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Full text of "Les obsessions et la psychasthénie .."

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UNIVERSITY  OF  CALIFORNIA. 


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Travaux   du  laboratoire  de  Psychologie  de  la  Clinique  k  la  Salpfitri 

{Troisieme  serie) 


U  Pierre  Janet 

Pro/esseur    de    Psychologie    au    College    de    France 

Les 


Obsessions 


et  la 


Psychasth^m 


I 

Etudes  cliniques  et  expirimentales 
sur  les  idits  obsidantes,  les  impulsions.  Us  manies  mentales, 
la  folic  du  doute,  les  tics,  les  agitations,  les  phobies, 
les  dilires  du  contact^  les  angoisses,  les  sentitnents  d'incompUtude, 
la  neurasthenie,  les  modifications  des  sentiments  du  rieU 
leur  pathoginie  et  leur  traitement 


AVEC  GRAVURES  DANS  LB  TEXTfi 


Paris,  F&LIX  ALCAN,  ^diteur,  i£ 


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LES  OBSESSIONS  ET  LA  PSYCHASTHENIE 


Travaox  du  laboratoire  de  Psychologic  de  la  Gliniqne  K  la  SalpMrl^re 

TROISIEllE    StRIE 


LES  OBSESSIONS 

ET 

LA   PSYCHASTHfiNIE 


I 

6TUDES  CLINIQUES  ET  EXPifeRIMENTALES 

SUR  LES  IDl^ES  OBS^DANTES,  LES  IMPULSIONS,  LES  MANIES  MENTALES, 

LA  FOLIE  DU  DOUTE,  LES  TICS,  LES  AGITATIONS,  LES  PHOBIES, 

LBS  DftLIRES  DU  CONTACT,  LES  ANGOISSES,  LES  SENTIMENTS  D*INC0MPL6TUDE, 

LA  NEURASTH6NIE,  LES  MODIFICATIONS  DU  SENTIMENT  DU  R^EL, 

LEUR  PATHOG^NIE  ET  LEUR  TRAITEMENT 


Le  D«   PIERRE  JANET 

Professeur  de  Psjchologie  au  College  de  France, 
Directeur  du  Laboratoire  de  Psychologie  de  la  Cliniquo  k  la  Salp^tri^re 


PARIS 

FELIX  ALCAN,  EDITEUR 

ANCIBNNE  LtBRAIRIE  GERMER  BA1LL1£;rE   ET  C» 
108,    BOULEVARD    S AINT-GERH AIN  ,    108 

1903 

Toui  Uroiti  riserr^s. 


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BlOUMt 

UBRARY 


A  MONSIEUR  LE  PROFESSEUR 


TH.   RIBOT 


MEMBRE     DE     L    INSTITUT 


HoMMAGE 
DE    RBSPECTVEUSE    AFFECTION. 


INTRODUCTION 


Ce  livre,  comme  mes  pr^c^dents  ouvrages,  s^adresse  aux  m^de- 
cins  et  aux  psychologues.  II  presente  une  nouvelle  application 
de  celte  m^thode  que  M.  Th.  Ribot  a  si  heureusement  enseignee 
et  qui  a  donn6  un  caractere  special  a  une  grande  partie  de  la 
psychologie  frangaise.  Cette  m^thode  coDsiste  a  uuir  la  m^decine 
mentale  et  la  psychologie,  a  tircr  de  la  psychologie  tous  les 
^claircissements  qu'elle  peut  apporter  pour  la  classification  et 
rinterpr^tation  des  faits  que  nous  presente  la  pathologic  mentale 
et  reciproquement  a  chercher  dans  les  alterations  morbides  de 
Tesprit,  des  observations  et  des  experiences  naturelles  qui  per- 
mettent  d'analyser  la  pensee  humaine.  Ce  livre  continue  la  serie 
des  etudes  dans  lesquelles  je  me  suis  propose  d'appliquer  cette 
methode  aux  differentes  maladies  mentales. 

Les  maladies  qui  font  Tobjet  de  cette  nouvelle  etude  sont  les 
obsessions,  les  impulsions,  les  manics  mentales,  la  folic  du  doute, 
les  tics,  les  agitations,  les  phobies,  les  delires  du  contact,  les 
angoisses,  les  neurasthenics,  les  sentiments  bizarres  d'etrangete 
et  de  depersonnalisation  souvent  d^crits  sous  le  nom  de  n^vropa- 
thie  c^rebro-cardiaque  ou  de  maladie  de  Krishaber.  On  voit  que 
ces  malades  ont  ete  d^sign^s  sous  des  noms  tres  differents  :  ils 
sont  quelquefois  reunis  sous  le  nom  de  «  delirants  deg^neres  », 
de  «  neurastheniques  )>,  de  «  phrenastheniques  »  ;  je  les  ai  deja 
souvent  designes  sous  le  nom  de  «  scrupuleux  »  parce  que  le 
scrupule  constitue  un  caractere  essentiel  de  leur  pensee  ou  sous 
le  nom  plus  precis  de  cr  psychastheniques  »  qui  me  parait  resumer 
assez  bien  TaSaiblissement  de  leurs  fonctions   psycho logiques. 


VIII  LES  OBSESSIONS  ET  LA  PSYCHASTHENIE 

Tous  ces  malades  fort  divers  en  apparence  m'ont  sembl^  fournir 
roccasion  d'une  ^tude  interessante  a  la  fois  au  point  de  vue  me- 
dical et  au  point  de  yue  psychologique. 

Au  point  de  vue  medical,  j^essaye  de  r^unir  Ici  la  description 
precise  d'un  grand  nombre  de  symptomes  qui  me  semblent  avoir 
6i6  rarement  Tobjet  d'une  dtude  d'ensemble;  j'essaye  d^apporter 
quelque  precision  dans  Tanalyse  de  toutes  ces  manies  mentales, 
de  toutes  ces  phobies,  de  tous  ces  sentiments  anormaux  qui  ont 
ete  trop  souvent  decrits  incompletement  et  isolement  et  qui  me 
semblent  devenir  beaucoup  plus  clairs  quand  ils  sont  rapproches 
les  uns  des  autres. 

Ce  rapprochement  de  divers  symptomes  permet  aussi  de  pro- 
poser une  reunion  de  diverses  maladies  en  une  seule  et  de  con- 
struire  une  grande  psycho-n^vrose  sur  le  modcle  de  Tepilepsie  ct 
de  Thyst^rie,  la  psychasthenic,  a  la  place  de  ces  innombrables 
obsessions,  manies,  tics,  phobies,  delires  du  doute  ou  du  contact, 
nevroses  c6r6bro-cardiaques. 

J'espere  aussi  par  la  comparaison  de  ces  divers  symptomes 
r^unis  dans  une  m6me  etude  apporter  quelque  contribution  a 
Tetude  du  diagnostic,  du  pronostic  et  du  traitement  de  ces  aficc- 
tions  qui  jouent  un  role  extr6mement  important  dans  la  patho- 
logic nerveusc.  EnFin  I'analyse  psychologique  de  ces  divers 
phenomenes  permet  de  d^couvrir  entre  eux  des  caracteres  com- 
muns  dignes  d'int^ret  et  d'arriver  sinon  a  une  theorie  au  moins  a 
une  interpretation  provisoire  destin^e  surtout  a  reunir  le  plus 
grand  nombre  possible  de  ces  faits  dans  une  conception  g^n^rale. 

Au  point  de  vue  psychologique,  je  crois  qu'un  grand  nombre 
de  ces  phenomenes  nous  presentent  des  experiences  tres  remar- 
quables  qui  apportent  des  eclaircissements  sur  les  plus  interes- 
sants  problemes.  Les  obsessions,  les  pseudo-hallucinations,  les 
impulsions  qui  les  accompagnent  nous  donnent  une  foule  de 
renseignements  sur  les  diverses  categories  d^idees  qui  se  develop- 
pent  dans  Fesprit  et  sur  les  divers  degres  de  leur  developpement. 
Les  manies  mentales,  les  tics,  les  phobies  permctteut  d'aborder 
retude  d'un  grand  fait,  beaucoup  trop  laiss^  de  cote  d'ordinaire, 
le  fait  de  Tagitation  et  de  comprendre  la  loi  de  la  derivation 
psychologique.  Les  sentiments  qui  accompagnent  Texercice  de 
nos  diverses  fonctions  mentales  sont  tres  mal  connus  ;  a  peine 
a-t-on  examine  un  petit  nombre  d'entre  eux  comme  le  sentiment 


INTRODUCTION  IX 

de  Teffort  et  ie  sentiment  de  la  fatigue.  L'etude  de  nos  malades 
permet  de  p^n^trer  bien  plus  avant  dans  T^tude  d'un  tr6s  grand 
nombre  de  ces  sentiments  dits  «  sentiments  intellectuels  »  ainsi 
que  dans  T^tude  de  plusieurs  sentiments  soeiaux  tr^s  importants 
pour  comprendre  les  relations  sociales. 

Quelle  que  soit  Timportance  de  ces  analyses  psychologiques 
j'insiste  sur  un  probleme  dont  la  discussion  revient  tr^s  souvent 
dans  ces  pages  et  dont  T^tude  forme  la  partie  principale  de  cet 
ouvrage.  Je  veux  parler  de  T^tude  des  operations  psychologi- 
ques qui  permettent  a  Thomme  d'entrer  en  rapport  avec  la 
r^alite,  d'agir  sur  elle  et  de  saisir  son  existence  avec  certitude. 
La  fonction  du  reel,  avec  les  operations  de  la  volonte,  le  senti- 
ment du  r6el,  Ic  sentiment  du  present  occupe  la  premiere  place 
dans  la  hierarchic  des  phenom^nes  psychologiques  et  son  etude 
est  aussi  importante  pour  la  m^taphysique  que  pour  la  psycho- 
logic. 

Cette  etude  des  psychasth^niques  est  divisee  en  deux  volumes, 
le  second  que  je  publierai  en  collaboration  avec  M.le  P*"  Raymond 
contiendra  les  observations  cliniques  d^un  tr^s  grand  nombre  de 
ces  malades,  plus  de  deux  cents,  il  renfermera  des  descriptions, 
des  documents  psychologiques  et  cliniques  qui  ne  pouvaient 
prendre  place  dans  les  etudes  plus  g^n^rales  du  premier  volume, 
il  apportera  en  quelque  sorte  la  justification  et  les  preuves  des  in- 
terpretations presentees  par  celui-ci. 

Le  premier  volume  renferme  la  plupart  des  etudes  relatives  aux 
psychastheniques,  la  premiere  partie  est  descriptive  et  analyti- 
que,  la  seconde  est  plus  theorique  et  plus  generate. 

Dans  la  premiere  partie,  apr^squelques  indications  sur  les  mala- 
des etudieset  sur leur  attitude  assez  caracteristique,  Tetude  de  leurs 
obsessions  sera  faite  d'une  mani^re  analytique  en  descendant  des 
caract^res  les  plus  apparents,  jusqu'aux  phenomenes  plus  profonds 
dont  les  premiers  semblent  dependre.  C'est  ainsi  que  j*etudierai 
d'abord  le  contenu  ou  la  mati^re  de  ces  obsessions,  c'est-a-dire 
le  sujet  auquel  s^appliquent  les  pensees  du  malade.  Ainsi  ce  sera, 
par  exemple,  la  pensee  du  demon,  ou  Fidee  du  meurtre,  ou  celle 
du  suicide,  qui  tourmente  le  plus  son  esprit.  Cet  aspect,  que 
Ton  pent  appeler  intellectuel  de  Tobsession  a  ete,  dans  ces  der- 
niers  temps,  un  peu  neglige,  depuis  que  Ton  a  remarque  tr^s  jus- 
tement  le  role  considerable  que  joue  Vemotion  dans  cette  mala- 


X  LES  OBSESSIONS  ET  LA  PSYCHASTHfiNIE 

die.  II  ne  me  semble  pas  juste  de  le  n^gliger  eompletement,  il 
occupe  une  grande  place  dans  les  symptomes  que  pr^sente  ce 
groupe  particulier  des  obs^d^s  que  je  range  sous  ie  nom  de  scru- 
puleux.  Peut-6tre  son  ^tude  nous  permettra-t-elle  de  classer  ces 
diverses  obsessions,  de  remarquer  qu*il  y  a  entre  elles  beaucoup 
d'analogies  et  que  le  contenu  de  ces  id^es  est  loin  d*etre  insigni- 
fiant  pour  Tinterpr^tatton  de  la  maladie. 

Ensuite,  je  me  propose  de  r^unir  sous  ce  titre  «  les  agitations 
forcees  »  les  divers  troubles  qui  accompagnent  les  id^es  obs^dan- 
tes  ou  qui  les  remplacent.  J*entends  par  la  toutes  ces  operations 
exager^es  et  inutiles  qui  constituent  les  manies  mentales,  les  tics, 
les  phobies  ou  les  angoisses. 

EnGn,  je  voudrais  chercher  dans  Tanalyse  d'un  6tat  psycholo- 
gique  special,  qui  ne  me  parait  pas  6tre  pr^cis^ment  une  Amo- 
tion, mais  qui  doit  se  ranger  dans  le  grand  groupe  des  sentiments 
intellectuelsy  dans  Tanalyse  de  Tetat  JC inquietude,  le  point  de 
depart  plus  profond  d'ou  proviennent  et  ces  idees  sp^ciales  et  les 
diverses  agitations. 

II  sera  plus  facile  alors,  dans  une  deuxi^me  partie  plus  g^n^- 
rale  et  plus  synthdtique,  d'examiner  les  differentes  hypotheses 
qui  ont  et6  pr^sent^es  pour  interpreter  cette  curieuse  alteration 
de  Tesprit.  Je  rechercherai,  a  ce  propos,  ce  que  ces  troubles,  qui 
sont  de  veritables  experiences  psychologiques,  peuvent  nous 
apprendre  sur  le  mecanisme  dc  Tesprit  et  sur  Timportance  de  tel 
ou  tel  phenomene.  Ces  alterations  de  la  pensee  mettent  en 
lumiere  le  role  important  de  certains  faits  qui  restcnt  confondus 
au  milieu  des  innombrables  phenom^nes  qui  remplissent  le  cours 
de  la  vie  normale.  C'est  ainsi  que  nous  pourrons  etudier  «  la 
fonction  du  reel  »  et  les  divers  degres  de  «  la  tension  psycholo- 
gique  ».  Cette  meme  partie  contiendra  egalement  les  etudes 
generales  relatives  au  diagnostic,  au  pronostic,  au  traitement  et 
a  la  place  de  la  psychasthenic  parmi  les  psycho-nevroses. 

Ces  etudes  sur  les  psychastheniques  ont  ete  faites  sur  un  assez 
grand  nombrede  malades  ;  j'ai  reuni  depuis  quelques  annees  325 
observations  qui,  malgre  une  grande  et  interessante  diversite,  me 
semblent  assez  comparables  pour  constituer  un  groupe.  Une 
partie  de  ces  observations  a  ete  prise  dans  le  service  de  M.  Jules 
Falret  a  la  Salpetriere  ;  une  autre  partie,  la  plus  importante,  a  ete 
recueillie  alaclinique  de  M.  leP'  Raymond,  mais  un  grand  nombre 


INTRODUCTION  XI 

de  ces  malades  ont  H6  Studies  en  dehors  de  Thopitai.  II  est  inte- 
ressant  de  remarquer  d^ja  que  cette  cat^gorie  de  malades  se 
rencontre  un  peu  plus  souvent  dans  la  clientele  de  la  ville  que 
dans  celle  de  Thopital,  car,  ainsi  qu*on  le  verra,  un  certain  degre 
de  culture  intellectuelle  joue  un  role  dans  son  developpement. 

Je  n'essaierai  pas  de  r^sumer  ici  toutes  ces  observations ;  il 
sufBt  d^ndiquer  sur  leur  ensemble  quelques  remarques  g^nd- 
rales.  Sur  ces  3a5  malades,  je  compte  23o  femmes  et  95  hommes, 
la  plus  grande  frequence  de  la  maladie,  dans  le  sexe  f^minin,  est 
done  bien  manifeste.  La  plupart  de  ces  malades  ont  de  ao  a 
4o  ans ;  c'est  a  cette  p^riode  de  la  vie  que  la  maladie  prend  un 
plus  grand  developpement ;  6  de  ces  sujets  sont  au-dessous  de 
16  ans  et  nous  permettent  d*assister  aux  premiers  symptomes  du 
trouble  mental,  tandis  que  g  malades  qui  ont  d^pass^  60  ans  nous 
en  pr^sentent  les   formes  ultimes. 

Ne  pouvant  d^crirc  avec  precision  tous  ces  malades,  j'en  choi- 
sirai  quelques-uns  qui  pr^sentent  les  ph^nomenes  de  Id  facon  la 
plus  precise  et  la  plus  int^ressante  et  qui,  d'ailleurs,  ont  ^t^  Stu- 
dies avec  plus  de  soin  pendant  de  longues  p^riodes  et  je  grou- 
perai  les  autres  cas  autour  de  ces  observations  prises  comme 
types.  Les  malades  sur  lesquels  j'insisterai  le  plus  sont  surtout 
les  cinq  suivants  :  Claire  (Obs.  222)  \  est  une  jeune  (ille  actuel- 
lement  ag^e  de  28  ans,  que  j'ai  6tudi6e  et  trait^e  depuis  9  ans. 
Cela  prouve  que  la  maladie  ne  se  gu^rit  pas  ais^ment,  puisque 
cette  jeune  fiUe  est  encore  au  moins  une  anormale,  d^cid^e  a  ne 
pas  se  marier  et  dont  on  ne  pent  blamer  la  resolution.  EUe  habite 
la  province  et  vient  de  temps  en  temps  passer  plusieurs  mois  a 
Paris,  c'est  a  ces  moments  que  je  la  vois  r^guli^rement.  Ces 
alternatives  entre  les  p^riodes  de  traitement  et  les  p^riodes 
d*interruption  d^terminent  des  alternatives  int^ressantes  dans 
revolution  de  la  maladie  qui  nous  fourniront  quelques  constata- 


I.  II  est  impossible  de  donner  ici  d'une  fa^on  complete  toutes  ces  observations, 
je  dois  me  borner  h  iodiquer  d*une  fagon  sommaire  les  faits  pr6sent^s  par  cbaque 
maladc  et  qui  ont  un  interSt  pour  la  discussion  g<5nerale.  Cependant  comme  ces 
observations  pr6sentenl  un  certain  int^rSt,  comme  el  les  contiennent  certains  rensei> 
gnements  utiles,  les  anl<^cMenis  h^r^dilaires  ou  personnels,  la  dureeet  revolution  de 
la  maladie,  les  resuUats  du  traitement,  etc.,  je  compte  les  r^sumer  dans  le  second 
volume  de  cet  ouvrage  que  je  publierai,  je  I'esp^re,  procbainement  en  collaboration 
avec  M.  le  pf"  Rajrmond.  C'est  pourquoi  le  nom  conventionncl  ou  les  lettres  qui 
d^signent  un  malade  seront  suivis  dans  cet  ouvrage  d'un  numero  d'ordre  qui  per- 
mettra  de  retrouver  son  observation  dans  le  second  volume. 


XII  LES  OBSESSIONS  ET  L\  PSYCHASTHfiNIE 

tions  int^ressantes.  Lise  (Obs.  223),  pour  lui'conserver  le  nom 
sous  lequei  je  I'al  d6ja  signal^e  dans  diverses  Etudes,  est  uoe 
femme  de3o  ans,  que  je  suis  r^gulierement  a  peu  pres  sans  inter- 
ruption depuis  5  ans.  Sa  maladie,  tr^s  grave  au  debut,  a  pu  etre 
amend^e  peu  a  peu ;  c'est  une  femme  intelligente,  instruite, 
capable  de  bien  observer.  Jean  (Obs.  ib'j)  estunhomme  de  3i  ans, 
dont  la  maladie  mentale,  melange  de  scrupule  et  d*hypocondrie, 
est  des  plus  graves,  et  quoique  je  I'observe  depuis  un  an,  je 
d^sespere  dis  l*am6liorer  autant  que  les  malades  pr6c6dentes. 
Nadia  (Obs.  i66),  ce  pseudonyme  a  H6  ehoisi  par  ia  malade  elie- 
meme,  est  une  jeune  fille  de  28  ans,  que  j'observe  ^galement 
depuis  plus  de  6  ans  et  qui  est  particuli^rement  bien  connue, 
puisqu'elle  a  Thabitude,  rare  chez  les  scrupuleux,  de  m'^crire  de 
longues  lettres,  ou  elle  note,  avec  de  grands  details,  beaueoup 
d'incidents  de  sa  maladie.  Gis^le  (obs,  171)  est  une  femme  de  3o 
ans,  remarquable  par  son  aptitude  a  Fanalyse  psychologique  et 
par  ses  descriptions  imagoes,  qu'elle  consent  souvent  a  ecrire 
comme  la  pr^c^dente  et  qui  m'ont  souvent  rendu  service.  Autant 
que  possible,  ces  cinq  malades  seront  cit^s  de  preference,  et  les 
autres,  moins  ^tudi^s,  leur  seront  compares. 


PREMIERE  PARTIE 

ANALYSE    DES    SYMPTOMES 


LE8    OBSESSIONS  I.    I 


CHAPITRE  I 
LES  IDfiES  OBSfiDANTES 


Le  premier  phenomene  qui  se  prcsente  a  Texamen  chez  les  plus 
graves  de  ces  malades  semble  etre  un  phenomene  inteliectuel  de 
Tordre  le  plus  elev^,  une  idee  et  souvent  une  idee  assez  abstraite 
et  assez  compliquee.  Ces  idf^es  se  distinguent  en  effet  des  autres 
phenomenes  psychologiquc  par  leur  caractere  abstrait  et  general: 
ce  ne  sont  pas  des  sentiments  ou  des  operations  uniquement  en 
rapport  avec  un  6tat  present  et  particulier  du  sujet,  ce  sont  des 
conceptions  qui  s'appliquent  d'une  maniere  g^nerale  a  toute  une 
p^riode  de  la  vie  ou  a  la  vie  tout  entiere.  L^angoisse  d^terminee 
par  la  peur  d^un  couteau  est  un  sentiment  particulier.  La  pens^e 
que  Ton  est  un  criminel  capable  de  tuer  a  coup  de  couteau  est  une 
id6e  generale.  Dans  ce  premier  chapitre  je  n'examinerai  que  les 
id^es  de  ce  genre. 

Ces  idees  se  reproduisent  dans  Tesprit  du  malade,  ainsi  qu'il 
TafBrme  tout  d'abord,  malgrc  lui,  d'une  maniere  continuelle  et 
penible.  Cette  permanence  de  Tidee  n'est  pas  justifi^e  par  son 
importance  et  son  utilite  pratique;  aussi  Tabsence  d'utilite  par 
rapport  a  la  vie  pratique  distingue  ces  idees  de  celles  du  savant  et 
de  rinventeur  et  lui  donne  d^ja  un  caractere  pathologique  ^  Des 
idees  de  ce  genre  sont  designees  sous  le  nom  A^ idees  obsedantes, 

Dans  nos  pr^cedentes  etudes  sur  des  malades  atteints  d'id^es 
fixes,  nous  avions  remarque  que  Vobjet  de  ces  idees^  leur  contenii, 
n'avait  pas  une  extreme  importance.  Les  phenomenes  les  plus 
importants  pour  determiner  la  nature  de  Tid^e  et  son  m^canisme 
etaient  constitucs  par  ce  que  Ton  pent  appeler  la  forme  de 
ndee,  c'est-a-dire  les  caracteres  psychologiqucs  qu'cUes  pr^sen- 


I.  Blocq  et  Onanof,   Revue  scienttftque,  1890.  —  Keraval,  L'Idec  fixe.  Archives 
de  neurologie,  1899,  II,  p.  6. 


4  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

talent  dans  leur  Evolution.  L'id^e  ^tait-elle  consciente,  clairement 
reconnue  comme  fausse  par  le  malade,  <^tait-elieimpulsive,  systema- 
tique  ou  non,  etc.  ?  Telles  etaient  les  questions  les  plus  importantes. 
Quant  au  contenu  de  Tid^e,  que  le  malade  revat  a  un  incendle  ou  a 
son  petit  chien  ecras^  par  un  tramway,  cela  n'avait  qu'une  impor- 
tance secondaire. 

Au  contraire,  les  obsessions  exprimees  par  les  malades  scrupu- 
leux,  que  nous  consid^rons  maintenant,  se  presentent  au  premier 
abord  comme  si  ^tranges  que  leur  contenu  nitrite  tout  d'abord 
d'attirer  notre  attention,  car  il  joue  un  r6le  important  dans  revo- 
lution de  la  maladie. 

Je  me  propose  done,  dans  ce  chapitre,  d'6tudier  d*abord  le 
contenu  des  idees  obsedanteSy  I'objet  de  la  pensee  qui  remplit 
I'esprit  du  malade.  Puis,  dans  la  deuxieme  parlie  de  ce  chapitre, 
j'examinerai  la  forme  psychologique  que  prend  cette  idee,  c'est- 
a-dire  les  caracteres  psychologiques  qui  la  d^terminent  et  qui 
semblent  la  distinguer  des  autres  iddes  normales. 


PREMIfiRE  SECTION 
LE    CONTBNU    DBS    IDEBS    OBSl^DANTES 


Le  contenu  d^une  idee  ne  pent  etre  connu  que  par  des 
expressions  du  malade,  par  son  attitude  et  son  langage.  II  faut  ^tu- 
dier  en  quelques  mots  cette  attitude  des  malades  pour  se  rendre 
compte  des  difHcultes  de  Tobservation.  Les  pens^es  qui  rem- 
plissent  les  obsessions  peuvent  etre  rangees  ensuite  dans  cinq 
classes  :  les  obsessions  du  sacrilege,  les  obsessions  du  crime,  les 
obsessions  de  la  honte  de  soi,  les  obsessions  de  la  honte  du  corps 
et  les  obsessions  de  maladie  ;  enfin,  nous  pourrons  ^  la  fin  de 
cette  premiere  <5tude  chercher  a  d^gager  quelques  caracteres 
g^neraux  qui  se  retrouvent  toujours  dans  le  contenu  des  idees 
obs^dantes. 


i.  —  U expression  des  id6es  obs6dantes. 

II  est  bcaucoup  plus  difficile  qu^on  ne  le  croit  g^n^ralement  de 


L'EXPRESSION  DES  IDfiES  OBSfiDANTES  5 

decrire  avec  precision  les  idees  qui  tourmentent  les  obsedes.  Ces 
malades  ont  en  effet  presque  tons  une  attitude  et  une  maniere  de 
s'exprimer  qui  me  parait  precis^raent  d^pendre  de  leur  ^tat  men- 
tal, raais  qui  gene  singulieremenl  les  recherches  psychologiques. 
Sans  doute,  ils  sont  doux,  aimables,  assez  intelligents  et  ne  pre- 
sentent  ni  ces  coleres,  ni  ces  entetements,  ni  ces  confusions  qui 
genent  dans  Texamen  d'autres  sujets,  mais  ils  ont  une  peine  infi- 
nie  a  parler  avec  precision  de  ce  qu'ils  ^prouvent  et  ne  font  I'aveu 
de  leurs  pensees  que  d'une  maniere  perp^tuellement  incomplete, 
obscure  et  embarrass^e. 

Le  scrupuleux,  au  debut  de  son  mal,  quand  il  s'aper^.oit  que 
sa  pens^e  est  troubl6e,  commence  par  dissimuler  soigneusement 
son  6tat  a  son  entourage  et  pendant  des  annees,  sa  famille  peut 
ignorer  qu'il  est  atteint  d'une  maladie  mentale.  II  faut  des  cir- 
constances  toutes  sp^ciales  pour  Ic  decider  a  parler.  Ger.  (Obs. 
2i4  ^)»  par  exemplc,  laisse  ^chapper  son  secret  quand,  pendant  une 
petite  maladie,  on  veut  la  faire  soigner  par  sa  belle-soeur  :  dans 
son  delire,  elle  se  figure  depuis  plusieurs  annees  avoir  tue  la  mere 
de  cette  jeune  femme.  Elle  trouve  trop  horrible  d'etre  mainte- 
nant  soignee  par  elle  et  se  decide  a  expliquer  pourquoi  elle  re- 
fuse ses  soins.  Ou  bien  il  faut  que  la  maladie  ait  ^te  soupgonnee 
a  cause  de  quelques  manifestations  exterieures  mal  reprimees, 
en  general,  a  cause  du  bavardage  que  font  ces  malades,  a  mi-voix 
et  que  la  famille,  inquiete,lespressede  questions.  On  entend  Bor. 
pcndantplusieursjoursrepeter  ind^finiment  u  non,  non  »  des  qu'elle 
est  seule.  Elle  refuse  d'expliquer  ce  mot  a  son  mari.  11  faut  que  son 
pere  vienne  la  supplier  pour  obtenir  Taveu  qu'elle  r^siste  au  de- 
mon. Bien  souvent  d'ailleurs  on  amene  les  malades  au  m^decin 
simplement  parce  qu'on  est  inquiet  de  leur  attitude  mais  sans 
qu'on  aitpu  obtenir  une  rev(^lation  precise.  Cetaveu  est  si  impor- 
tant et  le  phis  souvent  si  tardif  que  Legrand  du  SauIIe  le  consi- 
derait  comme  un  6v^nement  caractcristique  dans  revolution  de  la 
maladie  et  faisait  debuter  avec  lui  ce  qu'il  appelait  la  secondc 
phase. 


I .  Le  chiffro  qui  suit  lo  nom  d'un  malado  d^signe  le  num^ro  quo  portera  son 
observation  dans  Ic  deuxi5mo  volume  de  cet  ouvragc.  Dans  ce  volume  publie  en 
collaboration  avec  M.  lo  profosseur  Raymond,  nous  etudicrons  les  antecedents  du 
malade,  revolution  qu'a  eue  chez  )ui  la  maladie,  les  traitemenls  qui  ont  pu  dans 
ce  cas  avoir  une  influence,  Etudes  cliniques  qui  ne  peuvent  toutes  prendre  place  dans 
ce  premier  volume. 


6  LES  IDfiES  OBSIiDANTES 

Quand  on  interroge  ces  malades,  ils  prennent  un  air  extreme- 
ment  embarrasse.  lis  sont  hesitants,  incertains  cux-m^xnes  sur  ce 
qu'ils  eprouvent  et  sur  ce  qu*ils  veulent  dire.  Las  uns  comme 
Lod.  (Obs,  182)  poussent  tout  le  temps  des  edats  de  rire  et  se 
m.oquent  d'eux-mfimes  comme  s'il  n'y  avait  rien  de  serieux  dans 
leur  6tat.  Les  autres  sont  tristes,  honteux^  prient  qu'on  n'insiste 
pas. 

Tons  refuscnt  absolunient  de  faire  un  recit  net  et  precis  de 
leur  maladie.  Je  puis  donner  a  ce  propos  un  detail  caracteris- 
tique.  J'ai  Thabitude,  autant  que  cela  est  possible,  de  prier  les 
malades  de  m'ecrirc  :  la  feuille  de  papier  legendaire  du  neuras- 
th^nique  n'est  pas  pour  me  deplaire.  Les  descriptions  sont  plus 
precises  par  Tecriture  que  par  la  parole  et  le  document  est  sou- 
vent  inleressant  a  conserver.  J'ai  recueilli  ainsi  des  confidences 
manuscrites  sur  la  plupart  des  maladies  mcntales,  eh  bien,  sur 
200  scrupuleux,  malgre  toutes  mes  supplications,  jc  n'ai  pu  obte- 
nir  ces  lettres  que  de  cinq  malades  seulement.  II  ne  faut  done 
compter  que  sur  Tinterrogatoire  et  on  nc  tarde  pas  a  s'apercevoir 
qu'il  est  extremement  difficile. 

Ce  ne  sont  cependant  pas  les  difficultes  ordinaires  de  Texamen 
des  alienes.  Le  persecute  refuse  souvent  de  parler  parce  qu'il  prcnd 
le  m6dccin  pour  un  enncmi  et  qu'il  s'cn  mefie  ;  le  scrupuleux  ne 
pr<5sente  riendeserablable.  II  ne  se  defie  pas  du  m6decin  et  comme 
nous  le  verrons,  il  est  au  contraire  tout  dispose  a  reclamer  son  aide. 
Le  mclancolique  refuse  de  parler  par  honte,  par  humilite;  le  scru- 
puleux sait  presquc  toujours  fort  bien  que  ses  idees,  ses  accusations 
sont  fausses.  II  se  rend  assez  bien  compte  qu*il  est  un  malade  et 
qu'il  n'a  pas  lieu  d'etre  honteux  L'hystc^rique  ne  pent  pas  vous  par- 
ler parce  qu'cUe  ignore,  parce  qu'elle  a  oublie  ;  le  scrupuleux  ou- 
blie  fort  peu  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  aga^ant  dans  son  examen  c'est 
qu'il  pretend  toujours  savoir  trcs  bien  ce  ({u^il  aurait  a  dire  et  que 
cependant  il  le  dit  toujours  trcs  mal.  II  est  hesitant,  embrouillc, 
il  se  repete  sans  avancer,  il  n'acheve  jamais  Tidee  qu'il  a  commen- 
cee,  il  n'avance  jamais  un  mot  sans  le  contredire  Tinstant  suivant 
et  d'ailleurs  il  vous  avertit  charilablement  que  tout  ce  qu'il  a  dit 
est  insulfisant,  que  ce  n'est  pas  encore  cela,  qu'il  aurait  bien  autre 
chose  il  dire  et  Ton  pent  recommencer  Tinterrogatoire  toujours 
avec  le  meme  rdsultat. 

Lod.  (Obs.  i/|4),  au  milieu  de  ses  eclats  de  rire,  vous  avertit: 
«  Plus  je  vais,  moins  je  comprends  mes  idees,  comment  voulez- 


LEXPUESSION  DES  IDI^.ES  OBSfiDANTES  7 

vous  que  je  vous  les  d^crive?  Quand  je  veux  expliquer  uue  id^e, 
elie  s'enfuit,  ca  me  fait  un  trou  dans  la  tete.  Je  ne  puis  plus  la 
rattraper.  Quand  je  vous  parle,  qa  me  fait  Teffet  de  choses  si  pe- 
tites...  si  petitesetcependant  quand  je  suis  partie,  c'estsi  grave.  » 
Lise  (Obs.  228),  quand  on  Ta  interrogee  pendant  deux  heures, 
quand  on  a  6crit  tout  ce  qu'elle  disait,  termine  en  declarant :  «  ne 
Foubliez  pas,  je  dis  presque  toujours  le  contraire  de  ce  que  je 
pense  et  je  ne  peux  pas  retrouver  mes  idees  quand  il  s'agit  d'en 
parler.  Je  n'en  dis  jamais  que  la  moitie.  Ne  tenez  done  pas  compte 
de  ce  que  j'ai  dit.  »  La  plus  remarquable  a  ce  point  de  vue,  c'est 
Claire  (Obs.  222)  qui  arrive  toujours  tres  aflair^e,  parce  qu'elle  a  des 
choses  importantes  a  me  dire,  qu^elle  tient  a  les  dire  et  qu'elle 
ne  retrouvera  sa  tranquillite  qu'aprcs  avoir  tout  dit.  On  I'encou- 
rage  a  commencer  et  alors  ce  sont  des  bavardages  sur  la  diffi- 
cultc  qu'il  y  a  a  parler,  sur  le  probleme  de  savoir  par  quoi  com- 
mencer. «  J'ai  deja  dit  tout  cela,  je  Tai  dit  cent  fois,  j'ai  dA  vous 
le  dire,  ce  qui  me  tourmente,  c'est  que  je  n'ai  pas  dit  Tessentiel  » 
et  elle  pleure,  et  elle  rit,  et  elle  se  roule  sur  son  fauteuil;  en 
supplications  d'un  c6te,  en  g^missements  de  I'autre,  on  passe  plu- 
sieurs  heures  et  alors  la  voila  au  desespoir.  <(  Je  vais  encore  par- 
tir  sans  vous  avoir  dit  ce  que  j'avais  a  dire,  c'est  si  simple,  je  vais 
vous  le  dire  »,  et  la  scene  recommencerait encore  plusieurs  heures 
si  on  avait  le  temps  de  I'ecouter.  II  faut  la  rejivoyer  avec  la  con- 
solation que  la  prochaine  fois  elle  dira  mieux.  J'ai  connu  cette 
malade  pendant  dix-huit  mois  avant  d'avoir  devin^  sa  principale 
idee  fixe. 

Par  exception,  on  rencontre  des  scrupuleux  bavards  comme 
Jean  (Obs.  167)  ou  qui  ecrivent  beaucoup  comme  Nadia  (166),  mais 
I'espoir  de  les  entendre  parler  clairement  de  leur  maladie  est 
bientot  de^u.  C'est  un  flux  intarissable  de  paroles,  de  plaintes, 
de  g^missements,  mais  avec  les  memes  contradictions,  les  mcmes 
obscurit^s.  Jean  complique  son  langage  d'une  grande  quantite  de 
neologismes  dont  il  a  peu  i\  peu  precise  le  sens  dans  son  esprit, 
mais  qui  sont  loin  de  rendre  son  langage  plus  clair.  (c  Ah  !  j'ai  eu 
ma  petite  mesuredepuisqueje  vous  aiquitte  ;  une petite  echaubouil- 
laisona  fait  que  tout  repigeonnait encore,  etl'obsession  mentalc  et  le 
fou-rire  cerebral  qui  me  labouraicnt  la  tele.  Je  ne  pouvais  plus  r6- 
sister  au  besoin  de  me  crisper  les  organes,  eric,  crac,  meurs  done 
en  le  donnant  des  jouissances.  Ce  que  j'ai  d(x  soulever  de  poutrcs 
en  nombre  rep6t^  pour  rcsistcr.  Yous  ne  vous  figurez  pas  comme 


8  LES  IDfiES  OBSEDANTES 

cela  produit  un  ^tat  fastidieux  tout  le  long  de  la  ligne  des  nerfs.  » 
Et  il  continue  ainsi  pendant  des  heures  sans  arriver  a  se  faire 
comprendre  et  surtout  sans  arriver  a  se  satisfaire  lui-meme.  II 
supplie  qu*on  T^coute  encore  un  quart  d'heure,  parce  qu'il  est  si 
important  qu'il  ait  tout  dit.  II  consent  a  s'arreter  avec  la  pro- 
messe  que  la  prochaine  fois  il  reprendra  le  recit  interrompu.  II 
est  curieux  de  comparer  a  ce  point  de  vue  Claire  et  Jean.  L'une 
ne  pent  pas  arriver  a  dire  dix  mots,  Fautre  parle  avec  abondance 
pendant  des  heures  enti^res.  Le  resultat  est  cependant  exactement 
le  m^me.  Ni  Tun  ni  Tautre  ne  sont  arrives  a  une  expression  pre- 
cise et  satisfaisante  des  troubles  quails  eprouvent. 

II  en  est  de  m6me  pour  ceux  peu  nombreux  qui  ^crivent.  Dob. 
(Obs.  86),  jeune  femme  de  39  ans,  qui  a  toujours  le  sentiment  de 
s*6tre  mal  expliqu^e  par  la  parole  se  decide  a  m^^crire  assez  sou- 
vent.  Mais  toutes  ses  lettres,  qui  sont  semblables  au  point  qu'elles 
paraissent  copi^esFune  sur  Tautre,  ne  contiennent  que  quelques 
descriptions  vagues  et  banales,  identiques  a  ce  que  disait  la  ma- 
lade.  Nadia  pretend  ^prouver  une  peine  extreme  a  parler  :  «  il 
me  semble,  dit-elle,  que  cela  m'etrangle  »  et  elle  adopte  vite  le 
systfeme  de  m'^crire  des  lettres  interminables,  d'abord  dix  ou 
vingt  feuilles  de  papier  a  lettres,  puis,  comme  ce  papier  ne  suffit 
plus,  cinq  a  six  grandes  feuilles  de  papier  ^colier.  Les  mots  im- 
portants  sont  r^p^tefi  trois  ou  quatre  fois,  ils  sont  soulign^s  un  grand 
nombre  de  fois.  Tout  semble  r^uni  pour  arriver  a  une  precision 
satisfaisante  et  cependant  Nadia  n*est  jamais  satisfaite  :  «  que  vou- 
lez-vous,  mes  lettres  sont  aussi  embrouillees  que  mes  idees.  » 

Sans  doute,  il  y  a  la  un  sentiment  faux,  une  illusion  du  ma- 
lade  qui  est  toujours  mec(mtent  de  ce  qu'il  a  faitquoiquMI  semble 
avoir  fait  les  choses  d'une  maniere  a  peu  pres  suffisantc.  Nous 
aurons  a  etudier  en  detail  ce  sentiment  ct  nous  etudicrons  jusqu'a 
quel  point  il  est  erron6  et  s'il  ne  correspond  pas  a  une  certaine 
realite.  Pour  le  moment,  remarquons  que  ce  sentiment  du 
malade  a  propos  de  son  langage,  quoique  tres  exagere  chez 
quelques-uns,  est  en  general  assez  juste.  Cette  facon  de  s'exprimer 
me  parait  assez  importantc,  le  desir  de  se  confesser,  aucuneraison 
serieusc  qui  s'y  oppose  ct  Timpuissance  oil  est  le  malade  a  cxpri- 
mer  clairemcnt  son  etat,  tels  sont  les  caractercs  essentiels  du  lan- 
gage des  obscdes  scrupuleux. 

On  peut  observer  que  ce  trouble  de  Texpression  depend  chez  quel- 


L'OBSESSION  DU  SACRILEGE  9 

ques-uns  d*unc  Amotion  de  timidide  et  on  cherchera  a  le  rattacher 
aux  autres  troubles  eraotionnels  que  le  malade  pr^sente  en  entrant 
chez  le  inedecin,  en  cherchant  a  lui  devoiler  des  choses  intimes.  II 
y  a  la  une  partle  de  la  verite:  dans  un  certain  nombre  de  cas,  cette 
attitude  est  en  partie  celle  des  timides.  Mais  je  crois  que  cette 
explication  n*est  que  partielle.  Beaucoup  de  ces  malades  ne  sont 
aucunement  timides  avec  moi,  a  moinsque  Ton  ne  veuille  etendre 
le  mot  detimidite  a  tons  les  troubles  de  la  volonte;  ily  a  dans  leur 
difficulte  d*expression  quelque  chose  de  plus  general  et  de  plus 
important.  Elle  depend  d^une  mani^re  d'Mre  de  tout  Tesprit,  elle  se 
rattache  a  une  impuissance  g^n^rale  de  rien  faire  avec  precision,  de 
rien  terminer.  Nous  retrouverons  cette  impuissance  avec  toute  son 
importance  a  la  fin  de  cette  ^tude ;  mais  comme  ce  caractere  est 
capital,  il  ^tait  bon  de  le  signaler  des  le  debut,  simplement  dans 
la  facon  dont  le  malade  se  presente  et  expose  sa  situation. 

On  comprend  que  ce  caractere  ne  facilite  pas  Tetude  des  mala- 
dies :  dans  ce  cas,  comme  d'ailleurs  presque  toujours,  il  faut  un 
temps  6norme  pour  eclaircir  un  peu  ces  observations  psycholo- 
giques,  la  depense  de  temps  est  la  difficult^  principale  de  la 
psychologic  exp^rimentale. 


2.  —  L'obsession  du  sacrilege. 

Quelles  que  soient  les  difficultes  qui  empechent  de  saisir 
completement  la  pens^e  de  ces  malades,  on  finit  par  se  rendre 
compte  dc  quelques  idees  principales  qui  d'une  raaniere  plus  ou 
moins  vague  constituent  le  fond  des  obsessions. 

Dans  un  premier  groupe,  il  s*agit  evideniment  d'obsessions 
religieuses,  mais  ce  sont  des  idees  religieuses  toutes  speciales, 
ayant  un  aspect  horrible,  monstrueux  en  dehors  de  toute 
croyance  raisonnable.  Au  lieu  de  se  preoccuper  des  ^venements 
de  la  vie  commune,  de  la  mort  d'un  enfant,  de  Tabsence  d'une  per- 
Sonne  aim^e,  ces  malades  songent  a  des  crimes  religieux  irr^ali- 
sables  et  fantastiques. 

Quelques  exemples  feront  facilement  comprendre  ce  caractere, 
j'en  choisis  d'abord  deux  particulierement  typiques  autour  des- 
quels  il  sera  facile  de  grouper  les  idees  du  m^me  genre  presentees 
par  les  autres  malades.  On.  (Obs.  221),  un  homme  de  4oans,  apres 


iO  LES  IDIilES  OBSfiDANTES 

beaucoup  de  tergiversations,  nous  fait  Taveu  de  ce  qui  le  tourmente 
jour  et  nuit.  11  vient  de  perdre  il  y  a  deux  ans  son  pere  et  son 
oncle  pour  qui  ii  avait  la  plus  grande  affection  et  la  plus  grande 
veneration:  il  les  pleure,  cela  est  naturel.  Va-t-il  ^tre  obsed^  par 
rimage  de  leur  figure  comme  une  hysterique  pleurant  son  pere  ? 
Non.  II  est  obs^de  par  la  pens^e  de  Tame  de  son  oncle.  Mais  ce  qui 
est  effroyable,  c'cst  que  Tame  de  son  oncle  est  associee,  juxtaposee 
ou  confonduc  (nous  savons  que  ces  malades  s'expriment  tres  mal) 
avec  un  objet  repugnant :  des  excrements  huinains.  «  Cette  arae 
git  au  fond  des  cabinets,  elle  sort  du  derricre  de  M.  un  tel, 
etc.,  etc.  »  11  fait  une  foule  de  variantes  sur  ce  joli  theme  et  il 
pousse  des  cris  d'horreur,  se  frappe  la  poitrine.  «  Peut-on  con- 
cevoir  abomination  pareille,  penser  que  Fame  de  mon  oncle 
c'est  de  la  m...  »  Le  cas  est  interessant  par  sa  grossierete,  une 
idee  de  ce  genre  presente,  a  mon  avis,  un  cachet  tout  special:  elle 
avertit  deja  le  medecin  qui  ne  le  rencontrera  guere  en  dehors  du 
delire  du  scrupule. 

Avant  de  preciser  ce  caractere  voyons  un  autre  cxemple  encore 
plus  typique.  Claire,  cette  jeune  fiUe,  dont  la  chastete  ne  pent 
mcme  pas  6tre  soupconnce,  finit  apres  i8  mois  d'examen  et  d'in- 
terrogations  par  m'avouer  Tobsession  suivante  qui,  au  premier 
abord,  me  paraissait  invraisemblable  et  dont  j'ai  d\i  plus  tard 
constater  la  frequence  chez  les  scrupuleuses.  Elle  pretend  que 
c'est  plus  qu'une  id^e,  c'est  quelque  chose  qu'elle  voit  et  qui  lui 
apparait  brusquement  a  gauche.  Acceptons  pour  le  moment  cette 
expression  de  la  malade :  «  Je  vois.  »  Nous  aurons  a  discuter 
plus  tard  s'il  s'agit  d'une  v<^ritable  hallucination.  Claire  pretend 
voir  subitement  devant  elle  un  homme  tout  nu  ou  avec  plus  de 
precision  uniquement  les  parties  scxuelles  d'un  homme,  en  train 
d^accomplir  un  acte  :  celui  de  souiller  une  hostic  consacree. 

Voici  des  annees  que  cette  jeune  fille  a  cette  image  devant  les 
yeux  des  centaines  de  fois  par  jour.  De  temps  en  temps  I'image 
subit  quelques  legcres  modifications  :  il  y  a  plusieurs  membres 
virils  autour  de  Thostie,  ou  bien  c'est  une  femme  qui  met  Thostie 
sur  ses  parties  genitales,  tantot  c'cst  un  chien  qui  fait  ses  ordures 
sur  une  hostie,  tantot  Thoslie  est  simplement  melee  avec  de  la 
boue,  des  excrements.  Pendant  certaines  periodes  de  grand 
trouble,  c'etait  un  pr^trc  qui  venait  appliquer  Thostie  sur  les 
parties  g^nitalcs  de  la  malade  elle-memc  ou  sur  son  anus.  Ces 
images  provoquentune  angoisse  horrible,  bouleversentla  malade; 


L'OBSESSION  DU  SACRILEGE  H 

lui  donnent,  dit-elie,  a  chaque  fois,  une  espcce  de  crise  de  nerfs, 
lui  enlevent  toutes  ses  id^es,  toute  sa  volenti. 

De  telles  pensees  paraissent  au  premier  abord  bien  etranges 
et  bien  exceptionnelles.  Mais  si  on  observe  ces  nialades  on  voit 
d'abord  qu'elles  sont  chez  eux  tres  fr^quentes.  II  y  a  un  siecle 
Esquirol  deorivait  deja  des  hallucinations  semblables  a  cclles  de 
Claire.  Si  nous  examinons  plusieurs  autres  malades  nous  allons 
retrouver  souvent  des  idees  tres  analogues  a  ces  deux  exemples. 
Cc  sont  toujours  des  pensees  obsedantes  relatives  a  des  atten- 
tats monstrueux  contre  des  choses  religieuses  ou  infiniment  res- 
pectables. 

Lise  specule  depuis  des  annees  sur  ce  theme  :  le  culte  reli- 
gieux  dn  demon.  L'idee  obsedante  n'est  pas  chez  elle  aussi  bru- 
tale  que  chez  les  deux  malades  precedents,  ce  n'est  pas  une 
image  simple  apparaissant  tout  a  coup,  c*est  une  meditation 
longue  et  compliquee  tournant  autour  de  quelques  id^es  prin- 
cipales  que  je  resume  en  conservant  le  vague  de  I'expression  qui 
caracttirise  cette  malade.  «  II  y  a  un  principe  du  mal  comme  un 
principe  du  bien...  le  mal  est  un  Dieu  comme  le  bien...  le  con- 
traire  de  Dieu,  venerer  le  contraire  deDieu...  quelle  est  la  puis- 
sance du  d6mon...  pricr  le  demon  autant  que  Dieu...  si  on  ne 
croit  pas  au  demon  ne  pas  croire  a  Dieu  non  plus...  demander 
au  demon  des  services  et  lui  donner  en  echange  ce  qu'on  aime 
le  plus...  lui  demander  tout  ce  dont  on  a  envie...  donner  au 
demon  Tame  de  ses  cnfants...  etc.  »  La  derniere  idee  est 
Tobsession  capitale  de  cette  malade  qui  est  constamment  tour- 
mentee  par  la  pensee  de  vouer  au  demon  I'ame  de  ses  enfants. 

Un  autre  malade,  Za...  (Obs.  216),  homme  de  82  ans,  r^ve  ;i 
violer  une  vieille  femme  devant  une  ^glise.  Leb...  (Obs.  217), 
femme  de  35  ans,  se  sent  pouss^e  par  Satan  a  se  masturber 
toutes  les  fois  qu'elle  prepare  une  confession.  Nous  verrons 
plus  tard  ce  qu'il  faut  penscr  du  ph^nomene  lui-m^me,  excita- 
tion genitale  au  moment  d*un  effort  pour  accomplir  un  acte 
religieux.  Pour  le  moment  remarquons  seulement  que  la  malade 
a  a  ce  propos  une  obsession  «  je  pense  tout  le  temps  que 
le  diable  me  pousse  a  faire  des  malpropretes  pour  m'empechor 
de  faire  mon  salut...  ».  Pour  Xy...  (Obs.  218J,  lemme  de  55  ans, 
le  diable  intervicnt  dans  toutes  ses  actions,  elle  ne  pent  pas  man- 
ger sa  soupe  ou  changer  de  chemise  sans  penser  qu'elle  fait  ii  ce 
moment  un  acte  agreable  au  d6mon.  Lod...  ne  peut  voir  un  era- 


12  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

chat  par  terre  sans  penser  que  c'est  une  hostie,  ne  peut  donner 
a  boire  a  son  chien  sans  croire  qu*elle  donne  le  vin  et  Teau  de 
rEucharistie,  ne  peut  boIre  elle-meme  sans  croire  avaler  le  vin 
de  la  niesse.  Ger...  se  figure  qu'elle  veut  «  tuer  le  bon  Dieu  ». 

Enfin,  ce  qui  est  banal  chez  tous,  c*est  Tid^e  du  blaspheme, 
«  parler  mal  des  choses  divines,  penser  au  demon  en  faisant  des 
prieres  et  insulter  Dieu  au  lieu  de  le  prier...,  ne  savoir  expri- 
mer  que  la  haine  de  Dieu  d'une  facon  mauvaise  et  grossiere,  se 
revolter  contre  Dieu  et  le  maudire,  dire  des  blasphemes  des 
qu'on  pense  a  la  religion...  cochon  de  Dieu,  etc.  »  telles  sont 
les  paroles  que  repetent  un  grand  nombre  de  ces  malades. 
Ceux-la  raemes  qui  ont  des  obsessions  d'une  autre  nature  comme 
Vol...  (96),  femme  de  2i  ans,  melent  la  divinite  et  la  reli- 
gion a  Icur  maladie  :  «  Je  suis  damnee,  je  lutte  contre  Dieu  si  je 
lutte  contre  mon  cerveau  malade,  je  me  moque  de  Dieu  si  je 
consens  a  me  soigner.  »  L'idee  de  sacrilege  se  mele  aux  autres 
id^es. 

« 
On  voit  par  ces  exemples  faciles  a  multiplier  que  ces  obses- 
sions, si  frequentes  chez  les  scrupuleux,  ont  un  trait  commun. 
Elles  sont  toutes  constituees,  semble-t-il,par  deux  pens^es  asso- 
ciees:  Tune  d*ordre  ^lev^,  le  plus  souvent  religieuse  et  en  tons  les 
cas  infiniment  venerable,  aux  yeux  du  sujet,  Dieu,  Tame,  les 
enfants,  I'eglise,  Thostie  et  de  Tautre  une  pens^e  basse,  r6pu- 
gnante,  ignoble,  les  excrements,  les  organes  g^nitaux,  les  paroles 
grossieres,  ordurieres.  Cette  association  constitue  une  insulte 
pour  la  premiere  pensee  et  Ton  peut  dire  que  toutes  ces  obses- 
sions sont  constituees  par  la  pensee  d'un  sacrilege  :  de  la  le  nom 
sous  lequel  j'ai  deja  eu  Toccasion  de  les  designer  plusieurs  fois, 
les  obsessions  sacrileges,  Le  premier  fait  que  nous  ayons  ii  relever 
chez  nos  scrupuleux  c'est  qu'ils  sont  tourmentes  perpeluellement 
par  la  pensee  du  sacrilege. 


3.  —  L'obsession  du  crime. 

Les  obsessions  singulieres  qui  constituent  une  sorle  de  manie 
de  sacrilege  n'existenl  pas  seules  chez  ces  malades.  On  peut 
meme  dire  que  le  plus  souvent  elles  ne  se  presentent   que  tres 


L*OBSESSION  DU  CRIME  13 

tard,  lorsque  revolution  de  la  malade  est  d6ja  bien  avancee. 
Chez  ces  memes  malades  on  rencontre  d'autres  id6es  un  peu 
difT^rentes  soit  qu'elles  existent  encore  simultanement  avec  les 
obsessions  sacrileges,  soit  qu^clles  aient  doraine  ant^rieurement 
et  n'existent  plus  qu*a  T^tat  de  souvenirs  ;  chez  d^autres  sujets 
moins  gravement  atteints  on  ne  rencontrera  pas  d'id^es  vraiment 
sacrileges  mais  uniquement  ces  obsessions  moins  graves. 

Ces  malades  sont  tourmentes  pendant  des  annees  par  des 
preoccupations  toujour  s  du  mime  genre  relatives  d  la  relief  ion  ou 
a  la  morale.  II  nous  faudra  rechercher  plus  tard  quelles  sont  les 
raisons  qui  fixent  ainsi  Tesprit  vers  un  menie  ordre  de  reflexions 
morales,  pour  le  moment  nous  nous  bornons  a  constater  et  a 
d^crire.  Ces  personnes  semblent  s*interesser  vivement  aux  pro- 
blemes  religieux  et  philosophiques,  ce  qui  est  permis  a  tout  le 
monde,  mais  elles  Ic  font  d^une  fa^on  absorbante,  p^nible  ettouta 
fait  excessive. 

Lise  s'interrogeait  des  journ^es  et  des  nuits  entieres  sur  la 
question  du  salut,  elle  ne  s'int^ressait  pas  pr^cis^ment  a  son 
propre  salut,  mais  a  celui  de  son  pere,  plus  tard  au  salut  de 
son  mari,  de  ses  enfants.  Elle  spicule  maintenant  sur  le  pro- 
bl^me  du  bien  et  du  mal  dans  le  monde,  sur  le  probl^me 
de  Taction  mutuelle  des  ames  les  unes  sur  les  autres.  Elle 
en  arrive  ^  se  faire  une  sorte  de  philosophic  ou  de  religion 
personnelle,  mystique  et  enfantine,  tandis  qu*elle  neglige  com- 
pletement  la  religion  oflicielle.  Une  autre  malade,  Ger...,  examine 
nai'vement  comment  il  est  possible  que  Dieu  soit  dcscendu  sur  la 
terre  pour  sauver  les  hommes  et  pour  la  sauver  en  particulier 
elle-meme.  Py...  (i33),  une  fillette  de  i5  ans,  est  bourrelee 
d*inquietudes  a  propos  de  la  fm  du  monde,  cela  Tamene  a  exami- 
ner les  theories  de  la  creation,  des  miracles,  de  Texistence  de 
Dieu.  <c  Ce  serait  si  teri'ible,  r^pete-t-elle  en  pleurant  a  chaudes 
larmes,  si  Dieu  n'existait  pas.  »  On  a  d6ja  vu  que  Lod...  mele  des 
id^es  religieuses  a  tous  ses  actes  m^me  les  plus  vulgaires,  elle  ne 
pent  passer  devant  une  boulangeric  sans  s'interrogcr  sur  le  mys- 
tere  de  TEucharistie  et  elle  ne  pent  se  d^shabiller  quand  elle  est 
seule  parce  qu'elle  est  g^n^e  par  la  presence  continue  de  Dieu. 
On  pourrait  multiplier  cesexemplesqui  montrent  suffisamment  la 
direction  religieuse  et  philosophique  des  reveries  de  ces  malades. 

D'autresplus  nombreux  encore  et  dont  T^tude  est  particuliere- 
ment   interessante  s'occupent  plutot  des  probl6mes  de    morale 


14  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

concernant  la  conduite  humaine.  On...,  le  brave  homme  qui 
voyait  Tame  de  son  oncle  dans  les  cabinets,  avait  ete  auparavant 
pendant  des  annees  tourment^  par  Ics  problemes  relatifs  a  Thon- 
n^tete ;  il  s'interrogeait  avec  angoisse  sur  les  preuves  du  droit  de 
propriety,  sur  le  devoir  de  reslituer,  etc.  Nb...,  un  littc^rateur 
interessant  6tudie  malgre  lui  la  nature  de  Tamour,  de  Tamiti^,  de 
la  charite.  We...  (170),  une  jeune  fille  de  19  ans,  a  la  preten- 
tion de  r^soudre  le  probleme  de  la  responsabilite  et  veut  mesurer 
jusqu'a  quel  degre  elle  est  responsablc.  Un  homme  de  82  ans, 
Za...  (ai6),  est  entre  a  20  ans  au  seminaire  a(in  de  pouvoir  satisfaire 
son  goilt  pour  les  questions  th^ologiques,  il  s'absorbe  dans  ces 
etudes  d'une  fagon  si  anormale  que  le  superieur  le  signale  au 
m^decin  et  que  celui-ci  exige  son  renvoi  du  s(^minaire  et  Tinvite 
a  changer  dY^tudes.  A  peine  sorti  des  speculations  religieuscs,  il 
va  comme  pousse  par  un  instinct  choisir  Tetudc  du  droit  et  il 
recommence  avec  le  nxeme  acharnemcnt  les  discussions  sur  le 
bien,  le  mal,  le  crime,  le  delit,  la  punition,  les  droits,  etc.,  si 
bien  qu'on  a  dil  lui  interdire  ces  nouvelles  etudes  comme  les 
pr^c^dentes.  De  pareilles  etudes  semblent  bien  permises  et  pa- 
raissent  indiquer  simplement  un  goiit,  une  direction  particuliere 
et  plut6t  interessante  de  Tesprit.  Mais  nous  aurons  a  ctudier  la 
forme  que  prennent  de  telles  pens6es  et  a  voir  combien  leur 
d^veloppement  est  anormal. 

Pour  le  moment  remarquons  seulement  que  ces  speculations 
ne  restent  privees,  d^sint^ressdes  chez  ces  malades,  elles 
se  m^lent  toujours  a  des  preoccupations  personnelles  relatives  a 
des  actions  determin^es.  Ce  n'estpas  d'une  fa^on  thcorique  qu'ils 
pensent  a  des  actes  religieux,  a  des  actions  bonnes  ou  mauvaises, 
ils  se  sentent  pouss^s  a  les  accomplir.  Le  mal  semble  ne  pas 
etre  bien  grand  quand  il  s'agit  d'actions  bonnes  ou  indiflerentes  : 
Leb...  (217],  une  femme  de  35  ans,  est  sans  cesse  poussee  a 
dire  des  prieres,  a  aller  a  la  messe,  We...  sent  une  impulsion  qui 
Tentraine  a  se  faire  religieuse,  a  entrer  dans  un  convent.  Dor... 
a  une  impulsion  plus  curieuse,  elle  se  preoccupe  non  pas  de  ses 
actes  a  elle  mais  de  ceux  des  autres,  elle  est  poussee  a  changer  la 
conduite  de  son  mari  et  en  particulier  a  le  faire  confesser  sans 
cesse  pour  la  moindre  des  choses  ;  elle  a  une  grande  crise  d'an- 
goisse  parce  qu'il  a  fum^  une  cigarette  avant  de  communier  avec 
elle  et  qu'il  ne  veut  pas  aller  se  confesser  tout  de  suite. 


L'OBSESSION  DU  CRIME  15 

Malheureusement  les  impulsions  sont  rareraent  de  ce  genre, 
Dans  la  grande  majority  des  cas  ce  sont  des  impulsions  a  accom- 
plir  des  actions  mauvaises,  criminelles.  Les  obsessions  du  crime 
se  pr^sentent  ainsi  sous  la  forme  cVune  tendance^  d'une  impulsion 
a  commettre  ces  crimes, 

Za...  n'a  pas  seulement  des  obsessions  sacrileges  qui  le 
poussent,  comme  il  dit,  a  «  accomplir  tous les  p^chcs  th^ologiques », 
il  a  des  impulsions  a  des  crimes  plus  terre  a  terre,  violer  une 
femme  sur  un  banc  et  Tassassiner.  Mb...  (i36),  femme  de 
67  ans,  est  poursuivie  par  la  tentation  de  frapper  les  gens  avec 
un  long  couteau  pointu  «  qui  crfeve  les  yeux,  qui  entre  bien  ». 
Ger...  est  poussee  a  couper  la  t6te  de  sa  petite  fiUe,  et  a  la 
mettre  dans  Teau  bouillante.  D'ailleurs  on  ne  pent  compter  les 
scrupuleux  qui  ont  des  impulsions  a  frapper  des  gens  et  surtout 
a  frapper  leurs  enfants  a  coups  de  coutcaux.  Dans  une  conference 
que  je  faisais  r^cemment  a  la  Salpetriere  sur  ces  malades,  j'avais 
pu  reunir  cinq  meres  de  famille,  r^petant  toutes  en  pleurant 
exactement  la  meme  chose  :  que  quelque  chose  les  poussait  a 
frapper  leurs  petits  enfants  avec  un  couteau  pointu.  On  ne  pent 
6num^rer  tous  ces  malades,  il  suflfit  d'cn  citer  quclques-uns,  Lise, 
Vod...  (2o3),  Wks...  (197),  Brk...  (2il),  Vi...,  Ger...,  etc.,  veu- 
lent  aussi  frapper  leurs  enfants.  Qes...  veut  se  jeter  sur  sa  mere, 
r^trangler   et  se  suicider  apr^s. 

Ces  obsessions  impulsives  qui  semblent  pousser  les  malades 
a  rhomicide  sont  parmi  les  plus  fr^quentes  et  les  plus  connues. 
Schopenhauer  rapportait  d^ja  un  cas  d'impulsion  a  Thomicide 
chez  un  malade  qui  avait  conscience  de  Tabsurdit^  d'une  sem- 
blable  id^e  et  s'en  dcsolait  *.  Maudsley  en  rapporte  plusieurs 
exemples,  Magnan,  Saury  en  d^crivent  de  nombreux  exemples. 
Dans  une  observation  de  M.  Magnan,  le  malade  veut  simplement 
mordre  et  manger  la  peau  qu*il  aura  arrach^e  '.  On  pent  done 
reunir  dans  un  premier  groupe  toutes  les  obsessions-impulsions 
a  des  actes  de  violence  quelconque. 

L'impulsion  au  suicide  vient  par  ordre  de  frequence  apres  Tim- 
pulsion  au  meurtrc,  nous  la  retrouverons  chez  beaucoup  de  nos 
malades,  chez  Nadia  par  exemplc  qui  dans  une  reverie  roma- 
nesque  arrive  a  se  representer  qu'elle  se  noie  dans  la  mer  Bal- 


1.   Schopenhauer,  I.c  Uhre  arbitre,  trad.,  p.  177. 
a.   Magnan,  Arch,  de  neurohyic,  189a,  i,  p.  3a i. 


16  LES  ID£ES  OBS^DANTES 

tique.  Une  femme  de  3o  ans,  Kl...  (211),  a  6ie  pendant  trois 
ans  obs^dee  par  Timage  d'un  homme  pendu  dont  on  lui  a  raconte 
la  triste  fin.  Ce  qui  la  tourmentait  ce  n'est  pas  r^eliement  la  mort 
de  cet  individu,  c'etait  une  reflexion  personnelle:  «  Je  pourrais  bien 
en  faire  autant  »  et  elle  se  sentait  poussee  a  se  pendre  a  ce  point 
qu'il  lui  fallait  prendre  des  precautions  pour  ne  pas  c^der  a  ce 
d^sir.  Elle  fermait  a  clef  son  grenier  et  cachait  la  clef,  car  dans 
son  id^e  c'^tait  au  grenier  qu'elle  irait  ex^cuter  ce  suicide. 

Les  impulsions  g^nitales  sont  souvent  parmi  les  plus  remar- 
quables.  Za...  veut,  coinme  nous  Tavons  dit  violer,  une  vieille 
femme,  V...,  une  jeune  femme  mariee,  se  sent  poussee  a  se 
mettre  a  la  fenetre  et  a  faire  signe  aux  passants  pour  les  inviter  a 
monter  chez  elle.  Une  jeune  fiUe  de  22  ans,  Vob...  (igA),  ne 
veut  plus  rester  dans  Tappartement  de  ses  parents,  elle  veut  se 
r^fugier  «  dans  une  prison,  ou  dans  un  convent,  dans  un  endroit 
quelconque  ou  il  n'y  ait  que  des  femmes  »,  parce  qu'elle  est 
poussee  a  s'approcher  de  ses  freres  et  a  deboutonner  leur  culotte. 
a  Elle  ne  pourra  jamais  resister  jusqu*a  son  mariage,  d^ja  ses 
bras  font  malgre  elle  de  petits  mouvements,  elle  sent  ses  mains 
qui  defont  les  boutons.  »  Nous  aurons  a  rechercher  s'il  s'agit  la 
de  v^ritables  hallucinations  kinesthesiqucs,  notons  seulementici  la 
forme  d'image  kinesth^sique  que  prend  Tobsession,  analogue  a  la 
forme  visuelle  qu^elle  prenait  dans  les  id^es  sacrileges  de  Claire. 

Parmi  ces  obsessions  avec  impulsions  genitales  il  faut  noter 
celles  de  Rk...,  homme  de  4o  ans  qui  depuis  vingt  ans  se  croit 
atteint  d'inversion  sexuelle  et  deplore  le  triste  penchant  qui  le 
pousse  vers  des  jeunes  gens.  II  n'a  d^excitations  sexuelles 
qu*en  pensant  a  des  hommes,  il  declame  sur  la  po6sie  roman- 
tique  des  amours  masculines  et  en  m6me  temps  il  redoute  le 
sort  d'un  litterateur  connu  condamne  pour  cette  conduite  iil^gale. 
Je  ne  discute  pas  ici  la  question  des  invertis  sexuels,  mais  je  suis 
convaincu  que  trop  souvent  on  a  fait  des  theories  sur  I'inversion 
sexuelle  a  propos  de  simples  obs^des  ayant  une  impulsion  vers 
cette  action  comme  ils  auraient  une  impulsion  a  un  crime  quel* 
conque.  Dans  le  cas  present,  cet  homme  a  et^  amoureux  d'une 
jeune  fille  a  17  ans  ;  par  consequent  il  n'a  pas  toujours  ete  un 
inverti  sexuel ;  a  la  suite  de  beaucoup  d'autres  obsessions  il  est 
parvenu  a  Tidee  de  ce  crime  genital  particulier  qui  constitue 
maintenant  son  obsession  principale. 

Ce  sont  surtout  les  impulsions  a  la  masturbation  qui  jouent  un 


L'OBSESSION  DU  CRIME  17 

grand  role  dans  les  tourments  de  ces  malades.  Deb...  (i65), 
femme  de  44  ans,  froide  avee  son  marl,  ne  pensequ*a  recommen- 
cer  d'anciennes  masturbations,  il  en  est  de  meme  pour  Loa... 
(i38),  pour  Leb...,  etc.  Cette  pens6e  forme  un  des  ph^no- 
menes  principaux  de  la  maladie  si  complexe  de  ce  pauvre  Jean, 
a  tout  instant  et  a  tout  propos,  il  croit  avoir  des  tentations  de 
masturbation.  Par  exeraple  s'il  rencontre  une  femme  dans  Tomni- 
bus,  s'il  est  forc^  par  les  circonstances  de  toucher  la  main  d'une 
femme  et  meme  tout  simplement  s'il  6prouve  une  Amotion  quel- 
conque  m^me  legere,  il  sent  plus  quUl  n'entend  une  voix  lui 
disant  :  «  Va  done,  crispe-toi  les  organes,  masturbe-toi  done, 
meurs  en  te  donnant  des  jouissances.  »  Et  il  sent  que  ses  nerfs 
s'agitent  moitie  involontairement,  moitie  volontairement.  «  II  y  a 
en  moi  une  complaisance,  un  laisser  aller  pour  tons  ces  d^sirs 
sexuels.  »  ^ 

Ajoutons  les  impulsions  a  d*autres  actions  malhonn^tes,  par 
exemple,  I'impulsion  a  voler  et  a  mentir  chez  Lod...  Cette  impul- 
sion a  voler  se  retrouve  trfes  souvent :  elle  joue  un  role  dans  une 
impulsion  plus  complexe  et  particulierement  int6ressante,  celle 
des  fugues  chez  Go...  Ce  gargon  de  i5  ans  ne  pouvait  parvenir 
a  rester  immobile  dans  une  6cole,  des  qu'il  essayait  de  s'appli- 
qu6  a  son  travail,  il  sentait  des  agitations  foUes  qui  le  pous- 
serent  des  son  enfance  a  faire  tres  souvent  T^cole  buisson- 
ni^re.  Maintenant  il  a  un  desir  fou  de  partir  n'importe  ou,  de 
voyager  loin  de  Tecole,  loin  de  son  apprentissage.  Cette  idee  lui 
enleve  tout  bon  sens  et  il  faut  qu'il  y  cede :  il  prend  chez  ses 
parents  une  fois  68  francs,  une  autre  fois  3o4  francs  et  il  s'en  va. 
Son  argent  ne  lui  scrt  qu'a  payer  le  chemin  de  fer  de  la  fa^on  la 
plus  ^conomique,  et  a  lui  assurer  une  bien  maigre  ration.  II  vit 
avec  lo  sous  par  jour,  etsenourrit  a  peine.  II  ne  prend  aucunplai- 
sir  a  son  voyage,  il  voyage  pour  voyager,  pour  s'eloigner  loin  du 
travail.  II  est  tout  le  temps  m^content  d*6tre  parti  et  6crit  des 
lettres  a  des  amis  et  a  des  parents  pour  demander  des  conseils, 
il  essaye  de  rentrer  en  prenant  un  billet  pour  Paris,  mais  il  est 
forc^  de  descendre  quelques  stations  avant  d'arriver  et  de  repar- 
tir  en  sens  inverse*  II  rentre  quand  il  n'a  plus  aucune  ressource^ 
il  arrive  la  t6te  basse,  s'excusantde  ses  sottises  et  jurant  qu'il  ne 
recommencera  plus.  II  a  en  effet  un  souvenir  complet  de  toute 
Texp^dition  et  de  la  lutte  qu*il  a  soutenue  contre  Tobsession. 
C*est  un  cas  qu'il  ne  faut. pas   confondre  avec  les  fugues  hyste- 

LE8    OBSKSSIOKS.  I.    —    2 


18  LES  ID^ES  0BS£DANTES 

riques,  mais  qui  rentre  dans  les  dromofnanies  que  decrivalt 
M.  R^gis.  II  se  rattache  a  ces  obsessions  impulsives  qui  poussent 
le  malade  a  toutes  sortes  d'actes  criminels. 

II  faut  faire  une  place  a  part  aux  impulsions  qui  poussent  les  sujets 
a  boire  de  I'alcool  ou  a  absorber  des  poisons.  Dans  certains  cas  Tim- 
pulsion  a  boire  rentre  dans  les  cas  precedents  :  la  malade  si  sin- 
guliere  que  j'ai  d^crite  dans  un  ouvrage  precedent  6tait  pouss^e 
a  boire  du  caf6  au  lait  et  a  manger  des  petits  pains  vol^s.  Elle 
finissait  par  prendre  vingt  ou  trente  tasses  de  cafe  au  lait  dans 
la  journ^e  et  prenait  des  precautions  pour  pouvoir  en  faire  pen- 
dant la  nuit^  Ici  le  breuvage  absorbe  n'a  pas  d'importance  par 
lui-m^me,  c'est  une  impulsion  a  boire  un  breuvage  defendu  par 
le  m^decin  et  consider^  com  me    dangereux  pour   son  estomac. 

Le  plus  souvent  il  s'agit  de  boire  du  vin,  de  Talcool,  des  exci- 
tants sous  une  forme  quelconque.  L'obsession  impulsive  prend 
alors  le  nom  de  dipsomanie,  D...,  homme  de  3o  ans,  a  depuis 
I'age  de  i5  ans  des  p^riodes  singulieres  de  depression  sur  les- 
quelles  je  reviendrai  longuement,  car  leur  importance  pour 
rintelligence  des  obsessions  me  semble  capitale.  Ce  n*est  qu'a 
22  ans  que  ces  p^riodes  de  depression  se  transforment  et  sont 
remplacees  par  une  idee  obs^dante,  celle  de  boire.  11  r6siste 
pendant  un  certain  temps  puis  finit  par  c^der  et  boit  jusqu'a 
rivresse  complete.  Fm...  (192),  qui  a  deja  des  sympt<^mes  de 
n^vrite  alcoolique,  se  fait  a  lui-meme  toutes  sortes  de  menaces  : 
«  Si  tu  bois  encore  ton  patron  va  te  renvoyer,  tu  seras  paralyse 
des  jambes,  tu  souffriras  atrocement,  etc.  »  Et  cependant  il  ne 
pent  resister  a  Fimpulsion. 

Toutes  ces  impulsions  a  des  crimes  peuvent  se  rencontrer  chez 
un  meme  sujet  qui  songera  a  la  fois  a  Thomicide,  au  suicide,  au 
vol  ou  qui  reunira  d'une  maniere  vague  tons  les  crimes.  «  C'est 
comme  si,  repete  Claire,  je  voulais  me  laisser  aller,  ceder  a  tons 
mes  caprices,  renoncer  a  toute  moralite.   » 

L'impulsion  pourra  prendre  une  autre  forme  egalement  bien 
connue  :  elle  sera  negative.  Les  malades  seront  pousses  a  resister, 
a  ne  pas  faire  une  action  que  la  religion  ou  la  morale  comman- 
dent.  Chez  Claire,  ce  refus  constitue  un  veritable  delire  a  propos 
des  actes  religieux;  refuser  de  faire  ses  Paques,  refuser  de  faire  la 
prifere,  la  considerer  comme  impossible,  refuser  dialler  a  la  messe, 

I.  Raymond  el  P.  Janet,  Nevroses  el  idies  fixes,  1898,  II,  p.  194. 


L'OBSESSION  DU  CRIME  19 

refuser  de  manger,  c*est  la  perp^tuelletnent  ce  que  son  impul- 
sion lui  inspire.  En  r^alit^,  il  lui  suffit  de  penser  qu'une  action 
est  bonne  pour  qu'elle  ait  une  impulsion  violente  a  ne  pas  la 
faire.  C*est  parce  qu'elle  croit  de  son  devoir  de  me  parler,  de  me 
confier  ses  tourments,  qu'elle  est  si  incapable  de  le  faire;  une 
action  qu'elle  jugera  indiOi^rente  s'effectuera  beaucoup  plus  faci- 
lement.  Ce  type  se  rencontre  chez  bicn  des  malades,  chez  Elg... 
(i6),  chezTr...  (ii8],  qui  se  sentent  pouss^es  a  ne  pas  faire  leur 
travail,  mais  il  est  moins  frequent  que  le  pr^c6dent. 

A  c6t^  de  ces  diverses  impulsions,  il  faut  placer  une  manifesta-^ 
tion  plus  fr^quente  encore  et  plus  importante  de  Tobsession  cri- 
minelle,  ce  sont  les  remords,  Le  malade  ne  se  sent  pas  actuelle- 
ment  pouss^  a  accomplir  une  action  criminelle,  mais  il  pense 
quHl  Ta  accomplie  autrefois  et  il  est  bourrel^  de  remords. 

On  pent  mettre,  bien  entendu  au  premier  rang,  les  remords 
precis,  portant  sur  tel  ou  tel  acte  d^termin^  et  parmi  ceux-ci 
signaler  tout  d'abord  les  remords  de  fautes  religieuses,  les  d^ses- 
poirs  causes  par  les  confessions  insuffisantes  ou  par  les  commu- 
nions pretendues  sacrileges.  II  est  inutile  de  citer  des  noms,  car 
tons  les  scrupuleux  ont  eu  ce  symptome,  presque  toujours  au  d6" 
but  de  leur  maladie.  Chez  quelques-uns,  ces  remords  constituent 
un  veritable  acc^s  de  delire,  tous  ceux  qui  s'occupent  de  mala- 
dies mentales  ont  connu  ces  femmes  affolees  pendant  des  mois, 
parce  qu'elles  croient  avoir  fait  entrer  un  morceau  d^hostie  dans 
une  dentcreuse.  Le  fait  est  si  banal,  qu'il  a6t6  bien  connu  etbien 
decrit  par  les  romanciers  :  on  pent  relire  a  ce  propos  la  jolie 
description  de  la  sceur  aux  scrupules  dans  le  Mus^e  de  b^guines 
de  Georges  Rodenbach*.  Le  m^decin  aurait  peut-etre  a  relever 
dans  cettepeinturequelques inexactitudes  apropos  deT^tat  de  d6- 
mence  de  Soeur  Marie  des  Anges,  mais  les  premieres  p^riodes  de 
la  maladie  sont  remarquablement  d6crites,  Tattitude  de  la  soeur 
au  confessionnal  etses  angoisses  apr^s  Tabsolution  semblent  avoir 
et6  copi^es  sur  nos  malades.  Ce  genre  de  penitentes  est  sans 
doute  bien  connu  par  les  pretres  qui,  si  j*en  juge  par  mes  ma- 
lades, doivent  etre  assourdis  par  les  dol^ances  relatives  aux  an- 
ciennes  communions. 

Nous  constatons  ensuite  des  remords  pour  tous  les  crimes  qui 

I.  Goor^cs  Rodonbach,  Mvaee  de  heguines,  189^. 


20  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

tout  a  rheure,  se  pr^sentaient  comme  des  impulsions.  II  est  a  re- 
marquer,  en  effet,  que  les  malades  qui  se  disent  pouss6s  a  accom- 
plir  un  meurtre  sont  souvent  les  m6mes  qui,  quelques  jours  apres, 
vont  avoir  des  remords  comme  sHIs  avaient  r^ellement  commis 
cet  acte.  Ainsi,  du  vivant  de  sa  belle-mfere,  Ger...  6tait  pouss^e  a 
la  tuer;  quand  cette  femme  fut  morte,  elle  s*accusa  d*avoir  caus^ 
sa  mort.  Vi...  s'accuse  d^avoir  accompli  toutes  les  actions  aux- 
quellesy  comme  nous  Tavons  vu,  elle  se  sentait  pouss^e.  Elle  a 
caus^  la  mort  des  gens,  elle  a  Strangle,  elle  a  bless6  des  pas- 
sants,  envoys  des  lettres  compromettantes,  vers6  du  poison, 
•tromp^  son  mari,  etc. 

D'autres,  sans  avoir  eu  d'impulsions  precises,  ont  perp^tuelle- 
ment  et  uniquement  des  remords.  Rob...  (119),  qui  tient  une 
caisse  dans  une  maison  de  commerce,  est  poursuivie  par  Tid^e 
qu'elle  a  mal  rendu  la  monnaie,  qu'elle  a  vol6.  We...  (i7o)se  re- 
proche  tous  les  chagrins,  tons  les  malheurs  qu'elle  voit  arriver 
autour  d'elle,  parce  qu'elle  s'accuse  de  les  avoir  autrefois  pr^vus 
et  souhaites.  New...  (212),  homme  de  3o  ans,  invente  tout  un 
veritable  d^Iire  retrospectif,  il  se  reproche  sa  conduite  ind6- 
cente  a  Ti^cole  et  il  invente  que  tous  ses  maitres  ont  abuse  de 
lui,  cela  devient  un  roman  assez  complique.  Kl...  est  poussee  a 
penser  que  son  enfant  n'est  pas  le  (ils  de  son  mari,  ce  probleme 
dissimule  une  veritable  obsession  de  remords,  c'estune  maniere  de 
se  demander  si  elle  a  trompe  son  mari.  Dk...  (aiS)  a  Tidee  qu'il 
y  a  quinze  jours,  il  a  pu  tuer  quelqu'un  ;  il  va  dans  la  rue  froler 
les  sergents  de  ville  et  se  trouvesur  le  point  de  les  prier  de  Tarre- 
ter.  Xya...  (a5)  n'a  pas  assez  bien  soigne  ses  enfants  et  les  a  fait 
mourir.  Lise,  si  on  la  croit,  a  fait  tous  les  crimes  possibles :  com- 
munions sacrileges,  meurtres,  infanticides  innombrables  (elle 
s'accuse  d'infanticide  toutes  les  fois  qu'elle  a  des  rapports  avec 
son  mari  non  suivis  de  conception)  actes  contre  nature,  etc.  Rk... 
a  3o  ans  se  souvient  qu^a  Tage  de  4  ans  il  venait  le  matin  dans 
le  lit  de  son  p^re  avec  sa  petite  sceur  agee  de  3  ans,  il  croit  qu'ii 
ce  moment  il  a  abus^  de  sa  petite  sceur  et  il  est  effray^  a  la  pens^e 
de  cet  inceste. 

•  Za...  a  des  remords  de  ce  genre  assez  curieux  parce  qu'ils 
s'accompagnent  d'images  innombrables  analogues  a  de  v^ritables 
tableaux.  II  a  la  manie  de  s'accuser  de  tous  les  meurtres  dont  il 
entend  parler.  Ainsi,  on  lui  apprend,  a  la  campagne,  qu'un  vieil- 
lard  de  84  ans  a  6te  trouve  mort  sur  une  route.  Imm^diatement, 


L'OBSESSION  DU  CRIME  21 

il  se  dit  que  c'est  lui  qui  Ta  tu6  pour  lui  prendre  son  argent.  En 
passant  pres  d'une  maison,  il  a  entendu  ou  cru  entendre  le  bruit 
d'un  revolver  et  il  apprend  ensuite  qu*un  homme  s'est  tu6  dans 
cette  maison.  Aussitot  il  en  conclut  que  c'est  lui  qui  a  tir6  le  coup 
de  revolver  et  tue  cetindividu.  L'obsession  de  ce  remords  a  dur6 
deuxans.  «  J'^prouve,  dit-il,  en  parlant  de  ces  remords,  toutes  les 
Amotions  du  voleur,  de  Tassassin,  toutes  Ics  tortures  du  reknords 
pour  ces  crimes  imaginaires.  Je  vois  les  suites  du  crime,  je  vois 
deux  agents  venir  me  saisir  au  milieu  des  miens,  je  vois  la  pri-  < 
son,  le  cabinet  du  juge  d'instruction,  la  cour  d'assises  ;  je  me  vois 
au  banc  des  accuses,  devisage  par  mes  collegues  qui  chuchotent 
entre  eux  :  on  ne  s^en  serait  jamais  dout6.  Je  subis  les  angoisses  de 
Tincertitude  qui  precedent  les  verdicts  du  jury  et  je  travaille  a 
reproduire  en  moi-meme  les  impressions  du  condamn^  a  mort 
qu'on  ligotte  pour  le  conduire  au  lieu  de  Texecution. '  ». 

Une  seconde  forme  de  Tobsession  du  remords,  plus  grave  que 
la  pens^e  et  qui  peut  correspondre  a  une  forme  tres  avancee  de  la 
maladie,  c'est  le  remords  general  portant  sur  tons  les  actes  de  la 
vie  presque  sans  exception.  Claire  serait  une  malade  de  ce  genre, 
elle  ne  peut  «  r^flechir  a  aucunc  de  ses  actions,  quelle  qu'elle  soit 
sans  en  ^tre  accabl6e  de  remords  ».  Nous  etudierons  ce  cas  (i  propos 
des  obsessions  de  honte. 

Dans  certains  cas,  en  effet,  le  remords  portant  meme  sur  un  acte 
determine  s'associe  avec  une  honte  de  toutes  les  actions.  Xyb... 
(209)  pour  une  raison  quelconque  a  renvoy6  sa  blanchisseuse,  puis 
s'est  d^cidee  a  la  reprendre.  Elle  croit  avoir  ete  injuste  en  la  ren- 
voyant,  puis  avoir  manqu6  de  decision  en  la  reprenant.  II  r^sulte 
de  ce  remords  qu'elle  trouve  mauvaise  toute  sa  conduite,  il  ne  lui 
est  plus  possible  de  rien  faire  correctement  tant  qu'elle  n'a  pas 
repar^  sa  conduite  vis-a-vis  de  la  blanchisseuse.  Elle  prend  des 
precautions  pour  etre  toujours  li^e  a  celle-ci,  par  exemple,  elle 
veut  toujours  lui  devoir  une  petite  somme  d'argent  afin  de  ne  plus 
pouvoir  la  quitter,  mais  jamais  elle  ne  peut  effacer  le  remords  de 
son  action  irreparable. 

Une  obsession  curieuse  me  parait  devoir  etre  rattach^e  a  ce 
groupe,  ce  sont  les  «  remords  de  vocation   »,  le   malade  se  re- 

I.  Une  observation  interessante  que  Ton  peut  comparer  2i  celle-ci  a  ^t^  publico 
par  M.  Bramwell  dans  le  Brain,  1895,  344  :  «  H  invente  des  histoires  absurdes  & 
propos  d*un  empoisonnemcnt  qu'il  prepare,  il  se  repr^scnte  la  trag^dic,  Tenfant 
buvant  le  chocolak  ot  mourant  dans  une  horrible  agonie,  etc...  » 


22  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

proche  d'avoir  «  manque  sa  vocation  ».  J^ai  d^ja  ^tudi6,  avec 
M.  le  P'  Raymond,  Tobservation  int6ressante  de  cette  femme  ob- 
s^d^e  par  le  regret  de  «  n'etre  pas  institutrice  »,  de  «  n*avoir  pas 
au  moins  epouse  un  instituteur  »  ^  On  observe  bien  plus  fr^- 
quemment  des  femmes  qui  se  reprochent  de  n'etre  pas  entries  dans 
un  convent,  de  n'etre  pas  religieuses.  C'estle  castypique  de  Gis^le 
femme  de  3o  ans  (i7i)>  qui  trouve  que  toute  sa  vie  est  manqu^e, 
mauvaise,  que  tons  ses  actes  sont  alt^r^s  parce  qu'elle  n'est  pas 
religieuse.  Se  reprocher  une  faute  dans  le  choix  d'une  vocation, 
c'est  une  mani^re  de  se  reprocher  en  g^n6ral  toutes  les  actions 
de  sa  vie. 

Toutes  ces  obsessions  a  propos  d'idees  morales,  a  propos  d'im- 
pulsion  au  crime  et  surtout  a  propos  de  remords  ont  certaine- 
ment,  malgr^  leurs  differences,  des  traits  communs.  C'est  ce  qui 
m'a  permis  de  les  ranger  sous  ce  titre  commun  :  les  obsessions 
criminelles. 


4.  —  Vobsession  de  la  bonte  de  soi. 

Un  autre  genre  d'obsessions  voisin  des  precedents,  bien  en- 
tendu,  mais  un  pen  plus  simple  peut-^tre  se  retrouve  chez  les 
scrupuleux,  soit  isole  dans  des  cas  relativement  benins,  soit  en 
coexistence  avec  les  obsessions  du  sacrilege  et  du  crime  dans  les 
cas  plus  graves.  II  m'est  difBcile  de  r^suraer  par  un  mot  le  carac- 
tere  general  qui  se  retrouve  dans  les  idees  de  ce  groupe.  II  s'agit 
non  seulement  de  remords  proprement  dits,  mais  de  m^pris,  de 
meconientement  portant  non  seulement  sur  les  actes,  mais  sur  les 
facultes  morales,  sur  la  personne  du  sujet  et  plus  souvent  encore 
sur  son  corps.  Le  malade  a  constamment  Tid^e  que  ce  qu*il  fait, 
que  ce  qu'il  est,  que  ce  qui  lui  appartient  est  mauvais.  Le  carac- 
tere  qui  me  semble  le  plus  general,  c'est  le  sentiment  de  honte 
quoique  dans  certains  eas  la  honte  soit  l^gere  et  qu'il  s'agisse 
surtout  de  m^contentement.  C'est  pourquoi  nous  r^uuissons  ces 
faits  sous  le  nom  gen^rique  :  d'obsession  de  honte, 

Quoique  les  diverses  formes  de  cette  honte  se  melungent  as- 
sez  intimement,  il  me  semble  bon  d'en  distinguer  deux  groupes 

I.  Neuroses  et  idees  fixes,  II,  p.  i48. 


L*OBSESSION  DE  LA  HONTE  DE  SOI  23 

principaux  qui  ont  un  aspect  cllnique  assez  difierent.  Dans  le 
premier  groupe,  la  honte  ou  le  m^contentement  reste  a  peu  pres 
compl^tement  dans  le  domaine  moral  et  les  obsessions  se  rappro- 
chent  plus  ou  moins  des  deux  classes  pr^c^dentes,  celui  du  sacri* 
l^ge  et  du  crime.  Ce  que  le  sujet  meprise  en  lui-m^me,  c'est  son 
esprit,  sa  volonte,  son  intelligence.  Dans  le  deuxieme  groupe,  la 
honte  porte  plutot  sur  le  cot^  physique  de  I'individu  et  le  sujet 
est  m^content  de  son  corps  ou  de  ses  fonctions  corporelles.  Ces 
nouvelles  obsessions  nous  rapprocheront  davantage  des  id^es  hypo- 
condriaques. 

Occupons-nous  d'abord  du  premier  groupe  :  la  honte  morale, 
Dans  les  cas  les  plus  graves,  chez  les  malades  qui  nous  ont 
pr^sent^  les  idees  sacrileges  et  les  grands  scrupules,  ce  m^con- 
tentement,  n^est  pas  localise  a  une  action,  il  est  absolument  g^n^* 
ral,  et  porte  sur  toute  la  personne.  Le  type  de  ce  genre  de  d^lire 
g^neralis6  est  certainement  Claire.  Son  m^contentement  au  debut, 
comme  il  arrive  souvent,  portait  sur  des  actes  religieux,  c*est-a- 
dire  sur  ceux  qu*elle  voudrait  le  mieux  faire.  On  verra  de  plus  en 
plus  rimportance  du  contraste  chez  les  scrupuleux.  Elle  a  encore 
le  sentiment  que  les  confessions,  les  communions  ont  6t^  mal 
faites.  Puis  ce  sont  les  prieres  qu'elle  trouve  tr^s  insufHsantes. 
Elle  cherche  des  moyens  pour  y  remddier :  ce  sont  des  prieres  in- 
terminables,  des  confessions  par  ^crit  prepar^es  pendant  1 5  jours, 
puis  des  grimaces,  des  contorsions  pour  arriver  a  bien  prier ; 
mais  bient6t  ces  systemes  sont  impuissants  et  ces  actes  religieux, 
deviennent  impossibles.  Elle  en  est  desesper^e,  elle  r^pete  que  le 
pouvoir  de  prier  serait  chez  elle  le  signe  de  la  gu^rison  compile. 
Elle  pleure  des  qu'on  parle  de  religion  devant  elle  mais  elle  a 
pr^fere  renoncer  a  toute  pratique  religieuse,  tellement  elle  est  con- 
vaincue  qu'elle  les  fait  mat,  d'une  maniere  indigne.  Elle  se  laisse 
conduire  a  la  messe,  de  temps  en  temps,  mais  ne  suit  rien,  ne  veut 
faire  aucune  priere.  II  lui  faudrait  de  tels  efforts  pour  en  faire 
une  bien  qu'elle  pref^rerait  mourlr.  Puis  le  m6contentement  s'est 
etendu  a  d*autres  actes,  a  toute  chose  qui  lui  paralt  avoir  un 
caractere  moral  quelconque,  a  tout  ce  qui  pourrait  etre  bien.  Des 
actions  indifferentes  au  point  de  vue  moral,  ou  qu'elle  croit 
telles,  se  font  facilement,  elle  n'a  pas  de  systfeme  pour  manger 
ou  pour  respirer  et  encore  ne  faudrait-il  pas  attirer  son  atten- 
tion  la-dessus,  nl  lui  faire  une  recommandation  m^dicale  sur  la 
nourriture,  car  aussitot  le  d6sir  de  bien  faire  en  mangeant  ren-> 


24  LES  id£es  obs£:dantes 

drait  ralimentation  impossible.  Pour  tout  le  reste  elle  est 
coDvaincue  qu'elle  agit  tr^s  mal,  qu*eUe  aime  mal  ses  parents, 
soigne  mal  sa  mere,  travaille  mal,  etc. 

Elle  exprime  comme  toujours  ces  remords  d'une  maniere  tr^s 
vague.  «  C*est  comme  si  j'avais  commis  tous  les  crimes...  j'ai 
des  remords  comme  si  j'avais  tu6  n'importe  qui...  tout  le  monde 
a  des  reproches  a  me  faire,  on  ne  m'en  fera  jamais  autant  que  je 
m'en  fais  a  moi-meme,  autant  que  j'en  mdrite...  j*ai  ^coute  lemal, 
j'ai  cherche  tout  ce  qui  me  paraissait  mal...  j«  n'ai  pas  lutte  contre 
le  mal...  des  reves  insens^s,  des  pensees  mauvaises  contre  la  mo- 
rale, contre  Dieu,  deux  cents  fois  par  jour...  je  suis  dans  chaque 
action  aussi  coupable  que  les  plus  grands  criminels.  » 

Si  elle  arrive  a  convenir,  car  elle  n'a  pas  perdu  tout  bon  sens, 
que  Facte  accompli  est  en  lui-meme  un  acte  bon,  qu'elle  a  veill^ 
sa  m6re  malade  et  que  Ton  ne  pent  pas  considerer  cet  acte 
accompli  comme  reprehensible,  elle  entre  dans  des  subtilites 
philosophiques  et  distingue  Facte  en  lui-meme  et  Tintention 
volontaire  de  celui  qui  Taccomplit.  La  volonte  a  toujours  ete 
mauvaise  dans  cette  action  ou  plutot  il  n'y  a  eu  aucune  bonne  vo- 
lonte, car,  s'il  avait  fallu  le  faire  avec  bonne  volonte,  Facte  n^aurait 
jamais  pu  etre  accompli  et  elle  reste  tout  aussi  mecontentc  d'elle- 
meme,  quoiqu*on  lui  ait  demontre  que  Faction  ^tait  bonne. 

Depuis  qu'elle  vient  me  voir  il  y  a  surtout  une  action  sur 
laqu'elle  s'est  localise  ce  sentiment  d'imperfection.  C'est  Faction 
de  me  raconter  sa  maladie,  de  me  mettre  au  courant  de  son  his- 
toire.  Elle  desire  le  faire,  mais  ne  se  figure  jamais  que  c'est  bien 
fait.  Ce  sont  des  desespoirs  parce  qu'elle  ne  m'a  rien  dit  et,  pour 
bien  dire,  il  lui  faudrait  recommencer  en  ordre  depuis  le  commen- 
cement; pour  me  raconter  ce  qu'elle  a  ^prouv^  hier  il  lui  faudrait 
raconter  ce  qui  s'est  pass6  depuis  lo  ans.  Elle  Fa  d^ja  fait 
cent  fois  mais  cela  ne  compte  pas,  car  cela  est  mal  fait ;  il  faudrait 
le  faire  mieux  et  elle  ne  pent  pas  y  parvenir. 

Non  seulement  elle  se  croit  coupable  de  tout  faire  avec  imper- 
fection, mais  elle  tient  a  ce  sentiment  de  culpability,  car  c'est  ce 
sentiment  qui  I'excitera  a  faire  mieux,  qui  la  poussera  a  faire  des 
efforts.  Si  on  le  lui  enlevait  elle  tomberait  encore  plus  bas.  En 
effet  la  pauvre  fiUe  a  le  sentiment  que  Fimperfection  va  crois- 
sant. Elle  use  toujours  d'une  image  pour  exprimer  sa  maladie: 
c'est  une  chute  dans  un  precipice  dont  elle  a  longtemps  cotoye  le 
bord  et  dans  lequel  elle  a  fini  par  tomber.  Elle  nc  me  donnc  pas  des 


L'OBSESSION  DE  LA  HONTB  DE  SOI  25 

nouvelies  de  sa  sant^,  elie  vient  simplement  m'annoncer  qu^elle  est 
descendue  plus  ou  moins  vite,  car  elle  descend  toujours  et  elle 
mourra  plutot  que  de  remonter.  Tout  au  plus  lorsqu'elle  va  bien 
consent-elle  a  m'avouer  que  ces  mois-ci  elle  est  descendue  un  peu 
moins  vite.  L'ascension  qu'il  faudrait  faire  pour  remonter  lui 
parait  quelque  chose  d'horrible :  c'est  une  montagne,  une  pyra- 
mide  a  escalader  et  ce  n'est  que  par  des  proc6d^s  tres  difficiles 
que  nous  arrivons  a  remonter  un  peu  de  temps  en  temps. 

II  ne  s'agit  pas  chez  elle  uniquement  de  remords,  car  elle 
est  tout  aussi  m^contente  de  choses  dont  elle  ne  pent  se  croire 
responsable.  II  est  inutile  d'insister  sur  chaque  fonction  men- 
tale  :  toutes  les  questions  que  Ton  posera  a  Claire  auront  la 
meme  r^ponse,  qu*on  lui  parle  de  sa  m^moire  ou  de  son  raison- 
nement,  de  son  imagination  ou  meme  de  I'acuit^  de  sa  vue  ce  sera 
toujours  la  m6me  chose.  Elle  n'estpas  bonne,  elle  n*est  paspolie, 
elle  n'a  plus  d'afTection,  elle  n'est  plus  intelligente,  plus  active, 
plus  capable  de  sentir,  elle  n'est  plus  bonne  k  rien.  Si  on  insiste 
trop  pour  lui  faire  voir  rexag6ration,  elle  r^pond  toujours  par  cet 
argument :  «  Vdus  ne  savez  pas  connue  autrefois,  j 'eta is  cent  fois 
meilleure,  plus  douce,  plus  patiente,  plus  intelligente,  etc.  Je 
n'ai  pas  seulemeut  perdu  la  volonte  et  la  conscience,  mais  j'ai 
perdu  tout  ce  qui  faisaitmon  intelligence  ».  Pousseesace  degr6  ces 
obsessions  rappellent  tout  a  fait  le  d^lire  des  m6lancoliques  et 
c'est  en  effet,  au  moins  par  son  contenu,  un  d^lire  m^lancolique. 
Seulement  nous  verrons  quand  nous  ^tudierons  la  forme  que 
prennent  ces  obsessions,  ce  qui  s^pare  le  scrupuleux  du  melanco- 
lique.  On  pent  le  faire  prevoir  ici  d'un  mot.  C'est  que  le  m^lan- 
colique  est  profond^ment  convaincu  de  sa  dech^ance,  tandis  que 
Claire  est  trfes  loin  de  croire  completement  tout  ce  qu'elle  dit  ou 
pcnse  a  ce  sujet. 

Les  autres  malades  presentent  a  un  degrd  ordinairement  moins 
grave  la  m6me  obsession.  Yoici  le  langage  de  Leg...:  «  Je  me 
figure  que  ce  que  je  fais  est  mal,  je  ne  sais  pas  toujours  en  quoi 
cela  oQense  la  religion  ou  la  morale,  mais  il  me  semble  que  je 
n'aurais  pas  dd  le  faire.  Tenez,  je  vous  ai  regarde  en  parlant  et  je 
sens  que  je  n'aurais  pas  dil  vous  regarder.  »  Ly...  parle  de  meme. 
Dev...  est  curieux  sur  ce  point  parce  que  son  appreciation,  ce  qui 
est  rare,  est  artistique  plutot  que  morale.  C'est  un  musicien  habile 
et  constamment  il  a  Tidee  «  qu'il  joue  mal,  quUI  est  immoral  de 
jouer  aussi  mal  ». 


( 


26  LES  I  DEES  OBS&DANTES 

Un  joli  cas  de  m^contentement  syst^matique  est  celui  de  Re... 
(i4o),  jeune  fille  sentimentale  qui,  6tant  6anc^e,  sent  qu*elle 
n'aime  pas  bien  son  fiance  et  se  tourmente  a  la  recherche  «  de 
Faimer  bi^n.  »  Elle  en  arrive  a  force  de  perfectionnements  a  le 
d^tester  et  depuis  il  en  est  ainsi  de  toutes  ses  affections  qui  ne  lui 
paraissent  jamais  suffisamment  parfaites  et  qui  lui  semblent  si 
mauvaises  que  c*est  comme  de  la  haine. 

A  cette  obsession  de  mecontentement,  de  honte  de  soi-meme,  se 
rattachent  un  certain  nombre  d'autres  id^es  obs^dantes  en  appa- 
rence  assez  diff(§rentes  mais  qui  ont  le  meme  caract^re  psycholo- 
gique. 

i^  CeriSLins  delires  de  doute  sont  en  rapport  avec  une  obsession 
de  m^contentement  qui  porte  surtout  sur  lesfacultes  intellectuelles 
et  la  maladie  prend  alors  un  aspect  un  peu  particulier  qui  pourrait 
^garer  Tobservateur.  Voici  par  exemple  une  femme  de  67  ans, 
Mb...  (i36)  qui  pr6sente  au  premier  abord  un  singulier  d^lire. 
Elle  est  poussee  malgr^  clle  \k  etudier  sur  toutes  ses  faces  un  pro- 
bleme  de  psychologic :  (c  quelles  sont  les  relations  entre  le  sens  du 
toucher  et  les  autres  sens  ?  Dans  quelle  mesure  peut-on  dire  que 
la  vue  et  Touie  sontdes  touchers  lointains  ?  »  Quoiqu'en  r^alite  elle 
soit  tres  ignorante  sur  ces  questions,  elle  discute  le  probleme 
avec  acharnement,  et  veut  ^tablir  qu'il  y  a  action  directe  du  monde 
ext^rieur  dans  le  cas  du  toucher  et  action  indirecte  dans  les  autres 
sens.  Cette  discussion  n'est  qu^une  forme  ultime  d'une  obsession 
prec6dente  qui  s*est  d^veloppee  depuis  des  annees,  peut-etre  depuis 
Tenfance  de  la  malade.  Elle  ^prouve  un  mecontentement  de  ses 
sens  «  si  imparfaits,  si  grossiers.  »  Elle  cherche  le  moins  mauvais 
de  tous,  et  arrive  a  accorder  quelque  confiance  au  toucher  imm^- 
diat  et  direct,  de  la  la  recherche  de  ce  caractfere  d'etre  imm^diat 
dans  les  autres  sens. 

Pour  bienconstater  que  ce  delire  du  doute  n*est  pas  ici  une  ma- 
ladie distincte,  rappelons  seulement  que  cette  m6me  malade  Mb... 
est  aussi  honteuse  de  sa  volont6,  de  sa  conduite  et  qu'elle  se  sent 
capable  de  donner  des  coups  avec  un  couteau  pointu  «  qui  entre 
bien.  »  Le  delire  du  doute  et  meme  la  forme  psychologique  sin- 
guliere  qu'il  prend  dans  ce  cas  me  semble  n*etre  qu*un  Episode 
dans  Tobsession  de  honte  et  de  mecontentement  tout  a  fait  carac- 
ti^ristique  de  ces  malades. 

On  peut  rapprocher  de  ce  cas  fobscssion  curieusc  de  Rk...  «  qui 


L*OfiSESSION  DE  LA  HONTE  DE  SOI  27 

est  force  de  penser  constamment  a  Tid^alisme,  a  rirr6alit6  des 
choses...,  je  suis  honteux  d*en  etrc  arriv6  a  croire  que  mon  pere 
n'existe  pas  ».  On  verra  irequemment  cette  notion  de  Firr^alit^ 
des  choses  a  propos  des  sentiments  qui  tourmentcnt  ces  malades ; 
dans  les  cas  pr^c6dents  ce  sentiitient  a  donne  naissance  a  une 
veritable  id^e  obsedante. 

Cette  critique  des  fonctions  intellectuelles  qui  constitue  tout 
un  d^lire  special  chez  Mb...  se  retrouve  plus  ou  moins  att^nu6e 
chez  les  autres  malades ;  Claire  va  repeter  :  «  Tout  s'^teint  en  moi, 
j'ai  perdu  le  sentiment  du  r6el,  tout  se  voile.  »Beaucoupde  malades 
accusent  plus  encore  leur  intelligence.  Dob...  (86)  se  sentenvahie 
par  rid^e  «  qu*elle  est  b6te,  qu'elle  ne  pent  rien  comprendre,  qn*elle 
va  devenir  foUe  et  qu'elle  va  d^lirer  en  pleine  rue  ».  Cette  obsession 
determine,  comme  on  Ic  verra,  une  terreur  queTonpeut  jusqu'a  un 
certain  point  rapprocherde  Tagoraphobie.  Jean,  ^galement,  est  dis- 
pose a  rabaisser  son  intelligence;  si  Ton  prenait  au  s^rieux  ses 
paroles,  on  le  croirait  tout  a  fait  idiot.  II  repMe  sans  cesse  qu'il  ne 
peut  ni  lire  ni  6crire,  qu'il  ne  pent  rien  comprendre  aux  ph6nom^nes 
naturels  qui  Tenvironnent.  «  Je  suis  etranger  a  tout.  Tout  ce  qui 
est  naturel  est  entache  pour  moi  de  myst&re  d^inaocessibilit^.  »  II 
n'accepte  pas  qu'on  lui  demande  le  plus  petit  renseignement  soit 
sur  ses  propri^tes,  sur  sa  fortune,  sur  la  valeur  de  I'argent,  sur 
rien  de  pratique,  car  il  r^pMe  toujours  que  son  esprit  n*y  peut 
rien  comprendre,  quHl  est  Stranger  a  la  vie.  Sans  aller  jusqu'a 
ce  point  Lise  est  toujours  dispos^e  a  se  trouver  bete.  EUe  sent  en 
elle-meme  comme  quelque  chose  qui  la  critique  et  elle  ne  peut 
accepter  aucun  compliment  parce  qu'elle  les  croit  toujours  faux. 

II  est  bien  clair  que  ces  obsessions  des  malades  nous  posent  un 
tres  curieux  probleme  de  psychologic.  Jusqu'a  quel  point  ont-ils 
raison  ou  ont-ils  tort?  Sont-ils  tout  a  fait  delirants  quand  ils 
pretendent  qu'ils  sont  devenus  bStes  ? 

Nous  aurons  a  discuter  longuement  la  question  quand  nous 
parlerons  de  Tetat  psychologique  sur  lequel  germent  ces  obses- 
sions. Pour  le  moment,  constatons  que  cette  obsession  est  ^nor« 
mement  exageree,  ne  fdkt-ce  que  par  sa  repetition.  Si  Ton  est 
reellement  devenu  bete  et  sans  volont^,  ce  n'est  pas  une  raison  suffi- 
sante  pour  se  le  reprocher  toute  la  journee,  et  ceux  qui  sont  reel- 
lement betes  ne  se  le  reprochent  pas  ainsi.  II  y  a  done  la  un  senti- 
ment tout  particulier  de  honte  de  soi-meme  qui  est  bien  du  meme 
genre  que  les  obsessions  pr^cedentes  du  sacrilege  et  du  crime. 


28  LES  IDEES  OBSfiDANTES 

Ces  malades  qui  se  sentent  constamment  pousses  au  crime  croient 
en  m^ine  temps  qu'ils  en  son!  capables. 

2®  Les  obsessions  relatwes  a  la  folie  :  un  tres  grand  nombre 
de  ces  malades,  paf  exemple  un  homme  de  46  ans,  Mrc...  (178), 
unefemme  deaS  ans,  Byp...  (180),  etc.,  sont  6pouvant^s  a  la  pen- 
s^e  quMls  sont  fous,  qu'ils  ont  eu  ou  quails  vont  avoir  des  crises  de 
folie  et  ils  recherchent  en  eux  tous  les  signes  de  ce  qu'ils  ap- 
pellent  la  folic,  a  Je  vois  les  maisons  et  les  gens  a  Tenvers,  je  dis 
des  sottises,  je  vais  me  cogner  la  t6te  contre  les  murs,  regardez 
done  mes  yeux,  vous  verrez  comme  ils  sont  ^gar^s.  »  Suivant  leur 
caract^re  et  revolution  morale  de  Icurs  maladies,  ils  insistent  dans 
leur  obsession  sur  tel  ou  tel  caractere  de  la  folie.  Zb...  (175)  re- 
pete  qu'il  voit  que  tout  est  drole  dans  Tunivers  et  que  par  conse- 
quent il  est  fou.Cas..  (177J  a  peur  d'etre  isolee  :  «il  me  semble  que 
je  suis  seule  au  monde,  je  ne  puis  plus  me  diriger,  j*ai  besoin 
d'etre  enfermee  comme  les  fous.  »  Leo...(i73),  r^pete  que  la  folie 
lui  fera  cc  tuer  sa  petite  fille,  et  suivre  le  premier  monsieur  venu 
dans  la  rue.  » 

Les  uns  pretendent,  comme  Leo...,  que  cette  obsession  a  ete 
determin^e  par  la  vue  d*une  femme  folic,  mais  beaucoup  et 
en  particulier  Dob.  chez  qui  cette  obsession  determine  des 
grandes  crises  d'angoisse  ne  peuvent  invoquer  cette  explication. 
L'idee  de  folie  me  semble  se  rattacher  chez  eux  a  cette  honte,  a 
cette  deBance  qu'ils  ont  de  leurs  propres  forces. 

3*^  II  faut  a  mon  avis  placer  ici  des  obsessions  qui  semblent  sou- 
vent  tres  embarrassantcs,  les  obsessions  de  depersonnalisation. 
Depuis  quelques  annees,  divers  auteurs,  MM.  Dugas,  Bernard* 
Leroy,  insistent  sur  le  phenom^ne  signals  autrefois  par  Krisha- 
ber  puis  par  Taine,  le  sentiment  et  Tidee  d'avoir  perdu  saperson- 
nalite.  J*ai  eu  Toccasion  de  decrire  deja  deux  cas  remarquables 
de  ces  phenom^nes  a  propos  de  Ver. . .  etde  Bei. . .  II  me  semble  qu'il 
faut  distinguer  deux  formes  de  la  depersonnalisation  :  Tune  qui 
consiste  en  un  sentiment  se  produisant  dans  des  conditions  deter* 
minees  et  que  nous  aurons  a  etudier  plus  tard  a  propos  de  tous 
les  sentiments  d'insuffisance  psychologique  qui  jouent  un  role 
considerable  dans  la  pathogenic  des  obsessions.  Mais  Tautre 
forme  est  une  veritable  idee  obsedante  developpee  vraisemblable- 
ment  a  Toccasion  du  sentiment   precedent.  Le  sujet  a  sans  cesse 


LOBSESSION  DE  LA  HONTE  DE  SOI  29 

Fidde  qu'il  n'est  plus  lul-m^me,  que  ce  n^est  plus  lui  qui  marche, 
qui  mange,  qui  parle,  il  le  r^pete  meme  quand  Timpression  ini- 
tiale  de  d^personnalisation  a  disparu.  II  a,  a  cepropos,  une  veri- 
table obsession  :  il  faudra  tenir  compte  de  cette  distinction  dans 
r6tude  de  ces  malades. 

II  en  est  de  m^me  pour  un  trouble  de  la  m^moire,  voisin  de 
celui-ci,  qui  a  aussi  beaucoup  attir6  Tattention. 

Le  phenomene  du  «  deja-s^u  »  est  avant  tout  un  certain  senti- 
ment intellectuel  qui  rentre  dans  le  meme  groupe  que  le  senti- 
ment de  depersonnalisation.  Dans  certains  cas  exceptionnels,  le 
malade  pent  concevoir  une  sorte  de  delirea  propos  de  ce  sentiment 
et  etre  obsed^  par  la  pensee  que  tout  ce  qu'il  voit  est  la  repetition 
du  passe.  II  en  est  ainsi  ^videmment  dans  la  remarquable  obser- 
vation de  M.  Arnaud  ^  Le  malade,  a  tout  moment,  dans  quelque 
6tat  qu*il  soit,  ne  pent  fixer  son  attention  sur  aucun  ev^nement 
sans  avoir  Tid^e  que  cet  ^venement  s'est  d^ja  passe  exactement  le 
meme,  dans  les  memes  circonstances,  il  y  a  un  an.  M.  Arnaud 
remarque  tres  bien  qu'il  y  a  la  une  id^e  surajout^e  a  un  senti- 
ment, idee  qui  est  devenue  gen^rale  et  constante,  tandis  que  le 
sentiment  ne  se  pr^sente  probablement  que  d'une  maniere  rare  et 
passagere. 

4°  Des  obsessions  plus  curieuses  et  plus  rares  sont  des  obsessions 
d'en(fie,Fik.,,  (169),  ferame  de  34  ans,  en  pr^sente  un  exemple 
remarquable.  Cette  femme,  dont  les  antecedents  hereditaires  sont 
tres  charges  et  qui  a  deja  bien  eu  des  troubles,  a  ete  tres  tourmen- 
tee  par  une  maladie  grave  de  son  mari.  L*obsession  qui  s'est  de- 
veloppee  depuis  deux  ans  est  une  pensee  d'envie  a  propos  de 
tout  ce  qu*elle  voit.  Elle  ne  pent  pas  rencontrer  une  personne  quel- 
conque  sans  tui  envier  immediatement  quelque  chose :  (c  celle-ci  est 
bien  habillee,  celui-la  a  une  bonne  mine,  cet  autre  marche  bien, 
cette  femme  a  un  enfant,  celle-ci  un  mari,  voila  un  homme  qui  sait 
parler,  en  voici  un  qui  est  vigoureux,  voici  une  dame  qui  est  cha- 
ritable, cet  individu  qui  entre  dans  un  magasin  est  honnete.  9. 
Cette  pensee  donne  lieu  chaque  fois  dans  son  esprit  a  un  long  de- 
veloppement,  et  elle  souffre  d'une  jalousie  feroce.  Detail  curieux, 
il  lui  arrive  d'etre  envieuse  meme  des  malheurs  d'autrui,  (c  ils  ont 


I.  F.-L.  Arnaud,  Un  cas  d'illusion  dudejk-vuou  de  fausse  mcmoire.  Ann.  mid, 
psych,,  mai-juin  1896. 


aO  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

bien  de  la  chance  de  pleurer  leur  p^re,  en  v6icl  qui  ont  du  bon» 
heur  d'etre  ainsi  secoues  par  un  grand  malheur  ».  Quoique 
Texpression  de  Tobsession  soit  ici  bizarre,  c*est  toujours  la 
m6me  id6e  de  sa  propre  insudfisance  qui  joue  ie  principal  roie. 
Quand  Fa...  envie  Tintelligence,  la  force,  Tactivite  des  passants, 
c'est  comme  si  elle  r^p^tait  qu'elle  est  elle-meme  sans  intelli- 
gence, sans  force,  sans  activity,  sans  honn^tet^.  On  le  lui  fait 
dire  assez  facilement  :  «  Pourquoi  enviez-vous  ces  gens  qui  ont 
eu  un  malheur  et  qui  pleurent?  —  Parce  qu'il  me  semble  qu'il 
serait  bon  de  pouvoir  pleurer  et  que  je  me  sens  incapable  d*en 
faire  autant.  » 

5®  Certains  sujets  sont  obs^d^s  par  Tid^e  de  certaines 
qualit^s:  I'idee  de  la  pudeitr,  I' idee  de  Vindependance,  Voz.  (122) 
repute  que  la  liberte  est  le  seul,  Tunique  bonheur  auquel  on 
doit  aspirer  toute  sa  vie.  II  est  toujours  tourment^  par  Tid^e  qu'il 
n'est  pas  libre,  qu'il  est  en  captivite,  qu'il  faut  arriver  a  la  d6li- 
vrance.  Cette  id^e  prend  m6me  dans  son  esprit  une  forme  symbo- 
lique  bien  curieuse  sur  laquelle  je  reviendrai.  Mais  il  est  evident 
que  cette  obsession  depend  de  la  meme  id^e  de  honte.  II  est  honteux 
d'avoir  perdu  son  independance  et  il  est  obs^d^  par  la  pensee 
d'une  liberty  id^ale. 

6®  II  me  semble  juste  de  rattacher  aux  obsessions  de  la  honte 
de  soi  ou  du  moins  de  placer  a  c6t^  de  celles-ci  un  groupe  des  plus 
interessants,  celui  des  obsessions  amoureuses,  J'ai  d^ja  d6crit 
parmi  les  obsessions  du  crime,  les  idees  obs^dantes  dans  lesquelles 
dominent  I'impulsion  ou  le  remords  genital.  Dans  ces  idees  la 
pens6e  que  Taction  est  mauvaise,  contraire  a  la  morale  joue  un 
r6le  plus  important  que  I'amour  proprement  dit,  ef  il  etait  juste 
de  les  rapprocher  des  obsessions  du  suicide,  du  vol,  etc.  Mais  il 
y  a  des  obsessions  oil  le  ph^nomene  genital,  si  meme  il  existe,  ne 
joue  qu'un  role  accessoire,  tandis  que  I'amour  moral,  le  besoin  de 
vivre  aupr^s  d'une  personne  d^terminee,  de  penser  constamment 
a  elle,  de  lui  subordonner  toutes  les  actions  de  la  vie  devieot  Tes- 
sentiel  de  I'obsession.  Dans  certains  cas,  cette  obsession  amou- 
reuse  n'est  visiblement  qu'une  expression  legerement  modifi^e  de 
I'obsession  de  la  honte  de  soi,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir  pour 
I'obsession  de  jalousie. 

Le  cas  suivant  est,  acepropos,  tout  a  faittypique  :  Byl...  (181), 


L'OBSESSION  DE  LA  IIONTE  DE  SOI  ai 

jeune  (ille  de  21  ans,  avait  un  caract^re  deja  anormal  depuis  l*Sge  de 
10  ans.  Extr^memeut  entet6e,  timide  et  sauvnge,  elle  refusait  depuis 
loDgtemps  de  sortir,  de  voir  du  monde.  A  Tage  de  17  ans,  eile  se 
decide  a  donner  de  sa  sauvagerie  eette  explication  bizarre  :  «  je 
ne  suispas  une  jeune  fillecomme  les  autres,  je  suis  laide,  j^ai  une 
figure  de  chat,  vous  ne  voyez  done  pas  comme  cela  est  honteux 
de  faire  sortir  une  jeune  fille  comme  moi.  «  Je  suis  un  monstre, 
tout  le  monde  se  retourne  quand  je  passe,  c'est  pour  moi  un  sup- 
plice  de  me  laisser  voir  ainsi.  d 

Depuis  trois  ans,  elle  conserve  toujours  k  pen  pr^s  la  meme 
idee  :  «  Je  suis  un  pauvre  etre  a  part,  pas  intelligente,  laide,  in- 
capable de  tenir  mon  rang.  »  Dans  ces  conditions,  elle  a  pens^ 
quelque  temps  au  convent,  puis  ne  s'est  pas.  senti  une  vocation 
sudGsante,  et  la  voici  qui  conQoit  Tidee  d'un  mariage  extravagant. 
Elle  declare  a  ses  parents  stupefaits  qu^^tant  majeure  et  libre 
d'elle-meme,  elle  vent  ^pouser  le  gar^on  jardinier  de  la  maison, 
qu'elle  a  p6n^tr6  la  nuit  dans  sa  chambre,  qu'ils  sont  fiances  et 
que  le  mariage  doit  avoir  lieu  le  plus  tot  possible.  Elle  a  imaging 
de  changer  tout  a  fait  de  situation  sociale,  elle  veut  se  presenter 
comme  domestique  et  gagner  sa  vie  avec  lui.  Depuis  plusieurs 
mois,  elle  refuse  de  se  laver  les  mains  pour  etre  plus  a  son  ni- 
veau. Aucun  raisonnement  n'a  prise  sur  cette  idee  6videmment 
delirante,  il  se  pent  qu'elle  ait  fini  par  s'^prendre  un  pen  de  ce 
gargon,  mais  Tamour  n'est  ici  qu*une  expression  de  I'obsession 
plus  profonde  de  la  honte  de  soi. 

Bien  souvent  ie  rapport  entre  les  deux  groupes  d'obsessions 
n'est  pas  si  etroit.  Si  les  malades  ne  peuvent  plus  se  passer  d*une 
personne  d^terminee,  s^ils  se  sentent  seuls,  s'ils  croient  devenir 
fous  par  risolement,  quand  elle  les  abandonne,  c*est  quails  sont 
ou  croient  6tre  incapables  de  se  diriger  seuls  et  qu'ils  ont  un  be- 
soin  obs^dant  de  cette  direction  ou  de  cette  excitation  tr^s  sp^- 
ciale  qui  les  remonte.  J'ai  d^ja  consacr^  une  6tude  particuliere  a 
ce  groupe '. 

Nous  aurons  a  T^tudier  encore  a  propos  des  sentiments  de  ces 
malades,  pour  le  moment  il  suiBt  d*ajouter  quelques  observations 
typiques  a  celles  que  j'ai  d^ja  rapport^es.  Gri...  (i8a),  femme  de 
28  ans,  pleure  son  amant  qui  Tavait  retiree  d'une  vie  de  d^sordre, 


I.  Le  besoin  de  direction.  Rev.  phiL,  fevr.  1877,  P»  1*3,  et  Nhroses  el  idies fixes, 
h  p.  456. 


32  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

elle  ne  sait  plus  aucunement  se  conduire  ei  Tobsession  amoureuse 
est  visiblement  en  rapport  avec  le  besoin  de  direction.  Tkm.., 
femme  de  89  ans,  a  une  obsession  identique  depuis  que  son 
amant  s'est  mari^,  «  il  etait  tyranuique  et  occupait  toute  ma  vie, 
jenem'occupaisderien autre.  » Chez  Sim...  (i85),  femme  de 3 1  ans^ 
le  desespoir  est  inimaginable,  Tobsession  est  perpetuelle  jour  et 
nuit.  Elle  croit  encore- voir  cet  amant  qui  la  dirigeait,  s'occupe 
de  lui  constamment  «  car  lui  seul  ^tait  capable  de  lui  donner 
Texcitation  physique  et  morale  dont  elle  avait  besoin.  »  Le  cas  de 
Ck...  (i84)  est  a  revoir  en  detail  car  il  est  curieux.  Cett^  femme 
de  4i  ans,  aboulique,  phobique,  obs^dee,  avait  trouv6  un  appui  et 
une  direction  chez  une  autre  pauvre  infirme  mentale  qui  avait 
elle-m^me  des  tics  de  malpropret^  et  qui  ne  savait  pas  se  diriger. 
Ces  deux  femmes  se  sont  dirig^es  reciproquement  comme  Taveugle 
et  le  paralytique,  elles  sont  parvenues  a  diminuer  mutuellement 
leur  faiblesse  et  ont  v^cu  heureuses  et  raisonnables  pendant  des 
annees.  Un  incident  bizarre  a  tout  perdu  :  une  domestique  renvoy^e 
s'est  permis  une  plaisanterie  grossiere,  sur  rafiection  passionnee  de 
ces  deux  femmes  et  a  fait  naitre  en  elles  des  scrupules  sur  leurs 
relations.  II  n'est  pas  rare  de  voir  ces  malades  concevoir  ainsi  des 
scrupules  a  propos  des  traitements,  ou  de  la  direction,  qui  les 
gu^rissaient.  Cest  une  des  diflicultes  de  leur  th<^rapeutique.  Ck... 
est  obligee  de  quitter  son  amie,  mais  alors  elle  est  obs^dee  par  le 
regret  de  I'avoir  quittee,  elle  voudrait  mourir  plutot  que  de  vivre 
sans  elle  et  des  troubles  tr^s  graves  se  developpent  a  Foccasion 
de  cette  obsession  amoureuse. 

Enfin,  a  la  fin  de  ce  groupe  on  peut  placer  un  cas  nssez  sin- 
gulier,  celui  de  Qi...  (188),  cette  femme  de  36  ans  est  obsedee  par 
ridee  qu*elle  est  une  petite  enfant  de  10  a  12  ans;  surtout  lors- 
qu'elle  est  scule,  elle  se  laisse  aller  a  sauter,  a  danser^  a  rire  aux 
Eclats,  elle  d^fait  ses  cheveux,  les  fait  flotter  sur  ses  epaules,  les 
coupe  au  moins  en  partie.  Elle  voudrait  pouvoir  s'abandonner 
completement  a  ce  reve,  d'etre  une  enfant,  «  il  est  si  malheureux 
qu'elle  ne  puisse  pas  devant  le  monde  jouer  a  cache-cache,  faire 
des  niches  ».  Cette  idee  n*est  pas  aussi  etrunge,  aussi  isol6e 
qu'elle  le  parait  :  «  je  voudrais,  r^p^te  la  malade,  qu'on  me 
trouve  gentille,  j'ai  peur  d'etre  laide  comme  un  pou,  je  voudrais 
qu'on  m'aime  bien,  qu'on  me  caresse,  qu'on  me  caline,  qu'on 
me  di^e  tout  le  temps  qu'on  m'aime,  comme  on  ajme  les  petits 
enfants.  »    Malgre   son    extravagance    apparente,   c'est   toujours 


L'OBSESSION  DE  LA  llONTE  DU  CORPS  33 

comme  dans  les  cas  pr^ce^dents,  Tobsession  amoureuse,  Tobses- 
sioD  du  besoin  d'etre  almc  sous  la  forme  qu'il  prend  frequemment 
chez  les  scrupuleux  celle  d^etre  aime  comme  un  enfant. 

En  examinant  beaucoup  de  malades,  on  trouverait  facilement 
d'autres  variet^s  d*obsessions  qui  au  fond  ne  sont  qucdes  formes 
particulieres  de  la  honte  de  soi.  C'est  un  des  groupes  les  plus 
importants  que  nous  ayons  a  signaler. 


5.  —  L'obsession  de  la  bonte  du  corps. 

Cette  id6e  du  mdpris  de  soi-meme,  cette  obsession  du  mecon- 
tentement  personnel  porte  bien  plus  souvent  encore  sur  la  per- 
sonne  physique^  sur  le  corps,  Les  malades  chez  qui  Ton  rencontre 
ce  mecontentement  de  leur  corps  sont  fort  nombreux,  ils  forment 
un  groupe  singulier  dont  on  ne  pourrait  pas  soup^onner  Timpor- 
tance  avant  de  les  avoir  frequentes.  On  pourrait  les  appeler  tous 
des  «  honteux  de  leur  corps  ».  Les  plus  complets  ont  une  obses- 
sion relative  a  leur  corps  tout  entier,  a  toutes  ses  parties  et  par 
consequent  leur  obsession  gen^rale  se  subdivise  en  une  foule  de 
petitsd^Iiresparticuliers.  Lesautres  vont  moins  loin  dans  la  m6me 
voie  et  leur  obsession  de  honte  ne  porte  pas  sur  tout  Torganisme, 
mais  elle  se  systematise  sur  telle  pu  telle  partie,  telle  ou  telle  fonc- 
tion  dont  ils  sont  purticulierement  honteux.  J'insisterai  d'abord 
sur  un  cas  remarquable  qui  donne  une  id^e  d'ensembledu  premier 
groupe,  puis  je  choisirai  quelques  exemples  particuliers  qui 
montrent  la  honte  portant  sur  telle  ou  telle  fonction. 

Une  observation  curieuse  qu'il  est  malheureusement  impossible 
de  presenter  completement  sans  entrer  dans  d^innombrables  de- 
tails, est  celle  de  Nadia  (i66),  une  jeune  fille  de  27  ans,  que 
je  dirige  autantque  possible  depuis  plus  de  5  ans.  Cette  jeune  fille 
m*a  ete  adressee  avec  ce  diagnostic  un  peu  superficiel  d'anorexie 
hysterique.  Ce  diagnostic  ctait  simplement  justifie  par  Talimenta- 
tion  plus  que  bizarre  que  cette  malade  s'imposait  dans  sa  famille 
depuis  des  ann^es  et  par  les  scenes  epouvautables  qu'cllc  faisait 
dfes  qu'on  s'avisait  de  modifier  le  regime.  Elle  se  prescrivait  a 
elle-meme  deux  potages  par  jour  au  bouillon  leger,  un  jaunc 
d'oeuf,  une  cuiller  a  bouchc  de  vinaigre  et  une  tasse  de  the  extre- 
mement  fort  dans  laquelle  il  fallait  mettre  le  jus  d'un  citron  tout 

LES    OBSfJSSlONS.  I.    3 


34  LES  IDEtS  OBSEDA^TEJ^ 

entier,  soigneusementpress6.  On  avait  pu  d^couvrir,  ce  qui  n*4tait 
pas  difBcile,  qu'elle  avait  imaging  ce  regime  dans  la  crainte  d'en- 
graisser,  et  on  concluait  a  une  anorexie  hysterique. 

L'anorexie  hysterique  est  d6ja  par  elle-meme  une  maladie  fort 
bizarre,  qui  est  loin  d'etre  completement  elucid6e.  Sous  sa  forme 
typique  elle  n'est  pas  aussi  fr^quente  qu'on  le  croit  et  les  hyst^ri- 
ques  conBrm^es  sont  loin  de  presenter  fr^quemment  ce  ph^nom^ne 
au  nombre  de  leurs  innombrables  accidents.  Les  vomissements,  les 
regurgitations,  les  divers  spasmes  de  ToDsophage,  de  Testomac,  du 
diaphragme,  des  muscles  de  Tabdomen  determinent  aussi  des  trou- 
bles de  Talimentation  et  sont  beaucoup  plus  frequents  queTano- 
rexie  proprement  dite.  En  presence  d'un  cas  de  refus  complet 
d^aliments,  il  faut,  si  je  ne  me  trompe,  se  mefier  et  songer  que 
des  troubles  mentaux  plus  ou  moins  graves  sont  peut-Mre  plus 
probables  que  Thysterie  proprement  dite. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  admet  jusqu'a  present  une  anorexie  hyste- 
rique ;  pour  la  diagnostiquer  il  faut  au  moins  retrouver  un  certain 
nombre  de  symptomes  caract^ristiques.  Bien  entendu,  il  serait  bon 
de  constater  soit  actuellement,  soit  dans  les  antecedents  des  phe- 
nomenes  nettement  hyst^riques.  Malheureusement  on  sait  que  ce 
symptome  est  frequemmentisole,  au  moins  a  ses  debuts.  Si  Ton  ne 
pent  done  retrouver  en  dehors  la  signature  de  Thysterie,  il  faut  a 
mon  avis  que  le  refus  d'aliments  pr^scnte  deux  grands  caracteres. 
i'  On  doit   constater  la   suppression  complMe  ou  a  pen  pres 
complete  de  la  faim  pendant  presque  tout  le  cours  de  la  maladie. 
Cette  perte  de  la  faim  s'accompagne  souvent  de  troubles  conside- 
rables dans   les   sensations  de  la  bouche,  soit  pour  le  gout,  soit 
m^me  pour  le  toucher,  d'anesthesie  du  pharynx,  de  troubles  des 
mouvements  des  machoires  et  des  joues,  d'anesthesie  de  Toeso- 
phage  et  probablement  de  Testomac  avec  ou  sans  propagation  de 
cette  anesthesie  a  la  peau  de  la  region  epigastrique.  La  perte  de 
la  faim  est-elle  directement  en  rapport  avec  ces  diverses  anes- 
thesies  de  la  bouche,  de  Foesophage,  de  I'estomac  qui  I'accom- 
pagnent  souvent  mais  non  toujours?  C'est  un  probleme  que  j*ai 
longuement  discute  dans  nies  lemons  au  College  de  France  sur  la 
Conscience  du  corps  et  de  ses  fonctions.   Sans  pouvoir  entrer  ici 
dans  cette  discussion  je  dirai  seulement  que  Tanesthesie  de  ces 
organes,  quand  elle  existe,  contribue  a  la  suppression  de  la  faim 
et  que,  par  consequent,  elle  joue  un  role  dans  le  diagnostic  de 
Tanorexie  hysterique. 


L'QBSESSION  DE  LA  HONTE  DU  CORPS  35 

2^  Un  second  sympt6ine,  plus  curieux  et  beaucoup  moins  ana- 
lyse, quoiqu'il  ait  d^ja  6te  signale  dcpuis  longtemps,  me  parait  ega- 
lement  important :  c'est  ce  besoin  exagere  de  mouvement  physique 
qui  accompagne  Tanorexie  vraic.  Les  malades  remuent  incessam- 
ment,  font  d'enormes  promenades,  dansent  dans  des  soirees,  se 
surmenent  de  mille  famous  et  elles  font  autant  de  scenes  pour 
conserver  leurs  marches  exager6es  que  pour  refuser  la  nourriture. 
Ce  symptome  a  616  interprete  de  diverses  manieres.  Las^gue  y 
voit  le  r^sultat  d'un  calcul.  Ces  personnes,  dit-il,  ont  peur  de 
passer  pour  malades,  elles  craignent  qu'on  ne  se  serve  de  leur  fai- 
blesse  comme  d'un  argument  pour  les  forcer  a  manger  et  elles 
simulent  une  grande  activite.  M.  Wallet,  a  propos  de  deux  obser- 
vations curieuseSy  y  voit  un  proc^de  des  malades  pour  augmenter 
leur  amaigrissement*.  Elles  font  de  I'exercice  comme  elles  boivent 
du  vinaigre  pour  maigrir.  Sans  contester  le  rdle  que  de  pareils 
raisonnements  ont  pu  jouer  dans  certains  cas  particuliers,  je  ne 
puis  admettre  que  ce  grand  symptome  aussi  general  depende 
toujours  de  reflexions,  en  somme,  assez  compliquees. 

Dans  des  observations  interessantes  que  je  discutais  dans  mes 
cours,  j'ai  pu  montrer  que  Texageration  du  mouvement  est  quel- 
quefois  anterieure  au  refus  d'aliments  et  pr^c^de  par  consequent 
tons  ces  raisonnements.  Dans  un  cas  tr^s  curieux,  il  s'agit  d'une 
femme  de  trente-cinq  ans,  raisonnable,  qui  vient  elle-m^me 
demander  des  soins,  et  qui  par  consequent  ne  cherche  pas  a  faire 
illusion.  Chez  elle  Tanorexie,  ce  qui  est  bien  rare,  est  a  repetition 
et  procede  par  acces.  A  la  suite  d'une  emotion  elle  se  sent  excitee, 
agitee  comme  si  elle  etait  enlevee  ainsi  qu*une  plume.  Elle  a  le 
besoin  de  gesticuler,  de  parler,  de  marcher.  Elle  ne  rentre  plus 
chez  elle,  mais  elle  continue  encore  a  manger,  tout  en  disant 
qu^elle  n*en  sent  plus  le  besoin :  (c  car  elle  est  bien  assez  forte 
sans  cela.  )>  Puis  deux  jours  apres  elle  est  degodtee  d'unc  alimen- 
tation i<  inutile  »  et  elle  commence  a  refuser  de  manger. 

On  approche  davantage  de  la  verite  en  disant  que  Tancsthesie 
musculaire  et  surtout  Tanesthesie  a  la  fatigue  joue  un  role  dans  ce 
mouvement  perpetuel.  Je  crois  qu'il  faut  aller  plus  loin  et  dire 
que  dans  ce  sentiment  d'euphoie  il  y  a  une  excitation  veritable  en 
rapport  avec  des  emotions  d'un  mecanisme  particulier;    si   Ton 


I.  Wallet,  deux  cas  d'anorcxic  hysterique,  Nouvelle  ieonographie  de  la  Salpitrihrct 
iSga^  p.  376. 


36  LES  IDEKS  OBSfiDANTES 

pr6fcre  le  langage  anatomique,  il  y  a  uiie  veritable  excitation  des 
centres  moteurs  corticaux.  Cette  excitation  nous  semble  jouer  un 
role  tres  considerable  dans  la  perte  du  sentiment  de  la  faim, 
peut-etre  plus  considerable  que  celui  de  Tanesth^sie  de  Testomac, 
car  la  faim,  avant  d'etre  le  sentiment  de  la  mise  en  jeu  des  divers 
reflexes  de  la  nutrition^  est  un  sentiment  general  lie  a  I'impres- 
sion  de  faiblesse  et  d'6puisement.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  suffit 
pas  qu'une  jeune  fille  refuse  de  manger,  ni  m^me  qu'elle  ait  visi- 
blement  la  crainte  d'engraisser  pour  qu'on  puisse  appeler  son 
etat  une  anorexic  hysterique.  II  faut  encore,  outre  les  divers  sym- 
ptomes  d'hysterie  que  Ton  pourra  constater,  la  diminution  consi- 
derable du  sentiment  de  la  faim  et  Texageration  des  mouvcments. 
En  etait-il  ainsi  chez  cette  malade,  Nadia,  a  laquclle  je  reviens  ? 
Cette  malade  examinee  avec  le  plus  grand  soin  et  a  bien  des 
reprises  n'a  jamais  present^  le  plus  petit  signe  d'hysterie.  Elle  n'a 
aucune  diminution  de  la  sensibilite,  pas  plus  a  la  region  ^pigas- 
trique  que  sur  le  reste  du  corps.  Dans  son  histoire  on  releve  des 
coleres  ^pouvantables,  mais  que  Ton  qualifie  bien  gratuitement 
d'attaques  d'hysterie.  Ce  qui  est  plus  important,  c'est  qu'elle  n'a 
point  du  tout  de  veritable  anorexic.  Elle  a  parfaitement  conserve 
le  sentiment  de  la  faim.  Souvent,  il  est  vrai,  dans  les  dernicrs 
temps  de  la  maladie,  la  faim  est  masquee,  parce  quHl  y  a  des 
troubles  de  I'estomac  inevitables  npres  des  ann^es  de  ce  regime  : 
mais  en  g^n^ral  Nadia  a  faim,  elle  a  meme  tr^s  faim.  On  le  con- 
state d'abord  par  ses  actions :  de  temps  en  temps  elle  s'oublie  jus- 
qu'a  d^vorer  gloutonnement  tout  ce  qu'elle  rencontre.  Dans  d*au- 
tres  cas,  elle  ne  pent  r^sister  au  besoin  de  manger  quelque  chose, 
et  elle  prend  des  biscuits  en  cachette.  Elle  a  des  remords  hor- 
ribles de  cette  action,  mais  elle  la  recommence  tout  de  meme.  On 
le  constate  mieux  encore  par  ses  confidences  bien  curieuses.  Elle 
reconnait  qu'il  lui  faut  un  grand  effort  pour  se  priver  de  manger. 
«  Elle  est  une  heroine  d'avoir  pu  r^sister  si  longtemps...  Quel- 
quefois  je  passais  des  heures  entieres  a  penscr  a  la  nourriture, 
tellement  j'avais  faim:  j'avalais  ma  salive,  je  mordais  mon  mou- 
choir,  je  me  roulais  par  terre,  tellement  j'avais  euvie  de  manger. 
Je  cherchais  dans  des  livres  des  descriptions  de  repas  et  de  grands 
festins,  et  je  tachais  pour  trompcr  ma  faim  de  m'imaginer  que  je 
goi^tais  moi  aussi  a  toutes  ces  bonnes  choses.  Vraiment  j'^tais  abso- 
lumcnt  affam^e,  et  malgr^  quelques  dcl^faillances  pour  les  biscuits, 
je  sais  quej'ai  eu  beaucoup  de  courage.  »  Est-ce  dans  Tanorexie 


L'OBSESSION  DE  L\  HONTE  DU  CORPS  37 

hyst^nque  que  I'on  parte  ainsi  ?  En  outre,  Nadia  ne  presente 
aucunement  le  trouble  du  mouvement  des  hyst6riques.  II  est  in- 
t^ressant  de  remarquer  qu'elle  a  fait  justement  les  raisonnements 
dont  parle  Lasegue.  Elie  cherchait  a  bien  travailler,  a  aller  a  pied 
a  ses  cours  pour  que  sa  m6re  ne  (dt  pas  inquiete  de  son  refus 
d'aliments  et  pour  que  Texercice  la  fit  maigrir,  mais  cela  lui  coA- 
tait  un  eiTort  p^nible  qu'elle  nc  faisait  que  par  n^cessit6 ;  le  plus 
souvent  et  surtout  maintenant,  elle  veut  rester  tranquille  dans  sa 
chambre  et  n'eprouve  aucunement  le  besoin  de  marcher  et  de 
depenser  ses  forces.  La  maladie  est  done  di(r(^rente.  Le  refus 
d*alimcnts  n'est  ici  que  la  consequence  d'une  id6e,  d'un  d^lire. 

Cette  idee,  si  on  la  consid^re  d'une  manifere  superficielle,  est 
evidemment  la  crainte  d'engraisser.  Nadia  a  peur  de  devenir  forte 
comme  sa  m6re  ;  elle  tient  a  rester  maigre,  pale,  cela  seul  lui 
plait,  est  en  harmonic  avec  son  caractere  ;  de  la  une  inquietude 
continuelle,  elle  a  peur  d'avoir  la  figure  enflee,  de  bouffir,  d'avoir 
de  gros  muscles,  de  prendre  un  meilleur  teint.  II  faut  6viter  avec 
grand  soin  de  lui  faire  des  compliments  sur  sa  sant^ ;  une  mala- 
dresse  de  son  pere  qui,  la  revoyant  au  bout  de  quelques  mois,  lui  a 
dit  qu'elle  avait  meilleure  mine  a  determine  une  s6rieuse  rechute. 
II  faut  Hre  prepare  a  r^pondre  a  ces  questions  qu'elle  pose  sans 
cesse :  «  Je  vous  en  prie,  dites-moi  le  fond  de  votre  pens^e  ? 
Trouvez-vous  que  j'aie  de  grosses  joues  rondes  et  roses  depuis  que 
je  mange  davantage?  Par  charity  dites-le-moi  et  consolez-moi,  je 
vous  en  prie.  M'avez-vous  trouv^e  aussi  maigre  que  lesautres  fois? 

Faites-moi  le  plaisir  de  me  dire  que  je  serai  toujours  maigre 

Tenez,  j'ai  ct6  aujourd'hui  dans  un  fiacre  qui  ne  marchait  pas,  le 
cheval  ne  pouvait  pas  me  trainer,  c'est  a  cause  de  ces  c6telettes 
que  vous  me  faites  manger.  Je  vous  en  supplie,  rassurez-moi.  » 

Mais  cette  pens^e  obsedante  n'est  pas  du  tout  une  id6e  fixe 
isol^e  et  inexpliqu^e,  comme  cela  arrive  quelquefois  chez  les  hys- 
t^riques.  Elle  se  rattache  «h  tout  un  systeme  de  pensees  extre- 
mement  complexe.  D'abord  Tembonpoint  n'est  pas  consid6r6 
uniquement  au  point  de  vue  de  la  coquetterie :  il  presente  aux 
yeux  de  la  malade  quelque  chose  d'immoral.  Elle  r^pete  toujours : 
«  Je  ne  tiens  pas  a  etre  jolie,  mais  cela  me  ferait  trop  de  honte  si 
je  devenais  bouffie,  cela  me  fait  horreur  ;  si  par  malheur  j'en- 
graissais,  je  n'oserais  plus  me  faire  voir  a  personne,  pas  plus 
dans  la  maison  que  dans  la  rue,  j'aurais  trop  de  honte.  »  Et 
remarquons   que   ce  n'est  pas    Tob^site    en   elle-meme    qui    lui 


38  LK8  IDEES  OBSKDANTES 

parait  honteuse.  Elle  aime  des  personnes  qui  son!  ires  fortes  et 
trouve  que  cela  leur  va  bien ;  c'est  pour  elle  que  ce  serait  immo- 
ral et  honteux.  Ce  u'est  pas  seulement  Tembonpoint,  c'est  tout 
ce  qui  sc  rattache  a  Facte  de  manger  qui  m<5rite  ce  caractfere. 

Elle  commen^a  par  refuser  de  manger  en  presence  d'autres  per- 
sonnes :  il  fallait  qu'elle  mangeut  seulc,  comme  en  cachette.  Vrai- 
ment,  si  on  pent  se  permettre  une  telle  comparaison,  elle  se  dis- 
simule  pour  manger,  elle  est  g6n6e  d'acconrplir  cet  ^cte  devant 
quelqu*un,  comme  si  on  la  priait  d'uriner  en  public,  et  d'ailleurs 
elle-mcme  reconnait  que  la  comparaison  est  juste.  Quand  il  lui 
arrive  de  manger  un  peu  plus,  ce  qu'elle  faittoujours  en  cachette, 
ce  sont  des  protestations  pour  s'excuser  comme  si  elle  avait  commis 
une  indccence.  Au  moment  des  f^tes  de  Nod,  elle  s'est  permis  de 
goutcr  a  quelques  boites  de  chocolat  qu'elle  envoyait  a  des  amies. 
Kile  m*a  ecrit  plus  de  dix  lettres  a  ce  sujet,  avouant  comme  un 
crime  chacun  de  ces  bonbons,  cherchant  a  cxpliquer,  par  un  senti- 
ment de  gourmandise  ou  de  curiosite,  un  acte  qu'elle  regrette  tant. 
Elle  aurait  ^te  bien  honteuse  si  on  Tavait  surprise  en  flagrant 
delit.  Non  seulement  il  ne  faut  pas  qu'on  la  voie  pendant  qu'elle 
mange,  mais  il  ne  faut  pas  non  plus  qu'on  Tentende.  La  mastica- 
tion a  quelque  chose  de  si  vilain  que  cela  la  ferait  rentrer  sous 
terre,  si  on  pouvait  entendre  la  sienne.  lei  encore  ce  n'est  pas  la 
fa^on  de  manger  en  g^n^ral  qu'elle  meprise :  on  peut  manger 
devant  elle,  elle  ne  trouve  a  cela  rien  de  reprehensible,  au  con- 
traire,  elle  est  heureusc  d'offrir  quelque  chose  aux  personnes  qui 
vienncnt  la  voir.  Mais  c'est  sa  mastication  a  elle,  ((qui  fait  un  bruit 
special,  ridicule  et  d(^shonorant.  Je  veux  bien  avaler,  mais  on  ne 
me  forcera  jamais  a  mucher  ». 

II  ne  faudrait  pas  croire  que  cette  honte  se  limite  ainsi  a  Tembon- 
poiut  et  a  Tacte  de  manger.  Nadia  a  encore  d'autres  tourments. 
Quoiqu'elle  soit  mince  et  ait  des  trails  plutot  jolis,  elle  est  con- 
vaincue  que  sa  figure  est  non  seulement  bouflie,  mais  rouge  etcou- 
verte  de  boutons.  Comme  je  n'arrivais  pas  a  voir  ces  fameux  bou- 
tons,  elle  me  declare  ((  que  je  n'y  connais  rien  et  que  je  ne  sais 
pas  reconnaitre  des  boutous  qui  sont  entre  la  peau  et  la  chair  ». 
Quoiqu'il  en  soit,  cela  lui  donne  une  figure  abominablement  laide 
et  bien  qu'elle  n'ait  aucune  coquetterie,  une  personne  qui  se  res- 
pecte  ne  peut  pas  lalsser  voir  une  figure  pareille.  On  se  moquerait 
d'elle,  ce  qui  la  ferait  horriblement  soulFrir,  aussi  refuse-t-elle 
de  se  laisser  voir.  Parallelement  au  refus  d'aliments  s'est  devc- 


L'OBSESSIOX  DE  L\  IIONTE  DU  COUPS  39 

lopp^  un  autre  delire  qu'oa  avait  trop  peu  remarqu6,  c'est  la 
crainte  de  sortir  dans  la  rue.  Ce  sont  des  scenes  horribles  pour 
arriver  a  sortir  un  peu,  en  voiture  fermee.  II  faut  que  le  cocher 
et  la  femme  de  chambre  detournent  la  tcte  au  moment  ou  elle  se 
precipite  dans  la  voiture.  Elle  sort  plus  facilement  le  soir,  dans 
les  endroits  deserts,  ou  elle  risque  peu  d^etre  vue.  Meme  dans 
sa  chambre,  si  je  la  laissais  faire,  elle  entretiendrait  une  demi- 
obscurit^  et  elle  se  place  toujours  dans  le  coin  le  plus  sombre, 
le  dos  tourne  a  la  lumiere.  Si  on  ne  Tarretait  pas,  elle  ne  tarderait 
pas,  comme  une  malade  que  j'ai  connue,  a  vivre  dans  une  obscu- 
rite  complete. 

Si  sa  figure  la  g6ne  ainsi,  les  autres  parties  de  son  corps  sont 
loin  de  la  luisser  indifferente.  Dcpuis  Tage  de  quatre  ans,  pretend- 
elle,  elle  est  honteusc  de  sa  taille,  parce  qu'on  lui  aurait  dit 
qu'elle  etait  grande  pour  son  age.  Depuis  Tage  de  huit  ans,  elle 
a  commence  a  avoir  honte  de  ses  mains  qu^elle  trouve  longues, 
ridicules.  Vers  Tage  de  ii  ans,  comme  elle  portait  des  jupes 
courtes,  il  lui  semblait  que  tout  le  mohde  regardait  ses  jambes 
et  elle  nepouvait  plus  les  soufTrir.  II  a  lui  fallu  mettre  des  jupes 
longues  et  alors  elle  a  eu  honte  de  ses  pieds,  puis  de  ses  hanches 
trop  larges,  de  ses  bras  avec  de  gros  muscles,  etc. 

Bien  entendu,  Tarrivce  de  la  puberte  a  singulierementaggrav^ 
tons  ces  sentiments  bizarres.  L'apparition  des  regies  I'a  rendue  a 
moitie  foUe.  Quand  les  poils  ont  commence  a  pousserau  pubis,  elle 
a  eteconvaincuc  qu'elle  etait  seule  au  mondc  aveccette  monstruo- 
site  et  jusqu'a  Tage  de  20  ans  elle  travaillait  a  s'^piler  «  pour 
faire  disparaitre  cet  ornement  de  sauvage  ».  Le  developpement  de 
la  poitrine  a  surtout  aggrave  les  obsessions,  car  les  craintes  rela- 
tives a  la  pudeur  s'ajoutaient  aux  anciennes  idees  sur  Tobesite. 
C'est  a  ce  moment  surtout  qu'ellca  commence  a  refuser  tout  a  fait 
de  manger  ct  a  ne  plus  vouloir  se  montrer.  Par  tons  les  moycns 
possibles  elle  a  cherche  a  dissimuler  son  sexe,  dontelleaparticu- 
lierement  honte :  ses  corsages,  ses  chapeaux,  ses  coiflures  doivent 
se  rapprocher  du  costume  masculin.  Elle  coupe  ses  chevcux  a 
demi  longs  et  les  fait  bonder  et  elle  voudrait  avoir  Taspect  d'un 
jeune  etudiant.  11  ne  faudrait  pas  croire  qu^il  y  a  ici  une  inversion 
sexuelle,  comme  on  Tadmet  beaucoup  trop  vite  dans  des  cas  sem- 
blables.  Elle  scrait  aussi  honteuse  d'etre  un  garcon  que  d'etre  une 
fille.  Elle  voudrait  etre  sans  aucun  sexe,et  meme  elle  voudrait  6tre 
sans  aucun  corps,  car  on  voit  que  toutes  les  parties  du  corps 


40  LES  lOr.ES  OBSKDANTES 

d6terminent  le  meme  sentiment  dont  le  refus  d*aliments  n'etait 
qu'une  manirestation  toute  partielle. 

Quelle  est  au  fond  Tid^e  dominante  qui  determine  ces  apprecia- 
tions singulieres  ?  La  pudeur  jouecertainementunrole  considerable 
et  ce  sentiment  est  chez  elle  pouss6  tout  a  fait  a  Textreme.  Jamais 
depuis  la  premiere  enfance  elle  n'a  pu  se  d^shabiller  devant  ses 
parents  et  jusqu'a  Tage  de  vingt-sept  ans  elle  n'avait  jamais  con- 
senti  a  6tre  auscult^e  par  un  medecin.  Mais  il  s'y  mele  une  foule  de 
choses:  un  vague  sentiment  de  culpabilite,un  reprocherelatifa  la 
gourmandise  et  a  toutes  sortes  de  vices  possibles.  II  s'y  mele  sur- 
tout  un  sentiment  plus  interessant,  que  nous  avons  deja  remarque 
a  propos  des  obsessions  precedentes  et  quiva  prendre  une  impor- 
tance de  plus  en  plus  grande  cheznos  scrupuleux.  «  Jene  voulais, 
dit-elle,  ni  grossir,  ni  grandir,  ni  ressembler  a  une  femme  parce 
que  j'aurais  voulu  rester  toujours  petite  fille.  »  II  est  visible  que 
ce  desir  de  rester  enfant  a  joue  un  role  considerable,  car  ce 
qu'elle  a  toujours  redouts  c'est  de  se  developper,  plus  que  d'en- 
graisser  a  proprement  parler.  Mais  pourquoi  ce  d^sir  ?  La  raison 
de  ce  souhait  bizarre  se  resume  en  un  mot  que  beaucoup  de 
malades  vont  nous  repeter:  «  Parce  que  j'avaispeur  d'etre  moins 
aimee.  »  C'est  au  fond  cette  idee  qu'elle  a,  quand  elle  craint 
d'etre  laide,  d'etre  ridicule.  «  On  se  moquera  de  nioi  et  on  ne 
m'aimera  plus.  On  trouvera  que  je  ne  suis  plus  comme  tout  le 
monde  et  on  ne  m'aimera  plus.  Si  on  me  voyait  bien  en  pleine 
lumiere  on  serait  d^goiUe  et  on  ne  ra'aimerait  plus.  » 

Ce  desir  d'etre  aimee,  cette  crainte  inquiete  de  ne  pas  m^riter 
raffection  que  Ton  desire  tellement  se  m6le  certaineraent  dans  re 
cas  aux  id^es  de  fautes  possibles  et  aux  craintes  de  la  pudeur 
pour  produire  cette  obsession  de  honte  du  corps.  II  va  encore 
intervenir  dans  Tobservation  suivante. 

II  s'agit  d'un  cas  beaucoup  moins  grave  et  surtout  beaucoup 
moins  complct,  dans  Icquel  I'obscssion  que  nous  etudions  ne 
porte  pas  sur  toutes  les  parties  du  corps  mais,  comme  nous 
Tcivons  dit  au  debut,  sur  un  organe  et  une  fonction  en  particulier. 
Wye...  (i6o),  jeune  Homme  de  27  ans,  a  eu  momcntanement 
quelques  obsessions  criminelles,  il  se  croyait  coupable  en  man- 
geant  la  chair  des  animaux  ;  il  a  eu  aussi  quelques  obsessions 
hypocondriaques  relatives  a  des  maladies  de  la  gorge  ;  mais  ces 
phenomenes    n'ont    ete  que   tres    passagers.    Le    fait    dominant 


rORSESSION  l)K  L.\  llONTE  DU  CORPS  H 

depuis  une  dizaine  d'ann^es  c'est  un  m^contentement  et  une  honte 
qui  porte  a  peu  pres  exclusivement  sur  les  mouvements  de  scs 
bras  et  de  ses  jambes. 

Des  renfance  il  ^tait  preocciipe  de  la  position  a  donner  a  son 
bras  gauche,  il  redoutait  la  saison  de  I'ete,  parce  qu'il  n'avait 
alors  plus  de  raison  pour  tenir  ses  mains  dans  ses  poches  et  qu'il 
ne  savait  plus  ou  les  mettre.  Peu  a  peu,  ce  sentiment  a  beaucoup 
augments  et  il  est  devenu  une  obsession  grave.  «  Je  sens,  dit-il, 
que  je  manque  ^e  spontaneite,  que  mes  mouvements  sont  genes. 
Jc  suis  tout  ankylose.  Je  ne  sais  de  quel  ctHe  porter  le  bras  ou  la 
tete.  J'ai  des  mouvements  mecaniques.  On  dirait  Tours  du  Jardin 
des  Plantes.  Aussi  je  suis  forc^  de  penser  tout  le  temps  :i  la  fac^on 
dont  mon  bras  se  balance,  dont  je  redresse  le  cou.  »  La  moindre 
des  choses  dans  son  costume  peut  modifier  cette  g^ue  de  son 
corps  :  un  habit  bien  fait  etun  peu  vieux  le  met  a  son  aise,le  cos- 
tume de  chasse  qui  autorise  quelque  d^braille  des  mouvements  le 
rend  plus  heureux.  Au  contraire  un  habit  neuf,  un  costume  qui 
n'irait  pas  a  la  perfection  augmentent  cette  obsession  jusqu'a  lui 
rendre  difficile  toute  sortie.  II  a  etc  pendant  quelque  temps 
obsede  par  le  probleme  des  faux  cols.  Cette  preoccupation  des 
faux  cols  est  loin  d'etre  insignifiuute.  Chez  deux  autres  malades 
que  je  n*ai  pas  pu  etudier  avec  le  m^mc  soin  et  qui  d*ailleurs  se 
rapprochent  de  celui-ci,  Tobsession  scrupulcuse  prenait  exclusi- 
vement la  forme  de  Tobsession  du  faux  col.  Chez  ces  malades  et 
chezWye...  surtout,  ces  obsessions  genent  les  mouvements,  les 
amenent  a  faire  des  contorsions  et  des  grimaces  soit  pour  essayer 
de  rendre  les  mouvements  normaux,  soit  pour  dissimuler  aux 
autres  la  gene  qu'ils  eprouvent.  Ainsi  Wye...  cligne  des  yeux 
quand  il  croit  que  ses  yeux  n'ont  pas  un  mouvemcnt  naturel. 

Ces  contorsions  donnent  souvent  naissance  a  des  erreurs  de 
diagnostic.  On  en  fait  communement  des  tics:  cela  est  juste 
mais  il  ne  faut  pas  oublier  Tobsession  qu'ils  manifestent.  Dans 
un  cas  m6me  Terreur  futplus  grave  a  mon  avis.  Un  malade  dont 
nous  avons  parle  a  propos  des  obsessions  criminelles  a  ete  ren- 
voye  du  service  militaire  a  lage  de  vingt  et  un  ans  avec  le  dia- 
gnostic de  choree  de  Sydenham,  On  pourrait  deja  remarquer 
qu'il  est  singulier  de  diagnostiquer  hi  choree  chez  un  homme 
de  vingt  et  un  ans,  tandis  que  suivant  la  remarque  de  Syden- 
ham, la  choree  vraie  survient  rarement  apres  la  pubcrlc.  Mais  ici 
Terreur   <^tait  encore  plus   grave,    car  les  mouvements   de   Za.,. 


42  LEvS  infiES  OBSfiDANTES 

(216),  n'etaient  que  des  contorsions  d6terinin6es  par  le  sentiment 
de  gene  et  de  honte  et  par  des  eflForts  pour  se  dominer  que 
nous  aurons  a  etudier  plus  tard  chez  tons  les  scrupuleux. 

Qu'est-ce  qui  determine  chez  ces  malades  et  chez  Wye...  sur- 
tout  ce  sentiment  de  g^ne  ?  C'est  encore  la  preoccupation  qu'ils 
ne  sont  pas  comme  les  autres,  qu'ils  seront  ridicules  et  ne  seront 
pas  aimes.  Le  d^sir  de  plaire  les  preoecupe  toutc  leur  vie  et  il 
s'ajoute  a  une  sorte  de  sentiment  de  d^sespoir,  d*incapacit6  d'y 
arriver  qui  entre  pour  beaucoup  dans  la  honte  du  corps. 

Dans  un  groupe  tout  voisin  nous  mettrons  ceux  quiont  simple 
ment  honte  de  leur  figure,  des  traits  de  leur  visage.  Tk-.-l'iGi), 
jeune  homme  de  vingt-quatre  ans,  fils  d'unc  mere  qui  s'est  sui- 
cidee,  est  surtout  frappe  par  la  maladie  depuis  qu'il  a  contracte 
la  syphilis.  II  en  est  inquiet,  honteux,  mais  cette  honte  se  localise 
et  determine  uniquement  le  sentiment  que  son  visage  enlaidit, 
que  sa  machoire  est  devenue  trop  grande,  qu*il  est  ridicule,  et 
encore,  comme  toujours,  indigne  d'etre  aime.  Ul...  (45),  femme 
de  33  ans,  se  figure  (c  qu'elle  a  des  convulsions  dans  la  figure  ». 
Men. . .  (i63),  femme  de  3o  ans,  sent  qu'elle  a  des  convulsions  dans  les 
yeux  que  ses  yeux  ne  sont  pas  naturels,  qu'ils  regardentdrolement. 
Ces  malades  ne  veulent  plus  voir  personne,  ni  entrer  dans  aucun 
lieu  public.  Per...  (162),  femme  de  38  ans,  a  les  memes  terreurs 
parce  qu'elle  se  figure  que  «  son  visage  est  poilu  ».  Enfin  Pol..., 
femme  de  2/4  ans  est  horriblement  tourment^e  par  la  pensee  qu'elle 
a  une  petite  cicatrice  sur  Paile  gauche  du  nez  :  cette  obsession 
est  Tune  des  plus  frcquentes  \  En  un  mot,  il  n'y  a  pas  un  trait, 
une  legere  modification  du  visage  qui  ne  puisse  donner  lieu  a  une 
obsession  de  gene  et  de  honte. 

Quand  on  parle  des  scrupulcs  relatifs  au  visage,  il  ne  faut  pas 
oublier  le  groupe  qui  a  et^  considere  comme  le  plus  important, 
celui  des  malades  qui  out  la  honte  de  rougir.  Je  ne  parle  pas  ici 
du  sentiment  angoissant  qui  se  developpc  en  m^me  temps  que  la 
rongeur,  mais  de  Tid^e  obsedante  de  cette  rongeur.  Les  malades 
tourmentes  par  cette  obsession  sont  extr(^mement  frequents  et, 
Tannee  derniere,  MM.  Pitres  et  Regis  ont  consacre  un  article  a 


I.  Cf.  G.  Tliibicrge,  Les  dcrmatophobies.  Presse  medicate^  julllet  1898. 
a.  Pitres  cl  Regis,  L'obsession  de  la  rongeur,   crcutophobie.   Archives  de   neuro- 
logic,  1897,  u®  i3,  cl  ibid.  Mars  1902,  p.  177. 


L'OBSESSION  DE  LV  HONTE  DU  CORPS  43 

cette  maiadic  sous  le  nom  d'ereulophobie.  Ccs  auteurs  en  ont 
d^crit  des  cas  intdressants.  J'en  ai  observ6  pour  ma  part  cinq 
tout  a  fait  caract^ristiques  ;  je  n^insiste  que  sur  les  principaux  : 
Deb...  (i65),  femme  de  quarante-quatre  ans,  Toq...  (97),  un 
docteur  en  medecine  de  vingt-sept  ans,  et  Vol...  (96),  jeune 
(ilie  de  vingt  et  un  ans.  Chez  tous  ces  malades  les  symptonics 
principabx  sont  a  peu  pres  les  m^mes.  lis  croient  avoir  remarque 
que  leur  visage,  leur  nez,  surtout  chez  Vol...,  rougit  facile- 
ment,  apres  les  repas,  dans  une  chambre  chaude,  etc.  lis  ont 
a  ce  propos  une  pens^e  obsedante  que  leur  visage  est  rouge,  en 
feu  et  que  cela  est  profondement  ridicule,  obcene,deshonorant. 
((  Je  ne  faisais  qu'y  penser  et  soufTrais  le  martyre,  je  maudissais 
de  n*^tre  pas  coramc  les  autres  jeunes  filles,  je  soufTrais  de 
me  montrer,  et  j'aspirais  d*etrc  seule  dans  ma  chambre  ;  quand 
j'dtais  seule,  je  pleurais  avec  desespoir,  a  la  pens^e  de  Tisole- 
ment  perpetuel  auquel  j'etais  condamn6e.  »  Chez  cellc-ci  d'ail- 
leurs,  cette  ereutophobie  a  amene  com  me  chez  Nadia  un  refus 
d'aliment  qui  a  n^ccssite  sa  sequestration  dans  une  maison 
sp<^ciale.  Elle  avait  eu  de  Tadmirsttion  pour  une  cousine  qui 
etait  tres  pale  et,  pour  devenir  anemiquc  conime  elle,  elle 
s't'tait  rationnde  a  sa  fac^on.  Cette  craintc  amene  aussi  le  refus  de 
sortir  et  trouble  toute  Texistence  par  un  veritable  dclire. 

Apres  avoir  decrit  des  faits  de  ce  genre  d\ine  manierc  fort  inte- 
ressante,  MM.  Pitres  et  Regis  font  a  leur  propos  une  remarque 
psychologique :  Tereutophobie  est  liec,  disent-ils,  a  la  conges- 
tion du  visage,  c'est-a-dire  a  un  phenomene  vaso-moteur.  Cette 
congestion,  Tereutosc  simple,  a  precede  la  phobic,  c'est-ii-dire 
Temotion.*  Ne  peut-on  pas  voir  dans  ce  cas  une  demonstration 
interessante  des  theories  de  Lange  et  de  James  sur  le  mecanisme 
des  emotions  et  une  demonstration  de  cette  hypothese  qui  ratta- 
che  Temotion  a  un  trouble  vaso-moteur.  Quelle  que  soit  Topinion 
relative  a  la  these  de  Lange  et  de  James,  que  je  ne  discute  pas 
ici,  mais  que  je  suis  loin  d'admettre  completement,  je  ne  puis 
croire  que  le  fait  de  Tereutophobie  puisse  jouer  de  cette  manierc 
un  role  important  dans  la  discussion. 

C'est  un  tort  a  mon  avis  que  de  rattacher  Tobsession  de  la  ron- 
geur au  fait  de  la  rongeur  elle-m^me.  Quoique  cela  semble  bizarre, 
ce  n*est  pas  parce  qu'ils  sont  rouges  que  ces  malades  sont  obsedes 
par  la  pensee  de  la  rougeur  ou  du  moins  cette  rongeur  elle-memc 
ne  joue  qu'un  role  tres  minime  dans  Tobsession.  D'abordon  pcut 


4i  LES  infiES  OBSftD.WTES 

<>trc  creutophubc  cjniiuc  NaJiu  suns  uvoir  jamais  eu  de  rougeur. 
Cette  malade  qui  a  le  teint  tres  mat  a  toujours  et^  pale  et  n'a 
aucune  disposition  a  la  rougeur  Emotive.  Elie  se  fait  cependant  de 
la  rougeur  une  obsession  terrifiante.  En  outre  Tobsession  de  la 
rougeur  ne  survient  pas  uniquement  a  la  suite  de  rougeur  veri- 
table. II  est  trop  facile  de  remarquer  que  tons  les  gens  qui  rou- 
gissent  ne  sont  pas  des  ^reutophobes.  Elle  survient  a  la  suite 
d'une  serie  de  scrupules  corporels  qui  n'dtaientaucunement  li^sa 
des  phenomenes  vaso-moteurs  du  visage. 

Toq...,  jeune  homme  de  vingt-sept  ans,  actuellement  obs^d^ 
par  la  pens^e  qu'il  a  les  joues  rouges,  a  eu  depuis  Tage  de  treize 
ans  jusqu^a  Tage  de  vingt  ans  une  obsession  toute  differente.  II 
etait  obs^de  par  la  honte  de  ses  moustaches  et  je  ne  crois  pas  que 
dans  les  moustaches  il  y  ait  un  phenomene  vaso-moteur.  Cette 
honte  elle-meme  se  rattachait  visiblement  a  une  id^e  g^nitale. 
«  Je  me  figurais,  dit-il,  que  j'avais  une  tare  sexuelle  parce  que 
mes  moustaches  avaient  pouss^  trop  tdt.  »  Plus  tard  il  se  rassura 
sur  ses  moustaches,  parce  qu'a  vingt  ans  elles  devenaient  plus 
naturelles  et  son  inquietude  preexistante  se  porta  sur  un  autre 
ph^nom^ne,  la  rougeur  du  visage  qu'il  avait  remarqu^e  a  un  exa- 
men.  Inversement  Per...  (162), qui  a  commence  par  I'ereutophobie, 
Ta  remplacce  maintenant  par  Tobsession  d'etre  ccpoilue  »  quoique 
les  phenomenes  vaso-moteurs  du  visage  soient  restes  exactement 
les  memes.  II  est  done  bon  a  mon  avis  de  ne  pas  consid^rer  ce 
symptome  isolement,  mais  de  remarquer  qu'il  se  rattache  a  un 
groupe  d'obsessions  relatives  au  corps  et  en  particulier  au  visage 
qui  font  partie,  comme  j'essaye  de  Ic  montrer,  d'une  grande 
maladie  mentale,  le  delire  du  scrupule.  Quant  aux  phenomenes 
cmotifs  que  les  auteurs  precedents  ont  bicn  mis  en  lumiere  dans 
rereutophobie,  ils  existent  comme  point  de  depart  dans  beau- 
coup  de  ces  obsessions.  Nous  aurons  Toccasion  de  les  etudier  a 
propos  des  angoisses. 

Apres  les  hontes  relatives  au  visage,  je  signale  rapidement  les 
obsessions  relatives  aux  mains  et  surtout  celles  qui  sont  relatives 
a  la  proprete  des  mains.  II  est  prcsque  inutile  de  citer  des  exem- 
ples,  car  les  observations  seraient  innombrables.  Chy...  a  peur 
d'avoir  de  la  graisse  et  surtout  des  petites  taches  de  graisse  sur 
ses  mains,  elle  se  lave  200  fois  par  jour.  Qei...,  jeune  fille  de 
vingt  ans,  croit  qu'elle  a  touche  quelque   chose  de  sale,  surtout 


L'OBSESSIOK  DE  LA  IIONTE  DU  COUPS  45 

depuis  qu'elle  a  eu  une  petite  suppuration  d'oreille.  Elle  en  esthun- 
teuse,  elle  craint  de  communiquer  le  virus  aux  autres  et  les  idees. 
de  crime  se  m^ient  a  la  honte  du  corps.  C'est  la  forme  la  plus 
commune  de  la  maladie. 

J'aime  mieux  insister  sur  une  forme  particuliere  d'une  de  ces 
obsessions  relative  a  la  main,  parce  qu*elle  est  moins  connue  et 
pent  donner  naissauce  a  des  erreurs  de  diagnostic.  M.  Seglas  a 
etudi^  un  malade  nomme  L. ..  que  j'avais  vu  avec  lui  il  y  a  quel- 
ques  ann^es  *.  Ce  gargon  d'une  vingtaine  d'annees,  type  de  scru- 
puleux,  avail  eu  la  plupart  des  obsessions  pr^c^demment  decrites 
sur  les  crimes,  des  obsessions  relatives  au  vol,  d'autres  relatives 
a  Talimentation.  II  se  faisait  m^me  scrupule  d'avaler  les  microbes 
de  Tair.  Parmi  les  differents reproches  qu*il  se  faisait,  L...  trou- 
vait  son  ^criture  mauvaise.  II  cherchait  a  la  reformer  par  des 
syst^mes  que  nous  retrouve^ons  plus  tards  chez  tous  les  autres 
malades  ;  mais  ces  preoccupations  et  ces  efforts  n'avaient  pas 
d'autre  r^sultat  que  de  rendre  son  ecriturc  de  plus  en  plus 
informe  et  impossible.  II  tenait  sa  plume  de  fa^on  bizarre,  Tatta- 
chait  avec  des  ficelles  et  ne  pouvait  plus  parvenir  a  ^crire  quel- 
ques  lignes  de  suite.  M.  S^glas  faisait  remarquer  avec  raison 
qu'il  semblait  presenter  une  crampe  des  ecrivains,  alors  qu'il 
n'avait  qu'un  d^lire  de  scrupule  relatif  a  T^criture. 

J'ai  eu  depuis  Toccasion  de  verifier  la  justesse  de  cette  remar- 
que  et  je  crois  que  dans  bien  des  cas  la  prdtendue  crampe  des 
ecrivains  n'est  qu'une  manifestation  de  scrupules  de  ce  genre.  II 
en  est  ainsi,  parexemple,  dans  Tobservation  de  H...,  dans  celle 
de  P6...  et  dans  celle  de  Lev...,  homme  de  trente-six  ans.  P6..., 
non  seulcment,  ne  pent  plus  (^'crire,  mais  elle  ne  pent  plus  lire  ni 
meme  voir  de  Tecriture,  tellement  cela  lui  faithorreur.  Lev...n'a 
la  pr^tendue  crampe  que  si  on  le  regarde  ou  s'il  soup9onne  que 
quelqu'un  pent  le  voir.  Le  dernier  cas  que  j'ai  vu  est  curieux  :  ii 
s*agit  d'un  homme,  X...,  pr^occup^  de  scrupules  divers  et  depuis 
quelquc  temps  de  scrupules  relatifs  a  T^criture.  II  ne  pent 
essayer  d'ecrire  sans  que  sa  main  fasse  un  mouvement  bizarre : 
rindex,  au  lieu  d'appuyer  sur  la  plume,  se  relcve  tout  droit  en 
Tain,  attitude  singuliere,  car  d^ordinaire  les  doigts  se  resserrent 


I .  Seglas»  Un  cas  dc  folic  du  doutc,  simulant  la  crampe  des  ecrivains.  Bull,  de  la 
Sor.  incil.  ties  hupitaux^  a\ril  iScjo,  et  Troubles  <lu  laiujmje  rhec  les  alienes,  i8yt?, 
p.  aoi. 


40  LKS  iDtES  OBSF'daNTES 

dans  ia  crampe.  On  peut  faire  surlui  quelques  petites  experiences 
interessantes.  Quand  il  tient  la  plume  saas  ^crire,  Tindex  ne  se 
releve  pas  ;  bien  mieux,  si  on  lui  dit  de  simuler  T^criture,  c'est- 
a-dire  de  faire  faire  a  la  plume  tous  les  mouvementsde  T^criture, 
mais  en  la  laissant  a  quelques  millimetres  au-dessus  da  papier 
sans  marquer  reellement,  les  doigts  n'eprouvent  aucune  gene  et 
le  malade  peut  ecrire  ainsi  ind^finiment.  Si  on  rempeche  de 
regarder,  on  peut  approcher  le  papier  de  la  plume  jusqu*a  faire 
marquer  T^criture  legerement  et  le  niaiade  continue  a  n'avoir 
aucune  crampe  :  mais  s'il  s'apercoit  qu*il  ecrit  reellement,  im- 
mediatement  Tindex  se  releve  et  la  plume  tombe.  «  J'ai,  dit-il, 
comme  une  apprehension  dVcrire  depuis  que  je  me  suis  rendu 
compte  que  j'^crivais  mal.  »  Le  scrupulc  simule  la  crampe  des 
(^crivains  comme  tout  a  Theure  la  choree.  Un  ^tudiant  prepare  en 
ce  moment  une  these  sur  ce  sujet  que  je  lui  iii  indique  :  «  Les 
rapports  entre  la  crampe  des  ecrivains  et  le  delire  du  scrupule. » 

II  est  probable  que  Ton  pourrait  facilement  recueillir  bien  des 
fails  de  meme  genre  relatifs  a  la  marche.  M.  S^glas  a  parl^  juste- 
ment  des  buso-phobies.  On  pourrait  montrer  que  quelques-unes 
d*enirc  elles  ne  sont  que  des  scrupules  relatifs  a  la  marche.  L*obser- 
vation  d'un  homme  de  56  ans,  Fou...  (78)  est  sur  ce  point  tout 
a  fait  concluante  :  les  angoisses  qu'il  ressentait  pendant  la  marche 
le  long  d'un  fosse  ont  peu  a  peu  donn^  naissance  a  des  obsessions 
completes  sur  Timpossibilite  dc  la  marche.  Dans  une  these  re- 
cente  M.  Paul  Delarue*  insiste  sur  Fidee  obs6dante  de  Timpo- 
tenco  des  membres  inferieurs  qui  se  surajoute  aux  phobies  de  la 
marche.  II  y  a  un  diagnostic  a  faire  entre  ces  scrupules  de  la 
marche  et  I'abasie  hysterique  analogue  a  celui  que  nous  venons 
de  faire  a  propos  de  Tanorexie. 

Relativement  aux  diverscs  fonctions  visc^rales,  je  ne  fais  que 
rappeler  Tobservation  de  Rai...,  que  j'ai  d(^ja  publi6e  dans  le  se- 
cond volume  des  nevroses,  de  cet  individu  qui  se  fait  des  scru- 
pules sur  sa  digestion  et  sa  respiration.  Convaincu  qu*il  ne  respi- 
rait  pas  bien,  il  cherchait  des  systemespour  respirer  mieux,  pour 
eviter  les  suffocations  possibles.  Puis  ce  furent  des  systemes  pour 
manger  :  il  lui  fallait  une   bouteille  d'eau  pr^s  de  lui   pour  hu- 

I.   I*aul  Dclaruc,  de  la  Staso-ifosophobie ,  Tliusc  de  Paris,  1 901. 


L'OBSESSION  l)E  L/V  llONTE  DU  COtlPS  4* 

mecter  la  bouche  avant  chaque  bouch^e.  Menie  en  dehors  des 
rcpas,  il  iui  fallait  une  goutte  d'eaii  dans  la  bouche  pour  bien  res- 
pirer  *. 

Les  id^es  obs6dantes  relatives  a  Talinientation  et  meme  aux 
di verses  fonctions  de  la  deglutation,  de  la  digestion,  etc.,  sont 
des  plus  frequentes.  On  en  a  deja  eu  un  exemple  dans  Tobser- 
vation  de  Nadia.  Mais  ces  idees  restent  prcsquc  toujours  etroi- 
tement  associees  avee  des  phenom6nes  d'angoisse  et  il  me  semble 
preferable  de  remettre  leur  description  plus  complete  au  moment 
oil  j'^tudierai  les  phobies  des  fonctions  dans  le  chapitre  suivant. 

L*une  des  fonctions  digestives  a  le  privilege  de  provoquer  plus 
que  les  autres  des  obsessions  de  honte.  C'est  I'evacuation 
des  gazintestinaux.  On  ne  se  figure  pas  T^tat  de  folic  ou  peuvent 
tomber  certains  individus  par  la  crainte  des  pets.  J 'en  ai  public 
derniferement  une  belle  observation*.  UnhoramedeSi  ans,  Ch..., 
vit  toujours  seul,  habite  au  sixieme  pour  n'avoir  pas  de  voisins 
au-dessus  de  Iui,  met  son  lit  dans  la  cuisine,  car  il  n'est  pas  pro- 
bable que  d*autres  personnes  couchent  au-dessous  dans  la  cui- 
sine, et  cependant  en  arrive  a  vouloir  se  tuer  parce  que  sa  mere 
va  venir  le  surprendre  dans  sa  retraite.  Le  pauvre  diable  ne  pent 
avoir  personne  pres  de  Iui  ou  aux  environs  parce  qu'il  craint  qu*on 
entcnde  le  bruit  de  ses  gaz  abdominaux  et  voici  dix  ans  qu'il  est 
en  proie  a  une  pareille  obsession.  Je  viens  de  voir  une  jeune  fille 
de  20  ans  qui  commence  le  meme  d^lire.  a  Elle  n'est  pas  faite  a 
ce  point  de  vue-Ia  comme  les  autres,  il  y  a  dans  ses  parties  des  d^- 
fectuosites,  les  gaz  s'echappent  d^s  qu'elle  y  pense,  et  elle  est 
forcee  d'y  penser  si  elle  est  en  public.  Or  eel  accident  est  mons- 
trueux,  mieux  vaudrait  mourir  »  ;  et  elle  refuse  de  sortir,  de  diner 
en  ville,  de  se  marier. 

J'ai  observe  bien  des  cas  comparables  relatifs  cette  fois  aux 
fonctions  de  la  vessie.  Une  femme  de  55  ans,  ancienne  scrupu- 
leuse,  ayant  m^me  eu  a  Tage  de  18  ans  une  crisc  d'obsession  cri- 
minelle  pour  laquellc  Clfarcot  Tavait  fait  isoler,  Vor...  (137)  a  ete 
troublee  il  y  a  deux  ans  par  un  eczema  du  perinee  et  des  parties 
genitales.  Les  demangeaisons  d'une  part,  les  soins  minutieux  de 
proprete  nccessites  par  le  traitement  d*autre  part,  ont  attire  son 
attention  sur  ces  parties  el  apres  la  guerison  de  Tecz^ma  elle  a  ^te 


I.   Raymond  el  P.  Jaiicl^  Sevroses  et  Idees  fixes,  II,  887. 
a.  Id.,  ibi<i.,  II,  147. 


48  KES  IOCES  OBStoANTES 

cnvahie  par  une  obsession  curicuse,  relative  a  l*acte  d'uriner.  Elle 
avail  le  sentiment  qu'elie  urinait  mal  et  surtout  incompletement. 
EUe  s'etudiait  a  pousser  mieux,  a  produire  le  coup  de  piston  et 
cependant  eile  conservait  la  pensec  qu'elle  n'avait  pas  termine  et 
qu'elle  allait  perdre  les  urines,  ce  qui  fait  qu*elle  retournait  im- 
mediatement  au  cabinet,  recommengait  ses  efforts  et  sortait,  puis 
6tait  forc^e  de  rentrer  de  nouveau,  cela  jusqu'a  cinquante  fois  de 
suite.  li  est  singulier  de  voir  le  scrupuie  determiner  des  troubles 
de  la  miction. 

Dans  toutes  les  hypocondries  urinaires,  il  ne  serait  pas  difficile 
d'en  trouver  de  semblables:  je  me  rappelle  Tobservation  d'un 
pauvre  maitre  d^etudes  qui  avail  rcnoncc  a  son  metier,  ne  pou- 
vait  plus  assistcr  a  aucun  cours,  entrer  dans  aucunc  rc^union,  car 
il  avail  constamment  la  pensee  de  n'avoir  pas  pris  suflfisammenl 
ses  precautions,  et  il  etait  honteux  de  mouiller  son  pantalon  en 
public.  On  me  permettra  de  rappeler  a  ce  propos  une  observation 
curieuse  communiquee  par  M.  le  P*"  Giiyon  a  mon  frere  le 
D*"  Jules  Janet  et  r^sumee  dans  sa  these  de  doctoral*.  Un  magis- 
tral vient  d'etre  nomme  consciller  a  la  Cour  de  cassation  et  va 
consulter  M.  Guyon  pour  lui  demander  s*il  doit  envoyer  sa  de- 
mission et  renoncer  a  cette  haute  fonction  :  cc  J'ai  visile,  disait-il,  les 
locaux  oil  siege  la  Cour  de  cassation  el  j'ai  rcmarque  que  les  ca- 
binets d'aisancc  ne  sont  pas  assez  isolds.  II  est  certain  que  de  la 
salle  des  seances  on  pent  m'entendre  quandj'urinerai,  ilm'est  im- 
possible de  resler  sans  uriner  et  il  serait  monstrueux  de  m'expo- 
ser  a  ce  danger  d'etre  entendu.  »  Je  n'ai  pas  Tobservation  com- 
plete du  sujel,  mais  il  est  bien  probable  que  Ton  y  relrouverait 
lous  les  autres  symptcNmes  de  nos  scrupuleux. 

11  est  Evident  que  la  fonction  qui  sera  le  plus  facileraent  atteinte 
par  le  scrupuie  c'est  la  fonction  gi^nitale  :  j*en  ai  deja  parle  a  pro- 
pos des  id^es  criminellcs.  Dans  certains  cas  Tobsession  ne 
portera  pas  precisement  sur  la  tcntalion  de  la  masturbation  ou 
rid^e  des  crimes  genitaux,  mais  sur  la  honle  des  parties  gdni- 
tales.  L'observation  de  Vg...  que  j*ai  dcja  publi^e  est  tout  a  fait 
caract^ristique  *.  A  la  suite  de  meditations  sur  Tadultere  il  est 
obsede  par  la  pensee  de  ses  propres  organes  ;  il  y  resscnt  des  dou- 


I,  Jules  Janet,  Troubles  psychopalhiques  de  la  miction,  1890,  i4. 
a.   ^'evroses  el  Idees  Jixes,  II,  1G2. 


L'OBSESSION  DE  LA  HONTE  DU  CORPS  49 

leurs  ^tranges,  il  en  arrive  a  penser  constamment  que  ses  organes 
genitnux  sont  appendus  a  son  corps  comme  un  corps  Stranger  et 
ne  lui  appartiennent  pas.  Voici  une  autre  observation  toute 
comparable.  Wyb...  (i64),  un  jeune  homme  de  22  ans,  a  com- 
mence par  toutes  sortes  de  scrupules  religieux,  puis  il  a  6prouv6 
des  remords  terribles  a  propos  de  quelques  masturbations.  La 
peur  de  toucher  ses  parties  lui  fait  tenir  les  mains  derriere  le  dos, 
dans  des  positions  grotesques.  li  est  obs6de  par  Todeur  de  ses 
parties  et  croit  que  tout  le  monde  la  sent,  il  se  figure  que  ses  or- 
ganes par  leur  grosseur  ou  leur  forme  ont  quelque  chose  d'extra- 
ordinaire  qui  n'existe  pas  chez  les  autres. 

A  cette  honte  des  organes  g^nitaux,  il faut  naturellement  rattacher 
le  m^contentement  relatif  a  leur  fonction  ;  le  scrupule  est  Forigine 
de  bien  des  pretendues  impuissances.  Qui  ne  connait  ces  jeunes 
maries  tout  honteux  de  leur  sort,  qui  ne  peuvent  arriver  a  accom- 
plir  Facte  conjugal  et  qui  sont  poursuivis  a  ce  sujet  par  une 
obsession  de  honte  et  de  desespoir  ?  Nous  assistions  Tannic  der- 
niere  a  une  scene  tragi-comique  bien  curieuse  quand  un  beau- 
p^re  courrouc^  trainait  a  la  Salpetriere  son  gendre  humble  et 
r^signe.  Le  beau-pere  demandait  une  attestation  medicale  qui  lui 
permit  de  demander  le  divorce.  Le  pauvre  gar^on  expliquait 
qu'autrefois  il  avait  ^te  suffisant,  mais  que  depuis  son  mariage  un 
sentiment  de  honte  et  de  g^ne  avait  tout  rendu  impossible.  Nous 
eilimes  bien  de  la  peine  a  faire  comprendre  au  beau-pere  combien 
son  intervention  6tait  inutile  et  facheuse.  Ces  cas  sont  tres  nom- 
breux  :  on  les  rattache  souvent  a  diverses  n^vroses,  quand  il  n'ar- 
rivepas,  pour  le  plus  grand  malheur  des  patients,  qu'on  leur  parle 
de  maladies  de  la  moelle  ^pini^re. 

Cette  honte  des  parties  g^nitales  prend  assez  souvent  une  autre 
forme  qu'il  faut  signaler.  Deb...,  femme  de  l\l\  ans,  est  depuis  sa 
jeunesse  honteuse  de  son  sexe,  elle  regrette  d'etre  une  femme  et 
se  figure  qu'elle  serait  heureuse  d'etre  un  homme.  En  rapport 
avec  cette  idee,  elle  remarque  qu'elle  n*a  jamais  eu  de  plaisir  com- 
plet  avec  son  mari  et  qu^elle  serait  disposee  a  aimer  des  femmes. 
Nous  avons  d^ja  vu  le  m6me  fait  chez  un  homme  a  propos  des  ob- 
sessions impulsives  au  crime  genital.  IcI  aussi  on  serait  trop  faci- 
lement  port^  a  parler  d'inversion  sexuclle,  je  r^pete  que  je  ne 
crois  dans  ces  cas  a  rien  de  semblable.  Le  plaisir  incomplet  de 
Deb.. .  est,  commd  on  le  verra,  un  caractere  general  des  scrupuleux  : 
elle  serait  tout  aussi  incapable  d'aller  jusqu'au  bout  si  elle  avait 

LF.S    OBSKSSIONS.  I.    l\ 


oO  LES  ID£ES  ODSeOANTES 

des  ra|)ports  avec  une  femme.  Sa  pr^tendue  iaverslon  sexuelie  n'est 
qu'un  des  aspects  divers  que  peut  prendre  la  honte  du  sexe. 

On  remarquera  que  cette  forme  du  scrupule,  les  obsessions  de 
honte  relativement  au  corps,  est  Tune  des  plus  int^ressantes  au 
point  de  vueclinique.  Elle  donne  lieuatoutes  sortes  d*accidents  : 
des  anorexics,  des  chorees,  des  crampes  des  ecrivains,  des  asta- 
sies-abasics,  des  incontinences  d'urine,  desimpuissances,  etc.  Ces 
symptomes,  comme  nous  le  verrons,  sont  loin  d'etre  complets  et 
ne  peuvent  pas  tromperun  observateur  pr^venu,  mais  il  estessen- 
tiel  d'etre  averti.  A  ce  point  de  vue  la  maladie  du  scrupule  peut 
s'etendre  a  tons  les  organes  et  a  toutes  les  fonctions,  determiner 
des  troubles  varies  qu'il  est  important  de  diagnostiquer.  Elle 
devient  une  grande  n^vrose  analogue  par  bien  des  c^^tes  a  Thys- 
terie,  mais  qui  ne  doit  pas  cependant  jamais  etre  confondue 
avec  elle.  La  distinction  est  aussi  importante  pour  le  pronostic 
que  pour  le  traitement. 


e.  —  Les  obsessions  bypocondriaques. 

II  faut  signaler,  mais  avec  moins  d'insistance,  un  troisieme 
groupe  d'obsessions  qui  se  rencontrent  aussi  fr^quemmcnt  que  les 
prec^dentes  chez  les  m^mes  sujets.  Ce  sont  des  preoccupations 
qui  ont  rapport  a  leur  propre  sante  ou  a  leur  propre  vie,  en  un 
mot,  ce  sont  des  preoccupations  bypocondriaques.  On  a  remarqu^ 
bien  souvent  que  les  scrupuleux  sont  en  meme  temps  bypocondria- 
ques; je  crois  que  d'ordinaire  il  faut  accompagner  cette  remarque 
dequelques restrictions.  Quand  il  s^lgit  demalades  jeunes,  au  de- 
but de  leur  affection,  on  trouve  chez  eux  pele-ra^ledes  idees  scru- 
puleuses  et  des  preoccupations  bypocondriaques;  mais  quand  la 
maladie  s'est  confirmee,  quand  ils  sont  entierement  absorbes  par 
quelque  grande  obsession  criminelle  ou  sacrilege,  ilsoublient  de  se 
preoccuper  de  leur  sant^.  Lise  pense  tout  le  temps  au  diable,  iises 
enfants  voues  a  Tenfer  et  songe  a  peine  aux  troubles  de  son  exis- 
tence :  il  faut  que  le  delire  diminue  pour  qu'elle  s'apercoive  de 
ses  soufTrances  physiques.  II  en  est  de  meme  pour  Claire,  qui  ne 
peut  arriver  a  se  preoccuper  de  sa  sante.  J'ai  plus  d'inqui^tudes 
sur  Tetat  de  sa  poitrine  (tuberculose  au  debut)  qu'elle  n'en  a  elle- 
meme.  En  general  le  grand  delire  du  scrupule  exclut  le  delire 
hypocondriaque. 


LES  OBSESSIONS  HYPOCONDRIAQUES  51 

li  faut  faire  une  exception  pour  Jean,  qui  est  aussi  extravagant 
commehypocondriaque  que  comme  scrupuleux.  Ce  jeune  homme, 
3o  ans,  fort  bien  portant  au  demeurant,  est  sans  cesse  pr^occup6 
par  la  pens6e  de  ia  mort.  li  ne  pent  nssister  a  des  ceremonies 
funebres  sans  devenir  malade  de  terreur;  il  ne  pent  voir  les  em- 
ployes des  pompes  funebres  sans  fremir  ;  ii  ne  peut  passer  devant 
la  mairie  de  sa  petite  ^ille  entre  neuf  heures  du  matin  et  cinq 
heures  du  soir  parce  qu^a  ce  moment  le  bureau  de  declaration 
des  dec^s  est  ouvert  et  qu*il  le  croirait  ouvert  pour  Tenregistre- 
ment  de  son  propre  d^ces.  En  outre^  il  a  des  preoccupations  par- 
ticulieres  pour  tel  ou  tel  de  ses  organes.  Par  exemple,  il  est  tr^s 
preoccupe  de  son  coeur,  il  en  compte  les  baltements  pendant  des 
heures  entieres  et  il  est  bouleverse  quand  il  se  figure  que  ce  bat- 
tement  est  irr^gulier  :  «  Mon  coeur  fait  cloc...  doc...  poum, 
cloc...  cloc...  poum,  ce  n*est  pas  naturel,  il  est  bistoiunie.  »  Et 
alors  il  fait  des  efforts  qui  ont,  dit-il,  pour  r^sultat  de  replacer  le 
coeur.  A  d'autres  moments,  il  pousse  des  cris  d^angoisse,  appelle 
au  secours,  dit  qu'il  va  mourir,  parce  que  son  cceur  n'a  plus  a  que 
des  battements  internes  ».  Ce  m^me  malade  se  figure  toujours 
que  son  cerveau  va  etre  detruit  par  sa  maladie,  il  s*attend  a  une 
hemorragie  cerebrate  et  me  decrit  sans  cesse  a  un  petit  point 
dans  le  cerveau,  vous  savez,  la  fin  du  nerf  qui  remonte,  c'est  la 
qu*est  le  mal,  il  y  a  un  cercle  enflamme  tout  autour  oil  certaine- 
ment  quelque  chose  peut  edater  )>.  II  montre  a  ce  moment  le 
point  de  la  fontanelle  posterieure  ou  les  obsedes  localisent  sou- 
vent  Icurs  maux  de  tete.  Jean  a  encore  peur  d'avoir  une  hernie  et 
on  lui  fait  grand  plaisir  en  Texaminant  de  temps  en  temps  ;  il 
surveille  son  alimentation  et  ne  boit  que  du  lait  coupe  d'eau  de 
goudron,  etc. 

Mais  ce  qu*il  presente  au  plus  haut  degre,  c*est  une  terrible 
hypocondrie  genitale.  Pendant  plus  de  six  ans,  il  a  souffert  d*une 
preteudue  maladie  du  gland  qu'il  a  soignee  de  toutes  mani^res.  II 
avait  ete  affole  en  constatant  que  le  prepuce  ne  recouvrait  plus  le 
gland  et  il  eprouvait  des  douleurs  intolerables  par  le  frottement 
des  vetements.  II  passait  toute  sa  journee  a  recouvrir  le  gland 
avec  le  prepuce,  a  le  badigeonnerd'onguents,  a  prendre  des  pre- 
cautions pour  eviter  les  contacts,  et  il  n*arrivait  pas  a  attenuer 
les  souffrances.  II  resume  lui-meme  assez  bien  son  etat  mental  en  * 
disant  :  a  mon  corps  me  gene  et  m'obs^de  continuellement.  » 

Les  menies  caracteres  se  retrouvent  a  un  degre  moins  grave 


52  LES  IDEES  OBSfiDANTES 

chez  Za...  (216),  que  la  moindre  indisposition  met  hors  de  lui, 
tellement  il  est  obs^d^  par  la  pensee  de  la  mort.  Bal...  (.i55), 
femme  de  32  ans,  semble  obs^deepar  une  pensee  singuliere,  celle 
de  son  age,  celle  de  Tage  de  son  mari  et  en  general  sur  la  pensee  de 
Tage  des  personnes  qui  Tint^ressent,  c^est  parce  qu'elle  compte 
les  annees  qui  les  s^parent  encore  de  la  mort,  la  pensee  de  la 
mort  est  en  rdalit^  au  fond  de  I'obsession. 

A  cote  de  la  pensee  de  la  mort,  la  pensee  de  toutes  les  mala- 
dies possibles  peut  devenir  une  idee  obs^dante.  On  peut  citer  a 
ce  propos  une  jeune  fille,  Qei...,  qui  surveille  ses  aliments  de 
peur  d'avaler  des  fragments  d*aiguille,  qui  lave  ses  mains  conti- 
nuellement  de  peur  de  s'infecter  par  des  contacts  malpropres,  qui 
se  mouche  sans  cesse  sans  parvenir  a  se  d^livrer  «  des  mou- 
cherons  qui  montent  par  le  nez  jusqu'a  son  cerveau  ». 

Nous  retrouvons  ici,  bien  entendu,  les  obsessions  relatives  aux 
organes  g^nitaux,  il  ne  s'agit  plus  des  mauvaises  actions  qu'ils 
font  ex^cuter,  ni  de  la  honte  qu'ils  inspirent,  mais  de  leurs  ma- 
ladies. On  ne  peut  enumerer  les  malades  qui  ont  «  des  sensations 
de  bri^lure,  d'^puisement  dans  le  canal...  des  sensations  de  fa- 
tigue comme  si  on  leur  avait  enfonc^  un  gros  objet  dans  le  rec> 
tum...  la  pensee  constante  qu*il  y  a  dans  ces  parties  une  lesion 
irremediable,  une  syphilis  incurable  ».  (Dea...,  etc.). 

II  suffit  de  rappeler  les  obsessions  de  la  phtisie  (Dua...,  i47), 
les  obsessions  de  la  c^cit^(Mv...,  i5i).  Wye...  (160)  a  des  inquie- 
tudes pour  sa  langue  dont  le  bout  frotte  ses  dents.  Gye...  a  une 
epingle  arretee  derrifere  le  sternum,  Lobd...  (Obs.  22)  a  «  quel- 
que  chose  dans  le  nez  qui  cherche  a  sortir,  elle  a  le  besoin 
d'une  grande  hemorragie  nasale  ».  II  ne  faut  pas  croire  qu'il 
s'agit  ici  d*un  trouble  de  la  sensibilite  du  nez,  c*est  bien 
plut6t  une  idee  consecutive  a  un  singulier  souvenir  de  famille  : 
la  malade  est  convaincue  que  sa  tante  atteinte  d*un  d^lire 
m^lancolique  grave  a  ei6  guerie  a  la  suite  d'un  saignement  de  nez, 
d'ou  le  d6sir  obsedant  d'un  accident  semblable.  Kl...  (211)  res- 
sent  une  brulure  dans  la  cuisse  a  qui  est  due  probablement  au 
passage  d'une  epingle  que  la  malade  aurait  aval^e  ».  Des  obser- 
vations de  ce  genre  sont  d'une  grande  banalite  et  pourraient 
etre  facilement  multipli^es. 

Au  premier  abord,  ces  obsessions  sont  bien  distinctes  des  pr^- 


LES   OBSESSIONS  HYPOCONDRIAQUES  53 

cedentes  et  semblent  former  un  groupe  a  part,  celui  des  obses- 
sions hypocondriaques.  Je  crois  cependant  que  cette  hypocondrie 
n'est  pas  banale  et  qu^elle  rev6t  chez  les  scrupuleux  des  carac- 
teres  int^ressants  qui  rapprochent  ces  id^es  nouvelles  des  pr^ce- 
dentes.  Ces  maiades  ne  redoutent  pas  tous  les  accidents  pos- 
sibles, mais  seulement  certains  accidents  d^termin^s.  lis  ne 
redoutent  pas  les  accidents  qui  peuvent  arriver  subitement,  qui 
dependent  du  nionde  exterieur  et  qui  ne  dependent  pas  d*eux- 
m^mes.  Jean  qui  parle  sans  cesse  de  mort  subite,  ne  redoute  pas 
]a  mort  causee  par  un  accident  impossible  a  pr^voir  ou  a  eviter : 
il  n'a  pas  peur  d'un  d^raillement  de  chemin  de  fer  ou  de  la  chute 
d'une  maison  sur  sa  tete.  Quand  je  lui  parle  de  ces  dangers  pos- 
sibles, il  dit  qn'il  faut  se  r^signer  a  ce  qui  est  inevitable,  qu*il  ne 
pent  rien  faire  pour  se  garantir  contre  la  chute  d'une  cheminee  et 
que  par  consequent  il  ne  s'en  pr^occupe  pas.  Que  redoute-t-il 
done?  Uniquementles  accidents  qui  seraient  causes  par  sa  propre 
imprudence  ou  par  sa  propre  faute.  Ces  congestions  c6r^brales, 
ces  faux  pas  du  coeur,  ces  douleurs  du  gland  sont  toujours  causes 
dans  son  imagination  par  les  excitations  g^nitales  auxquelles  il 
s'est  abandonn^.  Ce  qui  se  dissimule  au-dessous  de  ces  id^e  hypo- 
condriaques, c'est  une  sorte  de  crainte  du  suicide. 

II  en  est  de  meme  chez  Qei...  dont  la  premiere  id6e  a  €i6  la 
crainte  de  jeter  elle-meme  des  aiguilles  cass6es  dans  les  aliments 
pour  tuer  ses  parents  et  qui  a  maintenant  la  crainte  de  manger 
des  aliments  oil  elle  aurait  mis  des  aiguilles  cass^es.  Si  elle  craint 
de  s'infecter,  c'est  qu*elle  a  peur  de  ne  pas  avoir  surveille  ses 
mains  qui  auraient  touche  des  objets  sales.  Kn  un  mot,  dans 
quelques-uns  de  ces  cas,  je  n*ose  dire  dans  tous,  Thypocondrie 
n'est  pas  purcment  la  crainte  de  la  maladie  en  elle-m^me,  c'est  la 
crainte  de  causer  la  maladie  par  une  faute  ou  une  imprudence. 

Nous  pouvons  resumer  les  diverses  obsessions  qui  viennent 
d'etre  enumer^cs  et  dont  nous  avons  analyst  le  contenu  par  le 
tableau  suivant. 


54  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 


CONTENU   DES  OBSESSIONS 

I.  —  Obsession  du  sacril&ge. 

'  I.  Obsession  des  problimcs  religieux  et  moraux. 

Homicide. 


[  a.  Obsession  du  crime  &  forme 
d'impulsion. 


Suicide. 
j  Vol,  etc. 
.Grimes  g^nitaux. 


II.  —  Obsession  du  crime.  (  /  Fugues. 

Dipsomania,  etc. 

i  Resistance  k  des  devoirs. 
[  De  fautes  religieuses. 
3.  Obsession  du  crime  k  forme  i  D*homicide,  de  vol,  etc. 
de  remords.  J  De  crimes  genitaux. 

\  De  vocation  manqude. 

'  Honte  des  actcs. 

—  des  sentiments. 

—  de  I'intelligence  (forme  de  la  folie  du  doute). 

III.  —  Obsession  de  la  honte  J  Obsession  de  d6{)ersonnalisation. 
de  soi.  )        —        du  dejk  vu. 

de  la  folie. 
de  Tenvie. 
amoureuse. 

Honte  d'engraisser,  de  grandir,  do  so  developpcr. 
et  gdne  des  mouvemonts  du  corps, 
des  traits  du  visage,  de  la  moustache, 
de  rougir. 

