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LE THÉÂTRE
APRÈS LA GUERRE
DU MÊME AUTEUR
Ouvrages nouvellement parus et se rapportant à la guerre
POESIE
La Divine Tragédie (11= mille) 3 fr. 50
THÉÂTRE
L'Amazone, 3 actes avec une préface . . . . 3 fr. 50
CRITIQUE
Écrits sur le Théâtre 3 fr. 50
La poésie pendant la guerre (préface à En ces ,
jours déchirants, de H. Derieux).
T{EJ^J{r BATJÎlLtE
LE THEATRE
APRÈS
LA GUERRE
PARIS
LIBRAIRIE OLLENDORFF
1918
AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
L'étude de HENRY BATAILLE, que nous publions
ici, a été écrite pour servir de préface à la ^/""^ année de
Vintéressante série des Annales du Théâtre et de la
Musique par Edmond Stoullig.
Les difficultés matérielles créées par la guerre nous
ont obligés à limiter le premier tirage et empêchés de
pourvoir actuelletnent à une réimpression du volume qui
a été épuisé dès sa mise en vente.
Afin de satisfaire à un nombre considérable de
demandes Jious avons estimé nécessaire de procéder à un
tirage à part de cette admirable étude sur Le Théâtre
après la guerre, qui, bien qu'elle ait été écrite par le
poète sans autre intention que de servir les intérêts de
l'art dramatique, marquera Vun des plus nobles et des plus
courageux manifestes de la pensée française au milieu de
la Tourmente qui ensanglante l'Europe et nienace de
changer toutes les faces du Monde.
66 7
£3
Le Théâtre après la Guerre
/^N â prétendu de cette guerre qu'elle était la faillite de
l'intelligence; il serait plus juste de dire qu'elle a
été manifestement la faillite de l'imagination.
Au cours de ces trois dernières années, l'esprit de
l'homme présenta, en tous cas, une bien curieuse incapa-
cité de prévoir et d'imaginer 1 II semble même qu'il n'ait
pas su présager les proportions de la machine gigan-
tesque qu'il mettait en mouvement. La créature a dépassé
le créateur. Elle s'est échappée de ses doigts, a brisé sa
direction ; elle s'est mise à vivre d'une vie propre, dissé-
minée dans la palpitation unanime des êtres. Ceux qui en
furent les inventeurs responsables n'ont plus de prise
actuellement sur ce géant dans l'envergure duquel ils ont
peine à reconnaître leur création de naguère. Sa mesure
aujourd'hui défie toutes les proportions concevables.
Chaque fois que le monstre nous parait avoir atteint son
maximum de développement, ce maximum est toujours
dépassé par les réalités du lendemain 1 Ce que nous
croyions la veille un aboutissement n'était qu'un début.
Ainsi nous avançons, soumis à l'emprise de cette ombre
incommensurable qui s'est détachée de nous pour devenir
notre maître, sans que nous pronostiquions jamais les
événements ni les jougs que ce nouveau maître nous
2 LE THE A TRE
réserve. Pourtant ces événements ne seront engendrés,
nous le savons, que par une implacable logique. Rien ne
s'opposerait en principe à ce que nous en avions la per-
ception; mais, h en juger par les égarements précédents,
nous ne pouvons qu'appréhender la continuation d'une
cécité, contre laquelle nous ne semblons réagir qu'avec
nonchalance. En effet, l'esprit humain redoute le vertige;
il oppose aux fatalités en lutte une sorte d'indolence intel-
lectuelle à laquelle il lui plait de se confier comme si la
plus favorable conception des événements à venir suffisait
déjà à en assurer le résultat. Actuellement, la convulsion
terrestre est devenue si formidable que l'intelligence la
moins encline aux déductions commence à se sentir prise
d'angoisse devant les hypothèses qui s'imposent à ses
regards... Cependant, même au milieu de l'interrogation
universelle, combien persistent encore à fermer les yeux,
volontairement ou involoniairement !
Cette impuissance à imaginer, ce refus de concevoir les
proportions hors d'une moyenne et d'une normale prééta-
blies auront cté une des caractéristiques de ces premières
années de guerre. Rappelez-vous ce jeu des salons si
parfaitement significatif et qui s'appelait : optimisme et
pessimisme? Etait déclaré pessimiste, sous des huces et
soumis à un gage, celui qui pronostiquait que la guerre
atteindrait 191 6. Le jeu qui lui a succédé d'ailleurs, exter-
minisme et défaitisme, n'a pas sensiblement modifié les
règles ni déplacé les données fallacieuses du problème!
La stagnation des sphères dites d'activité ou organisa-
trices, les erreurs tant gouvernementales que diploma-
tiques, celles de demain comme celles d'hier, proviennent,
ou proviendront toutes, de la même source; elles décou-
lent le plus naturellement du monde de cette grande
impuissance imaginative qui ne sera pas sans nous coûter
encore fort cher. 11 faut l'ajouter pour être juste, le bâille-
ment monstrueux qu'a engendré l'ennui résigné de la
guerre y est bien pour quelque chose aussi !...
