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LES
ÉTRANGERS EN FRANGE
SOUS L'ANCIEN RÉGIME
J. MATHOREZ
HISTOIRE DE LA FORMATION DE LA POPULATION FRANÇAISE
LES
ÉTRANGERS EN FRANCE
SOUS L'ANCIEN RÉGIME
TOME SECOND
LES ALLEMANDS, LES HOLLANDAIS, LES SCANDINAVES
&
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«\
PARIS
LIBRAIRIE vNCIENNE EDOUARD CHAMPION, ÉDITEUR
5, QUAI MALAQUAIS, 5
1021
INTRODUCTION
i
Ce volume est consacré à retracer la manière dont les
populations germaniques se sont implantées en France pen-
dant les derniers siècles de l'ancien régime. J'ai recueilli
des faits très nombreux relatifs à la pénétration des Allemands,
Autrichiens, Suisses alémaniques, Hollandais ou Scandinaves
au sein de la famille française. Je ne me flatte cependant point
d'avoir consulté tous les documents concernant le sujet que
j'aborde. Il est pour ainsi dire inépuisable ; pour lui donner
toute son ampleur, il eut été nécessaire de fouiller et les dépôts
d'archives départementales ou municipales et les registres des
paroisses et les minutes de notaires et les monographies locales
sans parler des généalogies précieusement conservées dans les
familles. Plusieurs existences ne suffiraient pas à réunir et
colliger une telle masse de pièces et d'actes ; dans une étude
aussi générale que celle que j'ai tentée, les érudits me pardonne-
ront de faire à l'impressionnisme une large part.
En supposant connus tous les documents qui les concernent,
on dénombrerait encore assez aisément les Orientaux qui se
sont agrégés à la population française. Leur appoint a été rela-
tivement faible. Il serait au contraire chimérique d'essayer
d'entreprendre le décompte le plus approximatif des éléments
de population germanique qui se sont établis sur le sol français
du xme siècle jusqu'à la Révolution. Durant ce long espace
de temps, chaque année, des forains, venus du Nord ou de l'Est ,
ont passé nos frontières. Les uns, après un séjour de durée
VI INTRODUCTION
variable sont rentrés dans leur pays ; d'autres, fort nombreux,
sont demeurés en France et y ont fait souche après y avoir fondé
leur foyer.
II
Quelle influence ont exercé en France ces cohortes de Germa-
niques, pacifiques envahisseurs ? Il est indéniable que ces étran-
gers ont fourni à notre pays de multiples unités de population ;
mais l'apport du sang allemand, hollandais ou Scandinave n'a
eu aucune action sensible sur notre race celte et latine. Les
indices ethniques des Français n'ont pas été modifiés depuis le
xme siècle par l'intrusion constante de ces forains. L'influence
de ces alluvions étrangères a été nulle au point de vue psycho-
logique. Tel était le Gaulois du temps de César, tel était le
Français sous le règne de Louis XIV. Mêmes qualités, mêmes
défauts. Le réalisme qui caractérise les peuples germaniques
n'a pas pénétré les masses de la nation et n'a influé en
rien sur les populations des centres urbains où les colonies alle-
mande et hollandaise étaient spécialement importantes. A cela
rien de surprenant. Allemands et Hollandais se sont assimilés
avec promptitude. Ceux qui se fixèrent en France épousèrent
des régnicoles et par suite d'un habitat prolongé perdirent rapi-
dement contact avec leur pays d'origine.
Hollandais et Allemands ont surtout été poussés vers notre
pays par l'âpre désir du gain. Les Hollandais étaient des négo-
ciants et des courtiers de premier ordre ; ils possédaient une orga-
nisation de beaucoup supérieure à celle des autres peuples de
l'Europe et trop à l'étroit dans leur pays, leurs enfants émigraient
vers des régions où il leur était loisible de réaliser des bénéfices.
Seules les carrières du négoce les attiraient. En émigrant en
France les Allemands avaient des buts plus divers mais quels
qu'ils fussent, ils étaient toujours intéressés. Soldats, ils étaient
en quête d'une proie ; princes, ils sollicitaient des pensions,
artisans, ils passaient en France avec l'espoir de toucher des
salaires élevés. Producteurs, ils cherchaient à supplanter nos
INTRODUCTION vil
nationaux en appliquant des méthodes nouvelles ; en cela,
ils réussissaient souvent. Le tempérament réaliste des Allemands
les poussait à améliorer les conditions matérielles de l'existence,
aussi tournaient-ils surtout leur intelligence vers les industries
pratiques et la production à bas prix. On ne saurait nier qu'au
point de vue industriel, les Allemands ont parfois été pour nous
des initiateurs.
Ils ont introduit et propagé en France l'imprimerie ; ils nous
ont enseigné l'art de mieux tirer parti des mines de fer et de
charbon ; dans les industries métallurgiques, ils ont importé
des procédés nouveaux. Les Hollandais nous ont appris à
dessécher les marais, à améliorer la navigabilité de nos fleuves.
Reconnaissant dans ces domaines la supériorité des Allemands
et des Hollandais, Henri IV et Colbert peuplèrent la France
de ces étrangers. Leur influence sur nos méthodes de pro-
duction est certaine ; elle n'a cependant pas été aussi pro-
fonde qu'elle aurait pu l'être. En effet, plus intéressés par
le choc des idées et les discussions politiques ou religieuses,
que par les questions commerciales, maritimes, financières ou
industrielles, nos pères assistaient quelque peu indifférents aux
progrès réalisés par les manufacturiers et les négociants étran-
gers. Jusqu'au milieu du xvme siècle, ils considéraient comme
minces besognes et indignes d'eux de s'adonner à l'étude des
méthodes étrangères. Ils attendaient tout de la protection du
roi ; si la prospérité du commerce venait à faillir dans le royaume,
ils maugréaient bien quelque temps contre l'emprise &tê <l ran-
gers mais ne cherchaient pas à suivre les méthodes qui les enri-
chissaient à leur détriment parfois.
Notre propre tempérament a souvent tué les initiatives de
ministres clairvoyants qui avaient introduit dans le pi
étrangers commissionnés pour être les éducateurs du peuple
français. L'influence économique des Allemands et des Hollan-
dais s'est trouvée limitée par là même.
VIII INTRODUCTION
III
Au point de vue moral, l'action des étrangers du Nord et de
l'Est sur la France a-t-elle été beaucoup plus profonde ? S'il
est indispensable de rappeler que Lefèvre d'Étaples, dès l'an-
née 1508, dans son Commentaire sur les Psaumes, dès l'année 1512,
dans son Commentaire sur saint Paul, soutenait déjà quelques-
unes des thèses que Martin Luther devait afficher aux portes
d'une église saxonne, ce n'est pas ici le lieu de rechercher quelles
ont pu être les origines françaises des doctrines luthériennes.
Qu'il suffise de constater que la réforme française est fille de la
réforme allemande mais qu'en franchissant les frontières, cette
grande révolution religieuse s'est pliée aux exigences de notre
tempérament national.
Quelles que soient les doctrines auxquelles Luther a fait
des emprunts, quelqu'aient été les modifications subies par
la réforme qu'il a consacrée, il n'en demeure pas moins certain
que sous le rapport religieux, les Allemands ont exercé une
influence en France. Les idées de Luther trouvèrent, pour
germer facilement, un terrain préparé par les humanistes mais
il convient de noter la part qu'ont eue les étrangers établis en
France dans la diffusion des doctrines nouvelles. Il est indé-
niable que la présence dans le royaume de groupements d'ori-
gine germanique a contribué à la diffusion de la Réforme.
Commerçants, imprimeurs, ouvriers, étudiants, pédagogues,
lansquenets résidant ou circulant en notre pays ont été
d'actifs agents de propagation luthérienne.
C'est vers 1520 que le protestantisme gagne Paris. L'Univer-
sité, en 1521, laisse imprimer et circuler la réponse de Mélanchton
aux théologiens de Paris ; en 1524, Noël Beda dénonce le grand
nombre d'étudiants favorables à Luther. Les étudiants alle-
mands et hollandais qui sont légion à Paris, à Orléans et à
Montpellier constituent de petites colonies enthousiastes ;
parmi eux on suit les affaires d'Allemagne ; ce petit monde
lit Erasme et correspond avec Zwingle. Dans les grandes villes
INTRODUCTION IX
marchandes, et celles-ci ont toujours joué un rôle prédestiné
dans l'histoire religieuse du monde, les commerçants d'origine
germanique sont nombreux ; ils apportent d'Allemagne pam-
phlets, livres, almanachs de propagande et les répandent à
profusion dans le public. A Lyon, cité cosmopolite qui regorge
de commerçants, d'imprimeurs, d'artisans, de banquiers, la
doctrine nouvelle est rapidement propagée par des moines de
Wittemberg, amis de Luther et Jean Vaugris, neveu de Conrad
Resch est peut-être le premier des adhérents de la Réforme.
Les imprimeurs lyonnais qui sont en correspondance avec
leurs confrères d'Allemagne éditent et rééditent des brochuies
et des petits livrets dans lesquels sont exposés les principes
religieux de Luther. Peu à peu, les différentes couches de la
société furent gagnées à ses vues ; à Lyon notamment dans les
classes ouvrières d'origine germanique le protestantisme recruta
de nombreux adhérents *.
La cour de François Ier est pleine d'officiers allemands ;
des princes, des barons allemands sèment et propagent les idées
de Luther. Dans d'autres milieux, lansquenets et reîtres, logés
chez l'habitant sèment la doctrine du réformateur ; ces gens
sans aveu convertissent peut-être brutalement ceux qui ne
partagent pas leur manière de penser car leurs arguments
théologiques ne sont pas toujours très décisifs. Plus convain-
cants que les leurs furent sans doute ceux des pédagogues
qui parcoururent la France aux xvie et xvne siècles, y furent
appelés comme professeurs dans les Universités, les académies
protestantes ou comme précepteurs dans les familles fran-
çaises.
Dans le monde moral, la part d'influence des Germaniques
doit être circonscrite au domaine religieux ; au point de vue
artistique ou intellectuel, Allemands, Hollandais ou Scandinaves
n'ont exercé en France qu'une faible emprise.
Lorsqu'on a mis en relief l'influence que les artistes néerlan-
dais ont eue sur les nôtres au xive siècle en répandant dans nos
1. Sur ces points on peut consulter les belles études de M. Imbart de la Tour
sur les Origines de la Réforme et notamment le tome III. Paris, 1914. — Voir éga-
lniH ut, Henri Hanter, lltudcs sur la Réforme française. Paris, 1909.
X INTRODUCTION
ateliers le goût du naturalisme, quand on a noté l'engouement
passager qui, au début du xvne siècle, valut aux peintres, aux
graveurs, aux ébénistes et aux intellectuels hollandais des
succès sans lendemain, on a promptement épuisé l'histoire de
l'influence néerlandaise en France. L'inspiration artistique
allemande proprement dite n'a jamais influé sur nos concep-
tions. Au xvme siècle, toutefois, les Allemands essayèrent de
procéder à ce que Ton a justement appelé « le lancement de la
littérature allemande ». Les Français, par une sorte d'aberra-
tion politique firent fête aux intellectuels d'outre-Rhin au
moment même où Frédéric II essayait de constituer un empire
puissant établi sur des bases militaires solidement établies.
Malgré leurs efforts, les littérateurs allemands ne parvinrent pas
à créer autre chose qu'un mouvement de curiosité autour de
leurs œuvres ; ils ne réussirent pas à nous imposer leur culture
et leurs idées. Dans les lettres françaises on ne remarque pas
une influence germanique analogue à celle qu'eurent sur nous
les Italiens ou les Espagnols. Trois siècles de culture latine ne
pouvaient être effacés en quelques lustres par ce groupe de
philosophes et littérateurs allemands fixés en France et qui
étaient, eux-mêmes, tout imprégnés de cette tradition française
à laquelle ils cherchaient à se soustraire.
S.ans vouloir faire preuve d'un nationalisme aveugle, il
importe de dire nettement que du xme siècle à l'orée des temps
contemporains, la civilisation française n'a dû que fort peu de
chose aux civilisations germaniques. Les milliers et les milliers
d'étrangers que l'Empire, la Hollande et la Scandinavie ont
déversés sur la France ont été assimilés sans résistance. Ceux
qui n'ont fait que passer ont été, à leur retour dans leur patrie,
les propagateurs fervents d'une culture qui les avait séduits ;
ils ont été les agents dévoués de l'expansion de l'influence fran-
çaise à l'étranger.
Et de quel éclat a brillé notre civilisation hors de nos fron-
tières ! Des philosophes et des historiens l'ont dit, les uns avec
amertume, comme Leibnitz, les autres avec bonne foi et en
s'inspirant des documents les plus probants. M. L. Raynaud,
avec force détails, a montré comment, à toute époque, la
INTRODUCTION XI
civilisation française avait pénétré l'allemande 1. Les histo-
riens et les philologues hollandais se sont plu à redire la part
que la France avait prise dans le développement de leur pays.
En 1846, J. Koenen publiait une longue histoire de l'influence
française en Hollande 2 ; plus près de nous, J. Salverda de
Grave, en une série de conférences faites à Paris, notait la
manière dont la langue hollandaise s'était enrichie de vocables
français 3. Récemment encore, K. J. Riemens consacrait à
l'enseignement du français en Hollande du xvie au xixe siècle
une étude substantielle et riche de faits précis 4. Les pays du
Nord, Suède et Danemark soumis tout d'abord à l'influence
allemande se sont peu à peu rapprochés de nous. C'est à la
France qu'ils ont demandé des professeurs, des artistes et des
savants. Les judicieux travaux de M. P. Lespinasse ont
excellemment montré le rôle de la France dans les pays
Scandinaves 5.
En attirant dans le royaume des étrangers nombreux, le
gouvernement monarchique a rendu service au pays. Ceux qu'il
a retenus ont été des éléments d'activité et ont constitué un
surcroît de population souvent utile. Les forains qui n'accom-
plissaient dans le royaume qu'un séjour d'études ou de plaisir
ont souvent été les meilleurs auxiliaires de notre diplomatie
et leur rôle comme pionniers de notre influence à l'extérieur
mériterait d'être mis en valeur. Ils étaient généralement les
premiers adhérents de ces partis français que nos ambassadeurs
constituaient dans les cours auprès desquelles ils étaient accré-
dités ; ils propageaient notre langue, nos arts et de par le monde
essaimaient nos idées et nos mœurs.
1. L. Reynaud, L'Influence française en Allemagne. Paris, 1914.
2. H. J. Kœnen, Geschicdenis van de vesliging en den invloed der Fransche vluchle-
lingen in Nederland. Leyde, 1846.
3. J. Salverda de (Irave, L'influence de la langue française en Hollande d'après
les mots empruntes. Paris, 1913.
i. K. I. Riemens, Esquisse historique de l'enseignement du français en Hollande
du XVI' au XIX* siècle. Leyde, 1919.
5. P. Lespinassr, L'Art français et la Suède. Paris, 1913.
PREMIERE PARTIE
LES ALLEMANDS EN FRANGE
CHAPITRE PREMIER
L'INFILTRATION ALLEMANDE EN FRANCE AVANT LE XVIe SIÈCLE
I. L'ordre teutonique ; Artistes et artisans allemands. — II. Voyageurs et pèle-
rins. — III. Naissance des premières colonies de marchands ; avantages concédés
aux Hanséates.
I
L'institution de l'Ordre Teutonique remonte au temps de la
troisième croisade mais c'est seulement de l'époque de la cin-
quième, en 1218 et 1219, que datent les plus anciennes dona-
tions de biens, sis sur territoire français, effectuées à cet ordre.
Les propriétés dont il fut doté étaient principalement situées
dans quatre régions : à Beauvoir, au diocèse de Troyes ; à Orbec,
au diocèse de Nevers ; à Vaudeville et Saint-Michel-de-l'Henrii-
tage, localités relevant des évêchés de Toul et de Chartres.
A la tête des établissements français de l'Ordre Teutonique
était un commandeur. Le plus souvent, il était Allemand.
Des quatre commanderies, celle de Beauvoir, la plus importante,
tut dirigée par Jacques de Mayence, Jean de Brandebourg,
Jean de Francfort, Jean de Cologne. Le dernier commandeur
d'Orbec, Nicolas de Sampfer ou de Sommevoiiv, comme le
désignent les textes français, devint dignitaire de l'Ordre.
en 1 191, bien qu'il fut marié. Comme L'exploitation des terres
possédées en France par l'Ordre Teutonique était devenue
onéreuse par suite de leur éloigneinciil, Nicolas de Sampfer
tut chargé de procéder à leur liquidation1.
i. il. d'Arbois de JubalnviUe, L'Ordre teutonique en France, Paris, LS74, Extrait
«lu tome XXXII <!<• la Bibliothèque de l'Ecole des Charité,
4 LES ETRANGERS EN FRANCE
On ne saurait affirmer que les commandeurs de l'Ordre aient
introduit en France quelques-uns de leurs compatriotes chargés
de les seconder dans la gestion de leurs domaines ; le fait est
cependant probable. Les Allemands devaient amener avec
eux secrétaires et domestiques puisque les Français eux-mêmes
tiraient des terres impériales des subalternes. Vers 1357, un
ami de Pétrarque, Philippe de Vitri, évêque de Paris, avait
deux Allemands dans sa domesticité et dès le début du xve siècle,
des valets allemands étaient employés par des bourgeois de
Bordeaux 1.
Les Journaux du trésor de Charles IV le Bel et de Philippe VI
relatent assez fréquemment les noms d'Allemands employés
par ces souverains 2. Conrard d'Allemagne est valet de courses
de Charles IV 3, Erard est qualifié de conseiller et trésorier
du même prince 4. Parmi les militaires, Gauthier est sergent
des armées 5, Hannequin sergent du guet 6, Olric est sergent
d'armes 7. Pierre d'Allemagne figure encore comme clerc à la
Chambre des enquêtes de Charles IV 8. Les mandements du
roi Charles V 9 révèlent également la présence de fonctionnaires
allemands attachés à ses services. Les Girard, Gauthier, Pierre,
Jean, Olric Lallemant ou d'Allemagne n'ont guère laissé de
souvenirs. Leur nom n'a été tiré de l'oubli par de savants érudits
qu'en raison des émoluments qu'ils ont perçus à divers titres.
La reine Ysabeau de Bavière introduisit en France quelques
compatriotes. Des artistes et des orfèvres allemands travail-
lèrent pour elle ; parmi les plus célèbres, on cite Haincelin
qui habitait Paris en 1403 et Hermann Wynrich von Wesel 10.
La cour de Charles VI comportait des écuyers, des che-
1. A. Leroux, La colonie germanique de Bordeaux. Bordeaux, 1918, t. I, p. 2.
2. J. Viard, Les Journaux du trésor de Charles IV le Bel. Paris, 1917. Collection
des documents inédits. — J. Viard, Les Journaux de Philippe VI de Valois. Paris,
1901, même collection.
3. J. Viard, ... Charles IV..., notice 824.
4. Id. Ibid., notices 7729, 1641.
5. Id. Ibid., notice 3052.
6. Id. Ibid., notice 3838.
7. Id. Ibid., notice 3992.
8. Id." Ibid., notice 8482.
9. L. Delisle, Mandements et actes divers de Charles V. Paris, 1874. Coll. des Docu-
ments inédits.
10. A. Girodie, Martin Schongaiier. Paris, 1911.
ALLEMANDS AU SERVICE DES PRINCES FRANÇAIS 5
vaucheurs allemands ; la reine avait près d'elle des dames
d'honneur originaires d'outre-Rhin. Emelaye de Nostemberg,
épouse de Charles de Soicourt, fut mariée par ses soins ; Ysabeau
lui ayant promis une dot de dix mille écus ne put s'acquitter
de sa promesse : pour lui faire prendre patience, elle lui accorda
500 livres à prendre sur les biens du chancelier Nicolas d' Orge-
mont, lorsque, disgracié, il fut privé de sa fortune 1.
Louis XI est servi par des pages natifs d'Allemagne. « Pour
avoir esté nourri page du roi Louis XI et depuis, homme d'armes
des ordonnances » Jean, dit le page, obtint de Charles VIII des
lettres de naturalité au mois de janvier 1488. Cet officier avait
nom Jean Schulenberg. Il s'établit en terre française et acquit
le domaine de Mont-de-Jeux, à peu de distance de Sedan.
Lorsqu'il fut implanté dans le royaume, il attira son frère
Alolph dont le petit-fils devint maréchal de France au temps de
Louis XIII 2. Louis XI emploie des Allemands : Haufîe, Huif-
forly, Willem Widerstein, Michel Waller, « du pays d'Almaigne »,
reçurent, en juillet 1480, 20 1. tournois pour services rendus 3.
Charles de France, duc de Berry compte parmi ses écuyers
Richard Ahamer, allemand auquel, en 1470 il donne la sei-
gneurie de Monségur4.
Dans son duché de Bretagne, Jean V accueillait les Allemands ;
il recherchait l'alliance des Hanséates, le concours des mineurs,
il s'attachait des artistes originaires de l'Empire : HansWitzinger,
dit Hans Witz ou Lesaige était établi à Nantes en 1402 ; il y
demeura dix ans et décora une partie de la cathédrale. Ayant
quitté Nantes en 1412, il repartit pour Constance puis revint
en France avec son fils Conrad 5. Tous deux s'attachèrent au
service de Philippe le Bon. A la cour de Bretagne, la duchesse
avait une demoiselle d'honneur Helle d'Allemagne, à qui,
en 1405, elle fit donner par Jean V soixante-dix écus d'or 6.
1. L, Mirot, Le chancelier Nicolas d'Orgemonl. Paris, 1913, p. 223.
2. Lettre de naturalité du 10 janvier 1488.
3. Douët d'Arcq, Comptes de l'Hôtel du Iioi, édition de la Société de l'Histoire
de France. Paris, 1865, p. 377.
4. H. Stein, Charles de France, frèn de Ijhùs XI. Paris, 1921, p. 34.
5. Abbé Brune. Dictionnaire des Artistes delà Franche-Comte Pari», 1912. V« C°.
[, Blanchard, lettres et mandements de Jean V. Kdition îles Bibliophiles bre-
tons. Acte n° 164.
t> LES ETRANGERS EN FRANCE
Durant que Charles le Mauvais occupait une partie de la
Normandie, il* utilisa les services de Coppequin l'Allemand et
de Jehan d'Almaigne, marchand de Caen, à qui il achetait
soieries et étoffes l. Les comptes des ducs de Bourgogne relatent
les noms de quelques peintres, enlumineurs et fauconniers alle-
mands. Jean, duc de Berry, attire à sa cour des artistes de tous
pays. A Bourges, sur la paroisse Notre-Dame-de-Fourchaud,
vivaient des peintres allemands ; parmi eux figure Pol de Lim-
bourg, « natif d'Allemagne », qui habitait devant l'église Notre-
Dame 2.
La cour du roi René comptait plusieurs Allemands. Le contrô-
leur de ses finances, Balthazar Hirtenbrauss eut maintes fois
l'occasion de mandater des dépenses au profit de ses compa-
triotes 3. Pour construire et entretenir les poêles des châteaux
de Saumur, d'Angers et des Ponts-de-Cé, un ingénieur, Jacques
Dezabern, percevait des appointements mensuels 4. Au xve siècle,
c'était une habitude de faire venir d'Allemagne des artisans
chargés de construire ces hauts poêles que l'on utilisait contre
le froid. Cette coutume se maintint au xvie siècle ; en 1545,
François Ier fit construire à Fontainebleau un pavillon pour le
logement des reines-mères. On le dénomma « pavillon des poêles »
à cause des cheminées d'Allemagne que le roi y avait fait placer.
Les seigneurs achetaient des soieries aux Italiens ; des. Alle-
mands, ils acquéraient fourrures et pelleteries. Quelques articles
des comptes du roi René marquent qu'il suivait les usages de
son temps. Au xve siècle, écuyers, acheteurs de chevaux, dres-
seurs d'oiseaux de proie, palefreniers et charrons étaient fré-
quemment d'origine allemande. Erard l'Alemant était oiseleur
du roi René, l'Alman soignait ses chevaux : pour lui Hannus
de Merinch achetait des montures, des Allemands non dénom-
més dans les comptes construisaient des chariots destinés au
1. E. Izarn, Le compte des recettes et dépenses du roi de Navarre en France. Paris,
1885, p. 199.
2. Girard de Villesaison, Notes sur la demeure à Bourges et la femme de Pol de
Limbourg, dans Mémoires de la Soc. des Antiquaires du Centre ; XVe vol. 1887-8,
p. 109-113.
3. Abbé Arnaud d'Agnel, Les comptes du Roi René. V° c°.
4. Id., Ibid. V° c°.
ALLEMANDS AU SERVICE DES PRINCES FRANÇAIS /
transport des bagages du roi. A sa cour, des Allemands « faiseurs
de laeuz » touchaient des subsides pour leur habillement et les
distractions qu'ils donnaient au souverain, d'autres, comme
Hippolyte de Housenau, recevaient des aumônes à titre de
poète.
Des ébénistes allemands travaillaient déjà en France au
xve siècle : Guilbert, menuisier, « compaignon aimant », contribua
à la construction des orgues de l'église Saint-Germain d'Argen-
tan 1. A Lyon Alabram est verrier, Abraham de Limaigne
s'adonne à la peinture.
Dans l'entourage de Charles d'Orléans, à Blois, vécurent
sans doute des Allemands. Quand, à quarante-six ans, lourd de
corps et las d'esprit, le duc avait épousé Marie, fille d'Adolf de
Clèves, cette jeune fille, cette enfant, même, puisqu'elle ne
comptait pas quinze ans lors de son mariage, amena avec elle
quelques écuyers et dames d'honneur. Sa cour était nombreuse ;
élevée chez son oncle Philippe le Bon, elle avait connu chez lui
le luxe qui régnait dans la maison des ducs de Bourgogne et
avait importé à Blois les habitudes de son enfance 2. Les habi-
tants du duché de Clèves, pays pauvre et marécageux, où l'on
s'adonnait surtout à l'élevage du bétail, se réjouissaient de
l'accession des filles de leurs souverains à de hautes situations
en France ; c'était pour eux une occasion de venir s'y fixer
et d'y obtenir des situations lucratives.
Les alliances des ducs de Clèves avec des familles françaises 3,
la naturalisation de ces princes ont valu à la France quelques
éléments de population germanique qui se fixèrent à Blois,
à Paris et dans le Nivernais.
Outre les Allemands ayant vécu dans l'entourage des princes,
il convient de rappeler l'existence de fonctionnaires spéciaux
dénommés notaires impériaux et monnoyers du serment de V Em-
pire. Ils jouissaient en France de privilèges que François Ier
renouvela pour la dernière fois en 1528. Que représentaient
1. Arch. dép. de l'Orne, H 3590.
2. P. Champion, Vie de Charles d'Orléans. Paris, 1911, pp. 513 et suiv. Le mariage
de Charles d'Orléans et de .Marie de Clèves iul lieu en 1 IK".
.;. Suint Simon, Mémoires, édition des (irands Ikrivains, première partie»
Généalogies des du<s ri pairs de France.
«S i.i.s ÉTRANGERS EN FRANCE
exactement ces fonctionnaires parfois revêtus <lc la triple délé-
gation du roi, du pape et de l'empereur, on l'ignore encore à peu
près. Etaient-ils tous d'origine française ou bien étaient-Os
choisis parmi des sujets allemands, ce sont là questions aux-
quelles les érudits n'ont encore pu répondre *.
II
Au moyen âge, les relations entre les peuples se sont nouées
par des unions matrimoniales, des traités d'alliance, des conven-
tions commerciales mais les croisades et les pèlerinages à l'étran-
ger ont également contribué à faire naître entre eux des liens
étroits. Que de Français, que de Flamands et de Bretons, que
de Polonais aussi, ont quatre siècles durant, franchi les Pyrénées
pour se rendre à Saint-Jacques de Compostelle î Ces pieux voyages
ont développé le trafic des Espagnols avec la France, la Bretagne
et ia Flandre ; souvent, les pèlerins cheminaient en commerçant,
ils emportaient des pacotilles qu'ils vendaient dans la Péninsule
et en rapportaient des marchandises qu'ils écoulaient à leur
retour.
Des relations analogues à celles de la France et de l'Espagne
ont pu naître entre la Normandie et l'Allemagne. Pendant plus
de cent cinquante ans les Allemands ont fréquenté comme
pèlerins le Mont Saint-Michel : ils y venaient de tous les points
de l'Empire, de Worms, de Mayence, de Spire, de Cologne, de
Baie ou de Schlestadt.
Bien qu'il y eut des hommes, des prélats et des femmes,
parmi les pèlerins, c'étaient surtout des enfants qui, le plus
souvent, accomplissaient le voyage du Mont Saint-Michel ;
ils se groupaient au départ dans quelque ville d'Allemagne,
puis à pied, s'en venaient en Normandie par troupes de plusieurs
milliers de personnes. Les vieilles chroniques allemandes notent
avec soin ces mouvements pérégrins ; les plus anciens semblent
1. P. Viollet, Le Roi et ses ministres. Paris, 1912, p. 150.
PELERINAGES ALLEMANDS AU MONT SAINT-MICHEL 9
remonter au premier tiers du xive siècle et les derniers pèleri-
nages par grandes compagnies paraissent avoir été effectués
vers 1465 l.
De leurs voyages les « pueri Sancti Michaëlis » rapportaient
des souvenirs matériels, tels que plombs ou coquillages ; ils
revenaient aussi, la tête pleine de contes, de légendes et de récits.
A leur retour en Allemagne, ils narraient les miracles auxquels
ils avaient assisté et fondaient ainsi ces traditions populaires
dont Uhland a tiré parti dans son poëme sur le Miracle du Péril
ou de La Croix des Grèves 2.
D'Allemagne en Normandie, la route est longue ; tous les
pèlerins qui ont entrepris le pieux voyage sont-ils rentrés dans
leur pays ? quelques-uns, las d'avoir effectué un pénible voyage
ne sont-ils pas demeurés en France ? d'autres, voyant les béné-
fices qu'il était possible de réaliser en hébergeant les pèlerins
venus au mont Saint-Michel en nombre si considérable que par-
fois la nourriture leur manquait, ne se seraient-ils pas établis
dans l'Avranchin comme hôteliers ou marchands de ces menus
souvenirs que Ton retrouve dans tous les lieux de pèlerinage ?
on ne le sait mais on le peut supposer car l'âpre désir du gain
est aussi inhérent à la race germanique que son habitude de
courir le monde est prononcée.
La coutume de venir en pèlerinage au mont Saint-Michel
ne se perdit pas en Allemagne après le xve siècle mais on n'as-
sista plus à des mouvements de pèlerins aussi importants que
dans les temps anciens ; le culte des saints s'amoindrit en Alle-
magne par suite de la diffusion du protestantisme. Après la dis-
parition des pèlerinages d'enfants, les Allemands viennent
bien visiter la célèbre abbaye mais à titre individuel ; au
xvme siècle, quand il y réside, Jean Frédéric Karq, baron de
Déliambourg, prieur commendataire de l'abbaye, les reçoit
avec affabilité. Ancien doyen de Munich, conseiller de l'électeur
de. Bavière, chancelier de l'électeur de Cologne, eet abbé avait,
1. Et. Dupont, Les Pèlerinages d'enfants allemands au twmi Suiut-Mirh-l. Parte,
1907.
'^. K. <lc r.rîinn |.:iirc, Inlnxl. ;i L'édition du Roman 'lu iwm! Suint-Midnl pur
Guillaume de Saint Tuir, <loimo pat i'. Mi.h.l. 1850.
10 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
en 1703, obtenu la commende du Mont Saint-Michel. Malheureu-
sement, ce prieur, satisfait des 25.000 livres que lui valait l'ab-
baye ne réparait point le célèbre édifice. Sous son administra-
tion maladroite, il tombait en ruines : aussi après la mort de
Jean Frédéric Karq, ses héritiers furent obligés de reconnaître
que le prieur avait omis d'effectuer les réparations essentielles
et versèrent aux moines 20.000 livres, à titre de dommages-
intérêts \
III
A dater du règne de Louis XI prennent naissance en France
les premières colonies allemandes. Diverses raisons d'un carac-
tère général favorisent l'éclosion de ces groupements qui se
développent par la suite des siècles. Les privilèges accordés
aux Hanséates depuis le xve siècle jusqu'à la fin du xvme,
les alliances politiques et militaires de François Ier, de Henri II,
de Richelieu et de Mazarin avec les princes luthériens de l'Alle-
magne, les rapports politiques et économiques de Louis XIV
avec la Bavière et le Brandebourg, nos relations avec la Saxe,
au xvme siècle déterminèrent de nombreux habitants de l'Alle-
magne à passer dans un royaume où généralement ils étaient
volontiers accueillis. Sans écrire une histoire des rapports de la
France avec les principautés allemandes, on rappellera les plus
saillants des événements qui contribuèrent à attirer en France
les habitants d'outre-Rhin.
Les Hanséates de la vieille Prusse et de la Livonie s'aventu-
rèrent les premiers à venir caboter sur les côtes de France ;
leurs navires arrivaient en escadres et dans nos ports, les Han-
séates, ces Phéniciens du xve siècle, apportaient l'ambre de la
Baltique, des peaux, des harengs, des instruments de fer. De
très bonne heure ces navigateurs allemands avaient noué avec
la France des relations commerciales suivies et au xve siècle
les villes hanséatiques effectuaient avec elle un trafic impor-
1. Brin, Germain et Corroyer, Le mont Saint-Michel. Paris, 1880, p. 28.
PRIVILÈGES DONNÉS AUX HANSÉATES 11
tant *. Des facteurs allemands s'étaient déjà installés dans les
villes sises sur les bords de l'Océan, de la Manche et de la Médi-
terranée ; ils avaient mission d'écouler les importations et de
centraliser dans leurs magasins des marchandises de retour :
toiles, vins et sels. En Bretagne, les courtiers allemands étaient
suffisamment nombreux pour que des hôteliers de leur pays
aient eu intérêt à s'y établir ; on en rencontre notamment à
Nantes 2. Les navires de la Hanse fréquentaient des havres sans
grande importance comme Bourgneuf et Pornic, c'est assez dire
qu'ils abordaient dans des ports où le trafic était prospère 3.
Le négoce que les Bretons effectuaient avec les Hanséates était
si considérable qu'au cours de l'année 1432, le duc Jean V, crai-
gnant entre ses sujets et les Allemands une rupture provoquée
par quelques pillages de navires, s'empressa d'étouffer les germes
de la discorde. Par lettres données à Vannes, le 8 janvier 1433,
il déclarait : « Jehan... desiranz attraire touz bons marchands
à venir fréquenter marchandement en nos pays spécialement
ceux des villes et pays de la Hanse d'Allemagne... consideranz
les grands proufitz que nous et tout le bien public de nostre
pays pouvons avoir par le fréquentement des ditz Allemands...
donnons et octroyons par ces présentes sauvegardes à tous 4 ».
Tandis que les ducs de Bretagne s'efforçaient de maintenir la
bonne harmonie entre leurs sujets et les Allemands, le roi
Charles VII essayait de contracter avec les riches et puissantes
villes hanséatiques une alliance politique mais comme il ne
voulait signer avec elles qu'à la condition de les voir abandonner
l'alliance anglaise il ne réussit pas dans ses entreprises. Son
successeur Louis XI, reprit avec la Hanse les pourparlers
interrompus et en 1463 il autorisait les Hanséates à résider
librement dans les ports français. Au cours de la période de guerres
1. Il n'y a pas lieu de donner ici la bibliographie des travaux parus sur l'histoire
<l< s relations commerciales de la France avec la Hanse. Celle-ci a été dressée par
Otto Hcld dans son étude : Die Hanse und Frankreich von der Mille des 15 larun
derts bis zum Reyierunysanlrill Karls VI IL Gœttlngue, 1912.
2. Arch. mun. de Nantes, série CC, passim.
3. R. Blanchard, Cartulaire des Sires de liais. Poitien 1898-9. Introduction,
p. XXVI.
4. A. de la Borderie, Histoire de Bretagne. Rennes, 1906, t. IV, p. 267 et s. -
R. Blanchard, Lettre* et mandements de Jean V, édition citée.
12 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
qui marquèrent les années 1471 et 1472, les Allemands combat-
tirent la France et la Bretagne ; leur commerce avec nos ports
se ralentit, mais, dès le début de 1473, le duc de Bretagne
accordait aux Hanséates des lettres de sauf-conduit qui furent
prorogées en 1477. Louis XI, par une ordonnance du 15 août 1473
octroyait aux habitants des villes hanséatiques la liberté abso-
lue de commercer en France ; dix ans plus tard, il renouvelait
leurs privilèges et le duc de Bretagne signait avec les Allemands
un traité d'alliance et de paix définitive.
De toutes parts, sous le couvert des privilèges qui leur étaient
accordés, des négociants hanséates s'installent dans les villes
françaises. En Provence, ils fondent des sociétés ; au port de
Bouc \ ils créent la grande et la petite compagnies des Alle-
mands. A Bordeaux, les Osterlins, c'est-à-dire les Hanséates
de Lubeck, de Hambourg et de Brème font confirmer en 1464
les privilèges qu'ils avaient obtenus de Charles VII 2. Dans divers
ports, à La Rochelle, à Cherbourg, les Hanséates fondent des
groupements qui se développent après la signature de l'Édit
de Nantes. De même que les Hollandais surent tirer parti des
avantages commerciaux qu'on leur concéda, les Allemands
profitèrent de ceux que leur avait octroyés Louis XI. Maintes
fois, au cours de siècles, ils obtinrent le renouvellement des pré-
rogatives que ce roi leur avait accordés en 1473 ; ils défendirent
pied à pied leurs privilèges : exemptions de taxes et de droit
d'aubaine. L'un de leurs compatriotes était-il imposé à tort
ou ses biens, après son décès, étaient-ils appréhendés par les
gens du roi, aussitôt les Hanséates s'adressaient au souverain
ou aux parlements pour obtenir le rapport de la mesure qu'ils
jugeaient vexatoire ; ils invoquaient ordonnances, lettres-
patentes et arrêts rendus en leur faveur. Comme les forains ori-
ginaires de plusieurs autres nations, les négociants allemands
jouissaient d'avantages marqués leur permettant de trafiquer
à des conditions au moins aussi favorables que celles dont se
pouvaient prévaloir les naturels du pays.
1. Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, B 1642 et B 1650, années 1469-1476.
2. A. Leroux, Bordeaux et la Hanse teulonique au XVe siècle, dans Revue hist.
de Bordeaux, 1910.
PRIVILÈGES DONNÉS AUX HANSE ATES 13
Si nous ne connaissions la longue série des lettres-patentes
signées en leur faveur depuis le règne de Louis XI jusqu'à la
Révolution, une seule décision rendue par Louis XIV au mois
de juillet 1649 nous révélerait les diverses ordonnances rendues
en faveur des Hanséates depuis le xve siècle jusqu'à cette
époque l. Il est dit dans ce document « mais d'autant que parmy
les troubles de ces longues et sanglantes guerres, les marchandas
dessusditz des villes impériales n'ont sceu bien et deument
jouir des franchises comme par le passé, ains ont esté arrestez,
emprisonnez et contraintz par les receveurs et fermiers, princi-
pallement à l'instance des partisans d'en payer nouvelles impo-
sitions nommément les répréciations pour l'entrée et la sortie,
l'impôt du tiers, surtout nouvelles subventions et autres droitz
nouveaux comme aussi la nouvelle imposition établie depuis
dix ou douze années dans les villes d'Auxonne, Saint- Jean-de-
l'Ausne, Tournon, Belleguarde, Chalons, Mascon et autres,
sur la rivière de Saône ; considérans qu'à Rouen, plaincte a
esté faite à M. de Servien ministre plénipotentiaire... de ce que
les marchands allemands ne jouissent pas des privilèges qu'ils
ont obtenus jadis ; considérans donc l'alïection que nous portons
à la Nation germanique et particulièrement aux villes libres et
impériales, voulons que leur soient confirmez tous les privilèges
à eux accordés depuis l'année 1515. »
Ce document énumère la longue suite des faveurs octroyée*
aux Hanséates depuis François Ier. Le 1er mars 1515. il est
donné aux marchands allemands trafiquant en France liberté
de commerce et exemptions de nouveaux subsides. Au mois
d'août 1542, le roi confirme cette ordonnance et l'année suivante
exempte d'impositions foraines les habitants originaires «les
villes impériales. Henri II, François II, Charles IX, par divers
actes, maintes fois confirmés, prennent des dispositions favo-
rables aux Allemands. Charles IX leur donne la permission de
tester et de disposer de leurs biens, il les autorise à porter les
armes et le 3 septembre 1578, Henri III leur donne s lettres-
patentes en formes de Chartres portantes confirmations de leurs
i. An-ii. foi tffairei é1 rindpmtéê. Heu. 82 petttoi,
14 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
privilèges cy devant octroyés et amplification d'iceux, à tenir
maisons en tous lieux de France avec exemption nouvelle de
loger gens de guerre et de toutes cottisations ou daces nouvelles. »
Henri IV, Louis XIII et Louis XIV confirment ces prérogatives
et si l'on n'en tient compte les Hanséates savent rappeler aux
autorités locales qu'elles ont agi à tort en les imposant ou en
imposant leurs biens. Les difficultés entre fermiers des impôts
et forains privilégiés étaient constantes sous l'ancien régime ;
pour éviter les paiements des taxes et impositions, les étrangers
arguaient des privilèges « accordés à ceux de leur nation » :
ils constituaient parfois des castes spéciales trafiquant librement
sans être astreints aux charges pesant sur les Français. Hollan-
dais et Allemands connaissaient très exactement leurs droits
et les faisaient fréquemment valoir. L'ordonnance de Louis XIV
dont j'ai cité un extrait a été rendue à la suite des réclamations
des Allemands établis en Bourgogne et en Normandie ; au mois
de février 1736, les héritiers de Schouler, natif de Nuremberg,
et habitant Paris, s'insurgent contre la saisie de ses biens 1 ;
cinq négociants de Lyon protestent en 1774 parce qu'ils ont été
portés sur les rôles de la capitation. Les arrêts rendus en matière
fiscale ou au sujet du droit d'aubaine sont fréquents aux xvne
et xvme siècles ; quelques-uns constituent des décisions de prin-
cipe et sont fréquemment invoqués. Certaines requêtes forment
de véritables volumes dans lesquels sont rappelés tout au long
les nombreux privilèges octroyés aux Allemands 2 ; plus on
approche de la fin du xvme siècle, plus la longueur des requêtes
s'accroît car pour obtenir gain de cause, les négociants s'ap-
puient sur la série indéfinie des dispositions rendues en leur
faveur.
Louis XIV, en effet, n'a pas été le dernier souverain à s'inté-
resser au sort des marchands allemands fixés en France : ses
successeurs ont agi comme l'avaient fait le grand roi et ses pré-
décesseurs. Louis XVI, notamment, exempta définitivement
1. Sur tous ces points, cf. Arch. des Aff. étrangères : Petites principautés. Reg.
62.
2. Extrait des lettres-patentes des rois de France en faveur des habitants des villes
libres, chez François Barbier. Lyon, 1698.
LES HANSÉATES lf>
du droit d'aubaine tous les habitants des villes libres trafi-
quant en France. Il clôturait ainsi les procès pendants entre le
fisc et les héritiers des marchands allemands décédés avant
d'avoir obtenu leurs lettres de naturalité.
Les représentants des villes hanséatiques défendaient les.
prérogatives de leurs commettants ; lors des signatures des
traités de paix, ils intervenaient pour leur faire accorder des
faveurs nouvelles ou leur faire confirmer les privilèges anciens.
Parfois les villes libres adressaient au roi des mémoires collec-
tifs dans le but d'obtenir des avantages. En 1663, Augsbourg,
Francfort, Ulm, Nuremberg rappellent qu'au cours des der-
nières guerres, elles ont fourni des hommes, de l'argent qui leur
est encore dû et ont observé une exacte neutralité : on doit leur
en savoir gré et en conséquence il faut leur accorder des privi-
lèges économiques. En 1714, elles réclament l'absolue liberté
du commerce et on la leur accorde. Lors de la signature du traité
de Bade, elles font stipuler par l'article 34 que « tous et un
chacun de part et d'autre et nommément les citoyens et habi-
tants des villes impériales et hanséatiques jouiront par mer et
par terre de la plus entière sûreté » et qu'ils seront exempts
d'impôts. L'article 17 du traité de Vienne renferme les mêmes
clauses et stipulations.
Lorsqu'en 1774, Louis XVI accorda aux villes libres l'exemp-
tion totale du droit d'aubaine il omit de mentionner dans les
lettres-patentes la ville de Reutlingen. Le Cammerer et le Sénat
de Ratisbonne lui ■ écrivirent une fort belle lettre de remer-
ciements mais firent remarquer au souverain son omission.
Louis XVI fit droit à leur réclamation.
Cette longue suite de conventions, de traités et de pactes
conclus entre la France et les villes hanséatiques depuis le règne
de Louis XI jusqu'à la fin de l'ancien régime exerça une influence
sur la pénétration des Allemands en France. Des raisons poli-
tiques amenèrent aussi les souverains français à octroyer à des
bavarois, des Wurtembergeois, des Saxons ou des Brandebour-
geoifl des privilèges à peu près semblables à ceux qu'ils avaient
stipulés en faveur des Hanséates. On aura l'occasion de les
rappeler à diverses reprises. Jouissani en France de la lilu iU
16 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
du commerce, considérés comme réguicoles et pouvant aisé-
ment obtenir la naturalisation, les sujets de l'empereur s'in-
filtraient dans le royaume. Dès la lin du xve siècle beaucoup
s'établissent en France et vers le milieu du xvne siècle, ils forment
dans les villes de l'intérieur et dans les cités maritimes des colo-
nies qui deviennent aussi prospères et riches que celles consti-
tuées par les Hollandais.
CHAPITRE II
I Les étudiants allemands à Paris, Orléans, Angers, Montpellier, du xme au
xvme siècle. — II. Les pédagogues^ — III. Les voyageurs.
Un véritable monde de jeunes hommes allemands, nobles ou
bourgeois, laïques et ecclésiastiques ont, pendant plus de cinq
siècles, fréquenté les écoles, et universités françaises. Celle de
Paris a notamment possédé une nation germanique extrême-
ment importante. Dans un ouvrage sur les étudiants étrangers
qui suivirent les leçons des écoles de la capitale, Alexandre
Budinszky a dressé une liste des Allemands qu'il a rencontrés
au cours de ses recherches * ; cette liste qui s'arrête au milieu
du xvie siècle ne comporte pas moins de quarante-huit pages
de noms et elle est fort incomplète. En effet, depuis l'apparition
de son ouvrage a été publié Y Auctariiun 2 de la nation anglaise
(allemande) de l'Université de Paris et si l'on compare les deux
travaux, on constate que les étudiants d'origine germanique
furent encore beaucoup plus nombreux à Paris que ne le laissait
supposer Budinszky. •
\)\i xne au xvne siècle, nobles et bourgeois allemands ou
autrichiens envoyèrent leurs enfants en France ; ils passaient
à Paris plusieurs années, les uns s'adonnaut aux lettres ou à la
philosophie, les autres à la médecine ou à la théologie. Tout
1. A. Budinszky, Die Unircrsilal Parti und die Firnulrn on dersclbcr fin Mil
hlfillir. Berlin, 1876. Cf. notammenl Yrrzeivhniss dtr hcrvonaijcndcrcn jremden
Lehrer und SchUlar, pp. 119-168.
'1. I'. Dcnifle et I'.. eiiMlrlain, \ii,lunum Chmlulai ii l'nirrrsitilis l'ai i^intsis.
Liêer proctwaionim Nalionis Anulirmur (Atcmunniic). Paris, 1X97.
2
18 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
d'abord agrégés à la nation anglaise, les Allemands, au xive siècle,
absorbèrent les éléments anciens de ce groupement et consti-
tuèrent la nation allemande de l'Université de Paris ; rapide-
ment, elle devint la plus importante des corporations étrangères.
L'aflluence des étudiants allemands vers Paris et les autres
universités françaises fut même dénoncée par quelques auteurs
d'outre-Rhin comme l'une des causes de la corruption de la
langue allemande ; ils estimaient qu'à leur retour dans leur
patrie, les jeunes hommes qui avaient séjourné en France
introduisaient dans leur idiome trop de vocables français.
Dès le règne de Philippe-Auguste les étudiants allemands
étaient nombreux à Paris. Le roi les protégeait. En l'année 1200,
un jeune Allemand ayant envoyé chercher du vin par son domes-
tique, ce dernier fut maltraité. Ses compatriotes vinrent à son
secours, une bagarre s'en suivit et cinq Allemands furent tués.
Le roi craignant de voir les étrangers déserter Paris condamna
à une forte peine Thomas, prévôt de Paris, qui s'était mis à la
tête des assaillants 1. On ne sait si, dès cette époque, les Alle-
mands possédaient un collège à Paris. Les historiens qui se sont
occupés de la question ignorent exactement en quelle année
leur premier collège fut créé et ils n'ont pas pu jusqu'ici en déter-
miner l'emplacement. D'après les uns, il aurait été situé rue du
Mûrier près de la place Maubert, d'autres le placent rue Saint-
Jacques 2. Il est très probable que le collège des Allemands
qui existait encore en 1603 ne fut guère fondé avant le milieu
du xive siècle. Jusqu'aux environs de l'année 1350, les jeunes
étudiants d'outre-Rhin étaient disséminés dans les collèges de la
capitale.
Vers cette époque, la Nation allemande, ayant absorbé la
nation anglaise, prit une véritable prépondérance dans le cortège
des nations étrangères. Elle se montra spécialement remuante.
L'abbé de Saint-Germain-des-Prés, Jean de Précy, pour mettre
fin à des différends qu'il avait avec les écoliers et l'Université
au sujet du droit de présentation aux deux cures de Saint-André-
des-Arcs et de Saint-Gôme et Saint-Damien céda ce droit à la
1. Dulaure, Histoire de Paris.- Paris, 1823, t. II, p. 343
2. A. Budinszky, op. cit., p. 66 et note 1.
ÉTUDIANTS ALLEMANDS A PARIS 19
Faculté des Arts. La Nation d'Allemagne usa la première du
droit de présentation à la cure de Saint-Damien et, en 1361,
fit nommer à cette cure un de ses membres, Albert de Saxe,
professeur de philosophie. Elle profita de cette nomination
pour prendre dans la paroisse une situation de faveur ; elle
obtint pour son procureur le premier rang aux offices et aux pro-
cessions, se fit accorder la jouissance d'un banc spécial près du
maître-autel et demanda pour ses membres le droit de sépul-
ture dans l'église.
La Nation allemande conserva ces prérogatives honorifiques
jusqu'au milieu du xvne siècle. Au mois de janvier 1669, une
rixe ayant eu lieu entre les « nationaires » allemands et les mar-
guilliers au cours d'une procession, ces derniers se pourvurent
en justice « pour se plaindre de la dite entreprise et du trouble
qui leur est fait par les dits écoliers allemands ». La Cour statua
sur la requête des marguilliers et abolit les privilèges jusqu'alors
possédés par les Allemands h
Des étudiants germaniques qui passèrent par les écoles pari-
siennes on ne saurait mentionner les noms ; beaucoup n'ont laissé
aucune réputation, ils sont perdus dans la masse de ces milliers
de jeunes hommes qui, leurs études achevées, se livrent aux
occupations normales d'une existence sans gloire. Toutefois
on peut, à titre d'exemples, citer quelques-uns parmi les plus
notoires : Heinrich von Hessen qui, pendant vingt ans, de 1363
à 1383, enseigna la théologie à Paris après y avoir pris ses
grades ; Jean Reuchlin qui passa à Paris après avoir étudié
à Poitiers et à Orléans ; Conrad Gessner, ancien élève de l'Uni-
versité de Bourges et de Paris. Au xvie siècle, Ludwig Baër
professa à Paris pendant dix ans, Antoine Fugger, Jean Paul
Zangmeister, Andréas Wildholz, Jérôme Fischer, Jacob Sturm
prirent leurs grades en Sorbonne.
L'un des meilleurs collaborateurs des frères du Bellay fut un
Allemand : Jean Philipson né en 1506 à Sleide, dans l'Eitel ;
du lieu de sa naissance il tira son surnom de Jean Sleidan sous
lequel il est surtout connu. Après avoir pris sa licence ès-arts
1. E. Raunié, Epilaphier du Vieux Paris. Paris, 1899, t. III, p. 151.
20 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
à Paris, il s'attacha à .Jean du Bellay auprès de qui son compa-
triote Jean Sturm l'avait introduit. A diverses reprise», il lut
envoyé en mission près des princes allemands. Jean Sleidan
est également connu par la publication d'un abrégé dles Chro-
niques de Froissari.
Pendant tout le xvie siècle, les étudiants allemands fréquen-
tèrent nos écoles. Un étudiant luthérien, originaire du Tyrol,
Luc Geizkofler, qui séjourna à Paris au moment de la Saint-
Barthélémy a laissé une fort curieuse relation de son passage
en France I. Lorsqu'il quitta Strasbourg où il avait suivi des
cours à l'Université, Luc Geizkofler chevaucha vers la capitale
en compagnie de vingt-six gentilshommes de Misnie ou de Silé-
sie ; ils venaient grossir encore la colonie des étudiants allemands
de Paris qui, d'après notre auteur, comptait alors plus de quinze
cents jeunes hommes. La majeure partie de ces étudiants
logeaient chez l'habitant ; certains vivaient chez des libraires
d'origine allemande, chez Wechel notamment qui traitait ses
compatriotes pour un prix dérisoire. Les cours de Ramus, des
jurisconsultes Charpentier et Pierre Suger attiraient principale-
ment ces étudiants.
Les temps étaient troublés. Les fêtes du mariage du roi de
Navarre avaient amené à Paris force huguenots français et une
foule d'étrangers ; les partisans des Guise apprêtaient leurs
arquebuses pour occire les amis du Béarnais et l'amiral de Coligny
était frappé d'une balle à la main droite.
Le 24 août 1572, les massacres de la Saint-Barthélémy com-
mençaient. Luc Geizkofler, par mesure de prudence, s'était
avec quelques amis réfugié chez Blandis, prêtre catholique.
C'est de cet asile qu'il assista aux événements qui eurent leur
répercussion sur l'importante colonie allemande de Paris.
Dès les premiers jours du mois de juillet 1572, des étudiants
allemands avaient quitté Paris pour Bourges et Orléans, « s'étant
aperçus qu'il y avoit du péril dans l'air » mais, confiants dans
Fapparente amitié de Charles IX et du Béarnais, la majeure
partie d'entre eux était demeurés à Paris ; ils prirent part aux
1. Mémoires de Luc Geizkofler, tyrolien (1550-10)20), traduits par E. Fick. Genève,
1892, chap. v et suivants.
LES ÉTUDIANTS ALLEMANDS ET LA SAINT-BARTHÉLÉMY 21
fêtes données par la cour à l'occasion du mariage du roi de
Navarre et lorsque Coligny fut blessé, ils lui portèrent leurs
amicales condoléances.
Ces manifestations des protestants allemands ne leur valurent
certes pas les sympathies de Charles IX et des Guises ; ils
devinrent suspects aux ultramontains. Volontiers, lors du
massacre de la Saint-Barthélémy, leurs partisans en eussent
dépêché quelques-uns. Au vrai, huit à dix furent vic-
times de leur propre imprudence, ils s'étaient aventurés
dans les faubourgs -de Paris ; les autres, se donnant comme
Bavarois ou Autrichiens catholiques, furent épargnés ; ils trou-
vèrent d'ailleurs un protecteur dans la personne de la reine.
Lorsque la reine Elisabeth apprit de la bouche de son chapelain,
Hermann de Manz, les massacres de protestants, elle appréhenda
que la catastrophe n'atteignit les Allemands et les Autrichiens,
ses compatriotes. Elle demanda audience à Charles IX, son
époux et se jetant en larmes à ses pieds, le supplia d'arrêter
les effusions de sang. Sans même lui répondre, le roi aurait dit
à un officier : « Faites relever la déesse germanique et reconduisez-
la dans ses appartements ». L'intervention de la reine eut
pourtant un résultat ; le roi fit proclamer à son de trompe sur
les places publiques et à l'Université de ne tuer aucun Allemand
ni étranger sous peine de vie. Nonobstant ces assurances nombre
d'étudiants étrangers gagnèrent la province ou se retirèrent
dans leur pays. Durant quelques années, la colonie germanique
décrut mais advenant le xvne siècle, jeunes hommes accompa-
gnés de leurs gouverneurs et précepteurs revinrent en foule
a Paris ; ils y venaient apprendre non seulement les sciences
et les lettres mais encore étudier nos manières. Leibnitz se déte-
lait en constatant que les jeunes Allemands importaient à leur
retour chez eux des îinrurs l rès différentes de celles de leur patrie.
Ce n'était pas seulement la capitale du royaume qui attirail
d'Allemagne des jeunes hommes. Chacune de nos villes universi-
taires comptait un groupe d'el mliants originaires des pn\s
d'Empire. Nulle université française, Bauf peut-être celle de
Paris, ne put se vanter de posséder nue nation germanique
aussi importante que la faculté d'Orléans. Elle comportait
22 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
des Hollandais, des Scandinaves, des Hongrois et des Polonais,
mais de tous les étudiants étrangers, les Allemands étaient les
plus nombreux. Un motif spécial attirait ces jeunes hommes
à Orléans ; cette ville était la seule où l'on enseignait le droit
romain.
Jamais les souverains français n'avaient autorisé l'étude des
Pandedes et des Codes Justinien et Théodosien à Paris ; ils
étaient intéressés à cette défense par des motifs politiques,
ne voulant pas fortifier par des arguments historiques et juri-
diques les prétentions de domination universelle des sujets du
Saint-Empire. D'accord avec la Papauté, le roi de France avait
cependant autorisé la création d'une chaire de droit romain
à Orléans. Dès le xive siècle, les étudiants étrangers y accouraient
en foule pour assister aux leçons de maîtres dont la réputation
était établie dans l'Europe entière. Les professeurs de l'université
d'Orléans passaient en effet pour faire des leçons plus vivantes
et plus pratiques que celles des docteurs de Bologne *. Outre
cette considération, les familles allemandes préféraient pour
leurs enfants le séjour d'Orléans à celui de Bologne ; les distances
à parcourir étant moins considérables. Par ailleurs, la réputation
du bien parler et dû bien dire d'Orléans était grande. Les guides
des voyageurs étrangers en France célèbrent tous la pureté du
langage français parlé dans la vallée de la Loire. Just Zinzerling
— Josse Sincerus — écrivait : « Quand tu auras salué Paris,
il faudra t'en éloigner pour chercher une ville où l'on parle
un français plus correct... cette ville ce sera Blois ou Orléans ;
Orléans surtout... Ses habitants s'ont d'une extrême, politesse
envers les Allemands et leur offrent libéralement de leur vin
généreux » 2.
Tant de motifs d'attraction conduisaient les étrangers à
Orléans. Dès le xve siècle, les Allemands y furent particulière-
ment nombreux, Johann Reuchlin y suivit des cours. Les étu-
diants germaniques étaient dotés de privilèges exceptionnels ;
ils avaient droit de porter rapière et poignard, d'aller et venir
1. Marcel Fournier, La Nation allemande à Orléans au XIVe siècle. Paris, 1888.
2. Thaïes Bernard, Voyage dans la Vieille France par Jodocus Sincerus. Lyon,
1859, p. 59.
NATION GERMANIQUE D'ORLÉANS 23
durant la nuit entière. Avaient-ils quelques difficultés ils en
appelaient directement au Parlement de Paris. Au xvie siècle,
ils jouissaient du privilège d'exterritorialité; en cas de conflit
entre la France et l'Empire, ordre était donné de ne pas les troubler
dans leurs études, de ne pas les arrêter ou de les mettre à rançon.
Les étudiants de la nation germanique célébraient à Orléans leurs
fêtes coutumières. Le jour de l'Epiphanie et l'anniversaire de la
fête de Saint Jean Népomucène étaient pour eux l'occasion
d'agapes et de beuveries.
La nation germanique possédait ses officiers propres, procu-
rateurs, assesseurs, receveurs et bedeaux. Tous les trois mois,
un messager assermenté portait en Allemagne les lettres et les
paquets, il rapportait les missives familiales, les subsides et les
provisions. A son retour, il avait droit d'exciper de sa qualité
et de celle de ses mandants pour obtenir l'exonération des charges
fiscales pesant sur les importations dans ce royaume.
Rue de Bourgogne, les Allemands possédaient une maison
où était leur bibliothèque « composée de beaucoup de bons livres
qu'ils mettent à la disposition de ceux des écoliers qui s'y sont
fait inscrire ».
La nation germanique d'Orléans était déjà prospère au
xve siècle, elle le fut surtout à partir de François Ier. Ce roi
s'intéressait particulièrement à elle ; sans doute, la protection
qu'il lui accordait était-elle dictée par des motifs politiques.
Eternel candidat au trône impérial, il espérait probablement
se gagner des partisans en se montrant courtois vis-à-vis des
Allemands. Non content de confirmer la nation germanique
dans ses anciens privilèges, François Ier prit sous sa sauvegarde
spéciale les étudiants allemands qui se querellaient avec les
bourgeois de la ville ; en 1538, au moment de la réduction
du nombre des groupements d'étudiants étrangers à Orléans,
il autorisa la nation germanique à absorber les nations écossaise
et normande; en 1545, il essaya d'imposer à l'Université un
procureur général natif d'Allemagne.
Pendant le xvie siècle, près de deux cents étudiants vivaient
annuellement à Orléans, répartis dans les familles bourgeoises
ou hébergés par le propriétaire de l'hôtel du Saumon.
24 LES ÉTRANGERS EN I l'.ANCi:
Si l'on en croit les récits de Johannes de Botzheim, qui étu-
diai! à Orléans avec son frère en 1 ,172, la Saint-Rarlhélemy jeta
du l rouble dans la colonie allemande de l'Université. Peplilz,
Geiger, Metzler, Rhelinger, l'Autrichien Birckeimer, le comte
de Hohenlohe et son précepteur Wolfang Spelt furent ran-
çonnés et pillés par la populace ameutée. Quelques-uns des
huguenots d'outre-Rhin qui n'arborèrent pas à leurs chapeaux
la cocarde blanche furent menacés de maie mort. Jean Mertze-
nich fut même assassiné. Tout ce petit monde, à juste titre
affolé, racheta sa vie à prix d'argent ; effrayés de la tournure que
pren aient les événements, quelques étudiants gagnèrent Paris
que d'autres abandonnaient. Mais, après trois jours de massacres
et de pillages, l'ordre se rétablit peu à peu et si elle fut momen-
tanément atteinte, la nation allemande se retrouva bientôt au
complet K
Chaque année l'Empire envoyait à Orléans de nouveaux
étudiants. Lorsque Félix Flatter y passa en 1549, le nombre des
Allemands immatriculés à l'Université le frappa : « ce qu'il
faut principalement remarquer à propos de l'Université, écrit-il,
c'est le nombre considérable d'étudiants allemands, tant princes,
comtes et nobles qui la fréquentent. Ils sont en général de deux
à trois cents »2. L'année même où Thomas Platter vint à Orléans,
Henri IV, visitant la ville, demanda au chef de la nation com-
bien elle comptait d'Allemands ; il affirma qu'ils étaient environ
cent trente 3.
Les Allemands vinrent encore nombreux à Orléans au xvne
siècle ; toutefois vers 1670, ils se raréfièrent ; quatre ans après
cette date, dans un discours prononcé devant le grand roi,
l'avocat Girault indiquait que les étudiants d'outre-Rhin étaient
réduits à un petit nombre de gentilshommes 4.
Mieux que tout autre témoignage, les registres d'immatricula-
tion des écoliers allemands conservés aux archives du Loiret
1. C. Read, La Saint Barthélémy à Orléans racontée par J. W. de Botzheim, étu-
diant allemand, dans Bulletin de la Société d'histoire du protestantisme. T. XXI,
p. 345.
2. P. de Felice, Un étudiant balois à Orléans en 1599. Orléans, 1899, p. 13.
3. E. Bimbenet, Chronique historique extraite des registres des Ecoliers allemands.
Orléans, 1875, p. 79.
4. Arch. dép. du Loiret, D 237, f° 14.
NATION GERMANIQUE D'ORLÉANS 25
nous renseignent sur la nation germanique d'Orléans. On pos-
sède, depuis l'année 1444, les livres des procurateurs et ceux
des receveurs depuis 1508. Les noms les plus connus de l'histoire
d'Allemagne y sont inscrits ; ceux des Bismark, des Hohenlohe
et des Bulow voisinent avec ceux de gentilshommes dont les
appellations nous sont moins familières. De Silésie, de Prusse,
de Saxe, chaque année arrivent de nouveaux étudiants ; en
1557 c'est le Silésien Abraham de Bock qui est procurateur; au
xvne siècle, Vienne envoie Michel Zollikofer, la Bavière Georges
Faut de Haittenkeim, la Saxe, Henri Derenstein ; des villes
libres, de Hambourg, notamment, les représentants sont parti-
culièrement nombreux. Qu'ils soient tenus par des Bavarois,
des Westphaliens ou des Prussiens comme Fabien Stosser ou
Cléophas Pernecker les registres des procurateurs, des assesseurs
ou des receveurs sont des plus curieux : on y saisit au vif les
menus incidents de la gent éeolàtre, leurs querelles entre eux,
avec les autres nations ou leurs disputes avec les bourgeois de
la ville qu'ils épouvantent avec leurs longues rapières, car seuls,
les étudiants allemands sonl autorisés à sortir en armes. Aux
recettes de la nation figurent les droits d'immatriculation,
les droits d'entrée, aux dépenses les achats laits pour célébrer
les fêles des Trois-Rois, les aumônes consenties à de pauvres
hères revenant de Turquie, volés par les brigands, ou retour de
pèlerinage à Saint- Jacques-de-Compostelle. On noie avec soin les
acquisitions de livres, les achats d'hypocras destiné aux régals
des notables allemands qui passent à Orléans.
Sur les fonds de la nation sonl prélevées les sommes su (li-
santes pour rémunérer les gazeliers de Paris qui sonl lenus
d'adresser chaque semaine les nouvelles d'Allemagne. Au
xvii'' siècle Kpstein, nouvelliste, habitant le faubourg Saint-
(iermain est tenu d'envoyer hebdomadairement des messages
m;i:s il est irrégulier dans ses envois et apprend aux étudiants
nouvelles qu'ils connaissent depuis huit jours quand elles
leur parviennent. On lui adresse de sévères réprimandes1.
I He véritable colonie allemande se constitue à Orléans.
i. .m ••!». dép. <i'i Loiret, D I I ■ 7.
26 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Tailleurs d'habits, taverniers, libraires se fixent dans l'Orléa-
nais, ils contribuent à grossir le contingent de population germa-
nique vivant sur les rives de la Loire. Au demeurant, les Alle-
mands sont-ils en France à Orléans ou bien sur terre d'Empire ?
La question fait sourire ; elle se pose cependant au regard de
quelques-uns d'entre eux.
Ayant achevé leur journée d'études, la majeure partie des
jeunes hommes venus d'outre-Rhin se divertissaient comme
l'on fait à vingt ans ; quelques autres, mégalomanes, préten-
daient par de savants traités, démontrer les droits de l'empereur
sur la ville d'Orléans et rattacher au Saint-Empire l'université
orléanaise. Ils s'excusaient ainsi, à leurs propres yeux, de venir
en France quérir la science du droit.
Adolphe Eickholz, de Cologne, arrivé à Orléans en 1516,
était l'année suivante procurateur de la nation germanique.
Dédaignant les plaisirs ordinaires de ses compatriotes, il s'in-
génia à composer un Index librorum nationis dans lequel il
exprima ses idées sur la France et l'Allemagne 1. Se fondant
sur une charte donnée en octobre 1367, par Hugues, évêque
d'Orléans, d'après laquelle, au temps d'Aurelius, fondateur
d'Orléans, Virgile inaugura l'université, Eickholz tire cette
conclusion : Aurelius a fondé Orléans et son université ; or les
Allemands possèdent l'empereur, héritier direct des empereurs
romains, donc la ville d'Orléans et son université sont alle-
mandes 2.
Développant les prémisses posées dans ce premier syllogisme,
le pangermaniste Eickholz conclut que la France entière n'est
qu'une dépendance des domaines de l'Empereur puis, avec l'ha-
bituelle superbe germanique, il trace de ses compatriotes un
portrait idéal qu'il oppose à celui des Français qu'il dénigre.
Les idées d'Eickholz, curieuses à plus d'un titre, n'étaient
point celles de la généralité de ses compatriotes vivant à Orléans.
Tout en conservant pour leur patrie une affection bien natu-
1. J. Mathorez, Un étudiant pangermaniste à Orléans en 1517, extrait du Bulletin
du Bibliophile, 1913.
2. J. Soyer, dans La Légende de la fondation d'Orléans par l'Empereur Aurélicn,
a démontré la fausseté de cette allégation.
LES ÉTUDIANTS ALLEMANDS À BOURGES 27
relie, ils gardaient à la France une part de leurs sympathies.
Orléans n'était pas la seule ville de la vallée de la Loire où
ils se complaisaient. Bourges, Angers et Saumur eurent aussi
leurs colonies d'étudiants allemands.
La nation germanique de Bourges était si florissante qu'elle
engloba tous les forains fréquentant les cours de la faculté de
droit, la seule qui ait eu de l'éclat, surtout à l'époque de l'ensei-
gnement de Cujas. Dans la cité de Jacques Cœur les Allemands
ont laissé des souvenirs : le Jardin des Allemands jouxtait la
rivière de l'Yévrette et la rue des Trois-Pucelles ; une maison
de la ville était connue sous le nom de Maison des Allemands K
Au témoignage de Félix Platter les étudiants d'origine germa-
nique étaient fort nombreux vers 1550. Herman Louis, fils du
comte Palatin, Nicolas Judex son précepteur, Jérôme Rei-
ching d'Augsbourg qui se noyèrent tous trois dans un même
accident en 1554 ; Olevianus qui devint un célèbre prédicateur
à l'école de théologie de Heidelberg et Nicolas Gisner, futur
chirurgien d'un prince allemand, assistèrent impuissants à cette
triple noyade dont l'annonce émut tous les étudiants germa-
niques résidant en France.
Lorsque Thomas Platter quitta Bourges le 20 juillet 1599,
il écrit : « Je quittai Bourges avec Louis Jacques de Dantzig.
Nous partîmes en voiture et plusieurs écoliers allemands nous
accompagnèrent jusqu'à l'heure du dîner » 2.
Les étudiants vont et viennent ; ils passent une ou plusieurs
années dans une ville puis ayant pris leurs grades, ils rentrent
généralement dans leur pays. Ils ont cependant sur la constitu-
tion de la population une influence indirecte. Leur présence
attire dans les villes d'université des commerçants, fournisseurs
attitrés de cette clientèle sans cesse renouvelée. Les noms de
ces marchands ne sont généralement pas connus car ils ont peu
marqué dans l'histoire locale. Petits boutiquiers ou négociants
sans envergure, ils ont rarement atteint à la fortune, ne sont pas
devenus propriétaires notoires et leur famille, rapidement fran-
cisée, ne se distingue pas des familles autochtones.
1. Arch. dép. du Cher. Série D pattim et E 2329.
2. P. de Fclicc, op. cit., p. 8.
28 LES ÉTKANGEHS EX lllAXCK
Pour ([ne l'attention ait été attirée sur ces forains, il faut qu'une
circonskmee fortuite les ail sortis de l'oubli comme cela advint
pour une famille de Bourges, celle de Jean rl'Allemant dont la
touchante intimité inspira à Marot quelques vers charmants 1 :
Qui veut scavoir grans accors difïérens
Les plus nouveaux qu'on vert entre parons.
Longtemps y a vienne en cesl oratoire
Des Allemands lire la courte histoire.
Jean l'Allemand et Marie Polit
Deux autres Jeans en mariage acquirent
Qui en commun en ce logis vesquirent
Et ces Jeans, deux Jeannes espousèrent
Qui dix enfans sur la terre posèrent.
L'Université d'Angers reçut également beaucoup d'Alle-
mands, toutefois, ils n'y furent jamais assez nombreux pour y
constituer une nation séparée ; en l'année 1600, ils sollicitèrent
bien du roi le privilège de former une nation allemande mais leur
demande n'aboutit pas et ils demeurèrent confondus dans la
nation française qui englobait les étudiants d'origine étrangère.
Le souvenir des étudiants allemands a été conservé à Angers.
En effet, pour prendre leurs ébats, les jeunes hommes venus
d'outre-Rhin se réunissaient sur un vaste emplacement compris
entre les portes Saint-Aubin et Saint-Michel ; ce terrain de jeux,
acquis par un de leurs compatriotes avait été offert à l'université
d'Angers et en souvenir de l'origine de cette donation, l'empla-
cement conserva le nom de la Prée aux Allemands.
Si l'université d'Angers était fréquentée par les étudiants de
l'Empire, une autre institution les y attirait également ; c'était
YAcadémie d'équitation. Les origines de cette fondation sont
obscures, il est probable que l'Académie fut créée par des Ita-
liens du nom de Zanioli à la fin du xvie siècle. Quoi qu'il en soit,
l'école d'équitation d'Angers existait au xvne siècle et sa répu-
tation était déjà suffisante pour y attirer des élèves de tous les
pays de l'Europe. Brune au de Tartifume, ancien historien
d'Angers, a laissé une liste des jeunes hommes qui, pendant
trente-cinq ans, pratiquèrent l'art de l'équitation à Angers.
1. Clément Marot, Œuvres, édition Lenglet-Dufresnoy. 1731, t. HT, p. 249.
Complaincte des Allemans de Bourges récitée par la Déesse Mémoire.
L'ACADÉMIE D'ÉQUITATION D' ANGERS 29
Cet état s'étend des années 1601 à 1635 et son examen dénote
que la grande majorité des élèves étrangers étaient Allemands.
L'Académie subit au cours du xvne siècle diverses transfor-
mations. Il lui advint le même sort qu'à beaucoup d'institutions
privées subventionnées, elle devint une Académie d'État
dans laquelle on ne fut plus admis qu'après une autorisation
royale. Les brevets d'admission furent dispensés aussi bien à des
étrangers qu'à des nationaux. Les jeunes nobles, admis à suivre
les cours de l'école, venaient seuls ou avec leur suite, gouver-
neurs et domestiques. Ils s'établissaient à Angers pour plusieurs
années ; parfois même y ayant pris femme, ils y demeuraient
définitivement. On ne connait pas exactement la liste des élèves
qui furent académistes entre les années 1635 et 1755. Depuis
cette dernière date, au contraire, on possède les noms de tous
les élevés de l'institution pendant plusieurs années ; quel-
ques, actes de la vie civile des écuyers d'Angers permettent de
se rendre compte du cosmopolitisme de l'école antérieurement
à Tan née 1 755.
De nombreux Allemands sont signalés dans les actes. Le 15 jan-
vier 1685, Hermann Otto Tecklenborg, originaire de Westphalie,
épouse Pauline Baranger ; à l'acte de mariage signent plusieurs
Allemands *. Trois ans plus tard, Jean-Louis Staël, de Munster,
épouse Marie Baranger ; au pied de l'acte de mariage se lisent
encore des noms de jeunes Allemands 2.. Marie Baaranger continua
de vivre à Angers car cinq ans après son mariage, elle figure
comme marraine dans un acte de baptême 3.
Pour les périodes s'étendant entre 1755 et 1761 puis 1766
et 1790, on possède les listes des élèves de l'institution. Sur
334 Académistes, quelques-uns seulement sont d'origine ger-
manique; à la fin du xvme siècle, les Allemands étaient moins
nombreux que par le passé 4.
1. Affdl. clép. de Maine-et-Loire. Acte du 1.') janvier H U.
2. Ibid. Acte du 27 novembre 168$. Parmi les témoins figurent : Baron de Guen-
nlch, (iuillaume de Neureinber^, Hermann de Teeklenbor^, Christophe de Thu-
raimb, comte de Konitfstein, ouata d'HesbersWki, etc.
3. Ibid. Acte du 16 avril 1693.
l. <>. Ragueset de Saint- Albin, Livrée <irs Pensionnaires et des externes de l'Aca-
démie d'rtiiniulinn d'AïK/rrs | 1 7.v> I7>"i. dans lievue de l'Anjou, mars et avril LOI I.
p. 101.
30 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Angers ne fut pas, au xvne siècle notamment, l'unique centre
intellectuel de l'Anjou. Saumur possédait aussi une Académie
où les protestants venaient achever leurs études. Cette académie
avait été fondée, au mois de mars 1593, par Duplessis-Mornay
et rapidement cette institution s'était développée. Grâce à cette
fondation, il s'était créé à Saumur un foyer intense de vie pro-
vinciale animé par une afïluence extraordinaire d'écoliers
venus de tous les coins de l'Europe et à leur suite des négociants
exerçant les industries qui vivent des études libérales, du luxe
et de la jeunesse. Les étrangers protestants originaires d'Alle-
magne étaient particulièrement nombreux à Saumur ; on en
trouve une preuve dans un document fort curieux l.
Sous le règne de Louis XIII, l'Académie tenait ses assises
rue Saint- Jean et les jeunes gens qui la fréquentaient se réunis-
saient pour apprendre la danse chez un sieur Le Puy. Ce dernier
pour conserver le souvenir de la clientèle qui l'honorait de ses
faveurs, possédait un Liber amicorum sur lequel ses élèves
avaient coutume d'apposer leur signature, de dessiner leurs
armoiries ou d'inscrire d'ingénieuses pensées. Entre les années
1625 et 1642 on relève sur cet album 118 signatures et 67 bla-
sons de fils de familles originaires d'outre-Rhin. Les noms de
Jean Rudolf de Grafîenberg, de Hermann Vincke, de Charles
de Golstein voisinent avec ceux de Harouber Philipp de Schwerin
et de Christof de Winterfeld.
Des préoccupations de ces étudiants les maximes inscrites sur
lé registre de Le Puy donnent quelques échantillons ; ils chantent
le jeu, les femmes et le vin.
Rudolph, baron de GrafTenbeck, écrit :
Qui bien mange, fiante et dort
Fait un pied de nez à la mort.
« C'est une belle chose que le vin », note Eberhard Keck et
Schetto Ianmize estime que :
L'honneur, les femmes et l'amour
Le rendront content quelque jour.
. 1. A. Joubert, Les étudiants allemands de l'Académie protestante de Saumur et
leur maître de danse (1625-1642), dans Revue de l'Anjou, mars et avril 1889, p. 158.
LES ÉTUDIANTS ALLEMANDS A SAUMUR ET A MONTPELLIER 31
Les signatures du comte de Bentheim, de Frédéric de Win-
terfeld, de Crassat de Wolfbergaen, de Philippe de Schwerin
et de maints autres Allemands dénotent l'estime qu'ils avaient
pour leur maître à ballet et la danse elle-même. Avant M. Jour-
dain ils pensaient « que la danse est une science à laquelle on
ne peut faire assez d'honneur ».
Toute cité française possédant université ou collège comporte
une colonie d'étudiants germaniques. Vers Montpellier se dirigent
ceux qu'attirent les études médicales. Chacun sait de quelle
notoriété jouit l'Université de médecine de cette ville sous
l'ancien régime. En l'année 1220, le pape Honorius III lui donna
ses statuts : Conrad, évêque de Porto et Sainte-Ruffine, ancien
abbé de Clairvaux et de Cîteaux avait été envoyé dans le Midi
de la France comme légat et à ce titre chargé de résoudre diverses
questions relatives aux Albigeois. Cet Allemand, fils du comte de
Seinen reçut également mission de réformer l'enseignement
médical à Montpellier 1. Dès le xme siècle, à la suite de la réor-
ganisation de l'Université, se dirigèrent vers le Midi de la France
quelques-uns de ses compatriotes désireux d'étudier les doctrines
d'Avicenne et des thérapeutes grecs et arabes qu'on enseignait
à Montpellier. Mais, moins heureuse que l'Université d'Orléans,
celle de Montpellier ne possède pas de documents historiques
antérieurs à l'an 1503 et ce n'est guère avant 1526 qu'appa-
raissent sur les registres de la « sainte et vénérable cohorte
médicale » quelques immatriculations d'Allemands.
Toutefois on sait qu'antérieurement à cette date des étu-
diants natifs d'outre-Rhin, après avoir commencé leurs études
médicales à Paris les allaient achever à Montpellier. Henri de Os,
de Westphalie, y vient en 1350, Nicolas Schnele poursuit ses
études dans le Languedoc en 1362 ; Hermann de Braklis, du
diocèse de Paderborn est à Montpellier en 1401 ; il demande
à ceux de sa nation qui sont restés à Paris de lui adresser des
certificats « attestant qu'il a été bon et fidèle écolier de la faculté
de médecine de Paris et en a suivi les cours tant ordinaires
1. A. Germain, I,' Ecole de médecine de Montpellier; ses origines ; sa constitution.
Montpellier, 1880.
32 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
qu'extraordinaires » 1. Jacques Ram, admis par les jurais de
Bordeaux à exercer la médecine dans leur ville en 1441 est
ancien élève de Montpellier 2. Alban Thorer, célèbre médecin
allemand, mort en 1550, durant son séjour à Montpellier,
découvril dans la bibliothèque de Maguelone le manuscrit
d'Apicius 3.
Aux xvie et xviie si'èeles le nombre des Allemands qui suivent
les leçons des maîtres de cette ville est considérable. Les relations
de voyage des deux frères Platter en donnent une preuve for-
melle. Dans le premier tiers du xvie siècle vivait à Bâle Thomas
Platter qui, de simple chevrier, réussit par son travail à devenir
gijmnasiarcus de la ville et a laissé un nom parmi les pédagogues
de la Renaissance. En 1536 il avait eu un fils, Félix Platter.
Ayant résolu de lui épargner lés épreuves qu'il avait connues,
il! Tenvoya à la fiw de 1552 à Montpellier. Ce jeune étudiant,
qui devait devenir une des gloires de son pays, séjourna en Lan-
guedoc pendant cinq ans. Il y étudia la médecine. Son père
s'étant remarié à soixante-treize ans eut six enfants de sa seconde
femme et Thomas Platter, enfant de son second lit, ayant trouvé
en son frère Félix un protecteur dévoué, suivit la même carrière
que son aine. Lui aussi séjourna à Montpellier de 1595 à 1599.
Les deux frères nous ont laissé leurs souvenirs écrits à quarante
ans d'intervalle et qui constituent sur l'existence des Allemands
à Montpellier un document des plus précieux 4. Ils font connaître
une foule d'étudiants de langue allemande qu'ils ont fréquentés
durant leur séjour. Félix a été lié d'amitié avec Jacques Balden-
berg de Saint-Gall, les frères Stibare, parents de l'évêque de
Wurtzbourg, Georges Fischer leur précepteur, Michel Hoff-
mann, de Hall. Il a conversé avec Pierre Lotich, l'humaniste,
celui-là même qui, bien que poursuivi par l'Inquisition pour
avoir mangé de la viande pendant le carême, ne conserva aucune
rancune à la France puisque dans une élégie Ad Montenv-
1. Wickersheimer, Les Etudiants de la nation anglaise (allemande) de Paris,
dans Bulletin de la Société d'histoire de la médecine, année 1913, p. 285.
2. A. Leroux, La Colonie germanique de Bordeaux. T. I, p. 2.
3. A. Germain, La Renaissance à Montpellier, p. 3.
4. Félix et Thomas Platter à Montpellier (1552-Î557)-(1595-1599). Édition des
Bibliophiles de Montpellier. 1892.
ÉTUDIANTS ALLEMANDS A MONTPELLIER 33
Pessulanum, il vante le climat et les beautés naturelles du pays.
En général les étudiants allemands arrivaient à Montpellier
par Chambéry et Lyon ; beaucoup, ainsi que Félix Platter,
appartenaient à des familles modestes et descendaient chez un
habitant de la ville qui envoyait ses enfants en Allemagne
ou en Suisse allemande pour y étudier la langue et suivre des
cours. Les parents peu fortunés pratiquaient les échanges
d'enfants. D'autres étrangers étaient pris en pension dans des
familles de Montpellier. M. Salomon, également appelé M. d'As-
sas, hébergeait nombre d'Allemands en 1553. Ces jeunes hommes
travaillaient en général fort assidûment ; ils suivaient les cours
des maîtres réputés, disputaient entre eux et se livraient à l'ana-
tomie. Platter raconte que pour se procurer des sujets à étudier,
ils allaient, la nuit, lui et ses compagnons, dérober des cadavres
dans les cimetières de Montpellier.
Les fêtes amenaient des divertissements ; ceux des Allemands
variaient peu. Ils dansaient et s'enivraient. Félix Platter, qui
était sobre, comprenait mal que Jérôme Betz ou Israël Nubels-
pach fussent continuellement ivres. Cette fâcheuse habitude
de ses compatriotes le choquait. « Je n'ai jamais vu d'homme
ivre à Montpellier à l'exception des Allemands », note l'étudiant.
Parfois on prenait des congés et la gent écolière allait en bande
à Avignon et à Marseille. Félix Platter accomplit ce voyage
avec treize autres Allemands. Des amis rentrent-ils en Alle-
magne, on les reconduit généralement jusqu'à Chambérx .
Valerinaus et Bartholomaeus, deux docteurs prussiens repartent
dans leur patrie ; Platter, suivant un usage établi, les accompagne
en Savoie.
Il advient que des étudiants allemands se marient à Mont-
pellier et s'installent en France. Henri Rihener après avoir
convolé en Languedoc se fixa à Salers en Auvergne; son frère
l'y rejoignit plus tard.
Lorsque Thomas Platter vint à Montpellier les mœurs n'avaient
pas changé ; la colonie allemande était aussi compacte que par
le passé. Pour tes étudiants germaniques malades on construisit
même une sulle spéciale dans le nouvel Hôtel-Dieu que Ton
édifia en 1599. Ils fournirent pour cet édifice une importante
3
34 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
contribution. Le nombre des Allemands ne diminue pas au
xvne siècle. De la Prusse, du Palatinat, des villes hanséa-
tiques viennent chaque année des étudiants ; les uns sont seuls,
d'autres accompagnés de leurs précepteurs. Jean Faber, Josse
Lucius, de Heidelberg sont immatriculés en 1600 et 1602. Jean
Schabe, Jean Stobe, Prussiens, Georges Hetzmanseder, de Ratis-
bonne, Adam Rubach, Louis Henrich, Nicolas Schultz, de
Stettin prennent leurs grades à Montpellier au cours du premier
tiers du xvne siècle 1.
Par la publication à Nuremberg, en 1625, de son Historia
Monspeliensis, Etienne Strobelberger contribua encore à
répandre en Allemagne le haut renom de la faculté languedo-
cienne ; les étudiants allemands y sont très nombreux au
xvme siècle ; d'ailleurs les docteurs de Berlin sont en relations
suivies avec les maîtres de Montpellier : en 1730, ils sollicitent
leurs avis sur l'opportunité de l'opération du trépan.
La continence n'est pas vertu allemande ; les étudiants qui
passaient en France plusieurs années n'avaient pas des mœurs
très chastes et n'étaient pas toujours réservés à l'égard des
filles de leurs hôtes. A bien examiner les registres des universités
on relèverait sans doute des mentions analogues à celle que j'ai
notée dans les archives de la nation allemande d'Orléans.
En 1603, il est interdit aux étudiants de loger chez la femme
Salhas « qui a fait arrêter Georges Voll qui a eu des relations
avec sa fille » 2. Des étudiants avaient des maîtresses ; Thomas
Platter parle fréquemment de la sienne. Aussi bien peut-on
penser que des relations de tous ces jeunes hommes avec les
« Catherine la dentellière » des siècles passés, naquirent des
enfants dont les pères se soucièrent assez peu.
Dans ses souvenirs de voyage Félix Platter raconte que les
Allemands laissaient courir le dicton suivant sur les universités
françaises : « Accipimus pecuniam et mittimus stultos in Ger-
maniam ». Nous prenons l'argent des Allemands et les renvoyons
ignares en Allemagne3. Si ce dire était exact on comprendrait mal
1. A. Germain, Les Pèlerins de la science à Montpellier. Montpellier, 1879.
2. Arch. dép. du Loiret, D 217, f° 43.
3. F. Platter, op. cit., p. 137.
PÉDAGOGUES ALLEMANDS 35
l'empressement avec lequel, de toutes les parties de l'Empire,
par cohortes pressées, les Allemands venaient s'instruire dans
le pays qu'ils semblaient mépriser. Pendant plus de quatre siècles
ils ont été les plus nombreux de tous les étrangers ayant profité
de notre hospitalité et s'ils étaient repartis aussi ignorants
qu'ils étaient arrivés on ne concevrait point que tant et tant
de générations d'Allemands aient tenu à passer la frontière et à
visiter la France.
II
Les universités de Paris et des grandes villes s'honoraient
en accordant aux étrangers le droit d'enseigner. Volontiers elles
recrutaient des maîtres parmi les notables forains qui s'étaient
distingués au cours de leurs études ou avaient acquis de la répu-
tation en dehors du'royaume. Budinszky a noté dans son ouvrage
les principaux scolastiques d'origine allemande ayant, comme
Albert de Saxe, donné des leçons à Paris. Comme ils apparte-
naient à peu près tous au clergé, je ne rappellerai pas leurs
noms. A dater de la Renaissance, les professeurs étrangers,
Écossais, Italiens ou Allemands sont au contraire des savants
appartenant au monde laïque et de ceux-ci quelques-uns se
sont fixés en France. Tantôt ces étrangers demeuraient à poste
fixe, parfois, au contraire, ils allaient et venaient, donnant
dans une ville une série de leçons et dans une autre une série de
conférences.
Lorsqu'on sait avec quelle ardeur les Allemands de toutes
les époques se sont occupés des questions de pédagogie et ont
embrassé la carrière de renseignement, on n'est pas surpris
d'en rencontrer en France comme professeurs ou pédagogues.
Au xvie siècle la soif d'apprendre est telle que l'on s'adresse
à tous hommes qualifiés pour enseigner; or l'Allemagne savante
a compté des humanistes distingués. A Paris, Jean Sturm pro-
l'cssa sous le règne de François Ier; Melchior Volmar Rufus,
qui fut le maître de Calvin et de Théodore de Bèze enseigna à
Orléans cl à Hommes avant de retourner à Tubingue, où Théo-
36 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
dore de Rèze alla le visiter. Au collège de Guyenne des profes-
seurs itinérants donnaient des leçons et la présence de régents
allemands a été maintes fois signalée dans les histoires des diffé-
rents collèges de France.
A la fin du xvie siècle plusieurs Allemands étaient professeurs
aux écoles de Nîmes. Thomas Platter note les noms de Chrétien
Pistorius de Heidelberg et de Rulman.
Depuis le milieu du règne de François Ier, ce fut chez les
Français une mode de confier l'éducation des enfants à des
précepteurs étrangers. Les Écossais furent souvent choisis
pour tenir l'emploi de pédagogues, des Allemands aussi. Le
père de Montaigne avait confié la première éducation de l'au-
teur des Essais à trois Allemands. « Mon père, dit Montaigne,
me donna en charge à un Allemand qui depuis est mort fameux
médecin en France... Cettuy-cy qu'il avoit fait venir exprès
et qui estoit bien chièrement gagé m' avoit continuellement
entre les bras. Il en eut aussi avec luy deux autres moindres
en scavoir pour me suivre et soulager le premier » l. De ces
Allemands un seul nous est connu : Horstanus qui fut professeur
au collège de Guyenne sous la direction de Gélida en 1547.
Des réformés français introduisirent aussi dans leur famille
des professeurs allemands. Georges Henichau, de Neiss, en Silésie,
éduqua les enfants de l'amiral de Coligny 2. Cette mode se main-
tint encore au xvne siècle; en 1607 Oswald Schwend3 était
professeur dans la famille parisienne des Lecocq ; il laissa un
Album Amicorum très précieux pour l'histoire de la colonie alle-
mande de Paris au temps de Henri IV.
Le célèbre théologien Tilenus, Silésien de naissance, déclare
dans l'un de ses ouvrages qu'il est devenu Français en titre
comme il l'avait été de cœur depuis trente ans. Il fait allusion
aux lettres de naturalité que lui avait octroyées Henri IV.
Tilenus était venu jeune à Paris ; il fut précepteur du jeune
Laroche Posay qui devint évêque de Poitiers, puis de M. de
Laval. Tout en instruisant les autres, il se préparait par de sa-
1. Montaigne, Essais, éd. Courbet. T. V, p. xvn.
2. Mémoires de Geizkofler, p. 51.
3. F. Brunot, Histoire de la langue française. Paris, 1917, t. V, p. 295.
PÉDAGOGUES ALLEMANDS 37
vantes études à son futur ministère de théologien ; une contro-
verse qu'il soutint en 1547 contre Davy du Perron, évêque
d'Évreux, attira sur lui l'attention et il fut choisi par le duc de
Bouillon comme professeur pour l'Académie qu'il se proposait
de fonder à Sedan. En attendant qu'elle ouvrît ses portes, il
enseigna au collège et eut comme élève le fils aîné du duc,
Frédéric-Maurice. Après quelques années d'enseignement à
Sedan, Tilenus fut chassé de l'Académie à raison de ses opinions
religieuses ; ayant embrassé la doctrine d'Arminius qu'il avait
primitivement combattue, il eut avec les protestants des démêlés
qu'il serait trop complexe de rapporter1. Tilenus voyagea
puis revint finir ses jours à Paris où il mourut en 1663. Sa femme,
une demoiselle Delaage, fut, à sa mort, chargée d'exécuter
ses dernières volontés : Tilenus laissait la majeure partie de sa
fortune à divers Arminiens et sa bibliothèque à un pasteur pro-
testant qui, comme lui, avait été professeur à l'Académie de
Sedan.
Parfois, des Allemands peu fortunés acceptaient des précep-
torats. Le célèbre érudit, Frédéric Spanheim, n'ayant pu, faute
d'argent, demeurer à Genève pour y poursuivre ses études
entra, en 1621, comme précepteur chez le baron de Vitrolles,
gouverneur d'Embrun. Quand il le quitta, ce fut pour se rendre
à Genève, en passant par Paris qu'il souhaitait visiter 2.
Le fameux Saumaise eut comme maître Polycarpe Sengebert,
professeur à l'Université d'Angers en 1625. Les enfants du mar-
quis de Maillé étaient éduqués par Jean d'Hamencourt, natif de
Trêves 3.
La mode des précepteurs allemands se perpétua au xvne siècle,
notamment dans les familles réformées. Ils ne furent pas sans
importer en France quelques-unes des méthodes pédagogiques
d'outre-Rhin ; les doctrines de Comenius sur l'éducation des
enfant* furent fréquemment appliquées dans le royaume. Son
1. P. Mellon, L'Académie de Sedan. Paris, i;U3, p. 95 et s. — J. Parmi» W, L'Eglise
réformée de Paris sous Henri IV. Paris, 1911, p. 72, 80.
2. Archinard, La famille Spanheim, clans Bulletin de la Société d'Histoire du
protestantisme français, T. IX, p. 96.
3. Arch. dép. d<- Maine-ct-Loin-, s<ii< I :. Sup. Paroisse de Vernantes, (arrondis-
sement de Baugé), Acte de décos du 15 janvier 1701.
38 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
ouvrage La Porte des Langues, qui parut en 1631, eut une grande
vogue. Les principes d'enseignement qu'il préconisait furent
adoptés par les fondateurs des petites écoles de Port-Royal
et Lancelot s'inspira des méthodes de Comenius quand il com-
posa son fameux Jardin des Racines grecques.
III
Les voyages forment la jeunesse dit un vieux proverbe et les
Allemands ont toujours mis en application cet ancien dicton.
Ils aimaient courir le monde ; l'historien allemand Janssen
parle dans ses œuvres du « currendi libido » de ses compatriotes
et en France, où les amenait fréquemment le goût des déplace-
ments, leurs habitudes étaient bien connues. On considérait
« que les Allemands avaient l'habitude de gaspiller leur argent
en promenades ». Enfants se rendant au Mont Saint-Michel,
pèlerins de Saint-Jacques, étudiants allant à Bourges, Mont-
pellier ou Angers accomplissaient un tour de France et visi-
taient notre pays. Des voyageurs d'âge mûr affluèrent aussi dans
le royaume et d'entre eux, bon nombre ont laissé des souvenirs,
des relations de voyage et des guides pratiques. En général,
les Germaniques effectuaient en France des séjours prolongés ;
ils y dépensaient plusieurs mois, parfois même plusieurs années ;
ils s'attardaient à Paris et ne s'en éloignaient qu'à regret,
« Avoir vu les villes d'Italie, d'Allemagne, des autres royaumes
ce n'est rien ; ce qui frappe surtout, c'est quand un homme
annonce qu'il a été à Paris », écrit un Allemand et presque tous
pensent comme lui.
Au xvie siècle, Paris était pour les Allemands un centre d'at-
traction ; quand ils avaient suffisamment admiré la capitale
les voyageurs venus de Saxe, de Bavière, de Bâle ou de Zurich,
se rendaient dans les provinces ou dans les stations thermales.
Aux Eaux-Bonnes, le président de Thou rencontra un Alle-
mand dont la capacité d'absorption le frappa ; il buvait cin-
quante verres d'eau sans reprendre haleine.
VOYAGEURS ALLEMANDS EN FRANCE 39
Par politique ambitieuse François Ier les reçoit volontiers :
c'est à sa cour un passage continuel de seigneurs, d'envoyés,
qu'il traite gracieusement. Albert de Brandebourg lui envoie
Ulrich de Hutten en 1517 pour nouer des relations avec son très
cher ami le roi de France.
En France, sous les Valois, les Allemands sont courtoisement
accueillis. François Ier et Henri II leur marquent de la sympa-
thie ; la reine Elisabeth, épouse de Charles IX, protestante
de tendances, catholique par naissance et nécessité politique
se montre favorable aux sujets de l'empereur qui visitent la
France. De toutes les parties de l'Allemagne nous arrivent des
voyageurs. Ils viennent par groupes, parcourent la France
à cheval, s'arrêtent à Marseille, Toulouse, Poitiers ; ils stationnent
dans les cités importantes ; déjà quelques-uns d'entre eux
rédigent d'intéressantes relations de leurs voyages. Les dissen-
sions religieuses les intéressent. Eustachius de Knobelsdorf,
jeune Allemand catholique de passage à Paris en 1542, raconte
les exécutions de réformés *.
En compagnie d'Allemands, Félix Platter de Baie accomplit
un véritable tour de France après avoir achevé ses études à
Montpellier ; il consigne par écrit les souvenirs qu'il a recueillis.
Luc Geizkofler qui vécut à Paris en 1572, chiffre à plus de
quinze cents le nombre des étudiants et voyageurs allemands
se trouvant dans la capitale au temps de la Saint-Barthélémy.
Il en désigne nommément quelques-uns. Les guerres civiles
éclatent, les voyageurs allemands se raréfient mais dès la paci-
fication du royaume ils réapparaissent en foule. Thomas Platter,
le frère de Félix, séjourne dans le Languedoc pendant quatre ans.
En compagnie de compatriotes issus de la Suisse alémanique
ou des autres pays d'Empire, il visite Montpellier, Avignon,
Marseille, Toulouse ; il se rend aux foires de Beaucaire, à Cette,
à Aiguës-Mortes et termine sa randonnée dans le Midi par un
séjour à Bordeaux. Comme son frère l'avait fait quarante ans
avant lui, il relate, en des pages curieuses, les observations qu'il
a faites au cours de son périple en France.
1. Bulletin de la Société d'histoire du protestantisme, t. VI, p. 420.
40 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
 partir de l'avèiu'iiHiit de Henri IV, le nombre des voyageurs
allemands se multiplie ; ils visitent aisément la France car ils
disposent de relations de voyages, de guides, d'itinéraires
rédigés par des compatriotes soucieux de leur indiquer les curio-
sités naturelles et de leur donner des indications pratiques
sur la manière de circuler dans le pays. Ils n'ignorent pas que
l'auberge de Bourges où ils seront le mieux accueillis est celle
du Bœuf couronné et qu'il leur faut descendre à Orléans à Yllostel
du Lansquenet Allemand. Pour avoir leurs aises à Marseille,
ils demanderont l'hospitalité à un Hollandais qui loge des
Allemands et des Nurembergeois ; il ne tient pas auberge mais
pension sans enseigne.
Avec son Itinéraire, Paul Hentzner ouvre l'un des premiers,
la série de ces manuels du tourisme. Ce précepteur d'un jeune
Silésien voyagea en Europe pendant quatre ans et séjourna en
France en 1598. Il consigna les principales observations que
lui inspirèrent ses voyages. Si cet Itinéraire est intéressant déjà,
il est cependant beaucoup moins complet que celui de Just
Zinzerling.
Just Zinzerling, également connu sous le nom de Josse Sin-
cerus, parcourut la France au début du xvne siècle. Il y séjourna
deux années et laissa, à l'usage des voyageurs un guide très
curieux et abondamment fourni en renseignements pratiques.
Dans ses récits, il indique à ses compatriotes les villes où il
convient de séjourner pour apprendre le français. Il leur conseille
de se fixer sur les rives de la Loire. Non seulement la langue y est
correcte mais le vin y est excellent. Chemin faisant, il informe
les Allemands qu'à Tours, à l'auberge des Trois-Rois, ils trouve-
ront bon gîte et table abondante. La maîtresse de l'hôtel est
pleine d'attention pour les voyageurs d'outre-Rhin ; on l'a
même baptisée la « Mère des Allemands ». A Saumur, le « charme
du lieu et le bon marché de la vie attirent beaucoup d'Allemands».
C'est à la Cloche perse qu'il convient de descendre à Poitiers ;
l'auberge est située en face de la maison de M. David Lussant,
pharmacien, excellent homme et fort aimable pour les Alle-
mands dont il parle la langue.
Les récits de Josse Sincerus dénotent le désir que ses compa-
VOYAGEURS ALLEMANDS EN FRANCE 41
triotes avaient de connaître notre pays ; ils marquent l'intérêt
qu'ils prenaient à savoir ce qui se passait en France et per-
mettent de se rendre compte du prestige dont elle jouissait en
Allemagne 1.
Les Allemands fourmillent à Paris et en France au xvne siècle.
Oswald Schwend est précepteur, en 1607, dans la famille pari-
sienne des Lecocq. Il possède un Album Amicorum sur lequel
on relève de fort nombreuses signatures apposées par ses
compatriotes allemands. Advenant au pouvoir, Richelieu
réprend les traditions de François Ier, de Henri II et de Henri IV ;
il se rapproche des puissances protestantes et en protège les
sujets. En 1626, il accorde aux luthériens résidant à Paris le
libre exercice de leur culte dans la chapelle de l'ambassade de
Suède. Le premier pasteur de cette église, Jonas Hambraeus,
demandait aux fidèles de verser une cotisation pour l'entretien
de la chapelle et sollicitait d'eux l'apposition de leur signature
sur un registre monté par ses soins. Les feuillets de ce document
sont émaillés de signatures de princes allemands ; par centaines
on y lit les noms des représentants des familles souveraines,
de jeunes seigneurs ou de. bourgeois qui, accompagnés de leurs
précepteurs visitent Paris et la France. Roderic, comte de Wur-
temberg, est mentionné l'un des premiers sur le registre ainsi
que Frédéric, landgrave de Hesse. Ce dernier appartient à cette
nombreuse famille dont plusieurs membres furent des alliés
de la France, amis de Turc nue ou apparentés aux La Trémoille.
Des 3.580 noms de voyageurs ou résidents qui ont fréquenté
la chapelle luthérienne de 1626 à 1685, date à laquelle se clôt
le registre ouvert par Hambraeus, la plupart sont natifs des
pays allemands. Les Hohenlohe, seigneurs de Franconie y sont
plusieurs fois mentionnés ; il en est de même des Bismark ;
les noms de von der Goltz voisinent avec ceux de von Polentz,
ceux de von Binau jouxtent e<.u\ des .Junius Hillebrandl.
Chaque année l'Empire déverse sur la France une fonte de
visiteurs qui consignent par écrit leurs observations. Avant de
prendre en mains le gouvernement de ses Liais en (650, (iuil-
1. F, BruilOt, Histoire de la Langue française, t. V, p. 295.
42 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
laume VI le Juste, landgrave de Hesse \ vient en France avec
son précepteur Jacob von Hofï ; il y passe deux années, de 1646
à 1648 et au jour le jour compose son Franzosischer Reise Besch-
reibung. Après un court séjour à Paris, il se rend à Essonne,
Fontainebleau, Nemours, Briare, Moulins puis arrive à Lyon
où il rencontre des compatriotes, Rheling, Froben et d'Herwarth.
Nîmes, Montpellier, La Rochelle ne le retiennent que peu de jours
mais à Saumur il s'arrête plusieurs semaines ; avec ses camarades
allemands qui étudient à l'Académie, il court les prêches et les
sermons ; pour lui c'est un moyen d'apprendre la langue fran-
çaise. Enfin le 10 août 1647 il part pour Paris où il jouit de la vie
•des hauts seigneurs ; il est émerveillé de l'existence agréable
qu'on mène dans la capitale et note, par des traits souvent
enfantins, les faits qui lui semblent les plus dignes d'être con-
servés dans sa mémoire 2. Plus philosophiques sont les observa-
tions qu'Abraham Goelnitz recueille et livre au public sous le
titre d'Ulysses belgico-gallicus. Au cours de leurs randonnées,
les Allemands paient parfois un tribut d'hommages à nos
grands hommes ; ils se détournent de leur route pour visiter
des villes auxquelles se rattache un souvenir historique ; Lim-
bert, en 1690, s'écarte de sa route pour se rendre à Richelieu,
en Touraine.
Inconnus ou notoires, les Allemands se plaisent en France
au xviie siècle. Ils viennent à Paris pour les motifs les plus variés.
Après le meurtre de Monaldeschi, on fait comprendre à Chris-
tine de Suède que l'on ne souhaite pas la voir à Paris. Dans un
moment de dépit elle s'écrie : « Quoy ! l'on souffrira bien à
Paris plus de deux mille Allemands, et l'on fera difficulté d'y
recevoir une ancienne alliée ! » 3 Tous ces étrangers viennent en
France pour compléter leur éducation ou s'amuser. En 1657,
le duc de Simmern est logé à Y Académie du sieur Arnolfini.
« La moindre fréquentation avec ce jeune seigneur est la meil-
leure pour ceux qui veulent profiter, puisque outre qu'il est fort
1. Guillaume VI de Hesse, né en 1629, mort en 1663.
2. Ch. Schmidt, Le Voyage d'un prince allemand en France de 1646 à 1648, dans
Bulletin de la Société d'histoire du protestantisme. Année 1899, p. 215.
3. P. Faugère et L. Marillier, Journal du Voyage de deux jeunes Hollandais à
Paris. Paris, 1899, p. 368.
LEIBNITZ A PARIS 43
adonné au vin et qu'il se saoule souvent, il aime tellement le jeu
qu'il y passe des nuits entières. Il veut passer pour simple comtey
mais il est trop connu des Allemands qui se rendent en foule
dans cette Académie et qui croiraient lui faire grand tort en ne
le traitant pas d'Altesse. Le train qu'il a n'est pas excessif
mais assez joli, consistant en un gouverneur, un gentilhomme,
deux pages, un valet de chambre et deux laquais » K S'il existe
à Paris des groupes de jeunes hommes vivant comme ce duc sur
lequel des voyageurs Hollandais nous ont conservé ces pitto-
resques détails, d'autres observent nos mœurs, apprennent notre
langue, suivent des leçons sous la conduite de leurs gouverneurs,
circulent à travers nos provinces. Ils ne seraient pas Allemands
si, tout en s'instruisant, ils ne comparaient nos crûs et luti-
naient les belles. Par son manque d'application et son amour
des distractions, Philippe Guillaume de Boinebourg désolera
Leibnitz lorsque le philosophe s'occupera de diriger l'éducation
-du jeune homme lors de son séjour à Paris.
C'est au printemps de l'année 1672 que Leibnitz arriva à
Paris ; il y devait passer quatre années consécutives, interrom-
pant seulement son séjour par quelques courts voyages. Le
philosophe venait en France dans l'espoir de détourner vers
l'Egypte les armées que Louis XIV se proposait de jeter sur la
Hollande, il y venait aussi avec l'espoir de connaître de grands
personnages et des hommes remarquables, déclarant qu'on
n'en trouvait nulle part autant qu'à Paris. Durant son séjour
dans la capitale Leibnitz connut toutes les sommités du monde
savant ; dès son arrivée il se lia avec le célèbre physicien Chris-
tian Huyghens que Colbert avait attiré en France depuis 1666.
A Paris, sous la direction de Huyghens, en profitant des re-
cherches de Pascal et en perfectionnant l'analyse de Descartes,
Leibnitz découvrit le calcul infinitésimal, découverte qui révo-
lutionna les sciences mathémathiques. A Paris, également,
Leibnitz fit exécuter une machine à calculer plus complète que
celle inventée par Pascal 2.
1. P. Faugère, op. cit., pp. 327-8.
2. L. Davillé, Le séjour de Leibnitz à Paris (1672-1676), dans Revue des Etudes
historiques, janvter-févfier 1912, p. 1.
44 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Esprit encyclopédique Leibnitz s'intéressa en France à
toutes les branches de l'activité intellectuelle : il s'occupa de
mathématiques, d'histoire, de politique, d'économie sociale ;
la fréquentation des hommes remarquables que rencontrait le
philosophe produisait dans son esprit un fourmillement d'idées
nouvelles et son séjour en France lui fut à cet égard émi-
nemment profitable. Leibnitz conserva toujours un vif souvenir
des quatre années qu'il passa à Paris, « cette capitale du
monde savant aussi bien que du monde galant ». Les Alle-
mands eux-mêmes reconnaissent le profit que Leibnitz tira
des quatre années qu'il dépensa à Paris. Kuno Fischer, histo-
rien de la philosophie, écrit : « C'est à Paris qu'il est devenu
un mathématicien de premier ordre ; et, dans l'état où étaient
alors les choses, il n'aurait pu, en Allemagne, atteindre cette
hauteur. »
Leibnitz était profondément Allemand ; nul ne saurait lui
reprocher ses tendances patriotiques ; mais alors que de son
séjour en France il avait reçu un avancement intellectuel que
ne peuvent nier ses biographes, il se montra souvent gallophobe
convaincu. Il reproche à ses compatriotes de se mettre à l'école
de la France, critique vivement l'éducation et l'enseignement
que reçoivent les jeunes gens à Paris ; leurs mœurs sont relâ-
chées, leurs études vides et trop peu élevées. Leibnitz se désole
de l'influence française sur les Allemands. Il écrit : « Après la
paix de Munster et celle des Pyrénées, la puissance et la langue
française l'emportèrent. La France se vantait d'être le siège
de toute l'élégance. Nos jeunes gens, surtout notre jeune noblesse,
qui n'avaient jamais connu leur patrie et admiraient tout chez
les Français, non contents de la rendre méprisable auprès des
étrangers les aidaient à la décrier et prenaient du dégoût pour
leur langue et pour leurs propres mœurs qu'ils ignoraient ;
ils eurent bien de la peine à déposer cette aversion après être
parvenus à l'âge de la maturité et du jugement. Plusieurs de
ces jeunes gens... étant ensuite arrivés aux dignités et aux
emplois, gouvernèrent l'Allemagne pendant un assez long espace
d'années et s'ils ne la rendirent pas tributaire de la puissance
française, il ne s'en fallut pas de beaucoup ; ils la soumirent du
SAVANTS ALLEMANDS A PARIS 45
moins presque entièrement à la langue, aux mœurs et aux modes
de cette nation1. »
La méchante humeur de Leibnitz et ses doléances ne détour-
nèrent pas les Allemands du désir de voyager ou résider en
France. Plus nombreux que jamais ils y vinrent aux xvne
et xvme siècles. En 1688, la guerre est déclarée à l'Autriche )
on choisit des otages parmi les principaux seigneurs autrichiens
vivant à Paris. En quelques jours on envoie à la Bastille les
comtes Hubert et Charles d'Althann, le comte de Sering, les
barons Hoffmann, de Mansfeld, de Morac, François Deyn,
Eckersberg, les comtes de Nostiz et de Ruembourg. Nonobstant
les ennuis qu'ils .peuvent éprouver en cas de guerre, Allemands
et Autrichiens continuent à circuler en France et à faire l'éloge
de Paris. J. €. Nemeitz, conseiller du prince Waldeck, fait deux
voyages à Paris, il y séjourne deux ans et en 1716 publie Le
Séjour de Paris, c'est-à-dire Instructions fidèles pour les voyageurs
de condition. Dans son ouvrage assez lu pour qu'on en donne
à Leyde une nouvelle édition en 1727, Nemeitz écrit : « Un
homme de condition fera bien à mon avis de s'arrêter à Paris
un an pour le moins. Ceux qui ont du temps et du bien peuvent
s'arrêter en ce beau lieu un peu plus qu'à l'ordinaire. Je suis
persuadé qu'en tel endroit du monde qu'ils vivent, ils donne-
ront la préférence à Paris2. »
Les Instructions de Nemeitz constituent un véritable guide de
l'étranger. Il mentionne les meilleurs hôtels et pensions, indique
les monuments, la manière de les visiter, la façon de pénétrer
dans les palais royaux, de se défendre contre les filous. Etes-vous
malade, vous devez vous adresser à M. Grossen, de la confession
d'Augsbourg, à son défaut faites appeler M. Helvétius. L'œuvre
de Ncmcilz est remplie de conseils pratiques auxquels le voya-
geur joint des réflexions personnelles sur la manière de se conduire
dans le monde parisien.
Daniel Hoiïman vit avec les savants et les médecins. Il
1. Leibnitz, Œuvres complètes. Genève, 1786, t. VI, p. 16-17.
2. J. C. Nemeitz, Séjour de Paris, c'est-à-dire Instruction /idele pour les Voyageurs
de condition... Leyde, 1727. — M. A. Franklin ;i donné une traduction de ce guide
sous le titre La Vie privée d'autrefois ; I.u Vie île l'aris sous la Régence. Paris,
1897.
46 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
publie à Francfort ses Annotationes medicœ. Sturm édite les
souvenirs d'un voyage accompli en 1719. Jean Georges Keyssler,
de Thurnau, accompagne en France les jeunes comtes de Giech;
avec eux il visite le pays et s'acquitte si bien de sa tâche qu'en
1716, M. de Bernstorf, premier ministre du roi d'Angleterre
Georges Ier en son électorat de Hanovre, le charge de l'éducation
de ses fils ; avec eux de 1729 à 1731, il accomplit une randonnée
à travers l'Europe et revient en France. Il note ses impressions
en de longues lettres qu'il livre à la publicité en 1740 *.
L'Autrichien de Hartig, les Allemands Volkmann, Jean
Willebrandt, d'Altona, Henri Storch, Friedrich Schulz publient
tour à tour leurs descriptions, lettres et impressions sur Paris
et les provinces. Études, plaisirs, affaires, les Allemands choi-
sissent tous les prétextes pour venir en France. Les uns circulent
seuls, d'autres sont accompagnés de précepteurs ; c'est en cette
qualité que Grimm arrive en France. Les rapports des inspec-
teurs de police, les chroniques qui, au jour le jour, notent les
scandales de Paris, fourmillent de renseignements relatifs aux
Allemands qui courent les coulisses des théâtres ou fréquentent
les mauvais lieux. Léopold Frédéric, prince d'Anhalt, est l'amant
de Mademoiselle Martiny ; le comte de Bentheim, de Francfort,
qui vit à l'hôtel de Modène, entretient Mademoiselle Dervieu.
Mademoiselle Amédée, de l'Opéra, accorde ses faveurs au baron
de Pretenback, originaire de Saxe. Il passe avec sa maîtresse
plusieurs années. Au Palais-Royal, bourgeois et nobles alle-
mands accordent aux filles des régals d'argent et de vin de
Champagne.
Pour avoir une idée du nombre d'Allemands qui fréquentent
Paris au xvine siècle, il n'est besoin d'interroger des documents
variés. Il suffit de lire le Journal du graveur George Wille.
« L'honnête logis, l'aimable école d'art, la bonne franc-maçonne-
rie allemande que le numéro 29 du quai des Grands-Augustins.
Plaisante maison, la maison de M. Wille ! L'hospitalier marteau
soulevé quarante-trois ans par l'Allemagne et le Danemark
et la Russie ! » écrivent les frères de Goncourt. Au vrai, la demeure
1. Ch. Pfister, Description de Lunéville, de Nancy et de la Cour de Lorraine en
1731, dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne. 1909-1910, p. 6.
JEAN GEORGES WILLE 47
de Wille est le rendez-vous des Allemands qui passent à Paris,
rendent visite à l'artiste, viennent voir ses œuvres et converser
avec lui. Le prince d'Anhalt-Dessau, l'inspecteur des musées
Brinckmann, Schnop, marchand d'estampes, Kennel, libraire
de Dresde, Hartmann, joaillier de Munich, des seigneurs, des
marchands peuvent se rencontrer chez Wille avec la foule des
peintres, littérateurs, graveurs, musiciens, ébénistes allemands
dont Paris foisonne. A certains jours, on dresse la table et les
choucroutes préparées par Madame Wille ou apportées d'Alle-
magne par des amis sont arrosées de bière mousseuse ou de ces
jolis vins pétillants récoltés sur les plateaux mosellans. Nul
Allemand de marque ne séjourne à Paris sans franchir le seuil
de l'atelier de Wille ; c'est par centaines que se comptent les
Allemands dont le graveur note avec complaisance les visites
amicales. Les princes et princesses d'outre-Rhin sont constam-
ment à Paris. Charles-Frédéric de Bade assiste avec sa famille
aux séances de l'Académie de peinture. Sa femme, Caroline-
Louise, vit sur les bords de la Seine ; elle achète des œuvres
d'art, attire des artistes à Carlsruhe ; lorsqu'elle ne peut visiter
le Salon de peinture, elle s'en fait décrire les plus beaux mor-
ceaux par son ami Dupont de Nemours l.
A Ferney, Voltaire offre l'hospitalité aux sujets de Frédéric
et des Électeurs.
Trudaine, Greuze, Helvétius, le banquier Baur qui se flatte
de recevoir à sa table les têtes couronnées, accueillent à Paris les
notabilités allemandes. Le duc de Brunswick se rend incognito
chez Diderot lors de son séjour à Paris 2. Grimm et Rousseau
rencontrent chez le baron de Thun le joyeux Klupfel, précep-
teur du baron. Tandis qu'il habite avec Thérèse à V Hôtel du
Languedoc, Jean-Jacques, Grimm et Klupfel deviennent bons
compagnons ; les « fines et folles polissonneries » de l'Allemand
égayent leurs repas ; ensemble ils partagent la même maîtresse
que Thérèse, un peu bête, a surnommé la « Papesse Jeanne » 8.
1. Karl Obscr, Lettres de Du Pont de Nemours à la margrave Caroline Louise de
Bade. Paris, 1909.
2. Correspondance de Diderot, Grimm.. ., édition Tourncux, t. VII, p. 295.
3. Jbid., t. XVI, p. 506.
48 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Il n'est de véritable gloire sans la consécration de la société
de Paris. De Vienne, arrive M. de Kempell, inventeur d'un auto-
mate qui joue seul aux échecs 1 ; Berlin, Munich, les grandes et
petites villes d'Allemagne déversent chaque semaine un flot
de visiteurs désireux de connaître la France ou de faire appré-
cier leurs talents variés.
Les événements de 1789 n'arrêteront pas le flot des voyageurs
allemands en France ; beaucoup viendront encore pour faire
sur place des enquêtes personnelles sur l'état des esprits à Paris
et dans les villes importantes. Le musicien Reichardt passe
à Lyon et à Paris l'année 1792, fréquente les clubs ; il y retrouve
quelques compatriotes 2. Au printemps de 1793, les Prussiens
et les Autrichiens reprennent l'offensive contre la France révo-
lutionnaire ; des Mayençais et des Rhénans compromis s'en-
fuient à Paris. Le plus illustre d'entre eux, le naturaliste Georges
Forster, qui avait accompagné Cook dans son voyage autour
du monde, les réunit en une société politique qui suit les séances
rue de la Jussienne. D'autres patriotes allemands émigrés
à Paris se joignent à eux : Cotta le fils du grand libraire de Stutt-
gart, Dorsch et Hoffmann qui s'étaient disputé la direction
du club de Mayence pendant l'occupation française.
Ainsi pendant cinq siècles, étudiants et voyageurs allemands
ont passé le Rhin pour étudier en France. De cette foule
d'hommes jeunes, quelques-uns sont demeurés définitivement
dans le royaume ; d'autres sans doute n'ont fait que passer
mais il est à supposer qu'ils ont laissé parmi nous des descen-
dants illégitimes et ont ainsi contribué à accroître la popula-
tion du pays.
1. Ibid., t. XIII, p. 354.
2. A. Laquiante, Un Prussien en France en 1792, Lettres intimes de Reichardt.
Paris, 1912.
CHAPITRE III
I. Imprimeurs et libraires allemands. — II. François Ier et l'Allemagne. — III. Ban-
quiers allemands de Lyon.
Au xvie siècle une découverte nouvelle prend naissance en
Allemagne et les initiés à l'invention de Gutenberg se répandent
à travers l'Europe civilisée pour fonder des imprimeries et
faire connaître aux peuples l'art de propager aisément la pensée
humaine. En France, typographes, graveurs sur bois, fondeurs
de caractères, libraires d'origine allemande seront spécialement
nombreux pendant plus d'un siècle et demi ; ils fonderont de
véritables dynasties dont les descendants s'assimileront à la
population autochtone.
Attirés tout d'abord par les deux grands centres intellectuels
et commerciaux : Paris et Lyon, les imprimeurs allemands
essaiment ensuite dans d'autres cités importantes puis vers des
villes peu considérables. Presque toujours ils s'allient, sinon dès
la première, du moins dès la seconde génération, à des familles
françaises et demeurent dans la région qu'ils ont adoptée comme
patrie d'élection.
Le premier typographe allemand dont on rencontre le nom
en France est Waldvogel. Il avait sans doute travaillé avec
Gutenberg et lui avait ravi une partie de ses secrets. C'est à
Avignon qu'on le trouve en 1444 ; il y grave des caractères
mobiles, construit une presse et imprime. Les documents publiés
sur cet imprimeur jadis inconnu et qui ont reculé de près de
trente ans la date de l'apparition de l'imprimerie en France
ne sont malheureusement pas suffisamment explicites pour per-
4
50 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
mettre d'affirmer qu'il fit des élèves et l'on ignore quelles ont pu
être les impressions qu'il a effectuées l.
C'est seulement en 1466 que l'on vit venir à Paris Jean Fust,
associé de Gutenbergr.il y séjourna deux ans pour y vendre
ses livres puis, ayant confié le soin de la vente à Hermann de
Stadborn, il rentra en Allemagne en 1468. Deux ans après,
à la demande de Johann Heglin, prieur en Sorbonne, s'instal-
laient à Paris l'Alsacien Michel Friburger et les Allemands
Ulrich Gering et Martin Krantz. Les trois associés montèrent
leurs presses en Sorbonne mais en 1472, ils déménageaient et
slntallaient au Soleil d'or, rue Saint- Jacques. En 1477, Fri-
burger et Krantz disparaissent, Gering demeure seul pendant
trente mois puis s'associe avec Georges WollT et Berthold Renbolt.
Naturalisé en 1475, Gering vécut jusqu'en l'année 1510 ; par testa-
ment il légua ses biens à la Sorbonne et au collège Montaigu.
Dès la fin du xve siècle d'autres imprimeurs allemands se
fixent à Paris. Jean Hygman imprime en Sorbonne en 1484;
cinq ans plus tard, il transporte ses presses rue Saint- Je an-de-
Beauvais puis s'associe avec le Hollandais Wolfang Hopyl.
Hygman s'était marié en France ; sa veuve Guyonne Viart
devint en 1501 la femme d'Henri Etienne. De son mariage
Hygman avait eu deux enfants : Geneviève qui s'allia à un typo-
graphe et Damien qui fut libraire juré à Paris en 1523.
Parmi les premiers imprimeurs allemands établis à Paris
figure Thomas Kees, de Wesel ; ses presses étaient situées rue
des Carmes. Hans de Coblentz exerça la profession de typo-
graphe entre les années 1495 et 1509 ; il demeurait rue de la
Harpe, à l'enseigne de YAsne rayé. Cette adresse se trouve men-
tionnée sur un opuscule imprimé en 1499 pour Thielman Kerver ;
elle rappelle le succès considérable que le peuple de Paris avait
fait à un zèbre qui avait été, pour la première fois, exhibé à la
foire Saint-Germain 2.
1. Abbé Requin, L' imprimerie à Avignon en 1444. Paris, 1890.
2. Sur tous ces points cf. Glaudin, Histoire des origines de l'Imprimerie en France.
— Ph. Renouard, Documents sur les imprimeurs, -libraires, car tiers., graveurs... ayant
exercé à Paris de 1450 à 1600, dans Mémoires de la Société d'histoire de Paris. —
Lépreux, Gallia typographica. — Voir aussi les travaux parus dans la Revue des
Bibliothèques, le Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, etc..
TYPOGRAPHES ALLEMANDS A LYON 51
De bonne heure Lyon compta aussi un cercle d'imprimeurs
et de libraires originaires d'outre-Rhin. De 1478 à 1504, travaille
à Lyon Jehan Siber, connu sous le nom de Jean l'Allemant ;
dans les premiers temps de son installation il fut associé à Martin
Husz, natif de Botwar en Wurtemberg, que le chapitre de Lyon
chargea, en 1499, d'imprimer le Missel de son église. Jean Neu-
meister, natif de Mayence se fixa à Lyon puis, après avoir été
fonder une imprimerie à Albi, revint à Lyon où il fut successi-
vement connu sous les noms de Jean d'Albi et de Jean Arby.
Marc Reinhard, associé de Pistoris, le fameux Schabler, Sixte
Glocken Giesser, dit Campanaire, Jean Fabre ou le Farsan,
Jacques de Heremberch, associé de. Michel Topié comptent
parmi les premiers typographes allemands implantés à Lyon.
Gaspard Hortuin, « impresseur de livres, allemant », épouse
à Lyon la fille de Claude Perret, pelletier ; il était associé avec
Pierre Schenck. Jean Fyrober avait pris avec lui François
Fradin. Jean Klein, parfois appelé Hans Schwab, exerçait à
Lyon la profession d'imprimeur ; il avait épousé la veuve du
célèbre Jean Trechsel dont les deux enfants mâles, Melchior et
Gaspard continuèrent à diriger la maison paternelle tandis
que la belle Julie, leur sœur, épousait le fameux Josse Bade.
Cyriaque Hochberg, connu aussi sous le nom de Gobert,
était un remarquable libraire si l'on en croit la dénomination
de « Bibliopolarum optimus » figurant sur le collophon de Y Enéide
imprimé par Saccon, en 1517. Nicolas Wolfî ou Nicolas Lupi,
originaire de Brunswick était fondeur de caractères. Je ne saurai
insister sur tous les Aleman, Lallemand ou L'Allemant dont le
président Baudrier a relevé la présence à Lyon dans sa remar-
quable Bibliographie lyonnaise ; ils sont si nombreux qu'il est
préférable d'étudier leur rôle en parcourant cette œuvre fort
complète K
Les imprimeurs lyonnais avaient formé des élèves qui essai-
mèrent dans le Midi de la France. Jean Neumeister établit des
presses à Albi ; Michel Svieler, d'Ulm, associé de Jean Walthar,
imprimeur souabe, passa un contrat avec les Jurats de Bor-
1. Président Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 10 vol. passim.
52 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
deaux en 1486 pour la fondation d'une imprimerie mais cette
convention n'eut pas de suite *. En 1517 Jean Maurus originaire,
de Constance, en Souabe, appelé par l'évêque de Bazas, Amanieu
d'Albret, ouvrit une imprimerie à la Réole 2. Jean Teutonicus
importa l'imprimerie à Toulouse 3. Le fameux Schabler possédait
à Nantes une succursale de sa maison et il la visitait de temps
à autre.
Bien que le nombre des imprimeurs allemands ait peut-être
été moins considérable à Paris qu'à Lyon, l'art typographique
s'y développa rapidement. Gering avait initié quelques compa-
triotes à la découverte de Gutenberg : parmi eux figurent
Kaiser, connu sous le nom de Cœsaris, Jean Stoll, Pierre Schœf-
fer, Conrad Hannequis, Jean Higman. Tous exercèrent leur art
sous les règnes de Louis XII et de François Ier. Dès les débuts
de l'introduction de l'imprimerie en France, Louis XI avait
favorisé l'établissement des typographes étrangers dans la.
royaume. Hermann Stathoen, dépositaire des impressions de
Schœfïer et d'Hannequis, étant décédé, les officiers du roi
avaient saisi ses biens en vertu du droit d'aubaine. Sur réclama-
tions des deux imprimeurs, le roi ordonna de leur restituer
2.425 livres, prix des volumes confisqués. Le Père des Lettres
accorda également des privilèges aux typographes étrangers
et aux fondeurs de caractères qui se fixèrent à Paris. Sous son
règne, Néobar Conrad, imprimeur en lettres grecques reçut
maintes faveurs et fut naturalisé 4.
Favorisés par la royauté, les typographes d'origine allemande
ont parfois constitué de véritables dynasties ; les bibliophiles
connaissent tous les belles impressions des Kerver et des Gry-
phius. Les Kerver ont été célèbres au temps de François Ier
et de Henri II ; les impressions gothiques de Michel et de Thiel-
man Kerver ont fondé leur notoriété. Toute la famille des Kerver
avait émigré en France ; Marguerite s'y maria, sa sœur Madeleine
épousa Thomas de Bragelongue, conseiller au Châtelet et bailli
1. E. Gaullieur, L'imprimerie à Bordeaux en 1486. Bordeaux, 1869.
2. J. Delprt. Origines de V Imprimerie en Guyenne. Bordeaux, 1869, p. 13.
3. Histoire générale du Languedoc, t. VII. — Desburaux-Bernard, Mémoire sur
les débuts de l'imprimerie à Toulouse.
4. Catalogue des actes de François 7* , t. III, acte 10672 ; t. VII, acte 27025.
TYPOGRAPHES ALLEMANDS A PARIS 53
du Chapitre de Paris. Longtemps subsistèrent en France des
Kerver, descendants de cette famille d'illustres typographes.
