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Full text of "Les villes tentaculaires; précédées des Campagnes hallucinées"

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iiiiiiilSss 


HANDBOUND 
AT  THE 


UNIVERSITY  OF 


LES  VILLES  TENTACULAIRES 

PRiCÉDÉKS  DSS 

CAMPAGNES  HALLUCINÉES 


DU  MÊME  AUTEUH 


Poésie 

p  ji;ME3 I  vol . 

POÈMES,  nouvelle  série  . .    ^ i  vul . 

puÈMus,  11.0  bCrie. 1  vol . 

LES    FORCES   TUMULTUEUSES  . , 1  VOl . 

LES    VILLES    TENTACULAIRES,    précédCeS   des  CAMPAGNES 

HALLUCINÉES ' 1  Vo! . 

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(Société  Littéraire  de  France) i  vol. 

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paR-mi  les  CENDRES  (chez  Clés,  Pans) i  vol. 

Villes  MiiURTuiEs  DE  BELGIQUE  (chez  Vai^Oest,  Paria).,  i  vol. 

Théâtre 

LE.  \UBES,  drame  lyrique  (chez  Deinau,  à  Bruxelles)  i  vol, 

DKux  otiAME-  (Le  Cloître,  en  4  actes. —  Philippe  H)  i  vol. 

H  LÈNE  DE  SPARTE  (à  la  NouvclIc  Rcvuc  Françaisc)..  i  vol. 


V5n 


EMILE     VERHAEREN 


.es 


Villes  tentaculaires 


PRECEDEES      DES 


Campagnes   hallucinées 


DIX-HUITIEME     EDITION 


PARIS 
MERGVRE  DE  FRANGE 

XXVI,    RVK    DE   CONDF,    XXVI 
MCMXX 


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IL  A    ÉTÉ  TII\F.   PI'    CA'  r    Ob'V.\AGK  : 

Due-neaJ  exemplaires  s'ir  II itlanie,  numérotés  de  i  à  ig. 

JUSTIFICATION  DU   TIRAGE 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés  pour  tous  pays  y  compris 
la  Suède  et  la  Norwège. 


LES  CAMPAGNES  HALLUCINÉES 

(1893) 


VICTOR    DESMETli 

iJiV  SOUVENIR 


LA  VILLE 


Tous  les  chemins  vont  vers  la  ville. 

Du  fond  des  brumes. 

Là  bus,  avec  tous  ses  étages 

El  ses  grands  escaliers  et  leurs  voyages 

Jusques  au  ciel,  vers  déplus  hauts  étages^ 

C uni  me  d'un  rêve,  elle  s'exhume. 

Là-bas, 

Ce  sont  des  ponts  tressés  en  fer 
Jetés,  par  bonds,  à  travers  l'air  ; 
Ce  sont  des  blocs  et  des  colonnes 


LES    CAMPA0NE8    HALLUCINEES 


Que  dominent  des  /aces  de  gorgonneu  ; 

Ce  sont  des  tours  sur  des  faubourgs, 

Ce  sont  des  toits  et  des  pignons. 

En  vols  plies,  sur  les  maisons; 

C'est  la  ville  tentaculaire, 

Debout, 

Au  bout  des  plaines  et  des  domaines. 

Des  clartés  rouges 
Qui  bougent 

Sur  des  poteaux  et  des  grands  mâts, 
Même  à  midi,  brûlent  encor 
Comme  des  œufs   monstrueux  d'or  , 
Le  soleil  clair  ne  se  voit  pas  : 
Bouche  qu'il  est  de  lumière,  fermée 
Par  le  charbon  et  la  fumée, 

Unjleuve  de  naphte  et  de  poix 

Bat  les  môles  de  pierre  et  les  pontons  de  oots  ; 

Les  sifflets  crus  des  navires  qui  passent 

Hurlent  la  peur  dans  le  brouillard  : 

Un  fanal  vert  est  leur  regard 


LtS    CAMPAGNES     IlAl  LCCINEES 


Vers  r océan  et  les  espaces. 

Des  quais  sonnent  aux  entrechocs  de  leurs  fourgonSy 

Des  tombereaux  (/rincent   comme  des  gonds. 

Des  balances  de  fer  font  choir  des  cubes  d'ombre 

Et  les  (/lissent  soirJain  en  des  sous-sols  de  feu  ; 

Des  /)onls  s'oavrant  par  le  milieu. 

Entre   les  mdis  touffus  dressent  un  gibet  sombre 

Et  des  lettres  de  cuinre  inscrivent  Vunivers,  . 

Immensément,  par  à  travers 

Les  toits,  les  corniches  et  les  murailles, 

Face  à  face,  comme  en  bataille. 

Par  au-dessus,  passent  les  cabs,  filent  les  roueSy 

Roulent  les  trains,  vole  l'effort, 

Jusqu'aux  gares,  dressant,  telles  des  proues 

Immobiles,  de  mille  en  mille,  un  fronlon  d'or. 

Les  rails  raméfiés  rampent  sous  terre 

En  des  tunnels  et  des  cratères 

Pour  reparaître  en  réseaux  clairs  d'éclairs 

Dans  le  vacarme  et  la  poussière. 


LES    CAMPAGNES    UALLUCINÉES 


Cest  la  ville  tentaculaire. 

La  rue  —  et  ses  remous  comme  des  câbles 

Noués  autour  des  monuments  — 

Fuit  et  revient  en  longs  enlacements^ 

Et  ses  foules  inextricables 

Les  mains  folles,  lespasjîévreux,- 

La  haine  aux  yeux, 

Happent  des  dents  le  temps  qui  les  devance. 

A  l'aube,  au  soir,  la  nuit, 

Dans  le  tumulte  et   la  querelle,  ou  dans  l'ennui. 

Elles  jettent  vers  le  hasard  l'âpre  semence 

De  leur  labeur  que  l'heure  emporte. 

Et  les  comptoirs  mornes  et  noirs 

Et  les  bureaux  louches  et  faux 

Et  les  banques  battent  des  portes 

Aux  coups  de  vent  de  leur  démence. 

Dehors,  une  lumière  ouatée, 
/'rouble  et  rouge,  comme  un  haillon  qui  brûle^ 
De  réverbère  en  réverbère  se  recale. 
La  vie,  avec  desjlols  d'alcool  estfernienlée. 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINEES  iS 

Les  bars  ouvrent  sur  les  trottoirs 

Leurs  tabernacles  de  miroirs 

Où  se  mirent  l'ivresse  et  la  bataille  ; 

Une  aveugle  s'appuie  à  la  muraille 

Et  vend  de  la  lumière,  en  des  bqîtes  d'un  son  ; 

La  débauche  et  la  faim  s'accouplent  en  leur  troa 

Et  le  choc  noir  des  détresses  charnelles 

Danse  et  bondit  à  mort  danl  les  ruelles. 

Ct  coup  sur  coup,  le  rut  grandit  encore 

t  la  rage  devient  tempête  : 
k   On  s'écrase  sans  plus  se  voir,  en  quêle 
Du  plaisir  d'or  et  de  phosphore  ; 
Des  femmes  s'avancent,  pâles  idoles. 
Avec,  en  leurs  cheveux,  les  sexuels  symboles. 
L'atmosphère  fuligineuse  et  rousse 
Parfois  loin  du  soleil  recule  et  se  retrousse 
Et  c'est  alors  comme  un  grand  cri  Jeté 
Du  tumulte  total  vers  la  clarté: 
Places,  hôtels,  maisons,  marchés, 

onflenl  et  s'emjlamment  si  fort  de  violence 
\;ae  les  mourants  cherchent  en  vain  le  moment  de  siA 


I^  LES    CAMI'Ar.NIS    11  VI,LUCINEE3 

,  Qu'il  faut  aux  yeux  pour  se  fermer. 

Telle,  le  Jour  — pourtant,  lorsque  les  soirs 

Sculptent  le  firmament,  de  leurs  marteaux  cTébène, 

La  ville  au  loin  s'étale  et  domine  la  plaine, 

Comme  un  nocturne  et  colossal  espoir  ; 

Elle  surgit  :  désir,  splendeur,  hantise  ; 

Sa  clarljé  se  projette  en  lueurs  jusqu'aux  cieax, 

Son  gaz  myriadaire  en  buiisons  d'or  s'attise, 

Ses  rails  sont  des  chemins  audacieux 

Vers  le  bonhew  fallacieux 

Que  la  fortune  et  la  force  accompagnent; 

Ses  murs  se  dessinent  pareils  à  une  armée 

Et  ce  qui  vient  délie  encore  de  brunie  et    de  fumée 

Arrive  en  appels  clairs  vers  les  campagnes. 

C'est  la  ville  ientaculaire, 

La  pieuvre  ardente  et  l'ossuaire 

Si  la  carcasse  solennelle. 

Et  les  chemins  d  ici  s'en  vont  à  l'infini 
Vers  elle. 


LES  PLAINES 


Sous  la  tristesse  et  l'ang-oisse  des  cieux 

Les  lieues 

S'en  vont  autour  des  plaines; 

Sous  les  deux  bas 

Dont  les  nuag:es  traînent, 

Immensément,  les  lieues 

Marchent,  là-bas. 

Droites  sur  des  chaumes,  les  tours; 
Et  des  gens  las,  par  tas. 
Qui  vont  de  bourg  en  bourg. 


l3  LES    CAMPAGNES    UALLtriM.:LS 


L'es  j2fcns  vag-uanls 

Comme  la  roule,  ils  ont  cent  ans; 

Ils  vont  de  plaine  en  plaine, 

Depuis  toujours,  à  travers  temps; 

Les  précèdent  ou  bien  les  suivent 

Les  charrettes  dont  les  convois  dcrivcnt 

Vers  les  hameaux  et  les  venelles, 

Les  charrettes  perpétuelles, 

Criant  le  lamentable  cri, 

Le  jour,  la  nuit. 

De  leurs  essieux  vers  l'infini. 

C'est  la  plaine,  la  plaine 
Immensément,  à  perdre  haleine. 

De  pauvres  clos  ourlés  de  haies 

Ecarlèlent  leur  sol  couvert  de  plaies;    • 

De  [Kiuvres  clos,  de  pauvres  fermes, 

Les  portes  14ches 

F!t  les  chaumes,  comme  des  bâches. 

Que  le  vent  troue  à  coups  de  hache. 

Aux  alentours,  ni  trèfle  vert,  ni  luzerne  roiiHe, 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 


Ni  lin,  ni  blé/ni  frondaisons,  ni  germes, 
Depuis  longtemps,  l'arbre,  par  la  foudre  cassé. 
Monte,  devant  le  seuil  usé. 
Comme  un  malheur  en  effigie. 

C'est  la  plaine,  la  plaine  blême. 
Interminablement,  toujours  la  même. 

Par  au  dessus,  souvent, 

Rage  si  fort  le  vent 

Q.ie  l'on  dirait  le  ciel  fendu 

Aux  coups  de  boxe 

De  l'équinoxe. 

Novembre  hurle,  ainsi  qu'un  loup, 

Lamentable,  par  le  soir  fou. 

Les  ramilles  et  les  feuilles  gelées 

Passent  gif  fiées 

Sur  les  mares,  dans  les  allées; 

El  les  grands  bras  des  Christs  funèbres. 

Aux  carrefours,  par  les  ténèbres. 

Semblent  grandir  et  tout  à  coup  partir. 

En  cris  de  peur,  vers  le  soleil  perdu. 


30  L.ES    CAMPAGNES    HALLUCINEJES 


C'est  la  plaipe,  la  plaine 

Où  ne  vag"ue  que  crainte  et  peine. 

Les  rivières  stag-nent  ou  sont  taries, 

Les  flots  n'arrivent  plus  jusqu'aux  prairies. 

Les  énormes  dig-ues  de  tourbe, 

Inutiles,  arquent  leur  courbe. 

Comme  le  sol,  les  eaux  sont  mortes; 

Parmi  les  îles,  en  escortes 

Vers  la  mer,  où  les  anses  encor  se  mlrr  nt. 

Les  haches  et  les  marteaux  voraces 

Dépècent  les  carcasses, 

Pourrissantes,  de  vieux  navires. 

C'est  la  plaine,  la  plaine 

Immensément,  à  perdre  haleine. 

Où  circulent,  dans  les  ornières, 

Parmi  l'identité 

Des  champs  du  deuil  et  de  la  pauvreté. 

Les  désespoirs  et  les  misères  ; 

C'est  la  plaine,  la  plaine 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINEE.* 


Que  sillonnent  des  vois  immenses 

D'oiseaux  criant  la  mort 

En  des  houles  de  cieux  au  Nord; 

C'est  la  plaine,  la  plaine 

Mate  et  longue  comme  la  haine, 

La  plaine  et  le  pays  sans  fin 

D'un  blanc  soleil  comme  la  faim, 

Où,  sur  le  fleuve  solitaire, 

Tourne  aux  remous  toute  la  douleur  de  la  terro. 


I.irS    CAMPAUMiS    HALLUCINEES 


CIIANSOxN  DE  FOU 


Le  crapaud  noir  sur  le  sol  blanc 

Me  fixe  indubitablement 

Avec  des  yeux  plus  grands  que  n'est  grande  sa  tête  ; 

Ce  sont  les  yeux  qu'on  m'a  volés 

Quand  mes  regards  s'en  sont  allés, 

Un  soir,  que  je  tournai  la  tète. 

Mon  frère?  —  il  est  quelqu'un  qui  ment, 
Avec  de  la  farine  entre  ses  dents  ; 
C'est  lui,  jambes  et  bras  en  croix, 
Qui  tourne  au  loin,  là-bas, 
Qui  tourne  au  vent, 


LLS    CAMI'AtiMib    iJALLtCliNtbS  Sl 

Sur  ce  moulin  de  bois. 

El  celui-ci,  c'est  mon  cousin 
Qui  fui  curé  et  but  si  fort  du  vin 
Que  le  soleil  en  devint  rouge  ; 
J'ai  su  qu'il  habitait  un  bouge, 
Avec  des  morts,  dans  ses  armoires. 

Car  nous  avons  pour  géntoire»» 

Deux  cailloux 

El  pour  monnaie  un  sa    de  poux 

Nous,  les  trois  fous, 

Qui  épousons,  au  cK^r  de  lune- 

Trois  folles  dames    iui  is  dune. 


24  LES    cîJUPAGNES    HALLUCINEES 

. _x^ 


LE  DONNEUR  DE  MAUVAIS  GOX^EILS 


Par  les  chemins  bordés  de  pueils 

fiôde  en  maraude 

L«  donneur  de  mauvais  conseils. 

La  vieille  carriole  en  bois  vert-pomme 
Qui  l'emmena,  on  ne  sait  d'où, 
Une  folle  la  ffarde  avec  son  homme, 
Aux  carre four§  des  chemins  mous. 
Le  cheval  paît  l'herbe  d'automne, 
Près  d'une  mare  mpnotone, 
Dont  l'eau  malade  réverbère 
Le  soir  de  pluie  et  de  misère 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES  s5 


Qui  tombe  en  loques  sur  la  terre. 

Le  donneur  de  mauvais  conseils 
Est  attendu  dans  le  villag-e, 
A  l'heure  où  tombe  le  soleil. 

Il  est  le  visiteur  oblique  et  louche 
Qui,  de  ferme  en  ferme,  s'abouche. 
Quand  la  détresse  et  la  ruine 
Ronflent  en  tempêtes  sur  les  chaumines. 
Il  est  celui  qui  frappe  à  l'huis, 
*Tenacement,  et  vient  s'asseoir 
Lorsque  le  hâve  désespoir, 
Fixe  ses  regards  droits 
Sur  le  feu  mort  des  âtres  froids. 

En  habits  vieux  comme  ses  j'eux, 
Avec  sa  blouse  lâche 
Et  ses  poches  où  vivement  il  cacha 
Les  fioles  et  les  poisons, 
Mi-pajsan,  mi-charlatan, 
Retors,  petit,   ratatiné. 


aÇ  LES  CAMPAGNES  HALLUCINKES 

Mains  finaudes,  ongles  fanés, 

Il  égrène  ainsi  qu'un  texte 

Les  faux  moyens  et  les  prétextes 

Et  les  foisons  des  mauvaises  raisons. 

On  l'écoute,  qui  lentement  marmonne. 
Toujours  ardent  et  monotone, 
l'renant  à  part  chacun  de  ceux 
l 'ont  les  arpents  sont  cancéreux, 

I  )'  >nt  les  moissons  sont  vaines 

II  qui  regardent  devant  eux 
L.IS,  trébuchants  et  malchanceux, 

La  mort  venir  du  bout  des  plaines  de  leurs  haines. 

A  (jui,  devant  sa  lampe  éteinte, 
Seul  avec  soi,  quand  minuit  tinte, 
S  en  va  tâlant  aux  murs  de  sa  chaumière 
Les  trous  qu'y  font  les  vers  de  la  misère, 
S.iiis  qu'un  secours  ne  lui  vienne  jamais, 
Il  >  onseille  d'aller,  au  fond  de  l'eau, 
Muidre  des  dents  les  exsangues  reflets 
D«j  sa  face  dans  un  marais. 


LES    CAMPAGNES    HAlLCCI >£t3 


A  tel  qui  branle  el  traîne  un  r  >•  ;  s 
Comme  un  haillon  h  un  bàto:i. 
Usé  d'espoir,  tari  irelTorts; 
A  qui  grimace  sa  vieillesse 
Devant  l'orgueil  du  vieux  soleil, 
Il  reproche  les  avanies, 
Qwi;  font  ses  fils  qui  le  renient, 
A  l'iuHni  de  sa  faiblesse. 

Il  fiousse  au  mal  la  fille  arder'r;. 

Avec  du  crime  au  bout  des  do!L,'L», 

Avec  des  yeux  comme  la  poix 

Et  des  regards  qui  violentent. 

II  attise  en  son  cœur  le  vice 

A  mots  cuisants  et  rouges, 

Pour  qu'en  elle  la  femelle  et  la  gouge 

Biffent  '.a  mère  et  la  nourrice 

Et  que  sa  chair  soit  aux  amants, 

Morte,  comme  issemcnls  el  pierres 

Du  cimetière. 


a8  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 

Aux  vieux  couples  qui  font  l'usure 

Depuis  que  les  malheurs  ravagtiîït 

Les  villag-es,  à  coups  de  Tag^e, 

Il  vend  les  moyens  sûrs 

El  la  ténacité  qui  réussit  loujoun 

A  ruiner  hameaux  et  bourg-s, 

Quand,  avec  l'or  tapi  au  creux 

De  J'armoire  crasseuse  ou  de  l'alcôve  immorttîe. 

On  s'imag-ine,  en  un  logis  lépreux. 

Être  le  roi  qui  tient  le  monde. 

Enfin,  il  est  le  conseiller  de  ceux 

Qui  profanent  la  nuit  des  saints  dimanches 

En  boutant  l'incendie  à  leurs  granges  de  planches. 

Il  indique  l'heure  précise 

Où  le  tocsin  sommeille  aux  tours  d'église, 

Où  seul,  avec  ses  yeux  insoucieux, 

Le  silence  regarde  faire. 

Ses  gestes  secs  et  entêtés 

Numérotent  ses  volontés, 

Et  l'ombre  de  ses  doigts  semble  ligner  d'entailles 

Le  crépi  blanc  de  la  muraille. 


LES    CAMPAGNES    llAl-LUCI.NÉES  2^ 


Et  pour  conclure  il  verse  à  tous 

Un  peu  du  fiel  de  son  vieux  cœur 

Moisi  de  haine  et  de  rancœur; 

Et  désig-ne  le  rendez-vous, 

—  Quand  ils  voudront  —  au  coin  des  bordes. 

Où,  près  de  l'arbre,  ils  trouveront 

Pour  se  brancher  un  bout  de  corde. 

Ainsi  va-t-il  de  ferme  en  ferme; 
Plus  volontiers,  lorsque  le  terme 
Au  tiroir  vide  inscrit  sa  date, 
Le  corps  craquant  comme  des  lattes, 
Le  cou  maig're,  le  pas  traînant. 
Mais  inusable  et  permanent, 
Avec  sa  pauvre  carriole 
Avec  son  fou,  avec  sa  folle, 
Qui  l'attendent,  jusqu'au  matin, 
Au  carrefour  des  vieux  chemia^. 


SO  LES    CAUPAQISES    HALLUCINÉES 


CHANSON  DE  FOU 


Je  les  ai  vus,  je  les  ai  vus, 
Ils  passaient  par  les  sente?, 
Avec  leurs  yeux,  comme  des  fcnics, 
Et  leurs  barbes,  comme  du  chanvre. 

Deux  bras  de  paille, 
Un  dos  de  foin. 
Blessés,  troués,  disjoints, 
Ils  s'en  venaient  des  loins. 
Comme  d'une  bataille- 


L£8    CAJIPAGNES    UALLL'CINÉBS  3| 


Un  chapeau  mou  sur  leur  oreille, 
Un  habil  vert  comme  l'oseille; 
Ils  étaient  deux,  ils  étaient  trois, 
J'en  ai  vu  dix,  qui  revenaient  du  Lois. 

L'un  d'eux  a  pris  mon  âme 
Et  mon  âme  comme  une  cloche 
Vibre  en  sa  poche. 

L'autre  a  pris  ma  peau 
—  Ne  le  dites  à  personne  — 
Ma  peau  de  vieux  tambour 
Qui  sonne. 

Quant  à  mes  pieds,  ils  sont  liés, 
Par  des  cordes  au  terrain  ferme; 
Reg-ardez-moi,  reg^ardez-moi, 
Je  suis  un  terme. 

Un  paysan  est  survenu 

Qui  nous  piqua  dans  le  sol  nu,       ^ 

Eux  tous  et  moi,  vieilles  défroques. 


^3  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉKS 

■Dont  les  enfants  se  moquent. 

Et  nous  servons  d'épouvanlails  qui  veillent 
Aux  corbeaux  lourds  et  aux  corneilles. 


LSS    CAMPAGNES    HALLUCINÉES  33 


PÈLERLNAGE 


Où  vont  les  vieux  paysans  noirs 
Par  les  couchants  en  or  des  soirs 
Dans  les  campagnes  rouges? 

A  grands  coups  d'ailes  affolées, 
En  leurs  toujours  folles  volées, 
Les  moulins  fous  fauchent  le  vent. 

Les  cormorans  du  vieil  automne 
Clament  au  loin  —  et  le  ciel  tonne 
Gom'ïue  un  tocsin  parmi  la  nuit. 


34  t.t.a    CAMPAGNES    HALLUCINEES 

C'est  l'heure  ample  de  la  terreur, 
Où  passe  en  son  charroi  d'horreur, 
Le  vieux  Satan  des  labours  rouges. 

Par  la  campag-ne  en  grand  deuil  d'or, 
Où  vont  les  vieux  silencieux  ? 


Quelqu'un  a  dû  frapper  l'été 

De  mauvaise  fécondité  : 

Le  blé,  très  dru,  ne  fut  que  paille. 

Les  bonnes  eaux  n'ont  point  coulé 
Par  les  veines  du  champ  brûlé; 
Quelqu'un  a  dû  frapper  les  sources; 

Quelqu'un  a  dû  sécher  la  vie. 
Comme  une^org-e  inassouvie, 
D'un  seul  grand  coup  vide  un  plein  vcri-e, 

Par  la  campag-ne  en  grarid  deuil  d'or. 
Où  vont  les  vieux  et  leur  misère? 