Quoi qu'il en soit, par paresse, par atonie ou par im-
APRES LA GUERRE 3
puissance constatons que l'esprit de l'homme a une soif
irrésistible de dénouement heureux; l'esprit du Français,
en particulier, plus prédestiné que tout autre par ses
études classiques à cette cadence traditionnelle : le dénoue-
ment, c'est-à-dire la hn radicale de l'événement en cours,
la solution de la crise. De là à conjecturer et à tenir
pour assuré ce que chacun souhaite tout bas, c'est-à-dire
le total le plus satisfaisant possible, il n'y a qu'un
pas! Le dénouement ainsi envisagé est une conception
quelque peu arbitraire et toute conventionnelle. Rien
n'est plus opposé à la mobilité et à la complexité de la vie.
La paix, la victoire elle-même, constituent-elles un dé-
nouement proprement dit? L'histoire est là pour nous
prouver que ce sont là des phases quelquefois purement
transitoires d'un état de choses soumis à des transfor-
mations successives. Et que de temps, souvent que de
siècles il taut au monde pour perpétrer ces lentes et dou-
loureuses métamorphoses ! Ne nous y trompons point :
la soif de dénouement n'est au fond qu'un souhait gratuit
de repos, un terme assigne par l'esprit surmené ; il n'est
pas téméraire d'y voir surtout le vœu, sournoisement
exprimé, d'un retour aux habitudes quittées et à la norme
momentanée transgressée.
C'est de cette apathie intellectuelle, de cette confiance
illusoire dans le bénéfice d'un total qui devra tout ré-
soudre, tout solutionner, que résulte ce rétrécissement du
champ de la conscience et de l'imagination dont tant de
nos contemporains auront fait preuve durant la guerre,
en préférant mille fois se fier à l'immanence d'une victoire
quelque peu conventionnelle, ailes ouvertes et pieds posés
sur la bête écrasée, que de surmener leurs méninges ou de
s'imposer un surcroit d'appréhensions!
Je ne sais rien de plus puéril que la sorte de fierté niaise
et méprisante dont s'illumine le visage de l'optimisme
professionne!, comme si cet état de réjouissance invétérée
constituait un cran supérieur du patriotisme, un brevet ou
un privilège de foi civique I
i LE THF A TRE
Cet optimiste professionnel, qui croit avoir satisfait k
toutes les exigences du sentiment patriotique par une
dcclaration pcrcmpioire qui lui coûte si peu et lui confère
cependant une digniic toute particulière, comme on
l'étonnerait en lui démontrant qu'un pareil état de grâce
n'est point du tout une manifestation de supériorité ou de
.zèle patriotique, mais, la plupart du temps, la conséquence
de quelque indigence inielleciuelle ou même d'une notoire
incapacité émotive !
Bref, que ce soit pour telle ou telle raison, avouons que
les hommes manquent d'imagination !
Ce qui n'a nullement empêché les prophéties, les anti-
cipations forcenées d'aller leur train !... Une des nigaude-
ries les plus fastidieuses qui auront eu cours durant cette
convulsion terrestre, c'est le petit interrogatoire enjoué
dont vous connaissez la formule : < Après la guerre, à
votre avis, que sera, que deviendra... » Suit un substantif
quelconque. Après la guerre !.. point vague, indéterminé,
dépourvu presque de signification, localisation abstraite !
Nous ne savons pas ce que cela désigne, mais nous savons
très bien ce que cela veut dire. La main, d'un simple
geste, efface les années de tumulte ot d'horreurs passées
et futures, comme elle efface la fumée d'un cigare, etalo'rs,
la fumée dissipée, apparait souriante et béate la figure de
l'interviewer : « Voyons, monsieur, après la guerre, à
votre avis, que deviendra le Théâtre? ».
A une question aussi insidieuse on pourrait répondre,
au lieu de choses transcendantales, des choses tout bête-
ment positives ou vulgaires qui trancheraient par leur bon
sens sur l'aléatoire de pronostics plus hasardeux, mais
plus répandus, constatons-le. dans le monde théâtral. Par
exemple des choses aussi simples que celles-ci : Bon ou
mauvais, souhaitable ou non, le théâtre sera ce que nous
le ferons, nous, c'e^t-à dire une poignée d'auteurs d'avant-
APRES LA GUERRE , 5
guerre, car, helas I une génération littéraire ne s'improvise
pas avec facilité, surtout au théâtre, et ce n'est même pis
à la faveur d'un bouleversement mondial que nous ver-
rons surgir des épiphanies de Shakespeare ou de Racine.
Le théâtre est un art qui repose sur des assises inébran-
lables ; elles s'adaptent aux circonstances, mais en aucun
cas les circonstances ne sauraient les détruire. Il v a donc
pour les auteurs dramatiques un métier préalable h con-
quérir ce mot, métier, pris dans son sens le plus élevé) et
pour produire une pièce viable, quelques aiinées d'ap-
prentissage sont au moins nécessaires; il n'est point
d'improvisation, si géniale soit-elle, qui supplée à la
connaissance de ces lois.