IV.  —  Obsession  de  la  honte  j     —     des  mains  (certaines  crampcs  des  ecrivains). 
du  corps.  ^     —     de  la  marche. 

des  fonclions  de  nutrition, 
de  la  miction, 
des  gaz  intestinaux. 
des  fonctions  g^nitales. 

,.        ^.        .         ,  C  Obsession  de  la  mort,  des  pompes  funcbres. 

V.  —  Obsessions  hypocon-X  ,  ,   ,.        ,  ..  , 

,  .  ""^  <        —        des  maladies  genitales. 

^      '  (        —        des  maladies  de  poitrino,  etc. 


7.  —  Caractdres  commuDS  de  ces  obsessions. 

En  examinant  le  contenu  des  obsessions  des  scrupuleux,  c'esl- 
a-dire  seuleraent  le  sujct  siir  lequel   portent  ccs  pens<5es  obsd*- 


CARACTfiRES  COMMUNS  DE  CES  OBSESSIONS  55 

dantes,  j'ai  cru  pouvoir  les  r^partir  en  cinq  groupes  :  les  ob- 
sessions sacrileges,  les  obsessions  criminelles,  les  obsessions  de 
la  honte  de  so!,  les  obsessions  de  la  hodte  du  corps  et  les  obses- 
sions hypocondriaques.  Mais  il  ne  faudrait  pas  en  conclure 
que  ces  idees  sont  tout  a  fait  difF^rentes  les  unes  des  autres  et 
que  leur  reunion  chez  des  malades  du  meme  genre  pent  etre 
attribuee  au  hasnrd.  II  en  est  ainsi  quelquefois  chez  les  hyste- 
riques  dont  les  id^es  flxes  tres  diverses  ont  peu  de  points  com- 
muns,  surtout  si  Ton  ne  considere  que  leur  contenu.  L^une  reve  a 
un  incendie,  Tautre  a  la  figure  de  son  amant,  la  troisieme  est  ob- 
sedee  par  le  souvenir  du  goilit  des  navets  qu'elle  a  manges  a  la 
pension,  et  la  quatri^me  par  la  peur  d^engraisser  comme  sa  mere: 
les  sujets  des  meditations  pathologiques  n'ont  pas  de  caracteres 
communs.  Chez  les  scrupuleux  au  contraire,  malgre  une  assez 
grande  diversite  apparente,  les  sujets  des  obsessions  sont  ana- 
logues. 

On  pent  assez  facilement  les  rattacher  les  unes  aux  autres.  Le 
sacrilege  n*est  qu'une  exag^ration  du  crime,  la  honte  de  soi  est  na- 
turellement  voisine  de  la  pens6e  du  crime.  II  ne  faut  pas  croire  que 
les  obsessions  corporelles,  la  honte  du  corps  par  exemple,  soient 
isolees.  Dans  les  descriptions  d'ereutophobie  on  note  souvent  la 
honte  morale  qui  accompagne  I'idde  de  rougir  «  la  malade  rougit 
ou  a  Tobsession  de  rougir,  remarque-t-on  dans  une  observation, 
quand  on  parle  devant  elle  d'actes  ind^licats,  ou  si  elle  est 
devant  des  hommes  dont  il  lui  semble  qu'elle  pourrait  6tre  la 
maitresse*  ».  Parmi  mes  malades,  Ul...  qui  a  peur  des  convul- 
sions du  visage  a  surtout  «  peur  de  paraitre  folle  ».  L'hypo- 
condrie,  comme  on  vient  de  le  voir,  se  rattache  a  la  crainte  de 
faire  des  sottises,  elle  se  rattache  aussi  a  la  honte.  Gbl..., 
femme  de  36  ans,  qui  a  Tobsession  «  du  rhumatisme  dans 
les  mains  »,  ne  craint  pas  seulement  la  souffrance,  elle  est 
«  humiliee  a  la  pens6e  de  laisser  voir  des  mains  et  des  pieds  qui 
grossissent  ».  Toutes  ces  obsessions  sont  done  voisines  les  unes 
des  autres  et  il  est  facile  de  mettre  en  Evidence  des  caracteres 
communs. 

i^  II  est  facile  de  remarquer  que  ces  idees  ne  portent  pas  sur 


I.   Boucher,  Erythrophobie.    Congres  de  medecine   menlale.   Rouen,    Bo6t   1890; 
Semaine  midkale,  1890,  p.  292. 


56  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

des  objets  du  monde  exterieur,  muls  portent  toujours  sur  des 
actes  du  sujet.  Une  hysterique  comme  Ze...  a  vu  mourirson  p^re, 
elle  a  depuis  deux  ans  une  obsession  terrible  qui  se  pr^sente 
sous  forme  d'une  hallucination  complete  :  c'est  celle  de  la  tete  de 
son  pere  telle  qu*elle  ^tait  sur  son  lit  de  mort.  Son  delire  consiste 
dans  la  contemplation  d'un  objet,  la  tete  de  son  pere,  sans  au- 
cune  autre  preoccupation.  Dans  ses  attaques,  elle  hurle  :  «  La 
lete  a  papa,  la  voici  encore,  elle  me  regarde,  oh !  comrae  elle  est 
jaune...  »  elle  ne  fait  que  des  descriptions.  En  est-il  de  meme 
chez  nos  scrupuleux  ?  Beaucoup  d'auteurs  n'h^sitent  pas  a  Tac- 
cepter,  ils  considerent  ces  malades  sous  un  aspect  particulier,  ils 
accordent  toute  leur  attention  a  certaines  manifestations  ext^* 
rieures  du  delire  plutdt  qu*a  Tetatpsychologique  interieur  du  ma- 
lade.  Ce  qui  les  frappe  surtout,  c'est  que  ces  malades  refusent  de 
toucher  certains  objets  et  manifestent  des  signes  d'emotion,  des 
terreurs  quand  on  veut  les  forcer  a  faire  usage  de  ces  objets.  Ce 
point  de  vue  est  mis  en  Evidence  par  le  mot  m^me  dont  ces  au- 
teurs  se  servent  pour  designer  ces  malades  ;  plusieurs  de  ceux 
que  je  viens  de  decrire  seraient  appel^s  par  eux  des  phobiques, 
Ce  mot  de  phobie  mettrait  en  relief  chez  le  malade  :  i°  Temotion 
qu'il  6prouve  et  2*  le  rapport  de  cette  Amotion  avec  un  objet  du 
monde  exterieur.  II  est  clair  que  cette  remarque  est  en  grande 
partie  juste  et  dans  les  descriptions  pr^cedentcs  on  a  dejn  releve 
bien  des  cas  de  phobies,  d*abord  des  phobies  vulgaires  :  Mb..., 
Vod...,  Wks...,  Brk...,  Vis...,  Ger...,  etc.,  ont  la  phobie  des 
couteaux  et  surtout  des  couteaux  pointus;  c'est  d'ailleurs  une  ma- 
nifestation banale  qu*on  retrouve  chez  toutes  ces  meres  de  famille 
obsedees  par  la  pensee  de  tuer  leurs  enfamts ;  Qei...,  Kl..., 
Gye...,  ont  la  phobie  des  aiguilles  ou  des  epingles :  ce  sont  la  des 
cas  de  phobie  classique.  On  en  trouverait  dans  les  cas  precedents 
bien  d'autres  plus  curieux :  Claire,  cette  jeune  611e  qui  pretend 
avoir  Thallucination  du  membre  viril,  a  la  phobie  des  bouteilles, 
Lod...  a  la  terreur  des  crachats  par  terre  sur.  le  trottoir,  Jean,  le 
type  du  scrupuleux  genital,  a  la  phobie  des  voitures  et  surtout 
des  tramways.  Dans  les  chapitres  suivants  nous  etudierons  sp6- 
cialement  la  forme  sous  laqueHe  ces  obsessions  se  presentent  et 
nous  aurons  alors  a  signaler  bien  d'autres  cas  de  phobies  dont 
quelques-uns  sont  bien  singuliers.  II  est  done  juste  de  dire  avec 
les  auteurs  auxquels  je  faisais  allusion  que  ces  malades  sont  par 
un  certain  cote  des  phobiques. 


CARACTfiRES  COMMUNS  DE  CES  OBSESSIONS  57 

Cependant  je  pr^fere  les  appeler  des  scrupuleux  et  je  crois  que 
ce  mot  met  en  Evidence  un  autre  point  de  vue.  II  attire  I'attention 
sur  les  troubles  de  la  volont6  et  sur  les  id^es  que  le  malade  se 
fait  de  ces  troubles  d^  volonte.  Je  crois,  en  efiet,  que  ces  phobies 
sont,  an  moins  pour  les  cas  que  je  consid^re,  des  phenom^nes 
tout  a  fait  secondaires,  qu'ils  forment  ces  sortes  d'id^es  fixes  se- 
condaires  que  j'ai  deja  eu  Toccasion  d'etudier.  Nous  verrons  en 
examinant  ces  phobies  qu*elles  se  developpent  par  association 
d*idees  :  Tobjet  exterieur  ne  fait  ici  que  rappeler  par  sa  forme 
comme  la  bouteille  qui  fait  penserau  membre  viril,  par  son  usage 
comme  le  couteau  qui  fait  penser  au  meurtre,  par  contiguite,  par 
consonance  du  nom,  etc.,  I'id^e  principale  dont  le  malade  ^tait 
obs^d^  longtemps  avant  d*avoir  eu  ses  phobies.  Comme  il  vaut 
mieux  faire  cette  discussion  plus  compl^tement  au  moment  oil 
j'etudierai  toutes  les  emotions,  tons  les  troubles  varies  qui  s'asso- 
cient  avec  le  d^veloppement  de  I'id^e  fixe,  il  suffitde  faire  main- 
tenant  une  remarque  plus  simple. 

Les  malades  viennent  de  nous  presenter  un  assez  grand  nombre 
d^obsessions  quails  decrivent  eux-m6mes  comme  ^tant  le  fait  prin- 
cipal de  leur  maladie.  Ce  sont  ces  obsessions-la  qu'il  faut,  pour 
le  moment,  nous  borner  a  ^tudier.  Peut-on  dire  qu'elles  portent 
r^gulierement  sur  un  objet  exterieur  ainsi  qu'il  arrive  si  souvent 
dans  les  hallucinations  et  les  obsessions  des  hyst^riques.  Si  Ton 
considere  le  groupe  des  obsessions  criminelles  qui  est  ici  le  plus 
simple,  il  est  visible  que  la  preoccupation  ne  porte  qu'indirecte- 
ment  sur  un  objet,  mais  qu*elle  porte  surtout  sur  une  action.  Le 
sujet  est  toujours  pousse  a  commettre  des  crimes  ou  croit  en  avoir 
commis,  c'est-a-dire  qu'il  se  sent  entraine  a  certaines  actions  ou 
croit  les  avoir  faites.  L'obsession  est  ici  d'une  maniere  incontes- 
table Tobsession  d'un  acte  du  sujet.  J'ai  essaye  de  montrer  qu'il 
en  est  de  meme  pour  les  obsessions  hypocondriaques  ;  le  malade, 
au  moins  celui  dont  jem*occupe,  ne  pense  pas  a  des  accidents  phy- 
siques independants  de  sa  volont6,  mais  toujours  a  des  fautes  ou 
a  des  imprudences  qu'il  pent  commettre  lui-meme.  C'est  encore 
une  preoccupation  qui  a  rapport  a  des  actes. 

On  pourrait  croire  qu*il  n'en  est  pas  tout  a  fait  de  meme  dans 
les  obsessions  sacrileges  oil  certains  sujets  en  tres  petit  nombre 
ont  sous  les  yeux  des  spectacles  auxquels  ils  ne  paraissent  pas 
m^les.  On...  voit  Tame  de  son  oncle  dans  les  cabinets,  Claire  voit 
le  membre  viril  souillant  une  hostie.  Remarquons  d'abord  que  ces 


58  LES  IDfiES  OBSfiD ANTES 

formes  de  Tobsession  sacrilege  qui  sont  les  plus  curieuses  sont  les 
moins  fr^quentes.  Daus  les  autres  observations,  les  malades 
pensent  a  vouer  leurs  enfauts  au  diable,  a  eracher  sur  des  hosties, 
a  donner  le  vin  de  la  messe  a  un  petit  chien,  a  agir,  en  un  mot. 
Mais  m6me  dans  ces  deux  cas,  la  difTi^rence  est  plus  apparente 
que  r^elle.  Ce  qui  desespfere  On...  e'est  que  c'est  lui-meme  qui 
met  Tame  de  son  oncle  dans  les  cabinets:  «  Comment  puis-je  en 
arriver  a  penser  une  chose  pareille...  je  devrais  moins  que  tout 
autre  imaginer  de  telles  choses.  »  Dans  le  cas  de  Claire,  je  n'ose 
affirmer,  car  ses  aveux  sur  ce  point  delicat  sont  loin  d'etre  pr6- 
cis  ;  mais  il  est  bien  probable  qu^elle  coUabore  a  la  profanation 
des  hosties.  Elle  r^pete  toujours  :  «  C'est  horrible  de  me  laisser 
aller  a  de  tellcs  choses  » ;  et  s'il  ne  s'agissait  que  d'un  pur  spec- 
tacle elle  n'aurait  pas  a  se  reprocher  «  de  coupables  complai- 
sances ».  Enfin,  il  faut  remarquer  que  de  tels  tableaux  ne  sepr^- 
sentent  que  chez  des  malades  fort  avanc^s  dans  leur  delire.  Pen- 
dant longtemps  ces  malades  ont  r^v^  a  des  actions  sacrileges  : 
«  regarder  dans  les  eglises  les  parties  de  Dieu,  les  chercher  sous 
le  linge  qui  voile  le  Christ,  etc.  »  Le  tableau  n'est  venu  plus  tard 
que  comme  un  symbole  qui  resume  des  actions  odieuses. 

Dans  un  groupe  tres  considerable,  nous  avons  remarque  des 
obsessions  de  honte  qui   ne   portent    pas    pr^cis^ment   sur    les 
actions,  mais  sur  toute  la  personnalite  physique  «t  morale.  II  me 
semble  que  ces  obsessions  ne  doivent  pas  ^tre  s6par6es  des  pr^- 
c6dentes.  D'abord  elles  se  pr^sentent  chez  des  malades  qui  ont  en 
m6me  temps  les  autres  obsessions  plus  caract^ristiques.  Claire, 
qui  presente  si  bien  Tobsession  de  honte  pour  son  esprit,  pr6- 
sente  en  meme  temps  un  type  d*obsession  sacrilege.    Mb...,  en 
m^me  temps  qu'elle  est  mecontente   de   son  intelligence,  a   des 
obsessions    criminelles.    D'autre    part    j'espere    montrer     dans 
une  prochaine  ^tude  que  ces  obsessions  sont  surtout  caract^ris^es 
par  la   forme  qu'elles  revetent :   elles  s'accompagnent  de  doute, 
d'interrogation,   d'h^sitation,   de  compensation,  d'expiation,  de 
promesses,  de  serments,  etc.  Or  ces  formes  si  curieuses  se  retrou- 
vent  chez  tons  ces  malades.  Nadia,  dont  Tobsession  principale  est 
la  honte  du  corps,  fait  continuellement  a  ce  propos  des  serments 
et  des  pactes,  comme  Lise  qui  a  des  obsessions  nettement  sacri- 
leges. Enfin  ces  diverses  id^es  se  rattachent  assez  bien  les  unes 
aux  autres.  La  personnalite  physique  et  la  personnalite  morale  se 
rapprochent  intimement  dans  noire,  esprit;  si  Ton  est  content  de 


CARACTfiRES  COMMUNS  DE  CES  OBSESSIONS  60 

son  esprit,  on  est  content  de  sa  figure  et  inversement ;  d*autre 
part  on  connait  les  relations  ^troites  entre  la  volont^  et  la  per- 
sonnalit^,  si  bien  que  la  critique  des  actes  devient  vite  une  cri- 
tique de  la  personne. 

Je  crois  done  que  Ton  peut  sans  h(^siter  generaliser  et  dire  que 
le  d^lire  des  scrupuleux  porte  surtout  sur  leurs  propres  actes  :  ce 
sont  des  obsessions  relatives  a  leur  {folonte  et  a  leur  personne. 

2^  II  est  aussi  int^ressant  de  constater  que  ces  actions  dont 
la  pens6e  est  obs6dante  sont  des  actions  maui^aises.  Le  plus  sou- 
vent,  quand  il  s'agit  de  sacrileges  et  de  crimes,  ce  caractere 
est  incontestable.  Mais  on  peut  6tre  embarrass^  quand  il  s*agit 
d'impulsions  a  des  actes  que  rien  ne  condanine,comme  d*entrer  au 
convent  et  de  faire  confesser  son  mari.  II  faut  alors  ^largir  le  sens 
du  mot  mauvais :  il  ne  s'agit  pas  uniquement  d'actes  condamn^s 
par  la  morale,  mais  d'actes  condaranes  par  le  sujet  lui-meme, 
d'actions  qui  lui  sont  odieuses,  qui  lui  paraissent  ridicules,  en 
un  mot  qu'il  ne  voudrait  pas  faire.  Sur  ce  point  Tafiirmation  de 
tons  les  malades  est  des  plus  precises  :  on  peut  lire  a  ce  propos 
une  bien  int^ressante  etude  publi^e  par  M.  Josiah  Royce  dans 
la  Psychological  Bei^iewy  sur  un  grand  auteur  mystique  anglais 
John  Bunyan,  qui  est  en  meme  temps  un  beau  type  du  d^lire  de 
scrupule.  Bunyan  est  «  tent^  »  de  blasphemer  contre  Dieu, 
d'adorer  le  diable ;  comme  il  le  remarque  lui-meme,  le  tentateurest 
une  sorte  d'inversion  de  conscience  insistant  sur  tout  ce  qui  est  le 
plus  oppos^  a  ses  intentions  pieusesV  D6sire-t-il  prier  Dieu,  il  a 
des  distractions,  il  r^ve  a  des  images  bizarres,  a  celles  d'un  tau- 
reau,  d'un  balai,  et  il  est  tent^  de  leur  adresser  ses  pri^rcs. 
La  tentation  porte  toujours  sur  Taction  le  plus  oppos^e  a  ce  quMl 
desire  faire  a  ce  moment. 

II  en  est  ainsi  pour  tons  nos  malades.  Yi...  conduit  son  enfant  a 
Tecole  et  veut  aller  le  rechercher,  car  elle  est  tres  inqui^te  a  pro- 
pos de  son  retour  dans  les  rues  de  Paris.  Elle  se  demande  si  elle 
n*a  pas  dit  a  une  femme  suspecte  d'aller  le  chercher.  Elle  aime 
son  mari  par-dessus  tout,  aussi  craint-elle  de  trahir  ses  secrets, 
de  le  tromper  avec  le  premier  venu,  de  faire  signe  par  la  fenfttre 
aux  passants  pour  quails  montent.  Yod...,  Wks...,  adorent  leurs 
enfants,  et  c'est  toujours  leurs  enfants  qu*elles  pensent  a  tuer,  a 

I.  Josiah  Roycc,  Tho  case  of  John  Bunyan.  Psychological  Review,  iSg^t  p.  i43. 


60  LES  ID£ES  OBSfiDANTES 

faire  bouillir,  a  donner  au  diable.  D'apres  les  obsessions  de  ces 
femmes  scrupuleuses,  on  peut  toujours  deviner  qui  elles  aiment 
mieux  de  leurs  maris  ou  de  leurs  enfants.  Je  demahde  a  Vod... 
pourquoi  elle  vent  toujours  tuer  sa  petite  Bile  et  ne  songe  pas  a 
tuer  son  mari,  et  elle  ne  peut  s'crap^cher  de  rire  en  disant :  <(  Oh, 
mon  mari,  je  ne  Taime  pas  assez  pour  penser  a  le  tuer.  » 

Quand  il  s^agit  de  jeunes  filles,  on  peut  deviner  le  degr^  de  leur 
pudeur  d*apres  la  nature  de  leurs  obsessions  :  quand  elles  parlent 
des  «  parties  de  Dieu  »,  des  hosties  souill^es,  de  crimes  contre 
nature,  c'est  qu'elles  sont  parfaitement  chastes.  Les  autrcs  n^out 
plus  de  preoccupations  sur  ce  sujet  et  songent  a  tuer  leur  m^re 
ou  a  voler.  a  C'est  bien  simple,  me  disait  Qes...,  je  suis  poussee  a 
tuer  ce  que  j'aime  le  mieux,  je  veux  tuer  ma  mere  parce  que  je 
n*ai  qu'elle ;  si  j'avais  un  mari,  je  voudrais  le  tuer  ;  si  j*aimais  un 
petit  chien,  je  voudrais  tuer  ce  petit  chien.  »  En  un  mot  elles 
sont  toujours  obs^d^es  par  la  pens^equi  leur  fait  le  plus  horreur. 

M.  Paulhan  a  fait  une  remarque  analogue  a  propos  du  delire  du 
doute  quand  il  a  dit  que  les  idees  de  ces  malades  sont  dues  a 
Texag^ration  de  V association  par  contrasted.  Dans  un  travail  pre- 
cedent* j'ai  eu  Toccasion  de  discuter  cette  theorie ;  je  dois  au- 
jourd'hui  relever  dans  ma  discussion  une  erreur  partielle. 

Sans  doute  j^avais  raison  de  faire  observer  que  les  malades  ana- 
lys^es  dans  cette  dlude,  telles  que  Marcelle,  et  dans  un  des  cha- 
pitres  suivants,  Justine,  ne  justifiaient  pas  la  remarque  de 
M.  Paulhan.  Leurs  idees  fixes  en  rapport  avec  des  emotions  ante- 
rieures,  d^veloppees  par  un  m^canisme  analogue  a  celui  de  la 
suggestion,  n'obeissaient  pas  a  la  loi  du  contraste  et  n'^taient 
nuUement  en  opposition  avec  les  d^sirs  actuels  des  sujets.  Mais 
ces  malades  formaient  un  groupe  particulier,  celui  des  hyste- 
riques  suggestibles,  et  j'ai  eu  tort  de  g^neraliser  une  remarque 
qui  s*appliquait  a  ce  groupe  particulier.  Les  scrupuleux  que  nous 
etudions  maintenant  forment  un  autre  groupe  tres  distinct  du 
premier  et  on  peut  dire  que  chez  eux  les  obsessions  forment  un 
contraste  frappant  avec  leurs  tendances  dominantes.  Reste  a  voir 
si  elles  doivent  leur  origine  a  Fassociation  par  contraste.  Nous 
ne  devons  maintenant  retenir  qu'une  seule  chose,  c'est  que  ces 
obsessions  portent  sur  des  actes  et  des  actes  mauvais,  c^est-a-dire 


1.  M.  Paulhan,  L'activiti  mentale  et  les  ilemenls  de  Vesprit,  1889,  p.  3/41-357. 

2.  Nevroses  et  Wes  fixes,  1898,  I,  3a. 


CARACTERES  COMMUNS  DE  GES  OBSESSIONS  61 

en  opposition  non  avec  la  morale  commune,  mais  avec  les  desirs 
et  les  volont^s  du  sujet ;  le  malade  est  obs^dc  par  la  pensee  d'un 
acte  qu'il  voudrait  ne  pas  faire. 

3®  Le  troisifeme  earactere  qui  me  frappe  dans  le  contenu  de  ces 
obsessions  est  plus  difficile  a  exprimer,  bien  qu'il  soit  tres  curieux 
et  probablementtr^s  important  dans  cette  maladie.  Les  actes  dont 
la  pensee  obsede  les  malades  sont  des  actes  extremes.  Ce  sont  les 
actes  les  plus  sacrileges,  les  plus  criminels,  les  plus  dangcreux, 
en  un  mot  les  plus  odieux  qu'il  leur  soit  possible  de  concevoir. 
C*est  une  conception  qui  est  poussee  dans  un  certain  sens  jus- 
qu^aux  plus  extremes  limites. 

II  est  visible  que  ces  pauvres  gens  cherchent  toujours  a  pr^ciser, 
a  grossir  le  crime  auquel  ils  pensent.  On  les  ennuie  fort  quand 
on  conserve  un  air  calme  et  indifferent  pendant  quails  enumerent 
leurs  impulsions ;  ils  cherchent  alors  a  ajouter  des  circonstances 
horribles  pour  provoquer  notre  indignation.  Za..:,  qui  est  un 
homme  de  trente  ans,  avoue  en  tremblant  qu'il  est  pousse  a 
commettre  le  peche  d'amour  *avec  une  femme.  Je  lui  r^ponds 
tranquillement  qu'a  son  age  cela  me  parait  assez  naturel.  II  se 
hate  d'ajouter  :  «  Mais,  Monsieur,  je  me  represente  que  la  chose 
se  passe  sur  un  banc.  —  Eh  bien,  soit.  —  Mais  vous  oubliez, 
repond-il  en  colere,  que  ce  banc  est  devant  une  ^glise.  »  Jean,  qui 
a  de  raeme  des  impulsions  g^nitales,  se  consolerait  encore  s'il 
etait  pouss^  a  aimer  de  jeunes  femmes  qui  soient  jolies,  mais  il 
a  des  impulsions  erotiques  pour  des  femmes  louches,  laides  et 
tres  ag^es.  «  Un  jour  deux  jeunes  Giles  sont  venues  nous  voir, 
Tune  d'elles  m'a  beaucoup  plu  et  apres  son  depart  j'etais  tour- 
mente  par  la  pensee  que  j'^tais  mari6  avec  elle.  —  II  n'y  a  pas 
grand  mal  a  cela.  —  Mais,  Monsieur,  vous  ne  vous  figurcz  pas 
que  cela  m'a  donne  des  impulsions  ^pouvantables  :  je  rivals  que 
j'avais  des  rapports  avec  leur  mere,  avec  ma  belle-mere  !  ! !  »  Au 
bout  de  quelque  temps  d'ailleurs,  Timpulsion  se  d^veloppe  tou- 
jours dans  le  meme  sens  et  il  est  d6sol6  parce  qu'il  pense  mainte- 
nant  a  sa  propre  mhve,  Quand  il  s'agit  de  meurtre,  ce  sont  des 
crimes  «  contre  des  petits  enfants  sans  defense  que  me  conseille  le 
diable  »,  dit  Brk...  ou  <(  Tassassinat  d*un  vieillard  de  quatre- 
vingt-quatre  ans  »,  dit  Za...,  et  ils  inventcnt  des  raffinements  de 
cruaut^  et  de  lachet^.  Toujours  ils  cherchent  a  aller  le  plus  loin 
possible  dans  cette  conception  du  crime. 


62  LES  IDfiES  0BS£DANTES 

Certains  d'entre  eux  se  rendent  compte  de  ce  besoin  singulier. 
Je  demandals  a  Lisc  pourquoi  depuis  quelques  ann^es  elle  con- 
servait  toujours  la  m^me  idee,  celle  de  vouer  ses  enfants  au 
diable,  tandis  que  auparavant  elle  changeait  assez  souvent  d'ob- 
sessions.  a  C'est,  me  dit-elle,  que  je  ne  puis  pas  faire  mieux : 
comme  je  pousse  toujours  mes  idees  a  Tinfiniy  s'il  y  avait  une 
chose  plus  terrible,  j'y  penserais.  Vouer  mes  enfants  au  diable, 
c'est  le  plus  que  je  puisse  faire  pour  le  moment.  »  Une  autre 
malade  nous  montre  un  exempie  curieux  de  cet  effort  pourarriver 
a  Textr^me.  Ger...  me  r^p^te  sans  cesse  qu*elle  est  poussee  a 
offenser  Dieu  par  un  p6ch6  horrible  et  elle  ne  precise  jamais  quel 
est  ce  p6ch6.  J'insiste  vivement  pour  savoir  de  quoi  il  s'agit  et 
j'^numere  des  crimes  avou^s  d*ordinaire  par  les  scrupuleuses. 
«  Voulez-vous  faire  cuire  vos  enfants  ?  —  Non,  ce  n'est  pas  cela. 

—  Troraper  votre  mari  avec  le  diable?  —  Non,  ce  ne  serait 
rien.  —  Voler  et  souiller  des  hosties  consacrees? —  Mais  non, 
pis  que  cela. ' —  Alors  j'y  renonce  ;  dites-moi  quel  est  ce  crime. 

—  C*est  un  p6ch6  qui  n'aurait  jamais  existe,  que  personne  n'au- 
rait  encore  fait,  auquel  personne  n'uurait  pu  encore  penser ;  eh 
bien,  c'est  ce  peche-la  que  je  suis  poussee  a  faire.  —  Mais  encore 
quel  est  ce  p6ch6?  —  Je  n*en  sais  rien.  »  Peut-on  avouer  plus 
nai'vement  cet  effort  impuissant  de  Timagination  ? 

Ce  sont  des  gens  qui  font  des  efforts  desesperes,  qui  se  tor- 
turent  Timagination  pour  arriver  a  Tabominable,  bien  que  presque 
toujours  ils  ^chouent  dans  le  grotesque.  Cet  etat  d*esprit  est  assez 
bien  decrit  par  I'auteur  de  «  A  rebours  »  et  de  «  La-bas  ».  En  ^cou- 
tant  nos  sacrileges,  on  pense  a  ce  chanoine  a  qui  nourrit  des  souris 
blanches  avec  des  hosties  consacrees  et  qui  s*est  fait  tatouer  sous 
la  plante  des  pieds  Timage  de  la  croix,  afin  de  pouvoir  toujours 
marcher  sur  le  Sauveur^  »,  Cette  disposition  a  la  recherche  de 
Textreme  est  <^vidente  dans  les  obsessions  des  scrupuleux,  elle  me 
parait  un  caract^re  essentiel  qu'il  faut  constater  avant  de  chercher 
a  rinterpr^ter. 

4®  A  ces  caracteres  s'en  ajoute  un  autre  qui  me  parait  decouler 
des  pr^c^dents,  mais  comme  il  porte  sur  Torigine  des  id^es  et  que 


I.  Hujsmans,  Ld-bas,  p.  297.  Dans  lo  m^me  ouvrage,  un  passage  curieux  sur 
rimagination  des  crimes  nouveaiix,  compliqu^s  d*inceste,  de  crimes  contre  nalureet 
de  sacriI6ge»  se  tapporte  au  memo  etat  d*csprit  (p.  a58). 


CARAGTfiRES  GOMMUiNS  DE  CES  OBSESSIONS  6a 

tout  ce  travail  est  destine  a  mettre  cette  origiae  en  Evidence,  il 
faut  se  borner  a  Tenoncer  maintenant  d'une  maniere  hypoth^- 
tique.  Les  idees  fixes  que  nous  avons  6tudi^es  autrefois  chez  des  hys- 
t^riques  avaient  un  contenu  determine  par  les  circonstances  ext^- 
rieures.  Sans  doute  la  condition  essentlelle  de  Tidee  fixe  etait  un 
certain  ^tat  d'esprit  du  sujet  qui  le  rendait  6minemment  sugges- 
tible;  cet  engourdissement,  cette  diminution  des  fonctions  cere- 
brates qui  determinait  le  retrecissement  de  Tesprit  et  la  sugges- 
tibilite  ^tait  le  caract^re  essentiel  de  T^tat  mental  hysterique. 
Mais  la  nature  particuliere  de  Tidee  fixe,  la  pens^c  d'un  incendie 
ou  rimage  d'un  mort  6tait  la  consequence  des  circonstances  ext^- 
rieures  qui  avaient  determine  une  emotion  et  une  suggestion  a 
propos  d'un  incendie  ou  a  propos  d'un  mort*.  De  telles  id^es 
determinees  par  le  m^canisme  de  la  suggestion  pouvaient  etre 
appelc^es  des  idees  fixes  ejoogenes. 

Eh  bien,  une  pareille  origine  peut-elle  etre  attribute  au  con- 
tenu des  obsessions  chez  les  scrupuleux  ?  C'est  ce  que  les  malades 
ou  leurs  parents  supposent  bien  souvent:  Ls...  pense  que  ses  id^es 
sacrileges  sont  n^es  a  propos  des  conversations  philosophiques 
qu'aimait  a  faire  son  pere.  Les  parents  de  We...  restent  con- 
vaincus,  malgre  mes  affirmations,  que  la  maladie  de  leur  fille  a  ete 
produite  au  convent  par  Tenseignement  des  religieuses.  J'h^site 
beaucoup  a  accepter  cette  interpretation.  Sans  doute  les  circon- 
stances exterieures  jouent  un  role  ;  les  femmes  qui  n'ont  pas 
d'enfants  ne  songent  pas  a  les  vouer  au  diable.  Mais  ces  circons- 
tances banales  qui  consistent  a  avoir  des  enfants,  a  entendre  de 
temps  en  temps  une  conversation  philosophique,  a  etre  eieve  par 
des  religieuses  suffisent-elles  pour  faire  naitre  un  delire  pareil  ? 
D*autre  part,  si  le  delire  venait  surtout  de  Texterieur,  comment 
aurait-il  des  caracteres  communs  si  remarquables  chez  tons  les 
malades,  pourquoi  porterait-il  toujours  sur  des  actes,  des  actes 
mauvais,  des  actes  extremes,  et  comment  serait-il  etroitement  en 
rapport  avec  le  caractere  individuel  du  sujet?  Le  contenu  des 
obsessions,  tout  en  gardant  ses  caracteres  communs,  n'est  pas  le 
meme  chez  la  m^re  de  famille,  chez  Thomme  adulte,  ou  chez  la 
jeune  fille.  Si  je  puis  employer  une  expression  vulgaire,  il  semble 
que  ces  malades  jouent  au  jeu  des  combles  et  a  la  m^me  question 


I .  Voir  k  ce  propos  dc  nombreux  exempics  dc  ces  idees  fixes  accidentcllcs  par 
suggeslibilit^  :  Nevroses  et  I  dies  fixes,  1898,  I,  173. 


6&  LES  ID£ES  OBSCDANTES 

r6pondent  tous  difT^remment,  suivant  leur  sexe,  leur  age,  leurs 
conditions  sociales.  «  Quel  est  pour  vous  le  comble  du  crime  ?  — 
Jeter  sur  ma  petite  fille  Teau  bouillante  qui  est  sur  le  feu,  repond 
la  mfere  de  famille  habituee  aux  travaux  du  menage;  vouer  mes 
enfants  au  diable,  r6pond  la  m^re  d'un  milieu  social  plus  6lev6.  — 
Et  pour  vous  quel  est  le  comble  du  crime  ?  —  Mettre  Tame  de  mon 
oncle  dans  les  cabinets,  repond  Thomme  reconnaissant;  souiller 
les  hosties  par  Tacte  sexuel  »,  repond  la  jeune  fille.  Cette  modifi- 
cation de  la  reponse  qui  garde  les  m6mes  caractercs  communs, 
tout  en  s'adaptant  si  bien  au  caractere  individuel,  peut-elle  s'ex- 
pliquer  par  Taction  des  circonstances  ext^rieures  sur  un  esprit 
suggestible  ? 

On  pent  done  se  demander  si  les  id^es  fixes  sont  toujours  exo- 
genes  et  si  certaines  categories  d'id^es  fixes  ne  meriteraient  pas 
le  nom  d'endogenes.  Leur  contenu  ne  pourrait-il  pas  ^tre  invente 
par  le  sujet  lui-m^me,  en  vertu  de  certaines  lois  diff^rentes  de 
celles  de  la  suggestibilite  ?  Ces  idees  ne  seraient-elles  pas  Vexpres- 
sion  d'un  trouble  profond  dans  le  fonctionnement  c(^r6bral  que  le 
malade  ressent  et  qu'il  traduit  d'abord  par  des  sentiments  parti- 
culiers  et  ensuite  par  des  id^es  obsedantes  qui  rdsument  et 
expriment  ce  sentiment?  Dans  le  cas  du  d^lire  du  scrupule  en 
particulier,  le  malade  n'est-il  pas  obsed^  par  des  pens^es  particu- 
lieres  relatives  a  ses  actes,  parce  qu*il  a  r^ellement  des  troubles 
de  la  volont6  et  parce  qu'il  a  une  certaine  conscience  de  ces  alte- 
rations de  la  volont^  ? 

I/etude  du  contenu  des  obsessions  chez  les  scrupuleux  nous 
amcnent  simplement  a  poser  ces  probl^mes ;  il  faut  continuer  T^- 
tude  de  la  forme  que  presentent  ces  obsessions  et  de  Tetat  psy- 
chologique  sur  lequel  elles  se  developpent,  pour  preparer  un  peu 
sa  solution. 


LA  FORME  DES  OBSESSIONS  65 


DEUXIfiME  SECTION 


LA    FORME    DBS    OBSBSSIONS. 


Pour  etablir  le  diagnostic  d*une  QfTection  mentale  il  ne  suffit 
pas  de  savoir  le  sujct  ordinaire  des  preoccupations  des  malades, 
c'est-a-dire  le  contenu  des  obsessions,  il  faut  encore  ^tudier 
de  quelle  maniere  se  presentent  ces  preoccupations,  a  quelles 
lois  elles  obeissent  dans  ieur  apparition  et  leur  evolution,  en  un 
mot  il  faut  examiner  la  forme  psychologique  que  revetentces  pen- 
sees  obs^dantes.  Pour  bien  comprendre  ce  probl^me,  consid^rons 
certaines  idees  fixes  des  hyst^riques  qui  determinent  de  grandes 
fugues  de  plusieurs  mois  compietement  oubli^es  par  les  malades 
apr^s  leur  execution.  Ces  id^es  ne  se  manifestent  que  pendant 
des  somnambulismes  ou  dans  des  ecritures  subconscientes,  elles 
semblent  tout  a  fait  absentes  de  la  conscience  normale  du  sujet 
qui  les  ignore.  Ces  id^es  fixes  ne  sont-elles  pas  totalement  diffe- 
rentes  dans  leur  forme  psychologique  de  celles  du  persecute  qui 
connait  parfaitement  son  delire,  qui  est  convaincu  de  sa  r^alite 
et  qui  a  systematise  toutes  ses  pens6es  et  toutes  ses  actions  autour 
de  ia  croyance  a  telle  ou  telle  persecution.  Gette  opposition  entre 
des  idees  dissociees  qui  se  developpent  isolement  en  dehors  de 
la  vie  consciente  du  sujet  et  ces  idees  compietement  systdmatisees 
qui  sont  au  contraire  devenues  le  centre  de  toutes  les  pensees  est 
d'une  importance  capitale  pour  interpreter  toute  la  malndie.  Aussi 
doit-on  appliquer  cette  recherche  aux  obsessions  des  scrupuleux 
et  voir  quelle  place  elles  occupent  dans  la  pensee,  le  degre  et  la 
forme  de  leur  developpement. 

Pour  etudier  les  caracteres  psychologiques  que  revetent  ces 
obsessions,  les  lois  de  leur  apparition  et  de  leur  developpement, 
il  est  necessaire  de  faire  quelques  distinctions.  Les  malades  ne 
restent  pas  toujours  a  la  meme  periode  de  leur  maladie ;  ils  peu- 
vent  traverser  des  etats  de  trouble  tres  grand  ou  se  rapprocher 
de  Tetat  normal.  Dans  ces  diverses  periodes  leurs  obsessions  ne 
conservent  pas  toujours  les  monies  caracteres  et  une  description 

LES  OBSESSIONS.  I.    —  5 


(iO  LES  IDKES  OBSeOANTES 

ne  pourrait  pas  impunement  etre  appliquee  a  tous  les  accidents  des 
scrupuleux.  Je  mettrai  done  de  c6t6,  pour  les  examiner  plus  com- 
pletement  quand  j'^tudierai  revolution  et  les  complications  de  la 
maladie,  des  etats  aigus,  des  periodes  de  delire  grave  qui  peuvent 
malheureusement  survenir  au  cours  de  la  maladie.  Le  grand  carac- 
tere  de  tels  etats,  c'est  que  le  malade  a  perdu  a  peu  prfes  complfe- 
tement  le  pouvoir  de  critiquer  ses  obsessions,  de  leur  r^sister, 
qu'il  s'abandonne  a  son  d6lire.  Ces  etats  se  rapprochent  de  la 
m^lancolie  anxieuse  ou  des  diverses  formes  de  la  confusion  men- 
tale  :  ils  nous  font  entrer  dans  le  domaine  d'autres  maladies  men- 
tales.  Je  crois  qu'il  faut  les  considerer  comme  des  accidents  sur- 
venant  au  cours  d^un  delire  du  scrupule,  accidents  dont  il  faut 
discuter  la  possibility  et  la  frequence,  mais  qu'ils  ne  constituent 
pas  I'etat  normal  de  ces  malades. 

D'autrc  part,  tantot  par  revolution  naturelle  de  la  maladie, 
tant6t  sous  Tinfluence  de  certains  traitements,  ces  id^es  fixes  peu- 
vent se  reduire,  diminuer  d'importance  ou  perdentleur  precision. 
Le  malade  sent  encore  qu'il  est  tourmente  par  quelque  chose, 
qu'il  est  obsede.  II  pourrait  par  un  l^ger  effort  retrouver  Tidee 
qui  le  tourmente,  mais  il  sait  qu'il  faut  eviler  cette  recherche  et 
il  n'a  qu'une  notion  vague  de  cette  id^e  qui  Tobsede,  c'est  I'Stat 
s^ague  de  Lise,  c'est  Vetat  implicite  de  Jean.  Get  etat  fait  encore 
partie  de  la  maladie,  mais  c'est  un  degr^  efface,  estomp^  que  Ton 
ne  pent  prendre  comme  objet  principal  de  Tetude. 

Dans  cette  description  des  caracteres  psychologiques  de  I'ob- 
session  du  scrupuleux^  je  considerai  done  en  premier  lieu  le  degr^ 
moyen  du  developpement  de  ces  idees  qui  est  d'ailleurs  de  beau- 
coup  le  plus  frequent  et  le  plus  important.  On  le  reconnaitra 
aux  caracteres  suivants.  L'idee  est  assez  nette  et  assez  precise 
pour  que  le  sujet  sache  tres  bien  ce  qui  Tobs^de,  et  cependant 
rintelligence  du  malade  reste  assez  entiere  pour  que  celui-ci 
puisse  critiquer  Tobsession  et  en  reconnaitre  au  moins  en  partie 
Tabsurdite. 

En  effet,  le  caractere  essentiel  de  ces  idees  maladives  est  si 
frappant  qu'il  a  presque  toujours  ete  bien  mis  en  evidence  dans 
les  terraes  m^mes  qui  servent  a  les  designer.  On  se  sert  souvent 
pour  decrire  cette  maladie  de  deux  termes  associes,  c'est,  dit- 
on,  une  folie  lucidey  un  delire  a^^ec  conscience,  une  obsession 
consciente, 

Cette   association  des  termes  «  folie    et  lucidite  »  provoquait 


LA  FORME  DES  OBSESSIONS  67 

autrefois  Tindignation  du  D'  Thulie  '  quand  il  critiquait  la  «  manie 
raisonnante  »  du  D*"  Campagne ;  clle  est  pourtant  legitime  et  exacte. 
Le  premier  de  ces  termes  se  coinprend  facilement,  il  designe  une 
id^c  qui  s'impose  au  malade  et  se  d^veloppe  dans  son  esprit 
d'une  maniere  automatique  sans  rapport  ni  avec  les  eirconstances 
exterieures  ni  avec  la  volonte  du  sujet.  Le  second,  le  mot  «  cons- 
cient  »  est,  comme  je  Tai  deja  souvent  remarque,  assez  malheureux 
a  cause  de  Tambiguite  du  mot  conscience,  le  mot  dans  le  langage 
psychologique  signifie  que  le  sujet  connait  son  idee,  qu'il  la  con- 
state, qu*il  en  a  la  perception  personnelle  ;  il  s'oppose  aux  termes 
((  inconscient,  subconscient  »  qui  s'appliquent  a  des  ph^nomenes 
ignores  du  malade.  Or,  dans  le  cas  present,  on  veut  dire  que  le 
malade  juge  son  id6e,  Tappr^cic  au  point  de  vue  de  sa  r^alite,  de 
son  rapport  avec  ses  autres  croyances.  On  veut  done  designer  une 
operation  intellectuelle  beaucoup  plus  6lev^e  que  la  simple  con- 
science psychologique  :  si  Ton  pouvait  changer  Tusage  il  vaudrait 
mieux  dire  qu*il  s'agit  d'obsession  avec  jugement,  d'obsession 
contr6l^e  ou  critiquee  par  le  malade. 

Quoi  quHI  en  soit,  ces  deux  mots  appliques  aux  scrupuleux 
spnt  extremement  justes.  Le  malade  est  obs^d6,  tourment6  par 
une  id^e  qui  sHmpose  a  lui  sans  qu'elle  soit  justi£i(^e  par  les  eir- 
constances sans  que  le  sujet  la  recherche  lui-meme.  C'est  une 
id^e  envahissante  comme  un  d^lire  ou  une  suggestion  et  cepen- 
dant  le  malade  n'accepte  pas  cette  idee  avec  la  conviction  d'un 
persecute  ou  d'un  individu  suggestionn^.  Au  moins  jusqu'a  un 
certain  point  il  sent  comme  nous  que  son  id^e  est  absurde,  il  la 
juge  et  la  repousse,  c'est  une  obsession  a{>ec  critique, 

II  r^sulte  de  cette  remarque  generale  que  ces  idees  peuvent  6tre 
examinees  a  deux  points  de  vue :  i®  le  point  de  vue  positif,  qui 
pr^sente  leur  caractere  obsedant  et  maladlf,  leur  puissance  pour 
tourmenter  le  malade  ;  2°  le  point  de  vue  negatif  nous  montre  I'ar- 
ret  de  ces  idees,  le  point  auquel  se  termine  leur  puissance.  Nous 
retrouverons  ces  deux  points  de  vue  dans  tons  les  caract^res  des 
obsessions,  dans  leur  permanence,  dans  leur  puissance  impulsisfe, 
dans  leur  representation  hal/ucinatoire,  dans  le  degre  de  croyance 
qui  les  accompagne. 


I.  De  Thuli6,  La  manie  raisonnante  du  D^  Campagne,  1870. 


68  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 


i.  —  La  permanence  et  revocation  de  Vobsession. 

Un  certain^nombre  de  caract^res  s^parent  les  id^es  patholo- 
giques  de  nos  scrupuleux  des  id^es  ou  des  pensees  d'un  homme 
normal,  ce  son!  ces  caracteres  qui  les  rendent  obsedantes. 

Au  premier  rang  il  faut  placer  la  duree  de  ces  preoccupations. 
La  dur^e  de  ces  obsessions  chez  les  scrupuleux  pent  Mre  extr^- 
mement  longue.  L'ldee  du  d^'mon  chez  Lise,  Tidee  sacrilege  et 
obscene  chez  Claire  existent  chez  chacune  au  moins  depuis  12  ans. 
II  en  est  de  meme  pour  la  plupart  des  obsessions  que  j*ai  signa- 
lees,  leur  duree  se  compte  toujours  par  ann^es.  D'ailleurs  si  Ton  en 
croit  M.  J.  Falret,  les  obs^dds  de  ce  genre  conserveraient  toute  leur 
vie  la  m^me  idee  malgr^  des  remissions  apparentes.  On  pent  dire 
que  certaines  idees  se  prolongent  chez  nous  tons  et  qu'un  savant 
pent  poursuivre  un  probl^me  pendant  20  ans.  Ce  caractere  n'est 
done  pas  absolument  d^cisif.  Cependant  il  a  une  certaine  impor- 
tance relative.  Etant  donnds  la  nature  des  esprits  et  le  sujet  de 
ces  idees,  on  doit  reconnaitre  que  d'ordinaire  chez  des  esprits  de 
ce  genre  une  telle  idee  ne  devrait  pas  durer  10  ans.  Lise  est  une 
Temme  intelligente  et  instruite  :  il  n'est  pas  vraisemblable  que  son 
attention  soit  naturell.ement  employee  pendant  10  ans  a  m^diter 
sur  rid6e  de  donner  ses  enfants  au  diable.  D'ailleurs  tons  ces 
malades  s'en  etonnent  eux-m^mes  et  ne  comprenncnt  pas  pourquoi 
lis  restent  si  longtemps  sur  le  meme  sujet  qu'ils  trouvent  eux- 
memes  insigniBant  et  grotesque.  II  y  a  done  d^ja  dans  la  dur^e  un 
element  pathologique  qui  donne  a  Tidi^e  un  caractere  p^nible  et 
obs^dant. 

Le  second  caractere,  la  frequence  des  repetitions  est  ici  plus  net 
encore.  Claire  pretend  qu'elle  a  200  fois  par  jour  son  image  de 
I'hostie  et  du  membre  viril.  Lise  est  convaincue  que  sa  preoccu- 
pation est  perp^tuelle  et  ne  Tabandonne  m6me  pas  pendant  la 
nuit.  Celle-ci  a  en  efiet  le  sentiment  que  toute  la  nuit  elle  r6ve  au 
m6me  probleme  et  elle  se  reveille  le  matin  avec  le  sentiment  de 
n'avoir  pas  cess<^  d'y  penscr.  Nous  verrons  par  Tetude  de  certains 
malades  comme  Jean  que  meme  au  moment  oil  Tidee  semble  dis- 
paruc  dc  la  conscience  elle  subsiste  cependant.  Ce  malade  nous 
rcpete  qu'il  pense  a  sa  dame  d'unc  maniere  «  implicite  )).  Meme 


LA  PERMAXRNCE  ET  I/l^VOGATION  DE  L'OBSESSIO.N  69 

quand  elle  est  a  peu  pres  guerie  et  tranquille,  Gisele  salt  bien  que 
son  id^e,  ses  remords  de  vocation  ne  sont  pas  loin,  «  cette  idee 
me  gratte  toujours,  le  regret  de  la  vocation  religieuse  c'est  le  chat 
qui  dort,  il  ne  faudrait  pas  m'amener  a  y  penser  un  peu,  tout  ne 
demande  qu'a  recommencer  ».  On  voit  done  que  ces  id^es  r^ap- 
paraissent  tres  souvent  dans  I'esprit,  ne  disparaissent  mcme 
jamais  d'une  maniere  complHe. 

Ici  encore  on  peut  dire  que  Tattention  volontaire  peut  main- 
tenir  notre  esprit  sur  un  m6me  sujet.  Cela  est  bien  rare  et  il  fau- 
drait au  moins  que,  par  son  int^rM,  par  Timportance  que  Tesprit 
lui  accorde,  une  pareille  prolongation  de  Tattention  pAt  se  justifier. 
II  est  loin  d'en  ^tre  ainsi  dans  nos  exemples. 

Cette  dur^e,  cette  permanence  de  Tid^e  ne  doit  cependant  pas 
ctre  consid^r6e  comme  un  phcnomene  tout  a  fait  automatique 
qui  se  prolonge  de  lui-meme.  Le  sujet  pretend  bien  que  Tidee 
vient  d'elle-m^me,  qu'elle  persiste  quoiqu'il  ne  fasse  rien  pour  la 
conserver,  quoiqu'il  souhaite  de  tout  son  pouvoir  sa  disparition 
En  reality  il  nous  trompe  ou  il  se  trompe  lui-merae.  Lise  veut  etre 
soignee  et  guerie,  cependant  elle  est  tres  agit^e  a  la  pens^e  qu'elle 
pourrait  etre  hypnotisable.  C'est  qu'elle  a  bien  peur  que  pendant 
le  sommeil  hypnotique  on  n'efiace  completement  son  obsession, 
elle  y  tient  au  fond  et  ne  veut  sacrifier  que  «  ce  qu'elle  a  d'exa- 
g6r6  ».  Quand  elle  va  r^ellement  mieux  et  que  Tid^e  a  une  ten- 
dance a  s'effacer  a  il  faut  qu'elle  cherche  a  y  repenser  pour  etre 
tranquille,  je  ne  puis  pas  me  decider  a  n'y  plus  penser  ».  En 
reality  pendant  que  je  m'efforce  d'effacer  ces  idees  elle  fait  «  un 
eflort  horrible  pour  ne  pas  les  perdre  et  elle  ne  peut  s'emp6cher 
d'etre  heureuse  quand  jc  ne  reussis  pas  ».  Dans  un  leger  etat  hyp- 
notique j^u'on  determine  sur  elle  et  dont  je  reparlerai,  j'essaye  de 
contredire  ses  id^es  fixes,  de  les  dissocier,  de  les  modifier.  Cela 
provoque  des  crises  de  resistance  excessivement  curieuses.  Elle 
s'^carte  de  moi  avec  horreur,  elle  se  raidit  en  sortes  de  contrac- 
tures, elle  serre  les  dents  pour  ne  pas  r^peter  les  paroles  que  je 
lui  suggere.  Elle  supplie  qu'on  ne  lui  enleve  pas  des  idees  ensei- 
gnees  par  I'Eglise.  Si  elle  ob(^it  un  peu  c'est  avec  toutes  sortes  de 
reserves.  Elle  dit  bien,  pour  expliquer  ses  resistances,  que  c'est 
le  diable  qui  resiste  et  non  pas  elle,  mais  en  fait  elle  y  tient  elle- 
meme  beaucoup.  cc  Quand  on  a  vecu  dix  ans  avec  une  id^e  on  ne 
peut  plus  s'en  passer.  »  Aussi  ne  cede-t-elle  que  trfes  peu  et  pour 
un    moment   seulement  avec  la    plus   grande   crainte  d'engager 


70  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

Tavcnir.  EUe  se  r6signe  simplement  a  remettre  son  id^e  a  plus 
tard  et  se  console  en  se  disant  (c  quand  je  le  voudrai  bien,  j'y 
repenserai  ». 

Les  raftmes  entetements  et  les  memes  resistances  se  repro- 
duisent  chez  Claire  et  amfenent  des  scenes  qui  sent  v^ritablement 
comiques.  Claire  vient  de  me  dire  qu'elle  est  desol6e  de  s'accuser 
elle-m^me  d'immoralite,  car  elle  sait  au  fond  que  ce  n'est  pas 
vrai.  Je  lui  r^ponds  en  abondant  dans  son  sens,  en  lui  disant 
qu'elle  est  une  jeune  fiUe  tres  estimable  et  que  je  la  sais  incapable 
de  toute  malhonnetet^.  La  voici  furieuse  contre  moi,  disant  que  je 
me  moque  d^elle,  que  je  n'en  pense  pas  un  mot,  qu*elle  ne  tol^rera 
pas  qu'on  la  contredise  ainsi.  Elle  se  met  a  pleurer  et  elle  supplie 
qu'on  ne  lui  enleve  pas  son  dernier  espoir.  «  Si  je  ne  me  croyais 
pas  immorale,  je  ne  ferais  plus  aucun  effort  pour  arriver  a  me 
changer,  je  serais  absolument  perdue.  »  Jamais  elle  netol^reau  fond 
qu'on  contredise  son  delire.  En  rdalite  la  permanence  de  Tidee 
n'est  pas  chez  les  scrupuleux  un  fait  aussi  automatique  que  chez 
les  hyst^riques;  il  r^sulte  d'un  effort  permanent  pour  maintenir 
I'attention  sur  une  meme  id^e;  c'est  une  sorte  de  manie  de  la 
fijcite  des  idees, 

Cctte  frequence  de  Tidee  est  en  rapport  avec  un  autre  caractere 
important,  la  facilite  des  reproductions.  Si  Tid^e  revient  si  souvent 
dans  Tesprit  c'est  qu'elle  est  evoquee  par  d'innombrables  pheno- 
menes  en  apparence  sans  grands  rapports  avec  elle.  II  est  toute 
une  categoric  de  malades  tres  nombreux  qui  resument  leurs  ma- 
ladies en  disant  qu'ils  ont  peur  des  couteaux.  Cela  signifie  que  la 
vue  d'un  couteau  ou  d'un  instrument  dangcreux  eveille  immedia- 
tement  dans  leur  esprit  la  pensce  de  frapper,  de  tuer  a  coupsde 
couteau  la  personne  qu'ils  aiment  le  mieux.  C'est  la,comme  on  I'a 
vu,  une  obsession  criminelle  extremement  frequente  chez  les 
scrupuleux.  II  en  sera  ainsi  pour  tous  les  objets,  pour  tons  les 
phenomenes  qui  pcuvent  6tre  consider^s  comme  faisant  partie  de 
Tidee  obsedante  a  un  titre  quelconquc,  comme  objet,  comme  ins- 
trument du  crime,  comme  <^lement  de  Taction  vertueuse  ou  mau- 
vaise  a  laquelle  songe  le  malade.  Qes. . .  a  horreur  des  escaliers,  des 
fen^tres  parce  que  nous  savons  qu'elle  pense  au  suicide.  Vi...  ne 
pent  voir  un  puits,  ni  une  riviere.  Bor...  craint  les  images  reli- 
gieuses,  les  eglises,  les  hosties  parce  qu'elle  a  imm^diatement 
des  idees  sacrileges.   Brk...   ne    pent  plus  voir  les  enfants,  cela 


LA  PERMANENCE  ET  I/fi VOCATION  DE  I/OBSESSION  7! 

eveille  Tid^e  de  les  tuer.  Qd...,  scrupuleuse  qui  se  reproche  de  ne 
pas  avoir  bien  soign^  son  mari,  est  obsed^e  par  la  pensee  qu'il  va 
avoir  une  fluxion  de  poitrine  ;  son  obsession  la  prend  quand  il 
tousse  ou  quand  il  louche  a  son  mouchoir.  Za...  qui  se  sent  pous- 
s^e  a  avaler  des  6pingles  ou  a  en  jeter  dans  les  aliments  des 
autres  est  tourmentee  par  son  obsession  quand  elle  doit  manger 
ou  quand  elle  doit  toucher  a  une  boite  a  lait.  Gisele  qui  a  des 
remords  de  vocation  parce  qu'elle  n'est  pas  religieuse  soufire  de 
cetteideea  proposde  tous  ses  «  devoirs  dYtat  ».  Le  fait  derecoudre 
un  bouton  lui  fait  penser  qu'elle  a  un  manage,  qu'elle  est  marine, 
qu^elle  n'est  pas  religieuse.  <c  Mon  enfant  est  devant  moi  comme 
un  remords  vivant,  sa  vue  me  fait  mal.  » 

Le  point  de  depart  de  Tassociation  peut  etre  moins  determine. 
Ce  ne  sera  plus  un  objet  qui  entre  comme  partie  integrante  dans 
rid^e,  ce  sera  un  objet  qui  par  sa  forme  ou  simplement  par  son 
nom  ressemble  a  un  des  objets  pr^'c6dents :  Tassociation  se  fera 
par  ressemblance  lointaine.  Xa...  (2o4)  est  terrifiee  parce  qu'une 
de  ses  bonnes  s'appelle  Antoinette,  ce  qui  fait  penser  a  Techafaud 
et  au  crime.  Claire  ne  peut  plus  voir  de  bouteilles  ni  d'objet 
long,  sans  voir  le  membre  viril  qui  souille  Thostie. 

II  suflSra  meme  d'une  association  de  contiguity  dans  le  temps 
ou  dans  le  lieu.  Si  I'objet  a  ete  vu  a  un  moment  ou  Tidee  obs^dait 
Tesprit,  par  le  fait  de  cette  contiguite  dans  le  temps  il  devient 
dor^navant  capable  de  T^voquer.  «  Si  j'ai  eu  une  idee  en  me 
lavant  les  mains,  elle  reviendra  toujours  dfes  que  je  verrai  une 
cuvette.  »  «  Je  pensais  a  mon  chien  enrag6  en  traversant  la  place 
de  la  Concorde,  dit  Fi...  (83)  et  depuis,  cette  place  m'est  odieuse 
et  je  ne  puis  ricn  tolerer  qui  me  la  rappelle.  »  II  ne  veut  plus  entrer 
dans  son  cabinet  de  travail  parce  que  sa  femme  y  a  pen^tre  en 
portant  une  robe  qui  peu  auparavant  avail  traverse  la  place  de  la 
Concorde.  C'est  ainsi  que  Lod...  et  Lise  ont  pris  Thorreur  de 
leur  mobilier,  parce  qu'elles  se  trouvaient  sur  telle  ou  telle 
chaise  quand  clles  avaient  telle  ou  telle  idee.  C'est  pourquoi 
certains  de  ces  scrupuleux  sont  am^liores,  il  faut  le  savoir,  sim- 
plement quand  on  les  change  de  milieu  parce  que  tous  les  objets 
du  milieu  habituel  ont  pris  une  influence  evocatrice.  C'est  pour- 
quoi enfin  ils  retombent  malades  en  rentrant  chez  eux.  «  Je 
retrouve  toutes  mes  idees  en  rentrant  chez  moi  comme  un  paquet 
pose,  dit  Gisfele,  chaque  meuble  en  est  un  vrai  nid.  »  Elle  ne  se 
rappelle  les  lieux  et  les   temps   que  par  les  obsessions    qu^ellc 


72  L^S  IDfiES  OBSfiDANTES 

avait  dans  ces  circonstances,  et  en  ^voquant  telle  p^riode  de  sa 
vie,  elle  retombe  dans  une  obsession  correspondante . 

La  facilite  ct  la  complication  de  ces  associations  d'idees  peut 
aller  encore  plus  loin,  et  Thistoire  de  Jean  est  tout  a  fait  instruc- 
tive a  cet  egard.  II  a  des  obsessions  relatives  a  la  masturbation, 
mais  tout  lui  rappelle  la  masturbation.  Le  nez,  par  exemple,  lui 
semble  avoir  des  rapports  avec  les  organes  g^nitaux  parce  que 
les  odeurs  sont  excitantes  et  il  ne  peut  plus  porter  un  lorgnon  : 
«  c'est  comme  si  cela  me  comprimait  les  organes.  »  II  ne  peut 
plus  se  moucher  de  m^me  qu^il  ne  peut  plus  uriner  a  car  le  mou- 
chage  ou  Turinage  me  font  le  meme  effet  que  la  masturbation  ». 

Nous  avons  deja  vu  que  ses  scrupules  genitaux  se  sont  particu- 
lierement  localises  sur  deux  femmes  de  sa  connaissance.  Tout  ce 
qui  peut  lui  rappeler  Tune  ou  i'^utre  de  ces  deux  femmes  va 
evoquer  le  delire  et  Ton  est  etonne  de  la  subtilite  de  Tassociation. 
11  ne  peut  plus  marcher  avec  certaines  bottines  parce  qu'il  s'est 
aper^u  une  fois  qu'il  y  avait  sur  elles  le  chiffre  ^9.  Or  la  dame 
de  ses  pens^es  avait  ^9  ans  quand  Tobsession  a  commence.  II  a 
la  peur  du  chiffre  58  parce  qu'une  autre  dame  est  n^e  en  i858. 
II  ne  peut  ^crire  de  lettres  parce  que  la  correspondance  lui  fait 
penser  a  un  bureau  de  poste  oil  il  a  vu  cette  personne.  II  ne 
peut  se  coucher  dans  son  lit  parce  que  ce  lit  est  dirige  de  ma- 
niere  que  la  tete  soit  dans  la  direction  de  la  province  ou  se 
trouve  Tune  de  ces  dames  ;  il  ne  peut  manger  a  table  quand  il 
tourne  le  dos  au  quartier  Montmartre  ou  il  a  rencontre  Tautre. 
II  est  effray^  par  tons  les  noms  qui  commencent  par  un  A,  car 
ces  noms  evoquent  la  pens^e  d'un  de  ces  prenoms.  Le  dernier 
incident  peut  dispenser  d'enumerer  toutes  ces  associations  d'idees. 
On  lui  sert  a  table  un  giitcau  qu'il  trouve  bon,  et  par  malheur  il 
en  demande  le  nom.  Sa  mere  lui  repond  :  «  c'est  une  Charlotte.  » 
Une  terrible  crise  s'ensuivit  :  II  avait  avale  Charlotte,  il  avait 
sa  tete  dans  Testomac,  il  Tavait  dans  le  sang,  et  toutes  les  idees 
erotiques  c^taient  cpouvantablement  surexcitees  par  cette  presence 
continuelle  de  Charlotte  au  dedans  de  lui-meme. 

Bientot  Tassociation  semble  se  gcneraliser.  II  ne  suflit  pas 
que  la  moindre  consonance  vienne  faire  penser  a  Tune  de  ces 
deux  personnes.  Toute  femme,  lout  objet  de  la  toilette  feminine 
et  m6me  la  presence  de  sa  pauvre  mere  suffit  a  Evoquer  tout 
le  delire.  Un  detail  quelconque  capable  d'evoquer  la  pensee  de 
rinconduite  amene   le  m^me   resultat.   II  suflit  qu*il  ait  entendu 


LA  PERMANENCE  ET  L'tlVOCATlON  l)E  L'OBSESSION  73 

dire  qu*un  personnage  politique  n'a  pas  eu  une  mort  exemplaire 
pour  qu'il  ne  puisse  plus  voir  TElys^e,  ni  la  Chambre  des 
deputes,  ni  rien  de  ce  qui  a  rapport  a  la  politique,  si  bien  que  la 
vue  d'un  kiosque  de  journal  devient  le  point  de  depart  de  toutes 
ses  meditations  sur  les  deux  fcmmes  qui  le  pers^cutent. 

Chez  lui  les  associations  d'id^es  ne  sont  pas  forc^ment  directes, 
elles  peuvent  etre  tout  a  fait  indirectes  et  former  de  veritables 
cascades.  II  est  tourment^  parce  qu*il  a  dans  sa  poche  un  indica- 
teur  des  cours  qui  se  font  a  Paris.  Get  indicateur  ne  semble 
pourtant  rien  contenir  de  bien  critique  en  lui-mcme,  mais  il 
contient  Tindication  des  heures  du  cours  de  M.  D...  auquel 
Charlotte  a  ^te  assister  une  fois  quand  ellc  est  venue  a  Paris  il  y 
a  3  ans.  L'incident  provoque  par  le  gateau  qui  s'appelait  une 
Charlotte  recommence  dans  ded  circonstances  plus  complexes  : 
Jean  est  tres  tourmente  parce  que  :  i**  il  a  mange  du  pain  ; 
2^  que  ce  pain  vient  d'un  certain  boulanger ;  3^  lequel  boulanger 
a  ete  recommande  a  sa  mfere  par  un  ami ;  4"  dont  la  femme  est 
morte  r^cemment  un  certain  jour  ;  5"  qui  etait  prdcisement  I'an- 
niversaire  du  jour  ;  6**  ou  il  a  commence  a  etre  tourmente  relati- 
vement  a  Charlotte.  Dans  ces  conditions,  on  se  demande  s'il 
existe  un  objet  que  Jean  puisse  regarder  sans  qu'il  6veille  par 
association  son  delirc. 

J'insiste  sur  ce  phenomcne  de  Ti^vocation  de  Tobsession  par 
Tassociation  des  idees  parce  qu'il  joue  un  role  tres  important 
dans  revolution  de  la  maladie.  C'est  par  la  que  la  maladie  s^etend 
et  gagne  en  quelque  sorte  comme  une  tache  d'huile.  L'obsession 
qui  n'^tait  que  localisee  et  qui  ne  d^terminait  des  troubles  que 
sur  une  seule  pensee  semble  par  Tassociation  des  idees  s'etendre 
a  toutes  les  autres  pensccs  et  troubler  tous  les  actes  du  sujet. 

Precisement  a  cause  de  leur  importance  il  faut  bien  se  rendre 
compte  de  la  nature  de  ces  associations  d'idees.  Elles  sont  evi- 
demment  singulieres  et  ne  ressemblent  pas  aux  associations  d'idees 
que  nous  sommes  habitues  a  observer  dans  les  suggestions  des 
hyst^riques  par  exemple.  A-t-on  suggere  a  une  hysterique  qu'elle 
verra  un  portrait  sur  une  carte,  Thallucination  du  portrait  appa- 
rait  quand  elle  voit  cette  carte  dclerminee  reconnaissable  ii  des 
signes  precis,  elle  n'apparait  pas  sur  une  autre  carte  et  surtout 
elle  n'apparait  pas  arbitrairement  a  propos  de  n*iniporte  quoi. 
C'est  justement  cette  precision   de  Tassociation  qui  rend  Texpe- 


7i  LES  IDCES  OBSfiDANTES 

rience  possible.  De  m^me  la  vue  d*une  flamme  amene  ['hallucination 
de  rincendie  et  la  crise  d'hyst^rle  d'un  jeune  homme,jon  provoque 
encore  la  crise  en  lui  montrant  une  allumette  enflamm6e,  mais 
on  ne  la  provoque  pas  en  lui  faisant  voir  un  paquet  de  cigarettes 
ou  une  seringue,  quoique  a  la  rigueur,  d'apres  ce  que  nous  a  mon- 
tr^  Jean,  le  paquet  de  cigarettes  ou  la  seringue  puissent  faire 
penser  a  Tincendie.  En  un  mot,  dans  ces  cas  Tassociation  des 
idees  est  precise,  parce  qu'elle  est  organisee  d'avance,  qu'elle 
fait  partie  de  la  conception,  du  systeme  d'images  coordonn^es  qui 
constitue  Tidee  fixe  et  qui  est  invariable. 

Au  contraire,  chejs  le  scrupuleux,  un  objet  quelconque  semble 
pouvoir  jouer  le  role  d'^vocateur.  Quel  est  I'objet,  quel  est  m^me 
le  mot  que  Ton  pourrait  presenter  a  Jean  sans  qu*il  trouve  le 
moyen  d'y  rattacher  son  obsession  erotique  ?  11  semble  vraiment 
que  Tassocialion  ne  soit  qu'un  pretexte,  une  justification  que  le 
malade  so  donne  a  lui-meme  apres  coup.  Les  choses  se  passent 
comme  si  le  malade  commencait  par  penser  lui-m6me  presque 
tout  le  temps  a  son  obsession  et  cherchait  ensuite  avec  ingeniosite 
quel  rapport  lointain  pourrait  bien  exister  entre  son  obsession 
perp^tuelle  et  les  objets  ext^rieurs  afin  de  justifier  sa  preoccu- 
pation constante. 

Cs...  (4i),  femme  de  38  ans,  grande  hypocondriaque,  sc  plaint 
de  jouer  de  malheur  car  elle  rencontre  tout  le  temps  des 
objets  qui  lui  font  penser  a  la  maladie  u  une  bouteille  de  phar- 
macie  jetee  dans  le  bois  de  Boulogne,  vous  voyez  que  je  n'ai  pas 
de  chance  !  »  Je  fais  prendre  quelques  precautions  aux  personnes 
qui  la  surveillent  pour  que  Ton  evite  absolument  deparler  devant 
elle  de  maladies,  de  lui  montrer  des  malades.  EUe  ^chappe  a  la 
surveillance  pour  aller  chercher  des  malades  et  les  interroger  sur 
leur  mal,  puis  elle  pousse  des  cris  de  desespoir  en  se  plaignant 
qu'une  conversation  a  encore  rappele  son  obsession.  11  en  est 
evidemment  de  mcme  pour  Jean  qui  travaille  a  decouvrir  ces 
associations  d'idees  bizarres  dont  il  sc  plaint.  11  est  tres  preoc- 
cupe  par  les  femmes  de  chambre  qui  entrent  chez  ses  parents  et 
quand  ceux-ci  doivent  choisir  une  femme  de  chambre  nouvelle, 
il  cherche  avec  grand  soin  si  elle  n'^veillera  en  lui  aucune  asso- 
ciation d'idees  dangereuse  avant  d'accorder  son  consentement. 
Ses  parents  lui  proposent  un  jour  de  faire  entrer  une  femme  de 
chambre  dans  la  maison  et  lui  demandent  s'il  trouve  a  leur  choix 
quelques    inconvenients.    11  examine  minutieusement  les  noms. 


LA  TENDANCE  A  L'ACTTON.  L'ABSENCE  D'EXl^.CUTION  75 

prenoms,  pays  et  date  de  naissance,  figure,  antecedents  de  cette 
servante  et  ne  trouve  rien  a  lul  reprocher  :  la  femme  de  chambre 
est  done  admise.  Jean  reste  tres  inquiet  a  son  sujet,  il  examine 
tons  les  jours  tout  ce  qu'Il  apprend  sur  elle  et  cependant  pen- 
dant quinze  jours  il  est  forc^  de  convcnir  que  rien  en  elle  ne 
rappelle  Charlotte.  Mais  quelques  jours  apres  il  accourt  d(^sesper6 
me  dire  : «  qu'un  grand  malheu r  lui  arrive,  bien  par  hasard  :  il  savait 
depuis  Fentree  de  la  femme  de  chambre  qu'elleavait  ^t^  domesti- 
que  chez  unc  madame  Patissier  et  cela  ne  Tavait  pas  trouble,  mais 
brutalement,  comme  par  un  coup  de  baton,  Patissier  lui  a  rappele 
Galette,  or  parmi  les  amies  de  Charlotte  il  y  a  une  madame  Ga- 
lette  dont  elle  a  souvent  parl6.  N'est-ce  pas  malheureux  que  ses 
parents  aient  choisi  justement  une  femme  de  chambre  qui  le  fasse 
penser  a  Charlotte.  » 

Sous  cette  forme  Tassociation  n*est  point  du  tout  semblabic  a 
celle  qui  caracterise  les  suggestions  des  hysteriques.  Ce  n'est  pas 
une  association  automatique  resultant  de  liaisons  d'id^es  ancien- 
nement  ^tablies,  c'est  une  association  cherchee  et  construite 
actuellement  par  le  sujet.  C'est  une  manie  de  Vassociation  qui  est 
une  consequence  de  la  fixity,  de  la  permanence  de  Tidee  ou 
plut6t,  comme  on  I'a  vu,  de  la  manie  relative  a  cette  permanence. 
Nous  retrouvons  done  deja  dans  ces  premiers  caractcres  de  la 
permanence  et  de  revocation  des  idees  les  deux  tendances  carac- 
teristiques  de  Tobsession.  II  y  a  une  exageration  de  la  perma- 
nence et  de  revocation,  mais  cette  exageration  ne  consiste  pas 
en  une  necessite  complete  qui  s'impose  au  sujet,  il  y  a  quelque 
chose  de  volontaire  dans  ces  phenomenes  et  c'est  ce  double  phe- 
nomene  qui  constitue  une  sorte  de  tic  ou  de  manie. 


2.  —  La  tendance  k  I'action,  I'absence  d'ex6cution. 

Le  second  caractere  que  nous  presentent  les  obsessions  c'est 
I'impulsion,  c'est-a-dire  la  tendance  a  I'acte.  Ce  caractere  est  evi- 
demment  le  plus  important  au  point  de  vue  pratique,  puisqu'il 
constitue  le  danger  social  dc  cette  maladie.  Les  obsessions  crimi- 
nelles  surtout  vont  ^tre  fort  graves  si  elles  poussent  les  maladcs 
a  accomplir  reellement  les  meurtres,  le  suicide,  les  crimes  contre 
nature  auxquels  ils  revent.  C'est  aussi  le  caractere  quiintdresse 


76  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

le  plus  le  maladc,  car  il  est  6pouvaute  a  la  pens6e  qu'il  va  execu- 
ter  ces  crimes  et  une  grande  partie  de  son  mal  est  causae  par 
cette  terreur  de  Tex^cution. 

D^autre  part,  ce  caractere  de  la  tendance  a  Taction  est  si  reel 
dans  ces  id^es  que  beaucoup  d'auteurs  ont  meme  admis  une  classe 
particuli^re  parmi  ces  idees  maladives  qu*ils  designerent  par  le 
mot  d'impulsions,  pour  les  distinguer  des  autres  obsessions. 
Ceux  qui,  comme  M.  Arnaud,  reunissent  toutes  ces  idees  sous 
le  nom  commun  d'obsessions  admettent  encore  parmi  ces  obses- 
sions un  groupe  qui  serait  specialement  les  obsessions  impul- 
sives.  Je  crois  qu'il  faut  aller  plus  loin  encore  et  reconnaitre  que 
rimpulsion  est  un  caractere  commun  a  toutes  ces  obsessions,  bien 
qu'il  presente  des  degr^s  assez  variables. 

II  est  clair  que  ce  caractere  sera  plus  net  dans  le  groupe  que 
j'ai  appel^  les  obsessions  criminelles.  «  Toutes  mes  idees,  dit 
Du...,  ont  une  tendance  a  se  transformer  en  actes,  je  vais  Jeter 
mon  chien  par  la  fen^tre,  je  vais  bruler  un  billet  de  banque, 
frapper  un  enfant,  etc...  »  «  Quand  je  pense  au  chien  enrag6,  j'ai 
vraiment  envie  de  me  jetersur  les  gens  et  delesmordre.  »  «  Je  suis 
poussee  a  voler  les  gens,  a  organiser  des  plans  pour  faire  voler 
certaines  personnes,  a  faire  des  sacrileges  en  brisant  des  hosties, 
a  faire  des  choses  pas  convenables  la  nuit,  etc.  »  Ces  mots,  «  je 
vais  faire,  j'ai  envie  de  faire,  je  suis  pousse  a  faire,  »  reviennent 
sans  cesse  dans  le  langagedecesmalades.  On  a  souvent  d^montre 
et  on  pent  encore  le  verifier  en  etudiant  I'ex^cution  des  sugges 
tions  hypnotiqucs  que  ces  expressions  et  ces  sentiments  corres- 
pondent au  debut  de  Texecution  reelle,  ils  r^sultent  de  la  sensa- 
tion de  petites  contractions  musculaires,  de  petits  mouvements 
commenc<^s  dans  une  certaine  direction.  «  Mes  mains  se  dirigent 
vers  le  pot  a  tabac,  disait  Delbeuf  quand  il  decrivait  Tenvie  de 
rouler  une  cigarette.  »  «  Mes  mains  commencent  a  serrer  et  a 
frapper,  disent  tous  ces  impulsifs,  »  «  mes  mains  s'avancent  pour 
deboutonner  la  culotte  de  mon  pere,  disait  Vob.  »  On  peut 
d'ailleurs  constater  chez  beaucoup  ces  mouvements  du  corps,  ces 
changements  de  physionomie  qui  constituent  le  debut  de  Tac- 
tion. 

11  ne  faudrait  pas  croire  que  dans  les  autres  obsessions,  ce  ca- 
ractere impulsif  soit  absent.  «  Entre  les  obsessions  du  remords  ou 
de  la  crainte  d'un  acte  et  Tobsession  impulsive  il  n'y  a  pas  de 
demarcation  tranchee,  elles  sont  toutes  accompagnees  d'une  ten- 


LA  TENDANCE  A  L'ACTION.  L'ABSENCE  D'EXfiCUTION  77 

dance  a  Tacte  *  ».  «  La  phobie  d'un  acte  a  beaucoup  de  rapport 
avec  rimpulsion  a  un  acte  :  chez  tous  il  y  a  coexistence  de 
phobie  et  de  propension  impulsive... '  »  Aussi  retrouve-t-on  par- 
tout  ce  caractere  impulsif :  dans  les  impulsions  sacrileges,  il  y  a 
des  mouvements  pour  cracher  les  hosties,  pour  les  ddchirer,  des 
paroles  pour  blasphemer,  des  gestes  pour  exprimer  le  mepris. 
Dans  les  obsessions  de  honte,  Claire  se  laisse  aller  a  crier  tout 
haut  ses  pens^es  de  honte  :  «  Ah,  que  je  suis  coupable,  j'ai  la 
t6te  reraplie  de  vilaines  pensees,  c'est  terrible...  »  elle  se  roule 
par  terre  pendant  des  heures,  elle  dechire  ses  mouchoirs,  en 
use  ainsi  une  quarantaine  en  un  mois,  elle  mange  ses  draps 
de  lits,  etc.,  elle  est  obs^dee  par  la  pensee  qu'un  pr^tre  lui  met 
Thostie  consacr^e  aux  parties  et  elle  refuse  d'aller  a  la  selle,  etc. 
Nous  ne^consid^rons  pas  en  ce  moment  les  actes  beaucoup  plus 
nombreux  que  font  les  malades  pour  resister  a  leurs  obsessions. 
Nous  constatons  seulement  qu  ils  en  font  quelques-uns  pour  leur 
c6der. 

Dans  les  hontes  du  corps,  les  malades  sont  si  bien  pouss^s  a 
se  cacher,  a  ne  pas  manger,  qu'ils  changent  toute  leur  existence, 
restent  enferm^s  pendant  des  ann^es,  et  en  arrivent  a  des  6tats 
de  maigreur  effrayante.  Enfin,  les  hypocondriaques  sont  pousses 
a  prendre  des  precautions  invraisemblables  et  Jean  se  vante  avec 
raison  d'en  6tre  arrive  a  une  vie  d'ascete.  II  nous  faudra  meme 
revenir  sur  Tascetisme  fort  curieux  qui  resulte  de  la  maladie  du 
scrupule.  II  est  done  incontestable  que,  dans  toutes  ces  obses- 
sions, il  y  a  un  caractere  nettement  impulsif.  Sur  ce  point,  d'ail- 
leurs  se  confirme  la  loi  g^n^rale  qui  veut  que  dans  toute  idee 
predominante,  il  y  ait  une  tendance  au  raouvement. 

Le  probleme  important  consiste  a  savoir  jusqu'a  quel  point 
cette  tendance  a  Tacte  est  forte.  Beaucoup  d'auteurs  et  en  par- 
ticulier  Westphal,  qui  decrivait  Tun  des  premiers  ces  idces,  les 
appelle  des  impulsions  irresistibles,  et  beaucoup  font  de  Tirre- 
sistibilite  un  des  caracteres  essentiels  au  point  d'appeler  ces 
phenomenes  des  anancasmes  {a^orf%ry.  «  L'impulsion,  dit  M.  Bour- 

I.  L.  Groignac,  Des  impuhionset  en  partieuUer  des  obsessions  impulsives.  These 
de  Bordeaux,  1897-98. 

a.  Pitrcs  et  Regis,  Uapport  sur  les  obsessions  au  Congres  de  medecine  de  MoscoUf 
1897.  p.  47. 

3.  J.  Donalli  (de  Budapesth).  Arckiv.  f.  Psychialrie,  i8yG. 


:8  L£S  ID^ES  OBSfiDANTES 

din,  est  un  mode  d'actlvit^  cerebrate  qui  determine  irr^sistible- 
ment,  fatalement  la  production  d*un  mouvement,  d'un  acte  simple 
ou  complexe  '.  »  Cette  irr^sistibilite  semble  se  presenter  dans 
les  suggestions  hypnotiques,  dans  les  somnambulismes  hyst^ri- 
ques  oil  le  sujet  accomplit  rigoureusement  et  sans  h^siter  les 
actions  auxquelles  il  r^ve.  En  est-il  de  m^me  dans  ces  obsessions 
des  scrupuleux? 

Pour  un  premier  groupe  d^observations,  le  plus  important,  car 
il  contient  les  deux  tiers  des  malades,  la  reponse  ne  souleve  au- 
cune  difGculte.  Ces  obs^d^s  qui,  si  on  en  croit  leur  langage,  res- 
sentent  les  impulsions  les  plus  epouvantables,  n*ex^cutent  en 
r^alitc  rien  du  tout.  N'est-il  pas  curieux  que  dans  tant  d'observations 
d*obsessions  criminelles  portant  sur  plus  de  200  malades^recueil- 
lies  pendant  une  douzaine  d'ann^es,  je  ne  puisse  noter  aucan 
accident  r^el.  Je  n'ai  jamais  vu  aucun  crime  commis,  aucun  suicide 
accompli  par  un  de  ces  obsedes.  Ce  ne  pent  ^tre  la  un  fait  dA  au 
hasard  :  il  faut  qu'il  y  ait  dans  ces  obsessions  une  bien  faible 
tendance  a  passer  a  Facte.  C'est  ^videmment  en  plaisantant  que 
Ball  nous  decrit  son  emotion  en  presence  d'un  malade  de  ce 
genre,  k  Au  moment  oil  je  vous  parle,  lui  disait  son  malade, 
j'eprouve  un  vif  d^sir  de  vous  6trangler,  mais  je  me  retiens.  — 
Get  aveu  sincere  venant  de  la  part  d'un  homme  taill6  en  Hercule 
donnait  ii  reflechir...,  nous  dit  Tauteur.  )>  Qui  done  a  jamais 
pris  au  s^rieux  de  semblables  discours  des  obsedes  ?  D'ailleurs 
Ball  ajoute  tout  de  suite  :  a  Le  point  int^ressant  de  cette  curieuse 
observation,  c'est  que  cet  homme  n*a  jamais  commis  un  acte 
reprehensible  ;  il  est  toujours  reste  correct  et  a  toujours  pu  se 
retenir  au  moment  critique.  II  etait  bien  sur  les  frontieres  de 
la  folic  ^.  )) 

Ces  malades  disent,  il  est  vrai,  quails  resistent  avec  beaucoup 
de  peine  a  Timpulsion  ;  ils  emploient  toutes  sortes  de  proced^s 
plus  ou  moins  curieux  pour  rcsister.  Un  malade  c^Iebre  se  liait 
les  pouces  avec  un  ruban  pour  resister  a  Timpulsion  de  Thomi- 
cide.  Nos  malades  ont  tons  des  procedes  analogues  que  nous 
aurons  a  (^tudfier.  II  suffit  de  remarquer  maintenant  que  les 
impulsions    ne  doivent  pas  Hre  bien  terribles  puisque  de  pareils 


I.  V.  Bourdin,  De  I' impulsion,  spdcialemeut  dans  ses  rapports  avee  le  crime.  Th^ 
(Ic  Paris,  189^. 

a.   Ball,  Les  frontieres  dc  la  folie.  licvue  scientijlque . ,  i883t  I,  p.  3. 


LA  TENDANCE  A  l/AGTiON.  L'ABSENCE  D'EXfiCUTION  70 

simulacres  sudisent  pour  les  arr^ter  tous.  MoreP  avait  deja  not6 
que  les  impulsions  au  suicide  iraboulisseut  jamais  a  une  termi- 
naison  fatale,  Ladame  remarque  que  de  telles  impulsions  restent 
presque  toujours  theoriques,  nous  voyons  que  celte  conclusion  est 
exacte  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas. 

Un  deuxieme  groupe  d^ja  beaucoup  plus  restreint  contient  des 
malades  qui  ex^cutent  r^ellement  quelque  chose,  c'est-a-dire  qui 
font  certaines  actions  ayant  un  certain  rapport  avec  leur  obses- 
sion. Pr...  (210),  femme  de  82  ans,  a  6t^  trfes  emue  par  la  ren- 
contre d'un  homme  dans  un  couloir  obscur,  elle  reste  obsedee  par 
la  pens^e  que-cet  homme  a  r^ellement  abus^  d*elle,  qu'elle  est 
enceinte  et  qu'elle  veut  se  faire  avorter.  Ne  pouvant  r^sister  da- 
vantage  a  cette  impulsion  qui  la  d^sespere,  elle  a  cede  et  a 
pris...  une  cuiller^e  a  cafe  d'huile  de  ricin.  Ger...  pour  me 
prouver  qu'elle  ne  pent  r^sister  a  Tidee  de  tuer  son  enfant, 
me  raconte  qu'elle  Ta  pouss^e  avec  la  main.  Elle  voulait  a  se 
ddtruire  et  savait  qu*un  flacon  de  laudanum  la  tuerait,  aussi 
elle  en  a  pris  trois  gouttes.  C'est  bien  la  preuve,  dit-elle^ 
qu'une  autre  fois  elle  prendra  le  flacon  tout  entier  ».  Qes... 
qui  veut  se  jeter  par  la  fenetre  se  contente  de  se  jeter  par  terre 
dans  sa  chambre.  Vi...  n'achete  pas  reellement  du  poison,  commc 
elle  le  reve,  mais  elle  entre  cependant  chez  le  pharmacien  et 
achete  deux  sous  de  violettes,  pour  prendre  quelque  chose.  Jean 
ne  semble  ceder  en  aucune  maniere  a  ses  innombrables  impul- 
sions ^rotiques  ;  mais  il  vous  fait  observer  lui-m^me  qu'il  ne 
ferme  pas  completement  la  braguette  de  son  pantalon^  c*est  tout 
ce  qu'il  pent  faire  comme  crime  genital.  Les  sacrileges  qui  songent 
a  souiller  les  autels  se  bornent  tout  au  plus  a  prononcer  du  bout 
des  Ifevres  le  mot  «  cochon  »  en  pensant  au  bon  Dieu.  D'ailleurs, 
on  pourrait  considerer  les  paroles  comme  des  actes  incomplets 
de  ce  genre  et  ces  malades  qui  ne  tuent  pas  commencent  un  peu 
a  realiser  leur  obsession  en  parlant  de  tuer. 

A  cot^  de  ceux-ci,  d'autres  semblent  realiser  davantage  leur 
idee,  mais  il  faut  noter  qu'ils  prennent  eux-m<^mes  des  precautions 
curieuses  pour  que  leur  action  n'ait  aucune  consequence  et  reste 
insignifiante.  Tel  est  le  cas  int^ressant  rapport^  par  Ball  :  «  on 
cite,  dit-il,  le  cas  d'un  homme  d'Ktat  c^lebre  qui  a  rempli  dans 
son  pays  les  fonctions  politiques  les  plus  clevees  et  qui,  lorsqu'il 

I.   Morel,  Dilire  emotif,  p.  4oo. 


80  LES  IDfiES  OBSfiDANTES 

dine  en  ville,  est  invariablement  accompagn^  d*un  domestique 
sp^ciaiement  chargd  de  rapporter  a  domicile  les  converts  d'ar- 
gent  que  son  maitre  ne  manque  jamais  de  dumber  ^  »  Je  suis  dis- 
pose a  croire  que  si  ce  personnage  prenait  r^ellement  les  couverts 
c'est  parce  quMI  comptait  sur  la  presence  de  son  domestique. 
Voici  un  cas  du  m^me  genre  :  Bs...  (187),  un  homme  de  4i  ans, 
qui  a  rimpulsion  au  suicide  a  la  suite  d'une  obsession  amoureuse, 
commence  par  se  mettre  au  telephone,  appelle  sa  mere  et  son 
m^decin,  v^rific  s'ils  I'^coutent  et  leur  annonce  que  maintenant 
c'est  fini  et  qu'il  avale  du  chloroforme.  Naturellement  on  court  a 
son  secours  eton  constate  qu'il  a  reellementpris  une  certaine  dose 
de  chloroforme  ;  il  estd'ailleurs  trfes  heureux  de  se  laisser  soigner. 
Ces  derniers  cas  nous  permettent  de  comprendre  comment  de 
temps  en  temps,  d'une  mani^re  exceptionnelle,  il  pent  arriver  des 
accidents.  L'obsede,  qui  ne  voulait  ex^cuter  qu'un  simulacre,  a 
mal  pris  ses  precautions  et,  si  Tacte  s'execute  compl^tement, 
c*est  tout  a  fait  contre  les  intentions  du  malade.  M.  S^glas*  fait 
aussi  tres  justement  remarquer  que  Tobs^d^  pent  se  laisser 
aller  a  des  actes  extremes  sans  ceder  pour  cela  a  des  impul- 
sions, lis  en  arrivent  quelquefois,  assez  rarement  a  mon  avis, 
au  suicide,  non  parce  qu'une  obsession  impulsive  se  realise, 
mais  parce  qu'ils  sont  d^sesperes  par  leur  maladie  et  qu'ils  se 
tuent  de  sang-froid.  M.  Nicoulau  ^,  dans  un  article  int^ressant, 
montre  une  femme  obs^d^e  par  Tidee  et  la  terreur  de  la  mort 
qui  en  arrive  a  des  tentatives  de  suicide  pour  6chapper  a  Tan- 
goisse  causae  par  la  crainte  de  la  mort.  En  dehors  de  ces  cas 
exceptionnels,  la  realisation  de  Timpulsion  est  chez  les  malades 
de  ce  groupe  tout  a  fait  insignifiante. 

II  me  semble  necessaire  d^admettre  un  troisieme  groupe  com- 
post d'un  petit  nombre  de  malades  qui  semblent  ex<^cuter  com- 
pletement  ou  du  moins  d'unc  maniere  assez  grave  des  actes 
en  rapport  avec  leurs  obsessions.  Ce  seront,  pour  prendre 
quelques  exemples,  les  honteux  de  leur  corps  qui  refusent 
r^ellement  de  manger,  les  dipsomanes,  les  morphinomanes  et 
les  malades  du  meme  genre  qui  s'intoxiquent  r^ellemenf. 


I.  Ball,  Revue  scientifique,  i883,  I,  p.  a. 

3.  Soglas.  Lemons  sur  les  maladies  mentales,  1895,  p.  87. 

3.   .Nicoulau.  Thanalophobie  et  suicide.  Ann.  med.  psychol.,  189a,  I,  p.  189. 


LA  TENDANCE  A  L' ACTION,  L'ABSENCE  D'EXfiCUTlON  81 

On  a  cl6ja  vu  le  cas  typique  de  Nadia  qui,  de  peur  de  grossir, 
de  se  d^velopper,  ne  mangeait  plus  chaque  jour  qu'un  peu  de 
bouillon,  un  jaune  d'ceuf,  du  the  et  du  vinaigre.  Voici  un  second 
cas  du  meme  genre  :  Red...,une  jeune  (ille  qui  avait  toujourset^ 
tres  impressionnabie  et  tres  scrupuleuse,  a,  vers  i8  ans,  une  pre- 
miere crise  de  refus  d'aliments.  Kile  fut  examinee  a  ce  moment 
par  MM.  Brissaud  et  Souques  *  qui  publicrent  une  observation 
dans  la  nouvelle  Iconographie  de  la  Salp^triere  sous  ce  titre  Delire 
de  maigreur.  Elle  etait  en  effet  d'une  maigreur  squelettique, 
elle  guerit  cependant  en  ce  sens  qu*elle  consentit  rapidement  a 
s'alimenter  et  reprit  ses  forces  et  son  embonpoint.  Mais  a  20 
ans  le  meme  accident  reparut,  plutot  plus  grave  ;  elle  recom- 
menga  a  refuser  de  manger  et  en  outre  elle  s'efforcait  de  provo- 
quer  les  vomissements  quand  elle  avait  mang^  et  prit  Thabitude 
de  vomir  tres  facilement.  La  maigreur  et  la  faiblesse  redevinrent 
de  nouveau  tres  inqui^tantes  et  elle  fut  reconduite  a  la  Salpe- 
trifere  oil  j'ai  pu  6tudier  cette  seconde  crise. 

Elle  6tait  dans  un  ^tat  d*inanition  tres  avanc6,  tr^s  maigre,  la 
peau  seche,  rugueuse,  froide,  la  langue  s^che  et  rouge,  la  respi- 
ration rapide,  le  pouts  petit  et  pr^cipit^  ;  elle  avait  certainement 
pouss^  tres  loin  le  refus  des  aliments  et  les  efforts  de  vomisse- 
ment.  J^hesite  cependant,  comme  pour  Nadia  et  pour  les  m6mes 
raisons  a  faire  de  cette  malade  une  anorexique  hyst^rique.  Dans 
toute  son  histoire,  avant  et  apres  cet  accident,  Red...  n'a  jamais 
pr^sent6  aucunphenomene  hyst^rique;  pendant  longtemps,  avant 
Tapparition  des  accidents  graves,  elle  avait  conserve  le  senti- 
ment de  la  faim  ;  elle  n*a  jamais  eu  de  besoin  exager^  de  mouve- 
ment.  D'autre  part,  c'etait  tout  a  fait  une  scrupuleuse  :  elle  avait 
commence  par  se  reprocher  les  oublis  de  confession,  elle  avait 
imaging  de  s'astreindre  a  bien  des  pratiques  superstitieuses 
et  malgre  ses  efforts  elle  etait  sans  cesse  inqui^te  et  tourment6e. 
Bile  ^tait  obsedee  par  la  vue  des  miseres,  des  maladies, 
par  Tetat  meme  de  la  temperature  :  cc  c'etait  sa  faute  s'il  y 
avait  tant  de  malades,  c'etaitsa  faute  s'il  faisait  mauvais  temps  et 
si  les  pauvres  gens  en  souffraient.  »  Dans  ces  conditions  elle 
avait  cru  voirun  cerclede  feu  et  Tavait  interprete  en  disant  qu'elle 
<^tait  damnee.  Elle  restait  obsedee  par  la  pensee  que   sa  damna- 

I.  Brissaud  et  Souques,  Delire  dc  maigreur.  NouveUe  Iconographie  de  la  Salp^- 
Irierc,  1896. 

LES  OBSESSIONS.  I.   6 


S^  LfeS  IDfiES  obs^:daNtes 

tlon  la   rendait  indigne   de   manger.    C*est   ce    qui  avait  d6ter- 
min6  la  premiere   crise  de  refus  d'aliments,    a  i8   ans.  Ce   refus 
avait  cesse  a  Thopital  en  vertu  de  ce  raisonnement :   «  ici  on    nie 
force  a  manger,  je  ne  suis  done  pas  respousable  si  je  ie  fais.  »  La 
seconde  crise  a  Tage  de  ao  ans  se  rattachait  ^galement  au   scru- 
pule  d'une  maniere  tres  nette  quoique  differente  :   elie  etait  deve- 
nue  honteuse  d'elle-m^me,  a   la    suite   de  toutes  les    reflexions 
pr^cedentes,  elle  s'imagina  que  sa  digestion  etait  ridicule,  qu*elle 
determinait  des  rougeurs  au   visage    et    surtout  des   Eructations 
bruyantes.  Elle  avait  d'autant  plus  honte   de   ces  choses   qu*elle 
devait  se  rendre  apres  son  repas  au   cours  d'un  professeur  dont 
elle  Etait  tout  a  fait  amoureuse.  C'est  a    ce   moment  qu'elle  se 
sentitpoussee  a  ne  plus  manger  eta  vomir  pour  dEbarrasser  Testo- 
mac.  Je  cite  rapidement  pour  montrer  la  frequence  du  fait  le  cas 
d'un  jeune  homme  de  26  ans,  As...  (102),  parvenu  lui  aussi  comme 
le  montre  sa  photographic*  a  un  etat  de  maigrcur  invraisembiable. 
11  avait  pris  Thabitude  des  vomissements  provoques  pour  des  rai- 
sons  du  meme  genre  dependant  de  la  honte  du  corps  et  de  Thy- 
pocondrie.  Dans  ces  cas,  Timpulsion  semble  done  se  realiser  d'une 
maniere  grave  par  le  refus  d'aliraents  et  Tinanition. 

A  ces  observations,  je  voudrais  rattacher  un  cas  plus  curieux 
oil  le  scrupule  amene  aussi  une  maladea  faire  de  grandes  sottises. 
On  a  vu  Tobsession  amoureuse  de  Byl...,  cette  jeune  fille  qui 
par  suite  de  la  honte  d'elle-mEme,  a  force  de  s'imaginer  qu'elle 
etait  laide,  indigne  de  tenir  son  rang  etait  devenue  amoureuse 
d'un  ganjon  jardinier  de  la  maison.  Ce  qui  est  curieux  c*est  que 
I'acte  chez  elle  semble  avoir  suivi  Tobsession :  elle  attend  qu'elle 
ait  21  ans  pour  avoir  sa  liberte,  la  nuit  a  I'aide  d'une  Echelle 
elle  monte  dans  la  chambre  de  ce  gargon,  lui  fait  sa  declaration, 
Tembrasse,  et  lui  fait  promettre  de  la  demander  a  ses  parents. 
Le  lendemain  elle  raconte  son  equipee  a  ses  parents  et  avec  un 
entejement  formidable  s'obstine  dans  son  projet  de  manage.  Ne 
peut-on  pas  considerer  de  nouveau  ce  cas  comme  une  execution 
considerable  d'une  obsession  scrupuleuse  ?  Ces  faits  nous  montrent 
done  a  Tinverse  des  precedents  que  dans  certains  cas  qui  ne  sont 
pas  frequents  ces  impulsions  presentent  une  certainc  force  sufH- 
sante  pour  determiner  des  actes  reels. 

Cependant  je  ne  crois   pas  que  Ton  puisse  d'apr^s  ces  seuls 

I.  Cf.  2*^  volume  dc  cet  ouvragc,  observation  102. 


LA  TENDANCE  A  L*AGTI0N.  L'AliSENCE  D'EXfiCUTION  S'S 

exeniples  rapprocher  ces  obsessions  des  suggestions  ou  des  im- 
pulsions hyst^riques  qui  s'executent  autoniatiqucment.  L'execu- 
tion  quoiqu'avancee  n'est  pas  en  r^alite  complete,  ces  malades  ne 
refusent  pas  tout  a  fait  de  manger,  elles  reduisent  seulement 
d'une  maniere  enorme  leur  alimentation.  Byl...,  dans  la  chambre 
du  cocher,  se  borne  a  se  laisser  embrasser,  mais  en  somme  ne 
lui  cede  pas.  Une  fois  guerie,  elle  nous  avouc  qu^cUc  n'^tait  pas 
bien  certaine  d'aller  jusqu'au  bout  de  ce  manage  et  qu'elle  aurait 
ete  bien  embarrassee  si  ses  parents  n'avaient  pas  r^siste.  Une 
deuxicme  rem'arque  nous  montre  que  ces  malades  qui  refusent  de 
manger  vont  en  somme  plus  loin  qu'elles  ne  croient  aller.  Ce 
sont  des  jeunes  gens  tres  ignorants  des  notions  d'hygiene  qui  ne 
se  rendent  pas  compte  du  danger  de  leur  alimentation  insuffi- 
sante.  Nadia  m'assure  qu*elle  n'avait  jamais  eu  Tintention  de 
mourir  de  faim  et  qu*elle  aurait  cesse  si  elle  avait  cru  sa  vie  en 
danger.  Ces  malades  qui,  nous  le  verrons,  ne  peuvent  arriver  a 
croire  ne  sont  pas  convaincus  par  les  affirmations  de  leur  entou- 
rage, ils  se  comportent  un  peu  commc  les  obs^des  dont  nous 
venons  de  parler  qui  se  suicident  r^ellement,  quand  ils  croient 
ne  faire  qu'un  simulacre.  Ajoutons  qu'une  fois  entres  dans  cette 
voie  ils  pr6sentent  des  troubles  de  Testomac  et  peut-etre  des 
delires  par  inanition  qui  changent  le  caractere  de  la  maladie.  Je 
ne  crois  done  pas  que  ces  cas  evidemment  plus  embarrassants 
doivent  changer  notre  conception  primitive,  sur  le  peu  de  puis- 
sance de  ces  impulsions. 

II  reste  encore  des  obscurites  dans  ce  probleme  difficile  :  cer- 
taines  obsessions  impulsives  semblent  avoir  le  singulier  privilege 
de  passer  a  I'acte  beaucoup  plus  regulierement  que  les  autres. 
Je  citerai  par  exemple  la  morphinomanie  et  la  dipsomanie. 
Jc  me  demande  si  Tabsorption  du  poison  ne  change  pas  les 
conditions  dans  lesquelles  se  developpe  Tobsession.  Apres 
les  premiers  verres  Telat  mental  du  scrupuleux  d*ordinaire 
ind^cis,  hesitant,  incapable  d*aller  jusqu'au  bout  de  rien 
est  change.  Le  fait  est  evident,  et  Ton  connait  ces  ereu- 
tophobes  qui  ont  besoin  de  se  griser  pour  pouvoir  affronter  les 
regards.  On  sait  aussi  que  la  morphine  lalsse  dans  Torganisme 
des  substances  capables  de  provoquer  le  besoin  intense  du  poison 
primitif :  il  se  pent  que  ces  modifications  de  Torganisme  cntrent 
pour  une  certaine  part  dans  la  realisation  auormale  de  ces  impul- 
sions. 


84  I  ES  IDltES  OnS^DAXTES 

Enfin   on    peut   ciler   des  cas   dans  lesquels   des  obs^d^s  ont 
coromis  de  v^ritables   crimes,  je   n'en  ai  pas  observe  pour  ma 
part.  Mais  voici  une  curieuse  observation  de  M.  Vallon:  un  indi- 
>idu  obsed^  depuis  longtemps  par  Tid^e  de  tuer  une  fille  publi- 
que  finit  par  tirer  sur  une  femme  plusieurs  coups  de  revolver  *. 
Je  ne  puis  m'empecher  de  douter  dans  ces  cas  de  Texactitude  du 
diagnostic:  il  me  semble  probable  que  d'autres  facteurs:  epilepsie, 
alcooiisme,  aSaiblissement  intellectuel,  imbecility  ont  dd  inter- 
venir  et  modifier   le    pronostic    habituel   des   obsessions.  C'est 
d'ailleurs  ['opinion  d^ja  d^fendue  dans  le  rapport  de  MM.  Pitres 
et   Regis'  et  dans  la   these    de    M.    Le    Groignac    sur    les    im- 
pulsions'. 

Toutes  les  fois  que  j*ai  eu  Toccasion  d'examiner  un  malade 
qui  avait  ced^  a  ce  genre  d'obsessions,  j'ai  di!k  constater  que  ce 
n'^tait  pas  un  obs^d^  typique  se  rattachant  aux  psychastheniques 
que  j'etudie  dans  eet  ouvrage  mais  qu'il  s*agissait  d'une  autre 
maladie  mcntale.  Voici  par  exemple  un  personnage  c^lebre,  le 
nomm^  Mau...,  qui  a  ete  ^tudie  par.Chambard,  par  Luys,  par  bien 
d'autres  et  qui  a  echoue  pendant  quelque  temps  a  la  Salpetriere. 
Parmi  ses  innombrables  obsessions,  il  a  maintenant  celle  des 
«  petits  cheveux  ».  II  lui  faut  couper  les  petits  frisons  des  femmes 
dans  le  cou,  ou  les  poils  du  pubis,  et  quand  il  les  a  dans  sa 
possession  il  arrive  a  T^jaculation.  Cette  impulsion  est  vraiment 
chez  lui  tout  a  fait  irresistible,  il  devient,  comme  il  le  dit,  som- 
nambule  et  s'empare  r^ellement  des  «  petits  cheveux  »  malgre  les 
plus  grands  dangers. 

Dans  ce  cas  et  d^autres  du  m^me  genre  Timpulsion  se  realise 
complMement  d'une  mani^re  irresistible.  C'est  a  mon  avis  que  le 
terrain  psychologique  n*est  plus  du  tout  le  meme  et  que  la  ma- 
ladie est  differente.  Mau...  a  une  anesthesie  tactile  g^n^rale,  un 
r^trecissement  du  champ  visuel  a  3o°,  il  a  des  somnambulismes, 
des  fugues  suivies  d'amn<^sic,  etc.  En  un  motc*est  un  hysterique, 
nous  retombons  dans  le  mecanisme  de  la  suggestion  et  de  Tidee 
fixe  hysterique.  II  faut  savoir*  que  ces  maladies  mentales  ne  sont 
pas  caracterisees  par  le  contenu  de  Tobsession  mais  par  la  forme 
psychologique  qu'elle  prennent.  Une  hysterique  peut  etre  eroto- 

1.  Vallon.  Socieie  medico -psychologique,  28  avril  1896. 

2.  Pilres  ct  Rcf'gis,  op.  cit.,  1897,  P-  ^*^' 

3.  Le  Groignac,  Des  impulsions  et  en  particulier  des  obsessions  impulsives.  Th^se  de 
Bordeaux,  1897-98. 


LA  TENDANCE  A  LA  REPReSENTATrON.  L'llALLUGINATION  SYMBOLIQUE    85 

mane  comme  Jean,  mais  elle  r^alisera  son  impulsion  d'une  toute 
autre  mani^re.  Je  crois  done  que,  si  on  rencontre  des  obsessions 
quis'ex^cutent  d*une  toute  autre  maniere  que  celle  qui  vient  d'etre 
decrite  il  est  bon  de  les  rattacher  a  d'autres  maladies:  Tepilepsic 
ou  rhyst^rie  par  exemple  et  non  a  Tetat  mental  psychasthenique 
que  nous  etudions  maintenant. 

En  resume,  les  obsessions  des  scrupuleux  pr^sentent  une  cer- 
taine  tendance  impulsive,  une  certaine  disposition  a  passer  a 
Tacte.  Mais  cette  disposition  loin  d'etre  irresistible  comme  on  Fa 
dit  a  tort  n'est  jamais  complete,  le  malade  s'effraie  de  son  impul- 
sion plus  qu*il  ne  lui  ob^it.  II  dprouve  un  singulier  besoin  de  la 
croire  terrible  et  irresistible  ;  il  y  a  comme  une  vanite  du  crime, 
comme  un  secret  d^sir  de  se  croire  pouss^  au  crime  qui  lui 
fait  effectuer  tant  bien  que  mal  certains  commencements  d*ac- 
tion.  Ce  n'est  que  par  accident  que  ces  simulacres  deviennent 
des  realit^s.  Ici  encore,  c'est  une  manie  de  croire  a  Timpulsion 
plus  qu*une  impulsion  proprement  dite. 


3.  —  La  tendance  S  la  representation,  1' hallucination 

symbolique. 

A  cote  du  developpemcnt  des  elements  moteurs  et  de  la  ten- 
dance a  Taction,  il  Taut  placer  le  developpemcnt  des  <^lemcnts 
rcpresentatifs  et  la  tendance  a  Thallucination.  Les  obsed^s  que 
nous  Studious  sont-ils  susceptibles  d'avoir  au  cours  de  leurs  ob- 
sessions de  v^ritables  hallucinations?  La  question  a  souleve  bien 
des  controverses.  M.  Jules  Falret  avait  soutenu  autrefois*  qu'un 
des  caractcrcs  distinctifs  de  ces  obs^des,  c'est  qu'ils  n'arrivent 
jamais  a  Fhallucination  veritable  :  cette  proposition  trop  absolue 
a  cte  vivementcontredite.  Buccola,  Tamburini,  Seglas',  Stefani', 


I.  Jules  Falret,  Obsessions  intollcctuellcs  el  cmotives.  Rapport  au  Congres  inter- 
national de  medecine  mentaie.  Paris,  1889  ;  Archives  de  neurologic,  1889,  II,  274. 

a.  Soglas,  Do  I'obscssioa  hallucioatoirc  et  do  rhallucination  obsedantc.  Ann.  med, 
psychol.,  3o  nov.  1891,  Legons  cliniques,  p.  107. 

3.  Stefani,  Ann.  mid.  psychol.,  189a. 


80  LES  inKES  OBSflDANTES 

Catsaras*,  Larroussinie^,  Raymond  et  Arnaud^  ont  soutcnu  Texis- 
tence  de  «  Tobsession  hallucinatoire  ».  J'ai  moi-meme  insists  a 
diverses  reprises  surtout  en  etudiant  les  ideas  fixes  de  Justine  sur 
les  hallucinations  remarquables  qui  accompagnaient  ses  obses- 
sions ^  11  semble  done  qu'il  y  ait  deux  opinions  tout  a  fait  contra- 
dictoires  sur  ce  point. 

Cette  contradiction  pent  s'expliquer  d'abord  d'une  maniere 
assez  simple.  Dans  certains  cas  les  auteurs  ne  parlent  pas  des 
m^mes  malades.  Je  reconnais  pour  ma  part  que  les  obs^dees  hal- 
lucin^es  que  j'ai  decrites  comme  Marcelle  et  Justine  etaient  des 
hysteriques.  II  est  probable,  etant  donnees  la  frequence  et  Tim- 
portance  des  idees  fixes  chez  les  hysteriques  qu'il  doit  en  (itre  de 
meme  pour  quelqucs-uns  des  malades  hallucin<^s  decrits  par  les 
autres  auteurs.  La  proposition  de  M.  Falret  resterait  vraie  pour 
les  obsedes  proprement  dits  du  type  psychasth^nique. 

La  question  reste  cependant  embarrassante,  car  au  moins  un 
certain  nombre  de  ces  derniers  malades  presentent  des  pheno- 
menes  tout  voisins  de  Thallucination  dont  la  nature  doit  6tre 
discutee.  Les  hypocondriaques  arrivent  a  se  representcr  certains 
phenomenes  visceraux  comme  s'ils  avaicnt  des  hallucinations  du 
sens  organique.  Je  ne  parle  pas  de  leurs  dysesth<^sies  que  j'^tu- 
dierai  plus  tard  a  propos  des  troubles  emotlonnels.  Je  parle 
de  representations  visc^rales  et  tactilcs  qui  semblent  assez 
intcnses  quoique  imaginalres.  Une  malade  de  Wernicke,  citee 
par  MM.  Pitres  et  Regis,  avait  la  sensation  d'etre  couverte  de 
poux,  les  voyait  ct  entendait  leur  bruissement^.  Une  dc  nos 
malades,  Mae...,  femme  de  5o  ans,  qui  a  accouche  it  IVige  de 
22  ans,  a  longtemps  soufl'ert  de  son  ventre.  11  lui  prend  main- 
tenant  a  tout  instant  «  des  crises  d'accouchement  »,  elle  pretend 
tout  ressentir  avec  precision  dans  les  reins,  dans  le  ventre,  dans 
les  jambes  comme  si  elle  accouchait :  «  c'est  au  point  de  s'y  me- 
prcndre,  dit-elle.  »  Deux  autres  ont  I'idee  fixe  d'un  vcr  intes- 
tinal :  chez  Mort...,  femme  de  63rans,  a  le  ver  remontc  a  la  gorge, 

I.   Catsaras,  Ann.  mcH.  psychol.^  1892. 

3.   Larroiissiilic,  Hallucinations  siicccdant  k  des  obsessions.    Archives  dc  neurol., 
l8()6,  II,  p.  33. 
3.   Uaymond  ct  Arnaud,  Ann.  mcd.  psychoL,  1892,  II,  2o/|. 
!\.  Hevue  philosophique ,  fe>rier  1894.  — ^ievroses  et  Idees  fixes,    1898,  I,  p.  161, 

5.  Wernicke,  Deutsche  med.  Wochensch.,  23  juin  1892  ;  Pilrcs  ct  Regis,  op.  cit., 
p.  58, 


LA  TENDANCE  A  LA  riEPRfiSENTATION,  L'^ALLUCINATFON  SYMBOLIQUE     87 

il  vientlui  donner  un  petit  coup  dans  la  bouche  puis  il  redescend  : 
il  est  tantAt  dans  le  dos,  tant6t  a  restomac.  «  Vous  n'entendez 
pas  le  ver  grouiller,  il  me  remonte  de  nouveau  a  la  gorge  et  il 
faut  que  je  prenne  une  gorg6e  d'eau  pour  le  faire  redescendre  ». 
Bd...  a  un  ver  solitaire  dans  le  ventre  «  elle  sent  par  ses  glis- 
sements  froids  qu'il  se  pelotonne  jusqu'a  T^pigastre.  C'est  un 
ver  araign^e  qui  a  de  grosses  pattes  velues  comme  une  araignee  ». 
Comme  type  d*hallucinations  du  sens  tactile  on  pent  ^tudier  les 
fluides  de  Jean.  II  sait  toujours  cxactcment  dans  quelle  direction 
est  situ^e  par  rapport  a  lui  la  dame  de  ses  pens^es.  S'il  marche 
dans  cette  direction  ou  s'il  a  le  visage  tourne  vers  ce  point 
tout  va  bien  :  il  pent  a  la  rigueur  resister.  Mais  ce  qui  est 
terrible  c'est  quand  il  tourne  le  dos  a  ce  point  de  Tespace  ; 
alors  le  fantome  est  dans  son  dos  et  se  permet  mille  extrava- 
gances. II  determine  des  chatouillements,  des  frissons,  des 
«  fluides  »  et  la  situation  est  intenable.  Aussi  Jean  se  pr^occupe-t-il 
enormdment  de  I'orientation  de  son  lit  dans  la  charabre,  de  sa 
chaise  a  table.  II  en  change  la  position  jusqu'a  ce  qu'il  ait  trouve 
une  situation  oii  il  ne  tourne  plus  le  dos  a  ce  fantome  dangereux. 
Le  malheur  c'est  qu'il  y  a  une  autre  personne  situee  dans  une 
autre  direction  qui  exerce  a  pen  pres  la  m^me  influence  et  il  est 
bien  difficile  de  trouver  une  situation  qui  ne  I'expose  ni  a  Tune,  ni 
a  I'autre. 

Les  hallucinations  auditives  sont  assez  rares  :  en  voici  quelques 
exemples.  John  Bunyan,  auteur  mystique  anglais,  atteint  ^videm- 
ment  du  delire  du  scrupule,  entend  un  jour  une  voix  qui  lui  dit : 
«  veux-tu  hiisser  tes  peches  et  avoir  le  ciel  ou  conserver  tes 
peches  et  avoir  Tenfer  »  et  il  voit  J^sus  dans  le  ciel*.  M.  Lepine 
cite  une  observation  singuliere  d'une  malade  obs^dee  qui  est 
contrainte  d'entendre  une  voix  repetant  toujours  une  serie 
de  25  mots.  L'observation  un  peu  abregee  me  parait  cependant  se 
rapprocher  de  nos  malades^.  M.  de  Sanctis  rapporte  une  singu- 
liere obsession  musicale,  obsession  qui  peu  a  peu  devient  impul- 
sive et  contraint  le  sujet  h  chanter  interieurement  le  m^me  air  '. 
Dans  une  observation  de  M.  Larroussinie,  des  voix  viennent  a 
I'appui  de  la  pens^e  de  la  malade  et  formulent  les  memes  repro- 

1.  Josiah  Roycc,  The  case  of  John  Bunyan.  Psychological  Review,  iSq^'i,  32. 

3.  Lepine,  Obsession  verbale  et  auditive.  SociHe  de  mMecine  de  Lyon,    la  juillet 

3,  S.  de  Sanctis,  Obsession  et  impulsion  musicale.  Policlinico^  III,  n*>  4,  i8q6, 


S8  LES  lOEES  OBSfiDANTES 

ches  querobsessionMJnedenos  malades,  Per...,obsec[ee  parune 
honte  du  corps  relative  a  des  poils  sur  son  visage,  entend  au  tra- 
vers  du  mur  ses  voisins  murmurer  :  «  poilue,  poilue !  »  Jean  a 
aussi  dc  ces  hallucinations  auditives  :  il  est  obs^de  par  le  souve- 
nir d'une  femme  de  chambre  en  i'honneurde  laquelle  il  eut,  croit 
il,  ses  premieres  ejaculations.  Ce  visage  tr6s  laid,  d'ailleurs,  nous 
Savons  que  Jean  n'est  obscde  que  par  les  femmes  vieilles  ou  tres 
laides,  se  dessine  de  profil.  II  est  aniine  de  mouvements,  la  bou- 
che  peut  s'ouvrir  et  le  fant6me  se  met  a  rire.  Ce  rirc  d'abord 
modere  est  devenu  en  quelques  ann^es  absolument  enorme,  c'est 
un  fou  rire  demesure  qui  lui  ouvre  la  bouche  jusqu^aux  oreilles. 
Ce  rire  est  determine  par  les  actions  du  pauvre  Jean,  car  la  femme 
dc  chambre  le  surveille  et  se  moque  de  lui  d'une  manierc  indigne 
de  quelque  maniere  qu'il  se  conduise.  Entre-t-il  dans  un  tramway 
ou  il  risque  de  se  trouver  assis  aupres  d'une  femme,  Timage  de 
la  femme  de  chambre  se  met  a  rire  parce  qu'il  est  tourmente  par 
savoisine.  Quittet-il  le  tramway  etprend-iiun  fiacre  pour  etre  seul, 
la  femme  de  chambre  eclate  tout  a  fait  et  lui  dit  :  «  Tu  depenses 
4o  sous  pour  ne  pas  te  trouver  en  tramway  avec  des  femmes, 
hi,  hi,  hi.  »  II  est  difficile  de  trouver  des  hallucinations  plus  com- 
pletes en  apparence  ;  images  visuellcs  complexes,  en  mouvement, 
accompagn^es  d'images  tactilcs  dans  le  dos  et  dans  certains  cas 
damages  auditives. 

Les  representations  purement  visuelles  sont  de  beaucoup  les 
plus  frcquentes  ;  nous  les  trouvons  d'abord  chez  les  sacrileges.  Un 
malade  de  M.  Fer^'  voyait  apparaitre  le  membre  viril.  C'est  aussi 
ce  qui  caracterise  les  obsessions  de  Claire.  Elle  pretend  voir  appa- 
raitre subitement  devant  elle  un  hommc  tout  nu  ou  plutot  les 
parties  sexuelles  d'un  homme  en  train  de  souiller  une  hostie  con- 
sacreeetbien  d*autres  tableaux  de  m6me  genre.  Lod...  et  Lise  on  I 
aussi  vu  des  hosties  par  terre  surtout  lorsqu'elles  apercevaicnt  un 
crachat.  We...  pretend  qu'elle  voit  dans  le  ciel  des  croix  et  des 
saintes.  Parmi  les  malades  qui  ont  des  obsessions  criminelles, 
Xa...,  une  des  femmes  obsedees  par  rid^c  de  tuer,  voit  devant  elle, 
a  gauche,  une  figure  travcrsce  au  niveau  des  yeux  par  un  long 
couteau  de  cuisine  (fig.  i)  D'ailleurs  cetle  hallucination  du  cou- 


I.  Larrou^slnic,  Ilallucinalions  huccedant  a  des  obsessions.  Archives  de  neurologic, 
1896. 
3.  F6rc,  Pathologic  des  emotioiiSt  p.  4 16. 


LA  TENDANCE  A  LA  RElMif.SENTATION.  L'HALLUCINATION  SYMBOLIQUE     89 

teau  pointu  est  fr^quente,  on  la  retrouve  chez  Mb...  et  chcz  plu- 
sieurs  autres.  Vod...  se  voit  couper  le  cou  a  sa  petite  fille.  «  Je 
me  voyais  la  saigner,  la  mettrc  dans  un  cercueil  et  jeter  la  boite 
dans  une  grande  mare  d'eau  sale.  »  Fa...  qui  croit  avoir  des  im- 
pulsions ^rotiques,  «  voit  tons  les  hommes  dans  la  rue  se  d^bou- 
tonner  et  courir  apres  elle  ».  Jean  voit  non  seulcment  la  servante 
au  fou  rire  lui  apparaitre  a  droite  mais  la  dame  de  ses  pens^es 
Charlotte  perpetuellement  devant  lui  ou  dans  sa  t^te. 


Fig.  I  —  Dessin  fait  par  la  malado  ello-m^ine  pour  repreientor  son  hallucination, 
le  couteau  est  vu  d*ane  mani6re  beaucoup  plus  nelte  quo  los  traits  du  visage. 

Dans  le  groupe  des  hontcux  les  hallucinations  sont  particulie- 
rcment  curieuses.  Une  hallucination  Ires  fr(^quente  est  celle  d'un 
trou,  d\in  precipice  dans  lequel  ils  vont  tomber  ou  dans  lequel 
ils  sont  tombes.  Claire  a  longtcmps  cotoyc  un  grand  precipice, 
maintenant  elle  est  au  fond  du  trou  et  elle  voit  bien  qu*il  lui  est 
impossible  de  remonter.  Hi...,  femmc  de  ^7  «ns,  «  voit  morale- 
ment  un  trou  dans  lequel  il  lui  semble  qu'clle  tombe ;  si  elle  ne 
parvient  pas  a  se  tirer  de  la  elle  se  tucra  plutot  que  de  rester  au 
fond  w.  On  se  souvient  que  Pascal,  qui  d'ailleurs  avait  bien  des 
symptomes  de  la  maladie  du  scrupule,  voyait  a  ses  coles  un  pre- 
cipice. On  a  beaucoup  discut^  sur  rhallucination  de  Pascal  :  si 
elle  est  historiquie,  cc  qui  est  fort  douteux,  il  faudrait  la  rappro- 
cher  des  autres  hallucinations  du  meme  genre  chez  des  scrupu- 
leux,  ce  serait  le  meilleur  moyen  d'en  comprendre  la  nature. 

II  faut  aussi  rattacher  au  meme  groupe  les  cas  suivants  qui  me 
paraissent  particulieremcnt  interessants.  Un  jcunc  homme  de 
20  ans,  Voz...,  vient  se  plaindre  d'un  trouble  singulier  :  il  est  dis- 
trait dans  ses  etudes  et  dans  ses  plaisirs  par  un  spectacle  genant, 
il  voit  sans  cesse  devant  lui  un  mur,  et  cc  mur  il  Ic  rcconnait  bien  : 
c'est  celui  de  la  premiere  cour  du  lycee.   II  est  aussi  g6ne  dans 


90  LES  inCES  OBSI^DANTES 

scs  promenades,  car  il  marche  saus  cesse  etroilement  environne 
par  4  arbres,  deux  en  avant  et  deux  derriere  lui.  Ce  sont  l\  arbres 
bien  connus  de  la  cour  du  lycee.  Enfin  il  est  encore  plus  embar- 
rass^ quand  il  voit  des  chaines  ou  des  cordes  qui  sont  tendues 
devant  lui,  qui  s*enroulent  autour  des  arbres  precedents  et  qui  lui 
barrent  lechemin\  Rp...,  un  homme  d*une  trentaine  d'ann^es, 
que  je  viens  d'eludier  avec  M.  le  P*"  Raymond,  voit  passer  devant 
lui  un  personnage  a  une  distance  d*a  pen  pres  5  metres-  Ce  per- 
sonnage,  qui  est  presque  toujours  le  directeur  d'une  grande 
Ecole,  a  tant6t  Fair  souriant,  tantot  Tattitude  et  le  visage  cour- 
rouce  et  menacant.  Ces  cas  pourraient  ctre  multiplies  facilement, 
car  ils  sont  en  realite  tres  nombreux. 

Ces  phdnom^nes  se  presentent  avec  Tapparence  d'hallucinations : 
ce  sont  des  phenomenes  psychologiques  qui  semblent  dans  la 
conscience  du  sujet  se  confondre  avec  le  phenomene  de  la  per- 
ception exterieure,  quoiquc  pour  un  observateur  plac^  en  dehors 
du  sujet,  il  n'y  ait  pas  d'objet  r^el  en  rapport  avec  cette  percep- 
tion. Ils  semblent  representer  un  systeme  damages  correspondant 
a  un  objet,  ils  paraisscnt  avoir  Tapparence  de  Texteriorit^,  et 
s'imposer  d'une  maniere  irresistible.  Aussi  le  sujet  les  donne-t-il 
pour  des  hallucinations.  Le  jcune  Yoz...,  Claire  et  Rp...  viennent 
consulter  le  medecin  en  demandant  a  c^tre  gueris  de  leurs  halluci- 
nations et,  si  on  se  borne  a  une  observation  superficiellc,  on  les 
prcndra  evidemment  pour  des  hallucin^s.  Cependant  Texistence 
d'hallucinations  completes  serait  un  fait  singulier  chez  les  scru- 
puleux.  Comment  ces  malades  qui  n'arrivaient  pas  a  Timpulsion 
complete,  a  Texecution  reelle  de  leurs  idees,  arrivent-ils  a  la 
representation  complete  qui  est  un  phenomene  du  m6me  genre.  Il 
ne  faudrait  Tadmettre  qu'apres  un  examen  demonstratif. 

Or,  chez  la  plupart  de  ces  malades,  ces  pretendues  hallucinations 
ne  resistent  pas  a  Texamen.  «  Tout  objet  blanc,  disait  Lod...,  me 
fait  penser  a  Thostie,  surtout  quand  il  est  sale,  me  force  a  regarder 
a  deux  fois,  mais,  quand  je  regarde,  je  vois  bien  que  je  me  suis 
trompee.  Ce  n'etait  qu'un  crachat  par  terre.  »  Lise  reconnait  meme 
tres  bien  qu'elle  s'avance  dans  son  delirc  presque  jusqu'au  mo- 
ment  d*avoir  des  hallucinations,  mais   qu'elle  s'arrete  en  de^a. 


1.  J'ai  deja  prcscnlc  ce  cas  a  la  Sociele  de  2)sychologlc.  Ihilletin  de  VlfiStUul  psy- 
chologique,  juin  1901,  p.  188. 


LA  TENDANCE  A  LA  REPEir.SENTATION.  L'lIALLUClNATION  SYMBOLIQUE     91 

«  Dans  nies  grandes  peurs  du  demon  je  sentais  que  j'allais  coni- 
mencer  a  voir  quelque  chose  mais  a  ce  moment  je  m'arretais.  »  II 
ne  faut  pas  se  tromper  au  langage  de  We...  EUe  ne  voit  pas 
dans  le  ciel  dcs  croIx  et  des  saintes,  clle  cherehe  si  elle  les  voit, 
ce  qui  n'est  pas  la  m(^mc  chose.  «  J'ai  peur  de  les  voir,  je  veux 
voir  si  franchement  je  les  vois.  »  Tout  cehi  ne  ressemblc  pas  a  de 
rhallucination. 

En  reality  ii  ne  resle  qu'un  tres  petit  nombre  de  cas  embarras- 
sants.  Mais  on  pent  alors  faire  sur  ces  hallucinations  les  reraarques 
suivantes.  i®  Ces  hallucinations  ne  sont  pas  completes  et  sonl 
loin  de  presenter  toutes  les  couleurs,  tous  les  details  que  Ton 
verrait  dans  un  objet  reel,  il  en  resulte  qu'elles  sont  vagues  et 
manquent  de  ncttete.  II  faut  insister  uu  pen  et  ne  pas  trop 
inquieter  les  malades  en  mettant  en  doute  leurs  hallucinations 
pour  obtenir  tous  les  aveux  sur  ce  point.  Xa..  qui  dessinait 
le  couteau  au  travers  de  la  figure,  remarque  bien  que  la  figure  est 
devinee  plut(^t  qu'elle  n'est  vue.  «  J'ai  besoin,  dit-elle  avec 
naivete,  de  dessiner  cette  image  pour  me  rendre  bien  compte  d^ 
ce  qu'elle  repr^sente.  »  Quoique  Claire  semble  voir  les  images 
les  plus  terribles,  il  est  facile  de  constater  que  ce  spectacle 
manque  beaucoup  de  precision.  II  est  impossible  de  lui  faire  dire 
la  forme  de  ce  pretendu  membre  viril,  la  place  qu'il  occupe  par 
rapport  a  Thostie.  Elle  n'a  jamais  su  me  dire  s'il  il  etaita  la  droite 
ou  a  la  gauche  de  Thostie  ct  dans  bien  des  cas,  elle  s'embrouille 
encore  davantage  :  c'est  quelque  chose  qui  doit  etre  commc  un 
membre  viril  sans  qu'elle  sache  bien  cc  que  c'est.  u  En  tous  cas 
je  suis  bien  convaincue  que  c'est  quelque  chose  de  sale.  »  Pour 
unc  image  visuelle,  c'est  pen  net. 

Le  dernier  jeune  homme  Rp...  scrait  fort  embarrasse  pour 
decrire  le  personnage  qu'il  voit,  car  il  a  trop  peur  pour  le 
regarder,  il  sait  qu'il  le  voit,  mais  en  realite,  il  ne  Fa  jamais  bien 
vu.  Les  hallucinations  de  Jean  malgre  leur  precision  apparentc 
sont  tout  il  fait  du  meme  genre.  Ces  figures  sont  vagues,  efi'acees, 
«  c'est  comme  si  je  la  voyais,  c'est  comme  si  elle  me  parlait  ».  Ce 
sont  des  images  sans  couleur  et  des  paroles  sans  bruit.  Le  plus 
souvent  ces  images  semblent  m6me  s'elfacer  encore  plus.  «  Je  ne 
vois  pas  le  fantt^me  de  M...  puisqu'elle  est  derriere  mon  dos, 
mais  je  sais  qu'cllc  y  est.  »  II  arrive  a  employer  a  ce  propos  un 
mot  qui  est  int^ressant.  «  je  ne  vois  pas  tout  a  fait,  dit-il,  cela 
reste  implicite.  »    II  entend  par  la   qu'il  n'y   a  presque  aucune 


92  LES  1DI5:ES  OBSfiD ANTES 

image  precise,  qu'il  y  a  a  peine  un  petit  signe  vague  qui  sufiit 
pour  Tavertir.  «  Je  n'ai  rien  dans  I*idee  qui  soil  precis,  je  ne  vois 
pas  sa  figure,  je  n^entends  pas  sa  voix,  je  ne  murmure  pas  son 
noin  et  cependant  je  sais  que  je  pense  tout  le  temps  a  elle  ». 
Comme  je  ne  pouvais  guere  me  contenter  de  cette  obsession  per- 
sistante  odieuse  qui  n'^tait  rien,  qui  ne  consistait  en  aucun  fait 
psyehologique,  j'ai  insists  et  Jean  pretend  avoir  fait  dans  certains 
cas  cette  remarque  curieuse.  «  Charlotte  a  en  r^alite  une  voix  trfes 
forte  et  fait  rouler  les  r.  Cette  prononciation  m'a  frappe  et  quand 
je  suis  obs^de  implicitement ']e  sens  dans  la  bouche,  sur  la  langue, 
comme  un  tres  petit  roulemcnt  d'r.  Cela  suflfit,  je  sais  queje  pense 
constamment  a  Charlotte.  »  Dans  d'autres  cas  il  sent  dans  son 
front  comme  si  une  lettre  de  son  nom  6tait  ^crite.  C'est  a  ces 
images  tres  petites  que  se  reduisent  les  obsessions  et  c^est  lui 
qui  en  tire  comme  conclusions  toutes  ces  pretendues  hallucina- 
tions. Une  remarque  interessante,  c*est  que  ces  hallucinations 
implicites  font  beaucoup  soufTrir  les  malades,  «  plus  c'est  vague 
et  implicite,  plus  c'est  odieux  ».  Le  defaut  de  precision,  disait 
d^ja  Iloffding,  donne  un  sentiment  de  terreur  tout  particulier  : 
nous  aurons  a  Tetudier  avec  plus  de  soins  en  parlant  de  Tinqui^- 
tude  de  ces  malades. 

Ce  n'est  pas  une  pure  diminution  dans  Tintensite  des  images, 
c'est  un  defaut  de  complexity  :  des  categories  essentielles  d'images 
font  completement  defaut.  II  est  impossible  d'ajouter  les  images 
qui  manquent  et  de  preciser  Thallucination.  Chez  les  hyst^riques 
hypnotisables,  on  pent  faire  naitre  Thallucination  en  eveillant 
dans  Tesprit  du  sujet  les  images  les  unes  a  la  suite  des  autres. 
J*ai  monire  autrefois  que  cette  complexity  croissante,  cc  develop- 
pemenl  automatique  des  elements  de  Tidee  jouaient  un  grand 
role  dans  Thallucination  ^  Mais  ici  les  malades  n'arrivcnt  pas  a 
voir  mieux  et  Tattention  supprime  au  contraire  le  peu  qu'ils 
voyaient. 

2**  Beaucoup  d'auleurs  et  en  particulier  M.  Seglas  ont  aussi 
remarque  que  ces  hallucinations  n'avaient  pas  le  caractere  de 
Text^riorite  si  important  dans  la  perception  et  dans  les  halluci- 
nations completes.  Cette  remarque  est  juste  pour  un  certain 
nombrc  de  malades. 

I.  Automalismc  ps^chologiquc,  1889.  p.  aoi,  accidents  men taux  des  h^stdriqucs, 


LA  TENDANCE  A  LA  REPRESENTATION,  L'HALLlJClNATrON  SYMBOLIQUE    03 

Si  les  hallucinations  de  Jean  manquent  de  precision,  elles  man- 
quent  aussi  d*exterioril6,  11  est  dispos6  ii  les  localiser  dans  «  le  cer- 
velet  »  ou  bien  dans  le  front  «  au  somniet  a  droitc,  ou  elles  ont 
fini  par  determiner  comme  une  saillie  de  Tos  ».  Aussi  reconnait-il 
lui-m^me  la  nature  du  ph^nomene  «  c*est,  dit-il,  mon  fou  rire 
cerebral.  »- Claire  est  tres  embarrass^'e  quand  on  veut  lui  faire 
pr^ciser  la  place  ext^rieure  de  son  image,  elle  croit  que  Ten- 
semble  est  a  gauche,  mais  elle  ne  salt  pas  bien  ou.  a  D'ailleurs, 
si  elle  ne  peut  pas  bien  pr^ciser  Tendroit,  ce  n'est  pas  de  sa  faute, 
Tobjet  est  trop  loin...  non  pas  trop  loin  en  distance...  e'est  au 
loin  comme  si  c'^tait  une  autre  personne  qui  le  verrait...  Cette 
autre  personne  verrait  que  c*est  bien  un  membre  viril,  verrait 
bien  sa  place,  moi  je  ne  le  vois  pas.  ))  Sans  parler  ici  des  troubles 
de  la  personnalite  que  cette  phrase  r^vele,  nous  noterons  seule- 
ment  combien  la  localisation  exterieure  reste  vague. 

Cependant  je  n'osefai  pas  dire  que  ces  hallucinations  manquent 
tout  a  fait  d*ext6riorit^,  comme  M.  Sc^glas  le  disait  a  la  Soci6t^ 
psychologique.  II  y  a  des  malades  qui  ont  le  sentiment  de  cette 
ext^riorite.  Voz...  voit  les  arbres,  le  mur,  les  chaines,  en  dehors 
de  lui :  «  c'est  bien  en  dehors  de  moi  puisque  cela  m'empeche  d'a- 
vancer,  il  me  semble  que  cela  mebarre  le  chemin.  »Rp...  soutient 
que  rimage  de  son  directeur  est  a  5  metres  devant  lui.  M^me  pour 
les  malades  precedents  Jean  et  Claire  qui  (inissent  par  mettre 
Thallucination  dans  leur  tete,  il  ne  faut  pas  conclure  trop  vite. 
C'est  quand  on  les  interroge,  quand  on  les  force  a  reflcchir  qu'ils 
h^sitent  a  consid^rer  leur  image  comme  exterieure.  Au  debut 
quand  ils  parlent  spontanement  ils  aflfirment  que  Timage  appa- 
rait  «  devant  eux,  a  Texterieur  ».  Pourquoi  done  changcnt-ils  d'avis 
a  la  reflexion,  c'est  qu'ils  sont  eux-memes  etonnes  qu^une  image 
puisse  etre  exterieure  quand  elle  manque  d'un  caractere  essentiel 
des  choses  ext^rieures. 

3**  Le  fait  le  plus  important,  en  eflFet,  ce  n'est  pas  precisement 
que  ces  images  manquent  d'exteriorlte,  c'est  qu'elles  manquent  r/& 
realUe.  Ce  caractere  tres  important  se  rattache  au  sentiment  de  la 
croyance,  de  la  certitude.  Un  objet  nous  parait  reel  quand  nous 
mettons  tons  nos  actes,  tons  nos  sentiments  en  accord  avec  Timage 
qu'il  pr^sente.  Or,  nos  sujets  serendent  compte  que  cette  hallu- 
cination n^est  pas  pour  eux  une  r^alit^.  Ils  disent  eux-m^mes  que 
cesont  «  des  sortes  d'hallucinations,  »  «  des  irrealites  ».  Leur  tour- 
ment  consistc  precisement  a  douter  de  la  r^alite  de  ces  images,  ii 


J.  LES  IDEES  OBSEDATTE^ 

s'lDterro^rer  sor  leor  existence.  L'une  de  ces  malades  se  demande 
saDS  e<?s«e  si  elle  a  la  rocalion  reli^eose  ;  elle  suppose  que  cette 
TfMration.  si  r>lle  existaiu  se  manlleslerait  par  des  signes  divius, 
par  la  lision  de  saintes  dans  le  ciel.  Anssi  se  demande-t-elle  toat 
I^  temps  si  elle  a  vn  des  ^^inles  dans  le  ciel:  un  moment  elle  yo«s 
d.t  que  oui.  et  I'inslant  apres  elle  reconnait  qu'elle  sera  it  bien  fachee 
d'eo  a^oir  %'o.  Le  malade  qui  voit  passer  le  directeur  de  TEcole  est 
'ians  le  meme  cas :  il  a  la  manie  des  presages^  pour  se  decider  a 
a^ir  dans  nn  sens  on  dans  I'antre  malgre  son  aboulie  il  veut  voir 
pa«>ser  son  directeor  sonriant  ou  menacant,  et  il  s*interroge  pour 
saToir  s*Il  la  bien  vu.  Xon  seulement.ee  sentiment  de  realite  ex- 
terieure  fait  defaul,  mais  il  est  curieux  de  remarquer  qu'il  n'appa- 
raitra  jamais.  Si  ce  phenomene  ne  differait  de  T  ha  Unci  nation 
ordinaire  que  par  un  moindre  de<:^re.  il  devrait  par  le  progres  de 
la  maladie  se  rapprocher  du  sentiment  de  la  realite.  Eh  bien,  si 
res  maiades  arrivaient  jamais  a  la  conviction  de  leurs  hallucina- 
tion^.  ii<  seraient  gueris«  ou  du  moins  ils  changeraient  la  nature 
de  leur  maladie,  ce  que  nous  n^observons  pas.  Ces  images  memes, 
si  eiles  apparaissent  vaguement  exterieures  avant  la  reflexion, 
res  tent  tou  jours  pour  eux  irreelles  et  douteuses. 

i'  i^es  hallucinations  presenlent  encore  un  autre  caractere  impor- 
ted nt,  c'est  qu  eiles  sont  symboliques  :  elles  ne  sont  pas  constituees 
par  la  representation  dun  objet  interessant  en  lui-meme,  mais 
par  I'evcMration  d'un  si^rne  qui  resume  une  quantite  d*autres  pen- 
sees.  La  manie  du  trunbole  est  si  importante  chez  les  scrupuleux 
que  nous  ne  pouvons  Petudier  ici  d'une  maniere  incidente,  il 
sutfit  de  si^^naler  ce  caractere  qu'elle  donne  a  i'hallucination. 

On  voit  d'apres  ces  observations  que  les  hallucinations  des 
scrupuleux  sont  loin  d  etre  identiques  aux  hallucinations  com- 
pb'tes  des  hysteriques  et  des  alcooliques.  C'est  la  conclusion  a 
laquelle  par^iennent  de  nonibreux  auteurs  en  particulier  M.  Pick  ^ 
et  M.  FrancoUe".  On  p4>uvait  leur  appliquer  le  mot  de  pseudo- 
h;«Iluciriations  qui  a  et*'  propose  par  le  D*"  Kandinsky  a  propos 
de  ma  lades  du  nieme  ir»*nre  ^  Un  malade  croit  changer  de  natio- 


I.    \.  I't  k    fVn^itt,  UeU-rp'lie  Bc/ichun^rcn  zwisclien  Z^^-angs^orstellungcn  und 

2-  X.  francyUe.  £>»:•<  bailuciiiatii>n$  diles  [isvohiques.  DuUetin  de  la  Society  de  me- 
'V  >/-   ..^r.'y  u  /'^  Bf':i'i'i^,  join  i^^<|8. 

-5  ly  Kar:J'r-k*.  Oli>4'nati<iii<  rliniqiios  siir  Ie«  liallticiitations  sonsorielles, 
C^-i''-'.  y    '.'  /    S'^i'trhhtOk  w.'V,  i5^>j,  cilt'iar  >\  .  JauK^^,  Psyhohj*j\  II,  ii6. 


La  tendance  a  la  GROYANGE  ET  L.V  CRltlQUE  DE  L'OBSESSION      95 

nalite  et  devenir  sujct  singlais,  ii  cc  propos  il  i^oil  apparaitre  un 
lion  qui  lui  met  les  pattes  sur  lesepaules.  II  remarque  lui-m^me 
qii'il  n'a  pas  ele  eHVaye  conime  il  l*aurait  ^t^  par  un  lion  veritable, 
il  comprenait  bien  que  c'etait  un  embleme  national  anglais.  Nos 
malades  comprennent  de  m^me  que  ces  pr^tendues  images  ne 
sont  que  des  emblcmes,  des  symboles  pour  resumer  de  longues 
meditations  et  rendre  en  quelque  sorte  Tidee  plastique,  ils  ne  les 
prennent  pas  pour  des  r^alit^s  comme  feraient  les  vrais  hallu- 
cin^s. 

Nous  pouvons  done  repondre  d'une  nianiere  plus  complete  au 
probleme  pos^  au  debut  de  ce  paragraphe.  Si  nous  laissons  de 
cote  les  obsedes  hysteriques  qui  ont  des  hallucinations  incontes- 
tables,  les  scrupuleux  peuvent-ils  presenter  ce  phenomene  ?  lis 
pr^sentent  sans  doute  une  certaine  apparence  d'hallucination,  les 
pseudo-hallucinations  ou  les  hallucinations  symboliques,  mais 
M.  Falret  avait  raison  de  faire  observer  qu'ils  ne  presentent  pas 
Thallucination  proprement  dite. 

Ici  encore  nous  voyons  une  tendance  vers  la  representation 
hallucinatoire  qui  n'aboutit  pas  completemcnt.  Le  sujet  semble 
pousser  la  representation  aussi  loin  que  possible.  II  s'entete  avoir 
apparaitre  Timage  ext^rieure  et  r^elle,  il  la  cherche,  mais  il  ne 
la  voit  pas  reellement,  c'est  encore  une  sorte  de  manie  de  riiallu- 
cination  plus  que  Thaliucination  reelle. 


4.  —  La  tendance  d  la  croyance  et  la  critique  de 
r  obsession. 

Si  Tobsession  est  loin  de  se  realiser  complctement,  si  les  hallu- 
cinations qui  Taccompagnent  quelquefois  sont  loin  d'etre  com- 
pletes, le  malade  accepte-t-il  au  moins  comme  une  croyance  les 
idees  qu'il  vient  d'exprimer  ?  II  est  facile  de  constater  que  cenou- 
veau  caractere  n'est  pas  plus  complet  que  les  precedents.  On 
constate  en  efiet  presque  toujours  Ires  facilement  que  le  malade 
est  le  premier  a  mettre  en  doute  les  sacrileges,  les  accusations 
dont  il  semble  si  pr^occupe. 

Ce  caractere  se  manifcstc  d<^ja  par  des  traits  de  la  conduite  des 
malades.  On  les  voit  venir  spontanement,  seuls,  chez  le  medccin 


OG  LES  IDISES  OBSfiDANTES 

et  ohez  le  medecin  alieniste  ;  ils  deroandent  a  etre  soign^s  a  cause 
de  certaines  idees  qu'ils  dt^signent.  lis  savcnt  done  irhs  bien  qu'ils 
ont  des  idees  fausses  et  ils  savent  quelles  sont  ces  id^es  fausses ; 
car  jamais  ils  ne  parleront  des  autres  au  medecin.  D^autre  part, 
il  est  facile  de  remarquer  qu'en  presence  des  Strangers  ils 
savent  admirablement  dissimuler  ces  m6mes  id^es,  ce  qu'ils  ne 
feraient  evidemment  pas,  s^ils  les  croyaient  exactes.  Claire  qui 
s'accuse  de  tout  avec  un  tel  desespoir,  qui  se  roule  par  terre 
en  gemissant,  se  releve  des  qu'elle  entend  sonner  a  ha  porte,  ra- 
juste  bien  vite  sa  toilette,  se  montre  correcte  et  meme  gaie  avec 
les  personnes  etrangeres  qui  viennent  d'entrer  pendant  une  de 
scs  crises  :  elle  accepte  meme  des  compliments  sur  sa  conduite. 
Lise,  dans  son  salon,  ne  laisserait  jamais  soupQonner  ce  qu'elle 
pense :  bien  mieux,  elle  joue  une  sorte  de  comedie,  car  elle  af- 
fecte  de  se  raoquer  des  gens  supcrstitieux  et  il  parait  que  bien 
des  personnes  trouvent  qu'elle  verse  avec  exageration  dans  le 
camp  des  libres  penseurs.  Rob...  s*accuse  de  ne  pas  rendre 
exactement  la  monnaie  aux  clients  qui  se  presentent  a  la  caisse. 
On  lui  a  proposed  cent  fois,  quand  elle  est  dans  une  grande  crise, 
d'envoyer  un  employe  a  Tadresse  du  client  pour  verifier  le  compte 
et  lui  ofTrir  une  reparation  ;  elle  n'a  jamais  voulu  accepter. 
N'est-ce  pas  une  preuve  manifeste  qu'elle  sait  bien  au  fond 
avoir  fait  un  compte  exact  ? 

Les  declarations  des  malades  sont  d'ailleurs  en  parfait  accord 
avec  ces  observations  relatives  a  leur  conduite.  Ces  personnes 
n'hesiteront  pas  a  vous  dire  :  «  Je  sais  tres  bien  que  je  n'ai  fait 
aucun  mal,  il  est  inutile  d'interroger  personne  pour  verifier  ». 
Lod...  ou  Claire  qui  se  declarent  des  miserables  plus  coupables 
que  les  plus  grands  criminels  ne  peuvent,  si  on  insiste,  d^couvrir 
une  faute  precise  a  avouer,  et  elles  Knissent  par  se  facher  si 
j'examine  devant  elles  les  fautes  qu'une  jeune  fiUe  pent  commettre 
en  leur  demandant  s^rieusemeut  si  elles  les  ont  commises.  «  Si 
une  personne,  disait  Lise,  me  racontait  la  moitie  des  choses  que 
je  viens  vous  dire,  je  la  croirais  completement  folic.  »  Un  detail 
fort  curieux  chez  elle,  c'est  qu'elle  a  une  soeur  moins  ag^e  qui 
commence  exactement  le  meme  delire.  Lise,  le  reconnait  parfai- 
tement,  elle  suit  avec  chagrin  la  marche  de  la  maladie  mentale 
chez  sa  scEur :  «  Dieu  que  ma  soeur  est  bete  de  penser  les  m^mes 
sottises  que  moi.  » 

Nadia  repete  sans  cesse  au  milieu  de  scs   plus   grandes  agita- 


LA  TENDANCE  A  LA  CROYANGE  ET  LA  CRITIQUE  DE  L'OBSESSION      97 

tions  :  «  Je  trouve  ces  idees  ridicules,  je  les  meprise  moi-m6me, 
je  voudrais  tellcment  etre  en  dehors  de  cespetites  miseres  qui  me 
tourmentent  tellement,  je  ne  pourrais  done  jamais  renvoyer  ces 
id6es  que  je  d^teste,  c'est  mon  destin  qui  le  veut  ainsi.  II  est 
encore  bien  plus  tristc  de  savoir  ce  que  valent  toutes  ces  belles 
id^es  et  de  ne  pouvoir  m'en  debarrasser,  tout  en  reconnaissant 
combien  elles  sont  sottes  ».  Jean  lui-meme  ne  pent  pas  s^emp6- 
cher de  se  trouver  ridicule:  «  Todieux,  Tabsurde,  le  ridicule  d'une 
maladie  comme  celle-lh,  dit-il  souvent,  est  inqualifiable  ».  «  Le 
•  second  homme  qui  est  en  moi,  dit  Rk...,  se  moque  terriblement 
de  moi  et  de  mes  sottises.  » 

Apr^s  ces  constatations,  il  faut  cependant  faire  des  reserves 
qui  ne  sont  pas  toujours  sudisamment  faites  quand  on  parle 
de  la  conscience  de  ces  obsessions.  11  ne  faut  pas  aller  jus- 
qu'a  dire  que  ces  malades  ne  croient  pas  du  tout  a  la  r^alit^  de 
leurs  obsessions.  S'il  en  6tait  ainsi,  ils  n'auraient  aucune  souf- 
france,  aucune  maladie. 

Quand  sur  un  point  particulier,  on  pent  les  amener  a  mieux 
coraprendre  Tabsurdite  de  leur  idee,  ils  en  sont  pour  un  temps 
plus  ou  moins  long  d^barrass^s.  Par  exemple,  j'explique  a 
Lise  avec  beaucoup  de  peine  que  les  enfants  ne  sont  pas  respon- 
sablcs  des  fautes  des  parents,  elle  finit  par  reconnaitre  qu'elle  a 
compris  et  que  j'ai  raison;  a  la  suite  de  cette  demonstration, 
pendant  plusieurs  mois,  elle  renonce  a  vouer  ses  enfants  au  diable. 
Get  heureux  effet  d'une  explication  montre  bien  que  ces  ma- 
lades n'avaient  pas  sur  ce  point  des  id«^es  bien  claires  et  qu'ils 
accordaient  une  certaine  croyancea  leurs  obscssjons  tout  en  ayant 
Fair  de  les  tourner  en  ridicule. 

D'ailleurs,  avec  un  peu  de  patience,  on  finit  par  leur  faire  avouer 
ce  sentiment.  Lise  reconnait  parfaitcmcnt  qu'il  y  a  dans  ses 
idees  religieuses  sur  le  diable  un  fond  mysterieux  dont  elle  ne 
comprend  pas  bien  Tabsurditd;  elle  comprend  mal  ce  qu'on  lui 
dit  sur  le  demon,  ou  ne  le  comprend  qu'un  instant.  Jean  ou  Claire 
veulent  bien  declarer  eux-memes  que  leur  maladie  est  ridicule, 
mais  ils  n'admettent  pas  qu'on  le  leur  declare.  Si  on  insiste  sur  la 
negation  de  leurs  idees,  ils  se  tournent  du  cote  de  Taffirraative 
et  recommencent  a  nous  presenter  ces  debuts  d'actcs  et  d'images 
hallucinatoires  qui  ont  et6  decrits.  II  faudrait  a  ce  propos  revenir 
sur   tous  les  caracteres  positifs  de  Tobsession^  car  ceux-ci  nous 

LES    OBSESSIONS.  L     —    7 


U8  LES  iDfiES  OBSfiDANTES 

montrent  bien  que  Tidee  absurde  a  bien  line  ccrtaine  r^alite,  une 
certaine  puissance  dans  Tesprit  des  nialades  et  par  consequent 
n'est  pas  sans  une  certaine  croyance. 

Comment  se  melent  alors  et  se  juxtaposent  ceite  critique  qui 
semble  aller  jusqu'au  d^faut  de  croyance,  a  la  negation  et  cette 
tendance  a  Inaction,  a  la  representation  qui  forme  une  croyance  ? 
D'abord  on  pent  dire  que  les  deux  phenonienes  n*existent  pas 
simultanement.  La  croyance  n'existerait  que  dans  les  periodes  de 
crise  et  la  critique  dans  les  pc^riodes  de  luciditc.  Cela  est  vrai  en 
partie  et  il  y  a  des  moments  de  crise  que  nous  etudierons  plus 
sp^cialemcnt  ou  la  croyance  est  certainement  plus  grande.  Mais 
je  ne  crois  pas  que  la  difTcrence  entre  la  crise  et  Tetat  de  lucidite 
soit  jamais  tranch^e  comme  elle  Test  chez  les  hysteriques.  Ces 
malades  n'arrivent  jamais  ni  h  croire  completement,  ni  a  nier 
completement,  leur  delire.  lis  restent  dans  un  etat  interm^diaire 
rempli  de  contradictions;  ils  reconnaissent  que  leur  idee  n*est 
pas  conforme  a  Topinion  generale  et  qu'il  ne  faut  pas  Texprimer 
en  public  devant  des  gens  «  peu  au  courant  de  leur  situation  », 
ils  veulent  bien  6tre  malades  sur  un  point  mais  pas  sur  tons  et  le 
plus  souvent  ils  oscillent  suivant  les  difT^rents  moments  du  temps. 

Ils  restent  done  dans  un  ^tat  de  doute  extrememcnt  penible 
dont  nous  trouvons  un  type  dans  le  cas  de  Je...  Cette  femme  de 
5i  ans  a  une  attitude  humble,  inquiete  et  cependant  agit^e.  u  Jene 
pcux  plus  rien  faire  depuis  3  mois,  je  n'ai  plus  de  goiit  a  rien,  je 
ne  sors  pas,  je  ne  peux  plus  m'habiller,  c'est  a  cause  de  ce  mal- 
heureux  bonnet.  J'ai  vole  le  bonnet  d'une  de  mes  voisines...  Mais 
elle  dit  que  non,  je  sais  bien  que  je  ne  Tai  pas  vole,  j'en  suis 
incapable...  Je  crois  Tavoir  vole  pas  pour  le  garder,  mais  pour  le 
Jeter  dans  le  feu...  Mais  il  y  a  une  grille  autour  du  po6le  et  je 
n'avais  pas  la  clepour  Touvrir. ..  etc.)).  Elle  restedans  Th^sitation 
indcfinie.  Cet  6tat  de  doute  se  rattache  d^ailleurs  tres  bien  aux 
faits  prccedemment  6tudi<5s:  la  croyance  resulte  de  ce  fait  que 
I'id^e  entierement  ddveloppee  a  atteint  Taction  et  la  perception  : 
la  vraic  croyance  fait  agir  et  fait  voir.  Ces  deux  grands  caracteres 
de  la  croyance  etant  absents  il  est  tout  naturel  que  le  sujet  n'y 
parvienne  pas. 

On  a  voulu  faire  une  maladie  spccialc  de  ce  doute  sous  le  noni 
de  delire  du  doute  (Legrand  du  Saulle),  puis  on  en  a  fait  une 
obsession   speciale  (Arnaud).  Je  crois  que  le  doute  n'est  pas   une 


DliVELOPPEMENT  INCOMPLET  DE  L'lDliE  OBSI^IDANTE  9d 

obsession,  c'est  une  forme  que  peut  prendre  telle  ou  telle  obses- 
sion. Je...  doute  a  propos  dii  bonnet  vole,  comme  Lise  a  propos 
des  enfantsvou^s  au  diable,  comme  Claire  a  propos  de  son  immo- 
ralit(^,  comme  Jean  doute  de  la  m^ningite  qu'il  craint  de  s'etre 
donn^e  en  lisant  une  colonne  du  journal.  C'est  une  forme  gen^rale 
que  prend  Tobsession  avec  developpement  incomplet  chez  les 
scrupuleux. 

Ce  doute  general  chez  tous  est  plus  ou  moins  marque  chez 
quelques-uns  et  peut  prendre  des  formes  plus  particulieres  qui 
constituent  les  autres  formes  du  scrupule. 


5.  —  Developpement  incomplet  de  l'id6e  obsidante. 

Je  viens  d'^tudier  quatre  caracteres  de  Tobsession  scrupuleuse  : 
la  duree  et  la  reproduction  facile  de  TiJ^e,  la  tendance  a  Taction, 
la  tendance  a  la  representation  hallucinatoire,  la  croyance,  parce 
que  ces  caracteres  determinent  Timportance  et  le  role  des  idees 
et  indiquent  le  degre  de  leur  developpement. 

On  comprend  facilement  la  signification  de  ces  caracteres  en 
etudiant  les  suggestions  hypnotiques  ou  certaines  id^es  fixes  des 
hysteriques.  Pour  le  montrer  je  rappellerai  en  deux  mots  un  cas 
remarquable  sur  lequel  j'ai  deja  longuement  insistc *.  Depuis  20  ans 
Justine  est  obsedee  par  Tidee  d'une  maladie,  celle  du  cholera.  II 
lui  sufTit  de  penser  a  une  maladie,  de  voir  un  h6pital,  de  sentir 
Todeur  de  Tacide  phenique  pour  que  son  esprit  soit  envahi  par 
cette  idee.  EUe  pousse  alors  des  cris  de  terreur,  contracture  ses 
jambes,  vomit,  perd  les  urines  et  les  selles.  En  meme  temps  elle 
entend  le  glas  des  cloches,  entend  des  voix  crier  «  cholera,  cho- 
lera »,  voit  des  cadavres  de  choleriques,  sent  leur  odeur,  etc. ; 
elle  est  convaincue  qu'elle  est  atteinte  du  cholera,  elle  Fa  m^me 
en  rcalite  autant  que  cela  est  possible. 

A  cet  exemple  ancien  je  voudrais  ajouter  un  fait  du  m^me 
genre  tout  aussi  caracteristique.  Lee...,  jeune  femme  de  26  ans, 
dejii  graveraent  atteinte  d'hysterie,  qui  a  deja  eu  des  attaques 
et  de  la  choree  par  imitation  d'une  danse  de  Saint-Guy,  a  decou- 
vert  un  jour  que   son   amant    la    trompait  avec   une  jeune   fille 

1.  Nevroses  et  idees  fixes,  I,  p.  iSg. 


iOO  L£S  iDfiES  OBSfiDANTES 

qu'elle  connait  blen.  De  la  une  jalousie  feroce  ct  Tidee  fixe  de  la 
vengeance  :  elle  pensc  constamment  a  cette  vengeance,  s'en 
represente  d'avance  toutes  les  perip6ties ;  elle  veut  tuer  sa 
rivale  dans  les  bras  de  Tamant  coupable  et  pour  echappcr 
aux  consequences  elle  veut  se  tuer  elle-m^me.  Cette  idee  gran- 
dit,  se  precise  de  plus  en  plus,  si  bien  qu'un  jour  Lee...  iin 
revolver  a  la  main,  s'embusque  a  une  fenc^tre  et  quand  elle  voit 
passer  sa  rivale  dans  une  voiture  pros  dc  son  amant,  elle  tire 
deux  coups  sur  eux,  s'enfuit  et  va  se  jeter  dans  la  riviere.  Ces 
actes  tres  reels  n'eurent  heureusemcnt  aucunc  consequence 
grave  :  personue  ne  fut  atteint  et  Lee...  fut  rcrtiree  de  la  riviere 
simplcraent  ^vanouie.  Comme  on  reconnul  sou  ctat,  on  se  borna 
a  la  transporter  a  la  Salpetriere  dans  le  service  dc  \I.  Raymond. 
La  elle  presente  a  tout  instant  I'accident  suivant :  a  propos  de  la 
moindre  chose,  parce  qu'elle  regarde  dans'la  cour,  parce  qu'elle  voit 
une  malade  causer  avec  un  honime,  parce  qu'on  prononce  un  mot 
devant  elle,  la  voici  qui  se  trouble,  cesse  de  parler  et  garde  les 
yeux  fixes.  Elle  se  dirige  vers  une  armoire  et  semble  y  prendre  un 
objet  qu'elle  garde  dans  la  main  droite  ;  elle  s*approche  de  la 
fenetre,  regarde  dans  la  cour  avec  un  air  de  fureur,  tend  son  bras 
droit,  semble  decharger  un  revolver  en  poussant  un  cri,  puis  se 
met  a  courir  en  travers  de  la  salle,  elle  finit  par  se  jeter  par  terre 
et  reste  6vanouie.  En  un  mot  elle  joue  de  nouveau,  mais  cette  fois 
sans  realite  exterieure,  la  scene  du  meurtre  et  du  suicide.  Des 
hallucinations  nombreuses  ont  simplement  remplace  les  percep- 
tions absentes  puisque  les  circonstances  ont  chang(^. 

Dans  ces  observations  on  pent  noter  entre  autres  faits  impor- 
tants  les  caracteres  suivants.  i®  Pendant  une  longue  p^riode,  plus 
de  20  ans  chez  Justine,  Tidec  reapparait  subitement  a  propos  de 
certaines  associations  d'idees,  comme  si  on  declenchait  un  rcssort 
qui  fait  fouctionner  un  mc^canisme  automatique  sans  aucun  eflf'ort 
du  sujet.  2^  Le  passage  de  Tidee  a  Facte  est  (itonnamment  rapide  et 
complet.  Les  mouvements,  les  actions  en  rapport  avec  Tidc^e  fixe 
sont  immediatement  executes  et  d'unemaniere  aussi  complete  que 
possible,  etant  donnees  les  circonstances.  3°  On  constate  aussi  le 
passage  egalement  rapide  et  complet  de  I'idec  a  Thallucination  qui 
envahit  tons  les  sens  et  se  presente  avec  le  plus  grand  degr^  de  com- 
plexite  et  de  realite.  4"  Le  sujet,  au  moins  pendant  une  p^riode  de- 
tcrminee  est  absolument  convaincu  de  la  realite  de  son  id^e  fixe. 


DfiVELOPPEMENT  INCOMPLET  DE  LIDEE  OBSfiDANTE  101 

J*ai  essaye  souvent  de  r^sumer  ces  caractcres  essentiels  de 
la  suggestion  hysteriquc  par  la  notion  du  dcveloppemcnt  des 
idees.  Une  id^e,  en  effet,  pent  etre  consid^ree  comme  un  en- 
semble, un  systeme  d'images  empruntees  a  divers  sens ',  ayant 
chacune  des  propriet^s  sp^ciales  et  diversement  coordonnees  les 
lines  avec  les  autres.  La  pens6e  d*un  bouquet  de  roses  ou  la 
pensee  d*un  chat,  de  meme  que  la  pens^e  d^assassiner  ou  de 
donner  ses  enfants  au  diable  est  toujours  au  fond  un  systeme  de 
ce  genre  plus  ou  moins  complique.  Ce  qui  donne  aux  id^es  des 
aspects  tres  particuliers  et  distincts  les  uns  des  autres,  c*est  le 
degr6  de  d6veloppement  que  pent  prc^senter  ce  systeme.  Le  plus 
souvent  ces  systemes  se  reproduisent  dans  notre  esprit  d^unefagon 
tout  a  fait  sp^ciale  ou  abregee,  par  exemple  I'image  sonore  ou 
kinesthcsiquc  du  mot  (leur  ou  du  mot  chat  se  reproduira  scule 
ou  a  peu  pres  et  suflfira  pour  repr^senter  tout  le  systeme  com- 
plexe  dont  elle  n'est  qu'un  petit  element.  L'effort  de  la  pensee 
consiste  dans  ce  cas  non  a  d^velopper  Tidee  de  fleur  ou  Tidee  de 
chat  mais  a  adapter,  a  coordonner  cctte  image  rapide  avec  les 
sensations  nouvelles  et  actuelles  de  maniere  a  constituer  et  a 
d^velopper  jusqu'au  bout  d'autres  systemes  d'images  dont  les 
premiers  ne  sont  que  des  elements. 

Au  contraire,  une  idee  pent  se  developper  complctement 
lorsque  tout  le  systeme  d*images  qu'elle  contient  en  puissance  se 
realise  complctement,  que  les  diverses  images  apparaissent 
simultanement  ou  a  la  suite  les  unes  des  autres  en  conservant 
leur  coordination.  En  effet,  ces  images  sont  rattachees  les  unes 
aux  autres  de  telle  sorte  que  la  presence  de  Tune  d'entre 
elles  sulfit  pour  evoquer  les  autres  dans  un  ordre  determine. 
Chaque  image  entraine  avec  elle  les  consequences  physiolo- 
giqucs  ou  psychologiques  qui  en  dependent,  les  unes  determi- 
nant des  mouvementa  des  muscles,  les  autres  des  mouve- 
ments  des  organes  scnsoriels,  les  autres  des  modifications 
vasculaires  et  des  ctats  d'emotion.  II  est  facile  de  constater  que 
toutes  les  idees  qui  parviennent  a  cettc  seconde  forme  de  d^ve- 
loppement  complct  envahissent  complctement  Tesprit  du  sujet  et 
sont  accompagnees  de  conviction  profonde.  Au  contraire  les 
idees  qui  en  restent  a  la  premiere  forme  sont  vagues,  n'occupent 


I.  Antomatisme [isychologique,  1889,  p.  aoo.  Accidents  mcntaux  des  hysleriqucs, 
i8()3,  p.  a3  ;  yevroscs  ct  Idiesjixes,  i8y8,  I,   16a. 


102  LES  IDt^ES  OBSfiDANTES 

qu'une  petite  partle  de  I'esprit  et  peuvent  n'6tre  accompagn^es 
il'aucunc  croyance. 

On  voit  ties  bien  par  les  experiences  de  suggestion  le  passage 
graduel  de  la  premiere  forme  a  la  seconde  quand  dans  Tesprit  du 
sujet  ridee  se  developpe,  c'est-a-dire  deroule  tons  les  elements 
qu^elle  contenait  implicitement  grace  a  Teducation  ant<^rieure  et 
tend  de  plus  en  plus  a  se  completer.  Le  sujet  passe  de  Tidee 
abstraite  a  Tidee  concrete  qui  lui  parait  de  plus  en  plus  reelle  et 
a  laquellc  il  accorde  le  plus  en  plus  de  croyance. 

En  decrivant  la  maniere  dont  se  presentait  Tidee  Gxe  du  cholera 
chez  Justine  j'ai  pu  montrer  que  c'etait  grace  au  developpement 
parfait  de  tons  les  elements  conlenus  dans  cette  idee  qu'elle 
pouvait  prendre  cette  puissance  c^norme  de  conviction  et  se  trans- 
Cormer  en  une  r^alite  incontestable.  En  un  mot  toutes  ces  etudes 
anciennes  brievement  r^sumees  nous  amenent  a  penser  que  la 
conviction  est  en  rapport  avec  le  developpement  que  les  idees 
prennent  actuellement  et  qu'au  contraire  le  defaut  de  croyance 
est  en  rapport  avec  un  developpement  tout  a  fait  incomplet  de 
ces  memes  idc^es. 

Sans  discuter  completement  la  question  de  la  nature  de  la 
croyance  ne  pouvons  nous  pas  appliquer  a  nos  malades  scru- 
puleux  le  resultat  de  ctss  anciennes  etudes,  ne  pouvons-nous  pas 
soupvonner  que  leurs  obsessions  n'entrainent  pas  la  convic- 
tion parce  que  ce  sont  des  idees  a  developpement  tres  incomplet. 
C*est  cette  difference  capitate  justement  remarquee  depuis 
longtemps  qui  a  donne  lieu  a  la  distinction  importante  entre  les 
idees  fijces  admises  completement  par  Tesprit  du  malade  et  les 
obsessions  qui  restent  toujours  incompletes  et  qui  n'entrainentpas 
la  conviction. 

L*ctude  que  nous  venons  de  faire  ne  nous  montre-t-elle  pas 
qu'a  ce  point  de  vue  Tobsession  des  scrupulcux  ne  pr<^sente  pas 
la  meme  forme  que  celle  des  hysteriques.  L'apparitionde  Tidee  est 
beaucoup  moins  neltc :  Tassociation  des  idees  qui  Tamene  est  beau- 
coup  plus  large  et  plus  vague.  Kile  n'est  pas  due  au  dcclenchement 
:iutomatique  d*un  ressort,  mais  a  une  recherche  du  sujet.  L'execu- 
tion  est  tres  loin  d\^tre  complete  et  les  actes  quand  ils  existent  ne 
sont  qu'ebauches.  [/hallucination  n'est  qu'apparente  et  la  repre- 
sentation ne  se  complete  pas  assez  pour  prendre  le  caractcre  de 
reality  extcrieure.    Nous   pouvons    resumer   ces  caracteres  en  un 


^ 


DfiVELOPPEMENT  INGOMPLET  DE  LlDfiE  OBSfiDANTE  103 

mot.  L'obsession  des  scrupuleux  est  caracterisee  par  un  develop- 
pement  tres  incomplet  des  ^l^ments  contenus  dans  I'id^e  et  elie 
dilTere  sur  ce  point  de  la  suggestion  et  de  i'idee  fixe  hyst^rique 
oil  ce  developpement  est  aussi  complet  que  possible. 

II  en  r^sulte  que  sur  ce  point  Tobsession  des  scrupuleux  se 
rapproche  des  id^es  normales  caracterisees  elles  aussi  par  un 
developpement  incomplet.  Sans  doute  nous  avons  observe  qu'il  y 
a  plus  de  duree,  plus  de  facilite  d'e vocation,  plus  de  tendance  a 
Tacte  et  a  la  representation  que  dans  la  moyenne  des  id^es  nor- 
males, surtout  si  I'on  tient  compte  du  contenu  de  ces  idees  et  du 
peu  d'importance  qu'un  homme  normal  leur  attacherait.  Le  degr^ 
dc  developpement  est  done  plus  grand  que  dans  la  vie  normale, 
on  pent  dire  qu'il  est  variable  suivant  les  cas,  mais  qu'il  est  tou- 
jours  intermediaire  entre  le  faible  developpement  normal  et  le 
developpement  complet  des  suggestions  hysteriques,  sans  arriver 
jamais  ni  a  Tun  ni  a  Tautre  terme.  Le  fait  le  plus  anormal  a  ce 
point  de  vue  c'cst,  comme  nous  Tavons  remarque,  la  duree  et  la 
frequence  de  pareilles  idees  plutot  que  leur  grand  developpe- 
ment. 

II  n*en  est  pas  moins  vrai  qu'aprcs  cet  examen  on  ne  pent 
s'empecher  de  constater  que  par  leur  force,  leur  degre  de  deve- 
loppement, leurs  elements  positifs,  ces  obsessions  ne  different 
pas  enormement  des  pensees  normales  et  on  reste  etonne  du 
trouble  qu'elles  amencnt  dans  la  vie  des  malades.  Pour  compren- 
dre  ce  trouble  il  faut  done  examiner  encore  ces  malades  a  d'autres 
points  de  vue,  chercher  Ics  autres  symptomcs  qui  accompagnent 
leurs  idees  obsedentes  et  voir  si  ces  nouveaux  symptomes  ne 
doanent  pas  a  Tobsession  son  caractere  pathologique  et  sa  raison 
d'etre. 


CHAPITRE  II 
LES  AGITATIONS  FORCfiES 

Les  obsessions  proprement  ditcs,  c'est-h-dire  les  id^es  repre- 
sentant  dans  Tesprit  du  sujet  des  ev^nemcnts,  des  objets  ct  surtout 
des  actions  d'une  maniere  gdneralc  nc  nous  ont  pas  paru  avoir  un 
developpcment  suflisant  pour  expliquer  la  maladic.  II  existe cvidem- 
ment  d'autres  phc^nomencs  pathologique  qui  s'ajoutent  a  Tobses- 
sion  et  qui  determinent  son  caractere  peniblc  ct  maladif.  Nous 
remarquons  alors  que  les  monies  malades  sont  tourmentds  par  un 
autre  groupe  de  syinptomes  qu*il  ne  faut  pas  confondre  avec 
Tobsession  proprement  dite.  lis  se  plaignent  que  sans  se  repr6- 
senter  une  idee  d^terminee,  ils  sont  cependant  forces  de  pensfer 
d'une  maniere  exagerce,  que  leur  tete  travaille  malgre  eux, 
qu'ils  sont  de  memc  forces  d'accomplir  des  mouvements  au  moins 
inutiles  et  de  remucr  sans  aucune  necessite,  enfin  qu'ils  eprou- 
vent  d'une  maniere  irresistible  des  Amotions  violentes  sans  que 
celles-ci  soient  suffisamment  justifiees  par  les  circonstances  pre- 
sentes.  Ces  operations  tres  diverses  sembleut  quelquefois  s'effec- 
tuer  a  propos  des  obsessions,  niais  elles  existent  tres  souvenl 
sans  qu'il  y  ait  une  obsession,  c'cst-a-dire  une  idee  generale  bien 
precise ;' elles  constituent  un  autre  groupe  de  symptomes  plus 
simples  que  les  premiers.  A  cote  des  idees  obsedantes  (Zwangs- 
vorstellungen),  comme  disait  tres  bien  un  auteur  allemand, 
M.  Thomsen,  il  y  a  des  processus  obscdants  (/Avangsvorgange)* 
dont  le  cadre  est  beaucoup  plus  large. 

Ces  processus  obs<»dants  ont  comme  caractere  essentiel  au 
moins  apparent  de  se  devclopper  d'une  maniere  presque  irresis- 
tible, sans  le  consentement  expres  du  malade.  Quoique  ce  carac- 
tere  soit  a  examiner  et  a    discuter,  on  pent  au  debut    admettre 


1.  ThoiiiMMi  (Bonn),  Contribution  a  IcHiido  ciiniquc  ties  icircs  obsedantes.   Arch, 
f,  P.^ychiatr,  und  .\i'rvcnh-ankli.,  XX.V11,  1895, 


LES  AGITATIONS  FORCfiES  105 

Timportance  de  cette  apparence  et  en  tcnir  compte  dans  la  designa- 
tion de  ce  groupe  de  phenomenes.  Je  suls  trcs  embarrasse  pour 
adopter  un  terme  general  qui  designe  tous  ces  phenomenes  de  ma- 
nias mentaks^  de  rumination  mentale,  de  tics,  d'agitations  motrices, 
de  phobies  d'angoisses,  et  cependant  je  crois  essentiel  de  les  reunir 
en  un  groupe  unique.  M.  J.  Donath,  de  Budapest*,  se  trouvant  en 
presence  de  la  meme  difficult^,  a  propose  le  mot  «  anancasmes  n  de 
(ivayxa^ci),  forcer).  Le  mot  n'est  pas  sans  interet,  mais  il  est  si 
etrange  et  si  peu  usit6  que  j'hesite  a  I'adopter  pour  titre  de  ce 
chapitre.  Les  Allemands  ont  des  expressions  assez  heureuses, 
«  Zwangsprocessus,  Zwangsvorgange  »  :  je  me  borne  a  les 
traduire  en  y  ajoutant  cependant  un  detail.  Ces  opt^rations  forcees 
ne  sont  pas  des  operations  normales,  ce  sont  des  opc^rations  de 
pensee,  d'acte,  d'6motion,  qui  sont  a  la  fois  excessii>es^  steriles 
et  d'ordre  inferieur,  A  la  fin  de  ce  chapitre,  quand  nous  connai- 
trons  mieux  ces  operations,  nous  verrons  combien  ces  caractcres 
sont  importants.  II  me  semble  que  le  mot  «  agitation  »  r^unit 
assez  bien  ces  divers  caractcres :  aussi,  faute  de  mieux,  je  reunirai 
ce  second  groupe  de  symptomes  sous  ce  nom  «  les  agitations 
forcees,  » 

Les  agitations  forcees  peuvcnt  etre  divisees  en  trois  groupes 
suivant  qu'il  s'agit  surtout  de  pensees,  de  monvements  on  de 
phenomenes  emotionnefs,  en  remarquant  que  dans  chaque 
groupe  Tagitation  pent  se  presenter  d'une  maniere  systematiqne 
ou  d'une  maniere  diffuse.  On  pent  done  au  debut  de  cetle  etude 
et  d'une  maniere  tout  a  fait  sommaire  classer  ces  agitations  forcees 
d*apres  le  tableau  suivant  dont  les  titres  seront  justifiecs  ulte- 
rieurement : 

(  Systcmaliques,   les  manies 
...  ,  \      mentales. 

li.Losag.laUonsmenUlc...     a  uij^^,^     /„     rumination 

\  f      mentale, 

Les  agitations  forcees  .  )  S^stemaliquos,  les  tics.  ^ 

j 3.  Les  agitations  motrices.  .     .^  DifTuscs,   les  crises  d'agi- 
1  i       tation. 

_    _  .     .        ,        .         „     <  SYstcmaliqucs,  les  phobies, 

^3.  Les  agitations  emoUonnellcs.|  ^.^^^^^  ^^^  angoisses, 

Dans  unc  derniere  section  nous  reunirons  les  caractcres  communs 
a  ces  difTdrents  groupes. 

1.  J.  Donath  (Rudapcslh),  yirchiv.  f.  Psychialrie,  1896. 


106  LES  AGITATIONS  FORCfiES 


PREMIERE  SECTION 


LES    AGITATIONS    MBNTALES 


Les  plus  remarquables  cle  ces  agitations,  celles  qui  ont  le 
rapport  le  plus  etroit  avec  les  obsessions,  sont  des  agitations 
mentales,  des  operations  d'ordre  intellectuel,  des  reflexions,  des 
comparaisons,  des  recherches  qui  se  d6veloppent  rapideraent 
et  pendant  des  heures  dans  Tesprit  du  sujet  ou  s'imposent  a  lui 
d'une  maniere  en  apparenee  irresistible.  Quand  ces  agitations  de 
la  pensee  sont  systeinatiqucs  elles  constituent  les  tics  intellectuels 
dont  parlait  Azam*,  les  stigmates  psychiques,  comme  les  appelait 
Grasset  ou  simplement  les  manies  mentales,  suivant  Texpression 
vulgaire  qui  me  semble  suflisamment  claire.  On  pent  remar- 
quer  que  ces  operations  meriteraient  presque  toujours  le  nom  de 
manies  mentales  du  scrupule  car  il  s'agit  toujours  d'operations 
intellectuelles  interminables  a  propos  dc  tres  petites  choses  qui 
occupent  dans  Tesprit  du  sujet  une  place  tout  ii  fait  dispropor- 
tionnee  avec  leur  importance  reelle. 

Quand  ces  agitations  forcecs  dc  la  pensee  sont  diffuses,  elles 
forment  les  phenomenes  connus  sous  le  nom  dc  fuite  dc  la  pen- 
see,  de  mentisnie,  de  rumination  mentale. 


i.  —  Les  manies  mentales  de  roscillation. 

Les  premieres  et  les  plus  typiques  de  ces  manies,  celles  que  le 
defaut  de  croyance  caractcristique  de  Tobsession  nous  faisait  pr^- 
voir  sont  les  manies  de  I' oscillation,  L'esprit  n'arrive  pas  a  une 
conviction  complete,  a  une  decision  unique,  mais  il  continue 
jndnHniment  a  osciller  entre  deux  termes.  Get  etat  de  doute 
que  Montaigne  appelait  un  mol  oreiller  pour  les  t^tes  bien  faites 

I.  Azam,  Revue  scicntijiqnc,  1891,  I,  p.  6 1 8. 


r 


LES  MANXES  MENTALES  DE  L'OSCILLATION  107 

devient  pour  les  tetes  de  nos  malades  un  instrument  de  torture. 
Si  la  manie  porte  sur  des  idees,  dcs  representations,  elle  prend  la 
forme  de  manie  du  doutc  ou  de  Tinterrogation,  si  elle  porte  sur  des 
actes  elle  devient  la  manie  de  la  deliberation  ou  de  Th^sitation. 


I.  —  La  manie  de  I' interrogation. 

Beaucoup  de  malades  s'interrogenl  a  propos  des  sensations 
elles-memes :  Nadia  se  regarde  devant  la  glace  et  se  demande  si 
elle  est  pale  oui  ou  non,  si  elle  est  aussi  pale  qu'hier.  Vi...  en 
goutant  la  soupe  se  demande  si  elle  a  oui  ou  non  le  gout  du  poi- 
son, tf  Je  doute  de  Tcvidence,  dit  Za...  Quand  j'ai  fait  quelque 
chose  je  la  reeommencerai  vingt  fois  et  la  vingti^me  fois  je  ne 
serai  pas  sur  de  Tavoir  faite  et  de  ne  pas  avoir  fait  un  crime  a  la 
place.  » 

Us  s'interrogent  aussi  sur  leurs  sentiments,  Fa...  (169),  qui  a  des 
obsessions  criminelles  et  des  impulsions  a  tromper  son  mari^  se 
demande  si  elle  trouve  les  autres  hommes  mieux  que  son  mari 
ou  inversement,  et  Re...  (i4o)  cherche  ind^finiment  si  oui  ou  non 
elle  aime  son  fianc^. 

Naturellement  les  interrogations  porteront  bien  plus  souvent  sur 
les  souvenirs.  Lise  a-t-cllc  voue  son  enfant  au  bleu  ?  II  serait  essen- 
tiel  de  le  savoir:  certaincs  circonstnnces  la  poussent  a  croire  que 
oui,  certaines  autres  a  penser  que  non.  Des  que  la  consideration 
des  unes  Tincline  a  une  opinion,  les  autres  se  prdsentent  avec  plus 
de  force  et  le  balancement  continue  pendant  des  heures  a  propos 
de  ces  souvenirs.  Bor...  a-t-elle  dit  des  blasphemes  dans  I'eglise  ? 
Ce  n'est  ni  oui,  ni  non:  elle  ne  le  decide  jamais.  Lod...  at  elle  oui 
ou  non  de  mauvaises  pensees?  II  lui  est  impossible  de  le  savoir. 
«  Je  me  crois  assassin,  ditZa...,  empoisonneur,  le  dernier  des  cri- 
minels  et  je  passe  mes  jours  et  mes  nuits  a  me  prouver  a  moi-m^me 
que  ce  n'est  pas  possible,  Thomme  sense  qui  est  en  moi  repete  que 
c'esl  le  comble  de  Tabsurde,  et  cependant  je  ne  suis  calme  que  pour 
un  moment  et  j'en  arrive  a  nc  plus  savoir  si  oui  ou  non  j'ai  commis 
ce  crime.  »  Zo...  recherche  si  elle  a  mis  des  epingles  dans  le 
dos  des  gens  et  examine  minutieusement  tons  les  mouvements 
qu*elle  a  accomplis. 

We...  cherche  de  meme  si  elle  a  fait  va?u  d'etre  religieuse, 
Bor...,  si  pendant  la  communion,  elle  a  pousse  son  voisin  du 
coude,  Je...,  si  elle  a  pris  un  timbre-poste  il  y  a  deux  ans.  «  Je  me 


108  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

souviens  bien  d'etre  entree  dans  la  chambre  oil  6tait  ce  timbre, 
mais  je  ne  me  souviens  pas  de  la  position  qu^ont  gardee  mes  mains 
et  c'est  la  ce  qu'iUaiit  retrouver.  »  C'est  toujours  Tinstant  essen- 
liel  qui  est  oublie  et  qu'il  faut  rechercher  en  gemissant. 

Nous  retrouverons  ces  recherchcs  plus  importantcs  encore 
dans  d'autres  manies  mentales  plus  completes.  Ici  nous  notons 
seulemcnt  Tindecision,  le  douteet  la  manic  de  Toscillation  entre 
deux  solutions. 


2.  Les  manies  de  l' hesitation,    de  la  deliberation. 

Quand  le  doute  porte  sur  des  actes,  il  prend  Taspect  d'une 
hesitation,  d'une  deliberation  interminable. 

Tr...  (ii8),  jeune  fiUe  de  26  ans,  a  presenteau  debut  de  sa  mala- 
die,  vers  Tage  de  20  ans,  unc  manie  d'oscillation  tres  curieuse 
par  sa  nettete.  Son  metier  consistait  ii  faire  des  fleurs  en  porce- 
lainc,  die  devait  prendre  un  petale  en  pate  tout  prepare  et  lui 
donncr  avec  le  doigt  une  courbure,  une  gaufrure  elegante.  Pen- 
dant longtemps,  elleavait  fait  ce  travail  avec  succeset  avec  rapidite. 
On  s'apergut  qu'elle  travaillait  de  plus  en  plus  lentcment,  puis 
qu'elle  nc  pouvait  plus  terminer  aucun  petale.  Au  moment  de 
donner  la  courbure  a  la  pate,  elle  pensait  a  une  forme  possible, 
puis  a  une  autre  qui  serait  peut-etre  plus  elegante,  elle  rcvenait  a 
la  premiere  forme,  puis  a  la  seconde  et  ainsi  indefiniment  sans 
parvenir  a  terminer  un  petale. 

Loy...,  age  de  56  ans,  doit  renoncer  a  sa  situation  de  uotaire, 
car  il  n'arrivc  plus  a  signer  un  acte.  Chaque  signature  qu'il  doit 
donner  cveille  Tidee  d'une  malhonn<^tetc  qu'il  va  accomplir,  il 
s'interroge  pour  savoir  s'il  pent  passer  outre  et  accomplir  Tacte 
malhonnete,  s'il  doit  ne  pas  se  laisser  entrainer,  s'il  doit  croire 
que  I'acte  est  insignifiant,  s'il  doit  consulter  avant  de  signer, 
etc.,  etc. 

Nadia  ne  veut  pas  manger  de  peur  d'engraisscr  et  de  n'etre 
plus  aimee,  d*autre  part,  elle  a  reconnu  devant  sa  mere  que  Tidc^e 
etait  absurdc  et  elle  a  promis  de  manger.  Kile  a  done  fait  deux 
promesses :  Tune  a  clle-m6me,  Tautre  a  sa  mere  :  laquelle  faut-il 
tenir?  Si  elle  mange,  elle  sera  honteuse  de  n'avoir  pas  eu  d*6ner- 
gie,  elle  meritera  d'engraisser  reellement ;  si  elle  ne  mange  pas, 
elle  aura  des  remords  d'avoir  manque  de  parole  a  sa  mere...  et 
Thesitation  va  se  prolonger  indc^finiment.    «  Faut-il  se   decider  a 


LES  MANIES  MENTALfeS  DE  L'OSClLLATroN  100 

sortir,  se  demande  Lise  de  la  m^me  raaniere,  et  par  la  s'exposer 
a  donner  au  diable  l^ame  de  scs  enfants  on  faut-il  rester  a  la 
maison  et  renoncer  a  une  sortie  utile.  » 

Jean  nous  presente  les  exemples  Ics  plus  curicux  de  ces  delibe- 
rations interminables,  car  chez  lui  les  deux  parties  de  la  delibe- 
ration semblent  etre  personnifiees  par  les  deux  femmes  qui  sont 
Tobjet  principal  de  ses  obsessions.  Doit-il  oui  ou  uon  monter 
dans  un  tramway?  S'il  y  monte,  le  voisinage  des  femmes  va  ra- 
mener  Tobsession  de  Charlotte.  Cette  pensee  de  Charlotte  d^ter- 
miiiera  des  (luides  dans  tous  les  membres,  des  tentations  de 
masturbation,  des  crispations  des  organes,  etc.  S'il  ne  monte 
pas  dans  le  tramway  et  s'il  prend  un  fiacre  va-t-il  6viter  tout 
cela  et  etre  tranquille?  En  aucune  facon  :  il  aura  Tobsession  d'une 
autre  persoiine,  celle  de  la  femme  de  chambre  Elise  dont  la  tete 
iui  apparaitra  avec  une  expression  narquoise.  Cette  tete  se  niettra 
a  rire  de  plus  en  plus^  semblera  lui  parler  et  se  moquer  de  lui. 
«  Tu  ne  montes  pas  en  tramway,  tu  vas  payer  un  fiacre  quarante 
sous  et  cela  parce  que  tu  as  pcur  des  remmes,  hi,  hi,  hi.  »  Comment 
choisir  sans  tomber  de  Charybde  en  Scylla  ? 

11  en  est  de  meme  pour  tous  les  actes.  S'agit-il  de  jouer  du 
piano  pres  de  sa  mere,  Charlotte  envoie  des  (luides  et  Elise  se 
moque  de  lui :  «  Tu  veux  cesser  quand  ta  mere  est  la  parce  qu*elle 
te  donne  des  excitations,  eh  bien,  attend  un  pen,  eric,  crac.  » 
Son  pantalon  le  gene,  Charlotte  donne  Tidee  de  le  decoudre  a 
la  braguette  «  pour  que  les  organes  soient  plus  a  Taise  »,  mais 
Elise  est  prise  de  fou  rire  a  la  pensee  du  pantalon  decousu.  Entre 
les  deux,  Jean  ne  sait  plus  que  faire.  «  Je  ne  puis  pas  prendre  de 
decisions,  je  vois  les  consequences  de  part  et  d*autre,  je  suis 
comme  Tane  entre  deux  bottes  de  foin  :  que  je  fasse  blanc,  que  je 
fasse  noir,  j'aurai  toujours  ma  petite  mesure  de  phenomencs.  » 

Cetle  hesitation  est  gcnerale  chez  lui  et  les  pensces  hypocon- 
driaqucs  la  dc^terminent  aussi  bien  que  les  pensces  relatives  aux 
p^ches  sexuels.  Ainsi  il  tient  absolument  a  suivre  un  traitement 
hydrotherapique  et  je  lui  conseille  de  prendre  des  douches. 
Voici  quelqucs-unes  de  ses  rcllexions  a  ce  sujet:  «  Sans  doute,  la 
douche  a  ses  avantages,  elle  est  tonique  pour  le  syst^me  ner- 
veux,  mais  elle  est  excitante,  elle  me  donne  des  excitations.  Apres 
une  douche  je  dois  sans  cesse  reraucr  les  doigts  et  pour  qu*on 
ne  le  voie  pas,  je  les  remue  dcrriere  mon  dos,  comme  cela...  Ce 
mouvement  est  agagant,  il  est  dangereux,  car  il  pourrait  m'exciter 


110  LES  AGITATIONS  rOllC£ES 

les  organes...  il  vaudrait  mieux  des  bains  tiedes  que  m'a  jadis 
conseille  mon  vieux  medecin.  Oui,  mais  le  bain  est  aplatissant ; 
il  m'abrutit,  m*enleve  toute  energie  et  tout  pouvoir  d'aipplication, 
il  pourrait  me  faire  tomber  dans  la  torpeur...  11  est  vrai  <|ue  la 
douche  a  sur  ce  point  un  grand  avantagc,  elle  est  tonique  ei 
reconfortante,  je  ne  la  prendrai  pas  froide,  ni  chaude,  mais  tiede, 
a  28",  il  faudra  prendre  des  precautions  pour  ne  pas  diriger  Ic 
jet  sur  la  colonne  vertebrale  et  pour  remonter  bien  de  chaque 
cote...  Oui,  mais  je  Tai  deja  essayce  ainsi,  c^est  tout  de  meme 
excitant  et  cela  pourrait  ramener  les  fluides  et  les  tentations... 
Ce  danger  est  le  plus  grand  en  somme,  il  vaut  mieux  un  bain 
tiede,  un  bain  alcalin,  on  m'a  dit  que  c'etait  ealmant ;  seulemcnt 
apres  les  bains  de  ce  genre  il  faut  renoncer  a  toute  activity  et  moi 
qui  me  desole  dcjk  de  n'avoir  pas  de  situation,  pas  d'occupation... 
Une  douche  me  vaudrait  evidemment  mieux  pour  me  tirer  de 
la...  ))  Si  on  ne  Tinterrompt  pas,  il  continuera  ainsi  pendant 
plusieurs  hcurcs. 

On  comprcnd  combien  cette  hesitation  va  troubler  Taction. 
Mais  nous  verrons  chez  les  scrupuleux  bien  d'autres  troubles  de 
Taction,  ce  qui  nous  amenera  pen  a  peu  a  rechercher  si  ce  trouble 
de  Taction  volontaire  n'est  pas  le  fait  le  plus  important  de  la 
maladie. 


3.  —  Les  manies  du  presage  on  de  l' interrogation  du  sort. 

A  cote  de  la  manie  de  Tinterrogation,  il  faut  placer  un  pheno- 
mene  qui  me  semble  voisin,  la  manie  de  Tinterrogation  du  sort 
ou  la  manie  des  presages.  Le  malade  ne  pouvant  arriver  lui-meme 
a  la  solution  de  la  question  qu'il  s*est  posee  ou  ne  pouvant  tran- 
cher  son  hesitation  sur  une  action  cherche  partout  des  rai- 
sons  qui  peseut  d'un  cote  ou  de  Tautre;  il  s'en  remet  a  quelque 
affirmation  exterieure.  Mais  il  lui  faut  une  aflfirmation  ext^rieure 
qu'il  ne  puisse  pas  discuter,  une  affirmation  mysterieuse  et  in- 
^  c^mpr^hensible,  aussi  cherche-t-il  a  obtenir  la  decision  du  sort.  De 
riiome  quand  nous  hesitons  entre  deux  actions  qui  nous  paraissent 
I'gales  ou  du  moins  quand  nous  n'avons  pas  Tenergie  suffisante 
pour  reconnaitre  quelle  est  la  meilleure,  nous  jouons  a  pile  ou 
iace. 

V'oici  quelques  exemples  de  cette  manie  frequente  et  bizarre  : 
Vy...  se  tourmente  pour  savoir  s'il  croit  en  Dieu  ou  s'il  n  y  croit 


i 


LES  MANIES  MENTALES  DE  L'OSCILLATION  lii 

pas  et  il  se  repcte  la  phrase  suivante  :  «  Si  en  marchant  dans  la 
rue  je  puis  eviter  de  traverser  Tombre  des  arbres,  o'est  que  je 
crois  en  Dieu,  si  je  traverse  Tombre,  c'est  que  je  n'y  crois  pas.  » 
On  trouve  On...  le  front  fortement  appuye  sur  un  carreau  de  vitre. 
Voici  ce  qu'il  pense:  «  Si  \e  carreau  n'est  pas  cassequand  j'appuie, 
c'est  que  je  nc  suis  pas  sacrilege,  s*il  casse,  je  le  suis  »,  et  de 
fait,  il  n'appuie  pas  bien  fort.  «  Si  je  ne  casse  pas  ce  verre  que  je 
scrre,  dit  Lise,  c'est  que  je  n'ai  pas  voue  mes  cnfants  au  diable.  » 
M  Si  je  marche  du  pied  droit,  dit  Bor...,  c'est  que  j'ai  pense  du 
mal  de  Dieu.  »  «  Si  je  me  coiffe  de  telle  facon,  dit  Vi...,  je  ferai 
casser  la  jambe  a  raon  gar^on.  »  «  Si  le  bon  Dieu  m'envoic  Ics 
id^es  de  d^faire  les  morts  dans  les  cimctieres,  c'est  que  ma  petite 
fille  sera  mechante...  Si  je  vais  trois  dimanches  de  suite  a  la 
messe  sdns  fetes  intermediaires,  c'cst  que  Dieu  veut  me  sauver.  » 
(Ger...),  etc... 

Les  choses  se  compliquent  quand  il  est  didicile  de  constater  le 
phenomene  qui  sert  de  presage,  car  alors  le  doute  recommence 
sur  lui  et  cela  donne  lieu  a  toute  une  nouvelle  interrogation.  Ainsi 
We...  se  demande  si  elle  doit  oui  ou  non  devenir  religieuse.  Elle 
conclut  dans  sa  sagesse  que  si  Dieu  la  veut  comme  religieuse,  il 
lui  fera  voir  des  presages  dans  le  ciel,  c'est-a-dire  des  croix  et  des 
figures  de  saintes,  et  la  voici  le  nez  en  Tair  a  regarder  le  ciel  et  a 
se  demander  si  elle  y  voit  des  croix  et  des  images  de  saintes.  Ce 
problemc  devient  tout  un  nouvcau  d^lire  avec  doutes,  interroga- 
tions, examen  perpetuel  du  ciel,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  malheu- 
reux,  incertitude  sur  les  souvenirs.  Aujourd'hui,  elle  ne  voit 
pas  de  croix  ni  de  saintes  dans  le  ciel,  mais  en  a-t-elle  vu  hier? 
li  faut  rechercher  I'emploi  des  moments  de  la  journee  et  la  voici 
saisie  d'une  inquietude.  Comme  au  fond  elle  nc  veut  pas  etre  reli- 
gieuse, elle  ne  veut  pas  avoir  vu  de  presages  et  elle  a  la  crainte 
d'en  avoir  vu. 

Cette  facon  de  s'en  remettre  au  destin  du  soin  de  decider  pour 
nous  est  tres  caracteristique  et  on  la  retrouve  dans  beaucoup 
d'observations  anciennes.  Le  mystique  anglais  Bunyan  s^interroge 
en  marchant  sur  une  route  et  se  demande  s'il  a  oui  ou  non  sauve 
sa  foi.  Le  tentateur  lui  suggere  Tidee  qu'il  pent  Ic  decider  en  v<i- 
riflant  si  ses  prieres  sont  oui  ou  non  capables  de  faire  des  mi- 
racles. Que  dans  une  prierc,  il  demande  a  Dieu  de  changer  les 
flaques  d'eau  en  endroits  sees  et  les  tas  de  boue  en  poussiere 
seclie   et  qu'il   v^rifie    cnsuite.   II  lui  vient  en  idee  que  s'il   fait 


11^  LES  AGITATIONS  FOaCfeES 

cette  verification  et  qu'elle  ne  r^ussisse  pas,  il  se  croira  damn^. 
«  S'il  en  est  ainsi,  je  h'essayerai  pas  encore,  je  veux  attendre  un 
peu  pour  le  fa  ire.  » * 

J. -J.  Rousseau  qui,  par  bien  des  cotes,  etait  un  maladc  tout  a 
fait  semblable  a  ceux  que  j'etudie  ici,  note  dans  ses  Confessions 
qu'il  se  sentait  pousse  a  r^soudre  les  questions  insolubles  par  un 
procede  semblable.  «  La  peur  de  Tenfer  m'agitait  encore  souvent; 
je  me  demandais  :  en  quel  etat  suis-je  ?  Si  je  mourais  a  Tinstant 
meme,  serais-je  damne?...  Toujours  craintif,  et  flottant  dans  cette 
cruelle  incertitude  j'avais  recours,  pour  en  sortir,  aux  expedients 
les  plus  risibles  et  pour  lesquels  je  ferais  volontiers  enfermer  un 
homme  si  je  lui  en  voyais  faire  autant...  Je  m^avisais  de  me  faire 
une  espece  de  pronostic  pour  calmer  mon  inquietude.  Je  me  dis  : 
je  m'en  vais  jeter  cette  pierre  contre  Tarbre  qui  est  vis-a-vis  de 
moi  ;  si  je  le  touche,  signe  de  salut ;  si  je  le  manque,  signe  de 
damnation.  Tout  en  disant  ainsi,  je  jette  ma  pierre  d^une  main 
tremblante  et  avec  un  horrible  battement  de  coeur,  mais  si  heu- 
reusement  qu'elle  va  frapper  au  beau  milieu  dc  Tarbre  ;  ce  qui 
veritablement  n'etait  pas  difficile,  car  j'avais  eu  soin  de  le  choisir 
fort  gros  et  fort  pr^s.  Depuis  lors,  je  n*ai  plus  doute  de  mon 
salut  *.  ))  Rousseau  se  dit  rassure  sur  son  salut  par  une  scule 
experience  heureuse,  c'est  qu'il  n'etait  guere  malade  a  ce  moment. 
Nos  maladcs  ne  sont  pas  si  faciles  a  satisfaire  et  Ton  a  vu  que  la 
recherche  des  presages  devenait  chez  eux  une  veritable  manic, 
aussi  interminable  que  la  manic  des  interrogations  dont  elle  me 
parait  d^river. 

M.  Van  Eeden^  decrit  sous  le  nom  de  manie  de  superstition  une 
interessante  variete  dc  manies  mentales.  Son  malade  attache  une 
signification  prophetique  a  des  faits  insignifiants  :  une  cravate  de 
l<*Ile  couleur  lui  promet  bonheur  ou  m;.lheur,  une  borne  'qu'il 
ttiuche  ou  non  de  sa  canne  decide  de  sa  destinee.  Ce  n^est  pas  la 
iMie  maladie  particuliere  et  rare,  comme  Tautour  semble  le  penser  : 
r  t;ftt   une  forme  asscz  fr^quente  de  la   manie   de  Tinterrogation. 

Ces  premiers  phenom6nes,  les  manies  du  doute,  de  la  delibe- 
ration, de  rinterrogation,  des  presages  se  relient  comme  on  voit 
rtroitement.  Elles  peuvent  former  un  premier  groupc  dont  le  trait 

I     Josiali  Uoyce,  The  case  of  Bunjan.  Psyrholofjical  Review,  189^,  137. 
a.  .I.-J.  Uousscau,  Les  Confessions,  I,  liv.  VI,  edit,  des  criiv.,  1839,  XV,  p.  4^7- 
3^   Van  Eedon,  lievue  de  rhypnotisnie,  1892,  p.   i3.  Psycliolht^rapie,  1894.  Gf.  M. 
Uraiuwcll,  Brain,  1895,  p.  335. 


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Li:S  MAMES  l)E  L'Al  DELA   '"  li3 


caracteristique  est  roscillation  de  rcsprit.  II  y  a  un  balancement 
entre  deux  idees,  le  oui  et  le  non,  et  Tesprit  n'arrive  pas  a  se 
fixer  definilivement  ni  sur  I'une  ni  surTaulre.  II  cherche  avec  effort 
des  raisons  pour  ou  contre  et  il  n'arrive  pas  a  se  satisfaire  malgr^ 
rinterrogation  des  presages. 


2.  —  Les  manies  de  I'au  deJd. 

L'esprit  toujours  instable  peut  cependant  ne  pas  osciller  iude- 
Gniment  entre  deux  termes  opposes.  II  lui  sudit  de  d^passer  le 
terme  donne,  de  le  remplacer  par  quelque  chose  d'autre,  d'aller 
simplement  au  dela.  C'est  le  caractere  que  je  retrouve  dans  unie 
foule  de  manies  dont  je  ne  puis  signaler  que  les  principales. 

