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Full text of "Les étrangers en France sous l'ancien régime, histoire de la formation de la population française"

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LES 


ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

SOUS  L'ANCIEN  RÉGIME 


J.     MATHOREZ 


HISTOIRE  DE   LA  FORMATION   DE    LA   POPULATION  FRANÇAISE 


LES 


ÉTRANGERS  EN  FRANCE 


SOUS   L'ANCIEN   RÉGIME 


TOME    SECOND 

LES    ALLEMANDS,    LES    HOLLANDAIS,    LES    SCANDINAVES 


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PARIS 
LIBRAIRIE    vNCIENNE  EDOUARD  CHAMPION,    ÉDITEUR 

5,    QUAI    MALAQUAIS,    5 


1021 


INTRODUCTION 


i 


Ce  volume  est  consacré  à  retracer  la  manière  dont  les 
populations  germaniques  se  sont  implantées  en  France  pen- 
dant les  derniers  siècles  de  l'ancien  régime.  J'ai  recueilli 
des  faits  très  nombreux  relatifs  à  la  pénétration  des  Allemands, 
Autrichiens,  Suisses  alémaniques,  Hollandais  ou  Scandinaves 
au  sein  de  la  famille  française.  Je  ne  me  flatte  cependant  point 
d'avoir  consulté  tous  les  documents  concernant  le  sujet  que 
j'aborde.  Il  est  pour  ainsi  dire  inépuisable  ;  pour  lui  donner 
toute  son  ampleur,  il  eut  été  nécessaire  de  fouiller  et  les  dépôts 
d'archives  départementales  ou  municipales  et  les  registres  des 
paroisses  et  les  minutes  de  notaires  et  les  monographies  locales 
sans  parler  des  généalogies  précieusement  conservées  dans  les 
familles.  Plusieurs  existences  ne  suffiraient  pas  à  réunir  et 
colliger  une  telle  masse  de  pièces  et  d'actes  ;  dans  une  étude 
aussi  générale  que  celle  que  j'ai  tentée,  les  érudits  me  pardonne- 
ront de  faire  à  l'impressionnisme  une  large  part. 

En  supposant  connus  tous  les  documents  qui  les  concernent, 
on  dénombrerait  encore  assez  aisément  les  Orientaux  qui  se 
sont  agrégés  à  la  population  française.  Leur  appoint  a  été  rela- 
tivement faible.  Il  serait  au  contraire  chimérique  d'essayer 
d'entreprendre  le  décompte  le  plus  approximatif  des  éléments 
de  population  germanique  qui  se  sont  établis  sur  le  sol  français 
du  xme  siècle  jusqu'à  la  Révolution.  Durant  ce  long  espace 
de  temps,  chaque  année,  des  forains,  venus  du  Nord  ou  de  l'Est , 
ont    passé  nos  frontières.  Les  uns,  après  un  séjour  de  durée 


VI  INTRODUCTION 

variable  sont  rentrés  dans  leur  pays  ;  d'autres,  fort  nombreux, 
sont  demeurés  en  France  et  y  ont  fait  souche  après  y  avoir  fondé 
leur  foyer. 


II 


Quelle  influence  ont  exercé  en  France  ces  cohortes  de  Germa- 
niques, pacifiques  envahisseurs  ?  Il  est  indéniable  que  ces  étran- 
gers ont  fourni  à  notre  pays  de  multiples  unités  de  population  ; 
mais  l'apport  du  sang  allemand,  hollandais  ou  Scandinave  n'a 
eu  aucune  action  sensible  sur  notre  race  celte  et  latine.  Les 
indices  ethniques  des  Français  n'ont  pas  été  modifiés  depuis  le 
xme  siècle  par  l'intrusion  constante  de  ces  forains.  L'influence 
de  ces  alluvions  étrangères  a  été  nulle  au  point  de  vue  psycho- 
logique. Tel  était  le  Gaulois  du  temps  de  César,  tel  était  le 
Français  sous  le  règne  de  Louis  XIV.  Mêmes  qualités,  mêmes 
défauts.  Le  réalisme  qui  caractérise  les  peuples  germaniques 
n'a  pas  pénétré  les  masses  de  la  nation  et  n'a  influé  en 
rien  sur  les  populations  des  centres  urbains  où  les  colonies  alle- 
mande et  hollandaise  étaient  spécialement  importantes.  A  cela 
rien  de  surprenant.  Allemands  et  Hollandais  se  sont  assimilés 
avec  promptitude.  Ceux  qui  se  fixèrent  en  France  épousèrent 
des  régnicoles  et  par  suite  d'un  habitat  prolongé  perdirent  rapi- 
dement contact  avec  leur  pays  d'origine. 

Hollandais  et  Allemands  ont  surtout  été  poussés  vers  notre 
pays  par  l'âpre  désir  du  gain.  Les  Hollandais  étaient  des  négo- 
ciants et  des  courtiers  de  premier  ordre  ;  ils  possédaient  une  orga- 
nisation de  beaucoup  supérieure  à  celle  des  autres  peuples  de 
l'Europe  et  trop  à  l'étroit  dans  leur  pays,  leurs  enfants  émigraient 
vers  des  régions  où  il  leur  était  loisible  de  réaliser  des  bénéfices. 
Seules  les  carrières  du  négoce  les  attiraient.  En  émigrant  en 
France  les  Allemands  avaient  des  buts  plus  divers  mais  quels 
qu'ils  fussent,  ils  étaient  toujours  intéressés.  Soldats,  ils  étaient 
en  quête  d'une  proie  ;  princes,  ils  sollicitaient  des  pensions, 
artisans,  ils  passaient  en  France  avec  l'espoir  de  toucher  des 
salaires  élevés.  Producteurs,  ils  cherchaient  à  supplanter  nos 


INTRODUCTION  vil 

nationaux  en  appliquant  des  méthodes  nouvelles  ;  en  cela, 
ils  réussissaient  souvent.  Le  tempérament  réaliste  des  Allemands 
les  poussait  à  améliorer  les  conditions  matérielles  de  l'existence, 
aussi  tournaient-ils  surtout  leur  intelligence  vers  les  industries 
pratiques  et  la  production  à  bas  prix.  On  ne  saurait  nier  qu'au 
point  de  vue  industriel,  les  Allemands  ont  parfois  été  pour  nous 
des  initiateurs. 

Ils  ont  introduit  et  propagé  en  France  l'imprimerie  ;  ils  nous 
ont  enseigné  l'art  de  mieux  tirer  parti  des  mines  de  fer  et  de 
charbon  ;  dans  les  industries  métallurgiques,  ils  ont  importé 
des  procédés  nouveaux.  Les  Hollandais  nous  ont  appris  à 
dessécher  les  marais,  à  améliorer  la  navigabilité  de  nos  fleuves. 
Reconnaissant  dans  ces  domaines  la  supériorité  des  Allemands 
et  des  Hollandais,  Henri  IV  et  Colbert  peuplèrent  la  France 
de  ces  étrangers.  Leur  influence  sur  nos  méthodes  de  pro- 
duction est  certaine  ;  elle  n'a  cependant  pas  été  aussi  pro- 
fonde qu'elle  aurait  pu  l'être.  En  effet,  plus  intéressés  par 
le  choc  des  idées  et  les  discussions  politiques  ou  religieuses, 
que  par  les  questions  commerciales,  maritimes,  financières  ou 
industrielles,  nos  pères  assistaient  quelque  peu  indifférents  aux 
progrès  réalisés  par  les  manufacturiers  et  les  négociants  étran- 
gers. Jusqu'au  milieu  du  xvme  siècle,  ils  considéraient  comme 
minces  besognes  et  indignes  d'eux  de  s'adonner  à  l'étude  des 
méthodes  étrangères.  Ils  attendaient  tout  de  la  protection  du 
roi  ;  si  la  prospérité  du  commerce  venait  à  faillir  dans  le  royaume, 
ils  maugréaient  bien  quelque  temps  contre  l'emprise  &tê  <l  ran- 
gers mais  ne  cherchaient  pas  à  suivre  les  méthodes  qui  les  enri- 
chissaient à  leur  détriment  parfois. 

Notre  propre  tempérament  a  souvent  tué  les  initiatives  de 
ministres  clairvoyants  qui  avaient   introduit   dans  le   pi 
étrangers  commissionnés  pour  être  les  éducateurs  du   peuple 
français.  L'influence  économique  des  Allemands  et  des  Hollan- 
dais s'est  trouvée  limitée  par  là  même. 


VIII  INTRODUCTION 


III 


Au  point  de  vue  moral,  l'action  des  étrangers  du  Nord  et  de 
l'Est  sur  la  France  a-t-elle  été  beaucoup  plus  profonde  ?  S'il 
est  indispensable  de  rappeler  que  Lefèvre  d'Étaples,  dès  l'an- 
née 1508,  dans  son  Commentaire  sur  les  Psaumes,  dès  l'année  1512, 
dans  son  Commentaire  sur  saint  Paul,  soutenait  déjà  quelques- 
unes  des  thèses  que  Martin  Luther  devait  afficher  aux  portes 
d'une  église  saxonne,  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  rechercher  quelles 
ont  pu  être  les  origines  françaises  des  doctrines  luthériennes. 
Qu'il  suffise  de  constater  que  la  réforme  française  est  fille  de  la 
réforme  allemande  mais  qu'en  franchissant  les  frontières,  cette 
grande  révolution  religieuse  s'est  pliée  aux  exigences  de  notre 
tempérament  national. 

Quelles  que  soient  les  doctrines  auxquelles  Luther  a  fait 
des  emprunts,  quelqu'aient  été  les  modifications  subies  par 
la  réforme  qu'il  a  consacrée,  il  n'en  demeure  pas  moins  certain 
que  sous  le  rapport  religieux,  les  Allemands  ont  exercé  une 
influence  en  France.  Les  idées  de  Luther  trouvèrent,  pour 
germer  facilement,  un  terrain  préparé  par  les  humanistes  mais 
il  convient  de  noter  la  part  qu'ont  eue  les  étrangers  établis  en 
France  dans  la  diffusion  des  doctrines  nouvelles.  Il  est  indé- 
niable que  la  présence  dans  le  royaume  de  groupements  d'ori- 
gine germanique  a  contribué  à  la  diffusion  de  la  Réforme. 
Commerçants,  imprimeurs,  ouvriers,  étudiants,  pédagogues, 
lansquenets  résidant  ou  circulant  en  notre  pays  ont  été 
d'actifs  agents  de  propagation  luthérienne. 

C'est  vers  1520  que  le  protestantisme  gagne  Paris.  L'Univer- 
sité, en  1521,  laisse  imprimer  et  circuler  la  réponse  de  Mélanchton 
aux  théologiens  de  Paris  ;  en  1524,  Noël  Beda  dénonce  le  grand 
nombre  d'étudiants  favorables  à  Luther.  Les  étudiants  alle- 
mands et  hollandais  qui  sont  légion  à  Paris,  à  Orléans  et  à 
Montpellier  constituent  de  petites  colonies  enthousiastes  ; 
parmi  eux  on  suit  les  affaires  d'Allemagne  ;  ce  petit  monde 
lit  Erasme  et  correspond  avec  Zwingle.  Dans  les  grandes  villes 


INTRODUCTION  IX 

marchandes,  et  celles-ci  ont  toujours  joué  un  rôle  prédestiné 
dans  l'histoire  religieuse  du  monde,  les  commerçants  d'origine 
germanique  sont  nombreux  ;  ils  apportent  d'Allemagne  pam- 
phlets, livres,  almanachs  de  propagande  et  les  répandent  à 
profusion  dans  le  public.  A  Lyon,  cité  cosmopolite  qui  regorge 
de  commerçants,  d'imprimeurs,  d'artisans,  de  banquiers,  la 
doctrine  nouvelle  est  rapidement  propagée  par  des  moines  de 
Wittemberg,  amis  de  Luther  et  Jean  Vaugris,  neveu  de  Conrad 
Resch  est  peut-être  le  premier  des  adhérents  de  la  Réforme. 
Les  imprimeurs  lyonnais  qui  sont  en  correspondance  avec 
leurs  confrères  d'Allemagne  éditent  et  rééditent  des  brochuies 
et  des  petits  livrets  dans  lesquels  sont  exposés  les  principes 
religieux  de  Luther.  Peu  à  peu,  les  différentes  couches  de  la 
société  furent  gagnées  à  ses  vues  ;  à  Lyon  notamment  dans  les 
classes  ouvrières  d'origine  germanique  le  protestantisme  recruta 
de  nombreux  adhérents  *. 

La  cour  de  François  Ier  est  pleine  d'officiers  allemands  ; 
des  princes,  des  barons  allemands  sèment  et  propagent  les  idées 
de  Luther.  Dans  d'autres  milieux,  lansquenets  et  reîtres,  logés 
chez  l'habitant  sèment  la  doctrine  du  réformateur  ;  ces  gens 
sans  aveu  convertissent  peut-être  brutalement  ceux  qui  ne 
partagent  pas  leur  manière  de  penser  car  leurs  arguments 
théologiques  ne  sont  pas  toujours  très  décisifs.  Plus  convain- 
cants que  les  leurs  furent  sans  doute  ceux  des  pédagogues 
qui  parcoururent  la  France  aux  xvie  et  xvne  siècles,  y  furent 
appelés  comme  professeurs  dans  les  Universités,  les  académies 
protestantes  ou  comme  précepteurs  dans  les  familles  fran- 
çaises. 

Dans  le  monde  moral,  la  part  d'influence  des  Germaniques 
doit  être  circonscrite  au  domaine  religieux  ;  au  point  de  vue 
artistique  ou  intellectuel,  Allemands,  Hollandais  ou  Scandinaves 
n'ont  exercé  en  France  qu'une  faible  emprise. 

Lorsqu'on  a  mis  en  relief  l'influence  que  les  artistes  néerlan- 
dais ont  eue  sur  les  nôtres  au  xive  siècle  en  répandant  dans  nos 

1.  Sur  ces  points  on  peut  consulter  les  belles  études  de  M.  Imbart  de  la  Tour 
sur  les  Origines  de  la  Réforme  et  notamment  le  tome  III.  Paris,  1914.  —  Voir  éga- 
lniH  ut,  Henri  Hanter,  lltudcs  sur  la  Réforme  française.  Paris,  1909. 


X  INTRODUCTION 

ateliers  le  goût  du  naturalisme,  quand  on  a  noté  l'engouement 
passager  qui,  au  début  du  xvne  siècle,  valut  aux  peintres,  aux 
graveurs,  aux  ébénistes  et  aux  intellectuels  hollandais  des 
succès  sans  lendemain,  on  a  promptement  épuisé  l'histoire  de 
l'influence  néerlandaise  en  France.  L'inspiration  artistique 
allemande  proprement  dite  n'a  jamais  influé  sur  nos  concep- 
tions. Au  xvme  siècle,  toutefois,  les  Allemands  essayèrent  de 
procéder  à  ce  que  Ton  a  justement  appelé  «  le  lancement  de  la 
littérature  allemande  ».  Les  Français,  par  une  sorte  d'aberra- 
tion politique  firent  fête  aux  intellectuels  d'outre-Rhin  au 
moment  même  où  Frédéric  II  essayait  de  constituer  un  empire 
puissant  établi  sur  des  bases  militaires  solidement  établies. 
Malgré  leurs  efforts,  les  littérateurs  allemands  ne  parvinrent  pas 
à  créer  autre  chose  qu'un  mouvement  de  curiosité  autour  de 
leurs  œuvres  ;  ils  ne  réussirent  pas  à  nous  imposer  leur  culture 
et  leurs  idées.  Dans  les  lettres  françaises  on  ne  remarque  pas 
une  influence  germanique  analogue  à  celle  qu'eurent  sur  nous 
les  Italiens  ou  les  Espagnols.  Trois  siècles  de  culture  latine  ne 
pouvaient  être  effacés  en  quelques  lustres  par  ce  groupe  de 
philosophes  et  littérateurs  allemands  fixés  en  France  et  qui 
étaient,  eux-mêmes,  tout  imprégnés  de  cette  tradition  française 
à  laquelle  ils  cherchaient  à  se  soustraire. 

S.ans  vouloir  faire  preuve  d'un  nationalisme  aveugle,  il 
importe  de  dire  nettement  que  du  xme  siècle  à  l'orée  des  temps 
contemporains,  la  civilisation  française  n'a  dû  que  fort  peu  de 
chose  aux  civilisations  germaniques.  Les  milliers  et  les  milliers 
d'étrangers  que  l'Empire,  la  Hollande  et  la  Scandinavie  ont 
déversés  sur  la  France  ont  été  assimilés  sans  résistance.  Ceux 
qui  n'ont  fait  que  passer  ont  été,  à  leur  retour  dans  leur  patrie, 
les  propagateurs  fervents  d'une  culture  qui  les  avait  séduits  ; 
ils  ont  été  les  agents  dévoués  de  l'expansion  de  l'influence  fran- 
çaise à  l'étranger. 

Et  de  quel  éclat  a  brillé  notre  civilisation  hors  de  nos  fron- 
tières !  Des  philosophes  et  des  historiens  l'ont  dit,  les  uns  avec 
amertume,  comme  Leibnitz,  les  autres  avec  bonne  foi  et  en 
s'inspirant  des  documents  les  plus  probants.  M.  L.  Raynaud, 
avec  force   détails,    a  montré  comment,    à   toute    époque,   la 


INTRODUCTION  XI 

civilisation  française  avait  pénétré  l'allemande  1.  Les  histo- 
riens et  les  philologues  hollandais  se  sont  plu  à  redire  la  part 
que  la  France  avait  prise  dans  le  développement  de  leur  pays. 
En  1846,  J.  Koenen  publiait  une  longue  histoire  de  l'influence 
française  en  Hollande  2  ;  plus  près  de  nous,  J.  Salverda  de 
Grave,  en  une  série  de  conférences  faites  à  Paris,  notait  la 
manière  dont  la  langue  hollandaise  s'était  enrichie  de  vocables 
français 3.  Récemment  encore,  K.  J.  Riemens  consacrait  à 
l'enseignement  du  français  en  Hollande  du  xvie  au  xixe  siècle 
une  étude  substantielle  et  riche  de  faits  précis  4.  Les  pays  du 
Nord,  Suède  et  Danemark  soumis  tout  d'abord  à  l'influence 
allemande  se  sont  peu  à  peu  rapprochés  de  nous.  C'est  à  la 
France  qu'ils  ont  demandé  des  professeurs,  des  artistes  et  des 
savants.  Les  judicieux  travaux  de  M.  P.  Lespinasse  ont 
excellemment  montré  le  rôle  de  la  France  dans  les  pays 
Scandinaves  5. 

En  attirant  dans  le  royaume  des  étrangers  nombreux,  le 
gouvernement  monarchique  a  rendu  service  au  pays.  Ceux  qu'il 
a  retenus  ont  été  des  éléments  d'activité  et  ont  constitué  un 
surcroît  de  population  souvent  utile.  Les  forains  qui  n'accom- 
plissaient dans  le  royaume  qu'un  séjour  d'études  ou  de  plaisir 
ont  souvent  été  les  meilleurs  auxiliaires  de  notre  diplomatie 
et  leur  rôle  comme  pionniers  de  notre  influence  à  l'extérieur 
mériterait  d'être  mis  en  valeur.  Ils  étaient  généralement  les 
premiers  adhérents  de  ces  partis  français  que  nos  ambassadeurs 
constituaient  dans  les  cours  auprès  desquelles  ils  étaient  accré- 
dités ;  ils  propageaient  notre  langue,  nos  arts  et  de  par  le  monde 
essaimaient  nos  idées  et  nos  mœurs. 

1.  L.  Reynaud,  L'Influence  française  en  Allemagne.  Paris,  1914. 

2.  H.  J.  Kœnen,  Geschicdenis  van  de  vesliging  en  den  invloed  der  Fransche  vluchle- 
lingen  in  Nederland.  Leyde,  1846. 

3.  J.  Salverda  de  (Irave,  L'influence  de  la  langue  française  en  Hollande  d'après 
les  mots  empruntes.  Paris,  1913. 

i.  K.  I.  Riemens,  Esquisse  historique  de  l'enseignement  du  français  en  Hollande 
du  XVI'  au  XIX*  siècle.  Leyde,  1919. 

5.  P.  Lespinassr,  L'Art  français  et  la  Suède.  Paris,  1913. 


PREMIERE   PARTIE 


LES  ALLEMANDS  EN  FRANGE 


CHAPITRE  PREMIER 


L'INFILTRATION   ALLEMANDE    EN   FRANCE   AVANT   LE   XVIe    SIÈCLE 


I.  L'ordre  teutonique  ;  Artistes  et  artisans  allemands.  —  II.  Voyageurs  et  pèle- 
rins. —  III.  Naissance  des  premières  colonies  de  marchands  ;  avantages  concédés 
aux  Hanséates. 


I 


L'institution  de  l'Ordre  Teutonique  remonte  au  temps  de  la 
troisième  croisade  mais  c'est  seulement  de  l'époque  de  la  cin- 
quième, en  1218  et  1219,  que  datent  les  plus  anciennes  dona- 
tions de  biens,  sis  sur  territoire  français,  effectuées  à  cet  ordre. 
Les  propriétés  dont  il  fut  doté  étaient  principalement  situées 
dans  quatre  régions  :  à  Beauvoir,  au  diocèse  de  Troyes  ;  à  Orbec, 
au  diocèse  de  Nevers  ;  à  Vaudeville  et  Saint-Michel-de-l'Henrii- 
tage,  localités  relevant  des  évêchés  de  Toul  et  de  Chartres. 
A  la  tête  des  établissements  français  de  l'Ordre  Teutonique 
était  un  commandeur.  Le  plus  souvent,  il  était  Allemand. 
Des  quatre  commanderies,  celle  de  Beauvoir,  la  plus  importante, 
tut  dirigée  par  Jacques  de  Mayence,  Jean  de  Brandebourg, 
Jean  de  Francfort,  Jean  de  Cologne.  Le  dernier  commandeur 
d'Orbec,  Nicolas  de  Sampfer  ou  de  Sommevoiiv,  comme  le 
désignent  les  textes  français,  devint  dignitaire  de  l'Ordre. 
en  1  191,  bien  qu'il  fut  marié.  Comme  L'exploitation  des  terres 
possédées  en  France  par  l'Ordre  Teutonique  était  devenue 
onéreuse  par  suite  de  leur  éloigneinciil,  Nicolas  de  Sampfer 
tut  chargé  de  procéder  à  leur  liquidation1. 

i.  il.  d'Arbois  de  JubalnviUe,  L'Ordre  teutonique  en  France,  Paris,  LS74,  Extrait 
«lu  tome  XXXII  <!<•  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Charité, 


4  LES    ETRANGERS    EN    FRANCE 

On  ne  saurait  affirmer  que  les  commandeurs  de  l'Ordre  aient 
introduit  en  France  quelques-uns  de  leurs  compatriotes  chargés 
de  les  seconder  dans  la  gestion  de  leurs  domaines  ;  le  fait  est 
cependant  probable.  Les  Allemands  devaient  amener  avec 
eux  secrétaires  et  domestiques  puisque  les  Français  eux-mêmes 
tiraient  des  terres  impériales  des  subalternes.  Vers  1357,  un 
ami  de  Pétrarque,  Philippe  de  Vitri,  évêque  de  Paris,  avait 
deux  Allemands  dans  sa  domesticité  et  dès  le  début  du  xve  siècle, 
des  valets  allemands  étaient  employés  par  des  bourgeois  de 
Bordeaux  1. 

Les  Journaux  du  trésor  de  Charles  IV  le  Bel  et  de  Philippe  VI 
relatent  assez  fréquemment  les  noms  d'Allemands  employés 
par  ces  souverains  2.  Conrard  d'Allemagne  est  valet  de  courses 
de  Charles  IV 3,  Erard  est  qualifié  de  conseiller  et  trésorier 
du  même  prince  4.  Parmi  les  militaires,  Gauthier  est  sergent 
des  armées  5,  Hannequin  sergent  du  guet 6,  Olric  est  sergent 
d'armes  7.  Pierre  d'Allemagne  figure  encore  comme  clerc  à  la 
Chambre  des  enquêtes  de  Charles  IV 8.  Les  mandements  du 
roi  Charles  V  9  révèlent  également  la  présence  de  fonctionnaires 
allemands  attachés  à  ses  services.  Les  Girard,  Gauthier,  Pierre, 
Jean,  Olric  Lallemant  ou  d'Allemagne  n'ont  guère  laissé  de 
souvenirs.  Leur  nom  n'a  été  tiré  de  l'oubli  par  de  savants  érudits 
qu'en  raison  des  émoluments  qu'ils  ont  perçus  à  divers  titres. 

La  reine  Ysabeau  de  Bavière  introduisit  en  France  quelques 
compatriotes.  Des  artistes  et  des  orfèvres  allemands  travail- 
lèrent pour  elle  ;  parmi  les  plus  célèbres,  on  cite  Haincelin 
qui  habitait  Paris  en  1403  et  Hermann  Wynrich  von  Wesel 10. 
La    cour   de    Charles   VI    comportait    des    écuyers,   des   che- 

1.  A.  Leroux,  La  colonie  germanique  de  Bordeaux.  Bordeaux,  1918,  t.   I,  p.  2. 

2.  J.  Viard,  Les  Journaux  du  trésor  de  Charles  IV  le  Bel.  Paris,  1917.  Collection 
des  documents  inédits.  —  J.  Viard,  Les  Journaux  de  Philippe  VI  de  Valois.  Paris, 
1901,  même  collection. 

3.  J.  Viard,  ...  Charles  IV...,  notice  824. 

4.  Id.  Ibid.,  notices  7729,  1641. 

5.  Id.  Ibid.,  notice  3052. 

6.  Id.  Ibid.,  notice  3838. 

7.  Id.  Ibid.,  notice  3992. 

8.  Id."  Ibid.,  notice  8482. 

9.  L.  Delisle,  Mandements  et  actes  divers  de  Charles  V.  Paris,  1874.  Coll.  des  Docu- 
ments inédits. 

10.  A.  Girodie,  Martin  Schongaiier.  Paris,  1911. 


ALLEMANDS    AU    SERVICE    DES    PRINCES    FRANÇAIS  5 

vaucheurs  allemands  ;  la  reine  avait  près  d'elle  des  dames 
d'honneur  originaires  d'outre-Rhin.  Emelaye  de  Nostemberg, 
épouse  de  Charles  de  Soicourt,  fut  mariée  par  ses  soins  ;  Ysabeau 
lui  ayant  promis  une  dot  de  dix  mille  écus  ne  put  s'acquitter 
de  sa  promesse  :  pour  lui  faire  prendre  patience,  elle  lui  accorda 
500  livres  à  prendre  sur  les  biens  du  chancelier  Nicolas  d' Orge- 
mont,  lorsque,  disgracié,  il  fut  privé  de  sa  fortune  1. 

Louis  XI  est  servi  par  des  pages  natifs  d'Allemagne.  «  Pour 
avoir  esté  nourri  page  du  roi  Louis  XI  et  depuis,  homme  d'armes 
des  ordonnances  »  Jean,  dit  le  page,  obtint  de  Charles  VIII  des 
lettres  de  naturalité  au  mois  de  janvier  1488.  Cet  officier  avait 
nom  Jean  Schulenberg.  Il  s'établit  en  terre  française  et  acquit 
le  domaine  de  Mont-de-Jeux,  à  peu  de  distance  de  Sedan. 
Lorsqu'il  fut  implanté  dans  le  royaume,  il  attira  son  frère 
Alolph  dont  le  petit-fils  devint  maréchal  de  France  au  temps  de 
Louis  XIII 2.  Louis  XI  emploie  des  Allemands  :  Haufîe,  Huif- 
forly,  Willem  Widerstein,  Michel  Waller,  «  du  pays  d'Almaigne  », 
reçurent,  en  juillet  1480,  20  1.  tournois  pour  services  rendus  3. 
Charles  de  France,  duc  de  Berry  compte  parmi  ses  écuyers 
Richard  Ahamer,  allemand  auquel,  en  1470  il  donne  la  sei- 
gneurie de  Monségur4. 

Dans  son  duché  de  Bretagne,  Jean  V  accueillait  les  Allemands  ; 
il  recherchait  l'alliance  des  Hanséates,  le  concours  des  mineurs, 
il  s'attachait  des  artistes  originaires  de  l'Empire  :  HansWitzinger, 
dit  Hans  Witz  ou  Lesaige  était  établi  à  Nantes  en  1402  ;  il  y 
demeura  dix  ans  et  décora  une  partie  de  la  cathédrale.  Ayant 
quitté  Nantes  en  1412,  il  repartit  pour  Constance  puis  revint 
en  France  avec  son  fils  Conrad  5.  Tous  deux  s'attachèrent  au 
service  de  Philippe  le  Bon.  A  la  cour  de  Bretagne,  la  duchesse 
avait  une  demoiselle  d'honneur  Helle  d'Allemagne,  à  qui, 
en  1405,  elle  fit  donner  par  Jean  V  soixante-dix  écus  d'or  6. 

1.  L,  Mirot,  Le  chancelier  Nicolas  d'Orgemonl.  Paris,  1913,  p.  223. 

2.  Lettre  de  naturalité  du  10  janvier  1488. 

3.  Douët  d'Arcq,  Comptes  de  l'Hôtel  du  Iioi,  édition  de  la  Société  de  l'Histoire 
de  France.  Paris,  1865,  p.  377. 

4.  H.  Stein,  Charles  de  France,  frèn  de  Ijhùs  XI.  Paris,  1921,  p.  34. 

5.  Abbé  Brune.  Dictionnaire  des  Artistes  delà  Franche-Comte  Pari»,  1912.  V«  C°. 

[,  Blanchard,  lettres  et  mandements  de  Jean   V.  Kdition  îles  Bibliophiles  bre- 
tons. Acte  n°  164. 


t>  LES    ETRANGERS    EN    FRANCE 

Durant  que  Charles  le  Mauvais  occupait  une  partie  de  la 
Normandie,  il*  utilisa  les  services  de  Coppequin  l'Allemand  et 
de  Jehan  d'Almaigne,  marchand  de  Caen,  à  qui  il  achetait 
soieries  et  étoffes  l.  Les  comptes  des  ducs  de  Bourgogne  relatent 
les  noms  de  quelques  peintres,  enlumineurs  et  fauconniers  alle- 
mands. Jean,  duc  de  Berry,  attire  à  sa  cour  des  artistes  de  tous 
pays.  A  Bourges,  sur  la  paroisse  Notre-Dame-de-Fourchaud, 
vivaient  des  peintres  allemands  ;  parmi  eux  figure  Pol  de  Lim- 
bourg,  «  natif  d'Allemagne  »,  qui  habitait  devant  l'église  Notre- 
Dame  2. 

La  cour  du  roi  René  comptait  plusieurs  Allemands.  Le  contrô- 
leur de  ses  finances,  Balthazar  Hirtenbrauss  eut  maintes  fois 
l'occasion  de  mandater  des  dépenses  au  profit  de  ses  compa- 
triotes 3.  Pour  construire  et  entretenir  les  poêles  des  châteaux 
de  Saumur,  d'Angers  et  des  Ponts-de-Cé,  un  ingénieur,  Jacques 
Dezabern,  percevait  des  appointements  mensuels  4.  Au  xve  siècle, 
c'était  une  habitude  de  faire  venir  d'Allemagne  des  artisans 
chargés  de  construire  ces  hauts  poêles  que  l'on  utilisait  contre 
le  froid.  Cette  coutume  se  maintint  au  xvie  siècle  ;  en  1545, 
François  Ier  fit  construire  à  Fontainebleau  un  pavillon  pour  le 
logement  des  reines-mères.  On  le  dénomma  «  pavillon  des  poêles  » 
à  cause  des  cheminées  d'Allemagne  que  le  roi  y  avait  fait  placer. 

Les  seigneurs  achetaient  des  soieries  aux  Italiens  ;  des.  Alle- 
mands, ils  acquéraient  fourrures  et  pelleteries.  Quelques  articles 
des  comptes  du  roi  René  marquent  qu'il  suivait  les  usages  de 
son  temps.  Au  xve  siècle,  écuyers,  acheteurs  de  chevaux,  dres- 
seurs d'oiseaux  de  proie,  palefreniers  et  charrons  étaient  fré- 
quemment d'origine  allemande.  Erard  l'Alemant  était  oiseleur 
du  roi  René,  l'Alman  soignait  ses  chevaux  :  pour  lui  Hannus 
de  Merinch  achetait  des  montures,  des  Allemands  non  dénom- 
més dans  les  comptes  construisaient  des  chariots  destinés  au 


1.  E.  Izarn,  Le  compte  des  recettes  et  dépenses  du  roi  de  Navarre  en  France.  Paris, 
1885,  p.  199. 

2.  Girard  de  Villesaison,  Notes  sur  la  demeure  à  Bourges  et  la  femme  de  Pol  de 
Limbourg,  dans  Mémoires  de  la  Soc.  des  Antiquaires  du  Centre  ;  XVe  vol.  1887-8, 
p.  109-113. 

3.  Abbé  Arnaud  d'Agnel,  Les  comptes  du  Roi  René.  V°  c°. 

4.  Id.,  Ibid.  V°  c°. 


ALLEMANDS    AU    SERVICE    DES    PRINCES    FRANÇAIS  / 

transport  des  bagages  du  roi.  A  sa  cour,  des  Allemands  «  faiseurs 
de  laeuz  »  touchaient  des  subsides  pour  leur  habillement  et  les 
distractions  qu'ils  donnaient  au  souverain,  d'autres,  comme 
Hippolyte  de  Housenau,  recevaient  des  aumônes  à  titre  de 
poète. 

Des  ébénistes  allemands  travaillaient  déjà  en  France  au 
xve  siècle  :  Guilbert,  menuisier,  «  compaignon  aimant  »,  contribua 
à  la  construction  des  orgues  de  l'église  Saint-Germain  d'Argen- 
tan 1.  A  Lyon  Alabram  est  verrier,  Abraham  de  Limaigne 
s'adonne  à  la  peinture. 

Dans  l'entourage  de  Charles  d'Orléans,  à  Blois,  vécurent 
sans  doute  des  Allemands.  Quand,  à  quarante-six  ans,  lourd  de 
corps  et  las  d'esprit,  le  duc  avait  épousé  Marie,  fille  d'Adolf  de 
Clèves,  cette  jeune  fille,  cette  enfant,  même,  puisqu'elle  ne 
comptait  pas  quinze  ans  lors  de  son  mariage,  amena  avec  elle 
quelques  écuyers  et  dames  d'honneur.  Sa  cour  était  nombreuse  ; 
élevée  chez  son  oncle  Philippe  le  Bon,  elle  avait  connu  chez  lui 
le  luxe  qui  régnait  dans  la  maison  des  ducs  de  Bourgogne  et 
avait  importé  à  Blois  les  habitudes  de  son  enfance  2.  Les  habi- 
tants du  duché  de  Clèves,  pays  pauvre  et  marécageux,  où  l'on 
s'adonnait  surtout  à  l'élevage  du  bétail,  se  réjouissaient  de 
l'accession  des  filles  de  leurs  souverains  à  de  hautes  situations 
en  France  ;  c'était  pour  eux  une  occasion  de  venir  s'y  fixer 
et  d'y  obtenir  des  situations  lucratives. 

Les  alliances  des  ducs  de  Clèves  avec  des  familles  françaises  3, 
la  naturalisation  de  ces  princes  ont  valu  à  la  France  quelques 
éléments  de  population  germanique  qui  se  fixèrent  à  Blois, 
à  Paris  et  dans  le  Nivernais. 

Outre  les  Allemands  ayant  vécu  dans  l'entourage  des  princes, 
il  convient  de  rappeler  l'existence  de  fonctionnaires  spéciaux 
dénommés  notaires  impériaux  et  monnoyers  du  serment  de  V Em- 
pire. Ils  jouissaient  en  France  de  privilèges  que  François  Ier 
renouvela  pour  la  dernière  fois  en   1528.   Que  représentaient 

1.  Arch.  dép.  de  l'Orne,  H  3590. 

2.  P.  Champion,  Vie  de  Charles  d'Orléans.  Paris,  1911,  pp.  513  et  suiv.  Le  mariage 
de  Charles  d'Orléans  et  de  .Marie  de  Clèves  iul  lieu  en  1  IK". 

.;.  Suint  Simon,  Mémoires,  édition  des  (irands  Ikrivains,  première  partie» 
Généalogies  des  du<s  ri  pairs  de  France. 


«S  i.i.s    ÉTRANGERS   EN    FRANCE 

exactement  ces  fonctionnaires  parfois  revêtus  <lc  la  triple  délé- 
gation du  roi,  du  pape  et  de  l'empereur,  on  l'ignore  encore  à  peu 
près.  Etaient-ils  tous  d'origine  française  ou  bien  étaient-Os 
choisis  parmi  des  sujets  allemands,  ce  sont  là  questions  aux- 
quelles les  érudits  n'ont  encore  pu  répondre  *. 


II 


Au  moyen  âge,  les  relations  entre  les  peuples  se  sont  nouées 
par  des  unions  matrimoniales,  des  traités  d'alliance,  des  conven- 
tions commerciales  mais  les  croisades  et  les  pèlerinages  à  l'étran- 
ger ont  également  contribué  à  faire  naître  entre  eux  des  liens 
étroits.  Que  de  Français,  que  de  Flamands  et  de  Bretons,  que 
de  Polonais  aussi,  ont  quatre  siècles  durant,  franchi  les  Pyrénées 
pour  se  rendre  à  Saint-Jacques  de  Compostelle  î  Ces  pieux  voyages 
ont  développé  le  trafic  des  Espagnols  avec  la  France,  la  Bretagne 
et  ia  Flandre  ;  souvent,  les  pèlerins  cheminaient  en  commerçant, 
ils  emportaient  des  pacotilles  qu'ils  vendaient  dans  la  Péninsule 
et  en  rapportaient  des  marchandises  qu'ils  écoulaient  à  leur 
retour. 

Des  relations  analogues  à  celles  de  la  France  et  de  l'Espagne 
ont  pu  naître  entre  la  Normandie  et  l'Allemagne.  Pendant  plus 
de  cent  cinquante  ans  les  Allemands  ont  fréquenté  comme 
pèlerins  le  Mont  Saint-Michel  :  ils  y  venaient  de  tous  les  points 
de  l'Empire,  de  Worms,  de  Mayence,  de  Spire,  de  Cologne,  de 
Baie  ou  de  Schlestadt. 

Bien  qu'il  y  eut  des  hommes,  des  prélats  et  des  femmes, 
parmi  les  pèlerins,  c'étaient  surtout  des  enfants  qui,  le  plus 
souvent,  accomplissaient  le  voyage  du  Mont  Saint-Michel  ; 
ils  se  groupaient  au  départ  dans  quelque  ville  d'Allemagne, 
puis  à  pied,  s'en  venaient  en  Normandie  par  troupes  de  plusieurs 
milliers  de  personnes.  Les  vieilles  chroniques  allemandes  notent 
avec  soin  ces  mouvements  pérégrins  ;  les  plus  anciens  semblent 

1.  P.  Viollet,  Le  Roi  et  ses  ministres.  Paris,  1912,  p.  150. 


PELERINAGES    ALLEMANDS    AU    MONT    SAINT-MICHEL  9 

remonter  au  premier  tiers  du  xive  siècle  et  les  derniers  pèleri- 
nages par  grandes  compagnies  paraissent  avoir  été  effectués 
vers  1465  l. 

De  leurs  voyages  les  «  pueri  Sancti  Michaëlis  »  rapportaient 
des  souvenirs  matériels,  tels  que  plombs  ou  coquillages  ;  ils 
revenaient  aussi,  la  tête  pleine  de  contes,  de  légendes  et  de  récits. 
A  leur  retour  en  Allemagne,  ils  narraient  les  miracles  auxquels 
ils  avaient  assisté  et  fondaient  ainsi  ces  traditions  populaires 
dont  Uhland  a  tiré  parti  dans  son  poëme  sur  le  Miracle  du  Péril 
ou  de  La  Croix  des  Grèves  2. 

D'Allemagne  en  Normandie,  la  route  est  longue  ;  tous  les 
pèlerins  qui  ont  entrepris  le  pieux  voyage  sont-ils  rentrés  dans 
leur  pays  ?  quelques-uns,  las  d'avoir  effectué  un  pénible  voyage 
ne  sont-ils  pas  demeurés  en  France  ?  d'autres,  voyant  les  béné- 
fices qu'il  était  possible  de  réaliser  en  hébergeant  les  pèlerins 
venus  au  mont  Saint-Michel  en  nombre  si  considérable  que  par- 
fois la  nourriture  leur  manquait,  ne  se  seraient-ils  pas  établis 
dans  l'Avranchin  comme  hôteliers  ou  marchands  de  ces  menus 
souvenirs  que  Ton  retrouve  dans  tous  les  lieux  de  pèlerinage  ? 
on  ne  le  sait  mais  on  le  peut  supposer  car  l'âpre  désir  du  gain 
est  aussi  inhérent  à  la  race  germanique  que  son  habitude  de 
courir  le  monde  est  prononcée. 

La  coutume  de  venir  en  pèlerinage  au  mont  Saint-Michel 
ne  se  perdit  pas  en  Allemagne  après  le  xve  siècle  mais  on  n'as- 
sista plus  à  des  mouvements  de  pèlerins  aussi  importants  que 
dans  les  temps  anciens  ;  le  culte  des  saints  s'amoindrit  en  Alle- 
magne par  suite  de  la  diffusion  du  protestantisme.  Après  la  dis- 
parition des  pèlerinages  d'enfants,  les  Allemands  viennent 
bien  visiter  la  célèbre  abbaye  mais  à  titre  individuel  ;  au 
xvme  siècle,  quand  il  y  réside,  Jean  Frédéric  Karq,  baron  de 
Déliambourg,  prieur  commendataire  de  l'abbaye,  les  reçoit 
avec  affabilité.  Ancien  doyen  de  Munich,  conseiller  de  l'électeur 
de.  Bavière,  chancelier  de  l'électeur  de  Cologne,  eet  abbé  avait, 


1.  Et.  Dupont,  Les  Pèlerinages  d'enfants  allemands  au  twmi  Suiut-Mirh-l.  Parte, 
1907. 

'^.    K.  <lc  r.rîinn  |.:iirc,    Inlnxl.  ;i   L'édition   du    Roman  'lu  iwm!  Suint-Midnl  pur 
Guillaume  de  Saint  Tuir,  <loimo    pat  i'.   Mi.h.l.  1850. 


10  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

en  1703,  obtenu  la  commende  du  Mont  Saint-Michel.  Malheureu- 
sement, ce  prieur,  satisfait  des  25.000  livres  que  lui  valait  l'ab- 
baye ne  réparait  point  le  célèbre  édifice.  Sous  son  administra- 
tion maladroite,  il  tombait  en  ruines  :  aussi  après  la  mort  de 
Jean  Frédéric  Karq,  ses  héritiers  furent  obligés  de  reconnaître 
que  le  prieur  avait  omis  d'effectuer  les  réparations  essentielles 
et  versèrent  aux  moines  20.000  livres,  à  titre  de  dommages- 
intérêts  \ 


III 


A  dater  du  règne  de  Louis  XI  prennent  naissance  en  France 
les  premières  colonies  allemandes.  Diverses  raisons  d'un  carac- 
tère général  favorisent  l'éclosion  de  ces  groupements  qui  se 
développent  par  la  suite  des  siècles.  Les  privilèges  accordés 
aux  Hanséates  depuis  le  xve  siècle  jusqu'à  la  fin  du  xvme, 
les  alliances  politiques  et  militaires  de  François  Ier,  de  Henri  II, 
de  Richelieu  et  de  Mazarin  avec  les  princes  luthériens  de  l'Alle- 
magne, les  rapports  politiques  et  économiques  de  Louis  XIV 
avec  la  Bavière  et  le  Brandebourg,  nos  relations  avec  la  Saxe, 
au  xvme  siècle  déterminèrent  de  nombreux  habitants  de  l'Alle- 
magne à  passer  dans  un  royaume  où  généralement  ils  étaient 
volontiers  accueillis.  Sans  écrire  une  histoire  des  rapports  de  la 
France  avec  les  principautés  allemandes,  on  rappellera  les  plus 
saillants  des  événements  qui  contribuèrent  à  attirer  en  France 
les  habitants  d'outre-Rhin. 

Les  Hanséates  de  la  vieille  Prusse  et  de  la  Livonie  s'aventu- 
rèrent les  premiers  à  venir  caboter  sur  les  côtes  de  France  ; 
leurs  navires  arrivaient  en  escadres  et  dans  nos  ports,  les  Han- 
séates, ces  Phéniciens  du  xve  siècle,  apportaient  l'ambre  de  la 
Baltique,  des  peaux,  des  harengs,  des  instruments  de  fer.  De 
très  bonne  heure  ces  navigateurs  allemands  avaient  noué  avec 
la  France  des  relations  commerciales  suivies  et  au  xve  siècle 
les  villes  hanséatiques  effectuaient  avec  elle  un  trafic  impor- 

1.  Brin,  Germain  et  Corroyer,  Le  mont  Saint-Michel.  Paris,  1880,  p.  28. 


PRIVILÈGES    DONNÉS    AUX    HANSÉATES  11 

tant  *.  Des  facteurs  allemands  s'étaient  déjà  installés  dans  les 
villes  sises  sur  les  bords  de  l'Océan,  de  la  Manche  et  de  la  Médi- 
terranée ;  ils  avaient  mission  d'écouler  les  importations  et  de 
centraliser  dans  leurs  magasins  des  marchandises  de  retour  : 
toiles,  vins  et  sels.  En  Bretagne,  les  courtiers  allemands  étaient 
suffisamment  nombreux  pour  que  des  hôteliers  de  leur  pays 
aient  eu  intérêt  à  s'y  établir  ;  on  en  rencontre  notamment  à 
Nantes  2.  Les  navires  de  la  Hanse  fréquentaient  des  havres  sans 
grande  importance  comme  Bourgneuf  et  Pornic,  c'est  assez  dire 
qu'ils  abordaient  dans  des  ports  où  le  trafic  était  prospère  3. 
Le  négoce  que  les  Bretons  effectuaient  avec  les  Hanséates  était 
si  considérable  qu'au  cours  de  l'année  1432,  le  duc  Jean  V,  crai- 
gnant entre  ses  sujets  et  les  Allemands  une  rupture  provoquée 
par  quelques  pillages  de  navires,  s'empressa  d'étouffer  les  germes 
de  la  discorde.  Par  lettres  données  à  Vannes,  le  8  janvier  1433, 
il  déclarait  :  «  Jehan...  desiranz  attraire  touz  bons  marchands 
à  venir  fréquenter  marchandement  en  nos  pays  spécialement 
ceux  des  villes  et  pays  de  la  Hanse  d'Allemagne...  consideranz 
les  grands  proufitz  que  nous  et  tout  le  bien  public  de  nostre 
pays  pouvons  avoir  par  le  fréquentement  des  ditz  Allemands... 
donnons  et  octroyons  par  ces  présentes  sauvegardes  à  tous  4  ». 
Tandis  que  les  ducs  de  Bretagne  s'efforçaient  de  maintenir  la 
bonne  harmonie  entre  leurs  sujets  et  les  Allemands,  le  roi 
Charles  VII  essayait  de  contracter  avec  les  riches  et  puissantes 
villes  hanséatiques  une  alliance  politique  mais  comme  il  ne 
voulait  signer  avec  elles  qu'à  la  condition  de  les  voir  abandonner 
l'alliance  anglaise  il  ne  réussit  pas  dans  ses  entreprises.  Son 
successeur  Louis  XI,  reprit  avec  la  Hanse  les  pourparlers 
interrompus  et  en  1463  il  autorisait  les  Hanséates  à  résider 
librement  dans  les  ports  français.  Au  cours  de  la  période  de  guerres 


1.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  donner  ici  la  bibliographie  des  travaux  parus  sur  l'histoire 
<l<  s  relations  commerciales  de  la  France  avec  la  Hanse.  Celle-ci  a  été  dressée  par 
Otto  Hcld  dans  son  étude  :  Die  Hanse  und  Frankreich  von  der  Mille  des  15  larun 
derts  bis  zum  Reyierunysanlrill  Karls   VI  IL  Gœttlngue,  1912. 

2.  Arch.  mun.  de  Nantes,  série  CC,  passim. 

3.  R.  Blanchard,    Cartulaire  des  Sires  de  liais.  Poitien    1898-9.   Introduction, 
p.  XXVI. 

4.  A.  de  la  Borderie,  Histoire  de  Bretagne.  Rennes,  1906,  t.  IV,  p.  267  et  s.  - 
R.  Blanchard,  Lettre*  et  mandements  de  Jean  V,  édition  citée. 


12  LES   ÉTRANGERS    EN    FRANGE 

qui  marquèrent  les  années  1471  et  1472,  les  Allemands  combat- 
tirent la  France  et  la  Bretagne  ;  leur  commerce  avec  nos  ports 
se  ralentit,  mais,  dès  le  début  de  1473,  le  duc  de  Bretagne 
accordait  aux  Hanséates  des  lettres  de  sauf-conduit  qui  furent 
prorogées  en  1477.  Louis  XI,  par  une  ordonnance  du  15  août  1473 
octroyait  aux  habitants  des  villes  hanséatiques  la  liberté  abso- 
lue de  commercer  en  France  ;  dix  ans  plus  tard,  il  renouvelait 
leurs  privilèges  et  le  duc  de  Bretagne  signait  avec  les  Allemands 
un  traité  d'alliance  et  de  paix  définitive. 

De  toutes  parts,  sous  le  couvert  des  privilèges  qui  leur  étaient 
accordés,  des  négociants  hanséates  s'installent  dans  les  villes 
françaises.  En  Provence,  ils  fondent  des  sociétés  ;  au  port  de 
Bouc  \  ils  créent  la  grande  et  la  petite  compagnies  des  Alle- 
mands. A  Bordeaux,  les  Osterlins,  c'est-à-dire  les  Hanséates 
de  Lubeck,  de  Hambourg  et  de  Brème  font  confirmer  en  1464 
les  privilèges  qu'ils  avaient  obtenus  de  Charles  VII 2.  Dans  divers 
ports,  à  La  Rochelle,  à  Cherbourg,  les  Hanséates  fondent  des 
groupements  qui  se  développent  après  la  signature  de  l'Édit 
de  Nantes.  De  même  que  les  Hollandais  surent  tirer  parti  des 
avantages  commerciaux  qu'on  leur  concéda,  les  Allemands 
profitèrent  de  ceux  que  leur  avait  octroyés  Louis  XI.  Maintes 
fois,  au  cours  de  siècles,  ils  obtinrent  le  renouvellement  des  pré- 
rogatives que  ce  roi  leur  avait  accordés  en  1473  ;  ils  défendirent 
pied  à  pied  leurs  privilèges  :  exemptions  de  taxes  et  de  droit 
d'aubaine.  L'un  de  leurs  compatriotes  était-il  imposé  à  tort 
ou  ses  biens,  après  son  décès,  étaient-ils  appréhendés  par  les 
gens  du  roi,  aussitôt  les  Hanséates  s'adressaient  au  souverain 
ou  aux  parlements  pour  obtenir  le  rapport  de  la  mesure  qu'ils 
jugeaient  vexatoire  ;  ils  invoquaient  ordonnances,  lettres- 
patentes  et  arrêts  rendus  en  leur  faveur.  Comme  les  forains  ori- 
ginaires de  plusieurs  autres  nations,  les  négociants  allemands 
jouissaient  d'avantages  marqués  leur  permettant  de  trafiquer 
à  des  conditions  au  moins  aussi  favorables  que  celles  dont  se 
pouvaient  prévaloir  les  naturels  du  pays. 

1.  Arch.  dép.  des  Bouches-du-Rhône,  B  1642  et  B  1650,  années  1469-1476. 

2.  A.  Leroux,  Bordeaux  et  la  Hanse  teulonique  au  XVe  siècle,  dans  Revue  hist. 
de  Bordeaux,   1910. 


PRIVILÈGES    DONNÉS    AUX    HANSE ATES  13 

Si  nous  ne  connaissions  la  longue  série  des  lettres-patentes 
signées  en  leur  faveur  depuis  le  règne  de  Louis  XI  jusqu'à  la 
Révolution,  une  seule  décision  rendue  par  Louis  XIV  au  mois 
de  juillet  1649  nous  révélerait  les  diverses  ordonnances  rendues 
en  faveur  des  Hanséates  depuis  le  xve  siècle  jusqu'à  cette 
époque  l.  Il  est  dit  dans  ce  document  «  mais  d'autant  que  parmy 
les  troubles  de  ces  longues  et  sanglantes  guerres,  les  marchandas 
dessusditz  des  villes  impériales  n'ont  sceu  bien  et  deument 
jouir  des  franchises  comme  par  le  passé,  ains  ont  esté  arrestez, 
emprisonnez  et  contraintz  par  les  receveurs  et  fermiers,  princi- 
pallement  à  l'instance  des  partisans  d'en  payer  nouvelles  impo- 
sitions nommément  les  répréciations  pour  l'entrée  et  la  sortie, 
l'impôt  du  tiers,  surtout  nouvelles  subventions  et  autres  droitz 
nouveaux  comme  aussi  la  nouvelle  imposition  établie  depuis 
dix  ou  douze  années  dans  les  villes  d'Auxonne,  Saint- Jean-de- 
l'Ausne,  Tournon,  Belleguarde,  Chalons,  Mascon  et  autres, 
sur  la  rivière  de  Saône  ;  considérans  qu'à  Rouen,  plaincte  a 
esté  faite  à  M.  de  Servien  ministre  plénipotentiaire...  de  ce  que 
les  marchands  allemands  ne  jouissent  pas  des  privilèges  qu'ils 
ont  obtenus  jadis  ;  considérans  donc  l'alïection  que  nous  portons 
à  la  Nation  germanique  et  particulièrement  aux  villes  libres  et 
impériales,  voulons  que  leur  soient  confirmez  tous  les  privilèges 
à  eux  accordés  depuis  l'année  1515.  » 

Ce  document  énumère  la  longue  suite  des  faveurs  octroyée* 
aux  Hanséates  depuis  François  Ier.  Le  1er  mars  1515.  il  est 
donné  aux  marchands  allemands  trafiquant  en  France  liberté 
de  commerce  et  exemptions  de  nouveaux  subsides.  Au  mois 
d'août  1542,  le  roi  confirme  cette  ordonnance  et  l'année  suivante 
exempte  d'impositions  foraines  les  habitants  originaires  «les 
villes  impériales.  Henri  II,  François  II,  Charles  IX,  par  divers 
actes,  maintes  fois  confirmés,  prennent  des  dispositions  favo- 
rables aux  Allemands.  Charles  IX  leur  donne  la  permission  de 
tester  et  de  disposer  de  leurs  biens,  il  les  autorise  à  porter  les 
armes  et  le  3  septembre  1578,  Henri  III  leur  donne  s  lettres- 
patentes  en  formes  de  Chartres  portantes  confirmations  de  leurs 

i.  An-ii.  foi  tffairei  é1  rindpmtéê.  Heu.  82  petttoi, 


14  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

privilèges  cy  devant  octroyés  et  amplification  d'iceux,  à  tenir 
maisons  en  tous  lieux  de  France  avec  exemption  nouvelle  de 
loger  gens  de  guerre  et  de  toutes  cottisations  ou  daces  nouvelles.  » 
Henri  IV,  Louis  XIII  et  Louis  XIV  confirment  ces  prérogatives 
et  si  l'on  n'en  tient  compte  les  Hanséates  savent  rappeler  aux 
autorités  locales  qu'elles  ont  agi  à  tort  en  les  imposant  ou  en 
imposant  leurs  biens.  Les  difficultés  entre  fermiers  des  impôts 
et  forains  privilégiés  étaient  constantes  sous  l'ancien  régime  ; 
pour  éviter  les  paiements  des  taxes  et  impositions,  les  étrangers 
arguaient  des  privilèges  «  accordés  à  ceux  de  leur  nation  »  : 
ils  constituaient  parfois  des  castes  spéciales  trafiquant  librement 
sans  être  astreints  aux  charges  pesant  sur  les  Français.  Hollan- 
dais et  Allemands  connaissaient  très  exactement  leurs  droits 
et  les  faisaient  fréquemment  valoir.  L'ordonnance  de  Louis  XIV 
dont  j'ai  cité  un  extrait  a  été  rendue  à  la  suite  des  réclamations 
des  Allemands  établis  en  Bourgogne  et  en  Normandie  ;  au  mois 
de  février  1736,  les  héritiers  de  Schouler,  natif  de  Nuremberg, 
et  habitant  Paris,  s'insurgent  contre  la  saisie  de  ses  biens  1  ; 
cinq  négociants  de  Lyon  protestent  en  1774  parce  qu'ils  ont  été 
portés  sur  les  rôles  de  la  capitation.  Les  arrêts  rendus  en  matière 
fiscale  ou  au  sujet  du  droit  d'aubaine  sont  fréquents  aux  xvne 
et  xvme  siècles  ;  quelques-uns  constituent  des  décisions  de  prin- 
cipe et  sont  fréquemment  invoqués.  Certaines  requêtes  forment 
de  véritables  volumes  dans  lesquels  sont  rappelés  tout  au  long 
les  nombreux  privilèges  octroyés  aux  Allemands  2  ;  plus  on 
approche  de  la  fin  du  xvme  siècle,  plus  la  longueur  des  requêtes 
s'accroît  car  pour  obtenir  gain  de  cause,  les  négociants  s'ap- 
puient sur  la  série  indéfinie  des  dispositions  rendues  en  leur 
faveur. 

Louis  XIV,  en  effet,  n'a  pas  été  le  dernier  souverain  à  s'inté- 
resser au  sort  des  marchands  allemands  fixés  en  France  :  ses 
successeurs  ont  agi  comme  l'avaient  fait  le  grand  roi  et  ses  pré- 
décesseurs.  Louis   XVI,   notamment,   exempta  définitivement 


1.  Sur  tous  ces  points,  cf.  Arch.  des  Aff.  étrangères  :  Petites  principautés.  Reg. 
62. 

2.  Extrait  des  lettres-patentes  des  rois  de  France  en  faveur  des  habitants  des  villes 
libres,  chez  François  Barbier.  Lyon,  1698. 


LES    HANSÉATES  lf> 

du  droit  d'aubaine  tous  les  habitants  des  villes  libres  trafi- 
quant en  France.  Il  clôturait  ainsi  les  procès  pendants  entre  le 
fisc  et  les  héritiers  des  marchands  allemands  décédés  avant 
d'avoir  obtenu  leurs  lettres  de  naturalité. 

Les  représentants  des  villes  hanséatiques  défendaient  les. 
prérogatives  de  leurs  commettants  ;  lors  des  signatures  des 
traités  de  paix,  ils  intervenaient  pour  leur  faire  accorder  des 
faveurs  nouvelles  ou  leur  faire  confirmer  les  privilèges  anciens. 
Parfois  les  villes  libres  adressaient  au  roi  des  mémoires  collec- 
tifs dans  le  but  d'obtenir  des  avantages.  En  1663,  Augsbourg, 
Francfort,  Ulm,  Nuremberg  rappellent  qu'au  cours  des  der- 
nières guerres,  elles  ont  fourni  des  hommes,  de  l'argent  qui  leur 
est  encore  dû  et  ont  observé  une  exacte  neutralité  :  on  doit  leur 
en  savoir  gré  et  en  conséquence  il  faut  leur  accorder  des  privi- 
lèges économiques.  En  1714,  elles  réclament  l'absolue  liberté 
du  commerce  et  on  la  leur  accorde.  Lors  de  la  signature  du  traité 
de  Bade,  elles  font  stipuler  par  l'article  34  que  «  tous  et  un 
chacun  de  part  et  d'autre  et  nommément  les  citoyens  et  habi- 
tants des  villes  impériales  et  hanséatiques  jouiront  par  mer  et 
par  terre  de  la  plus  entière  sûreté  »  et  qu'ils  seront  exempts 
d'impôts.  L'article  17  du  traité  de  Vienne  renferme  les  mêmes 
clauses  et  stipulations. 

Lorsqu'en  1774,  Louis  XVI  accorda  aux  villes  libres  l'exemp- 
tion totale  du  droit  d'aubaine  il  omit  de  mentionner  dans  les 
lettres-patentes  la  ville  de  Reutlingen.  Le  Cammerer  et  le  Sénat 
de  Ratisbonne  lui  ■  écrivirent  une  fort  belle  lettre  de  remer- 
ciements mais  firent  remarquer  au  souverain  son  omission. 
Louis  XVI  fit  droit  à  leur  réclamation. 

Cette  longue  suite  de  conventions,  de  traités  et  de  pactes 
conclus  entre  la  France  et  les  villes  hanséatiques  depuis  le  règne 
de  Louis  XI  jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime  exerça  une  influence 
sur  la  pénétration  des  Allemands  en  France.  Des  raisons  poli- 
tiques amenèrent  aussi  les  souverains  français  à  octroyer  à  des 
bavarois,  des  Wurtembergeois,  des  Saxons  ou  des  Brandebour- 
geoifl  des  privilèges  à  peu  près  semblables  à  ceux  qu'ils  avaient 
stipulés  en  faveur  des  Hanséates.  On  aura  l'occasion  de  les 
rappeler  à  diverses  reprises.  Jouissani  en  France  de  la  lilu  iU 


16  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

du  commerce,  considérés  comme  réguicoles  et  pouvant  aisé- 
ment obtenir  la  naturalisation,  les  sujets  de  l'empereur  s'in- 
filtraient dans  le  royaume.  Dès  la  lin  du  xve  siècle  beaucoup 
s'établissent  en  France  et  vers  le  milieu  du  xvne  siècle,  ils  forment 
dans  les  villes  de  l'intérieur  et  dans  les  cités  maritimes  des  colo- 
nies qui  deviennent  aussi  prospères  et  riches  que  celles  consti- 
tuées par  les  Hollandais. 


CHAPITRE  II 


I    Les   étudiants   allemands   à   Paris,   Orléans,  Angers,  Montpellier,   du  xme  au 
xvme  siècle.  —  II.  Les  pédagogues^  —  III.  Les  voyageurs. 


Un  véritable  monde  de  jeunes  hommes  allemands,  nobles  ou 
bourgeois,  laïques  et  ecclésiastiques  ont,  pendant  plus  de  cinq 
siècles,  fréquenté  les  écoles,  et  universités  françaises.  Celle  de 
Paris  a  notamment  possédé  une  nation  germanique  extrême- 
ment importante.  Dans  un  ouvrage  sur  les  étudiants  étrangers 
qui  suivirent  les  leçons  des  écoles  de  la  capitale,  Alexandre 
Budinszky  a  dressé  une  liste  des  Allemands  qu'il  a  rencontrés 
au  cours  de  ses  recherches  *  ;  cette  liste  qui  s'arrête  au  milieu 
du  xvie  siècle  ne  comporte  pas  moins  de  quarante-huit  pages 
de  noms  et  elle  est  fort  incomplète.  En  effet,  depuis  l'apparition 
de  son  ouvrage  a  été  publié  Y Auctariiun  2  de  la  nation  anglaise 
(allemande)  de  l'Université  de  Paris  et  si  l'on  compare  les  deux 
travaux,  on  constate  que  les  étudiants  d'origine  germanique 
furent  encore  beaucoup  plus  nombreux  à  Paris  que  ne  le  laissait 
supposer  Budinszky.  • 

\)\i  xne  au  xvne  siècle,  nobles  et  bourgeois  allemands  ou 
autrichiens  envoyèrent  leurs  enfants  en  France  ;  ils  passaient 
à  Paris  plusieurs  années,  les  uns  s'adonnaut  aux  lettres  ou  à  la 
philosophie,  les  autres  à  la  médecine  ou  à  la  théologie.  Tout 


1.  A.  Budinszky,  Die  Unircrsilal  Parti  und  die  Firnulrn  on  dersclbcr  fin  Mil 
hlfillir.  Berlin,  1876.  Cf.  notammenl  Yrrzeivhniss  dtr  hcrvonaijcndcrcn  jremden 
Lehrer  und  SchUlar,  pp.   119-168. 

'1.    I'.  Dcnifle  et   I'..  eiiMlrlain,     \ii,lunum    Chmlulai  ii     l'nirrrsitilis     l'ai  i^intsis. 
Liêer proctwaionim  Nalionis  Anulirmur  (Atcmunniic).  Paris,  1X97. 

2 


18  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

d'abord  agrégés  à  la  nation  anglaise,  les  Allemands,  au  xive  siècle, 
absorbèrent  les  éléments  anciens  de  ce  groupement  et  consti- 
tuèrent la  nation  allemande  de  l'Université  de  Paris  ;  rapide- 
ment, elle  devint  la  plus  importante  des  corporations  étrangères. 
L'aflluence  des  étudiants  allemands  vers  Paris  et  les  autres 
universités  françaises  fut  même  dénoncée  par  quelques  auteurs 
d'outre-Rhin  comme  l'une  des  causes  de  la  corruption  de  la 
langue  allemande  ;  ils  estimaient  qu'à  leur  retour  dans  leur 
patrie,  les  jeunes  hommes  qui  avaient  séjourné  en  France 
introduisaient  dans  leur  idiome  trop  de  vocables  français. 

Dès  le  règne  de  Philippe-Auguste  les  étudiants  allemands 
étaient  nombreux  à  Paris.  Le  roi  les  protégeait.  En  l'année  1200, 
un  jeune  Allemand  ayant  envoyé  chercher  du  vin  par  son  domes- 
tique, ce  dernier  fut  maltraité.  Ses  compatriotes  vinrent  à  son 
secours,  une  bagarre  s'en  suivit  et  cinq  Allemands  furent  tués. 
Le  roi  craignant  de  voir  les  étrangers  déserter  Paris  condamna 
à  une  forte  peine  Thomas,  prévôt  de  Paris,  qui  s'était  mis  à  la 
tête  des  assaillants  1.  On  ne  sait  si,  dès  cette  époque,  les  Alle- 
mands possédaient  un  collège  à  Paris.  Les  historiens  qui  se  sont 
occupés  de  la  question  ignorent  exactement  en  quelle  année 
leur  premier  collège  fut  créé  et  ils  n'ont  pas  pu  jusqu'ici  en  déter- 
miner l'emplacement.  D'après  les  uns,  il  aurait  été  situé  rue  du 
Mûrier  près  de  la  place  Maubert,  d'autres  le  placent  rue  Saint- 
Jacques  2.  Il  est  très  probable  que  le  collège  des  Allemands 
qui  existait  encore  en  1603  ne  fut  guère  fondé  avant  le  milieu 
du  xive  siècle.  Jusqu'aux  environs  de  l'année  1350,  les  jeunes 
étudiants  d'outre-Rhin  étaient  disséminés  dans  les  collèges  de  la 
capitale. 

Vers  cette  époque,  la  Nation  allemande,  ayant  absorbé  la 
nation  anglaise,  prit  une  véritable  prépondérance  dans  le  cortège 
des  nations  étrangères.  Elle  se  montra  spécialement  remuante. 
L'abbé  de  Saint-Germain-des-Prés,  Jean  de  Précy,  pour  mettre 
fin  à  des  différends  qu'il  avait  avec  les  écoliers  et  l'Université 
au  sujet  du  droit  de  présentation  aux  deux  cures  de  Saint-André- 
des-Arcs  et  de  Saint-Gôme  et  Saint-Damien  céda  ce  droit  à  la 

1.  Dulaure,  Histoire  de  Paris.-  Paris,  1823,  t.  II,  p.  343 

2.  A.  Budinszky,  op.  cit.,  p.  66  et  note  1. 


ÉTUDIANTS    ALLEMANDS    A    PARIS  19 

Faculté  des  Arts.  La  Nation  d'Allemagne  usa  la  première  du 
droit  de  présentation  à  la  cure  de  Saint-Damien  et,  en  1361, 
fit  nommer  à  cette  cure  un  de  ses  membres,  Albert  de  Saxe, 
professeur  de  philosophie.  Elle  profita  de  cette  nomination 
pour  prendre  dans  la  paroisse  une  situation  de  faveur  ;  elle 
obtint  pour  son  procureur  le  premier  rang  aux  offices  et  aux  pro- 
cessions, se  fit  accorder  la  jouissance  d'un  banc  spécial  près  du 
maître-autel  et  demanda  pour  ses  membres  le  droit  de  sépul- 
ture dans  l'église. 

La  Nation  allemande  conserva  ces  prérogatives  honorifiques 
jusqu'au  milieu  du  xvne  siècle.  Au  mois  de  janvier  1669,  une 
rixe  ayant  eu  lieu  entre  les  «  nationaires  »  allemands  et  les  mar- 
guilliers  au  cours  d'une  procession,  ces  derniers  se  pourvurent 
en  justice  «  pour  se  plaindre  de  la  dite  entreprise  et  du  trouble 
qui  leur  est  fait  par  les  dits  écoliers  allemands  ».  La  Cour  statua 
sur  la  requête  des  marguilliers  et  abolit  les  privilèges  jusqu'alors 
possédés  par  les  Allemands  h 

Des  étudiants  germaniques  qui  passèrent  par  les  écoles  pari- 
siennes on  ne  saurait  mentionner  les  noms  ;  beaucoup  n'ont  laissé 
aucune  réputation,  ils  sont  perdus  dans  la  masse  de  ces  milliers 
de  jeunes  hommes  qui,  leurs  études  achevées,  se  livrent  aux 
occupations  normales  d'une  existence  sans  gloire.  Toutefois 
on  peut,  à  titre  d'exemples,  citer  quelques-uns  parmi  les  plus 
notoires  :  Heinrich  von  Hessen  qui,  pendant  vingt  ans,  de  1363 
à  1383,  enseigna  la  théologie  à  Paris  après  y  avoir  pris  ses 
grades  ;  Jean  Reuchlin  qui  passa  à  Paris  après  avoir  étudié 
à  Poitiers  et  à  Orléans  ;  Conrad  Gessner,  ancien  élève  de  l'Uni- 
versité de  Bourges  et  de  Paris.  Au  xvie  siècle,  Ludwig  Baër 
professa  à  Paris  pendant  dix  ans,  Antoine  Fugger,  Jean  Paul 
Zangmeister,  Andréas  Wildholz,  Jérôme  Fischer,  Jacob  Sturm 
prirent  leurs  grades  en  Sorbonne. 

L'un  des  meilleurs  collaborateurs  des  frères  du  Bellay  fut  un 
Allemand  :  Jean  Philipson  né  en  1506  à  Sleide,  dans  l'Eitel  ; 
du  lieu  de  sa  naissance  il  tira  son  surnom  de  Jean  Sleidan  sous 
lequel  il  est  surtout  connu.  Après  avoir  pris  sa  licence  ès-arts 

1.  E.  Raunié,  Epilaphier  du  Vieux  Paris.  Paris,  1899,  t.  III,  p.  151. 


20  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

à  Paris,  il  s'attacha  à  .Jean  du  Bellay  auprès  de  qui  son  compa- 
triote Jean  Sturm  l'avait  introduit.  A  diverses  reprise»,  il  lut 
envoyé  en  mission  près  des  princes  allemands.  Jean  Sleidan 
est  également  connu  par  la  publication  d'un  abrégé  dles  Chro- 
niques de  Froissari. 

Pendant  tout  le  xvie  siècle,  les  étudiants  allemands  fréquen- 
tèrent nos  écoles.  Un  étudiant  luthérien,  originaire  du  Tyrol, 
Luc  Geizkofler,  qui  séjourna  à  Paris  au  moment  de  la  Saint- 
Barthélémy  a  laissé  une  fort  curieuse  relation  de  son  passage 
en  France  I.  Lorsqu'il  quitta  Strasbourg  où  il  avait  suivi  des 
cours  à  l'Université,  Luc  Geizkofler  chevaucha  vers  la  capitale 
en  compagnie  de  vingt-six  gentilshommes  de  Misnie  ou  de  Silé- 
sie  ;  ils  venaient  grossir  encore  la  colonie  des  étudiants  allemands 
de  Paris  qui,  d'après  notre  auteur,  comptait  alors  plus  de  quinze 
cents  jeunes  hommes.  La  majeure  partie  de  ces  étudiants 
logeaient  chez  l'habitant  ;  certains  vivaient  chez  des  libraires 
d'origine  allemande,  chez  Wechel  notamment  qui  traitait  ses 
compatriotes  pour  un  prix  dérisoire.  Les  cours  de  Ramus,  des 
jurisconsultes  Charpentier  et  Pierre  Suger  attiraient  principale- 
ment ces  étudiants. 

Les  temps  étaient  troublés.  Les  fêtes  du  mariage  du  roi  de 
Navarre  avaient  amené  à  Paris  force  huguenots  français  et  une 
foule  d'étrangers  ;  les  partisans  des  Guise  apprêtaient  leurs 
arquebuses  pour  occire  les  amis  du  Béarnais  et  l'amiral  de  Coligny 
était  frappé  d'une  balle  à  la  main  droite. 

Le  24  août  1572,  les  massacres  de  la  Saint-Barthélémy  com- 
mençaient. Luc  Geizkofler,  par  mesure  de  prudence,  s'était 
avec  quelques  amis  réfugié  chez  Blandis,  prêtre  catholique. 
C'est  de  cet  asile  qu'il  assista  aux  événements  qui  eurent  leur 
répercussion  sur  l'importante  colonie  allemande  de  Paris. 

Dès  les  premiers  jours  du  mois  de  juillet  1572,  des  étudiants 
allemands  avaient  quitté  Paris  pour  Bourges  et  Orléans,  «  s'étant 
aperçus  qu'il  y  avoit  du  péril  dans  l'air  »  mais,  confiants  dans 
Fapparente  amitié  de  Charles  IX  et  du  Béarnais,  la  majeure 
partie  d'entre  eux  était  demeurés  à  Paris  ;  ils  prirent  part  aux 

1.  Mémoires  de  Luc  Geizkofler,  tyrolien  (1550-10)20),  traduits  par  E.  Fick.  Genève, 
1892,  chap.  v  et  suivants. 


LES   ÉTUDIANTS   ALLEMANDS   ET   LA   SAINT-BARTHÉLÉMY       21 

fêtes  données  par  la  cour  à  l'occasion  du  mariage  du  roi  de 
Navarre  et  lorsque  Coligny  fut  blessé,  ils  lui  portèrent  leurs 
amicales  condoléances. 

Ces  manifestations  des  protestants  allemands  ne  leur  valurent 
certes  pas  les  sympathies  de  Charles  IX  et  des  Guises  ;  ils 
devinrent  suspects  aux  ultramontains.  Volontiers,  lors  du 
massacre  de  la  Saint-Barthélémy,  leurs  partisans  en  eussent 
dépêché  quelques-uns.  Au  vrai,  huit  à  dix  furent  vic- 
times de  leur  propre  imprudence,  ils  s'étaient  aventurés 
dans  les  faubourgs  -de  Paris  ;  les  autres,  se  donnant  comme 
Bavarois  ou  Autrichiens  catholiques,  furent  épargnés  ;  ils  trou- 
vèrent d'ailleurs  un  protecteur  dans  la  personne  de  la  reine. 
Lorsque  la  reine  Elisabeth  apprit  de  la  bouche  de  son  chapelain, 
Hermann  de  Manz,  les  massacres  de  protestants,  elle  appréhenda 
que  la  catastrophe  n'atteignit  les  Allemands  et  les  Autrichiens, 
ses  compatriotes.  Elle  demanda  audience  à  Charles  IX,  son 
époux  et  se  jetant  en  larmes  à  ses  pieds,  le  supplia  d'arrêter 
les  effusions  de  sang.  Sans  même  lui  répondre,  le  roi  aurait  dit 
à  un  officier  :  «  Faites  relever  la  déesse  germanique  et  reconduisez- 
la  dans  ses  appartements  ».  L'intervention  de  la  reine  eut 
pourtant  un  résultat  ;  le  roi  fit  proclamer  à  son  de  trompe  sur 
les  places  publiques  et  à  l'Université  de  ne  tuer  aucun  Allemand 
ni  étranger  sous  peine  de  vie.  Nonobstant  ces  assurances  nombre 
d'étudiants  étrangers  gagnèrent  la  province  ou  se  retirèrent 
dans  leur  pays.  Durant  quelques  années,  la  colonie  germanique 
décrut  mais  advenant  le  xvne  siècle,  jeunes  hommes  accompa- 
gnés de  leurs  gouverneurs  et  précepteurs  revinrent  en  foule 
a  Paris  ;  ils  y  venaient  apprendre  non  seulement  les  sciences 
et  les  lettres  mais  encore  étudier  nos  manières.  Leibnitz  se  déte- 
lait en  constatant  que  les  jeunes  Allemands  importaient  à  leur 
retour  chez  eux  des  îinrurs  l  rès  différentes  de  celles  de  leur  patrie. 

Ce  n'était  pas  seulement  la  capitale  du  royaume  qui  attirail 
d'Allemagne  des  jeunes  hommes.  Chacune  de  nos  villes  universi- 
taires   comptait    un    groupe    d'el  mliants    originaires   des    pn\s 

d'Empire.  Nulle  université  française,  Bauf  peut-être  celle  de 

Paris,  ne  put  se  vanter  de  posséder  nue  nation  germanique 
aussi  importante   que   la   faculté  d'Orléans.    Elle   comportait 


22  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

des  Hollandais,  des  Scandinaves,  des  Hongrois  et  des  Polonais, 
mais  de  tous  les  étudiants  étrangers,  les  Allemands  étaient  les 
plus  nombreux.  Un  motif  spécial  attirait  ces  jeunes  hommes 
à  Orléans  ;  cette  ville  était  la  seule  où  l'on  enseignait  le  droit 
romain. 

Jamais  les  souverains  français  n'avaient  autorisé  l'étude  des 
Pandedes  et  des  Codes  Justinien  et  Théodosien  à  Paris  ;  ils 
étaient  intéressés  à  cette  défense  par  des  motifs  politiques, 
ne  voulant  pas  fortifier  par  des  arguments  historiques  et  juri- 
diques les  prétentions  de  domination  universelle  des  sujets  du 
Saint-Empire.  D'accord  avec  la  Papauté,  le  roi  de  France  avait 
cependant  autorisé  la  création  d'une  chaire  de  droit  romain 
à  Orléans.  Dès  le  xive  siècle,  les  étudiants  étrangers  y  accouraient 
en  foule  pour  assister  aux  leçons  de  maîtres  dont  la  réputation 
était  établie  dans  l'Europe  entière.  Les  professeurs  de  l'université 
d'Orléans  passaient  en  effet  pour  faire  des  leçons  plus  vivantes 
et  plus  pratiques  que  celles  des  docteurs  de  Bologne  *.  Outre 
cette  considération,  les  familles  allemandes  préféraient  pour 
leurs  enfants  le  séjour  d'Orléans  à  celui  de  Bologne  ;  les  distances 
à  parcourir  étant  moins  considérables.  Par  ailleurs,  la  réputation 
du  bien  parler  et  dû  bien  dire  d'Orléans  était  grande.  Les  guides 
des  voyageurs  étrangers  en  France  célèbrent  tous  la  pureté  du 
langage  français  parlé  dans  la  vallée  de  la  Loire.  Just  Zinzerling 
—  Josse  Sincerus  —  écrivait  :  «  Quand  tu  auras  salué  Paris, 
il  faudra  t'en  éloigner  pour  chercher  une  ville  où  l'on  parle 
un  français  plus  correct...  cette  ville  ce  sera  Blois  ou  Orléans  ; 
Orléans  surtout...  Ses  habitants  s'ont  d'une  extrême,  politesse 
envers  les  Allemands  et  leur  offrent  libéralement  de  leur  vin 
généreux  » 2. 

Tant  de  motifs  d'attraction  conduisaient  les  étrangers  à 
Orléans.  Dès  le  xve  siècle,  les  Allemands  y  furent  particulière- 
ment nombreux,  Johann  Reuchlin  y  suivit  des  cours.  Les  étu- 
diants germaniques  étaient  dotés  de  privilèges  exceptionnels  ; 
ils  avaient  droit  de  porter  rapière  et  poignard,  d'aller  et  venir 

1.  Marcel  Fournier,  La  Nation  allemande  à  Orléans  au  XIVe  siècle.  Paris,  1888. 

2.  Thaïes  Bernard,  Voyage  dans  la  Vieille  France  par  Jodocus  Sincerus.  Lyon, 
1859,  p.  59. 


NATION    GERMANIQUE    D'ORLÉANS  23 

durant  la  nuit  entière.  Avaient-ils  quelques  difficultés  ils  en 
appelaient  directement  au  Parlement  de  Paris.  Au  xvie  siècle, 
ils  jouissaient  du  privilège  d'exterritorialité;  en  cas  de  conflit 
entre  la  France  et  l'Empire,  ordre  était  donné  de  ne  pas  les  troubler 
dans  leurs  études,  de  ne  pas  les  arrêter  ou  de  les  mettre  à  rançon. 
Les  étudiants  de  la  nation  germanique  célébraient  à  Orléans  leurs 
fêtes  coutumières.  Le  jour  de  l'Epiphanie  et  l'anniversaire  de  la 
fête  de  Saint  Jean  Népomucène  étaient  pour  eux  l'occasion 
d'agapes  et  de  beuveries. 

La  nation  germanique  possédait  ses  officiers  propres,  procu- 
rateurs, assesseurs,  receveurs  et  bedeaux.  Tous  les  trois  mois, 
un  messager  assermenté  portait  en  Allemagne  les  lettres  et  les 
paquets,  il  rapportait  les  missives  familiales,  les  subsides  et  les 
provisions.  A  son  retour,  il  avait  droit  d'exciper  de  sa  qualité 
et  de  celle  de  ses  mandants  pour  obtenir  l'exonération  des  charges 
fiscales  pesant  sur  les  importations  dans  ce  royaume. 

Rue  de  Bourgogne,  les  Allemands  possédaient  une  maison 
où  était  leur  bibliothèque  «  composée  de  beaucoup  de  bons  livres 
qu'ils  mettent  à  la  disposition  de  ceux  des  écoliers  qui  s'y  sont 
fait  inscrire  ». 

La  nation  germanique  d'Orléans  était  déjà  prospère  au 
xve  siècle,  elle  le  fut  surtout  à  partir  de  François  Ier.  Ce  roi 
s'intéressait  particulièrement  à  elle  ;  sans  doute,  la  protection 
qu'il  lui  accordait  était-elle  dictée  par  des  motifs  politiques. 
Eternel  candidat  au  trône  impérial,  il  espérait  probablement 
se  gagner  des  partisans  en  se  montrant  courtois  vis-à-vis  des 
Allemands.  Non  content  de  confirmer  la  nation  germanique 
dans  ses  anciens  privilèges,  François  Ier  prit  sous  sa  sauvegarde 
spéciale  les  étudiants  allemands  qui  se  querellaient  avec  les 
bourgeois  de  la  ville  ;  en  1538,  au  moment  de  la  réduction 
du  nombre  des  groupements  d'étudiants  étrangers  à  Orléans, 
il  autorisa  la  nation  germanique  à  absorber  les  nations  écossaise 
et  normande;  en  1545,  il  essaya  d'imposer  à  l'Université  un 
procureur  général  natif  d'Allemagne. 

Pendant  le  xvie  siècle,  près  de  deux  cents  étudiants  vivaient 
annuellement  à  Orléans,  répartis  dans  les  familles  bourgeoises 
ou  hébergés  par  le  propriétaire  de  l'hôtel  du  Saumon. 


24  LES    ÉTRANGERS    EN     I  l'.ANCi: 

Si  l'on  en  croit  les  récits  de  Johannes  de  Botzheim,  qui  étu- 
diai! à  Orléans  avec  son  frère  en  1 ,172,  la  Saint-Rarlhélemy  jeta 
du  l rouble  dans  la  colonie  allemande  de  l'Université.  Peplilz, 
Geiger,  Metzler,  Rhelinger,  l'Autrichien  Birckeimer,  le  comte 
de  Hohenlohe  et  son  précepteur  Wolfang  Spelt  furent  ran- 
çonnés et  pillés  par  la  populace  ameutée.  Quelques-uns  des 
huguenots  d'outre-Rhin  qui  n'arborèrent  pas  à  leurs  chapeaux 
la  cocarde  blanche  furent  menacés  de  maie  mort.  Jean  Mertze- 
nich  fut  même  assassiné.  Tout  ce  petit  monde,  à  juste  titre 
affolé,  racheta  sa  vie  à  prix  d'argent  ;  effrayés  de  la  tournure  que 
pren aient  les  événements,  quelques  étudiants  gagnèrent  Paris 
que  d'autres  abandonnaient.  Mais,  après  trois  jours  de  massacres 
et  de  pillages,  l'ordre  se  rétablit  peu  à  peu  et  si  elle  fut  momen- 
tanément atteinte,  la  nation  allemande  se  retrouva  bientôt  au 
complet  K 

Chaque  année  l'Empire  envoyait  à  Orléans  de  nouveaux 
étudiants.  Lorsque  Félix  Flatter  y  passa  en  1549,  le  nombre  des 
Allemands  immatriculés  à  l'Université  le  frappa  :  «  ce  qu'il 
faut  principalement  remarquer  à  propos  de  l'Université,  écrit-il, 
c'est  le  nombre  considérable  d'étudiants  allemands,  tant  princes, 
comtes  et  nobles  qui  la  fréquentent.  Ils  sont  en  général  de  deux 
à  trois  cents  »2.  L'année  même  où  Thomas  Platter  vint  à  Orléans, 
Henri  IV,  visitant  la  ville,  demanda  au  chef  de  la  nation  com- 
bien elle  comptait  d'Allemands  ;  il  affirma  qu'ils  étaient  environ 
cent  trente  3. 

Les  Allemands  vinrent  encore  nombreux  à  Orléans  au  xvne 
siècle  ;  toutefois  vers  1670,  ils  se  raréfièrent  ;  quatre  ans  après 
cette  date,  dans  un  discours  prononcé  devant  le  grand  roi, 
l'avocat  Girault  indiquait  que  les  étudiants  d'outre-Rhin  étaient 
réduits  à  un  petit  nombre  de  gentilshommes  4. 

Mieux  que  tout  autre  témoignage,  les  registres  d'immatricula- 
tion des  écoliers  allemands  conservés  aux  archives  du  Loiret 

1.  C.  Read,  La  Saint  Barthélémy  à  Orléans  racontée  par  J.  W.  de  Botzheim,  étu- 
diant allemand,  dans  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  du  protestantisme.  T.  XXI, 
p.  345. 

2.  P.  de  Felice,  Un  étudiant  balois  à  Orléans  en  1599.  Orléans,  1899,  p.  13. 

3.  E.  Bimbenet,  Chronique  historique  extraite  des  registres  des  Ecoliers  allemands. 
Orléans,  1875,  p.  79. 

4.  Arch.  dép.  du  Loiret,  D  237,  f°  14. 


NATION    GERMANIQUE    D'ORLÉANS  25 

nous  renseignent  sur  la  nation  germanique  d'Orléans.  On  pos- 
sède, depuis  l'année  1444,  les  livres  des  procurateurs  et  ceux 
des  receveurs  depuis  1508.  Les  noms  les  plus  connus  de  l'histoire 
d'Allemagne  y  sont  inscrits  ;  ceux  des  Bismark,  des  Hohenlohe 
et  des  Bulow  voisinent  avec  ceux  de  gentilshommes  dont  les 
appellations  nous  sont  moins  familières.  De  Silésie,  de  Prusse, 
de  Saxe,  chaque  année  arrivent  de  nouveaux  étudiants  ;  en 
1557  c'est  le  Silésien  Abraham  de  Bock  qui  est  procurateur;  au 
xvne  siècle,  Vienne  envoie  Michel  Zollikofer,  la  Bavière  Georges 
Faut  de  Haittenkeim,  la  Saxe,  Henri  Derenstein  ;  des  villes 
libres,  de  Hambourg,  notamment,  les  représentants  sont  parti- 
culièrement nombreux.  Qu'ils  soient  tenus  par  des  Bavarois, 
des  Westphaliens  ou  des  Prussiens  comme  Fabien  Stosser  ou 
Cléophas  Pernecker  les  registres  des  procurateurs,  des  assesseurs 
ou  des  receveurs  sont  des  plus  curieux  :  on  y  saisit  au  vif  les 
menus  incidents  de  la  gent  éeolàtre,  leurs  querelles  entre  eux, 
avec  les  autres  nations  ou  leurs  disputes  avec  les  bourgeois  de 
la  ville  qu'ils  épouvantent  avec  leurs  longues  rapières,  car  seuls, 
les  étudiants  allemands  sonl  autorisés  à  sortir  en  armes.  Aux 
recettes  de  la  nation  figurent  les  droits  d'immatriculation, 
les  droits  d'entrée,  aux  dépenses  les  achats  laits  pour  célébrer 
les  fêles  des  Trois-Rois,  les  aumônes  consenties  à  de  pauvres 
hères  revenant  de  Turquie,  volés  par  les  brigands,  ou  retour  de 
pèlerinage  à  Saint- Jacques-de-Compostelle.  On  noie  avec  soin  les 
acquisitions  de  livres,  les  achats  d'hypocras  destiné  aux  régals 
des  notables  allemands  qui  passent  à  Orléans. 

Sur  les  fonds  de  la  nation  sonl  prélevées  les  sommes  su  (li- 
santes pour  rémunérer  les  gazeliers  de  Paris  qui  sonl  lenus 
d'adresser  chaque  semaine  les  nouvelles  d'Allemagne.  Au 
xvii''  siècle  Kpstein,  nouvelliste,  habitant  le  faubourg  Saint- 
(iermain  est  tenu  d'envoyer  hebdomadairement  des  messages 
m;i:s  il  est  irrégulier  dans  ses  envois  et  apprend  aux  étudiants 
nouvelles  qu'ils  connaissent  depuis  huit  jours  quand  elles 
leur  parviennent.  On  lui  adresse  de  sévères  réprimandes1. 

I  He    véritable    colonie    allemande    se    constitue    à    Orléans. 

i.  .m ••!».  dép.  <i'i  Loiret,  D   I  I ■  7. 


26  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Tailleurs  d'habits,  taverniers,  libraires  se  fixent  dans  l'Orléa- 
nais, ils  contribuent  à  grossir  le  contingent  de  population  germa- 
nique vivant  sur  les  rives  de  la  Loire.  Au  demeurant,  les  Alle- 
mands sont-ils  en  France  à  Orléans  ou  bien  sur  terre  d'Empire  ? 
La  question  fait  sourire  ;  elle  se  pose  cependant  au  regard  de 
quelques-uns  d'entre  eux. 

Ayant  achevé  leur  journée  d'études,  la  majeure  partie  des 
jeunes  hommes  venus  d'outre-Rhin  se  divertissaient  comme 
l'on  fait  à  vingt  ans  ;  quelques  autres,  mégalomanes,  préten- 
daient par  de  savants  traités,  démontrer  les  droits  de  l'empereur 
sur  la  ville  d'Orléans  et  rattacher  au  Saint-Empire  l'université 
orléanaise.  Ils  s'excusaient  ainsi,  à  leurs  propres  yeux,  de  venir 
en  France  quérir  la  science  du  droit. 

Adolphe  Eickholz,  de  Cologne,  arrivé  à  Orléans  en  1516, 
était  l'année  suivante  procurateur  de  la  nation  germanique. 
Dédaignant  les  plaisirs  ordinaires  de  ses  compatriotes,  il  s'in- 
génia à  composer  un  Index  librorum  nationis  dans  lequel  il 
exprima  ses  idées  sur  la  France  et  l'Allemagne  1.  Se  fondant 
sur  une  charte  donnée  en  octobre  1367,  par  Hugues,  évêque 
d'Orléans,  d'après  laquelle,  au  temps  d'Aurelius,  fondateur 
d'Orléans,  Virgile  inaugura  l'université,  Eickholz  tire  cette 
conclusion  :  Aurelius  a  fondé  Orléans  et  son  université  ;  or  les 
Allemands  possèdent  l'empereur,  héritier  direct  des  empereurs 
romains,  donc  la  ville  d'Orléans  et  son  université  sont  alle- 
mandes 2. 

Développant  les  prémisses  posées  dans  ce  premier  syllogisme, 
le  pangermaniste  Eickholz  conclut  que  la  France  entière  n'est 
qu'une  dépendance  des  domaines  de  l'Empereur  puis,  avec  l'ha- 
bituelle superbe  germanique,  il  trace  de  ses  compatriotes  un 
portrait  idéal  qu'il  oppose  à  celui  des  Français  qu'il  dénigre. 

Les  idées  d'Eickholz,  curieuses  à  plus  d'un  titre,  n'étaient 
point  celles  de  la  généralité  de  ses  compatriotes  vivant  à  Orléans. 
Tout  en  conservant  pour  leur  patrie  une  affection  bien  natu- 


1.  J.  Mathorez,  Un  étudiant  pangermaniste  à  Orléans  en  1517,  extrait  du  Bulletin 
du  Bibliophile,  1913. 

2.  J.  Soyer,  dans  La  Légende  de  la  fondation  d'Orléans  par  l'Empereur  Aurélicn, 
a  démontré  la  fausseté  de  cette  allégation. 


LES    ÉTUDIANTS    ALLEMANDS    À    BOURGES  27 

relie,  ils  gardaient  à  la  France  une  part  de  leurs  sympathies. 

Orléans  n'était  pas  la  seule  ville  de  la  vallée  de  la  Loire  où 
ils  se  complaisaient.  Bourges,  Angers  et  Saumur  eurent  aussi 
leurs  colonies  d'étudiants  allemands. 

La  nation  germanique  de  Bourges  était  si  florissante  qu'elle 
engloba  tous  les  forains  fréquentant  les  cours  de  la  faculté  de 
droit,  la  seule  qui  ait  eu  de  l'éclat,  surtout  à  l'époque  de  l'ensei- 
gnement de  Cujas.  Dans  la  cité  de  Jacques  Cœur  les  Allemands 
ont  laissé  des  souvenirs  :  le  Jardin  des  Allemands  jouxtait  la 
rivière  de  l'Yévrette  et  la  rue  des  Trois-Pucelles  ;  une  maison 
de  la  ville  était  connue  sous  le  nom  de  Maison  des  Allemands  K 
Au  témoignage  de  Félix  Platter  les  étudiants  d'origine  germa- 
nique étaient  fort  nombreux  vers  1550.  Herman  Louis,  fils  du 
comte  Palatin,  Nicolas  Judex  son  précepteur,  Jérôme  Rei- 
ching  d'Augsbourg  qui  se  noyèrent  tous  trois  dans  un  même 
accident  en  1554  ;  Olevianus  qui  devint  un  célèbre  prédicateur 
à  l'école  de  théologie  de  Heidelberg  et  Nicolas  Gisner,  futur 
chirurgien  d'un  prince  allemand,  assistèrent  impuissants  à  cette 
triple  noyade  dont  l'annonce  émut  tous  les  étudiants  germa- 
niques résidant  en  France. 

Lorsque  Thomas  Platter  quitta  Bourges  le  20  juillet  1599, 
il  écrit  :  «  Je  quittai  Bourges  avec  Louis  Jacques  de  Dantzig. 
Nous  partîmes  en  voiture  et  plusieurs  écoliers  allemands  nous 
accompagnèrent  jusqu'à  l'heure  du  dîner  » 2. 

Les  étudiants  vont  et  viennent  ;  ils  passent  une  ou  plusieurs 
années  dans  une  ville  puis  ayant  pris  leurs  grades,  ils  rentrent 
généralement  dans  leur  pays.  Ils  ont  cependant  sur  la  constitu- 
tion de  la  population  une  influence  indirecte.  Leur  présence 
attire  dans  les  villes  d'université  des  commerçants,  fournisseurs 
attitrés  de  cette  clientèle  sans  cesse  renouvelée.  Les  noms  de 
ces  marchands  ne  sont  généralement  pas  connus  car  ils  ont  peu 
marqué  dans  l'histoire  locale.  Petits  boutiquiers  ou  négociants 
sans  envergure,  ils  ont  rarement  atteint  à  la  fortune,  ne  sont  pas 
devenus  propriétaires  notoires  et  leur  famille,  rapidement  fran- 
cisée, ne  se  distingue  pas  des  familles  autochtones. 

1.  Arch.  dép.  du  Cher.  Série  D  pattim  et  E  2329. 

2.  P.  de  Fclicc,  op.  cit.,  p.  8. 


28  LES    ÉTKANGEHS    EX    lllAXCK 

Pour  ([ne  l'attention  ait  été  attirée  sur  ces  forains,  il  faut  qu'une 
circonskmee  fortuite  les  ail  sortis  de  l'oubli  comme  cela  advint 
pour  une  famille  de  Bourges,  celle  de  Jean  rl'Allemant  dont  la 
touchante  intimité  inspira  à  Marot  quelques  vers  charmants  1  : 

Qui  veut  scavoir  grans  accors  difïérens 
Les  plus  nouveaux  qu'on  vert  entre  parons. 
Longtemps  y  a  vienne  en  cesl  oratoire 
Des  Allemands  lire  la  courte  histoire. 
Jean  l'Allemand  et  Marie  Polit 
Deux  autres  Jeans  en  mariage  acquirent 
Qui  en  commun  en  ce  logis  vesquirent 
Et  ces  Jeans,  deux  Jeannes  espousèrent 
Qui  dix  enfans  sur  la  terre  posèrent. 

L'Université  d'Angers  reçut  également  beaucoup  d'Alle- 
mands, toutefois,  ils  n'y  furent  jamais  assez  nombreux  pour  y 
constituer  une  nation  séparée  ;  en  l'année  1600,  ils  sollicitèrent 
bien  du  roi  le  privilège  de  former  une  nation  allemande  mais  leur 
demande  n'aboutit  pas  et  ils  demeurèrent  confondus  dans  la 
nation  française  qui  englobait  les  étudiants  d'origine  étrangère. 

Le  souvenir  des  étudiants  allemands  a  été  conservé  à  Angers. 
En  effet,  pour  prendre  leurs  ébats,  les  jeunes  hommes  venus 
d'outre-Rhin  se  réunissaient  sur  un  vaste  emplacement  compris 
entre  les  portes  Saint-Aubin  et  Saint-Michel  ;  ce  terrain  de  jeux, 
acquis  par  un  de  leurs  compatriotes  avait  été  offert  à  l'université 
d'Angers  et  en  souvenir  de  l'origine  de  cette  donation,  l'empla- 
cement conserva  le  nom  de  la  Prée  aux  Allemands. 

Si  l'université  d'Angers  était  fréquentée  par  les  étudiants  de 
l'Empire,  une  autre  institution  les  y  attirait  également  ;  c'était 
YAcadémie  d'équitation.  Les  origines  de  cette  fondation  sont 
obscures,  il  est  probable  que  l'Académie  fut  créée  par  des  Ita- 
liens du  nom  de  Zanioli  à  la  fin  du  xvie  siècle.  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'école  d'équitation  d'Angers  existait  au  xvne  siècle  et  sa  répu- 
tation était  déjà  suffisante  pour  y  attirer  des  élèves  de  tous  les 
pays  de  l'Europe.  Brune  au  de  Tartifume,  ancien  historien 
d'Angers,  a  laissé  une  liste  des  jeunes  hommes  qui,  pendant 
trente-cinq   ans,   pratiquèrent  l'art   de   l'équitation   à  Angers. 

1.  Clément  Marot,  Œuvres,  édition  Lenglet-Dufresnoy.  1731,  t.  HT,  p.  249. 
Complaincte  des  Allemans  de  Bourges  récitée  par  la  Déesse  Mémoire. 


L'ACADÉMIE    D'ÉQUITATION    D' ANGERS  29 

Cet  état  s'étend  des  années  1601  à  1635  et  son  examen  dénote 
que  la  grande  majorité  des  élèves  étrangers  étaient  Allemands. 

L'Académie  subit  au  cours  du  xvne  siècle  diverses  transfor- 
mations. Il  lui  advint  le  même  sort  qu'à  beaucoup  d'institutions 
privées  subventionnées,  elle  devint  une  Académie  d'État 
dans  laquelle  on  ne  fut  plus  admis  qu'après  une  autorisation 
royale.  Les  brevets  d'admission  furent  dispensés  aussi  bien  à  des 
étrangers  qu'à  des  nationaux.  Les  jeunes  nobles,  admis  à  suivre 
les  cours  de  l'école,  venaient  seuls  ou  avec  leur  suite,  gouver- 
neurs et  domestiques.  Ils  s'établissaient  à  Angers  pour  plusieurs 
années  ;  parfois  même  y  ayant  pris  femme,  ils  y  demeuraient 
définitivement.  On  ne  connait  pas  exactement  la  liste  des  élèves 
qui  furent  académistes  entre  les  années  1635  et  1755.  Depuis 
cette  dernière  date,  au  contraire,  on  possède  les  noms  de  tous 
les  élevés  de  l'institution  pendant  plusieurs  années  ;  quel- 
ques, actes  de  la  vie  civile  des  écuyers  d'Angers  permettent  de 
se  rendre  compte  du  cosmopolitisme  de  l'école  antérieurement 
à  Tan  née   1 755. 

De  nombreux  Allemands  sont  signalés  dans  les  actes.  Le  15  jan- 
vier 1685,  Hermann  Otto  Tecklenborg,  originaire  de  Westphalie, 
épouse  Pauline  Baranger  ;  à  l'acte  de  mariage  signent  plusieurs 
Allemands  *.  Trois  ans  plus  tard,  Jean-Louis  Staël,  de  Munster, 
épouse  Marie  Baranger  ;  au  pied  de  l'acte  de  mariage  se  lisent 
encore  des  noms  de  jeunes  Allemands  2..  Marie  Baaranger  continua 
de  vivre  à  Angers  car  cinq  ans  après  son  mariage,  elle  figure 
comme  marraine  dans  un  acte  de  baptême  3. 

Pour  les  périodes  s'étendant  entre  1755  et  1761  puis  1766 
et  1790,  on  possède  les  listes  des  élèves  de  l'institution.  Sur 
334  Académistes,  quelques-uns  seulement  sont  d'origine  ger- 
manique; à  la  fin  du  xvme  siècle,  les  Allemands  étaient  moins 
nombreux  que  par  le  passé  4. 

1.  Affdl.  clép.  de  Maine-et-Loire.  Acte  du  1.')  janvier  H  U. 

2.  Ibid.  Acte  du  27  novembre  168$.  Parmi  les  témoins  figurent  :  Baron  de  Guen- 
nlch,  (iuillaume  de  Neureinber^,  Hermann  de  Teeklenbor^,  Christophe  de  Thu- 
raimb,  comte  de  Konitfstein,  ouata  d'HesbersWki,  etc. 

3.  Ibid.  Acte  du  16  avril  1693. 

l.  <>.  Ragueset  de  Saint- Albin,  Livrée  <irs  Pensionnaires  et  des  externes  de  l'Aca- 
démie d'rtiiniulinn  d'AïK/rrs  |  1  7.v>  I7>"i.  dans  lievue  de  l'Anjou,  mars  et  avril  LOI  I. 
p.  101. 


30  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Angers  ne  fut  pas,  au  xvne  siècle  notamment,  l'unique  centre 
intellectuel  de  l'Anjou.  Saumur  possédait  aussi  une  Académie 
où  les  protestants  venaient  achever  leurs  études.  Cette  académie 
avait  été  fondée,  au  mois  de  mars  1593,  par  Duplessis-Mornay 
et  rapidement  cette  institution  s'était  développée.  Grâce  à  cette 
fondation,  il  s'était  créé  à  Saumur  un  foyer  intense  de  vie  pro- 
vinciale animé  par  une  afïluence  extraordinaire  d'écoliers 
venus  de  tous  les  coins  de  l'Europe  et  à  leur  suite  des  négociants 
exerçant  les  industries  qui  vivent  des  études  libérales,  du  luxe 
et  de  la  jeunesse.  Les  étrangers  protestants  originaires  d'Alle- 
magne étaient  particulièrement  nombreux  à  Saumur  ;  on  en 
trouve  une  preuve  dans  un  document  fort  curieux  l. 

Sous  le  règne  de  Louis  XIII,  l'Académie  tenait  ses  assises 
rue  Saint- Jean  et  les  jeunes  gens  qui  la  fréquentaient  se  réunis- 
saient pour  apprendre  la  danse  chez  un  sieur  Le  Puy.  Ce  dernier 
pour  conserver  le  souvenir  de  la  clientèle  qui  l'honorait  de  ses 
faveurs,  possédait  un  Liber  amicorum  sur  lequel  ses  élèves 
avaient  coutume  d'apposer  leur  signature,  de  dessiner  leurs 
armoiries  ou  d'inscrire  d'ingénieuses  pensées.  Entre  les  années 
1625  et  1642  on  relève  sur  cet  album  118  signatures  et  67  bla- 
sons de  fils  de  familles  originaires  d'outre-Rhin.  Les  noms  de 
Jean  Rudolf  de  Grafîenberg,  de  Hermann  Vincke,  de  Charles 
de  Golstein  voisinent  avec  ceux  de  Harouber  Philipp  de  Schwerin 
et  de  Christof  de  Winterfeld. 

Des  préoccupations  de  ces  étudiants  les  maximes  inscrites  sur 
lé  registre  de  Le  Puy  donnent  quelques  échantillons  ;  ils  chantent 
le  jeu,  les  femmes  et  le  vin. 

Rudolph,  baron  de  GrafTenbeck,  écrit  : 

Qui  bien  mange,  fiante  et  dort 
Fait  un  pied  de  nez  à  la  mort. 

«  C'est  une  belle  chose  que  le  vin  »,  note  Eberhard  Keck  et 
Schetto  Ianmize  estime  que  : 

L'honneur,  les  femmes  et  l'amour 
Le  rendront  content  quelque  jour. 

.   1.  A.  Joubert,  Les  étudiants  allemands  de  l'Académie  protestante  de  Saumur  et 
leur  maître  de  danse  (1625-1642),  dans  Revue  de  l'Anjou,  mars  et  avril  1889,  p.  158. 


LES    ÉTUDIANTS    ALLEMANDS    A    SAUMUR    ET    A    MONTPELLIER       31 

Les  signatures  du  comte  de  Bentheim,  de  Frédéric  de  Win- 
terfeld,  de  Crassat  de  Wolfbergaen,  de  Philippe  de  Schwerin 
et  de  maints  autres  Allemands  dénotent  l'estime  qu'ils  avaient 
pour  leur  maître  à  ballet  et  la  danse  elle-même.  Avant  M.  Jour- 
dain ils  pensaient  «  que  la  danse  est  une  science  à  laquelle  on 
ne  peut  faire  assez  d'honneur  ». 

Toute  cité  française  possédant  université  ou  collège  comporte 
une  colonie  d'étudiants  germaniques.  Vers  Montpellier  se  dirigent 
ceux  qu'attirent  les  études  médicales.  Chacun  sait  de  quelle 
notoriété  jouit  l'Université  de  médecine  de  cette  ville  sous 
l'ancien  régime.  En  l'année  1220,  le  pape  Honorius  III  lui  donna 
ses  statuts  :  Conrad,  évêque  de  Porto  et  Sainte-Ruffine,  ancien 
abbé  de  Clairvaux  et  de  Cîteaux  avait  été  envoyé  dans  le  Midi 
de  la  France  comme  légat  et  à  ce  titre  chargé  de  résoudre  diverses 
questions  relatives  aux  Albigeois.  Cet  Allemand,  fils  du  comte  de 
Seinen  reçut  également  mission  de  réformer  l'enseignement 
médical  à  Montpellier  1.  Dès  le  xme  siècle,  à  la  suite  de  la  réor- 
ganisation de  l'Université,  se  dirigèrent  vers  le  Midi  de  la  France 
quelques-uns  de  ses  compatriotes  désireux  d'étudier  les  doctrines 
d'Avicenne  et  des  thérapeutes  grecs  et  arabes  qu'on  enseignait 
à  Montpellier.  Mais,  moins  heureuse  que  l'Université  d'Orléans, 
celle  de  Montpellier  ne  possède  pas  de  documents  historiques 
antérieurs  à  l'an  1503  et  ce  n'est  guère  avant  1526  qu'appa- 
raissent sur  les  registres  de  la  «  sainte  et  vénérable  cohorte 
médicale   »  quelques  immatriculations   d'Allemands. 

Toutefois  on  sait  qu'antérieurement  à  cette  date  des  étu- 
diants natifs  d'outre-Rhin,  après  avoir  commencé  leurs  études 
médicales  à  Paris  les  allaient  achever  à  Montpellier.  Henri  de  Os, 
de  Westphalie,  y  vient  en  1350,  Nicolas  Schnele  poursuit  ses 
études  dans  le  Languedoc  en  1362  ;  Hermann  de  Braklis,  du 
diocèse  de  Paderborn  est  à  Montpellier  en  1401  ;  il  demande 
à  ceux  de  sa  nation  qui  sont  restés  à  Paris  de  lui  adresser  des 
certificats  «  attestant  qu'il  a  été  bon  et  fidèle  écolier  de  la  faculté 
de  médecine  de  Paris  et  en  a  suivi  les  cours  tant  ordinaires 


1.  A.  Germain,  I,' Ecole  de  médecine  de  Montpellier;  ses  origines  ;  sa  constitution. 
Montpellier,  1880. 


32  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

qu'extraordinaires  » 1.  Jacques  Ram,  admis  par  les  jurais  de 
Bordeaux  à  exercer  la  médecine  dans  leur  ville  en  1441  est 
ancien  élève  de  Montpellier  2.  Alban  Thorer,  célèbre  médecin 
allemand,  mort  en  1550,  durant  son  séjour  à  Montpellier, 
découvril  dans  la  bibliothèque  de  Maguelone  le  manuscrit 
d'Apicius  3. 

Aux  xvie  et  xviie  si'èeles  le  nombre  des  Allemands  qui  suivent 
les  leçons  des  maîtres  de  cette  ville  est  considérable.  Les  relations 
de  voyage  des  deux  frères  Platter  en  donnent  une  preuve  for- 
melle. Dans  le  premier  tiers  du  xvie  siècle  vivait  à  Bâle  Thomas 
Platter  qui,  de  simple  chevrier,  réussit  par  son  travail  à  devenir 
gijmnasiarcus  de  la  ville  et  a  laissé  un  nom  parmi  les  pédagogues 
de  la  Renaissance.  En  1536  il  avait  eu  un  fils,  Félix  Platter. 
Ayant  résolu  de  lui  épargner  lés  épreuves  qu'il  avait  connues, 
il!  Tenvoya  à  la  fiw  de  1552  à  Montpellier.  Ce  jeune  étudiant, 
qui  devait  devenir  une  des  gloires  de  son  pays,  séjourna  en  Lan- 
guedoc pendant  cinq  ans.  Il  y  étudia  la  médecine.  Son  père 
s'étant  remarié  à  soixante-treize  ans  eut  six  enfants  de  sa  seconde 
femme  et  Thomas  Platter,  enfant  de  son  second  lit,  ayant  trouvé 
en  son  frère  Félix  un  protecteur  dévoué,  suivit  la  même  carrière 
que  son  aine.  Lui  aussi  séjourna  à  Montpellier  de  1595  à  1599. 
Les  deux  frères  nous  ont  laissé  leurs  souvenirs  écrits  à  quarante 
ans  d'intervalle  et  qui  constituent  sur  l'existence  des  Allemands 
à  Montpellier  un  document  des  plus  précieux  4.  Ils  font  connaître 
une  foule  d'étudiants  de  langue  allemande  qu'ils  ont  fréquentés 
durant  leur  séjour.  Félix  a  été  lié  d'amitié  avec  Jacques  Balden- 
berg  de  Saint-Gall,  les  frères  Stibare,  parents  de  l'évêque  de 
Wurtzbourg,  Georges  Fischer  leur  précepteur,  Michel  Hoff- 
mann, de  Hall.  Il  a  conversé  avec  Pierre  Lotich,  l'humaniste, 
celui-là  même  qui,  bien  que  poursuivi  par  l'Inquisition  pour 
avoir  mangé  de  la  viande  pendant  le  carême,  ne  conserva  aucune 
rancune   à  la   France   puisque   dans  une   élégie   Ad  Montenv- 

1.  Wickersheimer,  Les  Etudiants  de  la  nation  anglaise  (allemande)  de  Paris, 
dans  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  de  la  médecine,  année  1913,  p.  285. 

2.  A.  Leroux,  La  Colonie  germanique  de  Bordeaux.  T.  I,  p.  2. 

3.  A.  Germain,  La  Renaissance  à  Montpellier,  p.  3. 

4.  Félix  et  Thomas  Platter  à  Montpellier  (1552-Î557)-(1595-1599).  Édition  des 
Bibliophiles  de  Montpellier.  1892. 


ÉTUDIANTS    ALLEMANDS    A    MONTPELLIER  33 

Pessulanum,  il  vante  le  climat  et  les  beautés  naturelles  du  pays. 

En  général  les  étudiants  allemands  arrivaient  à  Montpellier 
par  Chambéry  et  Lyon  ;  beaucoup,  ainsi  que  Félix  Platter, 
appartenaient  à  des  familles  modestes  et  descendaient  chez  un 
habitant  de  la  ville  qui  envoyait  ses  enfants  en  Allemagne 
ou  en  Suisse  allemande  pour  y  étudier  la  langue  et  suivre  des 
cours.  Les  parents  peu  fortunés  pratiquaient  les  échanges 
d'enfants.  D'autres  étrangers  étaient  pris  en  pension  dans  des 
familles  de  Montpellier.  M.  Salomon,  également  appelé  M.  d'As- 
sas,  hébergeait  nombre  d'Allemands  en  1553.  Ces  jeunes  hommes 
travaillaient  en  général  fort  assidûment  ;  ils  suivaient  les  cours 
des  maîtres  réputés,  disputaient  entre  eux  et  se  livraient  à  l'ana- 
tomie.  Platter  raconte  que  pour  se  procurer  des  sujets  à  étudier, 
ils  allaient,  la  nuit,  lui  et  ses  compagnons,  dérober  des  cadavres 
dans  les  cimetières  de  Montpellier. 

Les  fêtes  amenaient  des  divertissements  ;  ceux  des  Allemands 
variaient  peu.  Ils  dansaient  et  s'enivraient.  Félix  Platter,  qui 
était  sobre,  comprenait  mal  que  Jérôme  Betz  ou  Israël  Nubels- 
pach  fussent  continuellement  ivres.  Cette  fâcheuse  habitude 
de  ses  compatriotes  le  choquait.  «  Je  n'ai  jamais  vu  d'homme 
ivre  à  Montpellier  à  l'exception  des  Allemands  »,  note  l'étudiant. 
Parfois  on  prenait  des  congés  et  la  gent  écolière  allait  en  bande 
à  Avignon  et  à  Marseille.  Félix  Platter  accomplit  ce  voyage 
avec  treize  autres  Allemands.  Des  amis  rentrent-ils  en  Alle- 
magne, on  les  reconduit  généralement  jusqu'à  Chambérx . 
Valerinaus  et  Bartholomaeus,  deux  docteurs  prussiens  repartent 
dans  leur  patrie  ;  Platter,  suivant  un  usage  établi,  les  accompagne 
en  Savoie. 

Il  advient  que  des  étudiants  allemands  se  marient  à  Mont- 
pellier et  s'installent  en  France.  Henri  Rihener  après  avoir 
convolé  en  Languedoc  se  fixa  à  Salers  en  Auvergne;  son  frère 
l'y  rejoignit  plus  tard. 

Lorsque  Thomas  Platter  vint  à  Montpellier  les  mœurs  n'avaient 
pas  changé  ;  la  colonie  allemande  était  aussi  compacte  que  par 
le  passé.  Pour  tes  étudiants  germaniques  malades  on  construisit 
même  une  sulle  spéciale  dans  le  nouvel  Hôtel-Dieu  que  Ton 
édifia  en  1599.  Ils  fournirent  pour  cet  édifice  une  importante 

3 


34  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

contribution.  Le  nombre  des  Allemands  ne  diminue  pas  au 
xvne  siècle.  De  la  Prusse,  du  Palatinat,  des  villes  hanséa- 
tiques  viennent  chaque  année  des  étudiants  ;  les  uns  sont  seuls, 
d'autres  accompagnés  de  leurs  précepteurs.  Jean  Faber,  Josse 
Lucius,  de  Heidelberg  sont  immatriculés  en  1600  et  1602.  Jean 
Schabe,  Jean  Stobe,  Prussiens,  Georges  Hetzmanseder,  de  Ratis- 
bonne,  Adam  Rubach,  Louis  Henrich,  Nicolas  Schultz,  de 
Stettin  prennent  leurs  grades  à  Montpellier  au  cours  du  premier 
tiers  du  xvne  siècle  1. 

Par  la  publication  à  Nuremberg,  en  1625,  de  son  Historia 
Monspeliensis,  Etienne  Strobelberger  contribua  encore  à 
répandre  en  Allemagne  le  haut  renom  de  la  faculté  languedo- 
cienne ;  les  étudiants  allemands  y  sont  très  nombreux  au 
xvme  siècle  ;  d'ailleurs  les  docteurs  de  Berlin  sont  en  relations 
suivies  avec  les  maîtres  de  Montpellier  :  en  1730,  ils  sollicitent 
leurs  avis  sur  l'opportunité  de  l'opération  du  trépan. 

La  continence  n'est  pas  vertu  allemande  ;  les  étudiants  qui 
passaient  en  France  plusieurs  années  n'avaient  pas  des  mœurs 
très  chastes  et  n'étaient  pas  toujours  réservés  à  l'égard  des 
filles  de  leurs  hôtes.  A  bien  examiner  les  registres  des  universités 
on  relèverait  sans  doute  des  mentions  analogues  à  celle  que  j'ai 
notée    dans   les    archives    de   la   nation    allemande    d'Orléans. 

En  1603,  il  est  interdit  aux  étudiants  de  loger  chez  la  femme 
Salhas  «  qui  a  fait  arrêter  Georges  Voll  qui  a  eu  des  relations 
avec  sa  fille  » 2.  Des  étudiants  avaient  des  maîtresses  ;  Thomas 
Platter  parle  fréquemment  de  la  sienne.  Aussi  bien  peut-on 
penser  que  des  relations  de  tous  ces  jeunes  hommes  avec  les 
«  Catherine  la  dentellière  »  des  siècles  passés,  naquirent  des 
enfants  dont  les  pères  se  soucièrent  assez  peu. 

Dans  ses  souvenirs  de  voyage  Félix  Platter  raconte  que  les 
Allemands  laissaient  courir  le  dicton  suivant  sur  les  universités 
françaises  :  «  Accipimus  pecuniam  et  mittimus  stultos  in  Ger- 
maniam  ».  Nous  prenons  l'argent  des  Allemands  et  les  renvoyons 
ignares  en  Allemagne3.  Si  ce  dire  était  exact  on  comprendrait  mal 

1.  A.  Germain,  Les  Pèlerins  de  la  science  à  Montpellier.  Montpellier,  1879. 

2.  Arch.  dép.  du  Loiret,  D  217,  f°  43. 

3.  F.  Platter,  op.  cit.,  p.  137. 


PÉDAGOGUES    ALLEMANDS  35 

l'empressement  avec  lequel,  de  toutes  les  parties  de  l'Empire, 
par  cohortes  pressées,  les  Allemands  venaient  s'instruire  dans 
le  pays  qu'ils  semblaient  mépriser.  Pendant  plus  de  quatre  siècles 
ils  ont  été  les  plus  nombreux  de  tous  les  étrangers  ayant  profité 
de  notre  hospitalité  et  s'ils  étaient  repartis  aussi  ignorants 
qu'ils  étaient  arrivés  on  ne  concevrait  point  que  tant  et  tant 
de  générations  d'Allemands  aient  tenu  à  passer  la  frontière  et  à 
visiter  la  France. 


II 


Les  universités  de  Paris  et  des  grandes  villes  s'honoraient 
en  accordant  aux  étrangers  le  droit  d'enseigner.  Volontiers  elles 
recrutaient  des  maîtres  parmi  les  notables  forains  qui  s'étaient 
distingués  au  cours  de  leurs  études  ou  avaient  acquis  de  la  répu- 
tation en  dehors  du'royaume.  Budinszky  a  noté  dans  son  ouvrage 
les  principaux  scolastiques  d'origine  allemande  ayant,  comme 
Albert  de  Saxe,  donné  des  leçons  à  Paris.  Comme  ils  apparte- 
naient à  peu  près  tous  au  clergé,  je  ne  rappellerai  pas  leurs 
noms.  A  dater  de  la  Renaissance,  les  professeurs  étrangers, 
Écossais,  Italiens  ou  Allemands  sont  au  contraire  des  savants 
appartenant  au  monde  laïque  et  de  ceux-ci  quelques-uns  se 
sont  fixés  en  France.  Tantôt  ces  étrangers  demeuraient  à  poste 
fixe,  parfois,  au  contraire,  ils  allaient  et  venaient,  donnant 
dans  une  ville  une  série  de  leçons  et  dans  une  autre  une  série  de 
conférences. 

Lorsqu'on  sait  avec  quelle  ardeur  les  Allemands  de  toutes 
les  époques  se  sont  occupés  des  questions  de  pédagogie  et  ont 
embrassé  la  carrière  de  renseignement,  on  n'est  pas  surpris 
d'en  rencontrer  en  France  comme  professeurs  ou  pédagogues. 
Au  xvie  siècle  la  soif  d'apprendre  est  telle  que  l'on  s'adresse 
à  tous  hommes  qualifiés  pour  enseigner;  or  l'Allemagne  savante 
a  compté  des  humanistes  distingués.  A  Paris,  Jean  Sturm  pro- 
l'cssa  sous  le  règne  de  François  Ier;  Melchior  Volmar  Rufus, 
qui  fut  le  maître  de  Calvin  et  de  Théodore  de  Bèze  enseigna  à 
Orléans  cl   à  Hommes  avant   de  retourner  à  Tubingue,  où  Théo- 


36  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

dore  de  Rèze  alla  le  visiter.  Au  collège  de  Guyenne  des  profes- 
seurs itinérants  donnaient  des  leçons  et  la  présence  de  régents 
allemands  a  été  maintes  fois  signalée  dans  les  histoires  des  diffé- 
rents collèges  de  France. 

A  la  fin  du  xvie  siècle  plusieurs  Allemands  étaient  professeurs 
aux  écoles  de  Nîmes.  Thomas  Platter  note  les  noms  de  Chrétien 
Pistorius  de  Heidelberg  et  de  Rulman. 

Depuis  le  milieu  du  règne  de  François  Ier,  ce  fut  chez  les 
Français  une  mode  de  confier  l'éducation  des  enfants  à  des 
précepteurs  étrangers.  Les  Écossais  furent  souvent  choisis 
pour  tenir  l'emploi  de  pédagogues,  des  Allemands  aussi.  Le 
père  de  Montaigne  avait  confié  la  première  éducation  de  l'au- 
teur des  Essais  à  trois  Allemands.  «  Mon  père,  dit  Montaigne, 
me  donna  en  charge  à  un  Allemand  qui  depuis  est  mort  fameux 
médecin  en  France...  Cettuy-cy  qu'il  avoit  fait  venir  exprès 
et  qui  estoit  bien  chièrement  gagé  m' avoit  continuellement 
entre  les  bras.  Il  en  eut  aussi  avec  luy  deux  autres  moindres 
en  scavoir  pour  me  suivre  et  soulager  le  premier  » l.  De  ces 
Allemands  un  seul  nous  est  connu  :  Horstanus  qui  fut  professeur 
au  collège  de  Guyenne  sous  la  direction  de  Gélida  en  1547. 

Des  réformés  français  introduisirent  aussi  dans  leur  famille 
des  professeurs  allemands.  Georges  Henichau,  de  Neiss,  en  Silésie, 
éduqua  les  enfants  de  l'amiral  de  Coligny  2.  Cette  mode  se  main- 
tint encore  au  xvne  siècle;  en  1607  Oswald  Schwend3  était 
professeur  dans  la  famille  parisienne  des  Lecocq  ;  il  laissa  un 
Album  Amicorum  très  précieux  pour  l'histoire  de  la  colonie  alle- 
mande de  Paris  au  temps  de  Henri  IV. 

Le  célèbre  théologien  Tilenus,  Silésien  de  naissance,  déclare 
dans  l'un  de  ses  ouvrages  qu'il  est  devenu  Français  en  titre 
comme  il  l'avait  été  de  cœur  depuis  trente  ans.  Il  fait  allusion 
aux  lettres  de  naturalité  que  lui  avait  octroyées  Henri  IV. 
Tilenus  était  venu  jeune  à  Paris  ;  il  fut  précepteur  du  jeune 
Laroche  Posay  qui  devint  évêque  de  Poitiers,  puis  de  M.  de 
Laval.  Tout  en  instruisant  les  autres,  il  se  préparait  par  de  sa- 

1.  Montaigne,  Essais,  éd.  Courbet.  T.  V,  p.  xvn. 

2.  Mémoires  de  Geizkofler,  p.  51. 

3.  F.  Brunot,  Histoire  de  la  langue  française.  Paris,  1917,  t.  V,  p.  295. 


PÉDAGOGUES    ALLEMANDS  37 

vantes  études  à  son  futur  ministère  de  théologien  ;  une  contro- 
verse qu'il  soutint  en  1547  contre  Davy  du  Perron,  évêque 
d'Évreux,  attira  sur  lui  l'attention  et  il  fut  choisi  par  le  duc  de 
Bouillon  comme  professeur  pour  l'Académie  qu'il  se  proposait 
de  fonder  à  Sedan.  En  attendant  qu'elle  ouvrît  ses  portes,  il 
enseigna  au  collège  et  eut  comme  élève  le  fils  aîné  du  duc, 
Frédéric-Maurice.  Après  quelques  années  d'enseignement  à 
Sedan,  Tilenus  fut  chassé  de  l'Académie  à  raison  de  ses  opinions 
religieuses  ;  ayant  embrassé  la  doctrine  d'Arminius  qu'il  avait 
primitivement  combattue,  il  eut  avec  les  protestants  des  démêlés 
qu'il  serait  trop  complexe  de  rapporter1.  Tilenus  voyagea 
puis  revint  finir  ses  jours  à  Paris  où  il  mourut  en  1663.  Sa  femme, 
une  demoiselle  Delaage,  fut,  à  sa  mort,  chargée  d'exécuter 
ses  dernières  volontés  :  Tilenus  laissait  la  majeure  partie  de  sa 
fortune  à  divers  Arminiens  et  sa  bibliothèque  à  un  pasteur  pro- 
testant qui,  comme  lui,  avait  été  professeur  à  l'Académie  de 
Sedan. 

Parfois,  des  Allemands  peu  fortunés  acceptaient  des  précep- 
torats. Le  célèbre  érudit,  Frédéric  Spanheim,  n'ayant  pu,  faute 
d'argent,  demeurer  à  Genève  pour  y  poursuivre  ses  études 
entra,  en  1621,  comme  précepteur  chez  le  baron  de  Vitrolles, 
gouverneur  d'Embrun.  Quand  il  le  quitta,  ce  fut  pour  se  rendre 
à  Genève,  en  passant  par  Paris  qu'il  souhaitait  visiter  2. 

Le  fameux  Saumaise  eut  comme  maître  Polycarpe  Sengebert, 
professeur  à  l'Université  d'Angers  en  1625.  Les  enfants  du  mar- 
quis de  Maillé  étaient  éduqués  par  Jean  d'Hamencourt,  natif  de 
Trêves  3. 

La  mode  des  précepteurs  allemands  se  perpétua  au  xvne  siècle, 
notamment  dans  les  familles  réformées.  Ils  ne  furent  pas  sans 
importer  en  France  quelques-unes  des  méthodes  pédagogiques 
d'outre-Rhin  ;  les  doctrines  de  Comenius  sur  l'éducation  des 
enfant*  furent  fréquemment  appliquées  dans  le  royaume.  Son 


1.  P.  Mellon,  L'Académie  de  Sedan.  Paris,  i;U3,  p.  95  et  s.  —  J.  Parmi» W,  L'Eglise 
réformée  de  Paris  sous  Henri  IV.  Paris,  1911,  p.  72,  80. 

2.  Archinard,  La  famille  Spanheim,  clans  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  du 
protestantisme  français,  T.  IX,  p.  96. 

3.  Arch.  dép.  d<-  Maine-ct-Loin-,  s<ii<    I  :.  Sup.  Paroisse  de  Vernantes,  (arrondis- 
sement de  Baugé),  Acte  de  décos  du  15  janvier  1701. 


38  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

ouvrage  La  Porte  des  Langues,  qui  parut  en  1631,  eut  une  grande 
vogue.  Les  principes  d'enseignement  qu'il  préconisait  furent 
adoptés  par  les  fondateurs  des  petites  écoles  de  Port-Royal 
et  Lancelot  s'inspira  des  méthodes  de  Comenius  quand  il  com- 
posa son  fameux  Jardin  des  Racines  grecques. 


III 


Les  voyages  forment  la  jeunesse  dit  un  vieux  proverbe  et  les 
Allemands  ont  toujours  mis  en  application  cet  ancien  dicton. 
Ils  aimaient  courir  le  monde  ;  l'historien  allemand  Janssen 
parle  dans  ses  œuvres  du  «  currendi  libido  »  de  ses  compatriotes 
et  en  France,  où  les  amenait  fréquemment  le  goût  des  déplace- 
ments, leurs  habitudes  étaient  bien  connues.  On  considérait 
«  que  les  Allemands  avaient  l'habitude  de  gaspiller  leur  argent 
en  promenades  ».  Enfants  se  rendant  au  Mont  Saint-Michel, 
pèlerins  de  Saint-Jacques,  étudiants  allant  à  Bourges,  Mont- 
pellier ou  Angers  accomplissaient  un  tour  de  France  et  visi- 
taient notre  pays.  Des  voyageurs  d'âge  mûr  affluèrent  aussi  dans 
le  royaume  et  d'entre  eux,  bon  nombre  ont  laissé  des  souvenirs, 
des  relations  de  voyage  et  des  guides  pratiques.  En  général, 
les  Germaniques  effectuaient  en  France  des  séjours  prolongés  ; 
ils  y  dépensaient  plusieurs  mois,  parfois  même  plusieurs  années  ; 
ils  s'attardaient  à  Paris  et  ne  s'en  éloignaient  qu'à  regret, 
«  Avoir  vu  les  villes  d'Italie,  d'Allemagne,  des  autres  royaumes 
ce  n'est  rien  ;  ce  qui  frappe  surtout,  c'est  quand  un  homme 
annonce  qu'il  a  été  à  Paris  »,  écrit  un  Allemand  et  presque  tous 
pensent  comme  lui. 

Au  xvie  siècle,  Paris  était  pour  les  Allemands  un  centre  d'at- 
traction ;  quand  ils  avaient  suffisamment  admiré  la  capitale 
les  voyageurs  venus  de  Saxe,  de  Bavière,  de  Bâle  ou  de  Zurich, 
se  rendaient  dans  les  provinces  ou  dans  les  stations  thermales. 
Aux  Eaux-Bonnes,  le  président  de  Thou  rencontra  un  Alle- 
mand dont  la  capacité  d'absorption  le  frappa  ;  il  buvait  cin- 
quante verres  d'eau  sans  reprendre  haleine. 


VOYAGEURS    ALLEMANDS    EN    FRANCE  39 

Par  politique  ambitieuse  François  Ier  les  reçoit  volontiers  : 
c'est  à  sa  cour  un  passage  continuel  de  seigneurs,  d'envoyés, 
qu'il  traite  gracieusement.  Albert  de  Brandebourg  lui  envoie 
Ulrich  de  Hutten  en  1517  pour  nouer  des  relations  avec  son  très 
cher  ami  le  roi  de  France. 

En  France,  sous  les  Valois,  les  Allemands  sont  courtoisement 
accueillis.  François  Ier  et  Henri  II  leur  marquent  de  la  sympa- 
thie ;  la  reine  Elisabeth,  épouse  de  Charles  IX,  protestante 
de  tendances,  catholique  par  naissance  et  nécessité  politique 
se  montre  favorable  aux  sujets  de  l'empereur  qui  visitent  la 
France.  De  toutes  les  parties  de  l'Allemagne  nous  arrivent  des 
voyageurs.  Ils  viennent  par  groupes,  parcourent  la  France 
à  cheval,  s'arrêtent  à  Marseille,  Toulouse,  Poitiers  ;  ils  stationnent 
dans  les  cités  importantes  ;  déjà  quelques-uns  d'entre  eux 
rédigent  d'intéressantes  relations  de  leurs  voyages.  Les  dissen- 
sions religieuses  les  intéressent.  Eustachius  de  Knobelsdorf, 
jeune  Allemand  catholique  de  passage  à  Paris  en  1542,  raconte 
les  exécutions  de  réformés  *. 

En  compagnie  d'Allemands,  Félix  Platter  de  Baie  accomplit 
un  véritable  tour  de  France  après  avoir  achevé  ses  études  à 
Montpellier  ;  il  consigne  par  écrit  les  souvenirs  qu'il  a  recueillis. 
Luc  Geizkofler  qui  vécut  à  Paris  en  1572,  chiffre  à  plus  de 
quinze  cents  le  nombre  des  étudiants  et  voyageurs  allemands 
se  trouvant  dans  la  capitale  au  temps  de  la  Saint-Barthélémy. 
Il  en  désigne  nommément  quelques-uns.  Les  guerres  civiles 
éclatent,  les  voyageurs  allemands  se  raréfient  mais  dès  la  paci- 
fication du  royaume  ils  réapparaissent  en  foule.  Thomas  Platter, 
le  frère  de  Félix,  séjourne  dans  le  Languedoc  pendant  quatre  ans. 
En  compagnie  de  compatriotes  issus  de  la  Suisse  alémanique 
ou  des  autres  pays  d'Empire,  il  visite  Montpellier,  Avignon, 
Marseille,  Toulouse  ;  il  se  rend  aux  foires  de  Beaucaire,  à  Cette, 
à  Aiguës-Mortes  et  termine  sa  randonnée  dans  le  Midi  par  un 
séjour  à  Bordeaux.  Comme  son  frère  l'avait  fait  quarante  ans 
avant  lui,  il  relate,  en  des  pages  curieuses,  les  observations  qu'il 
a  faites  au  cours  de  son  périple  en  France. 

1.  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  du  protestantisme,  t.  VI,  p.  420. 


40  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANGE 

  partir  de  l'avèiu'iiHiit  de  Henri  IV,  le  nombre  des  voyageurs 
allemands  se  multiplie  ;  ils  visitent  aisément  la  France  car  ils 
disposent  de  relations  de  voyages,  de  guides,  d'itinéraires 
rédigés  par  des  compatriotes  soucieux  de  leur  indiquer  les  curio- 
sités naturelles  et  de  leur  donner  des  indications  pratiques 
sur  la  manière  de  circuler  dans  le  pays.  Ils  n'ignorent  pas  que 
l'auberge  de  Bourges  où  ils  seront  le  mieux  accueillis  est  celle 
du  Bœuf  couronné  et  qu'il  leur  faut  descendre  à  Orléans  à  Yllostel 
du  Lansquenet  Allemand.  Pour  avoir  leurs  aises  à  Marseille, 
ils  demanderont  l'hospitalité  à  un  Hollandais  qui  loge  des 
Allemands  et  des  Nurembergeois  ;  il  ne  tient  pas  auberge  mais 
pension  sans  enseigne. 

Avec  son  Itinéraire,  Paul  Hentzner  ouvre  l'un  des  premiers, 
la  série  de  ces  manuels  du  tourisme.  Ce  précepteur  d'un  jeune 
Silésien  voyagea  en  Europe  pendant  quatre  ans  et  séjourna  en 
France  en  1598.  Il  consigna  les  principales  observations  que 
lui  inspirèrent  ses  voyages.  Si  cet  Itinéraire  est  intéressant  déjà, 
il  est  cependant  beaucoup  moins  complet  que  celui  de  Just 
Zinzerling. 

Just  Zinzerling,  également  connu  sous  le  nom  de  Josse  Sin- 
cerus,  parcourut  la  France  au  début  du  xvne  siècle.  Il  y  séjourna 
deux  années  et  laissa,  à  l'usage  des  voyageurs  un  guide  très 
curieux  et  abondamment  fourni  en  renseignements  pratiques. 
Dans  ses  récits,  il  indique  à  ses  compatriotes  les  villes  où  il 
convient  de  séjourner  pour  apprendre  le  français.  Il  leur  conseille 
de  se  fixer  sur  les  rives  de  la  Loire.  Non  seulement  la  langue  y  est 
correcte  mais  le  vin  y  est  excellent.  Chemin  faisant,  il  informe 
les  Allemands  qu'à  Tours,  à  l'auberge  des  Trois-Rois,  ils  trouve- 
ront bon  gîte  et  table  abondante.  La  maîtresse  de  l'hôtel  est 
pleine  d'attention  pour  les  voyageurs  d'outre-Rhin  ;  on  l'a 
même  baptisée  la  «  Mère  des  Allemands  ».  A  Saumur,  le  «  charme 
du  lieu  et  le  bon  marché  de  la  vie  attirent  beaucoup  d'Allemands». 
C'est  à  la  Cloche  perse  qu'il  convient  de  descendre  à  Poitiers  ; 
l'auberge  est  située  en  face  de  la  maison  de  M.  David  Lussant, 
pharmacien,  excellent  homme  et  fort  aimable  pour  les  Alle- 
mands dont  il  parle  la  langue. 

Les  récits  de  Josse  Sincerus  dénotent  le  désir  que  ses  compa- 


VOYAGEURS    ALLEMANDS    EN    FRANCE  41 

triotes  avaient  de  connaître  notre  pays  ;  ils  marquent  l'intérêt 
qu'ils  prenaient  à  savoir  ce  qui  se  passait  en  France  et  per- 
mettent de  se  rendre  compte  du  prestige  dont  elle  jouissait  en 
Allemagne 1. 

Les  Allemands  fourmillent  à  Paris  et  en  France  au  xvne  siècle. 
Oswald  Schwend  est  précepteur,  en  1607,  dans  la  famille  pari- 
sienne des  Lecocq.  Il  possède  un  Album  Amicorum  sur  lequel 
on  relève  de  fort  nombreuses  signatures  apposées  par  ses 
compatriotes  allemands.  Advenant  au  pouvoir,  Richelieu 
réprend  les  traditions  de  François  Ier,  de  Henri  II  et  de  Henri  IV  ; 
il  se  rapproche  des  puissances  protestantes  et  en  protège  les 
sujets.  En  1626,  il  accorde  aux  luthériens  résidant  à  Paris  le 
libre  exercice  de  leur  culte  dans  la  chapelle  de  l'ambassade  de 
Suède.  Le  premier  pasteur  de  cette  église,  Jonas  Hambraeus, 
demandait  aux  fidèles  de  verser  une  cotisation  pour  l'entretien 
de  la  chapelle  et  sollicitait  d'eux  l'apposition  de  leur  signature 
sur  un  registre  monté  par  ses  soins.  Les  feuillets  de  ce  document 
sont  émaillés  de  signatures  de  princes  allemands  ;  par  centaines 
on  y  lit  les  noms  des  représentants  des  familles  souveraines, 
de  jeunes  seigneurs  ou  de.  bourgeois  qui,  accompagnés  de  leurs 
précepteurs  visitent  Paris  et  la  France.  Roderic,  comte  de  Wur- 
temberg, est  mentionné  l'un  des  premiers  sur  le  registre  ainsi 
que  Frédéric,  landgrave  de  Hesse.  Ce  dernier  appartient  à  cette 
nombreuse  famille  dont  plusieurs  membres  furent  des  alliés 
de  la  France,  amis  de  Turc  nue  ou  apparentés  aux  La  Trémoille. 
Des  3.580  noms  de  voyageurs  ou  résidents  qui  ont  fréquenté 
la  chapelle  luthérienne  de  1626  à  1685,  date  à  laquelle  se  clôt 
le  registre  ouvert  par  Hambraeus,  la  plupart  sont  natifs  des 
pays  allemands.  Les  Hohenlohe,  seigneurs  de  Franconie  y  sont 
plusieurs  fois  mentionnés  ;  il  en  est  de  même  des  Bismark  ; 
les  noms  de  von  der  Goltz  voisinent  avec  ceux  de  von  Polentz, 
ceux  de  von  Binau  jouxtent  e<.u\  des  .Junius  Hillebrandl. 

Chaque  année  l'Empire  déverse  sur  la  France  une  fonte  de 
visiteurs  qui  consignent  par  écrit  leurs  observations.  Avant  de 
prendre  en  mains  le  gouvernement   de  ses  Liais  en   (650,  (iuil- 

1.   F,  BruilOt,  Histoire  de  la  Langue  française,  t.  V,  p.  295. 


42  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

laume  VI  le  Juste,  landgrave  de  Hesse  \  vient  en  France  avec 
son  précepteur  Jacob  von  Hofï  ;  il  y  passe  deux  années,  de  1646 
à  1648  et  au  jour  le  jour  compose  son  Franzosischer  Reise  Besch- 
reibung.  Après  un  court  séjour  à  Paris,  il  se  rend  à  Essonne, 
Fontainebleau,  Nemours,  Briare,  Moulins  puis  arrive  à  Lyon 
où  il  rencontre  des  compatriotes,  Rheling,  Froben  et  d'Herwarth. 
Nîmes,  Montpellier,  La  Rochelle  ne  le  retiennent  que  peu  de  jours 
mais  à  Saumur  il  s'arrête  plusieurs  semaines  ;  avec  ses  camarades 
allemands  qui  étudient  à  l'Académie,  il  court  les  prêches  et  les 
sermons  ;  pour  lui  c'est  un  moyen  d'apprendre  la  langue  fran- 
çaise. Enfin  le  10  août  1647  il  part  pour  Paris  où  il  jouit  de  la  vie 
•des  hauts  seigneurs  ;  il  est  émerveillé  de  l'existence  agréable 
qu'on  mène  dans  la  capitale  et  note,  par  des  traits  souvent 
enfantins,  les  faits  qui  lui  semblent  les  plus  dignes  d'être  con- 
servés dans  sa  mémoire  2.  Plus  philosophiques  sont  les  observa- 
tions qu'Abraham  Goelnitz  recueille  et  livre  au  public  sous  le 
titre  d'Ulysses  belgico-gallicus.  Au  cours  de  leurs  randonnées, 
les  Allemands  paient  parfois  un  tribut  d'hommages  à  nos 
grands  hommes  ;  ils  se  détournent  de  leur  route  pour  visiter 
des  villes  auxquelles  se  rattache  un  souvenir  historique  ;  Lim- 
bert,  en  1690,  s'écarte  de  sa  route  pour  se  rendre  à  Richelieu, 
en  Touraine. 

Inconnus  ou  notoires,  les  Allemands  se  plaisent  en  France 
au  xviie  siècle.  Ils  viennent  à  Paris  pour  les  motifs  les  plus  variés. 
Après  le  meurtre  de  Monaldeschi,  on  fait  comprendre  à  Chris- 
tine de  Suède  que  l'on  ne  souhaite  pas  la  voir  à  Paris.  Dans  un 
moment  de  dépit  elle  s'écrie  :  «  Quoy  !  l'on  souffrira  bien  à 
Paris  plus  de  deux  mille  Allemands,  et  l'on  fera  difficulté  d'y 
recevoir  une  ancienne  alliée  !  » 3  Tous  ces  étrangers  viennent  en 
France  pour  compléter  leur  éducation  ou  s'amuser.  En  1657, 
le  duc  de  Simmern  est  logé  à  Y  Académie  du  sieur  Arnolfini. 
«  La  moindre  fréquentation  avec  ce  jeune  seigneur  est  la  meil- 
leure pour  ceux  qui  veulent  profiter,  puisque  outre  qu'il  est  fort 

1.  Guillaume  VI  de  Hesse,  né  en  1629,  mort  en  1663. 

2.  Ch.  Schmidt,  Le  Voyage  d'un  prince  allemand  en  France  de  1646  à  1648,  dans 
Bulletin  de  la  Société  d'histoire  du  protestantisme.  Année  1899,  p.  215. 

3.  P.  Faugère  et  L.  Marillier,  Journal  du  Voyage  de  deux  jeunes  Hollandais  à 
Paris.  Paris,  1899,  p.  368. 


LEIBNITZ    A    PARIS  43 

adonné  au  vin  et  qu'il  se  saoule  souvent,  il  aime  tellement  le  jeu 
qu'il  y  passe  des  nuits  entières.  Il  veut  passer  pour  simple  comtey 
mais  il  est  trop  connu  des  Allemands  qui  se  rendent  en  foule 
dans  cette  Académie  et  qui  croiraient  lui  faire  grand  tort  en  ne 
le  traitant  pas  d'Altesse.  Le  train  qu'il  a  n'est  pas  excessif 
mais  assez  joli,  consistant  en  un  gouverneur,  un  gentilhomme, 
deux  pages,  un  valet  de  chambre  et  deux  laquais  »  K  S'il  existe 
à  Paris  des  groupes  de  jeunes  hommes  vivant  comme  ce  duc  sur 
lequel  des  voyageurs  Hollandais  nous  ont  conservé  ces  pitto- 
resques détails,  d'autres  observent  nos  mœurs,  apprennent  notre 
langue,  suivent  des  leçons  sous  la  conduite  de  leurs  gouverneurs, 
circulent  à  travers  nos  provinces.  Ils  ne  seraient  pas  Allemands 
si,  tout  en  s'instruisant,  ils  ne  comparaient  nos  crûs  et  luti- 
naient  les  belles.  Par  son  manque  d'application  et  son  amour 
des  distractions,  Philippe  Guillaume  de  Boinebourg  désolera 
Leibnitz  lorsque  le  philosophe  s'occupera  de  diriger  l'éducation 
-du  jeune  homme  lors  de  son  séjour  à  Paris. 

C'est  au  printemps  de  l'année  1672  que  Leibnitz  arriva  à 
Paris  ;  il  y  devait  passer  quatre  années  consécutives,  interrom- 
pant seulement  son  séjour  par  quelques  courts  voyages.  Le 
philosophe  venait  en  France  dans  l'espoir  de  détourner  vers 
l'Egypte  les  armées  que  Louis  XIV  se  proposait  de  jeter  sur  la 
Hollande,  il  y  venait  aussi  avec  l'espoir  de  connaître  de  grands 
personnages  et  des  hommes  remarquables,  déclarant  qu'on 
n'en  trouvait  nulle  part  autant  qu'à  Paris.  Durant  son  séjour 
dans  la  capitale  Leibnitz  connut  toutes  les  sommités  du  monde 
savant  ;  dès  son  arrivée  il  se  lia  avec  le  célèbre  physicien  Chris- 
tian Huyghens  que  Colbert  avait  attiré  en  France  depuis  1666. 
A  Paris,  sous  la  direction  de  Huyghens,  en  profitant  des  re- 
cherches de  Pascal  et  en  perfectionnant  l'analyse  de  Descartes, 
Leibnitz  découvrit  le  calcul  infinitésimal,  découverte  qui  révo- 
lutionna les  sciences  mathémathiques.  A  Paris,  également, 
Leibnitz  fit  exécuter  une  machine  à  calculer  plus  complète  que 
celle  inventée  par  Pascal 2. 

1.  P.  Faugère,  op.  cit.,  pp.  327-8. 

2.  L.  Davillé,  Le  séjour  de  Leibnitz  à  Paris  (1672-1676),  dans  Revue  des  Etudes 
historiques,  janvter-févfier  1912,  p.  1. 


44  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Esprit  encyclopédique  Leibnitz  s'intéressa  en  France  à 
toutes  les  branches  de  l'activité  intellectuelle  :  il  s'occupa  de 
mathématiques,  d'histoire,  de  politique,  d'économie  sociale  ; 
la  fréquentation  des  hommes  remarquables  que  rencontrait  le 
philosophe  produisait  dans  son  esprit  un  fourmillement  d'idées 
nouvelles  et  son  séjour  en  France  lui  fut  à  cet  égard  émi- 
nemment profitable.  Leibnitz  conserva  toujours  un  vif  souvenir 
des  quatre  années  qu'il  passa  à  Paris,  «  cette  capitale  du 
monde  savant  aussi  bien  que  du  monde  galant  ».  Les  Alle- 
mands eux-mêmes  reconnaissent  le  profit  que  Leibnitz  tira 
des  quatre  années  qu'il  dépensa  à  Paris.  Kuno  Fischer,  histo- 
rien de  la  philosophie,  écrit  :  «  C'est  à  Paris  qu'il  est  devenu 
un  mathématicien  de  premier  ordre  ;  et,  dans  l'état  où  étaient 
alors  les  choses,  il  n'aurait  pu,  en  Allemagne,  atteindre  cette 
hauteur.  » 

Leibnitz  était  profondément  Allemand  ;  nul  ne  saurait  lui 
reprocher  ses  tendances  patriotiques  ;  mais  alors  que  de  son 
séjour  en  France  il  avait  reçu  un  avancement  intellectuel  que 
ne  peuvent  nier  ses  biographes,  il  se  montra  souvent  gallophobe 
convaincu.  Il  reproche  à  ses  compatriotes  de  se  mettre  à  l'école 
de  la  France,  critique  vivement  l'éducation  et  l'enseignement 
que  reçoivent  les  jeunes  gens  à  Paris  ;  leurs  mœurs  sont  relâ- 
chées, leurs  études  vides  et  trop  peu  élevées.  Leibnitz  se  désole 
de  l'influence  française  sur  les  Allemands.  Il  écrit  :  «  Après  la 
paix  de  Munster  et  celle  des  Pyrénées,  la  puissance  et  la  langue 
française  l'emportèrent.  La  France  se  vantait  d'être  le  siège 
de  toute  l'élégance.  Nos  jeunes  gens,  surtout  notre  jeune  noblesse, 
qui  n'avaient  jamais  connu  leur  patrie  et  admiraient  tout  chez 
les  Français,  non  contents  de  la  rendre  méprisable  auprès  des 
étrangers  les  aidaient  à  la  décrier  et  prenaient  du  dégoût  pour 
leur  langue  et  pour  leurs  propres  mœurs  qu'ils  ignoraient  ; 
ils  eurent  bien  de  la  peine  à  déposer  cette  aversion  après  être 
parvenus  à  l'âge  de  la  maturité  et  du  jugement.  Plusieurs  de 
ces  jeunes  gens...  étant  ensuite  arrivés  aux  dignités  et  aux 
emplois,  gouvernèrent  l'Allemagne  pendant  un  assez  long  espace 
d'années  et  s'ils  ne  la  rendirent  pas  tributaire  de  la  puissance 
française,  il  ne  s'en  fallut  pas  de  beaucoup  ;  ils  la  soumirent  du 


SAVANTS    ALLEMANDS    A    PARIS  45 

moins  presque  entièrement  à  la  langue,  aux  mœurs  et  aux  modes 
de  cette  nation1.  » 

La  méchante  humeur  de  Leibnitz  et  ses  doléances  ne  détour- 
nèrent pas  les  Allemands  du  désir  de  voyager  ou  résider  en 
France.  Plus  nombreux  que  jamais  ils  y  vinrent  aux  xvne 
et  xvme  siècles.  En  1688,  la  guerre  est  déclarée  à  l'Autriche  ) 
on  choisit  des  otages  parmi  les  principaux  seigneurs  autrichiens 
vivant  à  Paris.  En  quelques  jours  on  envoie  à  la  Bastille  les 
comtes  Hubert  et  Charles  d'Althann,  le  comte  de  Sering,  les 
barons  Hoffmann,  de  Mansfeld,  de  Morac,  François  Deyn, 
Eckersberg,  les  comtes  de  Nostiz  et  de  Ruembourg.  Nonobstant 
les  ennuis  qu'ils  .peuvent  éprouver  en  cas  de  guerre,  Allemands 
et  Autrichiens  continuent  à  circuler  en  France  et  à  faire  l'éloge 
de  Paris.  J.  €.  Nemeitz,  conseiller  du  prince  Waldeck,  fait  deux 
voyages  à  Paris,  il  y  séjourne  deux  ans  et  en  1716  publie  Le 
Séjour  de  Paris,  c'est-à-dire  Instructions  fidèles  pour  les  voyageurs 
de  condition.  Dans  son  ouvrage  assez  lu  pour  qu'on  en  donne 
à  Leyde  une  nouvelle  édition  en  1727,  Nemeitz  écrit  :  «  Un 
homme  de  condition  fera  bien  à  mon  avis  de  s'arrêter  à  Paris 
un  an  pour  le  moins.  Ceux  qui  ont  du  temps  et  du  bien  peuvent 
s'arrêter  en  ce  beau  lieu  un  peu  plus  qu'à  l'ordinaire.  Je  suis 
persuadé  qu'en  tel  endroit  du  monde  qu'ils  vivent,  ils  donne- 
ront la  préférence  à  Paris2.  » 

Les  Instructions  de  Nemeitz  constituent  un  véritable  guide  de 
l'étranger.  Il  mentionne  les  meilleurs  hôtels  et  pensions,  indique 
les  monuments,  la  manière  de  les  visiter,  la  façon  de  pénétrer 
dans  les  palais  royaux,  de  se  défendre  contre  les  filous.  Etes-vous 
malade,  vous  devez  vous  adresser  à  M.  Grossen,  de  la  confession 
d'Augsbourg,  à  son  défaut  faites  appeler  M.  Helvétius.  L'œuvre 
de  Ncmcilz  est  remplie  de  conseils  pratiques  auxquels  le  voya- 
geur joint  des  réflexions  personnelles  sur  la  manière  de  se  conduire 
dans  le  monde  parisien. 

Daniel   Hoiïman   vit   avec  les  savants  et  les  médecins.   Il 

1.  Leibnitz,  Œuvres  complètes.  Genève,  1786,  t.  VI,  p.  16-17. 

2.  J.  C.  Nemeitz,  Séjour  de  Paris,  c'est-à-dire  Instruction  /idele  pour  les  Voyageurs 
de  condition...  Leyde,  1727.  —  M.  A.  Franklin  ;i  donné  une  traduction  de  ce  guide 
sous  le  titre  La  Vie  privée  d'autrefois  ;  I.u  Vie  île  l'aris  sous  la  Régence.  Paris, 
1897. 


46  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

publie  à  Francfort  ses  Annotationes  medicœ.  Sturm  édite  les 
souvenirs  d'un  voyage  accompli  en  1719.  Jean  Georges  Keyssler, 
de  Thurnau,  accompagne  en  France  les  jeunes  comtes  de  Giech; 
avec  eux  il  visite  le  pays  et  s'acquitte  si  bien  de  sa  tâche  qu'en 
1716,  M.  de  Bernstorf,  premier  ministre  du  roi  d'Angleterre 
Georges  Ier  en  son  électorat  de  Hanovre,  le  charge  de  l'éducation 
de  ses  fils  ;  avec  eux  de  1729  à  1731,  il  accomplit  une  randonnée 
à  travers  l'Europe  et  revient  en  France.  Il  note  ses  impressions 
en  de  longues  lettres  qu'il  livre  à  la  publicité  en  1740  *. 

L'Autrichien  de  Hartig,  les  Allemands  Volkmann,  Jean 
Willebrandt,  d'Altona,  Henri  Storch,  Friedrich  Schulz  publient 
tour  à  tour  leurs  descriptions,  lettres  et  impressions  sur  Paris 
et  les  provinces.  Études,  plaisirs,  affaires,  les  Allemands  choi- 
sissent tous  les  prétextes  pour  venir  en  France.  Les  uns  circulent 
seuls,  d'autres  sont  accompagnés  de  précepteurs  ;  c'est  en  cette 
qualité  que  Grimm  arrive  en  France.  Les  rapports  des  inspec- 
teurs de  police,  les  chroniques  qui,  au  jour  le  jour,  notent  les 
scandales  de  Paris,  fourmillent  de  renseignements  relatifs  aux 
Allemands  qui  courent  les  coulisses  des  théâtres  ou  fréquentent 
les  mauvais  lieux.  Léopold  Frédéric,  prince  d'Anhalt,  est  l'amant 
de  Mademoiselle  Martiny  ;  le  comte  de  Bentheim,  de  Francfort, 
qui  vit  à  l'hôtel  de  Modène,  entretient  Mademoiselle  Dervieu. 
Mademoiselle  Amédée,  de  l'Opéra,  accorde  ses  faveurs  au  baron 
de  Pretenback,  originaire  de  Saxe.  Il  passe  avec  sa  maîtresse 
plusieurs  années.  Au  Palais-Royal,  bourgeois  et  nobles  alle- 
mands accordent  aux  filles  des  régals  d'argent  et  de  vin  de 
Champagne. 

Pour  avoir  une  idée  du  nombre  d'Allemands  qui  fréquentent 
Paris  au  xvine  siècle,  il  n'est  besoin  d'interroger  des  documents 
variés.  Il  suffit  de  lire  le  Journal  du  graveur  George  Wille. 
«  L'honnête  logis,  l'aimable  école  d'art,  la  bonne  franc-maçonne- 
rie allemande  que  le  numéro  29  du  quai  des  Grands-Augustins. 
Plaisante  maison,  la  maison  de  M.  Wille  !  L'hospitalier  marteau 
soulevé  quarante-trois  ans  par  l'Allemagne  et  le  Danemark 
et  la  Russie  !  »  écrivent  les  frères  de  Goncourt.  Au  vrai,  la  demeure 

1.  Ch.  Pfister,  Description  de  Lunéville,  de  Nancy  et  de  la  Cour  de  Lorraine  en 
1731,  dans  Bulletin  de  la  Société  philomatique  vosgienne.  1909-1910,  p.  6. 


JEAN    GEORGES    WILLE  47 

de  Wille  est  le  rendez-vous  des  Allemands  qui  passent  à  Paris, 
rendent  visite  à  l'artiste,  viennent  voir  ses  œuvres  et  converser 
avec  lui.  Le  prince  d'Anhalt-Dessau,  l'inspecteur  des  musées 
Brinckmann,  Schnop,  marchand  d'estampes,  Kennel,  libraire 
de  Dresde,  Hartmann,  joaillier  de  Munich,  des  seigneurs,  des 
marchands  peuvent  se  rencontrer  chez  Wille  avec  la  foule  des 
peintres,  littérateurs,  graveurs,  musiciens,  ébénistes  allemands 
dont  Paris  foisonne.  A  certains  jours,  on  dresse  la  table  et  les 
choucroutes  préparées  par  Madame  Wille  ou  apportées  d'Alle- 
magne par  des  amis  sont  arrosées  de  bière  mousseuse  ou  de  ces 
jolis  vins  pétillants  récoltés  sur  les  plateaux  mosellans.  Nul 
Allemand  de  marque  ne  séjourne  à  Paris  sans  franchir  le  seuil 
de  l'atelier  de  Wille  ;  c'est  par  centaines  que  se  comptent  les 
Allemands  dont  le  graveur  note  avec  complaisance  les  visites 
amicales.  Les  princes  et  princesses  d'outre-Rhin  sont  constam- 
ment à  Paris.  Charles-Frédéric  de  Bade  assiste  avec  sa  famille 
aux  séances  de  l'Académie  de  peinture.  Sa  femme,  Caroline- 
Louise,  vit  sur  les  bords  de  la  Seine  ;  elle  achète  des  œuvres 
d'art,  attire  des  artistes  à  Carlsruhe  ;  lorsqu'elle  ne  peut  visiter 
le  Salon  de  peinture,  elle  s'en  fait  décrire  les  plus  beaux  mor- 
ceaux par  son  ami  Dupont  de  Nemours  l. 

A  Ferney,  Voltaire  offre  l'hospitalité  aux  sujets  de  Frédéric 
et  des  Électeurs. 

Trudaine,  Greuze,  Helvétius,  le  banquier  Baur  qui  se  flatte 
de  recevoir  à  sa  table  les  têtes  couronnées,  accueillent  à  Paris  les 
notabilités  allemandes.  Le  duc  de  Brunswick  se  rend  incognito 
chez  Diderot  lors  de  son  séjour  à  Paris  2.  Grimm  et  Rousseau 
rencontrent  chez  le  baron  de  Thun  le  joyeux  Klupfel,  précep- 
teur du  baron.  Tandis  qu'il  habite  avec  Thérèse  à  V Hôtel  du 
Languedoc,  Jean-Jacques,  Grimm  et  Klupfel  deviennent  bons 
compagnons  ;  les  «  fines  et  folles  polissonneries  »  de  l'Allemand 
égayent  leurs  repas  ;  ensemble  ils  partagent  la  même  maîtresse 
que  Thérèse,  un  peu  bête,  a  surnommé  la  «  Papesse  Jeanne  » 8. 


1.  Karl  Obscr,  Lettres  de  Du  Pont  de  Nemours  à  la  margrave  Caroline  Louise  de 
Bade.  Paris,  1909. 

2.  Correspondance  de  Diderot,  Grimm.. .,  édition  Tourncux,  t.  VII,  p.  295. 

3.  Jbid.,  t.  XVI,  p.  506. 


48  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Il  n'est  de  véritable  gloire  sans  la  consécration  de  la  société 
de  Paris.  De  Vienne,  arrive  M.  de  Kempell,  inventeur  d'un  auto- 
mate qui  joue  seul  aux  échecs  1  ;  Berlin,  Munich,  les  grandes  et 
petites  villes  d'Allemagne  déversent  chaque  semaine  un  flot 
de  visiteurs  désireux  de  connaître  la  France  ou  de  faire  appré- 
cier leurs  talents  variés. 

Les  événements  de  1789  n'arrêteront  pas  le  flot  des  voyageurs 
allemands  en  France  ;  beaucoup  viendront  encore  pour  faire 
sur  place  des  enquêtes  personnelles  sur  l'état  des  esprits  à  Paris 
et  dans  les  villes  importantes.  Le  musicien  Reichardt  passe 
à  Lyon  et  à  Paris  l'année  1792,  fréquente  les  clubs  ;  il  y  retrouve 
quelques  compatriotes  2.  Au  printemps  de  1793,  les  Prussiens 
et  les  Autrichiens  reprennent  l'offensive  contre  la  France  révo- 
lutionnaire ;  des  Mayençais  et  des  Rhénans  compromis  s'en- 
fuient à  Paris.  Le  plus  illustre  d'entre  eux,  le  naturaliste  Georges 
Forster,  qui  avait  accompagné  Cook  dans  son  voyage  autour 
du  monde,  les  réunit  en  une  société  politique  qui  suit  les  séances 
rue  de  la  Jussienne.  D'autres  patriotes  allemands  émigrés 
à  Paris  se  joignent  à  eux  :  Cotta  le  fils  du  grand  libraire  de  Stutt- 
gart, Dorsch  et  Hoffmann  qui  s'étaient  disputé  la  direction 
du  club  de  Mayence  pendant  l'occupation  française. 

Ainsi  pendant  cinq  siècles,  étudiants  et  voyageurs  allemands 
ont  passé  le  Rhin  pour  étudier  en  France.  De  cette  foule 
d'hommes  jeunes,  quelques-uns  sont  demeurés  définitivement 
dans  le  royaume  ;  d'autres  sans  doute  n'ont  fait  que  passer 
mais  il  est  à  supposer  qu'ils  ont  laissé  parmi  nous  des  descen- 
dants illégitimes  et  ont  ainsi  contribué  à  accroître  la  popula- 
tion du  pays. 

1.  Ibid.,  t.  XIII,  p.  354. 

2.  A.  Laquiante,  Un  Prussien  en  France  en  1792,  Lettres  intimes  de  Reichardt. 
Paris,  1912. 


CHAPITRE  III 


I.  Imprimeurs  et  libraires  allemands.  —  II.  François  Ier  et  l'Allemagne.  —  III.  Ban- 
quiers  allemands   de   Lyon. 


Au  xvie  siècle  une  découverte  nouvelle  prend  naissance  en 
Allemagne  et  les  initiés  à  l'invention  de  Gutenberg  se  répandent 
à  travers  l'Europe  civilisée  pour  fonder  des  imprimeries  et 
faire  connaître  aux  peuples  l'art  de  propager  aisément  la  pensée 
humaine.  En  France,  typographes,  graveurs  sur  bois,  fondeurs 
de  caractères,  libraires  d'origine  allemande  seront  spécialement 
nombreux  pendant  plus  d'un  siècle  et  demi  ;  ils  fonderont  de 
véritables  dynasties  dont  les  descendants  s'assimileront  à  la 
population  autochtone. 

Attirés  tout  d'abord  par  les  deux  grands  centres  intellectuels 
et  commerciaux  :  Paris  et  Lyon,  les  imprimeurs  allemands 
essaiment  ensuite  dans  d'autres  cités  importantes  puis  vers  des 
villes  peu  considérables.  Presque  toujours  ils  s'allient,  sinon  dès 
la  première,  du  moins  dès  la  seconde  génération,  à  des  familles 
françaises  et  demeurent  dans  la  région  qu'ils  ont  adoptée  comme 
patrie  d'élection. 

Le  premier  typographe  allemand  dont  on  rencontre  le  nom 
en  France  est  Waldvogel.  Il  avait  sans  doute  travaillé  avec 
Gutenberg  et  lui  avait  ravi  une  partie  de  ses  secrets.  C'est  à 
Avignon  qu'on  le  trouve  en  1444  ;  il  y  grave  des  caractères 
mobiles,  construit  une  presse  et  imprime.  Les  documents  publiés 
sur  cet  imprimeur  jadis  inconnu  et  qui  ont  reculé  de  près  de 
trente  ans  la  date  de  l'apparition  de  l'imprimerie  en  France 
ne  sont  malheureusement  pas  suffisamment  explicites  pour  per- 

4 


50  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

mettre  d'affirmer  qu'il  fit  des  élèves  et  l'on  ignore  quelles  ont  pu 
être  les  impressions  qu'il  a  effectuées  l. 

C'est  seulement  en  1466  que  l'on  vit  venir  à  Paris  Jean  Fust, 
associé  de  Gutenbergr.il  y  séjourna  deux  ans  pour  y  vendre 
ses  livres  puis,  ayant  confié  le  soin  de  la  vente  à  Hermann  de 
Stadborn,  il  rentra  en  Allemagne  en  1468.  Deux  ans  après, 
à  la  demande  de  Johann  Heglin,  prieur  en  Sorbonne,  s'instal- 
laient à  Paris  l'Alsacien  Michel  Friburger  et  les  Allemands 
Ulrich  Gering  et  Martin  Krantz.  Les  trois  associés  montèrent 
leurs  presses  en  Sorbonne  mais  en  1472,  ils  déménageaient  et 
slntallaient  au  Soleil  d'or,  rue  Saint- Jacques.  En  1477,  Fri- 
burger et  Krantz  disparaissent,  Gering  demeure  seul  pendant 
trente  mois  puis  s'associe  avec  Georges  WollT  et  Berthold  Renbolt. 
Naturalisé  en  1475,  Gering  vécut  jusqu'en  l'année  1510  ;  par  testa- 
ment il  légua  ses  biens  à  la  Sorbonne  et  au  collège  Montaigu. 

Dès  la  fin  du  xve  siècle  d'autres  imprimeurs  allemands  se 
fixent  à  Paris.  Jean  Hygman  imprime  en  Sorbonne  en  1484; 
cinq  ans  plus  tard,  il  transporte  ses  presses  rue  Saint- Je  an-de- 
Beauvais  puis  s'associe  avec  le  Hollandais  Wolfang  Hopyl. 
Hygman  s'était  marié  en  France  ;  sa  veuve  Guyonne  Viart 
devint  en  1501  la  femme  d'Henri  Etienne.  De  son  mariage 
Hygman  avait  eu  deux  enfants  :  Geneviève  qui  s'allia  à  un  typo- 
graphe et  Damien  qui  fut  libraire  juré  à  Paris  en  1523. 

Parmi  les  premiers  imprimeurs  allemands  établis  à  Paris 
figure  Thomas  Kees,  de  Wesel  ;  ses  presses  étaient  situées  rue 
des  Carmes.  Hans  de  Coblentz  exerça  la  profession  de  typo- 
graphe entre  les  années  1495  et  1509  ;  il  demeurait  rue  de  la 
Harpe,  à  l'enseigne  de  YAsne  rayé.  Cette  adresse  se  trouve  men- 
tionnée sur  un  opuscule  imprimé  en  1499  pour  Thielman  Kerver  ; 
elle  rappelle  le  succès  considérable  que  le  peuple  de  Paris  avait 
fait  à  un  zèbre  qui  avait  été,  pour  la  première  fois,  exhibé  à  la 
foire  Saint-Germain  2. 


1.  Abbé  Requin,  L' imprimerie  à  Avignon  en  1444.  Paris,  1890. 

2.  Sur  tous  ces  points  cf.  Glaudin,  Histoire  des  origines  de  l'Imprimerie  en  France. 
—  Ph.  Renouard,  Documents  sur  les  imprimeurs, -libraires,  car  tiers.,  graveurs...  ayant 
exercé  à  Paris  de  1450  à  1600,  dans  Mémoires  de  la  Société  d'histoire  de  Paris.  — 
Lépreux,  Gallia  typographica.  —  Voir  aussi  les  travaux  parus  dans  la  Revue  des 
Bibliothèques,  le  Bulletin  du  Bibliophile  et  du  Bibliothécaire,  etc.. 


TYPOGRAPHES    ALLEMANDS    A    LYON  51 

De  bonne  heure  Lyon  compta  aussi  un  cercle  d'imprimeurs 
et  de  libraires  originaires  d'outre-Rhin.  De  1478  à  1504,  travaille 
à  Lyon  Jehan  Siber,  connu  sous  le  nom  de  Jean  l'Allemant  ; 
dans  les  premiers  temps  de  son  installation  il  fut  associé  à  Martin 
Husz,  natif  de  Botwar  en  Wurtemberg,  que  le  chapitre  de  Lyon 
chargea,  en  1499,  d'imprimer  le  Missel  de  son  église.  Jean  Neu- 
meister,  natif  de  Mayence  se  fixa  à  Lyon  puis,  après  avoir  été 
fonder  une  imprimerie  à  Albi,  revint  à  Lyon  où  il  fut  successi- 
vement connu  sous  les  noms  de  Jean  d'Albi  et  de  Jean  Arby. 
Marc  Reinhard,  associé  de  Pistoris,  le  fameux  Schabler,  Sixte 
Glocken  Giesser,  dit  Campanaire,  Jean  Fabre  ou  le  Farsan, 
Jacques  de  Heremberch,  associé  de.  Michel  Topié  comptent 
parmi  les  premiers  typographes  allemands  implantés  à  Lyon. 
Gaspard  Hortuin,  «  impresseur  de  livres,  allemant  »,  épouse 
à  Lyon  la  fille  de  Claude  Perret,  pelletier  ;  il  était  associé  avec 
Pierre  Schenck.  Jean  Fyrober  avait  pris  avec  lui  François 
Fradin.  Jean  Klein,  parfois  appelé  Hans  Schwab,  exerçait  à 
Lyon  la  profession  d'imprimeur  ;  il  avait  épousé  la  veuve  du 
célèbre  Jean  Trechsel  dont  les  deux  enfants  mâles,  Melchior  et 
Gaspard  continuèrent  à  diriger  la  maison  paternelle  tandis 
que  la  belle  Julie,  leur  sœur,  épousait  le  fameux  Josse  Bade. 

Cyriaque  Hochberg,  connu  aussi  sous  le  nom  de  Gobert, 
était  un  remarquable  libraire  si  l'on  en  croit  la  dénomination 
de  «  Bibliopolarum  optimus  »  figurant  sur  le  collophon  de  Y  Enéide 
imprimé  par  Saccon,  en  1517.  Nicolas  Wolfî  ou  Nicolas  Lupi, 
originaire  de  Brunswick  était  fondeur  de  caractères.  Je  ne  saurai 
insister  sur  tous  les  Aleman,  Lallemand  ou  L'Allemant  dont  le 
président  Baudrier  a  relevé  la  présence  à  Lyon  dans  sa  remar- 
quable Bibliographie  lyonnaise  ;  ils  sont  si  nombreux  qu'il  est 
préférable  d'étudier  leur  rôle  en  parcourant  cette  œuvre  fort 
complète  K 

Les  imprimeurs  lyonnais  avaient  formé  des  élèves  qui  essai- 
mèrent dans  le  Midi  de  la  France.  Jean  Neumeister  établit  des 
presses  à  Albi  ;  Michel  Svieler,  d'Ulm,  associé  de  Jean  Walthar, 
imprimeur  souabe,  passa  un  contrat  avec  les  Jurats  de  Bor- 

1.  Président  Baudrier,  Bibliographie  lyonnaise,  10  vol.  passim. 


52  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

deaux  en  1486  pour  la  fondation  d'une  imprimerie  mais  cette 
convention  n'eut  pas  de  suite  *.  En  1517  Jean  Maurus  originaire, 
de  Constance,  en  Souabe,  appelé  par  l'évêque  de  Bazas,  Amanieu 
d'Albret,  ouvrit  une  imprimerie  à  la  Réole  2.  Jean  Teutonicus 
importa  l'imprimerie  à  Toulouse  3.  Le  fameux  Schabler  possédait 
à  Nantes  une  succursale  de  sa  maison  et  il  la  visitait  de  temps 
à  autre. 

Bien  que  le  nombre  des  imprimeurs  allemands  ait  peut-être 
été  moins  considérable  à  Paris  qu'à  Lyon,  l'art  typographique 
s'y  développa  rapidement.  Gering  avait  initié  quelques  compa- 
triotes à  la  découverte  de  Gutenberg  :  parmi  eux  figurent 
Kaiser,  connu  sous  le  nom  de  Cœsaris,  Jean  Stoll,  Pierre  Schœf- 
fer,  Conrad  Hannequis,  Jean  Higman.  Tous  exercèrent  leur  art 
sous  les  règnes  de  Louis  XII  et  de  François  Ier.  Dès  les  débuts 
de  l'introduction  de  l'imprimerie  en  France,  Louis  XI  avait 
favorisé  l'établissement  des  typographes  étrangers  dans  la. 
royaume.  Hermann  Stathoen,  dépositaire  des  impressions  de 
Schœfïer  et  d'Hannequis,  étant  décédé,  les  officiers  du  roi 
avaient  saisi  ses  biens  en  vertu  du  droit  d'aubaine.  Sur  réclama- 
tions des  deux  imprimeurs,  le  roi  ordonna  de  leur  restituer 
2.425  livres,  prix  des  volumes  confisqués.  Le  Père  des  Lettres 
accorda  également  des  privilèges  aux  typographes  étrangers 
et  aux  fondeurs  de  caractères  qui  se  fixèrent  à  Paris.  Sous  son 
règne,  Néobar  Conrad,  imprimeur  en  lettres  grecques  reçut 
maintes  faveurs  et  fut  naturalisé  4. 