Sans conteste, des générations nouvelles sont k l'heure
actuelle en formation, mais elles ne sauraient immédiate-
ment après la guerre prendre la place de la génération qui
montait encore en 1914 II est fort à croire que le théâtre
vivra quelque temps encore sur ses anciens éléments et
sur le contingent des vieilles classes ; certes, on verra bien
des caporaux promus lieutenants-colonels, mais le grand
esprit nouveau, c'est-à-dire celui de la jeunesse, retiendra
vraisemblablement son souffle durant quelques années de
repos ou de préparation.
On pourrait inférer de telles choses sans se compro-
mettre, encore que des prophéties de cet ordre soient de
proportions trop vastes et trop indécises pour ne point
être démenties par l'avenir. Il siérait de réduire cette
anticipation hasardée en disant que le théâtre sera
plus simplement ce que voudront le faire trois ou quatre
directeurs, les mêmes que ceux que nous possédions
avant la guerre, car si les auteurs se remplacent quelque
peu les uns les autres, les directeurs, eux, bénéticient
d'une longévité presque inconcevable; ils résistent aux
bouleversements les plus inouïs. C'est donc à la fantaisie
de nos trois ou quatre directeurs actuels, guère plus, que
pourrait, être soumise, en fait, la renaissance théâtrale
future. Est-ce à dire qu'elle semble précaire et singulière-
6 LE THE A TRE
\
ment exposée? Pas le moins du monde; mais cela ne
m'empêche pas de constater qu'il peut dépendre de l'hu-
meur ou de la conviction de quelques hommes que le
'i marbre soit Dieu, table ou cuvette et que l'art dramatique
incline vers le bleu, le rose ou le noir, l'idylle ou la por-
nographie selon que ces messieurs jugeront plus opportun
d'égayer ou d'émouvoir la race humaine après la secousse
sismique qu'elle aura éprouvée ! Voilà h quoi tiendront
peut-être les destinées de notre littérature ei les flots d'en-
quête ou de gloses ne changeront rien à cette éventualité !
D'ailleurs, on pourrait répondre tout aussi bien cent
autres choses qui paraîtraient aussi judicieuses ou non
moins vraisemblables. Quelle objection sérieuse pour-
rait-on présenter à cette hypothèse-ci? Le théâtre aura la
place que voudra bien lui laisser le cinéma. Ce qui fait
croire actuellement à la faveur persistante et à sa supério-
rité sur le cinéma, c'est que. les places étant encore à un
tarif beaucoup plus élevé, les recettes l'emportent sur celles
des établissements où la pantomime photographique fait
affluer le public. Mais, si l'on comparait le chiffre des en-
trées, unité par unité, on trouverait en faveur du cinéma
une plus-value qui ne fera que s accroître après la guerre...
On pourrait répondre...
Seulement, il n'y aurait là matière à aucune contro-
verse substantielle ! Et ce n'est pas pour que j'agite d'aussi
misérables contingences que vous m'avez demandé de
prendre la plume ! Je me suis engagé à vous fournir une
vaticination inspirée! Je m'exécute et je n'hésiierai donc
pas davantage à déclarer ceci : Ces choses, pas plus que
telles autres, n'auront le loisir de se réaliser pour la
bonne raison (oui, je le dirai, dussé-je m'aliéner immé-
diatement la sympathie de quatre-vingts pour cent de
vus lecteurs) qu'il n'y aura pas d'après-guerre. Par-
faitement : à cette guerre...., retenez-en l'augure, cher
Monsieur Stoullig il n'y aura pas de dénouement.
APRÈS LA GUERRE 7
Et d'abord, c'est mon droit incontestable d'auteur dra-
matique, d'imaginer pour une fois la suppression radicale
du dénouement, — cette convention qui nous a tant fait
soutiVir depuis Sophocle ! Pour ce qu'il m'en coûte l Et
qui cette supposition gêne-t-elle au fond ? Ensuite, il
faut bien avouer qu'un tel paradoxe menace de devoir être
un Jour plus conforme à la vérité qu'on ne le prévoit
actuellement.
Ici j'aperçois des têtes sévères et courroucées qui se
dressent... « Quoi ? Vous ne croyez donc pas à la vic-
toire, monsieur ? »... Si, parbleu, comme tout le monde...
mais j'indiquais tout à l'heure précisément combien un
dénouement est chose arbitraire et conventionnelle. A la
cessation des hostilités, à la pacification des belligérants
ne succédera pas du tout le rétablissement des équilibres
précédents, ni l'instauration — hélas! qui en douterait?
— d'une nouvelle Arcadie. Le remous gigantesque mettra
probablement un temps incalculable à s'apaiser. Les
armes déposées, les traités conclus, mais c'est uniquement
le premier acte de la guerre qui viendra de se terminer !