I .  —  Les  manies  de  la  precision, 

Le  malade  qui  ne  peut  arrivcr  a  la  certitude  a  besoin  pour  se 
rassurer  d'environner  ses  actes  et  ses  pens^es  de  tout  ce  qui  peut 
les  preciser,  les  materialiser  en  quelque  sorte.  Legrand  du  Saulle 
le  remarquait  d^ja  :  «sous  Tinfluence  d*habitudes  inveterccs  d'ona- 
nisme,  dit-il,  le  malade  eut  une  sorte  de  precision  maladive, 
d'attention  exager^e,  provenant  d'un  certain  manqufe  de  confiance 
en  lui. '  » 

Nous  retrouvons  ce  besoin  chez  beaucoup  de  nos  malades.  Jean 
est  tout  a  fait  d^sesper^  de  ma  fa^on  de  rediger  une  ordonnance 
pour  les  douches,  il  veut  qu'on  indique  la  temperature  exacte,  la 
pression  en  chiffres,  le  nombre  de  secondes,  Tendroit  du  dos  oil 
doit  frapper  le  premier  jet,  la  ligne  que  le  jet  doit  tracer  sur  le 
corps  en  faisant  des  detours  pour  ^viter  certains  points,  Tendroit 
du  dos  par  lequel  il  faut  finir,  etc  :  il  doit  epouvanter  son  dou- 
cheur.  II  lui  faut  faire  chaque  chose  a  sa  date  et  il  aurait  des 
remords  ^pouvantables  s'il  lisait  un  journal  d'une  date  ancicnne 
«c'est  un  desordre,  ce  n'est  pas  a  cette  date  qu'il  devait  etre  lu.  » 
Wo.  s'^puise  a  prendre  des  notes  minutieuses  sur  tous  leslivres 
qu'elle  lit,  a  tenir  un  journal  de  tous  les  incidents  de  la  journd'e, 
a  tout  noter  par  ^crit  avec  precision. 

I.   Legrand  du  Saulle,  Folic  du  doute,  p.  17. 

LE8  OBBE8SION8.  I.  8 


114  LES  AGITATIONS  FORCfeES 

J'ai  signalc  autrefois  a  propos  de  la  parole  interieure  une  ma- 
lade  F...  qui  avail  l*habitude  bizarre  de  se  rcpeter  en  dedans  le 
nom  des  objels  qu'elle  voyait :  «  c'est  un  pave,  c'est  un  arbre, 
e'est  un  tas  d'ordures.'  »  Je  n'avais  pas  compris  a  ce  moment  la 
raison  de  ce  besoin.  En  r^alite  c'etail  une  serupuleuse,  qui  crai- 
gnait  en  passant  pres  des  gens  de  leur  fairc  du  mal,  qui  retournait 
en  arri^re  pour  voir  si  elle  n'avait  pas  cogne  les  chevaux,  qui 
s'interrogeaitindefiniment  pour,savoir  si  elle  avait  paye,  etc.  Cctte 
denomination  perpetuelle  des  objets  etait  chez  elle  en  rapport 
avec   une  manie   de  precision. 

D'autres  auront  la  manie  des  ifenficnttons,  qui  difiere  peu  de 
la  precedente.  R...  identique  sur  ce  point  a  un  malade  de  M.  Ar- 
naud  tale  perpetuellement  ses  veteraents  et  surtout  ses  poches 
a  pour  verifier  si  tout  est  bien  a  sa  place,  si  elle  est  bien  tiree  a 
quatre  epingles,  si  elle  n'a  perdu  aucun  petit  objct.  »Ser...  tou- 
chc  a  chaque  instant  ses  oreilles  (c  pour  voir  si  elle  a  toiijours 
ses  boucles  d'orcille  »  on  verra  que  cette  manie  devient  souvent 
i'origine  des  tics.  II  est  inutile  de  rappeler  les  malades  bien 
connus  qui  verifient  indefiniraent  si  la  porte  est  bien  ferm^e,  si 
le  gaz  est  eleint,  si  la  leltre  est  bien  dans  la  boite,  etc. 

A  la  meme  manie  de  precision  se  rattache  /a  manie  de  la  fixite 
des  idees  qui  a  deja  ^te  decrite  ii  propos  de  la  forme  des  obses- 
sions. 

« 

II  faut  placer  dans  un  groupe  voisin  les  manies  de  I'ordre,  On 
voit  souvent  debuter  la  maladie  du  scrupule  chez  les  enfants 
comme  chez  Ser...,  chez  les  enfants  de  Lise,  par  la  manie  de 
plier  leurs  robes  exactement  dans  les  memes  plis,  de  ranger  leurs 
v(^tements  le  soir  en  se  couchant,  de  mettre  de  I'ordre  dans  leurs 
armoires  d'une  facon  tout  a  fait  exag^ree  et  ridicule.  Plus  tard  la 
manie  devient  grave,  Lkb...,  femme  de  22  ans,  ne  pent  plus  souf- 
frir  qu'aucune  personne  pas  meme  son  mari  entre  dans  sa 
chambre  :  «  j'ai  trop  peur  qu'on  ne  derange  mes  affaires,  siquel- 
qu'un  derangeait  chez  moi  une  ^pingle  cela  me  rendrait  afireuse- 
ment  malade.  »  Vk...,  femme  de  58  ans,  s*epuise  depuis  20  ans 
a  mettre  de  Tordre  dans  son  menage,  elle  refuse  de  manger  et  de 
de  dormir  «  avant  qu'elle  n'ait  mis  tout  en  ordre  »  et  elle  ne 
pent  y  parvenir  «  car  elle  voudrait  la  perfection  et  elle  a  ^16  de- 

I.  Mevroses  et  Idees  fixes,  I,  p.  23. 


LEs  man:es  de  i;au  DEL.\  II5 

bordec.  »  Qsa...  eproiive  toujuui!)  le  besuiu  de  ruugcr  «  ses 
aflaires,  ses  papiers,  c'est  pour  lui  un  besoin  de  simplification 
perp6tuel.  » 

Claire  met  de  Tordre  non  seulement  dans  ses  objets  mais 
encore  dans  ses  iddes.  II  faut  qu'elle  pense  la  meme  chose  a  la 
m6me  heure,  a  la  meme  place.  II  fautqu^elle  ne  pense  pas  plus  un 
jour  qu'un  autre,  il  faut  surtout  qu'elle  raconte  les  6vt»nements 
dans  un  ordre  determine.  Personne  n'obtiendra  qu'elle  raconte 
tout  de  suite  ce  qu'elle  a  eprouve  hier  :  il  lui  faut  reprendre  les 
choses  par  le  commencement  et  reciter  par  ordre  chronologique 
ce  qu'ellc  a  eprouv^  depuis  lo  ans  avant  d'en  arriver  a  la  journee 
pr^eedente. 

Mettons  a  c6i6  la  nianie  de  la  symetrie  dont  M.  Azam  nous 
donne  un  exemple  :  «  il  lui  faut  toujours  ranger  les  objets  la 
moitie  a  sa  droite,  la  moitie  a  sa gauche... Si  elleamisle  piedsur 
une  pierre  un  pen  saillante,  elle  se  sent  forc6ede  rechercher  pour 
Tautre  pied  une  sensation  analogue.  Lorsqu^elle  a  place  une  main 
sur  du  marbre  ou  sur  tout  autre  objet  froid  elle  est  contrainte  de 
faire  subir  a  Tautre  organe  symetrique  i^ne  impression  ana- 
logue ^  » 

Jean  a  des  besoins  analogues  :  si  en  levant  les  yeux  il  a  remar- 
que  un  objet  rouge  a  sa  droite  il  lui  faut  d^tourner  la  tete  et 
cherche  a  fixer  son  regard  sur  un  objet  rouge  fixe  a  gauche. 
M.  Flournoy,  dans  son  livre  sur  les  synopsies  ^  signale  une  symv- 
tromanie  typographique :  «  les  noms  et  les  mots  qui  ne  sont  pas 
composes  d'un  nombre  regulier  de  lettres  m'ont  toujours  fait  une 
impression  desagreabic  et  cause  un  vrai  chagrin  ii  mcs  yeux.  Les 
titres  de  livres,  les  enseignes  de  magasin  me  donncnt  toujours 
sous  ce  rapport  un  vrai  travail :  je  compte  les  lettres,  et  si  elles 
ne  sont  pas  en  nombre  pair,  je  coupe  les  mots  de  facon  a  mettre 
une  lettre  isolee  au  milieu  des  autres;  ainsi  pour  les  mots  Japon, 
seule,  je  les  ccris  en  pensee  de  cette  maniere  :  Ja-p-on,  sc-u-lew. 

On  a  souvent  remarqu^  Timportance  dn  contraste  et  de  la  con^ 
treidiction   chez  ccs  maladcs,   M.    Raggi^   rapporte    Tobservation 


1.  Azam,  Les  toques.  Revue  scienlifique,  1891,  I.  618. 

2.  Flournoy,  Les  synopsies,  i8q3,  p.  aai. 

3.  Raggif  Archivio  ilaUano  per  la  malallic  nervose,  1887. 


i16  LES  AGITATIONS  FORCeES 

d*un  jeune  homme  de  20  ans  qui,  par  instants,  ne  pouvait  ouvrir 
la  bouchc  sans  Hrc  force  de  faire  les  raisonnements  les  plus  ab- 
surdes  et  souvent  meme  dc  dire  lout  le  contraire  de  ce  qu*il 
aurait  voulu.  M.  Seglas,  qui  cite  cc  cas,  ajoutc  plusieurs  obser- 
vations du  meme  genre  ^.  «  Ce  qui  le  peine  le  plus,  dit  son  ma- 
lade,  c'est  qu'il  lui  arrive  par  moments  de  se  contredire  lui-meme 
et  au  moment  oil  il  veut  exprimer  une  idee  de  dire  tout  le  con- 
traire de  ce  qu'il  veut.  »  MM.  Pitres  et  Regis*  donnent  plusieurs 
excmples  curieux  de  ce  phenomene.  «  C'est,  disent-ils,  la  manic 
blasphematoire  de  Verga.  »  Dans  la  priere  on  voit  «  maudit  »  au 
lieu  de  «  benit  »,  «  enfer  »  au  lieu  de  «  ciel  »,  «  Wilde  Sau  (sanglier 
sauvage)  »  au  lieu  de  «  Liebe  Frau  (notrc  Dame)))  au  lieu  de  «je 
vous  ai  au  cccur ))  elle  pense  «je  vous  ai  au  cul  ))  au  lieu  dc  «  mon 
Diou  je  n'adorc  que  vous  »  elle  pense  «  j 'adore  ca  »  ct  elle  croit 
voir  un  derriere  )).  On  observe  facilement  des  faits  scmblables  : 
Bunyan  pense  a  adorer  un  balai,  une  ordure  quand  il  veut  prier 
Dieu,  Claire,  Vy...  et  bien  d'autres  pensent  a  se  masturber  quand 
elles  veulent  preparer  une  confession  et  Qi...  (ii3)  se  sent  forcee 
d'appeler  «  cochon  »  les  gens  qu'elle  respecte  le  plus. 

Les  auteurs  qui  rappellent  de  tels  faits  les  rattachent  volontiers 
a  quelquc  loi  profonde  de  I'esprit.  M.  de  Sanctis,  dans  un  article 
interessant,  parle  de  Tassociation  par  contraste  qu'il  expliquc  ainsi : 
«  Un  certain  exercice  force  de  Tattention  inhibe  et  ^loigne  Timage 
a  laquelle  il  s'applique  et  favorise  I'opposition  et  la  vicloire  de  I'as- 
sociation  par  contraste  ^)).  II  y  a  beaucoup  de  v^rite  dans  celte 
remarque  que  je  reprendrai  plus  tard,  mais  il  ne  faut  pas  oublier 
que  les  ph^nomenes  de  contraste  prdsentes  par  les  scrupuleux  ne 
sont  pas  tonjours  des  phenomenes  primitifs,  spontanes,  ce 
sont  des  phenomenes  voulus,  cherches  par  le  malade,  c'est  bien 
souvent  une  manie  de  precision,  de  comparaison,  d'opposition 
extrc^me  qui  le  pousse  a  chercher  ce  terme  qui  fait  si  bien 
contrpstc. 

C'est  aussi  de  la  meme  maniere  que  je  comprendrai  les  asso- 
ciations d'idees  extravagantes  que  presentent  certains  malades  et 
qui    scmblent  jouer   un  role  ^norme  dans  la  reproduction    des 


1.  Soglas,  Lri;ons  cUniques  sur  les  maladies  ncrveuses  el  mentales,  1896,  p.  129. 

2.  Pilrcs  ct  Regis,  op.  rit.,  p.  .'4 5. 

3.  S.  de  Sanctis,  Fenomem  di  ronfraslo  in  psuohtjia.  Rome,  1895. 


LES  MANTES  l)E  L  AU  DELA  tl7 

obssesions.  J'en  ai  d^ja  cite  beaucoup  a  ce  propos,  en  void  encore 
une.  Jean  trouvc  de  Tobscenit^  dans  la  duree  de  trois  quarts 
d'heure  ;  une  vlsite  de  trois  quarts  d'heure  serait  obscene  parce 
qu'il  a  appris  qu'un  personnage  est  reste  trois  quarts  d'heure 
avec  une  feinme  avant  de  mourir.  Ce  sont  la  a  mon  avis  des  manies 
rnentales  d'association  et  non  de  v<5ritables  associations  irrefl^- 
chies  et  ces  manies  d'association  ne  sont  que  des  consequences 
des  manies  de  la  precision. 

La  nianie  de  proprete  se  presente  frequemment,  nous  la 
retrouverons  dans  bien  des  cas,  en  particulier  a  propos  des  pho- 
bies,  mais  elle  sc  rattache  aussi  a  ce  besoin  de  faire  les  choses 
avec  ncttete,  avec  precision.  Vk...  se  lave  les  mains  ind^finiment, 
sans  crainte  precise  de  souillure,  simplement  parce  que  «  les 
mains  mal  lavees,  c'est  du  desordre  ». 

La  micromanie  merite  qu'on  s'y  arr^te  :  il  est  Evident  que 
beaucoup  de  ces  malades  accordent  plus  d'importance  a  ce  qui 
est  petit  qu'a  ce  qui  est  grand,  Chu . . . ,  fenime  de  36  ans,  recherche 
avec  anxiete  les  cc  petites  micttes  de  graisse,  les  miettes  de  salet^x) 
mais  ne  s'occupe  pas  «  des  grandes  saletes  ».  Bow...  a  peur 
(c  des  petits  bruits  »  non  des  grands.  ((  Un  coup  de  canon  ne  me 
fait  rien,  mais  j'ai  envie  de  tuer  les  gens  qui  machent,  qui  se 
curent  les  dents,  qui  toussent...  »  M.  Stadelmann  de  Wurzbourg* 
rapporte  une  jolie  observation  d'un  homme  de  3o  ans,  pr^occupe 
depuis  la  puberty  par  la  preoccupation  de  ce  que  deviendront 
dans  Tavcnir  divers  objets  insignifiants,  une  mouche  qui  vole, 
une  allumettc  eteinte,  la  cendre  d*un  cigare,  les  taches  de  bougie 
tombees  a  terre,  etc.  M.  Farez  rapporte  aussi  des  obsessions  et 
des  degouts  pour  des  tres  petits  objets,  bouts  d'allumettes, 
taches  de  bougie^.  II  est  inutile  d'insister  sur  Timportance  que 
ces  malades  attachent  aux  «  petits  microbes  ».  Dans  cette  preoc- 
cupation de  ce  qui  est  petit  entre  evidemmentla  manie  de  I'atten- 
tion  et  de  la  precision. 


1.  Stadelmann   (Wurzbourg),  Trailcmcnt   psychiquo.    SocicU  d'hypnologie  et  dc 
psychoUtgie,  20  mars  1900. 

2.  P.   Farcz,  Cas  do  phobic  consciontc.   Sociele    d'hypnologie  et  de  psychologic, 
ao  mars  1900. 


118 


A-    f»  .".."'I  *>-   »«a.ZEE 


1^  •^:i"i  »♦  G***-  'I   *^-»-t    ' ' '•    i.tttttmcm*.,  ii»-:i^  TWTi-i   iirfTu*r   par 

a  J.  i  **    I  ii.'  •►'t  »    *♦♦.":»  I  •*'i      *    uii*  v.i-i-?i*   _'•  1    aii£^t-    IP  ^c»^- 

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*'.-.i  it  •'-^  t  •::•-'' 1  <•- *:r  *-'..x  ii?*  jiT-t* d^i*"'iiiiL  iM»a'  mu  :**  zai 
^  *  I  ;r*  n-*  *i  *  1   r*-^*  l*-*  \  *^  •-!  -  *  i*^  ••-»  uDf  nH'niiii"*  *^i'v»ifdaa  r^ 

:  •-?  * '  T'l-^-Ti** :  *^  t*-  .  *-  *^y.''*  '•.!*'*-:•  jiitrulDf  *-:    6*  i«  ii-^ar^  r.s— 

i-j-?  1»  ii'-^  •'  ***  p-**:  -  -r*  -.'.i^*'**:.-*:  .'L  -el  k  cm*  at  si  D*ri.'re. 
Li  i-i".'^  i '•  ■•-•  -•-  '•-  -'  »^  p'*---  *-?*  foi*  ;-e  I  a:  fiirt*f-  h  irrine*  con- 
^^nj21-"ii-*it-  '--  '-.'^  **'/., ^'-r.*.  'i*'*  cji*  i-e  iD*-ii*(i.r<  f^traifc-l -aire 
ch-tz  i-^  !::•:- "  *  **  '7^-  "-"  ^.-'i*.  I^"^  aKr!e*  0*-  iitj*.ftai»cf  t**  d<  iii:»rl  de 
ton*  \i'i  i.-.-i^*^  -"^  ^*  r,o'r.K,ute  03  «3ji  recMfi*!  j'lii»ri:re  du 
cheaii:i  It  r'tr  '.•"  a  t»/rt.  a  moo  a%i«.  dc  tf  w»iif.i 3*-reT  en  fux 
que  la  r:-T.  ■!-•<?•  r*  -If  I*:*  d»r<rrire  un;<{'jei»<-iit  comme  des  hy- 
iH»rmne>i^ -*■*.  S.  !  on  remarquaJt  que  €<•  soat  des  srrapulciix, 
nirils  out  I^  rr.  ir.i«r  l»-'liri;r*^r  toule  leur  altentioD  5.or  ce  pi»int  et 
(jirils  napprenn^ffjl  en  r#:alite  ricn  d'aulre,  on  traaverait  cette 
inemoire  moins  m^rrveill'U^e. 

Dans  une  secoride  forme  les  maladcs  accordent  une  ^rrande  im- 
portance a  certain!*  nombres  determines  :  Lisedoonesa  preference 
Jiux  nombres  2,  3,  '1,  S;^,  qui  represcntent  telle  ou  telle  de  ses 
ideos  obsedantes.  Jean  deteste  les  nombres  6,  li,  20,  prononces 
par  Charlotte,  22,  date  du  jour  oil  la  femme  de  chambre  Ta 
quittc,  57,    Tage   de  (Charlotte,  53,  date  de  sa  naissance,  etc. 

On  a  depuis  longlenipH  si^nale  le  besoin  de  compter.  M.  Gi- 
nestoux  a  preseiile  w  la  nociele  (Panatoniie  et  de  physiologie  de 
Bordeaux,  en  iHcjy,  un  jeuiie  hoininc  de  27  ans  qui  depuis  Tage 
de  10  ans  comple  touleH  leH  lellros  eontenues  dans  les  phrases 
'i  Til  pense,  qu'il  dil,  (|u'll  eerit  ou  qu'il  entend,  sans  que  ce  tra- 
^^il  pht'iionienal  soil  eepiMulunl  une  gi^ne  ou  une  fatigue potirlui  * : 


\ 


LES  MANIES  DE  L'AU  DEL.\  119 

le  dernier  point  serait  a  verifier.  On  connait  le  malade  celebre 
de  Legrand  du  Saiille  qui  en  entrant  chez  le  m^decin  lui  deman- 
dait  la  permission  de  compter  d'abord  Ics  boutons  de  son  gilet. 
Jean  n'a*t-il  pas  imagine  de  compter  le  nombre  de  lettres  qui 
dans  Talphabct  separent  les  diff^rentes  lettres  d'un  mot :  le  mot 
c(  mere  »  est  pour  lui  7,  12,  12  ;  car  entre  M  et  E  il  y  a  7  lettres 
cl  12  enlre  R  et  E.  Zo...  se  croit  obligee  de  compter  toutes  les 
epingles  qui  sont  dans  la  maison  afin  de  verifier  si  elle  n'en  met 
pas  dans  la  soupe. 

Enfin  dans  des  cas  plus  complexes  les  mhlades  ont  besoin  de 
compter  jusqu'a  des  nombres  determines  :  Ser...  et  F...  exigent 
que  chaque  question  leur  soil  repctee  trois  fois  avant  qu'elles 
daignent  repondre.  Mw...,  jeune  fille  de  28  ans,  compte  malgre 
elle  le  nombre  de  doigts  avec  lequel  elle  touche  un  objet :  pour 
rien  au  monde  elle  ne  voudrait  toucher  un  objet  avec  7  doigts  a 
la  fois,  aussi  pour  Feviter  prend-elle  la  resolution  de  ne  rien  tou- 
cher qu'avec  une  seule  main.  Rien  n'y  fait,  elle  a  touche  I'objet 
completement  avec  trois  doigts  et  legerement  avec  le  quatrieme, 
cela  fait  3  doigts  1/2  et  elle  pense  forcement  que  si  elle  avait  mis 
les  deux  mains  cela  ferait  3  1/2  X  2  c'est-a-dire  7.  Jean  compte 
ainsi  une  foule  de  choses,  le  nombre  de  fois  qu'il  avale  sa  salive, 
les  battements  de  son  coeur;  il  compte  par  4  et  par  multiples  de 
4.  «  un,  deux,  trois,  quatre,  il  faut  que  je  les  compte  sans  quoi 
j'etouflerais  et  je  ne  pouvais  pas  m'arreter  avant  quatre;  cinq, 
six,  sept,  vous  savez  qu'on  ne  pent  pas  s'arreter  a  sept ;  huit, 
j'ai  ete  oblige  d'aller  jusqu'a  huit.  Si  Texcitation  etait  tres  forte, 
il  faudrait  encore  une  s^rie  de  quatre.  Quelquefois  il  faut  aller 
jusqu*a  32,  64)).  Je  remarque  en  passant  que  ce  compte  des  batte- 
ments du  coeur  est  tout  a  fait  imaginaire  :  j'ai  essaye  une  fois  de 
compter  moi-mcme  son  pouls  pendant  qu'il  comptait  a  sa  fa^on  les 
battements  du  ca»ur,  noscomptes  etaient  absolument  discordants. 
II  compte  ainsi  toutes  sortcs  d'actions  bizarrcs  que  nous  retrouve- 
rons  a  propos  de  la  lutte  contrc  les  obsessions  et  a  propos  de  la 
manie  decompensation.  Un  autre  malade  Vy...  me  disait  naive- 
nient  qu'il  avait  besoin  de  compter  pour  se  raccrocher  a  quelque 
chose.  Je  crois  que  ce  malade  a  raison,  Tarithmomanie  n^est  pas 
une  obsession  specinle,  une  idee  fixe  isolc^e,  c*est  une  manie  men- 
tale,  une  sorte  de  besoin  pathologique  de  precision  qui  peut 
s'appliquer  a  toutes  les  obsessions,  et  memc  a  des  idees  quel- 
conques. 


120  LES  AGITATIONS  FORCfiES 


3.  —  Les  mantes  clii  symbole. 

Je  di^signe  par  ce  mot  une  tendance  et  tin  besoin  tres  curieux 
qui  me  semhient  n'avoir  pas  ete  suflisamment  remarques  :  c'est  le 
l)esoin  dc  traduire  en  images,  en  representations  sensibles  les 
sentiments  et  les  idees.  Ce  besoin  se  constate  d'abord  dans  le 
langagc  des  malades.  On  est  frappe  de  Tabus  qu'ils  font  des 
ni^taphores  pour  exprimer  leur  etat.  «  Je  suis  un  pauvre  petit 
oiseau  sans  plumes...  je  suis  au  milieu  d^un  labyrinthe  avec  d'in- 
nombrables  couloirs  obscurs, —  je  suis  comme  un  saccouchepar 
terre  et  Thumanite  danse  dcssus.  )>  II  faudrait  recopier  tons  leurs 
discours  pour  mettre  ce  signe  en  evidence. 

Le  symbole  se  retrouve  encore  bien  plus  dans  les  images  que 
se  repr^sentent  les  scrupuleux,  images  qui  donnent  naissance  aux 
pseudo-hallucinations  que  nous  avons  ^tudiees  prec^demment.  On 
a  dA  ctre  <^tonne  du  contenu  singulier  de  ces  pseudo-hallucina- 
tions. D*ordinaire  Thallucination  reproduit  un  spectacle  particu- 
liercment  impressionnant  qui  merite  de  rcster  dans  la  memoire  ; 
une  hysterique  a  Thallucination  dc  la  t^tc  de  son  pere  sur  son 
lit  de  niorty  une  autre  de  la  figure  de  son  amant  qui  Tembrasse. 
Ici  nous  avons  signals  chezVoz...  Thallucination  du  mur  du  lycee, 
de  !\  arbres  qui  reutourent  pendant  qu'il.  marche,  chez  Rp... 
riiallucinatiou  dc  la  silhouette  d'un  homme  qui  passe.  Comment 
cos  images  banales  ont-oUes  pu  attirer  assez  Tattention  pour  se 
reproduire  ainsi  indefiniment?  En  realite,  ce  ne  sont  pas  de  sim- 
ples souvenirs,  ce  sont  des  images  qui  ont  un  sens,  une  significa- 
tion et  cette  signification  est  plus  importante  que  Timage  elle- 
nit^me  :  en  un  mot  ce  sont  des  symboles. 

Rp...  qui  voit  passer  devant  lui  a  5  metres  de  distance  le  direc- 
teur  de  Tecole  avec  un  visage  souriant  ou  courrouce  est  un  scru- 
puleux  qui  a  la  mauie  des  presages.  II  s'est  dit  que  son  entre- 
prise  r<^ussirait  s*il  voyait  passer  devant  lui  son  directeur  avec  le 
visage  souriant.  II  va  tout  a  Theure  s'interroger,  nous  le  savons, 
et  se  demander  si  le  visage  etalt  souriant  ou  non,  peu  importe. 
L*essentiel  ii  romarquer  main  tenant  c'est  que  cette  vision  iraagi- 
naire  de  la  figure  du  directeur  est  devenue  un  symbole  qui 
resume  les  bous  et  mauvais  presages.  Yoz...,  ce  jeune  homme  de 
23  ans,  qui  a  des  pseudo-hallucinations  si  curieuses  du  mur,  des 
arbres  du  lycee,  des  chainos  qui  lui  bar  rent  le  chemin,  eprouve 


L 


LES  MANIES  DE  L  VU  DELA  121 

au  supreme  degr^  un  sentiment  tr^s  frequent  chez  les  s'crupuleux 
et  aussi  chez  les  pers^cut^s,  un  amour  passionne,  obs^dant  de  la 
liberte  avec  {'impression  qu'elle  lui  est  ravie.  «  Je  sens  toujours 
comme  une  limitation  qui  me  contraint,  qui  m'arr^te,  je  suis  ob- 
sede  par  la  pens^e  de  eontrainte  et  de  limite  a  mon  action...  » 
Nous  aurons  a  etudier  la  genese  de  ce  sentiment  si  curieux  et  si 
frequent;  pour  le  moment  remarquous  comme  il  est  bien  sym- 
bolise par  les  images  que  voit  le  malade,  le  mur  du  college,  les 
arbres  de  la  cour  entre  lesquels  il  croit  marcher  sans  cesse,  les 
cordes  qui  le  lient.  Peut-on  trouver  plus  parfaite  hallucination 
symbolique  ? 

Chez  d*autres  malades  nous  trouverons  beaucoup  d*autres 
exemples  moins  brillants  :  chez  Jean  les  deux  images  de  femme 
symbolisent  Tunc  celle  de  Charlotte,  la  tentation,  Tautre,  celle 
de  la  femme  de  chambrc  qui  rit,  la  conscience.  Chez  Claire  nous 
avons  deja  insiste  sur  Timage  du  membre  viril  et  de  Thostie  qui 
symbolisent  le  crime  sacrilege  ;  chez  la  meme  malade  le  precipice 
repr^sente  la  maladie  et  ses  progres.  Ce  dernier  symbole  est  si 
nature!  que  d'autres  personnes,  en  particulier  Lise,  me  discnt 
eprouver  aussi  ce  sentiment  de  descendre  et  d'avoir  besoin  d'un 
effort  pour  ne  pas  se  rcpresenter  une  descente  mat^rielle  dans 
un  trou.  Les  saintes  dans  le  ciel  sont  pour  We...  le  symbole  de 
la  vie  religieuse  et  le  visage  de  Tenfant  est  pour  Gisele  le  symbole 
des  devoirs  conjugaux. 

Des  objets  et  non  des  images  peuvcnt  devenir  des  symboles. 
Le  faux  col  est  pour  Vy...  le  symbole  de  la  gene  et  de  la  eon- 
trainte, comme  le  journal  est  pour  Jean  le  symbole  de  tons  les 
crimes  politiques  et  genitaux.  De  la  sont  venues  bien  des  terreurs  de 
ces  objets. 

Cette  manie  du  symbole  se  retrouve  aussi  dans  certains  actes 
el  dans  certains  mouvemenls  :  pivoter  siir  ses  talons,  c'est  pour 
Led...  le  symbole  de  la  religion  «  parce  qu'on  tourne  ainsi  de 
ciHe  pour  saluer  I'autel  quand  on  passe  devant.  Fcrmer  le  poing, 
c'est  comme  si  on  insultait  Dieu,  fermer  brusquement  un  tiroir, 
c'est  envoyer  Dieu  promener  ».  Nous  en  verrons  bien  des 
exemples  en  dtudiant  les  tics.  Remarquons  seulement  que  la 
manie  de  la  proprete  qui  etait  deja  une  consequence  des 
raanies  de  precision  se  rattache  aussi  souvcnt  au  symbole.  La 
soeur  aux  scrupules  de  Uodcnbach  epoussette  sans  cesse  sa 
cornette   pour  faire  tomber  les  poussieres,  symboles  des  pctits 


i22  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

peches^  et  Vk...  se  lave  les  mains  avec  du  savon  blanc  toutes 
les  fois  qu'elle  a  pense  a  mentir. 

Ccttc  manie  du  synibole  joue  un  grand  role  dans  les  im- 
pulsions et,  si  on  la  m^connait,  on  s'expose  a  de  graves  erreurs. 
On  a  vu  que  ces  malades  ont  des  commencements  d'actes, 
pousser  du  doigt  sa  petite  fille,  boire  un  petit  purgatif,  ouvrir  un 
bouton  de  la  braguette,  j'ai  deja  cit6  trop  d'exemples  pour  y 
revenir.  D'autresn'ontquc  Timage  kinesthesique  d'un  mouvement 
qui  commence.  Plusieurs  autcurs  ont  vu  la  Texplicatlon  deTobses- 
sion  impulsive :  les  sentiments  de  ces  representations  de  mouve- 
ment, de  ces  pctits  mouvements  commences  donneraient  au  malade 
ridde  qu'il  est  pousse  a  accomplir  quelque  chose.  II  en  est  quel- 
quefois  ainsi  chez  les  hystcriques  qui  ont  des  actes  automatiques 
<ivec  subconscience,  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  chez  les  scrupuleux 
qui  font  eux-mcmes  ces  petites  actions,  conimc  des  symboles  du 
crime,  pour  se  donner  a  eux-m6mes  Tillusion  d'c^tre  pousses  au 
crime  et  pour  pouvoir  se  faire  plaindre  et  proteger. 

Cette  manie  du  symbole  me  sembic  jouer  un  tres  grand  role 
dans  la  maladie  et  quand  nous  discutcrons  la  gencse  des  obses- 
sions elles-memes,  nous  verrons  que  beaucoup  ne  font  que  sym- 
boliser  un  trouble  antericurcment  ressenti.  Quant  a  cette  manie 
elle-meme,  elle  me  parait  seraltacher  aux  phenomenes  precedents, 
comme  la  manie  arithmetique,  elle  depend  du  besoin  de  preciser, 
d'exprimer  avec  une  neltete,  d'une  manicre  matcrielle,  des  senti- 
ments et  des  id<^es  a  propos  dcsquels  le  malade  n'arrive  jamais 
a  la  certitude. 


!\.  —  Les  manies  de  la  recherche.  —  La  manie  du  passe, 
la  manie  de  Vavcnir, 

Le  travail  mental  me  semble  se  compliqucr  quand  il  d(§passe 
les  circonstances  environnant  Tacte  present  et  qu'il  porte  sur  de 
tout  autres  faits,  en  particulier  sur  des  fails  passes. 

Pour  r^pondre  au  probleme  pose  par  Tlnterrogation  primitive  : 
c(  ont-ils  oui  ou  non  commis  une  action  reprehensible  ?  »  les  ma- 
lades sonl  amenes  a  se  rcmemorer  exactemenl  les  actes  ancien- 
nement  accomplis.  Par  excmplc,  Ce...  a  des  souprons  sur  tel  ou 
tel  acte  de  la  journce,  il  s'arrete  el  cherche  a  se  rappeler  exacte- 

1.  Uodcnbach,  La  sceur  aux  scrupuleSj  p.  80. 


LES  MANIES  DE  L'AU  DELA  123 

ment  les  diverses  actions  qu'il  a  faites,  les  diverscs  phases  par 
lesquelles  a  passe  chaque  action.  II  passe  dcs  heures  a  verifier 
dans  SB  m^moire  comment  il  a  pass^  d'un  mouvement  insignifiant 
a  un  autre  aussi  futile.  Si  par  malheur  dans  cette  revue,  il  y  a  un 
instant  dont  le  souvenir  ne  lui  soit  pas  precis,  le  voilii  au  comble 
du  desespoir.  Qu'a-t-il  pu  faire  dans  cet  instant?  C'est  la  que  se 
g-lisse  Tobscssion  et  il  fait  les  plus  grands  efTorts  de  m^moire 
pour  se  convaincre  que  pendant  cette  sccondc,  il  n'a  pas  accompli 
quelque  horreur.  II  en  est  de  m6me  pour  Dk...  :  «  a  quel  moment 
a-t-il  pu  tuer  cette  femme  ?  de  quelle  maniere  s  y  cst-Jl  pris  ? 
quel  est  Tinstant  de  la  journc^e  oil  il  n'^tait  pas  occupe  a  autre 
chose  ?  »  II  emploie  dcs  heures  a  cette  recherche. 

La  recherche  indefinie  est  un  des  grands  caractcres  de  Lise, 
car,  pour  son  malheur,  elle  ne  se  pose  ces  questions  que  sur  une 
epoque  cloigneeoii  la  verification  minutieusede  Temploidu  temps 
est  horriblement  difficile.  II  y  a  un  an,  le  vendredi  soir  de  telle 
date,  s'est-elle  laissce  aller  a  vouer  ses  enfants  au  diable?  Pour  le 
savoir,  il  faut  rechercher,  si  a  cette  epoque,  elle  a  ddsire  quelque 
chose  assez  forlement  pour  prier  le* diable  de  le  lui  accorder,  si 
elle  a  cede  a  la  tentalion  d'obtenir  ce  qu'elle  desirait  par  le  sacrifice 
des  enfants,  ou  si  elle  a  su  resislcr  en  disant  la  formule  d'exor- 
cismes  :  «  Non,  non,  4t  3,  2.  »  Voila  un  petit  probleme  qui  n'cst 
pas  facile  a  resoudre:  il  faut  trouver  minutieusement  Temploi  de 
son  temps  afin  de  constater  une  sorte  d'alibi  moral.  <(  Ca  ne  dis- 
parait  pas  une  minute  de  mon  esprit.  Je  sens  que  jc  recherche  tout 
le  temps  et  cc  sontdes  heures  d'immobilite  dans  cette  recherche 
stupide.  »  Or,  elle  recherche  ainsi  toutes  les  promesses  qu'elle  a 
pu  faire  a  Dieu  ou  au  diable,  toutes  les  paroles  qu'elle  a  prononcees, 
tous  les  signes  qu'elle  a  faits  jusqu'a  s'affoler  completement. 

Un  cas  interessant  de  cette  manic  de  rechercher  un  souvenir  est 
celui  de  Bre...  (i4i)»  femme  de  42  ans  ;  elle  a  perdu  son  mari  il  y  a 
trois  ans  dans  dcs  conditions  assez  emotionnantes.  Depuis  ce  mo- 
ment, elle  a  le  sentiment  qu'elle  a  oublie  la  figure  de  son  mari.  Nous 
aurons  a  etudier  jusqu'a  quel  point  cet  oubli  est  reel.  Pourle  mo- 
ment nous  constatons  que  cc  pretcndu  oubli  est  le  point  de  depart 
d'une  manie  de  recherche.  II  lui  faut  arrivcr  a  se  represenler  vi- 
suellement  la  figure  de  son  mari:  elle  se  sert  pour  y  parvenir  des 
portraits,  des  descriptions,  des  souvenirs  de  toutes  sortes,  elle  tra- 
vaille  nuit  et  jour  et  ne  parvient  pas  suffisamment  a  son  gre  i\ 
cette  representation.    Puis  elle  s'excitc  a  rechercher  de  la  meme 


124  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

maniere  le  souvenir  de  s.i  voix,  de  ses  actions,  etc.  Elle  croil  avoir 
oublie  tout  ce  qui  le  concerne,  avoir  oublie  de  la  mcme  maniere 
tous  les  visages  d'homme  et  ne  plus  meine  se  souvenir  d'avoir  ete 
niariee  et  elle  s*epuise  a  rctrouver  avec  precision  tous  ces  sou- 
venirs. 

C'est  a  cette  manie  de  rechercher  des  souvenirs  que  se  rap- 
portent  le  plus  souvent  les  manies  qui  out  ete  ddcrites  par  Char- 
cot et  Magnan  *  sous  le  noin  d' o no mato manies.  Dans  le  cas  le  plus 
remarquable  decrit  par  ces  auteurs,  le  inaladc  recherche  toute  la 
nuit  le  nom  d'une  petite  (ille  dont  il  a  lu  Thistoire  dans  le  journal ; 
son  etat  de  crise  determine  par  cette  manie  de  recherche  est  epou- 
vantablc  jusqu'a  cc  que  le  matin  il  puisse  retrouver  dans  un  journal 
le  nom  de  Georgette. 

On  pourrait  citer  bien  des  exemples  semblables  :  Hg...  (i3o), 
femme  de  5o  ans,  a  H6  conduitc  a  la  manie  des  recherches  d'une  ma- 
niere singulicre :  elle  a  etc  tres  cnnuyce  parce  que  Ton  a  biiti  un  mur 
devant  la  fenetre  de  sa  cuisine  et  toute  la  journee  elle  se  demandait 
ce  qui  se  passait  derriere  ce  mur.  La  manie  s*est  peu  a  peu  d6placce 
et  maintenant  elle  remarque  une  ressemblance  quelconque  ii  pro- 
pos  de  la  figure  d*un  passant  et  il  faut  absolument  qu'elle  trouvc 
le  nom  de  la  personnc  qui  pr^sente  cette  ressemblance  avec  le 
passant.  Cha...  (i3i),  un  homnie  dc  76  ans,  est  encore  ii  cet  age 
tourmentc  par  une  manic  semblable.  A-t-il  dans  la  journee  cause 
avec  une  personne  peu  connue,  il  faut  absolument  qu'il  retrouvc  le 
nom  et  I'adresse  de  cette  personne,  et  il  passe  des  jours  et  des 
nuits  a  rechercher  dans  sa  memoire  ces  renseignements.  Aussi 
des  qu'il  nous  aborde,  nous  prie-t-il  d'inscrire  notre  nom  etnotre 
adresse  sur  un  carnet  qu'il  ne  quittc  jamais. 

C'est  aussi  a  cette  manie  du  pass6  qu'il  faut  rattacher  toutes  les 
manies  de  vememorntion  qui  peuvcnt  prendre  des  formes  varices. 
M.  Raymond  en  a  d6crit  un  cas  curieux  :  «  Un  homme  de 
[\o  ans,  quand  il  voyage,  regarde  toujours  altentivement  les  sites 
qui  se  deroulent  sous  ses  ycux;  Iorsqu*il  a  parcouru  une  certaine 
zone,  il  cherche  ii  se  remcmorcr  Taspect  du  paysage  aper(;u.  S'il 
ne  pent  pas  y  arriver,  il  soufTre  tellement  qu*il  refait  souvent  le 
voyage    pour   combler   les  lacunes  de   sa  memoire...    Parfois,    il 

I.  Charcot  ct  Magnan,  Onomatomauio.   Archives  de  neurologic,  scplcmbro  i885. 


LES  M.\NIES  DE  L'AU  DELA  125 

transige  avec  lui-merac  et  envoie  un  domestique  verifier  eertaincs 
particularites  restees  incertaines  dans  son  esprit  *.  » 

Dans  un  cas  de  M.  Lowenfeld',  la  manie  du  passe  semble  encore 
plus  independante  de  la  recherche  et  de  Tinterrogation.  Depuis 
I'age  de  i3  ans,  le  malade  se  plaint  «  que  la  pens^e  est  envahie 
par  des  souvenirs  obsedants  d'une  exactitude  photographique...  » 
II  en  rcsulte,  ditl'auteur,  «  un  efiacement  remarquable  du  moment 
present,  le  malade  vit  plus  dans  le  pass^  que  dans  le  present  ». 
C'est  la  une  remarque  tres  importante,  raais  elle  a  rapport  a  des 
phenomenes  essentiels  que  nous  devons  etudier  plus  tard  isolc^* 
ment.  Chez  une  de  nos  malades,  chez  'Cz. . . ,  femme  de  33  ans,  nous 
retrouvons  cetle  manie  de  rememoration  sans  recherche  precise : 
«  Autrefois,  dit-elle,  je  rechcrchais  mes  souvenirs  pour  savoir  si 
je  devais  me  reprocher  quelque  chose,  pour  me  rassurer  sur  ma 
conduite,  mais  maintenant  ce  n*est  plus  du  tout  la  m^me  chose. 
Je  me  raconte  tout  le  temps  ce  que  j'ai  fait  il  y  a  huit  jours,  il  y  a 
quinze  jours,  j'en  arrive  a  voir  les  choses  exactement  et  je  n'ai 
aucun  inter^t  a  les  rcvoir,  cela  m'agace  tout  simplement,  mais 
cela  revient  malgre  moi.  5) 

A  cette  manie  du  passe  on  pent  joindre  certalnes  manies  de 
conservation  des  objets,  certaines  manies  de  collection.  Plusieurs 
maiades  (Nadia,  Lod...,  etc.),  gardent  precieusement  des  tiroirs 
pleins  de  petits  papiers  sur  lesquels  sont  ecrits  leurs  serments,  leurs 
pro'messes  ou  simplement  des  resumes  de  leur  vie,  d'autres  con- 
servent  des  enveloppes,  des  lettres  (Jean),  des  boites  en  carton 
(U...),  des  chiflbns  (Vk...),  et  ne  veulent  pas  que  Ton  detruise 
rien.  M.  S.  de  Sanctis^  a  decrit  ces  manies  de  collection,  mais 
son  etude  vise  surtout  des  maladcs  difT^rents  des  notrcs,  atteints 
de  paralysie  gen^rale  ou  de  divers  d^lires  systematiques,  quel- 
ques-uns  seulemcnt  de  ses  exemples  se  rapprochent  des  cas  que 
j*eludie  ici. 

Dans  tons  les  cas  precedents  la  manie  pousse  les  maiades  a 
depasser  le  moment  present  par  la  recherche  et  la  consideration 
du  passe. 


I.   F.  Raymond,  Journal  de  medecine  et  de  chirurgie  pratiques,  1899,  P-  ^^^* 
a.  howenfcXd  (Munich)  Psychiatrische  Worhensrhrift,  10  juiii  1899. 
'S.  S.  tic  Sanctis,  Collc/ionismo  c  iminilsi  colle/ionisli.   liolL  delta  iiwieta  Lanci- 
slana  detjli  ospedali  di  liomn,  XVII,  fasc.  1,  1897. 


126  LES  AGITATIONS  FORGOES 

La  recherche  peut  aussi  porter  sur  l*avenir,  les  malades  cher- 
chent  quelles  sont  les  consequences  lointaines  de  leurs  actions  ou 
cherchent  a  se  represenler  siinplcment  les  evenements  futurs. 
Jean  appelle  cela  scs  pressentiments,  il  imagine  toujours  tout  ce 
qui  va  arriver  dans  i5  jours,  dans  un  mois  et  il  se  plonge  dans 
cette  contemplation.  Bab...,  femme  de  28  ans,  pr^sente  une 
malndie  de  Tavenir  curieuse,  des  imaginations  obsedantes,  tout  a 
fiiit  analogue  aux  souvenirs  obsedants  de  Lovvenfeld.  Devant  le  ber- 
ceau  de  sa  petite  fiUe  qui  a  18  mois  elle  cherche  quelle  robe  elle 
mettra  au  mnriage  de  cette  enfant  «  ct  cette  ceremonie  de  raariage 
me  tracasse  enorm^ment,  il  faut  que  je  combine  toute  la  cere- 
monie, toutes  les  invitations,  que  je  cherche  comment  je  pourrai 
payer  la  robe  de  la  mariee,  c'est  une  veritable  fatigue  ».  Lise 
d^passe  toujours  Ic  moment  present  se  r6p6tant  cc  qui  arrivera 
quand  elle  aura  fini  ce  travail,  quand  elle  sera  vieille,  quand  elle 
sera  morte.  «  J 'arrive  toujours  i\  la  pensee  de  la  mort  parce  que 
c'est  le  dernier  terme.  »  Nous  retrouverons  cette  pens<^e  a  propos 
des  manies  de  Textrc^me. 

5.   —  Les  manies  de  V explication. 

La  recherche  peut  d6passer  les  faits  du  passe  et  ceux  de  Tave- 
nir  ;  elle  peut  porter  sur  tons  les  problcmes  scienti6ques  ou  phi- 
losophiques.  C'est  la  recherche  pour  la  recherche,  sans  int^ret 
imm^diat. 

Cette  forme  dc  la  manie  est  la  plus  connue,  elle  se  trouve 
d^crite  souvent  sous  le  nom  dc  folic  de  Tinterrogation,  folic  me- 
laphysique,  etc.  C'est  le  Gruhelsuchtj  le  Fragetrieb  des  auteurs 
allemands,  c'est  Tune  des  formes  de  la  psychasthenic  qui  a  et<^ 
(Idcrite  en  premier  lieu  par  Griesinger.  Un  de  ses  malades  ne 
pouvait  entendre  le  mot  «  beau  »  sans  se  poser  malgrc  lui  une 
serie  inextricable  et  indefinie  de  questions  sur  les  problemes  les 
plus  obstrus  de  resthetique.  Le  mot  «  etre  »  le  lan^ait  dans  la 
serie  des  discussions  metaphysiques.  «  Je  mine  ma  sant^,  disait- 
il,  en  pensant  sans  cesse  a  des  problemes  que  la  raison  ne  pourra 
jamais  r^soudre  ct  qui  malgre  les  efibrts  les  plus  <^nergiques  de 
ma  volonte  me  fatiguent  sans  treve.  Le  cours  de  ces  id^es  est 
incessant...  Cette  reflexion  metaphysique  est  trop  continue  pour 
6tre  naturelle...,  chaque  fois  que  ces  idees  reviennent,  je  tente 
de   les  chasser  et  je   m'exhorte  a  suivre  la  voie  naturelle  de  la 


LES  MANIES  DE  L*AU  DELA  127 

pensee,  ;i  iie  pas  m'erabroiiillcr  le  cervcaii  dc  choscs  abstraites 
et  insolubles  ct  cependant  je  ne  puis  me  soustraire  a  Timpulsion 
cootinuelle  qui  martele  mon  esprit.  ))  Depuis  ce  travail  de  Crie- 
singer,  cetle  manie  mentale  a  cte  decrite  bien  souvent.  «  L'obses- 
sion  peut  prendre  la  forme  interrogative,  disait  M.  Saury  : 
«  Pourquoi  les  couleurs  sont-elles  in^galcmentr^parties,  les  arbres 
verts,  les  pantalons  rouges,  le  deuil  en  noir  ?  Pourquoi  les  hommes 
ne  sont-ils  pas  plus  grands?'  »  Une  observation  de  M.  Ladame 
est  fort  remarquable :  il  s'agit  d'une  femme  qui  depuis  Tenfance 
se  posait  a  elle-meme  toute  espcce  de  questions  insolubles  dont 
elle  cherchait  en  vain  la  reponse  de  maniere  a  troubler  toute  son 
aetivitc.  Ce  sont  dcs  questions  relatives  a  la  creation  (Schopfungs- 
fragen).  «  Est-ce  que  le  monde  a  pu  se  faire  tout  seul  ?  Peut-on 
diviser  un  objet  en  parties  infiniment  petites  ?  Comment  Tame 
sort-elle  du  corps,  etc.  ?'  » 

J'ai  pu  observer  chez  de  nombreux  sujets  tons  les  degrees  de 
ces  recherches  depuis  les  questions  les  plus  humbles  sur  le  cos- 
tume, jusqu'aux  plus  grands  problemes  metaphysiqucs.  Elg..., 
jeune  femme  de  ig  ans,  s'interroge  a  propos  du  costume  que 
porte  la  personne  qu'elle  regarde  :  «  Pourquoi  porte-t-on  un 
tablicr?  Pourquoi  met-on  une  robe..?  Pourquoi  les  messieurs 
n*ont-iIs  pas  de  robes  ?  »  et  quand  elle  s'absorbe  dans  ces 
questions  elle  ne  peut  ni  ^couter  ni  repondre.  Un  homme  de  87 
ans,  Qs...,  s'interroge  sur  la  fabrication  des  objets,  «  comment 
a-t'OD  pu  faire  une  maison  ?  un  bee  de  gaz?...  »  II  essaye 
de  s*arreter  en  murmurant  :  «  Allons,  ne  t'emballe  pas,  n'y 
pense  pas,  »  mais  il  revient  a  la  question  :  «  Comment  pcut-on 
faire  briller  du  gaz?  Comment  de  Fair  peut-il  s'enflammer  et 
eclairer  ?..  »  Rost...  se  borne  a  chercher  a  la  definition  du 
violet  ».  Za...  s'interroge  sur  des  problemes  de  morale  :  a  Qu'est- 
ce  qu'unc  mauvaisc  pens^e  ?  En  ai-je  eu  avec  ou  sans  mon 
consentement  ?  Car  tout  est  la,  mais  qu'est-ce  que  c'est  qu'un 
coDsentement  ?»  Za...  est  reste  3  ans  a  m(l»diter  sur  le  mot 
a  consentir  »  sans  arriver  a  une  solution. 

Nem...,  apres  avoir  eprouv6  un  sentiment  d'6tonnement  en 
voyant  un  individu  qui  lui  paraissait  drole,  trouve  tout  surprenant 
et  s'interroge  sur  tout.  «  Comment  se  fait-il   qu'il  tonne,   qu'il    y 


1.  Saury.  Folic  des  degenfr^s,  p.  03. 

2.  Ladame,  Ann.  niM.  lisych.,  1890,  II,  384 . 


128  LES  AGITATIONS  FORCtlKS 

ait  des  eclairs,  qu*il  y  ait  un  soleil,  qu'il  fasse  jour  ou  nuit?  Si 
on  n'avait  pas  de  rivieres  et  pas  d*eaii  comment  est-ce  qu'on  ferait 
pour  boire,  pour  laver  ?  Et  si  on  n'avait  pas  d*yeux  comment  est- 
ce  que  Ton  ferait  pour  voir  ?  » 

^Nb...,  a  propos  de  la  critique  des  sens  et  de  Tintelligence  se 
pose  une  foule  de  problemes  philosophiques  :  non  seulement, 
comme  nous  Tavons  vu,  elle  interroge  sur  le  caractere  direct  ou 
indirect  de  la  perception  sensible,  mais  elle  cherche  aussi  a  com- 
prendre  la  nature  de  Tentendemcnt,  la  signification  de  la  parole 
ou  de  r^criture.  «  Comment  des  petits  points  noirs  sur  le  papier 
peuvent-ils  contenir  une  pensee  ?  Comment  les  mots  viennent-ils 
dans  ma  bouche  en  meme  temps  que  je  pense  ?  Est-ce  done  une 
indication  de  la  pensee?  Je  me  perds  lii-dedans...  Comment  la 
parole  qui  est  un  bruit  peut-elle  transporter  la  pensee  qui  n'est 
pas  une  chose  materielle..?  Ah,  si  jepouvais  oublier  touted^?... 
Comment  se  fait-il  que  je  comprenne  une  personne  en  dehors  de 
moi  ?  Comment  se  fait-il  que  j'aime  ma  fille  qui  est  en  dehors  de 
moi  ?  » 

II  est  curieux  de  remarquer  que  ces  speculations  ne  se  presen- 
tent  pas  uniquement  chez  les  personnes  intelligentcs  et  cultivees, 
elles  se  retrouvent  prcsque  identiques  chez  des  femmes  du  peuple 
absolument  sans  education.  Nadia,  qui  est  une  femme  tres  ins- 
truite  et  qui  a  beaucoup  lu,  s'interroge  «  sur  la  religion,  sur  la 
vie  future,  sur  les  mystcres  de  Tame...  que  devicndra  mon 
ame,  que  deviendra  Tame  du  monde  ?  »  Cela  semble  assez 
nature!.  MaisIIm...,  femme  de  21  ans,  domestique  a  la  campagne, 
habituee  aux  durs  travaux  d'une  ferme,  qui  sait  a  peine  lire  et 
qui  ne  sait  pas  ecrire,  est  tourmentee  apres  un  accouchement  par 
les  memes  idees.  «  Je  ne  puis  pas  savoir  comment  cela  se  fait  qu^il 
y  ait  du  monde,  pourquoi  y  a-t-il  des  arbrcs,  des  betes,  qu'est- 
ce  que  tout  cela  va  devenir  plus  tard  quand  tout  sera  (ini  ?...  » 
II  y  a  la  un  besoin  de  speculation,  de  travail  mental,  qui  s'cf- 
fectue  ind^pcndamment  des  connaissanccs  acquises  et  des  cape- 
cit^s  du  sujct  pour  discuter  les  problemes  qu'il  se  pose. 

6.  —  Les  manies  des  precautions, 

Les  recherches  precedentes  s'appliquaient  surtout  aux  id^es, 
nous  allons  retrouver  a  propos  des  actions  des  manies  du  m^me 
genre  que  Ton  pent  aussi  considerer  comme  des  consequences  du 


LES  MANIES  DE  L'AtJ  DlDtA  120 

besoin  de  precision.  On  remarqiiera  en  premier  lieu,  la  manie 
des  precaiilions,  c'est-ii-dire  le  besoin  de  faire  une  foule  de 
petites  actions  accessoircs  qui  sont  destinees  a  rendre  plus  facile 
une  action  principale  ou  a  empecher  une  action  que  Ton  rcdoute. 
Zo...,  qui  a  Tobsession  des  epingles,  se  dctourne  des  boites  au 
laity  fait  des  detours  dans  la  rue  pour  nc  pas  passer  aupres  des 
marchands  de  comestibles,  elle  mange  elle-m6me  tres  lentement, 
divise  ses  aliments  a  Tinfini,  etc.  Dk...  se  met  en  t^te  d'6crire 
sur  un  carnet  tout  ce  qu'il  fait  au  cours  de  la  journ^e  a6n  de  ne 
rien  oublier.  Cha...,  qui  a  la  manic  dc  rechercher  les  noms 
et  adresses  des  personnes  qui  lui  parlcnt,  ne  vous  aborde 
jamais  sans  vous  prier  d'^crire  tout  dc  suite  votre  nom  ct  votre 
adresse  sur  un  carnet  qu'il  porte  constamment.  Nadia  prend 
toutes  sortes  de  precautions  dans  son  alimentation,  j'en  ai 
deja  parl^,  elle  se  couvre  le  visage,  ordonne  a  sa  femme  de 
chambre  une  attitude  speciale  quand  elle  passe  devant  elle, 
etc.  La  manie  des  precautions  se  manifeste  dans  ses  lettres 
surchargees  de  mots  soulign^s  et  terrainecs  toujours  par  la  for- 
mule  :  (c  veuillez,  je  vous  pric,  avoir  la  bonte  de  ne  montrer  cette 
lettre  a  personne  et  de  la  brAler.  »  Vob...  ne  s^endort  pas  sans 
coudre  le  bas  de  sa  chemise  en  dessous  de  ses  pieds,  sans 
attacber  les  manches  de  sa  chemise  aux  draps  par  des  6pingles, 
afin  d*eviter  pendant  le  sommeil  les  masturbations. 

Jean  presente  bien  des  actions  bizarres  en  rapport  avec  ses 
precautions  :  il  marche  tres  lentement  a  petits  pas,  il  prend  de 
grandes  precautions  au  tournant  des  rues,  car  s'il  se  permettait 
un  mouvement  un  pen  brusque,  il  y  aurait  un  «  Irottement  psy- 
chique  »  de  ses  parties  qui  provoquerait  la  masturbation  et  ses 
terriblcs  consequences.  Un  jour,  mais  une  fois  seulcment,  il  a  6te 
jusqu'a  decoudre  son  pantalon  ct  a  enlever  la  doublure  (c  pour 
gagner  de  la  place  »  et  il  est  rest6  une  soiree  avec  son  pantalon 
d^cousu  sans  ^tre  plus  tranquille  d'ailleurs.  II  continue  toujours 
a  tenir  ses  jambes  tres  ecartees  quand  il  est  assis,  il  arrange  sa 
chemise  et  son  calccon  de  mani^re  speciale.  II  ne  pent  coupcrson 
pain  quand  il  est  debout,  ce  qui  occasionne  I'idee  de  se  crisper, 
il  change  la  place  de  son  lit,  etc.,  il  a  des  artifices  pour  se  mou- 
cher  «  sans  ebranlement  »,  il  reduit  Tactc  d*uriner  et  ecarte  les 
mictions  jusqu'a  perdre  les  urines  par  regorgement,  etc. 

Chez  Claire  il  faut  noter  que  cc  besoin  de  precautions  amene 
une  extraordinaire  ct  perpetuelle  surveillance  d'elle-meme.  C'est 

LES  OB8ES8IO?i8.  1.  g 


130  LtS  AGITATIONS  FORCfifiS 

un  effort  perp^tuel  pour  elre  sur  le  qui-vive,  «  je  ne  me  donne  pas 
une  minute  de  liberty  et  j'absorbe  toutes  mes  forces  dans  cette 
surveillance  de  moi-m6me  ».  La  nuit  meme,  elle  s'oblige  a  rester 
parfaitement  immobile  dans  une  position  ddtermin^e  et  elle  y 
r^ussit  au  prix  d'une  courbature  de  tout  le  corps.  Les  membres 
ne  peuvent  pas  se  laisser  aller  au  repos,  ils  sont  constamment  a 
demi  raidis.  Nous  retrouverons  le  meme  symptome  chcz  Lise,  dans 
les  grandes  periodes  de  surveillance  d'ellc-meme,  et  nous  aurons 
a  r^tudier  encore  comme  une  des  manifestations  physiques  de 
r^tat  d^inqui^tude. 

A  cette  manie  on  peut  rattacher  la  manie  de  la  lenteur  si  cu- 
rieuse  chez  Vk...  Ce  n'est  pas  une  lenteur  naturelle  en  rapport 
avec  Taboiilie,  c'est  une  lenteur  voulue,  calculce  dans  tous  les 
actes  qui  lui  paraissent  avoir  quclque  importance.  II  lui  faut  une 
demi-heure  pour  mettre  son  jupon  et  une  autre  demi-heure  pour 
passer  une  robe,  «  si  je  vais  plus  vite  je  ne  suis  pas  sAre  que  ce 
soit  bien  fait  et  la  vue  des  gens  presses  qui  vont  vite  m'enerve  ». 

Parmi  ces  precautions  que  prennent  les  malades,  la  plus  simple 
et  la  plus  banale  de  toutes,  ce  sont  des  precautions  de  proprele. 
Comme  ils  ont  peur  de  faire  avec  leurs  mains  un  acte  qu'ils 
redoutent  et  comme,  ainsi  qu'on  Fa  vu,  leurs  craintes  portent  sur 
de  petites  choses,  le  meilleur  moyen  de  garantir  leurs  mains,  c'est 
de  les  laver.  II  en  r^sulte  qu'un  tres  grand  nombre  de  ces  ma- 
lades  ont  passe  par  une  p^riode  oil  ils  se  lavaient  les  mains  per- 
petuellement.  II  est  inutile  de  citcr  ici  des  noms,  nous  avons  une 
vingtaine  de  malades  qui  se  lavaient  ainsi  continuellement. 
D'autres  se  preoccupent  aussi  de  la  proprete  de  leurs  vetements 
et  passent  leur  temps  a  les  brosser,  «  de  peur  qu'il  ne  soit 
tomb^  dessus  une  mictte  d'hostie,  »  ou  bien  ils  lavent  les 
meubles,  les  essuyent  sans  cesse  de  peur  de  la  poussiere,  des  mi- 
crobes, des  parccUcs  metalliques. 

Quelqucfois  cette  manie  de  proprct<^*  est  tres  loin  de  s'alHer 
avec  une  proprete  rcelle.  U...  a  surtout  des  id^eshypocondriaques 
et  la  craintc  du  microbe  de  la  phtisie.  Elle  se  lave  continuelle- 
ment les  mains,  mais  elle  a  peur  de  toucher  un  objet  de  sa  chambre 
et  elle  ne  peut  pas  tolerer  qu'une  autre  pcrsonne  y  touche.  II  en 
resulte  que  la  salle  n*est  jamais  nettoyee,  que  le  lit  n'est  jamais 
touche  et  que  des  ordures  invraisemblables  s'amoncellent  en  un 
veritable  fumier.  Quand  j'ai  commence  a  soigner  cette  personue, 


LES  MANlES  DE  L'AU  DELA  131 

j'ai  Ad  lui  faire  couper  une  chevelure  ^norme,  transformee  en 
malelas  infect  qu'il  etait  impossible  dc  hettoyer  autrement  et  ce 
resultat  bizarre  provenait  d'une  manie  de  proprete. 

Bien  entendu  la  manie  de  la  proprete  se  compliquera  des 
doutes  precedents;  apres  s'etre  lav^s,  ils  doutent  qu'ils  se  soient 
laves  et  ils  recommencent  a  se  laver.  Cette  manie  se  joint  a  celle 
des  interrogations  et  celle  des  repetitions,  (c  Ledoute,  dit  Legrand 
du  Saulle,  s'est  mis  au  service  du  delire  du  contact  et  il  se  de- 
mande  s'il  s'est  bien  lav6  les  mains  ^  » 


7.  —  Les  manies  de  la  repetition  et  du  retour  en  arriere, 

Malgre  ces  efforts  de  precision  et  ces  precautions  les  malades 
sent  toujours  pen  satisfaits  de  leur  action.  Ils  veulent  essayer  de 
faire  mieux  les  choses,  de  se  satisfaire  eux-memes.  Dans  le  cas  le 
plus  simple  et  le  moins  delirant,  ils  recommencent  Facte  tout 
simplement,  mais  ils  ne  sont  pas  plus  satisfaits  la  seconde  fois 
que  la  premiere  et  alors  ils  recommencent  indefiniment :  nous  arri- 
vons  aux  manies  de  la  repetition  qui  sont  parmi  les  plus  fr^- 
quentes  et  les  plus  importantes. 

Une  jeune  fille  Tr...,  que  nous  avons  deja  vu  hesiter  pour 
donner  la  forme  definitive  a  un  p^tale  de  rose  en  arrive  a  ne  plus 
pouvoir  faire  aucun  mouvement  sans  le  recommencer  plusieurs 
fois :  elle  se  leve  de  sa  chaise  et  ne  s'en  va  pas,  mais  se  rasscoit  et 
recommence  a  se  lever;  elle  prend  un  verre  puis  le  repose,  le  re- 
prend,  le  repose  et  continue  ce  manege  indefiniment.  Ce  - . .  pour  s'as- 
surer  que  la  porte  est  bien  ferm^e  la  rouvre  et  la  ferme  et  cela  une 
dizaine  de  fois  de  suite.  Ce  sympt^me  de  fermer  plusieurs  fois  de 
suite  la  porte  ou  le  bee  de  gaz  est  tout  a  fait  banal,  il  commence 
m^me  chez  les  individus  a  peu  pres  sains  dans  toutes  les  p^riodes 
d'affaiblissement  et  de  distraction.  Mais  Ce...  va  plus  loin,  car  il 
recommence  indefiniment  une  addition,  si  bien  qu'il  ne  pent 
plus  arriver  a  faire  ses  comptes.  a  Un  homme  sain  d'esprit  et 
bien  portant,  disait  Ball,  est  oblig6  de  renoncer  a  la  lecture  car 
des  qu*il  a  tourne  une  page,  il  croit  en  avoir  saute  une  et  recom- 
mence de  nouveau  sans  pouvoir  avancer  *)). 

Dans  certains  cas  il  s'agit  d'actes  particuliers  que  les   malades 


I.   Legrand  du  SauUc.  Folic  du  doute,  jj.  Sg. 

a.  Ball,  Fron litres  do  la  folic.  Revue  scientifique,  i883,  I,  p.  3. 


132  LKS  AGITATIONS  FORCfiKS 

recommencent  indefiniment  tandis  qu'ils  n'hcsitent  pas  pour  Ics 
autres.  Vor...  (iSy),  quand  die  a  urine,  eprouve  un  m^conten- 
tement  que  j'ai  d^ja  signalc,  aussi  relourne-t-elle  imniediate- 
ment  aux  cabinets,  elle  en  ressort  «  sans  etre  certaine  d'avoir 
^vacu6  lesderniereffgoultes  )).  Elle  retournc  ainsi  soixante  fois  aux 
cabinets  avant  de  se  coucher  et  ne  s'arrdte  que  tout  a  fait 
epuis^e  de  fatigue. 

Un  de  nos  malades  Rk...  r^pete  chaque  phrase  qu'il  lit,  chaque 
phrase  quMl  prononce  ou  bien  il  fait  repeter  chaque  phrase  que 
Ton  prononce  devant  lui  :  «  Mon  Dieu,  pense-t-il,  voila  encore 
une  phrase  qui  s'en  va  dans  rcternitc  et  je  ne  I'ai  pas  bien  com- 
prise ». 

D^autres  pour  ne  pas  recommencer  indefiniment  se  fixent  une 
limite,  un  nombre  de  fois  determine.  Nous  retrouvons  ici  cet 
amour  pour  les  chiflres,  dont  la  precision  apparente  les  enchante 
et  ils  recommenceront  Tacte  quatre  fois,  dix  fois,  esperant  par  la  etre 
surs  qu'il  sera  bien  fait.Nadia  veut  faire  chaque  action  six  fois 
Ser...  se  borne  a  trois  fois,  Jean  a  quatre  fois  ou  a  un  multiple  de 
quatre.  Rien  n'y  fait  malheureusement,  car  ils  ne  sont  plus  si^rs 
maintenant  d'avoir  bien  compte  :  pour  etre  satisfaits,  il  ne  leur 
faut  plus  recommencer  Tacte  mais  la  serie  des  actions.  Une  pauvre 
femme  pour  se  tranquilliser  veut  reciter  une  dizaine  de  chapelet, 
puis  elle  la  recommence  parce  qu'elle  croit  qu'il  en  manque, 
aussi  fait-elle  des  dizaines  de  quatre  heures  du  matin  jusqu'amidi. 

Une  forme  curieuse  de  ce  besoin  de  recommencer,  forme  qui 
donne  lieu  a  bien  des  erreurs,  c'est  le  hesoin  du  retour  en  arriere. 
Pour  recommencer  Taction  il  ne  faut  pas  s'eloigner  du  milieu  oii 
elle  doit^tre  faite,  il  ne  faut  pas  quitter  trop  vite  les  circonstances 
au  milieu  desquelles  Tacte  doit  avoir  lieu.  Ces  malades  dcsirent 
done  ne  pas  c]ianger  de  place.  Cette  haine  du  changemenl,  fon- 
damentale  chez  eux,  en  raison  de  leur  aboulie  est  ici  fortifiee  par 
le  desir  d'etre  a  meme  de  recommencer  les  pensc^es,  les  senti- 
ments, les  actes  dans  les  memes  conditions  ou  ils  ont  deja  etc 
accomplis.  lis  cherchent  done,  comme  Claire  a  retourner  en 
arriere,  a  reprendre  la  meme  pensee  aux  memes  heures, 
au  meme  endroit.  Ils  craignent  qu'on  ne  les  deplace  malgrc 
eux  et  trop  rapidement.  Des  que  Claire  est  a  Paris  elle  veut 
repartir  a  la  campagne  «  comme  il  me  semble,  dit-elle,  que 
je  n'ai  jamais  fait  ce  je  devais,  je  crois  aussi  que  jc  ne  suis  pas  a 


LES  MANIES  DE  L'AU  DEL.\  133 

la  place  qu'il  faudrait,  que  je  devrais  retourner  a  la  place  prece- 
dente  ».  On  comprend  quel  trouble  terrible  apportent  les  voyages 
en  chemin  de  fer  qui  entrainent  rapidement  loin  dc  la  place  pre- 
cedente.  Cela  met  cette  jeune  fille  au  desespoir,  elle  voudrait 
revenir  en  arrifere,  a  son  point  de  depart,  au  moins  a  la  station 
precedente. 

Cette  idee  est  tres  frequente.  M.  Ameline  signalait  au  dernier 
congres  de  psychologic  une  jeune  fille  du  service  de  M.  Magnan 
qui  n'aimait  pas,  en  chemin  de  fer,  voir  les  maisons  rester  en 
arriere  a  mesure  que  le  train  avangait.  «  L'impression  du  sol  qui 
fuit  sous  mes  pas  me  lais^  un  vide  et  tout  en  me  rendant  compte 
que  je  dois  continuer  mon  chemin,  j'eprouve  des  hc^sitations  ii 
poursuivre  vers  mon  but.  Quand  je  suis  arrivee  il  me  semble  que 
j'ai  6te  trop  vite ;  il  faut  que  je  retourne  a  mon  point  de  depart. 
Quand  au  lieu  de  faire  un  trajet  a  pied,  je  le  fais  en  voiturc, 
j'eprouve  le  m^me  vide  en  voyant  les  maisons  et  tout  fuir  sur  la 
route  et  si  je  n'^tais  pas  en  voiture,  il  me  semble  que  je  m'ar- 
reterais  *  » . 

On  retrouve  ce  retour  en  arriere  chez  F^...,  chez  Byl...,  qui 
croit  toujours  «  laisser  un  vide  derriere  elle  en  passant  trop 
vite  ».  Je  crois  que  cette  manic  de  retourner  a  la  m^me  place  et 
au  meme  moment  ou  a  debute  Taction,  joue  quelquefois  un  role 
dans  la  phobic  des  chemins  de  fer.  II  est  facile  de  voir  qu*elle  se 
rattache  non  seulcment  a  la  manic  de  la  repetition  mais  aussi  a 
a  la  manic  du  symbole ;  ce  retour  en  arriere  est  une  fa^on  de 
syniboliser  le  besoin  de  recommencer,  le  mecontentement  de 
Taction. 


8.  —  Les  manies  des  procedes  et  les  manies   de  la  perfection. 

Souvent  les  malades  ne  sc  bornent  pas  a  reipeter  I'acte,  ils 
cherchent  a  le  perfectionner,  a  le  rendre  plus  complet.  Ils  inven- 
tent  des  trues,  des  procedes  pour  faire  mieux  Taction. 

L...  inventait  des  systemes  pour  ecrire.  II  attachait  si  bicn  sa 
plume  a  tons  les  doigts  dc  la  main  succcssivement  qu'il  en  ctait 
arrive  a  ne  plus  ecrire  du  tout  et  que  sa  maladie  etait  prise  au 
premier   abord    pour    une    crampe    des    ecrivains.    Rai...    avait 


I.   AmcUne,  ConsidiTalions  sur  la  psjcho-physiologio  des  obsessions  ct  des  im- 
puisions  degcncralives,  Comptes  rendus  du  IV*'  Congres  dc  psycholofjie,  1901,  p.  57a. 


LES  AGITATIONS  FORCfiES  |3i 

d'abord  invent^  des  systemes  potlr  ecrire  bien,  pour  lenir  sa 
plume,  pour  mettre  la  ponctuation,  pour  reciter,  pour  aiguiser 
des  couteaux  et  il  en  arrivait  a  ne  plus  pouvoir  Ecrire  une  ligne, 
ni  faire  aucun  metier ;  puis  il  inventa  des  systcraes  pour  bien 
fumer.  «  En  tout,  dit-il,  j'aspire  a  Fidi^al,  je  creuse  le  sujet  et  je 
disseque  a  fond.  »  Enfin,  ce  qui  causa  son  plus  grand  malheur, 
il  inventa  des  systemes  pour  deglutir  et  pour  respirer.  II  veut 
avaler  une  gouttc  d*eau  entre  chaque  respiration,  il  fait  des  gri- 
maces, des  crachements,  des  rots  et  devient  aussi  repugnant  que 
malheureuxV 

Vor...  ne  se  borne  pas,  comme  on  Ta  vu,  a  r^p^terles  mictions 
cinquante  fois  de  suite,  elle  cherche,  "elle  combine  des  procedes 
pour  «  uriner  bien  »,  elle  etudle  la  theorie  du  coup  de  piston  et 
m^dlte  a  tort  et  a  travers  sur  quelqucs  idees  vagues  qu'elle  a  sai- 
sies  de  la  physiologic  de  la  miction  chez  Thomme  sans  deviner 
qu'elles  ne  s'appHqucnt  pas  aux  femmes.  «  N'y  aurait-il  pas 
quelque  mouvement,  quelque  grimace  a  faire  avec  le  ventre  pour 
uriner  bien..?  »  Je  n'Insiste  pas  sur  la  manie  de  la  perfection 
dans  la  masturbation  qui  est  plus  fr^quente  que  Ton  ne  le  croit. 

Cette  manic  de  la  perfection  joue  aussi  un  grand  role  dans 
certains  troubles  souvent  designes  sous  le  nom  d'onomatomanie. 
Ce  nom  trop  vague  d^signait  simplement  un  trouble  quelconque 
rclatifs  aux  mots,  ce  pouvait  etre  une  obsession,  une  manie  de 
repetition,  une  manie  de  recherche,  etc.  On  vient  de  voir  Cha... 
rechercher  pendant  toute  une  nuit  le  nom  et  Tadresse  des  per- 
sonncs  qui  lul  ont  parle  dans  la  journee.  Dans  d'autres  cas,  il 
s'agit  plutol  de  manie  de  la  perfection.  Pn...  (iSg),  homme  de 
5o  ans,  atteint  surtout  d'obsessions  hypocondriaques  s'est  mis  en 
tete  de  chasser  les  preoccupations  sur  sa  sante  par  une  phrase 
caballstlque  qu'Il  doit  rep^ler  pour  se  tranquilliser.  II  doit  dire  : 
«  C'est  assez,  allons  diner,  nous  verrons  apres.  »  Malheureuse* 
ment  cette  phrase  n'a  tout  son  effct  que  si  elle  est  bien  dite.  II 
ne  la  trouve  pas  assez  bien  dite,  11  U\  rcpetc,  ccla  ne  lul  sufGt  pas. 
II  la  crie  ii  tuc-tete  ou  la  dit  a  voix  basse,  il  cherche  comment  11 
pourrait  la  dire  ;  il  prie  sa  femme  de  Tecoutcr,  de  Taider,  de  la 
repeter  avec  lui ;  il  Imagine  dc  descendre  avec  sa  femme  au  fond 
de  la  cave,  d'eleindre  la  lumicre  et  de  crier  la  phrase  en   choeur 

I.  Rajrmond  cl  Plerro  Janet,  Nevroses  el  IdScs  fixes,  II,  p.  385. 


LES  MANIES  DE  L'AU  DELA  135 

dans  robscurite  ctil  remonte  d^sesp^r^  parce  qu'il  n'a  pas  encore 
trouve  «  le  nioyen  de  la  bien  dire  ».  Une  observation  int^res- 
sante  de  M.  S^glas  sur  un  malade  qui  a  un  mot  sur  le  bout  de  la 
langue  et  qui  ne  parvient  pas  a  le  bien  rep^ter  me  parait  se  rap- 
porter  a  des  ph^nomenes  analogues  ^ 

Le  delire  le  plus  curieux  que  j'aie  constate  a  propos  de  cette 
manie  du  niieuxest  celuid'unefemmedeSoans,  Loa...  (i38).  Apro- 
pos de  quelques  masturbations,  elle  a  des  remords  et  s'efFraye  en 
pensant  qu'elle  n'a  pas  eprouve  d'unc  fa^on  correcte  la  satisfac- 
tion genitale.  Elle  Jittribue  a  cette  satisfaction  incomplete  un  en- 
gourdissement  qu'elle  ressent  et  elle  va  a  la  recherche  du  bon- 
heur.  Son  mari  nc  lui  sulTit  phis,  elle  donne  des  rendez-vous  a  tort 
et  a  travers ;  elle  ne  s'y  rend  pas  toujours,  mais  cependant  elle  essaye 
quelquefois  si  elle  aura  plus  de  succfes  avec  un  autre,  elle  revient 
toujours  desillusionnee  et  ddsesper6e.  Cette  fcmme  semble  avoir 
un  delire  ^rotique,  tandis  qu'il  ne  s'agit  que  d'une  manie  de  la 
perfection  chez  une  scrupuleuse.  Ce  singulier  trouble  doit  Mre 
frequent  puisque  je  le  retrouve  exactement  semblable  chez  une 
autre  femme,  Len...  «  Je  ne  me  rendais  pas  compte  de  ce  que 
c'^tait  que  Texistence,  j'^tais  trop  naive,  il  faudrait  changer, 
arriver  a  6tre  comme  les  autres  femraes...  il  me  faut  ma  na- 
ture,., je  n'arrive  pas  a  6prouver  ce  que  Ton  doit,  il  me  semble 
que  ce  n'est  jamais  termini,  je  continuerai  ind^finiment...  »  II 
se  pent  qu'il  y  ait  quelque  chose  de  vrai  dans  ses  plaintes,  nous 
Ic  verrons  plus  tard.  Mais  il  n'en  est  pas  moins exact  qu'elle  a  une 
manie  bizarre,  celle  de  chercher,  par  tons  les  moyens,  cette 
jouissance  parfaite,  celle  de  rever  tout  le  temps  a  ce  probleme 
comme  s'il  n  y  avait  pas  d'autre  but  possible  dans  la  vie. 

9.   —  Les  manies  de  I' extreme  et  de  Vinjini, 

Toutes  ces  manies  aboulissent  a  la  meme  tendance,  celle  de 
pousser  toutes  les  operations  mentales  a  Textreme,  aussi  loin 
qu'il  est  possible  d'arriver.  Nous  avons  deja  vu  cette  manie  se 
manifester  fortement  dans  les  caracteres  des  obsessions,  il  est 
inutile  de  revenir  sur  le  caractere  extreme  des  sacrileges,  des  im- 


I.   Scglas,  Deux  cas  cConomatonianic.  Dullelin  de  la  Societe  mSdieale  des  hdpitaux, 
17  avril  1887. 


i:n  LES  AGITATIONS  FORCEES 

pulsions,  des  remords,  dcs  hontes  que  ces  inalades  imaginent. 
Buc...,  une  femme  de  33  ans,  qui  se  rend  compte  de  cette  manie, 
inc  disait  encore  •:  «  C'est  ridicule,  mon  cerveau  travaille  tout  le 
temps  h  des  idccs  extraordinaires. . .  je  voudrais  arriver  a  des  choses 
epouvantables,  a  des  crimes  inouis,  ou  bien  a  des  fortunes,  a  des 
voyages  incroyables,  enfm  il  faudrait  que  ce  soit  extravagant.  » 

On  a  aussi  vu  cette  manie  se  manifester  a  propos  des  recher- 
clics,  Lise,  par  exemple,  dans  ses  conceptions  sur  Tavenir,  arrive 
toujours  Ji  penser  a  sa  mort,  a  ce  qui  arrivera  apres  sa  mort, 
ou  bien  si  clle  regarde  en  arriere,  «  elle  arrive  tout  de  suite  au 
neant  qui  a  pr^c^de  la  naissance  ».  Bal...  ne  peut  sortir  de  la 
contemplation  ((  du  dernier  au  dela  )>,  sa  manie  des  explications 
portc  sur  le  commencement  et  la  fin  du  monde,  sur  les  destinies 
de  Tame,  du  monde,  etc. 

II  Taut  encore  ajouter  quelques  applications  nouvelles  de  cette 
manie.  On  la  retrouve  dans  la  manie  des  generalisations,  dans  la 
manie  de  Tabsolu  qui  se  manifoste  souvent.  «  Des  que  je  me  sens 
un  peu  faible,  dit  Claire,  j'en  arrive  a  concevoir  que  tout  est  im- 
possible, que  personne  au  monde  ne  peut  rien  faire,  que  pcr- 
sonne  n'est  religieux,  que  pcrsonne  ne  peut  guerir  ».  Jean  nous 
pr^sente  quelques  beaux  exemples  de  cette  manie  de  la  genera- 
lisation a  Finfini.  Une  pcrsonne  de  sa  connaissance  vient  de  moufir 
dans  un  quarlier  a  TEst  de  sa  petite  ville,  «  il  lui  semble  que  ce 
quartier  est  desolc,  vide  de  tout;  a  force  d'y  penser  il  croit  que 
tout  ce  quartier  Est  est  mort,  qu'il  ne  renferme  plus  aucun  ctre  vi- 
vant;  bientot  il  en  est  ainsi  de  tout  ce  qui  est  a  TEst.  Toute  la 
region  Est  de  la  France  au  dela  de  Vincennes  est  vide,  il  n'y  a 
plus' que  de  la  tcrre  et  de  I'herbe  ».  La  manie  du  «  tout  ou  rien  » 
est  commune  chez  ces  personnes  «  il  leur  faut  la  perfection  en 
amour  ou  bien  ce  n'est  pas  la  peine  de  sortir  de  Tignorance...  » 
«  j'aimerais  mieux  ne  pas  uriner  du  tout  nous  dit  Vor...  que  de  ne 
pas  uriner  dans  la  perfection  ».  Dans  un  autre  cas,  ceiui  de  Qs..., 
bomniede  37  ans,  Textreme  prend  dojii  Tapparence  numcrique«  je 
suis  force  .de  chercher  a  multiplier  onormement  les  choses  aux- 
quclles  je  pense,  je  cherche  i\  imaginer  sur  une  nier  immense  des 
centaines,  des  milliers  de  bateaux,  puis  dcs  milliers  de  milliers 
de   bateaux  et  je  m'epuise  a  los  multiplier  encore  ». 

Mais  la  notion  de  rinfini  se  degage  encore  mieux  de  Tobservation 
suivante,  interessante  a  divers  points  de  vue.  Un  jeune  homme  de 
25  ans,  Vil...,    dans  une   lettre  que  je  lui   demande  d*ecrire  me 


LES  MANIES  HE  LAU  DELA  137 

decrit  ainsi  son  obsession  :  «  Tidee  principale  qui  me  tourmente 
le  plus,  c'est  Fidee  de  reternite  :  elle  passe  pour  moi  dudomaine 
de  la  raison  dans  celul  de  la  scnsibilite  et  me  cause  des  douleurs 
intolerables.  Je  sens  letemps  durerindefiniment,  Tespace  s'allonger 
toujours,  quelque  chose  comme  un  crescendo  sans  arr6t,  il  me 
semble  que  mon  etre  gonfle  progressivement,  prend  la  place  de 
tout,  se  grossit  d'univers  et  de  siccles,  puis  une  sorte  d*eclate- 
ment  et  tout  dispnrait  me  laissant  une  douleur  atroce  dans  la  tete 
etdans  Testomac.  Ce  travail  d'esprit  me  poursuit  pt  m'accable  d'un 
decouragement  profond.  C'est  done  vrai  que  Teternite  ex^iste,  je 
viens  de  la  voir,  de  la  sentir  trop  ^videmment  pour  que  cela  soit 
une  simple  forme  de  mon  esprit,  mais  alors  que  m'importe 
les  quelques  instants  de  ma  vie,  que  m'importe  le  bonheur,  le 
raalheur  ou  le  ncant  eternel  ?  C'est  reternite  qui  est  effrayante. 
Quelque  chose  sans  fin,  c/est  horrible.  Toujours  du  bonheur,  et 
aprcs  ?  Encore  du  bonheur ;  et  apres  ?  Et  apres  ?  Cela  est  aussi 
horrible  que  toujours  souflrir  ou  toujours  ne  rien  etre.  L'6ternit6 
existera  quand  m^me  il  n'y  aura  rien.  Les  distractions  les  plus 
vives  sont  impuissantes  a  chasscr  ces  impressions  de  mon  cer- 
veau,  tout  mon  corps  en  est  comme  impr^gne,  si  j'essaye  de 
raisonner,  je  m'enfonce  encore  plus  et  je  sens  bien  que  ce  sera 
indefini,  interminable,  ce  n'est  pas  le  resultat  d'un  syllogisme, 
c'est  le  resultat  d'une  perception  immediate,  evidente,  plus  evi- 
deute   mdme  que  la  conscience  de  mon  moi...  » 

Je  reprcndrai  Tctude  de  ce  phenomene  remarquable  a  propos 
des  phenomenes  de  Fangoisse.  Pour  le  moment,  je  remarque 
seulement  qu'il  s'agit  bien  d'un  scrupuleux,  honteux  de  lui- 
nieme,  qui  se  croit  sans  personnalito,  qui  se  reprochc  tout  ce 
qu'Il  pense,  qui  critique  et  analyse  ses  sentiments  jusqu'a  les 
metamorphoser  en  leur  contraire.  «  Ces  questions  me  font  tant 
plaisir  ou  tant  souflrir,  je  ne  sais  si  c'est  Tun  ou  I'autre,  car  mon 
plaisir  me  semble  a  la  fois  6trepoussetrop  loin  et  rester  incomplet 
etje  ncsais  pas  si  cen'est  pas  uneespece  de  douleur.  »  II  a  lamanie 
de  pousscr  lout  a  I'infini,  de  chercher  ce  qu'il  y  a  apres  le  plaisir 
qu'il  eprouve,  ce  que  serait  un  plaisir  plus  grand,  encore  plus 
grand,  etc.  C'est  a  I'idee  d'espace  et  de  temps  que  cetle  manie 
s'applique  le  mieux,  aussi  finit-il  par  en  etre  obscde.  11  est  rare 
de  trouver  cette  manic  aussi  explicite,  mais  en  realite  elle  est 
contcnue  dans  toutes  les  manies  de  Tau  dela. 

Toutes  ces   manies  de  Tau  dela  presentaient  en    eflet  comme 


138  LES  AGIT\TIO>S  FORCfiES 

caractere  essentiel  une  agitation  de  I'esprit  incapable  de  s'arreter 
sur  une  pensee  et  qui  etait  sans  cesse  force  de  la  depasser  pour  y 
ajouter  quelque  chose,  puis  -encore  une  autre  chose  sans  repos  et 
sans  fin.  Une  agitation  seniblable  conduit  infailHblement  a  la 
pensee  de  rextreme  et  de  Tinfini. 


3.  —  Les  manies  de  la  reparation. 

Malgre  tons  ces  efforts  et  ces  procedes  varies  quitous  semblent 
avoir  pour  but  de  perfcctionner  Faction  ou  Tidee,  le  sujet  n'arrive 
pas  a  etre  satisfait.  Aussi  se  Hvre-t-il  a  une  autre  s^rie  d'exercices 
qui  ont  pour  but  de  rcparer,  d'effacer  autant  que  possible  les 
vices  de  Taction  precedente.  Ce  sont  ces  manies  que  je  rapproche 
sous  le  titre  de  manies  de  la  reparation. 

I.  —  Les  manies  de  la  compensation. 

La  premiere  est  une  simple  compensation.  Apres  Taction  dite 
d^fectueuse,  il  faut  en  faire  une  autre  qui  semble  souvent  Hre 
choisie  d'une  manierearbitraire,  qui  dans  d'autres  cas  est  opposee 
a  la  precedente  pour  la  compenser. 

Quand  Bunyan  avait  trouve  dans  la  Bible  un  mot  dont  la  signi- 
fication lui  paraissait  dcsngreable  et  decouragoante  il  lui  fallait 
trouver  dans  les  livres  saints  un  autre  mot  dont  la  signification 
Alt  encourageante  pour  compenser  le  premier  '\  Une  observation 
interessante  de  Ladame  semble  se  rapprocher  de  ce  groupe  : 
u  Quand  je  marche,  dit  le  malade,  et  que  les  mauvaises  Idees  mc 
prennent,  je  dois  m'arreter  pour  revcnir  d'un  pas  en  arriere,  pour 
corriger  la  mauvaise  pensee,  c'est  comme  si  je  corrigeais  une 
erreur  dans  un  livre  de  comptc  -.  » 

Nadia  s'est  r^signee  a  manger  pour  m'obeir,  mais  a  la  condition 
de  prendre  aussitot  apres  le  rcpas  quelque  chose  qui  la  fasse 
maigrir  a  quelque  chose  d'amaigrissant,  puisque  vos  cotelettes 
sont  grossissantes  ».  Autrefois,  elle  prenait  une  cuilleree  de  vi- 
naigre ;  je  Tai  araenee  a  accepter  une  petite  tasse  d'une  tisane  que 


1.  Jo^iuh  Rovcc,  Tlie  case  of  Bun  van.  PsYrhohtjiml  Review,  i8i)4,  p.  1 36. 
J.   Ladame,  Ann.  medic,  psych.,  1890,  II,  383. 


LES  MANIES  DE  LA  REPARATION  139 

j'ai  baptisce  amaigrissante.  Elle  sail  niaintenant  que  je  la  trompe 
et  que  sa  tisane  est  faite  de  th6  et  de  camomille;  peu  importe,  elle 
a  besoin  de  la  prendre  encore,  le  symbole  suffit  pour  falre  la 
compensation. 

Quand  les  necessites  de  la  politesse  ont  contraint  Jean  bien 
malgre  lui  a  toucher  lamaind'une  femme,il  faut,  pour  compenser, 
toucher  bien  vite  la  main  d'un  homme.  Aussi  quand  il  est  seul 
lesoiravec  sa  mere  et  que  celle-ci  lui  tend  la  main  avant  d'aller 
se  coucher,  se  trouve-t-il  dans  «  une  situation  horrible  ».  II  n'ose 
pas  reTuser  sa  main,  mais  il  passe  ensuite  une  nuit  bien  p^nible 
puisqu'il  n*a  pu  toucher  la  main  d'lin  homme  pour  compenser. 
Quand  il  est  entre  a  Teglise  de  la  Madeleine  (qui  porte  un  nom 
de  femme),  il  faut  qu'il  entre  au  moins  un  instant  dans  une  autre 
eglise  pour  efTacer  cette  impression. 

Cette  manie  de  la  compensation  presente  bien  des  variet^s  dont 
la  principale  est  la  manie  suivante,  Tunc  des  plus  importantes  au 
point  de  vue  clinique. 

2.  — Lcs  manies  de  V expiation, 

L'expiation  n'est  qu'une  forme  de  la  compensation  avec  ces 
deux  caract^res  sinon  surajout^s,  au  moins  precises.  Le  premier 
acte  qui  est  le  point  de  depart  de  la  manie  semble  au  sujet  hon- 
teux  et  immoral,  il  s*agit  surtout  des  malades  honteux  d^eux- 
raemes  ou  de  leur  corps.  La  deuxieme  action  qui  doit  compenser 
la  premiere  a  un  caractere  desagr^able,  p6niblc,  elle  prend 
I'apparence  d'une  punition. 

«  11  faut  toujours,  dit  Pn...,  que  je  fasse  quelque  chose  pour  sou- 
lager  ma  conscience  et  il  cherche  a  repeter  avec  perfection  sa 
formule  :  «  Allons  diner,  il  ne  faut  plus  penser  a  cela.  »  liil... 
(71),  qui  a  honte  dialler  a  la  selle,  nV  va  qu'en  faisant  des  r^v^- 
rences  «  pour  s'excuser  ».  Claire  qui  croit  avoir  une  hostie  coUee 
a  Tanus,  et  qui,  par  consequent,  redoute  cgalement  d'aller  a  la 
selle,  ne  consent  a  y  aller  qu'en  s'agenouillant  dans  les  cabinets 
quelqucfois  des  heures  entieres  avant  et  apr^s.  Zei...  (i42),  qui  a 
«  envie  de  dire  des  gros  mots  au  bon  Dieu  »  veut  faire  des  prieres 
pour  expier  et  elle  s'agenouille  a  chaque  instant.  Comme  la 
priere  ne  lui  parait  pas  bien  dite,  elle  se  condamno  a  ne  pas 
manger  et  c'est  la  une  cause  de  refus  d'aliments.  Rn...  (i46)  se 
condamne,  pour  expier  ses  mauvaises  id^es^  a  doaner  un  coup 


no  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

de  coude  dans  les  ineubles  aupres  desquels  il  passe.   On  prevoit 
que  ce  ph^nomene  va  jouer  un  role  dans  les  tics. 

Au  lieu  d'expier  par  une  action  reellement  ex^cutee  au  mo- 
ment nieme,  lis  veulent  expier  en  promettant  de  faire  une  action 
desagreable  plus  tard  ou  en  promettant  de  sacrifier  un  plaisir  quails 
se  promettaient.  L...  se  promet  a  lui-m^me  de  se  mettre  en  prison 
cinq  minutes  pour  expier  ses  actions  indelicates  et  Mw...  (i45) 
se  figure  qu'un  voyage  agreable  a  hicyclette  qu*elle  esp^rait  ne  se 
fera  pas  parce  qu'elle  ne  sMiabille  pas  assez  vite.  Cette  promesse 
d' expiation  finit  par  se  repeter  pour  tons  Ics  autres  actes  meme 
insignifiants.  «  Si  je  marche,  si  je  touche  ce  fauteuil,  si  je  bois 
ce  verre,  le  voyage  a  bicyclette  ne  se  fera  pas.  » 

Ce  sont  des  faits  du  m^me  genre  avec  un  plus  haut  degre  de 
complication  qui  joucnt  le  r6le  principal  dans  la  maladie  de  Lise. 
«  Pour  me  punir  d'avoir  maudit  Dieu,  repele  tout  Ic  temps  Lise, 
il  faut  que  je  me  fixe  une  chose  desagreable  a  faire,  donner  moo 
ame  au  demon,  par  exemple.  »  Et  ainsi  pour  tout  ce  qu'elie  peut 
se  reprocher  :  a  propos  de  tous  les  actes  qui  la  preoccupent  et 
ils  sont  noinbreux,  il  faut  quVlle  fasse  une  expiation  pour  se  ras- 
surer.  Si  ellc  s'accuse  de  mensonge,  d'impudicite,  il  faut  expier 
el  par  consequent  accepter  un  changcnient  de  sejour  desagreable, 
ou  accepter  qu'un  de  ses  enfants  meure,  ou  vouer  son  ame  ct 
celle  de  ses  enfants  au  demon,  etc.  Au  debut,  il  ne  s'agissait  que 
d'expiations  personnelles,  elle  ne  voulait  reparer  que  ses  propres 
fautes,  mais  bientot  Tidee  d*expiation  s'est  gcneralisee.  II  faut 
expier  pour  son  oncle,  pour  un  frere  qui  n'est  pas  religieux;  il 
faut  expier  pour  un  homme  politique  qui  vient  de  mourir  d'une 
facon  peu  edifiante,  il  faut  expier  pour  Texplosion  d*une  pou- 
driere,  etc.  «  En  un  mot,  dit-elle,  j'ai  des  rages  d'expier  pour 
tout  le  monde.  »  Le  mot  meme  '<  expier  »  finit  par  la  fasciner,  elle 
le  cherche  dans  tous  lesdictionnaireset  apprend  Tarticle  parcceur. 

Ce  qui  est  bicn  etrange,  c'est  que  je  retrouve  exaclement  la 
meme  maladie  chez  la  sirur  de  cette  malade.  Ellc  a  une  foule  de 
scrupules,  s*aceuse  d\iimer  une  amie  plus  que  sa  famille,  d*aimer 
a  jouer  du  piano,  da  voir  ponse  a  rEucharistie  devanl  une  bou- 
lan:^erie,  etc.,  et  pour  toutes  ees  mauvaises  actions  imaginaires 
«  le  regret  ne  suifit  pas  il  faut  une  compensation.  II  faut  toujours 
une  petite  chose  pour  satisfaire  Dieu,  »>  Ce  sont  chez  elle  des 
tics,  des  simagrees.  beaucoup  plus  simples  que  chez  Lise.  Kile 
doit  manger  quelque  temps  dans  une  assiette  vide,   se  dcshabiller 


LES  MANIES  DE  LA  ni5PARATI0N  i4i 

ct  se  rhabiller,  ouvrir  line  armoire,  prendre  iin  air  triste  tout.e  la 
matinee  avec  ses  parents  pour  compenser  Tapres-midi  oil  elle 
s'amusera  avec  une  amie.  C'est  plus  pueril,  mais  c'est  le  meme 
trouble  psychologique.  Je  ne  crois  pas  que  dans  ce  cas  il  s'agisse 
de  suggestion  ou  de  maladie  communiquee  par  contagion;  il 
s*agit  d'un  meme  trouble  psychologique,  profond,  her^ditaire  qui, 
en  evaluant  chez  les  deux  soeurs,  amene  chez  toutes  deux  les 
memes  manifestations. 

Chez  ces  deux  dernicres  maladcs,  on  trouve  une  varlante  de 
Texpiation  et  de  la  promesse.  Elles  acceptent  la  peine  sans  se  re- 
procher  rien,  uniquement  comme  payemcnt  d'une  grace  qu'elles 
demandent.  Des  qu'elles  souhaitent  quelquc  chose,  elles  pensent 
qu'clles  doivent  expier  pour  voir  ce  souhait  s'accomplir.  «  Je 
n^aurai  telle  chose  que  je  desire  que  si  je  fais  un  present  aud^mon 
on  a  Dieu...  Si  mon  petit  neveu  malade  guerit,  je  donnerai  au 
demon  Tame  de  mes  enfants,  si  je  retrouve  ce  bijou  perdu,  je 
donnerai  aussi  Fame  de  mon  oncle.  )> 

Ces  malades  qui  ont  la  manie  de  Texpiation  en  arrivent  a  un 
petit  commerce  avec  le  cicl  et  Fenfer  qui  est  tout  a  fait  curieux. 
Elles  sont  en  retard  ou  en  avance  dans  le  paiement  de  leurs 
dettes,  elles  s'effrayent  et  elles  se  hatent  d'expier  bien  vite  quand 
dies  croient  avoir  trop  d'arri^re. 

3.  —  Les  manies  des  pactes. 

Au  lieu  de  consid^rer  Taction  presente  et  de  chercher  a  la 
compenser,  au  lieu  de  considt*rer  Taction  passce  et  de  cher- 
cher a  Texpicr,  les  malades  pensent  encore  plus  souvent  a 
Taction  future  et  ils  s'engagent  par  avance  a  la  reparer.  lis  pro- 
mettent  de  subir  quelques  chruiments  penibles,  tantot  s'ils  fortt, 
tant(H  s'ils  ne  font  pas  une  certaine  action  sur  laquelle  leur  atten- 
tion est  attiree  :  ces  engagements  prennent  la  forme  de  serments 
ou  Aq  pactes, 

M.  van  Eeden,  sous  le  nom  de  manie  de  superstition,  decrit 
un  cas  que  nous  avons  dejii  rattachc^  a  la  manic  des  presages; 
ce  m<\me  malade  a  en  outre  la  manie  de  faire  des  va^ux  :  «  si 
pendant  Thcure  qui  vient  je  cede  a  un  seul  de  mes  caprices,  je 
consens  a  avoir  une  apoplexie  avant  24  heures*.  »  Dans  la  these 

I.   Van  Eedcn,  Psycholherapie,  189/1.  ^^-  Milne  Bramwell,  Brain,  iSgS,  p.  335. 


n2  LES  AGItAtlONS  POftCI^.ES 

de  Lnnteires  *  se  trouve  signale  un  cas  souvent  cit6  a  propos  d'un 
malade  qui  a  horreur  du  nombre  i3.  «  Si  je  fais  d'ici  a  demain  un 
seu]  ncte  superstitieux,  que  toutes  les  etoiies  du  ciel  solent  iS, 
que  Dieu  soit  i3...  Si,  quand  le  surveillant  sera  arriv6  en  se 
promenant  a  tel  pupitre,  ou  si  au  premier  coup  de  cloche  je  ne 
suis  pas  arrive  a  tel  passage  de  nion  travail,  eh  bien,  je  veux 
mourir  et  aller  aussitot  a  Dieu...  ))  On  a  souvent  reproduit  ce  cas 
comme  une  curiosite  et  cependant  rien  n'est  aussi  banal  que  ce 
symptome. 

«  Si  je  ne  fais  pas  26  signes  de  croix  sans  m'arr^ter,  dit 
Vr...  (48),  femme  de  25  ans,  qu'il  arrive  malheur  a  toute  ma 
famille)),  «  si  je  me  masturbe  une  seule  fois,  que  toute  ma  vie 
soitbrisee,  dit  Toq...  (97)  »,  «  sijenetouche  pas  ce  meuble  avant 
que  ma  m^re  ne  rentre,  ditRn...,  filiette  de  i3  ans,  je  mourrai 
dans  la  semaine  )>.  «  Si  je  fais  la  cuisine  en  regardant  mon  cou- 
teau,  je  consens  a  mourir  demain,  se  dit  Vks...,  qui  a  des  impul- 
sions criminellesa  tuer  sa  petite  Glle  avec  un  couteau.  »  «  Si  je  suis 
gaie  un  vendredi,  je  vais  me  tuer  le  dimanche.  »  (Ger...)  «  Si  je 
ne  me  decide  pas  a  me  faire  religieuse,  je  jure  que  je  me  marierai 
avec  le  premier  homme  qui  passera  »  (We.)... 

Nadia  est  tout  a  fait  remarquable  par  sa  manie  des  serments. 
((  Je  jure  de  ne  pas  toucher  ce  meuble  (c'^tait  un  de  ses  tics) 
sinon  un  grand  malheur  m'arrivera...,  je  jure  de  recommencer  ma 
priere  du  matin  10  fois,  20  fois,  1000  fois,  sinon  un  malheur  arri- 
vera  a  ceux  que  j'aime.  »  Plus  tard  les  pactes  arrivent  bien 
entendu  a  propos  de  la  honte  du  corps  et  dc  Tobsession  d*en- 
graisser  qui  s'^tait  surajoutee,  aje  jure  par  tous  les  saints  du 
paradis  que  je  ne  toucherai  plus  h  une  seule  miette  de  pain,  sinon 
toutes  sortesde  malheurs  arriveront  a  mafamille  etamoi-m^me.  » 
Ces  serments  se  compliquent  et  deviennent  de  plus  en  plus  ter- 
ribles  en  vertu  de  cette  disposition  a  pousser  les  choses  a  Fex- 
tr6me  que  nous  avons  deja  not^e.  ((  Je  jure  sur  la  tete  de  mon 
pere,  de  ma  mere,  de  mon  id^al  (elle  d^signe  ainsi  un  person- 
nagedont  elle  etait  devenue  amoureuse),  je  jure  par  tousles  saints 
du  paradis,  par  le  Saint-Esprit,  par  Dieu  le  pere  que  je  ne  man- 
gcrai  aujourd'hui  qu'un  jaune  d'oDuf,  el  si  je  manque  a  ma  parole, 
je  ne  devicndrai  jamais  une  grandc   artiste,  je  ne  serai  pas  com- 


I.   Lanloires,  FJssai  descriptif  sttr  les  troubles  pSYchopathiques  avec  lucidite  d'esprit. 
These,  1880,  p.  laS,  p.  4^. 


LES  MANIES  DE  LA  RlfipARATlON  143 

positeur,  maman  mourra  bientot  et  nion  ideal  aussi.  »  Comme 
elle  nc  tient  pas  ses  serments  et  ne  peut  pas  arriver  a  les  tenir, 
elle  en  est  desesper^e  et  se  torture  rimngination  pour  trouver 
une  maniere  de  les  faire  plus  precise  et  plus  terrible  qui  ait  plus 
d'influence  sur  sa  pauvre  yoloiite.  Au  lieu  de  se  borner  a  les  dire 
elle  les  ^crit  sur  des  papiers  qu'elle  porte  sur  son  co^ur  ;  elle  va 
les  relire  agenouillee  devant  le  lit  de  sa  mere  sur  lequelle  elle  a 
mis  une  bible.  Rien  n'y  fait  et  ses  serments  non  tenus  ne  servent 
qu'a  la  pr^occuper  davantage. 

Chez  ces  malades  le  pacte  semble  etre  un  moycn  de  r^parer 
Taction  defectueuse  ou  une  excitation  pour  leur  faire  accomplir 
une  action  desiree  a  tort  ou  a  raison.  Mais  peu  a  peu  la  manie  se 
developpe  et  se  reproduit  a  propos  de  toute  action  meme  insi- 
gnifiante  qu'ils  font  ou  qu'ils  veulent  faire,  Texpiation  ou  le  pacte 
n'est  plus  qu^un  obstacle  de  plus  a  Taction,  cette  manie  se  rap- 
proche  alors  de  celle  des  presages  et  de  celle  de  Tinterrogation 
du  sort,  (c  Si  je  touche  cet  objet  ma  mere  succombera»,  se  dit 
Mw...  a  chaque  moment.  Si  elle  desire  une  chose  agr^able,  elle  se 
croit  forcee  dejurer  d'y  renoncer  a  propos  de  tons  les  actes. 
Ainsi  elle  prepare  une  promenade  a  bicyclette  et  a  chaque  ins- 
tant elle  est  forci^e  de  jurer  «  si  je  fais  cette  lecture,  je  jure  que  je 
ne  sortirai  pas;  sije  prends  mon  mouchoir,  je  jure  que  je  n'irai  pas 
a  bicyclette,...  il  faut  pourtant  bien  que  je  me  mouche,  ajoute-t- 
elle  avec  tristesse  ».  Puis  quand  arrive  Tinstant  de  la  promenade 
elle  n'ose  plus  sortir  parce  qu'elle  a  si  souvent  jure  de  ne  pas  le 
faire.  Ainsi  le  serment  semble  annihiler  les  actes  futurs  et 
arrele  egalement  Tacte  present. 

Sous  cette  forme  la  manie  des  serments  et  des  pactes  est  extre- 
mement  fr^quente  quoique  souvent  meconnue  et  elle  joue  un  trcs 
grand  role  dans  ces  maladies  de  la  volont^. 

4.  —  Les  monies  des  conjurations, 

Dans  les  cas  plus  graves,  quand  les  malades  ne  sont  pas  seulc- 
ment  m^contents  de  leurs«actions  mais  encore  qu*ils  se  sentcnt 
pouss^s  a  faire  des  actions  reprehensiblcs  ils  luttent  contre  Tim- 
pulsion  en  lui  opposant  une  action  quails  croicnt  bonne,  qu'ils 
croient  destinee  a  conjurer  la  mauvaise  tentation.  Ces  manies  de 
conjuration  sont  tout  a  fait  caract^ristiques  des  scrupuleux  et  ser- 
veul  bien  souvent  a  faire  reconnaitre  une  maladie  jusque-la  cachee. 


Ui  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

Presque  tousces  malades,  Bor...,  Xy...,  Claire,  Ger...,  Lise  ont 
ete  surpris  faisant  un  geste  du  bras  ou  parlant  toutes  seules  et 
repetant  pcDdant  des  hcures  des  mots  comme  :  «non,  non,...  je 
ne  veux  pas...  va-t-en...  cc  n'esl  pas  vrai.  »  C*est  parce  que  au 
dedans  d'elle-meme  une  autre  voix  blasph^mait  et  avait  envie  de 
dlre^:  «  salaud,  vache,  cochon  »,  u  Tadresse  du  bon  Dieu  :  la 
malade  protestait  par  rexclamation  qu'on  avait  surprise. 

II  est  impossible  d'enumerer  toutes  les  formules  de  conju- 
ration que  Ton  peut  rencontrer;  elles  sont  innombrables^ 
Une  des  choses  les  plus  interessantes  a  relever  dans  ces  repon- 
ses,  ces  resistances  a  Tobsession,  c'est  que  ce  sont  des  reponsos 
abregees,  des  signes  qui  n^ont  de  valeur  que  par  leur  signification 
symbolique.  M.  Paulhan  a  justemenl  insists  surce  role  des  repre- 
sentations symboliques  dans  la  volonte^. 

Un  premier  groupe  est  constitu^  par  de  petits  mouvements,  de 
simples  gestes,  lever  un  doigt  en  Pair,  remuer  les  doigts  derriere 
le  dos  ou  dans  la  poche,  lever  les  yeux  au  plafond,  frapper  un 
meuble,  etc.  Nous  reverrons  ces  ph^nomenes  a  propos  des  tics. 

Le  plus  souvent  la  conjuration  se  fait  par  une  phrase  ou  un 
mot.  Lise  r^pete  «  chut,  va-t-en  »  comme  si  elle  parlait  au  diable, 
mais  en  realite  elle  repcte  cette  formule  pour  chasser  une  idee 
quelconque  meme  quand  il  ne  s'agit  pas  du  diable.  Vob...  s^ecrie 
«  non,  je  ne  le  ferai  pas,  arriere  Satan.  »  Gisele  «  advienne  que 
pourra,  pour  le  moment  fini  »  et  Bu...  (85)  repetetoute  la  journee 
la  singuliere  formule  suivante  :  aMaman,  ratan,  bibi,  bitaquo,  je 
vais  mourir.  » 

Dans  beaucoup  de  cas  ces  formules  cabalistiquesde  conjuration 
sont  emprunt^es  a  Tarithm^tique  etdeviennent  des  nombres,  sans 
doute  a  cause  du  caractere  abstrait  et  precis  du  nombre  qui  le 
fait  aimer  par  les  scrupulcux  dont  Tesprit  toujours  vague  aspire 
sans  cesse  a  la  precision.  Ou  bien  la  manic  arithmdtiquc  amene 
le  sujet  a  rep^tcr  sa  formule  un  nombre  de  fois  determine.  Lise 
emploie  des  nombres  qui  correspondent  dans  sa  pensee  a  telle 
ou  telle  idee  fixe  ou  qui  rt^sument  une  grande  resistance  contre 
elle.  II  lui  arrive  de  r^peter  des  journees  entieres,  au  dedans 
d'ellc-m6me  «  un,  deux,  quatre,  six.  »  Ce  qui  est  une  resistance 


I.  Cf.  Bcllcl,  Moyens  de  dejense  et  psycholherapie  dans   robsession.  Th&se  de  Bor- 
deaux, 1898. 

3.   Paulhan,  Revue  phihsophi(jue,  i884,  II,  083. 


LES  MANIES  DE  LA  RfiPARATlON  145 

contre  les  idecs  designees  par  ces  nutn^ros.  Quand  elle  est  seule 
on  peut  Fentendre  murmurer  des  phrases  comme  celleci,  bien 
incompr^hensibles  pour  un  profane.  c(Le  contraire  de  Dieu... 
quatre,  trois,  deux,  cent  soixante-quinze  mille.  »  Cela  veut  dire 
qu*elle  a  pens^  au  culte  du  d^mon  et,  qu'elle  a  lanc6  la  forniule 
de  resistance.  Pour  rien  au  monde  elle  n'abandonnerait  ces  for- 
mules  qui  la  protfegent  contre  elle-m6me  ;  pendant  des  essais  de 
sommeil  hypnotique,  elle  r^pete  tout  le  temps  «  quatre,  trois, 
deux,  »  ce  qui  ne  facilite  pas  le  traitement. 

Pour  lutter  contre  ses  impulsions  gcnitales  Jean  doit  murmurer 
la  syllabe  «  t^  >i  qui  est,  parait-il,  une  abr^viation  du  mot  a  assez  », 
mais  il  faut  la  dire  un  nombre  de  fois  determine,  quatre  fois,  huit, 
seize,  trente-deux  ou  soixantle-quatre  fois,  par  multiples  de  quatre 
suivant  ses  manies  arithm^tiques.  «  Je  sens  venir  une  douce  erec- 
tion, je  sens  mes  tentatives  de  laisser  aller,  alors  je  balbutie  mes 
syllabes  de  cloture  :  allons  pas  de  phenomenes,  t^  te  t^  t6,  il  faut 
le  dire  par  quatre,  ce  n'est  pas  suffisant:  t^,  vous  savez  que  je  ne 
peux  m'arreter  a  cinq,  t6  i6  te,  a  huit  jepeux  m'arreter  quand  la 
tentation  n'est  pas  trop  forte,  mais  il  faudrait  aller  a  seize  quand 
c'est  grave.  »  Ce  ne  sont  pas  toujours  des  mots  que  le  nialade  r^pete 
ainsi,  souvent  il  compte  des  gestes.  Quand  il  croit  avoir  une  tete  de 
femme  dans  Festomac  apres  avoir  mange  une  charlotte  ou  un  pain 
suspect  il  lui  faut  faire  des  secousses  des  muscles  abdominaux 
quatre,  huit  ou  seize  fois  «  c*est  le  seul  moycn  de  la  faire  sortir  ». 

Enfin  j'observe  chez  Jean  une  forme  plus  curieuse  de  conjura- 
tion, c*est  un  acte  mental,  un  eflbrt  imaginaire.  11  se  reprc^sente 
que  les  (luides  envoy^s  par  les  femmes  autour  de  lui  sont  comme 
autant  de  fils  t^nus  qui  se  dirigent  vers  sa  tete  et  avec  des  ciseaux 
imaginaires  il  faut  qu*il  serepr^sente  Facte  decouper  ces  fils.  Dans 
d'autres  cas,  il  faut  qu^il  se  represente  visuellement  des  lignes 
qui  se  coupent  a  angle  aigu  disposees  symetriquement  par  quatre. 
La  representation  imaginaire  des  figures  que  ce  malade  a  bien 
voulu  dessiner  est,  parait-il,  un  remede  souverain  pour  ^carter 
les  images  obscenes  (figure  2).  Cette  manie  de  se  repr^senter  des 
lignes  derive  d*une  manie  pr^cedente  du  meme  malade.  II  doit 
evoquer  des  poutres  de  bois  qui  lui  semblent  placees  tres  haul 
dans  Fair  a  un  kilometre  au-dessus  de  sa  tete  et  par  un  effort 
d^imagination  il  doit  les  faire  descendre  par  terre,  ou  bien  il  evo- 
que  Fimage  d'un  homme  qui  marche  dans  les  airs  et  il  doitegale- 
ment,  par  un    effort  d*imagination,  le    forcer  a  prendre    pied  a 

LKS    OB8B98I0N8.  I.    —    lO 


i'i6  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

terre.  II  parait  que  cctte  derniere  operation  est  fort  difficile,  car  il 
fait  de  grands  eflbrts  et  des  contorsions  de  tout  le  corps  pour 
parvenir  a  Taccomplir. 


< 


« 


Fio.  a.  —  Reproduction  d'un  dessin  du  malade. 

De  pareilles  formules,  de  semblables  actions  se  transforment 
rapidement  chez  ces  esprits  faibles  ct  ne  tardent  pas  a  devenir 
elles  aussi  une  manie  et  une  impulsion.  Les  malades  ne  veiilent 
pas  coder  le  dernier  mot  et  autant  de  fois  que  Timpulsion  se  pre- 
sente,  autant  de  fois  il  faut  lui  r^pondre.  De  la  une  preoccupation 
de  la  reponse  qui  devient  aussi  grave  que  Tobscssion  ellc-meme. 
Lise  n'osait  plus  dormir  de  peur  que  pendant  le  sommeil  une  idee 
se  prcsentut  et  qu'elle  n'ei^t  pas  la  presence  d*esprit  de  repondre. 
Les  malades  se  tourmentent  autant  pour  les  conjurations  que  pour 
les  impulsions  elles-m^raes. 


4.  —  Les  agitations  mentales  diffuses. 

Ces  diverses  manies  mentales  semblent,  au  premier  abord,  tres 
nombreuses,  on  pent  ^num^rer  leurs  diverses  vari^tes  dans  le 
tableau  ci-contre. 

Chacun  des  malades  se  figure  d*ordiuaire  qu'il  est  seul  au 
monde  de  son  espece  et  il  arrive  souvent  a  faire  partager  au  me- 
decin  sa  conviction  :  de  la  toutes  ces  maladies  bizarres,  maladie 
de  superstition,  folic  du  doute,  manie  de  la  perfection,  arithmo- 
manie,  onomatomanie,  etc.,  qui  ne  sont  a  mon  avis  que  des  varie- 
t^s  accidentelles  des  manies  scrupuleuses  erig^es  en  entit^s  cli- 


LES  AGITATIONS  MENTALES  DIFFUSES 


U7 


niques.  C*est  le  menie  probleme  que  nous  avons  dejii  rencontre  a 
propos  des  idees  obs^dantes  et  qui  doit  avoir  ici  la  m^rne  solu- 
tion. Aussi  devons-nous  rechercher  les  relations  que  ces  diverses 
manies  ont  les  unes  avec  les  autres  et  le  fond  commun  d^excita- 
tion  mentale  diffuse  qui  se  retrouve  dans  chacune  d'elles. 


I.  Manie  de  fos 
cillation 


\ 


Manies  men  tales. 


II.  Manies  de  Tau 
delk. 


1 .  Manie  de  I'interrogation . 

2 .  —    de  r hesitation  et  de  la  deliberation . 

3.  —    de  I'interrogation  du  sort  et  manic 

des  presages,  etc. 

^.  Manie  de  la  precision. 
5.     —     de  I'ordre. 
0.     —     de  la  sy metric. 

7.  —     du  contrasle. 

8.  —     do  Tassociation  des  idees. 

9.  —     de  la  lentcur. 

10.  Micromanie. 

1 1 .  Manie  arithmetique. 


12.  —  du  symbole. 

i3.  —  de  la  recherche  dans  le  passe. 

1 4-  —  de  la  recherche  dans  Tavenir. 

1 5.  —  des  explications. 

16.  —  des  precautions. 

17.  —  de  la  repetition  et  du  relour  en 
arrifere. 

18.  —  du  mieux  et  manie  des  proc^d^s. 
\  19.  —  de  Textr^me  et  deTinBni,  etc. 

!20.  Manie  de  la  compensation. 

21.  —  de  I'cxpialion. 

22.  —  des  sermcnls  et  des  pactes. 

.  23.  —  des  conjurations,  etc. 


I.  —   Unite  clinique  des  manies  mentales. 

Quelques  malades,  pour  des  raisons  qui  tiennent  a  revolution 
de  leurs  troubles  et  que  nous  etudierons  plus  tard,  semblent  affec- 
tionner  certaines  manies  particulieres.  Lise  fait  des  promesses 
pour  expier,  Nadia  pr^ffere  les  serments,  Jean  se  borne  aux  com- 
pensations; Claire  cherche  des  proc^d^s  de  perfectionnement, 
Zo...  prend  des  precautions  etZei...  se  contente  de  r^peter  les 
actes.  Ces  differences  dans  la  variety  de  la  manie  habituelle  donnent 
m^me  a  certains  malades  une  physionomie  assez  distincte.  II  est 
certain  que  Rai...,  qui  cherche  des  procedes  pour  manger  bien, 
pour  respirer  mieux  et  qui  pour  y  parvenir  crache  et  rote  conti- 


148  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

nuellement,  ne  ressemble  pas  ext^rieurement  a  Lise  qui,  tout 
a  fait  immobile,  s'interroge  silencieusement  sur  les  promesses 
qu'elle  a  pu  faire  au  diable.  Mais  cette  remarque  faite,  il  faut  se 
hater  d'ajouter  que  cctte  difference  dans  Taspect  exterieur  des 
malades  est  pen  profonde. 

En  reality,  si  on  suit  avee  soin  rhistoire  de  ces  malades,  on  voit 
qu'a  cote  dc  la  manie  principale  aujourd'huipredominante,  ils  ont 
une  quantity  d'autres  manies  secondaires  dont  ils  ne  se  plaignent 
pas  et  qui  se  rapportenta  toutes  les  autres  formes  observees  chez 
les  autres  sujets.  En  outre,  il  est  tres  facile  de  constater  qu'a 
d'autres  epoques  de  leur  vie  ils  ont  donnd  le  premier  rang  a 
d'autres  manies.  Jean,  dont  les  compensations  sont  si  remar- 
quables,  a  en  meme  temps  la  manie  de  la  conjuration,  celle  des 
precautions,  celle  des  presjlges,  etc.  We...  qui  interroge  le  sort  a 
aussi  la  manie  des  conjurations  et  des  pactes.  Claire  a  la  manie  de 
la  repetition,  celle  du  retour  en  arriere,;«t  celle  des  expiations,  etc. 
Lise  a  cote  de  ses  promesses  au  d6mon  a  Tinterrogation,  Tarithmo- 
manie,  la  conjuration,  etc.  Myl...  (98)  qui  a  maintenant  la  manie 
de  la  precision  et  la  micromanic  a  commence,  il  y  a  trois  ans,  par  la 
manic  des  recherches  et  des  procdd6s  :  Zo...  actuellement  tour- 
mentee  par  la  manie  des  precautions  a  eu  autrefois  la  manie  de 
Texpiation.  Yor...  pr^sente  maintenant  les  procedcs  urinaires,  il 
y  a  dix  ans  elle  ^tait  tourment^e  par  les  serments.  Gisele  qui  fail 
actuellement  des  conjurations  a  eu  les  interrogations,  les  precau- 
tions, les  pactes. 

En  un  mot,  il  est  bien  rare  qu'un  malade  qui  vient  sc  plaindre 
d'une  de  ces  manies  ne  connaisse  pas  par  experience  toutes  les 
autres.  Vient-il  d*avouer  un  besoin  de  retour  en  arriere,  on  peut 
sans  hesitation  lui  demander  s'il  est  bien  rassur^  a  propos  des 
serments  qu'il  a  faits.  On  peut  ainsi  surprcndre  le  malade  en  lui 
decrivant  des  bizarreries  mentales  qu'il  a  presentees  et  qu'il 
croyait  parfaitement  inconnues.  L*interrogatoire  est  pour  ainsi 
dire  formule  d*avance,  comme  celui  de  Thysterique ;  les  ques- 
tions sont  diflerentes,  mais  les  reponses  sont  aussi  bien  prevues* 
Enfin,  certaines  experiences  peuvent  mettre  encore  en  evidence 
cette  relation  qui  existe  au  point  de  vue  cliniqueentreces  diverses 
manies.  Si  par  divers  traitements  on  arrive  a  supprimer  on  a  di- 
minuer  chez  un  malade  certaine  manie,  on  le  voit  plus  ou  moins 
rapidement  tomber  dans  une  autre.  J'ai  empeche  Nadia  de  faire 
des  serments  qui  eugageut  Tavenir,  elle    prend  I'habitude  de  se 


LES  AGITATIONS  MENTALES  DIFFUSES  149 

borner  a  des  conjurations  dans  le  present  et  elle  reste  tout  aussi 
tourmentee  par  cette  nouvelle  manie.  Si  je  lui  supprimc  celle-ci, 
ce  seront  des  precautions  interminables  pr^cisement  pour  ne  pas 
s'exposer  a  faire  ce  que  je  lui  ai  d^fendu.  II  en  est  de  m^me  plus 
nettement  encore  chez  Jean,  il  remplace  une  compensation  pav 
une  autre  :  il- arrive,  «  vous  ne  vous  (igurez  pas  avec  quel  effort  », 
a  aller  se  coucher  apres  avoir  serr6  la  main  de  sa  mere  sans  cher- 
cher  son  frere  pour  lui  serrer  la  main  en  dernier,  mais  il  se  lave 
la  main  droite  huit  fois  a  Teau  bien  froide,  et  quand  il  vient  me 
raconter  ce  haut  fait  il  voudrait  recevoir  des  compliments.  Je 
veux  supprimer  toute  compensation,  alors  il  y  aura  avant  Taction 
d'interminables  deliberations.  II  va  rester  une  heure  a  la  porte 
d'une  eglise  sans  se  decider  a  entrer  ou  a  s'en  aller  :  «  s'il 
entre,  il  sait  bien  qu'il  aura  besoin  de  compenser  ce  sanctuaire 
par  un  autre  et  M.  Janet  Ta  absolument  defendu ;  mais  s'il  ne  com- 
pense  pas,  il  s'expose  a  etre  poursuivi  par  des  fluides,  lequel  est 
pref(^rable  les  reproches  qu'il  pr^voit  ou  les  fluides  ?  »  Claire 
remplace  le  retour  en  arriere  par  les  recherches  ou  par  les  pactes. 
II  en  est  ainsi  bien  souvent  au  cours  des  traitements. 

Ce  melange  et  cette  succession  des  diverses  manies  chez  le 
ra^me  individu  nous  montre  deja  qu*au  point  de  vue  clinique  ces 
diverses  manies  doivent  ^tre  tres  voisines  les  unes  des  autres  et 
qu'elles  doivent  toutes  dependre  d'une  meme  disposition  mentale 
qui  en  est  chez  tons  le  point  de  depart.  Cette  disposition  est  evi- 
demment  une  agitation  de  Tesprit,  un  besoin  de  faire  travailler  la 
pensee  qui  se  montre  d'une  maniere  plus  complete  dans  la  simple 
rumination  mentale. 


2.  —  La  rumination  mentale, 

Les  manies  mentales  pr^c^dentes  nous  montraient  une  activit6 
mentale  dans  un  sens  determine  toujours  le  meme,  Tagitation  de 
Tesprit  etait  syst^matisee.  Trfes  souvent,  ces  diverses  manies  se 
combinent,  se  m^langent  plus  ou  moins  confusement  et  le  caractere 
de  la  systematisation  devient  moins  visible.  II  en  r6sulte  un  phe- 
nomene  psychologique  extremement  curieux  dont  Timportance  au 
point  de  vue  de  Tintcrpr^tation  de  Tesprit  ne  me  semble  pas  avoir 
ete  encore  suffisamment  mise  en  Evidence. 

C'est  un  singulier  travail  de  la  pensee  qui  accumule  les  asso- 
ciations d*idees,  les  questions  sur  les  questions,    les   expiations, 


i:/l  LES  AGITAT1035S  FORCEES    • 

les  pactes  de  maDiere  a  former  on  inextricable  d^dale.  De  temps 
en  temps,  les  associations  dldees  ramenent  comme  parhasard  una 
des  questions  do  debot  et  alors  le  malade  recommence  tous  les 
rabachages  precedents,  il  toorae  ainsi  en  cercle  comme  Lisa ;  ou 
bien  ces  hasards  font  naitre  one  idee  toot  a  fait  diflerente  qui  lance 
la  pensee  sor  one  autre  piste  et  ce  sont  a  des  embranchements 
d*idees  »»,  comme  dit  Lod...  Le  travail  est  plos  ou  moins  compli- 
que  suivant  rintelligence  et  le  degre  de  culture  du  sujet,  mais  qu'il 
tourne  en  cercle  ou  qu'il  enfile  des  embranchements,  il  n'arrive 
jamais  une  conclusion,  il  ne  pent  jamais  «  tirer  la  barre  »  et 
s'epuise  dans  un  tra^-ail  aussi  interminable  qu'inutile. 

Ce  phenomene  est  souTcnt  decrit  sous  le  nom  de  fuite  des  idees, 
volee  des  idees,  «  ideen  flucht  b  '.  Legrand  du  Saulle  le  designait 
sous  le  nom  de  rumination  meniale  que  nous  conservous  ^.  Le  fait 
est  si  remarquable  qu^il  faut  encore  en  revoir  quelques  exemples 
aGn  de  pouvoiren  degager  les  caracterespsvchologiques  assent iels. 

Voici  une  rumination  de  Ger...,  une  femme  du  peuple  trespeu 
instruite.  Une  apres-midi  de  jeudi,  elle  songe  a  preparer  le  diner 
et  prend  un  pot  afin  de  dialler  chez  la  fruitiere  acheter  pour  quel- 
ques sous  de  bouillon.  Elle  s*arr^te  sur  Tescalier  avec  la  pensee 
qu'il  faut  reflechir  un  moment  s*il  n'y  a  rien  de  reprehensible  a 
acheter  du  bouillon  chez  la  fruitiere  'manie  de  precision)  «  en  ge- 
neral non,  mais  c'est  aujourd^hui  jeudi,  il  faut  faire  attention  ace 
detail  :  qu'est-ce  que  la  fruitiere  va  penser  en  lui  voyant  acheter 
du  bouillon  aujourd^hui  ^manie  de  Tinterrogation)  ?  Si  elle  croit 
qyt>  c*est  pour  faire  la  soupe  ce  soir,  il  n'y  a  pas  grand  mat, 
mais  on  peut  supposer  que  la  fruitiere  croira  autre  chose  (nianie 
des  suppositions) ;  elle  croira  peut-^tre  que  je  veux  en  faire  une 
iuijpe  pour  demain  vendredi.  Si  elle  suppose  cela  ellevaetre  scan- 
iLlisee  a  cause  de  moi  :  c^est  bien  ma  nature  de  donner  toujours 
aux  autres  le  mauvais  exemple  [obsession  criminelle)  :  si  j*ai  fait 
croire  cela  a  la  fruitiere  j'ai  commis  un  acte  qui  en  lui-menie  ne 
parait  pas  tres  grave  mais  qui  est  horrible  par  sa  signification  ; 
ci'la  signifie  que  je  me  moque  du  bon  Dieu  (manie  du  symbole). 
TiiUle  la  question  revient  a  savoir  si  la  fruitiere  peut  supposer 
que  je  mangerai  mon  bouillon  demain  plutot  que  ce  soir.  Com- 

I  Aschaffenbiirp,  La  voice  des  idees.  Ideen  Flucht.  Congrh  des  alienisles  alle- 
mtm*f>,  i^o'i.  Archives  de  neurolo'jie,  i8f)5,  I,  p.  Sa^- 

5,  Legrand  du  Saulle,  1878,  cf.  CuUcrc,  les  frontieres  de  la  folic ,  p.  65  ;  Raymond 
el  \mand.  Ann.  med.  psych.,  i8«)3,  IL  p.  78. 


k 


LES  AGITATIONS  MENTALES  DIFFUSES  15I 

ment  fera-l-elle  une  pareille  supposition  ?  En  r^fl^chissant  a  ce  qui 
pourra  me  rester  dans  raon  garde-manger  pour  la  soupe  de  ce 
soir.  La  derniere  fois  que  je  Tai  vue,  c*est-a-dire  hier  matin,  lui 
ai-je  donne  a  penser  qu'il  me  restait  de  la  soupe  pour  jeudi  soir, 
quelle  parole  lui  ai-je  bien  pu  dire  hier  matin  (manie  des  re- 
cherches  dans  le  passe  et  embranchement  d'idees).  »  La  voici  main- 
tenant  qui  travaille  a  se  rem^morer  tout  ce  qu*elle  a  bien  pu  dire 
a  la  fruitiere,  malheureusement  le  souvenir  ne  revient  pas  assez 
complet  et  elle  finit  par  se  dire  (c  que  si  la  fruitiere  lui  a  fait  a'un 
moment  mauvais  visage,  c'est  qu'elle  lui  a  dit  quelque  chose  d'ex- 
traordinaire,  mais  voila,  la  fruitiere  lui  a-t-elle  fait  a  un  moment 
mauvais  visage,  impossible  de  le  savoir  avec  precision...  non,  de- 
cidement  le  mieux  c'est  de  demander  conseil  au  mari ;  mais  le 
mari  va  repondre,  c'est  si^r  :  tu  m'embetes  avec  ton  vendredi  ; 
et  le  seal  resultat,  c'est  qu'elle  aura  fourni  a  son  mari  Tocca- 
sion  de  dire  du  mal  du  bon  Dieu,  la  voila  bien  qui  scandalise  tout 
le  monde  ;  quel  horrible  ^tat  criminel  est  le  sien.  Vraiment  tout 
vaudrait  mieux  que  ce  crime  perpetuel  et  si  Dieu  lui  accordait  de 
ne  plus  scandaliser  tout  le  monde,  elle  lui  promettrait  bien  de 
faire  n'importe  quoi.  Mais  si  Dieu  lui  demande  de  tuer  sa  petite 
fille  (manie  des  pactes],  il  pent  le  demander  puisque  c'est  Tenfant 
d'une  mere  coupable  qui  sera  coupablc  comme  elle.  Yaut-il 
mieux  continuer  a  scandaliser  tout  le  monde  ou  consentir  a  tuer 
sa  petite  fille  avec  un  couteau  de  cuisine...,  etc.  »  Trois  heures 
aprcs  le  debut  de  ces  belles  reflexions,  le  mari  rentre  ehez  lui  et 
trouve  Ger...  dcbout  sur  le  palicr  de  Tescalier,  son  pot  vide  a  la 
main:  elle  n'avait  pu  se  decider  ni  a  allcr  chez  la  fruitiere,  ni  a 
entrer  chez  elle  en  renoncant  a  faire  cette  %oupe. 

Les  ruminations  paraissent  un  peu  plus  compliquees  et  les  raison- 
nements  plus  subtils  si  on  prend  un  sujet  d*un  milieu  social  plus 
tMeve,  mais  cette  difTerence  est  loin  d'etre  aussi  considerable  qu'on 
pourrait  le  supposer.  Nadia  sort  assez  emue  d'une  conversation 
qu'elle  vient  d'avoir  avec  son  pere ;  celui-ci  a  essaye  de  lui  faire  com- 
prendre  qu'il  est  juste  de  manger  pour  vivre  et  que  c'est  un  devoir 
pour  elle.  Nadia  ne  d&manderait  pas  mieux  que  d'acccpter  cette 
croyance  u  ce  serait  une  solution,  une  tranquillite,  mais  quelque 
chose  s*y  oppose,  c*estle  souvenir  des  innombrablessermentsqu*elle 
a  faits.  Qu'arrivera-t-il  si  elle  manque  a  de  tcls  serments  (manie  des 
pactes  et  des  interrogations).  D'autre  part,  si  c'est  mal  de  man- 
quer  a  ses  serments,  c'est  aussi  tres  mal  de  refuser  d'ecouter  les 


152  LES  AGITATIONS  FORGOES 

supplications  de  ses  parents.  Elle  a  fait  aassi  des  serments  pour 
promeltre  d'obeir  a  ses  parents  et  de  ne  plus  faire  pleurer.sa  mere; 
lesquels  de  ces  deux  serments  comptent  le  plus?  On  lui  a  dit  qu'il 
ne  faut  pas  tenir  compte  des  serments  qui  sont  evidemment 
ridicules,  mais  lesquels  sont  evidemment  ridicules  et  doit-elle 
les  supprimer  si  elle  n^a  pas  I'evidence  qu'ils  sont  tels  ?  La  di- 
rection qu'on  lui  a  donnee  est  en  somme  hypothetique  et  cVst 
a  elle  a  decider  en  dernier  ressort  (manie  de  Toscillation).  Heu- 
reusement,  elle  a  pris  la  precaution  de  ne  rien  ecrire  relativement 
a  ces  pactes,  ce  qui  n'est  pas  ecrit  ne  compte  pas  (manie  de  la 
precision),  niais  n'est-il  pas  possible  qu^elle  ait  ecrit  sans  s'en 
rendre  compte :  une  lettre  quelconque  ecrite  a  une  amie  pent 
avoir  la  signification  d'un  pacte  (manie  du  symbole),  comment 
savoir  si  ce  n'est  pas  arrive.  Si  j 'arrive  a  tourner  la  tete  cinq  fois  de 
suite  avant  que  ma  gouvernante  ne  se  retourne,  je  n*aurai  rien  pro- 
mis,  si  je  n'y  arrive  pas  le  pacte  existe  (tic  et  manie  des  presages)... 
J'ai  reussi,  mais  qu*importe,  ma  mere  n^est-elle  pas  morte, 
j'avais  tant  de  fois  jure  sur  sa  t^te,  c'est  pour  cela  qu'elle  est 
morte;  si  je  manque  de  nouveau  a  mes  serments,  mon  pere 
mourra  et  mon  ideal  aussi.  Est-ce  que  je  suis  maudite  ?  etc.  »  La 
rumination  continue  dans  ce  sens  pendant  plusieurs  heures  sans 
que  Nadia  arrive  a  une  solution  sur  la  question  posce  au  debut : 
elle  cbercbait  en  somme  s'il  fallait  accepter  ou  nier  rafBrmation 
de  son  pere  que  son  devoir  etait  de  manger  pour  vivre,  elle  est 
encore  au  meme  point  et  ne  sait  pas  davantage  si  elle  croit  ou  ne 
croit  pas  ce  qu^on  lui  a  dit. 

Je  n'insiste  plus  que  sur  un  troisieme  exemple  de  ces  rumina- 
tions complexes  interessant  par  les  circonstances  dans  lesquelles 
il  se  prodiiit.  Lod...  est  en  train  de  jouer  du  piano  et  comme 
elle  est  assez  musicienne,  elle  commence  a  y  prendre  un  certain 
plaisir;  ce  plaisir  va  se  developper  et  donner  naissance  a  une 
jouissance  artistique  qu*elle  connait  pour  Favoir  eprouvee  autrefois 
et  qu'elle  attend,  mais  a  ce  moment  une  foule  de  pens^es  com- 
mencent  a  surgir  dans  sa  conscience.  «  Ce  n'est  pas  un  travail 
qu'elle  fait  la  puisqu*elle  prend  du  plaisir.  Estce  que  Dieu  permet 
que  Ton  puisse  ainsi  s'oublier  dans  des  plaisirs  (manie  de  la  per- 
fection et  du  remords),  il  faut  effacer  ce  plaisir  egoVste  en.faisant 
quelques  petites  choses  pour  la  gloire  de  Dieu  (manie  de  Texpia- 
tion".  II  faut  se  condamner,  faire  une  triste  figure  toute  la  journee. 
Oui,  mais  cela  va  ennuyer  ses   parents:   lequel  vaut  le  mieux : 


LES  AGITATIONS  MENTALES  DIFFUSES  153 

ne  rien  faire  pour  Dieu  ou  ennuyer  ses  parents  (manie  de  Tinter- 
rogation)?  Les  Idees  vont  encore  rester  en  litige  sans  que  je  puisse 
tirer  la  barre  »  et  elle  continue  a  m^diter  ainsi  toute  la  matinee. 
On  pourrait  multiplier  ind^finiment  ces  exemples,  il  est  tres 
facile  de  les  imaginer  en  combinant  de  mille  manieres  toutes  les 
diverses  categories  des  manies  mentales  que  nous  avons  analysees 
de  maniere  a  rormer  des  erabranchements  de  pensees  ou  des 
cercles  d'id^es  tout  a  fait  interminables. 


3.  —  La  rii^erie  forcee, 

Dans  les  ruminations  precedentes  on  pent  encore  retrouver  la 
trace  de  diverses  manies  mentales,  la  syst^matisation  maladive  est 
incomplete  mais  elle  existe  encore  en  partie.  Je  crois  qu'il  faut 
rapprocher  de  ces  malades  un  groupe  tres  interessant  de  sujets 
dont  Ic  caract^re  maladif  n'est  pas  toujours  bien  compris. 

Void  un  exemple  qui  pr^cisera  le  ph^nomene  que  je  consid^re. 
line  femme  de  ^4  ans,  Lib...  (iiy),  tres  intelligente,  tres  raison- 
nable,  se  plaint  d'un  trouble  de  la  tete  qui  depuis  20  ans  derange 
toute  son  existence,  Temp^che  de  jouir  de  la  vie,  de  travailler  et 
meme  de  dormir.  Ce  trouble,  c'est  la  rSverie  qui  s' impose  d'une 
maniere  irresistible  «  il  me  semble,  dit-elle,  que  je  suis  forcee  de 
penser  trop,  que  je  suis  oblige  de  me  raconter  des  histoires,  de 
discuter  avec  mol-meme,  de  me  souvenir,  de  raisonner  d'une 
maniere  tout  a  fait  exag^ree  et  inutile  ».  Cette  femme  reste  toujours 
tres  calme,  tres  tranquille,  elle  n'a  point  de  tics,  encore  molns 
d'emotlons  ou  d'angoisses,  mais  a  propos  de  tout  ev^nement  ou 
de  toute  action  elle  a  Tesprit  assailli  par  d'interminables  reveries. 
Le  plus  souvent  elle  pent  dissimuler  sa  reverie  et  elle  semble 
agir,  causer  avec  les  person nes  presentes  ou  llreun  livre;  mais  elle 
ne  se  donne  que  tres  peu  a  ces  occupations,  la  plus  grande 
partie  de  son  esprit  estoccup^e  ailleurs  par  la  reverie  continuelle. 
Dans  blen  des  cas,  d6s  que  Faction  devient  difficile  ou  demande 
plus  d'attentlon,  Lib...  devient  incapable  de  la  faire.  Elle  ne 
pent  plus  suivre  une  conversation  au  milieu  de  plusieurs  per- 
sonnes,  elle  ne  pent  plus  comprendre  une  lecture  difficile.  Le 
sommeil  surtout  est  presque  completement  supprlme  et  est  rem- 
place  par  cette  reverie  perpetuelle. 

Je  n^etudierai  pas  muintenant  les  troubles  de  la  volonte  et  de 
Tattentlon  qui  jouent  un  grand  r6le  dans  cette  observation,  je  ne 


15i  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

considere  maintenant  que  la  reverie  elle-meme.  Le  caractere  le 
plus  curieux  de  cette  reverie  c'est  qu'elle  ne  contient  en  appa- 
rence  aucun  des  sympt^mes  pathologiques  que  nous  venons 
d'etudier.  Lib...  n'a  certaineraent  aucune  obsession,  blen  mieux 
elle  ne  presente  aucunement  ce  que  nous  venons  d'appeler  une 
manic  mentale.  Aucune  idee  obsedante  ne  revient  regulierement, 
il  n'y  a  pas  de  processus  mental,  interrogation,  recherche, 
comparaison  qui  joue  un  role  reellement  predominant.  Cette 
reverie  est  tres  variee,  le  plus  souvent  elle  n*est  pas  desagrt^able 
en  elle-m^me,  et  surtoutelle  n'est  pas  d^raisonnable.  Ce  sont  des 
reflexions,  des  rememorations,  du  passe,  des  imaginations  de 
Tavenir  des  discussions,  des  meditations  qui  n'ont  de  patholo- 
gique  que  leur  exageration  et  leur  irr^sistibilite.  «  Ce  que  je 
regrette,  dit-elle,  c'est  d'etre  obligee  de  penser  ainsi  un  million 
de  choses  absolument  inutiles,  quand  je  f'erais  bien  mieux  de 
m*occupcr  de  mon  travail  ou  de  dormir.  Ce  sont  des  tableaux 
innombrables  et  des  bavardages  sans  fin  que  je  ne  puis  arreter 
que   pour   un  moment  et  avec  une  peine  extreme.  » 

Ce  symptome  de  la  reverie  forcee  me  parait  tres  important,  il 
se  retrouve  chez  beaucoup  de  nos  malades.  «  Ce  n^est  pas  ma 
faute,  dit  Vk...,  si  je  ne  fais  rien,  il  me  vient  des  idees  en  sura- 
bondancc,  j'en  suis  submergee.  »  a  II  me  semble,dit  Lgh...,  qu'il 
m'arrive  ii  Tintcrieur  des  flots  d*idces  qui  se  succedent  avec  une 
rapidite  inoui'e.  Ce  ne  sont  pas  toujours  des  idces  folles,  je  vous 
assure,  ni  des  interrogations  absurdes.  Toutes  ces  idees  me  sem- 
blent  seduisantes  :  il  y  aurait  de  bons  motifs  pour  m'arr^ter  sur 
toutes.  Mais  je  ne  puis  choisir,  je  suis  oblige  de  passer  de  Tune 
a  Taulre,  c'est  dans  ma  tete  un  remue-menagc  d'idees  invrai- 
semblable.  »  Lise  sent  bien  qu'ii  de  certains  moments  «  toute  sa 
vie  se  concentre  dans  sa  t^te,  que  le  reste  du  corps  est  comme 
endormi  et  qu'elle  est  forcee  de  penser  cnormement  sans  pouvoir 
s'arr6ter.  Sa  memoire  devient  extraordinaire  el  se  developpe 
demesuremeht  sans  qu*elle  puisse  la  diriger  par  Tattcntion  ». 
Wo..., qui  a  maintenant  des  manies  mcntales  bien  nettes  (manie 
de  la  verification  et  manie  des  pactes),  reconnait  tres  bien  qu'il 
n'en  a  pas  toujours  et^  ainsi.  «  Pendant  bien  des  ann^es  mes 
reveries  n*^taient  pas  comriie  aujourd'hui  toujours  dans  le  meme 
sens,  je  savais  bien  que  je  pensais  trop,  que  mon  esprit  s'em- 
brouillait  de  choses  a  cote,  que  je  n'en  finissais  pas  de  penser 
cent  choses  au  lieu  d'une  seule.  Dcpuis   longtemps  mes   pensecs 


r 


LES  AGITATIONS  HEfJTALES  DIFFUSES  155 

tournaient  dans  le  vide  sans  pouvoir  s'accrocher  a  rien  de  pre- 
cis... »  II  sera  litres  facile  de  retrouver  cet  elat  mental  de  la  reverie 
forcee  an  d^but  de  bien  des  cas  de  maladie  des  obsessions.  Meme 
chez  les  individus  a  peu  pres  normaux,  ceshistoires  interminables 
que  Ton  se  raconte,  ces  meditations  faciles  qui  se  substituent  au 
travail  et  a  Tattention  sont  des  plus  frequentes. 

Ces  reveries  forcees  ont  ete,  comme  la  rumination  precedente, 
decrites  sous  le  nom  de  fuite  des  idees,  de  volee  des  id^es  car  ce 
sont  des  phenomenes  tres  voisins.  Riles  correspondent  aussi,  si  je 
ne  me  trompe,  a  ce  qui  a  ete  decrit  sous  le  nom  de  mentisme  «  sorte 
d'efTervescence  intellectuelle  particuliere,  dans  laquelle,  pour  me 
servir  de  la  definition  d'un  auteur  qui  en  ^tait  atteint  lui-m^me, 
Dumont  de  Monteux,  nous  voyons,  avec  un  sentiment  tres  net,  des 
pens^es  qui  nous  sont  6trangeres,  que  nous  ne  connaissons  pas 
comme  notresy  et  qui  s'^tant  introduites  du  dehors,  puUulent,  se 
meuvent  avec  la  plus  grande  rapidite  *  ». 

Dans  Tetude  des  obsessions  on  s'est  beaucoup  occupe  et  avec 
raison  des  angoisses  diOPuses,  c*est-a-dire  des  agitations  emotion- 
nelles  diffuses.  11  me  parait  necessaire  d'attirer  aussi  Fattention 
sur  ces  reveries  forcees  qui  sont  des  agitations  mentales  diffuses. 

Si  nous  rapprochons  les  reveries  forcees,  et  les  ruminations 
mentales  de  toutes  les  manies  mentales  qui  ont  ete  decrites  pr^- 
c^demment,  nous  voyons  qu'il  existe  chez  ces  malades  un  grand 
travail  mental  qui  se  d^veloppe  d'une  maniere  anormale.  Ce  tra- 
vail est  en  apparence  assez  considerable  :  il  comprend  la  plupart 
des  operations  intellectuelles,  associations  des  idc^es,  memoire, 
imagination,  jugement,  raisonnement,  toutes  sortes  d'operations 
qui  s*effectuent  surtout  sur  des  images  et  des  idees  abstraites.  Ce 
travail  n'est  pas  sans  diflicult^  ni  sans  efforts,  il  est  souvent  fati- 
gant  et  penible.  Malheureusement  il  presente  un  caractere  Evident 
au  premier  abord,  il  est  parfaitement  inutile  et  sterile:  qu'il  soil 
systematique  ou  diffus,  il  n'aboutit  jamais  a  rien  de  reel  ni  d'utile; 
c'est  pourquoi  il  justifie  le  nom  que  nous  lui  avons  donne  d'agita- 
tion  mentale.  Cette  agitation  est  forcee,  ellc  s'irapose  au  sujet  d*une 
maniere  particuliere ;  mais  ce  caractere  tres  important  se  retrouve 
exactement  le  m^me  dans  les  mouvements  forces  etdans  les  emo- 
tions forcees,  il  sera  ^tudie  plus  utilement  .Via  fin  de  ce  chapitre. 

I.  Dumont  dc  Monteux,  d*apr6s  S6glas,  Lemons  cliniques  sur  les  maladies  mentales 
et  nerueuses,  1895,  p.  69. 


i56  LES  AGITATIONS  FORCfiES 


DEUXIfiME  SECTION 


LES    AGITATIONS    MOTRICBS 


La  plupart  des  troubles  mentaux  precedents  s'accompagnaient 
de  quelques  mouvements,  ne  fiit-ce  que  de  paroles  ou  d'ecriture. 
Mais  ces  mouvements  ^taient  en  realite  peu  de  chose  et  la  prin- 
cipalc  depense  de  force  se  faisait  dans  les  phenoraenes  de  pensee. 
Au  contraire,  chez  les  memes  malades,  on  observe  des  troubles 
surtout  moteurs  oil  une  sorte  xl*excitation  semble  se  depenser  en 
mouvenient,  accompagn^e  d*une  somme  de  pens^es  conscientes 
assez  minime. 

Ces  mouvements  presentent  au  premier  abord  les  mcmes  carac- 
t^resd^ja  remarqucs  dans  tons  ces  phenomenes  forces.  lis  sepro- 
duisent  sans  etre  en  rapport  ni  avec  les  clrconstances  ext^rieures 
ni  avec  les  desirs  du  sujet ;  cependant  ils  ne  sont  pas  absolument 
inconscients,  ils  ne  s'ex6cutent  pas  tout  a  fait  sans  la  participa- 
tion de  la  conscience  ni  meme  de  la  volonte  du  sujet.  Le  malade 
sent  au  moins  en  partie  qu'ils  s'accomplissent  et  qu'ils  s'accom- 
pHssent  parce  qu'il  veut  bien  les  accomplir,  mais  il  se  sent 
contraint  d*avoir  cette  volonte  inutile  et  absurde :  ce  sont  tout  a 
fait,  suivant  Texpression  d'un  malade  «  des  travaux  forces  )). 

De  meme  que  pour  les  pensees,  ces  mouvements  forces  peuvent 
etre  syst^matiques  ou  difTus;  quand  ils  sont  systematiques  ils 
constituent  les  tics,  et  quand  ils  sont  diffus  les  crises  d'agi- 
tation. 


i.  —  Les  agitations  motrices  syst6matis6es.  —  Les  tics. 

I/c^tude  de  ce  phenomcne  est  relativement  recente,  il  6tait 
autrefois  confondu  vaguement  avec  les  convulsions  et  les  spas- 
nies;  mais  en  raison  de  Tint^ret  qui  s'attache  aujourd'hui  aux 
etudes   de    psychologic    pathologique,    le    tic    a   ^te    Tobjet    de 


i 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  SrSTfiMATISfiES.  —  LES  TICS  157 

beaucoup  de  travaux  recents  qui  ont  au  moins  pr^cis^  le  pro- 
bleme.  J^emprunterai  d'abord  a  ccs  etudes  int^ressantes  les  ^16- 
ments  d'une  determination  du  tic,  c'est-a-dire  les  caracteres 
essentiels  qui  constituent  le  tic.  Puis  je  resumerat  brievement  la 
description  de  quelques  tics  importants  pr^sent^s  par  mes  malades 
en  insistant  surtout  sur  les  caracteres  psychologiques  de  ces 
ph^nomenes. 

I .  —  Les  caracthres  des  tics. 

Le  premier  caractere  qui  a  etc  bien  mis  en  evidence,  c'est  la 
syst^matisation  du  tic,  son  analogic  avec  cet  ensemble  systema- 
tise de  mouvemcnts  qui  constitue  un  acte.  Trousseau  comprenait 
encore  le  tic  d'une  maniere  assez  vague :  il  le  caracterisait 
(c  par  des  contractions  rapidcs  g^neralement  limitees  a  un 
petit  nombre  dc  muscles,  habituellement  aux  muscles  de  la 
face,  mais  pouvant  afTecter  d'autres  muscles  du  cou,  du  tronc, 
des  membres  *  »  Rn  somme  il  ne  parlait  que  de  la  petitesse 
el  de  la  rapidite  du  mouvement  :  quelques  secousses  d*epi- 
lepsie  partielle  pourraient  ainsi  etre  confondues  avec  des  tics. 
Charcot',  Gilles  de  la  Tourette',  Guinon*  ont  chcrche  a  distin- 
guer  et  a  grouper  au  moins  quelques  tics  tr^s  exag^r^s  et  faciles 
a  reconnaitre.  En  outre  des  caracteres  precedents,  petitesse  du 
mouvement  et  sa  rapiditc,  ils  ont  insiste  sur  sa  regularite  et  sur  sa 
ressemblance  avec  des  actes  determines.  <c  Les  tics,  disait  Charcot, 
reparaissent  toujours  les  memes  chez  un  m^me  sujet,  et  de  plus 
ils  reproduisent  en  les  exagerant  cependant  certains  mouvements 
uutomatique^  complexes  d*ordre  physiologique  appliques  a  un 
but,  ce  sont  en  quelquc  sorte,  en  d'autres  termes,  la  caricature 
d'actes  dc  gestes  naturels*^...  » 

L'auteur  qui  a  le  plus  contribue  a  faire  connaitre  le  tic  et  a  le 
distinguer  cliniquement  des  phenoraenes  convulsifs  voisins  est 
M.  Brissaud.  Dans  ses  lecons  a  la  Salp^triere  il  est  revenu  a  plu- 
sieurs  reprises  sur  la  distinction  interessante  du  spasme  etdu  tic*. 

1.  Trousseau,  CUniques  de  I'lldtel-Uieu,  1873,  11,  p.  267,  p.  464- 

a.  Charcot,  Lemons  du  mardi,  II,  p.  iH. 

3.  Gillcs  de  la  Tourelte,  i885. 

4.  Guifjon,  1886. 

5.  Charcot,  Lemons  du  mardi,  1888-89,  P-  ^^^• 

6.  firissaud,  Le^ns  sur  les  maladies  nerveuses,  i'^  serie,  1896,  p.  5i3. 


i56 


LES  AGITATIONS  FORCEES 


/ 


/ 


deuxi£:me  SECTIOI' 


LBS    AGITATIONS 


re    deja 

en    evi- 

irritation 

ul  muscle, 

i6me    nerf. 

facial,    le 

est  en    rea- 

. ermines  par 

ixienie   fron- 

c^rebrale  au- 

int^ressant  ce 

on  seulement 

'S  grimaces  de 

larynges,  etc. ; 

_    i  iiypoglosse,  du 

..i«/ii  qui  nc  pent  se  comprendre 

,,Mi  Lie  1  ecorcc  c^rebrale. 

.,0  ijvstomatique,  cette  relation  du  tic  avec  les  actions 

/rouve  confirm^  dans  la  plupartdes  Etudes  ult^rieures. 


La  plupart  des  troubles  w 
de  quelques  mouvements, 
Mais  ces  mouvements  ^ 
cipale  depensc  de  for 
Au  contraire,  che^ 
surtout  moteurF 
mouvement,  r 
assez  minir 

Ces  m' 
teres  <^ 
dui*^  -  ^ 


.'  *'\-i^re  essentiel  du  tic,  dit  M.  Oddo ',  est  le  caractere 

•'    niiei  ou  mieux  pseudo-mtentionnel,  car  I  intention  volon- 

' ^^  ^^,'5paru  depuis  longtemps  dans  le  tic.  II  n*en  est  pas  moins 

"^  ^  lie  los  mouvements  des  tiqueurs  sont  coordonnes  pour  Tac- 

'    plissement  d'un  acte  toujours  le  m^me.  Le  tic  est  un  mou- 

*^  „oiil  essentiellement  figure,  la  choree  est  constituee  par  un  mou- 

,,.riient  amorphe.  » 

MM.  Meige  et  Feindel  ont  encore  insiste  sur  ce  caractere  en 
|i,i  faisant  jouer  un  grand  role  dans  la  classification  des  tics.  «  Les 
lies  doivent  Hre  classes,  disent-ils^,  non  d'apres  les  muscles  qui 
iiitervienncnt  dans  le  mouvement,  mais  d'apres  les  actes  dent  le 
lie  est  la  caricature.  Ainsi  on  distinguera  des  ^ics  ties  patipieres, 
t>:kttements,  clignottements  analogues  aux  actes  determines  par  un 
iorps  etranger  dans  Tivil,  par  une  trop  vive  lumiere,  des  ^ics  des 
yt*tu\  elevations,  mouvements  lateraux,  analogues  aux  actes  deter- 
niia^s  par  la  presence  de  corps  etrangers,  par  des  troubles  de  la 
vision. 

Les  lies  da  /ler,  reniilement,  battement,  froncement  des  narines, 

I.   ('..  Ovldo.  Les  lies.  Presse  m/fZ/.-.t/c.  l8«»t),  I,   i8t). 

1-   Meii:e  el  Feindel.  l.es  causes  pn»»icalrioe<  el  la  j»alhoirenie  des  tics  de  la  face 
H  All  cou.  >'>*•*>/€•  de  neurol-fjie.   ii>  a^ril   UH>I- 


\ 


LES  AGITATIONS  MOTRIGES  SYSTfiMATISI^ES.  —  LES  TIGS  159 

ndent    aux    actes    suivant,    aspiration    justifiec    par    un 
lent  passager  des  voies  nasales,  dilatation  des  narines 
'a  gene  ou  la  cuisson  d'une  petite  plaie. 
la  bouchey  des  levres,  de  la  langue,   les  moues,  les 
rdillages,  les  plncements,  les  rictus,  les  inachon- 
lutitions,  etc.  correspondent  aux   mouvements 
>^  nellicule   dans  les  ger^ures  des    levres,    pour 

■*,  'i    branle,    pour  tater  un  endroit  de  la  bou- 

^  t6te,    secousses,    hochements,    on   trouve 

ints  les  d^placements,  les  redressements 

^nts    pour   se  debarrasser  de  la    g^ne 

r  un  vetement,  etc.  ». 

Mt  aussi  M.  Oddo,  sont  des  abr^via- 

ui  s,  d'exclamations,  de  mots  d'injures*.  » 

^  lies  Ju  cou,  dans  le  torticolis  mental;  le  mouvement 

correspondnnt  est  un  effort  pour  eviter  la  douleur  d*une  fluxion 

dentaire,  pour   Eviter  une   douleur    musculaire,    pour   eviter  un 

courant  d'air  et  proteger  le  cou  en  relevant  les  vetements,  pour 

dissimuler  une  tristesse,  pour  regarder  dans  la  rue,  etc. 

Dans  les  tics  de  Tepaule,  on  retrouvera  le  geste  du  colporteur 
d^crit  par  M.  Grasset*,  geste  de  charger  un  ballot  sur  son  ^paule, 
et  beaucoup  de  gestes  professionnels  du  m^rac  genre.  Dans  des 
tics  du  pied  que  j'ai  decrits^  on  retrouvera  les  claudications  d^ter- 
minees  par  la  douleur  d*un  cor,  les  retractions  des  orteils  dans 
une  chaussure  trop  courte,  etc. 

En  se  plagant  au  m6me  point  de  vue  M.  Meige  fait  encore  une 
distinction  interessante  entre  les  tics  classiques  qui  consistent  en 
un  mouvement  rapide  et  des  tics  d'atUiude,  des  tics  toniques  en 
quelque  sorte  qui  consistent  dans  la  conservation  d^une  attitude  : 
celle-ci  represente  toujours  une  action  mais  une  action  perma- 
nente^.  II  rappelle  a  ce  propos  le  cas  de  trismus  de  machoires  que 
j'avais  ^tudi^  avec  M.  Raymond^:  un  brave  pretre  qui  craignait 


1.  C.  Oddo,  Presse  mid.,  op.  cit.,  1899,  11,  190. 

2.  (irassei,  Nouvelle  honographie  de  la  Salpetriere,  1897. 

3.  Raymond  et  P.  Janet,  Nolo  sur  deux  tics  du  pied.  iVonvelh  honographie  de  la 
Salp^lriere,  '899.  p.  353. 

\.   H.  Meige,  Hisloire  d'un  liqueur.  Journal  de  medecine  el  de  chirurgie  pratiques^ 
20  aoiit  1 90 1. 

5.  Nevroses  et  Idees  fixes,  II,  p.  38 1. 


160  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

de  se  montrer  Indiscret  et  de  laisser  ^chapper  le  secret  du  confes- 
sionnal,  en  ^tait  venu  a  ne  plus  pouvoir  desserrer  les  dents  et 
devait  se  mettre  un  bouchon  dans  ia  bouche  pour  pouvoir  faire  un 
sermon.  M.  Meige  ^tudie  aussi  a  ce  propos  une  observation  de 
tiqueur  tout  a  fait  remarquable  qui  pour  arr^ter  un  mouvement 
de  son  ^paule  prend  une  attitude  permanente  et  tient  son  bras 
colle  au  corps,  appuy^  sur  I'^pigastre. 

Le  second  caractere  du  tic  egalement  bien  mis  en  lumiere  par 
la  plupart  de  ces  auteurs  c'est  que  le  tic  est  un  acte  inopportune 
intempestif.  «  Le  tic,  disait  Charcot,  n^est  que  la  caricature  d'un 
acte,  d'un  geste  naturel...  le  mouvement  complexe  du  tic  n^est 
pas  absurde  en  soi,  il  est  absurde,  illogique  parce  qu'il  s'op^re 
hors  de  propos  sans  motif  apparent  ^  »  «  Le  tic,  disait  M.  Noir 
dans  son  etude  int^ressantc,  est  la  reproduction  habituelle  mais 
intempestive  d'iin  geste...  *»  et  M.  Guinon  disait  aussi:  «  le  tic  est 
un  mouvement  convulsif,  habituel  et  conscient  resultant  de  la 
contraction  involontaire  d*un  ou  dc  plusieurs  muscles  du  corps  et 
reproduisant  le  plus  souvent,  mais  d'une  fa^on  intempestive 
quelque  geste  reflexe  ou  automatique  de  la  vie  habituelle.  » 

J*ajouterai  dans  le  meme  sens  que,  si  le  tic  est  un  acte,  il  ne 
faut  pas  cependant  oublier  que  c'est  un  acte  sterile  qui  ne  produit 
rien.  II  est  evident  qu'il  ne  produit  rien  d'utile,  mais  je  crois  que 
Ton  pent  meme  dire  dans  Ic  plus  grand  nombre  des  cas  qu'il 
n'est  meme  pas  capable  de  faire  du  mal.  Cc  qui  nuit  au  sujet 
c'est  le  fait  d'etre  un  tiqueur,  c'est  Tensemble  des  phcnom&nes, 
des  troubles  qui  accompagnent  le  tic.  Mais  Tacte  lui-mt^me  qui 
est  le  tic,  le  mouvement  de  la  tete,  le  torticolis,  le  clignemenl 
des  yeux,  la  grimace  de  la  bouche  ne  font  pas  grand  mal.  J*ai 
decrit  une  jeunc  (ille  qui  avait  le  singulier  tic  de  tomber  brus- 
quement  a  genoux  tons  les  dix  pas  dans  la  rue  aussi  bien  que 
dans  sa  chambre',  et  j*ai  remarque  avec  etonnement  que  dans  ces 
agenouillements  brusques  elle  ne  se  fait  jamais  de  mal  aux 
genoux.  Cette  ineillcacite  du  tic  est  int^ressante,  elle  est  a  rap- 
procher  de   Tinutilitd   complete   des   manies   mentales   et  devra 


I.  Charcol,  Legons  du  mardi,  1888-89,  p.  /i6^. 

•Jt.  J.  Noir,  Etude  sur  les  tics  chez  les  imbeciles  et  chez  les  degenhh,  1893. 

3.    Xevroses  et  Jd^esjlces,  II,  39a. 


LES  AGITATIONS  M0TRICE8  SYSTfiMATISfiES.  -  LES  TICS  161 

etre  rappel^e  quand  nous  etudierons  les  troubles  de  la  volonte  qui 
determinent  ces  agitations  steriles. 

Cette  impuissance  du  tic  se  rattache  a  un  autre  caractere  quHl 
ne  faut  pas  oublier  quand  on  insiste  sur  le  rapprochement  du  tic 
et  de  Facte.  Si  on  laisse  de  c6t^  les  hyst^riques  qui  ont  des  tics 
un  peu  particuliers  et  chez  qui  la  reproduction  de  Tacte  pent  etre 
plus  complete,  chez  Les  psychasth^niques  qui  sont  les  vrais 
liqueurs,  le  tic  nest /ms  un  acte  complete 

Quand  As...  a  la  singuliere  habitude  de  se  faire  vomir  apres 
chaque  rcpas  en  s'introduisant  deux  doigts  au  fond  de  la  bouche, 
tout  en  trouvant  lui-meme  que  Facte  est  inopportun,  absurde  et 
dangereux,  on  ne  pent  pas  dire  qu*il  a  un  tic.  C/cst  une  impul- 
sion en  rapport  avec  des  obsessions  de  honte  du  corps  et  d'hy- 
pocondrie.  U  n*y  aura  ticqu*au  moment  o^i  Facte  se  sera  peu  a  peu 
simplism  et  quand  As...  n'a  plus  que  quelqucs  spasmes,  quelques 
regurgitations,  quelques  rots  apres  chaque  repas.  II  faut  conserver, 
je  crois,  dans  la  notion  du  tic  Fid^e  ancienne  de  Trousseau  que  le 
tic  est  un  petit  mouvement  incomplet,  d*aulantplus  que  ce  carac- 
tere d'etre  incomplet  n'est  pas  sans  importance  chez  les  scrupu- 
leux.  Leur  micromanic,  leur  manie  de  la  precision,  du  symbole,  les 
predispose  a  rechercher  ces  petits  mouvements  incomplets.  Si  le 
tic  estainsi  un  mouvement  incomplet,  il  peut  se  r^duire  a  tres  peu 
de  chose,  devenir  un  mouvement  des  plus  simples  dans  lequel  la 
systemaiisation  toujours  fondamentale  au  d^but  devient  de  moins 
en  moins  visible.  Ser...  leve  continuellement  la  main  droite  afin 
de  toucher  sa  boucle  dWeille  et  de  verifier  si  elle  ne  Fa  pas 
perdue.  Ici  le  mouvement  est  tres  bien  systematise,  mais  peu  a 
peu  il  se  reduit  et  elle  n*a  plus  qu^une  secousse  de  Findex  qui  se 
leve  brusquement.  Ce  petit  mouvement  est  encore  bien  un  tic  par 
ses  origtnes  et  par  F^tat  mental  qui  Faccompagne,  mais  si  on  le 
considerait  isol^ment  il  serait  difficile  d'y  voir  une  systematisation 
bien  nette. 

C'est  en  considi^rant  des  cas  de  ce  genre  que  M.  Bourdin*  en 
vient  a  contester  la  systematisation  du  tic  et  a  nier  qu'il  reproduise 
des  actes.  Les  mouvements  du  tic  sont,  a  son  avis,  beaucoup  trop 
simples  et  trop  bizarres.  Get  auleur  en  vient  jusqu'a  rattacher 
les  tics,  au  moins  les  tics  simples  a   une  lesion  fonctionnelle  de 

I.  Bourdin,  L' impulsion  spicialement  dans  ses  rapports  avec  le  crime.  Th5se  de 
Paris,  1894,  p.  55. 

UE8    OBSESSIONS  .  1.    —    II 


162  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

^  la  moelle  qui  se  traduit  par  des  d^charges  motrices.  Une  semblable 
erreur  serait  impossible  si  I'on  remontait  a  Torigine  du  mouve- 
ment  et  si  i'on  remarquait  que  ce  qui  caract^rise  surtout  le 
tic  c'est  le  trouble  mental  qui  le  determine  et  qui,  pendant  tres 
longtemps  si  ce  n'est  loujours,  continue  a  Taccompagner. 

M.  Brissaud  avalt  dcja  remarqu^  que  la  syst^matisation  du  tic 
conduisait  a  son  6tude  psychologique.  Dans  bien  des  cas,  dit-il, 
le  tic  serait  impossible  h  diagnostiquer  si  Ton  n^examinait  que 
le  mouvemcnt  lui-meme,  si  Ton  ne  tenait  pas  compte  des  antece- 
dents et  de  Tetat  mental  qui  a  prepare  le  tic  et  qui  raccora- 
pagne. 

Aussi  la  plupart  des  travaux  r^ccnts  sur  les  tics  sont-ils  en 
somme  des  etudes  de  psychologic  plus  ou  moins  avouees  dans 
lesquelles  on  cherche  surtout  a  determiner  Taspect  mental  de  cc 
phenomene.  Parmi  les  contributions  les  plus  interessantes  a  cftte 
etude  il  faut  citer  le  memoire  de  Tokarski',  les  articles  de 
MM.  Oddo',  Dubois  de  Saujon',  Meige*,  Feindel,  Hartenberg^ 
La  plupart  de  ces  travaux  se  placent  surtout  au  point  de  vue 
therapeutique  et  devront  etre  ^tudi^s  a  propos  des  divers  traite- 
ments  de  T^tat  psychasthenique.  Nous  remarquons  sculement  ici 
qu'ils  notcnt  tons  deux  aspects  dans  le  tic,  le  mouvement  syste- 
matique  et  le  phenomene  mental  concomitant. 

En  effet  le  tic  est  accompagnd  par  des  phenomenes  de  con- 
science, de  volonte  et  de  pensee.  En  premier  lieu  ce  mouvement 
est  conscient;  je  parle  toujours  ici  du  psychasthenique  et  non  de 
Thysterique.  Le  sujet  sait  parfaitement  qu'il  ferme  les  yeux,  qu'il 
touriie  la  tcte,  qu'il  s^agenouille.  II  le  sent  d'autant  mieux  qu*il  a 
le  sentiment  de  laire  Iuim6mele  mouvement  et  de  le  faire  volon- 
tairement.  Cette  intervention  de  la  volonte  personnelle  du  sujet 
est  si  importante  qu*il  peut  parfaitement  faire  son  tic  a  tel  mo- 
ment plutot  qu'a  tel  autre,  qu'il  peut  le  supprimer  momentane- 

I  Tokarsky,  R61c  des  idees,  desmomonls  psycliiques  dans  la  production  des  lies. 
SociHe  medicale  des  neurologisles  et  alienisles  de  Moscou,  dec.  1892.  Arch,  de  Neuro- 
logic t   1898.  1,  34 1. 

a.  Oddo,  op.  cil.  Presse  medicale,  1899,  II,  189. 

3.  Dubois  de  Saujon,  Les  tics.  Sociele  de  Iherapeuiique,  27  mars  1901. 

4.  li.  Meige  el  E.  Feindel,  fitat  mental  des  liqueurs.  Progrhs  medical,  78eplembre 
1901. 

5.  Hartenbcrg,  Trailement  d'un  cas  de  tic  sans  angoisse.  Revue  de  psychologic  cli- 
nique  et  thS rapeutique,  jAn\iCT  1899,  p.  17. 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  SYSTfiMATISfiES.  —  LES  TICS  163 

ment,  le  remettre  a  plus  tard  et  le  recommencer  quand  il  le  veut 
(Guinon,  J.  Noir,  Brissaud). 

Une  preuve  curieuse  de  celle  intervention  de  la  conscience  et  de 
la  volont6  ce  sont  les  erreurs  que  le  malade  commet  souvent  dans 
Texecution  de  son  tic.  Fous...  (loi),  qui  a  un  torticolis  mental, 
'tient  toujours  la  tete  inclin^e  a  gauche;  quand  elle  est  distraite  et 
pr^occupee  au  cours  d'un  examen  de  son  tic,  elle  se  trompe  et 
pendant  une  partie  de  la  le^on  tient  la  tete  a  droite. 

D'autres  preuves  ont  et^  emprunt^es  surtout  par  M.  Brissaud 
a  Tetude  des  proc^d^s  qu'emploient  les  malades  pour  arreter 
momentan^ment  leurs  tics.  Dans  la  plupart  de  ces  torticolis  men- 
taux  que  decrivait  M.  Brissaud,  le  malade  pent  lui-meme  arreter 
le  tic  par  un  true  quelconque,  par  un  leger  appui  de  ses  doigts 
sur  la  t^te  ou  de  sa  tete  sur  un  mur.  Or  il  est  impossible  d'^tablir 
ainsi  une  lutte  entre  notre  main  et  notre  tete,  ou  bien  entre  nos 
deux  mains.  L'attitude  definitive  qui  resulte  de  cette  pr6tcndue 
lutte  est  une  attitude  accept^e,  voulue  par  le  sujet  lui-meme  et 
si  le  malade  peut  arreter  son  tic  en  appuyant  la  main  sur  le  men- 
ton,  c'est  qu*en  somme  il  veut  bien  arreter  son  tic.  Dans  bien  des 
cas,  d*ailleurs,  le  sujet  choisit  pour  arreter  le  tic  un  mouvement 
qui  serait  absurde  s'il  s^agissait  r^ellement  de  lutter  contre  lui. 
Une  de  nos  malades  a  un  tic  qui  rejette  la  t6te  en  arriere,  elle 
Tarrete  en  touchant  le  front  avec  I'index  *,  ce  mouvement  devrait 
en  r^alite  repousscr  la  tete  en  arriere :  il  est  simplcment  pour  la 
malade  Toccasion  de  vouloir  abaisser  la  tete  en  avant. 

On  peut  aussi  signaler  tous  les  proc6des  qui  guerissentplus  ou 
moins  longtemps  les  tics.  II  suflit  quelquefois  d'expliquer  au 
malade  ce  que  c'est  que  son  tic,  comment  il  le  fait  lui-meme, 
comment  il  peut  I'arr^ter  s'il  veut  bien  yconsentir  pour  que  le  tic 
ccsse  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long.  Dans  d'autres  cas  il 
suffit  que  le  malade  croie  a  Tefficacite  d'uh  remfede,  d*une  pom- 
made  quelconque  appliqu^e  sur  le  cou  ou  sur  le  bras  pour  qu'il 
cesse  au  moins  pendant  quelque  temps  son  mouvement  absurde. 
Tous  ces  faits  montrent  done  que  le  tic  n'est  pas  un  mouvement 
compl^tement  automatique  mats  qu'il  est  en  grande  partie  un  acte 
conscient  et  volontaire. 

Mais  pourquoi  le  malade  {>eut''il  faire  cet  acte  absurde?  Le  plus 
souvent  on  peut  dire  qu'il  ne  le  sait  pas  du  tout,  il  se  sent  force 

I.  N^roses  et  Idees  fixes,  II,  p.  875. 


161  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

de  le  vouloir  sans  savoir  pourquoi.  Si  on  insiste,  si  on  remonte 
tout  a  Fait  a  I'origine  du  tic  on  retrouve  presque  toujours  d*uoe 
maniere  vague  des  besoins  de  preciser,  de  perfectionner,  de  veri- 
fier ou  des  besoins  de  compenser,  de  r6parer  queique  chose 
qui  font  songer  aux  manies  mentales  que  nous  venons  d*^tudier. 
L'une  des  plus  interessantes  parmi  les  malades  de  M.  Dubois 
(de  Saujon)  se  sent  fovcee  de  se  baisser  par  terre  comme  pour 
ramasser  tin  objet^  elle  se  sent  obligee  a  faire  cet  acte  avec  une 
perfection  speciale,  il  Taut  que  ie  dos  de  sa  main  toucbe  le  sol ; 
elle  a  la  manie  de  compter  jusqu'a  trois,  de  regarder  trois  fois 
un  objet  ou  une  personne,  de  heurter  son  coude  droit  contre  sa 
poitrine  jusqu'a  ce  qu*il  choque  une  petite  Erosion  et  alors  de 
pousser  un  petit  cri,  etc.  *.  Nous  verrons  parmi  nos  malades  bien 
des  cas  semblables,  ou  une  manie  mentale  force  la  volonte  a 
accomplir  le  tic. 

Le  tic  est  done  en  r^sum^  un  ensemble  de  mouvements  syste- 
matis^s,  un  acte  reproduit  r^gulierement  et  fr^quemment,  mais 
d'une  maniere  tout  a  fait  intempestive,  inutile  et  incomplete 
parce  que  la  volonte  se  sent  forcee  de  Taccomplir.  On  retrouve 
ici  tout  a  fait  les  caracteres  d^ja  constates  dans  toutes  les  manies 
mentales,  c'est  pourquoi  il  sera  utile  dans  T^num^ration  des  tics 
de  les  rapprocher  de  ces  manies. 

2.  —  Les  tics  de  perfectionnement, 

Le  premier  groupe  des  manies  mentales  nous  a  paru  etre 
constitue  par  des  manies  d'oscillation  par  des  doutes  et  des  de- 
liberations. De  telles  manies  sont  presque  exclusivement  men- 
tales,  elles  contiennent  des  operations  qui  s'accompagnent  diflTi- 
cilement  de  mouvements  materiels. 

Si  Ton  voulait  rechercher  Tattitude  qui  accompagne  ce  genre 
de  manies,  il  faudrait  considerer  comme  tics  les  immobilites,  ce 
qui  serait  souvent  assez  juste.  Lise  s'arr^te  bien  souvent  com- 
pletement  immobile  au  milieu  d'une  action.  Tantot  elle  prend 
d'avance  une  position  qui  puisse  justifier  aux  yeux  des  specta- 
teurs  son  immobility,  par  exemple,  elle  tient  un  livre  a  la  main. 
Tantot,  surtout  si  elle  ne  se  croit  pas  surveillee,  elle  reste  immo- 
bile dans   une  position  quelconque,  debout,    le    pied   lev^  pour 

I.  I)ulK)is  (Jc  Saujon,  Societe  de  th6rapeulique,  27  mars  1901. 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  SYSTfiMATISliES    -  LES  TICS  1G5 

avancer  et  eile  s'arrete  indeGniment.  Get  arret  demande  encore 
un  eflbrt  musculairc,  c'est  bien  un  tic  d'attitude.  II  lui  semble 
qu*elle  ne  doit  pas  bouger  avant  d'avoir  trouv^  ce  qu'elle  cher- 
chait,  avant  d'etre  sortie  de  son  doutc.  Claire  se  force  ainsi  a 
rester  immobile  dans  son  lit  en  gardant  la  premiere  position 
jusqu'au  matin,  et  elle  se  reveille  toute  raidie. 

Le  second  groupe  des  manies,  les  manies  de  Tau  dela  impli- 
quent  de  nombreux  mouvements  et  bien  souvent  ces  mouvements 
semblent  au  sujet  etre  forces  par  la  manie  sous-jaoente.  Quand 
ces  manies  s*accompagnent  ainsi  de  tics,  elles  sont  mentalement 
moins  developpees  et  ne  contiennent  guere  toutes  les  subtilites 
que  nous  venons  de  decrire.  Elles  contiennent  simplement  Tidee 
vague  ou  le  sentiment  qu'il  faut  perfeclionner  Facte  ou  le  ph6- 
nom^ne  primitif,  y  ajouter  quelque  chose,  et  que  le  mouvement 
du  tic  est  une  adjonction  urgente. 

Un  grand  nombre  de  tics  se  rattachent  a  ces  manies  de  preci- 
sioHy  de  verification  qui  sont  parmi  les  plus  fr^quentes.  Un  ma- 
lade  de  Brissaud  secoue  la  tete  pour  mettre  son  chapeau  bien  en 
place.  Nadia  et  Claire  inqui^tes  sur  leur  personne  ont  besoin  de 
verifier  leur  etat,  elles  detournent  rapidement  les  yeux  pour  se 
regarder  en  passant  dans  toutes  les  glaces  :  il  a  fallu  dans  Tap- 
partement  de  Nadia  couvrir  toutes  les  glaces.  Nadia,  en  outre, 
tate  perpetuellement  son  corps,  ses  jambes,  sa  poitrine  pour 
verifier  rapidement  si  elle  n'a  pas  engraisse. 

Myl...  preoccupe  au  d^but  par  ses  maux  de  t^te  secoue  de 
temps  en  temps  la  t^te  <(  pour  savoir  si  elle  est  bien  a  sa  place  ». 
Fok...  prcoccup6  de  T^tat  de  son  ventre  le  secoue  par  une  brus- 
que contraction  des  muscles  droits;  Ul. ..  fait  une  grimace  avec 
ses  yeux  «  pour  sentir  s'ils  ne  sont  pas  6gar^s  »  Ser...,  agde  de 
i6  ans,  se  touche  a  tout  instant  Torcille  et  frappc  trois  petits 
coups  sur  sa  t^te  c<  pour  6tre  s6re  que  la  bouclc  d'orcille  est 
bien  attach^e  et  qu'elle  ne  tombe  pas  ».  Beaucoup,  comme  nous 
Tavons  vu,  secouent  leur  tdte  pour  voir  si  leur  col  les  gene.  Peu  a 
peu  rid^e,  la  recherche  determinee  qui  amenait  ces  mouvements 
s'elTace  a  peu  prfes  de  I'esprit  ou  n'est  plus  representee  qu'a 
peine  par  un  bref  sentiment  d^inquietude  et  le  mouvement  se 
fait  rapidement,  d'une  manicre  incomplete  et  perpetuelle.  Ul...  n*a 
plus  qu'un  petit  mouvement  de  rotation  des  yeux  que  Ton  croirait 
convulsif,  Myl...  un  petit  hochement  de  tete. 


IC6  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

La  manie  de  la  syjnelrie  ameue  des  tics  de  la  marche  comnie 
chez  la  maiade  de  Azam  qui  saute  d*une  pierre  sur  I'autre  pour 
procurer  a  ses  deux  pieds  des  sensations  analogues. 

La  mnnie  du  symbole  dcvieut  le  point  de  depart  d'un  tres 
grand  nombre  de  tics,  puisque,  ainst  que  nous  Favons  vu,  des 
mouvements  resument  et  expriment  des  id^es.  Lod...  imagine 
une  signification  religieuse  ou  irreligieuse  a  certains  actes,  Ter- 
mer le  poing  c^est  comme  si  on  disait  :  je  ne  crois  pas  en  Dieu; 
comme  elle  pense  a  chaque  instant  qu'elle  ne  croit  pas  en  Dieu 
et  comme  elle  a  besoin  de  formuler  vite  cette  pensee  pour  ne 
pas  en  etre  trop  d^rangee  dans  le  cours  de  la  vie,  elle  se  con- 
tente  d^esquisser  rapidement  le  geste  de  Termer  le  poing.  Si  elle 
Tait  a  chaque  instant  Tacte  de  se  retourner  a  demi  dans  la  rue, 
c'est  que  ce  geste  represente  pour  elle  la  pens6e  de  la  religion, 
«  c'est  comme  si  en  traversant  une  6glise  on  se  retournait  devant 
le  tabernacle  ». 

Jean  a  une  interpretation  semblable  bien  bizarre  :  il  se  croit 
toujours  en  butte  aux  tentations  g^nitales  et  il  considere  une 
petite  satlsTaction  comme  I'image  du  plaisir  sexuel.  Or  il  a  eprouv6 
un  jour  quelque  plaisir  en  se  grattant  le  nez  :  ce  plaisir  etait 
d'autant  plus  impressionnant  qu'il  lui  rappelait  une  impression 
vivede  ses  anciennes  masturbations  :  il  les  accomplissait,  parait-il, 
en  s'ecrasant  le  nez  contre  un  mouchoir  ayant  appartenu  a  la 
Temme  de  chambre.  De  la  natur^Uement  une  association  d*id6es 
symbolique  entre  le  Tait  de  se  gratter  le  nez  et  la  pensee  des  plai- 
sirs  sexuels,  Tun  devient  le  symbole  de  I'autre ;  mais  comme  le  Tait 
de  se  gratter  le  nez  est  beaucoup  plus  simple  et  dans  son  esprit 
beaucoup  moins  dangereux  que  la  masturbation,  le  symbole 
remplaceperpetuellement  Timpulsion  g^nitale.  Ces  interpretations 
compliqu^es  sont  venues  se  mcler  a  une  habitude  malpropre,  lui 
ont  donne  de  Timportance  et  ont  contribue  a  la  fixer.  Le  meme 
maiade  a  sans  cesse  besoin  d^un  appui  moral,  il  symbolise  ce 
besoin  en  tenant  toujours  sou  bras  droit  a  demi  lev^  au-dessus  de 
sa  tete  et  appuy^  sur  un  objet  plus  dleve,  n  c'est  comme  si  je 
me  reposais  sur  quelqu'un  de  plus  Tort  que  moi  a  mon  cM^  ». 

Le  meme  sentiment  a  joue  un  role  dans  la  formation  d*un  ve- 
ritable torticolis  spasmodique,  chez  Brk...,  <c  j'ai  toujours  eu  be- 
soin de  m^appuyer,  je  voudrais  avoir  un  soutien,  un  ami,  je  ne 
sais  pas  comment  cela  a  anient  le  besoin  d'appuyer  ma  tete  de 
cute  sur  mon  epaule  ». 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  SYSTfiMATISfiES    —  LES  TICS  167 

Par  la  meme  raison  que  prec^demment,  ces  mouvements  ont 
plus  ou  moins  perdu  leur  interpretation  et  Lod...  se  retourne  en 
marchant,  Jean  se  gratte  le  nez  ou  s'arrache  les  ongles  ou  leve  le 
bras  en  Fair,  Brk...  tient  la  tete  de  cdte  a  peu  pres  perp^tuelle- 
ment  sans  trop  savoir  pourquoi  et  en  apparence  malgre  eux. 

On  pourrait  rattacher  a  ce  besoin  de  symbole  le  tic  int^ressant 
attribue  par  Rodenbach  a  la  so&ur  aux  scrupules  «  de  temps  en 
temps  de  son  mouchoir  d^pli^  elle  se  tapotait,  elle  s'epoussetait, 
aurait-on  dit^  comme  pour  eparpiller  Tinvisible  chute  surelle  de 
la  poussiere,  ces  molecules  du  silence  ^  ». 

La  manie  de  la  tentation,  la  manie  de  Vimpulsion  qui  joue  un 
grand  role  dans  les  obsessions  criminelles  a  determine  les  tics 
de  Sau...  (i3],  enfant  de  i6  ans,  elle  a  Tidee  fixe  qu^elle  veut  se 
tuer.  «  On  voitbienque  cette  idee  est  serieuse,  dlt-elle,  puisque, 
malgre  moi,  mon  bras  commence  tout  le  temps  des  petits  mou- 
vements pour  me  Trapper,  pour  piquer  ».  Nous  avons  d^ja  vu 
beaucoup  d'exemples  semblables  a  propos  des  obsessions  du 
crime. 

II  faut  faire  une  assez  grande  place  a  la  manie  du  contraste, 
qui  est  toute  voisine  de  la  manie  de  ^impulsion,  M.  S^glas  re- 
marquait  d^ja  que  les  tics  de  langage  sont  souvent  en  contra- 
diction avec  Texpression  normale  des  sentiments  du  moment'. 
Beaucoup  de  psychastheniques,  au  moment  de  faire  un  acte  avec 
attention,  pensent  aux  operations  tout  a  fait  opposees  qui  seraient 
contraires  a  leurs  desirs  et  qu'ils  redoutent;  chez  beaucoup  cette 
pens^e  reste  un  simple  phenomene  conscient  et  ils  font  une 
rumination  surlapensee  de  ces  actes  opposes.  Mais  chez  quelques- 
uns  cespensees  amenent  une  action  en  contraste  avec  Facte  ini- 
tial. Do...,  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  faire  un  mouvement  de- 
licat,  se  sent  g6ne  par  Tid^e  de  faire  une  maladresse,  il  croit  qu'il 
va  Jeter  le  verre  par  terre,  commettre  une  incongruite.  Son  pouce, 
au  lieu  de  saisir  Tobjct,  se  pHe  fortement  dans  la  paume  de  la 
main.  Peu  a  peu  ce  tic  se  produit  presque  sans  reflexion  etDo... 
ne  pent  plus  accomplir  aucun  acte  delicat.  II  en  r^sulte  qu'il  ne 
pent  plus  ecrire  a  cause  de  ce  tic  :  le  pouce  se  met  dans  la  paume 
avant  qu'il  n'ait  touche  la  plume.  La  crampe  des  ^crivains  est  un 


1.  G.  Rodenbach,  Musee  de  beg  nines,  p.  86. 

2.  Scglas,  Le  langage  chez  les  alUnis,  i8ga,  p.  aga. 


168  LES  AGITATIONS  FORCEES 

syndrome  qui  peut  avoir  bien  des  origines  diverses,  mais  qui 
se  produit  souvent  par  ce  mecanisme. 

Gi...  (ii3)  pr^sente  an  cas  remarquable  de  coprolalie,  cettc 
malade  a  eu  des  tics  de  la  danse,  elle  se  seDtait  forc^e  de  tourner, 
de  faire  des  belles  manieres*,  c'^tait  un  tic  en  rapport  avec  ses 
preoccupations  sur  le  theatre  oil  son  (ils  allait  trop  souvent. 
Quand  ce  tic  Tut  gueri,  elle  commen^a  a  pousser  des  cris  epou- 
vantables  et  a  nous  agoniser  de  sottises  :  cc  cochon,  chameau,  tu 
me  fais  ch...  ».  Elle  pouvait  fort  bien  resister  a  ce  tic  dans  la  rue 
en  presence  d'etrangers.  Ces  malades,  nous  le  savons,  s'ar- 
retent  toujours  dans  Timpulsion  au  moment  oil  Tacte  pourrait 
devenir  serieux.  Mais  (c  elle  etait  pouss6e  a  crier  ces  injures  » 
dans  rhopital,  quand  elle  me  voyait.  «  Je  voudrais  ^tre  polie, 
dit-elle,  me  bien  tenir  et  je  suis  obligee  de  penser  a  des  sottises 
que  je  ne  voudrais  pas  faire,  il  me  semble  que  je  suis  obligee  de 
les  faire.  »  Ce  tic  n'est-il  pas  Texpression  de  la  manie  de  Timpul- 
sion  et  de  la  manie  du  contraste. 

Les  tics  de  Ren^e  ^  sont  du  raeme  genre,  elle  a  horreur  des 
chats,  des  chiens,  elle  a  ete  effray^e  par  un  petit  patissier  idiot 
qui  parlait  comme  un  enfant,  elle  voudrait  ne  plus  du  tout  penser 
a  tout  cela,  elle  est  obligee  d'y  penser,  de  chercher  toutes  les  cir- 
constanccs  qui  Vy  font  penser  (manie  des  associations),  de  cher- 
cher si  elle  peut  y  penser  sans  danger  (manie  des  tentations)  et 
la  voici  qui  crie  «  miaou,  oua,  oua,  Zozo,  ma  nounou,  petite 
femme,  putain,  bordel,  etc.  ». 

Les  manies  prec^dentes  jouent  encore  un  role  dans  les  tics  qui 
imitcnt  des  maladies.  Gauc...^  estpr^occup^  par  lapens^e  du  ta- 
bes, il  craint((qu*iln*y  ait  quelque chose  dans  ses  jambes  »,  surtout 
depuis  qu'il  a  vu  pratiquer  Texamen  des  reflexes  rotuliens.  11 
cherche  si  ces  reflexes  ont  quclque  chose  de  bizarre,  et  malgre 
lui  il  leve  ses  jambes  en  Tair  des  que  Ton  touche  son  genou,  il 
marche  avec  de  grandes  secousses  des  jambes.  Ren^e,  Bor...  ont 
le  tic  de  se  tenir  de  travers,  elles  ont  a  la  fois  Tid^equ'elles  sont 
atteintes  de  coxalgie  et  Tidee  qu'elles  jouent  lacomcdie,  il  y  a  un 
singulier  sentiment  de  doute  qui  se  surajoute  au  tic  de  la  d-mar- 
che. 


I.  Raymond  el  P.  Janet,  Nevroses  et  Idees  fixes,  II,  p.  34 1. 
a.  Pierre  Janet,  Accidenls  menlaux  des  hysteriqnes,  p.  i58. 
3.  I^evroses  et  Idies  fixes,  II,  p.  393. 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  SYSTfiMATISfiES    —  LES  TICS  169 

Beaucoup  detorticolis  spasmodlques  comme  celui  de  Buq... 
sont  lies  avec  une  inquietude  sur  les  courants  d'air,  sur  la  mala- 
die  du  cou,  avec  un  besoin  de  verifier  la  maladie,  avec  des  phe- 
nomenes  de  contraste. 

Voici  maintenant  les  tics  qui  se  rattachent  a  la  manie  de  la 
propretey  a  la  manie  des  precautions :  bien  des  malades  qui  ont 
eu  la  manie  de  se  laver  les  mains  conservent  meme  apres  la  gue- 
rison  apparente  le  tic  de  frotter  les  mains  Tune  contre  Tautre. 
Zo...  qui  a  eu  peur  d^avaler  des  epinglcs  a  des  tics  de  machon- 
nement,  de  toux,  de  crachottement.  Faut-il  rappeler  les  tics  de 
Jean  qui  ecarte  les  jambes,  qui  s'arr^te  un  instant  aux  coins  des 
rues,  qui  se  leve  pour  couper  son  pain,  etc. 

Les  manies  de  recommencer  les  actes  laisscront  aussi  comme 
residus  des  petits  mouvements  incomplets  ou  des  tics,  s'asseoir 
en  deux  ou  trois  fois,  tatonner  en  touchant  les  portes,  se  retour- 
ner  a  demi  des  qu'on  fait  un  acte,  repeter  les  choses  deux  ou  trois 
fois.  Voici  a  ce  propos  une  curieuse  observation  de  M.  S^glas. 
Une  raalade  avance  dans  les  rues  en  faisant  des  cercles,  «  elle  doit 
faire  un  tour  en  sens  inverse  sur  le  trottoir  oppose  a(in  de  faire 
un  rond  avant  d'avancer*  ».  C*est  un  tic  en  rapport  avec  la  manie 
du  retour  en  arriere. 

La  manie  des  procedes  determine  les  grognements  et  les  rots 
deRai...  qui  veut  «  respirer  bien  »,  les  spasmes  de  la  main  de 
L...  qui  «  veut  ^crire  avec  perfection  ».  Un  jeune  homme  de 
i[\  ans  Yog...,  inquiet  et  timide  est  poursuivi  depuis  son  enfance 
par  le  d^sir  de  a  parler  bien  devant  le  monde  ».  II  en  arrive  a 
b^gayer  et  a  grimacer  d'une  maniere  abominable.  «  Les  tics  de  la 
figure  sont  venus  peu  a  peu,  dit-il,  comme  des  mouvements  pour 
faciliter  le  langage,  pour  m'aider,  me  soulager.  »  Des  mauvais 
mouvements  de  la  langue  qui  Tempechent  d'avaler  se  sont  deve- 
loppeschez  Ev...  femme  de  3g  ans  de  la  m6me  maniere.  Une  g^ne 
de  la  deglutition  a  ete  le  point  de  depart  d'eflforts  d'attention  et 
de  tics  de  toute  espece  dans  les  machoires,  dans  la  langue  et 
dans  le  pharynx.  Bien  des  cas  de  spasme  de  FQesophage  rentrent 
dans  ce  groupe. 

Peut-on  rattacher  ^galement  a  ce  groupe  le  tic  singulier  d'une 
jeune  fille  de  19  ans,  Dey...  (io5)  qui  s'arrache  les  cheveux  un  a 

I.   Seglas,  Societe  medico- psychologique,  jaiwicr  1888. 


170  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

un  jusqu'a  presenter  de  grandes  plaques  simulant  la  pelade. 
((  C'est  parce  qu'elle  ne  peut  pas  travailler,  pas  faire  attenlion, 
sans  se  secouer,  se  gratter  :  ^a  Texcitc  ct  Tencourage,  elle  a  pris 
ainsi  I'habitude  de  s'arrachcr  tous  les  cheveux.  » 

II  y  a  ainsi  un  ties  grand  nonibre  de  tics  qui  ne  sont  pas  pr^- 
cisement  accompagn^s  par  des  ruminations  analogues  a  cellcs 
que  nous  avons  observccs  dans  les  manies  mentales  de  Tau  deia, 
mais  qui  semblent  en  rapport  avec  des  besoins,  des  sentiments 
analogues  a  ceux  qui  out  inspire  les  manies  de  I'au  dcla. 

3.  —  Les  tics  de  defense, 

Dans  d'aulres  eas,  le  phenomene  mental  qui  accompagne  le  tic 
est  un  pent  different,  le  malade  se  sent  pousse  a  aecomplir  le 
mouvement,  non  pour  faire  mieux  quelque  chose,  mais  pour  re- 
parer,  pour  compenser  quelque  chose  de  (acheux,  pour  sc  de- 
fendre  contre  une  influence  nuisible. 

M.  Meige  a  rapporte  un  beau  cas  de  ce  genre.  Son  malade  pour 
arreter  un  tic  de  Tepaule  gauche,  eprouve  le  besoin  de  saisir  le 
bras  malade  avec  la  main  droite.  Bientot  la  main  droite  preseute 
aussi  un  tic  celui  de  serrer,  tiruiller,  tortiller  de  toute  maniere 
le  bras  recalcitrant,  ct  finit  par  determiner  des  lesions.  Cette 
batailie  absurde  des  deux  mains  etait  pour  le  malade  un  besoin 
extreme  et  obsedant^ 

«  Le  sourire  obsedant  »  dont  parle  Bechterew  est  plutot  un  tic 
du  sourire  chez  un  honteux  de  son  corps.  Le  malade,  Ires  timide 
et  tres  honteux,  a  imagine  de  sourire  quand  on  le  regarde,  c'cst 
une  formule  de  conjuration.  Ce  sourire  se  repr^sente  malgre  lui, 
ou  plutot  il  se  croit  force  de  sourire  des  que  quelqu\in  a  les  ycux 
(ixcs  sur  lui  ou  simplement  des  qu'il  pense  que  quelqu*un  peut 
le  voir^ 

Un  malade  de  MM.  Pitres  et  Regis  a  des  manies  mentales  de 
conjuration  «  pousse  cette  pierre  du  pied  deux  fois  et  il  ne  t'ar- 
riverarien  »  sedit-il  sans  cesse.  «  Les  actes  deviennent  a  la  longue 
automatiques,  disent  les  auteurs,  mais  pendant  longtemps  ils  ont 
ete  precedes  par  une  idee^  ». 

1.  Mcigo,  Uistoire  d'un  liqueur,  Journal  de  medecine  et  de  chirurgie  pratiques, 
a5  aoiU  1901. 

a     Rechlercw,  Revue  de  psychologies  1899,  35. 
3.   Pilrcs  cl  UcgLs,  op  cit.y  53. 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  SYSTfiMATISfiES.  —  LES  TICS  17i 

Parmi  mes  maladcs,  les  exemples  sont  trop  nombreux  pour 
pouvoir  6tre  tous  ^numeres.  As...,  homme  de  26  ans,  Ad... 
(49),  fenime  de  ^9  ans,  Qsa.,  homme  de  55  ans,  sont  inquiets  de 
leur  estomac,  iis  en  souffrent  legerement  et  se  sentenl  gonfl^s. 
lis  ont  la  honte  de  manger  et  pensent  qu'il  vaudrait  mieux  ne  pas 
manger,  mais  comme  ils  ne  peuvent  s'en  abstcnir  tout  a  fait, 
ils  reparenl  le  repas,  les  uns  par  des  efforts  de  vomissements  et 
des  vomissements  reels,  Tautre  par  des  rots  interminables  et  des 
secousscs  du  ventre.  Ces  tics  de  vomissement  ont  chez  les  psy- 
chastheniques  une  importance  considerable.  Je  ne  puis  que  les 
signaler  ici  dans  cette  enumeration  des  tics,  il  faudra  revenir  sur 
leur  pathogenic  et  leurs  consequences. 

Te...,  age  de  20  ans,  a  la  suite  d*une  marche  avec  des  souliers 
trop  courts,  conserve,  un  ticde  recroquevillcment  des  orteils  et  de 
raideur  de  toute  la  jambe.  Qk...,  pour  lutter  contre  la  fatigue 
de  Tecriture  doit  ecrire  a  genoux,  puis  dans  des  postures  de  plus 
en  plus  bizarres. 

Xy...  repousse  avec  la  main  droite  un  objet  imaginaire  qui 
viendrait  sur  elle;  Zo...  fait  «  hem,  hem  »,  pour  ne  plus  penser 
aux  epingles;  Myl...  6bauche  un  signe  de  croix;  Be...,  poursuivie 
par  la  pens^e  qu'elle  a  dans  le  ventre  un  ver-araign^e,  dissipe 
cette  crainte  en  se  frottant  le  ventre  a  droite,  ce  tic  est  si  conti- 
nue! qu'il  determine  toujours  Tusure  de  ses  robes  a  cet  en- 
drott.  Lae...  (80),  homme  de  28  ans,  obsed6  par  la  pensee 
de  la  rage,  a  eu  d'abord  des  sortes  de  crises  qui  lui  semblaient 
en  rapport  avec  la  rage.  Dans  ses  crises  ses  os  craquaient,  il  en 
est  arrive  a  se  borner  a  un  petit  mouvement  singulier,  il  lui  suffit 
de  faire  craquer  ses  articulations  pour  6tre  comme  debarrasse  de 
la  pensee  de  la  rage.  Ce  m6me  malade  passe  ses  mains  sur  son 
pantalon  parce  qu'il  a  I'id^e  qu'un  chicn  le  frole  et  que  par  ce 
mouvement  il  ecarte  Tidee  :  ces  deux  mouvements  finissent  par 
constituer  de  v^ritables  tics. 

On  voit  que  chez  toUs  ces  malades  le  tic  est  comme  une  reduc- 
tion de  la  manie  mentale,  soit  que  la  manie  mentale  ait  ete 
autrefois  tout  a  fait  complete,  soit  qu'elle  ne  fasse  que  debuter 
et  reste  encore  embryonnaire,  soit  meme  qu'elle  n'existe  pas 
sous  une  forme  intellectuelle  et  soit  complctement  remplac^e  par 
cette  agitation  motrice  systematisee.  En  general  on  pent  dire  que 
la  manie  mentale  est  d'autant  moins  developpee  que  le  tic  moteur 
est  plus  complet.   Mais  ce   sont  des   tendances  analogues  qui  de- 


172  LES  AGITATIONS  F0RCI5ES 

terminent  Tun  ou  I'autre  de  ccsdeux  phenomenes  et  c'estla  ceque 
j'ai  voulu  mettre  en  evidence  en  montrant  que  les  tics  pouvaient 
etre  group^s  a  pen  prcs  de  la  m6me  manicre  que  les  manies  men- 
tales. 


2.  —  Les  agitations  motrices  diffuses.  * 
Les  crises  d'agitation. 

Chez  d'autres  malades  ies  mouvements  deviennent  bien  plus 
considerables  et  en  meme  temps  plus  vagues,  ils  semblent  consti- 
tuer  de  veritables  crises  convulsives.  Je  crois  qu'il  Taut  insister 
sur  ces  agitations  motrices  difTuses  analogues  aux  agitations  men- 
tales  dilTuses.  Elles  jouent  un  role  considerable  dans  la  maladie 
et  doivent  egalement  jouer  un  role  important  dans  son  interpre- 
tation. 

I .  —  La  crise  des  efforts. 

La  plus  curieuse  de  ces  crises  pent  rccevoir  le  nom  de  crise 
des  efforts,  Le  malade  raecontcnt  de  lui-m^me,  d^sirant  mieux 
faire,  en  conclut  naturellement  qu'il  doit  faire  ce  qui  permct  aux 
kommes  normaux  dese  transformer,  c'est-a-dire  des  efforts;  mais 
ceux-ci,  pour  son  malheur,  tourncnt  bien  vite  a  la  manie.  II  y 
a  la  un  point  delicat,  parce  que  nous  verrons  plus  tard  en  ^tu- 
diant  les  procedes  th6rapeutiques  que  certains  efforts  sont  reelle- 
ment  tres  bons  pour  le  malade  et  qu'il  se  transforme  par  des 
efforts  d'attention.  Mais  ces  efforts  utiles  doivent  etre  diriges  par 
le  medecin  et  doivent  avoir  une  nature  particulifere.  II  est  rare 
que  le  malade  trouve  tout  seul  les  efforts  utiles  a  faire  et  nous 
ne  parlous  pas  de  ceux«ci,  en  ce  moment.  Les  efforts  que  le  malade 
imagine  sont  une  serie  d'actions  asscz  r^gulieres,  quoique  moins 
stereotypies  que  les  tics,  fatigantes  ct  p6nibles,  qu'il  croit  ne- 
cessairc  d'accomplir  pour  donner  a  son  acte  cccaractere  de  certi- 
tude et  de  satisfaction  qui  lui  manque  toujours. 