LES    CAMPAGNES    HALLICINFES  35 


L'âpre  semeur  des  mauvais  grermes, 
Aux  jours  d'Avril  baig-naal  les  fermes. 
Les  vieux  l'ont  tous  senti  passer. 

Ils  l'ont  surpris  morne  et  railleur. 
Penché  sur  les  moissons  en  (leur; 
Plein  de  foudre,  comme  l'orig-e. 

Les  vieux  n'ont  rien  osé  se  dire. 
*     Mais  tous,  craig-uanl  son  rire 
Et  que  peut-être  il  ne  revînt  ; 

Sachant  de  plus  par  quel  moyen 
On  peut  fléchir  Satan  païen, 
Qui  règne  encor  sur  la  moisson, 

Par  la  campa g-ne  en  grand  deuil  d'or. 
Où  vont  les  vieux  et  leur  frisson? 


36  UKS   CAMPAGNES   HALLUClKéae 

Le  semeur  d'or  du  mauvais  blô 

Entend  venir  ce  défilé 

D'hommes  qui  se  taisent  et  marchent. 

Il  sait  que  seuls  ils  ont  encore, 
Au  fond  du  coeur,  qu'elle  dévore» 
Toute  la  peur  de  l'inconnu. 

Qu'obstinément  ils  dérobent  en  eux 
Son  culte,  sombre  et  lumineux, 
Comme  un  minuit  blanc  de  mercure. 

Et  qu'ils  redoutent  «es  révoltes. 

Et  qu'ils  supplient  pour  leurs  récoltes 

Plus  devant  lui  que  devant  Dieu. 

Par  la  campagne  en  grand  deuil  d'or. 
Où  vont  les  vieux  porter  leur  vœu  ? 


Le  Satan  d'or  des  champs  brûlés. 
Et  des  fermiers  ensorcelés 


LES    CAMPAGNBS    HALLUCINKES  Sy 

Qui  font  des  croix  de  la  main  gauche, 

Ce  soir,  dans  le  bois  d'ombre  et  de  feu  roug^ 
Sur  un  bloc  noir  qui  soudain  Loug«, 
Depuis  une  heure  est  accoudé. 

Lçs  vieux  ont  pu  l'apercevoir. 
Avec  des  yeux  dardés  vers  eux, 
D'entre  ses  cils  de  chardons  raorta. 

Ils  ont  senti  qu'il  écoutait 

Les  silences  de  leur  souhait 

Et  leur  prière  uniquement  pensée. 


Alors,  subitement. 

Avec  des  gestes  joints 

Tendus  vers  lui  de  loin. 

Pour  seule  offrande  et  seuls  indices 

En  un  grand  feu  de  branches  lisses. 

Ils  ont  jeté  un  chat  vivant. 


38  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 

La  bête,  les  pattes  pliées, 
Est  morte,  en  des  rag-es  liées. 

Après  —  vers  son  chaume  tanné 
De  vents  d'automne  et  de  grand  froid, 
Chacun,  par  un  chemin  à  soi, 
Sans  rien  savoir  est  retourné. 


LKS    CAUPAQNES    HALLUCINÉES  3^ 


CHANSON  DE  FOU 


Brisez-leur  pattes  et  vertèbres, 

Chassez  le»  rats,  les  rats. 

Et  puis  versez  du  froment  noir, 

Le  soir, 

Dans  les  ténèbres. 

Jadis,  lorsque  mon  cœur  cassa. 
Une  femme  le  ramassa 
Pour  le  donner  aux  rats. 

—  Brisez-leur  pattes  et  vertèl  rc» 


^O  LES    CAHPAONIS    UALLUCIMftBS 

Souvent  je  les  ai  vus  dans  l'âtre, 
Taches  d'encre  parmi  le  plâtre, 
Qui  g^rig-nottaient  ma  mort. 

—  Brisez-leur  pattes  et  vertèbres. 

L'un  deux,  je  l'ai  senti 
Grimper  sur  moi  la  nuit, 
Et  mordre  encor  le  fond  du  trou 
Que  fit,  dans  ma  poitrine, 
L'arrachement  de  mon  cœur  fou. 

—  Brisez-leur  pattes  et  vertèbres. 

Ma  tête  à  moi  les  vents  y  passent, 
Les  vents  qui  passent  sous  la  porte, 
¥a  les  rats  noirs  de  haut  en  bas 
Peuplent  ma  tête  rpiorte. 

—  Brisez-leur  pattes  et  vertèbre*. 
Car  persoDiM  ae  sait  plus  rica. 


UES    CAUPAGNES    UALLUaN£E8  4^ 


Et  qu'importent  le  mal,  le  bien, 

Les  rats,  les  rats  sont  là,  par  las. 

Dites,  verserez- vous,  ce  soir, 

Le  froment  noir, 

A  pleines  mains,  dans  les  ténèbres? 


^2  LES  Campagnes  hallucinées 


Les  fièvres 


La  plaine,  au  loin,  est  uniforme  et  morne 
El  l'étendue  est  veule  et  grise 
Et  Novembre  qui  se  précise 
Bat  Tinâni,  d'une  aile  grise. 

De  village  en  village,  un  vent  moisi 
Appose  aux  champs  sa  flétrissure; 
L'air  est  moite;  le  sol,  ainsi 
Que  pourriture  et  bouffissure. 

Sous  leurs  torchis  qui  se  lézardent, 
Les  chaumières,  là-bas,  regardent 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES  4^ 


Comme  des  bêtes  qui  ont  peur, 
Et  seuls  les  grands  oiseaux  d'espace 
Jettent  sur  les  chaumes  et  leur  /rajeur, 
Le  cri  des  ang-oisses  qui  passent. 

L'heure  est  venue  où  les  soirs  mous 

Pèsent  sur  les  terres  envenimées 

Où  les  marais  visqueux  et  blancs, 

Dans  leurs  remous, 

A  long-s  bras  lents. 

Brassent  les  fièvres  empoisonnées. 

Sur  les  étang-s  en  plates-bandes 
Les  fleurs,  comme  des  g-landes, 
Et  les  mousses    comme  des  viandes. 
S'étendent. 

Bosses  et  creux  et  stig-mates  d'ulcères, 
Quelques  saules  bordent  les  anses. 
Où  des  flottilles  de  viscères, 
A  la  surface,  se  balancent, 


Ixl^  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 


Parfois,  comme  un  hoquet, 
Un  flot  pâteux  mine  la  rive 
Et  la  g-laise,  comme  un  paquet, 
Tombe  dans  l'eau  de  bile  et  de  salive. 

L'étang'  s'apaise,  qui  remuait  ses  rides, 
Les  crapauds  noirs,  à  fleur  de  boue, 
Gonflent  leur  peau  et  leur  g-adoue. 
Et  la  lune  monstrueuse  préside  : 
Telle  l'hostie 
De  l'inertie. 

De  la  vase  profonde  et  jaune 

D'où  s'érig-ent,  longues  d'une  aune. 

Les  herbes  d'eaux  et  les  roseaux. 

Des  brouillards  lents  comme  des  traînes, 

Déplient  leur  flottement,  parmi  les  draines; 

On  les  peut  suivre,  à   travers  champs. 

Vers  les  chaumes  et  les  murs  blancs  ; 

Leurs  fils  subtils  de  pestilence 

Tissent  la  robe  de  silence, 

Guzc  verle,  tuile  blême. 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINEES  4^ 

Avec  laquelle,  au  loin,  la  fièvre  se  promène. 

La  fièvre, 

Elle  est  celle  qui  marche, 

Sournoisement,  courbée  en  arche, 

Et  personne  n'entend  son  pas. 

Si  la  poterne  des  fermes  ne  s'ouvre  pas, 

Si  la  fenêtre  est  close, 

Elle  pénètre  quand  même  et  se  repose, 

Sur  la  chaise  des  vieux  que  les  ans  ploient. 

Dans  les  berceaux  où  les  petits  larmoient 

El  quelquefois  elle  se  couche 

Aux  lits  profonds  où  Ton  fait  souche. 

Avec  ses  vieilles  mains  dans  l'âtre  encor  roug-eâtre. 

Elle  attise  les   maladies 

Non  éteintes,  quoique  eng-ourdies; 

Elle  se  mêle  au  pain  qu'on  mange 

A  l'eau  morne  changée  en  fang-e  ; 

Elle  monte  jusqu'aux  greniers, 

Dort  dans  les  sacs  et  les    paniers 

Et,  comme  une  impalpable  cendre. 

Sans  rien  voir,  on  sent  d'elle  la  mort  descendra. 


46  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 


Inutiles,  vœux  et  pèlerinag-es 

El  seins  où  l'on  abrite  les  petits 

Et  bras  en  croix  vers  les  images 

Des  bons  anges  et  des  vieux  Christs. 

Le  mal  hâve  s'est  installé  dans  la  demeure. 

Il  vient,  chaque  vesprée,  à  tel  moment 

Déchiqueter  la  plainte  et  le  tourment, 

Au  régulier  tic-tac  de  1  heure  ;    - 

Les  mendiants  n'arrivent  pl»s  souvent 

A  la  porte  ni  à  l'auvent 

Prier  qu'on  les  gare  du  froid, 

Les  moineaux  francs  quittent  le  toit, 

Et  l'horloge  surgit  déjà 

Celle,  debout,  qui  sonnera. 

Après  la  voix  éteinte  et  la  raison  finie, 

L'agonie. 

En  attendant,  les  mois  se  passent  à  languir. 
Les  malades  rapetisses 
Leurs  habits  lourds,  leurs  bras  cassés, 
Avec,  en  main,  leurs  chapelets, 


LBS    CAMPAGNES    UALLUUNéBS  4? 


Quittant  leur  lit,  s'y  recouchant, 
Fuyant  la  mort  et  la  cherchant, 
Bég-aient  et  vacillent  leurs  plaintes, 
Pauvres  lumières,  presque  éteintes. 

Ils  se  traînent  de  chaumière  en  chaumi^^e 

El  rl'âtre  en  âlre, 

Se  voir  et  doucement  s'apitoyer 

Sur  la  dîme  d'hommes  qu'il  faut  payer, 

Atrocement  à  leur  terre  marâtre  ; 

Des  silences  profonds  coupent  les  litanies 

De  leurs  misères  infinies  ; 

Et,  long-uement,  parfois,  ils  sereg-ardent 

Au  jour  douteux  de  la  fenêtre, 

Et  long-uement,.  avec  des  pleurs, 

Comme  s'ils  voulaient  se  reconnaître 

Lorsque  leurs  yeuT  seront  ailleurs. 

Ils  se  sentent  de  trop  autour  des  taLlcs 
Où  l'on  mang-e  rapidement 
Un  repas  pauvre  et  lamentable  ; 
Leur  cœur  se  serre  atrocement, 


48  LES    CAMPAGNES    BALLUCINËS8 

On  les  isole  et  les  botes  les  flairent 
Et  les  jurons  et  les  colères 
Volent  autour  de  leur  tourment. 

Aussi,  lorsque  la  nuit,  ne  donnant  ptts,  • 

Fis  s'ag-itenl  entre  leurs  draps, 

Songeant  qu'aux  alentours,  de  villag-e  en  village, 

Les  brouillards  blancs  sont  en  voyag-©, 

Voudraient-ils  ouvrir  la  porte 

Pour  que  d'un  coup  la  fièvre  les  emporte. 

Vers  les  étangs  en  plates-bandes 

Où  les  plantes  comme  des  glandea 

Et  les  mousses  comme  dee  viandet 

S'étendent, 

Où  s'écoute,  comme  un  hoquet. 

Va  flot  pâteux  minant  la  rive 

Où  leur  corps  mort,  comme  un  paquet. 

Choirait  dans  l'eau  de  bile  et  de  salive. 

Mais  la  lune,  là-bas,  préside, 
Telle  l'hostie 
De  l'inertie. 


Les    CAMPAUNES    HALLUCINisS  4^^ 


CHANSON  DE  FOU 


Celai  qui  n'4  rien  dit 

Est  mort,  le  cœur  muet» 

lorsque  la  oait 

Sonnait 

Ses  douze  coups 

Au  coeur  des  miouits  fous. 

—  Serrec-)e  vite  en  un  linceul  de  pftîlla. 
Les  poinf^  mmés,  et  qu'il  t'en  aille. 

Celui  qui  n'a  rien  dit 

M'a  pris  mon  ftme  ei  mon  esprit. 


Î)U  LES    CAMPAGNES    HALLUCINEES 

Il  a  sculpté  mon  crâne 

En  navet  creux,  dont  les  chandelles 

Sont  mes  prunelles. 

—  Nouez-le  donc,  notiez  le  mon, 
Rageusement,  en  son  linceul  de  paille. 

Celui  qui  n'a  rien  dit 
Dormait,  sous  le  rameau  bénit, 
Avec  sa  femme,  en  un  grand  lit, 
Quand  j'ai  tapé  comme  une  bêta 
Avec  une  pierre,  contre  sa  tôte. 

Derrière  le  mur  de  son  front 

Dallait  mon  cerveau  noir, 

Matin  et  soir,  je  l'entendais 

Et  le  voyais  qui  m'invoquait 

D'un  rythme  lourd  comme  un  hoquet  ; 

Il  se  plaignait  de  tant  souffrir 

El  d'être  là,  hors  de  moi-même,  et  d'y  pourrir 

Comme  les  loques  d'une  viande 

Peudue  au  clou,  au  fond  d'un  trou. 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINEES  6l 


Celui  qui  n'a  rien  dit,  même  des  yeux. 
Qu'on  lui  coupe  le  cœur  en  deux, 
Et  qu'il  s'en  aille 
En  son  linceul  de  paille. 

Que  sa  femme  qui  le  réclame 
Et  hurle  après  son  âme, 
Ainsi  qu'une  chienne,  la  nuit, 
Se  taise  ou  bien  s'en  aille  aussi 
Comme  servante  ou  bien  vassale. 
Moi  je  veux  être 
Le  maître 
D'une  cervelle  colossale. 

—  Nouez  le  mort  en  de  la  paille 
Comme  un  paquet  de  ronces; 
Et  qu'on  piétine  et  qu'on  travaille 
La  terre  où  il  s'enfonce. 

Je  suis  le  fou  des  longues  pl;iiuc% 
Infiniment,  que  bat  le  vcra 


fit  LBS   OAMPAONBS    EULLUCm^S 

A  grands  coups  d'ailes, 
Comme  les  peines  éternelles  ; 
Le  fou  qui  veut  rester  debout, 
Avec  sa  tête  jusqu'au  bout 
Des  temps  futurs,  où  Jésus-Christ 
Viendra  juger  l'âme  et  l'esprit. 
Comme  il  est  dit. 
Ainsi  soit^. 


USS   CAMPAGNES    BALLUCI>EB8 


LE  PÉCHÉ 


Sur  sa  butte  que  le  vent  gifle, 
Il  tourne  et  fauche  et  ronfle  et  siffle 
Le  vieux  moulin  des  péchés  vieux 
Et  des  forfait»  astucieux. 

Il  g"eint  des  pieds  jusqu'à  la  tête. 
Sur  fond  d'orag-e  et  de  tempête, 
Lorsque  l'automne  et  les  nuag-es 
Frôlent  son  toit  de  leurs  voyages. 

L'hiver,  quand  la  campagne  est  éborgnée, 
U  apparaît  une  araignée 


54  LES  CAlfPAGNES    HALLUCINÉES 

Colossale,  tissant  ses  toiles 
Jusqu'aux  étoiles.     . 

C'est  le  moulin  des  vieux  péchés. 

Qui  l'écoute,  parmi  les  routes, 
Entend  battre  le  cœur  du  diable, 
Dans  sa  carcasse  insatiable. 

Un  travail  d'ombre  et  de  ténèbres 
S'y  fait,  pendant  les  nuits  funèbres. 
Quand  la  lune  fendue 
Gît-là,  sur  le  carreau  de  l'eau, 
Comme  une  hostie  atrocement  mordue. 

C'est  le  moulin  de  la  ruine 

Qui  moud  le  mal  et  le  répand  aux  champs, 

Infini,  comme  une  bruine. 

Ceux  qui  sournoisement  écornent 

Ui  champ  voisin  en  déplaçant  les  bornes  ; 

Ceux  qui,  valets  d'autrui,  sèment  l'ivralo 


L&S    CAMPAGNES    UALLLCI>ÉKS.  55 

Au  lieu  (le  l'org-e  vraie; 

Ceux  qui  jettent  les  poisons  clairs  dans  l'eau 

Où  l'on  amène  le  troupeau  : 

Ceux  qui,  par  les  nuits  seules, 

En  brasiers  d'or  font  éclater  les  meules, 

Tous  passèrent  par  le  moulin 

Encore  : 

Les  conjureurs  de  sorts  et  les  sorcières 

Que  vont  trouver  les  filles-mères; 

Ceux  qui  cachent  dans  les  fourrés 

Leurs  ruts  et  leurs  spasmes  vociférés; 

Ceux  qui  n'aiment  la  chair  que  si  le  san;^ 

Gicle  aux  jeux,  frais  et  luisant; 

Ceux  qai  s'entr'égorg-enl,  à  couteaux  rouges, 

Volets  fermés,  au  fond  des  bouges; 

Ceux  qui  flairent  l'espace 

Avec,  entre  leurs  poings,  là  mort  pour  tel  qui  passe. 

Tous  passèrent  par  le  moulin. 

A  assi 


5Ô     •  LBS    CàUPAQNKS    HALLUCItlÉES 

Les  va^^bonds  qui  habitent  des  fosses 

Avec  leurs  filles  qu'ils  engrossent  ; 

Les  fous  qui  choisissent  des  botes 

Pour  assouvir  leur  rut  et  ses  tempêtes; 

Les  mendiants  qui  déterrent  les  mortes 

Kag^eusement  et  les  emportent;  ' 

Les  couples  noirs,  pervers  et  vieux, 

Qui  instruisent  l'enfanta  coucher  entre  eux  deux" 

Tous  passèrent  par  le  moulin. 

Enfin  : 

Ceux  qui  font  de  leur  cœur  l'usine, 
Où  fermente  l'envie  et  cuve  la  lésine; 
Ceux  qui  dorment,  sans  autre  vœu, 
Avec  leurs  sous,  comme  avec  Dieu  ; 
Ceux  qui  projettent  leurs  prières, 
Croix  à  rebours  et  paroles  contraires  ; 
Ceux  qui  cherchent  un  tel  blasphème 
Que  descendrait  ver»  eux  Satan  lui-niênïe; 
Tous  passèrent  par  le  moulin. 


LBS    CÂMPAGnXS    HALXUCJNiBS  87 

Ils  sont  Tenus  sournoisement, 

Choisissant  l'heure  et  le  moment. 

Les  uns  lents  et  chenus 

Et  les  autres  mâles  et  fermes. 

Avec  le  sac  au  dos. 

Ils  sont  venus  des  bourg's  perdus 

Gagnant  les  bois,  tournant  les  fermes, 

Les  vieux,  carcasses  d'os, 

Mais  les  jeunes,  drapeaux  de  force. 

Par  des  chemins  rugueux  comme  une  écorce. 

Ils  sont  montés  —  et  quand  ils  sont  redesceadus. 

Arec  leurs  chiens  et  leurs  brouettes 

Et  leurs  ânes  et  leurs  charrettes, 

Chargés  de  farine  ou  de  grain, 

Par  groupes  noirs  de  pèlerins, 

Les  grand'routes  charriaieni  toutes. 

Infiniment,  comme  des  veines, 

Le  sang  du  mal  parmi  les  plaines, 

Pa  le  moulin  tournait  au  fond  des  soirs, 
La  croix  grande  de  ses  bras  noirs. 
Avec  des  feux,  comme  des  jeux, 


58  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 

Dans  l'orbite  de  ses  lucarnes 

Dont  les  rayons  gag-naient  les  loins. 

Parfois,  s'illuminaient  des  coins, 

Là-bas,  dans  la  campag-ne  morne 

Et  l'on  voyait  les  porteurs  g-ourds, 

Ployant  au  faix  des  péchés  lourds, 

Hag-ards  et  las,  buter  de  borne  en  borno. 

Et  le  moulin  ardent, 

Sur  sa  butte,  comme  une  dent, 

Alors,  mêlait  et  accordait 

Son  g-iroiement  de  voiles 

Au  rythme  même  des  étoiles 

Qui  tournoyaient,  par  les  nuits  seule». 

Fatalement,  comme  ses  meules. 


Li  S    CAHPAGNES    HALLUCmiU  5^ 


CHANSON  DE  FOU 


Vous  aurez  beau  crier  contre  la  terre, 

La  bouche  dans  le  fossé, 

Jamais  aucun  des  trépassés 

Ne  répondra  à  vos  clameurs  amères. 

Ils  sont  bien  morts,  les  morts, 
Ceux  qui  firent  ja. lis  la  campagne  féconde; 
Ils  font  l'immense  entassement  de  morts 
Qui  pourrissent,  aux  quatre  coins  du  monde. 
Les  morts. 


Ain 


OO  LfiS    CÀMPAOItBB    HALLUCINÉES 


Les  champs  étaient  maîtres  des  villes 

Le  même  esprit  servile 

Ployait  partout  les  fronts  et  les  échines, 

Et  nul  encor  ne  pouvait  voir 

Dressés,  au  fond  du  soir, 

Les  bras  hag-ards  et  formidables  des  mackiaes. 

Vous  aurez  beau  crier  contre  la  terre, 

La  bouche  dans  le  fossé  : 

Ceux  qui  jadis  étaient  les  trépassés 

Sont  aujourd'hui,  jusqu'au  fond  de  la  terre. 

Les  morts. 


us    CAMHaOMKS    HALLUCl.NéES  ôl 


LES  MENDIANTS 


Les  jours  d'hiver  quand  le  froid  serre 
Les  bourgs,  le  clos,  le  bois,  la  fag-ne, 
Poteaux  de  haine  et  de  misère. 
Par  l'infîni  de  la  campagne. 
Les  mendiants  ont  l'air  de  fous. 

Dans  le  matin,  lourds  de  leur  nuit, 

Ils  s'enfoncent  au  creux  des  routes, 

Avec  leur  pain  trempé  de  pluie 

Et  leur  chapeau  comme  la  suie 

Et  leurs  grands  dos  comrpe  des  voûtes 

Et  leurs  pas  leota  rythmant  l'ennui  ; 


Ci  LES    CAMPAGNES    BALLUGINÂi^S 


Miili  les  arrête  dans  les  fossés 
Malclassés  de  feuilles,  pour  leur  sieste; 
Us  sont  les  éleruellemenl  lassés 
De  leur  prière  et  de  leur  geste, 
Si  bien  qu'au  seuil  des  fermes  solitaire» 
Ils  apparaissent,  tels  des  filous, 
Le  soir,  dans  la  brusque  lumière 
D'une  porte  ouverte  tout  à  coup. 

Les  mendiants  ont  l'air  de  fous. 