Alors commencera la seconde phase de la Haine, la se-
conde ascension de la Misère humaine. (Eh bien I il est
encore gai celui-là I) Moins terrible, espérons-le, mais
plus prolongée, sans doute, ce sera la soudure d'un état
de choses à un autre, On ne convoque pas la Haine impu-
nément pour la renvoyer, comme une gagiste, à une heure
fixe, son travail terminé. L'humanité présente me fait
penser irrésistiblement à Faust ayant appelé à son aide la
vieille puissance du mal. Le contrat, le pacte signé dans
le sang n'expire pas après la réalisation d'un désir... « Je
ne te lâche plus, répond Méphistophélès. On ne me dé-
range pas de mon empire muet pour me congédier ensuite
à volonté... Je suis là, je reste. Donne ta main. Mon
royaume est maintenant avec toi. En avant I » La Haine
est installée. La meute des Kobolds, non point bienfai-
sants, mais destructeurs, est lâchée sur le monde ! Ils
sapent et creusent ; ils minent par millions et par my-
8 'LE THEATRE
riades minuscules et lillipuiiennes. Vous n'endiguerez pas
leur œuvre à jour voulu. El chaque homme maintenant
n'a-t-il pas un nain monstrueux appliqué contre son
cœur comme une sangsue parasite ? .11 faudra l'arracher
de notre chair 1 Ce sera long. Ah ! qu'ils manquent singu-
lièrement d'imagination ceux qui prévoient une ère nou-
velle de prospérité ou de calme succédant à ces abomina-
tions actuelles ! La guerre des races, la guerre intestine
des partis, les convoitises du pouvoir, les luttes des
religions et de la libre-pensée, du militarisme et du
socialisme ; les vieux courants contre les courants neufs,
l'irrésistible élan de la démocratie ; la Babel des nations
mêlées, l'écheveau embrouillé des peuples ; la révolte,
l'usure, la taille et la misère de vingt pavs pressurés
comme de vieux citrons flasques ; tant de souffrances
matérielles réintroduites et réadaptées; le nouveau des-
pote l'argent, l'argent de l'étranger, du Nouveau-Monde
s'infiltrant dans la maison, dans tout le sol de France, le
sceau des pactes rigoureux, les volontés nouvelles broyant
les apathies retardataires; des idéaux trop multiples,
reforgés sur l'enclume de Vulcain, l'entrainement au
meurtre tant que l'odeur du sang revomi par la terre ne
sera pas balayée ; l'explosion des vengeances et des espoirs
trop longtemps contenus... oh ! tout cela qui bruit là-bas
à l'horizon des cieux, tout cela qui vagit dans le berceau
des destinées, suscitera, à coup sûr, des réactions terribles,
lentes ou rapides, confuses ou échelonnées dont se com-
poseront les derniers actes de la tragédie. Quel précipité
chimique est à prévoir I Que sortira-t-il de ces fusions de
races, de ces groupements d'humanité, de ces solidarités
de pensée, de ces vastes contrats internationaux qui ne
peuvent manquer de se produire et de se succéder au pre-
mier acte ? Nous ne pouvons rien savoir ! Ce que nous
pouvons seulement prophétiser sans possibilité d'erreur,
c'est que vous viendrez vagues, va.'ues profondes, lames
de fond qui vous apprêtez en ce moment sous le tumulte
des tempêtes ! Quand aurez-vous tini de vous entreçho-
APRES LA GUERRE 9
quer et de hurler et de murmurer avant que sur la mer
étale ne se lèvent les grands soleils de la Raison et de la
• Pitié?... La pitié, déesse jadis timide et eftervescente à la
fois, devenue, au grand jour des réfections, non point
seulement celle qui dicte un Evangile ou un Code, mais
celle qui construit les fondements définitifs des Etats
futurs, tous basés désormais sur le grand respect de la vie
humaine ! .. Combien de temps faudra-t-il à la convulsion
terrestre pour que s'apaisent ses derniers spasmes ?.. Dix,
vingt, cinquante, cent ans?... Et pourra-t-on même alors
donner le nom de dénouement à des aboutissements moins
définis que nous ne le supposons et ne l'espérons pour la
joie de nos petits-fils ? L'humanité sera peut-être piartie
accidentellement vers d'autres directions tyranniquesqui...
Mais cette fois, ce n'est plus vingt lecteurs qui se dres-
sent contre une pareille hypothèse! C'est leur presque
unanimité qui me conspue et réclame qu'on impose
silence à ce bavard fastidieux. Voilà ce que c'est que
d'être doué un tant soit peu de cette fameuse faculté
d'imagination! Et cependant, en secouant sa tête, le Cas-
sandre obstiné reprend : « Affaire de patience! » Ce qui
vous donne tant de vertige à concevoir une somme, pour-
tant bien approximative des événements futurs, c'est qu'ils
sont ici résumés en quelques lignes au lieu d'être répartis
sur un nombre respectable d'années ! Supposez qu'on
vous ait brutalement, en une page, vers le mois d'août
19 14, accumulé tous les grands faits qui se sont déroulés
depuis, — et songez au cri de révolte ou de négation que
vous eussiez poussé !... Eh bien ! qu'est-ce que ma som-
maire et indigente hypothèse en regard de ce que réserve
l'avenir ? Le destin se chargera de la dépasser ! Et les
hommes d'alors se familiariseront aisément et courageu-
sement, comme nous l'avons fait nous-mêmes, avec des
événements, des drames, des bouleversements dont la
nomenclature nous ferait, maintenant encore et malgré
notre adaptation au tragique, dresser les cheveux sous Iç
souffle de l'épouvante '
10 LE THEATRE
Quel évcnement fortuit pourrait interrompre et dé-
tourner le cours des destinées ? Aucun maintenant. Même
pas la victoire. Trop tard 1 Un seul... (mais lequel de nous
oserait y croire, même en Tambitionnant de tout son cœur?