Favorisés  par  la  royauté,  les  typographes  d'origine  allemande 
ont  parfois  constitué  de  véritables  dynasties  ;  les  bibliophiles 
connaissent  tous  les  belles  impressions  des  Kerver  et  des  Gry- 
phius.  Les  Kerver  ont  été  célèbres  au  temps  de  François  Ier 
et  de  Henri  II  ;  les  impressions  gothiques  de  Michel  et  de  Thiel- 
man  Kerver  ont  fondé  leur  notoriété.  Toute  la  famille  des  Kerver 
avait  émigré  en  France  ;  Marguerite  s'y  maria,  sa  sœur  Madeleine 
épousa  Thomas  de  Bragelongue,  conseiller  au  Châtelet  et  bailli 

1.  E.  Gaullieur,  L'imprimerie  à  Bordeaux  en  1486.  Bordeaux,  1869. 

2.  J.  Delprt.  Origines  de  V Imprimerie  en  Guyenne.  Bordeaux,  1869,  p.  13. 

3.  Histoire  générale  du  Languedoc,  t.  VII.  —  Desburaux-Bernard,  Mémoire  sur 
les  débuts  de  l'imprimerie  à  Toulouse. 

4.  Catalogue  des  actes  de  François  7*  ,  t.  III,  acte  10672  ;  t.  VII,  acte  27025. 


TYPOGRAPHES    ALLEMANDS    A    PARIS  53 

du  Chapitre  de  Paris.  Longtemps  subsistèrent  en  France  des 
Kerver,  descendants  de  cette  famille  d'illustres  typographes. 

Très  notoires  aussi  furent  les  Greiff.  Sébastien,  né  à  Reutlin- 
gen,  en  Souabe  en  1493,  se  fixa  d'abord  à  Lyon.  Sa  première 
impression  date  de  1524.  Naturalisé  en  1532  il  mourut  en  1556 
sans  postérité  directe.  Son  successeur,  Antoine  Greifî,  dit  Gry- 
phius,  son  neveu  ou  son  fils  naturel,  transporta  à  Paris  le  siège 
de  ses  affaires  et  il  y  jouit  d'une  réputation  méritée. 

Dans  quelques  villes  de  France  fréquentées  par  les  étudiants 
allemands  s'établirent  également  des  imprimeurs  et  des  libraires 
d'outre-Rhin.  Toutefois,  le  mouvement  d'immigration  des 
imprimeurs  se  ralentit  vers  le  milieu  du  xvie  siècle  ;  s'il  en  advint 
encore  quelques-uns,  ils  ne  furent  plus  pour  les  Français  des 
éducateurs  car  depuis  longtemps  déjà  les  élèves  étaient  passés 
maîtres. En  alliant  au  bon  goût  l'érudition  dont  ils  étaient  pour- 
vus, en  abandonnant  le  caractère  gothique  que  les  premiers 
typographes  allemands  avaient  essayé  de  nous  imposer,  les 
imprimeurs  français  avaient  doté  le  pays  d'éditions  parfaites 
que  l'on  recherche  encore  de  nos  jours. 

Aux  xviie  et  xvme  siècles,  quelques  libraires  d'origine  alle- 
mande se  fixent  encore  en  France  mais  ils  sont  loin  d'avoir  la 
notoriété  de  leurs  devanciers.  Ce  sont  surtout  des  commerçants 
dans  le  genre  d'Arnold  Sittart,  par  exemple.  Ce  libraire,  né  à 
Cologne,  exerça  à  Paris  de  1581  à  1613,  rue  Saint- Jean-de- 
Latran.  Sa  femme,  Denyse  Cavellat  lui  succéda  après  sa  mort  ; 
quelques  années  après  André  Sittart  reprit  la  maison  paternelle 
et  fut  reçu  libraire  juré  du  roi.  Jacques  Hovervoge,  natif  de 
Cologne,  naturalisé  en  1624,  tenait,  rue  Saint-Jacques,  boutique 
à  l'enseigne  de  la  Ville  de  Cologne.  Il  édita  un  fort  curieux  plan 
de  Paris  orné  de  planches  gravées  l.  L'histoire  de  l'imprimerie 
et  de  la  librairie  contient  encore  d'autres  indications  relatives 
aux  imprimeurs  allemands  établis  à  Paris  mais  depuis  la  fin  du 
xvie  siècle,  on  peut  considérer  comme  close  l'ère  de  la  grande 
immigration  des  typographes  d'outre-Rhin. 

A  n'en  pas  douter  les  Allemands  ont  été  en  France  les  instiga- 

1.  J.  Guifïrey  a  publié  la  letttt  ci»"  naturalisation  dans  Nouvelles  Archives  de 
l'Art  français.  Année  1872,  p.  219. 


54  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

teurs  de  l'art  typographique  ;  la  pénétration  de  ces  étrangers 
dans  le  royaume  nous  a  été  profitable.  En  effet  beaucoup  d'entre 
ceux  qui  passèrent  en  France  à  la  fin  du  xve  siècle  et  sous  le 
règne  de  Louis  XII  et  de  François  Ier  se  sont  assimilés  à  notre 
population.  Pour  s'en  apercevoir  il  n'est  que  de  relire  les  savantes 
notices  que  Claudin,  Raynouard,  Baudrier  et  d'autres  érudits 
ont  consacrées  aux  imprimeurs  allemands.  De  même  que  les 
typographes  italiens  établis  à  Paris,  à  Lyon,  à  Rouen  s'alliaient 
à  des  familles  du  pays,  les  Allemands  prenaient  femme  dans  les 
villes  où  ils  avaient  fondé  leur  industrie  ;  leurs  descendants 
devenaient  de  fidèles  sujets  du  roi. 

Il  est  curieux  d'ailleurs  de  noter  à  quels  mouvements  de 
migration  donna  lieu  l'art  de  l'imprimerie  :  si  la  France  a  reçu 
des  Allemands  et  des  Italiens,  elle  a  vu  nombre  de  ses  enfants 
s'expatrier  pour  se  rendre  à  Venise,  à  Anvers  ou  en  Espagne  : 
les  typographes  érudits  du  xvie  siècle  n'ont  pas  connu  les  fron- 
tières et  en  vrais  humanistes,  ils  semblent  avoir  pris  pour  devise 
le  vieux  mot  d'Horace  :  Ubi  bene,  ibi  patria. 


II 


La  politique  de  François  Ier  à  l'égard  de  l'Allemagne  comporte 
deux  phases  ;  la  première  s'étend  de  son  avènement  au  trône 
jusqu'à  l'élection  de  Charles-Quint  à  l'Empire;  la  seconde 
comprend  la  période  qui  s'écoule  entre  la  réunion  de  la  diète 
de  Francfort  jusqu'à  la  mort  du  roi. 

A  quelque  moment  que  l'on  envisage  la  politique  de  Fran- 
çois Ier,  l'on  constate  qu'elle  a  dû  inciter  nombre  d'Allemands 
à  s'établir  dans  son  royaume  car  il  ne  leur  a  jamais  marchandé 
sa  protection.  Antérieurement  à  la  réunion  de  la  Diète  de  Franc- 
fort tous  les  efforts  de  François  Ier  tendent  à  se  gagner  des  sympa- 
thies parmi  les  électeurs  et  leur  entourage.  «  Je  veux  qu'on  soulle 
de  toutes  choses  le  marquis  Joachim  de  Brandebourg  »  \  écrit  le 

1.  E.  Waddington,  Instructions  données  aux  Ambassadeurs  de  Prusse.  Paris. 
Introduction,  p.  18. 


LES    VALOIS    ET    l' ALLEMAGNE  55 

roi  à  son  ambassadeur  et  cette  phrase  de  François  Ier  peint  sa 
politique  allemande.  Par  ses  libellistes  à  gages,  le  roi  tente  de 
gagner  les  sympathies  des  peuples  d'outre-Rhin.  Il  va  même 
jusqu'à  proclamer  que  «  les  mœurs  et  façons  de  vivre  d'Espai- 
gnols  ne  sont  conformes  ains  totallement  contraires  à  celles  des 
Allemands  ;  au  contraire,  la  nation  française  quasy  en  tout  se 
conforme  à  celle  d'Allemagne;  aussy  en  est-elle  venue  et  yssue, 
c'est  assavoir  de  Sicambre,  comme  les  historiographes  anciens 
récitent 1.  » 

Pour  bien  marquer  qu'il  n'établissait  pas  de  différence  entre 
Français  et  Allemands  le  roi  accueillait  avec  faveur  artistes, 
capitaines,  lansquenets,  négociants,  étudiants,  ambassadeurs 
qui  visitaient  le  royaume  ou  se  fixaient  en  France.  Il  les  «  réga- 
lait »  de  pensions,  leur  accordait  faveurs  et  privilèges  ;  avec  lar- 
gesse, il  leur  octroyait  des  lettres  de  naturalité. 

Après  son  échec  à  la  Diète  de  Francfort,  les  bonnes  disposi- 
tions de  François  Ier  à  l'égard  des  Allemands  ne  se  modifièrent 
pas  sensiblement.  Au  cas  d'un  accident  ou  d'un  décès  possible 
de  Charles-Quint,  ne  convenait-il  pas  de  conserver  les  bonnes 
grâces  des  électeurs  et  des  sujets  de  l'Empire  ?  Par  ailleurs, 
et  pour  faire  pièce  à  l'empereur,  François  Ier  ne  s'était-il  pas 
institué  le  défenseur  des  petits  princes  luthériens  soucieux  de 
défendre  les  «  libertés  germaniques  »  contre  les  envahissements 
politiques  et  religieux  de  Charles-Quint  ?  Dans  la  partie  qui  se 
joue  entre  les  Valois  et  les  Habsbourg,  le  protestantisme  alle- 
mand n'est  point  un  élément  négligeable.  Allié  des  infidèles, 
le  roi  très-chrétien  devait  éprouver  moins  de  scrupules  encore 
à  se  faire  l'allié  des  hérétiques  ;  ceux-ci,  comme  protestants 
et  comme  princes  étaient  les  ennemis  nés  de  l'empereur,  aussi, 
même  aux  époques  où  il  persécute  chez  lui  les  réformés,  Fran- 
çois Ier  caresse  les  luthériens  d'Allemagne  2. 

Cette  ligne  de  conduite  du  roi  contribua  à  attirer  en  France 
des  Allemands  qui  estimaient  pouvoir  vivre  librement  dans  uh 


1.  Journal  de  Ji<iril(<>n,  édition  de  la  Société  d'histoire  de  France,  t.  II.  p.  126, 
Persuasions  remises  à  Joachim  de  Moltzan,  année  L519 

'1.  H.  Hauscr,  Manuel  des  Sources  de  V Histoire  de  h'i once  au  XVI*  siècle.  Paris, 
Fasc.  II,  p.  5. 


56  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

pays  à  la  tête  duquel  était  un  souverain  dont  l'esprit  de  tolé- 
rance religieuse  leur  apparaissait  plus  large  qu'il  ne  l'était  en 
réalité.  Le  simple  examen  du  Catalogue  des  Actes  de  François  Ier 
montre  que  si  les  Allemands  n'ont  pas  joui  sous  son  règne  d'une 
faveur  absolument  égale  à  celle  dont  profitèrent  Italiens  et 
Espagnols,  ils  n'en  furent  pas  moins  bien  traités. 

Aux  ambassadeurs  servant  le  souverain  sont  accordées  grâces 
et  pensions.  Sleidan,  Jean  de  Moltzan,  qui  dissimulé  sous  le  nom 
de  capitaine  Jacob,  accompagne  Bonnivet  à  la  diète  de  Francfort 
sont  récompensés  par  des  dons  d'argent.  Des  simples  chargés 
d'affaires  comme  Adam  de  Danglein  reçoivent  des  chaînes 
d'or:  Des  lettres  de  naturalité  sont  données  à  des  Allemands. 
Jean  Lumbre,  page  de  l'écurie  du  roi,  Conrad  Resch,  Pierre  de 
Vaudebourg,  fauconnier  de  Charles  Chabot,  Heliguer  Ulrich, 
natif  de  Bavière  et  valet  de  chambre  du  comte  de  Laval  ;  Hugo, 
argentier  du  duc  de  Guise,  Thomas  Grasset,  Gonnin  Faure, 
«  marchand  des  parties  d'Allemaigne  »,  Catherine  Fischel, 
hôtelière  à  Lyon  obtiennent  leur  naturalisation.  Le  roi  est  grand 
chasseur,  il  aime  les  belles  armes  ;  des  Allemands  il  acquiert 
armures  et  épées  ;  pour  lui  ils  dressent  des  faucons,  des  oiseaux 
de  proie,  ils  lui  offrent  des  boucs  «  d'étrange  pelage  »  ;  ils  occupent 
des  situations  dans  les  offices  de  la  vénerie.  Hans  de  Pontgrafï, 
natif  de  Nuremberg,  demeurant  à  Tours  est  sommelier  d'armes 
du  roi  ;  Benedict  Clesis  est  armurier  du  roi.  Jean  Damours 
est  chargé  de  la  fauconnerie.  Josse  Kalbermaster  recherche 
pour  François  Ier  des  animaux  rares.  Tous,  bien  entendu, 
reçoivent  traitements  et  gratifications  au  même  titre  que  les 
multiples  étrangers  qui  composent  la  maison  royale.  François  Ier 
fait  travailler  des  artistes  allemands.  Hans  Schwarz,  médailleur, 
vient  à  Paris  en  1527  ;  il  exécute  les  profils  du  roi,  du  dauphin 
et  de  divers  autres  personnages. 

A  des  savants  ou  des  imprimeurs  d'origine  germanique, 
François  Ier  octroie  faveurs  et  lettres  de  naturalité.  Parmi  les 
médecins  de  sa  maison  figure  un  homme  qui  a  laissé  une  réputa- 
tion d'anatomiste  et  d'helléniste  :  Jean  Gonthier  d'Andernach. 

1.  Catalogue  des  Actes  de  François  Ier.  Cf.  aux  noms  cités. 


FRANÇOIS    Ier    ET    LES    ALLEMANDS  57 

Jean  Gonthier  était  né  en  1487  à  Andernach,  dans  l'évêché 
de  Cologne.  Dès  sa  douzième  année  il  porta  ses  pas  vers  Utrecht, 
y  étudia  les  belles  lettres  et  la  langue  grecque  ;  de  là  il  passa 
à  Deventer  puis  arriva  à  Paris  en  1525.  Il  suivit  les  leçons  de  la 
Faculté  de  médecine,  fut  reçu  bachelier  en  1528  et  docteur 
en  1530.  Sa  réputation  de  savant  était  déjà  si  bien  établie  que 
François  Ier  lui  donna  une  place  parmi  ses  médecins.  Cette 
situation  n'occupait  pas  Gonthier  d'Andernach  au  point  de 
ne  lui  laisser  des  loisirs.  Il  les  utilisa  à  étudier  l'anatomie  et 
à  l'enseigner  aux  autres  ;  il  fit  faire  à  cette  science  des  pro- 
grès considérables  et  forma  des  élèves  :  Rondelet  entre  autres 
et  Vesale,  dont  le  nom  fait  époque  dans  l'histoire  de  l'anatomie. 
Gonthier  perpétua  ses  leçons  dans  plusieurs  ouvrages  ;  il  publia 
notamment  en  1536  un  Traité  élémentaire  d'anatomie.  Tout  en 
s'adonnant  spécialement  à  l'étude  de  la  structure  du  corps 
humain,  Gonthier  d'Andernach  ne  négligea  point  les  autres 
parties  de  la  médecine  ;  il  étudia  la  botanique,  non  pas  dans  les 
traités  de  Théophraste  ou  de  Dioscoride  mais  dans  la  nature. 
La  connaissance  des  langues  anciennes  ne  servit  pas  seulement 
au  médecin  de  François  Ier  à  traduire  et  commenter  les  ouvrages 
de  Gallien  ;  en  1536  il  enseignait  la  langue  grecque  à  Paris 
et  recevait  même  des  appointements  pour  l'exercice  de  cette 
profession. 

Bien  qu'il  eut  été  comblé  d'honneurs  par  François  Ier  et  eut 
pris  à  Paris  la  première  de  ses  trois  femmes,  Gonthier  ne 
termina  point  ses  jours  à  la  cour.  Ayant  embrassé  la  religion 
réformée,  il  jugea  prudent  de  se  retirer  à  Metz  d'abord,  à 
Strasbourg  ensuite.  Il  y  devint  professeur  et  y  mourut  en  1574  K 

A  côté  de  dispositions  prises  en  faveur  d'Allemands  nom- 
mément désignés,  le  roi  signe  lettres-patentea  et  ordonnances 
d'un  caractère  général  dont  profitent  ces  étrangers.  11  interdit 
le  port  des  arquebuses  mais  permet  celui  des  pistolets  d'Alle- 
magne 2  ;  il  attire  de  l'Est  des  ouvriers  pour  prospecter  le  sous- 
sol  français.  Jean  des  Essarls  reçoH    112  1.  10  s.  pour  l'aider  à 

1.  !..  Il<n  ni).  Bluff  historique  de  J.  Gonthier  d'Andrrnarh,  médecin  ordinaire 
de  PrançoU  I  r.  I';i ris,  17G5. 

2.  Catalofftf  du  Actes  de  François  /or,  tt«  . 


58  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

nourrir  les  mineurs  allemands  qui  travaillent  en  Normandie  1  ; 
François  Ier  concède  des  exploitations  métalliques  à  des  Saxons 
et  à  des  Wurtembergeois. 

Les  hommes  d'armes  qui  secondent  le  roi  sont  courtoisement 
accueillis  ;  ils  reçoivent  des  récompenses  en  terres  et  hôtels. 
Un  seigneur  de  RichoufTtz,  neveu  du  duc  de  Gueldres,  envoyé 
au  secours  de  François  Ier,  est  si  bien  traité  qu'il  se  marie  en 
France,  acquiert  des  propriétés  dans  l'Auxerrois  et  fonde  un 
foyer  dans  le  royaume  2.  René  de  Guelphe,  gentilhomme  de  la 
Chambre,  capitaine  de  1.000  hommes  de  pied  avait  accompli 
diverses  missions  pour  le  roi.  En  récompense  de  ses  bons  offices, 
il  reçut  la  terre  de  Nesle,  au  duché  d'Orléans  et  obtint  l'autorisa- 
tion de  chercher,  d'ouvrir  et  d'exploiter  dans  le  royaume  et 
autres  pays  appartenant  au  roi  les  mines  d'or  et  d'argent  et 
autres  métaux  pendant  trois  ans.  En  même  temps  que  cette 
concession  le  roi  lui  abandonnait  toutes  les  redevances  pouvant 
écheoir  au  trésor  royal  3. 

François  Ier  avait  dès  1516  confirmé  les  privilèges  des  mar- 
chands allemands  fréquentant  les  foires  de  Lyon  4  ;  quelques 
années  plus  tard,  il  exemptait  de  foraine  les  marchands  des 
villes  impériales  5  ;  il  s'adressait  à  eux  pour  la  fabrication  des 
«  hallecrets  garnis  de  deux  avant-bras,  menottes  et  gorgerins  » 
destinés  à  armer  les  gens  de  la  légion  de  Normandie. 

François  Ier  s'intéressa  particulièrement  à  la  nation  germa- 
nique des  étudiants  d'Orléans.  Non  content  de  lui  confirmer 
ses  anciens  privilèges,  il  prit  sous  sa  sauvegarde  spéciale  les 
Allemands  qui  étudiaient  à  Orléans  et  il  essaya,  en  1545,  d'im- 
poser à  l'Université  un  procureur  général  natif  d'outre-Rhin. 

Si  les  Allemands  furent  bien  traités  par  François  Ier,  ils 
n'eurent  pas  à  se  plaindre  de  son  fils.  Henri  II,  bien  que  plus 
profondément  catholique   que  son  père,   suivit  cependant  les 


1.  Ibid.,  n°  30405. 

2.  Comte  de  Guerchy,  Recherches  sur  l'origine  des  familles  seigneuriales  établies 
en  Auxerrois  et  en  Puisaye.  Ext.  du  Bullel.  de  la  Société  historique  de  V  Yonne,  2"  se- 
mestre, 1915. 

3.  Catalogue  des  Actes  de  François  Ie1,  v°  de  Guelf,  de  Guelphe,  de  Goulf. 

4.  Ibid.,  n°  435. 

5.  Ibid.,  n«  12694  et  13285. 


HENRI    II    ET    LES    ALLEMANDS  59 

mêmes  errements  que  son  prédécesseur  et  c'est  grâce  à  l'appui 
de  ses  alliés  luthériens  que  s'arrachant  un  instant  au  mirage 
décevant  de  l'Italie,  il  arrondit  du  côté  de  l'Est  la  frontière 
française.  Henri  II  continua  à  défendre  les  princes  protestants 
d'Allemagne,  il  protégea  les  adhérents  de  la  ligue  de  Schmalkade 
et  en  1552,  signa  un  traité  d'alliance  avec  Albert  de  Brandebourg- 
Culmbach  agissant  au  nom  de  la  nation  allemande.  Un  person- 
nage allemand  abandonnait-il  son  pays,  Henri  II  lui  versait 
une  pension  et  lui  donnait  un  gouvernement  en  France.  En  voici 
un  curieux  exemple  :  les  Iles  d'Or  servaient  de  séjour  aux  pil- 
lards barbaresques  et  les  habitants  de  la  côte  provençale  se 
plaignaient  de  leurs  incursions  perpétuelles  K  En  1531,  Fran- 
çois Ier  avait  érigé  le  marquisat  des  Iles  d'Or  en  faveur  de  Ber- 
trand d'Ornezan,  baron  de  Saint-Blancard  à  charge  pour  lui 
de  fortifier  ces  îles  ;  en  1594,  ce  fief  fut  donné  par  Henri  II  à 
Christophe,  comte  de  Rockendorf  et  de  Gundestorf,  baron  de 
Molembourg,  gentilhomme  ordinaire  de  sa  chambre.  Cette  dona- 
tion lui  fut  faite  à  titre  de  compensation  «  pour  l'entière  dévotion 
et  affection  qu'il  porte  à  notre  service  ».  Ce  seigneur,  ajoute  le 
document,  «  s'est  piéça  retiré  auprès  de  nous,  ayant  délaissé  et 
abandonné  grandes  terres  et  possessions  qu'il  tenait  en  la  Ger- 
manie et  pays  circonvoisins.  » 

Rockendorf  dont  la  vie  fut  féconde  en  aventures  ne  conserva 
point  très  longtemps  le  marquisat  des  Iles  d'Or;  en  1552,  il  le 
donnait  à  Gabriel  de  Lutz,  seigneur  d'Aramon,  ambassadeur 
du  roi  dans  le  Levant  qui  l'avait  tiré  des  prisons  du  Grand 
Turc  2. 

Si  la  ligne  de  conduite  politique  de  François  Ier  et  de  Henri  II 
contribua  à  attirer  des  Allemands  en  France,  il  ne  semble 
cependant  pas  qu'ils  eussent  encore  fondé  dans  les  provinces 
des  groupements  très  importants.  Ils  étaient  disséminés  de  divers 
côtés  et  n'avaient  réellement  pris  pied  que  dans  la  ville  de  Lyon. 


1.  J.  Fournier,  Le  Marquisat  des  lies  d'Or,  dans  Bulletin  du  comité  des  travaux 
historiques,  section  de  géographie,  année  1906. 

2.  Tuetcy  et  Campardon,  Inventaire  des  registres  des  Insinuations  du  CMtelel 
de  Paris.  Paris,  1900,  n°  4209. 


60  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 


III 


Au  xve  siècle,  Lyon  est  une  place  commerciale  essentielle- 
ment cosmopolite  ;  on  y  compte  des  Florentins,  des  Espagnols 
et  des  Portugais  ;  nombreux  s'y  étaient  fixés  les  imprimeurs, 
les  graveurs  sur  bois  et  les  orfèvres  d'origine  allemande.  Les 
grandes  foires  qui  se  tenaient  dans  cette  ville  attiraient  des  mar- 
chands de  toutes  les  parties  de  l'Europe  et  dès  l'année  1491, 
la  nation  allemande  de  Lyon  était  assez  puissante  pour  fonder 
à  Lyon  une  confrérie  dans  l'église  du  couvent  de  Notre-Dame-de- 
Confort. 

Les  négociants  ayant  besoin  de  régler  leurs  affaires  par  lettres 
de  change,  les  grandes  banques  d'Italie  et  d'Allemagne  y  créèrent 
des  succursales  et  y  entretinrent  des  représentants  attitrés.  Les 
opérations  des  banquiers  étrangers  de  Lyon  allaient  prendre  de 
vastes  proportions  au  xvie  siècle.  Candidats  à  l'Empire  Fran- 
çois Ier  et  Charles-Quint  dépensèrent  sans  compter  pour  acquérir 
des  voix  ;  ennemis  ensuite  et  obligés  de  solder  des  armées  mer- 
cenaires, les  deux  princes  eurent  un  constant  besoin  d'argent. 
Leurs  emprunts  donnèrent  une  importance  primordiale  aux 
capitaux  mobiliers  devenus  le  nerf  de  la  politique.  Anvers  et 
Lyon  devinrent  de  véritables  bourses  financières.  Au  xvie  siècle, 
Lyon  fut  en  France  le  véritable  centre  du  marché  de  l'argent  K 
Les  représentants  des  maisons  de  banques  allemandes  y  pullu- 
laient. En  1529,  un  chartreau  d'imposition  donne  les  noms  des 
marchands  allemands  habitant  Lyon,  «  y  tenant  feu  et  lieu 
ou  maisons,  magasins  ou  boticques  »  ;  ils  sont  dix-neuf  parmi 
lesquels  figurent  Barthélémy  Welzer  et  compagnie,  Lyonard 
Stocquel,  Jacques  Welzer,  Jean  Malix,  Gaspard  Fischer,  Jean 
Ustel.  Sous  la  dénomination  d'Encurie,  traduction  de  Im  Hof, 
les  Imhof  de  Nuremberg  déguisent  leur  véritable  personnalité. 


1.  Sur  les  banquiers  de  Lyon,  voir  M.  Vigne,  La  Banque  à  Lyon  du  XVe  au 
XV 111°  siècles.  Paris.  —  E.  Vial,  L'Histoire  et  la  Légende  de  Jean  Cleberger  (1485- 
154H).  Lyon,  191-1. 


HANS  KLEBERG,  BANQUIER  DE  LYON  61 

Par  la  suite,  d'autres  Allemands  s'établissent  à  Lyon,  les  Hesse- 
ler,  les  Obrecht,  les  Minkel,  les  Iungmann,  notamment. 

Tous  s'adonnent  au  trafic  des  espèces,  à  l'escompte  du  papier, 
aux  opérations  de  change  et  de  rechange.  Pour  si  peu  que  l'on 
connaisse  l'histoire  financière  du  xvie  siècle,  on  se  représente 
néanmoins  tous  ces  banquiers  allemands  ou  italiens  se  concurren- 
çant ou  se  syndiquant  pour  obtenir  la  faveur  de  prêter  au  roi 
ou  aux  grands  les  sommes  qu'ils  dépensaient  pour  leurs  ambitions 
politiques,  leurs  constructions  fastueuses  ou  celles  de  leurs 
maîtresses  ou  de  leurs  mignons.  Gros  intérêts,  commissions 
de  banque,  faveurs  de  toutes  sortes,  étaient  la  rançon  que  les 
prêteurs  étrangers  exigeaient  des  Valois.  Les  opérations  d'em- 
prunts d'états  à  finances  obérées  permettent  de  se  rendre  compte 
des  avantages  nombreux  que  les  étrangers  retiraient  alors  de 
leur  qualité  de  créanciers  du  roi.  Sans  avoir  encerclé  le  gouverne- 
ment français  d'aussi  étroite  manière  que  les  banquiers  italiens, 
les  prêteurs  germaniques  ont  cependant  su  tirer  de  multiples 
profits  de  leur  situation  de  prêteurs  royaux.  On  s'en  aperçoit 
en  lisant  l'histoire  de  Hans  Kleberg  ;  ce  banquier  est  le  proto- 
type du  financier  allemand  au  xvie  siècle  ;  il  émerge  de  la  foule 
de  ses  compatriotes. 

Hans  Kleberg  était  né  en  1485  à  Nuremberg  ;  de  bonne  heure 
il  entra  dans  la  banque  que  les  Imhof  possédaient  dans  cette 
ville  et  accomplit  quelques  voyages  d'affaires  pour  le  compte 
de  cette  firme.  En  1517  il  vient  à  Lyon  pour  la  première  fois 
et  se  présente  au  consulat  avec  Daniel  Gondelfinger  et  Jean 
Jas  «  allemans  ».  Déjà,  Hans  Kleberg  fait  sans  doute  pour  son 
compte  quelques  opérations  financières  avec  François  Ier 
car  pour  se  mettre  à  l!abri  de  représailles  possibles  de  la  part  de 
l'empereur  il  se  fait  recevoir  citoyen  de  Berne.  Bourgeois  de 
cette  ville  libre,  il  est  libre  de  se  lier  entièrement  au  service  du 
roi  de  France  ;  aussitôt  après  la  reprise  de  la  guerre  entre  Charles- 
Quint  et  François  Ier,  au  mois  de  mars  1521,  il  devient  créancier 
du  roi  pour  des  sommes  importantes. 

La  première  partie  de  l'existence  de  Kleberg  est  mal  connue, 
on  le  rencontre  successivement  à  Lyon,  à  Nuremberg,  à  Berne, 
à  Augsbourg,  à  Genève.  Entre  les  années  1530  et  1535,  il  se 


62  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

fixe  à  Lyon  ;  au  mois  de  février  1536  il  y  reçoit  ses  lettres  de  natu- 
ralité  et  le  même  mois,  il  y  épouse  Pelonne  Bonzin,  veuve  du 
riche  marchand  protestant,  Etienne  de  la  Forge.  Depuis  cette 
époque,  Kleberg  s'établit  définitivement  à  Lyon  et  y  acquiert 
des  immeubles.  Par  lettres  datées  de  Fontainebleau  le  3.1  mars 
1543,  François  Ier  accorde  au  banquier  le  même  titre  qu'au 
poète  Marot  ;  il  le  nomme  son  valet  de  chambre  ordinaire  ; 
quelques  mois  après  le  roi  le  remercie  de  l'avoir  «secouru  en  prest 
d'une  bonne  somme  d'argent  »  et  d'avoir  «  esté  moyen  que  les 
autres  marchans  de  vostre  nation  ont  faict  le  semblable  de  leur 
part.  »  En  1545,  les  Lyonnais  voulant  reconnaître  les  libéralités 
de  Hans  Kleberg  vis-à-vis  des  pauvres  de  l'Aumône,  l'élisent 
conseiller  de  la  ville,  mais  il  ne  jouit  pas  longtemps  de  cette 
distinction  car  au  mois  de  septembre  1546,  il  s'éteint  à  Lyon, 
laissant  à  sa  femme  et  à  son  fils  unique  une  fortune  considérable 
acquise  «  par  son  sens  et  industrye  ». 

Hans  Kleberg  s'était  attiré  la  bienveillance  de  François  Ier 
en  lui  avançant  personnellement  des  sommes  importantes. 
Les  prêts  qu'il  consentit  au  roi  furent  nombreux.  En  1529,  le 
trésorier  de  France  lui  rembourse  12.187  écus  soleil  ;  on  lui 
restitue  le  montant  d'un  prêt  ancien  remontant  à  l'année  1522 
et  pour  le  dédommager  de  son  attente,  le  roi  lui  attribue  un 
cadeau  de  1.000  écus.  Kleberg  s'entremet  auprès  de  ses  compa- 
triotes pour  fournir  des  subsides  au  roi.  C'est  grâce  à  son  concours 
qu'en  1542,  les  Welzer  d'Augsbourg  avancent  à  François  Ier 
12.000  couronnes  ;  c'est  aussi  par  son  influence  sur  les  Alle- 
mands que  ceux-ci  prêtent  au  trésor  royal  50.000  écus  en  1542 
et  1543.  Ce  prêt  ayant  tout  d'abord  été  refusé,  François  Ier 
avait  menacé  les  banquiers  allemands  de  les  jeter  en  prison  ; 
Kleberg  intervint,  calma  la  colère  du  roi  et  aplanit  les  difficultés. 

On  a  souvent  constaté  que  les  Valois  ont  été  dominés  par  leurs 
créanciers  italiens  qui,  outre  les  intérêts  de  leur  argent,  se  sont 
fait  accorder  des  avantages  spéciaux.  Les  faveurs  consenties 
à  Kleberg  prouvent  que  les  Allemands  savaient,  eux  aussi, 
profiter  des  circonstances.  Non  content  d'être  naturalisé,  d'être 
valet  de  chambre  du  roi,  Kleberg  voulut  aussi  devenir  seigneur 
de  France.  Profitant  des  aliénations  du  domaine  royal,  il  acquit 


HANS    KLEBERG    ET    LES    BANQUIERS    ALLEMANDS  63 

les  seigneuries  du  Chatelard  et  de  Villeneuve  au  bailliage  de 
Dombes  et  obtint  l'autorisation  d'y  instituer  des  juges,  des  pro- 
cureurs et  des  greffiers. 

Kleberg  se  souciait  de  ses  intérêts  matériels  et  de  ceux  de  ses 
compatriotes.  Au  mois  de  mai  1545,  comme  la  santé  du  roi  était 
chancelante,  les  banquiers  allemands  prirent  des  sûretés  pour 
leurs  créances.  Hans  se  fit  délivrer  des  lettres-patentes  portant 
que  «  les  dons  qui  lui  avaient  été  faits  ainsi  qu'à  d'autres  mar- 
chands étrangers  sur  les  foires  de  Lyon,  en  récompense  des 
prêts  faits  au  roi,  seront  considérés  comme  des  obligations  régu- 
lières et  des  paiements  d'intérêts  pour  les  sommes  par  eux 
prêtées  au  roi.  » 

De  son  immense  fortune,  Hans  Kleberg  sut  faire  un  charitable 
usage  ;  il  a  laissé  dans  la  mémoire  des  Lyonnais  le  souvenir  d'un 
homme  généreux.  Par  la  fréquence  de  ses  dons,  ce  financier 
obtint  le  surnom  de  bon  Allemand. 

Ainsi  que  le  marquent  les  lettres  échangées  entre  le  roi  et  lui, 
Kleberg  était  devenu  l'homme  d'affaires  de  François  Ie*  ;  pour 
lui  il  sollicitait,  quémandait  et  obtenait  des  fonds  auprès  des 
banquiers  allemands  résidant  à  Lyon.  Il  était  en  quelque  sorte 
le  président  d'un  consortium  financier  chargé  d'alimenter  le 
trésor  royal  et  de  discuter  les  conditions  des  emprunts  ;  à  chaque 
demande  d'emprunts,  ce  brasseur  d'affaires  soutire  au  roi 
quelque  faveur  nouvelle  pour  ceux  de  sa  nation.  Il  agit  comme 
les  Gondi,  les  Bonnisi  et  autres  Florentins  de  Lyon.  Au  demeu- 
rant ne  convient-il  pas  de  prendre  quelques  sûretés  spéciales 
avec  des  emprunteurs  qui,  comme  François  Ier  et  ses  successeurs 
se  ruinent  sûrement  et  dont  le  crédit  est  si  affaibli,  qu'à  certains 
moments,  ils  n'obtiennent  des  fonds  qu'aux  conditions  onéreuses 
de  vingt  pour  cent. 

AfTriandés  par  la  grandeur  des  profits  et  sachant  diminuer 
leurs  risques  de  pertes,  les  Allemands  affluèrent  à  Lyon  durant 
tout  le  xvie  siècle  et  leur  situation  se  maintint  très  forte.  Henri  II 
usa  des  mêmes  artifices  de  trésorerie  que  son  père  et  pour  obtenir 
des  fonds,  il  s'adressa  tour  à  tour  aux  Italiens  et  aux  Germa- 
niques. Kn  1 .").")(),  il  devait  123.214  couronnes  à  la  maison  Nei- 
dhart,  Seiler  et  Cle  et  payait  16  %  d'intérêts.  Trois  ans  plus 


64  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

tard  la  cour  devait  aux  banquiers  allemands  de  Lyon  714.425  cou- 
ronnes et  ce  chiffre  s'enfla  encore  à  la  suite  d'un  nouvel  emprunt 
contracté  en  1555  en  raison  des  guerres  contre  l'Empire.  Les 
dettes  royales  s'accrurent  ainsi  constamment  au  xvie  siècle  ; 
en  1560,  le  souverain  devait  à  trente-neuf  maisons  allemandes 
la  somme  de  1.878.743  écus.  Vingt  ans  plus  tard,  les  dettes 
contractées  par  le  gouvernement  auprès  des  «  nacions  estran- 
ges  »  atteignaient  le  chiffre  énorme  de  70.000.000  de  livres.  Les 
documents  ne  mentionnent  pas  quelle  était,  dans  ce  total 
considérable,  la  part  des  Allemands,  mais  on  peut  l'estimer  à  la 
moitié  environ. 

Au  cours  des  guerres  de  religion,  les  chefs  des  partis  s'adres- 
saient aussi  aux  banquiers  de  Lyon.  Mayenne  eut  recours  à  eux  ; 
après  sa  réconciliation  avec  Henri  IV,  il  fut  menacé  de  saisie 
par  plusieurs  banquiers  allemands  qui  lui  avaient  avancé 
2.050  écus.  Le  roi  intervint  et  ordonna  de  surseoir  aux  pour- 
suites. 

Les  temps  troublés  de  la  Ligue,  les  guerres  civiles  et  reli- 
gieuses qui  meurtrirent  la  France  à  la  fin  du  xvie  siècle  portèrent 
un  coup  à  la  place  de  Lyon  ;  son  commerce  s'amoindrit.  Plusieurs 
des  maisons  étrangères  transportèrent  ailleurs  le  siège  de  leurs 
affaires  ;  les  unes  supprimèrent  les  succursales  qu'elles  possé- 
daient à  Lyon,  les  autres  vinrent  se  fixer  à  Paris.  Cependant, 
à  la  faveur  des  idées  de  tolérance  religieuse  qui  se  manifestèrent 
au  cours  des  dernières  années  du  siècle,  quelques  nouveaux 
Allemands  vinrent  encore  s'établir  à  Lyon.  Parmi  eux,  on  dis- 
tingue tout  particulièrement  Daniel  Herwarth,  père  du  fameux 
Barthélémy  qui,  au  xvne  siècle,  tient  une  place  prépondérante 
dans  notre  histoire  financière  et  sur  lequel  il  est  intéressant  de 
s'attarder  quelque  peu. 

Daniel  Herwarth  s'était  fixé  à  Lyon  en  1598  et  y  avait  épousé 
une  Allemande,  Anne  Erlin,  qui  lui  donna  deux  fils.  Jean-Henri, 
né  en  1609  fut  de  deux  années  le  cadet  de  son  frère  Barthé- 
lémy 1.  C'est  ce  dernier  qui  a  laissé  un  nom  connu.  Après  avoir 

1.  Depping,  Etude  sur  les  Herwarth,  dans  Revue  historique.  Année  1879.  — 
G.  Martin,  Histoire  du  crédit  en  France  sous  le  règne  de  Louis  XIV.  Paris,  1913, 
p.  52  et  suiv. 


LES    D'HERWARTH,    BANQUIERS  65 

exercé  à  Lyon  le  commerce  de  banque,  Barthélémy  transporta 
à  Paris  le  siège  de  ses  affaires  ;  il  devint  un  auxiliaire  précieux 
de  Richelieu  et  de  Mazarin.  Malgré  l'opposition  du  clergé,  ce 
protestant  d'origine  allemande  fut  nommé  intendant  des  fi- 
nances en  1650  et  contrôleur  général  en  1657.  Le  ministre  lui 
accorda  cette  faveur  en  reconnaissance  de  ses  services.  Toute  sa 
vie,  il  avait  négocié  des  emprunts  pour  le  compte  du  trésor 
et  lui  avait  fourni  des  fonds  dans  des  circonstances  particuliè- 
rement graves.  Notre  allié,  Bernard  de  Saxe-Weimar,  était  mort 
en  1639  ;  son  armée  avait  des  velléités  d'abandonner  l' alliance. 
de  la  France  ;  or  le  trésor  était  vide  et  lorsqu'on  négociait  avec 
les  officiers  allemands,  il  importait  d'avoir  toujours  la  bourse 
ouverte.  Barthélémy  Herwarth  intervint  et  avança  les  fonds 
nécessaires  pour  traiter  à  Brisach  avec  les  Weimariens  et  lever 
leurs  hésitations.  En  1644,  il  fournit  des  subsides  à  Coudé  et  lui 
permit  de  tirer  parti  de  sa  victoire  de  Fribourg  et  de  s'emparer 
de  Philippsbourg  ce  qu'il  n'aurait  pu  faire  s'il  n'avait  reçu  des 
fonds  car  ses  troupes  refusaient  d'avancer  si  elles  n'étaient 
soldées.  Cinq  ans  plus  tard,  Barthélémy  négocia  encore  avec 
les  troupes  allemandes  au  service  du  roi,  alors  que  Turenne 
menaçait  de  faire  défection.  Encouragé  par  l'exemple  de  son 
frère,  le  duc  de  Bouillon,  Turenne  compta  un  instant  dans 
parti  des  frondeurs  mais  il  ne  fut  pas  suivi  par  ses  troupes 
grâce  à  Herwarth  qui  répartit  800.000  livres  aux  officiers  et 
soldats  de  son  armée  qui  n'avaient  pas  reçu  de  solde  depuis 
plusieurs  mois. 

Ce  financier  à  l'esprit  souple  avait  épousé  Esther  Vimar, 
une  Allemande  dont  la  famille  était  fixée  à  Lyon.  Il  en  eut  quai  re 
enfants  :  deux  fils  et  deux  filles.  Lors  de  la  révocation  de  l'Édit 
de  Nantes,  un  de  ses  fils,  Anne,  abjura;  il  conservait  ainsi  l'im- 
mense fortune  réalisée  par  son  père  et  les  œuvres  d'art  accumu- 
lées par  Barthélémy  dans  son  hôtel  de  la  rue  de  la  Plàtrière. 

Si  le  nom  de  Barthélémy  Herwarth  est  demeuré  célèbre  dans 
les  fastes  de  l'histoire  financière,  celui  de  son  lils  Anne  est  cher 
à  tous  hs  amis  des  lettres.  C'est  dans  son  intimité  que  .Jean  de  La 
Fontaine  vécut  ses  dernières  années  et  c'est  dans  son  hôte] 
qu'il  rendit  le  dernier  soupir  en  L695. 


<)G  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Ku  étudiant  l'histoire  des  finances  privées,  on  relèverait  les 
noms  de  maints  autres  banquiers  allemands  correspondants 
à  Paris  et  en  province  de  leurs  compatriotes  voyageurs  et 
négociants.  Au  xvme  siècle,  Kornmann  eut  son  heure  de  célé- 
brité ;  associé  avec  Wâchter,  il  était  installé  rue  Michel-le- 
Comte.  Tous  deux  étaient  en  relations  avec  les  pays  de  l'Est 
et  servaient  d'agents  aux  princes  et  hobereaux  allemands, 
ainsi  que  Riederer  et  Hillner  de  Nuremberg. 

Ainsi,  sous  le  règne  de  François  Ier,  du  groupe  de  banquiers 
allemands  de  Lyon,  se  détache  Hans  Kleberg  ;  il  apparaît 
comme  l'organisateur  des  syndicats  financiers  chargés  de  fournir 
des  subsides  au  trésor  royal.  Au  temps  de  Charles  IX  et  de 
Henri  III,  les  Italiens  tiennent  les  finances  publiques.  Zamet 
joue  auprès  de  Henri  IV  le  rôle  d'homme  de  confiance.  Luma- 
gna,  d'Herwarth,  Particelli  d'Emery  sont  les  banquiers  du  trésor 
sous  le  ministère  de  Mazarin.  Faut-il  rappeler  la  place  que 
tiennent  Samuel  Bernard  et  le  baron  Roggers  auprès  de  Louis  XIV, 
celje  qu'occupe  l'Écossais  Law  sous  la  Régence,  le  Suisse  Necker 
auprès  de  Louis  XVI  ?  L'histoire  des  finances  françaises  est  pour 
ainsi  dire  liée  à  celles  des  étrangers  pendant  les  trois  derniers 
siècles  de  l'ancien  régime.  L'industrie  de  la  haute  banque  a 
presque  toujours  été  exercée  en  France  par  des  forains  ;  les 
économistes  des  siècles  passés,  Savary  notamment,  constatent 
et  déplorent  cette  tendance  des  régnicoles  à  délaisser  les  affaires 
financières.  Profitant  de  notre  dédain  de  la  finance,  les  réa- 
listes allemands  se  sont  jadis,  de  concert  avec  les  Italiens, 
emparés  de  situations  prépondérantes  et  lucratives. 


CHAPITRE  IV 


LES  SOLDATS  ALLEMANDS  A  LA  SOLDE  DE  LA  FRANCE, 


Pendant  trois  siècles,  les  souverains  français  ont  recruté 
des  troupes  en  Allemagne,  parfois  aussi,  des  chefs  de  partis  ont 
fait  appel  aux  mercenaires  d'outre-Rhin.  L'ethnogénie  fran- 
çaise s'est  ressentie  de  ces  événements. 

De  la  fin  du  xve  siècle  à  l'époque  de  la  Révolution,  chefs  de 
bandes,  lansquenets,  reîtres,  officiers  d'origine  allemande  ont 
figuré  dans  les  armées  du  roi  ;  au  cours  des  guerres  de  religion, 
les  reîtres  se  sont  abattus  sur  notre  pays  et  il  y  a  tout  lieu  d'esti- 
mer que  ces  soldats  ont  laissé  dans  la  population  des  traces  de 
leur  passage.  Imitant  en  cela  quelques-uns  des  capitaines  qui 
les  commandaient,  nombre  d'Allemands  se  sont  fixés  en  France. 
Qu'importait  à  ces  mercenaires,  souvent  sans  attaches  familiales, 
de  rentrer  dans  une  patrie  où  rien  ne  les  rappelait  ?  Ces  soldats 
de  fortune,  gens  sans  aveu,  bien  souvent,  s'acclimataient  en 
nos  provinces,  retenus  par  la  vie  facile  du  pays  ou  par  quelque 
galante  aventure  qu'ils  désiraient  poursuivre  et  dont  l'éclosion 
avait  été  facilitée  par  le  système  des  garnisons  qui  était  alors 
d'usage  courant. 

Si  Charles  VIII  et  Louis  XII,  au  cours  de  leurs  expéditions 
en  Italie,  demandèrent  à  l'Empire  de  leur  fournir  des  auxiliaires 
pour  leurs  armées,  ce  fut  principalement  à  partir  du  règne  de 
François  Ier  qu'on  vit  apparaître  dans  les  rangs  des  troupes 
royales  des  corps  nombreux  de  lansquenets.  Chefs  et  soldais 
allemands  mettaient  volontiers  leur  épée  au  service  de  la  France 
pourvu  qu'on  leur  versât  de  fortes  pensions  et  des  émoluments 
importants.  Sur  ce  point,  ils  étaient  exigeants.   Les  annalistes 


68  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

de  toutes  les  époques  sont  unanimes  à  constater  l'avarice  et 
l'âpreté  des  Saxons,  des  Wurtembergeois,  des  Weimariens 
et  Bavarois.  «  La  France  fut  toujours  considérée  comme  un 
banquier  par  les  Allemands,  elle  ne  compta  jamais  en  Allemagne 
d'alliés  ou  de  clients  désintéressés  et  point  d'amis  qui  ne  fussent 
pensionnés.  Elle  ne  retrouva  pas  dans  la  fidélité  des  concours 
promis,  soit  en  suffrages  à  la  Diète,  soit  en  coopération  militaire 
le  prix  de  ses  régals  et  de  ses  gratifications  »  a-t-on  écrit  avec 
juste  raison  l, 

François  Ier  connut  au  début  de  son  règne  des  déboires 
avec  les  électeurs  qui,  bien  que  gorgés  d'or,  avaient  abandonné 
sa  candidature  pour  reporter  leurs  voix  sur  Charles-Quint  ; 
parfois,  avec  des  chefs  de  bandes,  comtes,  barons  ou  princes 
allemands,  il  éprouva  aussi  des  désillusions.  Il  eut  avec  Franz 
de  Sickingen  des  mésaventures.  Ce  militaire  qui  avait  en  Alle- 
magne une  influence  considérable  était  venu  à  Blois  en  1516 
et  avait  offert  ses  services  à  la  France.  Jugea-t-il  insuffisante 
la  pension  du  roi  ou  trouva-t-il  plus  avantageux  de  s'enrôler 
sous  la  bannière  de  Charles-Quint,  toujours  est-il,  qu'associé 
avec  Robert  de  la  Mark,  il  réunit  des  troupes  pour  faire  périr 
Bonnivet  à  son  retour  de  la  diète  de  Francfort.  Il  avait  même 
détourné  du  service  de  François  Ier  le  capitaine  Brander  qu'on 
avait  envoyé  pour  le  combattre. 

Des  faits  de  ce  genre  furent  cependant  assez  rares  après 
l'accession  au  trône  impérial  du  fils  de  Jeanne  la  Folle.  Les  ambi- 
tions monarchiques  qu'il  manifesta  à  la  suite  de  son  élévation 
à  l'Empire  éloignèrent  de  lui  princes  et  seigneurs  allemands 
qui  cherchèrent  un  appui  auprès  du  roi  de  France.  François  Ier 
les  pensionna,  leur  octroya  des  subsides  et  stipendia  leurs 
troupes  de  lansquenets  et  de  reîtres  qu'il  prit  à  son  service. 
La  liste  des  colonels  ou  capitaines  allemands  qui  combattirent 
et  guerroyèrent  pour  son  compte  serait  longue  à  dresser.  Qu'il 
suffise  de  citer  Hubert,  comte  de  Bethling,  Jean,  baron  de 
Fleckstein,  Sébastien  Wohgersperg,  René  de  Guelfî.  Membre 
des  cent  gentilshommes  de  la  maison  du  roi,  ce  dernier  reçut 

1,  Auerbach,  La  France  et  le  saint  Empire  romain  germanique. 


OFFICIERS    ALLEMANDS    A    LA    SOLDE    DES    VALOIS  69 

des  dons  magnifiques.  André  Beauvigne,  Guillaume  de  Furstem- 
berg,  Jacob  von  Els,  Félix  de  Jonvelle  furent  richement  rému- 
nérés en  raison  de  leurs  services. 

Leur  temps  achevé,  ces  Allemands  rentraient  généralement 
dans  leurs  foyers  à  la  tête  de  leurs  hommes  et  attendaient 
qu'une  nouvelle  levée  leur  fournît  l'occasion  de  se  battre  et  de 
s'enrichir.  Tous  cependant  ne  quittaient  pas  la  France,  le  roi 
ayant  su  s'attacher  quelques-uns  de  ces  guerriers.  René  de  Guelff, 
par  exemple,  reçut  en  rémunération  de  son  concours  la  terre 
de  Nesploy,  au  duché  d'Orléans  ;  il  fut  comblé  de  cadeaux  et 
obtint  des  concessions  de  mines  en  France.  Jean  de  Tavannes, 
originaire  de  Délie,  avait  combattu  aux  côtés  du  roi  ;  pour  lui, 
il  avait  rempli  diverses  missions  en  Saxe  ;  en  1518,  il  fut  natu- 
ralisé. Sa  sœur  Marguerite  fut  également  naturalisée  en  1521  ; 
elle  épousa  Jean  de  Saulx  et  de  leur  union  naquit  le  futur  maré- 
chal de  Saulx-Tavannes.  Un  seigneur  de  RichoufTtz,  neveu 
du  duc  de  Gueldre,  envoyé  au  secours  de  François  Ier  se  maria 
en  France,  y  acquit  des  terres  :  les  seigneuries  de  Thury  et  Somme- 
caise,  puis  se  fixa  dans  le  royaume  *. 

A  lire  au  Catalogue  de  ses  actes  les  noms  de  Hans  Brimbach, 
de  Michel  von  Brimberg,  du  baron  de  Chefnen,  de  Waldo  de 
Houder,  d'Eberhard  de  Lupfen,  de  Hans  von  Seytlingen,  de 
Sigismond  Stipintz  attachés  au  service  de  François  Ier,  il  sem- 
blerait que  ce  souverain  ait  peuplé  ses  camps  de  troupes  alle- 
mandes. 

Comme  son  père,  Henri  II  éprouva  des  déboires  avec  les 
soldats  d'outre-Rhin;  en  1552,  au  siège  de  Metz,  les  merce- 
naires allemands  engagés  par  lui  se  retournèrent  contre  les 
Français  et  passèrent  dans  les  rangs  des  Impériaux.  Néanmoins, 
à  force  d'or,  il  attacha  à  sa  cause  divers  princes  ;  parmi  ceux 
qu'il  gagna  se  trouvaient  en  première  ligne  les  ducs  de  Saxe 
et  Guillaume  de  Grumbach  :  en  vertu  d'un  traité  signé  au  mois 
de  mars  1558  Henri  II  s'engageait  à  payer  aux  deux  frères 
Jean-Frédéric  et  Jean-Guillaume  de  Suxe  :W.000  livres  ;  par  contre 
ce  dernier  devait  lever  pour  le  roi  2.100  reîtres  et  Grumbach 

• 

1.  Catalogue  des  Actes  de  François  /".  Cf.  noms  cités. 


70  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

devait  lui  en  fournir  1.2001.  Mais,  tout  au  moins,  en  agissant 
comme  ils  le  faisaient,  François  Ier  et  Henri  II  avaient-ils  une 
excuse  vis-à-vis  des  populations  françaises  dont  les  sympathies 
à  l'égard  des  lansquenets  n'étaient  pas  très  chaudes  si  l'on  en 
croit  la  chanson  2  : 

Gens  obstinez,  d'estrange  nation 
Et  d'une  vie  abominable  et  vile 
Fuyez  vous  en  ords,  vilains  lansquenets. 

L'excuse  de  François  Ier  et  de  Henri  II  était  tirée  de  raisons 
politiques.  Dans  la  partie  qui  se  jouait  entre  eux  et  la  maison 
de  Habsbourg,  les  rois  très  chrétiens  s'étaient  institués  les 
défenseurs  des  princes  luthériens  d'Allemagne,  ennemis  nés  de 
l'Empereur.  Ils  ne  pouvaient  refuser  les  services  de  ces  capi- 
taines qui,  moyennant  écus  sonnants,  il  est  vrai,  leur  apportaient 
un  appui.  Les  successeurs  de  Henri  II  qui  n'eurent  pas  une  ligne 
de  conduite  politique  aussi  ferme  que  lui,  n'eurent  pas  la  possi- 
bilité d'alléguer  ces  mêmes  motifs  pour  lever  en  Allemagne 
des  troupes  mercenaires. 

«  Du  rôle  d'arbitre,  les  derniers  Valois  descendirent  à  celui 
de  clients  ;  ils  devinrent  des  quémandeurs  de  reîtres  et  de  lans- 
quenets ;  à  côté  d'eux,  d'autres  clients  et  ce  sont  leurs  propres 
sujets  viennent  solliciter  les  marchands  d'hommes  ;  entre  les 
ambassadeurs  du  roi  et  ceux  de  Condé,  les  soldats  du  Palatin 
et  du  Rheingrave  sont  mis  aux  enchères  3.  » 

Si  les  régnicoles  avaient  déjà  eu  à  se  plaindre  des  lansquenets 
recrutés  par  François  Ier  et  Henri  II,  ils  allaient  avoir  à  gémir 
amèrement  des  descentes  des  reîtres  dans  le  royaume.  Les 
guerres  de  religion  transformèrent  la  France  en  un  vaste  champ 
clos  dans  lequel,  indifféremment,  luttèrent  Français  contre 
Français,  reîtres  et  lansquenets  contre  d'autres  soldats  alle- 
mands. Chaque  parti,  le  catholique  comme  le  protestant,  effec- 
tuait des  levées  au  delà  du  Rhin  et  s'évertuait  à  attirer  dans 
ses  rangs  des  auxiliaires  stipendiés  et  des  mercenaires  de  toutes 
nationalités.  Le  malheureux  peuple  de  France  pâtissait  de  la 

1.  Ritter,  Deutsche  Geschichte.  T.  I,  p.  100. 

2.  E.  Picot,  Chants  historiques  français.  Paris,  1903. 

3.  H.  Hauser,    Manuel  des    Sources  de   l'Histoire  de    France  au   XVI*  siècle. 
Fasc.  III.  Introduction. 


LES    REITRES  71 

présence  de  ces  troupes  étrangères  qui  vivaient  sur  le  commun, 
pillaient  les  campagnes  et  se  conduisaient  de  manière  plus  brutale 
encore  que  ne  l'a  laissé  entendre  Mérimée  dans  sa  Chronique 
du  règne  de  Charles  IX.  Le  villageois  et  le  citadin  subissaient 
les  reîtres  pour  la  rémission  de  leurs  péchés  : 

...  tous  ces  soldats  espagnols  et  flammans 
Wallons,  Italiens,  Suisses  et  Alemans 
Sont  à  la  vérité  nos  méfaits  et  péchés. 

De  tous  les  étrangers  les  reîtres  étaient  les  plus  honnis.  Qu'ils 
combattissent  sous  les  ordres  de  Guise  ou  sous  la  bannière  de 
Condé,  ils  pillaient  sans  merci  champs  et  demeures  de  leurs 
alliés  ou  ennemis.  Toute  femme  leur  était  une  agréable  proie  ; 
les  celliers  des  vignerons  tourangeaux  ou  Orléanais  étaient 
dévastés  lors  de  leur  venue  et  pour  leurs  montures,  les  grasses 
avoines  des  plaines  de  Beauce  étaient  des  nourritures  substan- 
tielles et  peu  coûteuses.  Accoutrés  de  hardes  effarantes,  hirsutes 
et  noirs  de  teint,  ils  parcouraient  le  pays,  semant  la  terreur  et 
la  haine.  Exigeants,  ils  émettaient  des  prétentions  pécuniaires 
considérables  et  sollicitaient  le  paiement  immédiat  des  soldes 
promises  ;  «  chascun  congnoit  que  l'Allemagne  ne  se  resmue 
sans  l'or  estranger  et  que  l'un  ne  reluysant  point,  voyre  en 
abondance,  l'autre  demeure  sans  mouvement  »,  écrit  François 
de  la  Noue l. 

Les  reîtres  étaient  de  si  exécrables  compagnons  d'armes 
qu'ils  répugnaient  parfois  à  ceux  mêmes  qui  utilisaient  leurs 
services.  Brantôme  rapporte  ces  paroles  de  Coligny  :  «  Pour  moy 
et  pour  en  faire  fin,  je  scay  bien  ce  que  j'en  ay  veu  dire  et  jurer 
à  M.  l'admirai,  combien  cela  le  fascha  d'avoir  esté  contrainct 
de  s'estre  jamais  aydé  de  ces  reîtres  et  de  quoy  ils  estoient 
jamais  venus  en  France  et  que  s'il  estoit  à  re flaire  ou  que  la 
guerre  recommença  jamais,  il  n'appelleroit  plus  de  telz  gens 
pour  s'en  servir;  ils  estoient  trop  avares,  fascheux,  importuns 
et  malaisez  à  contenter.  »  Brantôme  donne  également  son 
opinion  sur  ces  auxiliaires  étrangers  :  «  Ces  bons  Allemands  se 

1.  P.  de  la  Noue,  Déclaration  publiée  p.  10  du  Recueil  de  pièces  historiques  édité 
\>;\r  B.  Picot  pour  les  liibliojthiles  françois.  Paris,  1914. 


il  LES    ETRANGERS    EN    FRANCE 

sont  pieu  à  piller  et  ruiner  la  France  ;  lesquelz  quand  ils  deman- 
doient  auparavant  secours  au  roi  Henri  proposoieni  pour  leurs 
principales  raisons  qu'eux  et  les  François  estaient  germains  et 
frères  et  que  pour  ce,  se  dévoient  maintenir  et  aider  les  uns  les 
autres.  Quels  Germains  et  quels  frères  !  » x 

Coligny  avait  raison  de  se  méfier  des  reîtres  et  des  soldats 
allemands  ;  parmi  ceux  qui  l'assassinèrent  figurait  «  un  escuier 
d'escurie  »  du  duc  de  Guise,  l'Allemand  Besme. 

Si  l'on  insiste  quelque  peu  sur  l'histoire  des  reîtres  en  France, 
c'est  qu'il  est  très  probable  qu'au  cours  des  cinquante  années 
pendant  lesquelles  ces  mercenaires  s'abattirent  sur  le  pays, 
beaucoup  s'y  installèrent  et  y  firent  souche.  Quelques  noms  de 
cornettes  de  reîtres  sont  connus,  on  aura  occasion  de  les  men- 
tionner ;  ceux  des  soldats  sont  au  contraire  ignorés  mais  il  a 
dû  en  être  des  Allemands  comme  des  Espagnols  ligueurs  ; 
après  la  paix  de  Vervins  nombre  de  sujets  de  Philippe  II  ne 
regagnèrent  pas  l'Espagne  ;  ils  demeurèrent  en  France,  accrois- 
sant ainsi  les  éléments  de  population  ibérique  dont  était  déjà 
doté  le  pays. 

C'est  à  dater  de  Charles  IX  que,  profitant  du  désordre 
général  régnant  dans  le  royaume,  les  reîtres  commencèrent  à 
traiter  la  France  en  pays  conquis. 

Le  1er  mars  1562,  le  duc  François  de  Guise  passait  à  Vassy. 
Ses  gens  se  prirent  de  querelle  avec  des  protestants  en  prières  ; 
un  coup  d'arquebuse  partit.  Ce  fut  le  signal  d'un  massacre 
sanglant.  Deux  grands  diables  de  pages  allemands  capitaines 
de  reîtres  à  la  suite  du  duc,  Chelecque  et  Klinquebert,  se  firent 
remarquer  par  leur  brutalité.  A  la  suite  de  leurs  faits  et  gestes, 
ils  furent,  dit  Brantôme,  très  aimés  de  Charles  IX  2. 

Pendant  les  guerres  de  religion,  les  reîtres  étaient  à  la  solde 
des  catholiques  et  des  protestants  ;  ils  se  donnaient  aux  plus 
offrants  ;  tantôt,  ils  combattaient  avec  les  premiers,  parfois  avec 
les  seconds  ;  souvent  même,  ils  luttaient  les  uns  contre  les  autres, 
mais  toujours,  ils  pillaient.  Au  cours  des  campagnes  qui  mar- 

1.  Brantôme.  Œuvres.  Éd.  de  la  Soc.  d'histoire  de  France.  Les  Capitaines,  t.  IV, 
p    235." 

2.  Brantôme,  éd.  citée,  t.  IV,  p.  108. 


LES    REITRES  73 

quèrent  les  années  1575  et  1576,  Condé  avait  amené  en  France 
de  forts  contingents  de  reîtres.  La  population  tremblait  :  «  Je 
crains  que  l'Alemant  triomphe  de  la  France  »,  disait  un  rimeur. 
A  la  tête  des  catholiques,  Henri  de  Guise  poursuivait  reîtres 
et  protestants  ;  il  les  joignît  et  les  défit  au  mois  d'octobre  1575. 
«  Le  mardi  11  octobre  1575,  le  seigneur  de  Fervacques  arriva 
à  Paris  et  apporta  au  roi  nouvelles  que  deux  mille  hommes, 
tant  reîtres  que  François,  conduits  par  M.  de  Thoré,  avoient 
esté  défaits  par  le  duc  de  Guise,  près  Fismes,  en  passant  la 
rivière  de  Marne,  au-dessus  de  Dormans  »  K  C'est  à  ce  combat 
que  le  duc  de  Guise  gagna  son  surnom  de  Balafré,  une  arque- 
busade  lui  ayant  emporté  une  grande  partie  de  la  joue  et  de 
l'oreille  gauche  2. 

Un  grand  enthousiasme  se  manifesta  à  Paris  ;  le  roi  fit  chanter 
un  Te  Deum  solennel  ;  les  libellistes  à  gages  du  parti  des  Guises 
échauffèrent  et  entretinrent  l'excitation  populaire  ;  ils  persua- 
dèrent aux  Français  que  M.  de  Guise  «  fut  le  premier  et  le  seul 
des  nostres  qui  accommança  à  bien  connoitre  et  estriller  les 
reistres  »3.  Ils  publièrent  en  son  honneur  un  hymne  triomphal 
dans  lequel  ils  exaltaient  sa  victoire  : 

Quand  j'oy  que  toute  la  France 
S'appuye  sur  ta  vaillance 
Et  sur  ta  saincte  grandeur 
Je  ne  puis  à  bon  droit  taire 
Ta  dignité  salutaire 
Et  ton  illustre  splendeur. 

Dans  le  Vray  discours  de  la  deffaicte  des  reistres,  était  célébrée 
la  victoire  de  Dormans  : 

Rendez  grâce,  François,  à  Dieu  pour  sa  clémence 
Qui  guide  à  vostre  espoir  vos  belliqueuses  mains 
Contre  ceux  qui  de  vous  on  nomma  les  Germains 
Et  pour  ce,  maintes  fois  avez  prins  leur  dcffcncc 
Mais  ils  vous  ont  rendu  pour  ayde  violence  4. 


1 .  P.  de  l'Estoile,  Mémoire*  Journaux,  édition  Lemerre,  t.  I,  p.  91. 

2.  Id.,  IbuL,  I.  1,  i).  91. 

3.  Brantôme,  éd.  citée,  t.  IV,  p.  195. 

4.  La  Deffaiie  des  reistres  et  autres  rebelles  par  Monseigneur  le  duc  de  GiUjie. 
A  l'iris,  par  Denis  du  Pré.  Imprimeur  en  la  rue  des  Amandiers,  à  l'enseign»  de  i  , 
Vérité,  1575. 


74  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Le  combat  de  Dormans  n'était  qu'un  épisode.  A  la  tête  de 
ses  reîtres,  Condé  continuait  la  lutte  contre  les  catholiques. 
Au  début  de  février  le  roi  reçut  nouvelles  «  comme  les  reistres, 
conduis  par  Condé,  qui  estoient  aux  environs  de  Dijon  avoient 
branqueté  la  ville  de  deux  cent  mil  francs  et  sauvé  la  Chartreuse 
pour  douze  mil  et  comme  ils  avaient  rasé  Lespeilly,  maison 
belle  et  magnifique  appartenant  au  seigneur  de  Tavannes. 
Et  le  mesme  jour  lui  vinrent  d'autres  nouvelles  de  Nuits,  prise 
d'assaut  et  saccagée  par  les  Alemans1...  »  Quelques  semaines 
après,  les  reîtres  traversaient  la  Loire  à  Roanne,  le  seigneur  de 
la  Chastre  et  les  Allemands  pillaient  Bourges  ;  en  avril  1576, 
Jes  reîtres  tenaient  Cosne  et  la  grande  route  de  Paris.  Enfin 
au  mois  de  mai,  était  signée  la  paix  de  Monsieur  ;  les  reîtres, 
tant  amis  qu'ennemis,  se  retiraient  vers  la  frontière  de  Lor- 
raine ;  leur  chef,  le  duc  Casimir  attendit  qu'on  lui  versât 
325.000  livres,  acompte  des  3.600.000  livres  promises  aux  Alle- 
mands qu'il  avait  amenés  au  secours  du  prince  de  Condé. 
«  Pour  la  seureté  de  la  somme  (et  pour  avoir  si  bien  ruiné  la 
France)  on  bailla  au  duc  Casimir  une  grande  partie  des  plus 
précieuses  bagues  du  cabinet  du  roy  et  trois  ou  quatre  seigneurs 
pour  ostages  ».  La  paix  de  Monsieur  coûtait  cher  au  trésor  royal 
mais  au  prix  des  sacrifices  d'argent  qui  lui  étaient  imposés, 
le  peuple  espérait  bien  être  débarrassé  des  reîtres  dont  il  avait 
eu  tant  de  motifs  de  se  plaindre.  A  vrai  dire,  la  populace  s'était 
vengée  des  Allemands  ;  le  Français  «  voyant  la  playe  qu'il 
avoit  receu  des  dictz  reistres  seigner  encor  a  tasché  d'avoir 
raison  ou  bien  quelque  réparation  du  tort  que  luy  avoient 
faict  les  reistres  tellement  qu'il  les  a  suivys  en  queue  et  s'est 
jeté  dessus  de  telle  furie  qu'il  en  a  defîaict  plusieurs  à  quoy 
n'a  pu  mettre  remède  celuy,  le  seigneur  que  le  roy  leur  avoit 
baillé  pour  sauf  conduitte  2...  » 

De  même  que  la  peste  était  à  l'état  endémique  dans  certaines 
régions  françaises,  le  reître,  cet  autre  genre  de  peste,  devait 
affliger  le  pays  durant  nombre  d'années.  Mais,  tandis  que  l'on 
cherchait  à  éviter  la  maladie,  on  s'efforçait  au  contraire  d'atti- 

1.  P.  de  l'Estoile,  Mémoires  Journaux,  éd.  citée,  t.  I,  p.  113. 

2.  Pierre  de  l'Estoile,  Mémoires  Journaux,  éd.  citée,  t.  I,  p.  375. 


LES    REITRES  75 

rer  et  de  retenir  les  soldats  allemands.  Catholiques  et  huguenots 
leur  offraient  des  sommes  importantes  pour  combattre  dans 
leurs  rangs.  Henri  III,  lors  de  la  paix  de  Monsieur,  avait  essayé 
de  gagner  les  bonnes  grâce  du  duc  Casimir  et  maintes  fois, 
le  parti  de  la  Ligue  rechercha  l'alliance  de  ces  mercenaires 
pillards.  En  1580,  un  sieur  Desle,  Allemand  d'origine,  chevalier 
de  l'ordre  du  Saint-Esprit  et  qui  avait  épousé  en  secondes  noces 
la  trésorière  d'Aligre,  fut  pendu  et  étranglé  à  Blois.  Il  avait 
été  chargé  par  le  roi  d'aller  en  Allemagne  faire  une  levée  puis, 
avec  l'argent  qu'on  lui  avait  confié,  avait  amené  des  soldats 
qu'il  avait  conduits  à  Condé  qui  tenait  La  Fère  et  plusieurs  autres 
places. 

Les  Mémoires  de  l'Estoile  sont  remplis  de  détails  sur  les 
méfaits  des  reîtres.  Chacun  tremblait  devant  eux.  Les  évêques, 
les  prêtres,  les  bourgeois  et  les  femmes  étaient  terrorisés.  Aux 
États  de  Blois,  l'archevêque  de  Bourges  résumait  en  quelques 
phrases  l'opinion  des  Français  sur  le  compte  des  Allemands. 
Il  disait  :  «  Leur  cruauté,  violence  et  rapine  est  si  grande  qu'il 
n'y  a  nulle  différence  de  la  fureur  des  barbares  vainqueurs 
contre  leurs  ennemis  ;  de  battre,  mutiler,  rançonner,  empri- 
sonner, saccager,  violer  femmes  et  filles,  distraire  les  enfants 
de  la  mamelle,  gaster,  rompre,  briser,  fouler  le  bien  aux  pieds 
des  chevaux,  emporter  le  reste,  laisser  les  femmes  et  les  enfants 
misérables,  sans  pain,  suivant  leurs  maris  et  pères  et  leurs 
chevaux  qu'on  emmène,  c'est  un  ordinaire  » l. 

En  décembre  1585,  on  informa  le  roi  d'une  nouvelle  descente 
de  ces  hommes  terribles  ;  le  peuple  gémissait  et  disait  : 

Voici  venir  les  Alemans 
Pour  aider  à  faire  vendange. 

On  s'efforça  de  les  combattre  et  vaincre  avec  des  troupes 
françaises  et  des  soldats  tirés  de  leur  pays.  Mais,  les  reîtres, 
luthériens  pour  la  plupart,  refusèrent  de  combattre  contre  leurs 
coreligionnaires  stipendiés  par  les  huguenots.  Pour  se  dérober 
à  leurs  obligations,  ils  invoquaient  même  des  motifs  théolo- 
giques, tirant  argument  de  ce  que  la  vraie  et  pure  confession 

1.  P.  Mathieu,  Histoire  des  derniers  troubles  de  la  France.  1597,  p.  106. 


76  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

d'Augsbourg  leur  interdisait  de  se  mettre  au  service  d'un  roi 
catholique.  Quelques-uns  de  leurs  chefs  durent  raisonner  avec 
eux  :  «  Nous  faisons  service  à  un  roi  légitime  auquel  certains 
subjectz  se  sont  desjà  pour  la  troisième  fois  révoltés...  il  n'y  a 
rien  de  si  contraire  à  la  religion  chrétienne  et  à  nostre  confession 
d'Augsbourg  que  telles  rebellions  de  subjectz  envers  leurs 
princes...  »  écrivaient  les  chefs  de  reîtres  dans  un  manifeste 
par  eux  signé  :  Philbert,  marquis  de  Bade,  Jean  Philippe  et 
Frédéric  Rheingraiï,  Georges,  comte  de  Leiniger,  Albert,  comte 
de  Dietz. 

Le  peuple  de  Paris  criait  :  «  Sus,  sus,  reîtres  à  la  campagne  !  » 
ou  : 

H  faut  sur  la  frontière  aller 
Pour  eouper  passage  aux  reitres. 

Les  pillages  ne  s'arrêtant  point,  deux  armées  furent  consti- 
tuées pour  lutter  contre  les  Allemands.  A.  la  tête  de  l'une  était 
Henri  III  ;  le  duc  de  Guise  commandait  la  seconde.  A  ce  dernier 
revint  l'honneur  de  vaincre  les  reîtres  à  Aune  au  ;  pour  lui, 
ce  fut  occasion  nouvelle  de  se  faire  décerner  les  honneurs  du 
triomphe.  Traités,  pasquils,  libelles  en  vers  et  en  prose  célé- 
brèrent la  victoire  qu'il  avait  remportée  ;  le  peuple  considéra 
le  Balafré  comme  un  libérateur. 

En  décembre  1587,  les  reîtres  ayant  perdu  beaucoup  des 
leurs  consentirent  à  traiter  avec  Henri  III  :  le  duc  d'Epernon 
fut  chargé  de  conduire  les  négociations  avec  leur  chef,  le  baron 
de  Dohna.  Le  médiateur  traita  luxueusement  le  baron  de  Donna 
dans  sa  maison  de  Marsilly-les-Nonains  et  il  fut  convenu  que 
les  reîtres  regagneraient  leur  pays  d'origine.  Chacun  souhaitait 
ardemment  le  départ  de  ces  soldats  exécrés.  En  effet,  venaient- 
ils  comme  alliés  ils  ne  songeaient  qu'à  faire  «  carousse  » l,  bom- 
bance et  débauche  au  grand  dam  des  populations.  Se  présen- 
taient-ils en  ennemis,  ils  pillaient,  saccageaient  et  coupaient  les 
mains  de  qui  leur  résistait.  Ils  ne  devaient  pas  perdre  cette 
habitude  par  la  suite  ;  au  début  du  xviue  siècle,  lorsque  les 

1.  Carousse  de  Gar  auss  :  tout  vidé.  Par  altération  cette  expression  est  devenue 
synonyme  de  débauche.  Cf.  Mathurin  Régnier,  satire  II,  vers  174,  éd.  Elzévier 
«  Avec  tous  les  dieux,  il  veut  faire  carousse.  » 


LES  SCHONBERG,  LES  DE  SCHELANDRE  77 

reîtres  entrèrent  en  Provence  avec  le  duc  de  Savoie,  ils  firent 
subir  ce  supplice  au  sieur  Martin,  habitant  Le  Luc  près  Fréjus. 
Pour  l'indemniser,  Louis  XIV  remit  à  ce  mutilé,  en  1709,  un 
secours  de  cent  livres  *. 

Les  descentes  de  reîtres  en  France  sous  les  règnes  de  Charles  IX 
et  de  Henri  III  ont  valu  au  pays  l'établissement  de  quelques 
familles  allemandes.  L'une  d'elles,  celle  des  Schonberg,  a  joué 
un  rôle  dans  notre  histoire.  Les  Schonberg  étaient  originaires 
de  la  Saxe.  Gaspard,  après  être  entre  au  service  des  protestants, 
les  abandonna  en  1563,  puis  se  poussa  très  avant  dans  les  bonnes 
grâces  du  roi  et  fit  une  fortune  rapide.  «  Le  15  septembre  1578, 
écrit  Pierre  de  l'Estoile,  Schonberg  qui,  dix  ans  auparavant 
estoit  un  simple  soldat  allemand,  prit  possession  de  la  terre 
et  comté  de  Nanteuil-le-Heaudouin  qu'il  avait  achetée  du  duc 
de  Guise  380.000  livres.  »  Sur  les  Schonberg,  il  est  inutile  d'in- 
sister longuement  ;  on  sait  que  Georges  mourut  jeune,  tué  au 
cours  du  fameux  duel  des  Mignons;  Gaspard  et  ses  descendants 
furent  des  personnages  importants  sous  les  règnes  de  Henri  IV 
et  de  Louis  XIII  ;  ils  remplirent  des  missions  comme  ambas- 
sadeurs ou  guerroyèrent  à  la  tête  des  troupes  françaises. 

De  cette  époque  troublée  date  également  la  pénétration  en 
France  de  la  famille  des  Schelandre.  Jehan  Thin  von  Schelnders 
ou  de  Schelandre  était  au  service  de  Jean  de  la  Mark,  duc  de 
Bouillon.  Ce  prince  l'investit  des  fiefs  de  Soumazannes  et  de  Gom- 
vaux.  Henri-Robert  de  la  Mark,  successeur  de  Jean,  lui  confia 
en  outre,  en  1571,  la  forteresse  de  Jametz,  au  commandement 
de  laquelle  Robert  de  Thin,  fils,  de  Jean,  fut  préposé  en  1584. 
Durant  la  guerre  du  duc  de  Lorraine  contre  le  duc  de  Bouillon, 
Robert  de  Thin  fit  l'admiration  de  tous  par  la  résistance  de 
deux  années  qu'il  opposa  aux  troupes  du  duc  de  Lorraine.  La 
place  succomba  en  juillet  1585  et  les  biens  des  quatre  enfants 
du  vieux  reître  Jehan  Thin  furent  confisqués  au  profit  d'Alïican 
d'Haussonville.  Ils  demeurèrent  cependant  attachés  à  la  région. 
Des  enfants  du  défenseur  de  Jametz,  Jean  de  Schelandre  est 
connu  comme  soldat  et   connue   poète.    Il    alla   c  nnbathv   en 

1.  A.  <!<•  lioiiislc,  Correspondu;  nliùleurs  yénéraux,  t.  III,  App.,  p 

Elut  des  Aumônes  du  mi  i>mir  1709. 


78  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Hollande  avec  son  frère  et  a  laissé  sur  la  Bataille  de  Nieuporl 
un  poème  dans  lequel  il  exalte  sa  haine  contre  le  duc  d'Albe 
et  les  Espagnols.  Les  Schelandre  demeurèrent  fixés  dans  le 
Rethelois.  Un  arrière-pètit-fils  de  Jehan,  Charles  de  Schelandre, 
épousa  Marie  d'Averhoult;  de  ce  mariage  naquit  une  fille,  Anne, 
qui,  en  1683,  pour  épouser  Louis  de  Montguyon,  se  convertit  au 
catholicisme  l. 


II 


Henri  III  mort,  suivant  l'ordre  des  dévolutions  à  la  couronne, 
Henri  IV  fut  appelé  à  lui  succéder  ;  pour  conquérir  son  royaume 
sur  le  roi  fantôme  qu'on  lui  opposait  sous  le  nom  de  Charles  X, 
il  lui  fallut  lutter  pied  à  pied.  Durant  près  de  deux  lustres, 
la  France  fut  à  nouveau  la  proie  des  soudards  étrangers  :  Ita- 
liens, Espagnols,  Hollandais,  Suisses  et  Allemands  furent 
tour  à  tour  embauchés  par  les  Ligueurs  ou  le  roi  légitime. 

Princes,  capitaines  et  soldats  allemands  vinrent  au  secours 
de  Henri  IV  et  lui  fournirent  armes  et  subsides  ;  ils  soutinrent 
en  France  la  cause  du  protestantisme  mais  fidèles  à  leurs  tra- 
ditionnelles habitudes  ils  surent  allier  leurs  intérêts  matériels 
à  leurs  opinions  religieuses.  Ils  soutirèrent  au  roi  des  sommes 
élevées  pour  les  prêts  qu'ils  lui  consentaient  et  dont  le  montant 
était  en  partie  destiné  à  solder  les  troupes  qui  lui  étaient  ame- 
nées. La  correspondance  de  Henri  IV  avec  les  ducs  de  Saxe, 
de  Wurtemberg  et  de  Brandebourg  marque  le  prix  que  le  roi 
attachait  à  l'aide  de  ses  alliés  et  prêteurs  2.  Au  duc  de  Saxe, 
Henri  IV  mandait  :  «  Je  suis  assailli  et  menacé  de  plusieurs 


t.  G.  Cohen,  Ecrivains  français  en  Hollande  dans  la  première  moitié  du 
xviie  siècle.  Paris,  1920.  Livre  Ier.  Un  poète  soldat,  Jean  de  Schelandre,  p.  26.  — 
Baron  de  Finie  de  Saint  Pierremont.  L'abjuration  d'Anne  de  Schelandre. 
Sedan,  1908. 

2.  Berger  de  Xivrey  et  Guadet,  Lettres  missives  de  Henri  IV.  Collection  des 
Documents  inédits.  Les  lettres  aux  princes  allemands  sont  particulièrement  nom- 
breuses. —  Sur  les  relations  de  Henri  IV  avec  l'Allemagne,  cf.  A.  Anquez,  Henri  IV 
et  l'Allemagne.  Paris,  1887. 


HENRI    IV    ET    LES    SOLDATS    ALLEMANDS  79" 

parts,  mais  persévérant  en  la  crainte  de  Dieu,  je  n'ai  crainte 
de  rien  si  je  suis  assisté  de  vous  ;  envoyez-moi  le  prieur  Christian 
d'Anhalt  avec  ses  troupes...  je  désire  entretenir  une  amitié 
étroite  avec  vous.  «Le  11  juin  1591,  il  écrivait  au  duc  :  «  J'ai  eu 
tant  de  confirmation  de  votre  bonne  volonté  à  la  prospérité 
et  avancement  de  mes  affaires  qu'à  bon  droit,  je  reconnais 
vous  en  avoir  une  très  grande  obligation.  » 

Auprès  du  duc  de  Saxe,  Henri  IV  multipliait  ses  démarches 
pour  obtenir  hommes  et  argent  ;  il  lui  envoyait  ambassade 
sur  ambassade.  Schônberg  se  rendait  fréquemment  en  Saxe 
et  en  Wurtemberg.  Au  duc  Louis,  souverain  de  ce  dernier  pays, 
le  roi  écrivait  :  «  Vous  n'avez  pas  rendu  vaine  l'espérance  que 
j'ai  eue  de  l'ancienne  amitié  qui  de  tout  temps  a  été  entre  la 
maison  de  France  et  celle  de  Wurtemberg...  j'ai  commandé 
au  sieur  de  Sancy  de  retourner  lever  des  troupes  et  recueillir 
ce  qui  restait  des  300.000  écus  alloués  par  les  princes.  »  Henri  IV 
remerciait  le  duc  de  Wurtemberg  de  ses  bons  offices  pour  lui. 
«  Merci  pour  la  bonne  volonté  de  tout  ce  que  vous  avez  fait, 
je  me  sens  vous  être  grandement  obligé.  »  Henri  IV  avait  aussi 
des  obligations  vis-à-vis  de  la  maison  de  Brandebourg  avec 
laquelle  il  entretint  en  douze  ans  plus  de  rapports  que  la  France 
n'en  avait  eus  pendant  un  siècle.  A  Sully,  le  31  août  1602, 
le  roi  écrivait  au  sujet  d'un  voyage  que  le  fils  de  l'Électeur 
allait  accomplir  en  France  :  «  Cette  maison  tient  un  tel  rang  en 
Allemagne  et  a  toujours  été  si  affectionnée  à  la  France  comme 
elle  le  montre  encore  maintenant  à  mon  endroit  que  je  veux 
qu'on  caresse  cestuy-ci  de  façon  qu'il  ayt  l'occasion  de  s'en 
louer.  » 

D'Allemagne,  Henri  IV  reçut  des  secours  considérables. 
I  )«  s  régiments  de  lansquenets  lui  furent  envoyés  pour  tenir 
garnison  dans  des  villes  dont  la  fidélité  des  habitants  paraissait 
douteuse.  A  Bordeaux,  de  1589  à  1596  environ,  stationna  un 
régiment  de  lansquenets  commandés  par  le  colonel  Hans  Frie- 
drich ;  il  avait  mission  de  maintenir  les  Bordelais  en  l'obéissance 
du   roi  l.  D'autres  troupes    allemandes    firent   campagne  sous 

i.    \.  Leroux,  op\  cii.t  T.  I. 


80  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

les  ordres  du  Béarnais.  Au  cours  du  seul  mois  de  septembre  1591, 
les  princes  lui  fournirent  5.500  reîtres  et  lui  avancèrent  dis 
subsides  importants  ;  quelques  seigneurs  allemands  combat- 
tirent aux  côtés  du  roi  :  Wolfang,  duc  des  Deux-Ponts  fut  tué 
en  luttant  contre  les  armées  des  Ligueurs.  Malgré  les  conditions 
qui  lui  avaient  été  imposées  au  point  de  vue  pécuniaire,  le  roi 
conserva  une  reconnaissance  spéciale  aux  princes  qui  l'avaient 
secouru  dans  sa  détresse  ;  il  le  prouva  d'ailleurs  en  accueillant 
avec  sympathie  les  Allemands  qui,  à  la  suite  de  la  signature 
de  l'Édit  de  Nantes  vinrent  se  fixer  en  France. 

On  a  indiqué  l'influence  qu'ont  pu  exercer  sur  la  population 
française  les  descentes  des  reîtres  dans  le  royaume  au  cours 
du  xvie  siècle.  Au  début  du  xvne,  on  relève  en  Normandie 
un  fait  curieux  qui  vient  à  l'appui  des  hypothèses  antérieurement 
formulées. 

Les  emprunts  effectués  par  Henri  IV  auprès  du  duc  de  Wur- 
temberg ne  lui  avaient  été  consentis  que  contre  des  garanties 
territoriales.  Le  roi,  en  1604,  avait  engagé  au  duc  de  Wurtem- 
berg le  duché  d'Alençon  ;  ce  prince  avait  installé  dans  la  capi- 
tale de  ce  territoire  des  officiers  et  des  soldats  ;  il  y  avait  égale- 
ment établi  des  receveurs  chargés  de  récupérer  les  impôts. 
Cette  occupation  temporaire  du  duché  d'Alençon  ne  prit  fin 
qu'en  l'année  1611,  Marie  de  Médicis  ayant  alors  racheté  ce 
domaine.  L'établissement  des  Allemands  à  Alençon  eut  sa  réper- 
cussion sur  la  population  du  pays  et  sur  l'industrie  de  la  dentelle. 
Quelques-uns  des  soldats  wurtembergeois  épousèrent  des  bro- 
deuses alençonnaises  et  demeurèrent  fixés  dans  le  pays  ;  ils 
s'intéressèrent  à  la  fabrication  des  points  coupés  et  de  leur  patrie 
où  l'art  de  la  dentelle  était  alors  plus  avancé  qu'en  France, 
ils  firent  venir  des  modèles  de  dessins.  C'était  justement  l'époque 
à  laquelle  Siebmayer  publiait  son  recueil  de  dessins  de  dentelles 
et  pendant  quelques  lustres  on  imita  à  Alençon  les  points 
coupés  confectionnés  en  Allemagne.  Ayant  remarqué  que  les 
fils  employés  par  les  brodeuses  de  Normandie  étaient  de  mau- 
vaise qualité  les  Wurtembergeois  fixés  à  Alençon  demandèrent 
à  leurs  compatriotes  d'y  faire  parvenir  les  fils  utilisés  en  Alle- 
magne. On  prit  alors  l'habitude  de  se  servir  de  ces  fils  pour  la 


TROUPES    ALLEMANDES    EN    FRANCE  81 

confection  des  réseaux  et  des  motifs  qui  décorent  le  point 
d'Alençon  K 

Outre  les  soldats  qui  s'établirent  en  Normandie  quelques 
officiers  wurtembergeois  paraissent  également  s'être  installés 
à  Alençon.  Au  mois  d'août  1607,  Benjamin  de  Buninkausen 
et  Vualmerode,  conseillers  d'État  du  duc  de  Wurtemberg 
acquirent  des  offices  qu'ils  achetèrent  à  des  bourgeois  de  la 
ville  2. 

Ces  faits  permettent  de  constater  que  les  soldats  allemands 
n'ont  pas  tous  quitté  la  France  ;  ils  y  trouvaient  d'agréables 
épouses,  un  ciel  clément  et  des  occupations  fructueuses. 


III 


Voulant  caractériser  l'armée  française  Richelieu  écrivait  : 
«  Je  suis  obligé  de  remarquer  qu'il  est  impossible  d'entreprendre 
avec  succès  des  grandes  guerres  avec  les  Français  seuls,  les 
étrangers  sont  absolument  nécessaires  pour  maintenir  le  corps 
des  armées  et  si  la  cavalerie  française  est  bonne  pour  combattre, 
on  ne  peut  se  passer  de  l'étranger  pour  faire  les  gardes  et  sup- 
porter toutes  les  fatigues  d'une  armée  ;  notre  nation  bouil- 
lante et  ardente  aux  combats  n'est  pas  vigilante  à  se  garder...  » 

Comme  ses  ancêtres  Louis  XIII  fit  un  large  appel  au  concours 
des  mercenaires.  De  l'extérieur,  il  eut  à  son  service  des  cavaliers 
allemands  et  créa  même  une  charge  spéciale  de  colonel  de  la 
cavalerie  allemande  dont  il  pourvut  d'abord  le  colonel  Streiff 
puis  en  1638  M.  d'Egenfeld. 

Dès  le  temps  de  Richelieu,  les  miliciens  étrangers  étaient  si 
nombreux  dans  nos  armées  que  le  cardinal  écrivait  :  «  Les  armées 
françaises  sont  toujours  composées  de  la  moitié  d'étrangers.  » 
Parmi  les  forains  enrôlé!  pour  la  France,  les  Allemands  domi- 
naient ;   en   Allemagne,   princes  et  seigneurs,   simplet   soldats 

!.  Madame  Despicrres,  Histoire  du  i'<>int  <i  Alençon.  AJinyon,  1886.  Documents 
extraits  ch-s  registres  «In   fflfrflHttlllgfl  Al  la   villr. 

2.  Act<  s  publiés  dans  Bulletin  historique  de  l'Orne,  t.  VII,  p.  261. 

6 


82 


LES    ETRANGERS    EN    FRANGE 


aussi,  ont  toujours  été  à  vendre  depuis  le  moment  où  François  Ier 
les  avait  habitués  à  rendre  des  services  politiques  ou  miHtaires 
contre  espèces  sonnantes.  Hobereaux,  comtes,  barons,  capi- 
taines, électeurs,  évêques  considéraient  la  France  comme  leur 
banquier  naturel  ;  aussi  bien,  Weimariens,  Saxons,  Bavarois 
entraient-ils  volontiers  dans  les  rangs  de  notre  armée.  Parfois 
ils  constituèrent  des  régiments  distincts,  tantôt  ils  s'enrôlèrent 
dans  des  formations  à  dénomination  étrangère.  C'est  ainsi 
par  exemple  qu'on  rencontre  fréquemment  des  Allemands 
dans  les  régiments  de  hussards  hongrois  lorsque,  sous 
Louis  XIII  et  Louis  XIV,  on  commença  à  recruter  cette 
cavalerie  légère. 

Il  serait  impossible  de  dresser  des  états  complets  des  hommes 
de  guerre  d'origine  allemande  qui  combattirent  pour  la  France, 
obtinrent  leurs  lettres  de  naturalisation  et  furent  pourvus  de 
charges  et  de  dignités.  Des  historiens  comme  le  Père  Daniel, 
îe  général  Susane  et  l'auteur  de  la  Chronologie  militaire  ont 
été  loin  de  connaître  tous  les  officiers  supérieurs  ou  subalternes 
d'origine  allemande  qui  s'enrôlèrent  dans  les  corps  de  troupes 
formés  pour  la  durée  d'une  campagne  ou  constitués  de  manière 
permanente.  Loin  d'essayer  de  compléter  les  travaux  de  ces 
savants  auteurs,  je  puiserai  dans  leurs  œuvres  quelques  indica- 
tions. 

Un  des  premiers  régiments  allemands  régulièrement  consti- 
tués fut  celui  que  Théodoric  Schônberg  amena  en  1589  au 
secours  de  Henri  IV  ;  il  combattit  à  Arques  et  à  Ivry.  Passé 
sous  les  ordres  de  Gaspard,  il  prit  part  au  siège  de  Rouen 
en  1591,  fut  licencié  en  mai  1598  puis  rappelé  en  1600  pour  la 
guerre  de  Savoie.  Ce  régiment  eut  le  sort  de  tous  les  régiments 
étrangers  appelés  par  Henri  IV  ;  son  existence  fut  éphémère. 
Sous  le  règne  de  Louis  XIII,  l'armée  française  comporta  égale- 
ment de  nombreux  corps  allemands  qui  vécurent  de  deux  à  dix 
ans  et  furent  recrutés  entre  les  années  1635  et  1638,  tels  furent 
ceux  que  commandèrent  Schmidberg,  Batilly,  Nassau,  Oehm, 
Wumbrand,  Kalemback,  Schombeck  et  de  Schack.  Advenant 
le  règne  de  Louis  XIV,  des  régiments  levés  pour  la  durée  d'une 
campagne  furent  placés  sous  les  ordres  de  Rattweil,  de  Flechstein, 


RÉGIMENTS  ALLEMANDS  A  LA  SOLDE  DE  LOUIS  XIV  83 

de  Bonickausen.  Trois  frères,  Jean,  Louis  et  Sigismond  d'Er- 
lach  commandèrent  successivement  un  corps  qui  porta  leur 
nom.  Des  grands  seigneurs  allemands  furent  également  appelés 
à  constituer  et  à  commander  des  formations  recrutées  parmi 
leurs  compatriotes.  Certains  régiments  allemands  créés  au  temps 
de  Louis  XIV  subsistèrent  jusqu'à  la  Révolution.  Celui  de 
Furstemberg,  levé  en  1668  par  Guillaume  Egon,  landgrave  de 
Furstemberg  fut  de  1670  à  1792  placé  sous  les  ordres  de  princes 
allemands. 

En  vue  de  la  guerre  contre  la  Hollande,  Louis  XIV  ayant 
autorisé  la  formation  d'un  nouveau  régiment  allemand,  le 
comte  de  Kônigsmark  organisa  en  1671  le  Royal  Allemand. 
Ce  corps  subsista  jusqu'à  la  Révolution  ;  il  fut  commandé 
par  Kônigsmark  puis  par  Bohlen.  Après  la  mort  de  ce  colonel, 
tué  à  la  bataille  de  Nerwinden,  le  Royal  Allemand  fut  donné 
à  Louis  Craton  comte  de  Nassau-Saarbruck  qui,  en  1702,  devint 
lieutenant  général  du  royaume. 

Au  mois  de  janvier  1709  était  aussi  créé  le  Royal-Bavière 
à  la  tête  duquel  furent  placés  Maximilien  de  Bavière,  le  comte 
d'Heilfenberg,  de  Lewenhaupt.  En  1783  le  landgrave  de  Hesse 
commandait  encore  ce  régiment. 

Nombre  de  chefs  de  ces  régiments  allemands  obtinrent^des 
hautes  dignités  dans  l'armée  française.  Charles-Frédéric,  baron 
de  Streifï,  très  brave  officier,  dit  Villars,  s'était  distingué  dans 
diverses  batailles  ;  il  devint  mestre  de  camp  en  1694,  brigadier 
en  1702,  maréchal  de  camp  en  1704  et  fut  blessé  à  mort  à  l'at- 
taque de  l'île  du  Marquisat  sur  le  Rhin.  Le  Bavarois  Mortani 
entré  au  service  de  la  France  en  1693  est  brigadier  en  1704, 
maréchal  de  camp  en  1710.  Ce  militaire  connu  sous  le  nom  de 
Mortagne  fut  pendant  quelques  années  à  la  tête  d'un  régiment 
de  hussards  hongrois.  . 

Ferdinand,  comte  de  Relingue  ou  plus  exactement  comte 
d'Erlingen,  était  lieutenant  général  lorsqu'il  fut  blessé  mortelle- 
ment à  la  bataille  navale  de  Malaga.  Il  était  petit-fils  d'un  Alle- 
mand naturalisé  en  1636.  Il  était  apparenté  à  la  marquise  de 
Sereville  qui  fit  venir  d'Allemagne  Charles-Antoine  d'Erlingen 
âgé  de  moins  de  cinq  ans  lors  de  la  mort  de  son  oncle.  Naturalisé 


6  1  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

en  1705,  Charles-Antoine  entra  dans  l'armée  et  tut,  lui  aussi, 
lieutenant  général  en  1748. 

En  poursuivant  l'histoire  des  corps  étrangers  au  service  de  la 
France  on  rencontrerait  sous  les  règnes  de  Louis  XIV  et  de 
Louis  XV  de  très  nombreux  Allemands  qui  entrèrent  dans  les 
rangs  de  l'armée  française;  les  Salm-Salm  y  figurent  fréquem- 
ment comme  officiers  ainsi  que  les  Hesse  et  les  Furstemberg.  On  ne 
saurait  énumérer  tous  ces  immigrants  mais,  au  moins,  convient-il 
de  faire  une  place  à  part  à  l'un  des  plus  glorieux  capitaines 
du  xvme  siècle  :  Hermann  Maurice,  comte  de  Saxe.  Après  avoir 
combattu  contre  Louis  XIV,  ce  vaillant  soldat  entra  en  1720 
au  service  de  Louis  XV  et  remporta  les  victoires  de  Fontenoy, 
de  Raucoux  et  de  Lawfeld.  A  la  suite  de  ces  succès,  il  fut  comblé 
de  faveurs  par  le  roi  qui  lui  concéda  notamment  le  château  de 
Chambord  et  l'autorisa  à  conserver  près  de  lui  et  sur  le  pied 
de  guerre  le  régiment  de  uhlans  qui  lui  appartenait.  Brillant 
soldat,  amoureux  passionné  de  la  célèbre  Adrienne  Lecou- 
vreur,  l'arrière  grand-père  de  George  Sand  fut  l'une  des 
plus  glorieuses  figures  de  notre  histoire  militaire  du  xvme 
siècle. 

Le  nombre  des  soldats  allemands  au  service  de  la  France  ne 
fut  pas  moins  considérable  au  xvin€  siècle  qu'au  cours  des 
époques  précédentes.  Les  Saxons  à  eux  seuls  fournirent  des 
contingents  importants.  Le  prince  Xavier  de  Saxe,  frère  de  la 
Dauphine,  commanda  en  1759  un  corps  saxon  composé  de  près 
de  10.000  hommes.  Ce  corps  avait  été  constitué  avec  les  pri- 
sonniers incorporés  de  force  dans  l'armée  prussienne  après  la 
prise  du  camp  de  Pinar  en  1756  ;  ils  étaient  parvenus  à  déserter 
puis  s'étaient  enrôlés  en  France  1. 

Les  subsides  français  étant  plus  importants  que  ceux  accordés 
par  d'autres  peuples,  beaucoup  d'Allemands  après  s'être  atta- 
chés au  service  de  quelque  souverain  étranger  demandaient 
à  combattre  dans  les  armées  welches.  Ils  suivaient  volontiers 
des  chefs  connus  ;  dans  les  régiments  de  Lôwendal,  figurent 
un  de  Bulow,  un  d'Elorn,  comme  lieutenant-colonel  et  major; 

1.  A.  Thévenot,  Correspondance  inédite  de  François  Xavier  de  Saxe.  Paris,  1874, 
p.  9. 


NICOLAS    DE    LUCKNER  85 

des  Hanovriens  et  des  Saxons,  des  de  Millier,  des  Stiebritz 
sont  mentionnés  sur  les  contrôles  de  ce  corps  1.  D'Espagne 
passent  en  France  des  officiers  allemands  ;  les  conventions  du 
Pacte  de  famille  leur  donnent  la  facilité  de  changer  de  maître 
et  quelques-uns  abandonnent  le  service  de  Charles  III  pour  celui 
de  Louis  XVI.  De  ce  nombre  fut  notamment  Emmanuel  de 
Salm-Salm  qui,  en  1778,  prit  rang  dans  un  corps  de  cavalerie 
française  et  se  fit  naturaliser  en  1789  avec  l'espoir  d'être  élu 
comme  député  aux  États  généraux  2. 

Lorsque  l'armée  française,  composée  d'éléments  si  divers 
et  parmi  lesquels,  trois  siècles  durant,  s'étaient  insinués  tant 
d'Allemands  avides  de  pensions  et  de  places,  fut  réorganisée 
sur  des  bases  nouvelles,  les  corps  étrangers  disparurent.  Il  ne 
subsista  plus  que  des  brigades  et  demi-brigades  nationales. 
Dans  leurs  rangs,  sans  doute,  mais  complètement  assimilés 
à  des  Français,  combattirent  des  descendants  de  ces  milliers 
de  soldats  allemands  que  les  rois  avaient  pris  à  leur  solde. 
Parfois  même,  les  armées  de  la  Révolution  furent  encore  com- 
mandées par  des  maréchaux  d'origine  étrangère.  Nicolas,  comte 
de  Luckner,  né  en  Bavière  en  1722  s'était  distingué  au  service 
de  la  Hollande  et  du  Hanovre  quand,  en  1763,  il  passa  comme 
lieutenant  général  au  service  de  la  France.  Nommé  maréchal 
le  28  décembre  1791,  il  eut  un  commandement  à  l'armée  du 
Rhin.  Ayant  constaté  l'état  lamentable  de  son  armée,  il  com- 
parut le  26  février  1792  à  la  barre  de  l'Assemblée  nationale 
et  exposa  la  pénurie  des  soldats.  Comme  son  accent  allemand 
ne  lui  permettait  pas  de  se  faire  comprendre  aisément  des  dépu- 
tés, le  ministre  Narbonne  s'écria  :  «  Il  a  le  cœur  plus  français  que 
l'accent.  »  Quelques  mois  après  Luckner  était  nommé  généralis- 
sime des  armées  du  Nord  et  du  Rhin,  mais  compromis  par  ses 
relations  avec  Lafayette  et  la  cour,  il  fut  suspendu  de  son  com- 
mandement après  la  journée  du  10  août.  On  l'arrêta  et,  con- 
damné à  mort,  il  fut  exécuté  le  4  janvier  1794. 

1.  Marquis  de  Sincty,  Vie  du  maréchal  de  Lowcndal.  Paris,  1868,  t.  II.  Appen- 
dices. 

2.  A.  Morel-Futio,  Eludes  sur  l'Espagne.  Paris,  1906»  t.  II.  Grands  d'Esputjne  rt 
I'ctiis  Prince*  aUanandê.  —  A.  Brette,  Papier*  et  correspondance  du  /• 

Salm-Salm,  <l;ms  Revue  tUiêûlique,  I.  I.W1. 


CHAPITRE  V 


LES    ALLEMANDS    DANS    NOS    MINES    ET    DANS    LA     METALLURGIE 


Dans  l'exercice  des  professions  purement  mécaniques  ou 
dans  les  exploitations  qui  exigent  surtout  de  la  patience,  de  la 
ténacité  et  pour  lesquelles  ne  se  perçoivent  pas  des  profits 
immédiats  le  Français  semble  être  demeuré  en  retard  sur  les 
étrangers.  Par  ailleurs,  aimant  à  conserver  son  individualité, 
il  désire  produire  lui-même  son  œuvre,  la  parachever,  et  ne  se 
soucie  pas  d'être  perdu  dans  une  collectivité  ;  il  n'aime  pas 
faire  partie  d'un  groupement  agissant  pour  un  but  qu'il  ignore  ; 
il  goûte  peu  la  division  du  travail  que  la  grande  industrie  a 
rendu  nécessaire. 

En  dehors  de  ses  qualités  natives,  l'Allemand  sait  travailler 
en  vue  d'une  œuvre  commune  ;  il  ne  cherche  pas  à  briller  indivi- 
duellement :  «  il  est  né  employé  et  n'est  qu'un  homme  partiel  », 
comme  l'a  écrit  un  économiste  d'outre-Rhin,  il  est  le  type  de 
1'  «  Inconscient  »  de  Hartmann.  Il  possède  une  patience  que  le 
Français  n'a  pas  toujours  eue  car  lorsque  celui-ci  n'entrevoit  pas 
la  nécessité  de  son  effort,  il  se  laisse  parfois  aller  au  décourage- 
ment ;  son  esprit  de  suite  n'est  pas  toujours  égal  à  son  esprit 
d'invention. 

Aussi,  dans  les  exploitations  qui  exigent  l'effort  collectif, 
les  Allemands  semblent  nous  avoir  été  supérieurs  ;  alors  que, 
malgré  l'appui  du  gouvernement,  nos  concessionnaires  de  mines 
se  ruinaient,  les  étrangers  de  race  germanique  s'enrichissaient 
en  exploitant   notre  sous-sol.  Il  est  vrai  que   depuis  l'époque 


MINEJRS    ALLEMANDS    EN    FRANCE    AU    MOYEN    AGE  87 

ottonienne,  l'Allemagne  avait  borné  son  effort  au  domaine 
économique  dans  lequel  elle  affirmait  une  supériorité  qui  paraît 
liée  à  la  race  tout  entière  ;  noblesse,  bourgeoisie  et  artisans  de  la 
Saxe,  du  Wurtemberg  et  des  principautés  s'unissant  en  une 
intime  alliance  pour  développer  dans  leur  pays  l'industrie  et  le 
négoce.  Jusqu'à  l'avènement  de  Colbert  qui  donna  à  la  France 
une  impulsion  nouvelle  mais  factice,  notre  pays  fut  trop  souvent 
tributaire  de  l'Allemagne  pour  les  produits  manufacturés  d'un 
usage  courant,   notamment  pour  les  articles  de  métallurgie. 

Les  Allemands,  constate  Montaigne,  étaient  excellents  ouvriers 
du  fer  ;  non  seulement  ils  mettaient  en  œuvre  les  mines  métal- 
liques de  leur  patrie  mais  encore  ils  venaient  en  France  exploiter 
les  nôtres  et  fonder  des  manufactures  d'objets  en  fer.  De  ce 
chef,  nous  avons  reçu  de  nombreux  apports  de  population  ger- 
manique. 

Le  mouvement  d'immigration  des  ingénieurs  et  des  mineurs 
allemands  a  commencé  de  très  bonne  heure.  Dès  l'année  1287, 
les  Annales  des  Dominicains  de  Colmar  signalent  la  présence 
en  Alsace  d'Allemands  à  qui  les  Vosges  doivent  leurs  galeries 
souterraines  ;  les  comptes  de  Charles  IV  le  Bel  décèlent  l'arrivée 
dans  le  royaume  de  maître  Hugo,  de  maître  Gautier  et  de 
maître  Jean,  originaires  d'Allemagne  ;  en  1325,  ils  reçurent 
trois  cents  livres  tournois  pour  les  travaux  qu'ils  avaient  exé- 
cutés l.  Les  mines  de  Sainte-Marie  dans  les  Vosges  étaient 
exploitées  par  des  ouvriers  d'outre-Rhin.  Lorsque  le  Chapitre 
de  Saint-Dié  à  qui  appartenaient  les  gisements,  fit  représenter 
dans  son  Graduel  le  type  des  mineurs  qu'il  employait,  le  minia- 
turiste peignit  un  artisan  vêtu  comme  les  ouvriers  allemands 
utilisant  des  instruments  semblables  à  ceux  qui  sont  décrits 
dans  le  Livre  de  la  mine  paru  en  1480  et  à  ceux  de  la  Saxe  que 
Kalbus  Fribergius  dépeignit  dans  son  Bergbnchlein. 

De  tous  les  travaux  de  la  mine,  le  plus  pénible  était  celui 
des  «  rompeurs  de  grosse  myne  »  dans  lesquels  excellaient 
les  compagnons  de  la  Misnie,  de  Schwartz  et  de  Thuringe. 
En  1455,  quand  Jacques  Cœur  fit  venir   d'Allemagne    Claux 

1.  J.  Vianl,  Journaux  du  Trésor  de  Charles  IV  le  Bel.  Collection  det  Document* 
inédits.  Paris.   l'HX,  acte  n"  4676. 


88  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

Sinermanl  pour  ouvrir  les  galeries  de  ses  mines  d'argent  et  de 
plomb  du  Beaujolais,  il  fut  stipulé  que  les  gages  d'ouvrier 
«  de  martels  allemands  »  ne  seraient  pas  analogues  à  ceux  des 
ouvriers  romans,  leurs  collaborateurs  ;  ils  étaient  plus  élevés  à 
raison  de  la  supériorité  des  mineurs  étrangers  K 

Lorsque  Charles  VII  eut  confisqué  les  biens  de  Jacques  Cœur, 
il  chargea  Jean  Danvet  d'exploiter  les  mines  du  Vernay  qui 
avaient  appartenu  au  grand  négociant.  Il  conserva  Claux 
Sinérmant  comme  «  maître  niveleur  ou  géométricien  chargé 
de  caver  60  toises  de  long  pour  1.500  livres  ».  Les  ouvriers  de  ces 
mines  étaient  allemands.  Le  charpentier  Wolfang  Bogar  tou- 
chait 70  1.  28  s.  9  d.  par  an.  Thomas  Ysmant,  «  maître  de  mon- 
tagnes »,  percevait  annuellement  60  1.  tournois  2. 

Dans  le  duché  de  Bretagne  où  les  mines  étaient  abondantes, 
Jean  V  fit  appel  à  des  ingénieurs  allemands  ;  en  1452,  il  donnait 
à  Claude  Latreba,  «  du  pays  d'Almaigne,  ouvrier  et  apurour  de 
mines  d'argent  »  et  à  ses  compagnons  et  serviteurs  «  licence  et 
plain  congié  de  prendre  leurs  nécessités  à  oupvrer  et  faire  apure- 
ment de  mines  d'argent  et  autres  métaux  que  trouveront  en 
nostre  pays  » 3. 

La  législation  minière  a  été  flottante  sous  l'ancien  régime  ; 
chaque  souverain  a  cherché  une  formule  qui  permit  au  trésor 
royal  de  tirer  profit  de  l'exploitation  des  mines  en  même  temps 
qu'il  s'efforçait  de  favoriser  le  développement  de  l'industrie 
minière.  Parfois  les  rois  essayèrent  de  nationaliser  les  gisements  ; 
à  d'autres  moments,  ils  recoururent  au  système  des  concessions 
directes.  Ces  deux  méthodes  donnèrent  rarement  satisfaction. 
La  nationalisation  des  industries  a  toujours  conduit  à  des 
déboires  sous  quelque  régime  que  ce  soit  et  le  mode  de  conces- 
sion, jadis  adopté,  ne  pouvait  conduire  à  des  résultats  pratiques. 
En  effet,  on  concédait  à  un  favori  ou  à  un  seigneur  le  droit 
d'exploiter  un  gisement  comme  on  lui  aurait  octroyé  un  béné- 
fice ou  une  pension  ;  l'heureux  concessionnaire  se  désintéressait 


1.  A.  Girodie,  Les  mines  d'argent  de  la  croix  aux  mines  de  Lorraine,  dans  Revue 
lorraine  illustrée.  Année  1909. 

2.  S.  Luce,  La  France  pendant  la  guerre  de  Cent  ans.  Paris,  1890,  p.  369. 

3.  R.  Blanchard,  Lettres  et  mandements  de  Jean  V,  acte  1552. 


MINEURS    ALLEMANDS    AU    XVIe    SIÈCLE  89 

de  la  mine  et  ne  voulait  en  retirer  qu'une  redevance  pécuniaire. 
Le  sous-traitant  n'avait  généralement  pas  les  capitaux  néces- 
saires pour  mener  à  bien  son  entreprise  ou  ne  trouvait  pas  les 
ouvriers  capables  d'accomplir  assidûment  un  travail  pénible. 
Nos  artisans  n'ont  jamais  été  des  mineurs  remarquables.  Ils 
étaient  avant  tout  agriculteurs  et  à  l'existence  monotone 
que  l'on  passe  dans  les  souterrains  ils  préféraient  la  vie  des 
champs  qui  verdoient  au  printemps.  Maintes  fois,  il  fut  néces- 
saire de  recourir  aux  ouvriers  étrangers  pour  abattre  les  minerais 
que  recèle  notre  riche  sous-sol  ;  on  leur  accorda  des  lettres  de 
naturalisation  et  on  leur  donna  les  mêmes  privilèges  qu'aux 
naturels  du  pays.  Une  ordonnance  de  Henri  II,  confirmée 
par  un  arrêt  du  Conseil  d'État  de  l'an  1604,  octroya  la  qualité 
de  Français  aux  mineurs  étrangers. 

En  agissant  comme  il  le  fit,  Henri  II  suivit  les  errements  de 
son  père  ;  ses  successeurs  l'imitèrent. 

Les  Allemands  profitèrent  spécialement  des  bonnes  disposi- 
tions de  la  royauté  à  l'égard  des  exploitants  de  mines.  Par  tra- 
dition, ils  avaient  coutume  de  venir  en  France  prospecter  le 
sous-sol  ;  en  outre,  ils  avaient  sur  les  Français  une  avance  consi- 
dérable dans  l'art  des  exploitations  minières  ;  leurs  savants 
avaient  étudié  la  science  minéralogique  et  dès  le  début  du 
xvie  siècle,  ils  avaient  écrit  des  traités  spéciaux  à  l'usage  des 
industriels  allemands  ;  en  1505,  Kalbus  Fribergius  avait  édité 
le  Bergbuchlein  et  quelques  années  après,  Agricola  donnait 
au  public  le  De  Re  metallica. 

François  Ier  eut  recours  aux  Allemands  pour  découvrir  des 
gisements  et  les  exploiter.  A  Jean  des  Essarts  il  accorda  une 
subvention  pour  l'aider  à  nourrir  les  Germains  occupés  à  pros- 
pecter le  sous-sol  du  royaume  ;  à  René  de  GuelfY,  gentilhomme 
de  sa  chambre,  il  octroya  la  permission  de  «  chercher,  ouvrir, 
ri  exploite?  dans  le  royaume  et  autres  pays  appartenant  au 
roi  les  mines  d'or  et  d'argent  et  autres  métaux  pendant  trois 
ans  » l  ;  il  lui  fil  don  des  droits  qui  lui  revenaient  du  fait  de  cette 
concession.  Sans  doute,  René  de  Guellï  ail  ira  de  sou  paya  des 

1.  Catalogue  des  Actes  de  Inimnis  /•«",  V1"  Mim-s.  <!«•  (iiu-M  et  ;utes  9920  et 
10049. 


90  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

ouvriers  et  ingénieurs  qui  parcoururent  la  France.  Etaient-ils 
de  ceux-là,  ces  Allemands  «  minéraux  »  qui,  en  1537,  visitèrent 
la  Normandie  et  «  fouirent  »  les  mines  de  Tracy,  aux  environs 
de  Caen  ou  qui  voulaient  qu'on  «  se  désistât  de  faire  les  fonde- 
ments »  de  l'hôtel  d'Escoville  à  Caen  parce  qu'il  leur  avait  été 
dit  qu'au  lieu  où  l'on  commençait  à  bâtir  cette  demeure  on 
avait  vu  couler  une  bonne  quantité  de  vif  argent  l. 

L'habileté  des  Allemands  à  travailler  les  métaux  était  si 
notoire  au  xvie  siècle  qu'elle  frappait  un  chacun.  Montaigne 
a  parlé  de  leur  adresse  ;  Henri  Estienne,  dans  sa  Précellence  du 
Langage  françois  y  fait  allusion  :  «  au  reste  encore  que  je  confesse 
que  les  autres  nations  ont  aussi  bien  des  ars  ou  mestiers,  je  ne 
veux  pas  confesser  qu'elles  en  ayent  si  grand  nombre,  excep- 
tant seulement  l'Allemande  quant  au  fer  duquel  elle  s'aide 
si  bien  et  en  tant  de  sortes  d'ouvrages...  que  les  Allemands  ont 
l'esprit  aux  doits  » 2. 

Cette  supériorité  de  nos  voisins  de  l'Est  était  connue  de 
Henri  IV  et  de  Sully  ;  ils  appelèrent  d'Allemagne  artisans  et 
ouvriers.  De  Thou  note  le  fait  dans  son  Histoire  et  ajoute  que 
dès  que  ces  étrangers  connurent  la  vie  large  que  leur  offrait 
la  France,  ils  se  dégoûtèrent  rapidement  de  cette  existence  sans 
joie  ni  lumière.  Ils  renoncèrent  aux  travaux  souterrains  mais  se 
fixèrent  en  France.  Sous  le  règne  du  Béarnais,  à  un  favori 
d'origine  germanique,  Beringhen,  échut  le  contrôle  général  des 
mines  ;  il  s'occupa  de  sa  charge  mais  attira  des  Allemands. 
La  présence  de  concessionnaires  étrangers  est  attestée  par  des 
documents  variés.  Bien  que  l'on  ne  possède  point  d'archives 
au  Blaymard,  il  est  certain  que  ce  gisement,  dont  l'exploitation 
remonte  au  xvne  siècle,  doit  son  nom  à  la  présence  d'Allemands. 
Les  «  faiseurs  de  plomb  »  «  blei  mâcher  »  ont  laissé  leur  souvenir 
dans  la  région. 

Un  livre  curieux,  daté  de  1640  et  dédié  au  cardinal  de  Riche- 
lieu a  pour  titre  :  La  Restitution  de  Pluton  à  Monseigneur  Verni- 
nentissime  cardinal,  duc  de  Richelieu.  C'est  un  pamphlet  contre 

1.  Charles  de  Bourgueville,  sieur  de  Bras,  Les  Recherches  et  Antiquités  de  la 
Province  de  Neustrie.  1588,  réédition  de  1833,  p.  40. 

2.  H.  Estienne,  La  Précellence  du  langage  françois,  édition  Garnier,  1914.  p.  271. 


COLBERT  ET  LES  INGÉNIEURS  ALLEMANDS         91 

les  Français  qui  vont  chercher  bien  loin  ce  qu'ils  possèdent 
chez  eux  en  même  temps  qu'un  ouvrage  sérieux  sur  la  manière 
de  découvrir  les  diverses  mines  de  métal  et  de  les  exploiter. 
Ce  livre  a  pour  auteurs  Jean  du  Chastelet,  baron  de  Beausoleil 
et  sa  femme  ;  le  privilège  qui  autorise  les  du  Chastelet  à  l'im- 
primer en  fait  un  grand  éloge.  En  1627,  du  Chastelet  avait  été 
commissionné  pour  «  toutes  recherches  minières  »  à  effectuer 
en  France.  Cette  commission  lui  fut  renouvelée  en  1635.  Quand 
l'auteur  de  la  Restitution  de  Pluton  fut  autorisé  à  se  livrer  à  des 
recherches,  il  alla  étudier  en  Hongrie  et  en  Allemagne  avec  sa 
femme  et  en  1630,  tous  deux  revinrent  de  ces  pays  amenant 
avec  eux  dix  Hongrois  et  cinquante  Allemands  K 

Lors  de  son  ministère,  Colbert  s'occupa  lui  aussi  des  gisements 
miniers.  Il  fit  venir  des  Saxons  ;  sous  la  conduite  de  spécialistes, 
ils  mirent  en  valeur  les  mines  de  fer  dont  l'industrie  renaissante 
avait  besoin.  La  correspondance  de  Colbert  abonde  en  rensei- 
gnements sur  les  mineurs  allemands  qu'il  fit  venir  en  France. 
Le  ministre  leur  marquait  une  sollicitude  au  moins  égale  à  celle 
qu'il  témoignait  aux  charpentiers  hollandais  ;  il  s'intéressait 
à  leur  installation,  au  paiement  régulier  de  leurs  salaires  et  à  la 
venue  de  leurs  femmes.  Pour  exploiter  les  mines  dû  Languedoc, 
Colbert  fit  venir  cinquante  mineurs  allemands.  Nonobstant 
les  leçons  qu'ils  prirent,  les  concessionnaires  français  ne  tirèrent 
pas  des  profits  sérieux  de  leurs  mines  ;  survenant  la  crise  indus- 
trielle qui  marqua  le  premier  quart  du  xvme  siècle,  beaucoup 
d'entre  eux  délaissèrent  les  mines  dont  Colbert  avait  cherché 
à  favoriser  le  développement.  Des  Allemands  ne  dédaignèrent 
pas  de  reprendre  des  exploitations  mal  conduites  et  durant  les 
règnes  de  Loui^  XV  et  de  Louis  XVI,  ils  se  firent  octroyer  des 
concessions  et  accorder  des  directions  de  mines.  Avec  eux  ils 
amenèrent  contre-maîtres  et  ouvriers. 

En  1728,  on  donne  à  François  Etienne  de  Blumenstein,  écuyer 
d'origine  allemande,  naturalisé  français  par  lettres  du  15  mai  1715, 
le  privilège  exclusif  d'exploiter  les  mi  nos  de  plomb  et  autres 
métaux  de  la  région  du  Forez.  Etienne  de  Blumenstein  avait 

1.  La  Restitution  de  Pluton.  Paris,  1640,  p.  MG.  Passeport  délivré  par  le  prince 
d'Orange. 


92  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANGE 

épousé  Madeleine  de  Montroignon  ;  leur  lils  obtint  la  continua- 
tion des  privilèges  du  père  ;  après  avoir  acquis  le  château  de  la 
Goutte,  paroisse  des  Salles,  il  fut  qualifié  d'écuyer,  seigneur  de 
la  Goutte,  concessionnaire  des  mines  du  Forez  et  du  Dauphiné. 
Près  de  son  château,  il  installa  une  fonderie  importante  *. 
En  1741,  le  subdélégué  de  Tournon,  fournissant  un  rapport  à 
son  supérieur  écrivait  :  «  Le  sieur  Blumenstein  ne  se  sert  que 
d'ouvriers  allemands  pour  tirer  son  plomb  parce  qu'ils  savent 
mieux  le  séparer  de  la  matière  dont  il  est  enveloppé  que  les 
autres  ouvriers  dont  ils  se  servaient  » 2. 

Blumenstein  et  son  compatriote  Hollzendorfî  avaient  été 
nommés  inspecteurs  généraux  des  mines  françaises  ;  ils  n'étaient 
pas  tendres  dans  leurs  rapports  pour  les  exploitations  dirigées 
par  les  sujets  du  roi  et  pour  les  ouvriers  français.  Ayant  eu 
l'occasion  de  donner  leur  opinion  sur  la  manière  dont  étaient 
exploitées  les  mines  de  Bahours,  près  de  Mende,  concédées  à  un 
sieur  Meuron,  ils  cherchèrent  à  faire  évincer  de  sa  concession 
cet  entrepreneur  qui  dut  se  justifier  des  attaques  dont  il  était 
l'objet.  Dans  un  rapport  daté  de  l'année  1747  3,  Blumenstein 
et  Hollzendorfî  écrivaient  :  «  Les  ouvriers  nationaux  sont  gros- 
siers et  mutins,  ils  sont  fainéants...  il  faut,  comme  cela  se  pratique 
en  Allemagne,  leur  concéder  des  avantages  spéciaux,  sans  quoi 
il  ne  faut  pas  penser  avoir  jamais  de  bons  ouvriers  en  France.  » 

Au  vrai,  il  semble  que  les  exploitants  de  mines  aient  tenu 
à  justifier  cette  opinion  de  Blumenstein.  Dans  toutes  les  régions, 
ils  utilisaient  la  main-d'œuvre  allemande.  Le  subdélégué  d'Albi, 
Valat,  fait  connaître  en  1744  que  les  prétendues  mines  d'or  de 
la  Gueprie  sont  exploitées  par  des  Allemands  4.  Dans  le  Gévau- 
dan,  le  subdélégué  de  Mende  rapporte  que  dans  les  mines  de  la 
Société  Meuron,  les  ouvriers  allemands  reçoivent  les  salaires 
suivants  :  les  chefs  mineurs,  50  livres  par  mois,  les  sous-chefs 
36  livres  et  les  ouvriers  7  livres  par  semaine  5.  Aux  environs  de 


1.  G.  Martin,  La   Grande  Industrie  sous  le  règne  de  Louis  XIV.  Paris,  1899, 
p.  69. 

2.  Arch.  dép.  de  l'Hérault,  C  2702. 

3.  Ibid.,  G  2709. 

4.  Ibid.,  C  2706. 

5.  Ibid.,  C  2708. 


LES    MINEURS    ALLEMANDS    AU    XVIIIe    SIÈCLE  93 

Bahours,  on  occupe  des  mineurs  allemands  :  les  paysans  se 
mutinent  un  jour  contre  eux  ;  on  les  emprisonne  et  Machault 
écrit  à  l'intendant  d'éviter  à  l'égard  des  campagnards  les  forma- 
lités habituelles  de  procédure  l.  A  la  veille  de  la  Révolution, 
Gensanne,  directeur  de  mines  dans  les  Cévennes,  occupe  les 
frères  Reilinsperguer,  originaires  de  Wolsach  près  de  Fursten- 
berg  2. 

Depuis  le  ministère  de  Colbert,  on  allait  apprendre  en  Alle- 
magne les  procédés  d'exploitation  minière  ;  les  ingénieurs  qui 
étaient  envoyés  à  l'étranger  pour  y  étudier  avaient  souvent  mis- 
sion de  ramener  des  artisans  et  contremaîtres  habiles.  Clerville, 
directeur  de  la  Compagnie  royale  des  mines  et  fonderies  du  Lan- 
guedoc dépêcha  un  ingénieur  en  Allemagne  étudier  les  systèmes 
employés  pour  l'exploitation  des  gisements  du  Harz  et  de  la 
Saxe.  A  son  retour,  dans  le  Gévaudan,  les  Corbières,  le  Rouer- 
gue,  on  fonda  vingt  ateliers  avec  le  concours  des  ouvriers  qu'il 
avait  ramenés.  Au  xvme  siècle,  les  ingénieurs  qui  sollicitent 
des  concessions  font  savoir  qu'ils  sont  au  courant  des  méthodes 
allemandes.  André  Fitel  de  laBrière  et  Joseph  Flagues  demandent 
l'autorisation  de  mettre  en  œuvre  les  gisements  de  la  région 
de  Caen  ;  ils  exposent  au  ministre  qu'ils  ont  étudié  outre-Rhin  3. 

En  Bretagne,  les  Allemands  tiennent  les  mines  de  Poul- 
laouen  Huelgoat.  De  1741  à  1780,  les  directeurs  successifs, 
Bermann,  Kônig,  Brollmann  emploient  des  Allemands,  leurs 
compatriotes.  Parmi  les  artisans  qu'ils  occupent,  on  note  Nicolas 
Tubourg,  de  Saxe,  Henri  Wockere,  natif  de  Olpen  en  Westphalie, 
Samuel  Siber,  Saxon,  de  Crezin  et  d'Engleperche,  originaires 
•du  Palatinat.  Quelques-uns  ont  fait  souche  en  Bretagne  ; 
Ritz,  mineur  du  xvme  siècle,  a  laissé  des  descendants  au  Huel- 
goat 4. 

Lorsque  Cambry,  à  la  fin  du  xvme  siècle,  parcourut  le  Finis- 
tère, il  visita  les  mines  de  Poullaouen.  «  Le  directeur  de  la  mine, 
écrit-il,  me  reçut  très  honnêtement  :  c'est  un  Allemand,  jeune 

1.  Arch.  dép.  de  l'Hérault,  C  2708. 

2.  Ibld.,  C  2704. 

3.  Arch.  dép.  <lu  Calvados,  C  2087. 

4.  Bourde  de  la  Rogerie,  Introduction  à  V  Inventaire  de  la  térit  U  de»  Archive» 

4u  Finistère,  p.  ccin. 


94  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

encore  ;  sa  femme,  un  enfant  au  berceau,  une  flûte,  une  guitare, 
Hubert  Gessner  et  Zacharie  lui  font  passer  de  doux  moments 
dans  ces  demeures  solitaires  »  *.  A  Pont-Croix  en  Bretagne, 
on  avait  pensé  découvrir  des  mines  de  charbons  et  les  échantil- 
lons avaient  été  soumis  au  citoyen  Shereber,  inspecteur  des 
mines  ;  les  mines  de  Saint-Georges,  en  Anjou,  étaient  exploitées, 
en  1795,  par  une  association  de  marchands  de  Tours  qui  occu- 
paient surtout  des  ouvriers  allemands  2. 


II 


La  tournure  d'esprit  des  peuples  germaniques  les  a  toujours 
poussés  à  s'intéresser  aux  questions  de  mécanique  ;  leur  réa- 
lisme les  a,  de  bonne  heure,  conduits  à  perfectionner  les  indus- 
tries dont  les  masses  peuvent  tirer  profit.  Jadis,  comme  de  nos 
jours,  ils  s'appliquaient  à  produire  à  bon  compte  des  objets 
utiles  et  pratiques.  Exploitants  de  mines,  ils  s'ingéniaient 
à  tirer  des  gisements  les  meilleurs  profits,  aussi  obtenaient-ils 
à  un  prix  inférieur  à  celui  que  nous  pouvions  établir  les  matières 
premières  qu'ils  transformaient.  Les  ministres  français  essayaient 
de  réagir  contre  nos  habitudes  routinières  en  envoyant  en 
Allemagne  des  ingénieurs  chargés  de  procéder  à  des  enquêtes  ; 
Bertin,  par  exemple,  chargeait  Jars  et  Duhamel  d'étudier  sur 
place  les  méthodes  allemandes,  mais,  malgré  leurs  connaissances 
techniques  et  les  enseignements  qu'ils  donnaient,  nos  mission- 
naires ne  parvenaient  point,  à  leur  retour,  à  vaincre  les  habitudes 
françaises  et  à  modifier  les  errements  employés  dans  le  pays. 

Dans  le  domaine  purement  industriel,  les  Allemands  appa- 
raissent comme  des  initiateurs  et  notre  apathie  permit  aux 
mineurs,  forgerons,  fondeurs,  métallurgistes  d'outre-Rhin  de 
s'établir  facilement  en  France,  soit  de  propos  délibéré  soit 
en  mettant  à  profit  les  privilèges  qu'on  leur  concédait. 


1.  Gambry,  Voyage  dans  le  Finistère. 

2.  Célestin  Port,  Dictionnaire  historique  du  Maine-et-Loire.  V°  Mines. 


MÉTALLURGISTES    ALLEMANDS    EN    FRANCE  9Ï> 

Les  façons  données  au  cuivre  jaune  par  le  battage  ou  la  fonte 
formaient  l'industrie  principale  de  Dinant  qui  tirait  la  matière 
première  des  mines  voisines  ;  de  là,  le  nom  de  dinanderie  donné 
à  cette  branche  de  l'industrie  métallurgique.  Dès  le  xive  siècle, 
des  Allemands  pratiquaient  l'art  de  façonner  le  cuivre  ;  on 
rencontre  des  dinanderies  à  Dijon  et  à  Lyon.  Au  siècle  suivant, 
on  note  dans  cette  ville  la  présence  de  Hennequin,  de  Hermann, 
«  batour  de  loton,  allemand  »,  disent  les  actes  et  de  Remozque 
de  Cologne  l. 

Des  fondeurs  allemands  travaillent  à  Paris  au  xvie  siècle. 
Benvenuto  Cellini,  dans  ses  Mémoires,  parle  de  ceux  qu'il 
employait.  Pierre  Baulduc  forge  des  lames  d'épée.  Des  maîtres 
de  forges  d'origine  germanique  sont  fixés  en  France  à  la  même 
époque  ;  Louis  de  Lembourg  et  ses  enfants  étaient  établis 
à  Saint-Martin  d'Ablois  ;  mais  les  industriels  n'avaient  pas 
grand  avantage  à  s'installer  dans  notre  pays,  les  produits 
allemands  étaient  vendus  en  France  à  un  prix  inférieur  à  celui 
des  articles  similaires  fabriqués  dans  le  royaume.  Les  objets 
de  fer  manufacturés  en  Allemagne  étaient  peu  soignés  mais  leur 
bas  prix  attirait  la  clientèle.  Sur  ce  point,  Montchrestien  est 
formel  ;  au  chapitre  des  manufactures  de  son  Economie  politique 
il  écrit  :  «  Il  se  fait  dans  ce  royaume  un  grand  débit  de  faulx  ; 
l'Allemagne,  tous  les  ans,  emploie  quasi  tous  ses  marteaux 
à  nous  en  forger...  les  outils  de  nos  artisans  se  vendent  au 
double...  qu'il  soit  permis  à  nos  artisans  de  faire  aussi  mal 
que  les  étrangers  et  qu'après,  ils  soient  comme  eux  exempts 
de  reproches,  alors  ils  feront  des  faulx  à  aussi  bon  marché  »2. 

Malgré  les  doléances  de  Montchrestien  contre  les  étrangers, 
Henri  IV  et  Sully  se  montrèrent  hospitaliers  à  leur  égard  ; 
sous  leur  administration  on  fit  appel  à  des  artisans  saxons  et 
bavarois  pour  organiser  des  manufactures  de  fer  blanc  ;  on 
essaya  ainsi  de  créer  des  élèves  en  France.  Lorsqu'il  pouvait 
retenir  un  artisan  habile,  Sully  n'y  manquait  pas  ;  il  s'attacha 
Jean  Lintlaër,  «  ingénieur  en  pompes  et  fontaines  artificielles, 
demeurant  sur  le   Pont-Neuf,   Allemand  de   nation   »,   en   lui 

1.  N.  Rondot,   Les  maîtres  de  nu'tier  êîramjers  à   l.uun.    Lyon,    ÏHH'.i. 

2.  Montchrestien,  Economie  politique.  Édition  Funck-Hri-nhmo,  |>.  V2-55. 


96  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

accordant  ses  lettres  de  naturalité  et  3.000  livres  par  an  l, 
Le  fils  de  Lintlaer  devint  contrôleur  des  bâtiments  du  roi. 

Malgré  les  efforts  de  Sully,  les  Allemands,  au  xvne  siècle, 
nous  fournissent  les  fils  de  laiton,  les  objets  de  plomb,  de  fer- 
blanterie, les  articles  forgés  dont  nous  avons  besoin.  Les  Comptes 
des  Bâtiments  du  roi  révèlent  l'importance  des  achats  effectués 
en  Allemagne.  Or,  Colbert,  voyait  d'un  œil  jaloux  les  Allemands 
triompher  des  Français  dans  les  industries  métallurgiques  ; 
il  souhaitait  se  passer  de  leur  concours,  surprendre  leurs  pro- 
cédés de  fabrication,  leurs  méthodes  d'extraction  de  minerais, 
de  laminage  de  fer-blanc,  de  fusion  et  de  fonte  de  métaux. 
A  l'Allemagne  il  demanda  mineurs  et  artisans  de  la  forge  ; 
pour  parvenir  à  ses  fins,  il  chargea  les  ambassadeurs  et  des 
agents  spéciaux  de  faire  des  offres  aux  artisans  étrangers  ; 
l'abbé  de  Gravel  s'employa  à  seconder  les  vues  du  ministre  ; 
sa  tâche  fut  parfois  difficile.  En  1665,  il  envoyait  un  agent  sur 
les  frontières  de  Bohême  avec  mission  d'embaucher  des  ouvriers 
lamineurs  de  fer-blanc  mais  celui-ci  revint,  affirmant  l'impossi- 
bilité de  réussir  dans  son  entreprise.  Un  autre  envoyé  de  Colbert, 
Chassan,  avait  éprouvé  un  échec  auprès  des  Saxons.  Nonobstant 
les  difficultés,  les  agents  du  ministre  ne  se  découragèrent  pas  ; 
leurs  négociations  aboutirent  et  en  1668,  deux  maîtres  renommés, 
l'un  blanchisseur  de  fer  et  l'autre  marteleur  quittaient  la  Saxe 
pour  s'installer  à  Beaumont,  à  l'usine  Dalliez.  Vingt  ans  plus 
tard  on  y  attirait  encore  des  ouvriers  allemands  et  on  leur  accor- 
dait des  privilèges  considérables  2.  Un  autre  missionnaire  de 
Colbert,  Coyau,  fit  venir  un  très  habile  fondeur  de  cuivre  de 
Stalbrich  ;  d'autres  Allemands  pénétrèrent  encore  dans  le 
royaume  et  furent  envoyés  dans  le  Languedoc.  A  Marseille, 
un  maître  fondeur  venu  de  Lubeck  enseignait  aux  forçats  des 
galères  à  fabriquer  de  grosses  ancres  en  employant  des  méthodes 
supérieures  à  celles  qu'ils  pratiquaient. 

Sous  le  ministère  de  Colbert  il  n'était  bon  ouvrier  ou  ingénieur 
allemand  qui  ne  reçut  ses  lettres  de  naturalité  ;  au  mois  de  sep- 

1.  F.  de  Mallevoue,  Actes  de  Sully  passés  au  nom  du  roi  de  1600  à  1610.  Paris, 
1911. 

2.  De  Boulainvilliers,  Etat  de  la  France,  éd.  de  1752,  t.  VI,  p.   247. 


MÉTALLURGISTES    AU    XVIIe    SIÈCLE  97 

tembre  1677,  Henri  Lischtkt,  natif  de  Weimar,  maître  chau- 
dronnier ordinaire  des  machines  des  eaux  de  Versailles  établi 
depuis  douze  ans  dans  cette  ville,  se  vit  accorder  la  qualité  de 
Français  *. 

Jean-Jacques  Keller,  de  Zurich,  exerçait  les  fonctions  de 
commissaire  de  l'artillerie.  Il  appela  près  de  lui  son  frère  Jean 
Balthazar  qui  devint  inspecteur  de  la  fonderie  de  l'arsenal 
et  présida  à  la  fonte  de  la  plus  grande  partie  des  statues  de 
bronze  qui  ornent  les  jardins  du  palais  de  Versailles.  En  1692, 
il  fondit  la  statue  équestre  de  Louis  XIV  qui  fut  érigée  sept  ans 
plus  tard  sur  la  place  Vendôme.  Balthazar  Keller  mourut  à 
Paris  en  1702  après  avoir  exercé  les  fonctions  de  commissaire 
général  des  fontes  de  l'artillerie  de  France  2. 

Des  Allemands  fondent  des  cloches  pour  nos  églises  ou  les 
mettent  en  place.  Christian  Hartman,  en  1686,  place  la  grosse 
cloche  de  Notre-Dame  de  Paris 3. 

Par  ses  méthodes  Colbert  avait  réussi  à  galvaniser  le  commerce 
et  l'industrie  ;  malheureusement  l'œuvre  du  grand  ministre 
était  factice  et  portait  en  elle-même  des  germes  de  mort  ;  on 
ne  modifie  point  en  quelques  lustres  le  tempérament  d'un  peuple 
et  on  ne  crée  pas  chez  lui  des  habitudes  et  des  goûts  nouveaux. 
Après  la  mort  de  Colbert,  l'exagération  de  ses  théories,  leur  appli- 
cation mal  conduite,  la  centralisation  à  Paris  de  toutes  les 
affaires  relatives  au  négoce,  la  multiplicité  des  règlements,  la 
domination  du  Conseil  du  Commerce  et  des  commissions 
spéciales  furent  autant  d'entraves  apportées  à  l'esprit  d'entre- 
prise. La  révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  les  misères  qui  assail- 
lirent le  royaume  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV,  le  dénuement. 
des  populations  accablées  sous  le  poids  des  impôts  déterminèrent 
u m    crise  qui  dura  près  d'un  quart  de  siècle. 

Profil anl.  de  ralTaiblisscnient  du  pays,  les  étrangers  revinrent 
en  foule  :  Hollandais  et  Allemands  accaparèrent  le  négttti  ; 
ils  sollicitèrent  des   Ici  1res  et    nniuralilé   qu'on  leur   dfafftsa 

1.  Archiius  de  i  \rt  français.  Abécédairr,  I.   1 1  F,  j>.  19-22. 

'1.  HtVlU  <lrs  doriiments  historiques.  187.">.  Archives  de  V Art  français.  .\hrn,lau<. 
1.   III.  i».  19-22. 

.:.  II.  Mmont,  La  urossc  cloche  de.  Notre-Dame  de  Paris  m  Itisr,,  ,|;ms  lUilîrtin 
de  la  Société  de  l'Histoire  de  Paris  et  de  l'Ile  de  I-rarnc,  année  l'.U."i,  p, 


98  LES    ÉTRANGERS    EN    FRANCE 

sans  compter  ;  ils  obtinrent  la  permission  de  fonder  des  manu- 
factures et  d'exploiter  notre  sous-sol.  Dès  les  débuts  du  xvme  siè- 
cle, la  France  était  redevenue  tributaire  de  l'Allemagne  pour 
tous  les  articles  de  fer,  de  laiton  ou  d'acier.  Lames  d'épées, 
poêles,  poêlons,  fils  de  laiton,  aiguilles,  alênes,  batteries  de  fer 
nous  venaient  d'outre-Rhin.  Sous  le  couvert  des  privilèges 
accordés  aux  villes  impériales,  les  facteurs  allemands,  les  Ham- 
bourgeois  notamment,  s'établissaient  dans  nos  ports  et  écou- 
laient les  produits  fabriqués  dans  leur  pays.  Vers  1725,  cepen- 
dant, quelques  Français  plus  entreprenants,  réagirent  contre 
la  concurrence  étrangère  ;  ils  fondèrent  des  usines  de  fer-blanc 
dans  le  Berry  et  aux  environs  de  Paris.  Toutefois,  ce  ne  fut 
guère  avant  1740  que  commença  cette  éclosion  extraordinaire 
de  grands  établissements  métallurgiques  qui  couvrirent  le  terri- 
toire et  dont  quelques-uns  subsistent  encore.  L'ère  du  protec- 
tionnisme à  outrance  était  close,  les  idées  des  physiocrates  sur  la 
liberté  du  commerce  se  répandaient  dans  les  sphères  gouver- 
nementales, les  manufacturiers  devenaient  quasiment  libres 
de  se  conduire  à  leur  guise.  Les  théories  des  philosophes  procla- 
mant la  liberté  du  travail  et  l'internationalisme  industriel, 
leur  intérêt  soutenu  pour  les  découvertes  nouvelles  et  leurs 
applications  pratiques  ruinaient  les  conceptions  des  successeurs 
de  Colbert  et  remuaient  la  population  du  royaume.  Chacun 
voulait  s'adonner  à  l'industrie  et  au  commerce.  Ce  mouvement 
des  idées  provoqua  en  France  un  essor  remarquable  de  l'acti- 
vité économique  ;  vers  1760,  la  prospérité  du  pays  était  en  plein 
développement.  Aux  forains  on  fit  des  appels  répétés  ;  on  leur 
demanda  des  ingénieurs,  des  contremaîtres  et  des  ouvriers. 
On  a  déjà  parlé  des  mineurs  et  des  métallurgistes  allemands 
qui,  au  xvne  siècle,  s'étaient  infiltrés  dans  le  royaume  ;  il  est 
facile  de  citer  de  nouveaux  exemples  de  cette  intrusion  germa- 
nique sous  les  règnes  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI. 

Dans  les  fonderies  on  employait  des  ouvriers  allemands  ; 
aux  environs  de  Nevers,  en  1763,  une  fabrique  de  fer-blanc 
importante  comportait  deux  bâtiments  destinés  à  loger  les  ou- 
vriers originaires,  pour  la  majeure  partie,  de  la  Saxe  et  du 
Palatinat.  Lorsque  Buffon  établit  à  Montbard  forges  et  hauts- 


MAIN-D'ŒUVRE    ALLEMANDE    AU    XVIIIe    SIÈCLE  99 

fourneaux,  il  organisa  son  usine  modèle  en  se  servant  des  rensei- 
gnements que  Jars  et  Duhamel  lui  avaient  donnés  sur  les  mé- 
thodes allemandes  1. 

De  tous  côtés  surgissaient  des  établissements  métallurgiques  : 
dans  la  majeure  partie  d'entre  eux  était  utilisée  la  main-d'œuvre 
étrangère.  Le  subdélégué  de  Thiers  annonçait  avec  joie  à  son 
intendant  que  le  sieur  Merklein,  machiniste,  avait  effectué 
deux  expériences  de  conversion  de  fer  en  acier  qui  avaient  par- 
faitement réussi  2.  Le  Conseil  d'État  accordait  aux  manufac- 
turiers étrangers  des  privilèges  et  des  faveurs.  Un  arrêt  du 
Conseil,  en  date  du  28  décembre  1758,  octroyait  un  privilège 
à  la  manufacture  de  coutellerie  et  de  quincaillerie  de  Talende. 
La  demoiselle  Mather  qui  l'avait  fondée  était  réputée  regnicole 
ainsi  que  les  ouvriers  étrangers  qui  y  avaient  travaillé  pendant 
trois  ans.  Merklein  3,  qui  effectuait  à  Thiers  des  expériences 
de  conversion  de  fer  en  acier  était  ingénieur  de  cette  usine  et  en 
avait  la  direction  technique. 

De  toutes  parts  la  main  d'œuvre  d'outre-Rhin  nous  débordait 
au  xvme  siècle.  Au  moment  même  où  la  Prusse  se  fortifiant, 
essayait  de  réaliser  l'hégémonie  de  cette  multitude  d'États 
qui  constituaient  l'Allemagne  et  à  l'instant  où  les  intellectuels 
allemands  s'efforçaient,  à  Paris  et  en  province,  de  faire  pénétrer 
dans  la  société  les  conceptions  germaniques  et  d'infuser  à  nos 
esprits  latins  quelques-unes  de  leurs  idées,  la  royauté  et  la 
société  françaises,  préoccupées  seulement  de  bien-être  et  de  luxe, 
minées  par  les  doctrines  humanitaires  et  cosmopolites  des  phi- 
losophes ne  prenaient  pas  garde  à  cette  sorte  de  conquête 
pacifique  de  l'Allemagne  qui  s'opérait  déjà  méthodiquement 
au  fur  et  à  mesure  que  se  développait  la  puissance  prussienne. 

Ce  ne  fut  pas  seulement  aux  travaux  de  grosse  métallurgie 
que  se  livrèrent  jadis  les  Allemands  ;  ils  s'adonnèrent  également 
au  travail  des  armures  et  de  la  fine  mécanique.  En  parcourant 
les  dictionnaires  consacrés  aux  artistes  étrangers  qui  s'établirent 
en  France,  on  relèverait  la  trace  de  familles  allemandes  qui  se 

1.  G,  Martin,  Buffon  mattre  de  força.  Le  Puy,  1898. 

2.  Arch.  d('-|).  du  I'iiy-cIc-Duiim  .  (     >  .ri  (     m. 

3.  II. ni.,  C  117. 


100  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

vouèrent  au  commerce  des  armes  et  des  armures.  Au  xve  siècle, 
les  armures  d'Italie  jouissaient  d'une  renommée  établie  :  gen- 
tilshommes et  chevaliers  n'en  voulaient  porter  d'autres.  Les 
armes  allemandes  n'avaient  pas  toujours  semblable  réputation  ; 
elles  étaient  parfois  de  qualité  inférieure  mais  avaient  le  mérite 
du  bon  marché.  Les  mauvais  haubergiers  armuriers  essayaient 
d'écouler  ces  armes  pour  armes  de  Lombardie  ;  ils  y  faisaient 
apposer  de  fausses  marques  et  vendaient  des  mailles  de  fer 
pour  des  mailles  d'acier  K  Au  xvie  siècle,  ces  pratiques  avaient 
quelque  peu  disparu  à  la  suite  des  protestations  des  honnêtes 
armuriers.  A  Tours,  où  l'on  rencontre  de  nombreuses  maisons 
d'armurerie  étrangère,  chaque  pays  était  représenté  et  il  est 
probable  que  l'Allemand,  Jean  Clésis,  dit  Turquin,  armurier  du 
roi,  ne  vendait  que  des  épées  ou  pistolets  allemands  de  bonne 
fabrication. 

A  Lyon,  où  la  colonie  germanique  était  fort  développée, 
s'étaient  établis  quelques  armuriers  allemands  ;  au  xvne  siècle, 
un  protestant,  Ulrich  Starch,  avait  créé  un  atelier  réputé  pour 
la  bonté  de  ses  armes.  Il  était  probablement  apparenté  aux 
Starch,  de  Troyes,  qui  constituèrent  une  véritable  dynastie 
d'armuriers.  Hans  Starch,  armurier  du  duc  de  Nevers,  avait, 
en  1550,  fondé  l'atelier  de  Troyes;  son  fils  Hans  II  lui  succéda 
et  au  xviie  siècle,  Hans  III,  qui  mourut  en  1650,  passait  pour 
l'un  des  plus  experts  armuriers  heaumiers  qu'il  y  eut  alors  dans 
le  pays  2.  ^ 

La  France  donna  l'hospitalité  à  des  horlogers  d'origine  alle- 
mande. Blois  et  Angers  en  reçurent  quelques-uns  ;  à  ces  horlo- 
gers, véritables  artistes,  qu'il  soit  permis  de  rattacher  les  orfèvres. 
C'est  à  Paris  et  à  Lyon  que  l'on  rencontre  surtout  des  Allemands 
occupés  à  ciseler  l'or  et  l'argent  ;  nombreux  aux  xive  et  xve  siècles 
ils  disparurent  peu  à  peu  ;  le  goût  français  s'accommodait  mal 
de  leur  production  trop  lourde  de  formes.  Ysabeau  de  Bavière 
avait  attiré  en  France  quelques  artistes  de  son  pays  ;  pour  elle, 
Jean  Clerbourg  travailla  à  Paris  de  1396  à  1401  ;  il  fut  ensuite 

1.  P.  Champion,  François  Villon,  sa  vie  et  son  temps.  Paris,  t.  Ier,  p.  96. 

2.  Natalis  Rondot,  Les  Protestants  à  Lyon  après  la  signature  de  l'Edit  de  Nantes, 
dans  Revue  du  Lyonnais,  année  1900. 


ORFÈVRES    ALLEMANDS  101 

maître  de  la  monnaie  à  Lyon.  Pour  cette  souveraine,  un  orfèvre 
allemand  cisela  sans  doute  le  petit  cheval  d'or  qu'elle  offrit  à 
Charles  VI  en  1404  et  qu'à  la  suite  de  difficultés  financières, 
Charles  VI  dut  donner  en  gage  à  son  beau-frère  Louis  de  Bavière. 
Ce  précieux  bijou  est  encore  conservé  dans  le  trésor  de  l'église 
d'Altoeting,  en  Bavière. 

Bien  que  le  nombre  des  orfèvres  allemands  ait  été  en  dimi- 
nuant au  fur  et  à  mesure  que  les  temps  avançaient,  on  en  ren- 
contre encore  cependant  quelques-uns  en  France.  Au  xvne  siècle, 
Jean-André  Puffe,  compagnon  orfèvre  natif  de  Marbourg, 
fixé  dans  le  royaume  depuis  quelques  années,  recevait  des 
lettres  de  naturalité  x  et  Henri  Kniepman,  originaire  de  Cologne, 
travaillait  à  Besançon  où  il  épousait  Marguerite  Champion  2. 

1.  Arch.  Nat.,  Z  6007,  f°  87  (ancienne  cote). 

2.  Abbé  P.  Brune,  Dictionnaire  des  artistes  et  ouvriers  d'art  de  la  Franche-Comté. 
Paris,  1914. 


CHAPITRE  VI 

LES    ALLEMANDS    A    PARIS    DEPUIS    LE    XVIIe    SIÈCLE. 


I.  Quelques  Allemands  à  la  Cour  sous  Henri  IV  et  Louis  XIII.  —  II.  Raisons 
politiques  qui  favorisent  l'infiltration  allemande  en  France  aux  xvne  et  xvme  siè- 
cles. —  III.  Colonie  allemande  de  Paris  ;  la  confrérie  allemande  de  Saint-Ger- 
main-des-Prés  ;  Allemands  tailleurs  d'habits,  ébénistes,  orfèvres,  espions,  aven- 
turiers, filles  de  joie.  —  IV.  Intellectuels  allemands  ;  médecins,  savants,  artistes  ; 
G.  Wille  et  son  entourage.  —  V.  Les  hommes  de  lettres  allemands  à  Paris  ;  les 
musiciens,  les  luthiers. 


Jusqu'à  l'avènement  de  Henri  IV  au  trône,  maintes  circons- 
tances avaient  déjà  favorisé  l'infiltration  des  Allemands  en 
France.  Les  souverains,  depuis  Louis  XI,  avaient  manifesté 
leur  bienveillance  aux  Hanséates,  aux  imprimeurs,  aux  ban- 
quiers et  aux  mineurs  allemands.  François  Ier  s'était  attaché 
à  recueillir  des  amitiés  parmi  les  petits  princes  luthériens  d'Alle- 
magne ;  il  les  stipendiait  volontiers  ;  Henri  II  avait  agi  comme 
son  père.  Charles  IX  s'était  allié  à  une  princesse  de  la  maison 
d'Autriche,  Elisabeth  ;  des  compatriotes  avaient  été  introduits 
par  elle  à  la  cour  de  France.  AlTriandées  par  la  grandeur  des 
profits  qu'elles  pouvaient  réaliser  dans  un  pays  dont  les  finances 
étaient  obérées,  les  maisons  de  banques  allemandes  avaient 
fondé  de  nombreuses  succursales  à  Lyon  et  à  Paris  ;  les  fonds 
qu'elles  versaient  au  trésor  royal  étaient  même  destinés  très 
souvent  à  rémunérer  reîtres  et  lansquenets  dont  Henri  III  et 
ses  prédécesseurs  utilisaient  les  services.  Néanmoins,  si  l'on 
excepte  les  groupements  d'imprimeurs  et  de  banquiers  de  Paris 
et  de  Lyon,  il  n'existe  pas  en  France  au  xvie  siècle  d'impor- 


LES    BERINGHEN  103 

tantes  colonies  allemandes  très  stables.  Les  habitants  d'outre- 
Rhin  étaient  encore  disséminés  ;  beaucoup  voyageaient  el  ne  se 
fixaient  pas  ;  les  uns  venaient  comme  étudiants,  d'autres  comme 
visiteurs.  Les  Allemands  ne  s'implantaient  pas  dans  une  province 
déterminée  ;  ils  ne  cherchaient  pas  à  acquérir  des  biens  immo- 
biliers. Les  reîtres  et  lansquenets  qui  étaient  demeurés  dans  le 
pays  ne  s'étaient  pas  groupés,  ils  s'étaient  répandus  de  ci  de  là, 
au  hasard  des  circonstances. 

Quelques-uns  étaient  entrés  dans  le  pays  sans  avoir  l'idée 
de  s'y  établir  puis  ayant  réussi  à  se  faufiler  à  la  cour 
ou  ayant  vu  prospérer  les  entreprises  qu'ils  avaient  fondées, 
ils  s'attachèrent  définitivement  à  la  France.  Les  Schônberg 
par  exemple  furent  de  ce  nombre.  Sous  le  règne  de  Henri  IV, 
quelques  autres  agirent  comme  eux  ;  ayant  acquis  une 
situation,  ils  s'établirent  dans  le  royaume.  C'est  ainsi  que  le 
pays  accueillit  les  Beringhen,  Boistel  et  de  Strada.  Tous  ont 
fait  souche  en  France. 

Pierre  de  Beringhen,  protestant  originaire  du  duché  de 
Clèves  est  cité  dans  les  documents  dès  l'année  1598.  D'où  venait- 
il  exactement  quand  il  se  glissa  dans  l'entourage  du  roi  et  qui 
était-il  ?  Sur  ces  points  plane  un  mystère.  D'après  Tallemant 
des  Réaux,  les  Beringhen  auraient  été  de  fort  basse  extraction 
et  Pierre  n'aurait  été  tout  d'abord  qu'un  valet  chargé  de  l'en- 
tretien des  armes  de  M.  de  Sainte-Marie  qui  aurait  t'ait  don  au 
roi  de  ce  précieux  domestique.  D'après  d'autres  annalistes, 
les  Beringhen  seraient  de  noble  maison.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Pierre  de  Beringhen  sut  s'avancer  rapidement  dans  les  bonnes 
grâces  du  roi;  successivement  valet  de  chambre  de  Henri  IV, 
grand  bailli  et  gouverneur  d'Étaples,  cet  Allemand  devint  con- 
trôleur général  des  mines  et  minières  de  France.  De  sa  femme, 
la  demoiselle  Bruneau,  sœur  aînée  de  Madame  des  Loges, 
naquit  en  1603  un  fils  que  l'on  baptisa  au  temple  de  Charenton. 
Il  hérita  plus  tard  de  toutes  les  charges  de  son  père,  mais  sur 
Tordre  de  Richelieu,  il  fut  exilé.  Après  la  mort  du  cardinal, 
il  revint  en  France,  fut  fait  chevalier  de  Tordre  du  Saint-Esprit. 
Les  Beringhen,  que  les  documents  du  xvne  siècle  dénomment 
souvent  les  Bellingant,  firent  souche  dans  le  royaume  et  sons 


104  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Louis  XIV,  ils  jouèrent  un  rôle  important  à  la  cour.  Henri 
de Beringbea  qui  décéda  en  1692,  avait  été  premier  écuyer  du  roi. 

Au  nom  de  Madame  des  Loges,  il  faut  associer  celui  de  Boistel. 
Ce  résident  des  princes  d'Anhalt  s'était  épris  de  cette  dame  au 
point  que  pour  ne  pas  l'abandonner  il  la  suivit  en  Limousin 
lorsqu'elle  s'y  retira  ;  il  liquida  ensuite  tous  les  biens  qu'il  pos- 
sédait en  Allemagne,  se  fixa  à  Paris  où,  sur  le  tard,  «  il  espousa 
une  jeune  fdle  bien  faicte  qui  estoit  sa  voisine  de  campagne  »  et 
dont  il  eut  plusieurs  enfants,  ce  qui,  ajoute  Tallemant,  n'amé- 
liora pas  sa  santé  déjà  fort  précaire  K 

Henri  IV  et  Sully  ayant  reconnu  l'impossibilité  de  recruter 
parmi  leurs  sujets  des  ingénieurs  et  des  capitalistes  capables 
de  mener  à  bien  les  longs  travaux  qu'exigent  les  dessèchements 
de  marais  firent  appel  aux  spécialistes  hollandais  pour  les  entre- 
prises de  dessication  qu'ils  désiraient  réaliser.  A  partir  de  l'an- 
née 1599,  date  de  l'ordonnance  relative  au  dessèchement  des 
marais,  la  France  se  peuple  de  Néerlandais,  fondateurs  de 
sociétés,  ingénieurs,  ouvriers  qui  s'occupent  de  ce  travail. 
Au  milieu  d'eux  se  rencontrent  des  Allemands.  L'un  d'eux, 
Octavius  de  Strada,  ayant  acquis  par  ses  travaux  antérieure 
une  véritable  réputation,  fit  partie  en  1607  de  la  grande  Société 
fondée  par  Humfroy  Bradley  pour  l'assèchement  des  terres 
basses  du  royaume.  Il  prit  une  part  active  à  toutes  les  entre- 
prises de  dessèchement  des  marais  de  l'Ouest  et  du  Midi  mais 
s'occupa  seul  du  dessèchement  du  lac  de  Sarlièves,  en  Auvergne» 
Il  y  créa  de  vastes  propriétés  et  en  récompense  de  ses  services, 
il  fut  naturalisé  en  1639.  A  sa  mort,  ses  deux  enfants  mineurs, 
Jean  et  Octavius  recueillirent  librement  les  fruits  des  travaux 
de  leur  père  2. 


II 


Il  est  sans  doute  intéressant   de  noter  l'origine   allemande 
de  ces  quelques  familles  ayant  marqué  dans  l'histoire  de  notre 

1.  Tallemant  des  Réaux,  Historiettes,  éd.  citée,  t.   III,  p.  53. 

2.  Comte  de  Dienne,  Histoire  du  dessèchement  des  marais  en  France  avant  1789, 
Paris,  1891. 


HENRI    IV    ET    LES    PEUPLES    DU    NORD  105 

pays  mais,  au  point  de  vue  démographique,  elles  ne  peuvent 
rivaliser  d'importance  avec  les  milliers  d'Allemands  qui  s'éta- 
blirent en  France  depuis  le  début  du  xvne  siècle  jusqu'à  la  fin 
du  règne  de  Louis  XVI.  Mobiles  politiques,  motifs  économiques, 
raisons  religieuses  conduisirent  nombre  de  familles  germaniques 
à  se  fixer  dans  le  royaume. 

La  signature  de  l'Édit  de  Nantes  accordait  aux  réformés 
la  liberté  de  pratiquer  leur  culte  ;  aussi,  après  l'année  1598, 
les  protestants  étrangers  passèrent  d'autant  plus  volontiers 
en  France  qu'ils  y  trouvaient  la  possibilité  d'exercer  leur  reli- 
gion et  de  faire  fortune  en  se  livrant  au  négoce.  Ils  se  sentaient 
soutenus  par  Henri  IV  et  son  ministre  Sully.  Henri  IV  avait 
à  l'égard  des  peuples  et  des  princes  protestants  qui  l'avaient 
soutenu  dans  sa  lutte  contre  les  Ligueurs  une  véritable  recon- 
naissance ;  de  plus,  d'accord  avec  son  ministre,  il  souhaitait 
rendre  au  pays  la  prospérité  que  lui  avaient  fait  perdre  les 
guerres  de  religion.  Tous  deux  avaient  repris  le  programme 
économique  de  Louis  XI  et  par  les  moyens  les  plus  variés, 
ils  s'efforçaient  d'instruire  les  marchands  français  et  les  manu- 
facturiers. Pour  atteindre  leur  but,  ils  ne  craignirent  pas  de 
faire  un  pressant  appel  aux  étrangers,  réformés  ou  catholiques. 

Par  tempérament  et  par  politique,  roi  et  ministre  n'avaient 
que  de  médiocres  sympathies  pour  les  forains  originaires  du 
Midi  de  l'Europe  ;  ils  jugeaient  les  Italiens  dangereux  et  intri- 
gants ;  quant  aux  Espagnols,  ils  n'ignoraient  pas  combien  était 
vive  la  haine  que  la  majeure  partie  du  peuple  français  avait 
pour  eux.  Ils  avaient  d'excellentes  raisons  pour  ne  pas  encombrer 
le  royaume  de  ces  forains  contre  lesquels  ils  avaient  eu  des 
luttes  ardentes  à  soutenir.  Italiens  et  Espagnols  étaient  aux 
yeux  de  Henri  IV  et  de  Sully  les  suppôts  de  la  Papauté.  Toutefois 
comme  ils  jugeaient  nécessaire  d'introduire  dans  le  royaume  des 
éléments  de  population  capables  de  réagir  contre  le  marasme 
dans  lequel  était  plongé  le  pays,  ils  se  tournèrent  vers  les  peuples 
protestants  du  Nord  et  de  l'Est,  confirmant  leurs  privi- 
lèges anciens  et  leur  accordnnl  des  prérogatives  nouvelles. 
Profitant  des  dispositions  favorables  que  leur  marquaient  1rs 
gouvernants  français,  assurés  de  jouir  de  la  liberté  religieuse, 


106  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Hollandais  et  Allemands,  dès  l'orée  du  xvne  siècle,  fondèrent 
dans  les  centres  commerciaux  des  groupements  importants. 
En  moins  d'un  demi-siècle,  les  Hollandais  acquirent  dans  le 
négoce  des  situations  prépondérantes  ;  les  colonies  allemandes 
furent  plus  lentes  à  se  développer  ;  c'est  seulement  à  la  fin 
du  grand  siècle  et  sous  le  règne  de  Louis  XV  qu'elles  atteignirent 
leur  apogée.  Elles  ne  furent  jamais  en  butte  à  ces  mouvements 
hostiles  qui  assaillirent  les  Espagnols  et  les  Italiens  à  la  fin 
•du  xvie  siècle  et  les  Hollandais  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIII. 

Moins  envahissants  que  d'autres  forains,  les  Allemands 
n'ont  généralement  pas  été  mal  accueillis  par  la  population 
française.  Cette  absence  d'animosité  s'explique  aisément.  Aux 
époques  troublées  de  notre  histoire,  aux  temps  où  le  gouverne- 
ment s'est  montré  faible,  les  étrangers  ont  parfois  cherché  à 
nous  déborder  au  point  de  vue  politique,  certains  partis  ont 
même  fait  appel  à  leur  concours  pour  soutenir  leurs  revendica- 
tions et  ces  étrangers  ont  menacé  l'intégrité  du  territoire  national. 
Ces  faits  se  sont  produits  notamment  à  la  fin  du  règne  de  Henri  III 
«t  lors  de  la  Fronde.  A  ces  diverses  époques  l'esprit  national 
s'est  toujours  réveillé  chez  le  peuple  français  ;  il  s'est  produit 
-de  véritables  poussées  de  nationalisme  et  la  haine  pour  les  étran- 
gers s'est  traduite  de  maintes  manières.  La  multiplicité  des 
attaques  dirigées  contre  les  forains  par  les  libellistes,  les  écono- 
mistes et  les  poètes  eux-mêmes  donne  la  mesure  de  l'antipathie 
que  l'on  nourrissait  contre  les  étrangers  dont  le  but  était  de 
nuire  à  la  nation  française.  Si  l'on  examine  la  suite  des  événe- 
ments historiques  et  si  l'on  parcourt  l'ensemble  de  cette  litté- 
rature de  combat,  on  remarque  que  les  Allemands  établis  en 
France  n'ont  pas  eu  à  souffrir  de  ces  accès  passagers  de  xéno- 
phobie. J'en  veux  trouver  une  raison  dans  ce  fait  qu'à  dater  du 
règne  de  Henri  II,  les  Allemands  ont  très  peu  compté  pour  nous 
au  point  de  vue  politique,  n'ayant  jamais  tenté  d'intervenir 
dans  nos  affaires  intérieures.  Est-il  besoin  de  rappeler  que 
même  si  le  peuple  allemand  avait  essayé  de  contrecarrer  notre 
politique,  il  n'aurait  pu  y  réussir.  En  face  de  notre  royaume 
solidement  constitué  se  dressait  l'Empire  formé  par  une  pous- 
sière  d'États,   de   principautés,    d'évêchés   ou   de   villes  libres 


LA    FRANCE    ET    l' ALLEMAGNE    AU    XVIIe    SIÈCLE  107 

dont  les  chefs  étaient  divisés  par  des  querelles  religieuses  et  ne 
parvenaient  à  s'entendre  que  pour  mieux  lutter  contre 
l'empereur  en  réclamant  à  la  France  son  appui  pour  soutenir 
leurs  revendications  politiques  et  leurs  libertés  religieuses. 

Une  seule  fois,  au  xvne  siècle,  on  aurait  pu  craindre  qu'en 
face  de  notre  puissance  se  dressât  un  empire  hégémonique  ; 
ce  fut  lorsque  Wallenstein  manifesta  l'intention  d'établir  en 
Allemagne  un  prince  unique  ;  mais  Richelieu  veillait  ;  à  la  diète 
de  Ratisbonne,  il  réunit  tous  les  princes  allemands  en  une  oppo- 
sition commune  aux  prétentions  absolutistes  de  Ferdinand  II 
et  parvint  à  faire  renvoyer  Wallenstein. 

Quelques  années  plus  tard  les  traités  de  Westphalie  mettaient 
pour  longtemps  fin  aux  tentatives  de  restauration  du  pouvoir 
monarchique  en  Allemagne,  annulaient  l'autorité  de  l'empereur 
et  légalisaient  l'intervention  de  l'étranger  dans  l'empire.  Cor- 
neille pouvait  s'écrier  fièrement  : 

Un  grand  destin  commence  ;  un  grand  destin  s'achève 
L'empire  est  prêt  à  choir  et  la  France  s'élève. 

A  dater  de  l'année  1648,  le  Saint  Empire  traîna  une  misé- 
rable agonie  et  la  France  pour  les  motifs  les  plus  divers  intervint 
dans  les  affaires  des  princes  qu'elle  tint  pour  ainsi  dire  en  tutelle. 
Ranke  lui-même,  reconnaît  que  dans  les  cercles  de  l'Ouest  de 
l'empire,  Louis  XIV  posséda  une  influence  égale  sinon  supé- 
rieure à  celle  de  l'empereur. 

N'ayant  pas  la  possibilité  d'intervenir  dans  les  questions 
politiques  françaises  les  Allemands  qui  se  fixèrent  en  France 
ne  furent  jamais  regardés  d'un  œil  jaloux  ;  on  les  tenait,  si  Ton 
peut  dire,  pour  quantité  négligeable  et  l'on  affectait  même  à  leur 
égard  un  certain  dédain.  Peut-être  même,  généralisait-on  hâti- 
vement en  confondant  dans  le  même  mépris  Allemands  et  reîtres 
avec  lesquels  le  populaire  avait  eu  de  fréquents  et  fâcheux 
contacts.  A  ces  étrangers  on  reprochait  leur  intempérance, 
leur  lourdeur,  leur  âpreté  au  gain  ;  volontiers  on  répétait  : 

Le  grossier  Allemand,  yvrongne,  schismatique, 

Insolent,  qucrtllcux,  cruel  et  fainéant 

Sluplde  et  Ignorant  qui  fait  du  politique 

Et  se  vend  comme  un  serf  pour  ung  bien  peu  d'argent. 


108  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

Nonobstant  ces  remarques  peu  obligeantes  à  leur  égard, 
le  Français  accueillait  libéralement  les  Allemands  ;  le  gouverne- 
ment reconnaissait  leurs  qualités  natives  d'application  et  de 
persévérance  ;  comme  il  ne  craignait  en  rien  leur  infiltration 
dans  le  royaume,  il  s'appliquait  à  les  attirer  et  à  les  retenir. 
Henri  IV  et  Sully  leur  avaient  concédé  des  privilèges  ;  au  temps 
de  Louis  XIII,  Richelieu  en  admit  dans  la  famille  française 
et  advenant  le  règne  de  Louis  XIV,  les  habitants  de  toutes  les 
régions  de  l'Allemagne  s'insinuèrent  librement  dans  le  royaume. 
En  1658  les  électeurs  de  Trêves,  de  Mayence,  de  Cologne, 
Févêque  de  Munster,  le  comte  Palatin  du  Rhin,  le  duc  de  Bavière, 
le  landgrave  de  Hesse-Cassel,  les  ducs  de  Brunswick  et  de  Luxem- 
bourg fondent  la  ligue  du  Rhin  et  se  séparent  nettement  de 
l'empereur  pour  se  mettre  sous  la  complète  dépendance  du  roi 
de  France.  Comme  on  l'a  justement  écrit  la  frontière  du  Rhin 
est  moralement  dépassée.  De  nouveau  les  régions  celto-germa- 
niques  de  l'Ouest  et  du  Sud  gravitent  autour  de  la  vieille  Gaule. 
Les  habitants  de  ces  contrées  se  sentent  chez  eux  en  France  ; 
ils  n'hésitent  pas  à  se  fixer  dans  un  pays  qui  protège  le  leur  ; 
ils  suivent  en  cela  l'exemple  de  leurs  princes  qui  résident  à 
Paris  aussi  fréquemment  que  dans  leur  propre  capitale.  D'autres 
circonstances  amènent  également  en  France  des  Allemands  ; 
beaucoup,  en  quête  de  situations  ou  de  pensions,  accompagnent 
les  princesses  qui  s'allient  à  des  Français.  Louis  XIV  favorise 
ces  unions  qui  resserrent  les  liens  d'amitié  contractés  entre  son 
gouvernement  et  les  princes  souverains  ;  aussi,  durant  plus 
d'un  quart  de  siècle,  la  cour  de  France  se  peuple-t-elle  d'Alle- 
mands de  tous  rangs  et  qualités  :  princesses,  dames  d'honneur, 
simples  suivantes,  pages  ou  hobereaux. 

Les  princesses  bavaroises,  Anne  de  Bavière  femme  de  Henri- 
Jules  de  Bourbon  et  Charlotte  Elisabeth,  connue  sous  le  nom 
de  la  Palatine,  femme  de  Monsieur  duc  d'Orléans  et  mère  du 
Régent  sont  suivies  de  plusieurs  Allemands.  Gaspard  Sigismond 
de  Wendt,  natif  d'Eckmuhl  en  Westphalie  était  page  de  la 
Palatine  ;  avant  d'arriver  à  Paris,  il  abjura  le  protestantisme 
à  Chalons.  En  même  temps  que  lui  entraient  en  France  plusieurs 
personnes  qui   devaient   composer  la  maison  de  la  princesse. 