Très notoires aussi furent les Greiff. Sébastien, né à Reutlin-
gen, en Souabe en 1493, se fixa d'abord à Lyon. Sa première
impression date de 1524. Naturalisé en 1532 il mourut en 1556
sans postérité directe. Son successeur, Antoine Greifî, dit Gry-
phius, son neveu ou son fils naturel, transporta à Paris le siège
de ses affaires et il y jouit d'une réputation méritée.
Dans quelques villes de France fréquentées par les étudiants
allemands s'établirent également des imprimeurs et des libraires
d'outre-Rhin. Toutefois, le mouvement d'immigration des
imprimeurs se ralentit vers le milieu du xvie siècle ; s'il en advint
encore quelques-uns, ils ne furent plus pour les Français des
éducateurs car depuis longtemps déjà les élèves étaient passés
maîtres. En alliant au bon goût l'érudition dont ils étaient pour-
vus, en abandonnant le caractère gothique que les premiers
typographes allemands avaient essayé de nous imposer, les
imprimeurs français avaient doté le pays d'éditions parfaites
que l'on recherche encore de nos jours.
Aux xviie et xvme siècles, quelques libraires d'origine alle-
mande se fixent encore en France mais ils sont loin d'avoir la
notoriété de leurs devanciers. Ce sont surtout des commerçants
dans le genre d'Arnold Sittart, par exemple. Ce libraire, né à
Cologne, exerça à Paris de 1581 à 1613, rue Saint- Jean-de-
Latran. Sa femme, Denyse Cavellat lui succéda après sa mort ;
quelques années après André Sittart reprit la maison paternelle
et fut reçu libraire juré du roi. Jacques Hovervoge, natif de
Cologne, naturalisé en 1624, tenait, rue Saint-Jacques, boutique
à l'enseigne de la Ville de Cologne. Il édita un fort curieux plan
de Paris orné de planches gravées l. L'histoire de l'imprimerie
et de la librairie contient encore d'autres indications relatives
aux imprimeurs allemands établis à Paris mais depuis la fin du
xvie siècle, on peut considérer comme close l'ère de la grande
immigration des typographes d'outre-Rhin.
A n'en pas douter les Allemands ont été en France les instiga-
1. J. Guifïrey a publié la letttt ci»" naturalisation dans Nouvelles Archives de
l'Art français. Année 1872, p. 219.
54 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
teurs de l'art typographique ; la pénétration de ces étrangers
dans le royaume nous a été profitable. En effet beaucoup d'entre
ceux qui passèrent en France à la fin du xve siècle et sous le
règne de Louis XII et de François Ier se sont assimilés à notre
population. Pour s'en apercevoir il n'est que de relire les savantes
notices que Claudin, Raynouard, Baudrier et d'autres érudits
ont consacrées aux imprimeurs allemands. De même que les
typographes italiens établis à Paris, à Lyon, à Rouen s'alliaient
à des familles du pays, les Allemands prenaient femme dans les
villes où ils avaient fondé leur industrie ; leurs descendants
devenaient de fidèles sujets du roi.
Il est curieux d'ailleurs de noter à quels mouvements de
migration donna lieu l'art de l'imprimerie : si la France a reçu
des Allemands et des Italiens, elle a vu nombre de ses enfants
s'expatrier pour se rendre à Venise, à Anvers ou en Espagne :
les typographes érudits du xvie siècle n'ont pas connu les fron-
tières et en vrais humanistes, ils semblent avoir pris pour devise
le vieux mot d'Horace : Ubi bene, ibi patria.
II
La politique de François Ier à l'égard de l'Allemagne comporte
deux phases ; la première s'étend de son avènement au trône
jusqu'à l'élection de Charles-Quint à l'Empire; la seconde
comprend la période qui s'écoule entre la réunion de la diète
de Francfort jusqu'à la mort du roi.
A quelque moment que l'on envisage la politique de Fran-
çois Ier, l'on constate qu'elle a dû inciter nombre d'Allemands
à s'établir dans son royaume car il ne leur a jamais marchandé
sa protection. Antérieurement à la réunion de la Diète de Franc-
fort tous les efforts de François Ier tendent à se gagner des sympa-
thies parmi les électeurs et leur entourage. « Je veux qu'on soulle
de toutes choses le marquis Joachim de Brandebourg » \ écrit le
1. E. Waddington, Instructions données aux Ambassadeurs de Prusse. Paris.
Introduction, p. 18.
LES VALOIS ET l' ALLEMAGNE 55
roi à son ambassadeur et cette phrase de François Ier peint sa
politique allemande. Par ses libellistes à gages, le roi tente de
gagner les sympathies des peuples d'outre-Rhin. Il va même
jusqu'à proclamer que « les mœurs et façons de vivre d'Espai-
gnols ne sont conformes ains totallement contraires à celles des
Allemands ; au contraire, la nation française quasy en tout se
conforme à celle d'Allemagne; aussy en est-elle venue et yssue,
c'est assavoir de Sicambre, comme les historiographes anciens
récitent 1. »
Pour bien marquer qu'il n'établissait pas de différence entre
Français et Allemands le roi accueillait avec faveur artistes,
capitaines, lansquenets, négociants, étudiants, ambassadeurs
qui visitaient le royaume ou se fixaient en France. Il les « réga-
lait » de pensions, leur accordait faveurs et privilèges ; avec lar-
gesse, il leur octroyait des lettres de naturalité.
Après son échec à la Diète de Francfort, les bonnes disposi-
tions de François Ier à l'égard des Allemands ne se modifièrent
pas sensiblement. Au cas d'un accident ou d'un décès possible
de Charles-Quint, ne convenait-il pas de conserver les bonnes
grâces des électeurs et des sujets de l'Empire ? Par ailleurs,
et pour faire pièce à l'empereur, François Ier ne s'était-il pas
institué le défenseur des petits princes luthériens soucieux de
défendre les « libertés germaniques » contre les envahissements
politiques et religieux de Charles-Quint ? Dans la partie qui se
joue entre les Valois et les Habsbourg, le protestantisme alle-
mand n'est point un élément négligeable. Allié des infidèles,
le roi très-chrétien devait éprouver moins de scrupules encore
à se faire l'allié des hérétiques ; ceux-ci, comme protestants
et comme princes étaient les ennemis nés de l'empereur, aussi,
même aux époques où il persécute chez lui les réformés, Fran-
çois Ier caresse les luthériens d'Allemagne 2.
Cette ligne de conduite du roi contribua à attirer en France
des Allemands qui estimaient pouvoir vivre librement dans uh
1. Journal de Ji<iril(<>n, édition de la Société d'histoire de France, t. II. p. 126,
Persuasions remises à Joachim de Moltzan, année L519
'1. H. Hauscr, Manuel des Sources de V Histoire de h'i once au XVI* siècle. Paris,
Fasc. II, p. 5.
56 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
pays à la tête duquel était un souverain dont l'esprit de tolé-
rance religieuse leur apparaissait plus large qu'il ne l'était en
réalité. Le simple examen du Catalogue des Actes de François Ier
montre que si les Allemands n'ont pas joui sous son règne d'une
faveur absolument égale à celle dont profitèrent Italiens et
Espagnols, ils n'en furent pas moins bien traités.
Aux ambassadeurs servant le souverain sont accordées grâces
et pensions. Sleidan, Jean de Moltzan, qui dissimulé sous le nom
de capitaine Jacob, accompagne Bonnivet à la diète de Francfort
sont récompensés par des dons d'argent. Des simples chargés
d'affaires comme Adam de Danglein reçoivent des chaînes
d'or: Des lettres de naturalité sont données à des Allemands.
Jean Lumbre, page de l'écurie du roi, Conrad Resch, Pierre de
Vaudebourg, fauconnier de Charles Chabot, Heliguer Ulrich,
natif de Bavière et valet de chambre du comte de Laval ; Hugo,
argentier du duc de Guise, Thomas Grasset, Gonnin Faure,
« marchand des parties d'Allemaigne », Catherine Fischel,
hôtelière à Lyon obtiennent leur naturalisation. Le roi est grand
chasseur, il aime les belles armes ; des Allemands il acquiert
armures et épées ; pour lui ils dressent des faucons, des oiseaux
de proie, ils lui offrent des boucs « d'étrange pelage » ; ils occupent
des situations dans les offices de la vénerie. Hans de Pontgrafï,
natif de Nuremberg, demeurant à Tours est sommelier d'armes
du roi ; Benedict Clesis est armurier du roi. Jean Damours
est chargé de la fauconnerie. Josse Kalbermaster recherche
pour François Ier des animaux rares. Tous, bien entendu,
reçoivent traitements et gratifications au même titre que les
multiples étrangers qui composent la maison royale. François Ier
fait travailler des artistes allemands. Hans Schwarz, médailleur,
vient à Paris en 1527 ; il exécute les profils du roi, du dauphin
et de divers autres personnages.
A des savants ou des imprimeurs d'origine germanique,
François Ier octroie faveurs et lettres de naturalité. Parmi les
médecins de sa maison figure un homme qui a laissé une réputa-
tion d'anatomiste et d'helléniste : Jean Gonthier d'Andernach.
1. Catalogue des Actes de François Ier. Cf. aux noms cités.
FRANÇOIS Ier ET LES ALLEMANDS 57
Jean Gonthier était né en 1487 à Andernach, dans l'évêché
de Cologne. Dès sa douzième année il porta ses pas vers Utrecht,
y étudia les belles lettres et la langue grecque ; de là il passa
à Deventer puis arriva à Paris en 1525. Il suivit les leçons de la
Faculté de médecine, fut reçu bachelier en 1528 et docteur
en 1530. Sa réputation de savant était déjà si bien établie que
François Ier lui donna une place parmi ses médecins. Cette
situation n'occupait pas Gonthier d'Andernach au point de
ne lui laisser des loisirs. Il les utilisa à étudier l'anatomie et
à l'enseigner aux autres ; il fit faire à cette science des pro-
grès considérables et forma des élèves : Rondelet entre autres
et Vesale, dont le nom fait époque dans l'histoire de l'anatomie.
Gonthier perpétua ses leçons dans plusieurs ouvrages ; il publia
notamment en 1536 un Traité élémentaire d'anatomie. Tout en
s'adonnant spécialement à l'étude de la structure du corps
humain, Gonthier d'Andernach ne négligea point les autres
parties de la médecine ; il étudia la botanique, non pas dans les
traités de Théophraste ou de Dioscoride mais dans la nature.
La connaissance des langues anciennes ne servit pas seulement
au médecin de François Ier à traduire et commenter les ouvrages
de Gallien ; en 1536 il enseignait la langue grecque à Paris
et recevait même des appointements pour l'exercice de cette
profession.
Bien qu'il eut été comblé d'honneurs par François Ier et eut
pris à Paris la première de ses trois femmes, Gonthier ne
termina point ses jours à la cour. Ayant embrassé la religion
réformée, il jugea prudent de se retirer à Metz d'abord, à
Strasbourg ensuite. Il y devint professeur et y mourut en 1574 K
A côté de dispositions prises en faveur d'Allemands nom-
mément désignés, le roi signe lettres-patentea et ordonnances
d'un caractère général dont profitent ces étrangers. 11 interdit
le port des arquebuses mais permet celui des pistolets d'Alle-
magne 2 ; il attire de l'Est des ouvriers pour prospecter le sous-
sol français. Jean des Essarls reçoH 112 1. 10 s. pour l'aider à
1. !.. Il<n ni). Bluff historique de J. Gonthier d'Andrrnarh, médecin ordinaire
de PrançoU I r. I';i ris, 17G5.
2. Catalofftf du Actes de François /or, tt« .
58 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
nourrir les mineurs allemands qui travaillent en Normandie 1 ;
François Ier concède des exploitations métalliques à des Saxons
et à des Wurtembergeois.
Les hommes d'armes qui secondent le roi sont courtoisement
accueillis ; ils reçoivent des récompenses en terres et hôtels.
Un seigneur de RichoufTtz, neveu du duc de Gueldres, envoyé
au secours de François Ier, est si bien traité qu'il se marie en
France, acquiert des propriétés dans l'Auxerrois et fonde un
foyer dans le royaume 2. René de Guelphe, gentilhomme de la
Chambre, capitaine de 1.000 hommes de pied avait accompli
diverses missions pour le roi. En récompense de ses bons offices,
il reçut la terre de Nesle, au duché d'Orléans et obtint l'autorisa-
tion de chercher, d'ouvrir et d'exploiter dans le royaume et
autres pays appartenant au roi les mines d'or et d'argent et
autres métaux pendant trois ans. En même temps que cette
concession le roi lui abandonnait toutes les redevances pouvant
écheoir au trésor royal 3.
François Ier avait dès 1516 confirmé les privilèges des mar-
chands allemands fréquentant les foires de Lyon 4 ; quelques
années plus tard, il exemptait de foraine les marchands des
villes impériales 5 ; il s'adressait à eux pour la fabrication des
« hallecrets garnis de deux avant-bras, menottes et gorgerins »
destinés à armer les gens de la légion de Normandie.
François Ier s'intéressa particulièrement à la nation germa-
nique des étudiants d'Orléans. Non content de lui confirmer
ses anciens privilèges, il prit sous sa sauvegarde spéciale les
Allemands qui étudiaient à Orléans et il essaya, en 1545, d'im-
poser à l'Université un procureur général natif d'outre-Rhin.
Si les Allemands furent bien traités par François Ier, ils
n'eurent pas à se plaindre de son fils. Henri II, bien que plus
profondément catholique que son père, suivit cependant les
1. Ibid., n° 30405.
2. Comte de Guerchy, Recherches sur l'origine des familles seigneuriales établies
en Auxerrois et en Puisaye. Ext. du Bullel. de la Société historique de V Yonne, 2" se-
mestre, 1915.
3. Catalogue des Actes de François Ie1, v° de Guelf, de Guelphe, de Goulf.
4. Ibid., n° 435.
5. Ibid., n« 12694 et 13285.
HENRI II ET LES ALLEMANDS 59
mêmes errements que son prédécesseur et c'est grâce à l'appui
de ses alliés luthériens que s'arrachant un instant au mirage
décevant de l'Italie, il arrondit du côté de l'Est la frontière
française. Henri II continua à défendre les princes protestants
d'Allemagne, il protégea les adhérents de la ligue de Schmalkade
et en 1552, signa un traité d'alliance avec Albert de Brandebourg-
Culmbach agissant au nom de la nation allemande. Un person-
nage allemand abandonnait-il son pays, Henri II lui versait
une pension et lui donnait un gouvernement en France. En voici
un curieux exemple : les Iles d'Or servaient de séjour aux pil-
lards barbaresques et les habitants de la côte provençale se
plaignaient de leurs incursions perpétuelles K En 1531, Fran-
çois Ier avait érigé le marquisat des Iles d'Or en faveur de Ber-
trand d'Ornezan, baron de Saint-Blancard à charge pour lui
de fortifier ces îles ; en 1594, ce fief fut donné par Henri II à
Christophe, comte de Rockendorf et de Gundestorf, baron de
Molembourg, gentilhomme ordinaire de sa chambre. Cette dona-
tion lui fut faite à titre de compensation « pour l'entière dévotion
et affection qu'il porte à notre service ». Ce seigneur, ajoute le
document, « s'est piéça retiré auprès de nous, ayant délaissé et
abandonné grandes terres et possessions qu'il tenait en la Ger-
manie et pays circonvoisins. »
Rockendorf dont la vie fut féconde en aventures ne conserva
point très longtemps le marquisat des Iles d'Or; en 1552, il le
donnait à Gabriel de Lutz, seigneur d'Aramon, ambassadeur
du roi dans le Levant qui l'avait tiré des prisons du Grand
Turc 2.
Si la ligne de conduite politique de François Ier et de Henri II
contribua à attirer des Allemands en France, il ne semble
cependant pas qu'ils eussent encore fondé dans les provinces
des groupements très importants. Ils étaient disséminés de divers
côtés et n'avaient réellement pris pied que dans la ville de Lyon.
1. J. Fournier, Le Marquisat des lies d'Or, dans Bulletin du comité des travaux
historiques, section de géographie, année 1906.
2. Tuetcy et Campardon, Inventaire des registres des Insinuations du CMtelel
de Paris. Paris, 1900, n° 4209.
60 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
III
Au xve siècle, Lyon est une place commerciale essentielle-
ment cosmopolite ; on y compte des Florentins, des Espagnols
et des Portugais ; nombreux s'y étaient fixés les imprimeurs,
les graveurs sur bois et les orfèvres d'origine allemande. Les
grandes foires qui se tenaient dans cette ville attiraient des mar-
chands de toutes les parties de l'Europe et dès l'année 1491,
la nation allemande de Lyon était assez puissante pour fonder
à Lyon une confrérie dans l'église du couvent de Notre-Dame-de-
Confort.
Les négociants ayant besoin de régler leurs affaires par lettres
de change, les grandes banques d'Italie et d'Allemagne y créèrent
des succursales et y entretinrent des représentants attitrés. Les
opérations des banquiers étrangers de Lyon allaient prendre de
vastes proportions au xvie siècle. Candidats à l'Empire Fran-
çois Ier et Charles-Quint dépensèrent sans compter pour acquérir
des voix ; ennemis ensuite et obligés de solder des armées mer-
cenaires, les deux princes eurent un constant besoin d'argent.
Leurs emprunts donnèrent une importance primordiale aux
capitaux mobiliers devenus le nerf de la politique. Anvers et
Lyon devinrent de véritables bourses financières. Au xvie siècle,
Lyon fut en France le véritable centre du marché de l'argent K
Les représentants des maisons de banques allemandes y pullu-
laient. En 1529, un chartreau d'imposition donne les noms des
marchands allemands habitant Lyon, « y tenant feu et lieu
ou maisons, magasins ou boticques » ; ils sont dix-neuf parmi
lesquels figurent Barthélémy Welzer et compagnie, Lyonard
Stocquel, Jacques Welzer, Jean Malix, Gaspard Fischer, Jean
Ustel. Sous la dénomination d'Encurie, traduction de Im Hof,
les Imhof de Nuremberg déguisent leur véritable personnalité.
1. Sur les banquiers de Lyon, voir M. Vigne, La Banque à Lyon du XVe au
XV 111° siècles. Paris. — E. Vial, L'Histoire et la Légende de Jean Cleberger (1485-
154H). Lyon, 191-1.
HANS KLEBERG, BANQUIER DE LYON 61
Par la suite, d'autres Allemands s'établissent à Lyon, les Hesse-
ler, les Obrecht, les Minkel, les Iungmann, notamment.
Tous s'adonnent au trafic des espèces, à l'escompte du papier,
aux opérations de change et de rechange. Pour si peu que l'on
connaisse l'histoire financière du xvie siècle, on se représente
néanmoins tous ces banquiers allemands ou italiens se concurren-
çant ou se syndiquant pour obtenir la faveur de prêter au roi
ou aux grands les sommes qu'ils dépensaient pour leurs ambitions
politiques, leurs constructions fastueuses ou celles de leurs
maîtresses ou de leurs mignons. Gros intérêts, commissions
de banque, faveurs de toutes sortes, étaient la rançon que les
prêteurs étrangers exigeaient des Valois. Les opérations d'em-
prunts d'états à finances obérées permettent de se rendre compte
des avantages nombreux que les étrangers retiraient alors de
leur qualité de créanciers du roi. Sans avoir encerclé le gouverne-
ment français d'aussi étroite manière que les banquiers italiens,
les prêteurs germaniques ont cependant su tirer de multiples
profits de leur situation de prêteurs royaux. On s'en aperçoit
en lisant l'histoire de Hans Kleberg ; ce banquier est le proto-
type du financier allemand au xvie siècle ; il émerge de la foule
de ses compatriotes.
Hans Kleberg était né en 1485 à Nuremberg ; de bonne heure
il entra dans la banque que les Imhof possédaient dans cette
ville et accomplit quelques voyages d'affaires pour le compte
de cette firme. En 1517 il vient à Lyon pour la première fois
et se présente au consulat avec Daniel Gondelfinger et Jean
Jas « allemans ». Déjà, Hans Kleberg fait sans doute pour son
compte quelques opérations financières avec François Ier
car pour se mettre à l!abri de représailles possibles de la part de
l'empereur il se fait recevoir citoyen de Berne. Bourgeois de
cette ville libre, il est libre de se lier entièrement au service du
roi de France ; aussitôt après la reprise de la guerre entre Charles-
Quint et François Ier, au mois de mars 1521, il devient créancier
du roi pour des sommes importantes.
La première partie de l'existence de Kleberg est mal connue,
on le rencontre successivement à Lyon, à Nuremberg, à Berne,
à Augsbourg, à Genève. Entre les années 1530 et 1535, il se
62 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
fixe à Lyon ; au mois de février 1536 il y reçoit ses lettres de natu-
ralité et le même mois, il y épouse Pelonne Bonzin, veuve du
riche marchand protestant, Etienne de la Forge. Depuis cette
époque, Kleberg s'établit définitivement à Lyon et y acquiert
des immeubles. Par lettres datées de Fontainebleau le 3.1 mars
1543, François Ier accorde au banquier le même titre qu'au
poète Marot ; il le nomme son valet de chambre ordinaire ;
quelques mois après le roi le remercie de l'avoir «secouru en prest
d'une bonne somme d'argent » et d'avoir « esté moyen que les
autres marchans de vostre nation ont faict le semblable de leur
part. » En 1545, les Lyonnais voulant reconnaître les libéralités
de Hans Kleberg vis-à-vis des pauvres de l'Aumône, l'élisent
conseiller de la ville, mais il ne jouit pas longtemps de cette
distinction car au mois de septembre 1546, il s'éteint à Lyon,
laissant à sa femme et à son fils unique une fortune considérable
acquise « par son sens et industrye ».
Hans Kleberg s'était attiré la bienveillance de François Ier
en lui avançant personnellement des sommes importantes.
Les prêts qu'il consentit au roi furent nombreux. En 1529, le
trésorier de France lui rembourse 12.187 écus soleil ; on lui
restitue le montant d'un prêt ancien remontant à l'année 1522
et pour le dédommager de son attente, le roi lui attribue un
cadeau de 1.000 écus. Kleberg s'entremet auprès de ses compa-
triotes pour fournir des subsides au roi. C'est grâce à son concours
qu'en 1542, les Welzer d'Augsbourg avancent à François Ier
12.000 couronnes ; c'est aussi par son influence sur les Alle-
mands que ceux-ci prêtent au trésor royal 50.000 écus en 1542
et 1543. Ce prêt ayant tout d'abord été refusé, François Ier
avait menacé les banquiers allemands de les jeter en prison ;
Kleberg intervint, calma la colère du roi et aplanit les difficultés.
On a souvent constaté que les Valois ont été dominés par leurs
créanciers italiens qui, outre les intérêts de leur argent, se sont
fait accorder des avantages spéciaux. Les faveurs consenties
à Kleberg prouvent que les Allemands savaient, eux aussi,
profiter des circonstances. Non content d'être naturalisé, d'être
valet de chambre du roi, Kleberg voulut aussi devenir seigneur
de France. Profitant des aliénations du domaine royal, il acquit
HANS KLEBERG ET LES BANQUIERS ALLEMANDS 63
les seigneuries du Chatelard et de Villeneuve au bailliage de
Dombes et obtint l'autorisation d'y instituer des juges, des pro-
cureurs et des greffiers.
Kleberg se souciait de ses intérêts matériels et de ceux de ses
compatriotes. Au mois de mai 1545, comme la santé du roi était
chancelante, les banquiers allemands prirent des sûretés pour
leurs créances. Hans se fit délivrer des lettres-patentes portant
que « les dons qui lui avaient été faits ainsi qu'à d'autres mar-
chands étrangers sur les foires de Lyon, en récompense des
prêts faits au roi, seront considérés comme des obligations régu-
lières et des paiements d'intérêts pour les sommes par eux
prêtées au roi. »
De son immense fortune, Hans Kleberg sut faire un charitable
usage ; il a laissé dans la mémoire des Lyonnais le souvenir d'un
homme généreux. Par la fréquence de ses dons, ce financier
obtint le surnom de bon Allemand.
Ainsi que le marquent les lettres échangées entre le roi et lui,
Kleberg était devenu l'homme d'affaires de François Ie* ; pour
lui il sollicitait, quémandait et obtenait des fonds auprès des
banquiers allemands résidant à Lyon. Il était en quelque sorte
le président d'un consortium financier chargé d'alimenter le
trésor royal et de discuter les conditions des emprunts ; à chaque
demande d'emprunts, ce brasseur d'affaires soutire au roi
quelque faveur nouvelle pour ceux de sa nation. Il agit comme
les Gondi, les Bonnisi et autres Florentins de Lyon. Au demeu-
rant ne convient-il pas de prendre quelques sûretés spéciales
avec des emprunteurs qui, comme François Ier et ses successeurs
se ruinent sûrement et dont le crédit est si affaibli, qu'à certains
moments, ils n'obtiennent des fonds qu'aux conditions onéreuses
de vingt pour cent.
AfTriandés par la grandeur des profits et sachant diminuer
leurs risques de pertes, les Allemands affluèrent à Lyon durant
tout le xvie siècle et leur situation se maintint très forte. Henri II
usa des mêmes artifices de trésorerie que son père et pour obtenir
des fonds, il s'adressa tour à tour aux Italiens et aux Germa-
niques. Kn 1 .").")(), il devait 123.214 couronnes à la maison Nei-
dhart, Seiler et Cle et payait 16 % d'intérêts. Trois ans plus
64 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
tard la cour devait aux banquiers allemands de Lyon 714.425 cou-
ronnes et ce chiffre s'enfla encore à la suite d'un nouvel emprunt
contracté en 1555 en raison des guerres contre l'Empire. Les
dettes royales s'accrurent ainsi constamment au xvie siècle ;
en 1560, le souverain devait à trente-neuf maisons allemandes
la somme de 1.878.743 écus. Vingt ans plus tard, les dettes
contractées par le gouvernement auprès des « nacions estran-
ges » atteignaient le chiffre énorme de 70.000.000 de livres. Les
documents ne mentionnent pas quelle était, dans ce total
considérable, la part des Allemands, mais on peut l'estimer à la
moitié environ.
Au cours des guerres de religion, les chefs des partis s'adres-
saient aussi aux banquiers de Lyon. Mayenne eut recours à eux ;
après sa réconciliation avec Henri IV, il fut menacé de saisie
par plusieurs banquiers allemands qui lui avaient avancé
2.050 écus. Le roi intervint et ordonna de surseoir aux pour-
suites.
Les temps troublés de la Ligue, les guerres civiles et reli-
gieuses qui meurtrirent la France à la fin du xvie siècle portèrent
un coup à la place de Lyon ; son commerce s'amoindrit. Plusieurs
des maisons étrangères transportèrent ailleurs le siège de leurs
affaires ; les unes supprimèrent les succursales qu'elles possé-
daient à Lyon, les autres vinrent se fixer à Paris. Cependant,
à la faveur des idées de tolérance religieuse qui se manifestèrent
au cours des dernières années du siècle, quelques nouveaux
Allemands vinrent encore s'établir à Lyon. Parmi eux, on dis-
tingue tout particulièrement Daniel Herwarth, père du fameux
Barthélémy qui, au xvne siècle, tient une place prépondérante
dans notre histoire financière et sur lequel il est intéressant de
s'attarder quelque peu.
Daniel Herwarth s'était fixé à Lyon en 1598 et y avait épousé
une Allemande, Anne Erlin, qui lui donna deux fils. Jean-Henri,
né en 1609 fut de deux années le cadet de son frère Barthé-
lémy 1. C'est ce dernier qui a laissé un nom connu. Après avoir
1. Depping, Etude sur les Herwarth, dans Revue historique. Année 1879. —
G. Martin, Histoire du crédit en France sous le règne de Louis XIV. Paris, 1913,
p. 52 et suiv.
LES D'HERWARTH, BANQUIERS 65
exercé à Lyon le commerce de banque, Barthélémy transporta
à Paris le siège de ses affaires ; il devint un auxiliaire précieux
de Richelieu et de Mazarin. Malgré l'opposition du clergé, ce
protestant d'origine allemande fut nommé intendant des fi-
nances en 1650 et contrôleur général en 1657. Le ministre lui
accorda cette faveur en reconnaissance de ses services. Toute sa
vie, il avait négocié des emprunts pour le compte du trésor
et lui avait fourni des fonds dans des circonstances particuliè-
rement graves. Notre allié, Bernard de Saxe-Weimar, était mort
en 1639 ; son armée avait des velléités d'abandonner l' alliance.
de la France ; or le trésor était vide et lorsqu'on négociait avec
les officiers allemands, il importait d'avoir toujours la bourse
ouverte. Barthélémy Herwarth intervint et avança les fonds
nécessaires pour traiter à Brisach avec les Weimariens et lever
leurs hésitations. En 1644, il fournit des subsides à Coudé et lui
permit de tirer parti de sa victoire de Fribourg et de s'emparer
de Philippsbourg ce qu'il n'aurait pu faire s'il n'avait reçu des
fonds car ses troupes refusaient d'avancer si elles n'étaient
soldées. Cinq ans plus tard, Barthélémy négocia encore avec
les troupes allemandes au service du roi, alors que Turenne
menaçait de faire défection. Encouragé par l'exemple de son
frère, le duc de Bouillon, Turenne compta un instant dans
parti des frondeurs mais il ne fut pas suivi par ses troupes
grâce à Herwarth qui répartit 800.000 livres aux officiers et
soldats de son armée qui n'avaient pas reçu de solde depuis
plusieurs mois.
Ce financier à l'esprit souple avait épousé Esther Vimar,
une Allemande dont la famille était fixée à Lyon. Il en eut quai re
enfants : deux fils et deux filles. Lors de la révocation de l'Édit
de Nantes, un de ses fils, Anne, abjura; il conservait ainsi l'im-
mense fortune réalisée par son père et les œuvres d'art accumu-
lées par Barthélémy dans son hôtel de la rue de la Plàtrière.
Si le nom de Barthélémy Herwarth est demeuré célèbre dans
les fastes de l'histoire financière, celui de son lils Anne est cher
à tous hs amis des lettres. C'est dans son intimité que .Jean de La
Fontaine vécut ses dernières années et c'est dans son hôte]
qu'il rendit le dernier soupir en L695.
<)G LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Ku étudiant l'histoire des finances privées, on relèverait les
noms de maints autres banquiers allemands correspondants
à Paris et en province de leurs compatriotes voyageurs et
négociants. Au xvme siècle, Kornmann eut son heure de célé-
brité ; associé avec Wâchter, il était installé rue Michel-le-
Comte. Tous deux étaient en relations avec les pays de l'Est
et servaient d'agents aux princes et hobereaux allemands,
ainsi que Riederer et Hillner de Nuremberg.
Ainsi, sous le règne de François Ier, du groupe de banquiers
allemands de Lyon, se détache Hans Kleberg ; il apparaît
comme l'organisateur des syndicats financiers chargés de fournir
des subsides au trésor royal. Au temps de Charles IX et de
Henri III, les Italiens tiennent les finances publiques. Zamet
joue auprès de Henri IV le rôle d'homme de confiance. Luma-
gna, d'Herwarth, Particelli d'Emery sont les banquiers du trésor
sous le ministère de Mazarin. Faut-il rappeler la place que
tiennent Samuel Bernard et le baron Roggers auprès de Louis XIV,
celje qu'occupe l'Écossais Law sous la Régence, le Suisse Necker
auprès de Louis XVI ? L'histoire des finances françaises est pour
ainsi dire liée à celles des étrangers pendant les trois derniers
siècles de l'ancien régime. L'industrie de la haute banque a
presque toujours été exercée en France par des forains ; les
économistes des siècles passés, Savary notamment, constatent
et déplorent cette tendance des régnicoles à délaisser les affaires
financières. Profitant de notre dédain de la finance, les réa-
listes allemands se sont jadis, de concert avec les Italiens,
emparés de situations prépondérantes et lucratives.
CHAPITRE IV
LES SOLDATS ALLEMANDS A LA SOLDE DE LA FRANCE,
Pendant trois siècles, les souverains français ont recruté
des troupes en Allemagne, parfois aussi, des chefs de partis ont
fait appel aux mercenaires d'outre-Rhin. L'ethnogénie fran-
çaise s'est ressentie de ces événements.
De la fin du xve siècle à l'époque de la Révolution, chefs de
bandes, lansquenets, reîtres, officiers d'origine allemande ont
figuré dans les armées du roi ; au cours des guerres de religion,
les reîtres se sont abattus sur notre pays et il y a tout lieu d'esti-
mer que ces soldats ont laissé dans la population des traces de
leur passage. Imitant en cela quelques-uns des capitaines qui
les commandaient, nombre d'Allemands se sont fixés en France.
Qu'importait à ces mercenaires, souvent sans attaches familiales,
de rentrer dans une patrie où rien ne les rappelait ? Ces soldats
de fortune, gens sans aveu, bien souvent, s'acclimataient en
nos provinces, retenus par la vie facile du pays ou par quelque
galante aventure qu'ils désiraient poursuivre et dont l'éclosion
avait été facilitée par le système des garnisons qui était alors
d'usage courant.
Si Charles VIII et Louis XII, au cours de leurs expéditions
en Italie, demandèrent à l'Empire de leur fournir des auxiliaires
pour leurs armées, ce fut principalement à partir du règne de
François Ier qu'on vit apparaître dans les rangs des troupes
royales des corps nombreux de lansquenets. Chefs et soldais
allemands mettaient volontiers leur épée au service de la France
pourvu qu'on leur versât de fortes pensions et des émoluments
importants. Sur ce point, ils étaient exigeants. Les annalistes
68 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
de toutes les époques sont unanimes à constater l'avarice et
l'âpreté des Saxons, des Wurtembergeois, des Weimariens
et Bavarois. « La France fut toujours considérée comme un
banquier par les Allemands, elle ne compta jamais en Allemagne
d'alliés ou de clients désintéressés et point d'amis qui ne fussent
pensionnés. Elle ne retrouva pas dans la fidélité des concours
promis, soit en suffrages à la Diète, soit en coopération militaire
le prix de ses régals et de ses gratifications » a-t-on écrit avec
juste raison l,
François Ier connut au début de son règne des déboires
avec les électeurs qui, bien que gorgés d'or, avaient abandonné
sa candidature pour reporter leurs voix sur Charles-Quint ;
parfois, avec des chefs de bandes, comtes, barons ou princes
allemands, il éprouva aussi des désillusions. Il eut avec Franz
de Sickingen des mésaventures. Ce militaire qui avait en Alle-
magne une influence considérable était venu à Blois en 1516
et avait offert ses services à la France. Jugea-t-il insuffisante
la pension du roi ou trouva-t-il plus avantageux de s'enrôler
sous la bannière de Charles-Quint, toujours est-il, qu'associé
avec Robert de la Mark, il réunit des troupes pour faire périr
Bonnivet à son retour de la diète de Francfort. Il avait même
détourné du service de François Ier le capitaine Brander qu'on
avait envoyé pour le combattre.
Des faits de ce genre furent cependant assez rares après
l'accession au trône impérial du fils de Jeanne la Folle. Les ambi-
tions monarchiques qu'il manifesta à la suite de son élévation
à l'Empire éloignèrent de lui princes et seigneurs allemands
qui cherchèrent un appui auprès du roi de France. François Ier
les pensionna, leur octroya des subsides et stipendia leurs
troupes de lansquenets et de reîtres qu'il prit à son service.
La liste des colonels ou capitaines allemands qui combattirent
et guerroyèrent pour son compte serait longue à dresser. Qu'il
suffise de citer Hubert, comte de Bethling, Jean, baron de
Fleckstein, Sébastien Wohgersperg, René de Guelfî. Membre
des cent gentilshommes de la maison du roi, ce dernier reçut
1, Auerbach, La France et le saint Empire romain germanique.
OFFICIERS ALLEMANDS A LA SOLDE DES VALOIS 69
des dons magnifiques. André Beauvigne, Guillaume de Furstem-
berg, Jacob von Els, Félix de Jonvelle furent richement rému-
nérés en raison de leurs services.
Leur temps achevé, ces Allemands rentraient généralement
dans leurs foyers à la tête de leurs hommes et attendaient
qu'une nouvelle levée leur fournît l'occasion de se battre et de
s'enrichir. Tous cependant ne quittaient pas la France, le roi
ayant su s'attacher quelques-uns de ces guerriers. René de Guelff,
par exemple, reçut en rémunération de son concours la terre
de Nesploy, au duché d'Orléans ; il fut comblé de cadeaux et
obtint des concessions de mines en France. Jean de Tavannes,
originaire de Délie, avait combattu aux côtés du roi ; pour lui,
il avait rempli diverses missions en Saxe ; en 1518, il fut natu-
ralisé. Sa sœur Marguerite fut également naturalisée en 1521 ;
elle épousa Jean de Saulx et de leur union naquit le futur maré-
chal de Saulx-Tavannes. Un seigneur de RichoufTtz, neveu
du duc de Gueldre, envoyé au secours de François Ier se maria
en France, y acquit des terres : les seigneuries de Thury et Somme-
caise, puis se fixa dans le royaume *.
A lire au Catalogue de ses actes les noms de Hans Brimbach,
de Michel von Brimberg, du baron de Chefnen, de Waldo de
Houder, d'Eberhard de Lupfen, de Hans von Seytlingen, de
Sigismond Stipintz attachés au service de François Ier, il sem-
blerait que ce souverain ait peuplé ses camps de troupes alle-
mandes.
Comme son père, Henri II éprouva des déboires avec les
soldats d'outre-Rhin; en 1552, au siège de Metz, les merce-
naires allemands engagés par lui se retournèrent contre les
Français et passèrent dans les rangs des Impériaux. Néanmoins,
à force d'or, il attacha à sa cause divers princes ; parmi ceux
qu'il gagna se trouvaient en première ligne les ducs de Saxe
et Guillaume de Grumbach : en vertu d'un traité signé au mois
de mars 1558 Henri II s'engageait à payer aux deux frères
Jean-Frédéric et Jean-Guillaume de Suxe :W.000 livres ; par contre
ce dernier devait lever pour le roi 2.100 reîtres et Grumbach
•
1. Catalogue des Actes de François /". Cf. noms cités.
70 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
devait lui en fournir 1.2001. Mais, tout au moins, en agissant
comme ils le faisaient, François Ier et Henri II avaient-ils une
excuse vis-à-vis des populations françaises dont les sympathies
à l'égard des lansquenets n'étaient pas très chaudes si l'on en
croit la chanson 2 :
Gens obstinez, d'estrange nation
Et d'une vie abominable et vile
Fuyez vous en ords, vilains lansquenets.
L'excuse de François Ier et de Henri II était tirée de raisons
politiques. Dans la partie qui se jouait entre eux et la maison
de Habsbourg, les rois très chrétiens s'étaient institués les
défenseurs des princes luthériens d'Allemagne, ennemis nés de
l'Empereur. Ils ne pouvaient refuser les services de ces capi-
taines qui, moyennant écus sonnants, il est vrai, leur apportaient
un appui. Les successeurs de Henri II qui n'eurent pas une ligne
de conduite politique aussi ferme que lui, n'eurent pas la possi-
bilité d'alléguer ces mêmes motifs pour lever en Allemagne
des troupes mercenaires.
« Du rôle d'arbitre, les derniers Valois descendirent à celui
de clients ; ils devinrent des quémandeurs de reîtres et de lans-
quenets ; à côté d'eux, d'autres clients et ce sont leurs propres
sujets viennent solliciter les marchands d'hommes ; entre les
ambassadeurs du roi et ceux de Condé, les soldats du Palatin
et du Rheingrave sont mis aux enchères 3. »
Si les régnicoles avaient déjà eu à se plaindre des lansquenets
recrutés par François Ier et Henri II, ils allaient avoir à gémir
amèrement des descentes des reîtres dans le royaume. Les
guerres de religion transformèrent la France en un vaste champ
clos dans lequel, indifféremment, luttèrent Français contre
Français, reîtres et lansquenets contre d'autres soldats alle-
mands. Chaque parti, le catholique comme le protestant, effec-
tuait des levées au delà du Rhin et s'évertuait à attirer dans
ses rangs des auxiliaires stipendiés et des mercenaires de toutes
nationalités. Le malheureux peuple de France pâtissait de la
1. Ritter, Deutsche Geschichte. T. I, p. 100.
2. E. Picot, Chants historiques français. Paris, 1903.
3. H. Hauser, Manuel des Sources de l'Histoire de France au XVI* siècle.
Fasc. III. Introduction.
LES REITRES 71
présence de ces troupes étrangères qui vivaient sur le commun,
pillaient les campagnes et se conduisaient de manière plus brutale
encore que ne l'a laissé entendre Mérimée dans sa Chronique
du règne de Charles IX. Le villageois et le citadin subissaient
les reîtres pour la rémission de leurs péchés :
... tous ces soldats espagnols et flammans
Wallons, Italiens, Suisses et Alemans
Sont à la vérité nos méfaits et péchés.
De tous les étrangers les reîtres étaient les plus honnis. Qu'ils
combattissent sous les ordres de Guise ou sous la bannière de
Condé, ils pillaient sans merci champs et demeures de leurs
alliés ou ennemis. Toute femme leur était une agréable proie ;
les celliers des vignerons tourangeaux ou Orléanais étaient
dévastés lors de leur venue et pour leurs montures, les grasses
avoines des plaines de Beauce étaient des nourritures substan-
tielles et peu coûteuses. Accoutrés de hardes effarantes, hirsutes
et noirs de teint, ils parcouraient le pays, semant la terreur et
la haine. Exigeants, ils émettaient des prétentions pécuniaires
considérables et sollicitaient le paiement immédiat des soldes
promises ; « chascun congnoit que l'Allemagne ne se resmue
sans l'or estranger et que l'un ne reluysant point, voyre en
abondance, l'autre demeure sans mouvement », écrit François
de la Noue l.
Les reîtres étaient de si exécrables compagnons d'armes
qu'ils répugnaient parfois à ceux mêmes qui utilisaient leurs
services. Brantôme rapporte ces paroles de Coligny : « Pour moy
et pour en faire fin, je scay bien ce que j'en ay veu dire et jurer
à M. l'admirai, combien cela le fascha d'avoir esté contrainct
de s'estre jamais aydé de ces reîtres et de quoy ils estoient
jamais venus en France et que s'il estoit à re flaire ou que la
guerre recommença jamais, il n'appelleroit plus de telz gens
pour s'en servir; ils estoient trop avares, fascheux, importuns
et malaisez à contenter. » Brantôme donne également son
opinion sur ces auxiliaires étrangers : « Ces bons Allemands se
1. P. de la Noue, Déclaration publiée p. 10 du Recueil de pièces historiques édité
\>;\r B. Picot pour les liibliojthiles françois. Paris, 1914.
il LES ETRANGERS EN FRANCE
sont pieu à piller et ruiner la France ; lesquelz quand ils deman-
doient auparavant secours au roi Henri proposoieni pour leurs
principales raisons qu'eux et les François estaient germains et
frères et que pour ce, se dévoient maintenir et aider les uns les
autres. Quels Germains et quels frères ! » x
Coligny avait raison de se méfier des reîtres et des soldats
allemands ; parmi ceux qui l'assassinèrent figurait « un escuier
d'escurie » du duc de Guise, l'Allemand Besme.
Si l'on insiste quelque peu sur l'histoire des reîtres en France,
c'est qu'il est très probable qu'au cours des cinquante années
pendant lesquelles ces mercenaires s'abattirent sur le pays,
beaucoup s'y installèrent et y firent souche. Quelques noms de
cornettes de reîtres sont connus, on aura occasion de les men-
tionner ; ceux des soldats sont au contraire ignorés mais il a
dû en être des Allemands comme des Espagnols ligueurs ;
après la paix de Vervins nombre de sujets de Philippe II ne
regagnèrent pas l'Espagne ; ils demeurèrent en France, accrois-
sant ainsi les éléments de population ibérique dont était déjà
doté le pays.
C'est à dater de Charles IX que, profitant du désordre
général régnant dans le royaume, les reîtres commencèrent à
traiter la France en pays conquis.
Le 1er mars 1562, le duc François de Guise passait à Vassy.
Ses gens se prirent de querelle avec des protestants en prières ;
un coup d'arquebuse partit. Ce fut le signal d'un massacre
sanglant. Deux grands diables de pages allemands capitaines
de reîtres à la suite du duc, Chelecque et Klinquebert, se firent
remarquer par leur brutalité. A la suite de leurs faits et gestes,
ils furent, dit Brantôme, très aimés de Charles IX 2.
Pendant les guerres de religion, les reîtres étaient à la solde
des catholiques et des protestants ; ils se donnaient aux plus
offrants ; tantôt, ils combattaient avec les premiers, parfois avec
les seconds ; souvent même, ils luttaient les uns contre les autres,
mais toujours, ils pillaient. Au cours des campagnes qui mar-
1. Brantôme. Œuvres. Éd. de la Soc. d'histoire de France. Les Capitaines, t. IV,
p 235."
2. Brantôme, éd. citée, t. IV, p. 108.
LES REITRES 73
quèrent les années 1575 et 1576, Condé avait amené en France
de forts contingents de reîtres. La population tremblait : « Je
crains que l'Alemant triomphe de la France », disait un rimeur.
A la tête des catholiques, Henri de Guise poursuivait reîtres
et protestants ; il les joignît et les défit au mois d'octobre 1575.
« Le mardi 11 octobre 1575, le seigneur de Fervacques arriva
à Paris et apporta au roi nouvelles que deux mille hommes,
tant reîtres que François, conduits par M. de Thoré, avoient
esté défaits par le duc de Guise, près Fismes, en passant la
rivière de Marne, au-dessus de Dormans » K C'est à ce combat
que le duc de Guise gagna son surnom de Balafré, une arque-
busade lui ayant emporté une grande partie de la joue et de
l'oreille gauche 2.
Un grand enthousiasme se manifesta à Paris ; le roi fit chanter
un Te Deum solennel ; les libellistes à gages du parti des Guises
échauffèrent et entretinrent l'excitation populaire ; ils persua-
dèrent aux Français que M. de Guise « fut le premier et le seul
des nostres qui accommança à bien connoitre et estriller les
reistres »3. Ils publièrent en son honneur un hymne triomphal
dans lequel ils exaltaient sa victoire :
Quand j'oy que toute la France
S'appuye sur ta vaillance
Et sur ta saincte grandeur
Je ne puis à bon droit taire
Ta dignité salutaire
Et ton illustre splendeur.
Dans le Vray discours de la deffaicte des reistres, était célébrée
la victoire de Dormans :
Rendez grâce, François, à Dieu pour sa clémence
Qui guide à vostre espoir vos belliqueuses mains
Contre ceux qui de vous on nomma les Germains
Et pour ce, maintes fois avez prins leur dcffcncc
Mais ils vous ont rendu pour ayde violence 4.
1 . P. de l'Estoile, Mémoire* Journaux, édition Lemerre, t. I, p. 91.
2. Id., IbuL, I. 1, i). 91.
3. Brantôme, éd. citée, t. IV, p. 195.
4. La Deffaiie des reistres et autres rebelles par Monseigneur le duc de GiUjie.
A l'iris, par Denis du Pré. Imprimeur en la rue des Amandiers, à l'enseign» de i ,
Vérité, 1575.
74 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Le combat de Dormans n'était qu'un épisode. A la tête de
ses reîtres, Condé continuait la lutte contre les catholiques.
Au début de février le roi reçut nouvelles « comme les reistres,
conduis par Condé, qui estoient aux environs de Dijon avoient
branqueté la ville de deux cent mil francs et sauvé la Chartreuse
pour douze mil et comme ils avaient rasé Lespeilly, maison
belle et magnifique appartenant au seigneur de Tavannes.
Et le mesme jour lui vinrent d'autres nouvelles de Nuits, prise
d'assaut et saccagée par les Alemans1... » Quelques semaines
après, les reîtres traversaient la Loire à Roanne, le seigneur de
la Chastre et les Allemands pillaient Bourges ; en avril 1576,
Jes reîtres tenaient Cosne et la grande route de Paris. Enfin
au mois de mai, était signée la paix de Monsieur ; les reîtres,
tant amis qu'ennemis, se retiraient vers la frontière de Lor-
raine ; leur chef, le duc Casimir attendit qu'on lui versât
325.000 livres, acompte des 3.600.000 livres promises aux Alle-
mands qu'il avait amenés au secours du prince de Condé.
« Pour la seureté de la somme (et pour avoir si bien ruiné la
France) on bailla au duc Casimir une grande partie des plus
précieuses bagues du cabinet du roy et trois ou quatre seigneurs
pour ostages ». La paix de Monsieur coûtait cher au trésor royal
mais au prix des sacrifices d'argent qui lui étaient imposés,
le peuple espérait bien être débarrassé des reîtres dont il avait
eu tant de motifs de se plaindre. A vrai dire, la populace s'était
vengée des Allemands ; le Français « voyant la playe qu'il
avoit receu des dictz reistres seigner encor a tasché d'avoir
raison ou bien quelque réparation du tort que luy avoient
faict les reistres tellement qu'il les a suivys en queue et s'est
jeté dessus de telle furie qu'il en a defîaict plusieurs à quoy
n'a pu mettre remède celuy, le seigneur que le roy leur avoit
baillé pour sauf conduitte 2... »
De même que la peste était à l'état endémique dans certaines
régions françaises, le reître, cet autre genre de peste, devait
affliger le pays durant nombre d'années. Mais, tandis que l'on
cherchait à éviter la maladie, on s'efforçait au contraire d'atti-
1. P. de l'Estoile, Mémoires Journaux, éd. citée, t. I, p. 113.
2. Pierre de l'Estoile, Mémoires Journaux, éd. citée, t. I, p. 375.
LES REITRES 75
rer et de retenir les soldats allemands. Catholiques et huguenots
leur offraient des sommes importantes pour combattre dans
leurs rangs. Henri III, lors de la paix de Monsieur, avait essayé
de gagner les bonnes grâce du duc Casimir et maintes fois,
le parti de la Ligue rechercha l'alliance de ces mercenaires
pillards. En 1580, un sieur Desle, Allemand d'origine, chevalier
de l'ordre du Saint-Esprit et qui avait épousé en secondes noces
la trésorière d'Aligre, fut pendu et étranglé à Blois. Il avait
été chargé par le roi d'aller en Allemagne faire une levée puis,
avec l'argent qu'on lui avait confié, avait amené des soldats
qu'il avait conduits à Condé qui tenait La Fère et plusieurs autres
places.
Les Mémoires de l'Estoile sont remplis de détails sur les
méfaits des reîtres. Chacun tremblait devant eux. Les évêques,
les prêtres, les bourgeois et les femmes étaient terrorisés. Aux
États de Blois, l'archevêque de Bourges résumait en quelques
phrases l'opinion des Français sur le compte des Allemands.
Il disait : « Leur cruauté, violence et rapine est si grande qu'il
n'y a nulle différence de la fureur des barbares vainqueurs
contre leurs ennemis ; de battre, mutiler, rançonner, empri-
sonner, saccager, violer femmes et filles, distraire les enfants
de la mamelle, gaster, rompre, briser, fouler le bien aux pieds
des chevaux, emporter le reste, laisser les femmes et les enfants
misérables, sans pain, suivant leurs maris et pères et leurs
chevaux qu'on emmène, c'est un ordinaire » l.
En décembre 1585, on informa le roi d'une nouvelle descente
de ces hommes terribles ; le peuple gémissait et disait :
Voici venir les Alemans
Pour aider à faire vendange.
On s'efforça de les combattre et vaincre avec des troupes
françaises et des soldats tirés de leur pays. Mais, les reîtres,
luthériens pour la plupart, refusèrent de combattre contre leurs
coreligionnaires stipendiés par les huguenots. Pour se dérober
à leurs obligations, ils invoquaient même des motifs théolo-
giques, tirant argument de ce que la vraie et pure confession
1. P. Mathieu, Histoire des derniers troubles de la France. 1597, p. 106.
76 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
d'Augsbourg leur interdisait de se mettre au service d'un roi
catholique. Quelques-uns de leurs chefs durent raisonner avec
eux : « Nous faisons service à un roi légitime auquel certains
subjectz se sont desjà pour la troisième fois révoltés... il n'y a
rien de si contraire à la religion chrétienne et à nostre confession
d'Augsbourg que telles rebellions de subjectz envers leurs
princes... » écrivaient les chefs de reîtres dans un manifeste
par eux signé : Philbert, marquis de Bade, Jean Philippe et
Frédéric Rheingraiï, Georges, comte de Leiniger, Albert, comte
de Dietz.
Le peuple de Paris criait : « Sus, sus, reîtres à la campagne ! »
ou :
H faut sur la frontière aller
Pour eouper passage aux reitres.
Les pillages ne s'arrêtant point, deux armées furent consti-
tuées pour lutter contre les Allemands. A. la tête de l'une était
Henri III ; le duc de Guise commandait la seconde. A ce dernier
revint l'honneur de vaincre les reîtres à Aune au ; pour lui,
ce fut occasion nouvelle de se faire décerner les honneurs du
triomphe. Traités, pasquils, libelles en vers et en prose célé-
brèrent la victoire qu'il avait remportée ; le peuple considéra
le Balafré comme un libérateur.
En décembre 1587, les reîtres ayant perdu beaucoup des
leurs consentirent à traiter avec Henri III : le duc d'Epernon
fut chargé de conduire les négociations avec leur chef, le baron
de Dohna. Le médiateur traita luxueusement le baron de Donna
dans sa maison de Marsilly-les-Nonains et il fut convenu que
les reîtres regagneraient leur pays d'origine. Chacun souhaitait
ardemment le départ de ces soldats exécrés. En effet, venaient-
ils comme alliés ils ne songeaient qu'à faire « carousse » l, bom-
bance et débauche au grand dam des populations. Se présen-
taient-ils en ennemis, ils pillaient, saccageaient et coupaient les
mains de qui leur résistait. Ils ne devaient pas perdre cette
habitude par la suite ; au début du xviue siècle, lorsque les
1. Carousse de Gar auss : tout vidé. Par altération cette expression est devenue
synonyme de débauche. Cf. Mathurin Régnier, satire II, vers 174, éd. Elzévier
« Avec tous les dieux, il veut faire carousse. »
LES SCHONBERG, LES DE SCHELANDRE 77
reîtres entrèrent en Provence avec le duc de Savoie, ils firent
subir ce supplice au sieur Martin, habitant Le Luc près Fréjus.
Pour l'indemniser, Louis XIV remit à ce mutilé, en 1709, un
secours de cent livres *.
Les descentes de reîtres en France sous les règnes de Charles IX
et de Henri III ont valu au pays l'établissement de quelques
familles allemandes. L'une d'elles, celle des Schonberg, a joué
un rôle dans notre histoire. Les Schonberg étaient originaires
de la Saxe. Gaspard, après être entre au service des protestants,
les abandonna en 1563, puis se poussa très avant dans les bonnes
grâces du roi et fit une fortune rapide. « Le 15 septembre 1578,
écrit Pierre de l'Estoile, Schonberg qui, dix ans auparavant
estoit un simple soldat allemand, prit possession de la terre
et comté de Nanteuil-le-Heaudouin qu'il avait achetée du duc
de Guise 380.000 livres. » Sur les Schonberg, il est inutile d'in-
sister longuement ; on sait que Georges mourut jeune, tué au
cours du fameux duel des Mignons; Gaspard et ses descendants
furent des personnages importants sous les règnes de Henri IV
et de Louis XIII ; ils remplirent des missions comme ambas-
sadeurs ou guerroyèrent à la tête des troupes françaises.
De cette époque troublée date également la pénétration en
France de la famille des Schelandre. Jehan Thin von Schelnders
ou de Schelandre était au service de Jean de la Mark, duc de
Bouillon. Ce prince l'investit des fiefs de Soumazannes et de Gom-
vaux. Henri-Robert de la Mark, successeur de Jean, lui confia
en outre, en 1571, la forteresse de Jametz, au commandement
de laquelle Robert de Thin, fils, de Jean, fut préposé en 1584.
Durant la guerre du duc de Lorraine contre le duc de Bouillon,
Robert de Thin fit l'admiration de tous par la résistance de
deux années qu'il opposa aux troupes du duc de Lorraine. La
place succomba en juillet 1585 et les biens des quatre enfants
du vieux reître Jehan Thin furent confisqués au profit d'Alïican
d'Haussonville. Ils demeurèrent cependant attachés à la région.
Des enfants du défenseur de Jametz, Jean de Schelandre est
connu comme soldat et connue poète. Il alla c nnbathv en
1. A. <!<• lioiiislc, Correspondu; nliùleurs yénéraux, t. III, App., p
Elut des Aumônes du mi i>mir 1709.
78 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Hollande avec son frère et a laissé sur la Bataille de Nieuporl
un poème dans lequel il exalte sa haine contre le duc d'Albe
et les Espagnols. Les Schelandre demeurèrent fixés dans le
Rethelois. Un arrière-pètit-fils de Jehan, Charles de Schelandre,
épousa Marie d'Averhoult; de ce mariage naquit une fille, Anne,
qui, en 1683, pour épouser Louis de Montguyon, se convertit au
catholicisme l.
II
Henri III mort, suivant l'ordre des dévolutions à la couronne,
Henri IV fut appelé à lui succéder ; pour conquérir son royaume
sur le roi fantôme qu'on lui opposait sous le nom de Charles X,
il lui fallut lutter pied à pied. Durant près de deux lustres,
la France fut à nouveau la proie des soudards étrangers : Ita-
liens, Espagnols, Hollandais, Suisses et Allemands furent
tour à tour embauchés par les Ligueurs ou le roi légitime.
Princes, capitaines et soldats allemands vinrent au secours
de Henri IV et lui fournirent armes et subsides ; ils soutinrent
en France la cause du protestantisme mais fidèles à leurs tra-
ditionnelles habitudes ils surent allier leurs intérêts matériels
à leurs opinions religieuses. Ils soutirèrent au roi des sommes
élevées pour les prêts qu'ils lui consentaient et dont le montant
était en partie destiné à solder les troupes qui lui étaient ame-
nées. La correspondance de Henri IV avec les ducs de Saxe,
de Wurtemberg et de Brandebourg marque le prix que le roi
attachait à l'aide de ses alliés et prêteurs 2. Au duc de Saxe,
Henri IV mandait : « Je suis assailli et menacé de plusieurs
t. G. Cohen, Ecrivains français en Hollande dans la première moitié du
xviie siècle. Paris, 1920. Livre Ier. Un poète soldat, Jean de Schelandre, p. 26. —
Baron de Finie de Saint Pierremont. L'abjuration d'Anne de Schelandre.
Sedan, 1908.
2. Berger de Xivrey et Guadet, Lettres missives de Henri IV. Collection des
Documents inédits. Les lettres aux princes allemands sont particulièrement nom-
breuses. — Sur les relations de Henri IV avec l'Allemagne, cf. A. Anquez, Henri IV
et l'Allemagne. Paris, 1887.
HENRI IV ET LES SOLDATS ALLEMANDS 79"
parts, mais persévérant en la crainte de Dieu, je n'ai crainte
de rien si je suis assisté de vous ; envoyez-moi le prieur Christian
d'Anhalt avec ses troupes... je désire entretenir une amitié
étroite avec vous. «Le 11 juin 1591, il écrivait au duc : « J'ai eu
tant de confirmation de votre bonne volonté à la prospérité
et avancement de mes affaires qu'à bon droit, je reconnais
vous en avoir une très grande obligation. »
Auprès du duc de Saxe, Henri IV multipliait ses démarches
pour obtenir hommes et argent ; il lui envoyait ambassade
sur ambassade. Schônberg se rendait fréquemment en Saxe
et en Wurtemberg. Au duc Louis, souverain de ce dernier pays,
le roi écrivait : « Vous n'avez pas rendu vaine l'espérance que
j'ai eue de l'ancienne amitié qui de tout temps a été entre la
maison de France et celle de Wurtemberg... j'ai commandé
au sieur de Sancy de retourner lever des troupes et recueillir
ce qui restait des 300.000 écus alloués par les princes. » Henri IV
remerciait le duc de Wurtemberg de ses bons offices pour lui.
« Merci pour la bonne volonté de tout ce que vous avez fait,
je me sens vous être grandement obligé. » Henri IV avait aussi
des obligations vis-à-vis de la maison de Brandebourg avec
laquelle il entretint en douze ans plus de rapports que la France
n'en avait eus pendant un siècle. A Sully, le 31 août 1602,
le roi écrivait au sujet d'un voyage que le fils de l'Électeur
allait accomplir en France : « Cette maison tient un tel rang en
Allemagne et a toujours été si affectionnée à la France comme
elle le montre encore maintenant à mon endroit que je veux
qu'on caresse cestuy-ci de façon qu'il ayt l'occasion de s'en
louer. »
D'Allemagne, Henri IV reçut des secours considérables.
I )« s régiments de lansquenets lui furent envoyés pour tenir
garnison dans des villes dont la fidélité des habitants paraissait
douteuse. A Bordeaux, de 1589 à 1596 environ, stationna un
régiment de lansquenets commandés par le colonel Hans Frie-
drich ; il avait mission de maintenir les Bordelais en l'obéissance
du roi l. D'autres troupes allemandes firent campagne sous
i. \. Leroux, op\ cii.t T. I.
80 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
les ordres du Béarnais. Au cours du seul mois de septembre 1591,
les princes lui fournirent 5.500 reîtres et lui avancèrent dis
subsides importants ; quelques seigneurs allemands combat-
tirent aux côtés du roi : Wolfang, duc des Deux-Ponts fut tué
en luttant contre les armées des Ligueurs. Malgré les conditions
qui lui avaient été imposées au point de vue pécuniaire, le roi
conserva une reconnaissance spéciale aux princes qui l'avaient
secouru dans sa détresse ; il le prouva d'ailleurs en accueillant
avec sympathie les Allemands qui, à la suite de la signature
de l'Édit de Nantes vinrent se fixer en France.
On a indiqué l'influence qu'ont pu exercer sur la population
française les descentes des reîtres dans le royaume au cours
du xvie siècle. Au début du xvne, on relève en Normandie
un fait curieux qui vient à l'appui des hypothèses antérieurement
formulées.
Les emprunts effectués par Henri IV auprès du duc de Wur-
temberg ne lui avaient été consentis que contre des garanties
territoriales. Le roi, en 1604, avait engagé au duc de Wurtem-
berg le duché d'Alençon ; ce prince avait installé dans la capi-
tale de ce territoire des officiers et des soldats ; il y avait égale-
ment établi des receveurs chargés de récupérer les impôts.
Cette occupation temporaire du duché d'Alençon ne prit fin
qu'en l'année 1611, Marie de Médicis ayant alors racheté ce
domaine. L'établissement des Allemands à Alençon eut sa réper-
cussion sur la population du pays et sur l'industrie de la dentelle.
Quelques-uns des soldats wurtembergeois épousèrent des bro-
deuses alençonnaises et demeurèrent fixés dans le pays ; ils
s'intéressèrent à la fabrication des points coupés et de leur patrie
où l'art de la dentelle était alors plus avancé qu'en France,
ils firent venir des modèles de dessins. C'était justement l'époque
à laquelle Siebmayer publiait son recueil de dessins de dentelles
et pendant quelques lustres on imita à Alençon les points
coupés confectionnés en Allemagne. Ayant remarqué que les
fils employés par les brodeuses de Normandie étaient de mau-
vaise qualité les Wurtembergeois fixés à Alençon demandèrent
à leurs compatriotes d'y faire parvenir les fils utilisés en Alle-
magne. On prit alors l'habitude de se servir de ces fils pour la
TROUPES ALLEMANDES EN FRANCE 81
confection des réseaux et des motifs qui décorent le point
d'Alençon K
Outre les soldats qui s'établirent en Normandie quelques
officiers wurtembergeois paraissent également s'être installés
à Alençon. Au mois d'août 1607, Benjamin de Buninkausen
et Vualmerode, conseillers d'État du duc de Wurtemberg
acquirent des offices qu'ils achetèrent à des bourgeois de la
ville 2.
Ces faits permettent de constater que les soldats allemands
n'ont pas tous quitté la France ; ils y trouvaient d'agréables
épouses, un ciel clément et des occupations fructueuses.
III
Voulant caractériser l'armée française Richelieu écrivait :
« Je suis obligé de remarquer qu'il est impossible d'entreprendre
avec succès des grandes guerres avec les Français seuls, les
étrangers sont absolument nécessaires pour maintenir le corps
des armées et si la cavalerie française est bonne pour combattre,
on ne peut se passer de l'étranger pour faire les gardes et sup-
porter toutes les fatigues d'une armée ; notre nation bouil-
lante et ardente aux combats n'est pas vigilante à se garder... »
Comme ses ancêtres Louis XIII fit un large appel au concours
des mercenaires. De l'extérieur, il eut à son service des cavaliers
allemands et créa même une charge spéciale de colonel de la
cavalerie allemande dont il pourvut d'abord le colonel Streiff
puis en 1638 M. d'Egenfeld.
Dès le temps de Richelieu, les miliciens étrangers étaient si
nombreux dans nos armées que le cardinal écrivait : « Les armées
françaises sont toujours composées de la moitié d'étrangers. »
Parmi les forains enrôlé! pour la France, les Allemands domi-
naient ; en Allemagne, princes et seigneurs, simplet soldats
!. Madame Despicrres, Histoire du i'<>int <i Alençon. AJinyon, 1886. Documents
extraits ch-s registres «In fflfrflHttlllgfl Al la villr.
2. Act< s publiés dans Bulletin historique de l'Orne, t. VII, p. 261.
6
82
LES ETRANGERS EN FRANGE
aussi, ont toujours été à vendre depuis le moment où François Ier
les avait habitués à rendre des services politiques ou miHtaires
contre espèces sonnantes. Hobereaux, comtes, barons, capi-
taines, électeurs, évêques considéraient la France comme leur
banquier naturel ; aussi bien, Weimariens, Saxons, Bavarois
entraient-ils volontiers dans les rangs de notre armée. Parfois
ils constituèrent des régiments distincts, tantôt ils s'enrôlèrent
dans des formations à dénomination étrangère. C'est ainsi
par exemple qu'on rencontre fréquemment des Allemands
dans les régiments de hussards hongrois lorsque, sous
Louis XIII et Louis XIV, on commença à recruter cette
cavalerie légère.
Il serait impossible de dresser des états complets des hommes
de guerre d'origine allemande qui combattirent pour la France,
obtinrent leurs lettres de naturalisation et furent pourvus de
charges et de dignités. Des historiens comme le Père Daniel,
îe général Susane et l'auteur de la Chronologie militaire ont
été loin de connaître tous les officiers supérieurs ou subalternes
d'origine allemande qui s'enrôlèrent dans les corps de troupes
formés pour la durée d'une campagne ou constitués de manière
permanente. Loin d'essayer de compléter les travaux de ces
savants auteurs, je puiserai dans leurs œuvres quelques indica-
tions.
Un des premiers régiments allemands régulièrement consti-
tués fut celui que Théodoric Schônberg amena en 1589 au
secours de Henri IV ; il combattit à Arques et à Ivry. Passé
sous les ordres de Gaspard, il prit part au siège de Rouen
en 1591, fut licencié en mai 1598 puis rappelé en 1600 pour la
guerre de Savoie. Ce régiment eut le sort de tous les régiments
étrangers appelés par Henri IV ; son existence fut éphémère.
Sous le règne de Louis XIII, l'armée française comporta égale-
ment de nombreux corps allemands qui vécurent de deux à dix
ans et furent recrutés entre les années 1635 et 1638, tels furent
ceux que commandèrent Schmidberg, Batilly, Nassau, Oehm,
Wumbrand, Kalemback, Schombeck et de Schack. Advenant
le règne de Louis XIV, des régiments levés pour la durée d'une
campagne furent placés sous les ordres de Rattweil, de Flechstein,
RÉGIMENTS ALLEMANDS A LA SOLDE DE LOUIS XIV 83
de Bonickausen. Trois frères, Jean, Louis et Sigismond d'Er-
lach commandèrent successivement un corps qui porta leur
nom. Des grands seigneurs allemands furent également appelés
à constituer et à commander des formations recrutées parmi
leurs compatriotes. Certains régiments allemands créés au temps
de Louis XIV subsistèrent jusqu'à la Révolution. Celui de
Furstemberg, levé en 1668 par Guillaume Egon, landgrave de
Furstemberg fut de 1670 à 1792 placé sous les ordres de princes
allemands.
En vue de la guerre contre la Hollande, Louis XIV ayant
autorisé la formation d'un nouveau régiment allemand, le
comte de Kônigsmark organisa en 1671 le Royal Allemand.
Ce corps subsista jusqu'à la Révolution ; il fut commandé
par Kônigsmark puis par Bohlen. Après la mort de ce colonel,
tué à la bataille de Nerwinden, le Royal Allemand fut donné
à Louis Craton comte de Nassau-Saarbruck qui, en 1702, devint
lieutenant général du royaume.
Au mois de janvier 1709 était aussi créé le Royal-Bavière
à la tête duquel furent placés Maximilien de Bavière, le comte
d'Heilfenberg, de Lewenhaupt. En 1783 le landgrave de Hesse
commandait encore ce régiment.
Nombre de chefs de ces régiments allemands obtinrent^des
hautes dignités dans l'armée française. Charles-Frédéric, baron
de Streifï, très brave officier, dit Villars, s'était distingué dans
diverses batailles ; il devint mestre de camp en 1694, brigadier
en 1702, maréchal de camp en 1704 et fut blessé à mort à l'at-
taque de l'île du Marquisat sur le Rhin. Le Bavarois Mortani
entré au service de la France en 1693 est brigadier en 1704,
maréchal de camp en 1710. Ce militaire connu sous le nom de
Mortagne fut pendant quelques années à la tête d'un régiment
de hussards hongrois. .
Ferdinand, comte de Relingue ou plus exactement comte
d'Erlingen, était lieutenant général lorsqu'il fut blessé mortelle-
ment à la bataille navale de Malaga. Il était petit-fils d'un Alle-
mand naturalisé en 1636. Il était apparenté à la marquise de
Sereville qui fit venir d'Allemagne Charles-Antoine d'Erlingen
âgé de moins de cinq ans lors de la mort de son oncle. Naturalisé
6 1 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
en 1705, Charles-Antoine entra dans l'armée et tut, lui aussi,
lieutenant général en 1748.
En poursuivant l'histoire des corps étrangers au service de la
France on rencontrerait sous les règnes de Louis XIV et de
Louis XV de très nombreux Allemands qui entrèrent dans les
rangs de l'armée française; les Salm-Salm y figurent fréquem-
ment comme officiers ainsi que les Hesse et les Furstemberg. On ne
saurait énumérer tous ces immigrants mais, au moins, convient-il
de faire une place à part à l'un des plus glorieux capitaines
du xvme siècle : Hermann Maurice, comte de Saxe. Après avoir
combattu contre Louis XIV, ce vaillant soldat entra en 1720
au service de Louis XV et remporta les victoires de Fontenoy,
de Raucoux et de Lawfeld. A la suite de ces succès, il fut comblé
de faveurs par le roi qui lui concéda notamment le château de
Chambord et l'autorisa à conserver près de lui et sur le pied
de guerre le régiment de uhlans qui lui appartenait. Brillant
soldat, amoureux passionné de la célèbre Adrienne Lecou-
vreur, l'arrière grand-père de George Sand fut l'une des
plus glorieuses figures de notre histoire militaire du xvme
siècle.
Le nombre des soldats allemands au service de la France ne
fut pas moins considérable au xvin€ siècle qu'au cours des
époques précédentes. Les Saxons à eux seuls fournirent des
contingents importants. Le prince Xavier de Saxe, frère de la
Dauphine, commanda en 1759 un corps saxon composé de près
de 10.000 hommes. Ce corps avait été constitué avec les pri-
sonniers incorporés de force dans l'armée prussienne après la
prise du camp de Pinar en 1756 ; ils étaient parvenus à déserter
puis s'étaient enrôlés en France 1.
Les subsides français étant plus importants que ceux accordés
par d'autres peuples, beaucoup d'Allemands après s'être atta-
chés au service de quelque souverain étranger demandaient
à combattre dans les armées welches. Ils suivaient volontiers
des chefs connus ; dans les régiments de Lôwendal, figurent
un de Bulow, un d'Elorn, comme lieutenant-colonel et major;
1. A. Thévenot, Correspondance inédite de François Xavier de Saxe. Paris, 1874,
p. 9.
NICOLAS DE LUCKNER 85
des Hanovriens et des Saxons, des de Millier, des Stiebritz
sont mentionnés sur les contrôles de ce corps 1. D'Espagne
passent en France des officiers allemands ; les conventions du
Pacte de famille leur donnent la facilité de changer de maître
et quelques-uns abandonnent le service de Charles III pour celui
de Louis XVI. De ce nombre fut notamment Emmanuel de
Salm-Salm qui, en 1778, prit rang dans un corps de cavalerie
française et se fit naturaliser en 1789 avec l'espoir d'être élu
comme député aux États généraux 2.
Lorsque l'armée française, composée d'éléments si divers
et parmi lesquels, trois siècles durant, s'étaient insinués tant
d'Allemands avides de pensions et de places, fut réorganisée
sur des bases nouvelles, les corps étrangers disparurent. Il ne
subsista plus que des brigades et demi-brigades nationales.
Dans leurs rangs, sans doute, mais complètement assimilés
à des Français, combattirent des descendants de ces milliers
de soldats allemands que les rois avaient pris à leur solde.
Parfois même, les armées de la Révolution furent encore com-
mandées par des maréchaux d'origine étrangère. Nicolas, comte
de Luckner, né en Bavière en 1722 s'était distingué au service
de la Hollande et du Hanovre quand, en 1763, il passa comme
lieutenant général au service de la France. Nommé maréchal
le 28 décembre 1791, il eut un commandement à l'armée du
Rhin. Ayant constaté l'état lamentable de son armée, il com-
parut le 26 février 1792 à la barre de l'Assemblée nationale
et exposa la pénurie des soldats. Comme son accent allemand
ne lui permettait pas de se faire comprendre aisément des dépu-
tés, le ministre Narbonne s'écria : « Il a le cœur plus français que
l'accent. » Quelques mois après Luckner était nommé généralis-
sime des armées du Nord et du Rhin, mais compromis par ses
relations avec Lafayette et la cour, il fut suspendu de son com-
mandement après la journée du 10 août. On l'arrêta et, con-
damné à mort, il fut exécuté le 4 janvier 1794.
1. Marquis de Sincty, Vie du maréchal de Lowcndal. Paris, 1868, t. II. Appen-
dices.
2. A. Morel-Futio, Eludes sur l'Espagne. Paris, 1906» t. II. Grands d'Esputjne rt
I'ctiis Prince* aUanandê. — A. Brette, Papier* et correspondance du /•
Salm-Salm, <l;ms Revue tUiêûlique, I. I.W1.
CHAPITRE V
LES ALLEMANDS DANS NOS MINES ET DANS LA METALLURGIE
Dans l'exercice des professions purement mécaniques ou
dans les exploitations qui exigent surtout de la patience, de la
ténacité et pour lesquelles ne se perçoivent pas des profits
immédiats le Français semble être demeuré en retard sur les
étrangers. Par ailleurs, aimant à conserver son individualité,
il désire produire lui-même son œuvre, la parachever, et ne se
soucie pas d'être perdu dans une collectivité ; il n'aime pas
faire partie d'un groupement agissant pour un but qu'il ignore ;
il goûte peu la division du travail que la grande industrie a
rendu nécessaire.
En dehors de ses qualités natives, l'Allemand sait travailler
en vue d'une œuvre commune ; il ne cherche pas à briller indivi-
duellement : « il est né employé et n'est qu'un homme partiel »,
comme l'a écrit un économiste d'outre-Rhin, il est le type de
1' « Inconscient » de Hartmann. Il possède une patience que le
Français n'a pas toujours eue car lorsque celui-ci n'entrevoit pas
la nécessité de son effort, il se laisse parfois aller au décourage-
ment ; son esprit de suite n'est pas toujours égal à son esprit
d'invention.
Aussi, dans les exploitations qui exigent l'effort collectif,
les Allemands semblent nous avoir été supérieurs ; alors que,
malgré l'appui du gouvernement, nos concessionnaires de mines
se ruinaient, les étrangers de race germanique s'enrichissaient
en exploitant notre sous-sol. Il est vrai que depuis l'époque
MINEJRS ALLEMANDS EN FRANCE AU MOYEN AGE 87
ottonienne, l'Allemagne avait borné son effort au domaine
économique dans lequel elle affirmait une supériorité qui paraît
liée à la race tout entière ; noblesse, bourgeoisie et artisans de la
Saxe, du Wurtemberg et des principautés s'unissant en une
intime alliance pour développer dans leur pays l'industrie et le
négoce. Jusqu'à l'avènement de Colbert qui donna à la France
une impulsion nouvelle mais factice, notre pays fut trop souvent
tributaire de l'Allemagne pour les produits manufacturés d'un
usage courant, notamment pour les articles de métallurgie.
Les Allemands, constate Montaigne, étaient excellents ouvriers
du fer ; non seulement ils mettaient en œuvre les mines métal-
liques de leur patrie mais encore ils venaient en France exploiter
les nôtres et fonder des manufactures d'objets en fer. De ce
chef, nous avons reçu de nombreux apports de population ger-
manique.
Le mouvement d'immigration des ingénieurs et des mineurs
allemands a commencé de très bonne heure. Dès l'année 1287,
les Annales des Dominicains de Colmar signalent la présence
en Alsace d'Allemands à qui les Vosges doivent leurs galeries
souterraines ; les comptes de Charles IV le Bel décèlent l'arrivée
dans le royaume de maître Hugo, de maître Gautier et de
maître Jean, originaires d'Allemagne ; en 1325, ils reçurent
trois cents livres tournois pour les travaux qu'ils avaient exé-
cutés l. Les mines de Sainte-Marie dans les Vosges étaient
exploitées par des ouvriers d'outre-Rhin. Lorsque le Chapitre
de Saint-Dié à qui appartenaient les gisements, fit représenter
dans son Graduel le type des mineurs qu'il employait, le minia-
turiste peignit un artisan vêtu comme les ouvriers allemands
utilisant des instruments semblables à ceux qui sont décrits
dans le Livre de la mine paru en 1480 et à ceux de la Saxe que
Kalbus Fribergius dépeignit dans son Bergbnchlein.
De tous les travaux de la mine, le plus pénible était celui
des « rompeurs de grosse myne » dans lesquels excellaient
les compagnons de la Misnie, de Schwartz et de Thuringe.
En 1455, quand Jacques Cœur fit venir d'Allemagne Claux
1. J. Vianl, Journaux du Trésor de Charles IV le Bel. Collection det Document*
inédits. Paris. l'HX, acte n" 4676.
88 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Sinermanl pour ouvrir les galeries de ses mines d'argent et de
plomb du Beaujolais, il fut stipulé que les gages d'ouvrier
« de martels allemands » ne seraient pas analogues à ceux des
ouvriers romans, leurs collaborateurs ; ils étaient plus élevés à
raison de la supériorité des mineurs étrangers K
Lorsque Charles VII eut confisqué les biens de Jacques Cœur,
il chargea Jean Danvet d'exploiter les mines du Vernay qui
avaient appartenu au grand négociant. Il conserva Claux
Sinérmant comme « maître niveleur ou géométricien chargé
de caver 60 toises de long pour 1.500 livres ». Les ouvriers de ces
mines étaient allemands. Le charpentier Wolfang Bogar tou-
chait 70 1. 28 s. 9 d. par an. Thomas Ysmant, « maître de mon-
tagnes », percevait annuellement 60 1. tournois 2.
Dans le duché de Bretagne où les mines étaient abondantes,
Jean V fit appel à des ingénieurs allemands ; en 1452, il donnait
à Claude Latreba, « du pays d'Almaigne, ouvrier et apurour de
mines d'argent » et à ses compagnons et serviteurs « licence et
plain congié de prendre leurs nécessités à oupvrer et faire apure-
ment de mines d'argent et autres métaux que trouveront en
nostre pays » 3.
La législation minière a été flottante sous l'ancien régime ;
chaque souverain a cherché une formule qui permit au trésor
royal de tirer profit de l'exploitation des mines en même temps
qu'il s'efforçait de favoriser le développement de l'industrie
minière. Parfois les rois essayèrent de nationaliser les gisements ;
à d'autres moments, ils recoururent au système des concessions
directes. Ces deux méthodes donnèrent rarement satisfaction.
La nationalisation des industries a toujours conduit à des
déboires sous quelque régime que ce soit et le mode de conces-
sion, jadis adopté, ne pouvait conduire à des résultats pratiques.
En effet, on concédait à un favori ou à un seigneur le droit
d'exploiter un gisement comme on lui aurait octroyé un béné-
fice ou une pension ; l'heureux concessionnaire se désintéressait
1. A. Girodie, Les mines d'argent de la croix aux mines de Lorraine, dans Revue
lorraine illustrée. Année 1909.
2. S. Luce, La France pendant la guerre de Cent ans. Paris, 1890, p. 369.
3. R. Blanchard, Lettres et mandements de Jean V, acte 1552.
MINEURS ALLEMANDS AU XVIe SIÈCLE 89
de la mine et ne voulait en retirer qu'une redevance pécuniaire.
Le sous-traitant n'avait généralement pas les capitaux néces-
saires pour mener à bien son entreprise ou ne trouvait pas les
ouvriers capables d'accomplir assidûment un travail pénible.
Nos artisans n'ont jamais été des mineurs remarquables. Ils
étaient avant tout agriculteurs et à l'existence monotone
que l'on passe dans les souterrains ils préféraient la vie des
champs qui verdoient au printemps. Maintes fois, il fut néces-
saire de recourir aux ouvriers étrangers pour abattre les minerais
que recèle notre riche sous-sol ; on leur accorda des lettres de
naturalisation et on leur donna les mêmes privilèges qu'aux
naturels du pays. Une ordonnance de Henri II, confirmée
par un arrêt du Conseil d'État de l'an 1604, octroya la qualité
de Français aux mineurs étrangers.
En agissant comme il le fit, Henri II suivit les errements de
son père ; ses successeurs l'imitèrent.
Les Allemands profitèrent spécialement des bonnes disposi-
tions de la royauté à l'égard des exploitants de mines. Par tra-
dition, ils avaient coutume de venir en France prospecter le
sous-sol ; en outre, ils avaient sur les Français une avance consi-
dérable dans l'art des exploitations minières ; leurs savants
avaient étudié la science minéralogique et dès le début du
xvie siècle, ils avaient écrit des traités spéciaux à l'usage des
industriels allemands ; en 1505, Kalbus Fribergius avait édité
le Bergbuchlein et quelques années après, Agricola donnait
au public le De Re metallica.
François Ier eut recours aux Allemands pour découvrir des
gisements et les exploiter. A Jean des Essarts il accorda une
subvention pour l'aider à nourrir les Germains occupés à pros-
pecter le sous-sol du royaume ; à René de GuelfY, gentilhomme
de sa chambre, il octroya la permission de « chercher, ouvrir,
ri exploite? dans le royaume et autres pays appartenant au
roi les mines d'or et d'argent et autres métaux pendant trois
ans » l ; il lui fil don des droits qui lui revenaient du fait de cette
concession. Sans doute, René de Guellï ail ira de sou paya des
1. Catalogue des Actes de Inimnis /•«", V1" Mim-s. <!«• (iiu-M et ;utes 9920 et
10049.
90 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
ouvriers et ingénieurs qui parcoururent la France. Etaient-ils
de ceux-là, ces Allemands « minéraux » qui, en 1537, visitèrent
la Normandie et « fouirent » les mines de Tracy, aux environs
de Caen ou qui voulaient qu'on « se désistât de faire les fonde-
ments » de l'hôtel d'Escoville à Caen parce qu'il leur avait été
dit qu'au lieu où l'on commençait à bâtir cette demeure on
avait vu couler une bonne quantité de vif argent l.
L'habileté des Allemands à travailler les métaux était si
notoire au xvie siècle qu'elle frappait un chacun. Montaigne
a parlé de leur adresse ; Henri Estienne, dans sa Précellence du
Langage françois y fait allusion : « au reste encore que je confesse
que les autres nations ont aussi bien des ars ou mestiers, je ne
veux pas confesser qu'elles en ayent si grand nombre, excep-
tant seulement l'Allemande quant au fer duquel elle s'aide
si bien et en tant de sortes d'ouvrages... que les Allemands ont
l'esprit aux doits » 2.
Cette supériorité de nos voisins de l'Est était connue de
Henri IV et de Sully ; ils appelèrent d'Allemagne artisans et
ouvriers. De Thou note le fait dans son Histoire et ajoute que
dès que ces étrangers connurent la vie large que leur offrait
la France, ils se dégoûtèrent rapidement de cette existence sans
joie ni lumière. Ils renoncèrent aux travaux souterrains mais se
fixèrent en France. Sous le règne du Béarnais, à un favori
d'origine germanique, Beringhen, échut le contrôle général des
mines ; il s'occupa de sa charge mais attira des Allemands.
La présence de concessionnaires étrangers est attestée par des
documents variés. Bien que l'on ne possède point d'archives
au Blaymard, il est certain que ce gisement, dont l'exploitation
remonte au xvne siècle, doit son nom à la présence d'Allemands.
Les « faiseurs de plomb » « blei mâcher » ont laissé leur souvenir
dans la région.
Un livre curieux, daté de 1640 et dédié au cardinal de Riche-
lieu a pour titre : La Restitution de Pluton à Monseigneur Verni-
nentissime cardinal, duc de Richelieu. C'est un pamphlet contre
1. Charles de Bourgueville, sieur de Bras, Les Recherches et Antiquités de la
Province de Neustrie. 1588, réédition de 1833, p. 40.
2. H. Estienne, La Précellence du langage françois, édition Garnier, 1914. p. 271.
COLBERT ET LES INGÉNIEURS ALLEMANDS 91
les Français qui vont chercher bien loin ce qu'ils possèdent
chez eux en même temps qu'un ouvrage sérieux sur la manière
de découvrir les diverses mines de métal et de les exploiter.
Ce livre a pour auteurs Jean du Chastelet, baron de Beausoleil
et sa femme ; le privilège qui autorise les du Chastelet à l'im-
primer en fait un grand éloge. En 1627, du Chastelet avait été
commissionné pour « toutes recherches minières » à effectuer
en France. Cette commission lui fut renouvelée en 1635. Quand
l'auteur de la Restitution de Pluton fut autorisé à se livrer à des
recherches, il alla étudier en Hongrie et en Allemagne avec sa
femme et en 1630, tous deux revinrent de ces pays amenant
avec eux dix Hongrois et cinquante Allemands K
Lors de son ministère, Colbert s'occupa lui aussi des gisements
miniers. Il fit venir des Saxons ; sous la conduite de spécialistes,
ils mirent en valeur les mines de fer dont l'industrie renaissante
avait besoin. La correspondance de Colbert abonde en rensei-
gnements sur les mineurs allemands qu'il fit venir en France.
Le ministre leur marquait une sollicitude au moins égale à celle
qu'il témoignait aux charpentiers hollandais ; il s'intéressait
à leur installation, au paiement régulier de leurs salaires et à la
venue de leurs femmes. Pour exploiter les mines dû Languedoc,
Colbert fit venir cinquante mineurs allemands. Nonobstant
les leçons qu'ils prirent, les concessionnaires français ne tirèrent
pas des profits sérieux de leurs mines ; survenant la crise indus-
trielle qui marqua le premier quart du xvme siècle, beaucoup
d'entre eux délaissèrent les mines dont Colbert avait cherché
à favoriser le développement. Des Allemands ne dédaignèrent
pas de reprendre des exploitations mal conduites et durant les
règnes de Loui^ XV et de Louis XVI, ils se firent octroyer des
concessions et accorder des directions de mines. Avec eux ils
amenèrent contre-maîtres et ouvriers.
En 1728, on donne à François Etienne de Blumenstein, écuyer
d'origine allemande, naturalisé français par lettres du 15 mai 1715,
le privilège exclusif d'exploiter les mi nos de plomb et autres
métaux de la région du Forez. Etienne de Blumenstein avait
1. La Restitution de Pluton. Paris, 1640, p. MG. Passeport délivré par le prince
d'Orange.
92 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
épousé Madeleine de Montroignon ; leur lils obtint la continua-
tion des privilèges du père ; après avoir acquis le château de la
Goutte, paroisse des Salles, il fut qualifié d'écuyer, seigneur de
la Goutte, concessionnaire des mines du Forez et du Dauphiné.
Près de son château, il installa une fonderie importante *.
En 1741, le subdélégué de Tournon, fournissant un rapport à
son supérieur écrivait : « Le sieur Blumenstein ne se sert que
d'ouvriers allemands pour tirer son plomb parce qu'ils savent
mieux le séparer de la matière dont il est enveloppé que les
autres ouvriers dont ils se servaient » 2.
Blumenstein et son compatriote Hollzendorfî avaient été
nommés inspecteurs généraux des mines françaises ; ils n'étaient
pas tendres dans leurs rapports pour les exploitations dirigées
par les sujets du roi et pour les ouvriers français. Ayant eu
l'occasion de donner leur opinion sur la manière dont étaient
exploitées les mines de Bahours, près de Mende, concédées à un
sieur Meuron, ils cherchèrent à faire évincer de sa concession
cet entrepreneur qui dut se justifier des attaques dont il était
l'objet. Dans un rapport daté de l'année 1747 3, Blumenstein
et Hollzendorfî écrivaient : « Les ouvriers nationaux sont gros-
siers et mutins, ils sont fainéants... il faut, comme cela se pratique
en Allemagne, leur concéder des avantages spéciaux, sans quoi
il ne faut pas penser avoir jamais de bons ouvriers en France. »
Au vrai, il semble que les exploitants de mines aient tenu
à justifier cette opinion de Blumenstein. Dans toutes les régions,
ils utilisaient la main-d'œuvre allemande. Le subdélégué d'Albi,
Valat, fait connaître en 1744 que les prétendues mines d'or de
la Gueprie sont exploitées par des Allemands 4. Dans le Gévau-
dan, le subdélégué de Mende rapporte que dans les mines de la
Société Meuron, les ouvriers allemands reçoivent les salaires
suivants : les chefs mineurs, 50 livres par mois, les sous-chefs
36 livres et les ouvriers 7 livres par semaine 5. Aux environs de
1. G. Martin, La Grande Industrie sous le règne de Louis XIV. Paris, 1899,
p. 69.
2. Arch. dép. de l'Hérault, C 2702.
3. Ibid., G 2709.
4. Ibid., C 2706.
5. Ibid., C 2708.
LES MINEURS ALLEMANDS AU XVIIIe SIÈCLE 93
Bahours, on occupe des mineurs allemands : les paysans se
mutinent un jour contre eux ; on les emprisonne et Machault
écrit à l'intendant d'éviter à l'égard des campagnards les forma-
lités habituelles de procédure l. A la veille de la Révolution,
Gensanne, directeur de mines dans les Cévennes, occupe les
frères Reilinsperguer, originaires de Wolsach près de Fursten-
berg 2.
Depuis le ministère de Colbert, on allait apprendre en Alle-
magne les procédés d'exploitation minière ; les ingénieurs qui
étaient envoyés à l'étranger pour y étudier avaient souvent mis-
sion de ramener des artisans et contremaîtres habiles. Clerville,
directeur de la Compagnie royale des mines et fonderies du Lan-
guedoc dépêcha un ingénieur en Allemagne étudier les systèmes
employés pour l'exploitation des gisements du Harz et de la
Saxe. A son retour, dans le Gévaudan, les Corbières, le Rouer-
gue, on fonda vingt ateliers avec le concours des ouvriers qu'il
avait ramenés. Au xvme siècle, les ingénieurs qui sollicitent
des concessions font savoir qu'ils sont au courant des méthodes
allemandes. André Fitel de laBrière et Joseph Flagues demandent
l'autorisation de mettre en œuvre les gisements de la région
de Caen ; ils exposent au ministre qu'ils ont étudié outre-Rhin 3.
En Bretagne, les Allemands tiennent les mines de Poul-
laouen Huelgoat. De 1741 à 1780, les directeurs successifs,
Bermann, Kônig, Brollmann emploient des Allemands, leurs
compatriotes. Parmi les artisans qu'ils occupent, on note Nicolas
Tubourg, de Saxe, Henri Wockere, natif de Olpen en Westphalie,
Samuel Siber, Saxon, de Crezin et d'Engleperche, originaires
•du Palatinat. Quelques-uns ont fait souche en Bretagne ;
Ritz, mineur du xvme siècle, a laissé des descendants au Huel-
goat 4.
Lorsque Cambry, à la fin du xvme siècle, parcourut le Finis-
tère, il visita les mines de Poullaouen. « Le directeur de la mine,
écrit-il, me reçut très honnêtement : c'est un Allemand, jeune
1. Arch. dép. de l'Hérault, C 2708.
2. Ibld., C 2704.
3. Arch. dép. <lu Calvados, C 2087.
4. Bourde de la Rogerie, Introduction à V Inventaire de la térit U de» Archive»
4u Finistère, p. ccin.
94 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
encore ; sa femme, un enfant au berceau, une flûte, une guitare,
Hubert Gessner et Zacharie lui font passer de doux moments
dans ces demeures solitaires » *. A Pont-Croix en Bretagne,
on avait pensé découvrir des mines de charbons et les échantil-
lons avaient été soumis au citoyen Shereber, inspecteur des
mines ; les mines de Saint-Georges, en Anjou, étaient exploitées,
en 1795, par une association de marchands de Tours qui occu-
paient surtout des ouvriers allemands 2.
II
La tournure d'esprit des peuples germaniques les a toujours
poussés à s'intéresser aux questions de mécanique ; leur réa-
lisme les a, de bonne heure, conduits à perfectionner les indus-
tries dont les masses peuvent tirer profit. Jadis, comme de nos
jours, ils s'appliquaient à produire à bon compte des objets
utiles et pratiques. Exploitants de mines, ils s'ingéniaient
à tirer des gisements les meilleurs profits, aussi obtenaient-ils
à un prix inférieur à celui que nous pouvions établir les matières
premières qu'ils transformaient. Les ministres français essayaient
de réagir contre nos habitudes routinières en envoyant en
Allemagne des ingénieurs chargés de procéder à des enquêtes ;
Bertin, par exemple, chargeait Jars et Duhamel d'étudier sur
place les méthodes allemandes, mais, malgré leurs connaissances
techniques et les enseignements qu'ils donnaient, nos mission-
naires ne parvenaient point, à leur retour, à vaincre les habitudes
françaises et à modifier les errements employés dans le pays.
Dans le domaine purement industriel, les Allemands appa-
raissent comme des initiateurs et notre apathie permit aux
mineurs, forgerons, fondeurs, métallurgistes d'outre-Rhin de
s'établir facilement en France, soit de propos délibéré soit
en mettant à profit les privilèges qu'on leur concédait.
1. Gambry, Voyage dans le Finistère.
2. Célestin Port, Dictionnaire historique du Maine-et-Loire. V° Mines.
MÉTALLURGISTES ALLEMANDS EN FRANCE 9Ï>
Les façons données au cuivre jaune par le battage ou la fonte
formaient l'industrie principale de Dinant qui tirait la matière
première des mines voisines ; de là, le nom de dinanderie donné
à cette branche de l'industrie métallurgique. Dès le xive siècle,
des Allemands pratiquaient l'art de façonner le cuivre ; on
rencontre des dinanderies à Dijon et à Lyon. Au siècle suivant,
on note dans cette ville la présence de Hennequin, de Hermann,
« batour de loton, allemand », disent les actes et de Remozque
de Cologne l.
Des fondeurs allemands travaillent à Paris au xvie siècle.
Benvenuto Cellini, dans ses Mémoires, parle de ceux qu'il
employait. Pierre Baulduc forge des lames d'épée. Des maîtres
de forges d'origine germanique sont fixés en France à la même
époque ; Louis de Lembourg et ses enfants étaient établis
à Saint-Martin d'Ablois ; mais les industriels n'avaient pas
grand avantage à s'installer dans notre pays, les produits
allemands étaient vendus en France à un prix inférieur à celui
des articles similaires fabriqués dans le royaume. Les objets
de fer manufacturés en Allemagne étaient peu soignés mais leur
bas prix attirait la clientèle. Sur ce point, Montchrestien est
formel ; au chapitre des manufactures de son Economie politique
il écrit : « Il se fait dans ce royaume un grand débit de faulx ;
l'Allemagne, tous les ans, emploie quasi tous ses marteaux
à nous en forger... les outils de nos artisans se vendent au
double... qu'il soit permis à nos artisans de faire aussi mal
que les étrangers et qu'après, ils soient comme eux exempts
de reproches, alors ils feront des faulx à aussi bon marché »2.
Malgré les doléances de Montchrestien contre les étrangers,
Henri IV et Sully se montrèrent hospitaliers à leur égard ;
sous leur administration on fit appel à des artisans saxons et
bavarois pour organiser des manufactures de fer blanc ; on
essaya ainsi de créer des élèves en France. Lorsqu'il pouvait
retenir un artisan habile, Sully n'y manquait pas ; il s'attacha
Jean Lintlaër, « ingénieur en pompes et fontaines artificielles,
demeurant sur le Pont-Neuf, Allemand de nation », en lui
1. N. Rondot, Les maîtres de nu'tier êîramjers à l.uun. Lyon, ÏHH'.i.
2. Montchrestien, Economie politique. Édition Funck-Hri-nhmo, |>. V2-55.
96 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
accordant ses lettres de naturalité et 3.000 livres par an l,
Le fils de Lintlaer devint contrôleur des bâtiments du roi.
Malgré les efforts de Sully, les Allemands, au xvne siècle,
nous fournissent les fils de laiton, les objets de plomb, de fer-
blanterie, les articles forgés dont nous avons besoin. Les Comptes
des Bâtiments du roi révèlent l'importance des achats effectués
en Allemagne. Or, Colbert, voyait d'un œil jaloux les Allemands
triompher des Français dans les industries métallurgiques ;
il souhaitait se passer de leur concours, surprendre leurs pro-
cédés de fabrication, leurs méthodes d'extraction de minerais,
de laminage de fer-blanc, de fusion et de fonte de métaux.
A l'Allemagne il demanda mineurs et artisans de la forge ;
pour parvenir à ses fins, il chargea les ambassadeurs et des
agents spéciaux de faire des offres aux artisans étrangers ;
l'abbé de Gravel s'employa à seconder les vues du ministre ;
sa tâche fut parfois difficile. En 1665, il envoyait un agent sur
les frontières de Bohême avec mission d'embaucher des ouvriers
lamineurs de fer-blanc mais celui-ci revint, affirmant l'impossi-
bilité de réussir dans son entreprise. Un autre envoyé de Colbert,
Chassan, avait éprouvé un échec auprès des Saxons. Nonobstant
les difficultés, les agents du ministre ne se découragèrent pas ;
leurs négociations aboutirent et en 1668, deux maîtres renommés,
l'un blanchisseur de fer et l'autre marteleur quittaient la Saxe
pour s'installer à Beaumont, à l'usine Dalliez. Vingt ans plus
tard on y attirait encore des ouvriers allemands et on leur accor-
dait des privilèges considérables 2. Un autre missionnaire de
Colbert, Coyau, fit venir un très habile fondeur de cuivre de
Stalbrich ; d'autres Allemands pénétrèrent encore dans le
royaume et furent envoyés dans le Languedoc. A Marseille,
un maître fondeur venu de Lubeck enseignait aux forçats des
galères à fabriquer de grosses ancres en employant des méthodes
supérieures à celles qu'ils pratiquaient.
Sous le ministère de Colbert il n'était bon ouvrier ou ingénieur
allemand qui ne reçut ses lettres de naturalité ; au mois de sep-
1. F. de Mallevoue, Actes de Sully passés au nom du roi de 1600 à 1610. Paris,
1911.
2. De Boulainvilliers, Etat de la France, éd. de 1752, t. VI, p. 247.
MÉTALLURGISTES AU XVIIe SIÈCLE 97
tembre 1677, Henri Lischtkt, natif de Weimar, maître chau-
dronnier ordinaire des machines des eaux de Versailles établi
depuis douze ans dans cette ville, se vit accorder la qualité de
Français *.
Jean-Jacques Keller, de Zurich, exerçait les fonctions de
commissaire de l'artillerie. Il appela près de lui son frère Jean
Balthazar qui devint inspecteur de la fonderie de l'arsenal
et présida à la fonte de la plus grande partie des statues de
bronze qui ornent les jardins du palais de Versailles. En 1692,
il fondit la statue équestre de Louis XIV qui fut érigée sept ans
plus tard sur la place Vendôme. Balthazar Keller mourut à
Paris en 1702 après avoir exercé les fonctions de commissaire
général des fontes de l'artillerie de France 2.
Des Allemands fondent des cloches pour nos églises ou les
mettent en place. Christian Hartman, en 1686, place la grosse
cloche de Notre-Dame de Paris 3.
Par ses méthodes Colbert avait réussi à galvaniser le commerce
et l'industrie ; malheureusement l'œuvre du grand ministre
était factice et portait en elle-même des germes de mort ; on
ne modifie point en quelques lustres le tempérament d'un peuple
et on ne crée pas chez lui des habitudes et des goûts nouveaux.
Après la mort de Colbert, l'exagération de ses théories, leur appli-
cation mal conduite, la centralisation à Paris de toutes les
affaires relatives au négoce, la multiplicité des règlements, la
domination du Conseil du Commerce et des commissions
spéciales furent autant d'entraves apportées à l'esprit d'entre-
prise. La révocation de l'Édit de Nantes, les misères qui assail-
lirent le royaume à la fin du règne de Louis XIV, le dénuement.
des populations accablées sous le poids des impôts déterminèrent
u m crise qui dura près d'un quart de siècle.
Profil anl. de ralTaiblisscnient du pays, les étrangers revinrent
en foule : Hollandais et Allemands accaparèrent le négttti ;
ils sollicitèrent des Ici 1res et nniuralilé qu'on leur dfafftsa
1. Archiius de i \rt français. Abécédairr, I. 1 1 F, j>. 19-22.
'1. HtVlU <lrs doriiments historiques. 187.">. Archives de V Art français. .\hrn,lau<.
1. III. i». 19-22.
.:. II. Mmont, La urossc cloche de. Notre-Dame de Paris m Itisr,, ,|;ms lUilîrtin
de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile de I-rarnc, année l'.U."i, p,
98 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
sans compter ; ils obtinrent la permission de fonder des manu-
factures et d'exploiter notre sous-sol. Dès les débuts du xvme siè-
cle, la France était redevenue tributaire de l'Allemagne pour
tous les articles de fer, de laiton ou d'acier. Lames d'épées,
poêles, poêlons, fils de laiton, aiguilles, alênes, batteries de fer
nous venaient d'outre-Rhin. Sous le couvert des privilèges
accordés aux villes impériales, les facteurs allemands, les Ham-
bourgeois notamment, s'établissaient dans nos ports et écou-
laient les produits fabriqués dans leur pays. Vers 1725, cepen-
dant, quelques Français plus entreprenants, réagirent contre
la concurrence étrangère ; ils fondèrent des usines de fer-blanc
dans le Berry et aux environs de Paris. Toutefois, ce ne fut
guère avant 1740 que commença cette éclosion extraordinaire
de grands établissements métallurgiques qui couvrirent le terri-
toire et dont quelques-uns subsistent encore. L'ère du protec-
tionnisme à outrance était close, les idées des physiocrates sur la
liberté du commerce se répandaient dans les sphères gouver-
nementales, les manufacturiers devenaient quasiment libres
de se conduire à leur guise. Les théories des philosophes procla-
mant la liberté du travail et l'internationalisme industriel,
leur intérêt soutenu pour les découvertes nouvelles et leurs
applications pratiques ruinaient les conceptions des successeurs
de Colbert et remuaient la population du royaume. Chacun
voulait s'adonner à l'industrie et au commerce. Ce mouvement
des idées provoqua en France un essor remarquable de l'acti-
vité économique ; vers 1760, la prospérité du pays était en plein
développement. Aux forains on fit des appels répétés ; on leur
demanda des ingénieurs, des contremaîtres et des ouvriers.
On a déjà parlé des mineurs et des métallurgistes allemands
qui, au xvne siècle, s'étaient infiltrés dans le royaume ; il est
facile de citer de nouveaux exemples de cette intrusion germa-
nique sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI.
Dans les fonderies on employait des ouvriers allemands ;
aux environs de Nevers, en 1763, une fabrique de fer-blanc
importante comportait deux bâtiments destinés à loger les ou-
vriers originaires, pour la majeure partie, de la Saxe et du
Palatinat. Lorsque Buffon établit à Montbard forges et hauts-
MAIN-D'ŒUVRE ALLEMANDE AU XVIIIe SIÈCLE 99
fourneaux, il organisa son usine modèle en se servant des rensei-
gnements que Jars et Duhamel lui avaient donnés sur les mé-
thodes allemandes 1.
De tous côtés surgissaient des établissements métallurgiques :
dans la majeure partie d'entre eux était utilisée la main-d'œuvre
étrangère. Le subdélégué de Thiers annonçait avec joie à son
intendant que le sieur Merklein, machiniste, avait effectué
deux expériences de conversion de fer en acier qui avaient par-
faitement réussi 2. Le Conseil d'État accordait aux manufac-
turiers étrangers des privilèges et des faveurs. Un arrêt du
Conseil, en date du 28 décembre 1758, octroyait un privilège
à la manufacture de coutellerie et de quincaillerie de Talende.
La demoiselle Mather qui l'avait fondée était réputée regnicole
ainsi que les ouvriers étrangers qui y avaient travaillé pendant
trois ans. Merklein 3, qui effectuait à Thiers des expériences
de conversion de fer en acier était ingénieur de cette usine et en
avait la direction technique.
De toutes parts la main d'œuvre d'outre-Rhin nous débordait
au xvme siècle. Au moment même où la Prusse se fortifiant,
essayait de réaliser l'hégémonie de cette multitude d'États
qui constituaient l'Allemagne et à l'instant où les intellectuels
allemands s'efforçaient, à Paris et en province, de faire pénétrer
dans la société les conceptions germaniques et d'infuser à nos
esprits latins quelques-unes de leurs idées, la royauté et la
société françaises, préoccupées seulement de bien-être et de luxe,
minées par les doctrines humanitaires et cosmopolites des phi-
losophes ne prenaient pas garde à cette sorte de conquête
pacifique de l'Allemagne qui s'opérait déjà méthodiquement
au fur et à mesure que se développait la puissance prussienne.
Ce ne fut pas seulement aux travaux de grosse métallurgie
que se livrèrent jadis les Allemands ; ils s'adonnèrent également
au travail des armures et de la fine mécanique. En parcourant
les dictionnaires consacrés aux artistes étrangers qui s'établirent
en France, on relèverait la trace de familles allemandes qui se
1. G, Martin, Buffon mattre de força. Le Puy, 1898.
2. Arch. d('-|). du I'iiy-cIc-Duiim . ( > .ri ( m.
3. II. ni., C 117.
100 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
vouèrent au commerce des armes et des armures. Au xve siècle,
les armures d'Italie jouissaient d'une renommée établie : gen-
tilshommes et chevaliers n'en voulaient porter d'autres. Les
armes allemandes n'avaient pas toujours semblable réputation ;
elles étaient parfois de qualité inférieure mais avaient le mérite
du bon marché. Les mauvais haubergiers armuriers essayaient
d'écouler ces armes pour armes de Lombardie ; ils y faisaient
apposer de fausses marques et vendaient des mailles de fer
pour des mailles d'acier K Au xvie siècle, ces pratiques avaient
quelque peu disparu à la suite des protestations des honnêtes
armuriers. A Tours, où l'on rencontre de nombreuses maisons
d'armurerie étrangère, chaque pays était représenté et il est
probable que l'Allemand, Jean Clésis, dit Turquin, armurier du
roi, ne vendait que des épées ou pistolets allemands de bonne
fabrication.
A Lyon, où la colonie germanique était fort développée,
s'étaient établis quelques armuriers allemands ; au xvne siècle,
un protestant, Ulrich Starch, avait créé un atelier réputé pour
la bonté de ses armes. Il était probablement apparenté aux
Starch, de Troyes, qui constituèrent une véritable dynastie
d'armuriers. Hans Starch, armurier du duc de Nevers, avait,
en 1550, fondé l'atelier de Troyes; son fils Hans II lui succéda
et au xviie siècle, Hans III, qui mourut en 1650, passait pour
l'un des plus experts armuriers heaumiers qu'il y eut alors dans
le pays 2. ^
La France donna l'hospitalité à des horlogers d'origine alle-
mande. Blois et Angers en reçurent quelques-uns ; à ces horlo-
gers, véritables artistes, qu'il soit permis de rattacher les orfèvres.
C'est à Paris et à Lyon que l'on rencontre surtout des Allemands
occupés à ciseler l'or et l'argent ; nombreux aux xive et xve siècles
ils disparurent peu à peu ; le goût français s'accommodait mal
de leur production trop lourde de formes. Ysabeau de Bavière
avait attiré en France quelques artistes de son pays ; pour elle,
Jean Clerbourg travailla à Paris de 1396 à 1401 ; il fut ensuite
1. P. Champion, François Villon, sa vie et son temps. Paris, t. Ier, p. 96.
2. Natalis Rondot, Les Protestants à Lyon après la signature de l'Edit de Nantes,
dans Revue du Lyonnais, année 1900.
ORFÈVRES ALLEMANDS 101
maître de la monnaie à Lyon. Pour cette souveraine, un orfèvre
allemand cisela sans doute le petit cheval d'or qu'elle offrit à
Charles VI en 1404 et qu'à la suite de difficultés financières,
Charles VI dut donner en gage à son beau-frère Louis de Bavière.
Ce précieux bijou est encore conservé dans le trésor de l'église
d'Altoeting, en Bavière.
Bien que le nombre des orfèvres allemands ait été en dimi-
nuant au fur et à mesure que les temps avançaient, on en ren-
contre encore cependant quelques-uns en France. Au xvne siècle,
Jean-André Puffe, compagnon orfèvre natif de Marbourg,
fixé dans le royaume depuis quelques années, recevait des
lettres de naturalité x et Henri Kniepman, originaire de Cologne,
travaillait à Besançon où il épousait Marguerite Champion 2.
1. Arch. Nat., Z 6007, f° 87 (ancienne cote).
2. Abbé P. Brune, Dictionnaire des artistes et ouvriers d'art de la Franche-Comté.
Paris, 1914.
CHAPITRE VI
LES ALLEMANDS A PARIS DEPUIS LE XVIIe SIÈCLE.
I. Quelques Allemands à la Cour sous Henri IV et Louis XIII. — II. Raisons
politiques qui favorisent l'infiltration allemande en France aux xvne et xvme siè-
cles. — III. Colonie allemande de Paris ; la confrérie allemande de Saint-Ger-
main-des-Prés ; Allemands tailleurs d'habits, ébénistes, orfèvres, espions, aven-
turiers, filles de joie. — IV. Intellectuels allemands ; médecins, savants, artistes ;
G. Wille et son entourage. — V. Les hommes de lettres allemands à Paris ; les
musiciens, les luthiers.
Jusqu'à l'avènement de Henri IV au trône, maintes circons-
tances avaient déjà favorisé l'infiltration des Allemands en
France. Les souverains, depuis Louis XI, avaient manifesté
leur bienveillance aux Hanséates, aux imprimeurs, aux ban-
quiers et aux mineurs allemands. François Ier s'était attaché
à recueillir des amitiés parmi les petits princes luthériens d'Alle-
magne ; il les stipendiait volontiers ; Henri II avait agi comme
son père. Charles IX s'était allié à une princesse de la maison
d'Autriche, Elisabeth ; des compatriotes avaient été introduits
par elle à la cour de France. AlTriandées par la grandeur des
profits qu'elles pouvaient réaliser dans un pays dont les finances
étaient obérées, les maisons de banques allemandes avaient
fondé de nombreuses succursales à Lyon et à Paris ; les fonds
qu'elles versaient au trésor royal étaient même destinés très
souvent à rémunérer reîtres et lansquenets dont Henri III et
ses prédécesseurs utilisaient les services. Néanmoins, si l'on
excepte les groupements d'imprimeurs et de banquiers de Paris
et de Lyon, il n'existe pas en France au xvie siècle d'impor-
LES BERINGHEN 103
tantes colonies allemandes très stables. Les habitants d'outre-
Rhin étaient encore disséminés ; beaucoup voyageaient el ne se
fixaient pas ; les uns venaient comme étudiants, d'autres comme
visiteurs. Les Allemands ne s'implantaient pas dans une province
déterminée ; ils ne cherchaient pas à acquérir des biens immo-
biliers. Les reîtres et lansquenets qui étaient demeurés dans le
pays ne s'étaient pas groupés, ils s'étaient répandus de ci de là,
au hasard des circonstances.
Quelques-uns étaient entrés dans le pays sans avoir l'idée
de s'y établir puis ayant réussi à se faufiler à la cour
ou ayant vu prospérer les entreprises qu'ils avaient fondées,
ils s'attachèrent définitivement à la France. Les Schônberg
par exemple furent de ce nombre. Sous le règne de Henri IV,
quelques autres agirent comme eux ; ayant acquis une
situation, ils s'établirent dans le royaume. C'est ainsi que le
pays accueillit les Beringhen, Boistel et de Strada. Tous ont
fait souche en France.
Pierre de Beringhen, protestant originaire du duché de
Clèves est cité dans les documents dès l'année 1598. D'où venait-
il exactement quand il se glissa dans l'entourage du roi et qui
était-il ? Sur ces points plane un mystère. D'après Tallemant
des Réaux, les Beringhen auraient été de fort basse extraction
et Pierre n'aurait été tout d'abord qu'un valet chargé de l'en-
tretien des armes de M. de Sainte-Marie qui aurait t'ait don au
roi de ce précieux domestique. D'après d'autres annalistes,
les Beringhen seraient de noble maison. Quoi qu'il en soit,
Pierre de Beringhen sut s'avancer rapidement dans les bonnes
grâces du roi; successivement valet de chambre de Henri IV,
grand bailli et gouverneur d'Étaples, cet Allemand devint con-
trôleur général des mines et minières de France. De sa femme,
la demoiselle Bruneau, sœur aînée de Madame des Loges,
naquit en 1603 un fils que l'on baptisa au temple de Charenton.
Il hérita plus tard de toutes les charges de son père, mais sur
Tordre de Richelieu, il fut exilé. Après la mort du cardinal,
il revint en France, fut fait chevalier de Tordre du Saint-Esprit.
Les Beringhen, que les documents du xvne siècle dénomment
souvent les Bellingant, firent souche dans le royaume et sons
104 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Louis XIV, ils jouèrent un rôle important à la cour. Henri
de Beringbea qui décéda en 1692, avait été premier écuyer du roi.
Au nom de Madame des Loges, il faut associer celui de Boistel.
Ce résident des princes d'Anhalt s'était épris de cette dame au
point que pour ne pas l'abandonner il la suivit en Limousin
lorsqu'elle s'y retira ; il liquida ensuite tous les biens qu'il pos-
sédait en Allemagne, se fixa à Paris où, sur le tard, « il espousa
une jeune fdle bien faicte qui estoit sa voisine de campagne » et
dont il eut plusieurs enfants, ce qui, ajoute Tallemant, n'amé-
liora pas sa santé déjà fort précaire K
Henri IV et Sully ayant reconnu l'impossibilité de recruter
parmi leurs sujets des ingénieurs et des capitalistes capables
de mener à bien les longs travaux qu'exigent les dessèchements
de marais firent appel aux spécialistes hollandais pour les entre-
prises de dessication qu'ils désiraient réaliser. A partir de l'an-
née 1599, date de l'ordonnance relative au dessèchement des
marais, la France se peuple de Néerlandais, fondateurs de
sociétés, ingénieurs, ouvriers qui s'occupent de ce travail.
Au milieu d'eux se rencontrent des Allemands. L'un d'eux,
Octavius de Strada, ayant acquis par ses travaux antérieure
une véritable réputation, fit partie en 1607 de la grande Société
fondée par Humfroy Bradley pour l'assèchement des terres
basses du royaume. Il prit une part active à toutes les entre-
prises de dessèchement des marais de l'Ouest et du Midi mais
s'occupa seul du dessèchement du lac de Sarlièves, en Auvergne»
Il y créa de vastes propriétés et en récompense de ses services,
il fut naturalisé en 1639. A sa mort, ses deux enfants mineurs,
Jean et Octavius recueillirent librement les fruits des travaux
de leur père 2.
II
Il est sans doute intéressant de noter l'origine allemande
de ces quelques familles ayant marqué dans l'histoire de notre
1. Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. citée, t. III, p. 53.
2. Comte de Dienne, Histoire du dessèchement des marais en France avant 1789,
Paris, 1891.
HENRI IV ET LES PEUPLES DU NORD 105
pays mais, au point de vue démographique, elles ne peuvent
rivaliser d'importance avec les milliers d'Allemands qui s'éta-
blirent en France depuis le début du xvne siècle jusqu'à la fin
du règne de Louis XVI. Mobiles politiques, motifs économiques,
raisons religieuses conduisirent nombre de familles germaniques
à se fixer dans le royaume.
La signature de l'Édit de Nantes accordait aux réformés
la liberté de pratiquer leur culte ; aussi, après l'année 1598,
les protestants étrangers passèrent d'autant plus volontiers
en France qu'ils y trouvaient la possibilité d'exercer leur reli-
gion et de faire fortune en se livrant au négoce. Ils se sentaient
soutenus par Henri IV et son ministre Sully. Henri IV avait
à l'égard des peuples et des princes protestants qui l'avaient
soutenu dans sa lutte contre les Ligueurs une véritable recon-
naissance ; de plus, d'accord avec son ministre, il souhaitait
rendre au pays la prospérité que lui avaient fait perdre les
guerres de religion. Tous deux avaient repris le programme
économique de Louis XI et par les moyens les plus variés,
ils s'efforçaient d'instruire les marchands français et les manu-
facturiers. Pour atteindre leur but, ils ne craignirent pas de
faire un pressant appel aux étrangers, réformés ou catholiques.
Par tempérament et par politique, roi et ministre n'avaient
que de médiocres sympathies pour les forains originaires du
Midi de l'Europe ; ils jugeaient les Italiens dangereux et intri-
gants ; quant aux Espagnols, ils n'ignoraient pas combien était
vive la haine que la majeure partie du peuple français avait
pour eux. Ils avaient d'excellentes raisons pour ne pas encombrer
le royaume de ces forains contre lesquels ils avaient eu des
luttes ardentes à soutenir. Italiens et Espagnols étaient aux
yeux de Henri IV et de Sully les suppôts de la Papauté. Toutefois
comme ils jugeaient nécessaire d'introduire dans le royaume des
éléments de population capables de réagir contre le marasme
dans lequel était plongé le pays, ils se tournèrent vers les peuples
protestants du Nord et de l'Est, confirmant leurs privi-
lèges anciens et leur accordnnl des prérogatives nouvelles.
Profitant des dispositions favorables que leur marquaient 1rs
gouvernants français, assurés de jouir de la liberté religieuse,
106 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Hollandais et Allemands, dès l'orée du xvne siècle, fondèrent
dans les centres commerciaux des groupements importants.
En moins d'un demi-siècle, les Hollandais acquirent dans le
négoce des situations prépondérantes ; les colonies allemandes
furent plus lentes à se développer ; c'est seulement à la fin
du grand siècle et sous le règne de Louis XV qu'elles atteignirent
leur apogée. Elles ne furent jamais en butte à ces mouvements
hostiles qui assaillirent les Espagnols et les Italiens à la fin
•du xvie siècle et les Hollandais à la fin du règne de Louis XIII.
Moins envahissants que d'autres forains, les Allemands
n'ont généralement pas été mal accueillis par la population
française. Cette absence d'animosité s'explique aisément. Aux
époques troublées de notre histoire, aux temps où le gouverne-
ment s'est montré faible, les étrangers ont parfois cherché à
nous déborder au point de vue politique, certains partis ont
même fait appel à leur concours pour soutenir leurs revendica-
tions et ces étrangers ont menacé l'intégrité du territoire national.
Ces faits se sont produits notamment à la fin du règne de Henri III
«t lors de la Fronde. A ces diverses époques l'esprit national
s'est toujours réveillé chez le peuple français ; il s'est produit
-de véritables poussées de nationalisme et la haine pour les étran-
gers s'est traduite de maintes manières. La multiplicité des
attaques dirigées contre les forains par les libellistes, les écono-
mistes et les poètes eux-mêmes donne la mesure de l'antipathie
que l'on nourrissait contre les étrangers dont le but était de
nuire à la nation française. Si l'on examine la suite des événe-
ments historiques et si l'on parcourt l'ensemble de cette litté-
rature de combat, on remarque que les Allemands établis en
France n'ont pas eu à souffrir de ces accès passagers de xéno-
phobie. J'en veux trouver une raison dans ce fait qu'à dater du
règne de Henri II, les Allemands ont très peu compté pour nous
au point de vue politique, n'ayant jamais tenté d'intervenir
dans nos affaires intérieures. Est-il besoin de rappeler que
même si le peuple allemand avait essayé de contrecarrer notre
politique, il n'aurait pu y réussir. En face de notre royaume
solidement constitué se dressait l'Empire formé par une pous-
sière d'États, de principautés, d'évêchés ou de villes libres
LA FRANCE ET l' ALLEMAGNE AU XVIIe SIÈCLE 107
dont les chefs étaient divisés par des querelles religieuses et ne
parvenaient à s'entendre que pour mieux lutter contre
l'empereur en réclamant à la France son appui pour soutenir
leurs revendications politiques et leurs libertés religieuses.
Une seule fois, au xvne siècle, on aurait pu craindre qu'en
face de notre puissance se dressât un empire hégémonique ;
ce fut lorsque Wallenstein manifesta l'intention d'établir en
Allemagne un prince unique ; mais Richelieu veillait ; à la diète
de Ratisbonne, il réunit tous les princes allemands en une oppo-
sition commune aux prétentions absolutistes de Ferdinand II
et parvint à faire renvoyer Wallenstein.
Quelques années plus tard les traités de Westphalie mettaient
pour longtemps fin aux tentatives de restauration du pouvoir
monarchique en Allemagne, annulaient l'autorité de l'empereur
et légalisaient l'intervention de l'étranger dans l'empire. Cor-
neille pouvait s'écrier fièrement :
Un grand destin commence ; un grand destin s'achève
L'empire est prêt à choir et la France s'élève.
A dater de l'année 1648, le Saint Empire traîna une misé-
rable agonie et la France pour les motifs les plus divers intervint
dans les affaires des princes qu'elle tint pour ainsi dire en tutelle.
Ranke lui-même, reconnaît que dans les cercles de l'Ouest de
l'empire, Louis XIV posséda une influence égale sinon supé-
rieure à celle de l'empereur.
N'ayant pas la possibilité d'intervenir dans les questions
politiques françaises les Allemands qui se fixèrent en France
ne furent jamais regardés d'un œil jaloux ; on les tenait, si Ton
peut dire, pour quantité négligeable et l'on affectait même à leur
égard un certain dédain. Peut-être même, généralisait-on hâti-
vement en confondant dans le même mépris Allemands et reîtres
avec lesquels le populaire avait eu de fréquents et fâcheux
contacts. A ces étrangers on reprochait leur intempérance,
leur lourdeur, leur âpreté au gain ; volontiers on répétait :
Le grossier Allemand, yvrongne, schismatique,
Insolent, qucrtllcux, cruel et fainéant
Sluplde et Ignorant qui fait du politique
Et se vend comme un serf pour ung bien peu d'argent.
108 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
Nonobstant ces remarques peu obligeantes à leur égard,
le Français accueillait libéralement les Allemands ; le gouverne-
ment reconnaissait leurs qualités natives d'application et de
persévérance ; comme il ne craignait en rien leur infiltration
dans le royaume, il s'appliquait à les attirer et à les retenir.
Henri IV et Sully leur avaient concédé des privilèges ; au temps
de Louis XIII, Richelieu en admit dans la famille française
et advenant le règne de Louis XIV, les habitants de toutes les
régions de l'Allemagne s'insinuèrent librement dans le royaume.
En 1658 les électeurs de Trêves, de Mayence, de Cologne,
Févêque de Munster, le comte Palatin du Rhin, le duc de Bavière,
le landgrave de Hesse-Cassel, les ducs de Brunswick et de Luxem-
bourg fondent la ligue du Rhin et se séparent nettement de
l'empereur pour se mettre sous la complète dépendance du roi
de France. Comme on l'a justement écrit la frontière du Rhin
est moralement dépassée. De nouveau les régions celto-germa-
niques de l'Ouest et du Sud gravitent autour de la vieille Gaule.
Les habitants de ces contrées se sentent chez eux en France ;
ils n'hésitent pas à se fixer dans un pays qui protège le leur ;
ils suivent en cela l'exemple de leurs princes qui résident à
Paris aussi fréquemment que dans leur propre capitale. D'autres
circonstances amènent également en France des Allemands ;
beaucoup, en quête de situations ou de pensions, accompagnent
les princesses qui s'allient à des Français. Louis XIV favorise
ces unions qui resserrent les liens d'amitié contractés entre son
gouvernement et les princes souverains ; aussi, durant plus
d'un quart de siècle, la cour de France se peuple-t-elle d'Alle-
mands de tous rangs et qualités : princesses, dames d'honneur,
simples suivantes, pages ou hobereaux.
Les princesses bavaroises, Anne de Bavière femme de Henri-
Jules de Bourbon et Charlotte Elisabeth, connue sous le nom
de la Palatine, femme de Monsieur duc d'Orléans et mère du
Régent sont suivies de plusieurs Allemands. Gaspard Sigismond
de Wendt, natif d'Eckmuhl en Westphalie était page de la
Palatine ; avant d'arriver à Paris, il abjura le protestantisme
à Chalons. En même temps que lui entraient en France plusieurs
personnes qui devaient composer la maison de la princesse.
LA PALATINE 109
Tandis que ces nouveaux arrivants s'accoutumaient aisément
aux mœurs de notre pays et perdaient peu à peu l'habitude. de
parler leur langue, la Palatine ne se plia jamais aux usages
français ; elle demeura toujours attachée à son pays natal.
Elle s'entretenait en son idiome maternel avec la Bessola, sa
fille de chambre et avec Mademoiselle de Rathsamhausen sa
dame d'honneur qui, comme sa maîtresse, était demeurée
foncièrement allemande. La Palatine s'entourait de compatriotes;
elle voyait Mesdames de Bernkoldt et de Reding, elle entrete-
nait des relations avec la comtesse de Wurtemberg encore que
celle-ci menât « une drôle de vie ». N'avait-elle pas eu pour
amant un Saxon du nom de Minquitz qui, lui ayant dérobé
ses bijoux, l'avait en retour gratifiée du mal français.
Dans cette cour où se coudoyaient Français et Allemands,
la Palatine demeura attachée à son pays ; elle étonnait ses
amis et écrivait : « Je regarde comme un grand éloge qu'on dise
de moi que j'ai le cœur allemand et que j'aime ma patrie. »
Aussi bien, cette princesse aurait-elle voulu inculquer au Régent
quelques notions de sa langue natale mais malgré ses efforts,
elle n'y réussit pas. Après quatre ans d'études peu suivies,
à dire vrai, le Régent ne parvenait pas à prononcer correcte-
ment le proverbe : « Art làsst nich von Art ». Formulant un
jugement d'une portée trop générale peut-être, Ranke a écrit
à propos des lettres de la Palatine : « L'incompatibilité d'alors
entre la nature des Allemands et des Français ne s'est exprimée
nulle part d'une façon plus caractéristique que dans les lettres
de la Palatine. » Les faits prouvent que si cette princesse et
quelques personnes de son entourage ne se plièrent jamais aux
habitudes françaises, elles constituèrent des exceptions. Les
Allemands fixés à Paris ou en province abandonnèrent très
rapidement les usages de leur pays pour adopter les mœurs du
nôtre et s' assimilèrent promptement à la population.
Sous le règne de Louis XIV les unions entre Français et Alle-
mands sont fréquentes. Le roi encourage les mariages princiers
qui servent sa politique. Au Dauphin Louis, il donne pour épouse,
en 1680, Marie-Anne-Chrisline-Yiclnire de Bavière, Elisabeth
de Montmorency-Bouteville s'allie en secondes noces à un prince
110 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
de Mecklembourg ; le prince de Tarente épouse la princesse
de Hesse-Cassel, celle-là même qui, son mari étant mort, se
retira à Vitré. Le prince de Wurtemberg reçoit de riches cadeaux
à l'occasion de son mariage avec mademoiselle de Ligny.
Louis XIV continue, après le décès de son époux, à lui verser
la pension qu'il servait au prince. Ces seigneurs allemands
qui résidaient le, plus souvent à Versailles, la Dauphine, la Pala-
tine amenaient en France dames d'atour, confidentes, amis
et confesseurs. Marie-Anne de Bavière était entendue en confes-
sion par les Jésuites Jacques Adelmann et le Père Wolff ; en 1684,
elle avait une fille d'honneur « jolie comme le jour et faite comme
une nymphe » ; Sophie-Marie de Bavière, comtesse de Leves-
tein-Rochefort était son nom ; introduite à la cour par
son oncle le cardinal de Furstemberg elle avait été nommée
dame d'honneur de la Dauphine à la place de Mademoiselle
de Laval. La comtesse de Levestein devint la seconde marquise
de D ange au 1.
La mère de l'ambassadeur de la Chétardie avait elle aussi
épousé en secondes noces un gentilhomme bavarois ; après
avoir occupé par ses désordres les cours de Versailles et de
Munich, il se fit sauter la cervelle quand il ne lui resta plus rien.
Durant plus d'un demi-siècle la capitale de la Bavière n'est plus
Munich mais Versailles 2. Louis XIV fascine littéralement les
princes allemands ; ils lui font cortège et honorent le souverain
qui leur verse des subsides généreux.
Outre les représentants des familles de Hesse-Cassel, de
Hanovre, de Furstemberg, de Salm-Salm qui avaient leurs
entrées à Versailles, il existait à Paris une société allemande.
Primi était en relations avec la comtesse d'Ensestein, il fréquen-
tait le baron de Rosworn, « le plus bel homme de son temps
et qu'on n'appelait à Paris que « le bel Allemand » 3.