Les  malades  qui  font  des  efforts  de  ce  genre,  chez  qui  ces 
efforts  tourncnt  a  la  manie  et  constituent  de  veritables  crises  sont 
assez  nombreux.  Vy...  essaye  de  se  donner  des  convulsions  pour 
faire  un  mouvcment  qui  soit  parfait;  elle  ^prouve  le  besoin  de 
pousser  comme  pour  aller  a  la  selle.  Tr...  fait  des  efforts  comma 
pour  soulever  un  fardcau,  avant  d'ouvrir  une  porte  ou  de  faire  ses 
priercs  et  se  contorsionne  pendant  des  heures. 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  DIFFUSES.  —  LES  CRISES  D^AGITATION    173 

Le  type  vraiment  extraordinaire  de  ce  genre  de  manie  c'est 
Claire.  Cette  malade  a  plusieurs  fois  par  jour  des  periodes  de 
contorsions  6pouvantables  qui  ont  et^  prises  bien  souvent  pour  des 
crises  d'hysterie  et  qui,  a  mon  avis,  ne  leur  ressemblenten  aucune 
nianiere.  Ce  sontdes  contorsions  volontaires  ou  quasi-volontaires  : 
quand  elle  sent  ou  se  figure  sentir  qu'une  action  est  mauvaise, 
qu'une  pens6e  est  honteuse,  qu*elle  va  avoir  son  image  obedante 
da  membre  viril  et  de  Thostie,  die  croit  qu^elle  doit  faire  quelque 
chose  pour  modifier  l*acte  ou  eloigner  Fimage.  Ce  quelque  chose, 
c'est  ce  qu'elle  appelle  des  efforts.  Th^oriquement,  ses  efforts 
sont  moraux  ;  au  d^but,  elle  avait  la  t^te  dans  les  mains,  Ics  yeux 
en  I'air,  le  regard  perdu  tres  loin  et  elle  se  livrait  a  un  travail  de 
rumination  mentale.  Mais  peu  a  peu  elle  s'est  convaincue  que  les 
efforts  moraux  doivent  etre  Jiccompagnes  d'efforts  physiques  cor- 
respondants  et  elle  a  commence  a  prendre  des  attitudes  speciales  ; 
ainsi  il  faut  quVlle  soit  assise  ou  couch^e,  en  raidissant  la  jambe 
gauche,  en  ayant  la  bouche  ouverte  et  la  tete  aussi  basse  que 
possible,  les  yeux  ferm^s  ou  d^mesur^ment  ouverts.  Puis  elle 
prit  Thabitude  de  faire  des  niouvements  desordonn^s  des  bras  et 
des  jambes  jusqu'a  se  mettre  absolument  en  nage  et  a  dprouvr  des 
douleurs  dans  tons  les  muscles.  Elle  plie  le  tronc  et  le  releve  en 
mouvements  rythmiques  de  salutation,  elle  secoue  le  thorax  par  de 
grands  mouvements  respiratoires.  Elle  porte  ses  mains  a  sa 
bouche,  ronge  ses  ongles  jusqu'au  sang,  suce  et  mord  ses  doigts  : 
ces  dernieres  manies  ont  fini  par  developper  d'enormes  callosites 
aux  articulations  des  doigts.  Quand  elle  ne  mange  pas  ses  mains, 
elle  mange  ses  mouchoirs  et  ses  draps:  en  un  hiver,  elle  a  r^duit  en 
charpie  une  cinquantaine  de  mouchoirs.  Enfin,  en  se  livrant  a 
cet  exercice,  elle  ne  cesse  d'avoir  a  la  figure  d'horribles  gri- 
maces. Toutes  ces  contorsions  se  prolongent  sans  interruption 
pendant  plusieurs  heures. 

La  malade  se  figure  que  ces  mouvements  physiques  suivent  des 
mouvements  paralleles  a  sa  pens^e  :  «  si  je  vois  Tid^e  tout  au 
fond  de  moi,  il  Taut  que  je  baisse  la  tete  tres  has  pour  la  cher- 
cher ;  si  je  la  vois  en  haut,  il  me  semble  que  ma  volonte  s*6lance 
pour  la  saisir  etque  mon  corps  en  fait  autant...  II  me  semble  que 
c'est  mon  coeur  qui  pense,  il  faut  que  je  cherche  la  pensee  par 
des  mouvements  de  la  poitrinc  et  en  augmentant  les  battements 
du  coeur...  Ma  vie  est  a  Tombilic,  il  faut  que  je  secoue  le  ventre 
pour  la  retrouver.  »  On  voit  bien  ici  se  meler  aux  efforts  la  manie 


174  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

du  syrabolc  et  on  pouvrait  appliquer  ici  les  remarques  dc  M.  Ribot 
siir  I'analogie  de  TelTort  moral  et  de  reObrt  physique  :  u  le  sen- 
timent de  Teffort  eprouve  quand  nous  cherchons  notre  route  a 
travers  une  masse  d'id^es  obscures  et  enchevetr^es  n*est  qu*une 
forme  affaiblie  du  sentiment  que  nous  avons  en  cherchant  notre 
route  dans  une  foret  6paisse  et  sombre  »  *. 

Bien  cntendu  toutes  ces  contorsions  violentes  et  toutes  ces 
pensees  amenent  toutes  sortes  de  perturbations  viscerales,  des 
troubles  de  la  respiration  qui  est  exageree  et  anxieuse,  des 
troubles  du  ca}ur  qui  bat  a  tout  rompre.  Mais  ce  qui  est  surtout 
provoque  a  la  suite  de  cette  agitation  et  de  ces  mouvements 
abdominaux  c'est  une  grande  excitation  gcnitale  et  les  efforts 
se  terminent  tout  simplement  par  une  veritable  masturbation.  Je 
signale  Textr^me  importance  de  cette  substitution  de  I'excitation 
gcnitale  aux  efforts  volontaircs. 

Nous  retrouverons  ces  faits  dans  les  prochains  paragraphes  oil 
nous  etiidicrons  les  phenomenes  ^motifs  de  Tangoisse.  Je  ticns 
seulement  a  rcmarquer  ici  que  cette  malade  a  plutot  les  pheno- 
menes ext^ricurs  de  Tangoisse  que  Tangoissc  elle-meme.  El/e  ne 
se  plaint  pas  du  tout  de  souffrir  pendant  cette  crise  d'efforts.  «  Les 
mouvements  de  sa  poitrine  et  de  son  coeur,  dit-clle  tres  juste- 
ment,  sont  dus  a  Tessouniement  tout  simplement  )>.  L'agitatioti 
dans  ce  cas  reste  motrice  beaucoup  plus  qu'emotionnelle. 

Un  exemple  bien  curicux  de  ces  crises  d*efforts  est  celui  de 
Lrm.  (232),  un  homrae  de  quarante  ans.  Ses  crises  bizarres  se  coni- 
pliquent  de  manic  du  symbole  et  d'obsessions  de  persecution.  Ce 
pauvre  diable  avail,  comme  tons  les  scrupuleux,  besoin  de  syni- 
pathie  et  il  avnit  Thorreur  de  la  lutte.  A  la  suite  d'une  querelle 
insignifiante  avcc  un  individu  qui  etait  son  associe  et  son  meilleur 
ami,  il  garde,  sinon  une  idee  obs^dante,  au  moins  un  sentiment 
obsedant,  c'cst  qu'il  est  en  lutte  contre  cet  individu,  X.  11  lui  semble 
que  X.  I'attaque,  qu'il  faut  lui  repondre,  quoique  ce  soit  bieu 
penible,  qu*il  est  necessaire  de  se  defendre.  Sans  avoir  aucunc 
hallucination,  en  sachant  bien  qu'il  est  seul,  que  X.  n'est 
pas  present,  il  se  sent  oblige  de  hitter  contre  lui.  La  lutte  est 
materielle  :  il  se  met  debout,  lance  des  coups  de  poing  et  des 
coups   de  pied   avec   fureur,   il   se   demene  comme   un   forcen^, 

I.  Ribot,  Lts  maladies  dc  la  volonti,  p    107.  (Paris,  F.  Alcan.) 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  DIFFUSES.  -  LES  CRISES  D' AGITATION   175 

se  frappe  lui-m^me,  se  mord  les  poings  et  finit  par  tomber  par 
terre  epuis^  par  de  tels  efforts  et  ruisselant  de  sueur.  II  ne  faut 
pas  oublier  que  ce  malade  n'a  aucun  delire,  il  salt  tres  bien  «  que 
X.  est  son  meiileur  ami  et  que,  s'il  etait  la,  il  se  garderait  bien  de 
le  toucher  »,  mais  cette  lutte  mat<^rielle  est  ie  symbole  d'une  lutte 
morale  ((  qu'il  devrait  faire,  s'il  avait  du  coeur  »  ;  elle  est  le 
r^sultat  d'efforts  inouVs  qu'il  se  sent  oblig^  de  faire. 

Quelquefois  les  crises  d'efforts  sont  plus  precises,  plus  syst6- 
matis^es  encore  et  se  rapprochent  des  tics.  Je  n'insisterai  pas  sur 
ces  nfialades,  hommes  ou  femmes,  qui  font  des  efforts  inouVs  pour 
arriver  a  la  perfection  dans  la  masturbation.  Je  prendrai  comme 
exemple  une  crise  d'efforts  qui  se  presente  asscz  fr^quemment  et 
qui  est  bien  typique.  Un  Homme  de  55  ans,  Qsa..,  comme  on  Tad^ja 
vu,  a  des  digestions  penibles  et  souvent  des  vomissements  plus  ou 
moins  volontaires  pour  decharger  Testomac,  vomissements  qui  se 
rapprochent  des  tics.  De  temps  en  temps,  a  la  suite  de  troubles 
pr^monitoircs  dont  je  parlerai  plus  tard,  il  sent  que  son  estomac 
le  tourmente  davantage  et  il  s'agite  de  toutcs  manieres,  il  a  des 
ruminations  mentales  sur  la  mort,  sur  ses  parents  qui  ne  Taiment 
pas  assez  ;  puis  il  marchc,  nc  peut  plus  tenir  en  place,  puis  il 
essaie  de  boire  un  peu,  il  suce  des  bonbons,  il  commence  a  secoucr 
son  estomac  par  des  spasmes  de  I'abdomen.  Puis  il  essaie  de  vomir, 
mais  il  pretend  s*y  ^tre  pris  trop  tard,  ne  plus  pouvoir  vomir  ou 
du  moins  ne  pas  vomir  assez  bien.  II  vomit  un  peu,  il  crache 
enormement,  mais  il  sent  que  ce  n'est  pas  sudisant,  quMl  serait 
gueri  s'il  pouvait  rendre  une  certaine  gorg^e  de  bile  qui  ne  vient 
pas.  Et  ce  sont  pendant  des  heures  d'epouvantables  efforts  pour 
vomir  cette  gorg^e  de  bile,  des  contorsions  de  tons  les  membres 
et  de  tous  le  corps.  Parvenus  a  ce  degre  les  efforts  different  a  peine 
de  ceux  de  Claire,  si  ce  n'est  que  de  temps  en  temps  il  y  a  un 
violent  mouvement  de  vomissement.  La  crise  peut  durer  une  nuit 
entiere,  elle  s'arr^te  soit  apres  un  petit  vomissement  quelconque, 
soit  par  Tc^puisement  du  malade  qui  finit  par  s'endormir.  Je 
relrouve  ces  crises  d'efforts  pour  vomir  chez  deux  autres  malades, 
en  particulier  chez  un  enfant  de  12  ans  qui  a  fait  de  grandes  crises 
semblables  toutes  les  fois  que  ses  parents  lui  faisaient  manger 
autre  chose  que  de  la  gelee  de  viande  et  des  pruneaux,  les  seuls 
aliments  qu'il  put  dig^rer  sans  crise. 


176  LES  AGITATIONS  FORCfiES 


2.  —  Les  crises  de  marche  et  les  crises  de  parole. 

J'h^site  a  rattacher  a  des  tics  ordinaires  des  ph^nomenes  de 
mouvement  plus  complexes  et  surtout  plus  prolonges  que  Ton 
rencontre  souvent  chez  les  memes  malades  dans  les  m^mes  cir- 
Constances.  Ces  malades  sont  troubles  a  propos  d'un  acte  ou 
d'une  idee  et,  au  lieu  de  se  livrer  a  des  recriminations  mcntales,  ils 
^prouvent  le  besoin  plus  ou  moins  irresistible  de  marcher. 

Leur  enervement  ne  se  calme  que  lorsqu'ils  ont  marchd  tres 
longtemps  sans  se  livrer  a  aucune  violence.  Nous  avons  vu  que 
Cha...  a  des  manles  de  recherche  et  d'interrogation :  il  a  ren- 
contre une  personne  qu*il  a  eu  le  malheur  de  regarder  avec 
attention,  immediatement  il  se  demande  a  qui  cette  personne  res- 
semble,  quel  est  le  nom  et  Tadresse  de  cette  personne  qui  lui 
ressemble ;  il  faut  qu'il  recherche  ind^finiment  ces  ressemblances 
et  ses  adresses.  Cette  recherche,  si  elle  u'aboutit  pas  tout  de 
suite,  se  transforme  en  une  agitation  qui  le  force  a  marcher  de 
long  en  large  dans  sa  chambre,  il  va  tourner  comme  un  animal 
en  cage  pendant  une  nuit  entiere  et  le  calme  ne  reviendra  que 
quand  il  tombera  6puise  de  fatigue.  Car...,  une  femme  de  28  ans, 
arrete  aussi  Tahgoisse  determin^e  par  Tid^e  de  la  folic  en  mar- 
chant  indefiniment.  Cr...  (io4),  homme  de  44  ans,  est  bouleverse 
par  la  moindre  Amotion  et  aussitcH  il  faut  qu'il  sorte  de  chez  lui 
et  qu'il  fasse  des  courses  6normes. 

Un  malade  de  M.  Souques  se  rapproche  de  ceux-ci :  apres  des 
crises  de  dipsomanie  ou  a  la  place  de  ces  crises,  il  ^prouve  le 
besoin  de  marcher  pendant  plusieurs  jours  et  rentre  6puise  V  II 
en  est  de  m^me  dans  un  cas  de  M.  Magnan.  Cc  sujet  interrompt 
ses  tics  par  de  grands  mouvements  et  par  de  grandes  marches '. 

Ic...,  age  de  18  ans^  presente  tout  a  fait  les  memes  symptomes, 
c'est  un  scrupuleux,  timide,  mecontent  de  ce  qu'il  fait.  II  se  met 
a  sa  table  de  travail  avec  Tintention  de  faire  un  travail  meilleur 
que  les  autres,  il  essayc  d*y  mettre  toute  son  attention.  Mais  cet 
effort  Tagace  et  Tagite,  il  ^prouve  un  besoin  invincible  de  mar- 
cher pour  se  calmer.  Aussi  sort-il  de  chez  lui  et  commence-t-il  a 


I.  Souques,  Impulsions  dipsomaniaqucs  prolongees  sous  forme ambulatoire.  Arch, 
de  neurologic,  189a,  II,  6t. 

a.  Magnan,  Sociele  nwdico-psychol.,  28  mai  i885. 


LES  AGITATIONS  MOTRIGES  DIFFUSES.  -  LES  CRISES  DAGITATION  177 

errer  dans  les  rues  de  Paris,  ii  ne  recherche  jamais  de  camarades 
et  satisfait  sa  manie  seul  comme  un  dipsomane ;  il  prend  tou- 
jours  ies  inemes  rues,  vieilles  et  solitaires  autant  que  possible  et 
il  tourne  dans  le  meme  quartier  pendant  cinq  ou  six  heures  puis 
il  rentre  calm^  et  satisfait. 

C'estla,  si  Ton  veut,  une  variety  des  fugues,  mais  c'est  une 
variety  assez  distincte.  Ce  n'est  pas  la  marche  en  avant  irraison- 
nec,  inconsciente  de  T^pileptique  vrai.  Ce  n'est  pas  la  fugue  hys- 
terique  pendant  un  ^tat  second  suivi  d'amn^sie:  le  malade  rentre 
tranquillement  chez  lui  sans  r6veil,  sans  surprise  et  se  spuvient 
en  general  assez  bien  de  tout  ce  qui  s'est  passe.  Ce  n'est  pas  non 
plus  tout  a  fait  Timpulsion  a  la  fuite,  ou  aux  voyages  que  Ton 
la  rencontre  chez  ces  in^mes  psychasth^niques  '  et  que  M.  Regis  a 
appelee  la  dromomanie.  Dans  ces  impulsions  il  y  a  une  idee  qui 
pousse  le  malade  vers  un  but,  il  pense  a  aller  vers  un  certain 
endroit,  a  fuir  le  travail  comme  on  Ta  vu  dans  une  des  observa- 
tions rapportdes  dans  le  premier  chapitre  de  cet  ouvrage.  Dans 
les  crises  que  j'etudie  ici,  il  n'y  a  pas  la  d'id6e  qui  determine 
la  marche,  d'obsession  qui  pousse  au  voyage,  c'est  la  marche 
pour  la  marche.  C'est  une  operation  forcee  que  le  malade  execute 
de  meme  qu'il  travaillait  dans  ses  ruminations  mentales. 

Dans  d'autres  cas  la  marche  est  remplacee  par  quelque  autre 
exercice  physique  egalement  exagere  et  inutile.  M.  Tissi6  a  d6- 
crit  a  ce  propos  des  cas  remarquables  de  manie  du  canotage 
chez  de  jeunes  psychastheniques  qui  ne  peuvent  resister  au  besoin 
irresistible  de  s'exciler  et  de  se  surmener  dans  les  sports  ^ 

On  pent  rattacher  a  ces  crises  de  marche  les  besoins  de  parler 
ou  meme  d'^crire  qui  prennent  les  malades  dans  les  memes  cir- 
constances.  Fy...,  (34)  femme  de  35  ans,sujet  remarquablea  bien 
des  points  de  vue,  a  des  obsessions  de  honte,  craint  de  devenir 
folle,  et  a  ce  moment  se  sent  agit^e  «  soulev6c  comme  une 
plume  ».  II  faut  qu'elle  aille  et  vienne  et  surtout  qu'elle  parle, 
qu'elle  parle  indefiniment  a  n'importe  qui,  qu'elle  racontc  ses 
peines  «  tout  ce   qu'il  ne  faudrait  pas  dire  ».  Elle  bavarde  ainsi 

I.  P.  Denomm^,  Les  impuhions  morbides  d  la  deambulation  au  point  de  vue  medico- 
legal. Th^se  de  Lyon,  1890.  Dubourdieu,  La  dromomanie  des  deyenerh.  Th^se  de 
Bordeaui,  189a. 

3,  Tissi^  (Bordeaux).  Un  cas  d'impulsion  sportive  ou  ludomanie.  Journal  de  me- 
decine  de  Bordeaux^  a6  janv.  189C,  p.  35. 

LES    OBSESSIONS.  I.    —    13 


478  LES  AGITATIONS  FORCEES 

toute  la  null  et  ne  se  calnie  le  matin  qu*en  dcrivant  une  vingtaine 
de  pages  de  son  journal.  Jean  cede  a  un  besoin  du  m6me  genre 
quand  il  vient  chez  nioi  el  me  supplie  «  simplement  de  Tecouter 
pour  Ic  soulager...  II  ne  pent  rien  dire  de  tout  cela  chez  lui,  cela 
rendrait  ses  parents  trop  malheureux  et  il  faut  qu'il  le  dise  »  et 
pendant  une  heure  et  demie  ou  deux  heures  il  parle,  il  parlc  sans 
s'arreter  un  instant,  sur  le  fou  rire  de  la  femme  de  chambre 
borgne,  sur  une  piece  de  deux  sous  qu'il  a  en  poche  et  qui  a 
ete  touch^e  par  une  femme,  ce  qui  met  des  fluides  dans  son 
pantalon,  sur  les  timbres-poste  qui  font  penser  a  la  politique  et 
au  personnage  qui  est  mort  apres  etre  reste  trois  quarts  d'heure 
avec  une  dame,  sur  un  petit  chien  qui  en  le  touchant  a  failli  lui 
gourfouler  la  verge..  ,  etc.,  etc.  »  II  se  sent  soulage  «  d^tendu  »» 
quand  il  a  (ini.  Peu  lui  importe  ce  qu'il  a  dit,  il  a  simplement 
epuis^  en  paroles  une  agitation  qui  n'arrivait  pas  a  se  depenser 
autrcment. 

3,  —  Les  crises  d' excitation. 

Enfin  les  agitations  motrices  peuvent  etre  encore  plus  diffuses, 
encore  plus  incoordonnees. 

Apropos  dequelqueelTort  impuissant  do  la  volont6ou  de  Fatten- 
tion,  ou  a  propos  d'une  legere  emotion,  les  voici  qui  se  levenl 
toutd'un  coup,  qui  renoncent  a  leur  travail  en  declarant  qu'ils  en 
sont  definitivemeiit  incapables  ou  meme  qui  interrompent  une 
manie  mentale,  une  rumination  interrogative,  parexemple,  et  qui 
se  livrent  a  une  agitation  d(^sordonnee.  Nadia  veut  essayer  de  me 
jouer  un  morceau  de  piano,  elle  s'arrete  au  bout  de  quelques 
mesures,  mecontente  d'elle-meme  et  recommence;  meme  arret  au 
meme  point,  meme  recommencement ;  puis  ellc  s'impatiente,  se 
livre  a  son  bavardage  ordinaire  de  formules  et  de  pactes  «  si  je 
ne  joue  pas  bien  ce  morceau  tout  entier,  je  veux  mourir  cesoir... 
si  je  ne  le  joue  pas  bien  c'est  a  cause  de  moi  que  ma  mere  est 
morte,  etc.  »  Maintenant  fagitation,  de  mentale  qu'elle  dtait  de- 
vient  physique;  la  malade  se  leve,  jette  sa  musique,  et  alors  la  voici 
qui  va  et  vient  dans  la  piece,  renversant  les  meubles,  jetant  les 
coussins,  cassant  les  vases.  Au  moment  le  plus  fort  de  sa  maladie, 
elle  brisait  beaucoup  d'objets  et  semblait  dans  un  etat  de  fureur 
maniaque,  en  apparence  dangereuse  a  approcher.  En  r^alit^  elle 
n'a  jamais  fait  de  mal  a  personnc,  et  m^me  elle  ne  brisait  que 
des  objets   insignifiants  ;  de  meme   que  Claire  dans    ses   crises 


LES  AGITATIONS  xMOTRlCES  DIFFUSES.  -  LES  CRISES  D* AGITATION    179 

d'efforts,  eile  restait  tottjours  capable  de  s'arreter  au  point  qui 
lui  semblait  necessaire  et  de  cesser  hrusquement  s'il  entrait 
une  personne  a  qui  elle  ne  voulait  pas  se  montrer  dans  cet  6tat. 
Ces  crises  d'agitation  ne  sont  pas  rares  chez  les  scrupuleux  et 
peuvent  se  presenter  sous  diflerentes  formes.  Chez  Tf...,  homme 
de  32  ans,  ce  sont  des  crises  de  tremblerlient  ou  «  un  bcsoin  fou  de 
casser  de  la  vaisselle  ».  Chez  Ho...  (99),  fillette  de  i3  ans,  cc  sont 
d'abord  des  tics  divers  qui  se  m<^lent,  se  r^petent  :  elle  met  les 
doigts  dans  son  nez,  ronge  ses  ongles,  se  frotte  le  venire,  puis 
des  contorsions  de  tout  le  corps,  puis  des  cris  de  toutc  espece 
qu'elle  ne  peut  pas  retenir,  dit-elle  »  c'est  comme  si  j'avais  le 
devoir  moral  de  me  secouer,  de  crier  ».  M.  Dubois  de  Saujon 
d^crit  de  meme  «  un  tiqueur  si  agit6  qu'on  eiit  pu  croire  a  une 
choree  suraigu^*  ».  M.  Pitres*  d^crit  aussi  des  tics  convulsifs 
generalises  qui,  dit-il,  ont  re^u  difTdrents  noms,  choree  electrique 
de  Henoch -Bergeron,  electroiepsie  de  Tordeus,  nevrose  convul- 
sive rhytmee  de  Guerlin.  Plusieurs  des  malades  precedents  pour- 
raient  ^tre  rapproches  de  ces  descriptions,  car  ils  ressembient 
ii  ce  moment  a  des  chor6iques  extremement  agit^s. 

D'autres,  comme  Lkb...,  femme  de  28  ans,  tourmcntee  par  une 
obsession  du  suicide,  Sy...,  femme  de  29  ans,  qui  a  une  obses- 
sion d'homicide,  Af...  (39),  Kn...  (37),  vont,  viennent,  sautent, 
gesticulent,  cricnt  et  cassent  tout;  puis  elles  finissent  par  sepr6- 
cipiler  sur  leur  lit,  ou  m^me  par  tomber  a  terre  et  se  tordent 
dans  tons  les  sens  comme  en  proie  a  une  grande  crise  convulsive. 

Dans  quelques  cas  la  ressemblance  de  ces  agitations  avec  une 
crise  d'hysterie  devient  si  grande  que,  a  la  simple  inspection,  le 
diagnostic  est  impossible.  Qes...,  obsed^e,  comme  on  Ta  vu,  par 
ridee  de  tuer  sa  mere,  pretend  r^sistcr  a  Tobsession  en  se  jetant 
par  lerre  et  en  faisant  des  contorsions.  Avant  qu'elle  n'entrat  a 
rhopital,  cet  acte  avait  visiblement  son  cachet,  on  voyait  bien 
qu'elle  ne  perdait  pas  conscience,  qu'elle  se  couchait  elle-meme 
par  terre  et  qu'elle  avait  des  contorsions  volontaires.  Dcpnis 
qu'elie  a  sejourn^  longtemps  dans  une  salle  oil  il  y  a  de  vraies 
hyst^riques  et  des  6pileptiques,  elle  a  perfectionne  son  procede 


1.  DuboiH  de  Saujon,  Societe  de  IhSrapeuliqaet  27  mars  1901. 

2.  Pilres,  Tics  convulsifs  generalises.   SocUtS  de  mSdecine  el  de  chirurtjie  de  Bor- 
deaux, 31  decembre  1900. 


180  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

et  je  mettrais  aujourd'hui  au  d6fi  un  observateur  stranger  de 
faire  Ic  diagnostic,  en  voyant  simplement  sa  chute  brusque  et 
ses  convulsions. 

Quoique  je  compte  reprendre  a  part  dans  un  chapitre  special 
le  diagnostic  entre  les  phenomenes  psychastheniques  et  les  troubles 
hysteriques,  je  rappelle  ici  ce  qui  distingue  une  crise  d'hysterle 
typique  de  ces  agitations  motrices  des  psychastheniques.  Ces 
malades  ne  perderit  jamais  conscience  d'^une  maniere  complete, 
ils  n'ont  pas  d'amn^sie  nette  apres  la  crise,  ils  sont  toujours  ca- 
pables  d'arreter  leur  crise  a  n*iraporte  quel  moment,  s'ils  en 
comprennent  la  n^cessite  ;  ils  n'ont  pas  d*automatisme  veritable, 
ils  n'assistent  pas  aux  phenomenes,  ils  les  font  eux-m^mes  ;  ils 
ont  conscience  de  faire  eflbrt  pour  produire  tons  ces  mouvements 
et  ils  se  sentent  simplement  pousses  a  les  faire.  Ces  caracteres 
sont  inverses  dans  une  crise  d'hyst6rie  qui  serait  typique.  Dans 
les  cas  incomplets  le  diagnostic  ne  peut  etre  fait  que  par  Tetude 
des  phenomenes  antecedents  et  de  toute  revolution  de  la 
maladie. 

Dans  tons  ces  mouvements  on  retrouve  facilement  les  caracteres 
essentiels  des  agitations.  Ce  sont  evidemment  des  mouvements 
exageres  et  inutiles:  il  n'y  pas  lieu  de  demontrer  que  ces  efforts, 
ces  excitations  sont  inadaptes  a  la  situation  donnee  et  inutiles, 
eomme  etaient  les  tics.  II  est  bon  de  rappeler  que  ces  mouvements 
sont  simples,  grossiers,  sans  delicatesse  et  sans  precision  reelle. 
Les  tics  representent  grossierement  un  acte,  mais  un  acte  execute 
d'une  maniere  tres  incorrecte;  les  marches,  les  crises  de  contor- 
sions  sont  des  mouvements  simples  sans  delicatesse.  N*a-t-on  pas 
remarquc  ce  petit  detail  que  Ic...  se  salit  beaucoup  plus  dans 
ces  crises  de  marche,  qu'il  ne  le  ferait  dans  une  promenade  exe- 
cutee  dans  des  conditions  normales.  On  remarquera  que  les  lies 
et  surtout  les  crises  d'cxcitation  donnent  lieu  a  des  mouvements 
symetriques :  les  deux  epaules  se  levent  en  meme  temps,  les  deux 
bras  frappent  a  la  fois  des  coups  de  poing  ou  se  tordent  de  la 
meme  maniere.  Ces  mouvements  symetriques  frequents  chez  les 
enfants  se  retrouvent  chez  les  sujets  fatigues,  comme  le  remar- 
quc M.  Fere  ils  indiquent  une  diminution  de  la  complexite  du 
mouvement,  une  sorte  de  decadence  motrice'.  II  est  trop  evident 
que  les  sujets  sont  capables  dans  d'autres  circonstances  de  mou- 
vements bien   plus  precis,    plus  adaptes  et  plus   delicats.    Nous 


LES  AGITATIONS  MOTRICES  DIFFUSES 


LES  CRISES  DAGITATION   181 


retrouvons  done  ici  le  troisieme  caractere  dejii  note  dans  les  agi- 
tations mentales,  le  caractere  injerieur  des  monvements  qui 
constituent  ces  agitations  motrices. 

Dans  ces  derniers  phenomenes  de  grande  agitation  motrice, 
les  efVorts  de  pensee,  les  ruminations  mentales  ont  beaucoup 
diminu^  quoiqu*il  en  subsiste  encore  des  traces.  On  voit  qu'une 
agitation  motrice  a  pu  remplacer  presque  completement  les  agita- 
tions mentales  precedentes.  Non  seulement  cette  agitation  mo- 
trice peut  prendre  dans  les  tics  une  forme  systematisee  analogue 
aiix  menies  mentales,  mais  elle  peut  prendre  une  forme  difTuse 
analogue  a  la  rumination  mentale  et  a  la  reverie  forct^e. 

On  peut  done  r^sumer  par  le  tableau  ci-contre  les  principales 
formes  des  agitations  motrices. 

LBS   AGITATIONS   FORCEBS   MOTRICES 


k  forme  systematisee, 
les  tics. 


i  forme  diffuse, 
les  agitations. 


les  tics 

de 

perfectionnement. 


les  tics 
de  defense. 


les  immobilites, 

les  ticsde  verification, 

—  de  pr^ision, 

—  do  symbole, 

—  d'impuhion, 

—  de  contraste, 

—  de  precaution, 

—  de  recommencement,  etc. 

les  tics  de  lutte, 

—  de  reparation, 

—  de  conjuration,  etc. 


les  crises  des  efforts, 
de  marche, 
—       de  parole, 
d'excitation. 


I  = 


I.  F^ri,  Revue  scientijique,  1890,  I,  816. 


182  LES  AGITATIONS  FORCfiES 


TROISIEME  SECTION 
LBS    AGITATIONS    EMOTIONNBLLES 


En  m6me  temps  que  se  developpent  ces  obsessions,  ces  in- 
nombrables  manies  mentales  et  ces  agitations  motrices  que  nous 
venous  d'enum^rer  se  presentent  chez  un  certain  nombre  de  ces 
memes  malades  des  troubles  emotionnels  qui  ont  une  tres  grnndc 
importance.  Les  sujets  les  mettent  souvent  au  premier  plan  parcc 
qu'ils  sont  tres  douloureux  et  plusieurs  parmi  les  auteurs  qui  ont 
^tudie  les  obsessions  sont  disposes  a  considerer  ce  symptome 
comme  ie  point  de  depart  de  tous  les  autres.  II  est  done  necessaire 
de  I'examiner  avec  quelque  soin, 

Ces  emotions  presentent  ie  caractere  general  de  ces  phenome- 
nespsychastheniques,  clless'imposent  au  sujet  sans  rapport  legi- 
time ni  avec  les  circonstances  ext6rleures  ni  avec  ses  propres  pen- 
sees,  elles  sontconsiderees  par  la  personne  meme  qui  les  <5prouve 
comme  exager^es,  inopportunes  et  absurdes.  Mais  Ie  malade  croit 
impossible  de  les  eviter,  il  ne  les  subit  pas  tout  a  fait  passivement 
comme  un  phenomene  purement  physique  qui  Ie  frappc,  il  s\ 
abandonne  avec  une  certaine  complaisance  parce  qu^il  croit, 
parce  qu'il  sent  qu'il  ne  peut  pas  faire  autrement.  Ce  sont  les 
caracteres  des  operations  forcees,  qui  se  retrouvent  dans  des  emo- 
tions comme  dans  des  caiculs  et  des  mouvements. 

Ces  emotions  qui  s*imposent  ont  presque  toujours  un  caractere 
desagreable,  elles  se  rapprochent  de  la  douleur,  de  la  tristesse  et 
de  la  peur.  Tantot  cette  peur  est  precise,  syst^matis^e,  elle  a  des 
caracteres  emotionnels  nets  et  s^accompagne  de  perceptions  et 
d'idt'cs  assez  precises  :  dans  ce  cas  les  agitations  6mottonnelles 
sont  syst^matisees  et  ont  recu  Ie  nom  d^algies  ("AXyo?,  douleur) 
ou  plus  souvent  de  phobies  (<&66o;,  peur),  tantot  elles  sont  diffuses 
sans  rapport  avec  une  pens^e  determin^e  et  elles  constituent  les 
angoisses.  Dans  notre  6tude  des  phobies  nous  rechercherons 
surtout  les  formes  precises  qu'elles  prennent  dans  tel  ou  tel  cas 
determine ;  dans  notre  etude  des  angoisses  nous  examinerons  les 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTCMATISEES    —  LES  PHOBIES    183 

phenomenes  generaiix  qui  constituent  ces  emotions  pathologiques 
et  qui  existaient  d^jii  plus  ou  moins  masques  dans  toutes  les 
phobies. 


i.  — Les  agitations  imotionnelles  systimatisies. 
Les  pbobies. 

Ces  emotions  forcees,  qui  prennent  une  forme  un  peu  speciale 
suivant  les  phenomenes  a  propos  desquels  elles  se  d^veloppent, 
paraissent  etre  innombrables.  Pendant  une  periodechaque  autcur 
decouvrait  une  phobie  nouvelle  et  la  baptisait  d'un  nom  grcc. 
On  inventa  ainsi  la  misophobie,  la  canophobie,  la  nosophobie, 
Tagoraphobie,  Tereutophobie,  la  microphonophobie,  la  peur  des 
petits  bruits,  Tamaxophobie  ou  peur  des  voitures,  la  siderodro- 
mophobie,  la  peur  des  chemins  de  fer,  la  dysmorphophobie,  la 
peur  des  diflbrmit^s,  la  triskaidecaphobie,  la  peur  du  nombrc 
treize,  etc.  Je  n'ai  pas  la  pretention  de  les  ^uum^rer  toutes  ;  il 
suflfit  d'indiquer  certains  groupes  ou  les  principales  se  rangent 
facilement  et  qui  servent  a  mettre  en  relief  certains  caracteres 
psychologiques. 

I.  Les  classifications  des  phobies. 

La  classification  de  ces  phobies  semblc  fort  difficile  puisque 
elle  a  ete  essayee  bien  des  fois  sans  qu^une  classification  se  soit 
imposee.  M.  Freud,  qui  a  beaucoup  etudid  ces  nevroses  d'an- 
goisse,  admet  trois  classes*:  i^  les  phobies  traumatiques,  relevant 
surtout  de  Thysteric;  2*^  les  phobies  communes,  peurs  exagerees 
des  choses  que  tout  le  monde  craint  un  peu,  la  nuit,  la  solitude, 
la  mort,  la  maladie  ;  3°  les  phobies  d*occasion,  agoraphobic  et 
autres  phobies  raaladives.  Le  premier  groupe  nenousint^resse  pas 
ici  et  d'ailleurs  se  rattache  a  de  tout  autres  phenomenes ; 
j^avoue  ne  pas  voir  nettement  la  distinction  des  deux  autres  grou- 
pes, les  agoraphobics  par  exemple  et  les  phobies  de  la  solitude 
me  paraissent  se  rapprocher  par  tant  d*intermediaires  que  cette 
distinction  n'a  guere  d*utilite. 

I.   Freud,  Revue  neurologique,  3o  Janvier  iSgb. 


18i  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

M.  R^gis  dans  son  manuel  de  medecine  mentale^  admettait  une 
classification  simple  d'apres  les  principaux  groupes  d'objets  qui 
donnent  naissance  a  la  phobic  :  i°  phobia  des  objets  (rupophobie, 
peur  des  objets  sales] ;  2^  phobie  des  lieux,  des  elements,  des 
maladies  (agoraphobie,  astrophobie,  bacillophobie) ;  3^  phobic 
des  etrcs  vivants  (zoophobie,  anthropophobie,  gynephobie).  Cette 
classification  est  conserv^e  dans  le  rapport  de  MM.  Pitres  et 
Regis  sur  les  obsessions ^  Elle  est  ^videmment  commode,  niais 
elle  est  purement  exterieure  et  ne  nous  apprend  rien  sur  les  ca- 
racteres  psychologiques  qui  sdparent  ccs  phobies  les  uncs  des 
autres. 

M.  Marrel  dans  sa  these  sur  les  phobies  ^  me  semble  avoir  fait 
une  tentative  interessante  en  essayant  de  les  classer,  non  d'apres 
les  objets,  mais  d'apres  le  trouble  mental  qui  se  produit  a  I'occa- 
sion  de  Tobjet.  II  admet  trois  groupes  :  i^  les  phobies  relatives  a 
un  trouble  sensoriel  de  la  sensibility  g^n6rale,  du  toucher,  de  la 
vue,  du  sens  musculaire,  de  Tou'ie,  du  go6t  ou  de  Todorat ;  2^  les 
phobies  relatives  a  un  trouble  de  la  perception  ou  de  Timagina- 
tion  ;  3^  les  phobies  relatives  a  un  trouble  dans  les  idees  ou  les 
sentiments.  L*id^e  me  semble  juste,  mais  il  me  semble  que  Tau- 
teur  ne  fait  pas  une  place  suflisante  au  trouble  des  actes  et  au 
trouble  des  sentiments. 

llln  essayant  de  combiner  la  classification  d^apres  la  nature  des 
objets  et  la  classification  d'apres  les  troubles  psychologiques, 
je  proposerai  d'admettre  4  groupes  :  i^  les  algies  ou  phobies 
du  corps  qui  ont  leur  point  de  depart  dans  le  corps  meme 
du  sujet  et  sont  d^terminees  surtout  par  des  troubles  a  propos 
des  perceptions  simples  ;  2^  les  phobies  des  objets  qui  ont 
leur  point  de  depart  dans  la  perception  des  objets  exterieurs 
et  sont  d^terminees  surtout  par  le  trouble  des  actions ;  3®  les 
phobies  de  situations  dans  lesquelles  le  trouble  emotionnel 
n'est  pas  determine  par  la  vue  d*un  objet  simple  mais  par  la  per- 
ception d'un  ensemble  de  circonstances  qui  constituent  la  situa- 
tion actucUe  du  sujet.  Le  trouble  existe  a  la  fois  dans  les  actes 
et  dans  les  sentiments;  k^  les  phobies  des  idees  oil  une  pen- 
see,  meme  abstraite,  suflit  pour  amener  Temotion  intense  et  dou- 

1.  Regis,  Manuel  de  medecine  menlale,  189a,  p.  270. 

2.  Pilres  el  Rc^is,  op.  c'U.,  p.  27. 

3.  Marrel,  Les  phobies ,  etude  sur  la  psychologic  pathologique  de  la  peur.  Thbse  d« 
Paris,  1895. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONlSELLES  SYSTfiMATISfiES    —  LES  PHOBIES    185 

loureuse:  rattention,  le  jugement,  la  croyance,  sont  suriout  en 
cause. 

2.  —  Les  algies. 

Beaucoup  de  psychastheniques  prcsentciit,  en  apparenCe  comme 
les  hyst^riques,  sur  certains  points  du  corps,  des  regions  dou- 
loureuses  oii  ils  ne  peuvent  supporter  aucun  contact,  ni  aucun 
mouvement.  Quand  on  effleure  ces  parties,  ou  quand  ils  doivent 
faire  fonctionner  ces  organes,  les  malades  semblent  ^prouver  des 
douleurs  etdes  troubles  tout  a  fait  enormes  et,  bien  entendu,  tout 
a  fait  disproportionncs  avec  la  modi6cation  operee ;  ils  ont  des 
troubles  de  la  circulation  et  de  la  respiration,  ils  sont  couverts 
de  sueur,  ils  se  contorsionnent,  reculent  avec  des  gestes  d'^pou- 
vante  et  poussent  des  cris  de  souffrance.  Ces  douleurs  dispro- 
portionnees,  ces  emotions  inopportunes  se  produisent  dans  deux 
circonstances  l^gerement  differentes.  Tant6t  elles  sont  a  peu  pres 
continuelles,  a  propos  d*une  partie  determinee  du  corps,  mc^me 
quand  cette  partie  reste  immobile:  ce  sont  les  algies  proprement 
dites.  Tantot  elles  ne  se  d^veloppent  qu'au  moment  oil  I'organe 
doit  entrer  naturellement  en  fonction,  ce  sont  les  phobies  des  fonc- 
lions.  U  est  evident  d'ailleurs  que  dans  bien  des  cas  ces  deux 
troubles  se  rapprochent  et  se  confondent. 

Nous  considerons  d'abord  le  phenomene  des  algies,  Leurct^ 
signalait  d^ja  une  jeune  fille  «  qui  se  croit  frapp^e  gravement  et 
qui  pousse  de  hauts  cris  quand  on  la  louche  sculement  du  bout  du 
doigt  ».  Legrand  du  SauUe  rapportait  I'observation  d'une  femme 
qui  avait  Tobsession  d*un  cancer  au  scin  et  qui  y  soufTrait  constam- 
ment*.  Les  observations  de  ce  genre  devinrent  bientot  trfes  nom- 
breuses  dans  les  ouvrages  de  Beard,  de  Charcot,  de  lluchard,  de 
Bouveret,  deVerneuil.Je  rappellerai  seulement  Farticle  int^ressant 
de  M.  Galippe  sur  les  obsessions  dentaires^.  Cet  auteur  decrit  toutes 
les  soufTranccs  terribles  qui  se  developpcnt  chez  certaines  per- 
sonnes  a  propos  de  dents  absolument  saines,  les  angoisses  d'une 
malade  <c  qui  sent  un  amoindrissement  de  sa  personnalite  »  parce 
que  Ton  veut  lui  faire  porter  de  fausses  dents;  il  insiste  sur  les 
cas  de  cancer  imaginaires  de  la  bouche  et  de  la  langue.  Ala  m^me 


I.  Leurei,  Fragments psjchologiques  sur  la  folic »  i84o  p.  86. 

3.  Legrand  du  Saulle,  FoUe  du  doute^  p.  a8. 

3.  Galippe,  Les  obsessions  dentaires.  Archives  de  neurologic,  1891,  I,  p.  i. 


186  LES  AGITATIONS  FORCtES 

^poque  M.  Paul  Blocq  reunit  justement  tous  les  phenomenes  de 
ce  genre  sous  le  nom  de  topoalgies,  «  Je  propose,  dit-il  \  de  de- 
signer sous  le  nom  de  topoaigie  une  variety  importante  de  neu- 
rasth^nie  monosymptomatique  dans  laquelle  on  constate  seu- 
lement  une  douleur  fixe,  localisee  dans  une  region  variable,  mals 
non  en  rapport  avec  un  district  aoatomiquement  ou  physiologi- 
quement  d^Iimite...  C'est  la  manifestation  clinique  de  la  per- 
sistance  d'une  image  sensitive  fixe,  analogue  dans  le  domaine  dela 
sensibilite  a  ce  qu'est  Tidee  fixe  dans  le  domaine  de  Tintelligence.  » 

On  trouve  de  telles  algics  sur  tous  les  points  du  corps.  L'ob- 
session  de  Her...  (6i),  semblable  a  celle  recueillie  par  Legrand 
du  Saullc,  nous  montre  une  telle  douleur  sicgeant  en  sein.  Cette 
femme  de  38  ans,  toujours  tres  impressionnable,  s'effraye  a  propos 
d'une  grossesse  ;  elle  i^prouve  au  cours  de  celle-ci  une  petite  g6ne 
au  sein,  s'en  inquicte,  le  regardc  ct  le  tatc  constamment.  Elle  con- 
suite  sottementdes  livres  de  mcdecine  et  finit  par  ressentir  des  dou- 
leurs  tres  p^niblcs  ct  angoissantes  au  moindre  contact  de  ce  sein. 
Mc...^,  qui  a  Tobsession  de  la  phtisie  presente  deux  regions  de 
la  poitrine:  Tune  en  avant  sous  la  clavicule,  Tautre  en  arriere  sous 
Tomoplate  a  droite  oii  elle  souflre  un  mal  bizarre,  <(  si  quelque 
chose  touche  ces  regions,  m6me  legeremenl,  je  me  sens  prete  a 
defaillir  et  a  etouHer  ».  Fik...  (i58)  femme  de  57  ans,  epouvantee 
par  un  diagnostic  absurde  d'angine  de  poitrine  conserve  une  ter> 
rible  algie  de  la  poitrine  au  niveau  du  c<Bur. 

Ja...  (5o),  qui  a  eu  de  telles  souiTranccs  pendant  longtemps  a 
Tuterus,  les  a  maintenant  «  sous  la  pcau  du  visage  ou  doit  circul^rr 
un  sang  corrompu  qui  procure  des  raideurs  et  des  tiraillemcnts 
horribles  ».  Divcrscs  sensations  cittanees  peuvent,  en  elfet,  de- 
venir  le  point  de  depart  de  ces  algies:  M.  Brocq  signalait,  sous 
le  nom  d'acarophobie,  une  dysesthesie  cutanee  avec  prurit 
intense  qu'il  rattachait  a  une  vesanie  par  idee  fixe'  et  M.  Thi- 
bierge  reunissait  sous  le  nom  de  dermatophobie  des  syraptomes 
varies  tels  que  la  peladophobie,  les  phobies  engendrees  par 
Therpes  genital,  la  syphiliphobie,  Tacarophobic  de  Brocq  *,   etc. 

1.  Paul  Blocq,  Siir  un  syndrome  caractorise  par  de  la  topoaigie,  ncuraslhenie  mo- 
nosymptomatique a  forme  douloureuse.  Gazette  hebd.  de  med.  et  de  chir.,  mai  1891. 

2.  iSevroses  et  ideesjixes^  II,  p.  28^. 

3.  Brocq,  Journal  do  mcdecine  et  de  chirurgie  pratiques,  1895,  p.  QO. 
3.  Thibierge,  Dcrmatophobies.  Pressc  niedicnle,  QJuillet  1898. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATISEES.  -    LES  PHOBIES    187 

Qnelquefois  ces  douleurs  soot  ititerpretees  par  les  malades 
qui  disent  eprouver  toutes  sortes  de  sensation's  bizarres.  Une 
malade  de  M.  Hirschberg,  tout  en  se  rendant  compte  de  son  etat 
et  en  trouvant «  ses  sensations  ineptes  »  ne  pcut  s'empechcr  de 
sentir  des  a  greuouilles  qui  se  promcnent  dans  son  dos,  des  lan- 
gues  d'animaux  degoi!ktants  qui  la  lechent,  des  vers,  des  intestins 
pourris  qui  glissent  le  long  de  son  dos  *.  » 

Les  algies  de  la  tSte  forment  un  groupe  int^ressant,  elles  se 
rattachent  naturellcment  aux  cephalees  qui  existent  si  frequem- 
ment  chez  tous  ces  malades.  Mais  eiles  ajoutent  a  ces  cephalees 
ordinatres  une  ^norme  exag^ration  de  la  douleur  et  des  troubles 
emotionnels  repartis  dans  tout  Torganisme.  Cl...  (57),  femme  de 
28  ans,  se  frotte  constamment  le  vertex  au.  point  qu'elle  a  use  les 
cheveux  a  cet  endroit  et  que  le  sommet  de  la  t6te  est  denude: 
son  aigie  de  la  tete  est  presque  constante.  Au  contraire  Talgie  de 
la  t^te  chez  Box...  (58),  femme  de  5o  ans,  se  pr^sente  par  crises 
qui  ne  durent  que  quelques  heures  ou  quelques  jours.  Elle  porte 
alors  attache  sur  la  tete  un  enorme  paquet  d'ouate,  destin6  a 
calmer  la  douleur  et  a  eviter  les  plus  lagers  attouchements.  En 
outre  elle  se  tient  constamment  debout  la  tete  appuyee  en  arriere 
contre  un  mur  destine  a  la  soutenir  «  sans  quoi  elle  tomberait 
avec  une  enorme  douleur  »  il  y  a  tic  et  torticolis  mental  en  m^me 
temps  que  algie. 

J'ai  d^ja  decrit  dans  le  second  volume  des  n^vroses^  le  cas  de 
Bi...,  femme  de35  ans,  qui  s'est  cogne  le  coude  et  qui  a  ressenti 
lyusquement  la  douleur  classique  au  petit  doigt  par  Tirritation 
du  cubital,  cette  douleur  Fa  impressionnee  vivemcnt  et  dorena- 
vant  pendant  des  annees  elle  nc  pent  ressentir  un  contact  au  petit 
doigt  sans  Eprouver  une  angoisse.  Le  cas  de  Van...,  femme  de72 
ans,  est  analogue :  elle  s*est  fait  il  y  a  iSniois  une  coupure  au  petit 
doigt,  et  depuis  ce  moment  elle  se  plaint  perp6tuellement  de  ce 
doigt  qui  ne  pr^sente  aucune  lesion,  a  S'il  fait  chaud  ce  doigt  a 
une  temperature  insupportable,  s'il  fait  froidil  refroidit  tout  son 
corps.  »  Elle  eric  toute  la  nuit  comme  si  ce  petit  doigt  la  torturait, 
pendant  la  journee  elle   se  cache  dans  un  coin  pour  pleurer  sur 


1 .  K.  Hinchberg,  N^vrose  paresthesique  chez  une  dcgcnerde.  Reviie  neurologique, 
i89'4. 

2.  Nevroses  et  Idees  Jixes,  II,  p.  3o5. 


188  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

son  petit  doigt.  A  table  elle  prend  un  couteau  et  fait  semblant  de 
voulolr  se  couper  ce  petit  doigt ;  puis  elle  va  au  travers  de  I'appar- 
tement  comme  une  folle  et  menace  de  se  jeter  par  la  fenetre  pour 
ne  plus  sentir  son  petit  doigt.  Une  autre  femme  de  34  ans, 
impressionn^e  parce  qu*elle  a  appris  qu'une  cousine  avait  de  Ten- 
flure  aux  jambes,  conserve  une  douleur  angoissante  a  la  jambe 
droite  et  ne  veut  plus  marcher  sans  envelopper  cette  jambe 
d^^nornies  couches  de  coton. 

On  devine  que  les  organes  genitaux  vont  devenir  le  siege 
de  predilection  de  pareilles  douleurs  angoissantes.  J'ai  publie 
avec  M.  Raymond  une  observation  remarquable  a  ce  sujet*,  il 
s'agit  d'un  pretre  qui  apres  avoir  eutendu  parler  d'un  aduitere 
surprenant  reste  obsede  par  la  pensee  des  rapports  genitaux.  II 
avait  constamment  dans  Tesprit  la  pensee  et  mcme  Timage  de  ces 
deux  amants  dans  les  bras  Tun  de  Tautre.  Au  bout  d'une  annee, 
rimagese  simplifia,  mais  pour  devenir  plus  bizarre  et  plus  genante 
encore.  II  nepensaitetne  voyaitplusque  les  organes  genitaux  femi- 
nins,  il  ne  pouvait  voir  une  femme,  parler  a  une  femme,  n'importe 
Iaquelle,sans  qu'il  futconvaincu  de  voir  ses  organes  genitaux  sous 
ses  vctements.  Au  bout  de  bien  des  annees,  il  constata  un  nou- 
veau  changemeut  dans  la  forme  de  la  maiadie.  «  A  force  de  rai- 
sonner  la  chose,  j'ai  commence  a  penser  a  mes  propres  organes 
^exuelset  non  plus  a  ceux  de  la  femme.  Mais  cette  preoccupation 
amena  un  autre  d^sagr^ment,  elle  produisit  bientot  une  irritation 
physique  et  developpa  une  hypersensibilit^  du  penis  et  du  scro- 
tum tres  d^sagreablc.  »  Le  meme  malade  en  arriva  quinze  ai^s 
apres  le  debut  a  une  derniere  forme.  II  pensc  constamment  que 
ses  organes  genitaux  sont  appendus  a  son  corps  comme  un  corps 
etranger  et  ne  lui  appartiennent  pas  ;  il  ne  sait  plus  si  c'est  lui 
qui  a  conscience  des  impressions  faites  sur  eux.  Mais  il  n'en  res- 
sent  pas  moins  une  angoisse  horrible  au  moindre  contact. 

Les  algi^s  jpuent  un  role  important  dans  Thistoire  de  Jean  : 
il  a  des  (luides  qui  lui  courent  dans  le  dos  quand  il  tourne  le  dos 
au  pays  oil  se  trouve  Charlotte.  II  a  des  (c  plaques  d'hype* 
resth^sies  »  sur  les  regions  des  jambes  qui  dans  le  tramway  ont 
^td  frolees  par  la  robe  d'une  dame.  Mais  surtout,  il  a  abomina- 
blement  soufTcrt  pendant  six  ans  d^une  maiadie  invraisemblable 

I.  ^e\)roses  et  Idies  fixes ^  il,  obs,  48,  p.  i6a. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATISfiES.  —  LES  PHOBIES    189 

du  gland  et  des  testicules.  A  la  suite  des  masturbations  et  des 
lerreurs  qu*elles  engendrerent  il  se  mit  a  souffrir  du  gland,  sur- 
tout  quand  celui-ci  ^tant  a  d^couvert  pouvait  frotter  contre  les 
v^tements  ou  avait  simplement  «  un  frottement  psychique  » 
contre  le  robe  d'urte  dame.  Get  organe  servait  de  point  de  depart 
a  des  angoisses  epouvantables  :  pour  le  gu^rir  il  usa  de  tous  les 
onguents,  puis  il  voulut  le  maintenir  constamment  couvert  par 
le  prepuce  qui  malheureusement  reculait ;  pour  faire  descendre 
le  prepuce  sans  y  toucher,  ce  qui  eiit  ^te  dangereux,  il  imagina 
de  le  faire  descendre  par  une  secousse  du  ventre.  Cette  secousse 
perpetuellement  rep^tee  irrita  les  testicules  qui  devinrent  a  leur 
tour  le  point  de  depart  d*angoisses  et  le  pauvre  gargon  fut  horri- 
blement  malheureux. 

Chez  les  fenimes,  ces  algies  des  orgones  genitaux  sonl  encore 
plus  dangereuses  que  chez  les  hommes,  car  elles  donnent  lieu, 
bien  trop  souvent  encore  aujourd'hui,  a  de  dangereuses  opera- 
tions chirurgicales.  Vr...  (55),  apres  avoir  tromp^  son  mari, 
a  de  grands  remords  et  de  grandes  craintes ;  son  inquietude 
m^lee  a  Tid^e  d'une  maiadie  qu'elle  a  d'abord  pretext^e  pour 
refuser  de  s'enfuir  avec  son  amant,  determine  cette  douleur  aux 
parties  genitalcs  et  aux  ovaires  :  elle  reste  huit  mois  sur  son 
lit  sans  consentir  a  faire  le  moindre  mouvement  des  jambes  ou  du 
tronc.  II  faut  la  chloroformer  pour  pouvoir  palper  son  ventre  et 
on  se  decide  a  une  operation  chirurgicale  qui  perraet  simple- 
ment de  constater  des  organes  parfaitemeut  sains. 

II  faut  placer  a  cot^  de  ces  algies  g^nitales  les  algies  de  la  i^essie 
et  de  Vuretre  si  fr^quentes  surtout  chez  Thomme  et  caus^es  le  plus 
souvent  par  les  craintes  des  maladies  veneriennes.  Cpt...  (56),  par 
exemple,  un  homme  de  48  ans,  soufTre  depuis  vingt  ans  de  son 
uretre,  quoique  d'innombrables  examens  qui  ont  ^te  faits  n'aient 
jamais  pu  decouvrir  aucune  lesion  :  il  croit  avoir  des  pertes  s^mi- 
nales  que  Ton  n'a  jamais  pu  constater.  «  II  y  a  la  une  fuite  par 
laquelle  toute  mon  cnergie  s'en  va.  w  Beaucoup  d'autres  ont  «  des 
brililures  et  des  epuiscments  dans  le  canal.  »  J'ai  observe  bien 
souvent,  surtout  chez  des  hommes,  dc  terribles  algies  de  la  vessic, 
presque  toujours  accompagnees  du  lie  de  la  pollakiurie.  «  lis 
soufTrent  constamment  comme  des  damnes  »  et  ne  sont  soulages 
un  instant  qu'en  urinant  ou  en  essayant  d'uriner  toutes  les  cinq  mi- 
nutes, lis  vont  se  faire  sonder  par  tous  les  sp^cialistes,  «  pour 


190  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

que  i'on  trouve  Ic  cnlcul  »  bien  heureux  quand  ils  n^ajoutcnt  pas 
ainsi  line  cystite  infectieuse  a  leur  algie. 

Enfin,  on  est  etonne  d'apprendre  que  les  allies  de  Vqnus 
occupent  constamment  certains  esprits.  Lf...  (92),  une  femme  de 
/|6  ans,  nous  avoue  que  »  depuis  bien  des  annces  son  anus  a  joue 
le  principal  r6le  dans  son  existence.  »  De  petttes  hemorroides  sont 
d'ordinaire  le  point  de  depart  de  ces  preoccupations  et  de  ces 
algics.  Quelquefois  eiles  s'accoinpagnent  de  tics  coninie  chez  Bhu. .. 
(54),  femme  de  ^3  ans,  qui  depuis  des  annees  «  ne  consentait  a 
s*asseoir  que  sur  une  seule  fesse  »  et  qui  depuis  six  mois  ne  veut 
plus  s*asseoir  du  tout. 

Comnie  j'ai  souvent  essaye  de  le  d^montrer,  par  I'etude  des 
ph^nomenes  hyst^riqucs,  Ic  corps  humain  se  divise  en  regions 
psychologiques  aussi  bien  qu'en  regions  anatomiques,  ce  sont  des 
rc^gions  constituees  dans  la  conscience  par  Tassociation  fonction- 
nelle  des  diverses  sensations  qui  proviennent  de  ce  point  du  corps 
ou  qui  s'y  rattachent,  qu'une  certaine  unite  anatomique  dans  un 
centre  certical  special  corresponde  ou  non  a  cette  unite  psycho- 
logique  qui  fait  la  region  psychologique ;  chacune  de  ces  regions, 
du  bras,  du  cocur,  des  parties  genitales,  etc.  est  susceptible  de 
devenir  le  point  de  depart  d^une  de  ces  algies. 

3.  —  Les  phobies  des  fond  ions  corporelles. 

Les  phobies  des  fonctions  sont  des  phc^nomenes  tres  voisins.  IjC 
type  peut  6trc  Vakinesia  algera  de  Mosbius  dont  Zr...  (60), 
femme  de  47  ans,  offre  un  exemple  des  plus  nets.  Son  bras  et 
son  t^paule  sont  en  r^alit^  intacts  et  ne  pr^sentent  ni  paralysie,  iii 
contracture,  mais  elle  a  la  lerreur  des  mouvements  de  T^paule  et 
n'ose  plus  rcmuer  les  bras  a  cause  des  angoisses  qu'elle  ressent 
si  Tepaule  est  mise  en  mouvcment.  J'ai  d^ja  decrit  un  fait  ana- 
logue relatifaux  mouvements  de  la  jambe  et  de  la  cuisse  \ 

On  peut  rattachcr  a  ces  phobies  du  moiivenient  des  memhres 
certains  cas  de  crampc  des  ecrivains  dans  lesquels  on  note  raoins 
un  tic  localise  a  la  main  et  au  bras  qu'un  etat  emotif  general, 
une  angoisse  avec  trcniblement,  suffocation  et  palpitations  car- 
diaques  des  que  le  malade  veut  essayer  d'ecrire. 

On  peut  y  rattacher  aussi  les  diverses  basophobies  decrites  par 

I.  Nevroses  et  idies  fixes,  II,  3ii. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATISfiES    -  LES  PHOBIES    101 

Seglas  et  Biswanger^  Quelquefois  elles  se  ddveloppcnt  a  la  suite 
de  paralysies  plus  ou  moins  reelles,  comme  dans  unc  obser- 
vation de  M.  Grasset';  le  plus  souvent  elles  ne  s'accompagnent 
d'aucun  trouble  reel  du  mouvement.  Fou  (72),  homme  de  58  ans, 
s'est  effray^  de  la  marche  parce  que,  pour  se  rendre  h  Tatelier, 
il  doit  longer  un  fosse.  II  n'a  pas  simplement  la  peur  du  fosse 
ou  la  peur  des  grands  espaces  a  traverser:  non,  il  a  peur  de 
marcher  n'importe  ou,  il  avance  a  tout  petits  pas,  en  tr6pidant, 
il  recule  d*un  pas  de  temps  en  temps,  puis  il  tombe  ou  plutot 
il  s'asseoit  par  terre,  «  car  la  marche  lui  donne  des  sueurs  froides 
et  il  faut  qu'il  se  repose  ». 

Enftn  il  me  semble  que  Ton  pent  ranger  dans  le  meme  groupe 
de  phobies  des  fonctions  des  membres,  la  singuliere  aOfection  qui 
a  ^le  r6cemment  decrite  par  M.  Haskovec  de  Prague  sous  le  nom 
de  akathisie  (a,  y.aOtCw,  s'asseoir)'.  J'en  decrirai  longuement  dans 
le  second  volume  de  cet  ouvrage  un  cas  remarquable,  celui  de 
Rul  (3g)  homme  de  /|0  ans  qui  depuis  une  dizaine  d*ann^es  ne 
pent  plus  rester  assis.  Quand  il  est  assis  depuis  quelques  mi- 
nutes, il  faut  qu'il  se  cramponne  a  la  chaise  parce  qu'il  se  sent 
souleve  en  Tair,  il  a  des  palpitations,  des  ^touffements,  des  sueurs 
surprcnantes  :  son  visage  exprime  Tangoissc  d*une  maniere  remar- 
quable. A  mon  avis,  il  ne  s'agit  pas  d'un  ph^nomene  hyst^rique 
analogue  a  Tastasie-abasie,  comme  le  pense  M.  Haskovec,  mais 
d\ine  agitation  a  la  fois  motrice  et  cmotionnclle  qui  survient  a 
propos  de  Tacte  de  rester  assis,  parce  que  cette  position,  au  moins 
dans  ce  cas,  est  associee  avec  Tid^e  du  travail  dont  ce  pauvrc 
homme  est  devenu  incapable.  C'est  un  phcnom^ne  de  phobic  et 
d'agitation  qui  peut  se  ranger  dans  les  phobies  des  fonctions. 

Les  fonctions  de  nutrition  donnent  lieu  a  d'innombrables  pho- 
bies tres  importantes  a  cause  de  leurs  cons<^quences.  J^ai  deja  si- 
gnale  a  propos  de  la  honte  du  corps  ces  maladcs  qui  refusent  de 
manger  parce  que  cette  action  leur  parait  honleuse.  D'autres  re- 

I.  Seglas,  Deliove  ct  Houlioche,  Soc.  med.  des  hopilnux,  17  novembre  iSgS.  L. 
Ilallion  ct  J,-B.  Charcot,  D^sbasies  d'origino  nerveuse.  Archives  dc  neurol.,  1895,  I, 
p.  81.  G.  Ballel,  Les  aslasics-abasies,  ebasics  amnesiques,  abasles  par  obsession  ct 
|iar  id^s  fixes.  Semainc  medicale,  la  Janvier  1898. 

a.  J.  Grassct,  Basophobie  ou  abasie  pbobiquc  cbcz  un  heiniplegiqiie.  Semaine 
midicale,  i5  aoiU  iSg^*  p.  366. 

3.  L.  Haskovec  (Prague).  L'akalbisie,  Revue  neurolotjique,  3o  novembre  1901, 
p.   1107. 


i92  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

fusent  de  manger  ct  se  condamnent  presque  a  rinanition  parce 
que  cette  action  leur  est  douloureuse  et  leur  fait  peur.  Te...  (66), 
jeune  fille  de  i8  ans,  sans  phenomenes  d'anorexie  hyst^rique,  ne 
pent  parvenir  a  manger  quoiqu'elle  le  desire,  a  Quand  je  vois  les 
aliments,  quand  j'essaye  de  les  porter  a  ma  bouche,  eela  se  serre 
dans  ma  poitrine,  cela  me  fait  ^toufler,  cela  me  brfile  dans  le 
co^ur.  II  me  semble  que  je  meurs  et  surtout  que  je  perds  la 
tete.  » 

Dans  ce  groupe,  Tobservation  de  Gel...  (67),  femmede  /j8  ans, 
est  assez  singuli^re.  Ordinairement,  les  maiades  ont  peur  de 
manger  et  repousscnt  plus  ou  moins  les  aliments.  Celleci  a  peur 
de  ne  pas  manger  assez,  elle  a  peur  de  refuser  de  manger.  Vers 
Fage  de  21  ans,  elie  a  eu  un  premier  acces  sous  la  forme  com- 
mune du  refus  d'aliments :  apres  avoir  sevre  un  enfant,  elle  avait 
eu  des  inquietudes,  des  remords,  des  troubles  de  la  digestion. 
Moitie  parce  qu'elle  avait  des  remords,  moitie  parce  qu'elle 
soudrait  de  Testomac,  elle  commenca  a  refuser  Talimentation  et 
a  avoir  de  I'horreur  et  de  Tangoisse  en  essayant  de  manger.  Cetle 
maladie  se  gu^rit,  puis  recommenca  et  disparut  encore.  Le  troi- 
sieme  acces  qui  est  survenu  au  moment  de  la  menopause  est  tout 
a  fait  rinverse  des  precedents.  Le  malade  mange  parfaitement,  ma!s 
elle  a  peur  que  sa  maladie  ne  la  reprenne,  qu'elle  soit  empech^e  de 
manger  par  une  peur  et  qu'ainsi  elle  n'arrive  a  mourir  de  faim  ; 
il  en  rcsulte  qu'elle  mange  avec  angoisse  par  la  peur  d'avoir  peur 
de  manger. 

Une  des  phobies  des  plus  curieuses  et  semblet-il  pratiquement 
des  plus  importantes  qui  se  rattache  aux  fonctions  de  nutrition, 
est  la  phobic  de  la  d<l»glutition.  On  en  trouvera  plusicurs  obser^'a- 
tions  detainees  dans  le  second  volume  de  cet  ouvrage,  je  signale 
en  particulier  Tobservation  de  Fok...  (69),  femme  de  4o  ans;  de 
Rib...  (68),  femme  de  29  ans,  de  Les...  (70),  homme  de  4o  ans,  chez 
tons,  les  phenomenes  sont  exactement  les  memes.  Ces  maiades  qui 
ont  faim,  qui  digerent  bien  et  qui  veulent  se  nourrir  ne  peuvent 
y  parvenir  parce  qu'ils  ont  la  terreur  d'avaler  la  nourriture.  lis 
croient  qu'ils  vont  avalcr  de  travers,  qu'ils  vont  s'etouBer  et  mourir 
subitement,  ils  imaginent  des  proc^des  pour  avaler  dans  la  per- 
fection et  sans  danger.  Pour  cela  il  est  necessaire  de  continuer  a 
respirer  en  avalant,  de  respirer  juste  au  moment  oil  Ton  avale,  etc. 
Dans  ces  conditions,  il  n'cst  pas  surprenant  qu'ils  n'arrivent  a 
rien  :    la  moindie   gorg^e  de  liquide  dans  la   bouche  leur  cause 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATIs1EE?*^LES  PHOBIES   i93 

d*intoI^rables  angoisses  et  leur  am^ne  des  sueurs  fi:oides  sur  tout 
le  corps.  lis  ne  peuvent  se  nourrir  qu^en  absorbant  un  liquide 
goutte  a  goutte  et  Fok...  met  une  journ^e  entiere  pour  absorber 
deux  jaunes  d^oeuf  d^lay^s  dans  une  cuiller^e  de  jus  de  viande. 

Ensuite  on  observe  les  phobies  de  la  digestion,  Le  moindre 
trouble  de  la  digestion,  la  moindre  pesanteur  d'estomac  cause 
des  angoisses  et  ces  malades  ont  cc  ia  mort  devant  les  yeux  » 
quand  il  leur  arrive  d*avoir  un  peu  de  pyrosis.  Une  forme  cu- 
rieuse  de  ce  trouble  determine  des  douleurs  a  la  (in  de  la  diges- 
tion, surtout  la  nuit  et  reveille  les  malades  par  une  crise  de  ter- 
reur  qui  survient  en  g^n6ral  vers  une  heure  du  matin.  Lyx..., 
femme  de  28  ans,  se  reveille  a  cette  heure  toutes  les  nuits :  pale, 
les  yeux  hagards,  elle  se  contorsionne,  pretend  avoir  d'horribles 
douleurs  qui  partent  de  Testomac  et  attend  sa  mort  prochaine. 
Dans  d'autres  cas  plus  communs,  Tangoisse  se  d^veloppe  meme 
dans  la  journ6e  a  propos  de  toutes  les  digestions.  Qsa...  (108) 
homme  de  55  ans,  scrupuleux  typique  depuis  son  enfance,  qui  a 
traverse  a  peu  pres  toutes  les  phases  de  la  maladie,  est  surtout 
tourmente  depuis  une  dizaine  d'ann^es  par  la  phobic  de  la  diges- 
tion. A  rinverse  des  malades  precedents  qui  ont  la  phobic  de 
Talimentation  ou  la  phobie  de  la  deglutition,  il  a  le  d^sir  de  man- 
ger et  c(  mange  tout  ce  que  Ton  veut  lui  donner  »  ;  ilvoudraitmeme 
continuer  a  manger,  car  ses  tourments  ne  vont  commencer  qu*au 
moment  oil  il  cesse  de  manger.  A  ce  moment,  Testomac  s'agite, 
se  gonfle,  se  tortille  «  la  masse  alimentaire  remue  comme  dans 
un  sac,  tous  les  membres  sbnt  brisks  et  remplis  d'inquietudes, 
le  moindre  mouvement  tire  sur  Testomac  comme  si  tous  les 
muscles  y  avaient  leur  point  d'attache,  les  yeux  sont  retires  a 
rinterieur  du  cerveau,  toutes  les  pens^es  sont  teint^es  de  souf- 
frances,  etc.  »  Ces  troubles  s'accompagnent  chez  ce  malade  de 
tics,  il  a  le  tic  de  sucer  quelque  chose  pendant  qu*il  digere,  et 
fait  une  consommation  invraisemblable  des  boules  de  gomme, 
enfin  il  pr^sente  le  tic  des  vomissements  qui  a  deja  ct^  decrit.  Si 
on  le  force  a  retarder  le  vomissement,  Tangoisse  augmente  avec 
agitation  motrice  et  agitation  viscerate  et  peut  amener  dans  les 
cas  grave  une  crise  que  j'ai  d^crite  sous  le  nom  de  la  crise  des 
efforts  de  vomissement.  Les  m^mes  ph^nom^nes  s'observent  chez 
beaucoup  d*autres  malades,  car  ces  phobies  de  la  digestion  sont 
par  mi  les  plus  fr^quentes. 

La  digestion  intestinale  cause  les  phobies  du  ventre^  les  sensa- 

L£8  OBSESSIONS.  I.    —    1 3 


104  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

tions  <c  d'un  ver  qui  a  des  pattes  d'araignee  qui  se  pelotonne 
avec  des  glissements  froids  ». 

Enfin,  Hil...,  femme  de  4o  ans,  nous  montre  la  phobie  de  la 
defecation,  «  Elle  va  s'en  aller  en  diarrhee,  elle  va  perdre  ses 
aliments,  elle  souOTre  tant  a  cette  pens^e  qu'elle  aime  mieux 
mourir  tout  de  suite  que  d'aller  a^la  selle.  »  Rt  il  Taut  les  sup- 
plications de  toute  la  famille  pour  la  decider  a  ce  sacrifice.  Les 
hypocondriaques  urinaires  et  genitaux  sont  innombrables  et 
presque  toujours  leurs  obsessions  s^accompagnent  de  phobie  de 
la  fonction,  il  est  inutile  d^y  insister. 

On  peut  observer  des  phobies  plus  curieuses  portant  sur  les 
fonctions  de  relation.  On  connait /^«  phobies  dii  langage^,  Bq.  . 
(65),  homme  de  38  ans,  est  soign^  depuis  cinq  ans  pour  de  preten- 
dues  lesions  du  larynx :  il  a  ^td  dans  plusieurs  villes  d'eau,  il  a  suhi 
toutes  sortes  de  traitements.  C'est  que  depuis  des  annees  la  parole 
lui  est  de  plus  en  plus  didScile;  qutind  il  essaye  de  parler,  il  ressent 
une  faiblesse  g^nerale,  ses  jambes  flageolent^  sa  respiration  s'arr^te 
et  son  corps  se  couvre  de  sueur.  Aussi  n'assaye-t-il  jamais  de  parler 
quand  il  est  debout,  car  il  tomberait.  11  rattache  tons  ces  troubles 
a  des  lesions  tuberculeuses  qu'il  doit  avoir  dans  la  gorge.  I/exa- 
men  le  plus  attentifque  M.  Cartaz  a  bien  voulu  rep^ter  demontre 
que  le  larynx  est  absolument  sain.  Un  peu  de  pharyngite  surve- 
nue  il  y  a  des  annees  et  Tinquietude  causee  par  son  metier  de 
m^canicien  «  qui  Texpose  aux  poussieres  du  charbon  »  ont  deter- 
mine la  forme  de  cette  phobie. 

Les  sens  speciaux  sont  susceptibles  de  presenter  les  memes 
angoisses  et  les  memes  dyscsthcsies.  Uodorat  devient  penible 
quand  Todeur  s'associe  avec  une  des  manies  des  scrupuleux. 
Big...  (6),  femme  de  /jg  ans,  a  peur  de  sentir  une  odeur  surtout 
de  la  narine  gauche,  car  ccla  lui  donnerait  des  angoisses.  Wy.-- 
(i64)  craint  les  odeurs  qui  toutes  rappellent  Todeur  des  parties 
g^nitales,  et  Ds...  (i5/j),  femme  de  21  ans,  aurait  des  angoisses  si 
elle  sentait  une  odeur  »  car  pour  sentir  il  faut  aspirer  par 
le  nez  et  cela  fait  mouter  dans  le  nez  des  petiles  betes,  des 
mouches,  des  punaises  qui  iraient  jusqu'au  cerveau  ».  Elle  est 
obligee  pour  compenser  une  odeur  de  se  moucher  ind^finiment. 

I.  Cf.  Clier\in,  Des  phobies  verbales.  Paris,  1895. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATISfiES.  -  LES  PHOBIES    195 

L'oiile  est  int^ress^e  bien  souvent  dans  toutes  Ics  phobies  des 
bruits.  Ot...  (75),  hommc  de  53  ans,  retire  des  afiairesy  prend  en 
degoikt  son  appartement,  son  quartier,  se  sent  6motionn^  par  le 
bruit  qu'on  y  entend  et  en  arrive  a  une  terrible  dyscsth6sie  de 
TouVe.  II  lui  faut  vivre  dans  une  chambrematelass^e  pour  qu'aucun 
bruit  ne  parvienne  jusqu'a  lui.  Chez  Bow...  (76)  s'ajoute  un  detail 
particulier  :  tous  les  bruits  n'aSectent  pas  douloureusement 
Toreille,  mais  seulement  les  petits  bruits  :  bruit  d^un  fouet  dans 
la  rue,  bruit  d'une  porte  qui  se  ferme,  c'est  la  microphonophobie. 
On  retrouve  ici  Tattention  des  scrupuleux  pour  les  petites  choses 
que  nous  avons  not6e  dans  leurs  manies  de  la  precision. 

Ucpil  donne  naissance  a  un  trouble  remarquable  qui  semble 
une  maladie  sp^ciale,  cVst  la  photophohie  ou  au  raoins  une  des 
varietes  de  la  photophobie.  Mv...,  (i5i)  femme  de  txi  ans  a  assiste 
un  soir  a  un  concert  ou  jouait  devant  elle  un  musicien  aveugle,  elle 
n*a  pu  s'emp^cher  de  Tobserver  toute  la  soiree.  Le  lendemain,  elle 
prie  son  mari  de  la  mener  consulter  un  oculiste,  celui-ci  examine 
les  yeux  qui  ne  pr^sentaient  a  ce  moment  encore  aucunc  douleur 
et  ne  constate  aucune  alteration.  Cependant  Mv...  n'est  pas  ras- 
sur^e,  elle  declare  cet  oculiste  incompetent,  et  va  en  voir  un 
autre,  puis  un  troisieme.  Son  agitation  croissant,  on  la  force  a 
s'expliquer  et  elle  finit  par  avouer  qu*elle  est  poursuivie  par  la 
pens^e  d'etre  aveugle,  qu'elle  examine  sa  vue  continuellement, 
que  la  nult  elle  s'^veille  en  sursaut  pour  allumer  une  lumiere  et 
verifier  si  elle  voit  clair.  Chez  cette  malade  s'est  d^veloppee  pen 
a  peu  une  horrible  algie  de  la  paupiere  et  des  yeux;  il  sufht 
d*approcher  le  doigt  des  paupieres  pour  provoquer  des  hurle- 
ments  et  de  terribles  angoisses.  Meme  ph^nomene  a  peu  pres 
identique  chez  Mb...  (i56)  et  chez  Ria...  (62)  qui  ont  aussi  peur 
d'etre  aveugles. 

Ces  dysesth^sies  des  yeux  peuvent  amener  les  malades  a  re- 
douter  la  lumiere  et  a  vivre  dans  Tobscurit^.  C'est  ce  qui  arrive 
dans  Tobservation  remarquable  de  Rs...  (63).  Cette  femme,  agee 
de  5g  ans,  a  toujours  eu  des  troubles  de  la  volonte,  elle  etait 
inquiete,  hypocondriaque,  tres  exigeante  et  tres  autoritaire,  ce 
qui  arrive  souvent  chez  les  abouliques,  comme  on  le  verra  dans 
le  chapitre  suivant.  A  Tage  de  56  ans,  peu  apr^s  la  menopause, 
elle  eut  a  subir  une  epouvantable  secousse :  on  amena  chez  elle 
sa  6IIe,  jeune  femme  mariee  depuis  peu,  qui  venait  d'etre  hor- 
riblement  brdlee  dans  un  incendie.  Rs...  soigna  sa  fille  avec  cou- 


196  LES  AGITATIONS  FORCCES 

rage  pendant  trois  jours  sans  pouvoir  la  sauver.  La  mort  de  ceite 
jeune  femme  ne  sembia  pas  determiner  chez  elle  une  violente 
emotion,  Rs...  s*6tonnait  de  n'avoir  pas  asscz  de  chagrin,  de 
ne  pas  pouvoir  pleurer.  Quelque  temps  apres  elle  commenca 
a  se  plaindre  de  ses  yeux,  parlant  de  calaracte,  de  paralysle,  etc. 
«  Elle  ne  pouvait  se  servir  de  ses  yeux  a  volontc,  elle  ne  pouvait 
regarder;  quand  elle  fixait  un  objet,  surtout  un  objet  6clair^,  elle 
eprouvait  une  gene,  une  emotion  penible  qui  la  sufibquait.  » 
Bientot  elle  prit  Thabitude  de  tenir  les  yeux  mi-clos  puis  ferm^s 
et  de  se  comporter  comme  une  aveugle. 

Ria...  [62),  jeune  femme  de  26  ans,  couvreconstammentsesyeux 
d*un  grand  bandeau  et  refuse  de  voir  la  lumiere  «  car  les  objets 
dansent  d'une  maniere  odieuse  et  eflVayante  ».  Cela  lui  donne 
de  terribles  angoisses  a  la  pens^e  qu*elle  va  perdre  la  vue.  Le 
point  de  depart  est  plus  curieux,  apres  une  operation  abdomi- 
nale  determinee  d*ailleurs  par  une  algie  uterine,  elle  eut  ce  sen- 
timent de  bizarrerie,  d  etrangete  dans  la  perception  des  objets 
qui  joue  un  role  si  considerable  chez  les  psychastheniques.  Elle 
en  conclut  que  sa  vue  etait  en  jeu,  qu'elle  voyait  mal,  qu'elle 
allait  perdre  la  vue  et  presenta  pen  ii  pen  les  symptc^mes  de  cette 
photophobie. 

L*observation  de  Bry . . .  6^  ,  jeune homme  de  1 6  ans,  nous  pr^sente 
des  crises  de  photophobie  un  pen  diflerentes  :  les  phenomenes 
mentaux  sont  reduits  et  les  phenomenes  organiques  tr^s  aug- 
mentes.  L'cedeme  des  paupieres,  la  congestion  de  la  conjonctive, 
le  larmoiement,  Thydrorrhee  nasale  qui  lui  fait  mouiller  cinquante 
mouchoirs  en  vingt-quatre  heures  sont  des  plus  remarquables. 
Les  crises  sont  courtes  et  se  repetent  tons  les  quinze  ou  vin^s 
jours  depuis  I  enfance.  C'est  la  une  forme  diHerente  de  la  mala- 
die,  qui  me  semble  se  rapprocher  des  phenomenes  epileptiques 
cl  que  nous  aurons  a  discuter  au  point  de  vue  clinique  dans  le 
serbod  volume  de  cet  ouvrage. 

Tiiutes  ces  algies  et  toutes  ces  phobies  des  fonctions  presen- 
trtat  des  caracteres  communs,  elles  se  developpent  a  proposd'une 
sensation  determinee  par  lexcitation  d'une  partie  du  corps  :  la 
pe^u,  les  muscles,  le  pharynx,  Toreille,  les  yeux.  On  pourrait 
cfoireque  cette  region  est  hyperesthesiee  et  qu^une  maladie  locale 
dclermine  ces  sensations  douloureuses.  CVst  ce  qui  amene  si 
54hijvent     les    operations    chirurgicales     en    particulier     sur     les 


LES  AGITATIONS  fiMOTlONNELLES  SYSTfiMATlSfiES    -  LES  PHOBIES    197 

ovaires.  Cependant  un  examen  attentif  permet  de  constater 
que  I'organe  est  parfaitement  sain.  Bien  mleux  les  sensations 
determinees  par  cet  organe  ne  sunt  aucunement  troubl^es,  il 
n*y  a  pas  d'anesthesie,  ni  meme  d'hyperesthesie  veritable.  Rs... 
dont  la  photophobie  est  si  remarquable  qui  reste  depuis  trois  ans 
sans  ouvrir  les  yeux,  qui  se  conduit  tout  a  fail  comme  une  aveugle 
a  et^  Tobjet  de  bien  des  examens  par  plusieurs  oculistes  :  non 
seulement  Toeil  est  absolument  sain,  niais  la  vision  est  complete- 
ment  conserv^e,  ni  Tacuit^  visuelle,  ni  le  sens  des  couleurs,  ni  le 
champ  visuel  n*ont  subi  la  plus  l6gcre  alteration,  elle  voit 
raieux  que  la  plupart  des  personnes  de  son  age.  Chose  curieuse, 
quand  elle  est  ainsi  Tobjet  d'un  examen  medical,  elle  ne  bouge 
pas,  tient  les  yeux  ouverts  sans  se  plaindre  de  rien,  elle  accepte 
qu'on  dirige  un  rayon  lumineux  dans  rQ3il  pour  voir  les  reflexes, 
tandis  qu'elle  aurait  des  angoisses  horribles  pour  regarder  un 
objet. 

On  pourrait  dire  que  la  sensation  intelligente  est  conservee 
mais  qu'il  y  a  un  sens  special  de  la  douleur  qui  est  seul  hyper- 
esthesia dans  ces  regions.  J'ai  souvent  essay6  de  mesurer  la  sen- 
sibility a  la  douleur  avec  une  aiguille  dont  la  pression  variable 
peut  ^tre  exactement  determin^e,  j'ai  fait  modifier  dans  ce  sens 
I'appareil  de  Cheron  pour  mesurer  la  tension  sanguine.  J'ai 
d'abord  determine  la  sensibility  a  la  douleur  de  la  m^me  region 
chez  un  individu  normal,  puis  j^ai  voulu  mesurer  cette  memesen- 
sibilite  chez  les  malades  qui  pretendaient  ne  pas  pouvoir  etre 
touches  a  cette  region  sans  souflrir  enormement.  II  faut  pour  cela 
commencer  par  les  rassurer,  leur  fairecroire  que  Texamen  medi- 
cal est  utile,  arreter  un  peu  leurs  ruminations  et  leurs  obsessions, 
les  intdresser  a  ce  petit  problfeme,  leur  apprendre  a  r^pondre  exac- 
tement a  quel  moment  le  contact  de  Taiguille  devient  pour  euxune 
piqure  douloureuse.  Beaucoup  ne  laissent  pas  faire  Texp^rience : 
Mv...  poussait  des  cris quand  que  je  voulais  approcherTinstrument 
de  ses  tempes  ou  de  ses  paupieres  et  je  n'ai  pu  obtenir  sur  elle 
aucun  chiffre  precis.  Mais  d'autres  se  decident  a  permettre  cet 
examen :  on  est  tout  surpris  de  constater  qu'ils  arretent  Tinstru- 
ment  au  meme  degre  que  Thomme  normal  et  que  par  consequent 
iU  ont  conserve  la  meme  sensibilite  douloureuse,  ni  moindre,  ni 
plus  grande.  Dans  quelques  cas,  il  y  a  plutot  une  certaine  dimi- 
nution de  la  sensibilite.  Ces  dysesthesies  ne  sont  done  pas  des 
troubles  de  la  sensation  de  la  region,  ce  sont  des  troubles  gen^- 


198  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

raux,  des  Amotions  envahissant  tout  Torganisme  qui  se  produlsent 
apropos  dela  sensation  de  la  region.  Nous  retrouverons  la  meme 
loi  a  propos  des  autres  phobies,  c^est  ce  qui  nous  permettra  de 
r^unir  toutes  ces  angoisses  pour  en  chercher  les  caracteres  g^ne- 
raux. 


4.  —  Les  phobies  des  objets  (Delire  da  contact), 

Ce  m6me  6tat  qui  rcssemble  a  une  Amotion  trcs  douloureuse 
se  produit  bien  plus  souvent  a  la  suite  de  la  perception  des 
objets.  Comme  cette  emotion  est  tr^s  redoutee  par  le  malade,  il 
en  r^sulte  une  crainte,  une  peur  de  Tobjet  qui  en  est  Toecasion  : 
c^est  ce  qui  caracterise  les  phobies  des  objets. 

La  phobic  se  developpe  quelquefois  des  que  Tobjet  est  per^u 
n'lmporte  par  quel  sens  meme  quand  il  est  percu  par  la  vue  ou 
I'ou'i'e.  ((  Suis-je  folle  ou  ne  le  suis-je  pas,  disait  une  malade  de 
Legrand  du  Saulle,  faudra-t-il  done  me  s^questrer  dans  une 
maison  d'ali^n^s,  parce  que  je  tremble  a  la  vue  d'un  chien  et  que 
je  n'ose  rien  toucher  chez  mol  ?  Mais  a  quoi  me  sert  done  ma 
raison*  ?  »  II  en  est  de  meme  pour  ceux  qui  ont  peur  de  voir 
les  ^toilcs  (astraphobie)  ou  qui  ont  peur  d*entendre  les  orages  -. 
Bunyan  apres  avoir  pris  beaucoup  de  plaisir  a  sonner  les  cloches 
se  fit  un  scrupule  de  ce  plaisir  et  depuis  resscntit  une  peur  terrible 
rien  qu'on  voyant  ou  en  entendant  les  cloches  ^. 

Parmi  nos  malades,  Xa...,  qui  a  Tobsession  de  Thomicide,  a, 
bien  entendu,  la  phobic  des  couteaux,  de  tous  les  instruments 
tranchants  ou  pointus  ;  mais  en  outre  elle  ne  pent  voir  sans  souf- 
france  une  branche  d*arbre  coupee,  une  fleur  rouge  ni  meme  un 
papier  rouge.  Elle  a  des  crises  de  phobic,  si  on  veut  la  faire  pro- 
mener  dans  le  bois  de  Boulogne,  parce  qu'elle  a  rencontre  un 
jour  dans  une  all^e  un  morceau  de  papier  rouge.  Elle  a  surtout 
peur  qu'on  ne  fasse  une  allusion  a  Tun  de  ces  objets  terrifiants, 
elle  a  des  phobies  a  propos  de  tel  ou  tel  mot  qu'il  lui  suffit  d'en- 
tendre  ou  a  propos  d'une  personne  qui  a  autrefois  prononce  le 
mot  et  qu'elle  ne  pent  plus  revoir.  Myl...  (98)  a  ses  phobies  en 
voyant  un  salon  rouge  ou  en  voyanl  la  lunc.  Mii...  (i83)  a  le  meme 
phenomene  en  voyant  certaines  rues  de  Paris  qui  font   penser   a 

I.  Legrand  du  Saullc,  Folie  du  douie,  p.  26. 

a.  Ciillerrc.  Folie  heredilaire,  p.  63. 

3.  Josiah  Rojrcc,  Psycholotjical  Uevicw,  189^,  p.  i34. 


LES  AGITATIONS  fiMOTlONNELLES  SYSTfiMATISfiES.  -  LES  PHOBIES    199 

la  vllle  de  Lyon  ou  a  ^tc  commis  un  crime  et  Gisele  en  voyant  sa 
petite  fille  qui  lui  rappelle  le  mariage  et  sa  vocation  r^Iigieuse 
manqii^e.  Fi...  (83),  comme  beaucoup  d'autres  malades,  a  ces 
terreur  en  voyant  un  chien,  ou  m^me  en  voyant  sa  femme  parce 
qu*elle  porte  une  robe  qui  a  trains  place  de  la  Concorde,  rendez- 
vous habituel,  paralt-il,  des  chiens  enrages,  c*est  la  lyssophobie, 
rhydrophobie  morale  de  Trousseau.  Jean  s'effraye  en  voyant  des 
femmes  dans  les  tramways  ou  en  mangcant  un  repas  servi  par 
une  femme.  II  est  done  evident  que  la  vision  ou  Taudition  pent 
6tre  le  point  de  depart  de  ces  phobies. 

Cependant  c'est  le  contact  qui  determine  le  plus  souvent  ces 
crises  de  peur  angoissante  ;  Tobservation  a  d^ja  et^  faite  par 
EsquiroP.  U  d^crit  une  femme  de  34  ans  qui  se  frotte  constam- 
ment  les  mains  «  elle  a  peur  que  quelque  chose  de  valeur  ne  reste 
attache  a  ses  doigts.  »  Legrand  du  Saulle  insiste  surtout  sur  ce 
role  du  toucher  puisqu'il  veut,  bien  a  tort  a  mon  avis,  faire  de 
cette  crainte  une  maladie  speciale  ou  du  moins  une  phase  speciale 
de  la  maladie  sous  le  nom  de  a  folic  du  contact  »  :  «  une  dame,dit-il, 
a  d'abord  peur  des  fnutes  d'orthographe,  puis  elle  a  la  crainte  de 
toucher  tout  ce  qui  sert  a  ecrire  »  '.  Trelat  accepte  la  m^nie  idee, 
il  decrit  une  personne  qui  se  figure  que  tout  son  linge  est  empoi- 
sonne  et  que  le  contact  en  serait  mortcl  ^.  M.  J.  Falret  explique  des 
phobies  semblables  par  la  crainte  que  les  objets  ne  soient  de  valeur 
ou  ne  soient  sales  ^.  «  Une  malade  d^crite  par  M.  Tamburini  ne 
peut  plus  toucher  aucun  objet  de  son  appartement  parce  qu'elle 
les  croit  «  souilUs  par  Turine  des  rats^  ».  Une  femme,  raconte 
Fer^*,  a  fini  parne  plus  pouvoir  marcher  sans  avoir  constamment 
les  orifices  des  narines  et  de  la  bouche  obtur^s  par  une  bande  de 
tissu  destin^e  a  empecher  les  parcelles  d'hostie  qui  pouvaient 
^tre  contenues  dans  Tatmosphere  de  penetrer  dans  son  corps 
pendant  qu'elle  n*6tait  pas  en  elat  de  grace.  »  Bien  des  auteurs 

I.  Esquirol,  Maladies  mentales,  H,  p.  63. 

a.  Legrand  du  Saulle,  Folic  du  doiUe,  p.  33,  a5,  27.  Cf.  un  cas  sembiable,  decrit 
par  Baillarger.  Ann.  med.  psych.,  juillet  1866,  p.  92. 

3.  Trelat,  Folic  lucide,  p.  23. 

4.  Falrel,  Maladies  mentales,  p.  5 12.  Cf.  Saury,  Degencres,  p.  79,  83,  85.  Cul- 
lerre.  Folic  herediiaire,  p.  76,  79,  80. 

5.  Tamburini.  Kivista  sperimentale  di  frcniatria.  VlII,  i884»  p.  4. 

6.  Fere,  Paiholofjie  des  emotions,  1892,  p.  4i5  (Paris,  F.  Alcan)  Ballet,  Traite 
de  mcdccine  de  Charcot  et  Bouchard,  VI,  p.  1 179. 


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LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTEMATISEES.  —  LES  PHOBIES   201 

de  I'usage  des  objets  de  leur  role  dans  une  action,  il  est  tout  na- 
tiirel  que  chez  les  scrupules,  les  phobies  portent  tout  particulie- 
rement  sur  le  contact.  C*est  ce  qui  nous  est  bien  montrd  par  cer- 
taines  phobies  du  contact  sur  lesquelles  j'insiste  en  terminant  et 
qu'on  pourrait  appeler  les  phobies  du  contact  professionncl. 
M.  Grasset  a  cite  la  phobic  du  m^decin,  pour  les  instruments  de 
son  metier,  M.  B^rillon'  insiste  sur  la  phobic  du  notaire  pour  son 
6tude,  du  mecanicien  pour  sa  machine.  Parmi  nos  maladcs, 
Nera. . . ,  couturiere,  ne  pent  toucher  a  ses  ciscaux  et  Pt. . . ,  barbier, 
ne  peut  toucher  un  rasoir.  II  ne  faut  pas  dire  qu'il  s'agit  ici  de  la 
phobie  des  objets  tranchants  car  la  premiere  ne  peut  pas  non 
plus  toucher  un  mMre  et  le  second  a  horreur  de  toucher  la  barbe 
ou  de  toucher  du  savon.  Lch...  (78),  homme  de  38  ans,  t^legra- 
pbiste,  a  la  suite  d'une  pleurcsie  grave,  prend  la  crainte  de  ne 
pouvoir  travailler  et  la  peur  des  appareils  t^l^graphiques  et  m6me 
des  bureaux  de  poste. 

Ces  derniers  exemples  nous  montrent  que  Facte  et  surtout  Tacte 
professionnel  doit  jouer  un  role  dans  ces  phobies.  Le  fait  est 
moins  visible  mais  on  le  retrouve  dans  toutes  les  autres  phobies 
des  objets.  Dans  beaucoup  de  cas,  comme  j*ai  essay^  de  le  mon- 
trer  ailleurs,  le  contact  flc/f/"  c'est-a-dire  le  contact  qui  r6sulte 
d'un  mouvement,  d'un  acle  du  sujet  est  infinimcnt  plus  redoute 
que  le  contact  passif  dans  lequel  Tobjet  est  simplemcnt  approch^ 
du  sujet'.  lu...  ((  pour  rien  au  monde  ne  touchera  elle-meme  les 
v^tements  oil  elle  imagine  avoir  fait  tomber  des  fragments 
d'hostie  »  mais  si  je  prends  moi-meme  la  robe  et  I'approche  de 
ses  mains  elle  se  r^signe  a  subir  le  contact  en  disant  :  «  c'est 
vous  qui  faites  Taction  et  qui  prenez  la  responsabilite..  »  L'objet 
qui  determine  Tangoisse  est  surtout  un  objet  qui  intervient  dans 
une  action  qu'il  faudrait  executer,  c'est  une  notion  que  je  signale 
en  passant  et  sur  laquelle  il  faudra  revenir,  en  etudiant  les  carac- 
teres  generaux  et  Tinterpretation  de  ces  phobies. 

5.  —  Les  phobies  des  situations  (agoraphobic). 
Ces  m^mes  phobies  peuvent  se   d^velopper   dans  d'autres  cir- 


1.  Beri Hon,  Phobies  neurastheniqiies  envisagces   au   point  de  vue  professionnel. 
Revue  de  ihypnolisme,  1896,  p.  33. 
2.  Nevroses  el  idies  fixes,  I,  p.  8. 


202  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

constanceS)  a  propos  de  perceptions  plus  complexes,  qui  portent 
non  plus  sur  un  objet  detcrmioe  mais  sur  un  ensemble  de  faits 
et  d'impressions  du  sujet,  c*est-a-dire  sur  une  situation  physique 
ou  morale  du  sujet. 

Dans  un  premier  groupe  de  cas  il  s'agit  de  la  perception  d'une 
situation  physique :  le  type  de  ces  phobies  est  celle  qui  se  d^ve- 
loppe  quand  le  malade  se  sent  isole,  c'esta-dire  quand  un  en- 
semble de  circonstances,  une  situation  qu*il  per^oit,  fait  naitre 
en  lui  Timpression  de  vide  autour  de  lui.  Deja  Leurct  en  i834 
decrivait  un  cas  de  ce  genre  en  le  rattachant  a  Thypocondrie  :  «  il 
est  quelquefois  six  mois  sans  sortir;  lorsqu'il  sort,  c*est  en  voiture 
et  toujours  accompagne  d'une  personne  qui  puisse  lui  porter  se- 
cours  en  cas  de  besoin,  pendant  la  promenade.  II  est  tres  rare 
qu*il  descende  de  voiture  et  quand  cela  arrive,  il  faut  que  la  per- 
sonne dont  il  est  accompagn^  se  tienne  tout  pres  de  lui  ;  il  ne 
traverserait  pas  une  place  ou  un  pont;  a  peine  s'il  traverserait  une 
rue.  Sur  une  place  il  est  comme  au  milieu  d'un  desert,  ou  lout 
manque  a  celui  qui  a  besoin  de  tout^  »  Leuret  fait  simplement 
de  cet  etat  une  «  hypocondrie  engendree  par  le  luxe  et  Toisivele  » 
et  il  note  justement  son  rapport  avec  le  defaut  de  volonte. 

Plus  tard  ce  symptc^me  est  decrit  tres  frequemment  comme  une 
phobic  sous  le  nom  ii  agoraphobic  qui  lui  a  ^t^  donn^,  je  crois, 
par  Westphal  en  1872*.  Une  des  descriptions  les  plus  completes 
est  celle  de  Legrand  du  Saullc  en  1877  et  1878 :  cet  auteur  en  fait 
une  nevrose  speciale  distincte  de  la  folic  du  douteet  du  delire  du 
contact,  ce  qui  me  parait  tres  inexact.  <(  La  peur  des  espaces,  dit 
Legrand  du  Saulle,  est  un  etat  nevropathique  tres  particulier, 
caracterise  par  une  ungoisse,  une  impression  anxieuse  vive  ou 
m6me  une  veritable  terreur,  se  produisant  subitementen  presence 
d'un  espacc  donne...  c'cst  une  emotion  comme  en  presence  d'un 
danger,  du  vide,  d*un  precipice,  etc.  Un  malade  commence  par 
avoir  des  coliques  dans  la  rue,  avec  faiblesse  des  jambes  ;  il  s'in- 
quiete  et  en  deux  mois  arrive  a  la  terreur  complete  de  marcher... 


1.  Leiircl,  Fragments  pSYchotogiques  sur  la  folie,  iSS'i,  p.  892. 

2.  Westphal,  Agoraphobic,  Archiv  fur  Psychiatrie,  III,  1872.  William,  Agora- 
phobia. Hoslon  med.  and  Surg.  Journal,  1872.  Weber,  Agoraphobia.  /6W.,  1872. 
Cordes,  Agoraphobia,  Arehiv  fur  Psychiatrie.  Ill,  1872.  Perroud,  Note  sur  Tagora- 
phobic,  Lyon  medical,  1873.  Dechanibre,  Do  Fagoraphobio.  Gaz.  hebd,  de  med.  el 
de  chir.,  1873.  Bourdin,  Horrcur  du  vide,  agoraphobic.  Encyclopedic  des  lettres^des 
sciences  et  des  arts,  1878,  etc. 


LES  AGITATIONS  fiMOTlONNELLES  SYSTfiMATlSfiES.  -  LES  PHOBIES    203 

La  peDsee  d^6tre  abandonne  dans  le  vide  le  glace  d'effroi  et  la 
conviction  d'une  assistance  quelle  qu'elle  soit  Tapaise  sans  effort. 
Point  de  peur  sans  le  vide,  point  de  calme  sans  Tapparence  d*un 
semblant  de  protection  \  » 

Yoici  quelques  exemples  de  ces  phobies  du  vide  emprunt^s 
aux  observations  de  nos  malades.  Lise  a  peur  de  la  solitude  qui 
est,  en  effet,  plutot  mauvaise  pour  elle  parce  qu^elle  favorise  le 
developpement  de  ses  reveries  et  de  sa  manie  des  pactes. 
Deb...  (i65),  Bor...,  etc.  ont  peur  des  ponts,  des  grandes  places, 
Por...,  femme  de  23  ans  «  etouffe  de  terreur  dans  les  rues  ou  il 
D*y  a  personno).  Ilnu...  (87)  ne  pent  plus  marcher  seule;  elle  a  peur 
detomber,  d'etre  paralys^e,  de  devenir  folle  :  «  je  vois  le  vide  de 
chaque  cote...  qiiand  je  vois  des  maisons  cela  ne  me  fait  plus  le 
meme  effet.  «  Leo. . .  (i  78)  redoute  les  grandes  places  ou  les  grandes 
agglomerations  de  monde...  elle  est  plus  tranquille  quand  elle  est 
avec  un  petit  nombre  de  personnes  en  qui  elle  a  confiance.  L'ago- 
raphobie  de  Sc...*  presente  quelque  inter^t,  parce  qu'elle 
simule  des  vertiges  ;  comme  le  malade  a  eu  ant^rieurement  des 
ecoulements  d'oreilles,  on  a  diagnostiquc^  son  etat  »  vertige  de 
Meniere.  En  realite,  il  n*a  aucun  des  symptomes  de  ce  vertige, 
Tangoisse  qu*il  ressent  dans  la  rue  est  idcntique  a  celle  qu'il 
eprouve  quand  il  touche  des  cartes  ou  quand  il  pense  au  nombre 
treize.  Bu...  (85),  un  homme  de  4o  ans,  apres  s'etre  d'abord  fait 
accompagner  au  dehors,  ne  pent  plus  faire  un  pas  seul  meme  dans 
son  appartemcnt;  un  malade  celebre  de  M.  Azam'*  exigeait  que 
sa  femme  Taccompagnut  jusqu'a  la  porte  des  cabinets  d'aisance 
et  en  lui  parlant  de  loin,  lui  fit  constamment  comprendre  qu'elle 
rcstait  pros  de  lui ;  Bu...  ne  pent  se  satisfaire  par  cet  expedient 
et  il  exige  que  sa  femme  entre  toujours  avec  lui. 

On  voit  bien  d'apres  ces  exemples  que  ce  n'est  paspr^cis^ment 
la  grande  place  qui  provoque  la  phobic,  c'est  Timpression  de  se 
trouver  seul  sans  appui  physique  ou  moral  dans  un  endroit  qui  ne 
leur  est  pas  familier.  Des  que  cette  impression  est  dissip^e,  Tagora- 
phobie  disparait.  Lep...  (88),  femme  de  ^9  ans,  est  agoraphobe  de- 
puis  que  son  fils  est  parti  au  service  militaire,  elle  se  sent  seule,  et 
alors  elle  redoute  de  sortir,  ne  pent  traverser  les  places  et  a  besoin 


I.   Legrand  du  Saullc,  Agoraphobic.  Cf.  Magnan,  Lemons,  p.  179. 

a.   Nevroies  et  Idees  fixes,  II,  p.  83. 

3.   Azam,  Entre  la  raison  ct  la  folic,  les  toques.  Hevuc  scienlifique,   189 1,   I,  6i5. 


204  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

de  (( longer  les  murs  des  petites  rues  »  mais  cette  angoisse  disparail 
des  qu'elle  donne  la  main  a  un  enfant.  Oz...,  femme  de  3i  ans,  se 
contente  a  moins  de  frais,  il  lul  suflSt  de  porter  a  son  bras  un 
panier,  c'est  pour  elle  un  point  d'appui  habituel  «  mais  il  Taut 
quHl  soit  lourd,  je  sens  alors  que  je  tlens  quelque  chose  de 
ferme,  quand  il  est  vide  je  ne  peux  pas  avancer  ».  Bo...  se  borne 
a  transporter  avee  elle  un  petit  banc  pour  s*asseoir  dessus  s'il  le 
fallait  et  cette  perspective  la  rassure.  Une  autre  femme  de  35  ans, 
Fie...,  a  besoin  de  s'appuyer  sur  son  parapluie  (c  avec  mon  para- 
pluie  j'irai  n'importe  oii,  sans  mon  parapluie  je  n*ai  plus  d'6qui- 
libre,  il  n'y  a  que  Tepicier  du  coin  chez  qui  je  peux  aller  sans 
parapluie  ». 

Tous  ces  details  se  trouvent  bien  pr<^cises  par  Tobservation  de 
Jean.  II  a  constamment  besoin  d'avoir  un  appui  materiel  du  cote 
gauche  et  se  tient  toujours  la  main  gauche  fortement  accroch^e  a 
quelque  meuble  ou  quelque  objet.  Si  ce  point  d'appui  lui  manque 
dans  les  salles  de  cours  par  exemple  il  sent  un  creux,  un  vide  a 
gauche  qui  pent  devenir  effroyable.  II  n'a  pas  pr^cis^ment  la 
peur  d'une  grande  place  quelconque,  mais  il  a  des  phobies  terri- 
bles  quand  il  est  dans  un  quartier  6loign<§,  loin  de  sa  maison  et 
surtout  loin  de  son  medecin.  C'est  pour  la  meme  raison  que  le 
sejour  a  la  campagne  lui  fait  horreur :  «  Les  m6decins  de  lacam- 
pagne  ne  connaissent  pas  ces  affections-la ,  il  faudrait  des  heures 
et  des  jours  pour  leur  expliquer  ma  maladie  et  je  ne  pourrais  pas 
le  faire.  C'est  horrible  d'avoir  le  fou  rire  labourant  les  nerfs,  le 
fantome  de  la  mort,  le  coeur  excite  loin  de  tout  medecin  compe- 
tent. ))  A  Paris  le  pare  Monceau  a  le  privilege  de  determiner  1r 
meme  impression  parce  qu'il  ressemble  a  la  campagne.  Jean  a 
encore  les  m^mes  phobies  quand  il  se  sent  tourne  vers  telle  ou 
telle  direction,  quand  il  est  dans  un  chemin  de  fer  en  marche, 
quand  il  est  dans  une  chambre  trop  petite,  dans  une  salle  de 
conferences,  etc.  Dans  les  licux  d<^couverts,  il  a  besoin  de  sentir 
toujours  une  protection;  dans  les  lieux  ferm^s,  il  faut  qu'il  %'oie 
toujours  une  sortie  facile  :  il  ne  consent  jamais  a  avancer  dans 
une  salle  de  conferences,  car  il  faut  qu'il  se  tienne  toujours  tres 
pres  de  la  porte. 

Je  n'ajouterai  plus  que  Tobscrvation  de  Dob...  (86)  sur  laquelle 
il  faudra  rcvenir  a  propos  de  Tangoisse.  Cette  jeune  femme  de 
33  iins  a  des  acces  d'angoisse  qui  la  prennent  des  qu'elle  est 
seule  dans  la  rue  ;  ces  acces  ont  commence  a  Tage  de  I2    ans    et 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATISfiES.  —  LES  PHOBIES    205 

vont  toujours  en  aggravant.  Ce  qu'elle  redoute  c'est  en  somme  un 
acces  de  folie  «  qui  la  ferait  courir  comma  une  folle,  la  ferait 
causer  du  scandnle  en  public  ».  Elle  a  moins  peur  la  nuit,  parce 
qu^on  ne  la  verrait  pas  si  elle  etait  folle,  on  voit  ici  Pobsession 
de  honte  ;  elle  prefcre  Ics  rues  ou  il  y  a  dcs  boutiques  afin  de 
pouvoir  s*y  refugier,  c'est  maintenant  le  sentiment  du  besoin  de 
protection. 

A  I'agoraphobie  doit  se  rattacher  une  autre  phobic,  celle  des 
endroits  clos,  la  claustrophobie^  signal6e  parBeardde  New- York, 
par  Raggi  de  Bologne  et  d6crite  par  Ball  en  1879*.  «  C'est,  dit 
Cullerre,  une  angoisse  constrictive  comparable  a  celle  qu'on 
pourrait  ressentir  en  rampant  a  travers  un  passage  de  plus  en 
plus  etroit*.  »  On  peut  y  rattacher  bien  des  faits  du  meme  genre, 
la  phobic  d'etre  dans  un  theatre,  la  phobie  d'etre  dans  un 
chemin  de  fer  que  I'on  ne  peut  pas  faire  arrcter,  etc.,  dans  une 
voiture,  Tamaxophobie  (i'lx^Ca,  voiture)  si  on  veut  conserver  ce  . 
mot  de  Ball  *. 

C'est  ainsi  que  Rt...  (gS)  «  a  une  peur  terrible  d'etouffer  dans 
les  voitures  qui  sont  des  petites  boltes  ferm^es,  dans  les  wagons 
de  chemin  de  fer  qui  passent  dans  des  tunnels  ».  Xo...  n*a  pas 
peur  d'etouffer  en  chemin  de  fer  mais  il  craint  d'etre  indispose 
dans  le  wagon  sans  pouvoir  sortir  et  il  ne  peut  plus  faire  aucun 
voyage  sans  de  terribles  angoisses.  Nae...  (g^)  fait  des  scenes 
^pouvantables  quand  il  faut  la  mettre  dans  une  voiture  ou  dans 
un  wagon  :  elle  veut  que  la  porte  reste  ouverte  et  elle  menace  a 
cbaque  instant  de  s'elancer  au  dehors.  Tantot  la  voiture  ne  va 
pas  assez  vite,  tantot  elle  va  trop  vite,  ou  bien  une  autre  voiture 
s'approche  trop  pres  ;  elle  prie  qu'on  la  retienne  pour  qu'elle  ne 
s*elance  pas  au  dehors  et  quand  on  la  retient  elle  etouffe  et  il  faut 
lui  faire  respirer  de  Tether.  Les  scenes  les  plus  curieuses  ont 
lieu  quand  elle  est  dans  sa  chambre  et  qu'il  pleut  fortement  au 
dehors,  elle  regarde  la  rue,  s'effraye  de  I'eau  qui  tombe,  pense 
qu'elle  ne  pourra  plus  sortir  parce  qu'il  y  a  trop  d'eau,  que  I'eau 
va  monter  au  premier  etage  puis  au  quatri^me  ou  elle  est,  qu'elle 
sera  noyee  contre  le   plafond  ;  la    respiration    lui   manque,  elle 

I.   Ball,  Claustrophobic.  Ann.  med.  psych.,  novcmbrc  1879. 
a.  Cullerre,  Les  frontieres  de  la  folie,  1888,  p.  61. 

3.   E.  Doyen,  Quel<fues  considerations  sur  les  ter rears  morbides  et  le  dHire  imotif  en 
general.  These  de  Paris,  i885. 


206  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

rougit  et  palit  et  finalement  eile  tombe  evanouie.  Nous  revien- 
drons  sur  ces  evanouissements  ;  pour  le  momeDt  nous  notons 
seulement  les  formes  diverses  que  prennent  ces  phobies. 

Les  malades  de  ce  premier  groupe  ont  besoin,  comme  on  Fa  vu, 
de  I'appui,  du  secours  des  autres  hommes,  ils  redoutent  d'etre 
seuls,  s^par^s  des  hommes,  et  par  ce  c6i6  on  peut  dire  qu'il  y  a 
d^ja  dans  ces  phobies  un  sentiment  social.  Mais  s'ils  demandent 
a  6tre  secourus  par  des  hommes,  c'est  parce  qu'ils  redoutent 
certains  dangers  physiques,  c'est  la  situation  physique  qu'ils 
redoutent,  le  vide,  la  hauteur,  le  resserrement,  etc.  Au  contraire, 
dans  d*autres  cas,  Temotion  angoissante  est  essentiellement  deter- 
min^e  par  la  perception  d'une  situation  morale  et  surtout  d'une 
situation  sociale.  On  peut  considerer  comme  type  de  ce  second 
groupe  Tangoisse  causae  par  la  rougeur  du  visage,  Vereutophobie. 
Cette  localisation  particuliere  de  la  phobic  a  ete  signalee  en  i846 
dans  un  m^moire  de  Casper  (Berlin).  Nous  devons  remercier  MM. 
Pitres  et  R^gis  d'avoir  public  une  traduction  de  cette  observation 
remarquable  et  difficile  a  se  procurer'.  Le  malade  d^crit  tr^s  Lien 
les  troubles  de  la  volont^  et  de  Tattention,  le  doute,  la  timidity, 
qui  ont  pr^par^  la  phobic  et  qui,  a  mon  avis,  jouent  un  grand 
role  dans  son  explication. 

MM.  Pieron  et  Vaschide  viennent  obligeamment  de  me  commu- 
niquer  une  observation  ^galement  assez  ancienne  et  pen  connue 
du  meme  ph^nomfene  publi^e  par  le  D**  Duboux  en  1874*.  «  Parmi 
les  causes  de  la  rougeur,  dit  cet  auteur,  il  me  semble  que  le  grand 
naturaliste  (Darwin)  en  a  oublie  une  tres  int^ressante :  cette  cause 
de  rougeur  est  la  crainte  de  rougir.  Supposez  qu'un  individu 
rougisse  une  premiere  fois  sous  Tune  des  influences  indiqu6es  par 
Darwin  (telle  que  la  honte  ou  la  pudeur).  Le  sentiment  qu'il 
eprouve  en  sentant  sa  face  s'empourprer  est  p^nible  et  humiliant ; 
il  cherche  a  refouler  cette  bouflfde  sanguine ;  ses  efforts  sont  inu- 
tiles  et  vont  m6me  directement  contre  leur  but;  la  rougeur  n'en 
devient  que  plus  intense.  II  rcdoute  d'etre  expose  de  nouveau  a 
une  confusion  pareille  :  le  fait  de  Tappr^hension  et  de  la  resistance 
amcne  une  rougeur  plus  intense  que  celle  de  la   honte.   II  sait 

I.  Gasper,  Biographic  d*une  id6e  fixe,  traduitc  par  le  D^*  Lalanne,  publice  par 
MM.  Pitres  el  Regis.  Arch,  de  neurol.,  1902,  I,  p.  270. 

a.  Duboux,  k  propos  de  la  rougeur,  Hull,  de  la  Soe.  med.  de  la  Suisse  liomande, 
septembre  1874,  p.  817. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATISfiES.  —  LES  PHOBIES   207 

maiDtenant  qu'il  suffit  de  craindre  de  rougir  pour  rougir;  il  n& 
pourra  s'empecher  de  craindre  et  de  rougir. 

Lorsqu'il  se  sentira  expos^  aux  regards,  particulierement  a  ceux 
de  I'autre  sexe,  la  crainte  de  rougir  viendra  Tassaillir  et  la  honte 
^nticipee  empourprera  son  visage,  toute  lutte  est  inutile :  sous 
rinfluence  de  la  volonte,  la  face  peut  presenter  d'abord  une  paleur 
l^gere,  remplac^e  bient6t  par  la  rougcur  redout^e.  Il  pourra 
m^me  arriver  que  seul,  a  Tabri  de  lout  regard,  Tindividu  rougisse, 
s'il  craint,  pour  son  cerveau  par  exemple,  Tinducnce  de  la  con- 
gestion. Cette  crainte  constante  a  chaque  instant  realisee  devient 
pour  rindividu  un  supplice  de  Tantale  renvers^ ;  du  naturel  peut- 
etre  le  plus  hardi  et  le  plus  sociable,  il  deviendra  d'une  timidite 
et  d'une  sauvagerie  ridicules ;  il  6vitera  toutes  les  occasions  de  se 
produire,  il  recherchera  la  solitude ;  les  devoirs  de  soci^te  et 
quelquefois  les  devoirs  professionnels  lui  deviendront  horrible- 
ment  penibles;  sa  vie  sera  litt^ralenient  brisee  par  une  niaiserie. 

Cette  sorte  de  nes^rose  ou  de  psyc/wse,  moins  rare  qu'on  ne 
pourrait  le  croire,  est  surtout  fr6quente  chez  les  fenimes.  Parmi 
lesindividus  afTectes,  je  connais  un  certain  nombre  de  personnages 
eminents  dans  les  sciences  ou  la  politique,  et  entre  autres  un  phy- 
siologiste  cel^bre  que  toute  science  ne  preserve  pas  et  dont  la 
timidite  est  proverbiale.  »  Cette  observation  interessante  surtout 
par  sa  date  relive  deja  le  caractere  pathologique  du  phenomene, 
le  rattache  aux  n^vroscs  et  aux  psychoses  sans  bien  indiquer  ce- 
pendant  Tanalogie  avec  les  autres  phobies. 

Westphal,  en  1877,  dans  un  m^moire  sur  les  obsessions,  cite 
un  cas  semblable.  M.  Boucher  (de  Rouen)  a  public  en  1890  un 
cas  int^ressant  ^  et  tout  a  fait  net  de  cette  phobie.  Les  auteurs 
qui  ont  le  plus  attir^  Fattention  sur  le  ph^nom^ne  et  qui  lui 
ont  donu''^  le  nom  sous  lequel  il  est  connu  sont  MM.  Pitres  et 
R^gis*.  Au  mot  erithrophobie  qui  d^signe  la  peur  d*une  couleur 
rouge  quelconque,  ils  ont  substitu^  le  mot  ercuthophobie  (IpsjOs^, 
rongeur  de  la  honte).  Leur  travail  a  6te  Toccasion  d'une  foule 
d'etudes  sur  cette  phobie  particuliere  et  sur  son  interpretation. 
On    en    trouvera    la    bibliographic    dans   le    dernier   travail  de 


I.  Boucher  (Rouen),  Sur  une  forme  particuliere  d^obsessions  chez  une  hcreditaire. 
CongT^s  de  m6d.  mcntale  de  Rouen,  1890.  Arch,  de  neurol.^  i8go,  II,  p.  280. 

a.  Pitres  el  Regis,  Obsession  de  la  rougeur  (ereulophobie).  Arch,  de  neuruL,  1897, 
I,  p.  I. 


208  LES  AGITATIONS  FORGOES 

MM.  Pitres  et  Regis'  el  dans    la  derDiere    etude  dont  j'ai   eu 
cooDaissaDce,  celle  de  M.  Claparede*. 

J^emprunte  a  ce  deroier  auteur  uo  resume  rapide  de  Taspect 
caracteristique  d'un  malade  ereutophobe :  a  il  n*ose  plusse  montrer 
en  public,  ni  meme  sortir  daus  la  rue.  S'il  s'agit  d'uue  femme,  elle 
n'ose  plus  rester  eu  presence  d*un  homme,  de  peur  que  sa  rongeur 
intempestive  ne  soil  Toccasion  de  propos  malireillants  sur  son 
compte,  s'il  s^agit  d*un  hommeyil  fuira  les  femmes.  Comme  cepen- 
dant  les  n^cessites  de  la  vie  obligent  Tereutophobe  a  ne  pas  vivre 
absolument  isoU,  il  va  inventer  certains  stratagemes  pour  masquer 
son  infirmite.  Au  restaurant,  il  se  plongera  dans  la  lecture  d*un 
journal  pour  qu^on  n^aper^oive  pas  son  visage ;  dsins  la  rue,  il  se  dis- 
simulera  sous  son  parapluie,  son  parasol  ou  sous  les  larges  ailes  de 
son  chapeau.  II  sortira  de  preference  le  soir,  a  la  nuit  tombante, 
ou,  au  contraire,  par  une  journ^e  de  grand  soleil,  afin  que  son  teint 
^carlate  n'ait  rien  d*extraordinaire.  S*il  est  pris  a  Timproviste,  il 
s^essuiera  la  figure  avec  son  mouchoir,  se  mouchera,  fera  semblant 
de  ramasser  un  objet  sous  un  meuble  ou  ira  regarder  par  la  fen^tre 
afin  de  dissimuler  la  rongeur  qui  vient.  Parfois  il  recourt  a  la 
poudre  de  riz,  plus  souvent  a  Falcool ;  il  espere  par  ce  dernier 
moyen  noyer  sa  coloration  morbide  dans  celle  de  Tethylisme. 
Pour  un  motif  analogue  il  supplie  le  m^decin  ou  le  pharmacien  de 
lui  donner  une  drogue  qui  lui  teigne  le  visage  en  rouge.  II  cherche 
et  combine  dans  sa  tete  tons  les  moyens  de  rem^dier  a  son  mal. 
Cette  crainte  perp^tuelle,  cette  incertitude,  a  cbaque  instant,  du 
moment  qui  va  suivre,  retentit  sur  tout  son  caractere,  Taigrit, 
Firrite.  La  vie  pour  F^reutophobe  est  un  veritable  calvaire :  a 
chaque  pas,  il  voudrait  en  avoir  fini  avec  cette  insupportable  exis- 
tence et  va  jusqu'a  maudire  T^tre  qui  lui  a  donn^  le  jour.  » 

Quelques  auteurs^  en  particulier  M.  Tbibierge,  ont  rang^  cette 
maladie  parmi  les  dermatophobies  a  cote  des  syphiliphobies  et 
des  acarophobies.  Ce  n*est  pas,  je  crois,  mettre  suffisamment  en 
relief  le  caractere  essentiel  de  Tereutophobie.  II  no  faut  pas 
croire  en  efiet  que  la  rongeur  du  visage  soit  le  caractere  essen- 
tiel  de  Tereutophobie  ;  comme  je  Tai  deja  remarqu^  a   propos 


I.  Pi  Ires  el  Regis,  £reulophobie.  .4rr/i.  de  nenroL,  mars  190a.  p.  181. 
a.  £d.  Oarapede,  L*obse!>sion  de  la  rougeur  k  propos  d'un  cas  d'ereulhophobie. 
Arch,  de  psychoI'Mjie  de  lo  Suisse  romande,  1902,  p.  807. 


LES  AGITATIONS  fiMOTlONNELLKS  SYSTfiMATISfiES.  —  LES  PHOBIES    209 

des  obsessions,  bien  des  gens  ont  la  rongeur  Emotive  dn  visage 
sans  etre  des  ereutophobes  et  il  y  a  des  ereutophobes  comme 
Nadia  qui  sont  incapables  de  rougir  r^ellement. 

II  est  facile  de  voir  que  !e  fait  de  la  rougeur  du  visage  a  pen 
d^importance  dans  cette  phobie,  qu'il  joue  simplement  le  r6le  d'un 
pretexte  pour  justifier  une  angoisse  dont  Torigine  est  plus  pro- 
fonde.  Pour  le  comprendre,  il  faut  remarquer  que  Tobsession  de 
la  rougeur  se  transfornie  bien  souvent  et  que  d'autres  pr^texles 
eoipruntes  presque  toujours  a  I'apparence  du  visage  succ^dent  a 
Tereutophobie  ou  la  precedent  ou  alternent  avec  elle.  Ainsi  que 
je  I'ai  d6ja  montr^  dans  une  etude  pr6c6dente*,  Toq...,  actuelle- 
ment  angoiss^  par  la  pensee  qu'il  a  Ics  joues  rouges,  a  eu  autrefois 
des  angoisses  a  la  pensee  de  ses  moustaches  qui  avaicnt  pouss^ 
trop  tAt.  Per...  (162),  femme  de  38  ans,  autrefois  ereutophobe,  a 
mainlenant  la  phobie  des  poils  sur  son  visage.  UI...  (45)  a  eu 
autrefois  de  i5  a  20  ans  de  T^reutophobie  proprement  dite, 
maintenant,  a  33  ans,  elle  n'a  plus  peur  de  rougir  devant  le 
monde,  mais  elle  a  peur  de  palir,  d'avoir  des  convulsions  dans 
la  figure  et  surtout  dans  les  yeux  qui  la  rendraient  laide  et 
ridicule  au  moment  de  demander  quelque  chose  a  une  personne. 

En  outre,  il  est  impossible  de  s^parer  T^reutophobie  des 
BDgoisses  provoquees  par  d^autres  modifications  de  Tattitude  ou 
du  visage  dans  lesquelles  il  n'est  pas  question  de  rougeur. 
Klu...,  bien  qu'il  parle  correctement,  a  la  peur  de  b^gayer 
quand  il  se  trouve  devant  des  etrangers,  il  ne  peut  sc  faire 
inscrire  a  une  ecole,il  ne  peut  demander  son  chemin  a  un  agent, 
ni  prendre  un  billet  de  chemin  de  fer,  tellement  il  est  angoiss6  a 
la  pensee  qu'il  pourra  non  pas  rougir,  mais  begayer  devant  ces  per- 
sonnes.  D'autres,  comme  Pol...,  ont  des  angoisses  a  la  pensee 
d\ine  cicatrice  qu'elles  ont  sur  le  nez,  quand  elles  sentent  que  des 
etrangers  peuvent  la  remarquer,  c*est  la  maladie  que  Morselli 
a  decrite  sous  le  nom  de  djsm  or  phobie^,  Tk...  (i45),  jeune 
horn  me  de  2  4  ans,  a  la  phobie  de  sa  mdchoirc  qu'il  croit  trop 
grande.  Bechterew  a  d6crit  le  malade  epouvante  par  le  sourire 
obsedant  qu'il  a  constamment  sur  les  levres  et  je  pourrais  placer 
en  opposition  le  cas  de  Wgn...,  jeune  homme  de  26  ans,  angoisse 


1.  La  maladie  du  scrupule  et  Taboulie  delirante,  Revue  philosophique,   1901,  I, 
p.  337  el  507. 

2.  Morselli,  La  dysmorphophobic  et  la  taph^pliobie.  Riforma  medica,  1891,  n°  i85. 

LES  OBSESSIONS.  L    —    1 4 


210  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

a  cause  de  ia  paraiysie  de  ses  levres  «  incapables  de  jamais  sou- 
rire  naturellement  ».  On  a  deja  vu  a  propos  des  obsessions,  le  cas 
de  Wye...  (i44)  dont  les  angoisses  sont  provoqu^es  «  par  la  rai- 
deur  du  visage  et  les  mouvements  mecaniques  des  menibres,  »  on 
pourrait  enumerer  toutes  sortes  de  variet^s  de  ces  phobies  tout 
a  fait  analogues,  a  mon  avis,  a  T^reutophobie  proprement  dite. 

Le  caractfere  essentiel  qui  se  retrouve  en  eflet  dans  toutes  ces 
phobies,  c'est  le  sentiment  d'etre  devant  des  hommes,  d'etre  en 
public  et  le  fait  d'aroiV  a  agir  en  public.  M.  Hartenberg  a  raison 
de  rattacher  Tereutophobie  aux  maladies  de  la  timidite  ^  Tousces 
malades  n*ont  aucune  peur  de  rougir  ou  de  palir,  ou  de  grimacer, 
ou  de  sourire,  ou  de  ne  pas  sourire  quand  ils  sont  seuls,  et  la 
rongeur  ou  la  grimace,  si  elle  survenait  a  ce  moment,  ne  les 
impressionnerait  aucunement.  On  pourrait  done  appeler  ces  phe- 
nomenes  des  phobies  sociales  ou  des  phobies  de  la  soci^te. 

Dans  ce  groupe  rentreront  aussi  les  phobies  du  mariage  qui 
sont  si  fr^quentes  (Hnu...  (87),  De...)*.  On  pent  y  rattacher  aussi 
des  phobies  en  rapport  avec  certaines  situations  sociales.  Bal... 
(i55)  est  epouvant^e  a  la  pensee  de  faire  la  classe  devant  des 
enfants.  Ku...  (42),  femme  de  87  ans,  a  de  singulieres  terreurs 
a  la  pensee  d'avoir  des  domestiques  :  sa  bonne  Tintimide,  elle 
n'ose  rien  lui  commander  ni  lui  reprocher.  Elle  a  surtout  la 
terreur  de  son  concierge  et  elle  a  des  angoisses  a  la  pensee  qu'elle 
pourrait  6tre  raal  avec  ce  fonctionnaire  necessaire. 

Toutes  ces  phobies,  qu'ellcs  se  rattachent  au  type  de  Tagora- 
phobie,  de  la  claustrophobic,  des  phobies  sociales,  me  paraissent 
avoir  un  point  commun.  Elles  ne  sont  pas  comme  les  pr^c^dentes 
uniquement  en  rapport  avec  un  objet  ^veillant  Tidee  d'un  acte, 
mais  elles  sont  determin^es  par  la  perception  d'une  situation  et 
par  les  sentiments  auxquels  cette  perception  donne  naissance. 


6.  —  Les  phobies  des  idees, 

Les  phobies  se  d^veloppent  souvent  encore  sans  qu'il  y  ait  a 
leur  point  de  depart,  ni  une  sensation  localisee,  ni  la  perception 
d*un  objet,  ni  meme  la  perception  d'une  situation ;  elles  survien- 
nent  simplemcnt  a  la  suite  d'une  idee  qui  se  pr^sente  d'une  ma- 


I.  Hartenberg,  Les  timides  et  la  timiditi,  rgoi,  p.  201  (Paris,  F.  AJcan). 
a.  AViTOses  et  Idies  fixes,  II,  p.  87. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  SYSTfiMATIS#.ES    -  LES  PIIOBIES   21 1' 

niere  abstraite  dans  Tesprit  du  nialade.  II  suffirait  de  r^peter  ici 
toutes  les  id^es  obsedantes  qui  ont  ^t^  ^tudi^es  dans  le  premier 
chapitre.  Presque  toutes  ces  idees  s'accompagnent  de  phobies. 
A  propos  des  obsessions  sacrileges  on  remarquera  la  phobie  du 
demon,  de  Tenfer,  du  blaspheme,  etc.  Un  malade  comme  Ki... 
(219)  eprouvc  ces  Amotions  angoissantes  a  propos  de  toutes  pen- 
sees  religieuses  ou  philosophiques.  II  faut  qu^il  ^vite  de  penser 
a  Dieu  ou  a  la  religion  et  pendant  une  p6riode  il  avait  pris  en 
liorreur  Tid^e  abstraite  de  la  causalite  qui  le  faisait  penser  a  la 
creation  et  a  la  divinity.  L'id^e  d'infini  qui  determinait  chez  Vil... 
des  ruminations  si  remarquables  s'accompagnait  souvent  de  ph6- 
nomenes  d'angoisse  bien  caract^ristiques. 

II  en  sera  de  meme  pour  les  id^es  criminelles.  Leg...  vit  dans  la 
crainte  de  d^sirer  du  mal  au  monde ;  elle  a  peur  de  penser  a  faire 
venir  des  enfants  difTormes.  On...  (221]  a  des  angoisses  a  propos 
de  rid^e  de  mentir,  de  Tid^e  «  de  suivre  des  femmes  au  th^Atre  ». 
Za...  (216)  a  eu  cette  Amotion  a  la  pens^e  qu'il  pourrait  copier  a 
un  examen  et  il  Ta  maintenant  a  la  seule  pensee  d'un  examen.  Ces 
malades  redoutent  toutes  les  circonstances  comme  les  conversa- 
tions ou  les  lectures  qui  pourraient  faire  naitre  ces  m6mes  idees. 
C'est  ainsi  que  We...  (170)  a  peur  des  journaux  et  meme  a  peur  de 
Timprimerie  parce  que  les  journaux  dans  leurs  faits  divers  ^veil- 
lent  la  pensee  des  crimes.  lis  finissent  par  avoir  peur  des  imagi- 
nations les  plus  vagues,  des  pensees  les  plus  abstraites.  We...  a 
peur  de  chercher  a  se  repr^senter  en  imagination  le  membre  viril 
et  Za...  a  peur  (c  de  se  repr^senter  une  idee  quelconque parce  que 
ce  pourrait  etre  une  idee  mauvaise  ». 

M6mes  observations  encore  pour  les  obsessions  de  honte.  Ceux 
qui  ont  Tobsession  de  la  folic,  et  ils  sont  nombreux,  ont  cette 
emotion  a  propos  de  la  pensee  de  la  folic.  «  Je  soufTre,  dit  L60..., 
a  la  pensee  que  je  deviens  folic.  Je  me  vois  enferm^e,  je  me  sens 
Tair  idiote  et  cela  nie  donne  une  angoisse  horrible.  »  Byp... 
(180),  femme  de  28  ans,  croit  voir  son  frfere  qui  est  enferm^  a 
Sainte-Anne,  venir  au-devant  d'elle  et  elle  Tentend  qui  lui  dit  : 
c(  tu  scras  folle  comme  moi.  »  A  ces  mots  elle  soufTre  a  en  defail- 
lir  au  milieu  de  la  rue.  De...,  femme  de  33  ans,  a  une  idee 
fixe  assez  compliquee  qui  tient  a  la  fois  de  la  honte  de  soi  et  de 
la  honte  du  corps.  Elle  ne  pent  concevoir  sans  horreur  la  pensee 
du  mariage  parce  qu'elle  s'en  croit  tout  a  fait  indigne  au  point  dc 
vue  moral  et  aussi  au  point  de  vue  physique.  Ce  sont  des  senti- 


212  LES  AGITATIONS  FORGOES 

ments  d'incapacit^  pour  tenir  sa  maison,  pour  rempllrses  devoirs, 
pour  clever  des  enfants  et  en  m^me  temps  des  idees  de  difibrmite 
des  organes  genitaux,  des  pensee  de  n*etre  pas  comme  toutes  les 
femmes.  Nous  connaissons  tous  ces  fails  et  ee  cas  s'ajoute  seule- 
meat  aux  pr^c6dents  mais  ce  qu'il  faut  ajouter  ici,  c'est  que  la 
pensee  des  (lancailles  rend  cette  femme  nialade  et  que  des  amis 
maladroits  en  insistant  pour  la  marier  ont  determine  une  crise 
de  terreur  et  raeme  des  accidents  dclirants  analogues  a  la  confu- 
sion mentale,  sur  lesquels  il  nous  faudra  revenir  quand  nous  par- 
lerons  des  complications  du  delire  du  scrupule.  Les  regrets  de 
vocation  amenent  chez  Gisfele...  (171)  et  chez  Ri...'  de  grandes 
angoisses  d6s  que  I'une  a  Tidee  de  la  vie  religieuse  et  des  que 
Tautre  pense  au  metier  d'institutrice.  De  m^me,  Nadia  a  des 
angoisses  quand  elle  pense  seulement  a  engraisser,  quand  elle 
se  figure  seulement  qu*on  pourrait  lui  trouver  meilleure  mine. 
Toutes  nos  obsessions  de  la  honte  du  corps  s*accompagnent  en 
r^alit6  de  phobies. 

Enfin  il  suffit  de  signaler  les  innombrables  phobies  liees  aux 
idees  hypocondriaques.  Morselli  en  signalait  une  curieuse,  sous 
les  noms  de  taph^phohie,  c'est-a-dire  la  crainte  d'etre  euterre 
vivant  *.  01...,  femme  de  87  ans,  a  des  angoisses  a  la  pensee  des 
chaleurs,  de  la  fi^vre  typhoTde,  du  suicide,  etc.  II  est  inutile  de 
rappeler  que  Jean  a  des  phobies  en  pensant  aux  m^ningites  et  aux 
congestions  et  que  Pn...  (i3g]  est  pris  par  des  crises  d^angoisse 
a  la  seule  pensee  qu'on  pourra  lui  prouver  Pair  malade,  ce  qui 
est  juste  le  contraire  de  Nadia.  Parmi  les  phobies  plus  banales  il 
faut  mettre  au  premier  rang  la  phobic  de  Tid^e  de  la  mort. 
Ml...  (i56),  femme  de  4o  ans,  est  d'abord  obs^dee  par  le  visage 
de  sa  (ille  qui  vient  de  mourir.  Nous  avons  d^ja  discut6  ce  qu  il 
faut  penser  de  ces  hallucinations.  A  la  suite  d'une  petite  opera- 
tion pour  un  abces  au  cou,  elle  reporte  ses  idees  de  mort  sur 
elle-m^me  et  elle  a  des  angoisses  ^pouvantables  d^s  qu'elle  pense 
a  la  mort  ou  meme  a  la  vie. 

II  est  bon  de  remarquer  que  ces  phobies  des  id^es  se  melent 
intimement  avec  toutes  Ics  phobies  pr^c^dentes  :  tr^s  souvent, 
comme  le  remarque  Legrand  du  Saulle,  il  suffit  du  souvenir  d*un 
objet   ou  d'une  situation  pour  reproduire  la  crise;   la  seule  vue 


1.  Nhroies  et  Ideei  fixes,  II,  p.  i48, 

2.  Morselli,  La  Riforma  medtca,  1891,  no  i85. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  —  LES  ANGOISSES      213 

d'un  dessin  qui  repr^sente  Tint^rieur  de  Saint-PIerre-de-Rome  le 
faitchanceler  sur  ses  jambes^  Chezbeaucoup  de  nos  malades  il  en 
est  de  ni^me  :  la  seule  pens^e  de  la  femme  produit  chez  Jean 
«  un  etat  fastidieux))  et  la  pensee  dialler  seule  a  une  le^on  de  des- 
sin donne  mal  au  coeur  a  Dob... 

D'autre  part  dans  les  phobies  d*objets  ou  de  situation  se  melent 
souvent  des  id^es  compliquees.  Un  malade  de  Westphall  a  de  la 
claustrophobie  dans  un  theatre ;  mais  e'est  qu'il  se  repete  des  pen- 
sees  de  ce  genre  :  «  qu'est-ce  que  je  deviendrai  si  le  feu  delate 
dans  la  salle  et  si  a  ce  moment-la  j'ai  un  acccs?  je  ne  pourrai  pas 
me  sauver*.  »  Jean  dans  toutes  ses  phobies  fait  ou  a  fait  des  rai- 
sonnements  semblables. 

On  vo!t  qu*il  y  a  un  grand  nombre  d'opdrations  intellectuelles 
qui  peuvent  determiner  ces  phobies  comme  prec^demment  les 
sensations,  les  perceptions,  ou  les  sentiments. 


2.  —  Les  agitations  6motionnelles  diffuses. 
Les  angoisses. 

II  surtit  de  r^peter  brievement  a  propos  des  phobies  ce  que 
nous  avons  d^ja  ^tudie  a  propos  des  manies  mentales  :  ni  au 
point  de  vue  clinique,  ni  au  point  de  vue  psychologique,  ces  diver- 
ses  phobies  ne  Torment  des  ph^nom^nes  veritablement  distincts 
les  uns  des  autres.  M.  J.  Falret  faisait  d^ja  remarquer  tres  juste- 
ment  que  toutes  ces  peurs  sont  solidaires  les  unes  des  autres : 
«  Tagoraphobie  se  rencontre  souvent,  disait-il,  chez  le  meme  indi- 
vidu  avec  la  peur  d'une  ^pee  nue,  la  crainte  de  tomber  d'une 
fenetre,  la  frayeur  en  voiture  ou  le  d^Iire  dn  toucher  ».  Ball  sou- 
tenait  la  meme  opinion  quand  il  proposait  d'englober  tons  les  cas 
d*agoraphobie,  de  claustrophobie,  de  topophobie  sous  le  titre 
commun  de  phenomenes  vertigincux^.  Cette  conception  me  parait 
beaucoup  plus  juste  que  celle  soutenue  par  Legrand  du  SauUe  et 
par  quelques  autres  auteursqui  voulaient  faire  de  certaines  de  ces 
phobies  et  en  particulier  de  Tagoraphobie  des  maladies  distinctes. 


I.  Legrand  du  Saullc,  Agoraphobie,  p.  i5,  a3,  67. 

a.  )d.,  ibid.,  p.  8,  18. 

3.   Ball,  Lc8  fronti^rcs  de  la  folic.  Revue  scientijique,  i883,  I,  p.  4. 


211  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

Oq  peut  facilement  remarquer  que  lesmemes  noms  de  malades 
sont  cites  a  propos  des  diverses  phobies  :  Jean  en  particulier  les  a 
cues  a  pen  pres  toutes,  et  quand  on  le  gu6rit  de  I'une,  il  retombe 
dans  I'autre.  La  difKrence  entre  iine  agoraphobie  el  une  phobie 
du  contact  n'existe  guere  que  dans  des  circonstances  exterieures 
qui  ont  modifie  i*aspect  d*une  m^me  disposition  psychologique 
fondamentale.  En  eflet  toutes  ces  phobies  semblcnt  constituees 
par  deux  groupes  de  ph^nomenes,  l*un  accessoire  et  variable, 
Tautre  fondamental  et  immuable.  Les  phenomencs  accessoires 
sont  les  sensations,  les  perceptions,  les  sentiments  qui  provo- 
quent  un  etatde  trouble,  qui  se  melent  avec  lui  et  lui  donuent  un 
aspect  particulier;  le  phenomene  essentiel  qui  se  retrouve  tou- 
jours  c'est  unc  perturbation  de  tout  I'individu  physique  et  moral 
designee  d'une  maniere  generale  sous  le  nom  d'angoisse.  De 
meme  que  les  manies  mentales  nous  conduisaient  au  phenomene 
de  la  rumination,  les  tics  au  phenomene  de  Tagitation  motrice, 
de  meme  toutes  les  phobies  nous  conduisent  a  Tctude  de  Tan- 
goisse. 

I.  —  Uangoisse  diffuse, 

Les  diverses  phobies  pr^sentent  le  phenomene  de  Tangoisse 
associ6  et  combing  avec  des  sensations,  des  perceptions  ou  des 
sentiments  ;  ce  phenomene  peut  aussi  se  presenter  ind^pendam- 
ment  d'une  phobie  determin^e.  On  a  souvent  remarqu6  que  cer- 
tains malades  sont  dans  un  ^tat  constant  d'anxi6t^  diffuse  :  «En 
outre  de  toutes  les  phobies  particulieres,  disait  M.  Ribot,  il  existe 
quelques  observations  d'un  etat  vague  mais  permanent  d'anxiete 
ou  de  terreur  qu'on  a  nomm^  panophobic  ou  pantophobie ;  c'cst 
un  etat  ou  Ton  a  peur  de  tout  et  de  rien,  oil  I'anxi^t^,  au  lieu 
d'etre  rivt^e  a  un  objet  toujours  le  meme,  flotte  conime  dans  un 
reve  et  ne  se  fixe  que  pour  un  instant  au  hasard  des  circonstan- 
ces, passant  d*un  objet  a  un  autre*.  )>  MoreP,  Weir  Mitchell 
Mac  Farlane  decrivaient  deja  ces  «  etats  d'anxiete  »,  ces  elals 
d*angoisse.  Recemment  M.  Freud  ^  a  beaucoup  insiste  sur  cet  etat 
constituant  ce  qu'il  appelle  a  la  n<^vrose  d'angoisse  ». 
flC^''^   MM.   Pitres  et  Regis,  qui  fout  de  cet  6tat  d'anxidte  diffuse  le 


1.  Ribot,  Psychologie  des  sentiments,  1896,  p.  2ii  (Paris,  F.  Alcan). 

2.  Morel,  Delire  emoiif,  p.  Sgn. 

3.  S.  Freud,  Obsessions  el  phobies.  Revue  neurologique,  3o  Janvier  iSgS. 


LES  AGITATIONS  fiMOTlOXNELLES  DIFFUSES.  ^  LES  ANGOISSES     215 

ph^nomene  essentiel  des  phobies  et  des  obsessions,  en  rappor- 
tent  des  cas  remarquables  parmi  lesquels  je  rappelleral  celui-ci. 
Une  dame  de  52  ans,  nerveuse,  impressionnable  rcssentit  un 
grand  chagrin  a  la  suite  de  la  mort  de  sa  mere,  il  y  a  12  ans; 
elle  presente  a  ce  moment  une  grande  depression  morale  sans 
troubles  morbldcs  proprement  dits.  Trois  ans  apres,  a  la  suite 
d*une  autre  mort,  celle  d'une  amie,  elle  entra  dans  un  etat  d'emo- 
tivite  morbidc  diffuse,  avec  «  attente  qnxieuse  ».  La  malade  etait 
constamment  en  etat  de  souilrance  vague,  en  6tat  latent  d'angoissc, 
qui  eclatait  sous  forme  de  paroxysme  a  la  moindre  occasion.  Une 
voiture  passait-elle  pendant  qu*elle  marchait  sur  le  trottoir  dans 
la  rue,  aussitot  elle  tombait  en  crise,  craignant  qu'une  roue  ne  se 
detachat  et  ne  vint  a  T^craser.  Au  moindre  vent,  une  tuile  allait 
glisser  d'un  toit  et  lui  fendre  la  tete.  A  table  les  aliments  ullaient 
r^toufier.  D'autrcs  fois,  a  peine  sortie  de  chez  elle,  I'angoisse 
survenait,  s'objectivant  sur  cette  idee  que  quelqu^un  des  siens 
venait  peut-etre  de  mourir  tout  d'un  coup  et  elle  etait  forc^e  de 
revenir  sur  ses  pas  pour  se  rassurer.  Chaque  ev^nement,  chaque 
incident,  chaque  acte  de  sa  vie  devenait  ainsi  matiere  a  d^charge 
pour  son  angoisse  momentanement  sp^cialis^e  par  leha8ard^ 

Les  observations  de  ce  genre  sont  parmi  les  plus  banales,  on 
pent  reprendre  beaucoup  des  cas  precedents  et  remarquer  que 
chez  certains  sujets  les  phobies  se  multiplient.  L*angoisse  ne  se 
produit  pas  a  propos  d'un  seul  objet,  mais  a  propos  d'un  grand 
nombre.  On  ne  pent  enuraerer  les  objets  qui  dans  certaines  cir- 
constances  sont  susccptibles  de  faire  naitre  Taagoisse  chez 
Jean,  tout  ce  qui  se  rapporte  au  sexe,  tout  ce  qui  se  rapporte  a 
la  poste,  tout  ce  qui  se  rapporte  a  la  politique,  a  la  religion,  a 
la  sante,  a  la  mort,  etc.  L^angoisse  finit  par  Hre  presque  indd- 
termin^e  et  se  reproduit  continuellement  a  propos  de  n'importe 
quot :  elle  pent  etre  consid^r^e  comme  diffuse. 

II  y  a  des  cas  plus  nets  encore  ou  Tangoisse  est  presque 
pcrmanente,  ou  se  produit  par  acces  tres  rep^t^s,  sans  que  le 
sujet  attache  aucune  pens^e  a  ces  angoisses,  sans  qu*il  donne 
m^me  une  justification  apparente  d*ordre  intellectuel,  comme  on 
a  vu  que  Jean  le  fait  toujours^Une  femme  de  38  ans,  Cs...  (4i), 
toujours  emotive  et  impressionnable,  a  ete  tres  boulevers^e  vers 


I.   Pitrcs  et   Regis,    Semeiologic  des   obsessions   el  des  idees  fixes.   Rapport  au 
congrbs  de  medecine  de  Moscou,  1897,  p.  19, 


216  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

Tage  de  3i  ans.  Elle  relevait  a  peine  d'un  accouchement  quand  la 
garde  commit  la  maladresse  de  lui  dire  que  Tenfant  ue  respirait 
pas  et  paralssait  mort ;  elle  sentit  comme  un  violent  choc  dans  la 
t6te,  et  depuis  resta  toute  changee.  Cette  premiere  perturbation 
dura  plusieurs  raois  et  se  gu^rit  a  peu  prefe.  II  y  eut  une  rechute 
terrible  quand  un  m^decin  lui  demanda  si  elle  n'avait  pas  d'albu- 
mine  dans  les  urines.  Depuis  ce  moment  elle  est  reside  pendant 
plus  de  trois  ans  dans  Tetat.  suivant.  Une  dizaine  de  fois  par  jour, 
sans  aucune  espece  de  raison,  de  pr^texte,  au  moins  en  appa- 
rence,  elle  se  met  a  s'agiter,  elle  remue,  frappe  les  meubles,  elle 
prend  une  respiration  haietante,  le  cceur  bat  rapidement,  elle 
pleure,  se  desole,  se  plaint  d'etre  souffrante,  malheurcuse,  d'at- 
tendre  elle  ne  sait  quoi,  d'avoir  peur  de  quelque  chose  d'inconnu. 
Jamais  ^lle  n^a  une  peur  precise,  une  raison  a  son  d^sespoir ;  de 
temps  en  temps  elle  pretend  bien  que  les  personnes  pr^sentes  lui 
out  dit  un  mot  qui  I'a  impressionn^e,  mais  elle  ne  sait  pas  pour- 
quoi  ce  mot  Ta  impressionn^e,  et  souvent  elle  n'invente  aucune 
raison.  C'est  la  crise  d'angoisse  pure,  sans  elements  intellectuels, 
et  se  produisant  d'une  manicre  tout  a  fait  diffuse. 

Je  voudrais  insister  un  peu  sur  Tobservation  de  Ku...  (42)  parce 
que  les  details  de  ce  cas  joueront  un  role  dans  Tinterpr^tation  des 
phenomenes.  C'est  une  femmede  87  ans,  toujoursfaible  ettimide; 
toute  sa  vie  elle  a  et^  tourmentee  par  la  crainte  de  blesser  les 
gens,  par  ce  besoin  d'un  milieu  sympathique  sur  lequel  je  revien- 
drai,  car  il  est  un  des  caracteres  les  plus  curieux  de  Tesprit  des 
scrupuleux.  II  y  a  dix-huit  mois  un  incident  ridicule  a  change  son 
existence  ;  elle  a  6t6  appel^e  comme  t^moin  par  le  commissaire 
de  police  pour  donner  son  opinion  sur  la  conduite  d*un  de  ses  voi- 
sins.  Get  incident  a  sudi  pour  la  mettre  dans  un  ^tat  tout  a  fait 
anormal  qui  a  dur^  plusieurs  ann^es.  Cette  longue  maladie  pent 
se  diviser  en  trois  p^riodes  :  dans  la  premiere  qui  a  dure  trois 
mois  il  y  a  eu  grande  agitation  mentale,  une  rumination  perp^- 
tuelle  et  diffuse  a  laquelle  nous  avons  d6']h  fait  allusion  ;  dans  la 
seconde  qui  a  rempli  une  dizaine  de  mois,  Tagitation  a  ete  surtout 
motrice,  c'cst  une  de  ces  malades  avec  pseudo-crises  d*hyst^rie 
que  j'ai  examinees  a  propos  de  Tagitation  diffuse.  Enfin  la  maladie 
a  pris  une  troisieme  forme  :  «  les  crises  sont  bien  plus  doulou- 
reuses,  dit  la  malade,  parce  qu'elles  sont  devenues  internes.  » 
Cela  signifie  dans  son  langage  qu'il  y  a  beaucoup  moins  de  mou- 
vements   convulsifs  des  membres,    de  cris  et   de  gesticulations, 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  —  LES  ANGOISSES      217 

tnais  que  ces  mouvements  exterieurs  sont  remplac^s  par  des  mou- 
vemeDts  visceraux  :  spasmes  du  diaphragme  et  du  venire  particu- 
lierement  curieux,  tremulation  perp^tuelle  de  rabdomen  qui 
remplacc  la  respiration,  naus^es,  vomissements,  diarrh^es,  etc. 
Ces  angoisses  surviennent  a  chaque  instant  par  crises  plus  ou 
moins  longues  a  propos  de  tous  les  incidents  possibles,  en  rcalite 
sans  rime  ni  raison.  II  y  a  un  etat  d'angoisse  presque  perpetuel, 
<c  une  angoisse  vague  qui  flotte  dans  Tair,  disait  Freud,  et  qui  ne 
demande  qu'a  se  fixer  sur  n'imporle  quoi.  » 

On  retrouvera  un  grand  nombre  d'observations  semblables 
dans  le  second  volume  de  cet  ouvrage.  Je  renvoie  en  particulier  a 
celles  de  Gy...(46),  de  Jo...  (43),  de  Hb...  (47),  Dn..,  (49).  Les 
angoisses  de  cetle  derniere  malade  s^nt  particulierement  remar- 
quables  parce  qu'elles  se  produisent  une  dizaine  de  fois  pendant 
le  sommeil  de  la  nuit  et  ne  surviennent  le  jour  que  si  la  malade 
essaye  de  s'endorrair.  II  faudra  revenir  sur  ce  fait  en  ^tudiant  les 
conditions  pathog^niques  de  Tangoisse.  Ces  quelques  observations 
sont  suflisantes  pour  montrer  que  Tangoisse  ne  prend  pas  tou- 
joars  la  forme  systematique  des  phobies,  mais  que  tres  souvent 
ellc  est  vague,  diffuse,  sans  rapport  avec  un  ph^nomene  intel- 
lectuel  determine.  Cette  forme  semble  si  importante  que  certains 
auteurs,  comme  M.  Freud,  ont  voulu  en  faire  une  maladie  sp6- 
ciale,  distincte  de  Tobsession  et  de  la  neurasthenic,  sous  le  nom 
de  n^vrose  d'angoisse.  C'est  une  interpretation  clinique  qu'il 
faudra  discuter. 


2.  —  Troubles  phrsiologiques  de  F angoisse, 

Apres  avoir  constate  les  diverses  formes  systematis^es  ou  dif- 
fuses que  Tangoisse  pent  rev^tir  il  faut  maintenant  cpnsiderer  ce 
phenomene  en  lui-m^me  et  voir  de  quels  elements  il  est  compost 
dans  la  plupart  des  cas  ou  il  se  pr^sente,  il  faut  rechercher  les 
caracteres  gen^raux  de  I'angoisse.  Ces  caracteres  me  semblent  de 
deux  espfeces  :  un  grand  nombre  sont  des  caracteres  physiolo- 
giques  qui  seront  etudi^s  en  premier  lieu,  mais  il  me  semble  qu'il 
y  a  un  second  groupe  compose  par  des  phenomenes  psychologi- 
quesetdont  Tetude  ne  doit  pas  etre  negligee. 

M.  Freud  enumere  ainsi  les  principales  formes  que  peut  prendre 
la  crise  d'angoisse,  c'est-a-dirc  les  principaux  ph^nomenes  qui  la 


218  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

constituent  et  qui  dans  tel  ou  tel  ens  peuvent  se  developper  isole- 
ment : 

1®  Des  troubles  cardiaques  avec  palpitations,  arythmie,  tachy- 
cardic,  ailant  jusqu'aux  etnts  asystoliques  les  plus  graves  ; 

2®  Des  troubles  respiratoiresdyspnec:  nerveuse,  acces  d'asthme; 

3°  Les  dcsordres  de  Tapparcil  digestif:  acces  de  fringale  ou 
de  boulimie,  faim  paroxystique,  souvent  associee  a  des  vertiges, 
Isoifparoxystique,  diarrh^e  periodique  ou  chronique; 

4**  Des  acces  de  vertiges  ou  d'etourdissements,  ils  consistent  en 
un  malaise  special  accompagne  de  Timpression  que  le  sol  se  de- 
place,  que  les  jambes  s'efTondrent,  ils  peuvent  nieme  amener  des 
acces  d'evanouissement  profonds; 

5^  Des  paresth^sies  ;  # 

6**  Des  terreurs  nocturnes  ou  reveils  angoissants  ; 

7®  Des  fr^missements  musculaires  et  des  tremblements  ; 

8^  Des  sueurs  profuses  survenant  souvent  la  nuit  ; 

9*  Des  ph^nom^nes  vasculaires  et  congestifs  analogues  a 
ceux  que  Ton  observe  dans  la  forme  vaso-motrice  de  la  neuras- 
thenic ; 

lo®  Du  tenesme  et  des  besoins  imp^rieux  d'uriner  *. 

Les  autres  ph^nomenes  que  M.  Freud  ajoute  :  Tirritabilite  ge- 
n^rale,  Tincapacite  de  supporter  aucune  excitation  sensorielle, 
Tattente  inquiete,  Tobsession,  se  rapportent  plutot  aux  troubles 
psychologiques. 

M.  Hartenberg  ajoute  quelques  symptomes  interessants,  des 
acces  de  baillements,  le  phenomene  du  doigt  mort,  des  amai- 
grissements  p^riodiques. 

J^insiste  seulement  sur  les  ph^nomenes  physiologiques  qui  se 
sont  presentes  le  plus  fr^quemment  chez  mes  malades  et  je 
n'etudie  ici  que  les  phenom^nes  de  la  crise  d'angoisse  en  laissant 
de  cote  des  troubles  gendraux  de  la  sante  qui  persistent  en  dehors 
de  Tattaque  d'angoisse  proprenient  dite. 

Jc  desirais  soumettre  ces  troubles  a  une  analyse  precise  et 
autant  que  possible  prendre  quelques  mesures  et  quelques  gra- 
phiques,  ainsi  que  j'avais  pu  le  faire  pour   un   certain   nombre 


I.  S.  Freud,  de  Vicnne,  Sur  la  legitimite  do  scparer  de  la  neurasth<^iiie  un  syn- 
drome dcfini  sous  le  nom  «  do  nevrose  d'angoisso  ».  Neurolog.  Cenlraiblattf  1890, 
n^*  a,  resume  par  ilartcnbcrg,  La  nevrose  d'amjoisse,  1902,  p.  3. 


LES  AcJlTATIONS  fiMOTlONNELLES  DIFFUSES.  —  LES  ANGOISSES      219 

de  phenomenes  hyst^riques.  Je  dois  faire  observer  que  de  telles 
Etudes  sont  beaucoup  plus  diflTicilcs  sur  ce  genre  de  malades 
et  je  suis  un  peu  etonne  quand  je  vois  bien  des  auteurs  parler 
avec  tant  d'assurance  des  modifications  physiologiques  des  psy- 
chastheniques,  comme  s'ils  avaient  pu  les  observer  et  les  mesurer 
avec  precision.  Leurs  crises  d'angoisse  ne  se  produisent  pas  a 
heure  dite,  au  moment  le  plus  favorable  a  I*observation.  Bien  au 
contraire,  i!  y  a  dans  I'^tat  mental  de  ces  malades  des  dispositions 
curieuses  qui  empechent  les  crises  de  se  produire  de  cette  maniere. 
Nous  avons  vu  qu'ils  peuvent  presque  toujours  arreter  ou  sup- 
primer  leurs  crises  quand  il  y  a  des  etrangers  a  qui  ils  veulent  les 
cacher.  Claire,  qui  se  roule  par  terre  dans  ses  crises  d'efforts,  se 
releve  aussitot  des  que  quelqu'un  entre  et  rajuste  avec  le  plus  grknd 
calme  le  desordre  de  sa  toilette.  Dans  ces  conditions  consentiront- 
ils  a  laisser  venir  leur  crise  dans  le  laboratoire  ?  En  outre  nous 
verrons  plus  tard  un  autre  caractfere  int^ressant,  c'est  qu'ils  sont 
tres  facilement  consoles,  rassur^s  par  la  presence  de  la  personne 
qui  les  soigne  ou  simplement  les  ^tudie.  «  Comment  voulez-vous 
que  j'aie  des  angoisses  devant  vous,  me  repete  Jean,  mais  chez 
vous,  c'est  le  seul  endroit  oil  je  sois  tranquille,  je  voudrais  etre 
toujours  aupres  de  vous  et  je  n*aurais  jamais  rien.  »  Par  defini- 
tion meme  Tagoraphobe  a  des  terreurs  dans  la  solitude,  il  ne  les 
aura  pas  dans  un  laboratoire,  quand  il  est  examine  par  son  m^- 
decin.  C'est  pourquoi  a  mon  grand  regret  je  n'ai  pu  reunir  autant 
de  documents  precis,  dc  graphiques  quejeTaurais  voulu  sur  ces 
troubles.  J'ai  eprouve,  je  Tavoue,  une  deception  quand  j'ai  dii 
constater  que  sur  deux  cents  malades  observes  pendant  des 
ann^es,  j'ai  eu  assez  rarement  Toccasion  favorable  pour  observer 
moi-m^me  dans  dc  bonnes  conditions  ces  grands  ph^nom^nes 
^motionnels  dont  les  malades  parlent  toujours  mais  qui  s'eflTacent 
tres  rapidement  des  qu'on  desire  les  analyser. 

Cependant  j'ai  pu  faire  quelques  experiences  en  petit  nombre 
dont  je  crois  devoir  tenir  compte  dans  Tanalyse  de  ces  perturba- 
tions physiologiques. 

Ces  malades  se  plaignent  beaucoup  d'^prouver  pendant  Tan- 
goisse  des  troubles  du  mouvement  des  membres.  Je  ne  parle  pas 
ici  des  grandes  agitations  qui  peuvent  quelquefois  accompagner 
les  angoisses.  Les  excitations  motrices  sont  d'ordinaire  peu  com- 
patibles avec  Tangoissc   proprement    dite,    qunnd    il  y  a   grande 


220  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

soufTrance  morale  le  mouvement  exterieur  n'est  pas  tres  conside- 
rable, et  reciproquement.  ^ 

Ceque  Ton  observe  souvent  ce  sont  desspasmes,  des  secousses, 
chez  Dob...  par  exemple,  des  sortes  de  crampes  qui  ne  vont 
jamais  jusqu'a  la  contracture  chez  Mb...,  et  surtout  du  tremble- 
ment  des  bras  et  des  jambes(Cum...,  Bo...,  Vim...*,  Dob...,  etc.). 
Chez  Buc...  ce  tremblement  des  jambes  a  meme  et^  pris  dansun 
examen  pour  du  clonus.  Quand  le  raalade  est  calme  il  est  Evident 
qu'il  n'y  a  aucun  tremblement  ^pileptoide  de  la  jambe  et  que 
celui-ci  est  dd  au  trouble  emotionnel. 

Beaucoup  de  malades  se  plaignent  d'etre  comme  paralysees  de 
perdre  toute  force  dans  les  membres,  «  mes  jambes,  dit  Fie..., 
femme  de  35  ans,  sont  comme  de  la  laine,  je  me  sens  tomber  par 
terre  »,  «  tantot  mes  jambes  se  d^robent  sous  moi,  dit  Vim..., 
tantot  ce  sont  mes  bras  qui  m'abandonnent.  II  n'y  a  pas  moyende 
tenir  la  plume  pour  ^crire  ».  «  Je  vais  tomber  par  terre,  la  terre 
m'attire,  dit  Dob...  »  J'ai  voulu  verifier  cette  faiblesse  musculaire 
qui  n'est  pas  sans  quelque  importance. 

A  plusieurs  reprises  j*ai  pu  examiner  ces  malades  qui  pretendent 
etre  paralyses  pendant  I'angoisse  :  la  paralysie  ou  meme  la  paresie 
est  un  ph^nomene  qui  doit  se  verifier  assez  facilement.  Eh  bien, 
je  n^ai  pas  pu  constater  autre  chose  qu^un  l^ger  degr^  d^afiaiblis- 
sement  de  T^nergie  du  mouvement  volontaire  qui  disparaissait 
assez  vite  des  que  Ton  encourageait  le  sujet.  Lkb...  pretend 
avoir  les  bras  paralyses  pendant  Tangoisse ;  j*ai  pris  la  force  de 
ses  mains  au  dynamometre  de  Cheron-Verdin  d*abord  pendant 
son  etat  le  plus  normal,  puis  pendant  la  crise,  en  faisant  serrer 
dix  fois  rinstrument  et  en  prenant  la  moyenne.  Voici  la  serie  des 
chifTres  obtenus  a  Tetat  normal : 

Main  droite  :  2^,  21,  2i,  24>  I9)  22,  24*  23,  23,  23,  moyenne 
22,4; 

Main  gauche  :  21,  22,  24?  21,  ig,  19,  21,  21,  21,  moyenne 
21,0. 

Autre  experience  egalement  a  Tetat  normal  : 

Main  droite  :  25,  2^,  23,  23,  24,  24,  23,  24,  22,  25,  moyenne 
23,7  ; 

Main  gauche:  25,  26,  23,  24,  23,  25,  25,  25,  25,  25,  moyenne 
24,6. 

I.   Nevroses  et  Idhs fixes,  11. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  -  LES  ANGOISSES     221 

Voici  maintenant  Texp^rience  qui  a  pu  ^tre  faite  une  fois  pen* 
dant  r^tat  pathologique  : 

Main  droite  :  22,  25,  24,  22,  22,  28,  25,  28,  28,  25,  raoyenne 
23,4; 

Main  gauche  :  21,  21,  21,  20,  21,  ig,  26,  21,  ig,  21,  raoyenne 
20,4. 

L'experience  n'est  malheureusement  pas  assez  r^pet^e  pour 
donner  de  conclusions  bien  nettes,  on  pent  reraarquer  que  raerae 
a  r^tat  normal  la  force  est  faible,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  grandes 
variations  au  cours  des  dix  pressions  cons^cutives,  le  sujet  me 
parait  faire  peu  d'efTorts  merae  au  debut  et  se  fatiguer  peu,  cela 
se  rattache  a  son  aboulie  g^n6rale.  Mais  ce  qui  est  frappant,  c'est 
le  peu  de  diflference  entre  les  series  obtenues  a  T^tat  normal 
et  celles  qui  sont  obtenues  pendant  Tangoisse.  La  paralysie  dont 
se  plaint  cette  malade  ^'est  pas  bien  facile  a  appr^cier  objective- 
ment.  J'arrive  au  m^me  resultat  chez  8  autres  malades  :  la  diffi^- 
rence  entre  les  moyennes  de  dix  pressions  faites  dans  I'^tat 
normal  et  les  moyennes  de  dix  pressions  pendant  Tangoisse  est 
insignifiante. 

Si  on  constate  difficilement  de  la  paralysie  veritable,  on  observe 
souvent  de  Tataxie,  de  Tincoordination.  Les  mouvements  sont 
troubles  par  les  secousses  et  les  spasmes  et  ils  manquent  de  pr6* 
cision.  On  constate  que  les  actes  delicats  ne  peuvent  plus  etre 
executes,  Nadia  cesse  de  pouvoir  jouer  du  piano  et  Jean  ne  pent 
plus  ^crire.  Son  ecriture  devlent  deplorable  toutes  les  fois  qu'il 
est  trouble,  et  pendant  les  crises  d'angoisse  il  est  incapable  de 
tenir  une  plume.  En  dehors  des  phobies  de  la  parole  qui,  bien 
entendu,  rendent  le  langage  impossible,  dans  beaucoup  d'an- 
goisses  la  parole  devient  saccadee,  h^sitante,  embrouillee.  Cer- 
tains malades  ont  pendant  ces  crises  une  parole  tout  a  fait 
speciale  qui  permet  de  reconnaitre  leur  etat. 

Si  nous  passons  aux  fonctions  viscerales  il  faut  rappeler  que 
les  angoisses  d'un  certain  nombre  de  malades  determinent  des 
excitations  g^nitales.  Chez  les  uns  comme  chez  Jean,  ces  excita- 
tions et  les  erections  sont  en  rapport  avecdcs  obsessions  erotiques 
et  Ton  pent  dire  que  ce  sont  les  reveries  des  sujets  qui  ont  amen6 
Texcitation. 

Mais  chez  d'autres  et  en  particulier  chez  Claire  ct  chez  plu- 
sieurs  autres  Texcitation  genitale  se  produit  la  premiere  comme 


222  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

une  sorte  de  derivation  de  Tangoisse  ou  de  Tagitation  motrice  et 
les  obsessions  ^rotiques  ne  viennent  qu'a  la  suite.  Hb...  (^7), 
femme  de  4o  ans,  toujours  timor^e  et  scrupuleuse,  est  restee 
toute  sa  vie  tres  calme  au  point  de  vue  genital.  A  la  suite  de  la 
mort  de  son  pere,  elle  se  sent  seule  et  abandonn^e,  elle  a  des 
crises  de  d^sespoir.  A  ce  moment  elle  a  une  excitation  genitale, 
jusque-la  inconnue  et  ne  peut  r^sister  au  besoin  de  se  mastur- 
ber.  «  Apres  Tavoir  fait  elle  se  sent  mieux,  moins  delaissee  ct 
plus  courageuse.  »  On  peut  rattacher  a  cette  excitation  des 
organes  genitaux  de  curieuses  exagerations  de  secretion.  Ku.... 
dans  ses  angoisses  «  perd  de  Teau  par  le  vagin  comme  une  femme 
qui  accouche  )>.  II  ne  s'agit  pas  d*une  secretion  purulente  qui  se 
rattache  a  quelque  m^trite,  c'est  une  secretion  aqueuse  r^ellement 
trfes  considerable  qui  n'existe  qu'au  moment  de  ces  excitations  et 
qui  disparatt  ensuite. 

Les  troubles  gastro-intestinaux  en  rapport  avec  Tobsession  et 
Tangoisse  doivent  ^tre  importants  mais  ils  sont  difHciles  a  etu- 
dier.  En  efTet  il  ne  faut  pas  oublier  que  tons  ces  malades  ont  au 
supreme  degr^  T^tat  neurasthenique  dans  lesquels  les  troubles 
de  Testomac  et  de  Tintestiu  sont  fondamentaux.  Presque  toujours 
leur  alimentation,  leur  digestion  gastrique,  leurs  fonctions  intes- 
tinales  sont  tres  d6fectueuses  et  cela  d'une  maniere  constante. 
Nous  aurons  a  les  ^tudier  en  examinant  T^tat  g^n^ral  de  leur 
sante  physique.  Mais  il  est  bien  difficile  de  constatersi  quelques- 
uns  de  ces  troubles  digestifs  concordent  exactement  avec  la  crise 
d'angoisse.  Chez  beaucoup  de  malades  il  n'en  est  pas  ainsi,nous 
aurons  meme  a  signaler  chez  Lise,  par  exemple,  et  chez  Gisele 
une  sorte  d'alternance  entre  les  troubles  psychiques  et  les 
troubles  gastriques.  II  faudrait  maintenant  constater  des  troubles 
digestifs  aigus  'au  moment  de  Tangolsse.  Legrand  du  Saulle 
remarquait  d6ja  qu'ils  sont  rares  et  il  faisait  observer  que  les 
agoraphobes  ne  vomissent  pas,  ce  qui  les  distingue  des  autres 
vertigineux. 

Cependant  on  constate  quelquefols  des  troubles  de  Talimenta- 
tion  et  de  la  digestion  qui  coincident  avec  Tangoisse.  La  plupart 
des  malades  refusent  de  manger  pendant  leurs  angoisses.  Ku... 
est  restee  six  semaines  presque  sans  alimentation,  et  il  ne  s'agis- 
sait  pas  ici  d'un  refus  d'aliments  dependant  d'une  obsession,  mais 
d'un  d^goCkt  en  rapport  avec  Tangoisse.  D'autres  ont  des  crises 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  -  LES  ANGOISSES     223 

de  boulimie  comme  Lkb...  (lOo)  qui  a  ce  moment  voudrait  d^vo* 
rer,  mais  je  ne  suis  pas  sur  que  cette  boulimie  d^pende  unique- 
ment  de  Tetat  de  Testomac  et  ne  soil  pas  en  rapport  avec  un  sen- 
timent general  de  faiblesse  que  nous  retrouverons  parmi  les 
troubles  moraux. 

Parmi  ceux  qui  continuent  a  manger,  un  grand  nombre 
comrae  Gr...,Bu...,  Bx...(20o)  se  plaignent  de  naus^es  p6nibles, 
une  seule  malade  Claire  a  rendu  deux  ou  trois  fois  son  repas  au 
milieu  de  ses  contorsions.  Bien  entendu  nous  mettons  a  part  ceux 
qui  ont  dcs  tics  de  vomissements,  des  crises  d'eflbrts  de  vomisse- 
ments,  des  phobies  de  la  digestion,  il  fandrait  tous  les  rappeler 
ici.  Ce  qui  est  plus  frequent  c'est  que  les  maladcs  sans  tics  et 
sans  phobies  particuli^res  se  rapportant  a  la  digestion  souffrent 
cependant  de  la  digestion,  se  sentent  Testomac  gonfl^,  le  ventre 
serr^y  qu'ils  ont  des  spasmes  de  Toesophage,  qu'ils  sentent  la 
boule  qui  monte  a  la  gorge,  qu'ils  se  plaignent  d'avoir  la  bouche 
seche,  pateuse  et  am^re.  Bx...  a  constamment  ce  mauvais 'go6t 
dans  la  bouche  tout  le  temps  que  dure  la  p^riode  de  phobic. 
Chez  quelques-uns  ces  troubles  vont  jusqu*a  Tindigestion,  quand 
la  crise  survient  peu  de  temps  apres  un  repas. 

II  faut  noter  aussi  les  crises  singuli^res  de  diarrhee  que  Ton 
observe  de  temps  en  temps.  Chez  Xo...  c'est  un  veritable  flux 
intestinal  rdp^te  et  extremement  p^nible.  Chez  Gisele,  chez  Lise 
c'est  un  ^tat  lient^rique  qui  s'^tablit  quand  elles  sont  angoiss^es 
et  les  aliments  sont  rendus  sans  aucune  digestion.  Chez  plusieurs, 
chez  Gs...  en  particulier  une  s^cr^tion  aqueuse  continue  a  flots 
meme  quand  les  matieres  sont  rendues  par  excitation  des  glandes 
de  rintestin.  II  y  a  une  hydrorrh^e  intestinale  comme  une  hydror- 
rhee  uterine  et  nasale. 

Enfin  il  faut  noter  chez  plusieurs  de  la  pollakiurie  et  plus 
rarement  de  la  polyurie  vraie;  dans  une  demi-journee  d'angoisse 
Claire  rend  trois  litres  d'urine.  Plusieurs  autres  m'ont  indiqu^  le 
m^me  fait  sans  Favoir  mesur6. 

Avec  les  fonctions  de  la  circulation  nous  arrivons  a  des 
troubles  qui  sont  plus  nettemcnt  en  rapport  avec  Tangoisse. 
Beaucoup  de  malades  se  plaignent  de  soufTrir  au  ccpur  a  ce  mo* 
meat  et  ils  ont  a  ce  propos  comme  toujours  des  descriptions 
imagees  et  symboliques.  «  Je  ressens,  dit  Al...  (i5),  quelque 
chose  qui  me  resserre  et  me  gene  a  gauche  et  qui  monte  jusqu'a 


221  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

la  gorge,  c*est  conime  un  caillot  qui  serait  dans  le  coeur  et  qui 
arr6leralt  le  sang  »,  «  je  souffre  horriblement,  dit  Mm...  (5), 
femme  dc  32  ans,  parce  que  le  coeur  d^borde  et  que  ce  tropplein 
du  coeur  se  r^pand  tout  autour...,  le  coeur  baigne  dans  Tennui 
comme  s'il  avait  et6  plongc^  dans  un  vase  rempli  d'ennui.  »  On  ne 
sait  trop  le  phenomene  physiologique  qui  se  cache  sous  ces  m^ta- 
phores. 

Plusieurs  malades  comme  Claire  pr^tendent  sentir  qu*elles 
arr6tent  leur  coeur.  Ce  serait  un  phenomene  plus  facile  a  verifier 
mais  je  n*ai  jamais  pu  constater  ces  arrets  du  coeur  ni  m^me  de 
v^ritables  ralentissements  du  pouls,  les  malades  disent  toujours 
qu'ils  vont  toniber  en  syncope,  qu'ils  se  sentent  pres  de  s'evanouir, 
mais  je  n'ai  jamais  observe  au  cours  de  Tangoisse  de  v^ritables 
syncopes  cardiaques.  Les  pertes  de  conscience  sur  lesquelles  nos 
aurons  a  revenir  sont  de  tout  autre  nature. 

Ce  que  Ton  constate  veritablement  et  cela  d*accord  avec  le  dire 
des  malades  ce  sont  des  palpitations  cardiaques  «  mon  coeur  est 
declanch^,  dit  Fy...,  il  bat  comme  si  Ton  retirait  le  balancier 
d'une  pendule.  »  Brk...  parle  des  chocs  violents  de  son  coeur  et 
Jean  ne  tarit  pas  sur  ce  sujet.  D*apres  lui  son  coeur  a  non  seule- 
ment  des  battements  pr^cipites  mais  des  battements  enormes  qui 
provoquent  des  chocs  douloureux  sur  la  poitrine  et  que  Ton  doit 
entendre  au  loin  :  ce  declanchement  du  coeur,  comme  il  Tappelle 
lui  aussi,  est  ce  qu'il  redoute  le  plus  au  maximum  de  Tangoisse, 
c'est  pour  T^viter  qu'il  fait  toutes  ces  operations  de  rumination 
mentale.  II  arr^te  ses  battements  en  les  comptant  suivant  sa  manie 
quatre  par  quatre.  J*ai  deja  fait  remarquer  a  ce  propos  que  ce  comptc 
est  purement  imaginaire.  Malgr6  les  exagerations  relatives  a  ces 
chocs  cardiaques,  il  est  certain  a  Tauscultation  que  leur  coeur  bat 
souvent  tres  fort  et  tres  vite.  II  n'est  pas  rare  de  constater  lOO, 
no  pulsations  par  minute  et  plus,  surtout  chezceux  qui  s'agitent 
beaucoup;  quelquefois  comme  chez  Claire  ces  palpitations  se 
prolongent  toute  une  journee  meme  apr6s  la  fin  de  la  crise  d'an- 
goisse. 

La  pression  du  sang  dans  les  arteres  est  beaucoup  ^tudiee 
aujourd'hui  dans  les  etats  n^vropathiques  :  M.  de  Fleury  croit  que 
des  modifications  de  la  tension  au-dessus  ou  au-dessous  de  la 
normale  jouent  un  grand  role  dans   la    neurasthenic  \   Je  trouve 

1.  De  Flciiry,  Les  grands  sympt6mes  neurasihSniques,  igoi.p.  69 (Paris, F.  Alcan). 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  —  LES  ANGOISSES     225 

pour  ma  part  ces  mesures  de  tensioa  du  sang  assez  difficiles  a 
prendre  chez  Thomme.  Je  me  servais  au  d^but  de  l^appareil  de 
Charon  et  j'ai  remarqu^  que,  si  je  faisais  prendre  par  plusieurs 
personnes,  puis  par  moi-meme,  la  tension  d'un  sujet  au  meme 
moment,  nous  arrivions  a  des  resultats  absolument  discordants  et 
cette  contradiction  m'a  d^courag^.  Depuis,  je  me  suis  servi  de 
Tappareil  de  Potnin  et  les  resultats  me  semblent  un  peu  plus 
precis,  je  ne  crois  cependant  pas  pouvoir  attribuer  a  ces  chiflres 
une  extreme  precision. 

Beaucoup  de  sujets  me  semblent  conserver  une  tension  a  peu 
pres  normale,  Jean  qui  est  si  angoisse  m*a  pr^sent^  le  plus  sou- 
vent  i4i  i5  ou  i6;  sur  trois  sujets  j'ai  observe  des  chiffres  de  19 
et  de  20,  c'est-a-dire  sup^rieurs  a  la  normale,  ce  sont  des  sujets 
qui  s'agitent;  chez  deux  autres  :  Lise  et  Gis^le  les  chiffres  de 
9  et  de  11,  ce  sont  des  sujets  qui  semblent  plutot  immobiles 
dans  leur  angoisse.  Une  seule  observation  m'a  laiss^  une  impres- 
sion assez  nette:  Rk...  est  venu  me  trouver  un  matin  parce  qu'il 
avait  et^  pris  dans  la  nuit,  a  trois  heures  du  matin,  d'une  de  ses 
obsessions  avec  manie  mentale  d'interrogation  qui  avait  peu  a 
peu  amen^  une  angoisse.  La  figure  ^tait  tout  a  fait  d^compos^e, 
cet  homme  de  4o  ans  ordinairement  sanguin  etait  bl^me,  il  avait 
la  peau  froide,  le  coeur  battait  60  pulsations  seulement  et  la  pres- 
sion  mesur^e  avec  le  sphigmomanometre  de  Potain  me  paraissait 
nettement  tres  basse,  9  ou  10  au  plus.  J'ai  pu  le  remonter  par 
une  serie  de  proced^s,  que  j'indiquerai  plus  loin,  le  forcer  au 
travail  et  a  Teffbrt  et  je  vis  peu  a  peu  son  teint  changer,  la 
figure  se  colorer.  La  pression  que  j'ai  reprise  ^tait  au  moins 
de  16.  Dans  ce  cas  Tangoisse  a  manifestement  coincide  avec  les 
sympt6mes  d^affaiblissement  cardiaque. 

Mais  j'hesiterais  beaucoup  a  g^n^raliser  cette  observation. 
D'autres  auteurs,  en  particulier  MM.  Vaschide  et  Marchand*  ont 
constats  une  augmentation  de  la  pression  arterielle  de  2  centi- 
metre et  demi  en  moyenne.  La  pression  normale  de  leur  sujet  ^tait 
de  18,5  et  sous  Tinfluence  de  Tangoisse  (il  s^agissait  d'un  6reu- 
tophobe)  elle  s*^levait  a  ai   centimetres.  J'ai  observe  moimeme 


I.  Vaschide  et  Marchand,  Contribution  k  I'^tude  de  la  psycho- physiologic  des 
Amotions  k  propos  d*un  cas  d*^reutophobie.  Revue  de  Psychiatric,  juillet  1900. 
Ufficio  che  le  condizioni  meniali  hanno  sulle  modificazioni  della  respirazione  et 
della  circulazione  periferica.  Rivista  sperimentale  di  freniatria,  1900. 

LK8  OBSESSIONS.  I.  1 5 


526  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

cette  ^l^vation  dans  certains  cas,  sans  compter  les  cas  plus  nom- 
breux  encore  ou  la  pression  a  ^t^  trouvee  normale. 

Les  troubles  des  vaso-moteurs  ont  6t6  6galement  pr^sentes 
comme  essentiels.  M.  Ribot,  avec  Wundt  et  Mosso,  croit  que  le 
relachement  momentane  de  Tinnervation  vaso-motrice  cause  la 
rongeur  du  visage  et  se  pr^sente  comme  une  compensation  de 
Tacc^I^ration  des  battements  du  coBur\  MM.  Pitres  et  R^gisfont 
jouer  un  role  considerable  a  cette  dilatation  des  vaisseaux  cutanes 
qui  accompagne  Tereutophobie.  Je  fais  simplement  remarquer  ici 
que  ces  ph6nom^nes  vaso-moteurs  sont  tr^s  variables  dans  Tan- 
goisse  :  si  on  constate  la  rongeur  chez  quelques-uns,  on  observe 
chez  d'autres  une  paleur  livide  qui  meme  me  semble  plus  fr^- 
quente.  II  y  a  quelquefois  des  alternatives  assez  rapides  de  rou- 
geur  et  de  paleur;  enfin  chez  beaucoup  la  coloration  des  tegu- 
ments reste  tout  a  fait  normale. 

Les  experiences  que  Ton  pent  faire  sur  Tetat  des  vaso-moteurs 
de  la  main  ne  doivent  pas  ^tre  generalisees  trop  vite  :  il  n*est  pas 
certain  que  la  circulation  du  reste  du  corps-  et  surtout  du  cer- 
veau  pr^sente  les  memes  modifications.  J'ai  pu  appliquer  dans 
deux  cas  le  pl^tismographe  deMM.  Hallion  et  Comte  pendant  les 
angoisses  rendues  6videmment  plus  mod^r^es  par  Texperience. 
Dans  un  cas  le  trace  de  la  circulation  capillaire  etait  identique 
a  celui  que  j'avais  pris  pendant  Tetat  normal.  Dans  Tautre  le 
.  trace  des  pulsations  etait  fort  reduit  tandis  qu'il  etait  assez  fort  a 
retat  normal  :  cela  indiquerait  un  certain  degre  de  constriction 
vasculaire.  MM.  Vaschide  et  Marchand  dans  leurs  etudes  sur  un 
ereutophobe^  constatent  deux  formes  du  pouls  radial  et  du  pouls 
capillaire  suivant  que  Temotion  et  Tangoisse  sont  faibles  ou  devien- 
nent  plus  intenses,  «  a  la  premiere  correspond  un  pouls  rapide, 
avec  un  dicrotisme  accentue  et  un  sommet  pointu  et  a  la  seconde, 
un  pouls  lent,  avec  une  pulsation  rapetissante  et  un  dicrotisme 
legerement  attenue.  Le  pouls  capillaire  ne  presente  aucun  dicro- 
tisme net;  sous  Tinfluence  d'une  emotion  de  la  premiere  catego- 
ric, il  est  rapide  et  la  ligne  graphique  devient  moins  ondulee. 
L'idee  de  rougir  provoque  une  legere  vaso-dilatation,  tandis 
que  la  presence  d'une  personne  etrangere  est  accompagnee  d'une 
vaso-constriction  avec  effacement  considerable  de  la  pulsation,  le 

I.  Ribot,  Psychologic  des  sentiments,  477- 

a.  Vaschide  et  Marchand,  op.  cit.,  les  traces  qui  ne  sont   pas   publies  dans  Tar- 
tide  fran^ais  se  Irouvent  dans  Tf^dition  italienne,  Riv.  sper.  d.  freniatria,  1900. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES    —  LES  ANGOISSES     227 

pouls  se  ralentissant.  Dans  les  deux  cas,  le  sujet  rougit  et  pour- 
tant  on  constate  tantot  une  vaso-dilatation,  il  est  vrai,  l^g^re, 
tant6t  une  vaso-constriction,  ce  qui  nous  fait  penser  qu'il  est 
pr^matur^  d'admettre  TidcSe  de  vaso-dilatation  conime  synonyme 
de  la  rougeur  *  ». 

Des  troubles  de  la  s^cr^tion  sudorale  s'ajoutent  a  ces  modifi- 
cations vaso-motrices,  beaucoup  de  ces  malades  sont  converts  de 
sueur.  Cessueurs  sont  naturelles  chez  Claire,  car  elleselivreaune 
gymnastique  eflPr^n^e,  mais  d'aulres  comme  Al...,  Dv...,  Ul,.., 
Lkb.  .,etc.,ontla  figure  et  les  mains  couvert^s  de  sueur  quoiqu'ils 
gardent  Timmobilite,  comme  la  peau  se  refroidit  par  vaso-constric- 
tion  en  meme  temps  que  la  sueur  s'6coule,  celle-ci  paratt  fr^quem- 
mentfroide*.  Un  malade  curieuxRul...,  homme  de  4o  ans,  qui  ne 
pent  rester  immobile  sur  une  chaise  et  que  nous  avons  pr6sent6 
comme  un  cas  d'akathisie,  a  le  front  convert  de  grosses  gouttes  de 
sueur  si  on  le  force  a  rester  assis  plus  de  quelques  minutes. 

Les  troubles  physiologiques  les  plus  visibles  et  les  incontes- 
tables  sont  toujours  les  troubles  des  mouvements  respiratoires. 
Tons  les  malades  qui  ont  des  angoisses  se  plaignent  de  ne  pas 
respirer,  d'^touffer  ;  Lkb...  se  plaint  d'avoir  des  resserrements  a 
la  poitrine,  des  g^nes  de  la  respiration;  «  il  me  semble,  dit 
Bt...  (44),  que  je  m'arrete  de  respirer  ».  «  Je  sentais  que 
j'etouffaisy  dit  sans  cesse  Fy...,  je  sentais  que  rien  ne  remuait 
dans  ma  poitrine  et  il  me  semblait  que  les  autres  personnes  ne 
devalent  pas  respirer  non  plus  ;  alors  ce  devait  etre  la  fin  du 
monde,  tout  le  monde  mourait  ^touff^,  et  comme  mes  ^toufTe- 
ments  augmentaient  je  me  suis  trainee  chez  la  concierge  pour  lui 
demander  si  elle  ^touflfait  aussi  ». 

Ces  troubles  respiratoires  ne  sont  pas  purement  subjectifs  ;  on 
peut  facilement  les  constater.  MM.  Yaschide  et  Marchand,  dans 
le  travail  pr^cedemment  cite  observent  que  la  seule  id^e  de  rou- 
gir  provoque  chez  leur  malade  une  acceleration  de  la  respiration 
avec  augmentation  de  Tamplitude,  et  que  Tangoisse  plus  intense 
amene  un  ralentissement  avec  irr^gularites  et  fausses  respira- 
tions en  saccades'. 


I.  Vaschide  ct  Marchand,  op.  cit.,  p.  ao4. 

a.  Hartenberg,  Les  timides  et  la  timidiU,  p.  27. 

3.  Vaschide  et  Marchand,  op.  cit  ,  p.  ao3. 


m 


LE9  AGITATIONS  FORCfiES 


Mes  observation  m'ont  permis  de  constater  des  fiiits  analogues. 
On  observe  a  premiere  vue  que  plusieurs  parmi  ces  angoiss^s 
respirent  trop  vite.  On  voit,  par  exemple,  que  Ku...  est  haletante, 
elle  a  meme  une  tremulation  du  ventre  extremement  curieuse 
et  j'ai  beaueoup  regrett^  de  ne  pouvoir  prendre  le  graphique  de 
sa  respiration.  Ces  petites  seeousses  continuelles  du  ventre  sont 
dues  a  un  tremblement  du  diaphragme,  les  mouveinents  sont  a 
la  fois  tr^s  superficiels  et  tres  rapides. 

Ces  caracteres  deviennent  encore  plus  visibles  quand  on  peut 
prendre  les  graphiques.  Je  repete  a  ce  propos  combien  il  est  diffi- 
cile de  r^ussir  cette  experience  sur  ce  genre  de  malades.  Le  plus 
souvent  la  crise  d'angoisse  disparait  pendant  que  je  les  mene 
avec  moi  au  laboratoire  et  que  je  dispose  les  appareils.  Quelque- 
fois  mais  rarement  Tangoisse  persiste  et  s'aggrave  au  contraire 
a  la  vue  des  appareils;  niais  alors  il  est  impossible  de  tenir  le 
sujet  tranquille  sur  son  fauteuil;  il  s'agite  beaueoup  et  si  on 
insiste  il  casse  tons  ces  appareils  delicats,  comme  cela  m*est 
arrive  avec  Lkb... 

II  en  resulte  que  sur  un  si  grand  nombre  de  malades  je  n*ai  pu 
prendre  qu'un  petit  nombre  de  graphiques  et  que  les  troubles 
doivent  6tre  en  r^alite  plus  accentues  que  ces  quelques  figures  ne 
nous  les  montrent.  La  figure  3  nous  montre  seulementune  legere 


r^^./^.r\r\r^\.^ 


Fig.  3,  —  Respiration  angolssee  de  Chm...  -iS  respirations  par  minute.  —  Ces  eraphiqai 
sent  pris  avec  le  pneumographe  de  Verdin,  les  lignes  horltontales   et  verticales  servei 
de  reperes.  La  fleche  horizontale  indique  dans   quel  sens  le  graphique  doit  Aire  lu.  U 
fltehe  veriicale  dans  quel  sens  s'inscrit  Tinspiratlon.  T.  Respiration  thoracique.  A.  Res- 


ent 


piration  abdominale.  s.  Le  temps  en  secondes. 


polypnee  chez  Chm...,  28  respirations  par  minute,  on  note  aussi 
un  l^ger  tremblement  dans  les  mouvements  de  Fabdomen.  II  est 
probable  que  les  troubles  se  sont  r^duits  pendant  que  je  disposals 
Texp^rience.  Ul...  (45),  dans  la  figure  4>  nous  pr^sente  deja  les 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  —  LES  ANGOISSES     229 

m^mes  ph6nomenes  plus  accentu^s;  il  y  a  25  respirations  parmi« 
nute  et  elles  sont  beaucoup  plus  irr^gulieres  ;  la  respiration 
abdominale  est  a  peu  pres  supprim^e  et  remplac^e  par  une  tre- 
mulation  d^sordonnee. 


i^l^/J^ 


^Mi  \ 


,HH►^^444^HH4*t:M'»4-H►^^11w^%t* 


-nW^ 


Fio.  It,  '—  Respiralion  angoisj^ee  de  Ul...  quand  elle  essaye  de  regardcr  quelqu'un  dans  les 
jeux.  20  respirations  par  minute. 


Dans  la  figure  5  la  polypn^e  de  Lkb...  est  tout  a  fait  ^norme, 
88  respirations  par  minute,  avec  de  grandes  irregularit^s.  Un 
autre   type    de    respiration    dans   Tangoisse  est    celui  que  nous 


*  Aj,^^AArt4*-w/ 


'^^^'W..v 


..v*^--'-  '-•*wv.^^y*l^-^^^y-^^, 


Flo.  'b.  —  Respiration  angoissee  de  Lkb...  88  respirations  par  minute. 


voyons,  dans  la  figure  6  prise  sur  Sy...  ;  il  n*y  a  pas  de  polypnee, 
il  y  a  au  contraire  diminution  du  nombre  des  respirations,  lo  a 
peine  par  minute.  Mais  la'respiration  se  fait  par  soupirs  brusques, 
et  profonds.  Chaque  inspiration  est  une  sorte  de  mouvement 
convulsif  surtout  du  diaphragme.  Meme  quand  la  raalade  est  un 
peu  calm^e  (figure  7)  elle  conserve  quelque  cbose  de  cette  respira- 
tion brusque.  Ces  deux  troubles  principaux,  la  polypnee  et  les 
spasmes  inspiratoires,  se  combinent  le  plus  souvent  et  la  figure  8 
prise  sur  Rib...  (68)  doit  presenter  le  trouble  le  plus  commun:  la 


230 


LES  AGITATIONS  FORCeES 


o 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  —  LES  ANGOISSES     231 

resptration   tres    irreguliere    surtout  au  diaphragme  est  entre- 
coupee  de  grands  soupirs  convulsifs. 


Fig.   7.  —  Respiration  de  Sy.,  quand  Tangoisse  diminue.   18  respirations  par  minate. 


Je  n'ai  pu  qu*une  seule  fois  mesurer  au  spirometre  de  Verdin 
la  quantite  d'air  absorbe  et  je  Tai  trouv^e  malgr6  la  polypn^e 
Ires  inftrieure  a  la  normale  ;  je  n*ai  pu,  comme  je  Tavais  fait 
pour  les  hysteriques,  faire  Tanalyse  des  gaz  de  la  respiration.  II 
est  probable  que  Ton  verrait  la  d'autres  troubles  qui  s'ajouteraient 
aux  precedents. 


fv  A 


(vJ^l 


v_v~SV 


Fig.  8.  —  UespiralioD  angoissee  de  Rib...  26  respirations  par  minute,  soupirs  et  polypnee, 
irrcgularile  complete  de  la  respiration  abdominaie. 


Tels  sont  sommairement  resumes  les  principaux  troubles  phy- 
siologiques  que  Ton  observe  dans  les  angoisses. 


232  LES  AGITATIONS  FORCfiES 


a.  —  Troubles psychologiques  de  I'angoissey  I'angoisse  mentale, 

II  existe  dans  Tangoisse  des  troubles  physiologiques,  nous  les 
avons  constates:  il  est  merae  probable,  comme  nous  Tavons 
r^p^t^,  que  ces  troubles  doivent  ^tre  souvent  plus  considerables 
que  nous  n'avons  pu  Tobserver  et  surtout  Tenregistrer.  Dans  des 
circonstances  plus  heureuses  on  pourra  noter  encore  plus  de 
modifications  cardiaques,  vaso-motrices  et  respiratoires.  Mais 
faut-il  en  conclure  que  ces  alterations  sont  tout  dans  Tangoisse 
des  scrupuleux  et  qu'elle  est  uniquement  la  conscience  en  retour 
de  ces  quelques  modifications  organiques.  Je  crois  qu'il  y  a  sur 
ce  point  bien  des  r<5serves  a  faire. 

Cette  discussion  sera  reprise  a  propos  des  diverses  theories  de 
la  maladie.  Pour  le  moment  il  suflit  de  constater  que  ces  ma- 
lades  se  plaignent  encore  et  souvent  bien  davantage  de  troubles 
qu'ils  eprouvent  dans  la  t^te  et  de  grandes  perturbations  de  leur 
conscience  M.  Arnaud  remarquait  justement  que  «  Tangoisse  est 
surtout  c^rebrale  intellectuelle,  c'est  une  anxi^t^  mentale  plutot 
qu*une  angoisse  organique*  »,  sans  aller  peut-etre  aussi  loin,  je 
dirai  simplement  ici  que  I'angoisse  n'est  pas  seulement  visc^rale, 
qu'elle  est  6galement  cerebrale  et  intellectuelle. 

Dans  bien  des  cas  cette  seconde  partie  de  Tangoisse  semble 
6tre  la  principale  et  pent  meme  subsister  seule ;  en  un  mot,  a  cole 
de  Tangoisse  visc^rale  qui  pent  se  trouver  chez  un  simple  car- 
diaque  en  acccs  d'asystolie  et  qui  n'a  rien  de  specifique,  existe 
une  angoisse  mentale  qui  est  propre  aux  scrupuleux  et  qui  par 
consequent  a  ici  beaucoup  d'importance. 

Ces  malades  decrivent  tons  des  sensations,  des  souffrances 
qu*ils  ressentent  dans  la  t^te  et  que  nous  aurons  a  revoir  en 
detail.  lis  insistent  beaucoup  sur  certains  sentiments  tr6s  peni- 
bles  qui  sont  exclusivementd'ordre  mental.  «J'eprouve,ditDob..., 
des  sentiments  ^tranges  dans  ces  moments  de  d^tresse  morale  ou 
je  m'acharnea  ressaisir  ma  raison.  »  lis  ont,  en  efTet,  le  sentiment 
dominant  qu'ils  pertent  la  tote  (Dob...,  Jean,  Cer...).  C'est  a  ce 
moment  qu'ils  croient  tons  devenir  fous.  <(  Je  sens  dans  ma  tete 
comme  un  bourdonnement,  a  la  fois  une  exaltation  etune  torpeur, 
la  peur  de  devenir  folle  m'a  saisie»  (Fy...).  «  II  me  passe  des  id^es 

I.  Aroaud,  Les  theories  des  Tobsession.  Archives  de  neurologies  190a,  II. p.  266. 


LES  AGITATIONS  fiMOTIONNELLES  DIFFUSES.  -  LES  ANGOISSES     233 

dr6les  tout  d'un  coup,  j'ai  le  sentiment  frappant  que  je  deviens 
folle  et  c'est  alors  que  j^ai  peur.  J'ai  envie  de  crier  moi-m^me  que 
je  deviens  folle  et  idiote  »  (Sy...). 

Un  autre  sentiment  tres  bien  not6  par  Claire,  c'est  celui  de 
mourir  ((Je  perds  non  seulement  la  raison  mais  la  vie,  dit-elle,il 
me  semble  que  je  meurs,  heureusement  que  c'est  tres  rapide.  »  lis 
ont  aussi  le  sentiment  de  ne  plus  percevoir  le  monde  exterieur. 
<€  Vous  ne  pouvez  pas  comprendre  le  nuage,  le  rideau  noir,  dit 
sans  cesse  Jean,  qui  vous  tombe  sur  les  yeux  et  sur  la  tete  a  ce  mo- 
ment-Ia.  »  ((  Ce  qui  me  donne  Fanxi^te,  dit  Dob...,  c'est  que  j'ai 
le  sentiment  de  ne  plus  comprendre  oil  je  suis,  qui  je  suis,  que 
j*ai  comme  un  froid  et  un  engourdissement  dans  toute  la  tete.  » 

Enfin  ils  ont  le  sentiment  de  perdre  leur  liberte,  de  devenir 
comme  des  automates,  de  ne  plus  pouvoir  commander  a  leurs 
actes  et  c'est  ce  qui  leur  donne  de  telles  terreurs  de  faire  des 
sottises.  ((  Quel  moment,  ^crit  Dob...,  non  decid^ment  je  n'ai 
plus  une  parcelle  de  volont^,  je  suis  comme  une  6pave  battue  par 
les  flots  et  ma  tete  se  perd  parce  que  je  sens  que  je  ne  suis  plus 
du  tout  maitresse  de  moi.  » 

Ces  sentiments  me  par^issent  de  la  plus  grande  importance 
dans  I'angoisse,  ils  soulevent  un  probleme  capital  qui,  si  je  ne  me 
trompe,  n'a  encore  ete  bien  entrevu  que  par  M.  Seglas*,  le  pro- 
bleme  des  troubles  psychologiques  qui  se  manifestent  pendant  la 
crise  et  qui  existent  peut-etre  perpetuellement  a  un  degre 
moindre  chez  les  scrupuleux. 

11  faut  analyser  ces  alterations  des  fonctions  psychologiques 
avant  de  chercher  a  interpreter  le  m^canisme  des  obsessions  et 
des  processus  irr^sistibles.  II  me  semble  dilficile  de  s^parer 
r^tude  des  troubles  psychologiques  pendant  la  crise  d'angoisse 
mentale  de  celles  des  troubles  psychologiques  qui  existent  plus  ou 
nrioins  constamment  chez  les  obsed^s,  les  uns  n'^tant  que  les 
exag^rations  des  autres.  Aussi  les  etudierons-nous  simultan^ment 
sous  le  nom  de  stigma tes  psychologiques  des  psychastheniques 
dans  le  chapitre   suivant. 

Pour  le  moment,  contentons  nous  de  resumer  dans  un  tableau 
les  principales  formes  des  agitations  emotionnelles  qui  viennent 
d'etre  etudi^es. 


I.  Scglas,  Lemons  cliniqnes  sur  les  maladies  mentales  et  nerveuses,  iSqS.  5*  le^on, 
p.  ii8. 


234 


LES  AGITATIONS  FORCEES 


AGITATIONS   FORCEES  ^MOTIONNELLBS 


les  phobies 
du  corps. 


A  forme        /  les  phobies  des  objcls, 
syslcmatiqiie.    \ 


los  phobies 
des  situations. 


\es  phobies  des  idi'es 


de  la  poilrine, 

des  seins, 

de  la  peau, 
.  de  la  t^te, 
j  les  algies.  .     .  ^  jes  dents,  de  la  langue, 

des  membres, 

des  organes  genitaux, 

de  la  vessie,  de  I'uretre, 

de  I'anus,  etc. 

des  mouveraents  des  bras, 

de  Tecrilure, 

de  la  nnkarche, 

de  Tali  mentation, 
.  de  la  deglutition, 
les  phobies     I  de  la  digestion, 
dos  fonctions. .  \  de  la  ddf^cation, 

de  la  respiration, 

de  la  parole, 

de  Todorat, 

de  Touie, 

de  la  vue,  etc. 

des  objets  dangereux, 

des  objets  sales, 

des  objets  de  valeur, 

des  hommes  ou  des  femmes, 

des  animaux, 

des  instruments  proressionnels.  etc. 

des     situations  (  agoraphobic. 

physiques      )  pbobie  dos  endroiU  Aleves, 
(  claustrophobic,  etc. 
ereutophobie, 
djfsmorphophobie, 
situations  ]  pbobie  des  poils,  des  traits  de  la 
socialcs         ^       figure,     des    mouvements  du 
visage  ou  des  membres. 
phobies  des  domestiques, 
—      du  manage,  etc. 

des  idces  rcligieuses, 

des  idees  morales, 

de  ridce  de  mort, 

de  Tidcc  de  maladie,  etc. 


^  Mes  angoisses  phjsiologiques. 

dilTuse         y  . 

\  les  angoisses  mentalcs. 


digestives, 

circulatoires, 

respiratoires. 