LA    PALATINE  109 

Tandis  que  ces  nouveaux  arrivants  s'accoutumaient  aisément 
aux  mœurs  de  notre  pays  et  perdaient  peu  à  peu  l'habitude. de 
parler  leur  langue,  la  Palatine  ne  se  plia  jamais  aux  usages 
français  ;  elle  demeura  toujours  attachée  à  son  pays  natal. 
Elle  s'entretenait  en  son  idiome  maternel  avec  la  Bessola,  sa 
fille  de  chambre  et  avec  Mademoiselle  de  Rathsamhausen  sa 
dame  d'honneur  qui,  comme  sa  maîtresse,  était  demeurée 
foncièrement  allemande.  La  Palatine  s'entourait  de  compatriotes; 
elle  voyait  Mesdames  de  Bernkoldt  et  de  Reding,  elle  entrete- 
nait des  relations  avec  la  comtesse  de  Wurtemberg  encore  que 
celle-ci  menât  «  une  drôle  de  vie  ».  N'avait-elle  pas  eu  pour 
amant  un  Saxon  du  nom  de  Minquitz  qui,  lui  ayant  dérobé 
ses  bijoux,  l'avait  en  retour  gratifiée  du  mal  français. 

Dans  cette  cour  où  se  coudoyaient  Français  et  Allemands, 
la  Palatine  demeura  attachée  à  son  pays  ;  elle  étonnait  ses 
amis  et  écrivait  :  «  Je  regarde  comme  un  grand  éloge  qu'on  dise 
de  moi  que  j'ai  le  cœur  allemand  et  que  j'aime  ma  patrie.  » 
Aussi  bien,  cette  princesse  aurait-elle  voulu  inculquer  au  Régent 
quelques  notions  de  sa  langue  natale  mais  malgré  ses  efforts, 
elle  n'y  réussit  pas.  Après  quatre  ans  d'études  peu  suivies, 
à  dire  vrai,  le  Régent  ne  parvenait  pas  à  prononcer  correcte- 
ment le  proverbe  :  «  Art  làsst  nich  von  Art  ».  Formulant  un 
jugement  d'une  portée  trop  générale  peut-être,  Ranke  a  écrit 
à  propos  des  lettres  de  la  Palatine  :  «  L'incompatibilité  d'alors 
entre  la  nature  des  Allemands  et  des  Français  ne  s'est  exprimée 
nulle  part  d'une  façon  plus  caractéristique  que  dans  les  lettres 
de  la  Palatine.  »  Les  faits  prouvent  que  si  cette  princesse  et 
quelques  personnes  de  son  entourage  ne  se  plièrent  jamais  aux 
habitudes  françaises,  elles  constituèrent  des  exceptions.  Les 
Allemands  fixés  à  Paris  ou  en  province  abandonnèrent  très 
rapidement  les  usages  de  leur  pays  pour  adopter  les  mœurs  du 
nôtre  et  s' assimilèrent  promptement  à  la  population. 

Sous  le  règne  de  Louis  XIV  les  unions  entre  Français  et  Alle- 
mands sont  fréquentes.  Le  roi  encourage  les  mariages  princiers 
qui  servent  sa  politique.  Au  Dauphin  Louis,  il  donne  pour  épouse, 
en  1680,  Marie-Anne-Chrisline-Yiclnire  de  Bavière,  Elisabeth 
de  Montmorency-Bouteville  s'allie  en  secondes  noces  à  un  prince 


110  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

de  Mecklembourg  ;  le  prince  de  Tarente  épouse  la  princesse 
de  Hesse-Cassel,  celle-là  même  qui,  son  mari  étant  mort,  se 
retira  à  Vitré.  Le  prince  de  Wurtemberg  reçoit  de  riches  cadeaux 
à  l'occasion  de  son  mariage  avec  mademoiselle  de  Ligny. 
Louis  XIV  continue,  après  le  décès  de  son  époux,  à  lui  verser 
la  pension  qu'il  servait  au  prince.  Ces  seigneurs  allemands 
qui  résidaient  le,  plus  souvent  à  Versailles,  la  Dauphine,  la  Pala- 
tine amenaient  en  France  dames  d'atour,  confidentes,  amis 
et  confesseurs.  Marie-Anne  de  Bavière  était  entendue  en  confes- 
sion par  les  Jésuites  Jacques  Adelmann  et  le  Père  Wolff  ;  en  1684, 
elle  avait  une  fille  d'honneur  «  jolie  comme  le  jour  et  faite  comme 
une  nymphe  »  ;  Sophie-Marie  de  Bavière,  comtesse  de  Leves- 
tein-Rochefort  était  son  nom  ;  introduite  à  la  cour  par 
son  oncle  le  cardinal  de  Furstemberg  elle  avait  été  nommée 
dame  d'honneur  de  la  Dauphine  à  la  place  de  Mademoiselle 
de  Laval.  La  comtesse  de  Levestein  devint  la  seconde  marquise 
de  D  ange  au  1. 

La  mère  de  l'ambassadeur  de  la  Chétardie  avait  elle  aussi 
épousé  en  secondes  noces  un  gentilhomme  bavarois  ;  après 
avoir  occupé  par  ses  désordres  les  cours  de  Versailles  et  de 
Munich,  il  se  fit  sauter  la  cervelle  quand  il  ne  lui  resta  plus  rien. 
Durant  plus  d'un  demi-siècle  la  capitale  de  la  Bavière  n'est  plus 
Munich  mais  Versailles  2.  Louis  XIV  fascine  littéralement  les 
princes  allemands  ;  ils  lui  font  cortège  et  honorent  le  souverain 
qui  leur  verse  des  subsides  généreux. 

Outre  les  représentants  des  familles  de  Hesse-Cassel,  de 
Hanovre,  de  Furstemberg,  de  Salm-Salm  qui  avaient  leurs 
entrées  à  Versailles,  il  existait  à  Paris  une  société  allemande. 
Primi  était  en  relations  avec  la  comtesse  d'Ensestein,  il  fréquen- 
tait le  baron  de  Rosworn,  «  le  plus  bel  homme  de  son  temps 
et  qu'on  n'appelait  à  Paris  que  «  le  bel  Allemand  »  3. 

Aux  princes  souverains  d'Allemagne,  aux  hobereaux  que 
l'empire  déversait  sur  la  France,  Louis  XIV  ne  ménageait 
pas  ses  faveurs.  Il  accédait  à  leurs  demandes  de  pensions  et  de 

1.  Saint-Simon,  Mémoires,  tome  III,  p.  285. 

2.  Id.,  Ibid.,  t.  XV,  p.  317. 

3.  Primi  Visconti,  Souvenirs.  Paris,  1909,  p.  18  passim  193  et  196. 


LES    ALLEMANDS    ET    LA    GUYANE    FRANÇAISE  111 

bénéfices  ;  il  leur  accordait  des  terres  dans  ses  colonies.  J'ignore 
à  la  suite  de  quels  événements  précis,  les  électeurs  de  Bavière 
et  de  Mayence  furent  amenés  à  postuler  l'octroi  d'une  portion 
de  la  côte  de  la  Guyane  française  ;  mais,  chose  certaine,  au  cours 
des  années  1664  et  1665,  une  correspondance  active  fut  échangée 
entre  eux  et  la  cour  de  France  au  sujet  de  cette  cession.  Les  deux 
électeurs  demandaient  à  Louis  XIV  de  concéder  à  chacun 
d'eux  un  degré  de  territoire  à  prendre  sur  la  côte  de  Guyane 
et  par  une  convention  de  1665  satisfaction  leur  fut  donnée. 
Voici  d'ailleurs  l'analyse  du  pacte  conclu  entre  la  France  et  les 
princes  allemands.  Le  roi  accorde  à  chaque  électeur  un  degré 
de  territoire  à  titre  de  fief  et  le  gouverneur  qu'ils  institueront 
en  vertu  de  leur  droit  régalien  sera  soumis  au  gouverneur 
français  ;  ils  ne  pourront  faire  construire  forts  ou  forteresses. 
Les  deux  électeurs  se  chargeront  du  peuplement  de  leur  colonie 
dont  les  habitants  auront  la  pleine  liberté  de  se  livrer  au  com- 
merce ;  toutefois,  et  Colbert  se  retrouve  ici,  les  embarquements 
et  débarquements  de  marchandises  devront  se  faire  dans  les 
ports  de  France  et  les  transports  seront  effectués  sur  les  navires 
de  la  Compagnie  des  Indes  Occidentales  à  laquelle  était  assuré 
le  monopole  des  transports  l. 

Cette  convention  eut-elle  des  suites  et  les  Allemands  peu- 
plèrent-ils une  partie  de  la  Guyane  française  ?  Sur  ce  point  les 
documents  sont  muets  et  il  est  impossible  d'affirmer  qu'il  y  ait 
eu  une  émigration  allemande  en  Guyane.  Le  fait  n'a  rien  d'im- 
possible car,  dans  les  mêmes  temps,  on  rencontre  quelques 
Germains  parmi  les  employés  de  la  Compagnie  des  Indes  ; 
un  sieur  Carolof,  notamment,  était  acheteur  de  nègres  aux 
colonies. 

Il  n'était  procédé  par  lequel  Louis  XIV  ne  s'efforçât  de  main- 
tenir sous  son  influence  les  princes  allemands  ;  en  1671,  au 
moment  où  il  préparait  la  guerre  contre  la  Hollande,  il  gorgea 
d'or  ces  souverains  qui  «  n'avaient  pas  de  quoi  faire  bouillir 
leur  marmite  »  et  se  scandalisaient  d'être  réduits  à  la  portion 
congrue,  eux,  les  fils  de  tant  d'ancêtres,  pendant  que  les  bour- 

1.  Arch.  des  AIT.  étrangères,  Papiers  de  Loménie,  çeglstrc  2135. 


112  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

geois  de  Hollande  s'engraissaient.  Plus  généreux  que  le  Grand 
Pensionnaire,  Louis  XIV  gagna  à  sa  cause  ducs,  électeurs  et 
princes-évèques. 

Non  content  de  soudoyer  ces  souverains,  Louis  XIV  et  ses 
ministres  attirent  aussi  des  Allemands  dans  le  royaume.  Terwel, 
Allemand  naturalisé  en  1661,  fut  snccessivement  commissaire 
général  des  troupes  de  Champagne  et  intendant  des  places  de 
la  Meuse.  Avant  même  d'avoir  reçu  la  qualité  de  Français, 
il  avait  été  chargé,  en  1657,  sur  la  proposition  de  Fabert  et  de 
Le  Tellier,  d'effectuer  une  enqnête  dans  le  but  de  réviser  la  taille 
dans  les  élections  situées  sur  les  frontières  de  Champagne  \ 
Par  la  protection  qu'il  accorde  aux  Hanséates,  Louis  XIV 
contribue  à  les  attirer  dans  nos  ports  ;  Louvois  ne  dédaigne 
pas  les  services  que  peuvent  rendre  les  officiers  et  les  soldats 
d'outre-Rhin  ;  quant  à  Colbert,  il  introduit  dans  les  mines, 
les  industries  métallurgiques  de  nombreux  sujets  ressortissant 
des  princes  que  son  maître  stipendiait.  Colbert  prend  partout 
des  hommes  compétents,  peu  lui  importe  leur  nationalité. 
S'il  veut  construire  des  navires  il  s'adresse  aux  Hollandais 
ou  aux  Allemands  ;  désire-t-il  acquérir  des  manuscrits  orientaux, 
il  emploie  indifféremment  des  Français  ou  un  Saxon  comme 
Wansleben.  Jean-Michel  Wansleben  avait  voyagé  en  Ethiopie 
et  en  Abyssinie  pour  le  compte  du  duc  de  Saxe  Gotha  lorsqu'il 
vint  à  Paris  en  1670.  Présenté  à  Colbert,  le  ministre  l'envoya 
en  Orient  et  au  cours  d'un  voyage  de  quatre  ans,  il  adressa 
au  roi  334  manuscrits  arabes,  turcs  et  persans.  Rappelé  en 
France,  il  mena  une  vie  fort  irrégulière  et  décéda  à  Bouvron 
près  Fontainebleau  2. 

Aux  noms  de  Louis  XIV  et  de  Colbert  principalement,  est 
associée  la  fondation  d'une  politique  nouvelle  avec  le  Brande- 
bourg et  l'État  prussien.  Dans  une  étude  générale,  si  courte 
soit-elle  sur  les  causes  qui  ont  contribué  à  l'infiltration  des 
Allemands  en  France,  on  ne  saurait  omettre  de  la  rappeler. 

1.  Terwell,  Notices  cadastrales  sur  les  villages  de  la  frontière  de  Champagne  en 
1657,  publiées  par  Jadart  et  Laurent.  Paris,  1902. 

2.  Jean-Michel  Wansleben,  né  en  Saxe,  à  Erford,  en  1635.  —  Voir  H.  Omont, 
Missions  archéologiques  françaises  en  Orient  aux  XVIIe  et  XVIIIe  siècles.  Paris, 
1902. 


COLBERT    ET    LA    PRUSSE  113 

Depuis  le  traité  de  Westphalie  les  États  prussiens  nous  ven- 
daient des  blés,  des  seigles,  du  bétail  et  des  chevaux  propres 
au  service  de  l'artillerie.  Des  cuirs,  des  peaux,  des  laines,  du 
chanvre,  du  lin,  des  bois  de  construction,  de  l'ambre  nous  parve- 
naient des  ports  de  la  Baltique  par  l'intermédiaire  des  armateurs 
hollandais.  Comme  ils  accaparaient  la  presque  totalité  du  trafic 
entre  la  France  et  les  pays  du  Nord,  les  sujets  brandebourgeois 
et  prussiens  qui,  depuis  1563,  avaient  obtenu  la  permission 
<i  de  trafiquer  en  France,  d'y  faire  résidence  et  d'y  acquérir 
même  des  biens,  en  prenant  lettres  de  naturalité  »  avaient  peu 
à  peu  déserté  nos  villes.  Tout  au  plus,  en  1640  et  1650,  deux 
sujets  brandebourgeois,  Henry  de  Naiiables  et  Armand  Fette- 
mend  s'étaient-ils  rendu  acquéreurs  de  propriétés  dans  le 
royaume  x. 

Colbert  résolut  d'enlever  aux  Hollandais  ce  commerce  entre 
la  France  et  la  Baltique  ;  il  fut  secondé  dans  ses  vues  par  le 
Grand  Électeur  qui  entreprenait  en  Prusse  une  œuvre  semblable 
à  celle  que  le  ministre  poursuivait  en  France  ;  tous  deux  avaient 
intérêt  à  secouer  la  tyrannie  commerciale  des  Hollandais. 
Frédéric-Guillaume,  reprenant  la  politique  que  les  Hohen- 
zollern  avaient  traditionnellement  suivie  depuis  l'époque  de 
François  Ier,  chercha  à  se  rapprocher  de  la  France.  Après  des 
pourparlers  qui  se  prolongèrent  quelques  années,  un  traite 
d'alliance  défensive  était  conclu  entre  Louis  XIV  et  lui  en  1664  ; 
quatre  ans  plus  tard  ce  pacte  se  resserrait  encore.  Ces  ententes 
ne  pouvaient  manquer  d'avoir  un  contre-coup  sur  le  terrain 
économique  et  dès  1668,  les  relations  directes  entre  la  Baltique 
et  les  ports  français  étaient  ouvertes.  Pour  les  développer, 
Colbert  fondait  en  1669  la  Compagnie  du  Nord  avec  le  concours 
des  frères  Formont  et  d'armateurs  étrangers  établis  à  La  Rochelle  : 
I»  an  Raulé,  Hollandais  et  l'Allemand  Tersmitten. 

La  guerre  de  Hollande  de  1672,  les  revirements  politiques 
du  Grand-Électeur,  une  formidable  campagne  de  presse  nie  née 
en   Allemagne    contre   les   importations   de   produits   français, 

1.  M.  BoissoniKidc,  Histoire  des  Première  essais  de  relations  économiques  directes 
entre  la  France  et  l'Etat  prussien  (1643-1715),  dans  Mémoires  de  la  Société  des  Anti- 
quaires de  l'Ouest,  t.  VI,  IIIe  série,  l'oit  i 

8 


114  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

arrêtèrent  le  premier  essor  de  ces  relations  commerciales  directes. 
Sept  ans  après,  seulement,  Frédéric-Guillaume  reprit  avec  la 
France  les  pourparlers  qu'il  avait  entamés  antérieurement. 
Il  aurait  souhaité  contracter  avec  Louis  XIV  une  alliance 
économique  mais  il  n'eut  pas  complète  satisfaction.  Ses  ambassa- 
deurs Meinders,  Iena  et  d'Espense  n'obtinrent  de  Pomponne 
qu'une  simple  garantie  de  la  liberté  du  commerce  franco- 
prussien  ;  Ezéchiel  Spanheim  qui  leur  succéda  ne  fut  pas  plus 
heureux.  Profitant  toutefois  de  cette  faveur,  quelques  navires 
prussiens  abordèrent  dans  nos  ports  et  y  apportèrent  des  câbles, 
des  cordages  et  des  chanvres  de  Kônigsberg.  En  1681  le  com- 
merce entre  la  Prusse  et  le  port  de  La  Rochelle  était  assez  intense 
pour  que  l'on  nommât  des  consuls  prussiens  dans  cette  ville. 
A  l'exportation,  les  Brandebourgeois  enlevaient  les  sels  de  la 
Saintonge  et  du  Poitou.  Les  relations  commerciales  entre  la 
France  et  la  Prusse  se  resserraient  chaque  année  ;  des  Brande- 
bourgeois s'établissaient  comme  facteurs  et  courtiers  dans  nos 
ports.  Mais  vers  1685  Frédéric-Guillaume  craignant  l'ambition 
toujours  croissante  de  Louis  XIV  se  rapprocha  de  la  Hollande 
et  de  l'Empire  ;  par  ailleurs  le  roi  de  France  reprochait  au 
Grand-Électeur  d'avoir  trop  libéralement  accueilli  les  réfugiés 
protestants.  L'entente  économique  franco-prussienne  fut  rom- 
pue. Les  Hollandais  regagnèrent  l'influence  politique  et  écono- 
mique qu'ils  avaient  jadis  dans  le  Brandebourg  ;  ils  rétablirent 
dans  la  Baltique  leur  monopole  commercial  au  détriment  des 
marines  marchandes  de  la  France  et  de  la  Prusse. 

Frédéric  III  qui  avait  sucédé  en  1688  au  grand  Électeur 
tenta  dès  1703  de  se  soustraire  à  l'influence  de  la  Hollande 
et  de  se  rapprocher  de  la  France  ;  ses  avances  furent  mal  accueil- 
lies. On  se  montra  même  fort  rigoureux  à  l'égard  des  sujets 
brandebourgeois  qui  résidaient  en  France  ;  les  plus  humbles, 
comme  des  garçons  tailleurs,  furent  jetés  en  prison  ou  expulsés 
du  royaume.  L'intransigeance  de  la  cour  de  France  à  l'égard 
de  Frédéric  III  et  de  ses  sujets  se  maintint  aussi  hautaine 
jusqu'en  1712  ;  à  cette  date,  changeant  de  tactique,  Pontchar- 
train  reprit  la  politique  que  Colbert  avait  tentée  avec  le  grand 
Électeur  ;  il  autorisa  les  marchands  de  Colberg  en  Poméranie 


LES    MARIAGES    ALLEMANDS    AU    XVIIe    SIÈCLE  115 

à  envoyer  leurs  navires  à  Bordeaux  et  à  La  Rochelle  ;  les  rela- 
tions cordiales  reprirent  peu  à  peu  entre  les  deux  pays  et  lors 
du  traité  d'Utrecht,  les  sujets  prussiens  obtenaient  la  liberté 
du  commerce  en  France  et  l'exemption  du  droit  de  50  s.  par 
tonneau.  Dès  qu'ils  furent  en  possession  de  ce  traité  les  Prus- 
siens déployèrent  une  activité  intense  ;  ils  envoyèrent  leurs 
navires  à  Bordeaux,  La  Rochelle  et  Nantes.  Conformément 
à  cette  règle  générale  d'après  laquelle  les  étrangers  ont  toujours 
tiré  meilleur  profit  que  nous  des  stipulations  économiques 
internationales,  les  armateurs  français  ne  montrèrent  pas  le 
même  empressement  que  les  Brandebourgeois  à  profiter  de 
cette  réciproque  liberté  commerciale.  Ils  dirigèrent  peu  de 
leurs  navires  vers  les  ports  de  la  Baltique  et  laissèrent  aux 
étrangers  le  soin  d'assurer  le  trafic  direct  entre  la  France  et  la 
Prusse. 

On  ne  saurait  se  montrer  rigoureux  envers  des  sujets  de 
princes  avec  lesquels  la  royauté,  pour  des  raisons  politiques 
parfaitement  claires  d'ailleurs,  entretient  des  relations  étroites. 
Les  Allemands,  avec  leur  réalisme  natif,  s'en  rendent  un  compte 
exact.  Vers  Paris  et  nos  grandes  villes,  ils  viennent  par  véri- 
tables cohortes,  les  uns  en  quête  d'une  pension,  d'un  subside, 
les  autres  en  quête  d'une  situation  lucrative.  A  dater  du  dernier 
tiers  du  xvne  siècle,  ils  créent  partout  des  colonies  puissantes 
et  celles-ci,  sous  les  règnes  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI  prennent 
une  extension  de  plus  en  plus  grande.  Le  grand  roi  est  mort  ; 
il  laisse  le  pays  en  proie  à  des  difficultés  intérieures  ;  le  com- 
merce périclite  et  les  étrangers  s'insinuent  en  France  pour  y 
faire  fortune.  Les  Hollandais  reconstituent  les  groupements 
que  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  a  entamés  ;  les  Allemand» 
fortifient  les  leurs.  Les  circonstances  politiques  favorisent 
encore  l'infiltration  de  ces  étrangers. 

Les  mariages  de  princesses  allemandes  ou  autrichiennes 
avec  des  princes  français  sont  encore  fréquents  au  xvme  siècle. 
En  1724,  le  prince  d'Orléans  s'allie  avec  la  princesse  de  Bade  ; 
une  étroite  union  se  forme  entre  la  France  et  la  Saxe  lorsque  le 
Dauphin,  fils  de  Louis  XV,  épouse  Marie-Josèphe  de  Saxe. 
Son  frère,  après  une  existence  mouvementée,  vient  finir  ses 


116  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

jours  en  France.  Tous  deux  y  introduisent  quelques  compa- 
triotes. En  1756,  lorsque  Frédéric  II  s'empare  de  Dresde, 
nombre  de  sujets  du  roi  de  Saxe,  Frédéric-Auguste,  émigrent 
vers  la  France  et  trouvent  des  protecteurs  auprès  de  la  Dau- 
phine  et  de  son  frère.  Un  peu  plus  tard,  Marie-Antoinette 
protégera  ses  amis  de  jadis  ;  Viennois  et  Autrichiens  venant 
résider  en  France  se  réclameront  d'elle.  Elle  se  souvient  des 
conseils  de  sa  mère  Marie-Thérèse  qui  ne  cesse  de  lui  répéter  : 
«  Faites  accueil  aux  Allemands  ;  restez  bonne  Allemande  » \ 
Sous  l'influence  des  circonstances  politiques  et  des  idées  d'inter- 
nationalisme que  prônent  les  philosophes,  Saxons,  Bavarois, 
Wurtemburgeois  sont  favorablement  accueillis  en  France  ; 
Brandebourgeois  et  Prussiens  également. 

Ne  sont-ils  pas  les  sujets  de  Frédéric  II  que  tous  les  Français 
prônent  et  encensent  encore  qu'il  soit  le  vainqueur  de  Rosbach 
et  l'ennemi  de  notre  pays.  Il  est  superflu,  après  tant  d'autres, 
de  rappeler  les  témoignages  d'admiration  que  lui  prodiguent 
lettrés,  philosophes  et  militaires.  Frédéric  II  fascine  ceux  qui 
l'approchent  :  «  Trop  d'enthousiasme  pour  cet  illustre  ennemi 
avait  été  un  tort  des  officiers  de  son  temps  ;  ils  étaient  à-demi 
vaincus  par  là  quand  Frédéric  s'avançait  grandi  par  l'exalta- 
tion française  »,  écrivait  Alfred  de  Vigny  rappelant  quelques-uns 
des  propos  que  son  père  lui  tenait  lors  de  son  enfance  2. 

Meilleur  observateur,  le  père  d'Alfred  de  Vigny  se  serait 
aperçu  que  l'enthousiasme  des  Français  pour  le  roi  de  Prusse 
avait  une  répercussion  plus  profonde  qu'il  ne  le  supposait. 
Se  sentant  soutenus  par  un  pouvoir  fort,  Brandebourgeois, 
Prussiens  et  autres  Allemands  soumis  à  la  monarchie  prussienne 
essayaient  de  s'installer  en  maîtres  dans  le  royaume.  Ils  y 
réussissaient  d'ailleurs  assez  aisément;  l'admiration  que  l'on 
professait  pour  leur  maître  rejaillissait  en  quelque  sorte  sur  eux. 
Aussi,  les  colonies  allemandes  constituées  en  France  prirent-elles  à 
partir  du  milieu  du  xvme  siècle  une  importance  considérable  ;  cer- 
tains de  leurs  membres,  moins  hardis  jadis,  marchèrent  brave- 
ment à  la  conquête  pacifique  du  royaume.  Jamais  la  France 

1.  Maria  Theresia  und  Marie  Antoinette.  Ihr  Briefwechsel...  Vienne,  1866. 

2.  A.  de  Vigny,  Grandeur  et  servitude  militaire.  Lyon,  1913,  p.  11. 


POTIERS    ALLEMANDS    AU    XVIIe    SIÈCLE  117 

ne  reçut  en  un  demi-siècle  autant  de  représentants  des  nations 
allemandes.  Si  tous  «  ne  s'habituèrent  pas  »  dans  le  pays,  il  en 
demeura  cependant  un  bon  nombre  qui  firent  souche  et  dont  les 
descendants  s'assimilèrent  à  notre  population.  Une  courte 
esquisse  des  colonies  allemandes  montrera  que,  dans  presque 
toutes  nos  cités,  des  habitants  natifs  d'outre-Rhin  vinrent  se 
fixer  en  France  de  bonne  heure  mais  que  leur  nombre  s'accrut 
considérablement  à  partir  du  règne  de  Louis  XIV.  Les  événe- 
ments politiques  que  l'on  a  sommairement  rappelés  ne  furent 
point  étrangers  à  ce  phénomène  social. 


III 


L'histoire  des  industries  métallurgiques  et  minières  prouve 
que  les  allogènes  trouvaient  aisément  un  emploi  de  leur  activité  ; 
moins  individualistes  que  les  artisans  régnicoles,  habitués 
à  une  vie  plus  frugale  que  les  nôtres,  les  travailleurs  allemands 
acceptaient  des  salaires  inférieurs  à  ceux  qu'exigeaient  les  natio- 
naux. Or,  ce  n'est  pas  seulement  dans  les  industries  métallur- 
giques que  se  glissaient  des  Allemands  ;  ils  pénétraient  dans 
beaucoup  d'autres.  De  tous  temps  on  en  rencontre  à  Paris. 
Au  xve  siècle,  des  mouleurs  de  terre  ont  maille  à  partir 
avec  la  justice  ;  on  saisit  chez  eux  quelques  pièces  prêtes 
pour  la  cuisson  ;  ces  artisans  sont  Allemands  ;  ils  s'appellent 
Henri  Terbughen,  Gerloch  Rôsheust,  Wouter  Wele1.  Dans 
quelques  quartiers  de  Paris,  les  ouvriers  originaires  d'outre- 
Rhin  forment  des  groupes  compacts  ;  on  en  rencontre  à  chaque 
porte  au  faubourg  Saint-Antoine.  Des  tanneurs,  des  mégissiers 
se  fixent  à  Paris.  Autour  des  ambassadeurs,  des  envoyés  extraor- 
dinaires, des  princes  teutons  qui  vivent  à  Paris,  dans  les  familles 
françaises,  la  domesticité  est   fréquemment  allemande. 

Les  éléments  temporaires  ou  stables  de  population  allemande 
à  Paris  sont  très  multipliés.  Elle  comprend  des  imprimeurs, 

1.  J.  GuilTrey.  Artistes  parisiens  des  xvi*  et  xvn«  siècles.  Paris,  1915,  p.  1. 


118  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

des  graveurs,  des  marchands  d'estampes,  successeurs  de  ces 
Allemands  qui  s'étaient  fixés  en  France  au  xve  siècle  et  avaient 
propagé  la  découverte  de  Gutenberg.  Grâce  aux  travaux  des 
historiens  de  l'imprimerie  la  m,ajeure  partie  de  ces  étrangers 
sont  connus  ;  les  uns  vécurent  sans  histoire,  quelques  autres 
éprouvèrent  des  difficultés,  tel  ce  Jacques  Hovervogt,  de  Cologne, 
établi  à  Paris  depuis  1610  comme  marchand  d'estampes,  rue 
Saint- Jacques  et  naturalisé  en  1620.  En  1630  Hovervogt  avait 
publié  avec  succès  vingt-quatre  planches  gravées  par  Isaac 
Briot,  le  Théâtre  de  France  contenant  les  diuersitez  d'habits. 
Ayant  obtenu  quelques  succès  avec  cette  collection  d'estampes, 
il  songea  à  reproduire  les  œuvres  de  Rubens  et  malgré  le  privi- 
lège du  peintre  flamand,  Hovervogt  mit  en  vente  les  tableaux 
de  Rubens  qu'il  avait  fait  graver.  Chez  lui  on  saisit  les  estampes 
et  par  une  série  de  jugements  et  d'arrêts  Hovervogt  fut  con- 
damné à  de  fortes  amendes  l. 

Louis  XIII,  le  9  février  1640,  naturalise  Guillaume  Kalthoff, 
armurier  allemand.  «  S.  M.  le  retient  à  son  service  pour  le  secret 
qu'il  a  de  la  fabrique  d'arquebuses  et  autres  armes  à  feu,  tirant 
plusieurs  coups  d'une  même  charge  et  plus  légères  que  les  autres 
armes  ordinaires  de  même  qualité  ».  Le  roi  lui  alloue  825  livres 
pour  ses  ouvriers  et  750  livres  pour  son  entretien  2. 

Le  pasteur  luthérien  Jonas  Hambraeus  mentionnait  sur  un 
registre  spécial  le  souvenir  des  réformés  fréquentant  la  chapelle 
de  l'ambassade  de  Suède.  Un  autre  document,  non  moins  curieux 
quoique  moins  important,  montre  que  les  Allemands  et  les 
Hollandais  catholiques  constituaient,  eux  aussi,  un  groupe 
compact  dans  la  capitale.  En  1691,  le  Père  Anselme  d'Anvers 
fit  imprimer  un  Catalogue  chronologique  des  prêtres  et  des 
marguilliers  de  la  sainte  confrérie  des  nations  flamande  et 
allemande  qui  tint  ses  premières  assises  en  l'église  Saint- 
Hippolyte.  Il  ouvre  son  travail  par  un  court  aperçu  de  la 
fondation  de  cette  pieuse  association  3. 


1.  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  de  l'Art  français.  Années  1915-1917,  p.  34. 

2.  F.  Mazerolle,  Documents  sur  Guillaume  Kalthoff,  dans  Correspondance  histo- 
rique et  archéologique.  Année  1896,  p.  47. 

3.  Père  A.  d'Anvers,  Catalogue  chronologique...  Paris,  1691 


LA    CONFRÉRIE    ALLEMANDE    DE    SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS  119 

L'archiduchesse  Claire-Eugénie-Elisabeth,  infante  d'Espagne, 
duchesse  souveraine   de  Brabant,   désireuse  d'exécuter  fidèle- 
met  les  pieuses  intentions  de  l'archiduc  Albert,   son     époux, 
ordonna  à  son  ambassadeur  de  solliciter  de  Louis  XIII  la  conces- 
sion d'une  église  de  Paris  pour  que  les  très  nombreux  Flamands 
et  Allemands  catholiques  habitant  la  capitale  pussent  entendre 
dans  leur  langue  les  enseignements  de  la  sainte  religion  catho- 
lique. L'archiduchesse  craignait  que  ces  catholiques  ne  cédassent 
à  la  tentation  de  se  rendre  à  la  chapelle  de  l'ambassade  de 
Suède  ou  à  celle  des  États  protestants  pour  y  écouter  les  pré- 
dications données  dans  la  langue  de  leur  pays.  En  1626,  le  roi 
accéda  à  ses  vœux  et  assigna  aux  «  nations  belgiques  et  teuto- 
niques  »  l'église  Saint-Hippolyte,  au  faubourg  Saint-Marcçâu. 
Comme    cette    église    était    éloignée,    la   confrérie    déménagea 
en    1630   et  vint   s'établir  à   Saint-Germain-des-Prés.    Chaque 
dimanche  et  les  jours  de  fête,  un  prêtre  «  versé  dans  les  idiomes 
étrangers  »  célébrait  la  messe  et  prêchait  en  langue  allemande. 
La  confrérie  avait  choisi  cette  église  car  elle  était  située  dans 
ce  «beau  quartier  de  Saint-Germain  «habité  parles  étrangers.  Il  est 
regrettable  que  le  Père  Anselme  d'Anvers  se  soit  contenté  de  nous 
conserver  les  noms  des  marguilliers  et  des  prêtres  qui  officièrent 
jusqu'à  l'époque  où  il  écrivit  son  Mémoire,  mais  le  seul  fait  de 
l'existence  de  cette  Confrérie  prouve  que  les  catholiques  d'ori- 
gine germanique  étaient  en  nombre  imposant  à  Paris.  De  1645 
à  1680,  Jehan  Georg  et  Jean-Pierre  Vincent  Grœnenbach,  de 
Paderborn,  prêtres  allemands  dirigèrent  la  Confrérie  ;  comme 
leurs  prédécesseurs  flamands,  ils  furent  aidés  dans  leur  tâche 
par  des  marguilliers  étrangers.  Parmi  les  Allemands,  on  note  les 
noms  de  Walther  Erckelen,   de  Juliers,   de  Marc-Antoine   de 
Vive,  émaillcur  du  roi,  de  Wolther  qui,  en  1619,  offrit  une  robe 
pour  le  bedeau.  Herman  Pfenning  et  Marc  Theller  furent  égale- 
ment marguilliers  en  1657  et  1667. 

Si  l'on  parcourt  attentivement  la  liste  de  ces  dignitaires  de  la 
Confrérie,  on  esl  surpris  de  voir  le  nombre  de  tailleurs  d'habitg  • 
flamands  ou  allemands  qui  figurent  parmi  eux.  Les  Allemands 
Marc  Theillandt  et  Guillaume  Valentin  de  Westphalie,  marguil- 
liers en    1671    et    1689,    exerçaient    cette    profession.    Le    lait 


120  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

s'explique  aisément.  Sous  le. règne  de  Louis  XIII,  les  hommes 
portaient  des  chausses  à  l'allemande  ;  elles  fin-en  l  peu  à  peu 
abandonnées  mais  quelques  bourgeois  consentirent  encore  à  s'en 
revêtir.  Advenant  le  règne  de  Louis  XIV,  on  adopta  une  mode 
étrangère,  d'importation  hollandaise,  celle  des  rhingravrs  ; 
q  C'était,  dit  Quicherat,  une  ample  culotte  qui  tombait  tout  droit 
comme  un  jupon  mais  dont  la  doublure  se  nouait  aux  genoux  ». 
Pour  se  préserver  des  intempéries,  on  porta  sous  Louis  XIV 
des  manteaux  demi-longs  à  manches  et  boutonnés  qu'on  appela 
brandebourgs  du  nom  de  leur  garniture  qui  tirait  elle-même 
son  nom  de  son  origine  allemande. 

four  confectionner  ces  vêtements  empruntés  à  la  Hollande 
et  à  l'Allemagne  les  marchands  tirèrent  des  ouvriers  de  ces 
deux  pays  ;  des  étrangers  vinrent  également  ouvrir  boutique 
à  Paris  ;  il  s'établit  en  France  un  courant  d'immigration  alle- 
mande d'ouvriers  «  tailleurs  d'habits  ».  Certains  sollicitèrent 
leur  naturalisation.  Louis  XIV  octroya  des  lettres  de  naturalité 
à  Jean  Amcombrosc  1.  Gaspard  Schimerdin,  fournisseur  de  la 
Cour,  originaire  de  Wurtemberg 2  ;  Pierre-Jacques  Walstein, 
d'Holstein  3,  Kemple,  surnommé  Cambes,  natif  de  Westphalie 
sont  également  reçus  en  la  qualité  de  Français 4.  Advenant 
le  xvme  siècle,  le  mouvement  d'immigration  des  tailleurs 
allemands  continue.  En  1708,  Louis  XIV  est  en  difficultés 
avec  le  Brandebourg  ;  d'Argenson  sévit  contre  les  sujets  de  ce 
pays  habitant  Paris  ;  Christian  Seebalt,  garçon  tailleur  est 
arrêté  ;  on  l'enrôle  dans  un  régiment  au  service  de  la  France  5. 
Des  lettres  de  naturalité  sont  de  nouveau  accordées  à  des  ouvriers 
tailleurs  par  Louis  XV  et  son  successeur  ;  elles  profitent  à  Théo- 
dore Krable,  de  Mayence,  André  Tach  de  Dusseldorf,  Melchior 
Hillebrand  de  Neuss  en  Silésie.  Shorlener,  originaire  de  Cologne, 
s'établit  à  Paris  comme  tailleur,  Gaspard  Stein,  Autrichien,  est 
tailleur  de  Marie-Antoinette  en  1776  6. 

1.  J.  Guifîrey,  Documents  sur  les  artistes  parisiens  des  XVIe  et  XVIIe  siècles, 
notice  576. 

2.  Arch.  Nat.,  P  2689.  Naturalité  du  23  janvier  1663. 

3.  Ibid.,  P  2689.  Naturalité  du  22  juin  1663. 

4.  Ibid.,  K  171,  liasse  1. 

5.  Boissonnade,  op.  cit.,  p.  365. 

6.  ^rch.  Nat.,  PP  151  et  162.  Naturalités  des  années  1752,  1753,  1766,   1776. 


TAILLEURS    D'HABITS    ALLEMANDS    EN    FRANCE  121 

Christophe  Scheling  est,  au  xvme  siècle,  le  plus  fameux  tailleur 
de  Paris.  Les  princes  et  les  seigneurs  ont  coutume  «  d'aller  à  son 
audience  pour  obtenir  la  faveur  d'être  habillés  par  lui  ».  Après  le 
comte  de  Saxe,  M.  Scheling,  écrit  Diderot,  était  l'un  des  plus 
beaux  présents  que  l'Allemagne  eut  faits  à  la  France.  Lorsqu'il  fut 
mort  on  consacra  à  Scheling  une  oraison  funèbre  qui  parut  sous 
ce  titre  :  Oraison  funèbre  du  très  habile,  très  élégant,  très  merveil- 
leux Christophe  Scheling,  maitre  tailleur  de  Paris,  prononcée  le 
18  février  1761  dans  la  salle  du  célèbre  Alexandre,  limonadier  au 
boulevard  \ 

«  Sa  maison,  j'ai  presque  dit  son  hôtel,  écrit  son  panégyriste, 
lut  plus  fréquentée  que  celle  des  ministres  et  l'on  se  crut  dans 
la  nudité  la  plus  complète  si  l'on  n'était  pas  habillé  par  le  divin 
Scheling  »  2. 

Il  est  rare  que  les  marchands  de  confections  laissent  une  répu- 
tation durable  ;  éphémères  sont  leurs  créations  ;  celles  des  ébé- 
nistes sont  au  contraire  plus  marquantes.  De  ces  artisans  beau- 
coup se  sont  élevés  au  rang  des  artistes  et  ont  acquis  de  la  répu- 
tation. Dès  la  fin  du  xvie  siècle,  le  faubourg  Saint-Antoine  a 
donné  l'hospitalité  à  des  Allemands  occupés  à  travailler  le  bois. 
Quelques-uns  étaient  pensionnés  par  le  roi  de  France  pour  exécu- 
ter des  ouvrages  de  marqueterie  ;  témoin  Hans  Krauss  qui. 
en  1576,  est  qualifié  de  marqueteur  du  roi.  Les  cabinets  alle- 
mands étaient  en  vogue  sous  le  règne  de  Louis  XIII  :  ru  1619, 
la  ville  de  Paris  offrait  à  Talon,  devenu  avocat  général  un  cabinet 
allemand3;  des  amateurs  en  acquéraient  aussi.  Henri  IV  avait 
d'ailleurs  attiré  en  France  des  <  mosaïstes  «  allemands  cl  les 
avait  installés  au  Louvre  :  Haneman  était  du  nombre.  Ouclqucs- 
uns  de  ces  artisans  se  fixèrent  définitivement  en  France  :  Michel 
Camp  natif  des  environs  de  Cologne,  s'allie  en  163$  a  Louise 
Noblet.  Les  témoins  de.  son  mariage  sont  deux  ébénistes  alle- 
mands. Loup  Meck.  n al  il  de  Franconie,  épousait  en  1641 
Catherine  Bernard,  connue  lui  domiciliée  au  faakOttTg  Saint- 
Antoine  4. 

1.  Diderot,  Correspondance,  édition  citée,  t.  V,  p.  68. 

2.  oraison  funèbre...,  etc...  Vienne,  1701,  p.  13. 

3.  De  ChampeatlX,  l.r  Meuble,  Paris,  t.  II,  p. 

4.  J.  (.uillrcy,  op.  cit.,  notice  5,  657  et  600. 


122  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Sous  les  règnes  des  trois  derniers  Louis,  les  ébénistes  alle- 
mands sont  légion  à  Paris.  Le  xvme  siècle  est  celui  de  toutes 
les  élégances  ;  la  France  impose  son  goût  et  ses  modes  à  la  majeure 
partie  des  capitales  ;  dans  la  Prusse  même,  s'il  faut  en  croire 
un  mot  du  grand  Frédéric,  Paris  régla  les  meubles,  les  habille- 
ments et  toutes  les  bagatelles  sur  lesquelles  la  tyrannie  de  la 
mode  exerce  son  empire.  Pour  se  former  des  Allemands  accom- 
plissent leur  tour  de  France  ;  ébénistes  et  marqueteurs  viennent 
à  Paris.  Chez  Boulle,  chez  Crescent,  des  étrangers  dessinent, 
sculptent,  ajustent  et  décorent  des  meubles  ;  quelques-uns 
se  fixent  dans  le  royaume.  Les  clients  riches  sont  à  l'affût  des 
belles  pièces  où  les  marqueteries  rares  sont  rehaussées  de  festons 
délicats  en  cuivre  ciselé.  De  ces  meubles  superbes  ou  délicats, 
plusieurs  sont  l'œuvre  d'Allemands  patients  et  adroits,  bien 
dirigés  par  nos  dessinateurs  et  bronziers  parisiens  :  Beneman, 
François  Rutesbuch,  Jean  Stumpft,  Christophe  Wolff,  Jansen. 
Outre  ces  ébénistes  Charles  Richter,  Jean  Feuertein,  Pierre 
Schmitz,  Gaspard  Schneider,  Jean  Frost,  demeurant  rue  des 
Petis-Champs,  rivalisent  pour  obtenir  le  succès  en  flattant  le 
goût  du  jour.  Chez  Frost  se  forment  Johann  Bergemann,  Auguste 
Blucheidner,  Adam  Weisweiler  l.  Chacun  s'efforce  de  produire 
un  «  chef-d'œuvre  »  ;  les  jeunes  hommes  soumettent  parfois 
leurs  projets  ou  leurs  plans  à  l'appréciation  d'artistes  notoires. 
Au  mois  de  mars  1771,  un  ébéniste  d'Eichstadt  apporte  au  gra- 
veur Wille  un  meuble  «  très  bien  travaillé  en  bois  de  rapport 
des  Indes  ».  Il  l'a  confectionné  dans  le  faubourg  Saint-Antoine  ; 
chez  Wille  fréquente  aussi  un  ébéniste  natif  d'Olmutz  mais  lui, 
moins  travailleur  que  ses  compatriotes,  soutire  de  l'argent  au 
graveur.  Tous  ces  artisans  nous  apportent  leur  habileté  manuelle 
et  leur  patience  sans  déprécier  la  valeur  de  notre  industrie 
nationale  qui  demeure  pleine  de  grâce  et  de  légèreté. 

Si  tous  les  ébénistes  allemands  ne  sont  parvenus  à  la  célé- 
brité voire  même  à  la  notoriété,  deux  sont  toutefois  à  tirer  hors 
de  pair  car  ils  ont  créé  des  ateliers  dont  la  réputation  a  survécu. 
J'ai  nommé  Œben  et  Riesener. 

1.  E.  Molinier,  Les  Arts  industriels,  Le  Mobilier.  Paris,  tome  III,  p.  151. 


ÉBÉNISTES    ALLEMANDS    A    PARIS  123 

J.-F.  Œben,  élève  de  Boulle,  était  ébéniste  du  roi  en  1754 
et  sa  renommée  se  soutint  jusqu'à  sa  mort  survenue  en  1765. 
De  son  mariage  avec  une  Hollandaise,  Marguerite  van  den  Cruce, 
naquit  une  fille  qui  devint  la  femme  de  Charles  Delacroix  et 
fut  mère  du  grand  peintre  Eugène  Delacroix. 

La  grand  paternité  d'Œben  lui  serait  déjà  un  titre  de  gloire 
s'il  n'avait  su  par  son  talent  personnel  émerger  de  la  foule  de  ses 
compatriotes  adonnés  au  travail  du  bois  et  former  un  élève  digne 
de  lui  succéder.  Ce  disciple,  Henri  Riesener,  né  à  Gladback, 
près  de  Cologne,  en  1735,  était  venu  jeune  à  Paris  ;  il  était  entré 
chez  Œben  qui  le  trouva  digne  de  diriger  ses  ateliers  de  la  cour  de 
l'Arsenal.  A  la  mort  de  son  maître,  Riesener  épousa  sa  veuve 
et  prit  la  suite  de  ses  affaires. 

David  Roentgen,  de  Neuwied,  séjournait  fréquemment 
à  Paris  ;  il  y  avait  des  ateliers.  Cet  ébéniste  était  fort  avant  dans 
les  bonnes  grâces  de  Marie-Antoinette  ;  la  reine  lui  accordait 
sa  confiance,  l'honorait  de  commandes,  lui  confiait  des  missions 
pour  ses  parents  lorsqu'il  partait  à  Vienne.  Roentgen  fournissait 
des  meubles  aux  personnages  de  la  cour.  Il  fut  l'un  des  premiers 
à  fabriquer  des  meubles  en  acajou  plein  sans  décor  de  marque- 
terie ;  il  entourait  les  panneaux  rectangulaires  de  ses  commodes 
de  cordonnets  et  de  perles  ;  ses  commodes  et  ses  secrétaires 
étaient  bâtis  comme  des  édifices  massifs  et  il  fut  l'un  des  pro- 
tagonistes de  ce  style  gréco-allemand  connu  plus  tard  sous  le 
nom  de  style  «  empire  » 1. 

Il  n'est  industrie  ou  commerce  que  les  Allemands  n'entre- 
prennent ;  les  uns  sont  horlogers  ou  orfèvres,  d'autres  vendent 
des  pierres  précieuses.  Georges-Michel  Bapst,  chef  de  la  maison 
d'orfèvrerie  qui  subsista  jusqu'à  la  Révolution  était  né  à  Hall, 
en  Souabe,  vers  1718.  Naturalisé  par  Louis  XV,  il  mourut  à 
Paris,  en  1770,  dans  sa  demeure  sise  au  coin  de  la  rue  de  Harlay 
et  du  quai  des  Orfèvres,  laissant  une  descendance  qui  se  ii\;i  en 
France.  Christian  Schmatz,  de  Hall  ;  le  Saxon,  Christian  Rei- 
nesius,  sont  désignés  comme  orfèvres  dans  les  Ici  I  ivs  de  naturalité 
qui  leur  sont  données.  Joseph-Népomucèiic  KIktL  de  Prague, 

1     H.  Focillon.  Giovanni  Piranesi.  Paris,  1918,  p.  298. 


124  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

est  naturalisé  avec  sa  jeune  femme,  Barbe  Schindlcr  *.  Des 
Saxons  venus  à  la  suite  de  la  Dauphine,  Charles-Auguste  Bœhmer 
acquerra  une  triste  célébrité  pour  avoir  été  mêlé  à  l'affaire  du 
collier  de  la  reine.  Bœhmer  et  son  associé,  Paul  Bassenge,  de 
Leipzig,  étaient  joailliers  de  la  couronne  et  dans  leur  magasin 
de  la  rue  Vendôme,  effectuaient  des  affaires  considérables. 
Ils  avaient  constitué  le  fameux  collier  de  diamants  que,  dès  1774, 
ils  avaient  présenté  à  la  reine  mais  qu'elle  avait  refusé,  à  raison 
de  son  prix  trop  élevé.  On  sait  les  néfastes  aventures  auxquelles 
les  joailliers  furent  exposés  par  la  suite  et  le  rôle  qu'ils  jouèrent 
au  milieu  de  ce  monde  d'aventuriers  qui  captèrent  la  confiance 
du  cardinal  de  Rohan.  Boehmer  fut  obligé  de  se  retirer  en  Alle- 
magne et  mourut  à  Stuttgart  en  1794  2. 

Les  Allemands  s'infiltrent  partout.  Oberkampf  utilise  les 
services  d'ouvriers  allemands  en  sa  manufacture  ;  les  négociants, 
les  voyageurs  ont  des  fonds  en  dépôt  chez  de  Wachter  et  Korn- 
mann,  banquiers  établis  rue  Michel-le-Comte.  A  leur  corres- 
pondance sont  employés  des  jeunes  hommes  natifs  de  Francfort 
ou  de  M  agence. 

Le  colonie  allemande  de  Paris  ne  comporte  pas  que  des  arti- 
sans désireux  de  gagner  honorablement  leur  vie  et  des  commer- 
çants probes.  Une  nuée  d'espions  réside  dans  la  capitale  ;  ils 
se  déguisent  plus  ou  moins  adroitement  sous  le  couvert  de  bou- 
tiquiers, filles  de  service,  filles  de  joie  ou  libellistes.  On  les  voit 
s'introduire  dans  les  milieux  les  plus  divers.  Au  moment  où 
s'ouvrit  la  guerre  de  succession  d'Espagne  une  foule  d'espions 
s'abattit  sur  Paris  ;  certains,  arrêtés,  furent  enfermés  à  la  Bas- 
tille ou  à  Vincennes.  A  la  fin  de  leur  détention,  quelques-uns 
furent  exilés,  d'autres  demeurèrent  en  France.  A  en  juger 
par  le  nombre  des  Allemands  appréhendés  il  y  a  lieu  de  croire 
que  Paris,  au  début  du  xvme  siècle,  fut  le  centre  d'une  véritable 
agence  d'espionnage. 

Au  cours  des  années  1702  et  suivantes,  furent  menés  à  la 
Bastille  le  baron  Ignace  de  Puechenek,  Georges  Schrader  de 

1.  Arch.  Nat.,  PP  162.  Bapst,  naturalisé  le  16  novembre  1752  ;  Schmatz,  le 
14  janvier  1762  ;  Reinesuis,  le  30  mars  ;  Ébert,  le  17  décembre  1764. 

2.  F.  Funk-Brentano,  L'affaire  du  Collier,  9e  édition.  Paris,  1919,  p    171. 


ESPIONS    ALLEMANDS    A    PARIS  125 

Pech,  Senft,  gentilhomme  de  Dantzig.  Christophe  de  Schutz, 
fils  d'un  bourgmestre  de  Heidelberg,  affilié  à  Christian  Link, 
le  comte  de  Thun,  se  disant  comte  de  Kœnigsberg  figurent  sur 
les  listes  des  prisonniers  de  la  Bastille  comme  espions.  Le  baron 
de  Nitzschwartz,  Saxon,  était  à  la  fois  espion  et  proxénète. 
Les  exemples  faits  par  la  police  du  roi  ne  décourageaient  pas 
les  espions  allemands  ;  l'un  venait-il  à  manquer,  dix  autres  sur- 
gissaient ;  femmes  dissimulées  sous  la  condition  de  servantes, 
hommes  se  donnant  comme  religieux  ou  marchands  s'adonnaient 
à  la  recherche  des  nouvelles  intéressantes  pour  leurs  correspon- 
dants. Anne-Marie  de  Rosemberg  et  sa  servante  Elisabeth 
Vezangerin  sont  emprisonnées  ;  Servain  Tilz,  en  1707,  est  enfermé 
pour  avoir  donné  avis  aux  habitants  de  Cologne  que  leur  ville 
allait  être  bombardée.  Christian  Gringer  dit  Krenzer,  de  ïorgau, 
en  Saxe,  joaillier,  correspondait  avec  l'étranger  et  pour  dissi- 
muler ses  menées,  se  mêlait  de  brocante  avec  la  nommée  Ratte, 
grande  libertine.  Pierre  Welzner,  baron  de  Broch  et  son  frère, 
Guillaume  Flach,  de  Cologne,  cherchaient  à  surprendre  les 
secrets  royaux. 

Malgré  l'habileté  de  la  police  et  la  sévérité  des  peines  qu'en- 
couraient les  espions,  le  service  de  renseignements  de  l'Autriche 
fonctionna  en  France  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV. 
Après  la  mort  de  ce  souverain,  l'agence  d'espionnage  organisée 
à  Paris  semble  avoir  en  partie  disparu  car,  excepté  quelques 
Allemands  enfermés  à  la  Bastille  pour  raison  d'État,  la  liste  des 
prisonniers  de  cette  forteresse,  ne  révèle  plus,  après  1715,  la 
présence  d'un  aussi  grand  nombre  de  mouches  et  d'espions. 

Les  Allemands  au  service  des  souverains  étrangers  s'essayait  tût 
à  répandre  dans  le  public  des  nouvelles  fausses  et  alarmantes. 
Le  1er  juillet  1702,  on  conduisait  à  la  Bastille  Hottermann  dit 
Hautremant,  originaire  de  Cologne.  Il  était  commis  aux  entrées 
de  Paris,  du  côté  de  Montmartre  et  faisait  écrire  par  des  employés 
à  sa  solde  toutes  sortes  de  nouvelles  fausses  qu'il  envoyait 
à  l'étranger.  D'Argenson  le  note  ainsi  :  «  Allemand  d'origine, 
a  esté  valet  de  chambre  de  M.  le  marquis  de  Grignan  et  cstoit 
employé  aux  fermes  par  le  sieur  de  Saint-Armand,  fermier 
général  ;  il  faisoit  un  commerce  de  gazettes  à  la  main  et  il  avait 


126  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

cinq  ou  six  scribes  qui  lui  faisoient  cent  cinquante  copies  par 
ordinaire  ».  Il  gagnait  à  ce  commerce  2.000  livres  par  an.  Arrêté, 
il  fut  condamné  à  cinq  mois  de  prison  et  exilé  en  Provence. 
«  Il  faut,  ajoute  d'Argenson,  que  les  écrivains  de  la  même  espèce 
craignent  d'être  chassés  de  Paris,  ce  qui  leur  est  plus  insuppor- 
table que  toute  peine  » 1. 

Parfois,  les  Allemands  résidant  à  Paris  se  montraient  mal- 
veillants à  l'égard  des  hôtes  qui  leur  accordaient  une  cour- 
toise hospitalité.  Ils  commentaient  défavorablement  les  événe- 
ments politiques  et  répandaient  des  nouvelles  alarmantes. 
Au  mois  de  juillet  1742,  quelques  semaines  après  que  Frédéric  II 
eut  abandonné  la  France  pour  s'allier  avec  Marie-Thérèse, 
on  apprit  que  de  Broglie  était  assiégé  dans  Prague  où  il  avait 
dû  enfermer  une  partie  de  son  armée.  «  Les  Allemands  qui  sont 
à  Paris,  lit-on  dans  un  rapport  de  l'époque,  débitent  les  plus 
désagréables  bruits  ;  ils  prédisent  que  la  France  est  à  la  veille 
de  sa  décadence,  que  la  reine  de  Hongrie  a  formé  des  projets 
pour  la  réduire  qui  seront  appuyés  par  presque  toutes  les  puis- 
sances de  l'Europe  » 2. 

Sur  Paris  l'Allemagne  déverse  les  personnages  les  plus  hété- 
roclites et  les  plus  divers  ;  un  jour,  au  mois  de  septembre  1722, 
on  accorde  à  un  Allemand  l'autorisation  d'essayer  une  poudre 
de  sa  façon  pour  éteindre  les  incendies.  On  construit  pour  lui 
un. pavillon  de  bois  aux  Invalides;  on  y  allume  un  incendie 
et  le  cardinal  premier  ministre  assiste  à  son  extinction  3.  Des 
marchands  d'orviétan,  des  vendeurs  de  drogues  secrètes  débitent 
leur  panacée  aux  Parisiens.  L'un  d'eux,  le  célèbre  Kayser, 
vendait  une  substance  mercurielle  destinée  à  guérir  «  les 
blessures  provoquées  par  Vénus  ».  Favorisé  par  le  maréchal 
de  Biron,  il  obtint  l'autorisation  de  former  un  hôpital  militaire 
de  vingt  lits.  Ses  dragées  furent  fort  en  vogue  au  xvme  siècle 
et  bien  que  Louis  XV  eut  acheté  son  secret,  la  veuve  de  Kayser, 
établie  en  1766  dans  l'île  Saint-Louis,  continua  à  débiter  les 

1.  F.  Funk-Brentano,  Liste  des  prisonniers  de  la  Bastille.  Cf.  à  la  table  les  noms 
cités. 

2.  Chronique  de  la  régence  et  du  règne  de  Louis  XV  ;  suite  du  journal  de  Barbier, 
édition  Charpentier.  Paris,  1866,  t.  VIII,  p.  136. 

3.  Ibid.,  t.  Ier,  p.  246. 


MARCHANDS    D'ORVIÉTAN    ET    FILLES    DE    JOIE  127 

fameuses  dragées  qui  avaient  valu  fortune  et  renommée  à  son 
mari  l.  Non  moins  connu  que  Kayser  était  Olivier,  qui,  installé 
rue  Taranne,  au  coin  de  la  rue  du  Sépulcre,  vendait  une  eau 
pour  les  maux  de  dents.  Cet  Olivier  se  confond  avec  le  sieur 
Fister  qui  débitait  une  essence  pour  usages  internes  ;  pour  des 
raisons  de  lui  seul  connues,  il  vendait  l'eau  sous  son  véritable 
nom  et  l'essence  sous  son  nom  de  baptême  2.  Sans  doute, 
quelques  filles  de  joie  natives  d'Allemagne  étaient-elles  clientes 
de  ces  deux  spécialistes. 

En  effet  il  y  a  trop  d'étrangers  riches  à  Paris  pour  que  des 
Allemandes  n'y  accourent  point  à  la  recherche  de  la  fortune. 
Déjà  Brantôme  a  signalé  leur  venue  au  xvie  siècle  ;  deux  cents 
ans  plus  tard  il  aurait  pu  narrer  les  aventures  de  celles  qui 
fréquentent  le  Palais-Royal.  La  demoiselle  Landorf,  dite  Seri- 
gny,  est  entretenue  en  1760  par  un  juif  de  Metz  3.  Le  marquis 
de  Lort  a  pris  auprès  de  la  demoiselle  Fleurier  la  suite  de  M.  de 
Mazières,  fermier  général  4  ;  une  Allemande,  la  Fleury,  est  sur- 
nommée la  Bête  pour  la  distinguer  de  son  homonyme,  dite  la 
Belle  5.  En  1766,  le  marquis  de  Gouffîer  entretient  «  une  grande 
Allemande  qui  est  depuis  un  mois  à  Paris  et  qui  se  fait  nommer 
de  Boelmeny  »  6.  Dans  le  monde  de  la  haute  galanterie  de  l'époque 
on  citerait  nombre  d'autres  filles  venues  des  diverses  parties  de 
l'Allemagne,  la  dame  Wascheim  7,  la  demoiselle  Wolff,  la  demoi- 
selle Philippine  qui  séduisit  M.  de  Mazarin  et  dont  le  véritable 
nom  était  Catherine  Steinhaus  8. 

L'Opéra  recruta  parfois  ses  danseuses  parmi  lesAllemandes. 
Au  mois  de  février  1768  débute  mademoiselle  Heinel,  danseuse 
de  Stuttgart,  élève  du  sieur  de  l'Épi,  élève  lui-même  de  Vestris. 
Sa  manière  noble,  majestueuse  et  accompagnée  des  grâces 
sévères  de  la  haute  danse  attire  tout  Paris  ;  on  croit  voir  Vestris 


1.  Docteur  Delaunay,  Le  monde  médical  parisien  an  XV ///■  siècle.  Puis.  1D06, 
p.  244  et  s. 

2.  Id.,  Ibid.,  p.  307. 

.',.  (..  Piton,  Paris  sous  Louis  XV,  édition  du  Mercure  de  France,  t.  I,  p.  140. 

4.  Id.,  Ibid.,  t.    II,  p.  42. 

5.  Id.,  Ibid.,  t.   Il,  p.  105. 

6.  Id.,  Ibid.,  t.   III,  p.  88. 

7.  Id..   Ibid.,  t.   III.  |».  152. 

8.  Id..  Ibid.,  t.  III.  p.  153. 


128  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

danser  en  femme,  écrit-on.  Au  mois  d'avril  1768,  la  structure 
un  peu  colossale  et  les  grands  traits  de  cette  Allemande  séduisent 
le  comte  de  Lauraguais  qui  lui  donne  30.000  livres  et  en  verse 
20.000  à  son  frère  qu'elle  aime  beaucoup  l. 
•  Entre  Paris  et  les  places  d'Allemagne  les  affaires  commer- 
ciales sont  multiples  ;  il  existe  dans  la  capitale  un  si  grand  nombre 
de  négociants  ou  de  voyageurs  qu'il  leur  est  quotidiennement 
nécessaire  d'effectuer  des  remises  dans  les  villes  allemandes 
ou  de  toucher  leurs  lettres  de  crédit  à  Paris.  Les  Allemands 
s'adressent  à  des  maisons  de  banque  fondées  par  leurs  compa- 
triotes. Ils  ont  pour  correspondants  Kommann  et  de  Wàchter, 
rue  Michel-le-Comte,  Riederer,  de  Nuremberg,  Hillner,  originaire 
de  la  même  ville  et  qui,  jusqu'en  1767,  servira  de  banquier  au 
peintre  Georges  Wille.  Eberts  possède  une  maison  de  banque, 
place  des  Victoires.  Certes,  ces  banquiers  ne  jouent  plus  en 
France  le  même  rôle  que  leurs  devanciers  des  xvie  et  xvne  siècles 
mais  ils  donnent  cependant  de  l'activité  à  la  place  de  Paris. 

Ainsi,  dans  toutes  les  branches  du  négoce  on  rencontre  des 
Allemands  au  xvme  siècle.  Ils  ne  constituent  cependant  qu'une 
faible  partie  de  la  colonie  stable  ou  de  la  population  flottante 
originaire  d'outre-Rhin  et  résidant  à  Paris.  Dans  les  sphères 
intellectuelles  ces  étrangers  sont  également  fort  nombreux. 
Quelques  exemples  le  prouveront. 


IV 


Les  médecins  étrangers  ont  souvent  joui  d'une  grande  vogue 
en  France.  Docteurs  italiens,  Portugais  catholiques  ou  juifs 
ont  su  se  créer  des  situations  enviables  et  acquérir  de  la  noto- 
riété. Des  médecins  allemands,  aux  xvne  et  xvme  siècles,  ont 
également  profité  de  la  faveur  qui  s'attache  à  la  qualité  de  forain. 
En  1698  Fricke  et  Christiani,  médecins  de  Hambourg,  sont  en 
relations  avec  le  célèbre  Winslow  ;  il  écrit  d'eux  qu'ils  étaient 

1.  Sur  mademoiselle  Heinel,  cf.  E.  Campardon,  L'Académie  royale  de  musique  au 
XVIIIe  siècle.  Paris,  1884,  t.  I,  p.  394. 


MÉDECINS    ALLEMANDS  129 

«  sages  et  attachés  à  tout  ce  qui  pouvoit  contribuer  à  les  perfec- 
tionner dans  la  profession  ».  Ils  se  tiennent  écartés  des  charges 
publiques  l.  André  Enguehart,  de  Constance,  docteur  à  Paris 
en  1678,  s'honore  au  contraire  d'être  professeur  au  Collège  royal 
pendant  trente  ans,  de  1680  à  1710.  A  sa  mort,  il  était  médecin 
en  chef  de  l'Hôtel-Dieu  2. 

Guillaume  Homberg,  né  à  Batavia,  d'un  père  saxon,  étudia 
successivement  à  Amsterdam,  Iéna,  Leipzig,  Padoue,  Bologne 
et  Rome.  Il  voyagea  en  France  et  en  Angleterre  puis  se  fit 
recevoir  docteur  en  médecine  à  Wittemberg.  Estimant  qu'il  y 
avait  encore  pour  lui  profit  à  voyager,  il  parcourut  l'Europe 
centrale  et  septentrionale  jusqu'en  1682.  A  cette  date  la  pro- 
tection de  Colbert  le  fixa  en  France  où  il  se  convertit  au  catho- 
licisme. Il  repartit  pour  quelques  années  à  Rome  d'où,  en  1691, 
l'abbé  Bignon  le  rappela  pour  l'agréger  à  la  nouvelle  Académie 
des  Sciences.  Ses  découvertes  en  chimie  sur  le  phosphore  et 
les  larmes  bataviques,  les  métaux,  ses  machines  pneumatiques, 
ses  microscopes  lui  valurent  de  la  réputation.  En  1702,  le  duc 
d'Orléans  le  prit  pour  maître  de  physique  puis  pour  premier 
médecin.  Six  ans  plus  tard,  il  épousa  la  fille  du  médecin  Dodart. 
Il  mourut  en  septembre  1715.  «  M.  le  duc  d'Orléans,  dit  Saint- 
Simon,  perdit  en  ce  même  temps  Humbert,  un  des  plus  grands 
chimistes  de  l'Europe  et  un  des  plus  honnêtes  hommes  qu'il 
y  eut  et  qui  étoit  le  plus  simple  et  le  plus  solidement  pieux. 
C'étoit  avec  lui  que  ce  prince  avait  dressé  sa  fatale  chimie 
où  il  s'étoit  amusé  si  longtemps  et  si  innocemment  et  dont  on 
essaya  de  faire  contre  lui  un  si  infernal  usage  ».  Pour  comprendre 
l'allusion  de  Saint-Simon,  il  faut  se  souvenir  que  successivement, 
en  moins  d'un  an,  avaient  disparu  le  grand  Dauphin,  le  duc  de 
Bourgogne  et  son  fils  le  duc  de  Bretagne.  Les  trois  cadavres 
avaient  été  portés  ensemble  à  Saint-Denis  et  au  passage  du 
convoi,  une  rumeur  terrible,  des  insultes  même,  s'étaient  élevées 
contre  le  duc  d'Orléans.  On  le  soupçonnait  d'avoir  empoisonné 
le  Dauphin  ;  une  autopsie  eut  lieu  et  pour  se  disculper  le  duc 

1.  J.-B.  Wlnslow,  Autobiographie,  édition  W.  Maar.  Paris,  1912,  p.  41. 

2.  J.  Hazon,  Notice  des  hommes  les  plus  célèbres  de  la  Faculté  de  médecine  en 
l'Université  de  Paris.  Paris,  1778,  p.  159. 

9 


130  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

demanda  au  roi  de  faire  mettre  à  la  Bastille  tous  ceux  dont  le 
témoignage  serait  nécessaire,  entre  autres  Homberg.  Spontané- 
ment le  médecin  alla  se  présenter  à  la  porte  de  la  forteresse 
mais  il  n'y  fut  pas  reçu,  Louis  XIV  ayant  changé  d'avis  *, 

De  1782  à  1785,  le  consultant  du  comte  d'Artois  était  un 
Allemand,  Seiffer.  Ce  docteur  donnait  aussi  ses  soins  à  Beau- 
marchais et  se  fit  dire  par  Marie-Antoinette  chez  la  princesse 
de  Lamballe  :  «  Vous  aurez  beau  le  purger,  vous  ne  lui  enlèverez 
pas  toutes  ses  vilenies  ». 

Les  Mémoires  du  xvine  siècle  ont  conservé  le  souvenir  des 
médecins  étrangers  qui  vécurent  dans  l'entourage  des  grands, 
qu'ils  soient  Allemands  ou  Portugais  comme  Silva  ;  mais,  à 
côté  de  ces  notoriétés  du  monde  médical,  il  existait  dans  les 
quartiers  fréquentés  par  les  voyageurs  des  docteurs  qui,  parlant 
seuls  la  langue  allemande  très  mal  connue  des  Français,  don- 
naient leurs  soins  aux  forains  malades.  Nemeitz,  dans  son  Guide, 
fournit  quelques  adresses  de  médecins  allemands  ;  Jean  Diest, 
natif  d'Altona,  docteur  en  médecine  de  la  Faculté  de  Paris, 
naturalisé  en  1751,  semble  s'être  adonné  spécialement  à  la 
guérison  de  ses  nombreux  compatriotes  vivant  dans  la  capitale. 

Aux  noms  de  ces  médecins  il  faut  joindre  celui  du  célèbre 
Mesmer  bien  qu'il  n'ait  fait  en  France  qu'un  séjour  de  sept  ans 
environ.  C'est  au  mois  de  février  1778  qu'il  débarqua  à  Paris, 
arrivant  de  Vienne  et  aussitôt,  au  Palais-Royal,  du  café  du 
Caveau  à  la  place  Vendôme  courut  le  nom  de  l'inventeur. 
Tout  d'abord  il  s'installa  place  Vendôme  chez  les  frères  Bour- 
ret  mais  bientôt  les  clients  affluèrent  si  nombreux  chez  lui 
qu'il  dut  déménager'  et  se  fixer  dans  l'hôtel  Bullion  qui  était 
vaste.  Ne  suffisant  pas  à  soigner  les  malades  individuellement, 
il  installa  ses  fameux  baquets  qui  lui  permettaient  des  traite- 
ments d'ensemble.  Ce  fut  une  furie  ;  chacun  voulut  se  faire 
magnétiser  par  Mesmer  ;  on  retenait  chez  lui  sa  place  d'avance 
comme  au  spectacle  et  par  milliers  les  malades  s'inscrivaient 
sur  ses  registres. 

Mesmer  ne  se  posait  pas  en  empirique  mais  en  inventeur 

1.  Docteur  Paul  Delaunay,  Le  monde  médical  parisien  au  XVIIIe  siècle,  p.  107. 


SAVANTS    ALLEMANDS  131 

éclairé.  Dès  son  arrivée  il  rédigeait  un  Mémoire  sur  la  découverte 
du  magnétisme  animal  mais  nulle  société  savante  ne  prit  au 
sérieux  le  novateur.  De  tous  côtés,  sauf  de  la  part  de  son  impor- 
tante clientèle,  Mesmer  fut  en  butte  aux  railleries,  aux  persé- 
cutions et  après  avoir  séjourné  en  France  jusqu'en  1785,  le 
magnétiseur,  en  partie  ruiné  par  la  faillite  de  Kormann,  quittait 
Paris  pour  l'Angleterre  1. 

Des  savants  allemands  fréquentent  la  France.  Quelques-uns 
n'y  font  que  passer.  L'éminent  physicien  Tschirnhausen  fait 
à  Paris  quatre  voyages  et  en  1682  est  nommé  membre  étranger 
de  l'Académie  des  Sciences  2  ;  il  ne  se  résout  point  à  s'établir 
dans  le  royaume.  Des  savants  d'outre-Rhin  sont  pensionnés 
par  le  gouvernement  puis  se  fixent  à  Paris;  J.  Tremel,  né  en  1727, 
près  de  Mannheim,  avait  été  appelé  à  Paris  à  la  suite  de  ses 
découvertes.  Mécanicien  expert,  il  inventa  des  instruments 
de  physique,  de  labourage  et  la  grue  tournante.  Il  était  logé  au 
Palais  des  Arts  3.  François  Brahl,  connu  par  ses  travaux  hydrau- 
liques et  auteur  du  premier  plan  d'un  conservatoire  des  arts  et 
métiers,  appartenait  à  une  famille  d'origine  allemande  natura- 
lisée. La  ville  de  Paris  lui  avait  confié  la  direction  du  service  des 
eaux  4. 

Louis  XIV  intervenait  dans  les  élections  à  l'Académie  des 
Sciences  et  à  l'Académie  des  Inscriptions.  Ludolphe  Kuster, 
né  à  Blomberg,  en  Westphalie,  s'était  retiré  à  Paris  après  un 
séjour  à  Londres.  Il  y  avait  publié  en  1710  une  édition  d'Aris- 
tophane et  préparait  une  édition  du  Nouveau  Testament  grec. 
S'étant  converti  au  catholicisme  en  1713,  il  reçut  une  pension 
de  2.000  livres  et  sur  la  demanda  du  roi,  fut  nommé  membre 
associé  de  l'Académie  des  Inscriptions  en  attendant  d'ètrv 
nommé  titulaire,  honneur  qui  lui  échut  en  1714.  Kuster  mourut 
à  Paris  en  1717  5.. 


1,  D'  Dclaunay,  op.  cit.  Nombreux  détails  sur  .tylcsmcr  cl  bibliographie  du  snjt -t. 
p.  LI. 

2.A.  Maury,  L'Ancienne  Académie  des  Sciences,  Paris,  i.xdl.  p.  23. 

3.  A.  Laquiante,  Un  hiver  à  Paris  sous  le  Consulat,  d'après  les  lettres  de  Reichardl. 
Paris,  189G,  p.  342. 

4.  Id.,  Ibid.,  p.  4.  -   11  était  né  à  Paris  en  1750. 

r>.   Note  m  Kuster  dans  Bulletin  de  la  Soc.  d'histoire  du  protestant isme,  t.  VIII, 
p.  92. 


132  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Si  l'on  doit  supposer  que  les  étudiants  et  les  voyageurs  étran- 
gers ont  laissé  quelques  traces  de  leur  passage  dans  la  popula- 
tion française,  il  faut  également  penser  que  les  artistes  qui  de- 
meurèrent à  Paris  pendant  plusieurs  années  eurent  aussi  une 
influence  sur  l'ethnogénie.  Au  xvme  siècle,  le  nombre  des  élèves 
allemands,  peintres  ou  graveurs  qui  passèrent  dix,  douze  ou 
quinze  ans  près  des  maîtres  français  furent  légion.  Bien  qu'en 
1767,  Diderot  écrivît  à  Grimm  de  conseiller  aux  souverains  avec 
lesquels  il  correspondait  de  fonder  une  école  d'art  à  Paris  pour 
leurs  nationaux,  les  princes  allemands  ne  créèrent  pas  d'insti- 
tution spéciale  ;  ils  se  servirent  de  celle  qui  existait  déjà  et 
envoyèrent  leurs  protégés  à  l'Académie  royale  de  peinture. 
En  dépouillant  les  registres  des  admissions  d'élèves  à  l'Aca- 
démie de  1758  à  la  fin  de  l'année  1787,  on  y  relève  la  présence 
de  soixante-treize  élèves  originaires  des  divers  États  d'Alle- 
magne K  Mais  ce  total  est  loin  de  donner  le  chiffre  exact  des 
Allemands  qui  sont  venus  étudier  en  France.  Le  seul  Journal  de 
Jean  Georges  Wille  contient  de  nombreux  détails  sur  des  artistes 
germaniques  qui  séjournèrent  à  Paris  entre  les  années  1759, 
date  à  laquelle  commence  son  journal  et  1795,  époque  à 
laquelle  il  est  clos. 

Jean-Georges  Wille,  graveur,  naquit  à  Kônigsberg  en  1715  ; 
il  vint  à  Paris  au  mois  de  juillet  1736,  fit  un  voyage  en  son  pays  en 
1746,  revint  promptement  à  Paris  et  se  maria  avec  Marie-Louise 
Deforge  en  1747  ;  de  ce  mariage,  il  eut  plusieurs  enfants,  dont 
l'aîné,  né  en  1748,  demeura  en  France.  Après  avoir  travaillé 
avec  Largillière,  Wille  étudia  chez  un  orfèvre,  Lelièvre,  puis 
entra  chez  Odieuvre,  marchand  d'estampes.  Rigaud  lui  confia 
quelques  travaux  et  en  1743  Wille  fonda  sa  réputation  en  livrant 
au  public  le  portrait  du  maréchal  de  Belle-Isle  ;  la  gravure  du 
portrait  du  maréchal  de  Saxe  qui  date  de  1747  confirma  le 
talent  de  l'artiste.  En  1758,  Louis  XV  donna  à  Wille  ses  lettres 
de  naturalisation  et  le  fit  agréer  comme  son  graveur  à  l'Aca- 
démie. Pendant  la  plus  grande  partie  de  sa  vie,  Georges  Wille 
habita  la  même  maison,  quai  4es  Augustins  ;  c'est  là  que  vécut 

1.  L.  Dussieux,  Les  Artistes  français  à  l'étranger.  Paris,  1876.  Introduction, 
p.  79. 


JEAN  GEORGES  WILLE  ET  SES  AMIS  133 

à  ses  côtés  son  fils  Pierre-Alexandre.  Ce  jenne  homme,  élève 
de  Greuze  et  peintre  de  second  ordre,  habita  Paris  jusqu'à 
sa  mort  survenue  en  1821  ;  il  avait  épousé  mademoiselle  Aban, 
fille  unique  de   l'écuyer    tranchant  du  roi  de  Pologne  K 

Pendant  un  demi-siècle,  l'atelier  de  Georges  Wille  fut  le 
rendez-vous  des  étrangers  notables,  amateurs  d'art,  venant  à 
Paris.  Nul  Allemand,  nul  Autrichien  ne  visitait  la  capitale 
sans  monter  à  l'atelier  de  Wille  et  chaque  soir,  celui-ci  mention- 
nait brièvement  ou  avec  quelques  détails  le  nom  de  ses  visiteurs, 
des  amateurs  et  des  acheteurs  qu'il  avait  reçus  dans  la  journée  2. 
Si  le  Journal  du  graveur  est  précieux  pour  qui  veut  se  rendre 
compte  du  cosmopolitisme  de  Paris  au  xvme  siècle,  il  ne  l'est 
pas  moins  pour  présenter  une  brève  esquisse  de  la  colonie 
que  formèrent  les  artistes  allemands. 

Wille  était  arrivé  à  Paris  en  même  temps  que  G.-F.  Schmidt, 
jeune  graveur  de  Berlin.  Jusqu'au  printemps  de  l'année  1742,  épo- 
que à  laquelle  Louis  XV  fit  agréer  Schmidt  à  l'Académie  royale, 
encore  que  cet  artiste  fût  protestant,  Wille  et  Schmidt  vécurent 
sous  le  même  toit.  Une  seule  cloison  de  planches  séparait  leurs 
chambres  ;  leur  intimité  ne  cessa  jamais  et  lorsque  le  graveur 
berlinois  quitta  Paris  pour  Pétersbourg,  une  amicale  correspon- 
dance entretint  leurs  relations.  Jean-Marie  Preisler,  jeune  gra- 
veur de  Nuremberg,  élève  de  Laurent  Cars  fut  aussi  des  amis 
de  Wille.  Preisler  finit  ses  jours  à  Copenhague  ;  malgré  les  dis- 
tances, les  deux  camarades  ne  s'oublièrent  jamais.  En  1787, 
Jean-Georges  Preisler,  fils  de  Jean-Marie,  était  élève  de  Wille 
qui  le  présenta  et  le  fit  agréer  à  l'Académie.  Le  4  août  de  cette 
année  Wille  consigna  dans  son  Journal  cette  réflexion  pleine 
d'amour-propre  :  «  Voilà  le  quatrième  de  mes  élèves  membre 
de  l'Académie  royale.  Peu  de  graveurs  peuvent  avoir  fourni  ce 
nombre.  » 

Au  cours  des  neuf  cents  pages  de  son  Journal,  Wille  énumère 
les  noms  de  ses  élèves  allemands  et  de  ses  compatriotes  qui 

1.  L.  Hautecœur,  Pierre- Alexandre  Wille  le  fils  (1749-1821),  dans  Mélanges 
offerts  à  M'  Henri  Lemonnier.  Paris,  1913,  p.  440. 

2.  Mémoires  et  Journal  de  J.  G.  Wille,  édité  par  Georges  Duplcssis.  Paris,  1857, 
t.  II,  p.  391,  Wille  a  donné  une  très  brève  esquisse  de  sa  biographie,  sous  la  date 
du  9  septembre  1793. 


134  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

travaillent  chez  Cars,  chez  Vien,  chez  Restout.  Son  camarade 
Baader,  d'Eichstadt  en  Franconie  arrive  à  Paris  en  1762; 
pendant  trente  ans,  Wille  et  Baader  vivent  en  étroite  union  ; 
ensemble  ils  vont  peindre  à  Longjumeau  avec  Freudeberg  et 
Dunker,  ensemble  ils  se  rendent  dessiner  à  Sceaux  en  compagnie 
de  Schmuzer,  élève  de  Wille.  Lorsque  Baader  décède  à  Paris 
en  1792,  Wille  écrit  de  lui  :  «  S'il  n'étoit  pas  un  peintre  de  la 
première  classe,  il  étoit  du  moins  très  prompt  et  très  laborieux.  » 
De  la  Souabe,  de  la  Franconie,  de  la  Forêt-Noire,  de  l'Autriche, 
viennent  étudier  les  arts  à  Paris  jeunes  gens  ou  hommes  mûrs. 
Schwab,  graveur,  est  originaire  de  Vienne  ;  Teucher  séjourne 
douze  ans  parmi  nous  ;  Zingg  et  Morikofer,  Mathias  Halm,  fils 
d'un  arquebusier  de  Coblentz  sont  élèves  de  Wille  ;  Muller  vient  de 
la  Forêt-Noire.  Lors  des  attaques  prussiennes  contre  leur  pays,  des 
Saxons  avaient  gagné  Paris.  Krause  de  Dresde  avait  fui  avec 
Meyer  et  Loutherbourg  ;  il  était  entré  dans  l'atelier  de  Casa1- 
nova.  Parfois  Wille  ne  sait  où  loger  ses  propres  élèves  ;  son  beau- 
frère  Chevillot  les  héberge.  Ces  jeunes  Allemands  trouvent 
souvent  des  situations  en  France.  Halm,  de  Coblentz,  est  reçu 
professeur  de  dessin  à  l'école  royale  militaire.  Il  y  est  logé, 
nourri  et  touche  1.400  livres  par  an. 

Comme  il  arrive  toujours,  à  côté  des  élèves  allemands  viennent 
se  fixer  à  Paris  des  compatriotes  qu'ils  font  vivre.  Hacken 
rentoile  leurs  tableaux,  Guttenberg  vernit  les  planches  des  gra- 
veurs. Autant  que  faire  se  peut,  ces  futurs  artistes  se  logent  chez 
des  Allemands  ;  Wille  donne  la  table  à  plusieurs  d'entre  eux  ; 
si  Mechel  le  quitte  après  un  séjour  de  plus  de  deux  ans  chez  lui, 
il  va  chercher  le  vivre  et  le  couvert  chez  le  musicien  Eckhart. 
C'est  avec  raison  que  les  frères  de  Goncourt  ont  écrit  que  la 
maison  de  Wille  est  le  rendez-vous  de  tous  les  Allemands  ; 
le  graveur  est  lié  avec  des  musiciens  :  Kôpfer,  Eckhardt,  Gluck  ; 
avec  des  littérateurs  comme  Huber,  des  marchands  d'estampes, 
des  joailliers  qui  vivent  à  Paris.  A  elle  seule,  la  lecture  du  Journal 
de  Wille  donne  un  aperçu  de  l'importance  de  la  colonie  allemande 
de  Paris. 


IGNORANCE   DE   LA   LANGUE   ALLEMANDE   EN   FRANCE         135 


Y 


Jusqu'au  milieu  du  xvme  siècle,  l'Allemagne  ne  comptait 
pas  pour  la  France.  Elle  constituait  un  réservoir  d'hommes 
où  la  royauté  puisait  des  reîtres,  des  lansquenets,  des  officiers 
de  tous  grades  que,  suivant  leur  valeur  ou  leur  mérite,  on  rému- 
nérait en  argent  ou  en  honneurs.  De  l'Empire,  on  tirait  égale- 
ment des  ouvriers  et  des  artisans  ;  comme  la  vie  était  douce 
en  France,  ils  s'y  fixaient.  Les  commerçants  qui  s'installaient 
dans  nos  cités  soulageaient  les  régnicoles  d'occupations  qu'ils 
jugeaient  viles  et  méprisables.  Un  homme  remarquable  ou 
notoire  surgissait-il  dans  une  principauté  d'outre-Rhin,  la 
royauté  l'attirait  en  France  comme  elle  conviait  à  s'y  installer 
les  autres  étrangers.  Si  les  Allemands  visitaient  la  France  en 
touristes,  nous  ignorions  totalement  leur  pays  ;  des  gens  de 
chez  nous  étaient  même  assez  ignares  pour  proposer  comme  un 
certain  Mathieu  de  Mirarnpol  i  de  faire  voyager  la  jeunesse  en 
Allemagne  pour  retarder  l'heure  de  la  puberté  par  la  rigueur 
du  climat  ».  Très  peu  d'hommes  cultivés  parlaient  l'allemand,; 
en  1754,  Raynal  notait  :  «  Nous  n'avons  peut-être  pas  trois, 
écrivains  qui  le  sachent.  »  C'est  assez  dire  qu'ignorant  le  pays/ 
ses  mœurs,  sa  langue,  les  productions  littéraires  des  prosateurs 
ou  poètes  d'outre-Rhin  nous  étaient  totalement  étrangères. 
Elles  n'auraient  d'ailleurs  pu  nous  intéresser  très  particu- 
lièrement car  la  majeure  partie  des  œuvres  allemandes  avaient 
été  inspirées  par  notre  littérature. 

Soudainement,  au  moment  où  Frédéric  II  s'elTorce  de  dimi- 
nuer notre  prestige,  à  l'heure  où  sous  l'influence  de  Lessing, 
l'un  des  principaux  fondateurs  du  mouvement  de  rénovation 
de  la  pensée  germanique,  les  écrivains  allemands  s'efforcent 
de  devenir  originaux,  les  Français  se  prennent  de  sympathie 
pour  la  littérature  allemande  et  accueillent  avec  empressement 
les  hommes  de  lettres  d'outre-Rhin  qui  viennent  à  Paris  pour 
procéder  à  ce  que  l'on  a  appelé  «  le  lancement  de  la  littérature 
allemande  ». 


136  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Une  véritable  colonie  d'intellectuels  natifs  des  terres  d'Em- 
pire s'est  constituée  à  Paris  au  xvme  siècle.  Les  premiers  trou- 
vèrent en  Diderot  un  véritable  patron  ;  aussi  bien  l'auteur  de 
cette  révolution  anti-française  déchaînée  en  partie  par  un 
Français,  a-t-il  été  un  des  hommes  les  plus  encensés  en  Alle- 
magne. Gœthe,  Schiller,  Arndt,  Hegel,  Raumer  et  beaucoup 
d'autres  ont  abondamment  loué  Diderot,  souvent  même  en  des 
termes  qui  peuvent  paraître  excessifs  l.  Soutenus  par  un  homme 
aussi  puissant  que  l'encyclopédiste,  les  protagonistes  de  l'in- 
fluence allemande  affluèrent  à  Paris  et  les  plus  notoires  d'entre 
eux  se  groupèrent  autour  de  lui  jusqu'à  l'époque  de  son  décès 
survenu  en  1784. 

Un  petit  étudiant  frais  émoulu  de  l'Université  de  Leipzig 
débarque  à  Paris  en  1748  avec  son  élève  le  comte  de  Schoenberg  ; 
il  se  nomme  Grimm.  Pendant  près  de  quarante  ans  il  joue  à 
Paris  un  rôle  de  premier  plan.  Accueilli,  fêté  par  tous,  il  distribue 
tour  à  tour  le  blâme  et  l'éloge  dans  sa  Correspondance  littéraire, 
philosophique  et  critique.  Deux  fois  par  mois  il  émet  des  juge- 
ments sur  les  hommes  et  les  arts,  il  s'efforce  «  d'unir  les  grâces 
et  le  goût  français  au  génie  allemand  ».  Il  ne  réussit  pas  à  accom- 
plir cette  fusion  car  au  mois  de  février  1792  il  lui  faut  prendre 
la  route  de  l'émigration.  A  côté  de  lui  Helvétius,  d'Holbach, 
Meister,  Michel  Huber,  Leuchsering  tentent  de  vulgariser  en 
France  les  idées  d'outre-Rhin.  Bitaubé,  né  à  Koenigsberg  en  1732 
avait  traduit  Y  Iliade  en  français,  il  était  devenu  l'ami  de  d'Alem- 
bert  qui  l'engagea  à  venir  à  Paris.  Il  s'y  trouva  si  bien  qu'il  s'y 
fixa  ;  l'Académie  des  Inscriptions  lui  ouvrit  ses  portes.  La 
publication  de  Joseph  et  de  son  poème  Guillaume  de  Nassau 
l'enrichit.  Sa  maison  devint,  comme  celle  de  Wille,  le  rendez- 
vous  des  Allemands  de  passage  à  Paris. 

Des  intellectuels  allemands  de  tous  ordres  se  ruent  vers  la 
capitale  ;  ils  profitent  de  la  mode  pour  se  faufiler  dans  la  société. 
Jean-Baptiste  Cloots  arrive  à  Paris  en  1775  ;  il  se  fait  un  nom 
trois  ans  après,  en  publiant  Voltaire  triomphant  ou  les  prêtres 
déçus.  Lorsque  survient  la  Révolution  il  se  croit  homme  poli- 

1.  Sur  le  rôle  de  Diderot,  patron  des  littérateurs  allemands,  voir  L.  Reynaud, 
L' Influence  française  en  Allemagne.  Paris,  1915,  p.  420  et  suivantes. 


DIDEROT  ET  LES  ALLEMANDS  137 

tique  ;  quelques  semaines  après  la  prise  de  la  Bastille  il  s'inscrit 
au  club  des  Jacobins  où  le  prince  de  Hesse,  «  M.  de  Hesse, 
disait-il,  était  assis  entre  son  tailleur  et  son  cordonnier  ».  Trop 
anticlérical  pour  conserver  son  prénom  il  le  modifie  en  celui 
d'Anacharsis,  essaie  de  prôner  la  Société  des  Nations  puis 
de  palinodie  en  palinodie,  devient  l'apôtre  de  l'utilité  et  de 
l'excellence  de  la  guerre  1. 

Peu  avant  la  Révolution,  Charles-Frédéric  Cramer,  de  Kiel, 
se  fixe  à  Paris  ;  il  s'intéresse  à  la  science  militaire  et  rédige  par 
la  suite  un  Précis  des  règles  du  jeu  de  la  guerre.  En  1789,  s'éta- 
blissent encore  à  Paris  des  intellectuels  allemands  ;  parmi  eux 
figure  le  comte  de  Schlaberndorff  ;  il  écrit  ses  impressions  et  en 
attendant  de  les  publier  il  commandite  son  compatriote  Louis- 
Étienne  Herhan.  Après  avoir  été  occupé  à  la  fabrication  des 
assignats,  cet  imprimeur  donna  quelques  belles  éditions  de 
classiques  français. 

A  côté  des  notabilités  qui  fréquentent  chez  d'Alembert, 
Diderot,  d'Holbach  et  qui  correspondent  avec  Frédéric  II, 
Catherine  ou  Voltaire,  des  comparses  traduisent  à  l'usage  des 
Français  les  œuvres  allemandes.  Ce  goût  des  traductions  com- 
mence quelque  peu  après  1754.  Diderot  note  dans  sa  correspon- 
dance :  «  Les  Allemands  ne  pourront  plus  écrire  bientôt  chez  eux 
en  liberté  et  courront  risque  de  se  voir  traduits  à  Paris  » 2.  Dix  ans 
plus  tard,  le  mouvement  est  déclenché  et  dans  Paris  on  renc- 
ontre de  véritables  officines  de  traductions  allemandes  analogues 
à  ces  bureaux  de  translations  d'œuvres  espagnoles  qu'avait 
connus  le  début  du  xvne  siècle.  Les  Tcharner  de  Berne,  Friedel, 
de  Berlin,  de  la  Martellière,  —  Schwinderhammer  de  son  nom 
véritable,  —  Millier,  étaient  les  plus  habiles  vulgarisateurs  des 
œuvres  de  nos  voisins.  Hauptmann  qui  signait  Capitaine, 
traduit  les  ouvrages  de  Zacharie  8.  Les  traductions  sont  souvent 
faites  par  les  professeurs  allemands  de  langues  étrangères  employés 
à  l'École  royale  militaire.  Iunker,  de  Hanau,  l'un  d'eux,  fait 
imprimer  en  1764  une  grammaire  sous  le  titre  d'Essai  sur  la 

1.  A.  Mutiliez,  La  Révolution  et  les  étrangers.  Paris,  1916,  p.  48. 

2.  Diderot,  Correspondance...,  édition  citée,  t.  II,  p.  394  et  392. 

3.  Ibid.,  t.  VIII,  p.  253. 


138  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

langue  allemande  avec  une  histoire  de  la  littérature  allemande. 
«  Comme  c'est  aujourd'hui  la  mode  à  Paris  d'étudier  cette  langue 
et  cette  littérature,  l'ouvrage  de  M.  Junker  ne  peut  man- 
quer de  faire  fortune  »,  écrit  Diderot 1. 

Les  lecteurs  et  hommes  cultivés  de  France  résistent  cepen- 
dant à  cette  intrusion  de  la  culture  germanique.  Dans  la  presse 
littéraire  on  juge  parfois  sévèrement  les  œuvres  tudesques 
dans  lesquelles  «  la  plaisanterie  comme  généralement  toutes 
celles  des  Allemands  est  lourde  et  sans  sel.  »  On  dénonce  leurs 
trop  fréquents  emprunts  à  notre  littérature  ;  on  plaisante 
les  étrangers  qui,  comme  Grimm  ou  Meister,  critiquent  nos 
écrivains.  Dans  le  livret  d'un  opéra-comique,  représenté  en  1760, 
les  Nouveaux  Calotins,  un  publiciste  allemand,  dialoguant  avec 
la  Folie  disait  :  «  Moi,  j'y  affre  fait  toute  exprès  le  voyage  d'Alle- 
magne et  l'y  être  venu  à  Paris  pour  y  apprendre  à  la  Français 
comment  l'y  doive  parler  son  langue.  »  On  dénonçait  ainsi 
l'outrecuidance  des  Allemands.  Toutefois,  on  s'occupe  d'eux, 
on  discute  le  fameux  problème  posé  à  la  fin  du  xvne  siècle 
par  le  Père  Bouhours  et  consistant  à  savoir  si  «  un  Allemand 
pouvait  être  bel  esprit  » 2.  Dorât  publie  Vidée  de  la  poésie  alle- 
mande, sorte  d'introduction  à  l'usage  du  lecteur  français  à 
l'étude  des  écrivains  germaniques.  «  Nous  regardons,  dit-il, 
les  Allemands  comme  des  espèces  d'automates,  faits  pour 
végéter  sous  des  puissances  électorales...  Tout  a  bien  changé.  » 

A  force  de  ténacité  les  Allemands  avaient  créé  autour  d'eux 
un  mouvement  de  curiosité.  Leurs  œuvres  étaient  lues  et  com- 
mentées, la  chose  n'est  point  douteuse.  A  défaut  de  témoignages 
précis,  il  suffirait,  pour  s'en  convaincre,  de  consulter  les  cata- 
logues de  la  librairie  au  xvme  siècle.  Les  éditions  ordinaires 
ou  illustrées  des  œuvres  des  poètes,  des  historiens  ou  des  phi- 
losophes allemands  sont  nombreuses  et  si  elles  n'avaient  joui 
de  quelque  faveur,  les  éditeurs  se  seraient  gardé  de  les  faire 
illustrer  par  Eisen,  Marillier  ou  More  au  le  jeune. 

Si  le  goût  de  la  littérature  allemande,  sous  l'influence  de  la 
colonie  des  intellectuels  germaniques  établis  à  Paris  a  été  déve- 

1.  Ibid.,  t.  V,  p.  454. 

2.  Ibid.,  t.  II,  p.  171. 


MUSICIENS    ALLEMANDS  139 

loppé  pendant  quelques  lustres  dans  les  classes  cultivées  de  la 
Société  française,  l'effort  que  les  membres  du  Sturm  und  Drang 
avaient  tenté  n'a  pas  abouti  au  xvme  siècle.  Il  a  toutefois 
préparé  le  mouvement  qui  se  dessina  après  la  publication  du 
livre  fameux  de  Madame  de  Staël  sur  l'Allemagne. 

Tandis  que  les  hommes  de  lettres  allemands  tentent  de  créer 
autour  des  œuvres  de  leur  pays  un  mouvement  de  curiosité 
et  de  sympathie,  Paris  et  Versailles  se  peuplent  de  musiciens, 
compositeurs,  virtuoses  ou  simples  instrumentistes  de  talent 
qui,  protagonistes  de  l'art  allemand,  viennent  chercher  en 
France  la  consécration  de  leur  talent  et  de  leur  renommée. 
Après  1760,  il  n'e.st  année  au  cours  de  laquelle  Paris  ne  fasse 
fête  à  quelque  musicien  allemand.  L'Opéra  joue  les  œuvres  des 
auteurs  d'outre-Rhin,  dans  les  salons  on  exécute  sonates  ou 
concertos  de  compositeurs  allemands.  Un  riche  fermier  général, 
M.  de  la  Pouplinière,  dont  le  salon  est  le  rendez-vous  des  hommes 
célèbres  et  des  femmes  aimables  de  Paris,  met  à  la  mode  musique 
et  exécutants  allemands  K  Au  cours  des  trente  années  qui 
s'étendent  de  1760  à  1790,  il  se  constitue  à  Paris  une  colonie 
de  musiciens  natifs  de  l'Allemagne  ou  de  l'Autriche.  Quelques- 
uns  se  fixent  définitivement  en  France,  d'autres  font  à  Paris 
des  séjours  plus  ou  moins  prolongés. 

Kôpfer  et  sa  famille  habitent  Passy  ;  le  mari  fait  partie  de 
l'orchestre  de  M.  de  la  Pouplinière,  il  est  en  relations  d'amitié 
avec  Wille  2.  Jean  Godefroi  Eckardt,  natif  d'Augsbourg,  accom- 
pagne à  Paris  son  ami  Georges-André  Stein,  célèbre  facteur 
d'orgues.  Tous  deux  arrivent  en  1758.  Stein  repart  dans  son 
pays  d'origine  mais  Eckardt  demeure  en  France  ;  il  y  mourra 
en  1809.  Pour  subsister  et  se  donner  la  possibilité  de  cultiver  le 
clavecin  dont  il  deviendra  l'un  des  maîtres  incontestés,  Eckardt 
se  livre  d'abord  à  l'exécution  de  miniatures.  Il  n'abandonna 
la  peinture  qu'au  moment  où  sa  réputation  de  musicien  est 
acquise  3. 

C'est   également   en    1758   que    Sieber    arrive   d'Allemagne ; 

1.  Marquis  de  Sétçur,  La  Jeunesse  de  madame  de  la  Pouplinière,  Un  salon  de  fer- 
mier général,  dans  Jieoue  de*  Deux-Mondes,  n°  du  15  février  11)17. 

2.  G.  Wlllc,  op.  cit.,  t.  1,  p.  3 

3.  A.  Laquiante,  op.  cit.,  passim. 


140  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

il  devient  premier  cor  à  l'Opéra  et,  pour  la  première  fois,  fait 
entendre  de  la  harpe  dans  Y  Orphée  de  Gluck.  Par  la  suite,  il 
s'établit  éditeur  de  musique.  De  1760  à  1767,  le  pianiste  Iohann 
Schober  fait  les  délices  des  salons  de  Paris  ;  Ritter  de  Mannheim, 
appelé  à  Paris  en  1777  est  un  virtuose  du  basson.  Hinner,  maître 
de  harpe  de  la  reine  Marie-Antoinette  enseigne  son  art  à  de 
nombreuses  dames  de  la  cour.  Stamitz  passe  quelques  années 
à  Paris  avant  d'aller  fonder  à  Mannheim  l'école  de  violon 
de  cette  ville  ;  son  fils  Antoine  enseigne  le  violon  à  Paris  et 
devient  le  professeur  de  Rodolphe  Kreutzer. 

Les  musiques  militaires  elles-mêmes  empruntent  à  l'Allemagne 
des  exécutants  et  des  instruments  nouveaux. 

Lorsque  le  duc  de  Choiseul  prit  possession  de  la  charge  de 
colonel  général  des  gardes  suisses  et  grisons,  le  4  mars  1762, 
il  continua  dans  ce  corps  d'élite  les  réformes  qu'il  avait  entre- 
prises dans  l'armée  depuis  qu'il  avait  été  appelé  au  ministère 
de  la  guerre.  L'une  des  premières  fut  la  réorganisation  de  la 
musique  de  ce  régiment  ;  il  le  dota  de  seize  musiciens  qui  rem- 
placèrent les  fifres  et  tambours,  seuls  instruments  alors  en  hon- 
neur dans  les  musiques  militaires.  Parmi  les  innovations  qu'il 
apporta  dans  la  nouvelle  musique  des  gardes  suisses  l'une  des 
plus  importantes  fut  l'adjonction  du  cor  et  de  la  clarinette, 
instruments  que  l'orchestre  de  l'Opéra  ne  possédait  pas  puisque 
lors  de  la  représentation  d'Acanthe  et  Céphise,  en  1751,  Rameau 
dut  emprunter  à  l'orchestre  de  La  Pouplinière  les  seuls  instru- 
mentistes de  ce  genre  que  ce  riche  amateur  avait  fait  venir 
d'Allemagne. 

Pour  former  sa  musique,  Choiseul  avait  appelé  d'Allemagne 
les  instrumentistes  indispensables  à  la  nouvelle  organisation. 
Parmi  ces  musiciens  se  trouvait  Jean-Jacob  Kreutzer,  natif 
de  Breslau,  que  l'on  rencontre,  dès  1762,  installé  à  Versailles 
avec  sa  femme  et  son  fils  Georges.  En  même  temps  que  cla- 
rinettiste, J.-J.  Kreutzer  était  professeur  de  violon.  Il  devait 
passer  sa  vie  en  France.  A  l'exception  de  Georges,  né  en  Alle- 
magne, le  musicien  eut  à  Versailles  sept  autres  enfant  au  moins, 
cinq  garçons  et  deux  filles.  Le  plus  célèbre  de  tous  est  Rodolphe 
Kreutzer  qui  naquit  à  Versailles  le  15  novembre  1766  et  reçut 


KREUTZER,  MOZART,  GLUCK  141 

son  prénom  de  son  parrain  Rodolf  Krettly,  lui  aussi  musicien 
des  Gardes-Suisses. 

Fils  de  musicien,  Rodolphe  montra  de  bonne  heure  un  goût 
marqué  pour  le  violon  et  fut  confié  aux  soins  d'Antoine  Sta- 
mitz,  fils  de  J.-C.  Stamitz,  fondateur  de  l'école  de  violon  de 
Mannheim.  Dès  le  25  mai  1780,  Kreutzer  était  virtuose  ;  il 
jouait  au  concert  spirituel  du  château  des  Tuileries  un  concerto 
de  Stamitz.  Quelques  mois  après  la  mort  de  ses  parents,  sur- 
venue en  1784,  Rodolphe  entre  dans  la  musique  du  roi  ;  ses 
succès  comme  exécutant  s'affirment  et  en  1788  il  épouse  à  Ver- 
sailles Adélaïde-Charlotte  Foucard,  femme  de  haute  intelligence 
d'après  les  témoignages  de  ses  contemporains  *.  Si  l'on  n'ignore 
point  que  Rodolphe  Kreutzer  alla  finir  ses  jours  hors  de  France, 
on  ne  sait  exactement  ce  que  devinrent  ses  frères  et  sœurs  et 
comment  s'écoula  leur  existence. 

La  vogue  et  l'engouement  pour  les  compositeurs  allemands 
ne  se  dément  pas  à  la  fin  du  xvme  siècle.  Wolfgang  Mozart, 
âgé  de  huit  ans,  est  amené  à  Paris  par  son  père  et  sa  mère  au 
mois  de  novembre  1763.  Il  est  hébergé  par  le  comte  d'Eyck, 
représentant  de  l'Électeur  de  Bavière  puis,  après  un  mois, 
sur  les  conseils  de  Grimm  et  de  Eckardt,  la  famille  s'établit 
à  Versailles.  Le  jour  de  Noël,  le  petit  Wolfgang  entend  jouer  des 
Noëls  français  par  un  joueur  d'orgue  ;  revenu  chez  lui,  il  en 
retrouve  les  mélodies  puis  ayant  entendu  exécuter  les  œuvres 
de  nos  musiciens,  il  rentre  dans  sa  chambre  et  la  tête  encore 
pleine  des  réminiscences  de  la  musique  française,  il  écrit  d'un 
trait  ses  deuxième  et  troisième  sonates  en  ré  majeur  et  sol 
majeur.  Dès  1763,  Mozart  triomphe  à  Versailles  ;  il  y  triomphe 
encore  en  1766.  Il  y  revient  en  1778  mais  son  séjour  en  France 
est  attristé  par  la  mort  de  sa  mère  qui  l'accompagne  et  l'accueil 
qu'on  lui  réserve  est  moins  chaleureux  que  par  le  passé.  Le  monde 
des  arts  et  des  lettres,  la  société  tout  entière  sont  divisés  par  la 
querelle  des  Gluckistes  et  des  Piccinistes. 

C'est  en  1764  que  Gluck  fit  son  premier  voyage  en  France  ; 
il  y  venait  surveiller  la  gravure  de  la  partition  à? Orphée  mais  son 

1.  J.  Hardy,  Rodolphe  Kreutzer.  Sa  jeunesse  à  Versailles.  Parla,  1910. 


142  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

séjour  dans  la  capitale  fut  alors  assez  court.  Il  n'y  revint  qu'à 
l'automne  de  l'année  1773  sur  l'insistance  de  nombreux  amis. 
La  Dauphine  qui  était  fervente  admiratrice  de  son  ancien  maître 
de  musique  lui  fit  ouvrir  les  portes  de  l'Opéra  et  les  premières 
répétitions  d'Iphigénie  en  Aulide  commencèrent  ;  elles  furent 
pénibles  pour  l'auteur  ;  l'orchestre,  les  chœurs,  les  artistes  se 
pliaient  mal  à  ses  exigences,  la  salle  était  encombrée  de  spec- 
tateurs qui  assistaient  aux  travaux  ;  enfin,  le  19  avril  1774, 
avait  lieu  la  première  représentation.  Marie-Antoinette  y  assis- 
tait et  battait  des  mains;  la  cour  et  la  ville  l'imitèrent,  ce  fut  un 
grand  enthousiasme  dans  le  public.  Par  la  suite,  les  représenta- 
tions d'Orphée,  d'Alceste,  d'Iphigénie  en  Tauride  suscitèrent 
des  discussions  très  vives.  A  Gluck  on  opposa  Piccini  que  l'on 
avait  attiré  à  Paris.  Porté  aux  nues  par  les  uns,  décrié  par  les 
autres  qui,  aux  récits  dramatiques  et  à  la  majestueuse  simplicité 
de  l'art  de  «  Y  Orphée  allemande  »  préféraient  les  «  gargouillardes 
italiennes  »,  Gluck  connut  les  triomphes  et  les  déboires.  En  oc- 
tobre 1779,  plus  irrité  du  froid  accueil  fait  à  Echo  et  Narcisse 
que  reconnaissant  des  grands  succès  d'Orphée,  d'Alceste,  d'Ar- 
mide  et  des  deux  Iphigénies,  Gluck  quittait  la  France  pour  ne 
plus  la  revoir.  Les  faveurs,  les  pensions,  l'amitié  que  lui  portait 
Marie-Antoinette  n'avaient  pu  retenir  à  Paris  le  compositeur  \ 

Gluck  est  un  maître,  un  maître  incontesté  dont  le  génie 
domine  celui  de  tous  les  autres  musiciens  allemands  qui  furent 
joués  à  Paris  à  la  fin  du  xvme  siècle  mais  il  ne  doit  point  faire 
oublier  quelques  autres  de  ses  compatriotes  que  la  France 
accueillit.  Daniel  Steibelt,  né  à  Berlin  en  1760,  vint  tout  jeune 
à  Paris  ;  il  y  composa  Roméo  et  Juliette  qui  fut  chanté  en  1793 
au  théâtre  Feydeau,  puis  un  intermède  en  l'honneur  de  Napo- 
léon après  sa  victoire  d'Austerlitz.  L'Opéra  de  Paris  représenta 
les  œuvres  de  Vogel  ;  enfin  les  Parisiens  eurent  fréquemment 
l'occasion  d'applaudir  les  œuvres  du  Prussien,  Iohan  Friedrich 
Reichardt. 

Elève  de  Kant,  maître  de  chapelle  et  directeur  de  l'Opéra 
italien  de  Berlin,  Reichardt  n'habita  jamais  la  France  mais  il  y 

1.  Sur  Gluck  et  la  querelle  des  Gluckistes  et  Piccinnistes,  voir  G.  Desnoireterres, 
Gluck  et  Piccini.  Paris,  1872. 


REICHARDT    A    PARIS  143 

fit  des  séjours  prolongés.  En  1783,  il  résolut  de  se  produire  à 
l'étranger  ;  muni  de  lettres  pressantes  de  recommandation 
que  lui  avait  données  Gluck,  il  put  faire  apprécier  sa  musique 
aux  concerts  de  la  reine  à  Versailles  et  aux  concerts  spirituels 
dirigés  à  Paris  par  Legros.  On  lui  confia  des  livrets  d'opéra, 
notamment  celui  de  Tamerlan  écrit  par  Morel  de  Mondeville  ; 
il  repartit  pour  l'Allemagne,  revint  à  Paris  en  1786  pour  faire 
jouer  son  opéra  mais  n'y  réussit  pas.  Il  n'en  garda  pas  rancune 
aux  Français  ;  en  1792,  il  arrive  de  nouveau  à  Paris  par  Stras- 
bourg  et  Lyon  tout  préoccupé  de  «  procéder  à  une  enquête 
sur  la  situation  du  pays  ».  De  la  capitale,  il  écrit  des  lettres  fort 
curieuses  sur  les  clubs,  l'Assemblée  nationale  et  les  débats  par- 
lementaires. Il  retourne  en  Allemagne  puis,  dix  ans  plus  tard, 
repris  de  l'humeur  voyageuse,  il  revient  passer  six  mois  à 
Paris.  Les  souvenirs  qu'il  nous  a  laissés  de  ce  dernier  voyage 
sont  très  intéressants.  Il  observe  le  monde  des  étrangers  et  celui 
des  «  nouveaux  riches  »  ;  il  porte  la  plus  grande  attention  à  ce 
qui  concerne  le  théâtre  et  la  musique  K 

L'engouement  de  la  société  française  pour  les  musiciens  alle- 
mands eut  sa  répercussion  sur  toute  une  branche  de  notre 
industrie.  En  effet  virtuoses  et  compositeurs  avaient  introduit 
dans  l'orchestre  des  instruments  de  musique  peu  répandus  en 
France  voire  même  complètement  ignorés.  Des  Allemands  vinrent 
à  Paris  les  confectionner.  D'autres  luthiers,  constatant  le  succès 
obtenu  par  leurs  compatriotes,  s'implantèrent  dans  la  capitale 
pour  concurrencer  nos  régnicoles. 

Antérieurement  à  l'année  1760,  quelques  Allemands  s'étaient 
fixés  dans  le  royaume  pour  y  construire  des  instruments  de 
musique  :  Jean-Henri  Hemsch  et  son  frère  Guillaume,  luthiers, 
natifs  de  l'évêché  de  Cologne,  avaient  été  naturalisés  en  1750  2. 
Par  la  suite  ils  furent  légion.  La  majeure  partie  d'entre  eux 
s'établirent   au  faubourg  Saint-Antoine,   centre   de  l'indushiv 


1.  A.  Laquiante,  Un  Prussien  en  France  en  1792,  Lettres  intimes  de  Reichardt. 
Paris,  1892.  —  A  Laquiante,  Un  hiver  à  l'uris  sous  le  Consulat. 

■1.   Aicii.  Nat.,  l'P  Mil».  Nalurulitc\  <!u  A\  janvier  1750. 


144  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

du  bois  ;  quelques  autres  préférèrent  tenir  boutique  rue  Saint- 
Honoré. 

Heinle,  Joseph  Treyer,  Hartmann,  Pierre  Krupp  ont  laissé 
un  nom  comme  luthiers,  les  trois  frères  Holtzmann  comme  fabri- 
cants de  harpes.  Jacob  Schnell,  Wurtembergeois  fixé  à  Paris 
en  1777,  obtint  un  brevet  de  la  comtesse  d'Artois  et  construisit 
des  clavecins.  J.  K.  Mercken,  les  frères  Zimmermann,  Korver, 
Wolff  furent  facteurs  de  pianos  ;  J.-B.  Schweickardt  édifia  des 
grandes  orgues;  Winnen  se  spécialisa  dans  la  confection  des 
flûtes  et  des  clarinettes.  L'un  des  derniers  immigrants  est 
devenu  le  plus  célèbre  ;  après  avoir  fourni  une  brillante  carrière 
comme  compositeur  et  éditeur  de  musique,  un  élève  de  Haydn, 
Ignace  Pleyel,  Autrichien  de  naissance,  décida  de  passer  en 
France.  Il  se  fixa  d'abord  à  Strasbourg  en  1783  et  y  occupa  la 
place  d'organiste  puis  fonda  à  Paris,  vers  1795,  une  importante 
maison  d'édition  qu'il  exploita  jusqu'au  moment  où  il  créa  sa 
célèbre  manufacture  de  pianos  l. 

Dans  le  négoce,  dans  les  arts  et  les  lettres,  les  Allemands 
tiennent  à  Paris  depuis  le  règne  de  Louis  XIV  une  place  impor- 
tante. Leur  colonie  est  considérable  ;  quels  que  soient  les  docu- 
ments que  l'on  consulte,  mémoires,  journaux,  annuaires  de 
l'époque  on  retrouve  des  immigrants  originaires  d'outre-Rhin 
ou  des  terres  d'Empire.  Presque  tous  ceux  qui  occupent  un  rang 
dans  la  hiérarchie  sociale  se  connaissent  et  forment  une  véritable 
franc-maçonnerie  ;  les  uns  et  les  autres  sont  liés  ensemble, 
ils  se  voient,  se  fréquentent,  se  soutiennent  mutuellement. 
Que  nombre  d'entre  eux  rentrent  dans  leur  pays  d'origine  après 
avoir  vécu  quelques  années  sur  les  rives  de  la  Seine,  cela  est 
indubitable  ;  mais  l'agrément  de  l'existence  de  Paris,  les  nécessi- 
tés du  commerce,  le  mariage  avec  des  Françaises  retiennent 
maints  de  ces  immigrants  qui  font  souche  dans  le  royaume. 
Malgré  le  trouble  que  la  Révolution  apporte  dans  l'existence  des 
Parisiens,  ils  demeurent  en  France  et  on  les  retrouve,  eux  ou 
leurs  descendants,  lorsque  renaît  la  période  de  calme. 

1.  C.  Pierre,  Les  Fadeurs  d'Instruments  de  musique.  Les  luthiers.  Paris,  1893. 


CHAPITRE  VII 


LES  COLONIES  ALLEMANDES  EN  PROVINCE. 


I.  Les  Allemands  à  Bordeaux  et  La  Rochelle.  —  II.  Les  Allemands  destinés  à 
peupler  la  Guyane  au  xvme  siècle.  —  III.  Allemands  en  Bretagne,  en  Anjou, 
à  Orléans,  en  Normandie,  en  Auvergne,  à  Lyon,  à  Marseille,  etc.,  etc. 


La  pénétration  des  Allemands  a  été  aussi  marquée  dans  les 
villes  de  province  que  dans  la  capitale.  Déjà,  par  quelques  traits, 
on  a  montré  l'importance  de  l'élément  germanique  dans  diverses 
branches  de  l'industrie.  Une  rapide  excursion  à  travers  la  France 
montrera  que  les  Allemands  se  créèrent,  partout,  principalement 
au  xvme  siècle,  des  situations  florissantes. 

Au  xve  siècle,  les  Allemands  que  l'on  rencontre  à  Bordeaux 
ne  s'y  trouvent  guère  qu'à  titre  individuel  et  temporaire  x  : 
en  1407,  les  jurats  autorisent  Thomas  Aleman  à  s'établir  comme 
verrier  ;  sept  ans  plus  tard,  ils  prendront  comme  médecin  à  gages 
Jacques  Ram,  maître  ès-arts  et  licencié  en  médecine  de  l'Univer- 
sité de  Montpellier.  Les  Hanséates  allemands  fréquentent  peu 
le  port  de  Bordeaux  pendant  l'occupation  de  la  Guyenne  par  les 
Anglais  mais  à  partir  de  1462,  Louis  XI,  les  ayant  exemptés 
du  droit  d'aubaine,  des  Hambourgeois  viennent  concurramment 
avec  les  Flamands  et  les  Hollandais  enlever  des  vins  qu'ils  trans- 
portent vers  les  pays  du  Nord.  Toutefois,  les  Allemands  ne 


1.  A.  Leroux.  La  Colonie  germanique  de  Bordeaux.  Bordeaux,  1918,  2  v.  in-8°, 
J'emprunte  à  ce  travail  très  documenté  la  plupart  des  renseignements  relatifs  à 
la  colonie  allemande  de  Bordeaux. 

10 


146  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

forment  aucune  colonie  stable  à  Bordeaux  avant  la  fin  du 
xvne  siècle.  Quelques  lettres  de  naturalité,  une  dizaine  environ, 
sont  accordées  à  des  négociants  teutons  entre  les  années  1618 
et  1700  ;  Marius  Scholtz,  de  Brème,  Friedrich  Bourdowyn, 
de  Cologne,  Johann  Ariès,  Hermann  Schreuder  en  sont  les 
bénéficiaires.  Quelques  autres  sont  des  «habitués  »  de  longue  date, 
tel  le  Prussien  Baumgarten.  Lorsqu'il  épousa  en  1670  une  Hol- 
landaise d'Amsterdam,  il  y  avait  plus  de  vingt  ans  qu'il  habitait 
Bordeaux  l.  Mais  ces  Allemands  ne  constituaient  pas  encore 
un  groupement  ethnique. 

Advenant  le  xvme  siècle,  l'infiltration  allemande  prend  au 
contraire  des  proportions  considérables.  D'une  enquête  effec- 
tuée par  Tourny  en  1743,  il  résulte  que  cinq  grands  négociants 
de  Lubeck  et  de  Hambourg  étaient  déjà  implantés  à  Bordeaux 
en  1718.  Ils  avaient  acquis  une  situation  suffisamment  forte 
en  1721  pour  que  trois  d'entre  eux,  Lukes,  Wolt  et  Popp  fissent 
partie  d'une  commission  instituée  en  vue  d'étudier  les  tarifs 
des  courtiers  interprètes  2.  Entre  1731  et  1740,  l'enquête  de 
Tourny  révèle  l'arrivée  de  onze  autres  Allemands  ;  parmi  eux 
figurent  Jacob  Schrôder  et  Johann  Schyler,  fondateurs  d'une 
maison  de  vins  connue.  Les  années  se  succèdent  et  l'infiltration 
allemande  se  poursuit  ;  en  1789  il  n'y  aura  pas  moins  de  180  fa- 
milles d'outre-Rhin  installées  à  Bordeaux  ;  elles  sont  originaires 
de  toutes  les  parties  de  l'Allemagne  et  certes,  elles  sont  loin  de 
constituer  l'ensemble  de  la  colonie  germanique  de  Bordeaux 
car  les  documents  ne  rapportent  pas  les  noms  des  commis,  des 
domestiques  et  des  gouvernantes  que  leur  présence  a  attirés  en 
Guyenne. 

Quelques-uns  de  ces  immigrants,  par  leur  habileté,  par- 
viennent très  rapidement  à  de  grosses  situations  de  fortune. 
J.-J.  Bethmann  de  Francfort-sur-le-Mein,  arrivé  en  1740  est, 
en  1775,  le  principal  armateur  de  Bordeaux.  Commerçant, 
diplomate,  financier  et  philosophe,  Bethmann  conquit  l'estime 
de  ses  nouveaux  compatriotes  ;  il  leur  rendit  service,  approvi- 
sionnant de  blé  la  Guyenne  qui,  en  1766,  en  manquait  totale- 

1.  Bib.  Nat.,  man.  fonds  français  6652,  f°  322. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  G  4252. 


COLONIE    ALLEMANDE    DE    BORDEAUX  147 

ment.  Nommé  consul  de  Joseph  II,  frère  de  Marie-Antoinette, 
il  eut  l'honneur  de  recevoir  ce  prince  dans  sa  maison.  Naturalisé 
par  Louis  XVI,  Bethmann  assista  en  1789  aux  États  de  la  No- 
blesse. 

Les  Luetkens,  les  Ëmler,  les  Bayermann,  les  Baumgarten, 
les  Pôhl  comptaient  parmi  les  négociants  de  Bordeaux  les  plus 
importants  ;  presque  tous  s'adonnaient  au  commerce  de  l'expor- 
tation des  vins  ;  quelques-uns  étaient  les  correspondants  des 
Juifs  de  Hambourg  et  d'Altona.  Le  trafic  qu'ils  effectuaient 
avec  les  pays  du  Nord  leur  laissait  des  bénéfices  considérables. 
On  s'en  rend  compte  à  l'examen  d'un  rôle  de  capitation  dressé 
en  1777  comprenant  quatre  cent  cinquante  armateurs  et 
négociants  bordelais  sur  lequel  figurent  cinquante  Allemands  : 
Weltner  paie  488  livres  de  capitation,  Zimmermann  437  livres, 
Bayerman  298  livres. 

Plusieurs  de  ces  riches  commerçants  acquièrent  des  propriétés. 
Hamsen  paie  65.000  livres  sa  propriété  de  Preignac,  Zacau 
78.000  livres  celle  de  Mérignac. 

Malgré  quelques  protestations  des  Bordelais  à  l'égard  de  ces 
étrangers  qui  s'enrichissent  trop  promptement  à  leur  gré,  la 
population  de  Bordeaux  admet  ces  négociants  ou  leurs  fils  dans 
les  corps  élus.  Quelques-uns  figurent  parmi  les  juges  et  consuls 
de  la  Chambre  de  Commerce,  d'autres  sont  trésoriers  de  l'hô- 
pital Saint-André.  Des  Allemands  entrent  également  dans  les 
fonctions  publiques. 

Thomas  Clock  est  chargé  du  maniement  des  deniers  du  roi  ; 
Christophe  Gorss,  directeur  de  l'Académie  d'équitation  devient 
commissaire  inspecteur  des  haras  de  la  Guyenne,  Joseph  Bentz- 
mann  est,  en  1742,  maire  du  bourg  de  Sainte-Bazeille.  Trois  ans 
plus  tard,  Arnold  Dammers  acquiert  l'office  de  garde  des  sceaux 
à  la  chancellerie  de  la  Cour  des  Aides.  Vers  1747,  d'Helvétius 
est  fermier  général. 

Bordeaux  est  une  capitale.  Les  lettres,  les  sciences  et  les  arts 
y  fleurissent.  Les  bourgeois  de  la  ville  peuvent  entendre  le 
pianiste  Kuhn,  le  harpiste  Hochbrucken.  François  Beck,  de 
Mannheim,  arrive  à  Bordeaux  en  1761  ;  il  initie  les  Bordelais 
à  la  musique  de  Haydn  et  de  Gluck  ;  plus  tard  il  crée  une  impri- 


148  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

mcrie  de  musique,  la  première  qui  existe  à  Bordeaux.  Schmitt, 
facteur  d'orgues,  construit  celles  de  l'église  Notre-Dame.  L'Aca- 
démie des  Sciences  de  Bordeaux  accueille  dans  son  sein  des  asso- 
ciés allemands. 

La  colonie  allemande  de  la  capitale  de  la  Guyenne  était  si 
forte  et  si  bien  implantée  dans  le  pays  que  ses  membres  prirent 
une  part  active  à  l'assemblée  générale  du  commerce  de  Bor- 
deaux qui  se  tint  à  la  Bourse  le  2  mars  1789  ;  en  1790  plusieurs 
entrèrent  dans  la  garde  nationale  et  en  octobre  1792  quelques- 
uns  d'entie  eux  furent  élus  membres  du  comité  de  ravitaille- 
ment de  la  ville. 

La  formation  de  la  colonie  allemande  de  Bordeaux  est  ana- 
logue à  celle  de  la  constitution  du  groupement  allemand  de 
Paris  ;  dans  presque  toutes  les  cités  françaises,  Lyon  excepté, 
on  rencontre  des  immigrants  d'outre-Rhin  en  nombre  plus  ou 
moins  considérable  au  cours  des  siècles,  mais  c'est  principale- 
ment au  xvme  siècle  qu'ils  forment  des  groupes  ethniques 
considérables. 

De  tous  temps  des  Hanséates  de  Hambourg  fréquentèrent 
La  Rochelle  1  ;  ils  chargeaient  au  port  les  vins  d'Aunis  et  les 
eaux-de-vie  des  Charentes  2.  Sous  le  ministère  de  Colbert,  Prus- 
siens et  Brandebourgeois  importaient  des  bois  de  construc- 
tion à  La  Rochelle  ;  depuis  l'année  1681,  leur  commerce  se 
développa  même  de  si  importante  manière  qu'un  consul  de  leur 
nation  y  fut  nommé.  Lorsque  Colbert,  pour  favoriser  les  rela- 
tions directes  de  la  Prusse  avec  la  France,  fonda  la  Compagnie 
du  Nord,  c'est  à  Henri  Tersmitten  qu'il  en  confia  la  direction. 
Ce  banquier,  originaire  de  Wesel,  sut  s'attirer  l'estime  de  Colbert 
et  lui  rendit  des  services  par  suite  des  relations  qu'il  avait  con- 
servées avec  Brème  où  son  frère  possédait  une  maison  de  com- 
meice  3. 


1.  A.  Leroux,  Les  relations  commerciales  de  La  Rochelle  avec  la  Hanse,  dans 
Revue  de  Saintonge  et  d'Aunis,  année  1888. 

2.  Garnault,  Ephémérides  de  La  Rochelle. 

3.  M.  Boissonnade,  Histoire  des  premiers  essais  de  relations  économiques  directes 
entre  la  France  et  l'Etat  prussien,  dans  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
l'Ouest.  Poitiers,  1913,  chapitre  v. 


LES    ALLEMANDS    EN    GUYANE  149 

Au  xviiie  siècl\  1?  colonie  allemande  de  La  Rochelle  se  déve- 
loppa parallèlement  à  celle  de  Bordeaux.  Deux  noms  de  négo- 
ciants, ceux  de  Nicolas  et  Emmanuel  Weiss  sont  à  retenir,  car 
entre  les  années  1779  et  1790,  ces  armateurs  figurent  parmi  les 
plus  importants  de  la  cité  K 

Sous  le  règne  de  Louis  XV  s'était  fixé  à  Chatellerault  Frédéric 
de  Nassau  Siegher.  Enlevé  jeune  et  mis  en  charte  privée  par 
une  branche  plus  puissante  de  sa  famille,  ce  prince  avait  été 
enfermé  dans  un  couvent  des  bords  du  Rhin.  Il  s'évada,  passa 
en  France,  vint  à  Chatellerault  et  y  épousa  une  demoiselle  de 
Beaulieu.  Louis  XV  et  Louis  XVI  lui  firent  une  pension.  Il  était 
lié  avec  le  comte  d'Artois,  le  futur  Charles  X,  l'accompagna  au 
siège  de  Gibraltar,  courut  le  monde  avec  Bougainville.  Son  fils, 
après  avoir  servi  dans  l'armée  républicaine  contre  la  Vendée, 
finit  ses  jours  comme  bibliothécaire  à  Rochefort.  Sa  fille  fut 
pensionnée  par  Charles  X  2. 


II 


Un  événement  qui  se  produisit  après  la  signature  du  traité  de 
Paris  en  1763  eut  une  influence  certaine  sur  l'infiltration  alle- 
mande dans  les  régions  occidentales  de  la  France.  Le  Canada 
ayant  été  cédé  à  l'Angleterre,  Choiseul,  fort  ignorant  d'ailleurs 
des  questions  coloniales  et  maritimes,  espéra  récupérer  dans 
l'Amérique  du  Sud  les  territoires  perdus  dans  celle  du  Nord* 
Il  songea  à  transformer  la  Guyane  en  colonie  prospère.  Malgré 
les  concessions  accordées  aux  soldats  et  les  envois  de  femmes, 
Cayennc  était  peu  peuplé  ;  pour  tenter  de  donner  quelque  acti- 
vité au  pays,  Choiseul  fit  accorder  la  propriété  de  la  Guyane 
à  Turgot,  le  frère  de  l'économiste  et  à  Chauvelon,  qui  avait  habité 
les  Tropiques.  Pour  mettre  en  valeur  leur  nouvelle  propriété, 
les  gouverneurs  résolurent  d'y  introduire  des  colons  allemands  3. 

1.  Garnault,  op.  cit. 

2.  Mémoires  inédits  de  M.  Qiou  dans  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie 
de  Rjchefort.  1921.  N°  2. 

3.  Daubigny,  Choiseul  et  la  France  d'outre-mer.  Paris.  1892,  p.  39,  41,  44,  45. 


150  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

M.  de  Bessner  fut  chargé  de  leur  recrutement.  On  répandit  en 
Allemagne  des  brochures  et  des  prospectus  dans  lesquels  on 
promit  monts  et  merveilles  aux  émigrants.  Le  voyage  devait 
leur  être  payé  jusqu'à  Rochefort,  puis  à  Cayenne  chaque  famille 
recevrait  en  outre  50  livres  à  titre  de  provision  et  10  livres  par 
enfant  lorsqu'elle  en  aurait  plus  de  trois  K 

Alléchées  par  ces  promesses,  dès  le  mois  d'octobre  1763,  des 
familles  de  différentes  provinces  allemandes  se  présentèrent 
à  la  frontière  d'Alsace  pour  être  dirigées  sur  Rochefort  ;  8.500 
à  9.000  personnes  passèrent  ainsi  en  France.  L'afïluence  des 
hommes,  des  femmes  et  des  enfants  fut  telle  qu'avant  la  fin 
du  mois  de  novembre,  Choiseul  mandait  à  l'intendant  d'Alsace 
d'endiguer  et  même  d'arrêter  le  flot  des  émigrants. 

Les  départs  pour  Cayenne  ne  pouvaient  se  faire  que  successi- 
vement et  très  lentement,  or  rien  n'avait  été  prévu  pour  loger 
et  nourrir  un  si  grand  nombre  d'émigrants.  Aussi,  dut-on  aviser 
à  loger  les  Allemands  dans  l'Ouest  ;  ils  furent  réunis  à  Saint- 
Jean-d'Angély  et  on  les  caserna  ;  mais  bientôt  les  logements 
préparés  pour  eux  étant  devenus  insuffisants,  on  établit  de 
nouveaux  dépôts  à  Saintes,  à  Cognac,  à  Saint-Savinien,  à  Taille- 
bourg  et  à  l'île  d'Oléron.  A  l'île  d'Aix  fut  installé  un  dépôt 
provisoire  où  séjournaient  les  individus  designés  pour  un  embar- 
quement prochain.  Tous  les  Allemands  étaient  nourris  et  habillés 
aux  frais  du  roi. 

Les  départs  pour  Cayenne  s'échelonnèrent  à  partir  du  'mois 
de  mars  1764  ;  en  septembre  il  restait  encore  dans  les  dépôts 
6.500  personnes  environ.  Rapidement  la  Guyane  fut  engorgée  ; 
quelques  familles  allemandes  acceptèrent  l'offre  de  gagner 
d'autres  colonies;  1.600  personnes  furent  envoyées  à  Saint- 
Domingue,  923  partirent  pour  la  Martinique.  En  mars  1765, 
on  renonça  à  diriger  les  Allemands  vers  le  pays  d'outre-mer. 
Comme  ceux  qui  séjournaient  en  France  coûtaient  fort  cher 
au  trésor  royal,  on  songea  à  les  rapatrier. 

Malgré  les  subsides  que  le  gouvernement  accordait  à  ces 
déracinés,  une  grande  misère  régnait  parmi  eux.  Le  comte  de 

1.  Archives  du  port  de  Rochefort,  Correspondance  des  années  1763  à  1765, 
passim. , 


IMMIGRANTS   ALLEMANDS   AU   XVIIIe   SIÈCLE  151 

Broglie  qui  parcourait  les  côtes  de  l'Océan,  à  la  fin  de  1764, 
décrivait  au  prince  de  Beauvau  l'état  lamentable  dans  lequel 
ils  se  trouvaient.  Les  Allemands  avaient  été  logés  dans  des 
écuries  ;  beaucoup  mouraient  de  chagrin,  quelques-uns  de 
consomption.  «  Turgot,  écrit  le  comte  de  Broglie,  proposait 
de  les  faire  travailler  aux  grands  chemins  de  la  province  dont  le 
travail  est  payé  par  abonnement  ;  moyennant  quoi  ils  vivraient 
sans  qu'il  en  coûtât  rien  à  personne,  répandraient  de  l'argent 
dans  le  pays  et  seraient  très  utiles  et  y  pourraient  attendre 
que  la  colonie  de  Cayenne  où  il  n'y  a  pas  d'hommes  fut  en  état 
de  les  recevoir  » 1. 

Il  y  avait  déjà  quelques  mois  que  le  gouvernement  français 
se  rendant  compte  qu'il  ne  pourrait  loger  et  utiliser  les  Alle- 
mands entrés  en  France  cherchait  à  leur  trouver  des  situations 
diverses.  A  la  fin  de  l'année  1763,  on  sollicita  les  évêques,  les 
abbayes,  les  communautés  religieuses  pour  savoir  s'ils  ne  consen- 
tiraient pas  à  occuper  les  immigrants.  Choiseul  leur  mandait  : 
t  Ce  sont,  la  plupart,  des  familles  de  laboureurs  et  tous  gens  de 
peine  accoutumés  et  propres  au  travail.  Si  dans  le  nombre, 
il  en  est  qui  veuillent  rester  dans  le  royaume  et  qui  puissent 
être  placés  utilement,  on  leur  en  laissera  la  liberté;  ce  sera  un 
avantage  d'autant  plus  grand  qu'il  sera  facile  d'en  augmenter 
le  nombre.  »  L'intendant  de  Bretagne  qui  avait  reçu  cette  com- 
munication de  Choiseul  répondit  que  la  province  était  pauvre 
et  qu'avant  de  songer  à  employer  des  Allemands  on  penserait 
d'abord  à  donner  du  travail  aux  Bretons.  Néanmoins  le  prieur 
de  l'abbaye  de  Reliée  près  Morlaix  et  l'abbé  de  Saint-Sauveur 
de  Redon  consentirent  à  faire  venir  quelques  Allemands. 
Bien  qu'ils  se  plaignissent  de  la  nourriture,  ils  n'en  demeurèrent 
pas  moins  en  Bretagne  ;  en  1765,  il  y  en  avait  encore  quelques- 
uns  à  Redon  2. 

L'expérience  de  la  colonisation  de  la  Guyane  par  des  Alle- 
mands ayant  été  malheureuse,  on  décida,  à  la  fin  de  1765,  de 


1.  Madame  du  Deffand,  Correspondance,  édlt.  de  Lescurc.   Paris,   1865,  t.    I, 
p.  317.  Lettre  du  comte  de  Broglie  du  7  octobre  1784. 

2.  L.  VIgnols,  Les  émigrants  allemands  cantonnés  en  Bretagne,  1763-1766,  dans 
Bulletin  de  la  Société  archéologique  d'1  Ile-et-Vilaine.  Année  1894,  p.  311. 


152  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

rapatrier  ceux  qui  voulurent  quitter  la  France  ;  à  ceux  qui 
repassèrent  le  Rhin,  on  octroya  une  indemnité  de  54  livres. 
Successivement  les  dépôts  furent  évacués.  Le  27  octobre  1766, 
il  ne  restait  plus  à  Saint- Jean-d'Angély  que  589  personnes, 
336  laboureurs  et  253  artisans.  Quelques-uns  des  premiers 
s'implantèrent  aux  alentours  de  Rochefort  et  de  Saint-Jean  ; 
certains  même  gagnèrent  le  sud  de  la  Gironde  et  se  rendirent 
dans  les  Landes.  Plusieurs  de  ceux  qui  appartenaient  au  dépôt 
d'Oléron  s'engagèrent  dans  des  régiments.  A  la  fin  de  l'an- 
née 1767,  les  Allemands  qui  n'avaient  pu  prendre  pied  défini- 
tivement dans  le  royaume  étaient  mis  en  route  :  98  d'entre  eux 
constituèrent  un  dernier  convoi. 


III 


On  a  déjà  rappelé  les  liens  qui  attachaient  la  Bretagne  et  les 
villes  hanséatiques  et  marqué  l'intérêt  que  Jean  V  et  ses 
successeurs  portèrent  aux  négociants  allemands.  A  la  faveur  des 
conventions  passées  entre  eux  et  les  représentants  des  villes 
libres  quelques  facteurs  allemands  s'installèrent  en  Bretagne 
au  xve  siècle.  Les  navires  venant  de  la  Baltique  abordaient 
non  seulement  à  Nantes  mais  dans  des  havres  de  petite  impor- 
tance comme  Pornic  et  Bourgneuf  l.  A  Nantes,  des  hôteliers 
allemands  hébergeaient  leurs  compatriotes  2  ;  il  est  à  supposer 
qu'ils  avaient  une  clientèle  suffisante  pour  les  faire  subsister. 
Le  corps  des  bourgeois  de  la  ville  appelaient  des  «  parties  d'Al- 
meigne  »  des  ingénieurs  hydrauliques  :  Jehan  Houe  et  ses  com- 
pagnons étaient  chargés  d'entretenir  la  navigabilité  de  la  Loire  ; 
pour  ce  faire,  ils  recevaient  des  gages  mensuels  3.  Lors  du  siège 
de  Nantes  par  les  Français,  la  duchesse  Anne  avait  à  son  ser- 
vice dos  canonniers  allemands. 


1.  R.   Blanchard,   Cartulaire  des  Sires  de  Rais.    Poitiers,    1898.    Introduction, 

p.    XIII. 

2.  Arch.  mun.  de  Nantes,  série  CC,  passim. 

3.  Ibid.,  EE  146. 


ALLEMANDS    A    NANTES  153 

Au  xvie  siècle,  les  commerçants  hanséates  et  les  facteurs 
allemands  n'abandonnèrent  sans  doute  point  une  cité  où  af- 
fluaient les  représentants  des  nationalités  les  plus  diverses  ; 
cependant  l'analyse  des  documents  de  cette  époque  ne  révèle 
que  peu  de  noms  allemands.  C'est  seulement  à  dater  de  la  fin 
du  règne  de  Henri  IV  que  l'on  rencontre  des  lettres  de  natura- 
lité  accordées  à  des  forains  originaires  d'outre-Rhin.  Les  négo- 
ciants allemands  qui  se  fixent  sur  la  Fosse  sont  principale- 
ment des  réformés  ;  quelques-uns,  lors  de  la  révocation,  regagnent 
leur  pays  d'origine  mais  la  majeur?  partie  abjurent  et  conservent 
leurs  maisons  de  commerce.  Parmi  les  Allemands  établis  à 
Nantes  on  compte  aussi  quelques  catholiques  ;  dans  l'ensemble, 
la  colonie  qu'ils  ont  constituée  sur  les  rives  de  la  Loire  est  beau- 
coup moins  importante  qu'à  Bordeaux. 

Henri  Brugman  et  Anne  Jacob,  originaires  de  Hambourg, 
avaient  fondé  une  raffinerie  à  Nantes  ;  leur  fils  épousa  une 
Française  :  Marie  Guillot  *.  De  Cologne,  vinrent  à  Nantes 
Lenssens  et  sa  femme,  Marie  Avantore  ;  leur  fils  y  contracta 
alliance2. 

Les  mandements  royaux  enregistrés  à  la  Cour  des  Comptes  de 
Bretagne  relatent  de  fréquentes  lettres  de  naturalité  accordées 
à  des  Allemands,  tant  au  xvne  qu'au  xvme  siècle.  Les  Bayer- 
man,  G.  Lenlein,  J.  Nausember,  de  Cologne,  G.  Equer,  tous  com- 
merçants ou  facteurs  furent  admis  à  la  qualité  de  regnicoles  ?. 
Quelques  négociants  allemands  ont  laissé  un  nom  à  Nantes  ; 
Amsink  et  Meckenhausen  y  possédaient  des  comptoirs,  Wil- 
felhcim  fut  associé  du  Hollandais  Daveloze  jusqu'en  1763, 
Lutman  fut  également  l'associé  du  Néerlandais  Vanlobard. 
Ces  courtiers  trafiquaient  dans  toute  la  province  bretonne  ;  ils 
étaient  notamment  en  relations  d'affaires  avec  un  négociant 
hollandais  de  Lorient,  Vanderheyde. 

Je  ne  parle  pas  de  Pierre  Keill,  Muhenhauser,  Kuster,  Von 
Bobart  car  ils  ne  sont  guère  mentionnés  que  comme  témoins 
dans  des  actes  de  sépulture  de  réformés 4.  Les  Siegfried,  de 

1.  Arch.  mun.  de  Nantes,  GG  26,  année  1689. 

2.  Ibid.,  GG  224,  année  1696. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Loire- Inf.  Registres  des  mandements  de  la  Chambre  des  Comptes. 

4.  Arch.  mun.  de  Nantes,  GG  507. 


154  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Kônigsbcrg x  et  les  Meinert,  de  Zwickau 2,  en  Saxe,  ont  au 
contraire,  au  xvme  siècle,  contracté  mariage  à  Nantes  et  y  ont 
laissé  une  descendance. 

D'artistes  allemands  ayant  exercé  leur  art  à  Nantes  un  musi- 
cien seul  a  obtenu  quelque  réputation  :  Pierre  Walter,  originaire 
tie  Weimàr.  Ce  fils  de  l'auteur  du  Lexicon  de  musique  se  fixa 
à  Nantes  et  devint  organiste  de  la  cathédrale  à  partir  de  1771  3. 

Les  négociants  allemands  installés  en  Bretagne  correspondaient 
avec  un  banquier  de  leur  pays.  Dubuisson  Aubenay,  qui  visita 
Rennes  en  1630,  parle  dans  son  Itinéraire  de  Thietdrich,  Alle- 
mand d'origine  et  très  riche  huguenot  qui  exerce  «  la  profession 
de  banquier  et  remetteur  d'argent  » 4. 

Henri  IV,  dit  la  légende,  aurait  souhaité  être  bourgeois  de 
Vitré  s'il  n'avait  été  roi  de  France  ;  cette  coquette  cité,  quelque 
peu  déchue  présentement,  fut  jadis  un  centre  commercial  très 
florissant.  Les  marchands  de  Vitré  fréquentaient  les  foires  de 
Bruges;  ils  trafiquaient  avec  l'Espagne  et  les  Hanséates  ; 
toute  une  colonie  étrangère  vivait  dans  cette  ville  alors  que  le 
négoce  de  la  toile  y  était  important.  Au  xvne  siècle  Zacharie 
Zimmerman  —  Zacharie  Charpentier  —  apothicaire,  Hector 
Bone,  Nicolas  Paulus,  Jean  Bernard  Birens,  Pierre  Tellong 
indiquent  tous  une  origine  allemande  dans  les  requêtes  qu'ils 
présentent  pour  obtenir  leur  naturalisation.  Il  en  est  de  même 
du  luthier  Schmitt  et  de  Pierre  Tell  5. 

Quelques  Allemands  avaient  probablement  suivi  à  Vitré 
Amélie  de  Hesse-Cassel.  Cette  princesse  avait  épousé  Henri  de 
la  Trémoille,  prince  de  Tarente.  Après  son  veuvage,  advenu 
en  1672,  elle  se  retira  aux  environs  de  Vitré.  Elle  voisinait 
avec  Madame  de  Sévigné  ;  les  deux  dames  entretenaient  d'excel- 

1.  Ibid.,  GG  508.  Le  23  juin  1782,  baptême  de  Jean  Nicolas,  fils  de  Jean  Sieg- 
fried, de  Kœnigsberg,  et  de  mademoiselle  Dobrée. 

2.  Meinert,  né  en  Saxe,  s'établit  à  Nantes  vers  la  fin  du  xvme  siècle  ;  il  épouse 
mademoiselle  Peyrusset.  Sa  fille  Louise  épousa  Gabriel  Dumoustier,  frère  du 
général  et  en  eut  trois  filles  dont  les  descendants  existent  toujours  (Note  manus- 
crite de  M.  Marion  de  Procé). 

3.  Marquis  de  Granges  de  Surgères,  Les  Artistes  nantais,  Paris,  1898.  V°  C°. 

4.  Dubuisson-Aubenay,  Itinéraire  de  Bretagne,  édition  des  Bibliophiles  bretons, 
t.  I,  p.  19. 

5.  Renseignements  manuscrits  communiqués  par  M.  Frain  de  la  Gaulayrie, 
historien  de  Vitré. 


ALLEMANDS    EN   BRETAGNE  155 

lents  rapports  d'amitié.  La  marquise  nous  a  d'ailleurs  conservé 
sur  les  mœurs  i  de  cette  bonne  Tarente  dont  le  cœur  était 
comme  de  la  cire  »,  quelques  détails  marquant  la  sûreté  de  ses 
informations  et  l'intimité  de  leurs  rapports  1. 

Les  registres  des  églises  protestantes  de  Bretagne  fournissent 
de  longues  listes  de  noms  de  réformés  originaires  d'Allemagne 
fixés  à  Vitré  et  à  Saint-Malo  ;  ceux  des  paroisses  contiennent 
également  de  multiples  renseignements  sur  les  commerçants 
d'outre-Rhin  établis  en  Bretagne  et  qui  abjurèrent  le  protestan- 
tisme au  cours  des  vingt  dernières  années  du  xvne  siècle. 

Il  m'est  impossible  de  noter  les  noms  et  les  professions  de  ces 
négociants  germaniques  car  ils  sont  trop  nombreux.  Dans  la 
seule  ville  de  Saint-Malo,  une  série  de  Hambourgeois  abjurent 
entre  les  années  1703  et  1758  ;  parmi  eux  sont  Hans  Adam, 
Christian  Miller,  Michel  Sendrok  et  Paul  Amsink  2. 

A  Morlaix,  un  notable  commerçant,  Johann  Ramon  est  natu- 
ralisé en  1752  ;  à  Brest,  la  famille  Basserode  est  d'origine  alle- 
mande 3  ;  elle  a  fourni  des  employés  du  port  et  des  marchands. 

Dans  quelques  havres  bretons,  à  Roscofï,  notamment,  les 
navires  allemands  apportaient  de  la  graine  de  lin  en  provenance 
de  Riga,  de  Lubeck  et  de  Dantzig.  Les  commerçants  de  Roscofï 
servaient  de  commissionnaires  aux  armateurs  de  Lubeck  qui 
leur  donnaient  trois  francs  par  barrique  de  graines  vendue. 
La  principale  industrie  de  la  Bretagne  étant  la  fabrication  de  la 
toile  tissée  avec  les  lins  de  culture  bretonne,  l'Armorique  consti- 
tuait pour  l'Allemagne  une  cliente  importante. 

A  leur  retour,  les  Hanséates,  exportaient  de  Bretagne  des 
toiles  et  des  blés.  Les  blés  bretons,  au  xvine  siècle,  se  vendaient 
à  Hambourg  à  un  prix  supérieur  à  tous  les  autres,  tellement  ils 
étaient  appréciés  en  Europe. 

Entre  la  Bretagne  et  les  villes  commerçantes  de  l'Allemagne 
les  rapports  étaient  constants  et  les  habitants  de  la  péninsule 

1.  Frain  de  la  Gaulayrie,  Aux  Rochers  et  autour  des  Rochers.  Vitré,  1903.  — 
Madame  de  Sévlgné,  Lettres,  édition  de  1820,  t.  V  et  VI.  —  La  princesse  de  Tarente 
repartit  en  Allemagne  en  1685. 

2.  Abbé  Paris-.l.ilol».  rt.  Anciens  registres  paroissiaux  de  Bretagne  :  Evêchi  de 
Saint-Main,   f;isricule   de    T.mi. 

3.  Bourde  de  la  Rogerie,  Introduction  à  V Inventaire  de  la  série  B  de»  archives 
départementales  du  Finistère. 


156  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

s'entendaient  facilement  avec  les  Allemands  ;  à  en  croire  Cam- 
bry,  dans  sa  relation  de  voyage  dans  le  Finistère,  les  relations 
entre  eux  étaient  cordiales;  «  les  observateurs  ont  remarqué  qu'il 
existe  une  grande  sympathie  entre  les  Allemands  et  les  Bretons  », 
écrit-il.  Je  ne  sais  si  les  observateurs  auxquels  Cambry  fait  allu- 
sion étaient  bons  psychologues  ;  à  tout  le  moins  il  faut  convenir 
qu'à  l'instar  des  Espagnols  et  des  Irlandais,  les  Allemands 
étaient  solidement  implantés  dans  la  péninsule   armoricaine  l, 

Si  l'on  franchit  les  frontières  de  la  Bretagne  pour  pénétrer 
en  Anjou  et  dans  le  Maine  on  retrouve  des  Allemands  disséminés 
à  Angers  et  à  Sablé. 

On  a  déjà  mentionné  le  groupe  des  étudiants  allemands 
d'Angers  et  de  Saumur  ;  ils  n'ont  pas  été  les  seuls  représentants 
de  l'Empire  dans  ces  villes.  Le  négoce  des  vins  d'Anjou  et 
des  coteaux  de  la  Loire,  les  exploitations  des  mines  de  Montjean, 
près  de  Saint-Florent-le-Vieil  et  de  celles  de  Saint-Georges  ont 
attiré  dans  cette  région  des  Allemands. 

A  la  fin  du  xve  siècle,  Nicolle  Adam  est  docteur  régent  de  la 
Faculté  de  droit  d'Angers.  En  1624,  arrive  Polycarpe  Sengeber, 
natif  de  Brunswick  ;  huit  ans  plus  tard,  il  est  docteur  régent 
de  l'Université.  Il  instruisit  le  fameux  Ménage  qui,  à  diverses 
reprises,  plaida  pour  lui  ;  Sengeber  eut,  en  effet,  maille  à 
partir  avec  la  justice  car  il  mena  une  vie  de  débauches  telle 
qu'il  se  ruina,  fut  dépossédé  de  sa  chaire  en  raison  de  son  indi- 
gnité et  finalement  fut  saisi  pour  dettes  en  1644. 

Si  l'on  en  juge  par  les  doléances  des  habitants  de  Saumur, 
les  forains  commerçants  désertèrent  cette  ville  après  la  révoca- 
tion de  l'Édit.  Il  ne  semble  pas  que  les  Allemands  aient  aban- 
donné Angers  ;  plusieurs  abjurèrent  et  demeurèrent  dans  leur 
patrie  d'élection.  Au  cours  de  la  seule  journée  du  21  décembre 
1685,  Jean  Frédéric,  Conrad  Pfanz,  Anne-Rosine  Kisnerin, 
de  Stuttgart,  Barthélémy  Ruth,  de  Koenigsberg,  Jean-Marie 
Hort,   de  Brunswick,   abandonnèrent  la  religion  réformée  2. 

1.  Cambry,  Voyage  dans  le  Finistère,  p.  119  et  suiv. 

2.  J.  Mathorez,  Notes  sur  les  étrangers  en  Anjou  sous  l'Ancien  Régime.  Extrait 
de  la  Revue  d'Anjou.  Angers,  1915.  Dans  cet  article  sont  cités  les  nombreux  ou- 
vrages de  Célestin  Port  sur  les  artistes  angevins  et  ceux  d'Etienne  Port  sur  les 
artistes  angevins  omis  par  le  savant  archiviste  de  Maine-et-Loire. 


ALLEMANDS    ÉLÈVES    A    l' ACADÉMIE    d'ÉQUITATION  157 

Les  élèves  allemands  de  l'Académie  d'équitation  figurent 
fréquemment  comme  témoins  dans  les  actes  de  mariage  de  leurs 
compatriotes.  Hermann  Teklenborg,  de  Westphalie,  épouse 
Pauline  Baranger  le  15  janvier  1685  ;  des  barons  allemands 
honorent  l'acte  de  leur  signature  x  ;  trois  ans  plus  tard,  Jean- 
Louis  Staël,  de  Munster,  s'unit  à  Marie  Baranger  2  ;  les  comtes 
de  Thuraimb,  de  Kônigseim,  d'Herbestein  signent  l'acte.  Marie 
Baranger  demeure  à  Angeis  ;  elle  est  encore  marraine  en  1693  3. 

Des  artisans  et  des  artistes  s'établissent  à  Angers.  Christian 
Festing  est  horloger  au  xvne  siècle.  En  1720,  Charles  Salbeck, 
charpentier  et  sa  femme,  originaires  d'Allemagne  y  eurent  un 
fils  que  tint  sur  les  fonts  Jean  Kaune,  maçon,  originaire  de 
Spire.  Quelques  artistes  n'ont  été  sauvés  de  l'oubli  par  M.  Céles- 
tin  Port  que  par  une  brève  mention  rencontrée  dans  des  actes 
de  notaires  ;  Henri  Kaimell,  de  Mayence,  par  exemple.  D'autres, 
au  contraire,  ont  laissé  un  nom,  tel  J.  Sébastien  Leysner,  dont, 
en  1845,  David  d'Angers  exécuta  le  buste.  Leysner,  né  en  1728, 
à  Weitskocheim,  dans  l'évêché  de  Wurtzbourg,  s'établit  jeune 
à  Angers  ;  il  y  était  sans  doute  dès  1755  car  en  1758,  l'Irlandais 
O'Sullivan  le  présentait  à  la  loge  maçonnique.  Cet  artiste  qui 
orna  de  sculptures  plusieurs  monuments  privés  et  publics  de  la 
ville  s'enrichit  assez  rapidement  pour  avoir  la  possibilité  d'ac- 
quérir des  terres  en  Anjou  et  fonder  une  famille  avec  Madeleine 
le  Maugin,  qu'il  avait  épousée  en  1761. 

Les  Angevins  sont  amis  de  la  musique  ;  quelques  Allemands 
ont  pratiqué  cet  art  parmi  eux.  A  la  fin  du  xvne  siècle,  Henri 
Hafer,  né  en  Hesse-Cassel,  marié  à  Geneviève  Drouet,  de  Sau- 
mur,  est  qualifié  de  musicien  dans  son  acte  de  mariage.  Le  goût 
de  la  musique  dans  une  ville  favorise  le  développement  de  l'in- 
dustrie des  luthiers  et  facteurs  d'orgues.  La  construction  de  ces 
instruments  fut  souvent  exécutée  en  France  par  des  étrangers, 
des  Italiens  et  des  Allemands,  notamment. 

Jean  Luck,  né  à  Esternach  dans  le  Luxembourg,  était  établi 
facteur  d'orgues  à  Angers  en  1775  ;  il  y  mourut  en  1791  ;  Chris- 

1 .  Arch.  mun.  d'Angers,  GG  33-34. 

2.  ibid.,  (,(.  33-31.  ;.<tr  du  t,  novembre  1688. 

3.  Ibid.,  GG  98,  acte  du  lfi  avril  1093. 


158  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

tianus  Egidius  Nyssen  possédait  également  une  manufacture 
d'orgues  dans  cette  ville. 

Le  4  novembre  1599,  Henri  IV  écrivait  au  maréchal  de  Bois- 
dauphin  pour  le  prier  de  venir  recevoir  ses  instructions  «  sur  1» 
voyage  auquel  il  voulait  l'employer  en  Allemagne  ».  Urbain  de 
Laval,  marquis  de  Sablé,  seigneur  de  Boisdauphin  partait 
au  mois  de  juin  1600,  visitait  Nuremberg,  Prague,  Munich, 
Augsbourg,  Vienne  puis  rentrait  en  France.  Chemin  faisant 
il  avait  noué  des  relations  avec  de  hauts  personnages  ;  revenu 
dans  son  château  de  Sablé,  il  reçut  fréquemment  des  missives 
de  ses  amis  lui  recommandant  des  Allemands  passant  nos  fron- 
tières. L'archevêque  de  Mayence  le  priait  de  s'intéresser  à  un 
gentilhomme  qui  s'acheminait  vers  la  France  «  pour  parachever 
ses  études  et  pour  apprendre  les  vertus  requises  à  la  noblesse  ». 
Jean-Georges  de  Brandebourg  lui  adressa  aussi  un  gentilhomme 
«  étant  assuré  qu'aussitôt  qu'il  sera  imbu  de  la  langue  et  des 
mœurs  françaises,  il  se  comportera  en  ses  charges  et  devoirs 
de  telle  sorte  que  vous  en  trouverez,  écrit-il,  satisfaction  » 1. 
De  son  ambassade  en  Allemagne,  Boisdauphin  avait  ramené 
plusieurs  étrangers,  notamment  Henri  Kerker  dont  le  nom  se 
francisa  en  celui  de  l'Eglise.  Ce  gentilhomme,  originaire  de 
Wurtzbourg,  en  Franconie,  devint  capitaine  ou  gouverneur  du 
château  de  Sablé  avant  1625.  De  son  mariage  avec  une  Sabo- 
lienne,  Renée  Gaigeard,  cinq  enfants  naquirent  au  serviteur  de 
Boisdauphin  :  quatre  filles  et  un  fils  2. 

A  toute  époque,  dans  les  villes  sises  dans  la  vallée  de  la  Loire, 
on  rencontre  des  Allemands  vivant  isolément  ou  en  groupes. 
En  Touraine,  les  tailleurs  d'habits  pour  hommes  et  pour  femmes 
sont  parfois  des  artisans  natifs  d'outre-Rhin.  C'est  sous  cette 
qualité  qu'est  désigné  Pierre  Roco  au  début  du  xvne  siècle. 
Philippe,  natif  de  la  paroisse  Sainte-Marguerite  de  Sparembart, 
en  Allemagne,  exerce  la  même  profession  au  moment  où,  en  1687, 
il    épouse,   à   Bourgueil,  Marie    Marquis.    Christophe    Gutfrai, 

1.  A.  Babeau,  Une  Ambassade  en  Allemagne  sous  Henri  IV,  extrait  de  la  Revue 
historique,  t.  LX,  1896. 

2.  G.  Ménage,  Histoire  du  Sablé,  2  e  partie,  p.  175. 


HORLOGERS    ALLEMANDS  159 

parrain  d'un  enfant  à  la  Chapelle-sur-Loire,  en  1727,  est  aussi 
tailleurs  d'habits  *. 

A  Blois,  et  sans  que  l'on  en  sache  les  exactes  raisons,  s'installa 
toute  une  colonie  allemande  de  graveurs  sur  métaux,  d'horlo- 
gers et  de  fabricants  de  montres.  Ce  groupement  qui  s'était 
constitué  au  milieu  du  xvie  siècle  subsista  fort  longtemps  et  les 
éléments  qui  le  composaient  s'assimilèrent  à  la  population. 

Les  plus  notoires  des  artisans  qui  créèrent  à  Blois  de  véri- 
tables dynasties  d'horlogers  furent  les  de  Cuper,  dont  l'ancêtre 
vint  b'établir  en  1556.  Les  Cornely,  les  de  Hecht,  fabriquèrent 
des  horloges  à  Blois  au  xvie  siècle.  Le  fils  d'Albert  le  Roy, 
graveur,  natif  d'Amsterdam,  fut  tenu  sur  les  fonts  baptismaux 
par  l'horloger  Georges  Roze,  originaire  de  Nuremberg.  Les 
Scander,  fixés  à  Blois  sous  Henri  III,  jouirent  d'une  très  grande 
vogue  au  moment  où  fut  inaugurée  la  mode  des  montres  déco- 
rées d'émaux.  Marc  Gerrart,  fabricant  de  montres,  épouse  à 
Blois,  Anne,  fille  du  menuisier  François  Papin,  l'ancêtre  du  célèbre 
inventeur  2. 

Orléans  était  un  véritable  centre  pour  les  Allemands  ;  ils 
étaient  assurés  d'y  retrouver  toujours  des  compatriotes  étudiant 
à  l'Université.  Des  tailleurs,  des  hôteliers,  des  aubergistes 
s'y  étaient  fixés.  Ils  habillaient  et  hébergeaient  les  fils  de  famille, 
leurs  précepteurs  et  les  voyageurs  visitant  amis  ou  parents. 
Les  uns  et  les  autres  se  mêlaient  à  la  population  ;  Jean-Jacques 
de  Metruspa,  précepteur  d'un  gentilhomme,  est  parrain  d'en- 
fants de  bourgeois  Orléanais 3.  Plusieurs  convolent  avec  des 
jeunes  filles  d'Orléans  :  Théodore  Stuckoff,  veuf  de  Marguerite 
de  Brie  épouse  Marie  Merlin  4,  Ignace  Handermann,  fils  de  feu 
Martin  et  de  Barbe  Wintergestein,  de  la  paroisse  de  Buchen- 
berg  au  diocèse  de  Constance,  tailleur  de  pierres,  établi  sur  la 
paroisse  Saint-Victor,  épouse  Marie  Hubert,  fille  d'un  pâtissier  6. 


1.  De  Grandmaison,  Introduction  à  l'inventaire  de  la  série  E  supp.  des  Archives 
départementales  d' Indre-et-Loire,   p  '2(i. 

2.  Dcvellc,  Les  horlogers  blésois  aux  XVI'  et  XVII'  siècles.  Blois,  1917  (deuxième 
édition). 

3.  Arch.  mun.  d'Orléans,  GG  85.  Acte  de  baptême  du  5  juillet  1605. 

4.  Ibid.,  GG  15,  mariage  du  4  mai  1734. 

o.  Ibid.,  GG  1013,  mariage  du  8  janvier  1752. 


160  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Charlotte-Elisabeth  Elben,  femme  légitime  de  Noël  Penot, 
né  à  Orléans,  abjure  la  religion  luthérienne  en  l'église  Saint- 
Victor  l.  A  Orléans  arrivent,  pour  y  mourir,  des  Allemandes 
inconnues.  En  1761,  on  inhume  une  «  Allemande  paraissant 
quarante  ans  qui  n'a  pu  se  confesser  ni  dire  son  nom  mais  qui 
est  morte  chrétienne  » 2. 

En  Normandie  des  Allemands  sont  établis  à  Alençon  ;  le  fonds 
de  leur  colonie  avait  été  constitué  lors  de  l'occupation  du  duché 
par  les  soldats  wurtembergeois  ;  d'autres  s'y  étaient  fixés 
comme  courtiers  en  dentelles  3.  A  Rouen,  s'étaient  tout  d'abord 
installés  quelques  facteurs  acheteurs  de  toiles  et  de  draps  ; 
mais  par  suite  de  la  diminution  de  la  production  française,  occa- 
sionnée par  les  troubles  intérieurs  au  xvie  siècle,  la  Normandie, 
comme  la  Bretagne  du  reste,  eut  à  subir  la  concurrence  alle- 
mande et  les  courtiers  commencèrent  à  importer  des  laines 
et  des  draps  à  Rouen.  En  1601,  un  navire  de  Hambourg  y 
apporte  25.000  livres  de  laines  4  ;  huit  ans  plus  tard,  Jacques 
Robin  écrit  au  chancelier  pour  se  plaindre  de  l'envahissement 
du  marché  par  les  Allemands  5.  Peu  à  peu  Hollandais  et  origi- 
naires d'Allemagne  arrivent  en  foule  à  Rouen  ;  ils  évincent  les 
Italiens,  les  Espagnols  et  les  Portugais  qui  y  tenaient  le  haut 
commerce.  Au  xvne  siècle,  la  capitale  normande  possédait 
une  importante  colonie  allemande  ;  les  noms  de  ces  négociants 
nous  ont  été  révélés  par  une  consciencieuse  étude  sur  les  familles 
protestantes  de  Rouen  6. 

La  colonie  allemande  de  ce  port  comportait  principalement 
des  Hambourgeois  ;  les  uns  étaient  courtiers,  d'autres  indus- 
triels ;  ces  derniers  avaient  introduit  en  Normandie  des  ouvriers 
de  leur  pays.  Si,  dans  les  débuts  de  leur  installation  les  Alle- 
mands épousèrent  des  Hollandaises,   à  la  seconde  génération 


1.  Ibid.,  GG  1031,  mariage  du  17  août  1770. 

2.  Ibid.,  GG  535.  Décès  du  31  janvier  1761. 

3.  Madame  Despierres,  Histoire  du  point  d' Alençon,  p.  103. 

4.  E.  Gosselin,  Documents  inédits  pour  servir  à  l'histoire  de  la  marine  normande. 
Rouen,  1876,  p.  105. 

5.  Arch.  des  Affaires  étrangères.  Petites  principautés.  Vol.  767,  f°  116.    Lettre 
du  20  août  1609. 

6.  E.  Lesens,  La  Colonie  allemande  de  Rouen,  dans  Bulletin  de  la  Commission 
d'histoire  des  églises  wallonnes,  t.  II. 


ALLEMANDS    A    ROUEN  161 

ils  s'alliaient  volontiers  à  des  Françaises.  Presque  tous  possé- 
daient des  familles  nombreuses  et  leurs  enfants  essaimaient  dans 
les  provinces  avoisinantes. 

André  Amsink,  originaire  de  Hambourg,  était  fixé  à  Rouen 
vers  1625  ;  il  y  avait  fondé  une  raffinerie  de  sucre  et  ses  ouvriers 
avaient  nom  :  Michel  Smith,  Erbent  de  Glahaut,  Christophe 
Holden,  Jacob  Brashr.  De  son  mariage  avec  une  Hollandaise, 
Marie  Dierquens,  Amsink  eut  seize  enfants.  Sa  fille  Marie  épousa, 
en  1661,  Henri  Basnage  de  Beauval,  membre  du  Parlement  ; 
un  de  ses  fils  Paul,  se  fixa  à  Saint-Malo  où,  ayant  abjuré,  il 
s'établit  avec  sa  femme,  une  Angevine,  Catherine-Louise  Simon. 

André  Amsink  avait  été  naturalisé  et  reçu  bourgeois  de 
Rouen  en  1659  V  La  même  année  Marc  Petersen,  natif  de 
Hambourg,  recevait  ses  lettres  de  bourgeoisie  et  de  natura- 
lité  2.  On  ne  saurait  énumérer  tous  les  Hambourgeois  commerçant 
à  Rouen  :  Jean  His,  Hermann  Wertken,  Daniel  Eleis,  Jean 
Guldemer  et  tant  d'autres  qui  abjurèrent 3.  Des  Francfortois, 
comme  David  Boulon  qui,  en  1630,  décédait  chez  son  gendre, 
Lambert-Dubuisson,  étaient  également  commerçants  à  Rouen 4. 
La  colonie  allemande  de  cette  ville  était  assez  puissante  pour 
faire  entendre  sa  voix.  Dans  les  lettres-patentes  de  Louis  XIV 
confirmant  les  privilèges  des  habitants  des  villes  impériales 
fixés  à  Rouen,  il  est  fait  allusion  aux  doléances  des  marchands 
allemands  qui  s'insurgent  contre  les  nouveaux  impôts  auxquels 
on  veut  les  contraindre. 

Des  ministres,  Sully,  d'abord,  Colbert  ensuite  ont  introduit  en 
France  des  manufacturiers  et  des  industriels  allemands.  Dési- 
reux de  recruter  des  artisans  pour  fonder  dans  les  villes  fran- 
çaises des  fabriques  de  toiles,  Sully  traita  avec  un  sieur  Wollï 
qu'il  installa  à  Mantes.  Ainsi  qu'on  le  fit  souvent  sous  l'ancien 
régime,  il  s'engagea  à  naturaliser  par  avance  et  en  masse  les 
ouvriers  tisseurs  qui  s'établiraient  dans  les  villes  qu'il  désignerait. 


1.  Arch.  dép.  delà  Seine-Inférieure,  A  49.  —  Henri  Amsink,  son  frère,  fut  natu- 
ralisé en  1664.  Ibid.,  A  50. 

2.  Ibid.,  A  49. 

'A.  .!.  Blanquis  et  E.  Lesens,  La  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes  à  Rouen.  Rouen, 
1885,  deuxième  partie,  Liste  des  protestants. 
1.    Id.,  Ibid. 

11 


162  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

On  estime  souvent  que  l'infiltration  étrangère  s'est  principa- 
lement manifestée  dans  les  capitales,  les  ports  de  mer  et  les 
villes  frontières,  mais,  à  bien  examiner  les  faits,  on  constate 
que  les  forains  se  fixaient  souvent  dans  les  cités  de  l'intérieur 
du  royaume.  Je  l'ai  déjà  montré  par  des  exemples  nombreux  ; 
on  les  multiplierait  aisément,  car  il  n'est  province  où  ne  s'éta- 
blissent des  Allemands.  A  Nemours,  Claude  Hédelin,  lieutenant 
général  de  la  ville,  descendait  d'une  famille  originaire  de  Souabe. 
Il  s'était  retiré  dans  cette  petite  ville  après  avoir  été  conseiller 
du  trésor.  Sa  femme  Catherine  Paré,  fille  du  fameux  chirurgien, 
lui  donna  douze  enfants.  L'aîné  François,  né  le  17  mars  1592, 
fut.  le  célèbre  abbé  d'Aubignac  1. 

C'est  à  Corbeil  que  le  fameux  collectionneur  Everhard  Jabach  z 
édifia  une  partie  de  sa  fortune  ;  il  y  possédait  une  grande  tan- 
nerie. 

Everhard  Jabach  et  sa  femme  Anne-Marie  de  Groote  étaient 
natifs  de  Cologne.  A  la  mort  de  son  père,  survenue  en  1636, 
Everhard  passa  en  France  avec  Marie  de  Groote  ;  il  devint  l'un 
des  directeurs  de  la  Compagnie  des  Indes  orientales  lorsqu'elle 
fut  fondée.  Au  mois  <le  mars  1647,  les  deux  époux  étaient  natu- 
ralisés. Jabach  avait  acquis  à  Paris  rue  Neuve-Saint-Médéric 
une  maison  dans  laquelle  il  rassembla  des  objets  d'art  de  pre- 
mier ordre  ;  son  hôtel,  maintes  fois  agrandi,  devint  un  véritable 
palais.  Cette  maison  servait  de  demeure,  de  dépôt  et  de  bureaux 
à  Everhard  Jabach  ;  il  y  emmagasinait  les  peaux  préparées 
à  Corbeil  et  dont  la  majeure  partie  était  destinée  à  l'équipe- 
ment de  l'armée. 

Négociant  habile  et  entreprenant,  Everhard  s'occupait  d'af- 
faires variées.  Il  possédait  le  privilège  de  la  messagerie  de 
Liège  en  France  ;  ses  opérations  de  banque  s'étendaient  dans 
l'Europe  entière,  peut-être  même  fut-il,  un  moment,  directeur 
de  la  manufacture  royale  d'Aubusson. 
Son  immense  fortune  permit  à  Jabach  de  collectionner  estampes, 

1.  F.  Lachèvre,  Les  Recueils  de  poésies  libres  et  satiriques.  Paris,  1914,  p.  237. 

2.  Vicomte  de  Grouchy,  Everhard  Jabach,  collectionneur  parisien  (1695).  Extrait 
des  Mémoires  de  la  Société  d'histoire  de  Paris  et  de  V Ile  de  France,  t.  XXI,  1894. 
—  A.  Callet,  L'Hôtel  Jabach,  extrait  de  la  Cité,  Bulletin  de  la  Société  historique 
du   IVe  arrondissement,  1904. 


EVERHARD   JABACH  163 

dessins  et  tableaux  ;  mais  au  lieu  de  se  maintenir  dans  des  limites 
raisonnables,  son  insatiable  ardeur  à  toujours  acquérir  l'amena 
à  la  ruine.  Harcelé  par  des  créanciers,  il  dut  vendre  des  toiles 
du  Corrège  à  Mazarin,  d'autres  tableaux  au  duc  de  Richelieu  ; 
bientôt  il  fut  contraint  de  céder  au  roi  sa  collection  tout  entière. 
Louis  XIV  était  seul  assez  opulent  pour  l'acquérir;  Colbert 
traita  le  marché  en  1671  pour  un  prix  relativement  faible  et 
les  5.542  dessins  et  les  101  tableaux  de  Jabach  devinrent  pro- 
priété du  Cabinet  du  roi.  Les  toiles  acquises  par  le  banquier 
de  Cologne  ornent  aujourd'hui  les  salles  du  musée  du  Louvre  ; 
nos  plus  splendides  Van  Dyck,  Giorgione,  Titien,  Raphaël  et 
Holbein  sortent  de  cette  galerie  unique. 

Les  affaires  de  Jabach  s' étant  améliorées  il  se  remit  avec 
ardeur  à  collectionner  ;  après  sa  mort  survenue  le  6  mars  1695, 
on  dressa  chez  lui  un  inventaire  de  toutes  les  richesses  qu'il 
avait  de  nouveau  rassemblées. 