Aux princes souverains d'Allemagne, aux hobereaux que
l'empire déversait sur la France, Louis XIV ne ménageait
pas ses faveurs. Il accédait à leurs demandes de pensions et de
1. Saint-Simon, Mémoires, tome III, p. 285.
2. Id., Ibid., t. XV, p. 317.
3. Primi Visconti, Souvenirs. Paris, 1909, p. 18 passim 193 et 196.
LES ALLEMANDS ET LA GUYANE FRANÇAISE 111
bénéfices ; il leur accordait des terres dans ses colonies. J'ignore
à la suite de quels événements précis, les électeurs de Bavière
et de Mayence furent amenés à postuler l'octroi d'une portion
de la côte de la Guyane française ; mais, chose certaine, au cours
des années 1664 et 1665, une correspondance active fut échangée
entre eux et la cour de France au sujet de cette cession. Les deux
électeurs demandaient à Louis XIV de concéder à chacun
d'eux un degré de territoire à prendre sur la côte de Guyane
et par une convention de 1665 satisfaction leur fut donnée.
Voici d'ailleurs l'analyse du pacte conclu entre la France et les
princes allemands. Le roi accorde à chaque électeur un degré
de territoire à titre de fief et le gouverneur qu'ils institueront
en vertu de leur droit régalien sera soumis au gouverneur
français ; ils ne pourront faire construire forts ou forteresses.
Les deux électeurs se chargeront du peuplement de leur colonie
dont les habitants auront la pleine liberté de se livrer au com-
merce ; toutefois, et Colbert se retrouve ici, les embarquements
et débarquements de marchandises devront se faire dans les
ports de France et les transports seront effectués sur les navires
de la Compagnie des Indes Occidentales à laquelle était assuré
le monopole des transports l.
Cette convention eut-elle des suites et les Allemands peu-
plèrent-ils une partie de la Guyane française ? Sur ce point les
documents sont muets et il est impossible d'affirmer qu'il y ait
eu une émigration allemande en Guyane. Le fait n'a rien d'im-
possible car, dans les mêmes temps, on rencontre quelques
Germains parmi les employés de la Compagnie des Indes ;
un sieur Carolof, notamment, était acheteur de nègres aux
colonies.
Il n'était procédé par lequel Louis XIV ne s'efforçât de main-
tenir sous son influence les princes allemands ; en 1671, au
moment où il préparait la guerre contre la Hollande, il gorgea
d'or ces souverains qui « n'avaient pas de quoi faire bouillir
leur marmite » et se scandalisaient d'être réduits à la portion
congrue, eux, les fils de tant d'ancêtres, pendant que les bour-
1. Arch. des AIT. étrangères, Papiers de Loménie, çeglstrc 2135.
112 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
geois de Hollande s'engraissaient. Plus généreux que le Grand
Pensionnaire, Louis XIV gagna à sa cause ducs, électeurs et
princes-évèques.
Non content de soudoyer ces souverains, Louis XIV et ses
ministres attirent aussi des Allemands dans le royaume. Terwel,
Allemand naturalisé en 1661, fut snccessivement commissaire
général des troupes de Champagne et intendant des places de
la Meuse. Avant même d'avoir reçu la qualité de Français,
il avait été chargé, en 1657, sur la proposition de Fabert et de
Le Tellier, d'effectuer une enqnête dans le but de réviser la taille
dans les élections situées sur les frontières de Champagne \
Par la protection qu'il accorde aux Hanséates, Louis XIV
contribue à les attirer dans nos ports ; Louvois ne dédaigne
pas les services que peuvent rendre les officiers et les soldats
d'outre-Rhin ; quant à Colbert, il introduit dans les mines,
les industries métallurgiques de nombreux sujets ressortissant
des princes que son maître stipendiait. Colbert prend partout
des hommes compétents, peu lui importe leur nationalité.
S'il veut construire des navires il s'adresse aux Hollandais
ou aux Allemands ; désire-t-il acquérir des manuscrits orientaux,
il emploie indifféremment des Français ou un Saxon comme
Wansleben. Jean-Michel Wansleben avait voyagé en Ethiopie
et en Abyssinie pour le compte du duc de Saxe Gotha lorsqu'il
vint à Paris en 1670. Présenté à Colbert, le ministre l'envoya
en Orient et au cours d'un voyage de quatre ans, il adressa
au roi 334 manuscrits arabes, turcs et persans. Rappelé en
France, il mena une vie fort irrégulière et décéda à Bouvron
près Fontainebleau 2.
Aux noms de Louis XIV et de Colbert principalement, est
associée la fondation d'une politique nouvelle avec le Brande-
bourg et l'État prussien. Dans une étude générale, si courte
soit-elle sur les causes qui ont contribué à l'infiltration des
Allemands en France, on ne saurait omettre de la rappeler.
1. Terwell, Notices cadastrales sur les villages de la frontière de Champagne en
1657, publiées par Jadart et Laurent. Paris, 1902.
2. Jean-Michel Wansleben, né en Saxe, à Erford, en 1635. — Voir H. Omont,
Missions archéologiques françaises en Orient aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris,
1902.
COLBERT ET LA PRUSSE 113
Depuis le traité de Westphalie les États prussiens nous ven-
daient des blés, des seigles, du bétail et des chevaux propres
au service de l'artillerie. Des cuirs, des peaux, des laines, du
chanvre, du lin, des bois de construction, de l'ambre nous parve-
naient des ports de la Baltique par l'intermédiaire des armateurs
hollandais. Comme ils accaparaient la presque totalité du trafic
entre la France et les pays du Nord, les sujets brandebourgeois
et prussiens qui, depuis 1563, avaient obtenu la permission
<i de trafiquer en France, d'y faire résidence et d'y acquérir
même des biens, en prenant lettres de naturalité » avaient peu
à peu déserté nos villes. Tout au plus, en 1640 et 1650, deux
sujets brandebourgeois, Henry de Naiiables et Armand Fette-
mend s'étaient-ils rendu acquéreurs de propriétés dans le
royaume x.
Colbert résolut d'enlever aux Hollandais ce commerce entre
la France et la Baltique ; il fut secondé dans ses vues par le
Grand Électeur qui entreprenait en Prusse une œuvre semblable
à celle que le ministre poursuivait en France ; tous deux avaient
intérêt à secouer la tyrannie commerciale des Hollandais.
Frédéric-Guillaume, reprenant la politique que les Hohen-
zollern avaient traditionnellement suivie depuis l'époque de
François Ier, chercha à se rapprocher de la France. Après des
pourparlers qui se prolongèrent quelques années, un traite
d'alliance défensive était conclu entre Louis XIV et lui en 1664 ;
quatre ans plus tard ce pacte se resserrait encore. Ces ententes
ne pouvaient manquer d'avoir un contre-coup sur le terrain
économique et dès 1668, les relations directes entre la Baltique
et les ports français étaient ouvertes. Pour les développer,
Colbert fondait en 1669 la Compagnie du Nord avec le concours
des frères Formont et d'armateurs étrangers établis à La Rochelle :
I» an Raulé, Hollandais et l'Allemand Tersmitten.
La guerre de Hollande de 1672, les revirements politiques
du Grand-Électeur, une formidable campagne de presse nie née
en Allemagne contre les importations de produits français,
1. M. BoissoniKidc, Histoire des Première essais de relations économiques directes
entre la France et l'Etat prussien (1643-1715), dans Mémoires de la Société des Anti-
quaires de l'Ouest, t. VI, IIIe série, l'oit i
8
114 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
arrêtèrent le premier essor de ces relations commerciales directes.
Sept ans après, seulement, Frédéric-Guillaume reprit avec la
France les pourparlers qu'il avait entamés antérieurement.
Il aurait souhaité contracter avec Louis XIV une alliance
économique mais il n'eut pas complète satisfaction. Ses ambassa-
deurs Meinders, Iena et d'Espense n'obtinrent de Pomponne
qu'une simple garantie de la liberté du commerce franco-
prussien ; Ezéchiel Spanheim qui leur succéda ne fut pas plus
heureux. Profitant toutefois de cette faveur, quelques navires
prussiens abordèrent dans nos ports et y apportèrent des câbles,
des cordages et des chanvres de Kônigsberg. En 1681 le com-
merce entre la Prusse et le port de La Rochelle était assez intense
pour que l'on nommât des consuls prussiens dans cette ville.
A l'exportation, les Brandebourgeois enlevaient les sels de la
Saintonge et du Poitou. Les relations commerciales entre la
France et la Prusse se resserraient chaque année ; des Brande-
bourgeois s'établissaient comme facteurs et courtiers dans nos
ports. Mais vers 1685 Frédéric-Guillaume craignant l'ambition
toujours croissante de Louis XIV se rapprocha de la Hollande
et de l'Empire ; par ailleurs le roi de France reprochait au
Grand-Électeur d'avoir trop libéralement accueilli les réfugiés
protestants. L'entente économique franco-prussienne fut rom-
pue. Les Hollandais regagnèrent l'influence politique et écono-
mique qu'ils avaient jadis dans le Brandebourg ; ils rétablirent
dans la Baltique leur monopole commercial au détriment des
marines marchandes de la France et de la Prusse.
Frédéric III qui avait sucédé en 1688 au grand Électeur
tenta dès 1703 de se soustraire à l'influence de la Hollande
et de se rapprocher de la France ; ses avances furent mal accueil-
lies. On se montra même fort rigoureux à l'égard des sujets
brandebourgeois qui résidaient en France ; les plus humbles,
comme des garçons tailleurs, furent jetés en prison ou expulsés
du royaume. L'intransigeance de la cour de France à l'égard
de Frédéric III et de ses sujets se maintint aussi hautaine
jusqu'en 1712 ; à cette date, changeant de tactique, Pontchar-
train reprit la politique que Colbert avait tentée avec le grand
Électeur ; il autorisa les marchands de Colberg en Poméranie
LES MARIAGES ALLEMANDS AU XVIIe SIÈCLE 115
à envoyer leurs navires à Bordeaux et à La Rochelle ; les rela-
tions cordiales reprirent peu à peu entre les deux pays et lors
du traité d'Utrecht, les sujets prussiens obtenaient la liberté
du commerce en France et l'exemption du droit de 50 s. par
tonneau. Dès qu'ils furent en possession de ce traité les Prus-
siens déployèrent une activité intense ; ils envoyèrent leurs
navires à Bordeaux, La Rochelle et Nantes. Conformément
à cette règle générale d'après laquelle les étrangers ont toujours
tiré meilleur profit que nous des stipulations économiques
internationales, les armateurs français ne montrèrent pas le
même empressement que les Brandebourgeois à profiter de
cette réciproque liberté commerciale. Ils dirigèrent peu de
leurs navires vers les ports de la Baltique et laissèrent aux
étrangers le soin d'assurer le trafic direct entre la France et la
Prusse.
On ne saurait se montrer rigoureux envers des sujets de
princes avec lesquels la royauté, pour des raisons politiques
parfaitement claires d'ailleurs, entretient des relations étroites.
Les Allemands, avec leur réalisme natif, s'en rendent un compte
exact. Vers Paris et nos grandes villes, ils viennent par véri-
tables cohortes, les uns en quête d'une pension, d'un subside,
les autres en quête d'une situation lucrative. A dater du dernier
tiers du xvne siècle, ils créent partout des colonies puissantes
et celles-ci, sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI prennent
une extension de plus en plus grande. Le grand roi est mort ;
il laisse le pays en proie à des difficultés intérieures ; le com-
merce périclite et les étrangers s'insinuent en France pour y
faire fortune. Les Hollandais reconstituent les groupements
que la révocation de l'Édit de Nantes a entamés ; les Allemand»
fortifient les leurs. Les circonstances politiques favorisent
encore l'infiltration de ces étrangers.
Les mariages de princesses allemandes ou autrichiennes
avec des princes français sont encore fréquents au xvme siècle.
En 1724, le prince d'Orléans s'allie avec la princesse de Bade ;
une étroite union se forme entre la France et la Saxe lorsque le
Dauphin, fils de Louis XV, épouse Marie-Josèphe de Saxe.
Son frère, après une existence mouvementée, vient finir ses
116 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
jours en France. Tous deux y introduisent quelques compa-
triotes. En 1756, lorsque Frédéric II s'empare de Dresde,
nombre de sujets du roi de Saxe, Frédéric-Auguste, émigrent
vers la France et trouvent des protecteurs auprès de la Dau-
phine et de son frère. Un peu plus tard, Marie-Antoinette
protégera ses amis de jadis ; Viennois et Autrichiens venant
résider en France se réclameront d'elle. Elle se souvient des
conseils de sa mère Marie-Thérèse qui ne cesse de lui répéter :
« Faites accueil aux Allemands ; restez bonne Allemande » \
Sous l'influence des circonstances politiques et des idées d'inter-
nationalisme que prônent les philosophes, Saxons, Bavarois,
Wurtemburgeois sont favorablement accueillis en France ;
Brandebourgeois et Prussiens également.
Ne sont-ils pas les sujets de Frédéric II que tous les Français
prônent et encensent encore qu'il soit le vainqueur de Rosbach
et l'ennemi de notre pays. Il est superflu, après tant d'autres,
de rappeler les témoignages d'admiration que lui prodiguent
lettrés, philosophes et militaires. Frédéric II fascine ceux qui
l'approchent : « Trop d'enthousiasme pour cet illustre ennemi
avait été un tort des officiers de son temps ; ils étaient à-demi
vaincus par là quand Frédéric s'avançait grandi par l'exalta-
tion française », écrivait Alfred de Vigny rappelant quelques-uns
des propos que son père lui tenait lors de son enfance 2.
Meilleur observateur, le père d'Alfred de Vigny se serait
aperçu que l'enthousiasme des Français pour le roi de Prusse
avait une répercussion plus profonde qu'il ne le supposait.
Se sentant soutenus par un pouvoir fort, Brandebourgeois,
Prussiens et autres Allemands soumis à la monarchie prussienne
essayaient de s'installer en maîtres dans le royaume. Ils y
réussissaient d'ailleurs assez aisément; l'admiration que l'on
professait pour leur maître rejaillissait en quelque sorte sur eux.
Aussi, les colonies allemandes constituées en France prirent-elles à
partir du milieu du xvme siècle une importance considérable ; cer-
tains de leurs membres, moins hardis jadis, marchèrent brave-
ment à la conquête pacifique du royaume. Jamais la France
1. Maria Theresia und Marie Antoinette. Ihr Briefwechsel... Vienne, 1866.
2. A. de Vigny, Grandeur et servitude militaire. Lyon, 1913, p. 11.
POTIERS ALLEMANDS AU XVIIe SIÈCLE 117
ne reçut en un demi-siècle autant de représentants des nations
allemandes. Si tous « ne s'habituèrent pas » dans le pays, il en
demeura cependant un bon nombre qui firent souche et dont les
descendants s'assimilèrent à notre population. Une courte
esquisse des colonies allemandes montrera que, dans presque
toutes nos cités, des habitants natifs d'outre-Rhin vinrent se
fixer en France de bonne heure mais que leur nombre s'accrut
considérablement à partir du règne de Louis XIV. Les événe-
ments politiques que l'on a sommairement rappelés ne furent
point étrangers à ce phénomène social.
III
L'histoire des industries métallurgiques et minières prouve
que les allogènes trouvaient aisément un emploi de leur activité ;
moins individualistes que les artisans régnicoles, habitués
à une vie plus frugale que les nôtres, les travailleurs allemands
acceptaient des salaires inférieurs à ceux qu'exigeaient les natio-
naux. Or, ce n'est pas seulement dans les industries métallur-
giques que se glissaient des Allemands ; ils pénétraient dans
beaucoup d'autres. De tous temps on en rencontre à Paris.
Au xve siècle, des mouleurs de terre ont maille à partir
avec la justice ; on saisit chez eux quelques pièces prêtes
pour la cuisson ; ces artisans sont Allemands ; ils s'appellent
Henri Terbughen, Gerloch Rôsheust, Wouter Wele1. Dans
quelques quartiers de Paris, les ouvriers originaires d'outre-
Rhin forment des groupes compacts ; on en rencontre à chaque
porte au faubourg Saint-Antoine. Des tanneurs, des mégissiers
se fixent à Paris. Autour des ambassadeurs, des envoyés extraor-
dinaires, des princes teutons qui vivent à Paris, dans les familles
françaises, la domesticité est fréquemment allemande.
Les éléments temporaires ou stables de population allemande
à Paris sont très multipliés. Elle comprend des imprimeurs,
1. J. GuilTrey. Artistes parisiens des xvi* et xvn« siècles. Paris, 1915, p. 1.
118 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
des graveurs, des marchands d'estampes, successeurs de ces
Allemands qui s'étaient fixés en France au xve siècle et avaient
propagé la découverte de Gutenberg. Grâce aux travaux des
historiens de l'imprimerie la m,ajeure partie de ces étrangers
sont connus ; les uns vécurent sans histoire, quelques autres
éprouvèrent des difficultés, tel ce Jacques Hovervogt, de Cologne,
établi à Paris depuis 1610 comme marchand d'estampes, rue
Saint- Jacques et naturalisé en 1620. En 1630 Hovervogt avait
publié avec succès vingt-quatre planches gravées par Isaac
Briot, le Théâtre de France contenant les diuersitez d'habits.
Ayant obtenu quelques succès avec cette collection d'estampes,
il songea à reproduire les œuvres de Rubens et malgré le privi-
lège du peintre flamand, Hovervogt mit en vente les tableaux
de Rubens qu'il avait fait graver. Chez lui on saisit les estampes
et par une série de jugements et d'arrêts Hovervogt fut con-
damné à de fortes amendes l.
Louis XIII, le 9 février 1640, naturalise Guillaume Kalthoff,
armurier allemand. « S. M. le retient à son service pour le secret
qu'il a de la fabrique d'arquebuses et autres armes à feu, tirant
plusieurs coups d'une même charge et plus légères que les autres
armes ordinaires de même qualité ». Le roi lui alloue 825 livres
pour ses ouvriers et 750 livres pour son entretien 2.
Le pasteur luthérien Jonas Hambraeus mentionnait sur un
registre spécial le souvenir des réformés fréquentant la chapelle
de l'ambassade de Suède. Un autre document, non moins curieux
quoique moins important, montre que les Allemands et les
Hollandais catholiques constituaient, eux aussi, un groupe
compact dans la capitale. En 1691, le Père Anselme d'Anvers
fit imprimer un Catalogue chronologique des prêtres et des
marguilliers de la sainte confrérie des nations flamande et
allemande qui tint ses premières assises en l'église Saint-
Hippolyte. Il ouvre son travail par un court aperçu de la
fondation de cette pieuse association 3.
1. Bulletin de la Société d'histoire de l'Art français. Années 1915-1917, p. 34.
2. F. Mazerolle, Documents sur Guillaume Kalthoff, dans Correspondance histo-
rique et archéologique. Année 1896, p. 47.
3. Père A. d'Anvers, Catalogue chronologique... Paris, 1691
LA CONFRÉRIE ALLEMANDE DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS 119
L'archiduchesse Claire-Eugénie-Elisabeth, infante d'Espagne,
duchesse souveraine de Brabant, désireuse d'exécuter fidèle-
met les pieuses intentions de l'archiduc Albert, son époux,
ordonna à son ambassadeur de solliciter de Louis XIII la conces-
sion d'une église de Paris pour que les très nombreux Flamands
et Allemands catholiques habitant la capitale pussent entendre
dans leur langue les enseignements de la sainte religion catho-
lique. L'archiduchesse craignait que ces catholiques ne cédassent
à la tentation de se rendre à la chapelle de l'ambassade de
Suède ou à celle des États protestants pour y écouter les pré-
dications données dans la langue de leur pays. En 1626, le roi
accéda à ses vœux et assigna aux « nations belgiques et teuto-
niques » l'église Saint-Hippolyte, au faubourg Saint-Marcçâu.
Comme cette église était éloignée, la confrérie déménagea
en 1630 et vint s'établir à Saint-Germain-des-Prés. Chaque
dimanche et les jours de fête, un prêtre « versé dans les idiomes
étrangers » célébrait la messe et prêchait en langue allemande.
La confrérie avait choisi cette église car elle était située dans
ce «beau quartier de Saint-Germain «habité parles étrangers. Il est
regrettable que le Père Anselme d'Anvers se soit contenté de nous
conserver les noms des marguilliers et des prêtres qui officièrent
jusqu'à l'époque où il écrivit son Mémoire, mais le seul fait de
l'existence de cette Confrérie prouve que les catholiques d'ori-
gine germanique étaient en nombre imposant à Paris. De 1645
à 1680, Jehan Georg et Jean-Pierre Vincent Grœnenbach, de
Paderborn, prêtres allemands dirigèrent la Confrérie ; comme
leurs prédécesseurs flamands, ils furent aidés dans leur tâche
par des marguilliers étrangers. Parmi les Allemands, on note les
noms de Walther Erckelen, de Juliers, de Marc-Antoine de
Vive, émaillcur du roi, de Wolther qui, en 1619, offrit une robe
pour le bedeau. Herman Pfenning et Marc Theller furent égale-
ment marguilliers en 1657 et 1667.
Si l'on parcourt attentivement la liste de ces dignitaires de la
Confrérie, on esl surpris de voir le nombre de tailleurs d'habitg •
flamands ou allemands qui figurent parmi eux. Les Allemands
Marc Theillandt et Guillaume Valentin de Westphalie, marguil-
liers en 1671 et 1689, exerçaient cette profession. Le lait
120 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
s'explique aisément. Sous le. règne de Louis XIII, les hommes
portaient des chausses à l'allemande ; elles fin-en l peu à peu
abandonnées mais quelques bourgeois consentirent encore à s'en
revêtir. Advenant le règne de Louis XIV, on adopta une mode
étrangère, d'importation hollandaise, celle des rhingravrs ;
q C'était, dit Quicherat, une ample culotte qui tombait tout droit
comme un jupon mais dont la doublure se nouait aux genoux ».
Pour se préserver des intempéries, on porta sous Louis XIV
des manteaux demi-longs à manches et boutonnés qu'on appela
brandebourgs du nom de leur garniture qui tirait elle-même
son nom de son origine allemande.
four confectionner ces vêtements empruntés à la Hollande
et à l'Allemagne les marchands tirèrent des ouvriers de ces
deux pays ; des étrangers vinrent également ouvrir boutique
à Paris ; il s'établit en France un courant d'immigration alle-
mande d'ouvriers « tailleurs d'habits ». Certains sollicitèrent
leur naturalisation. Louis XIV octroya des lettres de naturalité
à Jean Amcombrosc 1. Gaspard Schimerdin, fournisseur de la
Cour, originaire de Wurtemberg 2 ; Pierre-Jacques Walstein,
d'Holstein 3, Kemple, surnommé Cambes, natif de Westphalie
sont également reçus en la qualité de Français 4. Advenant
le xvme siècle, le mouvement d'immigration des tailleurs
allemands continue. En 1708, Louis XIV est en difficultés
avec le Brandebourg ; d'Argenson sévit contre les sujets de ce
pays habitant Paris ; Christian Seebalt, garçon tailleur est
arrêté ; on l'enrôle dans un régiment au service de la France 5.
Des lettres de naturalité sont de nouveau accordées à des ouvriers
tailleurs par Louis XV et son successeur ; elles profitent à Théo-
dore Krable, de Mayence, André Tach de Dusseldorf, Melchior
Hillebrand de Neuss en Silésie. Shorlener, originaire de Cologne,
s'établit à Paris comme tailleur, Gaspard Stein, Autrichien, est
tailleur de Marie-Antoinette en 1776 6.
1. J. Guifîrey, Documents sur les artistes parisiens des XVIe et XVIIe siècles,
notice 576.
2. Arch. Nat., P 2689. Naturalité du 23 janvier 1663.
3. Ibid., P 2689. Naturalité du 22 juin 1663.
4. Ibid., K 171, liasse 1.
5. Boissonnade, op. cit., p. 365.
6. ^rch. Nat., PP 151 et 162. Naturalités des années 1752, 1753, 1766, 1776.
TAILLEURS D'HABITS ALLEMANDS EN FRANCE 121
Christophe Scheling est, au xvme siècle, le plus fameux tailleur
de Paris. Les princes et les seigneurs ont coutume « d'aller à son
audience pour obtenir la faveur d'être habillés par lui ». Après le
comte de Saxe, M. Scheling, écrit Diderot, était l'un des plus
beaux présents que l'Allemagne eut faits à la France. Lorsqu'il fut
mort on consacra à Scheling une oraison funèbre qui parut sous
ce titre : Oraison funèbre du très habile, très élégant, très merveil-
leux Christophe Scheling, maitre tailleur de Paris, prononcée le
18 février 1761 dans la salle du célèbre Alexandre, limonadier au
boulevard \
« Sa maison, j'ai presque dit son hôtel, écrit son panégyriste,
lut plus fréquentée que celle des ministres et l'on se crut dans
la nudité la plus complète si l'on n'était pas habillé par le divin
Scheling » 2.
Il est rare que les marchands de confections laissent une répu-
tation durable ; éphémères sont leurs créations ; celles des ébé-
nistes sont au contraire plus marquantes. De ces artisans beau-
coup se sont élevés au rang des artistes et ont acquis de la répu-
tation. Dès la fin du xvie siècle, le faubourg Saint-Antoine a
donné l'hospitalité à des Allemands occupés à travailler le bois.
Quelques-uns étaient pensionnés par le roi de France pour exécu-
ter des ouvrages de marqueterie ; témoin Hans Krauss qui.
en 1576, est qualifié de marqueteur du roi. Les cabinets alle-
mands étaient en vogue sous le règne de Louis XIII : ru 1619,
la ville de Paris offrait à Talon, devenu avocat général un cabinet
allemand3; des amateurs en acquéraient aussi. Henri IV avait
d'ailleurs attiré en France des < mosaïstes « allemands cl les
avait installés au Louvre : Haneman était du nombre. Ouclqucs-
uns de ces artisans se fixèrent définitivement en France : Michel
Camp natif des environs de Cologne, s'allie en 163$ a Louise
Noblet. Les témoins de. son mariage sont deux ébénistes alle-
mands. Loup Meck. n al il de Franconie, épousait en 1641
Catherine Bernard, connue lui domiciliée au faakOttTg Saint-
Antoine 4.
1. Diderot, Correspondance, édition citée, t. V, p. 68.
2. oraison funèbre..., etc... Vienne, 1701, p. 13.
3. De ChampeatlX, l.r Meuble, Paris, t. II, p.
4. J. (.uillrcy, op. cit., notice 5, 657 et 600.
122 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Sous les règnes des trois derniers Louis, les ébénistes alle-
mands sont légion à Paris. Le xvme siècle est celui de toutes
les élégances ; la France impose son goût et ses modes à la majeure
partie des capitales ; dans la Prusse même, s'il faut en croire
un mot du grand Frédéric, Paris régla les meubles, les habille-
ments et toutes les bagatelles sur lesquelles la tyrannie de la
mode exerce son empire. Pour se former des Allemands accom-
plissent leur tour de France ; ébénistes et marqueteurs viennent
à Paris. Chez Boulle, chez Crescent, des étrangers dessinent,
sculptent, ajustent et décorent des meubles ; quelques-uns
se fixent dans le royaume. Les clients riches sont à l'affût des
belles pièces où les marqueteries rares sont rehaussées de festons
délicats en cuivre ciselé. De ces meubles superbes ou délicats,
plusieurs sont l'œuvre d'Allemands patients et adroits, bien
dirigés par nos dessinateurs et bronziers parisiens : Beneman,
François Rutesbuch, Jean Stumpft, Christophe Wolff, Jansen.
Outre ces ébénistes Charles Richter, Jean Feuertein, Pierre
Schmitz, Gaspard Schneider, Jean Frost, demeurant rue des
Petis-Champs, rivalisent pour obtenir le succès en flattant le
goût du jour. Chez Frost se forment Johann Bergemann, Auguste
Blucheidner, Adam Weisweiler l. Chacun s'efforce de produire
un « chef-d'œuvre » ; les jeunes hommes soumettent parfois
leurs projets ou leurs plans à l'appréciation d'artistes notoires.
Au mois de mars 1771, un ébéniste d'Eichstadt apporte au gra-
veur Wille un meuble « très bien travaillé en bois de rapport
des Indes ». Il l'a confectionné dans le faubourg Saint-Antoine ;
chez Wille fréquente aussi un ébéniste natif d'Olmutz mais lui,
moins travailleur que ses compatriotes, soutire de l'argent au
graveur. Tous ces artisans nous apportent leur habileté manuelle
et leur patience sans déprécier la valeur de notre industrie
nationale qui demeure pleine de grâce et de légèreté.
Si tous les ébénistes allemands ne sont parvenus à la célé-
brité voire même à la notoriété, deux sont toutefois à tirer hors
de pair car ils ont créé des ateliers dont la réputation a survécu.
J'ai nommé Œben et Riesener.
1. E. Molinier, Les Arts industriels, Le Mobilier. Paris, tome III, p. 151.
ÉBÉNISTES ALLEMANDS A PARIS 123
J.-F. Œben, élève de Boulle, était ébéniste du roi en 1754
et sa renommée se soutint jusqu'à sa mort survenue en 1765.
De son mariage avec une Hollandaise, Marguerite van den Cruce,
naquit une fille qui devint la femme de Charles Delacroix et
fut mère du grand peintre Eugène Delacroix.
La grand paternité d'Œben lui serait déjà un titre de gloire
s'il n'avait su par son talent personnel émerger de la foule de ses
compatriotes adonnés au travail du bois et former un élève digne
de lui succéder. Ce disciple, Henri Riesener, né à Gladback,
près de Cologne, en 1735, était venu jeune à Paris ; il était entré
chez Œben qui le trouva digne de diriger ses ateliers de la cour de
l'Arsenal. A la mort de son maître, Riesener épousa sa veuve
et prit la suite de ses affaires.
David Roentgen, de Neuwied, séjournait fréquemment
à Paris ; il y avait des ateliers. Cet ébéniste était fort avant dans
les bonnes grâces de Marie-Antoinette ; la reine lui accordait
sa confiance, l'honorait de commandes, lui confiait des missions
pour ses parents lorsqu'il partait à Vienne. Roentgen fournissait
des meubles aux personnages de la cour. Il fut l'un des premiers
à fabriquer des meubles en acajou plein sans décor de marque-
terie ; il entourait les panneaux rectangulaires de ses commodes
de cordonnets et de perles ; ses commodes et ses secrétaires
étaient bâtis comme des édifices massifs et il fut l'un des pro-
tagonistes de ce style gréco-allemand connu plus tard sous le
nom de style « empire » 1.
Il n'est industrie ou commerce que les Allemands n'entre-
prennent ; les uns sont horlogers ou orfèvres, d'autres vendent
des pierres précieuses. Georges-Michel Bapst, chef de la maison
d'orfèvrerie qui subsista jusqu'à la Révolution était né à Hall,
en Souabe, vers 1718. Naturalisé par Louis XV, il mourut à
Paris, en 1770, dans sa demeure sise au coin de la rue de Harlay
et du quai des Orfèvres, laissant une descendance qui se ii\;i en
France. Christian Schmatz, de Hall ; le Saxon, Christian Rei-
nesius, sont désignés comme orfèvres dans les Ici I ivs de naturalité
qui leur sont données. Joseph-Népomucèiic KIktL de Prague,
1 H. Focillon. Giovanni Piranesi. Paris, 1918, p. 298.
124 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
est naturalisé avec sa jeune femme, Barbe Schindlcr *. Des
Saxons venus à la suite de la Dauphine, Charles-Auguste Bœhmer
acquerra une triste célébrité pour avoir été mêlé à l'affaire du
collier de la reine. Bœhmer et son associé, Paul Bassenge, de
Leipzig, étaient joailliers de la couronne et dans leur magasin
de la rue Vendôme, effectuaient des affaires considérables.
Ils avaient constitué le fameux collier de diamants que, dès 1774,
ils avaient présenté à la reine mais qu'elle avait refusé, à raison
de son prix trop élevé. On sait les néfastes aventures auxquelles
les joailliers furent exposés par la suite et le rôle qu'ils jouèrent
au milieu de ce monde d'aventuriers qui captèrent la confiance
du cardinal de Rohan. Boehmer fut obligé de se retirer en Alle-
magne et mourut à Stuttgart en 1794 2.
Les Allemands s'infiltrent partout. Oberkampf utilise les
services d'ouvriers allemands en sa manufacture ; les négociants,
les voyageurs ont des fonds en dépôt chez de Wachter et Korn-
mann, banquiers établis rue Michel-le-Comte. A leur corres-
pondance sont employés des jeunes hommes natifs de Francfort
ou de M agence.
Le colonie allemande de Paris ne comporte pas que des arti-
sans désireux de gagner honorablement leur vie et des commer-
çants probes. Une nuée d'espions réside dans la capitale ; ils
se déguisent plus ou moins adroitement sous le couvert de bou-
tiquiers, filles de service, filles de joie ou libellistes. On les voit
s'introduire dans les milieux les plus divers. Au moment où
s'ouvrit la guerre de succession d'Espagne une foule d'espions
s'abattit sur Paris ; certains, arrêtés, furent enfermés à la Bas-
tille ou à Vincennes. A la fin de leur détention, quelques-uns
furent exilés, d'autres demeurèrent en France. A en juger
par le nombre des Allemands appréhendés il y a lieu de croire
que Paris, au début du xvme siècle, fut le centre d'une véritable
agence d'espionnage.
Au cours des années 1702 et suivantes, furent menés à la
Bastille le baron Ignace de Puechenek, Georges Schrader de
1. Arch. Nat., PP 162. Bapst, naturalisé le 16 novembre 1752 ; Schmatz, le
14 janvier 1762 ; Reinesuis, le 30 mars ; Ébert, le 17 décembre 1764.
2. F. Funk-Brentano, L'affaire du Collier, 9e édition. Paris, 1919, p 171.
ESPIONS ALLEMANDS A PARIS 125
Pech, Senft, gentilhomme de Dantzig. Christophe de Schutz,
fils d'un bourgmestre de Heidelberg, affilié à Christian Link,
le comte de Thun, se disant comte de Kœnigsberg figurent sur
les listes des prisonniers de la Bastille comme espions. Le baron
de Nitzschwartz, Saxon, était à la fois espion et proxénète.
Les exemples faits par la police du roi ne décourageaient pas
les espions allemands ; l'un venait-il à manquer, dix autres sur-
gissaient ; femmes dissimulées sous la condition de servantes,
hommes se donnant comme religieux ou marchands s'adonnaient
à la recherche des nouvelles intéressantes pour leurs correspon-
dants. Anne-Marie de Rosemberg et sa servante Elisabeth
Vezangerin sont emprisonnées ; Servain Tilz, en 1707, est enfermé
pour avoir donné avis aux habitants de Cologne que leur ville
allait être bombardée. Christian Gringer dit Krenzer, de ïorgau,
en Saxe, joaillier, correspondait avec l'étranger et pour dissi-
muler ses menées, se mêlait de brocante avec la nommée Ratte,
grande libertine. Pierre Welzner, baron de Broch et son frère,
Guillaume Flach, de Cologne, cherchaient à surprendre les
secrets royaux.
Malgré l'habileté de la police et la sévérité des peines qu'en-
couraient les espions, le service de renseignements de l'Autriche
fonctionna en France jusqu'à la fin du règne de Louis XIV.
Après la mort de ce souverain, l'agence d'espionnage organisée
à Paris semble avoir en partie disparu car, excepté quelques
Allemands enfermés à la Bastille pour raison d'État, la liste des
prisonniers de cette forteresse, ne révèle plus, après 1715, la
présence d'un aussi grand nombre de mouches et d'espions.
Les Allemands au service des souverains étrangers s'essayait tût
à répandre dans le public des nouvelles fausses et alarmantes.
Le 1er juillet 1702, on conduisait à la Bastille Hottermann dit
Hautremant, originaire de Cologne. Il était commis aux entrées
de Paris, du côté de Montmartre et faisait écrire par des employés
à sa solde toutes sortes de nouvelles fausses qu'il envoyait
à l'étranger. D'Argenson le note ainsi : « Allemand d'origine,
a esté valet de chambre de M. le marquis de Grignan et cstoit
employé aux fermes par le sieur de Saint-Armand, fermier
général ; il faisoit un commerce de gazettes à la main et il avait
126 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
cinq ou six scribes qui lui faisoient cent cinquante copies par
ordinaire ». Il gagnait à ce commerce 2.000 livres par an. Arrêté,
il fut condamné à cinq mois de prison et exilé en Provence.
« Il faut, ajoute d'Argenson, que les écrivains de la même espèce
craignent d'être chassés de Paris, ce qui leur est plus insuppor-
table que toute peine » 1.
Parfois, les Allemands résidant à Paris se montraient mal-
veillants à l'égard des hôtes qui leur accordaient une cour-
toise hospitalité. Ils commentaient défavorablement les événe-
ments politiques et répandaient des nouvelles alarmantes.
Au mois de juillet 1742, quelques semaines après que Frédéric II
eut abandonné la France pour s'allier avec Marie-Thérèse,
on apprit que de Broglie était assiégé dans Prague où il avait
dû enfermer une partie de son armée. « Les Allemands qui sont
à Paris, lit-on dans un rapport de l'époque, débitent les plus
désagréables bruits ; ils prédisent que la France est à la veille
de sa décadence, que la reine de Hongrie a formé des projets
pour la réduire qui seront appuyés par presque toutes les puis-
sances de l'Europe » 2.
Sur Paris l'Allemagne déverse les personnages les plus hété-
roclites et les plus divers ; un jour, au mois de septembre 1722,
on accorde à un Allemand l'autorisation d'essayer une poudre
de sa façon pour éteindre les incendies. On construit pour lui
un. pavillon de bois aux Invalides; on y allume un incendie
et le cardinal premier ministre assiste à son extinction 3. Des
marchands d'orviétan, des vendeurs de drogues secrètes débitent
leur panacée aux Parisiens. L'un d'eux, le célèbre Kayser,
vendait une substance mercurielle destinée à guérir « les
blessures provoquées par Vénus ». Favorisé par le maréchal
de Biron, il obtint l'autorisation de former un hôpital militaire
de vingt lits. Ses dragées furent fort en vogue au xvme siècle
et bien que Louis XV eut acheté son secret, la veuve de Kayser,
établie en 1766 dans l'île Saint-Louis, continua à débiter les
1. F. Funk-Brentano, Liste des prisonniers de la Bastille. Cf. à la table les noms
cités.
2. Chronique de la régence et du règne de Louis XV ; suite du journal de Barbier,
édition Charpentier. Paris, 1866, t. VIII, p. 136.
3. Ibid., t. Ier, p. 246.
MARCHANDS D'ORVIÉTAN ET FILLES DE JOIE 127
fameuses dragées qui avaient valu fortune et renommée à son
mari l. Non moins connu que Kayser était Olivier, qui, installé
rue Taranne, au coin de la rue du Sépulcre, vendait une eau
pour les maux de dents. Cet Olivier se confond avec le sieur
Fister qui débitait une essence pour usages internes ; pour des
raisons de lui seul connues, il vendait l'eau sous son véritable
nom et l'essence sous son nom de baptême 2. Sans doute,
quelques filles de joie natives d'Allemagne étaient-elles clientes
de ces deux spécialistes.
En effet il y a trop d'étrangers riches à Paris pour que des
Allemandes n'y accourent point à la recherche de la fortune.
Déjà Brantôme a signalé leur venue au xvie siècle ; deux cents
ans plus tard il aurait pu narrer les aventures de celles qui
fréquentent le Palais-Royal. La demoiselle Landorf, dite Seri-
gny, est entretenue en 1760 par un juif de Metz 3. Le marquis
de Lort a pris auprès de la demoiselle Fleurier la suite de M. de
Mazières, fermier général 4 ; une Allemande, la Fleury, est sur-
nommée la Bête pour la distinguer de son homonyme, dite la
Belle 5. En 1766, le marquis de Gouffîer entretient « une grande
Allemande qui est depuis un mois à Paris et qui se fait nommer
de Boelmeny » 6. Dans le monde de la haute galanterie de l'époque
on citerait nombre d'autres filles venues des diverses parties de
l'Allemagne, la dame Wascheim 7, la demoiselle Wolff, la demoi-
selle Philippine qui séduisit M. de Mazarin et dont le véritable
nom était Catherine Steinhaus 8.
L'Opéra recruta parfois ses danseuses parmi lesAllemandes.
Au mois de février 1768 débute mademoiselle Heinel, danseuse
de Stuttgart, élève du sieur de l'Épi, élève lui-même de Vestris.
Sa manière noble, majestueuse et accompagnée des grâces
sévères de la haute danse attire tout Paris ; on croit voir Vestris
1. Docteur Delaunay, Le monde médical parisien an XV ///■ siècle. Puis. 1D06,
p. 244 et s.
2. Id., Ibid., p. 307.
.',. (.. Piton, Paris sous Louis XV, édition du Mercure de France, t. I, p. 140.
4. Id., Ibid., t. II, p. 42.
5. Id., Ibid., t. Il, p. 105.
6. Id., Ibid., t. III, p. 88.
7. Id.. Ibid., t. III. |». 152.
8. Id.. Ibid., t. III. p. 153.
128 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
danser en femme, écrit-on. Au mois d'avril 1768, la structure
un peu colossale et les grands traits de cette Allemande séduisent
le comte de Lauraguais qui lui donne 30.000 livres et en verse
20.000 à son frère qu'elle aime beaucoup l.
• Entre Paris et les places d'Allemagne les affaires commer-
ciales sont multiples ; il existe dans la capitale un si grand nombre
de négociants ou de voyageurs qu'il leur est quotidiennement
nécessaire d'effectuer des remises dans les villes allemandes
ou de toucher leurs lettres de crédit à Paris. Les Allemands
s'adressent à des maisons de banque fondées par leurs compa-
triotes. Ils ont pour correspondants Kommann et de Wàchter,
rue Michel-le-Comte, Riederer, de Nuremberg, Hillner, originaire
de la même ville et qui, jusqu'en 1767, servira de banquier au
peintre Georges Wille. Eberts possède une maison de banque,
place des Victoires. Certes, ces banquiers ne jouent plus en
France le même rôle que leurs devanciers des xvie et xvne siècles
mais ils donnent cependant de l'activité à la place de Paris.
Ainsi, dans toutes les branches du négoce on rencontre des
Allemands au xvme siècle. Ils ne constituent cependant qu'une
faible partie de la colonie stable ou de la population flottante
originaire d'outre-Rhin et résidant à Paris. Dans les sphères
intellectuelles ces étrangers sont également fort nombreux.
Quelques exemples le prouveront.
IV
Les médecins étrangers ont souvent joui d'une grande vogue
en France. Docteurs italiens, Portugais catholiques ou juifs
ont su se créer des situations enviables et acquérir de la noto-
riété. Des médecins allemands, aux xvne et xvme siècles, ont
également profité de la faveur qui s'attache à la qualité de forain.
En 1698 Fricke et Christiani, médecins de Hambourg, sont en
relations avec le célèbre Winslow ; il écrit d'eux qu'ils étaient
1. Sur mademoiselle Heinel, cf. E. Campardon, L'Académie royale de musique au
XVIIIe siècle. Paris, 1884, t. I, p. 394.
MÉDECINS ALLEMANDS 129
« sages et attachés à tout ce qui pouvoit contribuer à les perfec-
tionner dans la profession ». Ils se tiennent écartés des charges
publiques l. André Enguehart, de Constance, docteur à Paris
en 1678, s'honore au contraire d'être professeur au Collège royal
pendant trente ans, de 1680 à 1710. A sa mort, il était médecin
en chef de l'Hôtel-Dieu 2.
Guillaume Homberg, né à Batavia, d'un père saxon, étudia
successivement à Amsterdam, Iéna, Leipzig, Padoue, Bologne
et Rome. Il voyagea en France et en Angleterre puis se fit
recevoir docteur en médecine à Wittemberg. Estimant qu'il y
avait encore pour lui profit à voyager, il parcourut l'Europe
centrale et septentrionale jusqu'en 1682. A cette date la pro-
tection de Colbert le fixa en France où il se convertit au catho-
licisme. Il repartit pour quelques années à Rome d'où, en 1691,
l'abbé Bignon le rappela pour l'agréger à la nouvelle Académie
des Sciences. Ses découvertes en chimie sur le phosphore et
les larmes bataviques, les métaux, ses machines pneumatiques,
ses microscopes lui valurent de la réputation. En 1702, le duc
d'Orléans le prit pour maître de physique puis pour premier
médecin. Six ans plus tard, il épousa la fille du médecin Dodart.
Il mourut en septembre 1715. « M. le duc d'Orléans, dit Saint-
Simon, perdit en ce même temps Humbert, un des plus grands
chimistes de l'Europe et un des plus honnêtes hommes qu'il
y eut et qui étoit le plus simple et le plus solidement pieux.
C'étoit avec lui que ce prince avait dressé sa fatale chimie
où il s'étoit amusé si longtemps et si innocemment et dont on
essaya de faire contre lui un si infernal usage ». Pour comprendre
l'allusion de Saint-Simon, il faut se souvenir que successivement,
en moins d'un an, avaient disparu le grand Dauphin, le duc de
Bourgogne et son fils le duc de Bretagne. Les trois cadavres
avaient été portés ensemble à Saint-Denis et au passage du
convoi, une rumeur terrible, des insultes même, s'étaient élevées
contre le duc d'Orléans. On le soupçonnait d'avoir empoisonné
le Dauphin ; une autopsie eut lieu et pour se disculper le duc
1. J.-B. Wlnslow, Autobiographie, édition W. Maar. Paris, 1912, p. 41.
2. J. Hazon, Notice des hommes les plus célèbres de la Faculté de médecine en
l'Université de Paris. Paris, 1778, p. 159.
9
130 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
demanda au roi de faire mettre à la Bastille tous ceux dont le
témoignage serait nécessaire, entre autres Homberg. Spontané-
ment le médecin alla se présenter à la porte de la forteresse
mais il n'y fut pas reçu, Louis XIV ayant changé d'avis *,
De 1782 à 1785, le consultant du comte d'Artois était un
Allemand, Seiffer. Ce docteur donnait aussi ses soins à Beau-
marchais et se fit dire par Marie-Antoinette chez la princesse
de Lamballe : « Vous aurez beau le purger, vous ne lui enlèverez
pas toutes ses vilenies ».
Les Mémoires du xvine siècle ont conservé le souvenir des
médecins étrangers qui vécurent dans l'entourage des grands,
qu'ils soient Allemands ou Portugais comme Silva ; mais, à
côté de ces notoriétés du monde médical, il existait dans les
quartiers fréquentés par les voyageurs des docteurs qui, parlant
seuls la langue allemande très mal connue des Français, don-
naient leurs soins aux forains malades. Nemeitz, dans son Guide,
fournit quelques adresses de médecins allemands ; Jean Diest,
natif d'Altona, docteur en médecine de la Faculté de Paris,
naturalisé en 1751, semble s'être adonné spécialement à la
guérison de ses nombreux compatriotes vivant dans la capitale.
Aux noms de ces médecins il faut joindre celui du célèbre
Mesmer bien qu'il n'ait fait en France qu'un séjour de sept ans
environ. C'est au mois de février 1778 qu'il débarqua à Paris,
arrivant de Vienne et aussitôt, au Palais-Royal, du café du
Caveau à la place Vendôme courut le nom de l'inventeur.
Tout d'abord il s'installa place Vendôme chez les frères Bour-
ret mais bientôt les clients affluèrent si nombreux chez lui
qu'il dut déménager' et se fixer dans l'hôtel Bullion qui était
vaste. Ne suffisant pas à soigner les malades individuellement,
il installa ses fameux baquets qui lui permettaient des traite-
ments d'ensemble. Ce fut une furie ; chacun voulut se faire
magnétiser par Mesmer ; on retenait chez lui sa place d'avance
comme au spectacle et par milliers les malades s'inscrivaient
sur ses registres.
Mesmer ne se posait pas en empirique mais en inventeur
1. Docteur Paul Delaunay, Le monde médical parisien au XVIIIe siècle, p. 107.
SAVANTS ALLEMANDS 131
éclairé. Dès son arrivée il rédigeait un Mémoire sur la découverte
du magnétisme animal mais nulle société savante ne prit au
sérieux le novateur. De tous côtés, sauf de la part de son impor-
tante clientèle, Mesmer fut en butte aux railleries, aux persé-
cutions et après avoir séjourné en France jusqu'en 1785, le
magnétiseur, en partie ruiné par la faillite de Kormann, quittait
Paris pour l'Angleterre 1.
Des savants allemands fréquentent la France. Quelques-uns
n'y font que passer. L'éminent physicien Tschirnhausen fait
à Paris quatre voyages et en 1682 est nommé membre étranger
de l'Académie des Sciences 2 ; il ne se résout point à s'établir
dans le royaume. Des savants d'outre-Rhin sont pensionnés
par le gouvernement puis se fixent à Paris; J. Tremel, né en 1727,
près de Mannheim, avait été appelé à Paris à la suite de ses
découvertes. Mécanicien expert, il inventa des instruments
de physique, de labourage et la grue tournante. Il était logé au
Palais des Arts 3. François Brahl, connu par ses travaux hydrau-
liques et auteur du premier plan d'un conservatoire des arts et
métiers, appartenait à une famille d'origine allemande natura-
lisée. La ville de Paris lui avait confié la direction du service des
eaux 4.
Louis XIV intervenait dans les élections à l'Académie des
Sciences et à l'Académie des Inscriptions. Ludolphe Kuster,
né à Blomberg, en Westphalie, s'était retiré à Paris après un
séjour à Londres. Il y avait publié en 1710 une édition d'Aris-
tophane et préparait une édition du Nouveau Testament grec.
S'étant converti au catholicisme en 1713, il reçut une pension
de 2.000 livres et sur la demanda du roi, fut nommé membre
associé de l'Académie des Inscriptions en attendant d'ètrv
nommé titulaire, honneur qui lui échut en 1714. Kuster mourut
à Paris en 1717 5..
1, D' Dclaunay, op. cit. Nombreux détails sur .tylcsmcr cl bibliographie du snjt -t.
p. LI.
2.A. Maury, L'Ancienne Académie des Sciences, Paris, i.xdl. p. 23.
3. A. Laquiante, Un hiver à Paris sous le Consulat, d'après les lettres de Reichardl.
Paris, 189G, p. 342.
4. Id., Ibid., p. 4. - 11 était né à Paris en 1750.
r>. Note m Kuster dans Bulletin de la Soc. d'histoire du protestant isme, t. VIII,
p. 92.
132 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Si l'on doit supposer que les étudiants et les voyageurs étran-
gers ont laissé quelques traces de leur passage dans la popula-
tion française, il faut également penser que les artistes qui de-
meurèrent à Paris pendant plusieurs années eurent aussi une
influence sur l'ethnogénie. Au xvme siècle, le nombre des élèves
allemands, peintres ou graveurs qui passèrent dix, douze ou
quinze ans près des maîtres français furent légion. Bien qu'en
1767, Diderot écrivît à Grimm de conseiller aux souverains avec
lesquels il correspondait de fonder une école d'art à Paris pour
leurs nationaux, les princes allemands ne créèrent pas d'insti-
tution spéciale ; ils se servirent de celle qui existait déjà et
envoyèrent leurs protégés à l'Académie royale de peinture.
En dépouillant les registres des admissions d'élèves à l'Aca-
démie de 1758 à la fin de l'année 1787, on y relève la présence
de soixante-treize élèves originaires des divers États d'Alle-
magne K Mais ce total est loin de donner le chiffre exact des
Allemands qui sont venus étudier en France. Le seul Journal de
Jean Georges Wille contient de nombreux détails sur des artistes
germaniques qui séjournèrent à Paris entre les années 1759,
date à laquelle commence son journal et 1795, époque à
laquelle il est clos.
Jean-Georges Wille, graveur, naquit à Kônigsberg en 1715 ;
il vint à Paris au mois de juillet 1736, fit un voyage en son pays en
1746, revint promptement à Paris et se maria avec Marie-Louise
Deforge en 1747 ; de ce mariage, il eut plusieurs enfants, dont
l'aîné, né en 1748, demeura en France. Après avoir travaillé
avec Largillière, Wille étudia chez un orfèvre, Lelièvre, puis
entra chez Odieuvre, marchand d'estampes. Rigaud lui confia
quelques travaux et en 1743 Wille fonda sa réputation en livrant
au public le portrait du maréchal de Belle-Isle ; la gravure du
portrait du maréchal de Saxe qui date de 1747 confirma le
talent de l'artiste. En 1758, Louis XV donna à Wille ses lettres
de naturalisation et le fit agréer comme son graveur à l'Aca-
démie. Pendant la plus grande partie de sa vie, Georges Wille
habita la même maison, quai 4es Augustins ; c'est là que vécut
1. L. Dussieux, Les Artistes français à l'étranger. Paris, 1876. Introduction,
p. 79.
JEAN GEORGES WILLE ET SES AMIS 133
à ses côtés son fils Pierre-Alexandre. Ce jenne homme, élève
de Greuze et peintre de second ordre, habita Paris jusqu'à
sa mort survenue en 1821 ; il avait épousé mademoiselle Aban,
fille unique de l'écuyer tranchant du roi de Pologne K
Pendant un demi-siècle, l'atelier de Georges Wille fut le
rendez-vous des étrangers notables, amateurs d'art, venant à
Paris. Nul Allemand, nul Autrichien ne visitait la capitale
sans monter à l'atelier de Wille et chaque soir, celui-ci mention-
nait brièvement ou avec quelques détails le nom de ses visiteurs,
des amateurs et des acheteurs qu'il avait reçus dans la journée 2.
Si le Journal du graveur est précieux pour qui veut se rendre
compte du cosmopolitisme de Paris au xvme siècle, il ne l'est
pas moins pour présenter une brève esquisse de la colonie
que formèrent les artistes allemands.
Wille était arrivé à Paris en même temps que G.-F. Schmidt,
jeune graveur de Berlin. Jusqu'au printemps de l'année 1742, épo-
que à laquelle Louis XV fit agréer Schmidt à l'Académie royale,
encore que cet artiste fût protestant, Wille et Schmidt vécurent
sous le même toit. Une seule cloison de planches séparait leurs
chambres ; leur intimité ne cessa jamais et lorsque le graveur
berlinois quitta Paris pour Pétersbourg, une amicale correspon-
dance entretint leurs relations. Jean-Marie Preisler, jeune gra-
veur de Nuremberg, élève de Laurent Cars fut aussi des amis
de Wille. Preisler finit ses jours à Copenhague ; malgré les dis-
tances, les deux camarades ne s'oublièrent jamais. En 1787,
Jean-Georges Preisler, fils de Jean-Marie, était élève de Wille
qui le présenta et le fit agréer à l'Académie. Le 4 août de cette
année Wille consigna dans son Journal cette réflexion pleine
d'amour-propre : « Voilà le quatrième de mes élèves membre
de l'Académie royale. Peu de graveurs peuvent avoir fourni ce
nombre. »
Au cours des neuf cents pages de son Journal, Wille énumère
les noms de ses élèves allemands et de ses compatriotes qui
1. L. Hautecœur, Pierre- Alexandre Wille le fils (1749-1821), dans Mélanges
offerts à M' Henri Lemonnier. Paris, 1913, p. 440.
2. Mémoires et Journal de J. G. Wille, édité par Georges Duplcssis. Paris, 1857,
t. II, p. 391, Wille a donné une très brève esquisse de sa biographie, sous la date
du 9 septembre 1793.
134 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
travaillent chez Cars, chez Vien, chez Restout. Son camarade
Baader, d'Eichstadt en Franconie arrive à Paris en 1762;
pendant trente ans, Wille et Baader vivent en étroite union ;
ensemble ils vont peindre à Longjumeau avec Freudeberg et
Dunker, ensemble ils se rendent dessiner à Sceaux en compagnie
de Schmuzer, élève de Wille. Lorsque Baader décède à Paris
en 1792, Wille écrit de lui : « S'il n'étoit pas un peintre de la
première classe, il étoit du moins très prompt et très laborieux. »
De la Souabe, de la Franconie, de la Forêt-Noire, de l'Autriche,
viennent étudier les arts à Paris jeunes gens ou hommes mûrs.
Schwab, graveur, est originaire de Vienne ; Teucher séjourne
douze ans parmi nous ; Zingg et Morikofer, Mathias Halm, fils
d'un arquebusier de Coblentz sont élèves de Wille ; Muller vient de
la Forêt-Noire. Lors des attaques prussiennes contre leur pays, des
Saxons avaient gagné Paris. Krause de Dresde avait fui avec
Meyer et Loutherbourg ; il était entré dans l'atelier de Casa1-
nova. Parfois Wille ne sait où loger ses propres élèves ; son beau-
frère Chevillot les héberge. Ces jeunes Allemands trouvent
souvent des situations en France. Halm, de Coblentz, est reçu
professeur de dessin à l'école royale militaire. Il y est logé,
nourri et touche 1.400 livres par an.
Comme il arrive toujours, à côté des élèves allemands viennent
se fixer à Paris des compatriotes qu'ils font vivre. Hacken
rentoile leurs tableaux, Guttenberg vernit les planches des gra-
veurs. Autant que faire se peut, ces futurs artistes se logent chez
des Allemands ; Wille donne la table à plusieurs d'entre eux ;
si Mechel le quitte après un séjour de plus de deux ans chez lui,
il va chercher le vivre et le couvert chez le musicien Eckhart.
C'est avec raison que les frères de Goncourt ont écrit que la
maison de Wille est le rendez-vous de tous les Allemands ;
le graveur est lié avec des musiciens : Kôpfer, Eckhardt, Gluck ;
avec des littérateurs comme Huber, des marchands d'estampes,
des joailliers qui vivent à Paris. A elle seule, la lecture du Journal
de Wille donne un aperçu de l'importance de la colonie allemande
de Paris.
IGNORANCE DE LA LANGUE ALLEMANDE EN FRANCE 135
Y
Jusqu'au milieu du xvme siècle, l'Allemagne ne comptait
pas pour la France. Elle constituait un réservoir d'hommes
où la royauté puisait des reîtres, des lansquenets, des officiers
de tous grades que, suivant leur valeur ou leur mérite, on rému-
nérait en argent ou en honneurs. De l'Empire, on tirait égale-
ment des ouvriers et des artisans ; comme la vie était douce
en France, ils s'y fixaient. Les commerçants qui s'installaient
dans nos cités soulageaient les régnicoles d'occupations qu'ils
jugeaient viles et méprisables. Un homme remarquable ou
notoire surgissait-il dans une principauté d'outre-Rhin, la
royauté l'attirait en France comme elle conviait à s'y installer
les autres étrangers. Si les Allemands visitaient la France en
touristes, nous ignorions totalement leur pays ; des gens de
chez nous étaient même assez ignares pour proposer comme un
certain Mathieu de Mirarnpol i de faire voyager la jeunesse en
Allemagne pour retarder l'heure de la puberté par la rigueur
du climat ». Très peu d'hommes cultivés parlaient l'allemand,;
en 1754, Raynal notait : « Nous n'avons peut-être pas trois,
écrivains qui le sachent. » C'est assez dire qu'ignorant le pays/
ses mœurs, sa langue, les productions littéraires des prosateurs
ou poètes d'outre-Rhin nous étaient totalement étrangères.
Elles n'auraient d'ailleurs pu nous intéresser très particu-
lièrement car la majeure partie des œuvres allemandes avaient
été inspirées par notre littérature.
Soudainement, au moment où Frédéric II s'elTorce de dimi-
nuer notre prestige, à l'heure où sous l'influence de Lessing,
l'un des principaux fondateurs du mouvement de rénovation
de la pensée germanique, les écrivains allemands s'efforcent
de devenir originaux, les Français se prennent de sympathie
pour la littérature allemande et accueillent avec empressement
les hommes de lettres d'outre-Rhin qui viennent à Paris pour
procéder à ce que l'on a appelé « le lancement de la littérature
allemande ».
136 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Une véritable colonie d'intellectuels natifs des terres d'Em-
pire s'est constituée à Paris au xvme siècle. Les premiers trou-
vèrent en Diderot un véritable patron ; aussi bien l'auteur de
cette révolution anti-française déchaînée en partie par un
Français, a-t-il été un des hommes les plus encensés en Alle-
magne. Gœthe, Schiller, Arndt, Hegel, Raumer et beaucoup
d'autres ont abondamment loué Diderot, souvent même en des
termes qui peuvent paraître excessifs l. Soutenus par un homme
aussi puissant que l'encyclopédiste, les protagonistes de l'in-
fluence allemande affluèrent à Paris et les plus notoires d'entre
eux se groupèrent autour de lui jusqu'à l'époque de son décès
survenu en 1784.
Un petit étudiant frais émoulu de l'Université de Leipzig
débarque à Paris en 1748 avec son élève le comte de Schoenberg ;
il se nomme Grimm. Pendant près de quarante ans il joue à
Paris un rôle de premier plan. Accueilli, fêté par tous, il distribue
tour à tour le blâme et l'éloge dans sa Correspondance littéraire,
philosophique et critique. Deux fois par mois il émet des juge-
ments sur les hommes et les arts, il s'efforce « d'unir les grâces
et le goût français au génie allemand ». Il ne réussit pas à accom-
plir cette fusion car au mois de février 1792 il lui faut prendre
la route de l'émigration. A côté de lui Helvétius, d'Holbach,
Meister, Michel Huber, Leuchsering tentent de vulgariser en
France les idées d'outre-Rhin. Bitaubé, né à Koenigsberg en 1732
avait traduit Y Iliade en français, il était devenu l'ami de d'Alem-
bert qui l'engagea à venir à Paris. Il s'y trouva si bien qu'il s'y
fixa ; l'Académie des Inscriptions lui ouvrit ses portes. La
publication de Joseph et de son poème Guillaume de Nassau
l'enrichit. Sa maison devint, comme celle de Wille, le rendez-
vous des Allemands de passage à Paris.
Des intellectuels allemands de tous ordres se ruent vers la
capitale ; ils profitent de la mode pour se faufiler dans la société.
Jean-Baptiste Cloots arrive à Paris en 1775 ; il se fait un nom
trois ans après, en publiant Voltaire triomphant ou les prêtres
déçus. Lorsque survient la Révolution il se croit homme poli-
1. Sur le rôle de Diderot, patron des littérateurs allemands, voir L. Reynaud,
L' Influence française en Allemagne. Paris, 1915, p. 420 et suivantes.
DIDEROT ET LES ALLEMANDS 137
tique ; quelques semaines après la prise de la Bastille il s'inscrit
au club des Jacobins où le prince de Hesse, « M. de Hesse,
disait-il, était assis entre son tailleur et son cordonnier ». Trop
anticlérical pour conserver son prénom il le modifie en celui
d'Anacharsis, essaie de prôner la Société des Nations puis
de palinodie en palinodie, devient l'apôtre de l'utilité et de
l'excellence de la guerre 1.
Peu avant la Révolution, Charles-Frédéric Cramer, de Kiel,
se fixe à Paris ; il s'intéresse à la science militaire et rédige par
la suite un Précis des règles du jeu de la guerre. En 1789, s'éta-
blissent encore à Paris des intellectuels allemands ; parmi eux
figure le comte de Schlaberndorff ; il écrit ses impressions et en
attendant de les publier il commandite son compatriote Louis-
Étienne Herhan. Après avoir été occupé à la fabrication des
assignats, cet imprimeur donna quelques belles éditions de
classiques français.
A côté des notabilités qui fréquentent chez d'Alembert,
Diderot, d'Holbach et qui correspondent avec Frédéric II,
Catherine ou Voltaire, des comparses traduisent à l'usage des
Français les œuvres allemandes. Ce goût des traductions com-
mence quelque peu après 1754. Diderot note dans sa correspon-
dance : « Les Allemands ne pourront plus écrire bientôt chez eux
en liberté et courront risque de se voir traduits à Paris » 2. Dix ans
plus tard, le mouvement est déclenché et dans Paris on renc-
ontre de véritables officines de traductions allemandes analogues
à ces bureaux de translations d'œuvres espagnoles qu'avait
connus le début du xvne siècle. Les Tcharner de Berne, Friedel,
de Berlin, de la Martellière, — Schwinderhammer de son nom
véritable, — Millier, étaient les plus habiles vulgarisateurs des
œuvres de nos voisins. Hauptmann qui signait Capitaine,
traduit les ouvrages de Zacharie 8. Les traductions sont souvent
faites par les professeurs allemands de langues étrangères employés
à l'École royale militaire. Iunker, de Hanau, l'un d'eux, fait
imprimer en 1764 une grammaire sous le titre d'Essai sur la
1. A. Mutiliez, La Révolution et les étrangers. Paris, 1916, p. 48.
2. Diderot, Correspondance..., édition citée, t. II, p. 394 et 392.
3. Ibid., t. VIII, p. 253.
138 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
langue allemande avec une histoire de la littérature allemande.
« Comme c'est aujourd'hui la mode à Paris d'étudier cette langue
et cette littérature, l'ouvrage de M. Junker ne peut man-
quer de faire fortune », écrit Diderot 1.
Les lecteurs et hommes cultivés de France résistent cepen-
dant à cette intrusion de la culture germanique. Dans la presse
littéraire on juge parfois sévèrement les œuvres tudesques
dans lesquelles « la plaisanterie comme généralement toutes
celles des Allemands est lourde et sans sel. » On dénonce leurs
trop fréquents emprunts à notre littérature ; on plaisante
les étrangers qui, comme Grimm ou Meister, critiquent nos
écrivains. Dans le livret d'un opéra-comique, représenté en 1760,
les Nouveaux Calotins, un publiciste allemand, dialoguant avec
la Folie disait : « Moi, j'y affre fait toute exprès le voyage d'Alle-
magne et l'y être venu à Paris pour y apprendre à la Français
comment l'y doive parler son langue. » On dénonçait ainsi
l'outrecuidance des Allemands. Toutefois, on s'occupe d'eux,
on discute le fameux problème posé à la fin du xvne siècle
par le Père Bouhours et consistant à savoir si « un Allemand
pouvait être bel esprit » 2. Dorât publie Vidée de la poésie alle-
mande, sorte d'introduction à l'usage du lecteur français à
l'étude des écrivains germaniques. « Nous regardons, dit-il,
les Allemands comme des espèces d'automates, faits pour
végéter sous des puissances électorales... Tout a bien changé. »
A force de ténacité les Allemands avaient créé autour d'eux
un mouvement de curiosité. Leurs œuvres étaient lues et com-
mentées, la chose n'est point douteuse. A défaut de témoignages
précis, il suffirait, pour s'en convaincre, de consulter les cata-
logues de la librairie au xvme siècle. Les éditions ordinaires
ou illustrées des œuvres des poètes, des historiens ou des phi-
losophes allemands sont nombreuses et si elles n'avaient joui
de quelque faveur, les éditeurs se seraient gardé de les faire
illustrer par Eisen, Marillier ou More au le jeune.
Si le goût de la littérature allemande, sous l'influence de la
colonie des intellectuels germaniques établis à Paris a été déve-
1. Ibid., t. V, p. 454.
2. Ibid., t. II, p. 171.
MUSICIENS ALLEMANDS 139
loppé pendant quelques lustres dans les classes cultivées de la
Société française, l'effort que les membres du Sturm und Drang
avaient tenté n'a pas abouti au xvme siècle. Il a toutefois
préparé le mouvement qui se dessina après la publication du
livre fameux de Madame de Staël sur l'Allemagne.
Tandis que les hommes de lettres allemands tentent de créer
autour des œuvres de leur pays un mouvement de curiosité
et de sympathie, Paris et Versailles se peuplent de musiciens,
compositeurs, virtuoses ou simples instrumentistes de talent
qui, protagonistes de l'art allemand, viennent chercher en
France la consécration de leur talent et de leur renommée.
Après 1760, il n'e.st année au cours de laquelle Paris ne fasse
fête à quelque musicien allemand. L'Opéra joue les œuvres des
auteurs d'outre-Rhin, dans les salons on exécute sonates ou
concertos de compositeurs allemands. Un riche fermier général,
M. de la Pouplinière, dont le salon est le rendez-vous des hommes
célèbres et des femmes aimables de Paris, met à la mode musique
et exécutants allemands K Au cours des trente années qui
s'étendent de 1760 à 1790, il se constitue à Paris une colonie
de musiciens natifs de l'Allemagne ou de l'Autriche. Quelques-
uns se fixent définitivement en France, d'autres font à Paris
des séjours plus ou moins prolongés.
Kôpfer et sa famille habitent Passy ; le mari fait partie de
l'orchestre de M. de la Pouplinière, il est en relations d'amitié
avec Wille 2. Jean Godefroi Eckardt, natif d'Augsbourg, accom-
pagne à Paris son ami Georges-André Stein, célèbre facteur
d'orgues. Tous deux arrivent en 1758. Stein repart dans son
pays d'origine mais Eckardt demeure en France ; il y mourra
en 1809. Pour subsister et se donner la possibilité de cultiver le
clavecin dont il deviendra l'un des maîtres incontestés, Eckardt
se livre d'abord à l'exécution de miniatures. Il n'abandonna
la peinture qu'au moment où sa réputation de musicien est
acquise 3.
C'est également en 1758 que Sieber arrive d'Allemagne ;
1. Marquis de Sétçur, La Jeunesse de madame de la Pouplinière, Un salon de fer-
mier général, dans Jieoue de* Deux-Mondes, n° du 15 février 11)17.
2. G. Wlllc, op. cit., t. 1, p. 3
3. A. Laquiante, op. cit., passim.
140 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
il devient premier cor à l'Opéra et, pour la première fois, fait
entendre de la harpe dans Y Orphée de Gluck. Par la suite, il
s'établit éditeur de musique. De 1760 à 1767, le pianiste Iohann
Schober fait les délices des salons de Paris ; Ritter de Mannheim,
appelé à Paris en 1777 est un virtuose du basson. Hinner, maître
de harpe de la reine Marie-Antoinette enseigne son art à de
nombreuses dames de la cour. Stamitz passe quelques années
à Paris avant d'aller fonder à Mannheim l'école de violon
de cette ville ; son fils Antoine enseigne le violon à Paris et
devient le professeur de Rodolphe Kreutzer.
Les musiques militaires elles-mêmes empruntent à l'Allemagne
des exécutants et des instruments nouveaux.
Lorsque le duc de Choiseul prit possession de la charge de
colonel général des gardes suisses et grisons, le 4 mars 1762,
il continua dans ce corps d'élite les réformes qu'il avait entre-
prises dans l'armée depuis qu'il avait été appelé au ministère
de la guerre. L'une des premières fut la réorganisation de la
musique de ce régiment ; il le dota de seize musiciens qui rem-
placèrent les fifres et tambours, seuls instruments alors en hon-
neur dans les musiques militaires. Parmi les innovations qu'il
apporta dans la nouvelle musique des gardes suisses l'une des
plus importantes fut l'adjonction du cor et de la clarinette,
instruments que l'orchestre de l'Opéra ne possédait pas puisque
lors de la représentation d'Acanthe et Céphise, en 1751, Rameau
dut emprunter à l'orchestre de La Pouplinière les seuls instru-
mentistes de ce genre que ce riche amateur avait fait venir
d'Allemagne.
Pour former sa musique, Choiseul avait appelé d'Allemagne
les instrumentistes indispensables à la nouvelle organisation.
Parmi ces musiciens se trouvait Jean-Jacob Kreutzer, natif
de Breslau, que l'on rencontre, dès 1762, installé à Versailles
avec sa femme et son fils Georges. En même temps que cla-
rinettiste, J.-J. Kreutzer était professeur de violon. Il devait
passer sa vie en France. A l'exception de Georges, né en Alle-
magne, le musicien eut à Versailles sept autres enfant au moins,
cinq garçons et deux filles. Le plus célèbre de tous est Rodolphe
Kreutzer qui naquit à Versailles le 15 novembre 1766 et reçut
KREUTZER, MOZART, GLUCK 141
son prénom de son parrain Rodolf Krettly, lui aussi musicien
des Gardes-Suisses.
Fils de musicien, Rodolphe montra de bonne heure un goût
marqué pour le violon et fut confié aux soins d'Antoine Sta-
mitz, fils de J.-C. Stamitz, fondateur de l'école de violon de
Mannheim. Dès le 25 mai 1780, Kreutzer était virtuose ; il
jouait au concert spirituel du château des Tuileries un concerto
de Stamitz. Quelques mois après la mort de ses parents, sur-
venue en 1784, Rodolphe entre dans la musique du roi ; ses
succès comme exécutant s'affirment et en 1788 il épouse à Ver-
sailles Adélaïde-Charlotte Foucard, femme de haute intelligence
d'après les témoignages de ses contemporains *. Si l'on n'ignore
point que Rodolphe Kreutzer alla finir ses jours hors de France,
on ne sait exactement ce que devinrent ses frères et sœurs et
comment s'écoula leur existence.
La vogue et l'engouement pour les compositeurs allemands
ne se dément pas à la fin du xvme siècle. Wolfgang Mozart,
âgé de huit ans, est amené à Paris par son père et sa mère au
mois de novembre 1763. Il est hébergé par le comte d'Eyck,
représentant de l'Électeur de Bavière puis, après un mois,
sur les conseils de Grimm et de Eckardt, la famille s'établit
à Versailles. Le jour de Noël, le petit Wolfgang entend jouer des
Noëls français par un joueur d'orgue ; revenu chez lui, il en
retrouve les mélodies puis ayant entendu exécuter les œuvres
de nos musiciens, il rentre dans sa chambre et la tête encore
pleine des réminiscences de la musique française, il écrit d'un
trait ses deuxième et troisième sonates en ré majeur et sol
majeur. Dès 1763, Mozart triomphe à Versailles ; il y triomphe
encore en 1766. Il y revient en 1778 mais son séjour en France
est attristé par la mort de sa mère qui l'accompagne et l'accueil
qu'on lui réserve est moins chaleureux que par le passé. Le monde
des arts et des lettres, la société tout entière sont divisés par la
querelle des Gluckistes et des Piccinistes.
C'est en 1764 que Gluck fit son premier voyage en France ;
il y venait surveiller la gravure de la partition à? Orphée mais son
1. J. Hardy, Rodolphe Kreutzer. Sa jeunesse à Versailles. Parla, 1910.
142 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
séjour dans la capitale fut alors assez court. Il n'y revint qu'à
l'automne de l'année 1773 sur l'insistance de nombreux amis.
La Dauphine qui était fervente admiratrice de son ancien maître
de musique lui fit ouvrir les portes de l'Opéra et les premières
répétitions d'Iphigénie en Aulide commencèrent ; elles furent
pénibles pour l'auteur ; l'orchestre, les chœurs, les artistes se
pliaient mal à ses exigences, la salle était encombrée de spec-
tateurs qui assistaient aux travaux ; enfin, le 19 avril 1774,
avait lieu la première représentation. Marie-Antoinette y assis-
tait et battait des mains; la cour et la ville l'imitèrent, ce fut un
grand enthousiasme dans le public. Par la suite, les représenta-
tions d'Orphée, d'Alceste, d'Iphigénie en Tauride suscitèrent
des discussions très vives. A Gluck on opposa Piccini que l'on
avait attiré à Paris. Porté aux nues par les uns, décrié par les
autres qui, aux récits dramatiques et à la majestueuse simplicité
de l'art de « Y Orphée allemande » préféraient les « gargouillardes
italiennes », Gluck connut les triomphes et les déboires. En oc-
tobre 1779, plus irrité du froid accueil fait à Echo et Narcisse
que reconnaissant des grands succès d'Orphée, d'Alceste, d'Ar-
mide et des deux Iphigénies, Gluck quittait la France pour ne
plus la revoir. Les faveurs, les pensions, l'amitié que lui portait
Marie-Antoinette n'avaient pu retenir à Paris le compositeur \
Gluck est un maître, un maître incontesté dont le génie
domine celui de tous les autres musiciens allemands qui furent
joués à Paris à la fin du xvme siècle mais il ne doit point faire
oublier quelques autres de ses compatriotes que la France
accueillit. Daniel Steibelt, né à Berlin en 1760, vint tout jeune
à Paris ; il y composa Roméo et Juliette qui fut chanté en 1793
au théâtre Feydeau, puis un intermède en l'honneur de Napo-
léon après sa victoire d'Austerlitz. L'Opéra de Paris représenta
les œuvres de Vogel ; enfin les Parisiens eurent fréquemment
l'occasion d'applaudir les œuvres du Prussien, Iohan Friedrich
Reichardt.
Elève de Kant, maître de chapelle et directeur de l'Opéra
italien de Berlin, Reichardt n'habita jamais la France mais il y
1. Sur Gluck et la querelle des Gluckistes et Piccinnistes, voir G. Desnoireterres,
Gluck et Piccini. Paris, 1872.
REICHARDT A PARIS 143
fit des séjours prolongés. En 1783, il résolut de se produire à
l'étranger ; muni de lettres pressantes de recommandation
que lui avait données Gluck, il put faire apprécier sa musique
aux concerts de la reine à Versailles et aux concerts spirituels
dirigés à Paris par Legros. On lui confia des livrets d'opéra,
notamment celui de Tamerlan écrit par Morel de Mondeville ;
il repartit pour l'Allemagne, revint à Paris en 1786 pour faire
jouer son opéra mais n'y réussit pas. Il n'en garda pas rancune
aux Français ; en 1792, il arrive de nouveau à Paris par Stras-
bourg et Lyon tout préoccupé de « procéder à une enquête
sur la situation du pays ». De la capitale, il écrit des lettres fort
curieuses sur les clubs, l'Assemblée nationale et les débats par-
lementaires. Il retourne en Allemagne puis, dix ans plus tard,
repris de l'humeur voyageuse, il revient passer six mois à
Paris. Les souvenirs qu'il nous a laissés de ce dernier voyage
sont très intéressants. Il observe le monde des étrangers et celui
des « nouveaux riches » ; il porte la plus grande attention à ce
qui concerne le théâtre et la musique K
L'engouement de la société française pour les musiciens alle-
mands eut sa répercussion sur toute une branche de notre
industrie. En effet virtuoses et compositeurs avaient introduit
dans l'orchestre des instruments de musique peu répandus en
France voire même complètement ignorés. Des Allemands vinrent
à Paris les confectionner. D'autres luthiers, constatant le succès
obtenu par leurs compatriotes, s'implantèrent dans la capitale
pour concurrencer nos régnicoles.
Antérieurement à l'année 1760, quelques Allemands s'étaient
fixés dans le royaume pour y construire des instruments de
musique : Jean-Henri Hemsch et son frère Guillaume, luthiers,
natifs de l'évêché de Cologne, avaient été naturalisés en 1750 2.
Par la suite ils furent légion. La majeure partie d'entre eux
s'établirent au faubourg Saint-Antoine, centre de l'indushiv
1. A. Laquiante, Un Prussien en France en 1792, Lettres intimes de Reichardt.
Paris, 1892. — A Laquiante, Un hiver à l'uris sous le Consulat.
■1. Aicii. Nat., l'P Mil». Nalurulitc\ <!u A\ janvier 1750.
144 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
du bois ; quelques autres préférèrent tenir boutique rue Saint-
Honoré.
Heinle, Joseph Treyer, Hartmann, Pierre Krupp ont laissé
un nom comme luthiers, les trois frères Holtzmann comme fabri-
cants de harpes. Jacob Schnell, Wurtembergeois fixé à Paris
en 1777, obtint un brevet de la comtesse d'Artois et construisit
des clavecins. J. K. Mercken, les frères Zimmermann, Korver,
Wolff furent facteurs de pianos ; J.-B. Schweickardt édifia des
grandes orgues; Winnen se spécialisa dans la confection des
flûtes et des clarinettes. L'un des derniers immigrants est
devenu le plus célèbre ; après avoir fourni une brillante carrière
comme compositeur et éditeur de musique, un élève de Haydn,
Ignace Pleyel, Autrichien de naissance, décida de passer en
France. Il se fixa d'abord à Strasbourg en 1783 et y occupa la
place d'organiste puis fonda à Paris, vers 1795, une importante
maison d'édition qu'il exploita jusqu'au moment où il créa sa
célèbre manufacture de pianos l.
Dans le négoce, dans les arts et les lettres, les Allemands
tiennent à Paris depuis le règne de Louis XIV une place impor-
tante. Leur colonie est considérable ; quels que soient les docu-
ments que l'on consulte, mémoires, journaux, annuaires de
l'époque on retrouve des immigrants originaires d'outre-Rhin
ou des terres d'Empire. Presque tous ceux qui occupent un rang
dans la hiérarchie sociale se connaissent et forment une véritable
franc-maçonnerie ; les uns et les autres sont liés ensemble,
ils se voient, se fréquentent, se soutiennent mutuellement.
Que nombre d'entre eux rentrent dans leur pays d'origine après
avoir vécu quelques années sur les rives de la Seine, cela est
indubitable ; mais l'agrément de l'existence de Paris, les nécessi-
tés du commerce, le mariage avec des Françaises retiennent
maints de ces immigrants qui font souche dans le royaume.
Malgré le trouble que la Révolution apporte dans l'existence des
Parisiens, ils demeurent en France et on les retrouve, eux ou
leurs descendants, lorsque renaît la période de calme.
1. C. Pierre, Les Fadeurs d'Instruments de musique. Les luthiers. Paris, 1893.
CHAPITRE VII
LES COLONIES ALLEMANDES EN PROVINCE.
I. Les Allemands à Bordeaux et La Rochelle. — II. Les Allemands destinés à
peupler la Guyane au xvme siècle. — III. Allemands en Bretagne, en Anjou,
à Orléans, en Normandie, en Auvergne, à Lyon, à Marseille, etc., etc.
La pénétration des Allemands a été aussi marquée dans les
villes de province que dans la capitale. Déjà, par quelques traits,
on a montré l'importance de l'élément germanique dans diverses
branches de l'industrie. Une rapide excursion à travers la France
montrera que les Allemands se créèrent, partout, principalement
au xvme siècle, des situations florissantes.
Au xve siècle, les Allemands que l'on rencontre à Bordeaux
ne s'y trouvent guère qu'à titre individuel et temporaire x :
en 1407, les jurats autorisent Thomas Aleman à s'établir comme
verrier ; sept ans plus tard, ils prendront comme médecin à gages
Jacques Ram, maître ès-arts et licencié en médecine de l'Univer-
sité de Montpellier. Les Hanséates allemands fréquentent peu
le port de Bordeaux pendant l'occupation de la Guyenne par les
Anglais mais à partir de 1462, Louis XI, les ayant exemptés
du droit d'aubaine, des Hambourgeois viennent concurramment
avec les Flamands et les Hollandais enlever des vins qu'ils trans-
portent vers les pays du Nord. Toutefois, les Allemands ne
1. A. Leroux. La Colonie germanique de Bordeaux. Bordeaux, 1918, 2 v. in-8°,
J'emprunte à ce travail très documenté la plupart des renseignements relatifs à
la colonie allemande de Bordeaux.
10
146 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
forment aucune colonie stable à Bordeaux avant la fin du
xvne siècle. Quelques lettres de naturalité, une dizaine environ,
sont accordées à des négociants teutons entre les années 1618
et 1700 ; Marius Scholtz, de Brème, Friedrich Bourdowyn,
de Cologne, Johann Ariès, Hermann Schreuder en sont les
bénéficiaires. Quelques autres sont des «habitués » de longue date,
tel le Prussien Baumgarten. Lorsqu'il épousa en 1670 une Hol-
landaise d'Amsterdam, il y avait plus de vingt ans qu'il habitait
Bordeaux l. Mais ces Allemands ne constituaient pas encore
un groupement ethnique.
Advenant le xvme siècle, l'infiltration allemande prend au
contraire des proportions considérables. D'une enquête effec-
tuée par Tourny en 1743, il résulte que cinq grands négociants
de Lubeck et de Hambourg étaient déjà implantés à Bordeaux
en 1718. Ils avaient acquis une situation suffisamment forte
en 1721 pour que trois d'entre eux, Lukes, Wolt et Popp fissent
partie d'une commission instituée en vue d'étudier les tarifs
des courtiers interprètes 2. Entre 1731 et 1740, l'enquête de
Tourny révèle l'arrivée de onze autres Allemands ; parmi eux
figurent Jacob Schrôder et Johann Schyler, fondateurs d'une
maison de vins connue. Les années se succèdent et l'infiltration
allemande se poursuit ; en 1789 il n'y aura pas moins de 180 fa-
milles d'outre-Rhin installées à Bordeaux ; elles sont originaires
de toutes les parties de l'Allemagne et certes, elles sont loin de
constituer l'ensemble de la colonie germanique de Bordeaux
car les documents ne rapportent pas les noms des commis, des
domestiques et des gouvernantes que leur présence a attirés en
Guyenne.
Quelques-uns de ces immigrants, par leur habileté, par-
viennent très rapidement à de grosses situations de fortune.
J.-J. Bethmann de Francfort-sur-le-Mein, arrivé en 1740 est,
en 1775, le principal armateur de Bordeaux. Commerçant,
diplomate, financier et philosophe, Bethmann conquit l'estime
de ses nouveaux compatriotes ; il leur rendit service, approvi-
sionnant de blé la Guyenne qui, en 1766, en manquait totale-
1. Bib. Nat., man. fonds français 6652, f° 322.
2. Arch. dép. de la Gironde, G 4252.
COLONIE ALLEMANDE DE BORDEAUX 147
ment. Nommé consul de Joseph II, frère de Marie-Antoinette,
il eut l'honneur de recevoir ce prince dans sa maison. Naturalisé
par Louis XVI, Bethmann assista en 1789 aux États de la No-
blesse.
Les Luetkens, les Ëmler, les Bayermann, les Baumgarten,
les Pôhl comptaient parmi les négociants de Bordeaux les plus
importants ; presque tous s'adonnaient au commerce de l'expor-
tation des vins ; quelques-uns étaient les correspondants des
Juifs de Hambourg et d'Altona. Le trafic qu'ils effectuaient
avec les pays du Nord leur laissait des bénéfices considérables.
On s'en rend compte à l'examen d'un rôle de capitation dressé
en 1777 comprenant quatre cent cinquante armateurs et
négociants bordelais sur lequel figurent cinquante Allemands :
Weltner paie 488 livres de capitation, Zimmermann 437 livres,
Bayerman 298 livres.
Plusieurs de ces riches commerçants acquièrent des propriétés.
Hamsen paie 65.000 livres sa propriété de Preignac, Zacau
78.000 livres celle de Mérignac.
Malgré quelques protestations des Bordelais à l'égard de ces
étrangers qui s'enrichissent trop promptement à leur gré, la
population de Bordeaux admet ces négociants ou leurs fils dans
les corps élus. Quelques-uns figurent parmi les juges et consuls
de la Chambre de Commerce, d'autres sont trésoriers de l'hô-
pital Saint-André. Des Allemands entrent également dans les
fonctions publiques.
Thomas Clock est chargé du maniement des deniers du roi ;
Christophe Gorss, directeur de l'Académie d'équitation devient
commissaire inspecteur des haras de la Guyenne, Joseph Bentz-
mann est, en 1742, maire du bourg de Sainte-Bazeille. Trois ans
plus tard, Arnold Dammers acquiert l'office de garde des sceaux
à la chancellerie de la Cour des Aides. Vers 1747, d'Helvétius
est fermier général.
Bordeaux est une capitale. Les lettres, les sciences et les arts
y fleurissent. Les bourgeois de la ville peuvent entendre le
pianiste Kuhn, le harpiste Hochbrucken. François Beck, de
Mannheim, arrive à Bordeaux en 1761 ; il initie les Bordelais
à la musique de Haydn et de Gluck ; plus tard il crée une impri-
148 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
mcrie de musique, la première qui existe à Bordeaux. Schmitt,
facteur d'orgues, construit celles de l'église Notre-Dame. L'Aca-
démie des Sciences de Bordeaux accueille dans son sein des asso-
ciés allemands.
La colonie allemande de la capitale de la Guyenne était si
forte et si bien implantée dans le pays que ses membres prirent
une part active à l'assemblée générale du commerce de Bor-
deaux qui se tint à la Bourse le 2 mars 1789 ; en 1790 plusieurs
entrèrent dans la garde nationale et en octobre 1792 quelques-
uns d'entie eux furent élus membres du comité de ravitaille-
ment de la ville.
La formation de la colonie allemande de Bordeaux est ana-
logue à celle de la constitution du groupement allemand de
Paris ; dans presque toutes les cités françaises, Lyon excepté,
on rencontre des immigrants d'outre-Rhin en nombre plus ou
moins considérable au cours des siècles, mais c'est principale-
ment au xvme siècle qu'ils forment des groupes ethniques
considérables.
De tous temps des Hanséates de Hambourg fréquentèrent
La Rochelle 1 ; ils chargeaient au port les vins d'Aunis et les
eaux-de-vie des Charentes 2. Sous le ministère de Colbert, Prus-
siens et Brandebourgeois importaient des bois de construc-
tion à La Rochelle ; depuis l'année 1681, leur commerce se
développa même de si importante manière qu'un consul de leur
nation y fut nommé. Lorsque Colbert, pour favoriser les rela-
tions directes de la Prusse avec la France, fonda la Compagnie
du Nord, c'est à Henri Tersmitten qu'il en confia la direction.
Ce banquier, originaire de Wesel, sut s'attirer l'estime de Colbert
et lui rendit des services par suite des relations qu'il avait con-
servées avec Brème où son frère possédait une maison de com-
meice 3.
1. A. Leroux, Les relations commerciales de La Rochelle avec la Hanse, dans
Revue de Saintonge et d'Aunis, année 1888.
2. Garnault, Ephémérides de La Rochelle.
3. M. Boissonnade, Histoire des premiers essais de relations économiques directes
entre la France et l'Etat prussien, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de
l'Ouest. Poitiers, 1913, chapitre v.
LES ALLEMANDS EN GUYANE 149
Au xviiie siècl\ 1? colonie allemande de La Rochelle se déve-
loppa parallèlement à celle de Bordeaux. Deux noms de négo-
ciants, ceux de Nicolas et Emmanuel Weiss sont à retenir, car
entre les années 1779 et 1790, ces armateurs figurent parmi les
plus importants de la cité K
Sous le règne de Louis XV s'était fixé à Chatellerault Frédéric
de Nassau Siegher. Enlevé jeune et mis en charte privée par
une branche plus puissante de sa famille, ce prince avait été
enfermé dans un couvent des bords du Rhin. Il s'évada, passa
en France, vint à Chatellerault et y épousa une demoiselle de
Beaulieu. Louis XV et Louis XVI lui firent une pension. Il était
lié avec le comte d'Artois, le futur Charles X, l'accompagna au
siège de Gibraltar, courut le monde avec Bougainville. Son fils,
après avoir servi dans l'armée républicaine contre la Vendée,
finit ses jours comme bibliothécaire à Rochefort. Sa fille fut
pensionnée par Charles X 2.
II
Un événement qui se produisit après la signature du traité de
Paris en 1763 eut une influence certaine sur l'infiltration alle-
mande dans les régions occidentales de la France. Le Canada
ayant été cédé à l'Angleterre, Choiseul, fort ignorant d'ailleurs
des questions coloniales et maritimes, espéra récupérer dans
l'Amérique du Sud les territoires perdus dans celle du Nord*
Il songea à transformer la Guyane en colonie prospère. Malgré
les concessions accordées aux soldats et les envois de femmes,
Cayennc était peu peuplé ; pour tenter de donner quelque acti-
vité au pays, Choiseul fit accorder la propriété de la Guyane
à Turgot, le frère de l'économiste et à Chauvelon, qui avait habité
les Tropiques. Pour mettre en valeur leur nouvelle propriété,
les gouverneurs résolurent d'y introduire des colons allemands 3.
1. Garnault, op. cit.
2. Mémoires inédits de M. Qiou dans Bulletin de la Société de Géographie
de Rjchefort. 1921. N° 2.
3. Daubigny, Choiseul et la France d'outre-mer. Paris. 1892, p. 39, 41, 44, 45.
150 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
M. de Bessner fut chargé de leur recrutement. On répandit en
Allemagne des brochures et des prospectus dans lesquels on
promit monts et merveilles aux émigrants. Le voyage devait
leur être payé jusqu'à Rochefort, puis à Cayenne chaque famille
recevrait en outre 50 livres à titre de provision et 10 livres par
enfant lorsqu'elle en aurait plus de trois K
Alléchées par ces promesses, dès le mois d'octobre 1763, des
familles de différentes provinces allemandes se présentèrent
à la frontière d'Alsace pour être dirigées sur Rochefort ; 8.500
à 9.000 personnes passèrent ainsi en France. L'afïluence des
hommes, des femmes et des enfants fut telle qu'avant la fin
du mois de novembre, Choiseul mandait à l'intendant d'Alsace
d'endiguer et même d'arrêter le flot des émigrants.
Les départs pour Cayenne ne pouvaient se faire que successi-
vement et très lentement, or rien n'avait été prévu pour loger
et nourrir un si grand nombre d'émigrants. Aussi, dut-on aviser
à loger les Allemands dans l'Ouest ; ils furent réunis à Saint-
Jean-d'Angély et on les caserna ; mais bientôt les logements
préparés pour eux étant devenus insuffisants, on établit de
nouveaux dépôts à Saintes, à Cognac, à Saint-Savinien, à Taille-
bourg et à l'île d'Oléron. A l'île d'Aix fut installé un dépôt
provisoire où séjournaient les individus designés pour un embar-
quement prochain. Tous les Allemands étaient nourris et habillés
aux frais du roi.
Les départs pour Cayenne s'échelonnèrent à partir du 'mois
de mars 1764 ; en septembre il restait encore dans les dépôts
6.500 personnes environ. Rapidement la Guyane fut engorgée ;
quelques familles allemandes acceptèrent l'offre de gagner
d'autres colonies; 1.600 personnes furent envoyées à Saint-
Domingue, 923 partirent pour la Martinique. En mars 1765,
on renonça à diriger les Allemands vers le pays d'outre-mer.
Comme ceux qui séjournaient en France coûtaient fort cher
au trésor royal, on songea à les rapatrier.
Malgré les subsides que le gouvernement accordait à ces
déracinés, une grande misère régnait parmi eux. Le comte de
1. Archives du port de Rochefort, Correspondance des années 1763 à 1765,
passim. ,
IMMIGRANTS ALLEMANDS AU XVIIIe SIÈCLE 151
Broglie qui parcourait les côtes de l'Océan, à la fin de 1764,
décrivait au prince de Beauvau l'état lamentable dans lequel
ils se trouvaient. Les Allemands avaient été logés dans des
écuries ; beaucoup mouraient de chagrin, quelques-uns de
consomption. « Turgot, écrit le comte de Broglie, proposait
de les faire travailler aux grands chemins de la province dont le
travail est payé par abonnement ; moyennant quoi ils vivraient
sans qu'il en coûtât rien à personne, répandraient de l'argent
dans le pays et seraient très utiles et y pourraient attendre
que la colonie de Cayenne où il n'y a pas d'hommes fut en état
de les recevoir » 1.
Il y avait déjà quelques mois que le gouvernement français
se rendant compte qu'il ne pourrait loger et utiliser les Alle-
mands entrés en France cherchait à leur trouver des situations
diverses. A la fin de l'année 1763, on sollicita les évêques, les
abbayes, les communautés religieuses pour savoir s'ils ne consen-
tiraient pas à occuper les immigrants. Choiseul leur mandait :
t Ce sont, la plupart, des familles de laboureurs et tous gens de
peine accoutumés et propres au travail. Si dans le nombre,
il en est qui veuillent rester dans le royaume et qui puissent
être placés utilement, on leur en laissera la liberté; ce sera un
avantage d'autant plus grand qu'il sera facile d'en augmenter
le nombre. » L'intendant de Bretagne qui avait reçu cette com-
munication de Choiseul répondit que la province était pauvre
et qu'avant de songer à employer des Allemands on penserait
d'abord à donner du travail aux Bretons. Néanmoins le prieur
de l'abbaye de Reliée près Morlaix et l'abbé de Saint-Sauveur
de Redon consentirent à faire venir quelques Allemands.
Bien qu'ils se plaignissent de la nourriture, ils n'en demeurèrent
pas moins en Bretagne ; en 1765, il y en avait encore quelques-
uns à Redon 2.
L'expérience de la colonisation de la Guyane par des Alle-
mands ayant été malheureuse, on décida, à la fin de 1765, de
1. Madame du Deffand, Correspondance, édlt. de Lescurc. Paris, 1865, t. I,
p. 317. Lettre du comte de Broglie du 7 octobre 1784.
2. L. VIgnols, Les émigrants allemands cantonnés en Bretagne, 1763-1766, dans
Bulletin de la Société archéologique d'1 Ile-et-Vilaine. Année 1894, p. 311.
152 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
rapatrier ceux qui voulurent quitter la France ; à ceux qui
repassèrent le Rhin, on octroya une indemnité de 54 livres.
Successivement les dépôts furent évacués. Le 27 octobre 1766,
il ne restait plus à Saint- Jean-d'Angély que 589 personnes,
336 laboureurs et 253 artisans. Quelques-uns des premiers
s'implantèrent aux alentours de Rochefort et de Saint-Jean ;
certains même gagnèrent le sud de la Gironde et se rendirent
dans les Landes. Plusieurs de ceux qui appartenaient au dépôt
d'Oléron s'engagèrent dans des régiments. A la fin de l'an-
née 1767, les Allemands qui n'avaient pu prendre pied défini-
tivement dans le royaume étaient mis en route : 98 d'entre eux
constituèrent un dernier convoi.
III
On a déjà rappelé les liens qui attachaient la Bretagne et les
villes hanséatiques et marqué l'intérêt que Jean V et ses
successeurs portèrent aux négociants allemands. A la faveur des
conventions passées entre eux et les représentants des villes
libres quelques facteurs allemands s'installèrent en Bretagne
au xve siècle. Les navires venant de la Baltique abordaient
non seulement à Nantes mais dans des havres de petite impor-
tance comme Pornic et Bourgneuf l. A Nantes, des hôteliers
allemands hébergeaient leurs compatriotes 2 ; il est à supposer
qu'ils avaient une clientèle suffisante pour les faire subsister.
Le corps des bourgeois de la ville appelaient des « parties d'Al-
meigne » des ingénieurs hydrauliques : Jehan Houe et ses com-
pagnons étaient chargés d'entretenir la navigabilité de la Loire ;
pour ce faire, ils recevaient des gages mensuels 3. Lors du siège
de Nantes par les Français, la duchesse Anne avait à son ser-
vice dos canonniers allemands.
1. R. Blanchard, Cartulaire des Sires de Rais. Poitiers, 1898. Introduction,
p. XIII.
2. Arch. mun. de Nantes, série CC, passim.
3. Ibid., EE 146.
ALLEMANDS A NANTES 153
Au xvie siècle, les commerçants hanséates et les facteurs
allemands n'abandonnèrent sans doute point une cité où af-
fluaient les représentants des nationalités les plus diverses ;
cependant l'analyse des documents de cette époque ne révèle
que peu de noms allemands. C'est seulement à dater de la fin
du règne de Henri IV que l'on rencontre des lettres de natura-
lité accordées à des forains originaires d'outre-Rhin. Les négo-
ciants allemands qui se fixent sur la Fosse sont principale-
ment des réformés ; quelques-uns, lors de la révocation, regagnent
leur pays d'origine mais la majeur? partie abjurent et conservent
leurs maisons de commerce. Parmi les Allemands établis à
Nantes on compte aussi quelques catholiques ; dans l'ensemble,
la colonie qu'ils ont constituée sur les rives de la Loire est beau-
coup moins importante qu'à Bordeaux.
Henri Brugman et Anne Jacob, originaires de Hambourg,
avaient fondé une raffinerie à Nantes ; leur fils épousa une
Française : Marie Guillot *. De Cologne, vinrent à Nantes
Lenssens et sa femme, Marie Avantore ; leur fils y contracta
alliance2.
Les mandements royaux enregistrés à la Cour des Comptes de
Bretagne relatent de fréquentes lettres de naturalité accordées
à des Allemands, tant au xvne qu'au xvme siècle. Les Bayer-
man, G. Lenlein, J. Nausember, de Cologne, G. Equer, tous com-
merçants ou facteurs furent admis à la qualité de regnicoles ?.
Quelques négociants allemands ont laissé un nom à Nantes ;
Amsink et Meckenhausen y possédaient des comptoirs, Wil-
felhcim fut associé du Hollandais Daveloze jusqu'en 1763,
Lutman fut également l'associé du Néerlandais Vanlobard.
Ces courtiers trafiquaient dans toute la province bretonne ; ils
étaient notamment en relations d'affaires avec un négociant
hollandais de Lorient, Vanderheyde.
Je ne parle pas de Pierre Keill, Muhenhauser, Kuster, Von
Bobart car ils ne sont guère mentionnés que comme témoins
dans des actes de sépulture de réformés 4. Les Siegfried, de
1. Arch. mun. de Nantes, GG 26, année 1689.
2. Ibid., GG 224, année 1696.
3. Arch. dép. de la Loire- Inf. Registres des mandements de la Chambre des Comptes.
4. Arch. mun. de Nantes, GG 507.
154 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Kônigsbcrg x et les Meinert, de Zwickau 2, en Saxe, ont au
contraire, au xvme siècle, contracté mariage à Nantes et y ont
laissé une descendance.
D'artistes allemands ayant exercé leur art à Nantes un musi-
cien seul a obtenu quelque réputation : Pierre Walter, originaire
tie Weimàr. Ce fils de l'auteur du Lexicon de musique se fixa
à Nantes et devint organiste de la cathédrale à partir de 1771 3.
Les négociants allemands installés en Bretagne correspondaient
avec un banquier de leur pays. Dubuisson Aubenay, qui visita
Rennes en 1630, parle dans son Itinéraire de Thietdrich, Alle-
mand d'origine et très riche huguenot qui exerce « la profession
de banquier et remetteur d'argent » 4.
Henri IV, dit la légende, aurait souhaité être bourgeois de
Vitré s'il n'avait été roi de France ; cette coquette cité, quelque
peu déchue présentement, fut jadis un centre commercial très
florissant. Les marchands de Vitré fréquentaient les foires de
Bruges; ils trafiquaient avec l'Espagne et les Hanséates ;
toute une colonie étrangère vivait dans cette ville alors que le
négoce de la toile y était important. Au xvne siècle Zacharie
Zimmerman — Zacharie Charpentier — apothicaire, Hector
Bone, Nicolas Paulus, Jean Bernard Birens, Pierre Tellong
indiquent tous une origine allemande dans les requêtes qu'ils
présentent pour obtenir leur naturalisation. Il en est de même
du luthier Schmitt et de Pierre Tell 5.
Quelques Allemands avaient probablement suivi à Vitré
Amélie de Hesse-Cassel. Cette princesse avait épousé Henri de
la Trémoille, prince de Tarente. Après son veuvage, advenu
en 1672, elle se retira aux environs de Vitré. Elle voisinait
avec Madame de Sévigné ; les deux dames entretenaient d'excel-
1. Ibid., GG 508. Le 23 juin 1782, baptême de Jean Nicolas, fils de Jean Sieg-
fried, de Kœnigsberg, et de mademoiselle Dobrée.
2. Meinert, né en Saxe, s'établit à Nantes vers la fin du xvme siècle ; il épouse
mademoiselle Peyrusset. Sa fille Louise épousa Gabriel Dumoustier, frère du
général et en eut trois filles dont les descendants existent toujours (Note manus-
crite de M. Marion de Procé).
3. Marquis de Granges de Surgères, Les Artistes nantais, Paris, 1898. V° C°.
4. Dubuisson-Aubenay, Itinéraire de Bretagne, édition des Bibliophiles bretons,
t. I, p. 19.
5. Renseignements manuscrits communiqués par M. Frain de la Gaulayrie,
historien de Vitré.
ALLEMANDS EN BRETAGNE 155
lents rapports d'amitié. La marquise nous a d'ailleurs conservé
sur les mœurs i de cette bonne Tarente dont le cœur était
comme de la cire », quelques détails marquant la sûreté de ses
informations et l'intimité de leurs rapports 1.
Les registres des églises protestantes de Bretagne fournissent
de longues listes de noms de réformés originaires d'Allemagne
fixés à Vitré et à Saint-Malo ; ceux des paroisses contiennent
également de multiples renseignements sur les commerçants
d'outre-Rhin établis en Bretagne et qui abjurèrent le protestan-
tisme au cours des vingt dernières années du xvne siècle.
Il m'est impossible de noter les noms et les professions de ces
négociants germaniques car ils sont trop nombreux. Dans la
seule ville de Saint-Malo, une série de Hambourgeois abjurent
entre les années 1703 et 1758 ; parmi eux sont Hans Adam,
Christian Miller, Michel Sendrok et Paul Amsink 2.
A Morlaix, un notable commerçant, Johann Ramon est natu-
ralisé en 1752 ; à Brest, la famille Basserode est d'origine alle-
mande 3 ; elle a fourni des employés du port et des marchands.
Dans quelques havres bretons, à Roscofï, notamment, les
navires allemands apportaient de la graine de lin en provenance
de Riga, de Lubeck et de Dantzig. Les commerçants de Roscofï
servaient de commissionnaires aux armateurs de Lubeck qui
leur donnaient trois francs par barrique de graines vendue.
La principale industrie de la Bretagne étant la fabrication de la
toile tissée avec les lins de culture bretonne, l'Armorique consti-
tuait pour l'Allemagne une cliente importante.
A leur retour, les Hanséates, exportaient de Bretagne des
toiles et des blés. Les blés bretons, au xvine siècle, se vendaient
à Hambourg à un prix supérieur à tous les autres, tellement ils
étaient appréciés en Europe.
Entre la Bretagne et les villes commerçantes de l'Allemagne
les rapports étaient constants et les habitants de la péninsule
1. Frain de la Gaulayrie, Aux Rochers et autour des Rochers. Vitré, 1903. —
Madame de Sévlgné, Lettres, édition de 1820, t. V et VI. — La princesse de Tarente
repartit en Allemagne en 1685.
2. Abbé Paris-.l.ilol». rt. Anciens registres paroissiaux de Bretagne : Evêchi de
Saint-Main, f;isricule de T.mi.
3. Bourde de la Rogerie, Introduction à V Inventaire de la série B de» archives
départementales du Finistère.
156 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
s'entendaient facilement avec les Allemands ; à en croire Cam-
bry, dans sa relation de voyage dans le Finistère, les relations
entre eux étaient cordiales; « les observateurs ont remarqué qu'il
existe une grande sympathie entre les Allemands et les Bretons »,
écrit-il. Je ne sais si les observateurs auxquels Cambry fait allu-
sion étaient bons psychologues ; à tout le moins il faut convenir
qu'à l'instar des Espagnols et des Irlandais, les Allemands
étaient solidement implantés dans la péninsule armoricaine l,
Si l'on franchit les frontières de la Bretagne pour pénétrer
en Anjou et dans le Maine on retrouve des Allemands disséminés
à Angers et à Sablé.
On a déjà mentionné le groupe des étudiants allemands
d'Angers et de Saumur ; ils n'ont pas été les seuls représentants
de l'Empire dans ces villes. Le négoce des vins d'Anjou et
des coteaux de la Loire, les exploitations des mines de Montjean,
près de Saint-Florent-le-Vieil et de celles de Saint-Georges ont
attiré dans cette région des Allemands.
A la fin du xve siècle, Nicolle Adam est docteur régent de la
Faculté de droit d'Angers. En 1624, arrive Polycarpe Sengeber,
natif de Brunswick ; huit ans plus tard, il est docteur régent
de l'Université. Il instruisit le fameux Ménage qui, à diverses
reprises, plaida pour lui ; Sengeber eut, en effet, maille à
partir avec la justice car il mena une vie de débauches telle
qu'il se ruina, fut dépossédé de sa chaire en raison de son indi-
gnité et finalement fut saisi pour dettes en 1644.
Si l'on en juge par les doléances des habitants de Saumur,
les forains commerçants désertèrent cette ville après la révoca-
tion de l'Édit. Il ne semble pas que les Allemands aient aban-
donné Angers ; plusieurs abjurèrent et demeurèrent dans leur
patrie d'élection. Au cours de la seule journée du 21 décembre
1685, Jean Frédéric, Conrad Pfanz, Anne-Rosine Kisnerin,
de Stuttgart, Barthélémy Ruth, de Koenigsberg, Jean-Marie
Hort, de Brunswick, abandonnèrent la religion réformée 2.
1. Cambry, Voyage dans le Finistère, p. 119 et suiv.
2. J. Mathorez, Notes sur les étrangers en Anjou sous l'Ancien Régime. Extrait
de la Revue d'Anjou. Angers, 1915. Dans cet article sont cités les nombreux ou-
vrages de Célestin Port sur les artistes angevins et ceux d'Etienne Port sur les
artistes angevins omis par le savant archiviste de Maine-et-Loire.
ALLEMANDS ÉLÈVES A l' ACADÉMIE d'ÉQUITATION 157
Les élèves allemands de l'Académie d'équitation figurent
fréquemment comme témoins dans les actes de mariage de leurs
compatriotes. Hermann Teklenborg, de Westphalie, épouse
Pauline Baranger le 15 janvier 1685 ; des barons allemands
honorent l'acte de leur signature x ; trois ans plus tard, Jean-
Louis Staël, de Munster, s'unit à Marie Baranger 2 ; les comtes
de Thuraimb, de Kônigseim, d'Herbestein signent l'acte. Marie
Baranger demeure à Angeis ; elle est encore marraine en 1693 3.
Des artisans et des artistes s'établissent à Angers. Christian
Festing est horloger au xvne siècle. En 1720, Charles Salbeck,
charpentier et sa femme, originaires d'Allemagne y eurent un
fils que tint sur les fonts Jean Kaune, maçon, originaire de
Spire. Quelques artistes n'ont été sauvés de l'oubli par M. Céles-
tin Port que par une brève mention rencontrée dans des actes
de notaires ; Henri Kaimell, de Mayence, par exemple. D'autres,
au contraire, ont laissé un nom, tel J. Sébastien Leysner, dont,
en 1845, David d'Angers exécuta le buste. Leysner, né en 1728,
à Weitskocheim, dans l'évêché de Wurtzbourg, s'établit jeune
à Angers ; il y était sans doute dès 1755 car en 1758, l'Irlandais
O'Sullivan le présentait à la loge maçonnique. Cet artiste qui
orna de sculptures plusieurs monuments privés et publics de la
ville s'enrichit assez rapidement pour avoir la possibilité d'ac-
quérir des terres en Anjou et fonder une famille avec Madeleine
le Maugin, qu'il avait épousée en 1761.
Les Angevins sont amis de la musique ; quelques Allemands
ont pratiqué cet art parmi eux. A la fin du xvne siècle, Henri
Hafer, né en Hesse-Cassel, marié à Geneviève Drouet, de Sau-
mur, est qualifié de musicien dans son acte de mariage. Le goût
de la musique dans une ville favorise le développement de l'in-
dustrie des luthiers et facteurs d'orgues. La construction de ces
instruments fut souvent exécutée en France par des étrangers,
des Italiens et des Allemands, notamment.
Jean Luck, né à Esternach dans le Luxembourg, était établi
facteur d'orgues à Angers en 1775 ; il y mourut en 1791 ; Chris-
1 . Arch. mun. d'Angers, GG 33-34.
2. ibid., (,(. 33-31. ;.<tr du t, novembre 1688.
3. Ibid., GG 98, acte du lfi avril 1093.
158 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
tianus Egidius Nyssen possédait également une manufacture
d'orgues dans cette ville.
Le 4 novembre 1599, Henri IV écrivait au maréchal de Bois-
dauphin pour le prier de venir recevoir ses instructions « sur 1»
voyage auquel il voulait l'employer en Allemagne ». Urbain de
Laval, marquis de Sablé, seigneur de Boisdauphin partait
au mois de juin 1600, visitait Nuremberg, Prague, Munich,
Augsbourg, Vienne puis rentrait en France. Chemin faisant
il avait noué des relations avec de hauts personnages ; revenu
dans son château de Sablé, il reçut fréquemment des missives
de ses amis lui recommandant des Allemands passant nos fron-
tières. L'archevêque de Mayence le priait de s'intéresser à un
gentilhomme qui s'acheminait vers la France « pour parachever
ses études et pour apprendre les vertus requises à la noblesse ».
Jean-Georges de Brandebourg lui adressa aussi un gentilhomme
« étant assuré qu'aussitôt qu'il sera imbu de la langue et des
mœurs françaises, il se comportera en ses charges et devoirs
de telle sorte que vous en trouverez, écrit-il, satisfaction » 1.
De son ambassade en Allemagne, Boisdauphin avait ramené
plusieurs étrangers, notamment Henri Kerker dont le nom se
francisa en celui de l'Eglise. Ce gentilhomme, originaire de
Wurtzbourg, en Franconie, devint capitaine ou gouverneur du
château de Sablé avant 1625. De son mariage avec une Sabo-
lienne, Renée Gaigeard, cinq enfants naquirent au serviteur de
Boisdauphin : quatre filles et un fils 2.
A toute époque, dans les villes sises dans la vallée de la Loire,
on rencontre des Allemands vivant isolément ou en groupes.
En Touraine, les tailleurs d'habits pour hommes et pour femmes
sont parfois des artisans natifs d'outre-Rhin. C'est sous cette
qualité qu'est désigné Pierre Roco au début du xvne siècle.
Philippe, natif de la paroisse Sainte-Marguerite de Sparembart,
en Allemagne, exerce la même profession au moment où, en 1687,
il épouse, à Bourgueil, Marie Marquis. Christophe Gutfrai,
1. A. Babeau, Une Ambassade en Allemagne sous Henri IV, extrait de la Revue
historique, t. LX, 1896.
2. G. Ménage, Histoire du Sablé, 2 e partie, p. 175.
HORLOGERS ALLEMANDS 159
parrain d'un enfant à la Chapelle-sur-Loire, en 1727, est aussi
tailleurs d'habits *.
A Blois, et sans que l'on en sache les exactes raisons, s'installa
toute une colonie allemande de graveurs sur métaux, d'horlo-
gers et de fabricants de montres. Ce groupement qui s'était
constitué au milieu du xvie siècle subsista fort longtemps et les
éléments qui le composaient s'assimilèrent à la population.
Les plus notoires des artisans qui créèrent à Blois de véri-
tables dynasties d'horlogers furent les de Cuper, dont l'ancêtre
vint b'établir en 1556. Les Cornely, les de Hecht, fabriquèrent
des horloges à Blois au xvie siècle. Le fils d'Albert le Roy,
graveur, natif d'Amsterdam, fut tenu sur les fonts baptismaux
par l'horloger Georges Roze, originaire de Nuremberg. Les
Scander, fixés à Blois sous Henri III, jouirent d'une très grande
vogue au moment où fut inaugurée la mode des montres déco-
rées d'émaux. Marc Gerrart, fabricant de montres, épouse à
Blois, Anne, fille du menuisier François Papin, l'ancêtre du célèbre
inventeur 2.
Orléans était un véritable centre pour les Allemands ; ils
étaient assurés d'y retrouver toujours des compatriotes étudiant
à l'Université. Des tailleurs, des hôteliers, des aubergistes
s'y étaient fixés. Ils habillaient et hébergeaient les fils de famille,
leurs précepteurs et les voyageurs visitant amis ou parents.
Les uns et les autres se mêlaient à la population ; Jean-Jacques
de Metruspa, précepteur d'un gentilhomme, est parrain d'en-
fants de bourgeois Orléanais 3. Plusieurs convolent avec des
jeunes filles d'Orléans : Théodore Stuckoff, veuf de Marguerite
de Brie épouse Marie Merlin 4, Ignace Handermann, fils de feu
Martin et de Barbe Wintergestein, de la paroisse de Buchen-
berg au diocèse de Constance, tailleur de pierres, établi sur la
paroisse Saint-Victor, épouse Marie Hubert, fille d'un pâtissier 6.
1. De Grandmaison, Introduction à l'inventaire de la série E supp. des Archives
départementales d' Indre-et-Loire, p '2(i.
2. Dcvellc, Les horlogers blésois aux XVI' et XVII' siècles. Blois, 1917 (deuxième
édition).
3. Arch. mun. d'Orléans, GG 85. Acte de baptême du 5 juillet 1605.
4. Ibid., GG 15, mariage du 4 mai 1734.
o. Ibid., GG 1013, mariage du 8 janvier 1752.
160 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Charlotte-Elisabeth Elben, femme légitime de Noël Penot,
né à Orléans, abjure la religion luthérienne en l'église Saint-
Victor l. A Orléans arrivent, pour y mourir, des Allemandes
inconnues. En 1761, on inhume une « Allemande paraissant
quarante ans qui n'a pu se confesser ni dire son nom mais qui
est morte chrétienne » 2.
En Normandie des Allemands sont établis à Alençon ; le fonds
de leur colonie avait été constitué lors de l'occupation du duché
par les soldats wurtembergeois ; d'autres s'y étaient fixés
comme courtiers en dentelles 3. A Rouen, s'étaient tout d'abord
installés quelques facteurs acheteurs de toiles et de draps ;
mais par suite de la diminution de la production française, occa-
sionnée par les troubles intérieurs au xvie siècle, la Normandie,
comme la Bretagne du reste, eut à subir la concurrence alle-
mande et les courtiers commencèrent à importer des laines
et des draps à Rouen. En 1601, un navire de Hambourg y
apporte 25.000 livres de laines 4 ; huit ans plus tard, Jacques
Robin écrit au chancelier pour se plaindre de l'envahissement
du marché par les Allemands 5. Peu à peu Hollandais et origi-
naires d'Allemagne arrivent en foule à Rouen ; ils évincent les
Italiens, les Espagnols et les Portugais qui y tenaient le haut
commerce. Au xvne siècle, la capitale normande possédait
une importante colonie allemande ; les noms de ces négociants
nous ont été révélés par une consciencieuse étude sur les familles
protestantes de Rouen 6.
La colonie allemande de ce port comportait principalement
des Hambourgeois ; les uns étaient courtiers, d'autres indus-
triels ; ces derniers avaient introduit en Normandie des ouvriers
de leur pays. Si, dans les débuts de leur installation les Alle-
mands épousèrent des Hollandaises, à la seconde génération
1. Ibid., GG 1031, mariage du 17 août 1770.
2. Ibid., GG 535. Décès du 31 janvier 1761.
3. Madame Despierres, Histoire du point d' Alençon, p. 103.
4. E. Gosselin, Documents inédits pour servir à l'histoire de la marine normande.
Rouen, 1876, p. 105.
5. Arch. des Affaires étrangères. Petites principautés. Vol. 767, f° 116. Lettre
du 20 août 1609.
6. E. Lesens, La Colonie allemande de Rouen, dans Bulletin de la Commission
d'histoire des églises wallonnes, t. II.
ALLEMANDS A ROUEN 161
ils s'alliaient volontiers à des Françaises. Presque tous possé-
daient des familles nombreuses et leurs enfants essaimaient dans
les provinces avoisinantes.
André Amsink, originaire de Hambourg, était fixé à Rouen
vers 1625 ; il y avait fondé une raffinerie de sucre et ses ouvriers
avaient nom : Michel Smith, Erbent de Glahaut, Christophe
Holden, Jacob Brashr. De son mariage avec une Hollandaise,
Marie Dierquens, Amsink eut seize enfants. Sa fille Marie épousa,
en 1661, Henri Basnage de Beauval, membre du Parlement ;
un de ses fils Paul, se fixa à Saint-Malo où, ayant abjuré, il
s'établit avec sa femme, une Angevine, Catherine-Louise Simon.
André Amsink avait été naturalisé et reçu bourgeois de
Rouen en 1659 V La même année Marc Petersen, natif de
Hambourg, recevait ses lettres de bourgeoisie et de natura-
lité 2. On ne saurait énumérer tous les Hambourgeois commerçant
à Rouen : Jean His, Hermann Wertken, Daniel Eleis, Jean
Guldemer et tant d'autres qui abjurèrent 3. Des Francfortois,
comme David Boulon qui, en 1630, décédait chez son gendre,
Lambert-Dubuisson, étaient également commerçants à Rouen 4.
La colonie allemande de cette ville était assez puissante pour
faire entendre sa voix. Dans les lettres-patentes de Louis XIV
confirmant les privilèges des habitants des villes impériales
fixés à Rouen, il est fait allusion aux doléances des marchands
allemands qui s'insurgent contre les nouveaux impôts auxquels
on veut les contraindre.
Des ministres, Sully, d'abord, Colbert ensuite ont introduit en
France des manufacturiers et des industriels allemands. Dési-
reux de recruter des artisans pour fonder dans les villes fran-
çaises des fabriques de toiles, Sully traita avec un sieur Wollï
qu'il installa à Mantes. Ainsi qu'on le fit souvent sous l'ancien
régime, il s'engagea à naturaliser par avance et en masse les
ouvriers tisseurs qui s'établiraient dans les villes qu'il désignerait.
1. Arch. dép. delà Seine-Inférieure, A 49. — Henri Amsink, son frère, fut natu-
ralisé en 1664. Ibid., A 50.
2. Ibid., A 49.
'A. .!. Blanquis et E. Lesens, La Révocation de l'Edit de Nantes à Rouen. Rouen,
1885, deuxième partie, Liste des protestants.
1. Id., Ibid.
11
162 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
On estime souvent que l'infiltration étrangère s'est principa-
lement manifestée dans les capitales, les ports de mer et les
villes frontières, mais, à bien examiner les faits, on constate
que les forains se fixaient souvent dans les cités de l'intérieur
du royaume. Je l'ai déjà montré par des exemples nombreux ;
on les multiplierait aisément, car il n'est province où ne s'éta-
blissent des Allemands. A Nemours, Claude Hédelin, lieutenant
général de la ville, descendait d'une famille originaire de Souabe.
Il s'était retiré dans cette petite ville après avoir été conseiller
du trésor. Sa femme Catherine Paré, fille du fameux chirurgien,
lui donna douze enfants. L'aîné François, né le 17 mars 1592,
fut. le célèbre abbé d'Aubignac 1.
C'est à Corbeil que le fameux collectionneur Everhard Jabach z
édifia une partie de sa fortune ; il y possédait une grande tan-
nerie.
Everhard Jabach et sa femme Anne-Marie de Groote étaient
natifs de Cologne. A la mort de son père, survenue en 1636,
Everhard passa en France avec Marie de Groote ; il devint l'un
des directeurs de la Compagnie des Indes orientales lorsqu'elle
fut fondée. Au mois <le mars 1647, les deux époux étaient natu-
ralisés. Jabach avait acquis à Paris rue Neuve-Saint-Médéric
une maison dans laquelle il rassembla des objets d'art de pre-
mier ordre ; son hôtel, maintes fois agrandi, devint un véritable
palais. Cette maison servait de demeure, de dépôt et de bureaux
à Everhard Jabach ; il y emmagasinait les peaux préparées
à Corbeil et dont la majeure partie était destinée à l'équipe-
ment de l'armée.
Négociant habile et entreprenant, Everhard s'occupait d'af-
faires variées. Il possédait le privilège de la messagerie de
Liège en France ; ses opérations de banque s'étendaient dans
l'Europe entière, peut-être même fut-il, un moment, directeur
de la manufacture royale d'Aubusson.
Son immense fortune permit à Jabach de collectionner estampes,
1. F. Lachèvre, Les Recueils de poésies libres et satiriques. Paris, 1914, p. 237.
2. Vicomte de Grouchy, Everhard Jabach, collectionneur parisien (1695). Extrait
des Mémoires de la Société d'histoire de Paris et de V Ile de France, t. XXI, 1894.
— A. Callet, L'Hôtel Jabach, extrait de la Cité, Bulletin de la Société historique
du IVe arrondissement, 1904.
EVERHARD JABACH 163
dessins et tableaux ; mais au lieu de se maintenir dans des limites
raisonnables, son insatiable ardeur à toujours acquérir l'amena
à la ruine. Harcelé par des créanciers, il dut vendre des toiles
du Corrège à Mazarin, d'autres tableaux au duc de Richelieu ;
bientôt il fut contraint de céder au roi sa collection tout entière.
Louis XIV était seul assez opulent pour l'acquérir; Colbert
traita le marché en 1671 pour un prix relativement faible et
les 5.542 dessins et les 101 tableaux de Jabach devinrent pro-
priété du Cabinet du roi. Les toiles acquises par le banquier
de Cologne ornent aujourd'hui les salles du musée du Louvre ;
nos plus splendides Van Dyck, Giorgione, Titien, Raphaël et
Holbein sortent de cette galerie unique.
Les affaires de Jabach s' étant améliorées il se remit avec
ardeur à collectionner ; après sa mort survenue le 6 mars 1695,
on dressa chez lui un inventaire de toutes les richesses qu'il
avait de nouveau rassemblées.
Everhard Jabach avait eu quatre enfants ; une fille, Anne-
Marie, épousa à Paris Nicolas Forment, peut-être parente d'Hé-
lène Forment, la seconde femme de Rubens. De son fds Henri
qui continua l'exploitation de la fameuse tannerie de Corbeil
on ne saurait rien, si l'on ne possédait quelques contrats de lui
passés avec François de la Tour d'Auvergne au sujet de fourni-
tures d'équipements militaires. Les autres enfants de Jabach,
bien que naturalisés Français rentrèrent à Cologne.
En pleine Auvergne se fixent des manufacturiers allemands.
Vers l'année 1761, le sieur Feillotes, de Leipzig, fonde à Clermont
une manufacture de chapeaux de poils de castor. Ayant épousé
une jeune fille de la région il y prit pied peu à peu. Tout d'abord,
il avait obtenu du gouvernement une subvention de 400 livres
renouvelable jusqu'en 1768. Ses affaires ayant prospéré, on
réduisit ce subside à 240 livres. Comme Feillotes employait
soixante personnes et versait annuellement 51 .800 livres d'impôts,
il obtint la décharge de la milice, la naturalité et le titre de manu-
facturier du roi I.
L'histoire des colonies étrangères de Lyon n'est pas encore
1. Arch. départ, du Puy-de-Dôme, C 413. -
164 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
écrite; elle vaudrait de l'être complètement. Seuls, les groupe-
ments italiens et quelques personnalités notoires ont jusqu'ici
sollicité l'attention des érudits. Placée à la croisée des chemins de
France, d'Italie et de l'Empire, Lyon fut toujours une cité cosmo-
polite. « La moitié pour le moings des habitants d'icelle sont
estrangiers de plusieurs nacions qui font valloir la ville, font
travailler et gaigner le peuple, louent chèrement les maisons et
boivent le vin qui est le revenu du pays », écrivait un Lyonnais
en 1565. Bien antérieurement à sa constatation les étrangers
abondaient à Lyon; parmi eux, on comptait une foule de gens
natifs des terres impériales. Lorsque Félix Platter arriva à Lyon
le 20 octobre 1552, il descendit chez Paul Heberlin, de Zurich,
et nota : « Tout le monde était Allemand dans l'auberge excepté
l'hôtelière » 1.
A la différence de la colonie germanique de Bordeaux qui ne se
forma guère avant le milieu du xvne siècle, celle de Lyon était
déjà puissante sous le règne de François Ier. Le voisinage de
l'Allemagne, l'importance des foires de Lyon, véritable emporium
du royaume, avaient contribué à y amener des habitants de la
Souabe et de la Bavière. Déjà, on a mentionné quelques-uns
des imprimeurs et des banquiers établis sur les rives de la Saône ;
mais typographes et manieurs d'argent n'étaient pas les seuls
éléments de la colonie germanique de la ville.
Les marchands des villes impériales jouissaient à Lyon de
privilèges analogues à ceux dont disposaient les Italiens ; ils
étaient assurés de franchises pour leurs personnes et leurs biens.
Durant les premières années de l'organisation des foires, les
marchands de Nuremberg ou d'Ulm ne vinrent que temporaire-
ment à Lyon ; ils y séjournaient durant la foire. Par la suite,
ils y maintinrent des représentants attitrés. Maints de ces der-
niers demeurèrent dans le royaume, s'y marièrent, sollicitèrent
leur naturalisation puis firent souche en France.
Le 1er septembre 1491, les Allemands étaient assez nombreux
à Lyon pour y fonder une confrérie dans l'église du couvent
de Notre-Dame-de-Confort. Ils y avaient un tombeau aux armes
1. Félix et Thomas Platter, éd. 'citée, p. 15.
ALLEMANDS A LYON 165
des Impériaux et les confrères qui en exprimaient le désir
pouvaient être inhumés dans ce tombeau. Les Allemands de
Lyon formaient une « Nation » analogue à la nation florentine,
mais ils ne nommaient pas de consul et de conseillers. Avaient-
ils une réclamation à présenter, ils déléguaient deux ou trois
de leurs compatriotes auprès des magistrats municipaux.
Les marchands d'outre-Rhin étaient, dans les assemblées
du Change, les troisièmes à donner leur avis, après les Florentins
et les Français ; ils présentaient au consulat des courtiers chargés
de servir d'intermédiaires et d'interprètes, pendant les foires,
aux marchands de leur nationalité qui ne parlaient pas fran-
çais l.
La colonie allemande de Lyon était riche ; lors des cortèges
solennels des entrées royales, les marchands qui la constituaient
figuraient en bonne place et richement accoutrés. A François Ier
qui, pour des motifs d'ordre politique et financier, avait renouvelé
les prérogatives dont elle jouissait, la nation allemande de Lyon
témoignait de la sympathie. En 1530, pour célébrer la délivrance
de ses fils, « Messieurs de la Nation d'Allemaigne » allumèrent
un vaste feu de joie sur la place de l'Herberie. Dix-neuf grands
marchands de Lyon dont les noms sont connus par un rôle
d'imposition de l'année 1529 avaient sans doute cotisé pour ces
réjouissances.
Lyon est une capitale, les maîtres de métier étrangers y sont
nombreux au xvie siècle, les artistes aussi ; parmi eux on compte
des orfèvres et des peintres. Pierre Eskrich, fils d'un graveur sur
métal, natif de Fribourg-en-Brisgau, travaille pour l'imprimeur
Roville, passe, à Genève, puis revient à Lyon. Il contribue à la
décoration de la ville lors de l'entrée de Charles IX, fait baptiser
son fils dans la religion catholique puis devient peintre de
Monseigneur de Mandelot. En 1574 il participe à l'ornementa-
tion de la cité pour l'entrée de Henri III2.
Des fabricants d'instruments de musique, des luthiers ont
laissé à Lyon de la réputation. Dans le quartier Saint-Paul
vivaient, entre 1558 et 1572, Jehan Helmer et Philippe Flac,
1. E. Vial, L'histoire et ta légende de Jean Cléberger. Lyon, 1914, p. 26 et suiv.
2. Audin et Vlal, Dictionnaire des artistes du Lyonnais. V° C°.
166 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
« faiseur de luths » ou « faiseurs de guiternes ». Si l'on peut douter
de la nationalité du second, des documents affirment l'origine
allemande de Helmer x. Les instruments qu'ils construisirent
ne sont pas connus; ceux de Gaspard Duiffoproucart sont au
contraire catalogués comme pièces célèbres de collections.