Ce serait trop beau !) Une formidable régression de l'hu-
manité. Qu'unanimement les peuples ou bien leurs ber-
gers, épouvantés, lassés, pris d'écœurement devant l'jm-
placable créance du sang et de la ruine, renient d'un seul
mouvement impérieux, les lois de l'Orgueil et de la
Haine, et, prenant pour base d'une charte future les
nobles élaborations de Wilson, reconnaissent le triomphe
des logiqurs morales, et la suprématie de la loi d'Amour.
Car l'enseignement le plus clair de cette guerre avortée et
de ce gaspillage éhonté de toutes les vertus humaines sur
le champ de mort des mensonges, c'est que la Haine est
utopique. L'Amour seul est vérité. Il faudra bien en
arriver un jour ou l'autre, fût-ce dans des siècles, et au
prix de combien d'erreurs et d'atrocités encore à cette
constatation universelle ! La fraternité seule correspond
h l'esprit. moderne ; elle est la clef des Etats, comme elle
est la clef de la vie. Quelques mois seraient actuellement
suffisants pour que les peuples aboutissent à cet aveu et
décrètent ce pacte international qu'ils mettront peut-être
cent ou deux cents ans à élaborer, mais auquel ils seront
infailliblement conduits, oui, tous, même le plus sangui-
naire et le plus esclavage des peuples, l'Allemagne !
Nous croyons avoir tout dit lorsque nous avons dit :
« La Justice et le Droit ! » Quelle erreur 1 La Justice et le
Droit sont des vérités de premier degré : elles ne condui-
sent l'homme à aucun idéal supérieur. Ce sont des vertus
dogmatiques, et simplement nécessaires ; leur frigidité
même nous fait sentir qu'elles reposent plus sur des con-
ventions cérébrales que sur d'indiscutables lois organiques
et génératrices. Nommons-les: des puissances de garantie.''
C'est tout. La victoire du Droit et de la Justice ? Ce n'est
pas suffisant. Dans l'histoire de l'humanité tout ce qui est
tlamme, grandeur, enthousiasme, enfantement, provient
APRES LA GUERRE H
toujours d'autres sources et d'autres foyers d'incandes-
cence ! 1 e fanatisme lui-même, religieux ou libertaire,
avec ce qu'il a d'horrible et de répugnant, engendra les
seuls tumultes dont la force insurreciionnelle est encore
loin d'être épuisée dans nos veines ! Ne dites pas que ces
trois admirables mots : Liberté, égalité, fraternité procè-
dent uniquement de l'idée de justice et de droit La fra-
ternité n'est pas un droit, mais une acquisition. La liberté
elle-même n'est pas un droit incontestable — en dépit de
la déclaration des droits de l'homme. Mais l'amour qui
les conçut en fait toute la splendeur et en constitua toute
la force. Tous les progrès, tous les grands mouvements
en avant de l'humanité naissent de l'amour. Il faudra
bien un Jour que les utopistes et les spéculateurs qui
déclarent la haine éternelle, féconde et d'essence divine,
en conviennent. Ce sera la vérité de l'avenir : on ne fera
rien de vraiment grand, rien d'utile même sans l'amour,
car l'heure delà conscience a sonné pour tous les peuples.
Les tentatives d'oppression que feront les vainqueurs, ne
peuvent entraîner que des revanches. Le respect sacré
des droits de l'individu — aujourd'hui anéantis et sacca-
gés par la tempête, — n'est même qu'un article préli-
minaire des codes internationaux futurs et si lointains!
La grande solution féconde, — la seule qui doive mar-
quer indubitablement la fin du problème — ce sont les
bouleversements et les aspirations unanimes des peuples
qui nous l'apporteront et l'imposeront à l'univers. Rien
n'y fera. Les premiers chaînons de l'esclavage sont rom-
pus. Le poids de l'entrave qui a voué l'homme au ponton,
à la geôle, à la haine réciproque, au martyre, s'allège,
par ci par là. Quand les esclaves se réveilleront de
toutes parts, alors les hommes pourront appeler ce jour :
le jour du Jugement dernier !... Il n'entre pas une once
d'utopie ou de rêverie dans cette grande loi expérimen-
tale, plus vérifiable que jamais, sanctionnée par le
remords et le chàtim nt de l'homme moderne, cette loi
qui nous vint jadis d'une bouche que les religieux eux-
12 LE THÉÂTRE
mêmes n'oseraient pas qualifier de rêveuse : « Aimez-
vous les uns les autres ».