Everhard  Jabach  avait  eu  quatre  enfants  ;  une  fille,  Anne- 
Marie,  épousa  à  Paris  Nicolas  Forment,  peut-être  parente  d'Hé- 
lène Forment,  la  seconde  femme  de  Rubens.  De  son  fds  Henri 
qui  continua  l'exploitation  de  la  fameuse  tannerie  de  Corbeil 
on  ne  saurait  rien,  si  l'on  ne  possédait  quelques  contrats  de  lui 
passés  avec  François  de  la  Tour  d'Auvergne  au  sujet  de  fourni- 
tures d'équipements  militaires.  Les  autres  enfants  de  Jabach, 
bien  que  naturalisés  Français  rentrèrent  à  Cologne. 

En  pleine  Auvergne  se  fixent  des  manufacturiers  allemands. 
Vers  l'année  1761,  le  sieur  Feillotes,  de  Leipzig,  fonde  à  Clermont 
une  manufacture  de  chapeaux  de  poils  de  castor.  Ayant  épousé 
une  jeune  fille  de  la  région  il  y  prit  pied  peu  à  peu.  Tout  d'abord, 
il  avait  obtenu  du  gouvernement  une  subvention  de  400  livres 
renouvelable  jusqu'en  1768.  Ses  affaires  ayant  prospéré,  on 
réduisit  ce  subside  à  240  livres.  Comme  Feillotes  employait 
soixante  personnes  et  versait  annuellement  51 .800  livres  d'impôts, 
il  obtint  la  décharge  de  la  milice,  la  naturalité  et  le  titre  de  manu- 
facturier du  roi  I. 

L'histoire  des  colonies  étrangères  de  Lyon  n'est  pas  encore 

1.  Arch.  départ,  du  Puy-de-Dôme,  C  413.    - 


164  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

écrite;  elle  vaudrait  de  l'être  complètement.  Seuls,  les  groupe- 
ments italiens  et  quelques  personnalités  notoires  ont  jusqu'ici 
sollicité  l'attention  des  érudits.  Placée  à  la  croisée  des  chemins  de 
France,  d'Italie  et  de  l'Empire,  Lyon  fut  toujours  une  cité  cosmo- 
polite. «  La  moitié  pour  le  moings  des  habitants  d'icelle  sont 
estrangiers  de  plusieurs  nacions  qui  font  valloir  la  ville,  font 
travailler  et  gaigner  le  peuple,  louent  chèrement  les  maisons  et 
boivent  le  vin  qui  est  le  revenu  du  pays  »,  écrivait  un  Lyonnais 
en  1565.  Bien  antérieurement  à  sa  constatation  les  étrangers 
abondaient  à  Lyon;  parmi  eux,  on  comptait  une  foule  de  gens 
natifs  des  terres  impériales.  Lorsque  Félix  Platter  arriva  à  Lyon 
le  20  octobre  1552,  il  descendit  chez  Paul  Heberlin,  de  Zurich, 
et  nota  :  «  Tout  le  monde  était  Allemand  dans  l'auberge  excepté 
l'hôtelière  » 1. 

A  la  différence  de  la  colonie  germanique  de  Bordeaux  qui  ne  se 
forma  guère  avant  le  milieu  du  xvne  siècle,  celle  de  Lyon  était 
déjà  puissante  sous  le  règne  de  François  Ier.  Le  voisinage  de 
l'Allemagne,  l'importance  des  foires  de  Lyon,  véritable  emporium 
du  royaume,  avaient  contribué  à  y  amener  des  habitants  de  la 
Souabe  et  de  la  Bavière.  Déjà,  on  a  mentionné  quelques-uns 
des  imprimeurs  et  des  banquiers  établis  sur  les  rives  de  la  Saône  ; 
mais  typographes  et  manieurs  d'argent  n'étaient  pas  les  seuls 
éléments  de  la  colonie  germanique  de  la  ville. 

Les  marchands  des  villes  impériales  jouissaient  à  Lyon  de 
privilèges  analogues  à  ceux  dont  disposaient  les  Italiens  ;  ils 
étaient  assurés  de  franchises  pour  leurs  personnes  et  leurs  biens. 
Durant  les  premières  années  de  l'organisation  des  foires,  les 
marchands  de  Nuremberg  ou  d'Ulm  ne  vinrent  que  temporaire- 
ment à  Lyon  ;  ils  y  séjournaient  durant  la  foire.  Par  la  suite, 
ils  y  maintinrent  des  représentants  attitrés.  Maints  de  ces  der- 
niers demeurèrent  dans  le  royaume,  s'y  marièrent,  sollicitèrent 
leur  naturalisation  puis  firent  souche  en  France. 

Le  1er  septembre  1491,  les  Allemands  étaient  assez  nombreux 
à  Lyon  pour  y  fonder  une  confrérie  dans  l'église  du  couvent 
de  Notre-Dame-de-Confort.  Ils  y  avaient  un  tombeau  aux  armes 

1.  Félix  et  Thomas  Platter,  éd.  'citée,  p.  15. 


ALLEMANDS    A    LYON  165 

des  Impériaux  et  les  confrères  qui  en  exprimaient  le  désir 
pouvaient  être  inhumés  dans  ce  tombeau.  Les  Allemands  de 
Lyon  formaient  une  «  Nation  »  analogue  à  la  nation  florentine, 
mais  ils  ne  nommaient  pas  de  consul  et  de  conseillers.  Avaient- 
ils  une  réclamation  à  présenter,  ils  déléguaient  deux  ou  trois 
de  leurs  compatriotes  auprès  des  magistrats  municipaux. 

Les  marchands  d'outre-Rhin  étaient,  dans  les  assemblées 
du  Change,  les  troisièmes  à  donner  leur  avis,  après  les  Florentins 
et  les  Français  ;  ils  présentaient  au  consulat  des  courtiers  chargés 
de  servir  d'intermédiaires  et  d'interprètes,  pendant  les  foires, 
aux  marchands  de  leur  nationalité  qui  ne  parlaient  pas  fran- 
çais l. 

La  colonie  allemande  de  Lyon  était  riche  ;  lors  des  cortèges 
solennels  des  entrées  royales,  les  marchands  qui  la  constituaient 
figuraient  en  bonne  place  et  richement  accoutrés.  A  François  Ier 
qui,  pour  des  motifs  d'ordre  politique  et  financier,  avait  renouvelé 
les  prérogatives  dont  elle  jouissait,  la  nation  allemande  de  Lyon 
témoignait  de  la  sympathie.  En  1530,  pour  célébrer  la  délivrance 
de  ses  fils,  «  Messieurs  de  la  Nation  d'Allemaigne  »  allumèrent 
un  vaste  feu  de  joie  sur  la  place  de  l'Herberie.  Dix-neuf  grands 
marchands  de  Lyon  dont  les  noms  sont  connus  par  un  rôle 
d'imposition  de  l'année  1529  avaient  sans  doute  cotisé  pour  ces 
réjouissances. 

Lyon  est  une  capitale,  les  maîtres  de  métier  étrangers  y  sont 
nombreux  au  xvie  siècle,  les  artistes  aussi  ;  parmi  eux  on  compte 
des  orfèvres  et  des  peintres.  Pierre  Eskrich,  fils  d'un  graveur  sur 
métal,  natif  de  Fribourg-en-Brisgau,  travaille  pour  l'imprimeur 
Roville,  passe,  à  Genève,  puis  revient  à  Lyon.  Il  contribue  à  la 
décoration  de  la  ville  lors  de  l'entrée  de  Charles  IX,  fait  baptiser 
son  fils  dans  la  religion  catholique  puis  devient  peintre  de 
Monseigneur  de  Mandelot.  En  1574  il  participe  à  l'ornementa- 
tion de  la  cité  pour  l'entrée  de  Henri  III2. 

Des  fabricants  d'instruments  de  musique,  des  luthiers  ont 
laissé  à  Lyon  de  la  réputation.  Dans  le  quartier  Saint-Paul 
vivaient,  entre  1558  et  1572,  Jehan  Helmer  et  Philippe  Flac, 

1.  E.  Vial,  L'histoire  et  ta  légende  de  Jean  Cléberger.  Lyon,  1914,  p.  26  et  suiv. 

2.  Audin  et  Vlal,  Dictionnaire  des  artistes  du  Lyonnais.  V°  C°. 


166  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

«  faiseur  de  luths  »  ou  «  faiseurs  de  guiternes  ».  Si  l'on  peut  douter 
de  la  nationalité  du  second,  des  documents  affirment  l'origine 
allemande  de  Helmer  x.  Les  instruments  qu'ils  construisirent 
ne  sont  pas  connus;  ceux  de  Gaspard  Duiffoproucart  sont  au 
contraire  catalogués  comme  pièces  célèbres  de  collections. 
Originaire  de  Freising,  localité  située  sur  le  bord  de  l'Isar,  à  une 
petite  distance  de  Munich,  ce  luthier  vint  se  fixer  à  Lyon  aux 
environs  de  l'année  1533  ;  il  fut  naturalisé  en  janvier  1559  par 
Henri  II  et  se  maria  à  Lyon.  Barbe  Homeau,  sa  femme,  lui  donna 
au  moins  deux  enfants,  un  fils  Jean  qui  fut  élève  de  son  père  et 
une  fille  qui  épousa  Valoys  Doly.  Le  luthier  allemand  mourut 
à  Lyon  en  1570  très  probablement  2. 

Duiffoproucart  établit  surtout  des  basses  de  violes  en  marque- 
terie ;  il  a  joué  dans  la  lutherie  un  rôle  de  chef  d'école  et  les  pièces 
qu'il  a  laissées  figurent  en  bonne  place  dans  les  collections 
célèbres  ;  le  Conservatoire  de  Paris  possède  de  lui  un  instrument 
curieux  et  plusieurs  fois. décrit. 

Le  xvie  siècle  marque  pour  la  ville  de  Lyon  une  ère  de  prospé- 
rité considérable  ;  les  Allemands  y  vivent  aisément  et  s'y  enri- 
chissent. Après  la  signature  de  l'Édit  de  Nantes,  l'importance 
de  leur  colonie  s'accroît  encore.  Durant  l'année  1598  et  durant 
le  cours  du  xvne  siècle,  les  Zollikofer,  Suisses  alémaniques  de 
Saint-Gall,  fournissent  trente-quatre  négociants  à  Lyon  et  à 
Marseille  ;  à  Lyon  on  compte  également  dix  Gonsebach,  quatre 
Fitler,  quatre  Horutiner,  cinq  Locker,  deux  Manlich.  Mathieu 
Spon,  originaire  d'Ulm,  s'établit  à  Lyon  en  1596;  il  y  épouse 
successivement  Judith  Bernard  et  Clermonde  Gras.  Son  fils 
Charles,  né  de  son  premier  mariage,  acquit  à  Lyon  quelque  célé- 
brité. Nommé  médecin  du  roi  en  1645,  il  écrivit  un  traité  de  la 
Pharmacopée  de  Lyon.  Sa  femme  lui  donna  cinq  enfants  et  l'un 
d'eux,  Jacob,  se  fit  connaître  comme  auteur  des  Recherches  des 
antiquités  et  curiosités  de  la  ville  de  Lyon. 

Si  les  Spon  s'adonnaient  à  la  médecine  et  à  l'érudition,  Ulrich 


1 .  Henry  Coutagne,  Gaspard  Duiffoproucart  et  les  luthiers  lyonnais  du  X  VIe  siècle. 
Paris,  1893,  p.  48. 

2.  Id,,  Ibid.  L'auteur  de  la  monographie  citée,  à  l'aide  de  documents  inédits, 
a  complètement  ruiné  l'article  consacré  par  Fetis  à  Duiffoproucart. 


ALLEMANDS    A    LYON  167 

Starch  forgeait  dans  son  atelier  des  lames  d'épées  fort  réputées, 
Jean  Macq  «  faisait  des  cadres  et  cabinets  en  façon  d'esbenne  »  *. 
A  côté  de  ces  Allemands  qui  ont  laissé  un  nom  dans  l'histoire 
de  Lyon,  il  faut  mentionner  quelques  marchands  qui  y  vécurent 
leur  existence  modeste  ou  fortunée  :  Daniel  Studer,  Jacques 
Homberg,  Jean  Armelin,  Jacques  Béer,  Jean  Kalbrener,  Ernest 
Vimar,  Mathieu  Wollï  et  maints  autres.  Des  maîtres  d'hôtel 
allemands,  comme  Christophe  Pregel,  d'Inspruck,  hébergent 
leurs  compatriotes  2  ;  des  horlogers  poméraniens,  Daniel  Gom, 
par  exemple,  s'établissent  à  Lyon  3. 

La  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  a  apporté  du  trouble  dans 
les  entreprises  bancaires  et  commerciales  lyonnaises  ;  toutefois 
beaucoup  d'étrangers  n'ont  pas  émigré.  Les  Belz,  les  Fitler,  les 
Gonsebach,  les  Riettmann  n'ont  pas  bougé.  Au  xviii€  siècle, 
la  colonie  allemande  de  Lyon  n'a  cessé  de  suivre  une  marche 
parallèle  à  celle  des  autres  villes;  elle  s'est  considérablement 
accrue.  Sous  la  Régence  et  le  règne  de  Louis  XV  s'établissent 
Jean  Thierry,  Brôleman,  Westphalien,  Platzman  de  Berlin, 
François  Johannot  de  Francfort-sur-le-Mein  4.  Des  marchands 
y  vendent  des  toiles  de  Saint-Gall,  tel  Jean  Sebaldt  de  Ring- 
macher  5.  Alexis  Donsbourg,  gentilhomme  allemand,  est  autorisé 
en  1727  à  fonder  dans  les  faubourgs  de  Lyon  une  manufacture 
de  verres  et  de  cristaux6.  Jean  Boek,  fixé  à  Lyon  en  1724  y 
épouse  Jeanne  Alleyné,  veuve  du  peintre  Durannelle  7  ;  il  est 
expert  en  tableaux  et  chargé,  en  1756,  de  nettoyer  et  réparer  les 
tableaux  de  l'hôtel  de  ville. 

Dans  les  petites  villes  des  environs  de  Lyon  s'établissent  des 
Allemands.  A  Salins  du  Jura,  le  peintre  Jean  Hileken,  né  à 
Trêves,  arrive  en  1740  et  est  reçu  habitant  en  1765.  A  partir 
de  1771  la  ville  lui  donne  une  pension  de  cent  livres  «  à  charge 
de  tenir  école  de  dessin  les  jours  ouvriers,  une  heure  par  jour, 

1.  Natalis  Rondot,  Les  Protestants  à  Lyon  depuis  la  promulgation  de  l'Edit  de 
Nanla,  dans  lievue  d'histoire  du  Lyonnais,  année  1890,  p.  171. 

2.  Arch.  mun.  de  Lyon,  BB  440. 

3.  Ibid.,  BB  441. 

4.  N.  Rondot,  Les  Protestants  à  Lyon  au  XVII*  siècle. 

5.  Blb.  Nat.  Collection  des    Arrêts  du  Conseil  d'Etat,  arr^t  du  21  juillet  1716. 

6.  P.  Bonnassieux,    Inventaire  des  P.  V.  du  Conseil  du  Commerce,   col.  151  a. 

7.  Audin  et  Vial.  Dictionnaire  des  Artistes.  V°  C°. 


168  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

en  n'exigeant  des  écoliers  que  30  sols  par  mois  ».  Hileken  avait 
épousé  à  Salins,  Claudine  Wattemann.  Les  leçons  d'allemand 
qu'il  donna  unies  aux  portraits  et  tableaux  qu'il  exécuta  ne  lui 
apportèrent  pas  l'aisance  ;  en  1790,  il  recevait  de  la  Confrérie  de 
la  Croix  «  une  aumône  honteuse  »  K 

Le  Comtat-Venaissin  et  la  Provence  possédèrent  de  tous  temps 
des  colonies  allemandes.  Lorsqu'Avignon  devint  le  centre  de  la 
catholicité,  un  monde  d'étrangers  afflua  dans  la  cité  papale. 
Les  Germaniques  fondèrent  des  confréries  et  la  rue  des  Alle- 
mands rappela  longtemps  le  souvenir  de  ceux  qui  y  vécurent 2. 
Le  testament  d'Albert  de  Wurtzbourg  mentionne  l'existence 
d'une  confrérie  allemande  dès  l'année  1348  3. 

En  Provence,  on  l'a  déjà  noté,  des  Allemands  étaient  au  ser- 
vice du  roi  René  :  depuis  le  xvie  siècle,  Marseille  n'échappa 
point  à  l'infiltration  germanique.  Les  Allemands  y  exerçaient 
le  négoce  et  l'armement.  Krafft,  venu  à  Marseille,  en  1573, 
avec  Melchior  Manlich,  d'Ulm,  rapporte  que  son  maître  mit  des 
fonds  dans  l'armement  de  sept  navires  allant  à  Tripoli,  Lis- 
bonne 4,  Cadix  et  autres  villes.  Une  enquête  effectuée  à  Marseille 
sur  les  faits  et  gestes  du  lieutenant  de  Valbelle  révèle  la  présence 
de  multiples  Allemands  et  dans  le  port  méditerranéen  il  n'y  a 
pas  lieu  de  douter  que  l'édit  d'affranchissement  de  1669  n'attirât 
des  terres  d'Empire  une  nuée  de  Germaniques  empressés  à  faire 
fortune.  Ainsi  qu'à  Bordeaux  et  à  Lyon,  la  colonie  allemande  de 
Marseille  fut  considérable  au  xvme  siècle.  Elle  comprit  des 
négociants  de  haute  envergure,  presque  tous  originaires  des 
villes  hanséatiques.  Henri-Jacques  Folsch,  de  Hambourg, 
époux  de  Anne-Elisabeth  de  Butini,  native  de  Suisse,  est  installé 
à  Marseille  antérieurement  à  1735.  Son  nom  revient  perpétuelle- 
ment dans  les  actes  de  la  vie  civile  des  réformés  suisses,  alle- 
mands et  suédois.  Il  est  d'ailleurs  consul  de  Suède  à  Marseille 
et  son  fils  Philippe  lui  succède  dans  cette  fonction.  A  côté  de  lui 

1.  P.  Brune,  Dictionnaire  des  Artistes  de  Franche-Comté.  Paris,  1912,  V°  Hi- 
leken. 

2.  L.  Mollat,  Les  Papes  d'Avignon,  p.  304. 

3.  H.  Pogatscher,  Deutsche  in  Avignon  im  XIV  Iahrunderte,  dans  Romische 
Quatalschrift  fur  Chrisliche  alterthumskundc.  Rome,  1899,  p.  58. 

4.  Bib.  Nat.,  mss.  français  18593,  f°  238. 


ALLEMANDS    A    MARSEILLE  169 

les  Kick,  les  Gourwertz,  de  Hambourg,  comptent  parmi  les 
commerçants  notoires  de  la  ville.  Des  commis,  des  artisans 
originaires  d'Allemagne  sont  employés  chez  eux  ou  dans  des 
maisons  d'armement.  Jean-Michel  Eckhard  de  Nuremberg  est 
garçon  de  comptoir  chez  Warren  ;  Chrétien  Web  a  est  ouvrier 
pelletier  ;  Jean-Michel  Schaud,  de  Wiesbaden  est  ouvrier  en  soie. 

Un  arrêt  du  conseil  du  roi  du  24  mars  1726  autorisait  l'inhu- 
mation des  réformés  étrangers  décédés  dans  les  ports  de  France. 
On  a  conservé  pour  Marseille  le  registre  mortuaire  des  protes- 
tants de  1727  à  1788  ;  il  ressort  de  ce  document  qu'un  monde  de 
Germaniques,  venant  des  villes  hanséatiques,  de  l'Allemagne  et  de 
la  Suisse  alémanique  habitait  Marseille  au  xvme  siècle.  Bernois, 
Zurichois,  San-Gallois,  Hambourgeois,  mariés  à  des  Françaises, 
commerçaient  sur  les  rives  de  la  Méditerranée  et  après  avoir  fait 
fortune  acquéraient  des  immeubles  à  Marseille  ou  dans  la  banlieue1. 

Dans  le  Midi  de  la  France,  dans  le  Languedoc  notamment, 
des  facteurs  allemands  représentaient  les  associés  d'une  Compa- 
gnie de  Hambourg  trafiquant  sur  les  vins.  Cette  société  enlevait 
par  centaines  de  muids  les  vins  de  la  région  de  Béziers,  de  Cette 
et  de  Montpellier.  Tout  d'abord  les  achats  se  firent  de  confiance 
mais  les  voituriers  chargés  de  transporter  les  vins  jusqu'au 
port  d'embarquement  additionnaient  d'eau  les  boissons  qu'on 
leur  avait  confiées.  De  trois  barriques  ils  en  faisaient  quatre  ; 
aussi  les  acheteurs  allemands  prirent-ils  l'habitude  d'effectuer 
leurs  achats  par  l'intermédiaire  de  courtiers  de  leur  nation  ; 
à  la  suite  de  pertes  éprouvées  par  la  société  dont  les  frais  géné- 
raux avaient  été  grevés  par  ces  courtages,  les  Allemands  délais- 
sèrent quelque  peu  le  Languedoc.  Les  habitants  se  lamentèrent 
de  voir  disparaître  cette  clientèle  importante  mais  comme  l'écri- 
vait à  l'intendant  de  la  province  un  de  ses  subordonnés,  «  la 
mémoire  des  fraudes  des  habitants  de  cette  région  ne  s'effacera 
jamais  de  l'idée  des  négociants  du  Nord  » 2. 

Quelle  que  soit  la  province  ou  la  ville  vers  laquelle  on  tourne 


1.  V.-L.  Rourilly,  Les  Protestants  à  Marseille  au  XV ///•  tiède,  dans  Bulletin  de 
la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme  français,  nov.-déc.  1910,  p.  518-553.  Voir 
les  noms  cités. 

2.  Arch.  dép.  de  l'Hérault,  G  2C83. 


170  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

le  regard,  on  rencontre  des  Allemands  nombreux  installés 
comme  chefs  d'industrie,  fondateurs  d'usines,  exploitants  de 
mines  et  surtout  comme  ouvriers.  La  main-d'œuvre  allemande 
envahit  le  royaume  au  xvme  siècle. 

«  Sauf  la  manufacture  de  fer-blanc  de  M.  Robelin,  la  Franche- 
Comté  ne  possède  aucune  industrie  importante.  Le  proprié- 
taire emploie  quelques  ouvriers  allemands  »  écrit,  le  6  avril  1700, 
l'intendant  de  la  province  x.  Le  23  août  1715,  le  sieur  de  Mon- 
tois,  propriétaire  de  la  manufacture  de  peaux  de  buffles  de  Cor- 
beil,  réclame  du  gouvernement  le  montant  de  ce  qui  lui  est  dû  ; 
il  doit  lui-même  de  tous  côtés,  il  lui  faut  payer  ses  ouvriers  qui 
meurent  de  faim  :  «  or,  ceux-ci  sont  des  Allemands  sans  res- 
sources et  prêts  à  se  révolter  » 2.  Dans  les  verreries,  dans  les 
teintureries,  on  emploie  des  ouvriers  allemands.  Dans  la  ban- 
lieue de  Nevers,  une  fabrique  de  fer-blanc  renferme  quatre 
équipages  de  martinets,  deux  magasins,  un  atelier  à  étamer 
et  des  bâtiments  pour  le  logement  des  ouvriers,  pr3sque  tous 
Allemands  d'origine  3.  Les  Saxons  travaillent  dans  les  usines 
de  fer-blanc  4.  Slongel  vient  de  Saxe  pour  créer  dis  fabriques 
de  teinture  ;  il  amène  avec  lui  des  compatriotes  5.  Les  Allemands 
fondent  en  France  des  manufactures  de  cristaux  et  de  verres. 
En  janvier  1725,  Joseph-Gaspard  Fonberg  sollicite  du  Conseil 
du  commerce  l'autorisation  d'établir  une  fabrique  de  verres 
et  de  bouteilles  en  Guyenne  ;  cette  permission  lui  est  accordée 
quelques  jours  plus  tard  et  il  s'installe  à  Bourg-sur-Gironde. 
Cet  ancien  habitant  de  Wurtzbourg  obtient  l'exemption  de  la 
taille  pour  lui  et  ses  ouvriers  ;  en  1727,  il  est  naturalisé  et  pour 
son  établissement,  il  demande  l'octroi  du  titre  de  manufacture 
royale  ;  enfin,  nouvelle  faveur,  il  réussit  à  évincer  ses  concur- 
rents et  défense  est  faite  à  tout  nouvel  industriel  de  s'établir 
à  moins  de  dix  lieues  à  la  ronde.  Le  manufacturier  se  crée  ainsi 
un  monopole  lucratif  6. 

1.  A.  de  Boislisle,    Correspondance  des  contrôleurs    généraux,  t.   II,  lettre    114. 

2.  Id.,  Ibid.,  t.  HT,  p.  345. 

î*.  G.  Martin,  Histoire  de  la  grande  industrie  sous  le  règne  de  Louis  XV.  Paris, 
1899,  p.  206.  -  Arch.  Nat.,  F*2.  1306. 

4.  Arch.  Nat,  Fia  1306. 

5.  Ibid.,  Fi2  72. 

6.  Procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce.  V°  Fonberg. 


OBERKAMPF  171 

La  mode  des  toiles  peintes  et  imprimées  se  développa  au 
xviiie  siècle  lorsqu'en  1759,  fut  accordée  la  liberté  d'en  fabri- 
quer en  France.  La  plus  connue  de  toutes  les  manufactures 
est  celle  de  Jouy  ;  elle  fut  fondée  ou  tout  au  moins  dirigée 
par  un  Allemand  :  Christophe-Philippe  Oberkampf  né  à  Weissen- 
bach,  en  Bavière.  Oberkampf  avait  étudié  à  Aarau  le  métier  de 
fabricant  de  toiles  peintes  puis  était  venu  travailler  chez  Cottin, 
à  la  manufacture  de  l'Arsenal.  C'est  là  qu'un  Suisse  du  roi, 
Tavannes,  vint  lui  proposer  de  prendre  la  direction  d'une 
fabrique  ;  ayant  accepté  sa  proposition,  sous  la  condition  d'être 
libre  de  choisir  l'emplacement  de  sa  manufacture,  il  jeta  son 
dévolu  sur  la  ville  de  Jouy-en-Josas,  aux  bords  de  la  Bièvre 
et  le  1er  mai  1760,  il  imprimait  sa  première  pièce  de  toile. 

L'immigration  allemande  dans  le  négoce  et  l'industrie  fut 
d'autant  plus  marquée  en  France  au  xvme  siècle  que  cédant 
à  des  conseils  intéressés,  se  berçant  parfois  d'espoirs  chimériques, 
nos  artisans  se  laissaient  souvent  débaucher.  Des  agents  étran- 
gers appréciant  le  fini  du  travail  et  les  goûts  artistiques  des 
ouvriers  français  les  soudoyaient  et  les  emmenaient  vers  des 
régions  où  ils  ne  trouvaient  parfois  que  déboires  et  regrets. 
Les  vides  que  créait  leur  départ  étaient  comblés  par  des  étran- 
gers ;  dans  les  métiers  pénibles,  dans  les  professions  qui  exigent 
plus  de  résistance  physique  que  de  sentiment  artistique,  des 
Allemands  remplaçaient  les  Français.  Ils  exigeaient  des  salaires 
moins  élevés  que  nos  artisans,  étant  accoutumés  dans  leur  pays 
à  une  vie  moins  facile  et  moins  large  que  les  ouvriers  français, 
ils  trouvaient  facilement  à  s'employer.  Peu  à  peu,  ils  s'accoutu- 
maient à  notre  pays  où  la  vie  est  aisée  ;  ils  y  prenaient  femme 
et  se  glissaient  dans  notre  population. 


DEUXIÈME  PARTIE 


LES  HOLLANDAIS  EN  FRANGE 


CHAPITRE  PREMIER 


LES    HOLLANDAIS    EN    FRANCE    AVANT    LA    SIGNATURE    DE    LEDIT 

DE    NANTES 


I.  Introduction.  —  II.  Premières  relations  commerciales.  —  III.  Les  artistes  néer- 
landais à  Paris,  en  Bourgogne  et  en  Touraine.  —  IV.  Les  étudiants  hollandais 
à  Paris  et  à  Orléans  du  xme  au  xvip  siècle  ;  les  professeurs  hollandais  à  Angers, 
Poitiers  et  Paris.  —  V.  Les  imprimeurs  originaires  de  Hollande. 


I 


L'histoire  de  la  pénétration  des  Hollandais  en  France  pourrait 
être  divisée  en  trois  périodes.  La  première  embrassant  le  moyen 
âge  et  le  xvie  siècle  s'arrêterait  à  l'année  1598,  date  de  la  signa- 
ture de  l'Édit  de  Nantes.  Durant  ce  laps  de  temps,  les  Hollan- 
dais, au  sens  actuel  de  ce  vocable,  sont  le  plus  souvent  confondus 
avec  les  Flamands  et  il  est  assez  rare  que  l'on  puisse  exactement 
déterminer  si  les  immigrants  originaires  du  nord-est  de  la  France 
sont  ou  non  issus  des  provinces  qui  constitueront  la  Hollande 
proprement  dite.  Cette  discrimination  entre  les  habitants  des 
Pays-Bas  espagnols  et  des  Provinces-Unies  s'établit  tardive- 
ment ;  au  xviue  siècle,  même,  la  dénomination  de  Flamands 
englobe  encore  fréquemment  les  hommes  nés  dans  les  diverses 
provinces  du  Nord-Est. 

La  deuxième  période  de  la  pénétration  hollandaise  en  France 
comprendrait  le  laps  de  temps  qui  s'écoule  entre  1598  et  1685, 
date  de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes.  Durant  ce  siècle 
l'immigration  néerlandaise  est  considérable.  Si  le  xvie  siècle 
est  l'époque  la  plus  florissante  de  la  pénétration  italienne  dans 
notre  pays,  le  xvne  est  surtout  marqué  par  la  prospérité  des 


176  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

colonies  bataves.  Les  Hollandais  sont  les  rois  du  négoce  en 
France  ;  il  n'est  port  ou  cité  où  l'on  ne  rencontre  quelques-uns 
d'entre  eux  adonnés  au  commerce  ou  propriétaires  d'une  manu- 
facture. Ils  jouissent  d'une  organisation  remarquable,  parlent 
notre  langue,  sont  tenaces  et  n'ont  pas  à  lutter  contre  une  concur- 
rence très  âpre.  Les  Italiens  qui  passent  encore  les  monts  songent 
surtout  à  s'infiltrer  à  la  cour  et  ne  s'occupent  guère  que  de 
banque  lorsqu'ils  s'intéressent  encore  au  négoce  ;  l'Espagne  n'a 
plus  son  ancienne  splendeur  et  sa  force  d'expansion  est  amoin- 
drie. Quant  aux  Français,  ils  délaissent  le  grand  négoce  et  se 
précipitent  vers  les  fonctions  publiques.  Le  xvne  siècle  est  la 
grande  époque  de  la  pénétration  des  Hollandais  en  France.  Leur 
mouvement  d'immigration  se  ralentit  dès  la  mort  de  Colbert  ;  il 
fléchit  brusquement  pendant  les  années  qui  s'écoulent  de  1685 
à  1697,  date  de  la  signature  du  traité  de  Ryswick  ;  mais  il 
reprend  dès  les  premières  années  du  xvme  siècle. 

Avec  ce  siècle  commence  la  troisième  phase  de  l'immigration 
hollandaise.  Le  Néerlandais  est  réaliste  jusqu'au  tréfonds  de 
l'âme.  Notre  industrie  et  notre  commerce  sont  paralysés,  la 
France  est  dépeuplée,  ruinée  par  les  guerres  et  les  impôts  mal 
répartis  ;  profitant  de  ces  circonstances  et  du  découragement 
général,  les  Hollandais  reviennent  et  reconstituent  rapidement 
les  groupements  dont  l'importance  avait  diminué  à  la  suite 
de  la  révocation  et  des  luttes  de  Louis  XIV  contre  les  Provinces- 
Unies.  Mais,  quelle  que  soit  la  puissance  des  colonies  qu'ils 
reconstituent  en  France  au  xvme  siècle,  les  Hollandais  ne  par- 
viennent pas  à  ce  degré  de  prospérité  qu'ils  avaient  antérieure- 
ment connue.  Ils  ont  à  lutter  contre  d'autres  étrangers.  Les 
Allemands,  les  Anglais  et  les  Irlandais  font  en  France  un  négoce 
important  et  sous  l'empire  des  idées  philosophiques,  un  esprit 
d'initiative  tout  nouveau  se  manifeste  chez  les  sujets  de 
Louis  XV  et  de  Louis  XVI.  Si  les  Hollandais  ne  sont  plus  au 
xvme  siècle  les  seigneurs  et  maîtres  du  négoce,  leur  rôle  démo- 
graphique et  social  n'en  demeure  cependant  pas  moins  considé- 
rable. 

A  la  différence  des  Italiens  et  des  Allemands  qui  se  sont  insi- 
nués dans  les  situations  les  plus  diverses,  les  Hollandais  établis 


RAPPORTS    FRANCO-HOLLANDAIS  177 

en  France  se  sont  cantonnés  le  plus  souvent  dans  l'exercice  du 
négoce.  Si  l'on  excepte  les  artistes,  peintres,  graveurs  ou  sculp- 
teurs qui  se  fixent  dans  le  royaume,  les  Néerlandais  sont  presque 
tous  armateurs,  courtiers,  manufacturiers,  marchands  poul- 
ies peindre  d'un  mot.  Très  peu  recherchent  des  charges  ou  des 
fonctions  ;  l'armée  compte  très  peu  d'officiers  d'origine  néerlan- 
daise. 


II 


Les  relations  commerciales  des  Néerlandais  avec  la  France 
remontent  aux  xme  et  xive  siècles.  Aux  grandes  foires  de  Cham- 
pagne et  à  celles  du  Languedoc  venaient  des  Hollandais.  Les 
ports  français  de  l'Atlantique  étaient  visités  par  des  Zélandais, 
des  Flamands  et  des  Anglais  :  les  guerres  que  la  France  eut  à 
soutenir  au  xive  siècle  contre  l'Angleterre  et  la  Flandre  interrom- 
pirent les  rapports  commerciaux  avec  ces  deux  pays  ;  les  Hollan- 
dais tirèrent  profit  du  ralentissement  du  trafic  franco-anglais. 
Lorsque  les  principaux  comptoirs  des  Hanséates  en  Flandre 
et  en  Angleterre  se  trouvèrent  fermés  au  négoce  français,  les 
Hollandais  et  les  Zélandais  devinrent  les  intermédiaires  des 
relations  avec  la  Hanse  à  Abbeville,  à  Montreuil  et  à  Rouen. 
Cette  exclusion  des  Flamands  et  des  Anglais  ne  dura  qu'un 
temps  mais  les  Hollandais  conservèrent  la  place  qu'ils  avaient 
prise  et  qui,  déjà,  était  importante  grâce  aux  privilèges  que  les 
souverains  leur  avaient  accordés. 

Dès  le  xive  siècle,  en  Bretagne,  Pierre  II  étant  duc,  des  com- 
merçants du  Nord  avaient  fondé  à  Nantes  une  bourse  des  mar- 
chandises et  excité  par  leur  fortune  les  convoitises  des  habitants 
car  le  duc  décréta  que  tous  les  forains  «  faisant  bourse  coutu- 
mière  devraient  contribuer  aux  dépenses  de  réparations  des  murs 
et  des  fortifications  de  la  ville  » l.  Jean  V  attira  en  Bretagne 
des  marchands  étrangers  et  par  une  série  de  conventions,  régu- 

1.   Privilèges  de  la  ville  de  Nantes,  édition  des  Bibliophiles  bretons,  p.  56. 

12 


178  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

larisa  les  relations  commerciales  des  Bretons  avec  les  autres 
peuples.  Il  envoya  à  Bruges  son  secrétaire  Jean  Bouget  ;  par 
traité,  cet  ambassadeur  stipula  que  les  habitants  de  la  Frise 
et  de  la  Hollande  auraient  le  droit  de  trafiquer  librement  en 
Bretagne  K  Les  rapports  amicaux  établis  entre  la  Bretagne 
et  la  Hollande  sous  le  règne  de  Jean  V  se  continuèrent  sous  le 
règne  de  François  II.  Par  un  mandement  de  1468,  le  duc  invita 
le  sénéchal  et  le  procureur  de  Nantes  à  ne  percevoir  sur  les 
navires  venant  des  ports  de  Hollande  d'autres  briefs  que  ceux 
de  victuailles  2.  Un  compte  cité  dans  la  préface  du  Cartulaire 
de  Retz  prouve  que  des  navires  de  Hollande  abordaient  à 
Bourgneuf  et  à  Pornic  ;  ils  y  venaient  chercher  des  sels.  Sous  la 
rubrique  Devoir  d'ancrage,  en  1474,  on  lit  :  «  Composition  de  la 
flotte  qui  vint  le  troisième  jour  d'avril  :  vaisseaux  de  Hollande  17, 
de  Zélande  1  ».  Le  26  avril  de  la  même  année,  8  navires  de 
Hollande  étaient  entrés  dans  le  havre  de  Pornic  3. 

Au  moment  du  siège  de  Nantes  par  les  Français  la  duchesse 
Anne  avait  mandé  des  canonniers  de  Hollande  4.  Il  est  vrai 
que,  vu  les  troubles  apportés  par  ces  événements,  les  négociants 
avaient  quelque  peu  déserté  le  port  ;  aussi,  après  le  mariage 
d'Anne  de  Bretagne  avec  Charles  VIII,  les  Nantais,  estimant 
que  le  commerce  maritime  faiblissait,  sollicitèrent-ils  du  roi 
la  création  d'une  foire  nouvelle.  Cédant  à  leurs  instances, 
Charles  VIII  transporta  de  Lyon  à  Nantes  la  foire  de  YAparu- 
cion.  Cette  foire  se  tenait  le  premier  lundi  de  l'Epiphanie  et 
durait  quinze  jours.  Les  marchandises  importées  d'Angleterre 
et  de  Hollande  étaient  franches  de  tous  droits  5. 

S'il  est  difficile  de  signaler  nominativement  des  Hollandais 
déjà  fixés  dans  nos  villes  antérieurement  au  xvie  siècle,  il  est 
néanmoins  certain  qu'il  existait  déjà  des  groupements  de  mar- 
chands établis  dans  quelques  ports.  Une  ordonnance  de  Louis  XI 
le  prouve.  En  février  1463  il  accordait  des  privilèges  commer- 

1.  Arch.  dép.  de  la  Loire- Inférieure,  E  125.  —  Dom  Morice,  Preuves  pour  servir 
à  l'histoire  de  Bretagne,  t.  II,  col.  1344-5. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Loire- Inférieure,  E  125. 

3.  R.  Blanchard,  Cartulaire  du  pays  de  Retz,  édition  citée.  Inlrod.,  p.  xxiv. 

4.  Arch.  mun.  de  Nantes,  série  CC,  passim. 

5.  Privilèges  de  la  ville  de  Nantes,  éd.  citée,  p.  79. 


PREMIÈRES    COLONIES    HOLLANDAISES  179 

ciaux  aux  marchands  de  Flandre,  de  Brabant  et  de  Hollande 
venant  tant  à  La  Rochelle  «  qu'ailleurs  ».  Us  avaient  adressé 
une  requête  au  roi  et  fait  valoir  que  de  «  tout  temps  et  d'an- 
cienneté, eux  et  leurs  prédécesseurs  ont  eu  coutume  de  venir 
tant  par  mer  qu'autrement  sur  les  côtes  de  l'Atlantique  ». 
Ayant  accédé  à  leurs  sollicitations  le  roi  déclara  que  les  Fla- 
mands jouiraient  à  La  Rochelle  de  «  leurs  usances  et  coutumes 
touchant  le  fait  de  leurs  marchandises  comme  par  le  passé  ». 
Ils  auront,  dit  l'ordonnance,  une  maison  à  La  Rochelle  sauf 
à  ceux  qui  y  demeureront  à  devenir  bourgeois  ;  ils  auront  le 
droit  de  se  retirer  dans  cette  maison  commune  et  d'y  traiter 
de  leurs  affaires.  Ils  continueront,  ajoute  Louis  XI,  à  avoir  la 
chapelle  qu'ils  ont  d'ancienneté  dans  l'église  des  Carmes  et 
lèveront  des  taxes  sur  eux-mêmes  pour  leurs  dépenses  K 

Au  début  du  xve  siècle,  des  Hollandais  sont  implantés  à 
Rouen  et  à  Dieppe.  Les  comptes  de  l'archevêché  de  Rouen 
pour  l'année  1424  mentionnent  à  Dieppe  la  maison  où  les  Hol- 
landais avaient  installé  une  brasserie  2. 

A  Lyon,  ils  ont  des  représentants  ;  Marseille  reçoit  aussi  des 
facteurs  hollandais  ;  ils  se  réunissent  et  se  groupent  au  xvie  siècle 
chez  maître  David  Flamman  qui  donne  l'hospitalité  à  ses  com- 
patriotes 8.  François  Ier  accorde  des  lettres  de  naturalité  à  des 
Néerlandais  qui  y  habitent  ou  y  possèdent  des  biens.  Georges 
Hanoignas,  natif  de  Middelbourg,  marié  à  Marseille  est  natura- 
lisé en  1541  4  et  Georges  Heurques,  habitant  à  Avignon  et  pro- 
priétaire au  port  de  Marseille,  reçoit  également  le  titre  de  régni- 
cole  5. 


III 


Paris  est  au  xive  siècle  un  foyer  d'art  remarquable.  Les  Valois 
favorisent  les  artistes.  Jean  II  fait  prisonnier  refuse  de  se  séparer 

1.  G.  Musset,  Les  Flandres  et  les  communes  de  l'Ouest  de  la  France.  La  Rochelle 
1693. 

2.  Ch.  de  Bcaurepalre,  Noies  et  Documents  concernant  l'étal  des  campagnes  de  la 
Jlautc-Normandie  dans  les  derniers  temps  du  mouen  âge.  Rouen,  18G5,  p.  94. 

;>,.    /-,//»   ri    llmniiis  l'idllrr  à  Mnnlprllirr.   Mont  pi-llii-r,  1892,  p.  297. 

4.  Catalo'/ur  <hs  Arles  dr  FrtUtÇOtê  Ier;  acte  12175. 

5.  Ibid.  Acte  25192. 


180  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

de  son  peintre  favori.  Charles  V,  «  sage  artiste  »  comme  le  dit 
Christine  de  Pisan  eut  probablement  pour  le  dessin  un  goût 
personnel  ;  ses  préférences  le  portaient  vers  l'art  à  tendances 
naturalistes.  Durant  son  règne,  Charles  VI,  au  moins  jusqu'au 
moment  de  la  funeste  bataille  d'Azincourt,  protégea  les  peintres 
et  les  sculpteurs.  Les  fils  du  roi  Jean,  les  ducs  de  Berry,  d'Anjou 
et  de  Bourgogne,  princes  fastueux,  furent  des  amateurs  pour 
qui  travaillèrent  peintres,  miniaturistes,  tailleurs  d'images  et 
enlumineurs  renommés.  Pour  profiter  de  ces  dispositions  favo- 
rables, immigrent  en  France  et  notamment  à  Paris  des  artistes 
des  régions  du  nord  et  du  nord-est  ;  ils  viennent  chercher  for- 
tune dans  la  capitale  de  l'Ile-de-France  et  les  mesures  libérales 
alors  en  vigueur  favorisent  leur  venue.  «  Il  peut  estre  peintre 
et  sculpteur  qui  veut  pourvu  qu'il  travaille  aux  us  et  coutumes 
du  métier  et  qu'il  le  sache  faire  »  est  le  principe  du  temps.  Les 
artistes  ont-ils  du  talent,  les  rois  et  les  princes  leur  octroient 
pensions,  gros  gages  et  distinctions. 

Bien  antérieurement  au  règne  de  Charles  VI  sont  attirés 
vers  la  région  parisienne  et  le  brillant  milieu  de  la  cour  de 
France  des  gens  de  talent  originaires  des  pays  qui  formèrent 
le  nord  et  le  nord-est  de  la  Gaule  antique.  L'attirance  de  Paris 
se  propage  sur  toute  la  zone  qui  touche  à  la  rive  gauche  du 
Rhin.  Non  seulement  la  Flandre  et  l'Artois  mais  l'Alsace,  le 
Hainaut,  la  Hollande  contribuent  à  l'expansion  de  l'art  de  la 
peinture  dans  la  France  royale  1.  Les  peintres  et  sculpteurs 
espèrent  atteindre  la  renommée  et  ils  accourent  vers  Paris. 

Les  circonstances  politiques  et  notamment  une  série  de 
mariages  contribuent  à  accentuer  cette  immigration.  Philippe  le 
Hardi,  duc  de  Bourgogne  et  fils  du  roi  Jean  a  épousé  l'héritière 
du  comté  de  Flandre  et  il  en  devient  le  souverain  à  la  mort 
de  son  beau-père.  Amateur  de  peinture,  ses  préférences  vont 
aux  artistes  des  provinces  du  Nord.  Parmi  les  princes  qui 
possèdent  des  hôtels  à  Paris  figurent  un  fils  et  un  gendre  de 
Philippe  le  Hardi,  Antoine  de  Bourgogne,  maître  des  duchés  de 


1.  Comte  Paul  Durrieu,  La  Peinture  en  France,  dans  Histoire  de  l'art  de  M.  André 
Michel,  t.  III,  p.  102  et  suiv. 


ARTISTES    HOLLANDAIS  181 

Brabant  et  de  Limbourg  et  Guillaume  IV  de  Bavière,  proprié- 
taire des  comtés  de  Hainaut  et  de  Hollande. 

Vers  Paris,  «  centre  de  ralliement  des  artistes  et  grand  marché 
pour  les  demandes  des  amateurs  »  viennent  des  peintres  et  des 
sculpteurs  originaires  des  Pays-Bas  et  de  la  Hollande  pro- 
prement dite  ;  ils  y  retrouvent  des  protecteurs  naturels  en 
même  temps  que  des  amis  des  arts.  Les  uns  y  séjournent, 
d'autres  sont  dirigés  sur  Bourges  par  Jean  duc  de  Berry  ; 
d'autres  encore  sont  envoyés  à  Dijon  par  Philippe  duc  de  Bour- 
gogne. 

Des  peintres  hollandais  qui  travaillèrent  pour  le  duc  Jean  de 
Berry,  les  historiens  n'ont  guère  retenu  que  le  nom  de  Jean 
de  Hollande  fixé  à  Bourges,  en  1398.  Des  artistes  qui  exécutèrent 
des  travaux  pour  Philippe  de  Bourgogne  et  son  fils  Jean  sans 
Peur,  quelques  Hollandais  sont  au  contraire  très  connus. 

Avec  Philippe  une  ère  nouvelle  s'ouvre  dans  les  États  de  Bour- 
gogne ;  le  duc  a  des  projets  grandioses  ;  il  veut  avoir  une  cour 
calquée  sur  celle  du  roi  et  bien  qu'il  n'y  doive  résider  jamais 
longtemps,  une  capitale  digne  de  ce  nom.  A  Dijon  comme  à 
Paris,  il  se  montre  magnifique  et  multiplie  les  commandes 
d'œuvres  d'art.  Pour  placer  dans  un  cadre  admirable  son  tom- 
beau et  ceux  des  siens,  il  fonde  à  Champmol,  près  Dijon,  une 
Chartreuse  à  l'ornementation  de  laquelle  concourent  des  artistes 
hollandais.  En  1388  la  Chartreuse  est  prête  à  recevoir  les  moines 
qui  lui  sont  destinés.  Il  ne  reste  plus  qu'à  l'orner  de  splendide 
manière.  Jean  Malouël,  originaire  de  la  Gueldre,  est  appelé  à 
peindre  les  tableaux  qui  décoreront  l'église. 

Jean  Malouël  habitait  Paris  avec  ses  deux  neveux,  orfèvres  ; 
il  travailla  d'abord  pour  Ysabeau  de  Bavière  puis,  en  1397, 
entra  au  service  de  Philippe  le  Hardi.  Pour  la  Chartreuse  de 
Champmol,  ils  exécuta  des  retables  et  rehaussa  de  peintures  les 
sculptures  du  Puits  de  Moïse.  Lorsque  Jean  sans  Peur  succéda 
à  son  père,  Jean  Malouël  demeura  près  de  lui  ;  le  duc  lui  com- 
manda son  portrait  pour  l'offrir  au  roi  de  Portugal.  Cette  œuvre 
fut  terminée  trois  ans  avant  la  mort  de  Malouël  qui  décéda 
en  1415.  Sa  veuve  et  ses  enfants  étant  demeurés  sans  ressources, 
le  duc  de  Bourgogne   accorda  à  ses   héritiers   une   pension   de. 


182  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

120  livres  en  considération  de  ce  que  le  défunt  était  «  un  des  bons 
ouvriers  de  son  métier  » l. 

La  Chartreuse  de  Champmol  a  été  détruite  pendant  la  Révo- 
lution et  les  peintures  de  Malouèl  ont  disparu  mais  le  Puits  de 
Moise  a  été  sauvé.  Les  sculptures  de  ce  monument  ont  pour 
auteur  Claus  Sluter,  l'un  des  maîtres  incontestés  de  l'art  réaliste 
de  la  fin  du  xive  siècle. 

Claus  Sluter  était  d'origine  hollandaise  ;  son  existence  demeure 
inconnue  jusqu'à  Tannée  1385,  époque  à  laquelle  il  travaillait 
à  Paris  comme  second  ouvrier  chez  Jean  de  Marville.  A  ce  mo- 
ment Jean  commençait  l'architecture  du  tombeau  de  Philippe 
le  Hardi.  Le  duc  l'ayant  distingué  lui  donna  la  succession  de 
Jean  en  1389  et  lui  confia  le  soin  de  continuer  sa  sépulture 
et  de  décorer  le  portail  de  Champmol  2.  Entré  dans  ses  nouvelles 
fonctions  Sluter  ne  cessa  d' œuvrer  pendant  quinze  années 
et  toute  une  suite  de  statues  sortit  de  son  atelier.  Au  cours  des 
cinq  premières  années  du  xve  siècle,  il  exécute  les  célèbres 
Prophètes  qui  décorent  le  Puits  de  Moïse.  De  ce  monument,  les 
historiens  et  les  critiques  d'art  ont  tout  dit  ;  qu'il  suffise  de  rappeler 
que  Sluter  fut  un  véritable  chef  d'école  qui  rénova  l'art  bourgui- 
gnon en  synthétisant  dans  son  œuvre  les  meilleures  des  qualités 
françaises  et  néerlandaises. 

Lorsque  Sluter  mourut  en  1406,  il  avait  fait  école  ;  il  existait 
des  Slutériens  et  l'un  des  mieux  doués  était  son  neveu  Claus  de 
Werve,  natif  de  Hattem,  dans  le  comté  de  Hollande.  Jean  sans 
Peur  le  chargea  de  terminer  les  sculptures  du  tombeau  de  son 
père  et  lui  commanda  le  sien.  Malheureusement,  le  duc  était 
activement  mêlé  aux  querelles  politiques  qui  désolaient  la 
France  et  il  fut  assassiné  avant  d'avoir  pu  se  procurer  les  res- 
sources nécessaires  à  ce  travail.  Claus  de  Werve  trépassa  en  1439, 
au  moment  où  Philippe  le  Bon  pensait  mettre  à  exécution  les 
projets  qu'avait  caressés  son  père  3. 

Bien  que  Philippe  le  Bon  ne  se  soit  point,  comme  son  grand- 


1.  Comte  P.  Durrieu,  op.  cit.,  p.  148.  —  A.  Germain,  Les  Néerlandais  en  Bour- 
gogne. Bruxelles,  1909,  p.  40  et  suiv. 

2.  A.  Germain,  op.  cit.,  p.  54. 

3.  Id.,  Ibid.  Claus  de  Werve  et  les  successeurs  de  C.  Sluter. 


ERASME    EN    FRANCE  183 

père,  intéressé  aux  artistes  et  n'ait  pas  cherché  à  en  peupler 
sa  cour  il  est  néanmoins  probable  que  des  peintres  d'origine 
hollandaise  sont  venus  chercher  fortune  à  Dijon  au  xve  siècle. 
La  capitale  des  ducs  de  Bourgogne  était  le  centre  d'une  vie  artis- 
tique très  intense  et  les  circonstances  politiques  favorisaient 
l'immigration  des  Néerlandais  vers  la  Bourgogne.  Depuis  1436, 
Philippe  le  Bon  avait  acquis  par  héritage  le  Hainaut,  la  Hol- 
lande, la  Zélande  et  la  Frise.  Les  habitants  de  ces  pays,  en 
venant  en  Bourgogne,  changeaient  de  province  mais  non  de  sou- 
verain; ils  étaient  les  sujets  de  Philippe  le  Bon  et  la  réunion  de 
ces  diverses  régions  sous  un  même  sceptre  rendait  aisés  dépla- 
cements et  migrations. 

La  Bourgogne  demeura  propriété  des  ducs  jusqu'en  l'an- 
née 1477,  époque  à  laquelle  Charles  le  Téméraire  ayant  été 
tué  au  siège  de  Nancy,  Louis  XI  réunit  toute  la  province  à  la 
couronne  ;  mars,  dès  l'année  suivante,  les  Français  furent  chassés 
du  comté  de  Bourgogne,  c'est-à-dire  de  la  Franche-Comté, 
qui  demeura  la  propriété  de  la  maison  d'Autriche,  maîtresse 
de  la  totalité  des  Pays-Bas.  Par  la  Franche-Comté  s'infiltrèrent 
dans  l'ancien  duché  des  Hollandais,  négociants  ou  peintres. 
C'est  peut-être,  en  passant  par  cette  province,  que  vint  se  fixer 
à  Tournus  la  famille  Guérard  à  laquelle  se  rattachent  des  souve^- 
nirs  littéraires  et  artistiques. 

Vers  1460,  un  médecin  de  Gouda,  Guérard,  s'était  épris  de 
la  belle  Marguerite,  fille  d'un  docteur  de  Zevenbergen  ;  de  leurs 
illicites  amours,  naissait,  en  1463,  un  premier  enfant  qui  reçut 
le  nom  de  Pierre.  Trois  ans  après,  en  cachette,  dans  une  maison 
de  Rotterdam,  Marguerite  donnait  le  jour  à  un  second  fils 
qui  devait  être  l'un  des  hommes  les  plus  illustres  de  la  Renais- 
sance :  Didier  Erasme.  En  apprenant  que  Marguerite  allait 
être  mère  une  seconde  fois,  ses  parents  l'avaient  chassée  de 
leur  demeure  et  Guérard  s'était  réfugié  à  Rome  pour  éviter 
leur  vengeance.  Faussement,  on  lui  annonça  la  mort  de  sa  bien- 
aimée  ;  de  chagrin,  Guérard  était  entré  dans  les  ordres  mais, 
revenu  en  Hollande,  il  y  retrouvait  Marguerite  occupée  par  le 
soin  pieux  de  l'éducation  de  ses  enfants.  Jeune  encore  elle 
mourait  et  peu  après,  Guérard  défééafl  amsi. 


184  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Confiés  à  des  tuteurs,  Pierre  et  Didier  furent,  de  par  leur 
volonté,  contraints  de  revêtir  l'habit  religieux.  Didier,  qui 
n'avait  point  encore  ajouté  à  son  nom  celui  d'Erasme,  s'ac- 
commoda mal  de  l'existence  des  chanoines  de  Steyn  ;  il  était 
indépendant,  aimait  les  arts  et  s'adonna  à  la  peinture.  Frappé 
de  sa  vive  intelligence,  Henri  de  Bergues,  évêque  de  Cambrai 
le  protégea.  Il  lui  obtint  une  bourse  au  collège  Montaigu,  à  Paris. 
Dans  la  grande  ville,  Erasme  donna  des  leçons  ;  il  devint  le 
précepteur  et  l'ami  de  Lord  Mountjoy.  Il  voyagea,  regagna  la 
Hollande  et  ne  revint  en  France  qu'en  1506,  époque  à  laquelle 
il  s'arrêta  à  Lyon,  en  se  rendant  en  Italie. 

Pierre  Guérard,  son  frère,  mena  une  vie  de  débauches;  sur  la 
fin  de  sa  vie,  il  se  brouilla  même  avec  Erasme  qui  lui  reprochait 
son  inconduite.  Que  fit-il  exactement  ?  on  ne  le  sait  mais  il 
semble  bien  être  l'auteur  des  Guérard  qui  se  fixèrent  à  Tournus, 
en  Bourgogne  1.  Dans  les  premières  années  du  xvie  siècle, 
s'établissait  dans  cette  ville  un  Hollandais,  Grégoire  Guérard, 
qualifié  «  neveu  d'Erasme  ».  Grégoire  était  peintre  et  comme  tel 
a  laissé  de  la  réputation.  Il  décora  notamment  l'église  Saint- 
André  de  Tournus  et  Pierre  de  Saint- Julien  de  Balleure  qui 
écrivait  en  1581  dit  que  cette  église  possédait  «  de  beaux  tableaux 
de  singulier  et  exquis  ouvrage,  faits  de  la  divinement  docte 
main  de  l'excellent  peintre  maître  Guérard  Grégoire,  Hollan- 
dais, compatriote  et  parent  d'Erasme  de  Rotterdam  » 2. 

Maître  Guérard  dont  le  nom  patronymique  se  transforma  en 
Gérard,  eut  sept  enfants.  Son  fils  André,  peintre,  fut  chargé 
de  décorer  Mâcon  lors  de  l'entrée  de  Charles  IX,  en  1564.  De  ses 
sept  enfants,  deux  au  moins  ont  laissé  à  Tournus  ou  en  Bourgogne 
une  descendance  nombreuse  ;  on  connaît  des  Gérard  médecins, 
notaires  et  marchands  dont  la  postérité  essaima  dans  la  province. 

A  la  fin  du  xve  siècle,  les  Italiens  sont  maîtres  incontestés 
en  France.  C'est  à  eux  que  s'adressent  rois,  princes  et  seigneurs 
pour   la   construction   et   l'ornementation    de   leurs   châteaux. 

1.  G.  Jeanton,  La  parenté  d'Erasme  en  Bourgogne,  extrait  des  Annales  de  l'Aca- 
démie de  Mâcon,  t.  XIX.  Mâcon,  1917.  —  G.  Jeanton,  Les  peintres  d'origine  flamande 
à  Tournus  au  XVIe  siècle.  M:îcon,  1916. 

2.  P.  de  Saint- Julien  de  Balleures,  Recueil  des  antiquités  et  choses  les  plus  mémo- 
rables de  l'abbaye  et  ville  de  Tournus.  Paris,  1581.  p.  536. 


ARTISTES    HOLLANDAIS  185 

Toutefois,  on  rencontre  aussi  quelques  Flamands  occupés  à 
œuvrer  dans  les  palais  royaux;  quelques-uns  travaillèrent 
notamment  à  Amboise.  Des  critiques  d'art  ayant  étudié  les 
sculptures  de  la  chapelle  Saint -Biaise  du  château  d' Amboise, 
avaient  reconnu  dans  leur  composition  une  influence  flamande. 
Ils  avaient  raison  car  le  seul  compte  de  la  construction  du 
château  qui  nous  soit  parvenu,  celui  de  l'année  1495-1496 
révèle  la  présence  de  Flamands  parmi  les  ouvriers  employés 
par  le  roi.  S'il  n'est  pas  prouvé  que  l'un  d'eux,  Cornille  de  Nesve, 
soit  d'origine  hollandaise,  il  est  au  contraire  hors  de  doute  que 
Casin  d'Utrecht  était  de  famille  néerlandaise.  Casin  était  payé 
21  livres  par  trimestre  pour  faire  des  «  ymaiges  » l. 

Les  honneurs  que  l'on  accorde  en  France  aux  artistes,  les 
luttes  religieuses  qui  se  déroulent  dans  les  Pays-Bas  déterminent 
des  artistes  néerlandais  à  se  fixer  dans  le  royaume  des  Valois 
au  xvie  siècle.  Lyon  est  une  ville  riche,  la  colonie  étrangère  y  est 
puissante.  Les  Allemands  y  coudoient  Italiens  et  Flamands  ; 
dans  cette  cité  les  peintres  gagnent  largement  leur  existence. 
En  1541,  s'y  établit  Corneille  de  la  Haye.  Henri  II  lui  donne  ses 
lettres  de  naturalité  six  ans  plus  tard  et  sa  renommée  est  assez 
grande  pour  que  Charles  IX  lui  rende  visite  en  1564  et  lui  donne 
le  titre  de  «  peintre  et  valet  de  chambre  du  roi  ».  Corneille  se 
convertit  en  1569  et  meurt  six  ans  après. 

Corneille  de  la  Haye  a  exécuté  de  nombreux  portraits  qui 
lui  ont  valu  une  véritable  renommée  ;  comme  lui,  ses  enfants 
s'adonnèrent  à  la  peinture  durant  le  xvne  siècle.  Corneille  avait 
fondé  à  Lyon  son  foyer  ;  à  sa  mort  il  laissa  trois  enfants,  une 
fille  et  deux  fils,  dont  Corneille  II,  qui  lui-même  eut  sept  enfants. 
La  descendance  directe  de  Corneille  de  la  Haye  subsista  à  Lyon 
jusqu'à  la  fin  du  xvme  siècle  2. 

A  Troyes,  s'établit  Jean  de  Hoey  ;  en  1578,  il  s'unit  à  Marie 
Ricoveri,  petite-fille  du  sculpteur  Dominique  Florentin.  De  ce 
peintre  et  de  sa  descendance,  je  dirai  plus  loin  quelques  mots  3. 

1.  L.  de  Grandmaison,  Sculpteurs  flamands  ayant  travaillé  en  Touraine  au  XV 
et  au  XVI*  siècles.  Tours,  1913,  p  2. 

2.  Audin  et  Vial,  Dictionnaire  des  artistes  du  Lyonnais.  V°  La  Haye. 

3.  F.  Herbet,  Extraits  d'actes  et  notes  concernant  des  Artistes  de  Fontainebleau. 
Fontainebleau,  1901,  p.  30-47. 


186  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Comme  toujours,  vers  Paris,  se  dirigèrent  les  Hollandais  qui 
émigrèrent  en  France  ;  les  proscriptions  du  duc  d'Albe  avaient 
déterminé  nombre  d'entre  eux  à  gagner  notre  pays.  Ils  y  écou- 
laient d'autant  plus  aisément  leurs  productions  qu'on  a  retrouvé 
la  trace  d'un  véritable  syndicat  de  marchands  de  tableaux 
s'occupant  d'introduire  en  France  des  peintures  flamandes 
pour  les  vendre  aux  amateurs  étrangers  fréquentant  le  quar- 
tier de  Saint-Germain-des-Prés  et  la  foire  Saint-Germain 1. 
Les  œuvres  des  peintres  flamands  et  néerlandais  étaient  donc 
appréciées  à  Paris.  De  ces  artistes  originaires  de  Hollande 
quelques-uns  sont  nommément  connus  ;  en  1585  2,  Jean  Van 
Queborne,  maître  peintre  à  Paris,  demeurant  au  Marché-Neuf, 
paroisse  de  Saint-Germain-le-Vieil,  épouse  Sara  Mesebruich, 
fille  de  l'orfèvre  hollandais  Herman  Mesebruich.  Van  Queborne 
est  resté  complètement  obscur  et  ne  fut  attaché  à  aucune  per- 
sonnalité ;  il  a  été  perdu  dans  la  foule  de  ces  artistes  de  second 
ordre  dont  les  noms  sont  plus  intéressants  à  connaître  pour  les 
ethnographes  que  pour  les  historiens  de  l'art. 


IV 


Les  historiens  des  Flandres  ont  noté  la  prédominance  de  la 
langue  et  de  la  littérature  française  sur  les  idiomes  néerlandais 
ou  thiois  dans  la  portion  néerlandaise  des  Pays-Bas  dès  la  fin 
du  xme  siècle  et  au  xive.  Pour  les  habitants  de  ces  régions,  la 
connaissance  du  français  est  «  le  complément  d'une  bonne  édu- 
cation »  et  même  à  la  cour  de  Hollande,  où  il  semble  qu'en  raison 
de  l'éloignement  et  des  circonstances  politiques  notre  langue 
dut  céder  le  pas  à  celle  du  peuple,  elle  conserva  sa  suprématie. 
«  A  partir  du  duc  Albert,  la  francisation  gagna  la  cour  de  Hol- 
lande comme  elle  avait  gagné  depuis  longtemps  celles  de  Flandre 
et  de  Hainaut.  L'avènement  de  la  maison  de  Bourgogne  ne  fit 

t.  J.  Guiffrey,  Artistes  parisiens  du  XVIe  et  du.  XVIIe  siècles.  Notice  103% 
2.  J    Guiffrey,  op.  cit.,  V°  Queborne. 


ÉTUDIANTS    HOLLANDAIS    A    PARIS  187 

que  consacrer  et  affermir  la  situation  acquise  par  le  français  dans- 
les  Pays-Bas  » 1. 

La  noblesse  et  la  bourgeoisie  néerlandaise  envoyaient  enfants 
et  jeunes  hommes  se  perfectionner  dans  la  connaissance  du 
français  en  pays  wallons.  Quelle  ville,  plus  que  Paris,  offrait 
plus  de  ressources  pour  les  études  et  pour  apprendre  notre  langue 
sans  cet  accent  «  rouchi  *  qui  valait  à  ceux  qui  le  possédaient 
un  accueil  ironique  ?  Dès  le  xme  siècle  les  Néerlandais  \iennent 
nombreux  à  Paris.  En  1238,  Andréas,  doyen  du  chapitre  de 
Sainte-Marie  à  Utrecht  y  étudie  et  il  semble  que  les  chanoines 
d'Utrecht  de  ce  temps  prétextent  des  études  pour  se  rendre 
à  Paris.  Hessel,  doyen  de  Fermessum,  est  à  Paris  avec  deux 
compagnons  en  1280  ;  aux  environs  de  1295,  Lodewijk  van 
Velthem  fréquente  peut-êtr?  les  cours  de  l'Université  ;  en  tous 
cas  il  se  souvient  des  jolies  femmes  qu'il  a  connues  dans  la 
capitale.  Gérard  Groote,  le  célèbre  fondateur  de  la  confrérie 
de  la  Vie  Commune  séjourne  à  Paris  de  1355  à  1358  2.  Les 
statuts  de  la  nation  allemande  de  Paris  datés  de  1378  men- 
tionnent une  vingtaine  d'étudiants  originaires  de  la  province 
d'Utrecht 3. 

Les  villes  de  Hollande  accordent  des  bourses  de  voyage 
à  des  jeunes  hommes  qui  vont  en  France.  Les  comptes  de  la  ville 
de  Middelbourg  de  l'an  1380  mentionnent  la  subvention  de 
25  livres  donnée  à  Pieter  Scaep  pour  son  séjour  à  Paris. 

Les  jeunes  hommes  qui  se  livrent  aux  études  médicales  font 
à  Paris  des  séjours  de  plusieurs  années.  Ghisbert  de  Delft  y 
demeure  quinze  ans,  de  1395  à  1410  ;  Zebert  de  Ele,  natif  de 
Breda,  licencié  en  1410  est  déjà  signalé  dans  les  documents 
universitaires  de  1407.  DuTant  les  premières  années  du  règne 
de  Charles  VI,  se  forme  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris  BM 
véritable  colonie  de  Néerlandais  :  Thierry,  de  Schiedam;  Rasson, 

1.  H.  Plrenne,  Histoire  de  la  Belgique,  t.  II,  p.  421.  —  M.  Wilmottc,  La  Culture 
française  en  Belgique.  Paris,  1912,  p.  15  t\  mnv.  k.  i.  uiuiirns,  BlfKiM  his- 
torique de  l'enseignement  du  français  en  Holtandt  du  XVI0  au  A/Y  siècle.  I.cyde, 
1919.  —  J.-.I.  Salverda  de  Grave,  // influence  de  la  langue  française  en  Hollande 
d'après  les  mots  empruntés.   Paris,   1913. 

2.  A.  Budinszky,  op.  cit.  Niederlander,  p.  164-179.  —  IC  J.  Riemens,  op.  cit., 
p.  4  à  e. 

3    Nouvelle  Revue  historique  du  droit  français  et  étranger,  t.   \II.   1SS8,  p»  407. 


188  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

d'Utrecht;  Pierre,  Jean,  André,  de  Leyde,  Roebosch,  Ysebrandt, 
de  Delft  suivent  les  cours  des  maîtres  parisiens  h 

Le  mouvement  d'immigration  des  étudiants  néerlandais 
ne  se  ralentit  pas  au  xve  siècle.  Les  comptes  de  Middelbourg 
relatent  pour  cette  époque  les  noms  de  bénéficiaires  de  bourses 
et  l'on  a  publié  de  longues  listes  de  Hollandais  qui,  au  xve  siècle, 
occupèrent  à  l'Université  de  Paris  le  rang  de  recteur  ou  de 
procureur  de  la  nation  allemande  2.  Ces  listes  ont  d'ailleurs  été 
complétées  et  aux  noms  relevés  par  leur  auteur,  il  convient 
d'ajouter  ceux  de  J.  de  Gouda,  Cornélius  Oudendijk,  Gilles  de 
Delft,  maître  es- arts  en  1479,  docteur  en  1492,  un  des  premiers 
Sorbonnistes  gagnés  à  l'humanisme  3.  Erasme,  en  1495  arrivait 
à  Paris  et  Johann  Heurnius  fut  l'élève  de  Duret  et  de  Ramus  4. 

L'université  de  Dole,  fondée  en  1420  par  Philippe  le  Ron 
vit  ses  statuts  confirmés  par  le  pape  Eugène  IV  puis  par  Phi- 
lippe le  Reau  et  Charles-Quint  ;  au  xve  siècle  elle  jouit  dans  le 
nord  de  l'Europe  d'une  grande  notoriété  et  chaque  année  la 
Hollande  lui  fournit  un  important  contingent  d'écoliers  5;  néan- 
moins les  Hollandais  lui  préférèrent  toujours  les  universités  de 
Paris,  de  Montpellier  et  d'Orléans. 

Depuis  le  xive  siècle,  Orléans  accueillait  chaque  année  des 
étudiants  de  Hollande.  Philippe  de  Leyde  se  rendit  en  1345 
dans  cette  ville,  y  revint  vers  1356  pour  y  prendre  son  grade 
de  licencié.  De  la  dédicace  de  son  traité  De  cura  reipublicœ 
et  sorte  principantis,  il  ressort  que  beaucoup  de  Hollandais 
étudiaient  à  Orléans  6.  C'est  surtout  à  partir  du  xvie  siècle 
qu'ils  furent  nombreux  à  l'université  de  cette  ville  ;  membres  de 
la  Nation  allemande,  ils  accédaient  aisément  aux  charges  et 
dignités  de  cette  nation.  Au  nombre  des  procureurs  figurent 
Rernard  Wigbold,  un  Frison  ;  Henri  Rrundt,  Guillaume  de  Roen  ; 

1.  Dr  E.  Wickersheimer,  Commentaires  de  la  faculté  de  médecine  de  l'Université 
de  Paris  (1395-1516).  Collection  des  documents  inédits.  Paris,  1915.  Cf.  noms 
cités. 

2.  De  Wal,  Oratio  de  muneris  Recloris  magnifici  origine,  p.  52-54,  cité  par  Rie- 
mens,  op.  cit.,  p.  6. 

3.  A.  Renaudet,  Préréforme  et  humanisme  à  Paris  pendant  les  premières  guerres 
d'Italie.  Paris,  1916,  p.  118. 

4.  Budinszky,  op.  cit.  Nierderlander. 

5.  J.  Longin,  La  Nation  flamande  à  l'Université  de  Dôle.  Gand,  1892,  p.  5. 

6.  J.  K.  Riemens,  op.  cit.,  p.  5. 


ÉTUDIANTS    HOLLANDAIS    A    ORLÉANS  189 

de  1560  à  1567  neuf  procureurs  sont  Hollandais,  ils  viennent 
de  la  Haye,  Delft,  Groningue  l.  Ces  jeunes  hommes  apprennent 
non  seulement  notre  langue  mais  adoptent  même  notre  écriture 
«  italienne  ».  A  tous  ceux  qui  voulaient  parvenir  aux  dignités 
de  la  Nation  l'emploi  de  la  cursive  gothique  était  interdit.  En 
1566,  un  Hollandais,  Hugues  Blotius  —  Hugues  Bloodt  —  rap- 
pelle à  ses  compatriotes  qu'il  leur  est  défendu  d'inscrire  quoi 
que  ce  soit  sur  les  registres  de  la  Nation  si  ce  n'est  en  «  écriture 
italienne  »  et  il  prescrit  à  ceux  qui  ne  sont  pas  accoutumés  à 
cette  manière  d'écrire  de  prendre  des  leçons  de  calligraphie.  Pour 
obéir  à  ces  préceptes,  les  Germaniques  arrivant  à  Orléans  fré- 
quentent l'école  d'Arnold  Grysper,  maître  d'écriture  en  cette 
ville  en  1587  2. 

L'esprit  d'ordre  et  d'économie  des  Hollandais  était  sanc  doute 
apprécié  de  leurs  camarades  germaniques  car  très  fréquemment 
ils  sont,  à  l'unanimité,  élus  receveurs  de  la  Nation  allemande. 
De  1510  à  1521,  les  receveurs  sont  presque  tous  Hollandais. 
Francon  Boot,  de  la  Haye  ;  Cornélius  Wilhelm,  de  Dordrecht  ; 
Duyst,  de  Delft  ;  Cornélius  Fyctr,  de  Rotterdam  dont  la  devise 
est  «  In  virtute  labor  »  exercent  tour  à  tour  la  charge  de  trésorier. 
Gérard  Thielmann,  Pierre  Hermann,  Jacques  Glauwe  leur 
succèdent  3. 

Adolphe  de  Gucldre  est  receveur  dans  des  conditions  diffi- 
ciles à  la  fin  de  l'année  1563  ;  la  nation  germanique  a  été  momen- 
tanément dissoute  par  suite  de  la  guerre  entre  le  prince  de  Coudé 
et  le  duc  de  Guise.  Jean  Pelant  qui  lui  succède  remet  de  l'ordre 
dans  les  finances  et  ses  scrupules  doivent  être  grands  si  l'on  en 
juge  par  sa  devise  : 

Omnia  si  perdas,  famam  servare  mémento 
Qua  semel  amissa,  postea  nullus  eris  4. 

Les  registres  des  universités  d'Angers  et  de  Poitiers  révé- 
leraient, s'ils  n'étaient  perdus,  les  noms  de  quelques  Hollandais 

1.  Arch.  dép.  du  Loiret,  D  214,  f°«  1,  40,  99,  etc.  ;  D  265,  f"  155,  282. 

2.  A.  Baillet,  Arnold  de  Grysperre,  calligraphc  à  Orléans  au  XVI0  siècle.  — 
.1  Su  ver.  Rapport  sur  le  mémoire  précédent,  dans  Mémoires  de  la  Société  d' agriculture^ 
sciences,  etc..  d'Orléans,  t.  X,  1910,  p.  00  et  09. 

3.  Arch.  dép.  du  Loiret,  D  223,  f°*  19,  21,  28,  etc. 

4.  Ibid.,  D  224,  f°  93  et  passim. 


190  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

attirés  par  la  renommée  de  leur  compatriote,  un  Frison,  Fran- 
çois Meinard,  qui  enseigna  dans  ces  deux  villes  h 

Un  érudit  du  xvie  siècle,  Marin  Liberge,  auteur  de  Y  Ample 
discours  sur  le  siège  de  Poitiers  de  1569  avait  attiré  à  l'université 
d'Angers,  où  il  professait  lui-même,  François  Meinard,  natif  du 
village  de  Weststellingwerf.  En  1599  et  1600,  Meinard  était  titu- 
laire d'une  chaire  de  droit  à  Angers  ;  il  habitait  encore  cette 
ville  en  1608.  L'année  suivante,  il  passait  à  Poitiers  pour  y 
occuper  le  poste  de  professeur  de  droit  ;  vers  1612,  il  épousait 
Jeanne  Irland,  fille  d'un  notoire  Écossais  qui,  pendant  une  longue 
période,  avait  enseigné  le  droit  dans  la  capitale  du  Poitou. 
Quatre  enfants  naquirent  de  cette  union,  mais  François  Mei- 
nard ne  les  devait  pas  voir  grandir  car,  d'après  une  épitaphe 
transcrite  par  Dreux  du  Radier,  il  décédait  le  1er  mars  1623, 
âgé  de  cinquante-trois  ans. 

François  Meinard  a  joui  au  début  du  xvne  siècle  d'une  véri- 
table notoriété,  non  à  raison  de  ses  ouvrages  de  controverse 
religieuse  mais  par  suite  de  la  publication  du  Regicidium  détesta- 
tum  publié  quelques  semaines  après  l'assassinat  de  Henri  IV 
et  qui  eut  plusieurs  éditions.  La  thèse  de  Meinard  est  assez 
curieuse  pour  qu'on  la  résume  en  quelques  mots.  Ayant  constaté 
que  Poltrot  de  Méré,  l'assassin  du  duc  de  Guise  au  siège  d'Or- 
léans était  de  l'Angoumois  et  que  Ravaillac  était  né  à  Angou- 
lême,  Meinard  s'efforce  de  démontrer  que  ni  l'un  ni  l'autre 
de  ces  criminels  n'était  Français  car  l'Angoumois  ne  fait  pas 
partie  de  la  France  proprement  dite.  Pour  exclure  de  la  France 
cette  province,  Meinard  établit  une  distinction  entre  les  Francs 
et  les  Gaulois  ;  aux  premiers  il  accorde  toutes  les  qualités,  aux 
seconds,  en  utilisant  les  passages  des  Commentaires  de  César 
les  plus  hostiles  aux  Gaulois,  il  attribue  tous  les  vices.  Cette 
discrimination  effectuée,  l'auteur  du  Regicidium  conclut  que 
descendant  des  Gaulois  en  ligne  directe,  Poltrot  de  Méré  et 
Ravaillac  ainsi  que  les  habitants  de  l'Angoumois  ne  sauraient 
être  compris  au  'nombre  des  Français. 

De  vives  répliques  furent  suscitées  par  l'apparition  de  cet 

1.  Th.  Ducrocq,  François  Meinard,  Frison,  professeur  à  Angers  et  Poitiers,  dans 
Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest,  année  1891,  p.  223. 


PROFESSEURS  HOLLANDAIS  EN  FRANCE  191 

■ouvrage.  Les  habitants  de  l'Angoumois  protestèrent  et,  au 
nom  des  Francs- Gaulois,  d'autres  auteurs  réfutèrent  les  thèses 
<le  Meinard.  Paul  Thomas,  avocat  à  Angoulême  déclara  dans 
un  libelle  que  les  doctrines  du  «  docteur  Frison  »  étaient  ineptes, 
malhonnêtes  et  misérables  ».  Victor  Tuarts,  auteur  de  la  Defensio 
pro  Francogallis  n'eut  pas  de  peine  à  démontrer  l'union  de  la 
nation  française. 

Si  Meinard  avait  voulu  attirer  sur  lui  l'attention,  il  y  avait 
réussi  car  son  ouvrage  avait  causé  quelque  scandale.  Ses  œuvres 
postérieures  lui  valurent  moins  de  renommée  mais  de  sérieuses 
amitiés.  Il  fut  lié  avec  des  personnages  considérables  :  Duver- 
gier  de  Haurane,  abbé  de  Saint-Cyran,  les  frères  Sainte-Marthe, 
l'évoque  de  Poitiers,  Chasteigner  de  la  Rochepozay.  Il  entretint 
également  commerce  d'amitié  avec  Pierre  Valens,  professeur 
de  langue  grecque  à  Paris  l. 

Pierre  Valens,  né  à  Bédum,  village  de  la  province  de  Gro- 
ningue,  fit  ses  études  en  France  et  y  obtint  le  titre  de  maître 
ès-arts.  Il  se  fixa  à  Paris  et  fut  nommé  professeur  au  collège 
royal  en  1609.  Après  avoir  fourni  une  longue  carrière,  Valens 
décéda  à  Paris  en  1641  et  fut  inhumé  à  Saint-Étienne-du-Mont. 
Ses  ouvrages  sont  nombreux  ;  il  en  publia  une  vingtaine  au 
moins  ;  parmi  eux  on  note  des  éloges  du  roi  Louis  XIII,  un  dis- 
cours sur  la  prise  de  La  Rochelle  puis  des  dissertations  sur 
Homère  et  Démocrite. 

Lorsque  Meinard  mourut  à  Poitiers,  Valens  prit  à  cœur 
les  intérêts  de  Jeanne  Irland  et  s'occupa  de  la  liquidation  des 
biens  que  ses  enfants  avaient  à  recueillir  en  Hollande.  Il  écrivit 
à  ce  sujet  diverses  lettres  dans  son  ancienne  pairie  ;  l'une, 
notamment,  est  adressée  à  Sierck  Fritzum  demeurant  à  Leyde 
et  jadis  compagnon  de  table  de  Valens  aux  collèges  de  Dole 
et  de  Paris. 

C'est  également  au  cours  du  xvie  siècle  que  se  fixa  à  Paris 
Théodore  Marsile  2,  né  à  Arnhem  en  1548.  Après  avoir  étudié 


1.  W.  Boales,  Noies  sur  Valens  publiées  dans  De  Vrije  Frics,  t.  XVII,  p.  427- 
435. 

2.  A.   J.   van   der  Aa,   Biographisch    Voordcnboek  der    Nederlanden.  Haarlem, 
1869. 


192  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

à  Louvun  et  à  Toulouse  il  revint  à  Paris  comme  régent  du  col- 
lège des  Grassins  puis  du  collège  du  Plessis.  Il  remplaça  Jean 
Passerat  comme  professeur  d'éloquence  et  mourut  à  Paris 
en  1517.  L'épitaphe  gravée  sur  le  tombeau  qu'on  lui  édifia 
à  Saint-Étienne-du-Mont  rappelle  ses  qualités  et  ses  vertus  \ 


Comme  les  humanistes,  les  premiers  imprimeurs  furent  de 
grands  voyageurs  ;  ils  s'établissaient  fréquemment  hors  de  leur 
patrie  d'origine.  Les  typographes  allemands  ont  fourni  des 
habitants  à  la  France  ;  des  Hollandais  sont  aussi  venus  exercer 
à  Paris  le  métier  d'imprimeur  ou  de  libraire. 

Wolfgang  Hopyl,  né  à  Utrecht  ou  dans  les  environs,  débuta 
comme  correcteur  chez  un  de  ses  compatriotes  et  devint  son 
associé.  Des  Hollandais  fixés  à  Paris,  Gilles  de  Delft,  probable- 
ment, fournirent  à  Hopyl  les  moyens  de  s'établir  à  son  propre 
compte.  A  partir  du  mois  d'octobre  1490,  Hopyl  s'installait 
ru^  Saint-Jacques,  dans  la  maison  du  «  Tresteau  »  ou  de  Y  «  Image 
Saint-Georges  ».  C'est  là  qu'il  mourut  à  la  fin  de  l'an  1522  lais- 
sant six  enfants  ;  quatre  filles  et  deux  fils.  Sauf  un,  mort  très 
jeune,  ils  se  marièrent  tous  en  France. 

Bien  qu'il  se  fut  solidement  implanté  à  Paris,  Hopyl  n'oublia 
pas  sa  patrie  car  l'un  de  ses  principaux  labeurs  est  un  Missel 
de  l'église  d'Utrecht,  exécuté  par  lui  pour  marquer  son  amour 
à  son  pays  natal.  Il  imprima  également  d'autres  missels  et 
ouvrages  latins  fort  recherchés  des  amateurs  de  l'époque  ; 
aussi  son  atelier  typographique  devint-il  florissant.  Il  fournit 
à  son  propriétaire  des  bénéfices  abondants  si  l'on  en  juge  par  les 
nombreuses  acquisitions  qu'il  fit  à  Paris. 

Georges,  fils  de  Wolfgang,  né  en  1501,  exerça  l'art  de  l'im- 
primerie à  partir  de  1526  ;  il  était  propriétaire  de  Y  «  Image 

1.  E.  Raunié,  Epitaphier  du  Vieux  Paris,  t.  III,  notice  1502. 


LIBRAIRES    HOLLANDAIS  193 

Sainte-Barbe  ».  Sa  veuve,  Perrette  Riotte,  vivait  encore  en  1579  l. 

Hennequin  de  Bréda  n'a  laissé  qu'un  souvenir  et  sa  vie  est 
mal  connue.  Plus  notoires  sont  les  Beys,  également  originaires 
des  environs  de  Bréda.  Gilles  Beys,  né  à  Haeghe,  près  Bréda, 
en  1542,  exerça  le  commerce  des  livres  à  Paris  depuis  l'année 
1577.  Il  s'installa  rue  Saint-Jacques  avec  sa  femme,  la  troi- 
sième fille  de  Plantin  d'Anvers  et  écoula  surtout  les  productions 
de  son  beau-père.  De  son  mariage  il  avait  eu  dix  enfants  ;  cinq 
filles  dont  trois  épousèrent  des  libraires  parisiens.  Son  fils  Chris- 
tophe exerça  à  Paris  jusqu'en  1608  ;  ses  affaires  n'ayant  pas 
prospéré,  il  se  retira  à  Rennes  puis  à  Lille  où  il  s'établit  en  1610. 
Adrien  Beys,  neveu  de  Gilles,  entré  comme  apprenti  chez  son 
oncle  à  la  fin  du  xvie  siècle,  se  fit  promptement  naturaliser; 
après  la  mort  de  Gilles  il  demeura  avec  sa  tante,  la  veuve  de 
Gilles  Beys  2. 

Pierre  de  l'Estoile,  collectionneur  de  livres  et  de  libelles  était 
en  relations  d'amitié  avec  Gilles  Beys  et  son  neveu.  Il  achetait 
chez  eux  des  volumes  et  des  opuscules  qu'ils  rapportaient  des 
foires  de  Francfort  ou  d'Anvers  3.  Les  libraires  du  xvie  siècle 
se  déplaçaient  facilement  ;  ils  vendaient  les  ouvrages  édités 
par  leurs  soins,  ceux  que  leurs  correspondants  leur  adressaient 
et  ceux  qu'ils  allaient  acquérir  au  loin.  Des  courtiers  hollandais 
assuraient  fréquemment  les  relations  entre  la  France,  la  Hol- 
lande et  l'Allemagne  ;  à  Lyon  comme  à  Paris,  des  imprimeurs 
d'origine  étrangère  employaient  fréquemment  des  courtiers 
néerlandais.  A  cela,  il  y  avait  une  raison.  Les  Hollandais  par- 
laient généralement  la  langue  française  tandis  que  nos  natio- 
naux ignoraient  l'idiome  des  Hollandais. 

Dès  le  début  du  xvie  siècle,  les  bourgmestres  des  villes  de 
Hollande  avaient  préconisé  l'étude  de  notre  langue  en  se  basant 
sur  l'utilité  qu'elle  présentait  pour  les  futurs  commerçants. 
Peu   à   peu,   les   méthodes   d'enseignement   pratique   s'étaient 

1.  Sur  Hopyl,  voir:  Claudin,  Histoire  de  l'Imprimerie  en  France.  Paris,  1901, 
t.  II,  p.  67.  —  H.  Stein,  L'Atelier  typographique  de  Wolfgang  Hopyl  à  Paris.  Fon- 
tiiiix -lilcau,  1891.  —  H.  Stein,  Nouveaux  Documents  sur  Wolfgang  Hopyl.  Paris, 
1006.   —  Renouard,  Documents  sur  les  Imprimeurs  parisiens.  Paris,  1901,  p.  184. 

2.  Renouard,  op.  cil.,  p.    1  ». 

3.  P.  de  l'Estoile,  Mémoires  Journaux,  éd.  Lcmcrre,  t.  VIII  et  IX,  passim. 

13 


194  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

généralisées  en  Hollande  ;  on  y  enseignait  le  calcul,  la  banque 
et  la  langue  française;  aussi,  mieux  armés  que  les  habitants  de 
notre  pays,  les  Hollandais  avaient-ils  pour  Le  négoce  en  France 
des  facilités  que  nous  ne  possédions  point  K  Au  xvne  siècle» 
cette  connaissance  des  langues  étrangères  jointe  aux  études 
réalistes  et  pratiques  permit  aux  Hollandais,  habiles  aussi  à 
profiter  des  circonstances  politiques,  de  s'introduire  dans  toutes 
les  villes  de  France  pour  y  exercer  avec  profit  le  commerce  que 
dédaignaient  les  nationaux. 


1.  K.  J.  Riemens,  op.  cit.  Chapitre  i.  But  primitif  de  l'enseignement  du  fronçait 
p.  15. 


CHAPITRE  II 


-QUELQUES   MOTS    SUR   LES   RAPPORTS   POLITIQUES   DE   LA   FRANCE 
ET    DE    LA    HOLLANDE    ENTRE    1579    ET    1697. 


Le  23  juillet  1579,  les  États  des  Pays-Ras  de  religion  réformée 
se  groupaient  et  signaient  l'Union  d'Utrecht.  La  république 
des  Provinces-Unies  naissait,  englobant  la  Hollande,  la  Zélande, 
les  provinces  d'Utrecht,  de  Gueldre,  de  Frise,  d'Over-Yssel, 
de  Groningue  et  quelques  cités  protestantes  de  la  Flandre  et 
<lu  Rrabant.  L'existence  de  cette  jeune  confédération  fut  long- 
temps précaire.  Avant  de  parvenir  à  constituer  un  État  indé- 
pendant, la  république  nouvelle  eut  à  soutenir  de  longues  luttes 
avec  l'Espagne  mais  au  cours  de  ces  luttes  militaires  et  diplo- 
matiques, les  Provinces-Unies  trouvèrent  en  France  une  aide 
puissante.  L'alliance  de  la  France  et  de  la  Hollande  constitue 
un  épisode  marquant  de  notre  séculaire  querelle  avec  la  maison 
•d'Autriche  ;  elle  est  aussi  l'un  des  événements  importants  de 
l'histoire  néerlandaise.  Par  les  secours  en  hommes  et  en  argent, 
par  l'appui  que  lui  fournil  le  gouvernement  français,  la  Hollande 
s'affranchit  peu  à  peu  de  l'Espagne  et  conquit  son  entière  indé- 
pendance. 

Ce  fut  sous  le  règne  de  Henri  IV  que  se  nouèrent  ces  liens 
-d'amitié  dont  la  constance  ne  se  démentit  pas  durant  près  de 
t  rois  quarts  de  siècle.  N'étant  encore  que  roi  de  Navarre,  en  1581, 
Iftiiii  éprouvait  un  vil  désir  de  concourir  à  r.'illrain'hissement 
<les  Proviucrs-l  Hi(  s  ;  il  souhaitait  porter  la  guerre  en  Espagne, 


196  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

mais  de  ce  projet,  il  fut  détourné  par  Henri  III,  alors  en  paix 
avec  le  roi  catholique. 

Henri  III  étant  mort,  des  rapports  étroits  se  nouèrent  entre 
son  successeur  et  les  États  généraux  ;  ils  lièrent  partie  contre 
les  Ligueurs  et  les  Espagnols.  Dans  les  conjonctures  au  milieu 
desquelles  il  se  débattait,  Henri  IV  eut  fréquemment  recours 
aux  Provinces-Unies. 

Entre  les  années  1590  et  1596,  les  lettres  adressées  par  le  Béar- 
nais à  «  ses  très  chers  et  bons  amis,  MM.  des  Estats  des  Provinces- 
Unies  des  Pays-Bas  »  sont  très  fréquentes  ;  il  leur  demande 
secours  et  aide  pour  achever  la  conquête  de  son  royaume. 
Buzenval,  son  ambassadeur  à  La  Haye,  multiplie  les  démarches 
pour  obtenir  des  subsides  et  il  y  réussit.  Au  début  de  1597, 
Henri  IV  mande  aux  États  :  «  Je  vous  prye  pourvoir  à  la  conti- 
nuation de  la  solde  des  deux  regimens  de  gens  de  guerre  françois 
que  vous  m'avés  voulu  payer  jusques  icy  et  dont  j'ai  donné 
la  charge  au  sieur  de  la  Noue  car  j'en  ay  plus  grand  besoin 
que  jamais...  »  Et  il  ajoute  :  «  Si  j'acquiers  par  ce  moyen  quelque 
advantage  sur  nos  communs  ennemys,  vous  y  aurez  la  meil- 
leure part,  comme  mes  meilleurs  amys  avec  lesquelz  je  suis 
résolu  me  joindre  et  unir  plus  estroitement  que  jamais  1...  » 

Les  sollicitations  de  Henri  IV  ne  demeuraient  point  vaines  ; 
à  diverses  reprises  les  États  lui  adressèrent  des  secours  en  argent 
et  en  hommes  ;  ils  lui  envoyèrent  une  flotte  qui,  remontant 
jusqu'à  Rouen,  soutint  Biron  dans  ses  entreprises  militaires  ; 
des  Hollandais  combattirent  aux  côtés  de  Henri  IV  à  Arques 
et  à  Ivry.  Pour  témoigner  sa  reconnaissance  aux  Provinces- 
Unies,  le  roi,  à  la  fin  de  1597,  concluait  un  traité  d'alliance 
avec  leur  gouvernement.  Le  duc  de  Bouillon  en  avait  discuté 
les  termes  et  au  début  de  1598,  Henri  IV  écrivait  aux  représen- 
tants des  États  :  «  Je  vous  envoyé  mes  lettres  de  ratification  des 
deux  contrats  de  confédération  et  nouvelle  alliance  que  mon  cou- 
sin, le  duc  de  Bouillon  a  traitez  et  passez  en  mon  nom  avec  vous.  » 


1.  Berger  de  Xivrey.  Lettres  missives  de  Henri  IV.  Collection  des  Documents 
inédits,  passim.  —  A.  Waddington,  La  République  des  Provinces-Unies,  la  France 
et  les  Paijs-Bas  Espagnols  de  1630  à  1050.  Paris,  1897,  2  v.  —  A.  Lefèvre-Pontalis, 
Jean  de  Witt,  grand  pensionnaire  de  Hollande.  Paris,  1884,  2  v.  Voir  ch.  i  et  n. 


HENRI    IV    ET    LES    PROVINCES-UNIES  197 

A  dater  de  ce  moment  est  cimentée  l'alliance  franco-hollan- 
daise et  Henri  IV  ne  s'adresse  plus  aux  députés  des  Provinces- 
Unies  qu'en  utilisant  la  formule  :  «  à  nos  très  chiers  et  bons 
amys,  alliez  et  confedercz  les  seigneurs  des  Estats  généraux...  » 
La  paix  de  Vervins  ayant  été  signée  entre  la  France  et  l'Espagne, 
les  Provinces-Unies  récoltèrent  le  fruit  de  leurs  amicales  dispo- 
sitions vis-à-vis  de  Henri  IV.  Elles  purent  se  convaincre  que  ses 
solennelles  promesses  n'étaient  point  vaines.  En  effet,  les  rôles 
furent  renversés  et  de  France  en  Hollande  affluèrent  hommes 
et  argent.  Outre  les  avantages  politiques  qu'ils  recueillirent 
de  leur  alliance  avec  la  France,  les  Néerlandais  obtinrent  pour 
leur  négoce  des  facilités  à  la  faveur  desquelles  ils  se  créèrent 
dans  toutes  les  régions  françaises  des  situations  particulièrement 
brillantes. 

Les  rapports  cordiaux  des  deux  pays  se  resserrèrent  pendant 
le  règne  de  Henri  IV.  Quand,  en  1605  et  1606,  au  cours  de  leurs 
luttes  contre  les  archiducs,  les  Hollandais  subirent  quelques 
échecs,  la  consternation  fut  grande  parmi  eux.  Ils  furent  sur  le 
point  de  traiter  avec  l'Espagne,  la  guerre  entraînant  la  ruine 
de  leur  commerce.  Henri  IV  dépêcha  près  d'eux  Jeannin, 
Buzenval  et  de  la  Planche  pour  les  détourner  d'acheter  la  paix 
à  des  conditions  onéreuses.  Les  négociations  des  plénipotentiaires 
aboutirent  au  traité  de  La  Haye  signé  le  17  juin  1609  et  connu 
sous  le  nom  de  trêve  de  douze  ans.  Henri  IV  et  Jacques  Ier 
d'Angleterre  se  portaient  garants  de  la  paix  entre  les  Provinces- 
Unies  et  l'Espagne  qui,  en  traitant  avec  elle,  reconnaissait 
implicitement  l'existence  de  la  jeune  république.  Au  cas  de  rup- 
ture de  la  trêve  avant  le  terme  fixé,  l'Angleterre  et  la  France 
s'engageaient  à  intervenir  contre  l'Espagne  aux  côtés  de  la 
Hollande.  Les  États  généraux  s'interdisaient  de  traiter  avec 
aucun  pays  sans  l'assentiment  préalable  de  leurs  alliés. 

Henri  IV  promettait  à  la  Hollande  des  subsides  en  argent  ; 
cette  clause  du  traité  n'innovait  en  rien  car  depuis  1598,  sous 
le  prétexte  de  rembourser  d'anciennes  dettes  contractées  vis-à- 
vis  des  États  généraux,  il  leur  adressait  annuellement  des  sommes 
importantes,  leur  assurant  ainsi  les  moyens  financiers  de  pour- 
suivre leur  lutte  contre  l'Espagne. 


198  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

La  politique  d'alliance  franco-néerlandaise  dirigée  contre 
l'Espagne  subsista  intégralement  jusqu'à  l'époque  du  traité  de 
Munster.  Henri  IV  l'avait  inaugurée,  Richelieu  et  Mazarin 
la  poursuivirent.  Elle  eut  sur  les  relations  commerciales  des 
deux  pays  et  partant,  sur  le  développement  des  colonies  hollan- 
daises en  France  une  importance  considérable.  Grâce  à  ce 
rapprochement  «  les  Provinces- Unies  grandirent  sous  le  patronage 
de  la  France  et  semblaient  être  devenues  l'une  de  ses  colonies. 
Les  relations  commerciales  s'étaient  promptement  multipliées 
et  faisaient  circuler  de  nombreux  voyageurs  hollandais  jusque 
dans  le  Midi  de  la  France.  »  Si  cette  assertion  d'un  historien 
moderne  est  exacte  sous  le  rapport  politique  elle  l'est  moins 
au  point  de  vue  démographique  et  social.  A  bien  examiner 
les  faits  la  France  a  reçu  de  la  Hollande  un  apport  de  popula- 
tion stable  ou  temporaire  beaucoup  plus  considérable  que  celui 
qu'elle  lui  donna  jamais  ;  pendant  près  de  deux  cents  ans,  les 
Hollandais  considérèrent  la  France  comme  une  colonie  où 
ils  se  fixèrent  très  volontiers.  De  tous  les  pactes  commerciaux 
annexés  aux  conventions  politiques,  les  Néerlandais  tirèrent 
plus  largement  parti  que  les  Français  ;  ils  s'installèrent  dans  le 
royaume  comme  en  pays  conquis  et  l'on  ne  serait  pas  éloigné 
de  croire  que  le  développement  de  leurs  groupements  et  leur 
prépondérance  commerciale  n'influèrent  pas  seulement  sur  les 
dispositions  hostiles  de  Louis  XIV  à  leur  égard  mais  encore 
sur  la  détermination  qu'il  prit  de  révoquer  les  libertés  reli- 
gieuses  que  les  protestants  avaient   acquises  sous   Henri   IV. 

Continuant  la  politique  de  son  père,  Louis  XIII  appuya 
constamment  les  revendications  de  la  Hollande  contre  l'Espagne. 
De  son  avènement  à  sa  mort,  il  ne  se  passe  guère  de  période 
quinquennale  sans  qu'interviennent  entre  la  France  et  les 
Provinces-Unies  des  accords  destinés  à  renforcer  les  pactes 
anciens.  Le  gouvernement  du  roi  fournit  hommes  et  finances, 
les  États  généraux  inféodent  leur  politique  à  la  nôtre  en  s'en- 
gageant  à  ne  signer  aucun  traité  avec  une  tierce  puissance 
sans  l'assentiment  du  roi  très  chrétien.  Ces  diverses  conventions 
stipulent  la  liberté  réciproque  du  commerce  et  l'exemption 
du    droit    d'aubaine    pour   les    Hollandais   établis    en    France. 


MAZARIN    ET    LA    HOLLANDE  199 

Avec  un  sens  très  précis  des  réalités,  les  États  généraux,  lors 
des  échanges  de  signatures,  s'efforcent  d'obtenir  pour  leurs 
nationaux  des  avantages  de  plus  en  plus  grands  ;  ils  en  con- 
cèdent aussi,  d'ailleurs,  mais  à  raison  de  leur  tempérament 
et  de  leur  organisation  commerciale  très  avancée,  les  Hollandais 
recueillent  de  ces  stipulations  économiques  des  profits  plus 
considérables  que  nos  régnicoles.  De  tous  côtés,  se  fixent  en 
France  des  habitants  originaires  des  Provinces-Unies  ;  ils 
invoquent,  pour  commercer  à  leur  guise,  les  droits  que  leur 
confèrent  traités  et  arrêts  du  roi  confirmant  leurs  prérogatives. 
Un  arrêt  de  1632  les  exonère  du  droit  d'aubaine  et  les  considère 
comme  régnicoles  ;  au  mois  de  février  1635,  ces  privilèges  sont 
maintenus  ;  les  Hollandais  obtiennent  la  liberté  de  trafiquer 
par  terre  et  par  mer,  de  disposer  de  leurs  marchandises  comme 
bon  leur  semble,  sans  payer  de  droits  supérieurs  à  ceux  qu'ac- 
quittent les  Français.  A  tout  instant,  dans  les  requêtes  qu'ils 
adressent  au  gouvernement  royal,  les  Hollandais  rappellent 
les  décisions  rendues  en  leur  faveur  ;  leurs  archives  sont  fort 
bien  conservées  :  traités,  ordonnances,  arrêts  du  conseil,  déci- 
sions de  justice  y  figurent  en  bon  ordre  et  chaque  année,  de 
nouveaux  documents  enrichissent  les  collections  antérieures. 
Richelieu  comme  Henri  IV  ne  compte  pas  avec  ses  alliés  ;  il 
leur  concède  facilement  faveurs  et  privilèges. 

Après  la  disparition  du  cardinal,  Mazarin  suit  à  l'égard  de  la 
Hollande  les  errements  anciens.  Sentant  que  sous  la  pression 
continue  de  l'Espagne,  le  zèle  de  ses  alliés  faiblissait,  il  crut 
sage  de  resserrer  une  fois  encore  les  liens  qui  unissaient  les  deux 
pays.  D'autant  plus  urgente  était  cette  nécessité  qu'on  était 
à  la  veille  de  négociations  internationales  pour  lesquelles  il 
serait  essentiel  de  se  conduire  en  parfait  accord.  En  1643, 
d'Avaux  et  Servien  furent  chargés  de  négocier  avec  les  États 
généraux  et  le  1er  mars  1644,  ils  signaient  à  L^  Haye  un  ins- 
trument aux  termes  duquel  étaient  confirmées  toutes  les  disposi- 
tions antérieures.  En  échange  de  subsides,  les  Hollandais  se 
liaient  au  regard  de  la  France  et  s'interdisaient  de  traiter  sépa- 
rément avec  l'Espagne.  En  outre,  le  traité  de  1644  aplanissait 
certaines  difficultés  entre  les   allies   et    laissait    une  porte  large- 


200  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

ment  ouverte  au  règlement  de  celles  qui  n'avaient  pas  reçu  une 
solution  immédiate. 

Bien  que  les  rapports  politiques  fussent  généralement  courtois 
entre  la  France  et  la  Hollande,  quelques  froissements  divisaient 
parfois  les  alliés.  Des  différends  pécuniaires  séparaient  les  deux 
pays  ;  les  Provinces-Unies  réclamaient  notamment  un  arriéré 
de  subsides  qui  leur  était  dû  depuis  le  début  de  1643.  Par  ailleurs, 
au  cours  de  leur  mission,  d'Avaux  et  Servien  avaient  cherché 
à  s'immiscer  dans  les  affaires  intérieures  de  la  Hollande.  Les 
catholiques  néerlandais  étaient  inquiétés  par  les  protestants 
et  dans  un  discours  maladroit,  les  ambassadeurs  avaient  laissé 
croire  que  Mazarin  et  le  gouvernement  du  roi  protégeraient  les 
catholiques.  Cette  prétention  avait  froissé  les  États  généraux. 
D'autres  dissentiments  étaient  nés  au  sujet  de  question  d'éti- 
quette ;  les  ambassadeurs  hollandais  soulevaient  des  difficultés 
à  propos  de  leurs  titres  et  Messieurs  des  États  entendaient  être 
traités  de  Hauts  et  Puissants  Seigneurs.  Mais  ces  froissements, 
s'ils  émotionnaient  le  monde  de  la  cour  n'avaient  aucune  portée 
sur  l'esprit  des  habitants  des  deux  pays.  Les  difficultés  commer- 
ciales provenant  de  l'oppression  que  nos  négociants  subissaient 
de  la  part  des  Néerlandais  commençaient  au  contraire  à  irriter 
les  esprits  des  régnicoles.  Par  suite  des  avantages  qu'ils  avaient 
constamment  acquis,  les  Hollandais  avaient  pris  en  France 
une  situation  prépondérante  et  réalisé  des  fortunes  considérables. 
On  les  jalousait.  Eux  se  plaignaient  des  pertes  que  nos  corsaires, 
en  Méditerranée  surtout,  infligeaient  à  leur  commerce  ;  fré- 
quemment on  pillait  leurs  navires.  Ces  différends  furent  momen- 
tanément aplanis  par  la  signature  du  traité  de  Paris,  dit  traité 
de  Marine,  signé  le  18  avril  1646  ;  les  Hollandais  obtenaient 
satisfaction  au  sujet  des  griefs  qu'ils  avaient  formulés  relative- 
ment aux  prises  maritimes.  L'ère  des  conflits  aigus  paraissait 
close  ;  néanmoins  «  quelque  aigreur  s'était  glissée  dans  les  rap- 
ports des  alliés  et  surtout  la  confiance  réciproque  faisait  dé- 
faut » 1.  Elle  serait  peut-être  revenue  mais  par  leur  attitude,  les 
États  généraux  allaient  provoquer  la  rupture  de  l'ancienne  amitié. 

1.  Waddington,  op.  cit.,  t.  II,  p.  107. 


LOUIS    XIV    ET    LES    HOLLANDAIS  201 

Aux  termes  du  traité  de  1644,  les  Provinces-Unies  s'étaient 
une  fois  de  plus  engagées  formellement  à  ne  jamais  traiter 
séparément  avec  l'Espagne  ;  or  méprisant  leurs  engagements, 
les  États,  écoutant  les  propositions  des  Espagnols  signèrent 
la  paix  à  Munster  avant  tout  accord  avec  la  France.  Cette  paix 
de  janvier  1648  était  certes  glorieuse  pour  eux  puisqu'elle  recon- 
naissait l'indépendance  absolue  des  Provinces-Unies  et  leur 
accordait  des  agrandissements  territoriaux,  mais  sa  signature 
fut,  à  juste  titre  d'ailleurs,  regardée  comme  une  trahison. 

Mazarin  ne  rompit  pas  les  relations  avec  les  États.  Des  ambas- 
sades françaises  furent  envoyées  en  Hollande,  des  missions 
extraordinaires  vinrent  des  Provinces-Unies  à  Paris  ;  les  premières 
avaient  à  atteindre  des  buts  politiques,  les  secondes  visaient 
surtout  à  obtenir  des  concessions  économiques  :  le  retrait  d'un 
édit  du  24  octobre  1648  interdisant  certaines  importations  hollan- 
daises en  France  et  la  prorogation  du  traité  de  marine  de  1646. 

J'ai  insisté  sur  les  bons  rapports  de  la  France  et  de  la  Hol- 
lande car  ils  ont  eu  sur  l'immigration  des  Néerlandais  dans  le 
royaume  une  influence  certaine.  Il  m'est  au  contraire  permis 
d'être  bref  sur  la  série  des  événements  postérieurs  au  traité  de 
Munster.  Depuis  l'an  1650,  chaque  année  est  pour  ainsi  dire 
marquée  par  quelques  complications  diplomatiques  entre  la 
France  et  les  Provinces-Unies.  En  1657,  Ruyter  s'empare  de 
deux  de  nos  navires  en  Méditerranée  ;  Louis  XIV  demande 
un  châtiment  exemplaire  contre  lui.  Les  États  envoient  Boreel 
en  France  pour  apaiser  le  roi  ;  l'ambassadeur  invoque  la  liberté 
des  mers,  Mazarin  le  congédie  sur  ces  mots  :  «  Jamais  ambassa- 
deur ne  parla  si  haut  à  la  cour,  vous  pourriez  vous  en  repentir  »  K 
Les  navires  des  Hollandais  furent  saisis  et  le  paiement  des  lettres 
de  change  suspendu.  Ces  mesures  causèrent  du  trouble,  les  grandes 
villes  de  Bretagne  réclamèrent  et  Bordeaux  envoya  spéciale- 
ment à  Paris  le  sieur  de  Launay-Vivans,  conseiller  en  la  Chambre 
de  l'Édit  ;  il  avait  mission  de  supplier  S.  M.  de  ne  pas  comprendre 
leur  ville  parmi  celles  à  qui  le  trafic  devait  être  interdit  avec  la 
Hollande. 

1.  P.  Faugèrc  et  M:irillier,  Voyage  de  deux  jeunes  Hollandais,  p.  125-C. 


202  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

La  pêche  à  la  baleine,  jadis  pratiquée  par  les  Dieppois,  Ma- 
louins  et  Basques  était  devenue  le  monopole  des  Hollandais. 
Foucquet  organisa  la  Compagnie  de  la  pêche  à  la  baleine.  Les 
Hollandais,  comme  toujours,  firent  opposition  à  cette  nou- 
velle création  ;  ils  saisirent  les  navires  de  leurs  concurrents. 
Par  représailles,  Foucquet  institua  le  droit  de  cinquante  sous 
frappant  toute  importation  par  navire  étranger.  Par  l'organe 
de  leur  ambassadeur  Van  Beuningen,  les  Hollandais  protestèrent, 
prétendant  être  exempts  de  cb  droit  en  vertu  des  exemptions 
du  droit  d'aubaine  dont  iis  jouissaient  depuis  Henri  IV.  Leurs 
récriminations  furent  vaines. 

Nonobstant  les  difficultés  pendantes,  il  y  eut  entre  les  deux 
pays  un  rapprochement  et  après  des  pourparlers  laborieux, 
était  signé  le  27  avril  1662  un  traité  de  commerce  et  d'alliance 
défensive  valable  pour  vingt-cinq  ans.  D'après  les  articles  19 
et  20  de  cette  convention,  les  Provinces-Unies  et  la  France 
se  garantissaient  la  liberté  absolue  du  trafic  des  marchandises. 
Dès  le  principe,  Colbert  semblait  bien  décidé  à  ne  pas  respecter 
les  clauses  de  cette  convention  qui  lui  liait  les  mains.  Le  18  août 
1662,  il  écrivait  à  Courtin,  notre  résident  à  Stockholm  de  «  ne 
donner  aucuns  mémoires  dont  nos  alliés  puissent  tirer  une 
industrie  que  le  Roy  veut  songer  aux  moyens  de  divertir  leuT 
commerce  en  l'attirant  dans  nos  ports.  »  Contre  les  Hollandais, 
il  édictait  en  1664  son  tarif  protecteur  qui  anéantissait  partielle- 
ment les  clauses  du  traité  antérieur. 

Les  stipulations  politiques  du  traité  eurent  à  jouer  lors  de  la 
guerre  entre  la  Hollande  et  l'Angleterre.  Louis  XIV  prêta  son 
concours  aux  États,  avec  quelque  hésitation  disent  les  uns, 
avec  mauvaise  grâce  prétendent  les  autres.  Il  eut  peut-être  été 
heureux  que  les  deux  rivaux  de  la  France  éprouvassent  «  quelques 
mauvais  succès  »  K  Quoi  qu'il  en  soit,  en  1666,  la  flotte  française 
se  rangeait  aux  côtés  des  navires  néerlandais  mais  les  États, 
estimant  tardive  l'intervention   de  la  France,  se  montrèrent 


1.  Sur  tous  ces  points,  voir  A.  Lefèvre-Pontalis,  Jean  de  Witt,  grand  pension- 
naire de  Hollande,  chap.  v  et  vi.  —  Jal,  A.  Duquesne.  Paris,  1873,  t.  I,  p.  435  et  s. 
—  Ch.  de  la  Roncière,  Histoire  de  la  marine  française.  Paris,  1920,  t.  V.  Guerre 
entre  la  Hollande  et  l'Angleterre,  p.  441. 


LOUIS    XIV    ET    LES    HOLLANDAIS  203 

mécontents  et  accusèrent  de  Lionne  d'avoir  persuadé  à  Louis  XIV 
de  laisser  les  Anglais  et  les  Hollandais  «  se  détruire  les  uns  les 
autres  en  regardant  le  jeu  de  loin  ».  Durant  cette  guerre,  Colbert 
se  montait  contre  la  Hollande,  rien  ne  pouvait  lui  être  plus 
désagréable  que  des  lettres  analogues  à  celle-ci  que  d'Estrades 
lui  adressait  de  La  Haye  :  «  La  disposition  des  Hollandais  à 
notre  égard  ne  peut  être  plus  mauvaise  ;  ils  nous  regardent 
avec  envie  et  crainte  sur  le  commerce  et  il  faut  s'attendre  qu'ils 
n'oublieront  rien  pour  l'interrompre...  MM.  des  États  ont  pour 
principe  d'ôter  le  commerce  à  tout  le  monde.  » 

Estimant  insuffisante  la  protection  donnée  au  commerce 
français  par  le  tarif  de  1664,  Colbert  voulut  porter  à  la  Hollande 
un  coup  décisif  ;  il  édicta  le  tarif  de  1667,  prohibitif,  celui-là. 
Atteints  dans  leur  négoce,  les  Hollandais  adressèrent  en  France 
de  Groot,  fils  du  célèbre  Grootius.  De  Lionne  le  renvoya  à  Col- 
bert qui  ne  le  reçut  pas;  de  Groot  s'adressa  à  Louis  XIV, 
lui  fit  tenir  des  mémoires  démontrant  que  l'application  du  tarif 
de  1667  serait  aussi  néfaste  à  la  France  qu'à  la  Hollande.  Le  ro1 
le  prit  de  très  haut  et  les  États,  par  représailles,  publièrent  leurs 
placards  de  1671,  prohibant  l'entrée  des  vins  et  des  eaux-de-vie 
en  Hollande,  frappant  les  sels  et  les  sucres  de  France  de  droits 
tels  que  l'exportation  n'en  fut  plus  possible. 

La  tension  des  rapports  entre  Louis  XIV  et  les  États  était 
telle  que  la  guerre  était  inévitable.  Le  roi  de  France,  blessé 
dans  son  orgueil  par  ce  petit  peuple  de  marchands  républi- 
cains et  protestants  qui  toléraient  rémission  de  médailles  inju- 
rieuses, la  publication  de  pamphlets  dirigés  contre  sa  personne, 
accueillaient  les  réformés  français,  rompit  les  amicales  relations 
et  envahit  la  Hollande.  Dans  les  Provinces-Unies,  le  pension- 
naire Jean  de  Witt  était  assassiné,  Guillaume  d'Orange  deve- 
nait stat bouder  et  jusqu'en  1702,  date  de  sa  mort,  il  fut  l'âme 
des  coalitions  dirigées  contre  la  France  ;  son  pouvoir  s'accrut 
d'ailleurs  à  dater  de  16S(.),  époque  à  laquelle  il  devint  roi  d'An- 
gleterre. 

1res  connue  est  la  première,  guerre  de  Hollande  qui  se  ter- 
mina le  10  août  1678  par  le  traité  de  Nimègue.  Le  jour  même 
où   les   plénipotentiaires    arrêt  aient    les    accords   politiques,   ils 


204  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

concluaient  un  traité  de  commerce  rétablissant  la  liberté  du 
négoce  entre  les  deux  pays,  maintenant  l'exemption  du  droit 
d'aubaine  et  prévoyant,  qu'en  cas  de  conflit,  un  délai  de  neuf 
mois  serait  imparti  aux  nationaux  des  deux  États  pour  se  retirer 
dans  leur  patrie  respective.  Par  le  traité  de  Nimègue,  les  Hollan- 
dais obtenaient  l'abolition  du  tarif  de  1667  et  l'on  en  revenait 
aux  dispositions  de  1664  1. 

Le  traité  de  Nimègue  ne  fut  qu'une  trêve.  La  Hollande  ayant 
adhéré  à  la  ligue  d'Augsbourg  le  16  novembre  1688,  la  guerre 
reprit  entre  la  France  et  les  Provinces-Unies.  Cette  guerre  se 
termina  par  le  traité  de  Ryswick  mais  tandis  que  l'empereur 
Léopold  et  les  autres  souverains  signaient  avec  Louis  XIV 
des  traités  dont  les  clauses  politiques  étaient  les  plus  essentielles, 
les  Provinces-Unies  avaient  eu  soin  de  conclure  pour  une  durée 
de  vingt-cinq  ans  un  traité  de  commerce,  de  navigation  et  de 
marine  où  les  intérêts  économiques  tenaient  une  place  prépon- 
dérante. Ils  avaient  même  obtenu  l'abolition  du  droit  de  50  sous 
par  tonneau  qui  se  levait  dans  les  ports  de  France  sur  tous  les 
navires  étrangers. 

Si  l'on  envisage  dans  leur  ensemble  les  rapports  de  la  France 
et  de  la  Hollande  depuis  l'avènement  de  Henri  IV  jusqu'à  la 
fin  du  xviie  siècle,  l'on  remarque  que  de  1589  à  1648  les  Hollan- 
dais ont  eu  des  relations  très  amicales  avec  nous.  Depuis  l'époque 
des  traités  de  Westphalie  jusqu'aux  environs  de  l'année  1664, 
date  à  laquelle  Colbert  prit  ses  premières  mesures  contre  le 
commerce  des  Provinces-Unies,  l'intimité  des  deux  pays  se 
refroidit  ;  à  l'amitié  et  à  la  courtoisie  diplomatique  succède 
ensuite  une  inimitié  qui  dure  un  quart  de  siècle  :  questions 
politiques,  religieuses,  commerciales,  toutes  contribuent  à 
séparer  France  et  Hollande.  L'évolution  de  ces  rapports  a  eu 
son  contre-coup  sur  la  pénétration  des  Hollandais  dans  le 
royaume.  Sous  les  ministères  de  Sully,  de  Richelieu  et  de  Maza- 
rin,  les  Hollandais  sont  admis  en  France  en  amis  véritables. 
Ils  se  considèrent  comme  s'ils  étaient  dans  leur  propre  patrie. 
Au  temps  de  Colbert,  ils  sont  également  admis  avec  courtoisie 

1.  Dumont,  Corpus  Diplomaticum,  t.  VII,  2e  p.,  p.  391  et  394. 


LOUIS    XIV    ET   LES    HOLLANDAIS  205 

et  affabilité.  Colbert  les  accueille,  les  attire  même  mais  les  motifs 
qui  le  guident  sont  fort  intéressés.  Comme  ses  prédécesseurs, 
il  voit  en  eux  des  auxiliaires  précieux,  capables  de  seconder 
ses  vues  économiques  mais  entre  sa  conduite  et  celle  de  Riche- 
lieu, il  y  a  cependant  une  nuance  fort  appréciable.  Colbert 
aime  les  Hollandais  non  pas  seulement  pour  eux-mêmes  mais 
contre  la  Hollande  dont  il  jalouse  la  prospérité.  Chaque  Néer- 
landais qu'il  gagne  à  la  France  est  un  rival  de  moins. 


CHAPITRE  III 


I.  Les  Hollandais  sont  protégés  et  attirés  en  France  par  Henri  IV.  —  II.  Richelieu 
appelle  des  constructeurs  et  des  marins  de  Hollande.  —  III.  Rapports  cordiaux 
des  Français  et  des  Hollandais  ;  voyageurs  et  étudiants  néerlandais  en  France. 
—  IV.  Les  peintres,  graveurs  et  artistes  hollandais  à  Paris  et  en  province.  — 
V.  Les  dissensions  religieuses  en  Hollande  au  xvne  siècle  développent  le  mouve- 
ment d'immigration. 


I 


La  signature  de  l'Édit  de  Nantes  accordait  aux  protestants 
la  libre  pratique  de  leur  religion.  Ne  craignant  plus  les  vindictes 
des  ultramont ains,  les  Hollandais  profitèrent  des  bonnes  dis- 
positions de  Henri  IV  pour  s'établir  dans  son  royaume.  Ils  y 
vinrent  d'autant  plus  volontiers  qu'ils  se  sentaient  également 
forts  de  l'appui  de  Sully.  Le  ministre  écrivait  en  effet  :  «  Con- 
j oindre  entièrement  et  inséparablement  la  France  avec  les 
Provinces-Unies  c'est  le  seul  moyen  de  remettre  la  France  en 
son  ancienne  splendeur  ».  Les  vues  du  roi  et  du  ministre  étaient 
puissamment  secondées  par  une  princesse  :  la  veuve  de  Guil- 
laume le  Taciturne,  Louise  de  Coligny,  favorisait  les  compa- 
triotes de  son  ancien  époux,  de  même  son  beau-fils,  Philippe  de 
Nassau,  marié  à  la  fille  du  prince  de  Condé.  Avant  même  qu'un 
véritable  traité  d'alliance  eut  été  signé  avec  les  Provinces- 
Unies,  Henri  IV,  sympathisant  avec  les  Hollandais,  leur  octroyait 
des  lettres  de  naturalité.  Non  content  de  leur  ouvrir  les  fron- 
tières du  royaume,  il  leur  accordait  des  faveurs  variées. 

Jusqu'à  la  fin  du  xvie  siècle,  seul,  notre  négoce  était  protégé 
dans  le  Levant  par  les  Capitulations.  En  1598,  le  roi  entamait 
avec  de  Brèves,  son  ambassadeur  à  Constantinople  une  corres- 


PRIVILÈGES  ACCORDÉS    AUX    HOLLANDAIS  207 

pondance  suivie  pour  obtenir  l'admission  des  Hollandais  aux 
Échelles.  C'était  les  inciter  à  s'établir  comme  courtiers  et  com- 
missionnaires dans  les  ports  de  la  Méditerranée.  Quelques  années 
après,  un  Hollandais,  Lajien,  remettait  au  roi  des  réquisitions 
demandant  que  les  marchands  des  Provinces-Unies  fussent 
reçus  en  France  aux  mêmes  privilèges  que  ceux  de  Paris.  Henri  IV 
qui  souhaitait  rétablir  le  commerce  aurait  volontiers  admis 
tout  de  suite  la  requête  des  étrangers  ;  il  n'ignorait  point 
qu'il  ne  devait  pas  compter  sur  les  régnicoles  pour  parti- 
ciper au  relèvement  économique  du  pays.  Mais,  la  France, 
sortant  à  peine  de  la  crise  nationaliste  la  plus  aiguë  qu'elle  aît 
connue  sous  l'ancien  régime,  Henri  IV  voulut  ménager  l'opi- 
nion publique.  Il  fit  étudier  la  question  de  l'égalité  des  préro- 
gatives commerciales  des  régnicoles  et  des  Néerlandais  par  le 
Conseil  du  Commerce.  «  S.  M.  fut  requise  et  suppliée  de  n'ac- 
cepter facilement  les  étrangers,  en  son  royaume...  Si  elle  veut 
les  accueillir,  ce  sera  avec  beaucoup  de  précautions  car  les 
marchands  estrangers  font  des  efforts  pour  estre  reçus  à  traffi- 
quer...  »  disent  les  délibérations.  Tout  en  se  réservant,  le  Conseil 
admettait  le  principe  de  la  réception  des  forains  dans  le  royaume  ; 
ils  étaient  exemptés  du  droit  d'aubaine,  pouvaient  être  natura- 
lisés après  une  année  de  séjour  dans  une  ville  à  condition  d'y 
apporter  deux  mille  écus  de  marchandises  et  dix  ans  après 
vérification  de  leurs  lettres  de  naturahté,  les  étrangers  étaient 
assimilés  aux  nationaux. 

Forts  de  ces  avis  Henri  IV  et  Sully  accordèrent  aux  Hollan- 
dais toutes  facilités  pour  s'établir  en  France.  Ils  n'avaient 
d'ailleurs  point  attendu  ces  suggestions  pour  les  convier  à  s'y 
fixer.  Dès  1599,  ils  confiaient  à  Humfroy  Bradley,  de  Berg-op- 
Zoona  et  à  ses  compatriotes  le  dessèchement  des  marais  de 
France.  Tout  Néerlandais  capable  de  fonder  une  manufacture 
et  de  travailler  à  la  prospérité  du  pays  était  agréé  par  le  roi  et  le 
ministre. 

Les  frères  Varicq  de  Delft  ayant  créé  une  manufacture  de 
faïences  vernissée»  et  de  tuiles  décorées  pour  ivvcHir  le  faîtage 
<li  s  maisons  se  voient  en  butte  aux  vexations  des  couvreurs 
qui  leur  créèrent  des  difficultés.  Henri  IV  les  prend  sous  sa  pro- 


208  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

tection  spéciale  et  grâce  à  lui,  ils  étendent  leur  industrie  de 
Paris  à  Orléans  1.  A  Rouen  et  à  Mantes  Wolf  et  Lambert  ayant 
monté  des  fabriques  de  toiles  fines,  sont  autorisés  à  appeler 
des  ouvriers  hollandais  qui  perfectionnent  leur  fabrication  2. 
Henri  IV  se  propose  d'établir  à  Nantes  une  manufacture  de 
toiles  fines  et  d'y  attirer  des  ouvriers  hollandais  propres  à  cet 
effet.  Son  projet  échoue,  mais  de  son  idée,  on  doit  retenir  l'es- 
time en  laquelle  il  tient  les  artisans  du  Nord  3.  Le  roi  installe 
des  Hollandais  au  Louvre.  Lorsqu'en  1656,  deux  jeunes  Hollan- 
dais visitent  le  palais,  ils  notent  dans  leur  journal  :  «  De  là  nous 
allasmes  à  la  galerie  d'en-bas  qui  est  d'environ  sept  cens  pas 
et  aussi  grande  que  celle  d'en  haut.  Les  plus  excellens  artisans 
de  l'Europe  y  travaillent  et  c'est  là  que  le  roi  les  y  loge.  Henri  IV 
l'avoit  destinée  pour  des  Flamands  et  des  Hollandois  qu'il  y 
vouloit  attirer  à  cause  qu'ils  sont  d'ordinaire  plus  propres  et 
plus  industrieux  que  ceux  des  autres  nations  » 4. 

Souhaitant  améliorer  le  port  de  Marseille,  Henri  IV  demande 
un  devis  à  Hieronymo  de  Coomans  qui,  en  1606,  lui  soumet 
un  plan  pour  rendre  «  le  nettoy^ment  du  port  de  Marseille  fort 
aysé  »  ;  il  propose  de  creuser  deux  bassins,  l'un  pour  abriter  les 
vaisseaux  de  guerre,  l'autre  les  navires  de  commerce  5.  Le  roi 
a  dessein  d'établir  une  belle  ville  dans  la  péninsule  de  Giens  ; 
des  ingénieurs  hollandais  s'offrent  à  effectuer  les  travaux  du 
nouveau  port  et  de  la  ville  ;  en  1609,  ils  partent  en  Provence  ; 
un  crédit  de  80.000  livres  leur  est  ouvert  mais  la  mort  du  roi 
survenant,  leurs  études  sont  interrompues6. 

C'est  avec  joie  qu'Henri  IV  accueille  en  1604  un  marchand 
d'Amsterdam,  Pieter  Lintgens  qui  lui  offre  de  fonder  une  société 
pour  l'exploitation  des  régions  d'Extrême-Orient.  Le  roi  accepte 
ses  propositions  et  crée  péniblement  une  Compagnie  des  Indes 
avec  le  concours  de  Français  et  de  quelques  étrangers  ;  il  solli- 

1.  G.  Fagniez,  L'Economie  sociale  sous  Henri  IV,  p.  157. 

2.  E.  Gosselin,  Documents  inédits  pour  servir  à  l'Histoire  de  la  marine  normande, 
p.  141. 

3.  Arch.  Nat.,  G?  171. 

4.  P.  Faugère  et  Marinier,  Voyage  de  deux  jeunes  Hollandais,  p.  84-85. 

5.  Ch.  de  la  Roncière,  Histoire  de  la  marine  française,  t.  IV,  p.  615  et  suiv.  Com- 
ment une  marine  se  relève. 

6.  ld.,  Ibid. 


RICHELIEU    ET   LES    HOLLANDAIS  209 

cite  des  États  généraux  quelques  navires  long-courriers  pour  les 
mettre  à  la  disposition  des  associés.  Les  Hollandais  jalousent 
l'entreprise  royale,  ils  gagnent  Buzenval  et  Sully  auxquels  ils 
font  de  riches  cadeaux  ;  le  vieux  compagnon  d'armes  de  Henri  IV, 
Aersens,  crée  au  sein  des  États  généraux  une  opposition  irré- 
ductible contre  les  projets  du  roi  qui  échouent  misérablement. 
Les  Hollandais  ont  commencé  la  conquête  pacifique  du  com- 
merce mondial,  ils  n'entendent  pas  se  laisser  déposséder  par  les 
Français. 

Les  négociants  hollandais  attirés  en  France  ou  ceux  qui  y 
viennent  délibérément  commercer  ne  profitent  pas  seuls  des 
bonnes  dispositions  du  roi  à  leur  égard.  Le  roi  admet  l'équiva- 
lence des  grades  conférés  par  l'université  de  Leyde  avec  ceux 
qu'octroient  les  maîtres  de  nos  universités.  Il  accueille  avec 
courtoisie  les  étudiants  qui  affluent  à  Paris,  à  Orléans  ou  à 
l'Académie  protestante  fondée  à  Saumur  par  Duplessis-Mornay. 
De  toutes  manières,  il  témoigne  à  ses  alliés  hollandais  une  amitié 
que  rien  ne  dément  ;  il  est  aidé  dans  sa  tâche  par  Sully.  Par  tem- 
pérament, par  éducation,  par  affinités  religieuses  Sully  prise  au 
plus  haut  point  les  hommes  du  Nord  ;  un  moment,  même,  il 
songe  à  se  retirer  dans  leur  pays. 

Par  les  mesures  générales  qu'ils  prirent,  Henri  IV  et  Sully 
ont  été  les  véritables  promoteurs  de  la  constitution  des  colonies 
hollandaises  qui,  dans  la  France  du  xvne  siècle,  acquirent  un 
développement  analogue  à  celui  des  colonies  italiennes  au  temps 
des  Valois.  Richelieu  favorisa,  lui  aussi,  la  pénétration  des 
Néerlandais  en  attirant  dans  le  royaume  des  sujets  des  Provinces- 
Unies. 


II 


Devenu  grand  maître  de  la  navigation,  Richelieu  songea  à 
développer  les  forces  navales  de  la  France  ;  l'idée  d'être  tribu- 
taire de  la  Hollande  pour  ses  entreprises  militaires  lui  était 
insupportable.  Par  les  divers  traités  que  la  France  avait  signés 

14 


210  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

avec  les  Provinces-Unies,  les  États  s'étaient  engagés  à  mettre 
des  navires  de  guerre  à  la  disposition  du  gouvernement  fran- 
çais. Lors  de  l'affaire  de  La  Rochelle,  cette  clause  des  traités 
fut  mise  à  exécution  ;  les  Hollandais  envoyèrent  vingt  vaisseaux 
à  Louis  XIII.  Sans  doute  les  marins  qui  les  montaient,  auraient- 
ils  hésité  à  combattre  des  coreligionnaires  et  seraient-ils  demeurés 
neutres  si  le  16  juillet  1626,  Soubise  qui  commandait  la  flotte 
des  Rochelais  n'eut  par  surprise  attaqué  le  vaisseau  du  vice- 
amiral  Dorp.  Désireux  de  se  venger,  les  Hollandais  entamèrent 
le  combat  et  défirent  les  Rochelais.  C'était  une  leçon  pour  le 
cardinal.  La  réussite  de  son  entreprise  n'avait  tenu,  du  côté 
de  l'Océan,  qu'à  la  maladresse  de  Soubise.  Il  ne  convenait  pas 
à  Richelieu  d'être  à  la  merci  d'alliés  dont  la  fidélité  n'était  pas 
totale  ;  pour  se  soustraire  à  cette  obligation,  force  lui  fut  de 
développer  la  marine  de  guerre  française.  Tout  ou  presque  était 
à  créer  :  arsenaux,  ports,  chantiers  de  constructions  ;  le  cardinal 
se  mit  à  l'œuvre  et  reconnaissant  l'excellence  des  méthodes 
hollandaises,  il  s'adressa  à  des  spécialistes  néerlandais. 

Il  entretint  dans  les  Provinces-Unies  des  agents  chargés  de 
recruter  ingénieurs,  charpentiers,  artisans  ;  pour  le  cardinal, 
le  morisque  Lopez  parcourut  la  Hollande  achetant  navires, 
mâts,  cordages,  voiles,  vergues  et  ancres.  En  1626  et  en  1638, 
des  escadres  entières  furent  commandées  aux  Hollandais  ; 
les  galions  des  ducs  de  Nevers,  de  Guise  et  de  Montmorency 
sortirent  de  leurs  chantiers.  A  Brest,  on  installa  Claus  Verussen, 
un  maître  cordier  et  un  maître  voilier  ;  à  des  charpentiers 
néerlandais  fut  dévolu  le  soin  d'établir  un  chantier  de  construc- 
tions navales  à  Indret.  Dans  cette  localité,  du  Plessis  de  Genou- 
ville  habitait  une  confortable  demeure  entourée  de  jardins  en 
terrasse  ;  Mercœur,  j  adis,  y  avait  rêvé  à  ses  desseins  ambitieux  ; 
on  expropria  du  Plessis  et  dans  son  habitation  transformée, 
Sourdis  installa  des  chantiers  de  constructions.  A  la  suite  d'un 
contrat  passé  le  12  juin  1639,  deux  charpentiers  venus  de  Hol- 
lande venaient  se  fixer  à  Indret 1. 

Les  fortifications  des  ports  du  Ponant  étaient  délabrées  ou 

1.  Sur  tous  ces  points,  voir  Ch.  de  la  Roncière,  op.  cit.,  chap.  cité. 


CONSTRUCTEURS    DE    NAVIRES    HOLLANDAIS    EN    FRANCE      211 

insuffisantes.  Régnier  Iansse  de  Wyt,  ingénieur,  fut  chargé  de 
dresser  les  devis  des  réparations  de  Brou  âge.  Pour  les  travaux 
du  port  comme  pour  les  constructions  navales,  Richelieu  utilise 
la  main-d'œuvre  néerlandaise.  Une  foule  de  charpentiers,  cal- 
fateurs,  perceurs,  manouvriers,  scieurs,  poulieurs  originaires 
des  Provinces-Unies  travaillèrent  dans  nos  arsenaux.  Corneille 
Hendricq,  Adrien  Girard,  Rut,  de  Rotterdam  ajustèrent  des 
charpentes  et  pour  ce  faire  reçurent  des  appointements  mensuels 
de  cent  livres.  Tandis  que  Baud  Corneille  est  occupé  eh  Seuldre, 
Jehan  Henricq,  maître  cordier  se  voit  allouer  onze  cents  livres 
d'appointements  pour  ses  travaux.  Corneille  Chapston  est  cor- 
dier à  Brest,  Jacob  Lucasson  y  tisse  des  voiles,  secondé  par 
Pieter  Jansen.  Sourdis,  Seguiràn  et  Le  Roux  d'Infreville,  auxi- 
liaires de  Richelieu,  recrutent  sans  relâche  ingénieurs  et  ouvriers 
hollandais. 

Aux  Provinces-Unies  on  demande  des  matières  premières. 
Hubert  Vanderstat  apporte  des  planches  à  Brest,  Théodore- 
Nicolas  Duijen,  «  maître  après  Dieu  de  la  Fortune  »,  Jean  Cor- 
nelissen  Plue  débarquent  à  Brest  et  à  Brouage  des  bois  du  Nord 
qui  serviront  à  construire  les  vaisseaux  du  roi. 

Si  des  escadres  entières  sont  commandées  en  Hollande  par 
Richelieu,  si  pour  établir  ses  règlements  maritimes,  le  cardinal 
laisse  Théodore  de  Mantin,  amiral  de  Guyenne  pratiquer  de 
larges  emprunts  aux  règlements  de  Messieurs  des  Estats,  il 
espère  se  libérer  du  concours  des  Hollandais  lorsque,  suffisam- 
ment instruits,  les  artisans  français  seront  devenus  habiles 
constructeurs.  Mais  Richelieu  lui-même  est  débordé  par  la 
Hollande  et  il  lui  faut  toute  son  autorité  pour  détourner  les 
Néerlandais  des  projets  ambitieux  qu'ils  conçoivent  et  qui  ne 
tendent  à  rien  moins  que  de  former  dans  quelques  ports  de  véri- 
tables petites  républiques  bataves. 

Aux  côtés  du  cardinal  se  rencontre  un  conseiller  hollandais, 
Nicolas  de  Guitte,  dit  Scapencas.  Tout  en  paraissant  entrer  dans 
les  vues  de  Richelieu  à  qui  il  adresse  des  Advis  touchant  la  répa- 
ration et  racomodation  de  la  rivière,  portz  et  quaijs  soit  le  Havre, 
Har fleur  qu'autres,  Scapencas  essayait  de  faire  le  jeu  de  ses 
compatriote1.  En  1626,  pour  donner  quelque  vie  au  commerce 


212  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

maritime,  Richelieu  avait  soutenu  en  Bretagne  la  création 
d'une  compagnie  de  navigation  dite  des  Cent- Associés.  Le 
parlement  breton  n'en  ayant  pas  ratifié  les  statuts,  une  société 
exotique,  principalement  composée  de  Hollandais,  la  Compagnie 
de  la  Nacelle  Saint-Pierre  fleurdelysée,  proposa  de  se  substituer 
à  celle  des  Cent- Associés.  Les  Hollandais  agissaient  avec  Riche- 
lieu comme  ils  l'avaient  fait  avec  Henri  IV;  ils  s'efforçaient 
de  détourner  à  leur  profit  les  initiatives  du  gouvernement. 
Nicolas  de  Scapencas  fut  choisi  comme  intermédiaire  et  en 
échange  des  bons  offices  de  la  Compagnie  il  demandait  que  le 
Havre  fut  déclaré  port  franc.  Pour  organiser  ce  port,  il  comptait 
y  établir  quatre  cents  familles  hollandaises.  Mais  nonobstant 
ses  opinions  sur  l'excellence  de  méthodes  maritimes  et  les 
aptitudes  commerciales  des  habitants  des  Provinces-Unies, 
Richelieu  rejeta  les  propositions  de  Scapencas.  Le  Parlement, 
d'accord  avec  le  ministre  déclara  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de 
«  s'associer  quatre  cents  familles  en  leur  donnant  le  droit  de 
bourgeoisie,  rendre  nobles  des  estrangers  incongnuz,  establir 
enfin  une  petite  république  dans  un  royaume.  » 

Sous  le  ministère  de  Mazarin  les  habitants  de  Nimègue, 
d'Amsterdam  ou  d'Utrecht  obtiennent  aisément  leurs  lettres 
individuelles  de  naturalité.  Sont  reçus  en  la  qualité  de  Français 
Jean  Hermès  l,  Diric  Bogar  et  sa  femme  2,  Hubert  Flamant 3, 
Jacques  van  Kessel,  oncle  et  neveu,  originaires  de  Bois-le-Duc  4. 
De  Nimègue  arrivent  Henri  Boudenins 5,  Nicolas  Herman, 
Evrard  Hammerbac.  Il  entre  en  France  des  garçons  libraires, 
des  peaussiers,  des  peintres  :  Nicolas  Kene  6,  Jean  de  Licht 7, 
Germain  van  Swanevelt 8.  Anne-Marie  de  Lockhorst,  naturalisée, 
obtient  l'abbaye  de  Fervacques. 


1.  Arch.  Nat.,  PP  151,  11  juin  1640. 

2.  Ibid.,  27  février  1643. 

3.  Ibid.,  15  janvier  1647. 

4.  Ibid.,  30  juin  1648. 

5.  Ibid.,  24  juillet  1646. 

6.  Ibid.,  31  juillet  1640. 

7.  Ibid.,  15  mai  1647. 

8.  Ibid.,  9  mars  1647. 


INFLUENCE    DES    HOLLANDAIS    SUR    NOS    MÉTHODES         213 


III 


Pour  atteindre  son  but,  le  relèvement  de  la  marine,  Richelieu 
s'était  mis  à  l'école  des  Hollandais  ;  nul  en  France,  n'eut  songé 
à  contrecarrer  ses  vues.  On  professait  alors  une  vive  admiration 
pour  les  hommes  et  les  choses  des  Provinces-Unies  ;  elle  se  main- 
tint pendant  une  grande  partie  du  siècle.  Nos  officiers  allaient 
apprendre  en  Hollande  l'art  de  la  guerre.  Lorsque  le  Taciturne 
mourut,  son  fils  Maurice  n'avait  que  dix-huit  ans  ;  malgré  sa 
jeunesse,  les  Hollandais  lui  confièrent  leurs  destinées.  Nommé 
stathouder,  capitaine  et  amiral  général,  il  se  montra  digne  de  ces 
éminentes  fonctions  et  à  la  suite  de  ses  victoires  acquit  une  si 
haute  réputation  d'homme  de  guerre  que  de  toutes  les  parties 
de  l'Europe,  la  noblesse  accourut  se  former  sous  sa  direction 
au  métier  des  armes.  De  France,  Maurice  vit  venir  toute  une 
jeunesse  protestante  qu'attirait  sa  renommée  et  qui  désirait 
s'instruire  à  son  école,  fondée  à  Bréda.  «  Toute  la  noblesse  de 
France,  dit  Aubery  du  Maurier,  au  sortir  de  l'Académie  allait 
apprendre  la  guerre  sous  le  prince  Maurice  comme  autrefois 
elle  allait  en  Piémont  sous  ce  grand  maréchal  de  Brissac.  » 
Les  méthodes  de  guerre,  les  procédés  de  fortification  permanente 
ou  de  campagne  utilisés  en  Hollande  devinrent  en  honneur  en 
France.  Au  xvie  siècle  on  s'adressait  à  des  Italiens  pour  forti- 
fier nos  places  de  guerre  ;  au  milieu  du  xvne  on  se  tourna  vers 
les  Hollandais  et  l'on  appliqua  leurs  procédés.  L'engouement 
pour  les  Néerlandais  s'étendait  à  toutes  les  branches  de  la 
stratégie  :  on  baptisait  des  forts  à  «la  Hollandoise  »  ;  des  hommes 
de  lettres  comme  Voiture  n'ignoraient  pas  les  méthodes  nou- 
velles, ils  en  tiraient  des  métaphores.  Ecrivant  au  cardinal 
de  la  Valette  pour  lui  expliquer  les  raisons  qui  le  déterminaient 
à  ne  pas  accompagner  son  protecteur  Gaston  d'Orléans,  il  lui 
mandait  :  «  J'ai  commencé  le  siège  d'une  place  assez  jolie  et  fort 
bien  située,  j'en  ai  fait  la  circonvallation  à  la  mode  de  Hol- 


214  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

lande...  »  Cette  mode  dura  assez  longtemps  en  France  ;  lorsque 
Foucquet  voulut  fortifier  Belle- Ile,  il  fit  appel  à  Loger  ingénieur 
hollandais  l. 

Dès  qu'un  homme  avait  servi  en  Hollande,  on  l'écoutait 
comme  un  oracle  ;  tel  passait  pour  a  grand  capitaine  qui  depuis 
n'eut  pas  été  digne  de  commander  une  compagnie  ».  Le  marquis 
de  Rouillac  allait  perfectionner  ses  connaissances  dans  les  Pays- 
Bas.  Il  affirmait  «  qu'on  ne  peut  apprendre  en  lieu  du  monde 
aussi  bien  que  là  ».  Des  détails,  en  apparence  insignifiants  sont 
cependant  significatifs  et  marquent  l'emprise  de  la  Hollande 
sur  les  militaires  français.  A  Paris,  en  1636,  sous  le  coup  de  l'émo- 
tion qui  étreint  la  population  lors  de  l'avance  des  armées  espa- 
gnoles on  arme  des  volontaires  et  on  leur  remet  des  drapeaux 
t  amples  et  longs,  à  la  mode  hollandoise  ». 

La  mode  qui  conduisit  les  officiers  français  à  se  mettre  à 
l'école  des  Hollandais  se  prolongea  même  après  la  mort  du 
prince  Maurice.  Turenne  se  forma  auprès  de  son  frère  et  succes- 
seur :  Frédéric-Henri.  Ce  n'étaient  pas  seulement  des  volontaires 
qui  passaient  par  l'école  de  Bréda.  Depuis  la  signature  des  pre- 
miers traités  d'alliance  entre  la  France  et  les  Provinces-Unies 
le  gouvernement  royal  entretenait  en  Hollande  quelques  régi- 
ments. Ils  ne  furent  rappelés  qu'en  1670,  époque  à  laquelle 
Louis  XIV  rompit  définitivement  avec  les  États  généraux 
les  relations  cordiales  d'antan.  Bien  qu'ils  eussent  conservé 
les  règlements  et  les  usages  de  l'armée  française  les  officiers 
de  ces  corps  de  troupes  n'en  subirent  pas  moins  l'influence  des 
méthodes  hollandaises. 

Tout  ce  qui  vient  de  Hollande  est  à  la  mode  pendant  les  deux 
premiers  tiers  du  xvne  siècle.  A  dater  de  1639,  on  attend  avec 
impatience  à  Paris  les  Nouvelles  des  Divers  Quartiers,  journal 
publié  par  Broer  Iansz.  Pour  ses  lecteurs  français,  il  traduit 
littéralement  les  Tydingen  uyt  verscheyden  quartieren  ;  on  reçoit 
à  Paris  les  Nouvelles  ordinaires  qu'Otti  Barnert  Smient  édite 
à  Amsterdam  depuis  1655  ;  un  peu  plus  tard  on  lira  la  Gazette 


1.  Ch.  de  la  Ronciere,  op.  cit.,  t.  V,  p.  311.  Le  vrai  crime  du  surintendant  Fou- 
quet. 


CONFRÉRIE    FLAMANDE    DE    SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS      215 

d'Amsterdam  \  De  Hollande  entrent  en  France  par  cent  courtiers 
divers  les  contrefaçons  de  librairie  et  ces  pamphlets  mordants 
ou  satiriques  imprimés  à  La  Haye  ou  Amsterdam. 

Des  Provinces-Unies  on  tire  toiles  fines,  draps  et  dentelles  ; 
les  élégantes,  dit  Saint-Simon,  possèdent  «  des  dentelles  parfaites 
en  confusion  et  tant  de  garnitures  de  linge  qui  ne  se  blanchissoit 
qu'en  Hollande  2.  Le  costume  français  subit  l'influence  du  cos- 
tume hollandais  ;  sous  Louis  XIII,  les  hommes  portent  des 
«  rhingraves  »  que  coupent  pour  eux  des  tailleurs  néerlandais 
établis  à  Paris. 

Parmi  les  dignitaires  de  la  Confrérie  de  la  nation  allemande 
de  Saint-Germain-des-Prés  3  on  remarque  la  présence  de  tail- 
leurs d'habits  originaires  de  Hollande  :  Lambert  van  den 
Swanenberg  est  tailleur  pour  le  roi  et  maître  dans  la  ville. 
Pierre  Vanderlaa  exerce  la  même  profession.  Les  instruments 
d'arpentage  fabriqués  à  Rotterdam  jouissent  d'une  renommée 
européenne  :  chaque  année  la  France  en  importe  de  fortes  quan- 
tités 4.  Des  «  notaires  arpenteurs  »  se  fixent  dans  nos  provinces, 
voire  même  dans  nos  villages  :  les  Vanderquandt  à  Courcoury, 
en  Saintonge  5.  Très  prisées  sont  les  lunettes  de  Hollande  ;  elles 
sont  appréciées  et  vantées  ;  l'auteur  des  Méditations  de  V Ermite 
Valérien,  libelle  dirigé  contre  de  Luynes  parle  des  fameuses 
lunettes  de  Hollande  dont  «  use  le  duc  de  Bouillon  pour  prendre 
de  loin  ses  visées  » 6.  Tandis  qu'il  court  à  travers  la  Hollande 
pour  exécuter  les  ordres  de  Richelieu,  le  morisque  Lopez  acquiert 
des  objets  des  Indes  rapportés  par  les  navires  hollandais  et 
des  meubles  ornés  de  cuivre  doré.  Les  Hollandais  ont  mono- 
polisé les  procédés  de  dorure  sur  cuivre  ;  ils  emploient  les  métaux 
de  nos  mines,  les  ouvrent  puis  les  expédient  à  Paris  où  les  ama- 
teurs les  paient  à  prix  élevé. 

1.  E.  Hatin,  Les  Gazettes  de  Hollande  et  la  Presse  clandestine  aux  XVII*  et 
XVII 1*  siècles.  Paris,  1885. 

2.  Saint-Simon,  Mémoires,  éd.  citée,  t.  VII,  p.  98. 

3.  P.  Anselme  d'Anvers,  Catalogue  chronologique...  des  marguilliers  de  la  nation 
flamande.  Paris,  1695. 

4.  Vostcrman  van  Oljcn,  Quelques  arpenteurs  hollandais  à  la  fin  du  XVI*  siècle, 
dans  Boleltino  di  Bibliographia  e  di  Storia  délie  Scienze  matematiche  e  fisiche.  Home, 
octobre  1870. 

5.  Voir  page  283. 

6.  Les  caquets  de  l'Accouchée.  Ed.  Elzévirienne,  p.  253. 


216  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Les  bateaux  de  plaisance  comme  les  navires  marchands  sont 
commandés  à  Amsterdam.  Le  comte  Servien,  ayant  acheté 
une  terre  à  Meudon,  désirait  s'y  rendre  par  voie  d'eau.  En  1654, 
il  écrivait  à  notre  attaché  Chanut  de  lui  faire  construire  un  navire 
destiné  à  effectuer  ce  voyage.  Des  chantiers  d'Amsterdam, 
Chanut  tire  un  «  yacht  *  superbe  sur  lequel  Servien  promène 
la  duchesse  de  Roquelaure,  Madame  d'Olonne  et  la  comtesse  de 
Soissons  jusqu'au  jour  où  Louis  XIV  ayant  envie  de  ce  navire, 
Servien  l'offre  au  souverain. 

Entre  la  France  et  les  Provinces-Unies,  la  pénétration  est 
constante.  Des  officiers  français  servent  en  Hollande  :  des  Néer- 
landais sont  à  la  solde  de  Louis  XIII.  Depuis  le  fondation  de 
l'université  de  Leyde  des  professeurs  français  avaient  fréquem- 
ment été  appelés  dans  cette  ville  :  Daneau,  élève  de  Vatable 
et  ami  de  Bèze,  le  philosophe  berrichon  du  Jon,  Pierre  du  Mou- 
lin qui  y  enseigna  «  le  grec,  la  musique  et  Horace  ».  Des  étu- 
diants constituaient  à  Leyde  une  véritable  colonie  de  réformés 
français  1. 

Des  Français  et  non  des  moindres,  Descartes  par  exemple, 
apprennent  la  langue  néerlandaise.  Les  Hollandais  consacrent 
une  partie  de  leur  temps  d'étude  à  se  familiariser  avec  la  langue 
française  ;  ils  ouvrent  des  cours  de  français  dans  les  universités 
et  dans  les  écoles  publiques.  Plus  de  vingt  grammaires  françaises 
sont  publiées  à  Utrecht,  La  Haye  ou  Leyde  au  xvne  siècle  ; 
des  traités  de  style,  des  vocabulaires,  des  dictionnaires  sont 
continuellement  édités  par  les  imprimeurs  Hollandais.  La  langue 
française  est  utile  à  tous  en  Hollande  et  les  auteurs  de  diction- 
naires ou  de  traités  le  marquent  avec  précision.  Le  Dictionnaire 
ou  promptuaire  françoys-flameng  de  Mellema  contient  dans  l'édi- 
tion de  1602  une  poésie  adressée  «  Au  Lecteur  »  dont  voici  les 
derniers  vers  : 

Soit  marchand  qui  poursuit  son  profit  et  trafique 
Soit  artisan,  des  mains  exerçant  la  pratique 
Ce  Promptuaire  à  tous,  d'une  prompte  alaigresse 
Descouvre  du  François  la  faconde  richesse. 

1.  J.  Pannier,  L'Eglise  réformée  de  Paris  sous  Henri  IV.  Paris,  1911,  p.  301. 


RELATIONS    INTELLECTUELLES   FRANCO-HOLLANDAISES       217 

Ce  dictionnaire  est  réédité  en  1643  par  d'Arsy.  Dans  sa  dédi- 
cace, il  insiste  sur  l'utilité  de  son  ouvrage  en  ces  termes  :  «  Les 
Provinces  étant  jointes  avec  la  corone  de  France  d'une  si  étioite 
alliance  et  ayans  une  si  grande  correspondance  de  trafic  avec  la 
Nation  Françoise  par  lequel  est  entretenue  une  société  mutuelle, 
cet  ouvrage  ne  leur  peut  être  que  très  utile  » 1. 

Les  maîtres  hollandais  qui  professent  en  France,  Meinard, 
Pierre  Valens,  Marsile  s'expriment  couramment  dans  notre 
langue.  Constantin  Huyghens  parle  et  écrit  le  français  avec 
une  si  grande  aisance  que  Balzac  lui  mande  :  «  Il  faut  que  vous 
me  juriez  que  vous  êtes  Hollandais  pour  me  le  persuader  ». 
Conrart  fait  son  éloge  ;  Corneille  lui  dédie  Don  Sanche  d'Aragon. 
Lorsque  le  fils  de  Huyghens  vient  à  Paris,  il  saisit  les  finesses 
de  notre  langue  et  assiste  avec  plaisir  aux  représentations  de 
l'Hôtel  de  Bourgogne2.  Lettrés  français  et  hollandais  sont  en 
relations  d'amitié.  Peiresc  est  en  Hollande  en  1616.  Il  y  connaît 
Grotius,  et  à  son  retour  en  France  entame  avec  lui  une 
correspondance  suivie.  Lorsque  Grotius,  condamné  à  la  déten- 
tion perpétuelle  pour  avoir  adopté  et  soutenu  les  doctrines  armi- 
niennes, s'évade  de  sa  prison  et  arrive  à  Paris  pour  un  pre- 
mier séjour  de  dix  ans,  Côndé,  du  Vair,  Peiresc,  d'autres 
encore,  le  reçoivent  et  lui  obtiennent  de  Richelieu  une  pension. 
Celle-ci  sera  supprimée  par  le  cardinal,  mais  lorsque  Grotius, 
malgré  le  mécontentement  de  Richelieu,  reviendra  à  Paris 
comme  ambassadeur  du  roi  de  Suède,  ses  amis  resteront  fidèles 
à  leur  sympathie  pour  lui  3. 

Peiresc  est  également  en  correspondance  suivie  avec  Thomas 
van  Erpen,  le  célèbre  orientaliste  hollandais,  qui,  après  un  voyage 
en  France,  écrit  un  guide  pratique  à  l'usage  de  ses  compatriotes 
désireux  de  visiter  notre  pays. 

Si  des  Français  forment  à  Groningue,  à  Maestricht,  à  Nimègue 
des  groupes  plus  ou  moins  denses,  s'ils  constituent  à  Amsterdam 
une  colonie  qui  compte,  d'après  de  Thou,  près  de  deux  mille 
personnes,  si  ces  réfugiés  sont  considérés  en    Hollande  parce 

1 .  Kiemens,  op.  cit.,  p.  79. 

J    I •'.  I.iimot,  Histoire  de  la  Langue  française,  t.  V.  Le  Français  en  Hollande. 

3.  Aubery  du  Maurler,  Vie  de  Grotius.  Londres,  171  1. 


218  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

qu'ils  apprennent  aux  habitants  notre  langue  et  l'art  de  danser, 
les  Hollandais  qui  passent  en  France  sont  sympathique  ment 
reçus.  Beaucoup  y  viennent  pour  «  y  estudier  la  belle  et  bonne 
conversation  ».  Les  salons  s'ouvrent  pour  eux.  Mademoiselle 
de  Schurman  arrive  à  Paris,  elle  est  introduite  dans  le  monde 
des  Précieuses  et  conquiert  la  Forge,  Sarrasin,  Ménage,  Made- 
moiselle de  Gournay.  Tous  célèbrent  à  l'envi  cette  étrangère. 
Sorbière  la  compare  aux  hommes  les  plus  remarquables  de  son 
temps.  Paul  Jacob,  de  Lyon,  écrit  son  éloge  et  Golletet  écoute  avec 
joie  les  discours  de  Mademoiselle  Schurman  dissertant  sur 
l'éducation  des  femmes. 

Des  observateurs  et  dessinateurs  hollandais  parcourent  la 
France.  Jean  Isaac  Pontanus,  dans  une  relation  en  vers  latins, 
vante  la  douceur  du  séjour  de  Montpellier  où  il  a  vécu  comme 
étudiant  en  médecine.  Il  se  livre  également  à  des  considérations 
sociales  sur  les  nobles,  les  bourgeois  et  le  peuple  de  France. 
Thomas  van  Erpen  rédige  un  Itinerarium  ;  Joachim  de  Wert 
reproduit  les  paysages  français  ;  d'autres  laissent  sur  leur  séjour 
en  France  d'intéressants  souvenirs,  tels  ces  jeunes  Néerlandais, 
Philippe  et  François  de  Villers  qui  séjournent  à  Paris  entre  1656 
et  1658  1.  Encore  que  ces  voyageurs  ne  fussent  pas  disposés 
à  se  lier  avec  ceux  de  leur  nation  car  «  ce  n'est  guère  profiter 
de  son  voyage  que  de  s'attrouper  ainsi  »,  les  frères  de  Villers 
fréquentèrent  néanmoins  quelques-uns  de  leurs  compatriotes  ; 
ils  en  rencontraient  bon  nombre  à  l'Académie  d'Arnolfini  dont 
les  enseignements  étaient  suivis  par  les  Allemands  et  les  Hollan- 
dais. Philippe  et  François  de  Villers  nous  font  lier  connaissance 
avec  quelques  Hollandais  :  leurs  cousins,  les  sieurs  de  Spick 
et  Glezer,  M.  de  la  Platte,  fils  de  M.  de  Sommerdick.  En  compa- 
gnie d'Adam  van  der  Buyn,  comte  de  Ryswick,  ils  visitent  les 
Académies  afin  de  voir  laquelle  «  lui  agréerait  le  plus  pour  s'y 
mettre  en  pension  ».  Des  visiteurs  hollandais,  les  sieurs  Blanche 
et  Reggersberghe,  viennent  saluer  les  frères  de  Villers.  Parfois, 
ils  dînent  chez  de  Voorst,  leur  ami  ;  ils  vont  aussi  présenter 
leurs  hommages  à  Madame  van  den  Boekhorst,  sœur  du  grand 

1.  P.  Faugère  et  L.  Marillier,  Journal  de  voyage  de  deux  jeunes  Hollandais, 
passim. 


ÉTUDIANTS    HOLLANDAIS   A    PARIS  219 

forestier  de  Hollande  qui  avait  épousé  un  Français,  Gailly  de  Bret. 
Paris  est  ville  hospitalière  ;  on  s'y  cache  aisément  pour  vivre 
à  sa  guise.  De  Serooskerken,  fils  de  M.  de  Wulven,  «  après 
avoir  fait  le  tour  de  France  sans  y  avoir  rien  appris,  retourna 
au  commencement  de  l'automne  à  Saumur,  où,  un  jour,  trai- 
tant quelques-uns  de  ses  amis,  il  les  fit  tant  boire  qu'il  y  en  eut 
un  d'Amsterdam  qui  tua  un  bourgeois  ».  De  Serooskerken  dut 
revenir  à  Paris,  il  s'installa  rue  aux  Ours  ;  dans  sa  nouvelle 
demeure,  il  s'enivrait  continuellement  avec  quelques  Néerlan- 
dais. Avec  eux  se  rencontrait  un  véritable  chevalier  d'industrie 
Wilhelm  de  Nassau,  seigneur  d'Odyk.  Bien  qu'il  ne  possédât 
•sou  ni  maille,  ce  seigneur  subsistait  avec  éclat,  menant  un  joli 
train  ;  il  empruntait  de  l'argent  au  maréchal  d'Albret  et  au  duc 
•de  Noailles,  «  gueusait  »  ses  repas  chez  M.  d'Hauterive,  soutirait 
des  diamants  au  joaillier  Constant.  En  quittant  Paris,  il  était 
couvert  de  dettes  :  étranger,  il  avait  trouvé  un  crédit  que  des 
régnicoles  n'eussent  pas  réussi  à  se  procurer. 

Les  étudiants  hollandais  sont  légion  à  Paris,  à  l'Académie 
protestante  de  Saumur  et  d'Orléans,  depuis  le  début  du 
xvne  siècle.  Dans  cette  université,  ils  sont  agrégés  à  la  nation 
allemande  et  sont  accueillis  avec  courtoisie  qu'ils  soient  ou  non 
catholiques  ;  maintes  fois  ils  sont  élus  procurateurs  ou  receveurs. 
Au  hasard  des  registres  je  relève  les  noms  de  Jacques  Douza 
d'Amsterdam,  de  Zuylelt  de  Nyevelt,  de  Cornélius  Claesens  \ 
de  Lancelot  de  Brederode  et  d'Adrien  Le  Roy  d'Amsterdam  2. 
van  Sorgen,  de  Delft,  séjourne  d'abord  à  Paris  puis  se  rend 
à  Orléans  prendre  le  bonnet  de  docteur  en  droit 3.  Nicolas  van 
Swieten  est  à  Orléans  en  1605  4,  il  consigne  ses  idées  sous  cette 
forme  aphoristique  : 

Bonne  terre,  mauvais  chemin. 
Bon  advocat,  mauvais  voisin. 
Bonne  mule,  mauvaise  beste. 
Belle  femme,  mauvaise  teste. 

1.  Arch.  dép.  du  Loiret,  D  216,  f»'  89,  126,  143. 

2.  Ibid.,  D  217,  f°  314,  343. 

3.  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  du  protestantisme  français,  t.  IX,  p.  99. 
1.  Bulletin...  du  protestantisme,  t.  VIII,  p.  498. 


220  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Groningue  envoie  Everhard  Loewe  *  ;  La  Haye,  Jean  Nobe- 
laer 2  ;  Amsterdam,  Gerald  de  Bergh 3  ;  Rotterdam,  Daniel 
Hoghendorp  4  ;  Delft,  Hugues  van  Ryck  5.  Il  faut,  comme  pour 
les  Allemands,  renoncer  à  dénombrer  les  multiples  étudiants 
que  la  Hollande  fournit  à  l'Université  d'Orléans.  Ils  y  retrouvent, 
commerçant  en  cette  ville  des  compatriotes  qui  leur  servent  de 
correspondants  et  de  banquiers.  Chaque  cité  universitaire  est 
un  centre  d'étrangers.  L'Académie  protestante  de  Saumur 
attire  des  jeunes  hommes  natifs  de  Hollande  ;  des  négociants 
s'installent  à  Saumur  en  même  temps  que  le  nombre  des  étu- 
diants s'accroît.  Lorsque  le  8  janvier  1685  fut  supprimée  l'école 
fondée  par  Duplessis-Mornay,  Miromesnil  écrivit  :  «  Le  concours 
de  la  noblesse  française  et  étrangère  qui  y  faisoit  ses  études 
s'étant  retiré,  les  marchands  de  Hollande  qui  faisoient  commerce 
à  cause  de  la  dite  noblesse  et  écoliers  se  sont  retirés...  l'éloigne- 
ment  des  uns  et  des  autres  a  rendu  cette  ville  déserte  et  sans 
négoce  ». 

Barlaeus,  ayant  renoncé  au  professorat  en  théologie,  étudie 
la  médecine  à  Caen  en  1620  et  y  prend  le  grade  de  docteur. 
Everhard  Balck  fait  profiter  ses  élèves  à  l'Académie  de  Hor- 
derwijk  de  la  clarté  et  de  la  vivacité  françaises  qu'il  a  acquises 
en  étudiant  le  droit  à  Bourges  où  il  a  été  promu  docteur  et  où  il  a 
enseigné  lui-même  6. 


IV 


Les  artistes  hollandais  avaient  été  nombreux  en  France 
antérieurement  au  règne  de  Henri  IV  ;  on  a  rappelé  les  noms  de 
quelques-uns  d'entre  eux.  Or,  après  les  désordres  de  la  Ligue, 


1.  Arch.  dép.  du  Loiret,  D  217,  f°  601. 

2.  Ibid.,  D  218,  f°  224. 

3.  Ibid.,  fo  279. 

4.  Ibid.,  fo  326. 

5.  Ibid.,  D  219,  f°  191. 

6.  Riemens,  op.  cit.,  p.  83. 


ARTISTES    HOLLANDAIS   AU   XVIIe   SIÈCLE  221 

Henri  IV  songea  à  faire  refleurir  en  France  non  seulement  les 
manufactures  utiles  mais  encore  les  arts.  Des  Flandres,  il  appela 
des  tapissiers  de  haute  lice  qu'il  établit  à  Paris  ;  les  plus  notoires 
de  ces  artistes  et  artisans  semblent  être  originaires  des  Pays-Bas 
espagnols  plutôt  que  des  Provinces-Unies.  Néanmoins  il  ne 
serait  pas  surprenant  que  l'on  rencontrât  quelques  Hollandais 
parmi  eux.  Aux  peintres,  aux  graveurs,  Henri  IV  ouvrit  toutes 
grandes  les  frontières  du  royaume  et  leur  accorda  ses  bonnes 
grâces.  Il  leur  achetait  des  tableaux  ;  en  1602,  à  la  foire  de  Saint- 
Germain  il  acquit  des  tableaux  «  d'ung  Hollandais  »  note  Pierre 
de  l'Estoile.  A  de  tels  achats  ne  se  bornèrent  pas  ses  faveurs  ; 
il  sut,  en  diverses  circonstances,  reconnaître  les  mérites  d'ar- 
tistes secondaires  qui  exercèrent  en  France.  Ses  successeurs 
agirent  comme  lui.  Louis  XIII  et  Louis  XIV  naturalisèrent 
des  peintres  et  des  graveurs,  ils  leur  octroyèrent  des  pensions, 
des  places  à  l'Académie,  leur  donnèrent  des  commandes  et 
employèrent  les  talents  des  Hollandais,  orfèvres,  ébénistes  ou 
simples  ouvriers  d'art  établis  en  France.  Maints  de  ces  altistes 
ont  laissé  une  descendance  dans  le  royaume  ;  certains,  comme  les 
van  Loo,  sont  parmi  les  plus  grands  peintres  que  nous  ayons 
possédés. 

Sous  le  règne  de  Henri  IV  vint  en  France  Jean  de  Hoey, 
peintre  et  graveur  qui  jouit  de  quelque  réputation.  Il  fit  souche 
d'une  véritable  dynastie  d'artistes. 

Jean  de  Hoey,  originaire  de  Leyde,  s'établit  d'abord  à  Troyes  ; 
il  y  épousa  Marie  Ricoveri,  petite-fille  du  célèbre  Dominique 
Florentin,  passa  ensuite  à  Fontainebleau  où  il  décora  la  chapelle 
du  palais.  Devenu  peintre  de  Henri  IV  et  son  valet  de  chambre 
il  toucha  une  pension  qui,  en  1608,  fut  transformée  en  appoin- 
tements fixes.  A  cette  date  Jean  de  Hoey  était  chargé  de  «  l'en- 
tretenement  de>  peintures  des  vieux  tableaux  de  S.  M.  ». 
Avant  sa  mort  survenue  en  1615,  il  avait  obtenu  pour  son  fils 
Claude  H  survivance  de  sa  charge  ;  un  autre  de  ces  fils,  Jacques, 
devint  garde  des  peintures  du  Louvre  et  Jean  II  de  Hoey 
s'adonna  à  la  peinture,  mais  n'exerça  aucune  fonction  officielle  l. 

1.  F.  Herbct,  Extraits  d'actes  concernant  les  artistes  de  Fontainebleau^  p.  30- 
47. 


222  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Claude  de  Hoey  figure  comme  témoin  dans  une  incroyable 
quantité  d'actes.  En  1644  il  est  notamment  témoin  du  mariage 
de  sa  nièce  Marie  Laminoy  avec  Armand  van  Swanevelt,  origi-- 
naire  de  Woroden,  dans  la  province  d'Utrecht.  Cet  étranger 
était  peintre  ordinaire  du  roi  de  France.  Van  Swanevelt  devint1 
membre  de  l'Académie  royale  de  peinture  le  3  mars  1653  ;  il  est 
connu  sous  le  nom  d'Herman  d'Italie  *; 

Au  début  du  xvire  siècle  Noël  Bernard,  assez  bon  peintre, 
travaillait  à  Paris.  Sa  femme,  Madeleine  Sevin,  lui  donna  dix 
enfants  dont  un  fils,  Samuel,  né  en  1615,  devint  un  miniaturiste 
connu.  Simon  Vouët  lui  avait  enseigné  l'art  de  la  peinture. 
Samuel  Bernard  pratiqua  également  la  gravure  ;  il  fut  nommé 
membre  de  l'Académie  en  1648  puis  professeur  quelques  années 
après.  En  1681,  comme  il  était  protestant,  le  gouvernement  le 
mit  hors  de  l'Académie  à  raison  de  sa  religion 'mais  il  fut  réin- 
tégré après  avoir  abjuré  à  Saint-Sulpice.  Samuel  Bernard  avait 
épousé  Madeleine  Le  Queux  et  de  cette  union  naquit  le  fameux 
Samuel  Bernard,  homme  d'affaires  et  banquier  du  Trésor 
dont  les  enfants  seront  au  xvme  siècle  le  comte  de  Coubert, 
le  président  de  Rieux  et  Madame  Mole,  femme  du  président; 
tous  personnages  de  qualité  et  fort  riches  2. 

Marie  de  Médicis  aimait  les  arts,  s'entourait  d'artistes  italiens 
et  flamands.  David  Baudringhien,  «  Hollandais  de  nation  », 
fut  nommé  par  elle  son  peintre  ordinaire  en  reconnaissance  des 
ouvrages  de  peinture  qu'il  fit  par  son  commandement  «t  «  pour 
la  grande  expérience  qu'il  s'est  acquise  en  cet  art  » 3.  Charles 
Dominique  van  Beecq,  natif  d'Amsterdam,  peintre  de  la  marine 
française,  fut,  dit  Jal,  le  van  der  Meulen  de  l'armée  navale; 
Pour  Marly,  il  exécuta  de  vastes  tableaux  parmi  lesquels  figu- 
raient la  Prise  de  la  ville  d'Âgosta,  la  Canonnade  de  Scio  et  le 
Bombardement  d'Alger.  Les  œuvres  de  van  Beecq  sont  aujourd'hui 
perdues  et  il  n'est  resté  de  lui  quoi  que  ce  soit  de  marquant  4. 

1.  J.  Guiffrey,  Documents  sur  les  Artistes  parisiens  du  XVI*  et  du  XVIIe  siècles> 
notice  245.  » 

2.  Comtesse  E.  de  Clermont-Tonnerre,  Histoire  de  Samuel  Bernard  et  de  ses 
enfants.  Paris,  1914,  ch.  ier. 

3.  L.  Batifîol,  Marie  de  Médicis  et  les  Arts,  dans  Gazette  des  Beaux-Artst  année 
1906-,  p.  222. 

4.  Jal,  Abraham  Duquesne,  t.  II,  p.  233. 


ARTISTES    HOLLANDAIS   AU   XVIIe   SIÈCLE  223 

Bien  qu'il  ne  fut  pas  Hollandais  de  naissance,  puisqu'il  vit 
le  jour  à  l'Écluse  en  1614,  Jacques  van  Loo  peut  cependant  être 
compté  comme  Néerlandais.  A  la  suite  de  difficultés  provenant 
de  ce  qu'il  était  réformé,  Jacques  van  Loo  se  retira  à  Amsterdam 
où  il  épousa  une  Hollandaise,  originaire  de  cette  ville  ou  peut- 
être  de  La  Haye.  Louis  XIII  régnait  encore  lorsque  Jacques  van 
Loo  s'établit  à  Paris;  sa  renommée  s'accrut  assez  prompte- 
ment  pour  que,  sept  ans  avant  sa  mort,  l'Académie  royale 
de  peinture  lui  ouvrit  ses  portes,  en  1663. 

De  son  mariage  Jacques  van  Loo  eut  une  fille  et  quatre  fils,. 
Philippe,  Abraham,  Jean  et  Louis.  Jean  se  fixa  à  Toulon  et  y 
peignit.  A  la  suite  d'un  duel,  Louis  se  réfugia  à  Nice  puis  à  Aix 
où  il  épousa  Marie  Fosse.  Il  fut  le  père  de  Carie  van  Loo,  le  plus 
célèbre  peintre  de  toute  la  dynastie  des  van  Loo,  et  de  Jean- 
Baptiste  l.  Ce  dernier  après  avoir  été  peintre  de  Victor  Amédée, 
du  prince  de  Carignan  et  du  duc  d'Orléans  entra  à  l'Académie 
en  1731.  Jean-Baptiste  s'était  allié  à  Marguerite  Le  Brun  et  de 
leur  union  naquit  Louis-Michel  qui,  en  1765,  devait  succéder 
à  son  oncle  Carie  comme  directeur  de  l'École  royale  des  élèves 
privilégiés.  Carie  van  Loo  n'avait  eu  que  deux  enfants,  Jean- 
François,  un  vaurien,  et  une  fille,  Madame  Bron. 