Originaire de Freising, localité située sur le bord de l'Isar, à une
petite distance de Munich, ce luthier vint se fixer à Lyon aux
environs de l'année 1533 ; il fut naturalisé en janvier 1559 par
Henri II et se maria à Lyon. Barbe Homeau, sa femme, lui donna
au moins deux enfants, un fils Jean qui fut élève de son père et
une fille qui épousa Valoys Doly. Le luthier allemand mourut
à Lyon en 1570 très probablement 2.
Duiffoproucart établit surtout des basses de violes en marque-
terie ; il a joué dans la lutherie un rôle de chef d'école et les pièces
qu'il a laissées figurent en bonne place dans les collections
célèbres ; le Conservatoire de Paris possède de lui un instrument
curieux et plusieurs fois. décrit.
Le xvie siècle marque pour la ville de Lyon une ère de prospé-
rité considérable ; les Allemands y vivent aisément et s'y enri-
chissent. Après la signature de l'Édit de Nantes, l'importance
de leur colonie s'accroît encore. Durant l'année 1598 et durant
le cours du xvne siècle, les Zollikofer, Suisses alémaniques de
Saint-Gall, fournissent trente-quatre négociants à Lyon et à
Marseille ; à Lyon on compte également dix Gonsebach, quatre
Fitler, quatre Horutiner, cinq Locker, deux Manlich. Mathieu
Spon, originaire d'Ulm, s'établit à Lyon en 1596; il y épouse
successivement Judith Bernard et Clermonde Gras. Son fils
Charles, né de son premier mariage, acquit à Lyon quelque célé-
brité. Nommé médecin du roi en 1645, il écrivit un traité de la
Pharmacopée de Lyon. Sa femme lui donna cinq enfants et l'un
d'eux, Jacob, se fit connaître comme auteur des Recherches des
antiquités et curiosités de la ville de Lyon.
Si les Spon s'adonnaient à la médecine et à l'érudition, Ulrich
1 . Henry Coutagne, Gaspard Duiffoproucart et les luthiers lyonnais du X VIe siècle.
Paris, 1893, p. 48.
2. Id,, Ibid. L'auteur de la monographie citée, à l'aide de documents inédits,
a complètement ruiné l'article consacré par Fetis à Duiffoproucart.
ALLEMANDS A LYON 167
Starch forgeait dans son atelier des lames d'épées fort réputées,
Jean Macq « faisait des cadres et cabinets en façon d'esbenne » *.
A côté de ces Allemands qui ont laissé un nom dans l'histoire
de Lyon, il faut mentionner quelques marchands qui y vécurent
leur existence modeste ou fortunée : Daniel Studer, Jacques
Homberg, Jean Armelin, Jacques Béer, Jean Kalbrener, Ernest
Vimar, Mathieu Wollï et maints autres. Des maîtres d'hôtel
allemands, comme Christophe Pregel, d'Inspruck, hébergent
leurs compatriotes 2 ; des horlogers poméraniens, Daniel Gom,
par exemple, s'établissent à Lyon 3.
La révocation de l'Édit de Nantes a apporté du trouble dans
les entreprises bancaires et commerciales lyonnaises ; toutefois
beaucoup d'étrangers n'ont pas émigré. Les Belz, les Fitler, les
Gonsebach, les Riettmann n'ont pas bougé. Au xviii€ siècle,
la colonie allemande de Lyon n'a cessé de suivre une marche
parallèle à celle des autres villes; elle s'est considérablement
accrue. Sous la Régence et le règne de Louis XV s'établissent
Jean Thierry, Brôleman, Westphalien, Platzman de Berlin,
François Johannot de Francfort-sur-le-Mein 4. Des marchands
y vendent des toiles de Saint-Gall, tel Jean Sebaldt de Ring-
macher 5. Alexis Donsbourg, gentilhomme allemand, est autorisé
en 1727 à fonder dans les faubourgs de Lyon une manufacture
de verres et de cristaux6. Jean Boek, fixé à Lyon en 1724 y
épouse Jeanne Alleyné, veuve du peintre Durannelle 7 ; il est
expert en tableaux et chargé, en 1756, de nettoyer et réparer les
tableaux de l'hôtel de ville.
Dans les petites villes des environs de Lyon s'établissent des
Allemands. A Salins du Jura, le peintre Jean Hileken, né à
Trêves, arrive en 1740 et est reçu habitant en 1765. A partir
de 1771 la ville lui donne une pension de cent livres « à charge
de tenir école de dessin les jours ouvriers, une heure par jour,
1. Natalis Rondot, Les Protestants à Lyon depuis la promulgation de l'Edit de
Nanla, dans lievue d'histoire du Lyonnais, année 1890, p. 171.
2. Arch. mun. de Lyon, BB 440.
3. Ibid., BB 441.
4. N. Rondot, Les Protestants à Lyon au XVII* siècle.
5. Blb. Nat. Collection des Arrêts du Conseil d'Etat, arr^t du 21 juillet 1716.
6. P. Bonnassieux, Inventaire des P. V. du Conseil du Commerce, col. 151 a.
7. Audin et Vial. Dictionnaire des Artistes. V° C°.
168 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
en n'exigeant des écoliers que 30 sols par mois ». Hileken avait
épousé à Salins, Claudine Wattemann. Les leçons d'allemand
qu'il donna unies aux portraits et tableaux qu'il exécuta ne lui
apportèrent pas l'aisance ; en 1790, il recevait de la Confrérie de
la Croix « une aumône honteuse » K
Le Comtat-Venaissin et la Provence possédèrent de tous temps
des colonies allemandes. Lorsqu'Avignon devint le centre de la
catholicité, un monde d'étrangers afflua dans la cité papale.
Les Germaniques fondèrent des confréries et la rue des Alle-
mands rappela longtemps le souvenir de ceux qui y vécurent 2.
Le testament d'Albert de Wurtzbourg mentionne l'existence
d'une confrérie allemande dès l'année 1348 3.
En Provence, on l'a déjà noté, des Allemands étaient au ser-
vice du roi René : depuis le xvie siècle, Marseille n'échappa
point à l'infiltration germanique. Les Allemands y exerçaient
le négoce et l'armement. Krafft, venu à Marseille, en 1573,
avec Melchior Manlich, d'Ulm, rapporte que son maître mit des
fonds dans l'armement de sept navires allant à Tripoli, Lis-
bonne 4, Cadix et autres villes. Une enquête effectuée à Marseille
sur les faits et gestes du lieutenant de Valbelle révèle la présence
de multiples Allemands et dans le port méditerranéen il n'y a
pas lieu de douter que l'édit d'affranchissement de 1669 n'attirât
des terres d'Empire une nuée de Germaniques empressés à faire
fortune. Ainsi qu'à Bordeaux et à Lyon, la colonie allemande de
Marseille fut considérable au xvme siècle. Elle comprit des
négociants de haute envergure, presque tous originaires des
villes hanséatiques. Henri-Jacques Folsch, de Hambourg,
époux de Anne-Elisabeth de Butini, native de Suisse, est installé
à Marseille antérieurement à 1735. Son nom revient perpétuelle-
ment dans les actes de la vie civile des réformés suisses, alle-
mands et suédois. Il est d'ailleurs consul de Suède à Marseille
et son fils Philippe lui succède dans cette fonction. A côté de lui
1. P. Brune, Dictionnaire des Artistes de Franche-Comté. Paris, 1912, V° Hi-
leken.
2. L. Mollat, Les Papes d'Avignon, p. 304.
3. H. Pogatscher, Deutsche in Avignon im XIV Iahrunderte, dans Romische
Quatalschrift fur Chrisliche alterthumskundc. Rome, 1899, p. 58.
4. Bib. Nat., mss. français 18593, f° 238.
ALLEMANDS A MARSEILLE 169
les Kick, les Gourwertz, de Hambourg, comptent parmi les
commerçants notoires de la ville. Des commis, des artisans
originaires d'Allemagne sont employés chez eux ou dans des
maisons d'armement. Jean-Michel Eckhard de Nuremberg est
garçon de comptoir chez Warren ; Chrétien Web a est ouvrier
pelletier ; Jean-Michel Schaud, de Wiesbaden est ouvrier en soie.
Un arrêt du conseil du roi du 24 mars 1726 autorisait l'inhu-
mation des réformés étrangers décédés dans les ports de France.
On a conservé pour Marseille le registre mortuaire des protes-
tants de 1727 à 1788 ; il ressort de ce document qu'un monde de
Germaniques, venant des villes hanséatiques, de l'Allemagne et de
la Suisse alémanique habitait Marseille au xvme siècle. Bernois,
Zurichois, San-Gallois, Hambourgeois, mariés à des Françaises,
commerçaient sur les rives de la Méditerranée et après avoir fait
fortune acquéraient des immeubles à Marseille ou dans la banlieue1.
Dans le Midi de la France, dans le Languedoc notamment,
des facteurs allemands représentaient les associés d'une Compa-
gnie de Hambourg trafiquant sur les vins. Cette société enlevait
par centaines de muids les vins de la région de Béziers, de Cette
et de Montpellier. Tout d'abord les achats se firent de confiance
mais les voituriers chargés de transporter les vins jusqu'au
port d'embarquement additionnaient d'eau les boissons qu'on
leur avait confiées. De trois barriques ils en faisaient quatre ;
aussi les acheteurs allemands prirent-ils l'habitude d'effectuer
leurs achats par l'intermédiaire de courtiers de leur nation ;
à la suite de pertes éprouvées par la société dont les frais géné-
raux avaient été grevés par ces courtages, les Allemands délais-
sèrent quelque peu le Languedoc. Les habitants se lamentèrent
de voir disparaître cette clientèle importante mais comme l'écri-
vait à l'intendant de la province un de ses subordonnés, « la
mémoire des fraudes des habitants de cette région ne s'effacera
jamais de l'idée des négociants du Nord » 2.
Quelle que soit la province ou la ville vers laquelle on tourne
1. V.-L. Rourilly, Les Protestants à Marseille au XV ///• tiède, dans Bulletin de
la Société de l'histoire du protestantisme français, nov.-déc. 1910, p. 518-553. Voir
les noms cités.
2. Arch. dép. de l'Hérault, G 2C83.
170 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
le regard, on rencontre des Allemands nombreux installés
comme chefs d'industrie, fondateurs d'usines, exploitants de
mines et surtout comme ouvriers. La main-d'œuvre allemande
envahit le royaume au xvme siècle.
« Sauf la manufacture de fer-blanc de M. Robelin, la Franche-
Comté ne possède aucune industrie importante. Le proprié-
taire emploie quelques ouvriers allemands » écrit, le 6 avril 1700,
l'intendant de la province x. Le 23 août 1715, le sieur de Mon-
tois, propriétaire de la manufacture de peaux de buffles de Cor-
beil, réclame du gouvernement le montant de ce qui lui est dû ;
il doit lui-même de tous côtés, il lui faut payer ses ouvriers qui
meurent de faim : « or, ceux-ci sont des Allemands sans res-
sources et prêts à se révolter » 2. Dans les verreries, dans les
teintureries, on emploie des ouvriers allemands. Dans la ban-
lieue de Nevers, une fabrique de fer-blanc renferme quatre
équipages de martinets, deux magasins, un atelier à étamer
et des bâtiments pour le logement des ouvriers, pr3sque tous
Allemands d'origine 3. Les Saxons travaillent dans les usines
de fer-blanc 4. Slongel vient de Saxe pour créer dis fabriques
de teinture ; il amène avec lui des compatriotes 5. Les Allemands
fondent en France des manufactures de cristaux et de verres.
En janvier 1725, Joseph-Gaspard Fonberg sollicite du Conseil
du commerce l'autorisation d'établir une fabrique de verres
et de bouteilles en Guyenne ; cette permission lui est accordée
quelques jours plus tard et il s'installe à Bourg-sur-Gironde.
Cet ancien habitant de Wurtzbourg obtient l'exemption de la
taille pour lui et ses ouvriers ; en 1727, il est naturalisé et pour
son établissement, il demande l'octroi du titre de manufacture
royale ; enfin, nouvelle faveur, il réussit à évincer ses concur-
rents et défense est faite à tout nouvel industriel de s'établir
à moins de dix lieues à la ronde. Le manufacturier se crée ainsi
un monopole lucratif 6.
1. A. de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, t. II, lettre 114.
2. Id., Ibid., t. HT, p. 345.
î*. G. Martin, Histoire de la grande industrie sous le règne de Louis XV. Paris,
1899, p. 206. - Arch. Nat., F*2. 1306.
4. Arch. Nat, Fia 1306.
5. Ibid., Fi2 72.
6. Procès-verbaux du Conseil du Commerce. V° Fonberg.
OBERKAMPF 171
La mode des toiles peintes et imprimées se développa au
xviiie siècle lorsqu'en 1759, fut accordée la liberté d'en fabri-
quer en France. La plus connue de toutes les manufactures
est celle de Jouy ; elle fut fondée ou tout au moins dirigée
par un Allemand : Christophe-Philippe Oberkampf né à Weissen-
bach, en Bavière. Oberkampf avait étudié à Aarau le métier de
fabricant de toiles peintes puis était venu travailler chez Cottin,
à la manufacture de l'Arsenal. C'est là qu'un Suisse du roi,
Tavannes, vint lui proposer de prendre la direction d'une
fabrique ; ayant accepté sa proposition, sous la condition d'être
libre de choisir l'emplacement de sa manufacture, il jeta son
dévolu sur la ville de Jouy-en-Josas, aux bords de la Bièvre
et le 1er mai 1760, il imprimait sa première pièce de toile.
L'immigration allemande dans le négoce et l'industrie fut
d'autant plus marquée en France au xvme siècle que cédant
à des conseils intéressés, se berçant parfois d'espoirs chimériques,
nos artisans se laissaient souvent débaucher. Des agents étran-
gers appréciant le fini du travail et les goûts artistiques des
ouvriers français les soudoyaient et les emmenaient vers des
régions où ils ne trouvaient parfois que déboires et regrets.
Les vides que créait leur départ étaient comblés par des étran-
gers ; dans les métiers pénibles, dans les professions qui exigent
plus de résistance physique que de sentiment artistique, des
Allemands remplaçaient les Français. Ils exigeaient des salaires
moins élevés que nos artisans, étant accoutumés dans leur pays
à une vie moins facile et moins large que les ouvriers français,
ils trouvaient facilement à s'employer. Peu à peu, ils s'accoutu-
maient à notre pays où la vie est aisée ; ils y prenaient femme
et se glissaient dans notre population.
DEUXIÈME PARTIE
LES HOLLANDAIS EN FRANGE
CHAPITRE PREMIER
LES HOLLANDAIS EN FRANCE AVANT LA SIGNATURE DE LEDIT
DE NANTES
I. Introduction. — II. Premières relations commerciales. — III. Les artistes néer-
landais à Paris, en Bourgogne et en Touraine. — IV. Les étudiants hollandais
à Paris et à Orléans du xme au xvip siècle ; les professeurs hollandais à Angers,
Poitiers et Paris. — V. Les imprimeurs originaires de Hollande.
I
L'histoire de la pénétration des Hollandais en France pourrait
être divisée en trois périodes. La première embrassant le moyen
âge et le xvie siècle s'arrêterait à l'année 1598, date de la signa-
ture de l'Édit de Nantes. Durant ce laps de temps, les Hollan-
dais, au sens actuel de ce vocable, sont le plus souvent confondus
avec les Flamands et il est assez rare que l'on puisse exactement
déterminer si les immigrants originaires du nord-est de la France
sont ou non issus des provinces qui constitueront la Hollande
proprement dite. Cette discrimination entre les habitants des
Pays-Bas espagnols et des Provinces-Unies s'établit tardive-
ment ; au xviue siècle, même, la dénomination de Flamands
englobe encore fréquemment les hommes nés dans les diverses
provinces du Nord-Est.
La deuxième période de la pénétration hollandaise en France
comprendrait le laps de temps qui s'écoule entre 1598 et 1685,
date de la révocation de l'Édit de Nantes. Durant ce siècle
l'immigration néerlandaise est considérable. Si le xvie siècle
est l'époque la plus florissante de la pénétration italienne dans
notre pays, le xvne est surtout marqué par la prospérité des
176 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
colonies bataves. Les Hollandais sont les rois du négoce en
France ; il n'est port ou cité où l'on ne rencontre quelques-uns
d'entre eux adonnés au commerce ou propriétaires d'une manu-
facture. Ils jouissent d'une organisation remarquable, parlent
notre langue, sont tenaces et n'ont pas à lutter contre une concur-
rence très âpre. Les Italiens qui passent encore les monts songent
surtout à s'infiltrer à la cour et ne s'occupent guère que de
banque lorsqu'ils s'intéressent encore au négoce ; l'Espagne n'a
plus son ancienne splendeur et sa force d'expansion est amoin-
drie. Quant aux Français, ils délaissent le grand négoce et se
précipitent vers les fonctions publiques. Le xvne siècle est la
grande époque de la pénétration des Hollandais en France. Leur
mouvement d'immigration se ralentit dès la mort de Colbert ; il
fléchit brusquement pendant les années qui s'écoulent de 1685
à 1697, date de la signature du traité de Ryswick ; mais il
reprend dès les premières années du xvme siècle.
Avec ce siècle commence la troisième phase de l'immigration
hollandaise. Le Néerlandais est réaliste jusqu'au tréfonds de
l'âme. Notre industrie et notre commerce sont paralysés, la
France est dépeuplée, ruinée par les guerres et les impôts mal
répartis ; profitant de ces circonstances et du découragement
général, les Hollandais reviennent et reconstituent rapidement
les groupements dont l'importance avait diminué à la suite
de la révocation et des luttes de Louis XIV contre les Provinces-
Unies. Mais, quelle que soit la puissance des colonies qu'ils
reconstituent en France au xvme siècle, les Hollandais ne par-
viennent pas à ce degré de prospérité qu'ils avaient antérieure-
ment connue. Ils ont à lutter contre d'autres étrangers. Les
Allemands, les Anglais et les Irlandais font en France un négoce
important et sous l'empire des idées philosophiques, un esprit
d'initiative tout nouveau se manifeste chez les sujets de
Louis XV et de Louis XVI. Si les Hollandais ne sont plus au
xvme siècle les seigneurs et maîtres du négoce, leur rôle démo-
graphique et social n'en demeure cependant pas moins considé-
rable.
A la différence des Italiens et des Allemands qui se sont insi-
nués dans les situations les plus diverses, les Hollandais établis
RAPPORTS FRANCO-HOLLANDAIS 177
en France se sont cantonnés le plus souvent dans l'exercice du
négoce. Si l'on excepte les artistes, peintres, graveurs ou sculp-
teurs qui se fixent dans le royaume, les Néerlandais sont presque
tous armateurs, courtiers, manufacturiers, marchands poul-
ies peindre d'un mot. Très peu recherchent des charges ou des
fonctions ; l'armée compte très peu d'officiers d'origine néerlan-
daise.
II
Les relations commerciales des Néerlandais avec la France
remontent aux xme et xive siècles. Aux grandes foires de Cham-
pagne et à celles du Languedoc venaient des Hollandais. Les
ports français de l'Atlantique étaient visités par des Zélandais,
des Flamands et des Anglais : les guerres que la France eut à
soutenir au xive siècle contre l'Angleterre et la Flandre interrom-
pirent les rapports commerciaux avec ces deux pays ; les Hollan-
dais tirèrent profit du ralentissement du trafic franco-anglais.
Lorsque les principaux comptoirs des Hanséates en Flandre
et en Angleterre se trouvèrent fermés au négoce français, les
Hollandais et les Zélandais devinrent les intermédiaires des
relations avec la Hanse à Abbeville, à Montreuil et à Rouen.
Cette exclusion des Flamands et des Anglais ne dura qu'un
temps mais les Hollandais conservèrent la place qu'ils avaient
prise et qui, déjà, était importante grâce aux privilèges que les
souverains leur avaient accordés.
Dès le xive siècle, en Bretagne, Pierre II étant duc, des com-
merçants du Nord avaient fondé à Nantes une bourse des mar-
chandises et excité par leur fortune les convoitises des habitants
car le duc décréta que tous les forains « faisant bourse coutu-
mière devraient contribuer aux dépenses de réparations des murs
et des fortifications de la ville » l. Jean V attira en Bretagne
des marchands étrangers et par une série de conventions, régu-
1. Privilèges de la ville de Nantes, édition des Bibliophiles bretons, p. 56.
12
178 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
larisa les relations commerciales des Bretons avec les autres
peuples. Il envoya à Bruges son secrétaire Jean Bouget ; par
traité, cet ambassadeur stipula que les habitants de la Frise
et de la Hollande auraient le droit de trafiquer librement en
Bretagne K Les rapports amicaux établis entre la Bretagne
et la Hollande sous le règne de Jean V se continuèrent sous le
règne de François II. Par un mandement de 1468, le duc invita
le sénéchal et le procureur de Nantes à ne percevoir sur les
navires venant des ports de Hollande d'autres briefs que ceux
de victuailles 2. Un compte cité dans la préface du Cartulaire
de Retz prouve que des navires de Hollande abordaient à
Bourgneuf et à Pornic ; ils y venaient chercher des sels. Sous la
rubrique Devoir d'ancrage, en 1474, on lit : « Composition de la
flotte qui vint le troisième jour d'avril : vaisseaux de Hollande 17,
de Zélande 1 ». Le 26 avril de la même année, 8 navires de
Hollande étaient entrés dans le havre de Pornic 3.
Au moment du siège de Nantes par les Français la duchesse
Anne avait mandé des canonniers de Hollande 4. Il est vrai
que, vu les troubles apportés par ces événements, les négociants
avaient quelque peu déserté le port ; aussi, après le mariage
d'Anne de Bretagne avec Charles VIII, les Nantais, estimant
que le commerce maritime faiblissait, sollicitèrent-ils du roi
la création d'une foire nouvelle. Cédant à leurs instances,
Charles VIII transporta de Lyon à Nantes la foire de YAparu-
cion. Cette foire se tenait le premier lundi de l'Epiphanie et
durait quinze jours. Les marchandises importées d'Angleterre
et de Hollande étaient franches de tous droits 5.
S'il est difficile de signaler nominativement des Hollandais
déjà fixés dans nos villes antérieurement au xvie siècle, il est
néanmoins certain qu'il existait déjà des groupements de mar-
chands établis dans quelques ports. Une ordonnance de Louis XI
le prouve. En février 1463 il accordait des privilèges commer-
1. Arch. dép. de la Loire- Inférieure, E 125. — Dom Morice, Preuves pour servir
à l'histoire de Bretagne, t. II, col. 1344-5.
2. Arch. dép. de la Loire- Inférieure, E 125.
3. R. Blanchard, Cartulaire du pays de Retz, édition citée. Inlrod., p. xxiv.
4. Arch. mun. de Nantes, série CC, passim.
5. Privilèges de la ville de Nantes, éd. citée, p. 79.
PREMIÈRES COLONIES HOLLANDAISES 179
ciaux aux marchands de Flandre, de Brabant et de Hollande
venant tant à La Rochelle « qu'ailleurs ». Us avaient adressé
une requête au roi et fait valoir que de « tout temps et d'an-
cienneté, eux et leurs prédécesseurs ont eu coutume de venir
tant par mer qu'autrement sur les côtes de l'Atlantique ».
Ayant accédé à leurs sollicitations le roi déclara que les Fla-
mands jouiraient à La Rochelle de « leurs usances et coutumes
touchant le fait de leurs marchandises comme par le passé ».
Ils auront, dit l'ordonnance, une maison à La Rochelle sauf
à ceux qui y demeureront à devenir bourgeois ; ils auront le
droit de se retirer dans cette maison commune et d'y traiter
de leurs affaires. Ils continueront, ajoute Louis XI, à avoir la
chapelle qu'ils ont d'ancienneté dans l'église des Carmes et
lèveront des taxes sur eux-mêmes pour leurs dépenses K
Au début du xve siècle, des Hollandais sont implantés à
Rouen et à Dieppe. Les comptes de l'archevêché de Rouen
pour l'année 1424 mentionnent à Dieppe la maison où les Hol-
landais avaient installé une brasserie 2.
A Lyon, ils ont des représentants ; Marseille reçoit aussi des
facteurs hollandais ; ils se réunissent et se groupent au xvie siècle
chez maître David Flamman qui donne l'hospitalité à ses com-
patriotes 8. François Ier accorde des lettres de naturalité à des
Néerlandais qui y habitent ou y possèdent des biens. Georges
Hanoignas, natif de Middelbourg, marié à Marseille est natura-
lisé en 1541 4 et Georges Heurques, habitant à Avignon et pro-
priétaire au port de Marseille, reçoit également le titre de régni-
cole 5.
III
Paris est au xive siècle un foyer d'art remarquable. Les Valois
favorisent les artistes. Jean II fait prisonnier refuse de se séparer
1. G. Musset, Les Flandres et les communes de l'Ouest de la France. La Rochelle
1693.
2. Ch. de Bcaurepalre, Noies et Documents concernant l'étal des campagnes de la
Jlautc-Normandie dans les derniers temps du mouen âge. Rouen, 18G5, p. 94.
;>,. /-,//» ri llmniiis l'idllrr à Mnnlprllirr. Mont pi-llii-r, 1892, p. 297.
4. Catalo'/ur <hs Arles dr FrtUtÇOtê Ier; acte 12175.
5. Ibid. Acte 25192.
180 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
de son peintre favori. Charles V, « sage artiste » comme le dit
Christine de Pisan eut probablement pour le dessin un goût
personnel ; ses préférences le portaient vers l'art à tendances
naturalistes. Durant son règne, Charles VI, au moins jusqu'au
moment de la funeste bataille d'Azincourt, protégea les peintres
et les sculpteurs. Les fils du roi Jean, les ducs de Berry, d'Anjou
et de Bourgogne, princes fastueux, furent des amateurs pour
qui travaillèrent peintres, miniaturistes, tailleurs d'images et
enlumineurs renommés. Pour profiter de ces dispositions favo-
rables, immigrent en France et notamment à Paris des artistes
des régions du nord et du nord-est ; ils viennent chercher for-
tune dans la capitale de l'Ile-de-France et les mesures libérales
alors en vigueur favorisent leur venue. « Il peut estre peintre
et sculpteur qui veut pourvu qu'il travaille aux us et coutumes
du métier et qu'il le sache faire » est le principe du temps. Les
artistes ont-ils du talent, les rois et les princes leur octroient
pensions, gros gages et distinctions.
Bien antérieurement au règne de Charles VI sont attirés
vers la région parisienne et le brillant milieu de la cour de
France des gens de talent originaires des pays qui formèrent
le nord et le nord-est de la Gaule antique. L'attirance de Paris
se propage sur toute la zone qui touche à la rive gauche du
Rhin. Non seulement la Flandre et l'Artois mais l'Alsace, le
Hainaut, la Hollande contribuent à l'expansion de l'art de la
peinture dans la France royale 1. Les peintres et sculpteurs
espèrent atteindre la renommée et ils accourent vers Paris.
Les circonstances politiques et notamment une série de
mariages contribuent à accentuer cette immigration. Philippe le
Hardi, duc de Bourgogne et fils du roi Jean a épousé l'héritière
du comté de Flandre et il en devient le souverain à la mort
de son beau-père. Amateur de peinture, ses préférences vont
aux artistes des provinces du Nord. Parmi les princes qui
possèdent des hôtels à Paris figurent un fils et un gendre de
Philippe le Hardi, Antoine de Bourgogne, maître des duchés de
1. Comte Paul Durrieu, La Peinture en France, dans Histoire de l'art de M. André
Michel, t. III, p. 102 et suiv.
ARTISTES HOLLANDAIS 181
Brabant et de Limbourg et Guillaume IV de Bavière, proprié-
taire des comtés de Hainaut et de Hollande.
Vers Paris, « centre de ralliement des artistes et grand marché
pour les demandes des amateurs » viennent des peintres et des
sculpteurs originaires des Pays-Bas et de la Hollande pro-
prement dite ; ils y retrouvent des protecteurs naturels en
même temps que des amis des arts. Les uns y séjournent,
d'autres sont dirigés sur Bourges par Jean duc de Berry ;
d'autres encore sont envoyés à Dijon par Philippe duc de Bour-
gogne.
Des peintres hollandais qui travaillèrent pour le duc Jean de
Berry, les historiens n'ont guère retenu que le nom de Jean
de Hollande fixé à Bourges, en 1398. Des artistes qui exécutèrent
des travaux pour Philippe de Bourgogne et son fils Jean sans
Peur, quelques Hollandais sont au contraire très connus.
Avec Philippe une ère nouvelle s'ouvre dans les États de Bour-
gogne ; le duc a des projets grandioses ; il veut avoir une cour
calquée sur celle du roi et bien qu'il n'y doive résider jamais
longtemps, une capitale digne de ce nom. A Dijon comme à
Paris, il se montre magnifique et multiplie les commandes
d'œuvres d'art. Pour placer dans un cadre admirable son tom-
beau et ceux des siens, il fonde à Champmol, près Dijon, une
Chartreuse à l'ornementation de laquelle concourent des artistes
hollandais. En 1388 la Chartreuse est prête à recevoir les moines
qui lui sont destinés. Il ne reste plus qu'à l'orner de splendide
manière. Jean Malouël, originaire de la Gueldre, est appelé à
peindre les tableaux qui décoreront l'église.
Jean Malouël habitait Paris avec ses deux neveux, orfèvres ;
il travailla d'abord pour Ysabeau de Bavière puis, en 1397,
entra au service de Philippe le Hardi. Pour la Chartreuse de
Champmol, ils exécuta des retables et rehaussa de peintures les
sculptures du Puits de Moïse. Lorsque Jean sans Peur succéda
à son père, Jean Malouël demeura près de lui ; le duc lui com-
manda son portrait pour l'offrir au roi de Portugal. Cette œuvre
fut terminée trois ans avant la mort de Malouël qui décéda
en 1415. Sa veuve et ses enfants étant demeurés sans ressources,
le duc de Bourgogne accorda à ses héritiers une pension de.
182 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
120 livres en considération de ce que le défunt était « un des bons
ouvriers de son métier » l.
La Chartreuse de Champmol a été détruite pendant la Révo-
lution et les peintures de Malouèl ont disparu mais le Puits de
Moise a été sauvé. Les sculptures de ce monument ont pour
auteur Claus Sluter, l'un des maîtres incontestés de l'art réaliste
de la fin du xive siècle.
Claus Sluter était d'origine hollandaise ; son existence demeure
inconnue jusqu'à Tannée 1385, époque à laquelle il travaillait
à Paris comme second ouvrier chez Jean de Marville. A ce mo-
ment Jean commençait l'architecture du tombeau de Philippe
le Hardi. Le duc l'ayant distingué lui donna la succession de
Jean en 1389 et lui confia le soin de continuer sa sépulture
et de décorer le portail de Champmol 2. Entré dans ses nouvelles
fonctions Sluter ne cessa d' œuvrer pendant quinze années
et toute une suite de statues sortit de son atelier. Au cours des
cinq premières années du xve siècle, il exécute les célèbres
Prophètes qui décorent le Puits de Moïse. De ce monument, les
historiens et les critiques d'art ont tout dit ; qu'il suffise de rappeler
que Sluter fut un véritable chef d'école qui rénova l'art bourgui-
gnon en synthétisant dans son œuvre les meilleures des qualités
françaises et néerlandaises.
Lorsque Sluter mourut en 1406, il avait fait école ; il existait
des Slutériens et l'un des mieux doués était son neveu Claus de
Werve, natif de Hattem, dans le comté de Hollande. Jean sans
Peur le chargea de terminer les sculptures du tombeau de son
père et lui commanda le sien. Malheureusement, le duc était
activement mêlé aux querelles politiques qui désolaient la
France et il fut assassiné avant d'avoir pu se procurer les res-
sources nécessaires à ce travail. Claus de Werve trépassa en 1439,
au moment où Philippe le Bon pensait mettre à exécution les
projets qu'avait caressés son père 3.
Bien que Philippe le Bon ne se soit point, comme son grand-
1. Comte P. Durrieu, op. cit., p. 148. — A. Germain, Les Néerlandais en Bour-
gogne. Bruxelles, 1909, p. 40 et suiv.
2. A. Germain, op. cit., p. 54.
3. Id., Ibid. Claus de Werve et les successeurs de C. Sluter.
ERASME EN FRANCE 183
père, intéressé aux artistes et n'ait pas cherché à en peupler
sa cour il est néanmoins probable que des peintres d'origine
hollandaise sont venus chercher fortune à Dijon au xve siècle.
La capitale des ducs de Bourgogne était le centre d'une vie artis-
tique très intense et les circonstances politiques favorisaient
l'immigration des Néerlandais vers la Bourgogne. Depuis 1436,
Philippe le Bon avait acquis par héritage le Hainaut, la Hol-
lande, la Zélande et la Frise. Les habitants de ces pays, en
venant en Bourgogne, changeaient de province mais non de sou-
verain; ils étaient les sujets de Philippe le Bon et la réunion de
ces diverses régions sous un même sceptre rendait aisés dépla-
cements et migrations.
La Bourgogne demeura propriété des ducs jusqu'en l'an-
née 1477, époque à laquelle Charles le Téméraire ayant été
tué au siège de Nancy, Louis XI réunit toute la province à la
couronne ; mars, dès l'année suivante, les Français furent chassés
du comté de Bourgogne, c'est-à-dire de la Franche-Comté,
qui demeura la propriété de la maison d'Autriche, maîtresse
de la totalité des Pays-Bas. Par la Franche-Comté s'infiltrèrent
dans l'ancien duché des Hollandais, négociants ou peintres.
C'est peut-être, en passant par cette province, que vint se fixer
à Tournus la famille Guérard à laquelle se rattachent des souve^-
nirs littéraires et artistiques.
Vers 1460, un médecin de Gouda, Guérard, s'était épris de
la belle Marguerite, fille d'un docteur de Zevenbergen ; de leurs
illicites amours, naissait, en 1463, un premier enfant qui reçut
le nom de Pierre. Trois ans après, en cachette, dans une maison
de Rotterdam, Marguerite donnait le jour à un second fils
qui devait être l'un des hommes les plus illustres de la Renais-
sance : Didier Erasme. En apprenant que Marguerite allait
être mère une seconde fois, ses parents l'avaient chassée de
leur demeure et Guérard s'était réfugié à Rome pour éviter
leur vengeance. Faussement, on lui annonça la mort de sa bien-
aimée ; de chagrin, Guérard était entré dans les ordres mais,
revenu en Hollande, il y retrouvait Marguerite occupée par le
soin pieux de l'éducation de ses enfants. Jeune encore elle
mourait et peu après, Guérard défééafl amsi.
184 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Confiés à des tuteurs, Pierre et Didier furent, de par leur
volonté, contraints de revêtir l'habit religieux. Didier, qui
n'avait point encore ajouté à son nom celui d'Erasme, s'ac-
commoda mal de l'existence des chanoines de Steyn ; il était
indépendant, aimait les arts et s'adonna à la peinture. Frappé
de sa vive intelligence, Henri de Bergues, évêque de Cambrai
le protégea. Il lui obtint une bourse au collège Montaigu, à Paris.
Dans la grande ville, Erasme donna des leçons ; il devint le
précepteur et l'ami de Lord Mountjoy. Il voyagea, regagna la
Hollande et ne revint en France qu'en 1506, époque à laquelle
il s'arrêta à Lyon, en se rendant en Italie.
Pierre Guérard, son frère, mena une vie de débauches; sur la
fin de sa vie, il se brouilla même avec Erasme qui lui reprochait
son inconduite. Que fit-il exactement ? on ne le sait mais il
semble bien être l'auteur des Guérard qui se fixèrent à Tournus,
en Bourgogne 1. Dans les premières années du xvie siècle,
s'établissait dans cette ville un Hollandais, Grégoire Guérard,
qualifié « neveu d'Erasme ». Grégoire était peintre et comme tel
a laissé de la réputation. Il décora notamment l'église Saint-
André de Tournus et Pierre de Saint- Julien de Balleure qui
écrivait en 1581 dit que cette église possédait « de beaux tableaux
de singulier et exquis ouvrage, faits de la divinement docte
main de l'excellent peintre maître Guérard Grégoire, Hollan-
dais, compatriote et parent d'Erasme de Rotterdam » 2.
Maître Guérard dont le nom patronymique se transforma en
Gérard, eut sept enfants. Son fils André, peintre, fut chargé
de décorer Mâcon lors de l'entrée de Charles IX, en 1564. De ses
sept enfants, deux au moins ont laissé à Tournus ou en Bourgogne
une descendance nombreuse ; on connaît des Gérard médecins,
notaires et marchands dont la postérité essaima dans la province.
A la fin du xve siècle, les Italiens sont maîtres incontestés
en France. C'est à eux que s'adressent rois, princes et seigneurs
pour la construction et l'ornementation de leurs châteaux.
1. G. Jeanton, La parenté d'Erasme en Bourgogne, extrait des Annales de l'Aca-
démie de Mâcon, t. XIX. Mâcon, 1917. — G. Jeanton, Les peintres d'origine flamande
à Tournus au XVIe siècle. M:îcon, 1916.
2. P. de Saint- Julien de Balleures, Recueil des antiquités et choses les plus mémo-
rables de l'abbaye et ville de Tournus. Paris, 1581. p. 536.
ARTISTES HOLLANDAIS 185
Toutefois, on rencontre aussi quelques Flamands occupés à
œuvrer dans les palais royaux; quelques-uns travaillèrent
notamment à Amboise. Des critiques d'art ayant étudié les
sculptures de la chapelle Saint -Biaise du château d' Amboise,
avaient reconnu dans leur composition une influence flamande.
Ils avaient raison car le seul compte de la construction du
château qui nous soit parvenu, celui de l'année 1495-1496
révèle la présence de Flamands parmi les ouvriers employés
par le roi. S'il n'est pas prouvé que l'un d'eux, Cornille de Nesve,
soit d'origine hollandaise, il est au contraire hors de doute que
Casin d'Utrecht était de famille néerlandaise. Casin était payé
21 livres par trimestre pour faire des « ymaiges » l.
Les honneurs que l'on accorde en France aux artistes, les
luttes religieuses qui se déroulent dans les Pays-Bas déterminent
des artistes néerlandais à se fixer dans le royaume des Valois
au xvie siècle. Lyon est une ville riche, la colonie étrangère y est
puissante. Les Allemands y coudoient Italiens et Flamands ;
dans cette cité les peintres gagnent largement leur existence.
En 1541, s'y établit Corneille de la Haye. Henri II lui donne ses
lettres de naturalité six ans plus tard et sa renommée est assez
grande pour que Charles IX lui rende visite en 1564 et lui donne
le titre de « peintre et valet de chambre du roi ». Corneille se
convertit en 1569 et meurt six ans après.
Corneille de la Haye a exécuté de nombreux portraits qui
lui ont valu une véritable renommée ; comme lui, ses enfants
s'adonnèrent à la peinture durant le xvne siècle. Corneille avait
fondé à Lyon son foyer ; à sa mort il laissa trois enfants, une
fille et deux fils, dont Corneille II, qui lui-même eut sept enfants.
La descendance directe de Corneille de la Haye subsista à Lyon
jusqu'à la fin du xvme siècle 2.
A Troyes, s'établit Jean de Hoey ; en 1578, il s'unit à Marie
Ricoveri, petite-fille du sculpteur Dominique Florentin. De ce
peintre et de sa descendance, je dirai plus loin quelques mots 3.
1. L. de Grandmaison, Sculpteurs flamands ayant travaillé en Touraine au XV
et au XVI* siècles. Tours, 1913, p 2.
2. Audin et Vial, Dictionnaire des artistes du Lyonnais. V° La Haye.
3. F. Herbet, Extraits d'actes et notes concernant des Artistes de Fontainebleau.
Fontainebleau, 1901, p. 30-47.
186 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Comme toujours, vers Paris, se dirigèrent les Hollandais qui
émigrèrent en France ; les proscriptions du duc d'Albe avaient
déterminé nombre d'entre eux à gagner notre pays. Ils y écou-
laient d'autant plus aisément leurs productions qu'on a retrouvé
la trace d'un véritable syndicat de marchands de tableaux
s'occupant d'introduire en France des peintures flamandes
pour les vendre aux amateurs étrangers fréquentant le quar-
tier de Saint-Germain-des-Prés et la foire Saint-Germain 1.
Les œuvres des peintres flamands et néerlandais étaient donc
appréciées à Paris. De ces artistes originaires de Hollande
quelques-uns sont nommément connus ; en 1585 2, Jean Van
Queborne, maître peintre à Paris, demeurant au Marché-Neuf,
paroisse de Saint-Germain-le-Vieil, épouse Sara Mesebruich,
fille de l'orfèvre hollandais Herman Mesebruich. Van Queborne
est resté complètement obscur et ne fut attaché à aucune per-
sonnalité ; il a été perdu dans la foule de ces artistes de second
ordre dont les noms sont plus intéressants à connaître pour les
ethnographes que pour les historiens de l'art.
IV
Les historiens des Flandres ont noté la prédominance de la
langue et de la littérature française sur les idiomes néerlandais
ou thiois dans la portion néerlandaise des Pays-Bas dès la fin
du xme siècle et au xive. Pour les habitants de ces régions, la
connaissance du français est « le complément d'une bonne édu-
cation » et même à la cour de Hollande, où il semble qu'en raison
de l'éloignement et des circonstances politiques notre langue
dut céder le pas à celle du peuple, elle conserva sa suprématie.
« A partir du duc Albert, la francisation gagna la cour de Hol-
lande comme elle avait gagné depuis longtemps celles de Flandre
et de Hainaut. L'avènement de la maison de Bourgogne ne fit
t. J. Guiffrey, Artistes parisiens du XVIe et du. XVIIe siècles. Notice 103%
2. J Guiffrey, op. cit., V° Queborne.
ÉTUDIANTS HOLLANDAIS A PARIS 187
que consacrer et affermir la situation acquise par le français dans-
les Pays-Bas » 1.
La noblesse et la bourgeoisie néerlandaise envoyaient enfants
et jeunes hommes se perfectionner dans la connaissance du
français en pays wallons. Quelle ville, plus que Paris, offrait
plus de ressources pour les études et pour apprendre notre langue
sans cet accent « rouchi * qui valait à ceux qui le possédaient
un accueil ironique ? Dès le xme siècle les Néerlandais \iennent
nombreux à Paris. En 1238, Andréas, doyen du chapitre de
Sainte-Marie à Utrecht y étudie et il semble que les chanoines
d'Utrecht de ce temps prétextent des études pour se rendre
à Paris. Hessel, doyen de Fermessum, est à Paris avec deux
compagnons en 1280 ; aux environs de 1295, Lodewijk van
Velthem fréquente peut-êtr? les cours de l'Université ; en tous
cas il se souvient des jolies femmes qu'il a connues dans la
capitale. Gérard Groote, le célèbre fondateur de la confrérie
de la Vie Commune séjourne à Paris de 1355 à 1358 2. Les
statuts de la nation allemande de Paris datés de 1378 men-
tionnent une vingtaine d'étudiants originaires de la province
d'Utrecht 3.
Les villes de Hollande accordent des bourses de voyage
à des jeunes hommes qui vont en France. Les comptes de la ville
de Middelbourg de l'an 1380 mentionnent la subvention de
25 livres donnée à Pieter Scaep pour son séjour à Paris.
Les jeunes hommes qui se livrent aux études médicales font
à Paris des séjours de plusieurs années. Ghisbert de Delft y
demeure quinze ans, de 1395 à 1410 ; Zebert de Ele, natif de
Breda, licencié en 1410 est déjà signalé dans les documents
universitaires de 1407. DuTant les premières années du règne
de Charles VI, se forme à la Faculté de médecine de Paris BM
véritable colonie de Néerlandais : Thierry, de Schiedam; Rasson,
1. H. Plrenne, Histoire de la Belgique, t. II, p. 421. — M. Wilmottc, La Culture
française en Belgique. Paris, 1912, p. 15 t\ mnv. k. i. uiuiirns, BlfKiM his-
torique de l'enseignement du français en Holtandt du XVI0 au A/Y siècle. I.cyde,
1919. — J.-.I. Salverda de Grave, // influence de la langue française en Hollande
d'après les mots empruntés. Paris, 1913.
2. A. Budinszky, op. cit. Niederlander, p. 164-179. — IC J. Riemens, op. cit.,
p. 4 à e.
3 Nouvelle Revue historique du droit français et étranger, t. \II. 1SS8, p» 407.
188 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
d'Utrecht; Pierre, Jean, André, de Leyde, Roebosch, Ysebrandt,
de Delft suivent les cours des maîtres parisiens h
Le mouvement d'immigration des étudiants néerlandais
ne se ralentit pas au xve siècle. Les comptes de Middelbourg
relatent pour cette époque les noms de bénéficiaires de bourses
et l'on a publié de longues listes de Hollandais qui, au xve siècle,
occupèrent à l'Université de Paris le rang de recteur ou de
procureur de la nation allemande 2. Ces listes ont d'ailleurs été
complétées et aux noms relevés par leur auteur, il convient
d'ajouter ceux de J. de Gouda, Cornélius Oudendijk, Gilles de
Delft, maître es- arts en 1479, docteur en 1492, un des premiers
Sorbonnistes gagnés à l'humanisme 3. Erasme, en 1495 arrivait
à Paris et Johann Heurnius fut l'élève de Duret et de Ramus 4.
L'université de Dole, fondée en 1420 par Philippe le Ron
vit ses statuts confirmés par le pape Eugène IV puis par Phi-
lippe le Reau et Charles-Quint ; au xve siècle elle jouit dans le
nord de l'Europe d'une grande notoriété et chaque année la
Hollande lui fournit un important contingent d'écoliers 5; néan-
moins les Hollandais lui préférèrent toujours les universités de
Paris, de Montpellier et d'Orléans.
Depuis le xive siècle, Orléans accueillait chaque année des
étudiants de Hollande. Philippe de Leyde se rendit en 1345
dans cette ville, y revint vers 1356 pour y prendre son grade
de licencié. De la dédicace de son traité De cura reipublicœ
et sorte principantis, il ressort que beaucoup de Hollandais
étudiaient à Orléans 6. C'est surtout à partir du xvie siècle
qu'ils furent nombreux à l'université de cette ville ; membres de
la Nation allemande, ils accédaient aisément aux charges et
dignités de cette nation. Au nombre des procureurs figurent
Rernard Wigbold, un Frison ; Henri Rrundt, Guillaume de Roen ;
1. Dr E. Wickersheimer, Commentaires de la faculté de médecine de l'Université
de Paris (1395-1516). Collection des documents inédits. Paris, 1915. Cf. noms
cités.
2. De Wal, Oratio de muneris Recloris magnifici origine, p. 52-54, cité par Rie-
mens, op. cit., p. 6.
3. A. Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres
d'Italie. Paris, 1916, p. 118.
4. Budinszky, op. cit. Nierderlander.
5. J. Longin, La Nation flamande à l'Université de Dôle. Gand, 1892, p. 5.
6. J. K. Riemens, op. cit., p. 5.
ÉTUDIANTS HOLLANDAIS A ORLÉANS 189
de 1560 à 1567 neuf procureurs sont Hollandais, ils viennent
de la Haye, Delft, Groningue l. Ces jeunes hommes apprennent
non seulement notre langue mais adoptent même notre écriture
« italienne ». A tous ceux qui voulaient parvenir aux dignités
de la Nation l'emploi de la cursive gothique était interdit. En
1566, un Hollandais, Hugues Blotius — Hugues Bloodt — rap-
pelle à ses compatriotes qu'il leur est défendu d'inscrire quoi
que ce soit sur les registres de la Nation si ce n'est en « écriture
italienne » et il prescrit à ceux qui ne sont pas accoutumés à
cette manière d'écrire de prendre des leçons de calligraphie. Pour
obéir à ces préceptes, les Germaniques arrivant à Orléans fré-
quentent l'école d'Arnold Grysper, maître d'écriture en cette
ville en 1587 2.
L'esprit d'ordre et d'économie des Hollandais était sanc doute
apprécié de leurs camarades germaniques car très fréquemment
ils sont, à l'unanimité, élus receveurs de la Nation allemande.
De 1510 à 1521, les receveurs sont presque tous Hollandais.
Francon Boot, de la Haye ; Cornélius Wilhelm, de Dordrecht ;
Duyst, de Delft ; Cornélius Fyctr, de Rotterdam dont la devise
est « In virtute labor » exercent tour à tour la charge de trésorier.
Gérard Thielmann, Pierre Hermann, Jacques Glauwe leur
succèdent 3.
Adolphe de Gucldre est receveur dans des conditions diffi-
ciles à la fin de l'année 1563 ; la nation germanique a été momen-
tanément dissoute par suite de la guerre entre le prince de Coudé
et le duc de Guise. Jean Pelant qui lui succède remet de l'ordre
dans les finances et ses scrupules doivent être grands si l'on en
juge par sa devise :
Omnia si perdas, famam servare mémento
Qua semel amissa, postea nullus eris 4.
Les registres des universités d'Angers et de Poitiers révé-
leraient, s'ils n'étaient perdus, les noms de quelques Hollandais
1. Arch. dép. du Loiret, D 214, f°« 1, 40, 99, etc. ; D 265, f" 155, 282.
2. A. Baillet, Arnold de Grysperre, calligraphc à Orléans au XVI0 siècle. —
.1 Su ver. Rapport sur le mémoire précédent, dans Mémoires de la Société d' agriculture^
sciences, etc.. d'Orléans, t. X, 1910, p. 00 et 09.
3. Arch. dép. du Loiret, D 223, f°* 19, 21, 28, etc.
4. Ibid., D 224, f° 93 et passim.
190 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
attirés par la renommée de leur compatriote, un Frison, Fran-
çois Meinard, qui enseigna dans ces deux villes h
Un érudit du xvie siècle, Marin Liberge, auteur de Y Ample
discours sur le siège de Poitiers de 1569 avait attiré à l'université
d'Angers, où il professait lui-même, François Meinard, natif du
village de Weststellingwerf. En 1599 et 1600, Meinard était titu-
laire d'une chaire de droit à Angers ; il habitait encore cette
ville en 1608. L'année suivante, il passait à Poitiers pour y
occuper le poste de professeur de droit ; vers 1612, il épousait
Jeanne Irland, fille d'un notoire Écossais qui, pendant une longue
période, avait enseigné le droit dans la capitale du Poitou.
Quatre enfants naquirent de cette union, mais François Mei-
nard ne les devait pas voir grandir car, d'après une épitaphe
transcrite par Dreux du Radier, il décédait le 1er mars 1623,
âgé de cinquante-trois ans.
François Meinard a joui au début du xvne siècle d'une véri-
table notoriété, non à raison de ses ouvrages de controverse
religieuse mais par suite de la publication du Regicidium détesta-
tum publié quelques semaines après l'assassinat de Henri IV
et qui eut plusieurs éditions. La thèse de Meinard est assez
curieuse pour qu'on la résume en quelques mots. Ayant constaté
que Poltrot de Méré, l'assassin du duc de Guise au siège d'Or-
léans était de l'Angoumois et que Ravaillac était né à Angou-
lême, Meinard s'efforce de démontrer que ni l'un ni l'autre
de ces criminels n'était Français car l'Angoumois ne fait pas
partie de la France proprement dite. Pour exclure de la France
cette province, Meinard établit une distinction entre les Francs
et les Gaulois ; aux premiers il accorde toutes les qualités, aux
seconds, en utilisant les passages des Commentaires de César
les plus hostiles aux Gaulois, il attribue tous les vices. Cette
discrimination effectuée, l'auteur du Regicidium conclut que
descendant des Gaulois en ligne directe, Poltrot de Méré et
Ravaillac ainsi que les habitants de l'Angoumois ne sauraient
être compris au 'nombre des Français.
De vives répliques furent suscitées par l'apparition de cet
1. Th. Ducrocq, François Meinard, Frison, professeur à Angers et Poitiers, dans
Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1891, p. 223.
PROFESSEURS HOLLANDAIS EN FRANCE 191
■ouvrage. Les habitants de l'Angoumois protestèrent et, au
nom des Francs- Gaulois, d'autres auteurs réfutèrent les thèses
<le Meinard. Paul Thomas, avocat à Angoulême déclara dans
un libelle que les doctrines du « docteur Frison » étaient ineptes,
malhonnêtes et misérables ». Victor Tuarts, auteur de la Defensio
pro Francogallis n'eut pas de peine à démontrer l'union de la
nation française.
Si Meinard avait voulu attirer sur lui l'attention, il y avait
réussi car son ouvrage avait causé quelque scandale. Ses œuvres
postérieures lui valurent moins de renommée mais de sérieuses
amitiés. Il fut lié avec des personnages considérables : Duver-
gier de Haurane, abbé de Saint-Cyran, les frères Sainte-Marthe,
l'évoque de Poitiers, Chasteigner de la Rochepozay. Il entretint
également commerce d'amitié avec Pierre Valens, professeur
de langue grecque à Paris l.
Pierre Valens, né à Bédum, village de la province de Gro-
ningue, fit ses études en France et y obtint le titre de maître
ès-arts. Il se fixa à Paris et fut nommé professeur au collège
royal en 1609. Après avoir fourni une longue carrière, Valens
décéda à Paris en 1641 et fut inhumé à Saint-Étienne-du-Mont.
Ses ouvrages sont nombreux ; il en publia une vingtaine au
moins ; parmi eux on note des éloges du roi Louis XIII, un dis-
cours sur la prise de La Rochelle puis des dissertations sur
Homère et Démocrite.
Lorsque Meinard mourut à Poitiers, Valens prit à cœur
les intérêts de Jeanne Irland et s'occupa de la liquidation des
biens que ses enfants avaient à recueillir en Hollande. Il écrivit
à ce sujet diverses lettres dans son ancienne pairie ; l'une,
notamment, est adressée à Sierck Fritzum demeurant à Leyde
et jadis compagnon de table de Valens aux collèges de Dole
et de Paris.
C'est également au cours du xvie siècle que se fixa à Paris
Théodore Marsile 2, né à Arnhem en 1548. Après avoir étudié
1. W. Boales, Noies sur Valens publiées dans De Vrije Frics, t. XVII, p. 427-
435.
2. A. J. van der Aa, Biographisch Voordcnboek der Nederlanden. Haarlem,
1869.
192 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
à Louvun et à Toulouse il revint à Paris comme régent du col-
lège des Grassins puis du collège du Plessis. Il remplaça Jean
Passerat comme professeur d'éloquence et mourut à Paris
en 1517. L'épitaphe gravée sur le tombeau qu'on lui édifia
à Saint-Étienne-du-Mont rappelle ses qualités et ses vertus \
Comme les humanistes, les premiers imprimeurs furent de
grands voyageurs ; ils s'établissaient fréquemment hors de leur
patrie d'origine. Les typographes allemands ont fourni des
habitants à la France ; des Hollandais sont aussi venus exercer
à Paris le métier d'imprimeur ou de libraire.
Wolfgang Hopyl, né à Utrecht ou dans les environs, débuta
comme correcteur chez un de ses compatriotes et devint son
associé. Des Hollandais fixés à Paris, Gilles de Delft, probable-
ment, fournirent à Hopyl les moyens de s'établir à son propre
compte. A partir du mois d'octobre 1490, Hopyl s'installait
ru^ Saint-Jacques, dans la maison du « Tresteau » ou de Y « Image
Saint-Georges ». C'est là qu'il mourut à la fin de l'an 1522 lais-
sant six enfants ; quatre filles et deux fils. Sauf un, mort très
jeune, ils se marièrent tous en France.
Bien qu'il se fut solidement implanté à Paris, Hopyl n'oublia
pas sa patrie car l'un de ses principaux labeurs est un Missel
de l'église d'Utrecht, exécuté par lui pour marquer son amour
à son pays natal. Il imprima également d'autres missels et
ouvrages latins fort recherchés des amateurs de l'époque ;
aussi son atelier typographique devint-il florissant. Il fournit
à son propriétaire des bénéfices abondants si l'on en juge par les
nombreuses acquisitions qu'il fit à Paris.
Georges, fils de Wolfgang, né en 1501, exerça l'art de l'im-
primerie à partir de 1526 ; il était propriétaire de Y « Image
1. E. Raunié, Epitaphier du Vieux Paris, t. III, notice 1502.
LIBRAIRES HOLLANDAIS 193
Sainte-Barbe ». Sa veuve, Perrette Riotte, vivait encore en 1579 l.
Hennequin de Bréda n'a laissé qu'un souvenir et sa vie est
mal connue. Plus notoires sont les Beys, également originaires
des environs de Bréda. Gilles Beys, né à Haeghe, près Bréda,
en 1542, exerça le commerce des livres à Paris depuis l'année
1577. Il s'installa rue Saint-Jacques avec sa femme, la troi-
sième fille de Plantin d'Anvers et écoula surtout les productions
de son beau-père. De son mariage il avait eu dix enfants ; cinq
filles dont trois épousèrent des libraires parisiens. Son fils Chris-
tophe exerça à Paris jusqu'en 1608 ; ses affaires n'ayant pas
prospéré, il se retira à Rennes puis à Lille où il s'établit en 1610.
Adrien Beys, neveu de Gilles, entré comme apprenti chez son
oncle à la fin du xvie siècle, se fit promptement naturaliser;
après la mort de Gilles il demeura avec sa tante, la veuve de
Gilles Beys 2.
Pierre de l'Estoile, collectionneur de livres et de libelles était
en relations d'amitié avec Gilles Beys et son neveu. Il achetait
chez eux des volumes et des opuscules qu'ils rapportaient des
foires de Francfort ou d'Anvers 3. Les libraires du xvie siècle
se déplaçaient facilement ; ils vendaient les ouvrages édités
par leurs soins, ceux que leurs correspondants leur adressaient
et ceux qu'ils allaient acquérir au loin. Des courtiers hollandais
assuraient fréquemment les relations entre la France, la Hol-
lande et l'Allemagne ; à Lyon comme à Paris, des imprimeurs
d'origine étrangère employaient fréquemment des courtiers
néerlandais. A cela, il y avait une raison. Les Hollandais par-
laient généralement la langue française tandis que nos natio-
naux ignoraient l'idiome des Hollandais.
Dès le début du xvie siècle, les bourgmestres des villes de
Hollande avaient préconisé l'étude de notre langue en se basant
sur l'utilité qu'elle présentait pour les futurs commerçants.
Peu à peu, les méthodes d'enseignement pratique s'étaient
1. Sur Hopyl, voir: Claudin, Histoire de l'Imprimerie en France. Paris, 1901,
t. II, p. 67. — H. Stein, L'Atelier typographique de Wolfgang Hopyl à Paris. Fon-
tiiiix -lilcau, 1891. — H. Stein, Nouveaux Documents sur Wolfgang Hopyl. Paris,
1006. — Renouard, Documents sur les Imprimeurs parisiens. Paris, 1901, p. 184.
2. Renouard, op. cil., p. 1 ».
3. P. de l'Estoile, Mémoires Journaux, éd. Lcmcrre, t. VIII et IX, passim.
13
194 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
généralisées en Hollande ; on y enseignait le calcul, la banque
et la langue française; aussi, mieux armés que les habitants de
notre pays, les Hollandais avaient-ils pour Le négoce en France
des facilités que nous ne possédions point K Au xvne siècle»
cette connaissance des langues étrangères jointe aux études
réalistes et pratiques permit aux Hollandais, habiles aussi à
profiter des circonstances politiques, de s'introduire dans toutes
les villes de France pour y exercer avec profit le commerce que
dédaignaient les nationaux.
1. K. J. Riemens, op. cit. Chapitre i. But primitif de l'enseignement du fronçait
p. 15.
CHAPITRE II
-QUELQUES MOTS SUR LES RAPPORTS POLITIQUES DE LA FRANCE
ET DE LA HOLLANDE ENTRE 1579 ET 1697.
Le 23 juillet 1579, les États des Pays-Ras de religion réformée
se groupaient et signaient l'Union d'Utrecht. La république
des Provinces-Unies naissait, englobant la Hollande, la Zélande,
les provinces d'Utrecht, de Gueldre, de Frise, d'Over-Yssel,
de Groningue et quelques cités protestantes de la Flandre et
<lu Rrabant. L'existence de cette jeune confédération fut long-
temps précaire. Avant de parvenir à constituer un État indé-
pendant, la république nouvelle eut à soutenir de longues luttes
avec l'Espagne mais au cours de ces luttes militaires et diplo-
matiques, les Provinces-Unies trouvèrent en France une aide
puissante. L'alliance de la France et de la Hollande constitue
un épisode marquant de notre séculaire querelle avec la maison
•d'Autriche ; elle est aussi l'un des événements importants de
l'histoire néerlandaise. Par les secours en hommes et en argent,
par l'appui que lui fournil le gouvernement français, la Hollande
s'affranchit peu à peu de l'Espagne et conquit son entière indé-
pendance.
Ce fut sous le règne de Henri IV que se nouèrent ces liens
-d'amitié dont la constance ne se démentit pas durant près de
t rois quarts de siècle. N'étant encore que roi de Navarre, en 1581,
Iftiiii éprouvait un vil désir de concourir à r.'illrain'hissement
<les Proviucrs-l Hi( s ; il souhaitait porter la guerre en Espagne,
196 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
mais de ce projet, il fut détourné par Henri III, alors en paix
avec le roi catholique.
Henri III étant mort, des rapports étroits se nouèrent entre
son successeur et les États généraux ; ils lièrent partie contre
les Ligueurs et les Espagnols. Dans les conjonctures au milieu
desquelles il se débattait, Henri IV eut fréquemment recours
aux Provinces-Unies.
Entre les années 1590 et 1596, les lettres adressées par le Béar-
nais à « ses très chers et bons amis, MM. des Estats des Provinces-
Unies des Pays-Bas » sont très fréquentes ; il leur demande
secours et aide pour achever la conquête de son royaume.
Buzenval, son ambassadeur à La Haye, multiplie les démarches
pour obtenir des subsides et il y réussit. Au début de 1597,
Henri IV mande aux États : « Je vous prye pourvoir à la conti-
nuation de la solde des deux regimens de gens de guerre françois
que vous m'avés voulu payer jusques icy et dont j'ai donné
la charge au sieur de la Noue car j'en ay plus grand besoin
que jamais... » Et il ajoute : « Si j'acquiers par ce moyen quelque
advantage sur nos communs ennemys, vous y aurez la meil-
leure part, comme mes meilleurs amys avec lesquelz je suis
résolu me joindre et unir plus estroitement que jamais 1... »
Les sollicitations de Henri IV ne demeuraient point vaines ;
à diverses reprises les États lui adressèrent des secours en argent
et en hommes ; ils lui envoyèrent une flotte qui, remontant
jusqu'à Rouen, soutint Biron dans ses entreprises militaires ;
des Hollandais combattirent aux côtés de Henri IV à Arques
et à Ivry. Pour témoigner sa reconnaissance aux Provinces-
Unies, le roi, à la fin de 1597, concluait un traité d'alliance
avec leur gouvernement. Le duc de Bouillon en avait discuté
les termes et au début de 1598, Henri IV écrivait aux représen-
tants des États : « Je vous envoyé mes lettres de ratification des
deux contrats de confédération et nouvelle alliance que mon cou-
sin, le duc de Bouillon a traitez et passez en mon nom avec vous. »
1. Berger de Xivrey. Lettres missives de Henri IV. Collection des Documents
inédits, passim. — A. Waddington, La République des Provinces-Unies, la France
et les Paijs-Bas Espagnols de 1630 à 1050. Paris, 1897, 2 v. — A. Lefèvre-Pontalis,
Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande. Paris, 1884, 2 v. Voir ch. i et n.
HENRI IV ET LES PROVINCES-UNIES 197
A dater de ce moment est cimentée l'alliance franco-hollan-
daise et Henri IV ne s'adresse plus aux députés des Provinces-
Unies qu'en utilisant la formule : « à nos très chiers et bons
amys, alliez et confedercz les seigneurs des Estats généraux... »
La paix de Vervins ayant été signée entre la France et l'Espagne,
les Provinces-Unies récoltèrent le fruit de leurs amicales dispo-
sitions vis-à-vis de Henri IV. Elles purent se convaincre que ses
solennelles promesses n'étaient point vaines. En effet, les rôles
furent renversés et de France en Hollande affluèrent hommes
et argent. Outre les avantages politiques qu'ils recueillirent
de leur alliance avec la France, les Néerlandais obtinrent pour
leur négoce des facilités à la faveur desquelles ils se créèrent
dans toutes les régions françaises des situations particulièrement
brillantes.
Les rapports cordiaux des deux pays se resserrèrent pendant
le règne de Henri IV. Quand, en 1605 et 1606, au cours de leurs
luttes contre les archiducs, les Hollandais subirent quelques
échecs, la consternation fut grande parmi eux. Ils furent sur le
point de traiter avec l'Espagne, la guerre entraînant la ruine
de leur commerce. Henri IV dépêcha près d'eux Jeannin,
Buzenval et de la Planche pour les détourner d'acheter la paix
à des conditions onéreuses. Les négociations des plénipotentiaires
aboutirent au traité de La Haye signé le 17 juin 1609 et connu
sous le nom de trêve de douze ans. Henri IV et Jacques Ier
d'Angleterre se portaient garants de la paix entre les Provinces-
Unies et l'Espagne qui, en traitant avec elle, reconnaissait
implicitement l'existence de la jeune république. Au cas de rup-
ture de la trêve avant le terme fixé, l'Angleterre et la France
s'engageaient à intervenir contre l'Espagne aux côtés de la
Hollande. Les États généraux s'interdisaient de traiter avec
aucun pays sans l'assentiment préalable de leurs alliés.
Henri IV promettait à la Hollande des subsides en argent ;
cette clause du traité n'innovait en rien car depuis 1598, sous
le prétexte de rembourser d'anciennes dettes contractées vis-à-
vis des États généraux, il leur adressait annuellement des sommes
importantes, leur assurant ainsi les moyens financiers de pour-
suivre leur lutte contre l'Espagne.
198 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
La politique d'alliance franco-néerlandaise dirigée contre
l'Espagne subsista intégralement jusqu'à l'époque du traité de
Munster. Henri IV l'avait inaugurée, Richelieu et Mazarin
la poursuivirent. Elle eut sur les relations commerciales des
deux pays et partant, sur le développement des colonies hollan-
daises en France une importance considérable. Grâce à ce
rapprochement « les Provinces- Unies grandirent sous le patronage
de la France et semblaient être devenues l'une de ses colonies.
Les relations commerciales s'étaient promptement multipliées
et faisaient circuler de nombreux voyageurs hollandais jusque
dans le Midi de la France. » Si cette assertion d'un historien
moderne est exacte sous le rapport politique elle l'est moins
au point de vue démographique et social. A bien examiner
les faits la France a reçu de la Hollande un apport de popula-
tion stable ou temporaire beaucoup plus considérable que celui
qu'elle lui donna jamais ; pendant près de deux cents ans, les
Hollandais considérèrent la France comme une colonie où
ils se fixèrent très volontiers. De tous les pactes commerciaux
annexés aux conventions politiques, les Néerlandais tirèrent
plus largement parti que les Français ; ils s'installèrent dans le
royaume comme en pays conquis et l'on ne serait pas éloigné
de croire que le développement de leurs groupements et leur
prépondérance commerciale n'influèrent pas seulement sur les
dispositions hostiles de Louis XIV à leur égard mais encore
sur la détermination qu'il prit de révoquer les libertés reli-
gieuses que les protestants avaient acquises sous Henri IV.
Continuant la politique de son père, Louis XIII appuya
constamment les revendications de la Hollande contre l'Espagne.
De son avènement à sa mort, il ne se passe guère de période
quinquennale sans qu'interviennent entre la France et les
Provinces-Unies des accords destinés à renforcer les pactes
anciens. Le gouvernement du roi fournit hommes et finances,
les États généraux inféodent leur politique à la nôtre en s'en-
gageant à ne signer aucun traité avec une tierce puissance
sans l'assentiment du roi très chrétien. Ces diverses conventions
stipulent la liberté réciproque du commerce et l'exemption
du droit d'aubaine pour les Hollandais établis en France.
MAZARIN ET LA HOLLANDE 199
Avec un sens très précis des réalités, les États généraux, lors
des échanges de signatures, s'efforcent d'obtenir pour leurs
nationaux des avantages de plus en plus grands ; ils en con-
cèdent aussi, d'ailleurs, mais à raison de leur tempérament
et de leur organisation commerciale très avancée, les Hollandais
recueillent de ces stipulations économiques des profits plus
considérables que nos régnicoles. De tous côtés, se fixent en
France des habitants originaires des Provinces-Unies ; ils
invoquent, pour commercer à leur guise, les droits que leur
confèrent traités et arrêts du roi confirmant leurs prérogatives.
Un arrêt de 1632 les exonère du droit d'aubaine et les considère
comme régnicoles ; au mois de février 1635, ces privilèges sont
maintenus ; les Hollandais obtiennent la liberté de trafiquer
par terre et par mer, de disposer de leurs marchandises comme
bon leur semble, sans payer de droits supérieurs à ceux qu'ac-
quittent les Français. A tout instant, dans les requêtes qu'ils
adressent au gouvernement royal, les Hollandais rappellent
les décisions rendues en leur faveur ; leurs archives sont fort
bien conservées : traités, ordonnances, arrêts du conseil, déci-
sions de justice y figurent en bon ordre et chaque année, de
nouveaux documents enrichissent les collections antérieures.
Richelieu comme Henri IV ne compte pas avec ses alliés ; il
leur concède facilement faveurs et privilèges.
Après la disparition du cardinal, Mazarin suit à l'égard de la
Hollande les errements anciens. Sentant que sous la pression
continue de l'Espagne, le zèle de ses alliés faiblissait, il crut
sage de resserrer une fois encore les liens qui unissaient les deux
pays. D'autant plus urgente était cette nécessité qu'on était
à la veille de négociations internationales pour lesquelles il
serait essentiel de se conduire en parfait accord. En 1643,
d'Avaux et Servien furent chargés de négocier avec les États
généraux et le 1er mars 1644, ils signaient à L^ Haye un ins-
trument aux termes duquel étaient confirmées toutes les disposi-
tions antérieures. En échange de subsides, les Hollandais se
liaient au regard de la France et s'interdisaient de traiter sépa-
rément avec l'Espagne. En outre, le traité de 1644 aplanissait
certaines difficultés entre les allies et laissait une porte large-
200 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
ment ouverte au règlement de celles qui n'avaient pas reçu une
solution immédiate.
Bien que les rapports politiques fussent généralement courtois
entre la France et la Hollande, quelques froissements divisaient
parfois les alliés. Des différends pécuniaires séparaient les deux
pays ; les Provinces-Unies réclamaient notamment un arriéré
de subsides qui leur était dû depuis le début de 1643. Par ailleurs,
au cours de leur mission, d'Avaux et Servien avaient cherché
à s'immiscer dans les affaires intérieures de la Hollande. Les
catholiques néerlandais étaient inquiétés par les protestants
et dans un discours maladroit, les ambassadeurs avaient laissé
croire que Mazarin et le gouvernement du roi protégeraient les
catholiques. Cette prétention avait froissé les États généraux.
D'autres dissentiments étaient nés au sujet de question d'éti-
quette ; les ambassadeurs hollandais soulevaient des difficultés
à propos de leurs titres et Messieurs des États entendaient être
traités de Hauts et Puissants Seigneurs. Mais ces froissements,
s'ils émotionnaient le monde de la cour n'avaient aucune portée
sur l'esprit des habitants des deux pays. Les difficultés commer-
ciales provenant de l'oppression que nos négociants subissaient
de la part des Néerlandais commençaient au contraire à irriter
les esprits des régnicoles. Par suite des avantages qu'ils avaient
constamment acquis, les Hollandais avaient pris en France
une situation prépondérante et réalisé des fortunes considérables.
On les jalousait. Eux se plaignaient des pertes que nos corsaires,
en Méditerranée surtout, infligeaient à leur commerce ; fré-
quemment on pillait leurs navires. Ces différends furent momen-
tanément aplanis par la signature du traité de Paris, dit traité
de Marine, signé le 18 avril 1646 ; les Hollandais obtenaient
satisfaction au sujet des griefs qu'ils avaient formulés relative-
ment aux prises maritimes. L'ère des conflits aigus paraissait
close ; néanmoins « quelque aigreur s'était glissée dans les rap-
ports des alliés et surtout la confiance réciproque faisait dé-
faut » 1. Elle serait peut-être revenue mais par leur attitude, les
États généraux allaient provoquer la rupture de l'ancienne amitié.
1. Waddington, op. cit., t. II, p. 107.
LOUIS XIV ET LES HOLLANDAIS 201
Aux termes du traité de 1644, les Provinces-Unies s'étaient
une fois de plus engagées formellement à ne jamais traiter
séparément avec l'Espagne ; or méprisant leurs engagements,
les États, écoutant les propositions des Espagnols signèrent
la paix à Munster avant tout accord avec la France. Cette paix
de janvier 1648 était certes glorieuse pour eux puisqu'elle recon-
naissait l'indépendance absolue des Provinces-Unies et leur
accordait des agrandissements territoriaux, mais sa signature
fut, à juste titre d'ailleurs, regardée comme une trahison.
Mazarin ne rompit pas les relations avec les États. Des ambas-
sades françaises furent envoyées en Hollande, des missions
extraordinaires vinrent des Provinces-Unies à Paris ; les premières
avaient à atteindre des buts politiques, les secondes visaient
surtout à obtenir des concessions économiques : le retrait d'un
édit du 24 octobre 1648 interdisant certaines importations hollan-
daises en France et la prorogation du traité de marine de 1646.
J'ai insisté sur les bons rapports de la France et de la Hol-
lande car ils ont eu sur l'immigration des Néerlandais dans le
royaume une influence certaine. Il m'est au contraire permis
d'être bref sur la série des événements postérieurs au traité de
Munster. Depuis l'an 1650, chaque année est pour ainsi dire
marquée par quelques complications diplomatiques entre la
France et les Provinces-Unies. En 1657, Ruyter s'empare de
deux de nos navires en Méditerranée ; Louis XIV demande
un châtiment exemplaire contre lui. Les États envoient Boreel
en France pour apaiser le roi ; l'ambassadeur invoque la liberté
des mers, Mazarin le congédie sur ces mots : « Jamais ambassa-
deur ne parla si haut à la cour, vous pourriez vous en repentir » K
Les navires des Hollandais furent saisis et le paiement des lettres
de change suspendu. Ces mesures causèrent du trouble, les grandes
villes de Bretagne réclamèrent et Bordeaux envoya spéciale-
ment à Paris le sieur de Launay-Vivans, conseiller en la Chambre
de l'Édit ; il avait mission de supplier S. M. de ne pas comprendre
leur ville parmi celles à qui le trafic devait être interdit avec la
Hollande.
1. P. Faugèrc et M:irillier, Voyage de deux jeunes Hollandais, p. 125-C.
202 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
La pêche à la baleine, jadis pratiquée par les Dieppois, Ma-
louins et Basques était devenue le monopole des Hollandais.
Foucquet organisa la Compagnie de la pêche à la baleine. Les
Hollandais, comme toujours, firent opposition à cette nou-
velle création ; ils saisirent les navires de leurs concurrents.
Par représailles, Foucquet institua le droit de cinquante sous
frappant toute importation par navire étranger. Par l'organe
de leur ambassadeur Van Beuningen, les Hollandais protestèrent,
prétendant être exempts de cb droit en vertu des exemptions
du droit d'aubaine dont iis jouissaient depuis Henri IV. Leurs
récriminations furent vaines.
Nonobstant les difficultés pendantes, il y eut entre les deux
pays un rapprochement et après des pourparlers laborieux,
était signé le 27 avril 1662 un traité de commerce et d'alliance
défensive valable pour vingt-cinq ans. D'après les articles 19
et 20 de cette convention, les Provinces-Unies et la France
se garantissaient la liberté absolue du trafic des marchandises.
Dès le principe, Colbert semblait bien décidé à ne pas respecter
les clauses de cette convention qui lui liait les mains. Le 18 août
1662, il écrivait à Courtin, notre résident à Stockholm de « ne
donner aucuns mémoires dont nos alliés puissent tirer une
industrie que le Roy veut songer aux moyens de divertir leuT
commerce en l'attirant dans nos ports. » Contre les Hollandais,
il édictait en 1664 son tarif protecteur qui anéantissait partielle-
ment les clauses du traité antérieur.
Les stipulations politiques du traité eurent à jouer lors de la
guerre entre la Hollande et l'Angleterre. Louis XIV prêta son
concours aux États, avec quelque hésitation disent les uns,
avec mauvaise grâce prétendent les autres. Il eut peut-être été
heureux que les deux rivaux de la France éprouvassent « quelques
mauvais succès » K Quoi qu'il en soit, en 1666, la flotte française
se rangeait aux côtés des navires néerlandais mais les États,
estimant tardive l'intervention de la France, se montrèrent
1. Sur tous ces points, voir A. Lefèvre-Pontalis, Jean de Witt, grand pension-
naire de Hollande, chap. v et vi. — Jal, A. Duquesne. Paris, 1873, t. I, p. 435 et s.
— Ch. de la Roncière, Histoire de la marine française. Paris, 1920, t. V. Guerre
entre la Hollande et l'Angleterre, p. 441.
LOUIS XIV ET LES HOLLANDAIS 203
mécontents et accusèrent de Lionne d'avoir persuadé à Louis XIV
de laisser les Anglais et les Hollandais « se détruire les uns les
autres en regardant le jeu de loin ». Durant cette guerre, Colbert
se montait contre la Hollande, rien ne pouvait lui être plus
désagréable que des lettres analogues à celle-ci que d'Estrades
lui adressait de La Haye : « La disposition des Hollandais à
notre égard ne peut être plus mauvaise ; ils nous regardent
avec envie et crainte sur le commerce et il faut s'attendre qu'ils
n'oublieront rien pour l'interrompre... MM. des États ont pour
principe d'ôter le commerce à tout le monde. »
Estimant insuffisante la protection donnée au commerce
français par le tarif de 1664, Colbert voulut porter à la Hollande
un coup décisif ; il édicta le tarif de 1667, prohibitif, celui-là.
Atteints dans leur négoce, les Hollandais adressèrent en France
de Groot, fils du célèbre Grootius. De Lionne le renvoya à Col-
bert qui ne le reçut pas; de Groot s'adressa à Louis XIV,
lui fit tenir des mémoires démontrant que l'application du tarif
de 1667 serait aussi néfaste à la France qu'à la Hollande. Le ro1
le prit de très haut et les États, par représailles, publièrent leurs
placards de 1671, prohibant l'entrée des vins et des eaux-de-vie
en Hollande, frappant les sels et les sucres de France de droits
tels que l'exportation n'en fut plus possible.
La tension des rapports entre Louis XIV et les États était
telle que la guerre était inévitable. Le roi de France, blessé
dans son orgueil par ce petit peuple de marchands républi-
cains et protestants qui toléraient rémission de médailles inju-
rieuses, la publication de pamphlets dirigés contre sa personne,
accueillaient les réformés français, rompit les amicales relations
et envahit la Hollande. Dans les Provinces-Unies, le pension-
naire Jean de Witt était assassiné, Guillaume d'Orange deve-
nait stat bouder et jusqu'en 1702, date de sa mort, il fut l'âme
des coalitions dirigées contre la France ; son pouvoir s'accrut
d'ailleurs à dater de 16S(.), époque à laquelle il devint roi d'An-
gleterre.
1res connue est la première, guerre de Hollande qui se ter-
mina le 10 août 1678 par le traité de Nimègue. Le jour même
où les plénipotentiaires arrêt aient les accords politiques, ils
204 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
concluaient un traité de commerce rétablissant la liberté du
négoce entre les deux pays, maintenant l'exemption du droit
d'aubaine et prévoyant, qu'en cas de conflit, un délai de neuf
mois serait imparti aux nationaux des deux États pour se retirer
dans leur patrie respective. Par le traité de Nimègue, les Hollan-
dais obtenaient l'abolition du tarif de 1667 et l'on en revenait
aux dispositions de 1664 1.
Le traité de Nimègue ne fut qu'une trêve. La Hollande ayant
adhéré à la ligue d'Augsbourg le 16 novembre 1688, la guerre
reprit entre la France et les Provinces-Unies. Cette guerre se
termina par le traité de Ryswick mais tandis que l'empereur
Léopold et les autres souverains signaient avec Louis XIV
des traités dont les clauses politiques étaient les plus essentielles,
les Provinces-Unies avaient eu soin de conclure pour une durée
de vingt-cinq ans un traité de commerce, de navigation et de
marine où les intérêts économiques tenaient une place prépon-
dérante. Ils avaient même obtenu l'abolition du droit de 50 sous
par tonneau qui se levait dans les ports de France sur tous les
navires étrangers.
Si l'on envisage dans leur ensemble les rapports de la France
et de la Hollande depuis l'avènement de Henri IV jusqu'à la
fin du xviie siècle, l'on remarque que de 1589 à 1648 les Hollan-
dais ont eu des relations très amicales avec nous. Depuis l'époque
des traités de Westphalie jusqu'aux environs de l'année 1664,
date à laquelle Colbert prit ses premières mesures contre le
commerce des Provinces-Unies, l'intimité des deux pays se
refroidit ; à l'amitié et à la courtoisie diplomatique succède
ensuite une inimitié qui dure un quart de siècle : questions
politiques, religieuses, commerciales, toutes contribuent à
séparer France et Hollande. L'évolution de ces rapports a eu
son contre-coup sur la pénétration des Hollandais dans le
royaume. Sous les ministères de Sully, de Richelieu et de Maza-
rin, les Hollandais sont admis en France en amis véritables.
Ils se considèrent comme s'ils étaient dans leur propre patrie.
Au temps de Colbert, ils sont également admis avec courtoisie
1. Dumont, Corpus Diplomaticum, t. VII, 2e p., p. 391 et 394.
LOUIS XIV ET LES HOLLANDAIS 205
et affabilité. Colbert les accueille, les attire même mais les motifs
qui le guident sont fort intéressés. Comme ses prédécesseurs,
il voit en eux des auxiliaires précieux, capables de seconder
ses vues économiques mais entre sa conduite et celle de Riche-
lieu, il y a cependant une nuance fort appréciable. Colbert
aime les Hollandais non pas seulement pour eux-mêmes mais
contre la Hollande dont il jalouse la prospérité. Chaque Néer-
landais qu'il gagne à la France est un rival de moins.
CHAPITRE III
I. Les Hollandais sont protégés et attirés en France par Henri IV. — II. Richelieu
appelle des constructeurs et des marins de Hollande. — III. Rapports cordiaux
des Français et des Hollandais ; voyageurs et étudiants néerlandais en France.
— IV. Les peintres, graveurs et artistes hollandais à Paris et en province. —
V. Les dissensions religieuses en Hollande au xvne siècle développent le mouve-
ment d'immigration.
I
La signature de l'Édit de Nantes accordait aux protestants
la libre pratique de leur religion. Ne craignant plus les vindictes
des ultramont ains, les Hollandais profitèrent des bonnes dis-
positions de Henri IV pour s'établir dans son royaume. Ils y
vinrent d'autant plus volontiers qu'ils se sentaient également
forts de l'appui de Sully. Le ministre écrivait en effet : « Con-
j oindre entièrement et inséparablement la France avec les
Provinces-Unies c'est le seul moyen de remettre la France en
son ancienne splendeur ». Les vues du roi et du ministre étaient
puissamment secondées par une princesse : la veuve de Guil-
laume le Taciturne, Louise de Coligny, favorisait les compa-
triotes de son ancien époux, de même son beau-fils, Philippe de
Nassau, marié à la fille du prince de Condé. Avant même qu'un
véritable traité d'alliance eut été signé avec les Provinces-
Unies, Henri IV, sympathisant avec les Hollandais, leur octroyait
des lettres de naturalité. Non content de leur ouvrir les fron-
tières du royaume, il leur accordait des faveurs variées.
Jusqu'à la fin du xvie siècle, seul, notre négoce était protégé
dans le Levant par les Capitulations. En 1598, le roi entamait
avec de Brèves, son ambassadeur à Constantinople une corres-
PRIVILÈGES ACCORDÉS AUX HOLLANDAIS 207
pondance suivie pour obtenir l'admission des Hollandais aux
Échelles. C'était les inciter à s'établir comme courtiers et com-
missionnaires dans les ports de la Méditerranée. Quelques années
après, un Hollandais, Lajien, remettait au roi des réquisitions
demandant que les marchands des Provinces-Unies fussent
reçus en France aux mêmes privilèges que ceux de Paris. Henri IV
qui souhaitait rétablir le commerce aurait volontiers admis
tout de suite la requête des étrangers ; il n'ignorait point
qu'il ne devait pas compter sur les régnicoles pour parti-
ciper au relèvement économique du pays. Mais, la France,
sortant à peine de la crise nationaliste la plus aiguë qu'elle aît
connue sous l'ancien régime, Henri IV voulut ménager l'opi-
nion publique. Il fit étudier la question de l'égalité des préro-
gatives commerciales des régnicoles et des Néerlandais par le
Conseil du Commerce. « S. M. fut requise et suppliée de n'ac-
cepter facilement les étrangers, en son royaume... Si elle veut
les accueillir, ce sera avec beaucoup de précautions car les
marchands estrangers font des efforts pour estre reçus à traffi-
quer... » disent les délibérations. Tout en se réservant, le Conseil
admettait le principe de la réception des forains dans le royaume ;
ils étaient exemptés du droit d'aubaine, pouvaient être natura-
lisés après une année de séjour dans une ville à condition d'y
apporter deux mille écus de marchandises et dix ans après
vérification de leurs lettres de naturahté, les étrangers étaient
assimilés aux nationaux.
Forts de ces avis Henri IV et Sully accordèrent aux Hollan-
dais toutes facilités pour s'établir en France. Ils n'avaient
d'ailleurs point attendu ces suggestions pour les convier à s'y
fixer. Dès 1599, ils confiaient à Humfroy Bradley, de Berg-op-
Zoona et à ses compatriotes le dessèchement des marais de
France. Tout Néerlandais capable de fonder une manufacture
et de travailler à la prospérité du pays était agréé par le roi et le
ministre.
Les frères Varicq de Delft ayant créé une manufacture de
faïences vernissée» et de tuiles décorées pour ivvcHir le faîtage
<li s maisons se voient en butte aux vexations des couvreurs
qui leur créèrent des difficultés. Henri IV les prend sous sa pro-
208 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
tection spéciale et grâce à lui, ils étendent leur industrie de
Paris à Orléans 1. A Rouen et à Mantes Wolf et Lambert ayant
monté des fabriques de toiles fines, sont autorisés à appeler
des ouvriers hollandais qui perfectionnent leur fabrication 2.
Henri IV se propose d'établir à Nantes une manufacture de
toiles fines et d'y attirer des ouvriers hollandais propres à cet
effet. Son projet échoue, mais de son idée, on doit retenir l'es-
time en laquelle il tient les artisans du Nord 3. Le roi installe
des Hollandais au Louvre. Lorsqu'en 1656, deux jeunes Hollan-
dais visitent le palais, ils notent dans leur journal : « De là nous
allasmes à la galerie d'en-bas qui est d'environ sept cens pas
et aussi grande que celle d'en haut. Les plus excellens artisans
de l'Europe y travaillent et c'est là que le roi les y loge. Henri IV
l'avoit destinée pour des Flamands et des Hollandois qu'il y
vouloit attirer à cause qu'ils sont d'ordinaire plus propres et
plus industrieux que ceux des autres nations » 4.
Souhaitant améliorer le port de Marseille, Henri IV demande
un devis à Hieronymo de Coomans qui, en 1606, lui soumet
un plan pour rendre « le nettoy^ment du port de Marseille fort
aysé » ; il propose de creuser deux bassins, l'un pour abriter les
vaisseaux de guerre, l'autre les navires de commerce 5. Le roi
a dessein d'établir une belle ville dans la péninsule de Giens ;
des ingénieurs hollandais s'offrent à effectuer les travaux du
nouveau port et de la ville ; en 1609, ils partent en Provence ;
un crédit de 80.000 livres leur est ouvert mais la mort du roi
survenant, leurs études sont interrompues6.
C'est avec joie qu'Henri IV accueille en 1604 un marchand
d'Amsterdam, Pieter Lintgens qui lui offre de fonder une société
pour l'exploitation des régions d'Extrême-Orient. Le roi accepte
ses propositions et crée péniblement une Compagnie des Indes
avec le concours de Français et de quelques étrangers ; il solli-
1. G. Fagniez, L'Economie sociale sous Henri IV, p. 157.
2. E. Gosselin, Documents inédits pour servir à l'Histoire de la marine normande,
p. 141.
3. Arch. Nat., G? 171.
4. P. Faugère et Marinier, Voyage de deux jeunes Hollandais, p. 84-85.
5. Ch. de la Roncière, Histoire de la marine française, t. IV, p. 615 et suiv. Com-
ment une marine se relève.
6. ld., Ibid.
RICHELIEU ET LES HOLLANDAIS 209
cite des États généraux quelques navires long-courriers pour les
mettre à la disposition des associés. Les Hollandais jalousent
l'entreprise royale, ils gagnent Buzenval et Sully auxquels ils
font de riches cadeaux ; le vieux compagnon d'armes de Henri IV,
Aersens, crée au sein des États généraux une opposition irré-
ductible contre les projets du roi qui échouent misérablement.
Les Hollandais ont commencé la conquête pacifique du com-
merce mondial, ils n'entendent pas se laisser déposséder par les
Français.
Les négociants hollandais attirés en France ou ceux qui y
viennent délibérément commercer ne profitent pas seuls des
bonnes dispositions du roi à leur égard. Le roi admet l'équiva-
lence des grades conférés par l'université de Leyde avec ceux
qu'octroient les maîtres de nos universités. Il accueille avec
courtoisie les étudiants qui affluent à Paris, à Orléans ou à
l'Académie protestante fondée à Saumur par Duplessis-Mornay.
De toutes manières, il témoigne à ses alliés hollandais une amitié
que rien ne dément ; il est aidé dans sa tâche par Sully. Par tem-
pérament, par éducation, par affinités religieuses Sully prise au
plus haut point les hommes du Nord ; un moment, même, il
songe à se retirer dans leur pays.
Par les mesures générales qu'ils prirent, Henri IV et Sully
ont été les véritables promoteurs de la constitution des colonies
hollandaises qui, dans la France du xvne siècle, acquirent un
développement analogue à celui des colonies italiennes au temps
des Valois. Richelieu favorisa, lui aussi, la pénétration des
Néerlandais en attirant dans le royaume des sujets des Provinces-
Unies.
II
Devenu grand maître de la navigation, Richelieu songea à
développer les forces navales de la France ; l'idée d'être tribu-
taire de la Hollande pour ses entreprises militaires lui était
insupportable. Par les divers traités que la France avait signés
14
210 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
avec les Provinces-Unies, les États s'étaient engagés à mettre
des navires de guerre à la disposition du gouvernement fran-
çais. Lors de l'affaire de La Rochelle, cette clause des traités
fut mise à exécution ; les Hollandais envoyèrent vingt vaisseaux
à Louis XIII. Sans doute les marins qui les montaient, auraient-
ils hésité à combattre des coreligionnaires et seraient-ils demeurés
neutres si le 16 juillet 1626, Soubise qui commandait la flotte
des Rochelais n'eut par surprise attaqué le vaisseau du vice-
amiral Dorp. Désireux de se venger, les Hollandais entamèrent
le combat et défirent les Rochelais. C'était une leçon pour le
cardinal. La réussite de son entreprise n'avait tenu, du côté
de l'Océan, qu'à la maladresse de Soubise. Il ne convenait pas
à Richelieu d'être à la merci d'alliés dont la fidélité n'était pas
totale ; pour se soustraire à cette obligation, force lui fut de
développer la marine de guerre française. Tout ou presque était
à créer : arsenaux, ports, chantiers de constructions ; le cardinal
se mit à l'œuvre et reconnaissant l'excellence des méthodes
hollandaises, il s'adressa à des spécialistes néerlandais.
Il entretint dans les Provinces-Unies des agents chargés de
recruter ingénieurs, charpentiers, artisans ; pour le cardinal,
le morisque Lopez parcourut la Hollande achetant navires,
mâts, cordages, voiles, vergues et ancres. En 1626 et en 1638,
des escadres entières furent commandées aux Hollandais ;
les galions des ducs de Nevers, de Guise et de Montmorency
sortirent de leurs chantiers. A Brest, on installa Claus Verussen,
un maître cordier et un maître voilier ; à des charpentiers
néerlandais fut dévolu le soin d'établir un chantier de construc-
tions navales à Indret. Dans cette localité, du Plessis de Genou-
ville habitait une confortable demeure entourée de jardins en
terrasse ; Mercœur, j adis, y avait rêvé à ses desseins ambitieux ;
on expropria du Plessis et dans son habitation transformée,
Sourdis installa des chantiers de constructions. A la suite d'un
contrat passé le 12 juin 1639, deux charpentiers venus de Hol-
lande venaient se fixer à Indret 1.
Les fortifications des ports du Ponant étaient délabrées ou
1. Sur tous ces points, voir Ch. de la Roncière, op. cit., chap. cité.
CONSTRUCTEURS DE NAVIRES HOLLANDAIS EN FRANCE 211
insuffisantes. Régnier Iansse de Wyt, ingénieur, fut chargé de
dresser les devis des réparations de Brou âge. Pour les travaux
du port comme pour les constructions navales, Richelieu utilise
la main-d'œuvre néerlandaise. Une foule de charpentiers, cal-
fateurs, perceurs, manouvriers, scieurs, poulieurs originaires
des Provinces-Unies travaillèrent dans nos arsenaux. Corneille
Hendricq, Adrien Girard, Rut, de Rotterdam ajustèrent des
charpentes et pour ce faire reçurent des appointements mensuels
de cent livres. Tandis que Baud Corneille est occupé eh Seuldre,
Jehan Henricq, maître cordier se voit allouer onze cents livres
d'appointements pour ses travaux. Corneille Chapston est cor-
dier à Brest, Jacob Lucasson y tisse des voiles, secondé par
Pieter Jansen. Sourdis, Seguiràn et Le Roux d'Infreville, auxi-
liaires de Richelieu, recrutent sans relâche ingénieurs et ouvriers
hollandais.
Aux Provinces-Unies on demande des matières premières.
Hubert Vanderstat apporte des planches à Brest, Théodore-
Nicolas Duijen, « maître après Dieu de la Fortune », Jean Cor-
nelissen Plue débarquent à Brest et à Brouage des bois du Nord
qui serviront à construire les vaisseaux du roi.
Si des escadres entières sont commandées en Hollande par
Richelieu, si pour établir ses règlements maritimes, le cardinal
laisse Théodore de Mantin, amiral de Guyenne pratiquer de
larges emprunts aux règlements de Messieurs des Estats, il
espère se libérer du concours des Hollandais lorsque, suffisam-
ment instruits, les artisans français seront devenus habiles
constructeurs. Mais Richelieu lui-même est débordé par la
Hollande et il lui faut toute son autorité pour détourner les
Néerlandais des projets ambitieux qu'ils conçoivent et qui ne
tendent à rien moins que de former dans quelques ports de véri-
tables petites républiques bataves.
Aux côtés du cardinal se rencontre un conseiller hollandais,
Nicolas de Guitte, dit Scapencas. Tout en paraissant entrer dans
les vues de Richelieu à qui il adresse des Advis touchant la répa-
ration et racomodation de la rivière, portz et quaijs soit le Havre,
Har fleur qu'autres, Scapencas essayait de faire le jeu de ses
compatriote1. En 1626, pour donner quelque vie au commerce
212 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
maritime, Richelieu avait soutenu en Bretagne la création
d'une compagnie de navigation dite des Cent- Associés. Le
parlement breton n'en ayant pas ratifié les statuts, une société
exotique, principalement composée de Hollandais, la Compagnie
de la Nacelle Saint-Pierre fleurdelysée, proposa de se substituer
à celle des Cent- Associés. Les Hollandais agissaient avec Riche-
lieu comme ils l'avaient fait avec Henri IV; ils s'efforçaient
de détourner à leur profit les initiatives du gouvernement.
Nicolas de Scapencas fut choisi comme intermédiaire et en
échange des bons offices de la Compagnie il demandait que le
Havre fut déclaré port franc. Pour organiser ce port, il comptait
y établir quatre cents familles hollandaises. Mais nonobstant
ses opinions sur l'excellence de méthodes maritimes et les
aptitudes commerciales des habitants des Provinces-Unies,
Richelieu rejeta les propositions de Scapencas. Le Parlement,
d'accord avec le ministre déclara qu'il n'y avait pas lieu de
« s'associer quatre cents familles en leur donnant le droit de
bourgeoisie, rendre nobles des estrangers incongnuz, establir
enfin une petite république dans un royaume. »
Sous le ministère de Mazarin les habitants de Nimègue,
d'Amsterdam ou d'Utrecht obtiennent aisément leurs lettres
individuelles de naturalité. Sont reçus en la qualité de Français
Jean Hermès l, Diric Bogar et sa femme 2, Hubert Flamant 3,
Jacques van Kessel, oncle et neveu, originaires de Bois-le-Duc 4.
De Nimègue arrivent Henri Boudenins 5, Nicolas Herman,
Evrard Hammerbac. Il entre en France des garçons libraires,
des peaussiers, des peintres : Nicolas Kene 6, Jean de Licht 7,
Germain van Swanevelt 8. Anne-Marie de Lockhorst, naturalisée,
obtient l'abbaye de Fervacques.
1. Arch. Nat., PP 151, 11 juin 1640.
2. Ibid., 27 février 1643.
3. Ibid., 15 janvier 1647.
4. Ibid., 30 juin 1648.
5. Ibid., 24 juillet 1646.
6. Ibid., 31 juillet 1640.
7. Ibid., 15 mai 1647.
8. Ibid., 9 mars 1647.
INFLUENCE DES HOLLANDAIS SUR NOS MÉTHODES 213
III
Pour atteindre son but, le relèvement de la marine, Richelieu
s'était mis à l'école des Hollandais ; nul en France, n'eut songé
à contrecarrer ses vues. On professait alors une vive admiration
pour les hommes et les choses des Provinces-Unies ; elle se main-
tint pendant une grande partie du siècle. Nos officiers allaient
apprendre en Hollande l'art de la guerre. Lorsque le Taciturne
mourut, son fils Maurice n'avait que dix-huit ans ; malgré sa
jeunesse, les Hollandais lui confièrent leurs destinées. Nommé
stathouder, capitaine et amiral général, il se montra digne de ces
éminentes fonctions et à la suite de ses victoires acquit une si
haute réputation d'homme de guerre que de toutes les parties
de l'Europe, la noblesse accourut se former sous sa direction
au métier des armes. De France, Maurice vit venir toute une
jeunesse protestante qu'attirait sa renommée et qui désirait
s'instruire à son école, fondée à Bréda. « Toute la noblesse de
France, dit Aubery du Maurier, au sortir de l'Académie allait
apprendre la guerre sous le prince Maurice comme autrefois
elle allait en Piémont sous ce grand maréchal de Brissac. »
Les méthodes de guerre, les procédés de fortification permanente
ou de campagne utilisés en Hollande devinrent en honneur en
France. Au xvie siècle on s'adressait à des Italiens pour forti-
fier nos places de guerre ; au milieu du xvne on se tourna vers
les Hollandais et l'on appliqua leurs procédés. L'engouement
pour les Néerlandais s'étendait à toutes les branches de la
stratégie : on baptisait des forts à «la Hollandoise » ; des hommes
de lettres comme Voiture n'ignoraient pas les méthodes nou-
velles, ils en tiraient des métaphores. Ecrivant au cardinal
de la Valette pour lui expliquer les raisons qui le déterminaient
à ne pas accompagner son protecteur Gaston d'Orléans, il lui
mandait : « J'ai commencé le siège d'une place assez jolie et fort
bien située, j'en ai fait la circonvallation à la mode de Hol-
214 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
lande... » Cette mode dura assez longtemps en France ; lorsque
Foucquet voulut fortifier Belle- Ile, il fit appel à Loger ingénieur
hollandais l.
Dès qu'un homme avait servi en Hollande, on l'écoutait
comme un oracle ; tel passait pour a grand capitaine qui depuis
n'eut pas été digne de commander une compagnie ». Le marquis
de Rouillac allait perfectionner ses connaissances dans les Pays-
Bas. Il affirmait « qu'on ne peut apprendre en lieu du monde
aussi bien que là ». Des détails, en apparence insignifiants sont
cependant significatifs et marquent l'emprise de la Hollande
sur les militaires français. A Paris, en 1636, sous le coup de l'émo-
tion qui étreint la population lors de l'avance des armées espa-
gnoles on arme des volontaires et on leur remet des drapeaux
t amples et longs, à la mode hollandoise ».
La mode qui conduisit les officiers français à se mettre à
l'école des Hollandais se prolongea même après la mort du
prince Maurice. Turenne se forma auprès de son frère et succes-
seur : Frédéric-Henri. Ce n'étaient pas seulement des volontaires
qui passaient par l'école de Bréda. Depuis la signature des pre-
miers traités d'alliance entre la France et les Provinces-Unies
le gouvernement royal entretenait en Hollande quelques régi-
ments. Ils ne furent rappelés qu'en 1670, époque à laquelle
Louis XIV rompit définitivement avec les États généraux
les relations cordiales d'antan. Bien qu'ils eussent conservé
les règlements et les usages de l'armée française les officiers
de ces corps de troupes n'en subirent pas moins l'influence des
méthodes hollandaises.
Tout ce qui vient de Hollande est à la mode pendant les deux
premiers tiers du xvne siècle. A dater de 1639, on attend avec
impatience à Paris les Nouvelles des Divers Quartiers, journal
publié par Broer Iansz. Pour ses lecteurs français, il traduit
littéralement les Tydingen uyt verscheyden quartieren ; on reçoit
à Paris les Nouvelles ordinaires qu'Otti Barnert Smient édite
à Amsterdam depuis 1655 ; un peu plus tard on lira la Gazette
1. Ch. de la Ronciere, op. cit., t. V, p. 311. Le vrai crime du surintendant Fou-
quet.
CONFRÉRIE FLAMANDE DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS 215
d'Amsterdam \ De Hollande entrent en France par cent courtiers
divers les contrefaçons de librairie et ces pamphlets mordants
ou satiriques imprimés à La Haye ou Amsterdam.
Des Provinces-Unies on tire toiles fines, draps et dentelles ;
les élégantes, dit Saint-Simon, possèdent « des dentelles parfaites
en confusion et tant de garnitures de linge qui ne se blanchissoit
qu'en Hollande 2. Le costume français subit l'influence du cos-
tume hollandais ; sous Louis XIII, les hommes portent des
« rhingraves » que coupent pour eux des tailleurs néerlandais
établis à Paris.
Parmi les dignitaires de la Confrérie de la nation allemande
de Saint-Germain-des-Prés 3 on remarque la présence de tail-
leurs d'habits originaires de Hollande : Lambert van den
Swanenberg est tailleur pour le roi et maître dans la ville.
Pierre Vanderlaa exerce la même profession. Les instruments
d'arpentage fabriqués à Rotterdam jouissent d'une renommée
européenne : chaque année la France en importe de fortes quan-
tités 4. Des « notaires arpenteurs » se fixent dans nos provinces,
voire même dans nos villages : les Vanderquandt à Courcoury,
en Saintonge 5. Très prisées sont les lunettes de Hollande ; elles
sont appréciées et vantées ; l'auteur des Méditations de V Ermite
Valérien, libelle dirigé contre de Luynes parle des fameuses
lunettes de Hollande dont « use le duc de Bouillon pour prendre
de loin ses visées » 6. Tandis qu'il court à travers la Hollande
pour exécuter les ordres de Richelieu, le morisque Lopez acquiert
des objets des Indes rapportés par les navires hollandais et
des meubles ornés de cuivre doré. Les Hollandais ont mono-
polisé les procédés de dorure sur cuivre ; ils emploient les métaux
de nos mines, les ouvrent puis les expédient à Paris où les ama-
teurs les paient à prix élevé.
1. E. Hatin, Les Gazettes de Hollande et la Presse clandestine aux XVII* et
XVII 1* siècles. Paris, 1885.
2. Saint-Simon, Mémoires, éd. citée, t. VII, p. 98.
3. P. Anselme d'Anvers, Catalogue chronologique... des marguilliers de la nation
flamande. Paris, 1695.
4. Vostcrman van Oljcn, Quelques arpenteurs hollandais à la fin du XVI* siècle,
dans Boleltino di Bibliographia e di Storia délie Scienze matematiche e fisiche. Home,
octobre 1870.
5. Voir page 283.
6. Les caquets de l'Accouchée. Ed. Elzévirienne, p. 253.
216 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Les bateaux de plaisance comme les navires marchands sont
commandés à Amsterdam. Le comte Servien, ayant acheté
une terre à Meudon, désirait s'y rendre par voie d'eau. En 1654,
il écrivait à notre attaché Chanut de lui faire construire un navire
destiné à effectuer ce voyage. Des chantiers d'Amsterdam,
Chanut tire un « yacht * superbe sur lequel Servien promène
la duchesse de Roquelaure, Madame d'Olonne et la comtesse de
Soissons jusqu'au jour où Louis XIV ayant envie de ce navire,
Servien l'offre au souverain.
Entre la France et les Provinces-Unies, la pénétration est
constante. Des officiers français servent en Hollande : des Néer-
landais sont à la solde de Louis XIII. Depuis le fondation de
l'université de Leyde des professeurs français avaient fréquem-
ment été appelés dans cette ville : Daneau, élève de Vatable
et ami de Bèze, le philosophe berrichon du Jon, Pierre du Mou-
lin qui y enseigna « le grec, la musique et Horace ». Des étu-
diants constituaient à Leyde une véritable colonie de réformés
français 1.
Des Français et non des moindres, Descartes par exemple,
apprennent la langue néerlandaise. Les Hollandais consacrent
une partie de leur temps d'étude à se familiariser avec la langue
française ; ils ouvrent des cours de français dans les universités
et dans les écoles publiques. Plus de vingt grammaires françaises
sont publiées à Utrecht, La Haye ou Leyde au xvne siècle ;
des traités de style, des vocabulaires, des dictionnaires sont
continuellement édités par les imprimeurs Hollandais. La langue
française est utile à tous en Hollande et les auteurs de diction-
naires ou de traités le marquent avec précision. Le Dictionnaire
ou promptuaire françoys-flameng de Mellema contient dans l'édi-
tion de 1602 une poésie adressée « Au Lecteur » dont voici les
derniers vers :
Soit marchand qui poursuit son profit et trafique
Soit artisan, des mains exerçant la pratique
Ce Promptuaire à tous, d'une prompte alaigresse
Descouvre du François la faconde richesse.
1. J. Pannier, L'Eglise réformée de Paris sous Henri IV. Paris, 1911, p. 301.
RELATIONS INTELLECTUELLES FRANCO-HOLLANDAISES 217
Ce dictionnaire est réédité en 1643 par d'Arsy. Dans sa dédi-
cace, il insiste sur l'utilité de son ouvrage en ces termes : « Les
Provinces étant jointes avec la corone de France d'une si étioite
alliance et ayans une si grande correspondance de trafic avec la
Nation Françoise par lequel est entretenue une société mutuelle,
cet ouvrage ne leur peut être que très utile » 1.
Les maîtres hollandais qui professent en France, Meinard,
Pierre Valens, Marsile s'expriment couramment dans notre
langue. Constantin Huyghens parle et écrit le français avec
une si grande aisance que Balzac lui mande : « Il faut que vous
me juriez que vous êtes Hollandais pour me le persuader ».
Conrart fait son éloge ; Corneille lui dédie Don Sanche d'Aragon.
Lorsque le fils de Huyghens vient à Paris, il saisit les finesses
de notre langue et assiste avec plaisir aux représentations de
l'Hôtel de Bourgogne2. Lettrés français et hollandais sont en
relations d'amitié. Peiresc est en Hollande en 1616. Il y connaît
Grotius, et à son retour en France entame avec lui une
correspondance suivie. Lorsque Grotius, condamné à la déten-
tion perpétuelle pour avoir adopté et soutenu les doctrines armi-
niennes, s'évade de sa prison et arrive à Paris pour un pre-
mier séjour de dix ans, Côndé, du Vair, Peiresc, d'autres
encore, le reçoivent et lui obtiennent de Richelieu une pension.
Celle-ci sera supprimée par le cardinal, mais lorsque Grotius,
malgré le mécontentement de Richelieu, reviendra à Paris
comme ambassadeur du roi de Suède, ses amis resteront fidèles
à leur sympathie pour lui 3.
Peiresc est également en correspondance suivie avec Thomas
van Erpen, le célèbre orientaliste hollandais, qui, après un voyage
en France, écrit un guide pratique à l'usage de ses compatriotes
désireux de visiter notre pays.
Si des Français forment à Groningue, à Maestricht, à Nimègue
des groupes plus ou moins denses, s'ils constituent à Amsterdam
une colonie qui compte, d'après de Thou, près de deux mille
personnes, si ces réfugiés sont considérés en Hollande parce
1 . Kiemens, op. cit., p. 79.
J I •'. I.iimot, Histoire de la Langue française, t. V. Le Français en Hollande.
3. Aubery du Maurler, Vie de Grotius. Londres, 171 1.
218 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
qu'ils apprennent aux habitants notre langue et l'art de danser,
les Hollandais qui passent en France sont sympathique ment
reçus. Beaucoup y viennent pour « y estudier la belle et bonne
conversation ». Les salons s'ouvrent pour eux. Mademoiselle
de Schurman arrive à Paris, elle est introduite dans le monde
des Précieuses et conquiert la Forge, Sarrasin, Ménage, Made-
moiselle de Gournay. Tous célèbrent à l'envi cette étrangère.
Sorbière la compare aux hommes les plus remarquables de son
temps. Paul Jacob, de Lyon, écrit son éloge et Golletet écoute avec
joie les discours de Mademoiselle Schurman dissertant sur
l'éducation des femmes.
Des observateurs et dessinateurs hollandais parcourent la
France. Jean Isaac Pontanus, dans une relation en vers latins,
vante la douceur du séjour de Montpellier où il a vécu comme
étudiant en médecine. Il se livre également à des considérations
sociales sur les nobles, les bourgeois et le peuple de France.
Thomas van Erpen rédige un Itinerarium ; Joachim de Wert
reproduit les paysages français ; d'autres laissent sur leur séjour
en France d'intéressants souvenirs, tels ces jeunes Néerlandais,
Philippe et François de Villers qui séjournent à Paris entre 1656
et 1658 1. Encore que ces voyageurs ne fussent pas disposés
à se lier avec ceux de leur nation car « ce n'est guère profiter
de son voyage que de s'attrouper ainsi », les frères de Villers
fréquentèrent néanmoins quelques-uns de leurs compatriotes ;
ils en rencontraient bon nombre à l'Académie d'Arnolfini dont
les enseignements étaient suivis par les Allemands et les Hollan-
dais. Philippe et François de Villers nous font lier connaissance
avec quelques Hollandais : leurs cousins, les sieurs de Spick
et Glezer, M. de la Platte, fils de M. de Sommerdick. En compa-
gnie d'Adam van der Buyn, comte de Ryswick, ils visitent les
Académies afin de voir laquelle « lui agréerait le plus pour s'y
mettre en pension ». Des visiteurs hollandais, les sieurs Blanche
et Reggersberghe, viennent saluer les frères de Villers. Parfois,
ils dînent chez de Voorst, leur ami ; ils vont aussi présenter
leurs hommages à Madame van den Boekhorst, sœur du grand
1. P. Faugère et L. Marillier, Journal de voyage de deux jeunes Hollandais,
passim.
ÉTUDIANTS HOLLANDAIS A PARIS 219
forestier de Hollande qui avait épousé un Français, Gailly de Bret.
Paris est ville hospitalière ; on s'y cache aisément pour vivre
à sa guise. De Serooskerken, fils de M. de Wulven, « après
avoir fait le tour de France sans y avoir rien appris, retourna
au commencement de l'automne à Saumur, où, un jour, trai-
tant quelques-uns de ses amis, il les fit tant boire qu'il y en eut
un d'Amsterdam qui tua un bourgeois ». De Serooskerken dut
revenir à Paris, il s'installa rue aux Ours ; dans sa nouvelle
demeure, il s'enivrait continuellement avec quelques Néerlan-
dais. Avec eux se rencontrait un véritable chevalier d'industrie
Wilhelm de Nassau, seigneur d'Odyk. Bien qu'il ne possédât
•sou ni maille, ce seigneur subsistait avec éclat, menant un joli
train ; il empruntait de l'argent au maréchal d'Albret et au duc
•de Noailles, « gueusait » ses repas chez M. d'Hauterive, soutirait
des diamants au joaillier Constant. En quittant Paris, il était
couvert de dettes : étranger, il avait trouvé un crédit que des
régnicoles n'eussent pas réussi à se procurer.
Les étudiants hollandais sont légion à Paris, à l'Académie
protestante de Saumur et d'Orléans, depuis le début du
xvne siècle. Dans cette université, ils sont agrégés à la nation
allemande et sont accueillis avec courtoisie qu'ils soient ou non
catholiques ; maintes fois ils sont élus procurateurs ou receveurs.
Au hasard des registres je relève les noms de Jacques Douza
d'Amsterdam, de Zuylelt de Nyevelt, de Cornélius Claesens \
de Lancelot de Brederode et d'Adrien Le Roy d'Amsterdam 2.
van Sorgen, de Delft, séjourne d'abord à Paris puis se rend
à Orléans prendre le bonnet de docteur en droit 3. Nicolas van
Swieten est à Orléans en 1605 4, il consigne ses idées sous cette
forme aphoristique :
Bonne terre, mauvais chemin.
Bon advocat, mauvais voisin.
Bonne mule, mauvaise beste.
Belle femme, mauvaise teste.
1. Arch. dép. du Loiret, D 216, f»' 89, 126, 143.
2. Ibid., D 217, f° 314, 343.
3. Bulletin de la Société d'histoire du protestantisme français, t. IX, p. 99.
1. Bulletin... du protestantisme, t. VIII, p. 498.
220 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Groningue envoie Everhard Loewe * ; La Haye, Jean Nobe-
laer 2 ; Amsterdam, Gerald de Bergh 3 ; Rotterdam, Daniel
Hoghendorp 4 ; Delft, Hugues van Ryck 5. Il faut, comme pour
les Allemands, renoncer à dénombrer les multiples étudiants
que la Hollande fournit à l'Université d'Orléans. Ils y retrouvent,
commerçant en cette ville des compatriotes qui leur servent de
correspondants et de banquiers. Chaque cité universitaire est
un centre d'étrangers. L'Académie protestante de Saumur
attire des jeunes hommes natifs de Hollande ; des négociants
s'installent à Saumur en même temps que le nombre des étu-
diants s'accroît. Lorsque le 8 janvier 1685 fut supprimée l'école
fondée par Duplessis-Mornay, Miromesnil écrivit : « Le concours
de la noblesse française et étrangère qui y faisoit ses études
s'étant retiré, les marchands de Hollande qui faisoient commerce
à cause de la dite noblesse et écoliers se sont retirés... l'éloigne-
ment des uns et des autres a rendu cette ville déserte et sans
négoce ».
Barlaeus, ayant renoncé au professorat en théologie, étudie
la médecine à Caen en 1620 et y prend le grade de docteur.
Everhard Balck fait profiter ses élèves à l'Académie de Hor-
derwijk de la clarté et de la vivacité françaises qu'il a acquises
en étudiant le droit à Bourges où il a été promu docteur et où il a
enseigné lui-même 6.
IV
Les artistes hollandais avaient été nombreux en France
antérieurement au règne de Henri IV ; on a rappelé les noms de
quelques-uns d'entre eux. Or, après les désordres de la Ligue,
1. Arch. dép. du Loiret, D 217, f° 601.
2. Ibid., D 218, f° 224.
3. Ibid., fo 279.
4. Ibid., fo 326.
5. Ibid., D 219, f° 191.
6. Riemens, op. cit., p. 83.
ARTISTES HOLLANDAIS AU XVIIe SIÈCLE 221
Henri IV songea à faire refleurir en France non seulement les
manufactures utiles mais encore les arts. Des Flandres, il appela
des tapissiers de haute lice qu'il établit à Paris ; les plus notoires
de ces artistes et artisans semblent être originaires des Pays-Bas
espagnols plutôt que des Provinces-Unies. Néanmoins il ne
serait pas surprenant que l'on rencontrât quelques Hollandais
parmi eux. Aux peintres, aux graveurs, Henri IV ouvrit toutes
grandes les frontières du royaume et leur accorda ses bonnes
grâces. Il leur achetait des tableaux ; en 1602, à la foire de Saint-
Germain il acquit des tableaux « d'ung Hollandais » note Pierre
de l'Estoile. A de tels achats ne se bornèrent pas ses faveurs ;
il sut, en diverses circonstances, reconnaître les mérites d'ar-
tistes secondaires qui exercèrent en France. Ses successeurs
agirent comme lui. Louis XIII et Louis XIV naturalisèrent
des peintres et des graveurs, ils leur octroyèrent des pensions,
des places à l'Académie, leur donnèrent des commandes et
employèrent les talents des Hollandais, orfèvres, ébénistes ou
simples ouvriers d'art établis en France. Maints de ces altistes
ont laissé une descendance dans le royaume ; certains, comme les
van Loo, sont parmi les plus grands peintres que nous ayons
possédés.
Sous le règne de Henri IV vint en France Jean de Hoey,
peintre et graveur qui jouit de quelque réputation. Il fit souche
d'une véritable dynastie d'artistes.
Jean de Hoey, originaire de Leyde, s'établit d'abord à Troyes ;
il y épousa Marie Ricoveri, petite-fille du célèbre Dominique
Florentin, passa ensuite à Fontainebleau où il décora la chapelle
du palais. Devenu peintre de Henri IV et son valet de chambre
il toucha une pension qui, en 1608, fut transformée en appoin-
tements fixes. A cette date Jean de Hoey était chargé de « l'en-
tretenement de> peintures des vieux tableaux de S. M. ».
Avant sa mort survenue en 1615, il avait obtenu pour son fils
Claude H survivance de sa charge ; un autre de ces fils, Jacques,
devint garde des peintures du Louvre et Jean II de Hoey
s'adonna à la peinture, mais n'exerça aucune fonction officielle l.
1. F. Herbct, Extraits d'actes concernant les artistes de Fontainebleau^ p. 30-
47.
222 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Claude de Hoey figure comme témoin dans une incroyable
quantité d'actes. En 1644 il est notamment témoin du mariage
de sa nièce Marie Laminoy avec Armand van Swanevelt, origi--
naire de Woroden, dans la province d'Utrecht. Cet étranger
était peintre ordinaire du roi de France. Van Swanevelt devint1
membre de l'Académie royale de peinture le 3 mars 1653 ; il est
connu sous le nom d'Herman d'Italie *;
Au début du xvire siècle Noël Bernard, assez bon peintre,
travaillait à Paris. Sa femme, Madeleine Sevin, lui donna dix
enfants dont un fils, Samuel, né en 1615, devint un miniaturiste
connu. Simon Vouët lui avait enseigné l'art de la peinture.
Samuel Bernard pratiqua également la gravure ; il fut nommé
membre de l'Académie en 1648 puis professeur quelques années
après. En 1681, comme il était protestant, le gouvernement le
mit hors de l'Académie à raison de sa religion 'mais il fut réin-
tégré après avoir abjuré à Saint-Sulpice. Samuel Bernard avait
épousé Madeleine Le Queux et de cette union naquit le fameux
Samuel Bernard, homme d'affaires et banquier du Trésor
dont les enfants seront au xvme siècle le comte de Coubert,
le président de Rieux et Madame Mole, femme du président;
tous personnages de qualité et fort riches 2.
Marie de Médicis aimait les arts, s'entourait d'artistes italiens
et flamands. David Baudringhien, « Hollandais de nation »,
fut nommé par elle son peintre ordinaire en reconnaissance des
ouvrages de peinture qu'il fit par son commandement «t « pour
la grande expérience qu'il s'est acquise en cet art » 3. Charles
Dominique van Beecq, natif d'Amsterdam, peintre de la marine
française, fut, dit Jal, le van der Meulen de l'armée navale;
Pour Marly, il exécuta de vastes tableaux parmi lesquels figu-
raient la Prise de la ville d'Âgosta, la Canonnade de Scio et le
Bombardement d'Alger. Les œuvres de van Beecq sont aujourd'hui
perdues et il n'est resté de lui quoi que ce soit de marquant 4.
1. J. Guiffrey, Documents sur les Artistes parisiens du XVI* et du XVIIe siècles>
notice 245. »
2. Comtesse E. de Clermont-Tonnerre, Histoire de Samuel Bernard et de ses
enfants. Paris, 1914, ch. ier.
3. L. Batifîol, Marie de Médicis et les Arts, dans Gazette des Beaux-Artst année
1906-, p. 222.
4. Jal, Abraham Duquesne, t. II, p. 233.
ARTISTES HOLLANDAIS AU XVIIe SIÈCLE 223
Bien qu'il ne fut pas Hollandais de naissance, puisqu'il vit
le jour à l'Écluse en 1614, Jacques van Loo peut cependant être
compté comme Néerlandais. A la suite de difficultés provenant
de ce qu'il était réformé, Jacques van Loo se retira à Amsterdam
où il épousa une Hollandaise, originaire de cette ville ou peut-
être de La Haye. Louis XIII régnait encore lorsque Jacques van
Loo s'établit à Paris; sa renommée s'accrut assez prompte-
ment pour que, sept ans avant sa mort, l'Académie royale
de peinture lui ouvrit ses portes, en 1663.
De son mariage Jacques van Loo eut une fille et quatre fils,.
Philippe, Abraham, Jean et Louis. Jean se fixa à Toulon et y
peignit. A la suite d'un duel, Louis se réfugia à Nice puis à Aix
où il épousa Marie Fosse. Il fut le père de Carie van Loo, le plus
célèbre peintre de toute la dynastie des van Loo, et de Jean-
Baptiste l. Ce dernier après avoir été peintre de Victor Amédée,
du prince de Carignan et du duc d'Orléans entra à l'Académie
en 1731. Jean-Baptiste s'était allié à Marguerite Le Brun et de
leur union naquit Louis-Michel qui, en 1765, devait succéder
à son oncle Carie comme directeur de l'École royale des élèves
privilégiés. Carie van Loo n'avait eu que deux enfants, Jean-
François, un vaurien, et une fille, Madame Bron.
Avant de succéder à son oncle dans les fonctions qu'il occu-
pait, Louis-Michel van Loo avait eu une existence assez agitée.
En 1745, étant premier peintre de S. M. catholique le roi d'Es-
pagne, il résidait à Madrid. Sa sœur Anne-Marie, ayant conservé
pour le négoce le goût des Hollandais avait épousé un commer-
çant français habitant aussi à Madrid et nommé Antoine Berger»
De concert avec des marchands de Lyon, Louis-Michel van Loo
et son beau-frère avaient constitué une association pour la
vente des broderies, passementeries et autres menus objets
élégants. Entre deux coups de pinceau, Louis-Michel écoulait
les colifichets de son beau-frère ; aussi les affaires furent-elles
d'abord très prospères. Mais, le titre de commerçant que por-
tait van Loo diminua peut-être son prestige a la cour d'Espagne,
et il revint en France en 1752 ; sa sœur le suivit, abandonnai il
1. Sur la généalogie de la descendance des van Loo, voir Jal, Dictionnaire cri-
tique. V° van Loo.
224 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
son mari. Privé de son meilleur vendeur, Berger fit faillite
dès 1753 et Anne-Marie ne se soucia plus de lui. Commerçante
et femme d'affaires, cette descendante de Hollandais incitait
son frère à déposer ses pinceaux pour se livrer au négoce.
Sur ses instances Louis-Michel van Loo alla même tenter fortune
en Angleterre, mais promptement désabusé, il rentra en France
au mois de juin 1765, juste à temps pour recueillir la situation
officielle que laissa vacante Carie van Loo l,
Quelques grandes villes abritèrent au xvne siècle des artistes
hollandais. Corneille de La Haye, célèbre peintre du temps de
Charles IX et de Henri III laissa à Lyon une descendance
d'artistes. On ne connaît pas moins de quatre Corneille de La
Haye exerçant leur art à Lyon sous Louis XIII et Louis XIV.
Josias Vandernorne, d'Ordensen, mort à Lyon en 1647, n'a
laissé aucune œuvre digne de mémoire ; ses compatriotes Ange
et Adrien van der Kabel sont au contraire bien connus. Tous deux
nés à Ryswick, s'établirent à Lyon entre 1668 et 1669. Ils abju-
rèrent la religion réformée lors de leur mariage ; Ange épousa
Anne Bourguet et Adrien, Suzanne Bourgeois qui donna cinq
enfants à son mari. Adrien van der Kabel fut un protraitiste
habile et estimé. Brossette, le correspondant de Boileau appré-
ciait particulièrement son talent et écrivait à son illustre am
pour lui dire combien il regrettait de penser que ce peintre
n'eut pas exécuté son portrait 2.
Quelques artistes hollandais itinérants passèrent par Lyon
au xviie siècle. Jean Asselijn y prit femme en la personne d'une
jeune Flamande, fille de Houwaert, marchand anversois.
Bon aventure van Overbeek dessina les paysages lyonnais et
Henri Cornélius Vroom, de Harlem, peignit à Lyon pendant
six mois avant de se rendre à Paris et à Rouen 3.
A Bordeaux, René Hopquen, d'Amsterdam, fut chargé
en 1629 d'orner une pyramide érigée au Chapeau-Rouge ;
de 1638 à 1649, Hermann van der Hem s'appliqua à reproduire
1. G. Guigue, Van Loo négociant, 1745-1767. Lyon, 1902.
2. N. Rondot, Les Protestants à Lyon au XVII9 siècle. Lyon, 1891, p. 15. —
Raoul de Cazenove, Le peintre van der Kabel et ses contemporains. Lyon, 1888.
3. Sur les artistes hollandais à Lyon, cf. aux noms cités, Dictionnaire des artistes
du Lyonnais.
HORLOGERS HOLLANDAIS EN FRANCE 225
par le dessin tous les monuments et les paysages de Bordeaux
et des environs. Les quatre-vingt deux dessins qu'il a laissés
sont d'une habileté consommée l. Avant lui, déjà, Joachim
de Weert avait dessiné les vues de Bordeaux. Ce Hollandais
qui parcourut la France entre 1609 et 1614 a laissé une ample
collection de dessins pris dans toutes les régions et l'on peut
encore admirer son souci d'exactitude en feuilletant au Cabinet
des estampes les cent soixante croquis à l'encre noire ou lavis
d'encre de Chine qu'il a pris à Paris, Compiègne ou en Normandie,
en Anjou, en Guyenne et en Gâtinais 2.
A Orléans vécut Jacques Questel, peintre et ingénieur sous
Henri IV 3. Il s'était signalé comme habile inventeur de pro-
cédés pour améliorer le rendement des moulins et supprimer
les fumées des cheminées. En 1608, il peignit les décorations
municipales de Chartres pour la réception de Marie de Médicis.
La vie de cet artiste avait été fort agitée ; il était fixé en France
avant les troubles de la Ligue et craignant d'être appréhendé
il avait fui à Milan, laissant sa femme et ses enfants à Orléans,
puis était passé au service du roi d'Espagne. Après le triomphe
de Henri IV il était rentré près des siens mais avait été arrêté
pour cause d'espionnage et relâché, son innocence ayant été
reconnue. S'étant alors retiré à Paris, il fut de nouveau appré-
hendé puis rendu à la liberté ; c'est alors seulement qu'il revint
se fixer dans l'Orléanais et s'adonna à la peinture.
Non loin d'Orléans, à Blois, et sans qu'on en sache au juste les
véritables raisons, s'abattit de tous les pays du Nord et de l'Est,
une troupe d'horlogers étrangers. Il en vint des Flandres, des
Provinces-Unies, d'Allemagne et avec eux entrèrent dans le
royaume, au xvn« ûècle, dej graveurs hollandais qui travaillèrent
pour ces horlogers.
Le Roy, d'Amsterdam est au nombre de ces derniers. Il se
maria à Blois et ses enfants y furent baptisés 4. Josué Fabre,
1. P. Courteault et Th. Amtmann ont reproduit l'œuvre de cet artiste dans
les Archives historiques de la Gironde, t. XXXIX.
2. Id., Ibid. — H. Stein, Joachim Duviert et ses vues du Gâtinais. Paris, 1894.
... 1 1 . St cin a publié une Requête de Questel à Henri I V, dans Bulletin de la Société
de l'Histoire de l'Art français, année 1913, p. 265.
4. Dcvelle, Les horlogers blésois aux XVI9 et XVII* siècles. Blois, 1917, p. 136.
15
226 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
d'Amsterdam, décédé à Angers en 1666, est qualifié de graveur
dans son acte de décès.
Les ébénistes hollandais sont appréciés en France. Mazarin
.attire auprès de lui Pierre Golle qui fabrique des cabinets d*>
bois d'ébène et de marqueterie dont on retrouve la trace dans
l'inventaire des biens de la Couronne. Cet artiste travaillera
aux estrades de marqueterie des appartements de la reine
•de 1672 à 1675 et décédera en France en 1684 l. Au mois d'oc-
tobre 1679, Louis XIV concède la naturalité à Jean Oppenord,
menuisier en ébène, natif de Gueldres, qui fut l'un des plus
célèbres menuisiers chargés de décorer les maisons royales de
meubles conçus dans le style pompeux de Louis XIV 2.
Son fils s'éleva plus haut que lui encore dans la hiérarchie
artistique et mérita d'être même surnommé le Borromini
français.
Les bibliophiles n'ignorent pas l'influence qu'exercèrent les
Flamands sur l'art d'illustrer les livres pendant la première
moitié du xvne siècle. Les graveurs originaires des Pays-Bas
et des Provinces-Unies furent particulièrement nombreux au
cours de cette période. Dès l'année 1600 est signalé à Paris
Jacques de Weert qui semble être d'origine hollandaise sans
toutefois que le fait soit avéré. Pour lui comme pour plusieurs
autres, le pays de naissance est demeuré inconnu ; à dater de
l'an 1620, environ, on est mieux fixé sur l'origine des graveurs
qui travaillèrent à l'illustration des ouvrages publiés par nos
éditeurs.
Quand en 1618, on avait cherché pour la célèbre « Académie
de Pluvinel » un maître de dessin émérite, on s'était adressé
à Maurice de Nassau et ce prince avait désigné, comme capable
d'enseigner, le graveur Crispin de Passe, fils d'artiste lui-même.