Ils  s'avancent,  par  l'âprete 

El  la  stérilité  du  paysag^e, 

Qu'ils  reflètent,  au  fond  des  yeux 

Tristes  de  leur  visag-e  ; 

Avec  leurs  bardes  et  leurs  loques 

El  leur  marcbe  qui  les  disloque, 

L'été,  parmi  les  cbamps  nouveaux, 

Us  épouvantent  les  oiseaux; 

Et  maintenant  que  décembre  sur  les  bruyère» 

S'acbarne  et  mord 

Et  gèle,  au  fond  des  bières 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINEES  63 


Du  cimetière, 

Les  morts, 

Un  à  un,  ils  s'immobilisent 

Sur  des  chemins  d'ég-lise, 

Mornes,  têtus  et  droits, 

Les  mendiants,  comme  des  croix. 

Les  mendiants  ont  l'air  de  fous. 

Avec  leur  dos  comme  un  fardeau 
El  leur  chapeau  comme  la  suie, 
Us  habitent  les  carrefours 
Du  vent  et  de  la  pluie. 

Ils  sont  le  monotone  pas 
—  Celui  qui  vient  et  qui  s'en  va 
Toujours  le  même  et  jamais  las  — 
De  l'horizon  vers  l'horizon. 

Us  sont  les  béquillants, 
Les  chavirés  et  les  bancroches; 
•  £l  leurs  bâtons  sont  les  battante 


64  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉi.3 


Des  cloches  de  misère 

Qui  sonnent  à  mort  sur  la  terre. 

Ils  sont  les  éternels  stig-niatisés     ■ 
Par  la  pitié  et  les  miséricordes 
Les  épuisés  et  les  usés 
D'âme  et  de  corps 
Jusqu'à  la  corde. 

Aussi,  lorsqu'ils  tombent  enfin, 

Séchés  de  soif,  troués  de  faim, 

Et  se  terrent  comme  des  loups. 

Le  soir, 

Au  fond  d'un  trou, 

Le  désespoir 

Plus  vieux  que  n'est  la  mer 

Se  fixe  en  leurs  g-rands  yeux  ouverts. 

Et  ceux  qui  viennent 

Après  les  besog-nes  quotidiennes, 
Ensevelir  à  la  hâte  leur  corps 


LBS    CAMPAGNES    HALLUCINEES  65 


Ont  peur  de  regarder  en  face 

L'éternelle  menace 

Qui  luit  sous  leur  paupière,  encor. 


66  LES    CAMPAGNES    IIALLUCINéES 


LA  KERMESSE 


Avec  colère,  avec  détresse, 
Avec  ses  refrains  de  quadrilles, 
Qui  sautèlenl  sur  leurs  béquilles, 
L'org-ue  cauaille  el  lourd, 
Au  fond  du  bourg-, 
Moud  la  kermesse. 

Quelques  étals,  au  coin  desbornea. 
Et  quelques  vieilles  g-ens, 
Au  seuil  d'un  portail  morne. 

Et  quelques  couples  seuls  qui  se  hasardent, 


LES    CAMPAGNES    OAI.r.UCINÉES  67 

Les  gars  braillards  et  les  filles  hag-ardos, 
Alors  qu'au  cimetière  deux  corbeaux, 
Sur  les  tombeaux, 
Regardent. 

Avec  colère,  avec  détresse,  avec  blasphème. 
Mais,  vers  la  fête 
Quand  même. 
L'orgue  s'entête. 

Sa  musique  de  tintamarres 

Se  casse,  en  des  bagarres 

De  cuivre  vert  et  de  fer  blanc, 

Et  crie  et  g-rince  dans  le  vide, 

Obstinément, 

Sa  note  acide. 

Sur  la  place,  l'ég-lise, 

Sous  le  cercueil  de  ses  grands  toi  ta 

Et  les  linceuls  de  ses  murs  droit*. 

Tait  les  reproches 

Solennels  de  ses  cloches; 


Ç8  I.K8    CAMPAGNES    HALLUCINÊKS 


Un  charlatan,  sur  un  tréteau, 

Pantalon  roug-e  et  vert  manteau, 

Vend  à  grands  cris  la  vie  ; 

Puis  échange,  contre  des  sous, 

Son  remède  pour  loups  garous 

El  l'histoipe  de  point  en  point  suivie , 

Sur  sa  pancarte. 

D'un  bossu  noir  qu'il  délivra  de  fièvre  quarte. 

Et  l'orgue  rage 

Son  quadrille  sauvaje. 

Et  personne,  des  hameaux  proches, 

N'est  accouru  ; 

Videis  jes  étables  —  vides  les  poche», 

Et  rien  que  la  mort  et  la  faim 

Dont  se  peuple  l'armoire  à  pain  ; 

Dans  la  misère  qui  les  soude 

On  sent  que  les  hameaux  se  boudent» 

Qu'entre  filles  et  gars  d'amour 

La  pauvreté  découd  les  alliances 

Et  que  les  jours  suivant  les  jours 


L£8    CAMPAGNES    HALLUCINÉES  69 

Chacun  des  bourg-s 

Fait  son  silence  avec  ses  défiances. 

L'org"ue  grinçant  et  faux, 
Dans  son  armoire 
D'architecture  ostentatoire, 
Criaille  un  bruit  de  faux 
Et  de  cisailles. 

Dans  la  salle  de  plâtre  cru, 

Où  ses  cris  tors  et  discors,  dm. 

Contre  des  murs  de  lattes 

Eclatent, 

Des  colonnes  de  verre  et  de  jouants  bâtons 

— Clinquant  et  or  —  tournent  sur  son  fronton; 

Et  les  concassants  bruits  des  cors  et  de-s  trompettes 

El  les  fifres,  tels  des  forets, 

Cinglent  et  trouent  le  cabaret 

De  leurs  tempêtes 

Et  vont  là-bas 

Contre  un  pig-non,  avec  fracas, 

Broyer  l'écho  de  la  grand'rue. 


-jn  LES    CAMPAGNES    i«ALLUCINÉE8 


Et  l'orgue  avec  sa  rag-e 
S'ameute  une  dernière  fois  et  rue 
Des  quatre  fers  de  son  tn[i.ii3;'c 
Jusqu'aux  lointains  des  champs, 
Jusqu'aux  routes,  jusqu'aux  étang-s, 
Jusqu'aux  jachères  de  méteil. 
Jusqu'au  soleil  ; 

Et  seuls  dansent  aux  carrefours, 
Jupons  gonflés  et  sabots  lourds, 
Deux  pauvres  fous  avec  deux  follea. 


LES    CAMPAGNES    IlALLUCINtES  7! 


CHANSON  DE  FOU 


Je  suis  celui  qui  vaticioe 
Comme  les  tours  tocsinnent. 

J'ai  vu  passer  à  travers  champs 

Trois  linceuls  blancs 

Qui  s'avançaient,  comme  des  g^cas. 

Ils  portaient  des  torches  ig-nées, 
Des  faux  blanches  et  des  cognées. 

Peu  importe  l'homme  qu'on  soit. 
Moi  seul  je  vois 


LES    CAMPAONKS    aALlA;CINÊES 


Les  maux  qui  dans  les  deux  flamboient. 

Le  sol  et  les  germes  sont  condamnés, 

—  Vœux  et  larmes  sont  superflus  — 

Bientôt, 

Les  corbeaux  noirs  n'en  voudront  plus 

Ni  la  taupe  ni  le  mulot. 

Je  suis  celui  qui  vaticine 
Comme  les  tours  tocsinnent. 

Les  fruits  des  espaliers  se  tuméfient; 
Dans  les  feuillages  noirs, 
Les  pousses  jeunes  s'atrophient  ; 
L'herbe  se  brûle  et  les  germoirs, 
Subitement,  fermentent; 
'  Le  soleil  ment,  les  saisons  mentent, 
Le  soir,  sur  les  plaines  envenimée», 
C'est  un  vol  d'ailes  allumées 
De  soufl're  roux  et  de  fumées. 

J'ai  vu  des  linceuls  blancs 


LKS    CAMPAONSS    HALLUCINEES 


Entrer,  comme  des  gens, 

Qu'un  même  vouloir  coalisé, 

L'un  après  l'autre,  dans  1  église, 

Ceux  qui  priaient  au  chœur, 

Manquant  de  force  et  de  ferveur 

Les  mains  lâches  s'en  sont  allés. 

Et  depuis  lors  moi  seul  j'entends 

Baller 

La  nuit,  le  jour,  toujours, 

La  fête 

Des  tocsins  fous  contre  ma  tête. 

Je  suis  celui  qiii  vaticine 
Ce  que  les  tours  tocsinnent. 

Au  long  des  soirs  et  des  années, 

Les  fronts  et  les  bras  obstinés 

Se  buteront  en  vain  aux  destinées, 

Irrémissiblement, 

Le  sol  et  les  germes  sont  damnés. 

Dire  le  temps  que  durera  leur  mort? 


y4  LES  CAMPAGNES  UALLUCINÉES 

Et  si  l'heure  résurg-ira 

Où  le  vrai  pain  vaudra, 

Sous  les  cieux  purs  de  la  vieille  nature, 

L'antique  efiFort? 

Mais  il  ne  faut  jamais  conclure. 

En  attendant  voici  que  passent 
A  travers  champs, 
D'autres  linceuls  vides  et  blancs 
Qui  se  parlent  comme  des  g-cns. 


LE»    CAMPAGNES    UALLÙcIN^ES  ^5 


LE  FLÉAU 


La  Mort  a  bu  du  sang 

Au  cabaret  des  Trois  Cercueils. 

La  Mort  a  mis  sur  le  comptoir 

Un  écu  noir, 

«  C'est  pour  les  cierges  et  pour  les  deuils.  » 

Des  gens  s'en  sont  allés 
Tout  lentement 
Chercher  le  sacrement. 

On  a  vu  cheminer  le  prêtre 


-5  LES   CAMPACNtS    UALLUCIWÉBS 


Et  les  enfants  de  chœur, 

Vers  les  malsons  de  l'affre  et  du  malheur 

Dont  on  fermait  les  tragiques  fenêtres. 

La  Mort  a  bu  du  »ang. 
Elle  en  Qst  soûle. 

a  Notre  Mère  la  Mort,  pitié  I  pitié  1 

Ne  bois  ton  verre  qu'à  moitié, 

Notre  Mère  la  Mort,  c'est  nous  les  mèrca. 

C'est  nous  les  vieilles  à  manteaux, 

Avec  leurs  cœurs  en  ex-votbs, 

Qui  marmonnons  du  désespoir 

En  chapelets  interminables  ; 

Notre  Mère  de  la  Mort  et  du  «soir, 

C'est  nous  les  béquillàntes  et  minables 

Vieilles,  tannées 

Par  la  douleur  et  les  années  : 

Nos  corps  sont  prêts  pour  tes  tombeaux, 

Nos  seins  sont  prêts  pour  tes  couteaux.  » 

—  La  Mort,  dites,  les  bonnes  g-ens, 


LES   CAMPAGNES    HALLUCINEES  77 

La  Mort  est  soûle  : 
Sa  tête  oscille  et  roule 
Gomme  une  boule. 

I^  Mort  a  bu  du  sang 
Comme  un  vin  frais. et  bienfaisant; 
Il  coule  doux  aux  joints  de  la  cuirasse 
De  sa  carcasse. 

La  Mort  a  mis  sur  le  comptoir 
Un  écu  noir. 

Elle  en  vo   ira  pour  ses  arg-ents 
Au  cabaret  des  pauvres  gens. 

«  Notre-Dame  la  Mort,  c*est  nous  les  vieux  d      "^^  ^rt  s 

Tumultuaires, 

Tronçons  mornes  et  terribles  entaille* 

De  la  forêt  des  victoires  et  des  batailles» 

Notre-Dame  des  drapeaux  noirs 

Et  des  débâcles  dans  les  soirs, 

Notre-Dame  des  glaives  et  des  balles 

Et  des  crosses  coutre  les  dalles, 


7^  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 

Toi.  noire  vicrg-e  cl  noire  org-iieil, 

Toujours  si  fière  cl  si  droite,  au  seuil 

De  l'horizon  lonnanl  de  nos  grands  rêves; 

Nolro-Dame  la  Morl,  loi,  qui  le  lèves, 

Au  Lallanl  de  nos  lambours, 

Obéissante  —  el  qui,  loujours. 

Nous  fus  belle  d'audace  el  de  courag-e, 

Notre-Dame  la  Morl,  cesse  la  rage, 

El  daigne  enfin  nous  voir  et  nous  entendre 

Puisqu'ils  n'ont  point  appris,  nos  fils,  à  se  dcfemlre.   « 

—  La  Morl,  dites,  les  vieux  verbeux, 

La  Mort  est  soûle. 

Comme  un  flacon  qui  roule 

Sur  la  pcnle  des  chemins  creux. 

La  Mort  n'a  pas  besoin 

De  votre  morl  au  bout  du  monde. 

C'est  au  pa^'s  qu'elle  enfonce  la  bon.îe 

Du  tonneau  rouge. 

La  Mort  csl  bien  assise,  au  seuil 

Du  Cabaret  des  Trois  Cercueils, 

Elieexècre  s'en  aller  loin. 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES  79 

Sous  les  hasards  des  étendards. 

«  Dame  la  Morl,  c'esl  moi  la  Sainte  Vierg« 

Qui  viens  en  robe  d'or  chez  vous, 

Vous  supplier  à  deux  g-enoux 

D'avoir  pitié  des  g^ens  de  mon  rillage. 

Dame  la  Mort,  c'est  moi,  la  Sainte  Vicrg'e, 

De  l'ex-voto,  près  de  la  berge, 

C'est  moi  qui  fus  de  mes  pleurs  inondée 

Au  Golgotha,  dans  la  Judée, 

Sous  Hérode,  voici  mille  ans. 

Dame  la  Mort,  c'est  moi,  la  Sainte  Vierge 

Qui  fis  promesse  aux  gens  d'ici 

D'aller  toujours  crier  merci 

Dans  leurs  détresses  et  leurs  peines  ; 

Dame  la  Mort,  c'est  moi  la  Sainte  Vierge.  » 

—  La  Mort,  dites,  la  bonne  Dame, 
Se  sent  au  cœur  comme  une  flamme 
Qui,  de  là,  monte  à  son  cerveau. 
La  Mort  a  soif  de  sang  nouveau, 


8o  LB8   CAMPAQNES  BALLUCINésfl 


La  Mort  est  soûle, 

Tin  seul  désir  comme  une  houle. 

Remplit  sa  brumeuse  pensée. 

La  Mort  n'est  4)oint  celle  qu'on  éconduit 

Avec  un  peu  de  prière  et  de  bruit, 

Lu  Mort  s'est  lentement  lassée 

Des  bras  tendus  en  désespoirs, 

Bonne  Vierg-e  des  reposoire, 

La  Mort  est  soûle 

Et  sa  fureur,  hors  des  ornîèras. 

Par  les  chemins  des  cimetières. 

Bondit  et  roule 

Gomme  une  boule. 

—  «  La  Mort,  c'est  moi,  Jésus,  le  Roi, 

Qui  te  fis  grande  ainsi  que  moi 

Pour  que  s'accomplisse  la  loi 

Des  choses  en  ce  monde. 

La  Mort,  je  suis  la  manne  d'or 

Qui  s'éparpille  du  Thabor 

Divinement,  jusqu'aux  confins  du  monda. 

Je  suis  celui  qui  fus  pasteur, 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINEES 


Chez  les  humbles,  pour  le  Seig-neur; 
Mes  mains  de  gloire  et  de  splendeur 
Ont  rayonné  sur  la  douleur, 
La  Mort,  je  suis  la  paix  du  monde.  » 

—  La  Mort,  dites,  le  Seigneur  Dieu, 
Est  assise,  près  d'un  bon  feu, 
Dans  une  auberge  oi  le  vin  coule 
Et  n'entend  rien,  tant  elle  est  soûle. 

Elle  a  sa  faux  et  Dieu  a  son  tonnerre. 

En  attendant,  elle  aime  à  boire  et  le  fait  voir 

A  quiconque  voudrait  s'asseoir, 

Côte  à  côte,  devant  un  verre. 

*Jé3u»,  les  temps  sont  vieux, 
Et  chacun  boit  comme  il  le  peut 
Et  qu'importent  les  vêtements  sordides 
Lorsque  le  sang  nous  fait  les  dents  spleadid^s. 

Et  la  Mort  s'est  mise  à  boire,  les  pieds  au  feu  ; 
Elle  a  même  laissé  s'en  aller  Dieu 


8a  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 


Sans  se  lever  sur  son  passage  ; 

Si  bien  que  ceux  qui  la  voyaient  assise 

Ont  cru  leur  âme  compromise. 

Durant  des  jours  et  puis  des  jours  encor,  la  Mort 

A  fait  des  dettes  et  des  deuils. 

Au  cabaret  des  Trois  Cercueils; 

Puis,  un  matin,  elle  a  ferré  son  cbeval  d'os, 

Mis  son  bissac  au  creux  du  dos 

Pour  s'en  aller  à  travers  la  campagne. 

De  chaque  bourg  et  de  chaque  village, 

Les  gens  étaient  venus  vers  elle  avec  du  vin. 

Pour  qu'elle  n'eût  ni  soif   ni  faim. 

Et  ne  fît  halte  au  coin  des  routes; 

Les  vieux  portaient  de  la  viande  et  du  pain, 

Les  femmes  des  paniers  et  des  corbeilles 

Et  les  fruits  clairs  de  leur  verger. 

Et  les  enfants  portaient  des  miels  d'abeilles. 

La  Mort  a  cheminé  longtemps, 
Par  le  pays  des  pauvres  gens, 
Sans  trop  vouloir,  sans  trop  songer^ 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES  83 

La  tête  soûle 
Comme  une  boule. 

Elle  portait  une  loque  de  manteau  roux, 

Avec  de  grands  boutons  de  veste  militaire, 

Un  bicorne  piqué  d'un  plumet  réfractaire 

Et  des  bottes  jusqu'aux  e^enoui. 

Sa  carcasse  de  cheval  blanc 

Cassait  un  vieux  petit  trot  lent 

De  bête  ayant  la  g-outte 

Sur  les  pierres  de  la  grand'  route; 

Et  les  foules  suivaient  vers  n'importe  où, 

Le  grand  squelette  aimable  et  soûl 

Qui  trimballait  sur  son  cheval  bonhomme 

L'épouvante  de  sa  personne 

Jusqu'aux  lointains  de  peur  et  de  panique. 

Sans  éprouver  l'horreur  de  son  odeur 

Ni  voir  danser,  sous  un  repli  de  sa  tunique. 

Le  trousseau  de  vers  blancs  qui  lui  téî aient  le  cœur. 


84  'KS    CAMFAGNIi^S    HALLUCINÉSa 


CHANSON  DE  FOU 


Les  rats  du  cimetière  proche, 
Midi  sonnant, 
Bourdonnent  dans  la  cloche. 

Ils  ont  mordu  le  cœur  des  morts 
El  s'engraissent  de  ses  remords. 

Ils  dévorent  le  ver  qui  mang-e  tout 
Et  leur  faim  dure  jusqu'au  bout. 

Ce  sont  des  rats 
Mangeant  le  monde 


LXB    CAMPAGNES    HALLUCl.NÉKS  85 


D«  h«i!t  QQ  bat. 

L'ég-liseT  —  elle  était  large  et  solennelle 
Avec  la  foi  des  paurres  gens  en  elle, 
Et  la  voici  anéantie 
Depuis  qu'ils  ont,  les  rats, 
Mangé  l'hostie. 

Les  blocs  de  granit  se  déchaussent 

Les  niches  d'or  comme  des  fosses 

S'enlr'ouvrent  vides; 

Toute  la  gloire  évocatoire 

Tombe  des  hauts  piliers  et  des  absides 

A  bas. 

Les  rats, 

Ils  ont  rongé  le*  auréoles  bénévoles, 

Les  jointes  mains 

De  la  crovance  aux  lendemains. 

Les  tendresses  mystiques 

Au  fond  des  yeux  des  extatiques 

Et  les  lèvres  de  la  prière 


S6  LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES 

En  baisers  d'or  sur  les  bouches  de  la  misère; 

Les  rats, 

Ils  ont  rongé  des  bourgs  entiers 

De  haut  en  tas, 

Comme  un  g-fenier. 

Aussi 

Que  maintenant  s'en  aillent 

Les  tocsins  fous  ou  les  sonnailles 

Criant  pitié,  criant  merci, 

Hurlant,  par  au  delà  des  toits, 

Jusqu'aux  échos  qui  meuglent, 

Nul  plus  n'entend  et  personne  ne  voit  : 

Puisqu'elle  est  l'âme  des  champs, 

Pour  bien  longtemps. 

Aveugle. 

Et  les  seuls  rats  du  cimetière  proche, 
A  r Angélus  hoquetant  et  tintant, 
Cau.>eui  avec  la  cloche. 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINÉES  87 


LE  DEPART 


Avec  leur  chat,  avec  leur  chien, 
Avec,  pour  vivre,  quel  moyen? 
S'en  vont,  le  soir,  par  la  grand'route, 
Les  gens  d'ici,  buveurs  de  pluie, 
Lécheurs  de  vent,  fumeurs  de  brume 

Les  g-ens  d'ici  n'ont  rien  de  rien, 

Rien  devers  eux 

Que  l'infini,  ce  soir,  de  la  grand'routo. 

Chacun  porte  au  bout  d'une  g^ule, 
En  un  mouchoir  à  carreaux  bleus, 


SB  LES   CÀlf^AGNIB   HÀLLUCINisS 

Chacun  porte  dans  un  mouchoir, 
Chang-eant  de  main,  chang-eant  d'épaule, 
Chacun  porte 
Le  linge  usé  de  son  eepoir. 

Les  g'ens  s'en  vont,  les  gens  d'ici, 
Par  la  grand'route  à  rinfini. 

L'auberg-e  est  là,  près  du  bois  nu,. 
L'auberge  est  là  de  l'inconnu  ; 
Sur  ses  dalles,  les  rats  trimballent 
Et  les  souris. 

L'auberge,  au  corn  des  bois  moisi», 
Grelotte,  avec  ses  murs  mangés, 
Avec  son  toit  comme  une  teigne. 
Avec  le  bras  de  son  enseigne 
Qui  tend  au  vent  un  os  rongé. 

Les  gens  d'ici  sont  gens  de  peur  : 
Ils  font  des  croix  sur  leur  malheur 
Et  tremblent  ; 


LES    CAMPAGNES    HALLUCINSEB  8g 

Les  gens  d'ici  ont  dans  leur  âme 

Deux  tisons  noirs,  mais  point  de  flamme, 

Deux  tisons  noirs  en  croix. 

Par  l'infini  du  soir,  sur  la  grand'roule. 
Voici  venir  les  ricochets  des  cloches 
Là-bas,  au  carrefour  des  bois. 

C'est  les  madones  des  chapelles 

Qui,  pareilles  à  des  oiseaux  au  loin  perdus, 

Rappellent. 

Les  gens  d'ici  sont  gens  de  peur, 
Car  leurs  vierges  n'ont  plus  de  cierges 
Et  leur  encens  n'a  plus  d'odeur  : 
Seules,  en  des  niches  désertes. 
Quelques  roses  tombent  inertes 
Sur  une  image  en  plâtre  peint. 