Avant  de  succéder  à  son  oncle  dans  les  fonctions  qu'il  occu- 
pait, Louis-Michel  van  Loo  avait  eu  une  existence  assez  agitée. 
En  1745,  étant  premier  peintre  de  S.  M.  catholique  le  roi  d'Es- 
pagne, il  résidait  à  Madrid.  Sa  sœur  Anne-Marie,  ayant  conservé 
pour  le  négoce  le  goût  des  Hollandais  avait  épousé  un  commer- 
çant français  habitant  aussi  à  Madrid  et  nommé  Antoine  Berger» 
De  concert  avec  des  marchands  de  Lyon,  Louis-Michel  van  Loo 
et  son  beau-frère  avaient  constitué  une  association  pour  la 
vente  des  broderies,  passementeries  et  autres  menus  objets 
élégants.  Entre  deux  coups  de  pinceau,  Louis-Michel  écoulait 
les  colifichets  de  son  beau-frère  ;  aussi  les  affaires  furent-elles 
d'abord  très  prospères.  Mais,  le  titre  de  commerçant  que  por- 
tait van  Loo  diminua  peut-être  son  prestige  a  la  cour  d'Espagne, 
et  il  revint  en  France  en  1752  ;  sa  sœur  le  suivit,  abandonnai  il 

1.  Sur  la  généalogie  de  la  descendance  des  van  Loo,  voir  Jal,  Dictionnaire  cri- 
tique. V°  van  Loo. 


224  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

son  mari.  Privé  de  son  meilleur  vendeur,  Berger  fit  faillite 
dès  1753  et  Anne-Marie  ne  se  soucia  plus  de  lui.  Commerçante 
et  femme  d'affaires,  cette  descendante  de  Hollandais  incitait 
son  frère  à  déposer  ses  pinceaux  pour  se  livrer  au  négoce. 
Sur  ses  instances  Louis-Michel  van  Loo  alla  même  tenter  fortune 
en  Angleterre,  mais  promptement  désabusé,  il  rentra  en  France 
au  mois  de  juin  1765,  juste  à  temps  pour  recueillir  la  situation 
officielle  que  laissa  vacante  Carie  van  Loo  l, 

Quelques  grandes  villes  abritèrent  au  xvne  siècle  des  artistes 
hollandais.  Corneille  de  La  Haye,  célèbre  peintre  du  temps  de 
Charles  IX  et  de  Henri  III  laissa  à  Lyon  une  descendance 
d'artistes.  On  ne  connaît  pas  moins  de  quatre  Corneille  de  La 
Haye  exerçant  leur  art  à  Lyon  sous  Louis  XIII  et  Louis  XIV. 
Josias  Vandernorne,  d'Ordensen,  mort  à  Lyon  en  1647,  n'a 
laissé  aucune  œuvre  digne  de  mémoire  ;  ses  compatriotes  Ange 
et  Adrien  van  der  Kabel  sont  au  contraire  bien  connus.  Tous  deux 
nés  à  Ryswick,  s'établirent  à  Lyon  entre  1668  et  1669.  Ils  abju- 
rèrent la  religion  réformée  lors  de  leur  mariage  ;  Ange  épousa 
Anne  Bourguet  et  Adrien,  Suzanne  Bourgeois  qui  donna  cinq 
enfants  à  son  mari.  Adrien  van  der  Kabel  fut  un  protraitiste 
habile  et  estimé.  Brossette,  le  correspondant  de  Boileau  appré- 
ciait particulièrement  son  talent  et  écrivait  à  son  illustre  am 
pour  lui  dire  combien  il  regrettait  de  penser  que  ce  peintre 
n'eut  pas  exécuté  son  portrait 2. 

Quelques  artistes  hollandais  itinérants  passèrent  par  Lyon 
au  xviie  siècle.  Jean  Asselijn  y  prit  femme  en  la  personne  d'une 
jeune  Flamande,  fille  de  Houwaert,  marchand  anversois. 
Bon  aventure  van  Overbeek  dessina  les  paysages  lyonnais  et 
Henri  Cornélius  Vroom,  de  Harlem,  peignit  à  Lyon  pendant 
six  mois  avant  de  se  rendre  à  Paris  et  à  Rouen  3. 

A  Bordeaux,  René  Hopquen,  d'Amsterdam,  fut  chargé 
en  1629  d'orner  une  pyramide  érigée  au  Chapeau-Rouge  ; 
de  1638  à  1649,  Hermann  van  der  Hem  s'appliqua  à  reproduire 

1.  G.  Guigue,  Van  Loo  négociant,  1745-1767.  Lyon,  1902. 

2.  N.  Rondot,  Les  Protestants  à  Lyon  au  XVII9  siècle.  Lyon,  1891,  p.  15.  — 
Raoul  de  Cazenove,  Le  peintre  van  der  Kabel  et  ses  contemporains.  Lyon,  1888. 

3.  Sur  les  artistes  hollandais  à  Lyon,  cf.  aux  noms  cités,  Dictionnaire  des  artistes 
du  Lyonnais. 


HORLOGERS  HOLLANDAIS  EN  FRANCE  225 

par  le  dessin  tous  les  monuments  et  les  paysages  de  Bordeaux 
et  des  environs.  Les  quatre-vingt  deux  dessins  qu'il  a  laissés 
sont  d'une  habileté  consommée  l.  Avant  lui,  déjà,  Joachim 
de  Weert  avait  dessiné  les  vues  de  Bordeaux.  Ce  Hollandais 
qui  parcourut  la  France  entre  1609  et  1614  a  laissé  une  ample 
collection  de  dessins  pris  dans  toutes  les  régions  et  l'on  peut 
encore  admirer  son  souci  d'exactitude  en  feuilletant  au  Cabinet 
des  estampes  les  cent  soixante  croquis  à  l'encre  noire  ou  lavis 
d'encre  de  Chine  qu'il  a  pris  à  Paris,  Compiègne  ou  en  Normandie, 
en  Anjou,  en  Guyenne  et  en  Gâtinais  2. 

A  Orléans  vécut  Jacques  Questel,  peintre  et  ingénieur  sous 
Henri  IV  3.  Il  s'était  signalé  comme  habile  inventeur  de  pro- 
cédés pour  améliorer  le  rendement  des  moulins  et  supprimer 
les  fumées  des  cheminées.  En  1608,  il  peignit  les  décorations 
municipales  de  Chartres  pour  la  réception  de  Marie  de  Médicis. 
La  vie  de  cet  artiste  avait  été  fort  agitée  ;  il  était  fixé  en  France 
avant  les  troubles  de  la  Ligue  et  craignant  d'être  appréhendé 
il  avait  fui  à  Milan,  laissant  sa  femme  et  ses  enfants  à  Orléans, 
puis  était  passé  au  service  du  roi  d'Espagne.  Après  le  triomphe 
de  Henri  IV  il  était  rentré  près  des  siens  mais  avait  été  arrêté 
pour  cause  d'espionnage  et  relâché,  son  innocence  ayant  été 
reconnue.  S'étant  alors  retiré  à  Paris,  il  fut  de  nouveau  appré- 
hendé puis  rendu  à  la  liberté  ;  c'est  alors  seulement  qu'il  revint 
se  fixer  dans  l'Orléanais  et  s'adonna  à  la  peinture. 

Non  loin  d'Orléans,  à  Blois,  et  sans  qu'on  en  sache  au  juste  les 
véritables  raisons,  s'abattit  de  tous  les  pays  du  Nord  et  de  l'Est, 
une  troupe  d'horlogers  étrangers.  Il  en  vint  des  Flandres,  des 
Provinces-Unies,  d'Allemagne  et  avec  eux  entrèrent  dans  le 
royaume,  au  xvn«  ûècle,  dej  graveurs  hollandais  qui  travaillèrent 
pour  ces  horlogers. 

Le  Roy,  d'Amsterdam  est  au  nombre  de  ces  derniers.  Il  se 
maria  à  Blois  et  ses  enfants  y  furent  baptisés  4.  Josué  Fabre, 

1.  P.  Courteault  et  Th.  Amtmann  ont  reproduit  l'œuvre  de  cet  artiste  dans 
les  Archives  historiques  de  la  Gironde,  t.  XXXIX. 

2.  Id.,  Ibid.  —  H.  Stein,  Joachim  Duviert  et  ses  vues  du  Gâtinais.  Paris,  1894. 
...   1 1 .  St cin  a  publié  une  Requête  de  Questel  à  Henri  I V,  dans  Bulletin  de  la  Société 

de  l'Histoire  de  l'Art  français,  année  1913,  p.  265. 

4.  Dcvelle,  Les  horlogers  blésois  aux  XVI9  et  XVII*  siècles.  Blois,  1917,  p.  136. 

15 


226  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

d'Amsterdam,  décédé  à  Angers  en  1666,  est  qualifié  de  graveur 
dans  son  acte  de  décès. 

Les  ébénistes  hollandais  sont  appréciés  en  France.  Mazarin 
.attire  auprès  de  lui  Pierre  Golle  qui  fabrique  des  cabinets  d*> 
bois  d'ébène  et  de  marqueterie  dont  on  retrouve  la  trace  dans 
l'inventaire  des  biens  de  la  Couronne.  Cet  artiste  travaillera 
aux  estrades  de  marqueterie  des  appartements  de  la  reine 
•de  1672  à  1675  et  décédera  en  France  en  1684  l.  Au  mois  d'oc- 
tobre 1679,  Louis  XIV  concède  la  naturalité  à  Jean  Oppenord, 
menuisier  en  ébène,  natif  de  Gueldres,  qui  fut  l'un  des  plus 
célèbres  menuisiers  chargés  de  décorer  les  maisons  royales  de 
meubles  conçus  dans  le  style  pompeux  de  Louis  XIV 2. 
Son  fils  s'éleva  plus  haut  que  lui  encore  dans  la  hiérarchie 
artistique  et  mérita  d'être  même  surnommé  le  Borromini 
français. 

Les  bibliophiles  n'ignorent  pas  l'influence  qu'exercèrent  les 
Flamands  sur  l'art  d'illustrer  les  livres  pendant  la  première 
moitié  du  xvne  siècle.  Les  graveurs  originaires  des  Pays-Bas 
et  des  Provinces-Unies  furent  particulièrement  nombreux  au 
cours  de  cette  période.  Dès  l'année  1600  est  signalé  à  Paris 
Jacques  de  Weert  qui  semble  être  d'origine  hollandaise  sans 
toutefois  que  le  fait  soit  avéré.  Pour  lui  comme  pour  plusieurs 
autres,  le  pays  de  naissance  est  demeuré  inconnu  ;  à  dater  de 
l'an  1620,  environ,  on  est  mieux  fixé  sur  l'origine  des  graveurs 
qui  travaillèrent  à  l'illustration  des  ouvrages  publiés  par  nos 
éditeurs. 

Quand  en  1618,  on  avait  cherché  pour  la  célèbre  «  Académie 
de  Pluvinel  »  un  maître  de  dessin  émérite,  on  s'était  adressé 
à  Maurice  de  Nassau  et  ce  prince  avait  désigné,  comme  capable 
d'enseigner,  le  graveur  Crispin  de  Passe,  fils  d'artiste  lui-même. 
Né  à  Utrecht,  ce  graveur  passa  douze  années  à  Paris,  il  fut 
l'illustrateur  de  livres  le  plus  recherché  et  le  plus  admiré  ;  il  fit 
les  planches  de  l'ouvrage  de  Pluvinel,  Le  Maneige  royal,  in-folio, 

1.  E.  Molinier,  Les  Arts  industriels,  Le  Mobilier  aux  XVII9  et  XVIII*  siècles, 
Paris,,  t.  III,  p.  25.  —  J.  Guifïrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  I,  p.  3,  151, 
etc. 

2.  J.  Guiffrey,  Lettre  de  naturalité  publiée  dans  les  Nouvelles  archives  de  l'Art 
français,  année  1873,  p.  258. 


GRAVEURS    HOLLANDAIS  227 

publié  en  1623  et  certes,  elles  sont  les  plus  belles  de  celles  qui 
parurent  à  cette  époque.  Crispin  de  Passe  dessina  ou  grava 
les  figures  et  les  frontispices  de  nombreux  romans,  notamment 
des  Amours  de  Théagène  et  Char  idée,  d'Endymion,  du  Berger 
extravagant  K 

Pendant  plusieurs  lustres  les  éditeurs  parisiens  se  glorifièrent 
dans  leurs  demandes  de  privilèges  d'avoir  obtenu  des  planches 
de  graveurs  hollandais  et  des  amateurs  appelèrent  de  Hollande 
des  artistes.  En  1630,  Favereau  sollicite  Cornelis  Bloemaert, 
d'Utrecht,  de  graver  les  pièces  les  plus  importantes  de  ses  collec- 
tions. Ses  gravures  furent  publiées  en  1655  avec  des  notices 
explicatives  de  l'abbé  de  Marolles  2.  Cornelis  Bloemaert  forma 
des  élèves  à  Paris  ;  le  peintre  Laurent  de  la  Hyre  raconte  que  son 
père  l'aurait  fait  entrer  chez  Bloemaert  s'il  n'avait  trouvé  trop 
élevé  le  prix  de  ses  leçons. 

Des  portraits  et  des  frontispices  sont  signés  par  Abraham  de 
la  Place,  d'Amsterdam,  mort  en  1649  3  ou  par  Pierre  Vanloc, 
graveur  et  imprimeur  du  roi  dont  le  père,  déjà  établi  à  Paris 
avait  épousé  Marguerite  Lenoir  4.  En  tête  des  ouvrages  de  Jonas 
Hambraeus,  les  portraits  fort  médiocres  d'ailleurs,  de  Louis  XIII 
et  de  Christine  de  Suède  sont  l'œuvre  de  van  Merlen. 


Il  n'est  pas  surprenant  que  les  Hollandais  aient  profité  des 
dispositions  favorables  des  ministres  français  à  leur  égard.  Leur 
tempérament  réaliste  les  poussait  vers  le  négoce  ;  pour  réaliser 
une  fortune,  ils  s'expatriaient  facilement  et  ils  sortaient  d'au- 
tant plus  aisément  de  leur  pays  que  dt  très  vives  querelles  reli- 


1.  Mu«  Jeanne  Duportal,  Elude  sur  les  livres  à  figura  édités  en  France  de  1601 
à  16G0.  Paris,  1914,  p.  120. 

2.  Tableaux  du  temple  des  muses  tirés  du  cabinet  de  feu  M.  Favereau.  Paris, 
1G55,  in-fo. 

3.  Bull,  de  la  Société  d'histoire  du  protestantisme,  t.  XII,  p.  228. 

4.  Ibtd.,  p.  229. 


228  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

gieuses  divisèrent  les  Pays-Bas  et  les  Provinces-Unies  durant 
plus  d'un  siècle.  Beaucoup  venaient  volontiers  en  France  car 
ils  partageaient  peut-être  cette  opinion  émise  par  l'un  d'eux 
et  que  Pierre  de  L'Estoile  nous  a  conservée.  Un  Hollandais 
écrivait  à  l'un  de  ses  correspondants  de  Paris.  «  Quant  à  la 
religion,  l'on  sçait  comme  les  choses  s'accommodent  doucement 
en  France  sans  que  nul  y  soit  violenté  ce  qui  en  effet  a  remis 
plus  de  personnes  au  droit  chemin  que  n'avoient  fait  aupara- 
vant toutes  les  forces  qu'on  y  avoit  emploiées.1  »  On  est  habitué 
à  considérer  la  Hollande  comme  un  pays  où  les  passions  reli- 
gieuses n'ont  jamais  été  excessives.  Michelet  a  contribué  à 
créer  cette  tradition  en  écrivant  :  «  Depuis  la  tragédie  de  Bar- 
neveldt,  que  le  fanatisme  vrai  ou  faux  tua,  la  Hollande  qui  en 
eut  horreur,  prit  un  mal  tout  contraire,  l'excès  de  la  tolé- 
rance 2.  » 

Depuis  l'arrivée  du  duc  d'Albe  dans  les  Pays-Bas  jusqu'au 
moment  où  les  Provinces  Unies  prirent  possession  des  villes 
qu'elles  avaient  définitivement  acquises  après  le  traité  de 
Munster,  les  luttes  religieuses  furent  continuelles  en  Hollande. 

Il  n'est  besoin  de  rappeler  comment  le  duc  d'Albe  traita 
les  protestants  de  Hollande  et  de  Zélande.  Des  milliers  de 
réformés  s'expatrièrent  pour  éviter  les  persécutions  ;  des 
familles  entières  gagnèrent  la  France  et  se  fixèrent  en  Picardie 
et  en  Vermandois.  Ils  y  apportèrent  des  industries  nouvelles. 
Jean  Cromelick  ou  Cromelin,  un  Néerlandais  d'origine,  créa  à 
Saint-Quentin  l'industrie  des  toiles  fines  et  claires  qui  remplaça 
peu  à  peu  celle  de  la  draperie.  Cromelin  propagea  la  culture 
du  lin  dans  le  Vermandois.  Très  promptement  il  fit  fortune 
et  ses  quinze  enfants  essaimèrent  dans  toute  la  région  ;  quelques 
uns  achetèrent  des  propriétés.  Pierre  Cromelin  acquit  la  terre 
noble  de  Canizy  et  le  12  mai  1600  les  magistrats  municipaux  lui 
accordaient  toute  latitude  pour  exercer  «  comme  les  autres  mar- 
chands d'icelle  ville  son  commerce  en  marchandises  de  toilettes  » 3. 


1.  P.  de  L'Estoile,  Mémoires  Journaux,  éd.  citée,  t.  VIII,  p.  154,  année  1604. 

2.  J.  Michelet,  Histoire  de  France,  Louis  XIV  et  la  révocation,  chapitre  xn. 

3.  G.  Picard,  Saint-Quentin  et  son  commerce.  Saint-Quentin,  1865,  t.  I,  p.  153 
et  note  4. 


LUTTES    RELIGIEUSES    EN    HOLLANDE  229 

D'autres  réformés  hollandais  suivirent  l'exemple  de  Cromelin. 

Don  Luis  Requesens  de  Zuniga  succéda  au  duc  d'Albe  en  1573 
comme  gouverneur  des  Pays-Bas.  Il  fut  moins  brutal  que  le 
duc  d'Albe  mais  sur  les  instructions  de  Philippe  II,  il  refusa 
aux  réformés  l'exercice  de  leur  libre  religion.  Il  se  contenta 
d'accorder  à  ceux  qui  ne  voulaient  pas  vivre  catholique  ment 
la  faculté  de  sortir  des  Pays-Bas  et  leur  laissa  le  temps  de  liquider 
leurs  biens.  De  cette  époque  date  une  importante  immigra- 
tion en  France  de  réfoimés  hollandais.  On  peut  le  tenir  pour 
certain. 

Ceux  qui,  au  lendemain  de  la  signature  de  l'Édit  de  Nantes, 
sollicitèrent  leurs  lettres  de  natui alite,  mentionnent  dans  leur 
demande  qu'ils  habitent  la  France  depuis  plusieurs  années 
déjà.  Avant  de  modifier  leur  statut  personnel,  ils  avaient 
attendu  qu'un  roi  tolérant  leur  accordât  dans  son  pays  le  libre 
exercice  de  leur  religion. 

Lorsque  les  États  eurent  obtenu  la  trêve  de  douze  ans,  ce 
fut  aux  protestants  de  se  montrer  durs  aux  catholiques.  Lors 
de  la  prise  de  Bois-le-Duc,  en  1629,  les  papistes  furent  malmenés 
et  les  catholiques  assistèrent  à  un  lugubre  spectacle  ;  leur  évêque 
Michel  Ophovius  avec  tous  les  ecclésiastiques,  religieux  et 
religieuses  furent  expulsés. 

Si  malmenés  étaient  les  catholiques  en  Hollande  qu'ils  adres- 
sèrent à  la  reine  de  France,  en  janvier  1644,  un  long  mémoire 
pour  la  prier  d'intervenir  auprès  des  États.  Dans  ce  mémoire 
ils  supplient  Anne  d'Autriche  d'avoir  pitié  «  des  catholiques 
hollandois  qui  sont  furieusement  persécutez  par  les  hérétiques, 
suivant  divers  éditz  publiez  et  renouvelez,  tant  des  Estats 
généraux  des  Provinces-Unies  en  date  du  3  aoust  1641  que  des 
Estats  de  Zélande  du  16  octobre  1642,  que  des  Estats  de  Frise 
du  17  juillet  1643.  »  Aux  termes  de  ces  édits,  défense  était  faite 
aux  prêtres  ou  religieux  d'entrer  dans  le  pays  sous  peine  d'amende, 
de  confiscation  des  biens,  voire  menu  de  châtiments  corporels. 
La  messe  était  interdite,  l'envoi  des  enfants  chez  les  Jésuites 
absolument  défendu.  Les  soldats  avaient  toute  licence  pour 
troubler  les  exercices  «  papistiques  »  chez  les  particuliers.  Le 
mémoire  des  catholiques  se  termine  par  ces  mots  :  «  Tous  ces 


230  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

édits  et  d'autres  qui  se  renouvellent  chaque  jour  sont  rigou- 
reusement exécutés  et  les  catholiques  se  trouvent  en  pirs  état 
que  ne  furent  jaman  les  chrétiens  aux  temps  des  plus  grandes 
persécutions  des  anciens  Empereurs  ennemis  de  la  foi  et  les 
gibets  et  tous  supplices  de  mort  leur  tenaient  beaucoup  plus 
doux  qu'une  vie  si  misérable  » K 

Lors  de  sa  mission  à  La  Haye,  en  1644,  le  comte  d'Avaux 
fut  reçu  le  3  mars  en  audience  solennelle  par  les  États  de  Hol- 
lande. Il  fit  un  ample  discours  sur  l'œuvre  qu'on  avait  à  accom- 
plir au  traité  de  Munster  puis  avant  de  prendre  congé  des 
États,  il  crut  bon  de  parler  en  faveur  des  catholiques  du  pays 
car  «  d'estre  bons  catholiques  et  bons  Hollandais  n'étaient  pas 
des  qualités  incompatibles  » 2.  Les  États  considérèrent  cette 
partie  de  son  discours  comme  tout  à  fait  inamicale  et  à  peine 
d'Avaux  s'était-il  retiré  que  l'Assemblée  exprima  son  méconten- 
tentement  et  séance  tenante,  rédigea  un  projet  de  «  vigoureuse 
résolution  ».  Les  États,  formulait  l'Assemblée,  ont  toujours 
respecté  la  liberté  de  conscience  chez  tous  les  habitants  des  Pro- 
vinces-Unies dans  leurs  maisons  et  leurs  familles  mais  ils  consi- 
dèrent comme  dangereuses  les  «  superstitions  catholiques  »  et  l'in- 
troduction du  culte  et  de  la  hiérarchie  «papistes»;  ils  protestent 
contre  les  observations  du  comte  d'Avaux  et  l'ingérence  d'un 
étranger  dans  leurs  affaires  intérieures  et  sont  décidés  à  promul- 
guer de  nouveaux  placards  pour  réprimer  les  intrigues  inquié- 
tantes des  papistes.  Cette  résolution  fut  adressée  à  d'Avaux  par  une 
députation  des  États.  L'intervention  de  notie  ambassadeur  pro- 
voqua une  aggravation  de  mesures  contre  les  catholiques  et  de  la 
manière  si  désobligeante  pour  nous  que  Mazarin  écrivait  àBerin- 
ghen  :  «  S.  M.  a  trouvé  rude  que  MM.  des  Estats  ayent  si  peu 
considéré  ses  offices  qui  tendoient  au  soulagement  de*  catho- 
licques  ». 

L'historien  hollandais  Wicquefort  rappelle  que  lorsque  ses 
compatriotes  prirent,  en  1651,  possession  définitive  de  Bois-le- 
Duc,  Berg-op-Zoom  et  Breda  que  l'Espagne  abandonnait  à  la 

1.  Arch.  des  Afï.  étrangères.  Correspondance  de  Hollande,  V,  xxx,  f03  170-171. 
Document  publié  par  A.  Waddington,  op.  cit.,  t.  II.  Appendice,  p.  383. 

2.  A.  Waddington,  op.  cit.  L'incident  du  3  mars  1644,  t.  II,  p.  62. 


ARMÉNIENS    ET    GOMARISTES  231 

Hollande  à  la  suite  des  traités  de  Munster,  les  catholiques  furent 
molestés  et  gagnèrent  l'étranger  h 

Que  des  luttes  entre  protestants  et  catholiques  aient  été  vives 
en  Hollande  au  xvne  siècle,  cela  ne  saurait  étonner.  Les  habi- 
tants des  Provinces-Unies  se  groupaient  autour  des  doctrines 
de  Calvin  comme  autour  d'un  drapeau  national  et  les  opposaient 
aux  dogmes  catholiques  dont  les  Espagnols  se  montraient  les 
défenseurs.  Mais  si  les  catholiques  molestèrent  les  protestants 
d'abord  et  si  les  réformés  persécutèrent  les  papistes  ensuite, 
il  advint  également  que  les  protestants  se  déchirèrent  entre  eux. 
Au  début  du  xvne  siècle,  la  Hollande  fut  divisée  en  deux  partis  : 
les  Arminiens  et  les  Gomaristes. 

Arminius  avait  émis  sur  la  prédestination  des  idées  opposées 
à  celles  de  Calvin  et  malgré  l'hostilité  de  Gomar,  fermement 
attaché  aux  doctrines  du  rénovateur  de  Genève,  il  fut  nommé 
professeur  de  théologie  à  Leyde  en  1604.  Tant  qu' Arminius 
vécut  la  lutte  fut  vive  entre  Gomar  et  lui  ;  après  sa  mort  se 
constituèrent  en  Hollande  deux  sectes  de  protestants  :  les 
Remontrants  qui  tenaient  pour  les  doctrines  arminiennes  et 
les  Non  remontrants  qui  prônaient  les  idées  de  Gomar.  Les  États 
se  montrant  favorables  aux  idées  d' Arminius,  Maurice  d'Orange 
se  rangea  du  côté  des  Gomaristes.  Pour  trancher  le  débat  entre 
les  deux  groupes,  on  réunit  à  Dordrecht  un  synode  général  au 
mois  de  novembre  1618.  Les  remontrants  n'y  furent  pas  admis 
comme  délibérants  mais  comme  accusés  ;  les  doctrines  armi- 
niennes furent  condamnées  solennellement  en  1619;  des  troubles 
intérieurs  se  produisirent.  Barneveldt  fut  condamné  à  mort  et 
exécuté  ;  des  Arminiens  furent  exilés  et  nombre  d'entre  eux 
vinrent  chercher  asile  en  France.  La  lutte  entie  les  deux  sectes 
faillit  priver  le  xvne  siècle  de  l'un  de  ses  hommes  les  plus  remar- 
quables :  Grotius  était  arminien.  Comme  tel,  il  fut  condamné  à 
la  détention  perpétuelle.  Il  s'évada  en  1621  et  vint  quérir  un 
refuge  en  France. 

Ces  discordes  religieuses  provoquèrent  des  immigrations  de 
Hollandais  vers  la  France.    Pendant  la  première   moitié    du 

1.  Wicquçfort,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  I,  p.  102. 


232  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

xvne  siècle,  catholiques  et  protestants  y  jouissaient  de  libertés 
presque  égales.  Les  réformés  avaient  leurs  temples  et  les  catho- 
liques leurs  églises.  Pour  les  étrangers  catholiques  habitant  Paris 
et  qui  n'avaient  pas  de  la  langue  française  une  connaissance 
approfondie,  avait  été  ciéée,  en  1626,  la  Confrérie  des  Nations 
allemande  et  hollandaise  qui  tint  ses  assises  à  l'église  Saint- 
Hippolyte  pendant  quelques  années  et  fut  ensuite  transférée  à 
Saint-Germain-des-Prés. 


CHAPITRE  IV 


I.  Les  Hollandais  dessèchent  les  marais  de  France.  —  II.  Ils  fondent  des  raffineries 
de  sucre,  des  manufactures  de  papier.  —  III.  Les  Hollandais  monopolisent  le 
commerce  des  vins.  —  IV.  Leurs  groupements  de  Bordeaux  et  de  Nantes.  — 
V.  Jalousies  qu'excite  l'importance  de  leur  négoce  en  France. 


Les  moines  et  quelques  seigneurs  avaient  au  moyen  âge 
entrepris  des  dessèchements  partiels  da  marais  ;  ma^ié  les  tra- 
vaux accomplis,  le  royaume,  à  la  fin  du  xvie  sièch  était  encore 
couvert  de  «  paluds  et  terres  mouillées  ».  Désirant  restituer  à 
l'agriculture  de  vastes  régions  incultes  et  assainir  des  provinces 
dans  lesquelles,  lors  des  épidémies,  la  peste  exerçait  de  sinistres 
ravages,  Henri  IV  résolut  de  dessécher  les  marais  de  Guyenne, 
de  Saintonge,  du  Poitou,  de  Picardie,  de  Provence  et  d'Auvergne. 
La  réalisation  du  programme  royal  nécessitait  une  direction, 
des  ingénieurs  expérimentés,  des  artisans  rompus  à  ces  travaux 
et  des  capitaux  importants.  Après  avoir  fait  appel  à  ses  sujets, 
le  roi  s'aperçut  qu'il  ne  trouverait  parmi  eux  aucun  concours  ; 
il  dut  attirer  de  l'étranger  des  hommes  capables  de  seconder  ses 
vues.  Des  Hollandais  répondirent  à  ses  appels  ;  Henri  IV  leur 
concéda  des  avantages  importants  et  durant  le  xvne  siècle, 
ingénieurs,  banquiers  et  ouvriers  néerlandais  travaillèrent  au 
dessèchement  de  nos  marais.  De  ces  forains  nombre  se  fixèrent 
en  France  et  si  l'histoire  n'a  pas  retenu  les  noms  des  simples 
artisans,  du  moins  a-t-elle  conservé  ceux  des  chefs  d'entreprise. 
Des  Hollandais  qui  passèrent  en  France,  le  plus  célèbre  est 
Humfroy  Bradley,  natif  de  Berg-op-Zoom.  Bradley  fut  l'âme 
des  premières  sociétés  constituées  en  vue  de  répondre  aux  désirs 
du  roi.  Ayant  étudié  dans  son  pays  les  méthodes  employées 


234  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

pour  lutter  contre  l'invasion  des  eaux,  il  vint  en  France  avec 
l'idée  d'appliquer  à  nos  marais  les  procédés  de  dessication 
utilisés  dans  les  Provinces-Unies.  Dès  1597  il  avait  commencé 
à  dessécher  les  marais  de  Chaumont-en-Vexin.  Il  visita  ensuite 
les  «  paluds  »  de  tout  le  royaume  et,  en  avril  1599,  lorsque  le  roi 
rendit  sur  le  dessèchement  des  terres  mouillées  un  édit  fonda- 
mental, Bradley  fut  choisi  comme  «  maître  des  digues  et  canaux 
du  royaume  ». 

Par  l'article  16  de  cet  édit,  le  roi  décidait  que  «  ceux  des  Pays- 
Bas  et  autres  étrangers  qui  viendraient  trouver  le  dit  Bradley 
et  ses  associés  seraient  réputés  ses  vrais  sujets  »  ;  après  un 
séjour  de  deux  ans  ils  pourraient  être  naturalisés  sans  payer 
finances.  Le  droit  d'aubaine  était  supprimé  à  leur  égard.  Ces 
dispositions  bienveillantes  incitèrent  des  Hollandais  à  venir 
collaborer  à  l'œuvre  de  Bradley.  Avec  l'aide  de  ses  compatriotes, 
l'ingénieur  forma  une  société  destinée  à  entreprendre  les  tra- 
vaux de  dessèchement.  Les  noms  des  premiers  compagnons  de 
Bradley  sont  demeurés  inconnus  ;  on  sait  seulement  que  dès  1599, 
Conrad  Gaussen  traita  avec  les  jurats  de  Bordeaux  pour  le 
dessèchement  des  marais  avoisinant  la  ville.  Plus  notoires 
sont  au  contraire  les  Hollandais  qui,  en  1607,  formèrent  avec 
Bradley  Y  Association  pour  le  dessèchement  des  marais  et  lacs  de 
France.  Cette  société  fut  créée  à  la  suite  de  dispositions  nouvelles 
prises  en  janvier  1607  par  Henri  IV1.  Par  un  édit  de  cette  date 
le  roi  codifiait  des  mesures  antérieures  et  octroyait  aux  dessica- 
teurs  des  avantages  personnels  et  réels. 

Aux  roturiers  était  accordée  la  noblesse  ;  c'était  là  un  précieux 
encouragement  pour  les  nationaux  ou  les  étrangers  hésitant 
à  se  lancer  dans  des  entreprises  de  longue  haleine  ;  aux  forains 
qui,  pendant  trois  années  consécutives,  auraient  tra^s  aillé 
aux  dessèchements  devaient  être  octroyées  des  lettres  de  natu- 
rslité.  A  l'expiration  du  délai  convenu,  faculté  leur  était  laissée, 
sans  perdre  pour  cela  le  privilège  de  la  naturalité,  de  se  retirer 
«  es  autres  lieux  de  France  pour  s'employer  aux  manufactures, 
traficqs  et  labeurs  »  qui  leur  conviendraient. 

1.  Comte  de  Dienne,  Histoire  du  dessèchement  des  lacs  et  marais  en  France  avant 
1789.  Paris,  1891, 


HUMFROY    BRADLEY  235 

Un  privilège  d'exploitation  était  accordé  à  Bradley  et  ses 
associés  jusqu'en  1639  ;  seuls,  jusqu'à  l'expiration  de  cette 
concession,  ils  avaient  le  droit  de  coopérer  aux  dessèchements 
et  d'en  tirer  profit  ;  ils  étaient  exempts  des  charges  publiques 
personnelles,  telles  que  commissions  de  justice,  assiette  et 
collecte  de  tailles,  tutelles  et  curatelles.  Durant  le  temps  de  leur 
privilège  les  entrepreneurs  et  leurs  gens  jouissaient  du  droit 
de  «  faire  fromages  à  la  façon  de  Milan,  tourbes  et  houilles  de 
terres  propres  à  brusler  comme  aussy  d'y  faire  des  cannes  à 
sucre,  des  ris  et  de  la  garance.  »  Les  étrangers  étaient  également 
autorisés  à  ouvrir  des  brasseries  partout  où  bon  leur  semblerait. 
Ces  avantages  séduisirent  peu  les  Français  et  l'association  dont 
Bradley  fut  le  promoteur  ne  comprit  guère  que  des  Hollandais. 
Très  rapidement,  elle  étendit  ses  opérations  sur  la  surface  entière 
de  la  France  ;  elle  s'occupa  du  dessèchement  des  lacs  d'Auvergne, 
des  marais  du  Languedoc,  du  Bordelais,  du  Poitou  et  de  la 
Picardie.  Jusqu'à  la  mort  de  Bradley,  elle  conserva  son  autono- 
mie et  une  grande  unité  de  direction  ;  à  partir  du  décès  du  maître 
•des  digues,  survenu  postérieurement  à  1625,  les  principaux 
ingénieurs  et  entrepreneurs  se  séparèrent  et  prirent  des  conces- 
sions distinctes. 

Toute  entreprise  suppose  une  direction,  des  ingénieurs  experts, 
des  capitalistes  et  des  ouvriers.  Humfroy  Bradley  groupa 
autour  de  lui  ces  éléments  de  succès.  Conrard  Gaussen  eut  à  sur- 
veiller les  travaux  de  la  région  bordelaise.  Pour  mieux  suivre  ses 
entreprises,  il  se  fixa  à  Bordeaux  où  il  s'unit  à  Eve  Vigier  qui 
lui  donna  une  fille  ;  celle-ci  épousa  David  Lhermitte,  commis- 
saire de  la  marine.  Jusqu'en  1627,  date  de  sa  mort,  Conrad, 
malgré  les  difficultés  que  lui  créa  le  cardinal  de  Sourdis,  conduisit 
les  travaux  de  dessèchement  des  marais  voisins  de  Bordeaux 
et  de  Blanquefort  ;  il  les  mena  à  bien.  En  témoignage  de  sa 
reconnaissance,  la  municipalité  de  Bordeaux  donna  le  nom  de 
Conrad  à  l'une  des  rues  du  quartier  des  Chartrons. 

Kn  Pfe  anlie,  Bradley  sous-traita  avec  Josse  van  Dale  qui, 
pour  la  Ir.nislormation  des  marais  de  Sacy-le-Grand,  constitua 
une  société  avec  Albert  van  Ens  et  Antoine  de  Larche  dont 
Alb<  1 1  v.in  Ens  avait  épouse  la  fille. 


236  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Albert  était  contrôleur  général  et  provincial  des  guerres 
dans  T Ile-de-France  ;  il  habitait  Paris,  en  l'hôtel  Saint-Mesme, 
sur  la  parois  e  Saint-Gervais.  C'est  là  que  van  Dale  vint  le 
quérir  pour  lui  donner  ls  direction  des  dessèchements  des  marais 
de  Sacy.  van  Ens  s'installa  dans  le  Beauvédsis  et  entama  les 
travaux.  Deux  ans  après  le  début  des  opérations,  en  1627,  les 
associés  réussissaient  déjà  à  vendre  quelques  terres  desséchées. 
Mais  les  affaires  ne  continuèrent  pas  à  prospérei  ;  en  1638, 
Jear  van  Ens,  un  parent  d'Albert,  dut  les  reprendre  en  mains. 
D'un  acte  liquidatif  de  la  situation  d'Albert  van  Ens  dressé 
après  son  décès,  il  résulte  que  plusieurs  enfants  étaient  issus  de 
son  mariage  avec  Anne  de  Larche. 

Jean  van  Ens  acquit  personnellement  quelques  fiefs  en 
Picardie  :  ceux  de  Fontaine-le-Comte  et  de  Fontaine-Peureuse  ; 
pendant  quelques  années,  il  s'intéressa  encore  aux  dessèchements 
de  Sacy-le-Grand,  mais  comme  il  exerçait  à  la  cour  la  charge  de 
contrôleur  de  l' argenterie  du  roi,  il  ne  surveillait  que  de  loin 
son  entreprise.  Au  demeurant,  en  1642,  il  quittait  Paris  pour  se 
fixer  en  Piovence  et  y  attacher  son  nom  à  de  vastes  travaux  ; 
on  était  en  effet  venu  l'inviter  à  entreprendre  le  des-échement 
des  marais  d'Ailes.  Après  avoir  été  sur  place  examiner  les  terres 
mouillées  de  la  région,  il  accepta  les  propositions  de  la  munici- 
palité de  cette  ville.  Dans  sa  nouvelle  tâche  il  eut  comme  colla- 
borateur l'ingénieur  hollandais  Jean  Voortcamp.  Les  deux  asso- 
ciés se  débattirent  au  milieu  de  difficultés  inouïes  ;  leurs  tra- 
vaux lésaient  des  intérêts  particuliers,  troublaient  des  habitudes 
séculaires  ;  pendant  dix  ans,  van  Ens  eut  à  subir  des  procès 
tellement  nombreux  qu'il  se  serait  découragé  si  Louis  XIV  ne 
l'avait  pris  sous  sa  protection  spéciale.  A  la  longue,  cependant, 
les  habitants  de  la  province  reconnurent  les  mérites  de  l'entre- 
prise que  le  dessicateur  avait  menée  à  bien  et  quand,  en  sep- 
tembre 1652,  van  Ens  mourut,  on  lui  accorda  des  honneurs 
spéciaux.  Bien  qu'il  fut  protestant,  on  fit  sonner  en  son  honneur 
les  cloches  de  Saint-Trophime  et  ses  obsèques  furent  solennelle- 
ment célébrées.  Jean  van  Ens  avait  pris  femme  en  Provence  ; 
Il  avait  épousé  Marguerite  d'Antonelle  de  Montmeillan  et 
de  ce  mariage  était  né  Louis  van  Ens  qui  fut  baptisé  le  14  dé- 


DESSICATEURS   DE   MARAIS  237 

cembre  1650  à  la  paroisse  Sainte-Marthe  dans  la  ville  d'Arles. 

La  compétence  des  Hollandais  comme  dessicateurs  est 
reconnue  par  tous.  En  1628,  le  duc  d'Epernon  commande  les 
forces  françaises  devant  La  Rochelle  ;  le  commissaire  de  son 
artillerie,  Abraham  Fabert  engage  le  duc  à  faire  visiter  les 
marais  de  Lesparre  par  le  célèbre  ingénieur  Leegwater,  le  pro- 
moteur du  dessèchement  de  la  mer  de  Haarlem.  D'Epernon 
accède  aux  propositions  de  Fabert.  Ayant  examiné  les  marais 
de  Lesparre,  Leegwater  revint  conférer  avec  d'Epernon  devant 
La  Rochelle  et  le  persuada  de  l'utilité  de  les  faire  disparaître. 
Des  instructions  furent  données  à  Fabert  pour  l'entrepiise  de 
ces  travaux.  Cat  et  van  Bomel  s'occupaient  alors  des  dessèche- 
ments des  marais  de  Civrac  et  Leyrac  ;  on  leur  confia  ceux  des 
marais  de  Lesparre.  Cat  et  van  Bomel  appelèrent  près  d'eux 
des  ouvriers  hollandais  pour  lesquels  d'Epernon  sollicita  de 
Richelieu  des  privilèges  spéciaux. 

Les  marais  de  Bourgoin  avaient  été  concédés  par  Louis  XIV 
au  maréchal  de  Turenne.  Lors  de  la  prise  de  possession  de  cette 
propriété,  des  difficultés  surgirent  entre  le  maréchal  et  les  habi- 
tants des  paroisses  voisines  ;  elles  furent  aplanies  par  le  Parle- 
ment de  Grenoble  et  un  arrêt  du  Conseil  du  roi.  A  la  mort  du 
maréchal,  en  1675,  le  duc  de  Bouillon  hérita  des  droits  de  son 
oncle  ;  s'étant  fait  confirmer  le  privilège  de  Turenne,  il  traita 
du  dessèchement  de  ses  terres  avec  Jean  et  Adrien  Coorte, 
père  et  fils.  Moyennant  une  rente  annuelle  le  duc  de  Bouillon 
les  substituait  dans  ses  droits. 

Jean  Coorte,  écuyer,  avait  été  capitaine  commandant  un 
régiment  d'infanterie  pour  les  États  de  Hollande  ;  l'acte  de 
concession  des  marais  de  Bourgoin  le  qualifie  d'ingénieur. 
Adrien  Coorte  est  désigné  dans  le  même  acte  comme  maître  et 
entrepreneur  de  la  manufacture  de  draps  établie  à  Béville, 
en  Picardie.  Ayant  quitté  cette  province  en  1676,  il  se  fixa  à 
l'Isle-d'Abeau,  au  centre  des  marais.  Ainsi  que  van  Ens,  les 
Coorte  furent  en  butte  à  toutes  les  vexations  mais  ils  ne  se 
découragèrent  pas,  car  en  1690,  ils  étaient  encore  à  la  tête  de 
leurs  entreprises.  Pendant  longtemps  les  terres  qu'ils  avaient 
asséchées  produisirent  les  plus  belles  récoltes  de  tout  le  pays. 


238  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Outre  les  difficultés  qu'ils  rencontrèrent  au  cours  de  leurs 
entreprises  les  Coorte  eurent  à  subir  de  dures  épreuves  au  point 
de  vue  religieux  ;  Adrien  ayant  abjuré  à  Paris,  le  consistoire 
de  Lyon  désunit  son  ménage  ;  ses  deux  enfants  âgés  de  dix-sept 
et  dix-huit  ans  étaient  conduits  au  prêche  contre  le  gré  de  leur 
père  ;  Colbert  de  Croissy,  en  1679,  intervint  auprès  de  Le  Bret, 
intendant  du  Dauphiné,  pour  mettre  ordre  à  cette  situation. 
Les  difficultés  s'aplanirent  ;  les  Coorte  en  effet  continuèrent 
à  s'occuper  des  marais  de  Bourgoin  jusqu'en  1690. 

Les  financiers  des  entreprises  de  dessèchements  de  marais 
furent  à  peu  près  tous  des  étrangers  ;  les  Stradaet  les  d'Herwarth 
étaient  Allemands,  les  Hoeufft,  van  Gangelt,  Crucius,  Vlamin 
et  Henry  étaient  Hollandais. 

Le  plus  notoire  de  tous  les  Néerlandais  fut  Jean  Hoeufft. 
Il  s'était  primitivement  établi  à  Rouen  mais  ayant  été  nommé 
conseiller  secrétaire  du  roi  il  vint  habiter  Paris.  Avec  Bradley, 
cet  ami  de  Mazarin  fut  l'un  des  principaux  artisans  de  la  réus- 
site des  entreprises  de  dessèchements  dont  il  s'occupa  jusqu'à 
sa  mort  survenue  en  1651.  Comme  banquier,  il  avait  pris  des 
parts  d'intérêts  dans  de  nombreuses  entreprises  en  Poitou, 
en  Provence  et  en  Picardie.  Lorsqu'il  décéda,  ses  héritiers  se 
répartirent  sa  fortune  territoriale  qui  était  considérable  ;  ces 
partages  donnèrent  lieu  à  des  contestations.  Lorsque  les  diffé- 
rends entre  héritiers  eurent  reçu  une  solution,  les  biens  de 
Jean  Hoeufft  passèrent  à  ses  collatéraux.  Les  uns  étaient  restés 
dans  les  Provinces-Unies  ;  les  autres  ayant  suivi  en  France  la 
fortune  de  Jean  Hoeufft,  s'étaient  occupés  des  dessèchements 
et  s'étaient  mariés  dans  le  royaume.  Jean  Hoeufft,  fils  de  Thierry, 
frère  du  banquier,  hérita  de  Fontaine-le-Comte  et  de  Choisival; 
Barbe  Hoeufft,  nièce  du  défunt  et  épouse  de  Gabriel  du  Paulmier 
eut  également  une  part  des  propriétés.  Christophe  Hoeufft, 
autre  frère  du  banquier,  avait  plusieurs  enfants  ;  Jean,  dit  le 
jeune,  était  associé  de  son  oncle  et  avait  pour  sa  part  de  gros 
intérêts  dans  les  dessèchements  des  marais  de  Moreilles-en- 
Poitou  ;  il  recueillit  des  biens  dans  la  succession  de  son  oncle 
ainsi  que  ses  sœurs  Marguerite,  épouse  de  David  de  la  Croix, 
secrétaire    du    roi,    et    Catherine,    femme    de    Strada,    baron 


FINANCIERS    HOLLANDAIS  239 

d'Anvières  et   propriétaire  du  lac  de  Sarlièves,  en  Auvergne. 

Une  autre  branche  de  la  famille  de  Jean  Hoeufft  fit  égale- 
ment valoir  ses  droits  à  la  succession  ;  elle  était  issue  de  Anne 
Hoeufft  femme  de  Pierre  Fabrice  de  Gressenich.  Le  représentant 
français  de  cette  branche  était  Otto  Fabrice  de  Gressenich,. 
l'un  des  associés  de  l'entreprise  des  dessèchements  de  Sacy-le- 
Grand.  Dans  les  actes  Otto  Fabrice  est  qualifié  de  seigneur  de 
Fontaine-le-Comte,  en  Picardie  ;  conseillei  et  maître  d'hôtel 
du  roi.  Otto  Fabrice  avait  épousé  Marthe  de  Menou  et  de  cette 
alliance  naquirent  quatre  enfants  qui  demeurèrent  en  France. 

Alliés  à  des  familles  françaises  ou  à  des  familles  d'origine 
étrangère  comme  celles  des  Strada  ou  des  Crucius,  les  Hoeufft 
ont  laissé  des  descendants  ;  lors  de  la  révocation,  quelques-uns 
regagnèrent  la  Hollande,  confiant  la  surveillance  de  leurs 
propriétés  à  des  fondés  de  pouvoirs  ;  mais  après  quelques  années 
ils  revenaient  prendre  leur  place  dans  la  famille  française. 

Gaspard  van  Gangelt  est  moins  connu  que  Jean  Hoeufft. 
Les  frères  de  Villers  qui  séjournèrent  à  Paris  en  1657  et  165& 
nous  apprennent  qu'il  avait  comptoir  de  change  près  du  Pont- 
Neuf.  Ce  financier  avait  épousé  Madeleine  Verbeck  et  en  eut 
quatre  enfants  :  Gaspard,  sieur  de  Beaulieu,  capitaine  de  cava- 
lerie au  régiment  de  Declos,  Constantin,  sieur  des  Marais,  lieute-- 
nant  des  vaisseaux  du  roi.  Des  deux  filles,  l'une,  Marianne 
devint  comtesse  de  Boursac,  l'autre,  Charlotte,  épousa  François 
de  Niert,  marquis  de  Gambais,  premier  valet  de  chambre  du  roi 
et  gouverneur  de  Limoges. 

Gaspard  van  Gangelt  centralisait  les  fonds  de  la  société  de 
dessèchements  fondée  par  Bradley  :  après  la  mort  de  Jean 
Hoeufft,  il  fut  l'un  des  liquidateurs  de  sa  succession.  L'associa- 
tion avait  aussi  des  banquiers  locaux  résidant  non  loin  des 
dessèchements  ;  ils  correspondaient  avec  les  propriétaires  de 
marais,  les  commanditaient  et  payaient  leurs  dépenses.  De  ce 
nombre  était  Henri  Vlamin,  banquier  à  La  Rochelle  ;  en  1656, 
il  était  avec  son  beau-frère  Guillaume  Henry  l'un  des  princi- 
paux intéressés  des  dessèchements  des  marais  de  Champagne. 
De  la  famille  des  Crucius,  d'Amsterdam,  —  ou  de  la  Croix. 
de  leur  nom  francisé,  —  quelques  membres  prirent  part  aux  opé- 


240  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

rations  financières  des  dessicateurs.  Adrien  et  Jean,  armateurs, 
rafïineurs  et  banquiers  à  La  Rochelle,  ouvraient  leurs  comptoirs 
aux  opérations  de  la  Société. 

Ce  ne  furent  pas  seulement  les  chefs  d'entreprise  de  dessèche- 
ments qui  passèrent  de  Hollande  en  France  ;  les  ouvriers  qu'on 
employait  furent  également  tirés  des  Provinces-Unies.  Les 
ouvriers  français  n'étaient  pas  compétents,  ils  se  méfiaient  des 
méthodes  employées  par  les  ingénieurs  étrangers  et  exécutaient 
leurs  ordres  avec  une  sourde  hostilité.  Dès  les  débuts,  Bradley 
obtint  leur  renvoi  et  l'autorisation  de  «  bastir  des  maisons, 
bourgs  et  villages  pour  y  retirer  et  faire  habiter  plusieurs  familles 
flamandes,  hollandaises  et  autres  étrangers.  »  Il  chargea  des 
Flamands,  membres  de  son  association,  les  Coomans,  d'embau- 
cher des  ouvriers  dans  les  Provinces-Unies  et  les  Pays-Bas. 
Ils  réussirent  si  bien  à  attirer  des  étrangers  que  plusieurs  régions 
colonisées  par  eux  prirent  les  noms  de  Petite  Flandre  ou  de 
Polders  de  Hollande  qu'ils  portent  encore.  Des  travaux  effectués 
par  des  Hollandais  ont  conservé  des  appellations  rappelant  leur 
présence  au  xvne  siècle.  En  Poitou,  un  canal  d'écoulement 
d'eaux  qui  se  jette  dans  le  canal  de  Luçon  porte  encore  le  nom 
de  Ceinture  des  Hollandais  ;  la  paroisse  de  Queyrac  est  bordée 
par  un  chenal  appelé  Polder  de  Hollande  qui  est  la  dénomination 
donnée  à  la  ceinture  du  marais  de  Lesparre.  Des  métairies 
fondées  par  les  Néerlandais  avaient  été  dénommées  La  Haye, 
Hollande,  Lintzick.  En  Saintonge  les  marais  situés  sur  les  pa- 
roisses de  Tonnay-Charente,  Muron  et  terroirs  contigus  devinrent 
les  marais  de  la  Petite  Flandre. 

Les  Hollandais  laissèrent  dans  les  régions  où  ils  travaillèrent 
des  souvenirs  autres  que  ceux  qui  viennent  d'être  rappelés. 
En  Poitou,  ils  introduisirent  une  race  de  moutons  plus  forte 
que  celle  du  pays  ;  cette  race  a  conservé  jusqu'à  nos  jours  le 
nom  de  race  fiandrine.  Dans  ses  Variétés  bordelaises,  Baurein 
note  que  les  familles  hollandaises  apportèrent  dans  le  Médoc 
«  la  méthode  de  faire  du  beurre  frais  qu'on  appelait  de  la  petite 
Flandre,  mais  dont  la  cessation  a  été  occasionnée  par  la  conver- 
sion des  pacages  en  terres  labourables.  » 

Par  leur  habileté  et  leur  ténacité  les  Hollandais  avaient  réussi 


RAFFINEURS    HOLLANDAIS  241 

à  rendre  fertiles  de  nombreuses  parties  du  territoire  au 
xviie  siècle  ;  malheureusement  l'hostilité  à  laquelle  quelques-uns 
des  dirigeants  des  entreprises  de  dessèchements  furent  en  butte 
les  obligea  à  vendre  leurs  biens  et  à  sortir  de  France.  Les  tra- 
vaux qu'ils  avaient  exécutés  ayant  été  mal  entretenus,  il  advint 
qu'on  dût  les  recommencer  au  xvme  siècle. 

Nonobstant  les  difficultés  qu'elles  éprouvèrent  pour  gérer 
leurs  biens,  des  familles  hollandaises  conservèrent  leurs  pro- 
priétés jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Louis  XV  :  les  Hocufït  ne  liqui- 
dèrent les  leurs  qu'en  1765. 


II 


L'industrie  du  raffinage  du  sucre  paraît  avoir  été  introduite 
en  France  par  les  Hollandais  ;  ils  lui  donnèrent  en  tous  cas  une 
extension  singulière  au  xvne  siècle. 

La  première  raffinerie  de  sucre  de  Bordeaux  fut  très  probable- 
ment construite  aux  Chartrons  par  les  frères  Isaac  et  Moïse 
Meerman  *.  Sur  cet  établissement,  on  ne  possède  d'autres  ren- 
seignements qu'une  affirmation  produite  par  un  descendant 
de  cette  importante  famille  hollandaise  ;  on  la  peut  tenir  pour 
exacte  car  dans  les  autres  cités  françaises,  les  premières  raffi- 
neries furent  toujours  créées  par  des  Hollandais.  Jean  Ridder 
avait  aussi  fondé  une  raffinerie  à  Bordeaux  avant  l'année  1638  2. 
David  Crucius,  de  concert  avec  ses  deux  neveux,  natui alises 
en  1659,  était  propriétaire  d'une  raffinerie  à  La  Rochelle  3. 
Nanti  d'un  privilège  spécial,  daté  de  1613  et  confirmé  en  1620, 
Jérémie  Vualens  établissait  à  Rouen  une  raffinerie  de  sucre  *. 

Les  municipalités  accordaient  volontiers  l'hospitalité  aux 
raffineurs  hollandais  ;  elles  les  sollicitaient  même  de  s'installer 
dans  leur  ville.  Le  corps  des  échevins  attire  à  Angers  Gaspard 

1.  A.  Ducaunnès-Duval,  La  famille  Meerman.  Bordeaux,  1897,  p.  3. 

2.  Inventaire  des  registres  de  la  Jurade  de  Bordeaux.  V°  Bourgeois. 

3.  Comte  de  Dienne,  op.  cit.,  p.  46. 

4.  E.  Gosselin,  Documents...  etc.,  p.  131. 

1C 


242  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

van  Bredenbek  «  raflineur  de  sucres  et  de  cassonnades  ».  Ayant 
cédé  aux  propositions  des  magistrats  municipaux,  ce  Hollan- 
dais se  fixa  sur  les  rives  de  la  Maine  et  fit  souche  à  Angers  après 
avoir  obtenu  sa  naturalisation.  Au  xvme  siècle,  les  van  Breden- 
bek étaient  alliés  aux  meilleures  familles  de  la  ville  ;  l'un  des 
leurs  était  même  capitaine  de  la  milice  bourgeoise  de  la  cité  K 

Non  loin  d'Angers,  à  Saumur,  René  Tinnebac  possédait 
une  raffinerie.  Il  recevait  par  Nantes  ses  sucres  bruts  et  y  écou- 
lait ses  produits  fabriqués.  Son  établissement  fut  clos  après  la 
révocation  de  l'Édit  de  Nantes  2. 

Une  famille  hollandaise,  celle  des  Vandeberg,  fonda  à  Orléans, 
en  1653,  la  première  raffinerie  de  sucre  connue  dans  cette  ville. 
Elle  donna  l'impulsion  première  à  une  industrie  qui  se  développa 
grandement  à  Orléans  puisqu'à  la  veille  de  la  Révolution  on  y 
comptait  près  de  vingt  raffineries.  La  communauté  des  «  mar- 
chands fréquentant  la  rivière  de  Loire  »  facilitait  le  transport 
des  sucres  bruts  ou  raffinés  et  dès  les  premières  années  de  la 
création  de  leur  industrie  les  Vandeberg  tirèrent  un  profit  consi- 
dérable de  leur  avance  et  des  facilités  de  transport  qu'ils  trou- 
vaient à  Orléans3. 

Georges  Vandeberg,  le  fondateur  de  cette  industrie,  habitait 
Orléans  depuis  le  milieu  du  xvne  siècle  ;  il  était  avocat  au  bail- 
liage et  siège  présidial  ;  par  la  suite,  il  fut  prévôt  de  la  ville  et 
Meutenant  général  de  police.  Vandeberg  était  un  juriste  lettré, 
consacrant  ses  loisirs  à  la  poésie  latine.  «  Bien  qu'il  fût  digne, 
écrit  Legaingneux,  par  l'étendue  de  ses  lumières  et  la  force  de 
son  éloquence  d'occuper  les  premières  places  de  la  magistra- 
ture »,  cet  avocat  se  tourna  vers  l'industrie  et  construisit,  rue  de 
Recouvrance,  une  raffinerie  de  sucre. 

La  famille  Vandeberg  se  fixa  en  France  définitivement. 
Bien  que  des  enfants  de  Georges  Vandeberg  aient  essaimé  en 
diverses  provinces,  puisque  l'on  rencontre  un  de  ses  petits-fils, 
Michel  Vandeberg  de  Villebouré  comme  magistrat  à  Montauban, 


1.  Arch.  mun.  d'Angers,  BB  74,  89,  131. 

2.  J.  Mathorez,  Notes  sur  la  colonie  hollandaise  de  Nantes,  ext.  de  la  Revue  du 
Nord,  1913,  p.  36. 

3.  Cuissard,    Etudes    sur  le  commerce  et  l'industrie  à  Orléans.    Orléans,  p.  243. 


PAPETIERS    HOLLANDAIS  243 

le  rameau  principal  de  la  famille  s'implanta  en  Orléanais, 
Plusieurs  des  descendants  du  raffineur  s'allièrent  à  l'une  des 
plus  anciennes  maisons  de  la  province,  celle  des  Colas  de  Brou- 
ville  et  des  Colas  des  Francs.  En  1789  les  Vandeberg  comparais- 
saient parmi  les  gentilshommes  de  la  province  h 

Les  fondateurs  étrangers  d'industries  ont  toujours  attiré  des 
ouvriers  de  leur  pays  ;  c'est  un  fait  acquis  à  l'histoire.  Les  Hol- 
landais ont  introduit  en  France  des  dessicateurs  de  marais,  des 
drapiers,  des  charpentiers,  des  fabricants  de  papiers.  Les  raffi- 
neurs  n'ont  pas  manqué  à  la  tradition  ;  ils  ont  constitué  dans 
leurs  usines  de  véritables  colonies  étrangères.  Les  documents 
qui  relatent  ces  faits  sont  abondants  mais  généralement  conçus 
en  termes  très  généraux;  comme  ils  rapportent  rarement 
les  noms  des  artisans,  il  est  intéressant  de  mentionner  les  actes 
relatant  la  présence  en  France  de  ces  auxiliaires,  lorsque  le 
hasard  permet  d'en  découvrir  quelques-uns.  Ainsi  que  leurs  com- 
patriotes, les  Vandeberg  occupaient  des  Hollandais  et  des  Alle- 
mands. Le  19  avril  1689,  on  constatait  à  Orléans  le  décès  d'un 
jeune  homme  de  trente  ans  qui  travaillait  aux  nouveaux  vitraux 
de  l'église  Sainte-Croix  ;  nul  papier  ne  permettant  de  l'iden- 
tifier on  eut  recours  aux  témoignages  de  François  Gors,  ouvrier 
sucrier,  originaire  de  Maestrich  et  de  Charles  Auhan,  natif  de 
Poméranie,  exerçant  la  même  profession.  Ils  déclarèrent  que  le 
décédé  avait  nom  Louis  Istrein  et  était  natif  de  Norden  2. 

La  raffinerie  des  Vandeberg  existait  encore  pendant  la  Révo- 
lution; en  l'an  II,  elle  occupait  une  moyenne  de  vingt  ouvriers  3. 

Au  xvne  siècle  Angoulême  produisait  déjà  des  papiers  renom- 
més ;  les  propriétaires  de  moulins  à  papier  le  vendaient  à  des 
commissionnaires  pour  la  France  et  l'étranger  ;  il  y  avait  là 
pour  les  Hollandais  une  trop  belle  occasion  de  se  livrer  au 
commerce  de  l'exportation  pour  qu'ils  n'en  profitassent  point. 
Aussi  les  voit-on  se  fixer  très  nombreux  en  Charente  puis  peu 

1.  En  1695,  Jacques  Colas  de  Brouville,  futur  intendant  de  Stanislas  Leczinski, 
épouse  Elisabeth  Vandeberg  ;  Louis  Colas  de  Brouville  épouse  en  1743  sa  cousine 
Claude-Marie  Vandeberg  ;  son  petit-flls  épouse  encore  à  la  fin  du  xviii»  siècle 
Thérèse-Edwige  Vandeberg  de  Champguérin.  —  Arch.  mun.  d'Orléans,  GG  141, 
143,  482,  486. 

2.  Arch.  mun.  d'Orléans,  GG  319. 

3.  Arch.  Nat.,  F"  1502. 


244  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

à  peu  monopoliser  le  commerce  du  papier.  Parmi  les  Hollan- 
dais établis  à  Angoulême  on  cite  les  Ravestein,  de  Leyde,  les 
Verdouyn,  les  Vincent  d'Amsterdam,  les  van  Gangelt  et  les 
van  den  Plasten.  Ces  facteurs  habitaient  généralement  les  bords 
de  la  Charente,  à  l'Houmeau,  Saint-Cybard  et  Basseau  ;  ils 
chargeaient  les  papiers  sur  des  gabarres  jusqu'à  Tonnay,  Roche- 
fort  et  La  Rochelle  ;  de  ces  ports  ils  étaient  ensuite  expédiés  sur 
leurs  destinations  définitives. 

Pour  s'assurer  la  production  de  quelques  manufacturiers 
habiles  les  Hollandais  pratiquèrent  à  l'égard  des  fabricants  les 
mêmes  méthodes  que  celles  qu'ils  employèrent  au  xvne  siècle 
à  l'égard  des  viticulteurs.  Ils  louaient  des  moulins  à  papier  et 
fournissaient  à  un  maître  fabricant  un  capital  de  roulement 
sans  exiger  d'intérêt.  Ce  capital,  à  la  fin  du  contrat  devait  être 
restitué  par  l'exploitant  qui  était  tenu  de  réserver  au  commandi- 
taire tout  le  papier  par  lui  fabriqué.  Le  poids,  la  dimension 
des  papiers  ainsi  que  les  prix  étaient  fixés  par  avance.  C'est 
ainsi  que  procédaient  le  plus  souvent  trois  des  facteurs  hollan- 
dais les  plus  importants  d'Angoulême,  les  Vannezel,  les  Vanton- 
geren et  les  Jansscn  *.  Ces  Hollandais  s'étaient  établis  dans  la 
Charente  vers  le  milieu  du  xvne  siècle  ;  ils  y  firent  souche. 
Abraham  Janssen  qui  avait  épousé  Anne  Dioré,  semble  avoir 
été  l'un  des  plus  grands  négociants  en  papiers  de  l'Angoumois  ; 
outre  ceux  qu'il  acquérait  de  ses  frères  Isaac,  Philippe  et  Théo- 
dore, installés  aux  moulins  de  Puymoyen,  de  Tudebeuf  et  de 
Roche,  il  en  achetait  en  Limousin  ;  d'autres  lui  étaient  expédiés 
de  Tulle  et  du  village  des  Auges  en  Périgord  2. 

Les  Vantongeren  étaient  eux  aussi  d'importants  négociants 
en  papiers  ;  des  membres  de  cette  famille  demeurèrent  à  Angou- 
lême ;  en  1749  Pierre  Vantongeren,  de  la  communauté  des  mar- 
chands de  papiers  de  cette  ville,  donne  procuration  à  l'un  de  ses 
homonymes  à  l'effet  de  recevoir  les  arrérages  de  sa  charge 
d'inspecteur  des  manufactures  de  papier  3.  Des  Vantongeren, 
affiliés  à  ceux  d'Angoulême  se  rencontrent  encore  à  Limoges 

1.  Boissonnade,  L'industrie  du  papier  en  Charente,  1890. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Charente,  E  1958,  1959,  1966,  1967. 

3.  Ibid.,  E  1776. 


LES  HOLLANDAIS  ET  LE  NÉGOCE  DES  VINS       245 

en  1751.  Pierre  Vantongeren,  chevalier,  seigneur  de  Siecq  et  de 
Cougoussac  est  conseiller  président  au  bureau  des  finances  de 
la  généralité  de  Limoges  *. 


III 


De  tous  les  commerces,  le  plus  en  faveur  auprès  des  Hollan- 
dais, fut  celui  des  vins  et  des  eaux-de-vie.  Après  l'avoir  organisé, 
ils  monopolisèrent  ce  trafic  au  xvne  siècle  ;  il  était  pour  eux 
une  source  de  profits  considérables  car  outre  les  bénéfices  qu'ils 
prélevaient  sur  la  vente  des  vins,  le  transport  des  boissons  four- 
nissait à  leurs  navires,  un  fret  de  retour  considérable. 

Un  port  ne  prend  d'extension  que  s'il  possède  un  «  hinter- 
land  »  important.  Il  convient  de  drainer  vers  lui  les  marchandises 
des  régions  voisines  et  des  provinces  qui  lui  sont  reliées  par  des 
fleuves  ou  des  routes.  Avec  leur  perspicacité,  les  Hollandais 
avaient  compris  que  pour  développer  leur  trafic  d'exportation 
des  boissons,  il  convenait  de  les  acheter  sur  place  par  l'intermé- 
diaire de  facteurs  de  leur  pays  qui  se  chargeaient  ensuite  de  les 
diriger  vers  les  ports  de  l'Atlantique  ou  de  la  Manche.  Ils  avaient 
pour  ainsi  dire  divisé  la  France  en  un  certain  nombre  de  sec- 
teurs dans  lesquels  opéraient  courtiers,  commissionnaires  et 
transporteurs  néerlandais. 

Si  l'on  en  juge  par  un  factum  curieux  du  xvne  siècle,  le 
Commerce  honorable  2,  les  Hollandais  avaient  dans  le  début  de 
leur  installation  en  France,  offert  de  gros  prix  aux  viticulteurs, 
et  les  campagnards  alléchés  par  les  profits  avaient  planté  des 
vignes  un  peu  partout.  De  là  étaient  résultés  deux  inconvé- 
nients ;  le  blé,  à  certaines  années,  s'était  raréfié  et  comme  on 
brûlait  beaucoup  de  vins  pour  faire  de  l'eau-de-vie,  le  bois  avait 
augmenté  de  prix.  Pour  s'assurer  les  récoltes,  les  Hollandais 
pratiquaient  le  marché  à  terme  et  la  commandite  ;  ils  avançaient 

1.  Arch.  dép.  de  la  Charente,  E  1736. 

2.  J.  Eon,  Le  commerce  honorable.  Nantes,  1646. 


246  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

des  capitaux  aux  viticulteurs  besogneux  et  exigeaient  qu'ils 
leur  réservassent  leurs  vendanges. 

Dans  les  régions  productrices  de  vins,  en  Orléanais,  en  Tou- 
raine,  en  Anjou,  dans  le  Midi  de  la  France,  en  Aunis  et  en  Sain- 
tonge  comme  en  Guyenne,  les  Hollandais  entretenaient  des 
facteurs  et  des  courtiers  qui  acquéraient  les  boissons  puis  les 
acheminaient  vers  les  ports  d'embarquement  de  l'Atlantique. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que  tous  les  vins  de  la  vallée  de  la 
Loire,  avant  d'être  expédiés  sur  Nantes,  étaient  dirigés  sur  les 
Ponts-de-Cé  en  Anjou.  Là  s'opérait  un  premier  travail  :  le  classe- 
ment des  vins  d'Anjou  ;  au  xvne  siècle  ils  comportaient  deux 
catégories  :  les  vins  pour  Paris  et  ceux  pour  la  mer  ;  les  premiers 
étaient  de  qualité  inférieure,  les  seconds  au  contraire,  achetés 
par  les  commissionnaires  de  Hollande  étaient  destinés  à  l'expor- 
tation. Aux  Ponts-de-Cé,  outre  un  bureau  nommé  Embargo 
et  dans  lequel  se  tenaient  les  armateurs,  avaient  été  construits 
de  vastes  pontons  qui  servaient  d'embarcadères.  Lorsque  les 
navires  étaient  chargés  ils  descendaient  la  Loire  et  c'est  à  Nantes 
que  s'effectuaient  les  transbordements  nécessaires.  Le  souvenir 
des  négociants  hollandais  s'est  d'ailleurs  perpétué  aux  Ponts-de- 
Cé  car  il  y  existe  encore  une  maison  connue  sous  le  nom  de 
Bureau  des  Hollandais  K 

Qu'il  y  ait  eu  dans  les  villes  de  l'intérieur,  à  Orléans,  à  Tours, 
à  Dijon  et  à  Mâcon  des  courtiers  hollandais  chargés  d'acquérir 
des  boissons,  le  fait  est  certain  mais  c'est  principalement  dans 
les  ports  qu'une  foule  de  Néerlandais  sont  occupés  par  le  négoce 
des  vins.  A  Bordeaux  ils  pratiquent  «  les  façons  à  donner  » 
pour  les  mettre  au  goût  de  la  clientèle  étrangère.  Lorsque  Colbert 
arrivera  au  pouvoir  il  ne  se  montrera  pas  scandalisé  de  ces  pro- 
cédés mais  il  s'indignera  que  les  Français  ne  puissent  faire 
ce  que  font  les  Néerlandais.  Il  écrira  à  d'Aguesseau  :  «  S'il  est 
nécessaire  de  travailler  les  vins  pendant  l'hiver,  de  les  frelater 
comme  font  les  Hollandais,  cela  peut  aussi  bien  se  faire  à  Bor- 
deaux et  on  peut  y  faire  venir  les  plus  entendus  en  cet  art  en  cas 
que  ce  soit  un  secret  des  Hollandais.  » 

1.  Sébille-Auger,  Mémoires  sur  les  vins  du  département  de  Maine-et-Loire. 
Angers,  1830. 


LES    HOLLANDAIS    ET    LE    NÉGOCE    DES    VINS  247 

Des  Néerlandais  transvasent  les  vins,  les  entreposent,  les 
chargent  sur  des  navires  de  leur  pays.  De  Hollande,  ils  appellent 
des  tonneliers  pour  construire  de  vastes  tonneaux.  Cette  méthode 
leur  vaut  parfois  de  grosses  difficultés.  Pour  faciliter  l'arrimage 
des  futailles  sur  leurs  navires,  les  Hollandais  avaient  coutume 
d'utiliser  des  barriques  de  grandes  dimensions,  dites  façon  d'Al- 
lemagne, d'Anjou,  de  Bordeaux  ou  de  Vouvray.  Or  dans  les 
privilèges  de  la  ville  de  Nantes,  il  était  stipulé  que  les  échevins 
avaient  le  droit  de  nommer  un  jaugeur  juré  pour  mesurer  la 
dimension  des  fûts.  Jusqu'au  milieu  du  xvne  siècle,  les  jaugeurs 
s'étaient  contentés  de  percevoir  les  émoluments  de  leur  charge, 
mais  par  un  règlement  du  12  août  1656,  le  maire  et  les  échevins 
décidèrent  qu'à  l'avenir  pourraient  seules  être  employées  les 
barriques  nantaises  de  232  pots.  Le  jaugeur  fut  chargé  de  la 
stricte  application  du  règlement.  Les  contraventions  dressées 
furent  nombreuses.  Aussitôt  les  négociants  hollandais  qu 
étaient  particulièrement  atteints  par  cette  mesure  en  appe- 
lèrent au  Parlement  de  Rennes.  Gérard  Pieters,  Simon  van 
Schovonen,  Revixit,  van  Haersen,  André  van  Pradelle,  Corneille 
van  Suchtet  exposèrent  leurs  doléances.  Par  un  arrêt  du  12  oc- 
tobre, le  Parlement  fit  «  défenses  à  tous  marchands  de  leur  donner 
troubles  ou  empêchement  à  peine  de  10.000  livres  d'amende  ; 
aux  maires,  échevins  et  juges  consuls  de  Nantes  de  prendre 
connaissance  des  procès  et  différends  des  dits  marchands  hollan- 
dais ».  Malgré  cette  décision,  les  Hollandais  eurent  encore  des 
difficultés  avec  le  jaugeur;  chez  van  Bulstrack  on  saisit  des 
futailles  prohibées  qu'il  détenait  dans  les  magasins  de  la  Fosse  l„ 

Lorsque  les  vins  étaient  accommodés  au  goût  de  la  clientèle, 
les  facteurs  néerlandais  les  chargeaient  sur  leurs  navires  et  les 
expédiaient  vers  les  pays  de  la  Baltique.  Les  Suédois  recher- 
chaient les  vins  blancs  d'Anjou,  de  Haute-Guyenne  et  de  Cognac  ; 
les  Prussiens  étaient  acheteurs  de  vins  des  hauts  pays  du  Borde- 
lais 2.  Pour  satisfaire  aux  besoins  de  leurs  commettants,  les 


1.  Arch.  mun.  de  Nantes,  FF  141,  142,  143.   -  Arch.  dép.  d'Illc-et- Vilaine, 
Fonds  de  la  Grande  Chambre,  arrêt  du  12  octobre  1656. 

2.  M.  Boissonnade,  Histoire  des  premiers  essais  de  relations  économiques  directes 
entre  la  France  et  l'Etal  prussien.  Poitiers,  1913,  p.  96  et  97. 


248  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Hollandais  avaient  à  leur  disposition  de  véritables  flottes  ; 
chaque  année,  au  printemps,  elles  remontaient  la  Gironde,  la 
Charente  ou  la  Loire  pour  embarquer  vins  et  eaux-de-vie. 
Dans  une  lettre  à  Pomponne,  Colbert  parle  de  trois  à  quatre  mille 
vaisseaux  qui  de  La  Rochelle  et  Bordeaux  emportaient  80.000  ton- 
neaux de  vins  1,  Entre  1646  et  1658,  la  valeur  des  vins  achetés 
en  France  par  les  Hollandais  oscillait  entre  six  et  sept  millions. 


IV 


On  estime,  d'après  un  relevé  incomplet  de  1646,  à  15.700.000  li- 
vres la  valeur  de  nos  exportations  de  France  en  Hollande,  chiffre 
représentant  environ  la  moitié  de  notre  commerce  spécial 
à  cette  époque.  Douze  années  après,  Boreel,  dans  un  rapport, 
chiffrait  à  36  millions  de  francs  le  commerce  des  Hollandais 
en  France,  non  compris  la  valeur  des  blés,  des  chanvres  et  des 
sels.  La  majeure  partie  des  achats  étaient  effectués  par  des 
Hollandais  établis  ou  circulant  en  France  ;  du  Midi  ils  tiraient 
vins  et  pastels,  de  l'Ouest  eaux-de-vie  et  sels,  la  Bretagne  et 
la  Normandie  leur  fournissaient  draps  et  toiles,  Paris  des  objets 
de  luxe.  C'est  assez  dire  quel  pouvait  être  vers  le  milieu  du 
xvne  siècle  le  nombre  des  commissionnaires  hollandais  établis 
en  France.  Ils  constituaient  de  véritables  groupements  dont 
certains  de  leurs  membres  se  fixèrent  définitivement  dans  le 
pays  après  avoir  obtenu  leurs  lettres  de  natur alité  et  de  bour- 
geoisie. Ils  avaient  d'ailleurs  intérêt  à  obtenir  la  modification 
de  leur  statut  personnel.  Droits  généraux  et  taxes  locales  variaient 
suivant  que  le  débiteur  était  régnicole  ou  étranger.  Dans  quelques 
villes,  les  bourgeois  étaient  exonérés  de  taxes  ;  à  Bordeaux, 
notamment,  les  commerçants  ayant  droit  de  cité  ne  payaient 
pas  le  droit  de  comptablie.  Les  Hollandais  étaient  négociants 
trop   avisés  pour  mépriser  ces   avantages.  Bien  qu'Henri   IV, 

1.  P.  Clément,  Lettres  de  Colbert,  t.  II*  463,  lettre  du  21  mars  1659. 


COLONIE    HOLLANDAISE    DE    BORDEAUX  249 

par  lettres-patentes  d'avril  1595  eut  accordé  la  naturalité 
générale  aux  sujets  des  Provinces-Unies,  beaucoup  jugèrent 
utile  de  solliciter  des  lettres  individuelles  de  naturalité.  Elles  les 
garantissaient  contre  toutes  difficultés.  De  l'année  1598  datent 
les  premières  qui  furent  demandées  et  accordées.  L'Édit  de 
Nantes  assurant  aux  Hollandais  protestants  la  liberté  reli- 
gieuse, ils  n'hésitèrent  plus  à  s'établir  dans  un  pays  où  leur 
culte  était  admis. 

Les  négociants  d'origine  hollandaise  ont,  au  cours  des  soixante 
premières  années  du  xvne  siècle,  fourni  à  la  France  une  abon- 
dante population.  La  politique  de  Colbert  à  l'égard  des  Hollan- 
dais pénétrant  dans  le  royaume  contribua  encore  à  l'accroître. 
Me  réservant  de  montrer  quelle  pouvait  être  l'importance  de 
l'immigration  hollandaise  en  France  au  moment  de  la  révoca- 
tion de  l'Édit  de  Nantes,  je  me  borne  présentement  à  étayer 
mes  affirmations  de  quelques  exemples. 

A  Bordeaux  s'installent  avant  l'année  1660  Guillaume  van 
Platen,  les  Vandamme,  Bierquens,  Josué  van  Herlant  d'Ams- 
terdam, Samuel  Melic,  les  de  Rieders,  Daniel  Oyens.  En  1599 
Paul  Boul  est  naturalisé,  Jean  et  Abraham  Vandenpom  reçoivent 
en  1602  leurs  lettres  de  naturalisation.  Jacques  Hellaert  de 
Middelbourg,  Joris  Vanhemstede  d'Amsterdam,  sont  égale- 
ment reçus  en  la  qualité  de  Français.  Dix  autres  sont  admis  à 
l'honneur  de  la  bourgeoisie.  François  van  den  Berg,  marchand, 
est  inscrit  sur  le  livre  des  Bourgeois  en  1629.  Moins  de  dix  ans 
après,  en  1636,  ce  Franz  van  den  Berg  qui  a  transformé  son 
nom  en  celui  de  François  Desmons  tente,  ayant  fait  fortune, 
d'acquérir  à  deniers  comptants  un  office  de  trésorier  de  France 
au  bureau  des  finances  de  Bordeaux,  comme  successeur  de 
M.  de  Verthamon.  Alard  et  Cram  dont  les  lettres  de  bourgeoisie 
furent  cassées  en  1654  \  Vanpulle,  Constantin  Cruipling  étaient 
eux  aussi  marchands  aux  Chartrons.  Aux  noms  de  ces  Hollan- 
dais viendraient  s'en  ajouter  beaucoup  d'autres  si  l'on  avait  le 
loisir  d'interroger  les  minutes  notariales  conservées  aux  archives 
de   la   Gironde.    Celles   du   notaire    Deferrand   qui   s'étendent 

1.  A.  Leroux,  La  Colonie  germanique  de  Bordeaux.  Bordeaux,  1918,  tome  Ipr, 
p.  16  et  s.,  p.  24  et  s. 


250  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

de  1654  à  1701  fournissent  à  elles  seules  une  vingtaine  de  noms 
de  négociants  issus  des  Provinces-Unies. 

A  ces  éléments  stables  de  population  il  y  aurait  lieu  d'ajouter 
les  capitaines  de  navires  marchands,  les  matelots  qui  descen- 
daient à  terre  et,  le  soir,  s'égaraient  dans  les  tavernes,  souvent 
possédées  par  des  Hollandais.  Si  à  ces  marins  l'on  ajoute  les 
ouvriers  que  Conrad  Gaussen  avait  appelés  pour  les  dessèche- 
ments de  marais,  les  artisans  qui  travaillaient  dans  les  raffi- 
neries, on  constatera  que  la  colonie  hollandaise  de  Bordeaux 
était  déjà  fortement  constituée  avant  l'arrivée  de  Colbert  au 
pouvoir. 

De  ce  groupe  de  Néerlandais  fixés  aux  Chartrons,  trois  familles 
méritent  de  retenir  l'attention  car  elles  ont  laissé  à  Bordeaux 
une  postérité  et  de  la  réputation.  Ces  familles  arrivées  dans  la 
ville  antérieurement  au  milieu  du  xvne  siècle  sont  celles  des 
Meerman  \  des  Vandebrande  et  des  de  Kater. 

Michel  Meerman  habita  La  Rochelle  jusqu'en  1603.  A  cette 
date  il  vint  se  fixer  à  Bordeaux  et  fut  reçu  bourgeois  de  la  ville. 
Il  exerçait  la  profession  de  marchand  et  son  commerce  s'éten- 
dait sur  toutes  espèces  de  denrées  et  produits.  De  ses  deux 
mariages  il  eut  quatre  enfants.  Son  fils  aîné,  Samuel  prit  la  suite 
des  affaires  de  son  père  et  leur  donna  une  extension  considérable; 
son  négoce  portait  sur  les  vins,  eaux-de-vie,  huiles,  fromages, 
céruse,  peinture,  savon,  sucre,  vif  argent.  Il  ne  se  bornait  pas 
à  Bordeaux  ou  aux  environs  ;  Samuel  Meerman  était  en  corres- 
pondance constante  avec  La  Rochelle,  Saintes,  Bayonne, 
Toulouse.  Il  avait  des  courtiers  en  Hollande  ;  en  1630  il  commerce 
avec  Pierre  Delo,  Gilles  Hains,  marchands  d'Amsterdam  et 
avec  Emery  de  Saintes  dont  il  avait  épousé  la  sœur  Suzanne. 
Samuel  Meerman  mourut  en  1633  laissant  la  réputation  d'un 
négociant  considérable.  La  maison  de  commerce  fondée  par 
Michel  et  Samuel  Meerman  a  subsisté  à  Bordeaux  jusqu'à 
nos  jours.  Du  double  mariage  de  Michel  est  issue  une  abondante 
postérité.  Quatre-vingt-cinq  descendants  figurent  sur  un  tableau 
généalogique  de  sa  famille  dressé  à  la  fin  du  xixe  siècle. 

1.  A.  Ducaunnès-Duval,  La  Camille  Meerman.  Notice-  généalogique  et  biogra- 
phique. Bordeaux,  1897. 


LES  VANDEBRÀNDE,  LES  DE  KATER  25 î 

Les  premiers  Hollandais  du  nom  de  van  den  Branden  n'ont 
pas  tenu  dans  l'histoire  du  commerce  bordelais  une  place  aussi 
marquée  que  les  Meerman  et  ce  fut  seulement  en  1690  que  Phi- 
lippe fut  admis  au  rang  des  bourgeois.  Son  petit-fils  né  à  Bor- 
deaux en  1722,  fut  d'abord  négociant  puis  il  fonda  une  verrerie 
à  Libourne  et  voulut  encore  quelques  années  après,  y  établir 
une  faïencerie.  Malgré  quelques  difficultés  occasionnées  par  un 
concurrent  possesseur  d'un  privilège,  il  obtint  des  lettres- 
patentes  et,  en  1760,  sa  manufacture  fonctionnait.  Par  son 
mariage  avec  Antoinette  Sausané,  Philippe  Vandebrande  était 
allié  aux  familles  parlementaires  de  Bordeaux,  les  Prunes- 
Duvivier,  d'Albessard  et  Saige  ;  complètement  établi  dans  la 
province,  il  y  avait  acquis  des  propriétés  foncières. 

P.  Vandebrande  a  survécu  dans  l'histoire  locale  non  seule- 
ment comme  négociant  à  Bordeaux,  «  gentilhomme  verrier 
patenté  de  S.  M.  »  et  faïencier  à  Libourne  mais  aussi  comme 
auteur  d'un  très  instructif  ouvrage  publié  en  1774  sous  le  titre 
de  Voyage  de  Languedoc,  Provence  et  Comtat  d'Avignon.  Le  sou- 
venir de  ce  négociant  lettré  a  été  conservé  à  Bordeaux  car  la 
municipalité  de  la  ville  a  donné  le  nom  de  P.  Vandebrande 
à  une  rue  du  quartier  des  Chartrons  h  C'est  d'ailleurs  un  hom- 
mage que  les  Bordelais  ont  également  rendu  aux  de  Kater, 
autre  famille  hollandaise  fort  connue  au  xvme  siècle  mais  dont 
les  ancêtres  arrivèrent  à  Bordeaux  dans  les  mêmes  temps  que 
les  Vandebrande. 

Pierre  de  Kater  était  établi  à  Bordeaux  depuis  quelques 
années  déjà  lorsqu'il  fut  admis  aux  honneurs  de  la  bourgeoisie 
en  1687  2.  Son  fils  Pierre  reprit  la  suite  de  ses  affaires  en  1720. 
Son  histoire  est  encore  inconnue  :  celle  de  ses  descendants 
est  au  contraire  liée  à  la  vie  économique  de  Bordeaux  au 
xvme  siècle.  Pierre  II  de  Kater  fut  juge  consul  de  la  Chambre 
de  Commerce  en  1725  et  1737,  il  fut  également  directeur  du 
commerce  en  1727,  1738  et  1754.  Au  mois  d'août  1743  le  roi 


1.  Alfred  Leroux,  op.  cit.,  p.  30,  37,  55,  56,  112,  116,  118.  —  Archives  historique» 
de  la  Gironde,  t.  XXX,  p.  258  ;  t.  XXXIV,  p.  287  ;  t.  XXX VI II,  p.  492. 

2.  Id.,  Ibid.,  p.  30,  37,  114,  119,  121,  150.  -  A.  Communay,  Les  Grands  négo- 
ciants bordelais  au  XVIIIe  siècle.  Bordeaux,  1888,  p.  57. 


252  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

l'anoblit  car,  est-il  dit  dans  les  lettres  d'anoblissement,  «le  dit 
sieur  de  Kater  a  su  mériter  la  confiance  et  l'estime  du  public 
soit  dans  le  commerce  soit  dans  les  places  et  dans  les  adminis- 
trations qui  lui  ont  toujours  été  déférées  ».  Pierre  de  Kater 
avait  été  administrateur  de  l'hôpital  Saint-Louis  de  Bordeaux, 
puis  jurât.  Il  avait  épousé  Jeanne  Rozier  qui  lui  donnasix  enfants. 
Son  fils  aîné  fut  également  négociant  et  directeur  du  commerce 
en  1757  ;  enfin  en  1762,  les  registres  de  la  Chambre  de  Commerce 
de  Bordeaux  mentionnent  encore  son  autre  fils  François  de  , 
Kater  comme  juge  consul  ;  il  avait  épousé  Jeanne  Mémoire  l.      /■* 

Ainsi  qu'on  peut  s'en  rendre  compte  par  ces  quelques  exemples, 
dès  l'année  1660  la  ville  de  Bordeaux  donnait  l'hospitalité 
à  une  colonie  hollandaise  fortement  constituée.  De  ses  membres, 
plusieurs  se  francisèrent  promptement  et  ont  laissé  une  pos- 
térité digne  de  la  sympathie  des  Bordelais. 

A  Nantes,  ville  cosmopolite  comme  toutes  les  cités  mari- 
times, le  développement  de  la  colonie  hollandaise  a  été  très 
rapide.  Depuis  l'année  1598,  époque  à  laquelle  fut  accordée 
une  lettre  de  natur alité  à  Jehan  Henrich,  il  n'est  registre  de 
la  Chambre  des  Comptes  qui  ne  relate  plusieurs  documents 
de  l'espèce.  Le  principal  commerce  des  premiers  Hollandais 
établis  à  la  Fosse  consistait  dans  l'exportation  des  vins  et  des 
eaux-de-vie.  Au  début  du  xvne  siècle,  les  opérations  de  ces 
étrangers  faillirent  être  totalement  entravées  par  des  «marchands 
vinotiers  »  qui  prétendaient  accaparer  le  négoce  des  vins 
en  achetant  les  récoltes  ;  des  Hollandais,  ayant  voulu  entrer 
en  concurrence  avec  eux  dans  l'évêché  de  Nantes,  furent  empê- 
chés de  transporter  les  boissons  qu'ils  avaient  acquises.  La 
colonie  des  marchands  hollandais  de  Nantes  se  pourvut  devant 
le  Parlement  de  Rennes  qui,  en  1603,  se  fondant  sur  la  liberté 
du  commerce  condamna  les  vinotiers  2. 

Deux  documents  nous  renseignent  sur  la  puissance  de  la 
colonie  hollandaise  de  Nantes  au  milieu  du  xvne  siècle  ;  l'un 
date  de  1645  ;  c'est  une  requête  au  roi  dans  laquelle  les  Nantais 
exposent  leurs  griefs  contre  les  négociants  originaires  des  Pro- 

1.  Arch.  hist.  de  la  Gironde,  t.  XXX,  p.  252. 

2.  J.  Mathorez,  op.  cit.,  p.  41. 


HOLLANDAIS    A    NANTES  253 

vinces-Unies  ;  l'autre  est  un  factum  rédigé  par  le  moine  Jean 
Eon.  Cet  ouvrage  n'est  qu'une  réplique  de  la  requête  mais 
amplifiée  et  mise  sous  une  forme  littéraire.  Il  est  intitulé  : 
Du  Commerce  honorable.  Ces  deux  documents  se  complètent 
mutuellement  et  reflètent  l'état  des  esprits  contre  les  Hollan- 
dais. Leur  habileté  commerciale,  la  puissance  de  leur  marine 
leur  avaient  permis  d'édifier  de  rapides  fortunes  et  on  les  jalou- 
sait. La  jalousie  des  Nantais  se  traduisait  par  les  mots  les  plus 
acerbes.  «  Pour  parvenir  à  leurs  usurpations,  les  étrangers  qui 
«  partent  de  Hollande  pour  venir  en  France  jurent  une  union 
«  entre  eux  et  ceux  de  leur  nation.  Ils  s'obligent  à  se  procurer 
«  du  bien  les  uns  aux  autres  et  ne  permettent  pas  que  les  Fran- 
ce çais  prennent  part  à  leurs  affaires  et  aux  bénéfices  qui  se 
«  peuvent  faire  dans  le  négoce  à  tel  point  que  les  meilleures 
«  affaires  passent  par  leurs  mains  et  que  le  rebut  est  le  plus 
«  honorable  emploi  des  habitants.  » 

Les  Nantais  reprochaient  leur  exclusivisme  aux  Hollandais 
établis  parmi  eux  ;  ils  formaient  en  effet  un  clan  séparé  ayant 
peu  de  rapports  avec  la  population.  Ils  vivaient  les  uns  chez  les 
autres  ;  les  nouveaux  venus  prenaient  pension  dans  des  familles 
déjà  fixées  à  Nantes  et  des  aubergistes  hollandais  hébergeaient 
leurs  compatriotes  ;  la  supplique  de  1645  demandait  au  roi  d'op- 
poser des  obstacles  à  ces  habitudes. 

Les  Hollandais  vivaient  sur  la  Fosse  de  Nantes  ;  les  paroisses 
de  Saint-Nicolas  et  de  l'Aumônerie  de  Toussaint  étaient  celles  des 
catholiques.  Deux  ou  trois  fois  par  semaine,  ils  se  réunissaient 
sur  la  Hollande,  conférant  là  de  leurs  commissions  et  de  la 
«  diversité  d'icellcs  pour  savoir  la  quantité  de  marchandises 
qui  leur  étaient  nécessaires  suivant  les  inclinations  de  chacun 
et  les  ordres  de  leurs  commettants.  »  Au  cours  de  ces  réunions 
ils  arrêtaient  les  prix  à  payer.  Les  Hollandais  avaient  une  telle 
habitude  de  s'assembler  sur  la  place  qui  a  du  reste  conservé  le 
nom  de  Petite  Hollande  qu'en  1640,  ils  refusèrent  de  se  tenir 
à  la  Bourse  du  Commerce  que  venait  de  fonder  la  municipalité. 

Les  Hollandais  n'étaient  pas  toujours  très  adroits  dans  les 
plaisanteries  qu'ils  dirigeaient  contre  les  Nantais  ;  en  parlant 
d'eux,  ils  avaient  coutume  de  dire  :  «  Les  Grecs  D'entendant 


254  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

rien  aux  affaires.  »  Cette  moquerie  était  d'un  goût  d'autant  plus 
douteux  que  plusieurs  commerçants  des  Provinces-Unies  avaient 
quitté  Nantes  sans  solder  leurs  dettes.  L'auteur  du  Commerce 
honorable  chiffre  à  huit  ou  neuf  cent  mille  livres  les  pertes 
infligées  en  moins  de  dix  ans  par  les  banqueroutiers  hollandais. 
A  ces  désastres  financiers  les  Nantais  opposaient  les  fortunes 
réalisées  par  les  Néerlandais  ;  quelques-unes  atteignaient  plus 
<le  six  cents  mille  livres. 

La  requête  au  roi  et  le  factum  de  Jean  Eon  permettraient 
déjà  à  eux  seuls  d'avoir  un  aperçu  de  l'importance  de  la  colonie 
hollandaise  de  Nantes  antérieurement  à  l'arrivée  de  Colbert 
comme,  grand  maître  de  la  marine  et  du  commerce  français. 
Outre  ces  documents  généraux,  on  possède  quelques  autres 
preuves  de  la  force  du  groupement  hollandais  de  Nantes  ; 
elles  dispensent  de  citer  des  séries  de  noms  puisés  dans  les  actes 
et  les  minutes  de  notaires  ;  j'ai  déjà  mentionné  l'appel  interjeté 
devant  le  parlement  de  Rennes  par  les  courtiers  hollandais 
contre  lesquels  on  avait  dressé  des  procès-verbaux  pour  détention 
de  futailles  non  conformes  à  la  jauge  nantaise.  Une  délibération 
du  Conseil  d'administration  de  l'hôpital  du  Sanitat  de  l'an- 
née 1654  est  typique.  Les  membres  de  ce  Conseil  décidèrent 
qu'il  y  avait  lieu  de  faire  des  remontrances  aux  Hollandais 
sur  la  diminution  de  leurs  charités  bien  qu'ils  fissent  les  trois 
quarts  du  commerce  de  la  ville  1. 

Au  vrai,  tandis  que  les  Italiens  et  les  Espagnols  qui  étaient 
légion  en  France  au  xvie  siècle  se  mêlaient  activement  à  la  vie 
des  cités  dans  lesquelles  ils  s'implantaient,  les  Hollandais 
demeuraient  à  l'écart  de  la  population  au  xvne  siècle.  On  les 
voit  très  rarement  devenir  échevins,  administrateurs  d'hospices 
ou  d'œuvres  publiques.  Assez  rarement,  les  Hollandais  qui  se 
fixèrent  en  France  au  cours  des  soixante  premières  années  du 
xvne  siècle  se  rendirent  acquéreurs  de  biens  immobiliers. 
Tout  «  confits  dans  le  commerce  »  et  ne  pensant  qu'à  tirer 
«  succum  et  sanguinem  »  des  populations  au  milieu  desquelles 
ils  s'installaient,  ces  étrangers  ne  se  souciaient  pas  d'immobi- 

1    Arch.  départ,  de  la  Loire- Inférieure,  H  749. 


HOLLANDAIS    A    NANTES  255 

liser  leurs  fortunes.  En  général,  les  Néerlandais  étaient  protes- 
tants, ils  ne  trouvaient  pas  aisément  à  s'allier  avec  des  Fran- 
çaises appartenant  à  la  religion  réformée,  celles-ci,  étant  rela- 
tivement peu  nombreuses  ;  ainsi  s'explique-t-on  que  l'assimi- 
lation des  premiers  membres  des  colonies  hollandaises  ait  été 
plus  lente  que  celle  des  habitants  originaires  des  pays  latins 
ou  des  régions  allemandes  de  religion  catholique. 

En  France  les  crises  nationalistes  ont  presque  toujours  été 
fonction  des  crises  économiques  et  celles-ci  naissent  générale- 
ment des  crises  politiques.  Depuis  la  mort  de  Louis  XIII  jus- 
qu'aux dernières  convulsions  de  la  Fronde,  le  pays  fut  agité 
et  divisé  par  des  questions  politiques  ;  le  gouvernement  qui 
avait  peine  à  se  défendre  contre  les  partis  ne  s'occupait  que  très 
peu  du  commerce  et  de  l'industrie  ;  les  étrangers,  et  c'étaient 
alors  les  Hollandais  qui  prédominaient  eurent  beau  jeu  à  réaliser 
des  fortunes.  Tant  que  les  Français  participèrent  à  l'activité 
commerciale  de  ces  étrangers,  ils  les  considérèrent  avec  amé- 
nité ;  à  partir  du  moment  où  ils  estimèrent  qu'ils  étaient  lésés 
dans  leurs  intérêts,  ils  se  tournèrent  contre  ceux  qu'ils  pensaient 
être  la  cause  du  ralentissement  de  leur  négoce.  Dans  un  mémoire 
présenté  au  roi,  en  1701,  un  député  du  commerce,  des  Caseaux, 
qui  avait  bien  observé  les  faits  et  possédait  tous  les  documents 
de  l'époque  analysait  très  finement  cette  situation.  Il  écrivait 
ce  qui  suit  :  «  Dans  les  premiers  temps  de  l'établissement  des 
Hollandais  en  France,  nos  pères,  dans  beaucoup  de  villes,  étaient 
plongés  dans  l'indolence  au  sujet  du  commerce  et  réduits  à 
cultiver  leurs  terres.  Ceux-là  envoyaient  des  facteurs  et  des 
courtiers  qui,  par  leur  savoir-faire,  se  rendaient  maîtres  de  tout 
le  commerce  de  la  plupart  des  ports  de  mer  et  même  des  villes 
de  l'intérieur  du  royaume.  Comme  ils  enlevaient  nos  denrées, 
on  les  regarda  d'un  bon  œil  ;  on  prenait  d'eux  les  marchandises 
de  leur  commerce...  on  les  vit  bientôt  faire  de  grosses  fortunes 
et  se  retirer  avec  de  grands  biens  laissant  d'autres  facteurs  de 
leur  nature  sur  leurs  affaires.  Cependant  ces  fortunes  nous  cau- 
sèrent de  l'ombrage  et  de  la  jalousie  »  1. 

1.  A.  de  Boislisle,  Correspondance  des  Intendants,  t.  II,  p.  490. 


256  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Il  est  à  remarquer  que  les  doléances  des  négociants  français 
et  leurs  accès  de  mauvaise  humeur  contre  les  Hollandais  datent 
des  premières  années  de  la  minorité  de  Louis  XIV.  Dans  toutes 
les  cités  où  ces  étrangers  se  sont  implantés,  et  comme  si  une 
consigne  générale  avait  été  passée,  éclatent  des  protestations 
contre  eux.  A  tout  propos,  les  habitants  cherchent  noise  aux 
Hollandais.  Leurs  procédés  que  l'on  avait  jusqu'alors  patiem- 
ment supportés  deviennent  soudainement  intolérables.  Contre 
les  commerçants  hollandais  s'élève  un  vent  de  xénophobie  ; 
pendant  une  dizaine  d'années,  ils  sont  pris  à  partie  et  les  régni- 
coles  essaient  de  les  évincer  des  villes  où  ils  sont  déjà  puissam- 
ment installés.  Mais  les  efforts  dirigés  contre  les  Hollandais 
sont  vains  car  leur  organisation  est  trop  forte  ;  entre  eux  et  nous 
la  lutte  est  inégale. 

Les  marques  d'hostilité  qu'on  manifeste  à  l'égard  des  com- 
merçants hollandais  sont  multiples.  En  1646  le  Parlement  de 
Bordeaux  avait  prononcé  contre  un  grand  nombre  d'entre  eux 
un  arrêt  de  condamnation  pour  monopoles,  «  usures  horribles  » 
et  autres  abus  commis  dans  l'exercice  de  leur  commerce  *. 
«  Ils  sont  dans  un  tel  décry,  affirme  Dubernet,  président  du 
Parlement  de  Bordeaux  que  partout  on  les  appelle  mange 
paysans  et  qu'ils  semblent  avoir  fait  entre  eux  le  despartement 
des  paroisses  pour  y  dévorer  les  pouvres  et  pour  achepver  la 
ruine  entière  du  pays  » 2. 

A  Nantes,  en  1644,  les  hostilités  sont  ouvertes.  Trois  négo- 
ciants de  la  ville  attaquent  le  Hollandais  Gérard  Noé  au  sujet 
de  transactions  effectuées  par  lui  avec  des  marchands  de  Tours  ; 
ils  prétendent  qu'en  sa  qualité  d'étranger  il  n'a  pas  le  droit 
de  se  livrer  au  négoce.  Le  maire  et  les  échevins  donnent  raison 
à  leurs  concitoyens  ;  l'affaire  est  portée  devant  le  Conseil  du 
roi  qui  est  obligé,  à  raison  des  accords  passés  entre  la  France 
et  les  Provinces-Unies  de  donner  gain  de  cause  au  syndicat  des 
marchands  hollandais  ayant  pris  fait  et  cause  pour  Gérard  Noé3. 


1.  A.  Leroux,  op.  cit.,  p.  38. 

2.  Lettre  de  Dubernet  au  chancelier  Séguier,  29  novembre  1646,  dans    Arch. 
hist.  de  la  Gironde,  t.  XIX,. p.  164. 

3.  Arch.  Nat.,  E  214. 


HOLLANDAIS    A    ROUEN  257 

En  1645,  la  requête  des  habitants  de  Nantes  expose  leurs 
griefs  contre  les  Hollandais  ;  l'année  suivante,  Jean  Eon  tire 
de  cette  requête  et  des  documents  commerciaux  le  factum 
dont  j'ai  parlé. 

La  condition  des  Néerlandais  établis  à  Rou;m  n'est  pas  meil- 
leure quj  celle  de  leurs  compati îotcs  fixés  à  Nantes.  Dans  les 
deux  \ilbs  on  les  presse  de  lourdes  taxes  locales  et  les  États 
en  1646  et  1647  sont  obligés  de  faire  des  représentations  au 
gouvernement  français.  L'ambassadeur  de  Hollande  Oosterwijck 
intervient  à  ce  sujet  *  ;  les  commissaires  des  États  confèrent 
de  cette  situation  avec  Servien  en  1647.  Le  loi  tint  compte  de 
ces  réclamations  et  par  un  arrêt  du  conseil  du  8  mai  1647,  il 
ordonna  de  supprimer  les  taxes  abusives  et  de  traiter  les  négo- 
ciants néerlandais  comme  ses  sujets  2. 

Dans  h'  Méditerranée,  les  corsaires  français  s'emparaient  fré- 
quemment de  navires  marchands  appartenant  à  l'Union. 
Le  Conseil  de  la  marine  sanctionnait  ces  saisies  et  si  par  aventure 
le  gouvernement  demandait  la  révision  de  ces  jugements, 
cette  révision  entraînait  des  longs  délais  et  des  frais  onéreux. 
Le  16  mai  1645,  le  roi  ordonna  de  réviser  un  jugement  portant 
sur  cinq  navires  conduits  à  Toulon  et  écrivit  à  M.  d'Infreville 
d'empêcher  qu'on  ne  les  vendit  ;  l'ordre  de  restitution  de  ces 
navires  ne  fut  donné  que  dix  mois  plus  tard  et  on  ne  l'exécuta 
pas  immédiatement 3. 

Par  tous  moyens  on  essayait  de  gêner  le  commerce  des  Hol- 
landais. Une  déclaration  du  Parlement  de  Paris,  acceptée 
par  le  gouvernement  le  24  octobre  1648,  interdisait  l'importa- 
tion dans  le  royaume  des  tissus  de  laine  et  de  soie  fabriqués 
en  Hollande  et  en  Angleterre.  Malgré  les  démarches  pressantes 
de  Jean  Hoeufït,  le  célèbre  dessicateur,  et  du  commissaire  des 
États  Jean  Copes,  envoyé  spécialement  à  Paris  pour  demander 
l'abolition  de  cette  mesure,  elle  ne  fut  rapportée  que  lors  de  la 
fin  des  troubles  de  la  Fronde  4. 

1.  Arch.  AIT.  étrang.,  Corresp.  Hollande,  t.  XXXV II. 

J.  La  Clerc,  Négociations  secrètes  touchant  la  paix  de  Munster  et  d'Osnabruk.  La 
Haye,  1725-26,  t.  II,  p.  326-27. 

3.  A.  Waddington,  op.  cit.,  t.  II,  p.  104. 

4.  Id.,  Ibidem,  p.  298. 

17 


258  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

L'attitude  hostile  des  négociants  de  nos  villes  et  des  Parle- 
ments à  l'égard  des  Hollandais  négociants  ;  les  difficultés  poli- 
tiques et  diplomatiques  qui  surgirent  entre  la  France  et  les 
Provinces-Unies,  lorsqu'au  mépris  des  conventions,  elles  si- 
gnèrent avec  l'Espagne  une  paix  séparée  ;  l'établissement 
du  droit  de  cinquante  sous  par  tonneau  créé  par  redit  de  1659, 
ne  paraissent  avoir  eu  la  moindre  influence  sur  l'infiltration 
des  Hollandais  en  France.  Depuis  l'avènement  de  Louis  XIV 
jusqu'à  l'arrivée  de  Colbert  au  pouvoir,  ils  s'établirent  aussi 
nombreux  que  par  le  passé  dans  les  cités  françaises.  Durant  la 
période  aiguë  de  l'animad version  des  Français  à  leur  égard, 
ils  firent  tête  à  l'orage,  se  montrèrent  patients  et  tenaces  ;  au 
demeurant,  s'ils  s'étaient  retirés  de  France,  des  plaintes  immé- 
diates se  seraient  fait  entendre  ;  le  commerce  eut  subi  un  contre- 
coup terrible,  les  Français  n'ayant  alors  aucune  organisation 
méthodique  capable  de  rivaliser  avec  celle  des  Hollandais. 
Ceux-ci  étaient  véritablement  les  «  rois  et  les  rouliers  »  de  la 
mer  et  les  maîtres  du  négoce. 


VI 


Imbus  de  ce  principe  que  «  quiconque  est  maistre  de  la  mer 
a  ung  grand  pouvoyr  sur  terre  »,  le  gouvernement  et  les  habi- 
tants des  Provinces-Unies  s'étaient  de  tout  temps  attachés  à 
développer  leur  marine  et  à  se  procurer  le  fret  indispensable  à 
l'utilisation  de  leurs  navires. 

Ils  construisaient  leurs  vaisseaux  à  des  prix  peu  élevés  et 
s'appliquaient  à  varier  leur  tonnage  et  leur  forme  suivant  qu'ils 
les  destinaient  aux  voyages  au  long  cours,  au  grand  cabotage 
ou  à  la  navigation  en  rivière.  C'est  ainsi  par  exemple  que  pour 
remonter  à  Bordeaux,  à  Nantes,  à  Rouen,  ils  utilisaient  des 
«  flûtes  »  plates  ayant  un  faible  tirant  d'eau.  Sur  leurs  navires 
les  équipages  étaient  réduits  au  nombre  de  marins  strictement 
nécessaires  à  la  manœuvre.  Tandis  que  les  matelots  français 


ORGANISATION    COMMERCIALE    DES    HOLLANDAIS  259 

sont  exigeants  et  veulent,  dit  Savary,  «  manger  de  la  chair 
non  seulement  salée  mais  fraîche,  du  très  bon  biscuit  et  boire 
de  bonne  eau-de-vie  faite  avec  du  vin  »  le  Hollandais  se  contente 
■de  deux  repas  au  lieu  de  quatre  et  d'une  nourriture  grossière  *, 
L'exploitation  des  entreprises  d'armement  est  d'autant  moins 
élevée  en  Hollande  que  le  capital  de  premier  établissement 
et  les  frais  généraux  sont  plus  faibles  qu'en  France. 

Les  Hollandais  ignorent  les  commissions  payées  aux  courtiers, 
ils  n'ont  point  recours  à  de  tels  agents  pour  leur  procurer  du 
fret.  A  l'étranger,  ils  possèdent  des  facteurs  qui  achètent  les 
produits  et  les  marchandises,  les  acheminent  vers  les  entrepôts 
-des  ports  et  là  d'autres  Hollandais  se  chargent  de  les  embarquer 
pour  leur  destination. 

L'individualisme  de  nos  négociants  avait  toujours  fait  oppo- 
sition à  la  création  de  compagnies  d'assurances  ;  chacun  d'eux 
commerçait  pour  son  compte  ;  ils  ne  se  pliaient  pas  aux  exi- 
gences d'un  convoi  ;  aussi  le  taux  des  assurances  maritimes 
en  France  excédait-il  de  beaucoup  celui  que  demandaient  les 
assureurs  aux  armateurs  néerlandais  ;  il  lui  était  environ  de 
huit  fois  supérieur. 

Les  pires  ennemis  du  commerce  maritime  étaient  les  pirates 
auxquels,  en  temps  de  guerre,  se  joignaient  les  corsaires  armés 
en  course.  Pour  parer  aux  dangers  qu'ils  couraient  du  chef 
de  ces  ennemis  de  la  navigation,  les  Hollandais  avaient  organisé 
des  convois  protégés  ;  ils  réduisaient  ainsi  les  risques  de  leur 
navigation.  Donnant  aux  passagers  une  sécurité  plus  grande 
que  les  Français,  les  voyageurs  utilisaient  les  navires  des  Pro- 
vinces-Unies. Coppin  quitte  Marseille  sur  un  navire  étranger. 
Le  13  décembre  1638,  Tavernier  prend  passage  sur  un  vais- 
seau battant  pavillon  des  Provinces-Unies.  Chardin  choisit 
des  bateaux  hollandais  pour  effectuer  ses  traversées  et  de  nos 
voyageurs  célèbres  on  en  citerait  cent  autres  qui  accordaient 
leurs  préférence  aux  navires  néerlandais. 

Les  ports  de  Hollande  étaient  fort  bien  organisés;  de  bonne 
heure,  à  Amsterdam  les  quais  avaient  été  garnis   de   guindals, 

1.  Savary,  Le  Parfait  négociant,  t.  I,  p.  529. 


260  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

grues  tournantes  à  l'aide  desquelles  on  déchargeait  rapidement 
les  navires.  Nulle  invention  intéressant  le  commerce  maritime  ou 
la  navigabilité  ne  laissait  indifférent  le  Hollandais.  Il  se  tenait  à 
l'affût  des  découvertes  ;  les  cartes  réduites  pour  la  navigation 
furent  inventées  vers  1635  par  Le  Vasseur,  un  Dieppois.  Les 
Français  ne  tirèrent  aucun  parti  de  l'invention;  les  Hollandais 
dérobèrent  à  l'école  d'hydrographie  de  Dieppe  le  secret  de  Le 
Vasseur  et  éditèrent  les  cartes  de  son  invention.  Imprimées  sur 
vélin,  elles  furent  revendues  aux  capitaines  français  qui  les 
payèrent  fort  cher  et  les  utilisèrent. 

Par  l'organisation  de  leur  commerce  à  l'étranger,  les  Hollan- 
dais ne  connaissent  pas  les  voyages  sur  lest.  En  France,  ils 
importent  bois  du  Nord,  chanvres  de  Russie,  produits  de  la 
Baltique,  sucres  bruts  d'Amérique  et  ils  exportent  de  notre 
pays  vins,  eaux-de-vie,  sels,  toiles,  draps  et  autres  objets. 
Dans  nos  ports  leurs  navires  sont  rechargés  aussitôt  vides, 
car  dans  les  entrepôts,  les  courtiers  ont  par  avance  entassé  les 
marchandises. 

Pour  effectuer  leurs  achats  par  anticipation,  les  Hollandais 
disposent  de  crédits.  Depuis  1609,  ils  ont  à  Amsterdam  une 
banque  qui  leur  avance  des  fonds  et  pratique  sur  une  vaste 
échelle  le  crédit  commercial  ;  en  1635,  une  banque  analogue 
se  fonde  à  Rotterdam  et  ces  deux  instituts  financiers  accordent 
aux  négociants  des  Provinces-Unies  des  facilités  que  ne  ren- 
contrent pas  en  France  les  commerçants.  A  l'étranger  même, 
les  courtiers  hollandais,  pour  assurer  le  fret  de  retour  à  leurs 
navires  achètent  les  marchandises  à  terme  et  font  des  avances 
aux  cultivateurs  gênés  ;  dans  quelques  cas  ils  commanditent 
des  fournisseurs  et  passent  avec  eux  des  contrats  aux  termes 
desquels  ils  s'assurent  la  totalité  de  leur  production.  C'est 
ainsi  qu'ils  agissent  avec  les  vignerons  et  les  fabricants  de 
papiers. 

Les  Hollandais  étaient  soutenus  par  les  États  Généraux 
dans  toutes  leurs  revendications  commerciales  ;  au  cours  des 
traités  passés  avec  la  France,  le  gouvernement  des  Provinces- 
Unies  avait  toujours  plus  à  demander  qu'à  offrir  ;  il  s'ingéniait 
à   soutirer   au   gouvernement   royal   des   privilèges    nouveaux. 


IMPORTANCE    DU    COMMERCE    HOLLANDAIS  261 

Les  avantages  qu'il  obtenait  ne  demeuraient  point  théoriques  ; 
ses  ressortissants  savaient  les  exploiter.  Non  contents  de  tirer 
parti  des  prérogatives  économiques  qu'on  leur  octroyait,  les 
États  connaissaient  l'art  d'entraver  les  projets  de  concurrence 
qui  auraient  porté  tort  à  leur  commerce;  leur  opposition  ruina 
les  plans  de  Henri  IV  ;  ils  achetèrent  son  propre  ministre  Sully 
en  lui  offrant  des  lits  d'or.  Richelieu,  Colbert  ensuite  connurent 
la  résistance  des  États  lorsqu'ils  songèrent  à  fonder  des  sociétés 
de  navigation. 

Ainsi,  en  mettant  en  œuvre  leurs  qualités  natives,  leur  esprit 
de  méthode  et  d'organisation,  soutenus  par  un  gouvernement 
composé  d'hommes  soucieux  de  développer  encore  et  toujours 
le  négoce  de  leur  pays,  les  Hollandais  s'étaient,  au  milieu  du 
xviie  siècle,  emparé  de  la  majeure  partie  du  commerce  français. 
Quelques  chiffres  montreront  l'importance  du  trafic  des  Néer- 
landais à  cette  époque.  En  1661,  van  Beuningen,  ambassadeur 
de  Hollande,  assure  à  Jean  de  Witt  que  les  vaisseaux  des  Pro- 
vinces-Unies font  les  deux  tiers  de  la  navigation  en  France. 
Delacourt  écrit  deux  ans  plus  tard  :  «  La  plus  grande  partie 
du  commerce  de  France  avec  l'étranger  se  fait,  excepté  quelque 
peu  de  vaisseaux  anglais  par  les  vaisseaux  hollandais  et  par  la 
Hollande. 

D'après  une  statistique  incomplète  datant  de  1646,  les  Hol- 
landais exportaient  de  France  15.702.000  livres  de  produits 
français  soit  près  de  la  moitié  de  la  totalité  de  nos  exporta- 
tions ;  au  cours  de  la  même  année,  ils  importent  21.500.000  livres 
de  marchandises  sur  un  total  de  moins  de  46  millions  de  livres. 
Dans  le  seul  port  de  Bordeaux,  en  1651,  on  notait  l'arrivée 
de  419  navires  hollandais  jeaugeant  71.479  tonneaux  tandis 
qu'il  n'était  entré  en  Gironde  que  83  vaisseaux  français  repré- 
sentant moins  de  5.000  tonneaux.  Chaque  année,  la  suprématie 
commerciale  des  Hollandais  s'affirmait  de  plus  en  plus  prépon- 
dérante ;  en  1660  ce  sont  600  navires  hollandais  qui  font  tout 
le  trafic  extérieur  de  Bordiaux,  l'armement  bordelais  ne  s'oc- 
cupe que  de  cabotage  ou  de  la  pêche  de  la  morue.  La  flotte 
mondiale  comprenait  20.000  navires  environ,  les  Hollandais 
en  possédaient  16.000.  A  côté  de  cette  force  navale  nous  ne 


262  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

mettions  en  ligne  que  2.368  navires  dont  beaucoup  étaient 
impropres  à  la  navigation.  Nul  d'entre  les  nôtres  ne  dépassait 
400  tonneaux  alors  que  la  flotte  hollandaise  comportait  des 
navires  d3  1.200  tonneaux. 

A  l'activité  des  Hollandais  nous  n'opposions  aucune  force 
vive  ;  nos  commerçants  se  plaignaient  parfois  de  l'emprise 
d?j  étrangers  sur  \ï  négoce  de  la  France  mais,  dans  l'ensimble, 
ils  ne  cherchaient  pas  à  étudier  encore  et  à  appliquer  les  méthodes 
de  leurs  concurrents.  Ils  se  décourageaient  et  demandaient 
aide  et  protection  au  gouvernement.  En  vérité,  le  trafic  d'expor- 
tation de  la  France  était  entièrement  ou  presque  entre  les  mains 
de  la  Hollande.  De  Tours,  de  Lyon  et  de  Paris  ses  facteurs 
tiraient  pour  six  millions  de  pannes,  velours,  satins  et  taffetas  ; 
à  Paris  et  à  Rouen  ils  achetaient  deux  millions  de  passemen- 
teries ;  les  laines  de  Picardie,  la  ganterie  de  Vendôme,  les  papiers 
d'Angoulême,  les  toiles  de  Bretagne,  les  vins  de  Bordeaux 
et  de  la  vallée  de  la  Loire  étaient  acquis  et  vendus  par  l'entre- 
mise des  courtiers  hollandais  1.  Dans  le  Languedoc,  ils  achetaient 
des  drapeaux,  toiles  grossières  sur  lesquelles  on  étendait  du 
tournesol  et  qui  servaient  à  colorer  l'extérieur  des  fromages  de 
Hollande.  Le  blé,  le  chanvre,  les  grains  qu'ils  introduisaient 
par  La  Rochelle,  Marans,  Brouage,  Ré  et  Oléron  se  montaient 
à  plus  de  six  millions  de  livres.  Sur  leurs  navires,  ils  importaient 
en  Bretagne  des  graines  de  lin  pour  les  semailles,  la  récolte  effec- 
tuée, ils  exportaient  les  lins,  les  transformaient  en  huile  qu'ils 
nous  revendaient  à  des  prix  très  élevés  2. 

Un  homme  que  passionne  la  grandeur  de  la  France  Jean- 
Baptiste  Colbert,  prend  la  direction  de  la  marine  et  du  com- 
merce ;  pendant  vingt  ans,  avec  une  ténacité  passionnée  il 
travaille  à  développer  chez  les  sujets  de  Louis  XIV  le  goût  de  la 
manufacture  et  du  négoce.  Les  Provinces-Unies  sont  pour  lui 
un  objet  de  haine  constante  mais  les  Hollandais  industrieux 
qui  servent  ses  projets  et  se  fixent  en  France  trouvent  en  lui 
un  protecteur  dévoué.  Nul  plus  que  Colbert  n'a  attiré  de  Hol- 
landais dans  le  pays. 

1.  Huet,  Mémoire  sur  le  commerce  des  Hollandais,  1717,  p.  87. 

2.  Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  p.  80». 


CHAPITRE  V 

COLBERT    ATTIRE    EN    FRANCE    DES    HOLLANDAIS. 


I.  Drapiers  et  manufacturiers  ;  les  van  Robais  ;  constructeurs  de  navires,  ingé- 
nieurs et  savants.  —  II.  Maître  AfTinius  et  le  chevalier  de  Rohan  ;  Helvétlus  et 
sa  descendance. 


Merc antiliste,  Colbert  partage  les  idées  de  son  époque.  Il  est 
persuadé  que  For  et  l'argent  sont  la  seule  richesse  et  qu'il 
n'existe  pour  toutes  les  nations  qu'un  stock  fixe  de  numéraire  ; 
aussi  son  but  est-il  de  l'accaparer.  Pour  atteindre  ce  résultat 
il  désire  ruiner  le  négoce  des  autres  pays,  celui  de  la  Hollande 
notamment,  car  la  suprématie  commerciale  de  cette  république 
est  alors  incontestable.  Afin  d'anéantir  le  trafic  de  la  république 
batave  Colbert  se  propose  de  rétablir  les  anciennes  manufac- 
tures de  France,  d'en  créer  de  nouvelles  et  d'assurer  des  marchés 
lointains  aux  produits  de  ces  fabriques  en  développant  la  marine. 
Comme  il  convient  de  donner  de  l'essor  aux  manufactures 
françaises  en  amoindrissant  l'industrie  des  pays  concurrents, 
Colbert  dirige  contre  eux  et  principalement  contre  la  Hollande 
les  fameux  tarifs  protecteurs  et  prohibitifs  de  1664  et  de  1667 
dont  les  Néerlandais  obtinrent  d'ailleurs  l'abolition  par  l'ar- 
ticle 7  du  traité  de  Nimègue. 

Si  Colbert  est  animé  de  dispositions  hostiles  contre  les  nations 
dont  le  négoce  est  florissant,  il  reconnaît,  ainsi  qu'Henri  IV, 
son  maître  en  la  matière,  qu'on  ne  saurait  se  passer  du  concours 
des  étrangers  pour  infuser  une  vie  nouvelle  à  l'industrie  frau- 


264  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

çaise.  Au  cours  de  sa  carrière,  Colbert  fait  aux  forains  les  appels 
les  plus  larges  ;  il  les  attire  en  France,  les  reçoit  personnelle- 
ment, les  subventionne,  se  montre  touchant  de  sollicitude 
à  leur  égard  ;  pour  eux  aussi  il  fait  taire  les  préventions  du  roi 
et  de  son  entourage  contre  les  protestants.  A  chaque  peuple 
le  ministre  demande  des  spécialistes  ;  aux  Hollandais,  il  confie 
le  soin  de  restaurer  nos  fabriques  de  draps  et  de  toiles,  il  s'adresse 
à  eux  pour  toutes  les  industries  dans  lesquelles  ils  excellent 
et  avec  leur  concours,  il  rétablit  nos  chantiers  de  constructions 
navales  et  nos  arsenaux.  Cet  ennemi  de  la  Hollande  est  le  plus 
grand  protecteur  des  Hollandais  qui  consentent  à  franchir 
nos  frontières  ;  Colbert  voit  en  eux  des  producteurs  habiles, 
des  consommateurs  riches  et  estime  qu'en  favorisant  leur  infil- 
tration en  France  il  dépeuple  leur  pays  pour  le  plus  grand  béné- 
fice du  royaume. 

Pour  entamer  des  pourparlers  avec  les  ingénieurs,  manufac- 
turiers ou  artisans  hollandais,  Colbert  entretient  des  intermé- 
diaires avec  lesquels  correspondent  nos  ambassadeurs  à  La 
Haye.  Pelicot,  marchand  français  établi  à  La  Haye  ;  Janot, 
agent  commercial  fixé  à  Middelbourg  ;  Bailly  et  plusieurs  autres 
encore  recrutent  et  débauchent  des  Hollandais.  Aux  manufac- 
turiers français  qui  sollicitent  l'autorisation  de  «  tirer  »  des 
Provinces-Unies  d'habiles  ouvriers,  Colbert  accorde  toutes  les 
permissions  nécessaires. 

«  Jusqu'en  1620,  remarquait  le  surintendant  en  1663,  les  Hol- 
landais ne  fabriquaient  pas  de  draps,  toutes  les  laines  d'Espagne 
et  d'Angleterre  étaient  manufacturées  en  France  ;  ils  profi- 
tèrent du  discrédit  où  était  tombée  la  draperie  de  Rouen, 
à  cause  de  la  mauvaise  qualité  des  étoffes,  des  teintures,  des 
tromperies  sur  la  longueur  des  pièces  pour  établir  la  qualité 
de  leurs  draps.  »  Colbert  prit  à  tâche  de  restaurer  cette  fabri- 
cation. C'est  avec  plaisir  qu'il  recevait  de  Janot  des  lettres 
comme  celle-ci  :  «  J'ai  fait  advertir  les  deux  hommes  qui  ont 
quitté  Amsterdam  et  Leyde  pour  establir  leur  fabrique  en 
France,  où  ils  se  rendront  dans  peu.  Je  leur  donneray  un  mot 
pour  se  pouvoir  présenter  à  vous.  »  Le  ministre  se  tient  au 
courant  des  progrès  ou  de  la  décadence  des  manufactures  hol- 


COLBERT    ET    LES    TISSEURS    HOLLANDAIS  265 

landaises.  Il  apprend  que  les  fabriques  de  Leyde  sont  dans  le 
marasme,  aussitôt  il  écrit  à  Pomponne  :  «  Sur  l' ad  vis  que  vous 
me  donnez  de  la  destruction  de  la  manufacture  de  Leyde,  si 
vous  pouviez  faire  entendre  secrètement  à  quelques-uns  des 
chefs  de  ces  manufactures  que  s'ils  vouloient  s'habituer  en 
France,  on  leur  y  feroit  trouver  toutes  sortes  de  commodités, 
cela  pourroit  estre  fort  advantageux  au  royaume...  s'ils  vou- 
loient choisir  des  villes  du  royaume  pour  y  porter  leurs  manu- 
factures, le  roy  leur  accorderoit  de  si  grands  avantages  qu'ils 
auroient  lieu  de  s'y  bien  establir  et  de  se  louer  de  S.  M...  ». 

La  constance  de  Colbert  fut  récompensée.  Guillaume  Bera 
installe  sa  famille,  ses  ouvriers  et  ses  métiers  à  Rouen  et  le 
ministre  lui  fait  donner  une  subvention  de  1.000  livres  1.  A  Caen, 
la  majeure  partie  des  gros  négociants  sont  des  réformés  ;  deux 
d'entre  eux,  Massieu  et  Jemblin  appellent  des  coreligionnaires 
d'Amsterdam  qui  créent  des  manufactures  de  draps  fins.  Se 
conformant  aux  désirs  de  Colbert,  le  lieutenant  général  de  Caen 
les  protège  2. 

Dans  le  Languedoc,  à  Carcassonne  spécialement,  on  fabri- 
quait jadis  des  draps  mahons  de  superbe  qualité  et  des  draps 
londrins  d'un  prix  moindre.  Les  habitants  de  cette  ville  s'enri- 
chissaient en  exportant  leurs  productions  dans  le  Levant  mais 
les  Anglais  et  les  Hollandais,  en  baissant  le  prix  du  drap 
et  en  le  donnant  à  perte  attirèrent  à  eux  tout  le  négoce  ; 
ceux  de  Carcassonne,  pour  les  pouvoir  suivre  altérèrent  leur 
fabrication  et  par  là  se  décrièrent  au  point  que  leur  marchan- 
dise ne  trouva  plus  de  débit  dans  le  Levant.  Lorsque  le  sieur 
de  Varennes  succéda  aux  sieurs  de  Saptes  qui  avaient  été  à 
la  fin  du  xvie  siècle  les  créateurs  d'une  manufacture  de  draps 
fins  à  Saptes,  il  sollicita  de  Colbert  l'autorisation  d'aller  en  Hol- 
lande pour  y  débaucher  des  ouvriers.  Il  y  fit  plusieurs  voyages 
et  en  ramena  un  nombre  considérable  de  Néerlandais  8.  Pen- 
nautier  qui  les  vit  à  l'œuvre  écrivait  :  «  Jusques  à  ce  que  nos 
ouvriers   ayent   attrapé  leur  secret  nous   ne  pourrons  jamais 

1.  J.  GuHTrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  I,  p.  151. 

'1.    Depping,  Corresf».  administrative...,  t.   III,  p.  700. 

3.  Bouliiinvillicis,  i;i„(  ,lr  h,  l-rance.  Londres,  1752,  t.  VIII,  p.  445  et  s. 


266  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

faire  les  draps  au  prix  qu'ils  les  vendent  :  ils  ont  l'art  de  faire 
un  drap  égal  à  ceux  de  Carcassonne  avec  un  tiers  moins  de  laine 
et  cette  laine  encore,  ils  la  filent  et  l'apprestent  avec  une  dili- 
gence si  grande  qu'un  de  leurs  ouvriers  fait  plus  de  besogne 
en  un  jour  qu'un  Français  dans  une  semaine  » 1.  Par  ces  Hollan- 
dais, de  Varennes  apprit  la  manière  de  perfectionner  les  draps 
fins  que  l'on  vendait  dans  les  États  du  Grand  Seigneur  ;  bien 
qu'il  subit  encore  quelques  pertes  du  fait  des  Hollandais  qui 
continuèrent  à  vendre  à  perte  leurs  marchandises,  il  put,  étant 
soutenu  par  Colbert  réaliser  des  bénéfices  si  encourageants 
qu'en  1678,  il  se  forma  de  nouvelles  manufactures  à  Clermont-de- 
Lodève  puis  à  Carcassonne. 

A  la  suite  des  démarches  de  Janot,  correspondant  de  Colbert 
à  Middelbourg  s'installait  à  Abbeville  la  famille  hollandaise  des 
van  Robais.  Eux  et  leurs  ouvriers  constituèrent  en  Picardie 
une  véritable  colonie  et  l'on  rencontre  encore  des  descendants 
des  van  Robais. 

Le  30  octobre  1665,  Josse  van  Robais  abandonnait  Middel- 
bourg où  il  possédait  une  draperie  2.  Ses  presses,  métiers  et 
autres  instruments  étaient  chargés  sur  un  petit  navire  à  destina- 
tion de  Saint-Valery-sur-Somme  pour  être,  de  là,  transportés 
à  Abbeville.  Des  lettres-patentes  du  roi  concédaient  à  van  Robais 
d'importants  avantages.  Il  était  autorisé,  ainsi  que  ses  associés 
et  ouvriers  «  à  continuer  de  faire  profession  de  la  religion  pré- 
tendue réformée  dont  l'exercice  est  toléré  dans  nostre  royaume  » 3. 
Un.  prêt  de  80.000  livres  lui  était  consenti  pour  monter  une 
manufacture  de  draps  façon  de  Hollande  ;  en  1681,  ces  stipula- 
tions étaient  renouvelées  en  sa  faveur  et  un  don  de  20.000  livres 
récompensait  van  Robais  de  ses  efforts  4. 

Josse  van  Robais  amenait  en  France  sa  femme,  Jeanne  de 
Brandt  et  une  quarantaine  de  contre-maîtres  hollandais  parmi 
lesquels  :  Jean  Hogenbergh,  Cornelis  Devos,  Isaac  de  Querlen, 


1.  Depping.  Corresp.  administrative  sous  Louis  XIV.  t.  III,  p.  801. 

2.  Sur  la  famille  des  van  Robais,  de  nombreux  détails  inédits  sont  extraits 
d'un  Mémoire  généalogique  conservé  par  les  descendants  de  Josse  van  Robais. 
Cf.  M.  Gourtecuisse,  La  Manufacture  de    draps  fins   van  Robais.   Paris.  1920. 

3.  Arch.  Nat.,  F™  1353. 

4.  J.  Guiffrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  I,  p.  174,  221,  286,  372. 


LES   VAN    ROBAIS  267 

Corneille  Renard,  Jean  Colcat.  Tous  appartenaient  à  la  religion 
réformée  et  étaient  comme  van  Robais  assurés  de  la  liberté 
de  leurs  croyances.  Dès  son  arrivée,  Josse  van  Robais  se  met 
au  travail,  il  acquiert  en  1666  et  1667  des  moulins  à  foulon  à 
Ancennes  et  créé  une  manufacture  qui  occupe  une  surface  de 
mille  mètres  carrés  K 

Pour  van  Robais,  Colbert  est  toute  tendresse.  Il  ordonne  à 
l'intendant  de  «  mettre  en  pratique  toutes  sortes  de  bons  traite- 
ments pour  engager  le  sieur  van  Robais,  entrepreneur,  à  porter 
les  ouvrages  de  la  manufacture  à  une  entière  perfection,  mesme 
luy  donner  et  à  ses  ouvriers  toutes  assistances  » 2.  Van  Robais 
est-il  inquiété  par  les  échevins  d'Abbe ville,  ordre  est  donné 
de  «  veiller  non  seulement  à  ce  qu'il  soit  content  et  satisfait 
du  traitement  qu'on  lui  fera  mais  encore  à  ce  qu'il  attire  dans 
le  royaume  d'autres  manufacturiers  » 3.  En  1673,  les  gardes 
et  maîtres  drapiers  d'Abbe  ville  gênent  les  van  Robais  dans  leur 
travail  ;  les  brasseurs  de  la  ville  sont  jaloux  du  privilège  qu'ont 
les  ouvriers  hollandais  de  fabriquer  de  la  bière  pour  leur  consom- 
mation ;  ils  s'adressent  aux  échevins  pour  obtenir  la  suppression 
de  ces  prérogatives.  Colbert  écrit  de  cesser  toutes  ces  tracas- 
series. De  Louis  XIV,  il  sollicite  une  visite  à  l'établissement  de 
van  Robais  ;  pour  être  agréable  au  ministre,  le  roi  lui  répond  : 
«  J'iray  aux  manufactures  d'Abbeville  et  de  Beauvais  et  parleroy 
comme  je  croiray  devoir  le  faire  et  comme  vous  me  le  deman- 
dez » 4. 

Malgré  la  tolérance  dont  il  fait  preuve  à  l'égard  des  réformés, 
Colbert  essaie,  à  diverses  reprises,  de  convertir  les  van  Robais. 
Il  craint  de  les  voir  partir  si  les  protestants  sont  molestés. 
Passant  par  Abbeville,  il  leur  fait  «  remonstrance  »  sur  le  ministre 
protestant  qui  habite  avec  eux  ;  ils  le  renvoient  mais  un  capucin 
veut  prendre  sa  place  et  les  drapiers  se  plaignent  que  ce  moine 
les  harcèle.  Colbert  mande  à  l'évêque  d'Amiens  «  de  modérer 
le  zèle  de  ce  bon  religieux...  qui  presse  trop  les  van  Robais.  • 
En  1682,  Colbert  revient  à  son  idée  ;  il  écrit  à  l'intendant  : 

1.  Depping,  Correspondance  administrative...,  t.  III,  p.  756. 

2.  Ici.,  IbuL,  t.  III,  p.  752. 

3.  P.  Clément,  Lettres  de  Colbert,  t.  II,  p.  87. 

4.  ld.,  lbid.,  t.  II,  p.  674. 


268  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

«  Je  vous  avoue  que  je  serois  bien  ayse  que  vous  pussiez  parvenir 
à  convertir  van  Robais.  Comme  c'est  un  fort  bon  homme,  ce 
seroit  un  grand  bien  qu'il  fust  de  nostre  religion.  »  De  nouvelles 
recommandations,  adressées  encore  à  l'intendant  quelques  mois 
après,  ne  portèrent  pas  leurs  fruits.  Josse  van  Robais  décédait 
à  Abbeville  en  1685  et  ses  enfants  le  faisaient  inhumer  à  Middel- 
bourg  où  son  corps  était  transporté. 

Malgré  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  les  van  Robais 
demeurèrent  fixés  à  Abbeville  et  ne  furent  pas  inquiétés.  De  son 
second  mariage  avec  Jeanne  de  Brandt,  Josse  van  Robais  avait 
eu  neuf  enfants.  Deux  seulement  survécurent  à  leur  père  : 
Isaac  et  Josse. 

Isaac  épousa  Marie  Robelin  fille  d'un  ingénieur  du  roi  ;  à  la 
mort  du  fondateur  de  la  manufacture  d'Abbeville  il  en  prit  la 
direction  mais  décéda  en  1697.  Sa  veuve  se  remaria  à  Jacob 
Levasseur,  mais  du  fait  de  ce  mariage,  elle  perdit  ses  droits 
aux  bénéfices  de  la  manufacture.  En  échange  elle  reçut  une 
ind  mnité  de  10.000  livres.  De  son  mariage  avec  Marie  Robelin, 
Isaac  van  Robais  eut  dix-neuf  enfants  ;  les  uns  entrèrent  dans 
la  manufacture,  d'autres  dans  l'armée.  Salomon  devint  chapelain 
de  M.  de  Heemskerke,  ambassadeur  de  Hollande  auprès  du  roi. 

A  la  mort  d' Isaac,  Josse,  qui  s'était  allié,  lui  aussi,  à  la  famille 
Robelin,  devint  directeur  de  la  manufacture  d'Abbeville  ;  il 
liquida  toutes  les  contestations  qui  s'étaient  élevées  entre  Marie 
Robelin  et  ses  enfants.  Depuis  l'époque  de  son  entrée  en  fonc- 
tions jusqu'à  celle  de  sa  mort  survenue  en  1733,  il  porta  à  un 
grand  degré  de  perfection  les  draps  qu'il  fabriquait.  Après  son 
décès  la  manufacture  demeura  la  propriété  de  ses  gendres  et 
neveux  ;  elle  était  encore  très  florissante  en  1790.  D'un  rapport 
de  M.  de  Tolozan  qui  visita  cette  année-là  l'entreprise  plus  que 
séculaire,  il  ressort  que  la  draperie  des  van  Robais  était  très 
prospère.  Il  est  vrai  qu'elle  avait  toujours  été  protégée  par 
Louis  XV  et  Louis  XVI.  Les  privilèges  que  Colbert  avait  octroyés 
à  Josse  van  Robais  en  1665,  furent  constamment  prorogés 
en   1724,    1769,    1784  K  A  cette   dernière  date  se  renouvelaient 

1.  Procès  verbaux  du  Conseil  du  Commerce.  V°  van  Robais. 


LES    VAN    ROBAIS  269 

une  dernière  fois  les  privilèges  des  van  Robais  mais  on  refusait 
de  maintenir  ceux  de  leurs  ouvriers.  Le  ministre  écrivait  à 
l'intendant  :  «  Le  gouvernement  a  trop  de  grandes  obligations 
envers  les  sieurs  van  Robais  pour  qu'on  ne  puisse  pas  leur  accor- 
der la  prorogation  qu'ils  demandent...  Je  ne  crois  pas  que  l'on 
doive  comprendre  les  ouvriers  étrangers  dans  la  prorogation  ; 
cela  était  bon  dans  la  naissance  de  leur  manufacture  pour  y 
attirer  des  ouvriers  mais  aujourd'hui  qu'il  ne  manque  pas 
d'ouvriers  français  qui  travaillent  aussi  bien  que  les  étrangers, 
je  crois  qu'il  serait  injuste  d'accorder  à  ceux  de  cette  espèce 
de  préférence  sur  les  nationaux  »  \ 

Forts  de  leurs  prérogatives  les  van  Robais  semblent  avoir  été 
assez  jaloux  de  leur  prédominance  industrielle.  En  1750,  ils 
s'élèvent  contre  les  prétentions  d'un  sieur  Picot  qui  prétend 
fonder  une  fabrique  de  draps  à  Ancennes  2.  Quelques  années 
auparavant,  ils  avaient  eu  des  démêlés  avec  des  compatriotes 
et  des  coreligionnaires  :  Les  Scalongsen,   alias  les  Scalongne. 

Ces  derniers  étaient  des  Hollandais  établis  à  Louviers,  anté- 
rieurement à  l'année  1680  3.  Il  est  très  probable  que  désireux 
de  profiter  des  prérogatives  dont,  sous  le  rapport  religieux 
jouissaient  les  van  Robais,  ils  se  rendirent  à  Abbeville.  Jacob 
Scalongne,  qualifié  de  marchand  de  Louviers,  dans  l'acte  de 
baptême  de  son  fils  Jacob,  célébré  le  11  août  1680,  fait  baptiser 
un  autre  de  ses  enfants  à  Abbeville  en  1694  par  un  pasteur 
nommé  Stcinrisser 4.  En  même  temps  que  lui  s'étaient  fixés 
dans  cette  ville  ses  deux  frères  Georges  et  Abraham5;  ce  dernier 
en  1715  est  contremaître  chez  les  van  Robais  6. 

En  1734,  deux  des  fils  de  Jacob,  Moïse  et  Daniel,  ayant  obtenu 
l'autorisation  de  créer  à  Abbeville  une  manufacture  de  «  dro- 
guets  »,.  se  virent  attribuer,  en  1747,  le  privilège  exclusif  de  se 
servir  de  navettes  spéciales  pour  fabriquer  des  «  bayettes  ». 

1.  Arch.  dép.  de  la  Somme,  C  368,  Lettre  du  16  juillet  1784. 

2.  Procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce.  V°  van  Robais. 

.'.  Acte  de  baptême  de  Jacob  Scalongne,  célébré  le  11  août  1680  au  château  de 
Laboulaye  en  Normandie,  parrain  George  Scalongne. 

i  Acte  de  baptême  de  Daniel  Scalongne,  célébré  à  Abbeville,  le  7  mai  1694, 
parrain  Abraham  Scalongm-. 

5.  Courtecuissc,  op.  cil.,  chap.  I,r. 

6.  Id.  op.  cit.   //>/</. 


270  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Les  frères  van  Robais,  craignant  la  concurrence,  protestèrent 
contre  cette  faveur  l.  Les  frères  Scalongne  qui  avaient  formé 
une  association  avec  les  Alliamet,  se  retirèrent  de  la  société 
à  la  suite  des  difficultés  que  leur  firent  les  van  Robais  et  les 
échevins  d'Abbeville.  Daniel  Scalongue  partit  pour  Paris, 
abjura  le  protestantisme  à  Saint-Eustache  et  épousa  Thérèse 
Retart,  d'Abbeville  2. 

Les  van  Robais  et  les  Scalongne  ont  essaimé  en  France  comme 
beaucoup  d'autres  Hollandais  que  Colbert  avait  attirés  pour 
rendre  à  nos  manufactures  leur  ancienne  prospérité. 

On  ne  peut  songer  à  dresser  un  annuaire  des  négociants 
hollandais  qui,  répondant  aux  appels  de  Colbert,  passèrent  la 
frontière  pour  se  fixer  dans  le  royaume.  Il  n'est  branche  d'in- 
dustrie qui  n'en  compte  quelques-uns. 

Tout  produit  tissé  doit  être  soumis  à  la  teinture,  elle  est  le 
complément  de  la  fabrication.  La  teinturerie  française  avait 
joui  d'une  grande  célébrité  avant  le  xvne  siècle,  puis  elle  était 
tombée  en  décadence.  Colbert  la  releva.  Vers  1655,  un  Néerlan- 
dais du  nom  de  Gluck  avait  entrepris  de  remonter  la  teinturerie 
et  les  Gobelins  ;  il  avait  importé  un  procédé  nouveau  pour  teindre 
en  écarlate.  Lorsqu'en  1662,  Colbert  acheta  les  Gobelins  pour 
y  installer  la  manufacture  royale  des  meubles  de  la  Couronne, 
il  donna  à  Gluck  le  privilège  d'apposer  sur  ses  étoffes  un  plomb 
doré  portant  cette  inscription  :  «  Teinture  par  privilège  aux 
Gobelins  » 3.  A  Hennebont,  en  Bretagne,  à  Pont-Audemer, 
en  Normandie,  étaient  installés  des  Hollandais  qui  teignaient 
avec  succès  des  étoffes  «  couleur  d'azur  » 4. 

Sur  Amiens,  Colbert  dirige  un  teinturier  hollandais.  Les  éche- 
vins font  difficulté  de  le  recevoir  maître  car  sa  conversion  au 
catholicisme  ne  paraît  point  sincère.  Xe  ministre  leur  écrit  de 
ne  pas  le  tracasser  car  «  nous  n'avons  assurément  aucun  habile 
homme  de  ce  métier  dans  le  royaume  » 5. 

La  mode  veut  que  les  Français  tirent  de  Hollande  leurs  toiles 

1.  Arch.  dép.  de  la  Somme,  C  204. 

2.  Arch.  mun.  d'Abbeville.  Actes  de  la  paroisse  Saint- Jacques,  8  décembre  1749. 

3.  G.  Martin,  La  Grande  Industrie  sous  Louis  XIV,  p.  175. 

4.  P.  Clément,  op.  cit.,  t.  II,  p.  ccixi  et  852. 

5.  Id.,  Ibid.}  t.  II,  p.  852,  note  2. 


MANUFACTURIERS    HOLLANDAIS    EN    FRANCE  271 

fines.  Colbert  se  promet  de  parvenir  à  faire  tisser  dans  le  royaume 
des  toiles  aussi  délicates  que  celles  de  la  Hollande  ;  en  1664, 
ne  possédant  aucune  manufacture,  le  ministre  qui,  à  raison  de 
ses  alliances  de  famille,  a  pour  l'Anjou  une  spéciale  affection, 
fonde  à  Cholet  des  fabriques  de  toiles  à  l'aide  d'ouvriers  hol- 
landais K 

Vers  1665,  la  dorure  sur  cuivre  était  une  industrie  à  peu  près 
exclusivement  hollandaise.  «  Je  considère,  écrivait  Janot,  en 
cecy  que  la  plus  grande  partie  des  cuivres  que  les  Hollandais 
employent  vient  de  France  et  qu'ensuite,  lorsqu'ils  sont  ouvrez, 
on  les  y  renvoyé  pour  estre  vendus  à  ceux  qui  s'en  servent  » 2. 
Emu,  Colbert  charge  son  agent  de  lui  envoyer  de  Hollande 
d'habiles  doreurs  sur  cuivre. 

Abraham  Poocq  sollicite  l'autorisation  de  fonder  à  Mantes 
une  manufacture  de  faïence  ;  il  obtient  ses  lettres  de  naturalité 
en  même  temps  que  la  permission  demandée  3.  A  Langemach 
qui  présente  un  nouveau  modèle  de  pompe  à  incendie,  Col- 
bert attribue  une  récompense  de  300  livres 4.  Deux  Zélandais, 
Jacob  Stievens  et  Frédéric  Clément  obtiennent  un  privilège 
pour  fonder  à  La  Rochelle  une  manufacture  de  tabacs  5.  De 
La  Haye,  viennent  des  Hollandais  capables  de  préparer  des 
peaux  de  buffles  6.  Ces  étrangers  sont  protestants  mais  qu'im- 
porte à  Colbert  qui,  au  dire  de  Madame  de  Maintenon,  «  ne  pense 
qu'à  ses  finances  et  presque  jamais  à  la  religion  ».  Il  lui  suffit 
pour  les  accueillir  que  ces  réformés  soient  habiles.  Les  finances, 
le  commerce  intéressent  Colbert  au  plus  haut  point  mais  la 
marine  est  sa  véritable  passion.  L'historien  de  notre  marine 
a  dit  en  quel  état  Colbert  la  trouva  et  en  quelle  situation  il  la 
laissa7.  Malgré  l'indifférence  de  Louis  XIV,  par  son  énergie 
et  sa  ténacité,  Colbert  transforma  les  ports  et  les  arsenaux; 


1.  A.  Gellusseau,  Histoire  de  Cholet  et  de  son  industrie.  Angers,  1802. 

2.  Depping,  Corresp  adm.f  t.  III,  p.  252. 

3.  J.  GuIfTrey,  Un  projet  d'installation  d'une  manufacture  de  faïence  hollandaise 
à  Mantes,  dans  Nouvelles  archives  de  l'Art  français,  1889,  p.  193. 

4.  J.  GuIfTrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  I,  p.  218. 

5.  P.  Clément,  op.  cit.,  t.  II,  p.  852,  note  2. 

6.  Abbé  Jambert.  Dictionnaire  des  Arts  et  Métiers,  t.  I,  p.  497. 

7.  Ch.  de  la  Ronclère,   Histoire  de  la  marine  française,  t.   V.    —    Un    grand 
ministre  de  la  marine  Colbert  (1619-1683).  Paris,  1919. 


272  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

il  modifia  des  errements  incompatibles  avec  la  discipline.  Réso- 
lument, pour  entreprendre  son  œuvre  et  la  compléter,  le  surin- 
tendant de  la  marine  reprit  sur  une  échelle  plus  vaste  le  pro- 
gramme de  Richelieu  ;  il  se  mit  à  l'école  des  Hollandais.  Dans 
les  Provinces-Unies,  Colbert  envoyait  à  tout  instant  étudier 
les  méthodes  de  construction  de  ses  rivaux.  A  son  fils,  le  marquis 
de  Seignelay,  il  donne  des  instructions  précises  sur  les  observa- 
tions qu'il  doit  faire  en  Hollande  1  ;  Etienne  Hubac  y  est  envoyé 
pour  voir  «  s'il  y  a  quelque  différence  du  gabarit  des  Hollan- 
dais au  nostre  et  les  raisons  pourquoy  » 2.  En  1670,  Pons  de  la 
Fueille  est  chargé  d'examiner  les  canaux,  écluses,  ponts,  jetées, 
digues,  moulins  et  machines  pour  le  nettoiement  des  ports  3. 
Aux  Hollandais  établis  à  Dunkerque,  sont  données  des  gratifi- 
cations lorsqu'ils  achètent  des  navires  dans  leur  pays,  Hennnsen, 
Corneille  van  der  Manaquer,  Pierre  Hendricken,  Jean  Omaert 
bénéficient  de  ces  récompenses  4.  Des  appels  constants  sont  faits 
aux  Néerlandais  habiles  constructeurs,  marins,  hydrographes 
capables  de  donner  de  l'essor  à  la  marine.  Du  plus  humble  char- 
pentier au  plus  célèbre  ingénieur,  tous  les  Hollandais  qui  se 
fixent  en  France  sont  reçus  avec  faveur  par  le  ministre  de  la 
marine. 

Les  Néerlandais  étaient  maîtres  dans  l'art  de  construire 
promptement  et  économiquement  des  navires  :  dans  nos  arse- 
naux et  sur  nos  chantiers,  de  grosses  sommes  étaient  dépensées 
pour  achever  lentement  des  navires  défectueux  et  de  faible 
dimension.  Les  rapports  de  Duquesne,  inspecteur  des  construc- 
tions navales  témoignent  de  la  mauvaise  organisation  qui  régnait 
alors  ;  on  gâchait  les  matières  premières  et  l'on  travaillait  peu. 
A  Toulon,  par  exemple,  on  ne  bâtissait  que  cinq  vaisseaux 
en  deux  ans.  «  Il  est  certain  que  les  Anglois  et  les  Hollandois 
se  moquent  de  nous  »,  écrivait  Colbert  à  d'Infreville,  intendant 
de  la  marine  à  Toulon. 

Pour  remédier  à  cet  état  de  choses,  Colbert  s'ingénia  à  attirer 


1.  P.  Clément,  Lettres  de  Colbert,  t.  III.  Annexes. 

2.  Id.,  Ibid.,  p.  199. 

3.  Bib.  Nat.,  Cinq-Cents,  vol.  448. 

4.  Arch.  de  la  marine,  B3  7,  f°  106. 


CHARPENTIERS    HOLLANDAIS    EN    FRANCE  273 

des  Provinces-Unies  des  charpentiers  de  navires  ;  ils  devaient 
être  pour  les  Français  d'excellents  éducateurs,  à  raison  de  leur 
application  au  travail  et  de  leur  esprit  d'économie.  La  corres- 
pondance du  ministre  avec  Pomponne  et  Pélicot  témoigne  du 
soin  qu'il  prit  pour  doter  d'habiles  charpentiers  les  chantiers 
du  Havre,  de  Brest,  de  Rochefort  et  de  Toulon. 

Il  n'était  pas  toujours  aisé  de  débaucher  ces  artisans  ;  les 
États  Généraux  voyaient  d'un  œil  jaloux  les  émigrations  des 
hab.tants  des  Provinces-Unies,  ils  y  mettaient  obstacle  ;  par 
ailleurs,  Colbert  en  bon  ménager  des  deniers  royaux  lésinait 
parfois  sur  le  taux  d^s  salaires  à  allouer.  Parfois,  il  offrait  aux 
Hollandais  cinquante  livres  au  lieu  de  cinquante  florins  par  eux 
demandés  et  les  discussions  traînaient  entre  eux  et  les  agents 
du  ministre.  Nonobstant  ces  difficultés,  Pomponne,  Pélicot  et 
auties  missionnaires  réussissaient  à  attirer  en  France  des  char- 
pentiers hollandais.  Lorsqu'ils  arrivaient,  Colbert  les  traitait 
avec  courtoisie  et  les  utilisait  au  mieux  des  intérêts  du  pays. 

Le  22  février  1669,  le  ministre  est  prévenu  que  son  agent  a 
enrôlé  trente-sept  charpentiers  destinés  au  port  de  Rochefort  ; 
il  mande  la  bonne  nouvelle  à  Colbert  du  Terron,  commissaire 
de  ce  port  et  lui  dit  :  «  Si  nous  avons  un  bon  maistre  charpentier 
hollandois,  il  donnera  un  bon  exemple  pour  l'économie  et  le 
mesnage  du  bois  :  en  quoy  les  Hollandois  sont  constamment 
plus  habiles  que  nous.  »  Peu  de  temps  après  l'envoi  de  cette 
lettre,  les  charpentiers  arrivent  à  Rochefort  où  déjà  quatorze 
de  leurs  compatriotes  construisaient  des  navires.  Colbert  s'in- 
téresse à  ces  ouvriers,  les  lettres  relatives  à  leur  sujet  sont  pleines 
de  sollicitude.  Il  mande  à  du  Terron  :  «  Il  me  semble  que  ce  nombre 
avec  les  quatorze  que  vous  avez  déjà  est  assez  considérable 
pour  estre  persuadé  que  vos  constructions  en  iront  bien  plus 
vite.  Surtout  meslez  les  Français  avec  eux  afin  que  vous  puissiez 
introduire  doucement  dans  leur  esprit  l'économie  du  bois  et 
l'application  continuelle  au  travail  que  les  Hollandois  ont  et 
que  les  François  n'ont  pas.  » 

Les  détails  de  l'installation  matérielle  des  étrangers  ne  laisse 
pas  Colbert  indifférent.  Au  mois  de  juillet  1669,  il  adresse  à  du 
Terron   des  recommandations  nouvelles  :   «  Le  sieur  Pélicot 

18 


274  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

m'écrit  que  le  contre-maître  qu'il  vous  a  envoyé  a  mandé  à  sa 
femme  de  le  venir  trouver  à  Rochefort  mais  qu'elle  en  fait  diffi- 
culté à  moins  qu'elle  ne  sache  auparavant  qu'elle  aura  un  loge- 
ment à  part  et  comme  les  femmes  des  autres  charpentiers  sont 
assez  disposées  à  suivre  son  exempb,  il  ne  faut  pas  perdre  cette 
occasion  de  les  attirer  auprès  de  leurs  maris  et  pour  cet  effet, 
il  faut  leur  donner  un  quartier  dans  le  parc  de  Rochefort  séparé 
de  celui  des  autres  ouvriers.  » 

La  sollicitude  de  Colbert  pour  les  questions  relatives  à  la 
marine  le  conduit  à  s'intéresser  à  tous  les  ports  et  aux  parties 
les  plus  diverses  du  génie  naval.  Pour  parvenir  à  ses  fins,  le 
ministre  recrute  sans  cesse  des  Hollandais  et  les  achemine  vers 
Brest,  Toulon,  Marseille  et  La  Rochelle.  Aux  directeurs  de  la 
Compagnie  du  Nord  à  La  Rochelle,  il  écrit  :  «  Je  suis  bien  aise 
que  vous  ayez  à  présent  les  douze  compagnons  hollandois  et  le 
maître  charpentier  et  que  vous  espériez  former  un  bon  atelier 
de  trente  ouvriers,  b  A  du  Seuil,  intendant  de  la  marine  à  Brest 
Colbert  écrit  :  «  Je  travaille  à  vous  faire  venir  encore  des  charpen- 
tiers de  Hollande,  mandez  moi  si  votre  nombre  en  est  suffisant 
et  s'il  n'augmente  point  i  K 

Duquesne  inspecte  le  port  du  Havre  ;  il  reconnaît  qu'on  peut 
établir  des  chantiers  maritimes  à  Harfleur.  Dumas  qui  est  com- 
missaire général  de  la  marine  du  Havre  tombe  d'accord  avec 
Duquesne  sur  ce  point  ;  aussitôt  on  entre  en  relations  avec 
des  artisans  de  Hollande  et  en  ayant  recruté  de  bons,  on  installe 
à  Harfleur  un  charpentier  néerlandais  et  son  fils  2. 

Au  mois  de  juin  1669,  deux  Hollandais  arrivent  au  Havre 
et  sont  dirigés  sur  Toulouse  pour  construire  les  écluses  du  canal 
du  Midi.  «  Mesnagez  ces  ouvriers  avec  soin,  car  on  m'assure 
qu'ils  sont  habiles  »,  écrit  Colbert  aux  entrepreneurs  3. 

De  Hollande  on  attire  des  charpentiers  en  bois  pour  toutes 
sortes  d'ouvrages.  En  1667  deux  d'entre  eux  bâtissent  un  moulin 
sur  la  rivière  de  Corb^il 4  ;  Vanderbos,  menuisier,  réédifie  la 


1.  Sur  tous  ces  points  voir  P.  Clément,  Correspondance  de  Colbert,  passim. 

2.  Arch.  de  la  marine,  B3  7,  f°  106. 

3.  G.  Martin,  op.  cit.,  p.  60  à  67. 

4.  J.  Guiffrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi.  Année  1667,  t.  I,  p.  213. 


MARINS    HOLLANDAIS    EN    FRANCE  275 

«  brasserie  des  Gobelins  et  le  moulin  d'icella  »  K  Vanderdricke, 
«  charpentier  hollandois  »,  est  chargé  de  la  réception  du  bois 
pour  la  charpente  de  Versailles  en  1685  ;  quelques  années  après, 
il  reçoit  des  appointements  mensuels  de  150  livres  pour  s'occuper 
des  travaux  sur  la  rivière  de  l'Eure  2. 

Si  l'on  veut  avoir  une  idée  du  nombre  de  lettres  de  naturalité 
accordées  par  Colbert  à  des  artisans  holLandais,  il  n'est  que 
d'ouvrir  la  table  des  plumitifs  de  la  Chambre  des  Comptes. 
Dans  la  seule  journée  du  9  février  1666,  vingt  lettres  octroyées 
à  des  Hollandais  ont  été  enregistrées  :  elles  sont  attribuées  à  des 
pilotes  ou  charpentiers  catholiques  et  protestants,  originaires 
de  Delft,  de  La  Haye,  d'Amsterdam  ou  de  Rotterdam.  Ces 
Hollandais  ont  nom  Spirinker,  Vandernos,  Isaac  Hatel,  Jean 
Adrien  Yeen,  Simon  Diricq,  Hendrix  Cop  3. 

Colbert  cherche  à  attirer  Jean  de  Wert  qui,  venu  en  France, 
en  1646,  pour  inspecter  nos  vaisseaux  était,  d'après  le  duc  de 
Beaufort,  «  le  plus  habile  ouvrier  du  monde  » 4  ;  il  n'y  réussit  pas 
mais  s'attache  maître  Rodolphe  Gédéon  qu'il  installe  à  Toulon  5. 

Un  capitaine  hollandais,  Louis  van  Heemskerk,  construisait 
des  navires  à  Portsmouth;  on  l'attache  au  service  delà  France 
et  il  construit  des  navires  légers  et  rapides  6.  Au  sieur  Fluymerj 
de  Middelbourg,  le  surintendant  accorde  le  privilège  de  «  repes* 
cher  les  bastiments  qui  ont  fait  naufrage  » 7. 

Il  n'y  a  pas  de  maîtres  d'hydrographie  à  Brest.  Colbert  mande 
à  du  Seuil  d'en  chercher  un  partout  et  il  écrit  :  «  Si  vous  ne  voyez 
pas  lieu  d'en  trouver  un  sitost,  je  pourroy  en  faire  chercher  un  en 
Hollande  ». 

Les  améliorations  des  ports  et  des  canaux  nécessitent  des 
ingénieurs.  Renier  Iansse  prend  part  à  des  études  relatives 
à   l'approfondissement   des   ports   du   Havre8  et   de   Cette9; 


1.  NL,  Ibid.,  t.  I,  p.  210. 

2.  Id.  Ibid.,  t.  II,  p.  687,  690,  711,  722,  1078,  1079. 

3.  Arch.  Nat.,  PP  151.  Journée  du  9  février  1666. 

4.  A.  Jal,  A  braham  Duquesne,  t.  I,  p.  150. 

5.  Arch.  de  la  marine,  B»  f°  139. 

6.  Ibid.,  f°  150. 

7.  P.  Clément,  Lettres  de  Colbert,  t.  III,  p.  150. 

H.  I  li.  de  la  Ronclère,  Un  grand  ministre  de  la  marine,  p.  209. 

1».  M.,  Ibid.,  p.  218. 


276  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

avec  Pellot,  il  examine  les  conditions  de  la  navigabilité  du  Lot  !. 
A  la  marine  il  faut  des  instruments  d'optique  perfectionnés. 
Colbert  invite  un  grand  mathématicien  et  physicien  à  venir  en 
France.  Constantin  Huyghens  accepte  ses  propositions  ;  il 
arrive  en  1666.  Louis  XIV  le  pensionne,  le  loge  à  la  Bibliothèque 
royale,  le  nomme  membre  de  l'Académie  des  Sciences.  Huyghens 
passe  à  Paris  plusieurs  années  ;  il  est  en  relations  avec  les  savants 
de  l'Europe  entière  et  sur  Leibnitz  lui-même  exerce  une  influence 
indiscutable.  Malheureusement,  la  France  le  perd  au  moment 
de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  et  Huyghens  rentre  dans 
sa  patrie.  En  même  temps  que  lui  était  venu  en  France  un  phy- 
sicien fort  occupé  des  progrès  de  l'optique  :  Nicolas  Hartsocker 
qui  se  fixa  à  Paris  quelques  années  2.  Il  prit  part  aux  travaux  de 
l'Académie  des  Sciences  et  travailla  à  la  verrerie  de  Cherbourg 
aux  grands  verres  de  lunettes  destinés  à  l'Observatoire  de  Paris  3. 
Redoutant  lui  aussi  l'intolérance  qui  régnait  à  l'égard  de  ses 
coreligionnaires,  il  se  retira  près  de  l'Électeur  palatin  Jean- 
Guillaume,  à  Dusseldorf. 

Colbert,  comme  Richelieu  songea  à  développer  le  négoce  de 
la  France  en  créant  des  compagnies  privilégiées.  Par  un  édit 
du  mois  d'août  1664,  la  Compagnie  des  Indes  occidentales 
avait  été  investie  du  privilège  exclusif  de  trafiquer  dans  l'Océan 
Indien.  Les  relations  amicales  que  nos  marins  avaient  nouées 
avec  les  indigènes  de  Madagascar  lui  assuraient  des  entrepôts 
dans  la  grande  île.  En  France,  naissait  près  de  Port-Louis  le  port 
de  l'Orient,  où  le  duc  de  la  Meilleraye  armait  pour  Madagascar. 

La  Compagnie  possédait  en  France  un  port  et  aux  Indes  des 
magasins  :  il  lui  manquait  un  homme  capable  de  la  ciiiger. 
Colbert  songea  à  confier  à  François  Caron,  un  Hollandais,  le 
soin  de  donner  à  la  Compagnie  l'impulsion  définitive.  Ancien 
aide  cuisinier  des  navires  de  la  Compagnie  des  Indes  néerlan- 
daises, François  Caron  s'était  élevé  aux  plus  hautes  situations  ; 
il  était  devenu  directeur  de  la  factorerie  néerlandaise  d'Hirado 
au  Japon.  On  le  sonda  pour  savoir  s'il  consentirait  à  entrer- au 

1.  Depping,  Correspondance  administrative  sous  Louis  XIV,  t.  IV,  p.  7. 

2.  A.  Maury,  Histoire  de  l'ancienne  Académie  des  Sciences,  p.  23. 

3.  J.  Guifïrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  II,  p.  1002. 


LA    COMPAGNIE    DU    NORD  277 

service  de  la  France.  D'Estrades,  notre  ambassadeur  en  Hol- 
lande, écrivait  à  Colbert-:  «  Si  on  pouvait  l'attirer  au  service  du 
roi,  il  amènerait  avec  lui  tous  les  meilleurs  maîtres  de  navires 
et  pilotes  accoutumés  de  naviguer  aux  Indes.  »  Il  ne  fut  point 
difficile  de  lui  faire  changer  de  patrie.  Caron  était  aigri  de  n'avoir 
pas  été  nommé  gouverneur  général  des  établissements  hollan- 
dais ;  il  mit  aisément  «  sa  femme  et  ses  enfants  entre  les  mains  » 
de  Louis  XIV.  Aussitôt  entré  en  France  Caron  traça  un  vaste 
programme  qui  nous  devait  ouvrir  des  débouchés  commerciaux 
dans  tous  les  pays  d'Extrême-Orient.  Pour  le  réaliser,  il  obtint 
toutes  facilités.  L'historien  de  la  marine  française  a  relaté  les 
aventureuses  expéditions  coloniales  dans  lesquelles  le  Hollandais 
entraîna  Colbert  et  le  peu  de  confiance  que  les  chefs  militaires 
eurent  en  lui.  Cet  orgueilleux,  aigri,  souvent  préoccupé  par  ses 
intérêts  personnels,  parfois  gagné  par  l'or  des  Hollandais,  périt 
en  mer,  au  mois  de  mai  1673,  comme  il  revenait  en  France  sur 
un  navire  qui  fit  naufrage  K 

Nonobstant  les  difficultés  que  Caron  avait  fait  éprouver  à 
Colbert,  le  ministre  de  la  marine  continua  à  employer  des 
Hollandais  comme  directeurs  des  Compagnies  qu'il  s'efforçait 
de  créer. 

L'un  des  épisodes  les  plus  intéressants  de  la  lutte  de  Colbert 
contre  le  commerce  des  Hollandais  est  celui  de  la  création  de  la 
Compagnie  du  Nord  destinée  à  soustraire  le  trafic  de  la  Baltique 
à  la  marine  marchande  des  Provinces-Unies.  Après  plusieurs 
années  d'études,  Colbert,  au  mois  de  juillet  1669,  fondait  à 
La  Rochelle  une  société  comprenant  des  armateurs  décidés 
à  envoyer  leurs  navires  dans  les  mers  du  Nord.  Il  confiait  la 
direction  de  cette  entreprise  à  l'Allemand  Tersmitten  qui  se 
qualifiait  de  «  bourgeois  hollandais  »  et  à  Jean  Raulé.  Jean  Raulé 
qui  apparaît  à  La  Rochelle  en  1665  comme  commissaire  des 
États  de  Zélande  pour  la  réception  et  la  prise  des  navires  de 
guerre  avait  un  frère,  Benjamin.  Tous  deux  étaient  originaires 
des  Provinces-Unies  et  .étaient  passés  à  l'étranger.  Benjamin 
était  entré  au  service  de  la  Prusse  ;  Jean  était  venu  à  La  Rochelle 

1.  Ch.  de  la  Ronderc,  Histoire  de  la  marine  française,  t.  V,  p.  500  et  s. 


278  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

où,  comme  armateur,,  il  avait  réalisé  une  grosse  fortune.  S'étant 
fait  naturaliser,  il  se  fixa  définitivement  en  Aunis  ;  ses  enfants 
y  demeurèrent  aussi  et  l'un  de  ses  fils,  Jacob,  épousa  la  fille 
d'un  armateur  connu,  Abraham  Mouchard  h 

Tout  homme,  étranger  ou  Français,  qui  fait  montre  d'initia- 
tive comme  marin  ou  voyageur  est  assuré  de  trouver  un  appui 
bienveillant  auprès  de  Colbert.  Laurent  van  Heemskerk,  né  à 
La  Haye,  avait  été  au  service  du  roi  d'Angleterre.  Il  fut  appelé 
en  France.  Ayant  découvert  au  delà  du  Canada  de  nouvelles 
terres,  Louis  XIV  les  lui  concéda.  Au  retour  de  ses  voyages  van 
Heemskerk  revint  comme  capitaine  à  Dunkerque  en  1673  puis 
se  retira  à  Brest  où  il  mourut  le  18  août  1699. 

Colbert  reconnaissait  la  supériorité  des  Hollandais  comme 
constructeurs  de  navires  et  commerçants  ;  il  favorisa  leur  infil- 
tration dans  le  royaume  et  il  lui  advint  même  de  protéger  des 
Néerlandais  résidant  en  France  à  l'heure  même  où  Louis  XIV 
entrait  en  guerre  avec  la  Hollande.  A  ses  subordonnés,  le  ministre 
avait  inculqué  ses  vues  et,  pensant  comme  lui,  certains  lui  pro- 
posaient d'ouvrir  toutes  grandes  les  frontières  de  France  aux 
habitants  des  Provinces-Unies. 

Lorsque  Louis  XIV  eut  racheté  Dunkerque,  le  commerce 
n'y  était  point  prospère.  Dès  1664,  de  Nacquart,  commissaire 
de  ce  port  écrivait  à  Colbert  :  «  Nous  ne  pourrons  peupler  cette 
ville  si  nous  ne  recevons  des  marchands  et  négociants  de  Hol- 
lande quand  ils  quitteront  leur  province  avec  leur  femme  et 
famille  et  vaisseaux...  Si  nous  pouvons  ici  recevoir  les  dits 
Hollandais  nous  aurons  dans  peu  de  temps  quantité  de  mar- 
chands et  de  vaisseaux...  Il  est  de  grande  importance  de  pouvoir 
recevoir  des  marchands  de  Hollande  et  des  pêcheurs  en  ce  port  : 
cela  n'est  point  contraire  à  l'union  que  la  France  doit  entretenir 
avec  l'Angleterre  ;  au  contraire,  il  serait  avantageux  au  roi  de 
la  Grande-Bretagne  que  les  marchands  hollandais  quittassent  la 
Hollande  et  que  le  commerce  diminuât  parce  que  cet  état  qui  ne 
subsiste  que  par  le  commerce  irait  par  ce  moyen  en  décadence  » 2. 

1.  Arch.  dép.  de  la  Charente- Inférieure,  Fonds  de  l'Amirauté,  B  235.  Jean  Raulé 
mourut  à  La  Rochelle  en  1691. 

2.  Arch.  d<e  la  marine,  B1  3>  f°  277,  décembre  1664. 


COLBERT  ATTIRE  LES  HOLLANDAIS  279 

C'était  abonder  dans  les  vues  de  Colbert  qui  acquiesça  aux 
demandes  de  de  Nacquart.  Il  octroya  des  gratifications  à  des 
Hollandais  qui,  s'établissant  à  Dunkerque,  achetaient  des  navires 
en  Hollande. 

Henrerixsen,  Corneille  van  den  Manaquer,  Pierre  Hendricher, 
Jean  Omaert,  d'autres  aussi,  reçurent  pour  cet  objet  des  subven- 
tions variées  \  En  juillet  1665,  le  commissaire  de  la  marine 
écrivait  à  Colbert  que  les  Hollandais  faisaient  à  Dunkerque 
un  commerce  important 2  ;  peu  après  il  lui  mandait  :  «  Il  y  a 
toujours  quelques  Hollandais  qui  quittent  et  viennent  s'habituer 
ici,  tous  cherchent  le  négoce  et  je  ne  doute  point  que  si  S.  M. 
demeure  dans  la  neutralité,  il  en  vienne  plus  ici  »  3. 

Par  une  ordonnance  célèbre  de  l'année  1669,  Colbert  avait 
créé  un  port  franc  à  Marseille.  Il  stipulait  des  privilèges  divers 
en  faveur  des  étrangers  qui  se  fixeraient  dans  le  grand  port 
méditerranéen.  Comme  toujours,  après  avoir  légiféré,  il  s'in- 
quiétait des  résultats  des  mesures  par  lui  édictées. 