Le plus grand moment de riiumanité est arrivé Rien
ne pourra désormais le faire avorter. Mais Tidéal, Hls de
la souffrance, obéit h une obstétrique bien décevante. Il
lui faut le temps sans mesure. A moins d'un imprévisible
mouvement d'arjét que nous appelons de tous nos vccux
et qui permettrait enfin l'efFusion de la lumière — il fau-
dra marcier encore longtemps dans la boue symbolique
des tranchées.
Ce n'est pas nous, gens d'aujourd'hui, gens de demain,
qui récolterons les fruits mùr.s à l'arbre de la Science du
Bien et du Mal.
Eh 1 monsieur, le théâtre au milieu de tout cela, ce
pauvre et humble comparse, que deviendra-t-il, à votre
avis?... Il vivra. Comment: Ce qu'on peut facilement
augurer sans crainte d'être démenti par l'avenir, c'est qu'il
partagera plus que jamais son existence entre les faiseurs
et les artistes. D'une part l'exploitation commerciale plus
étendue que jamais, d'autre part le groupement des artistes
et des penseurs plus caractérisé; l'art séparé assez nettement
de la production, devenu une sorte de refuge aristocra-
tique... Comme il n'y aura pas eu «d'après-guerre» au
sens où l'on entend ce mot à l'heure actuelle, c'est-a-dire
de bonification appréciable de la vie, le théâtre, vieille
calèche de la faveur publique, en suivra, pas à pas. les
côtes et les détours. Ce serait une erreur de croire qu'il se
réveillera tout à coup, illuminé par l'auréole en feu de la
guerre, et s'élancera vers de nouveaux espaces 1 Ceux qui
s'amusent à de sepiblables pronostics veulent pa/ là signi-
fier en quel mépris ou en quelle aversion ils tiennent le
théâtre-d'aujourd'hui. L'art dramatique se modifiera gra-
vement, lentement, stàremeilt, parce qu'il ser^a avide de
nouvelles vérités, de personnages et de spectacles contem-
APRES LA GUERRE [^
porains ; il appliquera sa lente et sagace observation aux
aspects modifiés et perturbés de la vie, de rttme humaine.
Ce sera comme toujours le témoin sensible et l'historien
du cœur ;mais du champ, du recul lui sera nécessaire
pour faire œuvre durable... Le reste, les éblouissements
passagers de l'actualité, les serviles exploitations du sen-
timent public, ne seront que des météores vite relégués au
rancart. L'histoire de la littérature est là pour nous le
prouver : rien ne s'oublie comme la guerre, rien ne devient
en art plus obstinément ennuyeux que le récit des renom-
mées passées, et il suffit pour s'en convaincre de voir
combien fastidieux sont, pour nous, les déchets de la
Grande Armée qui encombrent l'cieuvre de Balzac! Encore
semblent-ils exactement dépeints et ne presentent-ils aucun
rapport avec les abstractions pour distributions de prix
ou anniversaires dont la poésie est passagèrement me-
nacée I La modification du théâtre sera plus subtile, plus
impalpable que cela ! EUle ne résidera pas spécialement
dans le choix du sujet, dans la peinture rudimentaire de
nos luttes nationales et de nos énergies ; mais le retentis-
sement de la grande tragédie (fût-elle sans dénouement;
sur les mœ'urs, sur leapassions, sur les sentiments, peu à
peu gagnera la scène et lui donnera un accent singulière-
ment plus âpre que celui qui est en vogue aujourd'hui.
C'est l'évidence même. Seulement il s'agit là d'un en-
semble, d'un cycle, qui demandera aux poètes et aux dra-
maturges autant de temps que de réflexion et d'observation.
N entrevoyez-vous pas déjà une particularité générale
qui distinguerait l'art futur de l'art révolu ? .. Quelle
sera la lutte la plus apparente qu'il aura à subir, par
exemple ? Ici je puis répondre d'une façon plus précise.
L'art devra combattre un ennemi dangereux, inattendu,
disons, pour être plus exact, un ennemi d'assez ancienne
origine, mais singulièrement modifié, renforcé : la men-
talité nouvelle du public.
En effet, la foule n'aura qu'un rapport bien lointain
avec ce qu'elle fut avjnt la guerre. La Cité française, la
14 * • LI-: THÉÂTRE
Ville moderne se trouvera radicalement transformée !