Les  gens  d'ici  ont  peur  de  l'ombre   sur  leurs  champs. 
De  la  lune  sur  leurs  étangs, 
D'un  oiseau  mort  contre  une  porte  ; 


^  LU    CAMPAQNES    HALLUCINEES 

Les  gens  d'ici  ont  peur  des  g-ens. 

Les  gens  d'ici  sont  malhabiles, 
La  tète  iente  et  les  vouloirs  débiles 
Quoique  tannés  d'entêtement, 
l\%  sont  ladres,  ils  sont  minimes 
El  s'ils  comptent  c'est  par  centimes, 
Péniblement,  leur  dénûment. 

Leur  récolte,  depuis  des  chapelets  d'années, 
S'égrena  morne  en  leurs  grang-es  minées  ; 
Leurs  socs  taillèrent  les  cailloux. 
Férocement,  des  terrains  roux  ; 
Leurs  dents  s'acharnèrent  contre  la  terre 
A  la  mordre,  jusqu'au  cœur  même. 

Avec  leur  chat,  avec  leur  chien, 
Avec  l'oiseau  dans  une  cag-e, 
Avec,  pour  vivre,  un  seul  moyen 
Boire  son  mal,  taire  sa  rag-e; 
Les  pieds  usés,  le  cœur  moisi, 
Les  gens  d'ici, 


L««    CAMPAGNES    HALLUCIN^RS  QT 

Quittant  leur  g-îte  et  leur  pays, 

S'en  vont,  ce  soir,  par  les  routes,  à  l'infini. 

Les  mères  traînent  à  leurs  jupes 
Leur  trousseau  long  d'enfants  bêlants, 
Brinqueballés,  brinqueballants  ; 
Les  yeux  clig-nant  des  vieux  s'occupent 
A  refixer,  une  dernière  fois, 
Leur  coin  de  terre  morte  et  grise. 
Où  mord  la  lèpre  comme  la  bise 
Où  mord  la  rog-ne  comme  les  froids. 
Suivent  les  g-ars  des  bordes, 
Les  bras  usés  comme  des  cordes, 
Sans  plus  d'orgueil,  sans  môme  plus 
Un  seul  élan  vers  les  temps  révolus 
Et  le  bonheur  des  autrefois,  • 

Sans  plus  la  force  en  leurs  dix  doigts 
De  se  serrer  en  poing-s  contre  le  sort 
Et  la  colère  de  la  mort. 

Les  g'ens  des  champs,  les  g-ens  d'ici 
Ont  du  malheur  à  l'infini. 


■93 


LES   CAMPAGNBS    HALLUaNÉBS 


Leurs  brouettes  et  leurs  charrettes 

Brinqueballent  aussi, 

Cassant,  depuis  le  jour  levé, 

Les  os  pointus  du  vieux  pavé  : 

Quelques-unes,  plus  grêlés  que  squelettes, 

Entrechoquent  des  amulettes 

A  leurs  brancards, 

D'autres  grincent,  les  ais  criards, 

Comme  les  seaux  dans  les  citernes 

D'autres  portent  de  yieillottes  lanternes, 

D'autres  apparaissent,  comme  les  proues 

De  vieux  bateaux cassr,  —  et  leurs  deux  roues, 

Où  l'on  sculpta  jadis  le  zodiaque, 

Semblent  rouler  le  monde  entier  dan»  leur  baraquo* 


Les  chevaux  las  ballent  au  pas 
Le  vieux  lattis  de  leur  carcasse  ; 
Le  conducteur  s'ag-ite  et  se  tracasse, 
Comme  un  moulin  qui  serait  fou. 
Lançant  parfois  vers  n'importe  où, 
Dans  les  espaces, 


LB8    CAMPAGNES    UALLL  C1.X£K8  g3 

Une  pierre  lasse 

Aux  corbeaux  noirs  du  sort  qui  passe. 

Les  g"ens  d'ici 

Ont  «lu  malheur  —  et  sont  soumis. 

Et  les  troupeaux  roches  et  maigres, 

Par  les  chemins  râpés  et  par  les  sablons  eigree, 

Ég-alement  sont  les  chassés, 

Aux  coups  de  fouet  inépuisés 

Des  famines  qui  exterminent  : 

Moutons  dont  la  fatigue  à  tout  caillstu  ricoche, 

Bœufs  qui  meuglent  vers  la  mort  proche, 

Vaches  hydropiques  et  lourdes 

Aux  pis  vides  comme  des  gourdes 

Et  les  ânes,  avec  la  mort  crucifié» 

Sur  leurs  côtes  scarifiées. 

Ainsi  s'en  vont  bêtes  et  g-ens  d'ici. 
Par  le  chemin  de  ronde, 
Qui  fait  dans  la  détresse  et  dans  la  nuit. 
Immensément,  le  tour  du  monde. 


94  LES   CAMPAGNES    HALLUCINÉES 

Venant,  dites,  de  quels  lointains, 

Par  à  travers  les  vieux  djslins, 

Passant  les  bourg-s  et  les  bruyères, 

Avec,  pour  seul  repos,  l'herbe  des  cimelicics, 

Allant,  roulant,  faisant  des  nœuds 

De  chemins  noirs  et  tortueux, 

Hiver,  automne,  été,  printemps, 

Toujours  lassés,  toujours  partant 

De  l'infini  pour  l'infini. 

Tandis  qu'au  loin,  là  bas, 

Sous  les  cieux  lourds  fulig-ineux  et  gras. 

Avec  son  front  comme  un  Thabor, 

Avec  ses  suçoirs  noirs  et  ses  roug-es  haleines 

Hallucinant  et  attirant  les  g'ens  des  plaines, 

C'est  la  ville  que  le  jour  plombe  et  que  la  nuit  éclaire 

La  ville  en  plâtre,  en  stuc,  en  bois,  en  mai-bre,  en  fer,  en  or, 

—  Tentaculaire. 


LA  BÊCHE 


A  l'orient  du  pré,  dans  le  sol  rêche 

Est  là,  pour  à  toujours,  qui  grelotte,  la  bêche 

Lamentable  et  nue  ; 

Sous  le  ciel  sec,  la  terre  sèche  ; 

Et  rien,  sinon  la  maigre  bêche, 

Latle  de  bois  mort,  latte  de  bois  nu. 

—  Fais  une  croix  sur  le  sol  jaune 

Avec  la  longue  main, 

Toi  gui  t'en  vas,  par  le  chemin  — 

La  chaumière  dliumidité  verdàlre 


LBS   CAMPAGNES    HALLUCINEES 


El  ses  deux  tilleuls  foudroyés 

Et  des  cendres  dans  Câtre 

Et  sur  le  mur  encor  le  piédestal  de  olâtre, 

Mais  la  Vierge  tombée  à  terre. 

—  Fais  une  croix  vers  les  chaumières 

Avec  ta  longue  main  de  paix  et  de  lumière  — 

Des  crapauds  morts  dans  les  ornières  in^nies 

Et  des  poissons  dans  les  roseaux 

Et  puis  an  cri  toujours  plus  pauvre  et  lent  d'oiseau^ 

Infiniment,  là-bas,  un  cri  à  l'agonie. 

—  Fais  une  croix  avec  ta  main 
Pitoyable^  sur  le  chemin  — 

Aux  verrous  rouilles  des  é tables, 

L'orde  araignée,  elle  a  tissé  l'étoile  de  poussière  ; 

Et  la  ferme  sur  la  rivière, 

Par  à  travers  ses  chaumes  lamentables^ 

Comme  des  bras  aux  mains  coupées, 

Croise  ses  poutres  d'outre  en  outre. 


LES  CAMFÀGNES  HALLUCINÂbS  QQ 

—  Fais  une  croix  sur  le  demain,' 
Définitive,  avec  ta  main  — 

Un  double  rang  d'arbres  et  de  troncs  nus  sont  abattus, 

A  u  long  des  routes  en  déroutes. 

Les  villages  —  plus  même  de  cloches  pour  en  sonner 

Le  hoquetant  dies  irœ 

Désespéré,  vers  l'écho  vide  et  ses  bouches  cassées. 

—  Fais  une  croix  aux  quatre  fronts  des  horizons. 

Car  c'est  la  fin  des  champs  et  c'est  la  Jln  des  soirs; 

Le  deuil  au  fond  des  deux  tourne,  comme  des  meules^ 

Ses  soleils  noirs  ; 

Et  des  larves  éclosent  seules 

Auxjlancs  pourris  des  femmes  qui  sont  mortes. 

A  l'orient  du  pré,  dans  le  sol  rêche. 
Sur  le  cadavre  épars  des  vieux  labours. 
Domine  là,  et  pour  toujours. 
Plaque  de  fer  clair,  latte  de  bois  froid, 
La  bêche. 


LES  VILLES  TENTA  CULAIRES 

(1895) 


AU  poftr» 
HENRI  DE  RÉGNIER 


LA  PLAINE 


La  plaine  est  morne  et  ses  chaumes  et  granges 
Et  ses  fermes  dont  les  pignons  sont  vermoulus, 
La  plaine  est  morne  et  lasse  et  ne  se  défend  plus, 
La  plaine  est  morne  et  morte —  et  la  ville  la  mange. 

Formidables  et  criminels, 
Lex  bras  des  machines  hyperboliques. 
Fauchant  les  blés  évangéliques, 
Ontejfrnyé  le  vieux  semeur  mélancolique 
Dunt  le  geste  semblait  d'accord  avec  le  ciel. 

L'orde  fumée  et  ses  haillons  de  suie 


I06  LES    VILLES     IBNTACULAIIVES 

Ont  traversé  le  vent  et  l'ont  sali  : 

Un  soleil  pauvre  et  avili 

S'est  comme  usé  en  de  la  pluie. 

Et  maintenant,  où  s'étageaient  les  maisons  claires 

El  les  vergers  et  les  arbres  allumés  d'or^ 

On  aperçoit,  à  Vinjini,  du  sud  au  nord, 

La  noire  immensité  des  usines  rectangulaires. 

Telle  une  bête  énorme  et  taciturne 

Qui  bourdonne  derrière  un  mur, 

Le  ronflement  s'entend,   rythmique  et  dur, 

Des  chaudières  et  des  meules  nocturnes  ; 

Le  sol  vibre,  comme  s'il  fermentait 

Le  travail  bout  comme  unforjait , 

Végout  charrie  une  fange  velue 

Vers  la  rivière  qu'il  pollue  ; 

Un  supplice  d'arbres  écorchés  vifs 

Se  tord,  bras  convalsifs. 

En  façade,  sur  le  bois  proche  ; 

L'ortie  épuise  aux  cœurs  sablons  et  oche 

Et  les  fumiers,  toujours  plus  hauts,  de  résidus  : 


L«3    VILLES    TE.NTACULAIRES  IO7 

Ciments  huileux,  plairas  pourris,  moellons  fendus, 
Au  long  de  vieux  fossés  et  de  berges  obscures 
Lèvent,  le  soir,  leurs  monuments  de  pourritures. 

Sous  des  hangars  tonnants  et  lourds^ 

Les  naitSf  les  Jours, 

Sans  air  et  sans  sommeil, 

Des  gens  peinent  loin  du  soleil  : 

Morceaux  de  vie  en  l'énorme  engrenage^ 

Morceaux  de  chair  fixée,  ingénieusement. 

Pièce  par  pièce,  étage  par  étage, 

De  Vun  à  l'autre  bout  du  vaste  tournoiement. 

Leurs  yeux,  ils  sont  les  yeux  de  la  machine. 

Leurs  dos  se  ploient  sous  elle  et  leurs  échines, 

Leurs  doigts  volontaires,  qui  se  compliquent 

De  mille  doigts  précis  et  métalliques. 

S'usent  si  fort  en  leur  effort. 

Sur  la  matière  carnassière. 

Qu'ils  y  laissent,  à  tout  moment. 

Des  empreintes  de  rage  et  des  gouttes  de  sang. 

Dites!  l'ancien  labeur  pacifique,  dans  l'Août 


i(>8  LES    VILLES    TKNTACULArKES 

Des  sei'jles  mûrs  et  des  avoines  rousses, 
Avec  les  bras  au  clair,  le  front  debout 
Dans  l'or  des  blés  qui  se  retrousse 
Vers  l'horizon  torride  où  le  silence  bout. 

Dites!  le  repos  tiède  et  les  midis  élus, 
Tressant  de  l'ombre  pour  les  siestes. 
Sous  les  branches,  dont  les  vents  prestes 
Rythment,  avec  lenteur,  les  grands  gestes  feuillus, 
Dites,  la  plaine  entière  ainsi  qu'un  jardin  gras. 
Toute  folle  d'oiseaux  éparpillés  dans  la  lumière. 
Qui  la  chantent,  avec  leurs  voix  plénières, 
Si  près  du  ciel  quon  ne  les  entend  pas. 

Mais  aujourd'hui,  la  plaine,  elle  estfnie; 
La  plaine,  est  morne  et  ne  se  défend  plus  : 
Le  flux  des  ruines  et  leurs  rejlux 
L'ont  submergée,  avec  monotonie. 

On  ne  rencontre,  au  loin,  qu'enclos  rapiécés 
El  chemins  noirs  de  houille  et  de  scories 
El  squelettes  de  métairies 


LES    VILLES    TENTACULAinES  lOQ 

Et  trains  coupant  soudain  des  villages  en  deux. 

Les  Madones  ont  tu  leurs  voix  d'oracle 
Au  coin  du  bois,  parmi  les  arbres; 
Et  les  vieux  saints  et  leur  socle  de  marbre 
Ont  chu  dans  les  fontaines  à  miravles. 

Et  tout  est  /à,  comme  des  cercueils  vides 

Et  détraqués  et  dispersés  par  retendue. 

Et  tout  se  plaint  ainsi  que  les  défunts  perdus 

Qui  sanglotent  le  soir  dans  la  bruyère  humide. 

Hélas!  la  plaine,  hélas!  elle  est  finie! 
El  ses  clochers  sont  morts  et  ses  moulins  perclus. 
La  plaine,  hélas!  elle  a  toussé  son  agonie 
Dmsles  derniers  hoquets  d'un  angélus. 


L'AME  DE  LA  VILLE 


Les  toits  semblent  perdus 
Et  les  clochers  et  les  pignons  fondus, 
Par  ces  matins  fuligineux  et  rouges, 
Ou,  feux  à  feux,  des  signaux  bougent. 

Une  courbe  de  viaduc  énorme 
Longe  les  quais  mornes  et  uniformes; 
Un  train  s'ébranle  immense  et  las. 

Au  loin,  derrière  un  mur,  là-bas, 

Un  steamer  rauque  avec  un  bruit  de  corne. 


11^  LKS   VILLES    TENTACULAIRKS 

Et  par  les  quais  uniformes  et  mornes, 
Et  par  les  ponts  et  par  les  rues, 
Se  bousculent,  en  leurs  cohues. 
Sur  des  écrans  de  brumes  cru  es, 
Des  ombres  et  des  ombres. 

Un  air  de  soufre  et  de  naphte  s'exhale, 
Un  soleil  trouble  et  monstrueux  s'étale  ; 
L'esprit  soudainement  s'efiFare 
Vers  l'impossible  et  le  bizarre  ; 
Grime  ou  vertu,  voit-il  encor 
Ce  qui  se  meut  en  ces  décors. 
Où,  devant  lui,  sur  les  places,  s'élève 
Le  dressement  tout  en  brouillards 
D'un  pilier  d'or  ou  d'un  fronton  blafard 
Pour  il  ne  sait  quel  g-éant  rêve  7 

0  les  siècles  et  les  siècles  sur  cette  ville, 
Grande  de  son  passé 
Sans  cesse  ardent  -    et  traversé, 
Comme  à  cette  heure,  de  fantômes  I 
0  les  siècles  et  les  siècles  sur  elle, 


LES    VILLKS    TENTACUIAinSS  Il5 

Avec  leur  vie  immense  et  criminelle 
Battant  —  depuis  quels  temps?  — 
Chaque  demeure  et  chaque  pierre 
De  désirs  fous  et  de  colères  carnassières  I 

Quelques  huttes  d'abord  et  quelques  prêtres  : 

L'asile  à  tous,  l'ég-lise  et  ses  fenêtres 

Laissant  filtrer  la  lumière  du  dogine  sûr 

El  sa  naïveté  vers  les  cerveaux  obscurs. 

Donjons  dentés,  palais  massifs,  cloîtres  barbares  ; 

Croix  des  papes  dont  le  monde  s'empare  ; 

Moines,  abbés,  barons,  serfs  et  vilains  ; 

Mitres  d'orfroi,  casques  d'arg-ent,  vestes  de  lin; 

Luttes  d'instincts,  loin  des  luttes  de  l'âme 

Entre  voisins,  pour  l'orteil  vain  d'une  oriflamme*; 

Haines  de  sceptre  à  sceptre  et  monarques  faillis 

Sur  leur  fausse  monnaie  ouvrant  leurs  fleurs  de  lys, 

Taillant  le  bloc  de  leur  justice  à  coups  de  g-laive 

Et  la  dressant  et  l'imposant  :  g-rossière  et  brève. 

Puis,  l'ébauche,  lente  à  naître,  de  la  cité  : 
Forces  qu'on  veut  dans  le  droit  seul  planter  ; 


Il6  LES    VILLES    TE?(TACULAmES 

Ong-les  du  peuple  et  mâchoires  de  rois  ; 
Mufles  crispés  dans  l'ombre  et  souterrains  abois 
Vers  on  ne  sait  quel  idéal  au  fond  des  nues  ; 
Tocsins  brassant,  le  soir,  des  rages  inconnues; 
Textes  de  délivrance  et  de  salut,  debout 
Dans  l'atmosphère  énorme  où  la  révolte  bout; 
Livres  dont  les  pages,  soudain  intellig-ibles, 
Brûlent  de  vérité,  comme  jadis  les- Bibles; 
Hommes  divins  et  clairs,  tels  des  monuments  d'or 
D'où  les  événements  sortent  armés  et  forts  ; 
Vouloirs  nets  et  nouveaux,  consciences  nouvelles 
Et  l'espoir  fou,  dans  toutes  les  cervelles, 
Malg-ré  les  échafauds,  malgré  les  incendies 
Et  les  tètes  en  sang  au  bout  des  poings  brandies 

Elle  a  mille  ans  la  ville, 

La  ville  âpre  et  profonde  ; 

Et  sans  cesse,  malgré  l'assaut  des  jours, 

Et  les  peuples  minant  son  orgueil  lourd, 

Elle  résiste  à  l'usure  du  monde. 

5uel  océan,  ses  cœurs  I  quel  orage,  ses  nerfs  l 

^uels  nœuds  de  volontés  serrés  en  son  mj'stère  I 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  I  I7 

Victorieuse,  elle  absorbe  la  terre  ; 

Vaincue,  elle  est  l'affre  de  l'univers  : 

Toujours,  en  son  triomphe  ou  ses  défaites, 

Elle  apparaît  géante,  et  son  cri  sonne  et  son  nom  luit^ 

Et  la  clarté  que  font  ses  feux  dans  la  nuit 

Rajonne  au  loin,  jusqu'aux  planètes  f 

0  les  siècles  et  les  siècles  sur  elle  t 

Son  âme,  en  ces  matins  hagards, 

Circule  en  chaque  atome 

De  vapeur  lourde  et  de  voiles  épeirs  ; 

Son  âme  énorme  et  vag-ue,  ainsi  que  ses  grands  dômes 

Qui  s'estompent  dans  le  brouillard  ; 

Son  âme,  errante,  en  chacune  des  ombres 

Qui  traversent  ses  quartiers  sombres. 

Avec  une  ardeur  neuve  au  bout  de  leur  pensée  ; 

Son  âme  formidable  et  convulsée  : 

Son  âme,  où  le  passé  ébauche 

Avec  le  présent  net  l'avenir  encor  gaucho. 

0  ce  monde  de  fièvre  et  d'inlassable  essor 


Il8  LES    VILLSS    TBNTÀCULAinES 

Rué,  à  poumons  lourds  et  haletants, 
Vers  on  ne  sait  quels  buts  inquiétants? 
Monde  promis  pourtant  à  des  lois  d'or, 
A  des  lois  douces,  qu'il  ignore  encore 
Mais  qu'il  faut,  un  jour,  qu'on  exhume, 
Une  à  une,  du  fond  des  brumes.   • 
Monde  aujourd'hui  têtu,  trag-ique  et  blême 
Qui  met  sa  vie  et  son  âme  dans  l'effort  même 
Qu'il  projette,  le  jour,  la  nuit, 
A  chaque  heure,  vers  l'infini. 

0  les  siècles  et  les  siècles  sur  cette  ville  I 

Le  rêve  ancien  est  mort  et  le  nouveau  se  forge. 

Il  est  fumant  dans  la  pensée  et  la  sueur 

Des  bras  fiers  de  travail,  des  fronts  fiers  de  lueurs, 

Et  la  ville  l'entend  monter  du  fond  des  gorges 

De  ceux  qui  le  portent  en  eux 

Et  le  veulent  crier  et  sangloter  aux  cieux. 

El  de  partout  on  vient  vers  elle, 

Los  uns  des  bourgs  et  les  autres  des  champs, 

Di'puis  toujours,  du  fond  des  loms; 


LES    VILLES  TBNTACULAIHE8  11^ 

Et  les  routes  éternelles  sont  les  tén\oins 
De  ces  marches,  à  travers  temps, 
Qui  se  rythment  comme  le  sang 
Et  s'avivent,  continuelles. 

Le  rêve  !  il  est  plus  haut  que  les  fumées 
Qu'elle  renvoie  envenimées 
Autour  d'elle,  vers  l'horizon; 
Même  dans  la  peur  ou  dans  l'ennui, 
Il  est  là-bas,  qui  domine,  les  nuits, 
Pareil  à  ces  buissons 
D'étoiles  d'or  et  de  couronnes  noires, 
Qui  s'allument,  le  soir,  évocatoires. 

Et  qu'importent  les  maux  et  les  heures  démentes, 

Et  les  cuves  de  vice  où  la  cité  fermente, 

Si  quelque  jour,  du  fond  des  brouillards  et  des  voiles, 

Surg-it  un  nouveau  Christ,  en  lumière  sculpté, 

Qui  soulève  vers  lui  l'humanité 

Et  la  baptise  au  feu  de  nouvelles  étoiles. 


IfO  LES    VILLBS    TKNTACULAIHBS 


UNE  STATUE 


On  le  croyait  fondateur  de  la  ville, 

Venu  des  pays  clairs  et  lointains 

Vers  ceux  d'Europe  —  avec  sa  pauvre  crosse  en  main, 

Et  g^rand,  sous  sa  bure  servile. 

Pour  se  faire  écouter  il  parlait  par  miracles, 
En  des  clairières  d'or,  le  soir,  dans  les  forêts. 
Où  des  granits  carraient  leurs  symboles  épais, 
Et  tonnaient  leurs  oracles. 

il  était  la  tristesse  et  la  douceur 

Descendue  autrefois,  à  genoux,  du  calvaire, 


I^S    VILLES    TENTACULAinsS 


Vers  les  hommes  et  leur  misère 
El  vers  leur  cœur. 

Il  accueillait  l'humaililé  frag-ile, 
Il  lui  chantait  le  paradis  sans  fia 
Et  l'endormait  dans  le  rêve  divin, 
Le  front  posé  sur  l'évangile. 