UNITfi  GLINIQUE  DES  AGITATIONS  FORGfiES  235 


QUATRlfiME  SECTION 


CARACTERBS    GENERAUX   DES    AGITATIONS    FORCEES 


Cette  longue  analyse  de  toutes  sortes  d'operations  Torches  qui 
envahissent  Tesprit  des  malades,  avait  pour  but  non  seulement 
de  decrire  leurs  tres  norabreuses  vari^l^s  mais  encore  d'^tablir 
entre  elles  quelque  ordre  en  les  r^unissant  par  classes,  en  les 
ramenant  a  quelques  types  principaux.  Nous  sommes  ainsi  par- 
venus a  constater  trois  classes  ou  trois  types  principaux  de  ces 
phenomenes  : 

i^  Des  operations  intellectuelles  que  nous  avons  reunies 
sous  le  titre  de  manies  mentales  et  de  ruminations  mentales; 

3**  Des  mouveraents  irresistibles  que  nous  avons  r^unis  sous  le 
nom  de  tics  et  de  crises  d'agftation ; 

3^  Des  angoisses  visc^rales  d^terinin^es  par  des  troubles  orga- 
niques   surtout  de  la   circulation    et   de   la  respiration. 

Malgr6  ces  distinctions  il  estn^cessaire  derechercherlescarac- 
tcres  communs  appartenant  a  tons  ces  groupes. 


i.  —  Unit6  clinique  des  agitations  torches. 

En  general  Tenseignement  clinique  jusqu'a  ces  dernicres 
ann^es  s'est  montre  dispose  a  separer  ces  trois  groupes  de  syipp- 
tomes  et  a  les  considerer  comme  autant  de  maladies  distinctes. 
Le  groupe  des  mouvements  forces  constituait  la  maladie  des  tics 
que  Ton  plaqait  a  part,  les  ruminations  mentales  formaientla/b/ie 
du  doute  et  les  phenomenes  ^motionnels  se  rangeaient  sous  le  titi  e 
de  du  delire  contact  ou  de  phobies, 

Les  premiers  auteurs  qui  ontdecrit  les  obsessions,  m^mequand 
ils  ne  cedaient  pas  a  la  tentation  d'eriger  chaque  manic  en  mala- 
die ind^pendante  etaient  toujours  disposes  a  distinguer  formelle- 
ment  ces  divers  groupes  de  symptomes.    Griesinger,  en  i868, 


236  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

mettait  a  part  la  manie  du  pourquoi  et  du  comment  dont  il  faisait  une 
obsession  avec  conscience  sous  forme  de  question  et  de  doute.  II 
ne  faisait  pas  la  moindre  allusion  aux  troubles  du  mouvement,  ni 
aux  troubles  de  T^motion.  Bien  mieux  il  allait  jusqu^a  soutenir 
que  dans  le  d^lire  du  doute  il  n'y  avait  aucun  trouble  emotionnel. 
Quand  Legrand  du  Saulle  chercha  a  r^sumer  ce  que  Ton  savait 
sur  ces  manies  bizarres,  il  ^crivit  deux  petits  livres  :  Tun  sur  le 
syndrome  intellectuel  qu*il  appelait  la  folie  du  doute,  Tautre  sur 
le  syndrome  emotionnel  qu'il  designait  sous  le  nom  de  Tun  de 
ses  types  principaux,  Tagoraphobie.  Plus  tard,  il  fut  bien  oblige 
de  remarquer  qu'il  y  avait  des  rapports  entre  ces  deux  maladies 
et  il  imagina  de  faire  de  ces  deux  syndromes  deux  phases  succes- 
sives  d'une  m6me  maladie  :  les  sujets  devaient  suivant  lui  debuter 
par  le  d^lire  du  doute  et  terminer  ensuite  par  une  seconde  pe- 
riode  ou  se  montrait  la  crainte  de  toucher  certains  objets. 

Apres  lui  on  conserva  encore  presque  toujours  la  distinction 
des  deux  syndromes,  sans  admettre  son  correctif  et  sans  en  faire 
deux  phases  successives  d'une  m^me  maladie.  M.  Cullerre  ne 
veut  pas  admettre  avec  Legrand  du  Saulle,  que  le  di^lire  du  tou- 
cher, soit  une  seconde  phase  de  la  folie  du  doute.  cc  Fin  r^alite, 
dit-il  \  ce  symptome  a  une  existence  indepehdante  et  merite 
d'etre  examine  a  part.  »  M.  Ladame^,  dans  son  ^tude  remar- 
quable  sur  ces  maladies,  termine  en  donnant  deux  observations 
qui  a  son  avis  demon trent  a  la  complete  independnnce  de  la  folie 
du  doute  et  du  delire  du  toucher  ».  C'est  a  peine  s*il  admet  que 
ces  deux  maladies  distinctes  s*associent  quelquefois  comme  la 
pleuresie  et  la  pneumonie. 

Cependant  depuis  quelque  temps  Topinion  inverse  se  deve- 
loppe,  les  derniers  travaux  sur  les  tics  de  M.  Dubois  (de  Saujon)et 
de  M.  Meige  nous  ont  montr^  bien  souvent  la  coexistence  des 
manies  mentales  et  des  phobies  avec  les  tics.  M.  Ritti^,  dans  son 
etude  sur  la  folie  du  doute,  montrait  deja  en  1875  qu'un  rappro- 
chement de  cette  maladie  avec  le  delire  du  contact  serait  legitime. 
Krafft  Ebing,  i883,Wille,  1883,  Mendel,  1888,  expriment  des  opi- 


I.  Cullerre,  Les  frontier es  de  la  folie ^  1888,  p.  78. 

a.  Ladame,  Confjres  de  Psychiatrie  de  Berlin,  1891 ,  et  Revue  de  Vhypnoiisme,  1891, 
p.  i35. 

3.  Rilti,  Gazette  hebdotnadaire,  n"  ^2,  1877,  ^^  article  «  Folic  du  doute  »  du  Die- 
tionnaire  encyclopedique. 


UNITfi  CLINIQUE  DES  AGITATIONS  FORCfiES  237 

nioDs  analogues.  M.  Magnan  en  r^unissant  tous  ces  fails  sous  le 
nom  de  «  delire  des  deg^n^resa  beaucoup  iortifi^  celte  opinion  ». 

Les  distinctions  completes  que  Ton  ^tablissait  autrefois  entre 
ces  trois  groupes  de  symptomes  semblent  au  premier  abord  assez 
justifiees  en  clinique.  Un  individu  qui  a  un  grand  nombre  de  tics, 
qui  cligne  des  yeux,  tourne  la  t^te,  secoue  ses  mains,  prend  une 
physionomie  bien  speciale  qui  semble  le  distinguer  des  malades 
troubles  par  un  autre  groupe  de  symptomes.  Tout  entier  a  ses 
mouvements  il  ne  nous  parle  guere  des  troubles  mentaux  qui 
le  genent  beaucoup  moins  et  qui  d'ailleurs  sont  moins  deve- 
loppes  que  ses  tics.  De  m6me  une  personne  qui  a  de  grandes 
ruminations  abstraites  ne  ressemble  pas  a  celle  qui  a  de  grandes 
angoisses. 

II  est  certain  par  exemple  que  Ton  ne  pent  pas  confondre  com- 
pletement  Lise  et  Dob...,  I'une  est  toujours  complfetement  calme, 
ne  manifeste  aucun  trouble,  elle  serait  plutot  trop  immobile,  ses 
agitations  et  ses  souffrances  sont  purement  int^rieures,  elle  se 
borne  a  d'interminables  ruminations  mentales  ;  I'autre  est  une 
femme  agit^e,  pleurant  et  criant  qui  est  prise  de  terreur  au  mi- 
lieu de  la  rue  et  qui  court  comme  une  folle  pour  rentrer  chez 
elle :  Taspect  clinique  est  evidemment  different.  On  pent  mcme 
remarquer  aussi  un  fait  qui  justifie  en  partie  la  conception  de 
Legrand  du  Saulle  et  que  cet  auteur  signalait  deja^  c'est  que  Tun 
des  ph^nomenes  semble  jusqu'a  un  certain  point  etre  antagoniste 
de  Tautre.  Plus  les  malades  ruminent,  moins  ils  ont  de  mouve- 
ments d'agitation  et  m^me  d'angoisse  respiratoire,  plus  ils  sont 
agites  physiquement,  moins  ils  ont  d'agitation  mentale.  11  est 
done  juste  de  distinguer  ces  trois  groupes  cliniques,  c'est  ce  que 
nous  avons  fait  en  repartissant  ces  symptdmes  en  trois  classes  dis- 
tinctes :  la  predominance  de  Tun  ou  de  Tautre  fera  si  Ton  veut 
trois  vari^t^s  de  la  maladie. 

II  est  impossible  d'aller  plus  loin  :  les  liens  qui  unissent  les 
ruminations,  les  tics  et  les  angoisses  sont  des  plus  ^troits.  D'abord 
les  malades  passent  tr^s  souvent  de  Tun  a  Tautre.  Un  certain 
nombre  suivent  la  marche  indiquee  par  Legrand  du  Saulle  et 
vont  du  doute  aux  phobies:  Claire  a  longtemps  rumin^  sur  la  religion 

I.  Legrand  du  Saulle,  Folic  da  doute,  p.  89. 


238  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

avantd'avoir  ses  crises  d'agitation,  ses  terreurs  devaiit  leseglises, 
les  cabinets  ou  les  bouteilles,  Ul...  a  eu  des  scrupules,  des  rumi- 
nations sur  le  bien  et  le  mal  avant  d'etre  une  agoraphobe.  On 
pourrait  tout  aussi  bien  ^num^rer  des  malades  qui  ont  suivi 
I'ordre  inverse:  De...  avait  des  phobies  g^nitales  puis  elle  s*est 
mise  k  s'interroger  sur  la  fa^on  dont  elle  ^tait  faite,  sur  Tamour, 
etc.,  etc.,  Nem...  a  eu  longteoips  la  phobic  des  conteaux,  des 
fourchettes  puis  elle  a  commence  un  d^lire  d'interrogation  sur  la 
fft^on  Aoni  les  hommes  sont  faits,  sur  la  nature  du  monde.  Ud 
grand  nombre  ont  commence  par  avoir  des  tics  puis  ont  ^volue 
vers  les  doutes  et  les  phobies,  Nu...  (112),  gu^rie  de  ses  tics  par 
un  traitement  s^v^re,  commence  les  manies  d*iaier rogation  ;  la 
marche  inverse  se  rencontre  ^galement.  Ces  evolutions  diverses 
sont  a  discuter  au  point  de  vue  du  pronostic,  il  suflit  de  remar^ 
quer  ici  qu'elles  existent  toutes. 

II  faut  observer  en  second  lieu  que  ces  divers  phenom^nes  se 
remplacent  les  uns  les  autres  avec  la  plus  grande  facility,  soit 
spontan6ment  au  cours  de  la  maladie,  soit  artificiellement  quand, 
au  cours  du  traitement,  on  cherche  a  supprimer  une  de  ces  agi- 
tations. Tons  les  auteurs  ont  remarqu^  que  la  resistance  a  la 
manie  mentale  am^ne  Tangoisse.  Si  le  malade  s'efforce  de  ne  pas 
verifier,  de  ne  pas  recommencer,  de  ne  pas  compenser,  de  ne  pas 
expier,  il  a  des  suffocations  et  des  palpitations  cardiaques  :  au 
contraire  il  se  calme  si  on  le  laisse  donner  libre  cours  a  ses  be- 
soins  de  rumination.  Jean  a  donne  la  main  a  sa  mere,  il  a  Tid^e 
de  compenser  en  touchant  la  main  d'un  homme,  s'il  cfede  et  s'il 
arrive  a  serrer  la  main  d'un  homme,  il  est  sans  doute  m^con- 
tent  parce  qu'il  fait  une  absurdite,  mais  il  ne  souffre  pas.  Si  ce 
besoin  surgit  le  soir  quand  il  est  seul  avec  sa  m^re  et  si  par 
consequent  il  ne  pent  pas  satisfaire  sa  manie,  il  a  des  angoisses 
une  partie  de  la  nuit  et  une  grande  agitation  motrice.  Si  Pn... 
ne  repete  pas  sa  phrase  :  «  Allons  diner,  etc.  »  il  est  augoisse  et 
sa  femme  aime  mieux  «  Tentendre  dire  ses  betises  plutot  que  de 
le  voir  suffoquer  ».  Dans  bien  des  cas,  les  tics,  les  agitations 
motrices,  les  masturbations  ni^mes  viennent  a  la  place  de  rumi- 
nations que  Ton  veut  supprimer  et  inversement. 

Enfin  il  ne  faut  pas  oublier  les  sujets  comme  Jean  qui  sem- 
blent  avoir  eu,presque  tout  le  temps,  des  tics,  des  ruminations  et 
des  phobies  de  toute  esp^ce.  Chez  les  malades  s^rieusement 
atteints  on  trouve  souvent  ces   divers   sympt6mes  qui  ^voluent 


LES  CRISES  D»AGITATION  FORCfiE  239 

cote  a  cote  et  il  est  facile  de  remarquer  que  dans  les  Etudes  pr^- 
c^dentes  les  memes  malades  sont  cites  a  propos  des  diverses  agi- 
tations Torches. 

Je  ne  crois  done  pas  que,  au  point  de  vue  clinique,  on  puisse 
admettre  une  separation  complete  entre  ces  divers  groupes  de 
sympt^mes.  Leur  union  est  encore  v6rifi6e  par  Tidentite  profonde 
des  caracteres  psychologiques  que  I'on  observe  dans  les  uns  et 
dans  les  autres. 


2.  —  Les  crises  d' agitation  torcSe. 

Apres  cette  longue  analyse  il  faut  essayer  de  d^gager  les 
caracteres  psychologiques  qui  se  retrouvent  d'une  maniere  gene- 
rale  dans  ces  ruminations,  dans  ces  agitations  motrices  et  dans 
ces  angoisses.  Je  ne  recherche  pas  encore  leur  interpretation,  je 
voudrais  seulement  ramener  a  quelques  faits  simples  cette  diver- 
sit6  ^norme  de  manifestations  dans  laquelle  on  sent  tant  de  con- 
fusion. 

i.  —  Les  periodes  de  crise. 

Ces  singuliers  ph6nomenes  moraux  ne  semblent  pas  au  premier 
abord,  au  moins  chez  la  plupart  des  malades,  6tre  continuels,  ils 
se  presentent  par  crises  plus  ou  moins  fr6quentes  et  plus  ou 
moins  longues.  C'est  la  un  caractere  essentiel  qu'il  faut  placer 
au  premier  rang. 

Ce  caractere  est  incontestable  pour  les  agitations  et  les  phobies 
avec  angoisses  visc^rales,  ilestbien  Evident  queNadia  ne  bouscule 
pas  les  meubles  toute  la  journec  et  que  Claire  ne  fait  pas  conti- 
nuellement  des  eflbrts  et  des  contorsions ;  il  y  a  des  periodes 
d^agitations  et  des  periodes  de  repos  au  moins  relatif.  Quand 
nous  avons  pris  le  graphique  de  la  respiration  de  Sy...,  nous 
avons  mis  en  opposition  sa  respiration  pendant  la  p^riode  de 
sufTocation  et  sa  respiration  pendant  la  periode  de  calme.  Pour 
ces  deux  categories  de  ph^nomenes  les  crises  sont  done  bien 
marquees. 

Ce  caractere  pent  sembler  un  peu  moins  net  quand  il  s'agit  des 
ruminations  mentales.  Chez  beaucoup  de  sujets  les  ph^nomenesse 
prolongent  d'une  maniere  a  peu  pres  indefinie :  c'est  le  cas  d*ail- 


240  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

leurs  de  la  plupart  des  grands  maladcs.  Lise  pretend  qu'elle  ne 
sort  plus  jamais  de  la  rumination  qui  accompagne  perp^tuelle- 
ment  toutes  les  actions  de  sa  vie.  A  c6t<^  de  Taction  reelle,  par 
exemple,  pendant  qu'elle  fait  travailler  ses  enfants,  ou  meme  a 
cot^  de  la  pens^e  r^elle,  pendant  qu'elle  cherche  a  lire  et  a  com- 
prendre  un  livre,  il  y  a  toujours  un  ^norme  travail  imaginaire  qui 
porte  sur  des  scrupules,  des  hesitations,  des  pactes,  des  preoccu- 
pations de  la  vie  future,  des  r6ponses,  des  formules  de  conjuration 
comme  4>  3,  2,  et  cela  ne  cesse  a  peu  pres  jamais.  Dans  lesperiodes 
de  bonne  sante  relative  la  rumination  s'eloigne  et  voila  tout ;  elle 
parait  plus  lointaine  a  cela  devient  implicite,  comme  disait  Jeani). 
Mais  la  malade  a  toujours  la  conscience  vague  que  ce  travail 
continue  a  se  faire  dans  sa  t^te :  «  meme  quand  je  vais  bien,  dit 
Gisele,  il  y  a  toujours  dans  ma  tete  un  petit  ronchonnement.  » 
'  Mais  il  n'en  est  ainsi  que  chez  de  grands  malades  un  peu 
exceptionnels.  Beaucoup  de  scrupuleux,  surtout  au  d^but  de  la 
maladie  n'ont  que  des  ruminations  courtes,  quelquefois  d*une 
dizaine  de  minutes  a  peine.  Dans  la  plupart  des  cas,  chez  Lod..., 
Nadia,  Zei...,  Zo...,  par  exemple,  les  ruminations  se  prolongent 
d'une  maniere  grave  pendant  une  heure  ou  deux,  puis  s*apaisent 
plus  ou  moins  completement.  Wo...  sent  tres  bien  qu'elle  a  des 
crises  de  calcul  ou  de  perfectionnement  de  ses  pri^res  ;  elle 
peut  m^me  reculer  une  crise,  la  remettre  a  plus  tard  et  la 
reprendre  pour  la  liquider. 

Meme  chez  les  sujets  qui  semblent  avoir  la  rumination  conti- 
nuelle,  il  y  a  visiblement  des  exacerbations  momentan^es  qui  les 
forcent  a  raster  immobiles,  la  iHe  tombant  sur  leurs  genoux, 
puis  des  diminutions  pendant  lesquelles  le  «  petit  ronchonne- 
ment »  ne  les  empeche  pas  de  vaquer  a  peu  pres  a  leurs  occu- 
pations. 11  semble  que  chez  eux  les  crises  se  m^lent  Tune  avec 
Tautre,  que  la  premiere  n'a  pas  le  temps  de  se  terminer  comple- 
tement avant  que  le  deuxieme  ne  commence.  Les  tics  eux-memes 
ne  sont  continuels  qu'en  apparence.  Non  seulement  ils  disparais- 
sent  pendant  le  sommeil,  mais  pendant  de  longues  p^riodes  de 
la  journ^e,  surtout  quand  le  sujet  est  seul  et  qu*on  ne  lui  demande 
rien,  ils  existent  a  peine. 

En  un  mot  aucune  de  ces  agitations  forc6es  ne  constitue  un 
6tat  permanent  stable  du  sujet,  elles  se  developpent  par  crises  en 
rapport  avec  certaines  occasions. 


LES  CRISES  D'AGITATION  FORC^E  241 


2.  —  Point  de  depart  des  crises. 

Mats  quelles  sont  ces  occasions  qui  servent  de  point  de  depart 
a  la  crise  :  on  ne  saurait  trop  y  insister,  car  c*est  la  un  des  points 
essenttels  qu'il  est  n^ccssaire  de  bien  constater  avant  de  chercher 
a  rinterpreter.  Je  ne  cherche  pas  en  ce  moment  les  conditions 
physiques  ou  morales  qui  determinent  le  d^but  de  la  maladie  ou 
le  debut  d'une  periode  d^aggravation  pendant  laquelle  les  crises 
sont  plus  fr^quentes,  je  cherche  seulement  les  faits  qui  sont 
Toccasion  a  propos  de  laquelle  paraissent  se  developper  Kes  crises 
d'agitation  forcee. 

i^  Dans  un  premier  groupe  de  cas  la  r^ponse  est  parfaitement 
simple.  Ces  crises  commencent  toujours  a  Toccasion  diune  action 
\*olontaire.  II  suQit  de  passer  en  revue  tons  les  exemples  que  j'ai 
cit<^s  pour  voir  que  dans  un  grand  nombre  c^est  le  d6but  d'un 
acte,  c'est  le  d^sir  d'accomplir  un  acte  qui  am^ne  les  agita- 
tions et  les  angoisses.  La  crise  d*agitation  de  Nadia  debute 
quand  elle  'essaye  de  me  jouer  un  morceau  de  piano,  les  crises 
d'efibrts  de  Claire  se  d^veloppeut  quand  elle  veut  faire  ses 
prieres,  se  mettre  a  table  ou  simplement  aller  aux  cabinets.  Tout 
un  groupe  de  phobies,  celles  que  j'ai  appelees  phobiesdesobjtts, 
ne  sont  en  somme  que  des  phobies  d'actes.  Je  crois  que  la  pre- 
miere designation  de  ces  ph^nomenes  sous  le  nom  de  «  d^Iire  du 
contact  »  a  ete  tout  a  fait  facheuse  et  qu'elle  a  entrain^  lesobser- 
vateurs  dans  une  voie  fausse.  Ce  mot  semble  indiquer  que  le  con- 
tact et  Tobjet  sont  ici  importants  et  on  a  imagine  autant  de 
phobies  que  d'objets.  L'objet  n'esticia  mon  avis  qu'une  occasion, 
ainsi  que  le  contact,  parce  que  Ton  n'agit  pas  sans  toucher  a  des 
objets,  mais  I'essentiel  c'est  I'acte.  La  malade  de  Legr^nd  du 
Saulle  qui  a  la  phobie  des  objets  qui  servent  a  6crire  a  en  r^alit^ 
sa  crise  de  phobie  quand  elle  veut  ecrire.  Mrc...  a  I'angoisse 
quand  il  fabrique  ou  veut  fabriquer  des  couteaux  pointus,  Ger... 
quand  elle  veut  ranger  des  v^tements,  Pr...  quand  elle  veut  se 
purger,  Jean  a  des  tics,  ou  des  ruminations  ou  des  angoisses  quand 
il  veut  voyager,  cnvoyer  une  lettre,  se  moucher,  seraser,  se  laver, 
traverser  une  place. 

11  y  a  certaines  categories  d'actes  qui  donnent  souvent  nais- 
sance  a  des  phobres  ce  sont  les  actes  professionnels.  On  voit  que, 
Lch...(78),  t<il<^graphiste,   a  peur  du   telegraphe,  du   bureau   de 

LES   OBSESSIONS.  L    —    l6 


^42  LES  AGITATIONS  FORGOES 

poste.  Va-t-on  dire  que  la  phobie  se  developpe  parce  qu'il  voit, 
qu'il  touche,  un  appareil  t^l^graphique?  Non,  c'est  quand  il  veut 
reprendre  son  metier :  ce  qui  le  prouve  e'est  qu'on  a  beau  modi- 
fier ses  fonctions,  on  ne  le  gu^rit  pas.  Comme  le  m^decin  avail 
parl^  de  «  maladie  du  contact  »  on  ne  lui  fit  plus  toucher  Tap- 
pareil  telegraphique,  on  le  fit  ecrire,  recopier  des  bandes,  il 
prit  la  phobie  des  bandes  ;  on  voulut  Temployer  a  tenir  des  re- 
gistres,  il  prit  la  phobie  des  registres,  du  bureau  de  poste,  etc. 
C'est  Tacte  professionnel  qui  est  le  point  de  depart  essential. 

Un  autre  groupe  important  de  phobies,  que  j'ai  d^sign^es  sous 
le  nom  'd'algies,  de  phobies  du  corps,  donne  lieu  a  des  remar- 
ques  analogues :  ce  sont  des  actes  du  corps,  des  fonctions  corporel- 
les,  qui  provoquent  Tangoisse.  Remuer  un  membre,  remuerle  petit 
doigt,  marcher  surtout  dans  beaucoup  de  basophobies  et  m(^me 
d'agoraphobies,  manger,  deglutir  comme  on  Ta  vu  chez  tons  les 
phobiques  de  la  deglutition,  dig^rer,  uriner,  exercer  les  fonctions 
g^nitales,  aller  a  la  selle,  etc.,  voila  les  fonctions  et  les  actes  qui 
jouent  le  role  essentiel.  Quand  il  s'agit  des  dysesth^sies  des  sens, 
c'est  Tacte  de  flairer,  Tacte  d'entendre,  Tacte  de  voir  qui  est  le 
point  de  depart  de  la  crise. 

II  en  est  de  mcme  pour  les  tics,  le  sourire  obs^dant  survient 
quand  il  faut  entrer  dans  un  salon,  parler  a  une  personne  peu 
connue,  faire  en  un  mot  un  acte  difficile.  Les  tics  avec  coprolalie 
ne  surviennent  chez  Qi...  que  si  elle  doit  se  lever  de  sa  chaise  et 
parler  a  quelqu'un;  c'est  quand  elle  vient  a  Thopital  me  demander 
des  bons  de  douche  qu'elle  est  forcee  de  crier  «  Salaud,  tu  me 
faisch...  ».  Les  tics  de  Lod...,  qui  fait  claquer  les  doigts,  qui 
ferme  le  poing  en  pensant  a  Dieu  commencent  qudnd  elle  doit 
s'installer  au  piano.  Un  grand  nombre  de  tiqueurs  ne  font  leurs 
grimaces  comme  Ul...  qu*au  moment  ou  ils  doivent  s'adresser  a 
quelqu'un.  Ul...  a  commence  ses  tics  quand  elle  devait  «  voir  des 
dames  pour  chercher  une  place...  »,  elle  les  a  maintenant  quand 
elle  doit  entrer  dans  un  omnibus. 

On  pent  faire  la  mcme  remarquc  ii  propos  des  ruminations,  ce 
sont  les  actes  qui  les  provoquent  le  plus  souvent.  On  vient  de 
voir  la  rumination  de  Ger...  commencer  quand  elle  veut  descendre 
chercher  du  bouillon  pour  le  diner.  Jean  commence  a  ruminer 
quand  il  veut  monter  en  omnibus,  quand  il  veut  s'asseoir  a  table, 
se  laver,  uriner,  etc.,  Lise,  quand  elle  veut  ecrire  une  lettre, 
dieter  un  devoir  a  ses  enfants.  Fi...,  un  notaire  de  4S  ans,  quand 


LES  CRISES  D'AGITATION  FORCfiE  2^ 

il  doit  signer  un  acte,  hesite  et  se  met  a  ruminer.  C^est  le  cas  le 
plus  general  et  le  plus  simple.  On  ne  saurait  assez  insister  sur 
son  importance,  car  il  nous  fait  pr^voir  qu*il  s'agit  d'une  maladie 
de  la  volont^  et  nous  y  reviendrons  quand  nous  discuterons  les 
phenomenes  d'aboulie  si  importants  dans  cette  maladie. 

Pour  avoir  cet  effet,  pour  devenir  ainsi  le  point  de  depart  de 
la  crise,  il  faut  que  Facte  soit  volontaire ;  une  action  involontaire, 
automatique,  ex(§cut^e  par  distraction  n^a  aucunement  cet  effet. 
Cela  est  bien  naturel,  car  autrement  les  malades  ue  pourraient 
jamais  bouger ;  lis  remuent  cependant  et  ils  accomplissent  une 
foule  d'actions  qui  n'amenent  aucun  trouble  moral  parce  qu'elles 
ne  les  pr^occupent  pas.  Legrand  du  Saulle  remarquait  d^ja  que 
tt  si  le  malade  est  tres  preoccupe  et  s'il  a  Tesprit  tendu  il  traverse 
la  place  sans  ressentir  quoi  que  ce  soit*  ».  Lise  se  met  a  table  et 
mange  avec  une  parfaite  indifference,  elle  s'habille  et  fait  des' 
visites  sans  aucun  trouble;  Bu...  travaille  a  son  metier  habituel 
sans  avoir  de  phobies  ;  Jean  lui-m^me  pent  avoir  Tesprit  tran- 
quille  au  milieu  des  actions  les  plus  graves  pour  lui  s'il  est 
distrait ;  quand  il  va  diner  en  ville,  il  donne  la  main  a  des 
dames  sans  faire  de  ruminations.  Le  fait  essentiel  c'est  done 
que  Taction  soit  volontaire,  c'est-a-dire  qu'elle  soit  nouvelle 
dans  une  certaine  mesure  et  que  le  sujet  essaye  de  la  ratta- 
cher  a  toute  sa  personnalit^. 

II  ne  faut  pas  oublier  qu'il  pent  s'agir  d^actions  negatives 
aussi  bien  que  de  positives :  prendre  la  rt^solution  de  ne  pas  faire 
une  action,  refuser  d<^(initivement  quelque  chose  sera  Toccasion 
de  Fangoisse  et  de  la  rumination  aussi  bien  que  Teffort  pour  faire 
Taction  ou  pour  accepter  la  proposition.  On  se  souvient  qu'un 
grand  nombre  des  ruminations  ont  commence  a  Toccasion  de  la 
pens^e  d*un  acte  criminel  ou  desagr^able  que  le  sujet  voulait 
repousser.  Ici  encore  la  meme  remarque  trouve  sa  place,  si  c^est 
par  distraction  que  le  malade  s'ecarte  d'une  situation  dange- 
reuse,  il  n'y  aura  pas  de  rumination.  Claire  me  r^pete  qu'elle  ne 
peut  rien  faire  pour  soigner  sa  sant^,  que  si  elle  veut  eviter  de  se 
mettre  dans  un  courant  d'air,  elle  va  imm^diatement  discuter 
indefiniment ;  au  meme  moment  je  remarque  qu*elle  s'est  rassise 
et  qu'elle  refuse  de  sortir  parce  qu'elle  a  vu  qu'il  pleuvait.  CVst 


I.  Legrand  du  Saulle,  Agoraphobic,  p.  63. 


^44  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

toujours  I'acte  volontaire  sous  sa  forme  positive  ou  negative  qui 
joue  le  role  principal.  • 

2®  Le  deuxieme  ph^nomene  qui  joue  un  role  preponderant 
com  me  point  de  depart  de  ces  crises,  c*est  V attention.  En  effet, 
les  agitations  motrices,  les  ruminations,  les  angoisses  comnien- 
cent  aussi  dans  d*autres  circonstances  quand  il  s'agit  simple- 
ment  d'id^es  et  non  pas  d'actes.  Je  remarque  alors  que  ces  ideas 
provocatrices  demandaient  pour  etre  comprises  un  certain  effort 
d'attention  ou  bien  etaient  propos^es  a  I'acceptation  ou  a  la 
croyance.  C'est  Teffort  pour  faire  attention  et  surtout  Teffort  pour 
croire  ou  pour  nier  comme  tout  a  Theure  I'effort  pour  agir  qui 
semble  etre  la  cause  de  ce  singulier  travail  mental. 

Une  (illette  de  i5  ans,  Ho...,  est  forc^e  de  faire  ses  tics  a  quand 
commence  la  classe  a  Tecole  d  elle  se  secoue,  se  met  les  doigts 
dans  le  nez,  ronge  ses  ongles,  frotte  son  ventre,  pense  a  ses  poils 
au  pubis  «  parce  que  Ja  dictee  est  difficile  ».  On  pent  observer 
le  fait  chez  un  grand  nombre  d'enfants  et  la  maitresse  d'^cole 
Lkb...  n'echappe  pas  a  la  loi.  Elle  est  tres  tranquille  pendant 
les  recreations  ;  elle  cligne  des  yeux  et  secoue  son  epaule  quand 
il  faut  recommencer  la  classe  et  surtout  «  quand  il  faut  faire  la 
legon  aux  grandes,  ce  qui  demande  plus  d'attention.  »  Renee  a 
ses  tics  quand  elle  veut  lire  un  livre  et  Ic...  est  «  invinciblement 
pousse  a  marcher  indefiniment  quand  il  se  met  a  sa  table  de 
travail  pour  ecrire  ses  devoirs.  »  Le  fait  est  banal  et  se  verifie 
tres  facilement. 

Tout  un  groupe  d'angoisses  pent  etre  designe  sous  le  nom  de 
phobies  des  idees.  EUes  naisscnt  a  propos  de  Teffort  d*attention 
pour  adopter  ou  repousser  certaines  croyances.  Essayer  de  se 
faire  une  opinion  sur  la  religion,  sur  Dieu,  sur  le  demon,  sur 
Tenfer,  voila  ce  qui  determine  les  angoisses  de  Lise  et  de  bieii 
d*autres.  Ki...  a  des  angoisses  quand  il  essaye  de  faire  attention 
a  la  causalite  ou  a  une  idee  philosophique  quelconque. 

L'attention  portant  sur  des  idees  morales  sur  le  devoir,  le  men- 
songe,  le  crime,  rend  tous  ces  malades  anxieux.  Mais  il  n'cst  pas 
necessaire  qu'il  s'agisse  d'idee  morale  capable,  de  rappeler  leurs 
obsessions  de  scrupule.  Une  attention  quelconque,  sur  une  lettre, 
sur  un  journal  determine  des  phobies  et  des  ruminations  chez 
Za...;  Jean  redoute  «  toute  application  d'esprit  »  qui  amene  des 
palpitations  de  cwur.  Le  fait  negatif   a  la   meme  valeur   que   le 


LES  CRISES  D'AGITATION  FORCfiE  245 

fait    positif :    un    effort    pour    nier   une   histoire  absurde    sufEt 
pour  ramener  toutes  les  ruminations  de  Lise. 

Enfin  il  faut  encore  ici  faire  la  meme  remarque  que  prec^dem- 
ment,  il  ne  s'agit  pas  d'une  \d6e,  d'une  croyance  quelconque 
agissant  sur  notre  conduite  presque  a  notre  insu,  il  s'agit  d'une 
croyance  volontaire  et  attentive.  Cha...  ne  se  pose  pas  de  ques- 
tions quand  il  enseigne  la  musique.  Claire  a  beau  affirmerqu'elle 
ne  peut  croire  a  rien,  il  est  Evident  cependant  qu'elle  est  con- 
vaincue  d'une  foule  de  choses  :  elle  croit  qu'il  fait  jour,  que  j'ha~ 
bite  a  Paris,  qu'elle  parle  francais,  etc.  Toutes  ces  croyances  sont 
impliqu^es  dans  le  simple  fait  de  m'ecrire  une  lettre,  mais  elle 
n'y  fait  pas  attention,  et  ces  croyances  ne  la  troublent  pas.  C'est 
en  somme  Tacte  d'attention  amenant  Tacceptation  ou  la  negation 
qui  a  une  influence  tout  naturellement  analogue  a  celle  de  la 
volont^. 

3*^  Un  autre  ph^nomene  peut  devenir  le  point  de  depart  de 
certaines  ruminations  ou  de  certaines  phobies,  c'est  Tc^motion  ou 
du  moins  un  certain  genre  d*^motion. 

Legrand  du  Saulle '  cite  ce  fait  curieux  :  «  d^s  qu'il  faisait  une 
tentative  de  coi't,  ses  pensees  surgissaient  aussitot  avec  la  plus 
grande  intensity  et  glayaient  toute  disposition  a  la  rigidity  p^- 
nienne.  »  Cette  observation  int^ressante  est  tout  a  fait  banale  :  je 
ne  puis,  on  le  comprend,  raconter  en  detail  les  singulieres  con- 
fessions que  m'ont  faites  un  grand  nombre  de  ces  malades  a  pro- 
pos  de  leurs  emotions  g^nitales.  Mais  je  puis  relever  ce  fait 
principal  :  T^motion  g^nitale  est  tres  souvent  le  point  de  depart 
des  ruminations,  des  tics  et  des  angoisses.  Les  malades  ont  le 
desir,  ils  se  sentent  plus  ou  moins  excites,  et  a  ce  moment  com- 
mencent  des  agitations,  des  angoisses  ou  d'interminables  rumi- 
nations mentales.  C'est  aussi  I'instant  ou  plusieurs  d'entrc  etix 
sont  saisis  par  un  invincible  besoin  d'uriner  ou  d'aller  a  la  selle 
ou  commencent  leurs  tics. 

II  en  est  de  meme  pour  la  douleur  physique  ou  morale.  Lise  a 
une  tres  singuliere  mani^re  de  ressentir  les  douleurs  de  I'accou- 
chement.  C'est  a  ce  moment  que  son  esprit  est  envahi  au  supreme 
degre  par  les  manics  du  serment,  des  pactes,  par  des  ruminations 
interminables   et  odieuses.    Les  douleurs  morales   ont   le  meme 

I.  Legrand  du  Saulle,  Folic  du  doule,  16. 


2i6  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

eOet.  a  La  joie  ou  la  peine^  dit  Mm...^  me  fontperdrel'^quillbre  et 
me  font  retomber  dansmes  reveries  ».  a  Les  situations  lugubres, 
dit  Jean,  me  donnent  des  agitations  et  des  crises  de  fou-rire.  » 

La  colere,  chez  Lise,  est  aussi  le  point  de  depart  de  rumina- 
tions et  elle  redoute  meme  a  ce  propos  le  plaisir  esthetique. 
((  Quand  je  jouais  du  piano,  j*y  prenais  plaisir,  je  m'y  donnais,  je 
m'emballais,  cela  me  faisait  perdre  Tdquilibre,  me  faisait  retom- 
ber dans  toutes  mes  pens^es  c*esi  pourquoi  je  me  suis  mise  a 
jouer  toujours  froidement.  »  II  est  singulier  de  constater  que  ce 
detail  se  retrouve  mot  a  mot  dans  Tobservation  d*une  autre  malade 
Lod...,  c'est  au  moment  oil  Temotion  artistique  va  parvenir  a  son 
comble,  va  determiner  une  jouissance,  que  se  d^clanchent  ses 
absurdes  raisonnements.  De  meme  une  petite  Amotion  qui  com- 
mence determine  chez  Cr...  les  crises  d'agitation  et  les  besoins 
de  marcher  pendant  plusieurs  heures.  Chez  un  bien  grand 
nombre  de  malades  comme  chez  Renee,  Qi...,  etc.,  on  determine 
une  crise  de  tics  en  ferniant  brusquement  une  porte,  en  deter- 
minant chez  eux  le  d^but  d'une  surprise  ou  d'une  peur. 

Je  crois  que  tout  lin  groupe  de  phobies  rentrent  dans  ce  cas, 
celles  qui  sont  d^termin^es  par  la  perception  d'une  situation,  par 
un  sentiment  et  dont  le  type  est  i'agoraphobie.  Les  ponts,  les 
grandes  places,  les  grandes  rues  font  naitre  chez  bien  des  per- 
sonnes  une  petite  Amotion  determinee,  en  rapport  avec  le  senti- 
ment de  la  grandeur,  de  Tespace,  de  Tisolement  et  c'est  cette 
petite  (Amotion  qui  d^clanche  les  grands  phenom^nes  de  la  rumi- 
nation  et  de  Tangoisse.  J*ai  vu  a  ce  propos  un  cas  d'agoraphobie 
bien  curieux  que  Ton  pourrait  appcler  Tagoraphobie  admi- 
rative.  Qs...  ne  peut  se  promener  au  Trocadero,  «  la  vue  de 
tant  de  maisons  Texcite,  il  lui  semble  que  c*est  beau,  grandiose, 
etonnant.  C'est  au  d^but  un  sentiment  agr^able  d  admiration, 
puis  cela  change.  Je  suis  force  de  me  demander  comment  pour- 
rais-je  faire  moi-meme  pour  batir  tant  de  maisons,  comment  les 
hommes  ont-ils  pu  amener  tant  de  pierres  ?  puis  mes  genoux 
tremblent,  ma  poitrine  se  serre,  mon  coeur  bat,  j'etouffe  et  je  me 
sauve  pour  rentrer.  »  D'autres  phobies  debutent  quand  le  malade 
est  en  public  devant  des  hommes,  parce  que  alors  se  developpe 
r^motion  de  la  timidite  qui  est  suivie  par  Tangoisse,  chez  Ul..., 
Lkb...,  Meu...,  par  exemple.  Enfin  dans  certains  cas  la  situation 
doit  naturelleraent  faire  naitre  chez  tout  homme  de  la  peur  et 
c*estcelte  peur  qui  est  suivie  soit  de  rumination,  soil  d'angoisse. 


LES  CRISES  D' AGITATION  FORCfiE  267 

II  y  a  la  tout  un  r6le  curieux  de  remotion  qui  ne  nous  parait 
guere  connu  et  sur  lequel  il  faudra  revenir  ;  pour  le  moment 
nous  signalons  seulement  ce  fait  que  les  crises  d*agitation 
forcee  d^butent  a  propos  des  Amotions,  comme  a  propos  des 
actes  et  des  attentions. 

4°  Enfin  je  signale  avec  plus  d*h^sitation  et  a  titre  de  curiosite 
one  autre  occasion  de  ces  crises  que  j^ai  observ^e  plusieurs  fois 
d'une  maniere  incomplete  et  une  seule  fois  d*une  maniere  tout 
a  fait  nette.  Dn...  (49).  femme  de  3o  ans,  qui  a  toujours  ^te 
une  scrupuleuse,  a  eu  des  crises  d'agitation  et  d'angoisse  a  propos 
de  plusieurs  des  causes  precedentcs,  surtout  a  propos  des  actes. 
Voici  maintenant  a  quel  propos  ces  ra6mes  crises  se  deve- 
loppent.  Elle  se  couche  pour  s'endormir  et  commence  a  s'as- 
soupir  :  tant  que  Tassoupissement  est  leger,  tout  va  bien,  elle  reste 
tranquille  dans  son  lit.  Mais  le  sommeil  va  devenir  profond  ;  a  ce 
moment  elle  se  reveille  subitement  avec  une  ^norme  angoisse, 
elle  se  sent  etouffer  et  ne  pent  s'empecher  de  crier.  La  malade 
ne  pcrd  aucunement  connaissance,elle  voudrait  ne  pas  crier  pour 
ne  pas  reveiller  ses  compagnes,  mais  sa  resistance  est  inutile  et 
ne  provoque  qu'une  lutte  plus  douloureuse. 

11  faut  qu'elle  hurle  et  se  contorsionne  de  mille  manicres,  c*est  a 
la  fois  une  crise  d'angoisse  et  une  crise  d'agitation  motrice  comme 
celles  de  Nadia.  Au  bout  de  cinq  a  dix  minutes  tout  se  calme  et 
la  malade  essaye  de  se  rendormir,  car  elle  en  ^prouve  un  grand 
bcsoin  ;  de  nouveau  elle  reste  calme  dans  Tassoupissement  leger 
puis  des  que  le  sommeil  devient  un  peu  plus  profond  la  crise 
recommence.  11  n'y  a  pas  ici  d'idee  fixe  relative  au  sommeil 
qui  explique  ce  r6veil  par  un  r^ve  comme  dans  Tobservation  de 
Zy...*  et  il  n'est  pas  question  d'hyst^rie,  C'est  un  phenomcne 
analogue  a  toutes  les  crises  prdc^dcntes,  il  se  d6veloppe  seu- 
lement dans  des  circonstances  singulieres  a  propos  du  debut  du 
sommeil  profond.  Ce  fait  se  rapproche  de  certaines  observations 
deja  signalees  dans  lesquelles  Tagitation  forcc^e  commenrait  a 
propos  d'un  debut  d*une  lonclion  physiologique,  a  propos  de  la 
deglutition  ou  de  la  digestion  par  exemple. 

En  resum6  je  constate  que  ces  crises  d'agitations  forcees,  qu'il 
s'agisse  de  tics,    d^excitations,   de   ruminations   ou   d'angoisses, 

I.  Mevroses  et  Idees  fixes,  I,  p.  355. 


2i8  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

commeDcent  presque  toujours  a  propos  de  Tun  ou  de  Tautre  de 
ces  quatre  phdnomfenes  princlpaux,  I'acte  volontaire,  rattentlon, 
r^motion,  Teffort  pour  s*endormir  profond^ment.  Nous  pourrons 
dorenavant  designer  ces  ph^nomenes  provocateurs  sous  le  nom 
de  phenomknes  primaires,  tandis  que  les  agitations  forcees  qui 
viennent  a  la  suite  seront  consid^r^s  comme  des  phenomhnes 
secondaires. 


3.  —  Substitution  des  pbinomines  secondaires 
aux  primaires. 

Dans  les  cas  les  plus  nets,  cet  acte,  cette  croyance,  cette  Amo- 
tion qui  constituent  le  phenom^ne  primaire,  loin  de  parvenir  a 
leur  ternie,  disparaissent  completement,  c'est  la  a  mon  avis  le  fait 
capital  de  la  rumination  de  Tagitation  et  de  Tangoisse.  On  consi- 
dere  d^ordinaire  ces  agitations  coinme  des  ph^nom^nes  positifs 
caract^ris6s  par  la  presence  d'un  grand  nombre  d*id^es  ou  d'^mo- 
tions  qui  envahissent  Tesprit,  inais  il  ne  faut  pas  oublier  que  ces 
troubles  sont  aussi  et  avant  tout  des  phenomenes  n^gatifs,  carac- 
t6ris6s  par  la  suppression  d'un  acte,  d'une  croyance,  d*une  Amo- 
tion qui  auraient  dii  se  produire.  Nous  avons  vu  Ger...  se  lever 
son  pot  a  la  main  pour  aller  chercher  du  bouillon  chez  la  fruiti^re; 
il  ne  sufiit  pas  de  remnrquer  qu'elle  a  eu  pendant  deux  heures  sur 
Tescalier  de  belles  ruminations  a  propos  du  maigre  du  vendredi ; 
il  ne  faut  pas  oublier  ce  fait  au  moins  aussi  important  c'est  que  le 
bouillon  n'a  pas  ^te  cherche  et  que  la  soupe  n*a  pas  ^t^  faite.  II  en 
est  de  m6me  pour  les  croyances :  un  probleme  est  pose  aTattention, 
une  operation  mentale  commence  qui  devrait  aboutir  a  la  croyance 
ou  au  refus  de  Tid^e,  operation  qui  n*est  faite  en  reality  que  si  le 
sujet  arrive  a  Tune  ou  a  Tautre.  Quand  la  rumination  survient 
pendant  plusieurs  heures  ou  quand  les  angoisses  surviennent,  le 
sujet  se  releve,  la  crise  terniin^e,  dans  le  m6me  ^tatqu'auparavant 
ne  sachant  pas  s'il  croit  ou  s'il  ne  croit  pas,  en  un  mot,  que 
rop6ration  n'a  pas  6te  faite. 

II  est  tr^s  important  de  constater  des  faits  analogues  a  propos 
des  Amotions,  le  fait  que  je  me  borne  a  signaler  ici  se  confirmera 
d'ailleurs  de  plus  en  plus.  L'excitation  g^oitale  est  le  point  de 
depart  de  phobies  ou  dc  ruminations,  mais  il  faut  encore  ajouter 


SUBSTITUTION  DES  PHfiNOMfiNES  SECOXDAIRES  AUX  PRIMAIRES     249 

que  ces  ph^nomenes  secondaires  qui  s*y  ajoutent  ne  semblent 
pas  du  tout  favorables  au  developpement  de  I'excitation.  Bien  au 
contraire  le  plus  souvent  its  am^nent  Tarret  complet  de  toute 
Teaiotion.  Quand  Lise  a  d'^pouvantables  ruminations  au  moment 
des  douleurs  de  raccouchement,  elle  a  sans  doute  des  soufTrances 
morales,  mais  elle  n'a  plus  les  souffrances  physiques  qu*elle  de- 
vrait  avoir.  Elle  ne  gagne  pas  au  change,  car  ses  angoisses  morales 
sont  horribles  ;  mais  je  fais  remarquer  que  des  reveries  sur  la 
damnation  des  enfants,  sur  Teternit^  des  pein^s  de  Tenfer,  des 
interrogations  sur  le  probleme  de  savoir  si  elle  est  folle,  si  elle 
va  quitter  les  siens  pour  allcr  demeurer  toujours  dans  une  mai- 
son  de  fous,  que  tout  cela  est  tr^s  p^nible  sans  doute,  mais 
que  ce  n'est  pas  la  douleur*  qu'une  femme  .doit  ressentir  en 
accouchant. 

Le  plaisir  de  jouer  du  piano  disparait  aussi  comme  I'admiration 
du  paysage,  quand  des  agitations  surviennent  a  propos  de  ces 
Amotions.  Une  question  bien  plus  delicate  se  pose  a  propos  du 
sentiment  de  la  timidity  et  du  sentiment  de  la  peur.  Ces  senti- 
ments sont  trfes  souvent  le  debut  des  ph^nomenes  forces  et  plu- 
sieurs  de  ceux-ci,  en  particulicr  certaines  angoisses,  leur  ressem- 
blent  beaucoup.  C'est  pourquoi  on  a  appel^  ces  phf^nomenes  des 
phobies  et  on  les  a  souvent  consid^r^s  comme  le  developpement, 
Texag^ration  de  la  peur  ou  dc  Tintimidation.  Je  ne  crois  pas  que 
ce  soit  tout  a  fait  juste  au  moins  dans  tons  les  cas.Chez  beaucoup 
de  malades  la  peur  precise,  determinee,  qu*ils  auraient  dans  cette 
circonstance  s'ils  se  portaient  bien,  disparait,  elle  est  remplacee 
par  de  Tagitation  motrice  ou  de  la  rumination  qui  n*est  pas  de  la 
peur,  et  quand  la  phobic  survient  elle  prend  des  caractcres  spe- 
ciaux  qui  la  distinguent  de  la  peur  proprement  dite.  cc  Je  vois 
des  squelettes  dnns  le  mus^e,  cela  m'aurait  donne  autrefois  une 
vraie  peur,  maintenant  j'ai  des  angoisses  vagues  avec  le  senti- 
ment de  devenir  folle,  ce  n'est  pas  du  tout  la  meme  chose.  »  La 
peur  semble  avoir  perdu  sa  precision,  son  rapport  avec  un 
objet  determiner  elle  est  devenue  plus  vague  etplus  ^l^mentairc. 

Dans  les  cas  les  plus  nets  Ton  observe  ainsi  la  suppression 
totale  des  phenom^nes  primaires,  c'est-a-dire  de  Tacte,  de  Inat- 
tention, de  Temotion  qui  6tait  le  point  de  depart  de  la  crise.  Dans 
les  cas  moins  nets  ces  ph^nomenes  primaires  ont  simplement 
diminue  et  presentent  des  alterations  que  nous  aurons  a  etudier 
dans  le  chapitre  suivant. 


250  LES  AGITATIONS  FORGfiES 

A  Toccasion  de  ces  phenomencs  primaires  qui,  comme  nous 
Tavons  vu,  iie  s'accomplissent  pas  ou  s'acconiplissent  d'une 
maniere  qui  ne  satisfait  pas  la  conscience  du  malade  et  a  la  place 
de  ces  ph^nomenes  se  developpent  brusquement  dans  Tesprit 
une  tout  autre  categoric  d*operations  que  Ton  peut  consid^rer 
comme  secondaires.  Tantot  ce  sont  des  mouvements  varies,  des 
tics,  des  efforts,  des  crises  d'agitation,  tant6t  ce  sont  des  troubles 
visceraux,  des  palpitations,  des  suffocations,  des  angoisses,  tantot 
ce  sont  des  operations  mentales,  des  ruminations. 

Dans  toutes  les  manies  de  perfectionnement  on  voit  que  le 
sujet  cherche  a  ajouter  quelque  cho^e  au  premier  acte,  dans  les 
manies  de  rt^paration  il  veut  effacer  le  premier  acte  par  quelque 
autre  pensee.  Dans  les  manies  d*oscillation  il  ne  peut  pas  rester 
en  place  sur  le  premier  phenomene  et  il  passe  incessamment  a 
quelque  autre.  En  un  mot  le  caractere  essentiel  de  toutes  ces  ma- 
nies c'est  qu'a  Toccasion  du  premier  phenomene  insuffisant  ou 
mieux  a  la  place  de  ce  premier  phenomene  I'esprit  place  autre 
chose  «  je  ne  puis  pas  en  rester  la,  disent-ils  tons,  il  me  semble 
que  si  j^en  restais  a  ce  premier  point  il  arriverait  des  choses 
^pouvantables  »  et  tous  en  somme  ob^isscnt  a  ce  besoin  en  sub- 
stituant  un  second  travail  au  premier. 

Quel  est  ce  second  travail  qui  constitucessentiellement  la  rumi- 
nation, Tagitation  ou  Tangoisse.  Au  premier  abord,  ces  pheno- 
menes  secondaires  sembient  de  m^me  nature  que  les  primaires  : 
ce  sont  toujours  des  actes  a  faire,  des  croyanccs  a  preciser,  des 
Amotions  a  ressentir.  Cependant  les  phenomenes  sont  toin  d^^tre 
identiques. 

D'abord  ce  ne  sont  pas  des  actes  reels,  c'est-a-dire  des  opera- 
tions de  rhomme  qui  apportent  un  changement  plus  ou  moins 
profond  et  plus  ou  moins  durable  dans  le  monde  exterieur.  Les 
mouvements  que  le  malade  execute  sont  en  general  insigni- 
fiants.  Ce  sont  des  gesticulations,  des  secousses  des  bras,  de  la 
t6le,  ou  des  paroles  prononcees  a  mi-voix  :  «  non,  non,  te,  te,  te, 
te,  4,  3,  2.  »  Les  mouvements  sembient  plus  importants  dans  les 
efforts  comme  ceux  de  Claire  ou  dans  les  agitations  motrices 
comme  celles  de  Nadia.  Mais  ces  crises  ont  des  caracteres  bien 
spcciaux  qui  restreignent  leur  importance.  Les  malades  n^accom- 
plissent  aucun  acte  vraiment  utile  ou  vraiment  reprehensible  :  ils 
s'agitent,  crient,  menacent  quelquefois  leurs  proches,  mais  en 
realite  les  malades  que  nous  etudions  ici  ne  font  jamais  de  mal  a 


SUBSTITUTION  DES  PHfiNOMfiNES  SECONDAIRES  AUX  PRIMAIRES     251 

persoane.  Quand  ils  s*en  prennent  aux  objets  et  menacent  de 
tout  briser  il  y  a  enorm^ment  d*exageration  dans  leur  attitude, 
lis  ne  cassent  que  des  objets  insignifiants  auxquels  ils  ne  tien- 
nent  pas.  Si  un  jour  Nadia  a  renvers6  un  encrier,  je  crois  que 
c*est  tout  a  fait  par  hasard  et  qu'elle  a  et6  la  premiere  tres  dupe 
de  ce  resultat  de  ses  agitations  ;  le  plussouvent  cesactes  absurdes 
disparaissent  des  qu'ils  pourraient  prendre  quelque  importance. 
Les  malades  s*y  laissent  aller,  par  exeniple  quand  ils  sont  seuls 
oa  devant  des  personnes  qui  les  connaissent  assez  pour  n'avoir 
plus  rien  a  apprendre  en  les  voyant,  mais  des  qu'entrent  des 
strangers  pour  lesquels  ces  grimaces  pourraient  etre  revela- 
trices,  ils  se  reprennent  et  touts'arrete  au  moins  momentan^ment. 
Claire  est  remarquable  a  ce  point  de  vue  et  ne  consent  «  a  faire 
la  folle  y>  que  devant  sa  mere,  sa  domestique  ou  son  m^decin. 
Enfin,  on  a  deja  vu,  en  ^tudiant  les  tics,  que  ce  sont  des  mou- 
vennents  simples,  maladroits,  souvent  symetriques,  comme  dans 
Tenfance,  en  un  mot  des  mouvements  d'ordre  tres  inftrieur. 

Dans  d'autres  cas  ces  ph^nomenes  semblent  plus  complexes 
puisqu'il  y  a  de  nombreuses  pens^es.  Ce  que  vaut  cette  pens^e 
estbien  precise  par  ce  mot  de  rumination  mentale,  c'est  une  ope- 
ration qui  reste  simplement  mentale,  intellectuelle  et  qui  n*arrive 
pas  a  devenir  reelle  sous  forme  de  croyance  ou  d'action.  Ce  sont 
des  images  legeres,  incompletes,  des  mots  surtout  exprimant 
des  iddes  vagucs  qui  surgissent  a  la  place  de  Taction  concrete 
que  le  sujet  n'execute  pas.  Le  sujet  s'embrouille  au  milieu  d'in- 
nombrables  idees  abstraites  qui  peuvent  etre  rattachees  d'une 
maniere  quelconque  a  la  pensee  primitive.  «  11  me  semble,  dit 
Gisele,  que  j^approfondis  Tid^e  d'une  action  tres  simple  que  jene 
fais  pas;  j'en  vois  tous  les  details  meme  des  details  tres  lointains 
qui  s'y  rattachent  a  peine ;  je  me  fais  Teffet  d'etre  entree  dans 
ridee,  elle  me  tient,  m'enserre  de  tous  cot^s  et  je  ne  puis  plus 
en  sortir.  Cest  comme  si  j'avais  en  moi-meme  un  second  moi 
d^traqu^  qui  voit  tout  ce  que  Ton  peut  penser  a  propos  de  la 
moindre  action.  » 

II  est  trop  Evident  qu'ils  n'inventent  rien  dans  leurs  rumina- 
tions :  de  ces  heures  de  meditation  si  profonde  il  ne  sort  jamais 
un  fragment  d'idee  a  peu  pres  interessante  ;  il  n'en  sort  pas  non 
plus  une  seule  croyance.  II  est  facile  de  voir  que  le  malade  ne 
prend  pas  au  serieux  toutes  les  sottises  qu*il  radote;  ses  menaces, 
ses  idees  de  culpabilite  ou  de  danger  restent  pour  lui  tout  ii  fait 


252  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

superficielles  puisqu'il  ne  met  jamais  ses  actions  en  rapport  avec 
dies. 

D'autre  part,  ces  idees  manifestent  en  r^alit^  pen  ({'intelli- 
gence :  on  pent  dire  que  cette  rumination  est  enfantine  et  qu'elle 
est  bete.  Je  m'etonnais  beaucoup,  au  d^but  de  ces  etudes,  de  la 
discordance  qu'il  y  avait  entre  les  ruminations  d'une  personne  et 
son  niveau  intellectuel.  Lise  est  une  femmc  instruite,  qui  a  lu 
un  certain  nombre  d'ouvrages  philosophiques,  les  comprend 
assez  bien  et  dans  ses  conversations  montre  un  esprit  assez  large. 
Ses  ruminations  ressemblent  aux  questions  obstinees  des  petits 
enfants  qui  ont  la  manie  du  «  comment  »  et  du  «  pourquoi  ». 
D'autre  part  ses  bavardages  sont  remplis  par  les  plus  basses 
superstitions  :  ce  sont  des  raisonnements  sur  le  diable  et  le  bon 
Dieu,  des  petits  marchandages  avec  le  ciel  et  avec  Tenfer  dignes 
d'une  religion  de  peuplade  negre.  La  malade  sait  fort  bien  que 
c'est  stupide,  elle  se  rend  compte  que  c'est  de  beaucoup  au- 
dessous  de  son  niveau  mental  habituel,  il  en  est  ainsi  chez  tous 
et  Ton  pent  dire  que  ces  pens6es  semblent  manifcster  un  retour 
a  Tenfance  et  un  retour  a  la  barbaric. 

La  rumination  se  rapproche  anssi  du  reve  dont  elle  a  le  vague, 
la  r^p^tition  monotone  et  Tincoherence.  Un  autre  caractfere  du 
r^ve  qui  se  retrouve  dans  ces  ruminations  c'est  la  declamation. 
Le  reve,  comme  on  sait,  est  declamateur  «  une  puce  me  pique,  dit 
Descartes  et  je  reve  a  un  coup  d*epee.»  De  mcme  dans  ces  rumi- 
nations tout  est  pris  au  tragique  ;  il  ne  s'agit  que  de  mort,  de 
crimes  contre  nature,  d'infanticide,  de  pacte  avec  les  demons.  U 
y  a  un  contraste  ridicule  entre  le  fait  et  I'expression  quand  on 
entend  Nadia  s'ecrier  :  «  si  je  fais  une  seule  fausse  note  dans 
mon  morceau,  je  jure  par  Fame  de  ma  mere  que  j'irai  en  enfer 
ce  soir  et  mon  id^al  aussi.  »  La  declamation  qui  est  un  grand 
caractere  des  maladies  mentales  domine  dans  le  delire  de  perse- 
cution oil  la  moindre  offense  prend  Taspect  d'une  cruaute  inouie, 
elle  fait  aussi  le  fond  de  ces  ruminations  oil  tout  est  grandi 
dans  Texpression  beaucoup  plus  que  le  sujet  ne  le  pense  en 
realite. 

Les  idees  qui  envahissent  Tesprit  pendant  la  rumination  repr6- 
sentent  done  des  idees  d'un  autre  age,  des  idees  d'enfance,  des 
pensees  d'une  civilisation  ancienne  et  inferieure  ou  d'un  milieu 
social  plus  humble,  et  des  idees  analogues  au  r^ve.  Ne  puis-je  pas 
dire  en  conclusion  que  ce  sont  des  idees  infirieures  a  celles  que 


CARACTfiaES  APPARENTS  DES  AGITATIONS  253 

le  sujet  devrait  normalement  avoir  dans  les  circonstances  ou  il  se 
trouve  plac6. 

Les  angoisses  paraissent  des  phenomenes  plus  importants  puis- 
qu'elles  donnent  lieu  a  de  grandes  souffrances.  Mais  on  peut  remar- 
quer  que  leur  importance  est  plus  apparente  que  rdelle :  ces  grands 
mouvements  visc^raux,  ces  palpitations  du  coeur,  ces  respira- 
tions rapides  sont  le  plus  souvcnt  sans  aucun  danger  et  amenent 
moins  de  syncopes,  moins  d'^vanouissements,  moins  de  maladies 
s^rieuses  que  les  Amotions  r^elles  et  moins  bruyantes.  On  connait 
beaucoup  de  maladies  produites  par  des  emotions,  mais  il  est 
bien  rare  qu'on  les  observe  apres  des  agoraphobics  ou  des  ^reu- 
tophobies. 

Ces  emotions  pathologiques^  en  efTel,  ne  sont  pas  des  Amo- 
tions precises  en  rapport  avec  une  situation  r^elle,  ce  sont  les 
emotions  les  plus  simples^  les  plus  elementaires  et  les  plus 
abstraites  en  quelque  sorte.  Les  angoisses  se  rapprochent  de  la 
peur  qui  est  la  plus  AlAmentaire  des  emotions,  qui  existe  tout  a 
fait  au  debut  de  revolution  des  sentiments.  Et  meme,  comme 
on  Fa  vu,  Tangoisse  n'est  pas  precisAment  de  la  peur,  c'est  une 
Amotion  encore  plus  AlAmentaire  que  celle  de  la  peur.  En  rAalitA 
ce  sont  des  convulsions  viscerales  tres  dAsordonnAes,  comme  les 
mouvements  eux-mAmes  dans  les  agitations  motrices.  On  peut 
done  les  considArer  comme  des  phenomenes  infArieurs  au-dessous 
des  Amotions  qui  devraient  reellement  se  dAveloppcr  a  ce  mo- 
ment. 

En  un  mot,  aux  phAnomenes  primaires  qui  ne  sont  pas  exAcutAs 
ou  qui  sont  exAcutAs  avec  un  certain  trouble  se  substituent  des 
phAnomenes  secondaires  qui  ont  comme  caractAre  essentiel  d'Atre 
des  phAnomenes  psychologiques  exagArAs  sans  doute,  mais  AlA- 
mentaires,  infArieurs,  sans  rapport  avec  la  rAalitA  extArieure  et 
par  consAquent  tout  a  fait  inutiles. 


3.  —  Caract^res  apparents  des  agitations. 

A  cotA  de  ces  caracteres  essentiels  de  la  crise  se  placeut  certains 
caracteres  apparents  qui  jouent  un  grand  role  dans  les  descrip- 
tions classiques  des  obsessions,  fa  conser{>ation  de  la  conscience 
pendant  la  crise^  rirresisUbilite  de  ces  agitations  et  la  satisfaction 


254  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

conseculii^e  a  la  fin  de  la  crise.  Ces  caracteres  qui  soiit  compris 
en  general  d'une  facon  tres  vague  nous  semblent  beaucoup  moins 
importants  que  ceux  qui  viennent  d'etre  Studies.  II  suffit  de  las 
signaler  rapidement  ici  pour  niontrer  qu'ils  rentrent  en  r^alit^ 
dans  un  groupe  de  fails  beaucoup  plus  vaste,  celui  des  sentiments 
6prouv6s  par  le  sujet  pendant  les  crises  et  qu'ils  nous  amenent 
a  une  nouvelle  ^tude. 

En  premier  lieu,  le  caractfere  insignifiant  des  operations  secon* 
daires  est  jusqu'a  un  certain  point  appreci^  par  le  sujet  lui-m^me 
qui  semble  se  rendre  assez  bien  compte  de  Finutilite  et  de 
Tabsurdite  de  telles  operations.  C'est  la  ce  qu'on  appelle  la 
consen*ation  de  la  conscience  pendant  la  crise. 

Faut-il  entendre  par  la  que  le  sujet  sait  comme  nous  que  ces 
mouvements,  ces  efforts,  ces  proc^des  de  perfectionnement,  ces 
recherches  mentales  n'ont  aucun  sens  et  que  ce  sont  des  r^ves 
pu^rils  ?  Evidemment  non,  car  alors  it  n'aurait  aucune  maladie; 
s'il  arrivait  a  la  negation  nette  et  definitive  sur  un  point,  il  aurait 
termini  ce  premier  acte  qui  est  le  point  de  depart  de  tout  le 
reste  et  il  n*aurait  pas  de  rumination.  En  reality  il  n*arrive 
jamais  a  cette  negation,  car  il  nous  demande  toujours,  comme 
il  se  le  demande  a  lui-meme  :  Est-ce  que  je  suis  maudit  a  cause 
de  mes  serments  ?  Est-ce  que  je  ne  dois  pas  chercher  a  faire 
mieux  ?  Est-ce  qu*il  n'y  a  pas  de  danger?  Ce  qu'on  appelle 
conscience  de  la  rumination  ne  doit  pas  ^tre  pris  dans  le  sens 
de  negation  dc  la  rumination. 

Faut-il  entendre  par  cette  conscience  de  Tobsession  que  les 
fonctions  psychologiques  restent  intactes  pendant  cette  periode? 
Nous  aurons  a  6tudier  ce  probleme  en  detail  dans  le  chapitre 
suivant,  mais  des  maintenant  la  r^ponse  est  probable.  Peut-on 
considerer  comme  intact  T^tat  mental  d*un  sujet  qui  ne  peut 
parvenir  au  terme  des  actes  volontaires,  des  croyances,  des 
emotions  qu'il  commence  et  qui  remplace  ces  actes  par  des  ope- 
rations inutiles  et  absurdes  ?  II  est  bien  probable  que  la  con- 
science dans  ce  sens  n*est  pas  conservee. 

La  conscience  que  le  malade  a  de  la  valeur  de  ses  phenomenes 
secondaires  me  semble  consister  simplement  en  ce  fait,  qu*il  ne 
se  livre  pas  complctement  a  ces  operations,  qu^il  n'est  pas  com- 
pletement  envahi  par  Tagitation,  par  Tinterrogation,  par  Tan- 
goisse.  L'operation  lui  semble  incomplete  et  il  ne  se  laisse  pas 
aller  a  un  veritable   delire.  II  critique  ces  operations,   il  en   est 


CARACTfeRES  APPA RENTS  DES  AGITATIONS  255 

Discontent  comme  il  6tait  ro^content  des  operations  primaires: 
il  applique  ses  manias  du  doute  a  ses  ruminations  elles-memes. 
Nous  retrouvons  ici  les  m6mes  sentiments  d^insufHsance**  qui 
existent  partout  mais  qui  ici  rendent  service  au  malade  en  Fem- 
p&chant  de  di^lirer  compl^tcment. 

Un  autre  caractere  presente  presque  toujours  en  second  lieu 
semble  avoir  plus  d'importance,  c'est  V irresistibilite  du  processus 
mental  pathologique.  Ces  trois  operations  secondaires :  les  mou- 
vements,  les  ruminations,  les  angoisses  sont  toujours  representees 
comme  s'imposant  au  sujet  d'une  maniere  irresistible.  Zwangs- 
vorstellungen  disait  Westphal,  Zwangsprocessus  disait  M.  Mes- 
chede,  diathese  d'incoercibilite  psychique,  disait  M.  Tanzi  ^ 
M.  J.  Donath  de  Buda-Pest  *  avait  meme  propose  pour  r^unir 
tous  ces  faits  le  nom  bizarre  d'anancasmes  (ovdcY^Ti). 

Ce  caractere  est  pourtant  moins  clair  qu'on  ne  se  Timagine. 
Veut-on  dire  par  la  que  ces  phenomenes  sont  determines,  qu'etant 
donnees  certaines  circonstances  physiologiques  et  psychologiques 
qui  en  sont  les  conditions,  ils  ne  peuvent  pas  ne  pas  se  produire  ? 
Mais  c'est  la  simplement  Texpression  de  la  loi  gSneralc  du  deter- 
minisme  a  laquelle  sont  soumis  tous  les  phenomenes  sans  excep- 
tion qu'ils  soient  pathologiques  ou  non.  Pourquoi  ne  pas  dire 
aussi  que  le  syllogisme,  la  colfere,  la  melancolie  ou  la  demence 
sont  des  zwangsprocessus  ? 

Veut-on  dire  par  la  que  ce  sont  des  operations  qui  amenent 
toujours  regulierement  a  leur  suite  Texecution  d'un  acte  auquel 
pense  le  sujet  ?  Si  Ton  parle  d'homicides,  de  suicides,  de  vols, 
d'actes  veritables,  c'est-a-dire  d*aclions  qui  modifient  la  realite 
donnee  peut-on  dire  que  les  obsedes  presentent  des  impulsions 
irresistibles  ?  En  aucune  facon  :  ces  malades,  qui  n'arrivent  pas  a 
executer  les  choses  les  plus  simples,  executent  encore  bien  moins 
les  actions  complexes  et  invraisemblables  dont  ils  ont  Tidee. 
Nous  avons  vu  que  les  obsessions  des  scrupuleux  n'aboutissent 
jamais  ni  a  Texecution  materielle,  ni  h,  la  croyance,  ni  a 
Thallucination  ;  en  ce  sens  elles  ne  sont  done  aucunement  irre- 
sistibles. 

Veut-on  dire  que  les  operations  dont   Texecution  est  reguliere 


1.  Tanzi,  Archivio  iialiano  per  le  malatie  nervose,  1891. 

2.  J.  Donath,  Archio  f&r  Psychiatrie,  1896. 


256  LES  AGITATIONS  F0RC£ES 

et  n^cessaire  ce  sont  ces  operations  secondaires  et  inf^rieures, 
tics,  agitation  motrice,  efforts,  ruminations,  Amotions  angois- 
santes  ?  Cela  semble  ainsi  un  pen  plus  juste,  car  ces  processus 
secondaires  se  d^roulent  en  effet  assez  rr^quemment  et  r^guliere- 
ment  dans  les  conditions  que  nous  avons  indiqu^es.  Est-ce  la 
une  n^cessite  particuli^rement  absolue  qui  nitrite  a  la  rumination 
mentale  le  titre  d'irr^sistible  qu*on  n'a  pas  Thabitude  d'appliquer 
a  une  crise  d'hyst^rie  ou  d'epilepsie  ?  En  aucune  fa^on  :  ces  pro- 
cessus peuvent  se  transformer  les  uns  dans  les  autres,  si  je  m'op- 
pose  a  ce  que  Cha...  cherche  mon  adresse  en  se  promenant  a 
grands  pas,  il  interrompt  r^ellement  son  travail,  mais  il  a  une 
crise  de  suffocation,  ce  qui  n*est  pas  une  recherche  mentale. 
D*ailieurs  des  malades  peuvent  eux-m^mes  tout  arr^er:  M.  Bris- 
saud  a  beaucoup  insiste  pour  montrer  que  les  tics  peuvent  etre 
momentan^ment  supprim^s  par  la  volonte.  Nous  Tavons  d^ja  veri- 
fie  bien  souvent  pour  tons  ces  phenom^nes,  Qi...,  quia  une  copro- 
lalie  si  remarquable  a  Thopital,  cesse  completement  dans  les  rues 
de  peur  de  mauvaises  aventures,  Claire  suspend  ses  contorsions 
des  que  quelqu'un  vient  a  entrer,  Wo...,  plong^e  dans  ses  rumi- 
nations a  propos  d^un  conipte,  remet  la  crise  a  plus  tard  parce 
qu'  «  on  Tappelle  pour  diner  et  qu'il  y  a  du  monde  ».  D*ailleurs 
c'est  en  se  servant  de  cet  arret  volontaire,  difficile  peut-etre 
mais  toujours  possible  que  Ton  arrive  a  restreindre  ces  troubles 
psychologiques.  D'autre  part,  comme  je  Tai  remarque  des  le 
debut,  ces  operations  forcees  ne  s^ex^cutent  pas  automatiquement 
a  rinsu  du  sujet  comme  T^criture  subconsciente  des  hyst^riques. 
Nous  avons  vu  que  le  malade  y  participe  et  qu'il  doit  meme  faire 
des  efforts  conscicnts  pour  les  ex^cuter.  Tout  cela  constitue-t-il 
de  rirresistibilit6  reelle  ? 

Je  crois  que  ce  qualificatir  d'irresistible  a  6te  appliqu^  a  ces 
faits  non  par  le  ra^decin  observant  du  dehors,  mais  par  le  malade 
lui-m6me  et  qu'il  exprime  simplement  un  sentiment  que  le  sujet 
eprouve  relativement  a  ces  phenomfenes  secondaires.  Les  malades 
r^petent  tons  qu'ils  ont  perdu  leur  liberte,  leur  volonte  cc  je  n'ai 
plus  un  atome  de  volonte,  je  suis  emport^e  par  une  force  etran- 
gere,  je  ne  m'appartiens  plus,  etc.  ».  Ces  phrases  sont  perp^- 
tuelies  sous  toutes  les  formes.  Elles  expriment  un  fait  que  je  crois 
important  dans  la  pathologic  mentale  et  qui  joue  en  particulicr 
un  role  capital  dans  le  d^lire  de  persecution  :  la  perte  du  senti- 
ment de  hi  libcrtt^.   Ce  sentiment  de  liberte  vrai  ou  faux,  peu 


CARAGTfiRES  APPARENTS  DES  AGITATIONS  257 

importe,  accompagne  chacun  de  nos  actes  volontaires  et  il  se 
perd  dans  des  circonstances  pathologiques  quHi  serait  tres  impor- 
tant de  pouvoir  bien  determiner. 

Le  sentiment  de  la  perte  de  la  liberty  correspond  ici  a  deux 
choses  :  d'abord  a  un  sentiment  d'incapacit^  et  d'impuissance  qui 
est  du  a  ce  que  le  phenomene  primaire,  acte  volontaire,  attention, 
croyance,  Amotion  sup6rieure  que  le  sujet  d^sirait,  quUl  voulait, 
qu'il  avait  meme  commence  ne  se  produit  pas,  n'arrive  pas  au 
terme  prevu  et  qu'il  y  a  une  deception,  puis  a  cet  autre  fait, 
c*est  qu'a  la  place  du  ph^nom^ne  esp^r^  s*en  produit  un  autre 
qui  est  inutile,  absurde  et  dans  certains  cas  douloureux.  L*irre- 
sistibilite  est  done  un  sentiment  du  malade  qui  rentre  dans  la 
categoric  de  tons  ces  sentiments  de  m^contentement,  qui,  comme 
on  Fa  vu,  ACcompagnentTarr^t  des  actes  volontaires.  PourF^tudier 
plus  completement  nous  arrivons  a  cet  examen  des  alterations 
mentales  chez  le  scrupuleux  dont  nous  avons  d^ja  vu  la  n^cessite. 

Enfin  le  troisieme  caractere  que  Ton  attribue  d'ordinaire  a  ces 
phenomenes,  c'est  la  satisfaction  qu'eprouve  le  malade  quand  il  a 
obei  a  rimpulsion  qui  le  pousse.  Cette  formule  que  Ton  r^pete 
toujours  me  semble  comme  les  pr^cedentes  tres  vague  et  souvent 
discutable. 

Le  malade  n'execute  presque  jamais  une  action  bien  precise,  ce 
n'est  done  point  dans  Tex^cution  finale  d'une  impulsion,  qu'il 
eprouve  du  contentement.  Yeut-on  dire  par  la  qu'il  est  heureux 
d'avoir  accompli  des  tics,  des  ruminations,  d'avoir  ^prouv^  des 
angoisses  ?  II  Eprouve  bien  un  certain  soulagement  tres  naturel 
quand  cette  crise  p^nible  est  finie,  mais  il  n'est  ni  fier,  ni  heu- 
reux d'avoir  de  nouveau  cede  a  un  besoin  qu'il  trouve  ridicule. 
Je  n'ai  gu^re  vu  les  malades  satisfaits  a  la  fin  de  leur  crise,  ils 
sont  fatigues  et  honteux  d'eux-memes.  MM.  Pitres  et  R^gis  * 
font  la  meme  remarque  et  disent  qu*il  s'agit  plutot  d'un  apaise- 
ment  consecutif. 

Vcut-on  dire  qu'il  y  a  un  etat  de  satisfaction  pendant  la  dur^e 
memo  de  Top^ration  forcee.  M.  Roubinovitch  cite  un  cas  ou  le 
malade  est  heureux  de  retourner  a  sa  rumination '.  Ccla  me  parait 


I.  Pitres  et  R^gis,  op.  cii.,  54- 

3.  Roubinovitch,  Etat  de  satisfaction  pendant  la  dur^e  m6me  de  I'obsession  con* 
tinue.  Congrea  de$  alienistes  frangais^  La  Uochelle,  1893. 

LES  OBSESSIOMS.  1.    —      11 


258  LES  AGITATIONS  FORCfiES 

plus  juste,  mais  a  la  condition  de  faire  une  distinction  indispen- 
sable. De  ces  trois  operations  Torches  il  y  en  a  une  qui  est  parti- 
culierement  douloureuse  c*est  Tangoisse,  tandis  que  les  deux 
autres  sont  moralcment  penibles,  mais  ne  sontpas  physiquement 
douloureuses.  En  outre  cette  op6ration  penible,  Tangoisse,  peut, 
au  moins  chez  certains  malades,  remplacer  les  agitations  motrices 
ou  les  ruminations,  si  celles-ci  sont  arret^es  par  un  effort  de 
voIont6.  Si  le  malade  supprime  ses  manies,  cesse  de  tiquer,  il 
aura  de  Tangoisse,  s'il  s*abandonne  de  nouveau  a  ses  manies 
d^expiation,  a  ses  tics,  il  sera  au  moins  d^barrassd  de  Tangoisse. 
Comme  le  malade  a  fort  pen  d'^nergie  et  de  courage,  il  aime 
mieux  se  laisser  aller  a  toutes  ses  sottises  plutot  que  de  s^expo- 
ser  a  des  suffocations  penibles.  Cette  satisfaction  que  Ton  note 
chez  le  malade  qui  c^de  a  certaines  impulsions  me  parait  ^tre 
simplement  une  preference  pour  certains  de  ses  phenomenes 
pathologiques  plutot  que  pour  les  autres,  simplement  parce 
qu'ils  determinent  moins  de  douleur  physique.  C'est  une  resigna- 
tion a  un  moindre  mal  plutot  qu^une  satisfaction. 

En  un  mot,  ces  trois  caracteres  de  la  conservation  de  la 
conscience,  de  Tirresistibilite,  de  la  satisfaction  que  Ton  donne 
toujours  comme  les  caracteres  essentiels  de  la  crise  d'agitation 
forc^e  ne  sont  pas  des  caracteres  psychologiques  objectifs  re* 
connus  par  le  m^decin.  Ce  sont  des  caracteres  subjectifs,  c'est- 
a-dire  des  sentiments  de  doute,  d'absence  de  liberte,  de  resigna- 
tion que  le  malade  exprime  lui-meme  a  propos  de  ses  crises. 
Pour  comprendre  ces  caracteres  nous  sommes  done  ameues  a 
etudier  les  sentiments  qu'eprouvent  les  psychastheniques  a 
propos  de  leurs  crises,  leur  6tat  mental  pendant  la  crise  et  en 
dehors  de  la  crise. 

Si  nous  laissons  de  cote  ces  sentiments  subjectifs  pour  nous 
borner  a  resumer  ici  les  caracteres  objectifs,  les  crises  d'agitation 
forcec  nous  paraissent  essentiellement  un  ensemble  d'operations 
psychologiques,  des  pens^es,  des  actes,  des. Amotions  qui  sont 
inutiles  et  d'ordre  inf^rieur  et  qui  se  d6veIoppent  d*une  maniere 
exag^ree  a  Toccasion  d'un  acte,  d'une  attention,  d'une  croyancc, 
d'une  emotion  qui  n'ont  pas  pu  s'ex^cuter  ou  qui  ne  sont  executes 
que  d'une  maniere  tres  incomplete.  Pour  comprendre  cette  alte- 
ration du  phenomene  primaire  qui  est  Toccasion  du  dedaoche- 
meut   des    phenomenes  d'agitation    forc^e   il    nous   faut    encore 


CAR\CTfeRES  APPARENTS  DES  AGITATIONS  2J9 

examiner  Tetat  des  fonctions  psychologiques  du  sujet,  de  sa 
volonte,  de  son  attention.  Ces  6tudes  doivent  se  joiudre  a  celle 
des  sentiments  dont  je  viens  de  parler  et  nous  permettront  de 
nous  faire  une  id^e  generate  de  ces  crises. 


CHAPITRE  III 
LES  STIGMATES  PSYCH ASTHfiNIQUES 


Les  premiers  auteurs  qui  ont  d^crit  des  obsessions  ont  6t^ 
surtout  frapp^s  de  ce  fait  que  les  malades  ne  ddliraient  pas  a 
proprement  parler.  Ceux-ci  n'arrivaient  jamais  a  etre  convaincus 
de  leurs  idees  d^Iirantes,  ilsluttaient  centre  elles  et  se  montraient 
les  premiers  a  les  declarer  fausses  et  ridicules.  Devant  ces  decla- 
rations les  observateurs  concluaient  a  la  luciditc  de  Tesprit  et  a 
rint6grit6  des  fonctions  psychologiques.  Legrand  du  Saulle  allait 
jusqu'a  dire  que  Tintelligence  restait  parfaite  et  la  liberty  morale 
intacte  pendant  la  crise.  La  conservation  de  la  conscience,  et  par 
ce  mot  on  entendait  Tint^grit^  des  fonctions  psychologiques  aussi 
bien  que  Tappr^ciation  exacte  de  la  valeur  des  idees,  ^tait  deve- 
nue  un  des  caracteres  classiques  de  la  crise  d'obsession,  a  plus 
forte  raison  personne  ne  songeait  a  soup^onner  des  troubles  de 
ces  fonctions  psychologiques  dans  Fintervalle  des  crises. 

M.  S^glas,  Tun  des  premiers,  je  crois,  a  mis  en  doute  cette 
fameuse  conservation  de  la  conscience  :  (c  Est-il  bien  juste  de 
dire,  remarque-t-il,  que  la  conservation  de  la  conscience  soit 
toujours  complete  chez  Tobs^de,  avant,  pendant  et  apres  les 
paroxysmes*  ?  »  Get  auteur  ne  croit  pas  que,  surtout  pendant 
la  crise,  les  obs^des  aient  «  la  notion  complete  de  tous  les  ele- 
ments constituant  a  ce  moment  leur  personnalite.  La  syothese 
secondaire  obnubile  et  m^me  efface  la  conscience  principale.  » 
Aussi  admettait-il  pendant  que  la  crise  il  y  avait  des  alterations 
des  divcrses  fonctions  psychologiques,  quoique  elles  ne  fussent 
pas  directement  engag^es  dans  Tobsession  elle-meme. 

Si  Ton  veut  bien  y  reflechir,  ces  troubles  psychologiques  pen- 
dant la  crise  d'obsession,  et  j*ajouterai  meme  en  dehors  de  la 
crise,  sont  infiniment  vraisemblables.  Est-il  possible  que  des  pen- 

I.  J.  Seglas,  Lemons  sur  les  maladies  mentales  el  nerveuses,  1895,  p.  118. 


LES  STIGMATES  PSYCHASTHENIQUES  261 

sees  absurdes,  des  manies  inutiles  et  ridicules,  des  craintes 
injustifiees  viennent  remplir  un  esprit  pendant  plusicurs  heures 
s'il  est  parTaitement  sain  et  capable  de  leur  r^sister.  Cela  est 
tout  a  fait  contraire  a  tout  ce  que  nous  savons  deja  sur  la  sugges- 
tion et  sur  les  id^es  fixes  des  hysteriques.  Les  phenom^nes  ne 
soot  sans  doute  pas  absolument  comparables,  mais  il  y  a  une  ana- 
logie  sudisante  pour  que  nous  supposions  chez  les  obsed^s  comme 
chez  les  hysteriques  une  ccrtaine  insuflfisance  de  resistance  qui 
permette  ce  developpement  parasitaire.  Bien  plus,  toutes  ces 
manies  sont  au  fond  de  mauvaises  habitudes,  elles  ont  dd  naitre 
et  grandir  avant  de  constituer  ces  crises  et  par  consequent  m^me 
avant  les  crises,  m^me  dans  leur  intervalle,  Tesprit  qui  a  favorise 
un  pareil  developpement  ne  devait  pas  etre  bien  normal.  En  un 
mot  il  serait  tres  important,  pour  mieux  comprendre  les  obses- 
sions, de  savoir  sur  quel  terrain  elles  se  d^veloppent  et  de 
constater  les  alterations  fondamentales  des  fonctions  psycholo- 
giques  qui  en  ont  probablement  6t^  le  point  de  depart. 

Ce  sont  ces  modifications  dans  le  fonctionnement  des  opera* 
tions  psychologiques  ind^pendamment  de  Tobsession  et  des  ope- 
rations Torches  que  je  designe  sous  le  nom  de  sligmates  psychas- 
theniqneSf  analogues  a  ces  «  stigmates  psychiques  des  tiqueurs  » 
dont  parlait  deja  Charcot  quand  il  concevait  bien  la  necessity  de 
leur  etude  ^ 

Malheureusement  Tetude  de  ces  stigmates  psychasth^niques 
est  encore  plus  difficile  a  faire  que  celle  des  stigmates  hyste- 
riques. On  sait  quelle  difficulte  apporte  a  Tetudc  des  hysteriques 
leur  suggestibilite ;  il  est  toujours  tres  difficile,  surtout  si  Ton 
veut  faire  des  experiences,  de  savoir  ce  qui  est  un  trouble  psycho- 
logique  fondamental  et  ce  qui  a  ete  ajoute  par  des  suggestions 
maladroites.  Ici,  les  obsessions  et  les  manies  mentales  des  sujets 
apportent  des  difficultes  encore  plus  grandcs.  Beaucoup  de  ces 
malades  sont  disposes  a  croire  que  leurs  facultes  sont  alterees,  soit 
en  verlu  d'obsessions  de  honte,  soit  en  vertu  d'obsessions  hypo- 
condriaqucs,  peut-on  croire  a  leurs  appreciations  d'eux-memes  ? 
Par  exemple,  est-il  possible  de  se  faire  une  idee  exacte  de  I'etat 
mental  de  Claire  en  Tinterrogeant  sur  ses  propres  facultes  ?  Elle  a 
rhabitude  de  se  croire  completement  idiote,   de  se    rabaisser  en 

I.  Charcot,  Lemons  du  mardi,  II,  i6. 


262  LES  STIGMATES  PSYCHASTHENIQUES 

tout ;  aussi  va-t-elle  vous  faire  une  description  fantastique  de  ses 
propres  facult^s  comme  si  elle  voulait  passer  pour  une  demente. 
D'autre  part,  si  au  lieu  d*interroger  les  sujets  on  examine  leur 
conduite  dans  des  cas  d^termin^s,  on  verra  qu'un  grand  nombre 
d'actes  sont  arret^s,  inhibes  par  des  manies  mentales  et  cepen- 
dant  il  ne  faut  pas  croire  a  leur  suppression  :  si  Ton  rencontre 
Bu...  assis  par  terre  le  long  d'un  mur  et  incapable  de  traverser 
la  place  il  ne  faut  pas  en  conclure  qu*il  ne  sait  pas  marcher.  Ces 
deux  diflScult^s  peuvent  fournir  des  objections  perp^tuelles  contre 
tons  ceux  qui  essayent  de  d^crire  les  stigmates  des  psychasthe- 
niques,  on  pourra  toujours  me  r^pondre  que  tel  trouble  de  la 
perception  ou  de  la  volonte  est  produit  par  une  id^e  quelconque, 
par  une  manie,  un  tic  ou  une  angoisse  qui  a  arrete  I'acte  au 
moment  oil  je  Tobscrvais. 

Cependant  ces  stigmates  doivent  exister  et  il  y  a  certainement 
des  troubles  du  fonctionnement  mental  qui  sont  ant^rieurs  logi- 
quement  et  chronologiqueraent  aux  idees  fixes  et  aux  manies. 
C*est  pourquoi,  tout  en  reconnaissant  ces  dangers,  je  crois  n^- 
cessaire  de  tenter  celte  recherche  en  prenant  le  plus  de  pre- 
cautions possible.  D'abord,  sauf  dans  des  cas  assez  rares,  les 
experiences  compliqu6es  me  semblent  a  pen  pr^s  impossibles, 
elles  ont  Tinconv^nient  d'attirer  I'attention  du  sujct  et  de  provo- 
quer  toutes  ces  reflexions  et  ces  operations  Torches  que  Ton 
redoute;  il  faut  user  de  Tobservatlon  et  surtout  de  la  comparaison 
des  divers  sujets.  II  y  a  des  troubles  qui  sont  int^ressants  par 
leur  grande  generality  et  qui  apparaissent  chez  les  sujets  ayant 
des  obsessions,  des  manies  mentales  ou  des  phobies  absolument 
difTerenteSy  et  n^ayant  jamais  en  Tesprit  dirige  sur  ces  troubles. 
On  observe  aussi  des  troubles  qui  se  developpent  avant  la  nais- 
sance  des  manies  mentales  et  des  obsessions,  que  nous  retrouvoos 
chez  des  malades  simplement  neurastheniques,  n'ayant  encore 
aucune  operation  forcee.  Enfin  le  raisonnement  pent  dans  une 
petite  mesure  confirmer  les  remarques  precedentes,  quand  il  nous 
montre  que  ces  troubles  psychologiques  ont  ete  chez  le  malade 
le  point  de  depart  et  non  la  consequence  des  obsessions.  Mai- 
gre  ces  precautions  je  continue  a  croire  la  recherche  de  ces  trou- 
bles tres  difficile  et  la  liste  que  j'en  donnc  me  semble  devoir 
etre  souvent  modifiee. 

Ces  troubles  psychologiques  ne  m'ont  pas  semble  etre  de  nature 
diirerente  pendant  la  crise  ou  en  dehors  de  la  crise,  je  n*etablirai 


LES  STIGMATES  PSYCIlASTHfiNIQUES  263 

done  pas  a  ce  point  de  vue  de  divisions,  il  suflfit  de  se  rappeler 
que  les  troubles  les  plus  exag^r^s  se  presentent  pendant  la  crise 
et  qu'ils  existent  toujours  chez  les  grauds  malades  a  un  degr6 
plus  faible  pendant  les  intervalles  des  crises. 

Ces  troubles  se  presentent  a  Tobservateur  de  deux  manieres, 
d'abord  d'une  maniere  simplement  subjective  sous  la  forme  de 
sentiments  que  ressent  le  sujet  et  qu'il  exprime  plus  ou  moins 
bien.  I^a  conscience  est  un  rdactif  plus  delicat  que  nos  appareils 
et  eile  accuse  des  troubles  que  nous  ne  serons  pas  capables  de 
mettre  en  evidence  d'une  maniere  objective.  Ccpendant  dans  les 
cas  les  plus  nets  nous  pouvons  constater  ces  troubles  par  la 
conduite  du  sitjet  et  dans  des  cas  determines  ind^pendamment 
des  sentiments  quMl  en  exprime.  J'^tudicrai  d'sibord  ces  senti- 
ments subjectifs,  puis  je  chercherai  a  mettre  en  Evidence  ces 
m^mes  troubles  sous  leur  aspect  objectif. 

Enfin  je  signalerai  plus  rapidement  dans  une  troisieme  section 
des  troubles  des  fonctions  physiologiques  qui  sont  plus  connus, 
car  ils  se  retrouvent  plus  ou  moins  dans  toutes  les  nevroses. 


26i  LES  STIGMATES  PSYCHASTUfiNlQUES 


PREMlfiRE  SECTION 
Sentiments  d'incomplbtude 


Le  mot  «  incompl^tude  »  est  ud  barbarisme  que  je  prie  le 
lecteur  d'excuser,  je  n'ai  pu  designer  micux  le  fait  essentiel  dont 
tous  les  sujets  se  plaignent,  le  caractere  inachev^,  insuflisant,  in- 
complet  quails  attribuent  a  tous  leurs  phenomenes  psychologiques. 

Ces  sentiments  qu'eprouve  lesujet  a  proposde sespropres opera- 
tions mentalessonttres  varies  etse  modifient  incessamment  sous  les 
plus  legeres  influences.  Je  les  distinguerai  surtout  d'apres  les 
ph^nom^nes  qui  leuV  donneirt  naissance^suivant  qu*ils  se  d^velop- 
pent  a  propos  des  actions,  a  propos  des  operations  intellectuelles, 
a  propos  des  Amotions  et  des  sentiments  ou  bien  a  propos  de 
la  conscience  de  la  personnalite. 


i.  — Sentiments  d'incomplitude  dans  Vaction. 

Les  crises  qui  sont  constitutes  par  les  operations  forc6es,  les 
ruminations,  les  agitations,  les  angoisses,  debutent  tres  souvent 
a  propos  d'une  action.  Le  sujet  doit  faire  quelque  acte,  il  Ta 
meme  commence  ou  accompli  en  partie  et  son  espi;it  se  trouve 
envahi  par  ces  phenomenes  en  apparence  irr^sistibles.  II  est  tout 
naturel  de  se  demander  si  dans  cette  action  il  y  a  quelque  chose 
d'anormal,  quelque  chose  qui  puisse  expliquer  Tapparition  de  la 
crisc.  Dans  les  cas  les  plus  simples,  ainsi  que  nous  Tavons  vu. 
Taction  est  completement  supprimee  ;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi 
toujours,  dans  bien  des  cas  Tobservateur  ne  voit  rien  dans  celte 
action  qui  manifeste  le  trouble  objectlvement,  Tacte  semble  avoir 
ete  a  peu  prcs  normal.  Ainsi,  Wo...  a  de  grandes  crises  de  rumi- 
nation a  Toccasion  d'une  priere  ou  d'une  addition  qu'elle  vient 
de  faire.  Le  mari  qui  Tobserve  constate  cependant  que  la  priere 
a  ete  recitee  correclement   a   demi  voix  exactement  comme  les 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  DANS  L'ACTION  265 

autres  soirs,  que  Taddition  a  ^t^  bien  faite  et  que  le  r^sultat 
inscrit  est  juste.  II  en  est  ainsi  bien  souvent  et,  a  premiere  vue, 
nous  ne  constatons  dans  ces  actions  rien  d'anormal. 

Mais  le  sujet  n'est  pas  du  m^me  avis  que  Tobservateur  plac^ 
en  dehors  et  il  a  dans  Tesprit,  a  propos  de  cet  acte,  un  ensemble 
de  ph^nomfenes  ires  curieux.  Ce  ne  sont  pas  des  id6es,  c*est-a-dire 
des  pensees  abstraites  et  g^n^rales  s'appliquant  a  cet  acte  et  a 
d'autres,  comme  il  en  aura  dans  les  obsessions,  ce  sont  des  sen- 
timents, c'est-a-dire  un  ph^nomene  plus  concret  s'appliquant  a 
un  ^tat  determine  et  a  un  seul.  Le  sentiment  pris  dans  ce  sens 
est  pour  la  connaissance  des  faits  internes  Tanalogue  de  la  per- 
ception pour  la  connaissance  des  objets  ext^rieurs.  C'est  une 
connaissance  plus  complexe  que  la  simple  sensation,  une  connais- 
sance form^e  par  le  groupement  de  plusieurs  faits  ^l^mentaires, 
mais  s*appliquant  cependant  a  un  seul  Tait  concret. 

En  general  Tattention  des  psychologues  n'a  pas  6t6  sufii- 
samment  attir^e  sur  ces  sentiments  qui  accompagnent  le  d^velop- 
pement  de  la  volont^.  lis  n'ont  guere  analyse  avec  soin  qu'un 
seul  d'entre  eux,  le  sentiment  de  Veffort,  Hoffding  est  Tun  de 
ceux  qui  ont  le  mieux  signals  Timportance  d'autres  sentiments 
du  meme  genre  :  dans  le  chapitre  vii  de  son  manuel  il  insiste 
sur  la  conscience  de  la  volont^,  sur  le  sentiment  de  la  resolution. 
Ces  sentiments  qui  accompagnent  les  operations  de  Tesprit 
sont  a  mon  avis  particulicrement  importants  dans  la  pathologic 
mentale  et  serviront  un  jour  a  interpreter  une  foule  de  delires. 

Pour  le  moment  constatons  que  chez  le  scrupuleux  les  actes 
volontaires  sont  Toccasion  d'une  foule  de  sentiments  anormaux, 
qui  peuvent  se  r^sumer  en  un  mot:  le  sujet  sent  que  Taction  n'est 
pas  bien  faite,  qu^elle  n'est  pas  faite  complctement,  qu*il  lui 
manque  quelque  chose.  Dans  les  premieres  manies  de  perfection 
ce  sentiment  est  deja  tres  visible.  Souvent  il  prend  la  forme  mo- 
rale :  Tacte  n'est  pas  bon  moralement,  c*cst  ce  que  Ton  voit  dans 
la  manie  des  efforts.  Souvent  il  s'agit  simplement  du  point  de 
vue  pratique,  Tacte  n'est  pas  suffisant  pour  arriver  a  son  but,  il 
ne  semble  pas  capable  de  produire  la  satisfaction  cherchee,  de 
la  toutes  les  recherches  du  mioux,toutes  les  manies  des  procedes, 
enfin  Tacte  ou  Pid^e  ou  m^me  Temotion  parait  manquer  de  net- 
tete,  ne  pas  avoir  les  caracleres  specifiques  qui  lui  appartiennent, 
tXve  trop  vagues,  de  la  le  besoin  d'agir  lentemcnt,  de  recom- 
mencer  et  toutes  les  manies  de  la  precision. 


266  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiMQUES 

Dans  le  deuxieme  groupe,  celui  des  manies  de  reparation,  le 
sentiment  que  le  sujet  ^prouve  a  propos  de  son  acte  ou  de  son 
idee  est  encore  plus  visible,  Tacte  n*est  pas  seulement  insuifi- 
sant,  il  est  franehement  mauvais,  ici  encore  ce  n'est  pas  unique- 
ment  mauvais  au  point  de  vue  moral,  c'est  dangereux  pour  la  vie, 
pour  la  sant^,  c'est  ridicule,  maladroit,  incapable  d'arriver  au 
but.  «  J'ai  le  sentiment  de  rater  tout  ce  que  je  fais,  je  ne  fais  que 
des  choses  absurdes,  disent  sans  cesse  tons  ces  malades,  ce  que 
je  veux  c'est  retrouver  ma  vie,  j*ai  bien  le  droit  de  vivre  comme 
tout  le  monde  »  et  toutes  les  manies  de  reparation  et  tous  les 
tics  de  defense  semblent  se  rattacher  a  ce  sentiment  fonda- 
mental. 

Dans  les  manies  d'oscillation  ce  sentiment  de  mecontentement 
semble  se  generaliser,  il  ne  porte  pas  sur  une  scule  idee  que  Ton 
pent  reparer  en  pensanta  une  autre,  il  porte  sur  toutes  les  idees 
possibles,  le  sujet  les  essaye  successivement  sans  etre  satisfait 
d*aucune. 

Ces  sentiments  se  retrouvent  a  propos  des  crises  d'agitation  et 
des  angoisses.  C*est  parce  que  Tacte  semble  impossible,  qu'il  y  a 
des  agitations,  c'est  parce  qu*il  semble  imparfait,  qu'il  y  a  des 
efforts  et  des  tics.  Les  angoisses  se  rapprochent  des  peurs  et 
des  d^sespoirs  et  quand  elles  se  d6veloppent,  Facte  parait  au  sujet 
dangereux,  effrayant  ou  ridicule. 

Si  nous  cherchons  a  analyser  ce  sentiment  de  mecontentement 
nous  voyons  qu'il  se  decompose  en  une  serie  de  sentiments  plus 
^l^mentaires  relatifs  a  Taction.  Ces  sentiments  n'existent  pas  seu- 
lement au  debut  des  crises,  ils  existent  souvent  et  dans  quelques 
cas  d*une  maniere  continuelle  a  propos  de  tous  les  actes  que  le 
sujet  veut  accomplir.  C'est  la  un  des  symptomes  primordiaux  de 
la  maladie  qui  existait  bien  avant  que  les  ruminations,  les  an- 
goisses et,  surtout,  les  obsessions  ne  se  soient  d^veloppees. 

I .  —  Sentiment  de  difficulte. 

Pour  apprecier  la  variete  de  ces  sentiments  il  faut  suivre  Tacte 
volontaire  depuis  son  debut  et  voir  la  suite  des  sentiments  engcn- 
dres  dans  Tesprit  du  malade.  Ces  personnes  ^prouvent  d'avance 
des  sentiments  p^nibles  a  la  penst^e  qu*il  faudra  agir,  ils  redou- 
lent  faction  par-dessus  tout.  Leur  r^ve,  comme  ils  le  disent  tous, 
scrait  une  vie  ou  il  u*y  aurait  plus  rien  a    faire.  «  Je  voudrais. 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  DANS  L' ACTION  267 

disait  Fa...  (169),  une  chose  malheureusement  bien  difficile,  je  vou- 
drais  pouvoir  faire  toutes  les  actions  a  la  Tois,  une  fois  pour  toutes 
et  ne  plus  avoir  jamais  rien  a  faire...  ce  d<^sir  d'en  avoir  fini  me 
donne  quelquefois  du  courage,  je  me  hate  de  finir  pour  qu'on  ne 
me  parle  plus  de  Taire  quelque  chose.  » 

Cette  horreur  de  Taction  volontaire  se  rattache  a  un  sentiment 
exagere  de  la  difliculte  de  Facte,  le  sentiment  de  Teflbrt  et  sur- 
tout  la  provision  de  Teflbrt  qui  existe  chez  tout  homme  a  la  pen- 
see  d*un  acte  devient  ici  enorme.  «  Pas  une  seule  chose,  repete 
Jean  avec  dcsespoir,  qui  ne  presente  d^enormes  didicultes,  des 
qu^il  s'agit  de  la  faire.  »  cell y  a  la,  me  dit  Fz... (59),  des  resolutions 
a  prendre,  il  faudrait  r^pondre  a  une  lettre,  il  faudrait  pour  cela 
penscr  a  ce  que  je  dois  ^crire,  avoir  la  conception  de  Taffaire. 
Oh,  je  suis  epuis^  rien  que  de  songer  a  tout  cela,  cela  va  faire 
marcher  Torchestre  dans  ma  tete,  non  il  vaut  mieux  ne  pas  y 
songer  pour  le  moment.  » 

(f  Je  me  demande,  dit  Nadia,  comment  je  puis  arriver  a  faire 
quelquefois  des  choses  comme  tout  le  monde.  C'est  tellement  dif- 
ficile, j'en  suis  tout  a  fait  decouragee  d'avance.  Je  crois  que  j'ai 
de  la  volonle  au  fond,  si  je  ne  fais  pas  ce  que  vous  voulez,  c'est 
qu*il  y  a  des  difficult^s  epouvantables  qui  m'enlevent  toute  mon 
energie.  »  II  est  bon  de  remarquer  que  ces  paroles  ne  s^appli- 
quent  aucunement  a  des  actions  en  rapport  avec  les  idees  obs6- 
dantes  de  la  malade  et  que  je  ne  lui  demandais  ni  de  manger  ni 
de  sortir  ;  il  s'agissait  simplement  de  commencer  une  tapisserie 
pour  avoir  une  petite  occupation. 

Une  de  ces  difficultes  qui  arretent  le  sujet  c'est  qu'il  se  repr^- 
sente  d'avance  son  insncces.  II  sent  qu'il  va  faire  les  choses  trfes 
mal,  d'une  facon  immornle  et  ridicule  «  j'ai  une  apprehension 
pour  tout  ce  que  je  dois  entreprendre,  il  me  semble  que  si  je 
commence  je  vais  faire  des  horreurs  d,  il  est  bon  de  remarquer 
que  ce  malade  Bu...  est  simplement  un  agoraphobe  et  qu*il  ne 
s*agit  pas  d*actes  pouvant  ^veiller  ses  phobies.  «  Je  me  connais, 
dit  Nadia,  il  suffit  qu'il  y  ait  une  mauvaise  action  a  cote  de  celle 
que  je  veux  faire,  je  ferai  la  mauvaise...  vous  voulez  que  je  me 
remette  a  jouer  du  piano,  mais  avec  mes  doigts  rouill^s  je  vais 
Ires  mal  jouer,  j^ennuierai  toute  le  monde  en  recommen<;ant, 
je  ne  peux  pas  me  decider  a-  jouer  si  mal  que  cela,  ce  serait 
honteux.  » 

Un  sentiment  voisin  est  le  sentiment  de  VinuUlile  de  raction, 


268  LES  STIOMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

surtout  de  son  peu  de  valeur  relativement  aux  efforts  qu'elle  va 
couter.  ((  Rien  ne  vaut  la  peine  d'etre  commence...  a  quoi  cela 
sert-il...  se  donner  tant  de  mal  pour  aboutir  a  quoi...  autant  vaut 
se  tenir  tranquille...  » 

2.  —  Sentiment  d'incapacite. 

Une  variante  du  m^me  sentiment  nous  fournira  le  sentiment 
d'incapacite.  Quand  le  sentiment  d'incapacite  porte  sur  un  acte 
determine  il  se  rapproche  un  peu  plus  des  obsessions  :  il  en  est 
ainsi  dans  le  cas  de  De...,  «  qui  s*effraye  du  manage,  qui  n'a  rien 
de  ce  qu'il  faut  pour  rendre  un  homme  heureux,  pour  clever  des 
enTants,  pour  tenir  un  manage,  etc.  »  Mais  beaucoup  plus  souvent 
ce  sentiment  d'incapacite  est  general  «  je  n'ai  plus  de  goiU  ii 
rien,  je  n'ai  plus  la  force  de  faire  quoi  que  ce  soit  »  Dd...  (18;. 
«  La  vie  m'effraye,  dit  Lo...,  je  sens  que  je  nc  pourrai  rien  en 
faire  »  un  peu  plus  et  ce  sera  le  sentiment  de  paralysie  comme 
chez  Kl...  qui  trouve  le  mouvement  demande  «  presque  impos- 
sible »  elle  s'arrete  a  «  presque  impossible  »,  il  est  a  remarquer 
que  ces  malades  n'arrivent  jamais  a  une  idee  aussi  nette  que  celle 
de  Timpossibilit^  absolue. 

lis  ont  un  sentiment  de  faiblesse  enorme  a  la  pens^e  de  faire  un 
acte,  sentiment  qu'ils  n'eprouvent  pas  quand  ils  ne  songent  pas  a 
agir.  J'ai  observe  chez  Lkb...,  femme  de  22  ans,  un  ph^nomene 
curieux:  elle  est  trfes  calme  sur  sa  chaise  et  ne  reclame  rien  tant 
qu'on  ne  lui  demande  aucun  effort ;  si  je  Tencourage  a  agir,  a  tra- 
vailler  un  peu,  elle  gerait  sur  la  difficult^  de  Tacle  «  chez  une  per- 
sonne  qui  se  sent  si  faible  »  et  la  voici  qui  commence  une  crise 
de  boulimie.  Elle  reclame  a  manger  tout  de  suite,  sinon  elle  va 
tomber  de  faiblesse  a  elle  va  devenir  folle,  ou  enrag6e,  ou  s'eva- 
nouir,  si  elle  ne  mange  pas  tout  de  suite  ».  On  pent  arreter  ce 
besoin  Enorme  de  nourriture,  non  en  lui  donnant  a  manger,  mais 
en  la  tranquillisant  sur  Taction  a  accomplir.  Si  on  lui  declare 
qu'elle  est  trop  faible  pour  travailler,  qu'il  vaut  mieux  rester  a 
se  rcposer,  elle  se  calme  et  ne  demande  plus  a  manger.  C'esl 
en  examinant  des  faits  de  ce  genre  que  je  suis  dispose  a  croire 
au  grand  role  du  sentiment  de  la  faiblesse  et  surtout  de  la  fai- 
blesse cerebrale  dans  le  sentiment  de  la  faim.  On  voit  ici  que 
ce  sentiment  de  faiblesse  et  d'incapacite  s'^veille  a  la  pens^e  d'ac- 
complir  un  acte. 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  DANS  L'ACTION  269 

Ce  sentiment  de  faiblesse,  d'impuissanee  personnelle  me  parait 
jouer  un  role  dans  un  langage  bizarre  que  je  retrouve  chez  plu- 
sieurs.  lis  font  toujours  appel  a  une  puissance  myst^rieuse  qui 
les  d^barrasserait  de  Taction  et  surtout  de  la  complexite  de  la 
situation  donn^e.  «  II  me  semble  que  j^attends  quelque  chose 
avant  d*agir,  j*attends  qu'une  fee  ait  mis  tout  en  ordre  d^un  coup 
de  baguette...  »  (Yk...)  <(  Je  compte  sur  les  magiciens,  dit  Rk..., 
ils  vont  tout  preparer  et  je  pourrai  alors  agir.  »  «  Ah,  dit  Qsa..., 
si  un  miracle  me  permettait  de  faire  peau  neuve,  me  d^barrassait 
d'un  passe  lourd,  vous  verriez  que  j'agirais  tres  bien,  mais  la 
complexity  des  choses  me  tarabuste  ;  c'est  trop  dur  pour  moi,  si  le 
ciel  ne  m'aide  pas.  » 

3.  —  Sentiment  d' indecision . 

Un  des  sentiments  essentiels  de  la  volonte,  c'est  le  sentiment 
de  la  resolution,  de  la  decision.  Ce  sentiment,  comme  dit  Iloif- 
ding,  nous  montre  qu'une  volition  a  reellement  pris  naissance,  il 
distingue  les  possibles  (le  souhait  et  Timagination)  du  reel  (la  re- 
solution). «  L'un  des  caracteres  particuliers  de  la  resolution, 
forme  la  plus  nette  de  la  volonte,  c'est  que  Tesprit  s'y  concentre 
ou  s*y  aiguise  en  regardant  Taction  possible  comme  la  sienne 
propre.  Avant  d'ex^cuter  reellement  Tacte,  nous  le  reconnaissons, 
nous  le  percevons  comme  faisant  partie  de  notre  moi.  Nous  Tadop- 
tons  ou  anticipons  sur  lui,  nous  considerons  comme  un  acte 
acheve  ce  qui,  vu  du  dehors,  n'est  encore  qu'une  simple  possibi- 
lity. Par  opposition  a  Taction  interne  exprim^e  par  la  resolution, 
la  multitude  des  souhaits  et  des  imaginations  variables  ne  sont 
que  de  pures  possibilites*.  »  11  y  a  done  dans  le  sentiment  de  reso- 
lution un  sentiment  d'unite  comme  si  une  seule  tendance  avait 
persiste,  un  sentiment  du  developpement  de  cette  tendance  qui 
devient  plus  forte  qu^auparavant,  un  sentiment  de  personnalite 
puisque  Taction  est  adoptee  et  nous  semble  dependre  de  nous- 
meme,  un  certain  sentiment  de  plaisir  qui  accompagne  la  Gin 
d'une  lutte  et  Texaltation  de  la  force. 

Aucun  de  ces  sentiments  ne  se  developpe  naturellement  chez 
les  scrupuleux,  ils  n'ont  jamais  le   sentiment  d'ensemble,  qu'ils 


I.  H.   HdfTding.    Esquisse  d'ane  psychologic  fondle  sur    Vexpdrience,   traduction 
L.  Poilevin,  1900,  p.  44^. 


270  LES  STIGMATES  PSYGHASTHfiNIQUES 

sont  decides  oa  s'ils  Tont,  ils  le  sentent  faible  et  Incomplel  et  ils 
ont  constamment  peur  de  le  perdre.  Ka...,  homme  de  67  ans, 
que  je  choisis  precis^ment  parce  qu'il  n^a  pas  de  v^ritables 
manies  ni  de  vraies  obsessions,  veut  que  ses  actions  soient  faites 
tres  vite,  il  est  impatient  d'en  voir  Texecution  «  parce  qu'il  a  peur 
que  sa  decision  ne  se  maintienne  pas,  il  est  si  rare  qu'il  en  ait 
pris  une.  »  Rt...  (89),  femme  de  35  ans,  n'arrivant  jamais  au  sen- 
timent de  decision,  se  figure  qu'elle  n'ose  pas  prendre  un  parti. 

L'histoire  de  Tr. ..  est  amusante  sur  ce  point,  elle  nous 
pr^sente  comme  une  image  concrHe  du  sentiment  d'ind^cision. 
Cette  jeune  fiile  que  j*ai  d6ja  cit^e  a  propos  des  manies  de  la 
deliberation,  a  comme  profession  le  modelage  des  fleurs  en  por- 
celaine  :  elle  est  laiss^e  a  son  inspiration  pour  la  forme  et  la 
courbe  elegante  des  p^tales.  Le  premier  signe  de  sa  maladie 
c'est  qu'elle  gagne  moins  d'argent  dans  sa  journ^e,  parce  qu'elle 
fait  plus  lentement  ses  petales  de  roses  :  en  eOet  elle  h^site  tou- 
jours  entre  deux  plis,  ou  deux  courbes  a  adopter  et  elle  ne  sent 
plus  comme  autrefois  que  pour  tel  p^tale  donn^  le  pli  est  d^finitif, 
elle  dit  tres  bien  qu*ayant  le  p^tale  en  main  meme  quandil  devrait 
etre  termini,  elle  continue  a  se  representer  deux  ou  trois  formes 
possibles  et  non  plus  une  seule  comme  autrefois:  ce  sentiment s*ac- 
compagne  d'une  sorte  de  petite  douleur  a  la  place  du  petit  plaisir 
qu'elle  avait  autrefois  a  terminer  un  pdtale  et  a  le  trouver  joli. 

Pen  a  pen  le  meme  sentiment  envahit  d'autres  actes.  Ayant  un 
pen  d'dconomies  elle  devait  employer  quelque  argent  a  s'acheter 
un  objet  de  toilette,  a  Autrefois  j'aurais  su  choisir  et  le  choix  fait 
j'aurais  eu  un  plaisir,  je  sens  que  je  n^ai  pas  choisi,  que  je  continue 
a  me  representer  plusieurs  objets  a  la  fois  et  m^me  si  j'en  prends 
un,  je  n'aurai  pas  de  plaisir.  »  Qei...  remarque  tres  bien  elle-meme 
que  les  decisions  et  les  choix  ne  se  terminent  pas  dans  son  esprit, 
que  rien  n'est  fini  et  que  cela  est  p^nible.  La  meme  phrase  se 
retrouve  partout  «  pas  de  terminaison,  dit  Gis^le.  Je  nepeux  tirer 
la  barre,  ditLod...  Je  ne  puis  me  decider,  ni  prendre  un  parti, 
dit  Lise  :  si  je  recommence  la  discussion,  c'est  parce  que  je  sens 
qu'il  reste  deux  idees  ».  Non  seulement  Nadia  mais  toutes  les 
personnes  de  sa  famille  ont  ce  sentiment  d'h^siter  toujours, 
d'avoir  de  la  peine  a  se  decider  :  «  j'ai  beaucoup  de  volonte  en 
theorie,  dit  Nadia,  mais  je  suis  trop  fatigu^e  pour  avoir  Fair 
d'en  avoir  »;ces  jeunes  Biles  ont  lasinguliere  habitude  de  prendre 
des  precautions  contre  elles-m6mes  pour  rendre  leurs  decisions 


SENTIMENTS  D'lNCOMPLfiTUDE  DANS  L'ACTION  271 

irrevocables.  Quand  Tune  d'entre  elles  avail  pris  ou  a  molti^  pris 
une  petite  decision  queleonque,  bien  insignifiante  d'ailleurs,  sur 
la  couleur  d*un  ruban  ou  sur  une  lettre  a  6crire,  elle  devait  le 
notifier  a  chacune  de  ses  sceurs  ou  bien  l'6crire  sur  un  papier 
afin  de  ne  plus  pouvoir  changer.  Y  a-t-il  bien  loin  de  cette  habi- 
tude puerile  aux  serments  et  aux  pactes  ?  Quant  a  Jean,  c'est  chez 
lui  la  douleur  d'une  indecision  perp^tuelle:  bienentendu  Facte  est 
recule  jusqu'a  ses  dernieres  limites  et  a  inesure  qu^approche  Tins- 
tant  ou  la  decision  va  etre  inevitable,  ses  souffrances  augmentent, 
mais  ce  trouble  est  d^ja  chez  lui  tout  a  fait  pathologique,  il  devient 
une  manie  de  Toscillation  plus  qu'un  des  troubles  des  sentiments. 
Aussi  ces  malades  desirent-ils  toujours  qu'une  autre  personne 
ou  meme  une  divinity  prenne  les  resolutions  pour  eux.  «  C'est 
la  responsabilite  de  mes  actes  que  je  ne  peux  pas  prendre,  dit 
Wo...,  je  demande  enormdment  d'avis,  de  conseils,  et  meme  si 
j*ai  une  opinion  personnelle,  je  finis  toujours  par  suivre  ces 
conseils,  c*est  moins  p^nible  que  de  me  decider  d^apres  moi- 
meme...  »  «  Ah  I  si  je  pouvais  6tre  toujours  simple  manoeuvre, 
me  dit  un  artiste  Qsa...,  obeir  a  quelqu'un  qui  me  dispenserait 
de  choisir...  si  quelqu'un  me  donnait  toujours  le  plan,  la  place 
des  figures,  le  reste  irait  bi^n,  mais  la  decision,  c'est  atroce...  » 
Je  rattacherai  aussi  a  ce  sentiment  une  disposition  curieuse  a  se 
repr^senter  un  changement  impr6vu  des  decisions.  «  Eh  bien  oui, 
c*est  decide,  dit  Jean,  mais  s'il  arrive  des  circonstances  graves, 
je  ne  sais  pas  d*avance  lesquelles  qui  m*empechent  de  faire  ce 
que  je  vous  aipromis,  ilne  faudra  pasm'envouloir,  voussavezbien 
que  tout  pent  arriver.  »  Cette  observation  se  trouve  bien  not^e 
dans  un  roman  celebre.  a  II  pensait  qu*a  tout  prendre  ces  enga- 
gements n'etaient  que  de  la  pure  convention,  sans  signification 
precise,  et  que  d'ailleurs  personne  n'etait  si!kr  du  lendemain,  et 
ne  pouvait  savoir  s'il  n'arriverait  pas  quelque  evenement  extraor- 
dinaire qui  emporterait,  avec  la  vie,  Thonneur  et  le  deshonneur. 
Cette  faQon  habituelle  de  raisonner  bouleverse  souvent  les  de- 
cisions en  apparence  les  plus  arretees\  » 

4.  —  Sentiment  de  gSne  dans  V action. 
Si  le   sentiment  d'unite  de   la  decision  n'existe  pas,  nous  ne 

1.  ToUtoi'.  La  guerre  et  la  paix,  I,  p.  33. 


272  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

voyons  pas  non  plus  ce  sentiment  de  facility,  d^entrainement  qui 
est  da  au  ddveloppement  d'une  seule  tendance  persistante  :  il  est 
remplac6  par  un  sentiment  de  g^ne,  de  resistance  dans  Taction. 
Ce  sentiment  pent  se  pr^ciser  plus  tard  et  les  malades  vont  pre- 
tendre  que  c*est  telle  ou  telle  manie,  telle  ou  telle  phobie,  telle 
ou  telle  id^e  qui  les  gene  pour  agir,  mais  il  est  visible  qu*au  debut 
ils  ne  savent  pas  eux-memes  ce  qui  les  gene  ou  plutot  que  cette 
gene  est  extremement  variable  et  produite  par  n'importe  laquelle 
des  tendances  non  definitivement  eliminees. 

Le  fait  est  tr^s  net  chez  Byl...,  jeune  fille  de  21  ans.  Elle  finit 
par  faire  des  sottises  tellement  elle  est  agac<^e  par  ce  sentiment 
de  gene  constante  pour  tout  ce  qu'elle  veut  faire.  Claire,  Nadia 
et  toutes  les  autres  d^crivent  le  meme  sentiment  au  debut  de 
leur  mal.  «  Oh  la  gene,  la  g^ne  que  j'ai  ressentie  toute  ma  vie 
des  qu'il  Taut  faire  un  acte  quelconque,  quel  supplice  !  »  (Meu...) 
«  je  ne  puis  done  pas  vivre  sans  6tre  gen^e  !  »  (Vol...)  «  Toute 
ma  vie  le  supplice  de  la  g6ne,  jamais  un  acte  qui  se  soit  fait 
naturellement. ..  »  (Yk...)  «  Toujours  quelque  chose  qui  entrave 
mes  entournures  ».  (Jean)  II  ne  faut  pas  se  figurer  que  ce  senti- 
ment de  gene  n*existe  que  dans  Temotion  d'intimidation,  il  existe 
chez  Rk...  quand  il  s^agit  de  commencer  dans  son  cabinet  un 
travail  sur  la  litt^rature  francaise,  aussi  bien  que  chez  Brk... 
quand  elle  doit  se  mettre  a  coudreune  robe  ;  chez  Vol...  quand 
elle  travaille  pour  son  manage,  c^est  le  sentiment  de  la  difGcult^ 
de  Facte  non  plus  quand  on  le  prepare  par  Timagination,  mais 
quand  on  le  realise  on  ne  saurait  trop  insister  sur  Timportance 
de  ce  sentiment. 

5.  —  Sentiment  d'automatisme. 

Dans  la  decision  il  ya,comme  nous  Tavons  remarqu^^un  senti- 
ment de  possession,  de  personnalit^,  puisque  Taction  noussemble 
adoptee  par  nous-memes;  on  ne  sera  pas  surpris  de  voir  ce  senti- 
ment manquer  totalement  chez  les  scrupuleux,  c'est  ce  qui  pro- 
duit  le  sentiment  d*automatisme  dont  Timportance  dans  les 
maladies  mentales,  est,  a  mon  avis,  tout  a  fait  considerable.  Le 
malade  de  Ball  ddcrit  tr^s  bien  cette  impression  «  dans  cet  etat 
atroce  il  faut  cependant  que  j'agisse  comme  avant  sans  savoir 
pourquoi.  Quelque  chose  qui  ne  me  parait  pas  r^sider  en  moi  me 
poussc  a  continucr  comme  avant  et  je  ne   puis  pas  me   rendre 


SENTIMENTS  D'iNGOMPLfiTUDE  DANS  L'AGTION  273 

compteque  j'agis  reellement,  tout  est  m^canique  en  moi  et  se  fait 
inconsciemment  ^  ». 

Tous  DOS  malades  tiennent  le  meme  langage,  les  mots  «  ma- 
chines, automates,  m^caniques  »  revlennent  constamment  dans 
leur  langage  :  «  je  ne  suis  qu'une  machine,  dit  Lise,  et  je  dois 
faire  des  efforts  bien  p^nibles  pour  rester  quelqu'un.  »  «  J'agts 
toujours  en  reve,  dit  Nadia,  comme  une  somnambule.  »  «  Je  suis 
dans  mes  acces  un  automate,  dit  Dob;..,  je  vois  mes  mains  et 
mes  pieds,  je  les  sens  faire  des  actions  sans  que  je  les  veuille. 
Pourquoi  ne  feraient-ils  pas  des  sottises  puisqu'ils  agissent  sans 
moi  ?  Quand  je  suis  dans  un  chemin  de  fer  en  marche,  je  sens 
mes  mains  qui  veulent  ouvrir  la  portiere  de  la  meme  faconqueje 
les  sens  dessiner  quand  je  travaille.  »  M^me  pensee  chez  Day..., 
«  ce  n'est  pas  moi  qui  agis,  alors  pourquoi  mes  mains  ne  pour- 
raient-elles  pas  me  faire  mal,  me  blesser  puisque  je  sens  depuis 
longtemps  qu'elles  agissent  seules,  pourquoi  en  presence  d'^tran- 
gers  ne  me  laisserais-je  pas  aller  a  des  actes  de  grossicret^  puisque 
je  ne  me  gouverne  pas.  »  Ce  sentiment  joue  un  role  dans  toute 
la  maladie  de  Claire,  «  elle  s'exaspere  de  faire  les  choses  comme 
une  machine,  elle  ne  peut  pas  s'y  r^signer  »  et  elle  fait  des 
eiforts  comiques  pour  essayer  d'echapper  a  ce  sentiment.  Quand 
on  la  pousse  trop  a  accomplir  une  action,  que  Ton  bouscule  son 
hesitation,  elle  a  une  fagon  d'agir  assez  curieuse,  elle  cesso  brus- 
quement  d'hesiter  et  fait  Paction  tout  de  suite  a  la  condition 
qu'elle  soit  simple.  Par  excmplc  elle  se  roule  sur  son  fauteuil 
depuis  une  demi-lieure  sans  parvenir  a  me  remettre  une  lettre 
qu^elle  a  a  la  main,  je  (inis  par  me  facher  ;  alors  elle  se  leve 
et  me  donne  la  lettre  tout  de  suite.  Mais  elle  reste  d^sol^e 
«  ce  n*est  pas  moi  qui  ai  fait  Taction,  ma  main  a  marche  toute 
seule...  c'est  mon  corps,  ce  n^est  pas  ma  volonte...  je  vous  Tai 
dit  de  bouche  et  non  pas  de  cceur...  c^est  ma  machine  qui  a  fait 
cela,  c'est  une  de  mes  autres  personnes  ».  On  voitcombien  le  sen- 
timent d'automatisme  se  mele  chez  ces  malades  a  toutes  les 
manies  pr^c^demment  d^crites. 

6.  —  Sentiment  de  domination. 
Un  degr^  de  plus  dans  ce  sentiment  d'absence  d'action  person- 

I.   Ball,  Revue  scientifique,  i88a,  11,  43. 

L£S  oa3Kssioi«s.  1.   —    1 8 


274  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

uelle,  d'autoniatisme  et  Ics  malades  vont  dire  qu'il  y  a  quelque 
chose  d'exterieur  qui  pese  sur  eiix,  qui  determine  leurs  actes ; 
en  un  mot  lis  vont  attribuer  a  des  volonles  etrangeres  Tac- 
tion qu'ils  ne  senlent  plus  dependre  de  leur  propre  volonte. 
Vau...,  jeune  filic  de  19  ans,  qui  est  tout  a  fait  unc  scrupuleuse, 
se  plaint  ainsi  :  a  depuis  quatre  mois  il  me  vient  des  idees  baro- 
ques, il  me  semblc  que  je  suis  obligee  de  les  penser,  de  les  dire  ; 
quelqu'un  me  fait  parler,  on  me  suggere  des  mots  grossiers,  ce 
n'est  pas  ma  faute  si  ma  bouche  marche  malgre  moi,  il  y  a  long- 
temps  que  ce  n'est  pas  moi  qui  agis.  »  «  Une  force  irresistible 
me  pousse,  ditDob...,  je  suis  comme  fascinee.  »  «  Je  ne  peux 
plus  me  retenir,  dit  Claire,  c'est  comme  un  fleuve  qui  m'entraine, 
c'est  comme  si  on  m'enlevait  ma  liberte,  comme  si  on  me  com- 
mundait  d'avoir  des  pensees  deshonnetes,  je  souifrirais  moins  en 
faisant  un  acle  mauvais  avec  ma  liberie,  qu'en  faisant  meme  des 
actions  bonnes,  toujours  poussee  par  quelqu'un.  » 

On  comprend  bien  que  dans  cette  voie  les  malades  vont  bien- 
tot  avoir  d'autres  sentiments  bizarres  ddrivant  du  premier.  Le 
moins  dangereux  va  elre  un  desir  fou,  un  amour  passionne  de 
cette  liberty  qu'ils  croient  avoir  perdue  :  je  ne  puis  expliquer 
autrement  que  comme  une  reaction  contre  le  sentiment  de  domi- 
nation, Tamour  singulier  de  la  liberte  qui  manifestent  tant  de 
malades.  On  est,  en  eflct,  surpris  d\ine  contradiction  dans  leurs 
sentiments,  lis  ont  besoin  de  direction,  ils  reclament  un  directeur 
de  conscience  et  un  maitre  ct  cependant  ils  se  vantent  de  rester 
librcs  ;  ils  s'effarouchent  si  on  leur  commandc  Irop  ouvertemenl 
et  ils  parlent  sans  cesse  d^une  independance  qui  leur  convient 
si  peu.  «  Ce  que  je  d^teste  le  plus  au  monde,  dit  Nadia,  c'est 
d'obeir  a  quelqu'un,  si  je  fais  des  progres  je  ne  veux  pas  qu'ils 
viennent  des  autres,  je  veux  sentir  qu'ils  viennent  de  moi,  de  ma 
propre  liberte...  »  Lise  se  plaint  toujours  de  manquer  de  liberte, 
«  il  y  a  quelque  chose  qui  me  gene  dans  toutcs  mes  actions,  c'est 
que  je  ne  suis  jamais  libre...  c'est  cela  qui  determine  mon  aga- 
cement.  »  Le  plus  curieux  est  Voz...,  jeune  homme  de  23  ans,  qui 
d^clame  constamment  sur  la  liberte.  «  C'est  un  devoir  d'avoir  un 
amour  fou  de  la  liberte...  il  faut  qu'on  Taime  par-dessus  tout... 
ce  mot  a  pour  moi  unsens  precis  c'est  le  bonheur  supr^meauquel 
je  tends  de  toutes  mes  forces.   » 

D'autres   sentiments  et  d'autres  id^es  plus   dangereuses  peu- 
veut  sortir  du  meme  point  de   depart.  Jean  a  constamment  Tidee 


SENTIMENTS  D*lNGOMPLf.TUDE  dXT^  T/VCTION  275 

qu'il  est  trompe,  qiril  est  dupe  par  dcs  gens  plus  habilcs  que  lui. 
«  Je  suls  coiistnmmeiit  un  garcon  qu'on  roule  et  qui  s'en  rend 
rompte...  »  II  aime,  ou  il  croit  aimer  une  jeunc  fille  et  il  inter- 
prete  bien  singulierement  son  amour  a  c'cst  comme  si  la  belle- 
mere  nravait  tendu  un  pi^ge,  je  suis  furieux  de  m'dtre  laiss^ 
rouler,  attraperw. 

La  plupart  vont  avoir  simplement  le  sentiment  qu'on  leur  en 
veut,  qu*on  les  persecute  :  Voz...  est  persecute  par  ses  profes- 
seurs,  Rp...  par  ses  parents  qui  out  dd  Topprimer  dans  son 
enfance  et  qui  doivent  encore  avoir  la  patte  sur  lui  par  Tinter- 
mediairc  dc  juifs  puissants.  Le  delire  de  persc^culion  est  tr^s  voi- 
sin  du  delire  du  scrupule.  et  je  m'etonne  qu^'on  les  ait  aussi 
completenient  separcs  Tun  de  Tautre  ;  nous  aurons  a  eludier  ce 
rapprochement. 

Un  sentiment  frequent  c'est  celui  d'une  domination  irresistible 
et  mysterieuse  qui  dans  un  tres  grand  nombre  de  cas  estcomparee 
a  Tobligation  morale  ou  religieuse.  «  II  me  semble  que  c*est 
immoral  d'agir  ainsi,  il  me  semble  qu'il  y  a  quelque  obligation 
morale,  quelque  devoir  sacre  qui  me  pousse  a  agir  ou  qui  m'em- 
peche  d'agir)),  c'est  la  un  langage  bien  frequent  chez  des  malades 
qui  n'ont  pas  encore,  je  le  repete,  d'obsession  sacrilege  ou  d*ob- 
session  criminelle. 

Mais  souvent  Tidee  d*obligation  myst6rieuse  est  plus  nette 
encore  :  «  Quand  j'etais  petit,  dit  Rp...,  je  sentais  une  puissance 
mysterieuse  qui  me  poussait,  m'enlevait  ma  libert(^,  je  croyais 
alors  que  c'6tait  la  sainte  Vierge,  maintenant  je  sens  la  meme 
chose  et  je  me  dcmande  s'il  n'y  a  pas  un  sort  contre  moi.  » 
«  Cela  m'exaspere,  dit  Nadia,  de  sentir  loujours  quelque  chose 
de  mystcrieux  qui  me  retient  en  arriere  et  nrempi^che  de 
reussir  dans  mes  ambitions...  il  me  semble  qu'il  y  a  une  i'atalite 
contre  moi  et  elle  ne  me  quittera  pas  tanl  que  je  vivrai..,  il  me 
semble  qu'il  y  a  une  fatality  qui  plane  au-dessus  de  ma  tete  et 
qui  ne  me  quitte  jamais...  c'est  mon  destin  qui  amenera  ce  que  je 
redoutc  le  plus  et  qui  me  fera  engraisser  afin  que  je  sols  encore 
plus  tourmentee...  il  y  a  une  Force  qui  me  pousse  ii  faire  des 
serments  idiots,  c'est  le  demon  qui  me  pousse.  »  «  J'ai  sans 
cesse,  dit  Gisele,  le  sentiment  d'une  puissance  superieure  qui 
m'etreint,  le  sentiment  que  je  lulte  contre  quelque  chose  de 
superieur,  c'est  cette  puissance  que  j*ai  appelee  Dieu  et  que  j'ai 
aussi  envie  d'appeler  le  diable  »  et  Lise  parle   tout  le    temps  de 


276  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiXIQUES 

m^me  :  «  il  me  semble  que  je  profane  quelque  chose  de  sacre  eo 
luttant  contre  ectte  puissance  sup^rieure,  c'est  la  ce  qui  me  donne 
constamment  Tidee  du  d^mon  ». 


7.  —  Sentiment  de  m^contentement, 

Plusieurs  auteurs  ont  insists  sur  le  sentiment  de  satisfaction 
qui  accompagne  toule  action,  toute  creation,  c'est  la  joie  de  la 
puissance,  la  joie  d'etre  cause*.  Ce  sentiment  de  satisfaction, 
remarque  M.  Lapie^,  existe  dans  la  creation  de  quol  que  ce  soil, 
m6me  de  la  laideur,  de  I'erreur,  de  la  souflTrance.  Cela  est  peut- 
ctre  juste  pour  Thomme  normal  mais  cela  est  absolument  faux 
pour  les  individus  dont  la  volont^  est  malade.  Les  scrupuleux 
restent  mecontents  de  leur  action  et  d'eux-memes  «  puisque  je 
ne  puis  arriver  a  faire  les  choses  bien  du  premier  coup,  dit 
Cph...  (116),  il  faut  me  les  laisser  recommencer,  je  souRVe  trop 
de  cette  action  insuflisante  ». 

«  Si  vous  m'avicz  laiss^e  faire  des  efforts,  j^aurais  fait  Facte 
moi-m6me,  et  maintenant  je  suis  desol^e  d'avoir  agi  comme  une 
machine  »  (Claire).  «  II  est  horrible  de  voir  que  mon  action  est 
encore  inachev^c,  me  dit  Simone,  je  n'ai  pas  T^nergie  qu'il  faut 
pour  achever,..  je  suis  un  etre  inachev^.  Donnez-moi  done  le 
coup  de  pouce,  le  feu  sacr^,  donnez-moi  quelque  chose  pour  me 
continuer  )).  Ce  sentiment  de  mecontentement  est  en  g^n^ral  mal 
exprime,  il  semble  s'appliquer  a  la  perfection  objective  du  r^sultat 
de  Taction  et  comme  ce  rcsultat  nous  parait  suflisant,  nous  trou- 
vons  que  ce  sentiment  est  delirant.  Nadia  n'est  jamais  satisfaite 
d'une  broderie  qu'elle  fait,  elle  veut  toujours  la  defaire,  la  re- 
commencer. Ceux  qui  examinent  sa  broderie  et  qui  la  trouvent 
parfaite  ne  comprennent  rien  a  ce  besoin  ;  c'est  que  la  malade 
se  place  a  un  tout  autre  point  de  vue.  Elle  se  plaint  de  n'avoir 
pas  eprouve  pendant  son  Iravail  les  sentiments  d'unite,  de 
personnalit^,  de  libcrte  qui  accompagnent  les  resolutions  et 
les  volitions  ordinaires  et  c'est  pour  cela  qu'elle  trouve  que  sa 
broderie  est  mal  faite.  C'est  pour  la  meme  raison  que  Lise  est 
m^contente  delamusique  qu'elle  fait,  de  ses  lectures,  de  tout  son 
travail. 


I.   R.  Groos,  Les  jeux  dcs  aniinaux.  Trad.,  frang.  (Paris,  F.  Alcan),  190a,  p.  84. 
a.   P.  Lapie,  Logique  de  la  volonUy  1903,  p.  80. 


SENTIMENTS  D'lNGOMPLfiTUDE  DANS  L'ACTION  277 

Une  variety  interessante  de  ce  sentiment  est  I'impression  de 
mensonge,  de  faussete,  de  comedie  que  Ton  retrouve  si  frequem- 
ment  chez  les  psychasth^niques.  Bien  des  tiqueurs  qui  ont  des 
torticolis  psychiques  ou  des  deviations  de  la  taille  connaissent 
mieux  que  leur  medecin  la  nature  de  leur  mal  :  (c  Mon  m^decin 
etait  inquiet  et  se  demandait  si  je  n'avais  pas  une  coxalgie  tuber- 
culeuse,  je  n'etais  pas  tourmentee  comme  lui,  car  je  sentais  bien 
que  c'etait  une  comedie,  il  me  semblait  que  je  jouais  la  co- 
medie et  que  je  ne  pouvais  pas  faire  autrement.  »  Cette  impres- 
sion se  retrouve  meme  quand  les  nialadcs  n'ont  aucun  tic  et  ne 
trompent  en  rdalite  personne.  «  Ne  croyez  pas  ce  que  je  viens 
de  vous  dire,  dit  Claire,  je  crois  que  j'ai  menti,  j'ai  toujours 
rimpression  que  je  ne  dis  pas  la  verite.  »  «  Ma  vie  est  una 
comedie  perp^tuelle,  dit  Giselc,  il  me  semble  toujours  que  je 
joue  un  role  et  que  je  n'agis  pas  sinccrement.  »  On  verra  toute 
rimportance  de  ce  sentiment  en  le  rapprochant  des  sentiments 
de  r6ve  et  d'irreel  que  nous  allons  retrouver  a  chaque  instant. 

Une  autre  vari^te  va  etre  le  seniimeni  d'humilitey  dehonte  qui  se 
trouve  chez  quelques  malades.  Toq...  ne  se  croit  bon  a  rien,il  se 
croit  au-dessous  de  tons  les  autres,et  Jean  (init  parse  croire  incapa- 
ble de  quoique  ce  soit ;  il  ne  veut  plus  rien  essayer,  rien  tenter,  con- 
vaincu  de  son  inferiority.  «  C'est  triste,  d'etre  pour  tout  le  monde 
un  objel  de  risee  et  de  passer  a  mon  age  pour  un  parfait  imbe- 
cile. »  La  moindre  des  choses  exaspere  ce  sentiment  d'infe- 
riorite.  En  entrant  dans  une  reunion  il  a  depose  sa  canne  au 
vestiaire  et  il  s'apergoit  que  plusieurs  des  assistants  ont  conserve 
la  leur  ;  de  la  un  desespoir  car  il  se  sent  nioins  queux  et  il  est 
plus  gene  que  jamais. 

Le  sentiment  de  honte  se  retrouve  chez  une  foule  de  sujets 
qui  n*ont  pas  de  veritables  obsessions  de  honte,  ils  eprouvent 
ce  sentiment  d'une  maniere  passagere  el  le  trouvent  eux-memes 
ridicule.  A  bien  plus  forte  raison  ce  sentiment  est-il  considerable 
chez  tons  les  malades  chez  qui  nous  avons  decrit  les  obsessions 
de  la  honte  du  soi  et  les  obsessions  de  la  honte  du  corps.  C'est 
un  des  sentiments  essentiels  des  scrupuleux,  mais  j'ai  insists 
pour  montrer  qu'il  se  developpait  a  la  suite  d'une  foule  de  senti- 
ments d'inachevement  et  d'incompletude  de  Taction. 

M.  Mourre,  dans  une  ^tude   sur  Taboulie,  a    montr^  I'impor- 


278  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

tance  du  sentiment  de  rinutilile  des  efforts^.  Ces  mahides  cessent 
de  faire  des  cflorts  inutiles,  ils  pcrdent  nieme  leurs  manias  qui 
scmblaient  constitucr  resseutiel  de  leur  maladie,  lis  ne  rcpetent 
plus,  ils  ne  font  plus  de  grimaces,  mais  ils  sont  loin  d'etre 
gueris.  Au  contraire  ils  sont  bien  plus  malades,  ils  ne  veulcnt 
plus  agir  ;  ils  restent  absolument  iramobiles  dans  un  ctat  d'abru- 
tissemcMit  et  de  desespolr.  En  voyant  revolution  de  la  maladie 
nous  observerons  de  ces  crises  chez  Lise,  chez  Claire,  chez 
bien  d'autres.  Claire  avait  en  rcalite  des  scrupules  religieux, 
ellc  voulait  tres  bien  fairc  ses  prieres  ct  pendant  des  anners 
elle  avait  des  crises  d'agitation  ct  d'angoisses  a  propos  de  ces 
prieres.  On  peut  s'etonner  de  voir  que  maintenant  elle  a  re- 
nonce  absolument  a  tout  exercice  religieux :  «  Tout  est  inutile,  ]e 
n'arrive  a  rien,  je  suis  perdue  et  cela  m'estbien  ^gal,  je  n*essaye 
meme  plus  de  me  sauver.  »  Remarquons  pour  en  tenir  coniple 
plus  tard  qu'a  cc  moment  la  malade  n'a  plus  ses  crises  d'agita- 
tion.  Toutes  nos  malades  qui  au  debut  ont  tant  souflfert  a  propos 
des  confessions  ct  communions  finissent  par  y  renoncer  com- 
pletement  et  par  ne  plus  approcher  d'une  eglise.  11  faut  bien 
connaitre  ce  phenomene  du  decouragement  complet  et  de  Tahan- 
don  d'un  acte,  de  certaines  categories  d'actes  ou  m(ime  de  tous 
les  actes  pour  pouvoir  se  rendre  compte  de  Tetat  d'un  de  ces 
malades. 

8.  —  Sentiments  d' intimidation, 

Dans  les  cas  extremes  tous  les  sentiments  que  je  viens  de 
decrire  sc  manifestent  a  propos  de  tous  les  actes  quels  qu'ils  soient. 
Mais  il  est  evident  que  dans  les  cas  moins  graves  ces  senti- 
ments ne  survicnnent  qu'a  propos  de  certains  actes  et  non  a 
propos  de  tous. 

Quels  sont  done  les  actes  qui  ont  le  singulier  privilege  de  les 
faire  naitre  ?  Cc  ne  sont  pas  les  actions  insignifiantes  que  rhabi- 
tude  a  dejii  rendues  automatiques;  Claire  ne  se  preoccupe  pas  de 
marcher,  dc  manger,  de  respirer.  Les  actions  pour  lesquellcs  ce 
sentiment  s'eveille  sont  celles  qui  precisement  ne  sont  pas  d'or- 
dinaire  automatiques,  celles  qui  attirent  Tattention.  Plus  un  acte 
est  fait  d'ordinaire  avec  attention,  plus  il  est  a  proprement  parler 

1.   UaroM  Mourrc.  T  Vboiilitv  fifvae  pliilosophiifuc,  i^cw,  II,  2S\. 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  D.WS  L'ACTION  279 

volontnire,  plus  il  a  chance  d'eveiller  tous  ces  sentiments  d'insu(Ii- 
sance  de  la  volonte.  On  comprend  done  que  ces  actes  soient 
variables  suivant  les  sujets,  les  uns,  et  ils  sont  nombreux,  sont 
surtout  pr^occupes  d'actes  religieux  et  le  trouble  s'eveille  au 
debut  dans  les  eglises.  Tout  a  fait  au  d6but  Claire  ne  ressent  ce 
sentiment  de  didiculte,  ces  indecisions,  cet  automatisme  qu'au 
moment  de  faire  ses  prieres  et  de  se  confesser.  Chez  d*autres 
Tacte  grave  va  ctre  Tacte  professionnel :  envoyer  des  dep^clics 
ou  rouler  des  petales  de  rose  en  porcelaine,  etc. 

Mais  il  y  a  une  categoric  d'actes  qui  ont  le  privilege  d'etre 
didiciles  et  importants  pour  tout  le  monde  et  d'exiger  une  cer- 
taine  somme  d'attention  volontaire,  ce  sont  les  actes  qui  doivent 
elre  executes  en  public  devant  nos  semblables.  Je  ne  vois  pas 
dans  la  timidite  un  phenomene  special,  ce  nVst  a  mesyeux  qu'un 
cas  de  tous  les  troubles  precedents.  Aussi  nous  ne  serons  pas 
etonnes  que  tous  ces  malades  soient  des  timides,  c'est-a-dire 
qu*ils  eprouvent  au  supreme  degr6  les  troubles  precc^dents  quand 
ils  doivent  accomplir  des  actes  devant  des  temoins.  Mt...,  lemme 
de  /|i  ans,  est  surtout  genee  dans  ses  actes  quand  sa  femme  de 
chambre  est  presente,  c'est  a  ce  moment  qu'elle  sent  son  action 
automatique  et  ridicule.  «  Je  suis  genee,  dit  Fie...,  quand  il  y  a 
deux  personnes  qui  me  regardent.  »  aJe  ressens  un  clTet  etrange, 
dit  Ei...,  femme  de  4^  ans,  quand  il  y  a  du  monde  il  me  semble 
que  j'agis  betement,  que  je  ne  suis  plus  libre  de  faire  ce  que  je 
fais,  je  relrouve  ma  liberte  quand  je  suis  seule.  »  On  retrouve- 
rait  les  mcmes  sentiments  chez  Dob...,  chez  Jean,  et  surtout 
chez  Nadia.  Celle-ci  a,  comme  on  Ta  vu,  un  si  grand  besoin  d'af- 
feclion  qu'elle  voudrait  se  montrer  aimable  avec  tout  le  monde  et 
elle  fait  plus  d'attention  que  jamais  a  sa  conduite  quand  clle  est 
avec  des  personnes  a  qui  elle  veut  plaire.  «  Cela  meg^nede  dire 
des  choscs  aimables  que  je  voudrais  bien  dire,  je  me  trouvc  stti- 
pide,  je  suis  tout  a  fait  degoutee  de  moi  meme.  »  Je  ne  discule 
pas  ici  Ic  role  des  phenomenes  cmotifs  dans  les  phenomenes 
d'intimidation,  je  constate  seulement  que  les  sentiments  d^insuf- 
fisance  de  Taction  se  montrent  souvent  dans  les  mc^mes  circon- 
stances  oil  cette  emotion  prcnd  naissance. 

9.  —  Sentiments  de  revolte, 
Enfin  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  volonte    n'est    pas  toujours 


280  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

active  et  ne  determine  pas  uniqucment  des  actes  positifs,  il  y  a 
une  volonte  negative,  celle  qui  refuse  one  action  et  une  volonte 
en  quelque  sorte  passive  qui  accepte  les  choses  donn^es  et  les 
situations  telles  qu'elles  sont.  II  Taut  un  certain  efibrt  pour 
s'adaptcr  a  un  evenement,  pour  reorganiser  sa  vie  en  tenant 
compte  de  ce  qui  vient  d'arriver.  Eh  bien  ces  deux  formes  de  la 
volonte  donnent  naissance  exactement  aux  m6mes  sentiments 
que  la  volonte  active.  Nous  pourrions  retrouver  les  memes 
genes,  les  m^^mes  sentiments  de  difUculte,  d*automatisme,  de 
fatalite  quand  ii  s'agit  de  r^sister  a  une  impulsion  ou  a  un 
desir.  Mais  j*insiste  sur  la  derniere  forme  qui  est  plus  curieuse. 
Ces  malades  ont  le  sentiment  qu'ils  n*acceptent  jamais  les 
choses,  qu'ils  sont  incapablcs  de  se  rdsigner.  «  Je  ne  puis  pas 
comprendre,  dit  Lise,  qu'une  chose  est  impossible  et  il  me 
semble  toujours  que  je  fais  des  souhaits  et  meme  des  efforts 
pour  atteindre  une  chose  que  je  devrais  savoir  irrealisable,  c'est 
encore  a  ce  moment  que  j'ai  Tid^e  d'lnvoquer  une  puissance 
mysterieuse  qui  fera  ce  que  je  desire  et  cela  me  fait  encore  pen- 
scr  au  demon.  Yoici  plus  de  douze  ans  que  Nadia  a  perdu  sa 
mere,  elle  se  figure  toujours  que  ce  malheur  est  arriv^  hier  et 
qu'il  ne  pent  arriver  qu'a  elle.  Elle  n'a  pas  encore  accepts  que 
ce  soit  une  chose  faite  et  irreparable,  ct  Yoici  vingt  ans  que  j'ai 
perdu  ma  grand'mere,  dit  Bal...,  et  je  la  pleure  comme  au  pre- 
mier jour  ;  je  ne  pourrai  done  jamais  prendre  mon  parti  de  sa 
mort  et  .accepter  qu'elle  soit  morte.  » 

Tons  ces  divers  sentiments  qui  se  presentent  a  propos  de  Tac- 
tion se  rattachent  tons  les  uns  aux  autres.  lis  contiennent  tous 
un  sentiment  fondamental  :  c'estque  Taction  est  incomplete.  Pour 
les  designer  j*ai  ete  oblige  de  forger  un  mot  et  je  propose  de  les 
appeler  des  sentiments  d'incompletude,  Ce  mot  est  plus  juste 
que  Ic  terme  «  sentiment  d'imperfection  »  qui  implique  a  tort  un 
desir  de  perfection  au-dessus  de  la  moyenne  ;  il  me  semble  aussi 
plus  juste  que  le  terme  <(  sentiment  d'insufTisance  »,  car  il  ne 
s'agit  pas  d'une  insuflisance  quelconque,  il  s'agit  de  Tabsence  de 
terminaison  definitive  et  complete,  L'idee  exprimee  par  le  mot 
complet  me  parait  la  principale  et  ce  mot  devait  intervenir  dans 
la  designation  de  ces  sentiments  tout  particuliers.  Le  mot 
«  incompletude  »  a  et^  employe  par  bien  des  malades,  il  me 
semble  (aire  image  et  je  crois  que  son  usage  va  6tre  bien  justifie 


LINCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPERATIONS  INTELLECTUELLES         281 

par  I'etude  des  autres  sentiments  du  meme  genre  qui  se  pr^sen- 
tent  a  propos  des  perceptions  et  des  emotions. 


2.  —  Sentiments  d'incompl6tude  dans  les  operations 
intellectuelles. 

Les  crises  pr^cedentes  de  rumination,  d'agitation  ou  d*angoisse 
commencent  a  l*occasion  d'un  travail  intellectuel,  d*une  per- 
ception, d'un  effort  d'attention  comme  a  I'occasion  d'un  acte  vo- 
lontaire.  On  retrouve  a  propos  de  cette  operation  intellectuelle 
les  memes  sentiments  que  nous  avons  constates  a  propos  des 
actes  volontaires. 


I.  —  Sentiments  de  difficnlte  des  ope  rat  ions  intellectuelles, 

Ces  maladcs  pr^tendent  d'abord  que  le  travail  de  I'esprit  leur 
est  devenu  a  peu  pres  impossible,  a  cause  des  difficult^s  qu'il 
pr^sente  et  des  souffrances  qu'il  leur  cause.  Tons  se  plaignent 
d'avoir  des  douleurs  dans  la  tcte  quand  ils  veulent  appliquer  leur 
esprit ;  nous  avons  vu  d'ailleurs  que  Tattention  est  tres  souvent  le 
point  de  depart  des  agitations,  des  ruminations  et  des  angoisses. 
Aussi  Jean  a-t-il  une  grande  terreur  de  Tattention,  «  qui  va  lui 
donner  des  coups  a  Testomac...  »,  ii  faut  des  exhortations  et  des 
precautions  inouies  pour  obtenir  quelques  instants  de  lecture. 
Lise  egalenient  se  plaint  des  fatigues  que  lui  cause  la  lecture,  des 
difBcultes  qu'elle  (^*prouve  a  faire  un  petit  calcul.  Beaucoup  de 
sujets  comme  Vob...,  Ck...  s'epouvantent  et  se  mettent  en  colere 
si  on  essaye  de  fixer  leur  attention  ou  de  leur  faire  accepter  une 
occupation  reguliere. 

Cette  resistance  s^explique  en  partie  par  le  sentiment  qu'ils  ont 
de  Vinsuffisance  de  leur  attention  :  ils  sentent  qu'ellc  ne  se  fixe 
pas  et  n'arrive  pas  a  Tunite.  «  Quand  je  tiens  une  conversation, 
dit  Jui...,  je  voudrais  bien  pouvoir  penser  a  ce  que  je  dis.  » 
Lise  sent  toujours  un  engourdissement,  un  etat  vague,  une  g^nc 
enorme  dc  la  pensee ;  elle  n^a  jamais  la  disposition  de  Tesprit  tout 
entier,  elle  sent  qu'elle  he  se  donne  jamais  completement  a  ce 
qu'ellc  fait  «  ce  que  je  lis,  m^me  ce  que  je  regardo,  n'cst  pas  bien 


282  LES  STIGMATES  PSYCHASTHGNIQUES 

net  pour  nioi,  c'est  que  je  pcnse  tonjours  a  autre  chose  ».  Gisele 
se  fixe  plus  facilement  sur  des  idees  que  sur  dcs  ohjets,  cela  est 
a  retenir,  mais  menic  quand  il  s*agit  dcs  idees  abstraites  qu'elle 
preferc  elle  ne  peut  jamais  peiiscr  ii  uiie  scule  idee  a  la  fois,  a  il 
sullit  que  je  veuille  appliquer  inon  cervcau  pour  qu'il  brode  ». 
11  en  est  de  m6me  dans  rubservalion  de  Vor...  (iSy)  «  qui  n'cst 
jamais  cntierenient  a  scs  additions  ».  «  Je  ne  puis  pas  clucider 
mes  idees^...  je  suis  comme  sous  Ic  coup  d'un  ramollissement... 
je  ne  suis  pas  a  cc  que  vous  me  dites...  je  ne  suis  pas  toute 
entiere  a  Tendroil  oil  est  mon  corps...  »  Ce  sont  des  paroles 
rcpetees  a  chaque  instant  par  bien  des  maladcs. 

line  variante  du  sentiment  precedent  consiste  dans  Ic  senti- 
ment d*instabilitL%  Ic  maladc  sent  qu'il  quittc  tout  le  temps  la 
chose  qu'il  considcrait.  «  Jc  ne  m'attache  a  mcs  idees  qu*une  mi 
nute,  une  seconde  a  peine,  je  ncpuis  pas  penscrde  la  mcme  facon 
et  avec  la  m(>me  force  deux  sccondes  de  suite.  »  «  Rien  n'est  fixe, 
rien  n'est  stable  dovant  moi  parcc  que  je  ne  puis  pas  m'arrc^ter 
sur  cc  point.  »  M.  Duprat  *  a  beaucoup  insiste  sur  Timportance 
de  ce  sentiment  d'instabilite  et  sur  le  role  qu'il  joue  dans  la 
pathogenic  de  certains  troubles  mentaux. 

2.  —  Sentiment  de  perception  incomplete. 

Cette  faiblesse  que  les  maladcs  pretendent  ressentir  dans  leur 
faculte  d'attention  semble  avoir  des  consequences  puisqu'ils  se 
plaignent  tons  d'eprouver  des  alterations  de  la  perception  dcs  ob- 
jets  ext(^rieurs.  Ces  troubles  consistent  comme  toujours  en  sen- 
timents bizarreSy  anormaux  qu*ils  eprouvent  a  propos  de  ces  ope- 
rations. 

Le  plus  commun  de  ces  sentiments  est  une  impression  dc  inal 
percevoir,  de  percevoir  incoiftplctcment.  De  lit  toutes  ces  oppres- 
sions si  connues  que  Ton  retrouve  dans  la  bouche  de  tons  les  psy- 
chasthcniques.  «  (^'est  comme  si  je  voyais  les  chosesau  travers  d'un 
voile,  d*un  brouillard,  d'un  nuagc,  c'est  comme  si  j'entendais  au 
travers  d'un  mur  qui  me  separe  de  la  realite.  »  Ce  fait  est  lout  a 
fait  banal  et  la  description  en  est  deja  ancienne  et  fort  connue. 
Hillod  fait  les  remarques  suivantcs  a  propos  d*une  de  ses  malades 

I.    Diiprat,  L'iristabililr  menOilr,  iScjiS  (Paris,  F.  Alcan). 


L'INCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPERATIONS  INTELLECTUELLES         283 

abouliques :  «  Kile  assure  qifelle  se  trouve  dans  la  situation  d'une 
personne  qui  n'est  ni  morte  ni  vivante,  qui  vivrait  dans  un  som- 
meil  continue!,  a  qui  les  objets  apparaissent  coinme  enveloppes 
d'nn  nuage,  a  qui  les  personnes  scmblent  se  mouvoir  coninie  des 
ombres  et  les  paroles  venir  d'un  monde  lointain*.  » 

Un  malade  de  Krishaber  cxpliquait  ainsi  d*unc  manieretres  fine 
ce  sentiment  de  perception  incomplete  :  «  II  se  faisait  comme  une 
atmosphere  obscure  aulour  de  ma  personne,  je  voyais  cependant 
tres  bien  qu*il  faisait  grand  jour.  Lc  mot  «  obscur  »  ne  rend  pas 
exactement  ma  pensee ;  il  faudrait  dire  u  dumpf  »  en  allemand 
qui  signifie  aussi  bien  lourd,  epais,  terne,  (^teint.  Cette  sensation 
etait  non  seulement  visuelle,  mais  cutanee.  L'atmosphere  dumpf 
in'enveloppait,  je  la  voyais,  je  la  sentais,  c'etait  comme  une  couche, 
iin  quelque  chose  mauvais  conducteur  qui  m*isoIait  du  monde 
exterieur '. . .  »  11  est  inutile  d'ajouter  d'autres  exemples  qui  seraient 
absolument  semblables :  j'insiste  seulement  pour  rappeler  (jue  de 
tols  sentiments  ne  sont  pas  particuliers,  comme  le  croyait  Krishaber, 
a  une  n^vrose  speciale,  mais  qu'ils  se  retrouvent  a  chaque  instant 
sous  la  forme  simple  <(  du  voile,  du  nuage  »  ou  sous  des  formes 
plus  speciales  chez  tons  les  psychastheniques. 

L'une  de  ces  formes  speciales  les  plus  curieuses  est  constituee 
par  le  sentiment  de  jamais-ifu  et  d'etrange.  Dans  bcaucoup  d'ob- 
servations,  Krishaber  remarque  que  les  objets  semblent  etrangcs, 
qu'ils  deviennent  droles,  qu'ils  sont  plats  et  qu'un  homme  appa- 
rait  a  ces  malades  comme  une  image  decoupee  et  sans  relief. 

Le  malade  de  Ball  vit  se  produire  un  changement  brusque, 
etrange  dans  Tapparence  des  objets  qui  ne  Ini  paraissaient  plus  les 
memes  ;  il  ne  leur  trouvait  plus  de  relief,  c'est-a-dire  plus  d'appa- 
rence  naturelle^.  Ces  expressions  se  trouvent  repetees  si  souvcnt 
par  nos  malades  qu*il  faut  se  borner  a  citer  brievement  quelques 
exemples.  «  Les  choses  ne  me  paraissent  plus  de  la  mc^me  laeon 
qn'autrefois.  »  (Lap...)  a  Quand  jc  suis  fatiguee,  mes  yeux  sont 
alTectes  du  meme  trouble  que  mes  oreilles,  tout  ce  que  jc  vois,  les 
dcssins  du  mur  de  ma  chambrc  me  paraissent  6tranges  comme  le 
sonde  mes  paroles.  »  (Dob...)   «  Le  monde   est   drolement  fait, 


f.   Billocl,  Ann.  mrd.  psyrhoL,  iS\~. 

2.    Krishaber,  W'vropathit'  rrrrbrocanUwjiw,  1873. 

.S.   Hall,  lievtie  srientijiijuc,  1883,  II.  j».  \'i. 


284  LES  STIGMATES  PSYGHASTHfiMQUES 

singulier,  degoutant.  »  (Brk.  .)  «  C'est  comma  si  je  voyais  les 
choses  pour  la  premiere  fois...  clles  ont  un  aspect  etonnant, 
drole,  Gomme  si  je  ne  les  avais  pas  vues  depuis  tres  longtemps.  » 
(Dod. . .)  (c  Depuis  que  je  suis  malade,  les  objets  me  paraissent  plats, 
sans  relief,  sales,  etranges.  »  (Pr...),  «  il  me  sembic  que  tout  est 
faux,  meme  les  objets  que  je  vois.  »  (Claire)  «  quand  je  sors,  il  me 
semble  que  ma  rue  n'est  plus  pareille,  qu'il  y  a  tres  longtemps  que 
je  ne  Tai  vue,  c'est  comme  une  ville  que  je  n*ai  pas  vue  depuis  Ires 
longtemps  ».  (Qb...  i^)  «  tout  a  coup  les  choses  exterieures  me 
font  Teffet  de  devenir  droles,  il  y  a  quelque  chose  qui  n'est  pas 
comme  de  coutume.  Je  perds  la  notion  de  Texact,  c'est  comme  une 
deformation  de  la  realite.  »  (Gisele)  «  tout  ce  que  je  vois,  tout  ce 
que  j'entends  est  comme  inconnu,  tout  i\  fait  etrange,  il  me  semble 
que  je  n'ai  pas  compris,  c'est  pour  cela  que  je  rcpete  en  dedans 
le  nom  de  tous  les  objets  que  je  vois,  c'est  pour  cela  que  j'ai 
besoin  de  les  toucher  plusieurs  fois  ».  (Cht...).  Vod...  en  voyant 
une  de  ses  amies  la  regarde  avec  etonnement,  elle  trouve  si  drole 
que  cette  amie  ait  deux  trous  au  milieu  de  la  figure,  ce  sont  les 
yeux  qui  lui  font  cet  effet  etrange. 

M.  Dugas  a  signale  une  forme  singuliere  de  ce  sentiment 
d'^trangete.  «  Dans  Tacces  de  M...,  la  vision  parait  surcxcitee, 
elle  dcvicnt  nette,  d^taillee  et  precise,  plus  exactement  elle  cesse 
d'etre  schematique  et  abstraite,  le  malade  remarque  la  forme  et 
la  couleur  de  chaque  feuille  d'arbre...  chaque  dos  de  Hvre  lui 
apparait  avec  sa  physionomie  propre,  son  relief  et  sa  teinte  carac> 
teristique,  la  transformation  qui  s'opere  alors  dans  la  vision  des 
choses  est  marquee  par  la  predominance  du  detail  sur  Tcn- 
semble  *.  »  Dans  des  <5as  semblables  une  manie  de  precision  se 
joint  souvent  au  sentiment  d'incompletude  de  la  perception.  Du 
moins  il  me  semble  qu'il  en  est  ainsi  dans  le  cas  suivant  assez 
analogue.  <c  Apres  le  diner,  dit  Jean,  je  suis  tourmente  par  les 
couleurs  du  salon  ;  elles  apparaissent  si  nettes,  si  precises  sur 
tous  les  objets  que  cela  est  Strange  et  genant.  Cela  m'obligc 
a  chercher  une  couleur  rouge  a  droite  quand  mon  ceil  s'est  pose 
sur  une  couleur  rouge  u  gauche,  c'est  une  fatigue  de  plus.  » 

On  peut  remarquer  a  propos  de  la  perception  cxtericure  un  autre 
sentiment  voisin  du  sentiment  de  Tetrangc,  Ic  sentiment  de  deifon- 

I.   L.  Dugas,  Un  ca;*  dc  depcrsonnallsation.  Revue  phihsophujnef  1898,  I,  5o'i. 


L'lNCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPfiRATlONS  INTELLECTUELLES  285 

bleinent  qui  va  jouer  un  r6le  plus  important  dans  la  perception 
personnelle.  Dd...»  femme  de  24  ans,  apres  una  troisieme  gros- 
sesse  a  le  sentiment  de  ne  pas  se  r^veiller  bien,  de  rester  comme 
dans  un  r6ve,  elle  trouve  que  tout  est  strange  «  c'est  comme  si, 
dit-elle,  je  voyais  tous  les  objets  doubles  ».  Fya...,  femme  de  20 
ans,  a  le  m^me  sentiment  pendant  scs  crises  d'angoisses,  a  il  me 
passe  un  voile  devant  les  yeux  et  il  me  semble  que  je  vois 
double  ».  Gisele  a  des  doutes  sur  ce  qu'elle  volt  et  se  demande  si 
ellc  voit  double.  II  est  curieux  de  remarquer  que  ce  sentiment  de 
diplopie  ne  correspond  pas  a  un  trouble  precis  objectivement  ap- 
preciable. Quand  on  leur  demande  la  place  de  la  seconde  image  par 
rapport  a  la  premiere,  en  un  mot,  quand  on  veut  preciser  leur  di- 
plopie, les  maladesne  peuvent  plus  rt^pondre  et  sont  obliges d'avouer 
qu*ils  ne  voient  en  reality  qu'un  seul  objet,  mais  que  cela  leur 
procure  un  sentiment  de  trouble  comme   s'ils  en  voyaient  deux. 

Aux  troubles  precedents  de  la  perception  exlerieure  j*ajouterai 
un  petit  sentiment  bizarre  sur  lequel  nion  attention  a  etc  attiree 
parce  que  trois  ou  quatre  malades  s*en  sont  plaints  exactement 
de  la  meme  maniere,  le  sentiment  de  desorientation.  Gisele,  en 
particulier,  dit  que  lorsqu'elle  est  tres  mat,  elle  a  une  certaine 
peine  a  se  conduire  non  seulement  dans  la  ville,  mais  m6me 
dans  son  appartement,  il  n'y  a  plus  de  coordination  entre  la  place 
des  diff^rents  objets  par  rapport  les  uns  aux  nutres  ;  les  rues, 
les  maisons,  les  portes  et  les  fenetres  de  Tappartement  semblent 
avoir  perdu  leur  place  relative  et  la  malade  se  trouve  toute  d^so- 
rient^e.  Ppi...  me  parle  tout  a  fait  de  la  meme  facon  ;  depuis 
qu'il  est  malade  il  ne  s*oriente  plus  consciemment  dans  Paris. 
II  ne  perd  pas  son  chemin,  car  il  connait  la  ville  depuis  long- 
temps,  mais  c'est  en  quelque  sorte  inconsciemment  qu'il  rentre 
chez  lui  :  s'il  essaye  avant  de  partir  de  se  repr^senter  le  chemin, 
la  direction  de  la  place  de  Passy  par  rapport  au  Quartier  Latin, 
il  ne  pent  aucunement  y  parvenir;  il  se  souvient  cependant  qu'il 
faisait  tres  bien  cette  operation  avant  d'«>tre  malade.  Je  ne  pre- 
tends pas  que  cette  desorientation  soit  un  caractere  n^ccssaire 
des  scrupuleux,  Jean  pousse  au  contraire  a  Textreme  le  sens  de 
la  direction  puisqu'il  y  a  certaines  directions  auxquelles  il  ne 
pent  pas  tourner  le  dos  sans  recevoir  des  fluides ;  mais  chez  les 
malades  qui  ont  des  troubles  nets  de  la  perception  ce  petit  fait 
s'ajoute  aux  sentiments  de  nuage  et  d'etrange. 


< 


826  *     LES  STIGMATES  PSYCUASTHfiNrQUES 

l!!n(in,  ces  objets  pcrcus  vaguement,  etranges,  dedoubles  parais- 
sent  encore  blen  souvent  se  rnpetisser  el  s*eloii(ner.  Ce  sentiment 
d*^loignenient  des  objets  sc  compliqiie  prcsque  toujours  d'un  sen- 
timent (Cisolementy  puisquc  le  siijot  se  sent  lui-menie  loin  des 
choses  et  s^par<^  d\dles.  «  l^our  beaucoup,  disait  Krishaber,  les 
objets  paraisscnt  sc  rapetisser  ct  s'eloigner  a  Finfini.  Le  malade 
ne  reconnait  plus  le  son  de  sa  voix ;  elle  liii  semble  venir  de  tres 
loin  et  se  perdrc  dans  Tcspace  sans  pouvoir  atteindro  Toreille  des 
intcrlocuteurs  dont  les  reponses  sont  difticilcment  percues...  » 
Dans  sa  these  sur  «  le  sentiment  de  dcja  vu  »,  M.  Bernard  Leroy 
remarque  souvent  que  la  fausse  reconnaissance  est  accompagui^e 
par  le  sentiment  de  petitesse  et  d'^loignement  des  objets  \ 

cc  Tout  s'eloigne  de  moi  »  repe^tcnt  nombre  de  nos  malades, 
les  objets  sont  dans  le  lointain  et  ils  deviennent  petits,  petits...  » 
(Claire,  Lise,  Wc...,  etc.).  Dans  quelques  cas  rares,  il  peut  se 
produire  ici  un  trouble  de  la  vision  analogue  aux  spasmes  d'ac- 
commodation  bien  connus  chez  les  hysteriques,  mais  le  plus 
souvent  il  n'cn  est  rien.  Ces  malades  qui  pretendent  que  les 
objets  sont  loin  et  petits  les  touchent  a  leur  place  et  font  des 
mouvemcnts  corrects  pour  les  prendre  des  qu'on  leur  demande 
de  le  faire  ;  ils  (inissent  par  reconnaitrc  que  les  objets  sont  restes 
semblables,  mais  qu'ils  leur  donnent  Timpression  d*i^tre  loin  el 
d'<^lrc  petits.  M.  Bernard-Leroy  me  semble  bien  decrire  ce  phe- 
nomene,  quand  il  dit  «  qu'il  s*agit  moins  d'un  eloignemcnt  ma- 
teriel que  d'un  eloignement  moral,  Tillusion  visuclle  sc  Irouvc 
sous  la  dependance  de  I'impression  d'^loignemenl,  d'isolement, 
de  fuite  du  monde'  ». 

Ces  sujets  ne  reconnaissent  plus  le  monde  ordinaire,  ils  Ic 
sentent  disparu,  eloigne  d'eux,  separe  d'eux  par  une  barriere  in- 
visible, par  le  voile,  le  niur  dont  nous  avons  deja  parle,  et  ils 
traduisent  ce  sentiment  d'unc  manierc  symbolique  en  parlant 
d'eloignement  materiel  ct  de  petitesse. 

Ce  sentiment  peut  etre  pousse  a  Textreme  :  Tun  des  sujets  dc 
M.  Bernard-Leroy  croyait  c<  Hotter  dans  les  espaces  interplan^- 
taires  et  se  croyait  separe  de  tons  les  univers,  dans  une  sorle 
cViso/emenl  vosmiqne  n.  J'ai  vu  deux  malades  qui  avaient  des 
rellexions  de    ce    genre.    Gel...    r^pele   tout   le    temps  qu*il    lui 


1.  K.  Uornani  I^croy,  i/illusion  df  fansst'  rrroniiaissanre,   1898  (Paris.  F.  Alcaii). 

2.  \^c^u'd^d -Leroy,  Ht'vue  pUilosophitf lie,   i8(j8,  11.  lOo. 


LiNCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPERATIONS  INTELLEGTUELLES         287 

semble  avoir  qiiitte  la  terre  et  elre  tombee  dans  une  autre  pla- 
nele,  elle  voudrait  bien  revenir  siir  la  teri'e  oil  sont  tous  les  siens. 
X...,  femme  de  3o  ans,  pendant  six  scmaines,  apres  une  fievre 
lyphoide,  a  eu  IMmpression  qu'ellc  ^lait  (c  loin  de  la  ten  e  el  loin 
tin  systeme  solaire  ».  L'Arc  de  Triomphe  qu'elle  voyait  de  ses 
fenetres  etait  une  copie  de  TArc  de  Triomphe  terrestre  «  quUls 
avaient  faite  dans  une  autre  plancte  ».  On  voit  que  ces  interpre- 
tations delirantes  auxquelles  le  malade  croit  plus  ou  moins  vicnnent 
compliquer  le  sentiment  de  Tctrange  et  de  Tt^loignement. 

3.  —  Sentiment  de  conception  imaginaire. 

A  un  degre  plus  avance,  les  malades  n'ont  plus  seulemenl  le 
sentiment  que  leurs  perceptions  sont  mauvaises,  insulHsantes, 
bizarres ;  mais  ils  ont  encore  le  sentiment  que  leur  operation  n'est 
plus  du  tout  une  perception  de  Tobjet  ext6rieur,  mais  une  autre 
operation,  une  conception  plus  ou  moins  imaginaire.  II  y  a  tou- 
jours  quclque  diflicultc,  ainsi  que  je  Tai  indiquc  souvent,  a  distin- 
guer  Tune  de  Taulre  une  perception  actuelle,  un  souvenir  ou  un 
rcve'.  Nos  malades  se  trompent  maintenant  tout  a  fait  et  ils  ont  a 
propos  d'une  perception  les  m^mes  sentiments  qu'a  propos  du 
souvenir  ou  de  Timagination. 

On  a  beaucoup  etudie  dans  ces  dcrnieres  annees  le  phenomcne 
de  la  Tausse  reconnaissance  ou  du  deja  vu,  dans  lequcl  le  sujet  a 
r impression  que  tous  les  details  de  sa  situation  actuellc  sont  la 
reproduction  d'une  situation  identique  dt^ja  vecue  par  lui  autre- 
fois. Les  descriptions  anciennes  de  Wigan,  i8/|4,  de  Jensen, 
i8<)8,  de  Sander,  1878,  de  Angel,  1877,5001  lout  a  fait  classiques. 
«  Cest,  disait  un  malade  de  Wigan,  une  impression  soudaine 
que  la  scene  a  laquelle  nous  venous  d'assister  a  Tinslant  (quoiquo 
etant  donnee  la  nature  m^me  des  circonstances  elle  n'ait  pas  ete 
vue  anlerieurement)  s'est  dejii  trouvee  sous  nos  yeux  autrefois  avec 
les  memes  personnes,  causant  entre  ellcs,  assises  exactement  dans 
les  monies  positions,  exprimant  les  mt^mes  sentiments  dans  les 
roemes  termes.  Les  poses,  les  expressions,  les  gestes,  tel  son  de 
voix,  il  semble  que  Ton  se  souvienne  de  tout  et  que  tout  cela  attire 
notre  attention  pour  la  seconde  fois^.  »  On  trouvera  bien  des  des- 


I.   Necroses  el  'uUe»  fixes,  II,  p.   i()8. 

a.    NN  igan.  The  duality  of  Mind,  iSVi,  p.  i^4. 


288  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

criptions  de  ce  genre  dans  le  travail  de  M.  Arnaud^  et  dans  la 
these  de  M.  Bernard  Leroy^. 

Ce  sentiment  du  pass^  se  retrouve  assez  souvent  chez  nos  ma- 
lades  et  je  rappelle  les  deux  cas  suivants,  Lo...  est  souvent  sur- 
prise de  voir  que  sa  vie  actuelle  reproduit  identiquement  (c  mot 
pour  mot  »  une  p^riode  de  sa  vie  pass^e.  «  Dans  certains  moments 
qui  passent  vite,  dit  Claire,  il  me  semble  que  je  les  ai  d^ja  vecus... 
je  retrouve  Facte  que  je  fais,  la  pensee  que  j'ai,  tout  comme  si  je 
les  revivais  de  nouveau,  et  cela  me  produit  un  sentiment  tres  im- 
pressionnant.  » 

Je  ne  puis  etudier  ici  le  ph^nomene  du  d^ja  vu  dans  tons  les 
details,  je  rappelle  seulement  qu'il  ne  constitue  pas  un  trouble 
de  la  memoire comme  on  le  dit  trop  souvent,  mais  un  trouble  dc 
la  perception.  C'est  une  appri^ciation  fausse  du  caractere  de  la 
perception  actuelle  qui  prend  plus  ou  moins  Taspect  d'un  phdno- 
mene  reproduit  au  lieu  d'avoir  Faspect  d'un  ph^nomene  nouvelle- 
mentpercu.  Dans  mes  cours  sur  la  m6moire  en  1897,  j'ai  essaye  de 
montrer  que  le  a  d^ja  vu  »  rentre  dans  les  sentiments  d'automa- 
tisme.  Le  sujet  qui  sent  son  activity  diminu^e  ne  retrouve  plus  le 
sentiment  du  petit  effort  de  synthese  qui  accompagne  chaque 
perception  normale,  il  croit  reciter,  c'est  ce  qui  donnc  a  la  per- 
ception Tapparence  d'un  ph^nomcne passe.  La  localisation  a  telle 
ou  telle  date  devient  une  affaire  d'interprelation,  quand  ce  senti- 
ment donne  naissance  a  une  obsession.  II  me  semble  necessaire 
maintenant  de  faire  rentrer  le  phenomene  du  «  deju  vu  »  dans 
un  groupe  plus  considerable,  celui  des  sentiments  d'incomple- 
tude. 

Quand  on  dit  que  les  ^v^nements  de  la  perception  pr^sente 
prennent  aux  yeux  du  sujet  Tapparence  de  souvenirs,  il  ne  faut 
pas  ceder  compl^tement  a  une  illusion  et  croire  que  Fapparence 
est  complfetement  celle  d'un  souvenir.  Jamais  le  malade,  sauf  quand 
il  y  a  un  delirc  surajoute  comme  dans  le  cas  de  M.  Arnaud,  ne 
cede  completement  a  Tillusion  ;  jamais  il  n'aflirme  que  Tevenement 
actuel  soit  r^ellement  un  souvenir  du  pass^,  jamais  il  ne  sc  conduit 
comme  si  c*etait  un  souvenir.  Le  sentiment  du  deja  vu  est  plutot 
une  negation  du  caractere  present  du  phenomene  qu^une  aHirma- 
tion  de  son  caractere  passe.  Le  sujet,  a  moins  qu'il  n'arrive  lui- 


1.  Arnaud,  Le  sciilimenl  de  «  deja  vu  ».  Ann.  med.  psych. y  1896,  p.  8. 

2.  E.  Bernard  Leroy,  L'Ulusion  de  fausse  reconnaissance ^  1898. 


LnNCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPI^RATIONS  INTELLEGTUELLES         289 

m^ine  a  des  interpretations,  sent  tout  simplement  que  les  pheno- 
menes  n'excitent  pas  en  lui  le  meme  sentiment  que  des  choses 
presentes,  qu*ils  ressemblent  sur  ce  point  a  des  choses  passees. 
II  y  a  presque  toujours  une  difference  importante  entre  «  le  d6ja- 
vu  »  et  le  vrai  souvenir  du  pass^.  Le  passe  a  le  caractere  d'etre 
connu,  d'Mre  habituel,  il  ne  nous  6tonne  pas ;  au  contraire,  le 
((  deja-vu  »  conserve  toujours  un  sentiment  de  vague,  d'^trange ; 
il  se  rapproche  toujours  des  sentiments  precedents  du  voile,  de 
Tetrangete  dont  il  n'est  en  r^alit^  qu'une  forme  particuliere. 

-Aussi  n'est-il  pas  surprenant  que  ce  sentiment  pr^sente  des 
vari^tes  et  qu41  ne  soit  pas  toujours  interprete  comme  un  senti- 
ment de  souvenir.  Dans  quelques  cas  assez  rares  d'ailleurs,  si  je 
ne  me  trompe,  le  sujet  sentant  toujours  que  le  fait  n'est  pas  pre- 
sent, car  c'est  la  le  fait  fondamental,  est  dispose  a  le  situer  dans 
Tavenir.  «  II  me  semblait  que  ce  que  j^entendais  6tait  ce  qui  allait 
elre  dit  ou  fait*.  »  Nadia  se  plaint  bien  souvent  de  ne  pas  etre 
dans  le  present,  de  ne  pas  se  rendre  compte  de  ce  qui  existe  dans  le 
present.  «  J'ai,  dit-elle,  de  droles  d'impressions,  il  me  semble  que 
les  choses  n'existent  pas  r^ellement,  mais  que  j*ai  des  pressenti- 
ments  de  leur  existence.  Tout  a  I'heure  j'attendais  votre  visite  et 
je  me  la  reprdsentais,  et  bien  maintenant  j*ai  envie  de  dire  que 
c'est  la  mueme  chose,  l^tes-vous  vraiment  la  ?  »  C'est  a  propos  de 
sentiments  de  ce  genre  que  quelques  auteurs  ont  parl^  de  sentiment 
de  pressentiment',  de  sentiment  de  a  promn^sie^  ».  II  est  facile 
de  voir  que  ce  n'est  qu'une  variante  du  sentiment  precedent. 

Un  autre  sentiment  bien  plus  naturel  se  d^veloppera  frequem- 
ment  a  la  place  des  precedents,  c'est  le  sentiment  de  rimaginaire, 
de  VirreeL  «  L'impression  du  deja  vu,  disait  M.  Paul  Bourget*, 
s  accompagne  d*une  espece  de  sentiment  impossible  a  analyser  que 
la  realite  est  un  reve.  »  On  trouvera  une  foule  d'exemples  de  ce 
sentiment  de  Tirreel  dans  les  observations  de  Krishaber.  a  Quand 
je  vois  mes  camarades  d'hopital,  je  me  dis  a  moi-m^me:  ce  sont 
les  figures  d'un  reve...  »  «  Meme  en  touchant  et  en  voyant,  le 
monde  m'apparait  comme  une  gigantcsque  hallucination...  )>  On 
retrouvera  ces  memes  paroles  chez  le  malade  de  Ball,  dans  les 

1.  Bernard  Leroy,  op.  cit.,  p.  211. 

3.  A.  Lalande,  Les  paramn^siest  Revue  philosophiques,  1898,  II,  p.  4^5. 

3.  Fr.  W.  Myers,  Proceedings  of  the  society  for  psychical  Research,  i8()5,  p.  3V4' 

4.  Bernard  Leroy,  op,  cit.,  p.  1O9. 

LES    OBSESSIONS.  I-    7  0 


200  LES  STIGMATES  PSY'CHASTHfiNIQUES 

observations  de  M.  Dugas,  de  M.  Bernard  Leroy,  etc.,  c'est  iin 
des  sentiments  les  plus  frequemment  observes.  A  mon  avis,  il  est 
beaucoup  plus  frequent,  plus  caract^ristique  et  plus  interessant 
pour  la  psychologie  que  le  sentiment  du  «  d^ja  vu  »  qui  a  ^te  trop 
souvent  6tudi6  d*une  maniere  isol^e. 

Pour  ma  part,  c'est  le  sentiment  que  j'ai  le  plus  souvent  observe 
chez  les  psychasth<^niques.  Je  ne  puis  citer  que  quelques  expres- 
sions de  ce  sentiment  au  milieu  d^une  foule  d'autres.  a  Je  ne  vis 
plus  sur  terre,  dit  Pot...  dans  les  p^riodes  de  grave  maladie. 
puisque  je  ne  vois  plus  rien  qui  existe  reellement.  Je  ne  puis  pas 
me  mettre  dans  Tid^e  que  vous  et  les  gens  qui  m^cntourent  vous 
vivez  reellement,  vous  etes  de  vraies  personnes.  n  Cette  malade 
est  int^ressante  parec  que  dans  tons  les  intervalles  des  crises, 
quand  la  maladie  diminue,  elle  se  f^licite  «  de  retrouver  enfin  des 
objets  reels  ».  D'autres,  comme  To...  ou  Mb...,  n'ont  ce  sentiment 
qu*a  propos  des  perceptions  visuelles  ou  auditives,  «  elles  ont 
besoin  de  toucher,  comme  saint  Thomas,  pour  se  rendre  un  peu 
compte  que  Fobjet  existe...  ».  On  se  rappelle  Tobsession  «  de  la 
veracite  des  sens,  de  la  priority  du  toucher,  sens  direct  au  milieu 
des  sens  indirects...  »  qui  s'est  d^veloppee  chez  Mb...  a  ce  propos. 

Une  expression  dont  les  maladcs  aiment  beaucoup  a  se  servir 
pour  designer  ce  trouble  de  leurs  perceptions  est  celle  de  m'P, 
quoique  ce  soit,  bien  entendu,  une  simple  metaphore  ainsi  que  le 
remnrque  M.  Dugas,  car  il  n'est  pas  du  tout  certain  que  Ton  ait 
un  sentiment  semblable  dans  le'^  veritable  reve.  Tons  repetent 
comme  Lo...  :  «  je  vis  dans  le  reve,  dans  les  espaces,  je  ne  sens 
pas  les  choses  de  ce  monde.  »  «  Je  vois  tout  au  travers  d'un 
voile,  d'un  brouillard,  j'entends  parler  comme  si  j'^tuis  dans  un 
reve  »  (Dd...),  «  Je  ne  distingue  vraiment  pas  bien  ce  que  j'ai 
vecu  et  ce  que  j*ai  reve  »  (Gisele).  Pendant  de  longues  periodes 
Nadia  r^pete  «  qu'elle  se  sent  drole',  quVlle  se  sent  comme  dans 
un  reve  perp^tuel.  » 

Les  6v^nements  les  plus  graves  ne  les  sortent  pas  toujours  de 
leur  etat  de  r^ve.  On  a  commis  la  sottise  ^norme  de  marier  Lo... 
elle  semble  n'avoir  rien  compris  a   ce   qui  s'est  pass^,  elle  resle 
toute  surprise  qu'on  Tappelle  Madame  et  ne  pent  parvenir  a  com- 
prendre  que  tout  cela  n^est  pas  un  simple  reve. 

II  y  a  m^me  des  malades  qui  vont  encore  plus  loin  dans  ces 
sentiments   d'incompletude   de   la  perception   ext^rieure  et  qui 


L*lXCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPERATIONS  INTELLECTUELLES         201 

ont  le  sentiment  d'avoir  perdu  tout  a  fait  certaines  perceptions. 
Btu...,  un€  femrae  de  56  ans,  dont  I'observation  est  tout  a  fait 
remarquable  pour  Tetude  de  la  maladie  de  Krishaber,  repete 
constamment  :  «  Je  suis  enTerm^e  dans  un  tombeau...  quelle 
horreur  que  Tisolement  absolu  !  II  n'y  a  personne,  personne 
autour  de  moi.  Je  ne  vois  que  du  noir,  un  noir  d*encre,  meme 
quand  il  y  a  du  soleil  je  ne  vois  rien,  rien  que  du  noir.  »  II  est 
toujours  surprenant  en  examinant  de  tels  malades  de  constater 
qu'ils  n*ont  absolument  aucun  trouble  de  la  vision,  qu'ils  distin- 
gaent  tons  les  plus  petits  objets  et  les  reconnaissent  sans  hesi- 
tation. Hot...,  jeune  (ille  de  17  ans,  arrive  en  se  plaignant  d*^tre 
aveugle.  a  Est-ce  que  je  pourrai  encore  voir  clair,  est-ce  que  je 
pourrai  guerir  et  voir  clair?  »  En  r^alite  elle  lit  les  plus  petites 
lettres  du  tableau  de  Wecker  a  la  distance  de  5  metres.  —  Ret... 
va  chez  tons  les  m^decins  qui  traitent  les  oreilies  et  pretend  ^tre 
sourde  quoique  on  ne  constate  aucune  surdity  objectivement.  Ce 
sont  deja  des  obsessions  qui  se  d^veloppent  a  propos  des  sen- 
timents d'incompl^tude  de  la  perception. 

4.  —  Sentiment  de  disparition  du  temps. 

A  cot^  de  ce  trouble  de  la  perception  des  ^venemcnts  dans  Fes- 
pace,  il  est  juste  de  placer  un  fait  analoque  a   propos  du   temps. 

Les  etudes  sur  les  sentiments  des  malades  a  propos  du  temps 
pendant  lequel  se  deroulent  les  plienomenes  seraient  a  mon  avis 
des  plus  int^ressantes ;  clles  ont  ^t^  tr^s  rarement  faites  car  elles 
sont  fort  didiciles.  On  constate  au  premier  abord  les  faits  les  plus 
incoh^rents  chez  les  differents  malades  ou  chez  le  m^me  sujet.  II 
faut,  je  crois  bien,  separer  les  appreciations  qu'ils  portent  pendant 
qu'ils  sont  malades,  sur  leur  etat  de  sante  anterieur  ou  sur  les 
phenom^nes  de  leur  p^riode  de  maladie. 

Quand  le  malade  songe  a  son  etat  de  sant^  antdrieur  a  T^poque 
oil  il  ^tait  bien  portant,  011  il  avait  le  sentiment  du  reel,  il  me 
semble  dispose  a  le  reculer  enormenient,  dans  le  temps,  a  avoir  a 
ce  propos  un  sentiment  exager^  du  cours  du  temps.  Voici  comment 
s^exprime  un  malade  de  Krishaber:  «  II  me  semblait  6tre  trans- 
ports extremement  loin  de  ce  monde  et  machinalement  je  pro- 
non^ais  a  haute  voix  ces  paroles  :  je  suis  bien  loin,  bien  loin.  Je 
savais  tres  bien  cependant  que  je  n'Stais  pas  SloignS,  je  me  souve- 
nais  tr^s  distinctement  de  ce  qui  m'etait  arrive,  mais  entre  le 


292  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

moment  qui  avail  pr^ced^  et  cclui  qui  avait  suivi  mon  attaque,  il 
y  avait  un  intervalle  immense  en  dur^e,  une  distance  comme  de  la 
terre  au  soleil...  »  Si  on  se  place  exactement  dans  la  meme  situa- 
tion et  si  on  interroge  le  sujet  sur  le  temps  ^coul^  depuis  son  etat 
de  sant^  jusqu*a  F^tat  actuel  de  maladie,  il  repond  comme  le 
malade  de  Krishaber  :  «  Ma  jeunesse  heureuse  est  scpar^e  de  moi 
par  des  siecles,  dit  Claire.  »  «  Ma  crise  n'a  commence  en  r^alite 
que  depuis  trois  jours,  me  dit  Kl...,  mais  c'est  une  cternite,  il  y  a 
si  longtemps  que  je  suis  etonn^e  de  me  souvenir  de  ce  que  je  faisais 
avant  d'etre  malade.  »  Est-ce  bien  la  un  sentiment  du  temps,  n'esl- 
ce  pas  le  meme  sentiment  d*eloignement  qui  poussait  le  sujet  a 
mettre  des  espaces  infinis  entre  lui  et  les  choses  reelles,  11  se  s^pare 
de  sa  vie  reelle  anterieure  par  des  si^cles,  comme  tout  a  Theure  il 
separait  son  corps  de  la  terre  ct  du  systeme  solaire. 

On  trouve  des  sentiments  qui  portent  plus  exactement  sur  le 
temps.quand  on  prend  la  precaution  de  ne  pas  sortir  de  la  periode 
de  maladie  et  meme  de  la  periode  pendant  laquelle  la  maladie  est 
reside  la  meme, 

J'ai  note  ce  detail  avec  soin  dans  mon  observation  deja  publico 
de  Bei...  Cette  jeune  fille  atteintedu  sentiment  de  dcpersonnalisa- 
tion  se  plaignait  qu*elle  avait  perdu  le  sens  du  temps,  ellene  coni- 
prenait  pas  la  signification  des  mots  :  hicr,  aujourd'hui,  demain ; 
la  journec  s*^coulait  sans  quVlle  edi  compris  comment,  elle 
croyait  toujours  etre  au  meme  moment,  «  hier,  aujourd^hui, 
demain  me  paraissent  la  meme  chose,  comme  un  grand  vide,  » 
elle  pouvait  se  rendre  compte  de  ce  trouble  bizarre  en  le  compa- 
rant  a  ce  qu'elle  6prouvait  autrefois  quand  elle  faisait  correcte- 
ment  la  distinction  des  divers  moments  du  temps*.  Beaucoup  de 
malades  sont  du  m^me  genre,  Ver...,  PI...  (20)  et  par  moments 
aussi,Nadia  :  il  est  clair  que  cette  derniere  ne  se  rend  pas  compte 
de  r^loignement  des  annees,  elle  reste  toujours  exactement  la 
meme  et  quoiqu'elle  ait  3o  ans,  elle  croit  etre  rest^e  tout  a  fait 
comme  une  enfant. 

Lise  a  fait  sur  ce  point  des  remarques  plus  nettes :  elle  est  sur- 
prise de  la  facon  dont  le  temps  s'ecoule  pendant  qu'elle  est  malade  : 
«  Les  heures  passent  tout  a  fail  sans  que  je  m'en  aper^oive,  je  reste 
trois  heures  a  mediter  et  quand  je  me  secoue  j'ai  le  sentiment  que 
je  ne  me  suis  laiss^e  aller  que  cinq  minutes  a  peine.  J*ai  el6  tres 

I.  Mevroses  et  hUesJixes,  II,  p.  63. 


L'INCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPERATIONS  INTELLECTUELLES         293 

malade  toute  cette  semaine  et  en  revenant  vous  voir  j'avais  Tim- 
pression  de  sortir  de  chez  vous,  je  ne  puis  pas  me  figurer  qu'il  y 
a  huit  jours  d'ecoules...  Pendant  mes  periodes  de  maladie,  le 
temps  est  toujours  trcs  court...  s'il  existe...  ou  plutot  je  n*en  sais 
rien,  //  me  semble  quil  ny  a  plus  de  temps  quand  je  suis  trfes 
malade...  »  M.  Fouill^e  disait  d^ja  «  m^nie  chez  rhomme,  11  y  a 
des  cas  maladifs  ou  toute  notion  du  temps  semble  disparue,  oii 
r^tre  agit  par  vision  machinate  des  choses  dans  Tespace  sans 
distinction  du  passe  et  du  present^  ». 

On  explique  ordinaircment  ces  faits  en  disant  que  le  sujet 
s'absorbe  dans  le  sentiment  du  present.  Quoiqu'il  soit  didicile 
d'avancer  sur  ce  point  autre  chose  que  des  hypotheses  je  serai 
dispose  a  dire  que  mes  malades  perdent  la  notion  du  temps  d'une 
maniere  bien  plus  complete,  parce  qu*ils  perdent  le  sentiment  du 
present.  Pendant  la  dur^e  de  leur  crise,  quand  la  perception  ne 
donne  que  de  Tirreel  ou  du  pass^,  ils  n'ont  point  le  sentiment  du 
present,  c*est  du  moins  cequ'expriment  des  malades comme  Bei... 
et  Lise  «  qui  sont  dans  un  reve  et  ne  sententplus  le  temps  s^ecou- 
ler  ». 

Ces  modifications  du  sentiment  du  temps  prendront  plus  tard 
une  grande  importance,  nous  ne  pourrons  ici  que  les  signaler  et 
attirer  Tattention  sur  elles. 


5.  —  Sentiments  d'inintelUgence. 

Les  modifications  deTattention  ne  determinent  pas  seulement 
les  sentiments  pr^c^dents  a  propos  de  la  perception  ext^rieure,  ils 
determinent  des  sentiments  du  meme  genre  a  propos  de  toutes  les 
operations  de  Tesprit,  de  toutes  les  conceptions,  de  toutes  les 
idees.  Les  souvenirs  et  les  idees  ont  le  meme  caractere  de  vague  et 
d'irr^el  que  le  monde  exterieur.  <(  Ma  vie  pass^e,  dit  Claire,  me 
parait  appartenir  a  un  autre  monde,  qui  n*est  pas  reel,  tout  cela 
est  si  loin  de  moi,  je  nc  peux  pas  m*expliquer  bien  mes  idees,  je 
fais  des  efforts  pour  atteindre  une  id^c  claire,  il  faudrait  pour  cela 
ouvrir  une  petite  porte  qui  est  dans  ma  tete,  Tidee  claire  est 
derrierc  cette  porte  mais  je  ne  puis  parvenir  h  Tatteindre.  » 
Dob...  gemit  indefiniment  sur  la  peine  qu'elle  a  a  exprimer  et 

I.  Fouiil6e,  Introduction  a  la  genhe  de  Videe  de  Temps,  par  Gu^rau,  1890  (Paris, 
F.  Alcan). 


294  LES  STIGMATES  PSYCH ASTHfiNlQUES 

a  comprendre  ses  id^es,  elle  desespere  d'arriver  a  la  precision. 
Qi...  se  d^sole  parce  qu*elle  ne  peut  plus  comprendre  son  fils 
ni  sc  faire  comprendre  par  lui  «  on  dirait  que  depuis  deux  ans 
notrc  maison  se  translbrme  en  une  Tour  de  Babel.  » 

Ce  vague  de  Tid^e  provoque  certainement  divers  sentiments  se- 
condaires  que  Ton  a  remarques  chez  ces  malades,  d'abord  le  senti- 
ment du  mystere,  Tidee  qu'ils  sont  entoures  de  choses  profonde- 
ment  incomprehensibles,  ensuite  le  besoin  de  chercher,  Teffort 
pour  se  d^brouiller  au  milieu  de  toutes  ces  choses  qu'ils  ne  com- 
prenncnt  pas.  «  Les  choses  mystiques  et  niysterieuses  me  font  du 
mal  et  m'atlirent,.  je  sens  si  bien  le  myst^rieux  »  (Gisele).  Chez 
Gat...  et  chez  Pot...  la  progression  est  bien  visible  :  au  debut 
ellesont  des  sentiments  douloureux  d*automatisme,  d*irreel,  d'obs 
curite  et  ce  n'est  qu'apres  qu'elles  se  mettent  a  interroger. 
<c  Pourquoi  ces  gens  qui  ont  Tair  droles  sont-ils  sur  terre  ?  Pour- 
quoi  vit-on  puisqu'on  doit  mourir  ?  »  Le  goAt  des  questions  m^- 
taphysiques  se  rattache  a  diverses  tendances,  nous  en  voyons  ici 
un  exemple. 

Les  malades  semblent  se  rendre  compte  que  cette  obscurite 
tient  a  quelque  chose,  a  une  operation  mcntale  mal  faite,  ils  ont 
constamment  comme  Jo...  le  sentiment  qu'ils  ont  oubli6  quelque 
chose,  qu'il  leur  manque  une  operation  mentale.  Ver...  dc  meme 
qu'il  se  plaint  d'avoir  perdu  sa  personne  se  plaint  d'avoir  perdu 
scs  idees  :  dans  son  langagc  sans  precision  psychologique  il  dit 
sans  cesse  »  qu'il  ne  se  fait  pas  d'id^es  des  choses,  qu*il  ne  peut 
pas  poursuivre  ses  idees.  »  II  a  ete  a  Tenterrement  d'un  de  ses 
oncles  et  se  plaint  de  nc  pas  se  faire  Tidee  qu'il  est  mort.  «  Que 
voulez-vous,  dit-il  en  terminant,  la  vie  est  de  penser  et  je  ne  pense 
pas.  )> 

D*autres  se  rendent  mieux  compte  qu*ils  ont  des  idc^es  nom- 
breuses  mais  qu*ils  ne  les  unifient  pas,  ne  les  coordonnent  pas  : 
«  mon  attention  est  sans  cesse  6parpillee,  dit  Lise.  »  a  J'ai  trop 
d'idees  compliquees  a  la  fois,  dit  Nadia  »,  Xyb...  se  rend  compte 
qu'ellc  ne  met  pas  les  choses  a  leur  place.  Elle  a  des  doutos  et 
des  scrupules  relativement  a  une  domestique,  «  je  ne  suis  pas 
naturelle  avec  elle,  il  faudrait  qu'elle  ait  sa  place  dans  mon  ima- 
gination comme  domestiquc,  les  places  des  idees  me  semblent 
changees.  II  faudrait  que  les  choses  soient  ^quilibrees  de  nou- 
veau  ».  Ppi...  se  sent  toujours  faible  dans  son  travail,  il  ne  peut 


L'INCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPfiRATIONS  INTELLECTUELLES         295 

pas  avoir  de  vues  d'ensemble,  embrasser  une  6tude,  a  il  me  faut 
indefiniment  prendre  chaque  petit  coin  de  la  question  ». 

On  pent  rattacher  a  ce  sentiment  d'incoordination  certains  be- 
soins  qu'eprouvent  les  sujets.  lis  ont,  disent-ils,  une  soif  d*ap- 
prendre,  ilsvoudraientqu^on  leurRtdes  demonstrations,  qu'onleur 
fit  comprendre  des  id^es  generates  capables  de  mettre  de  Tordre 
dans  leur  esprit.  Ce  desir  se  symbolise  dans  la  pensee  de  Jean  qui 
aspire  a  des  enseignements  d'une  simplicite  et  d'une  g^n^ralit^ 
inouies.  II  est  impossible  de  trouver  un  livre  qui  soit  de  son  goiit : 
«  Comment  peut-on  lui  faire  lire  des  details  a  lui  qui  ne  sait 
rien  de  Tensemble  ?  »  A  32  ans,  il  ne  veut  lire  que  des  manuels 
et  des  manuels  tres  gen^raux;  il  ne  pent  pas  lire  un  manuel 
d'histoire  de  France  avant  d'avoir  lu  un  manuel  d'histoire  uni- 
verselle  et  avant  de  s'interesser  a  une  notion  scientifique  quel- 
conque,  le  voici  qui  veut  ^tudier  les  «  lemons  de  choses  »  qu'on 
donne  aux  petits  enfants.  Ces  gouts  correspondent  a  des  senti- 
ments bizarres  relatifs  a  la  clarte  de  la  mcthode  deductive,  a  un 
besoin  ridicule  de  subordination  et  de  coordination  qui  se  rat- 
tache,  si  je  ne  me  trompe,  a  la  souffrance  causae  par  la  lacune 
pr^cedente. 

5.  —  Sentiment  de  dotite. 

Nous  arrivons  au  sentiment  le  plus  connu  de  ces  malades,  celui 
que  Ton  prend  bien  trop  souvent  comme  repr^sentant  de  tous  les 
autres.  M^me  surce  point  il  y  a  souvent  des  malentcndus,  ainsion 
se  borne  a  dire  que  ces  malades  ont  la  manie  du  doute,  la  manie 
de  rinterrogation.  Ce  n'est  la  qu'une  des  formes  du  doute  qu*ils 
peuvent  presenter  :  a  c6te  de  ces  manies  de  s'interroger  sur  un 
point  comme  sur  Texistence  de  Dieu,  ils  ont  un  doute  perp^tuel 
qui  est  un  simple  sentiment  portant  plus  ou  moins  sur  tous  les 
actes  de  la  vie.  J'avais  insiste  sur  cette  distinction  dans  mes  an- 
ciennes  etudes  sur  Taboulie.  MM.  Raymond  et  Arnaud  la  font 
egalement  avec  neltete*.  C'est  pourquoi  apr^s  avoir  decrit  les 
manies  de  recherches  nous  arrivons  maintenant  aux  sentiments 
du   doute. 

Les  malades  doutent  au  d^but  des  choses  qui  sont  evidemment 
les  plus  obscures  et  qu'ils  comprennent  le  moins,  c'est-a-dire  des 

I.   Rajmond  et  Arnaud,  Ann.  m^d.  psych.,  1893,  ll»  aoa. 


296  LES  STIGMATES  PSYCHASTHENIQUES 

choses  religieuses.  a  Quand  j*ai  commence  a  etre  malade,  dit 
Bal...,  j'ai  perdu  la  foi  de  mon  enfance,  je  ne  savais  pas  pour 
quelle  raison  je  ne  croyais  plus  et  j'ai  fait  tout  ce  que  j'ai  pu  pour 
retrouver  la  foi,  mais  inutilement.  »  Claire  commen^a  par  sentir 
que  la  foi  religieuse  s'en  allait  «  c'<^tait  un  dcfautde  coniiance  en 
Dieu,  quelquechosc  qui  s'eteignait  en  moi  comme  une  lumierequi 
s'eloignait.  »  Son  education,  ses  desirs,  toutes  ses  id^es  la  ratta- 
chaient  a  la  religion,  aussi  se  d^solait-elle  du  doute  qui  Tenvahis- 
sait.  II  est  curieux  de  remarquer  que  cet  affaiblissement  de  la  foi 
n'est  pas  causd  par  des  lectures,  des  discussions,  ne  depend  pas 
d'arguments.  Sa  raison,  si  on  pent  ainsi  dire,  n*a  pas  perdu  la  foi 
religieuse  et  serait  incapable  de  formuler  la  moindre  objection. 
C*est  une  vieille  erreur  que  de  se  figurer  la  croyancc  toujours  de- 
terminee  par  des  raisons  et  le  doute  par  des  arguments  :  la  foi 
chez  cette  malade  se  perd  sans  raison  en  vertu  du  meme  me- 
canismc  qui  fait  paraitre  le  monde  (Strange  et  qui  amene  le  senti- 
ment de  ddpersonnalisation. 