En  1672,  la  guerre  éclate  entre  la  France  et  la  Hollande.  Le 
15  avril  Louis  XIV  ordonne  aux  Hollandais  commerçant  dans  le 
royaume  d'en  sortir  aussitôt.  Les  négociants  de  Bordeaux  furent 
atterrés  de  cette  mesure,  leurs  meilleurs  clients  disparaissant, 
ils  dépêchèrent  à  Paris  une  délégation  chargée  d'obtenir  le  retrait 
de  l'ordonnance  royale.  A  la  suite  de  leur  démarche  Colbert 
entama  avec  de  Sève,  intendant  de  Bordeaux,  une  correspon- 
dance relative  à  l'opportunité  du  maintien  des  Hollandais  dans 
cette  ville  et  ayant  jugé  qu'il  était  utile  au  négoce  de  Bordeaux 
d'autoriser  ces  étrangers  à  y  demeurer,  il  écrivit  à  de  Sève, 
le  4  décembre  1672  :  «  J'ai  vu  les  mémoires  des  commissionnaires 
hollandois,  laissez  les  en  liberté,  i 

Il  est  assez  piquant  de  voir  le  plus  acharné  des  ennemis  du 
commerce  de  la  Hollande  favoriser  l'intrusion  dans  le.  royaume 
été  sujets  des  Provinces-Unies.  Dans  les  viles  de  l'intérieur 
ainsi  que  dans  les  ports,  les  groupements  néerlandais  qui  étaient 
déjà   importants    vers    1  f ><>(>   et    s'étaient    tonnes    librement,   se 

1.  J.  Guiffrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  I,  p.  110. 
X  Arch.  de  la  marine,  Bl  5,  f°  104. 

i!  i<l.,  fa  125.  La  gMlfl  \ niait  d'éclater  nitrr  l'Angleterre  et  la  Hollande. 


280  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

développèrent  encore  considérablement  sous  le  ministère  de 
Colbert.  Tout  négociant  était  assuré  de  trouver  aide  et  protec- 
tion auprès  du  ministre  ;  l'accueil  qu'il  réservait  aux  Hollandais 
était  d'autant  plus  favorable  qu'il  estimait  avoir  enlevé  aux 
Provinces-Unies  un  élément  de  prospérité  toutes  les  fois  qu'il 
avait  pu  fixer  en  France  un  de  leurs  nationaux.  Les  Néerlandais, 
assurés  des  bonnes  dispositions  que  l'on  avait  pour  eux  en  pro- 
fitèrent et  émigrèrent  volontiers  dans  le  royaume  de  Louis  XIV. 


II 


Sous  le  ministère  de  Colbert,  il  n'entra  pas  en  France  que  des 
Hollandais  de  bon  aloi.  Depuis  le  moment  où  Louis  XIV  entama 
une  lutte  ouverte  avec  les  Provinces-Unies,  le  prince  d'Orange 
entretint  à  Paris  des  espions  chargés  de  le  renseigner.  La  police 
royale  veillait  et  si  elle  arrêtait  parfois  des  hommes  qui  n'étaient 
coupables  d'aucun  crime,  comme  Gilbert  Racphorst,  natif 
d'Amsterdam,  elle  avait  parfois  la  main  plus  heureuse. 

A  Paris  vivait  François  Affinius  van  der  Emden,  homme  scep- 
tique et  d'intelligence  ouverte  qui  tenait  école  du  côté  de  Pic- 
pus.  Il  était  venu  en  France  avec  sa  femme  et  ses  filles  dont  l'une 
avait  épousé  le  sieur  D argent,  professeur  de  latin  dans  son 
école.  En  1670,  maître  Affinius  avait  soixante-neuf  ans  ;  Fes 
affaires  n'avaient  point  prospéré  et  il  était  ruiné  ;  il  se  livra 
à  l'espionnage  pour  le  compte  des  Pays-Bas  espagnols  et  des 
Provinces-Uries.  Sans  doute  eut-il  été  puni  de  quelques  années 
d'emprisonnement  où  d'exil  s'il  n'eut  été  coupable  que  d'es- 
pionnage mais  le  31  août  1674,  Louvois  fut  informé  qu'un  vaste 
complot  avait  été  fomenté  par  le  chevalier  de  Rohan,  Gilles 
du  Hamel  de  Lautréaumont  et  François  Affinius.  Les  trois  cons- 
pirateurs avaient  formé  le  projet  de  tuer  le  roi,  de  soulever  la 
Normandie  avec  le  concours  des  Espagnols  et  des  Hollandais 
dont  on  aurait  facilité  le  débarquement  à  Quillebœuf,  d'enlever 
le  Dauphin  et  d'établir  un  gouvernement  républicain  dont  van 


les  d'helvétius  281 

der  Emden  avait  rédigé  la  constitution.  Un  officier,  du  Cause 
de  Nazelle,  avait  révélé  à  Louvois  l'organisation  du  complot. 
L'enquête  ne  chôma  point  ;  les  conspirateurs,  sur  un  ordre 
signé  de  Louvois,  furent  mis  à  la  Bastille  et  par  un  arrêt  du 
26  novembre  1674,  Louis  de  Rohan  et  van  der  Emden  furent 
condamnés  à  avoir  la  tête  tranchée  K 

Bien  qu'il  n'ait  pas  été  du  nombre  des  Hollandais  attirés  en 
France  par  Colbert,  Jean-Adrien  Helvétius  connut  cependant 
durant  quelques  mois  les  faveurs  du  ministre  à  qui  il  fut  présenté 
par  la  duchesse  de  Chaulnes.  Jean-Adrien  Helvétius,  né  en 
Hollande  en  1661,  vint  à  Paris  après  avoir  fait  ses  études  à 
Leyde.  Il  apportait  pour  les  écouler  quelques  poudres  confec- 
tionnées par  son  père,  médecin  du  prince  d'Orange.  Ces  poudres 
n'eurent  aucun  succès,  mais  un  droguiste  lui  ayant  cédé  plu- 
sieurs livres  d'une  racine  du  Brésil,  Helvétius,  après  expériences, 
reconnut  que  cette  plante  —  l'ipécacuanha  —  était  un  remède 
énergique  pour  le  traitement  de  la  dysenterie.  Il  publia  sa 
découverte  par  voie  d'affiches  et  se  servit  de  son  remède  auprès 
de  ses  malades.  Ayant  rendu  la  santé  à  la  duchesse  de  Chaulnes, 
celle-ci  l'introduisit  auprès  de  Colbert.  Appelé  auprès  du  Dau- 
phin par  Daquin,  premier  médecin  du  roi,  Helvétius  lui  fit  absor- 
ber quelques  doses  d'ipécacuanha.  A  dater  de  ce  jour  la  renommée 
d'Helvétius  fut  établie.  Louis  XIV  lui  accorda  1.000 louis  d'or; 
récompenses  et  distinctions  ne  lui  furent  pas  ménagées.  Il 
devint  noble  homme  en  1690  puis  fut  successivement  nommé 
écuyer  conseiller  du  roi,  médecin  des  hôpitaux,  inspecteur  géné- 
ral des  hôpitaux  de  la  Flandre  française;  enfin,  en  1717,  il  fut 
médecin  ordinaire  du  duc  d'Orléans. 

Jean-Adrien  Helvétius  s'était  marié  à  Paris  en  1684,  avec 
Jeanne  Desgranges,  veuve  de  Louis  Delbée,  capitaine  du  vais- 
seau La  Justice;  il  mourut  à  Paris,  le  20  février  1727,  laissant 
plusieurs  enfants  et  une  réputation  d'homme  extrêmement 
charitable  2. 


1.  !•:.  Daudet,  Mémoires  du  temps  de  Louti  XIV  par  du  Cause  de  Xazellrs.  Paris. 
1899.  —  F.  Funk-Brentano,  Liste  des  prisonniers  de  la  Bastille,  n°«  593  et  605. 

2.  A.  Kcim,  Helvétius,  sa  vie  et  son  oeuvre.  Paris,  1907,  chap.  i«r.  Les  ascendants 

d'  lh  h'étius. 


282  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Saint-Simon  a  laissé  de  lui  un  aimable  portrait  :  «  C'était,  dit-il, 
un  gros  Hollandais  qui,  pour  n'avoir  pas  pris  ses  degrés  de  méde- 
cine en  France  était  l'aversion  des  médecins  et  en  particulier 
l'horreur  de  Fagon  dont  le  crédit  était  extrême  auprès  du  roi... 
Il  y  avait  longtemps  qu'Helvétius  était  à  Paris,  guérissant  beau- 
coup de  gens  rebutés  et  abandonnés  des  médecins  et  surtout 
des  pauvres  qu'il  traitait  avec  une  grande  charité.  Il  en  rece- 
vait tous  les  jours  chez  lui  à  l'heure  fixée  tant  qu'il  en  voulait 
venir  à  qui  il  fournissait  les  remèdes  et  souvent  la  nourriture  i 1. 

L'année  qui  suivit  la  mort  d'Helvétius,  l'un  de  ses  filsr  Jean- 
Claude,  médecin  ordinaire  du  roi,  était  nommé  médecin  de  la 
reine  a.  Né  à  Paris  en  1685,  il  avait  étudié  au  collège  des  Quatre- 
Nations,  suivi  les  cours  de  la  faculté  de  médecine  où  il  fut  reçu 
docteur  en  1708. 

Dès  1719  il  avait  été  appelé  en  consultation  auprès  de  Louis  XV 
et  l'avait  guéri.  Par  la  suite  il  fut  premier  médecin  de  Marie 
Leczinska  et  connut  les  honneurs  officiels.  De  son  union  avec 
Geneviève  d'Armancourt,  Jean-Claude  eut  en  janvier  1715 
un   fils,  Claude- Adrien,  le  philosophe  célèbre,  auteur  de  YEsprit. 

La  famille  d'Helvétius  s'était  très  rapidement  francisée  ; 
elle  n'abandonna  pas  la  France  après  s'y  être  définitivement 
fixée.  Le  philosophe,  à  l'imitation  de  ses  père  et  grand -père, 
épousa  une  Française  de  vieille  souche  :  Anne-Catherine  de 
Ligneville  d'Autricourt.  Le  mariage  fut  célébré  le  17  août  1751. 
Des  quatres  enfants  de  l'auteur  de  YEsprit  deux  filles  seulement 
survécurent,  l'une  épousa  le  comte  de  Mun,  l'autre  le  comte 
d'Andlau  3. 

1.  Saint-Simon,  Mémoires,  édition  des  Grands  Écrivains,  t.  VIII,  p.  93. 

2.  Le  28  février  1728,  d'après  La  Gazette  de  France. 

3.  A.  Keim,  op.  cit.r  p.  189,  note  2. 


CHAPITRE  VI 


I.  Les  Hollandais  à  Bordeaux,  Nantes,  Vitré,  Rouen,  Dieppe,  Lyon,  Marseille. 
—  II.  La  Révocation  de  l'Édit  de  Nantes  et  ses  conséquences  sur  les  colonies 
hollandaises. 


Ayant  déjà  parlé  de  la  colonie  hollandaise  de  Bordeaux  pour 
marquer  son  importance  avant  l'année  1660,  il  me  sera  permis 
d'être  bref  à  son  sujet.  De  cette  date  jusqu'à  l'époque  de  la  révo- 
cation, on  note  onze  naturalisations  de  Hollandais  mais  à  ces 
étrangers  naturalisés  on  doit  joindre  quelques  commerçants  qui 
habitaient  les  Chartrons  et  ne  sollicitèrent  point  leur  naturali- 
sation, tels,  par  exemple,  Henri  Vankessel,  Joris  Vanhaemstede, 
Bernard  Vanschoonacker,  négociants  considérables.  S'ils  n'ont 
point,  comme  les  autres,  demandé  leur  admission  dans  la  cité 
française  il  n'en  faut  chercher  qu'une  seule  raison.  En  1675 
le  gouvernement  royal  révoqua  le  privilège  d'exemption  des 
droits  de  comptablie  dont,  jusqu'alors  avaient  joui  les  bourgeois 
en  titre.  Les  mobiles  intéressés  qui  poussaient  les  étrangers  à 
demander  leur  naturalisation  disparaissant,  ils  ne  prirent  plus  de 
lettres  spéciales L.  L'intendant  de  Guyenne,  M.  de  Bezons, 
le  fit  remarquer  :  «  La  suppression  du  droit  de  bourgeoisie 
à  L'égard  des  habitants  de  Bordeaux  a  esté  cause  que  les  étran- 
gers n'ont  plus  pris  de  lettres  de  naturalité,  parce  qu'ils  ont  vu 
qu'il  n'y  avait  plus  aucun  privilège  » 2. 

Eh  Saintonge,  dans  L'intérieur  «1rs  terres,  au  village  de  Cour- 
coury,  s'était  fixé,  au  début  du  xvne  siècle,  Antoine  Yander- 

1.  A.  Leroux,  op>  cit.,  p.  35  et  suiv. 

2.  A.  de  lioislislc,  Correspondance   des    Contrôleurs    généraux,  t.  Ipr,  lettre  987. 


284  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

quand,  marchand,  ou  plus  probablement  notaire  arpenteur. 
Il  y  épousa  Marie  Blanvillain,  originaire  de  la  Jamaïque  et  en 
eut  neuf  enfants.  Ceux  d'entre  eux  qui  se  marièrent  essaimèrent 
dans  la  province  où  la  famille  subsiste  encore.  Les  Vanderquand 
ont  fourni  des  médecins,  des  notaires  qui  vécurent  paisibles 
à  Courcoury  ou  à  Saintes  ;  seul  Antoine  Vanderquand,  prêtre 
constitutionnel,  a  joué  un  rôle  de  second  plan  au  cours  de  la 
Révolution  1. 

Dans  l'intérieur  des  terres,  à  Angoulême  et  Limoges,  des  Hol- 
landais, déjà  signalés,  fabriquent  où  achètent  des  papiers. 
A  La  Roch3lle  les  Crucius  et  les  Tersmitten  nous  sont  connus 
ainsi  que  Jean  Raulé.  Dans  la  cité  de  Jean  Guitton,  les  protes- 
tants étaient  solidement  implantés  ;  les  affinités  des  sentiments 
religieux  devaient  y  attirer  des  Hollandais  également  sollicités 
par  la  situation  d'un  port  commodément  placé  pour  l'embarque- 
ment des  vins  et  eaux-de-vie  de  l'Aunis  et  de  la  Saintonge.  Les 
van  Jehangerbeque  s'unissent  aux  Balbecque  2  ;  Catherine  de 
Witt,  veuve  de  Jehan  de  Vangen,  plaide  contre  des  maichands  de 
Harlem  3  ;  Jacques  de  Val,  de  Middelbourg,  meuit  à  La  Rochelle 
en  1635  4.  Au  mois  d'août  1669,  Elisabeth  Tongrelou,  fille  d'un 
grand  négociant  de  la  ville,  s'allie  à  Gérard  Vaus  Hueit,  qui, 
comme  beaucoup  de  ses  compatriotes  a  des  intérêts  à  Saint- 
Martin-de-Ré  :  des  Hollandais  sont  témoins  de  son  mariage  5. 
Van  Bonel  est  naturalisé  en  1670  6  et  van  den  Bosch,  épouse 
in  extremis  Suzanne  Gueneux  en  1683. 

Malgré  les  récriminations  des  habitants  de  Nantes,  la  colonie 
hollandaise  avait  continué  à  y  prospérer  depuis  l'année  1660  ; 
il  semble  même  qu'un  rapprochement  avait  eu  lieu  entre  les  négo- 
ciants de  la  place  et  les  étrangers.  Le  plus  souvent  Nantais  et  Hol- 
landais s'entendaient  pour  commettre  des  fraudes  sur  le  sucre. 
Les  ordonnances  royales  interdisaient  de  livrer  des  sucres  bruts 

1.  E.  J.  Guérin,  Les  Vanderquand.  Extrait  de  la  Revue  de  Saintonge  et  d'Aunis, 
juillet  1918. 

2.  Archives  départementales  de  la  Charente- Inférieure,  E  20  ;  mariage  du 
4  novembre  1603. 

3.  Ibid.,  B  1346. 

4.  Ibid.,  E  34,  année  1635. 

5.  Archives  historiques  de  l'Aunis  et  Saintonge,  vol.  XL II,  p.  489. 

6.  Arch.  dép.  de  la  Charente- Inférieure,  B  1326. 


HOLLANDAIS    A    NANTES  285 

aux  exportateurs  étrangers,  or,  cette  fraude  était  courante 
à  Nantes.  Les  Hollandais  achetaient  des  sucres  bruts,  les  raffi- 
naient dans  Jeur  pays  puis  les  réimportaient  après  raffinage. 
Colbert  résolut  de  mettre  fin  à  ces  manœuvres  ;  le  6  octobre  1670, 
il  écrivait  à  d'Aguesseau  :  «  Les  sucres  raffinés  en  Bretagne 
paieront  à  Bordeaux  hs  mêmes  droits  que  ceux  raffinés  à  l'étran- 
ger; les  Bretons  sont  si  trompeurs  et  surtout  ceux  de  Nantes, 
qu'il  est  impossible  de  distinguer  hs  sucres  raffinés  en  Bretagne 
de  ceux  raffinés  en  Hollande.  » 

Les  mesures  prises  par  Colbert  pour  favoriser  le  négoce,  les 
meilleures  dispositions  des  Nantais  à  l'égard  des  Hollandais 
furent  sans  nul  doute  deux  motifs  nouveaux  qui  contribuèrent 
à  l'infiltration  des  étrangers  dans  une  cité  dont  la  situation 
géographique  était  alors  favorable  au  grand  commerce  d'impor- 
tation. Au  cours  d'une  seule  année,  en  1673,  furent  naturalisés 
Gérard  Pieters  et  sa  femme  Marguerite  Bernard,  d'Amsterdam  ; 
Albert  van  Sheulen,  de  Groningue  ;  Mathieu  Hoos  ;  Marguerite 
Frosscn,  de  Bcrg-op-Zoom.  Pierre  Hollard  et  Jacob  de  Bye 
furent  également  naturalisés,  le  premier  en  1674  et  le  second 
en  1677.  Van  Butzelard,  Marguerite  Wolf,  sa  femme;  van  den 
Driesche,  reçurent  leurs  lettres  de  naturalisation  en  1679  et  1680. 

Nombre  de  Néerlandais  n'avaient  pas  sollicité  leur  natura- 
lisation dans  le  cours  du  siècle  se  basant  sur  les  lettres-patentes 
qui  leur  avaient  été  accordées  en  1632  et  leur  donnaient  le 
droit  de  commercer  librement  ;  sous  l'influence  des  tarifs  doua- 
niers le  mouvement  des  naturalisations  s'accentua.  Les  droits 
de  sortie  sur  les  marchandises  étaient  variables  suivant  qu'ils 
étaient  appliqués  à  des  Français  ou  à  des  étrangers  ;  aussi  bien 
ces  derniers  avaient-ils  intérêt  à  solliciter  leur  naturalisation 
pour  jouir  des  tarifs  les  plus  favorables.  Dans  les  registres  des 
Amirautés  on  rencontre  des  réclamations  continuelles  qui 
prouvent  la  véracité  de  ce  fait.  Le  4  avril  1674,  Gérard  Pieters, 
naturalisé,  soutient  que  les  vins  de  Bordeaux  qu'il  a  fait  expé- 
dier de  cette  ville  par  un  sien  courtier  ne  doivent  payer  que  les 
taxes  afférentes  aux  naturels  français  et  non  celles  dues  par  les 
étrangers,  car  il  est  Français  et  sujet  du  roi.  L'année  suivante, 
Pierre  Hollard  fit  une  réclamation  basée  sur  les  mêmes  motifs. 


286  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Outre  les  registres  des  Chambres  des  Comptes  relatant  l'en- 
térinement des  lettres  de  naturalité,  il  existe  d'autres  docu- 
ments qui  peuvent  être  utilisés  pour  renseigner  les  historiens 
sur  l'importance  des  colonies  étrangères  dans  les  cités  françaises. 
Les  minutes  des  actes  notariés,  les  aveux  font  connaître  l'exis- 
tence de  maisons  de  commerce  et  renseignent  sur  les  transac- 
tions de  leurs  propriétaires.  Un  aveu  de  Nantes  révèle  la  pré- 
sence dans  cette  ville  des  van  Ophen,  établis  sur  les  bords  de 
la  Chézine.  Les  Hollandais  catholiques  étaient  plus  nombreux 
qu'on  a  coutume  de  le  supposer  ;  on  croit  assez  aisément  que 
presque  tous  étaient  protestants.  Or  les  registres  des  paroisses 
sont  pleins  de  noms  hollandais.  Van  den  Droc,  maître  arque- 
busier à  Nantes,  est  parrain  dans  un  acte  de  baptême  du 
20  mars  1678.  François  Snoucq,  veuf  de  Marie  van  de  Voorde, 
épouse  Jacquette  Stalpaert  le  8  novembre  1683.  Le  27  août  1686 
est  baptisée  Suzanne,  fille  de  Simon  van  Alquenaar,  marchand 
à  la  Fosse  et  de  demoiselle  Corneille  de  Keleecht,  convertie 
à  la  religion  catholique  depuis  neuf  mois.  Dans  les  actes  de  la 
paroisse  Saint-Jacques  de  Nantes,  on  note  les  noms  de  van  den 
Strichs,  van  Harnel*  marchand,  de  l'interprète  Abraham  de 
Pot  et  du  tonnelier  Jean  de  Waelt  K 

Chaque  document  que  l'on  consulte  révèle  des  noms  hollan- 
dais. Van  Armeyden  possédait  une  maison  dans  la  Basse-Grande- 
Rue  ;  il  l'avait  acquise,  en  1671,  de  Pierre  d'Espinoza  2.  René 
Tinnebac,  en  1681,  avait  obtenu  l'autorisation  de  fonder  une 
brasserie  à  Nantes.  Girard  Pilletier  et  son  neveu  Gaspard, 
tous  deux  originaires  de  Zélande,  tenaient  boutique  de  pro- 
duits pharmaceutiques  3.  Les  Sengstack,  dont  les  descendants 
demeurèrent  à  Nantes  jusqu'à  La  Révolution  étaient  établis 
au  port  dès  le  milieu  du  xvne  siècle. 

Les  registres  d'état-civil  des  protestants  conservés  au  greffe 
du  Tribunal  civil  de  Nantes  s'étendent  sur  une  période  de 
quinze  ans,  de  1670  à  1685.  Ils  mentionnent  de  nombreuses 
familles  hollandaises  ;  la  liste  des  religionn aires  dressée  au  mo- 

1.  Arch.  mun.  de  Nantes,  GG  117,  118,  119,  120  et  suivants. 

2.  Archives  départementales  de  la  Loire- Inférieure,  H  261. 

3.  Ibid.  Livre  des  mandements  de  la  Chambre  des  Comptes,  Vol.  XIV. 


RELATIONS    AMICALES    DES    HOLLANDAIS    ET    DES    NANTAIS  287 

ment  des  dragonnades  relate  près  de  trois  cents  noms  de  Néer- 
landais établis  à  Nantes  au  moment  de  la  révocation  1. 

Le  groupement  batave  de  cette  ville  était  si  considérable 
vers  1680  que  ses  membres  eurent  un  moment  l'intention  de 
fonder  un  conseil  spécial  pour  s'occuper  de  ses  affaires.  Cette 
idée  ne  fut  pas  mise  à  exécution,  mais  elle  fut  suffis  animent 
agitée  pour  que  le  bruit  des  projets  des  Hollandais  parvint  à 
Paris  et  suscitât  de  la  part  du  ministre  une  demande  de  rensei- 
gnements détaillés  2. 

Par  leur  ténacité  et  leur  énergie  les  Hollandais  étaient  par- 
venus à  s'implanter  à  Nantes  et  sous  le  ministère  de  Colbert, 
leurs  rapports  avec  les  habitants  de  la  ville  s'étaient  améliorés. 
A  ceci,  rien  d'étonnant  ;  le  commerce  et  l'industrie  avaient 
pris  de  l'essor  sous  l'influence  du  grand  ministre.  Régnicoles 
et  étrangers  s'enrichissaient  et  les  sentiments  de  jalousie  s'étaient 
atténués  en  même  temps  que  se  développait  la  fortune  des 
Français.  Les  Nantais,  au  lieu  de  faire  aux  Néerlandais  une 
guerre  sourde  avaient  adopté  quelques-unes  de  leurs  méthodes 
commerciales.  Ils  avaient  pris  l'habitude  d'envoyer  leurs  enfants 
en  Hollande  poui  y  apprendre  la  langue  et  le  négoce.  Les  registres 
des  Archives  de  la  Marine  fourmillent  d'autorisations  accordées 
à  des  jeunes  gens  partant  pour  les  Provinces-Unies.  Générale- 
ment ils  y  passaient  deux  ans.  On  embarquait  aussi  sur  des 
navires  hollandais  des  mousses  de  quatorze  à  seize  ans  afin 
qu'ils  apprissent  les  langues  étrangères.  «  Vous  avez  bien  fait 
de  donner  ordre  au  sieur  des  Gastines  de  permettre  à  quelques 
jeunes  matelots  de  quinze  ans  de  s'embarquer  sur  des  navires 
anglais  et  hollandais...  à  condition  que  leurs  parents  s'oblige- 
ront à  les  représenter  à  dix-huit  ans  »,  écrivait  à  Nantes  U  surin- 
tendant de  la  marine  8. 

Toute  cité  bretonne  a  reçu  de  Hollande  un  appoint  de  popula- 
tion. Le  commerce  des  blés,  les  achats  de  toiles,  le  négoce  du 
lin  attiraient  en  Armorique  dtîs  marchands  de  tous  pays.  Rennes, 


1.  Vaurigaud,  Histoire  de  l'Eglise  réformée  à  Nantes. 

2.  Archives  Nationales,  G7  172. 

S.  J.  Matborez,  A'o/rs  sur  la  colonie  hollandaise  de  Naides.  Extrait  de  la  Rêve» 
du  Nord,  février  1913. 


288  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Quintin,  Auray  accueillirent  des  Néerlandais.  A  Saint-Malo, 
s'implantèrent  les  Groult,  commerçants  notoires  et  une  colonie 
flamande  comportant  des  Hollandais  s'établit  à  Vitré,  cité  qui 
comptait  de  nombreux  protestants.  A  la  colonie  de  Vitré  appar- 
tiennent les  Duvelaer. 

Joseph  Duvelaer  avait  débarqué  de  Middelbourg  à  Saint- 
Malo  en  1656  ;  ayant  abjuré,  il  se  fit  naturaliser.  Il  passa  ensuite 
à  Vitré  et  s'y  maria.  Son  fils  Joseph,  le  8  avril  1697,  y  épousa 
Françoise  Hanry.  De  cette  union  naquirent  plusieurs  enfants  : 
Claude-Charlotte,  Ursuline  à  Vitré  et  Jeanne,  bienfaitrice 
de  la  ville. 

Au  début  du  xvme  siècle,  Joseph  Duvelaer  passa  à  Nantes. 
C'est  dans  cette  ville  qu'il  rédigea  en  1714  un  mémoire  prouvant 
sa  noblesse  qui  lui  fut  confirmée  en  1733.  Si  deux  de  ses  filles 
retournèrent  à  Vitré,  l'une  au  contraire  abandonna  cette  cité 
bretonne  ;  elle  s'unit  à  Nantes  à  un  Irlandais,  Butler.  Joseph- 
Julien  Duvelaer,  son  fils,  entra  au  service  de  la  Compagnie 
des  Indes  orientales,  demeura  longtemps  en  Chine  et  épousa 
une  Chinoise  qu'il  ramena  en  France.  Dans  les  opérations 
considérables  qu'il  fit,  ce  Duvelaer  réalisa  une  fortune  impor- 
tante et  le  2  décembre  1761,  il  acquit  du  prince  de  Léon  le  châ- 
teau du  Lude.  Vers  la  fin  de  1764,  ce  riche  négociant,  conseiller 
du  roi,  décédait  au  moment  où  il  allait  repartir  pour  Macao. 
Ses  biens  passèrent  à  sa  nièce  Joséphine  Butler,  marquise  de  la 
Vieuville  et  aïeule  des  propriétaires  actuels  du  château  du  Lude, 
les  de  Talhouët  K 

Comme  les  ports  de  l'Atlantique,  ceux  de  la  Manche  abri- 
tèrent des  florissantes  colonies  hollandaises  à  partir  du  début 
du  xviie  siècle.  Rapidement  facteurs,  armateurs,  manufactu- 
riers néerlandais  supplantèrent  les  Espagnols  et  les  Portugais 
qui,  depuis  plus  d'un  siècle,  avaient  tenu  une  place  prépondé- 
rante dans  le  haut  commerce  rouennais. 

Au  xviie  siècle,  les  Hollandais  furent  légion  dans  le  grand  port 
normand,   aussi  n'est-il  guère  possible  d'entrer  dans  de  longs 

1.  D'Hozier,  Armoriai  général,  reg.  I,  part.  II,  p.  620.  —  A.  David,  Le  Château 
du  Lude,  son  origine,  ses  possesseurs.  Paris,  1854,  p.  103.  —  Frain  de  la  Gaulayrie, 
Les  Vitréens  et  le  Commerce  international. 


L'ÉDIT   DE   NANTES    ET   L'IMMIGRATION    HOLLANDAISE         289 

détails  sur  leur  existence  ;  il  faut  se  borner  à  citer  les  plus  connus 
d'entre  eux  1. 

A  peine  l'Édit  de  Nantes  est-il  signé  que  les  Hollandais 
affluent  à  Rouen.  Dès  l'année  1600,  l'un  d'entre  eux,  Pierre 
Vampenne,  est  assez  riche  pour  posséder  dix-sept  navires. 
Chaque  année,  vers  les  Indes  Orientales  et  les  Molluques,  il 
envoie  le  Mauritius,  le  Hollandia,  le  Frisa,  le  Harlem,  le  Deljt 
et  ces  navires  rapportent  des  épiceries  que  Vampenne  écoule  en 
Normandie  2. 

Les  Hoeufït  sont  à  Rouen  dès  1599  ;  Jean  est  naturalisé 
en  1601  ;  après  avoir  trafiqué  au  port,  il  s'associe  avec  les  dessi- 
cateurs  de  marais  puis  fait  de  la  banque.  Il  devient  personnage 
influent  ;  comme  il  est  chargé  d'encaisser  les  subsides  versés 
à  la  Suède  par  la  France,  il  a  dans  le  Nord  de  l'Europe  des  rela- 
tions de  marque.  Axel  Oxenstiern,  à  son  départ  de  France  accepte 
l'hospitalité  dans  sa  maison  de  Rouen.  Au  temps  de  Mazarin, 
des  Hoeufït  correspondent  avec  le  ministre  et  prêtent  leur 
crédit  au  trésor  royal. 

Sur  les  paroisses  Saint-Éloi,  Saint- Vincent,  Saint-Martin-du- 
Pont,  se  groupent  au  fur  et  à  mesure  de  leur  arrivée  les  frères 
Câpres,  les  Depeyster,  les  de  Rich,  les  Scalongne,  Adrien  Pieter, 
Ockhuysen,  Hubert  Jansen  de  Schiedam.  Des  familles  entières 
passent  de  Hollande  à  Rouen,  celle  de  Thierry,  Samuel,  Nicolas 
Looten.  Ces  Hollandais  sollicitent  lettres  de  naturalité  et  de 
bourgeoisie  :  Simon  Vronling,  de  Delft  3,  Albert  Vandershalque, 
de  Harlem4,  Egbert  Câpres  de  la  province  de  Gueldrrs5,  Guil- 
laume Scot,  de  Middelbourg  6  sont  inscrits  sur  les  livres  des 
bourgeois  de  Rouen. 

Ces  étrangers  exercent  les  commerces  les  plus  divers.  Ils 
achètent  des  draps,  des  feutres,  des  toiles,  importent  des  épices, 

1.  E.  Lesens,  La  colonie  protestante  hollandaise  à  Rouen  au  XVII*  siècle,  dans 
Bulletin  de  la  Société  d'histoire  des  Eglises  wallonnes,  t.  II.  —  J.  Bianquis  et  E.  Le- 
sens, La  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes  à  Rouen.  Paris,  1885,  2e  partie.  Liste  des 
protestants  de  Rouen. 

2.  E.  Gosselin,  Documents  pour  servir  à  l'histoire  de  la  marine  normande...  Rouen, 
1870,  p.  160. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Seine- Inférieure,  A  49. 

4.  Ibid.  A.  49. 

:».    II>M.   Naturalisé  en  1658,  bourgeois  en  1659. 
6.  Ibid.  Naturalisé  en  1651,  bourgeois  en  1659. 

19 


290  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

des  produits  de  l'Inde.  Au  xvne  siècle  Rouen  était  un  entrepôt 
dans  lequel  les  artistes  marchands  d'objets  d'art  centralisaient  les 
œuvres  pour  les  adresser  en  France  ou  en  Espagne  ;  des  Flandres 
et  de  Hollande  des  peintres  adressaient  à  Rouen  des  tableaux 
à  des  marchands  néerlandais  qui  les  expédiaient  à  l'étranger1. 

Les  fortunes  des  Hollandais  de  Rouen  sont  considérables. 
Van  der  Tombe  donne  à  chacune  de  ses  filles  cent  mille  livres 
tournois  ;  l'une  d'entre  elles  épouse  Moisant  de  Brieux,  fonda- 
teur de  l'Académie  de  Caen  ;  l'autre  s'allie  à  Adrien  Ficq,  de 
Delft  qui  habite  à  Rouen  sur  la  paroisse  Saint-Martin-du-Pont. 
Nicolas  de  Ricq,  anobli  par  Louis  XIV,  dote  richement  ses 
enfants  ;  chacun  reçoit  quarante  mille  livres.  L'un  de  ses  fils, 
Etienne,  épouse  Suzanne  de  Civille,  descendante  d'une  famille 
espagnole  établie  en  Normandie  depuis  plus  d'un  siècle  et  qui 
avait  embrassé  la  religion  réformée  ;  sa  fille  Jeanne  s'allie 
également  à  Isaac  de  Civille  et  Georges,  sieur  d'Ecaquelon 
laissera  à  Rouen  lignée  du  nom. 

Les  raffineurs,  les  fabricants  de  savon  qui  approvisionnent 
de  leurs  produits  les  facteurs  hollandais  habitent  sur  les  paroisses 
Saint-Maclou  et  Saint-Sever.  Ces  manufacturiers  emploient 
dans  leurs  établissements  des  ouvriers  de  leur  pays.  Les  Fran- 
çais utilisaient  également  la  main-d'œuvre  néerlandaise.  Poterat, 
faïencier,  employait  comme  contremaître  Giiard  van  Brakel 
et  ses  collaborateurs  étaient  Hollandais  ;  ils  avaient  nom  Van- 
dalle,  van  den  Busch,  van  de  Vynk,  van  Brache,  van  Gellikom  2. 

Lorsque  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  fut  signée,  la  colonie 
hollandaise  de  Rouen  comptait  certainement  plus  de  cinq  cents 
personnes  appartenant  à  toutes  les  conditions  sociales.  Les  unes 
étaient  naturalisées  :  les  van  Vlierden,  les  Looten,  les  Vanemery 
qui  étaient  établis  à  Rouen  depuis  quarante  ans;  d'autres 
comme  les  Valkembourg  étaient  simplement  «  habitués  »  depuis 
fort  longtemps  3.  De  ces  étrangers,  certains,  mariés  à  des  Fran- 


1.  Ch.  de  Beaurepaire,  Notes  sur  les  artistes  flamands  de  Rouen,  dans  Bull,  de 
la  Commission,  dép.  des  Antiquités  de  la  Seine-Inférieure,  t.  VIT,  1888,  p.  332-88. 

2.  Ch.  de  Beaurepaire,  Nouveau  recueil  de  notes  historiques  et  recherches.  Rouen, 
1888. 

3.  J.  Bianquis  et  E.  Lesens,  Liste  des  protestants  de  Rouen  persécutés,  deuxième 
partie  de  l'ouvrage  cité,  p.  82. 


LES    HOLLANDAIS    UN    PEU    PARTOUT  291 

çaises  et  ayant  fondé  leur  foyer  en  Normandie,  abjurèrent 
au  moins  du  bout  des  lèvres  ;  d'autres  ne  semblent  pas  avoir 
trop  souffert  des  persécutions.  Antoine  van  der  Hulst,  de  La 
Haye,  naturalisé  en  août  1664  et  reçu  bourgeois  quelques  se- 
maines après  \  ayant  été  recommandé  par  de  Choiseul-Beaupré, 
commandant  de  cuirassiers,  n'eut  pas  de  logement.  Il  continua 
à  exercer  son  commerce  à  Rouen  et  fut  même  l'un  des  princi- 
paux fournisseurs  des  surintendants  des  bâtiments  du  roi. 
Il  leur  livre  des  pots  à  fleurs  qu'il  fait  fabriquer  à  Rouen,  des 
paniers  d'osier,  des  briques  destinées  à  la  construction  du  grand 
aqueduc  de  Maintenon,  des  aigles  de  cuivre  en  forme  de  pupitre 
qu'il  envoie  à  l'église  paroissiale  de  Versailles  2. 

La  colonie  néerlandaise  de  Rouen  subit  le  contrecoup  des 
mesures  prises  au  cours  des  années  1685  et  suivantes  mais, 
comme  beaucoup  d'autres,  elle  ne  fut  point  complètement 
désorganisée  ;  en  1698,  il  subsistait  encore  dix-sept  familles 
hollandaises    portées    sur    la   liste    des    nouveaux    convertis 3. 

A  Dieppe  florissait  depuis  le  règne  de  Louis  XI  une  colonie 
hollandaise  ;  à  Caudebec,  centre  de  fabrication  de  chapeaux 
dits  «  caudebecs  »,  des  courtiers  du  Nord  achetaient  des  feutres 
qu'ils  exportaient. 

Dans  le  centre  de  la  France,  des  Hollandais  possèdent  des 
raffineries  :  on  a  déjà  cité  les  noms  de  ceux  qui  se  sont  établis 
à  Orléans.  Les  vins  de  Bourgogne  et  du  Maçonnais  sont  achetés 
par  des  facteurs  néerlandais  qui  se  fixent  dans  la  région.  Lyon 
est  le  centre  de  colonies  étrangères  :  on  y  admet  très  facilement 
les  forains.  Certains  même  y  résident  un  temps  si  court  avant 
d'être  reçus  bourgeois  qu'on  les  dénomme  «  bourgeois  de  Pâques  »; 
ils  ne  paraissent  à  Lyon  qu'aux  jours  solennels.  A  côté  de  ces 
étrangers  qui  constituent  la  colonie  flottante  de  la  ville,  d'autres 
s'établissent  à  demeure  et  forment  des  groupements  compacts. 
Les  Hollandais  y  furent  spécialement  nombreux. 

Les  registres  de  bourgeoisie  tenus  en  conformité  des  lettres- 
patentes  du  9  novembre   1617  ordonnant  la  déclaration  à  la 

1.  Arch.  départementales  de  la  Seine-Inférieure,  A  50. 

2.  J.  GuifTrey,  Comptes  <lr%  Hâtimrnts  du  Roi,  t.  II.  V»  van  der  Hulst. 

3.  J.  Bianquis  et  E.  Lesens,  op.  cit.,  p.  xcix. 


292  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

maison  commune  des  noms,  prénoms,  lieu  de  naissance  des  étran- 
gers décèlent  la  présence  de  marchands  hollandais  et  flamands  lf 

Dans  les  comtés  de  Toulouse  et  de  Foix,  dans  l'Albigeois  et  sur- 
tout le  Lauraguais,  on  cultivait  le  pastel.  Nulle  part  en  Europe, 
on  n'en  trouvait  d'aussi  bonne  qualité  ni  en  aussi  grande  quan- 
tité. Des  Hollandais  participaient  à  la  dessication  des  feuilles 
de  pastel,  à  la  confection  des  poudres  destinées  à  la  teinture 
des  étoffes  et  au  transport  des  couleurs  extraites  du  pastel. 
Ils  les  acheminaient  vers  Londres,  Anvers  et  Paris. 

A  Marseille,  dont  le  port  était  le  plus  vaste  entrepôt  méditerra- 
néen des  produits  d'Orient,  s'était  formée  une  colonie  hollan- 
daise d'autant  plus  considérable  que  le  roi  Henri  IV  avait  obtenu 
pour  ses  amis  des  Provinces-Unies  des  avantages  importants 
dans  les  Échelles  du  Levant. 

Vers  1644,  notre  marine  était  mal  conduite  ;  les  ports  étaient 
mal  dirigés  et  les  lieutenants  d'amirauté  commettaient  des  mal- 
versations. A  Marseille,  Antoine  de  Valbelle,  soulevait  un  tel 
toile  par  ses  exactions  que  les  consuls  étrangers,  des  armateurs 
natifs  de  Hollande,  «  plus  de  dix  mil  tesmoings  »,  eussent  déposé 
contre  lui  2.  Une  enquête  fut  ouverte  et  parmi  les  négociants 
appelés  à  donner  leur  témoignage  figurent  Thomas  de  Vandcs- 
traten,  «  habitué  à  Marseille  depuis  quarante-quatre  ans  », 
Jean  Vanbeber  qui  habite  le  port  depuis  trente-cinq  ans  et 
David  Martin,  négociant,  natif  d'Amsterdam3. 

Les  conditions  faites  par  Colbert  aux  étrangers  se  fixant 
à  MarsePle  étaient  trop  avantageuses  pour  que  les  Hollandais 
n'en  profitassent  point.  Catholiques  et  réformés  néerlandais 
arrivèrent.  Lorsque  l'intendant  Morant,  à  la  suite  de  la  révoca- 
tion de  l'Édit  de  Nantes,  prit  des  mesures  contre  les  protestants, 
ils  ne  manquèrent  pas  de  faire  valoir  qu'ils  étaient  venus  se 
fixer  à  Marseille  à  la  suite  des  privilèges  que  Colbert  leur  avait 
accordés  en  1669. 

Morant,  excité  par  les  plaintes  des  négociants  marseillais 
qui  voyaient  avec  jalousie  les  fortunes  édifiées  par  les  Hollan- 

1.  Arch.  mun.  de  Lyon,  BB  440  et  441. 

2.  Ch.  de  la  Roncière,  Histoire  de  la  marine,  t.  V,  p.  127. 

3.  Bib.  Nat.,  manuscrit  français  18593,  l03  276  v°,  279  v°,  282. 


LA    RÉVOCATION    DE    l'ÉDIT    DE    NANTES  293 

dais,  se  conforma  aux  instructions  reçues  de  Paris.  Il  fit  dresser 
un  rôle  des  réformés  français  et  étrangers  établis  à  Marseille 
et  possédant  des  propriétés.  Des  Hollandais  sont  mentionnés 
sur  ce  rôle  ;  Nicolas  de  Guisnot,  horloger,  natif  de  Leyde, 
Charles  Gilly,  d'Amsterdam,  Michel  Hulst,  Georges  Vedenant, 
raffineur  de  sucres  *.  A  l'exception  de  ce  dernier,  tous  étaient 
mariés  et  avaient  des  enfants  et  des  serviteurs  de  leur  pays. 
Ils  abjurèrent,  des  lèvres  tout  au  moins  mais  cette  abjuration 
ne  satisfit  point  les  Marseillais,  témoin  la  triste  aventure  qui 
advint  à  Renner  Barne.  Ce  négociant  avait  femme  et  enfants  ; 
un  de  ses  fils  marié  avait  lui-même  huit  enfants.  Comme  ses 
compatriotes  il  s'était  livré  au  grand  négoce  et  avait  acquis 
une  propriété  à  Notre-Dame-de-la-Garde,  une  maison  à  Saint- 
Jean  et  une  autre  à  Séon.  Il  était  donc  fort  à  l'aise.  En  1686, 
il  avait  abjuré  ainsi  que  son  fils  Martin,  mais  on  le  considérait 
comme  mal  «  converti  »  et  les  habitants  de  la  ville  jalousaient 
la  prospérité  de  son  commerce.  Or,  le  16  octobre  1688,  Louis  XIV 
ordonna  que  tous  les  protestants  ou  convertis  depuis  cinq  ans 
déposassent  leurs  armes  entre  les  mains  des  magistrats.  On  appli- 
qua la  nouvelle  ordonnance  mais  Renner  Barne  qui  faisait  un 
commerce  d'armes  et  de  munitions  possédait  un  véritable  arse- 
nal, canons,  mousquets,  barils  de  poudre,  boulets.  Il  sollicita 
de  M.  de  Grignan  l'autorisation  de  continuer  son  négoce  ;  elle 
lui  fut  refusée  et  comme  il  était  impossible  de  déposer  chez  les 
échevins  ce  magasin  d'armes,  il  fut  entièrement  séquestré  et 
force  fut  à  Barne  d'interrompre  ce  genre  de  commerce  2. 


II 


L'histoire  de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  n'est  plus  à 
écrire  ;  en  des  récits  plus  ou  moins  détaillés,  les  historiens  ont 
retracé  les  méthodes  employées  par  les  subordonnés  de  Louis  XIV 

1.  V.-L.  Bourilly,  La  Révocation  de  VEdit  de  Nantes  à  Marseille,  dans  Bulletin 
de  l'Histoire  du  protestantisme,  année  1905,  p.  5. 

2.  ld.,  Les  suites  de  Im  Révocation  à  Marseille,  même  revue,  année  1906,  p.  425. 


294  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

pour  obtenir  des  conversions.  Dans  les  provinces  où  les  agents 
du  roi  appliquèrent  avec  brutalité  les  instructions  du  pouvoir 
central,  les  procédés  de  persécution  varièrent  peu.  Aussi,  a-t-il 
paru  suffisant  de  montrer  par  un  exemple  unique  la  manière 
dont  les  Hollandais  furent  traités  dans  les  villes  où  ils  étaient 
nombreux. 

Des  colonies  qu'ils  avaient  fondées  en  France,  celle  de  Nantes 
était  l'une  des  plus  prospères.  Après  la  signature  de  l'Édit, 
les  réformés  néerlandais  avaient  joui  à  Nantes  comme  dans  les 
autres  villes  d'une  liberté  religieuse  presque  complète.  On  ne 
les  inquiéta  guère  jusqu'aux  environs  de  l'année  1680.  De  temps 
à  autre,  il  y  eut  bien  quelques  mesures  de  police  prises  sous 
l'inspiration  du  clergé  qui  craignait  pour  ses  ouailles  de  mauvaises 
lectures. 

L'érudit  historien  des  églises  réformées  en  Bretagne,  Vau- 
rigaud,  en  a  rapporté  quelques-unes.  Je  relaterai  la  suivante 
qui  concerne  un  Hollandais.  Le  20  juillet  1671,  on  opéra  à  Paim- 
bœuf  une  saisie  de  livres  destinés  à  Henri  de  Graeff,  établi 
libraire  à  Nantes  au  carrefour  du  Puits-Lory  et  correspondant 
de  son  frère,  imprimeur  à  La  Haye.  Les  deux  ballots  saisis 
contenaient  :  Le  Tableau  des  différentes  religions,  YHistoire 
générale  des  églises  des  vallées  du  Piémont  et  les  Œuvres  de 
Rabelais.  Cette  saisie  n'entrava  en  rien  le  commerce  de  Graeff 
et  des  opérations  de  ce  genre  n'empêchaient  pas  les  protestants 
hollandais  de  Nantes  de  vivre  librement  K 

Ils  suivaient  leurs  exercices  à  Sucé,  étaient  membres  du  Conseil 
des  Anciens,  possédaient  leur  état-civil  et  avaient  un  cimetière 
pour  leurs  défunts.  Par  arrêt  du  Conseil  du  23  juillet  1611,  le  roi 
avait  accordé  aux  protestants  de  Nantes  trois  lieux  de  sépul- 
ture ;  or  en  1665,  la  municipalité  ayant  voulu  mettre  obstacle 
à  la  jouissance  des  droits  des  réformés  au  sujet  des  inhumations, 
une  requête  fut  adressée  au  sénéchal  de  Nantes.  Vyçkerscoot, 
van  Schoonoven,  van  Duren,  Jacob  de  Bye,  van  Armeyden 
signèrent  la  requête  remise  à  ce  fonctionnaire  qui  donna  raison 
aux  réformés. 

1.  Arch.  mun.  de  Nantes,  GG  52. 


MESURES    PRISES    CONTRE    LES    RELIGIONNAIRES  295 

Tant  que  Colbert  fut  au  pouvoir  les  Hollandais  protestants 
furent  peu  inquiétés  ;  à  dater  du  moment  où  Louvois  prit  la 
direction  des  affaires,  la  situation  des  huguenots  changea. 
Des  Jésuites  essayèrent  de  les  convertir  ;  ils  y  réussirent  souvent, 
mais  pour  ceux  qui  ne  suivirent  pas  les  persuasions  des  mission- 
naires, la  situation  devint  bientôt  intolérable.  Dès  le  début 
de  1685,  un  certain  nombre  de  familles  hollandaises  trouvèrent 
prudent  de  quitter  Nantes.  Van  Waersen,  la  femme  Coste, 
Yves  Séraf  et  sa  famille  rejoignirent  leur  pays.  Les  documents 
ne  nous  ont  pas  conservé  les  noms  de  tous  ceux  qui  s'embar- 
quèrent avant  la  révocation  officielle  de  l'Édit,  mais  les  réformés 
qui  partirent  dans  les  premiers  mois  de  1685  furent  suffisamment 
nombreux  pour  que  le  ministère  s'émut  *. 

L'intendant  de  la  marine  à  Nantes,  des  Gastines  recevait 
des  ordres  sévères  dès  le  28  avril  et  devait  empêcher  l'exode 
des  protestants,  mais  il  était  fonctionnaire  maladroit  et  ne  sut 
retenir  les  «  gens  de  la  religion  prétendue  réformée  ».  Des  vexa- 
tions de  toutes  natures  leur  étaient  réservées  ;  en  Hollande, 
les  récits  des  persécutions  commises  à  l'égard  des  Néerlandais 
établis  en  France  inspiraient  une  méfiance  croissante  qui  se 
traduisait,  commercialement  parlant,  par  un  resserrement 
d'argent.  Le  4  octobre,  notre  ambassadeur,  le  comte  d'Avaux, 
écrivait  :  «  On  ne  trouve  plus  d'argent  en  bourse  pour  tout  ce 
qui  concerne  la  France  ;  ce  qui  a  le  plus  déconcerté  les  mar- 
chands, c'est  que  leurs  correspondants  leur  ont  mandé  qu'on 
obligeait  même  les  catholiques  à  déclarer  les  effets  qui  apparte- 
naient aux  protestants  de  Hollande,  de  sorte  qu'ils  n'osent  plus 
confier  à  personne  les  dits  effets.  » 

Le  22  octobre  était  signée  la  révocation;  pasteurs  et  ministres 
devaient  avoir  quitté  le  pays  dans  un  délai  de  quinze  jours. 
Dès  le  30  du  mois,  les  départs  ayant  lieu  en  masse,  les  ordres 
les  plus  sévères  furent  donnés  par  Seignelay  pour  que  l'on  retint 
les  fugitifs.  Tous  les  moyens  furent  mis  à  exécution  pour  empê- 
cher l'exode  des  protestants  français  ou  étrangers.  Les  officiers 
de   l'Amirauté  reçurent   cette  lettre   circulaire   :   «  Messieurs, 

1.  Arch.  de  la  marine,  B*  55. 


296  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

je  vous  envoie  une  ordonnance  du  Roi  pour  défendre  aux  mar- 
chands, pilotes  lamaneurs,  capitaines  de  navires,  maîtres  de 
barques  de  contribuer  en  aucune  façon  à  l'évasion  des  reli- 
gionnaires,  à  l'exécution  de  laquelle  vous  ne  devez  manquer  de 
tenir  la  main.  » 

On  organisa  des  croisières  et  parfois  on  arrêta  des  navires 
neutres  sortant  des  ports.  Le  sieur  de  la  Caffinière  se  tenait  à  la 
sortie  de  la  Loire  ;  il  arraisonna  un  vaisseau  suédois  à  bord  duquel 
se  trouvaient  des  réformés  hollandais,  notamment  la  femme 
Verbruggé.  L'intendant  des  Gastines  avisa  le  roi  de  cette 
prise  et  le  ministère  répondit  :  «  A  l'égard  de  la  femme  Ver- 
bruggé, S.  M.  vous  permet  de  la  faire  sortir  du  couvent  où  vous 
l'avez  enfermée  et  de  la  remettre  à  son  mari  si  elle  est  Hollan- 
daise non  naturalisée  et  que  vous  fassiez  aussi  mettre  en  liberté 
le  jeune  Hollandais  qui  n'est  ici  que  depuis  huit  mois.  » 

La  dame  Verbruggé  fut  rendue  à  son  mari  mais  l'année 
suivante  elle  sollicita  l'autorisation  de  partir.  On  adressa  pour 
elle  un  passeport  à  son  mari  Abraham  Verbruggé,  fixé  à  Nantes 
depuis  seize  ans  mais  on  recommanda  à  l'intendant  de  la  marine 
de  lui  faire  donner  caution  de  son  retour.  «  Vous  savez,  lui 
écrivait-on,  la  conduite  qu'elle  a  tenue  l'an  passé,  elle  doit 
donner  caution  de  son  retour,  si  elle  veut  s'absenter.  » 

L'ambassade  française  de  La  Haye  avait  été  transformée  en 
agence  de  renseignements  de  police.  Aux  côtés  de  d'Avaux, 
un  sieur  Tillières  s'était  affilié  aux  protestants  et  ayant  gagné 
leur  confiance,  renseignait  le  gouvernement  sur  tous  les  mouve- 
ments de  navires  entre  les  côtes  occidentales  de  la  France  et 
Amsterdam.  Les  avis  qu'il  mandait  étaient  transmis  à  Bordeaux, 
La  Rochelle,  Nantes  et  les  autres  petits  ports  de  l'Atlantique. 
Sur  ses  indications  on  apprit  que  Jacob  Sandressen,  capitaine 
de  la  Couronne  avait  favorisé  le  départ  de  religionnaires  hollan- 
dais établis  à  Nantes.  Des  Gastines  fit  arrêter  le  navire  à  Bour- 
gneuf  ;  les  fugitifs  furent  internés,  et  les  femmes  ayant  été  rasées, 
furent  enfermées  dans  un  couvent.  Le  gouvernement  hollandais 
protesta  mais  le  ministre  de  la  marine  estima  que  des  Gastines 
avait  agi  pour  le  bien  de  la  religion  et  ordre  lui  fut  donné  de 
laisser  l'affaire  suivre  son  cours. 


MESURES    PRISES    CONTRE    LES    RELIGIONNAIRES  297 

Les  Hollandais  de  Nantes  qui  n'avaient  pu  fuir  dès  le  début 
de  l'orage  durent  supporter  les  visites  domiciliaires,  les  arresta- 
tions et  les  dragonnades.  A  la  fin  de  1685  on  arrêtait  les  réfor- 
més sans  tenir  compte  de  leur  nationalité.  Le  9  novembre, 
le  comte  d'Avaux  transmettait  au  roi  une  plainte  formulée 
par  le  gouvernement  hollandais  à  la  suite  de  l'arrestation  illé- 
gale de  la  belle-sœur  et  de  la  belle-mère  d'un  négociant  de  Nantes 
du  nom  de  Van  den  Horst  ;  ces  deux  femmes  n'étaient  pas  natu- 
ralisées et  ne  pouvaient,  en  conséquence,  subir  le  sort  des 
réformés  français.  Pour  éviter  l'internement,  il  fallait  générale- 
ment donner  caution  :  Abraham  Verbruggé  était  généralement 
le  Hollandais  responsable  de  ses  compatriotes. 

Advenant  le  mois  de  décembre,  on  dressa  la  liste  de  tous  les 
réformés  de  la  ville  et  la  misère  des  protestants  devint  extrême. 
Les  Hollandais  purent  faire  connaître  leur  sort  à  leurs  compa- 
triotes en  se  servant  d'un  subterfuge.  Naerzelles,  marchand  des 
Provinces-Unies,  installé  à  Nantes,  employait  un  Français 
nommé  Rousseau  ;  ce  dernier  se  chargea  de  faire  tenir  en  Hol- 
lande la  correspondance  des  réformés.  Il  est  probable  que  ce 
fut  par  son  intermédiaire  que  Jacob  de  Bye,  consul  de  Hollande 
à  Nantes  fit  passer  sa  correspondance  à  la  Gazette  de  Haarlem  K 
Des  lettres  de  lui  reproduites  dans  la  correspondance  de  d'Avaux 
donnent  des  renseignements  horrifiques  sur  la  manière  dont  les 
dragons  et  les  officiers  du  Roi  entendaient  obtenir  des  conver- 
sions. Jacob  de  Bye  écrivait  :  «  La  misère  des  réformés  est 
terrible  ici.  »  Sa  qualité  de  consul  ne  l'avait  d'ailleurs  pas  mis 
à  l'abri  des  rigueurs  des  dragonnades.  On  se  rendra  compte 
de  la  manière  dont  il  fut  traité  en  lisant  cette  lettre  qui  parut 
dans  le  numéro  du  20  décembre  1685  de  la  Gazette  de  Haarlem  : 
«  MM.  il  y  a  huit  jours  que  je  vous  fis  scavoir  ma  griesve  afflic- 
tion, il  y  a  apparence  que  vous  en  apprendrez  la  suite  avec 
douleur  s'il  vous  reste  encore  quelque  charité.  Après  le  départ 
des  lettres,  je  fus  chargé  de  six  grands  diables  de  dragons  et 
ensuite  de  quinze  autres,  qui  m'ayant  enfermé  dans  ma  chambre, 
me  firent  boire  et  manger  avec  eux  faisant  venir  toutes  sortes 

1.  Arch.  des  Aff.  étrangères,  Hollande,  correspondance  du  comte  d'Avaux, 
année  1685. 


298  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

de  friandises  des  auberges,  inondant  le  parquet  des  meilleurs 
vins,  brûlant  en  très  peu  de  temps  plus  de  cent  livres  de  chan- 
delles dès  que  la  nuit  fut  venue,  commençant  à  mettre  en  pièces 
et  brûler  nos  meubles.  » 

«  Cela  étant  fait,  ils  me  mirent  sur  une  chaise  me  disant  : 
«  Cà  bougre  de  chien  de  huguenot,  tu  sçais  que  le  roy  nous  ordonne 
de  te  faire  tous  les  maux  que  ton  bougre  de  corps  est  capable 
de  supporter.  Si  tu  veux  qu'on  t'épargne  donne-nous  à  chascun 
deux  louis  d'or.  »  Je  tachay  de  les  apaiser  par  une  pièce  d'ar- 
gent, mais  inutilement.  Enfin  j' accord ay  pour  un  louis  d'or 
par  teste,  le  payant  sur  le  champ,  sur  quoy,  ils  promirent  de  ne 
plus  me  tourmenter.  Une  heure  après  un  des  plus  meschants 
se  leva,  disant  :  «  Bougre  de  huguenot,  j'ayme  mieux  te  rendre 
ton  argent  et  te  tourmenter,  le  roy  veut  que  tu  changes  »  et  il 
me  jeta  mon  argent  à  la  tête.  Ils  me  mirent  dans  une  chaise 
auprès  d'un  grand  feu,  m'ostèrent  mes  souliers  et  mes  bas, 
me  firent  brusler  les  pieds  y  laissant  dégoûter  le  suif  et  la  chan- 
delle, de  sorte  que  la  douleur  m' arrachant  de  là,  ils  me  lièrent 
à  un  pied  du  lit  où  ces  hommes  plus  que  diaboliques  vinrent 
heurter  plus  de  dix  fois  leur  tête  contre  mon  estomac  avec  tant 
de  violence  qu'estant  tombé,  je  fus  mené  auprès  du  feu  où  ils 
m'arrachèrent  le  poil  des  jambes.  Le  jour  venu,  ils  me  donnèrent 
un  peu  de  répit  en  me  menaçant  toutefois  de  me  jeter  par  la 
fenêtre.  Je  les  priais  cent  fois  de  me  tuer,  mais  ils  me  répon- 
dirent :  «  Nous  n'avons  pas  l'ordre  de  te  tuer  mais  de  te  tour- 
menter tant  que  tu  n'auras  pas  changé.  Tu  auras  beau  faire, 
tu  le  feras  après  qu'on  t'aura  mangé  jusques  aux  os.  » 

«  Je  fus  mesme  auprès  du  maire  ou  bourgmestre  de  la  ville  qui 
me  dit  que  si  je  ne  voulais  changer,  le  duc  avait  ordre  de  mettre 
ma  femme  et  mes  enfants  dans  un  hôpital  pour  estre  séparé 
pour  toujours  et  qu'il  y  avait  encore  quatorze  dragons  prêts 
à  me  tomber  dessus.  » 

«  Vous  voyez  qu'il  n'y  avoit  point  là  de  mort  à  espérer  si  ce 
n'est  une  mort  perpétuelle  après  une  prison  continuelle.  J'ay  esté 
obligé  de  fléchir  puisqu'il  n'y  avoit  aucun  espoir  de  délivrance... 
tous  ceux  qui  ont  esté  entrepris  ont  esté  obligés  de  fléchir  ;  Ver- 
bruggé,  Wycherfloot  et  Seers  n'ont  point  encore  esté  molestés.  » 


on  s'efforce  d'empêcher  le  départ  des  protestants    299 

Jacob  de  Bye  et  sa  femme  Catherine  de  Brissacq  parvinrent 
à  s'enfuir  mais  sans  pouvoir  emmener  avec  eux  leur  fillette 
Madeleine  qu'ils  confièrent  aux  soins  d'amis.  Leur  fille,  ils  ne 
la  revirent  point,  car  elle  s'éteignit  à  Nantes  le  16  octobre  1686. 

Des  lettres  de  la  nature  de  celle  que  j'ai  transcrite  produisaient 
dans  les  Provinces-Unies  un  effet  si  désastreux  que  d'Avaux 
demandait  au  roi  l'autorisation  de  les  démentir,  mais  les  récits 
des  réfugiés  confirmaient  les  allégations  des  correspondants. 
L'ambassadeur  de  France  écrivait  :  «  Ce  que  V.  M.  me  fera 
l'honneur  de  m'envoyer  pour  détruire  la  calomnie  me  sera  très 
utile.  Cette  affaire  est  une  de  celles  qui  a  fait  le  plus  d'impres- 
sion, le  beau-frère  de  ce  consul  ayant  fait  voir  ses  lettres.  » 

Pour  éviter  de  semblables  rigueurs  les  Hollandais  quittaient 
Nantes.  Parfois  ils  simulaient  une  conversion  puis  s'efforçaient 
d'obtenir  un  passeport  qui  leur  permît  de  s'enfuir.  Pierre  Hol- 
lard  avait  été  naturalisé  en  1672  ;  depuis  plusieurs  années  il 
vivait  à  Nantes  et  y  exerçait  le  négoce.  Il  s'était  converti  mais 
sa  conversion  avait-elle  été  réelle  ?  Au  cours  de  l'année  1687, 
il  demanda  l'autorisation  d'aller  en  Hollande  pour  ses  affaires 
et  au  mois  de  janvier  1688,  cette  permission  lui  fut  accordée 
mais  sous  la  condition  qu'il  laisserait  à  Nantes  sa  femme  et  ses 
enfants  pour  assurer  son  retour.  Les  autorités  locales  crurent 
bon,  en  outre,  de  lui  demander  une  caution  en  argent  et  si  consi- 
dérable qu'elle  équivalait  à  le  ruiner  K  Hollard  protesta.  Des 
Gastines  transmit  sa  plainte  à  Paris  en  l'appuyant  et  on  lui 
répondit  :  «  Comme  c'est  un  honnête  homme  qui  fait  bien  son 
devoir  tant  à  l'égard  du  commerce  que  de  la  religion,  S.  M. 
désire  que  vous  le  laissiez  partir  quand  il  lui  plaira  en  prenant 
seulement  les  précautions  nécessaires  pour  que  sa  femme  et  B6I 
enfants  ne  le  suivent  et  qu'il  ne  fasse  passer  ses  effets  en  Hol- 
lande. »  Hollard  revint  à  la  charge  pour  obtenir  l'autorisation 
d'emmener  avec  lui  sa  femme  ;  il  fit  de  nouvelles  démarches. 
Une  fois  encore  on  transmit  à  Paris  la  requête  qu'il  formulait 
et  la  réponse  à  la  lettre  de  l'intendant  de  la  marine  montre 
bien  à  quel  point  on  craignait  de  voir  encore  un  commerçant 

1.  Arch.  de  la  marine,  B*  57,  B*  65,  !•  49,  B*  65  f°  50. 


300  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

quitter  la  France.  «  La  proposition  que  vous  faites  au  sujet  du 
sieur  Hollard  paraît  sujette  à  beaucoup  d'inconvénients  et  il  est 
bien  à  craindre  que  la  femme  du  nommé  Hollard  qui  demande 
à  l'accompagner  n'ait  le  dessein  de  rester  en  Hollande.  Cepen- 
dant si  vous  êtes  assuré,  ainsi  que  vous  le  dites,  de  la  bonne  foi 
de  cette  femme  et  de  celle  de  son  mari,  de  sorte  que  vous  puissiez 
en  répondre  au  roi,  vous  pouvez  lui  permettre  d'accompagner 
son  mari  en  Hollande  mais  prenez  garde  de  n'entrer  en  aucun 
engagement  à  cet  égard  que  vous  ne  soyez  assuré  de  la  chose  » x. 
Profitant  de  la  maladresse  de  des  Gastines  Hollard  et  sa  femme 
partirent  ;  ils  ne  revinrent  jamais. 

La  même  année,  Adrien  Boehnès,  marchand  hollandais 
fixé  à  Nantes  depuis  quarante  ans,  ayant  eu  des  difficultés 
de  famille  et  désireux  de  les  régler  lui-même,  se  décida,  malgré 
ses  soixante-douze  ans  à  entreprendre  le  voyage  de  Hollande  ; 
il  dut  subir  les  mêmes  formalités  et  donner  caution  de  son 
retour. 

Ainsi  malmenés  les  Hollandais  repartaient  dans  les  Provinces- 
Unies  ;  les  uns  s'enfuyaient,  les  autres  s'efforçaient  d'obtenir 
des  passeports  réguliers.  De  certaines  villes,  où  quelques-uns 
d'entre  eux  seulement  s'étaient  fixés,  ils  disparurent  totale- 
ment. A  Saumur,  la  suppression  de  l'Académie  protestante 
amena  le  départ  des  négociants  hollandais  qui  gravitaient 
autour  des  pensionnaires  de  cet  établissement.  La  raffinerie  de 
René  Tinnebac  fut  fermée  ;  il  regagna  la  Hollande  et  ayant, 
après  quelques  mois,  réclamé  une  indemnité  par  l'intermédiaire 
du  comte  d'Avaux,  il  fut  répondu  à  notre  ambassadeur  : 
«  On  rétablira  le  sieur  Tinnebac  dans  ses  biens  s'il  veut  se  faire 
catholique  mais  hors  de  cette  condition,  S.  M.  ne  peut  pas 
empêcher  l'effet  de  la  saisie  qui  a  été  ordonnée  ».  De  Rouen, 
de  Bordeaux,  d'Abbeville,  de  Lyon  sortirent  nombre  de  Hol- 
landais qui  rentrèrent  dans  les  Provinces-Unies.  Toutefois, 
il  serait  téméraire  de  croire  que  tous  abandonnèrent  la  France. 
Les  Hollandais  étaient  négociants  et  très  réalistes  ;  si  Henri  IV 
avait  estimé  que  Paris  valait  bien  une  messe,  nombre  de  Néer- 

1.  Arch.  de  la  marine,  B2  65.  Lettre  du  17  juin  1688. 


TOUS    LES    HOLLANDAIS    NE    QUITTENT    PAS    LA    FRANCE     301 

landais  pensèrent  comme  lui.  Ils  préférèrent  leur  situation 
financière  et  commerciale  à  leurs  croyances,  et  prononcèrent 
les  formules  d'abjuration.  Dans  chaque  cité  demeura  un  noyau 
de  Hollandais  protestants. 

L'historien  de  la  colonie  germanique  de  Bordeaux  a  relevé 
les  noms  de  notables  hollandais  qui  se  convertirent  et  bien  qu'on 
ait  écrit  qu'au  cours  du  xvme  siècle,  on  ne  rencontre  pas  un  seul 
Néerlandais  ayant  figuré  sur  les  livres  de  la  bourgeoisie  de  Bor- 
deaux au  temps  de  Louis  XIV,  on  ne  voit  pas  que  les  Meerman 
aient  abandonné  leur  commerce  ou  leur  religion  K  L'intendant 
de  la  généralité  de  Guyenne  écrivait  au  roi  en  1689  :  «  Il  y  a  ici 
un  grand  nombre  d'étrangers  qui  étaient  religionn aires  et  qui, 
pour  se  faire  naturaliser,  se  sont  convertis  2.  » 

A  La  Rochelle  demeurèrent  des  Hollandais  protestants  ; 
Nantes  conserva  les  Verbruggé  notamment.  Les  registres  des 
paroisses  bretonnes  dépouillés  par  l'abbé  Paris-Jallobert  dé- 
noncent de  fréquentes  abjurations  d'étrangers  réformés.  M.  Lesens 
a  publié  des  listes  incomplètes,  il  le  dit  lui-même,  de  huguenots 
persécutés  à  Rouen  lors  de  la  révocation  ;  elles  prouvent  que 
plusieurs  familles  hollandaises  n'abandonnèrent  point  la  Nor- 
mandie. Les  Depeister  demeurèrent  à  Rouen  ;  en  1689,  Samuel 
Depeister  est  même  signalé  comme  «  religionnaire  endurci  ». 
Théodore  van  der  Hulst,  gros  négociant  qui  avait  abjuré,  était 
noté  de  la  même  manière  ;  comme  il  était  souvent  employé 
par  Louvois,  il  devint  même  le  solliciteur  écouté  «  de  ceux  de  sa 
religion  qui  avaient  des  affaires  »,  ce  qui  prouve  qu'il  était  resté 
à  Rouen  des  réformés  hollandais.  Pierre  Janssen  et  Valken- 
bourg  n'émigrèrent  point  et  demeurèrent  dans  le  grand  port 
normand  3. 

Samuel  Bernard,  le  graveur,  père  du  célèbre  financier,  pro- 
fesseur à  l'Académie  royale  de  peinture  fit,  le  20  octobre  1685, 
«  sa  réunion  à  l'Église  catholique  ;  il  fut  réintégré  dans  la  situa- 
tion dont  il  avait  été  momentanément  exclu.  Tout  joyeux, 
il  rentra  au  milieu  de  ses  collègues  de  l'Académie.  Son  fils, 

1.  Ducaunnès  Duval,  op.  cit.,  p.  3. 

2.  A.  Leroux,  op.  cit.,  t.  I,  p.  41. 

3.  J.  Bianquis  et  E.  Lesens,  op.  cit.,  p.  82. 


302  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Samuel,  le  banquier,  abjura  également  *.  Hortemels,  libraire 
célèbre  par  son  assortiment  de  livres  étrangers  avait  épousé  la 
fille  du  libraire  huguenot  Antoine  Cellier  ;  il  fut  reçu  membre  de 
la  communauté  des  libraires  le  18  septembre  1686,  après  avoir 
abjuré  2. 

Malgré  les  sollicitations  de  Colbert,  les  frères  van  Robais, 
d'Abbeville,  demeurèrent  attachés  à  leur  religion.  «  Ces  messieurs 
de  la  manufacture  »,  c'est-à-dire  maîtres  et  ouvriers,  n'eurent  pas 
à  sortir  de  France.  Les  Coorte  demeurèrent  en  Provence  après 
avoir  abjuré. 

Beaucoup  d'étrangers  ayant  des  situations  assises  balancèrent 
quelque  temps  entre  l'amour  de  leur  religion  et  celui  de  leurs 
biens  mais  ce  dernier  l'emporta  et  ils  demeurèrent  dans  le  pays. 

A  Paris  où  la  colonie  hollandaise  était  fort  compacte  on  avait, 
depuis  longtemps,  cherché  à  obtenir  des  conversions.  On  accor- 
dait des  avantages  aux  protestants  qui  abjuraient  ;  on  leur 
versait  des  subsides  et  l'on  mettait  en  œuvre  tous  les  moyens 
par  lesquels  on  espérait  amener  Français  et  forains  à  se  conver- 
tir 3.  Dès  1677  le  Père  Athanase  prêchait  les  réformés,  prenant 
les  uns  par  la  douceur,  les  autres  par  la  menace.  Il  se  vantait 
de  ses  succès  auprès  de  Louis  XIV  et  les  augmentait  par  des 
erreurs  d'addition  volontaires.  Parmi  ses  convertis  figurent 
■des  artisans  hollandais,  des  femmes  principalement.  C'est  par 
ses  soins  qu'Anne  Constance  Vaanderhornen,  d'Amsterdam, 
femme  d'Adam  Beaussire  et  Thérèse  Valsencheim,  marchande 
de  tapisseries,  native  de  Bréda,  auraient  abjuré  4.  Van  Aspe- 
renne,  nouveau  converti,  reçut  l'autorisation  de  travailler  de 
son  métier  d'orfèvre  5. 

La  police  arrachait  des  conversions  ;  elle  obtint  celle  du  Hol- 
landais Berge  6.  Dans  les  hôpitaux,  à  l'Hôtel-Dieu,  on  effrayait 
les   malades.    Jean   Brinken,    passementier   de   Rotterdam,    se 

1.  Comtesse  de  Clermont-Tonnerre,  Histoire  de  Samuel  Bernard  et  de  ses  enfants. 
Paris,  1914,  p.  5. 

2.  Du  Pradel,  Livre  commode  des  adresses  de  Paris,  bibliothèque  elzévirienne, 
p.  188. 

3.  O.  Douen,  La  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes  à  Paris.  Paris,  1894. 

4.  Id.,  Ibid.,  t.  III,  p.  436  et  437. 

5.  Id.,  Ibid.,  t.  I,  p.  533. 

6.  Id.,  Ibid.,  t.  III,  p.  438. 


HOLLANDAIS    DEMEURANT    EN    FRANCE  303 

laissa  fléchir  ainsi  que  Sarah  Vuillesmes  et  Abraham  Oltreman. 

Des  Hollandais  bien  portants  étaient  étroitement  surveillés  ; 
on  craignait  qu'ils  n'aidassent  les  réformés  à  sortir  du  royaume  K 
Pour  empêcher  leur  action,  on  les  emprisonnait  :  ce  fut  le  cas 
de  François  van  Bommel 2  et  de  Barbe  van  der  Bourg.  Cette 
dernière,  après  un  séjour  à  la  Bastille  fut  transférée  au  château 
d'Angers  en  janvier  1687.  Elle  abjura,  fut  relâchée  le  30  juillet 
et  obtint  qu'on  lui  renvoyât  à  Loudun  la  négresse  qui  la  servait  3. 

Des  naturalisés  étaient  suspects.  Le  sieur  Colonia  était  sur- 
veillé de  près.  Bien  que  connu  de  Seignelay  et  de  La  Reynie 
et  encore  qu'il  fût  propriétaire  à  Paris  depuis  vingt  ans,  on 
voulut  l'arrêter  mais  il  se  réfugia  à  l'ambassade  de  Hollande  4. 

Qu'advint-il  de  ces  Hollandais  lorsque  fut  passée  la  première 
tourmente  ?  Il  est  probable  que  tous  ne  quittèrent  pas  la  France  ; 
s'étant  plies  aux  volontés  royales  et  ayant  abjuré  sous  la  pression 
des  autorités,  ils  ne  furent  sans  doute  plus  inquiétés.  Ils  étaient 
forts  des  certificats  de  catholicité  qu'on  leur  avait  délivrés 
et  le  gouvernement,  après  avoir  molesté  les  réformés  s'efforçait 
de  les  retenir  lorsqu'ils  avaient  abjuré. 

Atterré  par  les  départs  que  provoquaient  les  mesures  prises 
contre  les  réformés,  Louvois,  dès  le  13  janvier  1686  avait  obtenu 
de  Louis  XIV  la  signature  d'un  édit  permettant  à  tous  les  mar- 
chands étrangers  protestants  d'entrer  dans  le  royaume 5. 
Un  second  édit  de  janvier  1687  faisait  connaître  «  que  tout  aitisan 
établi  à  l'étranger  qui  voudrait  se  fixer  en  France  recevrait 
vingt  louis  d'or  à  son  départ  et  dix  à  son  arrivée  » 6.  Cette  faveur 
s'étendait  aux  non  régnicoles.  L'émigration  ayant  laissé  vacantes 
des  situations,  des  immigrants  nouveaux  les  vinrent  occuper. 
Au  demeurant,  tandis  que  les  protestants  étaient  pourchassés 
par  Louis  XIV,  les  catholiques  hollandais  étaient  malmenés 
par  les  États  ;  il  en  vint  en  France.  Rédigeant  pour  ses  descen- 
dants des  souvenirs  sur  ses  aïeux,  Madame  Campan  note  que 


1.  Id.,  Ibid.,  t.  III,  p.  486. 

2.  Id.,  Ibid.,  t.   III.  Liste  des  personnes  emprisonnées  à  Paris. 
...  Id.,  Ibid.,  t.  III.  V»  C«. 

4.  Id.,  Ibid.,  t.   III,  p.  73. 

5.  Isambcrt,  Anciennes  lois  françaises. 

6.  Arch.  du  Ministère  de  la  Guerre,  Affaires  Intérieures,  année  1G87. 


304  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

sa  grand'mère,  Henriette  du  Quay,  fille  d'un  colonel  hollandais 
de  la  province  de  Gueldres  vint  à  Paris  avec  une  sœur  plus  âgée 
qu'elle  afin  d'y  suivre  paisiblement  les  devoirs  de  la  religion 
catholique  1.  D'autres  Hollandais  agirent  comme  l'aïeule  de 
Madame  Campan.  Ils  y  furent  d'ailleurs  conviés.  D'après  un 
rapport  de  Pennautier  daté  du  30  octobre  1691,  le  commerce 
des  draps  n'avait  pas  périclité  en  Languedoc  car  on  avait 
attiré  des  Hollandais  catholiques  à  Carcassonne.  La  manufac- 
ture de  Saptes  n'arrivait  pas  à  confectionner  tout  ce  qu'elle 
aurait  pu  écouler  dans  le  Levant  ;  elle  manquait  d'ouvriers 
et  cependant,  il  était  venu  de  Hollande  dix-sept  familles  catho- 
liques 2. 

Il  serait  téméraire  de  nier  que  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes 
n'a  pas  amoindri  considérablement  la  prospérité  des  colonies 
néerlandaises  mais  elle  ne  les  ruina  point  aussi  totalement 
qu'on  pourrait  le  supposer.  L'exode  des  Hollandais  ne  fut  pas 
complet  ;  on  assista  à  des  départs  très  nombreux  mais  aussi 
à  de  fréquentes  abjurations,  vraies  ou  simulées.  Il  demeura  en 
France  suffisamment  de  Hollandais  pour  constituer  le  noyau 
des  colonies  qu'ils  reformèrent  avec  une  étonnante  rapidité 
presqu' aussitôt  après  la  signature  du  traité  de  Ryswick. 

1.  E.  Harlé,  Livre  de  famille,  seconde  partie.  Bordeaux,  1915,  t.  Ier,  p.  22. 

2.  A.,  de  Boislisle,  Correspondance   des    Contrôleurs    généraux,  t.  I.  Lettre  977 


CHAPITRE  VII 

LES    HOLLANDAIS    EN    FRANCE    AU    XVIIIe    SIÈCLE. 


I.  Rapports  politiques.  —  II.  Négociants  hollandais  en  France.  —  III.  Manufac- 
turiers et  artisans  ;  Ingénieurs  hollandais.  —  IV.  La  colonie  néerlandaise  de 
Paris  ;  la  chapelle  de  l'ambassade  de  Hollande  ;  la  colonie  flottante  ;  madame 
Pater.  —  V.  L'immigration  des  patriotes  en  France  en  1787. 


Les  avantages  que  la  Hollande  avait  retirés  du  traité  de 
Ryswick  ne  furent  pas  de  longue  durée.  Guillaume  III,  roi 
d'Angleterre  et  stathouder  de  Hollande  mais  qui,  comme  on 
l'a  écrit  justement  était  plutôt  «  stathouder  en  Angleterre  et 
roi  en  Hollande  »,  entrait  en  1701  dans  la  grande  alliance  dirigée 
contre  la  France  et  au  mois  de  mai  1702,  la  guerre  éclatait 
de  nouveau  entre  Louis  XIV  et  les  Provinces-Unies.  Durant 
dix  années  on  se  battit  sur  toutes  nos  frontières  ;  enfin,  au 
mois  d'avril  1713,  le  Grand  Pensionnaire  de  Hollande,  Heinsius, 
qui  avait  remplacé  le  stathouder  Guillaume,  mort  en  1702, 
signait  avec  la  France  le  traité  d'Utrecht.  Les  conventions 
commerciales  de  ce  traité  étaient  analogues  à  celles  du  traité 
de  Ryswick  mais  il  contenait  une  clause  relative  à  la  fermeture 
au  commerce  de  notre  port  de  Dunkerque.  Les  Hollandais, 
comme  les  Anglais,  devaient  tirer  profit  de  la  fermeture  de 
Dunkerque,  le  rival  français  de  leurs  ports.  Les  Hollandais  béné- 
ficiaient seuls  de  la  fermeture  de  l'Escaut,  des  ports  belges 
et  de  l'interdiction  pour  les  Pays-Bas  catholiques  de  trafiquer 
avec  les  Indes.  L'avenir  commercial  de  la  Hollande  était  assuré; 
librement,  elle  pouvait  reprendre  ce  merveilleux  essor  écono- 

20 


306  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

mique  qui  avait  fait  d'elle  l'un  des  plus  puissants  pays  du  monde 
au  xvne  siècle.  Les  Hollandais  avaient  en  outre  toute  latitude 
pour  remettre  la  main  sur  le  négoce  français.  Le  royaume  était 
appauvri  par  la  longue  suite  de  guerres  qu'il  avait  soutenues 
contre  l'Europe  coalisée  et  le  Régent,  par  sa  politique  extérieure, 
favorisait  l'union  entre  la  France  et  les  Provinces-Unies. 

Dès  1713,  l'Autriche  essaya  de  se  rapprocher  de  la  Hollande  ; 
notre  ambassadeur,  le  marquis  de  Châteauneuf,  mit  le  Grand 
Pensionnaire  Heinsius  en  défiance  contre  l'Empereur  et  fit 
des  avances  aux  Hollandais.  Le  Régent,  pour  les  flatter, 
interdit  aux  Français  le  commerce  dans  l'Atlantique  du  Sud 
et  mit  tout  en  œuvre  pour  s'allier  avec  l'Angleterre  et  la  Hol- 
lande. Les  tentatives  de  rappiochement  entre  les  trois  pays 
aboutirent  en  1717  et  un  traité  d'alliance  fut  signé  entre  eux. 
La  conclusion  de  cette  entente  apporta  une  joie  extrême  au  duc 
d'Orléans.  L'époque  des  luttes  acharnées  entre  la  France  et  les 
Pro\inces-Unies  était  close.  Grâce  aux  stipulations  écono- 
miques du  traité  et  à  l'habileté  de  Hop,  ambassadeur  de  Hol- 
lande à  Paris  qui,  pendant  son  séjoui,  sut  aplanir  les  difficultés 
îeligieuses  les  plus  irritantes,  l'immigration  des  Hollandais 
vers  nos  villes  reprit  avec  ampleur.  La  France  avait  besoin 
d'éléments  d'activité  et  les  Hollandais  furent  de  nouveau  volon- 
tiers accueillis.  Les  bons  rapports  de  la  France  et  des  Provinces- 
Unies  furent  encore  fortifiés  en  1739,  un  nouveau  traité  de 
commerce,  spécialement  avantageux  pour  elles,  ayant  été  signé 
entre  les  deux  pays. 

Sous  le  gouvernement  de  Heinsius,  depuis  1713  tout  au  moins, 
de  Hoornbeck  et  de  Slingelandt,  grands  pensionnaires  de  Hol- 
lande, il  n'y  eut  aucune  difficulté  grave  entre  la  France  et  les 
Provinces-Unies.  Les  dernières  années  du  gouvernement  de 
van  der  Heim  furent  au  contraire  marquées  par  une  reprise 
des  hostilités.  L'empereur  Charles  VI  étant  mort,  sa  succession 
passa  à  Marie-Thérèse  et  l'occasion  parut  bonne  pour  ruiner  défi- 
nitivement la  maison  de  Habsbourg  en  partageant  ses  domaines 
que  convoitaient  divers  pays.  La  France  et  Frédéric  II  lièrent 
partie  mais,  en  1743,  le  roi  de  Prusse  fit  avec  l'Autriche  une 
paix  séparée.  Louis  XV  continua  la  lutte  et  tenta  d'arracher 


RELATIONS    FRANCO-HOLLANDAISES    AU    XVIIe    SIÈCLE        307 

à  l'Autriche  les  Pays-Bas.  Les  Anglais  et  les  Hollandais  entrèrent 
dans  la  lice  ;  les  Hollandais  avaient  un  intérêt  majeur  à  ne  pas 
voir  s'écrouler  cette  fameuse  barrière  qui' les  défendait  contre  les 
invasions  françaises.  Malgré  les  victoires  de  Maurice  de  Saxe, 
et  les  succès  de  Lôwendal  en  territoire  hollandais,  Louis  XV, 
nonobstant  les  avis  et  les  conseils  qui  lui  furent  donnés,  aban- 
donna tous  les  avantages  qu'il  avait  remportés.  Avec  un  désin- 
téressement quelque  peu  stupide,  il  signa  à  Aix-la-Chapelle 
une  paix  par  laquelle  il  rendait  à  ses  ennemis  toutes  les  places 
enlevées  par  ses  troupes.  Le  traité  de  commerce  de  1739  qui 
avait  été  dénoncé  à  la  fin  de  l'année  1745  fut  remis  en  vigueur 
et  les  Hollandais  n'eurent  pas  à  souffrir  des  conditions  qui  leur 
furent  faites. 

Devant  la  menace  de  l'invasion  française  les  Hollandais 
s'étaient  une  fois  encore  groupés  autour  d'un  chef  militaire, 
un  prince  de  la  maison  d'Orange  et  ils  portèrent  au  pouvoir 
Guillaume-Charles-Henri.  Avec  lui  le  stathoudérat  héréditaire 
se  trouvait  rétabli.  Depuis  cette  révolution  de  1747  jusqu'aux 
environs  dé  l'année  1780,  il  n'intervint  dans  nos  relations  avec  la 
Hollande  aucun  événement  politique  ayant  exercé  une  influence 
notable  sur  le  développement  ou  le  ralentissement  de  la  péné- 
tration néerlandaise  en  France.  Le  soulèvement  des  Patriotes 
hollandais  en  1787  provoqua  au  contraire  un  fort  courant 
d'immigration  vers  notre  pays  ;  il  en  sera  question  ultérieu- 
rement. 


II 


Le  trafic  des  Hollandais  demeure  considérable  en  France 
au  xvme  siècle.  La  lecture  des  procès-verbaux  du  Conseil  du 
Commerce  prouve  l'activité  qu'ils  déploient  partout.  En  1700, 
le  contrôleur  général  des  finances  propose  de  frapper  d'un  droit 
de  20  sous  les  passeports  accordés  à  leurs  navires;  il  estime 
que  le  trésor  royal  tirerait  de  cette  taxe  une  somme  de  100.000  écus 


308  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

par  an  l.  Les  négociants  néerlandais  se  livrent  à  des  opérations 
dédaignées  par  les  régnicoles  ;  ils  expédient  chez  eux  des  matières 
premières,  les  transforment  et  nous  revendent  à  prix  élevé 
les  produits  manufacturés  2.  Les  assureurs  hollandais  font  en 
France  le  courtage  des  assurances  et  accordant  à  nos  négociants 
des  conditions  très  avantageuses,  ils  obtiennent  la  préférence  3. 
Le  pavillon  hollandais  flotte  à  la  poupe  de  la  majeure  partie 
des  navires  ancres  dans  nos  ports.  A  Bordeaux,  le  dixième  des 
importations  et  le  quart  des  exportations  s'effectuent  par  vais- 
seaux hollandais4.  A  toute  époque  du  xvme  siècle,  lss  Néer- 
landais sont  encore  avec  les  Anglais  à  la  têt 3  du  trafic  mari- 
time. A  Nantes,  il  mtre  en  moyenne  2.300  bâtiments  de  diffé- 
rentes grandeurs.  Les  plus  gros  navires  qui  sont  de  300  à  400  ton- 
neaux restent  à  Paimbœuf  ;  les  moyens  navires  de  200  à  250  ton- 
neaux peuvent  seuls  arriver  à  Nantes  ;  encore  faut-il  qu'ils 
soient  de  construction  hollandaise  qui  exige  moins  de  profon- 
deur d'eau  que  les  vaisseaux  français  5. 

Paimbœuf  qui  s'étire  longuement  sur  la  rive  gauche  de  la 
Loire  et  est  une  ville  morte  depuis  la  création  du  port  de  Saint- 
Naz aire  était  au  xvme  siècle  le  siège  d'une  colonie  hollandaise 
comportant  courtiers,  facteurs  et  interprètes.  Cette  colonie  a 
laissé  un  souvenir  dans  cette  nonchalante  cité  puisqu'une 
impasse  de  la  ville  a  conservé  le  nom  de  Cour  de  Berg-op-Zoom. 

A  Rouen,  à  Dieppe,  à  Marseille,  les  Hollandais  abordent 
chaque  semaine.  Des  ports  d'importance  secondaire,  comme 
Morlaix,  regorgent  de  navires  néerlandais  8.  Au  mois  de  no- 
vembre 1785  7,  les  magistrats  de  Bordeaux  écrivent  :  «  Tout 
concourt  à  donner  aux  Hollandais  sur  nous  dans  la  navigation 
de  notre  port  à  celui  d'Amsterdam  une  prépondérance  impossible 

1.  Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  p.  24b. 

2.  Ibid.,  p.  80». 

3.  Ibid.,  p.  316. 

4.  A.  Communay,  Les  grands  négociants  bordelais  au  XVIIIe  siècle.  Bordeaux, 
1888.  De  1751  à  1755  les  entrées  de  marchandises  à  Bordeaux  se  chiffrent  par 
145.000.000  de  livres  (chiffres  arrondis),  les  sorties  par  260.000.000.  Les  impor- 
tations de  Hollande  se  montent  à  13  millions  de  livres;  les  exportations  à  50  mil- 
lions et  demi,  p.  16  et  17. 

5.  Arch.  mun.  de  Nantes,  DD  162  ;  rapport  de  l'année  1770. 

6.  Bourde  de  la  Bogerie,  Introduction  à  l'Inventaire  de  la  série  B  des  archives  du 
Finistère  et  Inventaire.  Cf.  Hollande,  Hollandais,  etc. 

7.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  G  4266,  f°  27. 


LES    COLONIES    HOLLANDAISES    SE    REFORMENT  309 

à  détruire  ;  ils  possèdent  des  navires  spéciaux  appropriés  aux 
bas-fonds  de  la  côte  de  Hollande.  Nos  assurances  doivent 
se  faire  en  Hollande  ;  les  Hollandais,  soit  comme  commettants 
et  par  conséquent  comme  propriétaires,  soit  comme  commis- 
sionnaires faisant  des  avances  sur  la  marchandise  et  par  consé- 
quent comme  engagistes  ont  droit  et  intérêt  à  être  nantis  du 
contrat  passé  avec  les  assureurs.  Au  demeurant,  les  Hollandais 
assurent  à  meilleur  marché  leurs  vaisseaux  que  les  nôtres.  » 

Un  monde  de  facteurs,  courtiers,  armateurs  et  négociants 
néerlandais  effectue  en  France  les  opérations  commerciales 
les  plus  variées.  Il  serait  téméraire  de  recommencer  un  nouveau 
tour  de  France  dans  le  but  de  noter  au  passage  l'importance 
des  groupements  qu'ils  fondèrent  dans  nos  villes  au  xvme  siècle  ; 
je  m'en  tiendrai  à  des  exemples.  Vanousterom,  bourgeois  de 
Bayonne,  catholique,  est  négociant  notoiie  ;  il  épousa  la  fille 
d'un  ancien  échevin  de  la  ville,  Dominique  Labat  3t  obtient 
ses  lettres  de  naturalité  après  quinze  ans  de  séjour  1.  Van  Dufïelt 
s'occupe  du  trafic  avec  la  péninsule  ibérique  en  1716  ;  il  fait 
construire  des  navires  à  Bayonne  en  1740  et  assigne  M.  de  Gram- 
mont,  propriétaire  de  la  moitié  des  droits  de  la  coutume  de 
Bayonne  car  les  fermiers  l'ont  abusivement  taxé  2. 

Par  Bayonne  les  Hollandais  exportaient  les  goudrons  et  les 
brais  des  landes  gasconnes.  Dès  1707,  le  lieutenant  particulier 
de  l'Amirauté  de  cette  ville  se  plaint  de  ce  trafic  et  il  propose 
d'en  interdire  l'exportation  mais  le  ministre  s'y  refuse  sage- 
ment «  dans  le  but  de  ne  pas  dégoûter  les  particuliers  de  ressemer 
des  pins  à  la  suite  de  l'hiver  ».  Les  opposants,  ne  voyant  pas 
le  bénéfice  qu'ils  tiraient  de  ce  commerce  avec  les  Hollandais, 
les  accusèrent  encore  en  1715  d'enlever  dans  les  landes  de  Bor- 
deaux toute  la  graine  des  pins  afin  d'en  faire  des  s^mis  chez  eux. 
On  leur  fit  comprendre  que  la  Hollande  ne  comportait  aucun 
terrain  propre  à  la  culture  des  conifères  et  que  dans  tout  le 
Nord  il  y  avait  abondance  de  pins  3. 

Si  éprouvée  qu'avait  pu  être  par  la  révocation  la  colonie  hol- 

1.  Arch.  Nat.,  K  175,  liasse  3.  Naturalisation  du  21  juin  1729. 

2.  Inventaire  des  Procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  p.  82»  et  288». 

3.  A.  Leroux,  La  Colonie  germanique  de  Bordeaux,  t.  I,  p.  52  et  53. 


310  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

landaise  de  Bordeaux,  elle  se  reconstitua  avec  promptitude. 
Dès  le  début  du  xvme  siècle  les  Bordelais  virent  débarquer 
Thomas  Clock,  Daniel  d'Egmont,  les  Beyermann,  ancêtres 
d'une  famille  qui  se  perpétue  encore  dans  la  ville,  les  Both, 
Jacques  Hooghstaèl  reçu  bourgeois  en  1722,  les  van  Hemert 
qui  se  marient  à  Bordeaux  h  Quelques  traits  relatifs  à  l'histoire 
de  ces  étrangers,  mieux  que  de  simples  énumérations,  montre- 
ront l'importance  du  groupe  des  Hollandais  aux  Chartrons. 
Pour  permettre  aux  Bordelais  de  traiter  plus  aisément  avec  eux, 
les  jurats  avaient  organisé  un  cours  de  langue  hollandaise  au 
collège  de  Guyenne  ;  cette  institution  disparut  en  1717  2;  mais 
comme  la  connaissance  de  la  langue  des  Provinces-Unies  est 
nécessaire  à  Bordeaux,  ils  accordent  ensuite  à  des  particuliers 
l'autorisation  d'enseigner  le  hollandais. 

Est-il  besoin  d'examiner  un  tarif  présenté  par  les  interprètes 
jurés  ;  on  forme  une  commission  composée  de  trois  Anglais, 
trois  Allemands  et  trois  Hollandais,  Clock,  Both  et  Zelen  3. 
Le  trésor  français  est  obéré  ;  à  diverses  reprises  on  attribue 
des  rentes  aux  étrangers  habitant  la  France  ;  les  Hollandais 
commerçant  aux  Chartrons  s'inscrivent  pour  des  sommes 
importantes  lors  des  emprunts  de  1709  et  de  1720.  Hubert 
Hubrecht,  Hollandais,  est  même  naturalisé  d'office  à  cette 
occasion  «  à  raison  des  services  qu'il  a  rendus  anciennement 
et  nouvellement  à  la  couronne  de  France  » 4.  Les  marchands 
étrangers  d'Amsterdam,  de  Middelbourg  souscrivent  de  fortes 
sommes  aux  emprunts  créés  par  redit  d'août  1720  en  remplace- 
ment des  billets  de  la  banque  Law  consolidés  à  la  moitié  du  capital 
et  rapportant  2  %  de  rentes  sur  le  capital  réduit.  Dans  la  seule 
ville  de  Bordeaux,  Brok,  Popp,  de  Kater,  van  den  Zandt,  de 
Valkenaer  prennent  de  fortes  participations  dans  les  112. 000 livres 
de  rentes  souscrites  dans  l'élection  5. 

A  la  veille  de  la  Révolution,  la  colonie  hollandaise  de  Bor- 
deaux est   encore   prospère.    Sur   509   négociants,    armateurs, 

1.  Id.,  Ibid.,  p.  51. 

2.  Reg.  de  la  Jurade,  t.  I,  p.  41. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  C  4252. 

4.  Ibid.,  C  3857. 

5.  Ibid.,  C  3862  et  C  4006. 


COLONIES    DE    LA    ROCHELLE    ET    DE   NANTES  311 

banquiers  qui  prennent  part,  à  l'hôtel  de  la  Bourse,  à  une  assem- 
blée du  commerce,  le  2  mars  1789,  on  relève  la  présence  de 
95  Allemands  et  Hollandais  1. 

La  colonie  de  La  Rochelle  n'est  pas  désagrégée.  Au  baptême 
de  Sarah,  fille  de  Jean  de  Vogel  et  de  Catherine  de  Wuitte, 
célébré  en  1714,  le  parrain  est  Diricq  van  Zevenhover  et  van 
Vuffelen  signe  comme  témoin  2.  Le  sieur  Hogwerf  est  mar- 
chand au  port 3  ainsi  que  van  Sommergen  qui  sollicite  en  1744 
l'exemption  du  droit  de  50  sous  pour  les  navires  neutres  se 
livrant  au  cabotage  4.  Entre  1765  et  1769  la  municipalité  fait 
un  appel  de  fonds  pour  nettoyer  et  rétablir  le  port  ;  des  Hollan- 
dais s'inscrivent  parmi  les  souscripteurs;  parmi  eux  figurent 
Nordingh  de  Witt,  Christophe  van  Schellebeck  et  plusieurs 
autres  5.  Des  habitants  d'Amsterdam  prennent  femme  dans  la 
région  :  Jacob  van  Wallendal  s'allie  à  Suzanne  Chaslon,  veuve 
de  Ozias  Hameloo  6. 

A  Nantes,  les  Hollandais  revinrent  dès  le  début  du  xvme  siècle. 
Lorsque  les  négociants  de  la  ville  reprirent  goût  au  commerce, 
ils  ne  virent  plus  dans  les  Hollandais  des  ennemis  leur  enlevant 
des  opérations  profitables  ;  ils  entretinrent  au  contraire  avec 
eux  des  rapports  courtois.  Les  nouveaux  venus  se  marièrent 
avec  des  Nantaises  ;  ils  acquirent  dss  terres  et  quelques-uns 
furent  même  échevins  de  la  ville.  Au  lieu  de  vivre  isolés  comme 
leurs  prédécesseurs  ces  Hollandais  s'associèrent  avec  des  arma- 
teurs de  Nantes.  Il  y  eut  entre  Hollandais  et  Nantais  un  courant 
d'affaires  continu  et  les  habitants  des  rives  de  la  Loire  reprirent 
l'habitude  quelque  peu  perdue  de  faire  voyager  leurs  enfants 
sur  des  navires  néerlandais. 

Veut-on  avoir  une  idée  de  la  promptitude  avec  laquelle  s'était 
reformée  la  colonie  hollandaise  de  Nantes  ;  il  suffit  de  parcourir 
1rs  documents  les  plus  divers.  Entre  les  années  1700  et  1715 
vivaient  sur  la  seule  paroisse   Saint-Jacques  les   van  Sambek, 


1.  Arch.  historiques  de  la  Gironde,  t.  LI,  p.  320. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Charente-Inférieure,  E  26. 

3.  Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  p.  173*,  année  1729. 

4.  Ibid.,  p.  319b,  année  1744. 

5.  Garnault,  Histoire  du  Commerce  rochelais  au  XVI II»  siècle,  2»  partie,  p.  199. 

6.  Arch.  historiques  de  l'Aunis  et  de  la  Saintonge,  vol.  XLII,  p.  499. 


312  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

les  van  der  Heyde,  les  Sengstack.  Ceux-ci  n'avaient  d'ailleurs 
jamais  quitté  la  ville.  Les  van  Keulyn,  les  van  Berchem,  les 
van  den  Briesche  étaient  également  fixés  sur  cette  même  pa- 
roisse l.  En  1702,  Gertrude  Garetz  avait  été  naturalisée  ainsi 
que  Jean  van  Vorn  2. 

Si  l'on  ouvre  les  procès- verbaux  du  Conseil  du  commerce, 
l'on  constate  qu'au  moment  où  le  commerce  des  îles  avait 
pour  ainsi  dire  galvanisé  le  port  de  Nantes,  la  majeure  partie 
des  Nantais  tiraient  de  Hollande  des  pacotilles  qu'ils  expé- 
diaient aux  colonies.  Pour  favoriser  ce  genre  de  commerce,  les 
négociants  des  Provinces-Unies  avaient  des  facteurs  et  des 
représentants  sur  la  place  ;  ils  se  nommaient  van  Haerzel,  Guil- 
laume de  Wich,  Adrien  van  Voorm,  van  Heulen,  Maetzuyer,  Caref- 
feu,  Daiesche,  Haentjens  dont  la  descendance  subsiste  toujours 
et  Deurbroucq  3.  Ces  courtiers  importaient  de  leur  pays  ainsi 
que  de  Suède  et  de  Norwège  les  marchandises  les  plus  variées. 
Les  armateurs  de  la  Fosse  faisaient  construire  en  Hollande 
des  navires  ;  ils  avaient  avec  les  Provinces-Unies  des  relations 
constantes.  Les  Nantais  jouaient  même  à  la  loterie  hollandaise, 
ils  y  gagnaient  parfois  :  le  sieur  Belloc  eut  la  joie  de  gagner  le 
lot  de  22.000  livres  4. 

Le  négoce  des  Hollandais  portait  sur  les  vins  de  la  vallée  de 
t  la  Loire  et  les  blés  bretons.  Les  commerçants  de  Rotterdam 
avaient  à  Nantes  des  représentants  occupés  spécialement 
à  l'achat  des  blés,  les  van  Haerzel,  les  Vandhamel.  Van  Berchem 
était  l'acheteur  de  la  firme  Nicolas  van  Kohi.  Les  Bretons 
avaient  tout  intérêt  à  exporter  leurs  blés  sur  la  Hollande  ; 
ils  vendaient  leurs  céréales  à  Rotterdam  avec  de  gros  bénéfices. 
Au  mois  de  novembre  1757  et  au  début  de  1758,  la  vente  des 
blés  et  des  seigles  bretons  rapportait  en  Hollande  un  bénéfice 
de  50  %  au  lieu  de  16  %  au  Havre  5.  Aussi,  Bretons  et  Hollan- 

1.  Arch.  mun.  de  Nantes,  série  GG,  paroisse  Saint- Jacques,  passim. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Loire- Inférieure,  B  1724  et  1819. 

3.  Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  voir  notamment  la 
correspondance  des  années  1703  à  1710. 

4.  Arch.  mun.  de  Nantes,  EE  57.  Lettre  du  maire  Meslier  qui  félicite  Belloc  de 
sa  chance. 

5.  Letaconnoux,  Essai  sur  le  commerce  des  blés  en  Bretagne  au  XVIIIe  siècle. 
Rennes,  1909. 


LES    HOLLANDAIS    SE    MELENT    A    LA    SOCIÉTÉ    FRANÇAISE       313 

dais  employaient-ils  tous  les  moyens  pour  tourner  les  dispo- 
sitions légales  interdisant  l'exportation  des  blés. 

Aussi  tendues  avaient  été  les  relations  des  Nantais  et  des 
Hollandais  au  milieu  du  xvne  siècle  aussi  cordiales  elles  furent 
sous  les  règnes  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI.  Les  régnicoles  dont 
les  affaires  étaient  prospères  ne  se  plaignaient  plus  quand  ils 
voyaient  leurs  concurrents  réaliser  des  bénéfices.  Ils  s'associaient 
volontiers  ;  les  Dhaveloose  étaient  associés  aux  Dumaine  ;  ils 
possédaient  en  commun  les  Deux-Sœurs,  le  Nancy,  le  Solitaire  et 
ces  navires  allaient  aux  Indes  *.  Les  Nantais  utilisaient  volontiers 
les  navires  hollandais  pour  effectuer  leurs  transports  car  les 
frets  des  armateurs  étrangers  étaient  d'un  prix  bien  inférieur 
aux  nôtres.  En  1737,  de  Nantes  à  Hambourg  le  prix  du  transport 
d'un  quintal  de  marchandises  était  de  8  sous  6  deniers  par  navire 
hollandais  et  de  21  sous  7  deniers  par  navire  breton  2.  C'est 
assez  dire  que  le  commerce  de  la  Hollande  avec  Nantes  était 
important  et  procurait  aux  facteurs  et  armateurs  des  Provinces- 
Unies  installés  à  la  Fosse  des  bénéfices  considérables. 

Non  contents  de  réaliser  des  fortunes,  quelques-uns  de  ces 
Hollandais,  à  l'imitation  des  Espagnols  du  xvie  siècle,  sollici- 
tèrent l'honneur  de  participer  à  la  direction  des  affaires  de  la 
ville.  Les  van  Berchem,  les  van  Neunen,  les  Vandamme,  les 
Dhaveloose  comptèrent  des  échevins  et  des  consuls  dans  leur 
famille  3. 

Les  Hollandais  firent  parfois  usage  de  leurs  richesses  au  profit 
des  déshérités  de  la  vie.  Gaspard  van  den  Busche  légua  ses 
biens  à  la  ville  afin  de  fonder  l'école  de  charité  de  la  petite 
Bicsse 4  ;  aux  premières  heures  de  la  Révolution,  quand  la 
famine  menaça  la  France,  le  maire  et  les  échevins  firent  un 
patriotique  appel  en  vue  d'une  souscription  destinée  à  payer  des 
primes  aux  importateurs  de  blés  ;  les  Hollandais  furent  des  pre- 
miers à  s'inscrire  sur  les  listes  5. 


1.  L.  Bœuf,  Du  commerce  de  Nantes.  Paris,  1857,  p.  173. 

2.  Arch.  dép.  (l'Illc-et-Vilainc,  G  1586. 

3.  De  la  Nicollière  et  IVrthuis,  Livre  Don1  de  l'Hôtel  de  Ville  de  Nantes,  édition 
(1rs  Bibliophiles  bretons.  Nantes,  1890. 

t.   Arch.  dép.  «le  la  Loin- Inférieure,  (i  274. 

5.  Arch.  nnin.  de  Nantes,  Comptes  des  miseurs,  série  CC,  passim. 


314  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

Malgré  cette  marque  de  symmathie  pour  leurs  nouveaux 
compatriotes,  nombreux  furent  les  Hollandais  qu'on  inquiéta 
pendant  la  Révolution.  Si  malgré  sa  qualité  de  prêtre,  André 
van  den  Veken,  né  à  Nantes  de  parents  hollandais,  put  mourir 
dans  son  lit  en  1791,  si  Pierre  Svaon,  natif  d'Amsterdam  put 
continuer  à  imprimer  paisiblement  des  indiennes,  beaucoup 
de  riches  négociants  attirèrent  l'attention  des  comités.  Sur  la 
liste  des  suspects  figurent  van  den  Driesche,  Jean  Haentjens, 
Pierre  Deurbroucq,  Vandesen,  Vanhemskerche,  la  veuve  van 
Hoenacher,  van  Neunen,  employé  au  comité  des  subsistances  K 
Ces  suspects  ne  furent  pas  tous  jetés  en  prison  comme  la  veuve 
Vanasse  et  ses  cinq  filles  mais  ils  furent  étroitement  surveillés. 
Au  nombre  des  victimes  de  Carrier,  il  faut  cependant  ranger 
un  capitaine  de  navires,  van  Alstein,  qui  périt  noyé. 

Les  Hollandais  qui  n'avaient  pas  fui  Nantes  durant  la  période 
révolutionnaire  furent  sans  doute  à  la  peine  ;  quelques  années 
plus  tard  ils  furent  à  l'honneur  :  en  1808,  lorsque  Napoléon  vint 
à  Nantes,  ce  fut  Deurbroucq  qui  commanda  la  garde  d'honneur 
de  l'Empereur. 

Au  cours  du  xvme  siècle  les  commerçants  de  Nantes  effec- 
tuaient avec  Lorient  des  opérations  considérables  car  Lorient 
était  le  siège  de  la  Compagnie  des  Indes.  Ils  y  entretenaient 
-des  hommes  à  eux.  André-Jacques  Vanderheyde  fut  de  ceux-là. 

André- Jacques  Vanderheyde  était  venu  à  Nantes  vers  1732  ; 
il  s'y  était  marié  probablement  avec  une  Sablaise  :  Marie-Louise 
Blanchard.  A  la  mort  de  sa  femme  survenue  en  1761,  il  comptait 
six  enfants.  Les  Nantais  qui  trafiquaient  avec  la  Compagnie  des 
Indes,  mécontents  de  l'interprète  qui  assurait  leur  service  à 
Lorient,  sollicitèrent  le  duc  de  Penthièvre  de  nommer  Vander- 
heyde au  lieu  et  place  du  sieur  d'Egmont.  Ils  obtinrent  satis- 
faction et  en  1756,  le  nouvel  interprète  prenait  possession  de  ses 
fonctions.  Pendant  neuf. ans  Vanderheyde  assuma  la  charge 
d'interprète  et  de  courtier  puis  il  commerça  pour  son  propre 
compte.  A  dater  de  1760,  il  fut  même  nommé  consul  de  Suède 
à  Lorient  et  à  Port-Louis.  Une  longue  maladie  et  la  guerre  de 

I.  Arch.  dép.  de  la  Loire- Inférieure,  L  271,  272,  277,  551,  1408,  etc. 


VANDERHEYDE    A    LORIENT  315 

Sept  Ans  ruinèrent  Vanderheyde  qui,  après  avoir  déposé  son 
bilan,  se  consacra  uniquement  à  ses  fonctions  d'interprète  x. 

On  a  conservé  les  registres  de  comptabilité  et  de  correspon- 
dance de  ce  courtier  hollandais  et  leur  étude,  sans  offrir  rien  de 
particulièrement  nouveau  poui  l'histoire  du  commerce,  est  cepen- 
dant intéressante  car  elle  marque  les  relations  suivies  que  les 
Lorientais  et  les  Nantais,  parmi  lesquels  Vanderheyde  recrutait 
■sa  clientèle,  avaient  avec  la  Hollande  au  milieu  du  xvme  siècle. 
Sur  trois  navires  au  chargement  desquels  participe  Vanderheyde 
en  1756,  deux  vont  en  Hollande,  trois  sur  quatre  se  dirigent 
vers  Amsterdam  en  1757,  huit  sur  vingt-quatre  et  onze  sur  vingt- 
sept  au  cours  des  années  1758  et  1759.. Neuf  maisons  d'Amster- 
dam donnent  des  commissions  à  Vanderheyde  et  le  courtier 
les  transmet  à  Nantes  à  Dhaveloose,  Deurbroucq,  Vanlobard, 
Sengstack,  van  Neunen,  Wor  et  Wite  qui  se  livrent  à  l'exporta- 
tation.  Outre  ces  courtiers  hollandais,  nombre  de  négociants 
français  donnent  à  Vanderheyde  des  ordres  d'achat  ou  de  vente 
de  denrées  coloniales  à  destination  des  provinces  bataves. 

Dans  l'ouest  de  la  France,  il  n'est  ville  qui  n'abrite  des  Hol- 
landais ;  on  ne  saurait  les  énumérer,  même  partiellement,  car 
il  faudrait  dresser  un  véritable  annuaire  du  commerce  du 
xvme  siècle.  Il  en  existe  à  Mortagne  :  Corneille  Hoen  et  Corneille 
Vandenaueck  sont  témoins  dans  les  actes  de  décès  de  prisonniers 
de  guerre  internés  dans  cette  ville  2.  Jean  van  Boekstal,  fabri- 
cant de  dentelles  à  Alençon  et  associé  de  sa  tante,  une  demoiselle 
Rottenburg,  se  plaint  en  1775  de  la  peine  que  les  dessins  lui 
donnent  à  inventer. 

Angers  abrite  Josué  Fabre,  graveur,  natif  d' Amsterdam  3, 
et  Arnold  Wolff,  originaire  de  la  même  ville  qui,  en  1785,  épouse 
Marie  Métivier  4.  Il  n'est  pas  étonnant  de  constater  la  présence 
de  marchands  hollandais  à  Angers  car  de  jeunes  seigneurs  néer- 
landais, accompagnés  de  leurs  précepteurs,  viennent  suivre  les 
cours    de    l'Académie    d'équitation.    Vanderpoll,    de    Soliart, 

1.  L.  Guillou,  André  Vanderheyde,  courtier  lorientais.  Extrait  des  Annales  de 
Bretagne.  Rennes,  1918. 

2.  Arch.  dép.  de  l'Orne,  H  5277. 

3.  Arch.  mun.  d'Angers,  GG  48. 

4.  Ibld.,  GG  99. 


316  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Leneep,  Alewyn,  Becket,  figurent  sui  les  listes  des  pensionnaires 
de  1763  à  1768.  De  Beckenroode,  fils  de  l'ambassadeur  de  Hol- 
lande est  élève  à  l'Académie  en  1772  et  de  Gilles  en  1776. 

A  Rouen  van  Munster  vend  des  batteries  de  fer  et  de  cuivre 
qu'il  tire  de  Hollande  x  ;  la  dame  de  Blau  importe  beurre  et 
fromages  2,  Assuérus  Wandel  demande  l'autorisation  d'intro- 
duire quinze  milliers  de  pierre  d'émen  3.  Van  Emericq  importe 
à  Rouen  des  plombs  de  Suède  4.  L'ambassadeur  de  Hollande 
intervient  en  1743  en  faveur  de  Paul  Chombard  qui  éprouve 
des  difficultés  pour  l'introduction  de  buis  et  de  bois  de  santal. 

Que  l'on  rencontre  des  Hollandais  dans  les  Flandres  françaises, 
à  Lille,  à  Dunkerque,  à  cela  rien  de  surprenant  ;  la  proximité 
des  pays  et  certaines  affinités  de  caractère  les  attirent  et  les 
retiennent.  Il  y  a  souvent  collusion  entre  des  Hollandais  établis 
à  Dunkerque  et  dans  les  ports  de  l'Océan.  Pour  éviter  des  droits 
de  sortie,  des  négociants  de  Bordeaux,  de  La  Rochelle  ou  de 
Nantes  exportent  des  eaux-de-vie  à  destination  de  la  Hollande 
mais  avec  des  certificats  à  destination  de  Dunkerque.  Ils  évitent 
les  droits  de  douane  sous  couleur  de  se  livrer  au  cabotage  et  ils 
retournent  au  lieu  d'embarquement  de  faux  certificats  de  déchar- 
gement à  Dunkerque. 

En  Picardie,  des  Hollandais  font  le  commerce  des  chevaux. 
Augustin  Vandenbrceck 5  se  livre  à  ce  négoce  ainsi  que  van 
Nufîel  qui  épousera  en  1781,  une  Française,  Marie-Louise 
Jorand  6. 

Lyon  recèle  une  forte  population  de  Hollandais  parmi  les 
négociants  étrangers  qui  s'y  donnent  rendez-vous.  Les  navires 
hollandais  abordent  à  Marseille  à  tout  instant,  ils  y  séjournent 
quelques  jours  ou  semaines  ;  officiers  et  marins  descendent 
à  terre.  A  Marseille  des  Néerlandais  possèdent  des  maisons  de 
commerce  ;  ils  trafiquent  avec  le  proche  et  l'Extrême-Orient. 
Les  Deveer  effectuent  des  affaires  considérables.  Pierre  Deveer, 


1.  Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  p.  40a,  31  août  1708. 

2.  Ibid.,  p.  50»,  23  octobre  1709. 

3.  Ibid.,  p.  48»,  5  juillet  1709. 

4.  Ibid.,  p.  45». 

5.  Arch.  dép.  de  l'Aisne,  C  340. 

6.  Ibid.,  B  2914. 


DRAPIERS    HOLLANDAIS    AU    XVIIIe    SIÈCLE  317 

d'Amsterdam,  époux  d'Olympe  Renaud,  meurt  en  1754,  lais- 
sant plusieurs  enfants  h  Dinguement  Doenssen  2,  de  La  Haye, 
Pierre  Justammon  3  sont,  au  xvme  siècle,  des  importants  négo- 
ciants de  Marseille. 

Il  serait  intéressant  de  suivre  de  près  l'existence  de  ces  mar- 
chands venus  de  Hollande,  de  voir  quelles  ont  été  leurs  alliances 
et  d'examiner  la  manière  dont  ils  se  sont  assimilés  à  la  popula- 
tion française.  Malheureusement,  les  études  partielles  et  les 
monographies  font  défaut  ;  cependant,  des  actes  et  des  docu- 
ments il  appert  que  les  Hollandais,  catholiques  ou  protestants, 
se  sont  au  xvme  siècle  beaucoup  plus  promptement  fondus 
avec  les  régnicoles  qu'au  temps  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV. 
Au  lieu  de  vivre  isolés,  de  constituer  des  groupements  assez 
jaloux  de  leur  indépendance  religieuse  et  ethnique,  ils  se  sont 
associés  avec  les  Français  pour  leurs  entreprises  commerciales 
et  se  sont  rapidement  alliés  à  des  familles  du  royaume. 


III 


Au  xvne  siècle  les  Hollandais  s'étaient  surtout  cantonnés 
dans  le  commerce  proprement  dit  ;  par  les  exemples  donnés, 
on  a  pu  voir  que  sous  les  règnes  des  deux  derniers  Louis  ils 
n'avaient  pas  perdu  leurs  anciennes  habitudes.  Mais  en  même 
temps  que  se  fixaient  en  France  courtiers  et  marchands  néer- 
landais, d'autres  arrivaient  pour  créer  des  manufactures  et  des 
industries. 

Des  fabriques  de  draps  appartiennent  à  des  Hollandais  au 
xvme  siècle.  J'ai  déjà  parlé  des  van  Robais,  de  Moïse  et  Daniel 
Scalongne,  installés  à  Abbeville.  En  1700,  van  der  Hulst  est 
propriétaire  de  la  manufacture  de  draps  de  Dormelles  près 
Montereau  4.  Une  blanchisserie  de  toiles,  batistes  et  linons  est 

1.  V.-L.  Bourîllv,  Les  protestants  orangers  à  Marseille.  Décès  du  1C  mars  1754. 

2.  Id.,  Ibid.  Décèl  du  27  décembre  1741. 
8.   !<!.,  Ibid.  Décèl  du  20  avril  1743. 

4.  A.  de  Bois  lis  le,  Correspondance  des  Contrôleurs  généraux,  t.  II.  Lettre  113, 
année  1700. 


318  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

établie  à  Valenciennes  par  un  Hollandais  1.  Remacle  qui  habite 
la  France  depuis  1683  et  a  été  naturalisé  l'année  suivante, 
transporte  sa  manufacture  de  Montmirail  à  Louviers  2.  Posté-» 
rieurement  à  1713,  Jacques  Homossel  et  son  gendre  fondent 
une  société  pour  confectionner  des  moquettes  à  Àbbeville  3. 
Vanbclle  et  Elgement  dirigent  les  travaux  d'une  blanchisserie 
de  fil  à  Antony  4.  Pour  soutenir  leur  manufacture,  ces  deux 
entrepreneurs  jouissent  de  privilèges  pécuniaires  importants. 

A  Auch,  Ploos  van  Amstel  fabrique  de  la  draperie5.  Van- 
drague  établit  sa  manufacture  à  Saint-Gaudens.  Deux  Hollan- 
dais, Gérard  Enningh  et  Harmadis  Heldoorm  demandent  l'au- 
torisation d'établir  une  fabrique  d'indiennes  à  Orléans 8. 
Il  leur  est  répondu  que  l'arrêt  du  Conseil  du  28  octobre  1759 
autorise  toutes  les  personnes  à  le  faire.  Le  xvme  siècle  est  mar- 
qué par  un  réveil  extraordinaire  de  l'esprit  commercial  et  indus^ 
triel  en  France  ;  malheureusement  trop  d'industries  sont  fondées 
par  des  étrangers.  Nos  régnicoles  se  contentent  trop  souvent 
de  «  vivoter  ».  Ils  n'osent  point  se  lancer  dans  les  entreprises 
nouvelles  ;  les  forains  au  contraire  sollicitent  l'autorisation  de 
créer  des  manufactures.  Gelderman  voudrait  construire  des 
moulins  à  vent  sur  les  rives  de  la  Seine.  Bien  qu'il  soit  recommandé 
par  le  marquis  d'Osmond,  sa  demande  est  rejetée.  Fait  vérita- 
blement rare  car  les  autorisations  formulées  par  les  Hollandais 
sont  généralement  accueillies  favorablement 7.  Van  de  Brande 
obtient  la  permission  de  créer  une  verrerie  à  Bordeaux  8.  Les 
van  Neunen  fabriquent  des  brosses  à  Nantes  et  dans  cette 
même  ville  Pierre  Svaon,  d'Amsterdam,  imprime  des  indiennes. 
Maketros  distille  des  baies  de  genièvre  à  Paris  9  et  de  Sparre 
fabrique  du  blanc  de  céruse  à  Tonneins  10. 

Les  descendants  des  Hollandais  raffineurs  de  sucre  sont  tou- 

1.  Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  p.  172*»,  année  1729. 

2.  Arch.  Nat.,  F»  1365. 

3.  Ibid.,  F12  116. 

4.  Ibid.,  F12  1327. 

5.  Inventaire  des  procès-verbaux...,  p.  11  la. 

6.  Arch.  dép.  du  Loiret,  C  4. 

7.  Inventaire  des  procès-verbaux...,  p.  464a. 

8.  Voir  ci-dessus,  p. 

9.  Inventaire  des  procès-verbaux...,  p.  456». 
10.  Ibid.,  p.  453». 


PETITS   ARTISANS    HOLLANDAIS  319 

jours  propriétaires  de  leurs  usines  à  Rouen,  à  Bordeaux,  à  Angers 
et  à  Orléans.  Il  est  incontestable  que  ces  étrangers  contribuent 
à  la  prospérité  générale  du  royaume  mais  les  salaires  qu'ils 
paient  sont,  dans  maintes  manufactures,  encaissés  par  leurs 
compatriotes  qu'ils  attirent  comme  ouvriers.  La  main-d'œuvre 
hollandaise  est  continuellement  employée  en  France.  Les  van 
Robais  et  les  Scalongne  à  Abbeville  n'utilisent  guère  que  leurs 
compatriotes  ;  chez  Cotheau,  fabricant  de  pipes,  la  plupart  des 
ouvriers  sont  néerlandais  l.  Dans  les  papeteries  d'Annonay, 
les  artisans  viennent  de  Hollande  2  ;  les  raffineurs  d'Orléans 
comme  les  fabricants  de  draperies  du  Languedoc  utilisent  des 
Hollandais.  Mainville  est  propriétaire  d'une  manufacture  de 
toiles  peintes  à  Orléans.  A  la  fin  de  1766,  Holker,  inspecteur 
général  des  manufactures  écrit  à  Trudaine  :  «  M.  de  Mainville 
a  plusieurs  Hollandais  qui  lui  servent  de  coloristes,  de  graveurs 
et  d'imprimeurs  qui  lui  coûtent  très  cher  car  il  paie  le  coloriste 
2.400  livres,  logé  et  chauffé...  »  et  il  ajoute  :  «  Nous  n'avons  pas 
en  France  de  bons  graveurs,  nos  manufactures  d'indiennes 
sont  obligées  d'avoir  recours  pour  cette  partie  aux  Hollandais 
et  aux  Suisses,  ce  qui  leur  coûte  très  cher  »  3. 

Il  fait  bon  vivre  en  France  ;  les  salaires  y  sont  élevés  et  l'exis- 
tence y  est  facile.  Non  seulement  des  ouvriers  passent  volon- 
tiers de  Hollande  dans  le  royaume  mais  encore  des  petits  artisans 
qui  s'établissent  un  peu  partout.  Nicolas  Vancranenbourg 
vend  des  lunettes  dans  une  baraque  en  bois,  à  Bordeaux,  près 
du  Château-Trompette.  Le  feu  consume  sa  bicoque  et  les  jurats 
l'autorisent  à  en  établir  une  autre  sous  la  première  arcade  du 
bureau  de  la  douane4.  Des  ouvriers  tailleurs  sont  répandus 
de  ci  de  là  ;  parfois  ils  prennent  boutique.  Théodore  Vanboestal 
est  tailleur  d'habits  à  Mâcon  ;  il  épouse  Claudine  Martin  ;  les 
naissances  se  succèdent  dans  son  ménage.  En  1749  on  baptise 
son  fils  Jean,  l'année  suivante,  son  fils  Denis,  en  1755  il  présente 
au  baptême  son  fils  Joseph5.  Après  une  vie  laborieuse  Van- 

1.  A.  de  Boislisle,  Correspondance  des   Contrôleurs    généraux,  t.  I,  pièce  1860. 

2.  Germain  Martin,  Les  papeteries  d'Annonay.  Besançon.  1897. 

3.  Arch.  dép.  du  Loiret,  C  4. 

4.  Reg.  des  délibérations  de  la  Jurade.  V°  Hollandais,  19  décembre  1777. 

5.  Arch.  mun.  de  Mâcon,  GG  74,  76,  86. 


320  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

boestal,  dit  Grammont,  décède  en  1787,  âgé  de  soixante-quatorze 
ans.  A  Mâcon  encore,  Jacques  Vanpradelly  exerce  la  profession 
de  tailleur  d'habits  ;  comme  son  confrère,  il  s'y  marie  et  laisse 
plusieurs  enfants,  Jean,  Louise  et  Joseph  l. 

Le  goût  des  Hollandais  pour  les  belles  fleurs  a  toujours  été 
apprécié  en  France.  Les  surintendants  des  bâtiments  du  roi 
tiraient  des  Provinces-Unies  des  oignons  et  des  graines  que  l'on 
cultivait  à  Versailles;  au  xvine  siècle  la  renommée  de>  jardi- 
niers hollandais  était  encore  bien  établie.  Rendant  compte 
des  salons  de  1779  à  la  princesse  Caroline  de  Bade,  Dupont  de 
Nemours  lui  mandait,  au  sujet  des  tableaux  de  van  Spaendonck 
et  van  Huysum  :  «  Il  n'y  a  guère  eu  de  grands  peintres  de  fleurs 
que  parmi  les  Hollandais.  Je  pourrais  dire  que  ce  genre  de  tra- 
vail, qui  est  froid,  quoiqu' agréable,  convient  mieux  à  une  nation 
flegmatique,  mais  la  véritable  raison  est  qu'il  n'y  a  point  de  pays 
où  l'on  cultive  les  fleurs  avec  autant  de  soin,  de  recherche  et  de 
prétentions  »  2. 

Les  riches  propriétaires  du  xvme  siècle  rendaient  eux  aussi 
hommage  à  l'habileté  des  jardiniers  hollandais.  Ils  les  établis- 
saient dans  leurs  propriétés.  Paris  de  Montmartel  avait  installé 
chez  lui  Bernard  de  Nieuwenhuysen,  de  Harlem,  et  sa  famille. 
Ils  furent  promptement  naturalisés  3. 

Depuis  l'édit  de  1599  sur  le  dessèchement  des  marais,  les 
Hollandais  avaient  pris  une  part  active  aux  travaux  de  dessica- 
tion  des  terres  mouillées.  Leur  habileté  dans  ce  genre  d'entre- 
prises leur  avait  valu  des  privilèges  nombreux  et  pendant  la 
majeure  partie  du  xvne  siècle,  des  ingénieurs  et  des  artisans 
néerlandais  s'étaient  spécialisés  dans  les  travaux  de  l'hydrau- 
lique agricole.  Au  temps  de  Louis  XV  et  de  son  successeur,  ils 
revinrent  en  France  et  s'occupèrent  encore  de  dessèchements, 
de  creusement  de  canaux  et  d'amélioration  des  ports. 

Erasme  van  Broninghem  est  l'auteur  de  la  proposition  du 
creusement  du  canal  de  Dunkerque  à  Mardick  4.  En  1717,  on 


1.  Arch.  mun.  de  Mâcon,  GG  74,  75,  77. 

2.  Lettres  de  Dupont  de  Nemours  à  Caroline  de  Bade,  p.  113. 

3.  Arch.  Nat.,  PP  162.  Lettres  de  naturalité  du  15  juin  1757. 

4.  A.  de  Boislisle,  Correspondance  des  Contrôleurs   généraux,  t.  III,  lettre  1510. 


INGÉNIEURS    HOLLANDAIS    EN    FRANCE  321 

étudie  la  création  de  «  Paris  port  de  mer  »  ;  la  démonstration 
de  la  possibilité  de  la  remontée  de  la  Seine  est  faite  à  l'aide  de 
navires  construits  par  des  Hollandais  K  Les  ports  de  rivière 
dans  lesquels  ils  commercent  ne  sont  pas  assez  profonds  pour 
abriter  les  navires  de  fort  tonnage  qu'ils  emploient  ;  ils  étudient 
les  moyens  de  les  approfondir.  Grout,  en  1753,  fait  venir  quatre 
dragues  de  Hollande  pour  dévaser  le  port  de  Nantes  2.  Pierre 
Jogues,  de  Hollande,  envoie,  en  1768,  aux  commissaires  des 
États  de  Bretagne  des  renseignements  sur  les  moyens  employés 
par  les  Hollandais  pour  fixer  les  dunes  de  sable,  car  les  cam- 
pagnes et  la  ville  même  de  Saint-Pol  étaient  menacées  d'être 
submergées  par  les  dunes  de  Sautée  3.  En  1772,  une  compagnie 
de  négociants  néerlandais  demande  l'autorisation  de  constituer 
une  société  pour  entreprendre  le  creusement  du  canal  de  Pro- 
vence et  Bertin  accrédite  près  de  l'intendant  de  Marseille  van 
Suchetelen,  ingénieur  major  des  États  généraux  des  Provinces- 
Unies  4. 

Les  travaux  des  «  turcies  et  levées  »  de  la  Loire  furent  souvent 
effectués  ou  surveillés  par  des  Hollandais  ou  des  descendants 
de  ces  étrangers.  Louis  de  Regemorte,  l'un  des  premiers  ingé- 
nieurs sortis  de  l'école  des  Ponts  et  Chaussées  créée  par  Tru- 
daine,  en  1746,  jouit  de  la  confiance  de  ce  dernier  et  entreprit 
de  nombreux  travaux  ;  il  construisit  notamment  le  pont  de 
Sorges  sur  l'Authion,  près  Angers  et  le  pont  de  la  Cisse,  près 
Vouvray.  Lorsque  Trudaine  songea  à  la  reconstruction  d'un 
pont  de  pierres  sur  l'Allier,  à  Moulins,  il  s'adiessa  à  Louis  de 
Regemorte.  L'ingénieur,  en  1750,  présenta  un  premier  projet 
qui  ne  fut  pas  adopté  ;  on  admit  au  contraire  les  plans  qu'il 
dressa  l'année  suivante.  Le  pont  de  Moulins,  édifié  par  ses  soins, 
fut  terminé  en  1762  et  Trudaine  octroya  à  Louis  de  Regemorte 
2.000  livres  de  gratification  et  4.000  livres  de  pension  6. 

1.  Arch.  Nat.,  F12  1513.  Mémoire  sur  l'établissement  d'une  nouvelle  navigation 
des  ports  du  Havre,  d'Honfleur  en  droiture  à  Paris. 

'l.  Arch.  mun.  de  Nantes,  DD  162. 

Bourdé  <le  la  Rogeric,  Inventaire  de  la  série  B  des  archives  du  Finistère.  Intro- 
duction, p.  CLXVI. 

4.  Arch.  dép.  des  Bouches-du-Rhônc,  C  311.  Lettre  du  26  Juillet   1772. 

5.  Guillou,  Un  ingénieur  Orléanais,  Lecreux,  dans  Mémoires  de  la  Société  archéo- 
logique de  l'Orléanais,  t.  XXIX,  année  1905,  p.  401,  480,  500. 

21 


322  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

En  Poitou,  des  Hollandais  entreprirent  des  travaux  impor- 
tants et  construisirent  des  ouvrages  d'art  considérable  K  Le  nom 
des  Jacobsen  est  demeuré  attaché  à  maintes  de  ces  entreprises. 

La  famille  Jacobsen  2,  dont  le  nom  figure  déjà  dans  les  annales 
de  Hollande  au  xme  siècle,  était  passée  en  France  au  xvie  et 
s'était  fixée  dans  les  Flandres  maritimes.  Une  longue  lignée  de 
Jacobsen  établis  à  Dunkerque  se  livrèrent  à  la  guerre  de  course 
et  acquirent  comme  marins  une  réputation  analogue  à  celle 
de  nos  plus  fameux  corsaires.  Le  troisième  fils  de  l'amiral 
Michel  Jacobsen,  mort  en  1633,  Antoine,  avait  laissé  plusieurs 
enfants.  L'un  d'eux,  Corail  Guislain,  né  en  1709,  fit  ses  études 
à  l'université  de  Louvain  et  pensa  embrasser  l'état  ecclésias- 
tique mais  ayant  trouvé  en  la  personne  du  baron  de  Reutlitsh* 
ami  de  sa  famille,  un  protecteur  dévout,  il  obtint  un  crédit  suffi- 
sant pour  pouvoir  s'adonner  au  négoce.  Sur  les  conseils  de  son 
protecteur,  il  vint  s'établir  dans  l'île  de  Noirmoutiers  et  s'y 
maria  trois  ans  après.  C'est  Corail  Jacobsen  qui,  le  premier 
dans  l'île  de  Noirmoutiers  entreprit  des  dessèchements  qui 
forcèrent  la  mer  à  reculer.  Il  fut  le  créateur  et  le  fondateur  de 
l'île  de  la  Crosnière  qu'il  gagna  sur  la  mer;  il  construisit  sur 
cette  île  trente  maisons  et  une  église  qui  fut  détruite  pendant  la 
Révolution.  Outre  l'accroissement  de  territoire  ainsi  donné  à  la 
France,  ce  dessèchement  a  procuré  une  communication  par  terre, 
à  mer  basse,  de  Noirmoutiers  au  continent  par  un  passage  connu 
sous  le  nom  de  «  Guâ  ». 

Pour  la  récompense  de  ses  travaux  le  roi  donna  à  Jacobsen 
le  titre  de  seigneur  et  de  premier  patron  de  l'île  de  la  Crosnière. 
Corail  Jacobsen  mourut  le  19  mars  1787  dans  l'île  de  Noirmou- 
tiers, laissant  cinq  enfants  dont  la  descendance  existe  encore 
actuellement  dans  l'Ouest  de  la  France. 

Au  début  du  xvme  siècle,  les  Provinces-Unies  entretiennent 
à  Paris  des  espions  qui,  le  plus  souvent  se  déguisent  sous  les 
apparences  d'honnêtes  commerçants  ou  d'artisans.  Wambel, 
négociant  en   fil  est   arrêté  en   1704  3  presqu'en  même  temps 

1.  Clouzot,  Les  marais  du  Poitou.  Niort.  1899. 

2.  E.  Mancel,  Les  Jacobsen  (1200-1901).  Dunkerque,  1902,  p.  45. 

3.  F.  Funk-Brentano,  Liste  des  Prisonniers  de  la  Bastille,  notice  1838. 


COMMERÇANTS    HOLLANDAIS  323 

<jue  Jean  Boomhouer,  de  Maestricht 1.  Vanderbourg  trahit 
tantôt  au  profit  du  roi,  tantôt  au  profit  du  prince  d'Orange  2. 
Il  touche  des  subsides  des  deux  côtés.  Ces  étrangers  se  ras- 
semblent sans  doute  chez  cette  «  limonadière  hollandoise  qui  tient 
sa  boutique  devant  la  porte  de  la  Cornée' ie  »  et  sur  laquelle  le 
roi  désire  avoir  quelques  renseignements  car  il  sait  qu'on  y 
mène  tapage  et  qu'on  s'y  livre  à  la  débauche  3.  La  paix  d'Utrecht 
signée,  les  espions  se  font  plus  rares  ;  toutefois,  en  1726,  on 
appréhende  encore  une  Hollandaise,  Renée  Le  Pas  ;  pour  avoir 
révélé  des  secrets,  elle  passe  un  mois  à  la  Bastille  4. 

La  guerre  qui  sévit  entre  la  France  et  la  Hollande  au  début 
du  siècle  n'a  pas  fait  fuir  de  Paris  les  Néerlandais  qui  y  sont 
implantés  depuis  quelques  années  déjà.  On  n'a  pas  chassé  les 
tailleurs  d'habits,  les  potiers  de  terre,  les  ébénistes  qui,  concur- 
ramment  avec  les  Allemands,  travaillent  dans  le  faubourg 
Saint-Antoine.  Les  sieurs  Heusch 5  et  van  Soest 6,  banquiers 
à  Paris,  continuent  à  exercer  le  commerce  de  l'argent  ;  ce  dernier 
est  sous  la  protection  de  l'Électeur  de  Cologne  dont  il  est  le 
correspondant.  Théodore  van  der  Hulst,  qualifié  de  banquier, 
importe  des  bois  de  Koenigsberg  et  les  dirige  sur  Bordeaux. 

Il  n'est  profession  dans  laquelle  on  ne  rencontre  à  toute  époque 
du  xvme  siècle  des  Hollandais  établis  à  Paris.  Vandertin  est 
marchand  pelletier,  Yandreveld  est  diamantaire.  Roger  van  der 
Cruce,  ébéniste  au  faubourg  Saint-Antoine  deviendra  le  beau- 
père  d'Oeben.  Si  j'ouvre  les  plumitifs  de  la  Chambre  des  Comptes 
de  Paris,  je  relève  fréquemment  des  lettres  de  natur alité  oc- 
troyées à  des  Hollandais.  Elles  sont  accordées  à  de  petites 
gens  ou  à  des  commerçants  de  peu  d'envergure  qui  n'ont  joué 
aucun  rôle.  Est-il  nécessaire  de  s'appesantir  sur  les  gestes  de 
François    et    Adrien    Meulder 9,    apothicaires,    de    J.-Baptiste 

1.  2.  Id.,  Ibid.,  notice  1887. 

2.  Id.,  Ibid.,  notice  1559. 

3.  Depping,  Correspondance  administrative  sous  Louis  XI V,  t.  II.  Lettre  du  28  sep- 
tembre 1701. 

4.  F.  Funk-Brentano,  op.  cit.,  notice  2943. 

5.  Procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  col.  53  et  58. 

6.  A.  de  Boislisle,  Correspondance  des  Contrôleurs  généraux,  t.  111,  lettre  1332. 

7.  Procè»~i>erbauT  da  Conseil  du  Commerce,  coU  G2*. 
H.   Ibid.,  col.  34a,  35a,  47b,  234b. 

S.  Arch.  Nat.,  VP  102.  Naturalisation  du  10  décembre  1710. 


324  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Krabbe,  garçon  tailleur  \  de  Vandenyster,  d'Amsterdam, 
commis  chez  un  banquier  de  Paris  2  ou  de  Vangens,  marchand 
de  chevaux  naturalisé  après  trente  ans  de  séjour  3. 

La  Hollande  ne  nous  envoie  point  que  des  marchands.  Des 
Provinces  -  Unies  il  nous  vient  au  xvme  siècle  des  artistes. 
Gérard  van  Spaendonck,  né  à  Tilbourg,  en  1746,  connut  à  Paris 
ses  plus  grands  succès  4.  Il  exposa  au  Salon  et  Diderot  parle 
aimablement  de  ses  tableaux  de  fleurs  5.  En  1781  il  fut  reçu 
membre  de  l'Académie  loyale  de  peinture  ;  sept  ans  plus  tard 
il  remplaçait  La  Tour  comme  conseiller  de  la  Compagnie.  Cor- 
neille van  Spaendonck,  son  frère,  fut  également  un  peintre  de 
fleurs  renommé  ;  en  1789  il  était  également  reçu  à  l'Académie  6. 

La  Hollande  ne  nous  adressait  pas  toujours  directement 
ses  enfants.  Vandermonde  qui  fut  un  savant  et  un  médecin 
notoire  du  xvme  siècle  était  né  à  Macao  en  1727.  Il  vint  faire 
ses  études  à  Paris  et  y  prit  ses  grades  en  médecine.  En  1755, 
sa  réputation  était  déjà  établie,  on  lui  confia  la  direction  du 
Recueil  d'observations  de  médecine,  chirurgie  et  pharmacie  qui 
devint  par  la  suite  le  Journal  de  Médecine.  Il  garda  la  direction 
de  cette  revue  jusqu'à  sa  mort  survenue  en  1762  7.  Son  frère, 
membre  de  l'Académie  des  Sciences,  fit  faire  des  progrès  aux 
méthodes  algébriques,  compléta  la  géométrie  de  situation 
imaginée  par  Leibnitz  et  fut  chargé  avec  d'autres  savants  de 
comparer  les  mesures  et  les  poids  usités  en  France  avec  les 
mesures  et  les  poids  du  système  métrique  afin  d'établir  les  rap- 
ports exacts  qui  existaient  entro  eux  8. 

La  vie  religieuse  des  Hollandais,  qu'ils  fussent  catholiques  ou 
réformés,  était  assurée  à  Paris.  Résidaient-ils  dans  la  capitale 
d'une  manière  permanente  ou  bien  se  contentaient-ils  d'y 
effectuer  un  bref  séjour,  ils  avaient  à  leur  disposition,  s'ils  ne 


1.  Ibid.  Naturalisation  du  7  mai  1754. 

2.  Ibid.  Naturalisation  du  28  octobre  1757. 

3.  Arch.  Nat.,  K  175,  liasse  3.  Naturalisation  du  14  mai  1732. 

4.  J.-G.  Wille,  Mémoires,  t.  II,  p.  172. 

5.  Diderot,  Correspondance,  édition  Tourneux,  t.  XII,  p.  329,  t.  XV,  p.  161. 

6.  J.-G.  Wille,  op.  cit.,  t.  II,  p.  203,  204,  206. 

7.  Docteur  Paul  Delaunay,  Le  monde  médical  parisien  au  XVIIIe  siècle.  Paris, 
1906,  p.  461,  465. 

8.  A.  Maury,  L'ancienne  Académie  des  Sciences,  p.  185,  188,  322. 


LA    CHAPELLE    DE    l' AMBASSADE    DE    HOLLANDE  325 

parlaient  notre  langue,  des  moyens  de  pratiquer  la  religion 
à  laquelle  ils  appartenaient. 

La  confrérie  créée  à  Saint-Germain-des-Prés  pour  les  catho- 
liques de  langues  germaniques  subsistait  encore  au  moins  au 
début  du  xvme  siècle  et  des  prêtres  étrangers  prêchaient  chaque 
dimanche  pour  les  Hollandais,  les  Allemands  et  les  Suisses  alé- 
maniques. En  1701,  un  Danois  converti,  le  Père  Krattmann 
était  à  la  tête  de  cette  institution.  Malheureusement,  les  registres 
de  cette  confrérie  sont  perdus.  Ils  eussent  constitué  une  source 
précieuse  de  renseignements  sur  l'immigration  des  Hollandais 
catholiques  à  Paris.  Les  archives  de  la  chapelle  de  l'ambassade 
de  Hollande  ont  au  contraire  été  en  partie  conservées  et  il  est 
impossible  de  parler  des  Hollandais  à  Paris  au  xvme  siècle  sans 
avoir  recours  à  elles. 

Après  la  mort  de  Louis  XIV,  l'ambassadeur  des  Provinces- 
Unies,  Hop,  joua  en  France  un  rôle  considérable  sous  le  rap- 
port religieux;  pendant  son  séjour  à  Paris,  de  1715  à  1729, 
il  fut  le  protecteur  attitré  des  réformés  calvinistes  hollandais 
et  français.  Il  obtint  du  Régent  que  les  protestants  fussent 
décemment  inhumés  et  cela,  d'ailleurs,  en  conformité  des 
stipulations  du  traité  d'Utrecht.  A  tous  les  protestants,  il  ouvrit 
largement  les  portes  de  la  chapelle  de  l'ambassade  ;  à  certains 
jours,  les  offices  étaient  suivis  par  plus  de  quinze  cents  personnes1. 

Les  chapelains  de  l'ambassade  instruisaient  dans  la  doctrine 
de  Calvin  tous  ceux  qui  voulaient  embrasser  le  culte  réformé. 
Ils  mettaient  à  obtenir  des  conversions  un  grand  zèle  ;  les 
listes  des  catéchumènes  examinés  et  reçus  à  la  communion 
montrent  qu'à  leur  chapelle  ils  recevaient  des  abjurations 
nombreuses 2.  L'ambassade  était  devenue  le  rendez-vous  de 
tous  les  catholiques  français  désireux  de  se  convertir  ;  des 
personnages  importants  venaient  y  abjurer  et  ces  changements 
de  religion  n'allaient  pas  toujours  sans  causer  du  scandale. 
En  1720,  l'abbé  d'Entraigues,  «  par  un  vertigo  invraisemblable  », 


1.  F.  Waddington,  L'influence  de  l'ambassade  de  Hollande  à  Paris  sur  les  affaires 
des  protestants  en  France  au  XVIII9  siècle,  dans  Bulletin  de  la  Société  d'histoire  du 
protestantisme  français,  t.  III,  p.  595. 

2.  Bibliot.  protestante,  manuscrit  410. 


326  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

étonna  la  cour  et  la  ville  «  en  embrassant  les  erreurs  du  calvi- 
nisme chez  le  sieur  Hop  » l. 

Le  gouvernement  français  s'émut  de  voir  la  chapelle  de  l'am- 
bassade ouverte  à  ses  propres  nationaux.  Malgré  la  bienveil- 
lance qu'il  témoignait  à  Hop,  le  ministère  s'efforça  de  détourner 
les  régnicoles  de  l'assistance  aux  offices  protestants.  A  l'entrée 
ou  à  la  sortie  il  les  faisait  appréhender  par  ses  archers  2. 

Malgré  la  surveillance  exercée  autour  de  la  chapelle,  les 
Français  parvenaient  à  y  pénétrer  et  à  suivre  les  cérémonies. 
Ils  étaient  appelés  à  délivrer  à  des  coreligionnaires  des  attesta- 
tions de  protestantisme  ;  on  en  a  la  preuve  par  l'examen  du 
Livre  d'entrée  et  de  sortie  des  communiants  de  la  chapelle  de  L.  L. 
H.  H.  P.  P.  à  Paris,  habitants  dans  cette  ville.  Ce  registre,  depuis 
1753,  contient  les  noms  des  communiants  de  la  chapelle  et  l'on 
y  voit  que  maint  réformé  français  se  porte  garant  des  saines 
doctrines  de  personnes  nouvellement  admises  à  la  communion. 

Le  Livre  d'entrée  est  précieux  à  plusieurs  points  de  vue. 
Il  montre  notamment  l'importance  de  la  colonie  hollandaise 
de. Paris  et,  à  cet  égard,  il  offre  le  même  intérêt  que  le  registre 
des  cotisants  luthériens  de  la  chapelle  de  l'ambassade  de  Suède 
ouvert  au  xvne  siècle  par  Jonas  Hambraeus.  A  chaque  page 
du  livre  d'entrée  sont  mentionnés  des  négociants,  des  méde- 
cins, des  ingénieurs  hollandais  venant  effectuer  à  Paris  un 
séjour  plus  ou  moins  prolongé.  A  leur  arrivée,  ces  étrangers 
se  font  inscrire  à  la  chapelle  et  y  sont  reçus  au  vu  d'une  attes- 
tation donnée  par  des  pasteurs  hollandais  ou  par  des  compa- 
triotes résidant  en  France.  S'ils  ne  peuvent  fournir  le  certificat 
requis,  ils  subissent  un  bref  examen.  Sur  la  première  page  du 
Livre  d'entrée  figurent  Henry  de  Lo,  Jean  Wencke,  Albert 
Schloster,  médecin,  Antoine  Hattinger,  ingénieur  3. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  si  le  nombre  des  Hollandais 
inscrits  sur  le  Livre  d'entrée  de  communiants  est  élevé.  Pour 
eux  tout  est  prétexte  à  venir  à  Paris  :  affaires,  politique,  études 

1.  J.  Buvat,  Journal  de  la  Régence,  édition  E.  Campardon.  Paris,  1865,  t.  II, 
p.  1. 

2.  F.  Funk-Brentano,  Liste  des  prisonniers  de  la  Bastille,  notices  2825,  2834, 
2835. 

3.  Bib.  protestante,  manuscrit  .409,  f°  1. 


VOYAGEURS    HOLLANDAIS  327 

amènent  chaque  année  vers  la  France  une  foule  d'habitants 
de  La  Haye,  d'Amsterdam  ou  de  Gouda.  Des  commerçants 
vendent  diamants,  pelleteries  ou  livres,  d'autres  achètent 
à  Paris  tableaux  et  gravures.  Quelques-uns  traitent  des  affaires 
importantes.  Les  manuscrits  du  collège  Louis-le-Grand  for- 
maient 856  volumes,  ceux  de  la  maison  professe  116.  Meerman, 
de  La  Haye,  s'en  rend  acquéreur  pour  15.000  livres.  On  fait 
quelques  difficultés  pour  les  laisser  sortir  mais  Meerman  aban- 
donne quelques  manuscrits  à  la  Bibliothèque  royale  et  on  le 
remercie  en  lui  accordant  une  décoration  1. 

D'autres  Hollandais  fréquentent  les  salons  où  régnent  les 
philosophes  ;  ils  puisent  près  d'eux  les  idées  démocratiques 
qu'ils  répandront  parmi  les  Patriotes.  Quelques-uns  exposent 
aux  Salons  leurs  fleurs  ou  leurs  tableaux  d'intérieur.  Le  baron 
van  Swieten  collabore  avec  Favart  et  leur  Rosière  de  Salency 
est  représentée  à  Fontainebleau  2.  Comme  tant  d'autres  étran- 
gers, les  Hollandais  riches  s'affichent  avec  les  actrices  de  nos 
théâtres.  De  Saulègue  entretient  la  Deschamp  3,  le  baron  de 
Wassenâer  est  amoureux  fou  de  mademoiselle  Luzi,  de  l' Opéra- 
Comique  4.  M.  Hoppe,  demeurant  rue  de  Richelieu  «  prend  à 
ses  appointements  »  la  demoiselle  de  Valmont 5. 

Paris  est  un  centre  d'attraction  pour  les  Hollandais  ;  ils  n'y 
sont  pas  dépaysés  car  tous  parlent  notre  langue.  Ils  l'ont  apprise 
avec  des  gouvernantes  qui  leur  enseignent  le  français  avant 
même  de  leur  apprendre  leur  langue  maternelle  si  bien  que  les 
deux  frères  Haren,  adolescents,  savent  à  peine  le  néerlandais 
et  que  Hogendorp,  parvenu  à  l'âge  viril  doit  l'apprendre  comme 
une  langue  étrangère  6.  Beaucoup  de  Hollandais  ont  à  Paris 
ou  en  province  des  parents  et  des  alliés  qu'ils  viennent  visiter. 
En  effet,  au  xvme  siècle,  des  Français  épousent  fréquemment 
des  jeunes  filles  originaires  de  Hollande  et  introduisent  ainsi 
dans  la  population  des  éléments  nouveaux.  Ces  jeunes  filles 

1.  A.  Gefïroy,  Analyse  du  voyage  de  Linden,  dans  Notices  et  extraits  conservés 
en  Suède,  p.  415. 

2.  Diderot,  Correspondance,  éd.  citée,  t.  VIII,  p.  385. 

3.  C.  Piton,  Paris  sous  Louis  XV,  t.  V,  p.  106. 

4.  Id.,  Ibid.,  t.  I,  p.  58. 

5.  Id.,  Ibid.,  t.  III,  p.  179. 

6.  Riemcns,  op.  cit.,  p.  190,  note  2. 


328  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

appartiennent  parfois  aux  familles  déjà  fixées  en  France  ; 
quelquefois,  au  contraire  elles  ont  été  rencontrées  au  cours 
d'une  ambassade,  d'une  mission  ou  d'un  voyage. 

Le  comte  d'Auvergne  épouse  mademoiselle  de  Wassenâcr 
d'une  vieille  famille  hollandaise  ;  le  comte  demande  au  roi 
l'autorisation  de  l'amener  en  France  bien  qu'elle  soit  calvi- 
niste. Il  y  est  autorisé  ;  elle  se  convertit  le  17  avril  1700  et  est 
introduite  à  la  cour  x. 

De  ces  mariages  mixtes,  on  dresserait  des  listes  copieuses. 
Je  an -Baptiste  Quirot,  chirurgien  à  Xirocourt  avait  épousé 
Jeanne  Welem,  native  de  Grave,  près  Nimègue  2  ;  les  Terrien 
de  La  Haye,  à  Nantes,  s'étaient  alliés  aux  van  Berchem  3  ; 
Marguerite  de  Maubach,  originaire  de  Middelbourg,  devient 
l'épouse  de  Jean-Jacques  Georget,  négociant  à  Saint-Malo. 
La  femme  de  M.  de  Beauharnais,  intendant  à  La  Rochelle 
en  1712  était  d'origine  hollandaise  4.  Toutes  ces  mères  de  famille 
firent  souche  d'excellents  serviteurs  de  la  France  ;  elles  ont 
généralement  disparu  sans  laisser  de  souvenirs.  Il  est  toutefois 
une  Hollandaise  qui,  pendant  un  quart  de  siècle,  a  joui  à  Paris 
de  quelque  notoriété  et  a  défrayé  les  gazettes  ;  elle  y  fut  connue 
sous  le  nom  de  la  «  Belle  Hollandaise  ». 

Les  Nijvenheim  appartenaient  à  une  famille  de  Hollande 
de  bonne  noblesse  mais  très  pauvre.  Ils  étaient  cinq  frères 
et  l'un  d'eux  était  entré  au  service  de  la  France  comme  colonel 
au  Royal  Suédois.  Une  de  leurs  sœurs  avait  épousé  le  duc  de 
Brancas  ;  une  autre  avait  été  mariée  de  bonne  heure  au  riche 
marchand  Pater.  Elle  vint  à  Paris  en  1763  ;  elle  éblouit  la  haute 
société  par  son  éclatante  beauté.  On  ne  parla  que  de  Madame 
Pater  pendant  toute  une  saison  et  l'aristocratie  se  partagea 
en  deux  camps,  les  «  Pater  et  les  Anti-Pater  »,  les  Anti-Pater 
tenant  pour  Madame  de  Nesselrode  la  rivale  en  beauté  de  la 
belle  Hollandaise. 

Les  hommes  de  lettres  de  l'époque  célébrèrent  Madame  Pater  ; 

1.  Saint-Simon,  Mémoires,  édition  des  Grands  Écrivains,  t.  VI,  p.  136. 

2.  Arch.  dép.  de  Meurthe-et-Moselle,  E  sup.  3230  ;  acte  de  décès  de  Jeanne 
Welem,  le  28  sept.  1753,  p.  16. 

3.  Marquis  de  Granges  de  Surgères,  Actes  d'Etat  civil,  p.  16. 

4.  A.  de  Boislisle,  Correspondance  des  Contrôleurs  généraux,  t.   III,  p.  1195. 


MADAME    PATER  329 

Diderot  parle  d'elle  à  diverses  reprises  dans  sa  correspondance, 
Dorât  fit  son  éloge  et  des  chansonniers  s'occupèrent  de  cette 
étrangère.  On  chantait  : 

Pater  est  dans  notre  cité 
Spiritus  je  voudrois  être 
Et  pour  former  la  Trinité 
Filius  on  en  verrait  naître  l. 

Condé,  Soubise,  Vintimille  furent  ses  admirateurs  à  l'hôtel 
4'Entragues,  rue  de  Tournon  puis  faubourg  Saint-Honoré. 
Las  des  assiduités  de  ces  seigneurs,  le  marchand  Pater  se  fâcha 
€t  leur  déclara  un  jour  :  «  MM.  je  suis  très  sensible  à  l'honneur 
que  vous  me  faites  de  venir  ici,  mais  je  ne  crois  pas  que  vous  vous 
amusiez  beaucoup  ;  je  suis  toute  la  journée  avec  Madame  Pater 
«t  la  nuit  je  couche  avec  elle.  »  Pater  finit  par  rentrer  en  Hol- 
lande mais  sa  femme  se  sépara  de  lui  et  revint  à  Paris  sous  son 
nom  de  jeune  fille,  baronne  de  Nieuwerkerke.  Le  duc  de  Duras 
la  présenta  au  roi  ce  qui  lui  valut  d'être  chassé  par  la  Du  Barry 
qui  l'accusait  d'une  complaisance  trop  grande.  Le  duc  d'Ai- 
guillon eut  aussi  l'idée  de  la  faire  épouser  à  Louis  XV  qui 
parut  goûter  ce  projet  et  logea  à  Meudon  la  jeune  femme  ;  pour 
lui  plaire,  elle  préparait  sa  conversion  et  apprenait  à  danser. 
Elle  conserva  l'espoir  d'un  mariage  royal  jusqu'au  décès  du 
roi  et  refusa  la  main  du  prince  de  Lambesc.  A  la  mort  de  Louis  XV 
elle  épousa  le  marquis  de  Champcenetz,  gouverneur  de  Bellevue 2. 

Si  l'on  en  croit  l'auteur  de  la  Galerie  des  Dames  françoises 
qui  a  tracé  le  portrait  de  la  marquise  de  Champcenetz  sous  le 
pseudonyme  de  Domitilla,  la  belle  Hollandaise  prit  une  part 
active  à  la  lutte  des  Patriotes  hollandais  contre  le  stathouder  ; 
elle  obtint  qu'on  donnât  asile  à  ceux  qui  passèrent  en  France 
en  1787.  «  Domitilla  n'ayant  pu  ranger  la  victoire  du  côté  des 
Patriotes  hollandais  leur  procura  la  France  pour  asile,  c'est-à- 
dire  qu'elle  dirigea  sur  eux  la  prodigalité  de  ceux  qui  gouver- 
naient alors  ce  royaume  »,  écrit  le  rédacteur  de  la  Galerie  8. 

1.  Diderot,  Correspondance,  édition  Tourneux,  t.  VI,  p.  175,  t.  VII,  p.  171, 
etc... 

2.  De  Peyster,  Les  troubles  de  la  Hollande  à  la  veille  de  la  Révolution  française. 
Paris,  1905,  p.  89,  note  1. 

3.  La  Galerie  des  Dames  françoises.  Londres,  1790,  p.  58. 


330  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Il  est  très  probable  que  la  marquise  de  Champcenetz  servit 
la  cause  des  Patriotes  ;  ses  frères  étaient  les  actifs  lieutenants 
de  Capellen,  l'un  des  chefs  du  mouvement  dirigé  contre  le  sta- 
thouder.  Evert-Jan  et  Berend  Nijvenheim  effectuaient  fréquem- 
ment le  voyage  de  Paris  pour  les  affaires  du  parti  et  compromis, 
ils  s'y  réfugièrent  après  1787.  Une  fille  d'Evert  devait  par  la 
suite  épouser  Armand  de  Polignac  et  une  branche  de  la  famille 
Nijvenheim  s'établit  définitivement  en  France  où  ses  descen- 
dants existent  encore.  , 

Au  nom  de  Madame  Pater  on  peut  associer  celui  de  Madame 
D aider.  Née  à  Groningue  en  1743,  elle  épousa  à  l'âge  de  dix- 
neuf  ou  vingt  ans  M.  Palm  qui  partit  pour  les  Indes  hollandaises 
quelques  semaines  après  cette  union.  Son  mari  étant  disparu, 
Madame  Dalder  vint  s'établir  à  Paris;  en  1778  elle  habitait 
rue  Villedo  et  se  faisait  appeler  Madame  de  Sitter,  baronne 
d'Aelders.  Comme  sa  réputation  de  beauté  était  grande,  elle 
connut  l'existence  facile  et  vécut  indépendante  jusqu'au  mo- 
ment de  la  Révolution.  En  1789,  elle  s'enflamma  pour  les  idées 
nouvelles  d'affranchissement,  s'ingénia  à  devenir  femme  de 
lettres  et  à  s'intéresser  à  des  œuvres  humanitaires.  Madame 
Dalder  s'affilia  au  club  révolutionnaire  dénommé  le  Cercle  Social 
et  y  prôna  les  droits  de  la  femme  émancipée.  Non  contente 
d'appartenir  à  ce  club  elle  s'occupa  de  la  fondation  de  la  Société 
des  Amis  de  la  Vérité  et  devant  les  membres  de  cette  nouvelle 
assemblée,  la  Hollandaise  prononça  un  long  discours  sur  l'in- 
justice des  lois  en  faveur  des  hommes  aux  dépens  de  la  femme. 
Ce  discours  -ayant  été  imprimé  fut  répandu  par  ses  soins  ;  elle 
en  adressa  quelques  exemplaires  à  la  municipalité  de  Creil-sur- 
Oise  qui  la  remercia  de  son  hommage  en  lui  adressant  une  cocarde 
tricolore  et  une  médaille  nationale.  Prosélyte  enragée  de  toutes 
les  nouveautés,  Madame  Dalder  s'efforça  d'organiser  à  Creil 
des  bataillons  d'amazones  ;  elle  pensait  même  en  créer  à  Caen, 
à  Bordeaux  et  ailleurs  mais  un  court  emprisonnement  mit 
fin  à  ses  projets  et  refroidit  son  zèle.  Ses  discours,  ses  pétitions 
nombreuses  à  l'Assemblée  achevèrent  de  déconsidérer  la  Hol- 
landaise que  ses  relations  trop  intimes  avec  le  député  Basire 
avaient  compromise.  Elle  comprit  qu'il  n'y  avait  plus  rien  à 


LES  PATRIOTES  HOLLANDAIS  DANS  LE  NORD  DE  LA  FRANCE   331 

faire  pour  elle  à  Paris  ou  à  Creil  et  en  septembre  1792,  ayant 
obtenu  de  Lebrun  une  mission  diplomatique  en  Hollande, 
elle  quitta  la  France  et  retourna  dans  son  pays  natal l. 


Les  Provinces-Unies  avaient  toujours  été  divisées  en  deux 
camps  politiques  ;  l'un  était  attaché  aux  formes  traditionnelles 
du  gouvernement  républicain,  l'autre  était  dévoué  à  la  cause 
de  stathoudérat  et  de  la  maison  d'Orange.  La  direction  des 
affaires  du  pays  avait  été  confiée  tantôt  à  un  grand  Pension- 
naire, agissant  sous  l'inspiration  des  États  généraux,  parfois 
au  contraire,  les  Provinces-Unies  avaient  eu  pour  chef  un  véri- 
table souverain  en  la  personne  d'un  stathouder  choisi  parmi 
les  princes  de  la  famille  d'Orange. 

L'invasion  de  la  Hollande  par  les  Français  au  cours  de  la 
guerre  de  la  Succession  d'Autriche  avait  déterminé  dans  le  pays 
une  véritable  révolution  et  en  1747,  Guillaume-Charles-Henri 
avait  été  porté  au  stathoudérat  héréditaire.  A  sa  mort,  surve- 
nue en  1751,  il  avait  été  remplacé  par  Guillaume  V.  Les  sujets 
de  ce  souverain  étaient  tous  loin  d'admettre  le  stathoudérat 
héréditaire  et  les  pouvoirs  qu'il  s'arrogeait. 

Nourri  de  la  lecture  des  philosophes  français  et  imbu  des 
principes  démocratiques,  un  troisième  parti  se  constitua  en 
Hollande  ;  il  prit  le  nom  de  parti  des  Patriotes.  Des  membres 
de  T aristocratie  hollandaise,  mécontents  de  l'attitude  de  Guil- 
laume V,  se  rapprochèrent  de  ce  parti  dans  le  but  de  limiter 
la  puissance  du  stathouder  ;  ils  en  devinrent  bientôt  les  membres 
les  plus  influents. 

.!<•  n'ai  pas  à  raconter  ici  les  difficultés  intérieures  et  exté- 
rieures des  Provinces-Unies  depuis  1775  environ  ;  qu'il  sutlise 

1.  P.  Bordeaux,  La  médaille  d'honneur  offerte  par  la  municipalité  de  Creil  à 
madame  Palm  Dalder,  dans  Mémoires  de  la  Société  académique  de  l'Oise,  tome  XX, 
1908,  p.  433. 


332  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

de  rappeler  quelques  faits,  dont  certains  d'ailleurs  ne  sont  pas 
à  l'honneur  du  gouvernement  de  Louis  XVI.  Sous  le  ministère 
de  Vergennes,  nos  ambassadeurs  à  La  Haye,  La  Vauguyon 
et  Vérac  soutinrent  les  Patriotes  dans  leur  lutte  contre  Guil- 
laume V.  Ils  leur  promirent  appui  et  secours.  Mais  Vergennes 
ayant  disparu,  son  successeur  Montmorin  se  désintéressa  pour 
ainsi  dire  des  affaires  de  Hollande.  Au  lieu  de  prendre  nette- 
ment parti  dans  la  lutte  engagée  entre  les  Orangistes  et  les 
Patriotes,  il  tergiversa.  Le  roi  de  Prusse,  Frédéric-Guillaume, 
envahit  la  Hollande  à  la  tête  de  ses  troupes  et  sur  son  trône 
chancelant  raffermit  le  stathouder  Guillaume  V.  Abandonnés 
par  la  France,  les  Patriotes  affolés  se  débandèrent  et  se  soumirent. 
La  victoire  restait  à  la  maison  d'Orange,  la  réaction  stathoudé- 
rienne  triomphait. 

Le  21  novembre  1787  Guillaume  V  proclamait  l'amnistie 
des  patriotes  hollandais,  mais  son  amnistie  portait  tant  de  res- 
trictions que  chacun  pouvait  s'en  croire  exclu  l.  Des  Provinces- 
Unies,  ce  fut  un  exode  général  vers  la  Flandre  et  le  Brabant 
autrichien.  La  plupait  des  patriotes  néerlandais  demeurèrent 
en  Belgique  mais  ces  les  premiers  mois  de  1788  plus  de  2.400  fa- 
milles hollandaises  étaient  déjà  arrivées  en  France.  On  évalue 
à  plus  de  40.000  le  nombre  des  proscrits.  A  Saint-Omer  la  majo- 
rité de  la  population  devint  hollandaise.  Le  gouvernement 
français  tint  à  recevoir  dignement  ceux  qu'il  avait  abandonnés. 
Aux  chefs  des  patriotes  hollandais  il  attribua  des  pensions. 
A  Capellen  van  de  Marsch  on  octroya  25.000  livres  pour  cinq  ans, 
à  van  Ryssel,  12.000,  à  Boetzelaër,  d'Utrecht,  10.000.  Abbema 
entra  comme  associé  dans  une  banque  parisienne.  Ondaatje 
se  fixa  à  Calais. 

On  manque  de  précisions  à  l'égard  des  réfugiés  hollandais 
sauf  en  ce  qui  concerne  ceux  qui  reçurent  des  allocations  du 
gouvernement,  un  millier  environ.  Le  29  novembre  1787, 
Capellen  van  de  Marsch  avait  proposé  à  Louis  XVI  la  création 
d'une  colonie  de  réfugiés  hollandais  qui  jouiraient  d'une 
certaine   autonomie  et  en  particulier  de  la  liberté  religieuse. 

1.  J'emprunte  ces  détails  à  l'ouvrage  de  H.  de  Peyster,  Les  troubles  de  la  Hollande 
à  la  veille  de  la  Révolution  française,  p.  230  et  suiv.  et  p.  332,  Appendice  VIII. 


PATRIOTES    HOLLANDAIS  333 

Cette  autorisation  fut  accordée  et  les  Hollandais  nommèrent 
un  commissaire  chargé  d'examiner  les  lieux  propres  à  leur  éta- 
blissement. On  inspecta  les  côtes  jusqu'à  Granville  mais  on 
décida  de  se  fixer  en  Flandre  ou  en  Artois,  de  manière  à  être 
dans  une  région  voisine  de  la  Hollande.  Saint-Omer  fut  choisi 
comme  centre  de  ralliement  des  réfugiés  qui  passeraient  en 
France  ;  Saint-Priest,  notre  ambassadeur  en  Hollande,  chargé 
du  soin  des  émigrés  demanda  à  Capellen  de  nommer  un  délégué 
qui  se  rendrait  à  Saint-Omer,  recevrait  les  immigrants  et  les 
représenterait  auprès  du  roi  de  France.  Beyma  fut  élu  ;  il 
choisit  quelques  collaborateurs  et  notamment  Walkenaèr,  jeune 
professeur  à  l'Académie  de  Franeker. 

Sur  Saint-Omer  on  dirigea  les  Hollandais  dignes  d'être  secou- 
rus ;  ils  étaient  reçus  par  Collignon,  secrétaire  des  guerres 
et  par  Beyma.  Tous  deux  établissaient  les  listes  des  noms 
des  réfugiés  et  indiquaient  le  montant  du  recours  à  leur 
accorder.  L'entente  entre  Beyma  et  Walkenaèr  dura  peu  ;  ce 
dernier  partit  bientôt  pour  Dunkerque. 

Comme  le  nombre  des  immigrants  allait  toujours  croissant, 
Beyma  et  Collignon  durent  diriger  sur  Gravelines  les  réfugiés 
d'Utrecht  auxquels  se  joignirent  ensuite  ceux  de  Delft,  de  Rot- 
terdam et  d'Amsterdam.  A  la  fin  de  février  1788,  on  comptait 
tant  à  Saint-Omer  qu'à  Gravelines  1.025  familles  secourues. 
Bien  qu'il  y  eut  des  femmes  et  des  enfants,  chaque  famille  ne 
recevait  que  10  livres  par  semaine  pour  subsister.  Cette  charge 
étant  trop  lourde  pour  le  trésor,  Saint-Priest  annonça  à  Colli- 
gnon que  le  ministre  des  finances  avait  décidé  de  diminuer 
de  700  livres  par  semaine  le  montant  des  subsides  alloués. 
La  situation  des  Hollandais  était  au  demeurant  moins  critique 
après  quelques  semaines  de  séjour  en  France  car  beaucoup 
exerçant  un  métier,  avaient  trouvé  le  moyen  de  se  créer  des 
occupations  lucratives.  Parmi  les  immigrants,  on  comptait 
des  jardiniers,  des  laboureurs,  383  maîtres  de  métiers  et  619  ou- 
vriers. Certains  étaient  assez  riches  pour  n'être  pas  pensionnés. 
Abbema  et  Hogendorp,  en  demandant  leur  naturalisation, 
firent  valoir  qu'ils  n'avaient  jamais  touché  d'allocation. 

Au  début  d'avril  1788,  71.198  Hollandais  auraient  été  répartis 


334  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

à  Saint- Venant,  Béthune,  Dunkerque  et  lilte,  mais  ce  chiffre 
est  exagéré.  En  sortant  de  leur  patrie,  nombre  de  Hollandais 
s'étaient  dirigés  ver.»  la  Belgique  ou  l'Allemagne;  Joseph  II 
et  Catherine  II  qui,  par  tous  moyens,  cherchaient  à  coloniser 
certaines  régions  de  leurs  vastes  empires  n'avaient  pas  dû 
Laisser  échapper  l'occasion  d'attirer  chez  eux  des  hommes  indus- 
trieux et  habiles.  Quoiqu'il  en  soit,  la  France  subventionnait 
à  ce  moment  un  peu  plus  de  1.300  Hollandais  et  c'était  là,, 
pour  un  pays  à  finance  ;  obérées,  une  fort  lourde  charge. 

Le  marquis  d'Osmond  qui  avait  succédé  à  Saint-Priest  dans 
la  charge  d'intendant  des  Hollandais  fit  un  voyage  en  Hollande 
pour  se  rendre  compte  de  la  possibilité  d'en  renvoyer  quelques- 
uns  chez  eux.  Il  fut  question  de  créir  des  colonies  d'émigrants 
en  Gascogne,  en  Navarre  et  même  en  Amérique.  On  chercha  à 
utiliser  la  main-d'œuvre  hollandaise  ;  nombre  d'entre  eux  fuient 
employés  au  creusement  du  canal  d'Arqués. 

Malgré  tout,  au  1er  janvier  1789,  le  montant  des  subsides 
payés  aux  Hollandais  s'élevait  à  910.000  livres  ;  cela  ne  les 
empêchait  pas  de  formuler  de  continuelles  réclamations  et  pro- 
testations contre  des  abus  dont  ils  se  prétendaient  victimes. 
A  la  fin  de  l'année,  ils  envoyaient  même  une  députation  à 
Louis  XVI,  mais  le  roi  refusa  de  la  recevoir.  Ces  réfugiés  hollan- 
dais se  querellaient  entre  eux  ;  ih  formaient  des  clans  et  des 
groupes,  les  uns  tenant  pour  Beyma,  les  autres  pour  Walkenaër. 
Contre  le  roi  et  la  reine,  les  prêtres  et  les  religieuses,  les  patriotes 
portaient  des  accusations  violentes  et  grossières.  La  révolution 
brabançonne  eut  pour  heureuse  conséquence  de  débarrasser 
le  ministère  français  d'un  assez  grand  nombre  de  réfugiés  qui 
partirent  pour  Gand.  L'Assemblée  nationale  qui  n'avait  pas 
le  souci  de  subvenir  aux  besoins  des  réfugiés  et  d'examiner 
leurs  doléances  ne  voyait  pas  d'un  mauvais  œil  les  Hollandais. 
Dans  son  rapport  le  Comité  des  finances  déclarait  «  qu'il  n'y 
avait  pas  d'économies  à  proposer  sur  cet  article  et  que  la  nation 
ne  pouvait  que  se  plaindre  de  ce  que  les  circonstances  ne  lui 
permissent  pas  de  plus  grands  sacrifices.  »  Non  seulement 
l'Assemblée  ne  songeait  pas  à  mettre  dehors  les  réfugiés  hollan- 
dais mais  elle  songeait  à  les  établir  dans  un  de  nos  ports.  Ces 


PATRIOTES    HOLLANDAIS  335 

dispositions  à  leur  égard  durèrent  peu  de  temps  ;  au  mois  de 
mai  1791  une  députation  envoyée  par  les  Hollandais  à  l'Assem- 
blée nationale  ne  fut  pas  reçue.  Mais,  d'Averhoult,  ancien 
régent  d'Utrecht  naturalisé  français,  ayant  été  nommé  prési- 
dent de  l'Assemblée  nationale,  quelques  réfugiés  parmi  lesquels 
étaient  Abbema  et  de  Witt  résolurent  de  profiter  de  cette  cir- 
constance pour  déposer  une  pétition  à  la  barre  de  l'Assemblée. 
D'Averhoult  leur  fit  un  accueil  gracieux  et  envoya  leur  péti- 
tion au  Comité  de  liquidation. 