Plus  tard,  le  roi,  le  juge  et  le  bourreau 

Prirent  son  verbe  et  le  faussèrent  ; 

Et  les  textes  autoritaires 

Apparurent,  tels  des  glaives  hors  du  fourreau. 

Contre  la  paix  qu'il  avait  inclinée 

Vers  tous,  de  son  geste  clément, 

La  vie,  avec  des  cris  et  des  sursauts  déments, 

Brusque  et  rouge,  fut  dégaînée. 

Mais  lui  resta  le  clair  apôtre  et  le  «oleii 

Tiédi,  aux  yeux  de  tous,  de  patience  et  d  indulgence 

Et  la  pieuse  et  populaire  intelligence 

Venait  puiser  en  lui  la  force  et  le  conseil. 


133  LSS    VILLES    TBNTACULAIRE8 


On  l'invoquait  pour  les  fièvres  et  pour  les  peines, 
On  le  fêtait  en  mai,  au  soir  tombant, 
Et  des  mères  apportaient  leurs  enfants 
Baig-ner  leurs  maux  dans  l'eau  de  sa  fontaine. 

Son  nom  large  et  sonore  d'amour 
Marquait  la  fin  des  longues  litanies 
El  des  complaintes  infinies 
Que  l'on  chantait,  depuis  toujours. 

Il  se  définissait,  près  d'un  portail  roman, 
En  une  image  usée  et  tremblotante, 
Qui  écoutait,  dans  la  poitrine 
Haletante  des  tours, 
Les  bourdons  lourds  clamer  au  firmament. 


LES    VILLES   TENTACULAIRS8  12  j 


LES  CATHÉDRALES 


Au  fond  du  cœur  sacerdotal, 
D'où  leur  splendeur  s'éri^ 
—  Or,  arg-ent,  diamant,  cristal  — 
Lourds  de  siècles  et  de  prestiges, 
Pendant  les  vêpres,  quand  les  soir* 
Aux  longues  prières  invitent, 
Ils  s'imposent  les  ostensoirs 
Dont  les  fixes  joyaux  méditent. 

Ils  conservent,  ornés  de  feu, 
Pour  l'universelle  amnistie, 
Le  baiser  blanc  du  dernier  Dieu, 


ia4  LBS  -VILLES   TENTACULAIRES 

Tombé  sur  terre  en  une  hostie. 

Et  l'église,  comme  un  palais  de  flambeaux  noirs, 

Dont  les  châsses  d'arg-ent  et  d'ombre 

Taisent  leurs  cris  de  métaux  sombres, 

Par  l'élan  clair  de  ses  colonnes  exulte 

Et  dresse,  en  faisceaux  d'arcs  et  en  voussoirs. 

Jusqu'au  faîte,  l'éternité  du  culte. 

Dans  un  encadreAient  de  g^rands  cierges  qui  pleurent, 

A  travers  temps  et  jours  et  heures 

Les  ostensoirs 

Sont  le  seul  cœur  de  la  croyanoc 

Qui  luise  encor,  cristal  et  or, 

Dans  les  villes  de  la  démence. 

Dehors,  le  bourdon  sonne  et  sonne, 

A  grand  battant  tannant 

Les  longs  regrets,  pareils  aux  râles 

Vers  le  passé,  des  cathédrales . 

Et  les  foules  qui  tiennent  droits, 

Pour  refléter  le  ciel,  les  miroirs  de  leur  foi, 


UtS    rUXBS    TENTAOUL^RBS  laS 

Réunissent,  à  ces  appels,  leurs  âmes, 
Autour  des  ostensoirs  en  flammes. 

—  0  ces  foules,  ces  foules, 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent! 

Voici  les  pauvres  gens  des  blafardes  ruelles, 
Barrant  de  croix,  avec  leurs  bras  tendus, 
L'ombre  noire  qui  dort  dans  les  chapelles. 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent. 

Voici  les  corps  usés,  voici  les  cœurs  fendus. 
Voici  les  cœurs  lamentables  des  veuves 
En  qui  les  larmes  pieu  vent, 
Continûment,  depuis  des  ans. 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent  I 

Voici  les  mousses  et  les  maurins  du  port 


ta6  LES   VILLES   TENTACULAIRES 

Dont  les  vag^ues  monstrueuses  brassent  le  sort. 

—  0  œs  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent  I 

Voici  les  travailleurs  cassés  de  peine, 

Aux  six  coups  de  marteaux  des  jours  de  la  semaine, 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent  1 

Voici  les  enfants  las  de  leur  sang-  morne 

Et  qui  mendient  et  qui  s'offrent  au  coin  des  bornes, 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent  I 

Voici  les  boutiquiers  des  quartiers  vieux 
Limant  sur  l'établi  leur  sort  méticuleux. 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent  I 


LBS    VILLES    ThNTACLLAlRES 


127 


Voici  les  marg-uilliers  massifs  et  mous 

Qui  font  craquer  leur  stalle  en  pliant  les  genoux. 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

El  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent  I 

Voici  les  armateurs  dont  les  bateaux  de  fer, 
Fortune  au  vent  tanguent  parmi  la  mer. 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent! 

Voici  les  grands  bourgeois  de  droit  divin 
Qui  bâtissent  sur  Dieu  la  maison  de  leur  gain. 

—  0  ces  foules,  ces  foules 

Et  la  misère  et  la  détresse  qui  les  foulent! 

Les  ostensoirs,'  ornés  de  soir, 
Vers  les  villes  échafaudées, 
En  toits  de  verre  et  de  cristal, 


laS  I.ES    VILLES    TENTA GULAIRES 

Du  haut  du  chœur  sacerdotal, 
Tendent  la  croix  des  g-othiques  idées. 

Ils  s'imposent  dans  l'or  des  clairs  dimanches 

—  Toussaint,  No6l,  Pâques  et  Penlecôtcs  blanches  — 

Ils  s'imposent  dans  l'or  et  dans  l'encens  et  dans  la  fête 

Du  grand  orgue  battant  du  vol  de  ses  tempêtes 

Les  chapiteaux  roug^cs  et  les  voûte»  vermeilles  ; 

lia  sont  une  âme,  en  du  soleil. 

Qui  vit  de  vieux  décor  et  d'antique  mystère 

Autoritaire. 

•Pourtant,  dès  que  s'éteignent  le  cantique, 

Et  l'antienne  naïve  et  prismatique, 

Un  deuil  d'encens  évaporé  s'empreint, 

Sur  les  trépieds  d'arg-cnt  et  les  autels  d'airain  ; 

Et  las  vitraux,  grands  de  siècles  ag-enoulllés 

Devant  le  Christ,  avec  leurs  papes  immobiles 

Et  leurs  martyrs  et  leurs  héros,  semblent  trembler 

Au  bruit  d'un  train  lointain  qui  roule  sur  la  ville. 


LES    VILLES    TfcNTACULAIHES 


129 


UNE  STATUE 


Au  carrefour  des  abattoirs  et  des  casernes, 
Il  apparaît,  foudroyant  et  vermeil, 
Le  sabre  en  bel  éclair  sous  le  soleil. 

Masque  d'airain,  casque  et  panache  d*or^ 
Et  l'horizon,  là-bas,  où  le  combat  se  tord, 
Devant  ses  yeux  hallucinés  de  gloire! 

Un  élan  fou,  un  bond  brutal 

Jette  en  avant  son  g«ste  et  son  cheval 

Vers  la  victoire. 


l30  LES   VILLES   TENTACULAinBS 

Il  est  volant  comme  une  flamme, 
Ici,  plus  loin,  au  bout  du  monde, 
Qui  le  redoute  et  qui  l'acclame. 

Il  entraîne,  pour  qu'en  son  rêve  ils  se  confondent, 

Dieu,  son  peuple,  ses  soldats  ivres  ; 

Les  astres  mêmes  semblent  suivre, 

S^  bien  que  ceux 

(Jui  se  lig-uent  pour  le  maudire 

Restent  béants  :  et  son  verlig-e  emplit  leurs  yeux. 

Il  est  de  calcul  froid,  mais  de  force  soudaine  : 
Des  fers  de  volonté  barricadent  le  seuil 
Infrangible  de  son  org-ueil. 

Il  croit  en  lui  —  et  qu'importe  le  reste! 
Pleurs,  cris,  affres  et  noire  et  formidable  fête, 
Avec  lesquels  l'histoire  est  faite. 

Il  est  la  mort  fastueuse  et  lyrique, 

Montrée,  ainsi  qu'une  conquête, 

Au  bout  d'une  existence  en  or  et  en  tempête. 


LES    VILLES   TBNTACULAIRK8  l3t 


Il  ne  regrette  rien  de  ce  qu'il  accomplit, 
Sinon  que  les  ans  brefs  aillent  trop  vite 
Et  que  la  terre  immense  soit  petite. 

Il  est  l'idole  et  le  fléau  : 

Le  vent  qui  souffle  autour  de  son  front  clair 

Toucha  celui  des  Dieux  armés  d'éclairs. 

Il  sent  qu'il  passe  en  roug^e  orage  et  que  sa  destinée 
Est  de  tomber  en  brusque  écroulement, 
Le  jour  où  son  étoile  étrange  et  efl'rénce, 
Cristal  rouge,  se  cassera  au  firmament. 

Au  carrefour  des  abattoirs  et  des  casernes, 
Il  apparaît,  foudroyant  et  vermeil, 
Le  sabre  en  bel  éclair  dans  le  soleil. 


|3a  t^^S    VILXKS    TENTACUUAiHES 


LE  PORT 


Toute  te  mer  va  vers  la  ville  f 

Son  port  est  innombrable  et  sinistre  de  croix, 
Verg-ues  transversales  barrant  les  grands  mâts  droit."». 

Son  port  est  pluvieux  de  suie  à  travers  brumes, 

Où  le  soleil  comme  un  oeil  rouge  et  colossal  larmoie. 

Son  port  est  ameuté  de  steamers  noirs  qui  fument 
Et  mugissent,  au  fond  du  soir,  sans  qu'on  les  voie. 

Son  port  est  fourmillant  et  musculeux  de  bras 


LES     VILLKS    TENTACULAIHES  1 33 

Perdus  en  un  fouillis  dédalien  d'amarres. 

Son  porl  est  concassé  de  chocs  et  de   fracas 

Et  de  marteaux  tonnant  dans  l'air  leurs  tintamarres. 

Toute  la  mer  va  vers  la  ville  I 

Les  flots  qui  voyag-ent  comme  les  vents, 

Les  flots  lég-ers,  les  flots  vivants, 

Pour  que  la  ville  en  feu  l'absorbe  et  le  respire 

Lui  rapportent  le  monde  en  des  navires. 

Les  orients  et  les  midis  tanguent  vers  elle 

Et  les  Nords  blancs  et  la  folie  universelle 

Et  tous  nombres  dont  le  désir  prévoit  la  somme. 

Et  tout  ce  qui  s'invente  et  tout  ce  que  les  hommes 

Tirent  de  leurs  cerveaux  puissants  et  volcaniques 

Tend  vers  elle,  cing^le  vers  elle  et  vers  ses  luttes: 

Elle  est  la  ville  en  rut  des  humaines  disputes, 

Elle  est  la  ville  au  clair  des  richesses  uniques 

Et  les  marins  naïfs  peignent  son  caducée 

Sur  leur  peau  rousse  et  crevassée, 

A  l'heure  où  l'ombre  emplit  les  soirs  océemiques^ 


^34  LES    VILLftS    TENTACULAinES 


Toulc  la  mer  va  verl  la  ville  I 

0  les  Babels  enfin  réalisées  I 

Et  les  peuples  fondus  et  la  cité  commune  ; 

Et  les  luiig"ues  se  dissolvant  en  une  ; 

Et  la  ville  comme  une  main,  les  doig-s  ouverts. 

Se  refermant  sur  l'univers. 

Dites,  les  docks  bondés  jusques  au  faîte  ! 

Et  la  montag-ne,  et  le  désert,  et  les  forêts, 

Et  leurs  siècles  captés  comme  en  des  rets  ; 

Dites,  leurs  blocs  d'éternité  :  marbres  et  bois, 

Que  l'on  achète. 

Et  que  l'on  vend  au  poids. 

Et  puis,  dites  !  les  morts,  les  morts,  les  morts 

Qu'il  a  fallu  pour  ces  conquêtes. 

Foute  la  mer  va  vers  la  ville  I 

La  mer  soudaine,  ardente  et  libre, 
Qui  tient  la  terre  en  équilibre  ; 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  I  35 

La  mer  que  domine  la  loi  des  multitudes, 

La  mer  où  les  courants  tracent  les  certitudes  ; 

La  mer  et  ses  vag'ues  coalisées, 

Comme  un  désir  multiple  et  fou, 

Qui  renversent  des  rocs  depuis  mille  ans  debout 

Et  retombent  et  s'eflFacent,  égalisées  ; 

La  mer  dont  chaque  lame  ébauche  une  tendresse 

Ou  voile  une  fureur,  la  mer  plane  ou  sauvage, 

La  mer  qui  inquiète  et  angoisse  et  oppresse 

De  l'ivresse  de  son  image. 

Toute  la  mer  va  vers  la  ville! 

Son  port  est  flamboyant  et  tourmenté  de  feux 
Qui  éclairent  de  hauts  leviers  silencieux. 

Son  port  est  hérissé  détours  dont  les  murs  sonnent 
D'un  bruit  souterrain  d'eau  qui  s'enfle  et  ronfle  en  elles. 

Son  port  est  lourd  de  blocs  taillés,  où  des  gorgones 
Dardent  les  réseaux  noirs  des  vipères  mortelles. 


l36  LES    VILLES    TENTACULAIRES 

Son   port  est  fabuleux  de  déesses  sculptées 

A  l'aTant  des  vaisseaux  dont  les  mâts  d'or  s'exaltent. 

Son  port  est  solennel  de  tempêtes  domptées 
En  des  havres  d'airain  de  marbre  et  de  basalte. 


LES    VILLtS    TENTaCULAIKES  187 


LES  SPECTACLES 


Au  fond  d'un  hall  sonore  et  radiant, 
Sous  les  ailes  énormes 
Et  les  duvets  des  brumes  uniformes, 
Parfois,  le  soir,  on  déballe  les  Orients. 

Les  tréteaux  clairs  luisent  comme  des  armes  ; 

De  gros  soleils  en  strass  s'allument  en  des  coins  -, 

Des  cymbaliers  hagards  entrechoquent  leurs  poings 

Casseurs  de  cris  et  de  vacarmes. 

Le  rideau  s'ouvre  ;  et  bruit,  clarté,  fracas. 

Splendeur,  quand  les  danseurs   et  les  danseuses  roses 

Apparaissent,  mêlant  et  démêlant  leurs  poses, 


l38  •  LES    VILLES    TgNTACULAmK» 

En  un  taillis  boug-eant  de  gestes  et  de  pas; 
Et  que  la  salle,  avec  son  lustre  au  centre, 
Et  ses  velours  lourds  et  replets 
Et  ses  balcons  en  bourrelets 
S'étale  ainsi  qu'un  ventre. 

Des  bataillons  de  chair  et  de  cuisses  en  marche 

Grouillent,  sur  des  rampes  ou  sous  des  arches; 

Jambes,  hanches,  g-orges,  maillots,  jupes,  dentelles, 

—  Attelag-es  de  rut,  où  par  couples  blafards 

Des  seins  bridés  mais  bondissants  s'altèlenl,  — 

Passent,  crus  de  sueur  ou  bleus  de  fard  ; 

Des  mains  vaines  s'ouvrent  et  se  referment  vite, 

Sans  but,  sinon  saisir  l'invisible  désir 

En  fuite; 

Une  sauteuse,  la  jambe  au  clair, 

Raidit  l'obscénité  dans  l'air; 

Une  autre  encor,  les  yeux  noyés  et  les  flancs  fous, 

Se  crispe,  ainsi  qu'une  bête  qu'on  foule. 

Et  la  rampe  l'éclairé  et  bout  par  en-dessous 

Et  toute  la  luxure  de  la  foule 

Se  soulève  vers  elle  et  l'acclame,  debout. 


LES    VILLES   TENTACULAIHKS  l3(). 


0  le  blasphème  en  or  criard,  qui,  là,  se  vocifère! 

0  la  brûlure  à  cru  sur  la  beauté  de  la  matière  1 

0  les  atroces  simulacres 

De  l'art  blessé  à  mort  que  l'on  massacre  1 

0  le  plaisir  qui  chante  et  qui  trépig-ne 

Dans  la  laideur  tordue  en  tons  et  lig-nes; 

C  le  plaisir  humain  au  rebours  de  la  joie. 

Alcool  pour  les  regards,  alcool  pour  les  pensées, 

0  le  pauvre  plaisir  qui  exig-e  des  proies 

Et  mord  des  fleurs  qui  ont  le  g"oût  de  ses  nausées  I 

Jadis,  il  marchait  nu,  héroïque  et  placide, 

Les  mains  fraîches,  le  front  lucide. 

Le  vent  et  le  soleil  dansaient  dans  ses  cheveux  ; 

Toute  la  vie  harmonique  et  divine 

Se  réchauffait  dans  sa  poitrine  ; 

Il  la  respirait  fruste  et  l'expirait  plus  belle; 

Il  ig-norait  la  loi  qui  l'eût  dressé  :  rebelle; 

Et  l'aube  et  les  couchants  et  les  sources  naïves 

Et  le  frôlement  vert  des  branches  attentives, 

Par  à  travers  sa  chair  donnaient  à  son  âme  profonde. 


l40  LES    VILLES    TENTACULAIIIES 

L'universel  baiser  qui  fait  s'aimer  les  mondes. 

Mais  aujourd'hui,  scnile  et  débauché, 

Il  lèche  et  mord  et  mange  son  péché; 

Il  cultive,  dans  un  jardin  d'anomalies, 

Bibles,  codes,  textes,  règles,  qu'il  mulliplie 

Pour  les  nier  et  les  briser  par  des  viols. 

Et  ses  amours  sont  l'or.  Et  ses  haines?  les  vols 

VersJa  beauté  toujours  plus  claire  et  plus  certaine 

Qui  s'ouvre  en  fleursd'astres  au  pré  des  nuits  lointainca. 

Et  le  Toici  au  fond  de  palais  monstrueux 

Dont  les  vitraux  dardent  aux  cieux 

L'inquiétude, 

Et  le  voici,  soudain,  qui  se  transforme  en  multitude. 

Avec  mille  regards  contagieux, 

Avec  mille  regards  cherchant  des  milliers  d'yeux, 

Avec  son  âme  éparse  en  mille  âmes  de  braise, 

Pour  qu'elle  arde  plus  fort  de  la  flamme  mauvaise, 

Il  s'enfle  et  se  propage  en  des  vices  nouveaux. 

Sa  conscience  change  et  son  cerveau. 

Un  nouvel  être  naît  :  homme,  enfant,  vieillard,  femme, 


LES    VILLfcS    TENTACi;LAinE3  J^t 

Tordus  en  total  noir,  en  somme  infâme, 

En  vig-nc  roug-c,  immense,  inassouvie. 

Qui   l'absorbent,  comme  s'il  leur  versait  îa  vie. 

0  les  hontes  et  les  crimes  des  foules 

Passant  sur  la  ville  comme  des  houles, 

Et  s'cng-oufTrant  en  des  log"es  de  plâtre. 

De  haut  en  bas,  autour  des  halls  et  des  ihcûlrcsl 

La  scène  brille,  ainsi  qu'un  éventail, 

Au  fond,  luisent  des  minarets  d'email 

Et  des  maisons  et  des  terrasses  claires. 

Sous  les  feux  bleus  des  lampadaires, 

En  rythmes  lents  d'abord,  mais  riolents  soudain. 

Se  cueillant  des  baisers  et  se  frôlant  les  seins, 

Se  rencontrent  les  bayadères  ; 

Des  ncg-rillons,  coiffés  de  plumes, 

—  Les  dents  blanches,  couleur  d'écume, 

En  leurs  bouches,  vulves  ouvertes  — 

Bougent,  tous  les  mômes,  d'après  un  branle  inerte. 

Un  tambour  bat,  un  son  de  cor  s'enlêle, 

Un  fifre  cru  chatouille  un  refrain  bête, 


1^2  LES    VILLES    TENTACULAinES 

Et  c'est  enfin,  pour  la  suprême  apothéose, 
Un  assaut  fou  débordant  sur  les  planches, 
Un  étag-ement  d'or,  de  gorges  et  de  hanches, 
D'enlacements  crispés  et  de  terribles  poses 
Et  des  torses  offerts  et  des  robes  fendues 
Et  des  grappes  de  vice  entre  des  fleurs  pendues. 

Et  l'orchestre  se  meurt  ou  brusquement  halète 

Et  monte  et  s'enfle  et  roule  en  aquilons  ; 

Des  spasmes  sourds  sortent  des  violons  ; 

Des  chiens  lascifs  semblent  japper  dans  la  tempête 

Des  bassons  forts  et  des  gros  cuivres  ; 

Mille  désirs  naissent,  gonflés,  pesante,  goulus. 

On  les  dirait  si  lourds  que  tous,  n'en  pouvant  plus 

Se  prostituent  en  hâte  et  crient  et  se  délivrent. 

Et  minuit  sonne  et  la  foule  s'écoule 

—  Le  hall  fermé  —  parmi  les  trottoixs  noirs; 

Et  sous  les  lanternes  qui  pendent 

Rouges,  dans  la  brume,  ainsi  que  dos  viandes, 

Ce  sont  les  filles  qui  attendent. 


LES    VILLES    TE.NTvCLL.VilV^S  l'3 


LES  PROMENEUSES 


Au  long-  de  promenoirs  qui  s'ouvrent  sur  la  niiil 
—  Balcons  de  fleurs,  rampes  de  flammes  — 
Des  femmes  en  deuil  de  leur  âme 
Entrecroisent  leurs  pas  sans  bruit. 

Au  dehors, 

Une  atmosphère  éclatante  et  chimique 
Etend  ses  effluves  sur  l'or 
Myriadaire  d'un  décor  panoramique. 

Des  clous  de  gaz  pointent  des  diamaaU 
Autour  de  coupoles  illuminées; 

10 


l4i^  LES    VILLES    TENTACULAJRES 

Des  colonnes  passionnées 

Tordent  de  la  douleur  au  firmament. 

Sur  les  places,  des  buissons  de  flambeaux 

Versent  du  soufre  ou  du  mercure  ; 

Tel  coin  de  monument  qui  se  mire  dans  l'eau 

Semble  un  torse  qui  bouge  en  une  armure. 

La  ville  est  colossale  et  luit  comme  une  mer, 

Lointainement,  de  vag-ues  électriques, 

Et  ses  mille  chemins  de  bars  et  de  boutiques 

Aboutissent,  soudain,  aux  promenoirs  d'éclair. 

Où  ces  femmes  —  opale  et  nacre, 

Satin  nocturne  et  cheveux  roux  — 

Avec  en  main  des  fleurs  de  macre, 

A  longes  pas  clairs,  foulent  des  tapis  mous. 

Ce  sont  de  très  lentes  marcheuses  solennelles 
Qui  se  croisent,  sous  les  minuits  inquiétants, 
Et  se  savent  —  depuis  quels  temps?  — 
Douloureuses  et  mutuelles. 