Quand  la  maladie  s'aggrave,  le  doute  commence  a  porter  sur 
des  choses  qui  d'ordinaire  sont  crues  plus  facilement.  Les  ma- 
lades  perdent  confiance  dans  les  personnes  environnantes.  Claire 
ne  pent  plus  croire  cc  qu'on  lui  dit,  n'a  plus  de  confiance  dans 
le  langage  de  ses  parents.  Lod...  de  meme  ne  croit  plus  qu'unc 
seule  personnc,  c'cst  sa  scBur,  aucune  autre  ne  pent  la  rassurcr 
sur  n'importe  quoi.  «  Je  sais  bien  que  Ton  a  raison,  dit  Lise,  je 
le  sais,  mais  je  ne  puis  pas  ^tre  convaincue...  »  <c  Je  sais  que  ce 
que  vous  me  dites  est  vrai,  me  r^pond  Gis^le,  ma  raison  me  le 
representc  ainsi,  mais  mon  impression  persiste...  impossible 
d'etre  convaincue  dans  le  fond.  »  «  Je  veux  vous  croire,  je  me 
repetc  que  je  vous  crois...  mais  ce  n'est  pas  ma  faute,  je  ne  le 
sens  pas...  il  me  reste  quelque  chose,  un  doute,  un  vague,  un 
je  ne  sais  quoi...  »  (Claire,  Fik...,  etc.)  A  toute  autorite,  elles 
opposent  le  d6sir  d'une  autorite  plus  grande,  si  le  mddecin  leur 
parle,  elles  voudraicnt  le  pretrc  et  si  c'est  le  prdlre,  elles  lui  rc- 
prochent  de  ne  pas  6tre  archev6que  ou  pape  «  et  encore  si  le 
pape  me  parlait,  je  ne  le  croirais  pas,  car  il  se  pourrait  qu'il  m'ail 
mal  comprise  et  que  sa  reponse  infaillible  ne  s'applique  pas  a  la 
question  »  (Claire),  de  m6me  que  la  confiance  est  disparue  sans 
raisons,  de  m6me  des  raisons  sont  tout  a  fait  incapables  de  la  ra- 
mener.  Si  ce  d^faut  de  confiance  dans  les  personnes  s'exagere  et 
s'isole,  comme  il  arrive  chez  Simone,  que  je  compte  etudier  dans 


L'INCOMPLfiTUDE  DANS  LES  OPERATIONS  INTELLECTUELLES         297 

un  autre  ouvrage  sur  la  psychologie  des  persecutes,  le  doute  se 
rapprochera  de  la  persecution. 

Un  degre  de  plus  et  les  malades  vonl  douter  de  leur  propre 
avenir  ou  de  leur  propre  passe.  L'absence  d'espoir,  Tavenir 
sombre  qui  se  pr^sente  comme  un  trou  noir  est  un  grand  carac- 
tere  de  ces  malades.  Am...  ne  pent  rien  croire  de  ce  qui  arrivera 
demain  et  malgre  toute  evidence  nc  salt  pas  oil  elle  sera,  si  elle 
sera  r^ellement  sortie,  si  elle  saura  marcher  dans  la  rue;  Simone 
prend  meme  une  terreur  folic  de  Tavenir,  elle  ne  veut  meme  plus 
y  penser  et  n'essaye  pas  de  se  representer  rien  au  dela  de  Tins- 
tant  present.  D'autres  douteront  du  pass^  et  6prouveront  le 
besoin  de  verifier  leurs  souvenirs.  c(  Kst-ce  bien  moi  qui  ai  fait 
ceci  ou  cela  ?  » 

Enfin,  les  malades  se  mettent  a  douter  du  present,  et  sentent 
qu'ils  ne  sont  pas  sures  de  ce  qu'ils  voient.  «  Depuis  longtemps, 
dit  un  malade  de  Legrand  du  Saullc,  j*avais  pris  Thabitude  de  me 
parler  a  moi-meme,  pour  elre  siir  que  j'etais  ici  ou  la,  pour  m*en 
donner  des  preuves.  *  »  «  Je  vols  bien  ceci,  dit  Ges...,  mais  au 
fond  je  n'en  suis  pas  plus  si^re  que  cela  et  je  retourncrai  vingt  fois 
dans  cette  chambre  pour  voir  si  Tobjet  y  est  bien,  sans  en  ^tre 
plus  siire.  Vous  avez  beau  me  raffirmer,  je  crois  que  vous  pouvez 
vous  tromper.  »  On  voit  ici  comment  les  manies  se  greflent  sur 
les  sentiments  d*incompldtude.  Cc  doute  de  la  r^alitd  nous  mene 
au  sentiment  de  Tetrange,  a  retonncment  que  certains  malades, 
comme  To...,  eprouvent  en  presence  des  choses  et  au  sentiment 
de  rirreel  que  nous  avons  deja  etudie.  Tous  ces  sentiments  en 
effel  dependent  etroitement  les  uns  des  autres. 

A  ces  sentiments  de  doute  se  rattachent  aussi  des  sentiments 
de  decouragement  que  nous  avons  vus  a  propos  de  la  volonte  et 
qui  peuvent  se  generaliser,  a  je  crois  que  tout  est  impossible,  dit 
Claire,  non  seulement  pour  moi,  mais  pour  tous  les  autres  )>  des 
sentiments  de  defiance,  des  soupcons.  Ces  malades  ne  sont  jamais 
rassures  et  prennent  des  precautions  interminables  pour  qu*on 
ne  les  trompe  pas,  pour  qu^on  ne  livre  pas  leurs  secrets.  Enfin,  ce 
doute  va  donner  naissance  au  besoin  perpetuel  d'une  affirmation 
etrangere  que  nous  retrouvcrons  dans  leurs  besoins  de  direction. 

Tous  ces  sentiments  relatifs  aux  fonctions  intellectuelles  sont 
analogues  a  ceux  qui  ont  ete  constates   a  propos  des  operations 

I.   Legrand  du  Saullc,  FoUe  da  doute,  p.  ^7. 


298  LES  STIGMATES  PSYGHASTHENIQUES 

volontaires.  Ce  sont  des  sentiments  d'inachevcmenl :  k  Vous  poii- 
vez  etre  tranquille,  dit  Lise,  je  n'arriverai  pas  a  delirer  comple- 
tement,  je  suis  incapable  de  penser  quelque  chose  completement, 
merae  une  sottise.  »  Je  puis  done  leur  appliquer  le  meme  notn 
que  precedemment  et  en  faire  aussi  des  sentiments  d*incompIetude. 


3.  —  Sentiments  d'incomplitude  dans  les  Amotions. 

Tres  souvent  les  crises  de  rumination,  d'agitation  ou  d'angoisse 
semblent  determinees  par  des  emotions  :  c'est  la  un  fait  important 
sur  lequel  j'ai  deja  insists.  Beaucoup  d'auteurs  en  ont  tire  une 
conclusion  tres  grave,  c'est  que  T^motion  determine  la  crise  a 
cause  de  son  exageration  et  ils  ont  admis  sans  discussion  que  les 
emotions  des  psychasthcniques  ctaient  trop  grandes,  trop  fortes. 
Sans  entrer  ici  dans  cctte  discussion,  je  remarquerai  seulement 
que  ce  n*est  pas  toujours  la  ce  que  pensent  les  malades  d^eux- 
memes  et  qu'ils  ont  de  tout  autres  sentiments  a  propos  de  leurs 
propres  emotions. 


I.  —  Sentiments  d' indifference. 

Un  malade,  cit^  autrefois  par  Esquirol,  s*exprimait  ainsi  : 
«  Mon  existence  est  incomplete,  les  fonctions,  les  actes  de  la  vie 
ordinaire  me  sont  restes,  mais  dans  chacun  d^eux  il  manque 
quelque  chose,  d  sa{>oir  la  sensation  qui  leur  est  propre  et  la  joie 
qui  leur  succede.  Chacun  de  mes  sens,  chaque  partie  de  moi-m^nie 
est  pour  ainsi  dire  separee  de  moi  et  ne  peut  plus  me  donner 
aucun  sentiment.  )> 

Les  malades  eprouvent,en  effet,  tr^s  souvent  un  m^contentement 
fort  curieux  a  propos  de  leurs  Amotions  et  surtout  a  propos  des 
emotions  qui  semblent  determiner  les  crises  d'agitations,forc6es : 
quil  s'agisse  de  Temotion  genitale  ou  de  Temotion  de  la  colere, 
il  leur  semble  que  T^motion  s'arrete  avant  de  devenir  complete 
et  qu*elle  se  transforme  en  une  autre  operation  mentale,  les  ru- 
minations, les  tics  et  les  angoisses.  «  Je  nc  peux  pas,  dit  Ijse, 
arriver  au  bout  d'une  emotion  ou  d\in  sentiment,  c'est  la  ce  qui 
me  donne  des  scrupules.  »  Cette  appreciation  des  emotions  et 


SENTIMENTS  D'lNCOMPLfiTUDE  DANS  LES  fiMOTIONS  299 

des  sentiments  est  tres  generate  et  comme  le  phenomene  a  son 
importance,  il  Taut  en  rapporter  quelques  exemples. 

cc  II  me  semble,  dit  Pot...,  que  je  ne  reverrai  plus  mes  enfants, 
tout  me  laisse  indifT^rente  et  froide...,  je  voudrais  pouvoir  me  de- 
sespcrer,  crier  de  douleur,  je  sais  que  je  devrais  6tre  malheu- 
reuse,  mais  je  n'arrive  pas  a  TMre...,  je  n'ai  pas  plus  de  plaisir 
que  de  peine,  je  sais  qu'un  repas  est  bon,  mais  je  Tavale  puisqu*il 
le  faut,  sans  y  trouver  le  plaisir  que  j'aurais  eu  autrefois.  Les  joies 
ont  fui,  les  peines  aussi,  je  vais  a  Tenterrement  de  mon  grand- 
pere  et  je  n'ai  mcme  pas  une  crise  de  chagrin...  II  y  a  une  epais- 
seur  enorme  qui  m'empeche  de  ressentir  les  impressions  mo- 
rales, qui  m'emp^che  de  sentir  mcme  de  la  peine.  »  On  retrouve 
ici  a  propos  des  emotions  les  memes  expressions  a  du  mur,  de 
Tepaisseur  »  qui  servaient  d^ja  a  bien  des  malades  pour  carac- 
teriser  le  trouble  de  la  perception  ext^rieure. 

Nem...  n'estplus  lameme,  elle  nes*occupe plus  ni  de  son  marini 
de  son  enfant.  «  Je  voudrais  bien  cssayer  de  penser  a  ma  petite  (ille, 
mais  je  ne  peux  pas,  la  pensee  de  mon  enfant  me  traverse  a  peine 
Tesprit,  elle  passe  et  ne  me  laisse  aucun  sentiment  » .  «  II  me  semble, 
ditBrk...,  que  depuis  un  an  je  n*aime  plus  personne.  »  «  Mes  en- 
fants me  g^nent,  dit  Xyb...,  je  ne  suis  pas  pour  eux  ce  que  j'^tais 
avant,  je  n'existe  plus  au  point  de  vue  maternel,  je  voudrais  bien 
m'y  interesser,  maisje  ne  veux  pas.  »  «  Autrefois  j'ctais  peureuse, 
dit  Gay...  et  vous  n'auriez  pas  pu  me  faire  enlrer  dans  cette 
salle  pleine  de  squelettes  (le  musee  de  la  Salpetriere);  mainte- 
nant  cela  ne  me  fait  rien  du  tout,  jc  ne  me  sens  m6me  pas 
effray^e...  tout  m'est  egal.  »  <f  Je  n'aimc  plus  les  gens,  dit  Gisele, 
il  ne  me  semble  pas  que  j'aime  comme  les  autres,  comme  j'aimais 
avant;  j'ai  Timpression  qu'ils  m'aiment  mieux  que  je  ne  les 
aime.  Je  vis  repll^e  sur  moi-meme  comme  une  ^goiste  qui 
pourtant  se  detesterait.  Je  ne  me  fache  plus  de  rien,  je  n'ai  plus 
peur  de  rien,  je  ne  m'interessc  plus  h  rien,  tout  glisse  sur  moi 
comme  sur  une  toile  ciree,  tout  est  emousse.  » 

Voici  les  remarques  de  Claire  sur  ses  propres  emotions  :  «  les 
Amotions  s'arr^tent,  ne  se  developpent  pas,  elles  se  perdent  et 
n*arrivent  pas  jusqu'a  moi,  une  chose  qui  aurait  dA  m'effrayer 
me  laisse  calme,  je  n'ai  pas  de  la  peur,  j'ai  trop  de  calme; 
j^eprouve  quand  meme  les  joies  et  les  peines,  mais  afiaiblies...  II 
est  tres  rare  que  je  puisse  rire,  je  souris  mais  je  ne  puis  rire  de 
bon  coeur,  une  joie  comme  une  peine  cela  reste  au  loin,  cela  reste 


300  LES  STIGM\TES  PSYCHASTHfiNIQUES 

en  I'air  et  c'ost   la   ce  qui    me   d^sole  le  plus,  de    n'avoir   plus 

de   coeur....    11  se    reveille  quelquefois   puis  il  retombe Vous 

ne  voulez  pas  croire  que  je  n'ai  pus  de  c(eur,  je  n'ai  que  Fair 
d'aimer  ma  mere.  Au  fond  tout  m'est  egal,  je  ne  desire  pas 
guerir,  je  suis  insouciante,  j'aimerais  tant  pouvoir  avoir  beau- 
coup  de  chagrin.  Je  voudrais  ^tre  boulevers^e,  souffrir  beaucoup  : 
Hre  SI  tranquille,  si  calme,  cela  m'effraye  ». 

On  retrouve  le  meme  sentiment  d'incompletude  des  Amotions 
dans  le  phenomene  si  complexe  de  la  timidity.  «  II  y  a  des  copurs, 
disait  tres  bien  M.  Dugas,  qui  ne  savent  pas  adapter  leurs  senti- 
ments aux  circonstances...  On  pent  prendre  Amiel  comme  type 
quand  il  se  plaint  d'etre  devenu  incapable  de  sentir :  mon  ca?ur 
n*ose  jamais  parler  serieusement,  dit-il,  je  badine  toujours  avec 
le  moment  qui  passe  et  je  n'ai  que  T^motion  retrospective  \  » 

On  retrouve  egalement  ce  sentiment  d'emotion  insuflisante  dans 
le  sentiment  perpetuel  d'ennui^  si  banal  chez  tons  les  psychasthe- 
niqucs  qu'il  est  inutile  de  rappeler  leurs  intarissables  gemisse- 
mentsa  ce  sujet.  Chez  beaucoup  Tennui  estevidemment  en  rapport 
avec  Taboulie  et  Taprosexie ;  ils  s^ennuient  parce  qu'ils  ne  font 
rien.  Mais  j'ai  ete  ^tonne  de  voir  un  profond  sentiment  dVnnui 
chez  des  maladcs  qui  continuent  cependant  a  s*occuper  suffisam> 
mcnt.  C'est  que  Taction  et  le  travail  ne  leur  dounaient  pas  <c  la 
sensation  qui  leur  est  propre  et  la  joie  qui  leur  succede  ».  Cast 
qu'ils  restaient  toujours  indiflF^rents  et  que,  comme  disait  tres  bien 
I'un  d*eux,  «  on  s'ennuie  de  ne  pas  soufTrir,  aussi  bien  que  de  ne 
pas jouir  ». 

A  ces  sentiments  d*incompletude  des  Amotions  je  rattacherai 
aussi  un  sentiment  d'une  nature  un  peu  diflferente,  le  sentiment 
que  ces  sujets  ont  a  propos  de  leur  sommeil. 

Si  le  sommeil  pent  etre  lui  aussi,  comme  on  Ta  vu,  le  point 
de  depart  des  crises  d'angoisses  et  d*agitation,  on  ne  sera  pas 
ctonne  de  constaler  que  dans  certains  cas  il  donnc  naissance  aux 
memes  sentiments  d'incompletude.  Claire,  comme  beaucoup  de 
ces  malades,  n'arrive  pas  a  avoir  un  sommeil  complet,  elle  ne 
dort  qu'a  moitie,  il  lui  semble  toujours  «  qu*il  y  a  une  personne 
qui  continue  a  penser  aussi  nettement  que  si  elle  etait  eveillee... 
Je   n'ai  qu'une  personne  qui  dort,   les  autres  veillent  et   revent 

I.  Dugas,  La  timidite,  Revue  philosophique,  1896,  11,  p.  569. 


SENTIMENTS  D'lNCOMPLfiTUDE  DANS  LES  EMOTIONS  301 

et  elles  ne  revent  pas  toutes  la  meme  chose  »  aussi  continue-t-elle 
a  ^prouver  la  meme  inquietude  pendant  le  sommeil  que  pendant 
la  veille. 

Lise  a  le  sentiment  qu'elle  dort  a  moltie,  qu'elle  reste  a  rumi- 
ner  eomme  pendant  la  veille;  au  reveil  elle  a  le  sentiment  d'avoir 
dormi  d'une  mani^re  tres  incomplete.  Quand  elle  va  mieux,  elle 
se  reveille  en  sursaut,  etonnee  de  dormir  si  profond6ment,  d'une 
maniere  qui  contraste  avec  son  sommeil  habitueliement  si  incom- 
plet. 

2.  —  Sentiment  d' inquietude. 

A  c6t^  de  ce  sentiment  d'incompletude  il  faut  decrire  un  etat 
d'espi'it  tout  a  fait  essentici  chez  les  obsedes,  c*est  le  sentiment 
d'inqui^tude.  «  Un  trait  caracteristique  qui  reunit  tons  ces  etats  en 
apparence  si  divers,  c'est  Tinquietude  intellectuellc,  qu'on  pent 
comparer  a  la  lypemanie  anxieuse  qui  correspond  a  une  inquie- 
tude affective*.  »  A  mon  avis  tous  ces  malades  ont  presque  per- 
petuellement  une  inquietude  a  la  fois  intellectuelle  et  emotive. 

(1  Je  suis  inquiet  »,  c*est  un  mot  que  tous  les  malades  ont  per- 
petuellement  a  la  bouche.  w  Inquietudes  perpetuelles,  dit  Brk..., 
telle  est  ma  vie  c'est  Tinquietude  qui  mc  mene  a  Tahurissement.  » 
<'  J'ai  toujours  un  esprit  inquiet,  tourment^  comme  s'il  allait 
m'arriver  je  ne  sais  quel  grand  malheur.  »  (Kl...).  «  Ma  maladie, 
dit  Nadia,  c'est  d'avoir  Tesprit  inquiet,  je  guerirais  si  je  pouvais 
avoir  un  peu  de  s^curit^.  »  «  Inquietude,  tourment  constant,  repute 
Claire,  c'est  la  mon  grand  mal.  »  «  Rn  somme  j'ai  toujours  une  mou- 
che  qui  me  digonne,  je  suis  malade  d'inqui^tude,  nous  dit  tres  bien 
Gisele,  malade  de  peur  dans  le  doute,  je  n'ai  pas  de  confiance  en 
moi,  ni  en  Dieu,  ni  en  rien  ;  je  n*ai  pas  la  paix;  je  fais  des  efforts 
surhumains  pour  avoir  cette  paix  et  mon  ame  est  toujours  emmail- 
lotee  dans  Tinqui^tude.  J'ai  peur  pour  mes  sentiments,  pour  mes 
actions,  j'ai  peur  pour  mes  idees,  peur  de  mon  cerveau  dont  je  ne 
me  sens  plus  la  maitressc,  j*ai  peur  de  lutter,  peur  de  tout  enfin 
et  de  ne  je  sais  quoi,  el  au  fond  je  ne  sais  meme  pas  si  j'ai 
peur.  C'est  une  inquietude  poussee  a  un  degr6  enorme  comme 
si  on  attendait  toujours  quelqu'un  de  trts  cher  expose  peut-etre 
a  un  tres  grand  danger,  on  ne  sait  lequel.  » 

Cette  inquietude  ressemble  en  effet  beaucoup  a  la  peur  et  Ton 

I.  Ball,  Revue  icientijiqae,  1882,  II,  ^2. 


302  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

voit  que  les  mahides  emploient  souvent  ce  mot,  je  ne  crois  pas 
cepeiidant  que  le  ph^nomenc  soil  tout  a  fait  identique.  La  peur 
est  un  ^tat  plus  precis,  plus  determine  qui  fait  naitre  en  nous  des 
sensations  positives  et  qui  eveille  des  idees  d*un  danger  connu 
avec  precision.  L'inqui^tude  est  beaucoup  plus  vague,  ni  I'etat  oil 
Ton  est,  nila  cause  de  cet  ^tat,  ni  les  actions  a  faire  pour  i'expri- 
mer  ou  pour  en  sortir  ne  sont  bien  determin^es.  D*ailleurs,  on 
constate  la  diffi^rence  chez  les  malades  eux-memcs.  Quand  on  les 
prie  de  faire  attention,  ils  reconnalssent  qu'ils  n'ont  pas  verita- 
blcment  peur;  «  il  vaudrait  mieux avoir  une  vraie  peur,  ditCisetc, 
ce  serait  moins  penible.  »  On  observe  certains  sujets  chez  lesquels 
les  emotions  soi>t  tres  diminuees  ou  meme  supprim^es  et  qui  de- 
puisleur  maladie  sont  devenus  incapables  d'avoir  peur.  Cette  ma- 
lade  Gay...  qui  se  plaignait  de  ne  plus  avoir  peur  en  regardant 
des  squelettes  ajoute  :  «  je  n'ai  plus  de  peur,  je  vois  que  cela  ne 
me  fait  plus  rien...  cependant  je  reste  toujours  tellement  iu- 
quietc  ».  Pour  ces  raisons,  je  crois  done  que  Tinqui^tude,  sur* 
tout  celle  des  scrupuleux,  n'est  pas  de  la  peur,  pas  plus  d'ailleurs 
qu*elle  n*est  aucune  autre  Amotion  precise. 

L'inquietude  me  parait  un  ph^nomene  complexe,  elle  contient 
en  premier  lieu  une  excitation  a  Taction  exagoree,  inutile,  infe- 
rieure,  a  Tagitation  :  Tinquiet  sent  qu*il  faut  faire  quelque  chose 
pour  sorlir  de  son  etat,  il  ne  sait  pas  trop  quoi  et  il  ne  pent 
pas  restercinq  minutes  en  place,  [/inquietude  contient  en  second 
lieu  une  souflVance,  un  etat  de  conscience  p6nible.  Mais  Tessentiel 
est  cause  par  le  sentiment  que  T^tat  ou  Ton  est  n'est  pas  stable, 
d^finitif,  complet.  II  y  a  une  inquietude  d'action  quand  on  sent  que 
Taction  n'est  pas  terminee,  qu'il  reste  quelque  chose  a  faire,  que  la 
decision  n'est  pas  prise.  II  y  a  une  inquietude  intellectuelle  quand 
on  sent  que  Tattention  n^est  pas  (ixee,  que  la  perception  n^est  pas 
prcScise,  que  le  monde  a  un  aspect  etrangc  et  irr^cl.  II  y  a  une  in- 
quietude emotionnelle,  quand  on  ne  parvient  pas  carrement  a  un 
etat  de  plaisir  net,  de  souPfrance  nette,  de  veritable  peur.  Un  mal- 
heur  precis  ne  donne  pas  d'inquietude,  pas  plus  qu\in  danger 
reel.  Mais  ces  divers  etats  sont  justement  ceux  que  je  viens  de 
decrire  sous  le  noni  de  sentiments  d'incompletude,  dans  les  actes, 
les  perceptions  et  les  Amotions.  L'inquietude  est  done  essentielle- 
ment  constitute  par  les  sentiments  d'incompletude  auxquels  s^a- 
joutent  un  sentiment  de  malaise  el  une  excitation  a  faire  effort 
pour  en  sortir. 


SENTIMENTS  DlNCOMPLfiTUDE  DANS  LES  fiMOTIOXS  303 

L'observation  des  malades  d^montre  cette  interpretation  ;  I'in- 
quietude  a  commence  chez  Claire  avec  les  premiers  doutes  reli- 
gieux  vers  Tage  de  18  ans,  c'est-a-dire  avec  les  premiers  senti- 
ments d'incompl^tude,  c'est  a  ce  moment  qu*ellc  a  eu  des 
inquietudes  pour  sa  foi,  pour  ses  confessions,  des  inquietudes 
sur  «  la  lumi^re  qui  s'en  allait  ».  Lobd...,  femme  de  35  ans,  nous 
dit  tres  bien  :  «  Quand  je  suis  inquiete,  c*estcomme  si  je  n'avais 
pas  termini  quelque  chose,  comme  s'il  restait  a  propos  de  tout 
quelque  chose  de  pressant  a  accomplir.  »  «  J'ai  un  besoin  de 
completer  quelque  chose,  dit  Gisfele,  je  cherche  toujours  ce  que 
je  devrais  faire,  ce  que  je  devrais  surveiller,  ce  que  je  devrais 
chercher,  mon  esprit  ne  me  parait  jamais  assez  occupy,  assez 
emotionne,  il  cherche  toujours  ce  qu'il  aurait  a  faire,  a  sentir 
d'autre.  » 

Un  sentiment  de  ce  genre  pent  evidemment  Hre  la  consequence 
de  certaines  idees  fixes.  Mais  il  Aiut  remarquer  qu'il  existe  chez 
tous  les  malades  quelles  que  soient  leurs  obsessions.  II  ne  me 
semble  pas  certain  que  Tinquietudc  soit  reellement  determinee 
par  le  motif  qu'invoque  le  sujet  pour  Texpliquer.  Si  on  retire  ce 
motif  il  en  prend  immediatement  un  autre,  les  motifs  changent 
indefiniment  et  Tinquietude  reste  la  meme.  Quand  les  malades 
vont  mieuxetqu'ils  n'ont  plus  en  r^alite  d*obsessions  precises,  its 
restent  inquiets  pendant  quelque  temps  et  par  habitude,  disent-ils, 
lis  continuent  a  chercher  ce  qui  pourrait  bien  les  tourmenter. 
«  C'est  un  fond  d'habitude,  dit  Lise,  qui  m'empeche  encore  de 
dormir  tranquille.  »  Chez  beaucoup  de  malades,  ces  inquietudes 
existent  longtemps  avant  la  maladie  proprement  dite,  Mus..., 
Mb...,  Lise  reconnaissent  qu'elles  ont  ete  ainsi  depuis  Tenfance. 
Jean  etail  inquiet  au  lyc^e  a  cause  des  devoirs,  des  lecons,  des 
pensums ;  il  devenait  malade  quand  il  y  avait  une  composition  de 
recitation  a  preparer,  comme  aujourd'hui  il  est  tourmente  par  les 
femmes,  les  fluides,  les  omnibus  et  les  lettres  a  mettre  a  la 
poste.  L'inquietude  me  semble  done  etre  un  sentiment  fonda- 
mental  anterieur  aux  obsessions  par  lesquelles  le  malade  cherche 
souvent  a  la  justifier :  c'est  la  forme  complexe  que  prennent  plu- 
sieurs  de  ces  sentiments  d'incompletude. 

3.  —  Le  besoin  d' excitation.  —  U ambition. 
Pour  sortir  de  cette  soulTrance  inquiete  les  malades  cherchent 


304  LES  STIGMATES  PSYCHASTHENIQUES 

instinctivement  quelque  chose  qui  pousse  plus  loin  leurs  senti- 
ments insuflisantSy  qui  les  excite.  C'est  ce  besoin  que  nous  avons 
deja  vu  se  nianifestcr  grossierement  dans  le  besoin  de  poisons 
excitants,  dans  la  dipsomanie,  dans  la  morphinomanle,  dans  la 
recherche  de  Texcitation  g^nitale  paiTaite  chez  certains  eroto- 
inanes.  On  le  voit  encore  dans  a  le  besoin  de  faire  des  sottises 
pour  se  rcveiller  »  dans  «  le  besoin  fou  de  sensations  nouvelles  ». 
Nous  le  reverrons  encore  sous  bien  des  formes  varices,  en  parti- 
culier  a  propos  des  besoins  de  direction  et  d^aflection. 

L'inqui^tude  contient  aussi  une  partie  active,  elle  excite  a  faire 
des  efforts.  Cette  remarque  est  verifi^e  par  Texistence  d'un  sen- 
timent inattendu  chez  nos  scrupuleux,  Vambition.  lis  sont  d  a- 
bord  tons  des  consciencieux,  ils  s'efforcent  de  faire  les  choses 
jusqu*au  bout  pr6cisement  parcc  qu'elles  leur  paraissent  tou- 
jours  insuflisantes.  Jean  ^tait  un  eleve  modele  dans  sa  medio- 
crite,  il  se  serait  rendu  malade  plutot  que  de  ne  pas  faire  son 
devoir  jusqu'au  bout,  il  preuait  toutes  les  precautions  possibles 
pour  ne  jamais  mdcontenter  un  maitre.  Encore  maintenant  Vor... 
a  5o  ans,  reconnaitqu'elle  a  une  conscience  ridicule  :  elle  se  force 
dans  son  menage  a  faire  toutes  les  choses  pcnibles ;  quand  elle 
commence  un  livre  elle  se  croit  obligee  de  le  lire  jusqu'au  bout 
sans  passer  une  ligne,  m6me  si  le  livre  Tennuie.  Men...  travaille 
toute  la  journ^e  sans  se  permettrc  aucun  repos,  «  il  me  semble 
que  si  je  cessais  de  travailler  un  moment  je  n'aurais  plus  le  droit 
de  manger  ».  Cette  activity  inquiete  depasse  le  present  :  «  il  faut 
toujours,  dit  Lise,  que  je  pense  a  plus  tard,  que  je  cherche  ce 
que  je  ferai  aprfes  cela,  que  je  depasse  ce  travail,  que  j'aille  au 
dela  ».  Ce  besoin  va  devenir  une  manic  etnous  Tavons  justement 
etudi^  sous  le  nom  de  manie  de  Tau  dela,  mais  les  sujets  ont  ce 
besoin  avant  d'etre  malades,  ils  Tont  toute  leur  vie  et  je  crois 
que  c'est  au  debut  un  trait  de  caractere  en  rapport  avecleur  per- 
p^tuelle  inquietude. 

Un  degr^  de  plus  dans  le  meme  sens  et  Ton  comprend  com- 
ment se  developpe  une  sorte  d'nmbition  insatiable.  Nadia  n'est 
jamais  satisfaite  de  la  facon  dont  elle  joue  du  piano,  elle  veut  ^tre 
«  une  tout  a  fait  grande  artiste,...  moi,  je  suis  le  ver  de  terre, 
dit-elle,  et  mon  idc^al,  c'est  I'etoile  et  je  voud'rais  devenir  plus  digne 
de  lui.  II  me  semble  que  je  veux  toujours  devenir  Tegale  des  plus 
grands  hommes,  quoique  je  sache  bien  que  je  n'ai  jamais  et^ 
bonne  ii  grand'chosc...  Mcme  si  j'avais  pu  reussir  a  etre  une  grande 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  DANS  LA  PERCEPTION  PERSONNELLE    305 

musicienne  je  n^aurais  jamais  6te  contente,  j'aurais  toujours  voulu 
grimper  plus  haul  encore...  Mon  ambitioD  n'a  pas  de  limites  ». 

Quelle  que  soit  la  situation  a  laquelle  its  parviennent,  les  scru- 
puleux  en  sont  toujours  m^contents,  ils  revent  toujours  mieux, 
toujours  autre  chose.  II  est  bien  probable  que  ces  sentiments  bi- 
zarres  sont  quelquefois  le  principe  d'une  activite  utile  et  qu'ils 
ont  inspire  des  ambitions  genercuses  ;  mais  il  est  vrai  aussi  qu'ils 
peuvent  etre  plus  souvent  Ic  point  de  depart  de  jalousies  mala- 
dives  et  d'une  sorte  de  delire  des  grandeurs.  «  J'ai  Tambition  de 
tout,  dit  Fa...,  cela  me  rend  jalouse  de  tout,  oh  !  si  j*^tais  comme 
les  gens  qui  sont  dans  cette  voiture,  comme  cette  belle  dame,... 
je  voudrais  arriver  au  comble  de  la  fortune  et  de  la  gloire...  et 
je  ne  serais  peut-^tre  pas  encore  satisfaite.  » 

Tous  ces  sentiments  dHncompletude  que  les  sujets  eprouvent 
a  propos  de  leurs  Amotions  sont  bien  analogues  a  ceux  qui  ont 
^t^  constates  a  propos  de  Faction  et  de  Tintelligence  et  ils  me- 
ritent  bien  le  meme  nom. 


4.  —  Sentiments  d'incomplitude  dans  la  perception 

personnelle. 

M.  S^glas,  en  d^crivant  la  crise  d'obsession,signalait  quelques 
phenomenes  tr^s  interessants  qu'il  considerait  comme  Tindica- 
tion  d'un  trouble  de  la  conscience  pendant  la  crise.  «  L'un  d'eux, 
dit-il,  un  agoraphobe,  s'exprime  ainsi :  au  bout  de  quelques  pas, 
il  me  semble  que  je  me  d^double,  je  perds  la  conscience  de  mon 
corps  qui  me  semble  6tre  en  avant  de  moi...  j'ai  bien  conscience 
que  je  dois  marcher;  mais  je  n'ai  pas  conscience  de  ma  propre 
identity,  que  c'est  bien  moi  qui  marche.  Je  fais  des  efforts  pour 
me  prouver  que  c'est  bien  moi  et  souvent  il  me  faut  interpeller 
un  passant,  entrer  dans  un  magasin,  pour  parler,  pour  demander 
quelque  chose  afin  de  me  donner  une  nouvelle  preuve  que  je  suis 
reellement  bien  moi...*  »  Un  autre  malade,  garcon  de  12  ans, 
tourment^  par  des  obsessions,  des  manies  du  doute  et  du  toucher 
reste  un  instant  en  arri^re  de  son  precepteur,  il  account  etfar^ 
en    s^^criant    qu*on    Tavait   abandonn^   en    arriere,    qu'il    fallait 

I.  S^glas,  Le^ns  cliniques  sur  les  maladies  menlales,  1895,  p.  i3t. 

LBS    OB8HS8IO:«S.  I.    —    30 


300  LES  STIGMATES  PSYCHASTH^NIQUES 

retourner  le  chercher,  qu'il  6tail  perdu.  Le  meme  malade,  en 
voyant  passer  une  voilure  celliilaire,  est  pris  d'une  grande  peur, 
craignant  d'avoir  6t^  enimen^  par  le  garde  qui  Taurait  rcgarde 
en  passant  ^  Ces  deux  observations  semblaient  mettre  en  evi- 
dence un  trouble  remarquable  de  la  conscience  personnelle. 

Des  faits  semblables  ont  et^  en  r^alite  observes  depuis  fort 
longtenips.  Les  observations  de  Krishaber'  connues  sous  le  nom 
de  «  nevrose  c^r^bro-cardiaque  »  ont  6i^  rendues  c^lfebres  par 
Taine  «  Dans  les  premiers  temps,  aussitot  apres  mes  attaques, 
disait  un  de  ces  malades,  il  m*a  sembl^  que  je  n*etais  plus  de  ce 
nionde,  que  jc  n'existais  plus,  que  je  n'existais  pas.  Je  n'avais  pas 
le  sentiment  d'etre  un  autre,  non,  il  me  semblait  que  Je  nesistais 
pas  du  (out.  Je  tatais  ma  tete,  mes  membres,  je  les  sentais. 
Neanmoins  il  me  fallait  une  grande  contention  d'esprit  et  de 
vol6nte  pour  croire  a  la  r^alit^  de  ce  que  je  toucliais...  »  «  J'avais, 
dit  un  autre  malade,  un  ardent  d^sir  de  revoir  mon  ancien  monde, 
de  rede^enir  i'ancien  moi,  C'est  ce  d6sir  qui  m'a  empeche  de  me 
tuer...,  j'etais  un  autre  et  je  haissais,  je  m^prisais  cet  autre;  il 
m^etait  absolument  odieux,  il  est  certain  que  c'^tait  un  autre  qui 
avait  revetu  ma  forme  et  pris  mes  fonctions  »  et  Taine  ajoutait : 
«  Le  sujet  ne  se  reconnait  plus,  il  trouve  toutes  ses  sensations 
changecs  et  il  dit  a  je  ne  suis  pas  »,plus  tard  il  dira  a  je  suis  un 
autre  ».  11  semble  se  trouver  dans  le  monde  pour  la  premiere  fois 
(sentiment  d*6tranget^),  il  croit  que  ses  actions  lui  echappent, 
qu'il  assiste  a  ses  actions  en  spectateur'.  » 

Plus  tard  ces  observations  se  multiplierent,  je  rappelle  celle 
de  Ball  qui  est  remarquable  :  «  An  mois  de  juin  iSy^,  ^crit  son 
malade,  j'eprouvai  a  peu  pr^s  subitcment  sans  aucune  douleur  ni 
etourdissement  un  changement  dans  la  fa^on  de  voir,  tout  roe 
parut  drole,  Strange,  bien  que  gardant  les  memes  formes  et  les 
m^mes  couleurs  (sentiment  d'^tranget^  de  la  perception).  En  d6- 
cembrc  1880  plus  de  5  ans  apres,  je  me  sentis  diminuer,  dispa- 
raitre  :  il  ne  restait  plus  de  moi  que  le  corps  vide.  Depuis  cette 
epoque  ma  personnalite  est  disparue  d'une  fagon  complete,  et 
malgre  tout  ce  que  je  fais  pour  reprendre  ce  moi-meme  ^chappe, 
je  ne  le  puis.  Tout  est  devenu  de  plus  en  plus  etrange  autour  de 


I.  S6glas,  ibid.y  p.  iSg. 

a.  Krishaber,  De  la  nhyropaihie  cirihro-cardiaque^  1873,  observation  38. 

3.  Taine,  De  VinLcUigencet  II,  p.  463-467. 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  DANS  LA  PEHCEPTION  PERSONNELLE    307 

moi  et  maintenant  non  seulement  je  ne  sais  ce  que  je  suis,  mais 
je  ne  puis  me  rendre  compte  de  ce  qu^on  appelle  rexistenee,  la 
reality*.  » 

Ces  cas  sous  leur  fornie  typique  sont  si  etranges  qu'ils  ont  con- 
tinue a  attirer  Tattention.  Dans  un  article  public  par  la  Reime 
philosophiqne,  M.  Dugas  propose  de  designer  le  ph^nomene  sous 
le  nom  de  sentiment  de  depersonnniisation^  il  observe  que  ce 
sentiment  se  trouve  lie  avec  un  autre  phenomene  curieux,  le 
€<  deja  vu  »,  c'est-a-dire  que  le  sentiment  de  depersonnalisation 
s'associe  souvent  avec  la  fausse  reconnaissance.  »  Souvent  le  sujet 
atteint  de  fausse  reconnaissance  avait  conscience  de  devenir 
autre,  il  se  sentait  rester  le  meme  en  devenant  deux.  J'^coutais 
unevoix,  dit  un  malade,  comme  celle  d*une  personne  ^trangere, 
mais  en  meme  temps  je  la  reconnaissais  comme  mienne,  ce  moi 
qui  parlait  me  faisait  Teffet  d'un  moi  perdu,  tres  ancien  ct  sou- 
dainement  retrouve^.  »  Cette  impression  le  malade  ne  Ta  pas 
seulement  a  propos  de  sa  parole,  mais  il  Ta  aussi  a  propos  de 
ses  mouvements,  de  ses  actes  et  il  en  arrive  a  Talienation  de  sa 
personne,  a  la  depersonnalisation^. 

J'ai  eu  Toccasion  de  rapporter  deux  observations  tout  a  fait 
remarquables  du  meme  genre,  celles  de  Bei...  et  celle  de  Ver...  *. 
Les  deux  malades  sont  identiques  dans  les  grands  traits  :  a  la  suite 
d'^motions  ils  perdent  la  conscience  d'eux-m6mes,  ils  continuent 
cependant  a  ex^cutcr  d*une  facon  correcte  toutes  les  operations 
psycholbgiques,  ils  sentent  tout,  se  souviennent  de  tout,  parlent, 
agissent,  d'une  fa^on  a  peu  pres  normale ;  mais  ils  r^petent  tou- 
jours :  ce  n*est  pas  moi  qui  sens,  c'est  comme  si  ce  n'etait  pas  moi  qui 
parle,  qui  mange,  comme  si  ce  n'etait  pas  moi  qui  souffre,  comme 
si  ce  n'etait  pas  moi  qui  dors,  a  Elle  voyait  clair,  eutendait  hien, 
sentait  correctement,  pouvait  se  mouvoir  sans  peine,  mais  elle  se 
cherchait  elle-meme  en  ayant  Timpression  qu'elle  n^etait  plus 
la,  quelle  avait  disparu,  que  les  choses  pr^sentes  n^avaient  pas  de 
rapport  avec  sa  person n<ilite.  Depuis  ce  moment  elle  repete  tou- 
jours  la  meme  chose  :  mais  ou  suis-je  ?  que  suis-je  devenue  ?  ce 
n'est  pas  moi  qui  mange,  ce  n'est  pas  moi  qui  travaille,  je  ne  me 
vois  pas  faire  ceci  ou  cela,  il  y  a  queique  chose  qui  me  manque.  » 

1.  Ball,  Revue  scientifique,  1888,  11,  p.  43. 
3.  Dugas,  Revue  philosophiqae,  1898,  I,  5oi. 

3.  Id.,  ibid.,  5o3. 

4.  Raymond  el  Pierre  Janel,  Nivroses  et  Idies  fixes,  II,  p.  62. 


niOfhi 


30S  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfi^JlQUES 

Recemment  M.  Bernard- Leroy,  qui  avail  d^ja  public,  a  propos 
de  ces  fails,  une  discussion  sur  laquelle  je  revicndrai,  a  pr^sente 
au  congres  de  psychologic  un  nouveau  cas  remarquable,  lout  a 
fail  idcnlique  aux  pr^c^denls.  II  s'agil  d'une  femme  de  4i  ans 
qui  esl  lombee  malade  graducUement  a  la  suite  d^emolions  vives 
el  prolong^es.  Ellc  s^agile  conlinuellcmenl  el  se  livre  a  Texecu- 
lion  de  mouvemenls  bizarres  el  compliqu^s,  clle  se  tale  les  mains, 
les  bras,  prom^nc  les  mains  sur  sa  l^te  el  son  qou.  Ellc  d^grafe 
meme  son  corsage  pour  l&ler  sa  poilrine,  clle  fail  claquer  ses 
niachoires,  se  lire  les  cheveux,  se  lire  le  pavilion  de  Toreille... 
ellc  dil  qu*ellc  ne  sent  plus  rien  ou  du  moins  ne  senl  plus  rieu 
comme  autrefois  el  que  dhs  lors  c'esl  plus  fort  qu*elle.  (C'esl  la 
le  ph^nom^ne  des  manies  de  verifications,  des  tics,  des  agita- 
r^i>      lions  motrices  que  nous  connaissons  chez  ces  malades). 

«  II  faul  qu'elle  late.  C'esl  insensible  lout  cela,  dil-elle  en  se 
palpant  Torcille.  Quand  je  me  peigne  je  ne  sens  pas  mes  cheveux, 
ni  mes  mains  quand  je  me  lave,  ni  mes  levres  quand  j'embrnsse. 
Que  c'esl  malheureux  d'^lre  vivanle  el  de  ne  pas  pouvoir  voir  les 
siens  quand  ils  sonl  la.  Je  ne  vois  pas  du  loul  comme  avanl,  je 
n'entends  'pas  comme  avanl,  il  me  semble  ne  pas  entendre  le 
bruit  de  mes  pas,  cela  me  g^ne  pour  marcher,  je  ne  me  rappelle 
plus  ricn,  je  ne  sais  plus  rien,  je  n'ai  plus  aucune  emotion...  » 
En  reality  on  ne  constate  aucune  diminution  appreciable  d'aucune 
sensibility,  elle  semble  avoir  des  souvenirs  precis  quand  on 
rinterroge  el  elle  parail  6prouver  les  emotions  normales  ^' 

MM.  PitreselR^gis,  en  rapportanl  les  observations  deM.  S^glas, 
font  observer  que  dans  ces  cas  la  conscience  n'esl  poinl  troublee 
d'une  maniere  complete.  «  Si  on  entend  le  mot  conscience  au 
poinl  de  vue  clinique  en  lant  que  perception  exacte  des  pheno- 
menes  psychiques  ^prouv^s,  il  est  ^videnl  que  sauf  de  Irbs  rares 
exceptions  la  conscience  est  conserv^e  dans  I'obsession ;  si  les 
malades  constalenl  ce  dedoublemenl,  s'ils  Tanalysenl  si  correc- 
lemenl  el  si  finement,  c'esl  qu*ils  en  onl  conscience*.  »  Ces 
auteurs  rappellenl  seulemenl  ici  ce  fait  importanl  que  I'appr^cia- 
lion  inlellectuelle  des  obsessions  est  conservee,  que  le  delire  de 


1.  Bernard  Leroy,  D^personnalisation.  Comptes-rendus  du  congrhs  de  psychologic 
de  1900,  p.  48a. 

2.  Pilres  el  Regis,  op.  cit,,  p.^o. 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  DANS  LA  PERCEPTION  PERSONNELLE    309 

Tobs^de  est  incomplet  et  ne  determine  ni  conviction,  ni  impulsion 
complete.  Mais  la  conservation  de  Tintelligence  proprement  dite, 
corame  faculte  de  critique  et  de  jugement  n'empeche  aucunement 
{'alteration  d'autres  ph^nom^nes  psychologiques  qui  entrent  dans  la 
conscience  personnelle.  Si  ces  observations  de  M.  S^glas  et  toutes 
les  autres  semblables,  car  je  les  crois  tres  nombreuses,  ne  nous 
montrent  pas  un  trouble  du  jugement  critique  mais  simplement 
un  trouble  de  la  conscience  personnelle  elles  n'en  sont  pas 
moins  tres  importantes  pour  Tinterpretation  des  obsessions  elles- 
memes. 

MM.  Pitres  et  R^gis  font  observer  ensuite  que  ces  observa- 
tions sur  le  sentiment  de  d^doublement  de  la  personnalit^  ne  sc 
rapportent  a  notre  etude  actuelle  sur  le  groupe  tres  homogene 
des  psychastheniques,  sur  la  maladie  des  obsessions,  a  Ces  faits, 
disent-ils,  Torment  une  categoric  sp^ciale  appartenant  a  Tautoma- 
tisme  psychique  au  moins  autant  qu'a  Tobsession,  les  malades 
qui  se  d^doublent  au  point  de  se  croire  en  avant  d'eux-memes  ou 
de  se  chercher  ailleurs  ont  autre  chose  que  de  Tobsession  simple, 
ils  eprouvent  un  ph^nomene  analogue  a  certains  effets  de  duality 
hysterique*  ».  Je  ne  puis  pas  partager  cettc  opinion,  le  dedouble- 
ment  hystcrique  pent  exceptionnellement  donncr  naissance  a  des 
expressions  a  pen  pres  semblables,  mais  en  regie  g^n^rale  il  ne 
se  pre^sente  pas  du  tout  sous  cet  aspect.  Dans  Thysterie  il  y  a 
subconscience  veritable,  les  phenom^nes  psychologiques  forment 
deux  groupes  independants  qui  s'ignorent  reciproquement,  mais 
chacun  de  ces  groupes  conserve  sa  personnalite.  Ici  il  n'y  a  pas  de 
dedoublementreel,  on  ne  constate  ni  anesthesie,  ni  amnc^sie,  on  ne 
peut  mettre  en  evidence  aucune  lacune  dans  le  groupe  principal 
des  phenomenes,  mais  il  y  a  un  sentiment  general  qui  porte  sur 
Tensenible  de  tous  ces  faits  et  qui  les  repr^sente  a  la  conscience 
comme  changes,  comme  insuflfisamment  rattach^s  a  la  personna- 
lite, c'est  la  un  fait  diflferent  de  Thyst^rie  proprement  dite. 

M.  Bernard-Leroy  en  cherchant  le  diagnostic  de  ces  troubles  dit 
«  qu'il  a  6limin^  successivement  les  diagnostics  de  folic  du 
doute,  de  syndrome  des  negations,  de  m^Iancolie,  de  confusion 
mentale,  d'hypocondrie,  et  qu'il  range  ces  faits  dans  la  n^vropa- 
thie   cerebro-cardiaque    de  Krishaber*  ».  Qu'il    s'agisse    de   la 


I.  Pitres  ct  Regis,  op.  cit.,  p.  4o. 

a.  Bernard  Leroy,  Comptes-rendus  du  congrhs  de  psychologie  de  1900,  p.-  487. 


310  LES  STIGMATES  PSYCH  AS  TIlfiNIQUES 

maladie  de  Krishaber,  cela  est  incontestable,  puisque  cette  mala- 
die  n'est  constituee  avec  nettete  que  par  cet  unique  sympt^me  de 
la  depersonnalisation.  Le  diagnostic  veritable  consiste  a   recher- 
cher  dans  lequel   des    groupes    morbides   aujourd'hui    reconnus 
rentre  cette  nevrose  de  Krishaber.  II  est  egalement   facile  d'eli- 
miner'Ie    syndrome  des  negations,  la  melancolie,  la   confusion 
mentale.  Mais  je  ne  partagc  plus  Topinion  de  Tauteur  quand  il 
elimine  la  folic  du  doute,  Thypocondrie  et  probableroent  aussi  les 
obsessions  dont  il  ne  parle  pas.  La  malade    meme   qu*il  d^crit  a 
des  doutes,  elle  a  mcme  des  manies  mentales  de  verification  per- 
petuelle,  ses  attouchements  incessants  ne  sont  pas  autre  chose 
que  des  tics  en  rapport  avec  des  manies  de  verification.  Tons  les 
maladcs  prcccdemment  d^crits  ceux  de  Krishaber,  ceux  de  Ball, 
ceux  de  M.  S^glas,  celui  de  M.  Dugas  ont  en  meme  temps  des 
doutes,  des  manies  et  des  obsessions.  II  est  int^ressant  de  rap- 
peler  a  ce  propos  la  suite  de  Tobservation  de  Bei,  que  je  publiais 
en    1898.    Apr^s    18   mois  de   depersonnalisation  pure   pendant 
lesquels  la  malade  ne  se  pr^occupait  que  de  la  perte  de  son  moi, 
Bei...  est  devenue  un  peu   plus  tranquille  sur  sa  personne,  elic 
a  oublie  en  partie  le  sentiment  qu'elle  ^prouvait ;  mais  elle  s*est 
mise  a  presenter  des  crises  d'interrogation  a  propos  des  souve- 
nirs :  il  faut  qu^elle  recherche  ce  qu*elie  a   fait  la  veille,  si  elle 
a  ete  au  bal  il  y  a  huit  jours  ou  si  elle  n*y  a  pas  et6,  etc.  Ce  sont 
de  veritables  crises  de  rumination  caract^ristiques  de  la  folic  du 
doute,  c'est-a-dire  de  Tune  des  formes  de  Tdtat  psychasthdnique. 
Mes  nouvelles  observations  du  sentiment  de  depersonnalisation 
auxquelles  je  vais  faire  allusion  tout  a   Theure,  observations  qui 
sont  nombreuscs,  portent  toutcs  sur  des  obs6d6s.  Enfin  chez  la 
plupart  des  obsedds,  des  maniaques,  des  phobiques  que  je  vieus 
d'etudicr  dans  les  chapitres  precedents  on  trouve  au  moins  en 
germe  ce  sentiment  de  depersonnalisation.  Je  suis  done  dispose 
a  croire  que  le  sentiment  de  depersonnalisation  est  un  des  symp- 
tomes  de  Tetat  psychasthenique  et  qu'ily  a  lieu  de  le  rapprocher 
de  tons  les  phenomenes  precedemment  Studies. 

Nous  nous  trouvons  alors  en  presence  d*un  autre  probleme,  de 
quel  groupe  de  phenomenes  s'agit-il  dans  ces  cas  de  deperson- 
nalisation ?  Je  crois  que  bien  souvent  il  s*agit  de  veritables  idees 
obsedantes.  Certains  de  ces  malades  ont  fini  par  concevoir  une 
idee  plus  ou  moins  generale  a  propos  des  troubles  de  leur  per- 
sonnalite.  lis  sont  obsedes  par  la  pensee  qu'ils  ont  perdu   leur 


SENTIMENTS  D'llSCOMPLfiTUDE  DANS  LA  PERCEPTION  PERSONNELLE    311 

moi,  comme  d'autres  par  la  pensee  quails  ont  perdu  leur  mora- 
lite  ;  c'est  une  obsession  qui  rentre  dans  la  cat^gorie  des  obses- 
sions de  la  honte  de  soi,  et  je  Tai  deja  signal^e  a  ce  propos. 

Dans  d'autres  cas  se  developpent  a  ce  sujet  des  manies  men- 
tales  d'interrogation  et  de  verification  comme  on  vient  de  le  voir. 
Mais  dans  un  tres  grand  nombre  de  cas,  je  pense  que,  surtout  au 
debut,  quand  la  maladie  est  simple,  il  s'agit  d'un  sentiment  que 
le  malade  ^prouve  a  propos  de  tons  ses  phenom^nes  de  con- 
science. Tons  ces  malades  n'ont  pas  comme  Claire  la  manie  de 
se  rabaisser,  comment  se  seraient-ils  rencontres  sur  une  idee 
vraiment  aussi  etrange  et  en  dehors  des  pens^es  communes. 
Cetle  idee  se  pr^sente  brusquement  chez  Bei...,  chez  Ver..., 
chez  PI...  avant  toute  manie  mentale  qui  chez  Bei...  ne  com- 
mence que  2  ans  plus  tard.  Enfin  dans  une  discussion  tres  impor- 
tante  nous  aurons  a  comparer  ce  fait  avec  un  sentiment  qui  est 
decid^ment  tres  frequent  chez  les  6pileptiques,  et  il  est  evident 
qu'il  ne  s*agisse  pas  chez.  eux  d'idees  obs^dantes.  Je  crois  done 
que  ce  trouble  de  la  personnalit^  est  souvent  une  alteration 
psychologique  primitive  chez  le  scrupuleux  et  qu'il  r6vele  une 
insudisance  de  la  perception  personnelle. 

Ainsi  entendus  les  sentiments  de  trouble  de  la  personnalit^ 
sent  tres  frequents  chez  nos  malades  et  prdsentent  divers 
degr^s. 

I .  —  Sentiment  d'etrangete  du  moi, 

D...  au  debut  d'une  crisc  de  dipsomanie  sent  un  trouble  dans 
sa  personne  a  il  me  semble  que  je  m'efibndre,  que  mon  etre  tout 
entier  devicnt  conjus  et  etrange,  c'est  un  6tat  intolerable  et 
j'^prouve  le  besoin  de  faire  des  folies  pour  en  sortir  ».  Vof..., 
femme  de  38  ans,  qui  a  ^te  mordue  par  un  chien,  le  premier  jour 
de  ses  regies,  en  conserve  une  vive  impression ;  elle  n'est  pas  tout 
de  suite  tourment^e  par  Tobsession  du  chien  enrag6  qui  ne 
viendra  que  plus  tard.  Pendant  plusieurs  mois  elle  reste  tour- 
ment^e  par  un  sentiment  qu*elle  exprime  de  la  maniere  suivante: 
<c  II  me  semble  que  je  suis  humili^e  d*avoir  6{e  mordue,  c*est 
comme  si  cola  m*avait  (l^trie,  je  ne  suis  pas  comme  j*6tais  aupa- 
ravant,  je  ne  suis  plus  la  meme,  Je  suis  une  personne  drole,  infe- 
rieurej  plus  basse  que  je  netais.  » 

KI...,   pendant  les  periodes   d'abaissement    qui  precedent  la 


312  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

crise  des  agitations  Torches  comme  une  aura,  se  sent  drole, 
«  je  me  sens  comme  enveloppee  par  quelque  chose  qui  n'est  pas 
moi,  c'est  a  cela  que  je  reconnais  que  je  vais  avoir  une  crise  et 
que  jc  vais  m'interroger  sur  la  naissance  de  mon  enfant  ». 

Tr...  r^pete  sans  cesse  qu'  «  elle  n'est  pas  elle-m^me  a  la  fa^on 
ordinaire,  qu'elle  ne  veut  pas  Hre  iin  4tre  a  part  et  qu*elle  fera 
des  efforts  (agitation  motrice]  pour  retrouver  sa  personne  natu- 
relle. 

2.  — Sentiment  de  dedoublement. 

Un  autre  trouble  du  sentiment  de  la  personnalit6  d^ja  plus  pro- 
fond  c'est  le  sentiment  de  division,  de  d6doublement  :  on  le 
rencontre  tres  commun^ment.  Moreau  (de  Tours)  remarquait 
d^ja  qu'il  est  frequent  dans  les  monomanies^  Krishaber  le  si- 
gnale  a  plusieurs  reprises  :  cc  Une  idee  des  plus  etranges  qui  s'im- 
pose  a  mon  esprit  malgr6  moi,  dit  un  de  ses  malades,  c'est  de 
me  croire  double ,  je  sens  un  moi  qui  pense  et  un  moi  qui 
execute  ^  »  w  Je  «ie  fais  Teffet  d'etre  double,  je  sens  comme 
deux  pensees  qui  se  combattent,  dit  ^galement  un  malade  de 
M.  Seglas^,  Tune  qui  est  bien  mienne,  qui  cherche  a  raisonner 
mais  sans  succes,  Tautre  qui  me  serait  en  quelque  sorte  imposee 
et  que  je  subis  toujours.  » 

J'ai  observ6  un  sentiment  de  d^doublement  plus  ou  moins  ac- 
centuc  a  peu  prcs  chez  tons  mes  malades  et  je  pourrais  presenter 
ici  une  centaine  d*exemples.  Je  signale  seulement  quelques  va- 
rietes  de  cc  phenomene.  «  On  me  discute  en  dedans,  c'est  comme 
s'il  y  avait  en  moi  deux  personnes.  »  (Pr...  210)  <c  Je  renferme 
deux  hommes,  le  raisonnable et  I'irraisonnable qui  luttent  constara- 
ment  Tun  contre  I'autre.  »  (Za...  216)  «  Je  suis  comme  dedouble, 
je  me  donne  en  spectacle  a.moi-meme.  »  (Nah...)  «  Pourquoi 
que  qa  me  double  »  (Ver.,.)  «  Depuis  la  fin  de  ma  grossesse,  tout 
me  paraissait  nouveau  et  Strange  et  il  me  semblait  que  je  deve- 
nais  double...  »  (Dd...)  18)  <(  C'est  comme  s'il  y  avait  en  moi 
deux  moi,  Tun  pense  sur  la  vie  un  tas  de  choses  auxquelles  je  nc 
pensais  jamais,  Tautre  repete  :  pourquoi  faire  toutes  ces  betiscs  » 
(Pot...  19). 


I.  Moreau  (de  Tours),  Psychologie  morbide,  1859.  P-  ^*^^- 
a.  Krishaber,  La  nivropathie  cerSbro-cardiaque,  observ.  6. 
3.  S^glas,  Legons  cliniques  sur  les  maladies  mentales,  1895,  p.  laS 


SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  DANS  LA  PERCEPTION  PERSONNELLE    313 

Dob...cionDe  de  ce  dedoublement  une  expression  materielle 
qui  si  elle  etait  gdn^rale  nous  conduirait  a  faire  jouer  un  role  a 
la  dualite  des  hemispheres.  «  J'^prouve  un  sentiment  qui  me  fait 
horreur,  je  marche  comme  dans  un  reve,  ma  tete  me  semble 
nettement  divisee  en  deux  parties  Tune  tout  entiere  plong^c  dans 
rinertie  la  plus  profonde,  dans  une  sorte  de  r6ve,  a  tel  point 
que  Topil  de  ce  cAte  me  semble  fixe,  Tautre  partie  reste  lucide 
et  m'appartient  seule  ;  c'est  insupportable.  » 

Lise  se  sent  toujours  Tesprit  dedoublc  en  plusieurs  personnes 
et  elle  sent  toujours  en  elle-m^me  plusieurs  pens^es  qui  se 
deroulent  simultanement  et  indcpendamment.  «  II  y  a  toujours, 
dit-elle,  une  partie  de  mon  cerveau  qui  est  libre  et  qui  fait  ce 
qu'elle  veut.  Je  ne  parle  jamais  sans  avoir  une  autre  id6e  en  tete. 
J'ai  toujours  le  besoin  de  penser  a  trente-six  choses  a  la  fois,  une 
ne  me  sufBt  pas.  »  Elle  va  jusqu^a  dire  que  la  nuit  elle  ne  dort 
jamais  complfetement.  «  Quand  je  dors  tout  ne  dort  pas.  II  y  a 
un  cot^  qui  ne  dort  pas,  qui  ne  sait  a  quoi  penser  et  qui  s^ennuie. 
II  en  resulte  que  les  deux  cotes  de  la  tete  se  disputent.  Si  je 
pense  a  maudire  Dieu,  une  partie  de  Tesprit  Taccepte  et  Tautre 
pas  et  je  ne  sais  plus  laquelle  a  raison.  »  Quand  elle  va  miciix 
elle  est  tout  etonnee  de  ne  plus  avoir  deux  idees  a  la  fois  et  cela 
la  gene.  Cela  est  si  vrai  et  si  curieux,  qu'elle  se  reveille  en  sur- 
saut  la  nuit.  comme  nous  Tavons  deja  vu,  sentant  qu'il  y  a  en 
elle  quelque  chose  d'anormal  parce  qu'elle  dort  tout  entiere. 

Si  Lise  ne  parle  jamais  que  de  deux  personnes,  il  n'en  est  pas 
de  meine  de  Claire.  Pour  elle  la  personne  d'autrefois  est  absolu- 
meot  disparue,  elle  est  partie,  c'etait  la  bonne.  «  11  me  semble 
qu'elle  n'existe  plus  en  moi,  qu'elle  plcure  a  cM6  de  moi,  qu'elle 
est  en  delire,  ma  vraie  personne  n'arrive  plus  a  se  rendre 
compte  des  choses.  Pour  remplacer  cette  vraie  personne  il  en  est 
survenu  une  autre,  moins  bonne,  qui  a  ced6  le  pas  a  une  troi- 
sieme,  a  une  quatrieme.  II  s'est  form6  au  moins  six  personnes,  des 
bonnes  et  des  mauvaises  qui  se  presentent  simultailement  ou  suc- 
cessivement,  qui  se  manifestent  par  des  voix,  qui  se  traitent  r6ci- 
proquement  de  Judas.  »  Trois  de  ces  personnes  lui  paraissent 
assez  precises,  les  autres  sont  vagues,  on  ne  sait  ce  qu'elles 
pensent.  En  general  elles  se  disputent  et  ne  pensent  jamais 
toutes  la  meme  chose.  Pour  accepter  completement  une  action 
ou  une  id^e  il  lui  faudrait  la  faire  accepter  par  les  six  personnes 
et  elle  se  repete  cette  idee  autant  de  fois  quMl  y  a  de  personnes. 


314  LES  STIGMATES  PSYCH  VSTHfiNlQUES 

mais  ce  travail  est  interminable.  Elle  n*arrive  jamais  au  bout  pnrce 
qu'il  y  a  des  reveries  qui  s'intercalent.  «  C'est  pour  cela,  dit- 
elle,  qu'une  idee  n^est  jamais  accept(^e  completement,  il  me 
semble  toujours  qu*il  y  a  des  personnes  qui  ne  Font  pas  com- 
prise. »  Comnie  chez  Lise,  ce  dedoublement  etrange  existe  aussi 
pendant  le  sommeil.  «  Dans  le  sommeil  il  y  a  moins  de  personnes, 
il  n'y  en  a  plus  que  quatre,  mais  elles  revent  toutes  les  quatre 
ensemble.  II  y  en  a  une  dont  le  reve  est  si  loin  et  si  vide  qu'on 
ne  sait  plus  ce  qut  c*est,  une  autre  dont  le  reve  est  vague  mais 
perceptible,  une  autre  plus  proche  :  c*est  la  plus  mauvaise.  » 

Quand  elle  va  mieux  il  lui  semble  qu^elle  remonte  en  suppri- 
mant  les  personnes  les  plus  rdcemment  formees,  c'est  ce  qu'elle 
appelhe  «  pa^er  des  personnes.  »  On  peut  les  «  passer  physi- 
quement  »  quand  elle  retrouve  Tetat  de  sensibilite  organique  qui 
lui  paraissaijt  appartenir  a  une  personne  anterieure;  mais  il  est  bien 
plus  difficile  de  les  «  passer  moralemcnt  »,  c'est-a-dire  d*uni(ier 
leurs  iddes  :  il  en  reste  toujours  plusieurs  qui  se  disputent. 
Au  contraire  quand  elle  va  mal,  quand  elle  descend,  elle  reprend 
des  personnes.  «  Au  debut  j*avais  en  moi  deux  personnes  qui 
pensaient  deux  choses  a  la  fois,  maintenant  il  y  en  a  six  ou  huit.  » 

Dans  cette  derniere  observation  tres  complexe  on  remarque 
une  expression  bizarre  «  ma  vraie  personne  pleure  a  cote  de 
moi  )).  Si  on  insiste,  Claire  raconte  imm^diatement  une  foule  de 
circonstances  ou  elle  voit  ainsi  sa  vraie  personne  en  dehors  d'elle. 
Souvent  elle  se  voit  en  dehors  «  jolie,  aimable,  vive,  bonne, 
comme  elle  ^tait  autrefois,  c'est  une  figure  si  diff<6rente  de  ce  que 
je  suis  aujourd'hui,  »  le  plus  souvent  elle  se  voit  triste  :  sa  vraie 
personne  pleure  sur  elle-meme.  Ces  hallucinations  bizarres  qui 
consistent  a  se  voir  soi-m^me  en  dehors  sont  fr^quemmeut  citees 
a  propos  du  sentiment  dc  la  depersonnalisation.  Le  malade  ago- 
raphobe cit^  par  M.  Seglas  se  voyait  a  quelques  metre  en 
avant  de  son  corps.  M.  Bernard  Leroy  cite  une  malade  «  qui  se 
voyait  apparaitrc  devant  elle  a  trois  ou  quatre  metres...  en  merae 
temps  elle  avait  Timpression  d^etre  comme  transportee  en  dehors 
de  son  corps  veritable,  il  lui  scmblait  qu'elle  assistait  comme 
simple  temoin  au  deroulemcnt  de  ses  propres  etats  de  conscience 
comme  s'ils  avaient  et^  ceux  d'une  personne  ^trang^re*.  »  J'ai 
deja  dit  a  propos  des  obsessions  ce  que  je  pensais  des  halluci- 

I.  Bernard  Leroj,  licvue  phUosophique,  18^8,  II,  p.  161. 


\ 


v 


SENTIMENTS  D'.INCOMPLfiTUDE  DANS  LA  PERCEPTION  PERSONNELLE     316 

jiations  du  scrupuleux,  elles  sont  incompletes  et  manquent  de 
reality.  Le  sujet  (c  croit  se  voir  pleurer  en  dehors,  il  n'en  est 
pas  sur  ;  il  lui  semble  qu^ii  devrait  etre  en  dehors  a  pleurer 
sur  lui-mdme  ».  Ces  images  sont  des'  symboles  plus  ou  moins 
precis,  plus  ou  moins  vivement  color^s  que  le  sujet,  en  vertu  de 
ses  manies  de  precision  et  de  symbole,  s'eflbrce  de  concevoir 
pour  exprimer  ce  sentiment  de  dedoublement  :  le  sentiment  lui- 
ni^me  reste  le  phenom^ne  essentiel. 


3.  —  Sentiment  de  depersonnalisation  complete.  T  ^  -' 

Deja  dans  bien  des  cas  precedents,  aux  sentiments  d'^trangete 
du  moi,  de  dedoublement  de  la  personnc,  se  joig^iait  un  sentiment 
de  depersonnalisation  plus  ou  moins  complete.  Claire  nous  dit 
tres  bien  que  sa  personne  actuelle  est  divisee,  dedoublee,  mais 
que  c*est  la  une  personne  d^ja  artificielle  et  surajoutee,  la»  vraie 
personne,  celle  d'autrefois,  est  completement  partie,  elle  est  en 
dehors,  a  cot^,  elle  pleure.  C'est  un  cas  tout  a  fait  idcntique  a 
ceux  dont  parlait  Taine  :  «  au  debut,  la  personne  est  morte,  puis 
elle  devient  autre  )>. 

Dans  des  cas  moins  complexes  on  trouvera  simplement  la  dis- 
parition,  la  mort  de  la  personne  normale.  Aux  deux  cas,  que  j'ai 
deja  Studies,  ceux  de  Ver...  et  de  Bei...  *  j'ajoute  en  resume 
quelques  cas  nouveaux.  PI...,  fcmme  de  28  ans,  commence  la 
depersonnalisation  a  la  suite  d*unc  grossesse,  elle  sent  qu'elle 
n*est  pas  naturellc,  qu'ellc  ne  vit  pas  conime  elle  vivait  autrefois, 
elle  cherche  a  se  retrouver  en  se  regardant  dans  la  glace  et  elle 
ne  se  reconnait  pas  « il  est  bizarre  qu'clle  sente  encore  la  souf- 
france,  puisqu'elle  n'est  plus  rien ;  ses  bras  et  ses  jambes  mar- 
chent  seuls  car  elle  n*existe  plus...  Je  raisonne  comme  tout  le 
monde  et  je  vous  assure  que  ce  n*est  plus  moi,  je  sens  bien  que 
je  mange  et  cependant  ce  n'est  pas  moi  qui  mange,  c'est  telle- 
ment  drole  que  je  ne  pcux  pas  detourner  mon  esprit  de  cette 
maladie  ».  Cette  femmc  en  meme  temps  ne  pent  plus  agir  car 
quelque  chose  la  retient  et  la  force  a  repeter  Indefiniment  le  debut 
d'un  acte.  Elle  repele  indefiniment  des  efforts  qui  sont  des  tics 
et  des  petits  mouvements  convulsifs  «  car  elle  a  peur  de  mourir 
tout  a  fait  si  elle  ne  les  fait  pas  ».  Elle  a  done  a   cote  du    senti- 

I.   Mhroses  el  Idies  fixes,  II.  p.  61  ct  sq. 


316  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

ment  de  la  depersonnalisation  deux  manies  raentales  caracteris- 
tiques,  celle  de  la  repetition  et  celle  des  efforts. 

Ck...,  femme  de  4i  ans  (obsession  amoureuse,  besoin  de'  di- 
rection, obsession  de  remords,  manie  de  la  recherche,  manie 
de  Texpiation],  ne  demande  qu'une  seule  chose  a  c'est  de 
retrouver  sa  pauvre  et  chetive  personnalite ;  pourrai-je  re- 
troiiver  jamais  ce  pauvre  moi  qui  depuis  trots  ans  me  semble 
disparu,  tantot  il  me  semble  que  c'est  moi  qui  souffre,  tantot 
j'ai  besoin  de  me  voir  devant  la  glace  pour  savoir  que  je  ^uis 
encore  moi-meme,  je  suis  obligee  de  faire  des  efforts  pour 
ne  pas  croirc  que  je  suis  morte  ». 
^'^  Leo...,  femme  de  36  ans  (phobie  des  orages,  des  epingles,  de 
la  mort,  manie  des  expiations):  «  je  ne  sais  ou  je  suis,  je  ne  sais 
d'oii  je  viens,  je  perds  Tid^e  de  moi-m6me,  je  me  trouve  si  drole 
que  je  me  crois  a  moitie  morte  et  a  moitie  vivante,  je  suis  tou- 
jours  occup^e  a  me  demander  si  j'existe  encore.  »  To...  (folie  du 
doute  typique  avec  manic  de  la  recherche)  se  demande  avec  an- 
goisse  si  elle  est  encore  elle-meme  «  ou  si  elleest  un  meuble,  un 
animal,  un  pore  que  Ton  saigne  ».  Dob...,  pendant  la  crise 
d'agoraphobie,  est  effray^e  par  sa  propre  voix  «  ma  voix  a  une 
sonority  etrange,  qui  me  fait  mal,  je  suis  convaincue  que  ce  n'esl 
pas  moi  qui  parle,  je  ne  reconnais  plus  mes  membres,  j'ai  besoin 
de  rdfl^chir  et  de  me  retenir,  pour  ne  pas  aller  me  chercher 
moi-meme,  car  il  me  semble  que  je  suis  reside  en  arriere,  »  on 
voit  que  celle-ci  parle  tout  a  fait  comme  la  malade  de  M.  S^glas. 
Gisele,  dont  j*ai  bien  souvent  cit6  deja  les  obsessions  de  voca- 
tion et  toutes  les  manies  mentales,  a  par  moment  des  peurs  ter- 
ribles  «  parce  que  tout  d'un  coup,  dit-elle,  il  me  semble  que  je  ne 
suis  plus  moi,  que  je  nens  de  mourir,  et  cela  me  donne  le  senti- 
ment de  la  folie.  » 

Enfin  jerappellerai  Tobservation  de  Pot...  qui  est  tres  complete, 
cette  femme  de  32  ans,  toujours  scrupuleuse,  tombe  malade  apres 
une  troisieme  grossesse,  voici  ce  qu'elle  m'ecrit  :  «  je  ne  com- 
prends  plus  la  vie,  ni  le  monde,  ni  moi-m^me,  j'ai  perdu  toutc 
conscience  de  mon  etre.  II  me  semble  que  je  ne  vis  plus  que 
matc^riellement,  que  mon  ame  est  s^par^e  de  mon  corps...  J'en 
arrive  a  me  demander  si  j'existe  d'aucune  maniere...  Je  me  figure 
ne  plus  etre  sur  terre,...  sij'ai  une  vie  quelconque  c'est  dans  un 
autre  monde...  Je  ne  puis  plus  me  mettre  dans  la  tete  que  moi  et 
les  miens  nous  sonimes  vivants...  Jc  suis  lasse  d'une  vie  pareille 


SENTIMENTS  D'lNCOMPLfiTUDE  DANS  LK  PERCEPTION  PERSONNELLE    317 

qui  dure  ind^finiment  sans  que  je  puisse  me  rendre  compte  de- 
puis  combien  de  temps,  je  ne  la  comprends  plus.  Quand  ces  sen- 
timents me  prennent  j'eprouve  le  besoin  que  les  miens  me 
caressent  afin  de  me  persuader  que  je  suis  blen  aupres  d'eux  et 
je  leur  reproche  de  ne  pas  me  faire  sentir  que  je  ne  suis  pas 
morte.  »  Tous  les  troubles  de  la  perception  des  choses,  de  la 
perception  du  moi,  de  la  notion  du  temps,  du  besoin  d'etre  aime 
se  retrouvent  dans  cette  observation. 

Sans  chercher  ici  a  interpreter  ces  sentiments  de  d6personna- 
lisation,  je  voudrais  seulement  relever  leurs  relations  avec  les 
phcnomenes  precedents.  M.  Dugas  montrait  dcjii  que  ce  sentiment 
de  depersonnalisation  se  rapprochait  du  sentiment  de  fausse  recon- 
naissance dn  «  dejh-vu  »,  il  parlait  aussi  tres  justement  a  ce  propos 
du  sentiment  d*apathie,  d'atonie  morale.  Un  malade  de  Krishaber 
qu'il  cite  disait  qu'ilagit  par  une  impulsion  etrangere  a  lui-meme, 
automatiquement^  «  J*agis  comme  un  m^canisme  qui  fonctionne 
apres  qu'on  a  retire  la  clef,  qui  sert  a  le  remonter.  »  En  un  mot 
M.  Dugas  se  montrait  dispose  a  r^unir  en  un  groupe  les  senti- 
ments de  depersonnalisation,  de  d^ja-vu,  d*apathie,  de  domina- 
tion. M.  Bernard  Leroy  veut^galement  faire  rentrer  le  sentiment 
de  d^personnalisation  dans  un  groupe  plus  vaste,  celui  des  sen- 
timents d'^trangcte.  (les  sentiments  d'^trangete  peuvent,  dit-il, 
se  presenter  sous  quatre  formes:  i°  le  sujet  a  sentiment  inana- 
lysable  que  la  reality  est  un  reve  ;  2°  il  a  Timpression  d'^loigne- 
nient,  de  fuite  du  monde  exterieur ;  3**  ce  sont  les  proprcs  actes 
du  sujet  qui  lui  apparaissent  avec  cette  couleur  d'etrangete,  d'inat- 
tendu;  il  traduit  alors  son  impression  en  disant  qu'il  lui  semble 
que  ce  soient  les  actes  d\in  autre ;  /i'*  enfin  survient  ce  que  Ton 
peut  appeler  la  forme  complete  de  Timpression  de  depersonnali- 
sation  lorsque  le  sujet  se  sent  Stranger  a  toutes  ses  perceptions, 
actions,  souvenirs,  pris  en  bloc''. 

Ces  rapprochements  sont  tres  interessants  et  a  mon  avis  in- 
dispensable, depuis  longtemps  je  souticns  qu*il  est  juste  de  les 
faire  plus  etendus  encore  ainsi  que  je  viens  de  le  dire  a  propos 
des  sentiments  d^elranget^  de  la  perception  et  de  deja-vu.    Dans 


I.   Dugas,  Bevue  philosophique,  1898,  I.  5o3. 

a.  Bernard  Lcroy,  Sur  I'illusion  dite  de  d^personnalisalion.  Revue  philosophique, 
1898,  II.  p.  J  58. 


318  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

mes  comws  de  1897  et  i8g8  sur  fes  sentiments  intellectuels  qui 
accompagnent  Te  fiMMtionnement  de  la  volonte  et  de  la  m^moire 
j'avais  essciy^  de  montrer  (\ue  \%  sentiment  de  d^ja  vu,  les  senti- 
ments d'^trange,  les  sentiments  de  d^personnalisation  se  rappro- 
chaient  des  sentiments  de  perte  de  liberty,  d^aclion  m^canique, 
de  domination  et  rentraient  dans  le  groupe  des  sentiin^iiis  d'auto- 
matisme.  Je  continue  a  concevoir  ce  groupe  de  la  m^me  maoiere, 
mats  quand  il  s'agit  des  scrupuleux  il  me  semble  plus  juste  de 
faire  rentrcr  tout  ce  groupe  de  ph^nomfenes  dans  les  sentiments 
d'incompletude  dont  on  a  d^jh  vu  bien  des  formes. 

Ce  qui  caract^rise  le  sentiment  de  la  d6personnalisation  comme 
Irs  sentiments  precedents,  c'est  que  le  sujet  sent  la  perception 
de  sa  personne  incomplete,  inachevee.  <(  Je  ne  puis  pas  arriver 
jusqu*a  Tunite  de  ma  personne,  repetent-ils  tous,  je  ne  puis  pas 
m'atteindrc  moi-meme...  »  Au  fond,  ils  savent  bien  tons  qu'ils 
ne  sont  pas  ri^ellcment  dedoubl^s  et  qu'ils  ne  sont  pas  morts,  et 
malgr^  leurs  expressions  souvent  exager6es  ils  n'ontpas  un  senti- 
ment positif  de  multiplicity  et  de  mort.  II  serait  trop  facile  de 
montrer  qu'un  sentiment  positif  de  ce  genre  est  une  conception 
contradictoire  et  irrealisable.  Ce  qu'ils  ont  en  r^alit^  c'est  le  sen- 
timent n^gatifde  n'etre  pas  assez  un,  de  nV^re  pas  assez  vivant, 
de  n'etre  pas  assez  reel,  lis  devraient  dire  et  on  leur  fait  dire 
tres  facilement  des  qu'on  insiste  un  peu.  «  Je  ne  sens  pas  assez 
la  r^alite  de  ma  personne.  »  C*est  la  ce  qu'ils  traduisent  dans 
leur  langnge  symbolique  par  les  mots  »  je  sens  que  ma  personne 
est  morle  »  sans  se  rendre  compte  de  Tabsurdite  de  ces  lermes. 
Ce  sentiment  fondamental  qui  existe  sous  ce  langage  est  done  le 
meme  que  nous  avons  rencontre  a  propos  de  Taction,  de  Tintelli- 
gcnce,  et  des  emotions,  un  sentiment  perpetuel  d'incompletude  : 
c'est  lui  dont  il  faudra  rechercher  Texplication. 


LES  S^'MPTOMBS  DE  RfiTRfiClSSEMENT  OU  CHAMP  DE  LA  CONSCIENCE    319 


DEUXlfiME  SECTION 


LeS   INSUFFISANCRS    PSYCHOLOGIQUBS. 


Si  la'  plupart  de  ces  sentiments  pathologiques  sont  des  ph^no- 
mencs  primitifs  et  non  des  Id^es  obsi^dantes,  il  faut  se  demander 
quelle  est  leur  signiGcation.  Correspondent-ils  a  des  troubles 
dans  Ic  fonctionnement  mental  que  nous  puissions  appr^cier  au- 
trement  que  par  les  sentiments  conscients  du  sujet  ?  Comme  nos 
precedes  d'investigation  soit  psychologiques,  soit  physiologiques 
sont  encore  tres  rudimentaires,  ce  probleme  est  tres  difficile  a 
r^soudre  et  11  faut  bien  souvent  nous  borner  a  des  indications 
que  nous  donne  Tobservation. 


i.  —  Les  symptdmes  de  rStrScissement  du  cbamp  de 
la  conscience. 

Quand  on  examine  ces  malades  qui  se  plaignent  d'avoir  perdu 
leur  personnalile,  de  ne  plus  voir  les  choses  comme  elles  sont, 
de  ne  plus  pouvoir  agir,  ni  sentir  comme  autrefois,  la  premiere 
idee  qui  vient  a  Tesprit,  c'est  que  Ton  va  facilement  constater  en 
eux  des  suppressions  de  fonctions  psychologiques  connues  et  Ton 
songe  immediatement  aux  troubles  qui  ont  ete  souvent  decrits 
chez  les  sujets  hyst^riques.  Observe-t-on  chez  les  scrupuleux  des 
disparitions  de  sensations,  de  souvenirs,  de  mouvements  comme 
chez  les  hyst^riques  ? 

C'est  la  premiere  question  que  nous  avons  a  r^soudre. 

I.  —  Les  anesthisies . 

I/existence  d'anesth6sies,  en  particulier,  aurait  ici  une  tres 
grande  importance  :  il  semble  qu'elle  expliquerait  assez  bien  cer- 
tains sentiments  de  privation,  d'incompletude  que  Ton  rencontre 


320  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

a  chaque  pas  chez  ces  malades.  Je  me  suis  done  beaucoup  pr^oc- 
cup^  de  r^tude  de  la  sensibility  chez  les  serupuleux,  sans  ^tre 
parvenu,  je  dois  Tavouer  a  des  resultats  bien  nets. 

11  est  d'abord  incontestable  qu'on  n'observe  jamais  chez  eux 
les  grandes  anesth^sies  des  hysteriques.  Jamais  je  n*ai  trouve 
chez  ces  malades  de  ces  vastes  regions  du  corps,  de  ces  visceres 
ou  la  sensibility  consciente  parait  tout  a  fait  abolie  et  oii  on  ne 
pent  manifester  la  persistance  d'une  certaine  sensation  que  par 
des  proc^d^s  particuliers.  Jamais  on  n^observe  ces  pertes  du  sens 
musculaire,  qui  s'accompagnent  de  paralysie  complete  ou  du  syn- 
drome de  Lasfegue,  (mouvement  les  yeux  ouverts,  paralysie  et 
catalepsie  les  yeux  fermes,  etc.) :  ce  premier  point  est  tout  a  fait  net 
meme  pendant  les  plus  grandes  crises  de  rumination  ou  d*an- 
goisse.  Pincez  un  de  ces  sujets  pendant  la  crise  la  plus  violente 
ou  levez  son  bras  en  Tair,  il  se  retournera  toujours  et  ne  main- 
tiendra  pas  son  bras  en  Tair. 

D'autre  part,  chez  la  plupart  des  sujets  qui  ne  sont  pas  tres 
malades  et  surtout  qui  ne  Ic  sont  pas  depuis  tr^s  longtemps,  soit 
pendant  T^tat  a  peu  pres  normal,  soit  pendant  la  crise  on  ne  pent 
avec  nos  moyens  d'investigation  actuels  constater  aucune  altera- 
tion nette  de  la  sensibility.  Comme  ce  point  est  capital,  voici 
quelques  observations  et  quelques  chifTres.  Chez  Bei...  et  Ver..., 
ces  deux  sujets  qui  soutiennent  si  dr6lement  qu'ils  ont  perdu 
leur  personne  et  qui  repetent  sans  cesse  :  «  ce  n'est  plus  moi 
qui  cause,  qui  marche,  qui  sent,  qui  vit,  qui  dort.  »  L^^tat  de  la 
sensibilite  a  et6  particulierement  etudi6.  a  Nous  etions  disposes 
a  penser,  disais-je  a  ce  propos,  que  ces  sujets  ne  doivent  pas 
avoir  de  leur  corps  et  de  leurs  visceres  les  m^mes  sensations 
qu'autrefois.  Mais  en  cherchant  a  constater  ces  troubles  de  la 
sensibility  supposes  a  priori  nous  eprouvons  un  etonnement.  Chez 
Bei...,  il  n'y  a  aucune  anesthesie  :  Ta^sthesiometre  donne  2  a  5 
millimetres  a  la  face  palmaire  des  doigts,  20  millimetres  a  droite 
et  25  a  gauche,  a  la  face  inf^rieure  du  poignet.  Ces  sensations 
sont  nettcs,  sans  erreurs,  ne  s'accompagnent  d'aucune  douleur, 
d'aucuu  chatouillement,  elles  sont  localisees  au  dos  de  la  main, 
par  exemplc  avec  unc  precision  de  2  a  3  millimetres,  elles  se 
pr^sentent  tout  a  fait  comme  chez  Thomme  normal. 

Pour  appr^cier  et  mesurer  au  moins  d'une  maniere  grossiere 
les  sensations  diles  a  du  sens  musculaire  ou  kinesthesique  »  qui 
nous  paraissaient  avoir  ici  quelque  importance,  nous  nous  soniraes 


LES  SYMPTOMES  DE  RfiTRfiCISSEMENT  DU  CHAMP  DE   LA  CONSCIENCE   321 

servis  de  ia  m^thode  des  poids.  Nous  faisons  soupeser  au  sujet 
des  petits  cyltndres,  des  cartouches  de  fusil,  comine  Tavait  fait 
autrefois  Gallon.  Ces  cartouches  sont  toutes  absolumcnt  sem- 
blables  en  apparence,  mais  elles  sont  remplics  de  plonib  de  ma- 
niere  a  presenter  des  poids  inegaux  bien  determines,  et  le  sujet 
doit  en  prenant  ces  cartouches,  en  les  remuant,  en  les  soupesant, 
appr^cier  la  difference  de  poids,  dire  laquelledes  deux  cartouches 
qu'on  lui  presente  est  la  plus  lourde  ou  la  plus  leg^re.  Afin  de  rendre 
ces  experiences  comparables,  il  est  n^cessaire  de  choisir  un  poids, 
toujours  le  meme  pour  tons  les  sujets,  qui  serve  de  point  de  de- 
part. Nous  avons  adopte  le  poids  de  lo  grammes  ct  nous  exprimons 
les  reponses  du  sujet  et  le  resultat  de  cette  petite  experience  par 
una  fraction.  Le  d^nominatcur  dcsigne  le  poids  pris  comme  point 
de  depart,  c'est-a-dire  lo  grammes,  le  numerateur  le  poids  addi- 
tionnel  ndcessaire  pour  que  le  malade  accuse  une  difference. 
En  admettant  cette  representation,  la  sensibilite  musculaire  pour 
les  poids  sera  chez  Bei...  i  dixieme  pour  la  main  droite  et  de  2 
dixiemes  pour  la  main  gauche.  Ce  sont  a  peu  pres  les  chiffres 
que  Ton  obticnt  chez  un  individu  normal  qui  n'est  pas  particu- 
lierement  eduque  pour  ce  genre  de  recherches. 

Le  sens  auditif  a  ete  examine  par  M.  Gelle  qui  n'a  pu  constater 
aucune  modification.    Le    sens   visuel    n'est  aucunement  altere, 


Fio.  9.  —  Champ  visuel  de  Bei. 


Tacuiteest  totale  pour  Toeil  droit  el  de  9  dixiemes  pour  TumI  gauche, 
le  champ  visuel  est  tout  a  faitgrand(fig.  9).  Lessensibililesviscerales 
sontevidemmentdifTicilesa  mesurerelnousneprelendons  rienattir- 


LES  OBSESSIONS. 


1  - 


322  LES  STIGMATES  PSYGHASTH^NlQUES 

mer  :  mais  enfin  cette  jeune  fille  a  faim  et  soifii  Theure  des  repas, 
mange  de  ires  bon  appetit,  digere  parraitement,  ^prouve  le  be- 
soin  d'uriner  et  d'aller  a  la  selle;  ellc  se  sent  suflfoquee  si  on  lui 
ferme  les  narines,  en  un  mot  elle  ne  se  comporte  pas  du  tout 
comme  les  hysteriques  anorexiques  avec  anesthesies  visc^rales. 
Cependant,  malgre  cette  conservation  apparente  de  toutes  les 
sensibilites,  elle  continue  a  dire  :  «  Je  ne  vois  pas,  je  n*entends 
pas,  c'est  rigolo,  je  ne  sens  rien,  c'est  tres  drole  d'etre  comma 
cela.  n 

La  meme  etude  a  et6  refaite  surVer...  ;  en  voici  la  conclu- 
sion :  «  II  n'y  a  pas  un  stigmate  d'anesth^sie  ciiez  ce  gar^on.  II 
distingue  les  pointes  de   Tiesth^siometre  a  20  milltmetres  sur  la 


a 

> 

A^^: 

■    ^*'*''^Cv^  \ 

/^r /NC-     V  i 

'^i^i^;Udm  mYt^m 

"^^i^^  , 

v^^ — ^ 

1 

Fig.   10.  —  Champ  visuel  de  Ver.. 


face  inferieure  du  poignet  droit ;  il  distingue  des  poids  trfes  legers: 
il  soufTre  des  qu'on  le  pique ;  le  gout,  Touie,  Todoral,  la  vue 
n'ont  rien  d'altere  ;  le  champ  visuel  est  a  90**  dans  chaqiic  cpil 
(fig.  10].  S'agit-il  de  troubles  de  la  sensibilite  visc6rale  ?  lis  sont 
plus  probables  encore  que  les  precedents,  car  cette  sensibilite 
jout;  un  grand  role  dans  la  personnalit6.  Mais  oil  sont  ces  trou- 
bles? II  a  In  faim,  la  soif,  le  besoin  d'uriner,  etc.,  il  sent  ce  qu'il 
avale,  distingue  les  goi!its  comme  autrefois.  Nous  ne  pouvons 
cependant  pus  d^crire  les  anesthesies  visc^rales  dont  nous  ne 
constatons  aucun  indice.  Les  supposer,  en  vertu  de  theories  phi- 
losophiques,  qui  rattachent  le  sentiment  de  la  personnalite  a 
ces  sensibilites  ce  serail  oublier  les  regies  el6raentaires  de  Tob- 
servation  clinique.  )) 


LES  SYMPTOMES  DE  RfiTRfiClSSEMfiNT  DU  CHAMP  DE  LA  CONSCIENCE    323 

Depuis  ces  Etudes,  M.  Bernard  Leroy  a  eu  Toccasion  de  reraire 
les  memes  recherches  sur  un  cas  tout  a  fait  semblable.  11  arrive 
exactement  au  mcme  r^sultat,  c'est  qu'on  ne  peut  constater  exp6- 
rimentalement  aucune  espece  de  troubles  de  la  sensibilite.  «  Je 
constate  d'abord,  dit-il,  que  le  malade  ne  presente  aucune  anes- 
ihesie  tactile,  aucune  diminution  appreciable  de  la  sensibilite  ;  la 
localisation  des sensations  se  fait  normalemcnt  avec  precision.  La 
sensibility  a  la  douleur  ne  me  parait  pas  diminuee  et  la  sensibi- 
lite thermique  non  plus.  La  vue  semble  egalement  n'avoir  rien 
perdu  de  son  acuity ;  le  champ  visuel  est  de  dimensions  nor- 
malesV    » 

Si  nous  passons  a  d'autres  malades  qui  ont  des  obsessions,  des 
manies,  des  angoisses  varices,  voici  quelques  chifTres  que   nous 
avons  relev^s  :  Bu...,  grand  agoraphobe  examine  au  milieu  d'une 
crise,  distingue  les  pointes  de  raesthesiometrc  au  bout  des  doigts 
quand  ellcs  sont  s^par^es   de  2  ou  3    millimetres;  a  la  face  infi^- 
rieure  du  poignet  droit  il  les  distingue  quand  elles  sont  s^parees 
de  35  millimetres,  a  la  face  inferieure  du   poignet  gauche  il  les 
distingue  a  3o  millimetres  ;  le  champ  visuel  de  chaque  ceil  s'^tend 
a  go".  Ger. ..,  examinee    vers  la  fin  d'une  grande  crise  de  rumi- 
nation mentale,  a  partout  une  sensibility  tactile  normale  :   Vxs- 
thesiometre  donne  3  millimetres  au  bout  des  doigts,  25  a  la   face 
inferieure  du   poignet,  3o  sur  Tavant-bras;  le  sens   musculaire 
examine  par   les   poids  donne  i/io.  Qei...,  qui  se  plaint  de    ne 
plus  sentir  le  plaisir  ni  la  douleur,  a  partout  une  sensibility  tactile 
normale,  je  mesure   le    sens  de  la  douleur  avec    Talg^simetre  a 
ressort  (appareil  de  Cheron  pour  la    mesure  de  la  pression  san- 
guine transform^  par  Taddition  d*une  pointe  et  par  une  gradua- 
tion difTerente)  et  je  trouve  25  sur  le  dos  de  la  main,   ce   qui  est 
normal.  Les  ni^mes  constatations  sont  faites  sur  Red...,  Vod..., 
Bor...,  Lod...  (aesth.   au  poignet  35,  alg^simetre   sur   le   dos   de 
la  main  20,  champ  visuel  go).  Si  on  veut  observer  la   sensibility 
au  plus    fort  d'une   crise  d'angoisse,  ce  qui  est  diflicile,  conime 
on  Ta  vu  parce  que  la  mise  en  observation  arrete   la  crise,    on 
peut  se  trouver  en  presence  de    sujets    qui   ne   veulent    pas    se 
laisser   toucher,    qui  prennent  peur  de    I'instrument    et  on  peut 
avoir  beaucoup  de  peine  a  obtenir  une  reponse.  Quand  on  Tob- 


I.   Hernani  Lcroy,  Dc  I'illusion  clile  dc  la  depersonnalisation.  Comptes  rendus  da 
cony  res  de  psycholoyie  de  1900,  p.  48  a. 


3-24  LES  STIGMATES  PSYGHASTH^NIQUES 

tient,  elle  est  normale,  tout  au   plus  indique-t-elle   un   peu  de 
diminution  en  rapport  avec  T^tat  de  distraction  du  sujet. 

On  peut  rencontrer  une  difficult^  sp^ciale  quand  on  expcriraente 
sur  les  grands  douteurs  qui  hesitent  a  repondre  parce  quails  ne 
sont  jamais  siirs  de  rien.  J'essaye  d*appliquer  raesthesiometre  a 
Vi...  en  pleine  crise  de  rumination  et  d*hesitation ;  clle  pretend 
n*^tre  jamais  sure  s'il  y  a  unc  pointe  ou  deux  pointes  ct  il  faut 
que  j'exige  une  r^ponse,  meme  si  elle  ne  se  sent  pas  certaine  de 
son  exactitude.  La  moyenne  de  ces  experiences  faites  dans  ces 
conditions  sur  la  face  infi^rieure  du  poignet  droit  donne  4o  :  cc 
chiflTre  semble  indiquer  une  legfere  diminution.  Cependant  ^lant 
donnees  les  innombrables  chances  d'erreur,  j'avais  admis  autre- 
fois qu'il  fallait  au  moins  60  pour  admettre  une  hypoesth^sie  hys- 
teriquecliniquement  interessante  :  le  chifTre  constate  sur  Vi..., 
en  est  encore  eloigne.  II  est  vraisemblable  d'ailleurs  que  ce  chif- 
fre  un  peu  elev^  est  en  rapport  avec  le  besoin  de  certitude  du  su- 
jet, M.  Binet  a  fort  bien  montr^  que  le  chiflTre  donne  par  IVsthe- 
siometrc  est  modifi6  considerablement  par  le  degr^  d*interprela- 
tion  que  fait  le  sujet  de  scs  sensations  tactiles*  et  il  est  bien 
probable  qu'il  est  6leve  par  le  besoin  de  precision,  par  le  desir 
de  ne  consid^rer  commes  doubles  que  des  sensations  reellement 
bien  distinctes.  On  peut  done  dire  que  chez  la  plupart  de  ces 
malades  psychasth^niques  les  methodes  actuelles  de  mesure  ne 
mettent  pas  en  Evidence  d'anesth^sie  appreciable. 

II  faut  mettre  a  part  un  dernier  groupe  fort  int^ressant  dans 
lequel  on  peut  relever  assez  nettement  des  diminutions  appr<^- 
ciables  de  la  sensibilite,  surlout  pendant  les  crises.  MM.  Buccola 
et  Seglas  ont  remarquc  des  cas  oil  la  sensibilite  6tait  diminu^e-. 
J'en  ai  observe  aussi  quelqucs-uns. 

Quelques  malades  emploient  d'abord  des  expressions  que  nous 
sommes  habitues  a  rencontrer  dans  la  bouche  des  anesth^siques. 
«  Pendant  la  crise,  dit  Bal...,  mes  mains  me  semblent  ^tre  dures 
et  froides  »;  «  il  me  semble,  dit  Buq...,  que  j'ai  la  peau  engourdie 
et  que  j'y  ressens  comme  des  fourmis,  on  dirait  des  bestioles  qui 
me  courent  sur  le  corps.  »  Mio...  (186)  se  plaint  de  sentir  le  ecu 

1.  A  Bind,  Eslil  possible  de  mesurer  la  sensibilite  tactile  d'uiie  personne  axec 
la  methode  de  Weber?  Communication  k  la  soci^te  de  psychologic.  Bulletin  de  Cinsti- 
tat  psyeholwjique,  mai  igoii  p.  i45. 

2.  Seglas,  Lemons  cHniques  sur  les  maladies  mentales,  1896,  p.  70. 


LES  SYMPTOMES  DE  RfiTRfiCISSEMENT  DU  CHAMP  DE  SA  CONSCIENCE    325 

el  la  gorge  pleins  de  boutons.  Je  n'ai  pu  examiner  ces  deux 
malades  qu*en  dehors  des  crises  et  j*ai  di^  constater  que  malgre 
leur  dire  la  sensibilite  ^tait  normale. 

Chez  d'autres  les  verifications  donncnt  quelques  r^sultats,  Qb... 
se  plaint  de  sentir  plus  confusement  du  cAt^  droit,  cc  c6te  lui 
parait  plus  engourdi  et  plus  gros  que  Tautrc,  c'est  la  le  langage 
de  quelques  hysteriques  :  j*obtiens  a  Ta^sth^siometre  unc  difference 
minime  mais  nettement  appreciable  :  5o  sous  le  potgnet  droit  et 
3o  a  gauche. 

Tr...  se  plaint  qu*elle  perd  le  goi^t,  Todorat  et  que  toute  la 
face  s'engourdit,  je  trouve  la  sensibilite  de  la  face  normale,  mais 
le  goAt  est  reellement  diminue  et  Todorat  est  presque  disparu. 
11  est  vrai  qu'il  faut  ici  tenir  conipte  de  cette  secheresse  des 
muqueuses  qui  existe  souvent  chez  ces  malades. 

Les  deux  malades  qui  m'ont  semble  le  plus  intdressants  au 
point  de  vue  des  troubles  de  la  sensibility  sont  Lise  et  Claire. 
Use  a  not(^  bcaucoup  de  details  qui  montrent  son  grand  cngour- 
dissement.  Pendant  une  crise  de  rumination  elle  s'est  coup^  la 
main  sans  s'en  apercevoir ;  elle  devient  surtout  indiffiSrente  a  la 
temperature,  il  lui  est  arriv^  en  s'habillant  d'etre  absorbee  par  ses 
idees  et  de  rester  debout  une  demi-heure  a  demi  nue  dans  une 
piece  tres  froide  sans  en  6tre  incommodee  ;  elle  me  raconte  que 
donnant  un  jour  un  bain  a  son  enfant  tout  en  se  laissant  aller  a 
rever  elle  Fa  briile  et  s*est  elle-m^me  bri\le  les  mains  sans  sentir 
que  le  bain  ^taittrop  chaud.  Elle  pretend  qu'au  moment  oil  Tidee 
est  forte,  elle  voit  moins  et  elle  entend  a  peine. 

Les  experiences  de  verifications  sont  comme  toujours  tres  dif- 
ficiles  et  quand  Tattention  est  attiree  on  ne  constate  plus  d'aussi 
grandes  anesthesies.  Le  tact  proprement  dit  mesur6  a  IVsthesio- 
metre  n*est  que  pcu  diminue,  la  vue  et  TouVe  sont  a  peine  modi- 
fies, mais  j'ai  et6  frappe  de  trouver  uneassez  serieuse  diminution 
du  sens  de  la  douleur.  Une  injection  hypodermique  qui  est  dou- 
loureuse  a  Tetat  normal  devient  tout  a  fait  indifferente  pendant  les 
periodes  de  rumination.  Les  mesures  de  la  sensibilite  doulou- 
reuse  avec  Talgesimetre  donnent  des  differences  assez  nettes  pour 
que  Ton  puisse  les  resumer  dans  un  schema.  On  constate  pendant 
les  crises  de  rumination  une  hypoalgesle  g^nerale  surtout  carac- 
teristique  a  droite  sur  la  poitrine  et  sur  Tepaule.  Les  chiffres 
sont  5o  et  meme  85  et  io5,  tandis  que  quand  le  malade  va  bien, 
en    particulier  a  la   suite  de  stances   dont   nous  parlerons,   elle 


326  LES  STIGMATES  PSYGHASTHfiNIQUES 

ne  liiisse  pas  cnfoncer  Taiguille  a  plus  de  20  ou   35  (fig.    11  et 

fig.  12). 

Chez  Claire  les  troubles  de  sensibilite  sont  encore  plus  nets. 
Quand  elle  se  plaint  que  son  corps  est  mort,  qu'il  y  a  comme  un 
trou  sous  son  sein  droit  oil  tombc  sa  personnalit^,  il  y  a  quelque 
chose  d'objcctivement  appreciable.  II  y  a  une  serie  de  regions  du 
corps  au  larynx,  aux  deux  seins,  a  Tepigastre,  a  la  partie  inferieure 
de  Tabdomen  ou  Fengourdissement  est  notable   surtout  ii  droite. 


Fio.    II.  —  £lal  de  la  sco'sibililt'  de  Lise  pendant  une  {leriode  de  niminaUon  mesuree  arcc 
ralgeMmetre  a  ressort  —  Analgesic  plus  accentuee  a  droite. 


[.a  douleur  de  la  piqAre  dans  ces  regions  n'est  appreci^e  qu'a  io5 
tandis  qu'au  poignet  elle  est  sentie  a  3o.  Le  contact  d*un  cheveu, 
suivant  la  methode  de  Bloch,  qui  est  nettement  per^u  Jans  les 
regions  avoisinantes  cesse  d'etre  peryu  quand  il  arrive  dans  ces 
regions.  J'ai  meme  pu,  cc  qui  est  tout  a  fait  exceptionnel  pour 
cos  malades,  etablir  une  sorte  de  schema  de  la  sensibilite  comme 
on  fait  pour  les  hysteriques  (fig.  i3).  II  ne  faut  pas  oublier  que 
les  parties  ombr6es  de  cette  figure  ne  correspondent  pas  a  de 
Tanesthesie  vraie,  mais  tout  au  plus  a  une  diminution  de  la  sensi- 


LES  SYMPTOMES  DE  RfiTRfiCISSEMENT  DU  CHAMP  DE  LA  CONSCIENCE    327 

bilite,  surtout  de  la  sensibility  a  la  ilouleur.  En  considerant  cette 
figure  on  verra  qu'elle  ressemble  tout  a  fait  a  celle  que  nous  avons 
deja  publiee  a  propos  d*hysleriques  ayant  des  idees  fixes  g^nita- 
les*.  On  sait  que  les  sensations  et  les  images  venant  de  certaines 
parties  du  corps  ayant  une  fonction  determinee  et,  par  consequent, 
ayant  une  cerlaine  qualite  commune,  se  groupent,  s'associent 
dans  certaines  Amotions  de  maniere  a  constituer.  des  regions  psy- 
chologiques.  La  sensibilite  des  parties  genitales,  du  pubis,   des 


15    15 


Fig.  I  a.  —  Ctat  de  la  sensibilite  de  Lise  mesure  de  la  m^me  maniere  pendant  uno  p<iriode 
plus  normale.  —  Sensibilite  k  la  douleur  a  pen  pres  normale. 


seins  et  quelquefois  de  I'ombilic  forme  un  systeme  qui  est  li^  a 
toutes  les  emotions  ou  id^es  genitales  :  il  est  interessant  de  re- 
marquer  que  chez  une  scrupuleuse  ayant  depuis  une  douzaine 
d^ann^es  des  obsessions  genitales  la  sensibilite  de  toutes  ces  re- 
gions est  troublee  comme  elle  Tesl  dans  Thyst^rie.  J*ai  d(^ja  rap- 
porte  Tobservation  d'un  homme  qui,  apres  20  ans  de  meditation 
sur  des  obsessions  de  ce  genre,  en  arrive  aussi  a  une  hypoesth^sie 

1.  Nevroses  et  IdSes fixes,  II,  p.  434- 


328  LES  STIGM\TES  PSYCIlASTHfiNIQUES 

des  parties  genitales  :  la  difference  avec  Thysterie  est  toujours  la 
m6me,  rinsensibilite  est  tres  incomplete  et  ne  porte  nettement 
que  sur  la  douleur. 


Fig.  1 3.  —  Schema  de  la  repartition  do  Thypoesthesie  choz  Claire 
X  Localisation  de  la  cephalalgie. 

En  resume  nous  n'avons  rencontrd  de  troubles  de  la  sensibilite 
appreciables  que  dans  un  petit  nombre  de  cas  et  encore  ces  trou- 
bles portent-ils  presque  exclusivement  sur  la  sensibility  a  la  dou- 
leur et  dependent-ils  ^troitement  du  degre  de  Tattention.  Dans 
rimmcnse  majorite  des  cas,  il  n'y  avait  aucun  trouble  precis  des 
sensations  tactiles  et  des  sensibilites  speciales,  enfin  dans  aucun 
cas  nous  n'avons  pu  noter  de  grandes  et  profondes  anesthesies. 

Je  n'insiste  pas  sur  Tamn^sie  et  sur  la  paralysie,  car  vraiment 
je  n'ai  rien  observe  chez  mes  malades  qui  rappelle  meme  de  loin 
ce  que  Ton  observe  chez  les  hysteriques  ;  il  n*y  a  guere  que  des 
symptomes  subjectifs.  «  Bei. . .  soutient  qu'elle  n'a  aucune  mcmoire, 
que  depuis  son  accident  elle  ne  se  souvient  de  rien.  II  ne  faudrait 
pas,  disions-nous*,  la  croirc  sur  parole  et  nous  figurer  qu'ellepre- 


I.  Xcvroses  et  UUes fixes,  II,  {1.65,  p.  73. 


LES  SYMPTOMES  DE  RfiTRlSCISSEMENT  DU  CHAMP  DE  LA  CONSCIENCE  329 

sente  des  amnesie  reelles  et  ^lendues,  interrogez-la,  si  vous  vou- 
lez,  nous  vous  mcttons  au  defi  de  trouver  un  oubli  r6el  ».  «  Ver... 
a  imaging  de  dire  qu'il  avait  perdu  la  memoire  et  il  voulait  memc 
se  faire  dispenser  du  service  militaire  sous  pr^texte  d*amn6sie  : 
<c  je  ne  rae  souviens  de  rien,  dit-il,  je  ne  puis  pas  tenir  une 
conversation,  car  je  ne  puis  suivre  aucune  id^e  »  c'est  la  ce  qu*il 
d^crit  mais  meme  embarras  que  tout  a  Theure,  si  vous  cherchez 
quelle  forme  d'amnesie  II  presente  vous  n*en  pourrez  trouver 
aucune.  Interrogez-le  sur  tout  ce  que  vous  voudrez,  il  vous  re- 
pondra  avec  des  details  interminables  :  et  il  continue  a  dire  je 
n'ai  aucune  memoire,  tandis  que  sa  parole  a  montr^  tous  les  sou- 
venirs possibles.   » 

Claire  pretend  aussi  avoir  perdu  la  memoire,  ne  plus  se  sou- 
venir du  passe  et  ne  pouvoir  apprendre  le  present.  En  r^alite  elle 
raconte  a  peu  prfes  tout  et  quand  j'ai  essaye  de  lui  faire  apprendre 
lo  syllabes  en  les  pronon^ant  devant  elle,  elle  y  est  arriv^e  cor- 
rectement  apres  i3  auditions.  Cela  ne  montre  pas  une  grandc 
puissance  d'attention,  mais  cela  n'est  pas  de  Tamndsie. 

Gisele  se  plaint  d*avoir  par  moment  des  paralysies  completes, 
je  ne  les  ai  jamais  constatees :  cette  difficulte  que  la  malade  eprouve 
a  marcher  dans  certaines  circonstances  se  rattache  a  ces  sortes 
de  crises  de  fatigue  qui  surviennent  frdquemment  chez  ces  su- 
jets;  ce  ne  sont  aucunement  de  v^ritables  paralysies. 

2.  —  Les  mou\*ements  aubconscients . 

Un  autre  ph^nomene  que  Ton  est  tout  dispose  a  rechercher 
chez  les  scrupuleux  c'cst  le  mouvement  involontaire  et  subcon- 
scient  dont  le  type  ideal  est  Tecriture  automatique  des  mediums. 
I^es  raalades  parlcnt  comme  s'ils  constatalent  sans  cesse  en  eux  ' 
des  phenomenes  de  ce  genre  «  j*agis  sans  me  faire  d'id^es  de  ce 
que  je  fais,  dit  Ver...,  mes  mains  s'occupcnt,  ce  n'est  pas  moi 
qui  m'occupe,  »  ces  malades  parlent  certainement  d'automatismo 
beaucoup  plus  que  les  mediums  eux-memes. 

Mais  la  verification  expt^rimentale  ne  correspond  pas  du  tout  a 
cette  apparence,  j'ai  essaye  sur  un  grand  nombre  de  ces  sujets 
psychastheniques  de  reproduire  les  experiences  classiques  qui 
consistent  a  deviner  le  nombre  qu'ils  pensent  par  le  mouvement 
de  leursdoigts,  les  experiences  du  pendule  enregistreur,  de  Tecri- 
ture  automatique   au  moyen  de  la  tablette,  etc.  :  dans  la  grande 


330  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

majority  des  cas,  les  resultats  sont  absolument  mils.  Exception- 
nellement  j'obtiens  quelques  gestes  sugg^rt^s  a  Tetat  de  veille 
chez  Lise,  mais  elle  n'oublie  pas  sa  main,  elle  la  sent  remuer  et 
ecrire,  elle  pent  toujours  Tarr^ter  qiiand  elle  veut  et  il  y  a  beau- 
coup  de  complaisance  dans  son  obeissance.  Claire  dit  toujours 
qu'elle  agit  sans  s'en  rendre  compte ;  mais  certainement  cela  ne 
lui  arrive  pas  quand  je  veux  le  verifier.  Elle  obeit  un  peu  aux 
mouvements  suggeres,  elle  y  a  quelques  mouvements  en  appa- 
rence  involontaires  du  doigt,  mais  comme  Lise  elle  peut  toujours 
se  surveiller,  se  reprendre  :  la  subconscience  n*est  jamais  com- 
plete. D'ailleurs  cette  question  doit  6tre  generalis^e  en  cher- 
chant  ce  que  deviennent  chez  ces  malades  les  phcnomenes  d'hyp- 
notisme,  et  de  suggestion. 

3.  —  Le  sommeil  hypnotique. 

J'ai  eu  Foccasion  d*etudier  cette  question  de  Thypnotisrae  chez 
les  obs^des  avec  quelque  soin,  car  la  plupart  des  malades  recla- 
maient  precisement  la  suggestion  hypnotique  comme  le  remede 
de  leurs  id^es  fixes  et  ils  s'y  pr^taient  de  la  meilleure  foi  du 
monde  avec  le  plus  vifdesirdese  laisser  endormir;  sur  quelques- 
uns  d'entre  eux  j*ai  pu  prolonger  les  essais  pendant  trois  et 
meme  cinq  ans  pour  ainsi  dire  sans  interruption. 

Arriventils  au  sommeil  hypnotique?  lei  il  Taut  faire  attention 
a  prcciser  les  termes,  les  scrupuleux  sont  des  individus  chez 
lesquels  tout  consiste  en  nuances  et  en  mesures.  Si  Ton  cherche 
un  sommeil  hypnotique  veritable  et  complete  un  somnambulisme 
typique,  il  faut  obtenir  deux  choscs  :  i°  pendant  T^tat  de  som- 
meil un  developpement  intellectuel  suflisant  pour  que  le  sujel 
puisse  parler  ou  du  moins  comprcndre  la  parole  et  agir  en  confor- 
mity avec  la  suggestion  sans  se  rcveiller;  2°  un  oubli  complet  au 
r^veil. 

Ces  caractercs  on  ne  les  obtient  jamais  chez  les  scrupuleux. 
L'une  des  hypnoses  les  plus  completes  est  celle  de  Lise.  Les 
seances  ont  ete  repetees  cinq  ans  tons  les  huit  jours,  nous  verrons 
plus  tard  pour  quelle  raison.  Aujourd'hui  encore  elle  n'est  pas 
parvenue  au  second  phenomene  caracteristique  Toubli  du  som- 
nambulisme. Cet  oubli  existe  un  peu,  les  souvenirs  sont  confus, 
mais  a  la  condition  qu'elle  ne  fasse  aucun  effort  pour  les  recher- 
cher.  Si  elle  les  recherche,  ses  souvenirs  se  pr^cisent  et  reappa- 


LES  SYMPTOMES  DE  RfiTRfiCISSEMENT  DU  CHAMP  DE  LA  CONSCIENCE   331 

raissent  fort  bien.  Et  encore  cet  oubli  l^ger  dont  elle  se  contente 
n'a  commence  a  apparaitre  qu*a  la  53*'  stance. 

Quant  a  cette  hypnose  elle-menie,  elle  consiste  simplement  en 
un  engourdissement  dans  lequel  le  sujet  a  de  la  peine  a  rerauer, 
a  ouvHr  les  yeux.  Cet  etat  ressemble  a  ce  que  Lise  6prouve  spon- 
tanement  quand  elle  retombe  dans  une  idee  fixe,  dans  une  rumi- 
nation en  pensant  au  demon.  Mais  ce  qui  est  caracteristiqu'e,  c*est 
qu'elle  pent  triompher  de  cet  engourdissement;  si  elle  y  tient, 
elle  peut  faire  un  eObrt  volontaire  et  arriver  a  ouvrir  les  yeux ; 
elle  peut  aussi  par  un  effort  remuer  et  parler.  Mais  alors  ces 
niouvements,  et  la  parole  surtout,  la  r^veillent,  si  bien  qu'elle  se 
plaint  d'etre  troublee,  si  je  veux  la  faire  parler  pendant  qu'elle 
dort.  Ajoutez  que  Tesprit  reste  lucide,  qu'elle  ne  perd  jamais  con- 
science et  continue  a  se  surveiller  pendant  Thypnose. 

Dans  ce  cas  cependant  il  y  a  quelques  ph^nomenes  d*hypnose 
interessants  obtenus  par  une  prolongation  extraordinaire  des 
essais  :  il  y  a  un  engourdissement  notable,  non  seulement  des 
mouvements  mais,  ce  qui  est  plus  curieux,  des  id^es.  La  malade 
a  de  la  peine  a  retrouver  ses  id^es  fixes  et  a  les  decrire,  il  y  a  des 
choses  qu'elle  ne  peut  pas  arriver  a  exprimer  dans  cet  etat  et 
qu*elle  exprime  bien  etant  reveiilee,  elle  conserve  meme  quelques 
heores  apres  la  seance  un  certain  engourdissement  et  une  l^gere 
envie  de  dormir.  Enfin  cet  ^tat  est  devenu  chez  elle  assez  habi- 
tuel  pour  se  reproduire  sur  un  signe,  par  exemple  quand  je  lui 
mets  la  main  sur  le  front. 

Chez  les  autres  malades  je  n'obtiens  m^me  pas  ce  resultat  in- 
complet.  Lod...  a  ii  peine  les  paupieres  un  pen  tremblantes,  rien 
de  plus,  aucun  engourdissement  ni  des  mouvements,  ni  des  idees, 
bien  enlendii  aucun  trouble  de  la  memoire.  Chez  We...  petit  de- 
but d'engourdissement  apres  une  vingtaine  de  seances,  aucun 
oubli  apres  la  seance.  Chez  On...,  chezTr...,  rien  de  plus.  Mb... 
s*endort  un  pen  plus,  mais  ne  presente  pas  d'oubli.  Kl...  arrive  a 
une  somnolence  tres  incomplete  avec  persistance  des  souvenirs. 

Chez  Claire,  les  essais  sont  dilliciles,  elle  est  si  longue  a  faire 
aucun  acte,  qu'elle  est  interminable  avant  d'accepter  qu'on 
essaye  de  Tendormir;  elle  voudrait  me  parler  auparavant,  dire  ce 
qui  lui  charge  la  conscience  en  commen^anl  par  le  commencement. 
Ce  recit,  a  supposer  qu'elle  puissc  le  faire,  serait  interminable, 
puis  elle  a  des  craintes  sur  ce  qu'elle  dira  pendant  le  sommeil,  des 
scrupules  sur  I'hypnose  qui  retardent  les  essais.  Enfin  h  force  de 


332  LES  STIGMATES  PSYCHASTmiNIQUES 

patience  je  suis  parvenu  a  essayer  s^rieusement  au  moins  3o 
fois,  ce  qui  serait  largement  suflisant  pour  hypnotiser  complele- 
ment  une  personuc  un  pen  predisposee :  Ics  resultats  sont  insi- 
gnifiants  :  tete  lourdc,  quelques  tremblements  des  paupieres,  un 
pen  de  resolution  des  membres,  le  tout  ccsse  des  qu'elle  vcut  se 
secouer,  meme  sans  mon  ordre. 

Get  insucces  vraiment  considerable  dans  Thypnotisme  des 
scrupuleux  tient-il  uniquement  a  la  faoon  dont  j'ai  dirig^  les  es- 
sais  ?  Je  ne  puis  pas  le  croire,  quand  je  mets  en  Tace  de  ces 
malades  le  nombre  aujourd'hui  tres  considerable  d'hystcriques 
que  j'ai  pu  amener  a  tons  les  degres  possibles  du  somnambulisme. 
U  y  aurait  done  la  un  premier  fait,  c'est  que  le  meme  auteur,  en 
procedant  de  la  meme  maniere,  determine  Thypnotisme  coinme  il 
le  veut  chez  les  hysteriques  en  quelques  seances,  tres  souvent  en 
une  seule,  et  qu'il  ne  parvient  a  rien  chez  les  scrupuleux  m^me  eti 
plus  de  cent  stances  comme  dans  le  cas  exceptionnel  de  Lise.  Mais 
il  y  a  plus  a  dire,  le  hasard  a  fait  que  beaucoup  de  nies  malades 
soit  avant,  soit  apres  avoir  cte  etudi^s  par  moi,  ont  passe  entre  les 
mains  de  plusieurs  de  mes  confreres  qui  ont  fait  les  meme  lenta- 
tives.  Quelques-uns  ont  essaye  de  se  faire  illusion  en  appelant 
hypnotisme  n'importe  quel  engourdissement,  mais  toutes  les 
fois  que  j'ai  pu  avoir  des  renseignements  precis,  j*ai  constate 
qu'aucun  d'eux  n'avait  rien  obtenu  de  plus  que  moi. 

Pour  ne  citer  qu'un  exemple  Jean  a  et^  longtemps  soigne  par 
M.  Dumontpallier  qui  avec  une  grande  confiance  a  fait  tous  ses 
efforts  pour  Thypnotiser  ;  apr^s  des  essais  trfes  nombreux 
M.  Dumontpellier  a  etc  oblige  de  dire  au  malade  «  qu*il  avait 
Fesprit  trop  vagabond  pour  arriver  au  sommcil  provoque  ». 
J'ai  remarqu^  aussi  que  les  auteurs  qui  ont  une  grande  pra- 
tique de  Thypnolisme,  comme  M.  Bernheim,  se  montrent 
adroits  et  devinent  rien  qu'a  Tallure  et  au  recit  de  ces  malades 
qu'ils  ne  sont  pas  hypnotisables.  Dans  quatrc  de  mes  observations 
M.  Bernheim  a  habilemcnt  refus^  de  tenter  un  trailement  par 
rhypnotisme  :  je  ne  dis  pas  qu'il  ait  eu  rdison  au  point  de  vue 
therapeulique,  ces  essais  d'hypnotisation  peuvent  avoir,  comme 
nous  le  verrons  plus  tard,  des  resultats  utiles;  mais  au  point  de 
vue  scientifique  je  trouve  qu'il  a  completement  raison  en  consi- 
derant  ces  malades  comme  rebelles  au  sommeil  hypnotique. 

Mes  recherches  sur  ce  point,  je  suis  heureux  de  le  constater, 
sont  tout  a  fait  d'accord  avec  les  conclusions  auxquellesMM.  Pitres 


LES  SYMPTOMES  DE  n^TRlvCISSEMENT  DU  CHAMP  DE  LA  CONSCIENCE    333 

et  R^gis  sont  parvenus.  «  D'une  facon  g6nerale  les  obsddds  pre- 
sentent  cette  particularitc  curicuse  que,  ires  sensibles  a  raction 
de  la  suggestion  ordinaire,  an  reconfort  moral  du  m<^decin,  ils 
sont  rebelles  a  la  suggestion  hypnotique  qui  n'a  pas  souvent  prise 
sur  eux.  Ils  ressemblenl  encore  en  cela  aux  neurasth^niques  quise 
trouvent  momentan^ment  soulag^s  et  meme  gu^ris  de  leurs  niaux 
par  une  simple  visite  du  m^decin  et  qui  ne  sont  pas  d'habitude 
hypnotisables  ^   » 

II  est  vrai  que  quelques  auteurs,  en  tres  petit  nombre,  ont  pu- 
blic des  observations  de  sommeil  hypnotique  determine  cliez  des 
agoraphobes  ou  des  obsedes.  M.  Berillon  en  «  signale'  plusieurs, 
M.  Auguste  Voisin  surtout  en  a  d6crit  un  tres  grand  nombre  au 
congres  de  Psychologic  tenu  a  Munich  en  1896^:  «  Phobies  et 
nianics  multiples,  habitudes  de  religiosite,  am(^liorations  par  la 
suggestion  hypnotique.  —  Manies  et  phobies  multiples,  craintes 
de  manquer  a  des  promesses,  sommeil  absolu  a  la  2°  seance,  gue- 
rison  a  la  4°  seance.  —  Agoraphobic,  claustrophobic,  peur  des 
cheniins  de  fer  et  des  voitures,  sommeil  hypnotique  en  une 
seance,  gu<^rison  en  3  stances,  etc...  »  J'avoue  que  je  suis  rest^ 
tres  etonne  en  entendant  ces  communications. 

Ces  opinions  opposees  ne  me  paraissent  pouvoir  s'expliquer 
que  de  deux  famous.  Ou  bien  les  auteurs,  uniquement  pr^occupcs 
du  point  de  vue  thcrapeutique,ne  se  sont  pas  inqui^t^s  de  preciser 
le  diagnostic  de  Tetat  qu'ils  ont  appel^  sommeil  hypnotique,  ou 
bien,  ils  ne  se  sont  pr^occupes  que  du  contenu  de  Tobsession  et 
non  du  diagnostic  de  la  nevrose  sous-jacente  et  ils  ont  eu  alTaire 
a  des  id^es  fixes  chez  des  hysteriques.  Je  reste  dispose  a  croire 
que  Tun  des  grands  caracteres  des  psychastheniques  c'est  de  ne 
pas  pouvoir  presenter  Tetat  de  somnambulisme  naturel  ou  pro- 
voque  qui,  au  contraire,  caract^rise  les  hysteriques. 


4.  —  La  suggestion. 
Pendant  ces  etats   hypnotiques  tout  a  fait  insuffisants  et   mal 


I.  Pitres  et  Regis,  op.  cit.,  p.  100. 

3.  Berillon,  Soc'iHi  de  mhlecine  et  de  chiruryic  pratiques,  8  jiiin  1893. 

3.  A.  Voisin,  Dritter  internationaier  Congress  fur  Psycholwjie  in  Miinchen,  1897, 
p.  38i),  et  Emploi  de  la  suggestion  hypnotique  dans  certaines  formes  d'atiination 
mtntale,  1897. 


334  LES  STIGMATES  PSYCHASTHENIQUES 

determines  j'ai  cependant  essayc  de  pousser  le  plus  loin  possible 
les  experiences  de  suggestion. 

C'est  encore  chez  Lise  que  j'ai  obtenu  les  ri^sultats  les  plus 
interessants.  J'ai  essay6  de  determiner  les  ph^nom^nes-  de 
suggestion  les  plus  simples,  les  attitudes  et  les  mouvements  par 
suggestion  et  je  lui  ai  sugg^re  que  son  poing  se  fermait  bien  fort 
et  qu'elle  ne  pouvait  plus  Touvrir.  A  la  i3^  seance  seulement  cette 
suggestion  a  eu  un  resultat  qui  semblait  assez  net,  le  poing  se 
fermait  et  paraissait  contracture.  Depuis  ce  moment  les  sugges> 
tions  de  mouvement  ont  semble  avoir  quelque  succes.  On  peut 
actuellement  determiner  quelques  mouvements  du  bras,  de  la 
jambe  qui  se  levcnt  en  Fair  ou  suivent  ma  main  comme  s'ils 
etaient  attires  par  elle.  Depuis  la  28"  stance  quelques  suggestions 
peuvent  meme  s*executer  apr^s  le  sommeil.  La  nialade  prend  un 
papier  et  le  d^jchire  comme  je  Tavais  commande  pendant  le  som- 
meil;  elle  pretend  ne  pas  faire  d'edbrt  volontaire  pour  accomplir 
cet  acte  ;  il  semble  m^me  que  les  actes  suggeres  s'accomplisseut 
mieux  si  Lise  n'y  fait  pas  attention. 

Malgre  CCS  resultats  en  apparence  positifs  il  y  a  deux  remar- 
ques  a  faire  sur  ces  actes  :  1°  11  n'y  a  jamais  eu  oubli  de  la 
suggestion  apres  leur  execution.  2*^  L'impulsion  n'a  jamais  ete 
assez  forte  pour  vaincrc  la  volonte  de  la  malade,  les  mouvements 
s'accomplissent  bien  d'une  fa^on  en  apparence  automatique 
sans  eflbrts  volontaires,  mais  a  la  condition  que  Lise  le  per- 
niette,  les  laisse  faire  en  pensant  a  autre  chose  :  des  qu'elle 
veut  s'y  opposer  elle  les  supprime  toujours  d'une  fa^on  defini- 
tive. Ces  remarques  sont  particulierement  netles  a  propos  des 
contractures.  Celles-ci  a  un  moment  semblaient  tres  develop- 
pees  chez  Lise  et  envahissaient  tons  les  membres  :  on  pou- 
vait pendant  le  sommeil  la  raidir  entierement.  Mais  il  fatlait 
toujours  que  la  malade  s'y  pr^tat,  si  elle  s*avisait  de  chcrcher  ii 
detruire  ces  contractures  ou  si  je  lui  demandais  de  chercher  a  les 
defaire,  elle  reprenait  presque  inimediatemenl  la  libre  disposi- 
sition  de  ses  mouvements  quelquefois  apres  une  sorte  de  lutte. 

II  faut  aussi  rcmarquer  que  jamais  les  suggestions  n*ont  pu 
etre  developpees  au  dela  de  celtc  forme  tout  elementaire,  jamais 
je  n'ai  pu  obtenir  par  suggestion  des  actes  plus  complexes,  jamais 
surtout  je  n'ai  pu  faire  naitre  dc  reves,  ni  d'hallucinations.  Lise 
pense  bien  a  une  rose  quand  je  lui  dis  d'y  penser,  il  y  a  pendant 
quelque  temps  une  certaine  fixite  de  Tidee  et  d'une  image  un  peu 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  335 

rudimentaire.  Dans  les  circonstances  les  plus  favorables  elle  croit 
y  r^ver,  mais  il  n'y  a  pas  d'illusion  et  jamais  elle  ne  voit  le  rose 
en  dehors  d'ellememe.  II  est  cgalement  impossible,  m6me  a  la 
56*  stance,  de  determiner  de  Tanesth^sie  veritable  :  elle  pretend 
sentir  un  pen  moins  la  piqiire,  mais  elle  la  sent  tout  de  meme  et 
ne  laisse  pas  enfoncer  Fepingle  plus  profondi^ment. 

Les  memes  r^sultats  de  la  suggestion  se  retrouvent  chez  quel- 
ques  autres  sujets  avec  cettc  diderence  que  les  phdnomenes  de 
suggestion  sont  chez  eux  en  general  beaucoup  moins  accentues, 
quelques  mouvements  automatiques  sugg6r<^s  chez  Ger...,  chez 
We...,  chez  Claire  et  c'est  tout.  Les  autres  malades  obsddes, 
liqueurs,  phobiques  quand  ils  sont  bien  des  psychasth^niques  et 
non  des  hysteriques  ne  sont  suggestibles  en  aucune  mani^re. 

II  ^tait  interessant  de  mettre  en  evidence  par  des  experiences 
nombreuses  sudisamment  prolongees  le  peu  d'importance  des 
mouvements  subconscients,  du  sommeil  hypnotique,  des  sugges- 
tions chez  les  psychastheniques.  Ce  caract^re  quoique  simplement 
negatif  me  semble  avoir  une  certaine  importance  dans  Tinterpr^- 
tatron  de  leur  ^tat  mental. 


2.  —  Les  troubles  de  la  volonti. 

Si  Ton  ne  constate  pas  chez  les  scrupuleux  les  troubles  precis 
et  assez  sp^ciauxqui  caracterisent  les  hysteriques,  il  ne  faut  pas 
en  conclure  que  tous  Icurs  sentiments  d'incompletude  soient 
erron^s  et  qu'ils  n'aient  pas  des  troubles  fondamentaux  ant^rieurs 
a  leurs  propres  sentiments  ct  surtout  a  leurs  id6es  fixes.  Ces 
troubles  se  trouvent  surtout  dans  Tactivite  volontaire  qui  est  pro- 
fondement  troublee  chez  ces  malades  bien  avant  que  Ton  constate 
leur  maladie  etdans  beaucoup  de  cas,  si  je  ne  me  trompe,  depuis 
Kenfance.  La  description  detaillce  de  ces  troubles  de  la  volonte 
serait  interminable,  je  Tai  deja  faite  si  souvent  dans  mes  autres 
travaux  que  je  crois  pouvoir  me  borner  ici  a  une  enumeration 
rapide  des  principaux  symptomes  par  ordre  de  gravity  crois- 
sante. 

I.  —  L' indole  nee. 

Presque   toutes  ces  personnes  presentent  quelquefois   depuis 


336  LES  STIGMATES  PSYGHASTHfiNIQUES 

leur  premiere  enfance  un  caractere  bien  reconnaissable :  ee  sonl 
des  mous,  des  indolents,  des  paresseux.  Avecdes  tcrmes  variables, 
les  families  et  les  malades  eux-m^mes  d^crlventtoujours  ce  ni^me 
caractere  «  quelle  enfant  molle,  disait-on  de  Tr...,  on  diraitqu^il 
faut  la  battre  aussi  bien  pour  la  faire  jouer  que  pour  la  faire  Ira- 
vailler.  »  Claire  a  toujours  et^,  sans  doute,  une  bonne  enfant,  elie 
pretend  qu'elle  etait  plus  active  autrefois  et  que  maintenant  les 
actes  sont  supprimes  par  les  idees  maladives ;  mais  ce  n'est  pas 
tout  a  fait  exact,  elle  a  toujours  6te  paresseuse,  elle  a  toujours  cu 
le  degoiit  du  travail  «  elle  se  souvient  qu*6tant  jeune  elle  avait 
deja  besoin  de  s*exciter  au  travail  par  des  menaces  ou  des  pro- 
messes  qu'elle  se  faisait  a  elle-meme  n.  Notons  que  c'est  une 
jeune  fiUe  qui  n*a  jamais  eu  la  manie  du  serment  et  que  cepcndant 
le  travail  ne  se  faisait  chez  elle  que  par  des  excitations  du  nieme 
genre. 

Sera-t-on  etonne  d'apprendre  que  Jean  a  toujours  ^te  «  en- 
dormi,  apathique,  indolent,  sans  energie  ».  Quoique  done  d'une 
intelligence  plutot  sup^rieure  a  la  moyenne  il  n'est  jamais  arrive 
ai  rien,  m6me  dans  son  college.  Cette  paressc  est  done  fondamen- 
tale,  bien  ant^rieure  aux  manies  et  aux  obsessions,  on  la  retrouve 
chez  tons  les  malades,  sinon  pendant  toutc  la  vie  comme  chez 
les  precedents,,  au  moins  pendant  toutes  les  periodes  maladives. 

2.  —  L' irresolution. 

Cette  moUesse  gen^rale  pent  se  decomposer  en  un  certain 
nombre  de  troubles  particuliers  de  Taction,  le  plus  frappant  est 
ant^rieur  a  Facte  mfime,  c'est  une  indecision  perp^tuelle  qui 
existe  a.monavis  en  fait,  bien  avant  que  le  malade  n'en  ait  Ic 
sentiment  et  qu*il  n'en  parle  bien,  avant  qu*il  n'ait  des  crises  de 
doute  et  de  d6lib<^ration.  Tous  les  auteurs  qui  ont  parle  des 
obsedes  et  des  douteurs  ont  bien  decrit  cette  indecision  V  Que 
d'exemples  on  pourrait  citer  de  cette  irresolution,  choisis,  je 
le  repute,  tout  a  fait  en  dehors  des  crises  d'excitation  patho- 
logique'.  Tod...,  tout  enfant,  passait  des  heures  interminables  a 
ranger  son  tiroir  parce  qu'elle  «  ne  pouvait  jamais  decider  si 
un  objet  devait  iHre  a  droite  ou  a  gauche.  »  Bsn...,  une  fenime 
qui  a  actuellemcnt  5i  ans,  raconte  en  riant  des  incidents  de  sa 

I.  Gf.  Raymond  ct  Ariiaud,  Arm.  med.  psych.,  189a,  II,  199. 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  337 

jeunesse  :  «  elle  a  6te  tr^s  malheureuse  quand  on  a  voulu  la 
forcer  a  ranger  sa  chambre  elle-m6me,  car  elle  hesitait  ind^- 
finiment  sur  la  place  d'un  bibelot.  »  Qei...  a  toujours  ^t^  mal- 
heureuse quand  il  fallait  choisir  une  robe,  un  chapeau  ou  une 
distraction.  Min...  ne  sait  jamais  ce  qu*il  veut  faire,  il  lui  fautdes 
jours  et  des  jours  pour  savoir  s*il  veut  profiter  d'une  journ^e  de 
vacance  et  faire  une  promenade  cc  ce  que  j'ai  toujours  aim6  le 
mieux,  dit-il,  c'est  qu'un  camarade  d^cidat  pour  moi:  son  opinion 
me  donnait  une  sorte  de  coup  de  fouet  »  aussi  ne  sortait-il  jamais 
seul  et  m^me  a  20  ans,  il  ne  quittait  pas  les  jupons  de  sa  m^re. 
Bien  entendu  ces  hesitations  vont  devenir  curieuses  quand  les 
resolutions  a  prendre  sont  plus  graves ;  il  est  int^ressant  de  voir 
que  ces  personnes  hesitent  entre  des  actions  tout  a  fait  oppos^es, 
tellement  distantes  qu*au  premier  abord  la  comparaison  meme 
semble impossible.  Toutes  ces  femmes par  exemple,  comme  Fya. . ., 
hesitent  pour  se  marier  entre  plusieurs  jcunes  gens,  mais  Ren^e 
fait  mieux,  elle  passe  des  ann^es  a  hesiter  entre  la  vie  religieuse 
et  la  vie  d'actrice  dans  un  petit  theatre.  Cette  derniere  existence 
d*ailleurs  elle  se  la  represente  tres  bien  comme  une  vie  de  d6- 
sordre.  Mais  comme  elle  le  dit  dans  son  naif  langage,  elle  est 
rest^e  des  annees  a  se  demander  si  «  elle  voulait  faire  la  noce  ou 
^tre  une  sainte  ».  Si  la  decision  semble  6tre  prise,  elle  change  et 
disparait  pour  le  plus  l^ger  obstacle,  ces  personnes  aiment  les 
pr^textes  et  renoncent  a  ce  qu^elles  avaient  decide  pour  un 
nuage,  un  rayon  de  soleil  ou  une  migraine  plus  ou  moins  r^elle. 

Ce  caract^re  est  au  plus  haut  degr6  chez  deux  de  mes  malades 
principales :  Claire,  depuis  son  enfance,  et  a  plus  forte  raison  au 
cours  de  sa  maladie,  ne  se  decide  a  rien  d*une  mani^re  ferme,  elle 
change  sans  cesse  d*occupation,  laisse  une  chose,  la  reprend,  la 
laissede  nouveau  :  elle  a  voulu  ^tre  religieuse,  puis  elle  y  a  renonc6, 
ridee  revient  de  temps  en  temps  puis  disparait;  elle  ne  sait  pas 
si  elle  veut  ou  ne  veut  pas  se  marier.  Elle  oscille  pour  tout,  et 
cela  en  dehors,  je  le  r^pete,  de  tout  delire :  en  voici  un  exemple 
entre  mille  :  elle  a  ecrit  une  lettre  pour  me  la.  remettre,  il  lui 
a  fallu  un  grand  effort  pour  T^crire.  Elle  vient  chez  moi  et  cache 
sa  lettre  ne  voulant  plus  que  je  la  voie,  puis  un  quart  d^heure 
apres  elle  me  dit  qu'elie  Ta  ^crite  et  me  la  montre,  puis  elle  la 
remet  dans  sa  poche,  puis  elle  me  la  donne  et  la  voici  qui  se 
jette  sur  moi  pour  me  la  retirer  des  mains;  m6me  scfene 
parce  qu'elle  veut  et  ne  veut  pas  qu'on  essaye  de  Thypuotiser  etc. 

LS8  OBSESSIONS.  I.    —    22 


338  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

Lise  a  toujours  v^cu  de  m6me,  elle  a  eu  des  hesitations  pour 
la  vie  religieuse,  pour  le  mariage,  pour  presque  toutes  Ics  actions. 
Aujourd'hui,  quand  elle  sort  dans  la  rue,  elle  ne  sait  plus  de 
quel  cote  elle  veut  aller  et  il  lui  arrive  de  rentrer  au  bout  de 
quelques  pas  plut6t  que  de  choisir  entre  les  diverses  courses 
qu'elle  pourrait  avoir  a  faire. 

3.  —  La  lenteur  des  actes, 

M^me  si  Taction  est  d^cidee,  elle  se  fait  tr^s  lentement  et  cela 
avant  qu'il  n'y  ait  des  manies  ou  des  ruminations  pour  Tarr^ter. 
La  lenteur  de  ces  personnes  pour  se  lever  du  lit  est  classique :  il 
leur  faut  des  heures  pour  savoir  si  elles  sont  reveillees  ou  non. 
Leur  lenteur  a  faire  leur  toilette,  a  prendre  leurs  repas^a  ecrire 
une  lettre,  a  faire  en  general  une  action  quelconque  est  observee 
tout  a  fait  dans  la  premiere  jeunesse.  Claire  devenait  exigeante 
sur  ce  point,  elle  voulait  qu'on  lui  laissat  des  heures  pour  ecrire 
un  petit  mot,  pour  se  preparer  a  sortir,  pour  se  mettre  a  table. 
Comme  nous  Tavons  remarque  autrefois  chez  les  hyst^riques, 
comme  MM.  Raymond  et  Anaud  Tout  d^crit  chez  un  aboulique, 
ces  malades  fractionnent  Tacte,  ils  emploient  une  premiere 
journ^e  a  chercher  du  papier  a  lettre,  une  seconde  a  prendre 
une  enveloppe  et  peut-^tre  qu*en  huit  jours  ils  arriveront  a 
6crire  une  lettre. 

4.  —  Les  retards. 

Cette  conduite  amene  une  consequence  inevitable,  c*est  qu'iis 
n'arrivent  jamais  a  rien  en  m^me  temps  que  les  autres  personues, 
au  moment  ou  il  le  faudrait.  Lorsqu'ils  sont  intclligents  ils  gemis- 
sent  comme  Ka...  sur  ce  trait  de  caract^re  qui  leur  a  nui  dans 
toute  leur  carriere,  ils  ne  sont  jamais  prets  a  temps  pour  saisir 
une  occasion  quelconque, «  je  laisse  toujours  passer  le  moment  et 
je  n'arrive  a  rien  ».  Ils  remettent  toujours  Teffort  au  dernier 
moment  possible  :  Claire  ne  me  parlera  un  peu  qu'a  la  fin  de  sa 
visite  quand  decidement  je  ne  puis  pas  la  garder  plus  longtemps ; 
elle  ne  fera  quelques  efforts  pour  se  gu^rir  qu'a  la  fin  de  son 
sejour  a  Paris,  quand  elle  voit  qu'il  faut  rentrer  chez  elle. 

Un  caract^re  curieux  qui  en  resultc,  c'est  Tabsence  totale  de  la 
notion  de  Theure.  11  n'y  a  rien  de  plus  terrible  que  d'avoir  des 
rendez-vous  avec  des  scrupuleux :  un  retard  d'une  heure  ou  deux^ 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  339 

quand  ils  n*ont  pas  d'id^e  fixe  sur  ce  point,  leur  parait  si  peu  de 
chose  et  si  insignifiant  qu'ils  croient  en  arrivant  m^riter  des 
compliments.  On  m*a  fait  remarquer  que  ce  caractere  de  n'etre 
jamais  a  Theure,  qui  est  si  net  chez  Xyb...  (209),  Vk. ..,  etc.,  est 
un  veritable  caractere  de  famille,  que  Ton  retrouve  chez  les 
parents,  les  fr^res  et  les  soeurs  des  malades. 


5.  —  La  faiblesse  des  efforts, 

11  est  bien  Evident  que  ces  malades  auront  une  grande  faiblesse 
morale,  nous  avons  vu  qu'ils  abandonnent  Taction  pour  le 
moindre  pr^texte.  II  me  semble  qu'ils  ont  encore  une  certaine 
faiblesse  physique  au  moins  dansTeffort  instantan6,  j'ai  fait  beau- 
coup  de  mesures  dynamomdtriques,  esp6rant,  comme  je  Tai  dit, 
trouver  la  preuve  d*une  certaine  paralysie  pendant  les  6tats  d'an- 
goisse.  Comme  on  I'a  vu  dans  le  chapitre  pr6c6dent,  les  expe- 
riences sur  ce  point  n*ont  rten  de  decisif :  mais  elles  me  laissent 
une  autre  impression.  Je  suis  dtonne  de  la  faiblesse  des  chiffres 
que  Ton  trouve  comme  raoyenne,'ainsi  Bu...,  homme  vigoureux 
de  ^2  ans,  a  comme  moyenne  de  10  experiences  avec  la  main 
droite,  3i.  Jean,  gar^on  bien  muscle  de  32  ans,  a  comme 
moyenne  de  la  main  droite  28,5  et  de  la  main  gauche  28.  Qes..., 
une  forte  jeune  femme  de  25  ans,  moyenne  de  la  main  droite,  22,3, 
de  la  main  gauche  20,7.  Claire,  moyenne  dela  main  droite  25,5,  de  la 
main  gauche  16,9.  Lise  moyenne  de  10  pressions  dela  main  droite, 
dans  une  premiere  experience  25, /|  de  la  main  gauche,  23,9  dans 
une  seconde  experience  moyenne  de  la  main  droite  23,4  pour  la 
main  gauche  21,7.  Ces  chilfres  evidemment  ne  signifient  pas  une 
paralysie,  mais  ils  sont  faibles  et  indiquent  tres  peu  d'eCForts. 

Les  malades  cependant  se  figurent  qu'ils  font  sans  cessc  des 
efforts  physiques  et  moraux  enormes.  Lise  a  pour  le  moindre 
progrds  un  sentiment  d'eObrt,  de  raidissement  des  membres 
comme  si  elle  accomplissait  des  oeuvres  extraordinaires,  il  en  est 
de  meme  pour  Claire. 

*  6.  —  La  fatigue. 

D^s  qu'ils  ont  fait  le  moindre  effort  physique  ou  moral  les 
psychastheniques  sont  epuises  et  ressentent  un  horrible  senti- 
ment de  fatigue.  «  C'est  un  manteau  de  fatigue    qui    tombe   sur 


3i0 


LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 


moi  »,  dit  Lf. ..,  femme  de  46  ans,  ce  sentiment  s'accompagnede 
douleurs  aux  articulations  et  dans  les  muscles,  de  derobement 
des  jambes,  de  laisser  aller  de  tout  corps.  Jean  se  laisse  tomber 
6tendu  sur  un  lit  et  ne  pent  plus  bouger. 

Moralement  on  observe  aussi  qu'ils  ne  peuvent  plus  suivreune 
id^e,  que  leur  attention  ne  se  fixe  plus  du  tout.  Wo...  fait  uu 
effort  pour  une  addition  :  «  J*ai  un  sentiment  de  courbature  hor- 
rible, j'ai  ddpens^  un  gros  effort  qui  a  ^puise  mon  attention,  men 
esprit  ne  se  fixe  plus,  tout  papillote  devant  moi.  »  Jean  s^epuise 
pour  une  lecture  de  quelques  lignes.  II  faut  tenir  grand  compte 
de  cette  fatigue  rapide  dans  le  traitement. 


6.  —  Le  desordre  des  actes. 

Ce  caractere  semblera  curieux  chez  ces  personnes  qui  ont  la 
manie  de  la  precision  et  de  Tordre,  il  est  cependant  incontes- 
table. On  sait  qu'il  n'y    a  pas  de  chambre   plus   sale  que  celle 


Fio.  \k. 


d'une    femme   qui  a  la   manie   de    la   propret^ :   U...,  qui    a   la 
phobie  des  microbes,  ^tait  arriv^e  a  faire  de  sa  chambre  un  veri 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  341 

table  fumier.  De  meme  il  n'y  a  rien  de  plus  d^sordonn^  que  la 
chambre  et  la  table  d'une  personne  atteinte  de  la  manie  de 
Tordre  :  ces  personnes  rangent  avec  une  precaution  minutieuse 
deux  ou  trois  objets  et  n'arrivent  pas  a  mettre  de  Tordre  dans  le 
reste.  Ce  caractere  du  desordre  dans  les  actes  se  manifeste  quel- 
quefois  dans  r^criture  :  ce  fragment  d'une  lettre  d'un  de  ces 
maladcs  qu'il  m*a  autoris^  a  reproduire  (fig.  i4)  est  tout  a  fait 
caracteristique.  Son  ecriture  est  aussi  embrouillee  que  le  sont 
ses  pensees  et  il  est  aussi  incapable  de  la  rendre  claire  que  de 
mettre  un  pen  de  suite  dans  sa  conduite.  On  pent  remarquer 
aussi  a  ce  sujet  que  son  ecriture  devient  de  plus  en  plus  desor- 
donnee  et  illisible  quand  on  avance  vers  la  fin  de  ses  Icttres  a 
cause  de  la  fatigue  rapide. 

II  faut  rapprocher  de  ce  desordre  une  maladresse  des  mou- 
vements  qui  me  parait  tr^s  interessante.  Beaucoup  de  ces  mala- 
des  ne  peuvent  toucher  aucun  objet  sans  le  casser,  ils  ne  peu- 
vent  apprendre  aucun  travail  a  cause  de  leur  inhabilete  manuelle. 
J'ai  voulu  faire  faire  a  Jean  quelques  petit  travaux,  lui  apprendre 
a  coudre  des  livres,  a  coller  des  papiers  :  on  ne  se  figure  pas 
comme  il  d^chire  et  salit  sans  aboutir  a  rien.  Chez  d*autres  ce 
caractere  n'est  pas  constant  et  n'existe  que  dans  les  periodes  de 
maladie.  Simone,  qui  veut  coller  une  construction  en  carton,  se 
desole  d'etre  devenue  si  sale  et  si  maladroite,  tandis  que  plus 
jeune  elle  faisait  ce  petit  travail  avec  une  precision  merveil- 
leuse. 

7.  —  L'inachevement. 

Dans  le  m6me  ordre  d'idees  quand  on  considere  les  caracteres 
qui  manifestent  un  I^ger  trouble  de  la  volonte  anterieure  aux  niu- 
nies  et  aux  obsessions,  il  faut  insister  sur  un  detail  souvent  observe 
par  la  famillc  elle-m^me.  Ces  personnes  commencent  quelque- 
fois  des  actions  mais  ne  les  achevent  jamais  :  chezKa...,ce  carac- 
tere existe  a  son  insu  d'une  fa^on  tout  a  fait  curieuse.  II  n'a  pas 
la  moindre  id^e  fixe  sur  ce  point,  il  ne  sait  meme  pas  que  sa 
femme  a  constamment  observe  ce  trait  de  sa  conduite :  qu'il  soit 
assis  a  un  travail  ou  qu'il  commence  a  ratisser  une  all6e  de  son 
jardin  pour  se  distraire,  il  n'acheve  jamais  ce  qu'il  a  commence, 
il  en  est  degoDt^  un  peu  avantla  fin.  II  fait  de  meme  en  mangeant 
c;t  n*acheve  jamais    ce  qu'il  a  mis  dans  son  assiette,  il  y  a  la  une 


3i2  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

instability  toute  particuliere  qui  lui  fait  prendre   en  degoAt  les 
chosesquand  elles  approchent  de  leurfin. 

Ce  caractere  se  retrouve  chez  tons  les  autres  malades  et  cod- 
tribue  a  leur  instabilite  caract^ristique.  Get  inachevement  des 
actes  correspond  au  doutc  et  a  Toscillation  des  id^es,  comme  Ta 
remarqu6  autrefois  Debs  dans  son  «  tableau  de  Tactivite  volon- 
taire  »  si  remarquablc  pour  Tepoque  ^  :  «  les  velleites  sont  dans 
le  pouvoir  volontaire  ce  que  dans  Tintelligence  sont  les  conjec- 
tures, jugements  douteux  auxquels  Tesprit  n'attache  qu*un  com- 
mencement d^adh^sion  et  qu'il  abandonne  sans  effort  un  instant 
apres.  De  meme  qu'il  y  a  tous  les  degres  de  la  croyance,  il  y  a 
entre  la  v^ll^it^  et  la  resolution  parfaite  qui  s'acheve  un  nombre 
infini  de  volitions  difieremment  energiques.  » 

8.  —  U absence  de  resistance. 

On  donne  souvent  comme  preuve de  la  force  de  volonte conservee 
paries  obsed^s  leur  resistance  aTimpulsion.  «  II  n*est  pas  absolu- 
mentvrai  de  dire  comme  on  le  croit  g^neralement  que  la  volonte 
chez  les  obsedes  soit  tres  amoindrie.  Beaucoup  sont  susceptibles 
de  donner  des  preuves  d'uneenergie  peu  commune  etc'est  tres  reelle- 
mentqu'ilscombattent  leurideefixe...'.))  Je  ne  suis  pascertainque 
cette  pr^tendue  resistance  a  Timpulsion  soit  une  preuve  d'^ner- 
gie  peu  commune.  Us  ont  des  manies  de  se  dire,  de  se  croire,  de 
se  montrer  en  proie  a  des  tentations  et  ils  ont  des  manies  de  lut- 
ter  d^sesp^rement  contre  une  impulsion  quails  invcntent.  Ce  qui 
serait  une  preuve  d'6nergie  ce  serait  de  cesser  ce  combat  gro- 
tesque et  de  penser  a  autre  chose  et  c'estce  qu'ils  ne  peuvent  pas 
fa  ire. 

Comme  nous  Tavons  souvent  remarque  la  faiblesse  n'existe  pas 
seulementdans  la  voIont6  active,  mais  aussi  dans  la  volonte  qui  se 
borne  a  resister  passivement.  Ces  malades  qui  ne  font  rien  eux- 
m^mes  sont  incapables  de  resister  a  ceux  qui  veulent  faire  quel- 
que  chose.  Ils  ne  savent  ni  lutter,  ni  se  d^fendre  contre  ceux  qui 
les  d^pouillent  et  les  tourmentent.  J'ai  ^te  tres  frappe  de  ce  trait 
de   caractere  dans    Tenfance    de   tous  les  malades.    lis  sont  tres 


1 .  A.  Debs,  Tableau  de  Vaciiviii  volontaire  pour  servir  d  la  science  de  Viducation, 
i844.  p.  a5. 
a.   Pilres  et  R^gis,  op.  cii.,  p.  36. 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  3i3 

malheureux  dans  les  internals,  ils  deviennent  les  victimes,  les 
soufTre-douIeurs  detous  leurscamarades.  Dk...  (2i5)a  toujours^te 
tourmente  au  college.  Jean  surtout  a  eu  sur  ce  point  une  jeunesse 
deplorable:  a  12  ou  i3  ans  il  etait  la  victinie  de  tons  les  eleves 
du  lyc^e.  11  n'etait  pas  de  farce  qu'on  essayat  de  lui  faire,  on  lui 
faisait  supporter  la  consequence  de  toutes  les  fautes  de  ses  ca- 
marades  et  on  tournait  constamment  en  ridicule  ses  qualit^s 
memes,  son  honnetet6  et  sa  bont^ :  a  Je  savais  bien,  dit-il,  que 
j*aurais  di\  me  defendre,  je  savais  bien  que  j'^tais  meme  plus 
fort  que  beaucoup  de  ceux  qui  me  tourmentaient  le  plus,  mais  je 
ne  pouvais  supporter  la  pens6e  de  me  battre,  au  moment  de  me 
defendre,  je  devenais  tremblant,  paralyse,  j'ai  toujours  ete  un 
pauvre  6tre  sans  defense.  »  On  dira  certainement  ici  que  Temo- 
lion  paralysait  la  volonte,  nous  verrons  plus  tard  ce  qu'il  faut 
penser  de  cette  theorie.  Pour  le  moment  constatons  simplement 
le  fait  c*est  qu'ils  s'^motionnent  au  lieu  de  se  defendre,  et  qu'en 
fait  ils  ne  se  defendent  pas. 

Une  des  consequences  singulieres  de  cette  absence  de  lutte, 
c'est  que,  pour  avoir  la  paix,  ils  obeissenta  tont  le  monde.Quand 
on  parle  de  ces  malades,  on  dit  toujours  qu'ils  se  laissent 
conduire,  qu'on  leur  fait  faire  et  dire  tout  ce  qu'on  veut  et 
qu'ils  obeissent  au  premier  venu.  Bei...,^  Claire  cedent  au  dernier 
qui  leur  parle  et  on  pent  les  amener  a  se  dejuger  a  peu  de 
moments  d'intervalle.  On  en  tire  comme  conclusion  que  ce  sont 
des  individus  tr^s  suggestibles.  Cette  conclusion  serait  en  con- 
tradiction avec  les  experiences  que  je  viens  de  relater  a  propos 
de  rhypnotisme  et  de  la  suggestion,  aussi  je  ne  la  crois  pas 
vraie.  Leur  obeissance  n'est  pas  du  tout  de  la  suggestion,  comme 
celle  des  hysteriques. 

Une  hysterique  suggestionnee  adopte  Facte,  se  laisse  envahir 
par  la  pcnsee  qui  est  semee  en  elle,etla  pousse  a  Textreme,  elle 
croit  avoir  decide  elle-meme  Taction  et,  pour  peu  qu*on  insiste, 
elle  invente  m^me  les  motifs  de  sa  resolution,  en  un  mot  elle  se 
croit  libre  et  se  donne  tout  enti^re  a  Facte.  Le  scupuleux  ne  fait 
qu^obeir,  il  le  fait  a  contre-ccDur  en  se  sentant  humilie,  en  rai~ 
sonnant  fort  bien  et  en  trouvant  stupide  Facte  qu'il  n'adopte  pas, 
il  ne  pousse  pas  cet  acte  a  Fextreme,  il  n'en  fait  que  le  moins 
possible  sans  y  mettre  de  croyance,    d'enthousiasme,  ni  de  senti- 

1.  i\evroses  et  Idees  Jhces,  II,  p.  63. 


344  LES  STIGMATES  PSYCHASTimMQUES 

ment  de  liberty.  Pourquoi  le  fait-il  alors?  Pour  deux  raisons,  d*a- 
bord  parce  qu'il  faudrait  lutter  pour  resister  a  ceux  qui  com- 
mandent  et  ensuite  parce  qu'il  faudrait  prendre  la  resolution  de 
faire  autre  chose  :  deux  choses  qu'il  ne  pent  pas  faire.  C'est 
pourquoi  son  ob^issance  n'est  pas  du  tout  la  meme  que  celle  de 
rindividu  suggestionn^. 

9.  —  Le  misoneisme, 

Les  caracteres  precedents  etaient  en  somme  assez  legers,  nous 
arrivons  a  des  caracteres  de  plus  en  plus  graves  qui  se  pr^sentent 
quand  la  maladie  avance  et  qui  dWdinaire  accompagnent  alors 
des  manies  et  des  obsessions,  quoique  a  mon  avis  ils  n^en  depen- 
dent pas. 

Jusqu^a  present  les  actes  etaient  mal  fails,  avec  hesitation,  len- 
teur,  faiblesse,  mais  ils  finissaient  par  etre  faits  tout  de  m^nie. 
Voici  maintenant  certains  actes  qui  se  suppriment,  c'est-a-dire 
certaines  actions  que  le  sujet  ne  parvient  pas  a  faire  et  cela  au 
debut,  sans  savoir  pourquoi.  Nous  voyons  d'abord  disparaitre  des 
actions  nouvelles,  toutes  celles  qui  demandent  une  adaptation  a 
des  circonstances  nouvelles.  J'ai  tant  insiste  autrefois  sur  ce  fait, 
caracteristique  de  Faboulie  qu*il  suflSt  de  le  rappeler.  «  Tout  ce 
qui  est  nouveau  me  fait  peur  »,  dit  Nadia  en  ne  se  rendant  pas 
compte  qu^elle  donne  la  definition  du  misoneisme.  Tons  ces  scru- 
puleux  sont  des  individus  routiniers  qui  recommenceront  inde- 
finiment  avec  ennui  et  tristesse  la  meme  existence  monotone  et 
qui  sont  incapables  d'aucun  effort  pour  la  changer. 

Au  caract^re  precedent  il  faut  naturellement  rattacher  I'impos- 
sibilite  d'interrompre  les  habitudes  une  fois  acquises,  ces  personnes 
out  une  peine  enorme  a  s'accoutumer  a  une  situation  nouvelle, 
c'est  parmi  eux  que  Ton  observe  ces  individus  curieux  qui  «  ne 
peuvent  pas  s'habituer  a  leur  femme  »  quand  ils  se  marient 
(Ka...)  et  qui  une  fois  habitues  apr^s  un  grand  nombre  d'annees 
ne  peuvent  plus  s'en  passer.  C*est  parmi  eux  que  Ton  trouve 
toutes  les  «  manies  )>  dans  le  sens  vulgaire  du  mot  avant  qu^il  n'y 
eiit  de  veritables  manies  mentales  :  se  coucher  de  la  meme  ma- 
niere,  avoir  la  meme  place  a  table,  la  meme  plume  et  le  m^me 
papier  buvard,  etc.  «  Ce  qui  change  mes  habitudes  me  boule- 
verse  tou jours,  dit  Lise.  »  Nous  verrons,  en  etudiant  revolution 
de  la  maladie,  comment  les   grands  changements,   changement 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  345 

d'appartement  comme  changementde  situation  et  surtout  le  grand 
changement  du  mariage  provoquent  les  graves  rechutes. 


lO.  —  Les  aboulies  sociales^  la  timidite, 

Apres  les  actes  nouveaux  il  y  a  une  categoric  d*actes  qui  sont 
tres  fr^quemment  supprim^s,  ce  sont  les  actes  sociaux,  ceux  qui 
doivent  ^tre  accomplis  d^ant  quelques  personnes  ou  qui  dans 
leur  conception  impliquent  la  representation  de  quelques-uns  de 
DOS  semblables. 

Cette  impuissance  a  agir  devant  les  hommes,  cette  aboulie 
soclale  me  parait  constituer  Tessentiel  de  la  timidite.  Bien  des 
auteurs  ont  deja  insist^  sur  ces  troubles  de  la  volontd  et  de  Tac- 
tion dans  la  timidite;  «  La  timidity,  dit  M.  Dugas,  trouble  les 
mouvements  volontaires,  paralyse  la  volont^.  Elle  atteint  plus 
souvent  les  mouvements  ordonn6s  en  respectant  les  mouvements 
instinctifs  et  ressemble  a  Faboulie... '  »  «  cette  aboulie  att^nu6e 
qu'on  nomme  la  timidity,  disait  aussi  M.Lapie*.  M.  Hartenberg, 
dans  son  etude  int^ressante  sur  les  timides,  insiste  surtout 
sur  I'aspect  emotif  que  prend  le  phenom^ne  de  la  timidity, 
mais  il  note  bien  cependant  cette  suppression  des  actes  qu'il 
appelle  une  abstention.  «  Illviter  les  occasions  de  se  mon- 
trer,  voila  le  soin  du  timide  ;  comme  ces  occasions  consistent 
en  contacts  sociaux  il  en  r^sulte  une  tendance  a  rechercher 
risolement...  il  y  a  chez  lui  une  inhibition  qui  paralyse  momen- 
tan^ment  la  volont^,  qui  retient  le  mot  sur  les  levres,  qui 
emp^che  aussi  bien  le  timide  de  refuser  que  d'accepter,  qui  I'em- 
p^che  m6me  d'exprimer  les  sentiments  de  reconnaissance  ou  de 
tendresse '.  » 

Cette  inhibition  ou  mieux  cette  disparition  de  Facte  volontaire 
en  presence  des  hommes,  car  nous  aurons  a  voir  si  c'est  bien  une 
inhibition,  joue  un  r(Me  enorme  chez  presque  tons  les  malades 
psychasth^niques.  11  en  est  bien  peu  qui  a  un  moment  de  leur 
existence  et  quelquefois  pendant  toute  leur  vie  n'aient  6t^  rendus 
impuissants  par  la  timidite. 

Yoici  un  bel  exemple  de  cette  timidite :  «  independamment  des 


1.  Dugas,  La  Timidite,  Revue philosophique,  1896,  IL  p.  56a. 

2.  P.  Lapie,  Logique  de  la  volonti,  190a,  p.  2g^.  (Paris,  F.  Alcan). 

3.  Hartenberg,  Les  limides  et  la  timidiU,  p.  89.  (Paris,  F.  Alcan). 


316  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

membres  de  ma  famille,  dit  une  malade,  il  a  ^te  tres  restreini  le 
nombre  des  personnes  avec  qui  je  n'ai  pas  6t^  g^nee.  Devant  la 
plupartj'^taisabsolumentparalysee,  une  simple  addition  jene  pou- 
vais  pas  la  faire  devant  quelqu'un.  J'etais  obligee  d'etre  fausse  pour 
masquer  cette  impuissance^  de  chercher  des  pretextes,  de  casser  mon 
crayon,  d'aller  chercher  un  canif^je  faisaismon  addition au  dehors, 
a  la  derobee.  J'avais  le  sentiment  que  si  j'accusais  cette  impuis- 
sance  ce  serait  fini,  que  je  serais  perdu^,  que  je  n'arriverais  plus 
a  rien  ». 

Ne  pas  pouvoir  jouer  du  piano  devant  des  temoins,  ne  plus 
pouvoir  travailler  si  on  vous  regarde,  ne  plus  pouvoir  meme 
marcher  dans  un  salon  et  surtout  nc  plus  pouvoir  parler  devant 
quelqu'un,  avoir  la  voix  rauque,  aigu6  ou  rester  aphone,  ne  plus 
trouvcr  une  seule  pens6e  a  exprimer  quand  on  savait  si  bien  au- 
paravant  ce  qu'il  fallait  dire,  c'est  le  sort  commun  de  toutes  ces 
personnes,  c'est  Thistoire  banale  qu'ils  racontent  tous.  «  Quand 
je  veux  jouer  un  morceau  de  piano  devant  quelqu'un,  dit  Nadia, 
et  meme  devant  vous  que  je  cOnnais  heaucoup,  il  me  semble 
que  Taction  est  difficile,  qu'Il  y  a  des  genes  a  Taction  et,  si  je 
veux  surmonter,  c'est  un  effort  extraordinaire,  j'ai  chaud  a  la 
tete,  je  me  sens  perdue  et  je  voudrais  que  la  terre  s'ouvre  pour 
m'engloutir.  »  Cat...,  un  homme  de  3o  ans,  se  sauve  d^s  qu'il 
cntend  quelqu'un  entrer,  il  a  de  la  peine  a  faire  sa  classe  devant 
ses  eleves  «  je  ne  ferais  r^ellement  bien  ma  classe  que  si  je  la 
faisais  tout  seul  sans  Aleves  et  surtout  sans  directeur  ».  «  Je  vou- 
drais vous  parler,  disent  Dob...  ou  Claire, 'etje  ne  peux  pas,  cela 
s'arrete  dans  ma  gorge,  je  suis  une  heure  pour  demander  quelque 
chose  d'insignifiant.  Je  ne  vous  parle  r^ellement  bien  que  si  je 
suis  seule,  si  vous  n'^tes  pas  la.  »  Lev...  fait  bien  ses  comptes 
dans  le  sous-sol  du  magasin,  mais  ne  pent  plus  ^crire  un  chiffre, 
car  il  est  pris  par  la  crampe  des  ^crivains,  quand  il  est  mis  au 
premier  devant  le  public.  Tous  repetent  comme  Simone  :  «  Je 
serais  parfaite;  je  ferais  tout  si  je  pouvais  etre  tout  a  fait  seule, 
comme  une  sauvage  dans  une  ile  deserte ;  la  societt^  est  faite 
pour  empecher  les  gens  d*agir,  j'ai  de  la  volonl6  pour  tout,  mais 
je  n'ai  cette  volonte  que  si  je  suis  seule.  » 

On  admet  d'ordinaire  que  ces  troubles  de  la  timidite  sont  des 
phenomenes  emotionnels.  Qu'il  y  ait  des  troubles  emotionnels, 
des  angoisses  chez  les  timides,  j'en  suis  convaincu  ;  il  y  a  aussi 
chez   eux   de   Tagltation    motrice,  des  tics  et  meme    de    la   ru- 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  Si? 

mination  mentale,  dont  on  ne  parle  pas  assez.  Mais  il  ne  faut  pas 
oubiier  cju'il  y  a  chez  eux  de  Timpuissance  volontaire.  M.  Har- 
tenberg,  qui  explique  tout  par  T^motion,  le  remarque  Iui-m6nie 
a  propos  d'Amiel  a  le  manque  de  foi  simple,  Tindecision  par 
defiance  de  moi,  remettent  presque  toujours  tout  en  question 
dans  ce  qui  ne  concernc  que  ma  vie  personnelle.  J'ai  peur  de 
la  vie  objective  et  recule  devant  toute  surprise,  demande  ou 
promesse  qui  me  realise;  j'ai  la  terreur  de  Taction  et  ne  me 
sens  a  Faiseque  dans  la  vie  impersonnelle,  desinteressee,  subjec- 
tive de  la  pensee.  Pourquoi  cela  ?  Par  timidite^  »,  et  M.  Harten- 
berg  ajoute  «  veut-il  dire  par  la  qu'au  moment  d'accomplir  un 
acte,  il  est  arrets  brusquement  par  une  emotion  poignante  qui  le 
paralyse?  Non,  ce  qu'il  designe  par  timidity,  c'est  la  peur  ins- 
tinctive d'agir,  c'est  aussi  la  peur  de  prendre  une  determination 
avec  les  consequences  utiles  ou  facheuses  qu'elle  comporte.  C'est 
sa  maladie  de  lavolonte  en  somme  qu'il  appelle  timidite^  ». 

Pourquoi  hesite-t-on  a  appliquer  cette  remarque  si  juste  aux 
autres  cas  de  timiditePOn  est  frapp^  de  ce  fait  que  lestimides 
incapables  de  faire  une  action  en  public,  la  font  dans  la  perfection, 
quand  ils  sont  seuls.  Nadia  joue  du  piano  dans  la  perfection 
quand  elle  se  croit  seule,  et  Cat...  ferait  tres  bien  sa  classe  s'il  n*y 
avait  pas  d'eleves,  on  en  conclut  qu'ils  ne  sont  pas  impuissants  a 
faire  I'acte  et  qu'il  faut  faire  appel  a  un  trouble  exterieur  a  Tacte 
lui-meme  pour  expliquer  sa  disparition  dans  la  societe. 

II  y  a  la  un  malentendu,  Tacte  de  faire  une  classe  imaginaire 
sans  eleves  et  Tacte  de  faire  une  classe  reelle  devant  des  Aleves 
en  chair  et  en  os  ne  sont  pas  le  m^mc  acte.  Le  second  est 
bien  plus  complexe  que  le  premier,  il  renferme  outre  Tenonce 
des  m^mes  idees,  des  perceptions,  des  attentions  complexes  a  des 
objets  mouvants  et  variables,  des  adaptations  innombrables  a  des 
situations  nouvelles  et  inattendues,  qui  transforment  complete- 
ment  Taction.  Pourquoi  un  individu  aboulique  peut-il  faire  le 
premier  acte  et  ne  peut-il  pas  faire  le  second?  Je  r^ponds  sim- 
plement,  parce  que  le  second  est  bien  plus  diflficile  que  le  premier. 
II  en  est  ainsi  dans  tons  les  actes  sociaux,  car  il  n*y  a  rien  de 
plus  complexe  pour  des  hommes  que  les  relations  avec  les  hommes. 
Que  des  emotions,  des  agitations  motrices,  des  crampes  des  ^cri- 


1.  Kmielt  Journal  intime,  IT,  193. 

2.  Hartenberg,  Les  iimides  et  la  iimidite,  p.  106. 


348  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

vains,  des  tics  viennent  s'ajouter,  ou  roieux  se  substituer  a  cet 
acte  qui  ne  s'accomplit  pas,  c'est  un  grand  ph^nomene  secon- 
daire  dont  il  faudra  tenir  conipte,  mais  le  fait  essentiel  c'est 
rincapacite  d'accomplir  Tacte  complexe  et  en  particuiier  Taclc 
social. 

C'est  ce  que  Ton  v^rifie  par  Texamen  des  diverses  formes  de 
cette  timidity.  La  timidite  fait  le  grand  malheur  de  ces  personnes, 
elles  ont  un  sentiment  qui  les  pousse  a  desirer  raflTection,  a  se 
faire  diriger,  a  confier  leurs  tourments  et  elles  n'arrivent  pas  a 
pouvoir  se  montrer  aimables,  a  pouvoir  meme  parler.  Nadia 
r^pete  sans  cesse  :  cc  je  crois  que  je  ne  serais  pas  devenue  si 
d^traquee  si  j'avais  eu  le  courage  de  confier  mes  tourments  a 
quelqu'un,  mais  malgr^  moi  j'al  toujours  6te  tres  renfermee.  » 
Ce  sont  tons  des  a  renferm^s  »  qui  sentent  beaucoup,  mais  qui 
n'arrivent  pas  a  exprimer  et  surtout  qui  n'arrivent  pas  a  exprimer 
devant  leurs  semblables  parce  que  Texpression  est  un  acte  et 
Texpression  sociale  un  acte  complexe  et  que  les  actes  complexes 
leur  deviennent  impossibles. 

II  en  resulte  encore  une  contradiction,  ces  personnessontpour- 
suivies  par  le  besoin  d'aimer  et  d^etre  aim^es,  ils  ne  songent  qu'a 
se  faire  des  amis,  d'autre  part  ils  m^ritent  Taffection  :  extreme- 
ment  honn^tes,  ayant  une  peur  terrible  de  froisser  quelqu*un, 
n'liyant  aucune  resistance  et  disposes  a  c^der  sur  tons  les  points, 
ne  devraient-ils  pas  obtenir  tr6s  facilement  les  amities  qu'ils 
recherchent  ?  Eh  bien  en  r^alite  ils  sont  sans  amis,  ce  sont  des 
isoles  qui  ne  rencontrent  de  sympathie  nulle  part  et  qui  souf- 
frent  cruellement  de  leur  isolement.  Comment  comprendre  cette 
contradiction?  C'est  que  pour  se  faire  des  amis  il  faut  agir,  par- 
ler, et  le  faire  a  propos.  Pour  attirer  Tattention  des  gens  et  se 
faire  comprendre  d'eux,  il  faut  saisir  le  moment  oil  ils  doiventvous 
ecouter,  dire  et  faire  a  ce  moment  ce  qui  le  pent  mieuxnous  faire 
valoir.  Or  nos  scrupuleux  sont  incapables  de  saisir  une  occasion, 
comme  J.- J.  Rousseau,  ils  trouvent  dans  I'escalier  le  mot  qu'il 
faudrait  dire  au  salon.  Ont-ils  Tidee,  ils  ne  se  d^cident  pas  a 
I'exprimer  et  s'ils  s'y  decident  comme  ce  pauvre  Jean,  ils  veulent 
bien  parler  tons  seuls  quand  il  n'y  a  personne,  mais  ne  peuvent 
plus  parler  des  qu'il  y  a  quelqu'un.  Pour  que  quelqu'un  s'int^- 
resse  a  eux  il  faut  qu'il  les  devine,  qu'il  fasse  tous  les  efforts 
pour  les  mettre  a  Taise,  pour  leur  faciliter  Texpression.  Alors  ils 
s'accrochcront  a  lui  avec  passion  et  prendront  des  affections  folles 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  349 

dont  nous  aurons  a  parler.  Un  tel  bonheur  leur  arrive  rarement 
et  presque  toujours  ils  le  paient  tres  cher.  Tous  ces  caract^res  de 
timidity  et  de  leurs  relations  sociales  dependent  au  fond  de  leur 
aboulie  fondamendale  ;  la  diminution  ou  la  disparition  des  actes 
sociaux  qui  se  manifestent  dans  la  timidity  est  un  des  ph^nomenes 
essentiels  de  Taboulie  du  psychasth^nique. 

12.  —  Les  aboulies  professionnelles , 

Apres  les  aboulies  sociales,  les  aboulies  pour  les  actes  de  la 
profession  se  pr^sentent  tres  souvent.  Nous  avons  d6ja  ^tudi^  des 
phobias  professionnelles,  presque  toujours  elles  ont  commence 
par  un  «  d^goi^t  ^norme  du  metier  qui  semblait  plus  fatigant  que 
tout  autre,  ridicule,  honteux...  »  (An...  no)  M.  B^rillon  et 
M.  Bramwell  citent  un  pretre  qui  ne  peut  monter  en  chaire,  un  m^- 
decin  qui  ne  peut  faire  une  ordonnance  \  Je  trouve  ce  sentiment  dans 
toutes  les  professions,  chez  TeccUsiastique,  le  professeur,  I'insti- 
tuteur,  le  violoniste  a  Torchestre,  le  mar^chal  ferrant,  le  ma^on. 
Cast  que  le  metier  est  encore  Tensemble  des  actions  le  plus  con- 
siderables des  hommes  qui  agissent  pen.  C'est  la  que  Taboulie 
commence  a  se  faire  sentir. 

II  est  int^ressant  de  remarquer  qu'une  des  premieres  aboulies 
qui  ont  et6  d^crites,  celle  du  notaire  de  Billod  est  une  aboulie  pro- 
fessionnelle,  ce  sont  les  actes  de  son  etude  que  le  malade  ne  peut 
plus  signer*  cen'est  que  plus  tard  que  Taboulie  s'etend  a  d'autres 
actes. 

1 3.  —  UahouUe  et  V inhibition. 

Nous  arrivons  aux  troubles  les  plus  graves,  qui  se  pr^sentent  le 
plus  souvent  dans  une  circonstance  bien  determin6e,  au  d^but 
de  ces  crises,  de  «  ph^nomenes  forces  »  de  ces  ruminations,  de 
ces  agitations  motrices  ou  de  ces  angoisses  que  nous  avons 
etudiees  dans  le  chapitre  precedent. 

D'ordinaire  on  neconsid^reces  crises  qu'a  un  seul  point  devue: 
au  point  de  vue  du  d^veloppement  anormal  que  prennent  dans 
la  crise  les  ph^nomenes  secondaires  :  pens^es,  mouvements  ou 
Amotions.  Si  Ton  veut  bien  y  faire  attention  il  y  a  dans  ces  crises 

I.  Bramwell,  On  imperative  ideas.  Brain,  iSgS,  p.  336. 
a.  Billod,  Maladies  de  la  volonii,  p.  177. 


3oO  LES  STIGMiVTES  PSYCHASTHfiNIQUES 

un  autre  phenom^ne  n^gatif,  celui-la,  mais  encore  plus  impor- 
tant que  le  premier.  C^est  I'arret,  la  suppression  complete  de 
Tacte  volontaire  que  les  sujets  6taient  en  train  d'accomplir  quaod 
la  crise  a  commence. 

On  a  vu  en  effet  que  tres  souvent  ces  crises  commenyaient  a 
propos  d'action.  Ger...  descendait  chercher  du  bouillon,  Nadia 
voulait  me  jouer  un  morceau  de  piano,  Jean  voulait  mettre  une 
lettre  a  la  poste.  Or  non  seulement  ces  sujets  se  sont  mis  a 
delirer,  a  avoir  des  mouvements  incoherents  et  des  peurs 
mais  encore  Tacte  commence  s'est  arr6t6  et  n'a  pas  H6  accompli. 

On  divise  souvent  les  obsessions  en  deux  groupes  distingu^s 
par  M.  Regis  et  acceptes  par  M.  S^glas.  D'un  cote  on  place  les 
obsessions  impulsives  dans  lesquelles  le  sujet  est  pousse  a 
accomplir  malgr6  lui  des  actes  inutiles  ou  absurdes  :  briser  tout, 
faire  d'interminables  r6(lexions  ou  se  laisser  aller  a  des  emotions. 
De  I'autre  on  admet  les  obsessions  inhibitrices  qui  arretent  uoe 
action,  suppriment  un  phenomene  en  train  de  s'accomplir.  Cette 
distinction  pent  6tre  utile  dans  la  pratique :  chez  quelques  malades 
rinhibition  pent  ^tre  plus  remarqu^e  et  chez  d'autres  rimpulsion 
a  Facte  pathologique  pent  6tre  consid^r^e  comme  pluspenible  et 
mise  en  premier  lieu.  Mais  cc  ne  sont  la  que  des  difF^rences  de 
point  de  vue.  A  mon  avis  ces  crises  pr^sentent  simultan^ment 
rinhibition  ou  meme  Tarret  et  Timpulsion. 

II  y  a  un  phcnomfene  de  supprim6  et  un  autre  qui  prend  uu 
d^veloppcment  ^norme  a  sa  place.  Voici  un  exemple  qui  montrera 
bien,  je  crois,  combien  cette  distinction  entre  Tobsession  inhi- 
bition et  Tobsession  impulsion  est  en  r^alitc^  pen  de  chose  et 
depend  d'un  accident  dans  Tappr^ciation  des  malades.  Le  hasard 
a  fait  que  j'aie  eu  deux  malades  ayant  exactement  le  meme  acci- 
dent, mais  qui  par  suite  du  milieu  ou  elles  sont  plac^es  le  d^si- 
gnaient  chacune  d'une  maniere  diflerente.  Ces  deux  malades, 
Xyb...  (209)  el  Vk...,  sont  toutes  deux  incapables  de  tenir  leur 
menage  ;  un  acte  en  particulier  est  devenu  impossible  et  pro- 
voque  de  grandes  crises  de  rumination,  c'est  Tacte  qui  consiste 
a  payer  les  d^penses  faites  par  la  bonne  :  ni  Tune  ni  Tautre  nc 
pent  se  decider  a  regler  ces  comptes.  Quand  elles  commencent 
a  faire  ce  calcul,  les  hesitations  surviennent,  les  doutes  sur 
Taddition,  les  recherches,  les  craintes  de  voler  la  bonne,  les 
angoisses,  etc.,  et  la  crise  de  rumination  ou  d^angoisse  dure 
plusieurs   heures.    Ce   dernier    fait   constitue,    si   Ton   veut,  un 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  351 

gros  ph^nomene  impulsif,  mais  ce  qu'il  ne  faut  pas  oublier  c'est 
qu'il  y  a  a  cot^  un  autre  ph^nomene  qui  consiste  en  ce  que  la 
bonne  n'a  pas  et6  pay6e^  phenomene  que  Ton  peut  appeler  une 
inhibition.  L'une  de  ces  maladesest  seule  chezelle  avecdesenfants 
trop  jeunes  pour  tenir  le  menage  a  sa  place,  ce  qui  fait  que  Ton 
remarque  principalement  le  phenomene  n^gatif.  La  malade  et  sa 
famille  se  plaignent  surtout  d'une  impuissance,  d'un  empechement 
que  Xyb...  ressent  pour  payer  sa  bonne  et  on  fait  de  cette  ma- 
ladie  une  obsession  inhibitrice.  Vk...,  au  contraire,  est  entour^e 
de  jeunes  filles  assez  agecs  pour  avoir  pris  completement  la  direc- 
tion du  menage  a*la  place  de  leur  mere,  on  se  resigne  done  a  ce 
que  celle-ci  ne  paye  pas  la  bonne  ;  mais  ce  qui  pafait  important, 
c'est  qu'elle  soufTre  de  ses  ruminations  et  Ton  vient  dire  que  Vk... 
a  des  impulsions  a  compter,  a  s'interroger,  a  parler  toute  seule. 
Rn  un  mot,  la  maladie  apparait  plutot  chez  Tune  sous  son  aspect 
inhibitoire,  chez  Tautre  sous  son  aspect  impulsif,  quoiqu'elle 
soitau  fond  exactement  la  meme  dans  les  deux  cas. 

Ce  fait  de  I'arr^t  plus  on  moins  complet  de  certains  actes  ou 
m^me  de  tons  les  actes  est  Tun  des  ph^nomenes  les  plus  essen- 
tiels  de  T^tat  mental  de  Tobsed^.  On  a  beau  dire  qu'il  a  conserve 
la  conscience  intacte,  il  y  a  toujours  une  lacune  considerable, 
c  est  qu'il  est  absolument  incapable  d'accomplir  un  certain  acte  a 
propos  duquel  a  commence  la  crise.  Pendant  sa  crise  d'agitation 
Nadia  est  incapable  de  jouer  son  morceau  de  piano  ou  de  sortir  de 
sa  chambre,  ou  de  tourner  son  visage  a  la  lumiere,  ou  de  manger 
son  dejeuner,  etc.  L'acte  supprime  varie  suivant  Taction  que  le 
sujet  ^tait  en  train  d'accomplir  au  moment  ou  la  crise  a  com- 
mence, mais  il  y  en  a  toujours  un  de  supprime.  II  en  est  de 
meme  pour  Lise  :  «  Des  que  cette  phrase  est  formee  dans  mon 
esprit,  dit-elle,  si  je  fais  cette  action,  je  donne  mes  enfants  au 
diable,  je  n'y  suis  plus,  ma  volonte  est  arretc^e...  »  Jean  veut 
coromencer  a  uriner  quand  surgit  dans  son  esprit  la  pensce 
qu'il  n'est  pas  loin  d'une  administration  de  pompes  funcbres  et 
qu'il  a  failli  avoir  affaire  a  ces  tristes  maisons  a  cause  de  ses 
masturbations,  il  a  une  grande  crise  de  ruminations  et  de 
phobies,  mais  en  m^me  temps  c'est  fini :  il  ne  peut  plus  ouvrir 
son  pantalon  et  il  ne  peut  plus  uriner.  Claire  est  ainsi  arretee 
dans  ses  prieres,  dans  ses  repas,  dans  ses  promenades,  dans 
Tacte  m^me  d'aller  aux  cabinets,  etc.  «  II  me  prend  des  genes 
pour  agir,  tantc^t  pour  une  action,  tant6t  pour  une  autre,  d 


352  LES  wSTIGMATES  PSYCIlASTHeNIQUES 

II  semble,  comme  le  disait  M.  Sautarei,  dans  une  these  sur 
rinhibition  genitale,  tc  que  le  sujet  essaye  vainenient  de  transfor- 
mer une  id^e  en  un  acte,  que  sa  volont^  n'est  plus  sudisante 
pour  actionner  son  systeme  moteur;  les  efforts  qu*il  tente  a  cet 
^gard  n'aboutissent  qu'a  augmenter  son  trouble  et  son  angoisse'». 
C'est  la  un  des  grands  troubles  de  la  maladie,  quand  il  se  pre- 
sente  chez  les  grands  malades,  il  s'associe  avec  les  autres  troubles 
la  rumination  et  Tangoisse,  et  c'est  un  probleme  important  de 
savoir  s*il  faut  le  considerer  comme  la  consequence  de  ces  agi- 
tations ou  s'll  faut  le  regarder  comme  un  trouble  primitif.  Pour 
le  moment,  je  me  contente  de  signaler  sa  frequence  et  son  im- 
portance parmi  les  troubles  de  la  volont^  que  pr^sentcnt  ces 
malades. 

1 4.  —  Les  fatigues  insurmontables . 

Cette  aboulie  pent  s*6tendre  et  supprimer  un  nombre  d'actes 
encore  plus  grand  sans  determiner  en  meme  temps  ces  crises 
d'agitation.  II  s'agit  d'un  ph^nomene  tres  curieux  et  encore  assez 
peu  connu  que  pr^sentent  souvent  ces  malades.  Ce  sont  des  crises 
d^^puisement  accompagn^es  d'un  sentiment  de>  fatigue  tout  si  fait 
inoui*. 

En  dehors  du  sentiment  de  fatigue  constant  il  y  a  chez  eux  de 
v6ritables  crises  de  fatigue.  Ces  crises  surviennent  chez  Fz...  a  la 
suite  du  coit,  chez  Gis^le  a  la  suite  de  grand  travail  pour  une 
c^remonie,  chez  Jean  a  la  suite  des  efforts  d'attention,  chez  la 
plupart  des  malades,  Nadia,  Lise,  Brk...  (24)  a  la  suite  des  efforts 
qu*elles  ont  faits  pour  triompher  de  leurs  id6es  obs^dnntes:  e'est 
un  des  accidents  que  Ton  est  exposd  a  d<^terminer  dans  le  traite- 
ment  de  ces  malades.  Le  sujet  se  sent  tout  a  fait  t^puis6  :  a  c'est, 
dit  Jean,  une  horrible  fatigue,  a  croire  qu'on  va  toniber  evanoui, 
qu'on  va  se  coucher  par  terre.  »  a  C'est  une  fatigue  a  ni'en 
trouver  mal,  dit  Brk...,  il  y  a  un  tel  poids  sur  mes  membres 
et  sur  mes  yeux  et  sur  mon  estomac  que  je  deviens  incapable 
de  rien  faire.  »  Le  fait  est  que  dans  ces  cas  les  malades  devien- 
nent  incapables  de  rien  faire,  ils  restent  couches  ou  se  trai- 
nent  sur  des  fauteuils  pendant  des  heures  et  des  jours.  Nadia, 


I.  Sautarel,  Contribution  d  VStude  des  obsessions  et  en  particulier  de  Vinhibition 
ginitale.  These  de  Bordeaux,  1897,  p.  98. 


LES  TROUBLES  DE  LA  VOLONTfi  353 

Gis^Ie  ne  bougent  presque  plus  pendant  plusieurs  jours  et 
sentent  leurs  sens  engourdis  «  toutes  les  sensations  dans  du 
coton  (Gisele)  ». 

Les  autres  Lise,  Brk...,  se  trainent  peniblement  et  n^ont  meme 
plus  la  force  de  penser  a  leurs  obsessions,  elles  ne  pensent  a  rien. 
C'est  m^me  pour  Brk...  une  sorte  de  bonheur  que  cette  absence 
d'idees  «  apres  tant  d*ugitation  de  Tesprit  il  y  a  un  grand  bien-etre 
a  ne  penser  a  rien  ».  Ic...  non  seulement  ne  pense  a  rien  mais  il 
trouve  du  plaisir  a  ne  pas  faire  le  plus  petit  mouvement.  «  Si  dans 
son  lit  une  position  fausse  ou  le  contact  d'un  objet  lui  est  penible 
il  aime  mieux  supporter  cette  geneind^finimentplutot  que  de  faire 
le  moindre  mouvement  pour  T^carter.  » 

En  general  ces  crises  qui  sont  en  rapport  avec  un  effort  pr^- 
c^dent  et  une  fatigue  durent  pen  et  le  malade  ne  tarde  pas  a  re- 
prendre  plus  d'activit^  et  en  meme  temps  malheureusement  il 
retrouve  son  agitation  physique  et  morale. 

i5.  —  Les  inerties, 

Enfin  au  dernier  terme,  Taboulie  s*^tend  encore,  les  malades 
n'attendent  pas  que  Facte  soit  rendu  impossible  par  nne  inhibi- 
tion, une  crise  ou  une  fatigne,  ils  se  souviennent  de  la  difficult^ 
qu'ils  ont  ^prouvee  pour  agir,  ils  Texagerent  par  Timagination  et 
en  arrivent  a  ne  plus  rien  faire  du  tout.  On  remarque  bien  vite 
que  tons  ces  malades  ne  savent  plus  rien  faire,  restent  des  jour- 
u^es  entieres  sans  aucune  occupation  :  a  je  n'ai  plus  de  goiit  a 
rien...,je  tiens  les  objets  en  main  sans  rien  faire...,  je  ne  puis 
plus  avoir  aucune  occupation...  »  (Ce...  (i24),  Cht...,  Mio...  (208), 
Vob...(i9/4). 

Ceux  qui  avaient  un  travail  finissent  par  le  cesser,  Sy...  ne 
pent  plus  coudre,  ni  meme  s'occuper  a  lire,  Ver...  cesse  absolu- 
ment  de  travailler  et  n'accepte  plus  aucune  occupation.  Cat... 
qui  ^tait  instituteur  desire  rester  au  lit  sans  rien  faire;  si  on  le 
force  a  se  lever  il  reste  assis  sans  bouger.  Ce  d^sir  de  rester 
couch^  se  retrouve  tres  souvent,  il  caract^rise  Chy. ..,  Za...  (216), 
Xyb...  (209),  etc.  Presque  tons  restent  immobiles  des  heures 
entieres  et  passent  leur  vie  assis  dans  un  coin. 

Plus  la  maladie  se  prolonge,  plus  elle  s*aggrave  et  plus  on  voit 
augmenter  cette  inertie  caract^ristique,  si  bien  qu'a  la  iin  les 
grands  malades  ne  peuvent  plus  quitter  leur  chambre,  ne  peu- 

LKS  OBSESSIONS.  I.   —  2 3 


35/i  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

vent  plus  recevoir  personne  et  achevent  leur  vie  dans  i*isolement 
et  rim  mobility. 

La  volonte  active  s'est  montree  troubiee  d^s  le  debut  de  la  vie: 
on  notait  d'abord  Tindolence,  Tirresolution,  ia  lenteur,  les  retards, 
la  faiblesse  des  efforts,  le  dcsordre,  la  maladresse,  rinachevement, 
le  d^faut  de  resistance,  puis  on  a  vu  certains  actes  disparaitre, 
d'abord  les  actes  nouvcaux,  les  changements  de  conduite,  puts 
les  actes  sociaux  dans  la  timidite,  les  actes  professionnels,  des 
actes  quelconques  qui  sont  genes,  puis  annules  et  supprimes.  Les 
sujets  ont  des  crises  d'^puisement,  puis  enfin  une  inertia  geue- 
rale  et  constante.  Cet  ensemble  de  troubles  de  la  volonte  forme 
un  stigmate  essentiel  de  Tetat  psychasth^nique  et  il  est  essentiel 
d'en  tenir  compte  pour  chercher  les  rapports  qu'il  presenie  avee 
les  autres  accidents. 


3.— Troubles  de  Vintelligence. 

Les  troubles  de  Tintelligence  proprement  dite  sont  beaucoup 
moins  evidents,  beaucoup  plus  diflUciles  a  constater  que  ceuxde 
Tactivite  volontaire.  C'est  un  point  qui  avait  deja  frappe  les  pre- 
miers observateurs  quand  ils  appelaient  cette  maladie  une  folie 
avec  conscience,  avec  conservation  dujugement  et  de  la  critique. 
Loin  de  paraitre  inintelligents  les  scrupuleux  semblent  tros  sou- 
vent  avoir  une  intelligence  sup^rieure,  etre  capables  de  tout  dans 
le  doraaine  de  Tesprit  pourvu  qu'on  ne  leur  demande  pas  d  ac- 
tion. C'est  ce  que  Amiel  note  deja  tres  bien  sur  lui-meme : 
«  aimer,  rever,  sentir,  apprendre,  comprendre,  je  puis  tout  pourvu 
qu'on  me  dispense  de  vouloir,  c'est  ma  penle,  mon  instinct,  iiion 
defaut,  mon  p^ch^.  J'ai  une  sorte  d'horreur  primitive  pour  Tam- 
bition,  pour  la  lutte,  pour  la  haine,pour  tout  ce  qui  disperse  Tame 
en  la  faisant  dependre  des  choses  et  des  buts  ext<^rieurs.  *  >». 
Ce  developpement  intellectuel  n'est  pas  toujours  de  pure  appa- 
rence  :  j'ai  souvent  ele  frapp^  de  la  sup^riorite  intellectuelle  veri- 
table d'un  grand  nombre  de  ces  malades. 

En  lisant  les  pages  precedentes  on  a  dd  remarquer  parmi  les 
nombreuses  paroles  des  sujets  que  j^ai  citees  une  foule  d'expres- 

I.    Amiel,  Journal  intime,  I,  p.  i68. 


TROUBLES  DE  L'lNTELLlGENCE  355 

sioDs  pittoresques,  de  cocnparaisons  ing^nieuses,  de  m^taphores 
heureusement  venues.  Leur  conversation  en  est  6maill6e,  il  y  en 
a  avee  qui  on  voudrait  tout  ecrire  et  tout  conserver  :  Gisele  en 
)):irticulier  a  un  langage  extraordinaire  et  vraiment  tout  a  fait 
seduisant.  Sous  ce  brillant  des  mots,  il  y  a  beaucoup  d*observa- 
lions  fines  et  justes  :  les  scrupuleux  sont  trfes  souvent  de  remar- 
quables  psychologues.  Gisele  fait  Tanalyse  de  Tamour  aussi  bien 
qirau  pays  du  tendre,  Jean  est  celebre  pour  son  appreciation 
des  caracteres  et  des  personncs,  il  disseque  ^tonnamment  les 
motifs  de  conduite  et  il  n'est  bete  que  quandil  parle  de  sa  ma- 
ladie. 

On  trouvc  chez  eux  toutes  sortcs  de  talents  etde  connaissances, 
lis  sont  souvent  tres  artistes:  Claire  dessine  tres  bien,  beaucoup 
sont  des  musiciennes  hors  lignecomme  Nadia.  On  trouve  parmi 
eux  des  litterateurs  delicats,  on   serait  surpris  de  voir  parmi  les 
malades  que  j*ai  cites  quelques  ^crivains  connus.  Rk.. .,  traduit  des 
textes  grecs  en  vers  elegants  et  fait  ainsi  toute  une  anthologie  de 
poetes  grecs.  Les  idees  qu'ils  arrivent  a  concevoir  sont  souvent 
surprenantes  pour  leur  milieu  :  on  a  vu  les  reflexions  de  Vil...  sur 
rinfini  du  bonheur  et  du  malheur,  les  analyses  de  Mb...  sur  la  per- 
ception. Une  malade  de  Th^pital  absolument  ignorante  de  toute 
etude  de  psychologie  m*exprimait  le  r^sultat  de  ses  reflexions  sur 
les  lois  des  associations  des  id^es,  une  pauvre  femme  de  la  cam- 
pagne  atteinte  du  doute  des  perceptions  en  arrivait  a  decouvrir 
avec  etonnement  Fhomologie  des  membres  chez  les  poissons,  les 
oiseaux,  les  mammiferes,  I'homme.  Le  cas  le  plus  frappant  de  cette 
superiority  intellectuelle  est  celui  de  Nadia.  Cette  jeune  fille  parle 
et  ecrit    couramment  cinq  langues  :   Tanglais,  le  fran^ais,  Talle- 
mand,  Titalien,  le  russe.  J'ai  eu  Toccasion  de  la  mettre   en  rela- 
tion   avec   une  jeune  fille  russe  qui  m*a  assure  qu'eile  parlait  le 
russe  tout  a  fait  correctement,  comme  les  autres  langues.  Elle  lit 
enormement,  et  connait  a  fond  la  litterature  de  ces  cinq  langues 
dont  elle  pent  parler    avec  une  memoire  surprenante.    Elle  est 
surtout  trfes  artiste  ;  non  seuleraent  elle    a  une  virtuosite  remar- 
quabie  sur  le  piano  et  sur  le  violon  mais  elle  compose  de  la  mu- 
sique  avec  une  connaissance  trfes  suffisante  de  Tharmonie,  ce  que 
j'ai  pu  faire  verifier  en  donnant   a  lire    de    ses   morceaux   a    des 
personnes  competentes.  Elle  a  un  goOt  tr^s  pur  dans  toutes  les 
choses  d'art,  et  peut  inventer,  dessiner  et  executer  toutes  sortes 
de  decorations.  Ce  serait  certainement  au  point  de  vue  du   go6t 


356  LES  STIGMATES  PSYGHASTHfiNlQUES 

une  femme  sup^rieure.  Des  reflexions  de  ce  genre  pourraient  ^tre 
faites,  a  dlfT^rents  degr^s  bien  entendu  pour  la  plupart  de  ces 
malades  et  apres  les  avoir  beaucoup  fr^quent^s  j'ai  I'impression 
que  leur  groupe  est  superieur  a  la  moyenne  intellectuelle  des 
gens  normaux  pris  au  hasard. 

Cependant  il  est  evident  que  leur  intelligence  n'est  pas  com- 
plete et  qu'il  doit  y  avoir  des  lacunes  pour  permettre  le  develop- 
pement  de  tons  les  troubles  qu'il  pr^sentent.  II  faut  les  rechcr- 
cher  en  examinantles  facult^squisemblentpouvoir  etre  troublees. 

I .  —  Les  amnesies. 

D'apres  ce  que  je  viens  de  dire,  il  est  evident  que  les  troubles 
se  rencontreront  peu  parmi  les  ph^nom^nes  intellectuels  abstraits: 
les  raisonnements,  les  jugements,  la  generalisation  sont  tout  a 
fait  corrects  surtout  quand  ces  operations  s^executent  d'une  ma- 
ni^re  involontaire  sans  que  les  malades  aient  a  fixer  leur  atten- 
tion volontairement. 

La  memoire  semble  bien  souvent  etre  plutot  exageree,  Wo... 
a  de  la  minutie  dans  les  souvenirs,  elle  pent,  probablement  par 
suite  d*une  longue  habitude  de  cet  exercice,  se  rememorer  toutes 
les  sensations  qu'elle  a  eprouvees  d'un  moment  a  un  autre,  tous 
les  mots  prononces  pendant  une  visite.  Lise  conserve  indefmi- 
ment  le  souvenir  de  tous  les  plus  petits  incidents  de  sa  vie,  elle 
se  plaint  de  ne  pas  savoir  oublier  ;  la  memoire  de  Jean,  on  la 
deja  vu,  touche  k  Tinvraisemblable.  Ces  souvenirs  sont  si  nels 
que  beaucoup  de  ces  malades,  comme  le  disait  LoweiTeld,  vneiit 
plus  dans  le  passe  que  dans  le  present. 

Malgre  ce  caractere  general  de  la  memoire  des  psychaslht*- 
niques,  plusieurs  auteurs  ont  constate  des  alterations  des  souve- 
nirs dans  certaines  circonstances  particulieres.  M.  Seglas  re- 
marque  que  revocation  des  souvenirs  est  quelquefois  pleioe 
d'incertitude  *,  surtout  quand  il  s'agit  de  retrouver  le  souvenir 
d'une  crise.  Les  malades  croient  egalement  avoir  une  ires  niau- 
vaise  memoire  et  s'en  plaignent  bien  souvent.  Dans  les  cas  Je 
depersonnalisation,  ils  soutiennent  avoir  perdu  leurs  souvenirs 
comme  leurs  sensations.  Bien  souvent  les  crises  d'interrogation 
sont  causees  par  Tincapacite  ou  sont  les  sujets  de  retrouver  uo 

I.  Seglas,  Legons  cliniques  sur  les  maladies  mentaUs,  p.  137. 


TROUBLES  DE  L'lNTELLlGENCE   ^  367 

souvenir.  Bre...  (i4i)  en  est  un  exemple  remarquable  :  depuis 
qu'elle  a  perdu  son  mari,  elle  est  tourment^e  par  le  chagrin 
d'avoir  oubli^  sa  physionomie,  les  traits  de  son  visage,  elle  ne 
pent  ^voquer  dans  son  imagination  cette  image  qu'elle  ch^rissait. 
Aussi  passe-t-elle  ses  journ^es  a  rechercher  la  figure  de  son  mari, 
les  photographies  lui  semblent  insudisantes,  elle  ne  Iqs  reconnait 
pas  suflisamment,  il  faut  qu'elle  cherche  mieux  ;  a  force  de  cher- 
cher,  elle  sent  qu'elle  oublie  de  plus  en  plus  tout  ce  qui  a  rapport 
a  la  figure  du  mari.  Ainsi  elle  pent  evoquer,  dans  son  imagination, 
des  fleurs,  des  monuments,  TArc  de  Triomphe,  des  figures  de 
renimes,mais  non  des  figures  d'hommes,  et  surtout  pas  des  figures 
d'hommes  portant  des  moustaches.  Elle  oublie  la  voix  du  mari, 
ses  paroles,  son  metier  et  meme  son  mariage.  Cette  malade  res- 
semble  au  cas  c^lebre  presente  par  Charcot  comme  une  perte  de 
la  representation  visuelle,  elle  a  la  conception  logique  que  (c  son 
mari  avait  des  yeux  noirs,  un  grand  nez  et  une  moustache  foncee, 
raais  elle  ne  pent  pas  se  le  representer  devant  les  yeux  ».  II  est 
probable  que  le  malade  de  Charcot,  qui  pouvait  «  d^finir  Togive 
et  non  se  la  representer  »,  ^tait  un  scrupuleux  du  meme  genre. 

Que  faut-il  penser  de  ces  amnesics  au  moins  apparentes  ?  M. 
Sdglas  remarque  justement  qu'elles  sont  paroxystiques-  se  pr6- 
sentent  par  crise  avec  une  impulsion  violente  a  chercher,  que  Ton 
ne  retrouve  pas  dans  d'autres  amnesics  \ 

Nl^me  dans  ces  moments  de  crise  ces  amnesics  sont-elles  tou- 
jours  r^elles  et  profondes?  On  remarque  facilement,  surtout  dans 
les  cas  de  depersonnalisations,  que  les  sujets  n'ont  pas  r^elle- 
inent  ces  oublis.  Des  qu'ils  veulent  bien  se  laisser  aller,  ils  racon- 
tent  tout  ce  qu'on  leur  demande.  II  n'est  pas  necessaire  d'6voquer 
des  souvenirs  subconscients  comme  chez  les  hyst^riques,  il  suflGt 
que  revocation  ne  soit  pas  volontaire.  Ce  qu'ils  font  mal  en  effet 
c'est  revocation  volontaire,  ils  ont  comme  des  crampes  de  Tatten- 
tion  sur  un  point  et  ne  peuvent  la  mouvoir  pour  passer  a  revo- 
cation de  faits  voisins  :  des  qu'ils  ne  se  surveillent  plus  ils  expri- 
ment  facilement  tous  les  souvenirs. 