Né à Utrecht, ce graveur passa douze années à Paris, il fut
l'illustrateur de livres le plus recherché et le plus admiré ; il fit
les planches de l'ouvrage de Pluvinel, Le Maneige royal, in-folio,
1. E. Molinier, Les Arts industriels, Le Mobilier aux XVII9 et XVIII* siècles,
Paris,, t. III, p. 25. — J. Guifïrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. I, p. 3, 151,
etc.
2. J. Guiffrey, Lettre de naturalité publiée dans les Nouvelles archives de l'Art
français, année 1873, p. 258.
GRAVEURS HOLLANDAIS 227
publié en 1623 et certes, elles sont les plus belles de celles qui
parurent à cette époque. Crispin de Passe dessina ou grava
les figures et les frontispices de nombreux romans, notamment
des Amours de Théagène et Char idée, d'Endymion, du Berger
extravagant K
Pendant plusieurs lustres les éditeurs parisiens se glorifièrent
dans leurs demandes de privilèges d'avoir obtenu des planches
de graveurs hollandais et des amateurs appelèrent de Hollande
des artistes. En 1630, Favereau sollicite Cornelis Bloemaert,
d'Utrecht, de graver les pièces les plus importantes de ses collec-
tions. Ses gravures furent publiées en 1655 avec des notices
explicatives de l'abbé de Marolles 2. Cornelis Bloemaert forma
des élèves à Paris ; le peintre Laurent de la Hyre raconte que son
père l'aurait fait entrer chez Bloemaert s'il n'avait trouvé trop
élevé le prix de ses leçons.
Des portraits et des frontispices sont signés par Abraham de
la Place, d'Amsterdam, mort en 1649 3 ou par Pierre Vanloc,
graveur et imprimeur du roi dont le père, déjà établi à Paris
avait épousé Marguerite Lenoir 4. En tête des ouvrages de Jonas
Hambraeus, les portraits fort médiocres d'ailleurs, de Louis XIII
et de Christine de Suède sont l'œuvre de van Merlen.
Il n'est pas surprenant que les Hollandais aient profité des
dispositions favorables des ministres français à leur égard. Leur
tempérament réaliste les poussait vers le négoce ; pour réaliser
une fortune, ils s'expatriaient facilement et ils sortaient d'au-
tant plus aisément de leur pays que dt très vives querelles reli-
1. Mu« Jeanne Duportal, Elude sur les livres à figura édités en France de 1601
à 16G0. Paris, 1914, p. 120.
2. Tableaux du temple des muses tirés du cabinet de feu M. Favereau. Paris,
1G55, in-fo.
3. Bull, de la Société d'histoire du protestantisme, t. XII, p. 228.
4. Ibtd., p. 229.
228 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
gieuses divisèrent les Pays-Bas et les Provinces-Unies durant
plus d'un siècle. Beaucoup venaient volontiers en France car
ils partageaient peut-être cette opinion émise par l'un d'eux
et que Pierre de L'Estoile nous a conservée. Un Hollandais
écrivait à l'un de ses correspondants de Paris. « Quant à la
religion, l'on sçait comme les choses s'accommodent doucement
en France sans que nul y soit violenté ce qui en effet a remis
plus de personnes au droit chemin que n'avoient fait aupara-
vant toutes les forces qu'on y avoit emploiées.1 » On est habitué
à considérer la Hollande comme un pays où les passions reli-
gieuses n'ont jamais été excessives. Michelet a contribué à
créer cette tradition en écrivant : « Depuis la tragédie de Bar-
neveldt, que le fanatisme vrai ou faux tua, la Hollande qui en
eut horreur, prit un mal tout contraire, l'excès de la tolé-
rance 2. »
Depuis l'arrivée du duc d'Albe dans les Pays-Bas jusqu'au
moment où les Provinces Unies prirent possession des villes
qu'elles avaient définitivement acquises après le traité de
Munster, les luttes religieuses furent continuelles en Hollande.
Il n'est besoin de rappeler comment le duc d'Albe traita
les protestants de Hollande et de Zélande. Des milliers de
réformés s'expatrièrent pour éviter les persécutions ; des
familles entières gagnèrent la France et se fixèrent en Picardie
et en Vermandois. Ils y apportèrent des industries nouvelles.
Jean Cromelick ou Cromelin, un Néerlandais d'origine, créa à
Saint-Quentin l'industrie des toiles fines et claires qui remplaça
peu à peu celle de la draperie. Cromelin propagea la culture
du lin dans le Vermandois. Très promptement il fit fortune
et ses quinze enfants essaimèrent dans toute la région ; quelques
uns achetèrent des propriétés. Pierre Cromelin acquit la terre
noble de Canizy et le 12 mai 1600 les magistrats municipaux lui
accordaient toute latitude pour exercer « comme les autres mar-
chands d'icelle ville son commerce en marchandises de toilettes » 3.
1. P. de L'Estoile, Mémoires Journaux, éd. citée, t. VIII, p. 154, année 1604.
2. J. Michelet, Histoire de France, Louis XIV et la révocation, chapitre xn.
3. G. Picard, Saint-Quentin et son commerce. Saint-Quentin, 1865, t. I, p. 153
et note 4.
LUTTES RELIGIEUSES EN HOLLANDE 229
D'autres réformés hollandais suivirent l'exemple de Cromelin.
Don Luis Requesens de Zuniga succéda au duc d'Albe en 1573
comme gouverneur des Pays-Bas. Il fut moins brutal que le
duc d'Albe mais sur les instructions de Philippe II, il refusa
aux réformés l'exercice de leur libre religion. Il se contenta
d'accorder à ceux qui ne voulaient pas vivre catholique ment
la faculté de sortir des Pays-Bas et leur laissa le temps de liquider
leurs biens. De cette époque date une importante immigra-
tion en France de réfoimés hollandais. On peut le tenir pour
certain.
Ceux qui, au lendemain de la signature de l'Édit de Nantes,
sollicitèrent leurs lettres de natui alite, mentionnent dans leur
demande qu'ils habitent la France depuis plusieurs années
déjà. Avant de modifier leur statut personnel, ils avaient
attendu qu'un roi tolérant leur accordât dans son pays le libre
exercice de leur religion.
Lorsque les États eurent obtenu la trêve de douze ans, ce
fut aux protestants de se montrer durs aux catholiques. Lors
de la prise de Bois-le-Duc, en 1629, les papistes furent malmenés
et les catholiques assistèrent à un lugubre spectacle ; leur évêque
Michel Ophovius avec tous les ecclésiastiques, religieux et
religieuses furent expulsés.
Si malmenés étaient les catholiques en Hollande qu'ils adres-
sèrent à la reine de France, en janvier 1644, un long mémoire
pour la prier d'intervenir auprès des États. Dans ce mémoire
ils supplient Anne d'Autriche d'avoir pitié « des catholiques
hollandois qui sont furieusement persécutez par les hérétiques,
suivant divers éditz publiez et renouvelez, tant des Estats
généraux des Provinces-Unies en date du 3 aoust 1641 que des
Estats de Zélande du 16 octobre 1642, que des Estats de Frise
du 17 juillet 1643. » Aux termes de ces édits, défense était faite
aux prêtres ou religieux d'entrer dans le pays sous peine d'amende,
de confiscation des biens, voire menu de châtiments corporels.
La messe était interdite, l'envoi des enfants chez les Jésuites
absolument défendu. Les soldats avaient toute licence pour
troubler les exercices « papistiques » chez les particuliers. Le
mémoire des catholiques se termine par ces mots : « Tous ces
230 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
édits et d'autres qui se renouvellent chaque jour sont rigou-
reusement exécutés et les catholiques se trouvent en pirs état
que ne furent jaman les chrétiens aux temps des plus grandes
persécutions des anciens Empereurs ennemis de la foi et les
gibets et tous supplices de mort leur tenaient beaucoup plus
doux qu'une vie si misérable » K
Lors de sa mission à La Haye, en 1644, le comte d'Avaux
fut reçu le 3 mars en audience solennelle par les États de Hol-
lande. Il fit un ample discours sur l'œuvre qu'on avait à accom-
plir au traité de Munster puis avant de prendre congé des
États, il crut bon de parler en faveur des catholiques du pays
car « d'estre bons catholiques et bons Hollandais n'étaient pas
des qualités incompatibles » 2. Les États considérèrent cette
partie de son discours comme tout à fait inamicale et à peine
d'Avaux s'était-il retiré que l'Assemblée exprima son méconten-
tentement et séance tenante, rédigea un projet de « vigoureuse
résolution ». Les États, formulait l'Assemblée, ont toujours
respecté la liberté de conscience chez tous les habitants des Pro-
vinces-Unies dans leurs maisons et leurs familles mais ils consi-
dèrent comme dangereuses les « superstitions catholiques » et l'in-
troduction du culte et de la hiérarchie «papistes»; ils protestent
contre les observations du comte d'Avaux et l'ingérence d'un
étranger dans leurs affaires intérieures et sont décidés à promul-
guer de nouveaux placards pour réprimer les intrigues inquié-
tantes des papistes. Cette résolution fut adressée à d'Avaux par une
députation des États. L'intervention de notie ambassadeur pro-
voqua une aggravation de mesures contre les catholiques et de la
manière si désobligeante pour nous que Mazarin écrivait àBerin-
ghen : « S. M. a trouvé rude que MM. des Estats ayent si peu
considéré ses offices qui tendoient au soulagement de* catho-
licques ».
L'historien hollandais Wicquefort rappelle que lorsque ses
compatriotes prirent, en 1651, possession définitive de Bois-le-
Duc, Berg-op-Zoom et Breda que l'Espagne abandonnait à la
1. Arch. des Afï. étrangères. Correspondance de Hollande, V, xxx, f03 170-171.
Document publié par A. Waddington, op. cit., t. II. Appendice, p. 383.
2. A. Waddington, op. cit. L'incident du 3 mars 1644, t. II, p. 62.
ARMÉNIENS ET GOMARISTES 231
Hollande à la suite des traités de Munster, les catholiques furent
molestés et gagnèrent l'étranger h
Que des luttes entre protestants et catholiques aient été vives
en Hollande au xvne siècle, cela ne saurait étonner. Les habi-
tants des Provinces-Unies se groupaient autour des doctrines
de Calvin comme autour d'un drapeau national et les opposaient
aux dogmes catholiques dont les Espagnols se montraient les
défenseurs. Mais si les catholiques molestèrent les protestants
d'abord et si les réformés persécutèrent les papistes ensuite,
il advint également que les protestants se déchirèrent entre eux.
Au début du xvne siècle, la Hollande fut divisée en deux partis :
les Arminiens et les Gomaristes.
Arminius avait émis sur la prédestination des idées opposées
à celles de Calvin et malgré l'hostilité de Gomar, fermement
attaché aux doctrines du rénovateur de Genève, il fut nommé
professeur de théologie à Leyde en 1604. Tant qu' Arminius
vécut la lutte fut vive entre Gomar et lui ; après sa mort se
constituèrent en Hollande deux sectes de protestants : les
Remontrants qui tenaient pour les doctrines arminiennes et
les Non remontrants qui prônaient les idées de Gomar. Les États
se montrant favorables aux idées d' Arminius, Maurice d'Orange
se rangea du côté des Gomaristes. Pour trancher le débat entre
les deux groupes, on réunit à Dordrecht un synode général au
mois de novembre 1618. Les remontrants n'y furent pas admis
comme délibérants mais comme accusés ; les doctrines armi-
niennes furent condamnées solennellement en 1619; des troubles
intérieurs se produisirent. Barneveldt fut condamné à mort et
exécuté ; des Arminiens furent exilés et nombre d'entre eux
vinrent chercher asile en France. La lutte entie les deux sectes
faillit priver le xvne siècle de l'un de ses hommes les plus remar-
quables : Grotius était arminien. Comme tel, il fut condamné à
la détention perpétuelle. Il s'évada en 1621 et vint quérir un
refuge en France.
Ces discordes religieuses provoquèrent des immigrations de
Hollandais vers la France. Pendant la première moitié du
1. Wicquçfort, Histoire des Provinces-Unies, t. I, p. 102.
232 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
xvne siècle, catholiques et protestants y jouissaient de libertés
presque égales. Les réformés avaient leurs temples et les catho-
liques leurs églises. Pour les étrangers catholiques habitant Paris
et qui n'avaient pas de la langue française une connaissance
approfondie, avait été ciéée, en 1626, la Confrérie des Nations
allemande et hollandaise qui tint ses assises à l'église Saint-
Hippolyte pendant quelques années et fut ensuite transférée à
Saint-Germain-des-Prés.
CHAPITRE IV
I. Les Hollandais dessèchent les marais de France. — II. Ils fondent des raffineries
de sucre, des manufactures de papier. — III. Les Hollandais monopolisent le
commerce des vins. — IV. Leurs groupements de Bordeaux et de Nantes. —
V. Jalousies qu'excite l'importance de leur négoce en France.
Les moines et quelques seigneurs avaient au moyen âge
entrepris des dessèchements partiels da marais ; ma^ié les tra-
vaux accomplis, le royaume, à la fin du xvie sièch était encore
couvert de « paluds et terres mouillées ». Désirant restituer à
l'agriculture de vastes régions incultes et assainir des provinces
dans lesquelles, lors des épidémies, la peste exerçait de sinistres
ravages, Henri IV résolut de dessécher les marais de Guyenne,
de Saintonge, du Poitou, de Picardie, de Provence et d'Auvergne.
La réalisation du programme royal nécessitait une direction,
des ingénieurs expérimentés, des artisans rompus à ces travaux
et des capitaux importants. Après avoir fait appel à ses sujets,
le roi s'aperçut qu'il ne trouverait parmi eux aucun concours ;
il dut attirer de l'étranger des hommes capables de seconder ses
vues. Des Hollandais répondirent à ses appels ; Henri IV leur
concéda des avantages importants et durant le xvne siècle,
ingénieurs, banquiers et ouvriers néerlandais travaillèrent au
dessèchement de nos marais. De ces forains nombre se fixèrent
en France et si l'histoire n'a pas retenu les noms des simples
artisans, du moins a-t-elle conservé ceux des chefs d'entreprise.
Des Hollandais qui passèrent en France, le plus célèbre est
Humfroy Bradley, natif de Berg-op-Zoom. Bradley fut l'âme
des premières sociétés constituées en vue de répondre aux désirs
du roi. Ayant étudié dans son pays les méthodes employées
234 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
pour lutter contre l'invasion des eaux, il vint en France avec
l'idée d'appliquer à nos marais les procédés de dessication
utilisés dans les Provinces-Unies. Dès 1597 il avait commencé
à dessécher les marais de Chaumont-en-Vexin. Il visita ensuite
les « paluds » de tout le royaume et, en avril 1599, lorsque le roi
rendit sur le dessèchement des terres mouillées un édit fonda-
mental, Bradley fut choisi comme « maître des digues et canaux
du royaume ».
Par l'article 16 de cet édit, le roi décidait que « ceux des Pays-
Bas et autres étrangers qui viendraient trouver le dit Bradley
et ses associés seraient réputés ses vrais sujets » ; après un
séjour de deux ans ils pourraient être naturalisés sans payer
finances. Le droit d'aubaine était supprimé à leur égard. Ces
dispositions bienveillantes incitèrent des Hollandais à venir
collaborer à l'œuvre de Bradley. Avec l'aide de ses compatriotes,
l'ingénieur forma une société destinée à entreprendre les tra-
vaux de dessèchement. Les noms des premiers compagnons de
Bradley sont demeurés inconnus ; on sait seulement que dès 1599,
Conrad Gaussen traita avec les jurats de Bordeaux pour le
dessèchement des marais avoisinant la ville. Plus notoires
sont au contraire les Hollandais qui, en 1607, formèrent avec
Bradley Y Association pour le dessèchement des marais et lacs de
France. Cette société fut créée à la suite de dispositions nouvelles
prises en janvier 1607 par Henri IV1. Par un édit de cette date
le roi codifiait des mesures antérieures et octroyait aux dessica-
teurs des avantages personnels et réels.
Aux roturiers était accordée la noblesse ; c'était là un précieux
encouragement pour les nationaux ou les étrangers hésitant
à se lancer dans des entreprises de longue haleine ; aux forains
qui, pendant trois années consécutives, auraient tra^s aillé
aux dessèchements devaient être octroyées des lettres de natu-
rslité. A l'expiration du délai convenu, faculté leur était laissée,
sans perdre pour cela le privilège de la naturalité, de se retirer
« es autres lieux de France pour s'employer aux manufactures,
traficqs et labeurs » qui leur conviendraient.
1. Comte de Dienne, Histoire du dessèchement des lacs et marais en France avant
1789. Paris, 1891,
HUMFROY BRADLEY 235
Un privilège d'exploitation était accordé à Bradley et ses
associés jusqu'en 1639 ; seuls, jusqu'à l'expiration de cette
concession, ils avaient le droit de coopérer aux dessèchements
et d'en tirer profit ; ils étaient exempts des charges publiques
personnelles, telles que commissions de justice, assiette et
collecte de tailles, tutelles et curatelles. Durant le temps de leur
privilège les entrepreneurs et leurs gens jouissaient du droit
de « faire fromages à la façon de Milan, tourbes et houilles de
terres propres à brusler comme aussy d'y faire des cannes à
sucre, des ris et de la garance. » Les étrangers étaient également
autorisés à ouvrir des brasseries partout où bon leur semblerait.
Ces avantages séduisirent peu les Français et l'association dont
Bradley fut le promoteur ne comprit guère que des Hollandais.
Très rapidement, elle étendit ses opérations sur la surface entière
de la France ; elle s'occupa du dessèchement des lacs d'Auvergne,
des marais du Languedoc, du Bordelais, du Poitou et de la
Picardie. Jusqu'à la mort de Bradley, elle conserva son autono-
mie et une grande unité de direction ; à partir du décès du maître
•des digues, survenu postérieurement à 1625, les principaux
ingénieurs et entrepreneurs se séparèrent et prirent des conces-
sions distinctes.
Toute entreprise suppose une direction, des ingénieurs experts,
des capitalistes et des ouvriers. Humfroy Bradley groupa
autour de lui ces éléments de succès. Conrard Gaussen eut à sur-
veiller les travaux de la région bordelaise. Pour mieux suivre ses
entreprises, il se fixa à Bordeaux où il s'unit à Eve Vigier qui
lui donna une fille ; celle-ci épousa David Lhermitte, commis-
saire de la marine. Jusqu'en 1627, date de sa mort, Conrad,
malgré les difficultés que lui créa le cardinal de Sourdis, conduisit
les travaux de dessèchement des marais voisins de Bordeaux
et de Blanquefort ; il les mena à bien. En témoignage de sa
reconnaissance, la municipalité de Bordeaux donna le nom de
Conrad à l'une des rues du quartier des Chartrons.
Kn Pfe anlie, Bradley sous-traita avec Josse van Dale qui,
pour la Ir.nislormation des marais de Sacy-le-Grand, constitua
une société avec Albert van Ens et Antoine de Larche dont
Alb< 1 1 v.in Ens avait épouse la fille.
236 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Albert était contrôleur général et provincial des guerres
dans T Ile-de-France ; il habitait Paris, en l'hôtel Saint-Mesme,
sur la parois e Saint-Gervais. C'est là que van Dale vint le
quérir pour lui donner ls direction des dessèchements des marais
de Sacy. van Ens s'installa dans le Beauvédsis et entama les
travaux. Deux ans après le début des opérations, en 1627, les
associés réussissaient déjà à vendre quelques terres desséchées.
Mais les affaires ne continuèrent pas à prospérei ; en 1638,
Jear van Ens, un parent d'Albert, dut les reprendre en mains.
D'un acte liquidatif de la situation d'Albert van Ens dressé
après son décès, il résulte que plusieurs enfants étaient issus de
son mariage avec Anne de Larche.
Jean van Ens acquit personnellement quelques fiefs en
Picardie : ceux de Fontaine-le-Comte et de Fontaine-Peureuse ;
pendant quelques années, il s'intéressa encore aux dessèchements
de Sacy-le-Grand, mais comme il exerçait à la cour la charge de
contrôleur de l' argenterie du roi, il ne surveillait que de loin
son entreprise. Au demeurant, en 1642, il quittait Paris pour se
fixer en Piovence et y attacher son nom à de vastes travaux ;
on était en effet venu l'inviter à entreprendre le des-échement
des marais d'Ailes. Après avoir été sur place examiner les terres
mouillées de la région, il accepta les propositions de la munici-
palité de cette ville. Dans sa nouvelle tâche il eut comme colla-
borateur l'ingénieur hollandais Jean Voortcamp. Les deux asso-
ciés se débattirent au milieu de difficultés inouïes ; leurs tra-
vaux lésaient des intérêts particuliers, troublaient des habitudes
séculaires ; pendant dix ans, van Ens eut à subir des procès
tellement nombreux qu'il se serait découragé si Louis XIV ne
l'avait pris sous sa protection spéciale. A la longue, cependant,
les habitants de la province reconnurent les mérites de l'entre-
prise que le dessicateur avait menée à bien et quand, en sep-
tembre 1652, van Ens mourut, on lui accorda des honneurs
spéciaux. Bien qu'il fut protestant, on fit sonner en son honneur
les cloches de Saint-Trophime et ses obsèques furent solennelle-
ment célébrées. Jean van Ens avait pris femme en Provence ;
Il avait épousé Marguerite d'Antonelle de Montmeillan et
de ce mariage était né Louis van Ens qui fut baptisé le 14 dé-
DESSICATEURS DE MARAIS 237
cembre 1650 à la paroisse Sainte-Marthe dans la ville d'Arles.
La compétence des Hollandais comme dessicateurs est
reconnue par tous. En 1628, le duc d'Epernon commande les
forces françaises devant La Rochelle ; le commissaire de son
artillerie, Abraham Fabert engage le duc à faire visiter les
marais de Lesparre par le célèbre ingénieur Leegwater, le pro-
moteur du dessèchement de la mer de Haarlem. D'Epernon
accède aux propositions de Fabert. Ayant examiné les marais
de Lesparre, Leegwater revint conférer avec d'Epernon devant
La Rochelle et le persuada de l'utilité de les faire disparaître.
Des instructions furent données à Fabert pour l'entrepiise de
ces travaux. Cat et van Bomel s'occupaient alors des dessèche-
ments des marais de Civrac et Leyrac ; on leur confia ceux des
marais de Lesparre. Cat et van Bomel appelèrent près d'eux
des ouvriers hollandais pour lesquels d'Epernon sollicita de
Richelieu des privilèges spéciaux.
Les marais de Bourgoin avaient été concédés par Louis XIV
au maréchal de Turenne. Lors de la prise de possession de cette
propriété, des difficultés surgirent entre le maréchal et les habi-
tants des paroisses voisines ; elles furent aplanies par le Parle-
ment de Grenoble et un arrêt du Conseil du roi. A la mort du
maréchal, en 1675, le duc de Bouillon hérita des droits de son
oncle ; s'étant fait confirmer le privilège de Turenne, il traita
du dessèchement de ses terres avec Jean et Adrien Coorte,
père et fils. Moyennant une rente annuelle le duc de Bouillon
les substituait dans ses droits.
Jean Coorte, écuyer, avait été capitaine commandant un
régiment d'infanterie pour les États de Hollande ; l'acte de
concession des marais de Bourgoin le qualifie d'ingénieur.
Adrien Coorte est désigné dans le même acte comme maître et
entrepreneur de la manufacture de draps établie à Béville,
en Picardie. Ayant quitté cette province en 1676, il se fixa à
l'Isle-d'Abeau, au centre des marais. Ainsi que van Ens, les
Coorte furent en butte à toutes les vexations mais ils ne se
découragèrent pas, car en 1690, ils étaient encore à la tête de
leurs entreprises. Pendant longtemps les terres qu'ils avaient
asséchées produisirent les plus belles récoltes de tout le pays.
238 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Outre les difficultés qu'ils rencontrèrent au cours de leurs
entreprises les Coorte eurent à subir de dures épreuves au point
de vue religieux ; Adrien ayant abjuré à Paris, le consistoire
de Lyon désunit son ménage ; ses deux enfants âgés de dix-sept
et dix-huit ans étaient conduits au prêche contre le gré de leur
père ; Colbert de Croissy, en 1679, intervint auprès de Le Bret,
intendant du Dauphiné, pour mettre ordre à cette situation.
Les difficultés s'aplanirent ; les Coorte en effet continuèrent
à s'occuper des marais de Bourgoin jusqu'en 1690.
Les financiers des entreprises de dessèchements de marais
furent à peu près tous des étrangers ; les Stradaet les d'Herwarth
étaient Allemands, les Hoeufft, van Gangelt, Crucius, Vlamin
et Henry étaient Hollandais.
Le plus notoire de tous les Néerlandais fut Jean Hoeufft.
Il s'était primitivement établi à Rouen mais ayant été nommé
conseiller secrétaire du roi il vint habiter Paris. Avec Bradley,
cet ami de Mazarin fut l'un des principaux artisans de la réus-
site des entreprises de dessèchements dont il s'occupa jusqu'à
sa mort survenue en 1651. Comme banquier, il avait pris des
parts d'intérêts dans de nombreuses entreprises en Poitou,
en Provence et en Picardie. Lorsqu'il décéda, ses héritiers se
répartirent sa fortune territoriale qui était considérable ; ces
partages donnèrent lieu à des contestations. Lorsque les diffé-
rends entre héritiers eurent reçu une solution, les biens de
Jean Hoeufft passèrent à ses collatéraux. Les uns étaient restés
dans les Provinces-Unies ; les autres ayant suivi en France la
fortune de Jean Hoeufft, s'étaient occupés des dessèchements
et s'étaient mariés dans le royaume. Jean Hoeufft, fils de Thierry,
frère du banquier, hérita de Fontaine-le-Comte et de Choisival;
Barbe Hoeufft, nièce du défunt et épouse de Gabriel du Paulmier
eut également une part des propriétés. Christophe Hoeufft,
autre frère du banquier, avait plusieurs enfants ; Jean, dit le
jeune, était associé de son oncle et avait pour sa part de gros
intérêts dans les dessèchements des marais de Moreilles-en-
Poitou ; il recueillit des biens dans la succession de son oncle
ainsi que ses sœurs Marguerite, épouse de David de la Croix,
secrétaire du roi, et Catherine, femme de Strada, baron
FINANCIERS HOLLANDAIS 239
d'Anvières et propriétaire du lac de Sarlièves, en Auvergne.
Une autre branche de la famille de Jean Hoeufft fit égale-
ment valoir ses droits à la succession ; elle était issue de Anne
Hoeufft femme de Pierre Fabrice de Gressenich. Le représentant
français de cette branche était Otto Fabrice de Gressenich,.
l'un des associés de l'entreprise des dessèchements de Sacy-le-
Grand. Dans les actes Otto Fabrice est qualifié de seigneur de
Fontaine-le-Comte, en Picardie ; conseillei et maître d'hôtel
du roi. Otto Fabrice avait épousé Marthe de Menou et de cette
alliance naquirent quatre enfants qui demeurèrent en France.
Alliés à des familles françaises ou à des familles d'origine
étrangère comme celles des Strada ou des Crucius, les Hoeufft
ont laissé des descendants ; lors de la révocation, quelques-uns
regagnèrent la Hollande, confiant la surveillance de leurs
propriétés à des fondés de pouvoirs ; mais après quelques années
ils revenaient prendre leur place dans la famille française.
Gaspard van Gangelt est moins connu que Jean Hoeufft.
Les frères de Villers qui séjournèrent à Paris en 1657 et 165&
nous apprennent qu'il avait comptoir de change près du Pont-
Neuf. Ce financier avait épousé Madeleine Verbeck et en eut
quatre enfants : Gaspard, sieur de Beaulieu, capitaine de cava-
lerie au régiment de Declos, Constantin, sieur des Marais, lieute--
nant des vaisseaux du roi. Des deux filles, l'une, Marianne
devint comtesse de Boursac, l'autre, Charlotte, épousa François
de Niert, marquis de Gambais, premier valet de chambre du roi
et gouverneur de Limoges.
Gaspard van Gangelt centralisait les fonds de la société de
dessèchements fondée par Bradley : après la mort de Jean
Hoeufft, il fut l'un des liquidateurs de sa succession. L'associa-
tion avait aussi des banquiers locaux résidant non loin des
dessèchements ; ils correspondaient avec les propriétaires de
marais, les commanditaient et payaient leurs dépenses. De ce
nombre était Henri Vlamin, banquier à La Rochelle ; en 1656,
il était avec son beau-frère Guillaume Henry l'un des princi-
paux intéressés des dessèchements des marais de Champagne.
De la famille des Crucius, d'Amsterdam, — ou de la Croix.
de leur nom francisé, — quelques membres prirent part aux opé-
240 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
rations financières des dessicateurs. Adrien et Jean, armateurs,
rafïineurs et banquiers à La Rochelle, ouvraient leurs comptoirs
aux opérations de la Société.
Ce ne furent pas seulement les chefs d'entreprise de dessèche-
ments qui passèrent de Hollande en France ; les ouvriers qu'on
employait furent également tirés des Provinces-Unies. Les
ouvriers français n'étaient pas compétents, ils se méfiaient des
méthodes employées par les ingénieurs étrangers et exécutaient
leurs ordres avec une sourde hostilité. Dès les débuts, Bradley
obtint leur renvoi et l'autorisation de « bastir des maisons,
bourgs et villages pour y retirer et faire habiter plusieurs familles
flamandes, hollandaises et autres étrangers. » Il chargea des
Flamands, membres de son association, les Coomans, d'embau-
cher des ouvriers dans les Provinces-Unies et les Pays-Bas.
Ils réussirent si bien à attirer des étrangers que plusieurs régions
colonisées par eux prirent les noms de Petite Flandre ou de
Polders de Hollande qu'ils portent encore. Des travaux effectués
par des Hollandais ont conservé des appellations rappelant leur
présence au xvne siècle. En Poitou, un canal d'écoulement
d'eaux qui se jette dans le canal de Luçon porte encore le nom
de Ceinture des Hollandais ; la paroisse de Queyrac est bordée
par un chenal appelé Polder de Hollande qui est la dénomination
donnée à la ceinture du marais de Lesparre. Des métairies
fondées par les Néerlandais avaient été dénommées La Haye,
Hollande, Lintzick. En Saintonge les marais situés sur les pa-
roisses de Tonnay-Charente, Muron et terroirs contigus devinrent
les marais de la Petite Flandre.
Les Hollandais laissèrent dans les régions où ils travaillèrent
des souvenirs autres que ceux qui viennent d'être rappelés.
En Poitou, ils introduisirent une race de moutons plus forte
que celle du pays ; cette race a conservé jusqu'à nos jours le
nom de race fiandrine. Dans ses Variétés bordelaises, Baurein
note que les familles hollandaises apportèrent dans le Médoc
« la méthode de faire du beurre frais qu'on appelait de la petite
Flandre, mais dont la cessation a été occasionnée par la conver-
sion des pacages en terres labourables. »
Par leur habileté et leur ténacité les Hollandais avaient réussi
RAFFINEURS HOLLANDAIS 241
à rendre fertiles de nombreuses parties du territoire au
xviie siècle ; malheureusement l'hostilité à laquelle quelques-uns
des dirigeants des entreprises de dessèchements furent en butte
les obligea à vendre leurs biens et à sortir de France. Les tra-
vaux qu'ils avaient exécutés ayant été mal entretenus, il advint
qu'on dût les recommencer au xvme siècle.
Nonobstant les difficultés qu'elles éprouvèrent pour gérer
leurs biens, des familles hollandaises conservèrent leurs pro-
priétés jusqu'à la fin du règne de Louis XV : les Hocufït ne liqui-
dèrent les leurs qu'en 1765.
II
L'industrie du raffinage du sucre paraît avoir été introduite
en France par les Hollandais ; ils lui donnèrent en tous cas une
extension singulière au xvne siècle.
La première raffinerie de sucre de Bordeaux fut très probable-
ment construite aux Chartrons par les frères Isaac et Moïse
Meerman *. Sur cet établissement, on ne possède d'autres ren-
seignements qu'une affirmation produite par un descendant
de cette importante famille hollandaise ; on la peut tenir pour
exacte car dans les autres cités françaises, les premières raffi-
neries furent toujours créées par des Hollandais. Jean Ridder
avait aussi fondé une raffinerie à Bordeaux avant l'année 1638 2.
David Crucius, de concert avec ses deux neveux, natui alises
en 1659, était propriétaire d'une raffinerie à La Rochelle 3.
Nanti d'un privilège spécial, daté de 1613 et confirmé en 1620,
Jérémie Vualens établissait à Rouen une raffinerie de sucre *.
Les municipalités accordaient volontiers l'hospitalité aux
raffineurs hollandais ; elles les sollicitaient même de s'installer
dans leur ville. Le corps des échevins attire à Angers Gaspard
1. A. Ducaunnès-Duval, La famille Meerman. Bordeaux, 1897, p. 3.
2. Inventaire des registres de la Jurade de Bordeaux. V° Bourgeois.
3. Comte de Dienne, op. cit., p. 46.
4. E. Gosselin, Documents... etc., p. 131.
1C
242 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
van Bredenbek « raflineur de sucres et de cassonnades ». Ayant
cédé aux propositions des magistrats municipaux, ce Hollan-
dais se fixa sur les rives de la Maine et fit souche à Angers après
avoir obtenu sa naturalisation. Au xvme siècle, les van Breden-
bek étaient alliés aux meilleures familles de la ville ; l'un des
leurs était même capitaine de la milice bourgeoise de la cité K
Non loin d'Angers, à Saumur, René Tinnebac possédait
une raffinerie. Il recevait par Nantes ses sucres bruts et y écou-
lait ses produits fabriqués. Son établissement fut clos après la
révocation de l'Édit de Nantes 2.
Une famille hollandaise, celle des Vandeberg, fonda à Orléans,
en 1653, la première raffinerie de sucre connue dans cette ville.
Elle donna l'impulsion première à une industrie qui se développa
grandement à Orléans puisqu'à la veille de la Révolution on y
comptait près de vingt raffineries. La communauté des « mar-
chands fréquentant la rivière de Loire » facilitait le transport
des sucres bruts ou raffinés et dès les premières années de la
création de leur industrie les Vandeberg tirèrent un profit consi-
dérable de leur avance et des facilités de transport qu'ils trou-
vaient à Orléans3.
Georges Vandeberg, le fondateur de cette industrie, habitait
Orléans depuis le milieu du xvne siècle ; il était avocat au bail-
liage et siège présidial ; par la suite, il fut prévôt de la ville et
Meutenant général de police. Vandeberg était un juriste lettré,
consacrant ses loisirs à la poésie latine. « Bien qu'il fût digne,
écrit Legaingneux, par l'étendue de ses lumières et la force de
son éloquence d'occuper les premières places de la magistra-
ture », cet avocat se tourna vers l'industrie et construisit, rue de
Recouvrance, une raffinerie de sucre.
La famille Vandeberg se fixa en France définitivement.
Bien que des enfants de Georges Vandeberg aient essaimé en
diverses provinces, puisque l'on rencontre un de ses petits-fils,
Michel Vandeberg de Villebouré comme magistrat à Montauban,
1. Arch. mun. d'Angers, BB 74, 89, 131.
2. J. Mathorez, Notes sur la colonie hollandaise de Nantes, ext. de la Revue du
Nord, 1913, p. 36.
3. Cuissard, Etudes sur le commerce et l'industrie à Orléans. Orléans, p. 243.
PAPETIERS HOLLANDAIS 243
le rameau principal de la famille s'implanta en Orléanais,
Plusieurs des descendants du raffineur s'allièrent à l'une des
plus anciennes maisons de la province, celle des Colas de Brou-
ville et des Colas des Francs. En 1789 les Vandeberg comparais-
saient parmi les gentilshommes de la province h
Les fondateurs étrangers d'industries ont toujours attiré des
ouvriers de leur pays ; c'est un fait acquis à l'histoire. Les Hol-
landais ont introduit en France des dessicateurs de marais, des
drapiers, des charpentiers, des fabricants de papiers. Les raffi-
neurs n'ont pas manqué à la tradition ; ils ont constitué dans
leurs usines de véritables colonies étrangères. Les documents
qui relatent ces faits sont abondants mais généralement conçus
en termes très généraux; comme ils rapportent rarement
les noms des artisans, il est intéressant de mentionner les actes
relatant la présence en France de ces auxiliaires, lorsque le
hasard permet d'en découvrir quelques-uns. Ainsi que leurs com-
patriotes, les Vandeberg occupaient des Hollandais et des Alle-
mands. Le 19 avril 1689, on constatait à Orléans le décès d'un
jeune homme de trente ans qui travaillait aux nouveaux vitraux
de l'église Sainte-Croix ; nul papier ne permettant de l'iden-
tifier on eut recours aux témoignages de François Gors, ouvrier
sucrier, originaire de Maestrich et de Charles Auhan, natif de
Poméranie, exerçant la même profession. Ils déclarèrent que le
décédé avait nom Louis Istrein et était natif de Norden 2.
La raffinerie des Vandeberg existait encore pendant la Révo-
lution; en l'an II, elle occupait une moyenne de vingt ouvriers 3.
Au xvne siècle Angoulême produisait déjà des papiers renom-
més ; les propriétaires de moulins à papier le vendaient à des
commissionnaires pour la France et l'étranger ; il y avait là
pour les Hollandais une trop belle occasion de se livrer au
commerce de l'exportation pour qu'ils n'en profitassent point.
Aussi les voit-on se fixer très nombreux en Charente puis peu
1. En 1695, Jacques Colas de Brouville, futur intendant de Stanislas Leczinski,
épouse Elisabeth Vandeberg ; Louis Colas de Brouville épouse en 1743 sa cousine
Claude-Marie Vandeberg ; son petit-flls épouse encore à la fin du xviii» siècle
Thérèse-Edwige Vandeberg de Champguérin. — Arch. mun. d'Orléans, GG 141,
143, 482, 486.
2. Arch. mun. d'Orléans, GG 319.
3. Arch. Nat., F" 1502.
244 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
à peu monopoliser le commerce du papier. Parmi les Hollan-
dais établis à Angoulême on cite les Ravestein, de Leyde, les
Verdouyn, les Vincent d'Amsterdam, les van Gangelt et les
van den Plasten. Ces facteurs habitaient généralement les bords
de la Charente, à l'Houmeau, Saint-Cybard et Basseau ; ils
chargeaient les papiers sur des gabarres jusqu'à Tonnay, Roche-
fort et La Rochelle ; de ces ports ils étaient ensuite expédiés sur
leurs destinations définitives.
Pour s'assurer la production de quelques manufacturiers
habiles les Hollandais pratiquèrent à l'égard des fabricants les
mêmes méthodes que celles qu'ils employèrent au xvne siècle
à l'égard des viticulteurs. Ils louaient des moulins à papier et
fournissaient à un maître fabricant un capital de roulement
sans exiger d'intérêt. Ce capital, à la fin du contrat devait être
restitué par l'exploitant qui était tenu de réserver au commandi-
taire tout le papier par lui fabriqué. Le poids, la dimension
des papiers ainsi que les prix étaient fixés par avance. C'est
ainsi que procédaient le plus souvent trois des facteurs hollan-
dais les plus importants d'Angoulême, les Vannezel, les Vanton-
geren et les Jansscn *. Ces Hollandais s'étaient établis dans la
Charente vers le milieu du xvne siècle ; ils y firent souche.
Abraham Janssen qui avait épousé Anne Dioré, semble avoir
été l'un des plus grands négociants en papiers de l'Angoumois ;
outre ceux qu'il acquérait de ses frères Isaac, Philippe et Théo-
dore, installés aux moulins de Puymoyen, de Tudebeuf et de
Roche, il en achetait en Limousin ; d'autres lui étaient expédiés
de Tulle et du village des Auges en Périgord 2.
Les Vantongeren étaient eux aussi d'importants négociants
en papiers ; des membres de cette famille demeurèrent à Angou-
lême ; en 1749 Pierre Vantongeren, de la communauté des mar-
chands de papiers de cette ville, donne procuration à l'un de ses
homonymes à l'effet de recevoir les arrérages de sa charge
d'inspecteur des manufactures de papier 3. Des Vantongeren,
affiliés à ceux d'Angoulême se rencontrent encore à Limoges
1. Boissonnade, L'industrie du papier en Charente, 1890.
2. Arch. dép. de la Charente, E 1958, 1959, 1966, 1967.
3. Ibid., E 1776.
LES HOLLANDAIS ET LE NÉGOCE DES VINS 245
en 1751. Pierre Vantongeren, chevalier, seigneur de Siecq et de
Cougoussac est conseiller président au bureau des finances de
la généralité de Limoges *.
III
De tous les commerces, le plus en faveur auprès des Hollan-
dais, fut celui des vins et des eaux-de-vie. Après l'avoir organisé,
ils monopolisèrent ce trafic au xvne siècle ; il était pour eux
une source de profits considérables car outre les bénéfices qu'ils
prélevaient sur la vente des vins, le transport des boissons four-
nissait à leurs navires, un fret de retour considérable.
Un port ne prend d'extension que s'il possède un « hinter-
land » important. Il convient de drainer vers lui les marchandises
des régions voisines et des provinces qui lui sont reliées par des
fleuves ou des routes. Avec leur perspicacité, les Hollandais
avaient compris que pour développer leur trafic d'exportation
des boissons, il convenait de les acheter sur place par l'intermé-
diaire de facteurs de leur pays qui se chargeaient ensuite de les
diriger vers les ports de l'Atlantique ou de la Manche. Ils avaient
pour ainsi dire divisé la France en un certain nombre de sec-
teurs dans lesquels opéraient courtiers, commissionnaires et
transporteurs néerlandais.
Si l'on en juge par un factum curieux du xvne siècle, le
Commerce honorable 2, les Hollandais avaient dans le début de
leur installation en France, offert de gros prix aux viticulteurs,
et les campagnards alléchés par les profits avaient planté des
vignes un peu partout. De là étaient résultés deux inconvé-
nients ; le blé, à certaines années, s'était raréfié et comme on
brûlait beaucoup de vins pour faire de l'eau-de-vie, le bois avait
augmenté de prix. Pour s'assurer les récoltes, les Hollandais
pratiquaient le marché à terme et la commandite ; ils avançaient
1. Arch. dép. de la Charente, E 1736.
2. J. Eon, Le commerce honorable. Nantes, 1646.
246 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
des capitaux aux viticulteurs besogneux et exigeaient qu'ils
leur réservassent leurs vendanges.
Dans les régions productrices de vins, en Orléanais, en Tou-
raine, en Anjou, dans le Midi de la France, en Aunis et en Sain-
tonge comme en Guyenne, les Hollandais entretenaient des
facteurs et des courtiers qui acquéraient les boissons puis les
acheminaient vers les ports d'embarquement de l'Atlantique.
C'est ainsi, par exemple, que tous les vins de la vallée de la
Loire, avant d'être expédiés sur Nantes, étaient dirigés sur les
Ponts-de-Cé en Anjou. Là s'opérait un premier travail : le classe-
ment des vins d'Anjou ; au xvne siècle ils comportaient deux
catégories : les vins pour Paris et ceux pour la mer ; les premiers
étaient de qualité inférieure, les seconds au contraire, achetés
par les commissionnaires de Hollande étaient destinés à l'expor-
tation. Aux Ponts-de-Cé, outre un bureau nommé Embargo
et dans lequel se tenaient les armateurs, avaient été construits
de vastes pontons qui servaient d'embarcadères. Lorsque les
navires étaient chargés ils descendaient la Loire et c'est à Nantes
que s'effectuaient les transbordements nécessaires. Le souvenir
des négociants hollandais s'est d'ailleurs perpétué aux Ponts-de-
Cé car il y existe encore une maison connue sous le nom de
Bureau des Hollandais K
Qu'il y ait eu dans les villes de l'intérieur, à Orléans, à Tours,
à Dijon et à Mâcon des courtiers hollandais chargés d'acquérir
des boissons, le fait est certain mais c'est principalement dans
les ports qu'une foule de Néerlandais sont occupés par le négoce
des vins. A Bordeaux ils pratiquent « les façons à donner »
pour les mettre au goût de la clientèle étrangère. Lorsque Colbert
arrivera au pouvoir il ne se montrera pas scandalisé de ces pro-
cédés mais il s'indignera que les Français ne puissent faire
ce que font les Néerlandais. Il écrira à d'Aguesseau : « S'il est
nécessaire de travailler les vins pendant l'hiver, de les frelater
comme font les Hollandais, cela peut aussi bien se faire à Bor-
deaux et on peut y faire venir les plus entendus en cet art en cas
que ce soit un secret des Hollandais. »
1. Sébille-Auger, Mémoires sur les vins du département de Maine-et-Loire.
Angers, 1830.
LES HOLLANDAIS ET LE NÉGOCE DES VINS 247
Des Néerlandais transvasent les vins, les entreposent, les
chargent sur des navires de leur pays. De Hollande, ils appellent
des tonneliers pour construire de vastes tonneaux. Cette méthode
leur vaut parfois de grosses difficultés. Pour faciliter l'arrimage
des futailles sur leurs navires, les Hollandais avaient coutume
d'utiliser des barriques de grandes dimensions, dites façon d'Al-
lemagne, d'Anjou, de Bordeaux ou de Vouvray. Or dans les
privilèges de la ville de Nantes, il était stipulé que les échevins
avaient le droit de nommer un jaugeur juré pour mesurer la
dimension des fûts. Jusqu'au milieu du xvne siècle, les jaugeurs
s'étaient contentés de percevoir les émoluments de leur charge,
mais par un règlement du 12 août 1656, le maire et les échevins
décidèrent qu'à l'avenir pourraient seules être employées les
barriques nantaises de 232 pots. Le jaugeur fut chargé de la
stricte application du règlement. Les contraventions dressées
furent nombreuses. Aussitôt les négociants hollandais qu
étaient particulièrement atteints par cette mesure en appe-
lèrent au Parlement de Rennes. Gérard Pieters, Simon van
Schovonen, Revixit, van Haersen, André van Pradelle, Corneille
van Suchtet exposèrent leurs doléances. Par un arrêt du 12 oc-
tobre, le Parlement fit « défenses à tous marchands de leur donner
troubles ou empêchement à peine de 10.000 livres d'amende ;
aux maires, échevins et juges consuls de Nantes de prendre
connaissance des procès et différends des dits marchands hollan-
dais ». Malgré cette décision, les Hollandais eurent encore des
difficultés avec le jaugeur; chez van Bulstrack on saisit des
futailles prohibées qu'il détenait dans les magasins de la Fosse l„
Lorsque les vins étaient accommodés au goût de la clientèle,
les facteurs néerlandais les chargeaient sur leurs navires et les
expédiaient vers les pays de la Baltique. Les Suédois recher-
chaient les vins blancs d'Anjou, de Haute-Guyenne et de Cognac ;
les Prussiens étaient acheteurs de vins des hauts pays du Borde-
lais 2. Pour satisfaire aux besoins de leurs commettants, les
1. Arch. mun. de Nantes, FF 141, 142, 143. - Arch. dép. d'Illc-et- Vilaine,
Fonds de la Grande Chambre, arrêt du 12 octobre 1656.
2. M. Boissonnade, Histoire des premiers essais de relations économiques directes
entre la France et l'Etal prussien. Poitiers, 1913, p. 96 et 97.
248 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Hollandais avaient à leur disposition de véritables flottes ;
chaque année, au printemps, elles remontaient la Gironde, la
Charente ou la Loire pour embarquer vins et eaux-de-vie.
Dans une lettre à Pomponne, Colbert parle de trois à quatre mille
vaisseaux qui de La Rochelle et Bordeaux emportaient 80.000 ton-
neaux de vins 1, Entre 1646 et 1658, la valeur des vins achetés
en France par les Hollandais oscillait entre six et sept millions.
IV
On estime, d'après un relevé incomplet de 1646, à 15.700.000 li-
vres la valeur de nos exportations de France en Hollande, chiffre
représentant environ la moitié de notre commerce spécial
à cette époque. Douze années après, Boreel, dans un rapport,
chiffrait à 36 millions de francs le commerce des Hollandais
en France, non compris la valeur des blés, des chanvres et des
sels. La majeure partie des achats étaient effectués par des
Hollandais établis ou circulant en France ; du Midi ils tiraient
vins et pastels, de l'Ouest eaux-de-vie et sels, la Bretagne et
la Normandie leur fournissaient draps et toiles, Paris des objets
de luxe. C'est assez dire quel pouvait être vers le milieu du
xvne siècle le nombre des commissionnaires hollandais établis
en France. Ils constituaient de véritables groupements dont
certains de leurs membres se fixèrent définitivement dans le
pays après avoir obtenu leurs lettres de natur alité et de bour-
geoisie. Ils avaient d'ailleurs intérêt à obtenir la modification
de leur statut personnel. Droits généraux et taxes locales variaient
suivant que le débiteur était régnicole ou étranger. Dans quelques
villes, les bourgeois étaient exonérés de taxes ; à Bordeaux,
notamment, les commerçants ayant droit de cité ne payaient
pas le droit de comptablie. Les Hollandais étaient négociants
trop avisés pour mépriser ces avantages. Bien qu'Henri IV,
1. P. Clément, Lettres de Colbert, t. II* 463, lettre du 21 mars 1659.
COLONIE HOLLANDAISE DE BORDEAUX 249
par lettres-patentes d'avril 1595 eut accordé la naturalité
générale aux sujets des Provinces-Unies, beaucoup jugèrent
utile de solliciter des lettres individuelles de naturalité. Elles les
garantissaient contre toutes difficultés. De l'année 1598 datent
les premières qui furent demandées et accordées. L'Édit de
Nantes assurant aux Hollandais protestants la liberté reli-
gieuse, ils n'hésitèrent plus à s'établir dans un pays où leur
culte était admis.
Les négociants d'origine hollandaise ont, au cours des soixante
premières années du xvne siècle, fourni à la France une abon-
dante population. La politique de Colbert à l'égard des Hollan-
dais pénétrant dans le royaume contribua encore à l'accroître.
Me réservant de montrer quelle pouvait être l'importance de
l'immigration hollandaise en France au moment de la révoca-
tion de l'Édit de Nantes, je me borne présentement à étayer
mes affirmations de quelques exemples.
A Bordeaux s'installent avant l'année 1660 Guillaume van
Platen, les Vandamme, Bierquens, Josué van Herlant d'Ams-
terdam, Samuel Melic, les de Rieders, Daniel Oyens. En 1599
Paul Boul est naturalisé, Jean et Abraham Vandenpom reçoivent
en 1602 leurs lettres de naturalisation. Jacques Hellaert de
Middelbourg, Joris Vanhemstede d'Amsterdam, sont égale-
ment reçus en la qualité de Français. Dix autres sont admis à
l'honneur de la bourgeoisie. François van den Berg, marchand,
est inscrit sur le livre des Bourgeois en 1629. Moins de dix ans
après, en 1636, ce Franz van den Berg qui a transformé son
nom en celui de François Desmons tente, ayant fait fortune,
d'acquérir à deniers comptants un office de trésorier de France
au bureau des finances de Bordeaux, comme successeur de
M. de Verthamon. Alard et Cram dont les lettres de bourgeoisie
furent cassées en 1654 \ Vanpulle, Constantin Cruipling étaient
eux aussi marchands aux Chartrons. Aux noms de ces Hollan-
dais viendraient s'en ajouter beaucoup d'autres si l'on avait le
loisir d'interroger les minutes notariales conservées aux archives
de la Gironde. Celles du notaire Deferrand qui s'étendent
1. A. Leroux, La Colonie germanique de Bordeaux. Bordeaux, 1918, tome Ipr,
p. 16 et s., p. 24 et s.
250 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
de 1654 à 1701 fournissent à elles seules une vingtaine de noms
de négociants issus des Provinces-Unies.
A ces éléments stables de population il y aurait lieu d'ajouter
les capitaines de navires marchands, les matelots qui descen-
daient à terre et, le soir, s'égaraient dans les tavernes, souvent
possédées par des Hollandais. Si à ces marins l'on ajoute les
ouvriers que Conrad Gaussen avait appelés pour les dessèche-
ments de marais, les artisans qui travaillaient dans les raffi-
neries, on constatera que la colonie hollandaise de Bordeaux
était déjà fortement constituée avant l'arrivée de Colbert au
pouvoir.
De ce groupe de Néerlandais fixés aux Chartrons, trois familles
méritent de retenir l'attention car elles ont laissé à Bordeaux
une postérité et de la réputation. Ces familles arrivées dans la
ville antérieurement au milieu du xvne siècle sont celles des
Meerman \ des Vandebrande et des de Kater.
Michel Meerman habita La Rochelle jusqu'en 1603. A cette
date il vint se fixer à Bordeaux et fut reçu bourgeois de la ville.
Il exerçait la profession de marchand et son commerce s'éten-
dait sur toutes espèces de denrées et produits. De ses deux
mariages il eut quatre enfants. Son fils aîné, Samuel prit la suite
des affaires de son père et leur donna une extension considérable;
son négoce portait sur les vins, eaux-de-vie, huiles, fromages,
céruse, peinture, savon, sucre, vif argent. Il ne se bornait pas
à Bordeaux ou aux environs ; Samuel Meerman était en corres-
pondance constante avec La Rochelle, Saintes, Bayonne,
Toulouse. Il avait des courtiers en Hollande ; en 1630 il commerce
avec Pierre Delo, Gilles Hains, marchands d'Amsterdam et
avec Emery de Saintes dont il avait épousé la sœur Suzanne.
Samuel Meerman mourut en 1633 laissant la réputation d'un
négociant considérable. La maison de commerce fondée par
Michel et Samuel Meerman a subsisté à Bordeaux jusqu'à
nos jours. Du double mariage de Michel est issue une abondante
postérité. Quatre-vingt-cinq descendants figurent sur un tableau
généalogique de sa famille dressé à la fin du xixe siècle.
1. A. Ducaunnès-Duval, La Camille Meerman. Notice- généalogique et biogra-
phique. Bordeaux, 1897.
LES VANDEBRÀNDE, LES DE KATER 25 î
Les premiers Hollandais du nom de van den Branden n'ont
pas tenu dans l'histoire du commerce bordelais une place aussi
marquée que les Meerman et ce fut seulement en 1690 que Phi-
lippe fut admis au rang des bourgeois. Son petit-fils né à Bor-
deaux en 1722, fut d'abord négociant puis il fonda une verrerie
à Libourne et voulut encore quelques années après, y établir
une faïencerie. Malgré quelques difficultés occasionnées par un
concurrent possesseur d'un privilège, il obtint des lettres-
patentes et, en 1760, sa manufacture fonctionnait. Par son
mariage avec Antoinette Sausané, Philippe Vandebrande était
allié aux familles parlementaires de Bordeaux, les Prunes-
Duvivier, d'Albessard et Saige ; complètement établi dans la
province, il y avait acquis des propriétés foncières.
P. Vandebrande a survécu dans l'histoire locale non seule-
ment comme négociant à Bordeaux, « gentilhomme verrier
patenté de S. M. » et faïencier à Libourne mais aussi comme
auteur d'un très instructif ouvrage publié en 1774 sous le titre
de Voyage de Languedoc, Provence et Comtat d'Avignon. Le sou-
venir de ce négociant lettré a été conservé à Bordeaux car la
municipalité de la ville a donné le nom de P. Vandebrande
à une rue du quartier des Chartrons h C'est d'ailleurs un hom-
mage que les Bordelais ont également rendu aux de Kater,
autre famille hollandaise fort connue au xvme siècle mais dont
les ancêtres arrivèrent à Bordeaux dans les mêmes temps que
les Vandebrande.
Pierre de Kater était établi à Bordeaux depuis quelques
années déjà lorsqu'il fut admis aux honneurs de la bourgeoisie
en 1687 2. Son fils Pierre reprit la suite de ses affaires en 1720.
Son histoire est encore inconnue : celle de ses descendants
est au contraire liée à la vie économique de Bordeaux au
xvme siècle. Pierre II de Kater fut juge consul de la Chambre
de Commerce en 1725 et 1737, il fut également directeur du
commerce en 1727, 1738 et 1754. Au mois d'août 1743 le roi
1. Alfred Leroux, op. cit., p. 30, 37, 55, 56, 112, 116, 118. — Archives historique»
de la Gironde, t. XXX, p. 258 ; t. XXXIV, p. 287 ; t. XXX VI II, p. 492.
2. Id., Ibid., p. 30, 37, 114, 119, 121, 150. - A. Communay, Les Grands négo-
ciants bordelais au XVIIIe siècle. Bordeaux, 1888, p. 57.
252 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
l'anoblit car, est-il dit dans les lettres d'anoblissement, «le dit
sieur de Kater a su mériter la confiance et l'estime du public
soit dans le commerce soit dans les places et dans les adminis-
trations qui lui ont toujours été déférées ». Pierre de Kater
avait été administrateur de l'hôpital Saint-Louis de Bordeaux,
puis jurât. Il avait épousé Jeanne Rozier qui lui donnasix enfants.
Son fils aîné fut également négociant et directeur du commerce
en 1757 ; enfin en 1762, les registres de la Chambre de Commerce
de Bordeaux mentionnent encore son autre fils François de ,
Kater comme juge consul ; il avait épousé Jeanne Mémoire l. /■*
Ainsi qu'on peut s'en rendre compte par ces quelques exemples,
dès l'année 1660 la ville de Bordeaux donnait l'hospitalité
à une colonie hollandaise fortement constituée. De ses membres,
plusieurs se francisèrent promptement et ont laissé une pos-
térité digne de la sympathie des Bordelais.
A Nantes, ville cosmopolite comme toutes les cités mari-
times, le développement de la colonie hollandaise a été très
rapide. Depuis l'année 1598, époque à laquelle fut accordée
une lettre de natur alité à Jehan Henrich, il n'est registre de
la Chambre des Comptes qui ne relate plusieurs documents
de l'espèce. Le principal commerce des premiers Hollandais
établis à la Fosse consistait dans l'exportation des vins et des
eaux-de-vie. Au début du xvne siècle, les opérations de ces
étrangers faillirent être totalement entravées par des «marchands
vinotiers » qui prétendaient accaparer le négoce des vins
en achetant les récoltes ; des Hollandais, ayant voulu entrer
en concurrence avec eux dans l'évêché de Nantes, furent empê-
chés de transporter les boissons qu'ils avaient acquises. La
colonie des marchands hollandais de Nantes se pourvut devant
le Parlement de Rennes qui, en 1603, se fondant sur la liberté
du commerce condamna les vinotiers 2.
Deux documents nous renseignent sur la puissance de la
colonie hollandaise de Nantes au milieu du xvne siècle ; l'un
date de 1645 ; c'est une requête au roi dans laquelle les Nantais
exposent leurs griefs contre les négociants originaires des Pro-
1. Arch. hist. de la Gironde, t. XXX, p. 252.
2. J. Mathorez, op. cit., p. 41.
HOLLANDAIS A NANTES 253
vinces-Unies ; l'autre est un factum rédigé par le moine Jean
Eon. Cet ouvrage n'est qu'une réplique de la requête mais
amplifiée et mise sous une forme littéraire. Il est intitulé :
Du Commerce honorable. Ces deux documents se complètent
mutuellement et reflètent l'état des esprits contre les Hollan-
dais. Leur habileté commerciale, la puissance de leur marine
leur avaient permis d'édifier de rapides fortunes et on les jalou-
sait. La jalousie des Nantais se traduisait par les mots les plus
acerbes. « Pour parvenir à leurs usurpations, les étrangers qui
« partent de Hollande pour venir en France jurent une union
« entre eux et ceux de leur nation. Ils s'obligent à se procurer
« du bien les uns aux autres et ne permettent pas que les Fran-
ce çais prennent part à leurs affaires et aux bénéfices qui se
« peuvent faire dans le négoce à tel point que les meilleures
« affaires passent par leurs mains et que le rebut est le plus
« honorable emploi des habitants. »
Les Nantais reprochaient leur exclusivisme aux Hollandais
établis parmi eux ; ils formaient en effet un clan séparé ayant
peu de rapports avec la population. Ils vivaient les uns chez les
autres ; les nouveaux venus prenaient pension dans des familles
déjà fixées à Nantes et des aubergistes hollandais hébergeaient
leurs compatriotes ; la supplique de 1645 demandait au roi d'op-
poser des obstacles à ces habitudes.
Les Hollandais vivaient sur la Fosse de Nantes ; les paroisses
de Saint-Nicolas et de l'Aumônerie de Toussaint étaient celles des
catholiques. Deux ou trois fois par semaine, ils se réunissaient
sur la Hollande, conférant là de leurs commissions et de la
« diversité d'icellcs pour savoir la quantité de marchandises
qui leur étaient nécessaires suivant les inclinations de chacun
et les ordres de leurs commettants. » Au cours de ces réunions
ils arrêtaient les prix à payer. Les Hollandais avaient une telle
habitude de s'assembler sur la place qui a du reste conservé le
nom de Petite Hollande qu'en 1640, ils refusèrent de se tenir
à la Bourse du Commerce que venait de fonder la municipalité.
Les Hollandais n'étaient pas toujours très adroits dans les
plaisanteries qu'ils dirigeaient contre les Nantais ; en parlant
d'eux, ils avaient coutume de dire : « Les Grecs D'entendant
254 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
rien aux affaires. » Cette moquerie était d'un goût d'autant plus
douteux que plusieurs commerçants des Provinces-Unies avaient
quitté Nantes sans solder leurs dettes. L'auteur du Commerce
honorable chiffre à huit ou neuf cent mille livres les pertes
infligées en moins de dix ans par les banqueroutiers hollandais.
A ces désastres financiers les Nantais opposaient les fortunes
réalisées par les Néerlandais ; quelques-unes atteignaient plus
<le six cents mille livres.
La requête au roi et le factum de Jean Eon permettraient
déjà à eux seuls d'avoir un aperçu de l'importance de la colonie
hollandaise de Nantes antérieurement à l'arrivée de Colbert
comme, grand maître de la marine et du commerce français.
Outre ces documents généraux, on possède quelques autres
preuves de la force du groupement hollandais de Nantes ;
elles dispensent de citer des séries de noms puisés dans les actes
et les minutes de notaires ; j'ai déjà mentionné l'appel interjeté
devant le parlement de Rennes par les courtiers hollandais
contre lesquels on avait dressé des procès-verbaux pour détention
de futailles non conformes à la jauge nantaise. Une délibération
du Conseil d'administration de l'hôpital du Sanitat de l'an-
née 1654 est typique. Les membres de ce Conseil décidèrent
qu'il y avait lieu de faire des remontrances aux Hollandais
sur la diminution de leurs charités bien qu'ils fissent les trois
quarts du commerce de la ville 1.
Au vrai, tandis que les Italiens et les Espagnols qui étaient
légion en France au xvie siècle se mêlaient activement à la vie
des cités dans lesquelles ils s'implantaient, les Hollandais
demeuraient à l'écart de la population au xvne siècle. On les
voit très rarement devenir échevins, administrateurs d'hospices
ou d'œuvres publiques. Assez rarement, les Hollandais qui se
fixèrent en France au cours des soixante premières années du
xvne siècle se rendirent acquéreurs de biens immobiliers.
Tout « confits dans le commerce » et ne pensant qu'à tirer
« succum et sanguinem » des populations au milieu desquelles
ils s'installaient, ces étrangers ne se souciaient pas d'immobi-
1 Arch. départ, de la Loire- Inférieure, H 749.
HOLLANDAIS A NANTES 255
liser leurs fortunes. En général, les Néerlandais étaient protes-
tants, ils ne trouvaient pas aisément à s'allier avec des Fran-
çaises appartenant à la religion réformée, celles-ci, étant rela-
tivement peu nombreuses ; ainsi s'explique-t-on que l'assimi-
lation des premiers membres des colonies hollandaises ait été
plus lente que celle des habitants originaires des pays latins
ou des régions allemandes de religion catholique.
En France les crises nationalistes ont presque toujours été
fonction des crises économiques et celles-ci naissent générale-
ment des crises politiques. Depuis la mort de Louis XIII jus-
qu'aux dernières convulsions de la Fronde, le pays fut agité
et divisé par des questions politiques ; le gouvernement qui
avait peine à se défendre contre les partis ne s'occupait que très
peu du commerce et de l'industrie ; les étrangers, et c'étaient
alors les Hollandais qui prédominaient eurent beau jeu à réaliser
des fortunes. Tant que les Français participèrent à l'activité
commerciale de ces étrangers, ils les considérèrent avec amé-
nité ; à partir du moment où ils estimèrent qu'ils étaient lésés
dans leurs intérêts, ils se tournèrent contre ceux qu'ils pensaient
être la cause du ralentissement de leur négoce. Dans un mémoire
présenté au roi, en 1701, un député du commerce, des Caseaux,
qui avait bien observé les faits et possédait tous les documents
de l'époque analysait très finement cette situation. Il écrivait
ce qui suit : « Dans les premiers temps de l'établissement des
Hollandais en France, nos pères, dans beaucoup de villes, étaient
plongés dans l'indolence au sujet du commerce et réduits à
cultiver leurs terres. Ceux-là envoyaient des facteurs et des
courtiers qui, par leur savoir-faire, se rendaient maîtres de tout
le commerce de la plupart des ports de mer et même des villes
de l'intérieur du royaume. Comme ils enlevaient nos denrées,
on les regarda d'un bon œil ; on prenait d'eux les marchandises
de leur commerce... on les vit bientôt faire de grosses fortunes
et se retirer avec de grands biens laissant d'autres facteurs de
leur nature sur leurs affaires. Cependant ces fortunes nous cau-
sèrent de l'ombrage et de la jalousie » 1.
1. A. de Boislisle, Correspondance des Intendants, t. II, p. 490.
256 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Il est à remarquer que les doléances des négociants français
et leurs accès de mauvaise humeur contre les Hollandais datent
des premières années de la minorité de Louis XIV. Dans toutes
les cités où ces étrangers se sont implantés, et comme si une
consigne générale avait été passée, éclatent des protestations
contre eux. A tout propos, les habitants cherchent noise aux
Hollandais. Leurs procédés que l'on avait jusqu'alors patiem-
ment supportés deviennent soudainement intolérables. Contre
les commerçants hollandais s'élève un vent de xénophobie ;
pendant une dizaine d'années, ils sont pris à partie et les régni-
coles essaient de les évincer des villes où ils sont déjà puissam-
ment installés. Mais les efforts dirigés contre les Hollandais
sont vains car leur organisation est trop forte ; entre eux et nous
la lutte est inégale.
Les marques d'hostilité qu'on manifeste à l'égard des com-
merçants hollandais sont multiples. En 1646 le Parlement de
Bordeaux avait prononcé contre un grand nombre d'entre eux
un arrêt de condamnation pour monopoles, « usures horribles »
et autres abus commis dans l'exercice de leur commerce *.
« Ils sont dans un tel décry, affirme Dubernet, président du
Parlement de Bordeaux que partout on les appelle mange
paysans et qu'ils semblent avoir fait entre eux le despartement
des paroisses pour y dévorer les pouvres et pour achepver la
ruine entière du pays » 2.
A Nantes, en 1644, les hostilités sont ouvertes. Trois négo-
ciants de la ville attaquent le Hollandais Gérard Noé au sujet
de transactions effectuées par lui avec des marchands de Tours ;
ils prétendent qu'en sa qualité d'étranger il n'a pas le droit
de se livrer au négoce. Le maire et les échevins donnent raison
à leurs concitoyens ; l'affaire est portée devant le Conseil du
roi qui est obligé, à raison des accords passés entre la France
et les Provinces-Unies de donner gain de cause au syndicat des
marchands hollandais ayant pris fait et cause pour Gérard Noé3.
1. A. Leroux, op. cit., p. 38.
2. Lettre de Dubernet au chancelier Séguier, 29 novembre 1646, dans Arch.
hist. de la Gironde, t. XIX,. p. 164.
3. Arch. Nat., E 214.
HOLLANDAIS A ROUEN 257
En 1645, la requête des habitants de Nantes expose leurs
griefs contre les Hollandais ; l'année suivante, Jean Eon tire
de cette requête et des documents commerciaux le factum
dont j'ai parlé.
La condition des Néerlandais établis à Rou;m n'est pas meil-
leure quj celle de leurs compati îotcs fixés à Nantes. Dans les
deux \ilbs on les presse de lourdes taxes locales et les États
en 1646 et 1647 sont obligés de faire des représentations au
gouvernement français. L'ambassadeur de Hollande Oosterwijck
intervient à ce sujet * ; les commissaires des États confèrent
de cette situation avec Servien en 1647. Le loi tint compte de
ces réclamations et par un arrêt du conseil du 8 mai 1647, il
ordonna de supprimer les taxes abusives et de traiter les négo-
ciants néerlandais comme ses sujets 2.
Dans h' Méditerranée, les corsaires français s'emparaient fré-
quemment de navires marchands appartenant à l'Union.
Le Conseil de la marine sanctionnait ces saisies et si par aventure
le gouvernement demandait la révision de ces jugements,
cette révision entraînait des longs délais et des frais onéreux.
Le 16 mai 1645, le roi ordonna de réviser un jugement portant
sur cinq navires conduits à Toulon et écrivit à M. d'Infreville
d'empêcher qu'on ne les vendit ; l'ordre de restitution de ces
navires ne fut donné que dix mois plus tard et on ne l'exécuta
pas immédiatement 3.
Par tous moyens on essayait de gêner le commerce des Hol-
landais. Une déclaration du Parlement de Paris, acceptée
par le gouvernement le 24 octobre 1648, interdisait l'importa-
tion dans le royaume des tissus de laine et de soie fabriqués
en Hollande et en Angleterre. Malgré les démarches pressantes
de Jean Hoeufït, le célèbre dessicateur, et du commissaire des
États Jean Copes, envoyé spécialement à Paris pour demander
l'abolition de cette mesure, elle ne fut rapportée que lors de la
fin des troubles de la Fronde 4.
1. Arch. AIT. étrang., Corresp. Hollande, t. XXXV II.
J. La Clerc, Négociations secrètes touchant la paix de Munster et d'Osnabruk. La
Haye, 1725-26, t. II, p. 326-27.
3. A. Waddington, op. cit., t. II, p. 104.
4. Id., Ibidem, p. 298.
17
258 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
L'attitude hostile des négociants de nos villes et des Parle-
ments à l'égard des Hollandais négociants ; les difficultés poli-
tiques et diplomatiques qui surgirent entre la France et les
Provinces-Unies, lorsqu'au mépris des conventions, elles si-
gnèrent avec l'Espagne une paix séparée ; l'établissement
du droit de cinquante sous par tonneau créé par redit de 1659,
ne paraissent avoir eu la moindre influence sur l'infiltration
des Hollandais en France. Depuis l'avènement de Louis XIV
jusqu'à l'arrivée de Colbert au pouvoir, ils s'établirent aussi
nombreux que par le passé dans les cités françaises. Durant la
période aiguë de l'animad version des Français à leur égard,
ils firent tête à l'orage, se montrèrent patients et tenaces ; au
demeurant, s'ils s'étaient retirés de France, des plaintes immé-
diates se seraient fait entendre ; le commerce eut subi un contre-
coup terrible, les Français n'ayant alors aucune organisation
méthodique capable de rivaliser avec celle des Hollandais.
Ceux-ci étaient véritablement les « rois et les rouliers » de la
mer et les maîtres du négoce.
VI
Imbus de ce principe que « quiconque est maistre de la mer
a ung grand pouvoyr sur terre », le gouvernement et les habi-
tants des Provinces-Unies s'étaient de tout temps attachés à
développer leur marine et à se procurer le fret indispensable à
l'utilisation de leurs navires.
Ils construisaient leurs vaisseaux à des prix peu élevés et
s'appliquaient à varier leur tonnage et leur forme suivant qu'ils
les destinaient aux voyages au long cours, au grand cabotage
ou à la navigation en rivière. C'est ainsi par exemple que pour
remonter à Bordeaux, à Nantes, à Rouen, ils utilisaient des
« flûtes » plates ayant un faible tirant d'eau. Sur leurs navires
les équipages étaient réduits au nombre de marins strictement
nécessaires à la manœuvre. Tandis que les matelots français
ORGANISATION COMMERCIALE DES HOLLANDAIS 259
sont exigeants et veulent, dit Savary, « manger de la chair
non seulement salée mais fraîche, du très bon biscuit et boire
de bonne eau-de-vie faite avec du vin » le Hollandais se contente
■de deux repas au lieu de quatre et d'une nourriture grossière *,
L'exploitation des entreprises d'armement est d'autant moins
élevée en Hollande que le capital de premier établissement
et les frais généraux sont plus faibles qu'en France.
Les Hollandais ignorent les commissions payées aux courtiers,
ils n'ont point recours à de tels agents pour leur procurer du
fret. A l'étranger, ils possèdent des facteurs qui achètent les
produits et les marchandises, les acheminent vers les entrepôts
-des ports et là d'autres Hollandais se chargent de les embarquer
pour leur destination.
L'individualisme de nos négociants avait toujours fait oppo-
sition à la création de compagnies d'assurances ; chacun d'eux
commerçait pour son compte ; ils ne se pliaient pas aux exi-
gences d'un convoi ; aussi le taux des assurances maritimes
en France excédait-il de beaucoup celui que demandaient les
assureurs aux armateurs néerlandais ; il lui était environ de
huit fois supérieur.
Les pires ennemis du commerce maritime étaient les pirates
auxquels, en temps de guerre, se joignaient les corsaires armés
en course. Pour parer aux dangers qu'ils couraient du chef
de ces ennemis de la navigation, les Hollandais avaient organisé
des convois protégés ; ils réduisaient ainsi les risques de leur
navigation. Donnant aux passagers une sécurité plus grande
que les Français, les voyageurs utilisaient les navires des Pro-
vinces-Unies. Coppin quitte Marseille sur un navire étranger.
Le 13 décembre 1638, Tavernier prend passage sur un vais-
seau battant pavillon des Provinces-Unies. Chardin choisit
des bateaux hollandais pour effectuer ses traversées et de nos
voyageurs célèbres on en citerait cent autres qui accordaient
leurs préférence aux navires néerlandais.
Les ports de Hollande étaient fort bien organisés; de bonne
heure, à Amsterdam les quais avaient été garnis de guindals,
1. Savary, Le Parfait négociant, t. I, p. 529.
260 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
grues tournantes à l'aide desquelles on déchargeait rapidement
les navires. Nulle invention intéressant le commerce maritime ou
la navigabilité ne laissait indifférent le Hollandais. Il se tenait à
l'affût des découvertes ; les cartes réduites pour la navigation
furent inventées vers 1635 par Le Vasseur, un Dieppois. Les
Français ne tirèrent aucun parti de l'invention; les Hollandais
dérobèrent à l'école d'hydrographie de Dieppe le secret de Le
Vasseur et éditèrent les cartes de son invention. Imprimées sur
vélin, elles furent revendues aux capitaines français qui les
payèrent fort cher et les utilisèrent.
Par l'organisation de leur commerce à l'étranger, les Hollan-
dais ne connaissent pas les voyages sur lest. En France, ils
importent bois du Nord, chanvres de Russie, produits de la
Baltique, sucres bruts d'Amérique et ils exportent de notre
pays vins, eaux-de-vie, sels, toiles, draps et autres objets.
Dans nos ports leurs navires sont rechargés aussitôt vides,
car dans les entrepôts, les courtiers ont par avance entassé les
marchandises.
Pour effectuer leurs achats par anticipation, les Hollandais
disposent de crédits. Depuis 1609, ils ont à Amsterdam une
banque qui leur avance des fonds et pratique sur une vaste
échelle le crédit commercial ; en 1635, une banque analogue
se fonde à Rotterdam et ces deux instituts financiers accordent
aux négociants des Provinces-Unies des facilités que ne ren-
contrent pas en France les commerçants. A l'étranger même,
les courtiers hollandais, pour assurer le fret de retour à leurs
navires achètent les marchandises à terme et font des avances
aux cultivateurs gênés ; dans quelques cas ils commanditent
des fournisseurs et passent avec eux des contrats aux termes
desquels ils s'assurent la totalité de leur production. C'est
ainsi qu'ils agissent avec les vignerons et les fabricants de
papiers.
Les Hollandais étaient soutenus par les États Généraux
dans toutes leurs revendications commerciales ; au cours des
traités passés avec la France, le gouvernement des Provinces-
Unies avait toujours plus à demander qu'à offrir ; il s'ingéniait
à soutirer au gouvernement royal des privilèges nouveaux.
IMPORTANCE DU COMMERCE HOLLANDAIS 261
Les avantages qu'il obtenait ne demeuraient point théoriques ;
ses ressortissants savaient les exploiter. Non contents de tirer
parti des prérogatives économiques qu'on leur octroyait, les
États connaissaient l'art d'entraver les projets de concurrence
qui auraient porté tort à leur commerce; leur opposition ruina
les plans de Henri IV ; ils achetèrent son propre ministre Sully
en lui offrant des lits d'or. Richelieu, Colbert ensuite connurent
la résistance des États lorsqu'ils songèrent à fonder des sociétés
de navigation.
Ainsi, en mettant en œuvre leurs qualités natives, leur esprit
de méthode et d'organisation, soutenus par un gouvernement
composé d'hommes soucieux de développer encore et toujours
le négoce de leur pays, les Hollandais s'étaient, au milieu du
xviie siècle, emparé de la majeure partie du commerce français.
Quelques chiffres montreront l'importance du trafic des Néer-
landais à cette époque. En 1661, van Beuningen, ambassadeur
de Hollande, assure à Jean de Witt que les vaisseaux des Pro-
vinces-Unies font les deux tiers de la navigation en France.
Delacourt écrit deux ans plus tard : « La plus grande partie
du commerce de France avec l'étranger se fait, excepté quelque
peu de vaisseaux anglais par les vaisseaux hollandais et par la
Hollande.
D'après une statistique incomplète datant de 1646, les Hol-
landais exportaient de France 15.702.000 livres de produits
français soit près de la moitié de la totalité de nos exporta-
tions ; au cours de la même année, ils importent 21.500.000 livres
de marchandises sur un total de moins de 46 millions de livres.
Dans le seul port de Bordeaux, en 1651, on notait l'arrivée
de 419 navires hollandais jeaugeant 71.479 tonneaux tandis
qu'il n'était entré en Gironde que 83 vaisseaux français repré-
sentant moins de 5.000 tonneaux. Chaque année, la suprématie
commerciale des Hollandais s'affirmait de plus en plus prépon-
dérante ; en 1660 ce sont 600 navires hollandais qui font tout
le trafic extérieur de Bordiaux, l'armement bordelais ne s'oc-
cupe que de cabotage ou de la pêche de la morue. La flotte
mondiale comprenait 20.000 navires environ, les Hollandais
en possédaient 16.000. A côté de cette force navale nous ne
262 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
mettions en ligne que 2.368 navires dont beaucoup étaient
impropres à la navigation. Nul d'entre les nôtres ne dépassait
400 tonneaux alors que la flotte hollandaise comportait des
navires d3 1.200 tonneaux.
A l'activité des Hollandais nous n'opposions aucune force
vive ; nos commerçants se plaignaient parfois de l'emprise
d?j étrangers sur \ï négoce de la France mais, dans l'ensimble,
ils ne cherchaient pas à étudier encore et à appliquer les méthodes
de leurs concurrents. Ils se décourageaient et demandaient
aide et protection au gouvernement. En vérité, le trafic d'expor-
tation de la France était entièrement ou presque entre les mains
de la Hollande. De Tours, de Lyon et de Paris ses facteurs
tiraient pour six millions de pannes, velours, satins et taffetas ;
à Paris et à Rouen ils achetaient deux millions de passemen-
teries ; les laines de Picardie, la ganterie de Vendôme, les papiers
d'Angoulême, les toiles de Bretagne, les vins de Bordeaux
et de la vallée de la Loire étaient acquis et vendus par l'entre-
mise des courtiers hollandais 1. Dans le Languedoc, ils achetaient
des drapeaux, toiles grossières sur lesquelles on étendait du
tournesol et qui servaient à colorer l'extérieur des fromages de
Hollande. Le blé, le chanvre, les grains qu'ils introduisaient
par La Rochelle, Marans, Brouage, Ré et Oléron se montaient
à plus de six millions de livres. Sur leurs navires, ils importaient
en Bretagne des graines de lin pour les semailles, la récolte effec-
tuée, ils exportaient les lins, les transformaient en huile qu'ils
nous revendaient à des prix très élevés 2.
Un homme que passionne la grandeur de la France Jean-
Baptiste Colbert, prend la direction de la marine et du com-
merce ; pendant vingt ans, avec une ténacité passionnée il
travaille à développer chez les sujets de Louis XIV le goût de la
manufacture et du négoce. Les Provinces-Unies sont pour lui
un objet de haine constante mais les Hollandais industrieux
qui servent ses projets et se fixent en France trouvent en lui
un protecteur dévoué. Nul plus que Colbert n'a attiré de Hol-
landais dans le pays.
1. Huet, Mémoire sur le commerce des Hollandais, 1717, p. 87.
2. Inventaire des procès-verbaux du Conseil du Commerce, p. 80».
CHAPITRE V
COLBERT ATTIRE EN FRANCE DES HOLLANDAIS.
I. Drapiers et manufacturiers ; les van Robais ; constructeurs de navires, ingé-
nieurs et savants. — II. Maître AfTinius et le chevalier de Rohan ; Helvétlus et
sa descendance.
Merc antiliste, Colbert partage les idées de son époque. Il est
persuadé que For et l'argent sont la seule richesse et qu'il
n'existe pour toutes les nations qu'un stock fixe de numéraire ;
aussi son but est-il de l'accaparer. Pour atteindre ce résultat
il désire ruiner le négoce des autres pays, celui de la Hollande
notamment, car la suprématie commerciale de cette république
est alors incontestable. Afin d'anéantir le trafic de la république
batave Colbert se propose de rétablir les anciennes manufac-
tures de France, d'en créer de nouvelles et d'assurer des marchés
lointains aux produits de ces fabriques en développant la marine.
Comme il convient de donner de l'essor aux manufactures
françaises en amoindrissant l'industrie des pays concurrents,
Colbert dirige contre eux et principalement contre la Hollande
les fameux tarifs protecteurs et prohibitifs de 1664 et de 1667
dont les Néerlandais obtinrent d'ailleurs l'abolition par l'ar-
ticle 7 du traité de Nimègue.
Si Colbert est animé de dispositions hostiles contre les nations
dont le négoce est florissant, il reconnaît, ainsi qu'Henri IV,
son maître en la matière, qu'on ne saurait se passer du concours
des étrangers pour infuser une vie nouvelle à l'industrie frau-
264 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
çaise. Au cours de sa carrière, Colbert fait aux forains les appels
les plus larges ; il les attire en France, les reçoit personnelle-
ment, les subventionne, se montre touchant de sollicitude
à leur égard ; pour eux aussi il fait taire les préventions du roi
et de son entourage contre les protestants. A chaque peuple
le ministre demande des spécialistes ; aux Hollandais, il confie
le soin de restaurer nos fabriques de draps et de toiles, il s'adresse
à eux pour toutes les industries dans lesquelles ils excellent
et avec leur concours, il rétablit nos chantiers de constructions
navales et nos arsenaux. Cet ennemi de la Hollande est le plus
grand protecteur des Hollandais qui consentent à franchir
nos frontières ; Colbert voit en eux des producteurs habiles,
des consommateurs riches et estime qu'en favorisant leur infil-
tration en France il dépeuple leur pays pour le plus grand béné-
fice du royaume.
Pour entamer des pourparlers avec les ingénieurs, manufac-
turiers ou artisans hollandais, Colbert entretient des intermé-
diaires avec lesquels correspondent nos ambassadeurs à La
Haye. Pelicot, marchand français établi à La Haye ; Janot,
agent commercial fixé à Middelbourg ; Bailly et plusieurs autres
encore recrutent et débauchent des Hollandais. Aux manufac-
turiers français qui sollicitent l'autorisation de « tirer » des
Provinces-Unies d'habiles ouvriers, Colbert accorde toutes les
permissions nécessaires.
« Jusqu'en 1620, remarquait le surintendant en 1663, les Hol-
landais ne fabriquaient pas de draps, toutes les laines d'Espagne
et d'Angleterre étaient manufacturées en France ; ils profi-
tèrent du discrédit où était tombée la draperie de Rouen,
à cause de la mauvaise qualité des étoffes, des teintures, des
tromperies sur la longueur des pièces pour établir la qualité
de leurs draps. » Colbert prit à tâche de restaurer cette fabri-
cation. C'est avec plaisir qu'il recevait de Janot des lettres
comme celle-ci : « J'ai fait advertir les deux hommes qui ont
quitté Amsterdam et Leyde pour establir leur fabrique en
France, où ils se rendront dans peu. Je leur donneray un mot
pour se pouvoir présenter à vous. » Le ministre se tient au
courant des progrès ou de la décadence des manufactures hol-
COLBERT ET LES TISSEURS HOLLANDAIS 265
landaises. Il apprend que les fabriques de Leyde sont dans le
marasme, aussitôt il écrit à Pomponne : « Sur l' ad vis que vous
me donnez de la destruction de la manufacture de Leyde, si
vous pouviez faire entendre secrètement à quelques-uns des
chefs de ces manufactures que s'ils vouloient s'habituer en
France, on leur y feroit trouver toutes sortes de commodités,
cela pourroit estre fort advantageux au royaume... s'ils vou-
loient choisir des villes du royaume pour y porter leurs manu-
factures, le roy leur accorderoit de si grands avantages qu'ils
auroient lieu de s'y bien establir et de se louer de S. M... ».
La constance de Colbert fut récompensée. Guillaume Bera
installe sa famille, ses ouvriers et ses métiers à Rouen et le
ministre lui fait donner une subvention de 1.000 livres 1. A Caen,
la majeure partie des gros négociants sont des réformés ; deux
d'entre eux, Massieu et Jemblin appellent des coreligionnaires
d'Amsterdam qui créent des manufactures de draps fins. Se
conformant aux désirs de Colbert, le lieutenant général de Caen
les protège 2.
Dans le Languedoc, à Carcassonne spécialement, on fabri-
quait jadis des draps mahons de superbe qualité et des draps
londrins d'un prix moindre. Les habitants de cette ville s'enri-
chissaient en exportant leurs productions dans le Levant mais
les Anglais et les Hollandais, en baissant le prix du drap
et en le donnant à perte attirèrent à eux tout le négoce ;
ceux de Carcassonne, pour les pouvoir suivre altérèrent leur
fabrication et par là se décrièrent au point que leur marchan-
dise ne trouva plus de débit dans le Levant. Lorsque le sieur
de Varennes succéda aux sieurs de Saptes qui avaient été à
la fin du xvie siècle les créateurs d'une manufacture de draps
fins à Saptes, il sollicita de Colbert l'autorisation d'aller en Hol-
lande pour y débaucher des ouvriers. Il y fit plusieurs voyages
et en ramena un nombre considérable de Néerlandais 8. Pen-
nautier qui les vit à l'œuvre écrivait : « Jusques à ce que nos
ouvriers ayent attrapé leur secret nous ne pourrons jamais
1. J. GuHTrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. I, p. 151.
'1. Depping, Corresf». administrative..., t. III, p. 700.
3. Bouliiinvillicis, i;i„( ,lr h, l-rance. Londres, 1752, t. VIII, p. 445 et s.
266 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
faire les draps au prix qu'ils les vendent : ils ont l'art de faire
un drap égal à ceux de Carcassonne avec un tiers moins de laine
et cette laine encore, ils la filent et l'apprestent avec une dili-
gence si grande qu'un de leurs ouvriers fait plus de besogne
en un jour qu'un Français dans une semaine » 1. Par ces Hollan-
dais, de Varennes apprit la manière de perfectionner les draps
fins que l'on vendait dans les États du Grand Seigneur ; bien
qu'il subit encore quelques pertes du fait des Hollandais qui
continuèrent à vendre à perte leurs marchandises, il put, étant
soutenu par Colbert réaliser des bénéfices si encourageants
qu'en 1678, il se forma de nouvelles manufactures à Clermont-de-
Lodève puis à Carcassonne.
A la suite des démarches de Janot, correspondant de Colbert
à Middelbourg s'installait à Abbeville la famille hollandaise des
van Robais. Eux et leurs ouvriers constituèrent en Picardie
une véritable colonie et l'on rencontre encore des descendants
des van Robais.
Le 30 octobre 1665, Josse van Robais abandonnait Middel-
bourg où il possédait une draperie 2. Ses presses, métiers et
autres instruments étaient chargés sur un petit navire à destina-
tion de Saint-Valery-sur-Somme pour être, de là, transportés
à Abbeville. Des lettres-patentes du roi concédaient à van Robais
d'importants avantages. Il était autorisé, ainsi que ses associés
et ouvriers « à continuer de faire profession de la religion pré-
tendue réformée dont l'exercice est toléré dans nostre royaume » 3.
Un. prêt de 80.000 livres lui était consenti pour monter une
manufacture de draps façon de Hollande ; en 1681, ces stipula-
tions étaient renouvelées en sa faveur et un don de 20.000 livres
récompensait van Robais de ses efforts 4.
Josse van Robais amenait en France sa femme, Jeanne de
Brandt et une quarantaine de contre-maîtres hollandais parmi
lesquels : Jean Hogenbergh, Cornelis Devos, Isaac de Querlen,
1. Depping. Corresp. administrative sous Louis XIV. t. III, p. 801.
2. Sur la famille des van Robais, de nombreux détails inédits sont extraits
d'un Mémoire généalogique conservé par les descendants de Josse van Robais.
Cf. M. Gourtecuisse, La Manufacture de draps fins van Robais. Paris. 1920.
3. Arch. Nat., F™ 1353.
4. J. Guiffrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. I, p. 174, 221, 286, 372.
LES VAN ROBAIS 267
Corneille Renard, Jean Colcat. Tous appartenaient à la religion
réformée et étaient comme van Robais assurés de la liberté
de leurs croyances. Dès son arrivée, Josse van Robais se met
au travail, il acquiert en 1666 et 1667 des moulins à foulon à
Ancennes et créé une manufacture qui occupe une surface de
mille mètres carrés K
Pour van Robais, Colbert est toute tendresse. Il ordonne à
l'intendant de « mettre en pratique toutes sortes de bons traite-
ments pour engager le sieur van Robais, entrepreneur, à porter
les ouvrages de la manufacture à une entière perfection, mesme
luy donner et à ses ouvriers toutes assistances » 2. Van Robais
est-il inquiété par les échevins d'Abbe ville, ordre est donné
de « veiller non seulement à ce qu'il soit content et satisfait
du traitement qu'on lui fera mais encore à ce qu'il attire dans
le royaume d'autres manufacturiers » 3. En 1673, les gardes
et maîtres drapiers d'Abbe ville gênent les van Robais dans leur
travail ; les brasseurs de la ville sont jaloux du privilège qu'ont
les ouvriers hollandais de fabriquer de la bière pour leur consom-
mation ; ils s'adressent aux échevins pour obtenir la suppression
de ces prérogatives. Colbert écrit de cesser toutes ces tracas-
series. De Louis XIV, il sollicite une visite à l'établissement de
van Robais ; pour être agréable au ministre, le roi lui répond :
« J'iray aux manufactures d'Abbeville et de Beauvais et parleroy
comme je croiray devoir le faire et comme vous me le deman-
dez » 4.
Malgré la tolérance dont il fait preuve à l'égard des réformés,
Colbert essaie, à diverses reprises, de convertir les van Robais.
Il craint de les voir partir si les protestants sont molestés.
Passant par Abbeville, il leur fait « remonstrance » sur le ministre
protestant qui habite avec eux ; ils le renvoient mais un capucin
veut prendre sa place et les drapiers se plaignent que ce moine
les harcèle. Colbert mande à l'évêque d'Amiens « de modérer
le zèle de ce bon religieux... qui presse trop les van Robais. •
En 1682, Colbert revient à son idée ; il écrit à l'intendant :
1. Depping, Correspondance administrative..., t. III, p. 756.
2. Ici., IbuL, t. III, p. 752.
3. P. Clément, Lettres de Colbert, t. II, p. 87.
4. ld., lbid., t. II, p. 674.
268 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
« Je vous avoue que je serois bien ayse que vous pussiez parvenir
à convertir van Robais. Comme c'est un fort bon homme, ce
seroit un grand bien qu'il fust de nostre religion. » De nouvelles
recommandations, adressées encore à l'intendant quelques mois
après, ne portèrent pas leurs fruits. Josse van Robais décédait
à Abbeville en 1685 et ses enfants le faisaient inhumer à Middel-
bourg où son corps était transporté.
Malgré la révocation de l'Édit de Nantes, les van Robais
demeurèrent fixés à Abbeville et ne furent pas inquiétés. De son
second mariage avec Jeanne de Brandt, Josse van Robais avait
eu neuf enfants. Deux seulement survécurent à leur père :
Isaac et Josse.
Isaac épousa Marie Robelin fille d'un ingénieur du roi ; à la
mort du fondateur de la manufacture d'Abbeville il en prit la
direction mais décéda en 1697. Sa veuve se remaria à Jacob
Levasseur, mais du fait de ce mariage, elle perdit ses droits
aux bénéfices de la manufacture. En échange elle reçut une
ind mnité de 10.000 livres. De son mariage avec Marie Robelin,
Isaac van Robais eut dix-neuf enfants ; les uns entrèrent dans
la manufacture, d'autres dans l'armée. Salomon devint chapelain
de M. de Heemskerke, ambassadeur de Hollande auprès du roi.
A la mort d' Isaac, Josse, qui s'était allié, lui aussi, à la famille
Robelin, devint directeur de la manufacture d'Abbeville ; il
liquida toutes les contestations qui s'étaient élevées entre Marie
Robelin et ses enfants. Depuis l'époque de son entrée en fonc-
tions jusqu'à celle de sa mort survenue en 1733, il porta à un
grand degré de perfection les draps qu'il fabriquait. Après son
décès la manufacture demeura la propriété de ses gendres et
neveux ; elle était encore très florissante en 1790. D'un rapport
de M. de Tolozan qui visita cette année-là l'entreprise plus que
séculaire, il ressort que la draperie des van Robais était très
prospère. Il est vrai qu'elle avait toujours été protégée par
Louis XV et Louis XVI. Les privilèges que Colbert avait octroyés
à Josse van Robais en 1665, furent constamment prorogés
en 1724, 1769, 1784 K A cette dernière date se renouvelaient
1. Procès verbaux du Conseil du Commerce. V° van Robais.
LES VAN ROBAIS 269
une dernière fois les privilèges des van Robais mais on refusait
de maintenir ceux de leurs ouvriers. Le ministre écrivait à
l'intendant : « Le gouvernement a trop de grandes obligations
envers les sieurs van Robais pour qu'on ne puisse pas leur accor-
der la prorogation qu'ils demandent... Je ne crois pas que l'on
doive comprendre les ouvriers étrangers dans la prorogation ;
cela était bon dans la naissance de leur manufacture pour y
attirer des ouvriers mais aujourd'hui qu'il ne manque pas
d'ouvriers français qui travaillent aussi bien que les étrangers,
je crois qu'il serait injuste d'accorder à ceux de cette espèce
de préférence sur les nationaux » \
Forts de leurs prérogatives les van Robais semblent avoir été
assez jaloux de leur prédominance industrielle. En 1750, ils
s'élèvent contre les prétentions d'un sieur Picot qui prétend
fonder une fabrique de draps à Ancennes 2. Quelques années
auparavant, ils avaient eu des démêlés avec des compatriotes
et des coreligionnaires : Les Scalongsen, alias les Scalongne.
Ces derniers étaient des Hollandais établis à Louviers, anté-
rieurement à l'année 1680 3. Il est très probable que désireux
de profiter des prérogatives dont, sous le rapport religieux
jouissaient les van Robais, ils se rendirent à Abbeville. Jacob
Scalongne, qualifié de marchand de Louviers, dans l'acte de
baptême de son fils Jacob, célébré le 11 août 1680, fait baptiser
un autre de ses enfants à Abbeville en 1694 par un pasteur
nommé Stcinrisser 4. En même temps que lui s'étaient fixés
dans cette ville ses deux frères Georges et Abraham5; ce dernier
en 1715 est contremaître chez les van Robais 6.
En 1734, deux des fils de Jacob, Moïse et Daniel, ayant obtenu
l'autorisation de créer à Abbeville une manufacture de « dro-
guets »,. se virent attribuer, en 1747, le privilège exclusif de se
servir de navettes spéciales pour fabriquer des « bayettes ».
1. Arch. dép. de la Somme, C 368, Lettre du 16 juillet 1784.
2. Procès-verbaux du Conseil du Commerce. V° van Robais.
.'. Acte de baptême de Jacob Scalongne, célébré le 11 août 1680 au château de
Laboulaye en Normandie, parrain George Scalongne.
i Acte de baptême de Daniel Scalongne, célébré à Abbeville, le 7 mai 1694,
parrain Abraham Scalongm-.
5. Courtecuissc, op. cil., chap. I,r.
6. Id. op. cit. //>/</.
270 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Les frères van Robais, craignant la concurrence, protestèrent
contre cette faveur l. Les frères Scalongne qui avaient formé
une association avec les Alliamet, se retirèrent de la société
à la suite des difficultés que leur firent les van Robais et les
échevins d'Abbeville. Daniel Scalongue partit pour Paris,
abjura le protestantisme à Saint-Eustache et épousa Thérèse
Retart, d'Abbeville 2.
Les van Robais et les Scalongne ont essaimé en France comme
beaucoup d'autres Hollandais que Colbert avait attirés pour
rendre à nos manufactures leur ancienne prospérité.
On ne peut songer à dresser un annuaire des négociants
hollandais qui, répondant aux appels de Colbert, passèrent la
frontière pour se fixer dans le royaume. Il n'est branche d'in-
dustrie qui n'en compte quelques-uns.
Tout produit tissé doit être soumis à la teinture, elle est le
complément de la fabrication. La teinturerie française avait
joui d'une grande célébrité avant le xvne siècle, puis elle était
tombée en décadence. Colbert la releva. Vers 1655, un Néerlan-
dais du nom de Gluck avait entrepris de remonter la teinturerie
et les Gobelins ; il avait importé un procédé nouveau pour teindre
en écarlate. Lorsqu'en 1662, Colbert acheta les Gobelins pour
y installer la manufacture royale des meubles de la Couronne,
il donna à Gluck le privilège d'apposer sur ses étoffes un plomb
doré portant cette inscription : « Teinture par privilège aux
Gobelins » 3. A Hennebont, en Bretagne, à Pont-Audemer,
en Normandie, étaient installés des Hollandais qui teignaient
avec succès des étoffes « couleur d'azur » 4.
Sur Amiens, Colbert dirige un teinturier hollandais. Les éche-
vins font difficulté de le recevoir maître car sa conversion au
catholicisme ne paraît point sincère. Xe ministre leur écrit de
ne pas le tracasser car « nous n'avons assurément aucun habile
homme de ce métier dans le royaume » 5.
La mode veut que les Français tirent de Hollande leurs toiles
1. Arch. dép. de la Somme, C 204.
2. Arch. mun. d'Abbeville. Actes de la paroisse Saint- Jacques, 8 décembre 1749.
3. G. Martin, La Grande Industrie sous Louis XIV, p. 175.
4. P. Clément, op. cit., t. II, p. ccixi et 852.
5. Id., Ibid.} t. II, p. 852, note 2.
MANUFACTURIERS HOLLANDAIS EN FRANCE 271
fines. Colbert se promet de parvenir à faire tisser dans le royaume
des toiles aussi délicates que celles de la Hollande ; en 1664,
ne possédant aucune manufacture, le ministre qui, à raison de
ses alliances de famille, a pour l'Anjou une spéciale affection,
fonde à Cholet des fabriques de toiles à l'aide d'ouvriers hol-
landais K
Vers 1665, la dorure sur cuivre était une industrie à peu près
exclusivement hollandaise. « Je considère, écrivait Janot, en
cecy que la plus grande partie des cuivres que les Hollandais
employent vient de France et qu'ensuite, lorsqu'ils sont ouvrez,
on les y renvoyé pour estre vendus à ceux qui s'en servent » 2.
Emu, Colbert charge son agent de lui envoyer de Hollande
d'habiles doreurs sur cuivre.
Abraham Poocq sollicite l'autorisation de fonder à Mantes
une manufacture de faïence ; il obtient ses lettres de naturalité
en même temps que la permission demandée 3. A Langemach
qui présente un nouveau modèle de pompe à incendie, Col-
bert attribue une récompense de 300 livres 4. Deux Zélandais,
Jacob Stievens et Frédéric Clément obtiennent un privilège
pour fonder à La Rochelle une manufacture de tabacs 5. De
La Haye, viennent des Hollandais capables de préparer des
peaux de buffles 6. Ces étrangers sont protestants mais qu'im-
porte à Colbert qui, au dire de Madame de Maintenon, « ne pense
qu'à ses finances et presque jamais à la religion ». Il lui suffit
pour les accueillir que ces réformés soient habiles. Les finances,
le commerce intéressent Colbert au plus haut point mais la
marine est sa véritable passion. L'historien de notre marine
a dit en quel état Colbert la trouva et en quelle situation il la
laissa7. Malgré l'indifférence de Louis XIV, par son énergie
et sa ténacité, Colbert transforma les ports et les arsenaux;
1. A. Gellusseau, Histoire de Cholet et de son industrie. Angers, 1802.
2. Depping, Corresp adm.f t. III, p. 252.
3. J. GuIfTrey, Un projet d'installation d'une manufacture de faïence hollandaise
à Mantes, dans Nouvelles archives de l'Art français, 1889, p. 193.
4. J. GuIfTrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. I, p. 218.
5. P. Clément, op. cit., t. II, p. 852, note 2.
6. Abbé Jambert. Dictionnaire des Arts et Métiers, t. I, p. 497.
7. Ch. de la Ronclère, Histoire de la marine française, t. V. — Un grand
ministre de la marine Colbert (1619-1683). Paris, 1919.
272 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
il modifia des errements incompatibles avec la discipline. Réso-
lument, pour entreprendre son œuvre et la compléter, le surin-
tendant de la marine reprit sur une échelle plus vaste le pro-
gramme de Richelieu ; il se mit à l'école des Hollandais. Dans
les Provinces-Unies, Colbert envoyait à tout instant étudier
les méthodes de construction de ses rivaux. A son fils, le marquis
de Seignelay, il donne des instructions précises sur les observa-
tions qu'il doit faire en Hollande 1 ; Etienne Hubac y est envoyé
pour voir « s'il y a quelque différence du gabarit des Hollan-
dais au nostre et les raisons pourquoy » 2. En 1670, Pons de la
Fueille est chargé d'examiner les canaux, écluses, ponts, jetées,
digues, moulins et machines pour le nettoiement des ports 3.
Aux Hollandais établis à Dunkerque, sont données des gratifi-
cations lorsqu'ils achètent des navires dans leur pays, Hennnsen,
Corneille van der Manaquer, Pierre Hendricken, Jean Omaert
bénéficient de ces récompenses 4. Des appels constants sont faits
aux Néerlandais habiles constructeurs, marins, hydrographes
capables de donner de l'essor à la marine. Du plus humble char-
pentier au plus célèbre ingénieur, tous les Hollandais qui se
fixent en France sont reçus avec faveur par le ministre de la
marine.
Les Néerlandais étaient maîtres dans l'art de construire
promptement et économiquement des navires : dans nos arse-
naux et sur nos chantiers, de grosses sommes étaient dépensées
pour achever lentement des navires défectueux et de faible
dimension. Les rapports de Duquesne, inspecteur des construc-
tions navales témoignent de la mauvaise organisation qui régnait
alors ; on gâchait les matières premières et l'on travaillait peu.
A Toulon, par exemple, on ne bâtissait que cinq vaisseaux
en deux ans. « Il est certain que les Anglois et les Hollandois
se moquent de nous », écrivait Colbert à d'Infreville, intendant
de la marine à Toulon.
Pour remédier à cet état de choses, Colbert s'ingénia à attirer
1. P. Clément, Lettres de Colbert, t. III. Annexes.
2. Id., Ibid., p. 199.
3. Bib. Nat., Cinq-Cents, vol. 448.
4. Arch. de la marine, B3 7, f° 106.
CHARPENTIERS HOLLANDAIS EN FRANCE 273
des Provinces-Unies des charpentiers de navires ; ils devaient
être pour les Français d'excellents éducateurs, à raison de leur
application au travail et de leur esprit d'économie. La corres-
pondance du ministre avec Pomponne et Pélicot témoigne du
soin qu'il prit pour doter d'habiles charpentiers les chantiers
du Havre, de Brest, de Rochefort et de Toulon.
Il n'était pas toujours aisé de débaucher ces artisans ; les
États Généraux voyaient d'un œil jaloux les émigrations des
hab.tants des Provinces-Unies, ils y mettaient obstacle ; par
ailleurs, Colbert en bon ménager des deniers royaux lésinait
parfois sur le taux d^s salaires à allouer. Parfois, il offrait aux
Hollandais cinquante livres au lieu de cinquante florins par eux
demandés et les discussions traînaient entre eux et les agents
du ministre. Nonobstant ces difficultés, Pomponne, Pélicot et
auties missionnaires réussissaient à attirer en France des char-
pentiers hollandais. Lorsqu'ils arrivaient, Colbert les traitait
avec courtoisie et les utilisait au mieux des intérêts du pays.
Le 22 février 1669, le ministre est prévenu que son agent a
enrôlé trente-sept charpentiers destinés au port de Rochefort ;
il mande la bonne nouvelle à Colbert du Terron, commissaire
de ce port et lui dit : « Si nous avons un bon maistre charpentier
hollandois, il donnera un bon exemple pour l'économie et le
mesnage du bois : en quoy les Hollandois sont constamment
plus habiles que nous. » Peu de temps après l'envoi de cette
lettre, les charpentiers arrivent à Rochefort où déjà quatorze
de leurs compatriotes construisaient des navires. Colbert s'in-
téresse à ces ouvriers, les lettres relatives à leur sujet sont pleines
de sollicitude. Il mande à du Terron : « Il me semble que ce nombre
avec les quatorze que vous avez déjà est assez considérable
pour estre persuadé que vos constructions en iront bien plus
vite. Surtout meslez les Français avec eux afin que vous puissiez
introduire doucement dans leur esprit l'économie du bois et
l'application continuelle au travail que les Hollandois ont et
que les François n'ont pas. »
Les détails de l'installation matérielle des étrangers ne laisse
pas Colbert indifférent. Au mois de juillet 1669, il adresse à du
Terron des recommandations nouvelles : « Le sieur Pélicot
18
274 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
m'écrit que le contre-maître qu'il vous a envoyé a mandé à sa
femme de le venir trouver à Rochefort mais qu'elle en fait diffi-
culté à moins qu'elle ne sache auparavant qu'elle aura un loge-
ment à part et comme les femmes des autres charpentiers sont
assez disposées à suivre son exempb, il ne faut pas perdre cette
occasion de les attirer auprès de leurs maris et pour cet effet,
il faut leur donner un quartier dans le parc de Rochefort séparé
de celui des autres ouvriers. »
La sollicitude de Colbert pour les questions relatives à la
marine le conduit à s'intéresser à tous les ports et aux parties
les plus diverses du génie naval. Pour parvenir à ses fins, le
ministre recrute sans cesse des Hollandais et les achemine vers
Brest, Toulon, Marseille et La Rochelle. Aux directeurs de la
Compagnie du Nord à La Rochelle, il écrit : « Je suis bien aise
que vous ayez à présent les douze compagnons hollandois et le
maître charpentier et que vous espériez former un bon atelier
de trente ouvriers, b A du Seuil, intendant de la marine à Brest
Colbert écrit : « Je travaille à vous faire venir encore des charpen-
tiers de Hollande, mandez moi si votre nombre en est suffisant
et s'il n'augmente point i K
Duquesne inspecte le port du Havre ; il reconnaît qu'on peut
établir des chantiers maritimes à Harfleur. Dumas qui est com-
missaire général de la marine du Havre tombe d'accord avec
Duquesne sur ce point ; aussitôt on entre en relations avec
des artisans de Hollande et en ayant recruté de bons, on installe
à Harfleur un charpentier néerlandais et son fils 2.
Au mois de juin 1669, deux Hollandais arrivent au Havre
et sont dirigés sur Toulouse pour construire les écluses du canal
du Midi. « Mesnagez ces ouvriers avec soin, car on m'assure
qu'ils sont habiles », écrit Colbert aux entrepreneurs 3.
De Hollande on attire des charpentiers en bois pour toutes
sortes d'ouvrages. En 1667 deux d'entre eux bâtissent un moulin
sur la rivière de Corb^il 4 ; Vanderbos, menuisier, réédifie la
1. Sur tous ces points voir P. Clément, Correspondance de Colbert, passim.
2. Arch. de la marine, B3 7, f° 106.
3. G. Martin, op. cit., p. 60 à 67.
4. J. Guiffrey, Comptes des Bâtiments du roi. Année 1667, t. I, p. 213.
MARINS HOLLANDAIS EN FRANCE 275
« brasserie des Gobelins et le moulin d'icella » K Vanderdricke,
« charpentier hollandois », est chargé de la réception du bois
pour la charpente de Versailles en 1685 ; quelques années après,
il reçoit des appointements mensuels de 150 livres pour s'occuper
des travaux sur la rivière de l'Eure 2.
Si l'on veut avoir une idée du nombre de lettres de naturalité
accordées par Colbert à des artisans holLandais, il n'est que
d'ouvrir la table des plumitifs de la Chambre des Comptes.
Dans la seule journée du 9 février 1666, vingt lettres octroyées
à des Hollandais ont été enregistrées : elles sont attribuées à des
pilotes ou charpentiers catholiques et protestants, originaires
de Delft, de La Haye, d'Amsterdam ou de Rotterdam. Ces
Hollandais ont nom Spirinker, Vandernos, Isaac Hatel, Jean
Adrien Yeen, Simon Diricq, Hendrix Cop 3.
Colbert cherche à attirer Jean de Wert qui, venu en France,
en 1646, pour inspecter nos vaisseaux était, d'après le duc de
Beaufort, « le plus habile ouvrier du monde » 4 ; il n'y réussit pas
mais s'attache maître Rodolphe Gédéon qu'il installe à Toulon 5.
Un capitaine hollandais, Louis van Heemskerk, construisait
des navires à Portsmouth; on l'attache au service delà France
et il construit des navires légers et rapides 6. Au sieur Fluymerj
de Middelbourg, le surintendant accorde le privilège de « repes*
cher les bastiments qui ont fait naufrage » 7.
Il n'y a pas de maîtres d'hydrographie à Brest. Colbert mande
à du Seuil d'en chercher un partout et il écrit : « Si vous ne voyez
pas lieu d'en trouver un sitost, je pourroy en faire chercher un en
Hollande ».
Les améliorations des ports et des canaux nécessitent des
ingénieurs. Renier Iansse prend part à des études relatives
à l'approfondissement des ports du Havre8 et de Cette9;
1. NL, Ibid., t. I, p. 210.
2. Id. Ibid., t. II, p. 687, 690, 711, 722, 1078, 1079.
3. Arch. Nat., PP 151. Journée du 9 février 1666.
4. A. Jal, A braham Duquesne, t. I, p. 150.
5. Arch. de la marine, B» f° 139.
6. Ibid., f° 150.
7. P. Clément, Lettres de Colbert, t. III, p. 150.
H. I li. de la Ronclère, Un grand ministre de la marine, p. 209.
1». M., Ibid., p. 218.
276 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
avec Pellot, il examine les conditions de la navigabilité du Lot !.
A la marine il faut des instruments d'optique perfectionnés.
Colbert invite un grand mathématicien et physicien à venir en
France. Constantin Huyghens accepte ses propositions ; il
arrive en 1666. Louis XIV le pensionne, le loge à la Bibliothèque
royale, le nomme membre de l'Académie des Sciences. Huyghens
passe à Paris plusieurs années ; il est en relations avec les savants
de l'Europe entière et sur Leibnitz lui-même exerce une influence
indiscutable. Malheureusement, la France le perd au moment
de la révocation de l'Édit de Nantes et Huyghens rentre dans
sa patrie. En même temps que lui était venu en France un phy-
sicien fort occupé des progrès de l'optique : Nicolas Hartsocker
qui se fixa à Paris quelques années 2. Il prit part aux travaux de
l'Académie des Sciences et travailla à la verrerie de Cherbourg
aux grands verres de lunettes destinés à l'Observatoire de Paris 3.
Redoutant lui aussi l'intolérance qui régnait à l'égard de ses
coreligionnaires, il se retira près de l'Électeur palatin Jean-
Guillaume, à Dusseldorf.
Colbert, comme Richelieu songea à développer le négoce de
la France en créant des compagnies privilégiées. Par un édit
du mois d'août 1664, la Compagnie des Indes occidentales
avait été investie du privilège exclusif de trafiquer dans l'Océan
Indien. Les relations amicales que nos marins avaient nouées
avec les indigènes de Madagascar lui assuraient des entrepôts
dans la grande île. En France, naissait près de Port-Louis le port
de l'Orient, où le duc de la Meilleraye armait pour Madagascar.
La Compagnie possédait en France un port et aux Indes des
magasins : il lui manquait un homme capable de la ciiiger.
Colbert songea à confier à François Caron, un Hollandais, le
soin de donner à la Compagnie l'impulsion définitive. Ancien
aide cuisinier des navires de la Compagnie des Indes néerlan-
daises, François Caron s'était élevé aux plus hautes situations ;
il était devenu directeur de la factorerie néerlandaise d'Hirado
au Japon. On le sonda pour savoir s'il consentirait à entrer- au
1. Depping, Correspondance administrative sous Louis XIV, t. IV, p. 7.
2. A. Maury, Histoire de l'ancienne Académie des Sciences, p. 23.
3. J. Guifïrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. II, p. 1002.
LA COMPAGNIE DU NORD 277
service de la France. D'Estrades, notre ambassadeur en Hol-
lande, écrivait à Colbert-: « Si on pouvait l'attirer au service du
roi, il amènerait avec lui tous les meilleurs maîtres de navires
et pilotes accoutumés de naviguer aux Indes. » Il ne fut point
difficile de lui faire changer de patrie. Caron était aigri de n'avoir
pas été nommé gouverneur général des établissements hollan-
dais ; il mit aisément « sa femme et ses enfants entre les mains »
de Louis XIV. Aussitôt entré en France Caron traça un vaste
programme qui nous devait ouvrir des débouchés commerciaux
dans tous les pays d'Extrême-Orient. Pour le réaliser, il obtint
toutes facilités. L'historien de la marine française a relaté les
aventureuses expéditions coloniales dans lesquelles le Hollandais
entraîna Colbert et le peu de confiance que les chefs militaires
eurent en lui. Cet orgueilleux, aigri, souvent préoccupé par ses
intérêts personnels, parfois gagné par l'or des Hollandais, périt
en mer, au mois de mai 1673, comme il revenait en France sur
un navire qui fit naufrage K
Nonobstant les difficultés que Caron avait fait éprouver à
Colbert, le ministre de la marine continua à employer des
Hollandais comme directeurs des Compagnies qu'il s'efforçait
de créer.
L'un des épisodes les plus intéressants de la lutte de Colbert
contre le commerce des Hollandais est celui de la création de la
Compagnie du Nord destinée à soustraire le trafic de la Baltique
à la marine marchande des Provinces-Unies. Après plusieurs
années d'études, Colbert, au mois de juillet 1669, fondait à
La Rochelle une société comprenant des armateurs décidés
à envoyer leurs navires dans les mers du Nord. Il confiait la
direction de cette entreprise à l'Allemand Tersmitten qui se
qualifiait de « bourgeois hollandais » et à Jean Raulé. Jean Raulé
qui apparaît à La Rochelle en 1665 comme commissaire des
États de Zélande pour la réception et la prise des navires de
guerre avait un frère, Benjamin. Tous deux étaient originaires
des Provinces-Unies et .étaient passés à l'étranger. Benjamin
était entré au service de la Prusse ; Jean était venu à La Rochelle
1. Ch. de la Ronderc, Histoire de la marine française, t. V, p. 500 et s.
278 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
où, comme armateur,, il avait réalisé une grosse fortune. S'étant
fait naturaliser, il se fixa définitivement en Aunis ; ses enfants
y demeurèrent aussi et l'un de ses fils, Jacob, épousa la fille
d'un armateur connu, Abraham Mouchard h
Tout homme, étranger ou Français, qui fait montre d'initia-
tive comme marin ou voyageur est assuré de trouver un appui
bienveillant auprès de Colbert. Laurent van Heemskerk, né à
La Haye, avait été au service du roi d'Angleterre. Il fut appelé
en France. Ayant découvert au delà du Canada de nouvelles
terres, Louis XIV les lui concéda. Au retour de ses voyages van
Heemskerk revint comme capitaine à Dunkerque en 1673 puis
se retira à Brest où il mourut le 18 août 1699.
Colbert reconnaissait la supériorité des Hollandais comme
constructeurs de navires et commerçants ; il favorisa leur infil-
tration dans le royaume et il lui advint même de protéger des
Néerlandais résidant en France à l'heure même où Louis XIV
entrait en guerre avec la Hollande. A ses subordonnés, le ministre
avait inculqué ses vues et, pensant comme lui, certains lui pro-
posaient d'ouvrir toutes grandes les frontières de France aux
habitants des Provinces-Unies.
Lorsque Louis XIV eut racheté Dunkerque, le commerce
n'y était point prospère. Dès 1664, de Nacquart, commissaire
de ce port écrivait à Colbert : « Nous ne pourrons peupler cette
ville si nous ne recevons des marchands et négociants de Hol-
lande quand ils quitteront leur province avec leur femme et
famille et vaisseaux... Si nous pouvons ici recevoir les dits
Hollandais nous aurons dans peu de temps quantité de mar-
chands et de vaisseaux... Il est de grande importance de pouvoir
recevoir des marchands de Hollande et des pêcheurs en ce port :
cela n'est point contraire à l'union que la France doit entretenir
avec l'Angleterre ; au contraire, il serait avantageux au roi de
la Grande-Bretagne que les marchands hollandais quittassent la
Hollande et que le commerce diminuât parce que cet état qui ne
subsiste que par le commerce irait par ce moyen en décadence » 2.
1. Arch. dép. de la Charente- Inférieure, Fonds de l'Amirauté, B 235. Jean Raulé
mourut à La Rochelle en 1691.
2. Arch. d<e la marine, B1 3> f° 277, décembre 1664.
COLBERT ATTIRE LES HOLLANDAIS 279
C'était abonder dans les vues de Colbert qui acquiesça aux
demandes de de Nacquart. Il octroya des gratifications à des
Hollandais qui, s'établissant à Dunkerque, achetaient des navires
en Hollande.
Henrerixsen, Corneille van den Manaquer, Pierre Hendricher,
Jean Omaert, d'autres aussi, reçurent pour cet objet des subven-
tions variées \ En juillet 1665, le commissaire de la marine
écrivait à Colbert que les Hollandais faisaient à Dunkerque
un commerce important 2 ; peu après il lui mandait : « Il y a
toujours quelques Hollandais qui quittent et viennent s'habituer
ici, tous cherchent le négoce et je ne doute point que si S. M.
demeure dans la neutralité, il en vienne plus ici » 3.
Par une ordonnance célèbre de l'année 1669, Colbert avait
créé un port franc à Marseille. Il stipulait des privilèges divers
en faveur des étrangers qui se fixeraient dans le grand port
méditerranéen. Comme toujours, après avoir légiféré, il s'in-
quiétait des résultats des mesures par lui édictées.
En 1672, la guerre éclate entre la France et la Hollande. Le
15 avril Louis XIV ordonne aux Hollandais commerçant dans le
royaume d'en sortir aussitôt. Les négociants de Bordeaux furent
atterrés de cette mesure, leurs meilleurs clients disparaissant,
ils dépêchèrent à Paris une délégation chargée d'obtenir le retrait
de l'ordonnance royale. A la suite de leur démarche Colbert
entama avec de Sève, intendant de Bordeaux, une correspon-
dance relative à l'opportunité du maintien des Hollandais dans
cette ville et ayant jugé qu'il était utile au négoce de Bordeaux
d'autoriser ces étrangers à y demeurer, il écrivit à de Sève,
le 4 décembre 1672 : « J'ai vu les mémoires des commissionnaires
hollandois, laissez les en liberté, i
Il est assez piquant de voir le plus acharné des ennemis du
commerce de la Hollande favoriser l'intrusion dans le. royaume
été sujets des Provinces-Unies. Dans les viles de l'intérieur
ainsi que dans les ports, les groupements néerlandais qui étaient
déjà importants vers 1 f ><>(> et s'étaient tonnes librement, se
1. J. Guiffrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. I, p. 110.
X Arch. de la marine, Bl 5, f° 104.
i! i<l., fa 125. La gMlfl \ niait d'éclater nitrr l'Angleterre et la Hollande.
280 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
développèrent encore considérablement sous le ministère de
Colbert. Tout négociant était assuré de trouver aide et protec-
tion auprès du ministre ; l'accueil qu'il réservait aux Hollandais
était d'autant plus favorable qu'il estimait avoir enlevé aux
Provinces-Unies un élément de prospérité toutes les fois qu'il
avait pu fixer en France un de leurs nationaux. Les Néerlandais,
assurés des bonnes dispositions que l'on avait pour eux en pro-
fitèrent et émigrèrent volontiers dans le royaume de Louis XIV.
II
Sous le ministère de Colbert, il n'entra pas en France que des
Hollandais de bon aloi. Depuis le moment où Louis XIV entama
une lutte ouverte avec les Provinces-Unies, le prince d'Orange
entretint à Paris des espions chargés de le renseigner. La police
royale veillait et si elle arrêtait parfois des hommes qui n'étaient
coupables d'aucun crime, comme Gilbert Racphorst, natif
d'Amsterdam, elle avait parfois la main plus heureuse.
A Paris vivait François Affinius van der Emden, homme scep-
tique et d'intelligence ouverte qui tenait école du côté de Pic-
pus. Il était venu en France avec sa femme et ses filles dont l'une
avait épousé le sieur D argent, professeur de latin dans son
école. En 1670, maître Affinius avait soixante-neuf ans ; Fes
affaires n'avaient point prospéré et il était ruiné ; il se livra
à l'espionnage pour le compte des Pays-Bas espagnols et des
Provinces-Uries. Sans doute eut-il été puni de quelques années
d'emprisonnement où d'exil s'il n'eut été coupable que d'es-
pionnage mais le 31 août 1674, Louvois fut informé qu'un vaste
complot avait été fomenté par le chevalier de Rohan, Gilles
du Hamel de Lautréaumont et François Affinius. Les trois cons-
pirateurs avaient formé le projet de tuer le roi, de soulever la
Normandie avec le concours des Espagnols et des Hollandais
dont on aurait facilité le débarquement à Quillebœuf, d'enlever
le Dauphin et d'établir un gouvernement républicain dont van
les d'helvétius 281
der Emden avait rédigé la constitution. Un officier, du Cause
de Nazelle, avait révélé à Louvois l'organisation du complot.
L'enquête ne chôma point ; les conspirateurs, sur un ordre
signé de Louvois, furent mis à la Bastille et par un arrêt du
26 novembre 1674, Louis de Rohan et van der Emden furent
condamnés à avoir la tête tranchée K
Bien qu'il n'ait pas été du nombre des Hollandais attirés en
France par Colbert, Jean-Adrien Helvétius connut cependant
durant quelques mois les faveurs du ministre à qui il fut présenté
par la duchesse de Chaulnes. Jean-Adrien Helvétius, né en
Hollande en 1661, vint à Paris après avoir fait ses études à
Leyde. Il apportait pour les écouler quelques poudres confec-
tionnées par son père, médecin du prince d'Orange. Ces poudres
n'eurent aucun succès, mais un droguiste lui ayant cédé plu-
sieurs livres d'une racine du Brésil, Helvétius, après expériences,
reconnut que cette plante — l'ipécacuanha — était un remède
énergique pour le traitement de la dysenterie. Il publia sa
découverte par voie d'affiches et se servit de son remède auprès
de ses malades. Ayant rendu la santé à la duchesse de Chaulnes,
celle-ci l'introduisit auprès de Colbert. Appelé auprès du Dau-
phin par Daquin, premier médecin du roi, Helvétius lui fit absor-
ber quelques doses d'ipécacuanha. A dater de ce jour la renommée
d'Helvétius fut établie. Louis XIV lui accorda 1.000 louis d'or;
récompenses et distinctions ne lui furent pas ménagées. Il
devint noble homme en 1690 puis fut successivement nommé
écuyer conseiller du roi, médecin des hôpitaux, inspecteur géné-
ral des hôpitaux de la Flandre française; enfin, en 1717, il fut
médecin ordinaire du duc d'Orléans.
Jean-Adrien Helvétius s'était marié à Paris en 1684, avec
Jeanne Desgranges, veuve de Louis Delbée, capitaine du vais-
seau La Justice; il mourut à Paris, le 20 février 1727, laissant
plusieurs enfants et une réputation d'homme extrêmement
charitable 2.
1. !•:. Daudet, Mémoires du temps de Louti XIV par du Cause de Xazellrs. Paris.
1899. — F. Funk-Brentano, Liste des prisonniers de la Bastille, n°« 593 et 605.
2. A. Kcim, Helvétius, sa vie et son oeuvre. Paris, 1907, chap. i«r. Les ascendants
d' lh h'étius.
282 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Saint-Simon a laissé de lui un aimable portrait : « C'était, dit-il,
un gros Hollandais qui, pour n'avoir pas pris ses degrés de méde-
cine en France était l'aversion des médecins et en particulier
l'horreur de Fagon dont le crédit était extrême auprès du roi...
Il y avait longtemps qu'Helvétius était à Paris, guérissant beau-
coup de gens rebutés et abandonnés des médecins et surtout
des pauvres qu'il traitait avec une grande charité. Il en rece-
vait tous les jours chez lui à l'heure fixée tant qu'il en voulait
venir à qui il fournissait les remèdes et souvent la nourriture i 1.
L'année qui suivit la mort d'Helvétius, l'un de ses filsr Jean-
Claude, médecin ordinaire du roi, était nommé médecin de la
reine a. Né à Paris en 1685, il avait étudié au collège des Quatre-
Nations, suivi les cours de la faculté de médecine où il fut reçu
docteur en 1708.
Dès 1719 il avait été appelé en consultation auprès de Louis XV
et l'avait guéri. Par la suite il fut premier médecin de Marie
Leczinska et connut les honneurs officiels. De son union avec
Geneviève d'Armancourt, Jean-Claude eut en janvier 1715
un fils, Claude- Adrien, le philosophe célèbre, auteur de YEsprit.
La famille d'Helvétius s'était très rapidement francisée ;
elle n'abandonna pas la France après s'y être définitivement
fixée. Le philosophe, à l'imitation de ses père et grand -père,
épousa une Française de vieille souche : Anne-Catherine de
Ligneville d'Autricourt. Le mariage fut célébré le 17 août 1751.
Des quatres enfants de l'auteur de YEsprit deux filles seulement
survécurent, l'une épousa le comte de Mun, l'autre le comte
d'Andlau 3.
1. Saint-Simon, Mémoires, édition des Grands Écrivains, t. VIII, p. 93.
2. Le 28 février 1728, d'après La Gazette de France.
3. A. Keim, op. cit.r p. 189, note 2.
CHAPITRE VI
I. Les Hollandais à Bordeaux, Nantes, Vitré, Rouen, Dieppe, Lyon, Marseille.
— II. La Révocation de l'Édit de Nantes et ses conséquences sur les colonies
hollandaises.
Ayant déjà parlé de la colonie hollandaise de Bordeaux pour
marquer son importance avant l'année 1660, il me sera permis
d'être bref à son sujet. De cette date jusqu'à l'époque de la révo-
cation, on note onze naturalisations de Hollandais mais à ces
étrangers naturalisés on doit joindre quelques commerçants qui
habitaient les Chartrons et ne sollicitèrent point leur naturali-
sation, tels, par exemple, Henri Vankessel, Joris Vanhaemstede,
Bernard Vanschoonacker, négociants considérables. S'ils n'ont
point, comme les autres, demandé leur admission dans la cité
française il n'en faut chercher qu'une seule raison. En 1675
le gouvernement royal révoqua le privilège d'exemption des
droits de comptablie dont, jusqu'alors avaient joui les bourgeois
en titre. Les mobiles intéressés qui poussaient les étrangers à
demander leur naturalisation disparaissant, ils ne prirent plus de
lettres spéciales L. L'intendant de Guyenne, M. de Bezons,
le fit remarquer : « La suppression du droit de bourgeoisie
à L'égard des habitants de Bordeaux a esté cause que les étran-
gers n'ont plus pris de lettres de naturalité, parce qu'ils ont vu
qu'il n'y avait plus aucun privilège » 2.
Eh Saintonge, dans L'intérieur «1rs terres, au village de Cour-
coury, s'était fixé, au début du xvne siècle, Antoine Yander-
1. A. Leroux, op> cit., p. 35 et suiv.
2. A. de lioislislc, Correspondance des Contrôleurs généraux, t. Ipr, lettre 987.
284 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
quand, marchand, ou plus probablement notaire arpenteur.
Il y épousa Marie Blanvillain, originaire de la Jamaïque et en
eut neuf enfants. Ceux d'entre eux qui se marièrent essaimèrent
dans la province où la famille subsiste encore. Les Vanderquand
ont fourni des médecins, des notaires qui vécurent paisibles
à Courcoury ou à Saintes ; seul Antoine Vanderquand, prêtre
constitutionnel, a joué un rôle de second plan au cours de la
Révolution 1.
Dans l'intérieur des terres, à Angoulême et Limoges, des Hol-
landais, déjà signalés, fabriquent où achètent des papiers.
A La Roch3lle les Crucius et les Tersmitten nous sont connus
ainsi que Jean Raulé. Dans la cité de Jean Guitton, les protes-
tants étaient solidement implantés ; les affinités des sentiments
religieux devaient y attirer des Hollandais également sollicités
par la situation d'un port commodément placé pour l'embarque-
ment des vins et eaux-de-vie de l'Aunis et de la Saintonge. Les
van Jehangerbeque s'unissent aux Balbecque 2 ; Catherine de
Witt, veuve de Jehan de Vangen, plaide contre des maichands de
Harlem 3 ; Jacques de Val, de Middelbourg, meuit à La Rochelle
en 1635 4. Au mois d'août 1669, Elisabeth Tongrelou, fille d'un
grand négociant de la ville, s'allie à Gérard Vaus Hueit, qui,
comme beaucoup de ses compatriotes a des intérêts à Saint-
Martin-de-Ré : des Hollandais sont témoins de son mariage 5.