Lorsque  la  guerre  éclata  entre  la  France  et  les  puissances 
allemandes,  un  réfugié,  le  colonel  Sternbach,  créa  une  légion 
batave,  au  mois  de  mai  1792  :  on  hésita  à  utiliser  ses  services 
car  le  ministère  craignait  que  son  entrée  en  ligne  ne  déterminât 
une  déclaration  de  guerre  de  la  part  de  la  Hollande  mais  reve- 
nant sur  ses  préventions,  le  8  juillet  1792,  le  ministère  proposa 
officiellement  à  l'Assemblée  la  création  d'une  légion  batave. 
Peu  après,  se  formait  un  comité  «  pour  le  rétablissement  de  la 
liberté  batave  »  ;  bientôt,  ce  comité  devenait  le  «  Comité  révo- 
lutionnaire ».  En  province,  à  Boulogne,  à  Saint-Omer  se  for- 
mèrent aussi  des  groupes  de  «  sans-culottes  hollandais  ». 

Ces  comités,  si  avancés  d'opinions  qu'ils  fussent,  devinrent 
suspects  au  Comité  de  Salut  public  ;  quelques-uns  de  leurs 
membres  furent  arrêtés  ;  l'un  d'eux,  de  Kock  fut  même  guillo- 
tiné. 

A  cette  époque  le  stathoudérat  s'écroulait  et  les  Hollandais 
rentrèrent  en  grande  partie  chez  eux.  Abbema,  de  Witt, 
Walkenaër  demeurèrent  fixés  en  France  et  beaucoup  d'entre 
les  Hollandais  imitèrent  leur  exemple. 


TROISIEME  PARTIE 


LES  SCANDINAVES  EN  FRANGE 

SUÉDOIS  ET  DANOIS  EN  FRANCE 


22 


CHAPITRE  PREMIER 

Les    Suédois    en    Frange 


I.  Les  étudiants  suédois  à  Paris  et  Orléans  aux  xive  et  xv*  siècles.  —  II.  Quelques 
Suédois  à  Paris  au  temps  de  François  Ier.  —  III.  Jonas  Hambrseus  et  la  chapelle 
de  l'ambassade  de  Suède  au  xvne  siècle  ;  nombreux  voyageurs  et  étudiants.  — 

IV.  Colbert  attire  des  Suédois  ;  artisans  et  ingénieurs  suédois  à  Versailles.  — 

V.  Le  banquier  Hogguer  ;  quelques  négociants  suédois  naturalisés  au  xvme  siècle  ; 
savants  à  Paris.  —  VI.  Officiers  suédois  dans  l'armée  française  ;  le  Royal- Suédois. 
—  VII.  Artistes  suédois  à  Paris.  —  VIII.  Marie-Antoinette  et  les  Suédois  ; 
le  salon  de  madame  de  Boufflers  est  le  centre  de  la  colonie  suédoise  à  Paris. 


Convertis  au  christianisme  par  Ansgaire,  moine  de  Picardie 
du  ixe  siècle,  les  Suédois  reçurent  de  France  les  principes  de  la 
civilisation.  Des  moines  de  Cîteaux  fondèrent  les  premiers 
monastères  d'Alvastra  et  de  Nydala  ;  des  Prémontrés  érigèrent 
au  xne  siècle  le  couvent  de  Wâ.  Après  l'introduction  du  catho- 
licisme et  des  ordres  monastiques  en  Suède,  se  nouèrent  des 
relations  entre  elle  et  la  France.  Au  contact  des  chevaliers, 
les  croisés  Scandinaves  adoucirent  leurs  mœurs  et  la  chevalerie 
s'implanta  chez  eux  et  se  développa.  Les  Suédois  abandonnèrent 
leurs  mœurs  purement  Scandinaves  et  adoptèrent  celles  de 
France  et  d'Italie.  Leur  poésie  fut  influencée  par  les  poèmes  de 
Chrestien  de  Troyes  et  les  romans  français.  Au  xme  siècle, 
aidé  de  dix  compagnons,  maître  Etienne  de  Bonncuil,  archi- 
tecte de  la  Compagnie  de  Notre-Dame  de  Paris,  édifia  l'église 
archiépiscopale  d'Upsal. 

Tandis  que  des  Français  gagnent  l'Europe  du  Nord  quelques 
voyageurs  suédois  viennent  en  France  et  y  résident.  Stephan 


340  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

d'Alvastra,  premier  archevêque  d'Upsal,  est  consacré  à  Sens 
en  1164  x.  Le  duc  Erik,  fils  du  roi  Birger,  vient  au  concile  de 
Vienne  en  1312  ;  l'archevêque  d'Upsal,  Heming,  est  à  Paris 
en  1320.  Sainte  Brigitte,  dame  d'honneur  de  la  reine  Blanche, 
persuadée  qu'elle  est  [appelée  à  apaiser  les  querelles  entre  Phi- 
lippe de  Valois  et  Edouard  III,  prie  le  Pape  d'intervenir, 
adresse  au  roi  de  France  un  ambassadeur  pour  lui  conseiller 
de  signer  la  paix[^)ûîs  Ment  elle-même  au  concile  de  Vienne. 
Elle  exhorte  le  Pape  à  rentrer  à  Rome  et  continue  son  pieux 
voyage  jusqu'aux  Saintes-Mariés.  L'archevêque  Nicolaus  Rag- 
valdi,  élu  médiateur  entre  Charles  VII  et  le  duc  de  Bourgogne, 
assiste  au  congrès  d'Arras,  en  1435  2. 

Ces  voyageurs  repartent  sans  doute  pleins  d'admiration 
pour  le  royaume  de  France  mais,  à  raison  de  la  brièveté  de 
leur  séjour  ils  sont  moins  imprégnés  de  notre  culture 
que  les  étudiants  qui  y  demeurent  plusieurs  années.  Dès 
1280,  des  Suédois  sont  inscrits  à  l'Université  de  Paris  ; 
ils  y  viennent  si  nombreux  qu'un  de  leurs  archevêques  rédige, 
en  1291,  des  statuts  pro  Scholaribus  parisiensibus.  Ces  jeunes 
hommes  disposent  à  Paris  de  trois  collèges  :  celui  d'Upsal, 
situé  rue  Serpente,  le  collège  de  Se  ara  et  celui  de  Linkôping, 
situé  dans  la  rue  du  Mont-Saint-Hilaire.  Très  fréquentés  jus- 
qu'à la  fin  du  xive  siècle,  ces  collèges  se  vidèrent  alors  d'étu- 
diants suédois.  La  nation  allemande,  à  laquelle  ils  étaient 
agrégés,  louait  à  son  profit  les  immeubles  jadis  donnés  aux  Sué- 
dois ;  elle  y  concédait  de  temps  à  autre  un  logement  à  des  étu- 
diants Scandinaves. 

Des  Suédois  ayant  étudié  à  Paris,  l'histoire  a  retenu  quelques 
noms  :  André,  Conrad  et  Lorenz  de  Suède,  Mathias  Lorensen, 
chanoine  d'Upsal,  Jean  Nicolas,  natif  de  la  même  ville  et  qui 
fut  procurateur  de  la  nation  allemande  en  1357,  Brynolf  de 
Scara,  évêque  et  remarquable  constructeur  de  ponts.  De  ces 
étudiants,  quelques-uns  enseignèrent  à  Paris  la  philosophie  et 

1.  N.  Soderblom,  La  consécration  de  Stephanus  Jer,  archevêque  d'Upsal,  dans  la 
cathédrale  de  Sens  en  1164,  dans  Bulletin  de  la  Société  archéologique  de  Sens,  t.  XXIX, 
p.  127. 

2.  A.  Strindberg,  Les  Relations  de  la  France  avec  la  Suède  jusqu'à  nos  jours. 
Esquisses  historiques.  Paris,  1891,  chapitre  i. 


ÉTUDIANTS    SUÉDOIS    AU   M&m3>È   AGE  $41 

les  arts  libéraux.  Lorenz  et  André  deèSt&fc-btaM^érent  une 
chaire  au  milieu  du  xive  siècle  K  ^  oàvB'ig  ïmtè  bup  À 

L'Université  d'Orléans  abrita  égalemM^iine  colonie  d'étu- 
diants suédois.  Si  l'on  connaît  nomi natr^&ntë lit ^rèVpiëuJ ^l'entre 
eux,  des  documents  variés  prouvent  àV&clqiMUï  assiduité  ils 
venaient  étudier  le  droit  dans  cette  célèbre  ée^fe)^  noitoubs'iJ 

Paitant  pour  la  Terre-Sainte,  Henri  de  Lihko$irig "fît  son  testa- 
ment à  Maiseille  en  1283.  Il  légua  diverses  sommes  à  quelques- 
uns  de  ses  compatriotes  fixés  à  Orléans.  Sous  la  date  de  1307, 
un  chanoine  d'Upsal,  le  Frère  Jean,  prend  ses  dispositions 
à  cause  de  mort  et  choisit  son  tombeau  dans  le  couvent  des 
Dominicains  d'Orléans.  A  en  juger  par  son  testament,  la  colonie 
suédoise  y  est  alors  importante  car  parmi  ses  exécuteurs  testa- 
mentaires figurent  son  frère  Nicolas,  chanoine  de  Straengnaes 
et  Bsrn,  chanoine  d'Upsal.  Au  nombre  des  témoins  sont  men- 
tionnés Nicolas  Magnus  et  son  frère  Ingivaldus  ainsi  que  Johannes 
Duus,  Alfinus,  chanoine  de  Hamar,  en  Norwège,  puis  Jean 
Ulfstorp. 

Si  l'on  en  croit  une  légende,  saint  Nicolas  Heimann,  précep- 
teur des  enfants  de  sainte  Brigitte  aurait  séjourné  à  Orléans 
de  1350  à  1355  et  y  aurait  été  reçu  docteur  en  droit.  Eric  Tobiae, 
Suédois,  fut  procurateur  de  la  nation  germanique,  antérieure- 
ment à  l'année  1384. 

Si  les  archives  de  l'université  d'Orléans  ne  révèlent  que  peu 
de  noms  d'étudiants  suédois  durant  les  siècles  du  moyen-âge, 
il  est  cependant  indubitable  qu'ils  y  constituaient  un  groupe 
compact.  Au  début  du  xixe  siècle,  un  archéologue  français 
découvrit  dans  un  ancien  cimetière  de  la  ville  une  épitaphe 
écrite  en  caractères  runiques  et  datant  du  xive  siècle.  A  diverses 
reprises,  on  a  étudié  ce  texte  mentionnant  que  Jean  le  Chré- 
tienne, originaire  de  Sudermanie,  bourgeois  d'Orléans,  a  donné 
à  l'abbaye  de  Bonneval  une  maison  sise  rue  Sainte-Catherine, 
de  i'aigent  au  cimetière  et  est  mort  en  1384.  Ses  frères  de  Suder- 


1.  A.  Geffroy,  Les  étudiants  suédois  à  Paris  au  XIV9  siècle,  dans  Revue  des 
Sociétés  savantes,  année  1858,  p.  659.  La  liste  de  ces  étudiants  concerne  surtout 
des  Danois.  —  A.  Budinszkv,  Die  Universitat  Paris  und  die  Fremden...,  p.  62 
et  s. 


342  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

manie,  étudiants  à  Orléans,  lui  avaient  élevé  un  monument  sur 
lequel  était  gravée  cette  inscription  K 

Les  Suédois  constituaient  certainement  à  Orléans  un  groupe  ; 
en  formaient-ils  un  autre  dans  la  célèbre  université  de  Mont- 
pellier. On  serait  porté  à  le  croire  d'après  un  passage  d'une 
traduction  suédoise  de  la  vieille  ballade  du  Chevalier  au  lion. 
Ce  poème  nous  fait  assister  au  combat  d'un  chevalier  et  de  deux 
monstres,  engeance  du  diable  ;  le  chevalier  est  prêt  à  succomber 
quand  son  lion  fidèle  lui  vient  en  aide  en  donnant  aux  monstres 
des  coups  tellement  forts  que  les  blessures  ne  pourraient  jamais 
être  guéries,  pas  même  par  les  docteurs  de  Montpellier.  Or,  fait 
intéressant,  les  docteurs  de  Montpellier  ne  sont  mentionnés 
que  dans  le  texte  suédois,  ce  qui  laisserait  supposer  que  dès 
l'année  1303,  date  de  la  traduction  de  la  ballade,  des  Suédois, 
anciens  élèves  des  écoles  de  Montpellier,  avaient  répandu  dans 
les  contrées  du  Nord  la  réputation  de  l'Université  languedo- 
cienne a. 

Les  désastres  de  la  France  pendant  la  guerre  de  Cent  Ans, 
les  troubles  qui  résultèrent  de  l'occupation  du  royaume  par  les 
Anglais,  la  fondation  de  l'Université  d'Upsal  retinrent  chez  eux 
les  Suédois  pendant  le  règne  de  Charles  VI.  Au  xve  siècle  les 
discordes  intestines  et  les  dissensions  qui  agitèrent  les  pays 
Scandinaves  ne  favorisèrent  pas  le  développement  des  études 
et  les  jeunes  hommes  originaires  de  la  Suède  ne  vinrent  pas 
étudier  dans  nos  universités. 

Les  trois  royaumes,  Danemark,  Norwège  et  Suède  avaient 
été  jéunis  sous  un  même  sceptre  par  la  reine  Marguerite.  Le 
21  juillet  1397  était  signé  à  Calmar  un  acte  d'union  entre  les 
pays  Scandinaves.  Cette  Union  de  Calmar  fut  cause  de  mille 
maux  pour  la  Suède  ;  elle  fut  gouvernée  par  des  intendants 
étrangers  qui  la  pressurèrent  au  nom  de  rois,  parfois  indignes. 
Le  dernier  qui  régna  sur  l'Union   fut  Christian  II,  souverain 

1.  Docteur  Erik  Brate,  Une  épitaphe  en  caractères  runiques  à  Orléans,  dans 
Mémoires  de  la  Société  archéologique  et  historique  de  l'Orléanais,  t.  XXXI,  année 
1917.  Ce  mémoire  est  suivi  de  Notes  historiques  de  M.  le  processeur  Schuck  sur  les 
étudiants  suédois  à  Orléans. 

2.  Comte  F.-L.  Wrangel,  Voyage  en  France  d'Oxenstiern.  Paris,  1917,  p.  11. 


PREMIÈRES     RELATIONS  POLITIQUES    FRANCO-SUÉDOISES        343 

impopulaire  que  le  Danemark  déposa  et  à  la  servitude  duquel 
Gustave  Vasa  arracha  la  Suède.  Le  7  juin  1523,  la  diète  de 
Strengnâs  élisait  roi  Gustave  Vasa  ;  l'Union  de  Calmar  était 
rompue  après  une  existence  de  126  ans  ;  la  Suède  était  libérée 
et  ses  relations  avec  la  France,  très  longtemps  interrompues, 
allaient  être  renouées.  Pendant  plus  d'un  siècle  la  Suède,  de 
son  plein  gré,  fut  comme  le  bras  droit  de  la  France.  Contre 
les  envahissements  de  Charles-Quint,  Gustave  Vasa  fut  l'allié 
fidèle  de  François  Ier  ;  contre  Ferdinand  II,  Gustave-Adolphe 
devint  le  glorieux  instrument  de  Richelieu. 


II 


Gustave  Vasa  avait  introduit  la  Réforme  en  Suède.  Fidèle 
à  la  politique  d'union  avec  les  princes  luthériens  qu'il  avait 
inaugurée,  François  Ier  accueillit  les  propositions  d'alliance 
entre  la  France  et  la  Suède.  En  1541,  Gustave  adressait  au  roi 
François  Ier  Franz  Trebow  son  secrétaire  pour  lui  demander  de 
conclure  avec  lui  un  traité  de  commerce  et  d'union.  Trebow  fut 
reçu  à  Fontainebleau  ;  à  la  suite  de  l'audience  royale,  Chris- 
tophe Richers  fut  désigné  pour  «  s'informer  sur  la  Suède  », 
pays  qui  était  alors  presque  totalement  inconnu  des  Français. 
A  la  suite  des  renseignements  recueillis,  Trebow  fut  de  nouveau 
reçu  au  Blanc  ;  une  ambassade  fut  envoyée  à  Gustave  III  et 
le  1er  juillet  1542,  était  signé  le  traité  de  Ragny  réglant  les  rap- 
ports d'amitié  des  deux  royaumes. 

Le  traité  de  Ragny  est  le  premier  de  la  série  des  conventions 
destinées  à  nsserrer  les  relations  franco-suédoises.  A  dater  de 
l'année  1512,  exception  faite  de  courts  intervalles,  elles  furent 
empreintes  de  cordialité  et  la  Suède,  dans  la  lutte  contre  la 
maison  d'Autriche,  demeura  notre  fidèle  alliée.  Valois  et  Bour- 
bons, par  des  subsides  importants  surent  s'attacher  1rs  souve- 
rains du  Nord;  ils  constituèrent  en  Suède  un  parti  français 
m  rémunérant  les  bonnes  volontés  des  sénateurs  et  à  diverses 


344  "  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

reprises,  par  l'intermédiaire  de  leurs  habiles  diplomates,  ils 
réussirent  à  aplanir  des  difficultés  entre  Suédois  et  Allemands, 
Russes,  Polonais  ou  Danois. 

Plusieurs  fois,  au  cours  du  xvie  siècle,  furent  renouvelées 
les  stipulations  du  traité  de  Ragny  ;  d'autres  circonstances 
permirent  à  la  Suède  et  à  la  France  de  se  rapprocher  d'une  ma- 
nière plus  intime. 

Ne  voulant  qu'esquisser  de  très  brève  manière  les  rapports 
franco-suédois  au  xvie  siècle,  je  m'éloignerais  de  mon  dessein 
si  j'entreprenais  de  narrer  les  dissensions  que  provoqua  en  Suède 
la  manière  dont  Gustave  Vasa  avait  réglé  sa  succession.  Je  dois 
cependant  rappeler  que  ce  libérateur  étant  mort  en  1560, 
son  fils  Erik  XIV  lui  succéda.  Il  se  conduisit  de  manière  indigne 
et  ses  frères  le  détrônèrent  en  1568  puis  l'emprisonnèrent. 
Notre  ambassadeur  Danzay,  désireux  de  profiter  des  discordes 
intérieures,  posa  la  candidature  du  duc  d'Anjou  au  trône  de 
Suède  mais,  un  second  fils  de  Gustave  Vasa,  Jean,  duc  de  Fin- 
lande, fut  élu  par  la  Diète  et  le  futur  Henri  III,  à  l'établissement 
duquel  songeait  Catherine  de  Médicis,  devint  roi  de  Pologne. 
Danzay  ne  se  découragea  point  et  pensa  un  moment  réunir  sur 
la  tête  du  duc  d'Anjou  les  couronnes  de  Suède  et  de  Pologne 
en  travaillant  à  son  union  avec  Elisabeth,  fille  de  Gustave 
Vasa.  Danzay,  par  son  habileté,  avait  su  porter  haut  le  nom  de 
son  maître.  On  s'en  aperçut  en  1583.  Erik  XIV  avait  été  très 
probablement  empoisonné  dans  sa  prison,  à  l'instigation  de  son 
frère  Jean.  Gustave,  fils  du  roi  déchu,  s'enfuit  de  Suède,  erra 
misérablement  en  Europe,  exerçant  même  les  plus  vils  métiers  * 
il  comptait  cependant  des  partisans  qui  voyaient  en  lui  l'héri- 
tier légitime  de  Vasa.  Exilés,  ces  derniers  se  réfugièrent  auprès 
de  Henri  III  et  réclamèrent  de  lui  aide  et  protection  ;  ils  souhai- 
taient son  appui  pour  rétablir  sur  le  trône  le  petit-fils  infortuné 
de  Vasa.  Les  soucis  de  Henri  III  lui  laissèrent  peu  de  loisir 
pour  s'occuper  des  affaires  de  Suède  mais  son  successeur  reprit 
avec  les  souverains  du  Nord  les  relations  momentanément 
suspendues.  A  ses  côtés  combattirent  quelques  Suédois  luthé- 
riens ;  à  te  Suède,  Henri  IV  acheta  boulets  et  munitions  et  sous 
son  règne  on  tenta  de  réaliser  de  manière  tout  intime  le  rappro- 


LE   PASTEUR   JONAS    HAMBRAEUS  345 

chement  des  deux  couronnes.  Des  pourparlers  furent  engagés 
avec  le  roi  de  Suède,  Charles  IX,  pour  allier  la  maison  de  Rohan 
avec  Catherine  fille  du  souverain  Scandinave.  Charles  IX  ne  se 
prêta  pas  aux  combinaisons  dé  Henri  IV  mais,  nonobstant 
le  refus  qu'il  opposa  au  roi  de  France,  les  relations  des  deux 
pays  ne  furent  pas  troublées.  A  diverses  reprises  des  ambas- 
sades suédoises  furent  dépêchés  en  France  ;  en  l'année  1610, 
quelques  semaines  avant  l'assassinat  de  Henri  IV,  arrivaient 
à  Paris  Abraham  Leijonhulvud,  Olof  Stràle  et  Jacob  Dyk. 
Ces  envoyés  avaient  mission  de  solliciter  l'admission  de  la  Suède 
dans  l'alliance  franco-anglaise  et  de  remercier  le  roi  Henri  IV 
de  la  permission  qu'il  lui  avait  donné  de  lever  des  troupes  dans 
son  royaume.  La  mort  du  roi  interrompit  ces  pourparlers. 

Avec  Gustave-Adolphe  s'ouvre  la  période  la  plus  brillante  de 
l'alliance  de  la  Suède  avec  la  France.  Tout  a  été  dit  depuis  Voi- 
ture sur  la  manière  dont  «  Richelieu  fut  chercher  jusque  sous  le 
pôle  ce  héros  qui  semblait  être  destiné  à  mettre  le  fer  à  ce  grand 
arbre  de  la  maison  d'Autriche  et  à  l'abattre  ».  Les  rapports  de 
la  France  avec  la  Suède  depuis  le  traité  de  Berwalde  jusqu'à 
celui  de  Westphalie  sont  trop  connus  pour  qu'on  les  relate 
une  fois  encore.  L'étroite  union  des  deux  pays  eut  une  influence 
directe  sur  l'immigration  suédoise  en  France.  Dès  la  fin  du  règne 
de  Henri  IV,  quelques  sujets  de  Charles  IX  avaient  réappris 
le  chemin  de  notre  pays  ;  à  dater  de  l'alliance  de  Richelieu  et 
de  Gustave-Adolphe  une  foule  de  Scandinaves  se  dirigent 
vers  Paris.  Au  xvne  siècle,  ils  se  groupent  autour  de  Jonas 
Hambraeus  comme  ceux  de  la  fin  du  xvme  siècle  se  grouperont 
autour  de  Madame  de  Boufïlers. 


III 


Jonas  Hambraeus  naquit  en  1588  a  Hambre,  modeste  village 
de  la  province  de  Helsingland,  sur  le  golfe  de  Bothnie.  Protégé 
par  des  pasteurs  de  son  pays,  il  fut  envoyé  à  l'université  d'Up- 


346  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

sal  ;  ordonné  pasteur  en  1614  il  soutenait,  deux  ans  après, 
une  thèse  de  doctorat  sur  un  sujet  de  philologie  hébraïque. 
Nommé  professeur  à  Greiswald,  il  était,  après  un  passage  de 
quelques  années  à  Rostock,  promu  au  grade  de  maître  d'hébreu 
à  Upsal.  En  1626,  il  cumulait  cette  charge  avec  celle  de  prédi- 
cateur de  la  cour  de  Gustave-Adolphe.  Ces  fonctions  ne  le 
retinrent  pas  en  Suède.  Ayant  cette  année  même,  trouvé  une 
occasion  de  voyager  au  loin,  il  la  saisit  et  partit  avec  son  élève 
Eric  Broderson  Rhàlamb  pour  accomplir  un  tour  d'Europe. 
Tous  deux  arrivèrent  à  Paris  avec  l'intention  d'y  séjourner 
trois  mois  avant  de  se  rendre  en  Italie  mais  les  circonstances 
furent  telles  que  Jonas  Hambraeus  demeura  en  France  pendant 
quarante-six  ans  h 

A  peine  arrivé,  Hambraeus,  que  ses  travaux  antérieurs  sur 
les  langues  sémitiques  avaient  rendu  célèbre,  fut  nommé  par 
Louis  XIII  professeur  extraordinaire  du  roi  es  langues  hébraïque, 
syriaque  et  arabique  en  V  Université  de  Paris.  Il  justifia  la  faveur 
royale  en  publiant  une  traduction  latine  des  Epistres  de  saint 
Jean  en  arabe  et  la  Passion  de  Notre-Seigneur  selon  les  quatre 
Evangélistes  en  syriaque.  Il  est  également  très  probable  qu'il 
collabora  à  la  publication  de  la  Bible  polyglotte  entreprise  sous 
les  auspices  de  Michel  le  Jay,  avocat  au  Parlement  de  Paris. 

Comme  philologue,  Jonas  Hambraeus  serait  sans  doute 
digne  de  n'être  pas  oublié  mais  comme  pasteur,  son  souvenir 
est  digne  d'être  conservé  car  il  a  tenu  un  rôle  de  premier  plan 
en  France.  On  était  alors  au  début  de  la  guerre  de  Trente  Ans, 
c'est-à-dire  à  l'heure  où  Louis  XIII  et  Gustave-Adolphe  allaient 
s'unir.  Les  luthériens  allemands  et  suédois,  civils  ou  militaires, 
étaient  nombreux  à  Paris.  Or,  ils  ne  pouvaient  aisément  assister 
à  leurs  offices  car  il  leur  fallait  se  rendre  au  temple  de  Charenton 
qui,  après  avoir  été  brûlé  au  cours  d'une  émeute,  avait  été 
réédifié  en  1623.  Dès  le  1er  décembre  1626,  quelques  semaines 
seulement    après   son    arrivée   à    Paris,    Hambraeus    adressait 


1.  J.  Pannier,  Jonas  Hambrœus,  prédicateur  du  roi  de  Suède,  professeur  à  l'Uni- 
versité  de  Paris  (1588-1672).  Paris,  1913.  Avant  la  publication  de  cette  étude, 
J.  Hambrœus  avait  été  presque  totalement  oublié  comme  philologue  et  comme 
fondateur  de  l'Église  luthérienne  de  Paris. 


JONAS    HAMBRAEUS    ET    LES    SUÉDOIS  347 

à  tous  ses  coreligionnaires,  au  vu  et  su  de  Richelieu,  une  note 
leur  indiquant  qu'il  se  tenait  à  leur  disposition  pour  la  célé- 
bration du  culte  luthérien.  Pendant  trois  ans,  les  cérémonies 
eurent  lieu  chez  divers  ambassadeurs  ou  dans  la  maison  du 
pasteur  suédois  puis,  le  13  février  1630,  Hambraeus  recevait 
de  Louis  XIII  l'autorisation  officielle  de  réunir  les  luthériens 
de  Paris  désireux  d'assister  à  ses  prédications.  Le  lieu  des  pre- 
mières assemblées  est  demeuré  inconnu  mais  il  est  à  croire 
qu'elles  se  tenaient  à  la  chapelle  de  l'ambassade  de  Suède  ; 
elles  réunissaient  Allemands,  Suédois,  Danois  et  quelques 
Anglais.  Les  paroissiens  d'Hambraeus  étaient  nombreux  si 
l'on  en  juge  par  les  signatures  apposées  sur  un  registre  conservé 
<lans  les  archives  du  Consistoire  luthérien  de  Paris.  Monté  par 
les  soins  de  Jonas  Hambraeus,  ce  document  était  analogue 
aux  livres  d'or  présentés  aux  personnages  notables  visitant 
une  institution  ;  sans  doute,  aussi,  servait-il  à  commémorer 
le  souvenir  de  don  »  faits  à  la  chapelle  luthérienne  par  les  parois- 
siens du  savant  pasteur.  Ce  registre  s'ouvre  à  l'année  1626  et  se 
clôt  à  l'époque  de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes.  Au  cours 
de  cette  période  de  soixante  ans,  3.580  visiteurs  étrangers 
apposèrent  leur  paraphe,  leur  sceau  ou  leurs  armoiries  sur  le 
vénérable  parchemin. 

S'il  est  curieux  de  voir  le  roi  de  France  autoriser  les  luthériens 
à  célébrer  publiquement  leur  culte  à  Paris,  il  est  plus  piquant 
encore  de  constater  qu'il  subventionna  Hambraeus  pour  servir 
d'aumônier  militaire  protestant  auprès  des  «  corps  de  cavalerie 
et  infanterie  étrangères  ».  Un  ouvrage  d'Hambraeus,  publié 
en  1655,  sous  le  titre  de  Y Eschauguette,  nous  apprend  qu'il 
était  «  prédicateur  de  l'armée  allemande  au  service  de  S.  M. 
très  chrétienne  ». 

La  faveur  dont  Hambraeus  avait  joui  sous  le  règne  de 
Louis  XIII  lui  fut  maintenue  sous  Louis  XIV.  Ses  privilèges 
personnels  lui  lurent  confirmés.  Jusqu'en  1658,  le  savant  orien- 
taliste mena  à  Paris  une  paisible  existence  partagée  entre 
lV\ercice  de  son  ministère  et  les  études.  Il  correspondait  avec 
les  grands  de  son  pays  et  notamment  avec  Wrangel,  le  ministre 
de  Christine  de  Suède.  C'est  par  son  intermédiaire  que  Duquesne, 


348  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

dont  le  père  avait  servi  sur  les  flottes  suédoises  et  qui  lui-même 
avait  pris  du  service  dans  la  marine  de  Christine,  recevait  les 
lettres  qui  lui  parvenaient  de  Suède  l.  A  Paris,  la  chapelle 
d'Hambraeus  était  le  centre  de  la  colonie  suédoise  ;  il  recevait 
avec  courtoisie  ceux  qui  séjournaient  dans  la  capitale  et  parfois 
même  leur  prêtait  de  l'argent.  S'étant,  un  jour,  imprudemment 
porté  caution  de  quelques  gentilshommes  suédois  qui  ne  payèrent 
pas  leurs  dettes,  Hambraeus  fut  condamné  par  un  arrêt  du 
Parlement  de  Paris.  Il  échappa  a  la  prison  mais  sa  riche  biblio- 
thèque fut  vendue  à  vil  prix  et  dispersée.  Nonobstant  ces  adver- 
sités, Hambraeus  continua  ses  travaux  d'érudition  et  en  1672, 
quelques  mois  avant  sa  mort,  il  publiait  des  traductions  d'œuvres 
arabes  et  syriaques.  Dans  Y  Avertissement  aux  Epitres  de  saint 
Jean  en  arabe,  dont  il  donnait  une  édition  nouvelle,  Hambraeus 
remerciait  Louis  XIV  de  la  protection  qu'il  lui  avait  accordée. 
Il  a,  écrit-il,  jugé  utile  de  revoir  un  travail  qui  «  n'a  jamais 
esté  plus  de  saison  qu'à  présent  que  tant  de  personnes,  principa- 
lement ecclésiastiques  estudient  ces  langues  et  que  le  nom  fran- 
çois  s'est  rendu  si  célèbre  dans  tout  l'Orient  où  nostre  incompa- 
rable monarque  dont  la  piété  aussi  grande  que  cette  valeur 
avec  laquelle  il  n'a  qu'à  venir  et  à  voir  pour  vaincre,  entretient 
tant  de  prédicateurs  apostoliques  pour  y  restabhr  la  foi  et  la 
religion  chrétienne.  » 

Si  l'on  veut  avoir  une  idée  de  l'affluence  des  Suédois  voya- 
geant en  France  sous  les  règnes  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV, 
il  n'est  que  de  parcourir  le  registre  tenu  par  le  pasteur  Ham- 
braeus. L'une  des  premières  signatures  que  l'on  y  relève  est 
celle  de  son  élève  Eric  Brodersson  ;  arrivé  à  Paris,  ce  jeune 
homme  y  mourut  en  1635.  L'ambassadeur  de  Suède,  le  célèbre 
Grotius,  l'avait  reçu  dans  sa  propre  maison  et  c'est  lui  qui 
infoima  Axel  Oxenstiern,  oncle  de  Brodersson  de  la  maladie 
et  du  décès  du  disciple  d'Hambraeus  2. 

En  1638,  Charles-Gustave,  qui  devint  roi  de  Suède  sous  le 


1.  Jal,  Abraham  Duquesne,  t.  I,  p.  146.  —  A.  Geffroy,  Notices  et  Extraits  des 
manuscrits  concernant  l'histoire  ou  la  littérature  de  la  France  qui  sont  conservés  dans 
les  bibliothèques  ou  archives  de  Suède.  Paris,  1856,  p.  382. 

2.  H.  Grotii  epistolœ.  Amsterdam,  1687,  p.  144  et  147. 


AXEL    OXENSTIERN    EN    FRANCE  349 

nom  de  Charles  X,  réside  six  mois  à  Pans,  il  y  revient  encore 
en  1639  ;  son  frère  cadet,  Adolphe- Je  an,  passe  également 
quelque  temps  dans  la  capitale.  Il  n'est  feuillet  du  registre 
d'Hambraeus  qui  ne  mentionne  le  nom  de  quelques  Suédois 
notoires  :  Eric,  Benedictus,  Gustave  Oxenstiern,  neveux  du 
chancelier  Axel,  Andréas  Torstenson,  des  membres  de  l'illustre 
famille  Brahé.  En  1657,  le  baron  de  Sparre  est  à  Paris,  il  s'y 
prend  de  querelle  avec  un  Hollandais  et  le  tue  en  combat  sin- 
gulier l.  En  1666,  Gabriel  Oxenstiern,  Per  Olafïson' d'Upsal 
visitent  Paris.  Lors  de  son  séjour  à  Paris,  Leibnitz  S2  lie  avec  un 
Suédois,  Anke  Roland,  gentilhomme  d'un  caractère  incorrup- 
tible qui  s'occupait  dans  sa  patrie  de  la  police  et  des  finances 
et  dont  le  philosophe  eut  «  le  bonheur  d'admirer  le  génie  élevé  » 
et  «  la  curiosité  presque  universelle,  surtout  en  mathématiques 
et  en  histoire  »  2. 

Des  Suédois  célèbres  qui  apposèrent  leur  signature  sur  le 
registre  d'Hambraeus,  il  en  est  un  qu'on  ne  saurait  passer  sous 
silence  ;  Axel  Oxenstiern,  régent  de  Suède,  entreprit  en  1635 
un  voyage  politique  dont  les  détails  sont  désormais  connus 
au  jour  le  jour,  le  livre  de  dépenses  du  chancelier  ayant  été 
retrouvé  dans  les  archives  du  château  de  Tidô  par  le  comte 
Wrangel  qui  l'a  publié  3. 

On  se  rappelle  à  quelle  occasion  fut  effectué  le  voyage  du  chan- 
celier suédois.  Gustave-Adolphe  avait  été  tué  à  Lutzen  et 
Oxenstiern  élu  directeur  général  des  intérêts  politiques  et 
militaires  de  la  ligue  protestante  contre  l'Empereur  et  les 
États  catholiques  d'Allemagne.  La  mort  de  Gustave-Adolphe 
n'avait  pas  modifié  la  situation  prépondérante  de  la  Suède 
en  Allemagne  quand  survint  la  funeste  bataille  de  Nordlingen, 
le  27  août  1634.  Cette  défaite  porta  un  coup  terrible  aux  confé- 
dérés protestants.  Oxenstiern  se  rendit  compte  de  leur  décou- 
ragement et  résolut  de  solliciter  de  la  France  une  intervention 
armée.  Jusqu'alors  Richelieu  n'avait  soutenu  les  protestants 


1.  P.  Faugère  et  E.  MarilHcr,  Voyage  de  deux  Jeunes  Hollandais,  p.  116. 

2.  L.  Davillé,  Le  séjour  de  Leibnitz  à  Paris,  dans  Revue  des  Etudes  historiques, 
janvier  1912,  p.  17. 

3.  Comte  U.-F.  Wrangel,  Voyage  en  France  d Oxenstiern,  passim. 


350  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

qu'à  l'aide  de  subsides.  Pour  réaliser  ses  projets  Oxenstiern 
envoya  comme  ambassadeur  à  Paris  Hugo  Grotius,  mais  il 
n'était  point  personne  agréable  au  Cardinal.  Les  pourparlers 
traînant  en  longueur,  Oxenstiern  se  décida  à  venir  conférer 
avec  lui.  De  Worms  où  il  résidait,  le  chancelier  partit  le 
1er  avril  1635.  Il  était  accompagné  d'un  interprète,  d'un 
caissier,  de  commis  de  chancellerie,  de  médecins,  pharmaciens, 
vétérinaires,  écuyers  ;  sa  suite  comprenait  plus  de  deux  cents 
personnes. 

Oxenstiern  séjourna  au  palais  de  Compiègne.  Il  fut  reçu 
par  Louis  XIII,  Anne  d'Autriche  et  Richelieu.  Au  cours  des 
conférences  tenues  avec  le  Cardinal  et  les  autres  grands  per- 
sonnages fut  probablement  décidée  l'intervention  armée  de  la 
France  contre  l'Empereur.  Le  30  avril,  Oxenstiern  quittait 
Compiègne  mais  au  lieu  de  se  rendre  directement  à  Dieppe 
afin  de  s'embarquer,  il  revint  sur  ses  pas  et  s'achemina  vers 
Paris  qu'il  ne  connaissait  point;  il  y  voulait  voir  ses  neveux 
et  les  ramener  en  Suède  avec  lui.  Bien  qu'il  ne  fût  jamais  venu 
en  France,  son  nom  y  était  si  connu  qu'en  1633,  son  fils  aîné, 
élève  de  l'Académie,  écrivait  à  son  père  :  «  Votre  nom  est  grand 
ici  et  il  est  presque  claironné  partout.  »  Aussi,  le  chancelier 
de  Suède  fut-il  reçu  avec  enthousiasme  ainsi  que  la  suite  qui 
l'accompagnait.  L'élan  du  peuple  n'eut  pas  à  se  soutenir  lon- 
guement car  Oxenstiern  ne  demeura  que  trois  jours  à  Paris  ; 
le  5  mai,  il  regagnait  Dieppe  en  passant  par  Rouen.  Il  descendit 
chez  un  Hollandais,  Hoeufït,  parent  du  banquier  Jean  Hoeufft, 
chargé  par  le  gouvernement  suédois  d'encaisser  les  subsides 
que  la  France  versait  à  la  Suède. 

Un  nom  manque  sur  le  registre  d'Hambraeus,  celui  de  la 
reine  Christine.  Tandis  que  le  pasteur  exerçait  son  ministère 
à  Paris  de  graves  événements  s'étaient  déroulés  en  Suède. 
Après  vingt-deux  ans  de  règne,  la  fille  de  Gustave-Adolphe 
avait  abdiqué  puis  était  sortie  de  son  royaume  pour  commencer 
une  vie  d'aventures  et  de  voyages.  En  1656  elle  abjurait  la  reli- 
gion luthérienne,  se  rendait  à  Rome,  puis  quittant  la  ville 
pontificale,  elle  venait  à  Paris  pour  la  première  fois.  Partie  de 
Civita-Vecchia,  elle  débarquait  à  Marseille  et  arrivait  le  4  sep- 


CHRISTINE    DE    SUÈDE    EN    FRANCE  351 

tembre  à  Fontainebleau  après  avoir  traversé  Aix,  Avignon, 
Lyon  et  Dijon.  Partout,  la  reine  reçut  un  accueil  chaleureux  ; 
harangues  en  prose  et  en  vers,  discours,  panégyriques,  en  fran- 
çais, en  latin,  célébrèrent  à  Fènvi  la  grandeur  de  son  règne 
et  la  protection  qu'elle  avait  marquée  aux  lettres,  aux  arts 
et  aux  sciences. 

Par  deux  publications,  parues  en  1655,  Jonas  Hambraeus 
avait  contribué,  lui  aussi,  à  répandre  le  haut  renom  de  la  reine 
de  Suède.  La  première,  dédiée  à  Louis  XIV  a  pour  titre  l'Es- 
chauguette.  Malgré  son  appellation,  cette  traduction  d'un  ouvrage 
latin  n'est  point  une  œuvre  militaire  ;  c'est  une  notice  détaillée 
sur  la  géographie,  l'histoire  et  les  principales  familles  de  la 
Suède.  La  seconde  publication  d'Hambraeus  est  également 
la  traduction  d'un  ouvrage  de  Freinshemius,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  Strasbourg  ;  elle  est  intitulée  :  Harangue  panégyrique 
à  la  vertu  et  V honneur  de  la  sérénissime  princesse  et  dame,  Madame 
Christine,  reine  de  Suède. 

Bien  qu'Hambraeus  ait  ressenti  une  vive  douleur  en  appre- 
nant la  conversion  de  Christine,  il  vint  la  saluer  à  Fontaine- 
bleau ;  il  arriva  sans  doute  avec  elle  à  Paris,  le  8  septembre  1656. 
Tout  a  été  dit  sur  le  séjour  de  Christine  à  Paris  et  sur  la  manière 
dont  elle  fut  reçue.  Une  véritable  collection  de  souvenirs  impri- 
més relatent  ses  actes  et  Madame  de  Motte  ville  a  dans  ses 
Mémoires  conservé  de  savoureux  détails  sur  Christine  de  Suède. 
Après  avoir  passé  quelque  temps  à  Paris,  la  reine  se  rendit 
à  Compiègne.  «  De  là,  cette  amazone  suédoise  prit  des  canosses 
de  louage  que  le  roi  lui  fit  donner  et  de  l'argent  pour  pouvoir 
hs  payer.  Elle  s'en  alla,  suivie  de  sa  chétive  troupe,  sans  train, 
sans  grandeur,  sans  lit,  sans  vaisselle...  »  écrit  Madame  de 
Motteville  *. 

Au  vrai,  sa  suite  de  Suédois  était  peu  importante  ;  par  son 
abjuration  la  reine  avait  détourné  d'elle  ses  anciens  sujets. 
Christine  était  surtout  entourée  d'Italiens  et  de  Flamands  ; 
seuls  quelques  compatriotes  la  suivaient  à  Turin.  Malgré  l'en- 
thousiasme qu'on  lui  avait  manifesté,  Christine  s'était  montrée 

1.  F.  Gribble,  The  court  of  Christine  of  Sweden.  Londres,  1913.  —  A.  Franklin, 
Christine  de  Suède  et  l'assassinat  de  Monaldeschi.  Paris,  1912. 


352  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

peu  aimable,  elle  s'était  livrée  à  des  excentricités,  son  départ 
ne  laissa  que  peu  de  regrets.  Aussi,  l'année  suivante,  la  vit-on 
revenir  avec  déplaisir.  «  La  reine  de  Suède,  sans  être  souhaitée 
et  quasi  malgré  le  roi,  vint  faire  un  second  voyage  en  France 
qui  ne  lui  réussit  pas  aussi  bien  que  le  premier.  Elle  fut  con- 
trainte, par  l'ordre  qu'elle  en  reçut,  de  s'arrêter  à  Fontainebleau 
où  elle  s'ennuya  beaucoup...  »  dit  Madame  de  Motteville. 
Ce  fut  pendant  ce  second  séjour  que  Christine  fit  assassiner 
Monaldeschi.  Malgré  le  désir  qu'elle  manifesta  à  diverses  reprises 
de  revenir  à  Paris,  Mazarin  lui  fit  comprendre  que  sa  présence 
n'y  était  pas  possible  après  cet  assassinat  ;  la  reine-mère  se 
refusait  à  la  recevoir  et  contre  Christine,  au  cas  où  transgressant 
les  ordres  de  la  cour,  elle  serait  venue  dans  la  capitale,  on  avait 
préparé  un  pamphlet  très  violent  :  La  Métempsycose  de  la  reyne 
de  Suède  }.  Dans  ce  libelle  on  lui  prêtait  plusieurs  âmes  succes- 
sives, celle  de  Sémiramis  d'abord  puis  enfin,  celle  de  la  folle 
Mathurine  2.  Le  20  décembre  1657,  Christine  quittait  Fontaine- 
bleau pour  Bourges  afin  d'y  passer  les  fêtes  de  Noël.  Comme  suite 
«  elle  avait  dressé  un  leste  train  de  douze  gentilshommes,  seize 
pages,  vingt  valets  de  pied,  vingt-quatre  Suisses  »  3. 

Les  jeunes  Suédois  venant  en  France  n'entraient  pas  tous 
dans  les  Académies  pour  y  apprendre  seulement  l'art  de  l'équi- 
tation  et  du  bien  danser.  Au  xvne  siècle,  quelques-uns  étudient 
les  beaux-arts  :  Raimond  Faltz  le  médailleur,  avait  travaillé  à 
Paris  ;  d'autres  suivent  les  leçons  des  maîtres  des  facultés  de 
province  et  font  imprimer  leurs  livres  dans  la  capitale.  Boeder 
y  publie  en  1667  Ossa  post  Offami;  Figrelius  Leijonsterna,  doc- 
teur en  droit  de  l'Université  d'Orléans,  publie  dans  cette  ville 
une  étude  sur  Pompée  5.  A  la  célèbre  école  d'Orléans,  les  Sué- 
dois sont  nombreux  ;  sur  les  registres  d'immatriculation  des 
étudiants  on  note  fréquemment  leur  présence  au  xvne  siècle. 
Jean-Frédéric  de  Ow  est  procurateur  de  la  nation  allemande 


1.  Voyage  de  deux  jeunes  Hollandais,  p.  369. 

2.  J.  Mathorez,  Notes  sur  maître  Guillaume.  Extrait  de  la  Revue  des  Livres  anciens. 
Paris,  1913. 

3.  Voyage  de  deux  jeunes  Hollandais,  p.  377. 

4.  A.  Strindberg,  Les  Relations  de  la  France  avec  la  Suède,  p.  160. 

5.  Id.,  Ibid.,  p.  160. 


SUÉDOIS    EN    FRANCE    AU    XVIIe    SIÈCLE  353 

en  1626  \  Marc  Giôe  remplit  les  mêmes  fonctions  en  1655  2 
et  André  Helmersen  est  élu  au  même  poste  douze  ans  plus 
tard  3.  Freinshemius,  l'auteur  du  Panégyrique  de  Christine  de 
Suède  professe  à  Strasbourg.  Parfois  quelque  Suédois  se  fixe 
en  France,  tel  Urban  Hjàrne,  médecin  à  Angers  qui  publie 
dans  cette  ville  un  traité  sur  l'obstruction  des  vaisseaux  lacti- 
fères  4. 

Sur  tous  ces  jeunes  hommes,  Paris  exerce  une  fascinante 
attraction  ;  ils  admirent  la  France  sans  réserves  ;  un  arrière- 
petit-neveu  du  grand  chancelier  Oxenstiern  est  véritablement 
l'interprète  de  ses  compatriotes  lorsqu'il  écrit  dans  ses  Pensées 
sur  divers  sujets  :  «  Enfin,  me  voici  en  France,  la  plus  béai 
royaume  de  l'Europe  !  C'est  un  pays  où  les  Muses  résident, 
où  les  Sciences  habitent,  où  Mars  tient  son  école  et  la  religion 
catholique  est  dans  son  lustre.  La  civilité  est  comme  naturalisée, 
l'honnêteté  fleurit,  la  justice  agit  et  la  clémence  brille  dans  ce 
merveilleux  pays  où  la  nature  a  prodigué  ses  libéralités.  Heureux 
pays  !  la  patrie  des  étrangers  et  l'asile  des  grands  princes  malheu- 
reux !  Le  bon  \in  y  fait  chanter,  la  bonne  chère  y  est  accompa- 
gnée par  de  bons  mots  » 5. 


IV 


Lorsqu'on  étudie  l'histoire  de  la  pénétration  des  étrangers 
en  France,  il  faut  toujours  en  revenir  à  Colbert.  Ce  protecteur 
des  forains  industrieux  introduisit  dans  le  royaume  des  Suédois, 
^génieurs  ou  artisans. 

Au  xvne  siècle,  la  France  ne  possède  pas  de  manufactures  de 
brai  et  de  goudron,  produits  nécessaires  pour  la  construction 

1.  Arch.  dép.  du  Loiret,  D  218,  f°  284. 

2.  Ibid.,  D  221. 

3.  Ibid.,  D  221,  f°  478. 

1  Dv  obslruclione  lacteorum  vasorum  pro  summis  in  med.  honoribus.  Andcgavi, 
1670. 

5.  Comte  F.-U.  Wrangcl,   Voyage  d' Oxenstiern  à  Paris,  p.  15. 

J.i 


354  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

des  navires,  la  fabrication  des  cordages  et  la  conservation  des 
voilures.  Pour  créer  cette  industrie  Colbeit  fait  appel  à  des 
Suédois.  Elias  Asse  vient  du  Nord  en  1665.  Il  amène  avec  lui 
deux  valets  et  touche  640  livres  pour  ses  frais  de  déplacement. 
Ce  «  maistre  brusleur  de  goudron  »  reçoit  encore  la  même  année 
de  nouveaux  subsides  pour  «  traitter  de  maladie  les  deux  valets 
qu'il  a  amenez  avec  lui,  instruits  à  brusler  le  goudron  »,  les 
habiller  et  leur  donner  des  gages  *.  Quatre  ans  plus  tard,  Elias 
Asse  est  directeur  général  de  la  manufacture  de  goudron  installée 
dans  le  Médoc  et  en  «  considération  de  l'établissement  qu'il  a 
fait  et  de  ce  qu'il  se  marie  pour  y  demeurer  »,  il  reçoit  une  grati- 
fication de  3.000  livres  2.  Colbert  suit  de  près  les  progrès  de  sa 
manufacture  et  le  21  juillet  1669,  il  écrit  à  Dumas,  intendant 
de  la  marine  au  Havre  :  «  La  manufacture  de  goudron  estant 
établie  depuis  quatre  ou  cinq  ans  en  divers  endroits  du  royaume 
par  les  soins  que  le  roy  a  pris  de  faire  venir  des  ouvriers  de  Suède, 
il  ne  faut  plus  à  présent  s'en  servir  d'autre  »  3.  Des  «  calfats  » 
suédois  furent  sans  doute  attirés  à  Toulon  car  si  l'on  en  croit 
une  tradition  de  famille,  l'amiral  Truguet  descendait  d'un  maître 
calfat  suédois  établi  à  Toulon  4. 

Les  Suédois  sont  excellents  métallurgistes  ;  ils  excellent  dans 
l'art  de  fondre  et  d'ouvrer  le  cuivre,  ils  sont  également  habiles 
à  découvrir  les  mines  de  fer  ou  de  cuivre.  Colbert  fait  appel 
à  leur  expérience. 

Dès  qu'on  ouvrait  un  puits,  les  Suédois  pouvaient  affirmer, 
si  l'on  en  croit  Pennautier,  quelle  serait  la  richesse  ou  la  pau- 
vreté des  filons.  Aussi  le  trésorier  des  États  du  Languedoc 
suppliait-il  «  très  humblement  Monseigneur  Colbert  de  faire 
venir  de  Suède  un  homme  de  cette  espèce  »  qui  découvrirait 
des  mines  nouvelles  dans  les  Cévennes.  On  lui  avait  assuré 
qu'en  Franche-Comté  et  en  un  lieu  nommé  Chasteau  Lambert, 
il  y  avoit  un  de  ces  gens-là  qui  s'appelait  le  Grand  Corps.  » 
Le  contrôleur  général  fit  venir  cet  étranger  et  Pennautier  crut 

1.  J.  Guiffrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  I,  p.  101. 

2.  Id.,  Ibid.,  t.  I,  p.  369. 

3.  Clément,  Correspondance  de  Colbert,  t.  III,  p.  149.  Lettre  du  21  juillet  1669. 

4.  J.  de  Martineng,  Notice  sur  l'amiral  comte  Truguet.  Extrait  du  Bulletin  de 
l'Académie  du  Var.  Toulon,  1899. 


COLBERT  ET  LES  INGÉNIEURS  SUÉDOIS         355 

à  ses  prédictions  au  sujet  des  mines  de  Cals  dans  l'Ariège.  Elles 
devaient  être  exceptionnellement  abondantes  mais  après  quatre 
ans  d'essais  on  renonça  à  les  exploiter  car  elles  ne  rapportaient 
pas  de  quoi  rémunérer  les  ouvriers  l. 

A  ces  tentatives  malheureuses  de  l'exploitation  des  mines  de 
Cals  se  rattache  l'histoire  des  deux  frères  Besche.  Ils  étaient 
Suédois.  L'aîné  avait  été  placé  à  la  tête  d'une  fonderie  de  canons 
en  Nivernais  2.  En  1666,  il  avait  pris  la  suite  de  deux  fondeurs 
que  l'on  avait  indemnisés.  Pour  contribuer  à  l'extension  de  sa 
fonderie  de  canons  de  fer  et  de  sa  manufacture  d'acier  et  de  fil 
de  laiton,  Louis  XIV  avait  attribué  à  Besche  et  aux  ouvriers 
suédois  une  subvention  de  7.593  livres  ;  on  lui  avait  également 
concédé  la  terre  de  Drambon  pour  construire  une  fabrique. 
L'entreprise  de  Besche  ne  prospéra  point  et  en  1676  la  propriété 
de  Drambon  rentrait  dans  le  domaine  royal. 

Le  frère  cadet  de  Besche  avait  été  appelé  à  diriger  les  mines 
de  Cals.  Colbert  fondait  beaucoup  d'espoir  sur  lui  et  les  Suédois 
qui  l'avaient  accompagné  en  France.  A  l'ingénieur  de  la  Feuille, 
se  rendant  en  Languedoc,  au  mois  de  juin  1669,  le  ministre  remet- 
tait une  longue  instruction  pour  lui  faire  connaître  que  le  sieur 
de  Besche  et  divers  ouvriers  travaillaient  dans  la  montagne 
de  Foix  et  se  proposaient  ensuite  de  se  rendre  dans  le  Rouergue  3. 
i  II  faut,  écrivait  Colbert,  examiner  tous  les  ouvriers  suédois 
qui  travaillent  avec  le  sieur  de  Besche  et  comme  l'on  assure  qu'il 
y  en  a  un  entre  les  autres  qui  est  excellent  et  qui  donne  toutes 
les  lumières  au  sieur  de  Besche,  il  faut  travailler  doucement 
à  leur  persuader  de  faire  venir  leurs  femmes  en  France  et  per- 
suader au  dit  sieur  de  Besche  d'écrire  encore  en  Suède  pour  faire 
venir  d'autres  ouvriers  4.  »  Colbert,  toujours  poursuivi  par  l'idée 
de  fixer  dans  le  royaume  les  habiles  artisans,  revient  à  son  idée 
première  et  mande  à  Besche  :  «  Je  souhaiterai  bien  que  vous 
fissiez  en  sorte  que  les  meilleurs  ouvriers  que  vous  avez  amenés 
avec  vous  fissent  venir  leurs  femmes  et  leurs  enfants  pour  s'éta- 


1.  Dcpping,  Correspondance  administrative  sous  Louis  XIV,  t.   III,  p.  804. 

2.  J.  Guifïrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  rot,  t.  I,  p.  233,  274,  287. 

3.  P.  Clément,  Lettres  de  Colbert,  t.  IV,  p.  326. 

4.  Id.,  Ibid.,  t.  IV,  p.  329. 


356  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

blir  en  France  et  que  vous  en  fassiez  venir  encore  d'autres.  » 
Le  roi,  ajoutait-il,  se  charge  de  toutes  les  dépenses  *. 

Malheureusement  les  Suédois  étaient  peu  enclins  à  former 
des  apprentis.  Dalliez  de  la  Tour  reprochait  à  ceux  qui  travail- 
laient à  Cals  «  l'aversion  qu'ils  avaient  à  instruire  nos  gens  de 
leurs  connaissances  ».  Lorsqu'ils  procédaient  à  la  charge  des 
hauts-fourneaux,  ils  écartaient  les  Français  et  les  empêchaient 
de  «  discerner  le  bien  ou  le  mal  de  cette  fusion  de  matière  ferru- 
gineuse » 2. 

Après  la  mort  de  Colbert,  les  surintendants  des  bâtiments 
du  roi  continuent  à  importer  de  Suède  de  fortes  quantités  de 
cuivre  rouge  pour  couvrir  le  palais  de  Versailles  et  des  cou- 
vreurs suédois  sont  appelés  pour  placer  des  plaques  de  cuivre 
sur  la  toiture  du  château.  Georges- Jean  Barthels  reçoit  225  livres 
par  trimestre,  de  1688  à  1690,  comme  couvreur3  et  Christophe 
Gerzelle  se  voit  allouer  une  somme  importante  pour  «  paiement 
de  ses  journées  et  de  celles  de  ses  deux  compagnons  depuis  le 
17  juillet  1687  qu'il  est  parti  de  Stockholm  jusqu'au  26  novembre 
qu'il  a  commencé  à  travailler  à  la  couverture  de  feuilles  de  cuivre 
de  la  grande  aile  du  château  » 4. 

Les  Suédois  sont  habiles  graveurs  sur  métaux  ;  on  en  attire 
quelques-uns  pour  graver  les  coins  des  médailles  royales.  En  1684, 
Meybuche,  graveur  de  Stockholm,  fournit  au  roi  des  poinçons  ; 
le  sieur  Poncet,  chargé  de  le  décider  à  passer  en  France,  y  par- 
vient et  400  livres  sont  versées  au  Suédois  pour  son  voyage 
à  Paris.  Le  10  septembre  1685,  on  lui  octroie  une  gratification 
de  870  livres  pour  «  les  cires  et  carrez  par  luy  faicts  pour  les 
médailles  de  S.  M.  ».  Deux  ans  plus  tard  il  reçoit  une  nouvelle 
somme  pour  la  confection  de  trois  modèles  de  cire  et  deux 
carrés  représentant  Natalis  Delphini  et  Vota  Galliœ. 5.  Erben, 
employé  à  la  monnaie  «  des  médailles  »  et  interprète  des  ouvriers 
couvreurs  de  Versailles  est  gratifié  de  60  livres  en  1688  6. 

1.  Id.,  Ibid.,  t.  IV,  p.  435,  note  4. 

2.  Jd.,  Ibid.,  t.  IV,  p.  439,  note  1. 

3.  J.  Guiffrey,  Comptes  des  Bâtiments  du  roi,  t.  III,  p.  52,  194,  243,  258,  358, 
402. 

4.  Id.,  Ibid.,  t.  III,  p.  52. 

5.  Id.,  Ibid.,  t.  II,  p.  542,  564,  786,  1014,  1193. 

6.  Id.,  Ibid.,  t.  III,  p.  195. 


LE    BARON    HOGGUER  357 

Au  début  du  xvme  siècle  vint  à  Versailles  l'illustre  ingénieur 
Polhem.  Il  avait  mis  la  première  main  à  l'œuvre  de  canalisa- 
tion qui  réunit  aujourd'hui  de  Gottenbourg  à  Stockholm  les 
eaux  de  la  Baltique  et  celles  de  la  mer  du  Nord.  Ses  connais- 
sances en  mécanique  et  les  travaux  qu'il  exécuta  devant 
Louis  XIV  étonnèrent  le  roi  et  Perrault  l.  Mais,  au  moment 
où  il  vint  en  France,  le  trésor  était  déjà  appauvri  et  les  fas- 
tueuses constructions  étaient  sinon  arrêtées  du  moins  suspendues. 
On  avait  plus  besoin  d'argent  que  d'habiles  constructeurs. 
Depuis  plusieurs  années  le  ministre  des  finances  s'adressait 
aux  riches  financiers  capables  de  le  soutenir  de  leur  crédit. 


Des  financiers  d'origine  étrangère  qui  rendirent  des  services 
pécuniaires  à  Louis  XIV  le  plus  connu  est  Samuel  Bernard. 
Le  baron  Hogguer  fut  également  l'un  des  gros  prêteurs  d'argent 
de  l'époque  2.  Originaire  d'une  famille  suédoise  qui  s'était  éta- 
blie en  Suisse  depuis  les  guerres  de  Gustave-Adolphe,  Antoine 
Hogguer  naquit  à  Saint-Gall  en  1680.  Vers  l'âge  de  dix-sept  ans, 
il  vint  à  Bordeaux  et  y  exerça  un  commerce  lucratif.  Tandis 
que  Chamillart  dirigeait  les  finances  françaises,  la  famille 
de  Hogguer  avait  déjà  eu  l'occasion  de  rendre  à  Louis  XIV 
des  services  financiers  mais  par  suite  d'erreurs,  lorsqu'on  voulut 
régler  leurs  comptes,  les  parents  de  Hogguer  se  trouvèrent 
lésés  de  plusieurs  millions.  Antoine  Hogguer  résolut  de  faire 
rendre  justice  aux  siens  et,  par  l'intermédiaire  d'amis,  approcha 
Desmarets,  successeur  de  Chamillart. 

Le  trésor  français  était  alors  complètement  vide  ;  fournis- 
seurs et  troupes  n'étaient  point  payés.  Antoine  Hogguer, 
comme  Samuel  Bernard,  devint  banquier  de  la  Fiance.  Il  pro- 

1.  A.  GcfTroy,  Gustave  III  et  la  Cour  de  France.  Paris,  t.  I,  p.  65. 

2.  F.  Pouy,  Mémoire  du  baron  Hogguer,  financier  diplomate,  concernant  la  France 
et  la  Suède.  Amiens,  1890.  —  Défense  du  baron  Hogguer  par  luy-mesme  fondée  sur 
les  arresls  du  Conseil  d'Etat  du  roy...  Paris,  s.  d. 


358  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

cura  au  roi  des  sommes  élevées  ;  en  cinq  ans  il  avança  plus  de 
cent  millions.  En  1711,  ayant  consenti  un  prêt  considérable 
pour  solder  les  troupes  de  Flandre  qui  menaçaient  de  se  révolter 
si  leurs  quartiers  n'étaient  payés,  Louis  XIV  remercia  Hogguer 
en  lui  accordant  le  titre  de  baron  qu'il  possédait  déjà  en 
Suède. 

On  sait  quels  furent  les  embarras  financiers  du  Régent  ; 
Hogguer  continua  à  effectuer  des  prêts  au  trésor  mais  ayant 
vivement  combattu  Law  et  son  système  il  indisposa  contre  lui 
l'Écossais  et  force  lui  fut  de  se  débattre  pour  obtenir  la  recon- 
naissance de  ses  créances  et  le  remboursement  de  partie  d'entre 
elles.  Dans  un  long  mémoire,  le  baron  de  Hogguer  a  exposé 
quels  furent  ses  déboires  financiers  ;  à  la  fin  de  sa  carrière, 
ils  furent  en  partie  compensés  par  les  bénéfices  qu'il  réalisa 
en  exploitant  des  forêts  que  lui  avaient  concédées  en  Suède 
Charles  XII  et  Frédéric  Ier  en  remerciement  des  services  diplo- 
matiques qu'il  leur  avait  rendus  en  France. 

Hogguer,  en  effet,  ne  fut  pas  seulement  un  financier  averti. 
Ainsi  qu'il  l'a  écrit  «  il  étoit  naturel  que  je  m'intéressasse  pour 
le  souverain  d'un  royaume  dont  ma  famille  est  originaire  »  ; 
aussi  chercha-t-il  dans  maintes  circonstances  à  venir  en  aide 
à  Charles  XII  et  à  Frédéric  Ier,  son  successeur.  Après  la  bataille 
de  Pultawa,  tandis  que  Charles  XII  était  en  Turquie,  il  fit  passer 
de  l'argent  aux  troupes  suédoises  tenant  Stralsund  et  réussit 
à  conserver  momentanément  au  roi  cette  place  importante. 
En  considération  de  ce  service,  la  famille  de  Hogguer  fut  réta- 
blie dans  ses  anciens  titres  et  honneurs. 

Reconnaissant  à  l'égard  de  son  ancien  souverain,  Hogguer 
travailla  au  rapprochement  de  la  France  et  de  la  Suède.  Tandis 
que  Dubois  livrait  à  peu  près  complètement  le  royaume  à  l'An- 
gleterre et  abandonnait  Charles  XII  dont  les  intérêts  étaient 
diamétralement  opposés  à  ceux  de  Georges  Ier,  Hogguer  attira 
l'attention  du  Régent  sur  ce  qu'il  estimait  être  une  erreur  poli- 
tique. Dubois  devint  dès  lors  hostile  au  financier  ;  néanmoins 
le  Régent  jeta  les  yeux  sur  lui  pour  l'envoyer  en  Suède  comme 
ambassadeur  extraordinaire  ;  Hogguer  allait  même  partir 
lorsqu'il  apprit  la  mort  de  Charles  XII. 


COMMERCE    FRANCO-SUÉDOIS  359 

Au  roi  Frédéric  Ier  Hogguer  continua  ses  bons  offices  auprès 
de  la  cour  de  France  ;  il  en  fut  récompensé  par  le  don  de  forêts 
et  par  le  titre  de  Conseiller  dans  le  conseil  royal  du  Commerce 
et  de  la  Navigation  en  Suède,  équivalant  à  celui  de  gouverneur 
de  province.  En  réalité,  Hogguer  remplissait  à  Paris  le  rôle 
d'agent  secret  de  Suède.  Lorsqu'il  y  décéda  en  1767,  on  pou 
vait  écrire  de  lui  que  son  existence  avait  été  utilement  ren 
plie  ;  elle  l'avait  été  agréablement  aussi. 

Comme  celle  d'Hogguer,  la  famille  de  Mademoiselle  Des- 
mares était  d'origine  Scandinave.  Dès  l'année  1718,  alors  que 
l'illustre  comédienne  était  aimée  du  Régent,  Antoine  Hogguer 
comptait  aussi  parmi  ses  plus  fidèles  adorateurs.  Trois  ans  plus 
tard,  il  était  même  bruit  du  mariage  du  financier  avec  Made- 
moiselle Desmares,  mais  cette  union  n'eut  pas  lieu  et  Hogguer 
se  contenta  de  dépenser  des  sommes  folles  pour  satisfaire  la  sé- 
duisante actrice  avec  laquelle  il  vécut  intimement  uni  pendant 
la  majeure  partie  de  sa  vie.  Lorsque  Mademoiselle  Desmares 
abandonna  le  luxueux  hôtel  de  la  rue  de  Varenne  que  Hogguer 
lui  avait  offert  et,  s'étant  retirée  du  théâtre,  alla  habiter  Saint- 
Germain-en-Laye,  le  baron  suédois  lui  continua  son  affection. 

Par  le  traité  de  Ragny,  signé  en  1542,  la  France  et  la  Suède 
s'étaient  accordé  des  avantages  commerciaux  réciproques. 
La  Suède  obtenait  l'autorisation  d'exporter  du  sel  sans  payer 
de  taxes  ;  elle  mettait  à  notre  disposition  le  fer  et  le  cuivre 
de  ses  mines.  Dix-sept  ans  plus  tard,  un  nouveau  pacte  était 
signé  entre  les  deux  royaumes  ;  les  négociateurs  01  aï,  Johanson 
et  Norman  obtenaient  pour  les  Suédois  la  facilité  de  voyager 
dans  toute  la  France  sans  payer  des  droits  supérieurs  à  ceux 
des  indigènes  et  la  liberté  de  s'y  fixer  en  disposant  de  leurs 
biens.  Pontus  de  la  Gardie  et  Clas  Bielke  renouvelèrent  en  1571 
ces  anciennes  alliances.  Le  commerce  de  la  Suède  avec  la  France 
était  surtout  entre  les  mains  des  Hanséates  et  des  Hollandais  ; 
néanmoins  quelques  navires  suédois  chargeaient  en  droiture 
pour  les  ports  de  l'Atlantique.  Quatre  vaisseaux  apportent 
à  Brouage,  en  1560,  des  mats,  des  bois  à  bnïhr  et  des  poutres  ; 
quelques    années    plus    tard,    de    grands    navires    sont     alïrétés 


360  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

à  Elfsborg  pour  la  France  l.  Henri  IV  achète  en  Suède  des  bou- 
lets de  canon  et  confie  à  son  ambassadeur  cette  négociation. 

En  même  temps  que  l'intimité  des  deux  royaumes  se  déve- 
loppent les  relations  commerciales.  La  Suède  nous  vend  du 
bois,  du  fer,  du  plomb,  du  cuivre,  de  l'alun  ;  ces  marchandises 
nous  parviennent  au  xvne  siècle  sous  pavillon  hollandais,  quel- 
quefois sur  des  navires  suédois,  rarement  elles  voyagent  sur 
vaisseaux  français.  Nos  commerçants  n'ont  pas  de  navires 
capables  de  lutter  contre  ceux  des  armateurs  du  Nord.  Nous 
sommes  même  obligés  d'en  acquérir  en  Suède  ;  Duquesne 
est  chargé  de  cette  transaction  et  d'inspecter  les  vaisseaux  que 
nous  vend  la  reine  Christine  puis  de  les  ramener  en  France  2. 
Au  moment  où  Christine  de  Suède  offre  à  Mazarin  le  vaisseau 
de  ligne,  le  Jules  qu'elle  a  fait  construire  pour  le  cardinal, 
assez  peu  de  capitaines  suédois  fréquentent  encore  les  côtes 
de  France  car  pour  amener  ce  navire  on  doit  faire  choix  d'un 
Hollandais  qui  connaît  bien  les  rivages  et  les  abords  de  nos 
côtes. 

A  dater  de  1663,  un  nouveau  traité  de  commerce  est  signé 
entre  la  France  et  la  Suède  ;  le  trafic  direct  va  se  développer  ; 
Colbert  hanté  par  l'idée  de  déposséder  les  Hollandais  du 
monopole  de  fait  dont  ils  jouissent  dans  la  Baltique  s'efforce 
d'amener  les  armateurs  français  et  suédois  à  entrer  en  rapports 
étroits.  Lui-même  prêche  d'exemple.  En  une  seule  fois,  il  achète 
à  la  Suède  quatre  cents  canons  3  ;  sur  son  ordre,  Courtin,  notre 
résident  à  Stockholm  organise  en  Suède  un  chantier  de  cons- 
tructions navales  sur  lequel  il  fait  édifier  six  navires.  Pour  le 
compte  de  la  marine,  Courtin  achète  des  bois  que  l'on  dirige 
sur  Brest,  Rochefort  et  Toulon  4. 

Au  début  du  xvme  siècle,  les  Suédois  avaient  la  permission 
de  se  livrer  au  petit  cabotage  entre  les  ports  français  et  lorsque 
fut  conclu  le  traité  du  28  septembre  1716  entre  la  France  et  les 
villes  hanséatiques,  ils  furent  par  l'article  3  exemptés  du  droit 


1.  A.  Strindberg,  op.  cit.,  p.  89. 

2.  Jal,  Abraham  Duquesne,  t.  I,  p.  146  et  s. 

3.  P.  Clément,  Lettres  de  Colbert,  t.  III,  p.  33. 

4.  Jal,  op.  cit.,  t.  I,  p.  335. 


SUÉDOIS    A    BORDEAUX  361 

de  50  sous  par  tonneau.  En  vertu  de  cette  convention,  ils  devaient 
être  traités  comme  les  sujets  des  villes  hanséatiques  mais  cet 
accord  ne  leur  permettait  cependant  pas  de  succéder  ab  intestat, 
la  naturalité  générale  ne  leur  était  pas  accordée.  Pour  n'être  pas 
soumis  au  droit  d'aubaine  force  leur  était  de  solliciter  des  lettres 
de  naturalité. 

En  1745,  Madame  de  la  Gardie,  accompagnée  de  ses  enfants 
et  de  sa  suite,  était  venue  à  Paris  pour  se  faire  soigner  d'une 
hydropisie  ;  elle  y  décéda  au  mois  d'octobre  et  les  fermiers  du 
droit  d'aubaine  appréhendèrent  ses  biens  encore  qu'elle  eût 
un  fils  au  service  du  roi.  Celui-ci  protesta  et  l' affaire  donna  lieu 
à  la  rédaction  d'une  longue  note.  Il  en  ressortait  que  les  Sué- 
dois étaient  soumis  au  droit  d'aubaine  car  l'article  2  du  traité 
du  28  septembre  1716  passé  avec  les  villes  hanséatiques  ne  leur 
était  pas  applicable  et  la  nouvelle  convention  signée  avec 
leur  gouvernement  au  mois  d'avril  1741  n'énonçait  pas  d'une 
manière  expresse  la  renonciation  des  droits  de  Louis  XV  au 
droit  d'aubaine.  L'affaire  s'arrangea  mais  pour  éviter  le  retour 
de  semblables  difficultés,  le  roi  fit,  le  24  décembre  1754,  une 
déclaration  relative  aux  successions  mobilières  des  sujets  de 
Suède  décédés  en  France.  Par  cette  déclaration,  Louis  XV 
les  exemptait  du  droit  d'aubaine  et  la  mesure  prenait  effet  du 
1er  janvier  1753  1. 

On  peut  tenir  pour  assuré  que,  profitant  des  avantages  qui 
leur  avaient  été  consentis,  des  Suédois  vinrent  se  fixer  en  France 
à  partir  du  xvne  siècle.  Pour  éviter  les  fâcheux  effets  du  droit 
d'aubaine  ils  pouvaient  aisément  obtenir  des  lettres  de  natu- 
ralité ;  mais  à  part  la  ville  de  Bordeaux,  où  ces  Scandinaves 
formèrent  un  groupement  de  quelques  individus,  il  n'apparaît 
point  qu'ils  aient  constitué  de  colonies  dans  d'autres  ports. 

A  Bordeaux,  Luetkens  était  «  un  gros  marchand  des  Char- 
trons  ».  Le  roi  de  Suède  voulut  le  nommer  consul  de  sa  nation 
mais  Louis  XIV  n'admit  pas  cette  création.  En  1705,  on  solli- 
cita pour  lui  le  poste  de  commissaire  du  roi  de  Suède  ;  les  Borde- 
lais   refusèrent   de  se  prêter    à    cette   nouvelle  combinaison. 

1.  Arch.  des  Affaires  étrangères.  Mémoires  et  Documents.  Suède,  vol.  XXII. 
f"  195,199,226. 


362  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Luetkens  se  contenta  de  commercer  avec  ses  fils  Henri,  Jean- 
Jérôme  et  Pierre  Lucas.  Eux  et  leurs  descendants,  acquirent 
en  Guyenne  une  grande  notoriété  dans  le  monde  des  négo- 
ciants ;  en  1775  un  Luetkens  est  propriétaire  en  la  paroisse  de 
Cissac,  dans  le  Médoc,  et  en  1789  deux  Luetkens  sont  au  nom- 
bre des  délégués  chargés  d'élire  les  représentants  du  commerce 
bordelais  à  l'assemblée  du  Tiers-État  l„ 

C'est  à  un  autre  négociant  de  Bordeaux,  Harmensen,  qu'échut 
l'honneur  de  représenter  officiellement  le  roi  de  Suède  dans  ce 
port.  Il  fut  nommé  consul  en  1723.  Déjà,  il  était  au  nombre 
des  grands  négociants  de  la  place.  Ses  enfants  lui  succédèrent. 
Pour  leur  témoigner  la  satisfaction  qu'il  éprouvait  de  les  voir 
coopérer  à  la  prospérité  du  commerce  bordelais,  Louis  XV 
confirma  les  lettres  de  noblesse  que  la  famille  Harmensen  avait 
jadis  reçues  d'Auguste  III,  roi  de  Pologne. 

De  Stockholm  était  venu  à  Bordeaux  Nicolas  Fenwick. 
Après  avoir  brillamment  réussi,  il  se  fit  construire  sur  le  quai, 
au  coin  du  Pavé-des-Chartrons,  une  superbe  demeure  que 
représente  une  Vue  perspective  de  1741.  Le  nom  de  Fenwick, 
perpétué  à  Bordeaux  par  son  fils  Robert,  qui  s'y  maria  en  1762, 
a  été  donné  à  une  cale  voisine  de  la  demeure  édifiée  par  le  com- 
merçant suédois  2. 

Les  Hollandais  avaient  importé  à  Bordeaux  l'industrie  du 
raffinage  du  sucre.  Pour  clarifier  les  sucres  bruts  on  se  servait 
d'œufs  ;  ce  procédé  était  dispendieux  et  ne  permettait  pas  de 
procéder  sur  des  quantités  considérables.  Un  Suédois,  du  nom 
de  Borhmann  révolutionna  l'industrie  du  raffinage  en  «  intro- 
duisant en  France  la  manière  de  clarifier  le  sucre  par  le  sang 
<Ie  bœuf  ».  Grâce  à  son  secret  le  nombre  des  manufactures  se 
développa  ;  antérieurement  à  sa  découverte  la  ville  de  Bordeaux 
ne  comptait  que  trois  raffineries  tandis  qu'en  1734,  il  y  en  avait 
vingt.  Comme  récompense  de  sa  découverte,  Borhmann  demanda 
qu'il  fut  créé  à  son  profit  et  à  celui  de  ses  enfants  une  place 
d'inspecteur  des  raffineries  de  la  \ille  3.  Il  est  probable  que  Borh- 

1.  A.  Leroux,  Documents  sur  les  étrangers  à  Bordeaux,  dans  Archives  historiques 
-de  la  Gironde,  t.  LI,  p.  258. 

2.  A.  Leroux,  La  Colonie  germanique  de  Bordeaux,  t.  I,  p.  46,  47;  116,  etc. 

3.  Arch.  Nat.,  F*2  1501.  Requête  de  1734. 


SUÉDOIS    EN    BRETAGNE  363 

mann  avait  dû  s'établir  à  Bordeaux  antérieurement  à  l'année 
1710  car  dès  cette  même  année,  les  habitants  de  La  Rochelle 
s'élevaient  contre  les  procédés  des  raffineurs  de  leur  ville  qui, 
employant  les  procédés  du  Suédois,  empoisonnaient  l'air  autour 
de  leurs  manufactures  1. 

Tandis  que  des  Suédois  nous  apportaient  des  secrets  de  fabri- 
cation, d'autres  passaient  en  France  pour  étudier  nos  industries  2. 

Jonas  Alstrômer  vient  à  Tours  s'enquérir  de  nos  fabriques  de 
soieries  ;  il  s'informe  de  celles  des  bas  à  Saint-Germain  et  essaie 
de  débaucher  nos  ouvriers  mais,  craignant  d'être  appréhendé, 
il  quitte  précipitamment  la  France  en  juillet  1723.  Grâce  aux 
connaissances  qu'il  a  acquises,  il  transforme  la  petite  ville  sué- 
doise d'Alingsos  en  y  créant  des  manufactures  et  il  introduit 
dans  son  pays  natal  la  culture  de  la  pomme  de  terre. 

A  Bordeaux,  des  Suédois  s'adonnent  au  commerce  des  vins. 
Lorsque  les  frères  Hillebrandt,  fils  de  l'ambassadeur  de  Suède 
à  Madrid,  passent  en  Guyenne,  ils  ont  plaisir  à  converser  avec 
Rothstein,  de  Stockholm,  qui  occupe  une  situation  aux  Chartrons3. 

En  réalité,  au  xvme  siècle,  il  n'y  a  pas  de  colonies  suédoises 
en  France  ;  les  négociants  du  Nord  qui  s'établissent  à  demeure 
sont  assez  clairsemés  ;  j'en  ai  cependant  rencontré  quelques-uns. 
Le  18  mai  1708,  deux  marchands  suédois  sollicitent  du  Conseil 
du  Commerce  l'autorisation  d'envoyer  leur  vaisseau,  la  Grappe 
de  Raisin,  porter  des  marchandises  en  Portugal4;  quelques  mois 
plus  tard,  Mandael,  propriétaire  d'un  navire  venu  de  Stockholm, 
se  plaint  des  difficultés  que  lui  créent  les  agents  du  fisc  à  La 
Rochelle5.  A  Lorient,  Backmann,  négociant  suédois,  s'attribue 
le  titre  de  courtier  et  de  consul  de  Suède  en  1756  mais  il  est, 
sur  la  réclamation  d'un  Hollandais,  Vanderheyde,  obligé  de 
renoncer  à  se  prévaloir  de  son  titre  de  consul.  Les  descendants 
de  Backmann  subsistent  encore  en  Bretagne6. 

1.  Arch.  Nat.,  F1*  1501.  Requête  des  habitants  de  La  Rochelle. 

2.  A.  GefTroy,  Gustave  11 I  et  la  Cour  de  France,  t.  I,  p.  67. 

3.  P.  Courteault,  Bordeaux  au  temps  de  Tourny,  extrait  de  la  Revue  historique 
de  Bordeaux.  Bordeaux,  1917,  p.  6. 

4.  Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  Commerce,  p.  35  *>. 

5.  Bib.  Nat.,  Arrêts  du  Conseil  d'Etat.  Arrêt  du  29  janvier  1709. 

6.  L.   Guillou,    Vanderheyde,   courtier  lorientais.   Extrait  des   Annales  de  Bre- 
lagne. 


364  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

En  scrutant  les  actes  des  paroisses  de  Bretagne  ou  de  Nor- 
mandie, on  découvre  quelques  Suédois  disséminés  qui  se  sont 
attachés  à  la  terre  de  France,  après  avoir  abandonné  les  doc- 
trines luthériennes.  Le  12  juin  1774,  André  Longrand,  origi- 
naire de  Suède,  abjure  entre  les  mains  de  Charles  Bernard, 
Supérieur  général  des  Missionnaires  du  Saint-Esprit  pendant 
une  mission  à  Saint-Meloir-des-Ondes,  petite  église  bretonne  l. 
Nicolas  Owal,  né  à  Viennesburg,  en  1719,  s'établit  maître  cor- 
donnier à  Saint-Servan,  où  il  se  convertit  en  1748  2. 

Les  relations  commerciales  de  la  Suède  avec  le  port  de  Mar- 
seille y  attirent  des  Suédois.  Le  registre  mortuaire  des  protes- 
tants de  cette  ville  est  couvert  de  noms  de  capitaines,  marins 
ou  charpentiers  suédois  qui  décèdent  pendant  le  temps  de  char- 
gement ou  de  déchargement  des  navires  3.  Malgré  la  continuité 
des  relations  de  Marseille  avec  la  Suède,  il  ne  semble  pas  cepen- 
dant qu'il  ait  jamais  existé  dans  ce  port  une  colonie  suffisante 
pour  que  les  souverains  de  la  Suède  pussent  trouver  parmi 
leurs  sujets  des  consuls  originaires  de  leur  royaume.  Les  inté- 
rêts des  capitaines  suédois  furent  longtemps  confiés  à  des  Alle- 
mands, notamment  au  sieur  Henri-Jacques  Folsch. 

Néanmoins  les  actes  de  décès  des  protestants  révèlent  la 
présence  de  quelques  Suédois  installés  comme  négociants  à 
Marseille.  Swen  Anfwidson,  originaire  de  Marstrand,  habitant 
rue  des  Quatre-Tours,  meurt  en  1769  4  ;  Samuel-Henri  Hintz, 
de  Stockholm,  décède  la  même  année 5  et  en  1780,  Folsch 
déclare  que  Nils  Môller,  natif  de  Carlscrom  est  passé  de  vie  à 
trépas  6.  L'année  précédente  Brigitte  Gripenskold,  épouse  de 
Pierre  Broms,  négociant,  avait  été  inhumée  à  Marseille  7. 

Les  lettres  de  natur alité  accordées  à  des  Suédois  et  enregis- 
trées à  Paris  sont  peu  nombreuses.  Celles  que  reçut  en  1747 


1.  Abbé  Paris- Jallobert,  Anciens  registres  paroissiaux  de  Bretagne,  paroisse  de 
Saint-Meloir-des-Ondes,   1897. 

2.  Id.,  Ibid.,  paroisse  de  Saint-Servan,  1909. 

3.  V.-L.  Bourilly,  Les  Protestants  à  Marseille  au  XVIIIe  siècle,  dans  Bulletin 
de  l'Histoire  du  protestantisme  français,  nov.-déc.  1910,  p.  518. 

4.  Bibliothèque  protestante,  man.  190,  notice  251. 

5.  Ibid.,  notice  276. 

6.  Ibid.,  notice  429. 

7.  V.-L.  Bourilly,  op.  cit..  p.  545. 


VOYAGEURS    SUÉDOIS  365 

Frédéric  Melhop,  natif  de  Stockholm,  est  l'une  des  rares  que 
j'ai  rencontrées  1. 

Maintenant  des  traditions  fort  anciennes,  des  savants  suédois 
entreprennent  le  voyage  de  Paris  au  xvme  siècle.  Georges 
Wallin,  qui  devait  mourir  évêque  de  Gôthenbourg,  est  en  1721, 
attiré  par  nos  bibliothèques  et  nos  collections  de  livres  ;  il  laissera 
un  ouvrage  intitulé  Lutetia  Parisiorum  erudita  sui  temporis  2. 
Johan  Otter,  orientaliste,  séjourne  à  Paris  en  1728  ;  il  attire 
sur  lui  l'attention  de  Fleury  qui  l'envoie  en  mission  à  Constan- 
tinople.  Protégé  par  Villeneuve,  notre  ambassadeur  près  de  la 
Porte,  Otter  se  perfectionne  dans  les  langues  orientales.  Il  passe 
quatre  ans  en  Perse,  est  rappelé  à  Paris,  devient  professeur 
à  l'Université  en  1746  et  membre  de  l'Académie  des  Inscrip- 
tions en  1748.  C'est  le  seul  drogman  qui  ait  pris  part  aux  tra- 
vaux de  la  Compagnie  ;  il  lui  communiqua  des  Observations 
géographiques  et  historiques  tirées  des  auteurs  arabes,  une  Rela- 
tion de  la  Conquête  de  V Afrique.  Mais  l'Académie  ne  le  posséda 
que  deux  années  ;  il  lui  fut  enlevé  dans  la  force  de  l'âge,  laissant 
la  Relation  d'un  voyage  en  Turquie  et  en  Perse  qui  n'a  pas  perdu 
de  nos  jours  tout  intérêt  3. 

Le  grand  botaniste  Linné  est  à  Paris  en  1738  ;  il  trouve  auprès 
des  Jussieu  un  accueil  enthousiaste.  Us  le  mènent  herboriser  à 
Fontainebleau  et  en  Bourgogne.  Louis  XV  le  presse  de  se  fixer 
en  France  mais  il  refuse.  Après  son  départ  de  Paris,  Linné  reste 
en  correspondance  avec  Antoine  Laurent  de  Jussieu  ;  tous  deux 
échangent  en  latin  leurs  savantes  remarques  et  contribuent 
à  faire  adopter  la  langue  latine  comme  idiome  international 
des  botanistes.  Elu  associé  étranger  de  l'Académie  des  Sciences 
en  1762,  Linné  lui  adresse  en  1775  un  mémoire  latin  sur  le 
Cycas  4. 

Bien  qu'éloigné  de  la  France,  le  botaniste  suédois  ne  se  désin- 
téressait pas  de  ce  qui  s'y  passait  sous  le  rapport  scientifique. 

1.  Arch.  Nat.,  PP  162.  Lettre  du  12  avril  1747. 

2.  A.  GefTroy,  Notices  et  extraits  des  manuscrits...,  p.  418. 

3.  A.  Maury,  L'ancienne  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Paris,  1864, 
in-8°,  p.  253. 

•  4.  A.  Maury,  L'ancienne  Académie  des  Sciences.  Paris,  1864,  in-8°,  p.  109,  110, 
272,  275,  etc. 


366  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Il  chargeait  même  quelques  compatriotes  voyageant  dans  le 
royaume  de  Louis  XV  de  lui  adresser  leurs  remarques  et  leurs 
observations.  En  1755  passent  à  Bordeaux  deux  Suédois,  les 
frères  Hildebrant,  fils  de  l'ambassadeur  de  Suède  à  Madrid  ; 
ils  étaient  accompagnés  de  leur  précepteur,  un  pasteur  luthé- 
rien, Hallman,  chargé  par  Linné  de  le  mettre  au  courant  des 
découvertes  qu'ils  feraient  au  cours  de  leurs  pérégrinations  en 
France  et  en  Espagne.  A  cette  circonstance,  on  doit  de  pos- 
séder une  ample  relation  du  séjour  de  Hallman  à  Bordeaux  K 

Comme  Wallin,  Liden  s'intéresse  aux  bibliothèques  et  aux 
collections  particulières.  Il  arrive  en  France  par  Calais  en  1769 
puis  se  dirige  promptement  sur  Paris.  Le  comte  de  Creutz, 
poète  à  ses  heures  et  ambassadeur  du  roi  de  Suède  l'accueille 
chaleureusement  ainsi  que  le  comte  de  Sparre  auprès  duquel 
il  se  loge  dans  l'hôtel  d'Entrague,  rue  de  Tournon  2.  Durant 
plusieurs  mois,  Liden  court  les  bibliothèques,  visite  les  savants. 
Il  renoue  connaissance  avec  quelques  Suédois  :  l'orientaliste 
Biôrnstahl  qui  suit  au  Collège  royal  les  cours  d'arabe  de  M.  de 
Cardonne,  Tobiesen-Duby,  interprète  du  roi  pour  les  langues 
anglaise,  allemande  et  Scandinave.  Il  fréquente  chez  Hall  et  chez 
Roslin  dont  les  ateliers  sont  à  la  mode.  Avant  de  venir  en  France, 
Liden  avait  déjà  beaucoup  voyagé  et  de  ses  séjours  hors  de  sa 
patrie,  cet  érudit  a  laissé  des  récits  contenus  en  quatre  volumes 
in-folio  conservés  à  la  bibliothèque  d'Upsal.  Le  voyage  en 
France  occupe  une  partie  du  second  volume  et  est  presque 
entièrement  consacré  aux  visites  que  Liden  fit  aux  professeurs 
de  l'Université  et  aux  conservateurs  des  bibliothèques  pari- 
siennes. 

Des  savants  ou  des  érudits  suédois  pratiquant  les  études  les 
plus  diverses  effectuent  des  voyages  en  France  ;  quelques-uns 
même  s'y  établissent.  Ronnow  Kasten,  docteur  en  médecine 
de  Reims  est  nommé  premier  médecin  et  conseiller  intime  de 
Stanislas  Leczinski.  Il  le  suit  en  Lorraine  et  fonde  une  école 
de  médecine  à  Nancy.  Johan  Erik  Ringstrôm  suit  les  cours 
de  l'orientaliste  de   Guignes  à  Paris  et  laisse    en    manuscrit 

1.  P.  Courteault,  op.  cit.,  p.  2. 

2.  A.  Gefïroy,  Notices  et  extraits  des  manuscrits...,  p.  409. 


SAVANTS  SUÉDOIS  EN  FRANCE  367 

un  dictionnaire  chinois-français.  Le  chimiste  Torbern  Olaf 
Bergman  qui,  l'un  des  premiers  apporta  une  précision  toute 
scientifique  dans  l'analyse  des  eaux  minérales  voyage  en  France  ; 
en  1782  il  sera  élu  membre  de  l'Académie  des  Sciences  de  Paris  h 
A  la  veille  de  la  Révolution,  Ignatius  Mouradgea  d'Ohsson 
publie  à  Paris  le  Tableau  général  de  V Empire  ottoman.  Il  meurt 
à  Bièvre  en  1807  et  son  fils,  Constantin,  également  intéressé 
par  les  études  orientales  composera  une  Histoire  des  Mongols  2. 
Lorsque  la  comtesse  de  Sparre  vient  de  Suède  à  Paris  pour 
consulter  nos  médecins  3,  quand  Madame  Hillebrandt,  femme  de 
l'ambassadeur  à  Madrid  s'ennuyant  en  Espagne  arrive  se  dis- 
traire à  Paris,  quand  Antoinette  de  Leyenstedt,  épouse  de  M.  de 
la  Fayardie,  rentre  en  France  avec  son  mari,  elles  retrouvent 
dans  la  capitale  française  une  véritable  colonie  de  compatriotes. 
Des  savants  du  Nord  y  séjournent  fréquemment,  des  officiers 
de  leur  pays  servent  la  France  dans  le  Royal  Suédois  ou  autres 
régiments  étrangers  ;  des  artistes  enfin,  et  qui  jouissent  d'une 
juste  notoriété,  forment  les  éléments  variés  d'un  groupement, 
chaque  année  plus  dense  et  plus  compact.  La  chapelle  de 
l'ambassade  a  peine  à  contenir  les  sujets  du  roi  de  Suède. 


VI 


A  l'exception  de  Karl  Karlson  Gyllenheim,  fils  naturel  de 
Charles  IX,  qui  combattit  en,  France  aux  côtés  de  Henri  IV, 
peu  d'officiers  suédois  servirent  en  France  avant  la  signature 
des  traités  de  Westphalie.  A  partir  de  1648,  au  contraire,  sol- 
dats et  officiers  suédois  furent  nombreux  dans  les  rangs  de  notre 
armée. 

Les  soldats  sont  demeurés  ignorés  mais  notre  recrutement  en 
compta  certainement  au  xvne  siècle  car  une  ordonnance  du 


1.  A.  Maury,  Histoire  de  l'Académie  des  Sciences,  p.  101. 

2.  Les  renseignements  relatifs  à  ces  divers  Suédois  proviennent  de  l'étude  de 
Strindberg  sur  Les  Relations  de  la  France  avec  la  Sutde,  p.  188  et  189. 

3.  Arch.  des  AIT.  étrangères,  Mémoires  et  Documents.  Suède,  vol.  XXII,  f 


368  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

1er  décembre  1696  prescrit  «  de  faire  sortir  des  compagnies 
suisses  tous  les  hommes  qui  ne  sont  pas  Suisses,  Grisons,  Alle- 
mands, Polonais,  Suédois  et  Danois  ».  Les  officiers  au  contraire 
sont  connus  et  l'on  a  pu  dresser  des  listes,  incomplètes  cepen- 
dant, de  ceux  qui  servirent  dans  diverses  formations  et  dans 
le  régiment  qui  portait  le  nom  de  Roy  al- Suédois 1.  Certains  fon- 
dèrent une  famille  en  France.  Au  mois  de  janvier  1676,  Henri 
de  Bron,  gentilhomme  suédois,  capitaine  de  cavalerie  de  S.  M. 
habitant  sur  la  paroisse  Saint  Eustache,  épouse  Marie  Colli- 
chon,  veuve  d'Abraham  Morel  2. 

Originaire  de  Livonie,  Reinhold  Rosen,  fondateur  d'une 
lignée  de  militaires  qui  porteront  son  nom  passa  en  France 
avec  les  troupes  weimariennes  au  service  de  la  France.  Il  eut 
la  charge  de  les  commander  et  fut  nommé  lieutenant  général 
du  roi  en  1648.  Marie-Sophie,  une  de  ses  filles  devint  la  femme 
de  Conrad  Rosen,  ami  de  Saint-Simon  et  futur  maréchal  de 
France. 

Après  une  vie  aventureuse  dans  les  camps  suédois,  Conrad 
Rosen  fut  obligé  de  prendre  du  service  comme  simple  soldat. 
Les  hasards  de  son  existence  l'amenèrent  à  servir  sous  les  ordres 
de  son  oncle  Reinhold  Rosen.  Il  se  distingua  et  après  avoir 
gagné  ses  galons  d'officier,  il  parvint  en  1677  au  grade  de  maré- 
chal de  camp.  Trois  ans  plus  tard,  il  était  chargé  d'aller  à  la 
frontière  recevoir  la  Dauphine  qui  arrivait  d'Allemagne.  En  1681, 
il  abjura,  fut  nommé  lieutenant  général  des  armées  du  roi 
puis,  en  1690,  remplaça  le  comte  de  Montclar  comme  maître 
de  camp  général  de  la  cavalerie.  Ayant  acquis  des  terres  en 
Alsace,  il  s'y  retira  et  y  mourut  en  1715,  âgé  de  quatre-vingt- 
huit  ans.  Ce  «  grand  homme  sec  qui  sentoit  son  reître  et  qui 
auroit  fait  peur  au  coin  d'un  bois  »  ne  commanda  «  jamais  d'ar- 
mée et  il  n'en  était  pas  capable  mais  souvent  des  ailes,  de  gros 
détachements  »,  écrit  Saint-Simon  3.  «  Il  avait  de  l'esprit  et  de 
la  finesse  »,  ajoute  le  duc  et  pair,  et  il  le  prouva  car  il  sut  s'avan- 


1.  De  La  Chenaye-Desbois,  Dictionnaire  de  la  noblesse,  t.  XVII,  p.  678-702.  — 
Lehr,  Notice  sur  les  Rosen.  Strasbourg,  1865. 

2.  Arch.   Nat.  Insinuations  du   Chatelet.   Y  231,  f°  288  v°. 

3.  Saint-Simon,  Mémoires,  édition  des  Grands  Écrivains,  t.  XXVI,  p.  256. 


CONRAD    ROSEN    ET    LES    OFFICIERS    SUÉDOIS  369 

cer  à  la  cour.  Rosen  qui  connaissait  le  faible  de  la  nation  et  du 
roi  pour  les  étrangers  disait  à  son  fils  qu'il  ne  serait  jamais 
qu'un  sot  car  il  parlait  trop  bien  le  français. 

De  sa  femme,  Rosen  avait  eu  plusieurs  enfants.  Charles 
Reinhold,  qui  épousa  Marie-Béatrice  de  Grammont,  devint 
officier  comme  son  père.  Anne-Armand,  leur  fils  et  Eugène- 
Octave-Augustin  leur  petit-fils  furent  également  officiers.  De  son 
union  avec  Marie-Louise  de  Harville  ce  dernier  n'eut  qu'une 
fille  qui  fut  mariée  à  Charles  Victor,  prince  de  Broglie. 

Dans  les  temps  où  Conrad  Rosen  apprenait  en  France  le 
métier  des  armes,  il  aurait  pu  rencontrer  nombre  de  ses  compa- 
triotes :  Jen  de  Dellinghausen,  le  baron  de  Dellvigk,  Mathieu 
de  Koenigsfelt,  Jean  Herman  de  Lagerstierna  et  d'autres  encore 
qui  s'étaient  engagés  au  service  de  Louis  XIV.  Mais  c'est  sur- 
tout à  partir  de  l'année  1690  que  l'on  voit  entrer  des  Sué- 
dois dans  l'armée  royale.  Contrairement  à  ce  que  l'on  croit 
généralement  le  Royal-Suédois  ne  tire  pas  son  origine  d'un  régi- 
ment constitué  par  une  foule  de  prisonniers  suédois  faits  à  la 
bataille  de  Fleurus  ;  ses  commencements  furent  tout  autres  l. 
Le  1er  août  1690,  le  Suisse  Jean-Henri  Leisler  avait  été  autorisé 
à  lever  un  régiment  ;  aussitôt  formé  ce  corps  fut  dirigé  sur  le 
Roussillon  et  la  Catalogne  pour  rejoindre  le  duc  de  Noailles  ;  au 
mois  d'avril  1693,  trois  officiers  suédois  furent  incorporés 
dans  ce  régiment  :  Ake  Ulfsparre,  Franz  de  Knorring  et  B.  de 
Taube.  Avec  le  capitaine  Franck  qui  s'y  trouvait  déjà,  ils  for- 
mèrent le  premier  noyau  du  corps  d'officiers  suédois  qui,  vers 
le  milieu  du  xvme  siècle,  constituaient  les  cadres  du  régiment. 
Leisler  ayant  été  mortellement  blessé  au  siège  d'Ostalrich, 
en  1694,  le  baron  Erik  Sparre,  sur  les  instances  de  Palmqvist, 
résident  du  roi  de  Suède,  obtint  le  commandement  du  corps. 

Erik  Sparre  représente  assez  bien  le  type  de  ces  officiers 
diplomates  que  l'ancien  régime  a  fréquemment  connus.  Né 
en  1665,  il  était  entré  jeune  au  service  de  la  France.  Enseigne 
au  régiment  de  Koenigsmark,  il  fut  promu  capitaine  en  1690, 
major  général  après  le  combat  de  Maestricht,  colonel  en  1694. 

1.  Comte  F.-V.  Wrangcl,  Origines  ci  débuis  du  Royal-Suédois.  Paris,  1914. 

24 


370  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Après  un  voyage  en  Pologne,  auprès  de  Charles  XII,  il  revint 
en  France  en  1704,  devint  maréchal  de  camp  et  lieutenant  géné- 
ral des  armées  françaises.  En  1712,  on  le  trouve  à  la  cour  de 
France  chargé  d'obtenir  des  subsides  pour  sa  patrie  ;  il  visite 
ensuite  les  cours  d'Allemagne  et  est  de  retour  à  Paris  en  1715. 
Pendant  trois  ans,  il  remplit  les  fonctions  d'ambassadeur 
à  Paris  et  gagne  la  confiance  de  Louis  XV.  «  M.  le  comte,  lui 
dit  un  jour  à  table  le  jeune  roi,  vous  n'êtes  pas  de  la  même  reli- 
gion que  moi  ;  j'en  suis  fâché  ;  j'irai  un  jour  au  ciel  et  je  ne  vous 
y  trouverai  pas.  —  Pardonnez-moi,  Sire,  répondit  Sparre,  le  roi 
mon  maître  m'a  ordonné  de  vous  suivre  partout.  » 

De  Sparre  devint  ministre  après  la  mort  de  Charles  XII 
puis  ambassadeur  à  Paris  en  1719.  Il  rentra  en  Suède  et  y  mourut 
ayant  obtenu  le  grade  de  feld-maréchal l. 

La  nomination  d'Erik  Sparre  au  régiment  qui  prit  son  nom 
attira  une  foule  de  jeunes  Suédois  sous  ses  ordres  ;  plusieurs 
membres  de  sa  famille  vinrent  y  servir,  mais  par  suite  des 
événements  qui  se  déroulaient  dans  leur  propre  pays,  la  majeure 
partie  de  ces  jeunes  hommes  regagnèrent  leur  patrie. 

Sparre  conserva  le  commandement  de  son  régiment  jusqu'en 
1714  ;  à  cette  date  il  fut  remplacé  par  un  Suédois,  Lenck, 
capitaine  au  même  corps.  Nommé  maréchal  de  camp  en  1734 
il  mourut  le  14  décembre  de  la  même  année.  Son  successeur 
fut  un  autre  Suédois,  Per  Apelgrehn.  Sous  ses  ordres  le  régiment 
se  distingua  au  siège  de  Prague  où  Apelgrehn  fut  blessé  mortel- 
lement. C'est  à  partir  de  1742  que  le  régiment  de  Sparre  et 
d'Apelgrehn  reçut  à  la  demande  du  roi  de  Suède  le  nom  de 
Royal-Suédois. 

Les  chefs  qui  succédèrent  à  Apelgrehn  appartenaient  à  la 
branche  française  des  Sparre.  Au  début  de  la  Révolution, 
Axel  Fersen  était  colonel  du  régiment.  Les  Suédois  qui,  entre 
1735  et  1750,  avaient  été  particulièrement  nombreux  dans 
l'armée  française,   n'étaient  alors  que  faiblement  représentés. 

Plus  de  mille  officiers  suédois  figurent  sur  les  contrôles  du 
Royal-Suédois  et  d'autres  régiments,  comme  celui  de  Lowendal, 

1.  A.  Gefïroy,  Notices  et  extraits  des  manuscrits...,  p.  398. 


LE    ROYAL-SUÉDOIS  371 

par  exemple.  Les  Lagerstierna,  les  Leijonhufvud,  les  Sparre, 
les  Stiernhœœk,  voisinent  avec  les  Ulf sparre  et  les  Wrangel. 
On  ne  saurait  énumérer  tous  ceux  qui  furent  blessés  au  cours 
des  combats  ou  moururent  en  se  battant  pour  le  roi  de  France. 
Ces  hommes  appartenant  aux  plus  anciennes  familles  de  la 
Suède  étaient  de  valeureux  guerriers  ;  on  les  rencontre  partout 
où  l'on  se  bat,  en  Pologne  avec  Charles  XII,  en  France  sous 
Louis  XIV  et  ses  successeurs,  en  Amérique  avec  Lafayette  ou 
Rochambeau.  Quelques-uns,  paimi  eux,  Erik  Sparre,  Stedingk, 
Axel  Fersen,  séduisants  cavaliers,  causeurs  délicats  appréciés 
des  jolies  femmes  du  xvme  siècle,  savaient  s'arracher  aux  dou- 
ceurs de  la  cour  pour  aller  conquérir  des  trophées  qu'ils  dépo- 
saient ensuite  aux  pieds  des  nobles  dames.  De  ces  officiers, 
certains  passèrent  plus  de  trente  années  de  leur  vie  au  service 
de  la  France.  Le  baron  d'Armfeldt,  de  son  propre  aveu,  demeura 
trente-cinq  ans  sous  nos  drapeaux.  Après  l'assassinat  de  Gus- 
tave III,  des  Suédois,  et  notamment  de  Ribbing,  l'un  des  chefs 
du  complot,  accusaient  des  Français  résidant  à  Stockholm 
d'avoir  tué  le  roi  ;  le  baron  d'Armfeldt,  parlant  à  Ribbing  s'écria: 
o  J'ai  servi  trente-cinq  ans  en  France  et  je  parie  ma  tête  contre 
la  vôtre  que  ce  n'est  point  un  Français  qui  a  commis  ce  crime  *,  » 


VII 


Après  le  règne  de  Gustave-Adolphe,  la  Suède  est  en  pleine 
prospérité.  Avec  la  richesse  et  une  connaissance  plus  appro- 
fondie des  civilisations  étrangères  naissent  chez  les  Suédois 
les  désirs  de  luxe  élégant.  Leurs  austères  maisons  ne  leur  con- 
viennent plus  et  le  génie  allemand  et  néerlandais  qui  jusqu'alors 
a  agi  sur  les  conceptions  de  leurs  artistes  cesse  de  les  satisfaire, 
Trop  de  Suédois  séjournent  à  Paris  pour  n'apprécier  point  l'art 
français  ;    ils   s'inspirent   directement   de   l'art    qui   les   séduit 

1.  R.  Pétiet,   Gustave  IV  et  la  Révolution  française.  Paris,  1914,  p.  14. 


372  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

et  revenus  dans  leur  pays,  en  propagent  le  goût.  L'influence 
du  Nord  disparaît  à  Stockholm  ;  elle  est  remplacée  par  celle 
de  la  France  et  se  manifeste  sous  une  double  forme  :  l'appel 
en  Suède  de  nombreux  artistes  français  et  l'envoi  dans  nos 
écoles  et  ateliers  de  Suédois  qui  accomplissent  à  Paris  des  stages 
prolongés. 

Vers  la  fin  de  1637,  la  Suède  ayant  demandé  en  Hollande 
un  architecte  notoire,  reçut  un  Français,  Simon  de  la  Vallée 
dont  le  père  avait  travaillé  à  la  décoration  de  l'hôtel  de  ville 
de  Paris.  Le  fils  de  Simon,  Jean,  fut  élevé  au  rang  d'intendant 
royal  des  bâtiments  en  Suède  et  conserva  ce  poste  jusqu'en  1688. 
De  l'époque  de  l'arrivée  en  Suède  de  Simon  de  la  Vallée,  on  peut 
faire  dater  la  reprise  des  rapports  artistiques  de  ce  pays  avec 
la  France.  En  effet,  les  deux  de  la  Vallée,  Jean  surtout,  eut  une 
influence  marquée  sur  deux  architectes  célèbres  de  la  Suède, 
Nicodème  Tessin,  père  et  fils.  A  Jean  de  la  Vallée  et  à  Tessin 
l'aîné,  sont  dûs  les  plans  d'une  œuvre,  maintes  fois  abandonnée 
puis  reprise  :  le  château  royal  de  Stockholm.  De  bonne  heure, 
Nicodème  Tessin,  le  fils,  fut  associé  à  leurs  travaux  et  chargé 
de  les  continuer,  quand,  en  remplacement  de  Jean  de  la  Vallée, 
on  le  nomma  surintendant  des  bâtiments  du  roi  de  Suède. 
Pour  décorer  le  château,  Tessin  appela  de  France  une  pléiade 
d'artistes  ;  pendant  le  temps  de  sa  surintendance,  des  Suédois, 
imitant  son  exemple,  prirent  l'habitude  de  venir  étudier  à 
Paris  chez  nos  maîtres  les  plus  renommés.  Cette  coutume  se 
perpétua  durant  le  xvme  siècle  1. 

Sous  les  règnes  de  Louis  XIV  et  de  ses  successeurs,  Paris 
est  la  première  école  d'art  du  monde  ;  de  l'Europe  entière  y 
accourent  à  l'envi  des  étrangers.  Les  Suédois  constituent  une 
partie  de  cette  légion  cosmopolite  de  peintres,  graveurs,  archi- 
tectes et  sculpteurs  qui  sollicitent  la  faveur  d'entrer  dans  les 
ateliers  français.  Comme  les  nationaux  des  autres  pays,  certains, 
séduits  par  le  charme  de  l'existence  de  Paris,  prolongent  leurs 
études  pendant  plusieurs  années  ;  quelques-uns  même  s'éta- 
blissent définitivement  en  France  et  y  font  souche. 

1.  P.  Lespinasse,  L'Art  français  et  la  Suède  de  1637  à  1816.  Paris,  1913. 


ARTISTES    SUÉDOIS  373 

Nicodème  Tessin,  le  fils,  avait  étudié  à  Paris.  Par  son  entre- 
mise, Cari  Harleman,  avait  obtenu  des  États  une  bourse  de 
voyage.  Il  partit  pour  l'étranger  en  compagnie  du  peintre 
suédois  Wallrave  :  tous  deux  se  dirigèrent  d'abord  vers  Paris* 
L'intention  d'Harleman  était  d'apprendre  la  «  science  des  jar- 
dins »  dont  les  affinités  avec  l'architecture  sont  nombreuses. 
Ayant  obtenu  une  récompense  à  l'Académie  d'architecture, 
Harleman  se  rendit  à  Meudon  où  il  habita  longtemps  le  château 
du  contrôleur  Degant,  possesseur  d'une  collection  de  dessins 
de  Le  Nôtre  que  copia  le  Suédois.  Harleman  partit  ensuite 
pour  l'Italie.  Il  était  à  Venise  lorsqu'il  fut  rappelé  par  Nicodème 
Tessin,  très  malade,  qui  lui  confia  le  soin  de  terminer  le  palais 
de  Stockholm  ;  en  même  temps  qu'à  lui,  le  surintendant  écrivait 
à  son  fils  Cari  Gustave  de  regagner  la  Suède.  Cari  Gustave 
Tessin  s'était  rendu  en  Italie  après  un  long  séjour  à  Paris. 

En  1728,  Nicodème  Tessin  meurt  et  son  fils  est  nommé 
surintendant  «  eu  égard  à  l'habileté  et  à  l'expérience  qu'il  a 
acquises  dans  les  études  et  les  voyages  à  l'étranger  ».  Cari  ne 
fut  pas  un  grand  constructeur  mais  un  amateur  d'art  très 
éclairé.  En  1718,  il  avait  été  envoyé  à  Paris  et  dès  son  arrivée 
son  père  l'avait  prié  «  de  démêler  les  statuts  et  règlements 
qui  régissent  l'Académie  de  peinture  et  de  sculpture  ».  Nico- 
dème Tessin  songeait  à  créer  à  Stockholm  une  institution  ana- 
logue à  celle  que  Paris  possédait  depuis  1648  et  Berlin  depuis 
1694.  En  même  temps  qu'il  étudiait  les  textes  administratifs 
Cari  Tessin  se  formait  le  goût.  Bien  qu'ayant  obtenu  la  charge 
occupée  par  son  père,  il  ne  prit  point  une  part  active  à  l'édifica- 
tion du  palais  suédois  ;  il  abandonna  même  son  office  à  Harle- 
man puis  entra  dans  la  carrière  diplomatique.  En  1739,  Cari 
Tessin  est  ministre  de  Suède  à  Paris  et  malgré  ses  occupations 
politiques,  ne  se  désintéresse  pas  des  beaux-arts  ;  il  est  en  cor- 
respondance suivie  avec  Harleman,  acquiert  pour  la  Suède  des 
œuvres  choisies  et  détermine  Bouchardon  à  passer  à  Stockholm 
comme  professeur  à  l'Académie  qui  a  été  définitivement  créée 
en  1735. 

Malgré   la   fondation    de    l'Académie   suédoise   et    la    présence 
parmi  les  maîtres  de  cette  institution  d'artistes  français  connus, 


374  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Taraval,  Bouchardon,  Larchevêque  et  d'autres  encore,  les  jeunes 
Suédois  estimaient  que  la  meilleure  manière  d'acquérir  les 
connaissances  techniques  et  de  se  former  était  de  passer  quelques 
années  à  Paris.  Ils  savaient  que  le  talent  y  est  toujours  récom- 
pensé ;  leur  compatriote  Garl  Boït  n'avait-il  pas  été  reçu  membre 
de  l'Académie  de  peinture  et  de  sculpture  en  1717  x  ?  Georges 
Engelhard  Schrôder  est  à  Paris  en  1726  ;  Adelcrantz,  futur 
surintendant  des  bâtiments  royaux,  y  séjourna  à  diverses  re- 
prises ;  Jean-Tobias  'Sergell,  élève  distingué  de  Larchevêque, 
est  autorisé  à  suivre  son  maître  quand  celui-ci  quitte  la  Suède. 
Il  est  en  France  en  1759  et  se  prépare  par  ses  études  à  sculpter 
les  statues  de  Descartes  et  d'Axel  Oxenstiern,  deux  de  ses 
œuvres  maîtresses.  Sergell  ne  rentre  en  Suède  qu'en  1778 2. 
Per  Cogell  abandonne  définitivement  sa  patrie  et  finit  ses  jours 
comme  professeur  à  l'Académie  de  Lyon  3.  Fixé  dans  cette 
ville  en  1764  ;  et  appuyé  par  Marie-Antoinette,  il  y  fut,  dix 
ans  après,  nommé  professeur  adjoint  à  l'école  de  dessin.  Paris, 
où  il  se  rendit,  ne  le  retint  guère,  car  en  1779  il  était  choisi 
comme  peintre  ordinaire  de  la  ville  de  Lyon.  Au  début  de  la 
Révolution,  il  repartit  pour  la  Suède  mais  en  1795,  il  était  de 
retour  en  France. 

Au  début  de  1740,  un  artiste  suédois  Jean-E.  Relui,  engage 
ses  compatriotes  résidant  à  Paris  à  apprendre,  comme  lui-même 
l'avait  fait,  la  gravure  à  l'eau-forte  sous  la  direction  de  Le  Bas. 
Cinq  ans  plus  tard,  Harleman  rappelait  Rehn  comme  dessina- 
teur pour  les  fabriques  de  soieries  qu'il  avait  fondées  et  où 
travaillaient  des  artistes  français.  En  même  temps  qu'il  était 
occupé  à  ces  travaux,  Rehn  dirigeait  à  Stockholm  une  école 
de  gravure  ;  il  envoyait  ses  élèves  se  perfectionner  à  Paris. 
Per  Floding  y  passa  neuf  ans  de  1755  à  1764  ;  Gillberg  n'y 
demeura  que  trois  années.  Tous  deux  furent  élèves  de  Cochin, 
Deshayes  et  Natoire.  A  l'époque  où  Floding  gravait  à  Paris, 
Jonas  Hoffman  et  Gustaf  Hesselius  y  apprenaient  la  peinture. 

1.  Ph.  de  Chennevières,  Les  Artistes  étrangers  en  France  ;  notice  sur  Sergelli 
dans  Revue  universelle  des  Arts,  année  1856,  p.  97. 

2.  Id.,  Ibid. 

3.  M.  Audin  et  E.  Vial,  Dictionnaire  des  artistes  et  ouvriers  d'art  de  la  France  ; 
Lyonnais.  Paris,  1919. 


ROSLIN    ET    LAVRINCE  375 

Hoffman  avait  quitté  la  Suède,  en  1755,  muni  d'une  bourse 
d'études  ;  on  la  lui  prolongea  jusqu'en  1770  «  parce  que  de  cette 
manière  il  peut  devenir  de  plus  d'utilité  ».  Cet  artiste  méritait 
d'ailleuis  ce  privilège  ;  en  1760,  il  avait  obtenu  les  deux  seules 
récompenses  dont  l'Académie  disposât  en  faveur  des  étrangers. 
L'Académie  reconnut  plus  tard  son  talent  car  elle  l'élisait, 
en  1770.  Gustaf  Hesselius  était  aussi  demeuré  sept  ans  hors 
de  Suède  mais  sans  profit  apparent  car  on  ne  connaît  de  lui 
aucune  œuvre  remarquable. 

Du  groupe  des  artistes  suédois  qui  exercèrent  leur  art  en 
France,  il  en  est  qu'il  convient  de  mettre  hors  de  pair  à  raison 
de  leur  talent,  de  la  réputation  qu'ils  ont  laissée  et  de  la  durée 
de  leur  séjour  dans  le  royaume. 

Gustave  Lundberg,  pastelliste,  est  à  Paris  en  1717,  il  y  séjour- 
nera vingt-huit  ans.  Après  avoir  travaillé  avec  Largillière, 
de  Troy,  Cazas,  il  s'adonne  aux  portraits.  L'Académie  de  pein- 
ture le  reçoit  au  nombre  de  ses  membres  en  1741  ;  deux  ans 
après,  il  expose  au  Salon  deux  pastels  :  les  portraits  de  Boucher 
et  de  sa  femme  qui  sont  célèbres.  La  Suède  reconquiert  cet 
artiste  en  1745. 

Alexandre  Roslin  est  sans  doute  avec  Lavrince  le  Suédois 
qui  a  laissé  la  plus  grande  célébrité  l.  Il  arrive  à  Paris  vers  1752, 
déjà  connu  ;  l'année  suivante  l'Académie  lui  ouvre  ses  portes 
mais  il  n'est  reçu  qu'au  mois  de  féviier  1754.  Comme  il  était 
luthéiiei),  il  fallut  pour  l'admettre  l'agrément  du  roi  mais  l'obs- 
tacle de  la  religion  fut  levé  pour  lui  ainsi  qu'il  l'avait  été  déjà 
pour  Cari  Boit  et  Lundberg.  Roslin  obtint  du  roi  une  pension 
et  un  logement  au  Louvre  où  il  mourut  en  1793.  De  sa  femme 
Marie-Suzanne  Giroust,  peintre  elle-même,  qu'il  avait  épousée 
en  1759,  Roslin  laissa  une  postérité  dont  la  descendance  existe 
encore. 

Si  Roslin  est  célèbre  par  ses  œuvres  au  nombre  desquelles 
on  cite  notamment  le  portrait  de  Linné,  celui  de  Gustave  III 
et  le  Retour  de  Louis  XV  dans  la  ville  de  Metz,  il  est  également 
connu  par  ses  démêlés  avec  Diderot.  Le  philosophe,  dans  iee 

1.  P.  de  Chenneviôres,  Notice  sur  Roslin,  dans  Revue  universelle  des  Arts,  année 
1856,  p.  385  et  481. 


376  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Salons,  avait  généralement  loué  l'œuvre  du  maître,  quand 
en  1765,  pour  peindre  sa  famille  et  lui-même,  M.  de  la  Roche- 
foucauld préféra  Roslin  à  Greuze.  A  dater  de  ce  moment, 
Diderot  qui  avait  à  Greuze  des  obligations  se  montra  fort  hos- 
tile au  peintre  suédois  et  ses  Salons  reflètent  l'animosité  qu'il 
lui  voua. 

Tout  aussi  Français  que  Roslin  fut  Alexandre  Hall  que  l'on  a 
dénommé  le  «  Van  Dyck  de  la  miniature  ».  L'existence  de  cet 
artiste  fut  mouvementée.  Destiné  à  devenir  médecin  comme  son 
père,  il  avait  étudié  la  physiologie  et  la  chimie  puis  vers  l'âge 
de  dix-neuf  ans,  il  se  prit  de  passion  poui  le  dessin.  Comme  beau- 
coup de  Suédois  de  son  temps,  il  vint  en  France  mais  ayant 
manifesté  le  désir  d'abandonner  la  médecine  pour  se  livrer 
à  la  peinture,  son  père  lui  supprima  tout  subside.  Force  lui  fut 
de  revenir  en  Suède;  en  1760  il  est  de  retour  à  Paris  et  s'y 
fixe  définitivement.  Il  ne  suit  aucun  cours  mais  reçoit  des 
conseils  de  J.  Vernet,  Hubert  Robert,  Greuze,  Madame  Lebrun. 
Son  talent  s'affirme  et  la  vogue  aidant,  tout  Paris  veut  avoir 
son  portrait  miniature  de  la  main  de  Hall  ;  on  fait  queue  à  sa 
porte.  Tout  en  s'adonnant  à  la  peinture,  Hall  continue  à  s'oc- 
cuper de  physique  et  de  chimie  ;  il  travaille  à  améliorer  les 
émaux  qu'on  utilise  à  la  manufacture  de  Sèvres  et  perfectionne 
les  fourneaux  servant  à  la  cuisson  des  pièces. 

En  1769,  l'Académie  de  peinture  ouvre  ses  portes  au  peintre 
suédois  ;  Hall  est  un  homme  arrivé  et  cherche  à  s'établir.  Malgré 
les  difficultés  que  lui  crée  M.  Gobin,  à  raison  de  la  différence 
de  religion  qui  le  sépare  de  sa  fille  Adélaïde,  Hall  vainct  sa  résis- 
tance et  il  épouse  à  Versailles,  en  1771,  la  jeune  élue  de  son 
cœur.  Le  ménage  n'est  pas  toujours  d  accord  ;  Hall,  artiste 
fantaisiste,  aime  la  chasse  et  la  musique  ;  il  oublie  les  rendez- 
vous  et  n'exécute  pas  toutes  les  commandes  qu'on  lui  adresse. 
Néanmoins  il  gagne  largement  de  quoi  satisfaire  au  luxe  de  sa 
femme  ;  la  réputation  du  miniaturiste  va  croissant  chaque 
année.  Pour  lui  témoigner  sa  sympathie,  lors  de  son  voyage  à 
Paris  en  1784,  Gustave  III  se  rend  chez  Hall  et  des  fenêtres  de 
son  appartement  assiste  au  défilé  de  la  procession  de  la  Fête- 
Dieu  célébrée  à  l'église  des  Petits-Pères.  Le  roi  voudrait  bien 


LAVRINCE    EN    FRANGE  377 

voir  le  peintre  revenir  en  Suède  mais  il  s'y  refuse  obstinément. 
La  Révolution  survient  ;  Hall  est  officier  dans  la  garde  bour- 
geoise et  assiste  à  la  prise  de  la  Bastille  ;  ses  relations  avec 
Necker  et  Lafayette  le  compromettent  et,  en  1791,  il  part  pour 
Aix-la-Chapelle  retrouver  Gustave  III  qui  y  est  venu  résider 
afin  de  sauver  Louis  XVI  qu'il  sent  en  danger.  Mais  Hall  ne 
parvient  pas  à  Aix-la-Chapelle,  il  erre  en  Belgique,  atteint  d'une 
grave  maladie  qui  détermine  sa  mort  en  1793. 

De  sa  femme,  Hall  avait  eu  trois  filles  et  un  fils.  Ses  deux 
filles  aînées,  Adèle  et  Angélique  étaient  si  belles  que  Madame 
Lebrun  les  fit  poser  pour  son  tableau  de  la  Paix  ramenant 
l'Abondance  qui  figura  au  Salon  de  1783.  Adèle  avait  épousé 
M.  de  Surleau  qui  périt  sur  l'échafaud  ;  elle  se  remaria  par  la 
suite  au  marquis  Le  Lièvre  de  Lagrange.  Angélique  eut  égale- 
ment deux  époux  successifs.  Seule  Adolphine  demeura  céli- 
bataire. De  son  mariage  le  fils  de  Hall,  Adolphe  n'eut  qu'une 
fille  h 

La  Suède  nous  a  donné  d'autres  artistes.  Nicolas  Lafrensen  — 
alias  Lavrince  —  est  un  de  ces  petits  maîtres  de  la  gouache 
dont  le  talent,  souvent  inspiré  des  conteurs  légers  du  xvine  siècle, 
s'est  exercé  dans  le  genre  badin.  Des  «  dessus  de  boëtes  »,  des 
dessins  aux  touches  légères  lui  ont  valu  une  réputation  d'ar- 
tiste charmant  et  son  œuvre,  maintes  fois  gravé,  a  été  digne- 
ment célébré  par  les  frères  Goncourt,  ces  appréciateurs  des 
grâces  du  siècle  de  la  Pompadour  et  de  la  du  Barry. 

En  1771  Lavrince  avait  fait  un  premier  séjour  en  France  ;  il 
composa  le  Bal  masqué  donné  à  la  Cour  en  l'honneur  de  Gus- 
tave III,  voyageant  alors  incognito  sous  le  nom  de  duc  de 
Gothland.  Après  une  absence,  Lavrince  revint  à  Paris  en  1774  ; 
il  y  connut  tous  les  succès  mais  son  talent  n'étant  plus  de  ceux 
qu'appréciaient  les  Français  de  1791,  il  rentra  dans  son  pays2. 
N'ayant  jamais  exposé  aux  Salons,  Lavrince  ne  connut  pas  les 
honneurs  officiels;  il  ne  fut  jamais  membre  de  l'Académie. 
Son    compatriote    Ulric    Vertmuller    fut    au    contraire    agrégé 

1.  F.  Villot,  Hall  miniaturiste.  Paris,  1807.  Chap.  rr.  Biographie  «t  p.  Cl. 

2.  H.  Vienne,  Nicolas  Lafrensni.  extrait  de  la  Gazette  des  Beaux-Arts,  mars  18G9. 
— -  Oscar  Levertin,  Nicolas  Lafrensen.  Stockholm,  1899. 


378  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

en  1783  et  académicien  deux  ans  plus  tard.  Cet  artiste  suédois 
obtint  un  grand  succès  au  Salon  do  1785.  Il  y  exposait  La  Reine, 
le  Dauphin  et  Madame,  fille  du  roi,  se  promenant  dans  le  jardin 
anglais  du  petit  Trianon.  Avant  Lavrince,  Vertmuller  sortit 
de  France  ;  dès  1788  on  perd  totalement  sa  trace  et  l'on  ignore 
le  lieu  de  sa  retraite.  La  Suède  ne  possède  aucune  œuvre  de  la 
main  de  cet  artiste  que  Gustave  III  avait  cependant  nommé 
«  premier  peintie  du  roi  de  Suède  »  K 


VIII 


Que  la  reine  de  France  posât  devant  un  artiste  suédois,  à  cela 
rien  d'étonnant  !  Il  existait  alors  à  la  Cour  un  groupe  de  gen- 
tilshommes du  Nord  fort  apprécié  des  plus  hauts  personnages. 
Ils  se  réunissaient  autour  du  comte  de  Creutz,  ambassadeur 
de  Suède,  homme  aimable,  distingué,  poète  à  ses  heures  et  qui 
depuis  l'année  1766  résidait  à  Paris.  Écrivant  à  Gustave  III, 
il  lui  mandait  :  «  Tous  nos  Suédois  réussissent  ici  au  delà  de 
toute  expression,  on  les  trouve  instruits,  aimables  et  de  la  meil- 
leure compagnie  ;  on  m'a  demandé  récemment  si  le  roi  choi- 
sissait ceux  à  qui  il  permettait  de  venir  en  France...2  » 

A  rendre  ce  témoignage  de  ses  compatriotes,  Creutz  n'était 
pas  le  seul.  Madame  de  Boufïïers  pensait  comme  lui  et  écrivait 
dans  le  même  sens  à  Gustave  III. 

Lorsque,  sous  le  nom  de  duc  de  Gothland,  quelques  jours 
à  peine  avant  de  monter  sur  le  trône,  Gustave  III  était  venu 
séjourner  à  Paris,  il  s'était  lié  d'une  tendre  amitié  avec  la  com- 
tesse de  Boufïïers  et  dès  son  retour  en  Suède  il  entama  avec 
elle  une  correspondance   active  3.   De  cet  échange   de  lettres, 


1.  Ph.  de  Chennevières,  Notice  sur  Ulric  Wertmuller,  dans  Revue  universelle  des 
Arts,  année  1857,  p.  5. 

2.  A.  Geffroy,    Gustave  III  et  la  Cour  de  France.  T.  I.  Lettre  du  7  mars  1779. 

3.  Aurélien  Vivie,  Lettres  de  Gustave  III  à  la  comtesse  de  Boufflers  et  de  la  comtesse 
de  Boufflers  à  Gustave  III.  Paris,  1898. 


MADAME    DE    BOUFFLERS    ET    LES    SUÉDOIS  ,       379 

fort  intéressantes  pour  l'histoire  des  mœurs  en  France  et  des 
idées  politiques  et  littéraires  de  Gustave  III,  il  appert  que  la 
comtesse  de  Boufïïers  joua  vis-à-vis  des  Suédois  un  rôle  analogue 
à  celui  de  Madame  Geofîrin  à  l'égard  des  Polonais.  Il  n'est  Sué- 
dois de  qualité  qui  n'apporte  à  Madame  de  Boufïïers  une  lettre 
de  son  royal  ami  et  ne  lui  vienne  présentei  ses  hommages  à  son 
arrivée  à  Paris.  Elle  les  reçoit  à  dîner  dans  sa  maison  d'Auteuil. 
«  Je  donne  aujourd'hui  à  dîner  à  la  campagne  à  tous  les  Suédois 
que  je  connais  à  Paris  »,  fait-elle  savoir  à  Gustave  III,  le  16  oc- 
tobre 1779,  et  elle  ajoute  :  «  Il  n'y  a  jamais  eu  une  nation  plus 
distinguée  par  la  politesse,  la  discrétion,  la  bonne  conduite 
et  toutes  les  qualités  estimables  que  la  nation  suédoise,  si  l'on 
en  juge  par  ceux  que  nous  voyons  en  France  1...  »  Pour  ses 
amis  suédois,  Madame  de  Boufïïers  s'entremet  auprès  de  Marie- 
Antoinette,  elle  les  pousse  à  la  cour  et  les  fait  apprécier  de  la 
souveraine  qui  lui  dit  une  fois  :  «  Je  me  fais  tous  les  jours  des 
querelles  pour  les  Suédois  ;  nous  les  traitons  absolument  comme 
s'ils  étaient  Français  2.  » 

Madame  de  Boufflers  est  vraiment  la  «  maman  des  Suédois  » 
comme  Madame  Geofîrin  celle  des  Polonais.  Messieurs  de 
Dyben,  de  Lieven,  de  Lœwenhaupt,  le  comte  de  Brahé,  le  comte 
de  Sparre,  fils  de  l'ancien  ambassadeur  de  Suède,  aiment  à  se 
rencontrer  chez  cette  aimable  femme.  Outre  qu'elle  les  accueille 
de  charmante  manière,  un  mot  de  Madame  de  Bouïïlers  peut 
leur  être  utile  auprès  de  Gustave  III  ou  les  desservir.  Elle  est 
au  courant  de  tous  leurs  faits  et  gestes  et  les  mande  au  roi  de 
Suède  ;  également,  il  lui  fait  confidence  de  ses  soucis  politiques  ; 
pour  avoir  son  opinion  il  lui  adresse  la  nouvelle  constitution 
qu'il  a  promulguée  et  qui  supprime  les  pouvoirs  de  la  Diète 
suédoise. 

Après  la  révolution  de  1772,  Frédéric-Guillaume,  comte 
d'Hesseinstein,  fils  naturel  du  roi  Frédéric  Ier  et  de  la  comtesse 
de  Taube  donne  sa  démission  de  toutes  les  charges  qu'il  occupe 
à  la  cour  de  Suède  ;  sa  conscience  n'admet  pas  que  le  roi  ait 

1.  Aun'licn  Vivle,  Lettres  de  Gustave  III  à  la  comtesse  de  Boufjlers  et  de  la 
comtesse  de  Boufjlers  à   Gustave  III.  Paris,  1898,  p.  143. 

2.  Id.,  Ibid.,  p.  226. 


380  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

confisqué  à  son  profit  les  tyranniques  privilèges  de  la  noblesse 
suédoise  et  l'ait  reléguée  à  l' arrière-plan.  Gustave  III  transmet 
à  Madame  de  Boufïlers  sa  lettre  de  démission  mais  comme  elle 
est  tiès  digne,  il  lui  recommande  cependant  Hessenstein  qui 
vient  en  France  prendre  du  service  et  visiter  le  royaume. 
Le  frère  du  roi,  Frédéric,  duc  d'Ostrogothie,  qui  s'est  montré 
tout  dévoué  à  Gustave  III  lors  de  la  révolution,  est  à  Lyon 
en  1777.  La  belle  comtesse  est  tenue  au  courant  de  ses 
amours  et  en  fait  part  au  roi  de  Suède,  elle  lui  écrit  :  «  On 
dit  qu'il  est  devenu  fort  amoureux  de  Mademoiselle  de  Foll 
qui  est  une  personne  charmante,  mais  comme  ce  nouvel 
amour  a  été  prompt,  il  faut  espérer  qu'il  passera  aussi  vite 
qu'il  est  venu.  » 

Moins  heureuse  que  Madame  Geoffrin  qui  fit  un  voyage  triom- 
phal en  Pologne,  la  comtesse  de  Boufïlers  ne  put  se  rendre  en 
Suède  malgré  les  invitations  pressantes  de  Gustave  III.  A  diverses 
reprises  il  lui  avait  envoyé  M.  de  Cederhielm  qui  était  chargé 
de  la  déterminer  à  passer  en  Suède  mais  Madame  de  Boufïlers, 
se  retranchant  derrière  les  difficultés  du  voyage  et  ses  embarras 
pécuniaires,  remettait  d'année  en  année  ce  déplacement  qui 
cependant  n'eut  été  ni  fatigant  ni  onéreux  pour  elle  puisque 
M.  de  Cederhielm  avait  mission  de  préparer  tous  ses  gîtes 
d'étape  et  de  régler  toutes  les  dépenses  du  voyage.  Ce  fut  Gus- 
tave III  qui  vint  en  France  en  1784,  cachant  sa  personnalité 
sous  le  nom  de  comte  de  Haga.  Madame  de  Boufïlers  qui  n'avait 
point  rencontré  son  royal  ami  depuis  le  séjour  qu'il  avait  fait 
à  Spa  en  1780  et  où  elle  s'était  rendue  pour  le  retrouver,  fut 
tout  heureuse  d'apprendre  la  détermination  du  roi  de  Suède. 
Quand  le  voyage  fut  officiellement  décidé,  Madame  de  Boufïlers 
lui  fit  savoir  quelles  fêtes  somptueuses  on  préparait  en  son 
honneur  ;  mais  Gustave  III  lui  répondit  qu'après  un  bref  séjour 
à  Versailles,  il  entendait  demeurer  libre  de  vivre  à  sa  guise 
et  de  visiter  seulement  telles  personnes  qui  lui  plairaient. 
Il  désirait  surtout  éviter  les  philosophes,  gens  importuns  qu'il 
détestait.  Malgré  l'affection  qu'il  portait  à  ses  sujets  résidant 
en  France,  le  roi  de  Suède  ne  se  souciait  pas  de  les  voir  venir 
à  sa  rencontre. 


GUSTAVE    III    ET    MADAME    DE    BOUFFLERS  381 

En  arrivant  d'Italie  à  Lyon  il  écrivait  à  Madame  de  Boufïlers 
de  ne  pas  dévoiler  le  jour  de  sa  venue  à  Fontainebleau.  «  Je 
crains  la  foule  des  Suédois  qui  ne  feroit  que  m'incommoder  K  » 

L'intimité  des  relations  de  Gustave  III  et  de  Madame  de 
Boufïlers  éclate  à  la  lecture  de  leur  correspondance  ;  cette  affec- 
tion était  connue  des  Suédois  établis  à  la  Cour.  Au  vrai,  ce  n'était 
pas  seulement  avec  l'amie  du  roi  qu'ils  se  montraient  gracieux. 
Le  comte  de  Creutz  marquait  dans  ses  lettres  à  son  souverain 
que  Mesdames  de  Lauzun,  de  Luynes,  de  Brancas  et  de  la 
Mark,  cette  dernière  un  peu  jalouse  de  l'amitié  de  Gustave  III 
et  de  Madame  de  Boufïlers,  accueillaient  avec  sympathie  les 
jeunes  Suédois.  Elles  ne  pouvaient  notamment  se  passer  de 
M.  de  Stedingk. 

Entré  au  Roy  al- Suédois  en  1766,  de  Stedingk  cherchait  une 
occasion  de  se  distinguer.  Avec  plusieurs  autres  de  ses  compa- 
triotes au  service  de  Louis  XVI,  de  Nauchkofï,  Petersen,  Briim- 
mer,  Grubé,  Cederstrôm,  il  partit  au  début  de  1779  pour  prendre 
part  à  la  guerre  d'Amérique.  Blessé  lors  de  la  prise  de  la  Gre- 
nade, il  participa  à  l'expédition  malheureuse  de  Savannah 
qu'il  avait  cependant  déconseillée  au  comte  d'Estaing.  A  son 
retour  en  France,  il  reçut  de  Louis  XVI  l'ordre  du  Mérite,  fut 
admis  à  la  Cour  et  y  connut  les  plus  vifs  succès.  En  1784,  le 
comte  de  Haga  eut  maintes  fois  l'occasion  de  rencontrer  Ste- 
dingk chez  les  amies  de  la  reine  ;  il  était  de  leurs  commensaux 
favoris.  Malheureusement  pour  lui  et  quelques-uns  de  ses 
compatriotes,  la  guerre  de  1787  entre  la  Suède  et  la  Russie 
l'obligea  à  regagner  la  Finlande.  Au  cours  des  nuits  glacées, 
Stedingk  évoquait  le  souvenir  des  brillantes  fêtes  de  Versailles 
mais  en  officier  dévoué,  il  écrivait  à  Gustave  III  :  «  Le  ciel  me 
fait  la  grâce  de  ne  pas  trop  songer  à  la  France  ;  c'est  la  plus 
forte  preuve  que  je  puisse  donner  de  mon  attachement  à  Votre 
Majesté  2.  » 

Les  exploita  de  Stedingk  en  Amérique  l'avaient  rendu  popu- 
laire a  Paris  ;  on  donna  sur  un  théâtre  une  pièce  dans  laquelle 
il  était  repiésenté  à  l'assaut  de  Savannah.  Mademoiselle  Necker 

1 .  Lettres  de  Gustave  III  à  madame  de  Boufflers,  p.  330. 

2.  A.  Geffroy,  Gustave  III  et  la  Cour  de  France,  t.  I,  chap.  vi. 


382  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANGE 

composa  des  vers  en  son  honneur  ;  cette  jeune  fille  était  alors 
la  plus  riche  héritière  de  Paris  et  les  amis  de  Stedingk  songeaient 
à  la  lui  faire  épouser.  Mais,  déjà,  Mademoiselle  Necker  avait 
une  inclination  pour  un  autre  Suédois  :  le  baron  de  Staël  qui, 
depuis  1776,  était  attaché  à  l'ambassade  de  Suède  près  de  la 
cour  de  France. 

«  Agréable  de  sa  personne,  instruit,  laborieux,  réservé,  d'un 
esprit  fin  et  délicat  »  le  baron  de  Staël  avait  acquis  les  sympa- 
thies du  comte  de  Creutz,  son  chef  ;  après  l'avoir  élogieus  ,ment 
noté,  l'ambassadeur  de  Suède  écrivait  à  Gustave  en  1778  : 
«  M.  de  Staël  réussit  admirablement.  La  comtesse  Jules  de  Poli- 
gnac  a  pour  lui  la  plus  tendre  amitié  ;  il  est  extrêmement  bien 
avec  toutes  les  personnes  à  la  mode...  »;  cinq  ans  plus  tard 
Creutz  mandait  à  son  souverain  :  «  Votre  Majesté  ne  peut  pas 
imaginer  à  quel  point  le  roi  et  la  reine  s'intéressent  à  M.  de 
Staël  :  le  roi  l'aime  autant  que  la  reine  et  le  traite  avec  une  véri- 
table affection.  De  l'aveu  du  roi  lui-même,  M.  de  Staël  a  des 
audiences  particulières  de  la  reine,  ce  que,  comme  ambassadeur, 
je  ne  puis,  moi-même  obtenir.  » 

Ainsi  appuyé  le  baron  de  Staël  portait  haut  ses  prétentions  ; 
il  était  de  naissance  illustre  mais  sans  fortune  ;  pour  sou- 
tenir l'éclat  de  son  nom  il  lui  fallait  contracter  un  riche  mariage. 
Il  demanda  la  main  de  Mademoiselle  Necker.  Une  véritable 
campagne  diplomatique  s'engagea  au  sujet  de  cette  union. 
Pour  accorder  leur  consentement,  les  parents  exigeaient  que 
Gustave  III  donnât  pour  toujours  à  M.  de  Staël  l'ambassade 
de  Paris,  une  pension  de  25.000  livres  au  cas  où  ce  poste  lui 
serait  retiré,  le  titre  de  comte,  l'ordre  de  l' Étoile-Polaire.  En 
outre,  M.  de  Staël  ne  devait  jamais,  sauf  pour  de  courtes 
absences,  emmener  sa  femme  en  Suède. 

Par  l'insistance  de  Madame  de  Boufflers,  par  l'intermédiaire 
•de  Louis  XVI  et  de  Marie-Antoinette,  grâce  à  l'appui  de  M.  de 
Creutz,  lui-même,  M.  de  Staël  obtint  l'ambassade  de  France 
en  1783.  Bien  que  la  condition  essentielle  du  programme  de 
Necker  fut  remplie  le  mariage  n'eut  cependant  pas  lieu  avant 
•deux  années  révolues;  il  ne  fut  célébré  qu'au  mois  de  jan- 
vier 1786. 


LE    BARON    DE    STAËL  383 

Ambassadeur  de  Suède  auprès  du  roi,  le  baron  de  Staël  a 
laissé  une  volumineuse  correspondance  adressée  à  son  souverain 
qui  s'étend  de  l'année  1784  au  début  de  février  1792  \  Cette 
correspondance  est  curieuse  à  plus  d'un  titre.  Outre  qu'elle  fait 
revivre  les  événements  du  début  de  la  Révolution,  elle  dénote 
de  la  part  de  l'ambassadeur  un  tempérament  libéral  dont  les 
conceptions  politiques  sont  diamétralement  opposées  à  celles 
de  Gustave  III.  «  Ce  prince  se  posant  en  paladin  de  la  royauté 
ne  songeait  à  rien  moins  que  de  rallier,  sous  son  commandement 
tous  les  rois  de  l'Europe  afin  de  voler  au  secours  de  Louis  XVI 
et  de  relever  son  trône.  »  Pour  mettre  ses  projets  à  exécution 
il  était  venu  s'établir  à  Aix-la-Chapelle  ;  de  là,  il  surveillait 
avec  une  attitude  hostile  les  chefs  de  la  Révolution.  Il  avait 
même  en  Axel  Fersen  un  homme  de  confiance  chargé  de  contre- 
carrer les  vues  du  baron  de  Staël. 

Au  début  de  février  1792,  ce  dernier  avait  quitté  Paris  pour 
la  Suède  ;  il  y  revint  à  la  fin  de  l'année.  Le  duc  de  Sudermanie, 
régent  du  royaume  après  l'assassinat  de  Gustave  III,  appré- 
ciait les  projets  du  baron  de  Staël,  totalement  différents  de  ceux 
de  Fersen  ;  il  désirait  un  rapprochement  avec  la  France  révolu- 
tionnaire et  avait  chargé  son  ambassadeur  de  négocier  dans  ce 
sens.  Un  traité  avantageux  avait  même  été  offert  par  Lebrun 
à  la  Suède  à  la  condition  qu'elle  reconnut  la  République  fran- 
çaise mais  le  régent  n'osa  accepter  ce  pacte  d'alliance  ;  il  eut 
peur  d'ameuter  tout  le  pays  et  l'Europe  entière  contre  lui. 
Les  efforts  du  baron  de  Staël  avaient  été  vains.  Il  quitta  la 
France  avec  sa  femme  en  1793,  se  retira  à  Coppet,  voyagea, 
alla  en  Suède  et  revint  à  Paris  en  1795.  A  ce  moment,  il  prit  sur 
lui  de  faire  reconnaître  la  République  par  la  Suède,  fut  solen- 
nellement reçu  par  la  Convention  le  4  floréal  et  seul,  prépara 
un  traité  d'alliance  entre  les  deux  pays.  Désavoué  par  îe  duc  de 
Sudermanie  qui  se  rapprocha  de  la  Russie,  il  reçut  l'ordre  de 
quitter  son  poste  et  au  cours  de  l'été  de  1796,  se  retira  définiti- 


1.  L.  Leouzon  Le  Duc,  Correspondance  diplomatique  du  baron  de  Staël  Holstein. 
Pttllt,  1884.  Introduction  et  p.  255  et  suiv.  —  Correspondance  de  la  comtesse  de 
Boufllers...,  passtm.  —  CM.  Baille,  Notes  sur  le  baron  de  Staël.  Extrait  des  Annales 
franc-comtoises.  Besançon,  1895. 


384  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

vement  à  Coppet.  Au  cours  d'un  voyage  qu'il  effectua  en  France, 
il  mourut  à  Poligny,  le  19  floréal  an  X. 

Au  nom  du  baron  de  Staël  s'oppose  tout  naturellement  celui 
d'Axel  Fersen. 

En  1771  Axel  Fersen  a  seize  ans  ;  il  est  aspirant  dans  un  régi- 
ment de  la  garde.  L'âge  est  venu  pour  lui  d'accomplir  son  tour 
d'Europe,  il  part  avec  son  précepteur  Bolemany.  Après  un  séjour 
en  Italie,  il  est  à  Paris  à  la  fin  de  1773  ;  aussitôt  il  est  accueilli 
dans  les  salons  et  à  la  cour.  Le  jour  de  l'an  1774,  il  est  présenté 
au  roi  ;  le  10  janvier,  il  assiste  à  un  bal  intime  donné  par  la 
Dauphine  et  le  30,  cause  longuement  avec  elle  au  bal  de  l'Opéra. 
Ses  succès  mondains  sont  nombreux  et  Creutz,  ambassadeur  de 
Suède  à  Paris,  écrit  à  Gustave  III  pour  lui  vanter  l'esprit  et  le 
caractère  du  jeune  Fersen. 

La  mort  de  Louis  XV  interrompt  les  fêtes.  Fersen  part  pour 
Londres  le  26  mai  1774.  Quatre  ans  plus  tard,  il  revient  à  Ver- 
sailles. «  Vieille  connaissance  »  de  Marie-Antoinette,  il  est  admis 
dans  le  cercle  intime  de  Trianon1  ;  Fersen  participe  à  toutes  les 
fêtes,  chez  la  Dauphine,  la  princesse  de  Lamballe,  Madame  de 
Polignac.  Creutz  mande  à  son  souverain  que  la  reine  ne  quitte 
des  yeux  le  sémillant  Suédois.  Fersen  comprend  la  sympathie 
qu'il  inspire.  Il  demande  à  partir  en  Amérique,  fait  la  campagne 
puis,  la  guerre  terminée,  revient  à  Versailles.  Par  la  protection 
du  ioi  de  Suède  et  de  Marie-Antoinette,  il  devient  propriétaire 
colonel  du  Royal- Suédois  ;  il  ne  demeure  pas  longtemps  à  la 
tête  de  son  régiment.  En  effet,  Gustave  III  le  désigne  pour  le 
suivre  en  Italie  ;  après  huit  mois  de  séjour  dans  la  Péninsule 
le  roi  de  Suède  vient  à  Paris,  Fersen  est  à  ses  côtés.  Ensemble, 
ils  passent  en  Suède.  Fersen  y  demeure  quatre  mois,  rentre 
à  Paris,  s'en  éloigne  pendant  deux  ans  pour  prendre  part  à  la 
guerre  russo-suédoise  mais  avant  même  que  cette  guerre  soit 
terminée,  il  est  renvoyé  en  France.  Fersen  y  arrive  à  la  veille 
des  événements  révolutionnaires. 

Si  de  temps  à  autre,  il  est  obligé  de  se  rendre  à  Valenciennes 
où  son  régiment  tient  garnison,  c'est  à  Versailles  que  Fersen 

1.  O.-G.  de  Heidenstam,  Marie- Antoinette,  Fersen  et  Barnave.  Paris,  1913. 


AXEL    FERSEN  385 

passe  la  majeure  partie  de  son  existence.  Dans  les  conjonctures 
angoissantes  au  milieu  desquelles  se  meuvent  Louis  XVI  et 
Marie-Antoinette,  Axel  Fersen  se  montre  l'un  de  leurs  amis  très 
sûrs.  Pour  eux  et  pour  «  celle  que  jamais  un  instant  il  n'a  cessé 
d'aimer  et  tout  du  tout  il  aurait  sacrifié  »,  Fersen  sera  le  plus 
dévoué  des  chevaliers.  Il  s'entremet  pour  faciliter  l'entrevue 
secrète  de  Mirabeau  et  de  Marie-Antoinette  à  Saint-Cloud 
et  prend  la  part  la  plus  active  à  l'organisation  de  la  fuite  à 
Varennes.  Il  prépare  les  plans,  combine  le  voyage,  obtient  les 
passeports  de  la  famille  royale  et,  le  jour  venu,  il  conduit  lui- 
même  la  berline  de  Louis  XVI  jusqu'à  Bondy  ;  puis,  laissant 
la  voiture  poursuivre  sa  route,  il  se  rend  en  hâte  à  Mons.  Gus- 
tave III  réside  à  Aix-la-Chapelle  ;  il  y  est  venu  pour  suivre  les 
événements  et  s'efforcer  de  sauver  le  roi  de  France.  C'est  là  que 
Fersen  doit  l'aviser  de  l'issue  de  l'entreprise. 

On  sait  le  reste  et  comment  le  preux  Suédois  essaya  d'orga- 
niser une  nouvelle  tentative  de  fuite  sans  réussir  à  persuader 
à  Louis  XVI  de  l'entreprendre.  Les  événements  se  précipitent, 
Louis  XVI  est  exécuté,  Fersen  par  tous  moyens  essaie  de  sauver 
Marie-Antoinette.  Gustave  III  étant  mort  et  le  régent  du  royaume 
le  duc  de  Sudermanie,  cherchant  à  se  rapprocher  de  la  France 
révolutionnaire,  l'ami  de  la  reine  essaie  de  le  détourner  de  cette 
politique.  Mais  tous  ses  efforts  sont  vains  et  c'est  à  Bruxelles 
que  Fersen  apprend  que,  le  16  octobre,  la  reine  est  montée  sur 
l'échafaud.  «  Ma  douleur  est  à  son  comble  et  je  ne  sais  comment 
je  puis  vivre  et  supporter  ma  douleur.  Elle  est  telle  que  rien 
ne  pourra  jamais  l'effacer.  J'aurai  toujours  présente  devant 
moi,  en  moi,  son  image...  Tout  est  fini  pour  moi...  »,  écrit  Fersen 
à  sa  sœur  Sophie. 

Ce  chevalier  sans  peur  et  sans  reproche  qui  portait  les  cou- 
leurs de  la  reine  et  n'avait  qu'un  désir,  mourir  pour  «  sa  dame  », 
ne  regagna  la  Suède  que  lors  de  l'avènement  de  Gustave  IV, 
en  1796.  Il  fut  nommé  grand  maréchal  du  royaume. 


25 


CHAPITRE    II 
Les  Danois  en  France 


I.  Relations  franco-danoises  au  moyen-âge  ;  étudiants  danois  à  Paris  et  Orléans. 
—  II.  Danois  en  France  sous  le  règne  de  François  Ier  ;  traités  de  commerce 
franco-danois.  —  III.  Étudiants,  voyageurs  et  savants  en  France  au  xvii*  siècle  ; 
médecins  célèbres  à  Paris  ;  Winslow.  —  IV.  Souverains  et  princes  danois  à  Paris 
et  en  France  ;  artistes  et  commerçants  danois  au  xvine  siècle.  —  V.  Officiers 
danois  au  service  de  la  France  :  Rântzau,  Lôwendal. 


Au  xne  siècle  les  Danois  étaient  chrétiens  et  ces  anciens  pirates 
avaient  cessé  de  menacer  l'Europe  de  leurs  ravages.  Leurs 
mœurs,  sous  l'influence  du  christianisme  s'étaient  adoucies 
et  les  Danois  cherchaient  à  se  mêler  aux  peuples  civilisés. 
A  la  faveur  des  croisades  auxquelles  ils  prirent,  ainsi  que  les 
autres  populations  Scandinaves,  une  part  fort  active  *-,  les 
Danois  avaient  appris  à  connaître  la  France  et  ils  s'étaient 
accoutumés  à  venir  demander  à  ses  écoles  et  à  ses  monastères 
les  moyens  de  s'instruire. 

Dès  1152,  Eskill,  futur  archevêque  de  Lund,  accomplissait 
un  voyage  d'études  en  France,  il  se  liait  avec  Pierre  de  Celles, 
Geoffroy  d'Auxerre,  Jean  de  Salisbury  ;  deux  ans  après,  il 
revenait  à  Clairvaux  puis  en  1176  se  retirait  complètement 
dans  la  célèbre  abbaye  cistercienne  où  il  mourut  en  1181  a. 
Son  successeur  sur  le  trône   archiépiscopal  de  Lund,  étudiait 

1.  P.  Riant,  Les  Scandinaves  en  Terre  Sainte.  Paris. 

2.  Laporte  du  Theil,  Mémoire  concernant  les  relations  qui  existaient  au  XIIe  siècle 
entre  la  France  et  le  Danemark,  dans  Mémoires  de  l'Institut.  Littérature  et  Beaux- 
Arts,  t.  IV,  p.  212  et  suiv. 


RELATIONS    FRANCO-DANOISES    AU    MOYEN    AGE  387 

à  Paris  en  1178.  Sur  ses  instances,  Guillaume,  chanoine  régulier 
de  Sainte-Geneviève,  passait  en  Danemark  où  il  devait  mourir 
comme  abbé  du  monastère  de  Ebelholt  en  Seeland.  Durant 
quarante  années  Guillaume  vécut  en  Danemark  mais  il  ne  cessa 
jamais  de  correspondre  avec  la  France;  il  y  revint  d'ailleurs 
à  diverses  reprises.  Ce  fut  lui  qui  participa  aux  négociations 
du  mariage  de  Philippe- Auguste  et  d' Ingeburge  de  Danemark 
et  détermina  le  roi  de  France  à  envoyer  en  Danemark,  en  1193, 
une  ambassade  chargée  de  demander  à  Kanut  YI  la  main  de 
cette  princesse  l. 

Cette  union  était  des  plus  habiles  au  point  de  vue  politique. 
Ingeburge  appartenait  en  effet  à  une  race  royale  en  possession 
d'anciens  droits  sur  le  royaume  britannique  car  elle  était  de  la 
maison  des  Estrithides  qui,  se  croyant  légitime  héritière  de  la 
double  couronne  danoise  et  anglaise  de  Hard-Kanut,  mort 
en  1042,  traitait  d'usurpateurs  les  descendants  des  rois  nor- 
mands. Au  sein  même  de  l'Angleterre,  s'était  formé  un  parti 
d'opposition  contre  les  Plantagenets  et  Philippe-Auguste  sui- 
vait les  gestes  de  ce  parti.  L'occasion  de  créer  des  difficultés 
à  l'Angleterre  était  favorable  ;  Richard  Cœur  de  Lion  était  pri- 
sonnier en  Allemagne  et  avec  l'aide  de  son  beau-frère  Kanut  VI, 
possesseur  d'une  puissante  marine,  Philippe-Auguste  espérait 
réaliser  au  profit  de  la  France  le  démembrement  de  la  monar- 
chie britannique. 

Philippe-Auguste  agréé  par  Ingeburge  de  Danemark  celle-ci 
fut  amenée  en  France  par  l'évêque  de  Roeskilde.  Il  est  pro- 
bable que  la  princesse  danoise  amena  avec  elle  quelques  compa- 
triotes chargés  de  constituer  sa  maison. 

Le  mariage  royal  eut  lieu  à  Amiens  le  14  août  1198  et  le 
lendemain,  Ingeburge  était  sacrée  reine  de  France  ;  mais  dès 
le  15  novembre,  par  sentence  rendue  à  Compiègne,  l'archevêque 
de  Reims,  oncle  de  Philippe-Auguste,  Guillaume  aux  Blanches 
Mains  déclarait  nul  le  mariage  du  roi.  La  reine  fut  enfermée 
à  Cysoing.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  relater  les  événements  qui  sui- 
virent cette  sentence,  la  lutte  entre  la  royauté  et  la  Cour  de 

1.  Id.,  Ibid.  —  A.  Germain,  L'alliance  franco-danoise  au  moyen-âge.  Montpellier, 
1871. 


388  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Rome  ;  il  suffît  de  rappeler  que  Philippe- Auguste  finit  par  re- 
prendre près  de  lui  Ingeburge  de  Danemark,  passa  à  ses  côtés 
les  dix  dernières  années  de  sa  vie  et  qu'elle-même  ne  mourut 
qu'au  mois  de  juillet  1236  l* 

Malgré  ses  démêlés  avec  Ingeburge,  Philippe  -  Auguste 
avait  fondé  l'alliance  franco-danoise  ;  ses  successeurs  n'atta- 
chèrent pas  moins  de  prix  à  cette  union  et  elle  se  resserra  sous 
les  premiers  Valois.  La  France  avait  besoin  de  l'appui  du  Dane- 
mark contre  l'Angleterre  et  les  rois  de  Danemark  pouvaient 
espérer,  grâce  à  notre  concours,  voir  aboutir  la  revendication 
de  leurs  anciens  droits  sur  la  couronne  britannique  2. 

Au  début  de  l'année  1356,  le  roi  Jean  le  Bon  envoyait  au  roi 
Valdemar  III  une  ambassade  chargée  de  lui  proposer  un  mariage 
entre  leurs  enfants  respectifs  mais  la  captivité  du  roi  avait  arrêté 
les  négociations  3.  Tandis  qu'il  était  retenu  prisonnier  chez  les 
Anglais,  Charles  V,  alors  régent  et  aux  prises  avec  des  difficultés 
intérieures  songea  à  effectuer  un  débarquement  en  Angleterre 
et  concerta  ce  projet  en  1359  avec  Valdemar  III,  roi  de  Dane- 
mark. Les  Écossais  et  les  Gallois  devaient  prendre  part  à  la 
lutte  contre  Edouard  III  4.  Le  plan  des  alliés  ne  put  être  mis 
à  exécution  ;  néanmoins  l'accord  subsista  entre  les  deux  pays. 
En  1364,  Valdemar  III  vint  à  Avignon  rendre  visite  au  pape 
Urbain  V  et  le  Dauphin  l'envoya  saluer  par  son  sergent  d'armes  5. 

Au  xve  siècle,  la  politique  d'alliance  entre  la  France  et  le 
Danemark  était  encore  vivace  ;  en  1456,  Charles  VII  et  Chris- 
tiern  Ier  s'engageaient  par  un  traité  à  attaquer  en  commun 
l'Angleterre  6. 

L'union  des  deux  pays  depuis  la  fin  du  xne  siècle  n'était 
pas  basée  sur  de  seuls  mobiles  politiques  ;  elle  était  étroite  au 
point   de  vue  religieux,   moral  et  intellectuel.   Des  privilèges 


1.  H.  Géraud,  Philippe-Auguste  et  la  reine  Ingeburge,  dans  Bibliothèque  de 
l'Ecole  des  Chartes,  2e  s.,  t.  I,  p.  1  et  92.  —  J.  Mathorez,  Guillaume  aux  blanches 
mains.  Chartres,  1912,  p.  65. 

2.  A.  Germain,  L'alliance  franco-danoise  au  moyen-âge. 

3.  L.  Delisle  a  publié  ce  mandement  du  13  février  1356,  dans  Revue  des  Sociétés 
savantes,  juillet  1866,  t.  IV,  p.  33. 

4.  A.  Germain,  op.  cit.,  p.  15. 

5.  L.  Delisle,  op.  cit.,  voir  note  3. 

6.  A.  Strindberg,  Les  Relations  de  la  France  avec  la  Suède,  p.  49. 


ETIENNE   DE   TOURNAI    ET   LES    ÉTUDIANTS    DANOIS         389 

avaient  été  accordés  aux  moines  de  Clairvaux  parcourant  le 
Danemark.  En  vertu  des  lettres  royales  signées  par  Valdemar  II 
en  1229  et  en  1230,  les  religieux  français  étaient  exempts  de  la 
douane  dans  les  ports  danois,  des  droits  d'accise  sur  les  marchés 
et  ils  devaient  être  défrayés  par  les  sujets  du  roi  1.  De  leur  côté, 
les  Danois  qui  passaient  en  France,  et  ils  étaient  nombreux, 
étaient  libéralement  accueillis. 

Le  chanoine  Arnold  de  Lubeck  qui  vécut  au  commencement 
du  xme  siècle  rapporte  que  de  son  temps  les  Danois  déposant 
leurs  anciens  vêtements  d'hommes  de  mer  commencèrent 
à  s'instruire  ;  les  principaux  d'entre  eux  envoyaient  à  Paris 
leurs  enfants  qui  y  devenaient  habiles.  Ils  y  étaient  bien  reçus. 
Etienne  de  Tournai  qui  était  le  protecteur  des  étudiants  étran- 
gers, pourvoyait  à  leur  logement,  à  leur  entretien,  et  comme 
un  banquier  faisait  les  avances  de  la  pension  que  les  parents 
assignaient  à  leurs  enfants,  eut  avec  les  jeunes  Danois  de  fré- 
quentes relations.  Il  fut  chargé  par  Absalon,  archevêque  de 
Lund,  de  surveiller  l'éducation  de  ses  deux  neveux  André  et 
Pierre,  fils  du  chancelier  Surnom.  André  qui  devint  chancelier 
fut  l'un  des  défenseurs  d'Ingeburge  de  Danemark  lors  de  son 
divorce.  Etienne  de  Tournai  s'occupa  d'Orner,  futur  évêque  de 
Ripen  qui  passa  sa  jeunesse  à  Paris  puis  de  Valdemar,  fils  natu- 
rel de  Kanut  V.  Les  relations  d'Etienne  avec  les  Danois  étaient 
suivies  ;  il  s'en  autorisa  pour  solliciter  d'eux  des  fonds  destinés 
à  la  réparation  de  l'église  Sainte-Geneviève,  leur  rappelant  que 
cette  église  avait  été  ruinée  par  leurs  ancêtres  2. 

De  Paris,  des  Danois  emportaient  le  goût  des  discussions  lit- 
téraires. L'évêque  Viborg  Gunner  qui  avait  étudié  en  France, 
avait  fondé  dans  son  diocèse  une  Académie  où  il  se  plaisait 
à  argumenter  contre  les  clercs  parisiens  3. 

Bien  antérieurement  à  la  fin  du  xme  siècle,  les  étudiants  danois 
étaient  suffisamment  nombreux  à  Paris  pour  qu'un  de  leurs 
compatriotes  songeât  à  fonder  un  collège  destiné  à  les  abriter. 

1.  Hans  Olrik,  Deux  documents  danois  de  1230  (traduction  de  E.  Beauvois). 
Copenhague,  1895. 

2.  La  Porte  du  Theil,  op.  cit. 

3.  A.  GefTroy,  Les  Etudiants  suédois  à  Paris  au  XIV*  siècle,  dans  Revue  des 
Sociétés  savantes,  année  1858,  p.  659-669. 


390  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Sous  l'administration  de  l'abbé  Eudes  II  qui  gouverna  l'ab- 
baye de  Sainte-Geneviève  entre  1266  et  1275,  Johannes  Dacus 
donna  à  cette  abbaye  un  manuscrit  d'Avicenne  et  d'autres 
ouvrages  de  médecine  d'une  valeur  de  40  livres  parisis  ;  de  plus, 
il  céda  aux  écoliers  du  royaume  de  Danemark  étudiant  à  Paris 
une  maison  située  dans  la  seigneurie  de  l'abbaye  de  Sainte- 
Geneviève.  Cette  donation  constitua  probablement  l'acte  primor- 
dial de  la  fondation  du  collège  de  Dacie.  Les  écoliers  danois 
échangèrent  plus  tard  la  maison  que  leur  avait  donnée  Johannes 
Dacus  contre  une  autre  située  dans  la  rue  de  la  Montagne- 
Sainte-Geneviève  entre  le  collège  de  Laon  et  le  couvent  des 
Carmes  puis,  à  la  fin  du  xive  siècle,  ils  vendirent  aux  Caimes 
cet  immeuble.  L' Université  représentée  pai  son  recteur  s'opposa 
à  cette  aliénation  mais  le  Parlement  ae  Paris,  en  1384,  rendit 
un  arrêt  contraire  à  ses  prétentions.  A  l'occasion  de  ce  procès, 
il  fut  rappelé  que  «  l'an  mil  CCLXXV,  un  docteur  du  pays 
Dacye  donna  un  hostel  assis  à  Paris  pour  les  escoliers  du  royaume 
Dacye  » l, 

A  dater  de  la  fondation  de  ce  collège,  le  nombre  des  étudiants 
danois  se  multiplia  à  Paris  ;  ils  profitèrent  des  riches  revenus 
dont,  en  1316,  le  roi  Erik  Menved  dota  leur  maison.  Plusieurs 
recteurs  de  l'Université  furent  choisis  parmi  les  aiciens  étudiants 
d'origine  danoise  qui  avaient  été  les  hôtes  du  collège  de  Dacie  : 
Hennings  en  1312,  le  mathématicien  Piene  Dacj  en  1326, 
Jean  Nicolaï  en  1348  8. 

Des  jeunes  hommes  venaient  a  Paris  poui  étudier  la  méde- 
cine. Jean  de  Dacie,  originaire  de  Seeland  au  diocèse  de  Roeskilde 
fut  reçu  docteur  en  1419  ;  Petrus  Auricii,  procurât  3ur  de  la  nation 
allemande,  en  1469,  était  natif  du  diocèse  de  Lund  3.  Toutefois 
l'examen  des  registres  des  Actes  de  la  Nation  allemande  de 
l'Université  de  Paiis  prouve  qu'au  xve  siècle,  les  Danois  avaimt 
quelque  peu  oublié  le  chemin  de  la  capitale  française. 

Au  moyen-âge,  quelques  Danois  vinrent  sans  doute  étudier 


1.  Arch.  Nat.,  XI»  1472,  f°  305  v°. 

2.  A.  Geffroy,  op.  cit.,  passim. 

3.  Dp  E.  Wkkersbeimer,  Médecins  danois  en  France  du  XIIIe  au  XV*  siècle, 
dans  Bulletin  de  la  Société  française  d'histoire  de  la  médecine,  octobre  1912,  p.  436. 


DANOIS    A    ORLÉANS  391 

è  Montpellier  ;  l'Université  d'Orléans  en  compta  certainement. 
Sous  le  règne  de  Philippe-Auguste,  «  maistre  Henry  de  Dane- 
marche,  excellent  nudecin  à  Orléans  et  grant  astrologien  en 
son  tems  fist  de  moult  et  singulières  prédictions,  jugements, 
pronosticationset  entre  autres  predict  l'exil  des  Juifs  de  France1». 
Des  inscriptions  en  caractères  runiques  ont  été  retrouvées 
dans  un  ancien  cimetière  de  la  ville  et  Ton  sait  qu'il  exista 
à  Orléans  une  colonie  Scandinave  au  moyen-âge  ;  elle  comprenait 
des  Suédois  et  des  Danois  2. 

Des  relations  amicales  ayant  existé  entre  la  France  et  le 
Danemark  pendant  trois  siècles,  il  est  à  présumer  que  des  négo- 
ciants du  Nord  se  sont  fixés  dans  quelques-uns  de  nos  ports. 
Les  Danois  avaient  une  puissante  marine  et  fréquentaient 
nos  cités  maritimes.  Nul  document  ne  permet  toutefois  d' affir- 
mer leur  présence  à  Rouen  ou  à  Bordeaux  aux  xme  et  xive  siècles. 
On  doit  se  borner  à  constater  l'existence  de  colonies  flottantes 
d'étudiants  à  Paris  et  à  Orléans,  colonies  qui  jouirent  d'une 
véritable  prospérité  jusqu'aux  heures  sombres  de  la  guerre  de 
Cent  Ans. 


II 


De  très  cordiales  qu'elles  avaient  été  au  moyen-âge,  les  rela- 
tions entre  la  France  et  le  Danemark  s'étaient  fort  espacées 
au  xve  siècle.  Un  traité  d'alliance  signé  entre  Charles  VII  et 
Christian  d'Oldenburg  en  1456  n'eut  pas  d'influence  sur  les 
rapports  commerciaux  ;  ce  pacte,  tout  militaire,  était  dirigé 
contre  l'Angleterre,  la  Suède  et  les  Hanséates.  Louis  XII, 
»  n  1498,  conclut  avec  Jean,  roi  de  Danemark  et  de  Suède,  une 
convention  politique  à  laquelle  s'ajoutent  quelques  clauses 
sur  la  liberté  réciproque  du  commerce.  C'est  seulement  sous  le 
régne  de  François  Ier  que  reprennent  réellement  les  négociations 

1.  D*  J.  W.  S.  Johnsson,  Henricus  Dacus,  De  simplicibu»  medicinis  laxatM*. 
Lcyde,  1917,  p.  3. 

2.  Voir  supra,  p.  341. 


392  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

entre  la  France  et  le  Danemark.  Des  ambassades  nombreuses 
sont  échangées  entre  les  deux  royaumes. 

Lors  de  l'avènement  du  Père  des  Lettres,  Christian  II  régnait 
seul  sur  les  trois  pays  Scandinaves.  Au  mois  de  novembre  1518, 
il  renouvelait  avec  le  roi  de  France  les  stipulations  que  son  père 
et  Louis  XII  avaient  signées  K  Christian  était  beau-frère  de 
Charles-Quint  ;  aussi,  pour  se  gagner  son  appui  contre  l'empe- 
reur, François  Ier,  peut-être  mal  renseigné  sur  les  causes  du  sou- 
lèvement des  Suédois  contre  le  cruel  Christian  II,  lui  envoya-t-il 
des  secours  en  hommes  au  début  de  sa  lutte  contre  Gustave  Vasa. 

Christian  fut  déposé  comme  roi  de  Danemark  en  1523  et 
remplacé  par  Frédéric  Ier.  L'alliance  de  ce  prince  luthérien 
devait  être  recherchée  par  François  Ier,  cette  union  rentrant 
dans  ses  conceptions  politiques  ;  tant  qu'il  régna,  des  échanges 
d'ambassades  eurent  lieu  entra  la  France  et  le  Danemark. 
Il  en  fut  de  même  lorsque  Christian  III  succéda  à  Frédéric  Ier. 
Un  traité  analogue  aux  précédents  fut  signé,  à  Fontainebleau, 
entre  la  France  et  le  Danemark  le  29  novembre  1541  2. 

Les  pourparlers  qui  précèdent  sa  signature  amènent  en 
France  des  Danois  ;  plusieurs  n'y  effectuent  que  de  brefs 
séjours  ;  d'autres,  au  contraire,  semblent  s'être  attachés  au  ser- 
vice de  François  Ier.  Nicolas  Frize,  envoyé  de  Danemark  est 
gratifié  d'un  don  de  102  livres  3  ;  Le  héraut  d'armes  de  Fré- 
déric, Zalon  vient  à  la  cour  en  1528  4.  Frédéric  Selandt 
l'accompagne.  Pierre  Skave  et  Eskill  Bild  font  de  fréquents 
déplacements  de  Copenhague  en  France  ;  ils  y  sont  en  1528, 
1537,  1539  ;  comme  plénipotentiaires  ils  signent  de  concert 
avec  Erik  Krabben  le  traité  de  Fontainebleau  en  1541  5. 

Georges  Lech,  comte  de  Glick,  demeure  au  service  de  Fran- 
çois Ier  ;  en  1535,  il  reçoit  450  livres  à  raison  de  ses  bons  offices 
et  deux  ans  plus  tard,  il  touche  une  pension  annuelle  de 
1.250  livres  6.  Le  roi  de  France  traite  favorablement  les  Danois. 


1.  Dumont,  Corpus  diplomaticum,  t.  IV,  prem.  partie,  p.  282. 

2.  Id.,  Ibid.,  t.  IV,  2*  partie,  p.  216. 

3.  Catalogue  des  Actes  de  François  Ier,  acte  28906,  non  daté. 

4.  Ibid.,  acte  3173. 

5.  Ibid.  Cf.  la  table,  aux  noms  cités. 

6.  Ibid.,  actes  7947,  10048. 


DANOIS    EN    FRANCE   AU    XVIe    SIÈCLE  393 

De  tous  temps,  nos  cavaliers  avaient  prisé  leurs  chevaux  ; 
au  moyen-âge  les  souverains  du  Nord  en  adressaient  à  titre  de 
présent  aux  Français  qu'ils  voulaient  honorer  ;  cette  estime 
pour  les  montures  danoises  n'avait  pas  disparu  au  xvie  siècle 
et  il  se  faisait  dans  nos  foires  un  fort  commerce  de  ces  chevaux. 
Au  mois  de  novembre  1540,  François  Ier  mande  au  bailli  de 
Vermandois  de  faire  restituer  à  Jean  de  Ligne,  marchand  danois, 
373  écus  d'or,  produit  de  la  vente  des  chevaux  qu'il  avait 
amenés  à  Paris  et  qu'on  avait  saisis  sur  lui  à  Saint-Quentin 
en  vertu  de  l'ordonnance  du  11  septembre  1540  l. 