Cette  persistance  des  souvenirs  se  retrouve,  a  mon  avis,  presque 
toujours  et  je  ne  suis  pas  tout  a  fait  d'accord  avec  M.  Seglas 
quand  il  admet  un  certain  degre  d'amnesie  des  periodes  de  crise. 
Cette  amn6sie  serait  importante  car  elle  rapprocherait  ces  crises 

I.   Seglas,  Troubles  du  langage  chez  les  alUnes,  p.  loo. 


358  LES  STIGMATES  PSYCH ASTHfiNIQUES 

du  somaambulisme :  elle  ne  me  parait  pas  bien  nette.  La  plupart 
de  mes  sujets  m*ont  raconte  leurs  crises  de  ruroination  et  dW 
goisse  avec  un  luxe  inou'i  de  details.  Jean  pourrait  raconter 
combien  de  fois  son  coeur  a  fait  a  ploc  ploc  »  et  comblen  a  iia 
di!k  soulever  de.poutres  en  nombre  repute  »,  il  n'a  pas  du  tout 
d'amnesie  et  je  crois  qu'il  en  est  ainsi  de  presque  tous  les 
autres.  Les  malentendus  sur  ce  point  dependent,  je  crois,  de 
deux  choses.  D'abord  il  ne  fuut  pas  que  le  malade  fasse  Irop 
d'efforts  volontaires  pour  retrouver  le  souvenir  de  la  crise,  il  faut 
attendre  que  le  recit  lui  vienne  a  Tesprit  spontanement,  ensuite 
il  faut  eviter  de  rechercher  ce  r^cit  trop  tot  apres  la  crise  elle- 
meme. 

Ces  malades  se  rappellent  d'autant  mieux  une  chose  qu'elle  est 
plus  ancienncy  ils  m'ont  serable  avoir  souvent  un  certain  degrade 
«  memoire  retardante^  ».  Cela  s'accorde  d'ailleurs  avec  la  re- 
marque  pr^c^dente,  on  sait  que  revocation  volonlaire  des  sou- 
venirs est  d*autant  plus  difficile  que  le  souvenir  est  plus  recem- 
ment  acquis,  d*autant  plus  facile  qu'il  est  plus  ancien  :  il  est  tout 
naturel  qu*avec  une  puissance  d^attention  et  d'^vocation  volontaire 
faible  la  memoire  soit  retardante. 

Je  crois  cependant  que  Ton  pent  dans  certains  cas  constater 
apres  les  crises  certains  oublis  quand  on  interroge  les  malades 
non  sur  leurs  propres  id^es  et  leurs  propres  sentiments,  mats  sur 
les  ev^nements  qui  ont  eu  lieu  en  dehors  d'eux  pendant  cette 
p^riode.  Claire  sait  bien  qu'elle  est  restee  a  genoux  aux  cabinets 
parce  qu'il  lui  semblait  qu'elle  avail  une  hostie  collee  a  I'anus  et 
qu'elle  faisait  des  efforts  pour  (c  passer  cette  idee  »  ;  elle  sait 
comment  I'idee  s'est  d^roulee,  les  mouvements  qu'elle  a  faits.  Mais 
il  est  visible  qu'elle  ne  sait  pas  si  c'est  sa  mere  ou  sa  bonne  qui 
est  venue  la  chercher  et  I'a  forcee  a  cesser  ses  contorsions.  D'au- 
tres  malades,  Gb...  ou  Sy...,  qui  ont  ^t^  malades  toute  la  journeet 
ne  savent  plus  ou  elles  ont  ^t^,  si  elles  ont  mange  ou  non,  si  on 
leur  a  parle.  II  y  a  la  un  certain  degr^  d'amzuesie  continue  pour 
les  ^v^nements  exterieurs  en  rapport  cvidemment  avec  un  etatde 
distraction. 

D'ailleurs,  d'une  maniere  gen^rale,  les  troubles  de  la  memoire 
les  plus  nets  que  pr^sentent  les  psychastheniques  se  rattacheot 
au   type   de   Yamnesie  continue,  Le   malade   semble  Cvidemment 

I.  Cf.  Neuroses  et  Idees  fixes,  I,  p.  iSa. 


TROUBLES  DE  LINTELLIGENCE  359 

distrait,  il  irepete  souvent  la  meme  chose,  il  radote,  il  oublie  qu'il 
vient  de  nous  raconter  tout  cela  et  quand  on  le  lui  fait  remarquer 
il  pretend  qu'il  n*a  pas  fait  ces  questions  et  qu*on  ne  lui  a  pas 
repondu.  «  II  m'est  impossible  de  rctenir  un  mot,  disait  deja  un 
malade  de  Baillarger,  apres  avoir  lu  et  relu  une  lettre,  rien  ne 
me  reste,  a  mesure  que  je  lis,  j'oublie.  II  en  est  de  meme  en  ^cri- 
vant,  j'oublie  ce  que  je  viens  d*ecrire*.  »  Chez  quelques  malades 
que  j'ai  deja  d^crits  dans  mon  etude  pr^cedente  sur  a  Tamn^sie 
continue  »,  en  particulier  dans  le  cas  de  Sch...  (observation  IV)', 
qui  se  rattache  tout  a  fait  a  notre  groupe  des  psychastheniques, 
on  trouve  une  amnesie  des  evenenients  recents  qui  se  developpe 
d*une  maniere  continue  a  mesure  que  la  vie  se  deroule :  a  Elle  ne 
peut  faire  aucune  course,  aucune  commission,  car  aussitot  dans  la 
rue  elle  perd  et  le  souvenir  des  adresses  et  le  souvenir  meme  de 
ce  qu'elle  doit  faire.  Ou  bien,  au  contraire,  elle  fait  les  choses 
plusieurs  fois,  tout  ^tonn^e  par  exemple  de  trouver  son  lit  deja 
fait  ou  surprise  de  constater  que  sa  soupe  n'est  pas  mangeable  car 
elle  Ta  sal^e  dix  fois.  Ce  n'est  qu'en  raisonnant  sur  ses  occupa- 
tions habituelles  qu^elle  peut  supposer  assez  vaguement  ce 
qu'elle  a  fait  hier  ou  ce  matin.  Cetoubli  n'est  pas  continuellement 
aussi  profond  et  aussi  rapide,  il  augmente  aux  anniversaires  de 
la  catastrophe,  il  diminue  dans  Tintervalle.  »  Les  autres  observa- 
tions de  cette  etude  surTamnesie  continue  avaient  surtout  rapport 
u  des  hysteriques  chez  lesquelles  d'ailleurs  le  symptdme  est  bien 
plus  accentu^.  Mais  il  serait  facile  d'ajouter  ici  bien  des  cas  aussi 
nets  chez  des  psychastheniques.  On  retrouve  Tamn^sie  continue 
rhez  des  tiqueurs  comme  Myl...  ou  As...  ou  Lrm...,  chez  des 
phobiques  comme  Ku...  ou  Dob...  «  qui  ne  sait  plus  a  quoi  elle 
a  employe  ses  journees  »,  chez  des  obsed^s  comme  Bei...,  «  inca- 
pable de  se  rappeler  au  bout  de  deux  minutes  ce  qu*elle  vient 
de  faire  »,  chez  Claire  «  qui  oublie  tout  au  fur  et  a  mesure  )). 
Malgre  la  banality  de  ce  symptAnie  que  I'on  retrouvera  chez 
presque  tons  les  malades,  je  crois  cependant  qu'il  ne  faut  pas 
s^attendre  a  le  trouver  parfaitement  net  chez  les  psychastheniques 
comme  chez  quelques  hysteriques  ou  comme  dans  la  psychose 
poljnevritique  de  Korsakof.  Trfes  souvent  les  souvenirs  reappa- 
raissentplus  ou  moins  complets  au  boutd'un  certain  temps  quand 


1.  Baillarger,  Recherches  snr  les  maladies  mcntales,  1890,  I,  p.  568. 

2.  Nevroseset  Idits  fixes,  I,  p.  11 5. 


360  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

le  sujet  ne  cherche  plus  a  les  ^voquer  volontairement.  11  y  a 
surtout  m6nioire  retardante  et  troubles  de  Tattention  dans  la  fixa- 
tion et  revocation  des  souvenirs. 

3.  —  Arr4t  de  V instruction. 

Ces  troubles  se  manifestent  d'ailleurs  de  bien  des  mani^res. 
Les  sujets  n*ont  ^videmment  pas  profite  de  I'instruction  qu'lls 
ont  regue  coinme  auraient  fait  des  indtvidus  normaux.  Lo...  (2i3u 
qui  a  suivi  tous  les  cours  possibles,  ne  salt  en  realite  pas  grand'- 
chose,  elle  est  en  retard  sur  les  jeunes  femmes  de  son  age  placees 
dans  les  memes  conditions.  Le  fait  est  encore  plus  manifeste  chez 
Jean.  II  a  suivi  toutes  les  classes  du  lycee,  il  a  €i€  aide  et  dirige 
autant  que  possible,  je  persiste  a  le  croire  intelligent  d*apres  son 
langage  et  ses  analyses  psychologiques  et  morales.  Cependantil 
est  arrive  tres  peniblement  a  des  examens  elementaires,  il  n'a  pu 
continuer  Tetude  du  droit  et  en  somme  il  ne  salt  presque  plus 
rien  de  ce  qu'on  a  essaye  de  lui  apprendre.  J*ai  deja  signale  le 
sentiment  bizarre  qui  le  pousse  a  demander  des  iddes  g6nerales, 
mais  ce  sentiment  correspond  a  quelque  chose  de  juste.  II  a  une 
m^moire  extraordinaire  des  dates,  des  faits  bruts,  mais  il  n'a 
aucunc  instruction  generale.  La  maladie  de  Red...  a  commence 
plus  tard,  vers  i8  ans,  ses  progres  se  sont  arretes  a  ce  moment 
et  les  etudes  scientifiques  qu'elle  suivait  parfaitement  auparavant 
sont  devenues  trop  difficiles  pour  elle. 

Ces  lacunes  se  manifestent  surtout  dans  lesexercices  qui  deman- 
dent  de  la  precision  et  de  la  composition.  On  pourrait  croire  que 
ces  arithmomanes  qui  veulent  toujours  compter  et  qui  recherchent 
une  si  grande  precision  vont  avoir  des  dispositions  pour  les  ma- 
thematiques.  Ce  serait  une  grande  erreur:  ils  ont  tous  horreur 
des  mathematiques  proprement  dites  et  sont  incapables  de  com- 
prendre  le  moindre  raisonnement  geometrique  ou  de  resoudre  un 
petit  probleme.  J*ai  essaye  bien  souvent  de  fairc  devant  eux  un 
raisonnement  de  ce  genre,  aucun  ne  m'a  meme  laisse  aller  jus- 
qu*au  bout,  il  est  evident  qu'ils  n  y  comprenaient  rien.  Un  exer- 
cice  que  la  plupart  n*arrivent  pas  a  faire  davantage,  c'est  une 
composition  par  ecrit  sur  un  sujet  quelconque.  Ils  redoutent 
surtout  les  sujets  descriptifs  oil  il  est  question  d'objets  reels;  ils 
aiment  mieux  les  idees,  surtout  les  idees  abstraites.  Gisele  remarque 
qu'elle    comprend    mieux    les  idees  que    les    choses  concretes. 


TROUBLES  DE  L'INTELLIGENCE  361 

Wye...  veul  bien  s'occuper  de  psychologic  mais^  non  de  physio- 
logic, c'est  la  un  fait  important  sur  lequel  nous  reviendrons. 
Mais  ils  ne  peuvent  mettrc  leurs  id^es  en  ordre,  ils  veulent  poii- 
voSr  en  parler  d'abondance,  a  tort  et  a  travcrs;  ils  ne  peuvent  pas 
coordonner  une  composition  ^crite.  C'est  une  des  raisons  pour 
lesquelles  ils  ont  tant  de  peine  a  vous  6crire  et  quelquefois  a  vous 
parler. 

Nous  retrouvons  ici  un  caractere  curieux  que  nous  avons  si- 
gnale  des  le  debut  de  cetle  etude  en  decrivant  Tattitude  des  nia- 
lades.  Leur  embarras,  ieur  di({icult6  pour  exprimer  leurs  troubles 
ne  dependent  pas  seulement  de  leurs  idees,  de  leurs  sentiments 
de  gene,  mais  aussi  de  Timpuissance  de  leur  esprit  a  coordonner 
et  a  exprimer. 

3.  —  Inintelligence  des  perceptions, 

II  n'est  pas  facile  de  mettre  en  evidence  par  une  experience 
rapide  cette  incapacite  intellectuelle.Presque  toujours  lesmalades 
sont  encore  capables  de  fixer  Tesprit  pendant  un  moment  quand 
on  les  excite  :  ils  ne  se  comportent  pas  comme  certaines  hysteriques 
qui  lisent  tout  haut  quelques  lignes,  qui  les  r6citent  m^me  et  ne 
comprennent  absolument  rien  a  ce  qu*elles  ont  lu.  II  est  n^ces- 
saire  de  les  faire  lire  plus  longtemps  des  morceaux  un  peu  plus 
s^rieux,  il  est  bon  surtout  de  les  laisser  lire  seuls  quelques  instants 
et  de  les  interroger  ensuite  sur  ce  qu'ils  ont  lu.  J'ai  fait  souvent 
cette  experience  chez  Tr...,  chez  Lo...  et  chez  Claire  et  j'ai  sou- 
vent  constate  que  ces  sujets  avaient  tres  mal  compris  leur  lecture. 
Elles  me  priaient  toujours  de  les  laisser  recommencer  et  relire 
plusieurs  fois  de  suite  le  m^me  morceau.  Ce  n'etait  pas  tout  a 
fait  une  manie  de  repetition  et  un  sentiment  faux  de  m6contente- 
roent  :  Tintelligence  du  morceau  etait  reellement  tres  insufli- 
sante. 

On  peut  quelquefois  constater  plus  encore  et  voir  que  les 
malades  n'ont  pas  seulement  des  obsessions  conscientes,  comme 
on  les  appelle,  dont  ils  reconnaissent  bien  la  faussete.  lis  ont 
des  idees  fausses  sur  leur  situation  et  sur  les  personnes  qui  les 
environnent.  Ils  ne  se  rendent  pas  compte  dc  Topinion  quails 
inspirent,  ils  croient  que  leur  situation  n'est  pas  grave  dans  les 
cas   les   plus  desesp^r^s,   ils  continuent  a    croire    possible    une 


362  LES  8TIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

foule  de  choses  impraticables.  Lo...  s^est  mariee,  a  quitte  ses 
parents,  a  habile  deux  mois  avec  son  mari  sans  prendre  cette  situa- 
tion au  serieux  et  sans  la  comprendre;  elle  quitte  subitement  son 
mari  et  rctourne  chez  ses  parents ;  le  mari  demande  le  divorce, 
etc.  Rien  de  tout  cela  n'interrompt  ses  reves,  cette  jeune  femme 
repete  en  souriant  qu'elle  est  toute  surprise  de  s'entendre  appeler 
Madame,  qu'elle  ne  se  rend  pas  compte  d'avoir  r^ellement  ete 
marine.  II  est  certain  que  cette  pauvre  femme  ne  sent  point  du 
tout  la  gravite  de  sa  situation.  Xyb...  a  renvoy6  une  domestique 
puis  elle  Ta  reprise  quelque  temps  apres.  En  dehors  de  ses  hesi- 
tations et  de  ses  obsessions  elle  se  fait  sur  cet  acte  une  apprecia- 
tion tout  a  fait  fausse.  Elle  croit  devoir  a  cette  domestique  des 
reparations  extraordinaires,  elle  croit  que  les  «  rapports  ordinaires 
de  maitre  a  domestique  n'existent  plus  entre  elles  deux,  cette  bonne 
n*a  plus  sa  place  dans  mon  imagination  comme  domestique,  elle 
se  sent  liee  vis-a-vis  de  sa  bonne  par  quelque  chose,  etc.  ».  J'in- 
siste  sur  ce  point,  Ics  malades  n'ont  pas  seulenient  des  obsessions 
conscientes,  ils  ont  des  idccs  inexactes  qui  peuvent  facilement 
devenir  des  idees  delirantes. 

Ce  defaut  de  Tintelligence  ne  se  manifeste  pas  d^ordinairedans 
la  simple  conversation,  on  n'observe  un  trouble  dans  les  percep- 
tions auditives  que  dans  deux  cas,  d'abord  quand  les  malades 
sontau  milieu  d'une  crfse  de  rumination  ou  d'angoisse  tres  forte, 
souvent  ils  ne  comprenncnt  plus  rien  a  ce  qu'on  leur  dit,  mais  ce 
trouble  ne  dure  en  general  que  pen  de  temps.  On  I'observe  aussi 
quand  ils  essayent  d'ecouter  pendant  assez  longtemps  une  con- 
ference ou  un  sermon.  Claire  se  desolait  au  d^but  parce  qu'elle 
ne  pouvait  plus  comprendre  les  sermons,  elle  accusait  ses  senti- 
ments religieux;  en  realite  elle  ne  pouvait  suivre  la  parole  du  pre- 
dicatcur  que  pendant  peu  de  temps.  Jean  met  beaucoup  de  zele 
a  suivre  des  conferences  litteraires  mais  il  n'en  profite  guere,  car 
il  ne  peut  ^couter  le  professeur  plus  de  quelques  minutes,  son 
esprit  s'en   va   et   pense   a  autre  chose. 

4.  —  Troubles  de  I' attention, 

Ces  alterations  dans  le  r^sultat  du  travail  mental  revelent  des 
troubles  assez  graves  de  Tattention.  C'est  en  effet  un  fait  d'ob- 
servation  vulgaire  que  Tctat  de  distraction  perpetuelledesobs^des. 


TROUBLES  DE  L'INTELLIGENCE  363 

Baillarger  notait  deja  <(  la  lesion  de  Tattention  dans  la  monoma- 
nieS).  Buccola  et  Tamburini  ont  insists  sur  Texag^ration  de 
Tattention  spontanee  et  raffaiblissement  de  Tattention  volon- 
taire. 

On  pent  dire  que  c'est  la  le  trouble  principal  qui  consiste  non 
dans  une  suppression  des  facultes  intellectuelles  mais  dans  une 
difficulte  de  fixer  rattention.  lis  ont  toujours  Tesprit  distrait 
par  quelque  preoccupation  vague  et  ne  se  donnent  jamais  entiere- 
ment  a  Tobjet  qu'on  leur  propose.  II  r^sulte  de  cette  division  de 
I'esprit  qu'il  ne  donne  que  peu  de  force  pour  Top^ration  prin- 
cipale.  lis  ont  de  la  peine  a  effectuer  les  operations  mentales  des 
qu'elles  deviennent  un  peu  difliciles,  ils  comprennent  mal,  n'ont 
pas  de  vues  d'ensemble,  s'embrouillentextr^mement  vite  des  que 
Fobjet  d^etude  est  un  peu  complique  :  Xyb...  avouequ'elle  perd  la 
tete  des  qu'elle  a  plusieurs  operations  a  faire  a  la  fois.  S'il  entre 
quelqu'un  pendant  qu*on  lui parte  ellenecomprend  plus.  Ellevou- 
drait  comme  d'ailleurstous  les  autres  etre  dansle  plus  grand calme 
pour  lire  une  phrase  ou  repondre  a  une  question.  «  Des  que  je 
regois  une  visite,  dit  Lib...  (117)  je  ne  puis  plus  fixer  mon  atten- 
tion meme  sur  une  simple  broderie,  j'ai  la  t^te  pleine  de  choses, 
il  Taut  que  je  sois  absolument  seule  pour  me  fixer  un  peu  sur 
quelque  chose.  »  «  II  m'est  devenu  bien  diflicile  d'etre  presente, 
dit  Wo...,  a  chaque  instant  les  gens  me  secouent  et  me  disent  : 
a  quoi  penses-tu  ?  Je  sens  surtout  cette  difHcultd  quand  j'essaye 
dejouerde  la  musique  a  quatre  mains,  je  ne  puis  pourtant  pas 
dire  a  la  personne  qui  joue  avec  moi:  je  n'y  suis  pas,  attends- 
moi.  II  me  faut  un  effort  ^norme  pour  continuer  a  peu  pres  et 
ne  pas  partir  sur  quelque  recherche.  » 

Meme  quand  Tattention  se  fixe  un  peu  elle  a  toujours  un  autre 
defaut,  c'est  son  extreme  brievete.  II  ne  faut  pas  maintenir  long- 
temps  la  m^me  operation,  le  malade  cesse  vite  de  s'y  interesser  : 
Jean  ne  pent  suivre  une  etude  que  quelques  minutes,  meme  sans 
qu'il  ait  de  manies  a  ce  sujet  il  se  met  au  bout  de  trois  ou  quatre 
minutes  a  vous  faire  rep^ter  et  ne  comprend  plus,  il  en  est  de 
meme  chez  Mm...  qui  ne  pent  pas  prolonger  une  conversation 
plus  d'un  quart  d'heure.  Claire  change  sans  cesse  d'occupation, 
elle  laisse  une  chose  et  la  recommence,  elle  s'agace  de  ne  pas 

I.  Baillarger,  De  la  168ion  de  rattention  dans  la  monomanie.  Ann.  mid.  psych., 
i846.  II,  168. 


364  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

pouvoir  fixer  Tattention  et  tombe  dans  ses  manies.  Lise  se  plaint 
de    ne    plus    pouvoir  aller  jusqu'au  bout  d'une   addition.   Chez 


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Fig.  1 5.  —  Courbe  de«  temps  de  reaction  ^  des  excitations  tactiles  chez  Boi.  —  Ixis  exci- 
tations lactiles  ont  lieu  sur  le  dos  de  la  main  gauche,  les  mouvements  sent  faiti  par  la 
main  gauche.  —  Dureo  de  rexp^rience:   i5  minutes. 


Simone  le  fait  devient  grossier  :  je  reussish  Tarracher  a  ses  idees 
fixes  en  Tinteressant  a  Tanalyse   botanique   d'une  fleur  :  tout  va 


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Fig.  1 6.  —  Courbe  des  temps  de  ruction  simple  a  des  excitations  tactilcs  chez  Bel.  —  Les 
excitations  tactiles  ont  lieu  sur  le  dos  de  la  main  droite.  —  L'exp^rience  a  une  daree  de 
3o  minutes.  —  En  A,  premiere  partie  du  graphique  pendant  les  la  premieres  minutes; 
en  B,  derniere  partie  pendant  Ics  la  dernieres  minutes. 


tres  bien  au  debut  en  ecoutant  avec  attention  elle  devient  ainiable, 
elle  demande  ce  qu'elle  ne  comprend  pas  et  ne  manifeste  plus  de 


TROUBLES  DE  LINTELLIGENCE 


305 


delire.  Ces  belles  dispositions  ne  diirent  pas  plus  dc  quatre  ou 
cinq  minutes;  puis  je  vois  bien  que  sa  figure  change,  elle  se  bute 
et  ne  comprend  plus,  elle  se  frotte  le  front  conime  si  elle  y  souf- 


Fio.  17.  —  Courbe  des  temps  de 
reaction  simple  k  dos  excita- 
tions aaditives  chez  Bei. . . 


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Fig.  18.  —  Courbe  des  temps  de 
reaction  simple  k  des  excita- 
tions visuelles  chez  Bei... 


frait,   si  je  continue  elle  va  se  facher  et  tomber  dans  une  crise 
d'agitation  delirante. 


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Fia.  ig.  —  Courbe  des  temps  de  reaction  simple  k  des  excitations  tactiles  chez  Qes., 


On  observe  le  fait  inverse  quand  il  s'agit  d'une  association 
d'idees  qui  revient  ni^caniquement.  Le  sujet  y  revient  sans  cesse, 
il  ne  pent  plus  parler  d'autre  chose.   «  Je  remarquais,  dit  Tr^lat, 


366  LES  STIGMATES  PSYCIIASTHeMQLES 

que  lorsque  sesid^es  ^taient  port^es  sur  un  sujet,  11  ne  pensait  qu'a 
cela  et  ne  parlait  plus  d'au\re  chose  V  » 

J'aurais  vivement  d^sir^  rendre  manifesle  cette  brievete  de  Tat- 
tention  par  des  mesures  et  des  graphiques  et  verifier  Tobservation 
de  M.  Buccola  sur  raugmentation  des  temps  de  reaction.  Les  dif- 
ficultes  sont  tres  grandes  :  les  grands  malades  ne  se  prMent  pas 
aux  experiences,  les  autres  sont  momentan^ment  modifies  par  le 
dispositif  memc,  enfin  les  precedes  de  mesure  de  Tattention  sont 
encore  insutlisants.  J*ai  cependant  essays  d*oblenir  chez  quelques 
malades  le  graphique  des  temps  de  reaction  suivant  une  methode 
qui  a  ete  discutc^e  dans  un  ouvrage  pr^cddent ',  Les  graphiques 
de  Tattention  par  la  courbc  des  temps  de  reaction,  pris  chez 
Bei...,  ne  sont  pas  tres  caracteristiques.  Quand  il  s'agit  de  temps 
de  reaction  simple  a  des  excitations  tactiles  faites  sur  le  dos  de 
la  main  gauche  ou  de  la  main  droitc,  la  courbe  est  a  peine  au- 
dessus  de  la  normale,  et  elle  s'eleve  fort  pen  sous  Finfluence  de 
la  fatigue,  comme  on  le  voit  dans  les  figures  i5  et  16  empruntees 
a  notre  livre  sur  les  n^vroses^  et  qnl  represcntent  une  experience 
d*un  quart  d*heure  de  dur^e.  Dans  les  figures  17  et  18  qui  repre- 
scntent des  temps  de  reaction  a  des  excitations  auditives  et  a 
des  excitations  visuelles  on  note  une  elevation  notablemeot  plus 
grande  des  courbes  qui  nous  montrc  mieux  la  diminution  de 
Tattention. 

Les  deux  courbes  (figures  19  et  20)  obtenues  par  les  memes 
proced<^s  sur  Qes...  sont  interessantes  :  la  courbe  des  reactions  a 
des  excitations  tactiles  et  cclle  des  reactions  a  des  excitations 
visuelles  sont  toutes  deux  beaucoup  trop  elevees.  Cette  elevation 
est  un  peu  moins  grande  dans  la  figure  21  qui  montre  la  courbe 
des  reactions  de  Gei...  a  des  excitations  visuelles.  J'ai  deja  fait 
remarquer  toutes  les  critiques  dont  est  passible  ce  mode  de  me- 
sure de  I'attention.  Ces  recherches  n'ajoutent  que  peu  a  nos 
observations  precedentes  sur  la  faiblesse  de  Tattention,  elles  ne 
font  que  les  confirmer. 


I.  Tr^lal,  FoUe  lucide,  p.  57. 

a.  \h'ro$es  et  Itit^es  fixes ^  1,  chapitrc  a,  La  mesure  de  TaUenlion  et  le  graphique 
des  temps  de  reaction,  p.  69. 

3.  Neuroses  ei  Idees  fixes,  11,  p.  69. 


Cm 

6 


5e»  o  o 

n  p«  »=- 


368 


LES  STIGMATES  PSYGHASTHfiNIQUES 


Fig.  ai.  —  Courbe  des  temps  de  reaction  simple  a  des  exoitatioas  visuelles  ches  Gei.. 


5.  —  HSverie, 


De  cette  disparition  de  rattention  tl  resulte  que  leurs  pensees 
ressemblent  beaucoup  plus  a  uq  etat  de  r^ve,  a  une  reverie  per- 
p(^tuelle.  Chaque  fait  provoque  des  associations  d'idees  qui  vonl 
absolument  a  la  derive  sans  que  le  malade  puisse  les  diriger. 
«  Mes  idees,  dit  Lise,  ne  sont  jamais  nettes  au  fond,  je  suis  inca- 
pable de  ni'y  debrouiller.  Elles  viennent  subitement,  occupent 
Tesprit  une  demi-journee  et  puis  s'en  vont.  J'ai  une  paralysie 
dans  la  t^te  qui  nr^inpeche  de  les  secouer.  »  We...  (170)  reve 
toule  la  journee,  clle  reniarque  elle-m^me  que  ses  idees  se  pre- 
sentent  la  nuit  en  r^ve  de  la  meine  fa^on  que  dans  la  journee. 
II  n'y  a  pas  pour  elle  une  grande  difference  enlre  la  veille  el 
le  somineil. 

Chez  Claire  la  reverie  est  tres  bien  d^crite.  «  Je  r^ve  toujours 
tant  de  choses  que  je  n'en  sais  meme  pas  la  moiti^.  »  Ce  ne 
sont  pas  toujours  des  idees  ayant  rapport  a  son  d^lire,  ce 
sont  des  choses  qu'elle  a  vues,  qui  viennent,  elle  ne  sait  d'oii, 
qui  se  melent  confus^ment  et  elle  ne  pent  fixer  une  de  ses  id^es 
sans  qu'il  en  vienne  une  foule  d'autres  tout  autour.  «  Quand  je 
regarde  en  arriere  je  ne  sais  pas  comment  j*ai  vecu,  je  trouvedes 


TROUBLES  DE  L'lNTELLIGENGE  36^ 

reveries  sans  (in  sur  tout.  Toutes  mes  pens^es  se  tournent  en 
reve;  quand  on  me  parle,  quand  on  me  touche,  on  me  fait  sursau- 
ter  comme  si  je  n'y  6tais  plus,  comme  si  j'etais  toujours  dans  un 
siutre  monde.  » 

Gisele  a  remarqu6  qu'elle  n*est  jamais  entierementa  ce  qu*elle 
fait  parce  qu'il  y  a  toujours  trois  vies  en  elle  :  la  vie  ext^rieure  en 
rapport  avec  les  choses  du  dehors,  c'est  la  moins  developp^e,  la 
vie  interieure  des  reflexions,  la  plus  int^ressante  et  la  plus  deve- 
lopp^e  et  une  troisieme  vie  dont  elle  se  rend  mal  compte  et 
qu'elle  sent  au  fond  d'elle-meme  comme  si  quelque  chose  revait 
en  elle  encore  plus  profond^ment.  Ces  divisions  de  la  pensee 
qui  se  produisent  quand  diminue  Tefibrt  de  Tattention  justi- 
fieraient  ce  mot  bien  juste  de  M.  Espinas  «  une  conscience 
afTaiblie  c'est  une  conscience  dispers^e  ».  On  ne  sera  plus  ^tonn^ 
de  la  reverie  de  Lib...  que  j'ai  decrite  comme  un  accident  une 
agitation  mentale  diffuse  :  ce  n'est  que  Texageration  d'un  stigmate 
([ue  nous  retrouvons  sous  une  forme  att^nu^e  chez  tons  les  autres 
malades. 

Dans  ces  conditions  il  semble  bien  didicile  que  ces  esprits 
puissent  arriver  a  une  conclusion  nette  sur  un  fait  ou  sur  un 
raisonnement.  Krafft-Ebing,  disait  justcment  que  ce  qui  frappe 
immediatement  c'est  Timpossibilite  d'amener  ces  malades  a  une 
conclusion  ^  Ce  sentiment  de  doute  que  nous  avons  constats  dans 
les  sentiments  d'incompletude  est  Texpression  dans  la  conscience 
de  ce  travail  insudisant  de  Tattention.  «  C'est,  disait  M.  Ribot, 
un  etat  d'h^sitation  constante  pour  les  motifs  les  plus  vains  avec 
inipuissance  d'arriver  a  un  r^sultat  definitif.  )> 


6.  —  Eclipses  mentafes, 

Je  voudrais  signaler  a  propos  de  ces  troubles  de  Tattention  un 
ph^nomene  tres  curieux  dont  on  verra  bientot  toute  Timportance. 
Simone  vient  se  plaindre  d'6prouver  souvent  un  singulier  arret 
de  la  pensee.  Tout  d'un  coup  elle  s*arrete  au  milieu  d'une  con- 
versation et  reste  un  petit  moment  sans  parler  puis  elle  se 
retrouve,  quelquefois  elle  continue  sa  conversation  comme  si  rien 
n^^tait  arrive  et  ses  parents  sont  seuls  a  avoir  remarqu^  la  petite 

1.  KraflTl-Eblng,  Psychiatrie,  traduct.  1897,  p.  544. 

2.  Ribot,  Les  Maladies  de  la  volonte,  p.  59  (Paris,  F.  Alcan). 

LES  OBSESSIONS.  I.  —  3^ 


370  LES  STIGMATES  PSYCH ASTHfiNIQUES 

interruption  ;  souvent  elle  reste  un  peu  troubl^e  et  a  besoin  de 
quelques  efforts  pour  savoir  oii  elle  en  ^tait.  Ce  fait  me  parait 
d'autant  plus  curieux  que  chez  cette  jeune  fille  il  a  pr^c^d^  de 
quelques  mois  et  comme  annonce  Tarriv^e  de  grandes  obsessions 
de  honte  du  corps  qui  ont  pris  pendant  longtemps  un  assez  grand 
d^veloppement.  Le  meme  fait  se  pr^sente  chez  Gis^le,  grande 
scrupuleuse.  Suivant  son  expression  «  elle  perd  ses  id^es»,  mais 
il  parait,  a  ce  qu'elle  pretend,  que  c'est  la  up  ph^nomene  fre- 
quent dans  sa  famille  et  que  ses  freres  ont  aussi  Thabitude  de 
perdre  de  temps  en  temps  leurs  id^es. 

La  diminution  de  Tattention  peut  done  aller  chez  quelques-uns 
jusqu'a  des  Eclipses  de  la  pensee  comme  la  diminution  de  la 
volont^  arrive  a  Tinertie  complete. 


3.  —  Troubles  des  Amotions  et  des  sentiments. 

L'6tude  des  Amotions  et  des  sentiments  de  ces  malades  serail, 
je  crois,  particuliferement  fructueuse,  parce  qu'elle  expliquerait 
beaucoup  d^autres  faits,  mais  on  trouve  toujours  la  meme  diffi- 
cult^ ;  les  troubles  qui  se  presentent  et  qui  sont  incontestables 
sont-ils  les  r^sultats  des  id^es  absurdes  du  malade,  sont-ils  cr^^s 
par  son  d^lire  ou  sont-ils  anterieurs  a  ce  d^lire  et  forment-ils  le 
fond  naturel  de  la  maladie?  Bien  souvent  les  malades  eux-memes 
rattachent  le  trouble  de  leurs  emotions  a  une  sorte  de  retenue 
qu'ils  supposent  presque  volontaire,  c^est  ce  que  font  souvent  les 
timides  :  «  II  y  a  en  moi»  disait  AmieP,  une  raideur  secrMe  a 
laisser  paraftre  une  Amotion  vraie,  a  dire  ce  qui  peut  plaire,  a 
m'abandonner  au  moment  present,  sotte  retenue  que  j*ai  toujours 
observ^e  avec  chagrin...  mon  coeur  n'ose  jamais  parler  s^rieuse- 
ment,  je  badine  toujours  avec  le  moment  qui  passe  etj*ai  F^roo- 
tion  retrospective.  II  repugne  a  ma  nature  r^fractaire  de  recon- 
naltre  la  solennite  de  Theure  ou  je  suis,  un  instinct  ironique 
qui  provient  de  ma  timidite  me  fait  toujours  glisser  leg^rement 
sur  ce  que  je  liens  sous  pretexte  d*autre  chose  et  d'un  autre 
moment...  La  peur  de  Tentrainement  et  la  defiance  de  moi-raeme 
me  poursuivent  jusque  dans  Tattendrissement.  »  Get  arr^t  des 

I.  Amiel,  Journal  intime,  1,  p.  i5i. 


TROUBLES  DES  ^MOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  371 

sentiments  est-il  vraiment  une  retenue  par  crainte  de  Tentrai- 
n€ment,  ou  bien  au  contraire  cette  pretendue  retenue  n'est-elle 
pas  inventee  pour  Texpliquer  ? 

Le  meme  probl^me  se  pose  a  propos  des  id^es  de  scrupule  qui 
semblent  ^tre  la  raison  de  cet  arr^t  des  Amotions.  Lod...  se  plaint 
d'une  chose  qui  Tenerve  au  plus  haut  point,  e'est  qu'elle  ne  pent 
plus  s^amuser,  se  r^jouir,  prendre  du  plaisir  de  bon  coeur  a  quelquc 
chose.  Quand  ^excitation  agreable  arrive  et  quele  plaisir  va  surve- 
nir»  elle  est  arret^e,  ne  pent  plus  se  livrer  au  sentiment  quel  qu'il 
soit,  il  faut  qu'elle  pense  a  autre  chose  et  ses  id6es  ordinaires, 
ses  probl^mes  surgissent :  il  faut  qu'elle  les  resolve  d'abord,  avant 
de  continuer  la  jouissance.  Un  chapeau  lui  plait-il,  aussitot  surgit 
ridee  que  c'est  une  satisfaction  egoiste.  Veut-elle  passer  outre, 
elle  a  des  remords  comme  si  «  elle  avait  Tid^e  d'envoyer  la  reli- 
gion promener  ».  Ecoute-t-elle  une  comddie  au  theatre,  il  lui 
faut  <(  remettre  droites  ses  id^es  sur  Dieu  »  avant  de  s'int^resser 
a  la  pi^ce.  Elle  ne  pent  prendre  plaisir  a  la  musique  qu'elle  joue,  il 
faudrait  d'abord  se  d^barrasser  de  Tidee  qu'elle  pense  mal  de  Dieu. 
Elle  a  une  amie  qu'elle  aime  beaucoup  et  ne  pent  se  laisser  aller 
au  plaisir  de  I'afiection,  au  simple  plaisir  de  Tembrasser,  car  il  lui 
vient  I'idee  qu'elle  aurait  bien  pu  I'embrasser  sur  les  levres  et  que 
ce  serait  contraire  a  la  pudeur. 

En  ^coutant  ce  langage,  on  est  port6  a  penser  qu'elle  est  sur- 
tout  d^lirante,  que  c'est  elle  qui  se  supprime  ses  plaisirs  a 
cause  des  scrupules  qui  la  pers^cutent,  et  on  est  tent6  de  lui  dire  : 
«  Ne  pensez  plus  au  bon  Dieu  et  a  la  morale  et  vous  vous  amuserez.  > 
La  question  est  plus  delicate,  car  cet  arr^t  du  plaisir  se  re-* 
trouve  chez  beaucoup  de  malades  qui  n'ont  pas  pr6cisement  des 
obsessions  ni  des  phobies  a  ce  sujet  et  dont  les  emotions  s'arre- 
teot  cependant  de  la  meme  maniere  sans  qu'il  y  ait  une  id^e 
d^termin^e  ni  une  angoisse  pouvant  servir  de  pr^texte  a  cet  arr^t. 
Chez  beaucoup  des  idees  surgissent  et  pullulent  apres  cet  arret 
mais  sans  avoir  aucun  rapport  avec  I'^motion  ant^c^dente,  chez 
d'aatres  I'arret  de  T^motion  n'est  suivi  d'aucun  trouble  particu- 
lier.  II  semble  done  qu'il  exisle  chez  ces  malades  un  trouble  fon- 
damental  des  Amotions  et  des  sentiments  ind^pendant  des  autres 
phdnomenes  que  nous  venons  d'^tudier. 

D'autre  part,  on  voit  se  developper  chez  beaucoup  de  ces  ma- 
lades un  grand  nombre  de  sentiments  sp^ciaux  que  Ton  ne  ren- 
contre pas  au  moins  au  m6me  degre  chez  les  individus  normaux. 


372  LES  STIGMATES  PSYGlIASTllENIQUES 

Chez  quelques-uns  ces  besoins  ou  ces  amours  bizarres  sont  ac- 
compagnes  par  des  phenom^nes  intellectuels,  des  obsessions  du 
m^me  genre,  mais  chez  beaucoup  il  n*en  est  pas  ainsi  et  les  sen- 
timents  anormaux  se  d^veloppent  en  dehors  des  reflexions  du 
sujet  presque  a  son  insu.  Ces  sentiments  sont  voisins  des  seoti- 
ments  d'Incompletude  qui  viennent  d'etre  Studies,  mais  ils  ne 
sont  pas  identiques  a  ces  phenomenes  :  ce  sont  plut6t  des  alte- 
rations des  sentiments  naturels  qui  existent  chez  tous  les  hommes. 
Ces  remarques  nous  conduisent  a  ^tudier  dans  les  paragraphes 
suivants  ces  modifications  primitives  des  emotions  et  des  sen- 
timents. 

I.  —  Indifference. 

II  faut  mettre  en  premiere  ligne  comme  modification  primitive 
une  modification  tres  importante  et  inattendue  des  Amotions.  On 
est  toujours  dispose  a  croire  que  ces  malades  sont  des  emotifs  et 
Ton  se  figure  qu'ils  ressentent  au  supreme  degre  toutes  les  emotions 
et  tous  les  sentiments.  II  y  a  peut-etre  dans  cette  opinion  quelque 
v^rite,  si  on  considere  les  emotions-chocs  qui  bouleversent  rapi- 
dement  F^quilibre  de  la  pensee  ;  mais  cette  opinion  est  certaine- 
ment  tr^s  exager^e  si  on  ^tudie  les  Emotions-sentiments  qui  doi- 
vent  se  prolonger  un  certain  temps  et  qui  consistent  dans  la 
conscience  de  tendances  plus  ou  moins  d^velopp^es. 

En  effet,  il  est  essentiel  de  constater  que  la  plupartdes  mala- 
des se  plaignent  d'etre  devenus  tout  a  fait  indiflTErents.  Al..., 
femme  de  27  ans,  devenue  maladc  apr^s  un  mariage  absurdo 
uvec  un  individu  a  demi  ali^ne  et  perverti  sexuel,  et  apres  un 
proces  scandaleux  de  plus  de  deux  ans  de  dur^e  remarque  tres 
bien  le  changement  qui  s'est  fait  dans  son  caractere.  Au  commen- 
cement de  ses  aventures  elle  6tait  excit^e,  en  colere,  tres 
d^solee  de  son  mariage,  de  son  proces,  en  un  mot  de  ses  mal- 
heurs  qu'elle  ressentait  vivement.  Tres  souvent  elle  se  laissait  a 
des  crises  de  d^sespoir,  elle  pleurait  et  se  lamentait.  Maiatenant 
tout  est  change,  elle  ne  pleure  plus,  ne  se  desole  plus,  est  deve- 
nue indifferente  a  tout,  elle  pense  a  son  mari  sans  que  cela  lui 
fasse  ricn :  «  je  n'ai  pas  de  d^sir,  dit-elle,  pas  de  regrets,  pas 
d'ambition,  rien  n'est  mauvais,  rien  ne  me  g^ne,  rien  ne  me  con- 
traric,  rien  ne  me  fait  plaisir.  »  Nadia  se  plaint  de  ne  pouvoir 
6tre  emotionn^e  et  de  ne  pouvoir  pleurer  sa  mere.  Kl...  et  Wks..., 
qui  etaient  autrefois  tres  vives  et  tres  coleres  sont  devenues  cal- 


TROUBLES  DES  fiMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  373 

mes  et  n'ont  plus  leurs  acces  d'lrritation.  Vil...  est  indifTerente 
a  la  realite  et  ne  s'int^resse  qu^a  des  r^ves.  Ce  qui  est  surtout 
atteint  par  I'indifF^rence  ce  sont  les  sentiments  affectueux  pour 
la  famille  et  pour  les  amis  et  cette  froideur  contraste  avec  I'amour 
qu'ils  ont  d'un  autre  ciHe  pour  ceux  qu'ils  ont  choisis  comme 
directeurs  de  conscience. 

D^apres  les  confidences  de  quelques  malades  on  pent  faire  des 
remarques  sur  une  emotion  qui  d*ordinaire  est  intense,  T^motion 
genitale.  II  est  curieux  de  remarquer  que  des  personnes  autrefois 
tres  excitables  sur  ce  point  sont  devenues  presque  entierement 
froides  et  ressente^nt  un  veritable  engourdissement  genital,  cette 
remarque  a  ^te  faite  sur  une  douzainede  sujets.  Chez  quelques- 
uns  cet  engourdissement  determine  m^me  une  recherche  exag6- 
r^e  et  bizarre  de  I'excitation  sexuelle  qui  pent  se  transformer  en 
un  veritable  d^lire,  comme  on  le  voit  dans  les  observations  de 
Lea...  et  de  Len...  Plusieurs  se  laissent  aller  a  la  masturbation, 
avec  une  sorte  de  fr^nesie  pour  a  arriver  jusqu'au  bout  »  de  Temo- 
tion,  cequ'ils  sont  devenus  incapables  de  faire. 

Chez  beaucoup  de  malades,  hommes  ou  femmes,  cet  arr^t  de 
r^motion  genitale  n'est  accompagn6  d'aucune  de  ces  manies  ni 
d*aucune  autre  obsession.  Leurs  troubles  intellectuels  ou  leurs 
phobies  portent  sur  de  tout  autres  questions ;  ils  n'ont  aucunc 
disposition  a  se  reprocher  Tacte  genital  accompli  dans  des  con- 
ditions normales  et  legitimes,  ils  n'ont  aucune  envie  de  le  trans- 
former ou  de  le  perfectionner.  Ils  constatent  seulement  qu'ils 
eprouvaient  autrefois  une  Amotion  violente  qui  grandissait  jusqu'i) 
un  maximum,  puis  s'arretait  brusquement  en  laissant  un  senti- 
ment de  satisfaction  et  d'apaisement  et  que  maintenant  les  choscs 
sont  chang^es,  que  cette  Amotion  commence,  qu'ellesed^veloppeim- 
parfaitement,  etqu'elle  n*arrive  jamais  au  maximum  suivi  d*apaise- 
ment.  Bien  mieux,  quelques-uns  n'avaient  fait  aucune  attention  a  ce 
fait  et  sont  tout  surpris  quand  on  le  leur  fait  remarquer.  II  y  a  done, 
a  cote  du  sentiment  d'incompl^tude  genitale  que  nous  avons 
signals  et  qui  pouvait  ^tre  plus  ou  moins  juste,  un  engourdisse- 
ment reel  qui  ne  semble  pas  dependre  de  I'appreciation  du  sujet. 

II  ne  faudrait  pas  en  conclure  que  tons  ces  sentiments  soientcom- 
pletementdisparuset  que  nous  soyons  en  presence  de  cette  anesthc' 
sie  morale  que  Ton  observe  chez  quelques  hystdriques.  Les  ma- 
lades   ont    Temotion    ou    du  moins    ils   commencent   ii    Tavoir, 


1 


37&  LES  STIGMATES  PSYCHASTH£NIQUES 

mais  ces  emotions  commenc^es  s'arretent  rapidementy  cessent  de 
se  d^velopper  ou  se  traDsformeDt  en  ruminations  ou  en  angoisses. 
Le  malade  se  rend  compte  que  son  sentiment  n*est  pas  complet, 
n*est  pas  fini  et  d'autre  part  ii  redoute  ces  transformations  p^ni- 
bles.  II  en  vient  a  redouter  lui-m^me  ces  sentiments  insuffisants, 
qui,  sHl  essaye  de  les  qaener  plqs  loin,  donnent  naissance  a  des 
crises  douloureuses  et  il  finit  par  ajouter  une  restriction  volontaire 
a  cet  arret  qui  survenait  d'abord  naturellement.  Depuis  qu'il  a  des 
scrupules,  On...  craint  les  col^res,  les  Amotions,  il  a  peur  de  Texci- 
tation  sexuelle,  peur  de  la  surprise,  «  peur  de  se  laisser  emballer 
par  quoi  que  ce  soit  ».  II  se  rend  ^videmment  plus  indifferent 
quHl  ne  le  serait  spontan^ment. 

Comme  le  fait  me  parait  extr^mement  important  je  rapporte 
encore  sur  ce  point  Tobservation  de  Lise  qui  confirme  toutes  les 
remarques  pr^c^dentes.  Cette  personne  semble  ^tre  inacces- 
sible a  toute  Amotion.  «  II  y  a  longtemps  qu'elle  a  renonce 
il  prendre  plaisir  h  quelque  chose  et  elle  ne  songe  m^me  pas  a 
s'en  plaindre.  »  L'indiff^rence  est  not^e  non  par  la  malade,  mais 
par  la  famille  qui  la  constate  et  me  raconte  ces  details.  Lise  n'a 
pas  d'amie  intime,  pas  de  d^sirs,  pas  de  caprices,  pas  decraintes 
sinenses  meme  quand  les  enfants  sont  malades,  pas  d'impatience 
vis-a-vis  d*un  mari  tout  a  fait  insupportable:  elle  est  admirable  de 
calme  et  de  raison.  Si  on  la  savait  raisonnable,  on  pourrait  admirer 
ce  calme,  mais  comme  nous  savons  le  d^sordre  de  sou  esprit,  on 
peut  se  demander  si  cette  sagesse  n'est  pas  un  symptdme  patho- 
logique. 

Quand  on  cherche  Toriglne  de  cette  indifference,  on  est  dis- 
pose au  premier  aborda  la  croire  volontaire.  On  remarquequ^elle 
a  H6  tr^s  affectueuse,  qu'elle  a  encore  quelquefois  une  grande  deli- 
catesse  de  sentiments ;  elle  pr6tend  qu^elle  est  capable  de  se  mettre 
en  colere  comme  une  autre  personne  et  de  ressentir  la  douleur  et 
rindignation.  Mais  tout  cela  n^existe  plus  qu'en  puissance  et  ne  se 
d^veloppe  plus  jamais;  car  il  lui  semble  qu'elle  s'arrete  elle-m^me : 
«  si  les  Amotions  se  d^veloppaient  jusqu'a  un  certain  point,  dit- 
elle,  mes  id^es,  mes  terribles  id^es  sur  le  diable,  les  enfants  vou^s, 
etc.,surgiraientetmedomineraientd'une  mani^re irresistible.  Sije 
me  laisse  aller  a  Texcitation  ou  It  la  colere  une  minute,  je  ne  suis 
plus  maitresse  de  mes  idees,  elles  surgissent  avec  force  et  vonl 
persister  longtemps  ».  II  en  r^sulte  qu^elle  a  une  peur  affreuse  de 
se  laisser  aller  a  une  Amotion,  elle  se  surveille  continuellement,  ne 


TROUBLES  DES  EMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  375 

se  laisse  jamais  aller  h  un  6tat  emotif  complet;  meme  au  milieu 
des  scenes  violentes  auxquelles  elle  assiste  elle  conserve  son  sang- 
froid, il  y  a  toujours  une  partie  d'elle-meme,  qui  n'y  prend  pas 
de  part.  Elle  a  ^galement  peur  de  se  laisser  aller  a  une  emotion 
en  assistant  au  theatre  ou  en  ^coutant  de  la  musique ;  en  un  mot 
elle  travaille  k  maintenir  en  elle  un  ^tat  d'indifTi^rence,  si  bien 
qu'elle   se  Ggure  que  c*est  elle-meme  qui  arr^te  les  Amotions. 

Je  crois  que  sa  volont6  et  sa  prudence  contribuent  un  peu  a  dimi- 
nuerlesph6nom^ne6  :  maisd'apresson  aveu  etd*apres  Tobservation 
des  autres  malades,  ses  Amotions  s'arreteraient  toutes  seules  a  un 
degr^  peut-Mre'un  peu  sup6rieur  et  se  transformeraient  contre  sa 
volonte  en  ruminations  et  en  angoisses.  Celles-ci  sont  evidemment 
des  ph^nomenes  d'une  autre  nature  que  les  Amotions  de  joie,  d^afTec- 
tion,  de  plaisir  artistique  qui  avaient  commence  a  se  developper. 
On  pent  noter  a  ce  propos  un  petit  detail  assez  demonstratif.  Lise 
a  supporte  pendant  dix  ans  sans  se  facher  et  sans  se  plaindre  les 
bizarreries  de  caractere  de  son  mari.  Quand  elle  commence  a  se 
guerir,  elle  ne  pent  plus  conserver  le  meme  calme.  Quoiqu*elle 
desire  encore  arreter  les  Amotions  et  surtout  les  manifestations 
des  Amotions  elle  n'y  parvient  plus  et  malgre  sa  volonte  elle  s'ir- 
rite  et  elle  souffre  de  ce  mariage.  C'^tait  done  bien  son  etat  ma- 
ladif  qui  Temp^chait  d'en  souffrir. 

Ces  observations  sont  tout  a  fait  concordantes,  elles  sont  fa- 
ciles  a  verifier  et  montrent  que  ces  malades  ont  beaucoup  moins 
de  sentiments  et  d'^motions  normales  qu*on  n'est  dispose  a  le 
croire. 


2.  —  Sentiments  melancoliques, 

Les  sentiments  qui  subsistent  avcc  une  certaine  acuite  sont 
des  sentiments  de  tristesse  analogues  a  ceux  que  Ton  rencontre 
chez  les  melancoliques.  La  suppression  de  toute  Amotion  vive 
jointe  a  la  depression  de  toute  activity  donnent  naissance  a  un 
sentiment  perp^tuel  d' ennui.  M.  Tissi^  remarque  fort  bien  le  role 
du  sentiment  de  Tennui  dans  toutes  les  fatigues.  «  Le  sentiment 
de  Tennui  domine  toutes  les  psychoses  et  on  le  retrouve  toujours 
a  un  moment  donn6  de  Tentrainement  intensif  chez  tons  les  su- 
jets  les  plus  gais  et  les  mieux  6quilibres\..  »  U  n'est  pas  surpre- 

I.  T\%i\i. Revue  scientifique,  1896,  II,  p.64a. 


376  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

nant  que  I'on  retrouve  ce  seutiment  chez  tous  nos  psychasth^ni- 
ques  perp^tuellement  fatigues. 

Ku...,  Dk...,  Dd...,  etc.,  tous  d'ailleurs  r^petent  qu'ils  ne  peu- 
vent  prendre  leur  part  des  joies  de  la  vie  pas  plus  que  de  ses 
soufirancesd^ailleurset qu'ils s'ennuientincurablement.  Lise... pre- 
tend qu'elle  6tait  ainsi  d^s  sa  premiere  enfanee,  qu'elle  ne  s*amu- 
sait  jamais  compl6tementetqu*elle  n'a jamais  pu  selaisser altera  an 
plaisir  ou  a  une  Amotion  quelconque  a  cause  d*un  fond  d'ennui 
incurable. 

lis  n'ont  pas  de  veritables  douleurs  mais  ils  ont  une  tristessc 
vague  qui  consiste  plutot  dans  Tabsence  de  toute  joie  que  dansuo 
reel  sentiment  de  chagrin,  c*est  une  nuance  de  Tcnnui.  Qsa... 
(io8)  est  toujours  morose  :  «  il  n'aime  pas  a  voir  des  gens  gais 
qui  Texasp^rent,  il  sent  qu'il  pourrait  Hre  capable  de  gait^  si  sa 
maladie  ne  le  separait  pas  de  toutes  choses  ».  Claire  se  plaint  dc 
s'attrister  elle-meme  continuellement :  (c  je  ne  m'aime  pas  moi- 
m^me...  parce  que  je  me  deteste...,  je  m*ennuie  et  m'attriste  de 
me  voir  moi-m^me  ». 

Gisele,  Jean,  Nadia  g^missent  sur  cette  existence  terne  a  la- 
quelle  ils  sont  condamn^s  a  j'ai  toujours  ^te  tres  triste  m^me 
dans  les  moments  les  plus  heureux  de  ma  vie,  c'est  une  existence 
gat^e  ».  ((  Je  ne  puis  meme  pas  prendre  un  plaisir  pur  dans  la 
musique  que  j'ainie  tant ;  je  mele  de  la  tristesse  a  tout,  j'ai  un 
esprit  merveilleusement  organist  pour  ^tre  malheureux.  » 

Ce  sentiment  de  tristesse  donne  sa  nuance  a  toutes  les  percep- 
tions et  a  toutes  les  idees.  Claire  etend  cet  ennui  et  cette  tris- 
tesse a  tout  Tunivers  «  il  nie  semble  que  tout  le  monde  doit  etre 
malheureux  et  tous  les  endroits  qui  me  plaisaient  autrefois  me 
paraissent  tristes  comme  si  tout  ce  monde  qui  est  si  peu  r^el 
^tait  toujours  sur  le  point  de  mourir,  de  s'ecrouler  ».  Jean  exa- 
gere  encore  comme  toujours  ces  dispositions  m^lancoliques  :  a 
bien  des  reprises  il  est  envahi  a  propos  de  certaines  personnes 
«t  de  certains  endroits  par  «  le  sentiment  de  la  fin  du  monde  ». 
Quand  il  quitte  un  endroit  ou  il  s'est  plu,  quand  il  apprend  la 
mort  d'un  parent  qui  habitait  telle  region,  quand  il  a  dans  un 
endroit  une  Amotion  triste,  deprimante,il  est  envahi  par  un  senti* 
ment  de  tristesse  profonde,  par  un  sentiment  de  mort  qui  s'ap- 
plique  uniquement  a  cet  endroit.  Nous  avons  deja  vu  de  ces  sen- 
timents de  mourir  dans  les  angoisses  morales,  mais  ce  qu'il  y  a 
de  particulier  dans  cette  observation  de  Jean  c'est  que  le  senti-. 


TROUBLES  DES  fiMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  377 

ment  s*associe  avec  la  pens^e  d*une  region  «  dans  ce  pays  tout 
est  mort,  c*est  la  fin  du  monde  pour  ce  pays  ».  Bientot  la  manie 
de  generalisation  va  s^emparer  du  sentiment  et  toute  la  region 
aux  alentours,  tout  TOuest  de  la  France  va  ^tre  mort.  II  est  facile 
de  voir  le  lien  de  tels  sentiments  avec  les  delires  m^lancoliques : 
chez  nos  malades,  ilsrestent  a  Tetat  de  sentiments  vagues  sans  se 
transformer  en  une  id^e  nette  ici  surtout  en  une  id^e  accept^e  et 
crue  par  le  sujet. 

3.  —  E  mo  twite. 

On  rencontre  cependant  des  malades  qui  paraissent  se  corn- 
porter  autrement  et  d'apres  lesquels  s'est  form^e  cette  opinion 
commune  que  les  obs^des  sont  extr^mement  ^motifs. 

Ce  sont  d*abord  les  timides,  presque  tous  nos  scrupuleux  ont 
ete  des  timides,  or  «  pour  etre  timide,  dit  M.  Hartenberg,  il 
faut  d'abord  etre  enclin  a  eprouver  une  certaine  Amotion  dans 
certaines  circonstances...  c'est  une  reaction  Emotive  spontan^e, 
aveugle,  irresistible  qui  survient  par  le  seul  fait  de  se  presenter 
en  public,  comme  le  vertige  se  produit  a  la  vue  d'un  precipice  <  ». 
Ce  sont  ensuite  les  tiqueurs  «  qui  sont  tous  des  ^motifs, 
attaints  d'une  afTectivite  desordonn^e*  ».  Puis  tous  les  phobiques 
dont  la  maladie  consiste  dans  une  tendance  irresistible  a  des 
emotions  disproportionnees. 

Aussi  n'estil  pas  surprcnant  que  beaucoup  de  nos  malades  se 
plaignent  de  leur  emotivite  excessive  :  par  exemple  Vr...,  Brk... 
remarquent  que  chez  eux  la  moindre  impression  prend  des  pro- 
portions etiormes,  une  surprise,  une  parole  adressee  brusque- 
ment,  la  vue  d'un  accident  dans  la  rue  leur  donne  des  chaleurs  a 
ia  tete,  des  palpitations  de  coeur,  des  suffocations,  des  respirations 
en  soupir  pendant  plus  de  lo  minutes,  «  la  moindre  des  contra- 
rietes  dit  Za...,  devient  pour  moi  au  bout  de  quelque  temps 
la  cause  de  tremblements  nerveux,  de  secousses  dans  tous  les 
membres  et  de  crises  de  larmes  tout  a  fait  absurdes  )>.  Wo...  se 
met  a  fondre  en  larmes  pour  la  moindre  des  choses.  Ces  emotions 
exagerees  se  presentent  surtout  quand  il  s'agit  de  se  montrer,  de 
faire  un  acte  en  public:  quand  Ul...  est  devant  quelqu'un  elle  se 
sent  serree  a  la  gorge,  elle  sent  un  gros  poids   qui  lui  ecrase  la 


I.  Hartenberg,  Les  timides  et  la  timiditi,  p.  5,  p.  i66. 
a.  Meige  et  Feindel,  Prog  res  medical,  7  sept.  1901. 


378  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

poitrine,  elle  suffoque,  elle  sent  comme  des  convulsions  dans 
tOds  les  muscles  de  la  face  et  des  yeux.  Cette  description  est 
banale,  on  la  trouverait  r^p6t^e  par  des  centaines  de  malades. 

Est-ce  la  de  Temotion  complete  et  ce  caract^re  contredit-il  le 
pr6c6dent?  Dans  un  sens  oui,  c'est  unecertaine  forme  d'^motioD« 
c'est  en  r6alit^  plus  ou  moins  completement  la  crise  d'angoisse 
qui  apparatt,  et  ne  semble-t-il  pas  qu'avoir  des  crises  d*an- 
goisse  a   tout   propos  c'est  ^tre  un  ^motif  ? 

II  me  semble  cependant  qu'il  y  a  bien  des  reserves  a  faire  a  propos 
de  cette  6motivit6.  Cette  emotion  pr^sented*abordun  caractere  bien 
curieux  qui  merite  d'attirer  Tattention  :  elle  est  retardante, 
«  retrospective  »,  comme  disait  Amiel.  Ces  malades  restent  sou- 
vent  parfaitement  calmes  devant  rev6nement  qui  devrait  les  6mo- 
tionner,  ils  se  comportent  comme  s'ils  ^taient  tout  a  fait  indiffi^- 
rents.  Les  reflexes  cardiaques  et  vaso-moteurs  qui,  suivant  la 
th^orie  de  Lange  et  de  James,  devraient  accompagner  immediate- 
ment  r^v^nement,  anterieurement  a  tout  travail  proprement  ce- 
rebral ne  se  produisent  pas  du  tout.  Cependant  tout  n'est  pas 
termini  :  au  bout  de  quelques  heures  ou  au  bout  de  quelques 
jours  un  travail  s'est  fait  dans  le  cerveau  a  propos  de  cet  ^v^ne- 
ment  et  les  malades  ont  des  palpitations,  des  tremblements  inter- 
minables  comme  s'ils  etaient  violemment  ^mus  par  cet  evenement 
quiydanssarealitepresente,  a  semble  passer  inapergu.  Claire  releve 
un  homme  qui  s'est  blesse  en  cherchant  k  se  suicider,  elle  a  un 
calme  incomprehensible  chez  une  jeune  fille,  elle  reste  indifferente 
toute  la  journee ;  mais  elle  est  malade  d*emotion  le  lendemain. 
Meme  observation  dans  une  foule  de  circonstances  chez  Nadia, 
chez  Jean,  chez  Gis^le,  Dob...,  Kl...,  etc.  Ce  fait  de  T^motion 
retardante  me  paratt  trfes  interessant,  il  doit  etre  rapproche  de 
cette  action  retardante  qui  caracterise  les  abouliques,  de  cette 
memoire  retardante  sur  laquelle  je  viens  d*insister.  En  un  mot, 
chez  certains  malades,  un  evenement  n*a  d*action,  ne  fait  naitre 
le  phenomene  psychologique  en  apparence  approprie  que  lors- 
qu'il  est  passe  depuis  un  certain  temps. 

Un  autre  caractere  de  cette  emotion  des  psychastheniques 
c'est  qu'elle  reste  une  emotion  vague,  indeterminee,  une  angoisse, 
c'est-a-dire  la  plus  basse  des  emotions  ct  qu'elle  est  tres  peo 
adaptee  a  Tevenement  qui  la  determine. 

Les  malades  eux-memes  remarquent  que  cette  emotion  a  an 
caractere  bizarre,  c'est  qu'elle  est  toujours  la  meme,  elle  survient 


TROUBLES  DES  EIMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  379 

aussi  bien  a  propos  des  6v^nements  qui  devraient  faire  naitre  de 
la  peur,  qu*a  propos  de  ceux  qui  devraient  faire  naitre  de  la  colere 
ou  de  ceux  qui  devraient  faire  naitre  de  la  joie.  On  pent  le  veri- 
fier tr^s  bien  avee  Ul...  qui  a  les  memes  ph^nomenes  de  sufibca- 
tion,  de  convulsions  de  la  face  et  des  yeux  en  recevant  une  lettre 
qu'elle  attend  ou  en  entrant  dans  un  omnibus.  Les  crises  d'an- 
goisse  de  Cs...  semblent  6tre  en  rapport  avec  son  d6lire  hypo- 
coodriaque  et  d^buter  quand  on  parte  de  maladie  devant  elle  ou 
quand  elle  voit  une  fiole  de  pharmacie,  mais  elles  surviennent 
cxactement  semblables,  quand  elle  rencontre  une  amie  dans  la 
rue  ou  quand  elle  regoit  une  page  de  «  batons  »  faits  par  son  petit 
gargon  qui  a  quatre  ans.  Lae...  exprime  cette  banality  de  son 
Amotion  d'une  maniere  bizarre.  II  a  et^  ou  a  cru  etre  mordu  par 
un  chien  eurag6  a  Tage  de  i5  ans  ;  depuis  il  eprouve  perp^tuel- 
lement  une  angoisse  toute  sp^ciale  qu'il  a  baptis6e  lui  nieme 
«  Temotion  du  chien  enrage  »,  elle  consiste  en  maux  de  t^te 
sp^ciaux,  tournoiement  dans  le  ventre,  secousses  de  la  jambe 
gauche  et  besoin  de  regarder,  de  toucher  cette  jambe  pour  voir 
«  si  un  chien  ne  la  lechepas  »,  pour  ^carter  ce  chien.  Eh  bien,  il 
ne  peut  plus  avoir  aucune  autre  Amotion  que  celle-la  <c  c'est  trop 
fort,  je  ne  peux  plus  etre  amoureux,  si  j*embrasse  une  femme,  cela 
me  donne  uniquement  mon  Amotion  du  chien  enrag^  et  malgr6 
moi  je  d^tourne  la  t6te  pour  voir  si  un  chien  ne  me  fr6le  pas  la 
jambe  ou  ne  me  l^che  pas  le  pouce  ». 

Un  detail  curieux,  c^est  que  ces  crises  d*angoisse  peuvent  se 
presenter  chez  des  sujets  comme  chez  Jean  ou  Nadia  qui  viennent 
de  nous  r^p^ter  et  de  nous  montrer  qu'ils  ne  peuvent  pas  avoir 
d'^motion.  lis  out  des  crises  qu'on  appelle  des  phobies  qui  res- 
semblent  vaguement  a  de  la  peur  et  ils  protestent  qu'ils  ne  sont 
plus  susceptibles  d'6prouver  la  peur ;  ils  ont  des  agitations  motrices 
qui  ressemblent  assez  vaguement  du  reste,  comme  je  I'ai  dit,  a 
de  la  colore  et  ils  se  plaignent  de  ne  plus  pouvoir  sUndigner  ni 
se  facher  :  c'est  que  ces  crises  ne  sont  pas  des  Amotions  normales 
de  peur  ou  de  colere  et  qu'elles  se  substituent  a  ces  Amotions  nor- 
males au  moment  ou  leur  developpement  s'arrete.  En  un  mot,  quand 
on  remarque  que  ces  malades  ont  de  Temotivite,  cela  ne  veut 
pas  dire  qu'ils  sont  plus  susceptibles  que  les  autres  personnes 
d'avoir  des  Amotions  normales  et  complMes,  mais  qu'ils  sont  plus 
disposes  sous  I'influence  du  moindre  choc  a  commencer  des  cri- 
ses d'agitation  motrice  ou  d'angoisse. 


380  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 


4.  —  Emotions  sublimes. 

Pour  ^tre  complet  dans  ce  chapitre  et  indiquer  sommairement 
les  sentiments  et  les  Amotions  qui  se  pr^sentent  chez  les  scrupu- 
leux,  je  dois  indiquer  une  emotion  tres  singuliere  qu'il  m*est 
tres  difTiciie  d'expliquer  completcment  et  sur  laquelle  je  crois 
n^cessaire  de  revenir  plus  tard  apres  avoir  acquis  quelques  notions 
g^n^rales  sur  la  psychologie  de  ces  malades.  J'ai  observe  ces 
emotions  snr  une  dizaine  de  personnes  avec  des  symptomes  assez 
semblables  pour  qu*elles  ne  me  parussent  pas  des  phenom^nes 
accideutels. 

On  a  vu  que  d'ordinaire  et  pendant  la  majeure  partie  de  leur 
vie  ces  malades  sont  deprimes,  tristes,  incapables  de  s'^lever  aux 
actes,  a  Tattention,  ii  Temotion  normale  :  de  temps  en  temps  chez 
quelques-uns  d'entre  eux  se  produit  une  exaltation  extraordinaire 
qui  les  soul^ve  au-dessus  de  leur  niveau  habituel  et  leur  donne 
pour  un  moment  des  Amotions  de  bonheur  ineffable,  des  senti- 
ments d^activite  surhumaine,  d'intelligence  tout  a  fait  complMe. 
M.  Lanteires,  dans  sa  th^se'  sur  les  troubles  psychopathiques  avec 
lucidit(^  signalait  d6ja  un  peu  vaguement  que  certains  malades 
^prouvent  tout  d'un  coup  «  une  sorte  d*extase,  une  sorte  d'6rc- 
thisme  nerveux  avec  de  voluptueux  frissons  ». 

Yoici  quelques  exemples  de  ce  fait  singulier  Gs...  en  contem- 
plant  les  maisons  du  haut  du  Trocad^ro  est  enflamm6  d*eathou- 
siasme,  il  a  des  sentiments  d'admiration  merveilleux  et  il  oublie 
pour  un  instant  toutes  ses  miseres  :  «  II  me  semble  que  c*est 
trop  beau,  trop  grandiose,  que  je  suis  soulev6  au-dessus  de  moi- 
meme;  sur  le  moment  cela  me  cause  un  enorme  plaisir,  mais  cela 
m'epuise,  me  fait  trembler  les  jambes  et  il  me  semble  que  je 
vais  tomber  ^vanoui,  incapable   de  supporter  ce  bonheur.  » 

Fy...,  en  se  promenant  dans  la  campagne,  se  sent  comma  grisee 
par  le  grand  air  ((  tout  me  parait  delicieux,  il  me  semble  que  je 
vais  ^clater  de  bonheur,  jamais  je  n^avais  eprouve  cela,  la  journee 
passe  comme  un  reve,  le  temps  marche  cinquante  fois  plus  vite  qu'ii 
Paris.  Je  me  sens  meilleure  et  il  me  semble  qu'il  n'y  a  pas  degens 
m^chants  comme  dans  les  autres  pays,  toutes  les  figures  sont  sym- 


I.   Lan ieircs,  Essdi  descriptif  sur  les  troubles  psychopathiques  avee  lucidiU  d'esprit, 
Tbfese,  i885.  p.  AA. 


TROUBLES  DES  fiMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  38» 

pathiques  et  il  me  semble  que  je  suis  a  Tage  d*or.  Les  expressions 
me  viennent  plus  facilement,  moi  qui  ne  peux  pas  ouvrir  la  bou- 
che  quand  il  y  a  une  personne,  je  parlerais  devant  une  assembl6e  ». 
Nadia  aussi  a  eprouve  par  Instants,  mais  incompletement,  ces  sen- 
timents au  moment  de  son  amour  Insens6  pour  un  grand  musicien. 
Nah...,  homme  de  21  ans,  sent  par  moment  «  une  stupefaction 
sacree  qui  cause  un  bonheur  In6ni  ».  Gv...,  homme  de  26  ans, 
«  se  sent  enleve  au-dessus  de  sa  condition,  il  croit  marcher  sur 
une  autre  terre  oii  I'on  est  meilleur  et  plus  fort  ».  L'un  des 
plus  curieux  sur  ce  point  c'est  Jean  qui  a  baptist  ce  ph^nomene 
d'un  nom  que  je  conserve  en  partie  :  a  les  sensations  sublimes 
et  solennelles.  »  De  temps  en  temps,  mais  rarement,  il  est  pris  de 
cette  sensation  quand  II  r^ve  a  une  occupation  Intelllgente  et  elevee 
qui  lui  plairait,  mais  qui  est  en  contradiction  complete  avec  son 
caractere  ;  par  exemple  quand  II  r^ve  qu'Il  est  depute  a  la  Chambre 
et  que  devant  les  tribunes  bien  plelnes  II  prononce  un  grand  dis- 
cours  politique.  II  ressent  alors  un  petit  frisson  par  tout  le  corps 
mais  qui  n'a  rien  des  fluldes  p^nibles,  il  sent  le  coeur  calme  et 
ralenti,  ses  muscles  sont  a  la  fois  forts  et  comme  detendus,  au 
lieu  desa  marche  humble  a  petits  pas,  la  t^tebalss^e,  II  se  redresse 
et  marche  a  grand  pas  d'un  air  important,  il  a  de  Texcitation  intel- 
lectuelle,  il  comprend  bien  les  choses  et  ressent  la  soif  de  s'in- 
struire,  enfin  et  surtoutll  a  un  sentiment  de  bonheur  qu'il  n'^prouve 
jamais.  «  Ce  sont  des  Impressions  divines  qui  me  prouvent 
I'existence  de  Tame  dans  le  corps,  » 

Ces  emotions  sublimes  durentpeu  d*ordinaIre,elles  sontpresque 
toujours  ch^rement  payees  par  les  malades.  Gs...  tombe  bien  vite 
dans  une  rumination  p^nlble  sur  le  nombre  infini  des  maisons,  et 
recommence  les  questions  :  «  Comment  a-t-on  pu  les  construire  ? 
comment  a-t-on  pu  les  compter?  »  II  a  de  nouveau  un  horrible 
sentiment  de  depression.  Fy...  (34  termlne  son  Idylle  a  la  cam- 
pagne  par  une  petite  crise  avec  perte  de  conscience  et  emission 
d^urlne  dont  nous  aurons  a  discuter  la  nature  et  le  pauvre  Jean 
retombe  piteuscment  de  la  tribune;  Texcitatlon  s'est  propagee  aux 
organes  g6nitaux,  a  ramen^  la  pens^e  de  la  masturbation  et  toutes 
les  angolsses  plus  grandcs  qu'auparavant. 

Je  trouve  ces  Amotions  excesslvement  curleuses  :  elles  forment 
un  contraste  avec  le  sentiment  ordinaire  de  chute  qui  carac- 
terise  le  scrupuleux.  En  outre,  elles  etablissent  une  liaison  tres 
int^ressante  avec   d'autres   malades    dont   je    ne    m*occupe  pas 


382  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

ici,  mais  que  j^esp^re  pouvoir  ^tudier  un  jour,  les  extatiques.  Je 
suis  arrive  non  sans  quelque  6tonnement  a  cette  concIusioD  que 
les  extatiques  ne  sont  pas  des  hyst^riques  comme  je  le  croyais 
primitivement,  mais  qu'ils  se  rattaehent  bien  plut6t  au  groupe  des 
scrupuleux.  En  les  6tudiant  il  faudra  raontrer  que  les  extatiques 
ont  des  crises  de  rumination,  d'angoisse  et  de  chute  comme  les 
scrupuleux  ;  il  est  int^ressant  de  montrer  ici  que  les  scrupuleux 
ont  au  moins  en  germe  des  crises  d'extase. 

5.  —  Le  besoin  de  direction, 

A  c6t6  da  trouble  fondamental  des  Amotions,  a  cot^  du  senti- 
ment d*incompl^tudeet  probablementiicause  de  lui  se  developpent 
chez  nos  scrupuleux  des  sentiments  tout  particuliers  en  rapport 
avec  des  tendances  speciales  qui  n'existent  pas  au  meme  degre 
chez  des  individus  normaux,  Tun  des  plus  importants  est  le  besoin 
de  direction, 

J*ai  d^ja  eu  Toccasion  d'insister  sur  ce  sentiment  surtout  a  pro- 
pos  dc  ces  exag^rations  pathologiques.  Avant  de  donner  naissance 
a  des  troubles  morbides  ce  sentiment  existe  a  T^tat  normal  chez 
certaines  personnes  et  contribuent  a  constituer  leur  caractfere. 
C'est  ce  qui  arrive  au  plus  haut  degre  pour  les  scrupuleux. 
Je  hifsse  de  c6t6  ici  ceux  qui  ont  des  obsessions  amoureuscs  et 
qui  fiout  ;iu  d^sespoir  parce  qu'ils  ont  perdu  une  personne  qui  les 
iln  igcEiU,  jeprendsdes  malades  qui  ont  de  toutes  autres  obsessions 
oil  de  toutes  autres  manies  et  je  constate  que  ce  sentiment  existe 
chez  eiix  pour  ainsi  dire  a  leur  insu.  Ces  personnes  ^prouvent  un 
rorlijin  plaisir  a  ob^ir,  a  recevoir  tout  formulas  les  jugcments 
qirib  dt)ivent  avoir,  les  decisions  qu'ils  doivent  prendre.  Ins- 
tiiielivenient  ils  se  mettent  sous  les  ordres  de  quelqu'un  et  leur 
sou  mission  une  fois  efiectuce  ils  ne  se  donnent  plus  jamais  la 
peine  de  controler  ou  de  discuter  les  ordres  que  cette  personne 
leur  donne,  les  jugements  qu'elle  leur  inspire,  les  exemples 
iprdle  ](3ur  montre,  ils  ne  veulent  plus  rien  faire  sans  I'avis  de 
cette  personne. 

Cc  ctiiactere  est  d^crit  par  tons  les  observateurs.  Legrand  du 
Sutitlf  [uile  «  le  besoin  d'6tre  rassurd  qui  conduit  le  malade  chez 
Jf^  mcdecin  aux  heures  les  plus  insolites^  ».  II  decrit  une  dame  de 

I.  I'Ck'-niiid  du  Saulle,  Folic  du  doute,  p.  35. 


L 


I 


..^  r 


TROUBLES  DES  fiMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  383 


3o  ans  qui  se  fait  dinger  par  un  petit  garcon  de  8  ans«  il  ne  m'en 
Taut  pas  d'avantage,  dit-elle,  pour  que  j'6vite  une  crise^  ».  Bail- 
larger  remarque  chez  les  douteurs  «  ce  besoin  ^norme  d*afHrma- 
tioD  6trang^re'  ».  «  lis  ne  peuvent  agir  que  sous  rimpulsion  des 
aotres,  disaient  MM.  Raymond  et  Arnaud  de  leurs  malades^.  » 
Aox  cas  nombreux  que  j*ai  d6ja  d^crits^,  je  n'ajoute  que  quelques 
examples. 

Ps...,  jeune  fille  de  23  ans,  s'abandonne  ainsi  entre  les  mains 
d*une  religieuse  qu'elle  a  choisie  et  la  force  de  tout  decider  dans 
savie.  Bu...  (85)  appelle  sa  femme  tout  le  temps  et  ne  I^ve  pas 
le  petit  doigt  sans  lui  en  demander   la  permission.  Dua...  (i35), 
femme  de  27  ans,  ne  pent  plus  faire  un  pas  sans  Tordre  de  son 
m^decin,  elle   6prouve  le  besoin    de  tout   lui   raconter,    de    lui 
faire  des   confessions  enti^res  sous    des  pr^textes   quelconques. 
Elle  demande  conseil  sur  tout  meme   a    propos  des  choses  les 
moins   m^dicales   et  ob^it    minutieusement.    Mbo...    ob^it    a   sa 
soeur  et  Vi...  est  dirigee  par  son  enfant  qui  a  10  ans  a   peine. 
KI...  se  conduit  exactement  de  meme:  sans  me  connaitre,  elle 
se  confie  completement   et  se   met    a  ne   plus  penser  que   par 
moi.   Lise  se  rend  bien  compte  qu'elle  a  ce  besoin  d'une  fagon 
ridicule,  elle  a  essay6  a  plusieurs  reprises  de  le  satisfaire  avec  des 
amies,  avec  des  pr^tres  et  elle  doit  r^sister  pour   ne  pas  trop  s'y 
laisser  aller.  Malgr^  elle  elle  se  sent  inqui^te  lorsqu*eIle  est  loin 
de  moi   <(  sentir  que  je  suis  libre  pendant  plusieurs  mois^  c*est 
comme  quelque  chose  de  terrible ;  je  vais  etre  tres  mal  au  com- 
mencement, puis  j*irai  mieux  a  la  fin  par  la  pens^e  que  le  terme 
de  ma  liberty  approche  ».  Claire  a  tout  a  fait  le  m6me  caractire, 
elle  est  heureuse  quand  elle    est   comprise,  c*est-a-dire   quand 
quelqu'un  se  rend  compte  de  sespens^es,  de  ses  besoins,et  decide 
pour  elle.  Au  bout  de  quelques  visites   a  peine   elle  s'accroche 
d^sesper^ment  a  moi,  ne  veut  plus  me  quitter,  et  pretend  qu^elle 
ne  pourra  plus  vivre  si  je  ne  lui  dicte  pas   «   mot  a  mot  tout  ce 
qu'elle  doit  faire  et  penser  dans  la  journ^e.  »  Za...,  Rk...,  m'ecri- 
vent  a  chaque  instant  des  lettres  suppliantes  pour  me  demander 
<(  de  r^pondre  imm^diatement  ce  qu'ils  doivent  croire.  »  Xo...  de- 

f .  Legrand  du  Saulle,  i6ic/.,  p.  38. 

a.  Baillargcr,  OEMMrtt,  I,  p.  a  18.  Gf.  Gullerre,  Frontihre  de  la  folic,  p.  70. 

3.  Raymond  et  Arnaud,  Ann.  mid.  psych.,  189a,  II,  199. 

4.  L 'influence  somnambulique  et  le  besoin  de  direction .  Revue  philosophiqae,  1 897 , 
I.  p.  1 13  el  Nhroses  el  Idees  fixes,  I,  p.  4a3. 


384  LES  STIGMATES  PSYCllASTHfiNIQUES 

mande  en  me  quittant  des  ordres  et  des  aflirmations  par  dcrit  et 
Jean  «  ne  vit  que  sur  la  perspective  de  venir  me  voir.   » 

Quand  ces  malades  n^ont  pas  a  leur  disposition  un  directeur 
de  conscience  qui  leur  convienne,  il  n'est  pas  d*eirorts  qu'ils  ne 
fassent  pour  en  trouver  un.  «  Je  me  suis  mise  volontairemcnt,  dit 
Gisele,  sous  une  d^pendance  morale,  j*ai  cherch6  a  substituer 
une  autre  pens6e  a  celle  qui  me  hante,  une  volonte  a  la  mienoe, 
je  sens  tellement  qu'il  me  faut  a  tout  prix  obeir.  »  Elle  a  cherche 
a  se  confier  a  un  pretre.  Mais  elle  a  ete  bien  vite  effray^e  en 
voyant  que  son  sentiment  de  d^pendance  se  compliquait  de  senti- 
ments profanes. 

Inversement  quand  ils  ont  perdu  cette  direction  si  n^cessaire,  ces 
malades  tombent  dans  le  plus  complet  d^sordre.  Gri...  (8a).  jeune 
femme  de  28  ans,  a  eu  depuis  Tage  de  i5  ans  toutes  especes  de 
troubles  de  la  volonte,  des  crises  d'agitation,  des  phobies,  etc. ;  elle 
fmit  par  trouver  un  amant  qui  lui  impose  une  tenue  correcte,  qui 
obtient  un  travail  regulier  et  une  attention  suffisante.  Sous  cette 
influence,  la  malade  oublie  tons  ses  troubles  et  se  porte  parPai- 
tement  pendant  cinq  ans.  Depuis  que  cet  amant  Ta  quitt^e  elle 
retombe  dans  le  plus  complet  desordre,  elle  est  tourroentee 
par  des  obsessions  et  surtout,  bien  entendu,  par  un  amour 
obs^dant  pour  ce  directeur  perdu.  I/observation  de  Ck..., 
que  j'ai  d<^ja  cit^e,  est  des  plus  amusante.  Cette  pauvre  femme 
de  4i  ans,  apr^s  avoir  eu  toutes  les  obsessions  et  les  pho- 
bies, a  rencontr^  vers  Tage  de  3o  ans  une  autre  pauvre  femme 
tourmentee  par  des  manies  de  proprete  qui  amenaient  pratique- 
ment  une  grande  salet6.  Ces  deux  infirmes  de  la  volonte  se  sont 
consolees,  soutenues  et  reform^es  mutuellement,  elles  ont  forme 
pendant  dix  ans  un  couple  admirable,  parfaitement  raisonnable, 
comme  Taveugle  et  le  paralytique.  Une  aventure  lamentable  les 
a  separ^es  :  une  domestique  renvoyee  a  tenu,  parait-il,  un  propos 
qui  tendait  a  mettre  en  doute  la  morality  de  TafTection  mutuelle 
des  deux  vieilles  dames.  Celles-ci  sont  alors  troublees  par  un 
scrupule  sur  leur  amiti^  et  croient  devoir  se  s^parer.  On  verra 
a  propos  du  traitement,  que  Tobsed^  prend  ainsi  des  scrupules 
par  rapport  a  celui  qui  le  traite  et  le  dirige  et  que  ces  scrupules 
sont  un  signe  s^rieux  de  rechute.  Dans  le  cas  present  les  deux 
malades  recommencerent  un  veritable  d^lire  avec  obsession  de 
toute  espece,  obsessions  de  crime,  de  remords,  d'hypocondrie 
jusqu'a  ce  que  j'aie  reussi  a  les  r6unir  de  nouveau. 


TROUBLES  DBS  ^MOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  385 

En  etudiant  des  cas  de  ce  genre  j'ai  montre  que  le  sentiment 
depend  principalement  du  besoin  de  faire  faire  par  un  autre  Facte 
de  volont^  devenu  diflficile.  «  Le  malade,  disais-je  a  ce  propos\  n'a 
en  reality  aucune  resolution,  aucune  idee  dans  une  circonstance 
donn^e,  il  faut  que  le  directeur  fasse  lui-meme  la  synthese  que 
son  sujet  ne  pent  pas  faire  ef  lui  impose  la  resolution  toute  faite. 
C*est  la  tres  souvent  ce  que  les  douteurs  viennent  demander  a 
ieur  medecin,  quand  ils  lui  racontent  leur  vie  etleurs  incertitudes. 
«  Faut-il  me  facher  avec  cette  personne  qui  m'a  regards  de  tra- 
vers?  — Faut-il  faire  nion  menage?  —  Faut-il  me  marier?  — 
Faut-il  acheter  une  robe? —  Faut-il  recevoir  mon  amant?  etc.  » 
Ce  sont  entre  mille  les  questions  que  m'ont  posees  les  malades, 
questions  que  Ton  ne  pent  declarer  insigniGantes  quand  on  les 
voit  determiner  de  telles  souffrances  et  de  tels  delires.  Pen  leur 
imporle  la  response  ;  pourvu  qu'elle  soit  nette  et  decisive,  ils  sont 
Imm^diatement  soulages...  On  comprend  maintenant  le  role  du 
directeur  et  comment  il  doit  en  r^alit^  vouloir  pour  les  ma- 
lades.   » 

6.  —  Le  besoin  d' excitation. 

Le  besoin  de  direction  ne  se  pr^sente  pas  toujours  sous  cette 
forme  simple  que  je  viens  de  rappeler.  Dans  bien  des  cas,  il  est 
evident  que  les  sujets  savent  ce  quails  ont  a  faire  et  ne  deman- 
dent  pas  d'indications  a  ce  sujet.  Ce  qu'ils  demandent,  c*est 
simplement  une  excitation  capable  d'enrichir  la  resolution  d*un 
cortege  d'emotions  qui  lui  manquent  afin  qu'elle  ait  la  force  de  se 
realiser.  «  Dans  des  cas  plus  simples,  disais-je  autrefois  a  ce 
propos,  le  directeur  va  simplement  fortifier  la  resolution  que  le 
malade  avait  deja  a  peu  pres  formulee.  II  la  fortifie  en  Tenrichis- 
sant,  en  y  ajoutant  par  le  fait  meme  des  circonstances  dans  les- 
quelles  il  se  trouve  plac^,  des  details  et  des  emotions  qui  lui 
faisaient  defaut.  Le  confessionnal,  la  consultation,  le  titre  sacer- 
dotal ou  medical,  et  surtout  la  fameuse  ordonnance  m^dicale  dont 
tant  de  railleries  n'ont  pu  entamerla  formidable  autorite,  rendent 
deja  de  grands  services.  Mais  il  faut  souvent  que  le  directeur 
ajoute  plus  encore,  qu*il  use  de  la  menace,  de  Tironie,  de  la  caresse, 
de  la  priere,  qu'il  s'adresse  a  tous  les  sentiments  qu'il  sait  exister 
encore  dans  le  coeur  du  sujet  et  quHl  les  reveille  Tun  apres  Tautre 

I.   Nevroses  et  Idees fixes ^  I,  p.  ^']0. 

LE8  OBSKSSIO^S.  I.  a5 


386  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

pour  les  forcer  a  faire  cortege  a  Tid^e  chanceiante.  —  Vous  man- 
querez  a  des  engagements  qui  maintenant  sont  publics,  vous  serez 
ridicule  aux  yeux  de  Monsieur  un  tei,  vous  aflligerez  une  per- 
Sonne  que  vous  aimez,  etc.  —  Que  de  fois  j'ai  dA  faire  jouer  tous 
ces  ressorts  de  la  rh^torique,  pour  obtenir  qu'un  malade  boive 
un  verre  d'eau  ou  change  de  chemise,  comme  s'ii  s*agissait 
d'obtenir  les  resolutions  les  plus  graves  ^  » 

Aux  malades  que  j'ai  cites  dans  le  travail  precedent,  on  peut 
facilement  en  ajouter  beaucoup  d'autres,  je  rappelle  seulement 
que  Claire  ne  reclame  pas  seulement  un  directeur,  mais  cc  quel- 
qu'un  qui  Texcite,  qui  la  remonte,  il  doit  me  secouer  pour  me  faire 
faire  ce  que  je  sais  bien  devoir  faire.  »  Le  pauvre  Bu...  a  besoin 
que  sa  femme  lui  donne  des  claques  sur  le  derriere,  «  cela  m'hu- 
milie  de  me  voir  traits  comme  un  petit  enfant  et  cela  me  donne 
quelque  Anergic...  ». 

Chez  beaucoup,  le  r6le  de  Texcitation  est  encore  plus  conside- 
rable. II  ne  s'agit  plus  seulement  d'une  excitation  particuli^re  qui 
s*ajoute  a  un  conseil,  afin  de  pousser  a  Tex^cution  d'une  action, 
c'est  une  excitation  quelconque  capable  de  pousser  le  sujel  jus- 
qu'a  une  Amotion.  Ces  malades  ^prouvent  tr^s  difficilement  les 
emotions  completes  et  comme  on  le  verra,  ils  sont  beaucoup  mieux 
quand  ils  arrivent  a  les  eprouver.  Aussi  cherchent-ils  tous  les 
moyens  possibles  pour  se  procurer  ces  Amotions  et  eprouvent-ils 
un  besoin  pressant  souvent  presque  irresistible  de  retrouver  la 
cause  de  cette  excitation.  De  la  Torigine  du  go6t  pour  Talcool, 
pour  la  morphine,  pour  toutes  sortes  de  poisons.  De  la  ce  besoin 
etrange  et  bien  caracteVistique  de  «  faire  des  sottises,  des  excen- 
tricites,  n'importe  quoi  d'etrange  qui  nous  sorte  de  notre  engour- 
dissement  ». 

II  arrive  souvent  que  la  cause  de  Texcitation  emotionnante  est 
une  personne  determinee  qui  arrive  a  exciter  physiquement  el 
moralement  ces  engourdis.  II  en  resulte  une  passion  particulifere 
pour  cette  personne  qui  se  rapproche  des  amours  precedents 
inspires  par  besoin  de  direction  mais  qui  se  developpc  par  un  me- 
canisme  un  peu  different.  Ainsi  la  passion  folle,  obsedante  de  Sim... 
(i85)  pour  un  amant  ne  s'explique  guere  par  le  besoin  de  direc- 
tion, car  cet  amant  ne  la  dirige  en  aucune  mani^re,  mais  elle  s'ex- 
plique  tr^s  bien  par  la  difference  que  la  malade  remarque  entre 

I.  Nivroses  el  Id^es  fixes,  I,  p.  470. 


TROUBLES  DES  ^MOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  387 

le  mari  et  Tamant :  «  Mon  mari  iie  fail  pus  travailler  ma  tete  suf- 
fisaniment,  il  ne  salt  rien,  ne  m'apprend  rien,  ne  m'etonne  pas. 
J'ai  besoin  qu'on  me  donne  de  nouvelles   idees,  de  nouvelles  im- 
pressions, d'nutres  emotions.  II  ne  sait  pas  me  faire  soulFrir  un 
peu  et  je  ne  peux  pas  aimer  quelqu^un  qui  ne  sait  pas  me  faire 
souffrir,  car  j'en  ai  besoin  de  temps  en  temps...  L'aiitre  m'etonne 
par  sa  froideur,  par  sa  cruaut^,  par  son    absence  de  tout  senti- 
ment... Un  peu  de  remords,  de  crainte,'  rendait  enfin  la  chose  plus 
pimentee  qu'avec  le  mari  et  c'est  la  ce  qui  me  faisait  du  bien.  » 
La  passion  egalement  maladive  de  Nadia    pour  le  musicien  X... 
serait  inexplicable  si  Ton  n'y  cherchail  que  le  besoin  de  direction, 
puisque  X...  ne  iui  a  jamais  pari6  et  ne  pouvait  aucunement  din- 
ger son  esprit.  Mais  voici  un  fragment  de  lettre  qui  explique  trfes 
bien  cette  passion  :  «  Les  concerts  de  X...  ont  et6  pour  moi  une 
revelation,  ils  m'ont  tellement  enthousiasmee  que  je  ne  me  suis 
jamais  remise  de  cette  emotion  :  je  ne  puis  pas  expliquer  refTet 
que  cela  m'a  fait.  Quand  je  suis  sortie  de  la  salle  apres  le  premier 
de  ces  concerts,  mes  jambes  et  tout  mon  corps  tremblaient  telle- 
ment que  je  ne  pouvais  plus  marcher  et  j'ai  passe  la  nuit  a  pleu- 
rer...  Mais  je  ne  souffrais  pas  ^  bien  au  contraire  il  me  semblait 
que  je  sortais  d*un   r^ve  qui  remplissait  ma  vie  auparavant,  que 
je  voyais  mieux  les  choses  comme  elles  sont,  que  j'etais  dans  un 
veritable  ciel  de  bonheur  (En  un  mot,  elle  ^prouve  a  ces  concerts 
un  de  ces  sentiments  d*excitation  que  Jean  appelait  un  sentiment 
sublime,    elle  se  trouve  relev^c  au-dessus  de  son  apathie  ordi- 
naire). Mon  seul  espoir  pendant  des  annees  a  et^  de  Tentendre 
de  nouveau  et  d'dprouver  les  memes  sentiments.  Je  crois,  en  effet, 
comme  on  me  Ta  tant  reproche,  que  j'ai  eu  une  passion  pour  Iui, 
mais  ma  passion  n'est  pas  le  meme  genre  de  passion  que  celle  des 
autres  personnes,  de  cela  je  suis  s6re.   II  me  semblait  avoir  sur 
moi  une  influence  surnaturelle  et  pouvoir  seul  me  tlrer  de  mon 
reve  perpetuel.  »  Je  trouve  cette  lettre  trfes  interessante  pour  ex- 
pliquer certains  amours  piatoniques    spuvent  signalees  chez  les 
obs^des,  il  s^agit  ici  d'une  excitation   artistique   que  la  malade 
aspire  a  retrouver. 

L*excitation  peut  ne  pas  ^tre  produite  par  une  personne  r^elle 
el  avoir  cependant  le  meme  r^sultat.  «  J'ai  irbs  souvent  le  besoin, 
dit  Gisele  d*aller  voir  la  statue  de  Notre-Dame  des  Victoires,  on 
dirait  que  c*est  chez  moi  une  manie,  c'est  que  cette  statue  a  une 
impression  sp^ciale  de  force,  cela  me  regrimpe  de  la  regarder.  » 


388  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

Je  signale  a  sa  place  avec  ces  quelques  exemples  ce  singulier 
besoin  d'excitation,  nous  aurons  k  le  discuter  de  nouveau  a  propos 
des  interpretations  de  la  maladie  et  de  ses  traitements. 

7.  —  Le  besoin  il' aimer, 

De  pareils  sentiments  deviennent  facilementvoisinsde  Tamour. 
Quelques  malades  y  echappent,  ils  se  contentent  d'une  direction 
froide  ou  d\in  amour  paternel,  mais  on  comprend  bien  que  beau- 
coup  de  ces  personnes  vont  transformer  ces  sentiments  en  senti- 
ments amoureux,  bien  cntendu  en  comprenant  Tamour  d'une 
certaine  maniere.  Gisele  le  sent  si  bien  qu'elle  m^dite  perp^tuel- 
lement  sur  Tamour,  elle  devine  tres  bien  les  difierentes  especes 
d'amour :  «  Tamour  qui  donne,  c*cst  celui  qui  dirige,  qui  protege 
et  Tamour  qui  se  donne,  c'est  le  besoin  de  s'incarner  en  un  au- 
tre, de  se  donner,  de  s^abandonner,  de  consolider  une  impres- 
sion de  faiblesse  qui  cherche  unc  force,  c'est  un  sacrifice  de  sa 
personne  pour  vivre  en  quelque  chose  de  sup^rieur».  Or  elle 
avoue  tres  bien  qu'elle  a  le  second  amour  et  non  le  premier,  car, 
suivant  une  jolie  expression  qu'elle  affectionne,  elle  a  toujourseu 
«  le  besoin  de  se  blottir  ». 

On  constate  chez  elle  au  supreme  degr^  ce  besoin  immodere 
de  confession  qui  lui  fait  sans  n^cessite  livrer  sa  vie  entiere.  A 
plusieurs  reprises  elle  a  essaye  de  se  mettre  sous  la  direction  mo- 
rale et  sous  la  d^pendance  de  quelqu*un,  le  mari  comme  toujours 
lui  a  semble  insuilisant  pour  ce  r6le:  ((  il  ne  me  comprend  pas  ». 
Son  rftve  «  de  rencontrer  une  volont^  droite  et  ferme  dont  onpeut 
jouir  sans  mal  »  a  semble  un  moment  salisfait,  quand  elle  a  ete 
dirigee  par  unpr^tre;  malheureusement  elle  melait  bien  vite  a  sa 
docilit<^  d'autres  sentiments  et  il  a  fallu  cesser.  C'est  le  malheur 
de  ces  femmes  qui  cherchent  une  direction  morale  etqui  trouvent 
qu'elle  se  confond  trop  vite  avec  I'amour  physique.  J'ai  deja  cito 
bien  des  cas  de  ces  personnes  qui  evidemment  ne  s'abandonnent 
que  pour  obtenir  un  maitre.  L'histoire  de  Sim...  est  encore  typi- 
que  sur  ce  point,  elle  aimait  tant  a  se  sentir  sous  sa  dependance. 
elle  avait  tellement  besoin  d'un  maitre  capable  de  I'exciter  qu'elle 
a  tout  fait  pour  lui  plaire,  sans  meme  qu'il  exigeat  beaucoup,  tout 
simplement  parce  qu'elle  esp^rait  le  retenir  davantage. 

II  est  curieux  de  remarquer  que  ces  malades  sont  quelquefois 
tres  superieurs  intellectuellement  aux  maitres   qu'elles  se   don- 


TROUBLES  DES  ^MOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  389 

nent,  elles  sentent  bien  que  c'est  un  imbecile,  mais  elles  trouvent 
SI  doux  d*ob6ir  qu*elies  ne  veulent  pas  prendre  la  peine  de  juger. 
Nous  retrouvons  cc  m^me  besoin  de  direction  m^le  d^amour  chez 
New...y  chez  Bs...,  chez  Lod...  qui  a  ainsi  une  passion  bizarre 
pour  une  jeune  fille,  il  a  exists  chez  Nadia.  Elle  s*^tait  prise  de 
passion  pour  un  grand  musicien  qui  ^tait  devenu  son  id^al,  son 
dieu,  qui  repr^sentait  pour  elle  tout  ce  qu'ii  y  avait  de  beau,  de 
noble,  de  grand  sur  cette  terre,  elle  faisait  tout  en  pensanta  lui, 
elle  consentait  meme  a  manger.  Elle  aurait  tout  sacrifie  pourpou- 
voir  le  suivre,  pour  Tavoir  a  elle  toute  seule  et  etre  son  esclave, 
ft  la  vie  n'est  rien  pour  moi  si  je  n'ai  pas  quelqu*un  a  admirer,  i» 
aimer,  a  ecouter,  il  me  semble  que  celui  que  j'aime  est  comme  un 
bon  rocher  auquel  je  suis  attachee  au  milieu  d'une  mer  en  tern- 
p6te  J) . 

Rk...  avoue  en  gemissant  «qu'a^o  ans  il  cherche  encore  le 
parfait  ami,  qui  dirige  et  qui  console,  celui  que  Ton  aime 
plus  que  tout,  un  frere  cadet  qui  ait  plus  de  t^te  que  moi  ».  Wye.. . 
a  ete  longtemps  un  amoureux  de  college*,  il  a  eudes  amours  fous 
pour  plusieurs  de  ses  camarades  dont  il  voulait  f'aire  «  ses  mai- 
tres  bien-aimes  »,  encore  a  Tage  de  4o  ans,  il  ne  songequ^a  aimer 
et  a  rencontrer  Tamour.  Toujours  il  est  preoccupy  de  savoir  s'il 
a  plu,  s'il  estaim^;  il  ne  veut  Iravailler,  faire  un  effort,  que  pour 
arriver  a  aimer. 

Ce  besoin  d*aimer  me  parait  complexe,  d*un  cote  il  serattache, 
comme  on  Ta  bien  vu,  au  besoin  de  direction,  mais  de  Tautre  il 
tient  au  besoin  d^excitation.  L'objet  aime  doit  «  les  amuser,  les 
sortir  de  leur  milieu  morne,  les  relever  par  un  mot  aimable  ». 
Mais  il  doit  aussi  etre  une  cause  d'excitation  par  le  devouement 
qu'il  reclame.  Ces  maladesont  un  besoin  immod^rede  se  devouer 
parce  qu'il  leur  faut  la  pensee  d'un  but  qui  excite  leur  activite  et 
leur  Amotion. 

8.  —  Besoin  d'etre  aime, 

II  me  semble  cependant  que  toutes  les  affections  de  ces 
malades  ne  s'expliquent  pas  uniquenient  parce  besoin  d'cmprun- 
ter  a  autrui  une  direction  ou  une  excitation.  Quand  Ku...  ^prouve 


I.  Sur  les  amours  de  college,  ^oir  Marro,  Puherte,  traduct.,  p.  60.  Get  auleiir 
qui  tient  grand  comple  du  c6t6  physique  de  ces  amours  ne  me  parait  pas  insistor 
assez  sur  les  besoins  moraux  que  je  signale  ici. 


390  LES  STIGMATES  PSYCIIASTHfiNIQUES 

un  besoin  intense  d'etre  aim^e  par  son  concierge,  quand  elle 
pense  avec  terreur  a  une  brouille  possible  avec  ses  voisins  ou  a 
un  malentendu  avec  sa  bonne,  il  ne  me  semble  pas  qu'elle 
veuille  comme  les  prec^dentes  demander  une  direction  ou  une 
excitation  a  son  concierge,  a  ses  voisins  ou  a  sa  bonne.  Beaucoup 
de  ces  malades  comme  Kl...,  Bal...,  Voz...,  Qsa...,*parlent  sans 
cesse  de  leur  besoin  «  de  manieres  afTables  autour  d'eux,  d'un 
milieu  sympathique,  »  ilsont  des  inquietudes  mortellesa  la  pensee 
qu'ils  pourraient  bien  ctre  indiSerents  ou  antipathiques  a  quel- 
ques  personnes  de  leur  entourage  et  alors  ils  prennent  des 
precautions  inoui'es  cc  pour  ne  faire  de  la  peine  a  personne,  pour 
ne  pas  deplaire  a  quelqu'un,  pour  se  faire  pardonner  ce  qu*ils 
peuvent  avoir  de  deplaisant.  »  Wye...  se  demande  avec  angoisse 
quel  a  ete  son  effet  sur  les  personnes  du  salon,  si  tout  le  monde 
le  trouve  aimable,  il  serait  au  d^sespoir  d'avoir,  je  ne  dis  pa$ 
froisse  quelqu*un,  raais  d'avoir  d^plu  a  quelqu'un.  «  Un  visage 
mecontent  me  met  au  supplice  et  m'enleve  toutes  mes  forces.  » 
Lrm...  (282)  avoue  «  qu'il  n'a  jamais  pu  supporter  la  pensee  que 
quelqu'un  etait  fache  contre  lui,  il  voudrait  6tre  convaincu  de  la 
sympathie  de  tons,  vivre  dans  une  atmosphere   de  sympathie.  » 

Ce  sentiment  n'est  ^videmment  pas  identique  au  precedent, 
les  malades  ne  demandent  rien  aux  personnes  qui  les  envi- 
ronnent,  mais  je  crois  qu'ils  craignent  quelque  chose.  lis 
craignent  une  hostilite,  une  lutte  qui  exigerait  de  leur  part  des 
efforts.  ((  Dans  ce  besoin  de  sympathie  universelle,  me  disait  tr^s 
bien  Yoz...,  un  jeune  homme  de  22  ans,  il  y  a  tout  simplementla 
peur  d'avoir  a  se  battre,  n'est-ce  pas  horrible  de  sentir  qu*on  est 
en  concurrence  avec  quelqu'un.  » 

Cc  sentiment  se  manifeste  souvent  dans  les  rapports  des  maitres 
avec  les  domestiques.  Un  tres  grand  nombre  de  ces  malades  ont 
pris  Thabitude  de  ne  jamais  parler  eux-m^mes  a  leurs  domesti- 
ques :  Qsa...  prend  toujours  sa  femme  comme  intermediaire  pour 
leur  demander  la  moindrc  des  choses.  C'est  evidemment  la  pear 
de  rencontrer  des  resistances,  d'avoir  a  commander,  a  lutter  qui 
intervient  dans  ces  cas. 

Bien  entendu  cette  crainte  de  la  lutte  peut  sc  meler  avec  tous 
les  sentiments  precedents  et  constituer  certains  a  besoins  d'etre 
aime  »  plus  ou  moins  complexe.  Voici  Texpression  touchante 
d'un  de  ces  sentiments  :  a  Mon  rcve,  dit  Qi...  femme  de  35  ans, 
serait  d'etre  une  jeune  fille  phtisique.  fttre   poitrinaire,    que   cc 


TROUBLES  DES  fiMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  391 

seraitcharinanti  On  donne  aux  poitrinaires  tout  ce  qu'iis  veulent, 
on  les  gate,  on  n'exige  rien  d'eux  avec  des  airs  m6chants.  Je 
voudrais  tant  6tre  aim^e  ainsi,  et  surtout  qu^on  me  le  dise  tout 
le  temps,  qu*on  me  le  fasse  sentir,  qu*on  me  force  a  croire  que 
c'est  bien  vrai.  » 


9.  —  La  crainte  de  risolement, 

Un  autre  aspect  de  ces  m^mes  sentiments  sera  la  crainte  de 
I'isolement.  J'ajoute  seulement  quelques  exemples  aux  cas  que 
j*ai  d^ja  signales  dans  un  autre  travail.  Dob. . .  (86)  explique  ainsi  sa 
maladie  :  «  mes  souffrances  viennent  d'un  manque  de  satisfaction 
ducoeur...  tons  les  actes  deviennent  faciles  avec  quelqu'un  prfes 
de  soi  et  impossibles  quand  on  est  seul.  » 

Pou...  est  si  malheureuse  quand  elle  est  seule  qu'elle  cesse  de 
manger  et  ne  mange  qu'en  soci^t^.  On  pourrait  6num^rer  toute 
une  s^rie  de  ces  femmes  :  Lkb...,  Fy...,  VI...,  Mm...,  etc.,  qui 
g^missent  de  leur  isolement.  «  Leui^  mari  ne  leur  parle  pas  assez, 
ii  est  sombre,  il  ne  cause  pas  assez,  il  ne  les  comprend  pas  :  si  je 
le  craignais  un  peu,  cela  vaudrait  plutot  mieux :  on  ne  peut  pour- 
tant  pas  vivre  seule.  »  «  Quand  je  suis  seulc,  dit  Pi...,  je  marche 
dans  le  vague,  il  me  semble  que  je  n'ai  plus  d'id^es,  que  tout 
devient  dr6le  et  j^ai  peur  de  tout  et  de  tons.   » 

Ce  que  ces  personnes  redoutent  quand  elles  ont  peur  d'etre 
seules  c'est  de  se  trouver  sans  direction,  sans  excitation  et  sans 
protection. 

10.  —  Le  retour  a  Venfance. 

Un  degr6  de  plus  et  ces  sentiments  s'exagerent,  jusqu'a  don- 
ner  au  caractere  un  aspect  bien  singulier,  ces  personnes  jouent 
une  sorte  de  comedie,  ils  se  font  petits,  nai'fs,  calins,  ils  jouent 
rignorance  complete  et  aiment  a  passer  a  pour  un  peu  bebetes.  » 
C'est  qu'ils  veulent  ^tre  dirig^s  encore  plus  ^troitement  que  les 
autres,  c*est  qu'ils  d^sirent  aussi  une  direction  douce  qui  les 
amene  a  tous  les  actes,  a  tons  les  plaisirs  en  aplanissant  les 
voies.  Ils  veulent  que  non  seulement  on  leur  indique  les  actes 
a  faire,  mais  qu'on  les  amuse,  qu^on  les  distraye,  qu'on  les  fasse 
jouer  aussi  bien  que  travailler ;  en  un  mot  ils  veulent  qu'on  les 
traite  comme  des  petits  enfants  et  ils  essayent  de  meriter  ce 
traitement. 


392  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

Mill...,  a  20  ans,  ne  quitte  pas  les  juponsde  sa  m^re  et  «  il  veut 
qu'elle  le  gronde  comme  son  beb^.  »  Ger...,  a  35  ans,  reclame 
«  une  pension  d^enfants,  e'est  la  qu'elle  serait  le  mieux  ».  Gisele, 
a  27  ans,  aime  «  a  faire  Tenfant  avec  les  gens,  e'est  un  pli  qu'elle 
prend  bien  facilement».  Or...,  fenime  de  ^o  ans,  avoue  elle-m^me 
qu'elle  a  besoin  de  se  croire  a  Tage  de  16  ans,  qu'il  lui  faut 
toujonrs  ses  parents  aupres  d'elle  comme  aupr^s  d'une  petite 
jeune  fille.  C...,  femme  de  25  ans,  voudrait  que  Ton  s*occupat 
d'elle  constamment  comme  d'un  petit  enfant,  il  ne  lili  semble  pas 
qu'elle  ait  grandi.  On  a  d^ja  vu  ce  caractere  chez  Nadia  a  propos 
de  la  honte  du  corps,  si  elle  a  peur  de  se  d^velopper,  de  voir  s» 
poitrine  grossir,  ce  n*est  pas,  comme  on  le  croirait,  par  pudeur, 
c'est  qu'elle  a  peur  de  paraitre  plus  agee,  de  ne  plus  6tre  traitee 
en  toute  petite  (ille,  de  ne  plus  etre  aim^e  comme  une  enfant; 
quoiqu'elle  ait  trente  ans,  elle  ne  pent  croire  qu'elle  ait  plus  de 
1 5  ans  et,  on  obtient  tout  d'elle  en  la  traitant  en  petit  enfant.  Ai» 
fond  c'est  le  meme  besoin  qui  existe  chez  Jean,  il  veut  non  seule- 
ment  qu'on  le  dirige,  mais  il  veut  qu'on  lui  dicte  tout  «  il  lui 
semble  qu'il  serait  si  heureux  s'il  ^tait  comme  un  petit  enfant 
sur  les  genoux  d'une  grande  personne  ». 

L'observation  laplusremarquable  est  celle  deQi... (188),  femme 
de  35  ans,  qui  est  poursuivie  par  le  d^sir  de  sauter  a  la  corde,  de 
couper  ses  cheveux  courts,  de  les  laisser  flotter  dans  le  dos  et 
qui  reve  d'etre  appel^e  «  Nenette  ».  £videmment  il  y  a  la  une 
obsession,  mais  elle  s'est  developp^e  sur  le  caractere  pr^c6- 
dent  :  «  On  aime  un  enfant  pour  ses  espi^gleries,  dit-elle  sans 
cesse,  pour  son  bon  petit  cceur,  pour  ses  gentillesses,  et  que 
lui  demande-t-on  en  retour,  de  vous  aimer,  rien  de  plus.  C'est 
la  ce  qui  est  bon,  mais  je  ne  puis  pas  dire  cela  a  mon  mari,  il 
ne  me  comprendrait  pas.  Tenez,  je  voudrais  tant  6tre  encore 
petite,  avoir  un  pere  ou  une  mere  qui  me  tiendrait  sur  ses  ge- 
noux, me  caresserait  les  cheveux...  mais,  non,  je  suis  Madame^ 
mfere  de  famille,  il  faut  tenir  son  interieur,  etre  serieuse,  refl6- 
chir    toute   seule,   oh  quelle  vie  !  » 

II.  —  U amour  de  Vhonn4tete, 

D'autres  sentiments  derivent  de  ceux-ci.  Je  n'insiste  pas  dans 
ce  travail  sur  les  sentiments  mystiques,  car  je  compte  reprendre 
leur  etude  dans  un  travail  sur  les  extatiques.  On  comprend  que 


TROUBLES  DES  ^MOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  31.3 

ce  besoin  de  direction  et  d'excitation  par  ce  qui  est  Strange,  mys- 
terieux  conduise  aux  sentiments  religieux  amene  a  s'abandonner 
amoureusement  a  la  divinite.  On  retrouve  souvent  le  germe  de 
pareils  sentiments  chez  des  scrupuleux  bien  loin  de  T^tat  exta- 
tique,  nous  avons  vu  Gisfele  chercher  de  Tenergie  dans  la  contem- 
plation d^une  statue  de  la  Yierge.  Bal...,  Fy...  se  plaisent  dans 
la  pens6e  de  la  mort  et  de  Tautre  vie  «  ou  le  bon  Dieu  recueillc 
les  petites  ames  ».  Ces  sentiments,  en  se  d^veloppant,  donnent 
a  la  maladie  un  caract^re  un  peu  special. 

Dans  ce  travail  je  signale  surtout  les  sentiments  d*honnetete 
parce  qu'ils  ont  un  rapport  plus  etroit  avec  les  obsessions  crirai- 
nelles  qui  sont  Tobjet  de  cette  ^tude.  On  est  frappe  de  constater 
chez  les  individus  de  ce  groupe  des  sentiments  moraux  extraordi- 
nairement  d^veloppes.  lis  tiennent  enormement  a  etre  tres  sin- 
ceres,  Rk...,  Nadia  ont  Thorreur  du  mensonge  et  protestent  avec 
indignation  des  qu'on  peut  les  soup^onner  d'une  petite  fausset^. 
II  est  evident  que  Nadia  ne  comprcnd  pas  les  complaisances  so- 
ciales  qui  obligent  souvent  ii  farder  la  v6rite  :  elle  s'en  indigne 
outre  mesure.  On  est  frapp^  de  Thonn^tete  de  Toq...,  de  Brk... 
a  Je  n'ai  pas  de  m^rite  a  ^tre  honnMe,  dit  celle-ci,  si  quelque 
chose  dans  ma  conduite  d^plaisait  a  ma  conscience  scrupuleuse 
je  serais  trop  malheureuse,  la  vie  me  serait  trop  penible.  »  Kl..., 
Bal...  ont  pour  un  rien  le  sentiment  de  la  justice  violee.  Voz...  ne 
peut  pas  se  resigner  a  etre  recu  a  un  examen,  tandis  qu'un  autre 
de  ses  camarades  est  refuse,  parce  que  cela  ne  lui  semble  pas  ab- 
solument  juste.  Sur  ce  point  T^tat  d'esprit  des  scrupuleux  justifie 
leur  nom. 

Que  faut-il  penser  de  ces  beaux  sentiments  de  justice  ?  Ne 
pourrait-on  pas  songer  que  la  justice  est  surtout  utile  aux  faibles 
et  que  Thonnetete  est  surtout  n6cessaire  a  ceux  qui  ne  veulent 
avoir  d'affaires  avec  personne?  N'est-ce  pas  trop  rabaisser  ces 
beaux  sentiments  que  de  remarquer  leur  rapport  etroit  avec  le 
besoin  d'etre  protege  et  la  crainte  de  la  lutte? 

12.  —  Le  besoin  d'autorite, 

Un  sentiment  plus  curieux  qui  semble  au  premier  abord  en 
contradiction  avec  les  precedents  c'est  le  besoin  excessif  d'auto- 
rite  et  de  commandement.  Ce  sentiment  et  cette  tendance  carac- 
terise  ce  qu'on  appelle  «  des  autoritaires   ».  11  nous  semble  avoir 


394  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

et^  tr^s  peu  analyst  et  etre  en  g6n6ral  tr^s  mal  compris  par  les 
psychologues. 

Constatons  d'abord  qu*il  existe  tr^s  fr^quemment  chez  les 
individus  n^vropathes,  plus  ou  moins  obs^d^s  et  qui  out 
pr6cis^ment  toutes  sortes  de  troubles  de  rattention  et  de  la  vo- 
Iont6.  Nadia  dans  sa  famille  ^tait  devenue  tout  a  fait  intolerable  : 
depuis  son  enfance  elle  se  vantait  de  n'ob^ir  a  personne  et  de 
faire  ob6ir  tout  le  monde.  ((  Personne  au  monde  ne  reussira  a 
avoir  de  Tinfluence  sur  moi,  je  suis  n^e  avee  un  caract^re  tres  do- 
minateur.  »  Depuis  la  mort  de  sa  mere  qui  la  dirigeait  encore  un 
peu,  elle  tourmentait  afTrcusement  son  pere  et  ses  sa;urs,  elle 
exigeait  d'eux  une  ob^issance  de  tons  les  instants  a  ses  caprices 
ridicules ;  elle  avait  ^videmment  une  tendance  a  leur  imposer  la 
meme  vie  absurde  qu'elle  avait  adoptee  pour  elle-meme.  Elle  ne 
permettait  pas  a  ses  sceurs  de  recevoir  une  visile,  de  s'habiller 
pour  sortir  :  un  peu  plus  elle  leur  aurail  impost  le  meme  regime 
alimentaire  qu'elle  avait  choisi.  Quand  on  lui  r6sistait  quelque 
peu,  elle  ac^/Usait  tout  le  monde  d'injustice,  de  cruaut^  envers 
elle  et  se  livrait  a  des  scenes  de  violence.  Gisele  et  Sim...  ont  la 
m6me  pretention  singuliere,  c'est  de  dominer  absolument  leur 
mari,  de  lui  faire  faire  tout  cc  qu'elies  veulent,  de  r^gler  toute 
la  maison  conform^ment  a  leurs  caprices  :  elles  sont  convaincues, 
bien  a  tort  cependant,  que  le  mari  n'a  aucune  volonte,  aucune 
energie  et  qu'il  est  parfaitement  incapable  de  leur  r^sister.  D'ail- 
leurs  elles  montrent  dans  Torganisation  de  la  maison  une  activite 
devorantc,  courant  partout,  s'occupant  de  tout,  dictant  a  chacuD 
ses  actions,  son  attitude,  jusqu'a  ses  idees.  «  Elle  ne  pent  pas 
tolerer,  me  disait  le  mari  de  I'une  d*elles,  chez  moi,  chez  ses 
cnfants,  chez  aucune  des  personnes  qui  Tapprochent  un  mot,  ud 
geste  qu'elle  n'ait  pas  dicte.  »  Je  retrouve  le  meme  caractere 
chez  Fy...  (34)  et  chez  beaucoup  d'autres.  J'ai  6i^  etonn6  de  le 
rencontrer  sinon  chez  les  malades  elles-memes  au  moins  chez 
les  parents,  chez  la  m^re  surtout  des  malades  a  un  tel  point  que 
j*ai  6te  dispose  a  dire  :  «  mere  autoritaire,  fille  scrupuleuse  ». 
La  mere  de  Ku...,  de  Zo...,  de  Sim...  elle-meme,  semblent  avoir 
ce  meme  egoi'sme  implacable  qui  commande  jusqu^aux  plus  petits 
details  et  qui  en  meme  temps  inspire  une  ardeur  infatigable  a 
s'occuper  de  ces  petits   details  qu'on  exige. 

D'ailleurs  ces  autoritaires  formeront  deux  groupes  dont  la  dis- 
tinction offre  ici   peu   d'interet  :    Tautoritaire  violent  qui  veut 


TROUBLES  DES  fiMOTIONS  ET  DES  SENTIMENTS  395 

tmposer  ses  pens6es  et  ses  caprices  par  la  force  et  rautorltaire 
doux  qui  exige  en  g6missant  au  nom  du  respect,  de  rafTection 
qa'on  lui  doit,  qui  declare  a  chaque  instant  qu'on  ie  fait  mourir 
de  chagrin  si  on   montre  ia  moindre  independance. 

Ce  caractere  a  beaucoup  attir^  mon  attention,  et  au  d^hut  il  me 
paraissait  fort  inexplicable,  en  contradiction  avec  ce  que  je 
savais  de  la  volonte  faible  de  ces  malades,  avec  ces  innombrables 
besoins  de  direction,  besoins  d'etre  ainie  qui  caract^risaient  ies 
niemes  scrupuleux.  Le  plus  Strange,  en  effet,  c'est  que  ces  deux 
besoins  en  apparence  contradictoires  coincident  tr^s  souvent 
chez  la  raeme  personne.  Chez  Sim...  et  chez  Gisele  on  voit  cette 
folic  de  commander,  mais  en  meme  temps  on  observe  un  besoin 
egalement  fou  d'etre  aim6  par  tout  le  monde,  et  un  d^sespoir 
quand  Ies  personnes  tourmentees  par  elles  ne  manifestent  pas 
en  retour  une  grande  affection.  La  mere  de  Sim...  battait  ses 
enfants  si  elles  avaient  eu  quelque  independance  dans  un  minus- 
cule detail  et  Tinstant  suivant  se  mettait  a  pleurer  parce  que  ses 
enfants  ne  paraissaicnt  pas  Taimer  suflTisamment. 

Bien  mieux,  ces  monies  malades  nous  ont  d^ja  present^  la 
folic  de  Tobeissance.  Nadia  quand  elle  m'eut  connu  quelque 
temps  me  fit  un  jour  un  compliment  qui  m'a  beaucoup  flatt^ : 
«  Vous  etes  une  personne  encore  plus  ent^tee  que  moi,  je  n'au- 
rais  pas  cru  que  cela  fAt  possible.  »  Elle  est  enchant^e  de  Tavoir 
trouv^e  cette  personne,  non  seulement  elle  lui  obeit  mais  elle 
veut  lui  ob^ir  encore  plus  comme  un  petit  enfant,  tandis  qu'elle 
reste  extr^mement  exigeante  vis-a-vis  de  son  pere  et  de  ses  soeurs. 
Sim...  se  donne  a  un  amant  pour  avoir  un  maitre  et  elle  est 
enchant^e  de  son  incroyable  duret6.  Nous  avons  vu  Gisele 
chercher  un  maitre  en  se  confiant  a  un  pretre.  On  trouvera  simul- 
tanement  chez  ces  personnes  un  autoritarisme  effrdne  pour  une 
partie  de  leur  famille  et  une  soumission  ridicule  vis-a-vis  d'un 
fils  ou  d^un  etranger. 

Ces  caract^rcs  nous  montrent  qu'il  ne  s'agit  pas  la  d*une  veri- 
table puissance  de  la  volonte.  Les  grands  volontaires  sont  des 
chefs,  et  ne  sont  pas  des  autoritaires  :  tout  le  monde  en  a  senti 
la  difference.  lis  commandent  les  grandes  choses,  en  inspirant 
une  direction  generale  a  la  conduite  et  surtout  en  commandant 
d'une  facon  avantageuse  pour  leurs  subordonnes ;  les  autoritaires 
commandent  dans  Ies  petites  choses  plus  que  dans  les  grandes, 


396  LES  STIGMATES  PSYGHASTHfiNIQUES 

ne  donnent  aucune  direction  g^n6rale  et  laissent  trop  voir  que  le 
commandemeDt  a  toujours  pour  objet  leur  propre  inUret  et  non 
celui  des  sujets. 

La  raison  de  ce  com  ma  nd  em  en  t  ne  parait  etre  exactement  la 
m^me  que  ia  raison  de  leur  obeissance  :  la  difliculte  de  leur  adap- 
tation au  monde  r^el.  Ce  sont  des  gens  d*activit^  mentale  faible, 
pour  qui  tout  effort  nouveau  d'adaptation,  d'organisation  est  p^- 
nible  et  qui  cependant  6prouvent  au  supreme  degr^  le  besoin 
d\ine  vie  adaptee  et  ordonnee.  lis  veulent  que  les  autres  fassent 
leur  besogne  ou  du  moins  leur  facilitent  la  tache.  Au  lieu  de  se 
modeler  sur  le  milieu  ambiant  comme  fait  Tetre  qui  s'adapte,  ils 
veulent  que  le  milieu  ambiant  se  modele  sur  eux,  pour  qu'ils 
n'aient  pas  a  s^adapter.  Nous  avons  vu  que  le  milieu  le  plus  embar- 
rassant  pour  le  scrupuleux,  c'est  le  milieu  social ;  les  variations 
du  milieu  social  causent  ses  timidites  et  toutes  ses  crises  d'an- 
goisse.  C'est  ce  milieu  social  qu'il  veut  modeler  sur  lui-meme  et 
dont  il  exige  la  parfaite  conformite  avec  ses  propres  maniercs 
d'etre. 

Voici  des  exemples  exager^s  qui  feront  comprendre  ma  pens^e. 
Bow...  (76)  est  a  son  bureau  et  essaye  de  fixer  son  attention 
sur  une  lecture :  le  voici  qui  entre  dans  une  crise  de  fureur  parce 
qu'il  entend  une  domestique  qui  balaye  une  piece  a  cot^.  Le 
bruit  du  balai  le  distrait,  et  evoque  dans  son  esprit  des  images 
d'une  autre  action  que  sa  lecture  et  en  raison  de  sa  faiblesse 
d'attention  rerapeche  de  lire.  II  veut  ^dieter  que  dans  la  maison 
tout  le  monde  doit  lire  en  meme  temps  que  lui.  Vk...  ne  peut 
plus  arriver  a  se  laver  les  mains,  parce  que  de  sa  chambre  elle 
entend  la  cuisiniere  qui  fait  couler  de  I'eau  sur  Tevier:  «  que 
peut-elle  faire  de  cette  eau  ?  Quelque  chose  de  sale  assur^ment. 
Cela  me  donne  des  idees  d*eau  de  vaisselle,  de  graillon  et  vous 
comprenez  bien  que  cela  m'emp^che  de  prendre  I'id^e  que  mes 
mains  sont  propres.  Je  voudrais,  si  cela  etait  possible,  que  tout 
le  monde  dans  toute  la  maison  du  haut  en  bas  fasse  des  choses 
propres,  quand  je  cherche  a  me  laver  les  mains.  »  Ces  deux  eas 
me  plaisent  beaucoup,  car  ils  me  semblent  expliquer  le  m^canisme 
de  Tautoritarisme.  Ces  faibles  d'esprit  ne  peuvent  pas  faire  une 
chose,  croire  a  une  chose,  jouir  d'une  chose,  si  les  autres 
homnies  en  font  en  meme  temps  quelque  autre,  en  croient  quelque 
autre,  si  d'autres  hommes  ont  une  autre  jouissance.  De  la  ce  besoin 
d'lmposer  Tuniformite  ;  de  la  aussi  ce  melange  Strange  du  besoin 


TROUBLES  DES  EMOTIONS    ET  DES  SENTIMENTS  397 

d'etre  dirige,  aim^,  associ^  au  besoin  de  commander.  Ce  sont 
deux  m^thodes  qui  se  superposent  et  ne  se  contredisent  pas  pour 
;irriver  a  radaptation  vitale.  Par  rautoritarisme  on  cherche  a 
rcndre  le  milieu  horaogene  et  par  Tob^issance  on  cherche  a 
se  faire  adapter  aux  variations  que  le  milieu  a  conserv^es. 

M.  Murisier,  dans  son  excellent  petit  livre  sur  la  pathologie  du 
sentiment  religieux',  explique  tresbien  d'une  maniere  analogue  la 
fcirmation  du  fanatisme  religieux.  Des  esprits  faibles  ne  se  sen- 
tent  pas  rassures  dans  leur  propre  croyance,  se  sentent  ebranl^s 
dans  leurs  pr^tendues  convictions  quand  ils  voient  a  cote  d'eux 
des  gens  qui  croient  autrement.  Ils  ont  besoin  de  les  faire  dispa- 
ruitre  soit  en  les  convertissant  soit  en  les  d^truisant  pour  pouvoir 
croire  tout  a  leuraise.  Ce  n'est  pas  la  foi  religieuse  qui  a  allume 
les  bilchers  du  moyen  age,  le  veritable  croyant  assiste  indifferent 
aux  negations  d'autrui  :  c'est  le  doute  religieux  ou  plutot  c'est  la 
terreur  du  doute  religieux,  qui  a  inspir6  les  fanatiques.  Je  suis 
heureux  en  retrouvant  le  ph^nomene  voisin  de  Tautoritarisme 
chez  de  v^ritables  malades  atteints  cette  fois  d'un  delire  du 
doute  evident  de  completer  cette  interpr<^tation. 

Tons  ces  troubles  de  sentiments  se  rattachent  les  uns  aux 
autres,  leur  ensemble  vient  completer  le  tableau  des  troubles  que 
la  volont^  et  Tintelligence  nous  avaient  deja  pr^sente  d*une  ma- 
il ifere  plus  objective. 

1.  E.  Murisier,  Les  Maladies  du  sentiment  religieux,  (Paris,  F.  Alcan),  igoi. 


398  LES  STIGMATES  PSYCHASTHENIQUES 


TROISIfiME  SECTION 


LBS    INSUFFISANCBS    PHYSIOLOGIQUBS 


Beaucoup  de  psychasth^niques  pr^occupesde  leurs  obsessions,, 
de  leurs  manies  mentaies  ou  de  leurs  phobies  ne  se  plaiguent  que 
de  symptomes  psychologiques  et  I'observateur  pourrait  etre  dis- 
pose au  premier  abord  a  croire  simplement  a  une  maladie  de 
I'esprit.  Certains  maiades,  au  moins  pendant  un  certain  temps, 
justifient  cette  illasion.  Rk...  est  un  homme  de  ^o  ans,  grand, 
fort,  ie  teint  frais,  sans  troubles  physiologiques  apparents,  II  d'u 
que  des  scrupules  et  des  manies  de  recherche  qui  suflfisent  a  ie 
torturer.  Mais  c'est  la  une  exception  trfes  rare  et  peut-etre  plus 
apparente  que  r^elle  ;  Ie  plus  souvent  un  examen  attentif  reveiera 
une  foule  de  troubles  physiologiques  qui  font  de  T^tat  psychas- 
theniques  une  maladie  de  tout  Torganisme. 

On  ne  saurait  trop  insister  sur  ce  point  essentiel  :  les  obsed^s 
par  leur  bavardage,  par  la  description  interminable  de  leurs  pen- 
sees  extraordinaires  detournent  Ie  m^decin  de  Texamen  organique 
qui  ne  devrait  jamais  etre  neglige.  Leur  aspect  physique  est  pres- 
que  toujours  caract^ristique  :  ils  sont  tres  souvent  amaigris, 
ils  sont  pales  et  ont  les  traits  tir^s,  leur  peau  seche  a  un  mauvais 
aspect,  leur  langue  est  saburrale,  leur  haleine  est  mauvaise  et 
presque  toujours  cet  aspect  physique  se  modifie  compl^tement  en 
meme  temps  qu'ils  retrouvent  Ie  calme  de  Tesprit.  En  un  mot, 
quelle  que  soit  Tinterpr^tation  que  Ton  donne  de  leur  etat  men- 
tal, il  ne  faut  pas  oublier  quails  sont  surtout  et  avant  tout  des 
maiades. 


1.  —  Troubles  des  tonctions  nerveuses. 

Sans  doutetous  les  troubles  prec^demment  ^tudi^s,  obsessions^ 
agitations,   insuflisances  psychologiques  etaient  en  rapport  avec 


TROUBLES  DES  FONCTIONS  NERVEUSES  399 

des  troubles,  des  fonctions  c^r^brales,  mais  its  constituaient  sur- 
tout  des  troubles  psychologiques.  II  Taut  placer  a  c6t6  des 
troubles  des  fonctions  physiologiques  du  systeme  nerveux,  trou« 
bles  encore  peu  connus  mais  qui  serviront  sans  doute  plus  tard 
pour  interpreter  les  precedents. 

I.  —  Cephalalgies  et  rachialgies, 

Un  premier  fait,  des  plus  importants,  nous  montre  que  ces 
troubles  de  Tesprit  sont  en  rapport  avec  unfonctionnement  anor- 
mal,  une  alteration  pathologique  du  cerveau.  Ce  sont  les  douleurs 
que  la  plupart  des  malades  ressentent  dans  la  tete. 

Ces  douleurs  sont  toujours  situ^es  par  eux  dans  la  tete,  mais  la 
s'iirrete  leur  accord  :  il  y  a  une  diversite  surprenante  dans  la  des- 
cription des  formes  ou  des  modalites  de  cette  douleur  et  dans  le 
siege  qu'ils  lui  attribuent.  II  est  bien  probable  que  dans  ces  des- 
criptions imagees  il  y  a  beaucoup  de  choses  insignifiantes.  On 
s'en  rendra  compte  plus  tard,  quand  on  saura  la  veritable  raison 
de  ces  douleurs,  nous  en  sommes  encore  a  la  periode  empirique 
des  anciens  medecins  qui  notaient  avec  precision  les  caracteresdu 
pouls  capricant  et  du  pouls  duriuscule,  nous  sommes  obliges  de 
recueillir  telies  quelles  les  expressions  des  malades. 

Si  nous  nous  occupons  en  premier  lieu  de  la  forme,  des  modalites 
de  la  douleur  nous  avons  d'abord  ceux  qui  ont  peu  d^imagination 
et  qui  disent  simplement  qu'ils  ont  mal  a  la  tetc,  qu'ils  ressentent 
une  gene,  une  douleur  plus  ou  moins  grave  dans  la  tete.  Nous  au- 
rons  ensuite  ceux  qui  parlent  d'engourdissement  «  j'ai  la  cervelle 
paralysee))  (Bsn...  lo).  <(  J'ai  la  tete  engourdie  »  (Claire)  « il  y  a 
un  coin  de  ma  tete  qui  est  engourdi  et  qui  a  envie  de  dormir  » 
(Vod...  3o3),  « j'eprouve  une  sorte  de  torpeur  (Dob...  86)  ». 

Un  certain  nombre  de  malades  se  plaignent  de  phenomenes  de 
mouvement  dans  la  tete  «  il  y  a  commc  des  corps  etrangers  qui 
courent  sous  la  peau  du  crane,  et  a  Tinterieur  des  eOets  bizarres, 
des  contractions,  des  torsions,  des  ecartements  qui  pousscs  a 
un  certain  point  sont  tout  a  fait  angoissants  »  (Gisele).  Jean  sent 
«  comme  s*il  avait  des  objets  qui  tournent  dans  le  cerveau  sans 
qu'il  puisse  les  arreter,  des  roues,  des  poulies,  des  ailes  de  mou- 
lin;  il  ne  voit  rien,  il  n'entend  rien,  il  sent  qu'il  y  a  une  petite 
poulie  qui  tourne  ». 

D'autres  sensations  peuvent  etre  comparees  a  des  demangeai- 


iOO  LES  STIGMATES  PSYCH ASTIlENIQUES 

sons:  «  il  rae  semble,  dit  Mt...  (12),  que  Ton  m'arrache  des  mu- 
cosites sur  le  sommet  de  la  t^te  ou  bien  je  sens  conime  des  four- 
mis  sur  la  t6te.  »  Ck...  sent  des  tiraillements  au-dessus  du  crane 
((  comme  si  un  (il  invisible  le  coulissait  ». 

Nous  arrivons  aux  malades  tres  nombreux  qui  traduisent  leurs 
impressions  par  des  sensations  sonores  et  qui  ont  des  bruits,  des 
craqueraents  dans  la  tete  (Lap...,  Qb...  i4),  des  cr^pitements 
(Gisele).  L'observation  la  plus  interessante  a  ce  point  de  vue  se- 
rait  celle  de  Fr...  (69)  a  laquelle  je  renvoie  :  il  a  toujours  des 
bruits  dans  la  tete  tantot  tres  forts  quand  il  a  subi  une  fatigue 
quelconque,  sifdets  de  chemin  de  fer,  coups  de  pistoiet,  cloches, 
ou  bien  quand  il  est  repose  des  bruits  plus  faibles,  une  cas- 
cade d*eau,  le  train  qui  passe,  Teau  bouillante,  le  chant  de  la 
cigale  :  depuis  4  ans  ces  bruits  n^out  jamais  cesse.  II  ne  faut 
pas  confondre  ces  bruits  avec  les  bourdonnements  ou  les  sifQe- 
ments  qui  r^sultent  des  v^ritables  maladies  de  Toreille  et  surtout 
de  la  sclerose  de  Toreille  moyenne,  car  ces  persounes  n*ont  aucun 
des  signes  d'une  lesion  de  Toreille.  J'ai  tcnu  a  faire  examiner  avec 
grand  soin  le  dernier  malade  Fz...  par  M.  Gell^  qui  m*a  assure 
que  Toreille  etait  intacte.  D'ailleurs  ces  bruits  ne  sont  pas  situes 
dans  les  oreilles  mais  dans  la  t6te,  c*est  encore,  si  je  ne  me 
trompe,  une  interpretation  analogue  aux  prec^dentes  des  memes 
ph6nomenes  cerebraux. 

Je  signale  aussi  les  impressions  de  froid  (Gisele)  qui  dure  pen- 
dant des  heures  ou  celles  plus  frequentes  de  chaleur  anormale. 
((  On  me  desseche  le  cerveau  en  le  chauDant  (Dob...).  » 

Parmi  les  impressions  plus  frequentes  encore  il  faut  noter  celle 
de  pesanteur  :  «  c'est  une  barre  pesante  sur  la  tete,  un  bandeau, 
une  couronne  de  plomb,  une  meurtrissure  par  un  poids,  une 
brique  lourde  (Gisele,  Dob...,  etc.),  une  brique  lourde  en  travers 
de  la  tete  (Lag...,  Qb...).  »  C'est,  en  un  mot,  le  casque  classique 
des  neurastheniques. 

La  plus  interessante  des  expressions,  celle  qu'on  retrouve  a 
peu  pres  chez  la  moitie  des  malades,  scule  ou  surajoutee  aux 
autres  est  celle  de  vide.  «  Ma  tete  est  videe  »  (Al...  i5,  Day.,., 
Lobd...  22).  «  Ma  tete  est  vide,  dit  Ver...,  c*est  comme  si  je 
n*avais  pas  de  tete  ou  plutcU  rien  dans  la  tete.  »  Lise  pretend 
qu'elle  a  xi  besoin  de  combler  ce  vide  avec  ses  idees  »  et  Claire 
soutient  que  «  la  tete  est  vide  et  en  meme  temps  remplie  par 
un   caillou  pesant,  ce  sont  les  mauvaises   idees   qui  forment   ce 


TROUBLES  DES  FONCTIONS  NERVEUSES  iOl 

caillou   au   milieu   du  vide  »,  on  remarque  Tanalogie  entre  ces 
deux  malades. 

Apr^s  la  forme  de  cette  douleur  ce  qui  est  tres  iut^ressant 
a  relever  c'est  sa  localisation.  Remarquons  d^abord  qu^elle  est 
tres  rarement  laterale  ;  je  n*ai  remarqu^  qu'un  petit  nombre  de 
malades  pretendant  souflrir  plus  d*un  cot^  que  de  Tautre  :  Vod... 
(qo3),  Claire,  Lise,  disent  quelquefois  qu*elles  souOrent,  qu'elles 
sont  engourdies,  qu'elles  ont  des  bri!ilures  surtout  a  droite.  Gisele 
sent  un  liquide  qu'on  injecte  a  droite,  Fz..,  a  plus  de  bruits  a 
droite,  la  tete  semble  a  Lise  grossir  a  droite.  Deux  de  ces  mala- 
des :  Claire  et  Lise,  avaient  deja  certains  troubles  legers  de  la 
sensation  cutanee  situ6s  ^galement  a  droite,  on  ne  pent  done  pas 
faire  intervenir  ici  le  croisement  des  hemispheres. 

Quelquefois  la  douleur  est  g^n^rale  dans  toute  la  t^te,  souvent 
elle  est  plutot  superficielle  Lise,  remarque  que  ce  n'est  pas  tres 
profond,  il  lui  semble  que  cela  descend  a  mesure  qu*elle  est  plus 
malade.  Mais  la  plupart  des  localisations  dans  Timmense  majority 
des  cas  se  font  sur  la  ligne  m^diane. 

Nous  avons  d'abord  un  premier  groupe  de  malades  qui  situent 
cette  douleur  sur  Ic  front,  le  malade  de  Ball  disait  d6ja  quUl  avait 
une  g^ne  sur  le  front,  entre  les  yeux,  au  haut  du  nez.  Fie...  a  une 
compression  au  milieu  du  front,  Brk. . .  (24)»  Vod. . .  ont  un  poids  entre 
les  yeux  sur  la  racine  du  nez,  comme  un  frein  que  Ton  serre. 
Car...  (176)  une  brdlure  au  front,  au-dessus  des  sourcils,  elle 
croit  aussi  a  une  predominance  a  droite. 

Une  localisation  d6ja  beaucoup  plus  fr^quente  c'est  celle  du 
vertex,  la  douleur  est  analogue  au  fameux  clou  des  hyst^riques. 
Lobd...  (22)  se  demande  si  sa  mere  ne  lui  a  pas  donn^  des  coups  a 
cet  endroit  quand  elle  ^tait  petite,  elle  a  remarqu^  elle-m^me 
que  c'etait  la  place  de  la  fontanelle  des  petits  enfants.  Vod..., 
Claire  ont  «  la  tete  tout  ^caUe  a  cet  endroit  »,  Lise  y  sent  comme 
une  grosseur,  etc.  On  pourrait  ^videmment  citer  a  propos  de  la 
douleur  du  vertex  un  bon  tiers  des  malades. 

Nous  arrivons  a  la  localisation  de  beaucoup  la  plus  frequente  : 
la  localisation  occipitale.  Tantot  elle  est  vague,  «  jc  souffre  en 
arriere  de  la  tete  »  (Brk...),  «  j'ai  une  calotte  de  plomb  en  arri^re  » 
(Vi...)  «  c'est  le  derriere  de  la  t^te  ma  region  mauvaise  oil  il  y  a 
unegri{re,un  poids  et  oil  se  font  entendre  tons  mes  bruits  »(Fr...). 
Mt...,  Jean,  Cs...,  Gisele  localisent   leurs   ph^nomenes  bizurres 

LE8  OBSESSIONS.  L   —    aU  • 


^ 


m  LES  STIGMATES  PSYCHASTIIlfiNIQUES 

en  arri^re,  a  I'occiput.  Tant6t  la  localisation  occipitale  presente 
un  pen  plus  de  precision  ;  beaucoup  de  malades  comme  Gisele, 
Voz. . .  (i  22),  Rai. . .  d^signent  avec  le  doigt  un  point  situe  sur  la  ligne 
m^diane  a  quelques  centimetres  au-dessus  de  la  bosse  occipitale 
et  qui  me  parait  correspondre  au  point  lambda  des  anatomistes, 
au  point  de  rencontre  des  sutures  occipito-pari^tales.  Fy...  pre- 
tend meme  qu'elle  a  eu  longtemps  comme  des  petits  boutons  ace 
point  et  Bei...  pretend  que  ce  point  se  creuse  sous  les  coups  de 
marteauqu'elle  y  ressent  perp^tuellement.  Cette  localisation  me 
parait  chez  les  scrupuleux  encore  plus  fr^quente  que  les  prec^- 
dentes  et  jecrois  qu'elle  existe  dans  prfes  de  la  moitie  des  cas. 

On  ne  pent  guere  avoir  la  pretention  d'expliquer  actuellcment 
le  m^canisme  de  ces  douleurs  bizarres,  il  n'est  pas  vraisemblable 
que  les  malades  apprccient  directement  par  des  sensations  T^tat 
de  leur  substance  c^r^brale,  ils  ne  I'appr^cient  qu'indirectement 
par  la  conscience  de  leurs  operations  mentales,  ce  qui  fait  naitre 
tons  les  sentiments  anormaux  que  nous  avons  d^crits.  Je  ne  crois 
pas  que  Ton  puisse  expliquer  la  sensation  de  vide  par  la  perte 
de  certaines  sensations  produites  normalement  par  le  cerveau 
lui-meme.  Sur  Ver...  qui  presentait  cette  impression  au  supreme 
degr6y  je  n'ai  pu  constater  aucun  trouble  des  sensations  que  pro- 
cure d^ordinaire  la  t^te  :  il  n*y  a  aucune  anesthesie  des  teguments 
du  crane  et  il  ne  semble  pas  non  plus  avoir  des  troubles  des  sen- 
sation du  poids  de  la  tete.  Le  malade  sent  tr^s  bien  un  poids  que 
je  mets  sur  sa  tete,  il  discerne  les  yeux  fermes  les  inclinaisons 
que  je  communique  a  sa  tete.  Autant  que  Ton  peut  le  dire  il  me 
semble  aussi,  qu*il  a  conserve  une  certaine  sensibility  interne  : 
j'ai  essay^  de  le  placer  pendant  quelque  temps  la  tete  en  bas,  il 
sent  comme  tout  le  monde  TafTlux  du  sang,  la  chaleuret  la  pesan- 
teur  de  la  tete.  Pour  verifier  davantagc  la  sensibiiite  de  la  surface 
cerebrale  il  faudrait  lui  ouvrir  la  tete,  mais  ces  observations  sufli- 
sent  pour  que  Ton  puisse  consid^rer  comme  tout  a  fait  hypoth^- 
tique  rinterpretation  qui  attribue  dans  ces  cas  ce  sentiment  de 
vide  a  une  anesthesie  cer6brale  spc^ciale  :  il  ne  faut  pas  rcsoudre 
les  problemes  par  des  anesthesics  inv^rifiables  et  imaginaires. 

Un  malade,  LI. . .  (226),  me  sugg^rait  sa  propre  explication  qui  m'a 
paru  int^ressante  :  «  quandnous  disons  que  la  tete  est  vide  cen'est 
pas  que  nous  sentions  quelque  chose  de  particulier  en  dedans, 
c'est  que  nous  sentons  d'une  maniere  douloureuse  les  enveloppes 


TROUBLES  DES  FONCTIONS  NERVELSES  403 

du  cerveau,  le  crane  et  la  peau,  cette  sensation  anormale  du  crane 
attire  Tattention  sur  la  p^riph^rie  et  nous  fait  remarquer  le  vide 
en  dedans.  Quand  je  ne  sens  plus  mon  cr^ne,  je  n*ai  plus  Tid^e  de 
vide.  »  L'explication  de  ce  malade  vaut  au  moins  autant  que  la 
plupart  de  celles  qui  ont  ^t^  propos^es. 

II  semble  aujourd'hui  probable  que  la  sensibilite  intracra- 
nienne  n'existe  que  dans  les  meninges,  dans  le  p^rioste  et  dans 
les  OS  du  crane;  il  en  r^sulte  que  la  plupart  des  maux  de  tete 
sont  dus  a  des  modifications  qui  atteignent  les  meninges  et 
en  particnlier,  comme  les  belles  Etudes  de  M.  Sicard  viennent 
de  le  montrer,  a  des  modifications  dans  la  tension  du  liquide 
c^phalo-rachidien.  II  faut  done  supposer  que,  soiten  raison  de  trou- 
bles s6cr^toires  ou  de  troubles  vaso-moteurs,  le  liquide  cephalo- 
rachidien  est  en  quantity  exager^e  ou  insuffisante  ;  cette  suppo- 
sition n*a  rien  d'absurde  si  on  songe  a  tons  les  troubles 
s^cretoires  et  vaso-moteurs  que  nous  allons  observer  du  c6t6  de  la 
peau,  des  muqueuses  et  surtout  de  Testomac.  Pourquoi  les  petites 
glandes  recemment  decouvertes  et  qui  s^cretent  le  liquide  cephalo- 
rachidien  ne  seraient-elles  pas  ^galement  troubles  ? 

Cette  modification  de  la  tension  du  liquide  c^phalo-rachidien 
est  aussi  probablement  en  rapport  avec  des  troubles  circulatoires. 
Angel,  en  i884i  rapportait  les  vertiges  de  la  neurasthenic  a  des 
congestions  d'origine  vaso-motrice '  et  il  d^montrait  la  surdis- 
tension  du  sang  dans  le  cerveau,  par  Tetude  d'un  trouble  vaso- 
moteur  observe  a  la  pi^riph^rie  sur  lequel  nous  reviendrons  a 
propos  de  la  circulation.  L'a(}*aiblissement  du  tonus  arteriet  amfe- 
nerait  des  dilatations  frequentes  des  vaisseaux  c^r^braux.  Cela 
expliquait  comment  T^coulement  des  regies,  lesommeil  qui  deter- 
mine Tanemie  peuvent  amener  souvent  la  diminution  de  ces  maux 
de  tete,  le  rcpos  agit  dans  le  m^me  sens  en  produisant  une  deri- 
vation et  en  relevant  le  tonus  art^riel.  Le  travail  cerebral  augmente 
la  c^phal^e  en  determinant  un  accroissement  de  la  congestion. 

M.  Auguste  Voisiu',  puis  plus  recemment  M.  Lubetzki  ^,    ont 


1 .  Angel,  Expcrimentelle  zur  Pathologic  und  Therapie  der  cerebralen  Neuras- 
thenia. Arch.f.  Psych.,  Berlin,  i884,  XV,  p.  6i8. 

2.  A.  Voisin,  £tude  sur  la  temperature  des  parois  du  cr^ne.  Congrh  international 
de  nUdecine  mentale.  Paris,  1878.  Le^ns  cliniqaes  sur  les  maladies  mentales,  i883, 
p.  109. 

1^3.  Lubetzki,  Recherches  cliniqaes  et  expirimenlales  sur  la  cause  de  la  ciphalie  neu- 
rasthenique.  Thfese  Paris,  1899. 


m  LES  STIGMATES  PSYCllASTHfiNIQUES 

cherch^  a  preciser  ces  actions  par  des  Etudes  de  thermometrie 
c^rebrale.  Par  I'emploi  d'un  thermometre  de  surface  tres  sensible, 
ils  ont  cherch^  a  etablir  les  points  suivants  :  i®  que  la  tempera- 
ture des  parois  du  crane  chez  les  neurasth^niques  a  c^phal^e  est 
sensiblement  plus  elevee  que  celle  que  Ton  observe  chez  les  indi- 
vidus  bien  portants,  cette  elevation  pouvait  atteindre  plus  de  2  de- 
gres;  2"  Que  chez  les  neurasth^niques  sans  c^phalee,  Tel^vation  de 
la  temperature  n*est  pas  bien  appreciable;  3^  Qu^en  general  le 
thermometre  indique  chez  le  m^me  individu  une  temperature 
plus  elevee  la  ou  si^ge  le  maximum  de  la  cephalee.  4*^  Que 
lorsque  la  cephalee  diminue,  la  temperature  diminue  egalement\ 
Malheureusement  ces  mesures  sont  tres  discutables,  M.  Francois 
Franck  faisait  deja  observer  il  y  a  quelques  annees  qu*il  fallait 
une  augmentation  enorme  de  la  temperature  cerebrale  pour 
determiner  en  dehors  du  crane  une  modification  appreciable  au 
thermometre. 

Si  ces  observations  encore  isolees  etaient  confirmees,  elles  jus- 
tifieraient  notre  interpretation  generale  que  les  cephalees  sont 
dues  a  des  modifications  de  la  pression  du  liquide  cephalo-ra- 
chidien,  elles-memes  dependantes  de  troubles  secretoires  et  cir- 
culatoires.  Les  cephalees  resteraient  sans  doute  une  consequence  de 
Tengourdissement  fonctionnel  des  centres  nerveux,  mais  une 
consequence  tres  indirecte  et  non  une  sensation  immediate  de  cet 
engdurdissement. 

Quant  aux  formes  varlees  que  le  malade  attribue  a  ses  douleurs 
cerebrales,  nous  nesommes  pas  capables  de  lesexpliquer,comple- 
tement  elles  doivent  dependre  du  degre  de  ces  modifications  de  la 
pression  intra-cerebrale  et  d*une  foule  de  sensations  concomitantes. 
Des  contractions  musculaires  de  tons  les  muscles  qui  s'inserent  sur 
le  crane  et  qui  determinent  des  douleurs  siegeant  dans  leurs  ten- 
dons, des  troubles  de  la  vue  ou  des  muscles  moteurs  de  Toeil,  des 
troubles  de  Touie  et  en  outre  des  sentiments  varies  d'incomple- 
tude,  de  bizarrerie,  d'isolement,  viennent  se  joindre  dans  Tesprit 
du  sujet  a  la  sensation  principale  de  douleur  et  determinent  ces 
nuances  variees  de  la  cephalee  qu'il  aime  a  exprimer  par  des  me- 
taphores  et  des  symboles. 

Quant  a  la  localisation  j*ai  deja  eu  Toccasion  d'exprimer  quelle 

1.  Lubetzkij  Th&se»  1899,  p.  33. 


TROUBLES  DES  FONGTIONS  NERVEUSES  405 

etait  mon  opinion  a  ce  sujet  ^,  je  ne  puis  pas  croire  que  Thomme 
ait  conscience  de  la  place  de  ses  diverses  circonvolutions  et  qu'il 
ressente  une  douleur  a  la  place  de  la  circonvolution  qui  fonc- 
tionnele  moinsbien.  II  s^agitla  d^une  localisation  beaucoup  moins 
importante  :  le  malade  sent  une  douleur  vague  qui  a  son  point  de 
depart  principal  dans  les  meninges  et  il  la  localise  vaguement  a 
Tendroit  du  crAne  qui  est  le  plus  en  rapport  avec  elles  et  qui  a 
conserve  la  plusgrande  sensibility.  J^ai  eu  Toccasion  de  refairesur 
LI...  (226)  qui  avait  un  beau  crane  chauve,'une  experience  que 
j'ai  deja  d^crite  qui  consiste  a  rechercher  centimetre  par  centi- 
metre, la  sensibility  de  la  peau  du  crane  a  la  douleur.  En  em- 
ployant  mon  alg^simetre  a  ressort,  j'ai  constate  que  le  crane  est 
en  g^n^ral  peu  sensible,  il  faut  que  Tinstrument  marque  de  26 
a  3o  pour  que  le  malade  reconnaisse  une  piqi!kre.  Or,  il  y  a  deux 
'  regions  assez  petites  qui  tranchent  tres  nettement  sur  Tensemble 
parleur  sensibilite  ;  c*est  justcment  le  vertex  et  le  point  lambda 
ou  Taiguille  ne  marque  plus  que  10  ou  i5.  Ces  deux  regions  sont 
celles  des  fontanelles  :  est-il  impossible  que  Fabsence  de  tissu 
osseux  pendant  plusieurs  ann^es  de  Tenfance,  le  petit  mouvement 
que  les  fontanelles  ont  pendant  la  respiration  de  Tenfant,  la  suture 
longtemps  incomplete  et  la  presence  du  perioste  conservent  a  ces 

endroits  cette  sensibility  exager^e.  Ce  serait  en  raison  de  cette 

sensibilite   que  le  malade  localiserait  a  ce  point  une  douleur  res- 

sentie  d*une  maniere  vague. 

Bien  entendu  il  faut  tenir  compte  d'une  foule  de  circonstances 

accessoires  qui,   en  attirant  Tattention,  de- 

terminent  la  localisation  a  un  point  plutot         ^^'^'H      ^\ 

qu*a  un  autre.  E...,  gargon  de  i5  ans  (tics  et        / 

manies  mentales),  a  une  cicatrice  au  sommet       I 

du  front,  a  gauche,  r^sultat  d*une  petite  bles-      ^ 

sure  determinee  par  une  chute  dans  la  pre-       >\ 

miere  enfance ;   la  figure  22   represente  un  \ 

schema  donl  je  me  suis  souvent  servi  pour  \ 

noter  la  place  attribuee  par  les  malades  a 

leurs  cephalees,   la  croix  indique  Tendroit  iJ^uJuonle  u'^c^h^f^^^ 

de  cette  petite  cicatrice,  l^gere  d'ailleurs  et 

non  adherente  a  Tos.  Le  malade  a  pris  Thabitude  de  localiser  a 

ce  point  anormal  tons  ses  maux  detete.  La  sechercsse  desnarines, 

I.  Neuroses  et  Idees fixes,  II,  p.  118,  Sig,  45a. 


406  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

la  g^ne  de  la  respiration,  des  crampes  du  muscle  frontal  ou  du 
muscle  occipital  et  des  muscles  de  la  nuque  d^terminent  chez 
les  autres  malades  la  localisation  en  avant  et  en  arriere. 


A  ces  douleurs  cerebrales  il  faut  joindre  les  douleurs  dans  les 
vertcbres  lombnires,  la  rachialgie.  Ce  symptome  ne  me  semblait 
pas  avoir  un  grand  int^ret,  mais  j'ai  ^16  ^tonne  de  voir  que  quel- 
ques  auteurs  lui  donnaient  une  certaine  importance  pour  diagnos- 
tiquer  la  neurasth^nie  de  ce  qu'ils  appelaient  la  nevrose  d'an- 
goisse*. 

J'^tudierai  plus  tard  cette  question  de  diagnostic,  pour  le  mo- 
ment je  remarque  seulement  que  la  rachialgie  est  frequente  chez 
les  malades  que  j'ai  observes,  quelle  que  soit  la  forme  de  leurs  trou- 
bles psychasteniques.  Wo...,  qui  a  des  maniesde  la  recherche  et 
des  obsessions  sacrileges  ou  criminelles  la  presente  comme  Dob, 
Jean,  £tc.,  qui  ont  des  angoisses,  comme  Es...  qui  a  des  tics.  La 
rachialgie  est  peut-etre  un  peu  moins  frequente  que  la  c^pha- 
lalgic,  mais  elle  existe  dans  un  nombre  de  cas  assez  consid^- 
sable  pour  que  Ton  ne  puisse  pas,  a  mon  avis,  faire  de  ce  symp- 
tome un  caractere  distinctif  des  neurasth^niques  sans  troubles 
mentaux. 

M.  de  Fleury  remarque  justement  que  la  rachialgie  est  sou- 
vent  en  rapport  avec  des  fatigues  ou  des  spasmes  des  muscles 
lombaires ;  j'en  suis  convaincu,  mais  je  ne  crois  pas  impossible 
que  duns  ce  phenomene  des  troubles  circulatoires  de  la  moelle  et 
des  modifications  de  la  pression  intrarachidicnnes  ne  puissent 
jouer  un  r6le  comme  dans  la  cephalalgie. 

2.  —  Troubles  du  sommeil. 

L^importance  du  sommeil  est  si  grande  dans  les  n^vroses,  son 
rapport  avec  la  volonte  et  Tattention  est  si  probable  qu'il  faut 
placer  ici  une  note  rapide  sur  les  modifications  du  sommeil  chez 
nos  malades. 

Dans  un  premier  groupe,le  sommeil  semble  peu  trouble,  aucon- 
trairc  les  sujets  sontplut6t  de  grands  dormeurs.  Lo...  (2i3)  depuis 
son  enfance  dort  plut6t  trop.  A  20  ans  il  lui  faut  encore  12  heu- 
res  de  sommeil  par  jour  et  encore  il   lui    arrive  de  se  rcndormir 

I.  Harlenborg,  La  nivrose  (TangoUse,  1902  (Paris,  F.  Alcan). 


TROUBLES  DES  FOISCTIONS  NERVEUSES  407 

dans  la  journ^e.  Ce  cas  est  assez  frequent  et  un  bon  nombre  de 
ces  malades  ont  un  sommeil  lourd  et  prolonge.  Dans  ces  cas  il 
faut  noter  que  le  sommeil  n'est  pas  trouble  par  les  idc^es  qui 
tourmentent  la  veille.  Comme  on  Pa  remarque  souvent,  les  re- 
ves  du  sommeil  profond  ne  reproduisent  pas  les  emotions  de  la 
journee. 

Chez  quelques  sujets  ce  sommeil  lourd  devient  par  moments 
tout  a  fait  excessif  et  pathologique  :  il  arrive  assez  souvent  que 
Bu...  (85)  dorme  2  4  heures  de  suite;  une  fois  il  est  reste  endormi 
deux  jours  et  une  nuit.  Lo...  a  dessommeils  malgre  elie  au  mi- 
lieu de  la  journee,  il  en  est  de  m^me  chez  Vod...  Chez  Je...  ces 
sommeils  exager^s  surviennent  par  p6riodes  :  pendant  une  quin- 
zaine  de  jours  elle  va  etre  engourdie,  elle  va  etre  prise  a  chaque 
instant  par  des  sommeils  qui  se  prolongent  plusieurs  heures. 
Pendant  cette  p^riode  elle  n*a  plus  d'obsessions  et  n'est  plus 
tourmentee  par  ses  interrogations  et  ses  recherches  continuelles. 
Je  crois  que  ces  sommeils  exag^r^s  doivent  6tre  rapprochds  de 
ces  periodes  de  fatigues  ^normes  que  nous  avons  ^tudiees  a 
propos  des  troubles  de  Tactivite,  ce  sont  des  phenomenes  du 
meme  genre. 

Dans  un  autre  groupe  de  malades  peut-etre  plus  nombreux  que 
le  premier,  le  sommeil  est  trouble  :  il  est  devenu  plus  leger,  il  reste 
incomplet  et  il  est  traverse  par  des  r^ves  penibles.  Claire  est  tour- 
mentee la  nuit  comme  le  jour  quoique  a  un  degre  un  pen  moins 
fort.  II  lui  semble  qu'elle  ne  dort  pas  tout  entiere  «  il  y  a  toujours 
deux  ou  trois  de  mes  personnes  qui  ne  dorment  pas,  cependant 
j'ai  moins  de  personnes  pendant  le  sommeil,  il  y  en  a  quelques- 
unes  qui  dorment  un  pen.  Ces  personnes  ont  des  reves  et  des  re- 
ves  qui  ne  sont  pas  les  mcmes  ;  je  sens  qu'il  y  en  a  plusieurs  qui 
^  r6vent  a  d'autres  choses  ».  Ces  reves  de  Claire  sont  presque  tons 
d'un  genre  bienconnu,  elle  poursuit  quelque  chose  qu*elle  nepar- 
vient  jamais  a  atteindre,  elle  se  perd  dans  d'interminables  cou- 
loirs, elle  ouvre  des  milliers  de  portes  et  elle  a  le  sentiment 
qu'elle  n'arrivera  jamais  au  bout.  Ce  reve  «  du  lubyrinthe  »  me 
parait  la  continuation  sous  une  forme  plusimagee  des  recherches, 
des  eflbrts  intcrminables  ct  infructueux  que  cette  personne  fait 
continuellement  pendant  la  veille,  c*est  le  meme  etat  d'esprit  qui 
continue  dans  les  deux  ^tats  a  Tinverse  de  ce  qui  se  passait 
dans  les  sommeils  profonds. 

Beaucoup  d'autrcs  malades  Bei...,  Tr...,  etc.,  se  plaignent  de 


408  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

ne  pouvoir  pas  dormir  compl^tement.  Lise  se  reveille  au  moin- 
dre  bruit  et  le  matin  elle  a  le  sentiment  qu^elle  n'a  pas  dormi, 
qu'elle  est  restee  au  debut  du  sommeil  n  qu'elle  ne  pent  pas  plus 
achever  le  sommeil  qu'elle  ne  pent  terminer  un  acte  ou  un  sen- 
timent quelconque».  Elle  dort  plut6t  mieux  quand  elle  est  tr^s 
malade  et  qu^elle  s*est  epuisee  toute  la  journ^e  dans  ses  rumina- 
tions. Quand  elle  est  en  voie  d^am^lioration,  elle  est  ^tonnee  du 
changement  de  son  sommeil  :  a  J'etais  habitude  a  dormir  d'une 
maniere  bizarre  en  continuant  mes  discussions,  maintenant  il 
m'arrive  de  me  r^veiller  en  sursaut,  ^tonnee  de  cette  facon 
nouvelle  de  dormir  tranquille  ;  cela  me  fatigue  de  dormir  de  cette 
facon.  »  En  un  mot  il  y  a  un  changement  du  sommeil  quand  elle 
va  mieux,  et  ce  changement  la  trouble  au  d^but. 

II  est  souvent  juste  de  faire  intervenir  dans  ces  troubles  du 
sommeil  des  phenomenes  physiologiques  analogues  a  ceux  qui 
nous  ont  paru  jouer  un  role  dans  les  cephalalgies.  Des  troubles 
vaso-moteurs,  des  phenomenes  de  congestion  sont  invoqu^s  pour 
les  expliquer  par  Angel,  par  Lubetzki  et  par  plusieurs  auteurs. 
M.  de  Fleury  rattache  Tinsomnie  a  des  modifications  de  la  ten- 
sion sanguine :  le  sommeil  normal  exigerait  une  tension  moyenne 
de  9  a  12  centimetres  de  mercure  mesuree  a  la  radiale;  au-dessus 
de  ce  chiffre  on  observerait  des  insomnies  par  hypertension, 
au-dessous  des  insomnies  par  hypotension  ^ 

II  y  a  quelque  verity  dans  ces  remarques,  mais  jc  crois  devoir 
observer,  comme  je  I'ai  montre  autrefois',  que  le  sommeil  est  un 
ph^nomene  mixte,  il  ne  depend  pas  seulement  des  phenomenes 
physiologiques  extrac^rebraux  pour  ainsi  dire,  circulation,  ten- 
sion cephalo-rachidienne,  mais  encore  de  faits  psycho-physiolo- 
giques  qui  ont  lieu  dans  Tintimit^  du  cerveau.  Par  un  c6i6  le  som- 
meil estun  acte,  il  demande  une  certaine  Anergic  pour  etre  de- 
cide au  moment  opportun  et  pour  etre  accompli  correctement. 
Les  mauvaises  habitudes,  les  tics,  les  manies  mentales  intervien- 
nent  dans  le  sommeil  :  on  a  d^ja  vu  Tobservation  de  Dn...  (4g) 
dans  laquelle  des  agitations  et  des  angoisses  apparaissent  a  I'oc- 
casion  du  debut  du  sommeil  comme  a  propos  du  d^but  des  actes. 
Par  bien  des  points  I'insomnie  des  psychastheniques  se  rap- 
proche  de  leur  aboulie. 


1 .  De  Fleury,  Les  grands  symptomes  neurasth^niques,  tqoi  ,  p.  i3o  (Paris,  F.  Alcan). 

2.  Sligmates  mentaux  des  hjsUriqueSt  1893,  p.  137. 


TROUBLES  DES  FONCTIONS  DIGESTIVES  409 


3.  —  Les  modifications  des  reflexes. 

A  tousles  troubles  nerveux  deja  signales  il  Taut  ajouterquelques 
modifications  des  reflexes.  II  faut  remarquer  que  ces  modifica- 
tions sont  rares  et  peu  nettes :  Tetat  psychastheniques  porte  evi- 
demment  plus  sur  les  fonctions  superieures  du  systeme  nerveux 
et  trouble  peu  les  fonctions  dementaires  et  les  reflexes.  Cepen- 
dant  chez  une  dizaine  de  personnes  je  remarque  que  les  reflexes 
des  membres  inferieurs  sont  exag^res.  Je  ne  suis  pas  convaincu 
qu'il  s^agisse  uniquement  d*une  exageration  du  mouvement  quasi 
volontaire  et  en  rapport  avec  Tagitation  motrice  ou  les  tics.  Je 
crois  que  Ton  observe  quelquefois  chez  les  ueurasth^niques  une 
veritable  exageration  des  reflexes  des  membres  inferieurs  qui 
semble  accompagner  Tengourdissement  cerebral.  Je  dois  d'ail- 
leurs  ajouter  que  je  n*ai  observe  nettement  nl  le  clonus  du  pied, 
ni  le  ph^nomene  de  Babinski,  m^me  en  examinant  des  maladcs 
qui  out  des  phobies  de  la  marche,  des  derobements  des  jambes 
ou  des  crises  de  fatigue  portant  surtout  sur  les  membres  infe- 
rieurs. C^est  la  une  remarque  importante,  tres  utile  pour  le 
diagnostic  souvent  tres  difliclle  de  ces  symptomes  qui  simulent 
quelquefois  des  maladies  de  la  moelle  ^piniere. 

J'insiste  surtout  sur  une  dilatation  remarquable  des  pupilles 
que  Ton  constate  chez  Claire,  chez  Qes...,  et  chez  plusieurs 
autres ;  il  n  y  a  pas  suppression  complete  mais  v^ritablement 
paresse  et  diminution  du  reflcxe  lumineux.  Cette  dilatation  dimi- 
nue  quand  les  malades  sont  un  peu  mieux  et  peut  servir  d'indice 
pour  suivre  leur  amelioration. 


2.  —  Troubles  des  fonctions  digestives. 

Les  troubles  des  fonctions  de  la  nutrition  sont  beaucoup  plus 
nets,  plus  indc^pendants  de  Tetat  mental  des  malades.  L*aspect 
g^n^ral  de  ceux-ci  est  presque  toujours  mauvais  :  ils  sont  mai- 
gres,  ont  un  mauvais  teint  et  changent  de  mine  et  d'aspect  d'une 
fa^on  tres  rapide  et  tres  frequente,  Jean  ou  GIsele  prennent  tout 
d'un  coup  des  aspects  extremement  mis^rables  et  on  les  croirait 
sous  le  coup  d'une  grave  maladie. 


408  LES  STIGMATES  PSVr' 

ne  pouvoir  pas  dormir  r^ 

dre  bruit  et  le  mat'-  .//♦'^'^ 

qu'elle  csl  r*  '  ,.,.^^'^ 

aehever  le  '  ^-  /^  ,/ ^*"  existe  chez  la  grande 

Limcnt  qy  ^/a' /'^S>''*"^  P^r  les  troubles  de    la 

111 ji lade  i.p^.*'^''iiii"'^'^^ d'l^^  ^"^    neuf  fois  sur  dix  on  a 

tioasi.  j^  /^^.  .^••j^''  ^^''/^^/ /"«'»'>  ""c  exception  extraordinaire 

chan'  ^'"'''!!  •^'''''C//'''    1//J  avoir  un  assez  bon  cstomac  :  tous 


mar 
m 


i 

i 


^^*"':\^  ''*.if(ri)le  avoir  un  assez  Don  esiomac  :  i' 

J-^'"\,  J*'' "LfP  ^'"  *^^^pnon  ont  des  troubles  gastriques. 

''^yV'  'L^g^^^^lg  CCS  malades  presenlent  une  exagdration 

'%^'^'\  ii^'^^'^\^*soin  perpetuel  de  nourriture.  M.  J.  Roux, 

^^IV'  ^^  \eressanie  sur  la  fium,  rapporte  Tobservation 

/    f//^  ^^"le  fc^'^^  atteinte  aprcs  un  accouchement  d'une 

*^'^!r^^^''^^^^  lie '.  ^^"^  ^®  ^^^^  perpetuellement  en  6tat  de  defail- 

">jy  '■''"''''  cprend  un  peu  d'energie  qu'apres  avoir  absorbs  un 

/ '''"'  ' '    arri^^^^'  J'^'  observe   plusieurs  sujets  de  ce   genre  : 

pt'if         .tioe  fi"^    ^®    ^^  ^"*>    obsedee,     phobique,   et   surtout 

>>''*",    demande  constamment  a   mangrer  et,   si  on   la   laisse 

^'''* '     ivvnre  toule  la  journee.  «  Elle  a  besoin  de  revivre  et  pour 

^"^*^  /*?  '"^"S^^**   continuellement...   elle    est   comme    morte  de 

^*  '     ^  tJlt^  devrait  manger  continuellement  sans  s'arreter  et  si 

p  ffjvnit  pas  toujours  empechc^e  de  manger,  sa  maladie  serait 

i.ii  ii^^^^  dcpuis  longtemps.  »  J'ai  deja  signalc  le  cas  de  Lkb... 

oo)  4^'^  I't^clame  a  manger  des  qu*on  veut  obtenir  d'elle  le  plus 

pftil   t'^ii^rt.    Pi...  a  dans   sa   poche    un   morceau  de  pain  et  une 

trniH'^^*'  «li^  JHmbon  et  il  «  les  mange  sur  Tescalier  avant  d'entrer 

chez  qiH^qirun  afin  de  se  donner  quelque  assurance  ».  Ce  sont  la 

(]cs  pht'noruenes  analogues  aux  besoins  d'excitation  par  Talcool 

(HI   1*1    morphine    en    rapport   avec   des  sentiments    de    faiblesse 

physique  e*t  mentale.   On  le  remarque  tres  bien  dans  Tobserva- 

tii)n  (tc  Lkb,..  qui  oublie  sa  boulimie  quand  on  la  laisse  inerte, 

jilmij^/u*    fl;ms    ses  reveries   et   qui   ne   reclame   a    manger    qu'au 

iiHMnt*ni  LIU  la  dilficulte  dun  effort  lui  rappelle  son  sentiment  de 

Cv^  f  \;t^eralions  de  Tappetit  sont  done  tout  a  fait  acciden- 
U'lles  ;  III  general,  la  grande  majorite  des  psychastheniques 
msmi^e  Uni  peu.  Ces  malades  n'ont  aucun  appetit  et  ils  sont 
plutiit  (lt'f(*iiUes  de  toute  alimentation. 

I,   J    Ki.jiu,  Ln  /aim.  Elude  psycho  phjsiologique^  i^97»  P-  28. 


TROUBLES  DES  FONGTIONS  DIGESTIVES  4H 

Les  douleurs  commencent  presque  toujours  des  que  les  malades 
ont  mange,  Brk...,  Nadia,  Za...,  Mrc...,  etc.,  commencent  a  souf- 
frir  aussitot  et  se  plaignent  de  crampes  et  de  briilures.  Quel- 
ques-iins  (Claire,  Qs...)ont  des  vomissements,  mais  cephenomene 
n'est  pas  ires  frequent.  Ce  qui  est  constant,  c'est  que  Testomac 
est  gonfle  et  pesant ;  les  malades  etouflent,  ont  des  bail- 
lements,  sont  forces  de  se  desserrer.  A  Texamen  on  observe 
souvent  du  gonflement  ^pigastrique  et  on  constate  surtout  un 
bruit  de  clapotement  determine  par  toute  secousse.  Ce  bruit  se 
fait  entendre  plus  ou  moins  bas  suivant  que  Testomac  est  plus  ou 
moins  distendu,  tres  souvent  il  descend  jusqu'a  I'ombilic  et 
quelquefois  bien  au-dessous.  La  digestion  est  lente,  les  malaises 
se  prolongent  jusqu*au  repas  suivant  et  les  malades  ont  le  senti- 
ment que  le  premier  repas  n'est  pas  diger^  quand  ils  prennent  le 
second.  Ils  ont  des  brtklures,  du  pyrosis,  ils  ont  la  langue  sabur- 
rale,  ils  sentent  un  gout  infect  dans  la  bouche  et  bien  souvent 
d*atroces  migraines  ne  tardent  pas  a  suivre  ces  mauvaises  diges- 
tions (Bal...,  Claire,  Gisele,  etc.). 

Ce  tableau  pent  presenter  quelques  vari^tes,  Lise  diflTere  un  pen 
de  la  description  generate  en  ce  que  le  plus  souvent  elle  ne  sent 
rien  pendant  la  digestion  et  ne  se  plaint  de  rien  ;  mais  je  suis 
dispos<^  a  croire  qu'elle  est  beaucoup  trop  absorbee  par  ses  id^es 
pour  se  rendrc  compte  de  ce  qu*elle  ^prouve.  Elle  mange  d'une 
fa^on  mecanique,  tres  rapidement  sans  savoir  ce  qu'elle  avale, 
elle  a  Testomac  enormement  clapotant,  elle  a  souvent  des  indi- 
gestions suivies  de  vomissements  ou  des  diarrhees  immediate- 
ment  apres  le  repas  dans  lesquelles  elle  rend  les  aliments  presque 
intacts.  Cependant  elle  ne  souflre  pas  de  Testomac  et  se  plaint 
seulement  de  ressentir  une  fatigue  enorme  pendant  la  periode 
digestive. 

Chez  Gisele  egalement  il  y  a  lieu  de  remarquer  quelques  parti- 
cularit^s  du  trouble  gastrique.  Elle  digere  toujours  difHcilement 
avec  du  gonflement  et  meme  de  la  gene  du  coeur  par  refoulement, 
mais  par  p^riodes  elle  commence  de  grands  troubles  gastriques  tout 
speciaux.  Le  debut  en  est  assez  brusque  :  elle  sent  une  irritation 
de  la  gorge,  des  br^lures  dans  Toesophage  et  dans  Testomac,  la 
langue  devient  blanche  brusquement  et  va  rester  saburrale  pen- 
dant une  assez  longue  periode,  la  digestion  est  pour  ainsi  dire 
supprim^e,  les  aliments  sont  rendus  dans  une  diarrhee  presque 
immediatement  apres  avoir  ^te  absorbes.  Comme  la  malade  pre- 


412  LES  STIGMATES  PSYCH ASTHfiNlQUES 

cedente  et  bien  plus  qu'elle,  Gis^le  sent  dans  sa  t^te  le  contre 
coup  de  ses  troubles  digestifs.  Des  qu'elle  a  mang6  elle  eprouve 
une  violente  douleur  a  I'occiput  et  cette  douleur  est  telle  qu'elle 
la  redoute  et  refuse  Talimentation.  II  en  resulte  que  pendant  ces 
crises  singulieres  de  I'estomac,  durant  quelquefpis  plusieurs 
moisy  la  malade  semble  avoir  une  autre  obsession,  au  lieu  d'etre 
preoccup^e  par  ses  remords  de  vocation,  elle  a  Tid^e  fixe  de 
refuser  les  aliments  ou  d'absorber  des  quantites  minimes  de 
nourriture. 

L'alternance  qui  se  pr^sente  ici  est  un  des  ph^nomenes  les  plus 
singuliers  que  pr^sentent  les  troubles  de  I'estomac  chez  les  psychas- 
th^niques.  Chez  une  vingtaine  de  malades,  avec  beaucoup  de  r^gu- 
laritc,  j^ai  observe  Talternance  entre  les  troubles  psychiques  et  les 
troubles  gastriques :  il  est  Evident  que  Gisele  est  moins  scrupu- 
leuse,  moins  obs^d^e  par  ses  remords  de  vocation  quand  elle  est 
malade  de  I'estomac.  II  en  est  de  meme  de  Lise,  quand  elle  est  tres 
obsedee,  elle  mange  bien  et  ne  parle  pas  de  son  estoroac;  quand 
Tetat  d'esprit  est  meilleur,  elle  se  plaint  de  fortes  crampes  d'esto- 
mac,  d'indigestions,  de  paralysie  abdominale.  II  en  est  de  meme 
chez  Lod...,  chez  Bal...,  et  chez  un  tres  grand  nombre  d'autres 
malades. 

Pour  expliquer  ces  singulieres  alternances  entre  les  troubles 
mentaux  et  les  troubles  gastriques  j'avais  d'abord  suppose  que 
le  trouble  gastrique  etait  a  pen  pres  permanent  et  que  pendant 
les  p^riodes  de  trouble  mental  les  malades  cessaient  de  s'en 
apercevoir  a  cause  de  Texces  de  leurs  pr<^occupations  morales. 
Cette  explication  me  semble  maintenant  insuflisante  au  moins 
pour  certains  sujets.  Pendant  la  periode  de  douleur  gastrique, 
Lise  a  des  diarrhees  immddiatement  apres  le  repas  et  elle  ne  les 
a  pas  pendant  la  periode  d'obsession ;  dans  la  premiere  periode 
elle  maigrit,  tandis  qu'elle  engraisse  dans  la  seconde.  II  est  pro- 
bable que  Talternance  doit  ^tre  plus  profonde  :  les  choses  se 
passent  comme  si  le  trouble  nerveux  portait  tantot  sur  les  centres 
des  fonctions  psychiques,  tantot  sur  les  centres  visceraux. 

II  est  en  eflet  evident  que  ces  troubles  gastriques  ont  leur  point 
de  depart  dans  un  trouble  nerveux.  Je  ne  puis  reprendre  ici 
Tetude  de  cette  maladie  speciale  de  Testomac  neurasthenique  qui 
a  ^t^  tr^s  bien  analysee  dans  bien  des  ouvrages^  La  plupart  de 

I.  Cf.   BouYcret,  La  neurasthenic;   LevLllain,  Neurasth^nie,  ^.  ^^;  lleim »  Dys- 


TROUBLES  DES  FONCTIONS  DIGESTIVES  413 

ces  troubles  se  rattachent  a  trois  ph^nomenes  principaux  :  i®  II  y  a 
une  paralysie  motrice  de  resloraac  qui  devient  flasque,  s'abaisse, 
se  laisse  disteudre  par  les  aliments,  les  liquides  et  les  gaz ;  2°  on 
constate  le  defaut  de  s^er^tion  des  glandes  gastriques,  la  pauvrete 
du  liquide  secret^  en  acide  chlorhydrique  et  en  pepsine:  la 
plupart  des  analyses  de  sue  gastrique  qui  ont  €16  faites  dans  ces 
conditions  niontrent  un  etat  d'hypochlorhydrle ;  3°  enfin  les  ali- 
ments mal  dig^r^s,  stagnants  dans  Testomac  dilate,  subissent  des 
fermentations  anormales,  donnent  naissance  a  des  acides  et  a 
des  produits  toxiques  qui  modifient  Tetat  du  sang  et  vont  avoir 
un  retentissement  sur  le  systeme  nerveux  central  et  jouer  un  rdle 
dans  les  migraines. 

Dans  quelques  cas  rares  il  s*agit  au  contraire  d'hypersth^nie 
gastrique,  suivant  le  mot  de  M.  Robin,  avec  spasme  et  hyperse- 
cretion d'acide  chlorhydrique.  C'est  la  maladie  de  Reissmann, 
cette  maladie  pent  indirectement  affaiblir  le  systeme  nerveux 
central  et  determiner  des  troubles  psychasth^niques.  II  faut  en 
tenir  compte  dans  le  traitement.  Mais  c'est  la  a  mon  avis  une 
exception  dans  la  psychasthenic  vraie  et  primitive.  Les  hyperse- 
cretions gastriques  qui  se  presentent  quelquefois  au  debut  de  Tali- 
mentation  sont  un  feu  de  paille,  comme  disait  M.  de  Fleury,  et  Tetat 
fondamental  reste  le  plus  souvent  une  paresie  motrice  et  secre- 
toire.  Ces  troubles  gastriques  des  psychastheniqucs  ne  sont  pas, 
comme  cela  pent  arriver  quelquefois  chez  les  hysteriques,  directe- 
ment  en  rapport  avec  une  idee.  M.  Dubois  de  Berne  ^  me  semble 
exagerer  quand  il  dit  que  toute  dyspepsie  nerveuse  est  justiciable 
de  la  suggestion.  Beaucoup  de  ces  malades  n'ont  aucune  idee 
fixe  relative  a  leur  digestion.  Ce  n'est  qu'indirectement,  par  la 
faiblesse  des  fonctions  cerebrates,  que  la  pensee  influe  ici  sur 
Testomac. 

En  etudiant  les  circonstances  qui  font  varier  la  maladie  dans 
divers  sens,  on  verra  comment  une  excitation  heureuse,  fiit-elle' 
simplement   morale,  transforme  la   digestion  et   comment  cette 
adynamic  gastriques  est  en  rapport  avec  un  abaissement  de  toutcs 
les  fonctions  nerveuses. 


pepsie  des  neurasthiniques,  Th6se,  Paris,  1898  ;  Soupault,  Les  dyspepsies  nerveuses^ 
Thfese,  Paris,  1898.;  A.  Mathieu,  La  neurasthinie,  1899;  A.  Uobin,  Maladies  de 
Vestomac,  1900  ;  De  Floury,  op.  cit.,  1901,  p.  i48. 

I .  Dubois  (de  Berne),  Troubles  gastro-intestinaux  du  nervosismc.  Revue  de  mede- 
cine,  10  juillet  1900. 


41  i  LES  STIGMATES  PSYCH ASTHfiNIQUES 


2.  —  Troubles  intestinaua: , 

Des  modifications  abdominales  et  intestinales  accompagnent 
presque  toujours  ces  troubles  gastriques.  On  est  !e  plus  souvent 
frapp^  de  la  flaccidit^  de  Tabdomen  si  bien  decrite  par  M.  Gle- 
nard  ^  On  note  chez  Lise,  chez  Ger...,  etc.,  la  diminution  de 
tension,  la  mollesse  de  la  paroi  qui  n'oflre  aucune  resistances  le 
ballottement  visceral,  le  ventre  en  gourde,  en  bissac.  Quelquefois 
j'ai  observe  que  les  deux  muscles  droits  relach^s  s'ecartent  Tun 
de  Tautre  d*une  mani^re  tout  a  fait  anormale,  ce  qui  pent  donner 
lieu  accidentellement  au  pincement  des  visceres  signale  par  Gi- 
bert  (Le  Havre). 

Puis  on  constate  le  prolapsus,  Fabaissement  de  la  masse  intes- 
tinale,  et  dans  quelques  cas  des  prolapsus  visc^raux  tels  que  le 
rein  flottant  (n6phrophtose),  le  foie  mobile  (h^patoptose),  la  rate 
mobile  (spleroptose),  etc.  Les  autres  signes  decrits  par  M.  Gl^nard, 
retroitesse  du  c61on,  le  boudin  ca^cal,  le  cordon  sigmoi'dal,  la 
corde  colique  transverse,  le  battement  6pigastrique  sont  plus 
rares. 

Des  troubles  de  la  digestion  intestinale  accompagnent  toujours 
ces  modifications  de  la  statique  abdominale.  En  dehors  de  ces  diar- 
rh^es  qui  succedent  qu.elquefois  a  une  indigestion  complete,  on 
note,  dans  Timmense  majorite  des  cas,  une  constipation  opiniatre 
avec  selles  glaireuses,  de  temps  en  temps  accompagn^es  de  muco- 
sites dess^chees  et  quelquefois  d'un  pen  de  sang.  Ron...,Ab...  (7], 
Be...  (i48),  sont  des  types  remarquables  de  cetle  coincidence 
entre  le  delire  du  scrupule  et  la  colite  muco-membraneuse.  Chez 
la  derniere  malade  les  filaments  muco-membraneux  ont  joue  un 
role  dans  la  formation  de  Tobsession  hypocondriaque  du  «  ver 
araignee  ». 

Le  plus  rcmarquable  exemple  est  celui  de  Nadia  :  on  pent  dire 
que  pour  soigner  cette  malade  il  faut  etre  perp^tuellement  preoc- 
cupe  de  sa  constipation.  II  s'agit  ici  de  choses  serieuses,  comme 
nous  le  verrons  en  parlant  des  complications  :  elle  pent  faire  des 


1.  Cf.  Gu^niol,  1879.  Gl^nard.  1885-87.  Coularel,  1890.  Traslour,  Les  disS- 
quUihrh  du  ventre,  entiroptosiques  et  dilatis,  189a.  Gl^nard,  Exploration  du  venire. 
Revue  de  medecine,  1887. 


TROUBLES  DES  FONGTIONS  DIGESTIVES  415 

retentions  prolong<^es  des  matieres  fecales  qui  d^terminentles  ^tats 
les  plus  dangereux  et  dans  lesquels  il  faut  pratiquer  un  veritable 
curettage  de  la  fosse  rectale.  Ces  retentions  produisent  des  ph^- 
nomenes  d^auto-infection  plus  ou  moins  graves  chez  les  divers 
malades  ;  chez  Nadia  ils  ont  ^t^  accompagnes  par  des  ^tats  de 
confusion  mentale  pendant  trois  mois  et  m^me  par  de  la  nevrite 
p^ripherique,  mais  chez  tous  les  autres  sujets  ils  amenent  au 
moins  une  aggravation  de  T^tat  menial. 

De  tels  troubles  ne  sont  pas  uniquement  mecaniques,  suivant 
la  th^orie  de  M.  Glenard,  ni  uniquement  chiniiques,  suivant  la 
th^orie  de  M.  Bouchard,  ils  sont  ^videmment  en  rapport  avec 
la  depression  nerveuse  qui  se  manifestait  deja  par  tant  d'autres 
signes.  M.  Brocchi  (de  Plombi^res)*  signalait  deux  observations 
d'entero-colite  muco-membraneuse,  survenues  a  la  suite  d*emo- 
tion.  Nous  aurons  a  discuter  bien  des  faits  semblables. 


3.  —  Troubles  de  la  nutrition. 

Ces  troubles  de  la  digestion  retentissent  sur  la  nutrition  g^ne- 
rale.  Sauf  des  cas  assez  rares  d'ob^site,  les  malades  sont  maigres. 
Jean,  pendant  des  ann^es,  pr^sentait  une  maigreur  elTrayante  ; 
malgre  une  alimentation  plus  que  suflfisante  et  une  digestion 
presque  toujours  passable,  il  reste  etonnamment  maigre  et  garde 
un  teint  plutot  mauvais.  Lise,  toujours  tres  maigre,  maigrit  encore 
d'une  facon  remarquable,  quand  elle  traverse  une  mauvaise  p^riode 
mentale.  Elle  a  passe  de  54  kilogrammes  a  46  en  3  mois,  sous 
rinfluence  de  crises  r^pet^es  de  ruminations  sur  le  demon.  Quand 
on  reussit  a  calmer  son  esprit,  elle  reprend  rapidement  du  poids 
et  augmente  de  pr^s  de  5oo  grammes  par  semaine.  lo...,  dans  une 
crise  d'hypocondric  qui  a  dur^  lo  mois,  a  eu  tous  les  troubles 
digestifs  precedents  et  a  perdu  20  kilogrammes. 

Gisele  pour  sa  taille  excessive  (I'^fSs),  a  un  poids  tr^s  petit  de 
57  kilogrammes.  Pendant  certaines  periodes  elle  maigrit  encore 
plus,  s'epuise  et  semble  dans  un  etat  desespere.  Comme  chez  la 
malade  precedente  le  poids  augmente  rapidement  des  que  Tesprit 
se  calme.  J^ai  suivi  ainsi  une  vingtaine  de  malades  en  prenant  leur 


I.  A.  Brocchi  (de   Plombi^res),   A  propos  de  la  pathog^nie  de   renl^ro-coUte 
muco-membraneuse.  Presse  inedicale,  2S  aoiit  igoi. 


416  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

poids  chaque  semaine  ;  il  est  inutile  de  reprodiiire  ces  colonnes 
de  chiOres,  le  r6sultat  general  est  une  concordance  curieuse  entre 
l'am6lioration  mentale  et  Taugmentation  du  poids. 

II  n^est  pas  surprenant  que  de  pareils  troubles  de  nutrition  fa- 
vorisent  toutes  les  infections  et  que  dans  plusieurs  de  ces  cas  il 
n'y  ait  des  lesions  tuberculeuses.  Mais  le  plus  souvent  on  observe 
plutot  les  symptomes  de  rarthritisme.  Le  rhumatisme  chronique 
d^formant  est  frequent  surtout  chez  les  malades  ag^s:  Germ..., 
d^ja  a  26  ans,  a  les  doigts  effiles  et  d^formes,  Xa...  (2o4)  a  65  ans 
a  les  genoux  hypertrophies,  toutes  les  articulations  des  doigts 
gonilees  et  d6forniees,  il  en  est  de  m6me  chez  treize  de  ces 
malades. 

Ces  remarques  suflfisent  a  montrer  que  I'etat  psyschasth^nique 
n*est  pas  seulement  un  trouble  moral,  mais  un  trouble  de  toute 
la  nutrition  de  Torganisme. 

4.  —  Troubles  urinaires, 

Les  fonctions  urinaires  ne  pr^sentent  guere  chez  les  psychas- 
th6niques  ces  troubles  caract^ristiques  que  Ton  voit  souvent  chez 
les  hysteriques  :  on  n'observe  pas  ces  retentions  completes  ou 
ces  incontinences  qu'il  faut  discuter  et  interpreter  dans  d'autres 
n^vroscs. 

Ccpendant  chez  deux  malades,  chez  Brk...  en  particulier,  j'ai 
observe  des  crises  de  polyurie  assez  nettes  :  Turine  emise  a  ete 
une  fois  de  trois  litres  dans  une  journee.  Cette  polyurie  precede 
chez  elles  les  p^riodes  de  fatigue  insurmontable. 

Chez  les  autres  malades  les  troubles  des  fonctions  urinaires  ne 
sont  pas  sp6ciaux  a  ces  fonctions,  ce  sont  des  tics  de  repetition 
determinant  quelquefois  de  la  poUakiurie  ou  la  recherche  de  la 
perfection  urinaire,  comme  on  Ta  vu  dans  Fobservation  de  Vor... 

L^analysc  des  urines  scrait  particulierement  interessante  si 
elle  pouvait  etre  assez  precise  pour  donner  des  indications 
particulieres  a  la  maladie.  Malheureusement  les  donnees  de  cette 
analyse  sont  encore  bien  vagues  et  se  retrouvent  dans  les  diverses 
formes  de  Tarthritisme. 

Les  analyses  totales  que  j'ai  fait  faire,  en  petit  nombre  il  est 
vrai,  une  vingtaine  environ,  ne  m'ont  rien  donne^  d'interessant : 
i'observe  en  general  une  diminution  de  Turee,  une  certaine  augmen- 


THOLBLES  DES  FONGTIONS  DIGESTIVES  417 

tation  de  Tacide  urique  etde  Tacide  phosphorique.  Je  constate  cette 
augmentation  de  l*indican  et  du  skatol,  de  ces  produits  en  rap- 
port avec  les  fermentations  intestinales,  qui  a  deja  6ie  signalee  par 
M.  de  Fleury',  mais  je  nesuis  pas  frapp^comme  lui  par  l*augmcn- 
tation  du  chlorure  de  sodium  chez  ceux  qui  ont  des  troubles  gas- 
triques.  Je  constate  le  plus  souvent  pour  les  2^  heures  io^',20 
(Lise),  9*^5o  (Lise),  i3^,65o  (Bal...),  ii  grammes  (Dob...),  ce 
sont  des  chifTres  normaux,  la  moyenne  etant  de  lo  a  12^. 

Ce  qui  a  ete  particulierement  Tobjet  de  mes  Etudes  c'est  Taci- 
dite  urinaire.  Frapp^  de  Timportance  des  travaux  de  M.  Joulie 
sur  ce  point,  j'avais  essay6  de  les  verifier  en  examinant  a  ce  point 
de  vue  les  urines  des  n^vropathes.Je  dois  tons  mes  remcrciements 
a  M.  Lacroix,  interne  en  pharmacie  de  la  Salpetriere  qui,  avec 
une  tres  grande  complaisance,  a  bien  voulu  faire  pour  moi  un 
nombre  considerable  de  ces  analyses  suivant  la  m^thode  de 
M.  Joulie. 

Je  laissc  ici  de  cote  les  analyses  tres  nombreuses  faites  sur  des 
hyst^riques  et  je  ne  donne  que  les  resultats  obtenus  sur  des  psy- 
chasth^niques.  L'analyse  est  faite  sur  la  i''  urine  du  matin  avec 
la  solution  de  sucrate  de  chaux  dont  le  titre  est  v^rifie  tres  fr6- 
quemment.  Le  chiiTre  d'acidit6  obtenu  et  calcule  en  SO^HO  est 
rapporte  u  Texces  de  densite  de  Turine  examinee  a  Teau,  la  density 
^tantramcnee  acelledu  liquide  a  i5^.Je  note  aussi  la  quantite  d'a- 
cide  phosphorique  par  litre  et  le  rapport  de  cette  quantity  a  Tex* 
cedent  de  densit<^  calculee  de  la  meme  maniere.  La  plupart  de  ces 
malades  ont  H^  soumis  au  traitement  propose  par  M.  Joulie,  par 
Tacide  phosphorique.  Je  donnerai  plus  loin  a  propos  du  traite- 
ment et  les  analyses  des  urines  modifiees  par  cette  medication.  Je 
n'indique  ici  que  les  analyses  des  urines  ant^rieurement  a  tout 
traitement. 

Pour  apprecier  ces  chiflVes  il  faiit  se  souvenir  des  chilTres  don- 
nes  par  M.  Joulie  comme  normaux. 

Densite  corrigt'e  k  i5<* i  0170,8 

Acidile  tolale  en  SO^HO 0,8^9 

Acide  phosphorique  en  PhO'* 2 ,  o83 

Rapport  de  I'aciditt''  h  I'excedent  de  densite'*.      ...  4»55 

Rapport  de  Tacide  phosphorique  k  Texcedent  de  densite .  1 1 »  1 7 

I.   Dc  Fleur^-,  op.  cit.,  178. 

a.  Yvon.  Analyse  des  urines ^  1901,  p.  i63. 

LES  OBSESSIONS.  I.  27 


418 


LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 


Analyses  faites  par  M.  LAGROIX. 


NOMS  DES  BIALADES 

rr   H**   DBS  AHAtTSBS 

DENSITY 

COBBIoiB     A      1 5* 

PhO»  PAR  LITRE 

RAPPORT 

0  B     l'a  C  I  D  I  T  < 

i  IVic^dent 
de    denaite 

RAPPORT 
DB   PkOs 

k  rexc^cnl 
de  dentil^ 

Jc 

I  oi3 

3K*',IO 

5,86 

l5,I7 

Ls.       I 

ioa8,5 

4    .84 

3,34 

16.8 

3 

I  037,5 

4    .43 

3,83 

i5,64 

Bro. 

I  017 

I      ,33 

0,39 

7.4 

Dou. 

I  030,57 

3    ,01 

4.79 

9.78 

Dn.      I 

I  on  ' 

» 

3,78 

» 

a 

I  OI3 

I  .41 

4 

6.7. 

3 

I  033 

» 

3,9 

» 

4 

I  031 

» 

3,83 

» 

Er. 

io3o,84 

3,    86 

3,io3 

9.^7 

Ger.     I 

1  oi5 

» 

4.o3 

» 

a 

I  033 

X    ,4a 

4.64 

9.8 

3 

1008.5 

» 

7.85 

» 

4 

I  014.5 

» 

4,53 

» 

Qes.     I 

I  017,5 

» 

3,38 

» 

a 

I  oi4 

I        ,011 

3,08 

7'i 

Sim. 

I  013,75 

I    ,58 

4,55 

13,39 

Mad.    I 

I  0 1 8 . 88 

» 

2.^9 

u 

a 

I  oao,a5 

I      ,53 

3,03 

7,5o6 

3 

I  030,07 

» 

4.83 

» 

^ 

I  019,34 

I    ,59 

3,33 

8,3^ 

5 

1  o'Jo,84 

» 

3,09 

>} 

6 

I  oi5,35 

» 

2.9'* 

» 

7 

I  018,35 

» 

3,8 

» 

8 

I  016,75 

» 

3,71 

» 

9 

I  01^,8^ 

I    ,34 

3,5'| 

9*07 

I  oa() 

3    ,38 

3,53 

8,87 

Ka. 

I  oa4»39 

3    ,37 

4.16 

i3,8i 

TROUBLES  DES  FONGTIONS  DIGESTIVES 


419 


Analyse  des  urines  faites  par  M.  TERRIAL,  mdme  mdthode. 


NOMS 

DES    VALADBS 

el  n" 
des  aual^ses 


Rl. 
X  . 


s. . 

Jean. 


DENSITY 

COUIIoiB    A    1 5' 


I  oi5»6 
I  oi9»5 
I  o33 , 3 
I  oa6,8 


ACIDITfi 

TOTALB 

en  SOsUO 


o.Sag 
o,5o3 

0.477 
0,379 


ACIDE 

rHCMPBOBIQVE 

ea  PhOs 


1,157 

i,3g3 
5,838 
3,366 


RAPPORT 

DB     L'AClOlTi 

k  rexc^denl 
de  densite 


3,77 

51,56 
1,42 
i,4o 


RAPPORT 

DB  PhOs 
a  Texcedent 
de  dcnsiij 


8,20 

9*67 

•17.48 

ia,5i 


Vie.    . 
Nadia . 


Analyses  faites  par  M.  TVON,  mdme  mdthode. 


I  a33,3 
I  016 


1. 17 

0,98 


5,27 
1. 71 


3,5o 
6,1 


15,73 
10,7 


On  remarque  dans  ces  analyses  quelques  caracteres  communs 
int^ressants  par  leur  frequence.  La  density  n'offre  rien  de  remar- 
quable,  elle  est  douze  fois  au-dessous  de  la  normale,  i5  fois  au- 
dessus,  ce  caractere  varie  suivant  le  regime  desboissons,  qu'il  est 
important  de  r^gler  chez  ces  dyspeptiques. 

Mais  ce  qui  est  frappant,  c'est  la  faiblesse  du  rapport  de 
l*acidit^  a  Texces  de  density,  il  n'est  que  3  fois  sup^rieur  a  la 
normale  et  il  estSi  foisinf^rieur.  Si  Ton  s'en  rapporte  a  ces  ana- 
lyses, les  psycbasth^niques  comme  la  plupart  des  n^vropathes  se- 
raient  des  hypoacides. 

Le  rapport  de  Tacide  phosphorique  a  Texc^s  de  density  est  8  fois 
au-dessus  de  la  normale  eti3  fois  au-dessous. 

On  pent  tenir  compte  de  ces  remarques,  particulierement  des 
indications  relatives  a  Thypoacidite  tr^s  fr^quente  au  point  de 
vue  du  traitement.  Malheureusement  cette  m^thode  d'analyse 
chimique  et  le  choix  exclusif  de  Turine  du  matin  sont  aujourd*hui 
encore  tres  discutes  et  Ton  ne  pent  considerer  ces  r^sultats,  sur- 
tout  ceux  relatifs  a  Tacidit^,  comme  d^finitifs.  D'autres  auteurs, 
comme  M.  Vigoureux,  ont  le  plus  souvent  trouve  les  urines  des 
neurastheniques  hyperacides. 

II  faut  done  se  borner  a  enregistrer  ces  analyses  d'urine  comme 
des  documents  d'attente  sans  en  tirer  encore  des  conclusions  g6ne- 
rales  sur  Tetat  dela  nutrition  de  ces  malades. 


420  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 


2.  —  Les  modifications  de  la  circulation. 

Je  n*insisterai  pas  sur  la  respiration :  dans  les  crises  d*angois- 
ses  se  pr^sentent  des  troubles  m^caniques  que  j*ai  d^ja  indiqu^s 
en  ^tudiant  quelques  graphiques.  Mais  en  dehors  de  ces  crises 
la  respiration  semble  a  peu  pres  normale. 

On  peut  simplement  remarquer  qu'elle  est  en  g^n^ral  faible, 
peu  profonde  et  un  peu  rapide.  Les  autres  troubles  de  la  respi- 
ration, les  touXy  les  bruits  larynges,  se  rattachent  aux  tics  et  aux 
angoisses  et  ont  d6ja  ^t^  d^crits  dans  les  chapitres  precedents'.  Je 
n'ai  pas  eu  Toccasion  d'analyser  les  gaz  de  la  respiration  chez 
ces  malades  comme  chez  les  hyst^riques  ;  il  est  probable  que 
Ton  observerait  chez  plusieurs  une  diminution  de  Tacide  carbo- 
nique  en  rapport  avec  le  ralentissement  de  Tactivite  nutritive. 