Van Bonel est naturalisé en 1670 6 et van den Bosch, épouse
in extremis Suzanne Gueneux en 1683.
Malgré les récriminations des habitants de Nantes, la colonie
hollandaise avait continué à y prospérer depuis l'année 1660 ;
il semble même qu'un rapprochement avait eu lieu entre les négo-
ciants de la place et les étrangers. Le plus souvent Nantais et Hol-
landais s'entendaient pour commettre des fraudes sur le sucre.
Les ordonnances royales interdisaient de livrer des sucres bruts
1. E. J. Guérin, Les Vanderquand. Extrait de la Revue de Saintonge et d'Aunis,
juillet 1918.
2. Archives départementales de la Charente- Inférieure, E 20 ; mariage du
4 novembre 1603.
3. Ibid., B 1346.
4. Ibid., E 34, année 1635.
5. Archives historiques de l'Aunis et Saintonge, vol. XL II, p. 489.
6. Arch. dép. de la Charente- Inférieure, B 1326.
HOLLANDAIS A NANTES 285
aux exportateurs étrangers, or, cette fraude était courante
à Nantes. Les Hollandais achetaient des sucres bruts, les raffi-
naient dans Jeur pays puis les réimportaient après raffinage.
Colbert résolut de mettre fin à ces manœuvres ; le 6 octobre 1670,
il écrivait à d'Aguesseau : « Les sucres raffinés en Bretagne
paieront à Bordeaux hs mêmes droits que ceux raffinés à l'étran-
ger; les Bretons sont si trompeurs et surtout ceux de Nantes,
qu'il est impossible de distinguer hs sucres raffinés en Bretagne
de ceux raffinés en Hollande. »
Les mesures prises par Colbert pour favoriser le négoce, les
meilleures dispositions des Nantais à l'égard des Hollandais
furent sans nul doute deux motifs nouveaux qui contribuèrent
à l'infiltration des étrangers dans une cité dont la situation
géographique était alors favorable au grand commerce d'impor-
tation. Au cours d'une seule année, en 1673, furent naturalisés
Gérard Pieters et sa femme Marguerite Bernard, d'Amsterdam ;
Albert van Sheulen, de Groningue ; Mathieu Hoos ; Marguerite
Frosscn, de Bcrg-op-Zoom. Pierre Hollard et Jacob de Bye
furent également naturalisés, le premier en 1674 et le second
en 1677. Van Butzelard, Marguerite Wolf, sa femme; van den
Driesche, reçurent leurs lettres de naturalisation en 1679 et 1680.
Nombre de Néerlandais n'avaient pas sollicité leur natura-
lisation dans le cours du siècle se basant sur les lettres-patentes
qui leur avaient été accordées en 1632 et leur donnaient le
droit de commercer librement ; sous l'influence des tarifs doua-
niers le mouvement des naturalisations s'accentua. Les droits
de sortie sur les marchandises étaient variables suivant qu'ils
étaient appliqués à des Français ou à des étrangers ; aussi bien
ces derniers avaient-ils intérêt à solliciter leur naturalisation
pour jouir des tarifs les plus favorables. Dans les registres des
Amirautés on rencontre des réclamations continuelles qui
prouvent la véracité de ce fait. Le 4 avril 1674, Gérard Pieters,
naturalisé, soutient que les vins de Bordeaux qu'il a fait expé-
dier de cette ville par un sien courtier ne doivent payer que les
taxes afférentes aux naturels français et non celles dues par les
étrangers, car il est Français et sujet du roi. L'année suivante,
Pierre Hollard fit une réclamation basée sur les mêmes motifs.
286 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Outre les registres des Chambres des Comptes relatant l'en-
térinement des lettres de naturalité, il existe d'autres docu-
ments qui peuvent être utilisés pour renseigner les historiens
sur l'importance des colonies étrangères dans les cités françaises.
Les minutes des actes notariés, les aveux font connaître l'exis-
tence de maisons de commerce et renseignent sur les transac-
tions de leurs propriétaires. Un aveu de Nantes révèle la pré-
sence dans cette ville des van Ophen, établis sur les bords de
la Chézine. Les Hollandais catholiques étaient plus nombreux
qu'on a coutume de le supposer ; on croit assez aisément que
presque tous étaient protestants. Or les registres des paroisses
sont pleins de noms hollandais. Van den Droc, maître arque-
busier à Nantes, est parrain dans un acte de baptême du
20 mars 1678. François Snoucq, veuf de Marie van de Voorde,
épouse Jacquette Stalpaert le 8 novembre 1683. Le 27 août 1686
est baptisée Suzanne, fille de Simon van Alquenaar, marchand
à la Fosse et de demoiselle Corneille de Keleecht, convertie
à la religion catholique depuis neuf mois. Dans les actes de la
paroisse Saint-Jacques de Nantes, on note les noms de van den
Strichs, van Harnel* marchand, de l'interprète Abraham de
Pot et du tonnelier Jean de Waelt K
Chaque document que l'on consulte révèle des noms hollan-
dais. Van Armeyden possédait une maison dans la Basse-Grande-
Rue ; il l'avait acquise, en 1671, de Pierre d'Espinoza 2. René
Tinnebac, en 1681, avait obtenu l'autorisation de fonder une
brasserie à Nantes. Girard Pilletier et son neveu Gaspard,
tous deux originaires de Zélande, tenaient boutique de pro-
duits pharmaceutiques 3. Les Sengstack, dont les descendants
demeurèrent à Nantes jusqu'à La Révolution étaient établis
au port dès le milieu du xvne siècle.
Les registres d'état-civil des protestants conservés au greffe
du Tribunal civil de Nantes s'étendent sur une période de
quinze ans, de 1670 à 1685. Ils mentionnent de nombreuses
familles hollandaises ; la liste des religionn aires dressée au mo-
1. Arch. mun. de Nantes, GG 117, 118, 119, 120 et suivants.
2. Archives départementales de la Loire- Inférieure, H 261.
3. Ibid. Livre des mandements de la Chambre des Comptes, Vol. XIV.
RELATIONS AMICALES DES HOLLANDAIS ET DES NANTAIS 287
ment des dragonnades relate près de trois cents noms de Néer-
landais établis à Nantes au moment de la révocation 1.
Le groupement batave de cette ville était si considérable
vers 1680 que ses membres eurent un moment l'intention de
fonder un conseil spécial pour s'occuper de ses affaires. Cette
idée ne fut pas mise à exécution, mais elle fut suffis animent
agitée pour que le bruit des projets des Hollandais parvint à
Paris et suscitât de la part du ministre une demande de rensei-
gnements détaillés 2.
Par leur ténacité et leur énergie les Hollandais étaient par-
venus à s'implanter à Nantes et sous le ministère de Colbert,
leurs rapports avec les habitants de la ville s'étaient améliorés.
A ceci, rien d'étonnant ; le commerce et l'industrie avaient
pris de l'essor sous l'influence du grand ministre. Régnicoles
et étrangers s'enrichissaient et les sentiments de jalousie s'étaient
atténués en même temps que se développait la fortune des
Français. Les Nantais, au lieu de faire aux Néerlandais une
guerre sourde avaient adopté quelques-unes de leurs méthodes
commerciales. Ils avaient pris l'habitude d'envoyer leurs enfants
en Hollande poui y apprendre la langue et le négoce. Les registres
des Archives de la Marine fourmillent d'autorisations accordées
à des jeunes gens partant pour les Provinces-Unies. Générale-
ment ils y passaient deux ans. On embarquait aussi sur des
navires hollandais des mousses de quatorze à seize ans afin
qu'ils apprissent les langues étrangères. « Vous avez bien fait
de donner ordre au sieur des Gastines de permettre à quelques
jeunes matelots de quinze ans de s'embarquer sur des navires
anglais et hollandais... à condition que leurs parents s'oblige-
ront à les représenter à dix-huit ans », écrivait à Nantes U surin-
tendant de la marine 8.
Toute cité bretonne a reçu de Hollande un appoint de popula-
tion. Le commerce des blés, les achats de toiles, le négoce du
lin attiraient en Armorique dtîs marchands de tous pays. Rennes,
1. Vaurigaud, Histoire de l'Eglise réformée à Nantes.
2. Archives Nationales, G7 172.
S. J. Matborez, A'o/rs sur la colonie hollandaise de Naides. Extrait de la Rêve»
du Nord, février 1913.
288 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Quintin, Auray accueillirent des Néerlandais. A Saint-Malo,
s'implantèrent les Groult, commerçants notoires et une colonie
flamande comportant des Hollandais s'établit à Vitré, cité qui
comptait de nombreux protestants. A la colonie de Vitré appar-
tiennent les Duvelaer.
Joseph Duvelaer avait débarqué de Middelbourg à Saint-
Malo en 1656 ; ayant abjuré, il se fit naturaliser. Il passa ensuite
à Vitré et s'y maria. Son fils Joseph, le 8 avril 1697, y épousa
Françoise Hanry. De cette union naquirent plusieurs enfants :
Claude-Charlotte, Ursuline à Vitré et Jeanne, bienfaitrice
de la ville.
Au début du xvme siècle, Joseph Duvelaer passa à Nantes.
C'est dans cette ville qu'il rédigea en 1714 un mémoire prouvant
sa noblesse qui lui fut confirmée en 1733. Si deux de ses filles
retournèrent à Vitré, l'une au contraire abandonna cette cité
bretonne ; elle s'unit à Nantes à un Irlandais, Butler. Joseph-
Julien Duvelaer, son fils, entra au service de la Compagnie
des Indes orientales, demeura longtemps en Chine et épousa
une Chinoise qu'il ramena en France. Dans les opérations
considérables qu'il fit, ce Duvelaer réalisa une fortune impor-
tante et le 2 décembre 1761, il acquit du prince de Léon le châ-
teau du Lude. Vers la fin de 1764, ce riche négociant, conseiller
du roi, décédait au moment où il allait repartir pour Macao.
Ses biens passèrent à sa nièce Joséphine Butler, marquise de la
Vieuville et aïeule des propriétaires actuels du château du Lude,
les de Talhouët K
Comme les ports de l'Atlantique, ceux de la Manche abri-
tèrent des florissantes colonies hollandaises à partir du début
du xviie siècle. Rapidement facteurs, armateurs, manufactu-
riers néerlandais supplantèrent les Espagnols et les Portugais
qui, depuis plus d'un siècle, avaient tenu une place prépondé-
rante dans le haut commerce rouennais.
Au xviie siècle, les Hollandais furent légion dans le grand port
normand, aussi n'est-il guère possible d'entrer dans de longs
1. D'Hozier, Armoriai général, reg. I, part. II, p. 620. — A. David, Le Château
du Lude, son origine, ses possesseurs. Paris, 1854, p. 103. — Frain de la Gaulayrie,
Les Vitréens et le Commerce international.
L'ÉDIT DE NANTES ET L'IMMIGRATION HOLLANDAISE 289
détails sur leur existence ; il faut se borner à citer les plus connus
d'entre eux 1.
A peine l'Édit de Nantes est-il signé que les Hollandais
affluent à Rouen. Dès l'année 1600, l'un d'entre eux, Pierre
Vampenne, est assez riche pour posséder dix-sept navires.
Chaque année, vers les Indes Orientales et les Molluques, il
envoie le Mauritius, le Hollandia, le Frisa, le Harlem, le Deljt
et ces navires rapportent des épiceries que Vampenne écoule en
Normandie 2.
Les Hoeufït sont à Rouen dès 1599 ; Jean est naturalisé
en 1601 ; après avoir trafiqué au port, il s'associe avec les dessi-
cateurs de marais puis fait de la banque. Il devient personnage
influent ; comme il est chargé d'encaisser les subsides versés
à la Suède par la France, il a dans le Nord de l'Europe des rela-
tions de marque. Axel Oxenstiern, à son départ de France accepte
l'hospitalité dans sa maison de Rouen. Au temps de Mazarin,
des Hoeufït correspondent avec le ministre et prêtent leur
crédit au trésor royal.
Sur les paroisses Saint-Éloi, Saint- Vincent, Saint-Martin-du-
Pont, se groupent au fur et à mesure de leur arrivée les frères
Câpres, les Depeyster, les de Rich, les Scalongne, Adrien Pieter,
Ockhuysen, Hubert Jansen de Schiedam. Des familles entières
passent de Hollande à Rouen, celle de Thierry, Samuel, Nicolas
Looten. Ces Hollandais sollicitent lettres de naturalité et de
bourgeoisie : Simon Vronling, de Delft 3, Albert Vandershalque,
de Harlem4, Egbert Câpres de la province de Gueldrrs5, Guil-
laume Scot, de Middelbourg 6 sont inscrits sur les livres des
bourgeois de Rouen.
Ces étrangers exercent les commerces les plus divers. Ils
achètent des draps, des feutres, des toiles, importent des épices,
1. E. Lesens, La colonie protestante hollandaise à Rouen au XVII* siècle, dans
Bulletin de la Société d'histoire des Eglises wallonnes, t. II. — J. Bianquis et E. Le-
sens, La Révocation de l'Edit de Nantes à Rouen. Paris, 1885, 2e partie. Liste des
protestants de Rouen.
2. E. Gosselin, Documents pour servir à l'histoire de la marine normande... Rouen,
1870, p. 160.
3. Arch. dép. de la Seine- Inférieure, A 49.
4. Ibid. A. 49.
:». II>M. Naturalisé en 1658, bourgeois en 1659.
6. Ibid. Naturalisé en 1651, bourgeois en 1659.
19
290 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
des produits de l'Inde. Au xvne siècle Rouen était un entrepôt
dans lequel les artistes marchands d'objets d'art centralisaient les
œuvres pour les adresser en France ou en Espagne ; des Flandres
et de Hollande des peintres adressaient à Rouen des tableaux
à des marchands néerlandais qui les expédiaient à l'étranger1.
Les fortunes des Hollandais de Rouen sont considérables.
Van der Tombe donne à chacune de ses filles cent mille livres
tournois ; l'une d'entre elles épouse Moisant de Brieux, fonda-
teur de l'Académie de Caen ; l'autre s'allie à Adrien Ficq, de
Delft qui habite à Rouen sur la paroisse Saint-Martin-du-Pont.
Nicolas de Ricq, anobli par Louis XIV, dote richement ses
enfants ; chacun reçoit quarante mille livres. L'un de ses fils,
Etienne, épouse Suzanne de Civille, descendante d'une famille
espagnole établie en Normandie depuis plus d'un siècle et qui
avait embrassé la religion réformée ; sa fille Jeanne s'allie
également à Isaac de Civille et Georges, sieur d'Ecaquelon
laissera à Rouen lignée du nom.
Les raffineurs, les fabricants de savon qui approvisionnent
de leurs produits les facteurs hollandais habitent sur les paroisses
Saint-Maclou et Saint-Sever. Ces manufacturiers emploient
dans leurs établissements des ouvriers de leur pays. Les Fran-
çais utilisaient également la main-d'œuvre néerlandaise. Poterat,
faïencier, employait comme contremaître Giiard van Brakel
et ses collaborateurs étaient Hollandais ; ils avaient nom Van-
dalle, van den Busch, van de Vynk, van Brache, van Gellikom 2.
Lorsque la révocation de l'Édit de Nantes fut signée, la colonie
hollandaise de Rouen comptait certainement plus de cinq cents
personnes appartenant à toutes les conditions sociales. Les unes
étaient naturalisées : les van Vlierden, les Looten, les Vanemery
qui étaient établis à Rouen depuis quarante ans; d'autres
comme les Valkembourg étaient simplement « habitués » depuis
fort longtemps 3. De ces étrangers, certains, mariés à des Fran-
1. Ch. de Beaurepaire, Notes sur les artistes flamands de Rouen, dans Bull, de
la Commission, dép. des Antiquités de la Seine-Inférieure, t. VIT, 1888, p. 332-88.
2. Ch. de Beaurepaire, Nouveau recueil de notes historiques et recherches. Rouen,
1888.
3. J. Bianquis et E. Lesens, Liste des protestants de Rouen persécutés, deuxième
partie de l'ouvrage cité, p. 82.
LES HOLLANDAIS UN PEU PARTOUT 291
çaises et ayant fondé leur foyer en Normandie, abjurèrent
au moins du bout des lèvres ; d'autres ne semblent pas avoir
trop souffert des persécutions. Antoine van der Hulst, de La
Haye, naturalisé en août 1664 et reçu bourgeois quelques se-
maines après \ ayant été recommandé par de Choiseul-Beaupré,
commandant de cuirassiers, n'eut pas de logement. Il continua
à exercer son commerce à Rouen et fut même l'un des princi-
paux fournisseurs des surintendants des bâtiments du roi.
Il leur livre des pots à fleurs qu'il fait fabriquer à Rouen, des
paniers d'osier, des briques destinées à la construction du grand
aqueduc de Maintenon, des aigles de cuivre en forme de pupitre
qu'il envoie à l'église paroissiale de Versailles 2.
La colonie néerlandaise de Rouen subit le contrecoup des
mesures prises au cours des années 1685 et suivantes mais,
comme beaucoup d'autres, elle ne fut point complètement
désorganisée ; en 1698, il subsistait encore dix-sept familles
hollandaises portées sur la liste des nouveaux convertis 3.
A Dieppe florissait depuis le règne de Louis XI une colonie
hollandaise ; à Caudebec, centre de fabrication de chapeaux
dits « caudebecs », des courtiers du Nord achetaient des feutres
qu'ils exportaient.
Dans le centre de la France, des Hollandais possèdent des
raffineries : on a déjà cité les noms de ceux qui se sont établis
à Orléans. Les vins de Bourgogne et du Maçonnais sont achetés
par des facteurs néerlandais qui se fixent dans la région. Lyon
est le centre de colonies étrangères : on y admet très facilement
les forains. Certains même y résident un temps si court avant
d'être reçus bourgeois qu'on les dénomme « bourgeois de Pâques »;
ils ne paraissent à Lyon qu'aux jours solennels. A côté de ces
étrangers qui constituent la colonie flottante de la ville, d'autres
s'établissent à demeure et forment des groupements compacts.
Les Hollandais y furent spécialement nombreux.
Les registres de bourgeoisie tenus en conformité des lettres-
patentes du 9 novembre 1617 ordonnant la déclaration à la
1. Arch. départementales de la Seine-Inférieure, A 50.
2. J. GuifTrey, Comptes <lr% Hâtimrnts du Roi, t. II. V» van der Hulst.
3. J. Bianquis et E. Lesens, op. cit., p. xcix.
292 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
maison commune des noms, prénoms, lieu de naissance des étran-
gers décèlent la présence de marchands hollandais et flamands lf
Dans les comtés de Toulouse et de Foix, dans l'Albigeois et sur-
tout le Lauraguais, on cultivait le pastel. Nulle part en Europe,
on n'en trouvait d'aussi bonne qualité ni en aussi grande quan-
tité. Des Hollandais participaient à la dessication des feuilles
de pastel, à la confection des poudres destinées à la teinture
des étoffes et au transport des couleurs extraites du pastel.
Ils les acheminaient vers Londres, Anvers et Paris.
A Marseille, dont le port était le plus vaste entrepôt méditerra-
néen des produits d'Orient, s'était formée une colonie hollan-
daise d'autant plus considérable que le roi Henri IV avait obtenu
pour ses amis des Provinces-Unies des avantages importants
dans les Échelles du Levant.
Vers 1644, notre marine était mal conduite ; les ports étaient
mal dirigés et les lieutenants d'amirauté commettaient des mal-
versations. A Marseille, Antoine de Valbelle, soulevait un tel
toile par ses exactions que les consuls étrangers, des armateurs
natifs de Hollande, « plus de dix mil tesmoings », eussent déposé
contre lui 2. Une enquête fut ouverte et parmi les négociants
appelés à donner leur témoignage figurent Thomas de Vandcs-
traten, « habitué à Marseille depuis quarante-quatre ans »,
Jean Vanbeber qui habite le port depuis trente-cinq ans et
David Martin, négociant, natif d'Amsterdam3.
Les conditions faites par Colbert aux étrangers se fixant
à MarsePle étaient trop avantageuses pour que les Hollandais
n'en profitassent point. Catholiques et réformés néerlandais
arrivèrent. Lorsque l'intendant Morant, à la suite de la révoca-
tion de l'Édit de Nantes, prit des mesures contre les protestants,
ils ne manquèrent pas de faire valoir qu'ils étaient venus se
fixer à Marseille à la suite des privilèges que Colbert leur avait
accordés en 1669.
Morant, excité par les plaintes des négociants marseillais
qui voyaient avec jalousie les fortunes édifiées par les Hollan-
1. Arch. mun. de Lyon, BB 440 et 441.
2. Ch. de la Roncière, Histoire de la marine, t. V, p. 127.
3. Bib. Nat., manuscrit français 18593, l03 276 v°, 279 v°, 282.
LA RÉVOCATION DE l'ÉDIT DE NANTES 293
dais, se conforma aux instructions reçues de Paris. Il fit dresser
un rôle des réformés français et étrangers établis à Marseille
et possédant des propriétés. Des Hollandais sont mentionnés
sur ce rôle ; Nicolas de Guisnot, horloger, natif de Leyde,
Charles Gilly, d'Amsterdam, Michel Hulst, Georges Vedenant,
raffineur de sucres *. A l'exception de ce dernier, tous étaient
mariés et avaient des enfants et des serviteurs de leur pays.
Ils abjurèrent, des lèvres tout au moins mais cette abjuration
ne satisfit point les Marseillais, témoin la triste aventure qui
advint à Renner Barne. Ce négociant avait femme et enfants ;
un de ses fils marié avait lui-même huit enfants. Comme ses
compatriotes il s'était livré au grand négoce et avait acquis
une propriété à Notre-Dame-de-la-Garde, une maison à Saint-
Jean et une autre à Séon. Il était donc fort à l'aise. En 1686,
il avait abjuré ainsi que son fils Martin, mais on le considérait
comme mal « converti » et les habitants de la ville jalousaient
la prospérité de son commerce. Or, le 16 octobre 1688, Louis XIV
ordonna que tous les protestants ou convertis depuis cinq ans
déposassent leurs armes entre les mains des magistrats. On appli-
qua la nouvelle ordonnance mais Renner Barne qui faisait un
commerce d'armes et de munitions possédait un véritable arse-
nal, canons, mousquets, barils de poudre, boulets. Il sollicita
de M. de Grignan l'autorisation de continuer son négoce ; elle
lui fut refusée et comme il était impossible de déposer chez les
échevins ce magasin d'armes, il fut entièrement séquestré et
force fut à Barne d'interrompre ce genre de commerce 2.
II
L'histoire de la révocation de l'Édit de Nantes n'est plus à
écrire ; en des récits plus ou moins détaillés, les historiens ont
retracé les méthodes employées par les subordonnés de Louis XIV
1. V.-L. Bourilly, La Révocation de VEdit de Nantes à Marseille, dans Bulletin
de l'Histoire du protestantisme, année 1905, p. 5.
2. ld., Les suites de Im Révocation à Marseille, même revue, année 1906, p. 425.
294 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
pour obtenir des conversions. Dans les provinces où les agents
du roi appliquèrent avec brutalité les instructions du pouvoir
central, les procédés de persécution varièrent peu. Aussi, a-t-il
paru suffisant de montrer par un exemple unique la manière
dont les Hollandais furent traités dans les villes où ils étaient
nombreux.
Des colonies qu'ils avaient fondées en France, celle de Nantes
était l'une des plus prospères. Après la signature de l'Édit,
les réformés néerlandais avaient joui à Nantes comme dans les
autres villes d'une liberté religieuse presque complète. On ne
les inquiéta guère jusqu'aux environs de l'année 1680. De temps
à autre, il y eut bien quelques mesures de police prises sous
l'inspiration du clergé qui craignait pour ses ouailles de mauvaises
lectures.
L'érudit historien des églises réformées en Bretagne, Vau-
rigaud, en a rapporté quelques-unes. Je relaterai la suivante
qui concerne un Hollandais. Le 20 juillet 1671, on opéra à Paim-
bœuf une saisie de livres destinés à Henri de Graeff, établi
libraire à Nantes au carrefour du Puits-Lory et correspondant
de son frère, imprimeur à La Haye. Les deux ballots saisis
contenaient : Le Tableau des différentes religions, YHistoire
générale des églises des vallées du Piémont et les Œuvres de
Rabelais. Cette saisie n'entrava en rien le commerce de Graeff
et des opérations de ce genre n'empêchaient pas les protestants
hollandais de Nantes de vivre librement K
Ils suivaient leurs exercices à Sucé, étaient membres du Conseil
des Anciens, possédaient leur état-civil et avaient un cimetière
pour leurs défunts. Par arrêt du Conseil du 23 juillet 1611, le roi
avait accordé aux protestants de Nantes trois lieux de sépul-
ture ; or en 1665, la municipalité ayant voulu mettre obstacle
à la jouissance des droits des réformés au sujet des inhumations,
une requête fut adressée au sénéchal de Nantes. Vyçkerscoot,
van Schoonoven, van Duren, Jacob de Bye, van Armeyden
signèrent la requête remise à ce fonctionnaire qui donna raison
aux réformés.
1. Arch. mun. de Nantes, GG 52.
MESURES PRISES CONTRE LES RELIGIONNAIRES 295
Tant que Colbert fut au pouvoir les Hollandais protestants
furent peu inquiétés ; à dater du moment où Louvois prit la
direction des affaires, la situation des huguenots changea.
Des Jésuites essayèrent de les convertir ; ils y réussirent souvent,
mais pour ceux qui ne suivirent pas les persuasions des mission-
naires, la situation devint bientôt intolérable. Dès le début
de 1685, un certain nombre de familles hollandaises trouvèrent
prudent de quitter Nantes. Van Waersen, la femme Coste,
Yves Séraf et sa famille rejoignirent leur pays. Les documents
ne nous ont pas conservé les noms de tous ceux qui s'embar-
quèrent avant la révocation officielle de l'Édit, mais les réformés
qui partirent dans les premiers mois de 1685 furent suffisamment
nombreux pour que le ministère s'émut *.
L'intendant de la marine à Nantes, des Gastines recevait
des ordres sévères dès le 28 avril et devait empêcher l'exode
des protestants, mais il était fonctionnaire maladroit et ne sut
retenir les « gens de la religion prétendue réformée ». Des vexa-
tions de toutes natures leur étaient réservées ; en Hollande,
les récits des persécutions commises à l'égard des Néerlandais
établis en France inspiraient une méfiance croissante qui se
traduisait, commercialement parlant, par un resserrement
d'argent. Le 4 octobre, notre ambassadeur, le comte d'Avaux,
écrivait : « On ne trouve plus d'argent en bourse pour tout ce
qui concerne la France ; ce qui a le plus déconcerté les mar-
chands, c'est que leurs correspondants leur ont mandé qu'on
obligeait même les catholiques à déclarer les effets qui apparte-
naient aux protestants de Hollande, de sorte qu'ils n'osent plus
confier à personne les dits effets. »
Le 22 octobre était signée la révocation; pasteurs et ministres
devaient avoir quitté le pays dans un délai de quinze jours.
Dès le 30 du mois, les départs ayant lieu en masse, les ordres
les plus sévères furent donnés par Seignelay pour que l'on retint
les fugitifs. Tous les moyens furent mis à exécution pour empê-
cher l'exode des protestants français ou étrangers. Les officiers
de l'Amirauté reçurent cette lettre circulaire : « Messieurs,
1. Arch. de la marine, B* 55.
296 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
je vous envoie une ordonnance du Roi pour défendre aux mar-
chands, pilotes lamaneurs, capitaines de navires, maîtres de
barques de contribuer en aucune façon à l'évasion des reli-
gionnaires, à l'exécution de laquelle vous ne devez manquer de
tenir la main. »
On organisa des croisières et parfois on arrêta des navires
neutres sortant des ports. Le sieur de la Caffinière se tenait à la
sortie de la Loire ; il arraisonna un vaisseau suédois à bord duquel
se trouvaient des réformés hollandais, notamment la femme
Verbruggé. L'intendant des Gastines avisa le roi de cette
prise et le ministère répondit : « A l'égard de la femme Ver-
bruggé, S. M. vous permet de la faire sortir du couvent où vous
l'avez enfermée et de la remettre à son mari si elle est Hollan-
daise non naturalisée et que vous fassiez aussi mettre en liberté
le jeune Hollandais qui n'est ici que depuis huit mois. »
La dame Verbruggé fut rendue à son mari mais l'année
suivante elle sollicita l'autorisation de partir. On adressa pour
elle un passeport à son mari Abraham Verbruggé, fixé à Nantes
depuis seize ans mais on recommanda à l'intendant de la marine
de lui faire donner caution de son retour. « Vous savez, lui
écrivait-on, la conduite qu'elle a tenue l'an passé, elle doit
donner caution de son retour, si elle veut s'absenter. »
L'ambassade française de La Haye avait été transformée en
agence de renseignements de police. Aux côtés de d'Avaux,
un sieur Tillières s'était affilié aux protestants et ayant gagné
leur confiance, renseignait le gouvernement sur tous les mouve-
ments de navires entre les côtes occidentales de la France et
Amsterdam. Les avis qu'il mandait étaient transmis à Bordeaux,
La Rochelle, Nantes et les autres petits ports de l'Atlantique.
Sur ses indications on apprit que Jacob Sandressen, capitaine
de la Couronne avait favorisé le départ de religionnaires hollan-
dais établis à Nantes. Des Gastines fit arrêter le navire à Bour-
gneuf ; les fugitifs furent internés, et les femmes ayant été rasées,
furent enfermées dans un couvent. Le gouvernement hollandais
protesta mais le ministre de la marine estima que des Gastines
avait agi pour le bien de la religion et ordre lui fut donné de
laisser l'affaire suivre son cours.
MESURES PRISES CONTRE LES RELIGIONNAIRES 297
Les Hollandais de Nantes qui n'avaient pu fuir dès le début
de l'orage durent supporter les visites domiciliaires, les arresta-
tions et les dragonnades. A la fin de 1685 on arrêtait les réfor-
més sans tenir compte de leur nationalité. Le 9 novembre,
le comte d'Avaux transmettait au roi une plainte formulée
par le gouvernement hollandais à la suite de l'arrestation illé-
gale de la belle-sœur et de la belle-mère d'un négociant de Nantes
du nom de Van den Horst ; ces deux femmes n'étaient pas natu-
ralisées et ne pouvaient, en conséquence, subir le sort des
réformés français. Pour éviter l'internement, il fallait générale-
ment donner caution : Abraham Verbruggé était généralement
le Hollandais responsable de ses compatriotes.
Advenant le mois de décembre, on dressa la liste de tous les
réformés de la ville et la misère des protestants devint extrême.
Les Hollandais purent faire connaître leur sort à leurs compa-
triotes en se servant d'un subterfuge. Naerzelles, marchand des
Provinces-Unies, installé à Nantes, employait un Français
nommé Rousseau ; ce dernier se chargea de faire tenir en Hol-
lande la correspondance des réformés. Il est probable que ce
fut par son intermédiaire que Jacob de Bye, consul de Hollande
à Nantes fit passer sa correspondance à la Gazette de Haarlem K
Des lettres de lui reproduites dans la correspondance de d'Avaux
donnent des renseignements horrifiques sur la manière dont les
dragons et les officiers du Roi entendaient obtenir des conver-
sions. Jacob de Bye écrivait : « La misère des réformés est
terrible ici. » Sa qualité de consul ne l'avait d'ailleurs pas mis
à l'abri des rigueurs des dragonnades. On se rendra compte
de la manière dont il fut traité en lisant cette lettre qui parut
dans le numéro du 20 décembre 1685 de la Gazette de Haarlem :
« MM. il y a huit jours que je vous fis scavoir ma griesve afflic-
tion, il y a apparence que vous en apprendrez la suite avec
douleur s'il vous reste encore quelque charité. Après le départ
des lettres, je fus chargé de six grands diables de dragons et
ensuite de quinze autres, qui m'ayant enfermé dans ma chambre,
me firent boire et manger avec eux faisant venir toutes sortes
1. Arch. des Aff. étrangères, Hollande, correspondance du comte d'Avaux,
année 1685.
298 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
de friandises des auberges, inondant le parquet des meilleurs
vins, brûlant en très peu de temps plus de cent livres de chan-
delles dès que la nuit fut venue, commençant à mettre en pièces
et brûler nos meubles. »
« Cela étant fait, ils me mirent sur une chaise me disant :
« Cà bougre de chien de huguenot, tu sçais que le roy nous ordonne
de te faire tous les maux que ton bougre de corps est capable
de supporter. Si tu veux qu'on t'épargne donne-nous à chascun
deux louis d'or. » Je tachay de les apaiser par une pièce d'ar-
gent, mais inutilement. Enfin j' accord ay pour un louis d'or
par teste, le payant sur le champ, sur quoy, ils promirent de ne
plus me tourmenter. Une heure après un des plus meschants
se leva, disant : « Bougre de huguenot, j'ayme mieux te rendre
ton argent et te tourmenter, le roy veut que tu changes » et il
me jeta mon argent à la tête. Ils me mirent dans une chaise
auprès d'un grand feu, m'ostèrent mes souliers et mes bas,
me firent brusler les pieds y laissant dégoûter le suif et la chan-
delle, de sorte que la douleur m' arrachant de là, ils me lièrent
à un pied du lit où ces hommes plus que diaboliques vinrent
heurter plus de dix fois leur tête contre mon estomac avec tant
de violence qu'estant tombé, je fus mené auprès du feu où ils
m'arrachèrent le poil des jambes. Le jour venu, ils me donnèrent
un peu de répit en me menaçant toutefois de me jeter par la
fenêtre. Je les priais cent fois de me tuer, mais ils me répon-
dirent : « Nous n'avons pas l'ordre de te tuer mais de te tour-
menter tant que tu n'auras pas changé. Tu auras beau faire,
tu le feras après qu'on t'aura mangé jusques aux os. »
« Je fus mesme auprès du maire ou bourgmestre de la ville qui
me dit que si je ne voulais changer, le duc avait ordre de mettre
ma femme et mes enfants dans un hôpital pour estre séparé
pour toujours et qu'il y avait encore quatorze dragons prêts
à me tomber dessus. »
« Vous voyez qu'il n'y avoit point là de mort à espérer si ce
n'est une mort perpétuelle après une prison continuelle. J'ay esté
obligé de fléchir puisqu'il n'y avoit aucun espoir de délivrance...
tous ceux qui ont esté entrepris ont esté obligés de fléchir ; Ver-
bruggé, Wycherfloot et Seers n'ont point encore esté molestés. »
on s'efforce d'empêcher le départ des protestants 299
Jacob de Bye et sa femme Catherine de Brissacq parvinrent
à s'enfuir mais sans pouvoir emmener avec eux leur fillette
Madeleine qu'ils confièrent aux soins d'amis. Leur fille, ils ne
la revirent point, car elle s'éteignit à Nantes le 16 octobre 1686.
Des lettres de la nature de celle que j'ai transcrite produisaient
dans les Provinces-Unies un effet si désastreux que d'Avaux
demandait au roi l'autorisation de les démentir, mais les récits
des réfugiés confirmaient les allégations des correspondants.
L'ambassadeur de France écrivait : « Ce que V. M. me fera
l'honneur de m'envoyer pour détruire la calomnie me sera très
utile. Cette affaire est une de celles qui a fait le plus d'impres-
sion, le beau-frère de ce consul ayant fait voir ses lettres. »
Pour éviter de semblables rigueurs les Hollandais quittaient
Nantes. Parfois ils simulaient une conversion puis s'efforçaient
d'obtenir un passeport qui leur permît de s'enfuir. Pierre Hol-
lard avait été naturalisé en 1672 ; depuis plusieurs années il
vivait à Nantes et y exerçait le négoce. Il s'était converti mais
sa conversion avait-elle été réelle ? Au cours de l'année 1687,
il demanda l'autorisation d'aller en Hollande pour ses affaires
et au mois de janvier 1688, cette permission lui fut accordée
mais sous la condition qu'il laisserait à Nantes sa femme et ses
enfants pour assurer son retour. Les autorités locales crurent
bon, en outre, de lui demander une caution en argent et si consi-
dérable qu'elle équivalait à le ruiner K Hollard protesta. Des
Gastines transmit sa plainte à Paris en l'appuyant et on lui
répondit : « Comme c'est un honnête homme qui fait bien son
devoir tant à l'égard du commerce que de la religion, S. M.
désire que vous le laissiez partir quand il lui plaira en prenant
seulement les précautions nécessaires pour que sa femme et B6I
enfants ne le suivent et qu'il ne fasse passer ses effets en Hol-
lande. » Hollard revint à la charge pour obtenir l'autorisation
d'emmener avec lui sa femme ; il fit de nouvelles démarches.
Une fois encore on transmit à Paris la requête qu'il formulait
et la réponse à la lettre de l'intendant de la marine montre
bien à quel point on craignait de voir encore un commerçant
1. Arch. de la marine, B* 57, B* 65, !• 49, B* 65 f° 50.
300 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
quitter la France. « La proposition que vous faites au sujet du
sieur Hollard paraît sujette à beaucoup d'inconvénients et il est
bien à craindre que la femme du nommé Hollard qui demande
à l'accompagner n'ait le dessein de rester en Hollande. Cepen-
dant si vous êtes assuré, ainsi que vous le dites, de la bonne foi
de cette femme et de celle de son mari, de sorte que vous puissiez
en répondre au roi, vous pouvez lui permettre d'accompagner
son mari en Hollande mais prenez garde de n'entrer en aucun
engagement à cet égard que vous ne soyez assuré de la chose » x.
Profitant de la maladresse de des Gastines Hollard et sa femme
partirent ; ils ne revinrent jamais.
La même année, Adrien Boehnès, marchand hollandais
fixé à Nantes depuis quarante ans, ayant eu des difficultés
de famille et désireux de les régler lui-même, se décida, malgré
ses soixante-douze ans à entreprendre le voyage de Hollande ;
il dut subir les mêmes formalités et donner caution de son
retour.
Ainsi malmenés les Hollandais repartaient dans les Provinces-
Unies ; les uns s'enfuyaient, les autres s'efforçaient d'obtenir
des passeports réguliers. De certaines villes, où quelques-uns
d'entre eux seulement s'étaient fixés, ils disparurent totale-
ment. A Saumur, la suppression de l'Académie protestante
amena le départ des négociants hollandais qui gravitaient
autour des pensionnaires de cet établissement. La raffinerie de
René Tinnebac fut fermée ; il regagna la Hollande et ayant,
après quelques mois, réclamé une indemnité par l'intermédiaire
du comte d'Avaux, il fut répondu à notre ambassadeur :
« On rétablira le sieur Tinnebac dans ses biens s'il veut se faire
catholique mais hors de cette condition, S. M. ne peut pas
empêcher l'effet de la saisie qui a été ordonnée ». De Rouen,
de Bordeaux, d'Abbeville, de Lyon sortirent nombre de Hol-
landais qui rentrèrent dans les Provinces-Unies. Toutefois,
il serait téméraire de croire que tous abandonnèrent la France.
Les Hollandais étaient négociants et très réalistes ; si Henri IV
avait estimé que Paris valait bien une messe, nombre de Néer-
1. Arch. de la marine, B2 65. Lettre du 17 juin 1688.
TOUS LES HOLLANDAIS NE QUITTENT PAS LA FRANCE 301
landais pensèrent comme lui. Ils préférèrent leur situation
financière et commerciale à leurs croyances, et prononcèrent
les formules d'abjuration. Dans chaque cité demeura un noyau
de Hollandais protestants.
L'historien de la colonie germanique de Bordeaux a relevé
les noms de notables hollandais qui se convertirent et bien qu'on
ait écrit qu'au cours du xvme siècle, on ne rencontre pas un seul
Néerlandais ayant figuré sur les livres de la bourgeoisie de Bor-
deaux au temps de Louis XIV, on ne voit pas que les Meerman
aient abandonné leur commerce ou leur religion K L'intendant
de la généralité de Guyenne écrivait au roi en 1689 : « Il y a ici
un grand nombre d'étrangers qui étaient religionn aires et qui,
pour se faire naturaliser, se sont convertis 2. »
A La Rochelle demeurèrent des Hollandais protestants ;
Nantes conserva les Verbruggé notamment. Les registres des
paroisses bretonnes dépouillés par l'abbé Paris-Jallobert dé-
noncent de fréquentes abjurations d'étrangers réformés. M. Lesens
a publié des listes incomplètes, il le dit lui-même, de huguenots
persécutés à Rouen lors de la révocation ; elles prouvent que
plusieurs familles hollandaises n'abandonnèrent point la Nor-
mandie. Les Depeister demeurèrent à Rouen ; en 1689, Samuel
Depeister est même signalé comme « religionnaire endurci ».
Théodore van der Hulst, gros négociant qui avait abjuré, était
noté de la même manière ; comme il était souvent employé
par Louvois, il devint même le solliciteur écouté « de ceux de sa
religion qui avaient des affaires », ce qui prouve qu'il était resté
à Rouen des réformés hollandais. Pierre Janssen et Valken-
bourg n'émigrèrent point et demeurèrent dans le grand port
normand 3.
Samuel Bernard, le graveur, père du célèbre financier, pro-
fesseur à l'Académie royale de peinture fit, le 20 octobre 1685,
« sa réunion à l'Église catholique ; il fut réintégré dans la situa-
tion dont il avait été momentanément exclu. Tout joyeux,
il rentra au milieu de ses collègues de l'Académie. Son fils,
1. Ducaunnès Duval, op. cit., p. 3.
2. A. Leroux, op. cit., t. I, p. 41.
3. J. Bianquis et E. Lesens, op. cit., p. 82.
302 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Samuel, le banquier, abjura également *. Hortemels, libraire
célèbre par son assortiment de livres étrangers avait épousé la
fille du libraire huguenot Antoine Cellier ; il fut reçu membre de
la communauté des libraires le 18 septembre 1686, après avoir
abjuré 2.
Malgré les sollicitations de Colbert, les frères van Robais,
d'Abbeville, demeurèrent attachés à leur religion. « Ces messieurs
de la manufacture », c'est-à-dire maîtres et ouvriers, n'eurent pas
à sortir de France. Les Coorte demeurèrent en Provence après
avoir abjuré.
Beaucoup d'étrangers ayant des situations assises balancèrent
quelque temps entre l'amour de leur religion et celui de leurs
biens mais ce dernier l'emporta et ils demeurèrent dans le pays.
A Paris où la colonie hollandaise était fort compacte on avait,
depuis longtemps, cherché à obtenir des conversions. On accor-
dait des avantages aux protestants qui abjuraient ; on leur
versait des subsides et l'on mettait en œuvre tous les moyens
par lesquels on espérait amener Français et forains à se conver-
tir 3. Dès 1677 le Père Athanase prêchait les réformés, prenant
les uns par la douceur, les autres par la menace. Il se vantait
de ses succès auprès de Louis XIV et les augmentait par des
erreurs d'addition volontaires. Parmi ses convertis figurent
■des artisans hollandais, des femmes principalement. C'est par
ses soins qu'Anne Constance Vaanderhornen, d'Amsterdam,
femme d'Adam Beaussire et Thérèse Valsencheim, marchande
de tapisseries, native de Bréda, auraient abjuré 4. Van Aspe-
renne, nouveau converti, reçut l'autorisation de travailler de
son métier d'orfèvre 5.
La police arrachait des conversions ; elle obtint celle du Hol-
landais Berge 6. Dans les hôpitaux, à l'Hôtel-Dieu, on effrayait
les malades. Jean Brinken, passementier de Rotterdam, se
1. Comtesse de Clermont-Tonnerre, Histoire de Samuel Bernard et de ses enfants.
Paris, 1914, p. 5.
2. Du Pradel, Livre commode des adresses de Paris, bibliothèque elzévirienne,
p. 188.
3. O. Douen, La Révocation de l'Edit de Nantes à Paris. Paris, 1894.
4. Id., Ibid., t. III, p. 436 et 437.
5. Id., Ibid., t. I, p. 533.
6. Id., Ibid., t. III, p. 438.
HOLLANDAIS DEMEURANT EN FRANCE 303
laissa fléchir ainsi que Sarah Vuillesmes et Abraham Oltreman.
Des Hollandais bien portants étaient étroitement surveillés ;
on craignait qu'ils n'aidassent les réformés à sortir du royaume K
Pour empêcher leur action, on les emprisonnait : ce fut le cas
de François van Bommel 2 et de Barbe van der Bourg. Cette
dernière, après un séjour à la Bastille fut transférée au château
d'Angers en janvier 1687. Elle abjura, fut relâchée le 30 juillet
et obtint qu'on lui renvoyât à Loudun la négresse qui la servait 3.
Des naturalisés étaient suspects. Le sieur Colonia était sur-
veillé de près. Bien que connu de Seignelay et de La Reynie
et encore qu'il fût propriétaire à Paris depuis vingt ans, on
voulut l'arrêter mais il se réfugia à l'ambassade de Hollande 4.
Qu'advint-il de ces Hollandais lorsque fut passée la première
tourmente ? Il est probable que tous ne quittèrent pas la France ;
s'étant plies aux volontés royales et ayant abjuré sous la pression
des autorités, ils ne furent sans doute plus inquiétés. Ils étaient
forts des certificats de catholicité qu'on leur avait délivrés
et le gouvernement, après avoir molesté les réformés s'efforçait
de les retenir lorsqu'ils avaient abjuré.
Atterré par les départs que provoquaient les mesures prises
contre les réformés, Louvois, dès le 13 janvier 1686 avait obtenu
de Louis XIV la signature d'un édit permettant à tous les mar-
chands étrangers protestants d'entrer dans le royaume 5.
Un second édit de janvier 1687 faisait connaître « que tout aitisan
établi à l'étranger qui voudrait se fixer en France recevrait
vingt louis d'or à son départ et dix à son arrivée » 6. Cette faveur
s'étendait aux non régnicoles. L'émigration ayant laissé vacantes
des situations, des immigrants nouveaux les vinrent occuper.
Au demeurant, tandis que les protestants étaient pourchassés
par Louis XIV, les catholiques hollandais étaient malmenés
par les États ; il en vint en France. Rédigeant pour ses descen-
dants des souvenirs sur ses aïeux, Madame Campan note que
1. Id., Ibid., t. III, p. 486.
2. Id., Ibid., t. III. Liste des personnes emprisonnées à Paris.
... Id., Ibid., t. III. V» C«.
4. Id., Ibid., t. III, p. 73.
5. Isambcrt, Anciennes lois françaises.
6. Arch. du Ministère de la Guerre, Affaires Intérieures, année 1G87.
304 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
sa grand'mère, Henriette du Quay, fille d'un colonel hollandais
de la province de Gueldres vint à Paris avec une sœur plus âgée
qu'elle afin d'y suivre paisiblement les devoirs de la religion
catholique 1. D'autres Hollandais agirent comme l'aïeule de
Madame Campan. Ils y furent d'ailleurs conviés. D'après un
rapport de Pennautier daté du 30 octobre 1691, le commerce
des draps n'avait pas périclité en Languedoc car on avait
attiré des Hollandais catholiques à Carcassonne. La manufac-
ture de Saptes n'arrivait pas à confectionner tout ce qu'elle
aurait pu écouler dans le Levant ; elle manquait d'ouvriers
et cependant, il était venu de Hollande dix-sept familles catho-
liques 2.
Il serait téméraire de nier que la révocation de l'Édit de Nantes
n'a pas amoindri considérablement la prospérité des colonies
néerlandaises mais elle ne les ruina point aussi totalement
qu'on pourrait le supposer. L'exode des Hollandais ne fut pas
complet ; on assista à des départs très nombreux mais aussi
à de fréquentes abjurations, vraies ou simulées. Il demeura en
France suffisamment de Hollandais pour constituer le noyau
des colonies qu'ils reformèrent avec une étonnante rapidité
presqu' aussitôt après la signature du traité de Ryswick.
1. E. Harlé, Livre de famille, seconde partie. Bordeaux, 1915, t. Ier, p. 22.
2. A., de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux, t. I. Lettre 977
CHAPITRE VII
LES HOLLANDAIS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE.
I. Rapports politiques. — II. Négociants hollandais en France. — III. Manufac-
turiers et artisans ; Ingénieurs hollandais. — IV. La colonie néerlandaise de
Paris ; la chapelle de l'ambassade de Hollande ; la colonie flottante ; madame
Pater. — V. L'immigration des patriotes en France en 1787.
Les avantages que la Hollande avait retirés du traité de
Ryswick ne furent pas de longue durée. Guillaume III, roi
d'Angleterre et stathouder de Hollande mais qui, comme on
l'a écrit justement était plutôt « stathouder en Angleterre et
roi en Hollande », entrait en 1701 dans la grande alliance dirigée
contre la France et au mois de mai 1702, la guerre éclatait
de nouveau entre Louis XIV et les Provinces-Unies. Durant
dix années on se battit sur toutes nos frontières ; enfin, au
mois d'avril 1713, le Grand Pensionnaire de Hollande, Heinsius,
qui avait remplacé le stathouder Guillaume, mort en 1702,
signait avec la France le traité d'Utrecht. Les conventions
commerciales de ce traité étaient analogues à celles du traité
de Ryswick mais il contenait une clause relative à la fermeture
au commerce de notre port de Dunkerque. Les Hollandais,
comme les Anglais, devaient tirer profit de la fermeture de
Dunkerque, le rival français de leurs ports. Les Hollandais béné-
ficiaient seuls de la fermeture de l'Escaut, des ports belges
et de l'interdiction pour les Pays-Bas catholiques de trafiquer
avec les Indes. L'avenir commercial de la Hollande était assuré;
librement, elle pouvait reprendre ce merveilleux essor écono-
20
306 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
mique qui avait fait d'elle l'un des plus puissants pays du monde
au xvne siècle. Les Hollandais avaient en outre toute latitude
pour remettre la main sur le négoce français. Le royaume était
appauvri par la longue suite de guerres qu'il avait soutenues
contre l'Europe coalisée et le Régent, par sa politique extérieure,
favorisait l'union entre la France et les Provinces-Unies.
Dès 1713, l'Autriche essaya de se rapprocher de la Hollande ;
notre ambassadeur, le marquis de Châteauneuf, mit le Grand
Pensionnaire Heinsius en défiance contre l'Empereur et fit
des avances aux Hollandais. Le Régent, pour les flatter,
interdit aux Français le commerce dans l'Atlantique du Sud
et mit tout en œuvre pour s'allier avec l'Angleterre et la Hol-
lande. Les tentatives de rappiochement entre les trois pays
aboutirent en 1717 et un traité d'alliance fut signé entre eux.
La conclusion de cette entente apporta une joie extrême au duc
d'Orléans. L'époque des luttes acharnées entre la France et les
Pro\inces-Unies était close. Grâce aux stipulations écono-
miques du traité et à l'habileté de Hop, ambassadeur de Hol-
lande à Paris qui, pendant son séjoui, sut aplanir les difficultés
îeligieuses les plus irritantes, l'immigration des Hollandais
vers nos villes reprit avec ampleur. La France avait besoin
d'éléments d'activité et les Hollandais furent de nouveau volon-
tiers accueillis. Les bons rapports de la France et des Provinces-
Unies furent encore fortifiés en 1739, un nouveau traité de
commerce, spécialement avantageux pour elles, ayant été signé
entre les deux pays.
Sous le gouvernement de Heinsius, depuis 1713 tout au moins,
de Hoornbeck et de Slingelandt, grands pensionnaires de Hol-
lande, il n'y eut aucune difficulté grave entre la France et les
Provinces-Unies. Les dernières années du gouvernement de
van der Heim furent au contraire marquées par une reprise
des hostilités. L'empereur Charles VI étant mort, sa succession
passa à Marie-Thérèse et l'occasion parut bonne pour ruiner défi-
nitivement la maison de Habsbourg en partageant ses domaines
que convoitaient divers pays. La France et Frédéric II lièrent
partie mais, en 1743, le roi de Prusse fit avec l'Autriche une
paix séparée. Louis XV continua la lutte et tenta d'arracher
RELATIONS FRANCO-HOLLANDAISES AU XVIIe SIÈCLE 307
à l'Autriche les Pays-Bas. Les Anglais et les Hollandais entrèrent
dans la lice ; les Hollandais avaient un intérêt majeur à ne pas
voir s'écrouler cette fameuse barrière qui' les défendait contre les
invasions françaises. Malgré les victoires de Maurice de Saxe,
et les succès de Lôwendal en territoire hollandais, Louis XV,
nonobstant les avis et les conseils qui lui furent donnés, aban-
donna tous les avantages qu'il avait remportés. Avec un désin-
téressement quelque peu stupide, il signa à Aix-la-Chapelle
une paix par laquelle il rendait à ses ennemis toutes les places
enlevées par ses troupes. Le traité de commerce de 1739 qui
avait été dénoncé à la fin de l'année 1745 fut remis en vigueur
et les Hollandais n'eurent pas à souffrir des conditions qui leur
furent faites.
Devant la menace de l'invasion française les Hollandais
s'étaient une fois encore groupés autour d'un chef militaire,
un prince de la maison d'Orange et ils portèrent au pouvoir
Guillaume-Charles-Henri. Avec lui le stathoudérat héréditaire
se trouvait rétabli. Depuis cette révolution de 1747 jusqu'aux
environs dé l'année 1780, il n'intervint dans nos relations avec la
Hollande aucun événement politique ayant exercé une influence
notable sur le développement ou le ralentissement de la péné-
tration néerlandaise en France. Le soulèvement des Patriotes
hollandais en 1787 provoqua au contraire un fort courant
d'immigration vers notre pays ; il en sera question ultérieu-
rement.
II
Le trafic des Hollandais demeure considérable en France
au xvme siècle. La lecture des procès-verbaux du Conseil du
Commerce prouve l'activité qu'ils déploient partout. En 1700,
le contrôleur général des finances propose de frapper d'un droit
de 20 sous les passeports accordés à leurs navires; il estime
que le trésor royal tirerait de cette taxe une somme de 100.000 écus
308 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
par an l. Les négociants néerlandais se livrent à des opérations
dédaignées par les régnicoles ; ils expédient chez eux des matières
premières, les transforment et nous revendent à prix élevé
les produits manufacturés 2. Les assureurs hollandais font en
France le courtage des assurances et accordant à nos négociants
des conditions très avantageuses, ils obtiennent la préférence 3.
Le pavillon hollandais flotte à la poupe de la majeure partie
des navires ancres dans nos ports. A Bordeaux, le dixième des
importations et le quart des exportations s'effectuent par vais-
seaux hollandais4. A toute époque du xvme siècle, lss Néer-
landais sont encore avec les Anglais à la têt 3 du trafic mari-
time. A Nantes, il mtre en moyenne 2.300 bâtiments de diffé-
rentes grandeurs. Les plus gros navires qui sont de 300 à 400 ton-
neaux restent à Paimbœuf ; les moyens navires de 200 à 250 ton-
neaux peuvent seuls arriver à Nantes ; encore faut-il qu'ils
soient de construction hollandaise qui exige moins de profon-
deur d'eau que les vaisseaux français 5.
Paimbœuf qui s'étire longuement sur la rive gauche de la
Loire et est une ville morte depuis la création du port de Saint-
Naz aire était au xvme siècle le siège d'une colonie hollandaise
comportant courtiers, facteurs et interprètes. Cette colonie a
laissé un souvenir dans cette nonchalante cité puisqu'une
impasse de la ville a conservé le nom de Cour de Berg-op-Zoom.
A Rouen, à Dieppe, à Marseille, les Hollandais abordent
chaque semaine. Des ports d'importance secondaire, comme
Morlaix, regorgent de navires néerlandais 8. Au mois de no-
vembre 1785 7, les magistrats de Bordeaux écrivent : « Tout
concourt à donner aux Hollandais sur nous dans la navigation
de notre port à celui d'Amsterdam une prépondérance impossible
1. Inventaire des procès-verbaux du Conseil du Commerce, p. 24b.
2. Ibid., p. 80».
3. Ibid., p. 316.
4. A. Communay, Les grands négociants bordelais au XVIIIe siècle. Bordeaux,
1888. De 1751 à 1755 les entrées de marchandises à Bordeaux se chiffrent par
145.000.000 de livres (chiffres arrondis), les sorties par 260.000.000. Les impor-
tations de Hollande se montent à 13 millions de livres; les exportations à 50 mil-
lions et demi, p. 16 et 17.
5. Arch. mun. de Nantes, DD 162 ; rapport de l'année 1770.
6. Bourde de la Bogerie, Introduction à l'Inventaire de la série B des archives du
Finistère et Inventaire. Cf. Hollande, Hollandais, etc.
7. Arch. dép. de la Gironde, G 4266, f° 27.
LES COLONIES HOLLANDAISES SE REFORMENT 309
à détruire ; ils possèdent des navires spéciaux appropriés aux
bas-fonds de la côte de Hollande. Nos assurances doivent
se faire en Hollande ; les Hollandais, soit comme commettants
et par conséquent comme propriétaires, soit comme commis-
sionnaires faisant des avances sur la marchandise et par consé-
quent comme engagistes ont droit et intérêt à être nantis du
contrat passé avec les assureurs. Au demeurant, les Hollandais
assurent à meilleur marché leurs vaisseaux que les nôtres. »
Un monde de facteurs, courtiers, armateurs et négociants
néerlandais effectue en France les opérations commerciales
les plus variées. Il serait téméraire de recommencer un nouveau
tour de France dans le but de noter au passage l'importance
des groupements qu'ils fondèrent dans nos villes au xvme siècle ;
je m'en tiendrai à des exemples. Vanousterom, bourgeois de
Bayonne, catholique, est négociant notoiie ; il épousa la fille
d'un ancien échevin de la ville, Dominique Labat 3t obtient
ses lettres de naturalité après quinze ans de séjour 1. Van Dufïelt
s'occupe du trafic avec la péninsule ibérique en 1716 ; il fait
construire des navires à Bayonne en 1740 et assigne M. de Gram-
mont, propriétaire de la moitié des droits de la coutume de
Bayonne car les fermiers l'ont abusivement taxé 2.
Par Bayonne les Hollandais exportaient les goudrons et les
brais des landes gasconnes. Dès 1707, le lieutenant particulier
de l'Amirauté de cette ville se plaint de ce trafic et il propose
d'en interdire l'exportation mais le ministre s'y refuse sage-
ment « dans le but de ne pas dégoûter les particuliers de ressemer
des pins à la suite de l'hiver ». Les opposants, ne voyant pas
le bénéfice qu'ils tiraient de ce commerce avec les Hollandais,
les accusèrent encore en 1715 d'enlever dans les landes de Bor-
deaux toute la graine des pins afin d'en faire des s^mis chez eux.
On leur fit comprendre que la Hollande ne comportait aucun
terrain propre à la culture des conifères et que dans tout le
Nord il y avait abondance de pins 3.
Si éprouvée qu'avait pu être par la révocation la colonie hol-
1. Arch. Nat., K 175, liasse 3. Naturalisation du 21 juin 1729.
2. Inventaire des Procès-verbaux du Conseil du Commerce, p. 82» et 288».
3. A. Leroux, La Colonie germanique de Bordeaux, t. I, p. 52 et 53.
310 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
landaise de Bordeaux, elle se reconstitua avec promptitude.
Dès le début du xvme siècle les Bordelais virent débarquer
Thomas Clock, Daniel d'Egmont, les Beyermann, ancêtres
d'une famille qui se perpétue encore dans la ville, les Both,
Jacques Hooghstaèl reçu bourgeois en 1722, les van Hemert
qui se marient à Bordeaux h Quelques traits relatifs à l'histoire
de ces étrangers, mieux que de simples énumérations, montre-
ront l'importance du groupe des Hollandais aux Chartrons.
Pour permettre aux Bordelais de traiter plus aisément avec eux,
les jurats avaient organisé un cours de langue hollandaise au
collège de Guyenne ; cette institution disparut en 1717 2; mais
comme la connaissance de la langue des Provinces-Unies est
nécessaire à Bordeaux, ils accordent ensuite à des particuliers
l'autorisation d'enseigner le hollandais.
Est-il besoin d'examiner un tarif présenté par les interprètes
jurés ; on forme une commission composée de trois Anglais,
trois Allemands et trois Hollandais, Clock, Both et Zelen 3.
Le trésor français est obéré ; à diverses reprises on attribue
des rentes aux étrangers habitant la France ; les Hollandais
commerçant aux Chartrons s'inscrivent pour des sommes
importantes lors des emprunts de 1709 et de 1720. Hubert
Hubrecht, Hollandais, est même naturalisé d'office à cette
occasion « à raison des services qu'il a rendus anciennement
et nouvellement à la couronne de France » 4. Les marchands
étrangers d'Amsterdam, de Middelbourg souscrivent de fortes
sommes aux emprunts créés par redit d'août 1720 en remplace-
ment des billets de la banque Law consolidés à la moitié du capital
et rapportant 2 % de rentes sur le capital réduit. Dans la seule
ville de Bordeaux, Brok, Popp, de Kater, van den Zandt, de
Valkenaer prennent de fortes participations dans les 112. 000 livres
de rentes souscrites dans l'élection 5.
A la veille de la Révolution, la colonie hollandaise de Bor-
deaux est encore prospère. Sur 509 négociants, armateurs,
1. Id., Ibid., p. 51.
2. Reg. de la Jurade, t. I, p. 41.
3. Arch. dép. de la Gironde, C 4252.
4. Ibid., C 3857.
5. Ibid., C 3862 et C 4006.
COLONIES DE LA ROCHELLE ET DE NANTES 311
banquiers qui prennent part, à l'hôtel de la Bourse, à une assem-
blée du commerce, le 2 mars 1789, on relève la présence de
95 Allemands et Hollandais 1.
La colonie de La Rochelle n'est pas désagrégée. Au baptême
de Sarah, fille de Jean de Vogel et de Catherine de Wuitte,
célébré en 1714, le parrain est Diricq van Zevenhover et van
Vuffelen signe comme témoin 2. Le sieur Hogwerf est mar-
chand au port 3 ainsi que van Sommergen qui sollicite en 1744
l'exemption du droit de 50 sous pour les navires neutres se
livrant au cabotage 4. Entre 1765 et 1769 la municipalité fait
un appel de fonds pour nettoyer et rétablir le port ; des Hollan-
dais s'inscrivent parmi les souscripteurs; parmi eux figurent
Nordingh de Witt, Christophe van Schellebeck et plusieurs
autres 5. Des habitants d'Amsterdam prennent femme dans la
région : Jacob van Wallendal s'allie à Suzanne Chaslon, veuve
de Ozias Hameloo 6.
A Nantes, les Hollandais revinrent dès le début du xvme siècle.
Lorsque les négociants de la ville reprirent goût au commerce,
ils ne virent plus dans les Hollandais des ennemis leur enlevant
des opérations profitables ; ils entretinrent au contraire avec
eux des rapports courtois. Les nouveaux venus se marièrent
avec des Nantaises ; ils acquirent dss terres et quelques-uns
furent même échevins de la ville. Au lieu de vivre isolés comme
leurs prédécesseurs ces Hollandais s'associèrent avec des arma-
teurs de Nantes. Il y eut entre Hollandais et Nantais un courant
d'affaires continu et les habitants des rives de la Loire reprirent
l'habitude quelque peu perdue de faire voyager leurs enfants
sur des navires néerlandais.
Veut-on avoir une idée de la promptitude avec laquelle s'était
reformée la colonie hollandaise de Nantes ; il suffit de parcourir
1rs documents les plus divers. Entre les années 1700 et 1715
vivaient sur la seule paroisse Saint-Jacques les van Sambek,
1. Arch. historiques de la Gironde, t. LI, p. 320.
2. Arch. dép. de la Charente-Inférieure, E 26.
3. Inventaire des procès-verbaux du Conseil du Commerce, p. 173*, année 1729.
4. Ibid., p. 319b, année 1744.
5. Garnault, Histoire du Commerce rochelais au XVI II» siècle, 2» partie, p. 199.
6. Arch. historiques de l'Aunis et de la Saintonge, vol. XLII, p. 499.
312 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
les van der Heyde, les Sengstack. Ceux-ci n'avaient d'ailleurs
jamais quitté la ville. Les van Keulyn, les van Berchem, les
van den Briesche étaient également fixés sur cette même pa-
roisse l. En 1702, Gertrude Garetz avait été naturalisée ainsi
que Jean van Vorn 2.
Si l'on ouvre les procès- verbaux du Conseil du commerce,
l'on constate qu'au moment où le commerce des îles avait
pour ainsi dire galvanisé le port de Nantes, la majeure partie
des Nantais tiraient de Hollande des pacotilles qu'ils expé-
diaient aux colonies. Pour favoriser ce genre de commerce, les
négociants des Provinces-Unies avaient des facteurs et des
représentants sur la place ; ils se nommaient van Haerzel, Guil-
laume de Wich, Adrien van Voorm, van Heulen, Maetzuyer, Caref-
feu, Daiesche, Haentjens dont la descendance subsiste toujours
et Deurbroucq 3. Ces courtiers importaient de leur pays ainsi
que de Suède et de Norwège les marchandises les plus variées.
Les armateurs de la Fosse faisaient construire en Hollande
des navires ; ils avaient avec les Provinces-Unies des relations
constantes. Les Nantais jouaient même à la loterie hollandaise,
ils y gagnaient parfois : le sieur Belloc eut la joie de gagner le
lot de 22.000 livres 4.
Le négoce des Hollandais portait sur les vins de la vallée de
t la Loire et les blés bretons. Les commerçants de Rotterdam
avaient à Nantes des représentants occupés spécialement
à l'achat des blés, les van Haerzel, les Vandhamel. Van Berchem
était l'acheteur de la firme Nicolas van Kohi. Les Bretons
avaient tout intérêt à exporter leurs blés sur la Hollande ;
ils vendaient leurs céréales à Rotterdam avec de gros bénéfices.
Au mois de novembre 1757 et au début de 1758, la vente des
blés et des seigles bretons rapportait en Hollande un bénéfice
de 50 % au lieu de 16 % au Havre 5. Aussi, Bretons et Hollan-
1. Arch. mun. de Nantes, série GG, paroisse Saint- Jacques, passim.
2. Arch. dép. de la Loire- Inférieure, B 1724 et 1819.
3. Inventaire des procès-verbaux du Conseil du Commerce, voir notamment la
correspondance des années 1703 à 1710.
4. Arch. mun. de Nantes, EE 57. Lettre du maire Meslier qui félicite Belloc de
sa chance.
5. Letaconnoux, Essai sur le commerce des blés en Bretagne au XVIIIe siècle.
Rennes, 1909.
LES HOLLANDAIS SE MELENT A LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE 313
dais employaient-ils tous les moyens pour tourner les dispo-
sitions légales interdisant l'exportation des blés.
Aussi tendues avaient été les relations des Nantais et des
Hollandais au milieu du xvne siècle aussi cordiales elles furent
sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI. Les régnicoles dont
les affaires étaient prospères ne se plaignaient plus quand ils
voyaient leurs concurrents réaliser des bénéfices. Ils s'associaient
volontiers ; les Dhaveloose étaient associés aux Dumaine ; ils
possédaient en commun les Deux-Sœurs, le Nancy, le Solitaire et
ces navires allaient aux Indes *. Les Nantais utilisaient volontiers
les navires hollandais pour effectuer leurs transports car les
frets des armateurs étrangers étaient d'un prix bien inférieur
aux nôtres. En 1737, de Nantes à Hambourg le prix du transport
d'un quintal de marchandises était de 8 sous 6 deniers par navire
hollandais et de 21 sous 7 deniers par navire breton 2. C'est
assez dire que le commerce de la Hollande avec Nantes était
important et procurait aux facteurs et armateurs des Provinces-
Unies installés à la Fosse des bénéfices considérables.
Non contents de réaliser des fortunes, quelques-uns de ces
Hollandais, à l'imitation des Espagnols du xvie siècle, sollici-
tèrent l'honneur de participer à la direction des affaires de la
ville. Les van Berchem, les van Neunen, les Vandamme, les
Dhaveloose comptèrent des échevins et des consuls dans leur
famille 3.
Les Hollandais firent parfois usage de leurs richesses au profit
des déshérités de la vie. Gaspard van den Busche légua ses
biens à la ville afin de fonder l'école de charité de la petite
Bicsse 4 ; aux premières heures de la Révolution, quand la
famine menaça la France, le maire et les échevins firent un
patriotique appel en vue d'une souscription destinée à payer des
primes aux importateurs de blés ; les Hollandais furent des pre-
miers à s'inscrire sur les listes 5.
1. L. Bœuf, Du commerce de Nantes. Paris, 1857, p. 173.
2. Arch. dép. (l'Illc-et-Vilainc, G 1586.
3. De la Nicollière et IVrthuis, Livre Don1 de l'Hôtel de Ville de Nantes, édition
(1rs Bibliophiles bretons. Nantes, 1890.
t. Arch. dép. «le la Loin- Inférieure, (i 274.
5. Arch. nnin. de Nantes, Comptes des miseurs, série CC, passim.
314 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
Malgré cette marque de symmathie pour leurs nouveaux
compatriotes, nombreux furent les Hollandais qu'on inquiéta
pendant la Révolution. Si malgré sa qualité de prêtre, André
van den Veken, né à Nantes de parents hollandais, put mourir
dans son lit en 1791, si Pierre Svaon, natif d'Amsterdam put
continuer à imprimer paisiblement des indiennes, beaucoup
de riches négociants attirèrent l'attention des comités. Sur la
liste des suspects figurent van den Driesche, Jean Haentjens,
Pierre Deurbroucq, Vandesen, Vanhemskerche, la veuve van
Hoenacher, van Neunen, employé au comité des subsistances K
Ces suspects ne furent pas tous jetés en prison comme la veuve
Vanasse et ses cinq filles mais ils furent étroitement surveillés.
Au nombre des victimes de Carrier, il faut cependant ranger
un capitaine de navires, van Alstein, qui périt noyé.
Les Hollandais qui n'avaient pas fui Nantes durant la période
révolutionnaire furent sans doute à la peine ; quelques années
plus tard ils furent à l'honneur : en 1808, lorsque Napoléon vint
à Nantes, ce fut Deurbroucq qui commanda la garde d'honneur
de l'Empereur.
Au cours du xvme siècle les commerçants de Nantes effec-
tuaient avec Lorient des opérations considérables car Lorient
était le siège de la Compagnie des Indes. Ils y entretenaient
-des hommes à eux. André-Jacques Vanderheyde fut de ceux-là.
André- Jacques Vanderheyde était venu à Nantes vers 1732 ;
il s'y était marié probablement avec une Sablaise : Marie-Louise
Blanchard. A la mort de sa femme survenue en 1761, il comptait
six enfants. Les Nantais qui trafiquaient avec la Compagnie des
Indes, mécontents de l'interprète qui assurait leur service à
Lorient, sollicitèrent le duc de Penthièvre de nommer Vander-
heyde au lieu et place du sieur d'Egmont. Ils obtinrent satis-
faction et en 1756, le nouvel interprète prenait possession de ses
fonctions. Pendant neuf. ans Vanderheyde assuma la charge
d'interprète et de courtier puis il commerça pour son propre
compte. A dater de 1760, il fut même nommé consul de Suède
à Lorient et à Port-Louis. Une longue maladie et la guerre de
I. Arch. dép. de la Loire- Inférieure, L 271, 272, 277, 551, 1408, etc.
VANDERHEYDE A LORIENT 315
Sept Ans ruinèrent Vanderheyde qui, après avoir déposé son
bilan, se consacra uniquement à ses fonctions d'interprète x.
On a conservé les registres de comptabilité et de correspon-
dance de ce courtier hollandais et leur étude, sans offrir rien de
particulièrement nouveau poui l'histoire du commerce, est cepen-
dant intéressante car elle marque les relations suivies que les
Lorientais et les Nantais, parmi lesquels Vanderheyde recrutait
■sa clientèle, avaient avec la Hollande au milieu du xvme siècle.
Sur trois navires au chargement desquels participe Vanderheyde
en 1756, deux vont en Hollande, trois sur quatre se dirigent
vers Amsterdam en 1757, huit sur vingt-quatre et onze sur vingt-
sept au cours des années 1758 et 1759.. Neuf maisons d'Amster-
dam donnent des commissions à Vanderheyde et le courtier
les transmet à Nantes à Dhaveloose, Deurbroucq, Vanlobard,
Sengstack, van Neunen, Wor et Wite qui se livrent à l'exporta-
tation. Outre ces courtiers hollandais, nombre de négociants
français donnent à Vanderheyde des ordres d'achat ou de vente
de denrées coloniales à destination des provinces bataves.
Dans l'ouest de la France, il n'est ville qui n'abrite des Hol-
landais ; on ne saurait les énumérer, même partiellement, car
il faudrait dresser un véritable annuaire du commerce du
xvme siècle. Il en existe à Mortagne : Corneille Hoen et Corneille
Vandenaueck sont témoins dans les actes de décès de prisonniers
de guerre internés dans cette ville 2. Jean van Boekstal, fabri-
cant de dentelles à Alençon et associé de sa tante, une demoiselle
Rottenburg, se plaint en 1775 de la peine que les dessins lui
donnent à inventer.
Angers abrite Josué Fabre, graveur, natif d' Amsterdam 3,
et Arnold Wolff, originaire de la même ville qui, en 1785, épouse
Marie Métivier 4. Il n'est pas étonnant de constater la présence
de marchands hollandais à Angers car de jeunes seigneurs néer-
landais, accompagnés de leurs précepteurs, viennent suivre les
cours de l'Académie d'équitation. Vanderpoll, de Soliart,
1. L. Guillou, André Vanderheyde, courtier lorientais. Extrait des Annales de
Bretagne. Rennes, 1918.
2. Arch. dép. de l'Orne, H 5277.
3. Arch. mun. d'Angers, GG 48.
4. Ibld., GG 99.
316 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Leneep, Alewyn, Becket, figurent sui les listes des pensionnaires
de 1763 à 1768. De Beckenroode, fils de l'ambassadeur de Hol-
lande est élève à l'Académie en 1772 et de Gilles en 1776.
A Rouen van Munster vend des batteries de fer et de cuivre
qu'il tire de Hollande x ; la dame de Blau importe beurre et
fromages 2, Assuérus Wandel demande l'autorisation d'intro-
duire quinze milliers de pierre d'émen 3. Van Emericq importe
à Rouen des plombs de Suède 4. L'ambassadeur de Hollande
intervient en 1743 en faveur de Paul Chombard qui éprouve
des difficultés pour l'introduction de buis et de bois de santal.
Que l'on rencontre des Hollandais dans les Flandres françaises,
à Lille, à Dunkerque, à cela rien de surprenant ; la proximité
des pays et certaines affinités de caractère les attirent et les
retiennent. Il y a souvent collusion entre des Hollandais établis
à Dunkerque et dans les ports de l'Océan. Pour éviter des droits
de sortie, des négociants de Bordeaux, de La Rochelle ou de
Nantes exportent des eaux-de-vie à destination de la Hollande
mais avec des certificats à destination de Dunkerque. Ils évitent
les droits de douane sous couleur de se livrer au cabotage et ils
retournent au lieu d'embarquement de faux certificats de déchar-
gement à Dunkerque.
En Picardie, des Hollandais font le commerce des chevaux.
Augustin Vandenbrceck 5 se livre à ce négoce ainsi que van
Nufîel qui épousera en 1781, une Française, Marie-Louise
Jorand 6.
Lyon recèle une forte population de Hollandais parmi les
négociants étrangers qui s'y donnent rendez-vous. Les navires
hollandais abordent à Marseille à tout instant, ils y séjournent
quelques jours ou semaines ; officiers et marins descendent
à terre. A Marseille des Néerlandais possèdent des maisons de
commerce ; ils trafiquent avec le proche et l'Extrême-Orient.
Les Deveer effectuent des affaires considérables. Pierre Deveer,
1. Inventaire des procès-verbaux du Conseil du Commerce, p. 40a, 31 août 1708.
2. Ibid., p. 50», 23 octobre 1709.
3. Ibid., p. 48», 5 juillet 1709.
4. Ibid., p. 45».
5. Arch. dép. de l'Aisne, C 340.
6. Ibid., B 2914.
DRAPIERS HOLLANDAIS AU XVIIIe SIÈCLE 317
d'Amsterdam, époux d'Olympe Renaud, meurt en 1754, lais-
sant plusieurs enfants h Dinguement Doenssen 2, de La Haye,
Pierre Justammon 3 sont, au xvme siècle, des importants négo-
ciants de Marseille.
Il serait intéressant de suivre de près l'existence de ces mar-
chands venus de Hollande, de voir quelles ont été leurs alliances
et d'examiner la manière dont ils se sont assimilés à la popula-
tion française. Malheureusement, les études partielles et les
monographies font défaut ; cependant, des actes et des docu-
ments il appert que les Hollandais, catholiques ou protestants,
se sont au xvme siècle beaucoup plus promptement fondus
avec les régnicoles qu'au temps de Louis XIII et de Louis XIV.
Au lieu de vivre isolés, de constituer des groupements assez
jaloux de leur indépendance religieuse et ethnique, ils se sont
associés avec les Français pour leurs entreprises commerciales
et se sont rapidement alliés à des familles du royaume.
III
Au xvne siècle les Hollandais s'étaient surtout cantonnés
dans le commerce proprement dit ; par les exemples donnés,
on a pu voir que sous les règnes des deux derniers Louis ils
n'avaient pas perdu leurs anciennes habitudes. Mais en même
temps que se fixaient en France courtiers et marchands néer-
landais, d'autres arrivaient pour créer des manufactures et des
industries.
Des fabriques de draps appartiennent à des Hollandais au
xvme siècle. J'ai déjà parlé des van Robais, de Moïse et Daniel
Scalongne, installés à Abbeville. En 1700, van der Hulst est
propriétaire de la manufacture de draps de Dormelles près
Montereau 4. Une blanchisserie de toiles, batistes et linons est
1. V.-L. Bourîllv, Les protestants orangers à Marseille. Décès du 1C mars 1754.
2. Id., Ibid. Décèl du 27 décembre 1741.
8. !<!., Ibid. Décèl du 20 avril 1743.
4. A. de Bois lis le, Correspondance des Contrôleurs généraux, t. II. Lettre 113,
année 1700.
318 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
établie à Valenciennes par un Hollandais 1. Remacle qui habite
la France depuis 1683 et a été naturalisé l'année suivante,
transporte sa manufacture de Montmirail à Louviers 2. Posté-»
rieurement à 1713, Jacques Homossel et son gendre fondent
une société pour confectionner des moquettes à Àbbeville 3.
Vanbclle et Elgement dirigent les travaux d'une blanchisserie
de fil à Antony 4. Pour soutenir leur manufacture, ces deux
entrepreneurs jouissent de privilèges pécuniaires importants.
A Auch, Ploos van Amstel fabrique de la draperie5. Van-
drague établit sa manufacture à Saint-Gaudens. Deux Hollan-
dais, Gérard Enningh et Harmadis Heldoorm demandent l'au-
torisation d'établir une fabrique d'indiennes à Orléans 8.
Il leur est répondu que l'arrêt du Conseil du 28 octobre 1759
autorise toutes les personnes à le faire. Le xvme siècle est mar-
qué par un réveil extraordinaire de l'esprit commercial et indus^
triel en France ; malheureusement trop d'industries sont fondées
par des étrangers. Nos régnicoles se contentent trop souvent
de « vivoter ». Ils n'osent point se lancer dans les entreprises
nouvelles ; les forains au contraire sollicitent l'autorisation de
créer des manufactures. Gelderman voudrait construire des
moulins à vent sur les rives de la Seine. Bien qu'il soit recommandé
par le marquis d'Osmond, sa demande est rejetée. Fait vérita-
blement rare car les autorisations formulées par les Hollandais
sont généralement accueillies favorablement 7. Van de Brande
obtient la permission de créer une verrerie à Bordeaux 8. Les
van Neunen fabriquent des brosses à Nantes et dans cette
même ville Pierre Svaon, d'Amsterdam, imprime des indiennes.
Maketros distille des baies de genièvre à Paris 9 et de Sparre
fabrique du blanc de céruse à Tonneins 10.
Les descendants des Hollandais raffineurs de sucre sont tou-
1. Inventaire des procès-verbaux du Conseil du Commerce, p. 172*», année 1729.
2. Arch. Nat., F» 1365.
3. Ibid., F12 116.
4. Ibid., F12 1327.
5. Inventaire des procès-verbaux..., p. 11 la.
6. Arch. dép. du Loiret, C 4.
7. Inventaire des procès-verbaux..., p. 464a.
8. Voir ci-dessus, p.
9. Inventaire des procès-verbaux..., p. 456».
10. Ibid., p. 453».
PETITS ARTISANS HOLLANDAIS 319
jours propriétaires de leurs usines à Rouen, à Bordeaux, à Angers
et à Orléans. Il est incontestable que ces étrangers contribuent
à la prospérité générale du royaume mais les salaires qu'ils
paient sont, dans maintes manufactures, encaissés par leurs
compatriotes qu'ils attirent comme ouvriers. La main-d'œuvre
hollandaise est continuellement employée en France. Les van
Robais et les Scalongne à Abbeville n'utilisent guère que leurs
compatriotes ; chez Cotheau, fabricant de pipes, la plupart des
ouvriers sont néerlandais l. Dans les papeteries d'Annonay,
les artisans viennent de Hollande 2 ; les raffineurs d'Orléans
comme les fabricants de draperies du Languedoc utilisent des
Hollandais. Mainville est propriétaire d'une manufacture de
toiles peintes à Orléans. A la fin de 1766, Holker, inspecteur
général des manufactures écrit à Trudaine : « M. de Mainville
a plusieurs Hollandais qui lui servent de coloristes, de graveurs
et d'imprimeurs qui lui coûtent très cher car il paie le coloriste
2.400 livres, logé et chauffé... » et il ajoute : « Nous n'avons pas
en France de bons graveurs, nos manufactures d'indiennes
sont obligées d'avoir recours pour cette partie aux Hollandais
et aux Suisses, ce qui leur coûte très cher » 3.
Il fait bon vivre en France ; les salaires y sont élevés et l'exis-
tence y est facile. Non seulement des ouvriers passent volon-
tiers de Hollande dans le royaume mais encore des petits artisans
qui s'établissent un peu partout. Nicolas Vancranenbourg
vend des lunettes dans une baraque en bois, à Bordeaux, près
du Château-Trompette. Le feu consume sa bicoque et les jurats
l'autorisent à en établir une autre sous la première arcade du
bureau de la douane4. Des ouvriers tailleurs sont répandus
de ci de là ; parfois ils prennent boutique. Théodore Vanboestal
est tailleur d'habits à Mâcon ; il épouse Claudine Martin ; les
naissances se succèdent dans son ménage. En 1749 on baptise
son fils Jean, l'année suivante, son fils Denis, en 1755 il présente
au baptême son fils Joseph5. Après une vie laborieuse Van-
1. A. de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux, t. I, pièce 1860.
2. Germain Martin, Les papeteries d'Annonay. Besançon. 1897.
3. Arch. dép. du Loiret, C 4.
4. Reg. des délibérations de la Jurade. V° Hollandais, 19 décembre 1777.
5. Arch. mun. de Mâcon, GG 74, 76, 86.
320 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
boestal, dit Grammont, décède en 1787, âgé de soixante-quatorze
ans. A Mâcon encore, Jacques Vanpradelly exerce la profession
de tailleur d'habits ; comme son confrère, il s'y marie et laisse
plusieurs enfants, Jean, Louise et Joseph l.
Le goût des Hollandais pour les belles fleurs a toujours été
apprécié en France. Les surintendants des bâtiments du roi
tiraient des Provinces-Unies des oignons et des graines que l'on
cultivait à Versailles; au xvine siècle la renommée de> jardi-
niers hollandais était encore bien établie. Rendant compte
des salons de 1779 à la princesse Caroline de Bade, Dupont de
Nemours lui mandait, au sujet des tableaux de van Spaendonck
et van Huysum : « Il n'y a guère eu de grands peintres de fleurs
que parmi les Hollandais. Je pourrais dire que ce genre de tra-
vail, qui est froid, quoiqu' agréable, convient mieux à une nation
flegmatique, mais la véritable raison est qu'il n'y a point de pays
où l'on cultive les fleurs avec autant de soin, de recherche et de
prétentions » 2.
Les riches propriétaires du xvme siècle rendaient eux aussi
hommage à l'habileté des jardiniers hollandais. Ils les établis-
saient dans leurs propriétés. Paris de Montmartel avait installé
chez lui Bernard de Nieuwenhuysen, de Harlem, et sa famille.
Ils furent promptement naturalisés 3.
Depuis l'édit de 1599 sur le dessèchement des marais, les
Hollandais avaient pris une part active aux travaux de dessica-
tion des terres mouillées. Leur habileté dans ce genre d'entre-
prises leur avait valu des privilèges nombreux et pendant la
majeure partie du xvne siècle, des ingénieurs et des artisans
néerlandais s'étaient spécialisés dans les travaux de l'hydrau-
lique agricole. Au temps de Louis XV et de son successeur, ils
revinrent en France et s'occupèrent encore de dessèchements,
de creusement de canaux et d'amélioration des ports.
Erasme van Broninghem est l'auteur de la proposition du
creusement du canal de Dunkerque à Mardick 4. En 1717, on
1. Arch. mun. de Mâcon, GG 74, 75, 77.
2. Lettres de Dupont de Nemours à Caroline de Bade, p. 113.
3. Arch. Nat., PP 162. Lettres de naturalité du 15 juin 1757.
4. A. de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux, t. III, lettre 1510.
INGÉNIEURS HOLLANDAIS EN FRANCE 321
étudie la création de « Paris port de mer » ; la démonstration
de la possibilité de la remontée de la Seine est faite à l'aide de
navires construits par des Hollandais K Les ports de rivière
dans lesquels ils commercent ne sont pas assez profonds pour
abriter les navires de fort tonnage qu'ils emploient ; ils étudient
les moyens de les approfondir. Grout, en 1753, fait venir quatre
dragues de Hollande pour dévaser le port de Nantes 2. Pierre
Jogues, de Hollande, envoie, en 1768, aux commissaires des
États de Bretagne des renseignements sur les moyens employés
par les Hollandais pour fixer les dunes de sable, car les cam-
pagnes et la ville même de Saint-Pol étaient menacées d'être
submergées par les dunes de Sautée 3. En 1772, une compagnie
de négociants néerlandais demande l'autorisation de constituer
une société pour entreprendre le creusement du canal de Pro-
vence et Bertin accrédite près de l'intendant de Marseille van
Suchetelen, ingénieur major des États généraux des Provinces-
Unies 4.
Les travaux des « turcies et levées » de la Loire furent souvent
effectués ou surveillés par des Hollandais ou des descendants
de ces étrangers. Louis de Regemorte, l'un des premiers ingé-
nieurs sortis de l'école des Ponts et Chaussées créée par Tru-
daine, en 1746, jouit de la confiance de ce dernier et entreprit
de nombreux travaux ; il construisit notamment le pont de
Sorges sur l'Authion, près Angers et le pont de la Cisse, près
Vouvray. Lorsque Trudaine songea à la reconstruction d'un
pont de pierres sur l'Allier, à Moulins, il s'adiessa à Louis de
Regemorte. L'ingénieur, en 1750, présenta un premier projet
qui ne fut pas adopté ; on admit au contraire les plans qu'il
dressa l'année suivante. Le pont de Moulins, édifié par ses soins,
fut terminé en 1762 et Trudaine octroya à Louis de Regemorte
2.000 livres de gratification et 4.000 livres de pension 6.
1. Arch. Nat., F12 1513. Mémoire sur l'établissement d'une nouvelle navigation
des ports du Havre, d'Honfleur en droiture à Paris.
'l. Arch. mun. de Nantes, DD 162.
Bourdé <le la Rogeric, Inventaire de la série B des archives du Finistère. Intro-
duction, p. CLXVI.
4. Arch. dép. des Bouches-du-Rhônc, C 311. Lettre du 26 Juillet 1772.
5. Guillou, Un ingénieur Orléanais, Lecreux, dans Mémoires de la Société archéo-
logique de l'Orléanais, t. XXIX, année 1905, p. 401, 480, 500.
21
322 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
En Poitou, des Hollandais entreprirent des travaux impor-
tants et construisirent des ouvrages d'art considérable K Le nom
des Jacobsen est demeuré attaché à maintes de ces entreprises.
La famille Jacobsen 2, dont le nom figure déjà dans les annales
de Hollande au xme siècle, était passée en France au xvie et
s'était fixée dans les Flandres maritimes. Une longue lignée de
Jacobsen établis à Dunkerque se livrèrent à la guerre de course
et acquirent comme marins une réputation analogue à celle
de nos plus fameux corsaires. Le troisième fils de l'amiral
Michel Jacobsen, mort en 1633, Antoine, avait laissé plusieurs
enfants. L'un d'eux, Corail Guislain, né en 1709, fit ses études
à l'université de Louvain et pensa embrasser l'état ecclésias-
tique mais ayant trouvé en la personne du baron de Reutlitsh*
ami de sa famille, un protecteur dévout, il obtint un crédit suffi-
sant pour pouvoir s'adonner au négoce. Sur les conseils de son
protecteur, il vint s'établir dans l'île de Noirmoutiers et s'y
maria trois ans après. C'est Corail Jacobsen qui, le premier
dans l'île de Noirmoutiers entreprit des dessèchements qui
forcèrent la mer à reculer. Il fut le créateur et le fondateur de
l'île de la Crosnière qu'il gagna sur la mer; il construisit sur
cette île trente maisons et une église qui fut détruite pendant la
Révolution. Outre l'accroissement de territoire ainsi donné à la
France, ce dessèchement a procuré une communication par terre,
à mer basse, de Noirmoutiers au continent par un passage connu
sous le nom de « Guâ ».
Pour la récompense de ses travaux le roi donna à Jacobsen
le titre de seigneur et de premier patron de l'île de la Crosnière.
Corail Jacobsen mourut le 19 mars 1787 dans l'île de Noirmou-
tiers, laissant cinq enfants dont la descendance existe encore
actuellement dans l'Ouest de la France.
Au début du xvme siècle, les Provinces-Unies entretiennent
à Paris des espions qui, le plus souvent se déguisent sous les
apparences d'honnêtes commerçants ou d'artisans. Wambel,
négociant en fil est arrêté en 1704 3 presqu'en même temps
1. Clouzot, Les marais du Poitou. Niort. 1899.
2. E. Mancel, Les Jacobsen (1200-1901). Dunkerque, 1902, p. 45.
3. F. Funk-Brentano, Liste des Prisonniers de la Bastille, notice 1838.
COMMERÇANTS HOLLANDAIS 323
<jue Jean Boomhouer, de Maestricht 1. Vanderbourg trahit
tantôt au profit du roi, tantôt au profit du prince d'Orange 2.
Il touche des subsides des deux côtés. Ces étrangers se ras-
semblent sans doute chez cette « limonadière hollandoise qui tient
sa boutique devant la porte de la Cornée' ie » et sur laquelle le
roi désire avoir quelques renseignements car il sait qu'on y
mène tapage et qu'on s'y livre à la débauche 3. La paix d'Utrecht
signée, les espions se font plus rares ; toutefois, en 1726, on
appréhende encore une Hollandaise, Renée Le Pas ; pour avoir
révélé des secrets, elle passe un mois à la Bastille 4.
La guerre qui sévit entre la France et la Hollande au début
du siècle n'a pas fait fuir de Paris les Néerlandais qui y sont
implantés depuis quelques années déjà. On n'a pas chassé les
tailleurs d'habits, les potiers de terre, les ébénistes qui, concur-
ramment avec les Allemands, travaillent dans le faubourg
Saint-Antoine. Les sieurs Heusch 5 et van Soest 6, banquiers
à Paris, continuent à exercer le commerce de l'argent ; ce dernier
est sous la protection de l'Électeur de Cologne dont il est le
correspondant. Théodore van der Hulst, qualifié de banquier,
importe des bois de Koenigsberg et les dirige sur Bordeaux.
Il n'est profession dans laquelle on ne rencontre à toute époque
du xvme siècle des Hollandais établis à Paris. Vandertin est
marchand pelletier, Yandreveld est diamantaire. Roger van der
Cruce, ébéniste au faubourg Saint-Antoine deviendra le beau-
père d'Oeben. Si j'ouvre les plumitifs de la Chambre des Comptes
de Paris, je relève fréquemment des lettres de natur alité oc-
troyées à des Hollandais. Elles sont accordées à de petites
gens ou à des commerçants de peu d'envergure qui n'ont joué
aucun rôle. Est-il nécessaire de s'appesantir sur les gestes de
François et Adrien Meulder 9, apothicaires, de J.-Baptiste
1. 2. Id., Ibid., notice 1887.
2. Id., Ibid., notice 1559.
3. Depping, Correspondance administrative sous Louis XI V, t. II. Lettre du 28 sep-
tembre 1701.
4. F. Funk-Brentano, op. cit., notice 2943.
5. Procès-verbaux du Conseil du Commerce, col. 53 et 58.
6. A. de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux, t. 111, lettre 1332.
7. Procè»~i>erbauT da Conseil du Commerce, coU G2*.
H. Ibid., col. 34a, 35a, 47b, 234b.
S. Arch. Nat., VP 102. Naturalisation du 10 décembre 1710.
324 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Krabbe, garçon tailleur \ de Vandenyster, d'Amsterdam,
commis chez un banquier de Paris 2 ou de Vangens, marchand
de chevaux naturalisé après trente ans de séjour 3.
La Hollande ne nous envoie point que des marchands. Des
Provinces - Unies il nous vient au xvme siècle des artistes.
Gérard van Spaendonck, né à Tilbourg, en 1746, connut à Paris
ses plus grands succès 4. Il exposa au Salon et Diderot parle
aimablement de ses tableaux de fleurs 5. En 1781 il fut reçu
membre de l'Académie loyale de peinture ; sept ans plus tard
il remplaçait La Tour comme conseiller de la Compagnie. Cor-
neille van Spaendonck, son frère, fut également un peintre de
fleurs renommé ; en 1789 il était également reçu à l'Académie 6.
La Hollande ne nous adressait pas toujours directement
ses enfants. Vandermonde qui fut un savant et un médecin
notoire du xvme siècle était né à Macao en 1727. Il vint faire
ses études à Paris et y prit ses grades en médecine. En 1755,
sa réputation était déjà établie, on lui confia la direction du
Recueil d'observations de médecine, chirurgie et pharmacie qui
devint par la suite le Journal de Médecine. Il garda la direction
de cette revue jusqu'à sa mort survenue en 1762 7. Son frère,
membre de l'Académie des Sciences, fit faire des progrès aux
méthodes algébriques, compléta la géométrie de situation
imaginée par Leibnitz et fut chargé avec d'autres savants de
comparer les mesures et les poids usités en France avec les
mesures et les poids du système métrique afin d'établir les rap-
ports exacts qui existaient entro eux 8.
La vie religieuse des Hollandais, qu'ils fussent catholiques ou
réformés, était assurée à Paris. Résidaient-ils dans la capitale
d'une manière permanente ou bien se contentaient-ils d'y
effectuer un bref séjour, ils avaient à leur disposition, s'ils ne
1. Ibid. Naturalisation du 7 mai 1754.
2. Ibid. Naturalisation du 28 octobre 1757.
3. Arch. Nat., K 175, liasse 3. Naturalisation du 14 mai 1732.
4. J.-G. Wille, Mémoires, t. II, p. 172.
5. Diderot, Correspondance, édition Tourneux, t. XII, p. 329, t. XV, p. 161.
6. J.-G. Wille, op. cit., t. II, p. 203, 204, 206.
7. Docteur Paul Delaunay, Le monde médical parisien au XVIIIe siècle. Paris,
1906, p. 461, 465.
8. A. Maury, L'ancienne Académie des Sciences, p. 185, 188, 322.
LA CHAPELLE DE l' AMBASSADE DE HOLLANDE 325
parlaient notre langue, des moyens de pratiquer la religion
à laquelle ils appartenaient.
La confrérie créée à Saint-Germain-des-Prés pour les catho-
liques de langues germaniques subsistait encore au moins au
début du xvme siècle et des prêtres étrangers prêchaient chaque
dimanche pour les Hollandais, les Allemands et les Suisses alé-
maniques. En 1701, un Danois converti, le Père Krattmann
était à la tête de cette institution. Malheureusement, les registres
de cette confrérie sont perdus. Ils eussent constitué une source
précieuse de renseignements sur l'immigration des Hollandais
catholiques à Paris. Les archives de la chapelle de l'ambassade
de Hollande ont au contraire été en partie conservées et il est
impossible de parler des Hollandais à Paris au xvme siècle sans
avoir recours à elles.
Après la mort de Louis XIV, l'ambassadeur des Provinces-
Unies, Hop, joua en France un rôle considérable sous le rap-
port religieux; pendant son séjour à Paris, de 1715 à 1729,
il fut le protecteur attitré des réformés calvinistes hollandais
et français. Il obtint du Régent que les protestants fussent
décemment inhumés et cela, d'ailleurs, en conformité des
stipulations du traité d'Utrecht. A tous les protestants, il ouvrit
largement les portes de la chapelle de l'ambassade ; à certains
jours, les offices étaient suivis par plus de quinze cents personnes1.
Les chapelains de l'ambassade instruisaient dans la doctrine
de Calvin tous ceux qui voulaient embrasser le culte réformé.
Ils mettaient à obtenir des conversions un grand zèle ; les
listes des catéchumènes examinés et reçus à la communion
montrent qu'à leur chapelle ils recevaient des abjurations
nombreuses 2. L'ambassade était devenue le rendez-vous de
tous les catholiques français désireux de se convertir ; des
personnages importants venaient y abjurer et ces changements
de religion n'allaient pas toujours sans causer du scandale.
En 1720, l'abbé d'Entraigues, « par un vertigo invraisemblable »,
1. F. Waddington, L'influence de l'ambassade de Hollande à Paris sur les affaires
des protestants en France au XVIII9 siècle, dans Bulletin de la Société d'histoire du
protestantisme français, t. III, p. 595.
2. Bibliot. protestante, manuscrit 410.
326 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
étonna la cour et la ville « en embrassant les erreurs du calvi-
nisme chez le sieur Hop » l.
Le gouvernement français s'émut de voir la chapelle de l'am-
bassade ouverte à ses propres nationaux. Malgré la bienveil-
lance qu'il témoignait à Hop, le ministère s'efforça de détourner
les régnicoles de l'assistance aux offices protestants. A l'entrée
ou à la sortie il les faisait appréhender par ses archers 2.
Malgré la surveillance exercée autour de la chapelle, les
Français parvenaient à y pénétrer et à suivre les cérémonies.
Ils étaient appelés à délivrer à des coreligionnaires des attesta-
tions de protestantisme ; on en a la preuve par l'examen du
Livre d'entrée et de sortie des communiants de la chapelle de L. L.
H. H. P. P. à Paris, habitants dans cette ville. Ce registre, depuis
1753, contient les noms des communiants de la chapelle et l'on
y voit que maint réformé français se porte garant des saines
doctrines de personnes nouvellement admises à la communion.
Le Livre d'entrée est précieux à plusieurs points de vue.
Il montre notamment l'importance de la colonie hollandaise
de. Paris et, à cet égard, il offre le même intérêt que le registre
des cotisants luthériens de la chapelle de l'ambassade de Suède
ouvert au xvne siècle par Jonas Hambraeus. A chaque page
du livre d'entrée sont mentionnés des négociants, des méde-
cins, des ingénieurs hollandais venant effectuer à Paris un
séjour plus ou moins prolongé. A leur arrivée, ces étrangers
se font inscrire à la chapelle et y sont reçus au vu d'une attes-
tation donnée par des pasteurs hollandais ou par des compa-
triotes résidant en France. S'ils ne peuvent fournir le certificat
requis, ils subissent un bref examen. Sur la première page du
Livre d'entrée figurent Henry de Lo, Jean Wencke, Albert
Schloster, médecin, Antoine Hattinger, ingénieur 3.
Il n'y a pas lieu de s'étonner si le nombre des Hollandais
inscrits sur le Livre d'entrée de communiants est élevé. Pour
eux tout est prétexte à venir à Paris : affaires, politique, études
1. J. Buvat, Journal de la Régence, édition E. Campardon. Paris, 1865, t. II,
p. 1.
2. F. Funk-Brentano, Liste des prisonniers de la Bastille, notices 2825, 2834,
2835.
3. Bib. protestante, manuscrit .409, f° 1.
VOYAGEURS HOLLANDAIS 327
amènent chaque année vers la France une foule d'habitants
de La Haye, d'Amsterdam ou de Gouda. Des commerçants
vendent diamants, pelleteries ou livres, d'autres achètent
à Paris tableaux et gravures. Quelques-uns traitent des affaires
importantes. Les manuscrits du collège Louis-le-Grand for-
maient 856 volumes, ceux de la maison professe 116. Meerman,
de La Haye, s'en rend acquéreur pour 15.000 livres. On fait
quelques difficultés pour les laisser sortir mais Meerman aban-
donne quelques manuscrits à la Bibliothèque royale et on le
remercie en lui accordant une décoration 1.
D'autres Hollandais fréquentent les salons où régnent les
philosophes ; ils puisent près d'eux les idées démocratiques
qu'ils répandront parmi les Patriotes. Quelques-uns exposent
aux Salons leurs fleurs ou leurs tableaux d'intérieur. Le baron
van Swieten collabore avec Favart et leur Rosière de Salency
est représentée à Fontainebleau 2. Comme tant d'autres étran-
gers, les Hollandais riches s'affichent avec les actrices de nos
théâtres. De Saulègue entretient la Deschamp 3, le baron de
Wassenâer est amoureux fou de mademoiselle Luzi, de l' Opéra-
Comique 4. M. Hoppe, demeurant rue de Richelieu « prend à
ses appointements » la demoiselle de Valmont 5.
Paris est un centre d'attraction pour les Hollandais ; ils n'y
sont pas dépaysés car tous parlent notre langue. Ils l'ont apprise
avec des gouvernantes qui leur enseignent le français avant
même de leur apprendre leur langue maternelle si bien que les
deux frères Haren, adolescents, savent à peine le néerlandais
et que Hogendorp, parvenu à l'âge viril doit l'apprendre comme
une langue étrangère 6. Beaucoup de Hollandais ont à Paris
ou en province des parents et des alliés qu'ils viennent visiter.
En effet, au xvme siècle, des Français épousent fréquemment
des jeunes filles originaires de Hollande et introduisent ainsi
dans la population des éléments nouveaux. Ces jeunes filles
1. A. Gefïroy, Analyse du voyage de Linden, dans Notices et extraits conservés
en Suède, p. 415.
2. Diderot, Correspondance, éd. citée, t. VIII, p. 385.
3. C. Piton, Paris sous Louis XV, t. V, p. 106.
4. Id., Ibid., t. I, p. 58.
5. Id., Ibid., t. III, p. 179.
6. Riemcns, op. cit., p. 190, note 2.
328 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
appartiennent parfois aux familles déjà fixées en France ;
quelquefois, au contraire elles ont été rencontrées au cours
d'une ambassade, d'une mission ou d'un voyage.
Le comte d'Auvergne épouse mademoiselle de Wassenâcr
d'une vieille famille hollandaise ; le comte demande au roi
l'autorisation de l'amener en France bien qu'elle soit calvi-
niste. Il y est autorisé ; elle se convertit le 17 avril 1700 et est
introduite à la cour x.
De ces mariages mixtes, on dresserait des listes copieuses.
Je an -Baptiste Quirot, chirurgien à Xirocourt avait épousé
Jeanne Welem, native de Grave, près Nimègue 2 ; les Terrien
de La Haye, à Nantes, s'étaient alliés aux van Berchem 3 ;
Marguerite de Maubach, originaire de Middelbourg, devient
l'épouse de Jean-Jacques Georget, négociant à Saint-Malo.
La femme de M. de Beauharnais, intendant à La Rochelle
en 1712 était d'origine hollandaise 4. Toutes ces mères de famille
firent souche d'excellents serviteurs de la France ; elles ont
généralement disparu sans laisser de souvenirs. Il est toutefois
une Hollandaise qui, pendant un quart de siècle, a joui à Paris
de quelque notoriété et a défrayé les gazettes ; elle y fut connue
sous le nom de la « Belle Hollandaise ».
Les Nijvenheim appartenaient à une famille de Hollande
de bonne noblesse mais très pauvre. Ils étaient cinq frères
et l'un d'eux était entré au service de la France comme colonel
au Royal Suédois. Une de leurs sœurs avait épousé le duc de
Brancas ; une autre avait été mariée de bonne heure au riche
marchand Pater. Elle vint à Paris en 1763 ; elle éblouit la haute
société par son éclatante beauté. On ne parla que de Madame
Pater pendant toute une saison et l'aristocratie se partagea
en deux camps, les « Pater et les Anti-Pater », les Anti-Pater
tenant pour Madame de Nesselrode la rivale en beauté de la
belle Hollandaise.
Les hommes de lettres de l'époque célébrèrent Madame Pater ;
1. Saint-Simon, Mémoires, édition des Grands Écrivains, t. VI, p. 136.
2. Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, E sup. 3230 ; acte de décès de Jeanne
Welem, le 28 sept. 1753, p. 16.
3. Marquis de Granges de Surgères, Actes d'Etat civil, p. 16.
4. A. de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux, t. III, p. 1195.
MADAME PATER 329
Diderot parle d'elle à diverses reprises dans sa correspondance,
Dorât fit son éloge et des chansonniers s'occupèrent de cette
étrangère. On chantait :
Pater est dans notre cité
Spiritus je voudrois être
Et pour former la Trinité
Filius on en verrait naître l.
Condé, Soubise, Vintimille furent ses admirateurs à l'hôtel
4'Entragues, rue de Tournon puis faubourg Saint-Honoré.
Las des assiduités de ces seigneurs, le marchand Pater se fâcha
€t leur déclara un jour : « MM. je suis très sensible à l'honneur
que vous me faites de venir ici, mais je ne crois pas que vous vous
amusiez beaucoup ; je suis toute la journée avec Madame Pater
«t la nuit je couche avec elle. » Pater finit par rentrer en Hol-
lande mais sa femme se sépara de lui et revint à Paris sous son
nom de jeune fille, baronne de Nieuwerkerke. Le duc de Duras
la présenta au roi ce qui lui valut d'être chassé par la Du Barry
qui l'accusait d'une complaisance trop grande. Le duc d'Ai-
guillon eut aussi l'idée de la faire épouser à Louis XV qui
parut goûter ce projet et logea à Meudon la jeune femme ; pour
lui plaire, elle préparait sa conversion et apprenait à danser.
Elle conserva l'espoir d'un mariage royal jusqu'au décès du
roi et refusa la main du prince de Lambesc. A la mort de Louis XV
elle épousa le marquis de Champcenetz, gouverneur de Bellevue 2.
Si l'on en croit l'auteur de la Galerie des Dames françoises
qui a tracé le portrait de la marquise de Champcenetz sous le
pseudonyme de Domitilla, la belle Hollandaise prit une part
active à la lutte des Patriotes hollandais contre le stathouder ;
elle obtint qu'on donnât asile à ceux qui passèrent en France
en 1787. « Domitilla n'ayant pu ranger la victoire du côté des
Patriotes hollandais leur procura la France pour asile, c'est-à-
dire qu'elle dirigea sur eux la prodigalité de ceux qui gouver-
naient alors ce royaume », écrit le rédacteur de la Galerie 8.
1. Diderot, Correspondance, édition Tourneux, t. VI, p. 175, t. VII, p. 171,
etc...
2. De Peyster, Les troubles de la Hollande à la veille de la Révolution française.
Paris, 1905, p. 89, note 1.
3. La Galerie des Dames françoises. Londres, 1790, p. 58.
330 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Il est très probable que la marquise de Champcenetz servit
la cause des Patriotes ; ses frères étaient les actifs lieutenants
de Capellen, l'un des chefs du mouvement dirigé contre le sta-
thouder. Evert-Jan et Berend Nijvenheim effectuaient fréquem-
ment le voyage de Paris pour les affaires du parti et compromis,
ils s'y réfugièrent après 1787. Une fille d'Evert devait par la
suite épouser Armand de Polignac et une branche de la famille
Nijvenheim s'établit définitivement en France où ses descen-
dants existent encore. ,
Au nom de Madame Pater on peut associer celui de Madame
D aider. Née à Groningue en 1743, elle épousa à l'âge de dix-
neuf ou vingt ans M. Palm qui partit pour les Indes hollandaises
quelques semaines après cette union. Son mari étant disparu,
Madame Dalder vint s'établir à Paris; en 1778 elle habitait
rue Villedo et se faisait appeler Madame de Sitter, baronne
d'Aelders. Comme sa réputation de beauté était grande, elle
connut l'existence facile et vécut indépendante jusqu'au mo-
ment de la Révolution. En 1789, elle s'enflamma pour les idées
nouvelles d'affranchissement, s'ingénia à devenir femme de
lettres et à s'intéresser à des œuvres humanitaires. Madame
Dalder s'affilia au club révolutionnaire dénommé le Cercle Social
et y prôna les droits de la femme émancipée. Non contente
d'appartenir à ce club elle s'occupa de la fondation de la Société
des Amis de la Vérité et devant les membres de cette nouvelle
assemblée, la Hollandaise prononça un long discours sur l'in-
justice des lois en faveur des hommes aux dépens de la femme.
Ce discours -ayant été imprimé fut répandu par ses soins ; elle
en adressa quelques exemplaires à la municipalité de Creil-sur-
Oise qui la remercia de son hommage en lui adressant une cocarde
tricolore et une médaille nationale. Prosélyte enragée de toutes
les nouveautés, Madame Dalder s'efforça d'organiser à Creil
des bataillons d'amazones ; elle pensait même en créer à Caen,
à Bordeaux et ailleurs mais un court emprisonnement mit
fin à ses projets et refroidit son zèle. Ses discours, ses pétitions
nombreuses à l'Assemblée achevèrent de déconsidérer la Hol-
landaise que ses relations trop intimes avec le député Basire
avaient compromise. Elle comprit qu'il n'y avait plus rien à
LES PATRIOTES HOLLANDAIS DANS LE NORD DE LA FRANCE 331
faire pour elle à Paris ou à Creil et en septembre 1792, ayant
obtenu de Lebrun une mission diplomatique en Hollande,
elle quitta la France et retourna dans son pays natal l.
Les Provinces-Unies avaient toujours été divisées en deux
camps politiques ; l'un était attaché aux formes traditionnelles
du gouvernement républicain, l'autre était dévoué à la cause
de stathoudérat et de la maison d'Orange. La direction des
affaires du pays avait été confiée tantôt à un grand Pension-
naire, agissant sous l'inspiration des États généraux, parfois
au contraire, les Provinces-Unies avaient eu pour chef un véri-
table souverain en la personne d'un stathouder choisi parmi
les princes de la famille d'Orange.
L'invasion de la Hollande par les Français au cours de la
guerre de la Succession d'Autriche avait déterminé dans le pays
une véritable révolution et en 1747, Guillaume-Charles-Henri
avait été porté au stathoudérat héréditaire. A sa mort, surve-
nue en 1751, il avait été remplacé par Guillaume V. Les sujets
de ce souverain étaient tous loin d'admettre le stathoudérat
héréditaire et les pouvoirs qu'il s'arrogeait.
Nourri de la lecture des philosophes français et imbu des
principes démocratiques, un troisième parti se constitua en
Hollande ; il prit le nom de parti des Patriotes. Des membres
de T aristocratie hollandaise, mécontents de l'attitude de Guil-
laume V, se rapprochèrent de ce parti dans le but de limiter
la puissance du stathouder ; ils en devinrent bientôt les membres
les plus influents.
.!<• n'ai pas à raconter ici les difficultés intérieures et exté-
rieures des Provinces-Unies depuis 1775 environ ; qu'il sutlise
1. P. Bordeaux, La médaille d'honneur offerte par la municipalité de Creil à
madame Palm Dalder, dans Mémoires de la Société académique de l'Oise, tome XX,
1908, p. 433.
332 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
de rappeler quelques faits, dont certains d'ailleurs ne sont pas
à l'honneur du gouvernement de Louis XVI. Sous le ministère
de Vergennes, nos ambassadeurs à La Haye, La Vauguyon
et Vérac soutinrent les Patriotes dans leur lutte contre Guil-
laume V. Ils leur promirent appui et secours. Mais Vergennes
ayant disparu, son successeur Montmorin se désintéressa pour
ainsi dire des affaires de Hollande. Au lieu de prendre nette-
ment parti dans la lutte engagée entre les Orangistes et les
Patriotes, il tergiversa. Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume,
envahit la Hollande à la tête de ses troupes et sur son trône
chancelant raffermit le stathouder Guillaume V. Abandonnés
par la France, les Patriotes affolés se débandèrent et se soumirent.
La victoire restait à la maison d'Orange, la réaction stathoudé-
rienne triomphait.
Le 21 novembre 1787 Guillaume V proclamait l'amnistie
des patriotes hollandais, mais son amnistie portait tant de res-
trictions que chacun pouvait s'en croire exclu l. Des Provinces-
Unies, ce fut un exode général vers la Flandre et le Brabant
autrichien. La plupait des patriotes néerlandais demeurèrent
en Belgique mais ces les premiers mois de 1788 plus de 2.400 fa-
milles hollandaises étaient déjà arrivées en France. On évalue
à plus de 40.000 le nombre des proscrits. A Saint-Omer la majo-
rité de la population devint hollandaise. Le gouvernement
français tint à recevoir dignement ceux qu'il avait abandonnés.
Aux chefs des patriotes hollandais il attribua des pensions.
A Capellen van de Marsch on octroya 25.000 livres pour cinq ans,
à van Ryssel, 12.000, à Boetzelaër, d'Utrecht, 10.000. Abbema
entra comme associé dans une banque parisienne. Ondaatje
se fixa à Calais.
On manque de précisions à l'égard des réfugiés hollandais
sauf en ce qui concerne ceux qui reçurent des allocations du
gouvernement, un millier environ. Le 29 novembre 1787,
Capellen van de Marsch avait proposé à Louis XVI la création
d'une colonie de réfugiés hollandais qui jouiraient d'une
certaine autonomie et en particulier de la liberté religieuse.
1. J'emprunte ces détails à l'ouvrage de H. de Peyster, Les troubles de la Hollande
à la veille de la Révolution française, p. 230 et suiv. et p. 332, Appendice VIII.
PATRIOTES HOLLANDAIS 333
Cette autorisation fut accordée et les Hollandais nommèrent
un commissaire chargé d'examiner les lieux propres à leur éta-
blissement. On inspecta les côtes jusqu'à Granville mais on
décida de se fixer en Flandre ou en Artois, de manière à être
dans une région voisine de la Hollande. Saint-Omer fut choisi
comme centre de ralliement des réfugiés qui passeraient en
France ; Saint-Priest, notre ambassadeur en Hollande, chargé
du soin des émigrés demanda à Capellen de nommer un délégué
qui se rendrait à Saint-Omer, recevrait les immigrants et les
représenterait auprès du roi de France. Beyma fut élu ; il
choisit quelques collaborateurs et notamment Walkenaèr, jeune
professeur à l'Académie de Franeker.
Sur Saint-Omer on dirigea les Hollandais dignes d'être secou-
rus ; ils étaient reçus par Collignon, secrétaire des guerres
et par Beyma. Tous deux établissaient les listes des noms
des réfugiés et indiquaient le montant du recours à leur
accorder. L'entente entre Beyma et Walkenaèr dura peu ; ce
dernier partit bientôt pour Dunkerque.
Comme le nombre des immigrants allait toujours croissant,
Beyma et Collignon durent diriger sur Gravelines les réfugiés
d'Utrecht auxquels se joignirent ensuite ceux de Delft, de Rot-
terdam et d'Amsterdam. A la fin de février 1788, on comptait
tant à Saint-Omer qu'à Gravelines 1.025 familles secourues.
Bien qu'il y eut des femmes et des enfants, chaque famille ne
recevait que 10 livres par semaine pour subsister. Cette charge
étant trop lourde pour le trésor, Saint-Priest annonça à Colli-
gnon que le ministre des finances avait décidé de diminuer
de 700 livres par semaine le montant des subsides alloués.
La situation des Hollandais était au demeurant moins critique
après quelques semaines de séjour en France car beaucoup
exerçant un métier, avaient trouvé le moyen de se créer des
occupations lucratives. Parmi les immigrants, on comptait
des jardiniers, des laboureurs, 383 maîtres de métiers et 619 ou-
vriers. Certains étaient assez riches pour n'être pas pensionnés.
Abbema et Hogendorp, en demandant leur naturalisation,
firent valoir qu'ils n'avaient jamais touché d'allocation.
Au début d'avril 1788, 71.198 Hollandais auraient été répartis
334 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
à Saint- Venant, Béthune, Dunkerque et lilte, mais ce chiffre
est exagéré. En sortant de leur patrie, nombre de Hollandais
s'étaient dirigés ver.» la Belgique ou l'Allemagne; Joseph II
et Catherine II qui, par tous moyens, cherchaient à coloniser
certaines régions de leurs vastes empires n'avaient pas dû
Laisser échapper l'occasion d'attirer chez eux des hommes indus-
trieux et habiles. Quoiqu'il en soit, la France subventionnait
à ce moment un peu plus de 1.300 Hollandais et c'était là,,
pour un pays à finance ; obérées, une fort lourde charge.
Le marquis d'Osmond qui avait succédé à Saint-Priest dans
la charge d'intendant des Hollandais fit un voyage en Hollande
pour se rendre compte de la possibilité d'en renvoyer quelques-
uns chez eux. Il fut question de créir des colonies d'émigrants
en Gascogne, en Navarre et même en Amérique. On chercha à
utiliser la main-d'œuvre hollandaise ; nombre d'entre eux fuient
employés au creusement du canal d'Arqués.
Malgré tout, au 1er janvier 1789, le montant des subsides
payés aux Hollandais s'élevait à 910.000 livres ; cela ne les
empêchait pas de formuler de continuelles réclamations et pro-
testations contre des abus dont ils se prétendaient victimes.
A la fin de l'année, ils envoyaient même une députation à
Louis XVI, mais le roi refusa de la recevoir. Ces réfugiés hollan-
dais se querellaient entre eux ; ih formaient des clans et des
groupes, les uns tenant pour Beyma, les autres pour Walkenaër.
Contre le roi et la reine, les prêtres et les religieuses, les patriotes
portaient des accusations violentes et grossières. La révolution
brabançonne eut pour heureuse conséquence de débarrasser
le ministère français d'un assez grand nombre de réfugiés qui
partirent pour Gand. L'Assemblée nationale qui n'avait pas
le souci de subvenir aux besoins des réfugiés et d'examiner
leurs doléances ne voyait pas d'un mauvais œil les Hollandais.
Dans son rapport le Comité des finances déclarait « qu'il n'y
avait pas d'économies à proposer sur cet article et que la nation
ne pouvait que se plaindre de ce que les circonstances ne lui
permissent pas de plus grands sacrifices. » Non seulement
l'Assemblée ne songeait pas à mettre dehors les réfugiés hollan-
dais mais elle songeait à les établir dans un de nos ports. Ces
PATRIOTES HOLLANDAIS 335
dispositions à leur égard durèrent peu de temps ; au mois de
mai 1791 une députation envoyée par les Hollandais à l'Assem-
blée nationale ne fut pas reçue. Mais, d'Averhoult, ancien
régent d'Utrecht naturalisé français, ayant été nommé prési-
dent de l'Assemblée nationale, quelques réfugiés parmi lesquels
étaient Abbema et de Witt résolurent de profiter de cette cir-
constance pour déposer une pétition à la barre de l'Assemblée.
D'Averhoult leur fit un accueil gracieux et envoya leur péti-
tion au Comité de liquidation.
Lorsque la guerre éclata entre la France et les puissances
allemandes, un réfugié, le colonel Sternbach, créa une légion
batave, au mois de mai 1792 : on hésita à utiliser ses services
car le ministère craignait que son entrée en ligne ne déterminât
une déclaration de guerre de la part de la Hollande mais reve-
nant sur ses préventions, le 8 juillet 1792, le ministère proposa
officiellement à l'Assemblée la création d'une légion batave.
Peu après, se formait un comité « pour le rétablissement de la
liberté batave » ; bientôt, ce comité devenait le « Comité révo-
lutionnaire ». En province, à Boulogne, à Saint-Omer se for-
mèrent aussi des groupes de « sans-culottes hollandais ».
Ces comités, si avancés d'opinions qu'ils fussent, devinrent
suspects au Comité de Salut public ; quelques-uns de leurs
membres furent arrêtés ; l'un d'eux, de Kock fut même guillo-
tiné.
A cette époque le stathoudérat s'écroulait et les Hollandais
rentrèrent en grande partie chez eux. Abbema, de Witt,
Walkenaër demeurèrent fixés en France et beaucoup d'entre
les Hollandais imitèrent leur exemple.
TROISIEME PARTIE
LES SCANDINAVES EN FRANGE
SUÉDOIS ET DANOIS EN FRANCE
22
CHAPITRE PREMIER
Les Suédois en Frange
I. Les étudiants suédois à Paris et Orléans aux xive et xv* siècles. — II. Quelques
Suédois à Paris au temps de François Ier. — III. Jonas Hambrseus et la chapelle
de l'ambassade de Suède au xvne siècle ; nombreux voyageurs et étudiants. —
IV. Colbert attire des Suédois ; artisans et ingénieurs suédois à Versailles. —
V. Le banquier Hogguer ; quelques négociants suédois naturalisés au xvme siècle ;
savants à Paris. — VI. Officiers suédois dans l'armée française ; le Royal- Suédois.
— VII. Artistes suédois à Paris. — VIII. Marie-Antoinette et les Suédois ;
le salon de madame de Boufflers est le centre de la colonie suédoise à Paris.
Convertis au christianisme par Ansgaire, moine de Picardie
du ixe siècle, les Suédois reçurent de France les principes de la
civilisation. Des moines de Cîteaux fondèrent les premiers
monastères d'Alvastra et de Nydala ; des Prémontrés érigèrent
au xne siècle le couvent de Wâ. Après l'introduction du catho-
licisme et des ordres monastiques en Suède, se nouèrent des
relations entre elle et la France. Au contact des chevaliers,
les croisés Scandinaves adoucirent leurs mœurs et la chevalerie
s'implanta chez eux et se développa. Les Suédois abandonnèrent
leurs mœurs purement Scandinaves et adoptèrent celles de
France et d'Italie. Leur poésie fut influencée par les poèmes de
Chrestien de Troyes et les romans français. Au xme siècle,
aidé de dix compagnons, maître Etienne de Bonncuil, archi-
tecte de la Compagnie de Notre-Dame de Paris, édifia l'église
archiépiscopale d'Upsal.
Tandis que des Français gagnent l'Europe du Nord quelques
voyageurs suédois viennent en France et y résident. Stephan
340 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
d'Alvastra, premier archevêque d'Upsal, est consacré à Sens
en 1164 x. Le duc Erik, fils du roi Birger, vient au concile de
Vienne en 1312 ; l'archevêque d'Upsal, Heming, est à Paris
en 1320. Sainte Brigitte, dame d'honneur de la reine Blanche,
persuadée qu'elle est [appelée à apaiser les querelles entre Phi-
lippe de Valois et Edouard III, prie le Pape d'intervenir,
adresse au roi de France un ambassadeur pour lui conseiller
de signer la paix[^)ûîs Ment elle-même au concile de Vienne.
Elle exhorte le Pape à rentrer à Rome et continue son pieux
voyage jusqu'aux Saintes-Mariés. L'archevêque Nicolaus Rag-
valdi, élu médiateur entre Charles VII et le duc de Bourgogne,
assiste au congrès d'Arras, en 1435 2.
Ces voyageurs repartent sans doute pleins d'admiration
pour le royaume de France mais, à raison de la brièveté de
leur séjour ils sont moins imprégnés de notre culture
que les étudiants qui y demeurent plusieurs années. Dès
1280, des Suédois sont inscrits à l'Université de Paris ;
ils y viennent si nombreux qu'un de leurs archevêques rédige,
en 1291, des statuts pro Scholaribus parisiensibus. Ces jeunes
hommes disposent à Paris de trois collèges : celui d'Upsal,
situé rue Serpente, le collège de Se ara et celui de Linkôping,
situé dans la rue du Mont-Saint-Hilaire. Très fréquentés jus-
qu'à la fin du xive siècle, ces collèges se vidèrent alors d'étu-
diants suédois. La nation allemande, à laquelle ils étaient
agrégés, louait à son profit les immeubles jadis donnés aux Sué-
dois ; elle y concédait de temps à autre un logement à des étu-
diants Scandinaves.
Des Suédois ayant étudié à Paris, l'histoire a retenu quelques
noms : André, Conrad et Lorenz de Suède, Mathias Lorensen,
chanoine d'Upsal, Jean Nicolas, natif de la même ville et qui
fut procurateur de la nation allemande en 1357, Brynolf de
Scara, évêque et remarquable constructeur de ponts. De ces
étudiants, quelques-uns enseignèrent à Paris la philosophie et
1. N. Soderblom, La consécration de Stephanus Jer, archevêque d'Upsal, dans la
cathédrale de Sens en 1164, dans Bulletin de la Société archéologique de Sens, t. XXIX,
p. 127.
2. A. Strindberg, Les Relations de la France avec la Suède jusqu'à nos jours.
Esquisses historiques. Paris, 1891, chapitre i.
ÉTUDIANTS SUÉDOIS AU M&m3>È AGE $41
les arts libéraux. Lorenz et André deèSt&fc-btaM^érent une
chaire au milieu du xive siècle K ^ oàvB'ig ïmtè bup À
L'Université d'Orléans abrita égalemM^iine colonie d'étu-
diants suédois. Si l'on connaît nomi natr^&ntë lit ^rèVpiëuJ ^l'entre
eux, des documents variés prouvent àV&clqiMUï assiduité ils
venaient étudier le droit dans cette célèbre ée^fe)^ noitoubs'iJ
Paitant pour la Terre-Sainte, Henri de Lihko$irig "fît son testa-
ment à Maiseille en 1283. Il légua diverses sommes à quelques-
uns de ses compatriotes fixés à Orléans. Sous la date de 1307,
un chanoine d'Upsal, le Frère Jean, prend ses dispositions
à cause de mort et choisit son tombeau dans le couvent des
Dominicains d'Orléans. A en juger par son testament, la colonie
suédoise y est alors importante car parmi ses exécuteurs testa-
mentaires figurent son frère Nicolas, chanoine de Straengnaes
et Bsrn, chanoine d'Upsal. Au nombre des témoins sont men-
tionnés Nicolas Magnus et son frère Ingivaldus ainsi que Johannes
Duus, Alfinus, chanoine de Hamar, en Norwège, puis Jean
Ulfstorp.
Si l'on en croit une légende, saint Nicolas Heimann, précep-
teur des enfants de sainte Brigitte aurait séjourné à Orléans
de 1350 à 1355 et y aurait été reçu docteur en droit. Eric Tobiae,
Suédois, fut procurateur de la nation germanique, antérieure-
ment à l'année 1384.
Si les archives de l'université d'Orléans ne révèlent que peu
de noms d'étudiants suédois durant les siècles du moyen-âge,
il est cependant indubitable qu'ils y constituaient un groupe
compact. Au début du xixe siècle, un archéologue français
découvrit dans un ancien cimetière de la ville une épitaphe
écrite en caractères runiques et datant du xive siècle. A diverses
reprises, on a étudié ce texte mentionnant que Jean le Chré-
tienne, originaire de Sudermanie, bourgeois d'Orléans, a donné
à l'abbaye de Bonneval une maison sise rue Sainte-Catherine,
de i'aigent au cimetière et est mort en 1384. Ses frères de Suder-
1. A. Geffroy, Les étudiants suédois à Paris au XIV9 siècle, dans Revue des
Sociétés savantes, année 1858, p. 659. La liste de ces étudiants concerne surtout
des Danois. — A. Budinszkv, Die Universitat Paris und die Fremden..., p. 62
et s.
342 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
manie, étudiants à Orléans, lui avaient élevé un monument sur
lequel était gravée cette inscription K
Les Suédois constituaient certainement à Orléans un groupe ;
en formaient-ils un autre dans la célèbre université de Mont-
pellier. On serait porté à le croire d'après un passage d'une
traduction suédoise de la vieille ballade du Chevalier au lion.
Ce poème nous fait assister au combat d'un chevalier et de deux
monstres, engeance du diable ; le chevalier est prêt à succomber
quand son lion fidèle lui vient en aide en donnant aux monstres
des coups tellement forts que les blessures ne pourraient jamais
être guéries, pas même par les docteurs de Montpellier. Or, fait
intéressant, les docteurs de Montpellier ne sont mentionnés
que dans le texte suédois, ce qui laisserait supposer que dès
l'année 1303, date de la traduction de la ballade, des Suédois,
anciens élèves des écoles de Montpellier, avaient répandu dans
les contrées du Nord la réputation de l'Université languedo-
cienne a.
Les désastres de la France pendant la guerre de Cent Ans,
les troubles qui résultèrent de l'occupation du royaume par les
Anglais, la fondation de l'Université d'Upsal retinrent chez eux
les Suédois pendant le règne de Charles VI. Au xve siècle les
discordes intestines et les dissensions qui agitèrent les pays
Scandinaves ne favorisèrent pas le développement des études
et les jeunes hommes originaires de la Suède ne vinrent pas
étudier dans nos universités.
Les trois royaumes, Danemark, Norwège et Suède avaient
été jéunis sous un même sceptre par la reine Marguerite. Le
21 juillet 1397 était signé à Calmar un acte d'union entre les
pays Scandinaves. Cette Union de Calmar fut cause de mille
maux pour la Suède ; elle fut gouvernée par des intendants
étrangers qui la pressurèrent au nom de rois, parfois indignes.
Le dernier qui régna sur l'Union fut Christian II, souverain
1. Docteur Erik Brate, Une épitaphe en caractères runiques à Orléans, dans
Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, t. XXXI, année
1917. Ce mémoire est suivi de Notes historiques de M. le processeur Schuck sur les
étudiants suédois à Orléans.
2. Comte F.-L. Wrangel, Voyage en France d'Oxenstiern. Paris, 1917, p. 11.
PREMIÈRES RELATIONS POLITIQUES FRANCO-SUÉDOISES 343
impopulaire que le Danemark déposa et à la servitude duquel
Gustave Vasa arracha la Suède. Le 7 juin 1523, la diète de
Strengnâs élisait roi Gustave Vasa ; l'Union de Calmar était
rompue après une existence de 126 ans ; la Suède était libérée
et ses relations avec la France, très longtemps interrompues,
allaient être renouées. Pendant plus d'un siècle la Suède, de
son plein gré, fut comme le bras droit de la France. Contre
les envahissements de Charles-Quint, Gustave Vasa fut l'allié
fidèle de François Ier ; contre Ferdinand II, Gustave-Adolphe
devint le glorieux instrument de Richelieu.