Celle que nous avons connue, aimée, ne constituera plus
qu'un souvenir, et des le lendemain de la paix, nos
regards embrasseront Tébauche de la Cité future. Immense
transformation ! Scission presque foudroyante entre le
passé et le présent. Ce n'est pas seulement le bouleverse-
ment monétaire et économique, la liquidation financière
de la guerre, renchérissement invraisemblable de la vie,
l'appauvrissement de certaines couches sociales, le Hux
montant de certaines autres, les avatars possibles du pro-
létariat ou des néo-révolutions; la gynocratie envahis-
sante, en tout cas l'accomplissement graduel du féminisme,
les incohérences, presque comiques d'ailleurs, pour des
yeux habitués encore à l'ancien monde, qu'entraînera le
déséquilibre dans les prix de certaines matières premières,
de quelques denrées; la mort du luxe, l'embourgoisement
du faste; par ailleurs aussi les réactions aristocratiques et
solitaires ; le déplacement des valeurs même dans les arts,
au nombre desquels la peinture, décontenancée par l'aban-
don du public, se restreindra à devenir l'apanage de
quelques privilégiés, alors que la musique tiendra vrai-
semblablement plus de place dans la vie contemporaine ;
une sournoiserie générale dans les signes extérieurs de la
richesse; les manières spéciales et récentes de la porter
ou de la dépenser; ce n'est pas seulement tout cela, et
mille antres renversements plus importants encore de nos
habitudes, de nos mœurs et de nos traditions, non, ce
ne sont pas ces physionomies si précipitées de la vie, qui
risqueront d'infliger à l'art dramatique une dépréciation
ou une décadence inquiétante, car la foule continuera de
se ruer, autant et plus même que par le passé, aux portes
des théâtres et des établissements de joie ou de rêve. Le
danger, le vrai danger résidera dans le cosmopolitisme
barbare du Paris futur, dans l'envahissement inévitable
de la Cité.
Voilà quelle sera la modihcation la plus manifeste, la
plus décisive de la vie I
APRÈS LA GUERRE 15
La ruée du Nouveau Monde, l'américanisation du terri-
toire, de la fortune, de l'industrie, l'anneau d'or des
alliances passé à tous les doigts, la refonte des familles,
de la race, des amours, une fraternelle, galvanisante, mais
formidable colonisation de ce vieux morceau d'Europe
effarée 1
Ainsi s'accomplira la prophétie qui, jusqu'ici, s'était
bien timidement réalisée : Le progrès, c'est-à-dire la
science et ses conquêtes un peu somnolentes, le chemin
de fer, le télégraphe, la possession des océans, la naviga-
tion de l'air, supprimant enfin positivement les distances,
confondant les patries, rectifiant l'ethnographie univer-
selle plus que ne l'avaient encore fait les guerres de rapt.
Rien, jusqu'ici, ne s'était réalisé ou si peu dans l'ordre
des possibilités ! Oui, jusqu'ici, les forces arrachées à la
nature par le dernier siècle, les grandes découvertes du
savoir et de la connaissance, n'avaient produit qu'une
ébauche d'elles-mêmes. Les vieux peuples, endormis et
parqués dans leurs frontières, adaptaient maigrement,
paresseusement, ces robustes et rénovatrices découvertes
à leurs anciens besoins, à la cadence habituelle de leur
vie. Il a fallu la guerre et son gigantesque travail pour
libérer des forces encore adolescentes, pour précipiter
leurs puissances centuplées dans tout l'éclat d'un triomphe
cruel et merveilleux sur la croûte de l'antique Cybèle !
Malheur aux peuples mal placés ou dangereusement expo-
sés sur la carte du monde ! Un hasard géographique dans
la formation des peuples et des pays a déterminé d'avance
leur destin futur 1 L'homme ne connaît plus la résistance
de l'espace; les nations débordent comme des coupes;
elles se groupent, se meuvent et se dispersent. Prométhée
est archi-libre. Proméihee est roi. Nous avons appelé le
Nouveau Monde comme la Grèce appela son nouveau
monde à elle, l'Italie, à la rescousse. Lacédémone et
Athènes se sont dissoutes ainsi que des perles sans prix
dans la fusion terrestre. Qu'importe ! Evohé ! pour les
races latines. Elles ont été et elles sont encore si belles
16 LE THÉÂTRE
qu'elles peuvent bien s'effacer quelque jour... L'avenir les
respirera éternellement !
m *
Que la mentalité française graduellement se modifie,
ce sera là un danger incontestable, une évolution désor-
mais sans appel, et le pauvre art dramatique risque bien
de se plier avec une trop complaisante lâcheté à la clien-
tèle neuve et de culture un peu enfantine dont il devra
prochainement subir l'emprise. Il en résulterait un appau-
vrissement regrettable des formes, une décadence dont on
ne saurait dire à l'avance si elle sera plus puérile quesénile;
et nous ne voulons pas penser à un théâtre en partie sub-
mergé par l'envahissement des races, dans cette Cosmopo-
lis dont nous évoquons déjà le bruissement pour peu que
nous approchions le coquillage de notre oreille. Mais, par
bonheur, le remède est là, prêt et tout près : la barricade
solide, inexpugnable, que pourront former les artistes, s'ils
concertent leurs bonnes volontés. C'est d'eux, c'est de
leur attitude que dépendra le sort du théâtre à venir !
Il importera qu'ils constituent une phalange, une aris-
tocratie virilement décidée. Pas de complaisance, pas de
concession en face du danger protéiforme. Rectifions dé-
jà par notre simple et clair exemple, par une résistance
harmonieuse, l'inclinaison bienveillante des échines
devant le cortège en tohu-bohu barbaresque qui suivra
l'intronisation de Sa Majesté Dollar et de sa royale com-
pagne : la Dette.