Un  soudain  reflet  d'incendie 


LES    TILLES    TENTACULAiaKS  l4S 

Eclaire,  au  même  instant,  deux  mains 

Qui  se  serrent,  deux  mains  mates,  deux  mains 

Où  le  crime  sur  des  bagnes  radie. 

Sous  les  crêpes  d'un  très  grand  deuil, 
Des  yeux  obstinés  et  hagards. 
Dans  un  même  destin  ont  rivé  leurs  regards. 
Comme  des  clous  dans  un  cercueil. 

Telle  bouche  vers  telle  autre  s'en  est  allée, 
,  Comme  deux  fleurs  se  rencontrent  sur  l'eau, 
Tel  front  semble  un  bandeiu 
Sur  une  pensée  aveuglée. 

Telle  attitude  est  pareille  toujours; 
Dans  tels  yeux  nus  rien  ne  tressaille, 
Quoique  le  cœur,  où  le  vice  travaille, 
Batte  âprement  ses  tocsins  sourds. 

J'en  sais  dont  les  robes  funèbres 

Voilent  de  pâles  souliers  d'or 

Et  dont  un  serpent  d'argent  mord 


l46  LES    VILLES    TENTACULAIRKS 

Les  longues  tresses  de  ténèbres. 

Des  houx  roug-es  de  leur  tourment 
Elles  ont  fait  des  diadèmes  ; 
J'en  vois  :  des  veuves  d'elles-mêmes 
Qui  se  pleurent,  comme  un  amant. 

Quand  leurs  rêves,  la  nuit,  s'esseulenl 
Et  qu'elles  tiennent  dans  la  main 
Une  âme  et  un  bonheur  humain, 
Elles  savent  ce  qu'elles  veulent. 

Si  leur  peine  devait  finir  un  jour, 
Elles  en  seraient  plus  tristes  peut-être. 
Qu'elles  ne  sont  inconsolables  d'être 
Celles  du  souterrain  amour. 

Au  long-  de  promenoirs  qui  dominent  la  nuit. 
De  lentes  femmes. 
En  deuil  immense  de  leur  âme, 
Entrecroisent  leurs  pas  sans  bruit. 


LES    VILLES    TK.NTACULAIRES  l^J 


UNE  STATUE 


Un  bloc  de  bronze  où  son  nom  luit  sur  une  plaque. 

Ventre  riche,  mâchoire  ardente  et  menlon  g-ourd; 
Haine  et  terreur  murant  son  gros  front  lourd 
Et  poing  taillé  à  fendre  en  deux  toutes  attaques. 

Le  carrefour,  soiennisé  de  palais  froids. 

D'où  ses  reg"ards  têtus  et  violents  encore 

Scrutent  quels  feux  d'éveil  bougent  dans  telle  aurore» 

Comme  sa  volonté,  se  carre  en  ang-les  droits. 

Il  fut  celui  de  l'heure  et  des  hasards  bizarres. 


l48  LES    VILLES    TENTACULAIRES 

Mais  textuel,  sitôt  qu'il  tint  la  force  en  main 
Et  qu'il  put  étoufFer  dans  hier  le  lendemain 
Déjà  sonore  et  plein  de  cassantes  fanfares. 

Sa  colère  fit  loi  durant  ces  jours  bâtés, 
Où  toutes  voix  montaient  vers  ses  panég-jriqucs, 
Où  son  rêve  d'état  strict  et  g-éométrique 
Tranquillisait  l'aboi  plaintif  des  lâchetés. 

Il  se  sentait  la  force  étroite  et  qui  déprime, 
Tantôt  sournois,  tantôt  cruel  et  contempteur, 
Et  quand  il  se  dressait  de  toute  sa  hauteur 
Il  n'arrivait  jamais  qu'à  la  hauteur  d'un  crime. 

Massif  devant  la  vie,  il  l'obstrua,  depuis 
Qu'il  s'imposa  sauveur  des  rois  et  de  lui-même 
Et  qu'il  utilisa  la  peur  et  l'affre  blême 
En  des  complots  fictifs  qu'il  étranglait,  la  nuit. 

Si  bien  qu'il  apparaît  sur  la  place  publique 
Féroce  et  rancunier,  autoritaire  et  fort. 
Et  défendant  encor,  d'un  g-esle  hyperbolique. 
Son  piédestal  bâti  comme  son  coffre-fort. 


LIES    VIMES    TENTACULAinES  î  .'j^ 


LES  USINES 


Se  regardant  avec  les  yeux  cassés  de  leurs  fenêtres 
Et  se  mirant  dans  l'eau  de  poix  et  de  salpêtre 
D'un  canal  droit,  tirant  sa  barre  à  l'infini, 
Face  à  face,  le  long-  des  quais  d'ombre  et  de  nuit 
Par  à  travers  les  faubourg-s  lourds 
Et  la  misère  en  g-ueniiles  de  ces  faubourg-s, 
Ronflent  terriblement  les  fours  et  les  fabriques. 

Rectangles  de  jgranit,  cubes  de  briques, 

Et  leurs  murs  noirs  durant  des  lieues, 

Immensément,  par  les  banlieues  ; 

Et  sur  leurs  toits,  dans  le  brouillard,  aig-uillonnéts 


l50  LES    VILLES    TKNTACLLAIUES 

De  fers  et  de  paratonnerres, 

Les  cheminées. 

Et  les  hangars  uniformes  qui  fument  ; 

Et  les  préaux,  où  des  hommes,  le  torse  au  clair 

Et  les  bras  nus,  brassent  et  ameutent  d'éclairs 

Et  de  tridents  ardents,  les  poix  et  les  bitumes  ; 

Et  de  la  suie  et  du  charbon  et  de  la  mort  ; 

Et  des  âmes  et  des  corps  que  l'on  tord 

En  des  sous-sols  plus  sourds  que  des  Avernes  ; 

Et  des  files,  toujours  les  mêmes,  de  lanternes 

Menant  1  eg-out  des  abattoirs  vers  les  casernes. 

Se  regardant  de  leurs  jeux  noirs  et  symétriques, 
Par  la  banlieue,  à  l'infini, 
Ronflent  le  jour,  la  nuit. 
Les  usines  et  les  fabriques. 

Oh  les  quartiers  rouilles  de  pluie  et  leurs  grand' rues  l 
Et  les  femmes  et  leurs  guenilles  apparues 
Et  les  squares,  où  s'ouvre,  en  des  caries 
De  plâtras  blanc  et  de  scories. 
Une  flore  pâle  et  pourrie. 


LBS   VILLES   TBNTACULAIRES  l5r 


Aux  carrefours,  porte  ouverte,  les  bars  : 

Etains,  cuivres,  miroirs  hag-ards, 

Dressoirs  d'ébène  et  flacons  fols 

D'où  luit  l'alcool 

Et  son  éclair  vers  les  trottoirs. 

Et  des  pintes  qui  tout  à  coup  rayonnent, 

Sur  le  comptoir,  en  pyramides  de  couronnes  ; 

Et  des  gens  soûls,  debout. 

Dont  les  larg-es  lang-ues  lappent,  sans  phrases, 

Les  aies  d'or  el  le  whisky,  couleur  topaze. 

Par  à  travers  les  faubourgs  lourds 

Et  la  misère  en  pleurs  de  ces  faubourgs, 

Et  les  troubles  et  mornes  voisinages, 

Et  les  haines  s'entre-'croisant  de  gens  à  gens 

Et  de  ménages  à  ménages, 

Et  le  vol  même  entre  indigents. 

Grondent,  au  fond  des  cours,  toujours, 

Les  haletants  ronflements  sourds 

Des  usines  et  des  fabriques  symétriques. 


LES    VILLES    TENTACLLAIUES 


Ici  :  entre  des  murs  de  fer  et  pierre, 
Soudainement  se  lève,  allière, 
La  force  en  rut  de  la  matière  : 
Des  mâchoires  d'acier  mordent  et  fument; 
De  grands  marteaux  monumentaux 
Broient  des  blocs  d'or,  sur  des  enclumes, 
Et,  dans  un  coin,  s'illuminent  les  fontes 
En  brasier»  lors  et  effrénés  qu'on  dompte. 

Là-bas  :  les  doigts  méticuleux  des  métiers  prestes, 

A  bruits  menus,  à  petits  gestes, 

Tissent  des  draps,  avec  des  fils  qui  vibrent 

Légers  et  fins  comme  des  fibres. 

Au  long  d'un  hall  de  verre  et  fer. 

Des  bandes  de  cuir  transversales 

Courent  de  l'un  à  l'autre  bout  des  salles 

Elt  les  volants  larges  et  violents 

Tournent,  pareils  aux  ailes  dans  le  vent 

Des  moulins  fous,  sous  les  rafales. 

Un  jour  de  cour  avare  et  ras 

Frôle,  par  à  travers  les  carreaux  gras 


LES    VILLES    TENTACULAIUKS 


IÔ3 


Et  humides  d'un  soupirail, 

Chaque  travail. 

Automatiques  et  minutieux, 

Des  ouvriers  silencieux 

Règlent  le  mouvement 

D'universel  tictacqueraent 

Qui  fermente  de  fièvre  et  de  folie 

Et  déchiquette,  avec  ses  dents  d'entêtement, 

La  parole  humaine  abolie. 

Plus  loin  :  un  vacarme  tonnant  de  chocs 

Monte  de  l'ombre  et  s'crig-e  par  blocs  ; 

Et,  tout  à  coup,  cassant  l'élan  des  violences, 

Des  murs  de  bruit  semblent  tomber 

Et  se  taire,  dans  une  mare  de  silence. 

Tandis  que  les  appels  exacerbés 

Des  sifflets  crus  et  des  sig-naux 


Horlent  toujours  vers  les  fanaux. 
Dressant  leurs  feux  sauvag-es. 
En  buissons  d'or,  vers  les  nuages. 

Et  tout  autour,  ainsi  qu'une  ceinture, 


l54  LBS    VILLES    TENTACULAIKES 

Là-bas,  de  nocturnes  architectures, 

Voici  les  docks,  les  ports,  les  ponts,  les  phares 

Et  les  gares  folles  Je  tintamarres; 

Et  plus  lointains  encor  des  toits  d'autres  usinas 

Et  des  cuves  et  des  forg-es  et  des  cuisines 

Formidables  de  naphte  et  de  résines 

Dont  les  meutes  de  feu  et  de  lueurs  grandies 

Mordent  parfois  le  ciel,  à  coups  d'abois  et  d'incendie». 

Au  long  du  vieux  canal  à  l'infini. 

Par  à  travers  l'immensité  de  la  misère 

Des  chemins  noirs  et  des  routes  de  pierre, 

Les  nuits,  les  jours,  toujours. 

Ronflent  les  continus  battements  sourds, 

Dans  les  faubourgs. 

Des  fabriques  et  des  usines  symétriques. 

L'aube  s'essuie 

A  leurs  carrés  de  suie  ; 

Midi  et  son  soleil  hagard 

Comme  un  aveugle,  errent  par  leurs  brouillards; 

Seul,  quand  les  semaines,  au  soir. 


LES    VILLES    TENTACULAinKS  l55 


Laissent  leur  nuit  dans  les  ténèbres  choir, 
Le  han  du  colossal  effort  cesse,  en  arrêt, 
Comme  un  marteau  sur  une  enclume, 
Et  l'ombre,  au  loin,  sur  la  ville,  paraît 
De  la  brume  d'or  qui  s'allume. 


l56  LES    VILLES    TENTAGULAIRES 


LA  BOURSE 


La  rue  énorme  et  ses  maisons  quadrang-ulaires 
Bordent  la  foule  et  l'endiguent  de  leur  granit 
Œillé  de  fenêtres  et  de  porches,  où  luit 
L'adieu,  dans  les  carreaux,  des  soirs  auréolaires. 

Gomme  un  torse  de  pierre  et  de  métal  debout, 

Avec,  en  son  mystère  immonde. 

Le  cœur  battant  et  haletant  du  monde, 

Le  monument  de  l'or,  dans  les  ténèbres,  bout. 

Autour  de  lui,  les  banques  noires 

Dressent  des  lourds  frontons  que  soutiennent,  des  bras 


UtS    VILLES    TENTACULAIRSS 


Les  Hercules  d'airain  dont  les  gros  muscles  iaj 
Semblent  lever  des  coffres- forts  vers  la  victoire. 

Le  carrefour,  d'où  il  érig-e  sa  bataille, 
Suce  la  fiè^Te  et  le  tumulte 
De  chaque  ardeur  vers  son  aimant  occulte; 
Le  carrefour  et  ses  squares  et  ses  murailles 
Et  ses  grappes  de  gaz  sans  nombre, 
Qui  font  bouger  des  paquets  d'ombre 
Et  de  lueurs,  sur  les  trottoirs. 

Tant  de  rêves,  tels  des  feux  roux, 

Entremêlent  leur  flamme  et  leurs  remous, 

De  haut  en  bas,  du  palais  fou  ! 

Le  gadn  coupable  et  monstrueux 

S'y  resserre,  comme  des  nœuds, 

El  son  désir  se  dissémine  et  se  propage 

Parlant  chauffer  de  seuil  à  seuil, 

Dans  la  ville,  les  contigus  orgueils. 

Les  comptoirs  lourds  grondent  comme  un  orage,. 

Les  luxes  gros  se  jalousent  et  ragent 

Et  les  faillites  en  tempêtes, 


4  58  LES    VILL«S    TENTACULAmES 

■Soudainement,  à  coups  brutaux, 

sDattenl  et  chavirent  les  têtes 

Des  grands  bourg-eois  monumentaux. 

L'après-midi,  à  tel  moment, 

La  fièvre  encore  aug-mente 

Et  pénètre  le  monument 

Et  dans  les  murs  fermente. 

•On  croit  la  voir  se  raviver  aux  lampes 

Immobiles,  comme  des  hampes, 

Et  se  couler,  de  rampe  en  rampe, 

Et  s'ameuter  et  éclater 

Et  crépiter,  sur  les  paliers 

Et  les  marbres  des  escaliers. 

'Une  fureur  réenQammée 
Au  mirag-e  d'un  pâle  espoir, 
'Monte  parfois  de  l'entonnoir 
De  bruit  et  de  fumée, 
-Où  l'on  se  bat,  à  coups  de  vols,  en  bas. 
■Lang-ues  sèches,  reg-ards  aigus,  gestes  inverses, 
jEt  cervelles,  qu'en  tourbillons  les  millions  traversent, 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  l5^ 


Echang-ent  là,  leur  peur  et  leur  terreur. 
La  hâte  y  simule  l'audace 
Et  les  audaces  se  dépassent  ; 
Des  doig-ls  grattent,  sur  des  ardoises, 
L'afi'olement  de  leurs  ang-ôisses; 
Cyniquement,  tel  escompte  1  éclair 
Qui  casse  un  peuple  au  bout  du  monda  ; 
Les  chimères  sont  volantes  au  clair  ; 
Les  chances  fuient  ou  surabondent  ; 
Marchés  conclus,  marchés  rompus 
Luttent  et  s'entrebutent  en  disputes; 
L'air  brûle  —  et  les  chiffres  paradoxaux. 
En  paquets  pleins,  en  lourds  trousseaux. 
Sont  rejetés  et  cahotés  et  ballottés 
Et  s'effarent  en  ces  bagarres, 
Jusqu'à  ce  que  leurs  sommes  laisses, 
M.1SSCS  contre  masses, 
Se  cassent. 

Tels  jours,  quand  les  débâcles  se  décident, 

La  mort  les  paraphe  de  suicides 

Et  les  chutes  s'effritent  en  ruines 

11 


j6o  les  villes  tentaculaiuks 

■Qui  s'illuminent 

;En  obsèques  exaltatives. 

Mais,  le  soir  môme,  aux  heures  blêmes, 
•Les  volontés,  dans  la  fièvre,  revivent; 

L'acharnement  sournois 

Reprend,  comme  autrefois. 

•On  se  trahit,  on  se  sourit  et  l'on  se  mord 
Et  l'on  travaille  à  d'autres  morts . 
La  haine  ronfle,  ainsi  qu'une  machine. 
Autour  de  ceux  qu'elle  assassine. 
On  vole,  avec  autorité,  les  g^ens 
Dont  les  avoirs  sont  indig-ents. 
On  môle  avec  l'honneur  l'escroquerie, 
Pour  amorcer  jusqu'aux  patries 
Et  ameuter  vers  l'or  torride  et  infamant. 
L'universel  affolement. 

Uh  l'or  I  là-bas,  comme  des  tours  dans  les  nuag-cs. 
Comme  des  tours,  sur  l'étagère  des  mirages. 
L'or  énorme  !  comme  des  tours,  là-bas, 
Avec  des  millions  de  bras  vers  lui. 


LES    VILLES    TENTACULAIUKS  l6l 

Et  des  gestes  et  des  appels  ht  nuit 
Et  la  prièie  unanime  qui  gronde, 
De  l'un  à  1  antre  bout  des  horizons  du  monde! 

Là-bas!  des  cubes  d'or  sur  des  triangles  d'or, 
Et  tout  autour  les  fortunes  célèbres 
S'échafaudanl  sur  des  algèbres. 

De  l'or  !  —  boire  et  manger  de  l'or  ! 

Et,  plus  féroce  encor  que  la  rage  de  l'or, 

La  foi  au  jeu  mystérieux 

Et  ses  hasards  hagards  et  ténébreux 

Et  ses  arbitraires  vouloirs  certains 

Qui  restaurent  le  vieux  destin  ; 

Le  jeu,  axe  terrible,  où  tournera  autour  de  l'avenlure. 

Par  seul  plaisir  d'anomalie. 

Par  seul  besoin  de  rut  et  de  folie. 

Là-bas,  où  se  croisent  les  lois  d'effroi 

Fa  les  suprêmes  désarrois, 

Eperdûment,  la  passion  future. 

Comme  un  torse  de  pierre  et  de  métal  debout. 


102  LES    VILLES   TENTACULAIRES 

Avec,  en  son  mystère  Immonde, 

Le  coeur  battant  et  haletant  du  monde, 

Le  monument  de  l'or  dans  les  ténèbres  bout. 


LKS    VILLES   TENTACLt.AinES  I  03 


LE  BAZAR 


C'est  un  bazar,  au  bout  des  faubourgs  roug'cs  : 
Elalag-es  bondés,  éventaires  ventrus. 
Tumulte  et  cris  brandis,  gestes  bourrus  et  crus, 
El  lettres  d'or,  qui  soudain  boug^ent. 
En  torsades,  sur  la  façade. 

Chaque  matin,  on  vend,  en  ce  bazar. 

Parmi  les  épices,  les  fards 

Et  les  drog-ues  omnipotentes, 

A  bon  marché,  pour  quelques  sous. 

Les  diamants  dissous 

De  la  rosée  immense  et  éclatante. 


l64  LES    VILLES    TENTACULAIRES 


Le  soir,  à  prix  numéroté, 

Avec  le  désir  noir  de  trafiquer  de  la  purct6, 

On  y  brocante  le  soleil 

Que  toutes  les  vagues  de  la  mer  claire 

Lavent,  entre  leurs  doigts  vermeils, 

Aux  horizons  auréolaires. 

C'est  un  bazar,  avec  des  murs  géants 

Et  des  balcons  et  des  sous-sols  béants 

Et  des  tympans  montés  sur  des  corniches 

Et  des  drapeaux  et  des  affiches, 

Où  deux  clowns  noirs  plument  un  ange. 

A  travers  boue,  à  travers  fange. 

Roulent,  la  nuit  vers  le  bazar, 

Les  chars,  les  camions  et  les  fardiers, 

Qui  s'en  reviennent  des  usines 

Voisines, 

Des  cimetières  et  des  charniers. 

Avec  un  tel  poids  noir  de  cargaisons. 

Que  le  sol  bouge  et  les  maisons. 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  l65 


On  met  au  clair  à  certains  jours. 

En  de  vaines  et  frivoles  boutiques, 

Ce  que  l'humanité  des  temps  antiques 

Croyait  divinement  être  l'amour; 

Aussi  les  Dieux  et  leur  beauté 

Et  l'effrayant  aspect  de  leur  éternité 

Et  leurs  yeux  d'or  et  leurs  mythes  et  leurs  emblème» 

Et  des  Kvres  qui  les  blasphèment. 

Toutes  ardeurs,  tous  souvenirs,  toutes  prières 
Sont  là,  sur  des  étals,  et  s'empoussièrent. 
Des  mots  qui  renfermaient  l'âme  du  monde 
Et  que  les  prêtres  seuls  disaient  au  nom  de  tous. 
Sont  charriés  et  ballottés,  dans  la  faconde 
Des  camelots  et  des  voyous. 
L'immensité  se  serre  en  des  armoires 
Dérisoires  et  rayonne  de  plaies 
Et  le  sens  même  de  la  gloire 
Se  définit  par  des  monnaies. 

Lettres  jusques  au  ciel,  lettres  en  or  qui  boug^. 


2/56  LES    VILLES    TENTACULAIRUS 

C'est  un  bazar  au  boni  des  faubourg-s  roug-cs! 

La  foule  et  ses  flots  noirs 

S'y  bouscule  près  fies  comptoirs; 

La  foule  et  ses  désirs  multiplies, 

Par  centaines  et  par  milliers, 

Y  tourne,  y  monte,  au  Ion;»-  des  escaliers. 

Et  s'érig^e  folle  et  sauvage, 

En  spirale,  vers  les  élag-es. 

Là  haut,  c'est  la  pcnsôe 

Immortelle,  mais  convulsée. 

Avec  ses  triomphes  et  ses  surprises, 

Qu'à  la  hâte  on  expertise. 

Tous  ceux  dont  le  cerveau 

S'enflamme  aux  feux  des  problèmes  nouvpî  nx. 

Tous  les  chercheurs  qui  se  fixent  pour  cible 

Le  front  d'airain  de  l'impossible 

El  le  cassent,  pour  que  les  découvertes    ^ 

S'en  échappent,  ailes  ouvertes, 

Sont  là  g-auches,  fiévreux,  distrails, 

Dupes  des  gens  qui  les  renient 

Mais  utilisent  leur  génie, 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  167 


Et  font  arg-ent  de  leurs  secrets. 


Oh!  les  Edens,  là-bas,  au  bout  du  monde, 

Avec  des  arbres  purs  à  leurs  sommets, 

Que  ces  voyants  des  lois  profondes 

Ont  exploré  pour  à  jamais, 

Sans  se  douter  qu'ils  sont  les  Dieux. 

Oh  !  leur  ardeur  à  recréer  la  vie, 

Selon  la  foi  qu'ils  ont  en  eux 

El  la  douceur  et  la  bonté  de  leurs  grands  yeux, 

Quand,  revenus  de  l'inconnu 

Vers  les  hommes,  d'où  ils  s'érig-cnl. 

On  leur  vole  ce  qui  leur  reste  aux  mains 

De  vérité  conquise  et  de  destin. 

C'est  un  bazar  tout  en  vertiges 

Que  bat,  continûment,  la  foule,  avec  ses  houl.  h 

Et  ses  vag-ues  d'arg-ent  et  d'or  ; 

C'est  un  bazar  tout  en  décors. 

Avec  des  tours  de  feux  et  des  lumières, 

Si  large  et  haut  que,  dans  la  nuit. 