II
Gustave Vasa avait introduit la Réforme en Suède. Fidèle
à la politique d'union avec les princes luthériens qu'il avait
inaugurée, François Ier accueillit les propositions d'alliance
entre la France et la Suède. En 1541, Gustave adressait au roi
François Ier Franz Trebow son secrétaire pour lui demander de
conclure avec lui un traité de commerce et d'union. Trebow fut
reçu à Fontainebleau ; à la suite de l'audience royale, Chris-
tophe Richers fut désigné pour « s'informer sur la Suède »,
pays qui était alors presque totalement inconnu des Français.
A la suite des renseignements recueillis, Trebow fut de nouveau
reçu au Blanc ; une ambassade fut envoyée à Gustave III et
le 1er juillet 1542, était signé le traité de Ragny réglant les rap-
ports d'amitié des deux royaumes.
Le traité de Ragny est le premier de la série des conventions
destinées à nsserrer les relations franco-suédoises. A dater de
l'année 1512, exception faite de courts intervalles, elles furent
empreintes de cordialité et la Suède, dans la lutte contre la
maison d'Autriche, demeura notre fidèle alliée. Valois et Bour-
bons, par des subsides importants surent s'attacher 1rs souve-
rains du Nord; ils constituèrent en Suède un parti français
m rémunérant les bonnes volontés des sénateurs et à diverses
344 " LES ÉTRANGERS EN FRANCE
reprises, par l'intermédiaire de leurs habiles diplomates, ils
réussirent à aplanir des difficultés entre Suédois et Allemands,
Russes, Polonais ou Danois.
Plusieurs fois, au cours du xvie siècle, furent renouvelées
les stipulations du traité de Ragny ; d'autres circonstances
permirent à la Suède et à la France de se rapprocher d'une ma-
nière plus intime.
Ne voulant qu'esquisser de très brève manière les rapports
franco-suédois au xvie siècle, je m'éloignerais de mon dessein
si j'entreprenais de narrer les dissensions que provoqua en Suède
la manière dont Gustave Vasa avait réglé sa succession. Je dois
cependant rappeler que ce libérateur étant mort en 1560,
son fils Erik XIV lui succéda. Il se conduisit de manière indigne
et ses frères le détrônèrent en 1568 puis l'emprisonnèrent.
Notre ambassadeur Danzay, désireux de profiter des discordes
intérieures, posa la candidature du duc d'Anjou au trône de
Suède mais, un second fils de Gustave Vasa, Jean, duc de Fin-
lande, fut élu par la Diète et le futur Henri III, à l'établissement
duquel songeait Catherine de Médicis, devint roi de Pologne.
Danzay ne se découragea point et pensa un moment réunir sur
la tête du duc d'Anjou les couronnes de Suède et de Pologne
en travaillant à son union avec Elisabeth, fille de Gustave
Vasa. Danzay, par son habileté, avait su porter haut le nom de
son maître. On s'en aperçut en 1583. Erik XIV avait été très
probablement empoisonné dans sa prison, à l'instigation de son
frère Jean. Gustave, fils du roi déchu, s'enfuit de Suède, erra
misérablement en Europe, exerçant même les plus vils métiers *
il comptait cependant des partisans qui voyaient en lui l'héri-
tier légitime de Vasa. Exilés, ces derniers se réfugièrent auprès
de Henri III et réclamèrent de lui aide et protection ; ils souhai-
taient son appui pour rétablir sur le trône le petit-fils infortuné
de Vasa. Les soucis de Henri III lui laissèrent peu de loisir
pour s'occuper des affaires de Suède mais son successeur reprit
avec les souverains du Nord les relations momentanément
suspendues. A ses côtés combattirent quelques Suédois luthé-
riens ; à te Suède, Henri IV acheta boulets et munitions et sous
son règne on tenta de réaliser de manière tout intime le rappro-
LE PASTEUR JONAS HAMBRAEUS 345
chement des deux couronnes. Des pourparlers furent engagés
avec le roi de Suède, Charles IX, pour allier la maison de Rohan
avec Catherine fille du souverain Scandinave. Charles IX ne se
prêta pas aux combinaisons dé Henri IV mais, nonobstant
le refus qu'il opposa au roi de France, les relations des deux
pays ne furent pas troublées. A diverses reprises des ambas-
sades suédoises furent dépêchés en France ; en l'année 1610,
quelques semaines avant l'assassinat de Henri IV, arrivaient
à Paris Abraham Leijonhulvud, Olof Stràle et Jacob Dyk.
Ces envoyés avaient mission de solliciter l'admission de la Suède
dans l'alliance franco-anglaise et de remercier le roi Henri IV
de la permission qu'il lui avait donné de lever des troupes dans
son royaume. La mort du roi interrompit ces pourparlers.
Avec Gustave-Adolphe s'ouvre la période la plus brillante de
l'alliance de la Suède avec la France. Tout a été dit depuis Voi-
ture sur la manière dont « Richelieu fut chercher jusque sous le
pôle ce héros qui semblait être destiné à mettre le fer à ce grand
arbre de la maison d'Autriche et à l'abattre ». Les rapports de
la France avec la Suède depuis le traité de Berwalde jusqu'à
celui de Westphalie sont trop connus pour qu'on les relate
une fois encore. L'étroite union des deux pays eut une influence
directe sur l'immigration suédoise en France. Dès la fin du règne
de Henri IV, quelques sujets de Charles IX avaient réappris
le chemin de notre pays ; à dater de l'alliance de Richelieu et
de Gustave-Adolphe une foule de Scandinaves se dirigent
vers Paris. Au xvne siècle, ils se groupent autour de Jonas
Hambraeus comme ceux de la fin du xvme siècle se grouperont
autour de Madame de Boufïlers.
III
Jonas Hambraeus naquit en 1588 a Hambre, modeste village
de la province de Helsingland, sur le golfe de Bothnie. Protégé
par des pasteurs de son pays, il fut envoyé à l'université d'Up-
346 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
sal ; ordonné pasteur en 1614 il soutenait, deux ans après,
une thèse de doctorat sur un sujet de philologie hébraïque.
Nommé professeur à Greiswald, il était, après un passage de
quelques années à Rostock, promu au grade de maître d'hébreu
à Upsal. En 1626, il cumulait cette charge avec celle de prédi-
cateur de la cour de Gustave-Adolphe. Ces fonctions ne le
retinrent pas en Suède. Ayant cette année même, trouvé une
occasion de voyager au loin, il la saisit et partit avec son élève
Eric Broderson Rhàlamb pour accomplir un tour d'Europe.
Tous deux arrivèrent à Paris avec l'intention d'y séjourner
trois mois avant de se rendre en Italie mais les circonstances
furent telles que Jonas Hambraeus demeura en France pendant
quarante-six ans h
A peine arrivé, Hambraeus, que ses travaux antérieurs sur
les langues sémitiques avaient rendu célèbre, fut nommé par
Louis XIII professeur extraordinaire du roi es langues hébraïque,
syriaque et arabique en V Université de Paris. Il justifia la faveur
royale en publiant une traduction latine des Epistres de saint
Jean en arabe et la Passion de Notre-Seigneur selon les quatre
Evangélistes en syriaque. Il est également très probable qu'il
collabora à la publication de la Bible polyglotte entreprise sous
les auspices de Michel le Jay, avocat au Parlement de Paris.
Comme philologue, Jonas Hambraeus serait sans doute
digne de n'être pas oublié mais comme pasteur, son souvenir
est digne d'être conservé car il a tenu un rôle de premier plan
en France. On était alors au début de la guerre de Trente Ans,
c'est-à-dire à l'heure où Louis XIII et Gustave-Adolphe allaient
s'unir. Les luthériens allemands et suédois, civils ou militaires,
étaient nombreux à Paris. Or, ils ne pouvaient aisément assister
à leurs offices car il leur fallait se rendre au temple de Charenton
qui, après avoir été brûlé au cours d'une émeute, avait été
réédifié en 1623. Dès le 1er décembre 1626, quelques semaines
seulement après son arrivée à Paris, Hambraeus adressait
1. J. Pannier, Jonas Hambrœus, prédicateur du roi de Suède, professeur à l'Uni-
versité de Paris (1588-1672). Paris, 1913. Avant la publication de cette étude,
J. Hambrœus avait été presque totalement oublié comme philologue et comme
fondateur de l'Église luthérienne de Paris.
JONAS HAMBRAEUS ET LES SUÉDOIS 347
à tous ses coreligionnaires, au vu et su de Richelieu, une note
leur indiquant qu'il se tenait à leur disposition pour la célé-
bration du culte luthérien. Pendant trois ans, les cérémonies
eurent lieu chez divers ambassadeurs ou dans la maison du
pasteur suédois puis, le 13 février 1630, Hambraeus recevait
de Louis XIII l'autorisation officielle de réunir les luthériens
de Paris désireux d'assister à ses prédications. Le lieu des pre-
mières assemblées est demeuré inconnu mais il est à croire
qu'elles se tenaient à la chapelle de l'ambassade de Suède ;
elles réunissaient Allemands, Suédois, Danois et quelques
Anglais. Les paroissiens d'Hambraeus étaient nombreux si
l'on en juge par les signatures apposées sur un registre conservé
<lans les archives du Consistoire luthérien de Paris. Monté par
les soins de Jonas Hambraeus, ce document était analogue
aux livres d'or présentés aux personnages notables visitant
une institution ; sans doute, aussi, servait-il à commémorer
le souvenir de don » faits à la chapelle luthérienne par les parois-
siens du savant pasteur. Ce registre s'ouvre à l'année 1626 et se
clôt à l'époque de la révocation de l'Édit de Nantes. Au cours
de cette période de soixante ans, 3.580 visiteurs étrangers
apposèrent leur paraphe, leur sceau ou leurs armoiries sur le
vénérable parchemin.
S'il est curieux de voir le roi de France autoriser les luthériens
à célébrer publiquement leur culte à Paris, il est plus piquant
encore de constater qu'il subventionna Hambraeus pour servir
d'aumônier militaire protestant auprès des « corps de cavalerie
et infanterie étrangères ». Un ouvrage d'Hambraeus, publié
en 1655, sous le titre de Y Eschauguette, nous apprend qu'il
était « prédicateur de l'armée allemande au service de S. M.
très chrétienne ».
La faveur dont Hambraeus avait joui sous le règne de
Louis XIII lui fut maintenue sous Louis XIV. Ses privilèges
personnels lui lurent confirmés. Jusqu'en 1658, le savant orien-
taliste mena à Paris une paisible existence partagée entre
lV\ercice de son ministère et les études. Il correspondait avec
les grands de son pays et notamment avec Wrangel, le ministre
de Christine de Suède. C'est par son intermédiaire que Duquesne,
348 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
dont le père avait servi sur les flottes suédoises et qui lui-même
avait pris du service dans la marine de Christine, recevait les
lettres qui lui parvenaient de Suède l. A Paris, la chapelle
d'Hambraeus était le centre de la colonie suédoise ; il recevait
avec courtoisie ceux qui séjournaient dans la capitale et parfois
même leur prêtait de l'argent. S'étant, un jour, imprudemment
porté caution de quelques gentilshommes suédois qui ne payèrent
pas leurs dettes, Hambraeus fut condamné par un arrêt du
Parlement de Paris. Il échappa a la prison mais sa riche biblio-
thèque fut vendue à vil prix et dispersée. Nonobstant ces adver-
sités, Hambraeus continua ses travaux d'érudition et en 1672,
quelques mois avant sa mort, il publiait des traductions d'œuvres
arabes et syriaques. Dans Y Avertissement aux Epitres de saint
Jean en arabe, dont il donnait une édition nouvelle, Hambraeus
remerciait Louis XIV de la protection qu'il lui avait accordée.
Il a, écrit-il, jugé utile de revoir un travail qui « n'a jamais
esté plus de saison qu'à présent que tant de personnes, principa-
lement ecclésiastiques estudient ces langues et que le nom fran-
çois s'est rendu si célèbre dans tout l'Orient où nostre incompa-
rable monarque dont la piété aussi grande que cette valeur
avec laquelle il n'a qu'à venir et à voir pour vaincre, entretient
tant de prédicateurs apostoliques pour y restabhr la foi et la
religion chrétienne. »
Si l'on veut avoir une idée de l'affluence des Suédois voya-
geant en France sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV,
il n'est que de parcourir le registre tenu par le pasteur Ham-
braeus. L'une des premières signatures que l'on y relève est
celle de son élève Eric Brodersson ; arrivé à Paris, ce jeune
homme y mourut en 1635. L'ambassadeur de Suède, le célèbre
Grotius, l'avait reçu dans sa propre maison et c'est lui qui
infoima Axel Oxenstiern, oncle de Brodersson de la maladie
et du décès du disciple d'Hambraeus 2.
En 1638, Charles-Gustave, qui devint roi de Suède sous le
1. Jal, Abraham Duquesne, t. I, p. 146. — A. Geffroy, Notices et Extraits des
manuscrits concernant l'histoire ou la littérature de la France qui sont conservés dans
les bibliothèques ou archives de Suède. Paris, 1856, p. 382.
2. H. Grotii epistolœ. Amsterdam, 1687, p. 144 et 147.
AXEL OXENSTIERN EN FRANCE 349
nom de Charles X, réside six mois à Pans, il y revient encore
en 1639 ; son frère cadet, Adolphe- Je an, passe également
quelque temps dans la capitale. Il n'est feuillet du registre
d'Hambraeus qui ne mentionne le nom de quelques Suédois
notoires : Eric, Benedictus, Gustave Oxenstiern, neveux du
chancelier Axel, Andréas Torstenson, des membres de l'illustre
famille Brahé. En 1657, le baron de Sparre est à Paris, il s'y
prend de querelle avec un Hollandais et le tue en combat sin-
gulier l. En 1666, Gabriel Oxenstiern, Per Olafïson' d'Upsal
visitent Paris. Lors de son séjour à Paris, Leibnitz S2 lie avec un
Suédois, Anke Roland, gentilhomme d'un caractère incorrup-
tible qui s'occupait dans sa patrie de la police et des finances
et dont le philosophe eut « le bonheur d'admirer le génie élevé »
et « la curiosité presque universelle, surtout en mathématiques
et en histoire » 2.
Des Suédois célèbres qui apposèrent leur signature sur le
registre d'Hambraeus, il en est un qu'on ne saurait passer sous
silence ; Axel Oxenstiern, régent de Suède, entreprit en 1635
un voyage politique dont les détails sont désormais connus
au jour le jour, le livre de dépenses du chancelier ayant été
retrouvé dans les archives du château de Tidô par le comte
Wrangel qui l'a publié 3.
On se rappelle à quelle occasion fut effectué le voyage du chan-
celier suédois. Gustave-Adolphe avait été tué à Lutzen et
Oxenstiern élu directeur général des intérêts politiques et
militaires de la ligue protestante contre l'Empereur et les
États catholiques d'Allemagne. La mort de Gustave-Adolphe
n'avait pas modifié la situation prépondérante de la Suède
en Allemagne quand survint la funeste bataille de Nordlingen,
le 27 août 1634. Cette défaite porta un coup terrible aux confé-
dérés protestants. Oxenstiern se rendit compte de leur décou-
ragement et résolut de solliciter de la France une intervention
armée. Jusqu'alors Richelieu n'avait soutenu les protestants
1. P. Faugère et E. MarilHcr, Voyage de deux Jeunes Hollandais, p. 116.
2. L. Davillé, Le séjour de Leibnitz à Paris, dans Revue des Etudes historiques,
janvier 1912, p. 17.
3. Comte U.-F. Wrangel, Voyage en France d Oxenstiern, passim.
350 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
qu'à l'aide de subsides. Pour réaliser ses projets Oxenstiern
envoya comme ambassadeur à Paris Hugo Grotius, mais il
n'était point personne agréable au Cardinal. Les pourparlers
traînant en longueur, Oxenstiern se décida à venir conférer
avec lui. De Worms où il résidait, le chancelier partit le
1er avril 1635. Il était accompagné d'un interprète, d'un
caissier, de commis de chancellerie, de médecins, pharmaciens,
vétérinaires, écuyers ; sa suite comprenait plus de deux cents
personnes.
Oxenstiern séjourna au palais de Compiègne. Il fut reçu
par Louis XIII, Anne d'Autriche et Richelieu. Au cours des
conférences tenues avec le Cardinal et les autres grands per-
sonnages fut probablement décidée l'intervention armée de la
France contre l'Empereur. Le 30 avril, Oxenstiern quittait
Compiègne mais au lieu de se rendre directement à Dieppe
afin de s'embarquer, il revint sur ses pas et s'achemina vers
Paris qu'il ne connaissait point; il y voulait voir ses neveux
et les ramener en Suède avec lui. Bien qu'il ne fût jamais venu
en France, son nom y était si connu qu'en 1633, son fils aîné,
élève de l'Académie, écrivait à son père : « Votre nom est grand
ici et il est presque claironné partout. » Aussi, le chancelier
de Suède fut-il reçu avec enthousiasme ainsi que la suite qui
l'accompagnait. L'élan du peuple n'eut pas à se soutenir lon-
guement car Oxenstiern ne demeura que trois jours à Paris ;
le 5 mai, il regagnait Dieppe en passant par Rouen. Il descendit
chez un Hollandais, Hoeufït, parent du banquier Jean Hoeufft,
chargé par le gouvernement suédois d'encaisser les subsides
que la France versait à la Suède.
Un nom manque sur le registre d'Hambraeus, celui de la
reine Christine. Tandis que le pasteur exerçait son ministère
à Paris de graves événements s'étaient déroulés en Suède.
Après vingt-deux ans de règne, la fille de Gustave-Adolphe
avait abdiqué puis était sortie de son royaume pour commencer
une vie d'aventures et de voyages. En 1656 elle abjurait la reli-
gion luthérienne, se rendait à Rome, puis quittant la ville
pontificale, elle venait à Paris pour la première fois. Partie de
Civita-Vecchia, elle débarquait à Marseille et arrivait le 4 sep-
CHRISTINE DE SUÈDE EN FRANCE 351
tembre à Fontainebleau après avoir traversé Aix, Avignon,
Lyon et Dijon. Partout, la reine reçut un accueil chaleureux ;
harangues en prose et en vers, discours, panégyriques, en fran-
çais, en latin, célébrèrent à Fènvi la grandeur de son règne
et la protection qu'elle avait marquée aux lettres, aux arts
et aux sciences.
Par deux publications, parues en 1655, Jonas Hambraeus
avait contribué, lui aussi, à répandre le haut renom de la reine
de Suède. La première, dédiée à Louis XIV a pour titre l'Es-
chauguette. Malgré son appellation, cette traduction d'un ouvrage
latin n'est point une œuvre militaire ; c'est une notice détaillée
sur la géographie, l'histoire et les principales familles de la
Suède. La seconde publication d'Hambraeus est également
la traduction d'un ouvrage de Freinshemius, professeur à l'Uni-
versité de Strasbourg ; elle est intitulée : Harangue panégyrique
à la vertu et V honneur de la sérénissime princesse et dame, Madame
Christine, reine de Suède.
Bien qu'Hambraeus ait ressenti une vive douleur en appre-
nant la conversion de Christine, il vint la saluer à Fontaine-
bleau ; il arriva sans doute avec elle à Paris, le 8 septembre 1656.
Tout a été dit sur le séjour de Christine à Paris et sur la manière
dont elle fut reçue. Une véritable collection de souvenirs impri-
més relatent ses actes et Madame de Motte ville a dans ses
Mémoires conservé de savoureux détails sur Christine de Suède.
Après avoir passé quelque temps à Paris, la reine se rendit
à Compiègne. « De là, cette amazone suédoise prit des canosses
de louage que le roi lui fit donner et de l'argent pour pouvoir
hs payer. Elle s'en alla, suivie de sa chétive troupe, sans train,
sans grandeur, sans lit, sans vaisselle... » écrit Madame de
Motteville *.
Au vrai, sa suite de Suédois était peu importante ; par son
abjuration la reine avait détourné d'elle ses anciens sujets.
Christine était surtout entourée d'Italiens et de Flamands ;
seuls quelques compatriotes la suivaient à Turin. Malgré l'en-
thousiasme qu'on lui avait manifesté, Christine s'était montrée
1. F. Gribble, The court of Christine of Sweden. Londres, 1913. — A. Franklin,
Christine de Suède et l'assassinat de Monaldeschi. Paris, 1912.
352 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
peu aimable, elle s'était livrée à des excentricités, son départ
ne laissa que peu de regrets. Aussi, l'année suivante, la vit-on
revenir avec déplaisir. « La reine de Suède, sans être souhaitée
et quasi malgré le roi, vint faire un second voyage en France
qui ne lui réussit pas aussi bien que le premier. Elle fut con-
trainte, par l'ordre qu'elle en reçut, de s'arrêter à Fontainebleau
où elle s'ennuya beaucoup... » dit Madame de Motteville.
Ce fut pendant ce second séjour que Christine fit assassiner
Monaldeschi. Malgré le désir qu'elle manifesta à diverses reprises
de revenir à Paris, Mazarin lui fit comprendre que sa présence
n'y était pas possible après cet assassinat ; la reine-mère se
refusait à la recevoir et contre Christine, au cas où transgressant
les ordres de la cour, elle serait venue dans la capitale, on avait
préparé un pamphlet très violent : La Métempsycose de la reyne
de Suède }. Dans ce libelle on lui prêtait plusieurs âmes succes-
sives, celle de Sémiramis d'abord puis enfin, celle de la folle
Mathurine 2. Le 20 décembre 1657, Christine quittait Fontaine-
bleau pour Bourges afin d'y passer les fêtes de Noël. Comme suite
« elle avait dressé un leste train de douze gentilshommes, seize
pages, vingt valets de pied, vingt-quatre Suisses » 3.
Les jeunes Suédois venant en France n'entraient pas tous
dans les Académies pour y apprendre seulement l'art de l'équi-
tation et du bien danser. Au xvne siècle, quelques-uns étudient
les beaux-arts : Raimond Faltz le médailleur, avait travaillé à
Paris ; d'autres suivent les leçons des maîtres des facultés de
province et font imprimer leurs livres dans la capitale. Boeder
y publie en 1667 Ossa post Offami; Figrelius Leijonsterna, doc-
teur en droit de l'Université d'Orléans, publie dans cette ville
une étude sur Pompée 5. A la célèbre école d'Orléans, les Sué-
dois sont nombreux ; sur les registres d'immatriculation des
étudiants on note fréquemment leur présence au xvne siècle.
Jean-Frédéric de Ow est procurateur de la nation allemande
1. Voyage de deux jeunes Hollandais, p. 369.
2. J. Mathorez, Notes sur maître Guillaume. Extrait de la Revue des Livres anciens.
Paris, 1913.
3. Voyage de deux jeunes Hollandais, p. 377.
4. A. Strindberg, Les Relations de la France avec la Suède, p. 160.
5. Id., Ibid., p. 160.
SUÉDOIS EN FRANCE AU XVIIe SIÈCLE 353
en 1626 \ Marc Giôe remplit les mêmes fonctions en 1655 2
et André Helmersen est élu au même poste douze ans plus
tard 3. Freinshemius, l'auteur du Panégyrique de Christine de
Suède professe à Strasbourg. Parfois quelque Suédois se fixe
en France, tel Urban Hjàrne, médecin à Angers qui publie
dans cette ville un traité sur l'obstruction des vaisseaux lacti-
fères 4.
Sur tous ces jeunes hommes, Paris exerce une fascinante
attraction ; ils admirent la France sans réserves ; un arrière-
petit-neveu du grand chancelier Oxenstiern est véritablement
l'interprète de ses compatriotes lorsqu'il écrit dans ses Pensées
sur divers sujets : « Enfin, me voici en France, la plus béai
royaume de l'Europe ! C'est un pays où les Muses résident,
où les Sciences habitent, où Mars tient son école et la religion
catholique est dans son lustre. La civilité est comme naturalisée,
l'honnêteté fleurit, la justice agit et la clémence brille dans ce
merveilleux pays où la nature a prodigué ses libéralités. Heureux
pays ! la patrie des étrangers et l'asile des grands princes malheu-
reux ! Le bon \in y fait chanter, la bonne chère y est accompa-
gnée par de bons mots » 5.
IV
Lorsqu'on étudie l'histoire de la pénétration des étrangers
en France, il faut toujours en revenir à Colbert. Ce protecteur
des forains industrieux introduisit dans le royaume des Suédois,
^génieurs ou artisans.
Au xvne siècle, la France ne possède pas de manufactures de
brai et de goudron, produits nécessaires pour la construction
1. Arch. dép. du Loiret, D 218, f° 284.
2. Ibid., D 221.
3. Ibid., D 221, f° 478.
1 Dv obslruclione lacteorum vasorum pro summis in med. honoribus. Andcgavi,
1670.
5. Comte F.-U. Wrangcl, Voyage d' Oxenstiern à Paris, p. 15.
J.i
354 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
des navires, la fabrication des cordages et la conservation des
voilures. Pour créer cette industrie Colbeit fait appel à des
Suédois. Elias Asse vient du Nord en 1665. Il amène avec lui
deux valets et touche 640 livres pour ses frais de déplacement.
Ce « maistre brusleur de goudron » reçoit encore la même année
de nouveaux subsides pour « traitter de maladie les deux valets
qu'il a amenez avec lui, instruits à brusler le goudron », les
habiller et leur donner des gages *. Quatre ans plus tard, Elias
Asse est directeur général de la manufacture de goudron installée
dans le Médoc et en « considération de l'établissement qu'il a
fait et de ce qu'il se marie pour y demeurer », il reçoit une grati-
fication de 3.000 livres 2. Colbert suit de près les progrès de sa
manufacture et le 21 juillet 1669, il écrit à Dumas, intendant
de la marine au Havre : « La manufacture de goudron estant
établie depuis quatre ou cinq ans en divers endroits du royaume
par les soins que le roy a pris de faire venir des ouvriers de Suède,
il ne faut plus à présent s'en servir d'autre » 3. Des « calfats »
suédois furent sans doute attirés à Toulon car si l'on en croit
une tradition de famille, l'amiral Truguet descendait d'un maître
calfat suédois établi à Toulon 4.
Les Suédois sont excellents métallurgistes ; ils excellent dans
l'art de fondre et d'ouvrer le cuivre, ils sont également habiles
à découvrir les mines de fer ou de cuivre. Colbert fait appel
à leur expérience.
Dès qu'on ouvrait un puits, les Suédois pouvaient affirmer,
si l'on en croit Pennautier, quelle serait la richesse ou la pau-
vreté des filons. Aussi le trésorier des États du Languedoc
suppliait-il « très humblement Monseigneur Colbert de faire
venir de Suède un homme de cette espèce » qui découvrirait
des mines nouvelles dans les Cévennes. On lui avait assuré
qu'en Franche-Comté et en un lieu nommé Chasteau Lambert,
il y avoit un de ces gens-là qui s'appelait le Grand Corps. »
Le contrôleur général fit venir cet étranger et Pennautier crut
1. J. Guiffrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. I, p. 101.
2. Id., Ibid., t. I, p. 369.
3. Clément, Correspondance de Colbert, t. III, p. 149. Lettre du 21 juillet 1669.
4. J. de Martineng, Notice sur l'amiral comte Truguet. Extrait du Bulletin de
l'Académie du Var. Toulon, 1899.
COLBERT ET LES INGÉNIEURS SUÉDOIS 355
à ses prédictions au sujet des mines de Cals dans l'Ariège. Elles
devaient être exceptionnellement abondantes mais après quatre
ans d'essais on renonça à les exploiter car elles ne rapportaient
pas de quoi rémunérer les ouvriers l.
A ces tentatives malheureuses de l'exploitation des mines de
Cals se rattache l'histoire des deux frères Besche. Ils étaient
Suédois. L'aîné avait été placé à la tête d'une fonderie de canons
en Nivernais 2. En 1666, il avait pris la suite de deux fondeurs
que l'on avait indemnisés. Pour contribuer à l'extension de sa
fonderie de canons de fer et de sa manufacture d'acier et de fil
de laiton, Louis XIV avait attribué à Besche et aux ouvriers
suédois une subvention de 7.593 livres ; on lui avait également
concédé la terre de Drambon pour construire une fabrique.
L'entreprise de Besche ne prospéra point et en 1676 la propriété
de Drambon rentrait dans le domaine royal.
Le frère cadet de Besche avait été appelé à diriger les mines
de Cals. Colbert fondait beaucoup d'espoir sur lui et les Suédois
qui l'avaient accompagné en France. A l'ingénieur de la Feuille,
se rendant en Languedoc, au mois de juin 1669, le ministre remet-
tait une longue instruction pour lui faire connaître que le sieur
de Besche et divers ouvriers travaillaient dans la montagne
de Foix et se proposaient ensuite de se rendre dans le Rouergue 3.
i II faut, écrivait Colbert, examiner tous les ouvriers suédois
qui travaillent avec le sieur de Besche et comme l'on assure qu'il
y en a un entre les autres qui est excellent et qui donne toutes
les lumières au sieur de Besche, il faut travailler doucement
à leur persuader de faire venir leurs femmes en France et per-
suader au dit sieur de Besche d'écrire encore en Suède pour faire
venir d'autres ouvriers 4. » Colbert, toujours poursuivi par l'idée
de fixer dans le royaume les habiles artisans, revient à son idée
première et mande à Besche : « Je souhaiterai bien que vous
fissiez en sorte que les meilleurs ouvriers que vous avez amenés
avec vous fissent venir leurs femmes et leurs enfants pour s'éta-
1. Dcpping, Correspondance administrative sous Louis XIV, t. III, p. 804.
2. J. Guifïrey, Comptes des Bâtiments du rot, t. I, p. 233, 274, 287.
3. P. Clément, Lettres de Colbert, t. IV, p. 326.
4. Id., Ibid., t. IV, p. 329.
356 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
blir en France et que vous en fassiez venir encore d'autres. »
Le roi, ajoutait-il, se charge de toutes les dépenses *.
Malheureusement les Suédois étaient peu enclins à former
des apprentis. Dalliez de la Tour reprochait à ceux qui travail-
laient à Cals « l'aversion qu'ils avaient à instruire nos gens de
leurs connaissances ». Lorsqu'ils procédaient à la charge des
hauts-fourneaux, ils écartaient les Français et les empêchaient
de « discerner le bien ou le mal de cette fusion de matière ferru-
gineuse » 2.
Après la mort de Colbert, les surintendants des bâtiments
du roi continuent à importer de Suède de fortes quantités de
cuivre rouge pour couvrir le palais de Versailles et des cou-
vreurs suédois sont appelés pour placer des plaques de cuivre
sur la toiture du château. Georges- Jean Barthels reçoit 225 livres
par trimestre, de 1688 à 1690, comme couvreur3 et Christophe
Gerzelle se voit allouer une somme importante pour « paiement
de ses journées et de celles de ses deux compagnons depuis le
17 juillet 1687 qu'il est parti de Stockholm jusqu'au 26 novembre
qu'il a commencé à travailler à la couverture de feuilles de cuivre
de la grande aile du château » 4.
Les Suédois sont habiles graveurs sur métaux ; on en attire
quelques-uns pour graver les coins des médailles royales. En 1684,
Meybuche, graveur de Stockholm, fournit au roi des poinçons ;
le sieur Poncet, chargé de le décider à passer en France, y par-
vient et 400 livres sont versées au Suédois pour son voyage
à Paris. Le 10 septembre 1685, on lui octroie une gratification
de 870 livres pour « les cires et carrez par luy faicts pour les
médailles de S. M. ». Deux ans plus tard il reçoit une nouvelle
somme pour la confection de trois modèles de cire et deux
carrés représentant Natalis Delphini et Vota Galliœ. 5. Erben,
employé à la monnaie « des médailles » et interprète des ouvriers
couvreurs de Versailles est gratifié de 60 livres en 1688 6.
1. Id., Ibid., t. IV, p. 435, note 4.
2. Jd., Ibid., t. IV, p. 439, note 1.
3. J. Guiffrey, Comptes des Bâtiments du roi, t. III, p. 52, 194, 243, 258, 358,
402.
4. Id., Ibid., t. III, p. 52.
5. Id., Ibid., t. II, p. 542, 564, 786, 1014, 1193.
6. Id., Ibid., t. III, p. 195.
LE BARON HOGGUER 357
Au début du xvme siècle vint à Versailles l'illustre ingénieur
Polhem. Il avait mis la première main à l'œuvre de canalisa-
tion qui réunit aujourd'hui de Gottenbourg à Stockholm les
eaux de la Baltique et celles de la mer du Nord. Ses connais-
sances en mécanique et les travaux qu'il exécuta devant
Louis XIV étonnèrent le roi et Perrault l. Mais, au moment
où il vint en France, le trésor était déjà appauvri et les fas-
tueuses constructions étaient sinon arrêtées du moins suspendues.
On avait plus besoin d'argent que d'habiles constructeurs.
Depuis plusieurs années le ministre des finances s'adressait
aux riches financiers capables de le soutenir de leur crédit.
Des financiers d'origine étrangère qui rendirent des services
pécuniaires à Louis XIV le plus connu est Samuel Bernard.
Le baron Hogguer fut également l'un des gros prêteurs d'argent
de l'époque 2. Originaire d'une famille suédoise qui s'était éta-
blie en Suisse depuis les guerres de Gustave-Adolphe, Antoine
Hogguer naquit à Saint-Gall en 1680. Vers l'âge de dix-sept ans,
il vint à Bordeaux et y exerça un commerce lucratif. Tandis
que Chamillart dirigeait les finances françaises, la famille
de Hogguer avait déjà eu l'occasion de rendre à Louis XIV
des services financiers mais par suite d'erreurs, lorsqu'on voulut
régler leurs comptes, les parents de Hogguer se trouvèrent
lésés de plusieurs millions. Antoine Hogguer résolut de faire
rendre justice aux siens et, par l'intermédiaire d'amis, approcha
Desmarets, successeur de Chamillart.
Le trésor français était alors complètement vide ; fournis-
seurs et troupes n'étaient point payés. Antoine Hogguer,
comme Samuel Bernard, devint banquier de la Fiance. Il pro-
1. A. GcfTroy, Gustave III et la Cour de France. Paris, t. I, p. 65.
2. F. Pouy, Mémoire du baron Hogguer, financier diplomate, concernant la France
et la Suède. Amiens, 1890. — Défense du baron Hogguer par luy-mesme fondée sur
les arresls du Conseil d'Etat du roy... Paris, s. d.
358 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
cura au roi des sommes élevées ; en cinq ans il avança plus de
cent millions. En 1711, ayant consenti un prêt considérable
pour solder les troupes de Flandre qui menaçaient de se révolter
si leurs quartiers n'étaient payés, Louis XIV remercia Hogguer
en lui accordant le titre de baron qu'il possédait déjà en
Suède.
On sait quels furent les embarras financiers du Régent ;
Hogguer continua à effectuer des prêts au trésor mais ayant
vivement combattu Law et son système il indisposa contre lui
l'Écossais et force lui fut de se débattre pour obtenir la recon-
naissance de ses créances et le remboursement de partie d'entre
elles. Dans un long mémoire, le baron de Hogguer a exposé
quels furent ses déboires financiers ; à la fin de sa carrière,
ils furent en partie compensés par les bénéfices qu'il réalisa
en exploitant des forêts que lui avaient concédées en Suède
Charles XII et Frédéric Ier en remerciement des services diplo-
matiques qu'il leur avait rendus en France.
Hogguer, en effet, ne fut pas seulement un financier averti.
Ainsi qu'il l'a écrit « il étoit naturel que je m'intéressasse pour
le souverain d'un royaume dont ma famille est originaire » ;
aussi chercha-t-il dans maintes circonstances à venir en aide
à Charles XII et à Frédéric Ier, son successeur. Après la bataille
de Pultawa, tandis que Charles XII était en Turquie, il fit passer
de l'argent aux troupes suédoises tenant Stralsund et réussit
à conserver momentanément au roi cette place importante.
En considération de ce service, la famille de Hogguer fut réta-
blie dans ses anciens titres et honneurs.
Reconnaissant à l'égard de son ancien souverain, Hogguer
travailla au rapprochement de la France et de la Suède. Tandis
que Dubois livrait à peu près complètement le royaume à l'An-
gleterre et abandonnait Charles XII dont les intérêts étaient
diamétralement opposés à ceux de Georges Ier, Hogguer attira
l'attention du Régent sur ce qu'il estimait être une erreur poli-
tique. Dubois devint dès lors hostile au financier ; néanmoins
le Régent jeta les yeux sur lui pour l'envoyer en Suède comme
ambassadeur extraordinaire ; Hogguer allait même partir
lorsqu'il apprit la mort de Charles XII.
COMMERCE FRANCO-SUÉDOIS 359
Au roi Frédéric Ier Hogguer continua ses bons offices auprès
de la cour de France ; il en fut récompensé par le don de forêts
et par le titre de Conseiller dans le conseil royal du Commerce
et de la Navigation en Suède, équivalant à celui de gouverneur
de province. En réalité, Hogguer remplissait à Paris le rôle
d'agent secret de Suède. Lorsqu'il y décéda en 1767, on pou
vait écrire de lui que son existence avait été utilement ren
plie ; elle l'avait été agréablement aussi.
Comme celle d'Hogguer, la famille de Mademoiselle Des-
mares était d'origine Scandinave. Dès l'année 1718, alors que
l'illustre comédienne était aimée du Régent, Antoine Hogguer
comptait aussi parmi ses plus fidèles adorateurs. Trois ans plus
tard, il était même bruit du mariage du financier avec Made-
moiselle Desmares, mais cette union n'eut pas lieu et Hogguer
se contenta de dépenser des sommes folles pour satisfaire la sé-
duisante actrice avec laquelle il vécut intimement uni pendant
la majeure partie de sa vie. Lorsque Mademoiselle Desmares
abandonna le luxueux hôtel de la rue de Varenne que Hogguer
lui avait offert et, s'étant retirée du théâtre, alla habiter Saint-
Germain-en-Laye, le baron suédois lui continua son affection.
Par le traité de Ragny, signé en 1542, la France et la Suède
s'étaient accordé des avantages commerciaux réciproques.
La Suède obtenait l'autorisation d'exporter du sel sans payer
de taxes ; elle mettait à notre disposition le fer et le cuivre
de ses mines. Dix-sept ans plus tard, un nouveau pacte était
signé entre les deux royaumes ; les négociateurs 01 aï, Johanson
et Norman obtenaient pour les Suédois la facilité de voyager
dans toute la France sans payer des droits supérieurs à ceux
des indigènes et la liberté de s'y fixer en disposant de leurs
biens. Pontus de la Gardie et Clas Bielke renouvelèrent en 1571
ces anciennes alliances. Le commerce de la Suède avec la France
était surtout entre les mains des Hanséates et des Hollandais ;
néanmoins quelques navires suédois chargeaient en droiture
pour les ports de l'Atlantique. Quatre vaisseaux apportent
à Brouage, en 1560, des mats, des bois à bnïhr et des poutres ;
quelques années plus tard, de grands navires sont alïrétés
360 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
à Elfsborg pour la France l. Henri IV achète en Suède des bou-
lets de canon et confie à son ambassadeur cette négociation.
En même temps que l'intimité des deux royaumes se déve-
loppent les relations commerciales. La Suède nous vend du
bois, du fer, du plomb, du cuivre, de l'alun ; ces marchandises
nous parviennent au xvne siècle sous pavillon hollandais, quel-
quefois sur des navires suédois, rarement elles voyagent sur
vaisseaux français. Nos commerçants n'ont pas de navires
capables de lutter contre ceux des armateurs du Nord. Nous
sommes même obligés d'en acquérir en Suède ; Duquesne
est chargé de cette transaction et d'inspecter les vaisseaux que
nous vend la reine Christine puis de les ramener en France 2.
Au moment où Christine de Suède offre à Mazarin le vaisseau
de ligne, le Jules qu'elle a fait construire pour le cardinal,
assez peu de capitaines suédois fréquentent encore les côtes
de France car pour amener ce navire on doit faire choix d'un
Hollandais qui connaît bien les rivages et les abords de nos
côtes.
A dater de 1663, un nouveau traité de commerce est signé
entre la France et la Suède ; le trafic direct va se développer ;
Colbert hanté par l'idée de déposséder les Hollandais du
monopole de fait dont ils jouissent dans la Baltique s'efforce
d'amener les armateurs français et suédois à entrer en rapports
étroits. Lui-même prêche d'exemple. En une seule fois, il achète
à la Suède quatre cents canons 3 ; sur son ordre, Courtin, notre
résident à Stockholm organise en Suède un chantier de cons-
tructions navales sur lequel il fait édifier six navires. Pour le
compte de la marine, Courtin achète des bois que l'on dirige
sur Brest, Rochefort et Toulon 4.
Au début du xvme siècle, les Suédois avaient la permission
de se livrer au petit cabotage entre les ports français et lorsque
fut conclu le traité du 28 septembre 1716 entre la France et les
villes hanséatiques, ils furent par l'article 3 exemptés du droit
1. A. Strindberg, op. cit., p. 89.
2. Jal, Abraham Duquesne, t. I, p. 146 et s.
3. P. Clément, Lettres de Colbert, t. III, p. 33.
4. Jal, op. cit., t. I, p. 335.
SUÉDOIS A BORDEAUX 361
de 50 sous par tonneau. En vertu de cette convention, ils devaient
être traités comme les sujets des villes hanséatiques mais cet
accord ne leur permettait cependant pas de succéder ab intestat,
la naturalité générale ne leur était pas accordée. Pour n'être pas
soumis au droit d'aubaine force leur était de solliciter des lettres
de naturalité.
En 1745, Madame de la Gardie, accompagnée de ses enfants
et de sa suite, était venue à Paris pour se faire soigner d'une
hydropisie ; elle y décéda au mois d'octobre et les fermiers du
droit d'aubaine appréhendèrent ses biens encore qu'elle eût
un fils au service du roi. Celui-ci protesta et l' affaire donna lieu
à la rédaction d'une longue note. Il en ressortait que les Sué-
dois étaient soumis au droit d'aubaine car l'article 2 du traité
du 28 septembre 1716 passé avec les villes hanséatiques ne leur
était pas applicable et la nouvelle convention signée avec
leur gouvernement au mois d'avril 1741 n'énonçait pas d'une
manière expresse la renonciation des droits de Louis XV au
droit d'aubaine. L'affaire s'arrangea mais pour éviter le retour
de semblables difficultés, le roi fit, le 24 décembre 1754, une
déclaration relative aux successions mobilières des sujets de
Suède décédés en France. Par cette déclaration, Louis XV
les exemptait du droit d'aubaine et la mesure prenait effet du
1er janvier 1753 1.
On peut tenir pour assuré que, profitant des avantages qui
leur avaient été consentis, des Suédois vinrent se fixer en France
à partir du xvne siècle. Pour éviter les fâcheux effets du droit
d'aubaine ils pouvaient aisément obtenir des lettres de natu-
ralité ; mais à part la ville de Bordeaux, où ces Scandinaves
formèrent un groupement de quelques individus, il n'apparaît
point qu'ils aient constitué de colonies dans d'autres ports.
A Bordeaux, Luetkens était « un gros marchand des Char-
trons ». Le roi de Suède voulut le nommer consul de sa nation
mais Louis XIV n'admit pas cette création. En 1705, on solli-
cita pour lui le poste de commissaire du roi de Suède ; les Borde-
lais refusèrent de se prêter à cette nouvelle combinaison.
1. Arch. des Affaires étrangères. Mémoires et Documents. Suède, vol. XXII.
f" 195,199,226.
362 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Luetkens se contenta de commercer avec ses fils Henri, Jean-
Jérôme et Pierre Lucas. Eux et leurs descendants, acquirent
en Guyenne une grande notoriété dans le monde des négo-
ciants ; en 1775 un Luetkens est propriétaire en la paroisse de
Cissac, dans le Médoc, et en 1789 deux Luetkens sont au nom-
bre des délégués chargés d'élire les représentants du commerce
bordelais à l'assemblée du Tiers-État l„
C'est à un autre négociant de Bordeaux, Harmensen, qu'échut
l'honneur de représenter officiellement le roi de Suède dans ce
port. Il fut nommé consul en 1723. Déjà, il était au nombre
des grands négociants de la place. Ses enfants lui succédèrent.
Pour leur témoigner la satisfaction qu'il éprouvait de les voir
coopérer à la prospérité du commerce bordelais, Louis XV
confirma les lettres de noblesse que la famille Harmensen avait
jadis reçues d'Auguste III, roi de Pologne.
De Stockholm était venu à Bordeaux Nicolas Fenwick.
Après avoir brillamment réussi, il se fit construire sur le quai,
au coin du Pavé-des-Chartrons, une superbe demeure que
représente une Vue perspective de 1741. Le nom de Fenwick,
perpétué à Bordeaux par son fils Robert, qui s'y maria en 1762,
a été donné à une cale voisine de la demeure édifiée par le com-
merçant suédois 2.
Les Hollandais avaient importé à Bordeaux l'industrie du
raffinage du sucre. Pour clarifier les sucres bruts on se servait
d'œufs ; ce procédé était dispendieux et ne permettait pas de
procéder sur des quantités considérables. Un Suédois, du nom
de Borhmann révolutionna l'industrie du raffinage en « intro-
duisant en France la manière de clarifier le sucre par le sang
<Ie bœuf ». Grâce à son secret le nombre des manufactures se
développa ; antérieurement à sa découverte la ville de Bordeaux
ne comptait que trois raffineries tandis qu'en 1734, il y en avait
vingt. Comme récompense de sa découverte, Borhmann demanda
qu'il fut créé à son profit et à celui de ses enfants une place
d'inspecteur des raffineries de la \ille 3. Il est probable que Borh-
1. A. Leroux, Documents sur les étrangers à Bordeaux, dans Archives historiques
-de la Gironde, t. LI, p. 258.
2. A. Leroux, La Colonie germanique de Bordeaux, t. I, p. 46, 47; 116, etc.
3. Arch. Nat., F*2 1501. Requête de 1734.
SUÉDOIS EN BRETAGNE 363
mann avait dû s'établir à Bordeaux antérieurement à l'année
1710 car dès cette même année, les habitants de La Rochelle
s'élevaient contre les procédés des raffineurs de leur ville qui,
employant les procédés du Suédois, empoisonnaient l'air autour
de leurs manufactures 1.
Tandis que des Suédois nous apportaient des secrets de fabri-
cation, d'autres passaient en France pour étudier nos industries 2.
Jonas Alstrômer vient à Tours s'enquérir de nos fabriques de
soieries ; il s'informe de celles des bas à Saint-Germain et essaie
de débaucher nos ouvriers mais, craignant d'être appréhendé,
il quitte précipitamment la France en juillet 1723. Grâce aux
connaissances qu'il a acquises, il transforme la petite ville sué-
doise d'Alingsos en y créant des manufactures et il introduit
dans son pays natal la culture de la pomme de terre.
A Bordeaux, des Suédois s'adonnent au commerce des vins.
Lorsque les frères Hillebrandt, fils de l'ambassadeur de Suède
à Madrid, passent en Guyenne, ils ont plaisir à converser avec
Rothstein, de Stockholm, qui occupe une situation aux Chartrons3.
En réalité, au xvme siècle, il n'y a pas de colonies suédoises
en France ; les négociants du Nord qui s'établissent à demeure
sont assez clairsemés ; j'en ai cependant rencontré quelques-uns.
Le 18 mai 1708, deux marchands suédois sollicitent du Conseil
du Commerce l'autorisation d'envoyer leur vaisseau, la Grappe
de Raisin, porter des marchandises en Portugal4; quelques mois
plus tard, Mandael, propriétaire d'un navire venu de Stockholm,
se plaint des difficultés que lui créent les agents du fisc à La
Rochelle5. A Lorient, Backmann, négociant suédois, s'attribue
le titre de courtier et de consul de Suède en 1756 mais il est,
sur la réclamation d'un Hollandais, Vanderheyde, obligé de
renoncer à se prévaloir de son titre de consul. Les descendants
de Backmann subsistent encore en Bretagne6.
1. Arch. Nat., F1* 1501. Requête des habitants de La Rochelle.
2. A. GefTroy, Gustave 11 I et la Cour de France, t. I, p. 67.
3. P. Courteault, Bordeaux au temps de Tourny, extrait de la Revue historique
de Bordeaux. Bordeaux, 1917, p. 6.
4. Inventaire des procès-verbaux du Conseil du Commerce, p. 35 *>.
5. Bib. Nat., Arrêts du Conseil d'Etat. Arrêt du 29 janvier 1709.
6. L. Guillou, Vanderheyde, courtier lorientais. Extrait des Annales de Bre-
lagne.
364 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
En scrutant les actes des paroisses de Bretagne ou de Nor-
mandie, on découvre quelques Suédois disséminés qui se sont
attachés à la terre de France, après avoir abandonné les doc-
trines luthériennes. Le 12 juin 1774, André Longrand, origi-
naire de Suède, abjure entre les mains de Charles Bernard,
Supérieur général des Missionnaires du Saint-Esprit pendant
une mission à Saint-Meloir-des-Ondes, petite église bretonne l.
Nicolas Owal, né à Viennesburg, en 1719, s'établit maître cor-
donnier à Saint-Servan, où il se convertit en 1748 2.
Les relations commerciales de la Suède avec le port de Mar-
seille y attirent des Suédois. Le registre mortuaire des protes-
tants de cette ville est couvert de noms de capitaines, marins
ou charpentiers suédois qui décèdent pendant le temps de char-
gement ou de déchargement des navires 3. Malgré la continuité
des relations de Marseille avec la Suède, il ne semble pas cepen-
dant qu'il ait jamais existé dans ce port une colonie suffisante
pour que les souverains de la Suède pussent trouver parmi
leurs sujets des consuls originaires de leur royaume. Les inté-
rêts des capitaines suédois furent longtemps confiés à des Alle-
mands, notamment au sieur Henri-Jacques Folsch.
Néanmoins les actes de décès des protestants révèlent la
présence de quelques Suédois installés comme négociants à
Marseille. Swen Anfwidson, originaire de Marstrand, habitant
rue des Quatre-Tours, meurt en 1769 4 ; Samuel-Henri Hintz,
de Stockholm, décède la même année 5 et en 1780, Folsch
déclare que Nils Môller, natif de Carlscrom est passé de vie à
trépas 6. L'année précédente Brigitte Gripenskold, épouse de
Pierre Broms, négociant, avait été inhumée à Marseille 7.
Les lettres de natur alité accordées à des Suédois et enregis-
trées à Paris sont peu nombreuses. Celles que reçut en 1747
1. Abbé Paris- Jallobert, Anciens registres paroissiaux de Bretagne, paroisse de
Saint-Meloir-des-Ondes, 1897.
2. Id., Ibid., paroisse de Saint-Servan, 1909.
3. V.-L. Bourilly, Les Protestants à Marseille au XVIIIe siècle, dans Bulletin
de l'Histoire du protestantisme français, nov.-déc. 1910, p. 518.
4. Bibliothèque protestante, man. 190, notice 251.
5. Ibid., notice 276.
6. Ibid., notice 429.
7. V.-L. Bourilly, op. cit.. p. 545.
VOYAGEURS SUÉDOIS 365
Frédéric Melhop, natif de Stockholm, est l'une des rares que
j'ai rencontrées 1.
Maintenant des traditions fort anciennes, des savants suédois
entreprennent le voyage de Paris au xvme siècle. Georges
Wallin, qui devait mourir évêque de Gôthenbourg, est en 1721,
attiré par nos bibliothèques et nos collections de livres ; il laissera
un ouvrage intitulé Lutetia Parisiorum erudita sui temporis 2.
Johan Otter, orientaliste, séjourne à Paris en 1728 ; il attire
sur lui l'attention de Fleury qui l'envoie en mission à Constan-
tinople. Protégé par Villeneuve, notre ambassadeur près de la
Porte, Otter se perfectionne dans les langues orientales. Il passe
quatre ans en Perse, est rappelé à Paris, devient professeur
à l'Université en 1746 et membre de l'Académie des Inscrip-
tions en 1748. C'est le seul drogman qui ait pris part aux tra-
vaux de la Compagnie ; il lui communiqua des Observations
géographiques et historiques tirées des auteurs arabes, une Rela-
tion de la Conquête de V Afrique. Mais l'Académie ne le posséda
que deux années ; il lui fut enlevé dans la force de l'âge, laissant
la Relation d'un voyage en Turquie et en Perse qui n'a pas perdu
de nos jours tout intérêt 3.
Le grand botaniste Linné est à Paris en 1738 ; il trouve auprès
des Jussieu un accueil enthousiaste. Us le mènent herboriser à
Fontainebleau et en Bourgogne. Louis XV le presse de se fixer
en France mais il refuse. Après son départ de Paris, Linné reste
en correspondance avec Antoine Laurent de Jussieu ; tous deux
échangent en latin leurs savantes remarques et contribuent
à faire adopter la langue latine comme idiome international
des botanistes. Elu associé étranger de l'Académie des Sciences
en 1762, Linné lui adresse en 1775 un mémoire latin sur le
Cycas 4.
Bien qu'éloigné de la France, le botaniste suédois ne se désin-
téressait pas de ce qui s'y passait sous le rapport scientifique.
1. Arch. Nat., PP 162. Lettre du 12 avril 1747.
2. A. GefTroy, Notices et extraits des manuscrits..., p. 418.
3. A. Maury, L'ancienne Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Paris, 1864,
in-8°, p. 253.
• 4. A. Maury, L'ancienne Académie des Sciences. Paris, 1864, in-8°, p. 109, 110,
272, 275, etc.
366 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Il chargeait même quelques compatriotes voyageant dans le
royaume de Louis XV de lui adresser leurs remarques et leurs
observations. En 1755 passent à Bordeaux deux Suédois, les
frères Hildebrant, fils de l'ambassadeur de Suède à Madrid ;
ils étaient accompagnés de leur précepteur, un pasteur luthé-
rien, Hallman, chargé par Linné de le mettre au courant des
découvertes qu'ils feraient au cours de leurs pérégrinations en
France et en Espagne. A cette circonstance, on doit de pos-
séder une ample relation du séjour de Hallman à Bordeaux K
Comme Wallin, Liden s'intéresse aux bibliothèques et aux
collections particulières. Il arrive en France par Calais en 1769
puis se dirige promptement sur Paris. Le comte de Creutz,
poète à ses heures et ambassadeur du roi de Suède l'accueille
chaleureusement ainsi que le comte de Sparre auprès duquel
il se loge dans l'hôtel d'Entrague, rue de Tournon 2. Durant
plusieurs mois, Liden court les bibliothèques, visite les savants.
Il renoue connaissance avec quelques Suédois : l'orientaliste
Biôrnstahl qui suit au Collège royal les cours d'arabe de M. de
Cardonne, Tobiesen-Duby, interprète du roi pour les langues
anglaise, allemande et Scandinave. Il fréquente chez Hall et chez
Roslin dont les ateliers sont à la mode. Avant de venir en France,
Liden avait déjà beaucoup voyagé et de ses séjours hors de sa
patrie, cet érudit a laissé des récits contenus en quatre volumes
in-folio conservés à la bibliothèque d'Upsal. Le voyage en
France occupe une partie du second volume et est presque
entièrement consacré aux visites que Liden fit aux professeurs
de l'Université et aux conservateurs des bibliothèques pari-
siennes.
Des savants ou des érudits suédois pratiquant les études les
plus diverses effectuent des voyages en France ; quelques-uns
même s'y établissent. Ronnow Kasten, docteur en médecine
de Reims est nommé premier médecin et conseiller intime de
Stanislas Leczinski. Il le suit en Lorraine et fonde une école
de médecine à Nancy. Johan Erik Ringstrôm suit les cours
de l'orientaliste de Guignes à Paris et laisse en manuscrit
1. P. Courteault, op. cit., p. 2.
2. A. Gefïroy, Notices et extraits des manuscrits..., p. 409.
SAVANTS SUÉDOIS EN FRANCE 367
un dictionnaire chinois-français. Le chimiste Torbern Olaf
Bergman qui, l'un des premiers apporta une précision toute
scientifique dans l'analyse des eaux minérales voyage en France ;
en 1782 il sera élu membre de l'Académie des Sciences de Paris h
A la veille de la Révolution, Ignatius Mouradgea d'Ohsson
publie à Paris le Tableau général de V Empire ottoman. Il meurt
à Bièvre en 1807 et son fils, Constantin, également intéressé
par les études orientales composera une Histoire des Mongols 2.
Lorsque la comtesse de Sparre vient de Suède à Paris pour
consulter nos médecins 3, quand Madame Hillebrandt, femme de
l'ambassadeur à Madrid s'ennuyant en Espagne arrive se dis-
traire à Paris, quand Antoinette de Leyenstedt, épouse de M. de
la Fayardie, rentre en France avec son mari, elles retrouvent
dans la capitale française une véritable colonie de compatriotes.
Des savants du Nord y séjournent fréquemment, des officiers
de leur pays servent la France dans le Royal Suédois ou autres
régiments étrangers ; des artistes enfin, et qui jouissent d'une
juste notoriété, forment les éléments variés d'un groupement,
chaque année plus dense et plus compact. La chapelle de
l'ambassade a peine à contenir les sujets du roi de Suède.
VI
A l'exception de Karl Karlson Gyllenheim, fils naturel de
Charles IX, qui combattit en, France aux côtés de Henri IV,
peu d'officiers suédois servirent en France avant la signature
des traités de Westphalie. A partir de 1648, au contraire, sol-
dats et officiers suédois furent nombreux dans les rangs de notre
armée.
Les soldats sont demeurés ignorés mais notre recrutement en
compta certainement au xvne siècle car une ordonnance du
1. A. Maury, Histoire de l'Académie des Sciences, p. 101.
2. Les renseignements relatifs à ces divers Suédois proviennent de l'étude de
Strindberg sur Les Relations de la France avec la Sutde, p. 188 et 189.
3. Arch. des AIT. étrangères, Mémoires et Documents. Suède, vol. XXII, f
368 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
1er décembre 1696 prescrit « de faire sortir des compagnies
suisses tous les hommes qui ne sont pas Suisses, Grisons, Alle-
mands, Polonais, Suédois et Danois ». Les officiers au contraire
sont connus et l'on a pu dresser des listes, incomplètes cepen-
dant, de ceux qui servirent dans diverses formations et dans
le régiment qui portait le nom de Roy al- Suédois 1. Certains fon-
dèrent une famille en France. Au mois de janvier 1676, Henri
de Bron, gentilhomme suédois, capitaine de cavalerie de S. M.
habitant sur la paroisse Saint Eustache, épouse Marie Colli-
chon, veuve d'Abraham Morel 2.
Originaire de Livonie, Reinhold Rosen, fondateur d'une
lignée de militaires qui porteront son nom passa en France
avec les troupes weimariennes au service de la France. Il eut
la charge de les commander et fut nommé lieutenant général
du roi en 1648. Marie-Sophie, une de ses filles devint la femme
de Conrad Rosen, ami de Saint-Simon et futur maréchal de
France.
Après une vie aventureuse dans les camps suédois, Conrad
Rosen fut obligé de prendre du service comme simple soldat.
Les hasards de son existence l'amenèrent à servir sous les ordres
de son oncle Reinhold Rosen. Il se distingua et après avoir
gagné ses galons d'officier, il parvint en 1677 au grade de maré-
chal de camp. Trois ans plus tard, il était chargé d'aller à la
frontière recevoir la Dauphine qui arrivait d'Allemagne. En 1681,
il abjura, fut nommé lieutenant général des armées du roi
puis, en 1690, remplaça le comte de Montclar comme maître
de camp général de la cavalerie. Ayant acquis des terres en
Alsace, il s'y retira et y mourut en 1715, âgé de quatre-vingt-
huit ans. Ce « grand homme sec qui sentoit son reître et qui
auroit fait peur au coin d'un bois » ne commanda « jamais d'ar-
mée et il n'en était pas capable mais souvent des ailes, de gros
détachements », écrit Saint-Simon 3. « Il avait de l'esprit et de
la finesse », ajoute le duc et pair, et il le prouva car il sut s'avan-
1. De La Chenaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, t. XVII, p. 678-702. —
Lehr, Notice sur les Rosen. Strasbourg, 1865.
2. Arch. Nat. Insinuations du Chatelet. Y 231, f° 288 v°.
3. Saint-Simon, Mémoires, édition des Grands Écrivains, t. XXVI, p. 256.
CONRAD ROSEN ET LES OFFICIERS SUÉDOIS 369
cer à la cour. Rosen qui connaissait le faible de la nation et du
roi pour les étrangers disait à son fils qu'il ne serait jamais
qu'un sot car il parlait trop bien le français.
De sa femme, Rosen avait eu plusieurs enfants. Charles
Reinhold, qui épousa Marie-Béatrice de Grammont, devint
officier comme son père. Anne-Armand, leur fils et Eugène-
Octave-Augustin leur petit-fils furent également officiers. De son
union avec Marie-Louise de Harville ce dernier n'eut qu'une
fille qui fut mariée à Charles Victor, prince de Broglie.
Dans les temps où Conrad Rosen apprenait en France le
métier des armes, il aurait pu rencontrer nombre de ses compa-
triotes : Jen de Dellinghausen, le baron de Dellvigk, Mathieu
de Koenigsfelt, Jean Herman de Lagerstierna et d'autres encore
qui s'étaient engagés au service de Louis XIV. Mais c'est sur-
tout à partir de l'année 1690 que l'on voit entrer des Sué-
dois dans l'armée royale. Contrairement à ce que l'on croit
généralement le Royal-Suédois ne tire pas son origine d'un régi-
ment constitué par une foule de prisonniers suédois faits à la
bataille de Fleurus ; ses commencements furent tout autres l.
Le 1er août 1690, le Suisse Jean-Henri Leisler avait été autorisé
à lever un régiment ; aussitôt formé ce corps fut dirigé sur le
Roussillon et la Catalogne pour rejoindre le duc de Noailles ; au
mois d'avril 1693, trois officiers suédois furent incorporés
dans ce régiment : Ake Ulfsparre, Franz de Knorring et B. de
Taube. Avec le capitaine Franck qui s'y trouvait déjà, ils for-
mèrent le premier noyau du corps d'officiers suédois qui, vers
le milieu du xvme siècle, constituaient les cadres du régiment.
Leisler ayant été mortellement blessé au siège d'Ostalrich,
en 1694, le baron Erik Sparre, sur les instances de Palmqvist,
résident du roi de Suède, obtint le commandement du corps.
Erik Sparre représente assez bien le type de ces officiers
diplomates que l'ancien régime a fréquemment connus. Né
en 1665, il était entré jeune au service de la France. Enseigne
au régiment de Koenigsmark, il fut promu capitaine en 1690,
major général après le combat de Maestricht, colonel en 1694.
1. Comte F.-V. Wrangcl, Origines ci débuis du Royal-Suédois. Paris, 1914.
24
370 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Après un voyage en Pologne, auprès de Charles XII, il revint
en France en 1704, devint maréchal de camp et lieutenant géné-
ral des armées françaises. En 1712, on le trouve à la cour de
France chargé d'obtenir des subsides pour sa patrie ; il visite
ensuite les cours d'Allemagne et est de retour à Paris en 1715.
Pendant trois ans, il remplit les fonctions d'ambassadeur
à Paris et gagne la confiance de Louis XV. « M. le comte, lui
dit un jour à table le jeune roi, vous n'êtes pas de la même reli-
gion que moi ; j'en suis fâché ; j'irai un jour au ciel et je ne vous
y trouverai pas. — Pardonnez-moi, Sire, répondit Sparre, le roi
mon maître m'a ordonné de vous suivre partout. »
De Sparre devint ministre après la mort de Charles XII
puis ambassadeur à Paris en 1719. Il rentra en Suède et y mourut
ayant obtenu le grade de feld-maréchal l.
La nomination d'Erik Sparre au régiment qui prit son nom
attira une foule de jeunes Suédois sous ses ordres ; plusieurs
membres de sa famille vinrent y servir, mais par suite des
événements qui se déroulaient dans leur propre pays, la majeure
partie de ces jeunes hommes regagnèrent leur patrie.
Sparre conserva le commandement de son régiment jusqu'en
1714 ; à cette date il fut remplacé par un Suédois, Lenck,
capitaine au même corps. Nommé maréchal de camp en 1734
il mourut le 14 décembre de la même année. Son successeur
fut un autre Suédois, Per Apelgrehn. Sous ses ordres le régiment
se distingua au siège de Prague où Apelgrehn fut blessé mortel-
lement. C'est à partir de 1742 que le régiment de Sparre et
d'Apelgrehn reçut à la demande du roi de Suède le nom de
Royal-Suédois.
Les chefs qui succédèrent à Apelgrehn appartenaient à la
branche française des Sparre. Au début de la Révolution,
Axel Fersen était colonel du régiment. Les Suédois qui, entre
1735 et 1750, avaient été particulièrement nombreux dans
l'armée française, n'étaient alors que faiblement représentés.
Plus de mille officiers suédois figurent sur les contrôles du
Royal-Suédois et d'autres régiments, comme celui de Lowendal,
1. A. Gefïroy, Notices et extraits des manuscrits..., p. 398.
LE ROYAL-SUÉDOIS 371
par exemple. Les Lagerstierna, les Leijonhufvud, les Sparre,
les Stiernhœœk, voisinent avec les Ulf sparre et les Wrangel.
On ne saurait énumérer tous ceux qui furent blessés au cours
des combats ou moururent en se battant pour le roi de France.
Ces hommes appartenant aux plus anciennes familles de la
Suède étaient de valeureux guerriers ; on les rencontre partout
où l'on se bat, en Pologne avec Charles XII, en France sous
Louis XIV et ses successeurs, en Amérique avec Lafayette ou
Rochambeau. Quelques-uns, paimi eux, Erik Sparre, Stedingk,
Axel Fersen, séduisants cavaliers, causeurs délicats appréciés
des jolies femmes du xvme siècle, savaient s'arracher aux dou-
ceurs de la cour pour aller conquérir des trophées qu'ils dépo-
saient ensuite aux pieds des nobles dames. De ces officiers,
certains passèrent plus de trente années de leur vie au service
de la France. Le baron d'Armfeldt, de son propre aveu, demeura
trente-cinq ans sous nos drapeaux. Après l'assassinat de Gus-
tave III, des Suédois, et notamment de Ribbing, l'un des chefs
du complot, accusaient des Français résidant à Stockholm
d'avoir tué le roi ; le baron d'Armfeldt, parlant à Ribbing s'écria:
o J'ai servi trente-cinq ans en France et je parie ma tête contre
la vôtre que ce n'est point un Français qui a commis ce crime *, »
VII
Après le règne de Gustave-Adolphe, la Suède est en pleine
prospérité. Avec la richesse et une connaissance plus appro-
fondie des civilisations étrangères naissent chez les Suédois
les désirs de luxe élégant. Leurs austères maisons ne leur con-
viennent plus et le génie allemand et néerlandais qui jusqu'alors
a agi sur les conceptions de leurs artistes cesse de les satisfaire,
Trop de Suédois séjournent à Paris pour n'apprécier point l'art
français ; ils s'inspirent directement de l'art qui les séduit
1. R. Pétiet, Gustave IV et la Révolution française. Paris, 1914, p. 14.
372 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
et revenus dans leur pays, en propagent le goût. L'influence
du Nord disparaît à Stockholm ; elle est remplacée par celle
de la France et se manifeste sous une double forme : l'appel
en Suède de nombreux artistes français et l'envoi dans nos
écoles et ateliers de Suédois qui accomplissent à Paris des stages
prolongés.
Vers la fin de 1637, la Suède ayant demandé en Hollande
un architecte notoire, reçut un Français, Simon de la Vallée
dont le père avait travaillé à la décoration de l'hôtel de ville
de Paris. Le fils de Simon, Jean, fut élevé au rang d'intendant
royal des bâtiments en Suède et conserva ce poste jusqu'en 1688.
De l'époque de l'arrivée en Suède de Simon de la Vallée, on peut
faire dater la reprise des rapports artistiques de ce pays avec
la France. En effet, les deux de la Vallée, Jean surtout, eut une
influence marquée sur deux architectes célèbres de la Suède,
Nicodème Tessin, père et fils. A Jean de la Vallée et à Tessin
l'aîné, sont dûs les plans d'une œuvre, maintes fois abandonnée
puis reprise : le château royal de Stockholm. De bonne heure,
Nicodème Tessin, le fils, fut associé à leurs travaux et chargé
de les continuer, quand, en remplacement de Jean de la Vallée,
on le nomma surintendant des bâtiments du roi de Suède.
Pour décorer le château, Tessin appela de France une pléiade
d'artistes ; pendant le temps de sa surintendance, des Suédois,
imitant son exemple, prirent l'habitude de venir étudier à
Paris chez nos maîtres les plus renommés. Cette coutume se
perpétua durant le xvme siècle 1.
Sous les règnes de Louis XIV et de ses successeurs, Paris
est la première école d'art du monde ; de l'Europe entière y
accourent à l'envi des étrangers. Les Suédois constituent une
partie de cette légion cosmopolite de peintres, graveurs, archi-
tectes et sculpteurs qui sollicitent la faveur d'entrer dans les
ateliers français. Comme les nationaux des autres pays, certains,
séduits par le charme de l'existence de Paris, prolongent leurs
études pendant plusieurs années ; quelques-uns même s'éta-
blissent définitivement en France et y font souche.
1. P. Lespinasse, L'Art français et la Suède de 1637 à 1816. Paris, 1913.
ARTISTES SUÉDOIS 373
Nicodème Tessin, le fils, avait étudié à Paris. Par son entre-
mise, Cari Harleman, avait obtenu des États une bourse de
voyage. Il partit pour l'étranger en compagnie du peintre
suédois Wallrave : tous deux se dirigèrent d'abord vers Paris*
L'intention d'Harleman était d'apprendre la « science des jar-
dins » dont les affinités avec l'architecture sont nombreuses.
Ayant obtenu une récompense à l'Académie d'architecture,
Harleman se rendit à Meudon où il habita longtemps le château
du contrôleur Degant, possesseur d'une collection de dessins
de Le Nôtre que copia le Suédois. Harleman partit ensuite
pour l'Italie. Il était à Venise lorsqu'il fut rappelé par Nicodème
Tessin, très malade, qui lui confia le soin de terminer le palais
de Stockholm ; en même temps qu'à lui, le surintendant écrivait
à son fils Cari Gustave de regagner la Suède. Cari Gustave
Tessin s'était rendu en Italie après un long séjour à Paris.
En 1728, Nicodème Tessin meurt et son fils est nommé
surintendant « eu égard à l'habileté et à l'expérience qu'il a
acquises dans les études et les voyages à l'étranger ». Cari ne
fut pas un grand constructeur mais un amateur d'art très
éclairé. En 1718, il avait été envoyé à Paris et dès son arrivée
son père l'avait prié « de démêler les statuts et règlements
qui régissent l'Académie de peinture et de sculpture ». Nico-
dème Tessin songeait à créer à Stockholm une institution ana-
logue à celle que Paris possédait depuis 1648 et Berlin depuis
1694. En même temps qu'il étudiait les textes administratifs
Cari Tessin se formait le goût. Bien qu'ayant obtenu la charge
occupée par son père, il ne prit point une part active à l'édifica-
tion du palais suédois ; il abandonna même son office à Harle-
man puis entra dans la carrière diplomatique. En 1739, Cari
Tessin est ministre de Suède à Paris et malgré ses occupations
politiques, ne se désintéresse pas des beaux-arts ; il est en cor-
respondance suivie avec Harleman, acquiert pour la Suède des
œuvres choisies et détermine Bouchardon à passer à Stockholm
comme professeur à l'Académie qui a été définitivement créée
en 1735.
Malgré la fondation de l'Académie suédoise et la présence
parmi les maîtres de cette institution d'artistes français connus,
374 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Taraval, Bouchardon, Larchevêque et d'autres encore, les jeunes
Suédois estimaient que la meilleure manière d'acquérir les
connaissances techniques et de se former était de passer quelques
années à Paris. Ils savaient que le talent y est toujours récom-
pensé ; leur compatriote Garl Boït n'avait-il pas été reçu membre
de l'Académie de peinture et de sculpture en 1717 x ? Georges
Engelhard Schrôder est à Paris en 1726 ; Adelcrantz, futur
surintendant des bâtiments royaux, y séjourna à diverses re-
prises ; Jean-Tobias 'Sergell, élève distingué de Larchevêque,
est autorisé à suivre son maître quand celui-ci quitte la Suède.
Il est en France en 1759 et se prépare par ses études à sculpter
les statues de Descartes et d'Axel Oxenstiern, deux de ses
œuvres maîtresses. Sergell ne rentre en Suède qu'en 1778 2.
Per Cogell abandonne définitivement sa patrie et finit ses jours
comme professeur à l'Académie de Lyon 3. Fixé dans cette
ville en 1764 ; et appuyé par Marie-Antoinette, il y fut, dix
ans après, nommé professeur adjoint à l'école de dessin. Paris,
où il se rendit, ne le retint guère, car en 1779 il était choisi
comme peintre ordinaire de la ville de Lyon. Au début de la
Révolution, il repartit pour la Suède mais en 1795, il était de
retour en France.
Au début de 1740, un artiste suédois Jean-E. Relui, engage
ses compatriotes résidant à Paris à apprendre, comme lui-même
l'avait fait, la gravure à l'eau-forte sous la direction de Le Bas.
Cinq ans plus tard, Harleman rappelait Rehn comme dessina-
teur pour les fabriques de soieries qu'il avait fondées et où
travaillaient des artistes français. En même temps qu'il était
occupé à ces travaux, Rehn dirigeait à Stockholm une école
de gravure ; il envoyait ses élèves se perfectionner à Paris.
Per Floding y passa neuf ans de 1755 à 1764 ; Gillberg n'y
demeura que trois années. Tous deux furent élèves de Cochin,
Deshayes et Natoire. A l'époque où Floding gravait à Paris,
Jonas Hoffman et Gustaf Hesselius y apprenaient la peinture.
1. Ph. de Chennevières, Les Artistes étrangers en France ; notice sur Sergelli
dans Revue universelle des Arts, année 1856, p. 97.
2. Id., Ibid.
3. M. Audin et E. Vial, Dictionnaire des artistes et ouvriers d'art de la France ;
Lyonnais. Paris, 1919.
ROSLIN ET LAVRINCE 375
Hoffman avait quitté la Suède, en 1755, muni d'une bourse
d'études ; on la lui prolongea jusqu'en 1770 « parce que de cette
manière il peut devenir de plus d'utilité ». Cet artiste méritait
d'ailleuis ce privilège ; en 1760, il avait obtenu les deux seules
récompenses dont l'Académie disposât en faveur des étrangers.
L'Académie reconnut plus tard son talent car elle l'élisait,
en 1770. Gustaf Hesselius était aussi demeuré sept ans hors
de Suède mais sans profit apparent car on ne connaît de lui
aucune œuvre remarquable.
Du groupe des artistes suédois qui exercèrent leur art en
France, il en est qu'il convient de mettre hors de pair à raison
de leur talent, de la réputation qu'ils ont laissée et de la durée
de leur séjour dans le royaume.
Gustave Lundberg, pastelliste, est à Paris en 1717, il y séjour-
nera vingt-huit ans. Après avoir travaillé avec Largillière,
de Troy, Cazas, il s'adonne aux portraits. L'Académie de pein-
ture le reçoit au nombre de ses membres en 1741 ; deux ans
après, il expose au Salon deux pastels : les portraits de Boucher
et de sa femme qui sont célèbres. La Suède reconquiert cet
artiste en 1745.
Alexandre Roslin est sans doute avec Lavrince le Suédois
qui a laissé la plus grande célébrité l. Il arrive à Paris vers 1752,
déjà connu ; l'année suivante l'Académie lui ouvre ses portes
mais il n'est reçu qu'au mois de féviier 1754. Comme il était
luthéiiei), il fallut pour l'admettre l'agrément du roi mais l'obs-
tacle de la religion fut levé pour lui ainsi qu'il l'avait été déjà
pour Cari Boit et Lundberg. Roslin obtint du roi une pension
et un logement au Louvre où il mourut en 1793. De sa femme
Marie-Suzanne Giroust, peintre elle-même, qu'il avait épousée
en 1759, Roslin laissa une postérité dont la descendance existe
encore.
Si Roslin est célèbre par ses œuvres au nombre desquelles
on cite notamment le portrait de Linné, celui de Gustave III
et le Retour de Louis XV dans la ville de Metz, il est également
connu par ses démêlés avec Diderot. Le philosophe, dans iee
1. P. de Chenneviôres, Notice sur Roslin, dans Revue universelle des Arts, année
1856, p. 385 et 481.
376 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Salons, avait généralement loué l'œuvre du maître, quand
en 1765, pour peindre sa famille et lui-même, M. de la Roche-
foucauld préféra Roslin à Greuze. A dater de ce moment,
Diderot qui avait à Greuze des obligations se montra fort hos-
tile au peintre suédois et ses Salons reflètent l'animosité qu'il
lui voua.
Tout aussi Français que Roslin fut Alexandre Hall que l'on a
dénommé le « Van Dyck de la miniature ». L'existence de cet
artiste fut mouvementée. Destiné à devenir médecin comme son
père, il avait étudié la physiologie et la chimie puis vers l'âge
de dix-neuf ans, il se prit de passion poui le dessin. Comme beau-
coup de Suédois de son temps, il vint en France mais ayant
manifesté le désir d'abandonner la médecine pour se livrer
à la peinture, son père lui supprima tout subside. Force lui fut
de revenir en Suède; en 1760 il est de retour à Paris et s'y
fixe définitivement. Il ne suit aucun cours mais reçoit des
conseils de J. Vernet, Hubert Robert, Greuze, Madame Lebrun.
Son talent s'affirme et la vogue aidant, tout Paris veut avoir
son portrait miniature de la main de Hall ; on fait queue à sa
porte. Tout en s'adonnant à la peinture, Hall continue à s'oc-
cuper de physique et de chimie ; il travaille à améliorer les
émaux qu'on utilise à la manufacture de Sèvres et perfectionne
les fourneaux servant à la cuisson des pièces.
En 1769, l'Académie de peinture ouvre ses portes au peintre
suédois ; Hall est un homme arrivé et cherche à s'établir. Malgré
les difficultés que lui crée M. Gobin, à raison de la différence
de religion qui le sépare de sa fille Adélaïde, Hall vainct sa résis-
tance et il épouse à Versailles, en 1771, la jeune élue de son
cœur. Le ménage n'est pas toujours d accord ; Hall, artiste
fantaisiste, aime la chasse et la musique ; il oublie les rendez-
vous et n'exécute pas toutes les commandes qu'on lui adresse.
Néanmoins il gagne largement de quoi satisfaire au luxe de sa
femme ; la réputation du miniaturiste va croissant chaque
année. Pour lui témoigner sa sympathie, lors de son voyage à
Paris en 1784, Gustave III se rend chez Hall et des fenêtres de
son appartement assiste au défilé de la procession de la Fête-
Dieu célébrée à l'église des Petits-Pères. Le roi voudrait bien
LAVRINCE EN FRANGE 377
voir le peintre revenir en Suède mais il s'y refuse obstinément.
La Révolution survient ; Hall est officier dans la garde bour-
geoise et assiste à la prise de la Bastille ; ses relations avec
Necker et Lafayette le compromettent et, en 1791, il part pour
Aix-la-Chapelle retrouver Gustave III qui y est venu résider
afin de sauver Louis XVI qu'il sent en danger. Mais Hall ne
parvient pas à Aix-la-Chapelle, il erre en Belgique, atteint d'une
grave maladie qui détermine sa mort en 1793.
De sa femme, Hall avait eu trois filles et un fils. Ses deux
filles aînées, Adèle et Angélique étaient si belles que Madame
Lebrun les fit poser pour son tableau de la Paix ramenant
l'Abondance qui figura au Salon de 1783. Adèle avait épousé
M. de Surleau qui périt sur l'échafaud ; elle se remaria par la
suite au marquis Le Lièvre de Lagrange. Angélique eut égale-
ment deux époux successifs. Seule Adolphine demeura céli-
bataire. De son mariage le fils de Hall, Adolphe n'eut qu'une
fille h
La Suède nous a donné d'autres artistes. Nicolas Lafrensen —
alias Lavrince — est un de ces petits maîtres de la gouache
dont le talent, souvent inspiré des conteurs légers du xvine siècle,
s'est exercé dans le genre badin. Des « dessus de boëtes », des
dessins aux touches légères lui ont valu une réputation d'ar-
tiste charmant et son œuvre, maintes fois gravé, a été digne-
ment célébré par les frères Goncourt, ces appréciateurs des
grâces du siècle de la Pompadour et de la du Barry.
En 1771 Lavrince avait fait un premier séjour en France ; il
composa le Bal masqué donné à la Cour en l'honneur de Gus-
tave III, voyageant alors incognito sous le nom de duc de
Gothland. Après une absence, Lavrince revint à Paris en 1774 ;
il y connut tous les succès mais son talent n'étant plus de ceux
qu'appréciaient les Français de 1791, il rentra dans son pays2.
N'ayant jamais exposé aux Salons, Lavrince ne connut pas les
honneurs officiels; il ne fut jamais membre de l'Académie.
Son compatriote Ulric Vertmuller fut au contraire agrégé
1. F. Villot, Hall miniaturiste. Paris, 1807. Chap. rr. Biographie «t p. Cl.
2. H. Vienne, Nicolas Lafrensni. extrait de la Gazette des Beaux-Arts, mars 18G9.
— - Oscar Levertin, Nicolas Lafrensen. Stockholm, 1899.
378 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
en 1783 et académicien deux ans plus tard. Cet artiste suédois
obtint un grand succès au Salon do 1785. Il y exposait La Reine,
le Dauphin et Madame, fille du roi, se promenant dans le jardin
anglais du petit Trianon. Avant Lavrince, Vertmuller sortit
de France ; dès 1788 on perd totalement sa trace et l'on ignore
le lieu de sa retraite. La Suède ne possède aucune œuvre de la
main de cet artiste que Gustave III avait cependant nommé
« premier peintie du roi de Suède » K
VIII
Que la reine de France posât devant un artiste suédois, à cela
rien d'étonnant ! Il existait alors à la Cour un groupe de gen-
tilshommes du Nord fort apprécié des plus hauts personnages.
Ils se réunissaient autour du comte de Creutz, ambassadeur
de Suède, homme aimable, distingué, poète à ses heures et qui
depuis l'année 1766 résidait à Paris. Écrivant à Gustave III,
il lui mandait : « Tous nos Suédois réussissent ici au delà de
toute expression, on les trouve instruits, aimables et de la meil-
leure compagnie ; on m'a demandé récemment si le roi choi-
sissait ceux à qui il permettait de venir en France...2 »
A rendre ce témoignage de ses compatriotes, Creutz n'était
pas le seul. Madame de Boufïïers pensait comme lui et écrivait
dans le même sens à Gustave III.
Lorsque, sous le nom de duc de Gothland, quelques jours
à peine avant de monter sur le trône, Gustave III était venu
séjourner à Paris, il s'était lié d'une tendre amitié avec la com-
tesse de Boufïïers et dès son retour en Suède il entama avec
elle une correspondance active 3. De cet échange de lettres,
1. Ph. de Chennevières, Notice sur Ulric Wertmuller, dans Revue universelle des
Arts, année 1857, p. 5.
2. A. Geffroy, Gustave III et la Cour de France. T. I. Lettre du 7 mars 1779.
3. Aurélien Vivie, Lettres de Gustave III à la comtesse de Boufflers et de la comtesse
de Boufflers à Gustave III. Paris, 1898.
MADAME DE BOUFFLERS ET LES SUÉDOIS , 379
fort intéressantes pour l'histoire des mœurs en France et des
idées politiques et littéraires de Gustave III, il appert que la
comtesse de Boufïïers joua vis-à-vis des Suédois un rôle analogue
à celui de Madame Geofîrin à l'égard des Polonais. Il n'est Sué-
dois de qualité qui n'apporte à Madame de Boufïïers une lettre
de son royal ami et ne lui vienne présentei ses hommages à son
arrivée à Paris. Elle les reçoit à dîner dans sa maison d'Auteuil.
« Je donne aujourd'hui à dîner à la campagne à tous les Suédois
que je connais à Paris », fait-elle savoir à Gustave III, le 16 oc-
tobre 1779, et elle ajoute : « Il n'y a jamais eu une nation plus
distinguée par la politesse, la discrétion, la bonne conduite
et toutes les qualités estimables que la nation suédoise, si l'on
en juge par ceux que nous voyons en France 1... » Pour ses
amis suédois, Madame de Boufïïers s'entremet auprès de Marie-
Antoinette, elle les pousse à la cour et les fait apprécier de la
souveraine qui lui dit une fois : « Je me fais tous les jours des
querelles pour les Suédois ; nous les traitons absolument comme
s'ils étaient Français 2. »
Madame de Boufflers est vraiment la « maman des Suédois »
comme Madame Geofîrin celle des Polonais. Messieurs de
Dyben, de Lieven, de Lœwenhaupt, le comte de Brahé, le comte
de Sparre, fils de l'ancien ambassadeur de Suède, aiment à se
rencontrer chez cette aimable femme. Outre qu'elle les accueille
de charmante manière, un mot de Madame de Bouïïlers peut
leur être utile auprès de Gustave III ou les desservir. Elle est
au courant de tous leurs faits et gestes et les mande au roi de
Suède ; également, il lui fait confidence de ses soucis politiques ;
pour avoir son opinion il lui adresse la nouvelle constitution
qu'il a promulguée et qui supprime les pouvoirs de la Diète
suédoise.
Après la révolution de 1772, Frédéric-Guillaume, comte
d'Hesseinstein, fils naturel du roi Frédéric Ier et de la comtesse
de Taube donne sa démission de toutes les charges qu'il occupe
à la cour de Suède ; sa conscience n'admet pas que le roi ait
1. Aun'licn Vivle, Lettres de Gustave III à la comtesse de Boufjlers et de la
comtesse de Boufjlers à Gustave III. Paris, 1898, p. 143.
2. Id., Ibid., p. 226.
380 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
confisqué à son profit les tyranniques privilèges de la noblesse
suédoise et l'ait reléguée à l' arrière-plan. Gustave III transmet
à Madame de Boufïlers sa lettre de démission mais comme elle
est tiès digne, il lui recommande cependant Hessenstein qui
vient en France prendre du service et visiter le royaume.
Le frère du roi, Frédéric, duc d'Ostrogothie, qui s'est montré
tout dévoué à Gustave III lors de la révolution, est à Lyon
en 1777. La belle comtesse est tenue au courant de ses
amours et en fait part au roi de Suède, elle lui écrit : « On
dit qu'il est devenu fort amoureux de Mademoiselle de Foll
qui est une personne charmante, mais comme ce nouvel
amour a été prompt, il faut espérer qu'il passera aussi vite
qu'il est venu. »
Moins heureuse que Madame Geoffrin qui fit un voyage triom-
phal en Pologne, la comtesse de Boufïlers ne put se rendre en
Suède malgré les invitations pressantes de Gustave III. A diverses
reprises il lui avait envoyé M. de Cederhielm qui était chargé
de la déterminer à passer en Suède mais Madame de Boufïlers,
se retranchant derrière les difficultés du voyage et ses embarras
pécuniaires, remettait d'année en année ce déplacement qui
cependant n'eut été ni fatigant ni onéreux pour elle puisque
M. de Cederhielm avait mission de préparer tous ses gîtes
d'étape et de régler toutes les dépenses du voyage. Ce fut Gus-
tave III qui vint en France en 1784, cachant sa personnalité
sous le nom de comte de Haga. Madame de Boufïlers qui n'avait
point rencontré son royal ami depuis le séjour qu'il avait fait
à Spa en 1780 et où elle s'était rendue pour le retrouver, fut
tout heureuse d'apprendre la détermination du roi de Suède.
Quand le voyage fut officiellement décidé, Madame de Boufïlers
lui fit savoir quelles fêtes somptueuses on préparait en son
honneur ; mais Gustave III lui répondit qu'après un bref séjour
à Versailles, il entendait demeurer libre de vivre à sa guise
et de visiter seulement telles personnes qui lui plairaient.
Il désirait surtout éviter les philosophes, gens importuns qu'il
détestait. Malgré l'affection qu'il portait à ses sujets résidant
en France, le roi de Suède ne se souciait pas de les voir venir
à sa rencontre.
GUSTAVE III ET MADAME DE BOUFFLERS 381
En arrivant d'Italie à Lyon il écrivait à Madame de Boufïlers
de ne pas dévoiler le jour de sa venue à Fontainebleau. « Je
crains la foule des Suédois qui ne feroit que m'incommoder K »
L'intimité des relations de Gustave III et de Madame de
Boufïlers éclate à la lecture de leur correspondance ; cette affec-
tion était connue des Suédois établis à la Cour. Au vrai, ce n'était
pas seulement avec l'amie du roi qu'ils se montraient gracieux.
Le comte de Creutz marquait dans ses lettres à son souverain
que Mesdames de Lauzun, de Luynes, de Brancas et de la
Mark, cette dernière un peu jalouse de l'amitié de Gustave III
et de Madame de Boufïlers, accueillaient avec sympathie les
jeunes Suédois. Elles ne pouvaient notamment se passer de
M. de Stedingk.
Entré au Roy al- Suédois en 1766, de Stedingk cherchait une
occasion de se distinguer. Avec plusieurs autres de ses compa-
triotes au service de Louis XVI, de Nauchkofï, Petersen, Briim-
mer, Grubé, Cederstrôm, il partit au début de 1779 pour prendre
part à la guerre d'Amérique. Blessé lors de la prise de la Gre-
nade, il participa à l'expédition malheureuse de Savannah
qu'il avait cependant déconseillée au comte d'Estaing. A son
retour en France, il reçut de Louis XVI l'ordre du Mérite, fut
admis à la Cour et y connut les plus vifs succès. En 1784, le
comte de Haga eut maintes fois l'occasion de rencontrer Ste-
dingk chez les amies de la reine ; il était de leurs commensaux
favoris. Malheureusement pour lui et quelques-uns de ses
compatriotes, la guerre de 1787 entre la Suède et la Russie
l'obligea à regagner la Finlande. Au cours des nuits glacées,
Stedingk évoquait le souvenir des brillantes fêtes de Versailles
mais en officier dévoué, il écrivait à Gustave III : « Le ciel me
fait la grâce de ne pas trop songer à la France ; c'est la plus
forte preuve que je puisse donner de mon attachement à Votre
Majesté 2. »
Les exploita de Stedingk en Amérique l'avaient rendu popu-
laire a Paris ; on donna sur un théâtre une pièce dans laquelle
il était repiésenté à l'assaut de Savannah. Mademoiselle Necker
1 . Lettres de Gustave III à madame de Boufflers, p. 330.
2. A. Geffroy, Gustave III et la Cour de France, t. I, chap. vi.
382 LES ÉTRANGERS EN FRANGE
composa des vers en son honneur ; cette jeune fille était alors
la plus riche héritière de Paris et les amis de Stedingk songeaient
à la lui faire épouser. Mais, déjà, Mademoiselle Necker avait
une inclination pour un autre Suédois : le baron de Staël qui,
depuis 1776, était attaché à l'ambassade de Suède près de la
cour de France.
« Agréable de sa personne, instruit, laborieux, réservé, d'un
esprit fin et délicat » le baron de Staël avait acquis les sympa-
thies du comte de Creutz, son chef ; après l'avoir élogieus ,ment
noté, l'ambassadeur de Suède écrivait à Gustave en 1778 :
« M. de Staël réussit admirablement. La comtesse Jules de Poli-
gnac a pour lui la plus tendre amitié ; il est extrêmement bien
avec toutes les personnes à la mode... »; cinq ans plus tard
Creutz mandait à son souverain : « Votre Majesté ne peut pas
imaginer à quel point le roi et la reine s'intéressent à M. de
Staël : le roi l'aime autant que la reine et le traite avec une véri-
table affection. De l'aveu du roi lui-même, M. de Staël a des
audiences particulières de la reine, ce que, comme ambassadeur,
je ne puis, moi-même obtenir. »
Ainsi appuyé le baron de Staël portait haut ses prétentions ;
il était de naissance illustre mais sans fortune ; pour sou-
tenir l'éclat de son nom il lui fallait contracter un riche mariage.
Il demanda la main de Mademoiselle Necker. Une véritable
campagne diplomatique s'engagea au sujet de cette union.
Pour accorder leur consentement, les parents exigeaient que
Gustave III donnât pour toujours à M. de Staël l'ambassade
de Paris, une pension de 25.000 livres au cas où ce poste lui
serait retiré, le titre de comte, l'ordre de l' Étoile-Polaire. En
outre, M. de Staël ne devait jamais, sauf pour de courtes
absences, emmener sa femme en Suède.
Par l'insistance de Madame de Boufflers, par l'intermédiaire
•de Louis XVI et de Marie-Antoinette, grâce à l'appui de M. de
Creutz, lui-même, M. de Staël obtint l'ambassade de France
en 1783. Bien que la condition essentielle du programme de
Necker fut remplie le mariage n'eut cependant pas lieu avant
•deux années révolues; il ne fut célébré qu'au mois de jan-
vier 1786.
LE BARON DE STAËL 383
Ambassadeur de Suède auprès du roi, le baron de Staël a
laissé une volumineuse correspondance adressée à son souverain
qui s'étend de l'année 1784 au début de février 1792 \ Cette
correspondance est curieuse à plus d'un titre. Outre qu'elle fait
revivre les événements du début de la Révolution, elle dénote
de la part de l'ambassadeur un tempérament libéral dont les
conceptions politiques sont diamétralement opposées à celles
de Gustave III. « Ce prince se posant en paladin de la royauté
ne songeait à rien moins que de rallier, sous son commandement
tous les rois de l'Europe afin de voler au secours de Louis XVI
et de relever son trône. » Pour mettre ses projets à exécution
il était venu s'établir à Aix-la-Chapelle ; de là, il surveillait
avec une attitude hostile les chefs de la Révolution. Il avait
même en Axel Fersen un homme de confiance chargé de contre-
carrer les vues du baron de Staël.
Au début de février 1792, ce dernier avait quitté Paris pour
la Suède ; il y revint à la fin de l'année. Le duc de Sudermanie,
régent du royaume après l'assassinat de Gustave III, appré-
ciait les projets du baron de Staël, totalement différents de ceux
de Fersen ; il désirait un rapprochement avec la France révolu-
tionnaire et avait chargé son ambassadeur de négocier dans ce
sens. Un traité avantageux avait même été offert par Lebrun
à la Suède à la condition qu'elle reconnut la République fran-
çaise mais le régent n'osa accepter ce pacte d'alliance ; il eut
peur d'ameuter tout le pays et l'Europe entière contre lui.
Les efforts du baron de Staël avaient été vains. Il quitta la
France avec sa femme en 1793, se retira à Coppet, voyagea,
alla en Suède et revint à Paris en 1795. A ce moment, il prit sur
lui de faire reconnaître la République par la Suède, fut solen-
nellement reçu par la Convention le 4 floréal et seul, prépara
un traité d'alliance entre les deux pays. Désavoué par îe duc de
Sudermanie qui se rapprocha de la Russie, il reçut l'ordre de
quitter son poste et au cours de l'été de 1796, se retira définiti-
1. L. Leouzon Le Duc, Correspondance diplomatique du baron de Staël Holstein.
Pttllt, 1884. Introduction et p. 255 et suiv. — Correspondance de la comtesse de
Boufllers..., passtm. — CM. Baille, Notes sur le baron de Staël. Extrait des Annales
franc-comtoises. Besançon, 1895.
384 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
vement à Coppet. Au cours d'un voyage qu'il effectua en France,
il mourut à Poligny, le 19 floréal an X.
Au nom du baron de Staël s'oppose tout naturellement celui
d'Axel Fersen.
En 1771 Axel Fersen a seize ans ; il est aspirant dans un régi-
ment de la garde. L'âge est venu pour lui d'accomplir son tour
d'Europe, il part avec son précepteur Bolemany. Après un séjour
en Italie, il est à Paris à la fin de 1773 ; aussitôt il est accueilli
dans les salons et à la cour. Le jour de l'an 1774, il est présenté
au roi ; le 10 janvier, il assiste à un bal intime donné par la
Dauphine et le 30, cause longuement avec elle au bal de l'Opéra.
Ses succès mondains sont nombreux et Creutz, ambassadeur de
Suède à Paris, écrit à Gustave III pour lui vanter l'esprit et le
caractère du jeune Fersen.
La mort de Louis XV interrompt les fêtes. Fersen part pour
Londres le 26 mai 1774. Quatre ans plus tard, il revient à Ver-
sailles. « Vieille connaissance » de Marie-Antoinette, il est admis
dans le cercle intime de Trianon1 ; Fersen participe à toutes les
fêtes, chez la Dauphine, la princesse de Lamballe, Madame de
Polignac. Creutz mande à son souverain que la reine ne quitte
des yeux le sémillant Suédois. Fersen comprend la sympathie
qu'il inspire. Il demande à partir en Amérique, fait la campagne
puis, la guerre terminée, revient à Versailles. Par la protection
du ioi de Suède et de Marie-Antoinette, il devient propriétaire
colonel du Royal- Suédois ; il ne demeure pas longtemps à la
tête de son régiment. En effet, Gustave III le désigne pour le
suivre en Italie ; après huit mois de séjour dans la Péninsule
le roi de Suède vient à Paris, Fersen est à ses côtés. Ensemble,
ils passent en Suède. Fersen y demeure quatre mois, rentre
à Paris, s'en éloigne pendant deux ans pour prendre part à la
guerre russo-suédoise mais avant même que cette guerre soit
terminée, il est renvoyé en France. Fersen y arrive à la veille
des événements révolutionnaires.
Si de temps à autre, il est obligé de se rendre à Valenciennes
où son régiment tient garnison, c'est à Versailles que Fersen
1. O.-G. de Heidenstam, Marie- Antoinette, Fersen et Barnave. Paris, 1913.
AXEL FERSEN 385
passe la majeure partie de son existence. Dans les conjonctures
angoissantes au milieu desquelles se meuvent Louis XVI et
Marie-Antoinette, Axel Fersen se montre l'un de leurs amis très
sûrs. Pour eux et pour « celle que jamais un instant il n'a cessé
d'aimer et tout du tout il aurait sacrifié », Fersen sera le plus
dévoué des chevaliers. Il s'entremet pour faciliter l'entrevue
secrète de Mirabeau et de Marie-Antoinette à Saint-Cloud
et prend la part la plus active à l'organisation de la fuite à
Varennes. Il prépare les plans, combine le voyage, obtient les
passeports de la famille royale et, le jour venu, il conduit lui-
même la berline de Louis XVI jusqu'à Bondy ; puis, laissant
la voiture poursuivre sa route, il se rend en hâte à Mons. Gus-
tave III réside à Aix-la-Chapelle ; il y est venu pour suivre les
événements et s'efforcer de sauver le roi de France. C'est là que
Fersen doit l'aviser de l'issue de l'entreprise.
On sait le reste et comment le preux Suédois essaya d'orga-
niser une nouvelle tentative de fuite sans réussir à persuader
à Louis XVI de l'entreprendre. Les événements se précipitent,
Louis XVI est exécuté, Fersen par tous moyens essaie de sauver
Marie-Antoinette. Gustave III étant mort et le régent du royaume
le duc de Sudermanie, cherchant à se rapprocher de la France
révolutionnaire, l'ami de la reine essaie de le détourner de cette
politique. Mais tous ses efforts sont vains et c'est à Bruxelles
que Fersen apprend que, le 16 octobre, la reine est montée sur
l'échafaud. « Ma douleur est à son comble et je ne sais comment
je puis vivre et supporter ma douleur. Elle est telle que rien
ne pourra jamais l'effacer. J'aurai toujours présente devant
moi, en moi, son image... Tout est fini pour moi... », écrit Fersen
à sa sœur Sophie.
Ce chevalier sans peur et sans reproche qui portait les cou-
leurs de la reine et n'avait qu'un désir, mourir pour « sa dame »,
ne regagna la Suède que lors de l'avènement de Gustave IV,
en 1796. Il fut nommé grand maréchal du royaume.
25
CHAPITRE II
Les Danois en France
I. Relations franco-danoises au moyen-âge ; étudiants danois à Paris et Orléans.
— II. Danois en France sous le règne de François Ier ; traités de commerce
franco-danois. — III. Étudiants, voyageurs et savants en France au xvii* siècle ;
médecins célèbres à Paris ; Winslow. — IV. Souverains et princes danois à Paris
et en France ; artistes et commerçants danois au xvine siècle. — V. Officiers
danois au service de la France : Rântzau, Lôwendal.
Au xne siècle les Danois étaient chrétiens et ces anciens pirates
avaient cessé de menacer l'Europe de leurs ravages. Leurs
mœurs, sous l'influence du christianisme s'étaient adoucies
et les Danois cherchaient à se mêler aux peuples civilisés.
A la faveur des croisades auxquelles ils prirent, ainsi que les
autres populations Scandinaves, une part fort active *-, les
Danois avaient appris à connaître la France et ils s'étaient
accoutumés à venir demander à ses écoles et à ses monastères
les moyens de s'instruire.
Dès 1152, Eskill, futur archevêque de Lund, accomplissait
un voyage d'études en France, il se liait avec Pierre de Celles,
Geoffroy d'Auxerre, Jean de Salisbury ; deux ans après, il
revenait à Clairvaux puis en 1176 se retirait complètement
dans la célèbre abbaye cistercienne où il mourut en 1181 a.
Son successeur sur le trône archiépiscopal de Lund, étudiait
1. P. Riant, Les Scandinaves en Terre Sainte. Paris.
2. Laporte du Theil, Mémoire concernant les relations qui existaient au XIIe siècle
entre la France et le Danemark, dans Mémoires de l'Institut. Littérature et Beaux-
Arts, t. IV, p. 212 et suiv.
RELATIONS FRANCO-DANOISES AU MOYEN AGE 387
à Paris en 1178. Sur ses instances, Guillaume, chanoine régulier
de Sainte-Geneviève, passait en Danemark où il devait mourir
comme abbé du monastère de Ebelholt en Seeland. Durant
quarante années Guillaume vécut en Danemark mais il ne cessa
jamais de correspondre avec la France; il y revint d'ailleurs
à diverses reprises. Ce fut lui qui participa aux négociations
du mariage de Philippe- Auguste et d' Ingeburge de Danemark
et détermina le roi de France à envoyer en Danemark, en 1193,
une ambassade chargée de demander à Kanut YI la main de
cette princesse l.
Cette union était des plus habiles au point de vue politique.
Ingeburge appartenait en effet à une race royale en possession
d'anciens droits sur le royaume britannique car elle était de la
maison des Estrithides qui, se croyant légitime héritière de la
double couronne danoise et anglaise de Hard-Kanut, mort
en 1042, traitait d'usurpateurs les descendants des rois nor-
mands. Au sein même de l'Angleterre, s'était formé un parti
d'opposition contre les Plantagenets et Philippe-Auguste sui-
vait les gestes de ce parti. L'occasion de créer des difficultés
à l'Angleterre était favorable ; Richard Cœur de Lion était pri-
sonnier en Allemagne et avec l'aide de son beau-frère Kanut VI,
possesseur d'une puissante marine, Philippe-Auguste espérait
réaliser au profit de la France le démembrement de la monar-
chie britannique.
Philippe-Auguste agréé par Ingeburge de Danemark celle-ci
fut amenée en France par l'évêque de Roeskilde. Il est pro-
bable que la princesse danoise amena avec elle quelques compa-
triotes chargés de constituer sa maison.
Le mariage royal eut lieu à Amiens le 14 août 1198 et le
lendemain, Ingeburge était sacrée reine de France ; mais dès
le 15 novembre, par sentence rendue à Compiègne, l'archevêque
de Reims, oncle de Philippe-Auguste, Guillaume aux Blanches
Mains déclarait nul le mariage du roi. La reine fut enfermée
à Cysoing. Il n'y a pas lieu de relater les événements qui sui-
virent cette sentence, la lutte entre la royauté et la Cour de
1. Id., Ibid. — A. Germain, L'alliance franco-danoise au moyen-âge. Montpellier,
1871.
388 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Rome ; il suffît de rappeler que Philippe- Auguste finit par re-
prendre près de lui Ingeburge de Danemark, passa à ses côtés
les dix dernières années de sa vie et qu'elle-même ne mourut
qu'au mois de juillet 1236 l*
Malgré ses démêlés avec Ingeburge, Philippe - Auguste
avait fondé l'alliance franco-danoise ; ses successeurs n'atta-
chèrent pas moins de prix à cette union et elle se resserra sous
les premiers Valois. La France avait besoin de l'appui du Dane-
mark contre l'Angleterre et les rois de Danemark pouvaient
espérer, grâce à notre concours, voir aboutir la revendication
de leurs anciens droits sur la couronne britannique 2.
Au début de l'année 1356, le roi Jean le Bon envoyait au roi
Valdemar III une ambassade chargée de lui proposer un mariage
entre leurs enfants respectifs mais la captivité du roi avait arrêté
les négociations 3. Tandis qu'il était retenu prisonnier chez les
Anglais, Charles V, alors régent et aux prises avec des difficultés
intérieures songea à effectuer un débarquement en Angleterre
et concerta ce projet en 1359 avec Valdemar III, roi de Dane-
mark. Les Écossais et les Gallois devaient prendre part à la
lutte contre Edouard III 4. Le plan des alliés ne put être mis
à exécution ; néanmoins l'accord subsista entre les deux pays.
En 1364, Valdemar III vint à Avignon rendre visite au pape
Urbain V et le Dauphin l'envoya saluer par son sergent d'armes 5.
Au xve siècle, la politique d'alliance entre la France et le
Danemark était encore vivace ; en 1456, Charles VII et Chris-
tiern Ier s'engageaient par un traité à attaquer en commun
l'Angleterre 6.
L'union des deux pays depuis la fin du xne siècle n'était
pas basée sur de seuls mobiles politiques ; elle était étroite au
point de vue religieux, moral et intellectuel. Des privilèges
1. H. Géraud, Philippe-Auguste et la reine Ingeburge, dans Bibliothèque de
l'Ecole des Chartes, 2e s., t. I, p. 1 et 92. — J. Mathorez, Guillaume aux blanches
mains. Chartres, 1912, p. 65.
2. A. Germain, L'alliance franco-danoise au moyen-âge.
3. L. Delisle a publié ce mandement du 13 février 1356, dans Revue des Sociétés
savantes, juillet 1866, t. IV, p. 33.
4. A. Germain, op. cit., p. 15.
5. L. Delisle, op. cit., voir note 3.
6. A. Strindberg, Les Relations de la France avec la Suède, p. 49.
ETIENNE DE TOURNAI ET LES ÉTUDIANTS DANOIS 389
avaient été accordés aux moines de Clairvaux parcourant le
Danemark. En vertu des lettres royales signées par Valdemar II
en 1229 et en 1230, les religieux français étaient exempts de la
douane dans les ports danois, des droits d'accise sur les marchés
et ils devaient être défrayés par les sujets du roi 1. De leur côté,
les Danois qui passaient en France, et ils étaient nombreux,
étaient libéralement accueillis.
Le chanoine Arnold de Lubeck qui vécut au commencement
du xme siècle rapporte que de son temps les Danois déposant
leurs anciens vêtements d'hommes de mer commencèrent
à s'instruire ; les principaux d'entre eux envoyaient à Paris
leurs enfants qui y devenaient habiles. Ils y étaient bien reçus.
Etienne de Tournai qui était le protecteur des étudiants étran-
gers, pourvoyait à leur logement, à leur entretien, et comme
un banquier faisait les avances de la pension que les parents
assignaient à leurs enfants, eut avec les jeunes Danois de fré-
quentes relations. Il fut chargé par Absalon, archevêque de
Lund, de surveiller l'éducation de ses deux neveux André et
Pierre, fils du chancelier Surnom. André qui devint chancelier
fut l'un des défenseurs d'Ingeburge de Danemark lors de son
divorce. Etienne de Tournai s'occupa d'Orner, futur évêque de
Ripen qui passa sa jeunesse à Paris puis de Valdemar, fils natu-
rel de Kanut V. Les relations d'Etienne avec les Danois étaient
suivies ; il s'en autorisa pour solliciter d'eux des fonds destinés
à la réparation de l'église Sainte-Geneviève, leur rappelant que
cette église avait été ruinée par leurs ancêtres 2.
De Paris, des Danois emportaient le goût des discussions lit-
téraires. L'évêque Viborg Gunner qui avait étudié en France,
avait fondé dans son diocèse une Académie où il se plaisait
à argumenter contre les clercs parisiens 3.
Bien antérieurement à la fin du xme siècle, les étudiants danois
étaient suffisamment nombreux à Paris pour qu'un de leurs
compatriotes songeât à fonder un collège destiné à les abriter.
1. Hans Olrik, Deux documents danois de 1230 (traduction de E. Beauvois).
Copenhague, 1895.
2. La Porte du Theil, op. cit.
3. A. GefTroy, Les Etudiants suédois à Paris au XIV* siècle, dans Revue des
Sociétés savantes, année 1858, p. 659-669.
390 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Sous l'administration de l'abbé Eudes II qui gouverna l'ab-
baye de Sainte-Geneviève entre 1266 et 1275, Johannes Dacus
donna à cette abbaye un manuscrit d'Avicenne et d'autres
ouvrages de médecine d'une valeur de 40 livres parisis ; de plus,
il céda aux écoliers du royaume de Danemark étudiant à Paris
une maison située dans la seigneurie de l'abbaye de Sainte-
Geneviève. Cette donation constitua probablement l'acte primor-
dial de la fondation du collège de Dacie. Les écoliers danois
échangèrent plus tard la maison que leur avait donnée Johannes
Dacus contre une autre située dans la rue de la Montagne-
Sainte-Geneviève entre le collège de Laon et le couvent des
Carmes puis, à la fin du xive siècle, ils vendirent aux Caimes
cet immeuble. L' Université représentée pai son recteur s'opposa
à cette aliénation mais le Parlement ae Paris, en 1384, rendit
un arrêt contraire à ses prétentions. A l'occasion de ce procès,
il fut rappelé que « l'an mil CCLXXV, un docteur du pays
Dacye donna un hostel assis à Paris pour les escoliers du royaume
Dacye » l,
A dater de la fondation de ce collège, le nombre des étudiants
danois se multiplia à Paris ; ils profitèrent des riches revenus
dont, en 1316, le roi Erik Menved dota leur maison. Plusieurs
recteurs de l'Université furent choisis parmi les aiciens étudiants
d'origine danoise qui avaient été les hôtes du collège de Dacie :
Hennings en 1312, le mathématicien Piene Dacj en 1326,
Jean Nicolaï en 1348 8.
Des jeunes hommes venaient a Paris poui étudier la méde-
cine. Jean de Dacie, originaire de Seeland au diocèse de Roeskilde
fut reçu docteur en 1419 ; Petrus Auricii, procurât 3ur de la nation
allemande, en 1469, était natif du diocèse de Lund 3. Toutefois
l'examen des registres des Actes de la Nation allemande de
l'Université de Paiis prouve qu'au xve siècle, les Danois avaimt
quelque peu oublié le chemin de la capitale française.
Au moyen-âge, quelques Danois vinrent sans doute étudier
1. Arch. Nat., XI» 1472, f° 305 v°.
2. A. Geffroy, op. cit., passim.
3. Dp E. Wkkersbeimer, Médecins danois en France du XIIIe au XV* siècle,
dans Bulletin de la Société française d'histoire de la médecine, octobre 1912, p. 436.
DANOIS A ORLÉANS 391
è Montpellier ; l'Université d'Orléans en compta certainement.
Sous le règne de Philippe-Auguste, « maistre Henry de Dane-
marche, excellent nudecin à Orléans et grant astrologien en
son tems fist de moult et singulières prédictions, jugements,
pronosticationset entre autres predict l'exil des Juifs de France1».
Des inscriptions en caractères runiques ont été retrouvées
dans un ancien cimetière de la ville et Ton sait qu'il exista
à Orléans une colonie Scandinave au moyen-âge ; elle comprenait
des Suédois et des Danois 2.
Des relations amicales ayant existé entre la France et le
Danemark pendant trois siècles, il est à présumer que des négo-
ciants du Nord se sont fixés dans quelques-uns de nos ports.
Les Danois avaient une puissante marine et fréquentaient
nos cités maritimes. Nul document ne permet toutefois d' affir-
mer leur présence à Rouen ou à Bordeaux aux xme et xive siècles.
On doit se borner à constater l'existence de colonies flottantes
d'étudiants à Paris et à Orléans, colonies qui jouirent d'une
véritable prospérité jusqu'aux heures sombres de la guerre de
Cent Ans.
II
De très cordiales qu'elles avaient été au moyen-âge, les rela-
tions entre la France et le Danemark s'étaient fort espacées
au xve siècle. Un traité d'alliance signé entre Charles VII et
Christian d'Oldenburg en 1456 n'eut pas d'influence sur les
rapports commerciaux ; ce pacte, tout militaire, était dirigé
contre l'Angleterre, la Suède et les Hanséates. Louis XII,
» n 1498, conclut avec Jean, roi de Danemark et de Suède, une
convention politique à laquelle s'ajoutent quelques clauses
sur la liberté réciproque du commerce. C'est seulement sous le
régne de François Ier que reprennent réellement les négociations
1. D* J. W. S. Johnsson, Henricus Dacus, De simplicibu» medicinis laxatM*.
Lcyde, 1917, p. 3.
2. Voir supra, p. 341.
392 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
entre la France et le Danemark. Des ambassades nombreuses
sont échangées entre les deux royaumes.
Lors de l'avènement du Père des Lettres, Christian II régnait
seul sur les trois pays Scandinaves. Au mois de novembre 1518,
il renouvelait avec le roi de France les stipulations que son père
et Louis XII avaient signées K Christian était beau-frère de
Charles-Quint ; aussi, pour se gagner son appui contre l'empe-
reur, François Ier, peut-être mal renseigné sur les causes du sou-
lèvement des Suédois contre le cruel Christian II, lui envoya-t-il
des secours en hommes au début de sa lutte contre Gustave Vasa.
Christian fut déposé comme roi de Danemark en 1523 et
remplacé par Frédéric Ier. L'alliance de ce prince luthérien
devait être recherchée par François Ier, cette union rentrant
dans ses conceptions politiques ; tant qu'il régna, des échanges
d'ambassades eurent lieu entra la France et le Danemark.
Il en fut de même lorsque Christian III succéda à Frédéric Ier.
Un traité analogue aux précédents fut signé, à Fontainebleau,
entre la France et le Danemark le 29 novembre 1541 2.
Les pourparlers qui précèdent sa signature amènent en
France des Danois ; plusieurs n'y effectuent que de brefs
séjours ; d'autres, au contraire, semblent s'être attachés au ser-
vice de François Ier. Nicolas Frize, envoyé de Danemark est
gratifié d'un don de 102 livres 3 ; Le héraut d'armes de Fré-
déric, Zalon vient à la cour en 1528 4. Frédéric Selandt
l'accompagne. Pierre Skave et Eskill Bild font de fréquents
déplacements de Copenhague en France ; ils y sont en 1528,
1537, 1539 ; comme plénipotentiaires ils signent de concert
avec Erik Krabben le traité de Fontainebleau en 1541 5.
Georges Lech, comte de Glick, demeure au service de Fran-
çois Ier ; en 1535, il reçoit 450 livres à raison de ses bons offices
et deux ans plus tard, il touche une pension annuelle de
1.250 livres 6. Le roi de France traite favorablement les Danois.
1. Dumont, Corpus diplomaticum, t. IV, prem. partie, p. 282.
2. Id., Ibid., t. IV, 2* partie, p. 216.
3. Catalogue des Actes de François Ier, acte 28906, non daté.
4. Ibid., acte 3173.
5. Ibid. Cf. la table, aux noms cités.
6. Ibid., actes 7947, 10048.
DANOIS EN FRANCE AU XVIe SIÈCLE 393
De tous temps, nos cavaliers avaient prisé leurs chevaux ;
au moyen-âge les souverains du Nord en adressaient à titre de
présent aux Français qu'ils voulaient honorer ; cette estime
pour les montures danoises n'avait pas disparu au xvie siècle
et il se faisait dans nos foires un fort commerce de ces chevaux.
Au mois de novembre 1540, François Ier mande au bailli de
Vermandois de faire restituer à Jean de Ligne, marchand danois,
373 écus d'or, produit de la vente des chevaux qu'il avait
amenés à Paris et qu'on avait saisis sur lui à Saint-Quentin
en vertu de l'ordonnance du 11 septembre 1540 l.
Durant un siècle, de 1541 à 1645, le Danemark et la France
se perdent à peu près de vue. En 1577, les huguenots français
forment une contre-ligue à laquelle s'affilie le roi de Danemark 2
et au mois d'avril 1586 viennent à Paris des ambassadeurs
pour « faire remonstrance au roi sur les mauvais traitements
qu'il faisoit à ceux de la religion ». Henri III les accueille très
mal et le 2 mai ils partent « mal contens et esconduits tout
à plat de leurs demandes » 3. D'après une tradition de famille,
ce serait à cette époque que Jehan Pion, ayant séduit une
fille de maison royale, aurait fui le Danemark pour se réfugier
à Mons et de là à Paris. Ce bourgeois de Ploen ou Pion, petite
ville du Holstein, serait ainsi le fondateur de la famille des
Pion, les éditeurs connus 4.
Dans le Nord, nos véritables alliés sont alors les Suédois.
Pour obéir à des jalousies et à des rancunes traditionnelles
contre eux, les Danois se tiennent isolés pendant toute la guerre
de Trente Ans. A peine signale-t-on le passage en France comme
voyageur de haut lignage d'un fils cadet de Christian IV qui
séjourne à Paris en 1636. Je n'ai pas à rappeler le rôle de média-
teur que joua Mazarin entre la Suède et le Danemark lors des
luttes de ces deux pays ; elles rapprochèrent les cours de France
et de Danemark. Vers 1660, notre alliance avec la Suède s'ébran-
lait ; il était utile de remplacer par un autre allié Scandinave
1. Ibtd., acte 22080. - L'ordonnance du 11 septembre 1540 interdisait l'expor-
tation de l'or et de l'argent monnayés.
2. Pierre de l'Estoile, Mémoires Journaux, édition Lemerre, t. I, p. 180.
3. Id., Ibid., t. Il, p. 334.
4. E. Pion, Notre livre intime de famille. Paris. 1893, p. 8.
394 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
celui qui pouvait nous manquer. Or, en Danemark, de graves
événements avaient lieu. La situation financière et économique
était mauvaise ; la bourgeoisie et le peuple reprochaient à la
noblesse son égoïsme et la situation prépondérante qu'elle
^'attribuait vis-à-v's d'une monarchie élective qu'elle tenait
en tutelle. A cette noblesse trop puissante, le peuple et la bour-
geoisie opposèrent la monarchie héréditaire et absolue que le
roi Frédéric III s'empressa de proclamer à la grande satisfac-
tion de la cour de France. Une plus grande continuité de vues
•devenant possible entre deux monarques héréditaires, Louis XIV
écouta les ouvertures que lui fit le roi de Danemark au sujet
d'une alliance entre les deux cours. Cette union politique ren^
tiait en outre parfaitement dans les vues de Colbert car elle
lui donnait le moyen de développer les relations commerciales
entre la France et la Baltique K
Dès qu'il eut été mis au courant des pourparlers engagés
entre Annibal de Sehested et le cabinet français, Colbert écrivit
aux échevins de Rouen de lui fournir des renseignements sur
l'importance du trafic de leur port avec le Danemark, « Je vous
prie, leur mandait-il, de conférer avec les principaux marchands
de Rouen qui ont le plus de connaissance du trafic du Nord
sur ce que l'on pourrait stipuler par ce traité dont les négociants
reçussent plus de profit et qui leur donnât une plus grande
liberté pour trafiquer et de m'envoyer un mémoire le plus tôt
que vous pourrez » 2. Ce traité de commerce auquel songeait
Colbert fut signé au mois de février 1663 et l'année suivante,
à la suite d'interventions diplomatiques, Frédéric III frappait
les sels étrangers importés dans son royaume d'un droit double
de ceux qui provenaient de France. Un important négoce
de sels se créa entre les ports français et danois. Le commerce
des vins se développa également. En 1695, notre ambassadeur
à Copenhague écrivait au secrétaire d'État à la marine : « Il est
certain que les gens de ce pays-ci commencent à se servir du sel
1. Sur les relations politiques de la France et du Danemark, voir A. Geffroy,
Recueil des Instructions aux ambassadeurs... Danemark. Paris, 1895. Introduc-
tion.
2. P. Clément, Lettres de Colbert, t. III, p. 417.
ENTENTE FRANCO-DANOISE AU XVIIe SIÈCLE 395
<de France plus qu'ils ne le faisaient auparavant et que les vins
rouges qui viennent par Bordeaux et par Nantes y sont d'un
plus grand débit et beaucoup plus chers qu'ils n'étaient ci-
devant » 1.
L'année même où était conclu le traité de commerce, un pacte
politique était signé entre la France et le Danemark. Louis XIV,
mais en vain, essayait aussi de rapprocher la Suède et le Dane-
mark. Depuis cette année 1663, des alternatives d'amitié et de
refroidissement se succédèrent entre les cabinets de Versailles
«t de Copenhague ; tantôt le Danemark se rapprochait de la
Hollande, parfois il trouvait plus utile de suivre la politique
extérieure de Louis XIV. Les souverains danois discutaient
parfois avec âpreté le montant des subsides qu'ils exigeaient
pour prix de leur amitié ; néanmoins, envisagés dans leur ensem-
ble, les rapports politiques des deux royaumes furent plutôt
•empreints de cordialité sous le règne du grand roi.
Au xvme siècle, leurs relations furent également courtoises.
Un traité de commerce fut signé en 1742 et renouvelé en 1749.
Un Hanovrien, passé au service du Danemark, le comte de
Bernstorfï, ambassadeur en France pendant six ans, contribua
à la bonne entente des deux pays. Lorsqu'il fut rentré à Copen-
hague et eut pris la direction des affaires étrangères qu'il con-
serva de 1751 à 1770, il continua ses efforts pour maintenir
l'alliance franco-danoise. Au cours de son séjour à Paris, Berns-
torff s'était lié avec le comte de Stainville, le futur duc de
Choiseul, qui devint le ministre des affaires étrangères de
Louis XV en 1758. Entre eux s'échangea une active correspon-
dance politique 2, mais contrairement aux espérances de Berns-
torff, le cabinet de Versailles ne soutint pas le Danemark dans
ses revendications territoriales. Le ministre danois voulait
assuivr à sa patrie d'élection la possession du duché de Holstein
sans lequel la Russie se serait trouvée maîtresse du Danemark.
La Suède s'opposait à Versailles aux désirs de Bernstorlï ;
aussi, peu à peu, les liens se desserrèrent entre les deux pays.
1. Arch. Nat., K 1356, p. 19L
2. Correspondance entre le comte de Bernstorff et le duc de Choiseul (1758-1766).
Copenhague, 1871.
396 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
« Une froideur croissante succéda à l'ancienne amitié jusqu'au
moment où une indifférence complète la remplaça définitive-
ment » 1.
L'intimité entre la France et le Danemark a été, certes,
moins grande qu'entre la Suède et notre pays. Néanmoins,
depuis le milieu du xvie siècle, époque à laquelle les deux
royaumes reprirent contact, des Danois reprirent le chemin de
la France.
III
Dans une étude consacrée à l'écrivain danois Holberg, Legrelle
parle de « la nuit d'ignorance qui au début du xvme siècle
pesait encore sur le Danemark » 2. Cette appréciation défavo-
rable est injustifiée. Les Danois avaient l'amour de l'étude
et on les voit accourir vers la France, qui, pour visiter le pays,
qui, pour s'instruire. Le Danemark, au xvme siècle, a produit
des hommes remarquables et certains d'entre eux ont joui en
France d'une véritable notoriété.
A la seule Université d'Orléans, de 1548 à 1688, ont défilé
trois cents quatre vingt-dix jeunes hommes originaires du
Danemark. Parmi ces écoliers, on relève des noms illustres
comme celui de Tycho Brahé qui fut procurateur de la nation
germanique au cours du troisième trimestre 1611. En 1618,
on note la présence à Orléans d'Henri Rantzau et la même année
que lui étudient sur les bancs de l'Université les trois frères
Ulfeldt, dont l'un, Corfitz, eut une fin d'existence lamentable 3.
Corfitz Ulfeldt, après avoir pris ses grades à Orléans était
rentré en Danemark et y avait épousé une fille de Christian IV ;
par ce mariage il était devenu le beau-frère d'Annibal de Sehes-
1. Comte E. de Barthélémy, Histoire des Relations de la France et du Danemark
sous le ministère du comte de Bernstorff (1751-1770). Copenhague, 1887, p. 3.
2. A. Legrelle, Holberg considéré comme imitateur de Molière. Paris, 1864, p. 35.
3. E. Wrangel, Danske Studenter der ère indskrevne in Natio Germanica ved
Universitet i Orléans, dans Personalhistorisk Tidsskrift, février 1898.
CORFITZ ULFELDT 397
ted, qui fut ambassadeur auprès de Louis XIV en 1661, 1662
et 1666.
Venu au mois d'avril 1647, comme plénipotentiaire en France
il avait été brillamment accueilli à la cour. Anne d'Autriche
l'avait reçu et mandait au roi de Danemark : « Le sieur Cor-
nificius a donné ici tant de preuves de sa suffisance et de son
mérite que nous sommes bien aise d'avoir l'occasion d'en louer
la conduite. » Pour l'honorer, la reine l'avait créé duc en France
et lui avait attribué une pension viagère de 40.000 livres. Maza-
rin, en personne, s'était rendu chez Ulfeldt pour lui faire part
des faveurs qu'on lui avait accordées *.
De retour en Danemark, Ulfeldt entra en lutte ouverte
contre Frédéric III, successeur de Christian IV ; il fut accusé
d'avoir voulu empoisonner le roi. Cette accusation lancée
par une aventurière, Dina Winhofe, fut reconnue sans fonde-
ment mais, mécontent du faible châtiment imposé à l'un des
complices de Dina, Ulfeldt passa en Hollande puis en Suède.
Il se mit au service de Christine et de Charles X Gustave.
A Copenhague on le poursuivit, on le priva de ses biens et de
ses titres. Suède et Danemark étaient alors en guerre ; lorsque
le traité de Roeskilde fut signé entre les deux nations rivales,
des stipulations formelles furent conclues en faveur d'Ulfeldt.
Confiant en Frédéric III, le Danois rentra à Copenhague mais
le roi le fit appréhender et force fut à Ulfeldt de faire amende
honorable. Aigri et irrité, il repiit la route de l'étranger, passa
à Bruges et se flattant de trouver un appui auprès de Louis XIV,
lui écrivit. Mais, respectueux des droits des souverain^, le roi
ne lui répondit pas. Son beau-frère, Annibal Sehested, lui
fit fermer les frontières de France et obtint de Lionne
une circulaire enjoignant aux gouverneurs des provinces de lui
refuser asile. Traqué de tous côtés, Ulfeldt se dirigea vers la
Suisse mais en fuyant Bâle, il mourut de froid en traversant le
Rhin sur une barque.
Peu des Danois qui étudièrent en France eurent une existence
aussi mouvementée. Aux trois cents quatre-vingt-dix jeunes
1. A. GefTroy, Recueil des Instructions aux ambassadeurs... Danemark. Pull,
1895. Introduction, p. xx.
398 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
hommes qui vinrent apprendre le droit à Orléans, il conviendrait
de joindre ceux qui y passèrent comme étudiants en, méde-
cine. Cette science a toujours attiré en France des Danois.
Au moyen-âge, on l'a vu, ils étaient nombreux à Paris ; au
xvie siècle Platter en connut quelques-uns à Montpellier et les
registres de l'Université de cette ville mentionnent un Danois,
André Krag qui, en 1585, s'exerçait à l'art médical *.
Un historien danois a rencontré quelques douzaines de ses
compatriotes immatriculés à Paris, à Orléans, à Caen et à An-
geis 2. Si l'on en juge par les actes de l'église réformée de Sorges,
près Angers, il existait au xvne siècle un petit groupe d'étu-
diants danois dans cette ville. Le 18 mai 1667, le pasteur de
Castelfranc bénissait à Sorges le mariage de Jacques Sidenborg,
Danois, et de Jeanne Soumain ; l'année suivante leur naissait
une fille qui fut tenue sur les fonts baptismaux par Luxdorph,
gentilhomme danois 3.
De ces étudiants quelques-uns firent en France des séjours
prolongés. Ole Worm, qui avait fait ses études à Montpellier
et à Paris sous la direction de Riolant « estimé en sa profession
un des plus doctes non de la France seulement, mais de l'Eu-
rope » 4, exerça à Paris en 1609. Les troubles qui survinrent
après la mort de Henri IV le déterminèrent à rentrer en Dane-
mark. Son fils, Willum Worm suivit la même carrière que son
père ; il pratiqua également la médecine à Paris pendant quelques
année . Annibal Sehested l'avait introduit auprès de la colonie
danoise de la capitale.
Le célèbre Nicolas Stenon ne fut sans doute pas immatriculé
comme étudiant en France mais il y accomplit un séjour de
quelques mois. C'est à Paris, en 1665, dans la maison de Mel-
chissédech Thévenot, en présence d'une foule de savants, que
Stenon tint en français son Discours sur VAnatomie du cerveau.
Ce mémoire, édité en 1669, constitue un véritable monument de
1. A. Germain, Les Pèlerins de la science à Montpellier, p. 15.
2. W. S. Johnsson, Relations médicales entre la France et le Danemark, dans
Bulletin de la Société française d'histoire de la médecine, t. X, novembre 1911, p. 412.
3. Arch. dép. de Maine-et-Loire, E sup. Commune de Sorges.
4. Riolant, médecin, mort en 1606. P. de l'Estoile, Mémoires Journaux, éd.
Lemerre, t. VIII, p. 247.
JACQUES BENIGNE WINSLOW 399'
la littérature médicale. L'auteur y indique les méthodes expéri-
mentales de l'avenir et ses théories anticipent de plus d'un siècle
sur la science de son époque *.