Refusons d'avance de devenir, inconciemment, l'escla-
ve de qui que ce soit, même de nos chers frères d'armes,
de vaillance et de misère. Commilitones tant qu'on vou-
dra, et à plein cœur ! C'est un titre déjà suffisamment
beau, cordial, émouvant ! De semblables déclarations ne
sont pas pour diminuer la somme d'admiration que nous
avons vouée à la splendide Amérique comme à la noble
Angleterre. Mais demeurons Français et scrupuleux du
génie des patries ! Je n'entends pas ce mot dans son étroi-
lesse nationaliste; je ne suis pas de ceux qui conspuent
APRES LA GUERRE 17
Tannhaiiser. Toutes les fois qu'un Tannhaiiser se présen-
tera, qu'il entre triompiialemcnt par la grande porte de
l'art fraternel ! Mais ce que je hais, ce que je proscris,
c'est le Mcrcanti, quel qu'il soit, c'est le négoce de la bas-
se production étrangère, la marée trop chargée d'écume
et d'algues qui souillerait à tout jamais le sable encore
pur de la plage. Je me sens prêt à haïr de tout cœur le
surcroît de bêtise qu'infligerait à ce qui reste d'ignorance
encore dans mon pays l'importation industrielle, commer-
ciale et artistique de l'étranger, comme je me sens prêt à
accueillir le génie d'où qu'il souffle.
Soyons Français. Cela ne veut pas dire que je me sen-
te plus lié à un sinistre assassin de faubourg parisien qu'à
Goethe ou à Wagner par le fait que ce criminel est né
dans ma patrie, tandis que ces génies sont nés dans une
autre. Mais cela veut dire que lorsque de mon temps, un
Rodin ou un l)ebussy communiquent à l'art une beauté
nouvelle, je me réjouis démesurémeut de ce que de tels
hommes soient Français et surtout de ce qu'ils n'eussent
pu naitre autre chose que Français. Car l'amour de son
propre pays ne s'oppose pas du tout à la fraternisation
universelle. Au contraire 1
Voilà l'enseignement que me lègue ce paysan mourant,
dans les tranchées, lequel eût été de son vivant bien em-
pêché de comprendre un traître mot à ces abstractions,
mais dont la tombe est plus loquace en un instant qu'il ne
le fut lui-même durant son existence entière.
Résister. Tenir. Expression banalisée par l'usage et par
l'abus qu'on en fait dans l'administration des munitions
verbales. Mais, verbe significatif qui ne perdra rien de
son bon sens, bien au contraire, après la pacifiction des
peuples. Que les artistes tiennent, et les patries intellec-
tuelles demeureront, souhaitons-le, intégrales, enrichies
par les influences, jamais débordées en tous cas par des
colonisations menaçantes !
Et pour tenir, point ne sera besoin d'enfler le ton dé-
mesurément, d'entasser des Pelions d'idées sur des Ossas
18 LE THÉÂTRE
de prédications ! Non. Un grand respect de l'art et de ses
lois, même devant la modestie de chaque entreprise,
fùt-on simple ouvrier de la basilique, fût-on humble arti-
san ornemaniste chargé de la décoration murale une pro-
bité résolue jusque dans l'accomplissement de la moindre
œuvrette, une volonté vigoureuse de ne pas déchoir et de
ne jamais se dégrader, ce seront là armes et détermina-
tions suffisamment efficaces !
C'est qu'il y aura tant à faire, tant à dire ! Notre fran-
chise et la saine résolution que nous mettrons à lui
donner libre cours n'auront pas trop de toute leur énergie
pour forcer les obstacles, l'ius que jamais, le vieil adage :
« Bien faire et laisser dire » sera de toute nécessité. Que
chacun apporte une pierre, nourrissant dans son cœu-r la
double ambition de bien accomplir un travail et d'aider à
l'organisation générale du plus haut labeur humain !
Tel est le pacte simple et loyal que je formulais tout à
l'heure encore, au fond de mon jardin, en paillant un rosier
qu'importunait la neige, tendre compagnon des tombes
militaires dont Bellone et Némésis ont orné mes herbages.
Libre au sceptique naturellement de n'en pas croire
un mot et de hausser les épaules ! L'important est de sa-
voir qu'on ne mentira pas à soi-même. Et si tout le mon-
de, du haut en bas de la maison spirituelle, en tait autant,
chacun dans sa sphère et selon la répartition des services...
eh bien, les choses de l'art n'iront décidément pas si mal
que cela, en dépit de tous les assauts et de toutes les per-
turbations terrestres !
Je m'arrête, car pour peu que le préfacier continue
encore ses anticipations, vos pages sur le théâtre actuel
ne manqueront pas d'être submergées, cher Monsieur
Stoullig. Quelle imprudence aussi de m'avoir convié à
vaticiner sur les chances futures de l'art dramatique !
Prenez-vous-en à vous-même. J'en sais quelques-uns qui
vous jugeront plus impardonnable qu'imprudent.
Henry BATAILLE.
Vivières, décembre igiy»
— imprimerie — -
Herbektclarke
MH, Rue St-Honoré
— Paiis —
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