Il  apparaît  la  bête  éclatante  de  bruit 

Qui  monte  épouvanter  le  silence  stellaire. 


l08  LtS    VILI.es    TENIACULAinES 


L'ETAL 


Non  loin  du  port,  la  nuit,  lorsque  l'essor 
Des  tours  et  des  palais  vertigineux  s'affaisse 
Dans  l'ombre  —  et  que  brûlent  des  yeux  de  braise, 
Le  quartier  fauve  et  noir  allume  encor 
Son  vieux  décor  de  vice  et  d'or. 

Des  commères,  blocs  de  viande  tassée  et  lasse, 

Interpellent,  du  seuil  de  portes  basses, 

Les  g'ens  qui  passent; 

Derrière  elles,  au  fond  des  couloirs  rou|^(?s 

Des  feux  luisent,  un  rideau  bouge 

Et  se  soulève  et  permet  d'entrevoir 


LES    VILLES    TENTACLLAiriES  1 6g 

De  la  chair  nue  en  des  miroirs. 

Le  port  est  proche.  A  g-auche,  au  bout  des  rues, 
L'emmêlement  des  mâts  et  des  vergues  obstrue 
Un  pan  de  ciel  énorme  ; 

A  droite,  un  tas  grouillant  de  ruelles  difformes 
Choit  de  la  ville  —  et  les  foules  obscures 
S'y  dépêchent  vers  leurs  destins  de  pourriture. 

C'est  l'étal  flasque  et  monstrueux  de  la  luxure 
Dressé,  depuis  toujours,  sur  les  frontières 
De  la  cité  et  de  la  mer. 

Là-bas,  parmi  les  flots  et  les  hasards, 

Ceux  qui  veillent  mélancoliques,  aux  bancs  de  quart 

Et  les  mousses,  dans  les  agrès  et  les  cordes  pendues, 

Et  les  marins  hallucinés  par  les  yeux  bleus  des  étendues. 

Tous  en  rêvent  et  l'évoquent,  tels  soirs; 

Le  cru  désir  les  tord  en  efl'rénés  vouloirs  ; 

Les  baisers  mous  du  vent  sur  leur  torse  circulent; 

La  Tague  éveille  en  eux  des  images  qui  brûlent  ; 

Et  leurs  deux  bras  supplient  et  longuement  se  désespèrent 


170  LES    VILLES    TENTACULAinF.S 

Et  s'cxaltcnl,  tendus  du  côté  de  la  Icrre. 

Et  ceux  d'ici,  ceux  des  bureaux  cl  des  bazars, 
Chiffreurs  létus,  marchands  précis,  scribes  hag-ards, 
Fronts  assouplis,  cerveaux  loues  et  mains   vendues, 
Quand  les  clefs  de  la  caisse  au  mur  sont  appcndues, 
Sentent  le  même  rut  mordre  leur  corps,  tels  soirs  ; 
On  les  entend  descendre  en  troupeaux  noirs, 
Comme  des  chiens  chassés,  du    fond  du  crépuscule, 
Et  la  débauche  en  eux  si  fortement  bouscule 
Leur  avarice  et  leur  prudence  routinière 
Qu'elle  les  use  et  les  détraque  et  les  ruine,  avec  colère. 

C'est  l'étal  flasque  et  monstrueux  de  la  luxure 
Dressé,  depuis  toujours,  sur  les  frontières 
De  la  cité  et  de  la  mer. 

Venus  de  quels  lointains  bénins  ou  fatidiques  î 
Venus  de  quels  comptoirs  fiévreux  ou  méthodiques  ? 
Avec,  en  leurs  yeux  durs,  la  haine  âpre  et  sournoise, 
Avec,  en  leur  instinct,  la  bataille  et  l'ang-oisse. 
Autour  de  femelles  roug-es  qui  les  affolent, 


LES    VILLES   TE.NTACULAIRE8  I7I 

Ils  s'assemblent  et  s'ameutent  en  rameuses  paroles. 

De  gros  lambris  fougueux  et  des  ornements  crus 

Luisent,  au  long-  des  murs  et,  par  bouquets,  se  dardent  ; 

Des  satyres  sautants  et  des  Bacçhus  ventrus 

Rient  d'un  rire  immobile  en  des  glaces  blafardes; 

Des  fleurs  meurent.  Sur  des  tables  de  jeu, 

Les  bols  chau  (Tcn t,  tordant  leur  flamme  en  cheveux  bleus  ; 

Un  pot  de  fard  s'encrasse,  au  coin  d'une  étagère  ; 

Une  chatte  bondit  vers  des  mouches,  légère; 

Un  ivrogne  sommeille  étendu  sur  un  banc, 

Et  des  femmes  viennent  à  lui  et  se  penchant 

Frôlent  ses  yeux  fermés,  avec  leurs  seins  énormes, 

Leurs  compagnes,  reins  fatigués,  croupes  qui  dorment,. 

Sur  des  fauteuils  et  des  divans  sont  empilées, 

La  chair  morne  et  vagjie  d'avoir  été  foulée 

Par  les  premiers  passants  de  la  vigne  banale. 

L'une  d'elles  coule  en  son  bas  un  morceau  d'or, 

Une  autre  bâille  et  s'élire,  d'autres  encor 

—  Flambeaux  défunts,  tyrses  usés  des  bacchanales — - 

Sentant  l'âge  et  la  fin  les  flairer  du  museau, 


172  LES    VILLES    TENTACULAIHES 

Les  yeux  fixes,  se  caressent  la  peau, 
D'une  main  lente  et  machinale. 

C'est  l'étal  flasque  et  monstrueux  de  la  luxure 
Dressé,  depuis  toujours,  sur  les  frontières 
De  la  cité  et  de  la  mer. 

D'après  l'argent  qui  tinte  dans  les  poches, 
La  promesse  s'échang-e  ou  les  reproches. 
Un  cynisme  tranquille,  une  ardeur  lasse 
Préside  à  la  tendresse  ou  la  menace . 
L'étreinte  et  les  baisers  ennuient.  Souvent, 
Lorsque  les  poing-s  s'entrecog-nent,  au  vent 
Des  insultes  et  des  jurons,  toujours  les  mêmes, 
Quelque  gaieté  s'essore  et  jaillit  des  blasphèmes. 
Mais  aussitôt  retombe  —  et  l'on  entend. 
Dans  le  silence  inquiétant, 
Un  clocher  proche  et  haletant 
Sonner  l'heure  lourde  et  funèbre, 
Sur  la  ville,  dans  les  ténèbres. 

Pourtant,  à  certains  mois,  quand  les  fêtes  émargent 


LES    VILLES    TE.VTACULAIUeS  1.3 

L'hiver,  à  la  Noël,  l'clé,  à  la  Sainl-Pierre, 
Le  vieux  quartier  de  crasse  et  de  lumière 
Monte  vers  le  péché,  avec  un  élan  large. 

Il  fermente  de  chants  hurlés  et  de  tapage»  ; 
Fenêtre  par  fenêtre,  étage  par  étage, 
Ses  façades  dardent,  de  haut  en  bas. 
Le  vice  —  et,  jusqu'au  fond  des  galetas. 
Brame  l'ardeur  et  s'accouplent  les  rage». 
Dans  la  grand'salle,  où  les  marins  affluent,^ 
Poussant  au  devant  d'eux  quelque  bouffon  des  rues 
Qui  se  convulsé  en  mimiques  obscènes, 
Les  vins  d'écume  et  d'or  bondissent  de  leur  gaine  ; 
Les  hommes  saouls  braillent  comme  des  fous, 
Les  femmes  se  livrent  —  et,  tout  à  coup. 
Les  ruts  flambent,  les  bras  se  nouent,  les  corps  se  lorden'. 
On  ne  voit  plus  que  des  instincts   qui  s'entrcmordent, 
Des  seins  offerts,  des  vent  respris  —  et  l'incendie 
t     Des  jeux  hagards  en  des  buissons  de  chair  brandie. 

Et  cela  monte  et  s'affaisse  pour  remonter  encore  : 
Et  cela  roule,  ainsi  que  des  marées 


174  LES   VILLES    TENTACULAIMS 

Exaspérées, 

Jusqu'au  moment,  où  l'aube  emplit  le  port* 

Et  que  la  mort  ardente  aux  renouveaux 

Balaie  et  repousse  vers  les  havres 

Ce  qui  reste,  sur  le  carreau. 

De  débauche  tuée  et  de  cadavres. 

C'est  l'étal  flasque  et  monstrueux  de  la  luxure, 

Où  le  crime  plante  ses  couteaux  clairs, 

Où  la  folie,  à  coups  d'éclairs. 

Fêle  les  fronts  de  meurtrissures, 

C'est  l'étal  flasque  et  monstrueux. 

Dressé,  depuis  toujours,  sur  les  frontières 

Tributaires  de  la  cité  et  de  la  mer. 


LES    VILLES    TENTACL'LAmES  175 


LA  REVOLTE 


La  rue,  en  un  remous  de  pas, 

De  corps  et  d'épaules  d'où  sont  tendus  des  bras 

Sauvag-ement  ramifiés  vers  la  folie, 

Semble  passer  volante, 

Et  ses  fureurs,  au  même  instant,  s'allient 

A  des  haines,  à  des  appels,  à  des  espoirs; 

La  rue  en  or, 

La  rue  en  rouge,  au  fond  des  soirs. 

Toute  la  mort 

En  des  befifrois  tonnants  se  lève  ; 

Toute  la  mort,  surg-ie  en  rêves, 


12 


lyÔ  LES    VILLES    TENTACULAIRES 

Avec  des  feux  et  des  épées 

Et  des  têtes,  à  la  tig-e  des  glaives, 

Comme  des  fleurs  atrocement  coupées. 

La  toux  des  canons  lourds, 

Les  lourds  hoquets  des  canons  sourds 

Mesurent  seuls  les  pleurs  et  les  abois  de  l'heure. 

Les  cadrans  blancs  des  carrefours  obliques, 

Comme  des  yeux  en  des  paupières, 

Sont  défoncés  à  coups  de  pierre  : 

Le  temps  normal  n'existant  plus 

Pour  les  cœurs  fous  et  résolus 

De  ces  foules  hyperboliques. 

La  rage,  elle  a  bondi  de  terre 

Sur  un  monceau  de  pavés  gris, 

La  rage  immense,  avec  des  cris. 

Avec  du  sang  féroce  en  ses  artères, 

Et  pâle  et  haletante 

Et  si  terriblement 

Que  son  moment  d'élan  vaut  à  lu'  seul  le  Icnapa 

Que  met  un  siècle  en  gravitant 


LES    VILLK9    TBNTAGl'LAmES  1^7* 

Autour  de  ses  cent  ans  d'attente. 

Tout  ce  qui  fut  rêvé  jadis; 

Ce  que  les  fronts  les  plus  hardis 

Vers  l'avenir  ont  instauré  ; 

Ce  que  les  âmes  ont  brandi, 

Ce  que  les  veux  ont  imploré, 

Ce  que  toute  la  sève  humaine 

Silencieuse  a  renfermé, 

S'épanouit,  aux  mille  bras  armés 

De  ces  foules,  brassant  leur  houle  avec  leurs  haines. 

C'est  la  fête  du  sang  qui  se  déploie, 

A  travers  la  terreur,  en  étendards  de  joie  : 

Des  g-ens  passent  rouges  et  ivres  ; 

Des  gens  passent  sui*  des  g'ens  morts  ; 

Les  soldats  clairs,  casqués  de  cuivre, 

Ne  sachant  plus  où  sont  les  droits,  où  sont  les  torts. 

Las  d'obéir,  chargent,  mollassement, 

Le  peuple  énorme  et  véhément 

Qui  veut  enfin  que  sur  sa  tête 

Luisent  les  ors  sang-lants  et  violents  de  la  conquête. 


uns    VILLES    TENTACULAinKS 


—  Tuer,  pour  rajeunir  et  pour  créer  I 

Ainsi  que  la  nature  inassouvie 

Mordre  le  but,  éperdument, 

A  travers  la  folie  énorme  d'un  moment  : 

Tuer  ou  s'immoler  pour  tordre  de  la  vie  !  — 

Voici  des  ponts  et  des  maisons  qui  brûlent, 

En  façades  de  sang-,  sur  le  fond  noir  du  crépuscule  ; 

L'eau  des  canaux  en  réfléchit  les  fumantes  splendeurs, 

De  haut  en  bas,  jusqu'eq  ses  profondeurs  ; 

D'énormes  tours  obliquement  dorées 

Barrent  la  ville  au  loin  d'ombres  démesurées; 

Les  bras  des  feux,  ouvrant  leurs  mains  funèbres. 

Eparpillent  des  tisons  d'or  par  les  ténèbres  ; 

Et  les  brasiers  des  :oits  sautent  en  bonds  sauvag-es, 

Hors  d'eux-mêmes,  jusqu'aux  nuag-es. 

On  fusille  par  tas,  là-bas. 

La  mort,  avec  des  doig-ts  précis  et  mécaniques, 
Au  tir  rapide  et  sec  des  fusils  lourds. 
Abat,  le  long-  des  murs  du  carrefour, 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  179 

Des  corps  raidis  en  g-esles  tétaniques  ; 
Leurs  rangs  entiers  tombent  comme  des  barres. 
Des  silences  de  plomb  pèsent  sur  les  bagarres. 
Les  cadavres,  dont  les  balles  ont  fait  des  loques. 
Le  torse  à  nu,  montrent  leurs  chairs  baroques; 
El  le  reflet  dansant  des  lanternes  fantasques 
Crispe  en  rire  le  cri  dernier  sur  tous  ces  masques. 

Tapant  et  haletant,  le  tocsin  bat, 

Comme  un  cœur  dans  un  combat, 

Quand,  tout  à  coup,  pareille  aux  voix  asphyxiées. 

Telle  cloche  qui  âprement  tintait. 

Dans  sa  tourelle  incendiée, 

Se  tait. 

Aux  vieux  palais  publics,  d'où  les  échevins  d'or 

Jadis  domptaient  la  ville  et  refoulaient  reff"orl 

Et  la  marée  en  rut  des  multitudes  fortes, 

On  pénètre,  cog-nant  et  martelant  les  portes; 

Les  clefs  sautent  et  les  verrous  ; 

Des  armoires  de  fer  ouvrent  leur  trou. 

Où  s'alignent  les  lois  et  les  harangues; 


iSo 


LIS    VILLES    TKNTAGULAIRES 


Une  torche  les  lèche,  avec  sa  lang-ue, 

Et  tout  leur  passé  noir  s'envole  et  s'éparpille. 

Tandis  que  dans  la  cave  et  les  greniers  on  pille 

Et  que  l'on  jette  au  loin,  par  les  balcons  hag-ards, 

Des  corps  humains  fauchant  le  vide  avec  leurs  brasépars. 

Dans  les  ég-lises, 

Les  verrières,  où  les  martyres  sont  assises, 

Jonchent  le  sol  et  s'émiettent  comme  du  chaume; 

Un  Christ,  exsang-ue  et  long-  comme  un  fantôme, 

Est  lacéré  et  pend,  tel  un  haillon  de  bois, 

Au  dernier  clou  qui  perce  encor  sa  croix  ; 

Le  tibernacle,  où  sont  les  chrêmes, 

Est  enfoncé,  à  coups  de  poings  et  de  blasphème»; 

On  soufflette  les  Saints  près  des  autels  debout 

Et  dans  la  g-rande  nef,  de  l'un  à  l'autre  bout, 

—  Telle  une  neig-e  —  on  dissémine  les  hosties 

Pour  qu'elles  soient,  sous  des  talons  rag-eurs,  anéanties. 

Tous  les  joyaux  du  meurtre  et  des  désastres, 
Etincellent  ainsi,  sous  l'œil  des  astres; 
La  ville  entière  éclate 


LES    VILLES    TB.NTACi;i.AmKâ  l8l 

En  pays  d'or  coiffé  de  flammes  écarlates; 

La  ville,  au  foud  des  soirs,  vers  les  lointains  houleux. 

Tend  sa  propre  couronne  énormément  en  feu  ; 

Toute  la  rag-e  et  toute  la  folie 

Brassent  la  vie  avec  leur  lie, 

Sî  fort  que,  par  instants,  le  sol  semble  trembler, 

Et  l'espace  brûler 

Et  la  fumée  et  ses  fureurs  s'écheveler  et  s'envole/ 

Et  balayer  les  g^rands  cieux  froids. 

—  Tuer,  pour  rajeunir  et  pour  créer; 

Ou  pour  tomber  et  pour  mourir,  qu'importe! 

Ouvrir,  ou  se  casser  les  poing-s  contre  la  porte  î 

Et  puis  —  que  son  printemps  soit  vert  ou  qu'il  soit  r  i>ii:,-e  — 

Vest-elle  point,  dans  le  monde,  toujours, 

Haletante,  par  à  travers  les  jours, 

La  puissance  profonde  et  fatale  qui  bouge  ! 


lH2  LES    VILLES    TENTACULAIRES 


AU  MUSÉE 


La  couronne  formidable  des  rois 
En  s'appuyant  de  tout  son  poids 
Sur  un  masque  de  cire 
Semblait  broyer,  dans  ce  hall  froid, 
Tout  un  empire. 

Le  pâle  émail  des  yeux  usés 
S'était  fendu  en  agonies 
Minuscules,  mais  infinies, 
Sous  les  sourcils  martyrisés. 

Le  front  avait  été  l'éclair, 


LK8    VILLES    TtNTACULAmES  l8i 


Avant  que  les  pâles  années 
N'eussent  rivé  les  destinées, 
Sur  ce  bloc  mort  de  morne  chair. 

Les  crins  encore  étaient  ardents, 
Mais  la  colossale  mâchoire, 
Mi-ouverte;  laissait  la  g-loire 
Tomber  morte  d'entre  les  dents. 

Depuis  des  temps  qu'on  ne  sait  pas, 
La  couronne,  violemment  cruelle, 
De  sa  poussée  indigcontinuelle 
Ployait  le  chef  toujours  plus  las. 

Les  astuces,  les  perfidies 

Louchaient  en  ses  joyaux  taillés. 

Et  les  meurtres,  les  sang-s,  les  incendies 

Semblaient  reluire  entre  ses  ors  caillés. 

Elle  écrasait  et  abattait 

Ce  qui  jadis  était  sa  gloire  : 

Le  front  géant  qui  la  portait 


l84  LES    VILLES    TENTACULAIRES 

Et  la  dardait  vers  les  victoires 
Et  telle,  accomplissait,  sans  bruit, 
L'œuvre  d'une  force  qui  se  détruit, 
Obstinément,  soi-tnême, 
Et  finit  par  se  définir 
Pour  l'avenir 
Dans  un  emblème. 

Couronne  et  tête  étaient  placées, 

Couronne  ardente  et  tête  autoritaire. 

En  un  log-is  de  verre, 

Au  fond  d'un  hali,  dans  un  musêe- 

L'image  apparaissait  définitive. 

Un  vieux  g-ardien,  vêtu  de  noir, 

Veillait,  obstinément,  sans  voir 

Que  cette  mort  se  consommait  impérative 

£t  présidait  h  la  force  toujours  accrue 

De  la  foule  brassant  sa  vie  et  ses  rumeurs 

Et  ses  clameurs  et  ses  fureurs  au  fond  des  ruca. 


LES    V1LLE3    TENTACLLAIIIES  1 85 


UNE  STATUE 


Avec,  devant  les  yeux,  l'astre  qu'était  son  âme 

Par  des  chemins  de  rocs  incandescents  de  flamme, 

Il  s'en  était  allé  si  loin  vtrs  l'inconnu 

Que  son  siècle  vieux  et  chenu, 

Toussant  la  mort,  au  vent  trop  fort  de  sa  pensée. 

L'avait  férocement  enseveli  sous  la  risée. 

Il  était  oublié,  depuis  des  tas  d'années 
Vers  l'avenir  échelonnées. 
Lorsqu'un  matin  la  ville  éclata  d'or 
Et  de  fôte  pour  son  apothéose 
Et  le  g-randit  en  une  pose 


l86  LES    VILLES   TENTACULAÏRES 

De  volonté  debout  sur  un  piédestal  d'or. 

On  inscrivit  sur  le  granit  de  g"loire, 
L'exil  subi,  la  faim,  l'affre  et  la  prison, 
Et  l'on  tressa,  comme  une  floraison. 
Son  crime  ancien,  autour  de  sa  mémoire. 

On  lui  prit  sa  pensée  et  l'on  en  fit  des  lois  ; 
On  lui  prit  sa  folie  et  l'on  en  fit  de  l'ordre  : 
Et  ses  railleurs  d'antan  ne  savaient  plus  où  mordre 
Le  battant  de  toscin  qui  sautait  dans  sa  voix. 

Son  imag-e  d'airain  sacra  le  carrefour, 
D'où  l'on  voyait  briller,  ag-randi  de  mystère, 
Son  front  suprême  et  clair  et  larg-e  et  comme  austère 
Dans  le  tumulte  et  la  rag-e  des  jours. 


LES    Vit  LES    TE.NTACLLAII\ES 


LA  MORT 


Avec  ses  larges  corbillards 
Ornés  de  plumes  majuscules, 
Par  les  malins  et  les  brouillards, 
La  mort  circule. 

Parée  et  noire  et  opulente, 
Tambours  voilés,  musiques  lentes. 
Avec  ses  larges  corbillards, 
Ornés  de  pâles  lampadaires, 
La  Mort  s'étale  et  s'exagère. 

Sous  les  porclvM  illuminés. 


LES    VILLES    TENTACULAIRES 


Pareils  aux  nocturnes  trésor», 
Les  gros  cercueils  écussonnés 
—  Larmes  d'argent  et  blasons  d'or  — 
Écoutent  l'heure  éclatante  des  g-las 
Que  les  cloches  cassent,  là-bas; 
L'heure  qui  tombe,  avec  des  bonds 
Et  des  sang-lots,  sur  les  maisons. 
L'heure  qui  meurt  sur  les  demeures, 
Avec  des  bonds  et  des  sang-lots  de  plomb. 

Parée  et  noire  et  opulente, 
Au  cri  des  org-ues  violentes 
Qui  la  célèbrent, 
La  mort  toute  en  ténèbres 
Règ-ne,  comme  une  idole  assise, 
Sous  la  coupole  des  ég-Iises. 

Des  feux  tordus  comme  des  hydres, 
Buissonnent  clairs,  autour  du  catafalque  immense, 
Où  des  ang-es,  tenant  des  faulx  et  des  clepsydres, 
Dressent  leur  véhémence. 
Clairons  dardés,  vers  le  néant. 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  l8<} 

Le  vide  en  est  grandi  sous  1«  transept  béant  ; 
De  pâles  voix  d'enfants 
A  l'infini  crient  l'ag^onie, 
Par  à  travers  ces  ironies. 
Tandis  que  les  hautes  murailles 
Montent,  comme  des  linceuls  blancs, 
Autour  du  bloc  formidable  et  branlant 
De  ces  coupables  funérailles. 


Drapée  en  noir  et  familière, 
La  Mort  s'en  va  le  lo 
Lonsfues  et  linéaires. 


La  INIort  s'en  va  le  long  des  rues 


Drapée  en  noir,  comme  le  soir, 

La  vieille  Mort  agressive  et  bourrue 

S'en  va  par  les  quartiers 

Des  boutiques  et  des  métiers, 

En  carrosse  qui  se  rehausse 

De  gros  lambris  exorbitants, 

Couleur  d'usure  et  d'ancien  temps. 