Les relations intellectuelles et politiques entre la France et le
Danemark se développaient concuramment. Des hommes poli-
tiques, des ambassadeurs, des savants se rendaient fréquemment
de Paris à Copenhague et contribuaient à l'harmonie des bons
rapports entre les deux pays. Le mathématicien français Picard
est à Uranibourg en 1671. Il vient envoyé par l'Académie des
Sciences pour déterminer la situation exacte d'Uranibourg
et de quelques points voisins. Erasme Bartholin et Ole Roemer
l'assistent dans son travail. En 1672, Roemer est amené à Paris
par l'abbé Picard. Il est reçu membre de l'Académie et on lui
donne un logement à l'Observatoire, Tout en continuant son
concours aux travaux de Picard, Roemer travaille pour son
propre compte. Une suite d'observations sur les éclipses des
satellites de Jupiter le conduisent à détei miner la vitesse de la
lumière. Pendant son séjour en France, Roemer travailla avec
Picard à la construction des grandes eaux de Versailles et de
Marly ; Louis XIV essaya de retenir le savant danois mais,
nommé professeur de mathématiques supérieures à Copenhague,
Roemer, aux faveurs du roi, préféra son pays et, en 1681, il
rentrait en Danemark après avoir fait un voyage à Londres 2.
Quelques années après le passage de Roemer venait se fixer
à Paris un Danois dont le nom est entre les plus grands des
savants du monde médical : Jacques Bénigne Winslow. Né en
1669, à Odense, le futur anatomiste étudia d'abord quelque
temps en Hollande puis vint à Paris en 1698. Il y suivit les cours
de Duverney dont il devint l'aide en 1704. Nommé membre
de l'Académie des Sciences en 1710, après avoir été médecin
de l'Hôtel-Dieu, il entra à l'Hôpital général et fut spécialement
attaché à Bicêtre. Successivement professeur de chirurgie,
interprète à la bibliothèque royale, docteur régent à la Faculté
de médecine, il fut, en 1743, nommé professeur d'anatomie
1. Johnsonn, op. cit., p. 423.
2. C. F. Bjdçka, Dan&k biograflsk Uxicon. Copenhague, 1887-1905, t. XIV,
p. 490.
400 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
et de chirurgie au jardin du roi. Il prit sa retraite en 1758 et
mourut deux ans après. L'un des plus beaux jours de la vie de
Winslow fut probablement le 18 février 1745, lorsqu'il inaugura
le nouvel amphithéâtre anatomique érigé par la Faculté. Trois
médailles furent frappées pour commémorer l'érection du
monument et son inauguration par Winslow qui y enseigna
pendant plusieurs années l.
Le célèbre anatomiste s'était marié à Paris ; de son union
avec Catherine Gilles étaient nés deux enfants : un fils qui
mourut à Pondichéry puis une fille qui devint Madame de la
Sourdière et dont les descendants ont relevé le nom de Winslow 2.
Si le nom de Winslow appartient à la science il appartient
aussi à l'histoire religieuse car il est lié à celui de Bossuet. Dans
l'autobiographie qu'il nous a laissée, Winslow narie tout au
long sa conversion au catholicisme et ses relations amicales
avec l'Aigle de Me aux. Ebranlé dans ses convictions luthé-
riennes par la lecture des Variations, Winslow étudia d'autres
ouvrages catholiques et partit pour Meaux voir Bossuet. Par
ses exhortations, le grand orateur fortifia chez le médecin ses
idées de conversion, il le fit instruire puis, lui-même, le 8 oc-
tobre 1699, lui administra le baptême et lui donna son prénom
de Bénigne. Une intimité très grande s'établit entre Bossuet
et le nouveau converti : l'évêque offrait ses œuvres à Winslow
et ce dernier le consultait sur les points délicats du dogme.
Bossuet a conservé à la France l' anatomiste danois car à la
suite de sa conversion, Winslow ne désira pas rentrer dans son
pays luthérien. L'accueil que lui aurait réservé son père n'aurait
pas été chaleureux si l'on en juge par le ton des lettres que
Winslow reçut de lui après sa conversion 3.
Bien qu'elle se termine en 1704, année de la mort de Bossuet,
et n'embrasse par conséquent que six années de son séjour à
Paris, l'autobiographie de Winslow contient quelques rensei-
gnements sur les Danois résidant alors en France. En général,
1. Johnsonn, op. cit., p. 425.
2. Dr Paul Delaunay, Vieux médecins sarthois. Le Mans, s. d., lre série, p. 19.
3. Dr Wilhelm Maar, L'Autobiographie de J.-B. Winslow. Paris, 1912, p. 70
et suiv.
LES AMIS DANOIS DE WINSLOW 401
les compatriotes de Winslow, avant de venir à Paris, effec-
tuaient un stage â Leydeou dans quelque autre ville de Hollande ;
ils terminaient par la France leur voyage d'instruction. Au mois
de mai 1698, Winslow quittait Amsterdam avec Foss, son com-
patriote et ami ; ils étaient obligés de séjourner quelques jours
à Bruxelles ne pouvant trouver un moyen de transport pour
Paris « à cause du concours extraordinaire d'étrangers pour
aller en France après la paix qui venait d'être conclue à Rys-
wick ». En arrivant Winslow et son ami songèrent à se loger
près de la rue du Cherche-Midi où était situé l'hôtel de Meyer-
crone, le chargé d'affaires de Danemark à Paris. Comme tant
d'autres, soucieux de se perfectionner dans la pratique de la
langue, le futur anatomiste évita la fréquentation de ses compa-
triotes ; avant sa conversion au catholicisme, il ne les voyait
qu'à l'office luthérien de l'ambassade de Danemark. En 1699,
Foss retourna dans sa patrie. Winslow fit d'Ole Worm son
commensal favori. Ce théologien fut le premier artisan, invo-
lontaire d'ailleurs, de la conversion de Winslow. Ensemble,
le soir, ils débattaient des questions religieuses et à Winslow
incombait le rôle de « papiste ». Pour répondre aux arguments
d'Ole Worm, Winslow fut amené à lire les œuvres des théolo-
giens catholiques et Y Histoire des Variations.
Dans son Autobiographie, Winslow mentionne encore quelques
autres Danois voyageurs ; Muller, le capitaine Buchwall, Meisen,
Sparre et Poggenbag. En 1702, il reçut la visite de son frère
Bruno qui se logea près d'un de leurs alliés de la famille de
Sparre. L' anatomiste fut également en relations avec Borne-
mann. Ce Danois, s'étant lui aussi converti, entra dans les ordres
ainsi que l'avait fait le Père Krattmann. Ayant abjuré, Kratt-
mann, que sa mère avait rejoint en France, vécut à Paris jusqu'à
sa mort, survenue en 1704. Il fut le prédicateur de la Confrérie
des Allemands catholiques de Saint-Germain-des-Prés et le
confesseur ordinaire des Cent-Suisses.
Il y avait à Paris au début du xvme siècle une colonie de
Danois ; aussi est-on surpris de voir que lors de son premier
séjour dans la capitale, Holberg n'ait rencontré que trois compa-
triotes : un médecin qui était peut-être Winslow, un prêtre
26
402 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
qui était peut-être Borneman et un perruquier qu'il faut sans
doute identifier avec Jean Bang, d'Assus, qui fut naturalisé
en 1728 l. Holberg 2, le plus grand des auteurs comiques danois
du xvme siècle et l'imitateur de génie de Molière effectua son
premier voyage à Paris de 1715 à 1716. Il était encore inconnu
et pauvre ; après s'être logé d'abord dans le faubourg Saint-
Germain, il se rapprocha ensuite du quartier de la Sorbonne,
moins fréquenté par les étrangers riches. Lors de ce séjour
Holberg passa son temps dans les bibliothèques et au palais,
ne fréquentant personne. En 1725, lorsqu'il revint en France,
Holberg avait un nom ; il se lança dans la société, fit quelques
visites, alla voir Fontenelle, Lamotte, le P. Hardouin. Il essaya
même de faire jouer par Riccoboni, chef de la troupe italienne,
la comédie intitulée : Le Ferblantier politique mais il n'y réussit
point. Sa pièce avait été jugée trop pleine d'allusions politiques.
IV
Les souverains danois n'avaient pas imité leurs sujets. Nul
héritier de la couronne ou prince régnant n'avait visité la France
jusqu'au milieu du xvne siècle. Le premier, Frédéric III, sur
les conseils d'Annibal Sehested, se décida à envoyer en France
son fils Christian, le futur Christian V. Accompagné de sa suite
comprenant notamment le chambellan Christophe Parsberg
et un secrétaire, Mathesius; Christian arriva à Paris par Calais
au milieu de décembre 1662. Il descendit à l'Hôtel de Flandres,
rue Saint-Martin ; sa suite se logea à l'Auberge de la Croix de Fer.
Après un bref séjour à l'hôtel, Christian devint l'hôte d'Annibal
Sehested. Bien qu'il fut venu incognito, Christian V fut reçu
par Louis XIV avec « un traitement si favorable que S. M.
est persuadée qu'il s'en souviendra aux occasions et que ce lui
sera un motif très puissant pour l'engager fortement dans les
bons sentiments du roi son père. » Durant trois mois Christian
1. Arch. Nat., K 175, liasse 1.
2. A. Legrelle, op. cit., p. 38.
SOUVERAINS DANOIS EN FRANCE 403
fut reçu partout ; une série de fêtes furent données en son hon-
neur. Le bruit courut même qu'il épouserait une princesse fran-
çaise : Mademoiselle de Montpensier ou sa sœur d'Alençon.
La première refusa de le recevoir ne se souciant aucunement
d'aller en Danemark et Christian ne voulut pas de Mademoiselle
d'Alençon « qui n'était pas bien faite ».
Le 30 avril 1663, Christian quittait Paris pour accomplir le
tour classique des provinces de France. A son retour en
Danemark il importa à Copenhague les mœurs de la cour de
Louis XIV. Il eut une vénerie, une fauconnerie et une écurie
luxueuses ; pour leur entretien il envoya même à diverses
reprises en France son grand écuyer Wolf von Haxthausen
avec mission d'acquérir chiens et chevaux l.
Le frère de Christian V, le prince Georges, qui épousa Anne,
reine d'Angleterre, en 1683, visita la France en 1668 ; Frédéric IV
y effectua également un long séjour tandis qu'il n'était encore
crue prince royal. En 1690, il arrive d'Italie, passe en Provence^
vient à Montpellier, Toulouse, Bordeaux, villes où il s'arrête
sous le nom de Comte de Schauenbourg. Partout, il eut du
succès auprès des dames. « Quelques dames le regardèrent »
à Toulouse ; à Montpellier, il s'éprit d'une dame dont le comte
de Broglie, lieutenant général du Languedoc était amoureux.
Frédéric poursuivit son voyage par Rochefort dont il admira
le port, La Rochelle, Nantes, Saint-Malo, Rennes et arriva à
Paris le 20 janvier 1693. Il s'installa à l'hôtel de la reine Margue-
rite, rue de Seine ; à Versailles, le roi le reçut, Frédéric courut
les bals parés et masqués et le bruit se répandit de ses fian-
çailles avec la belle princesse de Conti. Cet homme passionné
ne se maria pas en France, il épousa une princesse de Mecklem-
bourg mais hanté par les souvenirs de la cour de Versailles,
il lui fallut de nombreuses maîtresses, dont l'une, la fameuse
comtesse de Reventlov fut épousée par le roi, au lendemain
même de la mort de sa femme légitime 2.
1. L. Delavaud, Christian V à la cour de Louis XIV, extrait du Correspondant,
année 1914. — A. Gcffroy, Instructions... Danemark, p. 8 et 10, note 1.
2. L. Delavaud, Visite du prince de Danemark à Rochefort, extrait du Bulletin
de la Société géographique de Iiochefort, année 1911. - A. Geffroy, op. cit., p. 121,
note 1.
404 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Les gazettes, les mémoires et les correspondances de l'an-
née 1768 donnent de longs détails sui le voyage de Christian VII
à Paris K Du 14 octobre, date de son arrivée à Calais jusqu'à
son départ de France, au milieu de décembre, le roi de Dane-
mark et sa suite furent en « représentation permanente ». Le
duc de Duras attaché à la personne de Christian VII ne lui
ménagea aucune distraction. Fêtes à la cour, représentations
dans les théâtres qui jouèrent « par ordre » les pièces demandées
par S. M., réunions littéraires, se succédèrent sans trêve ni
merci. La cour et la ville admirèrent la bonne grâce du roi ;
on propagea ses mots, on le prôna de maintes manières. Cham-
fort lui tourna le compliment connu qui se termine par ces vers :
Un roi qu'on aime et qu'on révère
A des sujets en tous climats
Il a beau parcourir la terre
Il est toujours dans ses États.
Seule Mademoiselle Clairon ne goûta pas Christian VII
malgré les présents qu'il lui fit. Elle ne le trouva pas assez
pénétré d'admiration, écrit Grimm. Des actrices de Paris elle
fut la seule de son avis, car dès l'annonce de l'arrivée du roi,
les belles de la capitale avaient bâti force châteaux en Espagne.
Elles comptaient le captiver. « Les unes, raconte Bachaumont,
ont été au-devant de lui en superbes équipages à quatre et
à six chevaux ; d'autres s'installèrent dans le voisinage de sa
demeure, d'autres à force d'argent obtinrent du tapissier de
placer leur portrait dans son salon. La Grandi, de l'Opéra,
dont la cupidité dévorerait un royaume lui envoya sa minia-
ture. Les charmes de ces nymphes échouèrent contre la sagesse
de ce moderne Télémaque; il se conduisit avec une décence qui
fait un honneur infini à ses mœurs et à sa tendresse conjugale. »
La suite de Christian VII montra sans doute moins de retenue
que le souverain mais la chronique du xvme siècle ne relate
sur le compte de ses officiers et secrétaires aucune anecdote
scandaleuse. Le roi seul fixa l'attention des gazetiers.
1. Comte de Barthélémy, op. cit., chap. xm, p. 278. — Bachaumont, Mémoires
secrets, édition P. Lacroix, passim. — Diderot, Correspondance littéraire, t. VIII,.
passim.
ARTISTES DANOIS A PARIS 405
De la cour de France, les souverains danois ne rapportèrent
point que les fâcheuses habitudes de Louis XIV et de Louis XV.
Séduits par notre civilisation et notre art, ils attirèrent
des artistes français à Copenhague ; ils fondèrent dans leur
capitale une Académie des beaux-arts et envoyèrent à Paris
des élèves comme pensionnaires de nos écoles d'art.
Gaspard-Frédéric Hansdorff fut pendant quatre ans élève
de Blondel ; André Weindenhaupt séjourna à Paris en 1762.
Cornélius Ojer s'y fixa pendant cinq ans, de 1763 à 1768. Peders
Als est en France en 1761 ; il se lie avec nos artistes et devient
l'ami de Wille ; il exécute son portrait et, après son départ,
demeure en relations de correspondance avec lui. Wiederwelt,
sculpteur, étudie chez Coustou ; seize ans après, devenu célèbre,
il revient voir ses anciens amis à Paris, au moment où Chris-
tian VII y est reçu K
D'autres Danois se forment dans nos écoles ; Wille mentionne
dans son Journal un ciseleur, Wolfï qui repart en Danemark
en 1759, un graveur du même nom qui gagne l'Italie, en 1762,
avec Azer, médailleur. Tous deux ont été pensionnaires du roi
de Danemark à Paris.
Les Danois qui visitent la capitale sont curieux d'art ; ils
fréquentent les ateliers de nos artistes. Calbiornsen, de Copen-
hague, les visite en 1764 2 ; le célèbre comte de Struensée,
premier médecin du roi, est amené chez Wille par l'Allemand
Stiirtz, secrétaire des affaires étrangères du roi de Danemark
et l'ami intime du graveur. Christian VII est en relations avec
Falconet ; les Danois de sa suite apprécient le talent des maî-
tres français 3 qui ne l'ignorent du reste pas et s'empressent
de lui offrir leurs productions.
Les Danois ne viennent pas seulement à nos écoles d'art
parisiennes ; ils suivent les leçons des maîtres les plus divers.
A la célèbre Académie d'équitation d'Angers se constitue
au xvme siècle une petite colonie de gentilshommes du Nord.
1. P. Lespinasse, L'art français en Danemark, dans Archives de l'art français.
Anm'cs 1912 et 1913.
2. G. Wille, Journal. Cf. les noms cités et t. I, p. 253.
3. Id., Ibid., t. I, p. 389.
406 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Sur la liste des Académistes, je relève les noms du comte de
Blôme, des comtes de Rantzau, du baron de Saldern et de son
neveu, des comtes de Reben et de quelques autres jeunes gens
appartenant à la haute aristocratie du Danemark. Presque tous
sont accompagnés de gouverneurs et de leur suite l.
Ces voyageurs, ces artistes, ces étudiants fournissent au
royaume une population flottante relativement nombreuse ;
sans doute a-t-elle laissé quelques traces de son passage. Mais
s'il a été possible de montrer les migrations de Danois depuis
le moyen-âge, il ne saurait être question d'étudier leurs grou-
pements. Ces forains sont venus isolément et ne se sont réunis
nulle part en colonies. Très peu d'ailleurs paraissent s'être établis
commerçants dans le royaume.
Paris abritait en 1678 Joël Frederistad qui fut l'un des pro-
testants convertis par le fameux Père Athanase 2. Au moment
de la révocation de l'Édit de Nantes, chacun cherche à faire
sa cour à Louis XIV par des méthodes variées. Mademoiselle
de Grammont revient de Copenhague à Paris et ramène sept
enfants danois luthériens qu'elle entend élever suivant les rites
catholiques 3. On ignore ce qu'ils devinrent.
Les lettres de naturalité concédées à des Danois sont rares ;
à peine, pour Paris, relève-t-on la naturalisation d'un tailleur
d'habits, originaire du Jutland : Jean-Pierre Denoix, de son
nom francisé 4 ; en 1688, cet artisan était marguillier de la con-
frérie germanique de Saint-Germain-des-Prés. Une autre lettre
de naturalité vise un perruquier que j'ai déjà signalé 5.
Bordeaux n'a guère accueilli que quatre ou cinq négociants
d'origine danoise, leur histoire est d'ailleurs inconnue. Ces
commerçants avaient nom Alefsen, Petersen, Bentzien et Jean-
Henri Brown, natif d'Elseneur qui se maria à Bordeaux en 1791.
Les armateurs danois qui trafiquaient avec la France n'eurent
pas de facteurs attitrés en Guyenne ; leurs navires cependant
1. O. Raguenet de Saint-Albin, Livre des pensionnaires à l'Académie d'Angers%
dans Revue de l'Anjou, mars-avril 1914, p. 161 et s.
2. Douen, op. cit., t. I, p. 545.
3. Id., Ibid., t. III, p. 429.
4. P. Anselme d'Anvers, Catalogue des marguillier s..., année 1688.
5. Voir ci-dessus, p.
LE MARÉCHAL DE RANTZAU 407
abordaient suffisamment nombreux à Bordeaux et dans les
ports de l'Atlantique pour justifier la présence d'un consul dans
les villes maritimes. Dès 1721, Frédéric IV avait institué un
consulat à Bordeaux ; il fut géré par Frédéric Hanssen de Lilien-
dal et son fils, puis par un sieur Leers K Vers 1780, le consul
danois de La Rochelle, Gustave Noording avait une juridiction
s'étendant sur le Poitou, l'Aunis, la Saintonge et la Bretagne.
Il est vrai que depuis 1773, Jean Grooters, l'aîné, était vice-
consul à Quimper 2.
Marseille, recevait fréquemment des navires danois ; mais
peu de représentants du Danemark habitaient la ville. Conrad
Hauser, négociant suisse, y a cependant amené avec lui
Catherine Oereboë, sa femme, native de Copenhague. A diverses
reprises, en 1772 et 1775, notamment, leurs noms apparaissent
dans des actes de décès 3.
Comme tous les autres pays de l'Europe, le Danemark a
fourni à la France des soldats. Le premier qui s'y fit un nom
fut Josias, comte de Rantzau. Né en 1609, Rantzau servit
d'abord en Hollande puis en Suède ; il accompagna Axel Oxens-
tiern en France et séduit par les offres de Louis XIII, il demeura
au service du roi. Il contribua à la prise de Mardyck, après
laquelle il reçut le bâton de maréchal, et à celle de Dunkerque
ainsi qu'à l'annexion à la France d'une partie de la Flandre.
Ayant été préféré à Gassion, Rantzau fut nommé gouverneur
de Dunkerque. Gagner à la France les habitants de cette ville
lui fut relativement chose aisée ; les séjours de Rantzau en Hol-
lande et en Allemagne lui avaient permis de se familiariser
avec la langue flamande, il pouvait entretenir directement
1. A. Leroux, La Colonie germanique de Bordeaux, t. I, p. 50 et 97, note 2.
2. Arch. dép. du Finistère, B 4588 et B 4421.
3. V.-L. Bourilly, op. cit.t dans Bulletin de l'hist. du protestantisme, p. 541.
408 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
des relations avec les habitants de la ville. Rantzau songea-t-il
à se créer à Dunkerque une principauté indépendante ; pensa-t -il,
comme l'écrivait de Lionne à Servien, à traiter avec les Espa-
gnols pour leur remettre Dunkerque, Bourbourg, Mardyck
et d'autres places ? Ces questions sont demeurées sans réponse
précise. Toujours est-il que Rantzau tomba dans une disgrâce
complète. Sous le prétexte de lui offrir la succession de Condé
dans le commandement des troupes rassemblées autour du
roi, Mazarin fit venir Rantzau à Paris. Dès son arrivée, le maré-
chal fut saisi et conduit, le 27 février 1649 au château de Vin-
cennes. Il y demeura onze mois ; comme on ne découvrit contre
lui aucune preuve de complot, force fut de le relâcher ; mais
au donjon, Rantzau avait pris les germes d'une hydropisie
dont il mourut le 4 septembre 1650. On l'inhuma dans l'église
des Minimes de Chaillot dont il avait été l'un des bienfaiteurs \
Au cours de sa carrière, Rantzau avait reçu près de soixante
blessures ; lorsqu'il mourut il ne lui restait plus qu'un œil,
une oreille, un bras et une jambe ; aussi, ne se souvenant que
de son passé glorieux on apposa sur son tombeau cette épi-
taphe :
Du corps du grand Rantzau, tu n'as qu'une des parts :
L'autre moitié resta dans les plaines de Mars.
Il dispersa partout ses membres et sa gloire.
Tout abattu qu'il fut, il demeura vainqueur.
Son sang fut en cent lieux le prix de sa victoire
Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le cœur.
Plusieurs années se passent sans qu'il soit permis de rencon-
trer d'officiers danois au service de la France mais au temps
de l'alliance de Louis XIV et de Christian V, fut levé, le 1er mars
1690, un régiment dont François Yoël devint le colonel lieu-
tenant. Ce corps fut surtout composé de troupes allemandes
parmi lesquelles se glissèrent très vraisemblablement quelques
recrues danoises. Ce régiment coopéra à la campagne de Rous-
sillon puis, le 15 août 1692, il prit le nom de Royal-Danois et fut
donné au comte de Guldenlôwe, fils naturel de Christian V.
1. E. Bouchet, Le maréchal de Rantzau à Dunkerque (1645-1649). Dunkerque,
1896.
LE MARÉCHAL DE LOWENDAL 409
Yoël en conserva le commandement direct ; son régiment
figura à la bataille de Nerwinde et au siège de Charleroi ; il fut
licencié le 11 février 1698 K
C'est seulement sous le règne de Louis XV que l'on rencontre
en France un autre Danois célèbre : Ulrich Frédéric Woldemar
de Lôwendal. Cet officier descendait de Frédéric III, roi de
Danemark. Après avoir guerroyé en Sicile, en Pologne, après
s'être battu contre les Turcs, il passa au service de la France
en 1743. Des lettres-patentes du 1er septembre de cette année
lui conférèrent le grade de lieutenant général et la faculté
4e lever un régiment allemand. Dans ce régiment, Lôwendal
introduisit les éléments les plus divers ; parmi les officiers on
comptait des Saxons, des Polonais, des Suédois et des Irlandais ;
toutefois, hormis le comte de Lôwendal, son fils et son parent
de Lohenskiold, nul autre Danois ne figure parmi les officiers.
Les hauts faits de Lôwendal sont connus ; il fut l'un des arti-
sans de la victoire de Fontenoy ; dans son poème sur cette vic-
toire, Voltaire célèbre :
Ce Danois, ce héros qui, des frimas du Nord
Par le Dieu des combats fut conduit sur ce bord.
Après les sièges d'Oudenarde, d'Ostende, de Nieuport, Lôwen-
dal fut créé chevalier du Saint-Esprit ; après la prise de Berg-op-
Zoom, en 1747, le bâton de maréchal lui fut accordé. Lorsque
la campagne de 1748 fut achevée, Lôwendal partagea son temps
entre sa résidence de la Ferté et Paris 2. De la Ferté, il voisinait
avec le maréchal de Saxe, hôte de Chambord. A Paris, il fré-
quentait la cour, l'Académie des Sciences dont il avait été élu
membre en 1754 et les alcôves 3. Le maréchal de Lôwendal,
comme son compagnon d'armes Maurice de Saxe, aimait les
femmes de théâtre. Lors du siège de Tournai, il avait fait con-
naissance de la demoiselle Brillant qui avait suivi l'armée de
Flandres ; il la ramena à Paris, la couvrit de pierres précieuses
puis l'abandonna pour reporter ses faveurs sur une demoiselle
1. L. Susane, Histoire de l'ancienne infanterie française. Paris, 1853, t. VIII,
notice 1117.
2. Marquis de Sincty, Vie du maréchal de Lôwendal. Paris, 1868.
3. C. Piton, Paris sous Louis XV, t. IV, p. 181.
410 LES ÉTRANGERS EN FRANCE
Auguste, danseuse de la troupe de Bruxelles, qu'il avait égale-
ment connue en Flandres K
Lôwendal, qui avait abjuré le protestantisme, s'était marié
en Pologne avec la comtesse Szembeck qui l'avait suivie en
France ; en mourant, il laissa sa femme dans une situation
d'autant plus précaire qu'il avait été plus généreux avec ses
maîtresses. Louis XV, qui, à l'instigation de d'Argenson, ennemi
de Lôwendal, s'était montré assez froid avec le vainqueur de
Berg-op-Zoom, fit néanmoins à la maréchale et à ses enfants
une pension de 15.000 livres.
De son union Lôwendal avait eu quatre enfants : trois filles
et un fils. L'une de ses filles se maria en Pologne, Elisabeth
épousa le comte dé Turpin-Crissé, Marie-Louise le comte de
Brancas. Quant à son fils, François-Xavier-Joseph, il eut la
survivance du régiment de son père et mena à Paris une exis-
tence fort joyeuse. Ses maîtresses ne se comptent pas.
A la Révolution, le régiment de Lôwendal fut supprimé
et un décret du 28 avril 1791 accorda à la famille de Lôwendal,
à titre d'indemnité et de pension et en considération « des impor-
tants services rendus à l'État par feu Woldemar de Lôwendal »,
une somme de 300.000 francs. En l'absence de François-Xavier,
la « mère des petits-enfans du maréchal » réclama contre cette
faible allocation ; pour la seule branche directe des Lôwendal,
elle demandait 564.500 livres. L'adresse qu'elle fit parvenir
« aux représentants » était digne et fière. « Le nom de Lôwendal,
écrivait-elle, si honorablement distingué par sa descendance
et ses alliances n'a véritablement reçu sa place dans l'immor-
talité que des mains de la victoire, des fastes guerriers de l'his-
toire et de la reconnaissance des nations nombreuses qu'il a
servies avec éclat » 2.
Les protestations de la comtesse de Lôwendal ne furent pas
entendues. Les événements suivirent leur cours et les descen-
dants directs du maréchal émigrèrent.
1. Id., Ibid., t. IV, p. 62.
2. Adresse aux représentants des François en réclamation du bien patrimonial de
la branche directe et du nom de Lôwendal et Extrait du procès-verbal de l'Assemblée
Nationale du 28 avril 1791. Paris, 1791.
INDEX ALPHABÉTIQUE1
Aarau, 171.
Aban (Mademoiselle), 133.
Abbéma, 332, 333, 335.
Abbeville, 177, 266, 267, 268, 269,
317-319.
Absalon, 389.
Abyssinie, 112.
Adam (Hans), 155 — (Nicolle),
156.
Adelcrantz, 375.
Adelmann (Jacques), 110.
Aersens, 209.
Affinius (Maître), 280, 281.
Agricola, 89.
Aguesseau (d'), 246, 285.
Aiiamer (Richard), 5.
A igues- Mortes, 39.
Aiguillon (Duc d'), 329.
Aix, 223.
Aix-la-Chapelle, 307.
Alabram, 7.
Alard, 249.
Albe (Duc d'), 186, 228, 229.
Albert (Archiduc), 186.
Albert (Duc), 119.
Albessard, 251.
Albit 51, 92 — Jean d'— , 51.
Albert (Maréchal d'), 219.
Alefsen, 406.
Aleman (Thomas), 145.
Alemant (Érard 1'), 6.
Alembert (d'), 136, 137.
Alençon, 160, 315 — duché d'— ,
80, 81.
Alewyn, 316.
Aligre (d'), 75.
Alingsos, 363.
Allemagne (Conrart d'), 4 —
(Pierre d'), 4. — (Helle d'), 5.
(Jehan d'), 6.
Allemant (Jean T), 28.
Alleyné (Jeanne), 167.
Allier (L/), 321.
Alman (L/), 6.
Alquenaer (Van), 286.
Almanieu d'Alhet, 52.
Alsace (1'), 180, 368.
Alstein (van), 314.
Alstromer (Jonas), 363.
Althann (Charles), 45, — (Hu-
bert), 45.
Altoeting, 101.
Altona, 46, 147.
Alvastra, 339 = Stephan d'— , 340.
Amboise, 185.
Amédée (Mademoiselle), 46.
Amiens, 270.
Amsink, 153, — (André), 161,
— (Marie), 161 — (Paul), 155,
161.
Amsterdam, 129, 146, 159, 208,
212, 216, 217, 219, 220, 222,
223, 224-227, 239, 308.
Anacharsis, 137.
Ancennes, 269.
Andlau (Comte d'), 282.
Andréas, 187.
Anfwidson (Swen), 364.
1. Les noms de lieu sont en italique. — Les mots France, Paris, Allemagne,
Jlnllandr, Suède, Danemark, etc., n'ont pas été mentionnés.
412
INDEX ALPHABETIQUE
Angers, 6, 27, 28, 30, 37, 38, 100,
156, 157, 241, 242, 303, 315, 319,
398, 405.
Angoulême, 243, 244, 262, 284.
Anhalt, 104, — Christian d'— ,
79, — Léopold-Frédéric (prince
d'), 46, —
Anhalt-Dessau (Prince d'), 47.
Anjou, 94, 156, 157, 225, 247, —
(duc d'), 180.
Anne, reine d'Angleterre, 403.
Anne (Duchesse), 152, 178.
Anne d'Autriche, 229.
Annonay, 319.
Anselme d'Anvers (Père), 118,
119.
Antonelle de Montmeillan
(Marguerite d'), 236.
Antony, 318.
Anvers, 54, 60, 193, 292.
Apelgrehn (Per), 370.
Apicius, 32.
Argenson (d'), 120, 126, 410.
Ariès (Johann), 146.
Aristophane, 131.
Arles, 236, 237.
Armancourt (Geneviève d'), 282.
Armelin (Jean), 167.
Armeyden (van), 286, 294.
Armfeldt (Baron d'), 371.
Arminius, 37, 231.
Arndt, 136.
Arnolfini, 42, 218.
Arques, 82, 196, 334.
Arsy (d'), 217.
Artois (Y), 180, 333.
Artois (Comte d'), 130, 149, —
Comtesse d', 144.
Aspérenne (van), 302.
Assas (d'), 33.
Asse (Elias), 354.
Asselijn (Jean), 224.
Assus, 402.
Athanase (Le Père), 302, 406.
Atlantique (1'), 179.
Aubignac (Abbé d'), 162.
Aubry DU Maurier, 213.
Aubusson, 162.
Auch, 318.
Auges-en-Périgord, 244.
Augsbourg, 15, 45, 61, 62, 76, 139,
158, 204.
Auguste (Mademoiselle), 410.
Auhan (Charles), 243.
Auneau, 76.
Aunis, 148, 284.
Auray, 288.
Aurelius, empereur, 26.
Auricii (Petrus), 390.
Austerlitz, 142.
Auvergne (1'), 33, 104, 163, 233,
239 — Comte d'— , 328.
Auxonne, 13.
Avantore (Marie), 153.
Avaux (Comte d'), 199, 200, 230,
295-297, 299, 300.
Averhoult (d'), 335 = (Marie d'),
78.
Avicenne, 31, 390.
Avignon, 33, 39, 49, 168, 179.
Baader, 134.
Bachaumont (de), 404.
Backmann, 363.
Bade, 15, — Caroline-Louise de, —
47, — Charles-Frédéric de — , 47.
Princesse de — , 115, — Philbert,
marquis de — , 76.
Bade (Josse), 51.
Baër (Ludwig), 19.
Bahours, 92, 93.
Bailly, 264.
Balbecque, 284.
Balck (Everhard), 220.
Baldenberg (Jacques), 32.
Bâle, 8, 32, 38, 397.
Baltique (la), 113, 114, 115, 360.
Balzac, 217.
Bang (Jean), 402.
Bapst (Georges-Michel), 123.
Baranger (Marie), 29, 157, —
(Pauline), 29, 157.
Barlaeus, 220.
Barneveldt, 228, 321.
Barry (Madame du), 329.
Barthels (Georges- Jean), 356.
INDEX ALPHABETIQUE
413
Bartholius (Erasme), 399.
Bartholomaeus, 33.
Basire, 330.
Basnage de Beauval (Henri),
161.
Basseau, 244.
Bassenge (Paul), 124.
Basserode, 155.
Bastille (la), 124, 125.
Batavia, 129.
Batilly, 82.
Baud (Corneille), 211.
Baudrier (Président), 51, 54.
Baudringhien (David), 222.
Baulduc (Pierre), 95.
Baumgarten, 146, 147.
Baur, 47.
Baurein, 240.
Bavière (la), 9, 10, 25, 38, 56, 85,
111, 141, 164, 171 — Anne de—,
108, Duc de—, 108, Guillaume IV
de — , 181, Louis de — , 101, Marie-
Anne-Victoire de—, 109, 110,
Maximilien de — •, 83, Sophie-
Marie de — , Comtesse de Leves-
tein-Rochefort, 110, Ysabeau
de—, 4, 181.
Bayermann, 147, 153.
Bayonne, 250, 309.
Bazas, 52.
Beaucaire, 39.
Beau.ee (la), 71.
Beaufort (Duc de), 275.
Beauharnais (de), 328.
Beaujolais, 88.
Beaulieu (Mademoiselle de), 149.
Beaumarchais, 130.
Beaumont, 96.
Beauvais, 267.
Beauvaisis, 236.
Beauvau (Prince de), 151.
Beauvigne (André), 69.
Beauvoir, 3.
Beck (François), 147.
Beckenrode (de), 316.
I.i i f:t, 316.
Beecq (Charles-Dominique van),
222.
Béer (Jacques), 167.
Bellay (Jean du), 19, 20.
Bellegarde, 13.
Belle-Isle, 214.
Belle-Isle (Maréchal de), 132.
Bellingant, 103.
Belloc, 312.
Belz, 167.
Beneman, 122.
Bentheim (Comte de), 31, 46.
Bentzien, 406.
Bentzmann (Joseph), 147.
Béra (Guillaume), 265.
Berchem (van), 328.
Berg (van den) dit François Des-
mons, 249.
Berge, 302.
Bergeman (Johann), 122.
Berger (Antoine), 223, 224.
Bergh (Gérard de), 220.
Berg-op-Zoom, 230, 233, 409.
Bergues (Henri de), 184.
Beringhen, 90, 103 = Pierre de — ,
103, Henri de—, 104.
Berlin, 34, 48, 142, 167.
Bermann, 93.
Bernard (Catherine), 121, (Ju-
dith), 166, (Marguerite), 285,
(Noël), 222, (Samuel), 66, 222,
301, 302, 357.
Bern, 341.
Berne, 61, 137.
Bernkoldt (Madame de), 109.
Bernstorff (de), 46, 395.
Berru (le), 18, — Jean, duc de — ,
6, 181.
Bertin, 94, 321.
Bertini (Anne-Élisabeth de), 168.
Berwalde, 345.
Besançon, 101.
Besche (Les frères), 355.
Besme, 72.
Bessner (de), 150.
Bessola (La), 109.
Bethling (Comte Hubert de), 68..
Bethmann (J.), 146, 147.
Béthune, 334.
Betz (Jérôme), 33.
414
INDEX ALPHABETIQUE
Beuningen (van), 202, 261.
Béville, 237.
Beyermann, 310.
Beyma, 333, 334.
Beys (Adrien), 193, (Gilles), 193,
(Christophe), 193.
Bèze (Théodore de), 35, 36, 216.
Béziers, 169.
Bezons (de), 283.
Bicêtre, 399.
Bielke (Clas), 352.
Bièvre (la), 171, 367.
Bignon (L'abbé), 129.
Bild (Eskill), 392.
Binau (von), 41.
BlRCKElMER, 24.
Birens (Jean-Bernard), 154.
Birger (Le roi), 340.
Biron (Maréchal de), 126, 196.
Bismarck, 25, 41.
Bitauré, 136.
Blanchard (Marie), 314.
Blandis, 20.
Blanquefort, 235.
Blanvillain (Marie), 284.
Blau (de), 316.
Blaymard (Le), 90.
Bloemaert (Cornelis), 227.
Blois, 7, 22, 68, 75, 100, 159, 225.
Blomrerg, 131.
Blucheidner (Auguste), 122.
Blumenstein (François-Etienne
(de), 91, 92.
Borart (von), 153.
Bock (Abraham de), 25.
Boehmer (Charles-Auguste), 124.
Boehnès (Adrien), 300.
Boek (Jean), 167.
Boekhorst (van den), 218.
Boekstal (van), 315.
Boelmeny (La de), 127.
BOETZELAËR, 332.
Bohême (La), 96.
Bogar (Wolfgang), 88.
BOHLEN, 83.
Boileau, 224.
Boinerourg (Philippe-Guillaume
de), 43.
Bois-Dauphin (Maréchal de), 158.
Bois-le-Duc, 212, 229, 230.
Boistel, 103.
Boït (Cari), 375.
BOLEMANY, 384.
Bologne, 22, 129.
Bomel (van), 237.
Bommel (François van), 303.
Bondy, 385.
Bone (Hector), 154.
Bonel (van), 284.
BONICKAUSEN, 82.
Bonneuil (Etienne de), 339.
Bonnexal (Abbaye de), 341.
Bonnisi, 63.
Bonzin (Pelonne), 62.
Boomhouer, 323.
Bordeaux, 12, 39, 52, 79, 115, 145,
146, 147, 148, 149, 153, 168,
201, 224, 225, 241, 246, 247,
248-252, 256, 258, 261, 279,
283, 296, 300, 301, 308-310,
316, 318, 319, 323, 330, 361,
362, 363, 366, 391, 395, 403,
406, 407.
Bordelais (Le), 235.
Boreel, 201, 248.
borhmann, 362.
borneman, 402.
Boromini, 226.
Bosche (Gaspard van den), 313.
Bossuet, 400.
Both, 310.
Bothnie, 345.
Botwar, 51.
Botzheim (Johannes de), 24.
Bouchardon, 373, 374.
Boucher (François), 375.
Boudenins (Henri), 212.
Boufflers (Madame de), 345,
378, 379, 380, 381, 382.
BOUGAIN VILLE, 149.
Bouget (Jean), 178.
Bouhours, 138.
Bouillon (Duc de), 65, 97, 196,
215, 237 = Frédéric-Maurice,
duc de — , 37.
Boulle, 122, 123.
INDEX ALPHABÉTIQUE
415
Boulogne, 335.
Boulon (David), 161.
Bouc (Port de), 12.
Bourbon (Henri- Jules de), 108.
Bourbourg, 408.
Bourdowyn (Friedrich), 146.
Bourg (Barbe van der), 303.
Bourg-sur- Gironde, 170.
Bourgeois (Adrien-Suzanne), 224.
Bourges, 6, 19, 20, 27, 28, 35, 39,
74, 75, 181, 220..
Bourgneuf, 11, 152, 178, 296.
Bourgogne (La), 6, 14, 183, 186,
365 = Antoine de—, 180, Duc
de—, 129, 180.
Bourguet (Anne), 224.
Bourgoin, 237, 238.
Bourgueil, 158.
Bourret, 130.
Boursac (Comtesse de), 239.
Bouvron, 112.
Brabant (Le), 179, 181, 195.
Bradley, 238 = Humfroy— , 104,
207, 233, 234, 235.
Bragelongue (Thomas de), 52.
Brahé, 349, 379 (Tycho), 396.
Brahl (François), 131.
Brakel (Girard van), 290.
Braklis (Hermann de), 31.
Brancas (Comte de), 410 =» duc
de—, 328.
Brandebourg (Le), 10, 112, 114,
120 = Albert de—, 39, Jean-
Georges de — , 158, Joachim de —
54, duc de — , 78, maison de — ,
79.
Brandebourg-Culmback (Albert
de), 59.
Brander, 68.
Brandt (van den), 266.
Brantôme, 71, 72, 127.
BllASHB (Jacob), 161.
Bréda, 187, 193, 213, 214, 230 -
Hennequin de — , 193i
Bredenbeck M.:isp;»rd van), 242.
Biu:i)i-:iun>i: (Lancclot de), '2\\K
Brème, 12, 146, 148.
Breslau, 140.
Brest, 155, 210, 211, 273, 274, 275,
278.
Bretagne (La), 5, 11, 12, 93, 94,
151, 152, 153, 154, 155, 160,
177, 201, 212, 262, 363, 364 =
Ducs de — , 129.
Brèves (de), 206.
Briare, 42.
Brie (Marguerite de), 159.
Brimback (Hans), 69.
Brinberg (Michel von), 69.
Brinckmann, 47.
Brinken (Jean), 302.
Briot (Isaac), 118.
Brisach, 65.
Brissag (Maréchal de), 213.
Brissacq (de), 299.
Broderson Rhalamb (Eric), 345,
348.
Broer (Jansz), 214.
Broglie (Comte de), 126, 151 »
Charles- Victor, prince de — , 369.
Brok, 310.
Broleman, 167.
Brôllmann, 93.
Bron (Madame), 223 = (Henri de),
368.
Broninghem (Erasme van), 320.
Brossette, 224.
Brouage, 211, 262, 359.
Brown (Jean-Henri), 406.
Bruges, 154, 178.
Brugman (Henri), 153.
Brummer (de), 381.
Bruneau (Mademoiselle), 103.
Bruneau de Tartifume, 28.
Brunswick (Le), 156 = Duc de — ,
47, 108.
Bruxelles, 410.
Brynolf de Scara, 340.
buchenberg, 159.
buchwall, 401.
Budinszky (Alexandre), 17, 35.
Buffon, 98.
Bulow (de), 25, 84.
Bulstrack (van), 247.
Buninkausen (Benjamin de), 81.
Busch (van den), 290.
416
INDEX ALPAABETIQUE
Butler (de), 288, Joséphine de — ,
marquise de la Vieuville, 288.
Butzelard (van), 285.
Buyn (van der), 218.
Buzenval, 196, 197, 209.
Bye (Jacob de), 285, 294, 297, 299.
Cadix, 168.
Caen, 6, 90, 93, 220, 265, 398.
Caffinière (de la), 296.
Calais, 366.
Calmar, 342, 343.
Cals, 355, 356.
Calvin, 35, 231.
Cambes, 120.
Cambrai, 184.
Cambry, 93, 156.
Campan (Madame), 303, 304.
Campanaire, 51.
Canada (Le), 149, 278.
Canizy, 228.
Capellen (van de Marsch), 330,
332, 333.
Câpres, 289.
Carcassonne, 265, 266, 304.
Cardonne (de), 366.
Careffeu, 312.
Carignan (Prince de), 223.
Carlstrom, 364.
Carlsruhe, 47.
Caroline de Bade (Princesse),
320.
Carolof, 111.
Caron (François), 276, 277.
Carrier, 314.
Cars (Laurent), 133.
Casanova, 134.
Casas, 375.
Caseaux (des), 255.
Casimir (Duc), 74.
Castelfranc, 398.
Cat, 237.
Catalogne (La), 369.
Catherine II, 334.
Caudebec, 291.
Cauze de Nazelle (du), 281.
Çavellat (Denise), 53.
Cayenne, 149, 150, 151.
Cederhielm (de), 380.
Cederstrôm, 381.
Celles (Pierre de), 386.
Cellier (Antoine), 302.
Cellini (Benvenuto), 95.
Cette, 39, 169, 275.
Cévenncs (Les), 93, 355.
Chabot (Charles), 56.
Châlons, 13, 103.
Chambénj, 33.
Chambord, 84, 409.
Chamillart, 357.
Champagne (La), 112.
Champagne, 239.
Champcenetz (de), 329, 330.
Champion (Marguerite), 101,
Champmol, 181, 182.
Chanut, 216.
Chapelle-sur-Loire (La), 159.
Chapston (Corneille), 211.
Chardin, 259.
Charente (La), 243, 244.
Charentes (Les), 148.
Charenton, 103.
Charles IV, roi de France, 4, 87.
Charles V, roi de France, 180,
388.
Charles VI, roi de France, 4, 101r
180, 187, 342.
Charles VII, roi de France, 11,
12, 88, 178, 340, 388.
Charles VIII, roi de France, 5,
67.
Charles IX, roi de France, 13,
20,21,66,72,77,165,185,224,
345.
Charles IX, roi de Suède, 369.
Charles X, roi de France, 149.
Charles X, roi de Suède, 348.
Charles XII, roi de Suède, 358,
371.
Charles le Mauvais, 6.
Charles le Téméraire, 183.
Charles d'Orléans, 7.
Charles-Quint, 54, 55, 60, 61, 68*
Charpentier, 20.
Chartres, 3, 225.
Chaslon (Suzanne), 311.
INDEX ALPHABETIQUE
417
Chassan, 96.
Chasteau- Lambert, 354.
Chastelet (Jean du — baron de
Beausoleil), 91.
Chastre (Seigneur du), 74.
Chateauneuf (de), 306.
Chatelard (Seigneur du), 63.
Chatellerault, 149.
Chaulnes (Duchesse de), 281.
Chaumont-en-Vexin, 234.
Chauvelon, 149.
Chefnen (Baron de), 70.
Chelecque, 72.
Cherbourg, 12, 276.
Chetardie (De la), 110.
Chevillot, 134.
Choiseul (Duc de), 140, 149, 150,
151, 395.
Choiseul-Beaupré (de), 291.
Choisiual, 238.
Chrétienne (Jean le), 341.
Cholet, 271.
Chombart (Paul), 316.
Chrestien de Troyes, 339.
Christian II, roi de Danemark,
342, 392.
Christian III, roi de Danemark,
392.
Christian IV, roi de Danemark,
393, 397.
Christian V, roi de Danemark,
402, 408.
Christian VII, roi de Danemark,
404, 405.
Christian d'Oldenburg, 391.
Christine, reine de Suède, 42,
227, 347, 348, 350, 351, 352, 360.
Christiani, 128.
Cissac, 362.
Cîteaux, 31, 339.
Civille (Isaac de), 290, (Suzanne
de), 290.
Cinila-Vecchia, 350.
Civrac, 237.
Claesens (Cornélius), 219.
Claj me-Euoénie-Élisabeth ( In-
lnite), 119.
Clairvaux, 31, 389.
Claudin, 54.
Clément (Frédéric), 271.
Clerbourg (Jean), 100.
Clermont, 163.
Clermont-de-Lodève, 266.
Clerville, 93.
Clesis (Benedict), 56 = (Jean),
100.
Clèves (Duché de), 103 = Adolf
de — , 7 = Marie de — , 7.
Clock (Thomas), 147, 310.
Cloots (Jean-Baptiste), 136.
Coblentz, 134 = Hans de—, 50.
Cochin, 374.
Cœur (Jacques), 27, 87, 88.
Cognac, 150.
Colas de Brouville = des
Francs, 243.
Colberg, 114.
Colbert, 43, 87, 91, 93, 96, 97,
111, 112, 113, 114, 129, 148,
161, 176, 202, 203, 204, 205,
246, 248, 249, 250, 254, 257,
261-272, 273-281, 285, 287, 292,
294, 295, 302, 353, 354, 355,
356, 360.
Colbert de Croissy, 238.
Colbert du Terron, 273.
Colcat (Jean), 267.
Coligny (Amiral de), 20, 36, 71,
72 = Louise de—, 206.
COLLETET, 218.
Collichot (Marie), 368.
COLLIGNON, 333.
Colmar, 87.
Cologne, 26, 53, 57, 101, 108, 118,
120, 121, 125, 143, 146, 153,
163 = Jean de—, 3, 8, 9.
Colonia, 303.
Comenius, 37.
Compiègne, 225, 350, 351.
Comtat Venaissin (Le), 168.
Condé (Princes de), 65, 71, 73,
74, 206, 217, 329, 408.
Conrad, 31.
Conrart, 217.
Constance, 5, 52, 129, 159.
Constant, 219.
27
418
IXDEX ALPHABETIQUE
Constantinople, 206, 365.
Conti (Princesse de), 403.
Cook, 48.
Coomans (de) 21, 40= Hieronymo
de-, 208.
Coorte (Jean et Adrien), 237
238, 302.
Copenhague, 133, 392, 395, 397,
399, 403, 405.
Copes (Jean), 257.
Coppequin l'Allemand, 6.
Coppet, 383, 384.
Coppin, 259.
Corbeil, 162, 170, 274.
Corbîères (Les), 93.
Corneille (Pierre), 107, 217.
Gornély, 159.
Corrège (Le), 163.
Cosne, 74.
Goste, 295.
COTHEAU, 319.
Gotta, 48.
Gottin, 176.
Coubert (Comte de), 222.
Courcoury, 215, 283, 284.
Courtin, 202, 360.
Coustou, 405.
Goyau, 96.
Gram, 249.
Cramer (Charles-Frédéric), 137.
Grasset de Wolfbergaen, 31.
Craton (Louis), comte de Nassau-
Saarbruck, 83.
Creil-sur-Oise, 330, 331.
Crescent, 122.
Creutz (Comte de), 366, 378, 381,
382, 384.
Crezin, 93.
Crispin de Passe, 226, 227.
Croix (David de la), 238 =
(Adrien), 240, (Jean), 240.
Cromelick (Jean), ou Cromelin,
228, 229.
Crosnière (île de la), 322.
Cruce (Marguerite van den), 123.
Grucius, 238, 239, 284 = (David),
241.
Cruipling, 249.
Cujas, 27.
Cuper (de), 159.
Cysoing, 387.
Dacie (Jean de), 390.
Dacus (Johannes), 390.
Dalder (Madame Palm.), 330.
Dale (Josse van), 235, 236.
Dalliez, 96, 356.
Dammers (Arnold), 147.
Damours (Jean), 56.
Daneau, 216.
Dangeau (Marquis de), 110.
Danglein (Adam de), 56.
Daniel (Le Père), 82.
Dantzig, 125, 155 = Louis Jacques
de—, 27.
Daquin, 281.
Daresche, 312.
Dargent, 280.
Dauphiné (Le), 92, 238.
Dauvet (Jean), 88.
Daveloze, 153.
David d'Angers, 157.
Davy du Perron, 37.
Deber (van), 292.
Déferrant, 249.
Deforge (Marie-Louise), 132.
Degant, 373.
Delaage (Mademoiselle), 37.
Delacourt, 261.
Delacroix (Eugène), 123.
Delft, 219, 220, 333 = Ghisbert
de—, 187.
Dellinghausen (Jen de), 369.
Dellvigk (Baron de), 369.
Delo (Pierre), 250.
Denoix (Jean-Pierre), 406.
Depeister, 289, 301.
Derenstein (Henri), 25.
Dervieu (Mademoiselle), 46.
Descartes, 43, 216.
Deschamps (Mademoiselle), 327.
Desgranges (Jeanne), 281.
Desle, 75.
Desmazes (Mademoiselle), 359.
Desmarets, 357.
Deurbroucq, 312, 314, 315.
INDEX ALPHABETIQUE
419
Deveer, 316.
Deventer, 57.
Devos (Cornelis), 266.
Deyn (François), 45.
Dejabern (Jacques), 6.
Dhaveloose, 313, 315.
Diderot, 47, 121, 132, 136, 137,
138, 324, 329.
Dieppe, 179, 260, 291, 308.
Dierquem (Marie), 161.
Diest (Jean), 130.
Dietz (Albert, comte de), 76.
Dijon, 74, 95, 181, 183, 350.
Dinanl, 95.
DlNGUEMENT-DOENSSEN, 317.
DlOSCORIDE, 57.
Diric (Bogar),212 = (Simon), 275.
Dodart, 129.
Dohnau (Baron de), 76.
Doly (Valois), 166.
Dombes, 63.
DOMITILLA, 329.
Donsbourg (Alexis), 167.
Dorât, 138, 329.
Doré (Anne), 244.
Dormans, 73, 74.
Dormelles, 317.
Dorp, 210.
Dorsch, 48.
Douza (Jacques), 219.
Drambon, 355.
Dresde, 116, 134.
Dricke (van der), 275.
Driesche (van den), 285.
Droc (van den), 286.
Drouet (Geneviève), 157.
Dubois (Le cardinal), 358.
Dubuisson-Aubenay, 154.
Duhamel, 94, 99.
Duffelt (van), 309.
Duiffoproucart (Gaspard), 166,
(Jean), 166.
Duijen (Théodore-Nicolas), 211.
Dumaine, 312.
Dumas, 274, 354.
Dunker, 134.
Dunkenjue, 272, 278, 279, 305,
316, 320, 322, 333, 334, 408.
Duplessis-Mornay, 30, 209, 220.
Dupont de Nemours, 47, 320.
Duquesne, 272, 274, 347, 360.
Durannelle, 167.
Duras (Duc de), 329.
Duren (van), 294.
Dusseldorf, 120.
Duvelaer (Julien), 288.
Duverney, 399.
Dyben (de), 379.
Dyk (Olof), 345.
Dyck (van), 163, 376.
Eaux-Bonnes (Les), 38.
Ebelholt, 387.
Ebert (Joseph-Népomucène), 123.
Eberts, 128.
Ecaquelon (d'), 290.
ECKERSBERG, 45.
Eckard (Jean-Michel), 169.
Echardt (Jean-Godefroi), 134,
139, 141.
Eckmuhl, 108.
Ecluse (L'), 223.
Edouard III, roi d'Angleterre,
340.
Egenfeld, 81.
Eglise (De V), 158.
Egmont (Daniel d'), 310, 314.
Egon de Furstemberg, 83.
Egypte (L'), 43.
Eichstadt, 122, 134.
Eickholz (Adolphe), 26.
Eisen, 138.
Eitel, 19.
Elben (Charlotte-Elisabeth), 160.
Eleis (Daniel), 161.
Etfsborg, 360.
Elgement, 318.
Elisabeth d'Autriche, 102.
Elisabeth, reine de France, 21.
Elisabeth de Suède, 344.
Els (Jacob von), 69.
Elorn, 84.
Embrun, 37.
Emden (van der), voir Affinius.
Emericq (van), 316.
Emery (Suzanne), 250.
420
INDEX ALPHABÉTIQUE
Emler, 147.
Encuriê, 60.
Engleperche, 93.
Enguehart (André), 129.
Enningh, 318.
Ens (Van), 217 = Albert—, 235,
236 = Jean—, 236 = Louis—,
236.
Ensestein, 110.
Entraigues (Abbé d'), 325.
Eon (J.), 253, 254, 257.
Epernon (Le duc d'), 76, 237.
Epi (de 1'), 127.
Epstein, 25.
Equer (G.), 153.
Erard, 4.
Erasme, 183, 184.
Erben, 356.
Erbent de Glahaut, 161.
Ergkelen (Walther), 119.
Erik (Le duc), 340.
Erik XIV, roi de Suède, 344.
Erlach (Jean, Louis, Sigismond
d'), 82.
Erlin (Anne), 64.
Erpen (Thomas van), 217, 218.
Escaut (L'), 305.
Escouville, 90.
Eskrich (Pierre), 165.
Espense (d'), 114.
Espinoza (Pierre d'), 286.
Essarts (Jean des), 57, 89.
Essonne, 42.
Estaing (Comte d'), 381.
ESTERNACH, 157.
Estienne (Henri), 50, 90.
Estoile (Pierre de Y), 27, 193,
228.
Estrades (d*), 203, 277.
Etaples, 103.
Ethiopie (L'), 112.
Evreux, 37.
Eyck, 141.
Faber (Jean), 34.
Fabert (Abraham), 112.
Fabre (Jean), 51 x (Josué), 225,
315.
Fabrice de Gressenich (Pierre),
239, (Otto), 239.
Fagon, 282.
Faltz (Raymond), 352.
Farsan (Le), 51.
Favart, 327.
Favereau, 227.
Faure (Gonnin), 56.
Feillotes, 163.
Fenwick (Nicolas), 362.
Ferdinand II, empereur, 107,
343.
Fermessum, 187.
Ferney, 47.
Fersen (Axel), 370, 371, 383, 384,
385.
Fervaques, 73, 212.
Festing (Christian), 157.
Fettement (Arnaud), 113.
Feuertein (Jean), 122.
Feuille (De la), 355.
Ficq (Adrien), 290.
Finistère (Le), 93, 156.
Finlande, 381 = (Jean, duc de),
344.
Fischel (Catherine), 56.
Fischer (Gaspard), 60, — (Georges
32, — (Jérôme), 19, — (Kuno),
44.
Fismes, 73.
Fister (Olivier), 127.
Fitel de la Brière (André), 93.
FlTLER, 166.
Flac (Philippe), 165.
Flach (Guillaume), 125.
Flamant (Hubert), 212.
Flamman (David), 179.
Flandre (La), 177, 179, 180, 186,
195, 333, 358.
Fleckstein (Jean, baron de), 66,
82.
Fleurier (La demoiselle), 127.
Fleurus, 369.
Fleury (La), dite La Bête, 127.
Fleury (Le cardinal), 365.
Floding (Père), 374.
Florentin (Dominique), 185, 221.
Fluymer, 275.
INDEX ALPHABÉTIQUE
421
Foix, 292.
Fol (Mademoiselle de), 380.
Folsch (Henri- Jacques et Phi-
lippe), 168, 364.
Fonberg (Joseph-Gaspard), 170.
Fontainebleau, 6, 42, 62, 112, 343,
351, 352, 381, 392.
Fontaine-le-Comle, 236, 238, 239.
Fontaine-Peureuse, 236.
Fontenoy, 84.
Forêt-Noire (La), 134.
Forez (Le), 92.
Forge (La), 218.
Forment (Hélène et Nicolas), 163.
Forster (Georges), 48.
Foucard (Adélaïde), 141.
Foucquet, 202, 214.
Fradin (François), 51.
France (Charles de, duc de Berry),
5.
Francfort-sur-le-Mein, 46, 54, 55,
68, 124, 146, 167, 193 = Jean
de — , 3, 15.
Franche-Comté (La), 170, 183, 354.
François Ier, roi de France, 6, 7,
10, 13, 23, 35, 36, 39, 41, 52,
54, 55-59, 60-63, 67-70, 82, 89,
102, 113, 164, 165, 179, 343,
391, 392, 393.
François II, roi de France, 12,
178.
Franconie (La), 41, 121, 134, 158.
Frédéric Ier, roi de Suède, 358,
359, 379, 380, 392.
Frédéric II, roi de Prusse, 116,
122, 126, 135, 306.
Frédéric III, roi de Prusse, 114,
= roi de Danemark, 394, 397.
Frédéric IV, roi de Danemark,
403, 407.
Frédéric- Guillaume, Grand
Électeur, 113, 114 = roi de
Prusse, 332.
Frédéric-Henri, 214.
Freinshemius, 353.
Freisino, 166.
Frêjus, 11.
Freudeberg, 134,
Fribergius (Kalbus), 87, 89.
Fribourg-en-Brisgau, 65, 165.
Friburger (Michel), 50.
Fricke, 128.
Friedel, 137.
Friedrich (Hans), 79.
Frise (La), 178, 183, 195.
Frize (Nicolas), 392.
Froben, 42.
Frossen, 285.
Frost (Jean), 122.
Fugger (Antoine), 19.
FURSTEMBERG, 84, 93, 110 =
Guillaume de — , 69.
Fust (Jean), 50.
Fyrober (Jean), 51.
Gaigeard (Renée), 158.
Gailly du Bret, 219.
Gallien, 57.
Gand, 334.
Gangelt (van), 238 — (Char-
lotte, Constantin, Gaspard, Ma-
rianne), 239.
Gardie (Pontus de la), 359 —
(Madame de), 361.
Garetz (Gertrude), 312.
Gascogne (La), 334.
Gastines (Des), 287, 295, 296,
299, 300.
Gâtinais (Le), 225.
Gaule (La), 180.
Gaussen (Conrad), 234, 235, 250.
Gauthier, 4.
Gautier (Maître), 87.
Gédéon (Rodolphe), 275.
Geiger, 24.
Geizkofler (Luc), 20, 39.
Gelderman, 318.
Gelida, 36.
Gellikom (van), 290.
Genève, 37, 61, 165.
Genouville (Du Plessis de), 210.
Gensanne, 93.
Geoffrin (Madame), 379, 380.
Geoffroy d'Auxerre, 386.
Georg (Jehan), 119.
Georges Ior, roi d'Angleterre, 46.
422
INDEX ALPHABETIQUE
Georges Prince de Danemark,
403.
Georget (Jean-Jacques), 328.
Gérard (André), 184.
Gering (Ulrich), 50, 52.
Gerrart (Marc), 159.
Gerzelle (Christophe), 356.
Gessner (Conrad), 19 — (Hubert),
94.
Gévaudan (Le), 92, 93.
Gibraltar, 149.
Giech (Comte de), 46.
Giens, 208.
Gillberg, 374.
Gilles (Catherine), 400.
Gilly (Charles), 293.
Gioe (Marc), 353.
Giorgione, 163.
Girard (Adrien), 211.
Girault, 24.
Gironde (La), 152.
Giroulst (Marie-Suzanne), 375.
Gisner (Nicolas), 27.
Gladback, 123.
Glezer, 218.
Glick (Comte de), 392.
Glocken-Giesser (Sixte), 51.
Gluck, 134, 141, 142, 143, 147, 270.
Gobin, 376.
Goelnitz (Abraham), 42.
Gœthe, 136.
Golle (Pierre), 226.
Golstein (Charles de), 30.
Goltz (von der), 41.
Gom (Daniel), 167.
Gomar, 231.
Goncourt (de), 134, 377.
Gondelfinger (Daniel), 61.
Gondi, 63.
gonseback, 167.
Gonthier d'Andernach (Jean),
56.
Gorss (Christophe), 147 — (Fran-
çois), 243.
Gottenbourg, 357, 365.
Gouda, 183, 327.
Gouffier (Marquis de), 127.
Gournay (de), 218.
Gourwetz, 169.
Goutte (La), 92.
Graeff (de), 294.
Graffenberg (Jean-Rudolf de),.
30.
Grammont (de), 309 — (Marie-
Béatrice de), 369 = Mademoi-
selle de—, 406.
Granville, 333.
Gras (Clermonde), 166.
Grasser (Thomas), 56.
Gravel (Abbé de), 96.
Gravelin.es, 333.
Greiff (Antoine, Sébastien), 53.
Grenoble. 237.
Greuze, 47, 132, 376.
Grignan (Marquis de), 125, 293.
Grimm, 46, 47, 132, 138, 141, 404.
Gringer (Christian), 125.
Gripenskold (Brigitte), 364.
Grœnenback (Jean), 119.
Groningue, 195, 217, 220.
Groot (de), 203.
Groote (Anne-Marie de), 162 =
(Gérard de), 187.
Grooters (Jean), 407.
Grossen, 45.
Grotius, 217, 231, 203, 350.
Groult, 288.
Grout, 321.
Grubé, 381.
Grumbach (Guillaume de), 69.
Gua (Le), 322.
Gueldre (La), 181, 195, 226 = duc
de—, 58, 69.
Guelff, Guelphe (René de), 58,
68, 89.
Guéneux (Suzanne), 286.
Gueprie (La), 92.
Guérard, 183 — (Grégoire), 184
— (Pierre), 184.
Guilbert, 7.
Guillaume aux Blanches Mains,
387.
Guillaume d'Orange, 203, 307,
331, 332.
Guillaume le Taciturne, 206,
213.
INDEX ALPHABETIQUE
423
Guillaume III, roi d'Angleterre,
308.
Guillot (Marie), 153.
Guise (Les), 20, 21 = duc de — ,
56, 210, - François de—, 72 =
Guillaume de — , 71, 73.
Guisnot (Nicolas de), 293.
Guitte (Nicolas de), dit Scapen-
cas, 211, 212.
Guldemer (Jean), 161.
Guldenlowe (Comte de), 408.
Gunner (Viborg), 389.
Gustave-Adolphe, roi de Suède,
343, 345, 346, 349, 357.
Gustave III, roi de Suède, 343,
371, 375-385.
Gustave IV, roi de Suède, 385.
Gustave Wasa, 343, 344, 392.
Gutenberg, 49, 50, 52, 118, 134.
Gutfrai (Christophe), 158.
Guyane (La), 111, 149.
Guyenne (La), 145, 146, 148, 170,
225, 233, 362, 363, 406 = amiral
de—, 211 = collège de—, 36.
Gyllenheim (Karl Karlson), 367.
Halrecht (Hubert), 310.
Hacken, 134.
Haeghe, 193.
Haentjens, 312, 314.
Haersen (van), 247.
Haerzel (van), 312.
Hafer (Henri), 157.
Hainaut (Le), 180, 183, 186.
Haincelin, 4.
Hains (Gilles), 250.
Hall, 32, 123.
Hall, 366.
Hallman, 366.
Halm (Mathias), 134.
Halsbourg, 306.
Hamar, 341.
Hambourg, 12, 128, 146, 147,
148, 153, 155, 160, 161, 168, 169,
313.
Hambraeus (Jonas), 41, 118, 227,
326, 345-348, 350, 351.
Hambré, 347.
Hamel de Latréaumont (du),
280.
Hamencourt (Jean d'), 37.
Hammerbac (Evrard), 212.
Hanau, 137.
Handermann (Ignace), 159.
Haneman, 121.
Hannequin, 4.
Hannequis (Conrad), 52.
Hanoignas ,179.
Hanovre (Le), 46.
Hanry (Françoise), 288.
Hansdorff, 405.
Harduoin (Le Père), 402.
Haren, 327.
Harfleur, 274.
Harlem, 224, 284.
Harleman (Cari), 373.
Harmadis (Heldroom), 318.
Harmensen, 362.
Harnel (van), 286.
Hartig, 46.
Hartmann, 86, 144 — (Christian),
47.
Hartsocker, 176.
Harville (Marie-Louise de), 369.
Harz, 93.
Hatel (Isaac), 275.
Hattem, 182.
Hattinguer, 326.
Hauffe, 5.
Hauptmann, 137.
Haussonville (African d'), 77.
Hauterive (d'), 219.
Havre (Le), 212, 273, 274, 275, 312.
Haxthausen (von), 403.
Haydn, 144, 147.
Haye (La), 196, 197, 199, 203, 220,
223, 230, 264 = (Corneille de),
185, 224 — (Corneille II de), 185.
Heberlin (Paul), 164.
Hecht (de), 159.
Hedelin (Claude), 162.
Heemskerk (Louis Van), 275.
Heemskerk, 268.
Hegel, 136.
Heglin (Johann), 50.
Heidelberg, 27, 34, 36, 125.
424
INDEX ALPHABETIQUE
Heilfenberg (Comte d'), 83.
Heim (van der), 306.
Heinel (Mademoiselle), 127.
Heinle, 144.
Heinsius, 305, 306.
Heliguer (Ulrich), 56.
Hellaert (Jacques), 249.
Helmer (Jehan), 165, 166.
Helvétius, 45, 47, 136, 147, 281,
282.
Hem (Herman van der), 224.
Heming, 340.
Hemsch (Guillaume), 145 — (Jean-
Henri), 143.
Hendriche (Pierre), 279.
Hendricher (P.), 272.
Hendricq (Corneille), 211.
Hendrix Cop, 275.
Henichau (Georges), 36.
Hennebont, 270.
Hennequin, 95.
Hennings, 390.
Henrerixen, 279.
Henri II, roi de France, 10, 13,
39, 41, 52, 58, 59, 63, 69, 70,
89, 102, 106, 166, 185.
Henri III, roi de France, 13, 66,
75, 76, 77, 78, 106, 159, 196, 224,
344.
Henri IV, roi de France, 14, 24,
36, 40, 41, 64, 66, 77, 78, 79,
80, 82, 90, 95, 102, 103, 104,
105, 108, 121, 153, 154, 158,
195, 196-199, 202, 204, 206-209,
212, 220, 225, 233, 234, 248,
261, 263, 292, 300, 344, 345.
Heinrich (Louis), 34, 252.
Henricq (Jean), 211.
Henrinsen, 272.
Henry, 238 — (Guillaume), 239.
Hentzner (Paul), 40.
Herbestein (Comte de), 157.
Herembach (Jacques de), 51.
Herhan (Louis-Étienne), 137.
Herlant (Josué), 249.
Herman d'Italie, 222.
Herman (Louis), 27 — (Nicolas),
212.
Hermann, 95.
Hermès (Jean), 212.
Herwarth (d'), 42, 66 — (Bar-
thélémy), 64, 65 — (Daniel), 64.
Hesse (La), 84, 137 = Frédéric,
landgrave de — , 41, 83. — Guil-
laume VI, landgrave de — , 42.
Hesse-Cassel, 110, 157 = Amélie
de—, 154.
Hessel, 187.
Hesseler, 61.
Hessen (Heinrich von), 19.
Hetzmanseder (Georges), 34.
Heulen (van), 312.
Heurques (Georges), 179.
Heusch, 323.
Higman (Jean), 52.
Hileken (Jean), 167, 168.
Hillebrandt (Junius), 41 — Mel-
chior), 120 = (les frères)—, 363-
366 — Madame—, 367.
Hillner, 66, 128.
HlNNER, 140.
Hintz, 364.
Hirtenbrauss (Balthazar), 6.
His (Jean), 161.
Hjarne (Urbain), 353.
Hochberg (Cyriaque), 51.
HOCHBRUCKER, 147.
Hocnacher (veuve van), 314.
Hoen (Corneille), 315.
Hoeufft (Anne), 239. (Barbe),
238. (Catherine), 238. (Jean), 238,
239, 257. (Jean le Jeune), 238.
(Marguerite), 238 = Hœufït,
241, 350.
Hoey (Claude), 221, 222. (Jean),
185, 221.
Hoff (Jacob von), 42.
Hoffmann (Daniel), 45. (Michel),
32, 48.
Hogenbergh (Jean), 266.
Hogguer (Antoine, baron de),
357, 359.
Hogendorp (Daniel), 220, 327,
333.
Hogwerf, 311.
Hohenlohe (de), 24, 25, 41.
INDEX ALPHABETIQUE
425
HOHENZOLLERN, 113.
Holbach (d'), 136, 137.
HOLBEIN, 163.
Holberg, 396, 401, 402.
Holden (Christophe), 161.
Holker, 319.
Hollard (Pierre), 285, 299, 300.
HOLLZENDORFF, 92.
HOLTZMANN, 144.
Holstein (Le), 120.
Homberg (Guillaume), 129, 130 =
(Jacques), 167.
Homeau (Barbe), 166.
Homossel, 318.
Honorius III, pape, 31.
HOOGHSTAEL, 310.
HOORNBECK, 306.
Hoos, 285.
Hop, 306, 325, 326.
Hopp, 327.
Hopquen (René), 224.
Hopyl (Wolfgang), 50.
Horace, 216.
horderwijk, 220.
Horstanus, 36.
Hort (Jean-Marie), 156.
Hortemels, 302.
Hortuin (Gaspard), 51.
Horutiner, 166.
HOTTERMANN OU HAUTREMANT,
125.
Houe (Jehan), 152.
Houder (Waldo de), 69.
Houmeau (L'), 244.
Housenau (Hippolyte de), 7.
Houwaert, 224.
Hovervoge (Jacques), 53.
Hovervogt (Jacques), 118.
Hubac, 272.
Hubert (Marie), 159 — (Michel),
136.
Hugo, 56, 87.
Hugues, évêque d'Orléans, 26.
Ilrnioiu.v, .">.
Hulst (Michel), 293.
Hulst (van der), 291, 301, 323.
Humbert, 129.
Husz (Martin), 51.
Hutten (Ulrich de), 39.
Huyghens (Christian), 43 — (Cons-
tantin), 217, 276.
Huysum (van), 320.
Hygmar (Jean), 50.
Hyre (Laurent de la), 227.
Ianmize (Schetto), 30.
Iéna, 114, 129.
Ile-de-France, (L') 180.
Imhof, Im Hof, 60, 61.
Indes (Les), 208.
Indret, 210.
Infreville (Le Roux d'), 211,
257, 272.
Ingeburge de Danemark, 387,
388, 389.
Inspruck, 167.
Isle-Abeau (L'), 237.
Istrein (René), 243.
IUNGMANN, 61.
Ivry, 82, 196.
Jabach (Anne-Marie), 163 —
(Everhard), 162, 163.
Jacques Ier, 197.
Jacob (Anne), 153 — (Paul), 218.
Jacobsen, 322.
Jal, 222.
Jametz, 77.
Janot, 264, 266, 271.
Janssen, 38, 122 — (Abraham),
244 — (Hubert), 289 — (Isaac,
Philippe, Théodore), 244 —
(Pieter), 211, 301.
Jars, 94, 99.
Jas (Jean), 61.
Jay (Le), 346.
Jean (Maître), 87.
Jean II, roi de France, 179.
Jean V, roi de France, 152, 177,
178.
Jean V, duc de Bretagne, 5, 11, 88.
Jean sans Peur, duc de Bour-
gogne, 181.
Jeanne la Folle, 68.
Jeannin, 197.
Jehangerbeque (van), 284.
426
INDEX ALPHABETIQUE
Jemblin, 265.
Jogues (Pierre), 321.
Johannot (François), 167.
Jon (du), 216.
Jonvelle (Félix de), 69.
Joseph II, 147, 334.
Jouy-en-Josas, 171.
Judex (Nicolas), 27.
Juliers, 119.
Junker, 137, 138.
justammon, 317.
Kabel (van der), Adrien et Ange,
224.
Kaiser, dit Cœsaris, 52.
Kalbermaster (Josse), 56.
Kalbrener (Jean), 167.
Kalembach, 82.
Kalthoff (Guillaume), 118.
Kant, 142.
Kanut VI, roi de Danemark, 387.
Karq (Jean-Frédéric, baron de
Déhambourg), 9.
Kater (de), 250, 251 (François),
252 (Pierre), 251, 252, 310.
Kaune (Jean), 157.
Kayser, 126.
Keck (Eberhard), 30.
Kees (Thomas), 50.
Keill (Pierre), 153.
Keleecht (Corneille), 286.
Keller (Balthazar et Jean-
Jacques), 97.
Kempell (de), 48.
Kemple, 120.
Kene (Nicolas), 212.
Kennel (47.
Kerker (Henri), 158.
Kerver, 52, 53. (Thielman), 50.
Kessel (Jacques van), 212 =
(Henri), 283.
Keulin (van), 312.
Keyssler (Jean-Georges), 46.
Kick, 169.
Kiel, 137.
Kisnerin (Anne-Rosine), 156.
Kleberg (Hans), 61, 63, 66.
Klein (Jean), 51.
Klinquebert, 72.
Klupfel, 47.
Kniepmann (Henri), 101.
Knolbelsdorf (Eustachius), 39.
Knorring (de), 369.
Kock (de), 335.
Kœnigsmark (régiment de), 369.
Kohl (Nicolas van), 312.
Kônig, 93.
Kônigsberg, 114, 125, 132, 136,
154, 156, 323.
Kônigsfelt (de), 369.
Kônigseim (Comte de), 157.
Kônigsmark (Comte de), 83.
Kôpfer, 134, 139.
Kornmann, 66, 124, 128, 131.
Korver, 144.
Krabb, 324.
Krable (Théodore), 120.
Krafft, 168.
Krantz (Martin), 50.
Krattmann (Le Père), 325, 401.
Krause, 134.
Krauss (Hans), 121.
Krettly (Rodolf), 141.
Kreutzer (Jean-Jacob), 140.
(Rodolphe), 140,- 141.
Krupp (Pierre), 144.
Kuhn, 147.
Kuster (Ludolphe), 137, 153.
Labat (Dominique), 309.
Lafayette (de), 85, 371, 377.
La Fère, 75.
La Fontaine (Jean de), 65.
La Forge (Etienne de), 62.
Lafrensen, dit Lavrince, 375,
378.
Lagestierna (Jean), 369, 371.
Lajien, 207.
Lallemant (Jean), 51.
Lamark (Jean de), 77 (Henri-
Robert de), 68, 77.
Lamballe (Princesse de), 130, 384.
Lambesc (Prince de), 329.
Lambert, 208.
Lambert-Dubuisson, 161.
Laminoy (Marie), 222.
INDEX ALPHABÉTIQUE
427
Lamotte, 402.
Lancelot, 38.
Landes (Les), 152.
Landorf (Mademoiselle), dite Se-
rigny, 127.
Langemarck, 271.
Languedoc (Le), 31, 33, 39, 93,
96, 169, 177, 235, 319.
La Noue (François de), 71.
Larche (Antoine de), 235.
Larchevêque, 374.
La Réole, 52.
Largillière, 132, 375.
La Rochelle, 12, 42, 113, 114, 115,
148, 149, 179, 210, 241, 244,
248, 250, 262, 271, 274, 277,
284. 296, 301, 311, 316, 328,
369.
Laroche-Posay (de), 36.
Latout, 324.
Latreba (Claude), 88.
Launay-Vivans, 201.
Lauraguais (Comte de), 128, 292.
Lauzun (de), 381.
Laval, 56 = Monsieur de — , 36
Urbain de — , 158.
Law, 66.
Lawfeld, 84.
Le Bret, 238.
Le Brun (Madame), 376, 377.
Le Brun, 331. (Marguerite), 223.
Lech (Comte de Gluck), 392.
Lecocq, 36, 41.
Leczinska (Marie), 282.
Leegwater, 237.
Leers, 407.
Legrelle, 396.
Legros, 143.
Leibnitz, 21, 43, 44, 45, 276, 324.
Leijonhufvud, 345, 371.
Leiniger (Georges, comte de), 76.
Leipzig, 124, 129, 136, 163.
Leisler, 369.
Lejay, 346.
Lelièvre, 132.
Lelievre de la Grange, 377.
Le Luc, 11.
Lencep, 316.
Lenck, 370.
Lenlein (G.), 153.
Lenoir (Marguerite), 227.
Léon (Prince de), 288.
Léopold, empereur, 204.
Le Queux (Madeleine), 222.
Le Roy, 224. (Adrien), 219. (Al-
bert), 159.
Lesens, 301.
Lesparre, 237, 240.
Lessing, 135.
Leuchsering, 136.
Lewenhaupt, 83.
Leyde, 45, 209, 216, 221, 231, 264,.
265.
Leyenstedt (Antoinette), 367.
Leyrac, 237.
Leysner (J.-Sébastien), 157.
Lhermitte (David), 235.
Libourne, 251.
Licht (Jean de), 212.
Liden, 366.
Liège, 162.
Liéven (de), 379.
Ligne (Jean de), 393.
Ligneville d'Autricourt (de),
282.
LlLIENDAL, 407.
Lille, 193, 316, 334.
Limaigne (Abraham de), 7.
Limbert, 42.
Limbourg, 181. (Louis de), 95.
(Pol de), 6.
Limoges, 239, 244, 245, 284.
Limousin (Le), 104.
Link (Christian), 125.
Linkoping, 340, 341.
Linné, 365, 366, 374.
Lintgens (Pieter), 208.
Lintlaër (Jean), 95.
Lionne (Hugues de), 203, 468.
Lisbonne, 168.
Lischtkt (Henri), 97.
Livonie (La), 10.
Lo (Henri de), 326.
Locker, 166.
Lockhorst (Anne-Marie), 212.
Loewe (Everhard), 220.
428
INDEX ALPHABÉTIQUE
LOEWENHAUPT, 379.
Loger, 214.
Loges (Madame des), 103, 104.
LOHENSKIOLD, 409.
Loire (La), 40, 74, 152, 153, 158,
321.
Lombardie (La), 100.
Londres, 131, 292.
Long jumeau, 134.
Loo (van), 221. (Abraham), 223.
(Anne-Marie), 223, 224, (Carie),
224. (Jean-Baptiste), 223. (Louis
Michel), 223. (Philippe), 223.
Looten, 290 (Nicolas, Samuel,
Thierry), 289.
Lopez, 210, 215.
Lorenz de Suède, 340, 341.
Lorenzen, 340.
Lorient, l'Orient, 153, 276, 314, 363.
Lorraine (Duc de), 77.
Lort (Marquis de), 127.
Lotich (Pierre), 32.
Loudun, 303.
Louis (Dauphin), 109.
Louis XI, roi de France, 5, 10,
11, 12, 13, 15, 52, 102, 105, 145,
178, 179, 183.
Louis XII, roi de France, 52, 54,
67, 391, 392.
Louis XIII, roi de France, 5, 14,
30, 77, 81, 82, 106, 108, 118,
119, 120, 121, 198, 210, 215,
216, 221, 227, 255, 346-350, 407.
Louis XIV, roi de France, 10, 13,
14, 43, 82, 83, 84, 97, 104, 107,
108, 109, 110, 111, 113, 114,
117, 120, 125, 130, 131, 144,
161, 176, 198, 201, 202, 203,
204, 221. 224, 226, 236, 237,
258, 262, 267, 276-281, 293,
302, 303, 305, 317, 320, 347,
348, 351, 357, 358, 369, 394,
395, 399, 402, 405.
Louis XV, roi de France, 84, 91,
98, 106, 115, 120, 123, 126,
132, 133, 149, 167, 176, 268,
282, 306, 307, 313, 319, 361,
362, 409, 410.
Louis XVI, roi de France, 14, 15,
66, 85, 91, 98, 105, 115, 149,
176, 313, 332, 334, 381, 382,
383, 385.
Louvain, 322.
Louviers, 269, 318.
Louvois, 280, 295, 301, 303.
Lôwendal, 84, 307, 390, 409, 410.
Lubeck, 12, 96, 146, 155.
Lucasson (Jacob), 211.
Lucius (Josse), 34.
Luck (Jean), 157.
Luckner (Nicolas de), 85.
Luçon, 240.
Lude (Le), 288.
Luetkers, 147, 361, 362.
Lukes, 146.
LUMAGNA, 66.
Lumbre (Jean), 56.
Lundberg, 375.
Lupfen (Eberhard de), 69.
Lussaut (David), 40.
Lutman, 153.
Lutz (Gabriel de), 59.
Luxdorf, 398.
Luxembourg (Le), 157 = duc de — ,
108.
Luynes (de), 215, 381.
Lyon, 7, 14, 33, 42, 48, 49, 51, 52,
56, 58, 59, 60, 61, 62, 64, 66,
95, 100, 101, 102, 143, 148,
163, 164, 165, 166, 167, 168,
178, 179, 184, 185, 193, 223,
224, 238, 262, 291, 300, 316,
351, 374, 380.
Macao, 324.
Machault, 93.
Mâcon, 13, 246, 319, 320.
Macq (Jean), 167.
Madagascar, 276.
Madrid, 223.
Maestricht, 217.
Maetzuyer, 312.
Magnus (Nicolas), 341.
Maguelone, 32.
Maillé (Marquis de), 37.
Maine (Le), 156.
INDEX ALPHABÉTIQUE
429
Maintenon (Madame de), 271.
Mainville, 319.
Maketros, 318.
Malaga, 83.
Malix (Jean), 60.
Malouël (Jean), 181.
Manaquer (Corneille van den),
272, 279.
Marche (La), 11.
Mandael, 363.
Mandelot (Monseigneur de), 165.
Manheim, 131, 140, 141, 147.
Manlich ,166 (Melchior), 168.
Mansfeld (de), 45.
Mantes, 161, 208, 271.
Mantin (Théodore de), 211.
Manz (Hermann de), 21.
Marans, 262.
Marbourg, 101.
Mardick, 320, 407, 408.
Marguerite, mère d'Erasme, 184.
Marie- Antoinette, reine de
France, 116, 120, 123, 130, 140,
142, 147, 375, 379, 382, 384,
385.
Marie-Thérèse, impératrice, 126,
306.
Marillier, 138.
Marly, 222.
Marne (La), 73.
Marolles (Abbé de), 227.
Marot, 28, 62.
Marquis (Marie), 158.
Marseille, 33, 39, 40, 96, 166, 168,
169, 179, 208, 259, 274, 279,
292, 293, 308, 316, 317, 321,
340, 350, 351, 364.
Marsile, 217.
Marsilly-les-Nonains, 76.
Martellière (de la), 137.
Martin, 77 = (Claudine), 319.
Marting (Mademoiselle), 46.
Martinique (La), 150.
Marville (Jean de), 182.
Massieu, 265.
Mather (Madame), 99.
Mathurine (La folle), 352.
Maubecq (Marguerite de), 328.
Maugin (Madeleine le), 157.
Maurice d'Orange, 231.
Maurus (Jean), 52.
Mayence, 48, 108, 111, 120, 124,
157, 158 = Jacques de — , 3, 8.
Mayenne, 64.
Mazarin, 10, 65, 66, 127, 163,
198, 199, 200, 201, 204, 212,
226, 230, 238, 289, 360, 393,
408.
Mazières (de), 127.
Meaux, 400.
Meckel, 134.
Meck (Loup), 121.
Meckenhausen, 153.
Mecklembourg (Prince de), 110,
403.
Médicis (Catherine de), 344 (Marie
de), 80, 222, 225.
Méditerranée (La), 11, 200, 201,
207, 257.
Médoc, 240, 354.
Meerman, 241, 301 (Michel), 250,
251 = (Samuel), 250, 251, 327.
Meilleraye (Duc de la), 276.
Meinard, 217.
Meinders, 114.
Meinert, 154.
Meisen, 401.
Meister, 136, 138.
Melic (Samuel), 249.
Mellema, 216.
Melop, 365.
Ménage, 156, 218.
Mémoire (Jeanne), 252.
Mende, 92.
Menou (Marthe de), 239.
Mercken (J.-K.), 144.
Mercœur (Duc de), 210.
Merklein, 99.
Merignac, 147.
Mérimée, 71.
Merinch (Hannus de), 6.
Merlen (van), 227.
Merlin (Marie), 159.
Mertzenich (Jean), 24.
Mesebruich (Sara), 186.
Mesmer, 130, 131.
430
INDEX ALPHABETIQUE
Metivier (Marie), 315.
Metruspa (Jean- Jacques), de, 159.
Metzler, 24.
Meudon, 216, 329.
Meulder (François et Adrien),
323.
Meulen (van), 222.
Meuron, 92.
Meuse (La), 112.
Metz, 57, 69.
Meybuche, 356.
Meyer, 134.
Meyercrone, 401.
Michelet, 228.
Middelbourg, 179, 187, 264, 266.
Milan, 225, 235.
Miller (Christian), 155.
Minquitz, 109.
Mirabeau, 385.
Mirampol (Mathieu de), 135.
Misnie (La), 20, 87.
Modène, 46.
Moisant de Brieux, 290.
Molière, 402.
Moller, 364.
Moltzan (Jean de), 56.
Monaldeschi, 42, 352.
Mons, 385.
Monsêgur (seigneurie de), 5.
Montaigne, 36, 87, 90.
Montaigu (Collège de), 50, 184.
Montauban, 242.
Montbard, 98.
Montchrestien, 95.
Mont de Jeux, 5.
Montguyon (Louis de), 78.
Montjean, 156..
Montmartre, 125.
Montmirail, 318.
Montmorency (de), 210.
Montmorency-Bouteville (Eli-
sabeth de), 109.
Montmorin (de), 332.
Montois (de), 170.
Montpellier, 31, 33, 39, 42, 145,
169, 218, 342, 391, 398, 403.
JMontpensier (Mademoiselle de),
403.
Montreuil, 177.
Montroignon (Madeleine de), 92.
Morac (de), 45.
Morant, 292.
Moreau le Jeune, 138.
Moreilles-en- Poitou, 238.
MOREL DE MONDEVILLE, 143.
MORIKOFER, 134.
Morlaix, 151, 155, 308.
Mortagne, 315.
Mortani (de), 83.
Motteville (Madame de), 351.
Mouchard, 278.
Moulin (Pierre du), 216.
Moulins, 42, 321.
Mountjoy (Lord), 184.
Mouradjen, 367.
Mozart (Wolfgang), 141.
Muhenhauser, 153.
Muller (de), 85, 134, 137, 401.
Mun (Comte de), 282.
Munich, 9, 47, 48, 110, 158.
Munster, 29, 44, 108, 157, 198, 201,
228, 230.
Munster (van), 316.
Muron, 240.
Nacquard (de), 278, 279.
Naerzelles, 297.
Nancy, 183, 366.
Nanteuil-le-Haudouin, 11,
Nantes, 5, 11, 52, 65, 80, 97, 105,
115, 152, 153, 154, 166, 167,
178, 206, 208, 229, 257, 258,
284-288, 294-297,299, 300, 308,
311-316, 318, 321, 328, 395.
Napoléon Ier, 142, 314.
Narbonne, 85.
Nassau 82, (Philippe de), 206.
(Wilhelm de), 219.
Nassau-Siegher (Frédéric de),
149.
Natoire, 374.
Nauàbles (Henry de), 113.
Nauchkoff, 381.
Nausember (J.), 153.
Navarre (La), 20, 21, 195, 334.
Necker, 66, 377, 382.
INDEX ALPHABETIQUE
431
Neidhart, 63.
Neiss, 36.
Nemeitz (J.-C), 45, 130.
Nemours, 42, 162.
Neobar (Conrad), 52.
Nerwinden, 83.
Nesle, 58.
Nesploy, 69.
Nesselrode (Madame de), 328.
Nesve (Corneille de), 185.
Neumeister (Jean), 51.
Neuss, 120.
Neuwied, 123.
Nevers, 98, 170 = duc de—, 100,
210.
Nice, 223.
Nicolaï (Jean de), 390.
Niert (François de), 239.
Nieuwenhuysen (de), 320.
Nieuwerkerke (Baronne de), 329.
Nijvenheim (de), 328, 330.
Nimègue, 203, 204, 212, 217, 263.
Nîmes, 36, 42.
Nitzschwartz (Baron de), 125.
Nivernais (Le), 7.
Noailles (Duc de), 219, 369.
Nobelaer (Jean), 220.
Noblet (Louise), 121.
Noirmoutiers (île de), 322.
NORDING DE WlTT, 311.
Nordlingen, 349.
Normandie (La), 6, 8, 9, 14, 160, 225.
Nostemberg (Emelaye de), 5.
Nostiz (Comte de), 45.
Notre-Dame de Confort, 60, 164.
Notre-Dame-de-Fourchaud, 6.
Nubelspach (Israël), 33.
Nuremberg, 14, 15, 34, 56, 60, 61,
66, 128, 133, 158, 159, 164, 169.
Nydala, 339.
Nyevelt (de), 219.
Nyssen (Christianus Egidius), 158.
Oberkamp, 124 = (Christophe),
171.
Obrecht, 61.
Océan (L'), 11, 210.
OCKHUYSEN, 289.
Odieuvre, 132.
Oeben (J.-F.), 123, 323.
Oehm, 82.
Olaï, 359.
Oldenburg (Christian), 391.
Oléron (île d'), 150, 152, 262.
Olevianus, 27.
Olmutz, 122.
Olonne (Madame d'), 216.
Olpen, 93.
Olric, 4.
Oltreman, 303.
Omar, 389.
Omaert, 272. (Jean), 279.
Ondaatje, 332.
Oosterwijkt, 257.
Ophen (van), 286.
Ophovius (Michel), 229.
Oppenord (Jean), 226.
Orange (Maison d'), 331.
Orange (Prince d'), 280, 323.
Orbec, 3.
Orgemont (Nicolas d'), 5.
Orléanais (L'), 225.
Orléans, 19, 20, 21, 22, 23, 25,
26, 27, 31, 34, 35, 40, 58, 159,
160, 208, 209, 219, 225, 242,
243, 246, 291, 318, 319, 341,
342, 352, 391, 396 = duc d'— ,
108, 115, 129, 223, 281, 306 =
Gaston d'— , 213.
Ornezan (François d' — baron de
Saint-Blancard), 59.
Os (Henri de), 31.
Osmond (Marquis d'), 318, 334.
Ostrogothie (Duc d'), 380.
O'SULLIVAN, 157.
Otter, 365.
Otti Barnest Smient, 214.
Overbeck (Bonaventure van), 224.
Over-Yssel, 195.
Owal, 364.
Oxenstiern (Axel), 289, 348, 349,
374.
Oyens (Daniel), 219.
Paderborn, 31.
Padoue, 129.
432
INDEX ALPHABETIQUE
Paimbœuf, 294, 308.
Palais-Royal (Le), 130.
Palatinat (Le), 34, 93, 98.
Palatine (Charlotte-Elisabeth,
dite la), 108, 109.
Papin (Anne et François), 159.
Paré (Catherine et François),
162.
Paris- Jallobert (Abbé), 301.
Paris de Montmartel, 320.
Particelli d'Emery, 66.
Pas (Renée Le), 323.
Pascal, 43.
Pater (Madame), 328, 330.
Paulmier (Gabriel du), 238.
Paulus (Nicolas), 154.
Paut de Haittenkeim (Georges),
25.
Pech, 125.
Peiresc, 217.
Pelicot, 264, 273.
Pellot, 276.
Pennautier, 265, 354.
Penot (Noël), 160.
Penthièvre (Duc de), 314.
Peplitz, 24.
Pernecker (Cléophas), 25.
Perrault, 357.
Perret (Claude), 51.
Pétersbourg, 133.
Petersen, 381, 406.
pétrarque, 4.
Pfanz (Conrad et Jean-Frédéric),
156.
Pfenning (Herman), 119.
Philippe, 158.
Philippe-Auguste, roi de France,
18, 387, 388, 391.
Philippe II, roi d'Espagne, 72,
229.
Philippe VI, roi de France, 4.
Philippe le Bon, duc de Bour-
gogne, 5, 7, 182.
Philippe le Hardi, duc de Bour-
gogne, 180.
Philippsbourg, 65.
Philipson (Jean), 19, voir Sleidan
(Jean).
Picardie (La), 228, 233, 235, 236,
237, 238, 262, 266, 339.
Piccini, 142.
Picot, 269.
Pierre II, duc de Bretagne, 177.
Pieter (Adrien), 289.
Pieters (Gérard), 247, 285.
Pilletier (Girard), 286.
Pinar, 84.
Pisan (Christine de), 180.
Pistorius (Chrétien), 36.
Pistoris, 51.
Place (Abraham de la), 227.
Planche (De la), 197.
Plantagenets (Les), 387.
Plasten (van den), 244.
Platte (de la), 218.
Platter (Félix), 24, 27, 32, 33,
34, 39, 164 = (Thomas), 24,
27, 32, 33, 36, 39.
Platzman, 167.
Pleyel (Ignace), 144.
Plon (Jehan), 393.
Pluc (Jean-Cornelissen), 211.
Pluvinel, 226.
Poitiers, 19, 36, 39, 40.
Poitou (Le), 114, 233, 235, 238,
240, 322.
Polentz (von), 41.
POLHEM, 357.
Polignac (Comtesse de), 382, 384.
Poméranie (La), 114.
Pompadour (Madame de), 377.
Pomponne, 114, 248, 265, 273.
pons de la fuelle, 272.
Pontanus (Jean-Isaac), 218.
Pont-Audemer, 270.
PONTCHARTRAIN, 114.
Pont-Croix, 94.
Pontgraff (Hans de), 56.
Pont-Neuf (Le), 96.
Ponts-de-Cé, 6, 246.
Poocq, 271.
Popp, 146, 310.
Pornic, 11, 152, 178.
Port (Célestin), 157.
Port-Louis, 276, 314.
Porto, 31.
INDEX ALPHABETIQUE
433
Pot (Abraham de), 286.
POTERAT, 290.
POULLAOUEN-HUELGOAT, 93.
Pouplinière (de la), 139, 140.
Pradelle (van), 247.
Prague, 123, 126, 158.
Précy (Jean de), 18.
Pregel (Christophe), 167.
Preignac, 147.
Preisler (Jean-Marie), 133.
Pretenback (Baron de), 46.
Primi, 110.
Provence (La), 12, 77, 168, 208,
233, 236, 238, 321.
Prunes-Duvivier, 251.
Prusse (La), 10, 25, 34, 99, 114,
122, 148.
Puechexek (Ignace de), 124.
Puffe (Jean-André), 101.
Puy (Le sieur Le), 30.
Puymoyen, 244.
Pyrénées (Les), 8, 44.
Quay (Henriette du), 304.
Queborne (Jean van), 186.
Querlen (Isaac de), 266.
Questel (Jacques), 225.
Quicherat (J.), 120.
Quimper, 407.
Quintin, 288.
Quirot (J.-B.), 328.
Racphorst (Gilbert), 280.
Ragny, 343, 359.
Ragvaldi, 340.
Ram (Jacques), 32, 145.
Rameau, 140.
Ramon (Johann), 155.
Ramus, 20.
Ranke, 107, 109.
Rantzau (de), 396, 406, 407, 408.
Raphaël, 163.
Rasson, 187.
Rathsanhausen, 109.
Katisbonne, 15, 34, 107.
Ratte, 125.
Rattwerl, 82.
Raucoux, 84.
Raulé (Jean), 113, 277, 278, 284.
Raumer, 136.
Ravestein, 244.
Raynal, 135.
Raynouard, 54.
Ré (île de), 262.
Reben (Comte de), 406.
Reding (Madame de), 109.
Redon, 151.
Regemorte (de), 321.
Reggersberghe, 218.
Rehn, 374.
Reichardt (Iohan Friedrich), 48,
142.
Reiching d'Augsbourg (Jérôme),
27.
Reilirsperguer, 93.
Reinesius (Christini), 123.
Reinhard (Marc), 51.
Relingue (Ferdinand, comte de),
83.
Reliée (Abbaye de), 151.
Remacle, 318.
Remozque de Cologne, 95.
Renard (Corneille), 267.
Renbolt (Berthold), 50.
René, roi de Provence et d'Anjou,
6, 168.
Renier- Jansse, 275.
Renner-Barne, 293.
Rennes, 154, 193, 247, 252, 254,
287.
Requesens de Zuniga (Don Luis)
229.
Resch (Conrad), 56.
Restout, 133.
Retz (Pays de), 178.
Reuchein (Jean), 19, 22.
Reulitsh (Baron de), 322.
Reutlingen, 15.
Reventlow (Contesse de), 403.
Revixit, 247.
Reynie (De la), 303.
Rheingraff (Jean-Philippe), 7Q
Rheling, 42.
Rhelinger, 24.
Rhin (La), 149, 152.
Ribbing, 371.
28
434
INDEX ALPHABETIQUE
Rich (de), 289.
Riccoboni, 402.
Richelieu (Le cardinal de), 10,
41, 65, 81, 90, 103, 198, 199,
204, 205, 209, 210, 211, 212,
213, 215, 217, 237, 261, 271,
276, 343, 345, 349, 350 = Le duc
de—, 163 = La ville de — , 42.
Richers, 343.
Richoufftz, 58, 69.
Richter (Charles), 122.
Ricoveri (Marie), 185, 221.
Ricq (Adrien de), 290.
Ridder (Jean), 241.
Riederer, 66.
Rieders (de), 249.
Riesener (Henri), 122, 123.
RlETTMANN, 167.
Rieux (Président de), 222.
Riga, 155.
Rigaud, 132.
Rihener (Henri), 33.
RlNGMACHER, 167.
RlNGSTRÔM, 366.
Riotte (Perrette), 193.
RlTTER DE MANNHEIM, 140.
Ritz, 93.
Roanne, 74.
Robais (van), 266-270, 302,
(Isaac), 268, (Josse), 268, (Sa-
.lomon), 268, 317, 319.
Robelin, 170, (Marie), 268.
Robin (Jacques), 160.
rochambeau, 371.
Roche, 244.
Rochefort, 149, 150, 152, 244, 273,
274, 360.
Rochefoucauld (De la), 376.
Rockendorf (Christophe de), 59.
Roco (Pierre), 158.
Roemer, 399.
Roentgen (David), 000.
Roggers (Baron), 66.
Rohan (Louis de), 280, 281.
Rome, 129, 183.
Rondelet, 57.
Roquelaure (Duchesse de), 216.
Rosbach, 116.
Roscoff, 155.
Rosemberg (Anne-Marie de), 125.
Rosen (Conrad), 368, 369.
Rosheurt (Gerloch), 117.
Roslin, 375, 376.
Rosworn (Baron de), 110.
Rothstein, 363.
Rottenburg (Mademoiselle de),
315.
Rotterdam, 215, 220, 312.
Rouen, 13, 160, 161, 177, 179, 196,
208, 224, 241, 257, 258, 262,
264, 265, 289, 290, 291, 300,
301, 308, 316, 319, 350, 394.
Rouergue (Le), 93.
Rouillac (Marquis de), 214.
Rousseau (J.-J.), 47, 297.
Roville, 165.
Roze (Georges), 159.
Rozier (Jeanne), 252.
Rubach (Adam), 34.
Rubens, 118, 163.
ruembourg, 45.
Rulman, 36.
Rut de Rotterdam, 211.
Rutesbuch (François), 122.
Ruth (Barthélémy), 156.
Ruyter, 201.
Ryck (Hugues van), 220.
Ryssel (van), 332.
Ryswick, 176, 204, 224, 304, 305 =
Comte de—, 218.
Sablé, 156, 158.
Saccon, 51.
Sacy-le- Grand, 235, 236.
Saige, 251.
Saint-André (Hôpital), 147.
Saint- André-des- Arts, 18.
Saint-Antoine(Fa.ubourg), 117,121.
Saint Armand, 125.
Saint-Aubin d'Angers. 28.
Saint-Barthélémy, 24, 39.
Saint Blaise, 185.
Saint-Cosne, 18.
Saint-Cybard, 244.
Saint-Damien, 18, 19.
Saint-Diè, 87.
INDEX ALPHABETIQUE
435
Saint-Domingue, 150.
Saint- Florent-le- Vieil, 156.
Saint- Gall, 32, 166, 167.
Saint- Gaudens, 318.
Saint- Georges, 94, 156.
Saint- Germain (faubourg), 25 =
foire, 50.
Saint- Germain d'Argentan, 7.
Saint- Germain-des-Prés, 18, 119,
215, 232.
Saint-Hippolyte, 119, 232.
Saint-Jacques, 18, 50.
Saint- Jacques-de-Compostelle, 8, 25,
38.
Saint-Jean-d' Angély, 150, 152.
Saint-Jean de Beauvais (rue), 50.
Saint- Jean-de-Latran, 53.
Saint- Jean-de-Losne, 13.
Saint- J ean-N êpomucène, 23.
Saint-Julien de Ballence
(Pierre de), 184.
Saint-Louis (île), 126.
Saint-Malo, 155, 158, 328.
Saint- Marceau (faubourg), 119.
Saint- Martin-d' Ablois, 95.
Saint-Martin-de-Ré, 284.
Saint-Michel (Mont), 8, 9, 10, 38.
Saint- M ichel-d' Angers, 28.
Saint- M ichel-de-V H ermitage, 3.
Saint- Nazaire, 308.
Saint-Omer, 332.
Saint-Paul (de Lyon), 165.
Saint-Pol, 321.
Saint-Priest (de), 333.
Saint-Quentin, 228, 393.
Saint- Sauvcur-de- Redon, 151.
Saint- Savinien, 150.
Saint-Simon (Le duc de), 129, 215,
281, 368.
Saint-Sulpice, 222.
Sain/- Trophime-d' Arles, 236.
Saint- Valcry-sur- Somme, 266.
Saint- Venant, 334.
Sainte-Bazeille, 147.
Sainte Brigitte, 340.
Sainte Marguerite de Sparem-
bart, 158.
Sain m MaJUB (M. de), 103.
Sainte- Marie-des-Vosges, 87.
Saintes-Maries-de-la-Mer, 340.
Sainte Marthe, 237.
Sainte-Ruffine, 31.
Saintes, 150, 250, 284.
Saintonge (La), 114, 215, 233, 240,
284.
Salbeck (Charles), 157.
Saldern (Baron de), 406.
Sa/ers, 33.
Salhas (La dame), 34.
SaZins du Jura, 167, 168.
Salisbury (Jean de), 386.
Salm-Salm (Prince de), 84, 110.
Sampfer (Nicolas de), 3.
Sand (George), 84.
Sandressen (Jacob), 296.
Santec, 321.
Saône (La), 13, 164.
Saptes, 265, 304.
Sarlièves, 104, 239.
Saulx (Jean de), 69.
Saulx-Ta vannes (de), 69.
Saulêgue (de), 327.
Saumaise, 37.
Saumur, 6, 27, 30, 40, 156, 157,
209, 219, 220, 242, 300.
Sauvané (Suzanne), 251.
Savary, 66, 259.
Savoie (La), 33 = duc de — , 77.
Saxe, 10, 25, 38, 46, 69, 77, 87,
93, 96, 98, 125, 154, 170 = Al-
bert de—, 19, 35 = Comte de — ,
121 = Duc de—, 78, 79 =
Frédéric- Auguste, roi de — , 116
= Hermann-Maurice, comte de
de—, 84, 132 = Jean-Frédéric,
Jean-Guillaume de — , 69 = Ma-
rie-Josèphe de — , 115 = Mau-
rice de—, 307, 409 = Xavier
de—, 84.
Saxe-Weimar (Bernard de), 65.
Scaep (Pieter), 187.
Scalongen, Scalogne, 269, 270,
289, 317, 319.
Scander, 159.
Scara (Collège de), 340.
Sceaux, 134.
436
INDEX ALPHABETIQUE
Schabe (Jean), 34.
SCHABLER, 51, 52.
Schack, 82.
Schaud (Jean-Michel), 169.
Schelandre (Anne, Charles, Jean
de), 77, 78.
Scheling (Christophe), 121.
Schellebeck (Christophe van),
311.
Schenck (Pierre), 51.
Schrender (Hermann), 146.
Schiedam, 187.
Schiller, 136.
Schimerdin (Gaspard), 120.
Schindler (Barbe), 124.
Schlaberndorff, 137.
schloster, 326.
Schlestadt, 8.
Schmalkade, 59.
Schmatz (Christian), 123.
SCHMIDBERG, 82.
SCHMIDT, 133.
Schmitt, 148, 154.
Schmitz (Pierre), 122.
SCHMUZER, 134.
Schneider (Gaspard), 122.
Schnele (Nicolas), 31.
Schnell (Jacob), 144.
Schnop, 47.
Schober (Johann), 140.
Schoeffer (Pierre), 52.
Schôenberg, 136.
Scholtz (Marius), 146.
SCHOMBECK, 82.
Schonberg , 103 . ( Gaspard et
Georges), 77, 79, 82. (Theodoric),
82.
SCHOULER, 14.
Schovonen (van), 247.
Schr^der (Georges), 124.
Schrôder (Jacob), 146, 374.
Schulenberg (Alolp et Jean de),
5.
Schultz (Nicolas), 34.
Schulz (Friedrich), 46.
Schurmann (Mademoiselle), 218.
Schutz (Christophe de), 125.
Schwab (Hans), 51, 134.
Schwartz, 87.
Schwarz (Hans), 56.
Schwend (Oswald), 36, 41.
Schwerin (Harouber Philipp), 30.
SCHWEICKARDT (J.-B.), 144.
SCHWEINDERHAMMER, 137.
Schyler (Iohann), 146.
Scot (Guillaume), 289.
Sebaldt (Jean), 167.
Sedan, 5, 37.
Seebalt (Christian), 120.
Seers, 298.
Seguiran, 211.
Sehested (Annibal de), 394, 397,
398, 402.
Seiffer, 130.
Seignelay, 272, 295, 303.
Seiler, 63.
Seine (La), 321.
Seinen (Comte de), 31.
Selandt, 392.
Sendrok (Michel), 155.
Sengebert (Polycarpe), 37, 156.
Sengstack, 286, 312, 315.
Sens, 340.
Seraf (Yves), 295.
Sereville (Marquise de), 83.
Sergel, 374.
Sering (Comte de), 45.
Serooskerken (de), 219.
Servien (Comte), 13, 199, 200,
216, 257, 408.
Seuil (du), 275.
Seuldre (La), 211.
Sève (de), 279.
Sévigné (Marquise de), 154.
Sevin (Madeleine), 222.
Seytlingen (von), 69.
Schellebeck (Christophe van),
311.
Shereber, 94.
Sheulen (van), 285.
Shorlener, 120.
Siber (Jean), 51. (Samuel), 93.
Sickingen (Franz de), 68.
Sidenborg, 398.
SlEBER, 139.
Siegfried, 153.
INDEX ALPHABETIQUE
437
Silésie (La), 20, 25, 36, 120.
Silva, 130.
Simmern (Duc de), 42.
Sincerus (Josse), 40.
Sinermant (Claude), 88.
Sittart (Arnold), 53.
Skave, 392.
Sleidan, 56. (Jean de—), 19, 20.
Slingeland, 306.
Slongel, 170.
Sluter (Claus), 182.
Smith (Michel), 161.
Snoucq (François), 286.
Soest (van), 323.
Soicourt (Charles de), 5.
Soissons (Comtesse de), 216.
Soliart (de), 315.
Sommerdick (de), 218.
Sommergen (van), 311.
Sommevoire, voir Sampfer.
SORBIÈRE, 218.
Sorgen (van), 219.
Sorges, 398.
Sorges-sur-Authion, 321.
Souabe (La), 123, 134, 162, 164.
Soubise, 210, 329.
Soumain (Jeanne), 398.
Sourdière (Madame de la), 400.
Sourdis (Cardinal de), 210, 211,
235.
SOUTHERBOURG, 134.
Spaendonck (Gérard et Corneille
van), 320, 324.
Spanheim (Ëzéchiel), 114, (Fré-
déric), 37.
Sparre (de), 318, 349, 366 =
(Erik de), 369, 370.
Spelt (Wolgang), 24.
Spick, 218.
Spire, 8, 157.
Spirinker, 275.
Spon (Charles), (Jacob), (Mathieu),
166.
Stradborn (Hermann de), 50.
Staël (Jean-Louis), 29, 157 = Ma-
dame de—, 139, 381, 382 = Ba-
ron de—, 382, 383, 384.
Stainville (de), 395.
Stalbrich, 96.
Stalpaert (Jacqueline), 286.
Stamitz ( J.-C), 140, 141.
Starch (Hans, Hans II, Ulrich),
100, 167.
Stathoen (Hermann), 52.
Steibelt (Daniel), 142.
Stedingk (de), 371, 381.
Stein, 139. (Gaspard), 120 =
(Georges-André), 139.
Steinhaus (Catherine), dite Phi-
lippine, 127.
Steinrisser, 269.
Stenon (Nicolas), 398.
Sternbach, 335.
Stettin, 34.
Steyn, 184.
Stibare (Les frères), 32.
Stiebritz, 85.
Stiernhoeck, 371.
Stipintz (Sigismond), 69.
Stievens (Jacob), 271.
Stobe (Jean), 34.
Stockholm, 202.
Stocquel (Lyonard), 60.
Stoll (Jean), 52.
Stosch (Henri), 46.
Stosser (Fabien), 25.
Strada (de), 103 = baron d'An-
vières, 238, 239 = (Octavius),
104.
Strale, 345.
Stralsund, 358.
Strasbourg, 57, 143, 144.
Streiff, 81. (Charles-Frédéric
de—), 83.
Strichs (van den), 286.
Strobelberger (Etienne), 34.
Struensée (Comte de), 405.
Stuckoff (Théodore), 159.
Stumpft (Jean), 122.
Sturm (Jacob), 19, (Jean), 20,
35, 46.
Stuttgart, 48, 124, 127, 156.
Sucé, 294.
Suchetelen (van), 321.
Suchtet (van), 247.
Sudermanie (Duc de), 383.
438
INDEX ALPHABÉTIQUE
Suger (Pierre), 20.
Sully, 79, 90, 95, 96, 108, 161,
204, 206, 207, 209, 261.
Surnom, 389.
Susane (Général), 82.
Svaon (Pierre), 314, 318.
Svieler (Michel), 51.
Swanenberg (Michel van den),
215.
Swanevelt (Armand van), 222.
Swieten (Nicolas van), 219, 327.
Szembek (Comtesse), 410.
Tach (André), 120.
Taillebourg, 150.
Talende, 99.
Talhouet (de), 288.
Tallemant des Réaux, 103.
Tarente (Prince de), 110, 155.
Taube (de), 369, 379.
Ta vannes (Jean et Marguerite),
69, 171.
Tavernier, 259.
TCHARNER, 137.
Tecklenborg (Hermann Otto),
29, 157.
Tell (Pierre), 154.
Tellier (Le), 112.
Tellong (Pierre), 154.
Terbughen (Henri), 117.
Terrier de la Haye, 328.
Tersmitten (Henri), 113, 148, 277,
284.
Terwell, 112.
Tessin (Cari), 373 = (Nicodème),
372, 373.
Teucher, 134.
Teutonigus (Jean), 52.
Theillandt (Marc), 119.
Theller (Marc), 119.
Théophraste, 57.
Thérèse, 47.
Thévenot, 398.
Thierry, 187, (Jean), 167.
Thiers, 99.
Thietdrich, 154.
Thin von Schelnders (Jean et
Robert), 77.
Thomas, 18.
Thoré (de), 73.
Thorer (Alban), 32.
Thou (de), 38, 90, 217.
Thun (Baron de), 47, 125.
Thuraïmb (Comte de), 157.
Thuringe, 87.
Thurnau, 46.
Thury (Seigneurie de), 69.
Tilenus, 36, 37.
Tilliêres (de), 296.
Tilz (Servain), 125.
Tinnebac (René), 242, 286, 300.
Titien (Le), 163.
Tholozan (de), 268.
Tobiesen-Duby, 366.
Tombe (van der), 290.
Tongrelou, voir Hueit-Vaus.
Tonnay, 244.
Tonnay- Char ente, 240.
Tonneins, 318.
Topié (Michel), 51.
Torbern (Olai), 367.
Torgau, 125.
Torstenson, 349.
Toul, 3.
Toulon, 223, 257, 272-275, 360.
Toulouse, 39, 52, 250, 274, 292.
Touraine (La), 42, 158.
Tour d'Auvergne (François de
la), 163.
Tournai (Etienne de), 388, 389.
Tournon, 13, 92.
Tournus, 183, 184.
Tourny, 146.
Tours, 40, 56, 94, 100, 216, 262,
363.
Tudebeuf, 244.
Tracy, 90.
Trebow, 343.
Trechsel (Jean), 51.
Tremel (J.), 131.
Trémoille (Prince de la), 41.
Trêves, 37, 108.
Treyer (Joseph), 144.
Tripoli, 168.
Troy (de), 375.
Troyes, 100, 185, 221.
INDEX ALPHABÉTIQUE
439
Trudaine, 47, 319.
Truguet (Amiral), 354.
TSCHIRNHAUSEN, 131.
Tubingue, 35.
Tubourg (Nicolas), 93.
Tulle, 244.
Turenne, 41, 65, 214, 237.
Turgot, 149, 151.
Turpin-Crissé (de), 410.
Tyrol, 20.
Uhland, 9.
Ulfeldt (les frères), 396, 397.
Ulfsfsparre, 371.
Ulfstorp, 341.
Ulm, 15, 51, 164, 166, 168.
Upsal, 339, 340, 342.
Urbain V (Le pape), 388.
Ustel (Jean), 60.
Utrecht, 57, 115, 187, 188, 195,
216, 226, 227, 305, 323 = Casin
d'— , 185.
Vaanderhornen (Constance),
302.
Vair (du), 217.
Val (de), 284.
Valat, 92.
Valbelle (Antoine de), 168, 292.
Valdemar III, roi de Suède, 388.
Valencienn.es, 318.
Valens (Pierre), 217.
Valentin (Guillaume), 119.
Valerinaus, 33.
Valette (Cardinal de la), 213.
Valkenbourg, 290, 301.
Vallée (Jean de la), 372, (Si-
mon— ), 372.
Valmont (Mademoiselle de), 327.
Valois (Philippe), 340.
Vanpenne (Pierre), 289.
Vanasse (Veuve), 314.
Van belle, 318.
Vanboestal dit Grammont, 319.
Vancranenbourg, 319.
Vandalle, 290.
Vandamme, 249, 313.
Vandebrand ou Van den Bran-
den, 250, (Philippe), 250, 318.
Vandeberg (Georges), 242, 243,
Michel, — de Villebouré, 242.
Vandebourg (Pierre de), 56.
Vandenaueck, 315.
Vandenbroeck, 316.
Vandenpom (Jean et Abraham),
249.
Vandenyster, 324.
Vanderbos, 274.
Vanderbourg, 323.
Vanderheyden, 153, 312, 314,
315.
Vanderlaa (Pierre), 215.
Vandermonde, 324.
Vandernorne (Josias), 224.
Vandernos, 275.
Vanderpoll, 315.
Vanderquandt, 215 (Antoine),
284.
Vandershalque, 289.
Vanderstat (Hubert), 211.
Vanderstrater (Antoine), 292.
Vandertin, 323.
Vandesen, 314.
Vandhanel, 312.
Vandrague, 318.
Vandreveld, 323.
Vanemerg, 290.
Vangens, 324.
Vanhaemstede (Joris), 249, 283.
Vanhemskerche, 314.
Vanlobard, 153, 315.
Vanlog (Pierre), 227.
Vannes, 11.
Vannezel, 244.
Vanousterom, 309.
Vanpradelly, 320.
Vanpulle, 249.
Vanschoomaker (Bernard), 283.
Vantogeren, 244, 245, (Pierre),
245.
Varennes, 385.
Varennes (de), 265, 266.
Varicq de Delft, 207.
Vassy, 72.
Vatable, 216.
Vaudeville, 3.
440
INDEX ALPHABETIQUE
Vauguyon (de la), 332.
Vaurigaud, 294.
Vedenant (Georges), 293.
Veen (Jean), 275.
Veken (van der), 314.
Velthem (Lodewicjk van), 187.
Vendôme, 262 = place—, 97.
Venise, 54.
Vérag, 332.
Verbeck (Madeleine), 239.
Verbruggé (Abraham), 296, 297,
298, 301.
Verdouyn, 244.
Vergennes, 332.
Vermandois (Le), 228.
Versailles, 97, 110, 139, 140, 143,
291, 320, 356, 357.
Verthamon (de), 249.
Vertmuller, 377, 378.
Verussen (Claus), 210.
Vervins, 197.
Vesale, 57.
Vestris, 127.
Vezangerin (Elisabeth), 125.
Viart (Guyonne), 50.
Victor-Amédée (Prince), 223.
Vien, 133.
Vienne, 15, 25, 48, 130, 158, 340.
Vigier (Eve), 235.
Vigny (Alfred de), 116.
Villeneuve, 63.
Villeneuve (de), 365.
Villers (Les frères de), 218, 239.
Vimar (Ernest), 167 (Esther), 65.
Vincennes, 124.
Vincent, 244.
Vintimille, 329.
Vitré, 154, 155, 288.
Vitri (Philippe de), 4.
Vitrolles (Baron de), 37.
Vive (Marc- Antoine), 119.
Vlamin (Henri), 238, 239.
Vlierden (van), 290.
Vogel, 142 = (Jean de—), 311.
Voiture, 213.
Volkman, 46.
Voll (Georges), 34.
Volmar (Rufus-Melchior), 35.
Voltaire, 47.
Voorde (Marie van de), 286.
Voorst (de), 218.
Voortcamp (Jean), 236.
Vorn (Jean van), 312.
Vosges (Tes), 87.
Vouet (Simon), 222.
Vouvray, 247, 321.
Vronling, 289.
Vroom (Henri-Cornelius), 224.
Vualem (Pierre), 241.
VUALMERODE, 81.
Vuffelen (van), 311.
Vuillesmes (Sarah), 303.
Vyckershoot, 294.
Vynck (van de), 290.
Wa, 339.
Wachter (de), 66, 124, 128.
Waelt (de), 286.
Waersen (van), 295.
Waldeck (Prince de), 45.
Waldvogel, 49.
Walkenaër, 333, 334.
Wallendal (Jacob van), 311.
Wallenstein, 107.
Waller (Michel), 5.
Wallin, 365, 366.
Walstein (Pierre), 120.
Walter (Pierre), 154.
Walthar (Jean), 51.
Wambel, 322.
Wandel (Assuérus), 316.
Wansleben (Jean-Michel), 112.
Warren, 169.
Wascheim (la), 127.
Wassenaer, 327, 328.
Wattemann (Claudine), 168.
Weba (Claude), 169.
Wechel, 20.
Weert (Joachim de), 225, 226.
Weimar, 97, 154.
Weinhenhaupt, 405.
Weiss (Emmanuel et Nicolas),.
149.
Weissenbach, 171.
Weisweiler (Adam), 122.
Weitskocheim, 157.
INDEX ALPHABETIQUE
441
Wele-Wouter, 117.
Welem (Jeanne), 328.
Weltner, 147.
Welzer (Barthélémy et Jacques),
60, 62.
Welzner (Pierre, baron de Broch),
125.
Wencke (Jean), 326.
Wendt (Sigismond), 108.
Werth (Jean de), 218, 275.
Wertken (Hermann), 161.
Werve (Claus de), 182.
Wesel, 50, 148.
Westphalie, 29, 31, 93, 107, 108,
113, 119, 131, 157, 204, 345.
Wich (de), 312.
WlCQUEFORT, 230.
Widerstein (Willem), 5.
WlEDERWELT, 405.
Wiesbaden, 169.
Wildhoz (Andréas), 19.
WlLFELHEIM, 153.
Wille (Jean-George), 46, 47, 122,
128, 132, 133, 134, 136, 139.
= (Pierre-Alexandre), 132.
Willebrandt (Jean), 46.
Wincke (Hermann), 30.
Winhofe (Dina), 397.
WlNNEN, 144.
Winterfeld (Christophe), 30 =
(Frédéric de—), 31.
Wintergestein (Barbe), 159.
Winslow (Jacques-Bénigne), 128,
399, 400, 401.
Wite, 315.
Witt (de), 284, 335 - (Jean de—),
203, 261 = (Régnier Iansse de—)
211.
Wittemberg, 129.
Wockere (Henri), 93.
Wohgersperg (Sébastien), 68.
Wolfang, duc des Deux-Ponts, 80.
Wolf, 208.
Wolff, 144, 161 = (Arnold), 315
= (Christophe), 122 = (Georges)
50 = Marguerite, 285 = (Ma-
thieu), 167 = (Nicolas), 51
= Le Père—, 110.
Wolsach, 93.
Wolt, 146.
WOLTHER, 119.
Wor, 315.
Worm (Ole), 398, 401.
Worms, 8.
Wrangel (Comte), 347, 349.
Wuitte (Catherine de), 311.
Wulven (de), 219.
WUMBRAND, 82.
Wurtemberg (Le), 51, 87, 120 =
Comtesse de — , 109 = Duc de — ,
78, 79 = Prince de—, 110 =
Roderic de — , 41.
Wurtzbourg, 32, 157, 158, 170 =
Albert de—, 168.
Wykerfloot, 298.
Wynrich von Wesel (Hermann),
4.
Xirocourt, 328.
Yoel, 409.
Ysmant (Thomas), 88.
Zacau, 147.
Zacharie, 94, 137.
Zalon, 392.
Zamet, 66.
Zandt (van den), 310.
Zangmeister (Jean-Paul), 19.
Zanioli, 28.
Zélande, 183, 195.
Zelen, 310.
Zevenbergen, 183.
Zimmermann, 144, 147.
Zingg, 134.
ZlNZERLING (JuSt), 22, 40.
Zollikofer, 166 = (Michel), 25.
Zurich, 38, 97, 166.
Zwickau, 154.
Zuylett (van), 219.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction, p. i-xi.
PREMIÈRE PARTIE
LES ALLEMANDS EN FRANCE
CHAPITRE I
L'INFILTRATION ALLEMANDE EN FRANCE AVANT LE XVIe SIÈCLE
I. L'ordre teutonique : artistes et artisans allemands. — II. Voyageurs
et pèlerins. — III. Naissance des premières colonies de marchands :
avantages concédés aux Hanséates, pp. 1-16.
CHAPITRE II
I. Les étudiants allemands à Paris, Orléans, Angers, Montpellier
du xiie au xvme siècle. — II. Les pédagogues. — Les voyageurs,
pp. 17-48.
CHAPITRE III
I. Imprimeurs et libraires allemands. — II. François Ier et l'Alle-
magne. — III. Banquiers allemands de Lyon, p. 49-66.
CHAPITRE IV
LES SOLDATS ALLEMANDS A LA SOLDE DE LA FRANCE, pp. 67-85
CHAPITRE V
LES ALLEMANDS DANS NOS MINES ET DANS LA MÉTALLURGIE,
pp. 86-101.
CHAPITRE VI
LES ALLEMANDS A PARIS DEPUIS LE XVIIe SIÈCLE.
I. Quelques Allemands à la cour sous Henri IV et Louis XIII. — II Rat-
sons politiques qui favorisent l'infiltration allemande en France
444 TABLE DES MATIÈRES
aux xvne et xvine siècles. — III. Colonie allemande de Paris, la
confrérie allemande de Saint-Germain-des-Prés ; Allemands tail-
leurs d'habits, ébénistes, orfèvres, espions, aventuriers, filles de joie.
— IV. Intellectuels allemands, médecins, savants, artistes ; G. Wille
et son entourage. — V. Hommes de lettres allemands à Paris ; les
musiciens, les luthiers, pp. 102-144.
CHAPITRE VII
LES COLONIES ALLEMANDES EN PROVINCE
I. Les Allemands à Bordeaux et La Rochelle. — II. Les Allemands
destinés à peupler la Guyane au xvine siècle. — III. Les Allemands
en Bretagne, en Anjou, à Orléans, en Normandie, en Auvergne,
à Lyon, à Marseille, pp. 145-171.
DEUXIEME PARTIE
LES HOLLANDAIS EN FRANCE
CHAPITRE I
I. Introduction. — II. Premières relations commerciales. — III. Les
artistes néerlandais à Paris, en Bourgogne et en Touraine. — IV. Les
étudiants hollandais à Paris et à Orléans du xme au xvie siècle ;
les professeurs hollandais à Angers, Poitiers et Paris. — V. Les impri-
meurs originaires de Hollande, pp. 175-194.
CHAPITRE II
QUELQUES MOTS SUR LES RAPPORTS POLITIQUES DE LA FRANCE
ET DE LA HOLLANDE ENTRE 1579 ET 1697, pp. 195-205.
CHAPITRE III
I. Les Hollandais sont protégés et attirés en France par Henri IV. —
II. Richelieu appelle des constructeurs et des marins de Hollande. —
III. Rapports cordiaux des Français et des Hollandais ; voyageurs
et étudiants néerlandais en France. — IV. Les peintres, graveurs et
artistes hollandais à Paris et en province. — V. Les dissensions
religieuses en Hollande au xvne siècle développent le mouvement
d'immigration, pp. 206-232.
CHAPITRE IV
I. Les Hollandais dessèchent les marais de France. — II. Ils fondent
des raffineries de sucre, des manufactures de papier. — III. Les Hol-
TABLE DES MATIÈRES 445
landais monopolisent le commerce des vins. — IV. Leurs groupe-
ments de Bordeaux et de Nantes. — V. Jalousie qu'excite l'impor-
tance de leur négoce en France, pp. 233-262.
CHAPITRE V
COLBERT ATTIRE EN FRANCE DES HOLLANDAIS.
I. Drapiers et manufacturiers ; les van Robais ; constructeurs de na-
vires, ingénieurs et savants. — II. Maître Afïinius et le chevalier de
Rohan ; Helvétius et sa descendance, pp. 263-282.
CHAPITRE VI
I. Les Hollandais à Bordeaux, Nantes, Vitré, Rouen, Dieppe, Lyon,
Marseille. — II. La Révocation de l'Ëdit de Nantes et ses consé-
quences sur les colonies hollandaises, pp. 283-304.
CHAPITRE VII
LES HOLLANDAIS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE
I. Rapports politiques. — II. Négociants hollandais en France. —
III. Manufacturiers et artisans ; ingénieurs hollandais. — IV. La
colonie néerlandaise de Paris ; la chapelle de l'ambassade de Hol-
lande ; la colonie flottante ; Madame Pater. — V. L'Immigration
des patriotes en France en 1787, pp. 305-335.
TROISIÈME PARTIE
LES SCANDINAVES EN FRANCE. SUÉDOIS ET DANOIS
EN FRANCE
CHAPITRE I
LES SUÉDOIS EN FRANCE.
Les étudiants suédois à Paris et Orléans aux xive et xvc siècles. —
II. Quelques Suédois à Paris au temps de François Ie'. — III. Jonas
Hambraeus et la chapelle de l'ambassade de Suède au xvnft siècle :
nombreux voyageurs et étudiants. — IV Colbert attire des Suédois ;
artisans et ingénieurs suédois à Versailles. — V. Le banquier Hog-
guer ; quelques négociants suédois naturalisés au xvme siècle ;
savants à Paris. — VI. Officiers suédois dans l'armée française :
le Royal-Suédois. — VII. Artistes suédois à Paris. — VIII. Marie-
Antoinette et les Suédois ; le salon de Madame de Boufflers est le
(ditre de la colonie suédoise à Paris, pp. .'J3(.)--385.
446 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE II
LES DANOIS EN FRANCE
I. Relations franco-danoises au moyen âge ; étudiants danois à Paris
et Orléans. — IL Danois en France sous le règne de François Ier ;
traités de commerce franco-danois. — III. Étudiants, voyageurs
et savants en France au xvne siècle ; médecins célèbres à Paris ;
Winslow. — IV. Souverains et princes danois à Paris et en France ;
artistes et commerçants danois au xviii6 siècle. — V. Officiers
danois au service de la France ; Rantzau, Lôwendal, pp. 386-410.
ABBEVILLE
IMPRIMERIE F. PAILLART
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