Durant  un  siècle,  de  1541  à  1645,  le  Danemark  et  la  France 
se  perdent  à  peu  près  de  vue.  En  1577,  les  huguenots  français 
forment  une  contre-ligue  à  laquelle  s'affilie  le  roi  de  Danemark  2 
et  au  mois  d'avril  1586  viennent  à  Paris  des  ambassadeurs 
pour  «  faire  remonstrance  au  roi  sur  les  mauvais  traitements 
qu'il  faisoit  à  ceux  de  la  religion  ».  Henri  III  les  accueille  très 
mal  et  le  2  mai  ils  partent  «  mal  contens  et  esconduits  tout 
à  plat  de  leurs  demandes  » 3.  D'après  une  tradition  de  famille, 
ce  serait  à  cette  époque  que  Jehan  Pion,  ayant  séduit  une 
fille  de  maison  royale,  aurait  fui  le  Danemark  pour  se  réfugier 
à  Mons  et  de  là  à  Paris.  Ce  bourgeois  de  Ploen  ou  Pion,  petite 
ville  du  Holstein,  serait  ainsi  le  fondateur  de  la  famille  des 
Pion,  les  éditeurs  connus  4. 

Dans  le  Nord,  nos  véritables  alliés  sont  alors  les  Suédois. 
Pour  obéir  à  des  jalousies  et  à  des  rancunes  traditionnelles 
contre  eux,  les  Danois  se  tiennent  isolés  pendant  toute  la  guerre 
de  Trente  Ans.  A  peine  signale-t-on  le  passage  en  France  comme 
voyageur  de  haut  lignage  d'un  fils  cadet  de  Christian  IV  qui 
séjourne  à  Paris  en  1636.  Je  n'ai  pas  à  rappeler  le  rôle  de  média- 
teur que  joua  Mazarin  entre  la  Suède  et  le  Danemark  lors  des 
luttes  de  ces  deux  pays  ;  elles  rapprochèrent  les  cours  de  France 
et  de  Danemark.  Vers  1660,  notre  alliance  avec  la  Suède  s'ébran- 
lait ;  il  était  utile  de  remplacer  par  un  autre  allié  Scandinave 

1.  Ibtd.,  acte  22080.  -  L'ordonnance  du  11  septembre  1540  interdisait  l'expor- 
tation de  l'or  et  de  l'argent  monnayés. 

2.  Pierre  de  l'Estoile,  Mémoires  Journaux,  édition  Lemerre,  t.  I,  p.  180. 

3.  Id.,  Ibid.,  t.  Il,  p.  334. 

4.  E.  Pion,  Notre  livre  intime  de  famille.  Paris.  1893,  p.  8. 


394  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

celui  qui  pouvait  nous  manquer.  Or,  en  Danemark,  de  graves 
événements  avaient  lieu.  La  situation  financière  et  économique 
était  mauvaise  ;  la  bourgeoisie  et  le  peuple  reprochaient  à  la 
noblesse  son  égoïsme  et  la  situation  prépondérante  qu'elle 
^'attribuait  vis-à-v's  d'une  monarchie  élective  qu'elle  tenait 
en  tutelle.  A  cette  noblesse  trop  puissante,  le  peuple  et  la  bour- 
geoisie opposèrent  la  monarchie  héréditaire  et  absolue  que  le 
roi  Frédéric  III  s'empressa  de  proclamer  à  la  grande  satisfac- 
tion de  la  cour  de  France.  Une  plus  grande  continuité  de  vues 
•devenant  possible  entre  deux  monarques  héréditaires,  Louis  XIV 
écouta  les  ouvertures  que  lui  fit  le  roi  de  Danemark  au  sujet 
d'une  alliance  entre  les  deux  cours.  Cette  union  politique  ren^ 
tiait  en  outre  parfaitement  dans  les  vues  de  Colbert  car  elle 
lui  donnait  le  moyen  de  développer  les  relations  commerciales 
entre  la  France  et  la  Baltique  K 

Dès  qu'il  eut  été  mis  au  courant  des  pourparlers  engagés 
entre  Annibal  de  Sehested  et  le  cabinet  français,  Colbert  écrivit 
aux  échevins  de  Rouen  de  lui  fournir  des  renseignements  sur 
l'importance  du  trafic  de  leur  port  avec  le  Danemark,  «  Je  vous 
prie,  leur  mandait-il,  de  conférer  avec  les  principaux  marchands 
de  Rouen  qui  ont  le  plus  de  connaissance  du  trafic  du  Nord 
sur  ce  que  l'on  pourrait  stipuler  par  ce  traité  dont  les  négociants 
reçussent  plus  de  profit  et  qui  leur  donnât  une  plus  grande 
liberté  pour  trafiquer  et  de  m'envoyer  un  mémoire  le  plus  tôt 
que  vous  pourrez  » 2.  Ce  traité  de  commerce  auquel  songeait 
Colbert  fut  signé  au  mois  de  février  1663  et  l'année  suivante, 
à  la  suite  d'interventions  diplomatiques,  Frédéric  III  frappait 
les  sels  étrangers  importés  dans  son  royaume  d'un  droit  double 
de  ceux  qui  provenaient  de  France.  Un  important  négoce 
de  sels  se  créa  entre  les  ports  français  et  danois.  Le  commerce 
des  vins  se  développa  également.  En  1695,  notre  ambassadeur 
à  Copenhague  écrivait  au  secrétaire  d'État  à  la  marine  :  «  Il  est 
certain  que  les  gens  de  ce  pays-ci  commencent  à  se  servir  du  sel 


1.  Sur  les  relations  politiques  de  la  France  et  du  Danemark,  voir  A.  Geffroy, 
Recueil  des  Instructions  aux  ambassadeurs...  Danemark.  Paris,  1895.  Introduc- 
tion. 

2.  P.  Clément,  Lettres  de  Colbert,  t.  III,  p.  417. 


ENTENTE   FRANCO-DANOISE   AU   XVIIe    SIÈCLE  395 

<de  France  plus  qu'ils  ne  le  faisaient  auparavant  et  que  les  vins 
rouges  qui  viennent  par  Bordeaux  et  par  Nantes  y  sont  d'un 
plus  grand  débit  et  beaucoup  plus  chers  qu'ils  n'étaient  ci- 
devant  » 1. 

L'année  même  où  était  conclu  le  traité  de  commerce,  un  pacte 
politique  était  signé  entre  la  France  et  le  Danemark.  Louis  XIV, 
mais  en  vain,  essayait  aussi  de  rapprocher  la  Suède  et  le  Dane- 
mark. Depuis  cette  année  1663,  des  alternatives  d'amitié  et  de 
refroidissement  se  succédèrent  entre  les  cabinets  de  Versailles 
«t  de  Copenhague  ;  tantôt  le  Danemark  se  rapprochait  de  la 
Hollande,  parfois  il  trouvait  plus  utile  de  suivre  la  politique 
extérieure  de  Louis  XIV.  Les  souverains  danois  discutaient 
parfois  avec  âpreté  le  montant  des  subsides  qu'ils  exigeaient 
pour  prix  de  leur  amitié  ;  néanmoins,  envisagés  dans  leur  ensem- 
ble, les  rapports  politiques  des  deux  royaumes  furent  plutôt 
•empreints  de  cordialité  sous  le  règne  du  grand  roi. 

Au  xvme  siècle,  leurs  relations  furent  également  courtoises. 
Un  traité  de  commerce  fut  signé  en  1742  et  renouvelé  en  1749. 
Un  Hanovrien,  passé  au  service  du  Danemark,  le  comte  de 
Bernstorfï,  ambassadeur  en  France  pendant  six  ans,  contribua 
à  la  bonne  entente  des  deux  pays.  Lorsqu'il  fut  rentré  à  Copen- 
hague et  eut  pris  la  direction  des  affaires  étrangères  qu'il  con- 
serva de  1751  à  1770,  il  continua  ses  efforts  pour  maintenir 
l'alliance  franco-danoise.  Au  cours  de  son  séjour  à  Paris,  Berns- 
torff s'était  lié  avec  le  comte  de  Stainville,  le  futur  duc  de 
Choiseul,  qui  devint  le  ministre  des  affaires  étrangères  de 
Louis  XV  en  1758.  Entre  eux  s'échangea  une  active  correspon- 
dance politique  2,  mais  contrairement  aux  espérances  de  Berns- 
torff, le  cabinet  de  Versailles  ne  soutint  pas  le  Danemark  dans 
ses  revendications  territoriales.  Le  ministre  danois  voulait 
assuivr  à  sa  patrie  d'élection  la  possession  du  duché  de  Holstein 
sans  lequel  la  Russie  se  serait  trouvée  maîtresse  du  Danemark. 
La  Suède  s'opposait  à  Versailles  aux  désirs  de  Bernstorlï  ; 
aussi,  peu  à  peu,  les  liens  se  desserrèrent  entre  les  deux  pays. 

1.  Arch.  Nat.,  K  1356,  p.  19L 

2.  Correspondance  entre  le  comte  de  Bernstorff  et  le  duc  de  Choiseul  (1758-1766). 
Copenhague,   1871. 


396  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

«  Une  froideur  croissante  succéda  à  l'ancienne  amitié  jusqu'au 
moment  où  une  indifférence  complète  la  remplaça  définitive- 
ment » 1. 

L'intimité  entre  la  France  et  le  Danemark  a  été,  certes, 
moins  grande  qu'entre  la  Suède  et  notre  pays.  Néanmoins, 
depuis  le  milieu  du  xvie  siècle,  époque  à  laquelle  les  deux 
royaumes  reprirent  contact,  des  Danois  reprirent  le  chemin  de 
la  France. 


III 


Dans  une  étude  consacrée  à  l'écrivain  danois  Holberg,  Legrelle 
parle  de  «  la  nuit  d'ignorance  qui  au  début  du  xvme  siècle 
pesait  encore  sur  le  Danemark  » 2.  Cette  appréciation  défavo- 
rable est  injustifiée.  Les  Danois  avaient  l'amour  de  l'étude 
et  on  les  voit  accourir  vers  la  France,  qui,  pour  visiter  le  pays, 
qui,  pour  s'instruire.  Le  Danemark,  au  xvme  siècle,  a  produit 
des  hommes  remarquables  et  certains  d'entre  eux  ont  joui  en 
France  d'une  véritable  notoriété. 

A  la  seule  Université  d'Orléans,  de  1548  à  1688,  ont  défilé 
trois  cents  quatre  vingt-dix  jeunes  hommes  originaires  du 
Danemark.  Parmi  ces  écoliers,  on  relève  des  noms  illustres 
comme  celui  de  Tycho  Brahé  qui  fut  procurateur  de  la  nation 
germanique  au  cours  du  troisième  trimestre  1611.  En  1618, 
on  note  la  présence  à  Orléans  d'Henri  Rantzau  et  la  même  année 
que  lui  étudient  sur  les  bancs  de  l'Université  les  trois  frères 
Ulfeldt,  dont  l'un,  Corfitz,  eut  une  fin  d'existence  lamentable  3. 

Corfitz  Ulfeldt,  après  avoir  pris  ses  grades  à  Orléans  était 
rentré  en  Danemark  et  y  avait  épousé  une  fille  de  Christian  IV  ; 
par  ce  mariage  il  était  devenu  le  beau-frère  d'Annibal  de  Sehes- 

1.  Comte  E.  de  Barthélémy,  Histoire  des  Relations  de  la  France  et  du  Danemark 
sous  le  ministère  du  comte  de  Bernstorff  (1751-1770).  Copenhague,  1887,  p.  3. 

2.  A.  Legrelle,  Holberg  considéré  comme  imitateur  de  Molière.  Paris,  1864,  p.  35. 

3.  E.  Wrangel,  Danske  Studenter  der  ère  indskrevne  in  Natio  Germanica  ved 
Universitet  i  Orléans,  dans  Personalhistorisk  Tidsskrift,  février  1898. 


CORFITZ   ULFELDT  397 

ted,  qui  fut  ambassadeur  auprès  de  Louis  XIV  en  1661,  1662 
et  1666. 

Venu  au  mois  d'avril  1647,  comme  plénipotentiaire  en  France 
il  avait  été  brillamment  accueilli  à  la  cour.  Anne  d'Autriche 
l'avait  reçu  et  mandait  au  roi  de  Danemark  :  «  Le  sieur  Cor- 
nificius  a  donné  ici  tant  de  preuves  de  sa  suffisance  et  de  son 
mérite  que  nous  sommes  bien  aise  d'avoir  l'occasion  d'en  louer 
la  conduite.  »  Pour  l'honorer,  la  reine  l'avait  créé  duc  en  France 
et  lui  avait  attribué  une  pension  viagère  de  40.000  livres.  Maza- 
rin,  en  personne,  s'était  rendu  chez  Ulfeldt  pour  lui  faire  part 
des  faveurs  qu'on  lui  avait  accordées  *. 

De  retour  en  Danemark,  Ulfeldt  entra  en  lutte  ouverte 
contre  Frédéric  III,  successeur  de  Christian  IV  ;  il  fut  accusé 
d'avoir  voulu  empoisonner  le  roi.  Cette  accusation  lancée 
par  une  aventurière,  Dina  Winhofe,  fut  reconnue  sans  fonde- 
ment mais,  mécontent  du  faible  châtiment  imposé  à  l'un  des 
complices  de  Dina,  Ulfeldt  passa  en  Hollande  puis  en  Suède. 
Il  se  mit  au  service  de  Christine  et  de  Charles  X  Gustave. 
A  Copenhague  on  le  poursuivit,  on  le  priva  de  ses  biens  et  de 
ses  titres.  Suède  et  Danemark  étaient  alors  en  guerre  ;  lorsque 
le  traité  de  Roeskilde  fut  signé  entre  les  deux  nations  rivales, 
des  stipulations  formelles  furent  conclues  en  faveur  d'Ulfeldt. 
Confiant  en  Frédéric  III,  le  Danois  rentra  à  Copenhague  mais 
le  roi  le  fit  appréhender  et  force  fut  à  Ulfeldt  de  faire  amende 
honorable.  Aigri  et  irrité,  il  repiit  la  route  de  l'étranger,  passa 
à  Bruges  et  se  flattant  de  trouver  un  appui  auprès  de  Louis  XIV, 
lui  écrivit.  Mais,  respectueux  des  droits  des  souverain^,  le  roi 
ne  lui  répondit  pas.  Son  beau-frère,  Annibal  Sehested,  lui 
fit  fermer  les  frontières  de  France  et  obtint  de  Lionne 
une  circulaire  enjoignant  aux  gouverneurs  des  provinces  de  lui 
refuser  asile.  Traqué  de  tous  côtés,  Ulfeldt  se  dirigea  vers  la 
Suisse  mais  en  fuyant  Bâle,  il  mourut  de  froid  en  traversant  le 
Rhin  sur  une  barque. 

Peu  des  Danois  qui  étudièrent  en  France  eurent  une  existence 
aussi  mouvementée.  Aux  trois  cents  quatre-vingt-dix  jeunes 

1.  A.  GefTroy,  Recueil  des  Instructions  aux  ambassadeurs...  Danemark.  Pull, 
1895.  Introduction,  p.  xx. 


398  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

hommes  qui  vinrent  apprendre  le  droit  à  Orléans,  il  conviendrait 
de  joindre  ceux  qui  y  passèrent  comme  étudiants  en,  méde- 
cine. Cette  science  a  toujours  attiré  en  France  des  Danois. 
Au  moyen-âge,  on  l'a  vu,  ils  étaient  nombreux  à  Paris  ;  au 
xvie  siècle  Platter  en  connut  quelques-uns  à  Montpellier  et  les 
registres  de  l'Université  de  cette  ville  mentionnent  un  Danois, 
André  Krag  qui,  en  1585,  s'exerçait  à  l'art  médical  *. 

Un  historien  danois  a  rencontré  quelques  douzaines  de  ses 
compatriotes  immatriculés  à  Paris,  à  Orléans,  à  Caen  et  à  An- 
geis  2.  Si  l'on  en  juge  par  les  actes  de  l'église  réformée  de  Sorges, 
près  Angers,  il  existait  au  xvne  siècle  un  petit  groupe  d'étu- 
diants danois  dans  cette  ville.  Le  18  mai  1667,  le  pasteur  de 
Castelfranc  bénissait  à  Sorges  le  mariage  de  Jacques  Sidenborg, 
Danois,  et  de  Jeanne  Soumain  ;  l'année  suivante  leur  naissait 
une  fille  qui  fut  tenue  sur  les  fonts  baptismaux  par  Luxdorph, 
gentilhomme  danois  3. 

De  ces  étudiants  quelques-uns  firent  en  France  des  séjours 
prolongés.  Ole  Worm,  qui  avait  fait  ses  études  à  Montpellier 
et  à  Paris  sous  la  direction  de  Riolant  «  estimé  en  sa  profession 
un  des  plus  doctes  non  de  la  France  seulement,  mais  de  l'Eu- 
rope » 4,  exerça  à  Paris  en  1609.  Les  troubles  qui  survinrent 
après  la  mort  de  Henri  IV  le  déterminèrent  à  rentrer  en  Dane- 
mark. Son  fils,  Willum  Worm  suivit  la  même  carrière  que  son 
père  ;  il  pratiqua  également  la  médecine  à  Paris  pendant  quelques 
année  .  Annibal  Sehested  l'avait  introduit  auprès  de  la  colonie 
danoise  de  la  capitale. 

Le  célèbre  Nicolas  Stenon  ne  fut  sans  doute  pas  immatriculé 
comme  étudiant  en  France  mais  il  y  accomplit  un  séjour  de 
quelques  mois.  C'est  à  Paris,  en  1665,  dans  la  maison  de  Mel- 
chissédech  Thévenot,  en  présence  d'une  foule  de  savants,  que 
Stenon  tint  en  français  son  Discours  sur  VAnatomie  du  cerveau. 
Ce  mémoire,  édité  en  1669,  constitue  un  véritable  monument  de 


1.  A.  Germain,  Les  Pèlerins  de  la  science  à  Montpellier,  p.  15. 

2.  W.  S.  Johnsson,  Relations  médicales  entre  la  France  et  le  Danemark,  dans 
Bulletin  de  la  Société  française  d'histoire  de  la  médecine,  t.  X,  novembre  1911,  p.  412. 

3.  Arch.  dép.  de  Maine-et-Loire,  E  sup.  Commune  de  Sorges. 

4.  Riolant,  médecin,  mort  en  1606.   P.  de  l'Estoile,  Mémoires  Journaux,  éd. 
Lemerre,  t.  VIII,  p.  247. 


JACQUES    BENIGNE    WINSLOW  399' 

la  littérature  médicale.  L'auteur  y  indique  les  méthodes  expéri- 
mentales de  l'avenir  et  ses  théories  anticipent  de  plus  d'un  siècle 
sur  la  science  de  son  époque  *. 

Les  relations  intellectuelles  et  politiques  entre  la  France  et  le 
Danemark  se  développaient  concuramment.  Des  hommes  poli- 
tiques, des  ambassadeurs,  des  savants  se  rendaient  fréquemment 
de  Paris  à  Copenhague  et  contribuaient  à  l'harmonie  des  bons 
rapports  entre  les  deux  pays.  Le  mathématicien  français  Picard 
est  à  Uranibourg  en  1671.  Il  vient  envoyé  par  l'Académie  des 
Sciences  pour  déterminer  la  situation  exacte  d'Uranibourg 
et  de  quelques  points  voisins.  Erasme  Bartholin  et  Ole  Roemer 
l'assistent  dans  son  travail.  En  1672,  Roemer  est  amené  à  Paris 
par  l'abbé  Picard.  Il  est  reçu  membre  de  l'Académie  et  on  lui 
donne  un  logement  à  l'Observatoire,  Tout  en  continuant  son 
concours  aux  travaux  de  Picard,  Roemer  travaille  pour  son 
propre  compte.  Une  suite  d'observations  sur  les  éclipses  des 
satellites  de  Jupiter  le  conduisent  à  détei miner  la  vitesse  de  la 
lumière.  Pendant  son  séjour  en  France,  Roemer  travailla  avec 
Picard  à  la  construction  des  grandes  eaux  de  Versailles  et  de 
Marly  ;  Louis  XIV  essaya  de  retenir  le  savant  danois  mais, 
nommé  professeur  de  mathématiques  supérieures  à  Copenhague, 
Roemer,  aux  faveurs  du  roi,  préféra  son  pays  et,  en  1681,  il 
rentrait  en  Danemark  après  avoir  fait  un  voyage  à  Londres  2. 

Quelques  années  après  le  passage  de  Roemer  venait  se  fixer 
à  Paris  un  Danois  dont  le  nom  est  entre  les  plus  grands  des 
savants  du  monde  médical  :  Jacques  Bénigne  Winslow.  Né  en 
1669,  à  Odense,  le  futur  anatomiste  étudia  d'abord  quelque 
temps  en  Hollande  puis  vint  à  Paris  en  1698.  Il  y  suivit  les  cours 
de  Duverney  dont  il  devint  l'aide  en  1704.  Nommé  membre 
de  l'Académie  des  Sciences  en  1710,  après  avoir  été  médecin 
de  l'Hôtel-Dieu,  il  entra  à  l'Hôpital  général  et  fut  spécialement 
attaché  à  Bicêtre.  Successivement  professeur  de  chirurgie, 
interprète  à  la  bibliothèque  royale,  docteur  régent  à  la  Faculté 
de  médecine,  il  fut,  en   1743,  nommé  professeur  d'anatomie 

1.  Johnsonn,  op.  cit.,  p.  423. 

2.  C.  F.  Bjdçka,  Dan&k  biograflsk  Uxicon.  Copenhague,  1887-1905,  t.  XIV, 
p.  490. 


400  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

et  de  chirurgie  au  jardin  du  roi.  Il  prit  sa  retraite  en  1758  et 
mourut  deux  ans  après.  L'un  des  plus  beaux  jours  de  la  vie  de 
Winslow  fut  probablement  le  18  février  1745,  lorsqu'il  inaugura 
le  nouvel  amphithéâtre  anatomique  érigé  par  la  Faculté.  Trois 
médailles  furent  frappées  pour  commémorer  l'érection  du 
monument  et  son  inauguration  par  Winslow  qui  y  enseigna 
pendant  plusieurs  années  l. 

Le  célèbre  anatomiste  s'était  marié  à  Paris  ;  de  son  union 
avec  Catherine  Gilles  étaient  nés  deux  enfants  :  un  fils  qui 
mourut  à  Pondichéry  puis  une  fille  qui  devint  Madame  de  la 
Sourdière  et  dont  les  descendants  ont  relevé  le  nom  de  Winslow  2. 

Si  le  nom  de  Winslow  appartient  à  la  science  il  appartient 
aussi  à  l'histoire  religieuse  car  il  est  lié  à  celui  de  Bossuet.  Dans 
l'autobiographie  qu'il  nous  a  laissée,  Winslow  narie  tout  au 
long  sa  conversion  au  catholicisme  et  ses  relations  amicales 
avec  l'Aigle  de  Me  aux.  Ebranlé  dans  ses  convictions  luthé- 
riennes par  la  lecture  des  Variations,  Winslow  étudia  d'autres 
ouvrages  catholiques  et  partit  pour  Meaux  voir  Bossuet.  Par 
ses  exhortations,  le  grand  orateur  fortifia  chez  le  médecin  ses 
idées  de  conversion,  il  le  fit  instruire  puis,  lui-même,  le  8  oc- 
tobre 1699,  lui  administra  le  baptême  et  lui  donna  son  prénom 
de  Bénigne.  Une  intimité  très  grande  s'établit  entre  Bossuet 
et  le  nouveau  converti  :  l'évêque  offrait  ses  œuvres  à  Winslow 
et  ce  dernier  le  consultait  sur  les  points  délicats  du  dogme. 

Bossuet  a  conservé  à  la  France  l' anatomiste  danois  car  à  la 
suite  de  sa  conversion,  Winslow  ne  désira  pas  rentrer  dans  son 
pays  luthérien.  L'accueil  que  lui  aurait  réservé  son  père  n'aurait 
pas  été  chaleureux  si  l'on  en  juge  par  le  ton  des  lettres  que 
Winslow  reçut  de  lui  après  sa  conversion  3. 

Bien  qu'elle  se  termine  en  1704,  année  de  la  mort  de  Bossuet, 
et  n'embrasse  par  conséquent  que  six  années  de  son  séjour  à 
Paris,  l'autobiographie  de  Winslow  contient  quelques  rensei- 
gnements sur  les  Danois  résidant  alors  en  France.  En  général, 


1.  Johnsonn,  op.  cit.,  p.  425. 

2.  Dr  Paul  Delaunay,  Vieux  médecins  sarthois.  Le  Mans,  s.  d.,  lre  série,  p.  19. 

3.  Dr  Wilhelm  Maar,  L'Autobiographie  de  J.-B.   Winslow.  Paris,  1912,  p.  70 
et  suiv. 


LES    AMIS    DANOIS    DE    WINSLOW  401 

les  compatriotes  de  Winslow,  avant  de  venir  à  Paris,  effec- 
tuaient un  stage  â  Leydeou  dans  quelque  autre  ville  de  Hollande  ; 
ils  terminaient  par  la  France  leur  voyage  d'instruction.  Au  mois 
de  mai  1698,  Winslow  quittait  Amsterdam  avec  Foss,  son  com- 
patriote et  ami  ;  ils  étaient  obligés  de  séjourner  quelques  jours 
à  Bruxelles  ne  pouvant  trouver  un  moyen  de  transport  pour 
Paris  «  à  cause  du  concours  extraordinaire  d'étrangers  pour 
aller  en  France  après  la  paix  qui  venait  d'être  conclue  à  Rys- 
wick  ».  En  arrivant  Winslow  et  son  ami  songèrent  à  se  loger 
près  de  la  rue  du  Cherche-Midi  où  était  situé  l'hôtel  de  Meyer- 
crone,  le  chargé  d'affaires  de  Danemark  à  Paris.  Comme  tant 
d'autres,  soucieux  de  se  perfectionner  dans  la  pratique  de  la 
langue,  le  futur  anatomiste  évita  la  fréquentation  de  ses  compa- 
triotes ;  avant  sa  conversion  au  catholicisme,  il  ne  les  voyait 
qu'à  l'office  luthérien  de  l'ambassade  de  Danemark.  En  1699, 
Foss  retourna  dans  sa  patrie.  Winslow  fit  d'Ole  Worm  son 
commensal  favori.  Ce  théologien  fut  le  premier  artisan,  invo- 
lontaire d'ailleurs,  de  la  conversion  de  Winslow.  Ensemble, 
le  soir,  ils  débattaient  des  questions  religieuses  et  à  Winslow 
incombait  le  rôle  de  «  papiste  ».  Pour  répondre  aux  arguments 
d'Ole  Worm,  Winslow  fut  amené  à  lire  les  œuvres  des  théolo- 
giens catholiques  et  Y  Histoire  des  Variations. 

Dans  son  Autobiographie,  Winslow  mentionne  encore  quelques 
autres  Danois  voyageurs  ;  Muller,  le  capitaine  Buchwall,  Meisen, 
Sparre  et  Poggenbag.  En  1702,  il  reçut  la  visite  de  son  frère 
Bruno  qui  se  logea  près  d'un  de  leurs  alliés  de  la  famille  de 
Sparre.  L' anatomiste  fut  également  en  relations  avec  Borne- 
mann.  Ce  Danois,  s'étant  lui  aussi  converti,  entra  dans  les  ordres 
ainsi  que  l'avait  fait  le  Père  Krattmann.  Ayant  abjuré,  Kratt- 
mann,  que  sa  mère  avait  rejoint  en  France,  vécut  à  Paris  jusqu'à 
sa  mort,  survenue  en  1704.  Il  fut  le  prédicateur  de  la  Confrérie 
des  Allemands  catholiques  de  Saint-Germain-des-Prés  et  le 
confesseur  ordinaire  des  Cent-Suisses. 

Il  y  avait  à  Paris  au  début  du  xvme  siècle  une  colonie  de 
Danois  ;  aussi  est-on  surpris  de  voir  que  lors  de  son  premier 
séjour  dans  la  capitale,  Holberg  n'ait  rencontré  que  trois  compa- 
triotes :  un  médecin  qui  était  peut-être  Winslow,  un  prêtre 

26 


402  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

qui  était  peut-être  Borneman  et  un  perruquier  qu'il  faut  sans 
doute  identifier  avec  Jean  Bang,  d'Assus,  qui  fut  naturalisé 
en  1728  l.  Holberg  2,  le  plus  grand  des  auteurs  comiques  danois 
du  xvme  siècle  et  l'imitateur  de  génie  de  Molière  effectua  son 
premier  voyage  à  Paris  de  1715  à  1716.  Il  était  encore  inconnu 
et  pauvre  ;  après  s'être  logé  d'abord  dans  le  faubourg  Saint- 
Germain,  il  se  rapprocha  ensuite  du  quartier  de  la  Sorbonne, 
moins  fréquenté  par  les  étrangers  riches.  Lors  de  ce  séjour 
Holberg  passa  son  temps  dans  les  bibliothèques  et  au  palais, 
ne  fréquentant  personne.  En  1725,  lorsqu'il  revint  en  France, 
Holberg  avait  un  nom  ;  il  se  lança  dans  la  société,  fit  quelques 
visites,  alla  voir  Fontenelle,  Lamotte,  le  P.  Hardouin.  Il  essaya 
même  de  faire  jouer  par  Riccoboni,  chef  de  la  troupe  italienne, 
la  comédie  intitulée  :  Le  Ferblantier  politique  mais  il  n'y  réussit 
point.  Sa  pièce  avait  été  jugée  trop  pleine  d'allusions  politiques. 


IV 


Les  souverains  danois  n'avaient  pas  imité  leurs  sujets.  Nul 
héritier  de  la  couronne  ou  prince  régnant  n'avait  visité  la  France 
jusqu'au  milieu  du  xvne  siècle.  Le  premier,  Frédéric  III,  sur 
les  conseils  d'Annibal  Sehested,  se  décida  à  envoyer  en  France 
son  fils  Christian,  le  futur  Christian  V.  Accompagné  de  sa  suite 
comprenant  notamment  le  chambellan  Christophe  Parsberg 
et  un  secrétaire,  Mathesius;  Christian  arriva  à  Paris  par  Calais 
au  milieu  de  décembre  1662.  Il  descendit  à  l'Hôtel  de  Flandres, 
rue  Saint-Martin  ;  sa  suite  se  logea  à  l'Auberge  de  la  Croix  de  Fer. 
Après  un  bref  séjour  à  l'hôtel,  Christian  devint  l'hôte  d'Annibal 
Sehested.  Bien  qu'il  fut  venu  incognito,  Christian  V  fut  reçu 
par  Louis  XIV  avec  «  un  traitement  si  favorable  que  S.  M. 
est  persuadée  qu'il  s'en  souviendra  aux  occasions  et  que  ce  lui 
sera  un  motif  très  puissant  pour  l'engager  fortement  dans  les 
bons  sentiments  du  roi  son  père.  »  Durant  trois  mois  Christian 

1.  Arch.  Nat.,  K  175,  liasse  1. 

2.  A.  Legrelle,  op.  cit.,  p.  38. 


SOUVERAINS    DANOIS    EN    FRANCE  403 

fut  reçu  partout  ;  une  série  de  fêtes  furent  données  en  son  hon- 
neur. Le  bruit  courut  même  qu'il  épouserait  une  princesse  fran- 
çaise :  Mademoiselle  de  Montpensier  ou  sa  sœur  d'Alençon. 
La  première  refusa  de  le  recevoir  ne  se  souciant  aucunement 
d'aller  en  Danemark  et  Christian  ne  voulut  pas  de  Mademoiselle 
d'Alençon  «  qui  n'était  pas  bien  faite  ». 

Le  30  avril  1663,  Christian  quittait  Paris  pour  accomplir  le 
tour  classique  des  provinces  de  France.  A  son  retour  en 
Danemark  il  importa  à  Copenhague  les  mœurs  de  la  cour  de 
Louis  XIV.  Il  eut  une  vénerie,  une  fauconnerie  et  une  écurie 
luxueuses  ;  pour  leur  entretien  il  envoya  même  à  diverses 
reprises  en  France  son  grand  écuyer  Wolf  von  Haxthausen 
avec  mission  d'acquérir  chiens  et  chevaux  l. 

Le  frère  de  Christian  V,  le  prince  Georges,  qui  épousa  Anne, 
reine  d'Angleterre,  en  1683,  visita  la  France  en  1668  ;  Frédéric  IV 
y  effectua  également  un  long  séjour  tandis  qu'il  n'était  encore 
crue  prince  royal.  En  1690,  il  arrive  d'Italie,  passe  en  Provence^ 
vient  à  Montpellier,  Toulouse,  Bordeaux,  villes  où  il  s'arrête 
sous  le  nom  de  Comte  de  Schauenbourg.  Partout,  il  eut  du 
succès  auprès  des  dames.  «  Quelques  dames  le  regardèrent  » 
à  Toulouse  ;  à  Montpellier,  il  s'éprit  d'une  dame  dont  le  comte 
de  Broglie,  lieutenant  général  du  Languedoc  était  amoureux. 
Frédéric  poursuivit  son  voyage  par  Rochefort  dont  il  admira 
le  port,  La  Rochelle,  Nantes,  Saint-Malo,  Rennes  et  arriva  à 
Paris  le  20  janvier  1693.  Il  s'installa  à  l'hôtel  de  la  reine  Margue- 
rite, rue  de  Seine  ;  à  Versailles,  le  roi  le  reçut,  Frédéric  courut 
les  bals  parés  et  masqués  et  le  bruit  se  répandit  de  ses  fian- 
çailles avec  la  belle  princesse  de  Conti.  Cet  homme  passionné 
ne  se  maria  pas  en  France,  il  épousa  une  princesse  de  Mecklem- 
bourg  mais  hanté  par  les  souvenirs  de  la  cour  de  Versailles, 
il  lui  fallut  de  nombreuses  maîtresses,  dont  l'une,  la  fameuse 
comtesse  de  Reventlov  fut  épousée  par  le  roi,  au  lendemain 
même  de  la  mort  de  sa  femme  légitime  2. 

1.  L.  Delavaud,  Christian  V  à  la  cour  de  Louis  XIV,  extrait  du  Correspondant, 
année  1914.  —  A.  Gcffroy,  Instructions...  Danemark,  p.  8  et  10,  note  1. 

2.  L.  Delavaud,  Visite  du  prince  de  Danemark  à  Rochefort,  extrait  du  Bulletin 
de  la  Société  géographique  de  Iiochefort,  année  1911.  -  A.  Geffroy,  op.  cit.,  p.  121, 
note  1. 


404  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Les  gazettes,  les  mémoires  et  les  correspondances  de  l'an- 
née 1768  donnent  de  longs  détails  sui  le  voyage  de  Christian  VII 
à  Paris  K  Du  14  octobre,  date  de  son  arrivée  à  Calais  jusqu'à 
son  départ  de  France,  au  milieu  de  décembre,  le  roi  de  Dane- 
mark et  sa  suite  furent  en  «  représentation  permanente  ».  Le 
duc  de  Duras  attaché  à  la  personne  de  Christian  VII  ne  lui 
ménagea  aucune  distraction.  Fêtes  à  la  cour,  représentations 
dans  les  théâtres  qui  jouèrent  «  par  ordre  »  les  pièces  demandées 
par  S.  M.,  réunions  littéraires,  se  succédèrent  sans  trêve  ni 
merci.  La  cour  et  la  ville  admirèrent  la  bonne  grâce  du  roi  ; 
on  propagea  ses  mots,  on  le  prôna  de  maintes  manières.  Cham- 
fort  lui  tourna  le  compliment  connu  qui  se  termine  par  ces  vers  : 

Un  roi  qu'on  aime  et  qu'on  révère 
A  des  sujets  en  tous  climats 
Il  a  beau  parcourir  la  terre 
Il  est  toujours  dans  ses  États. 

Seule  Mademoiselle  Clairon  ne  goûta  pas  Christian  VII 
malgré  les  présents  qu'il  lui  fit.  Elle  ne  le  trouva  pas  assez 
pénétré  d'admiration,  écrit  Grimm.  Des  actrices  de  Paris  elle 
fut  la  seule  de  son  avis,  car  dès  l'annonce  de  l'arrivée  du  roi, 
les  belles  de  la  capitale  avaient  bâti  force  châteaux  en  Espagne. 
Elles  comptaient  le  captiver.  «  Les  unes,  raconte  Bachaumont, 
ont  été  au-devant  de  lui  en  superbes  équipages  à  quatre  et 
à  six  chevaux  ;  d'autres  s'installèrent  dans  le  voisinage  de  sa 
demeure,  d'autres  à  force  d'argent  obtinrent  du  tapissier  de 
placer  leur  portrait  dans  son  salon.  La  Grandi,  de  l'Opéra, 
dont  la  cupidité  dévorerait  un  royaume  lui  envoya  sa  minia- 
ture. Les  charmes  de  ces  nymphes  échouèrent  contre  la  sagesse 
de  ce  moderne  Télémaque;  il  se  conduisit  avec  une  décence  qui 
fait  un  honneur  infini  à  ses  mœurs  et  à  sa  tendresse  conjugale.  » 

La  suite  de  Christian  VII  montra  sans  doute  moins  de  retenue 
que  le  souverain  mais  la  chronique  du  xvme  siècle  ne  relate 
sur  le  compte  de  ses  officiers  et  secrétaires  aucune  anecdote 
scandaleuse.  Le  roi  seul  fixa  l'attention  des  gazetiers. 

1.  Comte  de  Barthélémy,  op.  cit.,  chap.  xm,  p.  278.  —  Bachaumont,  Mémoires 
secrets,  édition  P.  Lacroix,  passim.  —  Diderot,  Correspondance  littéraire,  t.  VIII,. 
passim. 


ARTISTES    DANOIS    A    PARIS  405 

De  la  cour  de  France,  les  souverains  danois  ne  rapportèrent 
point  que  les  fâcheuses  habitudes  de  Louis  XIV  et  de  Louis  XV. 
Séduits  par  notre  civilisation  et  notre  art,  ils  attirèrent 
des  artistes  français  à  Copenhague  ;  ils  fondèrent  dans  leur 
capitale  une  Académie  des  beaux-arts  et  envoyèrent  à  Paris 
des  élèves  comme  pensionnaires  de  nos  écoles  d'art. 

Gaspard-Frédéric  Hansdorff  fut  pendant  quatre  ans  élève 
de  Blondel  ;  André  Weindenhaupt  séjourna  à  Paris  en  1762. 
Cornélius  Ojer  s'y  fixa  pendant  cinq  ans,  de  1763  à  1768.  Peders 
Als  est  en  France  en  1761  ;  il  se  lie  avec  nos  artistes  et  devient 
l'ami  de  Wille  ;  il  exécute  son  portrait  et,  après  son  départ, 
demeure  en  relations  de  correspondance  avec  lui.  Wiederwelt, 
sculpteur,  étudie  chez  Coustou  ;  seize  ans  après,  devenu  célèbre, 
il  revient  voir  ses  anciens  amis  à  Paris,  au  moment  où  Chris- 
tian VII  y  est  reçu  K 

D'autres  Danois  se  forment  dans  nos  écoles  ;  Wille  mentionne 
dans  son  Journal  un  ciseleur,  Wolfï  qui  repart  en  Danemark 
en  1759,  un  graveur  du  même  nom  qui  gagne  l'Italie,  en  1762, 
avec  Azer,  médailleur.  Tous  deux  ont  été  pensionnaires  du  roi 
de  Danemark  à  Paris. 

Les  Danois  qui  visitent  la  capitale  sont  curieux  d'art  ;  ils 
fréquentent  les  ateliers  de  nos  artistes.  Calbiornsen,  de  Copen- 
hague, les  visite  en  1764  2  ;  le  célèbre  comte  de  Struensée, 
premier  médecin  du  roi,  est  amené  chez  Wille  par  l'Allemand 
Stiirtz,  secrétaire  des  affaires  étrangères  du  roi  de  Danemark 
et  l'ami  intime  du  graveur.  Christian  VII  est  en  relations  avec 
Falconet  ;  les  Danois  de  sa  suite  apprécient  le  talent  des  maî- 
tres français  3  qui  ne  l'ignorent  du  reste  pas  et  s'empressent 
de  lui  offrir  leurs  productions. 

Les  Danois  ne  viennent  pas  seulement  à  nos  écoles  d'art 
parisiennes  ;  ils  suivent  les  leçons  des  maîtres  les  plus  divers. 
A  la  célèbre  Académie  d'équitation  d'Angers  se  constitue 
au  xvme  siècle  une  petite  colonie  de  gentilshommes  du  Nord. 


1.  P.  Lespinasse,  L'art  français  en  Danemark,  dans  Archives  de  l'art  français. 
Anm'cs  1912  et  1913. 

2.  G.  Wille,  Journal.  Cf.  les  noms  cités  et  t.  I,  p.  253. 

3.  Id.,  Ibid.,  t.  I,  p.  389. 


406  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Sur  la  liste  des  Académistes,  je  relève  les  noms  du  comte  de 
Blôme,  des  comtes  de  Rantzau,  du  baron  de  Saldern  et  de  son 
neveu,  des  comtes  de  Reben  et  de  quelques  autres  jeunes  gens 
appartenant  à  la  haute  aristocratie  du  Danemark.  Presque  tous 
sont  accompagnés  de  gouverneurs  et  de  leur  suite  l. 

Ces  voyageurs,  ces  artistes,  ces  étudiants  fournissent  au 
royaume  une  population  flottante  relativement  nombreuse  ; 
sans  doute  a-t-elle  laissé  quelques  traces  de  son  passage.  Mais 
s'il  a  été  possible  de  montrer  les  migrations  de  Danois  depuis 
le  moyen-âge,  il  ne  saurait  être  question  d'étudier  leurs  grou- 
pements. Ces  forains  sont  venus  isolément  et  ne  se  sont  réunis 
nulle  part  en  colonies.  Très  peu  d'ailleurs  paraissent  s'être  établis 
commerçants  dans  le  royaume. 

Paris  abritait  en  1678  Joël  Frederistad  qui  fut  l'un  des  pro- 
testants convertis  par  le  fameux  Père  Athanase  2.  Au  moment 
de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  chacun  cherche  à  faire 
sa  cour  à  Louis  XIV  par  des  méthodes  variées.  Mademoiselle 
de  Grammont  revient  de  Copenhague  à  Paris  et  ramène  sept 
enfants  danois  luthériens  qu'elle  entend  élever  suivant  les  rites 
catholiques  3.  On  ignore  ce  qu'ils  devinrent. 

Les  lettres  de  naturalité  concédées  à  des  Danois  sont  rares  ; 
à  peine,  pour  Paris,  relève-t-on  la  naturalisation  d'un  tailleur 
d'habits,  originaire  du  Jutland  :  Jean-Pierre  Denoix,  de  son 
nom  francisé  4  ;  en  1688,  cet  artisan  était  marguillier  de  la  con- 
frérie germanique  de  Saint-Germain-des-Prés.  Une  autre  lettre 
de  naturalité  vise  un  perruquier  que  j'ai  déjà  signalé  5. 

Bordeaux  n'a  guère  accueilli  que  quatre  ou  cinq  négociants 
d'origine  danoise,  leur  histoire  est  d'ailleurs  inconnue.  Ces 
commerçants  avaient  nom  Alefsen,  Petersen,  Bentzien  et  Jean- 
Henri  Brown,  natif  d'Elseneur  qui  se  maria  à  Bordeaux  en  1791. 
Les  armateurs  danois  qui  trafiquaient  avec  la  France  n'eurent 
pas  de  facteurs  attitrés  en  Guyenne  ;  leurs  navires  cependant 


1.  O.  Raguenet  de  Saint-Albin,  Livre  des  pensionnaires  à  l'Académie  d'Angers% 
dans  Revue  de  l'Anjou,  mars-avril  1914,  p.  161  et  s. 

2.  Douen,  op.  cit.,  t.  I,  p.  545. 

3.  Id.,  Ibid.,  t.  III,  p.  429. 

4.  P.  Anselme  d'Anvers,  Catalogue  des  marguillier  s...,  année  1688. 

5.  Voir  ci-dessus,  p. 


LE  MARÉCHAL  DE  RANTZAU  407 

abordaient  suffisamment  nombreux  à  Bordeaux  et  dans  les 
ports  de  l'Atlantique  pour  justifier  la  présence  d'un  consul  dans 
les  villes  maritimes.  Dès  1721,  Frédéric  IV  avait  institué  un 
consulat  à  Bordeaux  ;  il  fut  géré  par  Frédéric  Hanssen  de  Lilien- 
dal  et  son  fils,  puis  par  un  sieur  Leers  K  Vers  1780,  le  consul 
danois  de  La  Rochelle,  Gustave  Noording  avait  une  juridiction 
s'étendant  sur  le  Poitou,  l'Aunis,  la  Saintonge  et  la  Bretagne. 
Il  est  vrai  que  depuis  1773,  Jean  Grooters,  l'aîné,  était  vice- 
consul  à  Quimper  2. 

Marseille,  recevait  fréquemment  des  navires  danois  ;  mais 
peu  de  représentants  du  Danemark  habitaient  la  ville.  Conrad 
Hauser,  négociant  suisse,  y  a  cependant  amené  avec  lui 
Catherine  Oereboë,  sa  femme,  native  de  Copenhague.  A  diverses 
reprises,  en  1772  et  1775,  notamment,  leurs  noms  apparaissent 
dans  des  actes  de  décès  3. 


Comme  tous  les  autres  pays  de  l'Europe,  le  Danemark  a 
fourni  à  la  France  des  soldats.  Le  premier  qui  s'y  fit  un  nom 
fut  Josias,  comte  de  Rantzau.  Né  en  1609,  Rantzau  servit 
d'abord  en  Hollande  puis  en  Suède  ;  il  accompagna  Axel  Oxens- 
tiern  en  France  et  séduit  par  les  offres  de  Louis  XIII,  il  demeura 
au  service  du  roi.  Il  contribua  à  la  prise  de  Mardyck,  après 
laquelle  il  reçut  le  bâton  de  maréchal,  et  à  celle  de  Dunkerque 
ainsi  qu'à  l'annexion  à  la  France  d'une  partie  de  la  Flandre. 

Ayant  été  préféré  à  Gassion,  Rantzau  fut  nommé  gouverneur 
de  Dunkerque.  Gagner  à  la  France  les  habitants  de  cette  ville 
lui  fut  relativement  chose  aisée  ;  les  séjours  de  Rantzau  en  Hol- 
lande et  en  Allemagne  lui  avaient  permis  de  se  familiariser 
avec   la  langue   flamande,   il   pouvait  entretenir   directement 

1.  A.  Leroux,  La  Colonie  germanique  de  Bordeaux,  t.  I,  p.  50  et  97,  note  2. 

2.  Arch.  dép.  du  Finistère,  B  4588  et  B  4421. 

3.  V.-L.  Bourilly,  op.  cit.t  dans  Bulletin  de  l'hist.  du  protestantisme,  p.  541. 


408  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

des  relations  avec  les  habitants  de  la  ville.  Rantzau  songea-t-il 
à  se  créer  à  Dunkerque  une  principauté  indépendante  ;  pensa-t -il, 
comme  l'écrivait  de  Lionne  à  Servien,  à  traiter  avec  les  Espa- 
gnols pour  leur  remettre  Dunkerque,  Bourbourg,  Mardyck 
et  d'autres  places  ?  Ces  questions  sont  demeurées  sans  réponse 
précise.  Toujours  est-il  que  Rantzau  tomba  dans  une  disgrâce 
complète.  Sous  le  prétexte  de  lui  offrir  la  succession  de  Condé 
dans  le  commandement  des  troupes  rassemblées  autour  du 
roi,  Mazarin  fit  venir  Rantzau  à  Paris.  Dès  son  arrivée,  le  maré- 
chal fut  saisi  et  conduit,  le  27  février  1649  au  château  de  Vin- 
cennes.  Il  y  demeura  onze  mois  ;  comme  on  ne  découvrit  contre 
lui  aucune  preuve  de  complot,  force  fut  de  le  relâcher  ;  mais 
au  donjon,  Rantzau  avait  pris  les  germes  d'une  hydropisie 
dont  il  mourut  le  4  septembre  1650.  On  l'inhuma  dans  l'église 
des  Minimes  de  Chaillot  dont  il  avait  été  l'un  des  bienfaiteurs  \ 
Au  cours  de  sa  carrière,  Rantzau  avait  reçu  près  de  soixante 
blessures  ;  lorsqu'il  mourut  il  ne  lui  restait  plus  qu'un  œil, 
une  oreille,  un  bras  et  une  jambe  ;  aussi,  ne  se  souvenant  que 
de  son  passé  glorieux  on  apposa  sur  son  tombeau  cette  épi- 
taphe  : 

Du  corps  du  grand  Rantzau,  tu  n'as  qu'une  des  parts  : 

L'autre  moitié  resta  dans  les  plaines  de  Mars. 

Il  dispersa  partout  ses  membres  et  sa  gloire. 

Tout  abattu  qu'il  fut,  il  demeura  vainqueur. 

Son  sang  fut  en  cent  lieux  le  prix  de  sa  victoire 

Et  Mars  ne  lui  laissa  rien  d'entier  que  le  cœur. 

Plusieurs  années  se  passent  sans  qu'il  soit  permis  de  rencon- 
trer d'officiers  danois  au  service  de  la  France  mais  au  temps 
de  l'alliance  de  Louis  XIV  et  de  Christian  V,  fut  levé,  le  1er  mars 
1690,  un  régiment  dont  François  Yoël  devint  le  colonel  lieu- 
tenant. Ce  corps  fut  surtout  composé  de  troupes  allemandes 
parmi  lesquelles  se  glissèrent  très  vraisemblablement  quelques 
recrues  danoises.  Ce  régiment  coopéra  à  la  campagne  de  Rous- 
sillon  puis,  le  15  août  1692,  il  prit  le  nom  de  Royal-Danois  et  fut 
donné  au  comte  de  Guldenlôwe,   fils  naturel  de  Christian  V. 


1.  E.  Bouchet,  Le  maréchal  de  Rantzau  à  Dunkerque  (1645-1649).  Dunkerque, 
1896. 


LE    MARÉCHAL    DE    LOWENDAL  409 

Yoël  en  conserva  le  commandement  direct  ;  son  régiment 
figura  à  la  bataille  de  Nerwinde  et  au  siège  de  Charleroi  ;  il  fut 
licencié  le  11  février  1698  K 

C'est  seulement  sous  le  règne  de  Louis  XV  que  l'on  rencontre 
en  France  un  autre  Danois  célèbre  :  Ulrich  Frédéric  Woldemar 
de  Lôwendal.  Cet  officier  descendait  de  Frédéric  III,  roi  de 
Danemark.  Après  avoir  guerroyé  en  Sicile,  en  Pologne,  après 
s'être  battu  contre  les  Turcs,  il  passa  au  service  de  la  France 
en  1743.  Des  lettres-patentes  du  1er  septembre  de  cette  année 
lui  conférèrent  le  grade  de  lieutenant  général  et  la  faculté 
4e  lever  un  régiment  allemand.  Dans  ce  régiment,  Lôwendal 
introduisit  les  éléments  les  plus  divers  ;  parmi  les  officiers  on 
comptait  des  Saxons,  des  Polonais,  des  Suédois  et  des  Irlandais  ; 
toutefois,  hormis  le  comte  de  Lôwendal,  son  fils  et  son  parent 
de  Lohenskiold,  nul  autre  Danois  ne  figure  parmi  les  officiers. 

Les  hauts  faits  de  Lôwendal  sont  connus  ;  il  fut  l'un  des  arti- 
sans de  la  victoire  de  Fontenoy  ;  dans  son  poème  sur  cette  vic- 
toire, Voltaire  célèbre  : 

Ce  Danois,  ce  héros  qui,  des  frimas  du  Nord 
Par  le  Dieu  des  combats  fut  conduit  sur  ce  bord. 

Après  les  sièges  d'Oudenarde,  d'Ostende,  de  Nieuport,  Lôwen- 
dal fut  créé  chevalier  du  Saint-Esprit  ;  après  la  prise  de  Berg-op- 
Zoom,  en  1747,  le  bâton  de  maréchal  lui  fut  accordé.  Lorsque 
la  campagne  de  1748  fut  achevée,  Lôwendal  partagea  son  temps 
entre  sa  résidence  de  la  Ferté  et  Paris  2.  De  la  Ferté,  il  voisinait 
avec  le  maréchal  de  Saxe,  hôte  de  Chambord.  A  Paris,  il  fré- 
quentait la  cour,  l'Académie  des  Sciences  dont  il  avait  été  élu 
membre  en  1754  et  les  alcôves  3.  Le  maréchal  de  Lôwendal, 
comme  son  compagnon  d'armes  Maurice  de  Saxe,  aimait  les 
femmes  de  théâtre.  Lors  du  siège  de  Tournai,  il  avait  fait  con- 
naissance de  la  demoiselle  Brillant  qui  avait  suivi  l'armée  de 
Flandres  ;  il  la  ramena  à  Paris,  la  couvrit  de  pierres  précieuses 
puis  l'abandonna  pour  reporter  ses  faveurs  sur  une  demoiselle 

1.  L.  Susane,  Histoire  de  l'ancienne  infanterie  française.  Paris,  1853,  t.  VIII, 
notice  1117. 

2.  Marquis  de  Sincty,  Vie  du  maréchal  de  Lôwendal.  Paris,  1868. 

3.  C.  Piton,  Paris  sous  Louis  XV,  t.  IV,  p.  181. 


410  LES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 

Auguste,  danseuse  de  la  troupe  de  Bruxelles,  qu'il  avait  égale- 
ment connue  en  Flandres  K 

Lôwendal,  qui  avait  abjuré  le  protestantisme,  s'était  marié 
en  Pologne  avec  la  comtesse  Szembeck  qui  l'avait  suivie  en 
France  ;  en  mourant,  il  laissa  sa  femme  dans  une  situation 
d'autant  plus  précaire  qu'il  avait  été  plus  généreux  avec  ses 
maîtresses.  Louis  XV,  qui,  à  l'instigation  de  d'Argenson,  ennemi 
de  Lôwendal,  s'était  montré  assez  froid  avec  le  vainqueur  de 
Berg-op-Zoom,  fit  néanmoins  à  la  maréchale  et  à  ses  enfants 
une  pension  de  15.000  livres. 

De  son  union  Lôwendal  avait  eu  quatre  enfants  :  trois  filles 
et  un  fils.  L'une  de  ses  filles  se  maria  en  Pologne,  Elisabeth 
épousa  le  comte  dé  Turpin-Crissé,  Marie-Louise  le  comte  de 
Brancas.  Quant  à  son  fils,  François-Xavier-Joseph,  il  eut  la 
survivance  du  régiment  de  son  père  et  mena  à  Paris  une  exis- 
tence fort  joyeuse.  Ses  maîtresses  ne  se  comptent  pas. 

A  la  Révolution,  le  régiment  de  Lôwendal  fut  supprimé 
et  un  décret  du  28  avril  1791  accorda  à  la  famille  de  Lôwendal, 
à  titre  d'indemnité  et  de  pension  et  en  considération  «  des  impor- 
tants services  rendus  à  l'État  par  feu  Woldemar  de  Lôwendal  », 
une  somme  de  300.000  francs.  En  l'absence  de  François-Xavier, 
la  «  mère  des  petits-enfans  du  maréchal  »  réclama  contre  cette 
faible  allocation  ;  pour  la  seule  branche  directe  des  Lôwendal, 
elle  demandait  564.500  livres.  L'adresse  qu'elle  fit  parvenir 
«  aux  représentants  »  était  digne  et  fière.  «  Le  nom  de  Lôwendal, 
écrivait-elle,  si  honorablement  distingué  par  sa  descendance 
et  ses  alliances  n'a  véritablement  reçu  sa  place  dans  l'immor- 
talité que  des  mains  de  la  victoire,  des  fastes  guerriers  de  l'his- 
toire et  de  la  reconnaissance  des  nations  nombreuses  qu'il  a 
servies  avec  éclat  » 2. 

Les  protestations  de  la  comtesse  de  Lôwendal  ne  furent  pas 
entendues.  Les  événements  suivirent  leur  cours  et  les  descen- 
dants directs  du  maréchal  émigrèrent. 


1.  Id.,  Ibid.,  t.  IV,  p.  62. 

2.  Adresse  aux  représentants  des  François  en  réclamation  du  bien  patrimonial  de 
la  branche  directe  et  du  nom  de  Lôwendal  et  Extrait  du  procès-verbal  de  l'Assemblée 
Nationale  du  28  avril  1791.  Paris,  1791. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE1 


Aarau,  171. 

Aban    (Mademoiselle),    133. 
Abbéma,    332,    333,    335. 
Abbeville,  177,  266,  267,  268,  269, 

317-319. 
Absalon,  389. 
Abyssinie,  112. 
Adam    (Hans),    155    —    (Nicolle), 

156. 
Adelcrantz,   375. 
Adelmann  (Jacques),  110. 
Aersens,    209. 
Affinius  (Maître),  280,  281. 
Agricola,   89. 
Aguesseau    (d'),    246,    285. 
Aiiamer  (Richard),  5. 
A  igues- Mortes,   39. 
Aiguillon  (Duc  d'),  329. 
Aix,  223. 

Aix-la-Chapelle,   307. 
Alabram,  7. 
Alard,  249. 

Albe  (Duc  d'),  186,  228,  229. 
Albert   (Archiduc),    186. 
Albert  (Duc),  119. 
Albessard,  251. 
Albit  51,  92  —  Jean  d'— ,  51. 
Albert  (Maréchal  d'),  219. 
Alefsen,  406. 
Aleman  (Thomas),  145. 
Alemant  (Érard  1'),  6. 
Alembert  (d'),  136,  137. 
Alençon,  160,  315  —  duché  d'— , 

80,  81. 


Alewyn,  316. 

Aligre  (d'),  75. 

Alingsos,  363. 

Allemagne  (Conrart  d'),  4  — 
(Pierre  d'),  4.  —  (Helle  d'),  5. 
(Jehan  d'),   6. 

Allemant  (Jean  T),  28. 

Alleyné    (Jeanne),    167. 

Allier  (L/),  321. 

Alman  (L/),  6. 

Alquenaer  (Van),  286. 

Almanieu  d'Alhet,  52. 

Alsace  (1'),  180,  368. 

Alstein  (van),  314. 

Alstromer  (Jonas),   363. 

Althann  (Charles),  45,  —  (Hu- 
bert),  45. 

Altoeting,  101. 

Altona,  46,  147. 

Alvastra,  339  =  Stephan  d'— ,  340. 

Amboise,   185. 

Amédée  (Mademoiselle),  46. 

Amiens,    270. 

Amsink,  153,  —  (André),  161, 
—  (Marie),  161  —  (Paul),  155, 
161. 

Amsterdam,  129,  146,  159,  208, 
212,  216,  217,  219,  220,  222, 
223,  224-227,  239,  308. 

Anacharsis,    137. 

Ancennes,  269. 

Andlau  (Comte  d'),  282. 

Andréas,  187. 

Anfwidson  (Swen),   364. 


1.   Les  noms  de  lieu  sont  en  italique.    —    Les  mots   France,  Paris,   Allemagne, 
Jlnllandr,  Suède,  Danemark,  etc.,  n'ont  pas  été  mentionnés. 


412 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Angers,  6,  27,  28,  30,  37,  38,  100, 

156,  157,  241,  242,  303,  315,  319, 

398,   405. 
Angoulême,  243,  244,  262,  284. 
Anhalt,    104,    —    Christian    d'— , 

79,  —  Léopold-Frédéric  (prince 

d'),  46,  — 
Anhalt-Dessau   (Prince    d'),    47. 
Anjou,  94,  156,  157,  225,  247,  — 

(duc  d'),  180. 
Anne,     reine     d'Angleterre,     403. 
Anne    (Duchesse),    152,    178. 
Anne  d'Autriche,  229. 
Annonay,  319. 
Anselme    d'Anvers    (Père),    118, 

119. 
Antonelle   de   Montmeillan 

(Marguerite  d'),  236. 
Antony,  318. 
Anvers,  54,  60,  193,  292. 
Apelgrehn  (Per),  370. 
Apicius,  32. 

Argenson  (d'),  120,  126,  410. 
Ariès  (Johann),  146. 
Aristophane,  131. 
Arles,  236,  237. 

Armancourt  (Geneviève  d'),  282. 
Armelin  (Jean),  167. 
Armeyden  (van),  286,  294. 
Armfeldt  (Baron   d'),   371. 
Arminius,  37,  231. 
Arndt,  136. 
Arnolfini,  42,  218. 
Arques,  82,  196,  334. 
Arsy  (d'),  217. 
Artois  (Y),  180,  333. 
Artois  (Comte  d'),   130,   149,  — 

Comtesse  d',  144. 
Aspérenne  (van),  302. 
Assas  (d'),  33. 
Asse  (Elias),  354. 
Asselijn  (Jean),  224. 
Assus,  402. 

Athanase  (Le  Père),  302,  406. 
Atlantique  (1'),  179. 
Aubignac  (Abbé  d'),  162. 
Aubry  DU  Maurier,  213. 
Aubusson,  162. 


Auch,  318. 

Auges-en-Périgord,  244. 
Augsbourg,  15,  45,  61,  62,  76,  139, 

158,  204. 
Auguste    (Mademoiselle),    410. 
Auhan  (Charles),  243. 
Auneau,  76. 
Aunis,   148,  284. 
Auray,  288. 

Aurelius,   empereur,   26. 
Auricii  (Petrus),  390. 
Austerlitz,  142. 
Auvergne   (1'),   33,    104,   163,   233, 

239  —   Comte   d'— ,   328. 
Auxonne,  13. 
Avantore  (Marie),  153. 
Avaux  (Comte  d'),  199,  200,  230, 

295-297,   299,   300. 
Averhoult  (d'),  335  =  (Marie  d'), 

78. 
Avicenne,  31,  390. 
Avignon,    33,    39,    49,    168,    179. 

Baader,  134. 

Bachaumont  (de),  404. 

Backmann,  363. 

Bade,  15,  —  Caroline-Louise  de, — 

47,  —  Charles-Frédéric  de — ,  47. 

Princesse  de — ,  115,  —  Philbert, 

marquis  de — ,  76. 
Bade  (Josse),  51. 
Baër  (Ludwig),  19. 
Bahours,  92,  93. 
Bailly,  264. 
Balbecque,  284. 
Balck  (Everhard),  220. 
Baldenberg  (Jacques),   32. 
Bâle,  8,  32,  38,  397. 
Baltique  (la),  113,  114,  115,  360. 
Balzac,  217. 
Bang  (Jean),  402. 
Bapst    (Georges-Michel),    123. 
Baranger    (Marie),    29,    157,    — 

(Pauline),   29,   157. 
Barlaeus,  220. 
Barneveldt,  228,  321. 
Barry  (Madame  du),  329. 
Barthels   (Georges- Jean),   356. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


413 


Bartholius   (Erasme),   399. 

Bartholomaeus,  33. 

Basire,  330. 

Basnage  de  Beauval  (Henri), 
161. 

Basseau,  244. 

Bassenge  (Paul),  124. 

Basserode,   155. 

Bastille  (la),  124,  125. 

Batavia,  129. 

Batilly,  82. 

Baud  (Corneille),  211. 

Baudrier  (Président),  51,  54. 

Baudringhien  (David),  222. 

Baulduc  (Pierre),  95. 

Baumgarten,  146,  147. 

Baur,  47. 

Baurein,   240. 

Bavière  (la),  9,  10,  25,  38,  56,  85, 
111,  141,  164,  171  —  Anne  de—, 
108,  Duc  de—,  108,  Guillaume  IV 
de — ,  181,  Louis  de — ,  101,  Marie- 
Anne-Victoire  de—,  109,  110, 
Maximilien  de — •,  83,  Sophie- 
Marie  de — ,  Comtesse  de  Leves- 
tein-Rochefort,  110,  Ysabeau 
de—,  4,  181. 

Bayermann,  147,  153. 

Bayonne,  250,  309. 

Bazas,  52. 

Beaucaire,   39. 

Beau.ee   (la),    71. 

Beaufort  (Duc  de),  275. 

Beauharnais  (de),  328. 

Beaujolais,  88. 

Beaulieu  (Mademoiselle  de),  149. 

Beaumarchais,   130. 

Beaumont,   96. 

Beauvais,  267. 

Beauvaisis,    236. 

Beauvau   (Prince   de),    151. 

Beauvigne  (André),  69. 

Beauvoir,  3. 

Beck  (François),  147. 

Beckenrode    (de),    316. 

I.i     i  f:t,    316. 

Beecq  (Charles-Dominique  van), 
222. 


Béer  (Jacques),   167. 

Bellay  (Jean  du),  19,  20. 

Bellegarde,   13. 

Belle-Isle,   214. 

Belle-Isle    (Maréchal    de),    132. 

Bellingant,    103. 

Belloc,  312. 

Belz,  167. 

Beneman,  122. 

Bentheim  (Comte  de),  31,  46. 

Bentzien,  406. 

Bentzmann    (Joseph),    147. 

Béra  (Guillaume),  265. 

Berchem  (van),  328. 

Berg  (van  den)  dit  François  Des- 
mons,  249. 

Berge,  302. 

Bergeman  (Johann),  122. 

Berger  (Antoine),  223,  224. 

Bergh   (Gérard   de),   220. 

Berg-op-Zoom,    230,    233,    409. 

Bergues  (Henri  de),  184. 

Beringhen,  90, 103  =  Pierre  de — , 
103,  Henri  de—,  104. 

Berlin,  34,  48,  142,  167. 

Bermann,  93. 

Bernard  (Catherine),  121,  (Ju- 
dith), 166,  (Marguerite),  285, 
(Noël),  222,  (Samuel),  66,  222, 
301,  302,  357. 

Bern,  341. 

Berne,  61,  137. 

Bernkoldt  (Madame  de),  109. 

Bernstorff  (de),  46,  395. 

Berru  (le),  18,  —  Jean,  duc  de — , 
6,  181. 

Bertin,  94,  321. 

Bertini  (Anne-Élisabeth  de),  168. 

Berwalde,  345. 

Besançon,  101. 

Besche  (Les  frères),  355. 

Besme,   72. 

Bessner  (de),  150. 

Bessola  (La),  109. 

Bethling  (Comte  Hubert  de),  68.. 

Bethmann  (J.),  146,  147. 

Béthune,  334. 

Betz  (Jérôme),  33. 


414 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Beuningen   (van),   202,   261. 

Béville,  237. 

Beyermann,  310. 

Beyma,    333,    334. 

Beys  (Adrien),  193,  (Gilles),  193, 

(Christophe),    193. 
Bèze  (Théodore  de),  35,  36,  216. 
Béziers,  169. 
Bezons  (de),  283. 
Bicêtre,  399. 
Bielke  (Clas),  352. 
Bièvre  (la),  171,  367. 
Bignon  (L'abbé),  129. 
Bild  (Eskill),  392. 
Binau  (von),  41. 

BlRCKElMER,    24. 

Birens   (Jean-Bernard),    154. 
Birger  (Le  roi),  340. 
Biron  (Maréchal  de),  126,  196. 
Bismarck,   25,   41. 
Bitauré,   136. 
Blanchard   (Marie),   314. 
Blandis,  20. 
Blanquefort,    235. 
Blanvillain    (Marie),    284. 
Blau  (de),  316. 
Blaymard  (Le),   90. 
Bloemaert   (Cornelis),    227. 
Blois,  7,  22,  68,  75,  100,  159,  225. 
Blomrerg,  131. 
Blucheidner  (Auguste),   122. 
Blumenstein   (François-Etienne 

(de),  91,  92. 
Borart  (von),  153. 
Bock  (Abraham   de),   25. 
Boehmer  (Charles-Auguste),   124. 
Boehnès  (Adrien),  300. 
Boek  (Jean),   167. 
Boekhorst  (van  den),  218. 
Boekstal  (van),  315. 
Boelmeny  (La   de),   127. 

BOETZELAËR,     332. 

Bohême  (La),  96. 
Bogar  (Wolfgang),   88. 

BOHLEN,    83. 

Boileau,   224. 

Boinerourg    (Philippe-Guillaume 
de),  43. 


Bois-Dauphin  (Maréchal  de),  158. 
Bois-le-Duc,    212,    229,    230. 
Boistel,  103. 
Boït  (Cari),  375. 

BOLEMANY,    384. 

Bologne,  22,  129. 

Bomel  (van),  237. 

Bommel  (François  van),  303. 

Bondy,  385. 

Bone  (Hector),  154. 

Bonel  (van),  284. 

BONICKAUSEN,     82. 

Bonneuil  (Etienne  de),  339. 

Bonnexal  (Abbaye  de),  341. 

Bonnisi,  63. 

Bonzin  (Pelonne),  62. 

Boomhouer,  323. 

Bordeaux,  12,  39,  52,  79,  115,  145, 
146,  147,  148,  149,  153,  168, 
201,  224,  225,  241,  246,  247, 
248-252,  256,  258,  261,  279, 
283,  296,  300,  301,  308-310, 
316,  318,  319,  323,  330,  361, 
362,  363,  366,  391,  395,  403, 
406,  407. 

Bordelais  (Le),  235. 

Boreel,   201,   248. 

borhmann,  362. 

borneman,  402. 

Boromini,  226. 

Bosche  (Gaspard  van  den),  313. 

Bossuet,  400. 

Both,  310. 

Bothnie,  345. 

Botwar,   51. 

Botzheim  (Johannes  de),  24. 

Bouchardon,  373,  374. 

Boucher  (François),  375. 

Boudenins   (Henri),   212. 

Boufflers  (Madame  de),  345, 
378,  379,  380,  381,  382. 

BOUGAIN  VILLE,     149. 

Bouget  (Jean),   178. 

Bouhours,    138. 

Bouillon  (Duc  de),  65,  97,  196, 

215,    237    =    Frédéric-Maurice, 

duc  de — ,  37. 
Boulle,   122,    123. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


415 


Boulogne,  335. 

Boulon    (David),    161. 

Bouc  (Port  de),  12. 

Bourbon    (Henri- Jules    de),    108. 

Bourbourg,  408. 

Bourdowyn    (Friedrich),     146. 

Bourg  (Barbe  van  der),  303. 

Bourg-sur- Gironde,  170. 

Bourgeois  (Adrien-Suzanne),  224. 

Bourges,  6,  19,  20,  27,  28,  35,  39, 
74,  75,  181,  220.. 

Bourgneuf,   11,   152,   178,   296. 

Bourgogne  (La),  6,  14,  183,  186, 
365  =  Antoine  de—,  180,  Duc 
de—,  129,  180. 

Bourguet  (Anne),  224. 

Bourgoin,  237,  238. 

Bourgueil,  158. 

Bourret,  130. 

Boursac   (Comtesse   de),    239. 

Bouvron,  112. 

Brabant  (Le),   179,   181,   195. 

Bradley,  238  =  Humfroy— ,  104, 
207,  233,  234,  235. 

Bragelongue    (Thomas    de),    52. 

Brahé,  349,  379  (Tycho),  396. 

Brahl  (François),   131. 

Brakel   (Girard   van),    290. 

Braklis    (Hermann    de),    31. 

Brancas  (Comte  de),  410  =»  duc 
de—,  328. 

Brandebourg  (Le),  10,  112,  114, 
120  =  Albert  de—,  39,  Jean- 
Georges  de — ,  158,  Joachim  de — 
54,  duc  de — ,  78,  maison  de — , 
79. 

Brandebourg-Culmback  (Albert 
de),  59. 

Brander,  68. 

Brandt  (van  den),  266. 

Brantôme,  71,  72,  127. 

BllASHB  (Jacob),  161. 

Bréda,  187,  193,  213,  214,  230  - 
Hennequin   de — ,   193i 

Bredenbeck  M.:isp;»rd  van),  242. 

Biu:i)i-:iun>i:    (Lancclot     de),     '2\\K 

Brème,  12,  146,  148. 

Breslau,  140. 


Brest,  155,  210,  211,  273,  274,  275, 

278. 
Bretagne  (La),   5,  11,   12,   93,  94, 

151,    152,    153,    154,    155,    160, 

177,  201,  212,  262,  363,  364  = 

Ducs   de — ,   129. 
Brèves  (de),  206. 
Briare,  42. 

Brie   (Marguerite    de),    159. 
Brimback  (Hans),  69. 
Brinberg  (Michel  von),  69. 
Brinckmann,  47. 
Brinken  (Jean),  302. 
Briot  (Isaac),  118. 
Brisach,  65. 

Brissag  (Maréchal  de),  213. 
Brissacq  (de),  299. 
Broderson  Rhalamb  (Eric),  345, 

348. 
Broer   (Jansz),   214. 
Broglie  (Comte  de),  126,  151   » 

Charles- Victor,  prince  de — ,  369. 
Brok,  310. 
Broleman,  167. 
Brôllmann,   93. 
Bron  (Madame),  223  =  (Henri  de), 

368. 
Broninghem  (Erasme  van),  320. 
Brossette,  224. 
Brouage,  211,  262,  359. 
Brown    (Jean-Henri),    406. 
Bruges,  154,  178. 
Brugman  (Henri),  153. 
Brummer  (de),  381. 
Bruneau   (Mademoiselle),    103. 
Bruneau    de    Tartifume,    28. 
Brunswick  (Le),  156  =  Duc  de — , 

47,  108. 
Bruxelles,  410. 
Brynolf  de  Scara,  340. 
buchenberg,   159. 
buchwall,   401. 

Budinszky    (Alexandre),    17,    35. 
Buffon,  98. 
Bulow  (de),  25,  84. 
Bulstrack   (van),   247. 
Buninkausen  (Benjamin  de),  81. 
Busch  (van  den),  290. 


416 


INDEX    ALPAABETIQUE 


Butler  (de),  288,  Joséphine  de — , 
marquise   de  la  Vieuville,   288. 
Butzelard  (van),  285. 
Buyn  (van  der),  218. 
Buzenval,  196,  197,  209. 
Bye  (Jacob  de),  285,  294,  297,  299. 

Cadix,    168. 

Caen,  6,  90,  93,  220,  265,  398. 

Caffinière  (de  la),  296. 

Calais,   366. 

Calmar,  342,  343. 

Cals,  355,  356. 

Calvin,  35,  231. 

Cambes,  120. 

Cambrai,  184. 

Cambry,  93,  156. 

Campan  (Madame),  303,  304. 

Campanaire,  51. 

Canada  (Le),  149,  278. 

Canizy,  228. 

Capellen  (van  de  Marsch),  330, 

332,  333. 
Câpres,  289. 

Carcassonne,  265,  266,  304. 
Cardonne  (de),  366. 
Careffeu,  312. 
Carignan  (Prince  de),  223. 
Carlstrom,  364. 
Carlsruhe,    47. 
Caroline    de    Bade    (Princesse), 

320. 
Carolof,   111. 
Caron  (François),  276,  277. 
Carrier,   314. 
Cars  (Laurent),  133. 
Casanova,  134. 
Casas,   375. 
Caseaux  (des),  255. 
Casimir  (Duc),  74. 
Castelfranc,  398. 
Cat,  237. 

Catalogne  (La),  369. 
Catherine  II,  334. 
Caudebec,  291. 

Cauze  de  Nazelle  (du),  281. 
Çavellat  (Denise),   53. 
Cayenne,  149,  150,  151. 


Cederhielm   (de),   380. 

Cederstrôm,   381. 

Celles  (Pierre  de),  386. 

Cellier  (Antoine),  302. 

Cellini  (Benvenuto),   95. 

Cette,  39,  169,  275. 

Cévenncs    (Les),    93,    355. 

Chabot    (Charles),    56. 

Châlons,  13,  103. 

Chambénj,  33. 

Chambord,  84,  409. 

Chamillart,  357. 

Champagne  (La),   112. 

Champagne,  239. 

Champcenetz  (de),  329,  330. 

Champion    (Marguerite),    101, 

Champmol,  181,   182. 

Chanut,   216. 

Chapelle-sur-Loire     (La),     159. 

Chapston    (Corneille),    211. 

Chardin,  259. 

Charente  (La),  243,  244. 

Charentes  (Les),  148. 

Charenton,  103. 

Charles  IV,  roi  de  France,  4,  87. 

Charles  V,   roi   de  France,   180, 

388. 
Charles  VI,  roi  de  France,  4,  101r 

180,  187,  342. 
Charles  VII,  roi  de  France,  11, 

12,  88,  178,  340,  388. 
Charles  VIII,  roi  de  France,  5, 

67. 
Charles   IX,   roi  de  France,  13, 
20,21,66,72,77,165,185,224, 
345. 
Charles   IX,   roi  de   Suède,  369. 
Charles  X,  roi  de  France,  149. 
Charles  X,  roi  de  Suède,  348. 
Charles  XII,  roi  de  Suède,  358, 

371. 
Charles  le  Mauvais,  6. 
Charles  le  Téméraire,   183. 
Charles  d'Orléans,  7. 
Charles-Quint,  54,  55,  60,  61,  68* 
Charpentier,    20. 
Chartres,  3,  225. 
Chaslon  (Suzanne),  311. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


417 


Chassan,  96. 
Chasteau- Lambert,    354. 
Chastelet  (Jean  du  —  baron  de 

Beausoleil),  91. 
Chastre  (Seigneur  du),  74. 
Chateauneuf  (de),  306. 
Chatelard  (Seigneur   du),  63. 
Chatellerault,  149. 
Chaulnes   (Duchesse   de),   281. 
Chaumont-en-Vexin,    234. 
Chauvelon,  149. 
Chefnen  (Baron  de),  70. 
Chelecque,    72. 
Cherbourg,  12,  276. 
Chetardie  (De  la),  110. 
Chevillot,   134. 
Choiseul  (Duc  de),  140,  149,  150, 

151,  395. 
Choiseul-Beaupré    (de),    291. 
Choisiual,  238. 
Chrétienne  (Jean  le),  341. 
Cholet,  271. 

Chombart  (Paul),   316. 
Chrestien  de  Troyes,  339. 
Christian   II,  roi   de  Danemark, 

342,  392. 
Christian  III,  roi  de  Danemark, 

392. 
Christian  IV,  roi  de  Danemark, 

393,  397. 
Christian   V,   roi   de   Danemark, 

402,   408. 
Christian  VII,  roi  de  Danemark, 

404,  405. 
Christian   d'Oldenburg,   391. 
Christine,    reine    de    Suède,    42, 
227,  347,  348,  350,  351,  352,  360. 
Christiani,  128. 
Cissac,  362. 
Cîteaux,  31,  339. 
Civille  (Isaac  de),  290,  (Suzanne 

de),  290. 
Cinila-Vecchia,  350. 
Civrac,  237. 

Claesens    (Cornélius),    219. 
Claj  me-Euoénie-Élisabeth    (  In- 

lnite),  119. 
Clairvaux,  31,  389. 


Claudin,  54. 

Clément  (Frédéric),   271. 

Clerbourg  (Jean),  100. 

Clermont,   163. 

Clermont-de-Lodève,     266. 

Clerville,  93. 

Clesis  (Benedict),  56  =  (Jean), 
100. 

Clèves  (Duché  de),  103  =  Adolf 
de — ,   7    =   Marie  de — ,  7. 

Clock  (Thomas),  147,  310. 

Cloots  (Jean-Baptiste),  136. 

Coblentz,   134    =    Hans   de—,   50. 

Cochin,  374. 

Cœur    (Jacques),    27,    87,    88. 

Cognac,  150. 

Colas  de  Brouville  =  des 
Francs,  243. 

Colberg,  114. 

Colbert,  43,  87,  91,  93,  96,  97, 
111,  112,  113,  114,  129,  148, 
161,  176,  202,  203,  204,  205, 
246,  248,  249,  250,  254,  257, 
261-272,  273-281,  285,  287,  292, 
294,  295,  302,  353,  354,  355, 
356,  360. 

Colbert   de   Croissy,    238. 

Colbert   du   Terron,   273. 

Colcat   (Jean),   267. 

Coligny  (Amiral  de),  20,  36,  71, 
72  =  Louise  de—,  206. 

COLLETET,    218. 

Collichot  (Marie),  368. 

COLLIGNON,    333. 

Colmar,   87. 

Cologne,  26,  53,  57,  101,  108,  118, 
120,  121,  125,  143,  146,  153, 
163  =  Jean  de—,  3,  8,  9. 

Colonia,  303. 

Comenius,  37. 

Compiègne,  225,  350,  351. 

Comtat  Venaissin   (Le),    168. 

Condé  (Princes  de),  65,  71,  73, 
74,  206,  217,  329,  408. 

Conrad,  31. 

Conrart,  217. 

Constance,  5,  52,  129,  159. 

Constant,  219. 

27 


418 


IXDEX    ALPHABETIQUE 


Constantinople,   206,   365. 
Conti  (Princesse  de),  403. 
Cook,  48. 
Coomans  (de)  21,  40=  Hieronymo 

de-,  208. 
Coorte    (Jean    et    Adrien),    237 

238,  302. 
Copenhague,    133,   392,   395,   397, 

399,  403,  405. 
Copes  (Jean),  257. 
Coppequin  l'Allemand,  6. 
Coppet,  383,  384. 
Coppin,  259. 
Corbeil,  162,  170,  274. 
Corbîères  (Les),  93. 
Corneille  (Pierre),  107,  217. 
Gornély,  159. 
Corrège  (Le),  163. 
Cosne,  74. 
Goste,  295. 

COTHEAU,    319. 

Gotta,  48. 

Gottin,  176. 

Coubert    (Comte    de),    222. 

Courcoury,  215,  283,  284. 

Courtin,  202,  360. 

Coustou,  405. 

Goyau,  96. 

Gram,  249. 

Cramer    (Charles-Frédéric),    137. 

Grasset  de  Wolfbergaen,  31. 

Craton  (Louis),  comte  de  Nassau- 

Saarbruck,  83. 
Creil-sur-Oise,  330,  331. 
Crescent,  122. 
Creutz  (Comte  de),  366,  378,  381, 

382,   384. 
Crezin,  93. 

Crispin  de  Passe,  226,  227. 
Croix    (David    de    la),    238     = 

(Adrien),  240,  (Jean),  240. 
Cromelick  (Jean),  ou  Cromelin, 

228,  229. 
Crosnière  (île  de  la),  322. 
Cruce  (Marguerite  van  den),  123. 
Grucius,  238,  239,  284  =  (David), 

241. 
Cruipling,  249. 


Cujas,  27. 
Cuper  (de),  159. 
Cysoing,   387. 

Dacie  (Jean  de),  390. 

Dacus  (Johannes),  390. 

Dalder  (Madame  Palm.),  330. 

Dale  (Josse  van),  235,  236. 

Dalliez,  96,  356. 

Dammers    (Arnold),    147. 

Damours  (Jean),  56. 

Daneau,   216. 

Dangeau  (Marquis  de),  110. 

Danglein  (Adam  de),  56. 

Daniel  (Le  Père),  82. 

Dantzig,  125,  155  =  Louis  Jacques 

de—,  27. 
Daquin,  281. 
Daresche,  312. 
Dargent,  280. 
Dauphiné  (Le),  92,  238. 
Dauvet  (Jean),  88. 
Daveloze,  153. 
David  d'Angers,  157. 
Davy  du  Perron,  37. 
Deber  (van),  292. 
Déferrant,  249. 
Deforge    (Marie-Louise),    132. 
Degant,  373. 

Delaage  (Mademoiselle),  37. 
Delacourt,    261. 
Delacroix    (Eugène),    123. 
Delft,   219,   220,  333    =    Ghisbert 

de—,  187. 
Dellinghausen    (Jen    de),    369. 
Dellvigk   (Baron   de),   369. 
Delo  (Pierre),  250. 
Denoix    (Jean-Pierre),    406. 
Depeister,  289,  301. 
Derenstein   (Henri),   25. 
Dervieu  (Mademoiselle),  46. 
Descartes,  43,  216. 
Deschamps    (Mademoiselle),    327. 
Desgranges  (Jeanne),  281. 
Desle,  75. 

Desmazes  (Mademoiselle),  359. 
Desmarets,  357. 
Deurbroucq,  312,  314,  315. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


419 


Deveer,   316. 

Deventer,  57. 

Devos  (Cornelis),  266. 

Deyn  (François),  45. 

Dejabern  (Jacques),  6. 

Dhaveloose,  313,  315. 

Diderot,  47,  121,  132,  136,  137, 

138,  324,  329. 
Dieppe,  179,  260,  291,  308. 
Dierquem  (Marie),  161. 
Diest  (Jean),  130. 
Dietz  (Albert,  comte  de),  76. 
Dijon,  74,  95,  181,  183,  350. 
Dinanl,  95. 

DlNGUEMENT-DOENSSEN,  317. 
DlOSCORIDE,    57. 

Diric  (Bogar),212  =  (Simon),  275. 

Dodart,  129. 

Dohnau  (Baron  de),  76. 

Doly  (Valois),  166. 

Dombes,  63. 

DOMITILLA,    329. 

Donsbourg  (Alexis),  167. 

Dorât,  138,  329. 

Doré  (Anne),  244. 

Dormans,  73,  74. 

Dormelles,  317. 

Dorp,  210. 

Dorsch,  48. 

Douza  (Jacques),  219. 

Drambon,  355. 

Dresde,  116,  134. 

Dricke  (van  der),  275. 

Driesche  (van  den),  285. 

Droc  (van  den),  286. 

Drouet  (Geneviève),  157. 

Dubois  (Le   cardinal),   358. 

Dubuisson-Aubenay,  154. 

Duhamel,  94,  99. 

Duffelt  (van),  309. 

Duiffoproucart  (Gaspard),  166, 

(Jean),  166. 
Duijen    (Théodore-Nicolas),    211. 
Dumaine,  312. 
Dumas,  274,  354. 
Dunker,   134. 
Dunkenjue,    272,    278,    279,    305, 

316,  320,  322,  333,  334,  408. 


Duplessis-Mornay,  30,  209,  220. 
Dupont  de  Nemours,  47,  320. 
Duquesne,    272,    274,    347,    360. 
Durannelle,  167. 
Duras  (Duc  de),  329. 
Duren  (van),  294. 
Dusseldorf,   120. 
Duvelaer   (Julien),   288. 
Duverney,  399. 
Dyben  (de),  379. 
Dyk  (Olof),  345. 
Dyck  (van),  163,  376. 

Eaux-Bonnes  (Les),  38. 

Ebelholt,   387. 

Ebert  (Joseph-Népomucène),  123. 

Eberts,  128. 

Ecaquelon  (d'),  290. 

ECKERSBERG,    45. 

Eckard  (Jean-Michel),  169. 
Echardt  (Jean-Godefroi),  134, 

139,  141. 
Eckmuhl,   108. 
Ecluse  (L'),  223. 
Edouard    III,    roi    d'Angleterre, 

340. 
Egenfeld,  81. 
Eglise  (De  V),  158. 
Egmont  (Daniel  d'),  310,  314. 
Egon  de  Furstemberg,  83. 
Egypte  (L'),  43. 
Eichstadt,  122,  134. 
Eickholz   (Adolphe),   26. 
Eisen,  138. 
Eitel,  19. 

Elben  (Charlotte-Elisabeth),  160. 
Eleis  (Daniel),  161. 
Etfsborg,  360. 
Elgement,  318. 
Elisabeth    d'Autriche,    102. 
Elisabeth,  reine  de  France,  21. 
Elisabeth  de  Suède,  344. 
Els  (Jacob  von),  69. 
Elorn,  84. 
Embrun,  37. 

Emden  (van  der),  voir  Affinius. 
Emericq  (van),  316. 
Emery  (Suzanne),  250. 


420 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


Emler,  147. 

Encuriê,  60. 

Engleperche,   93. 

Enguehart  (André),  129. 

Enningh,  318. 

Ens  (Van),  217  =  Albert—,  235, 

236  =  Jean—,  236  =  Louis—, 

236. 
Ensestein,  110. 
Entraigues    (Abbé    d'),    325. 
Eon  (J.),  253,  254,  257. 
Epernon  (Le  duc  d'),  76,  237. 
Epi  (de  1'),  127. 
Epstein,  25. 
Equer  (G.),  153. 
Erard,  4. 
Erasme,   183,   184. 
Erben,  356. 

Erbent   de   Glahaut,   161. 
Ergkelen    (Walther),    119. 
Erik  (Le  duc),  340. 
Erik  XIV,  roi  de  Suède,  344. 
Erlach   (Jean,   Louis,    Sigismond 

d'),  82. 
Erlin  (Anne),   64. 
Erpen   (Thomas   van),    217,   218. 
Escaut  (L'),  305. 
Escouville,   90. 
Eskrich  (Pierre),  165. 
Espense  (d'),  114. 
Espinoza  (Pierre  d'),  286. 
Essarts  (Jean  des),  57,  89. 
Essonne,  42. 
Estaing  (Comte  d'),  381. 

ESTERNACH,    157. 

Estienne  (Henri),  50,  90. 
Estoile  (Pierre  de  Y),    27,    193, 

228. 
Estrades   (d*),   203,   277. 
Etaples,  103. 
Ethiopie   (L'),   112. 
Evreux,  37. 
Eyck,  141. 

Faber   (Jean),   34. 
Fabert   (Abraham),    112. 
Fabre  (Jean),  51    x  (Josué),  225, 
315. 


Fabrice  de  Gressenich  (Pierre), 

239,  (Otto),  239. 
Fagon,  282. 
Faltz  (Raymond),  352. 
Farsan  (Le),  51. 
Favart,  327. 
Favereau,  227. 
Faure  (Gonnin),   56. 
Feillotes,   163. 
Fenwick    (Nicolas),    362. 
Ferdinand     II,    empereur,     107, 

343. 
Fermessum,  187. 
Ferney,  47. 
Fersen  (Axel),  370,  371,  383,  384, 

385. 
Fervaques,   73,  212. 
Festing  (Christian),   157. 
Fettement   (Arnaud),    113. 
Feuertein    (Jean),    122. 
Feuille  (De  la),  355. 
Ficq  (Adrien),  290. 
Finistère  (Le),  93,  156. 
Finlande,  381    =   (Jean,  duc  de), 

344. 
Fischel   (Catherine),    56. 
Fischer  (Gaspard),  60,  —  (Georges 

32,  —  (Jérôme),  19,  —  (Kuno), 

44. 
Fismes,    73. 
Fister  (Olivier),  127. 
Fitel  de  la  Brière  (André),  93. 

FlTLER,    166. 

Flac  (Philippe),  165. 
Flach    (Guillaume),    125. 
Flamant    (Hubert),    212. 
Flamman    (David),    179. 
Flandre  (La),  177,  179,  180,  186, 

195,   333,   358. 
Fleckstein  (Jean,  baron  de),  66, 

82. 
Fleurier  (La  demoiselle),  127. 
Fleurus,    369. 

Fleury  (La),  dite  La  Bête,  127. 
Fleury  (Le  cardinal),   365. 
Floding  (Père),  374. 
Florentin  (Dominique),  185,  221. 
Fluymer,  275. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


421 


Foix,  292. 

Fol    (Mademoiselle    de),    380. 
Folsch    (Henri- Jacques    et    Phi- 
lippe),  168,   364. 
Fonberg    (Joseph-Gaspard),    170. 
Fontainebleau,  6,  42,  62,  112,  343, 

351,  352,  381,  392. 
Fontaine-le-Comle,  236,  238,  239. 
Fontaine-Peureuse,  236. 
Fontenoy,  84. 
Forêt-Noire  (La),  134. 
Forez  (Le),  92. 
Forge  (La),  218. 
Forment  (Hélène  et  Nicolas),  163. 
Forster  (Georges),  48. 
Foucard  (Adélaïde),  141. 
Foucquet,  202,  214. 
Fradin  (François),  51. 
France  (Charles  de,  duc  de  Berry), 

5. 
Francfort-sur-le-Mein,  46,   54,  55, 

68,  124,  146,  167,  193   =   Jean 

de — ,  3,  15. 
Franche-Comté  (La),  170,  183,  354. 
François  Ier,  roi  de  France,  6,  7, 

10,   13,   23,  35,  36,  39,  41,   52, 

54,  55-59,  60-63,  67-70,  82,  89, 

102,    113,    164,    165,    179,    343, 

391,  392,  393. 
François   II,  roi  de  France,   12, 

178. 
Franconie  (La),  41,  121,  134,  158. 
Frédéric  Ier,  roi  de  Suède,  358, 

359,  379,  380,  392. 
Frédéric  II,  roi  de  Prusse,  116, 

122,  126,  135,  306. 
Frédéric  III,  roi  de  Prusse,  114, 

=  roi  de  Danemark,  394,  397. 
Frédéric   IV,  roi  de  Danemark, 

403,   407. 
Frédéric- Guillaume,  Grand 

Électeur,    113,    114    =    roi    de 

Prusse,  332. 
Frédéric-Henri,    214. 
Freinshemius,  353. 
Freisino,  166. 
Frêjus,  11. 
Freudeberg,   134, 


Fribergius   (Kalbus),   87,   89. 
Fribourg-en-Brisgau,    65,    165. 
Friburger    (Michel),    50. 
Fricke,  128. 
Friedel,   137. 
Friedrich   (Hans),    79. 
Frise  (La),  178,  183,  195. 
Frize  (Nicolas),  392. 
Froben,  42. 
Frossen,  285. 
Frost  (Jean),  122. 
Fugger  (Antoine),  19. 

FURSTEMBERG,      84,      93,      110       = 

Guillaume  de — ,  69. 
Fust  (Jean),  50. 
Fyrober  (Jean),  51. 

Gaigeard  (Renée),  158. 

Gailly  du  Bret,   219. 

Gallien,  57. 
Gand,  334. 

Gangelt  (van),  238  —  (Char- 
lotte, Constantin,  Gaspard,  Ma- 
rianne), 239. 

Gardie  (Pontus  de  la),  359  — 
(Madame  de),  361. 

Garetz    (Gertrude),    312. 

Gascogne  (La),  334. 

Gastines  (Des),  287,  295,  296, 
299,  300. 

Gâtinais  (Le),  225. 

Gaule  (La),  180. 

Gaussen  (Conrad),  234,  235,  250. 

Gauthier,  4. 

Gautier  (Maître),  87. 

Gédéon  (Rodolphe),  275. 

Geiger,  24. 

Geizkofler   (Luc),    20,    39. 

Gelderman,    318. 

Gelida,  36. 

Gellikom  (van),  290. 

Genève,  37,  61,  165. 

Genouville  (Du  Plessis  de),  210. 

Gensanne,    93. 

Geoffrin  (Madame),  379,  380. 

Geoffroy  d'Auxerre,  386. 

Georg  (Jehan),  119. 

Georges  Ior,  roi  d'Angleterre,  46. 


422 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Georges   Prince  de   Danemark, 
403. 

Georget    (Jean-Jacques),    328. 

Gérard  (André),  184. 

Gering  (Ulrich),  50,  52. 

Gerrart  (Marc),  159. 

Gerzelle   (Christophe),   356. 

Gessner  (Conrad),  19  —  (Hubert), 
94. 

Gévaudan  (Le),  92,  93. 

Gibraltar,  149. 

Giech  (Comte  de),  46. 

Giens,   208. 

Gillberg,  374. 

Gilles    (Catherine),    400. 
Gilly  (Charles),  293. 
Gioe  (Marc),  353. 
Giorgione,   163. 
Girard  (Adrien),  211. 
Girault,  24. 

Gironde  (La),   152. 

Giroulst    (Marie-Suzanne),    375. 

Gisner  (Nicolas),  27. 

Gladback,   123. 

Glezer,  218. 

Glick  (Comte  de),  392. 

Glocken-Giesser    (Sixte),    51. 

Gluck,  134, 141, 142, 143, 147,  270. 

Gobin,  376. 

Goelnitz  (Abraham),  42. 

Gœthe,  136. 

Golle  (Pierre),  226. 

Golstein   (Charles   de),    30. 

Goltz  (von  der),  41. 

Gom  (Daniel),  167. 

Gomar,  231. 

Goncourt  (de),  134,  377. 

Gondelfinger  (Daniel),  61. 

Gondi,  63. 

gonseback,  167. 

Gonthier   d'Andernach   (Jean), 

56. 
Gorss  (Christophe),  147  —  (Fran- 
çois), 243. 
Gottenbourg,    357,    365. 
Gouda,  183,  327. 
Gouffier    (Marquis    de),    127. 
Gournay  (de),  218. 


Gourwetz,   169. 

Goutte  (La),  92. 

Graeff  (de),  294. 

Graffenberg    (Jean-Rudolf    de),. 

30. 
Grammont   (de),   309  —  (Marie- 
Béatrice  de),  369   =  Mademoi- 
selle de—,  406. 
Granville,  333. 
Gras  (Clermonde),  166. 
Grasser  (Thomas),  56. 
Gravel  (Abbé  de),  96. 
Gravelin.es,  333. 

Greiff   (Antoine,   Sébastien),   53. 
Grenoble.  237. 
Greuze,  47,  132,  376. 
Grignan  (Marquis  de),  125,  293. 
Grimm,  46,  47,  132,  138,  141,  404. 
Gringer  (Christian),  125. 
Gripenskold  (Brigitte),  364. 
Grœnenback  (Jean),   119. 
Groningue,  195,  217,  220. 
Groot  (de),  203. 
Groote  (Anne-Marie  de),  162   = 

(Gérard  de),  187. 
Grooters   (Jean),   407. 
Grossen,  45. 

Grotius,  217,  231,  203,  350. 
Groult,  288. 
Grout,  321. 
Grubé,  381. 

Grumbach  (Guillaume  de),  69. 
Gua  (Le),  322. 
Gueldre  (La),  181,  195,  226  =  duc 

de—,  58,  69. 
Guelff,  Guelphe  (René  de),  58, 

68,  89. 
Guéneux  (Suzanne),  286. 
Gueprie  (La),  92. 
Guérard,  183  —  (Grégoire),  184 

—  (Pierre),   184. 
Guilbert,  7. 
Guillaume  aux  Blanches  Mains, 

387. 
Guillaume  d'Orange,  203,  307, 

331,  332. 
Guillaume   le   Taciturne,    206, 
213. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


423 


Guillaume   III,  roi  d'Angleterre, 

308. 
Guillot  (Marie),  153. 
Guise  (Les),  20,  21   =  duc  de — , 

56,  210,  -  François  de—,  72  = 

Guillaume  de — ,  71,  73. 
Guisnot   (Nicolas   de),    293. 
Guitte  (Nicolas  de),  dit  Scapen- 

cas,  211,  212. 
Guldemer  (Jean),  161. 
Guldenlowe  (Comte  de),  408. 
Gunner  (Viborg),   389. 
Gustave-Adolphe,  roi  de  Suède, 

343,  345,  346,  349,  357. 
Gustave  III,  roi  de  Suède,  343, 

371,    375-385. 
Gustave   IV,  roi  de  Suède,  385. 
Gustave  Wasa,  343,  344,  392. 
Gutenberg,  49,  50,  52,  118,  134. 
Gutfrai     (Christophe),     158. 
Guyane  (La),  111,  149. 
Guyenne  (La),  145,  146,  148,  170, 

225,  233,  362,  363,  406  =  amiral 

de—,  211    =   collège  de—,  36. 
Gyllenheim  (Karl  Karlson),  367. 

Halrecht  (Hubert),  310. 

Hacken,   134. 

Haeghe,   193. 

Haentjens,  312,  314. 

Haersen  (van),  247. 

Haerzel  (van),  312. 

Hafer   (Henri),   157. 

Hainaut  (Le),  180,  183,  186. 

Haincelin,  4. 

Hains  (Gilles),  250. 

Hall,  32,  123. 

Hall,  366. 

Hallman,  366. 

Halm  (Mathias),  134. 

Halsbourg,  306. 

Hamar,  341. 

Hambourg,     12,     128,     146,     147, 

148, 153,  155,  160,  161, 168,  169, 

313. 
Hambraeus  (Jonas),  41,  118,  227, 

326,  345-348,  350,  351. 
Hambré,  347. 


Hamel    de    Latréaumont    (du), 

280. 
Hamencourt   (Jean    d'),    37. 
Hammerbac  (Evrard),  212. 
Hanau,  137. 

Handermann    (Ignace),     159. 
Haneman,  121. 
Hannequin,  4. 
Hannequis  (Conrad),  52. 
Hanoignas  ,179. 
Hanovre  (Le),  46. 
Hanry  (Françoise),  288. 
Hansdorff,  405. 
Harduoin  (Le  Père),  402. 
Haren,  327. 
Harfleur,   274. 
Harlem,  224,  284. 
Harleman  (Cari),  373. 
Harmadis    (Heldroom),    318. 
Harmensen,  362. 
Harnel  (van),  286. 
Hartig,  46. 
Hartmann,  86,  144  —  (Christian), 

47. 
Hartsocker,   176. 
Harville  (Marie-Louise  de),  369. 
Harz,  93. 

Hatel  (Isaac),  275. 
Hattem,  182. 
Hattinguer,   326. 
Hauffe,  5. 
Hauptmann,    137. 
Haussonville    (African    d'),    77. 
Hauterive  (d'),  219. 
Havre  (Le),  212,  273,  274,  275,  312. 
Haxthausen   (von),   403. 
Haydn,  144,  147. 
Haye  (La),  196,  197,  199,  203,  220, 

223,  230,  264  =  (Corneille  de), 

185,  224  —  (Corneille  II  de),  185. 
Heberlin   (Paul),   164. 
Hecht  (de),  159. 
Hedelin  (Claude),  162. 
Heemskerk  (Louis  Van),  275. 
Heemskerk,  268. 
Hegel,  136. 
Heglin  (Johann),  50. 
Heidelberg,  27,  34,  36,  125. 


424 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Heilfenberg  (Comte  d'),  83. 

Heim  (van  der),  306. 

Heinel  (Mademoiselle),  127. 

Heinle,  144. 

Heinsius,  305,  306. 

Heliguer  (Ulrich),  56. 

Hellaert    (Jacques),     249. 

Helmer  (Jehan),   165,   166. 

Helvétius,  45,  47,  136,  147,  281, 
282. 

Hem    (Herman   van    der),    224. 

Heming,   340. 

Hemsch  (Guillaume),  145  —  (Jean- 
Henri),  143. 

Hendriche  (Pierre),  279. 

Hendricher  (P.),  272. 

Hendricq  (Corneille),  211. 

Hendrix  Cop,  275. 

Henichau   (Georges),   36. 

Hennebont,   270. 

Hennequin,   95. 

Hennings,   390. 

Henrerixen,  279. 

Henri  II,  roi  de  France,  10,  13, 
39,  41,  52,  58,  59,  63,  69,  70, 
89,  102,  106,  166,  185. 

Henri  III,  roi  de  France,  13,  66, 
75,  76,  77,  78,  106,  159,  196,  224, 
344. 

Henri  IV,  roi  de  France,  14,  24, 
36,  40,  41,  64,  66,  77,  78,  79, 
80,  82,  90,  95,  102,  103,  104, 
105,  108,  121,  153,  154,  158, 
195,  196-199,  202,  204,  206-209, 
212,  220,  225,  233,  234,  248, 
261,    263,    292,    300,    344,    345. 

Heinrich   (Louis),   34,   252. 

Henricq  (Jean),  211. 

Henrinsen,  272. 

Henry,  238  —  (Guillaume),  239. 

Hentzner  (Paul),  40. 

Herbestein  (Comte  de),  157. 

Herembach   (Jacques    de),    51. 

Herhan  (Louis-Étienne),  137. 

Herlant   (Josué),   249. 

Herman  d'Italie,  222. 

Herman  (Louis),  27  —  (Nicolas), 
212. 


Hermann,  95. 

Hermès  (Jean),  212. 

Herwarth  (d'),  42,  66  —  (Bar- 
thélémy), 64,  65  —  (Daniel),  64. 

Hesse  (La),  84,  137  =  Frédéric, 
landgrave  de — ,  41,  83.  —  Guil- 
laume VI,  landgrave  de — ,   42. 

Hesse-Cassel,  110,  157  =  Amélie 
de—,  154. 

Hessel,  187. 

Hesseler,  61. 

Hessen   (Heinrich   von),    19. 

Hetzmanseder    (Georges),    34. 

Heulen  (van),  312. 

Heurques    (Georges),     179. 

Heusch,  323. 

Higman  (Jean),  52. 

Hileken    (Jean),    167,    168. 

Hillebrandt  (Junius),  41  —  Mel- 
chior),  120  =  (les  frères)—,  363- 
366  —  Madame—,  367. 

Hillner,   66,   128. 

HlNNER,     140. 

Hintz,  364. 

Hirtenbrauss  (Balthazar),  6. 
His  (Jean),  161. 
Hjarne  (Urbain),  353. 
Hochberg    (Cyriaque),    51. 

HOCHBRUCKER,     147. 

Hocnacher  (veuve  van),  314. 
Hoen    (Corneille),    315. 
Hoeufft    (Anne),    239.    (Barbe), 

238.  (Catherine),  238.  (Jean),  238, 

239,  257.  (Jean  le  Jeune),  238. 
(Marguerite),  238  =  Hœufït, 
241,  350. 

Hoey  (Claude),  221,  222.  (Jean), 

185,  221. 
Hoff  (Jacob  von),  42. 
Hoffmann  (Daniel),  45.  (Michel), 

32,  48. 
Hogenbergh  (Jean),  266. 
Hogguer  (Antoine,  baron  de), 

357,  359. 
Hogendorp  (Daniel),  220,  327, 

333. 
Hogwerf,  311. 
Hohenlohe  (de),  24,  25,  41. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


425 


HOHENZOLLERN,     113. 

Holbach  (d'),  136,  137. 

HOLBEIN,  163. 

Holberg,  396,  401,  402. 
Holden  (Christophe),  161. 
Holker,  319. 
Hollard  (Pierre),  285,  299,  300. 

HOLLZENDORFF,    92. 
HOLTZMANN,    144. 

Holstein  (Le),  120. 

Homberg  (Guillaume),  129,  130  = 

(Jacques),  167. 
Homeau   (Barbe),    166. 
Homossel,    318. 
Honorius   III,   pape,   31. 

HOOGHSTAEL,     310. 
HOORNBECK,   306. 

Hoos,  285. 
Hop,  306,  325,  326. 
Hopp,  327. 

Hopquen  (René),  224. 
Hopyl  (Wolfgang),  50. 
Horace,  216. 
horderwijk,  220. 
Horstanus,    36. 
Hort    (Jean-Marie),    156. 
Hortemels,    302. 
Hortuin  (Gaspard),  51. 
Horutiner,  166. 

HOTTERMANN   OU   HAUTREMANT, 

125. 
Houe  (Jehan),  152. 
Houder  (Waldo  de),  69. 
Houmeau  (L'),  244. 
Housenau  (Hippolyte  de),   7. 
Houwaert,  224. 
Hovervoge    (Jacques),    53. 
Hovervogt  (Jacques),   118. 
Hubac,  272. 
Hubert  (Marie),  159  —  (Michel), 

136. 
Hugo,  56,  87. 

Hugues,    évêque    d'Orléans,    26. 
Ilrnioiu.v,   .">. 
Hulst  (Michel),  293. 
Hulst  (van  der),  291,  301,  323. 
Humbert,  129. 
Husz  (Martin),  51. 


Hutten  (Ulrich  de),  39. 
Huyghens  (Christian),  43 —  (Cons- 
tantin), 217,  276. 
Huysum  (van),  320. 
Hygmar  (Jean),  50. 
Hyre   (Laurent   de   la),   227. 

Ianmize   (Schetto),   30. 

Iéna,  114,  129. 

Ile-de-France,   (L')   180. 

Imhof,  Im  Hof,  60,  61. 

Indes  (Les),  208. 

Indret,  210. 

Infreville    (Le    Roux    d'),    211, 

257,  272. 
Ingeburge   de   Danemark,   387, 

388,  389. 
Inspruck,  167. 
Isle-Abeau  (L'),  237. 
Istrein  (René),  243. 

IUNGMANN,    61. 

Ivry,  82,  196. 

Jabach  (Anne-Marie),  163  — 
(Everhard),  162,  163. 

Jacques  Ier,  197. 

Jacob  (Anne),  153  —  (Paul),  218. 

Jacobsen,  322. 

Jal,  222. 

Jametz,  77. 

Janot,  264,  266,  271. 

Janssen,  38,  122  —  (Abraham), 
244  —  (Hubert),  289  —  (Isaac, 
Philippe,  Théodore),  244  — 
(Pieter),  211,  301. 

Jars,  94,  99. 

Jas  (Jean),  61. 

Jay  (Le),  346. 

Jean  (Maître),  87. 

Jean    II,    roi    de    France,    179. 

Jean  V,  roi  de  France,  152,  177, 
178. 

Jean  V,  duc  de  Bretagne,  5, 11,  88. 

Jean  sans  Peur,  duc  de  Bour- 
gogne,  181. 

Jeanne  la  Folle,  68. 

Jeannin,   197. 

Jehangerbeque  (van),  284. 


426 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Jemblin,  265. 
Jogues  (Pierre),  321. 
Johannot  (François),  167. 
Jon  (du),  216. 
Jonvelle  (Félix  de),  69. 
Joseph  II,  147,  334. 
Jouy-en-Josas,  171. 
Judex  (Nicolas),  27. 
Juliers,  119. 
Junker,  137,  138. 
justammon,  317. 

Kabel  (van  der),  Adrien  et  Ange, 
224. 

Kaiser,  dit  Cœsaris,  52. 

Kalbermaster  (Josse),  56. 

Kalbrener   (Jean),    167. 

Kalembach,  82. 

Kalthoff    (Guillaume),     118. 

Kant,  142. 

Kanut  VI,  roi  de  Danemark,  387. 

Karq    (Jean-Frédéric,    baron    de 
Déhambourg),   9. 

Kater  (de),  250,  251  (François), 
252  (Pierre),  251,  252,  310. 

Kaune  (Jean),  157. 

Kayser,   126. 

Keck    (Eberhard),    30. 

Kees  (Thomas),   50. 

Keill  (Pierre),  153. 

Keleecht    (Corneille),    286. 

Keller  (Balthazar  et   Jean- 
Jacques),  97. 

Kempell  (de),  48. 

Kemple,   120. 

Kene  (Nicolas),  212. 

Kennel  (47. 

Kerker    (Henri),    158. 

Kerver,  52,  53.  (Thielman),  50. 

Kessel    (Jacques    van),    212    = 
(Henri),  283. 

Keulin  (van),  312. 

Keyssler    (Jean-Georges),    46. 

Kick,  169. 

Kiel,  137. 

Kisnerin    (Anne-Rosine),    156. 

Kleberg  (Hans),  61,  63,  66. 

Klein  (Jean),  51. 


Klinquebert,   72. 

Klupfel,  47. 

Kniepmann  (Henri),  101. 

Knolbelsdorf   (Eustachius),   39. 

Knorring  (de),  369. 

Kock  (de),  335. 

Kœnigsmark  (régiment  de),  369. 

Kohl  (Nicolas  van),  312. 

Kônig,  93. 

Kônigsberg,    114,    125,    132,    136, 

154,  156,  323. 
Kônigsfelt  (de),  369. 
Kônigseim  (Comte  de),  157. 
Kônigsmark  (Comte  de),   83. 
Kôpfer,   134,   139. 
Kornmann,  66,  124,  128,  131. 
Korver,    144. 
Krabb,  324. 

Krable  (Théodore),   120. 
Krafft,  168. 
Krantz  (Martin),  50. 
Krattmann  (Le  Père),  325,  401. 
Krause,  134. 
Krauss  (Hans),  121. 
Krettly  (Rodolf),  141. 
Kreutzer  (Jean-Jacob),  140. 

(Rodolphe),  140,- 141. 
Krupp  (Pierre),  144. 
Kuhn,   147. 
Kuster  (Ludolphe),  137,  153. 

Labat  (Dominique),  309. 

Lafayette  (de),  85,  371,  377. 

La  Fère,  75. 

La  Fontaine  (Jean  de),  65. 

La  Forge  (Etienne  de),  62. 

Lafrensen,  dit  Lavrince,  375, 
378. 

Lagestierna  (Jean),  369,  371. 

Lajien,  207. 

Lallemant  (Jean),  51. 

Lamark  (Jean  de),  77  (Henri- 
Robert  de),  68,  77. 

Lamballe  (Princesse  de),  130,  384. 

Lambesc  (Prince  de),  329. 

Lambert,    208. 

Lambert-Dubuisson,    161. 

Laminoy   (Marie),   222. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


427 


Lamotte,  402. 

Lancelot,  38. 

Landes  (Les),   152. 

Landorf  (Mademoiselle),  dite   Se- 

rigny,  127. 
Langemarck,   271. 
Languedoc   (Le),   31,   33,   39,   93, 

96,  169,  177,  235,  319. 
La  Noue  (François  de),  71. 
Larche   (Antoine   de),   235. 
Larchevêque,  374. 
La  Réole,  52. 
Largillière,  132,  375. 
La  Rochelle,  12,  42,  113,  114,  115, 

148,    149,    179,    210,    241,    244, 

248,    250,    262,    271,    274,   277, 

284.    296,    301,    311,    316,    328, 

369. 
Laroche-Posay  (de),  36. 
Latout,  324. 
Latreba   (Claude),   88. 
Launay-Vivans,     201. 
Lauraguais  (Comte  de),  128,  292. 
Lauzun  (de),  381. 
Laval,   56    =    Monsieur  de — ,  36 

Urbain  de — ,  158. 
Law,  66. 
Lawfeld,  84. 
Le  Bret,  238. 

Le    Brun    (Madame),    376,    377. 
Le  Brun,  331.  (Marguerite),  223. 
Lech  (Comte  de  Gluck),  392. 
Lecocq,  36,  41. 
Leczinska  (Marie),  282. 
Leegwater,  237. 
Leers,  407. 
Legrelle,  396. 
Legros,  143. 

Leibnitz,  21,  43,  44,  45,  276,  324. 
Leijonhufvud,  345,  371. 
Leiniger  (Georges,  comte  de),  76. 
Leipzig,  124,  129,  136,  163. 
Leisler,  369. 
Lejay,  346. 
Lelièvre,  132. 

Lelievre  de  la  Grange,  377. 
Le  Luc,  11. 
Lencep,  316. 


Lenck,  370. 

Lenlein  (G.),  153. 

Lenoir    (Marguerite),    227. 

Léon  (Prince  de),  288. 

Léopold,  empereur,  204. 

Le  Queux  (Madeleine),  222. 

Le  Roy,  224.  (Adrien),  219.  (Al- 
bert), 159. 

Lesens,  301. 

Lesparre,  237,  240. 

Lessing,   135. 

Leuchsering,  136. 

Lewenhaupt,  83. 

Leyde,  45,  209,  216,  221,  231,  264,. 
265. 

Leyenstedt  (Antoinette),  367. 

Leyrac,  237. 

Leysner  (J.-Sébastien),  157. 

Lhermitte  (David),  235. 

Libourne,  251. 

Licht  (Jean  de),  212. 

Liden,  366. 

Liège,  162. 

Liéven  (de),  379. 

Ligne  (Jean  de),  393. 

Ligneville  d'Autricourt  (de), 
282. 

LlLIENDAL,  407. 

Lille,  193,  316,  334. 

Limaigne   (Abraham   de),   7. 

Limbert,  42. 

Limbourg,    181.    (Louis    de),    95. 

(Pol  de),  6. 
Limoges,  239,  244,  245,  284. 
Limousin  (Le),  104. 
Link    (Christian),    125. 
Linkoping,  340,  341. 
Linné,  365,  366,  374. 
Lintgens  (Pieter),  208. 
Lintlaër  (Jean),  95. 
Lionne  (Hugues  de),  203,  468. 
Lisbonne,  168. 
Lischtkt  (Henri),  97. 
Livonie  (La),  10. 
Lo  (Henri  de),  326. 
Locker,  166. 

Lockhorst  (Anne-Marie),   212. 
Loewe   (Everhard),   220. 


428 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


LOEWENHAUPT,     379. 

Loger,  214. 

Loges  (Madame  des),  103,  104. 

LOHENSKIOLD,    409. 

Loire  (La),  40,  74,  152,  153,  158, 
321. 

Lombardie  (La),  100. 

Londres,  131,  292. 

Long  jumeau,  134. 

Loo  (van),  221.  (Abraham),  223. 
(Anne-Marie),  223,  224,  (Carie), 
224.  (Jean-Baptiste),  223.  (Louis 
Michel),    223.    (Philippe),    223. 

Looten,  290  (Nicolas,  Samuel, 
Thierry),  289. 

Lopez,  210,  215. 

Lorenz  de  Suède,  340,  341. 

Lorenzen,  340. 

Lorient,  l'Orient,  153,  276,  314,  363. 

Lorraine  (Duc  de),  77. 

Lort  (Marquis  de),  127. 

Lotich  (Pierre),  32. 

Loudun,  303. 

Louis   (Dauphin),    109. 

Louis  XI,  roi  de  France,  5,  10, 
11,  12,  13,  15,  52,  102,  105,  145, 
178,  179,  183. 

Louis  XII,  roi  de  France,  52,  54, 
67,  391,  392. 

Louis  XIII,  roi  de  France,  5,  14, 
30,  77,  81,  82,  106,  108,  118, 
119,  120,  121,  198,  210,  215, 
216,  221,  227,  255,  346-350,  407. 

Louis  XIV,  roi  de  France,  10,  13, 
14,  43,  82,  83,  84,  97,  104,  107, 
108,  109,  110,  111,  113,  114, 
117,  120,  125,  130,  131,  144, 
161,  176,  198,  201,  202,  203, 
204,  221.  224,  226,  236,  237, 
258,  262,  267,  276-281,  293, 
302,  303,  305,  317,  320,  347, 
348,  351,  357,  358,  369,  394, 
395,  399,  402,  405. 

Louis  XV,  roi  de  France,  84,  91, 
98,  106,  115,  120,  123,  126, 
132,  133,  149,  167,  176,  268, 
282,  306,  307,  313,  319,  361, 
362,  409,  410. 


Louis  XVI,  roi  de  France,  14,  15, 
66,  85,  91,  98,  105,  115,  149, 
176,  313,  332,  334,  381,  382, 
383,  385. 

Louvain,   322. 

Louviers,  269,  318. 

Louvois,  280,  295,  301,  303. 

Lôwendal,  84,  307,  390,  409,  410. 

Lubeck,  12,  96,  146,  155. 

Lucasson  (Jacob),  211. 

Lucius  (Josse),  34. 

Luck  (Jean),  157. 

Luckner   (Nicolas    de),    85. 

Luçon,   240. 

Lude  (Le),  288. 

Luetkers,  147,  361,  362. 

Lukes,  146. 

LUMAGNA,    66. 

Lumbre  (Jean),  56. 

Lundberg,  375. 

Lupfen    (Eberhard    de),    69. 

Lussaut  (David),  40. 

Lutman,   153. 

Lutz  (Gabriel  de),  59. 

Luxdorf,  398. 

Luxembourg  (Le),  157  =  duc  de — , 
108. 

Luynes  (de),  215,  381. 

Lyon,  7,  14,  33,  42,  48,  49,  51,  52, 
56,  58,  59,  60,  61,  62,  64,  66, 
95,  100,  101,  102,  143,  148, 
163,  164,  165,  166,  167,  168, 
178,  179,  184,  185,  193,  223, 
224,  238,  262,  291,  300,  316, 
351,  374,  380. 

Macao,  324. 
Machault,  93. 
Mâcon,  13,  246,  319,  320. 
Macq   (Jean),   167. 
Madagascar,  276. 
Madrid,  223. 
Maestricht,  217. 
Maetzuyer,    312. 
Magnus  (Nicolas),  341. 
Maguelone,    32. 
Maillé  (Marquis  de),  37. 
Maine  (Le),  156. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


429 


Maintenon  (Madame  de),  271. 

Mainville,   319. 

Maketros,   318. 

Malaga,   83. 

Malix   (Jean),   60. 

Malouël    (Jean),    181. 

Manaquer    (Corneille    van    den), 

272,  279. 
Marche  (La),  11. 
Mandael,  363. 

Mandelot  (Monseigneur  de),  165. 
Manheim,   131,   140,   141,   147. 
Manlich  ,166  (Melchior),  168. 
Mansfeld  (de),  45. 
Mantes,  161,  208,  271. 
Mantin  (Théodore  de),  211. 
Manz  (Hermann  de),   21. 
Marans,  262. 
Marbourg,  101. 
Mardick,  320,  407,  408. 
Marguerite,  mère  d'Erasme,  184. 
Marie- Antoinette,      reine      de 

France,  116,  120,  123,  130,  140, 

142,    147,    375,    379,    382,    384, 

385. 
Marie-Thérèse,  impératrice,  126, 

306. 
Marillier,  138. 
Marly,  222. 
Marne  (La),   73. 
Marolles    (Abbé    de),    227. 
Marot,  28,  62. 
Marquis  (Marie),  158. 
Marseille,  33,  39,  40,  96,  166,  168, 

169,    179,    208,    259,    274,    279, 

292,    293,    308,    316,    317,    321, 

340,  350,  351,  364. 
Marsile,  217. 
Marsilly-les-Nonains,    76. 
Martellière  (de  la),  137. 
Martin,    77    =    (Claudine),    319. 
Marting    (Mademoiselle),    46. 
Martinique  (La),  150. 
Marville  (Jean  de),  182. 
Massieu,  265. 
Mather  (Madame),  99. 
Mathurine  (La  folle),  352. 
Maubecq    (Marguerite    de),    328. 


Maugin  (Madeleine  le),  157. 
Maurice  d'Orange,  231. 
Maurus  (Jean),  52. 
Mayence,  48,   108,   111,   120,   124, 

157,  158  =  Jacques  de — ,  3,  8. 
Mayenne,  64. 
Mazarin,    10,    65,    66,    127,    163, 

198,    199,    200,    201,    204,    212, 

226,    230,    238,    289,    360,    393, 

408. 
Mazières  (de),  127. 
Meaux,  400. 
Meckel,   134. 
Meck  (Loup),  121. 
Meckenhausen,  153. 
Mecklembourg  (Prince  de),  110, 

403. 
Médicis  (Catherine  de),  344  (Marie 

de),  80,  222,  225. 
Méditerranée   (La),    11,    200,    201, 

207,  257. 
Médoc,  240,  354. 
Meerman,  241,  301  (Michel),  250, 

251   =  (Samuel),  250,  251,  327. 
Meilleraye  (Duc  de  la),  276. 
Meinard,  217. 
Meinders,  114. 
Meinert,  154. 
Meisen,  401. 
Meister,  136,  138. 
Melic  (Samuel),  249. 
Mellema,  216. 
Melop,  365. 
Ménage,  156,  218. 
Mémoire  (Jeanne),  252. 
Mende,  92. 

Menou  (Marthe  de),  239. 
Mercken   (J.-K.),   144. 
Mercœur  (Duc  de),  210. 
Merklein,  99. 
Merignac,  147. 
Mérimée,   71. 
Merinch  (Hannus  de),  6. 
Merlen  (van),  227. 
Merlin  (Marie),  159. 
Mertzenich  (Jean),  24. 
Mesebruich  (Sara),   186. 
Mesmer,  130, 131. 


430 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Metivier  (Marie),  315. 

Metruspa  (Jean- Jacques),  de,  159. 

Metzler,  24. 

Meudon,  216,  329. 

Meulder  (François  et  Adrien), 
323. 

Meulen  (van),  222. 

Meuron,  92. 

Meuse  (La),  112. 

Metz,  57,  69. 

Meybuche,  356. 

Meyer,  134. 

Meyercrone,  401. 

Michelet,  228. 

Middelbourg,  179,   187,  264,  266. 

Milan,  225,  235. 

Miller   (Christian),    155. 

Minquitz,  109. 

Mirabeau,  385. 

Mirampol  (Mathieu  de),  135. 

Misnie  (La),  20,  87. 

Modène,  46. 

Moisant  de  Brieux,  290. 

Molière,  402. 

Moller,  364. 

Moltzan   (Jean   de),    56. 

Monaldeschi,  42,  352. 

Mons,  385. 

Monsêgur    (seigneurie    de),    5. 

Montaigne,  36,  87,  90. 

Montaigu  (Collège  de),  50,  184. 

Montauban,  242. 

Montbard,  98. 

Montchrestien,   95. 

Mont  de  Jeux,  5. 

Montguyon   (Louis   de),   78. 

Montjean,  156.. 

Montmartre,  125. 

Montmirail,  318. 

Montmorency  (de),   210. 

Montmorency-Bouteville  (Eli- 
sabeth de),   109. 

Montmorin  (de),  332. 

Montois  (de),  170. 

Montpellier,  31,  33,  39,  42,  145, 
169,  218,  342,  391,  398,  403. 

JMontpensier  (Mademoiselle  de), 
403. 


Montreuil,  177. 

Montroignon  (Madeleine  de),  92. 

Morac  (de),  45. 

Morant,   292. 

Moreau  le  Jeune,  138. 

Moreilles-en- Poitou,    238. 

MOREL  DE  MONDEVILLE,   143. 
MORIKOFER,    134. 

Morlaix,  151,  155,  308. 

Mortagne,  315. 

Mortani   (de),   83. 

Motteville    (Madame    de),    351. 

Mouchard,  278. 

Moulin  (Pierre  du),  216. 

Moulins,  42,  321. 

Mountjoy  (Lord),  184. 

Mouradjen,    367. 

Mozart  (Wolfgang),   141. 

Muhenhauser,    153. 

Muller  (de),  85,  134,  137,  401. 

Mun  (Comte  de),  282. 

Munich,  9,  47,  48,  110,  158. 

Munster,  29,  44,  108, 157,  198,  201, 

228,   230. 
Munster  (van),  316. 
Muron,  240. 

Nacquard  (de),  278,  279. 

Naerzelles,  297. 

Nancy,   183,  366. 

Nanteuil-le-Haudouin,  11, 

Nantes,  5,  11,  52,  65,  80,  97,  105, 
115,  152,  153,  154,  166,  167, 
178,  206,  208,  229,  257,  258, 
284-288,  294-297,299,  300,  308, 
311-316,  318,  321,  328,  395. 

Napoléon  Ier,  142,  314. 

Narbonne,  85. 

Nassau  82,  (Philippe  de),  206. 
(Wilhelm  de),  219. 

Nassau-Siegher  (Frédéric  de), 
149. 

Natoire,  374. 

Nauàbles  (Henry  de),  113. 

Nauchkoff,  381. 

Nausember  (J.),  153. 

Navarre  (La),  20,  21,  195,  334. 

Necker,  66,  377,  382. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


431 


Neidhart,  63. 

Neiss,  36. 

Nemeitz  (J.-C),  45,  130. 

Nemours,  42,  162. 

Neobar  (Conrad),  52. 

Nerwinden,  83. 

Nesle,  58. 

Nesploy,  69. 

Nesselrode   (Madame   de),   328. 

Nesve  (Corneille  de),  185. 

Neumeister  (Jean),  51. 

Neuss,  120. 

Neuwied,   123. 

Nevers,  98,  170  =  duc  de—,  100, 

210. 
Nice,  223. 

Nicolaï  (Jean  de),  390. 
Niert  (François  de),  239. 
Nieuwenhuysen    (de),    320. 
Nieuwerkerke  (Baronne  de),  329. 
Nijvenheim  (de),  328,  330. 
Nimègue,  203,  204,  212,  217,  263. 
Nîmes,  36,  42. 

Nitzschwartz  (Baron  de),  125. 
Nivernais  (Le),  7. 
Noailles  (Duc  de),  219,  369. 
Nobelaer  (Jean),  220. 
Noblet  (Louise),  121. 
Noirmoutiers  (île  de),  322. 

NORDING    DE    WlTT,    311. 

Nordlingen,  349. 

Normandie  (La),  6,  8, 9, 14, 160, 225. 
Nostemberg  (Emelaye  de),  5. 
Nostiz  (Comte  de),  45. 
Notre-Dame  de  Confort,  60,  164. 
Notre-Dame-de-Fourchaud,  6. 
Nubelspach   (Israël),   33. 
Nuremberg,  14,  15,  34,  56,  60,  61, 
66,  128,  133,  158,  159,  164,  169. 
Nydala,  339. 
Nyevelt  (de),  219. 
Nyssen  (Christianus  Egidius),  158. 

Oberkamp,   124    =    (Christophe), 

171. 
Obrecht,   61. 
Océan  (L'),  11,  210. 

OCKHUYSEN,     289. 


Odieuvre,  132. 

Oeben  (J.-F.),  123,  323. 

Oehm,  82. 

Olaï,  359. 

Oldenburg    (Christian),    391. 

Oléron  (île  d'),  150,  152,  262. 

Olevianus,  27. 

Olmutz,  122. 

Olonne  (Madame  d'),  216. 

Olpen,  93. 

Olric,   4. 

Oltreman,  303. 

Omar,   389. 

Omaert,    272.    (Jean),    279. 

Ondaatje,  332. 

Oosterwijkt,  257. 

Ophen  (van),  286. 

Ophovius  (Michel),  229. 

Oppenord  (Jean),  226. 

Orange  (Maison  d'),  331. 

Orange  (Prince  d'),   280,  323. 

Orbec,  3. 

Orgemont  (Nicolas  d'),  5. 

Orléanais  (L'),  225. 

Orléans,  19,  20,  21,  22,  23,  25, 
26,  27,  31,  34,  35,  40,  58,  159, 
160,  208,  209,  219,  225,  242, 
243,  246,  291,  318,  319,  341, 
342,  352,  391,  396  =  duc  d'— , 
108,  115,  129,  223,  281,  306  = 
Gaston  d'— ,  213. 

Ornezan  (François  d'  —  baron  de 
Saint-Blancard),    59. 

Os  (Henri  de),  31. 

Osmond   (Marquis   d'),   318,   334. 

Ostrogothie  (Duc   d'),   380. 

O'SULLIVAN,    157. 

Otter,  365. 

Otti  Barnest  Smient,  214. 

Overbeck  (Bonaventure  van),  224. 

Over-Yssel,  195. 

Owal,  364. 

Oxenstiern  (Axel),  289,  348,  349, 

374. 
Oyens  (Daniel),  219. 

Paderborn,  31. 
Padoue,  129. 


432 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Paimbœuf,   294,   308. 

Palais-Royal  (Le),   130. 

Palatinat  (Le),  34,  93,  98. 

Palatine    (Charlotte-Elisabeth, 
dite  la),  108,  109. 

Papin  (Anne  et  François),  159. 

Paré    (Catherine     et     François), 
162. 

Paris- Jallobert   (Abbé),    301. 

Paris  de  Montmartel,  320. 

Particelli  d'Emery,  66. 

Pas  (Renée  Le),  323. 

Pascal,  43. 

Pater    (Madame),    328,    330. 

Paulmier  (Gabriel  du),  238. 

Paulus  (Nicolas),   154. 

Paut  de  Haittenkeim  (Georges), 
25. 

Pech,  125. 

Peiresc,   217. 

Pelicot,  264,  273. 

Pellot,  276. 

Pennautier,  265,  354. 

Penot  (Noël),  160. 

Penthièvre  (Duc  de),  314. 

Peplitz,  24. 

Pernecker  (Cléophas),  25. 

Perrault,  357. 

Perret  (Claude),  51. 

Pétersbourg,  133. 

Petersen,  381,  406. 

pétrarque,  4. 

Pfanz  (Conrad  et  Jean-Frédéric), 
156. 

Pfenning  (Herman),  119. 

Philippe,  158. 

Philippe-Auguste,  roi  de  France, 
18,  387,  388,  391. 

Philippe    II,   roi   d'Espagne,    72, 
229. 

Philippe  VI,  roi  de  France,  4. 

Philippe  le  Bon,   duc  de  Bour- 
gogne, 5,  7,  182. 

Philippe  le  Hardi,  duc  de  Bour- 
gogne, 180. 

Philippsbourg,  65. 

Philipson  (Jean),  19,  voir  Sleidan 
(Jean). 


Picardie  (La),  228,  233,  235,  236, 

237,  238,  262,  266,  339. 
Piccini,  142. 
Picot,  269. 

Pierre  II,  duc  de  Bretagne,  177. 
Pieter  (Adrien),  289. 
Pieters   (Gérard),    247,    285. 
Pilletier   (Girard),    286. 
Pinar,  84. 

Pisan    (Christine    de),    180. 
Pistorius  (Chrétien),  36. 
Pistoris,  51. 

Place  (Abraham  de  la),  227. 
Planche  (De  la),   197. 
Plantagenets   (Les),   387. 
Plasten  (van  den),   244. 
Platte  (de  la),  218. 
Platter  (Félix),   24,   27,   32,   33, 

34,    39,    164    =    (Thomas),    24, 

27,  32,  33,  36,  39. 
Platzman,  167. 
Pleyel  (Ignace),  144. 
Plon  (Jehan),  393. 
Pluc  (Jean-Cornelissen),  211. 
Pluvinel,  226. 
Poitiers,  19,  36,  39,  40. 
Poitou   (Le),   114,   233,   235,   238, 

240,  322. 
Polentz  (von),  41. 

POLHEM,   357. 

Polignac  (Comtesse  de),  382,  384. 
Poméranie  (La),  114. 
Pompadour    (Madame    de),    377. 
Pomponne,  114,  248,  265,  273. 
pons  de  la  fuelle,  272. 
Pontanus  (Jean-Isaac),   218. 
Pont-Audemer,  270. 

PONTCHARTRAIN,    114. 

Pont-Croix,  94. 
Pontgraff    (Hans    de),    56. 
Pont-Neuf  (Le),  96. 
Ponts-de-Cé,  6,  246. 
Poocq,   271. 
Popp,  146,  310. 
Pornic,  11,   152,   178. 
Port  (Célestin),  157. 
Port-Louis,  276,  314. 
Porto,  31. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


433 


Pot  (Abraham  de),  286. 

POTERAT,    290. 
POULLAOUEN-HUELGOAT,      93. 

Pouplinière  (de  la),  139,  140. 

Pradelle  (van),  247. 

Prague,  123,  126,  158. 

Précy  (Jean  de),  18. 

Pregel   (Christophe),    167. 

Preignac,  147. 

Preisler    (Jean-Marie),     133. 

Pretenback  (Baron  de),  46. 

Primi,   110. 

Provence  (La),   12,   77,   168,   208, 

233,  236,  238,  321. 
Prunes-Duvivier,  251. 
Prusse  (La),  10,  25,  34,  99,  114, 

122,  148. 
Puechexek  (Ignace  de),  124. 
Puffe  (Jean-André),  101. 
Puy  (Le  sieur  Le),  30. 
Puymoyen,    244. 
Pyrénées  (Les),  8,  44. 

Quay    (Henriette    du),    304. 
Queborne  (Jean  van),  186. 
Querlen  (Isaac  de),  266. 
Questel   (Jacques),    225. 
Quicherat  (J.),  120. 
Quimper,  407. 
Quintin,  288. 
Quirot  (J.-B.),  328. 

Racphorst   (Gilbert),   280. 

Ragny,  343,  359. 

Ragvaldi,  340. 

Ram  (Jacques),  32,  145. 

Rameau,   140. 

Ramon   (Johann),   155. 

Ramus,  20. 

Ranke,  107,  109. 

Rantzau  (de),  396,  406,  407,  408. 

Raphaël,  163. 

Rasson,  187. 

Rathsanhausen,    109. 

Katisbonne,  15,  34,  107. 

Ratte,  125. 

Rattwerl,    82. 

Raucoux,  84. 


Raulé  (Jean),  113,  277,  278,  284. 

Raumer,   136. 

Ravestein,  244. 

Raynal,  135. 

Raynouard,  54. 

Ré  (île  de),  262. 

Reben  (Comte  de),  406. 

Reding  (Madame  de),  109. 

Redon,   151. 

Regemorte  (de),  321. 

Reggersberghe,  218. 

Rehn,  374. 

Reichardt  (Iohan  Friedrich),  48, 

142. 
Reiching  d'Augsbourg  (Jérôme), 

27. 
Reilirsperguer,  93. 
Reinesius    (Christini),    123. 
Reinhard    (Marc),    51. 
Relingue  (Ferdinand,  comte  de), 

83. 
Reliée  (Abbaye  de),  151. 
Remacle,  318. 
Remozque  de  Cologne,  95. 
Renard    (Corneille),   267. 
Renbolt   (Berthold),    50. 
René,  roi  de  Provence  et  d'Anjou, 

6,  168. 
Renier- Jansse,  275. 
Renner-Barne,  293. 
Rennes,  154,   193,  247,  252,   254, 

287. 
Requesens  de  Zuniga  (Don  Luis) 

229. 
Resch  (Conrad),  56. 
Restout,  133. 
Retz  (Pays  de),  178. 
Reuchein  (Jean),  19,  22. 
Reulitsh   (Baron   de),   322. 
Reutlingen,  15. 

Reventlow  (Contesse  de),  403. 
Revixit,   247. 
Reynie  (De  la),  303. 
Rheingraff  (Jean-Philippe),   7Q 
Rheling,  42. 
Rhelinger,  24. 
Rhin  (La),  149,  152. 
Ribbing,  371. 

28 


434 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Rich  (de),  289. 

Riccoboni,  402. 

Richelieu  (Le  cardinal  de),  10, 
41,  65,  81,  90,  103,  198,  199, 
204,  205,  209,  210,  211,  212, 
213,  215,  217,  237,  261,  271, 
276,  343,  345,  349,  350  =  Le  duc 
de—,  163  =  La  ville  de — ,  42. 

Richers,  343. 

Richoufftz,   58,   69. 

Richter  (Charles),  122. 

Ricoveri   (Marie),    185,   221. 

Ricq  (Adrien  de),  290. 

Ridder  (Jean),  241. 

Riederer,  66. 

Rieders  (de),  249. 

Riesener  (Henri),   122,  123. 

RlETTMANN,    167. 

Rieux   (Président   de),   222. 
Riga,  155. 
Rigaud,  132. 
Rihener  (Henri),  33. 

RlNGMACHER,     167. 
RlNGSTRÔM,    366. 

Riotte  (Perrette),  193. 

RlTTER     DE     MANNHEIM,     140. 

Ritz,   93. 

Roanne,   74. 

Robais   (van),     266-270,   302, 

(Isaac),   268,  (Josse),  268,  (Sa- 

.lomon),  268,  317,  319. 
Robelin,    170,    (Marie),    268. 
Robin  (Jacques),  160. 
rochambeau,  371. 
Roche,  244. 
Rochefort,  149,  150,  152,  244,  273, 

274,  360. 
Rochefoucauld   (De  la),   376. 
Rockendorf  (Christophe  de),  59. 
Roco  (Pierre),  158. 
Roemer,   399. 
Roentgen   (David),   000. 
Roggers  (Baron),  66. 
Rohan  (Louis  de),  280,  281. 
Rome,   129,    183. 
Rondelet,  57. 

Roquelaure  (Duchesse  de),  216. 
Rosbach,  116. 


Roscoff,  155. 

Rosemberg  (Anne-Marie  de),  125. 

Rosen  (Conrad),  368,  369. 

Rosheurt  (Gerloch),  117. 

Roslin,  375,  376. 

Rosworn  (Baron  de),  110. 

Rothstein,  363. 

Rottenburg  (Mademoiselle  de), 
315. 

Rotterdam,  215,   220,  312. 

Rouen,  13,  160,  161,  177,  179,  196, 
208,  224,  241,  257,  258,  262, 
264,  265,  289,  290,  291,  300, 
301,    308,    316,    319,    350,    394. 

Rouergue  (Le),   93. 

Rouillac  (Marquis  de),  214. 

Rousseau    (J.-J.),    47,    297. 

Roville,   165. 

Roze  (Georges),  159. 

Rozier    (Jeanne),    252. 

Rubach  (Adam),  34. 

Rubens,  118,  163. 

ruembourg,  45. 

Rulman,  36. 

Rut  de  Rotterdam,  211. 

Rutesbuch  (François),  122. 

Ruth   (Barthélémy),   156. 

Ruyter,   201. 

Ryck  (Hugues  van),  220. 

Ryssel  (van),  332. 

Ryswick,  176,  204,  224,  304,  305  = 
Comte  de—,  218. 

Sablé,  156,  158. 

Saccon,   51. 

Sacy-le- Grand,  235,  236. 

Saige,  251. 

Saint-André   (Hôpital),    147. 

Saint- André-des- Arts,    18. 

Saint-Antoine(Fa.ubourg),  117,121. 

Saint  Armand,    125. 

Saint-Aubin  d'Angers.  28. 

Saint-Barthélémy,  24,  39. 

Saint  Blaise,  185. 

Saint-Cosne,    18. 

Saint-Cybard,    244. 

Saint-Damien,  18,  19. 

Saint-Diè,  87. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


435 


Saint-Domingue,  150. 

Saint- Florent-le- Vieil,  156. 

Saint-  Gall,  32,  166,  167. 

Saint- Gaudens,    318. 

Saint- Georges,  94,  156. 

Saint- Germain   (faubourg),   25    = 

foire,  50. 
Saint- Germain  d'Argentan,  7. 
Saint- Germain-des-Prés,    18,    119, 

215,  232. 
Saint-Hippolyte,  119,  232. 
Saint-Jacques,  18,  50. 
Saint- Jacques-de-Compostelle,  8,  25, 

38. 
Saint-Jean-d'  Angély,    150,    152. 
Saint-Jean  de  Beauvais  (rue),  50. 
Saint- Jean-de-Latran,    53. 
Saint- Jean-de-Losne,     13. 
Saint- J  ean-N  êpomucène,    23. 
Saint-Julien    de    Ballence 

(Pierre  de),  184. 
Saint-Louis  (île),  126. 
Saint-Malo,  155,  158,  328. 
Saint- Marceau  (faubourg),   119. 
Saint- Martin-d'  Ablois,  95. 
Saint-Martin-de-Ré,    284. 
Saint-Michel  (Mont),  8,  9,  10,  38. 
Saint-  M ichel-d' Angers,     28. 
Saint- M  ichel-de-V  H  ermitage,  3. 
Saint- Nazaire,  308. 
Saint-Omer,  332. 
Saint-Paul   (de   Lyon),   165. 
Saint-Pol,  321. 
Saint-Priest  (de),  333. 
Saint-Quentin,  228,  393. 
Saint-  Sauvcur-de- Redon,    151. 
Saint- Savinien,  150. 
Saint-Simon  (Le  duc  de),  129,  215, 

281,  368. 
Saint-Sulpice,   222. 
Sain/-  Trophime-d' Arles,  236. 
Saint- Valcry-sur- Somme,   266. 
Saint- Venant,   334. 
Sainte-Bazeille,  147. 
Sainte  Brigitte,   340. 
Sainte  Marguerite  de  Sparem- 

bart,  158. 
Sain  m   MaJUB  (M.  de),  103. 


Sainte- Marie-des-Vosges,  87. 

Saintes-Maries-de-la-Mer,    340. 

Sainte  Marthe,  237. 

Sainte-Ruffine,    31. 

Saintes,  150,  250,  284. 

Saintonge  (La),  114,  215,  233,  240, 
284. 

Salbeck  (Charles),  157. 

Saldern    (Baron    de),    406. 

Sa/ers,  33. 

Salhas  (La  dame),  34. 

SaZins  du  Jura,  167,  168. 

Salisbury   (Jean   de),   386. 

Salm-Salm  (Prince  de),  84,  110. 

Sampfer  (Nicolas  de),   3. 

Sand  (George),  84. 

Sandressen    (Jacob),     296. 

Santec,  321. 

Saône  (La),  13,  164. 

Saptes,  265,  304. 

Sarlièves,  104,  239. 

Saulx  (Jean  de),  69. 

Saulx-Ta vannes    (de),    69. 

Saulêgue  (de),  327. 

Saumaise,   37. 

Saumur,  6,  27,  30,  40,  156,  157, 
209,  219,  220,  242,  300. 

Sauvané  (Suzanne),   251. 

Savary,  66,  259. 

Savoie  (La),  33  =  duc  de — ,  77. 

Saxe,  10,  25,  38,  46,  69,  77,  87, 
93,  96,  98,  125,  154,  170  =  Al- 
bert de—,  19,  35  =  Comte  de — , 
121  =  Duc  de—,  78,  79  = 
Frédéric- Auguste,  roi  de — ,  116 
=  Hermann-Maurice,  comte  de 
de—,  84,  132  =  Jean-Frédéric, 
Jean-Guillaume  de — ,  69  =  Ma- 
rie-Josèphe  de — ,  115  =  Mau- 
rice de—,  307,  409  =  Xavier 
de—,  84. 

Saxe-Weimar   (Bernard    de),    65. 

Scaep  (Pieter),  187. 

Scalongen,  Scalogne,  269,  270, 
289,  317,  319. 

Scander,  159. 

Scara  (Collège  de),  340. 

Sceaux,  134. 


436 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Schabe  (Jean),  34. 

SCHABLER,  51,  52. 

Schack,  82. 

Schaud  (Jean-Michel),  169. 

Schelandre  (Anne,  Charles,  Jean 

de),  77,  78. 
Scheling    (Christophe),    121. 
Schellebeck    (Christophe    van), 

311. 
Schenck  (Pierre),  51. 
Schrender  (Hermann),   146. 
Schiedam,  187. 
Schiller,  136. 
Schimerdin    (Gaspard),    120. 
Schindler   (Barbe),    124. 
Schlaberndorff,    137. 
schloster,  326. 
Schlestadt,  8. 
Schmalkade,  59. 
Schmatz  (Christian),  123. 

SCHMIDBERG,    82. 
SCHMIDT,     133. 

Schmitt,  148,  154. 
Schmitz    (Pierre),    122. 

SCHMUZER,   134. 

Schneider  (Gaspard),  122. 
Schnele  (Nicolas),  31. 
Schnell  (Jacob),  144. 
Schnop,  47. 
Schober  (Johann),  140. 
Schoeffer  (Pierre),  52. 
Schôenberg,  136. 
Scholtz  (Marius),  146. 

SCHOMBECK,   82. 

Schonberg  ,  103  .  (  Gaspard  et 
Georges),  77,  79,  82.  (Theodoric), 
82. 

SCHOULER,    14. 

Schovonen  (van),  247. 
Schr^der     (Georges),     124. 
Schrôder  (Jacob),  146,  374. 
Schulenberg  (Alolp  et  Jean  de), 

5. 
Schultz  (Nicolas),  34. 
Schulz  (Friedrich),  46. 
Schurmann   (Mademoiselle),    218. 
Schutz    (Christophe    de),    125. 
Schwab  (Hans),  51,   134. 


Schwartz,  87. 
Schwarz  (Hans),  56. 
Schwend  (Oswald),  36,  41. 
Schwerin  (Harouber  Philipp),  30. 

SCHWEICKARDT    (J.-B.),    144. 
SCHWEINDERHAMMER,      137. 

Schyler  (Iohann),  146. 

Scot  (Guillaume),   289. 

Sebaldt  (Jean),  167. 

Sedan,  5,  37. 

Seebalt  (Christian),  120. 

Seers,  298. 

Seguiran,  211. 

Sehested  (Annibal  de),  394,  397, 

398,  402. 
Seiffer,  130. 
Seignelay,  272,  295,  303. 
Seiler,  63. 
Seine  (La),  321. 
Seinen  (Comte  de),  31. 
Selandt,  392. 
Sendrok  (Michel),  155. 
Sengebert  (Polycarpe),  37,   156. 
Sengstack,    286,    312,    315. 
Sens,  340. 
Seraf  (Yves),  295. 
Sereville  (Marquise  de),  83. 
Sergel,  374. 
Sering  (Comte  de),  45. 
Serooskerken  (de),  219. 
Servien    (Comte),    13,    199,    200, 

216,  257,  408. 
Seuil  (du),  275. 
Seuldre  (La),  211. 
Sève  (de),  279. 
Sévigné  (Marquise  de),  154. 
Sevin  (Madeleine),  222. 
Seytlingen   (von),   69. 
Schellebeck     (Christophe    van), 

311. 
Shereber,  94. 
Sheulen  (van),  285. 
Shorlener,  120. 
Siber  (Jean),  51.  (Samuel),  93. 
Sickingen  (Franz  de),  68. 
Sidenborg,  398. 

SlEBER,    139. 

Siegfried,  153. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


437 


Silésie  (La),  20,  25,  36,  120. 

Silva,  130. 

Simmern  (Duc  de),  42. 

Sincerus  (Josse),  40. 

Sinermant   (Claude),    88. 

Sittart  (Arnold),  53. 

Skave,  392. 

Sleidan,  56.  (Jean  de—),  19,  20. 

Slingeland,  306. 

Slongel,  170. 

Sluter  (Claus),  182. 

Smith  (Michel),  161. 

Snoucq  (François),  286. 

Soest  (van),  323. 

Soicourt  (Charles  de),  5. 

Soissons  (Comtesse  de),  216. 

Soliart   (de),   315. 

Sommerdick  (de),  218. 

Sommergen  (van),  311. 

Sommevoire,    voir    Sampfer. 

SORBIÈRE,    218. 

Sorgen  (van),  219. 
Sorges,  398. 

Sorges-sur-Authion,     321. 
Souabe  (La),   123,   134,   162,   164. 
Soubise,  210,  329. 
Soumain  (Jeanne),  398. 
Sourdière  (Madame  de  la),  400. 
Sourdis  (Cardinal  de),  210,  211, 
235. 

SOUTHERBOURG,     134. 

Spaendonck  (Gérard  et  Corneille 
van),  320,  324. 

Spanheim  (Ëzéchiel),  114,  (Fré- 
déric), 37. 

Sparre  (de),  318,  349,  366  = 
(Erik  de),  369,  370. 

Spelt  (Wolgang),  24. 

Spick,  218. 

Spire,  8,  157. 

Spirinker,  275. 

Spon  (Charles),  (Jacob),  (Mathieu), 
166. 

Stradborn  (Hermann  de),  50. 

Staël  (Jean-Louis),  29, 157  =  Ma- 
dame de—,  139,  381,  382  =  Ba- 
ron de—,  382,  383,  384. 

Stainville  (de),  395. 


Stalbrich,  96. 

Stalpaert  (Jacqueline),  286. 
Stamitz  (  J.-C),  140,  141. 
Starch  (Hans,  Hans   II,  Ulrich), 

100,  167. 
Stathoen    (Hermann),     52. 
Steibelt  (Daniel),  142. 
Stedingk  (de),  371,  381. 
Stein,    139.    (Gaspard),    120     = 

(Georges-André),  139. 
Steinhaus  (Catherine),  dite  Phi- 
lippine, 127. 
Steinrisser,  269. 
Stenon  (Nicolas),  398. 
Sternbach,  335. 
Stettin,  34. 
Steyn,  184. 

Stibare  (Les  frères),  32. 
Stiebritz,  85. 
Stiernhoeck,  371. 
Stipintz  (Sigismond),  69. 
Stievens  (Jacob),  271. 
Stobe  (Jean),  34. 
Stockholm,  202. 
Stocquel  (Lyonard),   60. 
Stoll  (Jean),  52. 
Stosch  (Henri),  46. 
Stosser  (Fabien),  25. 
Strada  (de),  103   =  baron  d'An- 

vières,  238,  239    =   (Octavius), 

104. 
Strale,  345. 
Stralsund,  358. 
Strasbourg,  57,  143,  144. 
Streiff,    81.    (Charles-Frédéric 

de—),  83. 
Strichs  (van  den),  286. 
Strobelberger    (Etienne),    34. 
Struensée  (Comte  de),  405. 
Stuckoff    (Théodore),    159. 
Stumpft  (Jean),  122. 
Sturm    (Jacob),    19,    (Jean),    20, 

35,  46. 
Stuttgart,   48,   124,   127,   156. 
Sucé,  294. 

Suchetelen  (van),  321. 
Suchtet  (van),  247. 
Sudermanie  (Duc  de),  383. 


438 


INDEX   ALPHABÉTIQUE 


Suger  (Pierre),  20. 

Sully,  79,  90,  95,  96,  108,  161, 

204,  206,  207,  209,  261. 
Surnom,  389. 
Susane  (Général),  82. 
Svaon  (Pierre),  314,  318. 
Svieler  (Michel),  51. 
Swanenberg    (Michel    van    den), 

215. 
Swanevelt   (Armand   van),    222. 
Swieten  (Nicolas  van),  219,  327. 
Szembek     (Comtesse),    410. 

Tach  (André),  120. 
Taillebourg,   150. 
Talende,  99. 
Talhouet  (de),  288. 
Tallemant  des  Réaux,   103. 
Tarente    (Prince    de),    110,    155. 
Taube  (de),  369,  379. 
Ta  vannes   (Jean   et   Marguerite), 

69,  171. 
Tavernier,  259. 

TCHARNER,  137. 

Tecklenborg    (Hermann    Otto), 

29,  157. 
Tell  (Pierre),  154. 
Tellier  (Le),  112. 
Tellong  (Pierre),   154. 
Terbughen  (Henri),  117. 
Terrier  de  la  Haye,  328. 
Tersmitten  (Henri),  113, 148,  277, 

284. 
Terwell,  112. 
Tessin  (Cari),  373  =  (Nicodème), 

372,  373. 
Teucher,  134. 
Teutonigus  (Jean),  52. 
Theillandt  (Marc),   119. 
Theller  (Marc),  119. 
Théophraste,   57. 
Thérèse,  47. 
Thévenot,   398. 
Thierry,  187,  (Jean),  167. 
Thiers,  99. 
Thietdrich,  154. 
Thin   von   Schelnders   (Jean   et 

Robert),   77. 


Thomas,  18. 

Thoré  (de),  73. 

Thorer  (Alban),  32. 

Thou  (de),  38,  90,  217. 

Thun  (Baron  de),  47,  125. 

Thuraïmb  (Comte  de),  157. 

Thuringe,  87. 

Thurnau,  46. 

Thury  (Seigneurie  de),  69. 

Tilenus,  36,  37. 

Tilliêres  (de),  296. 

Tilz  (Servain),  125. 

Tinnebac  (René),  242,  286,  300. 

Titien  (Le),  163. 

Tholozan  (de),  268. 

Tobiesen-Duby,  366. 

Tombe  (van  der),  290. 

Tongrelou,  voir  Hueit-Vaus. 

Tonnay,  244. 

Tonnay- Char  ente,    240. 

Tonneins,  318. 

Topié  (Michel),  51. 

Torbern  (Olai),  367. 

Torgau,  125. 

Torstenson,  349. 

Toul,  3. 

Toulon,  223,  257,  272-275,  360. 

Toulouse,  39,  52,  250,  274,  292. 

Touraine  (La),  42,  158. 

Tour   d'Auvergne   (François   de 

la),  163. 
Tournai  (Etienne  de),  388,  389. 
Tournon,  13,  92. 
Tournus,  183,  184. 
Tourny,  146. 
Tours,  40,  56,  94,  100,  216,  262, 

363. 
Tudebeuf,  244. 
Tracy,  90. 
Trebow,  343. 
Trechsel  (Jean),  51. 
Tremel  (J.),  131. 
Trémoille  (Prince  de  la),   41. 
Trêves,    37,    108. 
Treyer  (Joseph),  144. 
Tripoli,  168. 
Troy  (de),  375. 
Troyes,  100,  185,  221. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


439 


Trudaine,  47,  319. 
Truguet  (Amiral),  354. 

TSCHIRNHAUSEN,    131. 

Tubingue,  35. 

Tubourg  (Nicolas),   93. 

Tulle,  244. 

Turenne,   41,    65,   214,   237. 

Turgot,  149,  151. 

Turpin-Crissé  (de),  410. 

Tyrol,  20. 

Uhland,   9. 

Ulfeldt  (les  frères),  396,  397. 

Ulfsfsparre,  371. 

Ulfstorp,  341. 

Ulm,  15,  51,  164,  166,  168. 

Upsal,  339,  340,  342. 

Urbain  V  (Le  pape),  388. 

Ustel  (Jean),  60. 

Utrecht,    57,    115,    187,    188,    195, 

216,  226,  227,  305,  323  =  Casin 

d'— ,  185. 

Vaanderhornen  (Constance), 
302. 

Vair  (du),  217. 

Val  (de),  284. 

Valat,  92. 

Valbelle  (Antoine  de),  168,  292. 

Valdemar  III,  roi  de  Suède,  388. 

Valencienn.es,  318. 

Valens  (Pierre),  217. 

Valentin    (Guillaume),    119. 

Valerinaus,  33. 

Valette  (Cardinal  de  la),  213. 

Valkenbourg,   290,   301. 

Vallée    (Jean    de   la),    372,    (Si- 
mon— ),  372. 

Valmont  (Mademoiselle  de),  327. 

Valois  (Philippe),  340. 

Vanpenne   (Pierre),    289. 

Vanasse  (Veuve),  314. 

Van  belle,   318. 

Vanboestal  dit  Grammont,  319. 

Vancranenbourg,  319. 

Vandalle,  290. 

Vandamme,  249,  313. 

Vandebrand  ou  Van  den  Bran- 


den,  250,  (Philippe),  250,  318. 
Vandeberg   (Georges),   242,   243, 

Michel,  —  de  Villebouré,  242. 
Vandebourg  (Pierre  de),  56. 
Vandenaueck,    315. 
Vandenbroeck,  316. 
Vandenpom  (Jean   et  Abraham), 

249. 
Vandenyster,  324. 
Vanderbos,    274. 
Vanderbourg,   323. 
Vanderheyden,    153,    312,    314, 

315. 
Vanderlaa  (Pierre),  215. 
Vandermonde,   324. 
Vandernorne   (Josias),   224. 
Vandernos,  275. 
Vanderpoll,   315. 
Vanderquandt,    215    (Antoine), 

284. 
Vandershalque,  289. 
Vanderstat  (Hubert),  211. 
Vanderstrater    (Antoine),    292. 
Vandertin,  323. 
Vandesen,  314. 
Vandhanel,  312. 
Vandrague,  318. 
Vandreveld,  323. 
Vanemerg,   290. 
Vangens,  324. 

Vanhaemstede  (Joris),  249,  283. 
Vanhemskerche,    314. 
Vanlobard,  153,  315. 
Vanlog  (Pierre),  227. 
Vannes,  11. 
Vannezel,  244. 
Vanousterom,  309. 
Vanpradelly,  320. 
Vanpulle,  249. 

Vanschoomaker   (Bernard),    283. 
Vantogeren,   244,   245,   (Pierre), 

245. 
Varennes,  385. 
Varennes  (de),  265,  266. 
Varicq  de  Delft,  207. 
Vassy,  72. 
Vatable,  216. 
Vaudeville,  3. 


440 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Vauguyon  (de  la),  332. 

Vaurigaud,  294. 

Vedenant    (Georges),    293. 

Veen   (Jean),   275. 

Veken  (van  der),  314. 

Velthem    (Lodewicjk   van),    187. 

Vendôme,    262    =    place—,    97. 

Venise,  54. 

Vérag,  332. 

Verbeck    (Madeleine),    239. 

Verbruggé  (Abraham),  296,  297, 

298,  301. 
Verdouyn,  244. 
Vergennes,  332. 
Vermandois  (Le),  228. 
Versailles,  97,  110,  139,  140,  143, 

291,  320,  356,  357. 
Verthamon  (de),  249. 
Vertmuller,  377,  378. 
Verussen  (Claus),  210. 
Vervins,  197. 
Vesale,  57. 
Vestris,  127. 

Vezangerin  (Elisabeth),  125. 
Viart  (Guyonne),  50. 
Victor-Amédée  (Prince),  223. 
Vien,  133. 

Vienne,  15,  25,  48,  130,  158,  340. 
Vigier  (Eve),  235. 
Vigny  (Alfred  de),  116. 
Villeneuve,  63. 
Villeneuve  (de),  365. 
Villers  (Les  frères  de),  218,  239. 
Vimar  (Ernest),  167  (Esther),  65. 
Vincennes,  124. 
Vincent,  244. 
Vintimille,  329. 
Vitré,  154,  155,  288. 
Vitri  (Philippe  de),  4. 
Vitrolles    (Baron    de),    37. 
Vive    (Marc- Antoine),     119. 
Vlamin  (Henri),  238,  239. 
Vlierden  (van),  290. 
Vogel,  142   =   (Jean  de—),  311. 
Voiture,  213. 
Volkman,  46. 
Voll  (Georges),  34. 
Volmar    (Rufus-Melchior),    35. 


Voltaire,  47. 

Voorde  (Marie  van  de),  286. 

Voorst  (de),  218. 

Voortcamp  (Jean),  236. 

Vorn  (Jean  van),  312. 

Vosges  (Tes),  87. 

Vouet  (Simon),  222. 

Vouvray,  247,  321. 

Vronling,  289. 

Vroom  (Henri-Cornelius),  224. 

Vualem  (Pierre),  241. 

VUALMERODE,   81. 

Vuffelen  (van),  311. 
Vuillesmes  (Sarah),  303. 
Vyckershoot,  294. 
Vynck  (van  de),  290. 

Wa,  339. 

Wachter  (de),  66,  124,  128. 

Waelt  (de),  286. 

Waersen  (van),  295. 

Waldeck  (Prince  de),  45. 

Waldvogel,  49. 

Walkenaër,  333,   334. 

Wallendal  (Jacob   van),   311. 

Wallenstein,  107. 

Waller  (Michel),  5. 

Wallin,  365,  366. 

Walstein  (Pierre),  120. 

Walter  (Pierre),  154. 

Walthar  (Jean),  51. 

Wambel,  322. 

Wandel  (Assuérus),   316. 

Wansleben    (Jean-Michel),     112. 

Warren,  169. 

Wascheim  (la),  127. 

Wassenaer,   327,    328. 

Wattemann    (Claudine),    168. 

Weba  (Claude),  169. 

Wechel,  20. 

Weert  (Joachim  de),  225,  226. 

Weimar,  97,  154. 

Weinhenhaupt,  405. 

Weiss    (Emmanuel    et    Nicolas),. 

149. 
Weissenbach,  171. 
Weisweiler  (Adam),   122. 
Weitskocheim,   157. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


441 


Wele-Wouter,   117. 

Welem  (Jeanne),  328. 

Weltner,  147. 

Welzer  (Barthélémy  et  Jacques), 

60,  62. 
Welzner  (Pierre,  baron  de  Broch), 

125. 
Wencke  (Jean),  326. 
Wendt  (Sigismond),  108. 
Werth  (Jean  de),  218,  275. 
Wertken    (Hermann),    161. 
Werve  (Claus  de),  182. 
Wesel,  50,  148. 
Westphalie,  29,  31,   93,   107,  108, 

113,  119,  131,  157,  204,  345. 
Wich  (de),  312. 

WlCQUEFORT,  230. 

Widerstein  (Willem),   5. 

WlEDERWELT,    405. 

Wiesbaden,  169. 
Wildhoz  (Andréas),  19. 

WlLFELHEIM,   153. 

Wille  (Jean-George),  46,  47,  122, 

128,  132,  133,  134,  136,  139. 
=    (Pierre-Alexandre),    132. 
Willebrandt    (Jean),    46. 
Wincke    (Hermann),    30. 
Winhofe  (Dina),  397. 

WlNNEN,  144. 

Winterfeld  (Christophe),  30    = 

(Frédéric  de—),  31. 
Wintergestein  (Barbe),   159. 
Winslow  (Jacques-Bénigne),  128, 

399,  400,  401. 
Wite,  315. 
Witt  (de),  284,  335  -  (Jean  de—), 

203,  261  =  (Régnier  Iansse  de—) 

211. 
Wittemberg,   129. 
Wockere  (Henri),  93. 
Wohgersperg   (Sébastien),   68. 
Wolfang,  duc  des  Deux-Ponts,  80. 
Wolf,  208. 
Wolff,  144,  161   =  (Arnold),  315 

=  (Christophe),  122  =  (Georges) 


50  =  Marguerite,  285  =  (Ma- 
thieu), 167  =  (Nicolas),  51 
=  Le  Père—,  110. 

Wolsach,  93. 

Wolt,   146. 

WOLTHER,    119. 

Wor,  315. 

Worm  (Ole),  398,  401. 

Worms,  8. 

Wrangel   (Comte),   347,   349. 

Wuitte  (Catherine  de),  311. 

Wulven  (de),  219. 

WUMBRAND,  82. 

Wurtemberg  (Le),  51,  87,  120  = 
Comtesse  de — ,  109  =  Duc  de — , 
78,  79  =  Prince  de—,  110  = 
Roderic  de — ,  41. 

Wurtzbourg,  32,  157,  158,  170  = 
Albert  de—,  168. 

Wykerfloot,  298. 

Wynrich  von  Wesel  (Hermann), 
4. 

Xirocourt,  328. 

Yoel,  409. 

Ysmant  (Thomas),   88. 

Zacau,  147. 

Zacharie,  94,  137. 

Zalon,  392. 

Zamet,  66. 

Zandt  (van  den),  310. 

Zangmeister    (Jean-Paul),    19. 

Zanioli,  28. 

Zélande,  183,  195. 

Zelen,  310. 

Zevenbergen,  183. 

Zimmermann,  144,  147. 

Zingg,  134. 

ZlNZERLING    (JuSt),    22,    40. 

Zollikofer,  166   =  (Michel),  25. 
Zurich,  38,  97,  166. 
Zwickau,  154. 
Zuylett  (van),  219. 


TABLE   DES  MATIÈRES 


Introduction,  p.  i-xi. 

PREMIÈRE    PARTIE 

LES      ALLEMANDS     EN      FRANCE 
CHAPITRE    I 

L'INFILTRATION  ALLEMANDE  EN  FRANCE  AVANT  LE  XVIe  SIÈCLE 

I.  L'ordre  teutonique  :  artistes  et  artisans  allemands.  —  II.  Voyageurs 
et  pèlerins.  —  III.  Naissance  des  premières  colonies  de  marchands  : 
avantages  concédés  aux  Hanséates,  pp.  1-16. 

CHAPITRE    II 

I.  Les  étudiants  allemands  à  Paris,  Orléans,  Angers,  Montpellier 
du  xiie  au  xvme  siècle.  —  II.  Les  pédagogues.  —  Les  voyageurs, 
pp.  17-48. 

CHAPITRE    III 

I.  Imprimeurs  et  libraires  allemands.  —  II.  François  Ier  et  l'Alle- 
magne. —  III.  Banquiers  allemands  de  Lyon,  p.  49-66. 

CHAPITRE    IV 

LES  SOLDATS  ALLEMANDS  A  LA  SOLDE  DE  LA  FRANCE,  pp.  67-85 

CHAPITRE    V 

LES  ALLEMANDS  DANS  NOS  MINES  ET  DANS  LA  MÉTALLURGIE, 
pp.    86-101. 

CHAPITRE    VI 

LES    ALLEMANDS    A     PARIS    DEPUIS     LE     XVIIe     SIÈCLE. 

I.  Quelques  Allemands  à  la  cour  sous  Henri  IV  et  Louis  XIII.  —  II  Rat- 
sons   politiques    qui    favorisent    l'infiltration    allemande   en   France 


444  TABLE    DES    MATIÈRES 

aux  xvne  et  xvine  siècles.  —  III.  Colonie  allemande  de  Paris,  la 
confrérie  allemande  de  Saint-Germain-des-Prés  ;  Allemands  tail- 
leurs d'habits,  ébénistes,  orfèvres,  espions,  aventuriers,  filles  de  joie. 
—  IV.  Intellectuels  allemands,  médecins,  savants,  artistes  ;  G.  Wille 
et  son  entourage.  —  V.  Hommes  de  lettres  allemands  à  Paris  ;  les 
musiciens,  les  luthiers,  pp.  102-144. 

CHAPITRE    VII 

LES    COLONIES    ALLEMANDES    EN    PROVINCE 

I.  Les  Allemands  à  Bordeaux  et  La  Rochelle.  —  II.  Les  Allemands 
destinés  à  peupler  la  Guyane  au  xvine  siècle.  —  III.  Les  Allemands 
en  Bretagne,  en  Anjou,  à  Orléans,  en  Normandie,  en  Auvergne, 
à  Lyon,  à  Marseille,  pp.  145-171. 


DEUXIEME  PARTIE 

LES     HOLLANDAIS     EN    FRANCE 

CHAPITRE   I 

I.  Introduction.  —  II.  Premières  relations  commerciales.  —  III.  Les 
artistes  néerlandais  à  Paris,  en  Bourgogne  et  en  Touraine.  —  IV.  Les 
étudiants  hollandais  à  Paris  et  à  Orléans  du  xme  au  xvie  siècle  ; 
les  professeurs  hollandais  à  Angers,  Poitiers  et  Paris.  —  V.  Les  impri- 
meurs originaires  de  Hollande,  pp.  175-194. 

CHAPITRE    II 

QUELQUES  MOTS   SUR  LES  RAPPORTS  POLITIQUES  DE  LA  FRANCE 
ET  DE  LA  HOLLANDE  ENTRE  1579  ET  1697,  pp.  195-205. 

CHAPITRE    III 

I.    Les  Hollandais  sont  protégés  et  attirés  en  France  par  Henri  IV.  — 

II.  Richelieu  appelle  des  constructeurs  et  des  marins  de  Hollande.  — 

III.  Rapports  cordiaux  des  Français  et  des  Hollandais  ;  voyageurs 
et  étudiants  néerlandais  en  France.  —  IV.  Les  peintres,  graveurs  et 
artistes  hollandais  à  Paris  et  en  province.  —  V.  Les  dissensions 
religieuses  en  Hollande  au  xvne  siècle  développent  le  mouvement 
d'immigration,  pp.  206-232. 

CHAPITRE    IV 

I.  Les  Hollandais  dessèchent  les  marais  de  France.  —  II.  Ils  fondent 
des  raffineries  de  sucre,  des  manufactures  de  papier.  —  III.  Les  Hol- 


TABLE    DES    MATIÈRES  445 

landais  monopolisent  le  commerce  des  vins.  —  IV.  Leurs  groupe- 
ments de  Bordeaux  et  de  Nantes.  —  V.  Jalousie  qu'excite  l'impor- 
tance de  leur  négoce  en  France,  pp.  233-262. 

CHAPITRE    V 

COLBERT    ATTIRE    EN     FRANCE     DES     HOLLANDAIS. 

I.  Drapiers  et  manufacturiers  ;  les  van  Robais  ;  constructeurs  de  na- 
vires, ingénieurs  et  savants.  —  II.  Maître  Afïinius  et  le  chevalier  de 
Rohan  ;  Helvétius  et  sa  descendance,  pp.  263-282. 

CHAPITRE    VI 

I.  Les  Hollandais  à  Bordeaux,  Nantes,  Vitré,  Rouen,  Dieppe,  Lyon, 
Marseille.  —  II.  La  Révocation  de  l'Ëdit  de  Nantes  et  ses  consé- 
quences sur  les  colonies  hollandaises,  pp.  283-304. 

CHAPITRE    VII 

LES    HOLLANDAIS    EN    FRANCE    AU    XVIIIe    SIÈCLE 

I.  Rapports  politiques.  —  II.  Négociants  hollandais  en  France.  — 
III.  Manufacturiers  et  artisans  ;  ingénieurs  hollandais.  —  IV.  La 
colonie  néerlandaise  de  Paris  ;  la  chapelle  de  l'ambassade  de  Hol- 
lande ;  la  colonie  flottante  ;  Madame  Pater.  —  V.  L'Immigration 
des  patriotes  en  France  en  1787,  pp.  305-335. 


TROISIÈME    PARTIE 

LES    SCANDINAVES    EN    FRANCE.    SUÉDOIS    ET   DANOIS 

EN    FRANCE 

CHAPITRE    I 

LES    SUÉDOIS    EN    FRANCE. 

Les  étudiants  suédois  à  Paris  et  Orléans  aux  xive  et  xvc  siècles.  — 
II.  Quelques  Suédois  à  Paris  au  temps  de  François  Ie'.  —  III.  Jonas 
Hambraeus  et  la  chapelle  de  l'ambassade  de  Suède  au  xvnft  siècle  : 
nombreux  voyageurs  et  étudiants.  —  IV  Colbert  attire  des  Suédois  ; 
artisans  et  ingénieurs  suédois  à  Versailles.  —  V.  Le  banquier  Hog- 
guer  ;  quelques  négociants  suédois  naturalisés  au  xvme  siècle  ; 
savants  à  Paris.  —  VI.  Officiers  suédois  dans  l'armée  française  : 
le  Royal-Suédois.  —  VII.  Artistes  suédois  à  Paris.  —  VIII.  Marie- 
Antoinette  et  les  Suédois  ;  le  salon  de  Madame  de  Boufflers  est  le 
(ditre  de  la  colonie  suédoise  à  Paris,  pp.  .'J3(.)--385. 


446  TABLE    DES    MATIÈRES 

CHAPITRE    II 

LES    DANOIS    EN    FRANCE 

I.  Relations  franco-danoises  au  moyen  âge  ;  étudiants  danois  à  Paris 
et  Orléans.  —  IL  Danois  en  France  sous  le  règne  de  François  Ier  ; 
traités  de  commerce  franco-danois.  —  III.  Étudiants,  voyageurs 
et  savants  en  France  au  xvne  siècle  ;  médecins  célèbres  à  Paris  ; 
Winslow.  —  IV.  Souverains  et  princes  danois  à  Paris  et  en  France  ; 
artistes  et  commerçants  danois  au  xviii6  siècle.  —  V.  Officiers 
danois  au  service  de  la  France  ;  Rantzau,  Lôwendal,  pp.  386-410. 


ABBEVILLE 

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