Drapée  en  noir,  la  Mort 


igO  LES    VILLES    TENTACULAIRKS 

Cassant,  entre  ses  mains,  le  sort 
Des  g"ens  méticuleux  et  réfléchis 
Qui  s'exténuent,  en  leurs  log-is, 
Vainement,  à  faire  fortune  ; 
La  Mort  soudaine  et  importune 
Les  met  en  ordre  dans  leurs  bières 
■Comme  des  fardes  rég-ulières. 

Et  les  cloches  sonnent  péniblement 

Un  malheureux  enterrement, 

Sur  le  défunt,  que  l'on  trimballe, 

Par  les  ég-lises  colossales, 

Yers  un  coin  d'ombre,  où  quelques  cierges, 

Pauvres  flammes,  brûlent,  devant  la  Vierge. 

Vêtue  en  noir  et  besogneuse, 

La  Mort  gagne  jusqu'aux  faubourgs, 

En  charriot  branlant  et  lourd, 

Avec  de  vieilles  haridelles 

«Qu'elle  flagelle 

"Chaque  matin,  vers  quels  destins? 


LSS    VILLES    TENTACULAIHES 


Vêtue  en  noir, 

La  Mort  enjambe  le  trottoir 

El  l'égcoût  pâle,  où  se  mirent  les  bornes, 

Une  à  une,  qui  vont  là-bas,  vers  les  champs  mornes  ; 

El  leste  et  droite  et  dédaigneuse 

Gayne  les  escaliers  et  s'arrête  sur  les  paliers 

Où  l'on  entend  pleurer  et  sang^loter, 

Derrière  la  porte  entr'ou verte, 

Des  ^ens  laissant  l'espoir  tomber,  inerte. 

Et  dans  la  pîuie  indéfinie, 

Une  petite  église  de  banlieue, 

Très  maigrement,  tinte  un  adieu, 

Sur  la  bière  de  sapin  blanc 

Qui  se  rapproche,  avec  des  g"ens  dolents. 

Par  les  routes,  silencieusement. 

Telle  la  Mort  journalière  et  logique 

Qui  fait  son  œuvre  et  la  marque  de  croix 

El  d'adieux  mornes  et  de  voix 

Criant  vers  l'inconnu  leurs  espoirs  liturgiques. 

13 


iQ2 


LES    VILLES    TENTACULAIRES 


Mais  d'autres  fols,  c'est  la  Mort  grande  et  sa    Icg-ende, 
Avec  son  aile  a     loin  ramante, 
Vers  les  villes  ae  l'épouvante. 

Un  ciel  en  fusion  plombe  la  terre  moite; 

Des  tours  noires  s'étirent  droites 

Telles  des  bras,  dans  la  terreur  des  crépuscules; 

Les  nuits  tombent  comme  épaissies, 

Les  nuits  lourdes,  les  nuits  moisies, 

Où,  dans  l'air  g-ras  et  la  chaleur  rancie, 

Tombereaux  pleins,  la  Mort  circule, 

Ample  et  g-éante  comme  l'ombre, 

Du  haut  en  bas  des  maisons  sombres, 

On  l'écoute  glisser  muette  et  haletante. 

La  peur  du  jour  qui  vient,  la  peur  de  toute  attente, 

La  peur  de  tout  instant  qui  se  décoche 

Perséoute  les  cœurs,  partout, 

Et  redresse,  soudain,  en  leur  sueur,  debout. 

Ceux  qui,  vers  les  minuits,  songent  au  matin  proche. 

Le?  hôpitaux  g-onflés  de  maladies, 


LtS    VILLES   TENTACULAIRKS  Ij3 

Avec  les  yeux  fiévreux  de  leurs  fenôlres  rouges, 
Fixent  le  ciel  nocturne,  où  rien  ne  bouge 
Ni  ne  répond  aux  détresses  brandies. 

Les  égouts  roulent  le  poison 
Et  les  acides  et  les  chlores, 
Couleur  de  nacre  et  de  phosphore, 
Vainement  tuent  sa  floraison. 

De  gros  bourdons  résonnent 
Pour  tout  le  monde,  pour  personne; 
Les  églises  ont  barricadé  leur  seuil, 
Devant  la  masse  des  cercueils. 

Comme  des  bateaux  noirs  que  repousse  le  havrt, 

La  pourriture,  elle  est,  là-bas. 

Numérotée  en  tas  ; 

Et  la  prière  même  a  peur  de  ces  cadavres. 

Et  l'on  entend,  en  galops  éperdus, 

La  mort  passer  et  les  bières  que  l'on  transporta 

Aux  nécropoles,  dont  les  portes, 


LES    VILLES    TENTACULAIRE3 


Ni  nuit  ni  jour,  ne  ferment  plus. 

Trag-ique  et  noire  et  légendaire, 
Les  pieds  gliiants,  les  gestes  fous, 
La  Mort  balaie  en  un  grand  trou 
La  ville  entière  au  cimetière. 


LES    VILLES    TENTACULAIREJ  |  q5 


LA  RECHERCHE 


('hambres  claires,  tours  el  laboratoires, 
Avec,  sur  leurs  frises,  les  sphinx  évocatoires 
El  vers  le  ciel,  braqués,  les  télescopes  d'or. 

Dlocs  de  lumière  éclatés  en  trésors, 
Cristaux  monumentaux  et  minéraux  jaspés, 
Glaives  de  soleil  vierge,  en  des  prismes  trempés. 
Creusets  ardents,  g-odets  rouges,  flammes  fertiles, 
Où  se  transmuent  les  poussières  subtiles; 
Instruments  nets  et  délicats. 
Ainsi  que  des  insecte?, 
Ressorts  tendus  et  balances  correctes, 


iq6  lbs  villes  tentaculaires 

Cônes,  seg-ments,  angles,  carres,  compas, 
Sont  là,  vivant  et  respirant  dans  l'atmosphère 
Do  lutte  et  de  conquête  autour  de  la  matière. 

Cest  la  maison  de  la  science  au  loin  dardéo, 
Obstinément  par  à  travers  les  faits  jusqu'aux  idées. 

Dites  !  quels  temps  versés  au  g-oufîre  des  années, 
Et  quelle  angoisse  ou  quel  espoir  des  destinées, 
Et  quels  cerveaux  chargés  de  noble  lassitude 
A-t-il  fallu  pour  faire  un  peu  de  certitude? 

Dites  I  l'erreur  plombant  les  fronts;  les  bagnes 
Do  la  croyance  où  le  savoir  marchait  au  pas  ; 
Dites  1  les  premiers  cris,  là-haut,  sur  la  montagne, 
ïués  parles  bruits  sourds  de  la  foule  d'en  bas. 

Dites!  les  feux  et  les  bûchers;  dites  I  les  claies; 
Les  regards  fous,  en  des  visages  d'efï'roi  blanc; 
Dites!  les  corps  martyrisés,  dites  I  les  plaies 
Criant  la  vérité,  avec  leur  bouche  en  sang. 


LES    VILLES    TENTACL'LAIRRS  IQy 


C'est  la  maison  de  la  science  au  loin  dardée, 
Obstinément,  par  à  travers  les  faits  jusqu'aux  idées. 

Avec  des  yeux 

Méticuleux  ou  monstrueux, 

On  y  surprend  les  croissances  ou  les  désastres 

S'échelonner,  depuis  l'atome  jusqu'à  l'astre. 

La  vie  y  est  fouillée,  immense  et  solidaire, 

En  sa  surface  ou  ses  replis  miraculeux, 

Comme  la  mer  et  ses  gouffres  houleux. 

Par  le  soleil  et  ses  mains  d'or  myriadaires. 

Chacun  travaille,  avec  avidité. 

Méthodiquement  lent,  dans  un  effort  d'ensemble  ; 

Chacun  dénoue  un  nœud,  en  la  complexité 

Des  problèmes  qu'on  y  rassemble  ; 

Et  tous  scrutent  et  regardent  et  prouvent. 

Tous  ont  raison  —  mais  c'est  un  seul  qui  trouve! 

Ah  celui-là,  dites  1  de  quels  lointains  de  fête; 

Il  vient,  plein  de^lartéet  plein  de  jour. 

Dites  !  avec  quelle  flamme  au  cœur  et  quel  amour 


198  LES    VILLES    TENTACCLAIHES 

Et  quel  espoir  illuminant  sa  tête; 
Dites!  comme  à  l'avance  et  que  de  fois 
Il  a  senti  vibrer  et  fermenter  son  être 
Du  même  rythme  que  la  loi 
Qu'il  définit  et  fait  connaître. 


Gomme  il  est  simple  et  clair  devant  les  choses 

Et  humble  et  attentif,  lorsque  la  nuit 

Glisse  le  mot  énig-matique  en  lui 

Et  descelle  ses  lèvres  closes; 

Et  comme  en  s'écoutant,  brusquement,  il  altcint. 

Dans  la  forêt  toujours  plus  fourmillante  et  verle, 

La  blanche  et  nue  et  vierg-e  découverte 

Et  la  promulg-ue  au  monde  ainsi  que  le  destin. 

Et  quand  d'autres,  autant  et  plus  que  lui, 
Auront  à  leur  lumière  incendié  la  terre 
Ft  fait  criei*  l'airain  des  portes  du  mystère, 
—  Après  combien  de  jours,  combien  de  nuits, 
Combien  de  cris  poussés  vers  le  néant  de  tout, 
Gombien  de  vœux  défunts,  de  volontés  à  bout 
Et  d'océans  mauvais  qui  rejettent  les  sondes  — 


LES    VILLES    TENTACULAIRKS  «93 

Viendra  l'instant,  où  tant  d'efiForts  savants  et  ing-éous. 
Tant  de  génie  et  de  cerveaux  tendus  vers  l'inconnu, 
Quand  même,  auront  bâti  sur  des  bases  profimilcs 
El  jaillissant  au  ciel,  la  synthèse  des  mon. les  I 

C'est  la  maison  de  la  science  au  loin  dard'!"©. 
Vers  l'unité  de  toutes  les  idées. 


LES    VILLES    TENTACULAIHES 


LES  IDEES 


Sur  la  Ville,  dont  les  affres  flamboient, 
Régnent,  sans  qu'on  les  voie. 
Mais  évidentes,  les  idées. 

On  les  rêve  parmi  les  brumes,  accoudées 
En  des  lointains,  là-haut,  près  des  soleils. 

Aubes  roug^,  midis  fumeux,  couchants  vermeils, 

Dans  le  tumulte  violent  des  heures. 

Elles  demeurent; 

Et  leur  âme,  par  au-delà  du  temps  et  de  l'espace, 

S'éternise,  devant  les  flux  et  les  reflux  qui  passent. 


LES    VILLBS    TKNTACLLa;PvKS 


Et  la  première  et  la  plus  vaste,  c'est  la  force 

Epanouie  ou  souterraine, 

Multipliée  en  poings,  en  bras,  en  torses, 

Ou  tout  à  coup  sereine. 

Dans  un  cerveau  suprême  et  foudroyant. 

Par  à  travers  l'or  effrayant. 

Les  cris,  la  chair,  le  sang,  la  lie. 

Elle  apparaît  :  celle  qui  tend  ou  qui  délie 

L'énorme  effort  humain  bandé  vers  la  folie. 

Depuis  que  se  mangent  ou  se  fécondent 

A  chaque  instant  qui  naît,  qui  meurt,  les  mondes, 

L'atome  est  vibrant  d'elle. 

Elle  est  l'ardeur  de  la  conquête  universelle. 

Indifférente  au  bien,  au  mal,  mais  haletante 

En  chaque  assaut  dont  les  cités  sont  fcrmcntantas, 

Elle  érige  la  gloire  en  beau  geste  dans  l'air, 

Ou  bien  allume,  à  coups  d'éclairs. 

Parla  nuit  sourde  où  rien  ne  bouge, 

Le  crime  immense  avec  la  mort  à  son  poing  rouge. 


LES    VILLES    TENTACULAinES 


Et  voici  la  justice  et  la  pitié,  jumelles; 

Mères  au  double  cœur  dont  les  claires  mamelles 

Versent  le  jour  clément  et  se  penchent  vers  tous. 

Ceux  d'aujourd'hui  les  affichent  deux  ennemies 

Luttant  avec  des  cris  et  des  antinomies, 

Au  nom  de  Christ,  le  maître  abominable  ou  doux, 

Selon  celui  qui  interprète  ses  paroles. 

La  loi  qui  est  déesse,  on  la  proclame  idole  ; 

Et  les  codes  sont  des  meutes  qu'on  dresse  à  mordre; 

Et  la  peur  règne  —  mais  l'ordre, 

Qui  doit  s'ouvrir  comme  une  grande  fleur 

Libre  et  vive,  malgré  ses  milliers  de  pétales, 

Dont  nul  n'a  comprimé  l'ardeur, 

Puisera  l'équité  dans  la  bonté  totale. 

Oh  1  l'avenir  montré  tel  qu'un  pays  de  flamme, 

Comme  il  est  beau  devant  les  âmes. 

Qui,  malgré  l'heure,  ont  confiance  en  leur  vouloir. 

Tant  de  siècles  ne  détiennent  l'espoir, 

Depuis  mille  et  mille  ans,  indestructible. 

Sans  que  tous  les  désirs  ligués,  frappant  la  cible, 

Ne  lucnl  un  iour  la  haine  et  n'instaurent  l'amour. 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  203 

La  conscience  humaine  est  sculptée  en  contours 
Puissants  et  délicats  que,  sans  cesse,  elle  affine, 
Pour  transmuer  sa  vie  en  facultés  divines 
Et  créer  son  bonheur  et  s'affirmer  :  un  Dieu; 
Le  futur  éclatant  est  un  oiseau  de  feu. 
Dont  les  plumes,  une  par  une. 
Se  détachant  de  l'aile  et  retombant  vers  nous, 
Frôlent  de  flamme  et  de  splendeur  nos  reg^ards  fous. 

Fl  plus  haute  que  n'est  la  force  et  la  justice. 

Par  au  delà  du  vrai,  du  faux,  de  l'équité, 

Plus  loin  que  l'innocence  ou  que  le  vice, 

Luit  la  beauté. 

Touffue  et  claire, 

Méduse  ténébreuse  et  Minerve  solaire, 

Fondant  la  double  mjthe  en  unique  splendeur, 

Elle  épouvante  de  grandeur. 

Sublime,  elle  a  pour  prêtres  les  génies 

Qui  communient 

De  la  lumière  de  ses  yeux  ; 

Les  temps  sont  datés  d'elle  et  marchent  g-lorieux, 

Selon  que  son  vouloir  les  prend  pour  ostiaires  ; 


2o4  LES    VILLES    TENTACULAIHES 

Sou  poing  crispé  saisit  les  mille  éclairs  contraires 

Et  les  assemble  et  les  resserre  et  les  unit, 

Pour  tordre  et  pour  forger  d'un  coup,  tout  l'infini. 

La  rose  Egypte  et  la  Grèce  dorée 

Jadis,  aux  temps  des  Dieux,  l'ont  instaurée 

En  des  temples  d'où  s'envolait  l'oracle; 

Et  Paris  et  Florence  ont  rêvé   le  miracle 

D'être,  à  leur  tour,  l'autel  où  ses  pieds  clairs, 

Vibrants  d'ailes,  se  poseraient  sur  l'univers. 

Aujourd'hui  même,  elle  apparaît  dans  les  fumées 

Les  yeux  offerts,  les  mains  encor  fermées, 

Le  corps  exalté  d'or  et  de  soleil  ; 

Un  feu  nouveau  d  entre  ses  doigts  vermeils 

Glisse  et  provoque  aux  conquêtes  certaines. 

Mais  les  marteaux  brutaux  des  tapages  modernes 

Cassent  un  bruit  si  fort,  sous  les  cieux  ternes. 

Que  son  appel  vers  ses  fervents  s'entend  à  peine. 

Et  néanmoins  elle  est  la  totale  harmonie 
Qui  se  transforme  et  se  restaure  à  l'infini, 
Par  à  travers  les  mille  efforts  que  l'on  croit  vains. 
Elle  est  la  clef  du  cycle  humain, 


LES    VILLES    TENTACULAIRES 


205 


Elle  sug-g-ère  à  tous  l'existence  parfaite, 

La  simple  joie  et  l'effort  éperdu, 

Vers  les  temps  clairs,  baig'ués  de  fête 

Et  sonores,  là-bas,  d'un  large  accord  inenlendu. 

Quiconque  espère  en  elle  est  au  delà  de  l'heure 

Qui  frappe  aux  cadrans  noirs  de  sa  demeure  ; 

El  tandis  que  la  foule  abat,  dans  la  douleur. 

Ses  pauvres  bras  tendus  vers  la  splendeur. 

Parfois,  déjà,  dans  le  miraçe,  on  quelque  âme  s'isulo, 

La  beauté  passe  —  et  dit  les  futures  paroles. 

Sur  la  Ville,  d'où  les  affres  flamboient, 
Règ-nent,  sans  qu'on  les  voie, 
Mais  évidentes,  les  idées. 


i4 


VEUS  LE  FUTUR 


0  race  humaine  aux  astres  d'or  nouée, 

As-tu  senti  de  quel  travail  formidable  et  battant^ 

Soudainement,  depuis  cent  ans, 

Ta  force  immense  est  secouée? 

Du  fond  des  me'rs,  à  travers  terre  et  cieuXy 
Jusques  à  Cor  errant  des  étoiles  perdues, 
De  nuit  en  nuit  et  d'étendue  en  étendue, 
Se  prolonge  là-haut  le  voyage  des  yeux. 

Tandis  quen  bas  les  ans  et  les  siècles  funèbreSf 
Couchés  dans  les  tombeaux  stratijîés  des  tempSy 


LUS    VILLES    TENTACULAIRB» 


Sont  explorés^  de  continent  en  continent. 

Et  surgissent  poudreux  et  clairs  de  leurs  ténèbres. 

L'archarnement  à  tout  peser,  à  tout  sr.voir. 
Fouille  la  forël  drue  et  mouvante  des  êtres 
Et  malgré  la  broussaille  où  tel  pas  s'enchevêtre 
L'homme  conquiert  sa  loi  des  droits  et  des  devoirs. 

Dans  le  ferment,  dans  Valôme,  dans  la  poussière, 
La  vie  énorme  est  recherchée  et  apparaît. 
Tout  est  capté  dans  une  infinité  de  rets 
Que  serre  ou  que  distend  l'immortelle  matière. 

Héros,  savant,  artiste,  apôtre,  aventurier. 
Chacun  troue  à  son  tour  le  mur  noir  des  mystères 
Et  grâce  à  ces  labeurs  groupés  ou  solitaires, 
L'être  nouveau  se  sent  l'univers  tout  entier. 

Et  c'est  vous,  vous  les  villes, 

Debout 

De  loin  en  loin,  là-bas,  de  l'un  à  l'autre  bout 

Des  plaines  et  des  domaines 


LES    VILLES    TENTACULAIRES  SU 

Qui  concentrez  en  vous  assez  (Thnminité, 

Assez  de  force  rouge  el  de  neuve  clarté. 

Pour  enflammer  de  fièvre  et  de  rage  fécondes 

Les  cervelles  patientes  ou  violentes 

De  ceux 

Qui  découvrent  la  règle  et  résument  en  eux. 

Le  monde. 

L'esprit  des  campagnes  était  l'esprit  de  Dieu; 
Il  eut  la  peur  de  la  recherche  et  des  révoltes, 
Il  chut  ;  et  le  voici  qui  meurt,  sous  tes  essieux 
Et  sous  les  chars  en  feu  des  nouvelles  récoltes. 

La  ruine  s'installe  et  souffle  aux  quatre  coini 
D'où  s'acharnent  les  vents,  sur  la  plaine  f  nie. 
Tandis  que  la  cité  lui  soutire  de  loin 
Ce  qui  lui  reste  encor  d'ardeur  dans  l'agonie. 

L'usine  rouge  éclate  où  seuls  brillaient  les  champs} 
La  fumée  à  flots  noirs  rase  les  toits  d'église  ; 
L'esprit  de  l'homme  avance  et  le  soleil  couchant 
^'est  plus  l'hostie  en  or  divin  qui  fertilise. 


LES     VILLES    TbNTACULAIRBS 


Rcnaîironl-ils,  les  champs,  un  jour,  exorcisés 
De  leurs  erreurs,  de  leurs  affres,  de  leur  folie  f 
Jardins  pour  les  efforts  et  les  labeurs  lassés, 
Coupes  de  clarté  vierge  et  de  santé  remplies? 

Referont-ils,  avec  l'ancien  et  bon  soleil, 
Avec  le  vent,  la  pluie  et  les  bêtes  servi  les, 
En  des  heures  de  sursaut  libre  et  de  réveil. 
Un  monde  enfin  sauvé  de  l'emprise  des  villes  f 

Ou  bien  deviendront-ils  les  derniers  paradis 
Purgés  des  dieux  et  affranchis  de  leurs  présages, 
Où  s'en  viendront  rêver,  à  l'aube  et  aux  midis. 
Avant  de  s'endormir  dans  les  soirs  clairs,  les  sages? 

En  attendant,  la  vie  ample  se  satisfait 
D'être  une  joie  humaine,  effrénée  et  féconde; 
Les  droits  et  les  devoirs?  Rêves  divers  que  fait 
Devant  chaque  espoir  neuf,  la  jeunesse  du  monde  f 


TABLE 


LES  CAMPAGNES  HALLUCINEES 

La  ville g 

LES    PLAINES  .., l^ 

CHANSON    DE   FOU 2  2 

LE    DONNEUR    DE     MAUVJUS    CONSEILS 2^ 

CHANSON    DE    FOU 3o 

PÈLERINAGE 33 

CHANSON    DE    FOU 3g 

LES    FIÈVRES Zj  3 

CHANSON    DE    FOU 40 

LE    PÉCHÉ 53 

CHANSON    DE    FOU 69 

LES    MENDIANTS 6  I 

LA    KERMESSE CC 

CHANSON    DE   FOU 7  I 


ai6  TABLK 

LE    FLÉAU 75 

UIIANSON    DE    FOU 84 

LE    DÉPART 87 

La  bêche 97 


LES  VILLES  TENTAGULAIRES 


La  plaine io5 

l'ame  de  la  ville 1 1 3 

UNE     STATUE    (mOINE) 1 20 

LES    CATHÉDRALES 123 

UNE    STi^TUE    (soldat) I  29 

LE    PORT 182 

LES    SPECTACLES .     187 

LES    PROMENEUSES l43 

UNE    STATUE    (bOURGEOIs) 1/47 

LES    USINES I  4c» 

LA    BOURSE I oL 

LE     BAZAR I  63 

l'Étal •    . ....  r ... .  1 68 


TABIB 


217 


LA    RÉVOLTE I  -yÔ 

AU    MUSÉE 182 

UNE    STATUE    (aPÔTRL) I  85 

LA    MORT 1  87 

LA    RECHERCHE I  f)5 

LES   IDÉES ' 200 

Vers  le  futur 2(9 


Imprimerie    dv    Mercvrb    be    Pbamcb 

marc    texiir, 

T,  rue  Victor  Hugo,  Poitiers 


'•-^Mftî-H