Les  troubles  les  plus  frappants  de  la  circulation  se  produisent 
ainsi  au  moment  des  angoisses  oil  nous  avons  note  les  palpita- 
tions, les  modifications  de  la  tension  sanguine,  les  troubles  vaso- 
moteurs.  II  est  interessant  de  se  demander  si  quelques-uns  de  ces 
troubles  ne  persistent  pas  en  dehors  des  periodes  d'angoisse. 

Le  nombre  des  pulsations  m'a  semble  presque  toujours  normal 
ou  du  moins  ne  presenter  que  des  variations  insignifiantes,  en 
rapport  avec  les  Amotions  du  moment. 

I.  —  Les  modifications  de  la  tension  sanguine. 

Plusieurs auteurs,  Angel' en  Allemagne,  Webber^  en  Am^rique, 
ont  admis  un  affaiblissement  du  tonus  arteriel  dans  T^tat  neuras- 
thenique.  M.  Charon  en  France,  et  M.  de  Fleury,  ont  donne 
une  tres  grande  importance  a  ce  symptome.  M.  de  Fleury 
admet  un  petit  nombre  de  ueurastheniques  avec  hypertension  du 
pouls,  et  rattache  leur  maladie  a  des  autointoxications  et  une 
grande  majorite  de  ueurastheniques  avec  hypotension  arterielle  ^. 

1 .  Cf.  Coulampis,  Les  troubles  respiratoires  dans  la  neurasthSnie.  Th^se.  Paris,  1894. 

2.  Angel,  Experim.  zur  Palhologie  und  Therapie  der  cerebralen  neurasthenie. 
Archiv  fur  Psych.  Berlin,  i884.  XV,  p.  618. 

3.  Webber,  Boston  med.  Journal,  3  mai  i888. 

4.  De  Fleury,  Les  grands  symptomes  neurasthiniqueSt  1901,  p.  48,  67. 


MODIFICATIONS  DE  LA  CIRCULATION  421 

Cette  baisse  de  la  pression  art^rielle  r^sulterait  de  la  faiblesse 
de  propulsion  du  coeur  et  de  la  faiblesse  du  tonus  des  parois  des 
arteres,  elle  d^terminerait  un  appauvrissement  du  sang  en  h^mo- 
globine,  une  diminution  apparente  du  nombre  des  globules  par 
augmentation  de  la  partie  liquide  du  sang,  tandis  que  dans 
I'hypertension,  il  j  aurait  chasse  d'eau  dans  les  tissus  periph^- 
riques  par  resserrement  de  Tarbre  art^riel  et  augmentation  appa- 
rente du  nombre  des  h^maties.  Ces  observations  sont  int6res- 
santes  et  probablement  justes  dans  bien  des  cas. 

Je  suis  tout  dispose  a  admettre  qu'il  y  a  une  hypotension  art^- 
rielle  frequente  en  rapport  avec  la  faiblesse  musculaire,  les  ptoses 
visc^rales  divcrses  et  la  depression  mentale.  Je  fais  seulement  ob- 
server que  la  verification  precise  experimentale  du  fait  n'est  pas 
toujours  facile. 

J'ai  pris  beaucoup  de  mesures  de  la  tension  art^rielle  avec  le 
sphigmom^tre  de  Charon  et  j'ai  ^t^  amene  comme  je  I'ai  dit  a  propos 
des  angoisses  a  considerer  ces  chifTres  comme  douteux  et  inutili- 
sables.  Depuis  je  me  suis  servi  du  sphigmo-manometre  de  Potain, 
il  me  semble  d'un  emploi  plus  ais6  etm'a  donne  des  resultats  plus 
concordants.  Cependant  je  ne  puis  m'empecher  de  rester  6tonne 
de  la  precision  des  chilFres  donnas  par  quelques  auteurs,  quand,  a 
mon  avis,  la  mesure  clinique  de  la  pression  du  sangchezThomme 
est  encore  bien  imparfaite  et  sujette  a  beaucoup  d'erreurs. 

Quoi  qu*il  en  soit,  voici  les  chiffres  qui  m'ont  paru  les  plus 
certains  chez  quelques-uns  des  malades  precedents  : 

Lpx,  en  dehors  des  crises  de  scrupule.  12. 

Ul.,  en  dehors  des  crises  d'angoisses    .  i^. 

Ul.               —  autre  mesure  i3. 

Men.  —  ID. 

Lise.  —  i5. 

Kl.  —  i5. 

—  —  autre  mesure.           .  i5. 

—  -  _               .      .  14. 

Pot.  —  i5. 

Chx.  —  18. 

—  —  autre  mesure  .      17. 

Lais.  —  i4. 

Claire.  —  12. 

—  —  12. 

—  —  i3. 


422  LES  STIGMATES  PSYCH ASTHfiNIQUES 

Si  Ton  se  souvient  que  la  normale  est  de  i6,  il  est  Evident  que 
la  plupart  de  ces  observations  montrent  un  certain  degr6  d'hypo- 
tension. 

Dans  un  cas,  celui  de  Meu...,  j'ai  pu  constater  une  tension 
de  17  et  18  pendant  une  periode  de  grande  amelioration  en  con- 
traste  avec  les  chifTres  ant^rieurs  de  10.  Mais  en  g^n^ral  la  rela- 
tion de  rhypotension  arterielle  avec  la  depression  mentale  est 
loin  d'etre  aussi  nette. 

2.  —  Les  troubles  vaso-moteurs  ei  secretaires. 

Angel  en  i884  et  M.  Bouveret  en  1891  ont  decrit  chez  les  neu- 
rastheniques  un  trouble  particulier  des  reactions  vaso-motrices : 
chez  rhomme  sain  qui  fait  un  effort  intellcctuel,  les  vaisseaux  ce- 
rebraux  se  dilatent,  mais  on  observe  en  meme  temps  que  les  vais- 
seaux  du  bras  se  resserrent.  Chez  le  neurasthenique,  d*apres  les 
observations  de  ces  auteurs,  cette  reaction  vaso-motrice  du  bras 
n'existe  plus.  Le  bras  ne  change  pas  de  volume,  tout  au  plus  ob- 
servct-on  sur  le  bras  quelques  legeres  oscillations  vaso-motrices. 
Angel  expliquait  ces  faits  en  admettant  que  les  vaisseaux  du  bras 
etaient  deja  prealablement  contractus  et  les  vaisseaux  du  cerveau 
dilates.  Les  oscillations  persistantes  seraient  dues  a  la  surdisten- 
sion  des  vaisseaux  du  cerveau  pendant  TeOort  intellectuel,  un 
afflux  nouveau  de  sang  determinerait  le  retour  d*une  partie  du 
sang  a  la  peripheric  V 

Ces  experiences  donneraient  souvent  un  resultat  interessant  sur 
les  malades  psychastheniques  si  Ton  pouvait  facilement  les  repro- 
duire  sur  eux  avec  quelques  precisions.  En  efiet,  il  est  facile  d'ob- 
server  qu'ils  presentent  souvent  un  grand  nombre  de  phenom^nes 
en  rapport  avec  des  troubles  vaso-moteurs. 

Gisele  a  des  engourdissements  des  doigts  qui  vont  jusqu'au 
phenomene  du  doigt  niort.  Beaucoup  de  malades  ont  souvent  les 
mains  et  les  pieds  rouges  ou  bleuatres  et  froids  ;  ils  presentent 
des  rongeurs  sur  les  oreilles  et  sur  le  nez,  des  balafres  rouges 
des  deux  cotes  du  nez  au-dessous  des  yeux  comme  s*ils  portaient 
un  lorgnon  trop  serre.  Ce  sont  des  personnes  qui,  surtout  dans 
leur  jeunesse,  ont  eu  tres  frequemment  des  congestions  du  pha- 
rynx, des  gonflemcnts  des  amygdales,  des  angines  pour  le  moindre 

I.  Lubetzki,  op.  cit.,  p.  i5. 


MODIFICATIONS  DE  LA  CIRGULATFON  423 

pr^texte.  Je  notechez  Claire  une  disposition  curieuse  aux  oed^mes 
qui  se  produisent  le  plus  souvent  aux  paupieres,  aux  levres  et 
quelquefois  a  la  vulve.  Chez  quelques  malades  ces  oedemes  se  re- 
produisent  d'une  maniere  experimentale,  il  suflSt  d'exercer  une 
pression  sur  la  peau  pour  les  voir  apparaitre.  C'est  le  ph^nomene 
de  la  peau  dermographique  que  j'ai  observe  cinq  fois  chez  des 
obsedes  ou  des  phobiques  et  en  particulier  d'une  maniere  remar- 
quable  chezDn...  (49),  chez  Qi...  (188),  qui  a  cette  curieuse  obses- 
sion de  vouloir  6tre  une  enfant,  ii  y  a  constamment  des  pouss^es 
d*urticaire.  Chez  cette derniere  malade  Qi...,  quand  elle  porte  un 
paquet  sous  le  bras,  quand  un  objet  dur  appuie  sur  une  partie  de  la 
peau,  il  apparait  rapidement  a  cet  endroit  une  plaque  d'cedeme  dur, 
blanchatre.  Si  elle  coud,  il  y  a  deroedeme  au  bout  des  doigts,  si 
elle  se  frotte  les  paupi^res  celles-ci  restentenfl^es  toute  unejour- 
n6e,  son  bras  reste  enfle,  si  elle  s*appuie  sur  le  rebord  d'une  fen6tre, 
les  cuisses  enflent  si  elle  restent  quelque  temps  assise,  etc.  J*in- 
si^te  sur  ces  troubles  vaso-moteurs,  car  ils  ont  jou6  un  role  dans  la 
th^orie  emotionnelle  des  obsessions.  Mais  il  ne  faudrait  pas  croire 
que  tons  les  psychasth^niques  pr^sentent  ces  reactions  anormales. 
Beaucoup  n'ont  aucune  trace  de  dermographisme  et  leurs  vais- 
seaux  semblent  r^agir  aux  diverses  excitations  de  la  fagon  la  plus 
normale. 

On  pent  rapprocher  des  ph^nomenes  precedents  certaines  ma- 
ladies de  la  peau  dans  lesquelles  les  troubles  nerveux  jouent  cer- 
tainement  un  r6le;  j'ai  6t^  frapp^  de  la  frequence  de  Tecz^ma 
chez  ces  malades;  je  le  retrouve  dans  une  vingtaine  de  cas,  Tec- 
zema  de  la  face  est  particuli^rement  tenace  chez  Lise  L'ecz6ma 
perineal  a  ete  le  point  de  depart  de  la  manie  urinaire  de  Vor... 

(137). 

Enfin  il  faut  signaler  les  troubles  s^cr^toires,  la  seche- 
resse  de  la  peau  est  un  phenomene  banal  qui  s*aggrave  pendant 
les  mauvaises  p6riodes  de  la  roaladie  mentale.  La  secheresse 
du  nez,  Tabsence  des  larmes  s'observent  fr6quemment.  Beau- 
coup  d'agoraphobes,  comme  R...,  se  plaignent  n  que  leur  nez 
est  sec,  comme  durci  en  dedans  »  soit  d'un  seul  c6t^,  soit  des 
deux. 

Par  opposition  il  y  a*  des  crises  de  secretions  exag^rees,  dans 
la  photophobie  de  Bry...,  il  y  a  oedeme  des  paupieres,  larmoie- 
ment    invraisemblable   u   a   treraper    quarante    mouchoirs  »    en 


424  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

une  matin6e.  Apres  la  crise  on  note  une  poussee  d'herpes  sur  les 
paupi^res,  sur  le  nez  et  sur  la  bouche. 

De  nombreux  psychasth^niques  pr^sentent  ces  crises  de  rhi- 
norrh^e  si  bien  ^tudi^es  r^cemment  par  M.  Nattier  dans  le  journal 
La  Parole^.  Chez  Mrc...,  femme  de  4i  ans,  «  le  nez  se  met  subi- 
tement  a  couler  comme  une  Fontaine  pendant  plusieurs  heures  ». 
Chez  Gay...  (26),  jeune  fille  de  20  ans,  la  rhinorrh^e  sur- 
vient  le  lendemain  d'une  Amotion  ou  d'une  grande  crise  de  scru- 
pule.  Elle  se  reveille  avec  le  sentiment  que  son  nez  est  gonfl^  et 
douloureux  comme  au  d^but  d'un  rhume  de  cerveau.  Au  debut  la 
secretion  est  un  peu  ^paisseet  muqueusepuis  peu  a  peu  elle  prend 
les  caracteres  de  Thydrorrh^e:  c'est  un  flux  aqueux  ininterrompu. 
Elle  a  bien  voulu  recueillir  pour  moi  assez  exactement  le  liquide 
qui  s'^coulait  du  nez  pendant  un  temps  determine.  La  quantite  a 
6te  de  pres  de  3o  centimetres  cubes  en  une  heure.  M.  Lacroix  a 
bien  voulu  en  faire  Tanalyse  que  voici : 

Reaction  neutre. 

Chlorures  9  grammes  3  par  litre. 

Acide  phosphorique  (phosphates  alcalins)  traces. 

Pas  de  sulfates. 

Sodium  (chorure  et  phosphate)  traces. 

Pas  de  potassium,  ni  chaux,  ni  magn^sie. 

Traces  d'albumine. 

Pas  de  cholesterine. 

C'est  en  somme  le  liquide  de  roedeme,  et  la  rhinorrh^e  se  rap- 
proche  des  troubles  cedemateux  precedents.  Dans  le  deuxieme 
volume  de  cet  ouvrage  a  propos  de  Tobservation  de  Gay...  (26) 
nous  etudierons  les  interpretations  de  ce  phenomene,  nous  ver- 
rons  qu'il  est  a  peu  pres  impossible  d'expliquer  Thydrorrh^e  na- 
sale  de  cette  jeune  fille  par  un  ^coulement  du  liquide  cephalo- 
rachidien  et  qu'il  s'agit  probablement  d'un  trouble  de  la  secre- 
tion des  glandes  qui  tapissent  les  sinus  frontaux. 

J'ai  observe  un  cas  d'hydrorrhee  vaginale :  «  Teau  coulait  par 
verres  comme  chez  une  femme  qui  accouche.  »  Les  diarrhees  se- 
reuses,  « la  pluie  intestinale  »  de  Lasfegue,  se  rapproche  evidem- 
ment  de  ces  phenomenes. 


I.  M.  Nattier,  La  rhinorrh^e  cxclusivement  symptomatique  de  neurasth^nie.  La 
Parole^  juillet  1900  et  sq. 


TROUBLES  DES  FONCTIONS  GfiNlTALES  425 


3.  -r-  Les  troubles  des  tonctions  ginitales. 

J*ai  d^ja  parl^  du  trouble  des  fonctions  sexuelles  a  propos  des 
emotions,  car  le  trouble  est  plutot  moral  que  physique.  La  sensi- 
bilite  est  6moussee,  T^motion  semble  incomplete,  inachevee,  et 
Texcitation,  surtout  chez  la  femme,  se  prolonge  ind^finiment 
sans  aboutir.  Get  acte  incomplet  est  suivi  de  fatigue,  de  regret, 
de  mecontentement.  Quelquefois  il  y  a,  chez  la  femme  surtout,  un 
besoin  intense  de  parvenir  a  cette  sensation  qui  semble  fuir  et 
unc  manie  de  la  perfection  en  cette  matiere  tout  a  fait  singuliere. 

Mais  a  cot^  de  ces  troubles  moraux  se  placent  quelques 
troubles  physiques.  L^erection  insuflisante,  Tc^jaculation  pr^- 
matur^e,  Tinsuffisance  de  la  secretion,  se  constatent  tres  fre- 
quemment  *. 

J'ai  cherch^  a  reunir  quelques  renseignements  sur  les  fonctions 
menstruelles  chez  ces  femmes  scrupuleuses  et  je  n'ai  pu  arriver  a 
des  conclusions  bien  nettes  car  les  troubles  sont  tr^s  variables. 
Presque  toujours  T^tablissement  des  regies  est  tardif  et  ne  se  fait 
qu'a  i5  ou  17  ans  ;  comme  on  verra  en  ^tudiant  revolution  de  la 
maladie,  cet  etablissement  tardif  de  la  puberty  est  pour  beaucoup 
la  date  du  d^but  des  accidents  mentaux.  J'ai  observe  un  fait 
curieux  et  assez  rare  chez  Gr...,  agee  de  3o  ans,  c'est  que  cette 
femme  n'a  jamais  6ie  r^glee,  je  viens  de  refaire  la  meme  observa- 
tion sur  unc  autre  malade.  Mw...  (i45),  ag^e  de  38  ans,  a  eu  vers 
Tage  de  i5  a  17  ans  des  saignements  de  nez  periodiques  pendant 
quelques  mois  ;  depuis  Page  de  20  ans  elle  a  des  malaises  et  des 
fatigues  qui  surviennent  tous  les  mois,  mais  elle  n'a  jamais  eu 
ses  regies.  G'est  une  scrupuleuse  typique  avec  manie  des  ser- 
ments,  etc.  Le  plus  curieux  c'est  qu'elle  a  deux  soeurs  qui  sont 
semblables  en  ce  qii'elles  n^ont  pas  non  plus  ete  jamais  r^gleed, 
mais  qui  sont  simplement  des  nerveuses  sans  avoir  la  m6me 
maladie  mentale. 

Ghez  beaucoup  d'autres  nous  notons  des  retards,  des  irregula- 
rit^s,  des  pertes  blanches  et  quelquefois  des  h^morragies.  Tres 
souvent  on  observe  la  suppression  des  regies  pendant  une  p^riode 

I.  De  Fleury,  op.  cit.y  300. 


426  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES 

plus  ou  moins  longue,  quand  se  d^veloppentles  grands  accidents 
mentaux.  Dans  un  cas  curieux  cet  arr6t  des  regies  survenu  a 
23  ans  chez  Mx...  a  et6  definitif.  La  malade  a  maintenant  ^o  ans 
et  les  menstrues  n^ont  jamais  reparu.  Chez  les  roalades  qui  out 
conserve  les  menstruations,  Tepoque  des  regies  est  d'ordinaire 
caracterisi^e  par  un  redoublement  de  tons  les  troubles.  C'est  ce 
qu'on  observe  chez  Claire,  chez  Ger...,  chez  Vi...,  chez  Lod..., 
etc.  Quelques  malades  comme  Lise  ne  sont  aucunement  impres- 
sionn^es  par  leurs  menstrues.  Par  exception  quelques  sujets 
sont  mieux  a  ce  moment  comme  pendant  la  grossesse.  Ces  der- 
niers  phenomenes  seront  ^tudi^s  avec  plus  d'inter^t  au  moment 
oil  nous  examinerons  revolution  de  la  maladie  et  les  phenomenes 
qui  influent  sur  son  cours. 


L'INCOMPLfiTUDE  MORALE  427 


QUATRIEME    SECTION 
CARACT^RBS    GENBRAUX    DB    l'eTAT    PSYCH ASTHENIQUB. 


Je  voudrais  comme  dans  les  chapitrcs  precedents  dcgager  les 
caracteres  generaux  de  ces  divers  troubles  psychologiques  et 
physiologiqiies  dont  Tensemble  constitiie  Vetaf  psychasthenique, 
Je  ne  cherche  pas  encore  a  les  interpreter  mais  simplement  a  les 
resumer. 


i.  —  L'incomplitude  morale. 


Les  troubles  psychologiques  se  presentent  en  majeure  partie 
sous  la  forme  de  sentiments  qu'eprouvent  les  malades  et  quMls 
decrivent  avec  un  grand  luxe  de  comparaisons  et  de  metaphores. 

Ces  sentiments  peuvent  etre  resumes  par  le  tableau  suivant  : 


LES  SENTIMENTS  d'iNCOMPL^TUDB. 


/  Sentiment  de  difficult^, 

—  d*inutilite  de  Taction, 

—  d 'incapacity, 

—  d 'indecision, 

1  —  de  c^ne. 

Sentiments  d'incomplctude  dans  Tac- J  ,,     . 

"^  <  —  d  automatisme, 

—  de  domination, 

—  de  m^contcntement, 

—  d'humilite,  de  honte, 

—  d'intimidation, 

—  de  r^ volte. 


428 


LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 


Sentiments  d'tncompletude  dans  les 
operations  intellectuelies.    . 


Sentiments  d'incompletude  dans  les 
Amotions 


^  Sentiment  de  difficult^, 

—  d'insuffisance, 

—  d'instabilite, 

.    —  de  perception  incomplete,  de  nuage, 

'  —  d'^trange,  de  jamais  vu, 

—  de  dedoublement, 

—  de  desorientation, 

—  d*isolement, 

—  defaussa  reconnaissance,  ded6jk  vu, 

—  de  pressentimont, 

—  de  I'irr^el,  de  Timaginaire, 

—  du  r^ve, 

—  de  disparition  du  temps, 

—  d'inintelligence,  d'obscurite, 

—  de  doute. 
Sentiment  d'indifl(£rence, 

—  d*ennui, 

—  d'inquictude, 

—  du  besoin  d*excitation, 

—  de  Tambition. 


i  Sentiment  d'ctranget6  du  moi, 
—       de  d^doublement, 
—       de  d^personnalisation, 
y  —       de  mort. 


Si  on  essaye  de  retrouver  et  d'exprimer  ce  qu'il  y  a  de  commun 
dans  tons  les  sentiments  on  arrive  d'abord  a  cette  notion  de  Tina- 
chevement,  de  Tincomplet  que  les  malades  expriment  de  mille 
fagons  a  propos  de  tons  ces  sentiments  divers  «  le  pire  detout,  dit 
Lise,c'estque  je  n'arrive  au  bout,  au  fond  de  rien,  c'est  une  sorte 
de  vertige  des  que  je  dois  arriver  au  bout  de  quelque  chose  ». 

J'ai  designe  ce  fait  remarquable  par  le  mot,  sentiment  d'tncom- 
pletude.  Les  psychasth^niques  sont  caract^rises  par  un  sentiment 
plus  ou  moins  g^n^ral,  plus  ou  moins  profond,  plus  ou  moins 
permanent  d'incompl^tude  psychologique. 

II  etait  des  lors  tres  important  de  se  rendre  compte  de  la  valeur, 
de  rimportance  de  ce  sentiment.  Une  premiere  question  se  posait: 
cc  sentiment  d'lncompletude  est-il  fauxou  est-il  juste  ?  Est-ce  une 
id6e  fausse,  une  obsession,  une  manie  mentale,  ou  correspond-il  a 
des  caracteres  r^els  des  operations  psychologiques  elles-memes? 
Le  probleme  paraittr^s  simple,  il  est  en  r^alite  extremement  diffi- 
cile. Des  malades  intelligents,  comme  Lise,  se  le  sont  pos6  a  eux- 
memos  et  ne  sont  pas  parvenus  a  r^pondre  d'une  mani^re  nette. 


L'INGOMPLfiTUDE  MORALE  429 

^videmment  il  y  a  de  nombreux  cas  oil  ce  sentiment  est  devenu 
exag6r6  et  ridicule.  Quand  Vor...  retourne  cinquante  fois  de  suite 
aux  cabinets  parce  qu'elle  a  Ic  sentiment  d*avoir  urine  insuffisam- 
nient,  il  est  clair  que  c*est  absurde.  Un  acte  comme  celui-la  nous 
semble  consister  simplement  a  vider  la  vessie  et  ne  demande  rien 
de  plus,  or  elle  Fa  vid^e  suiGsamment  puisque  la  premiere  fois 
elle  a  urine  un  demi-litre,  par  consequent  nous  pensons  qu'elle 
delire  en  sentant  que  Tacte  d'uriner  est  incomplet. 

Dans  d'autres  cas,  il  est  clair  aussi  que  si  Facte  est  imparfait, 
c'est  le  malade  qui  Ta  rendu  tel,  precisement  en  le  perfection- 
nant.  Certainement  Rai...  respire  d'une  maniere  mauvaise,  en 
crachant  et  en  rotant  de  tous  les  cot^s ;  une  pareille  respiration 
est  tres  defectueuse.  Mais  elle  est  devenue  irr^guliere  a  cause 
des  proc^d^s  employes  par  le  malade  et  ces  procedes  ne  sont 
survenus  que  parce  que  le  malade  la  jugeait  d^ja  imparfaite.  II  est 
done  probable  que  cette  respiration  n'etait  pas  mauvaise  au  d^but, 
en  tous  cas  elle  Tetait  beaucoup  moins  qu'aujourd'hui. 

Mais  ces  cas  exager^s  ne  resolvent  pas  le  probleme.  De  ce  que 
le  malade  se  trompe  evidemment  maintenant,  il  ne  s'ensuit  pas 
qu*il  ait  toujours  eu  tort.  Ne  se  pourrait-il  pas  qu'il  ait  generaHs^ 
a  tort  et  a  travers,  qu'il  ait  applique  a  un  acte  insignifiant  un  sen- 
timent determine  par  une  imperfection  psychologique  r^elle  ? 
J'avoue  que,  malgre  la  dilliculte,  c'est  vers  cette  opinion  que  je 
tendrais  et  pour  moi  le  probleme  des  scrupuleux  consiste  a  trou- 
ver  quelle  est  cette  imperfection  psychologique  qui,  comme  une 
epine,  les  tourmente  perpetuellement,  qui  determine  leurs  exage- 
rations  et  leurs  divagations.  Ce  qui  m'incline  vers  cette  opinion, 
c'est  que  j'ai  retrouve  des  sentiments  d'incompletude  chez  beau- 
coup  de  sujets  qui  n'avaient  pas  d'obsessions  d'humilite  ou 
d'auto-accusation,  qui  constataient  ces  sentiments  d'une  fayon 
trfes  moder^e  sans  y  attacher  d'importance,  sans  les  transformer 
en  nianies  ou  en  obsessions. 

La  seconde  raison  de  cette  opinion,  c'est  que  Ton  pent  observer 
chez  ces  malades  un  certain  nombre  de  troubles  psychologiques 
reels  et  independants  de  leur  propre  appreciation.  Tous  les 
auteurs  out  constate  chez  les  obscd<^s  et  les  phobiques  des  arrt^ts 
ou  des  retards  duns  le  deveioppement  des  diverses  facultes  et 
surtout  un  d(^veloppement  inegal,  un  manque  d'harmonie  et  d'e- 
quilibre  entre  ces  facultes.  cc  Ces  individus,  disait  M.  S^glas, 
sont  moralement  des  6tres  particls,  incomplets,  des^quilibres,  ils 


430 


LES  STIGMATES  PSYGUASTHfiNIQUES 


peuvent  avoir  une  m^moire  prodigieuse,  mais  ils  ne  peuvent 
arriver  a  fixer  leur  attention.  Mobiles  et  distraits,  leur  instabilite 
mentale  est  parfois  extreme.  En  meme  temps  ils  sont  abouliques, 
apathiques  avec  des  acees  de  grande  excitation  et  des  emballe- 
ments  inexplicables  :  ce  sont  des  originaux,  des  excentriques,  des 
reveurs,  d'imagination  dcr^glee  a  tendances  romanesques.  Knfin 
ce  sont  des  ^motifs,  des  timides,  sensibles  a  Texces,  impression- 
nables  et  susceptibles,  egoi'stes  et  orgueilleux*  ».  J'ai  essaye  de 
pr^ciser  ces  remarques  bicn  souvent  faites  et  d'^num^rer,  en 
outre  des  agitations  d^crites  dans  le  chapitre  pr^c^dent,  les  in- 
suflisances  psychologiques  que  pr^sentent  le  plus  r^gulierement 
les  psychasth^niques. 

Ces    insuffisances   peuvent  etre   resumees    par  le  tableau  sui- 
vant  : 


Le8  troubles  de  la  volonte. 


LES    INSUFFISANCES    PSYCHOLOGIQUES 

Sympt^mes  de  r^tr^cissement  du  champ  de  la  conscience,  anesth^sies,    mouve- 
ments  subconscients,  suggestions  k  T^tat  rudimentaire. 

I/indolence, 
rirr^solution, 
la  lenteur  des  actes, 
les  retards* 

la  faiblesse  des  efforts, 
la  fatigue  rapide, 
le  desordre  des  actcs, 
la  maladresse, 
rinachfevement, 
I  Tabsencc  de  resistance, 
le  mison^isme, 

les  abouHes  sociales,  la  timidity, 
les  aboulies  professionnelles, 
les  inhibitions, 
les  crises  d'epuisement, 
les  inerties. 

Les  amnesics  d'evocation, 
la  m^moire  retardante, 
les  amnesics  continues, 
TarrSt  de  I'instruction, 
1'inintelligence  des  perceptions, 
les  troubles  de  Tattention, 
la  reverie, 
les  Eclipses  men  tales. 


/ 


Les  troubles  de  Tintelligence. 


1.   Seglas,  Legons  sur  les  maladies  mentales,  p.  G8. 


LA  PERTE  DE  LA  FONCTION  DU  RfiEL  431 

L'indiffSrence, 

les  sentiments  melanooliques, 

r^motivit^, 

,  les  Amotions  sublimes, 

I  le  besoin  de  direction, 
Les   troubles    des    Amotions  et   des]  i^  j^g^jQ  (]'ex(.i^ljQQ^ 


sentiments "i  le  besoin  d*aimer, 

le  besoin  d'etre  aim6, 

la  crainte  de  Tisolement, 

le  rctour  k  Tcnfance, 

Tamour  exag^r^  de  Thonn^tet^, 

le  besoin  d'autorit^. 


Tous  ces  troubles  ont  une  certaine  importance,  plus  ou  moins 
considerable  suivant  les  cas,  ils  semblent  bien  independants  des 
obsessions  et  des  raanies. 

11  en  r^sulte  que  Ton  peut  d6ja  presenter  un  premier  carac- 
t^re  g^n^ral  qui  resume  une  partie  considerable  des  stigmates 
psychastheniques.  Les  malades  ont  le  sentiment  que  leur  activite 
mentale  est  incomplete  et  d'autre  part  cette  activity  presente  en 
efiet  un  certain  nombre  de  lacunes  qui  jusqu'a  un  certain  point 
justifient  ce  sentiment  d'incompletude. 


2.  —  La  perte  de  la  fonction  du  r6eL 

En  nous  pla^ant  a  une  autre  point  de  vue  nous  retrouverons 
dans  tous  ces  troubles  psychologiques  un  autre  caractere  general 
si  curieux  et  si  important  qu'il  est  essentiel  de  le  mettre  en  relief. 
Parmi  les  sentiments  les  plus  remarquables  que  le  sujet  ^prouve 
a  propos  des  actions,  a  propos  des  perceptions  des  objets  exte- 
rieurs  et  a  propos  de  la  perception  de  lui-meme  il  y  a  tout  un 
groupe  compose  par  les  sentiments  de  drole,  d'etrange,  de  jamais 
vu,  de  reve,  que  Ton  peut  je  crois  ramener  a  un  caractere  com- 
mun. 

Quand  le  sujet  r^pete  qu'il  ne  peut  pas  parvenir  a  faire  un  acte, 
que  cet  acte  est  devenu  impossible,  on  peut  remarquer  qu'il  ne 
sent  plus  que  cet  acte  existe  ou  peut  exister  qu'il  a  perdu  le  sen^ 
timent  de  la  realite  de  cet  acte.  Quand  d'autres  nous  disent  qu'ils 
agissent  en  reve  comme  des  somnambules,  qu'ils  jouent  la  com^die 


432  LES  STIGMATES  PSYCHASTIlfiMQUES 

c*est  encore  la  r^alit^  de  Tacte  par  opposition  au  simulacre  de 
Tacte  dans  les  songes  et  les  comedies  qu'iis  sont  devenus  inca- 
pables  d'apprecier. 

Dans  la  perception  ext^rieure  et  int6rieure,  le  fait  est  si  curieux 
que  je  desire  en  donner  un  exemple  de  plus  a  ajouter  a  tons  les 
precedents.  Une  vieille  femme  de  58  ans,  Gou...,  admise  a  la  Sal- 
p^triere  vient  d'etre  envoyee  a  Tinfirmerie  parce  que  depuis  deux 
mois  elle  est  atteinte  d'un  d^lire  extraordinaire.  Elle  ne  veut  plus 
faire  aucun  travail  ni  s'occuper  a  quoi  que  ce  soit,  elle  reste  cons- 
tamment  sur  sa  chaise  a  g^mir  et  a  se  lamenter  :  «  II  est  inutile 
de  rien  faire,  r^pete-t-elle,  puisque  tout  est  mort...  on  m'a  mise 
dans  un  tombeau  oil  il  n'y  a  rien,  oil  je  suis  absolument  seule  dans 
une  afTreuse  obscurity...  Tout  est  noir  autour  de  moi,  d'un  noir 
d'encre...  tout  est  vide,  il  n'existe  plus  personne,  aucun  6tre 
vivant  ne  m'entoure,  c'estcommesi  j'etais  morte  moi  aussi,etc...  )> 
Corame  toujours  Texamen  habituel  des  sens  et  de  la  conduite 
nous  cause  le  meme  etonnement,  on  ne  pent  constater  aucun 
trouble  m^me  le  plus  l^ger  d'aucune  sensibility,  la  malade  voit 
tres  bien  les  objets  et  les  couleurs  et  se  conduit  tres  correctement. 
Au  moment  m^me  oil  elle  declare  que  tout  est  noir  et  que  tout 
est  mort,  elle  va  tres  bien  demander  sa  tisane  a  la  surveillante. 

Les  principaux  sentiments  observes  dans  ce  cas  comme  dans 
les  precedents  sont  le  sentiment  d'absence  de  relief,  d'obscurite, 
de  noir,  de  drole,  d'etrange,  de  degoiitant,  de  jamais  vu,  de  faux, 
de  simule,  de  r^ve,  d'eloignement,  d'isolement,  de  mort.  Quel 
est  le  sentiment  auquel  se  rattachent  tous  les  autres,  on  a  dit  que 
c'etait  le  sentiment  de  nouveau  et  d'etrangete.  Je  crois  plutot  que 
c'est  le  sentiment  de  non  r^el,  le  sentiment  d'absence  de  rialite, 
C'est  le  sentiment  d'absence  de  r^alite  psychologique  dans  les 
etres  ext^rieurs  qui  leur  fait  dire  que  les  animaux  et  que  les 
personnes  places  devant  eux  sont  des  morts.  C'est  le  m^me  senti- 
ment relatif  a  la  disparition  de  la  r^alite  ordinaire  qui  se  trouve 
dans  les  sentiments  de  reve,  de  simuie,  de  jamais  vu  et  d*etrange. 
En  un  mot  les  malades  continuent  a  avoir  la  sensation  et  la  per- 
ception du  monde  exterieur,  mais  ils  ont  perdu  le  sentiment  de 
r^alite  qui  ordinairement  est  inseparable  de  ces  perceptions. 

II  en  est  de  meme  pour  la  perception  personnelle  :  quand  les 
malades  sentent  qu'ils  ont  perdu  leur  moi,  qu'ils  sont  a  moitie 
vivants,  qu'ils  sont  morts,  qu'ils  ne  vivent  plus  que  mat^riel- 
lement,  que  leur   ame  est    separ^e  de    leur  corps,    qu'ils    sont 


LA  PERTE  DE  LA  FONGTION  DU  RfiEL  433 

6tranges,  dr6les,  comme  s'ilsavaient  une  vie  dans  un  autre  monde, 
c'est  encore,  k  mon  avis,  qu'ils  se  sentent  irr^els.  lis  ont  con- 
serve toutes  les  fonctions  psychologiques,  mats  ils  ont  perdu  ie 
sentiment  que  nous  avons  toujours,  a  tort  ou  k  raison,  c'est  d'etre 
r^elsy  de  faire  partie  de  la  r^alit^  du  monde. 

Ce  ph^nomene  irhs  remarquable  de  la  perte  du  r6el  n'existe-t- 
il  que  dans  les  sentiments  subjectifs  des  malades  ?  Ne  peut-on  pas 
retrouver  dans  Tobservation  ext^rieure  de  leurs  actions  et  des 
manifestations  de  ieur  pensee,  des  preuves  qu'ii  y  a  dans  leur 
esprit  un  trouble  particulier  ?  Ce  trouble  porterait  sur  les  fonctions 
psychologiques  dans  leur  rapport  avec  la  r^alit^  donn^e,  sur  une 
fonction  sp^ciale  que  Ton  pourrait  appelcr  la  fonction  du  reel, 

II  me  semble,  en  effet,  n^cessaire  pour  r^sumer  les  observations 
pr^c^dentes  de  distinguer  une  operation,  ou  si  Ton  pr6fere  une 
partie  des  operations  psychologiques  que  les  descriptions  clas- 
siques  ne  mettent  pas  a  part,  mais  que  la  maladie  semble  avoir 
analys^e.  Une  operation  mentale,  un  souvenir,  une  attention  ou  un 
raisonnement  semblent  rester  de  meme  nature  quel  que  soit  leur 
objet,  que  celui-ci  soit  constitu^  par  des  representations  tout  a 
fait  imaginaires  ou  que  son  objet  soit  forme  par  des  evenements 
tout  a  fait  reels,  appartenant  au  monde  dans  lequel  nous  sommes 
plonges.  L'association  des  idees,  dit-on  souvent,  est  la  m^me  dans 
le  reve  et  dans  Texperience  de  la  vie.  Cette  aflSrmation  toujours 
acceptee  est-elle  bien  juste  ?  L'observation  de  nos  malades  pre- 
sente,  en  efTet,  un  fait  singulier ;  c'est  que  leurs  operations  men- 
tales  ne  sont  point  troubles  quand  il  s'agit  seulement  de  Tima- 
ginaire  et  qu*elles  ne  presentent  du  desordre  qu'au  moment  ou 
il  s'agit  de  les  appliquer  a  la  realite. 

Tons  les  troubles  du  raisonnement,  de  Tattention,  de  Tappre- 
ciation  des  situations  n*existent  pas  dans  les  ruminations  ni  dans 
les  reveries,  le  malade  construit  dans  son  imagination  des  petites 
histoires  tres  coherentes  et  tr^s  logiques  :  c'est  quand  il  s*agit  de 
la  realite  qu'il  n'est  plus  capable  de  faire  attention  ni  de  com- 
prendre.  Plusieurs  de  ces  malades  ont  quelque  talent  litteraire 
ou  musical;  quand  ils  invcntent  des  histoires  ou  des  morceaux  dc 
musique,  leur  esprit  fonctionne  parfaitement  bien,  ils  n*ont  ni 
hesitation  ni  doute.  L'hesitation  va  venir  si  Toeuvre  d'imagination 
doit  se  transformer  en  ceuvre  reelle  et  etre  donnee  au  libraire  ou 
au  commercant.  «  Je  vis  dans  les  espaces,  dit  Lo...,  et  j'y  vis  tres 

LES  OBSESSIONS.  I.    —    a8 


43  i  LES  STIGMATES  PSYCIIASTIlf-NlQUES 

bien,  mais  je  ne  peux  pas  jouir  des  choses  de  ce  oionde,  je  ne 
vois  pas  le  reel  et  ma  vie  est  imaginaire  et  factiee...  »  a  S'il  ne 
s'agissait  que  demon  goi^t  je  saurais  tres  bien  terminer  mes  feuilles 
de  rose,  dit  Tr. ..,'mais  quand  il  s'agit  de  donner  une  feuiile  de 
rose  terminee  pour  qu'elle  soit  vendue,  j'h^site  ind^6niment.  » 

De  meme  que  les  fonctions  sont  correctes  dans  le  domaine  de 
i'imnginaire,  elles  restent  parfaites  quand  il  s'agit  de  Pavenir  et 
du  passe.  11  y  a  chcz  quelques  sujets  des  experiences  curieuses 
qui  mettent  ce  caractere  en  evidence.  Wo...  a  d'epouvantables 
crises  de  scrupule  h  propos  des  comptes  du  menage  et  surtout  des 
additions  des  fournisscurs,  il  semble  que  son  attention  soit  fati- 
guee  des  qu'elle  fait  une  addition  de  quelques  chifires  et  qu*elle 
ne  puisse  plus  arriver  a  la  certitude.  Si  on  la  prie  de  faire  une 
addition  sur  des  chifTres  imaginaires  sans  rapports  avec  sa  vie 
r^elle,  le  travail  se  fait  tres  facilement,  aussi  longtemps  qu'on  le 
veut,  sans  fatigue  et  sans  hesitation.  Bien  plus,  la  malade  a  remar- 
qu^  elle-meme  qu^un  de  ses  comptes  de  manage  pent  etre  fait 
sans  difliculte  a  la  condition  qu'il  soit  ancien,  qu'il  ait  rapport 
aux  affaires  du  trimestre  pr^c^dent.  Elle  prcnd  spontanement 
Thabitude  de  laisser  les  comptes  attendre  pour  les  verifier,  (c  plus 
ils  sont  vieux  plus  ils  se  calculcnt  ais<§ment  ».  II  est  visible  que 
le  pass^,  comme  Timaginaire,  est  un  clement  de  facility,  c'est  le 
r^el  et  le  present  qui  troublent  Taction. 

En  eiTet,  tons  les  troubles  que  nous  avons  constates  se  ramfenent 
au  present  et  au  reel,  les  (Amotions  sont  vagues  sans  adaptation 
avec  les  circonstances  pr^sentes  et  r^elles.  cc  Le  present  me  fait 
TefTet  d'un  intrus,  disait  un  malade  de  M.  Dugas '  ».  «  II  y  a  pour 
moi  une  deformation  de  la  r^alite,  dit  Gisele,  et  je  ne  peux  pas 
m'interesser  au  monde  tel  qu'il  est,  ni  m'^motionner  pour  ce  qui 
existe  »,  «  au  fond,  dit  Lise,  tons  mes  tourments  viennent  de 
ce  que  j'ai  une  mauvaise  appreciation  de  la  r6alite  )). 

Les  troubles  les  plus  accentuds  se  rencontrent  dans  Tacte 
volontaire,  dans  la  perception  attentive  des  objets  presents,  dans 
la  perception  de  la  personnalitc  r^elle  parce  que  ce  sont  les 
operations  les  plus  etroitement  en  rapport  avec  Tapprehension  de 
ce  qui  est  r^el.  Leur  indecision,  leur  defaut  de  certitude,  leur 
doute  si  caracteristique  ne  sont  que  d'autres  aspects  du  m^me 
phenomene  fondamental. 

I.  Dugas,  Revue  philosophique,  iSgii  H,  p.  4o. 


L\  PERTE  DE  L\  FONCTION  DU  RfiEL  435 

Les  maiades  agissent  bien  a  une  condition,  d'est  que  leur  action 
soit  insignifiante,  c'est  ce  qui  fait  que  leurs  agitations,  leurs  im- 
pulsions sont  si  peu  dangereuses  :  ils  peuvent  se  promener,  bavar- 
der,  g^mir  devant  des  intimes,  mais  des  que  Taction  devient 
importante  et  par  consequent  reelle,  ils  cessent  de  pouvoir  agir, 
ils  abandonnent  peu  a  peu  le  metier,  la  lutte  contre  les  autres, 
les  relations  sociales,  etc.  Quelques-uns  rattachent  ce  d6faut 
d'action  r^elle  a  la  timidity.  «  Moi,  dont  tout  Tetre,  dit  Amiel, 
pens^e  et  coeur  a  soif  de  s'absorber  dans  la  r^alit^,  dans  le  prochain, 
dans  la  nature  et  en  Dieu,  moi  que  la  solitude  d^vore  et  detruit, 
je  m'enferme  dans  la  solitude  et  j*ai  Tair  de  ne  me  plaire  qu'avec 
moi-meme.  La  fiert6  et  la  pudeur  de  Tame,  la  timidite  du  cceur 
m'ont  fait  violenter  tous  mes  instincts,  intervertir  absolument  toute 
ma  vie^  »  II  faudrait  discuter  si,  comme  le  pense  Amiel,  cet  eloi- 
gnement  du  r6el  depend  de  la  timidit6  ou  si  ce  n*est  pas,  comme 
je  le  crois,  la  timidite  qui  resulte  de  cette  incapacity  d'alFronter 
le  r^el.  Mais  pour  le  moment  je  constate  seulement  combien  cet 
eloignement  de  la  r^alit^  existe  au  fond  de  tous  les  troubles  not^s 
chez  les  scrupuleux.  D*autres  maiades  ne  donnent  pas  Tinterpr^- 
tation  d'Amiel,  «  ce  n'est  pas  Taction  elle-meme  qui  m'est  difficile, 
dit  Claire,  c^est  de  prendre  Taction  r6elle,  de  faire  Taction  pour 
le  monde  rdel,  c^est  la  ce  qui  me  fait  prendre  pour  une  timide  ». 

Jean,  depuis  Tenfance,  a  une  existence  sp^ciale :  ne  faisant  ni 
du  bien,  ni  du  mal,  parfaitement  insignifiant  a  tous  les  points  de 
vue,  ne  se  pr^occupant  en  rien  du  monde  donn^,  il  vit,  comme 
disaient  d^ja  ses  maftres  au  college,  «  Stranger  aux  choses,  stranger 
a  tout  ».  II  n*a  jamais  pu  s'int^resser  a  quoi  que  ce  soit  de  la  reality, 
il  n'a  acquis  aucune  habilet^  manuelle  «  il  ne  sait  que  faire  de  ses 
dix  doigts  ».  C*est  en  vain  qu'on  a  voulu  lui  apprendre  a  jouer  de 
la  musique,  a  dcssiner,  a  relier  des  livres,  a  travailler  un  peu  la 
terre  a  la  campagne,  il  n'a  rien  pu  comprendre  a  ces  divers  travaux 
pratiques.  Et,  enefiet,  quandon  cherchesi  comprendre  cet  6trange 
gar^on,  on  reconnait  que  c'estla  pratique  de  la  vie  qui  lui  manque 
d'une  maniere  invraisemblable.  Quoiqu'il  ait  toujours  6t6  dans 
Taisance,  il  ne  connait  aucunement  la  valeur  de  Targent,  de  la 
fortune;  il  a  v^cu  dans  un  pays  agricole  et  il  ignore  tout  de 
Tagriculture.  Ce  gargon  de  3o  ans,  tres  intelligent,  je  le  repete, 
est  au   desespoir  quand   il    lui  faut  trouver  son  diner  dans   les 

I.  Amiel,  Journal  intime,  I,  169.  Hart.  aSg. 


436  LES  STIGMATES  PSYGHASTIlfiNIQUES 

rues  de  Paris.  Choisir  ud  restaurant,  y  eotrer,  commander  son 
diner  lui  parait  une  operation  inouie :  il  ne  s'agit  pas  la  de  timi- 
dite  ou  d'obsesslon,  c'est  Facte  pratique  dont  ii  n'a  pas  la  moindre 
notion.  II  en  est  de  meme  a  des  degr^s  difTi^rents  pour  tons  nos 
sujets.  II  faut  interroger  sur  ce  point,  non  les  malades,  mais  leur 
&milie  et  j'ai  entendu  bien  des  g^missements  venant  des  meres, 
des  maris  ou  des  femmes  des  maiades.  On  repete  toujours  que  le 
malade  n'a  jamais  ^t^  pratique,  qu'il  d^pensait  Vnrgent  a  tort  et  a 
travers,  qu'il  ne  se  rendait  pas  compte  de  sa  fortune,  de  sa  situa- 
tion reelle,  qu'il  ne  savait  rien  organiser,  rien  r^ussir.  L'entourage 
des  malades  insiste  aussi  sur  cette  absence  d*habilet^  manuelle 
qui  est  souvent  chez  eux  un  signe  de  leur  d^Faut  de  sens  pratique. 

Les  malades  gardent  plus  d'activit6  pour  les  choses  qui  sontplus 
6loign6es  de  la  r^alit^  mat6rielle,  ils  sont  plus  facilement  psycho- 
logues,  Jean,  qui  ne  voit  rien  des  choses  mat^rielles,  fait  des  re- 
marques  morales  sur  les  gens  et  ces  remarques  sonrt  souvent  fines. 
Ils  aiment  la  litt^rature  comme  Gisele  et  tournent  au  bas  bleu,  ils 
ainient  surtout  la  philosophic  comme  Qsa...et  deviennent  de 
terribles  m^taphysiciens  :  quand  on  a  vu  beaucoup  de  scrupuleux, 
on  en  arrive  a  se  demander  avec  tristesse  si  la  speculation  philo- 
sophique  n'est  pas  une  maladie  de  Tesprit  humain.  Ces  quelques 
remarques  et  ces  quelques  Etudes  dont  quelques  malades  sont 
encore  capables  ne  font  que  confirmer  le  caractere  general  de 
leur  esprit  qui  est  toujours  T^loignement  de  la  r^alite  concrete. 

Une  consequence  tres  remarquable  et  un  peu  inattendue  de 
cet.eloignement  du  reel,  c'est  Tasc^tisme.  Jean  ne  s^int^resse  a 
rien,  n'admire  rien,  n'aime  rien ;  il  n*a  qu'une  preoccupation  en  de- 
hors de  ses  obsessions  c'est  de  faire  le  moins  d'efTorts  possible 
dans  la  vie.  Comme  ces  efforts  am^nent  des  deliberations,  des 
scrupules  intcrminables,  il  ne  tient  pas  assez  a  la  realite  pour 
braver  ces  accidents:  aussi  en  arrive-t-il,peu  a  peu, a  se  passer  de 
tout,  a  renoncer  a  tout.  II  a  une  vie  d'uneregularite,d'unesobriete, 
d^une  simplicite  invraisemblable  pour  la  situation  ou  il  se  trouve  : 
«  il  n'y  a  pas  de  merite  a  cela,  me  repond-il  quand  je  lui  en  fais  la 
remarquc,  les  choses  auxquelles  vous  tenez  ne  m'interessent  pas 
et  ne  me  causent  aucun  plaisir;  je  suis  separe  de  votre  vie  par 
un  fosse  ».  C'est  a  cet  ascetisme  qu'arrivent  tons  les  scrupuleux: 
Nadia  malgre  ses  qualites  brillantes  s'est  peu  a  peu  retiree  du 
monde,  elle  vit  depuis  cinq  ans  dans  un  petit  appartement  d'oii 
ellc  ne  sort  presque  jamais.  En    dehors  de    son    medecin  et    de 


LA  PERTE  DE  LA  FONCTION  DU  RfiEL  437 

queiques  personnes  de  sa  famille  qu'elle  regoit  de  temps  en 
temps,  elle  ne  voit  absolument  personne  et  vit  aussi  retiree  du 
monde  que  si  eiie  ^tait  dans  un  convent.  Tons  en  arrivent  ainsi  pen 
a  pen  a  simplifier  leur  vie,  non  seulement  par  le  progrcs  de  la 
maladie,  par  suite  des  manies  et  des  phobies,  mais  parce  qu'ils 
sont  au  fond  desint^ress^s  de  la  vie  r^eiie. 

Je  voudrais  rattacher  encore  a  cet  ^loignement  du  r6el 
les  troubles  que  nous  avons  not^s  pr^c^demment  sur  le  sens  du 
temps.  Bain  dit  que  «  pour  comprendre  la  conduite  de  Thomme, 
il  faut  toujours  tenir  grand  compte  de  la  puissance  absorbante 
du  present*  ».  Cette  remarque  n'est  pas  exacte  pour  nos  malades 
car  le  present  n'est  pas  absorbant  pour  eux.  II  me  semble  evident 
qu'ils  ne  mettent  pas  la  meme  dKT^rence  que  nous  entre  le  present 
et  le  pass^. 

lis  accordent  une  importance  disproportionn^e  au  pass^  et  a 
Tavenir  et  surtout  au  passe.  Lowenfeld,  comme  on  Ta  vu,  signa- 
lait  un  malside^ a bsor be  par  le  passe^y  mais  nons  avons  montre 
que  ce  caractere  a  des  degres  divers  est  absolument  general  : 
« lis  ne  vivent  pas  dans  le  present,  r^pctent  toujours  leurs  pro- 
ches ;  ils  sont  toujours  en  train  de  se  raconter  a  eux-mcmes  et 
d'arranger  dans  leur  imagination  queiques  faits  anciens.  )>  «  Ils 
sont  convaincus,  comme  disait  Xyb. . . ,  que  le  present  ne  pent  jamais 
effacer  le  pass6.  »  C'est  a  cause  de  ce  peu  d'interet  accords  au  pre- 
sent que  les  scrupuleux  n'ont  aucune  notion  de  Theure  et  quails 
sont  toujours  en  retard.  C'est  ^galement  pour  cela  qu'ils  ont  le  sin- 
gulier  sentiment  que  nous  d^crivaientVer...  et  Bei...  ces  malades 
atteints  de  depersonnalisation,  le  sentiment  de  ne  plus  distinguer 
hier,  aujourd'hui  et  demain.  Aujourd'hui  se  distingue  pour  nous 
par  un  coeflicient  plus  ^leve  de  reality  et  d'action  c'est  parce 
qu'ils  sont  ^loignes  du  r^el  qu'ils  n'ont  plus  le  sens  du  present. 

Enfin  une  derni^re  remarque  doit  6tre  ajout^e  aux  observations 
pr<^cedentes,  c'est  qu'on  retrouve  un  trouble  analogue  m6me  dans 
les  ph^nom^nes  pathologique  des  psychastheniques,  dans  leurs 
hallucinations  et  dans  leurs  impulsions.  Comme  j'ai  essaye  de  le 
d^montrer,  ils  n'ont  que  des  pseudo-hallucinations  qui  ont  tons 
les  caracteres  de  Thallucination  excepte  le  sentiment  de  la  r^a- 


I.  Bain,  Les  emotions  et  la  volonte,  p.  5oi  (Paris,  F.  Alcan). 
a.   Lowenfeld.  PsychiatrUche  Wochenschrift,  lo  juin  1899. 


438  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

Iit6;  lis  ont  des  impulsions  qui  ont  tous  les  caracteres  de  la  coer- 
cition  morale  sauf  le  pouvoir  de  determiner  des  actions  reelles. 
Cette  remarque  est  interessante,  car  eile  me  parait  ici  ^chapper 
a  i'objection  que  jusqu*a  present  nous  faisions  constamment.  Si 
les  emotions,  les  sentiments,  les  actions  de  ces  nialades  sont  in- 
complets  et  loin  de  la  r^alite,  disions-nous,  c'est  peut-etre  parce 
qu'ils  ont  une  idee  fixe  d'imperfection  qui  les  arrete.  Ehbien,  ces 
malades  ne  se  doutent  pas  que  Thallucination  serait  a  notre  point 
de  vueun  phcnomene  parfait.  lis  nese  rendent  m^me  pas  compte 
des  caracteres  d'une  vraie  hallucination  et  quand  ils  nous  decri- 
vent  leurs  hallucinations  si  imparfaites,  ils  ne  peuvcnt  y  mettre 
aucune  humility. 

Ils  n'ont  de  m6me  aucune  idee  sur  le  r^sultat  des  pratiques 
d'hypnotisme.  Ils  desirent  plut6t  le  sommeil  qu'ils  croient  utile 
pour  leur  guerison.  Cependant  les  experiences  hypnotiques  long- 
temps  et  serieusement  continu^es  m'ont  montr^  que  tant  que  les 
scrupuleux  sont  tres  malades  ils  ne  sont  ni  hypnotisables,  ni  sug- 
gestibles.  Tous  ces  phenomenes  d^impulsion,  de  suggestion  et 
d'hallucination  consistent  surtout  a  donnet*  au  sujet  Tillusion  de 
la  realite,  il  est  curieux  de  voir  que  les  scrupuleux  les  ont  perdus 
commc  les  precedents.  Non  seulement  ils  n'ont  plus  Tapprdhen- 
sion  de  la  realite  veritable,  mais  ils  n'arrivent  pas  non  plus  a 
rillusion  de  la  realite.  Ce  fait  sutfirait  a  prouver,  s'il  en  etait 
besoin,  que  le  trouble  ne  consiste  pas  dans  une  action  insulEsante 
de  la  realite  sur  le  sujet,  mais  dans  une  insuflisance  des  operations 
mentales  qui  conduisent  soit  a  la  perception  de  la  realite,  soit  a 
rillusion  de  cette  perception. 

On  pourrait  done  reunir  un  assez  grand  nombre  de  leurs  trou- 
bles psychologiques  en  supposant  contrairement  a  Topinon  com- 
mune que  la  realite  presente  exige  une  complexite  speciale  de 
Toperation  psychologique  et  qu*il  y  ait  par  consequent  une  fonc- 
tion  speciale  que  Ton  pourrait  appeler  la  fonction  da  reel,  C'est 
tin  trouble  dans  I' apprehension  du  reel  par  la  perception  et  par 
i'aciion  qui  resume  les  troubles  presentes  par  nos  malades  en 
dehors  de  leur  manies  et  de  leurs  obsessions. 

L'etude  des  troubles  physiologiques  est  plus  simple  et  il  est 
plus  facile  de  les  resumer.  On  a  observe  des  douleurs  dans  la 
tete  en  relation  probablement  avec  une  insuflisance  de  regular!- 
sation  de  la  pression  intracephalique  et  avec  des  troubles  vaso- 


LES  PfiRIODES  PSYGHASTHfiNIQUES  439 

rooteurs,  des  troubles  digestifs  en  rapport  avec  Tatonie  gastro-in- 
testinale,  de  Thypoacidit^  urinaire,  de  la  faiblesse  cardiaque  et 
de  Thypotension  vasculaire,  des  troubles  des'  s^cr^tions  et  des 
troubles  des  fonctions  g^nitales. 

D'une  maniere  generale  ce  sont  les  symptomes  de  la  neuras- 
thenie.  Nous  aurons  a  discuter  a  propos  du  diagnostic  s'il  y  a 
lieu  de  s6parer  les  obsessions  et  I'angoisse  de  la  neurasthdnie 
proprement  dite.  Pour  le  moment  il  suffit  de  reraarquer  que  Ton 
note  dans  tout  Torganisme  les  signes  d'un  ^puisement  nerveux 
qui  est  paralelle  a  la  diminution  d'activit^  psychique. 

En  un  mot  les  caracteres  gen^raux  des  stigmates  psychast^- 
niques  peuvent  etre  maintenant  r^sum^spar  cestrois  notions  plus 
simples:  i**rinachevement, Tincompl^tude  des  operations  psycho- 
logiques;  2®  la  diminution  ou  la  perte  de  la  fonction  du  reel; 
3**  les  symptomes  physiologiques  de  Tepuisement  nerveux. 


3.  —  Les  p6riode8  psycbastbiniques. 

Ces  phenomenes  psychologiques  et  physiologiques  que  j'ai 
appeles  des  stigmates  psychasth6niques  ne  sont  pas  continuels 
pendant  toute  la  vie  du  malade,  ils  n'existent  pas  sans  interruption 
m^me  dans  les  cas  les  plus  graves  depuis  la  naissance  jusqu'a  la 
mort.  Je  crois  que  cette  notion  est  capitale  et  qu'elle  n'a  pas  assez 
frappe  Tesprit  de  ceux  qui  considerent  cette  maladie  comme  une 
simple  d^generescence  mentale.  Le  raisonnement  seul  pourrait 
d'abord  faire  prevoir  ce  caractfere  :  la  plupart  des  sentiments 
anormaux  exprim^s  par  les  malades  ne  sont  intelligibles  que  si 
on  suppose  dans  leur  esprit  une  comparaison  entre  Tetat  actuel 
de  maladie  et  un  6tat  de.  sant6  ant^rieur.  Les  sujets  vous  disent 
sans  cesse  quails  descendent,  qu'ils  ont  perdu  leur  force,  leur 
intelligence,  leur  personne  :  il  faut  done  admettre  qu'ils  aient 
^te  plus  hauty  quUls  aient  eu  a  un  moment  donne  une  autre  force, 
une  autre  intelligence,   une   autre    personne. 

Le  sentiment  du  r6el  dont  nous  ignorons  presque  compl^te- 
ment  le  mecanisme,  doit  ^tre  un  ph^nomene  relatifet  d^pendre 
d'un  certain  degr^  d'activit^  moyenne  auquel  Tindividu  est  accou- 
tum^.  Un  idiot  qui  a  eu  toute  sa  vie  une  activity  meutale  faible 
arrive   cependant  a   un  certain  sens  du  r^el  qui  lui  suffit.  II  est 


440  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

bien  probable  que  si  nos  malades  avaient  toujours  eu  cette  meme 
faiblesse  de  pens^e,  ils  ne  s'en  apercevraient  pas  maintenant 
et  ne  se  plaindraient  de  ne  pas  saisir  la  r^alit^,  de  trouver  que 
tout  est  lointain,  que  tout  est  mort.  Ce  raisonnement  qui  peut 
s'appliquer  a  presque  tous  les  symptomes  montre  bien  que  les 
stigmates  psychastheniques  appartiennent  a  un  6tat  accidentel  et 
de  nature  transitoire,  comme  une  veritable  maladie. 

D'aillcurs  {'observation  est  sur  ce  point  tres  demonstrative  : 
sans  entrer  dans  T^tude  de  revolution  de  la  maladie  a  laquelle  je 
consacrerai  un  chapitre  special,  je  puis  faire  remarquer  ici  que 
chez  tous  les  malades  sans  exception  ces  stigmates  constituant 
Tetat  psychasth^nique  se  sont  present^s  par  periodes.  II  est  vrai 
seulement  que  dans  les  cas  graves  ces  periodes  peuvent  durer 
tres  longtemps. 

Dans  certains  cas  particulierement  typiques  les  periodes  sont 
tres  precises  et  peuvent  ne  durer  que  quelques  jours.  Dans  ces 
cas  on  peut  bien  noter  Tapparition  des  troubles,  leur  Evolution  et 
leur  disparition.  Les  auteurs  qui  ontdecrit  la  dipsomanie,  comme 
M.  Magnan,  ont  bien  remarqu^  les  troubles  m^lancoliques,  la  con- 
fusion qui  precede  souvent  de  plusieurs  jours  Timpulsion  propre- 
ment  ditc  \  M.  Seglas  est  Tun  de  ceux  qui  ont  le  mieux  not6 
chez  les  obs^des  Tapparition  de  ces  periodes  qui  cc  r^alisent,  dit-il, 
comme  une  forme  attenuee  de  la  confusion  mentale...  II  y  a  pen- 
dant deux  ou  trois  jours  une  exageration  de  quelques  symptomes 
neurastheniques...  Les  malades  ne  se  rcconnaissent  plus  eux- 
memes,  ne  se  trouvent  plus  comme  auparavant.  L'attention  est 
tres  defectueuse,  difficile  a  fixer,  facile  a  fatiguer  ;  la  m^moire 
est  paresseuse  et  infidelc,  la  volonte  est  attelnte  dans  sa  forme 
motrice  et  Taboulie  se  traduit  par  une  invincible  apathie-  ». 

Chez  beaucoup  de  nos  malades  on  peut  observer  ces  periodes 
de  psychasthenic  qui  preparent  les  crises  d'obsession  :  les 
choses  se  passent  ainsi  chez  Got...,  chez  Pot...  Je  prendrai  sur- 
tout  comme  exemple  Tobservation  de  Kl...  Cette  femme  a  eu 
autrefois  de  longues  periodes  maladives  durant  des  ann^es; 
actuellement  les  periodes  sont  courtes,  elles  ne  durent  que 
quelques  jours  et  elles  cessent  d'une  maniere  assez  nette.  Le 
trouble   survient    en    g^n^ral   quelques   jours    apr^s  la   fin    des 


I.  Magoan,  La  dipsomanie,  p. 
a.  Seglas,  op.  cit,  p.  70. 


LES  PERIODES  PSYGHASTHENIQUES  441 

regies^  il  a  ete  prepare  par  diverses  Amotions  dont  nous  6tu- 
dieroDs  Timportance,  il  s'annonce  presque  toujours  par  une 
modification  du  sommeil,  la  malade  dort  moins  bien  et  d'une 
maniere  bizarre.  II  lui  semble  qu'elie  dort  trop  profond^ment 
et  en  meme  temps  qu'elle  ne  se  repose  pas.  Ceux  qui  ont  etudie 
le  sommeil  des  6pileptiques  sont  habitues  a  cette  description. 
En  m^me  temps  Kl...  sent  que  son  sommeil  est  douloureux, 
qu'elle  a  tout  en  dormant  une  douleur  qui  se  forme  au-dessus 
de  la  tete ;  c'est  ce  qu'elle  appelle  «  avoir  la  fievre  dans  la 
tete  )).  Quand  elle  se  reveille  le  matin  en  se  souvenant  qu'elle 
a  eu  pendant  le  sommeil  la  fievre  dans  la  tete  elle  est  cer- 
taine  qu'elle  va  encore  etre  malade.  En  effet,  elle  se  sent  dans 
cette  premiere  journ^e  mal  a  son  aise,  elle  est  fatigu^e,  elle 
soufTre  de  la  t^te,  elle  n'a  aucun  app^tit ;  les  digestions  sont 
longues,  p^nibles,  accompagnees  de  pesanteur  et  de  gonflement 
de  la  region  epigastrique,  la  langue  est  devenue  immediatement 
tout  a  fait  saburrale,  et  la  constipation  est  opiniatre.  On  voit  que 
du  moins  chez  cette  malade  ce  sont  les  symptdmes  physiques 
qui  semblent  apparaitre  les  premiers. 

La  nuit  suivante  est  encore  plus  mauvaise  et  la  «  fievre  de  tete  » 
plus  forte.  Quand  la  malade  se  reveille  elle  est  moralement  trou- 
bl^e  :  «  Je  sens  que  je  n'y  suis  plus,  j^ai  tout  a  fait  perdu  ma 
volonte,  on  pent  faire  de  moi  ce  que  Ton  veut,  puisque  je  suis  de- 
venue  une  machine...  je  ne  peux  plus  lire  ni  comprendre...  les 
gens  me  paraissent  droles  et  j*ai  en  vie  de  me  facher  contre  eux 
parce  quMls  ont  de  dr6les  de  t^tes...  je  deviens  Strange,  incom- 
prehensible a  moi-m6me  et  je  m'interroge  sur  une  foule  de 
choses.  »  Voici  done  que  surviennent  nos  sympt6mes  psychasthe- 
niques  qui  forment  trcs  nettement  chez  cette  personne  une 
periode  maladive.  Quand  ces  symptomes  ont  dure  en  s'aggravant, 
la  moindre  occasion,  un  effort  pour  retrouver  la  volont6  absente, 
un  effort  d'attention,  ou  une  petite  Amotion  va  determiner  le 
debut  d^autres  phenomenes  que  nousconnaissons  bien  ;  la  malade 
va  avoir  une  crise  de  rumination  mentale  et  s'interroger  ind^fini- 
ment  sur  la  naissance  de  son  enfant.  «  La  petite  tache  qu'il  porte 
au  derriere  est-elle  la  preuve  qu'il  soit  de  son  mari,  peut-on 
concevoir  des  enfants  sans  avoir  eu  d*amants,  etc.  »  Ou  bien  si 
la  malade  veut  se  debarrasser  de  ces  questions  obsedantes,  elle  va 
avoir^de  Tagitation  motrice  et  entrer  dans  de  veritables  crises 
d*excitation.    Si   la    periode    se   prolonge    les    id^es  obs^dantes 


442  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNIQUES 

vont  devenir  plus  nettes  et  KI...  va  s'accuser  d'avoir  tromp^  son 
mari  avec  tout  le  monde,  va  avoir  des  remords,  des  hontes  d'elle- 
meme,  etc... 

Autrefois  les  periodes  aiosi  commenc^es  se  prolongeaient  pen- 
dant des  mois.  Aujourd'hui  la  crise  de  rumination  ou  d'excitation 
ne  survient  Tortement  que  deux  ou  trois  fois  pendant  quelques 
heures,la  nialade  n'y  est  exposee  que  pendant  deux  ou  trois  jours. 
Le  sixieme  ou  le  septieme  jour  de  la  maladie,  surtout  si  elle  a 
pris  quelques  soins  est  d^ja  moins  grave,  il  n'y  a  plus  de  v^rita- 
bles  crises  d'agitation  forc^e.  Tout  se  borne  aux  symptomes  de 
Tetat  psychasthenique  encore  tr6s  graves,  aboulie,  sentiment 
d'^trangete  et  un  certain  degr^  de  depersonnalisation.  Ces  symp- 
tomes diminuent  le  jour  suivant  et  quand  Kl..*.  a  dormi  une  bonne 
nuit  sans  a  Gevre  de  tete  »  tout  est  fini. 

Ce  cas  remarquable  est  tres  instructif:  il  nous  montre  que  la  pe- 
riode  psychasthenique  est  plus  longue  que  la  crise  d'agitation  for- 
cee.  La  crise  d'agitation  forc^e  et  surtout  la  crise  d*obsession  se 
surajoutent  a  la  pcriode  psychasthenique,  ces  crises  commencent 
quelques  temps  apres  le  debut  de  la  pcriode  maladive,  et  en 
general  elle  disparaissent  quelque  temps  avant  elle.  On  peutdonc, 
dans  les  cas  irbs  nets  comme  celui-ci,  dire  que  les  stigmates  sont 
les  preliminaires  de  la  crise  d'obsession,  qu'ils  constituent  une 
sorte  d'aura  analogue  aux  troubles  respiratoires  et  a  la  boule  des 
hysteriques.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  les  choses  ne  sont 
pas  aussi  nettes  que  dans  Thysterie :  les  stigmates  qui  jouent  le  role 
d'aura  ne  disparaissent  pas  quand  la  crise  est  commenc^e,  ils  per- 
sistent tout  le  temps  plutot  aggraves  ;  en  outre  cette  aura  ne  pre- 
cede pas  une  seule  crise,  mais  plutot  un  6tatde  mal  pendant  lequel 
les  crises  sont  nombreuses  a  propos  des  circonstanccs  que  j*ai  in- 
diquees  et  entre  lesquelles  Tetat  psychasthenique  se  prolonge. 

11  est  bien  Evident  que  chez  d'autres  malades  les  choses  ne  sont 
pas  aussi  nettes,  I'etat  psychasthenique  nedisparaitpas  complete- 
ment  au  bout  de  quelques  jours ;  il  persiste  constamnient  plus  ou 
moins  att^nud  et  on  observe  seulement  une. augmentation  de  ces 
stigmates  qui  precede  et  annonce  les  crises.  Nous  reverrons  avec 
plus  de  precision  ces  divers  groupements  des  symptomes  en 
etudiant  revolution  de  la  maladie.  Ce  tableau  presente  par  les 
cas  typiques  etait  seulement  destine  a  resumer  et  a  presenter 
dans  leur  ensemble  les  divers  ph^uomenes  que  nous  venons  de 
passer  en  revue  dans  cette  etude  surtout  descriptive  et  clinique. 


DEUXifiME  PARTIE 

ETUDES  GENERALE8  SUR  l'aBAISSEMENT  DE  LA 
TENSION    PSYCIIOLOGIQUE 


CHAPITRE  PREMIER 

THEORIES  PATHOGfiNIQUES 
LES  MODIFICATIONS  DE  LA  TENSION  PSYGHOLOGIQUE 

Dans  rignorance  ou  nous  sommes  des  fonctions  essentielies  du 
syst^me  nerveux  et  des  causes  qui  d^terminent  Taugmenta- 
tion  ou  la  diminution  des  operations  c^r^brales  les  theories  patho- 
g^niques  des  troubles  de  Tesprit  ne  peuvent  guere  etre  que  des 
classifications  aussi  naturelles  que  possible  des  symptomes  obser- 
ves. Elles  doivent  se  borner  a  determiner  quel  est  le  groupe  dc 
symptomes  que  Ton  considere  comme  principal  et  auquel  on 
essaye  de  rattacher  tons  les  autres  et  quels  sont  au  contraire  les 
symptomes  que  Ton  considere  comme  secondaires  et  que  I'on 
met  sous  la  d^pendance  des  premiers.  Comme  les  symptomes  sont 
ici  essentiellement  des  ph^nomfenes  psychologiques,  les  theories 
ont  pour  but  de  rechercher  quels  sont,  a  nos  yeux,  les  ph^no- 
menes  psychologiques  dominateurs  et  quels  sont  les  phenom^nes 
psychologiques  secondaires. 

A  cote  de  ces  theories  qui  classent  les  symptomes  les  uns  par 
rapport  aux  autres,  il  faut  placer  d'autres  theories  plus  g^n^rales 
qui  cherchent  les  rapports  entre  cette  maladie  de  Tobsession  et 
les  autres  maladies  mentales  ou  m6me  physiques.  Ce  sont  encore 
des  classifications  qui  etablissent  les  rapports  de  cette  maladie 
avec  les  autres.  II  ne  faut  pas  confondre  ces  deux  genres  de 
theories :  la  theorie  de  Westphal  qui  rattache  tous  les  symp- 
tomes a  Tobsession  intellectuelle  est  une  theorie  psychologique 
du  premier  genre,  la  theorie  de  M.  Magnan  qui  considere 
tous  ces  phenomenes  sans  exception  comme  des  stigmates  de 
degenerescence  mentale  est  une  theorie  m^dicale  du  second 
genre  ;  il  ne  faudrait  pas  non  plus  opposer  ces  deux  theories 
Tune  a  Tautre,  elles  peuvent  etre  vraies  ensemble,  car  elles 
repondent  a  deux  questions  difTerentes.  Nous    nous  occuperons 


446  THEORIES  PATH0G£NIQUES 

(I'abord  des  premieres  theories  qui  essayent  d'arriver  a  une  inter- 
pretation psychologique,  c*est-a-dire  a  une  classification  naturelle 
des  sympt^mes  lesunspar  rapport  aux  autres  et  nous  rcserverons 
pour  les  chapitres  suivants  les  etudes  relatives  a  T^tiologie  et  a  la 
classification  de  la  maladie  par  rapport  aux  autres  n^vroses. 

Ces  symptomes,  dans  Tanalyseque  nous  en  avons  faite,  nousont 
paru  se  r^partir  en  trois  groupes  d'apres  leurs  analogies : 

i^  Le  groupe  constitue  par  les  obsessions  proprement  dites, 
c*est-a-dire  par  des  id^es  contenant  une  representation  assez  nette, 
ayant  pour  objet  determine  une  conception  generate  etenvahissant 
la  conscience  des  sujets  d'une  maniere  excessive  et  involontaire. 
Ces  obsessions  avaient  des  caracteres  sp^ciaux  dont  le  principal 
etait  un  defaut  de  conclusion,  d'achevement,  ces  id^es  ne  parvenant 
jamais,  ni  a  Taction,  ni  a  Thallucination,  ni  a  la  certitude. 

2**  Un  groupe  trfes  varie  de  processus,  c'est-a-dire  d'op^rations 
psychologiques  s'efTectuant  d'une  maniere  plus  ou  moins  irresis- 
tible dans  Tesprit  des  sujets.  Ces  operations  etaient  des  mouve- 
ments  diffiis  ou  systematises  sous  forme  de  tics,  des  emotions 
angoissantes,  des  ruminations  mentales,  c*est-a-dire  des  opera- 
tions intellectuelles,  interminables  qui  ne  formulaient  pas  des 
idees  precises,  mais  qui  se  repetaient  indefiniment  sans  arriveru 
des  conclusions.  Ces  diverses  operations  excessives,  inutiles  et 
dWdre  inferieur  constituaient  les  agitations  forcees. 

3**  Des  insuffisances  psychologiques,  c'est-a-dire  des  troubles 
de  ccrtaines  operations  psychologiques  qui  ne  s^eSectuaient  plus 
comme  ii  Tetat  normal ;  ces  troubles  consistaient  d'abord  en  senti- 
ments pathologiques  d'irrealite,  d'impuissance,  d*incompletude, 
puis  en  alterations  redles  des  fonctions  qui  etaient  surtout  des 
phenomenes  d^aboulie  et  d^aprosexie. 

Le  probleme  de  Tinterpretation  psychologique  de  cette  maladie 
consiste  a  savoir  lequel  de  ces  trois  groupes  doit  etre  considere 
comme  le  plus  important  et  comme  le  point  de  depart  des  deux 
autres.  II  en  resultc  qu'il  y  aura  theoriquement  trois  groupes  de 
theories  principales  suivant  que  Ton  prendra  pour  point  de  depart 
Tun  de  ces  groupes  ou  Tun  des  phenomenes  appartenant  a  tel  ou 
tel  de  ces  groupes. 

On  aura  ainsi  des  theories  intellectuelles  qui  mettront  au  pre- 
mier rang  Tobsession  proprement  dite  ou  Fidee  qui  tourmente  le 
sujet. 

On    aura   des  theories   qui  prendront  pour   point    de  depart 


LES  MODIFICATIONS  DE  LA  TENSION  PSYCHOLOGIQUE  447 

Tune  des  agitations  Torches  et  le  plus  souvent  les  attaques  d'an^ 
goisse,  il  en  r^siilte  que  les  theories  de  ce  groupe  seront  surtout 
des  theories  emolionnelles, 

Enfin  il  est  naturel  de  concevoir  des  interpretations  qui  s'ap- 
puient  sur  le  troisieme  groupe  de  faits,  qui  accordent  la  plus 
grande  importance  aux  insullisances  psychologiques  el  en  parti- 
eulier  aux  aboulies  et  que  Ton  pent  appeler  des  theories pyschasthe^ 
niques.  Nous  resumerons  les  deux  premieres  theories  et  nous 
insistcrons  sur  Ics  dernieres  qui  nous  semblent  presenter  plus 
d'int^ret. 


448  THEORIES  PATHOGCNIQUES 


PREMIfiRE  SECTION 
THiORIES    INTBLLBCTUBLLBS    ET    THEORIES    ^MOTIONNELLBS 


Les  premiers  observateurs  semblent  avoir  6\6  surtout  frappes 
par  le  ph^nom^ne  intellectuel  assez  bizarre  de  Tobsession  et  sup- 
posent  tout  naturellement  que  le  trouble  principal  est  dans  Tin- 
telligence  des  malades^ 


i.  —  ExpoaSdea  tbSoriea  intellectuellea. 

Deja  en  i854  pendant  la  discussion  qui  eut  lieu  a  la  soci^t^ 
medico-psychologique  sur  les  monomanies  Delasiauve  et  Peisse 
furent  disposes  a  penser  que  le  trouble  est  primitivepient  dans 
rintelligence  et  non  dans  le  sentiment'. 

Griesinger  en  1868^,  d^crivant  des  faits  relatifs  a  la  manie  du 
pourquoi  et  du  comment  en  fait  une  obsession  avec  conscience  sous 
forme  de  question  et  de  doute.  II  d^crit  en  somme  certaines  formes 
de  rumination  mentale  et  les  obsessions  qui  s'y  rattachent :  il  n'a 
pas  remarque  les  ph6nomenes  d*angoisse  et  ne  fait  aucune  allusion 
aux  phobies  qui  sont  pourtant  fr^quentes  chez  les  memes  malades 
et  il  soutient  que  le  trouble  est  exclusivement  dans  les  idees  inde- 
pendamment  de  toute  complication  Emotive  ou  passionnelle. 

Un  m^moire  qui  (it  epoque  et  qui  contient  une  expression  plus 
precise  de  la  meme  theorie  est  celui  de  Westphal,    1877,  Ueber 

I.  Pour  tous  ces  renseignemenU  hisloriques,  je  dois  Leaucoup  Si  Tetude  hislo- 
rique  presenlee  par  M.  Ladameau  Congres  dcsalienisles  aliemands  k  Berlin,  public 
in  extenso  dans  un  article  des  Annales  mid.  psych.,  1890,  II,  872  et  dans  la  Revue 
de  I'Hypnolisme,  1891,  p.  i3'J,  ei  au  rapporl  remarquable  sur  les  obsessions  pr^sente 
par  MM.  Pitres  ot  Regis,  au  Congres  de  m^decine  de  Moscou  en  1896. 

3.  Delasiauve,  -Inn.  mid.  psych.,  i854,  p.  118,  276.  Peisse,  Ann.  mid.  psych., 
i854.  p.  a83. 

3.  Griesinger,  Ueber  cinen  wenig  bekanntcn  psychopatiscben  Zustand.  Archivfur 
Psychiatric,  1,  1868,  p.  62C. 


EXPOSfi  DES  THfiORIES  INTELLECTUELLES  449 

zwangsvorsteIIungen^  En  premier  lieu, Tauteur  observe  bien  le  ca- 
ractere  incomplet  du  delire :  jamais,  dit-il,  Tobsession  ne  devient 
une  veritable  idee  delirante  car  les  malades  ne  Tassimilent  jamais 
compl^tement  comme  font  les  alienes  syst^matiques,  Tobsession 
reste  toujours  etrangere  au  moi  des  malades.  L*auteur  ajoute  en* 
suite  un  second  caractere  qu'il  croit  fondamental,  c'est  que  Tobses- 
sion  n'est  jamais  sous  la  dependance  d'un  etat  ^motifou  passionnel, 
c'est  qu'elle  est  un  trouble  originel  de  Tid^e.  Quand  Tobsession 
apparait  pour  la  premiere  fois  le  malade  pent  etre  dans  un  etat  de 
tranquillity  parfaite,  d'indiff^rence,  sans  trace  d^emotion.  Les  acces 
d'angoisse  n'apparaissent  que  plus  tard  et  sont  toujours  secon- 
daires  :  jamais  on  ne  trouve  Tangoisse  primaire  comme  dans  d*au- 
tres  psychoses,  la  m^lancolie  ou  Thypocondrie.  Si  on  a  cru  cons- 
tater  Tangoisse  en  m^me  temps  que  Tobsession  c*est  une  simple 
coincidence. 

Cette  opinion  de  Wcstphal  qui  consid^re  les  obsessions  comme 
de  simples  troubles  intellectuels  semble  pr^valoir  dans  les  tra- 
vaux  de  Meynert,  1877,  de  Buccola,  1880,  de  Tamburini,  1880, 
de  Morselli,  i885,  de  Hack-Tuke,  1894  ^  Nous  retrouvons  la 
m^me  affirmation  dans  Touvrage  de  MM.  Magnan  et  Legrain  i8g5. 
«  Les  phenomenes  de  Temotion  ne  sont  que  des  reactions  secon- 
daires...  si  le  sympathique  intervient  il  le  fait  secondairement  et 
non  primitivement,  il  ob^it  a  la  situation  mentale  au  lieu  de  la 
commander...  L'onomatomanie,  la  folic  du  doute,  le  delire  du 
toucher,  Techolalie  sont  sans  aucun  doute  des  troubles  du  fonc- 
tionnement  de  Tecorce.  Enfin,  rappelons  que  les  phenomenes 
^motionnels  ont  une  intensity  tr^s  variable,  qu'ils  sont  souvent 
reduits  a  peu  de  chose  et  que  dans  certains  cas  ils  disparaissent^.  » 
Meme  conception  egalenient  dans  le  travail  de  Mickle,  1896  :  ce 
sont  les  troubles  de  I'idee  qui  prevalent  toujours.  «  L'idee  impera- 
tive est  le  grand  f^cteur,  les  troubles  emotifs  peuvent  etre  consi- 
d^res  comme  secondaires  et  sont  dus  au  conflit  entre  Tidee  et  la 
volonte  *.  » 

1.  Weslphal.  Berliner  klinische  Wochenschrijl,  1872,  p.  890.  Ueber  zwangsvor- 
stellunyen,  1877. 

2.  Meynert,  Abortive  Verruckheil.  Psych.  Centralbl.,  1877.  Buccola,  Rev.  sper.  di 
freniatria,  1880.  Tamburini,  Sulla  pazzia  del  Dubbio.  Rev.  sper.  difren.,  1880.  Mor- 
selli, Mandate  di  semeiolica,  i885.  Hack-Tuke,  Drain^  1894. 

3.  Magnan  et  Legrain,  Les  degenires  (Bibl.  Gharcot-Debove),  1895,  p.  17^. 

4.  J.  Mickle,  Mental  Besetments  or  Obsessions.  Mental  Science,  oct.  1896,  d'apr^s 
Pitres  et  Regis,  op.  cit.,  p.  8. 

LES    OBSESSIONS.  I.    —    29 


450  THEORIES  PATHOG^NIQUES 

Enfin  dans  la  derniere  edition  du  traits  de  psychiatrie  de 
Krafi^-Ebing,  F^motion  de  Tobs^d^  est  consid^r^e  comme  secon- 
daire,  comme  la  reaction  de  la  representation  obsedante  sur  la 
vie  Emotive  du  malade.  Tout  au  plus  i'auteur  convient-il  qu'ii  y 
a  lieu  de  constituer  une  vari^te  oil  T^motion  joue  un  assez  grand 
r61e\  c*est  d'allleurs  a  cette  conclusion  que  parvenaient  ^galement 
Tamburini,  Luys,  J.  Falret. 


2.  —  Discussion  des  tb6ories  intellectuelles. 

Cette  opinion  cependant  ne  semble  pas  en  faveur  aujourd'hui, 
elle  est  fortement  battue  en  breche  dans  le  m^moire  de  MM.  Pitres 
et  R^gis,  qui  r^sumait  T^tat  actuel  de  la  question,  et  je  suis  dispose 
a  partager  Topinion  de  ces  auteurs.  Je  remarquerai  d'abord  que 
cette  theorie  dite  intellectuelle  de  Tobsession  est  excessivement 
vague  et  ne  nous  apprend  absolument  rien  sur  la  nature  de  ce 
trouble  intellectuel  ni  sur  son  mecanisme  :  elle  affirme  simple- 
ment  que  les  troubles  intellectuels  sout  les  premiers  de  tons.  II 
faudrait  pourtant  s'entendre  sur  ce  que  Ton  d^signe  par  ces 
mots  (c  troubles  intellectuels  »  qui  peuvent  avoir  ici  trois  signifi- 
cations :  1°  ils  peuvent  designer  Tobsession  proprement  dite,  cette 
idee  saugrenue  qui  s*impose  au  malade  et  lui  fait  penser  :  qu'il  a 
viole  et  assassin^  une  vieille  femme  devant  une  eglise ;  2^  ils 
peuvent  designer  les  manies  mentales,  ces  mauvaises  habitudes  de 
rep^ter  une  operation  psychologique  parfaitement  inutile  comme 
de  se  souvenir,  de  chercher,  de  compter,  de  jurer;  3**  on  peut 
entendre  par  troubles  intellectuels  les  sentiments  d*^trangete, 
d'inintelligence,  les  troubles  de  Tattention,  de  la  perception  per- 
sonnelle,  etc.  Les  partisans  de  theories  intellectuelles  sont  bien 
loin  de  nous  dire  avec  precision  iequel  de  ces  trois  sens  ils 
adoptent. 

II  semble  certain  que  les  auteurs  ne  parlent  pas  du  troisi^me 
groupe  dont  ils  semblent  ne  pas  soupconner  Timportance  ou  dont 
ils  font  une  maladie  a  part,  quand  ils  sont  forces  de  les  constater 
ainsi  qu'il  arrive  dans  la  n^vrose  cerebro-cardiaque  de  Krisha- 
ber.  lis  confondent  les  deux  premiers  groupes,  mais  ils  accordent 

I.  Krafilt-EbiDg,  Traiti  de  psychiatrie,  trad.  Laurent,  1897,  P-  ^^^' 


DISCUSSION  DES  THEORIES  INTELLECTUELLES  451 

^videmmeot  plus  d'importance  au  premier  et  en  somme  les  theo- 
ries intellectueiles  semClent  Hre  des  theories  qui,  d'une  mani^re 
il  est  vrai  fort  vague,  admettent  la  priority  de  Tid^e  obs^dante. 
Pouvons-Dous   partager   cette  opinion  ? 

Les  arguments  presentes  par  Westphal  et  par  les  auteurs 
intellectualistes  se  bornent  a  nous  montrer  qu*il  y  a  des  obses- 
sions sans  angoisses  et  sans  troubles  emotionnels  prealables.  La 
remarque  est  tres  juste,  mais  elle  se  borne  a  contredire  les  theo- 
ries emotionnelles,  elle  ne  donne  pas  de  preuve  directe  de  la 
priority  de  Tid^e  obs^dante.  D'autre  part  on  pent  objecter  bien 
des  arguments  contre  cette  priority. 

L*observation  clinique  permet  d^ja  de  faire  des  reserves  :  ces 
idees  obsedantes,  nettes,  d^terminees  donnees  par  le  malade 
comme  une  interpretation  de  son  mal  ne  sont  pas  aussi  communes 
qu'on  le  croit.  Si  on  veut  bien  ne  pas  isoler  arbitrairement  les 
malades  qui  ont  des  v^ritables  obsessions,  si  Ton  r^unit  en  un 
ensemble,  comme  j'ai  essaye  de  le  faire,  tons  ceux  qui  par  la 
grande  majority  des  sympt6mes  psychologiques  et  par  revo- 
lution de  leur  maladie  sont  reellement  du  meme  genre,  on  verra 
que  beaucoup  de  ces  sujets  ont  simplement  des  tics,  des  agi- 
tations mentales,  des  angoisses,  des  sentiments  varies  d*in- 
completude  et  n'ont  pas  dHdees  obsedantes  proprement  dites. 
Dob...  a  des  grandes  angoisses  qui  se  produisent  dans  des  cir- 
constances  particulieres,  ce  qui  fait  qu^on  pent  les  nommer  des 
agoraphobics,  des  peurs  de  Tespace  ;  maisc'est  nous  qui  donnons 
ce  nom  et  cette  explication.  La  malade  repete  toujours  qu'elle  n'a 
aucune  idee  absurde  a  propos  des  grandes  places  ou  des  rues,  elle 
se  defend  d'avoir  des  idees  de  honte  ou  de  pudeur  exageree,  elle 
ditqu^une  crise  la  prend  dans  la  rue  sans  qu'elle  sache  pourquoi  \ 
En  somme  elle  a  des  crises  d^angoisse  physiologique  et  n'a  pas 
d'idee  obsedante  anterieure  a  ces  crises.  Mw...  est  tourmenteepar 
la  manie  des  serments,  c'est  deja  plus  intellectuel,  mais  il  n'y  a 
pas  la  d'idee  determinee,  elle  ne  fait  pas  ces  serments  par  prin- 
cipe  en  vertu  d'une  theorie  de  la  vie  qu*elle  se  soit  faite.  Elle  ne 
salt  pas  pourquoi  elle  les  fait,  elle  ne  les  rattache  a  rien,  c'est  une 
habitude,  un  tic  de  Tesprit,  ce  n^est  pas  une  idee  ayant  un  objet 
determine  et  representant  quelque  chose. 


I.  Mdme  remarque  sur  un  agoraphobe  dans  un  article  de  M.  Van  Eeden,  d'Am- 
ftterdam,  Les  obsessions.  Hevue  de  rhypnotisme,  189a,  p.  5. 


452  THtoRIES  PATHOOeNIQUES 

Cependant  ces  memes  malades  peuvent  avoir  des  idees  obse- 
denies,  mais  ils  les  auront  plus  tard,  car  on  voit  dans  revolution 
de  beaucoup  de  sujets  que  des  obsessions  viennent  apres  cette 
p^riode.  Claire  a  eu  toutes  ses  idees  de  honte,  d'auto-accusation, 
quatre  ou  cinq  ans  apres  le  debut  de  la  maladie  et  pendant  toute 
cette  premiere  p^riode  elle  avait  simplement  des  sentiments  de 
manque  de  foi,  d*incompletude,  des  manies,  des  tics,  des  agita- 
tions. Gisele  a  eu  des  angoisses  longtemps  avant  d'avoir  ses  re- 
mords  de  vocation.  Sans  doute  il  y  a  des  cas  oil  tout  parait  com- 
mencer  a  la  fois,  ou  il  y  a  en  meme  temps  les  manies  de  propret^, 
les  angoisses  et  Fobsession  du  chien  enrage,  mais  ces  cas  sont 
plutot  rares  et  la  regie  g^nerale  c'est  que  Tidee  est  un  symptome 
terminal. 

A  ces  observations  cliniques  s'ajoutent  des  reflexions  psycholo- 
giques.  Une  id^e  est  un  phenomene  psychologique  complexe  qui 
demande  des  antecedents  en  rapport  avec  ses  caracteres  et  il  ne 
me  semble  pas  facile  de  comprendre  comment  de  semblables 
idees  peuvent  se  former  dans  un  esprit,  comment  elles  peuvent 
prendre  les  caracteres  de  Tobsession  s'il  n*y  a  aucun  trouble 
psychologique  anterieur. 

On  pourrait  penser  a  la  formation  de  certaines  idees  fixes  par 
un  mecanisme  analogue  a  celui  de  la  suggestion  hypnotique  '. 
Mais  en  premier  lieu  la  suggestion  hypnotique  suppose  des 
troubles  prealables  et,  ce  qui  est  ici  particulierement  grave,  la 
suggestion  hypnotique  n'existe  pas  chez  les  scrupuleux.  C'est  la 
un  point  sur  lequel  j'ai  beaucoup  insiste  et  que  je  considere 
comme  important.  Les  scrupuleux  ne  se  comportent  pas  du  tout 
comme  les  hysteriques  vis-a-vis  de  la  suggestion,  ils  ne  la  subis- 
sent  que  dans  une  mesure  tres  imparfaite  et  qui  est  tout  a  fait 
insuflSsante  pour  engendrer  une  idee  fixe.  C'est  done  a  tort  que 
beaucoup  d'auteurs  font  appel  a  cette  analogic  pour  expliquer 
la  formation  des  obsessions.  II  reste  que  Tobsession  serait  tout 
a  fait  inexplicable  si  on  la  considerait  comme  primitive. 

Ces  raisons  que  je  viens  de  resumer  et  d'autres  du  meme 
genre  ont  diminue  la  confiance  dans  les  theories  dites  intellec- 
tuelles  qui  aujourd'hui  ont  certainement  peu  de  partisans. 


I.  Arie  de  Jong  (de  La  Haye).  Congres  de  medecing  de  Moscou,  aoi^t  1897. 


EXPOSfi  DES  THEORIES  fiMOTlONNELLES  iy3 


3.  —  Expo86  dea  tbioriea  6motionnelles. 

Des  Torigine  de  ces  Etudes,  une  autre  interpretation  s^estoppo- 
see  aux  interpretations  intellectuelles  que  nous  venons  de  resu- 
mer.  L^une  des'  premieres  descriptions  des  obsessions  a  et6  don- 
nee  par  Morel  en  1866  sous  le  nom  de  delire  emotify  eequi  indique 
bien  le  point  de  vue  auquel  cet  auteur  se  pla^ait.  Quand  West- 
phal  soutint  a  la  Society  m^dico-psychologique  de  Berlin  la  these 
intellectuelle  en  1877,  il  fut  vivement  conibattu  par  Jastrowicz 
et  par  Sander*.  Berger,  de  Breslau,  fut  plus  adirmatif  encore 
puisqu'il  rangeait  sans  hesitation  les  obsessions  parmi  les  n^- 
vroses  emotionnelles  \ 

Cette  conception  de  la  nature  Emotive  des  obsessions  qui  etait 
en  sommc  celle  de  Morel  est  reprise  parLegrand  du  Saulle  :  a  Le 
delire  emotif,  ditil,  n'est  que  la  resultante  de  toutes  les  iinpres- 
sionnabi4ites  anxieuses  possibles,  tandis  que  la  peur  des  espaces 
se  limite  a  une  angoisse  penible,  terrifiante  en  face  du  vide  ou 
dans  des  conditions  absolument  speciales*.  »  Legrand  du  Saulle, 
comme  on  va  le  faire  plus  tard,  distingue  d6ja  tres  bien  les  emo- 
tions diffuses  et  les  Amotions  systematis^es.  Cette  doctrine  va  se 
retrouver  sans  grandes  modifications  chez  Brosius,  Wiile,  1881, 
Wernicke,  Krafft-Ebing.  Les  m^mes  idees  semblent  se  preciser 
un  peu  avec  Friedenreich,  1887*,  Hans  Kaan,  Schuele;  ces  au- 
teurs  examinent  de  preference  un  phenomene  special,  la  crise 
d'angoisse,  ils  considerent  cette  crise  d'angoisse  comme  le  symp- 
tome  principal  de  Tetat  psychasthenique  et  comme  le  point  de 
depart  de  Pobsession.  M.  Fere,  1892*^,  admet  que  les  idees  fixes 
ont  leur  origine  dans  Temotivite  morbide,  pour  M.  Dallemagne^ 
remotion  est  toujours  le  fait  primitif,  etM.  Seglas  dit  de  memeque 
Tobsession  repose  toujours  sur  un  fondd'emotivite  pathologique^. 


1.  Arrhiv.  fur  Psych,,  VIII,  1878,  p.  78^,  760. 

2.  Berger,  Archio.  fur  Psych.,  VI,  1876,  p.  217  ;  VII.  1878,  p.  616. 

3.  Legrand  du  SauUe,  Agoraphobic,  p.  46- 

4.  Friedenreich,  Xeuroloffisch.  Centralblatt,  1887. 

5.  Gh.  Fcr^,  Pathologic  des  emotions,  1892,  p.  453  (Paris,  F.  Alcan). 

6.  Dalleniagne,  Degeneres  et  desegnilibres,  iSgS,  p.  673. 

7.  Seglas,  Legons  cliniqnes,  1895,  p.  81. 


45i  THfiORIES  PATHOGfiMQUES 

M.  Ballet  ajoute  un  mot  de  plus  qui  me  parait  avoir  une  cer- 
taine  importance  :  ii  place  les  obsessions  parmi  les  anomalies  de 
r^motivite  et  de  la  volont^  chez  les  d^g^n^res  ^  Je  ne  parle  pas 
pour  le  moment  du  mot  n  degen6r^s  »  dont  a  mon  avis  on  a 
singulicrement  abuse  dans  cette  question;  je  remarque  seulement 
que  M.  Ballet  ne  se  borne  pas  comme  les  auteurs  precedents  a 
parler  de  Temotion  mais  quHl  indique  au  moins  comme  probleme 
les  troubles  de  la  volont^. 

M.  Freud,  de  Vienne,  precise  d'abord  la  notion  de  Tangoisse, 
il  en  decrit  avec  precision  une  dizaine  de  formes  caracterisees  par 
certains  ph^nomenes  physiologiques  predominants,  il  nous  sufGt 
de  rappeler  les  titres  de  ces  varietes,  car  il  est  facile  de  voir  que 
plusieurs  d^entre  elles  ont  ^te  decrites  quand  nous  avons  examine 
les  ph^nomenes  physiologiques  de  Tattaqued'angoisse:  i^Attaque 
cardiaque  (pseudo-angine  de  poitrine).  2®  Attaque  respiratoirc 
(dyspnce  nerveuse,  faux  asthrae).  3^  Attaque  de  sueurs  profuses, 
souvent  nocturnes.  4"  Attaque  de  secousses  et  de  tremblements 
(non  hyst^riques).  5°  Attaque  de  boulimie  (ce  dernier  phcnomene 
a  et6  decrit  par  nous  a  propos  des  troubles  psychologiques  :  chez 
les  malades  qui  ont  pr^sent^  de  la  boulimie,  celle-ci  etait  en 
rapport  avec  des  sentiments  de  faiblesse,  de  fatigue,  d*aboulie 
tout  a  fait  caracteristiques).  6^  Attaque  de  diarrh^e  ou  de  polyurie. 
7®  Attaques  vaso-motrices.  8°  Attaques  de  paresth^sies.  9°  Atta- 
ques  de  frayeurs  nocturnes  avec  reveils  angoissants.  10^  Attaques 
de  vertiges*.  Par  cette  description  precise,  Freud  et  Hecker  ont 
mis  au  premier  rang  le  phenomene  de  Tangoisse,  ils  en  ont  fait 
une  maladie  distincte  sous  le  nom  de  n^vrose  d'angoisse  (Angst- 
neurose).  Mais  M.  Freud  a  et6  plus  loin  et  a  voulu  donner  une 
explication  a  mon  avis  tr^s  hypoth^tique  de  ces  angoisses  en  les 
rattachant  toujours  a  des  troubles  de  la  sensibility  et  des  fonc- 
tions  sexuelles  ;  nous  aurons  a  revenir  sur  ce  point  en  ^tudiant 
revolution  de  la  maladie. 

Ces  divers  travaux  sur  le  role  de  Tcmotivite  morbide  dans  le 
mecanisme  des  obsessions  sont  resumes,  coordonn6s  et  completes 
dans  le  travail  de  MM.  Pitres  et  Regis,  qui  a  ete  presente  au 
Congres   de    medecine  de  Moscou  en   1897  comme   rapport  sur 

I.  Ballet,  DSginerescence  mentale,  in  Traiti  de  medecine  de  Charcot,  Bouchard, 
1894. 

a.  Freud,  Neurologisch.  Cenlralbl.,  Janvier  iSgS.  Heckor,  AUq.  Zeitsehr.  f. 
Psych.,  LII,  fasc.  6,  p.  1167.  Freud,  Hevue  neurologique,  3o  Janvier  iSgS. 


EXPOSfi  DES  THEORIES  fiMOTIONNELLES  '   455 

r^tat  actuel  du  probleme  interessant  de  Tobsession  \  Ce  rapport 
constitue  aujourd'hui  la  meilleure  expression  de  i'ancienne  these 
de  Morel  sur  Torigine  ^motionnelle  des  obsessions. 

Voyons  done  comment  ces  auteurs  interpr^tent  ce  probleme. 
Apres  quelques  reflexions  gen^rales  sur  la  priorite  de  la  vie  affec- 
tive par  rapport  a  la  vie  intellectuelle  emprunt^es  a  Schopen- 
hauer et  a  M.  Ribot,  les  auteurs  admettent  comme  un  fait  de- 
montre  la  th^orie  de  F^motion  de  Lange  et  de  James,  «  T^mo- 
tion,  disent-ils,  n'est  que  la  conscience  des  variations  neuro-vas- 
culaires')).  Ainsi  entendue,  I'^motivil^,  c'est-a-dire  Faptitude  a 
produire  et  a  ressentir  les  variations  physiologiques  diverses 
et  surtout  les  variations  neuro-vasculaires  est  variable  suivant 
les  individus,  «  il  y  en  a  qui  sont  dou^s  a  cet  ^gard  d'une 
susceptibility  particulicre,  ce  sont  les  emotifs  »,  cette  ^motivit^ 
devient  excessive,  suivant  les  remarques  de  M.  F6re  quand  ces 
phenomenes  physiologiques  d^passent  Tintensite  normale,  se 
prolongent  outre  mesure,  se  produlsent  sans  cause  determinante 
suffisante.  Dans  un  premier  groupe  de  cas  cette  6motivit6  est 
diffuse  et  produit  une  sorte  de  panophobie,  a  les  sujets  sont  dans 
un  etat  permanent  de  tension  Emotive  qui  eclate  brusquement 
par  paroxysmes  comme  une  d^charge  de  fluide  emotionnel.  Une 
id^e,  une  Amotion,  une  sensation  quelconque  suffisent,  le  moment 
venu,  pour  provoquer  la  d^charge  qui  pent  m^me  se  produire 
dans  le  sommeil  sous  la  forme  de  chocs  anxieux  (emotional  dis- 
charges de  Weir  Mitchell)  de  r^veils  brusques  avec  angoisses 
respiratoires  (r^veils  angoissants  de  Mac  Farlane)  ^  ».  Ces  ma- 
lades  vivent  dans  un  ^tat  d'appr^hension  continuelle,  ils  ont  peur 
d'avoir  peur,  c'est  Tattente  anxieuse  de  Freud ;  «  il  semble  qu*il 
y  ait  toujours  de  Tangoisse  a  T^tat  libre  toujours  prete  a  se  mani- 
fester,  la  forme  pouvant  varier  suivant  les  circonstances'  ». 

Dans  un  second  groupe  de  cas,  cette  emotivity  vague  et  diffuse 
se  precise,  se  systematise  :  Tattaque  d'angoisse  se  produit  dans 
des  circonstances  d^terminees.  Tantot  il  s*agit  de  phobies  cons- 
titutionnelles  en  quelque  sorte  h^reditaires  :  certaines  personnes 
ont  des  peurs  anxieuses  a  propos  du  velours,  de  certains  fruits,  du 

I.  Pitres  et  R^gis,  SSmiiologie  des  obsessions,  XII«  Congr&s  de  m^decine.  Moscou, 
1897. 
a.  Pitres  et  R6gis,  op.  eii.,  16. 
3.  Id.,  ibid,,  p.  17. 


456  THEORIES  PATHOGtXlQUES 

sang,  du  feu,  de  Teau,  des  hauteurs,  des  orages,  d*un  animal,  etc., 
etc.  ^  Dans  d'autres  cas,  il  s*agit  de  phobies  acquises,  «  traumati- 
ques  »  (Freud).  Entre  trente  et  cinquante  ans  ces  malades  qui 
avaient  jusque-Ia  une  ^motivite  diffuse,  apres  une  periode  d^aflfai- 
blissement  ou  de  fatigues,  subissent  un  choc  moral,  «  c'est  tres 
souvent  la  mort  d*un  parent  ou  d'un  ami,  un  accident  grave,  une 
chute  de  voiture,  de  chemin  d^  fer,  la  morsure  d'un  animal,  le 
contact  fortuit  d'un  malade  atteint  d*une  maladie  contagieuse,  une 
fausse  couche,  une  attaque,  une  syncope,  un  fort  vertige,  la  vue 
ou  le  recit  d'un  ^v^nement  emouvant,  d'un  sinistre,  d*un  assassi- 
nat,  d*une  epidemic,  en  un  mot  tout  ce  qui  pent  produire  un 
^branlement  ^^motif  considerable...  »  a  partir  de  ce  moment  appa- 
rait  une  phobie  en  rapport  avec  la  cause  originelle.  M.  Ribot  a 
trfes  nettement  decrit  cette  transformation  :  «  La  crainte  maladive 
pent  etre  le  resultat  de  la  transformation  occasion nelle  d*un  etat 
vague  indetermin^  en  une  forme  precise.  La  panophobie  serait  un 
stade  pr^paratolre,  une  periode  d'indifferenciation.  Le  hasard, 
un  choc  brusque,  lui  donne  une  orientation  et  la  fixe  (peur  d'une 
^pid^mie,  des  microbes,  de  la  rage,  etc.).  C'est  le  passage  de 
r^tat  aflfectif  diiTus  a  T^tat  intellectualise,  c'est-a-dire  concentre 
et  incarn^  dans  une  idee  fixe  :  travail  analogue  a  celui  du  delire 
de  persecution,  oil  la  suspicion,  d^abord  vague,  s'attache  a  un 
homme  et  ne  le  lache  plus^.  » 

Rnfin,  nous  arrivons  au  troisieme  degre  de  la  maladie,  Tetat 
obsedant  devient  intellectuel  et  il  est  accompagn^  d*une  id^e 
anxieuse,  il  est  monoideique.  Pour  MM.  Pitres  et  Regis,  Tobses- 
sion  n'est  souvent  que  la  forme  aggravee  ou  intellectualisee  de  la 
phobie  :  «  entre  la  phobie  systematisee  et  Fobsession,  il  n*y  a  pas, 
a  notre  avis,  si  loin  qu'on  le  croit  g^neralement...  que  faut-il,  en 
eifet,  pour  que  la  phobie  systematisee  tourne  a  Tobsession  ?  Il 
faut  simplement  que  cette  phobie,  au  lieu  de  se  manifester  par 
des  crises  d'angoisses  intermittentes,  avec  calme  complet  dans 
rintervalle,  preoccupe  plus  ou  moins,  dans  Tinterparoxysme,  Tes- 
prit  du  sujet,  ce  qui  arrive  dans  la  majorite  des  cas.  Et  c'est 
ainsi,  que  par  une  pente  toute  naturelle,  la  monophobie  tend  peu 
a  peu  vers  ie  monoideisme  et  qu*on  a  si  souvent  affaire  dans  la 
pratique  non  a  des  phobies  syst^matisdes  pures,  mais  a  des  cas 


1.  Cf.  Gelineau,  Los  pscudo- phobies.  Hevue  de  rhYpnotisme ,  189^,  p.  353. 

2.  Th.  Ribot,  La  psychologic  des  sentiments,  1896.  p.  a i4  (Paris,  F.  Alcan). 


EXPOSfi  DES  THEORIES  fiMOTIONNELLES  457 

intermediaires  ou  de  transition  entre  la  phobie  ou  Tobsession... 
L'obsession  n'est  done  souvent  qu'une  phobie  ayant  perdu  son 
caract^re  de  simple  trouble  ^motifpour  prendre  par  le  fait  m^me 
de  son  evolution,  celui  de  trouble  a  la  fois  ^motifet  inteliectuel... 
On  retrouve  toujours  a  un  degr^  queiconque  les  symptomes  carac- 
teristiques  de  Tangoisse.  Ce  qu'on  peut  seulement  remarquer  au 
moins  en  th^se  gen^rale,  c*est  que  plus  Tobsession  tend  a  s*intel- 
lectualiser,  plus  son  substratum  ^motif  s'attcnue  \  » 

Ce  qui  prouve  bien  la  priority  et  la  preponderance  de  Temotion 
c'est  qu'elle  reste  Telement  constant  et  indispensable.  «  Prenez 
une  obsession  quelconque,  doute  ou  homicide,  suppriraez  par  la 
pensee  Tangoisse,  Tanxiete  qui  s'y  trouve  et  vous  n*aurez  plus 
d'obsession,  enlevez  Tid^e  fixe,  vous  avez  encore  Tobsession  dans 
son  essence,  il  n'y  a  pas  d'obsession  sans  emotion,  sans  ph^no- 
menes  vaso-moteurs-.  »  Quand  les  malades  traversent  plusieurs 
obsessions  successives,  celle  de  la  rage,  de  la  malpropret^,  des 
pieces  de  monnaie,  ce  qui  varie,  c'est  le  phenomene  inteliectuel, 
ce  qui  reste  immuable  et  constant,  c*est  le  phenomene  ^motif  : 
Tanxi^te.  On  voit  souvent  les  obsessions  finir  comme  elles  ont 
commence  par  une  phase  d'angoisse  indetermin^e  apres  la  dispa- 
rition  de  toute  idee  fixe.  Enfin,  on  ne  peut  pas  dire  que  cette 
emotion  n'est  qu'une  reaction  de  Tid^e  car  elle  devrait  alors  etre 
en  raison  directe  de  Tintensite  de  cette  derniere,  c'est  le  con- 
traire  qui  a  lieu,  car  on  voit  T^motion  s^attenuer  quand  le  cote 
inteliectuel  de  Tobsession  grandit  ^. 

Depuis  la  publication  de  ce  rapport,  la  plupart  des  auteurs  qui 
ont  parle  des  obsessions  se  rattachent  visiblement  a  cette  th^orie 
emotionnelle.  Je  rappellerai  seulement  la  communication  presentee 
par  M.  Jose  de  Magalhaes  au  dernier  Congres  de  psychologic^  et 
les  travaux  de  M.  Hartenberg  sur  la  timidite  et  sur  la  n^vrose 
d'angoisse  ^. 

Telle  est  la  derniere  fo»me  qu'a  prise  la  vicille  theorie  de  Morel 

I.  Pitres  et  Regis,  op.  cit.,  p.  Sa. 
a.  Id.,  ibid.,  p.  ii. 

3.  Id.,  ibid.,  p.  la. 

4.  Jose  de  Magalhaes,  Note  sur  la  psychopathie  des  id^es  fixes.  Comptes  rendus 
du  congres  de  Psychologic  de  1900.  1901,  p.  594- 

5.  Hartenberg,  Bevue  de  Psychologic,  1897,  p.  18.  La  timidite,  1900.  La  nh)rose 
d'angoisse,  1900.  Conception  psychologiquc  sur  la  ncvrose  d'angoisse.  Congrhs  de 
Psychologic,  1901,  p.  5 18. 


458  THfiORIES  PATHOGfiNIQUES 

siir  Torigine  ^motionnelle  des  ^tats  obs^dants.  Tout  le  monde 
doit  6tre  frapp^  du  progres  que  cette  th^orie  presente  sur  la 
pr^cedente  surtout  dans  la  derniere  forme  qui  lui  a  ^te  donn6e  ; 
plusieurs  points  de  cette  conception  me  sembient  tout  a  fait 
satisfaisants  et  pouvent  ^tre  consideres  comme  acquis  dans  la 
solution  de  ce  problerae  si  d^licat. 

D'abord  la  methode  est  juste,  c'est  la  vieille  methode  de  Des- 
cartes qui  explique  le  complexe  par  le  simple.  Au  lieu  de  consi- 
d^rer  comme  donn^  et  comme  primitif  Tetat  le  plus  complexe, 
ridee  obsedante,  MM.  Pitres  et  R^gis  veulent  partir  de  ph^no- 
menes  beaucoup  plus  simples,  T^motivite  et  Tetat  d^^motion  dif- 
fuse. En  outre,  la  gen.ese  des  troubles  les  plus  complexes  me 
semble  bien  comprise,  elle  se  rattache  a  un  travail  de  syst^ma- 
tisation,  de  precision  de  plus  en  plus  grande  appliqu^  a  des 
troubles  qui  sont  d'abord  diflus  et  vagues ;  on  passe  ainsi  de 
Tangoisse  diffuse  a  Tangoisse  svst^matique  puis  a  Tobsession 
intellectuelle.  Enfin,  MM.  Pitres  et  R^gis  choisissent  comme 
point  de  depart  un  trouble  qui  est  evidemment  tres  important, 
I'angoisse  physiologiquc  :  il  est  Evident  que  ce  ph^nom^ne  joue 
un  rAle  considerable  dans  la  crise  de  processus  irresistible  de 
meme  que  T^motivite  est  bien  un  caractere  important  des  symp- 
tomes  psychasth^niques.  Je  crois  done  que  cette  theorie  cons- 
titue  un  grand  progres  et  si  j'essaye  d'aller  plus  loin  c'est  parce 
qu'il  me  semble  necessaire  d*appliquer  avec  plus  de  rigueur  en- 
core la  methode  expos^e  par  ces  auteurs  et  de  remonter  un  peu 
plus  loin  jusqu'a  des  ph^nomcnes  encore  plus  simples  et  plus  ge- 
neraux  dans  la  maladie  que  Tangoisse  elle-meme. 


4.  —  Discussion  des  tbiories  imotionnelles. 

La  theorie  emotionnelle  de  Morel  renouvel^e  par  MM.  Pitres 
et  R^gis  avait  ete  presentee  au  XII"  Congres  de  medecine ;  au 
Congres  suivant  reuni  a  Paris,  en  1900,  elle  fut  deja  contredite. 
M.  Lad.  Haskovec  (de  Prague),  en  rapportant  quelques  observa- 
tions int^ressantes  sur  lesquelles  nous  reviendrons  essaya  de  mon- 
trer  qu*elle  presentait  des  lacunesV 

1.  Lad.  Haskovec  de  Prague,  Contribution  k  la  connaissance  des idees  obs^dantes. 


DISCUSSION  DES  THEORIES  CMOTIONNELLES  4o9 

MM.  Piires  el  Regis  remarquaient  que  les  id6es  obsedantes 
peuvent  changer  mais  que  Tetat  ^motif  accompagnant  reste  beau- 
coup  plus  stable,  cela  prouve  simplement,  repond  M.  Haskovec, 
que  le  domaine  de  rintelligence  est  plus  riche  et  plus  varie  que 
celui  de  r^motivite,  mais  cela  ne  nous  inontre  pas  laquelle  des 
deux  joue  le  role  essentiel  dans  le  phenomene  pathologique.  Ces 
auteurs  disent  encore  que  Temotion  ne  peut  etre  secondaire, 
qu*elle  ne  peut  etre  consid^ree  comme  une  simple  reaction  deter- 
minee  par  Tid^e,  parce  que,  s^il  en  etait  ainsi,  Temotion  devrait 
toujours  etre  en  raison  de  Fintensit^  de  Tid^e,  ce  que  Ton  n'ob- 
serve  pas.  La  conclusion  est  precipitee,  le  degre  d*emotivite  n'est 
pas  le  m^me  chez  tons  les  individus,  Temotion  depend  de  bien 
d*autres  raisons  qui  peuvent  Temp^cher  de  correspondre  exacte- 
ment  a  Tintensite  de  Tidee  (ixe  quoique  elle  vienne  a  sa  suite. 

Enfin,  ce  qui  est  plus  grave,  MM.  Pitres  et  Regis  ont  tort  de 
tout  ramener  a  Temotion  et  surtout  a  une  seule  et  unique  Amotion, 
a  cette  angoisse  speciale  qu*on  observe  souvent  il  est  vrai  chez 
quelques-uns  de  ces  malades.  D'abord  ce  n'est  pas  toujours  cette 
Emotion-la  qui  fait  le  fond  de  Tobsession,  M.  Haskovec  rapporte 
Tobservation  int^ressante  d'un  dtudiant  obsed6  par  des  idees 
gaies  accompagnees  d'un  sentiment  de  joie.  Je  dois  avouer  que 
cette  observation  me  laisse  des  doutes :  s'agit-il  bien  d'un  malade 
du  meme  genre,  c'est  chez  les  hysteriques  par  le  m^canisme  de  la 
suggestion  plutot  que  chez  les  psychastheniques  que  Ton  observe  ces 
joies  obsedantes,  j'en  ai  rapporte  un  exemple  avec  M.  Raymond* ; 
peut-etre  aussi  s'agit-il  de  ces  sentiments  d'ElEvation  sublime,  de 
ces  enthousiasmes  que  presentent,  comme  nous  Tavons  vu,  les 
sujets  psychastheniques,  mais  qui  ne  sont  pas  de  la  meme  nature 
que  les  obsessions  et  les  angoisses. 

Ce  qui  est  plus  important  a  considerer  ce  sont  les  malades  qui 
tout  en  etant  des  obs(^des  ne  presentent  pas  de  troubles  6mo- 
tionnels.  11  y  a  bien  des  das  de  ce  genre  cites  par  Westphal, 
Meschede,  Griesinger  et  M.  Haskovec  y  ajoute  d'autres  exemples 
oil  les  lesions  intellectueiles  semblent  tout  a  fait  primaires. 
«  MM.  Pitres  et  Regis  vont  trop  loin  quand  ils  disent  :  sup- 
primez  par  la  pensee,  Tangoisse,  Tanxi^te  qui  s'y  trouve  et  vous 


XlII*^  Congres  internat.  de  mid.  d  Paris  en  1900.  Compies  rendus  de  la  section  de 
Psjchiairie,  p.  I3i. 

I.  Raymond  el  P.  Janet,  Nivroses  et  Idies  fixes,  II,  p.  353. 


460  TUfiORIES  PATHOGfiNlQUES 

n*aurez  plus  d^obsession.  Bien  des  malades  sont  obsed^s  jusqu'a 
ne  plus  pouvoir  rien  faire  et  lis  ne  restent  que  trop  indiff(§rents  a 
leur  obsession.  » 

D'autres  auteurs  out  aussi  presents  des  critiques  contre  cette 
restauration  un  peu  simpliste  desanciennes  theories  e motion nelies. 
MM.  Vaschide  ct  Marchand,  dans  une  ^tude  exp^rlmentale  sur  un 
cas  d'ereutophobie,  ont  bien  constate  un  certain  nombre  de  modi- 
fications viscerates  en  rapport  avec  Tangoisse.  Ces  modifications 
sont,  il  Taut  en  convenir,  assez  vagueset  assez  banaies,  comme  nous 
avons  essaye  de  le  montrer  en  etudiant  les  symptomes  de  i*an- 
goisse.  Les  auteurs  font  justement  observer  que  ces  modifications 
sont  bien  loin  de  prec^der  et  de  determiner  les  troubles  mentaux. 
Le  sujet  accuse  d^abord  la  conscience  du  trouble  intellectuel  et 
du  sentiment  phychologique,  la  r^apparition  de  son  obsession 
et  de  sa  phobic,  puis  un  certain  temps  apres  les  graphiques 
accusent  quelques  modifications  circulatoircs  et  respiratoires. 
Aussi  MM.  Vaschide  et  Marchand  concluent-ils  ainsi  :  «  L'id^a- 
tion  du  sujet  provoque  une  association  qui,  a  son  tour,  suggere 
une  emotion  d'attente,  d*anxiete  et  d'angoisse  et  les  ph6nomenes 
neuro-vasculaires  ne  sont  nuUement  la  source  de  ces  changements 
intellectuels  ou  emotifs...,  il  faut  encore  ajouter  que  Tobsession 
de  la  peur  de  rougir  est  bien  loin  d'etre  li^e  avec  une  coloration 
speciale  du  visage,  le  ph6nomene  qui  predomine  est  bien  un 
element  purement  emotionnel,  un  etat  pour  ainsi  dire  intel- 
lectuel*... » 

Dans  une  etude  sur  le  meme  phenomcne  de  Tereutophobie, 
M.  Claparede  (de  Geneve)  reproduit  les  objections  de  MM.  Vaschide 
et  Marchand.  II  insiste  sur  une  remarque  deja  faite  parM.  R^gnier 
que  la  rongeur  du  visage  ne  produit  pas  d'angoisse  si  Tintelligence 
du  malade  «  n'est  pas  suffisamment  d^veloppee  pour  avoir  souci 
de  Topinion  d*autrui  et  de  ses  remarques  a  cet  egard'  ».  Aprfes 
avoir  remarque  que  suivant  Ics  cas  le  trouble  vasculaire  pent  pre- 
ceder  quelquefois  depuis  longtemps  ou  suivre  le  trouble  moral, 
il  ajoute  :  «  Ce  n'est  pas  la  rongeur  comme  telle  qui  provoque  cette 
honte,  mais  c'est  la  rongeur  en  tant  qu'elle  est  une  infirmite,  en 
tant  qu'elle  attire  Tattcntion  du  public  sur  celui  qui  y  est  sujet  » 


I.  Vaschide  et  Marchand,   Un  cas  d*ercutophobie.  Revue  de  Psychiatrie,  }ui\\ei 
1900. 

a.  R^gnier,  De  I'erentophobie.  These  de  Bordeaux,  1896,  p.  53. 


DISCUSSION  DES  THEORIES  fiMOTIONNELLES  461 

et  il  se  montre  dispose  a  rattacher,  comme  je  l*avais  propos6 
dans  mon  etude  publi6e  par  la  Re^fue  philosophiquey  T^reutophobie 
aux  maladies   des  scrupules,  a   la  honte   de  soi-meme^ 

Enfin,  dans  une  ^tude  presentee  au  congr^s  des  alienistes  et 
neurologistes  de  Limoges  en  igoi,  M.  Arnaud  a  de  nouveau  discut^ 
rinterpretation  ^motionnelle  des  obsessions  et  surtout  la  th^orie 
p^riph^rique  qui  les  rattache  exclusivement  a  des  modifications  vis- 
c6rales  et  vaso-motrices  essentiellement  p^riph^riques.  «  i°  Cette 
th6orie,  dit-il,  attache  a  Texpression  Emotive  et  aux  modifications 
p^riph^riques  une  importance  vraiment  excessive.  L'expression 
Emotive  est  loin  d'etre  toujours  adequate  a  Ti^motion  ressentie  dans 
la  conscience,  il  y  a  dans  Temotion  totale  une  part  considerable 
a  faire  aux  id^es,  a  la  brusque  perception  du  trouble  de  notre 
existence,  ce  que  Ton  appelle  affectivit^  n'a  pas  d'cxistence  dis- 
tincte  mais  fait  partie  int^grante  de  T^tat  psychique.  2"  Cette 
th^orie  n'explique  qu'une  partie  de  la  maladic  des  obsessions, 
I'acc^s  emotif.  Get  acces  emotif  est  un  incident  important  sans 
doute,  mais  passager.  L'^tat  obsedant  qui  persiste  en  dehors 
des  crises  ne  pent  etre  explique  par  Temotion,  phenomene  brus- 
que et  passager.  L'anxiete  des  obs^d^s  est  surtout  c^r^brale, 
intellectuelle,  il  y  a  un  grand  nombre  d'obsessions  intellectuelles 
dans  lesquelles  ne  se  retrouve  pas  Tinfluence  d'une  tendance  orga- 
nique  ni  d'un  trouble  vaso-moteur^  » 

Ces  critiques  m'ont  int^ress^.  En  cfTet  quoique  dispose,  comme 
je  Tai  dit,  a  admettre  dans  ses  grandes  ligiies  Tinterpr^tation 
pr^sent^e  au  congres  de  Moscou,  j'avais  fait  depuis  longtemps 
en  observant  les  malades  des  reflexions  analogues.  La  theorie 
^motionnelle  qui  consiste  a  expliquer  et  a  d^finir  Tobsession 
par  Tangoisse  et  par  T^motion  me  semble,  malgr^  les  services 
qu'elle  a  rendus,  devoir  ^tre  provisoire :  elle  me  semble  trop  vague, 
trop  gen^rale  et  en  meme  temps  trop  restreinte. 

Cette  theorie  est  n^cessairement  tres  vague,  non  par  la  faute  de 
ses  autcurs,  mais  a  cause  des  ignorances  de  la  psychologic  sur 
la  nature  des  Amotions.  Est-il  un  concept  plus  vague  que  celui  de 
r^motion  en  gdn^ral  et  que  celui  de  Temotivit^  ?Les  Emotions-chocs 

1.  Clapar^de  (Geneve),  L*obsession  de  la  rougeur.  Archives  de  Psychologie  de  la 
Suisse  romande,  avril  190a,  p.  323. 

2.  F.-L.  Arnaud  (de  Vanves),  Sur  la  theorie  de  Tobsession.  Archives  de  neuro- 
logies 1902,  I,  p.  257. 


462  THlfiORIES  PATHOGfiNIQUES 

etles  Emotions-sentiments  ne  sont  pas  du  tout  de  la  meme  nature, 
veut-on  rattacher  Tobsession  a  des  Emotions  analogues  a  la  sur- 
prise, a  la  colere  ou  a  des  Emotions  analogues  a  Tamour,  a  la 
honte  :  ce  seront  en  rEalitE  des  theories  absolument  difTerentes. 
II  est  bien  Evident  que  si  on  persiste  a  prendre  le  mot «  Emotion  » 
dans  un  sens  absolument  vague,  si  on  dEsigne  par  ce  mot  tous  les 
troubles  imaginablesdes  sentiments,  de  la  volontE,  de  la  conscience 
personnelle,  aucune  discussion  n'est  possible  et  du  moment  que 
Ton  n'admet  pas  une  thEorie  purement  intellectuelle  on  se  rat- 
tache  forcEment  a  ces  thEories  Emotionnelles.  Mais  cela  revient  a 
peu  prEs  a  supprimer  toute  explication. 

Tres  justement  MM.  Pitres  et  REgis  ont  voulu  prEciser  la  con- 
ception de  TEmotion  en  rappelant  la  theorie  cElebre  et  deja 
ancienne  de  Lange  et  de  James  et  en  adirmant  tres  brievement  que 
((  TEmotion  est  la  conscience  des  variations  nearo-vasculaires'  ». 
Ajoutons  pour  etre  plus  complet  le  r6le  des  modifications  cardia- 
ques,  respiratoires,  digestives  et  nous  dirons  que  TEmotion  est  alors 
comprise  comme  la  conscience  de  certaines  modifications  viscErales 
qui  accompagnent  quelquefois  les  phEnomenes  de  conscience. 

Sans  doute  il  serait  facile  de  discuter  la  thEorie  de  TEmotion 
donnEe  par  Lange  et  James  et  de  dEmontrer  qu'il  y  a  dans  TEmotion 
vEritable  quelque  chose  de  spccial,*de  psychologique,  au  moins  de 
cErEbral  qui  prEcEde  et  qui  dEtermine  les  rEactions  respiratoires 
et  vasculaires.Mais  pour  I'Etude  prEsente  cette  discussion  gEnErale 
de  la  these  de  James  a  peu  d'importance.  L'angoisse,  TEmotion 
entendue,  si  Ton  veut,  comme  la  conscience  en  retour  de  ces 
rEactions  viscErales  peut-elle  prEcEder,  dEterminer  et  par  con- 
sequent expliquer  tous  les  phEnomenes  observEs  chez  les  psychas- 
thEniques  d'une  facon  sulfisamment  prEcise  pour  caractEriser  cette 
affection  et  la  distinguer  des  autres,  c'est  la  toute  la  question  que 
nous  avons  a  considErer. 

MEme  ainsi  prEcisee  la  thEorie  Emotionnelle  me  parait  rester 
encore  beaucoup  trop  vague  et  ne  pas  caractEriser  le  phEnomene 
qu'elie  se  propose  de  dEfinir.  Si  I'Emotion  ne  consiste  que  dans 
les  palpitations  de  coeur,  les  respirations  irrEgulieres,  les  bouffEes 
de  rongeur,  elle  va  se  retrouver  exactement  la  meme  dans  les 
Emotions  normales  et  dans  les  obsessions  pathologiques.  Un 
homme  en  colere  prEsente  des  palpitations,  de  la  rongeur,  de  la  po- 

I.  Pitros  et  R^gis,  op.  cit.,  p.  9. 


DISCUSSION  DES  TUfiORIES  fiMOTIONNELLES  463 

lypD^e,  un  homme  qui  a  peiir  a  egalement  des  palpitations,  de  Tir- 
regularitt^  respiratoire,  des  troubles  vaso-moteurs;  faut-il  conclure 
que  la  colere  normale,  la  peur  normale  sont  identiques  a  Tangoisse 
d'une  crise  d'obsession  ?  Cette  assimilation  me  parait  absolument 
fausse,  Tangoisse  du  psychasth6nique,  j*ai  essays  de  le  montrer, 
est  un  ^tat  pathologique  tout  special,  ce  serait  une  grosse  erreur 
que  de  la  confondre  avec  une  Amotion  normale.  Les  malades  sont 
les  premiers  a  nous  avertir  «  qu'ils  n'^prouvent  pas  une  peur 
naturelle,  que  leur  angoisse,  toujours  la  meme,  supprime  et  rem- 
place  la  peur  naturelle  ».  Comment  pourra-t-on  dans  cette  inter- 
pretation rendre  compte  de  cette  difference  psychologique  consi- 
derable entre  Temotion  normale  et  Tobsession  ? 

On  ne  peutr^pondre  qu'en  all^guant  une  difference  de  quantity 
dans  ces  ph^nomfenes  visceraux  dont  le  contre-coup  determine 
dans  la  conscience  les  Amotions  et  les  angoisses.  C'est  leur  exag^* 
ration  qui  leur  donne  leur  caract^re  pathologique  et  qui  distingue 
Tobsession  de  la  colere  ou  de  la  peur.  Est-ce  la  une  distinction 
suffisante  ?  N'y  a-t-il  pas  des  grandes  coleres,  des  elans  d'enthou- 
siasme,  des  grandes  terreurs  qui  s'accompagnent  de  grandes 
modifications  viscerales  et  qui  cependant  restent  des  coleres,  des 
enthousiasmes,  des  peurs,  sans  se  transformer  en  phobies  et  en 
obsessions  ? 

Mais  admettons  cependant  que  cela  soit  vrai  et  que  Ton  puisse 
distinguer  Tangoisse  psychasthenique  de  T^motion  normale 
uniquement  par  la  difference  dans  le  degr6  d'intensit^  des  reac- 
tions viscerales.  N'y  at-il  pas  infiniment  d'autres  etats  patholo- 
giques  qui  s*accompagnent  de  grandes  modifications  viscerales  du 
meme  genre  sans  etre  identiques  a  des  crises  d*obsession  ?  Des 
phtisiques,  des  cardiaques  presentent  des  modifications  respira- 
toires  et  circulatoires  du  meme  genre  et  bien  plus  graves  sans  avoir 
aucunement  le  meme  desespoir,  les  memes  obsessions  :  ils  suffo- 
quent,  ils  asphyxient  reellement  et  ils  continuent  a  s'interesser  a 
ce  qu'on  leur  dit,  a  suivre  meme  une  conversation,  ils  disent  bien 
qu'ils  souffrent,  mais  ils  ne  se  lamentent  pas  ainsi,  ils  sont  loin 
d'avoir  le  meme  trouble  mental.  Dans  d'autres  maladies  nerveuses 
on  constate  souvent  des  palpitations,  des  polypnees,  des  troubles 
vaso-moteurs  et  les  malades  restent  calmes :  Ar...,  par  exemple, 
un  homme  hysterique,  a  une  polypnee  de  88  respirations  par 
minute  et  il  attend  tranquillement  sur  sa  chaise  qu'on  Texamine, 
il  dit  en  souriant  qu'il  est  gene  pour  respirer,  mais  il  ne  sent  pas 


464  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

«  sa  volont^  qui  lui  ^chappe  et  son  ame  qui  descend  au  tombeau 
dans  un  noir  d'encre  ».  Voa,  une  femme  hyst^rique  de  28  ans*, 
a  des  troubles  vaso-moteurs  si  considerables  qu*elle  a  de  graves 
cedemes  aux  mains  et  meme  a  la  face  :  cela  est  plus  grave  que  la 
rongeur  superficielle  de  T^reutophobe,  et  cependant  elle  est 
calme  et  n*a  aucunement  Tangoisse  de  celui-ci.  Dans  la  plus 
simple  attaque  d'hysterie,  celle  que  nous  avons  appel^e  la  crise 
^motionnelle  de  Briquet,  on  va  constater  des  respirations  ra- 
pides,  des  palpitations,  des  secousses  du  ventre,  des  rongeurs, 
des  paleurs  plus  considerables  que  dans  la  plupart  des  agorapho- 
bies,et  cependant  une  hysterique  pendant  cette  attaque  ne  pr^sente 
aucunement  I'etat  d'esprit  d'un  agoraphobe  pendant  Tangoisse.  Je 
reviens  alors  a  ma  question :  comment  va-t-on  distinguer  une  crise 
d'obsession  de  Tangoisse  d'un  cardiaque,  de  la  polypnee  on  de  la 
crise  d'une  hysterique,  puisque  le  caractere  considere  corame 
essentiel,  les  reactions  viscerales,  se  trouve  exagere  de  la  m^me 
maniere  dans  tons  ces  syndromes  si  differents  Tun  de  Tautre  ? 

Quel  que  soit  le  probleme  considere,  on  est  toujours  force 
dans  cette  theorie  emotionnelle  de  rester  dans  de  grandes  gene- 
ralites.  Le  passage  de  Temotivite  diffuse  a  la  phobic  systematisee 
qui  est  Ir^s  important  et  qui  est  bien,  comme  on  Ta  dit,  au  moins 
dans  certains  cas,  le  point  de  depart  de  Tobsession  ne  pent  etre 
expli'que  que  par  une  violente  emotion  accidentelle  qui  determine 
de  violentes  reactions  viscerales;  on  nc  peut  tenir  compte  que  de 
la  grandeur  de  Temotion.  Comment  expliquer  alors  tous  les 
details  des  observations?  Certains  malades  resistent  parfaite- 
ment  a  de  violentes  emotions  et  ne  succombent  qu'a  de  petites 
emotions  de  nature  tres  speciale.  D'autres  sujets  curieux  ont 
besoin  de  deux  emotions  consecutives  pour^rriver  a  Tobsession. 
S'il  ne  s'agit  que  de  la  violence  de  Temotion,  les  choses  se  passent 
done  tout  a  fait  comme  chez  Thysterique  qui  a  vu  un  rat  dans  la 
cuisine  et  qui  a  des  crises  dans  lesquelles  elle  court  apres  le  rat  ? 
Comment  expliquer  Tenorme  difference  qu'il  y  a  entre  la  crise  de 
scrupule  et  cette  crise  banale  d'hysterie  ?  Tous  les  deux  cepen- 
dant ont  eu  une  forte  emotion  avec  grande  reaction  viscerale. 
L*alieniste  en  passant  trop  tot  a  la  consideration  exclusive  de  ces 
reactions  viscerales  qui  sont  banaies  et  a  pen  pres  les  memes  dans 
toutes  sortes  de  maladies  me  semblent  avoir  abandonne  trop  tot 

1.  MSvroses  ei  Idees  Jixes,  II,  p.  5o5. 


DISCUSSION  DES  TUtoRIES  fiMOTIONNELLES  465 

son  domalne  et  ne  plus  pouvoir  trouver  les  ph^nomenes  propre- 
ment  c^r^braux  qui  caract^risent  et  distinguent  les  maladies  les 
unes  des  autres. 

Si  celte  th^orie  ^motionnelle  se  montre  ainsi  trop  g^ne- 
rale  et  trop  vague,  par  un  autre  c6t6  elle  me  paratt  beau- 
coup  trop  restreinte  et  jc  crois  qu'elle  laisse  de  c6i&  bien  des 
ph^nomfenes  essentiels  de  la  maladie.  Pour  que  cette  th^orie  soit 
admissible,  il  faudrait  pouvoir  ddmontrer  que  les  reactions  visc^- 
rales  exag^r^es,  consid^rees  comme  essentiellcs,  se  retrouvent 
comme  point  de  depart  dans  tons  les  symptoities  caracterisques 
de  r^tat  psychasthenique  et  les  accompagnent  tons.  En  est-il 
reellement  ainsi  ?  Pour  repondre  a  cette  question  il  suffit  de 
passer  en  revue  les  symptomes  enum^res  dans  les  trois  chapitres 
precedents. 

Si  Ton  considere  les  obsessions  proprement  dites,  il  est  cer- 
tain que  quelques-unes  se  sont  d^velopp^es  a  la  suite  de  ces  agi- 
tations visc6rales  sous  forme  syst^matique  ou  diffuse.  Les  id^es 
obsedantes  de  Jean  sur  les  crimes  g^nitaux  ont  H6  pr^c^d^es 
d'algies  du  gland  qui  etaient  des  ph^nom^nes  d'angoisse  syste- 
matique.  On  pourrait  citer  bien  des  exemples  de  ce  genre,  cela 
est  incontestable.  Mais  en  est-il  ainsi  dans  tons  les  cas  ?  C'est  ce 
qui  me  parait  insoutenable.  Beaucoup  d^obsessions  non  seulement 
sont  actuellement  des  ph^nom^nes  intellectuels,  mais  se  sont  d^- 
velopp^s  a  la  suite  de  troubles  intellectuels  et  eon  a  la  suite  de 
troubles  ^motionnels.  Les  obsessions  metaphysiques  de  Lise  sur 
le  dualisme,  sur  la  puissance  du  diable  opposee  a  celle  de  Dieu, 
sont  la  consequence,  le  d^veloppement  d^agitations  mentales  ant6- 
rieures  et  non  d'agitations  viscerales.  Ce  sont  les  manies  de  la 
recherche,  de  Texpiation,  du  pacte,  d'interminables  ruminations 
mentales  qui  ont  precede  pendant  des  ann^es  les  obsessions 
actuelles  ;  jamais  cette  malade  n'a  ^t^  une  phobique  ou  une 
angoiss^e,  mais  elle  a  toujours  6te  une  r^veuse.  On  pourrait 
citer  bien  des  exemples  de  ce  genre  :  des  obsessions  de  folic  ont 
pris  naissance  a  la  suite  de  manies  mentales  ou  des  sentiments 
d'insuffisance  intellectuelle ;  des  obsessions  amoureuses  se  sont 
d^velopp^es  a  la  suite  des  perturbations  des  sentiments,  du  besoin 
de  direction,  du  besoin  d'etre  aime  et  du  sentiment  de  Taboulie, 
des  obsessions  d'indignit6  et  de  honte  de  soi  ont  et^  le  d6ve- 
loppement  naturel  des  sentiments  d'incompletude  intellectuelle, 

LES    OBSESSIONS.  I.    3o 


4%  THtoRlES  PATIIOG^NIQUES 

des  sentiments  d'^trangete,  des  sentiments  d'ineapacite  et  d'hu- 
milite.  li  me  parait  impossible  de  soutenir  que  tons  les  obsedds 
soient  actuellement  ou  meme  quails  aient  n^cessairement  et^. 
autrefois  des  phobiques  ou  des  angoisses;  beaucoup  d'entre  eux 
ont  d^but^  par  de  tout  autres  symptomes. 

Si  nous  passons  maintenant  a  la  seconde  categorie  de  symp- 
tomes, aux  agitations  Torches,  nous  trouvons  aussi  un  groupe 
pour  lequel  I'importance  des  perturbations  visc^rales  est  consi- 
derable. Un  grand  nombre  d'agitations  forcees  sont  des  agitations 
6motionnelies  sous  forme  de  phobie  ou  d'angoisse.  Meme  a  ce 
propos  il  est  essentiel  de  faire  une  distinction  et  de  ne  pas  con- 
fondre  les  angoisses  mentales  caracteris^cs  par  des  c^plial^es, 
par  le  vide  dans  la  tete,  par  le  sentiment  de  perte  de  la  volonte 
et  de  rintelligence  avec  les  angoisses  visc^ralcs  ;  les  deux  phdno- 
m^nes  ne  sont  pas  du  tout  identiques  et  on  pent  constater  d'enormes 
angoisses  mentales  avec  le  calme  le  plus  absolu  du  cceur  et  de  la 
respiration. 

A  plus  forte  raison  est-il  impossible  de  confondre  avec  les  an- 
goisses viscerales,  les  agitations  motrices  et  les  agitations  mentales. 
L*angoisse  pent  quelquefois  accompagner  les  tics  et  les  crises 
d'agitation  motrice  dans  certains  cas  complexes,  mais  cctte  juxta- 
position n'a  rien  de  n^cessaire.  J'ai  meme  montre  a  plusieurs 
reprises  que  ces  diverses  sortes  d'agitation  sont  en  antagonisme. 
Quand  il  y  a  beaucoup  de  mouvements  physiques,  des  grandes 
marches,  beaucoup  de  tics,  le  sujet  ne  soufFre  pas  d^angoisse  ; 
au  contraire  il  va  souffrir  de  Tangoisse  si  on  le  force  a  arr^ter 
ses  tics.  Quand  Claire  a  une  crise  d'efibrts  et  qu'elle  fait  dans 
tons  les  sens  des  mouvements  excessifs,  elle  a  sans  doute  une 
respiration  rapide,  des  palpitations  et  des  sueurs,  mais  ce  sont 
des  phenom^nes  d^essouiHement  et  non  des  ph6nom^nes  d'an- 
goisse,  elle  ne  se  sent  pas  etoufi(^e.  Au  contraire,  si  je  veux 
arr^ter  ces  grands  mouvements,  elle  va  souffrir  d'une  suffocation 
speciaie  et  elle  va  avoir  de  Texcitation  g^nitale.  L*agitation  vis- 
c^rale  sous  une  forme,  il  est  vrai,  qui  n'a  guere  ^t^  pr^vue  par 
la  th^orie  emotionnelle,  se  substitue  a  Tagitation  motrice. 

Cette  discussion  est  encore  plus  frappante  si  on  considere  le 
groupe  des  agitations  mentales.  Comment  passer  sous  silence  ces 
malades  si  curieux  qui  ont  de  la  reverie  forcee,  du  mentisme,  qui 
vivent  dans  le  passe  et  non  dans  le  present,  mais  qui  ne  sont  au- 
cunement  angoisses.  Chez  Tun  d'eux,   chez  Lib...,  on  determine 


DISCUSSION  DES  THEORIES  fiMOTlONNELLES  467 

l^angoisse  quelle  ne  connaissait pas  du  tout  en  la  forwent  a  lutter 
pour  arreter  sa  reverie  perp^tuelle,  et  elle  revient  a  sa  reverie 
en  disant  que  «  cela  lui  fait  mal  a  la  poitrine  d'essayer  de  I'ar- 
reter.  »  II  y  a  ainsi  toute  unecat^gorie  de  ph^nomenes  dont,  chose 
"curieuse,  MM.  Pitres  et  R^gis  sembient  ne  pas  aimer  a  parler,  ce 
sont  les  ruminations  mentales.  Dans  ces  manies  d'interrogation, 
de  repetition,  de  retour  en  arriere,  de  reparation,  de  serment, 
etc.,iin'ya  pas  une  id^e  proprement  dite  que  ie  malade  aurait 
congue  comme  explication  il  n*y  a  pas  non  plus  de  Tangoissc 
syst^matique  ou  diffuse,  il  y  a  uniquemtnt  un  travail  mental 
avec  des  caract^res  particuliers  qui  absorbe  toute  Tagitation  du 
malade. 

Observons  Lise,  quand  elle  radote  sur  ses  pactes,  sur  ses 
enfants  vou^s  au  diable,  sur  le  culte  du  demon,  elle  reste  abso- 
lumcnt  immobile,  elle  ne  pense  pas  a  bouger,  elle  est  envahie 
par  uue  immobility  de  plus  en  plus  absolue,  on  voit  sa  tete  qui 
s'incline  de  plus  en  plus  jusqu'a  toucher  ses  genoux  et  si  on  ne 
la  trouble  pas  elle  va  rester  des  heures  dans  cette  position ; 
a  ce  moment  elle  respire  avec  le  plus  grand  calme  et  son  coeur  bat 
tout  a  fait  r^gulierement,  son  visage  pr^sente  sa  coloration  nor- 
male  et  les  troubles  vaso-moteurs  restent  tout  a  fait  hypothetiques. 
Cependant  pendant  cette  pi^riode  elle  soufTre  cruellement,  elle  a 
le  sentiment  de  perdre  la  tete,  de  devenir  folic,  de  mourir  a  il 
me  semble  que  je  d^gringole  dans  un  trou  sans  fin  et  qu'a  mesure 
je  perds  quelque  chose  de  mon  existence  ».  Mais  ce  n*est  qu'une 
angoisse  morale  qui  n'est  pas  du  tout  identique  a  Tangoisse 
d^termiu^e  par  le  sentiment  en  retour  des  reactions  viscerales. 
Ce  meme  phenom^ne  pent  s'observer  dans  la  plupart  des  cas 
de  rumination  :  quahd  Ger...  est  debout  dans  son  escalier  en  se 
demandant  si  elle  scandalisera  la  fruitiere  elle  est  tout  aussi 
tranquille  physiquement  et  physiologiquement  et  elle  ne  soufFre 
que  moralement.  II  suflit  de  parcourir  les  longues  descriptions 
que  j'ai  donnees  de  toutes  les  formes  de  rumination  mentale, 
pour  voir  que  presque  toujours  cette  forme  d'agitation  est  ind^- 
pendaute  de  Tangoisse  physique  et  se  d^veloppe  plutot  en 
antagonisme  avec  elle. 

En  dehors  de  ces  ph^nom^ncs  d^agitation  forcee  il  y  a  encore 
toute  une  grande  cat^gorie  de  faits  dont  la  th^orie  emotionnelle  ne 
me  semble  pas  tenir  assez  compte :  ce  sont  toutes  les  insufHsances 


468  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

psychologiques,  les  troubles  de  perception,  les  troubles  de  la  vo- 
lont^,  les  troubles  de  Tattention.  Je  sais  bien  que  Ton  pourra  essayer 
de  rattacher  ces  troubles  a  r^motion  en  disant  que  celleci  a  une  in- 
fluence inhibitrice.  Mais  c'est  deja  compliquer  la  th^orie  de  Temo- 
tion  telle  qu'on  Tavait  presentee,  la  theorie  de  T^motion  simple* 
conscience  des  reactions  viscerales,  c'est  deja  introduire  dans  Te- 
motion  des  modifications  cerebrales  d*une  tout  autre  nature.  Mais 
cela  meme  est-il  bien  sufGsant  ?  Comment  se  fait-il  que  Temotion 
pendant  des  ann^es  ne  troctble  aucunement  Taction  ou  Tattention 
des  nialades  et  qu'a  partir  d'un  certain  moment  elle  les  rende 
incapables  d'efTectuer  ces  m£mes  operations.  II  faudrait  au  moins 
nous  dire  en  quoi  consiste  Taugmentation  d'emotivit^  et  de  quoi 
elle  depend,  on  sera  done  forc^  de  remonter  au  dela  de  Temo- 
tion.  II  y  a  des  cas  ou  cette  action  inhibitrice  de  Temotion 
devient  tout  a  fait  incomprehensible.  Nous  avons  cite  des  jeunes 
gCQS  qui  a  la  suite  d'une  petite  emotion  se  sentent  etonn^s  d^eux- 
memesy  ne  se  reconnaissent  plus,  disent  qu'ils  sont  changes, 
qu'ils  ont  perdu  leur  personne  ou  bien  que  le  monde  est  tout 
difli^rent  et  qu'il  n'a  plus  de  r^alit^.  Est-ce  la  un  efiet  ordinaire 
de  Temotion,  simple  conscience  en  retour  des  reactions  viscerales, 
des  troubles  de  la  respiration  et  de  la  circulation?  En  outre  les 
sentiments  singuliers  de  ces  sujets  se  prolongent  et  durent  des 
annees  pendant  lesquelles  ils  vont  repetcr  qu'ils  n'ont  plus  de  moi 
ou  que  le  monde  est  un  reve  ?  Cela  est-il  d'accord  avec  la  concep- 
tion de  Temotion  qui  est  par  essence  une  modification  brusque  de 
peu  de  duree  ? 

Dautre  part,  est-il  bien  certain  qu'il  y  ait  r^ellement  un  trouble 
emotif  avec  reactions  viscerales  violentes  au  point  de  depart  de 
toutes  ces  insuHfisances  ?  Je  crains  qu*il  n*y  ait  ici  une  erreur  de 
methode  malheureusement  bien  commune  en  psychiatric.  On  croit 
que  la  theorie  exige  la  presence  d*un  certain  phenomene  et  on 
admet  que  ce  phenomene  existe  sans  chercher  autremeut  a  verifier 
son  existence.  Si  la  theorie  exige  qu'une  hysterique  ait  une  anes- 
thesie  viscerale,  on  afllrme  qu'elle  Ta  :  «  car,  sans  cela,dit-on,on 
ne  comprendrait  pas  les  alterations  de  sa  ccenesthesie  »,  En  realite 
cette  anesthesie  viscerale  est  tres  difficile  a  verifier  et  si  quel- 
qu'un  se  donne  la  peine  de  faire  le  travail,  il  verra  souvent  qu'elle 
n'existe  pas.  Je  suis  etonne  de  voir  que  dans  certains  travaux 
sur  Tobsession  on  parle  sans  cesse  d'enormes  reaclions  visce- 
rales, de  troubles  cardiaques,  respiratoircs,  intestinaux.  J'ai  deja 


DISCUSSION  DES  THfiORIES  fiMOTIONNELLES  469 

dit  comment  j*ai  6prouv6  a  ce  sujet  bien  des  deceptions,  com- 
bien  ces  phenomenes  m'ont  paru  difticiles  a  verifier  et  comment 
il  m'est  arriv^  trop  souvent  de  constater  leur  absence.  En  r^alite 
je  crois  qu'ii  y  a  un  tres  grand  nombre  de  ces  troubles,  dc  ces 
insuflTisances  psychologiques  qui  ne  peuvent  pas  etre  considerees 
comme  secondaires  a  des  modifications  visc^rales,  mais  qui  r^sul- 
tent  primitivement  d'un  trouble  cerebral  constitutionnel  ou  acci- 
dentel,  dans  Icquel  I'dmotivit^  ne  joue  qu^un  trfes  petit  role. 

Enfin,  n  y  a-t-il  pas  des  troubles  de  T^motion  elle-meme  ? 
A  ccH6  de  Temotivit^  excessive,  se  presente,  plus  souvent  qu'on 
ne  le  croit,  Tabsence  d'^motion  et  I'indifference.  On  pourrait 
s'amuser  a  soutenir  ce  paradoxe :  c'est  que  certains  malades  arri- 
vent  a  Pobsession  en  cherchant  a  interpreter  non  pas  leurs  emo- 
tions excessives,  mais  leurs  froideurs.  Va-t-on  dire  que  c'est 
Temotion  qui  inhibe  T^motion  et  Terap^che  de  se  developper, 
on  arrive  alors  a  concevoir  Temotion  d'une  maniere  ♦illement 
confuse  que  cette  conception  ne  pent  plus  servira  rien  expliquer. 

Ces  reflexions  nous  montrent  que  le  second  groupe  de  theo- 
ries qui  considerent  I'angoisse  ct  Temotion  comme  le  ph^nomene 
principal  n*arrivent  pas  a  une  interpretation  precise  et  complete 
de  tons  les  phenomenes  observes.  Sans  avoir  aucunement  la  pre- 
tention de  chercher  la  cause  derniere  de  ces  faits  il  faut  essayer 
de  presenter  une  interpretation  un  peu  plus  precise  et  un  peu 
plus  complete,  qui  explique  Tangoisse  et  Temotivite  elle-meme 
ainsi  que  les  autrcs  phenomenes. 


4  70  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 


deuxi£:me  section 


LB    PRINCIPE    DB    LA    THEORIB    PSYCHASTHENIQUB 


En  presence  de  ces  difficultes  que  I'on  peut  opposer  aux  theories 
intellectiielles  et  aux  theories  emotionnelles,  ne  pourrait-on  pas 
grouper  ies  symptomes  d'une  autre  maniere  autour  d'un  autre 
groupe  de  ph^noni^nes?  Au  lieu  de  considerer  comme  fait  essen- 
tiel  et  primitif  I'idee  obs^dante  du  premier  groupe  de  symptomes, 
au  lieu  de  prendre  comme  point  de  depart  Tangoissc  Amotion- 
nelle,  c'est-a-dire  Tune  des  agitations  forcees  du  second  groupe 
deja  plus  profond,  il  faudrait  etudier  le  role  joue  par  Ies  troubles 
du  troisieme  groupe  de  phenom^nes,  celui  que  j*ai  decrit  sous  Ic 
nom  de  «  stigmates  psychastheniques  ».  II  faudrait  rechercher  si 
ces  aflaiblissements  c6rebraux  et  psychologiques  ne  se  presentent 
pas  d*une  maniere  g^nerale  chez  tons  Ies  sujets  en  m6me  temps 
que  Ies  agitations  forcees,  que  Temotivit^  elle-m^me,  s'ils  ne 
persistent  pas  sous  Ies  crises  d'obsession  et  s'ils  ne  peuventpas 
en  expliquer  la  formation.  Ce  serait  encore  chercher  dans  un 
trouble  elementaire  la  raison  des  phenomenes  complexes  plus 
apparents,  mais  ce  serait  choisir  pour  lui  faire  jouer  ce  role  une 
alteration  plus  dementaire  et  plus  profonde. 

Comme  ces  theories  prennent  pour  point  de  depart  un  certain 
afTaiblissement  psychologique,  on  peut  Ies  designer  en  general 
sous  le  nom  de  theories  psychastheniques.  Depuis  longtemps  deja 
j'avais  adopte  ceterme  de  psychasthenic  pour  designer  la  faiblesse 
mcntale  particuliere  des  obsedes  en  Topposant  a  celle  que  Ton 
observe  dans  Thyst^rie.  a  Ces  malades  fort  nombreux,  surles  fron- 
ticres  de  la  folic,  disais-je  en  iSg^*  qui  presentent  des  Sympton^es 
en  apparence  tres  varies  mais  ayaiit  entre  eux  d'incontestables  rap- 
ports, le  delire  du  doute,  la  folic  dite  consciente  ou  raisonnante, 
Ies  obsessions,  Ies  impulsions,  Ies  phobies,  etc...  ont  ete  presque 
toujours  design^s  en  France  sous  le  nom  de  d^g^n^res  ;  en  Alle- 
magne  on  appelle  ces  malades  des  neurasth^niques  d^lirants. 
Pour  ne  pas  prendre  parti  dans  Ies  querelles  que  soulevent  ces 


RESUMfi  lUSTORIQUE  DES  THfiOIUES  PSYGHASTIlfiNIQUES  4.1 

appellations,  nous  d^signerons  toutes  ces  personnes  par  un  nom 
qui  leur  convient  bien,  nous  les  appellerons  simplement  des 
psffchastheniques^,  »  Depuis  j'ai  souvent  oppose  les  obsessions 
de  forme  hysterique  aux  obsessions  de  forme  psychasthenique, 
les  tics  de  forme  hysterique  aux  tics  de  forme  psychasthenique  ^. 
C*est  pourquoi  je  conserve  ici  ce  mot  pour  designer  les  theories 
qui  prennent  pour  point  de  depart  les  phenomenes  caract^ris- 
tiques  de  cet  aflaiblissement  special  de  I'esprit,  de  la  psychas- 
thenic. 


i.  —  R6sum6  historique  des  theories  psycbastbi-' 

niques. 

Des  theories  de  ce  genre  ont  d^ja  et6  indiqu^es  a  plusieurs  re- 
prises, mais,  il  est  juste  de  le  remarquer,  d'une  niani^re  excessi- 
vement  vague.  Plusieurs  auteurs  choisissaient  un  phenomeme  de 
ce  groupc,  le  plus  souvent  les  troubles  de  la  volont^  pour  y  rat- 
tacher  tous  les  autres  accidents  de  la  maladie. 

Benedict  considerait  la  peur  des  espaces  comme  une  vari^te  du 
vertige  et  se  demandait  s'il  n'y  avait  pas  lieu  de  supposer  quelque 
trouble  oculaire.  Cordes,  cite  par  Legrand  du  Saulle^,  fait  de 
Tagoraphobie  un  sympt6me  d'^puisement  du  systeme  nerveux 
moteur  avec  perturbation  du  sens  musculaire  et  Legrand  du 
Saulle  luimcme  en  fait  «  une  paralysie  fonctionnelle  symptoma- 
tique  de  certaines  modifications  survenues  dans  les  foyers  cen- 
traux  moteurs  et  capables  de  faire  naitre  en  nous  des  impressions 
de  peur*.  »  Hack-Tuke  disait  formellement :  «  II  n'est  pas  neces- 
saire  de  supposer  une  predominance  dans  les  passions,  il  suffit 
d'admettre  que  les  plus  hautes  fonctions  volontaires  sont  afTai- 
blies,  les  chevaux  sont  bons,  mais  le  cocher  est  ivre^.  »  Laycock, 
cite  par  Hack-Tuke,  fait  entendre  d'une  mani^re  assez  vague  qu*il 
s'agit  la  d'un  phenomene  de  regression  des  fonctions  du  cer- 
veau  »,  il  n*y  a  pas  seulement  une  loi  d^evolution  pour  le  cerveau 

1.  Accidenls  menlaux  des  hysleriques,  189-^1.  p.  agS. 

3.  Ncvroses  et  Idees  fixes,  II.  p.  lag  et  i45  ;  p.  35a  el  876. 

3.  Legrand  du  Sanllc,  Agorophobie,  p.  55. 

4.  Id.,  ibid.,  p.  ()2. 

5.  Ilack-Tukc,  Journal  of  mental  Sciencfj  Jul^  i885. 


472  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

sain,  il  y  a  ^galement  une  loi  inverse  de  disvolution  qui  est  im- 
portante  pour  comprendre  ces  d^sordres  mentaux  *.  Pour  expli- 
quer  ces  troubles,  KrafT-Ebing  ne  fait  pas  seulement  appel  a  une 
accentuation  morbide  de  Temotivite  mals.a  une  augmentation  de 
Tactivite  de  I'imagination  et  a  une  diminution  «  de  Tencrgie  de  la 
pens^e  et  de  la  volontd  (cerveau  ant^rieur]  qui  sont  tr6s  abaisses 
chez  ces  n^vropathes'  ».  Levillain  se  demandait  si  les  phobies 
ne  consistent  pas  surtout  en  une  ind<^cision  de  la  volonte^. 

Dans  tous  mes  travaux  anciens  sur  Tidee  fixe  en  1889,  en  i8gi, 
j'insistais  toujours  beaucoup  pour  montrer  dans  Tetat  aboulique 
le  point  de  depart  des  obsessions.  MM.  Raymond  et  Arnaud, 
dans  une  ^tude  sur  un  cas  dc  d^lire  du  doute  et  du  toucher, 
insistent  a  plusieurs  reprises  pour  montrer  que  le  phenomene 
principal  est  une  aboulie  considerable,  qu*en  dehors  de  leurs 
idees  fixes,  les  malades  sont  dans  I'impossibilit^  de  se  fixer, 
qu'ils  rcstent  dans  Tincertitude  perpetuelle.  lis  adoptent  Topinion 
de  M.  J.  Falret  qu'au  point  de  depart  du  delire,  il  y  a  un  trouble 
dans  le  fonctionnement  general  des  facult^s  et  dans  T^tat  des 
mouvements  volontaires*. 

M.  F6re  admet  deux  formes  de  la  folic  du  doute,  Tune  qui  de- 
pend d'une  peur  morbide  et  qu^il  explique  ainsi  par  la  thcorie 
emotionnelle,  Tautre  qui  depend  «  de  Taboulie,  c'esta-dire  en 
somme  d'un  d^faut  d'emotivite  ».  C'est  la  une  explication  inverse 
de  la  prec^dente  et  qui  se  rapproche  des  theories  psychasthe- 
niques\ 

M.  Boissier,  dans  sa  these  int^ressante  sur  les  rapports  de  la 
neurasthenic  et  de  la  melancolie  resume  ainsi  la  pathogenic  psy- 
chologique  de  ces  affections  :  cc  C'est  la  volont^,  expression  pre- 
miere de  nos  Energies  et  par  suite  expression  de  la  personnalite 
qui  presente  les  alterations  les  plus  apparentes  et  les  plus  im- 
portantes  dans  T^tat  mental  des  deprim^s.  Les  troubles  afTectifs, 
douleur  morale,  etc.,  n'arrivent  eux-memes  qu'en  seconde  ligne 
et  ne  sont  souvent  pas  en  rapport  avec  Taboulie  ^.  » 

M.  S^glas,  tout  en  donnant  un  grand  role  a  I'emotivite  admet 


I.  Hack-Tuke.  Brain,  1894,  p.  193. 

3.  Krafl^Ebbing,  Psychiatric,  trad.,  1897,  p.  546. 

3.  Levillain,  Nenrasthenie,  p.  i53. 

4.  Raymond  et  Arnaud,  Ann.  med.  psych.,  1892,  II,  p.  69,  330. 

5.  Fdrd,  Palhologie  des  emotions,  189a,  p.  46o.  (Paris,  F.  Alcan). 

6.  Boissier,  Neurasthenic  et  melancolie  depressive.  These,  Paris,  i894»  p.  78. 


RfiSUMfi  HTSTORIQUE  DES  THEORIES  PSYCHASTHENIQUES  473 

que  certaines  agoraphobics  ne  sont  que  «  des  obsessions  abou- 
liques  pures*  »,  et  reclame  une  place,  comme  on  Ta  vu,  pour  les 
troubles  de  la  perception  personnelle. 

M.  Dallemagne  admet  «  un  etat  de  d^sequilibre  dela  systemati- 
sation  psychique^  ».  J'ai  d^ja  rappele  Topinion  de  M.  Ballet  qui 
rattache  les  obsessions  non  seulement  aux  troubles  de  T^motion 
mais  aussi  a  ceux  de  la  volont6.  M.  Roubinovitch  dit  de  meme 
que  ce  qui  est  lese  chez  Tobsed^,  c'est  la  sphere  Emotive  et  la 
volonte*.  Je  rappellerai  aussi  un  article  de  M.  F,  del  Greco  qui 
rattache  ces  6tats  psychopathiques  a  la  desagr^gation  psycholo- 
gique  et  a  la  decadence  de  la  volont^*. 

Tout  r^cemment,  M.  Arnaud  insistait  de  nouveau  sur  les  trou- 
bles moteurs  volontaires,  sur  le  defaut  d'impulsion  et  d'arr^t, 
sur  rh^sitation,  Tincertitude  et  concluait  <(  que  Tetat  anterieur 
est  une  lesion  de  la  volonte.  A  des  degres  divers  les  obs^d^s 
sont  tons  des  hesitants,  des  perplexes,  des  abouliques,  incapables 
d'efForts  soutenus,  ils  ne  finissent  rien,  ils  n^aboutissent  pas  qu'il 
s'agisse  d'idees  ou  de  mouvements  ^  ». 

Une  des  expressions  les  plus  precises  de  ces  theories  se  trouve 
peut-^tre  dans  un  article  recent  de  M.  Edw.  B.  Angell ;  cet  auteur 
considere  les  obsessions  comme  resultant  des  troubles  sous-ja- 
cents  des  fonctions  psychologiques. «  Les  idees  imperatives  de- 
pendent d'un  etat  de  faiblesse  mentale,  d'une  absence  de  cere- 
bration, d'un  instabilite  de  la  synthese  mentale...  le  recul  du 
champ  de  conscience  est  peut-etre  le  caractcre  le  plus  general. 
Le  sujet  trouve  que  la  vie  actuellen'estpas  r^elle,  le  reveremplace 
la  r^alite®.  » 

On  voit  qu'un  grand  nombre  d'auteurs  tendent  a  supposer 
en  dessous  de  Temotivite  et  de  Tangoisse  un  trouble  plus  profond 
de  Tactivite  mentale  qu'il  faut  essayer  de  determiner  en  resumant 
les  nombreuses  observations  precedentes. 


1.  Seglas,  Legons  sur  les  maladies  mentales,  1896,  p.  i3i. 

2.  Dallemagne,  DegSneres  et  des^quillbres^  i8g5. 

3.  Roubinovitch,  Bulletin  medical,  22  juillet  i8g6. 

4.  F.  del  Greco.  Idee  fisse  e  disgregazione  psioologica.  Annali  di  nevrologia,  anno 
XVIII,  fasc.  2,  1900. 

5.  Arnaud,  Archives  de  neurologie,  1902,  I,  p.  268. 

6.  Edw.  B.  Angell,  Imperative  ideas  in  the  sane.  Journal  of  nervous  and  mental 
disease,  ^oiii  1900. 


47i  THCORIES  PATIIOGENIQUES 


2.  —  La  bi6rarcbie  des  phinomdnes  psycbolo- 

giques. 

Beaucoup  des  diflicult^s  que  pr^sente  la  psychologie  sont  crees 
par  le  langage :  une  des  plus  curieuse  me  parait  resulter  de  noire 
habitude  d'employer  toujours  les  termes  de  la  langue  courante 
pour  designer  des  ph^nomenes  elementaires  et  inaccessibles  a 
Tobservation  vulgaire.  Quand  nous  voulons  trouver  rexplication 
d'un  fait  complexe  et  que  nous  cherchons  a  le  rattacher  a  un 
fait  simple,  nous  nous  laissons  entrainer  a  designer  les  ph^nome- 
nes  simples  auxquels  I'analyse  nous  conduit  par  les  noms  ordi- 
naires  a  de  sentiment,  d*emotion,  de  pensee,  d'imagination  ».  Mais 
il  n'est  pas  du  tout  certain  que  des  phenomenes  psychologiques 
elementaires  soient  des  sentiments,  des  emotions,  des  pensees, 
des  volontes.  Ces  mots  dcsignent  des  ph^nom^nes  tres  com- 
plexes, distingu^s,  classes  et  dcnommes  par  Tobservation  popu- 
laire  et  en  raison  de  besoins  pratiques.  Pourquoi  supposer  que 
des  phenomenes  plus  elementaires  donncs  par  Tanalyse  scien- 
tifique  et  inaccessibles  a  Tobservation  vulgaire  vont  rentrer  dans 
ces  anciennes  classes  ?  Pourquoi  nous  quereller  sur  cette  question 
oiseuse:  le  phenomene  elementaire  qui  est  trouble  chez  Tobsed^ 
est-il  une  emotion  ou  une  volont^,  quand  il  n'est  probablement 
ni  Tun  ni  Tautre  ?  Un  acte  de  volonte  est  un  ph6nomcne  com- 
plexe aussi  bien  qu'une  emotion  et  il  n*est  pas  probable  qu'un 
phenomene  elementaire  soit  identique  a  Tun  ou  a  Tautre. 

11  en  resulte  que  suivant  les  preferences  des  auteurs  il  peut  sans 
plus  de  raisons  d^ailleurs  etre  appele  «  emotion  »  ou  etre  appele 
((  volonte  )).  Le  role  de  la  psychologie  n'est  pas  de  continuer  ces 
querelles  de  mots,  mais  de  chercher  par  Tanalyse  a  mettre  en 
evidence  des  phenomenes  nouveaux,  c'est-a-dire  des  phenomenes 
qui  n*6taient  pas  connus  ni  denommes  dans  cet  etat  de  simpli- 
cite. 

C'est  un  peu  ce  que  j'ai  essay^  de  faire  quand  j*ai  cherche  a 
montrer  que  le  phenomene  essentiel  de  Tetat  mental  des  hyst^ri- 
ques  ctait  «  le  retr^cissement  du  champ  de  la  conscience)).  La 
formation  du  champ  de  la  conscience  n'est  a  proprement  parler 
ni  un  fait  d'inteliigence,  ni  un   fait  de  sensibiliie  et  je  ne  me  ratta- 


LA  FIIfiRARCHIE  DES  PHfiNOMfiNES  PSYCHOLOGIQUES  475 

chais  ni  aux  theories  iDtellectuaiistes,  ni  aux  theories  sensualistes, 
mais  je  cherchais  a  decrire  un  phenomene  plus  profond  que 
rid6e  ou  le  sentiment  tels  qu'on  les  observe  d'une  maniere  super- 
ficielle. 

Je  voudrais  faire  un  travail  du  menie  genre  a  propos  des  obse- 
d^s  et  chercher  si  les  stigmates  psychastheniques  ne  mettent  pas 
en  Evidence  un  phenomene  psychologique  simple,  capable  de 
jouer  un  nWe  important  et  d'expliquer  par  ses  alterations  les 
troubles  de  la  volonte  et  de  T^motion. 

Cette  section  sera  consacr<^e  a  la  description  de  ce  phenomene 
fondamental  que  Ton  pent  considerer  comme  le  resum6  des  divers 
stigmates  psychastheniques ;  la  section  suivante  montrera  com-> 
ment  en  prenant  pour  point  de  d(^part  ce  phenomene  et  ses 
modifications,  on  pent  se  representer  la  formation  des  divers 
troubles  des  obsedes. 

Dans  un  chapitre  pr^c^dent  nous  avons  constats  Taffaiblisse- 
ment  et  la  disparition  de  certaines  operations  psychologiques 
chez  les  obs^d^s ;  d'autre  part  nous  avions  vu  que  d'autres  ope- 
rations ^taient  bien  eonservees  et  presentaient  plutot  un  deve- 
loppement  exagere  ;  en  ^tudiant  cette  difierence  on  est  naturel- 
lement  conduit  a  supposer  que  toutes  les  operations  de  Tesprit 
ne  pr^scntent  pas  les  memes  degr^s  de  facilite  et  qu'au  cours 
d*un  afTaiblissement  des  fonctions  cerebrales  elles  ne  disparais- 
sent  pas  simultanement  mais  successivement  et  progressivement 
en  raison  de  ces  degres  in^gaux  de  facilite.  En  un  mot,  les  opera- 
tions mentales  semblent  se  disposer  en  une  hierarchic  dans 
laquelle  les  degres  superieurs  sont  compliques,  difHciles  a  attein- 
dre  et  inaccessibles  pour  nos  malades,  tandis  que  les  degres  infe- 
rieurs  sont  ais^s  et  sont  restes  a  leur  disposition. 

Sans  doute  nous  avons  toujours  eu  vaguement  une  conception 
de  ce  genre  a  propos  des  travaux  de  Tesprit  :  nous  disions  que  la 
recherche  scientifique,  Texdcution  ou  Tappreciation  de  Toeuvre 
d'art,  Tefiort  pour  atteindre  la  perfection  morale  sont  des  opera- 
tions superieures  ;  nous  savions  que  pour  un  enfant  apprendre  a 
faire  une  division  est  plus  difficile  que  d'apprendre  a  compter, 
que  pour  un  idiot  il  est  plus  difficile  de  parler  que  de  manger. 
Mais  cette  recherche  des  degres  de  difficulte  n'etait  faite  qu'au 
point  de  vue  de  Tart  ou  de  Tinstruction  et  pour  un  petit  nombre 
d'op^rations  seulement,  elle  n'^tait  pas  faite  d*une  maniere  gene- 


476  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

rale  pour  tous  les  phenomenes  psychologiques  comme  agir,  per- 
cevoir,  imaginer.  Aussi  cette  comparaison  nous  conduisait-t-elle 
a  des  resultats  tres  superficiels  et  tres  inexacts.  Qui  ne  croirait 
a  premiere  vue  que  faire  un  raisonnement  syllogistique  est  une 
chose  qui  demande  plus  de  travail  cerebral  que  de  reconnaitre 
Texistence  reelle  d*une  personne  ou  d'une  fleur  et  cependant 
je  cr.ois  pouvoir  montrer  que  sur  ce  point  le  sens  commun  se 
trompe. 

Pour  que  eeUe  hierarchie  soit  vraiinent  interessante  et 
utile  il  ne  Taut  pas  I'etablir  en  se  placant  au  point  de  vue  de  nos 
preferences  artistiques  ou  morales,  mais  en  se  placant  au  point 
de  vue  des  conditions  de  la  vie,  de  la  sante  et  de  la  maladie.  Si 
je  ne  me  trompe,  la  psychologic  a  procede  tout  d*abord  comme 
Tancienne  histoire  naturelle  des  animaux.  Les  premiers  natura- 
listes  d^crivaient  tous  les  dtres  dans  un  ordre  arbitraire  en  met- 
tant  tout  au  plus  au  premier  rang  les  etres  qui  leur  paraissaient 
les  plus  beaux  ou  les  plus  utiles.  Les  psychologues  decrivent  de 
meme  tous  les  faits  psychologiques  sans  ordre,  sans  perspective, 
ou  en  mettant  arbitrairement  au  premier  rang  ceux  qui  leur 
plafsent  le  plus.  Les  theories  de  revolution  sont  venues  appren- 
dre  aux  naturalistes  qu*il  y  a  un  ordre  de  perfection  dans  les 
^tres,  qu*il  faut  le  decouvrir  et  en  tenir  compte  dans  les  descrip- 
tions. La  pathologic  mentale  doit  montrer  de  m^me  aux  psycho- 
logues quels  sont  les  veritables  degres  d'importance  des  pheno- 
menes de  la  pensee.  Pour  constater  avec  precision  dans  quel 
ordre  se  rangent  les  phenomenes  au  point  de  vue  de  leur  diffi- 
culte,  il  ne  faut  pas  juger  d*apres  nos  sentiments  ou  nos  pre- 
ferences personnelles  mais  d*apres  la  frequence  et  Tordre  de  la 
disparition  de  ces  phenomenes  chez  les  malades. 

Je  travaille  depuis  longtemps  a  etablir  les  divers  degres  de 
cette  hierarchic  psychologique.  Mcs  premiers  travaux  ont  etabli 
une  distinction  tres  importante,  cellc  de  Tactivite  synthetique  et 
celle  de  Tactivit^  automatique  :  ce  sont  la  deux  degres  essentiels 
de  la  hierarchie.  Mais  d'abord  cette  distinction  n'est  pas  assez 
precise  et  ne  donne  que  deux  degres  tandis  qu'il  y  en  a  proba- 
blement  un  grand  nombre.  Ensuite  elle  ne  s'applique  bien  net- 
tement  qu'aux  hysteriques,  chez  lesquels  Tautomatisme  s'ac- 
compagnant  souvent  de  subconscience  se  distingue  tres  nette- 
ment  de  la  synlhese  mentale  volontaire,  attentive  et  dou6e  de 
conscience  personnelle.  L'etude  de  nouveaux    malades,  les  psy- 


LA  mfiRARCIIIE  DES  PHfiNOMfiNES  PSYGHOLOGIQUES  477 

cbasth^niques,  va  nous  permettre   de  completer  ces  recherches 
sur  la  hierarchie  des  phenomenes  psychologiques. 

SI  nous  faisons  cet  examen  d*apr^s  les  tongues  observations 
prec^dentes,  il  nous  faudra  placer  au  premier  degr^  comme 
l'op<^ration  mentale  la  plus  didicile,  puisque  c'est  elle  qui  dispa- 
rait  le  plus  vile  el  le  plus  souvent,  la  fonction  du  reeL  Celle 
fonclion  qu*on  a  peu  Thabilude  de  dislingucr  des  aulres  el  que 
n.ous  avons  fail  connailre  en  r^sumant  les  insuffisances  psy- 
chologiques consisle  dans  Tappr^hension  de  la  r^alil^  sous 
toutes  ses  formes.  Elle  conslilue  cc  celle  attenlion  a  la  vie  pr^-> 
senle  )>  dont  parle  M.  Bergson  dans  un  livre  de  m^laphysique 
qui  semble  souvenl  prevoir  ces  observations  psychologiques  \ 
Voila  ce  qui  semble  Topcralion  mentale  la  plus  parfaite  el  celle 
que   lous  les  obsedes  perdcul  des  le  debut  de  leur  maladie. 

La  premiere  forme  de  celle  fonclion  du  r^el,  c'esl  Taction  qui 
nous  permel  d'agir  sur  les  objels  extdrieurs  el  de  m^lamor- 
phoser  la  r6alit6.  Celle  action  volonlaire  pr^sente  elle-meme 
diSerents  degres  de  difficult^.  Au  point  de  vue  de  son  ob- 
jel,  il  semble  qu'elle  devient  plus  diflicile  quand  elle  est  sociale, 
quand  elle  doit  s*exercer  non  seulemenl  sur  le  milieu  physique, 
mais  encore  sur  le  milieu  social  dans  lequel  nous  sommes  plon- 

Elle  est  aussi  difficile  quand  elle  est  professionnelle,  c'esl-a- 
dire  quand  il  s'agil  des  actes  d'un  metier  pralique,  qui  doit  reel- 
lenient  aboutir  a  construire  des  choses  precises,  qui  doit  satis- 
faire  une  clientele  exigeante,  qui  doit  reellement  nous  faire 
gagner  noire  vie.  Inaction  interessee,  c'esl-a-dire  Taction  la  plus 
r^elle  pour  nous  el  pour  les  aulres,  semble  celle  qui  exige  le  plus 
d'efforls  el  celle  qui  disparail  la  premifere. 

Au  point  de  vue  de  sa  forme,  Taction  est  d'autant  plus  difficile, 
comme  je  Tai  monlre  autrefois,  qu'elle  est  plus  nouvelle  el  qu'elle 
demande  davanlage  une  nouvelle  adaptation  a  des  circonslances  qui 
onl  chang^^  «  Rien  neme  rend  malheurcuse  el  malade,  dit  Voz..., 
comme  la  n^cessilc  d^avoir  a  prendre  une  decision  nouvelle.  » 
L'aclion  est  aussi  difficile  quand  elle  doit  avoir  a  nos  yeux  le  ca- 
raclere  de  liberie  el  de  personnalit^,  c'est-a-dire  quand   la  syn- 

1.   Bergson,  Matiere  ei  memoire,  i8()6,  (Paris,  F.  Alcaii)  p.  190. 
2.   ISevroses  ei  idevs fixes,  I.   p.   la. 


478  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

these  mentale  qui  la  determine  dolt  se  trouver  en  accord  avec  la 
plupart  de  nos  tendances  principales  nettement  coordonn^es,  en 
un  mot  quand  Taction  doit  etre  coordonnee  non  seulement  avec 
les  donn^es  du  monde  ext^rieur  mais  encore  avec  Fensemble  de 
notre  personnallt^.  A  un  degre  un  pen  inferieur  noustrouvons  de 
la  difficulte  dans  Tachevement,  la  terminaison  complete  d'une 
action  commencee,  dans  la  rapidity,  la  precision,  T^nergie,  la  re- 
sistance aux  influences  ^trangeres,  qui  doivent  sc  trouver  dans 
certaines  actions  volontaires. 

Enfin,  nous  avons  vu  que  bien  souvent  le  fait  de  s'endormir 
volontairement  ^tait  un  acte  et  un  acte  difficile.  Nous  sommes 
conduits  a  placer  cet  acte  du  sommeil  et  celui  du  r^veil  a  une 
certaine  hauteur  dans  cette  hierarchic  immediatement  apr^s  les 
actes  volontaires  accompagn^s  du  sentiment  de  personnalite  et  de 
liberte. 

Ce  qui  nous  determine  a  placer  au  premier  rang  dans  cette 
hierarchic  Taction  volontaire  qui  modifie  reellement  le  monde 
donne  c'est  que  nous  avons  vu  cette  action  constamment  trou- 
biee  chez  bien  des  malades  et  dcs  le  debut.  L'indolence,  la  pa- 
resse,  Tirresolution,  la  lenteur  des  actes,  les  retards,  la  faiblesse 
des'eflorts,  le  desordre,  la  maladresse,  Tinachevement,  Tabsence 
de  resistance,  le  misoneisme,  la  continuation  indefinie  caracte- 
risent  bien  les  psychastheniques.  La  timidite  excessive,  Taboulie 
professionnelle,  les  inhibitions,  les  arrets,  les  fatigues  insurmon- 
tables,  les  inerties  completes  surviennent  a  un  bien  plus  grand 
degre  chez  ceux  qui  ont  des  obsessions  ou  qui  vont  en  avoir  et 
augmentent  surtout  dans  la  periode  qui  precede  les  crises  d'agi- 
tation  forcee  et  que  nous  avons  comparee  a  une  aura. 

Dans  la  meme  fonction  du  reel  mais  peut-etre  a  un  degre  un 
pen  inferieur  a  celui  de  Taction  volontaire  nous  trouvons  Tatten- 
tion  qui  nous  permet  de  percevoir  les  choses  reelles.  Son  degre 
le  plus  eleve  toujours  au  point  de  vue  de  nos  malades  et  par 
consequent  le  plus  fragile,  c'est  Toperation  qui  nous  donne  la 
notion  du  reel,  c'est-a-dire  qui  determine  la  certitude  et  la 
croyance.  Saisir  une  perception  ou  une  idee  avec  le  sentiment 
que  c'est  bien  le  reel,  c'est-a-dire  coordonner  autour  de  cette 
perception  toutes  nos  tendances,  toutes  nos  activites,  c'est 
Toeuvre  parfaite  de  Tattention. 

Une  anclenne  conception  philosophique,  qui  remonte  a  Spi- 
noza et  a  Hume,  qui  a  ete  admise  par  Spencer  et  par  Taine,  c'est 


L\  HitRARCHIE  DES  PHfiNOMftNES  PSYCHOLOGIQUES  479 

que  la  croyance  accompagne  toujours  I'idee,  que  le  doute  r^sulte 
uniquement  de  la  lutte  entre  plusleurs  representations  egalement 
clalres.  Cette  conception  a  6te  combattue  par  bien  des  philosophes 
qui  lui  opposaient  la  pens6e  de  Descartes  sur  le  role  de  la  volonte 
dans  raffirtnation  et  dans  Terreur.  M.  Brochard,  dans  sa  these 
sur  Terreur,  dans  ses  articles  sur  la  croyance  et  la  volonte,  est  Tun 
de  ceux  qui  ont  le  mieux  montr6  cette  distinction  n^cessaire 
entre  la  croyance  et  la  pens^e  proprement  dite,  «  autre 
chose  est,  dit-il  tres  bien,  la  n^cessite  de  penser  ou  de  Her  des 
idees,  autre  chose  la  n^cessite  de  croire,  c*est-a-dire  de  poser 
com  me  vraies  absolument  les  syntheses  que  Tesprit  nc  peut 
pas  rompre  ;  a  la  rigueur  on  peut  comprendre  une  verit«5  g^<^~ 
metrique  et  ne  pas  y  croire  ^  )>  iM.  Gayte  dans  son  livre  sur  la 
croyance  decrit  ainsi  le  sceptique  :  «  C'est  une  intelligence  tou- 
jours en  mouvement  qui  demande  a  la  pens^e  elle-meme  une 
decision  qu^elle  ne  saurait  lui  donner.  II  ne  s^attache  a  aucune 
theorie  parce  qu'il  ne  sait  pas  vouloir,  il  d^libere  toujours 
parce  qu'il  est  incapable  d^arreter  sa  pens6e  par  un  acte, 
il  ne  la  domine  pas,  il  se  laisse  dominer  par  elle^  »  Parmi  les 
travauxplus  recentsdans  le  meme  sens,  je  signale  ceux  de  M.  W. 
Jerusalem^,  ceux  deM.  A. -J.  Balfour*  qui  insistent  a  sur  les  causes 
non  rationnelles  de  la  croyance  »  et  le  livre  de  M.  W.  James  ^. 

Ces  theories  .  philosophiques  semblent  etre  le  resume  de 
Tobservation  de  nos  malades.  Certainement,  dirons*nous  avec 
M.  Brochard,  on  peut  penser  et  ne  pas  croire,  puisque  nous  voyons 
tant  de  sujets  qui  peryoivent  tres  bien,  qui  raisonnent  admirable- 
ment  et  qui  ne  peuvent  pas  arriver  a  croire.  II  faut  se  rendre  bien 
compte  de  ce  fait  que  |a  croyance  est  un  degre  d'activit^  cere- 
brale  au  dessus  de  la  simple  intelligence.  Dans  la  hierarchic  que 
nous  etablissons,  la  croyance  fait  partie  des  fouctions  du  r^el  et 
occupe  un  rang  elev^  a  cote  des  operations  volontaires. 

En  dessous  de  cette  operation  de  croyance  a  Texistence  reelle 
des  objets,  Tattention  trouve  encore  des  diilicultcs  moins  graves 
peut-etre  dans  la  perception  d'objets  nouveaux,  dans  la  com- 
plexite  du  spectacle  oQert    a  nos  sens,  dans  la  clartt^  qu'il   faut 

I.  Brochard,  Croyance  c I  volonl^.  Revue  pkilosophique,  i884,  II,  p.  i5. 

a.  Gayle,  La  croyance,  i884.  p.  io4. 

3.  W.  Jerusalem,  Psychological  Fieview,  1895,  p.  2o5. 

4.  A. -J.  Balfour,  The  foundation  of  belief .  Now -York,  1895,  p.  2i4. 

5.  W.  James,  The  will  to  believe,  1897. 


480  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

lui  donner,  dans  la  perception  intelligente  de  la  lecture,  de  Faudi- 
tion,  simpletnent  dans  la  perception  intelligente  d'une  situation 
donn6e.  L'orientation,  c'est-a-dire  la  disposition  des  perceptions 
par  rapport  a  notre  corps  et  a  nos  mouvements  possibles,  est 
encore  une  operation  proche  de  la  croyance  et  de  Taction  qui 
se  rapproche  des  fonctions  du  reel. 

La  memoire  ne  presente  r^ellement  des  difficultes  et  ne  se  rat* 
tachc  aux  fonctions  du  r^el  que  dans  une  partiedeses  operations. 
La  fixation  du  souvenir  des  ^venements  presents  de  maniere 
qu'il  puisse  etre  utilise  plus  tard,  revocation  des  souvenirs  r^* 
cents  encore  intimement  lies  a  la  realite  presente,  enfin  revocation 
precise  des  souvenirs  passes  dans  la  mesure  exacte  ou  ils  doivent 
jouer  un  role  dans  la  perception  actuelle,  telles  sont  les  opera- 
tions superieures  de  la  memoire.  «  Fonder  des  souvenirs,  disait 
deja  tr^s  bien  Debs,  creer  par  un  seul  effort  d'attention  une  pre- 
disposition, ou  ce  qui  est  synonyme,  une  habitude  nouvelle  est 
a  coup  si^r  une  des  plus  utiles  prerogatives  de  la  volonte^  ». 
«  Ce  qui  caracterise  Tbomme  d*action,  disait  M.  Bergson, 
c'est  la  promptitude  avec  laquelle  il  appelle  au  secours  d'une 
situation  donnee  tous  les  souvenirs  qui  s'y  rapportent,  mais  c'est 
aussi  la  barriere  infranchissable  que  rencontrent  chez  lui  en  se 
presentant  au  seuil  de  la  conscience  les  souvenirs  inutiles  ou  in- 
differents*.  » 

La  fonction  du  reel  se  retrouve  aussi  dans  la  conscience  de  nos 
etats  inlerieurs  et  dans  la  perception  de  notre  propre  personne. 
II  Taut  savoir  nous  percevoir  nous-m^mes  comme  nous  sommes 
en  realite  ;  nous  retrouvons  ici  la  didiculte  principale  qui  est  la 
perception  avec  certitude,  avec  le  sentiment  de  la  realite.  Nous  en 
trouvons  aussi  une  autre  qui  prend  ici  plus  d'importance,  c'est  la 
perception  de  notre  unite,  le  sentiment  que  Tesprit  est  reelle- 
ment  parvenu  a  une  synthase  mentale  unique. 

II  est  presque  inutile  de  rappeler  les  troubles  si  frequents  de 
I'attention  et  de  la  perception  chez  les  psychastheniques  qui  nous 
obligent  a  mettre  ainsi  ces  operations  dans  le  premier  groupe,  le 
doute  des  perceptions,  rinintelligence  de  la  lecture,  de  Taudi- 
tion,  rinstabilite  de  Tattention,  les  eclipses  mentales,  la  memoire 


I.  Debs,    Tableau  de  I'activitS  voionlaire  pour  servir  d    la  science  de  Vidacaiion, 
i844,  p.  i53. 

3.  Bergson,  Maiihe  et  memoire,    189G,  p.  166. 


LA  HiCRARCmE  DES  PH^.NOMfcNES  PSYCHOLOGIQUES  481 

retardante,  ramnesie  continue,  les  troubles  de  la  perception  per- 
sonnelle,  etc. 

A  ces  operations  de  la  volonte  et  de  Tattention  il  Taut  rattacher 
certains  phenomenes  qui  tiennent  a  Temotion.  Celle-ci  est  en 
general,  comme  nous  le  verrons,  une  operation  mentale  tres  facile 
et  tr^s  differente  par  consequent  des  operations  de  ce  premier 
groupe,  mais  elle  prend  de  la  didficulte  quand  il  s'agit  d'une  Amo- 
tion precise,  bien  adapt^e  a  la  r^alit^  donn^e,  surtout  quand  il 
s'agit  d'emotions  heurcuses.  Savoir  jouir  completement  du  pre- 
sent, de  ce  qu*il  y  a  de  beau  et  de  bon  dans  le  present,  c^est  une 
operation  mentale  qui  semble  tres  difficile  et  digne  d'etre  rap- 
prochee  sur  ce  point  de  Taction  et  de  Tattention  au  r^el,  on  la  voit 
disparaitre  bien  souvent  dans  Tindiflerence  et  dans  Tennui  que 
pr6sentent  presque  toujours  ces  malades. 

Le  dernier  terme  decette  fonction  du  r^el,  celui  qui  resume  pro- 
bablemen  t  tons  les  precedents  serait  une  operation  mentale  malheu- 
reusement  trespeu  counue  :  la  constitution  du  temps,  la  formation 
dans  Vesprit  du  moment  present,  Le  temps  n'est  pas  donn^  a  Tes- 
prit  tout  fait ;  il  suffiraitpour  le  d^montrer  d'etudier  les  illusionsdes 
enfantset  des  malades  surle  temps.  Lemomentpr6sent  des  math6- 
maticiens,  ce  point  inaccessible  n*a  rien  a  voir  avec  les  notions 
dont  nous  parlons  ici.  Le  present  m^me  qu^etudie  la  psychom6- 
trie,  cette  pulsation  de  un  dixieme  de  seconde,  n'est  pas  non 
plus  ce  que  nous  appr^cions  comme  present.  Le  present  r6el 
pour  nous,  c'est  iin  acte  ou  un  ^tat  d'une  certaine  complexity 
que  nous  embrassons  dans  un  seul  etat  de  conscience,  malgre 
cette  complexity  et  malgr^  sa  dur^e  r^elle  qui  pent  etre  plus  ou 
moins  longue.  Pour  les  gens  distraits,  indiflerents  a  la  r^alit^, 
ce  present  s'allonge  et  reste  vague,  pour  des  esprits  actifs  qui 
sont  toujours  a  la  minute,  ce  pr<^sent  se  resserre  et  devient  pre- 
cis. II  y  a  une  faculty  mentale  que  Ton  pourrait,  en  forgeant  le 
mot,  appeler  la  presentification  et  qui  consiste  a  rendre  present 
un  etat  d'esprit  et  un  groupe  de  phenomenes.  II  ne  serait  pas  dif- 
ficile de  montrer  que  cette  operation  se  confond  en  r^alit^  avec 
les  pr^c^dentes,  c'est  Taction,  c'est  Tattention,  c*estla  perception 
exacte  de  la  situation  donn^e  avec  le  sentiment  de  sa  r^alite  qui 
produit  la  presentification  ;  il  n'est  pas  non  plus  difiicile  de  com- 
prendre  que  cette  operation  n'est  qu'un  aspect  de  la  fonction  du 
r^el  et  qu'elle  pr^sente  par  consequent  les  memes  diflicultes  et 
les  m^mes  troubles. 

LES  OBSESSIONS.  I.  —  3l 


482  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

Au-dessous  de  ce  premier  degr^,  le  plus  parfait  et  le  plus  di(16- 
cile  se  place  le  groupe  des  operations  que  j'appellerai  desi/tteres- 
sees:  ce  sont  les  m^mes operations  psychologiques  simplement  d^- 
pouillees  dc  ce  qui  faisait  leur  perfection,  c'est-a-dire  de  Tacuite 
du  sentiment  r^el.  Ce  sont  des  actions  sans  adaptation  exacte  aux 
faits  nouveaux,  sans  coordination  de  toutes  les  tendances  de  Tin- 
dividu,  des  perceptions  vagues  sans  certitude,  et  sans  jouissance 
du  present.  C'est  ce  que  Ton  designe  souvent  comme  des  actions 
et  des  perceptions  avec  distraction,  c'est  une  vie  en  apparence 
identique  a  la  vie  complete  mais  avec  indifference  a  la  realite. 

Nous  avons  d6ja  note  bien  des  fois  que  la  distraction  rendait  faci- 
les  a  nos  malades  des  operations  qu'ils  ne  pouvaient  plus  accom- 
plir  avec  pleine  conscience.  Voici  des  exemples  nouveaux  de 
cette  remarque  iraportante. 

J'ai  eu  I'occasion  de  remarquer  bien  des  fois  un  trait  de  carac- 
t^re  assez>  etrange  chez  beaucoup  de  scrupuleuses.  Ces  malades 
qui  sont  tout  a  fait  incapables  de  se  conduire  elles-memes,  qui 
hesitent  indefiniment  a  propos  de  la  moindre  action  quand  il 
s'agit  de  leur  inter^t  ou  dc  leur  devoir  personnel,  deviennent 
sensees,  perspicaces  et  decidees,  quand  il  s'agit  de  donncr  des 
conseils  a  quelque  autre  personne.  Je  ne  puis  m'expliquer  cette 
difference  qu'en  remarquant  combien  la  conduite  d'autrui  est  a 
nos  yeux  plus  indifferente,  plus  simple,  moins  reelle  que  notre 
propre  conduite.  On  a  vu  que  Wo...  fait  indefiniment  et  fort  bien 
des  aditions  sur  des  chiffres  imaginaires,  elle  m'offre  meme 
d'additionner  mes  propres  comptes,  mais  elle  ne  pent  plus 
fixer  son  attention  des  qu*il  s'agit  des  comptes  de  son  propre 
manage. 

Quand  les  malades  seront  fortement  distruits  de  Taction  qu'ils 
accomplissent,  ils  arrivent  de  m^me  a  cette  indifference  qui  rend 
Taction  plus  facile.  Bei...,  quia  perdu  son  moi  quand  elle  cherche 
a  agir  ou  a  sentir  avec  conscience,  avec  attention,  «  n'a  plus  aucun 
trouble  pendant  Tetat  de  distraction.  Quand  la  malade  est  entrai- 
nee  par  une  preoccupation,  ne  pensepas  a  elle-meme,  tout  va  par- 
faitement  bien  et  elle  est  parfaitement  normale.  Le  trouble  revient 
quand  elle  essaye  de  faire  attention,  de  penser  a  elle-meme,  de 
se   rendre  compte  de  ce  qu'elle  eprouve  *  ». 

Lod...,  Claire  agissent  normalement  quand  elles  sont distraites 

I.  Neuroses  et  idies  fixes,  II,  p.  65. 


LA  HlfiR.\RGHIE  DES  PHfiNOMfiNES  PSYCHOLOGIQUES  483 

et  ne  se  preoccupent  pas  de  ce  qu'elles  font.  «  Pour  que  mon 
travail  marche  bien,  dit  Gisele,  il  faut  que  je  n'y  sois  pas,  que  je 
le  fasse  sans  le  vouloir  et  prcsque  sans  le  savoir.  »  Nadia  finit 
par  preferer  les  p^riodes  oil  elle  est  dans  un  etat  de  reve,  c'est 
a  ce  moment  qu'elle  fait  le  plus  facilemeut  les  choses  qui  etaient 
difliciles  auparavant.  Elle  aimait  a  Turner  non  pour  trouver  dans  le 
tabac  une  excitation,  mais  parce  que  ccla  T^tourdlssait  et  qu'elle 
pouvait  alors  agir  a  pen  pres  comme  tout  le  monde  sans  trop 
savoir  ce  qu'elle  faisait,  «  et  si  dans  cet  etat  de  reve  il  m'arrive  de 
me  r^veiller  un  pcu  et  de  penser  que  c'est  la  realite,  alors  je  me 
sens  tout  de  suite  paralys^e  et  agitee  et  je  ne  peux  plus  rien 
faire  )). 

L'action  plus  ou  moins  vague  avec  distraction  et  peu  de  senti- 
ment du  r^el  forme  done  un  second  degr^  moins  difficile  que  le  pre- 
mier. II  ne  faudrait  pas  croire  que  ce  groupe  soit  constitue  unique- 
ment  par  ce  que  j'appelais  autrefois  les  actions  automatiques .  Ces 
actes  tels  qu'on  les  observe  sous  leur  forme  parfaite  chez  les  hys- 
teriques  sont  des  actes  inconscients  Ou  subconscients  ignores  par 
le  sujet  qui  les  accomplit.  Les  actes  que  je  place  ici  sont  con- 
scients,  mais  ils  sont  accompagn^s  d'une  conscience  moindre, 
qui  n'a  pas  la  precision,  la  concentration  de  la  conscience  qui 
accompagne  les  actions  du  premier  degr^.  Sans  doute,  ce  groupe 
des  actions  d^sint^ress^es  contient  les  ph^nomenes  automatiques 
comme  une  de  ses  vari^t^s  les  plus  int^ressantes,  mais  il  s'etend 
au  dela,  car  il  contient  bien  des  formes  et  bien  des  degr^s. 
Entre  la  fonction  du  reel  et  les  actions  tout  a  fait  subconscien- 
tes,  il  y  a  mille  degres,  mille  nuances  d^actions  plus  ou  moins 
desinteress^es.  La  connaissance  de  ces  nuances  est  essentielle 
pour  comprendre  comment  un  sujet  pent  executer  un  acte  et  ne 
pent  pas  en  executer  un  autre  qui  nous  parait  tout  voisin,  com- 
ment de  l^geres  modifications  de  la  distraction  ou  de  Tattention 
facilitent    un  acte    ou  le  rendent  impossible. 

L^opinion  populaire  pla^ait  a  un  niveau  ^Icve  dans  la  hierar- 
chic les  operations  mentales  proprement  dites,  les  operations  qui 
portent  sur  des  idees  et  non  sur  des  objets  reels,  mais  les  mora- 
listes  ont  eu  deja  bien  souvent  le  sentiment  que  cette  opinion 
etait  erron^e.  «  Vous  etes  a  la  fleur  de  Tage,  disait  un  romancier 
tres  psychologue,  vous  appreciez  au  dela  de  tout  Pintelligence 
humaine  ;  le  piquant  de  Tesprit  et  la  deduction  abstraite  de  la  rai- 


484  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

son  vous  seduisent...  quelle  erreur  est  la  voire'.  »  «  Par  Taction 
nous  sommes  des  anges,  disait  d^ja  Hamlet,  par  la  pensee  nous 
ne  sommes  que  des  hommes.  » 

Nos  observations  sur  les  psychasth^niques  confirment  grande- 
ment  et  precisent  ces  anciennes  remarques.  On  reraarque  tout  de 
suite  qu'ils  se  fixent  plus  facilement  sur  des  id^es  que  sur  des 
objets,  qu'ils  suivent  assez  facilement  une  piece  de  theatre  ou  un 
roman,  tandis  qu'ils  regardent  difficilement  un  musee.  Mais  il 
s'agit  encore  ici  d'observation  :  la  difference  s*accentue  quand  il 
s'agit  de  purs  raisonnements  int^rieurs.  II  nous  faut  pour  le  com- 
prendre  lutter  contre  un  vieux  prdjug6  d'enfance,  c'est  que  Tabs- 
trait  nous  parait  plus  difficile  que  le  concret.  Si  nous  avons  bien 
remarqu6  comment  ces  malades  raisonnent  a  perte  de  vue,  com- 
ment ils  accumulent  les  divisions,  les  distinctions  et  les  hypotheses 
nous  comprendrons  que  le  raisonnement  est  une  operation  inf^- 
rieure.  Je  me  place  toujours  au  point  de  vue  de  nos  malades  et  je 
dis  que  chez  eux  le  raisonnement,  m^me  complique,  est  une 
operation  mentale  bien  plus  ais^e  que  Taction  r^elle. 

On  retrouve  la  m6me  racilit6  si  Ton  considere  les  operations 
representatives  qui  portent  sur  les  images,  la  m^moire  et  Tima- 
gination.  La  memoire  presentait  des  difficult^s  qui  lui  donnaient 
une  place  au  premier  rang  quand  il  s'agissait  de  la  fixation  et  de 
Tevocation  des  souvenirs  d'une  mani^re  volontaire  et  utile.  Mais 
la  memoire  perd  tout  a  fait  ces  caracteres  de  la  fonction  du  reel 
quand  elle  est  simplement  representative  et  qu'elle  se  borne  a 
evoquer  le  tableau  du  passe  sans  engager  ce  passe  d*unc  mani^rc 
effective  dans  Taction  presente.  Les  malades  abouliques  et  sans 
attention  presente,  incapables  d'evoquer  volontaircmcnt  un  sou- 
venir utile  ont  une  memoire  inou'ie  dans  leurs  ruminations  ab- 
surdes.  Ce  sont  des  pages  entieres  de  leur  vie  passee  que  Jean 
ou  Lise  peuvent  reciter  mot  a  mot;  le  passe  devient  chez  ces  ma- 
lades obsedant  et  semble  obnubiler  le  present  (Lowenfeld),  c'est 
que  le  present  offre  a  leur  esprit  infiniment  plus  de  difficultes  que  le 
passe.  On  observe  d'ailleurs  ce  m^me  developpement  exagore  de 
la  memoire  chez  Timbecile,  chez  le  sauvage,  chez  Tenfant  etcette 
faculte  de  representation  desinteressee  semble  diminuer  avec 
Tage  adulte  etavec  le  developpement  intellectuel. 

Cette  representation  des  images  devient  encore  plus  facile  quand 

I.   Dostoiewski,  Crime  et  chdtirnent,  II,  p.  78. 


LA  HlfiRARCniE  DES  PHfiNOMfiNES  PSYCIIOLOGIQUES  485 

celles-cl  ne  sont  meme  plus  soumises  aux  regies  rigoureuses  de 
la  m^moire  et  qu'il  suffit  de  les  laisser  aller  a  la  derive  suivant 
les  hasards  de  rassociation  des  id^es.  On  sait  la  place  qu*occupe 
la  reverie  dans  la  maladle  que  nous  6tudions,  le  developpement 
^norme  qu'elle  peut  prendre.  Enfin,  le  dernier  degre  de  facilite 
est  obtenu  quand  les  reveries  cessent  meme  d'etre  originales  et 
se  repetent  les  unes  les  autres  avec  monotonie. 

Cette  facilite  plus  grande  des  raisonnements  abstraits  et  de  la 
representation  des  images  rend  compte  d'un  caractcre  souvent 
observe  et  qui  ne  me  parait  pas  toujours  avoir  ete  bien  compris. 
Non  seulement  ces  individus  se  vantent  d'etre  «  des  penseurs, 
des  analystes  »  mais  ils  montrent  un  goi^t  prononce  et  quelque- 
fois  un  certain  talent  pour  Tobservation  psychologique  interieure, 
pour  Tauto-observation*.  Cette  aptitude  a  Tintrospcction  psycho- 
logique me  parait  simplement  une  consequence  de  la  faiblesse 
de  leur  esprit.  Entendons-nous  :  Fobservation  psychologique 
bien  faite  et  surtout  Tobservation  psychologique  objective  est 
extr6mement  difficile.  A  toutes  les  difficultes  de  Tobservation 
r^elle  du  monde  physique  se  joignent  les  difficultes  des  pheno- 
menes  sociaux,  de  Tapprehension  d'une  conscience  etrangere  a 
la  notre.  Mais  Tintrospection  qui  consiste  a  se  regarder  penser 
est  d'untout  autre  ordre.  Cousin  et  Joufiroy  avaient  deja  remar- 
que  autrefois  qu'elle  ne  peut  s'exercer  pendant  Tacte  meme  ou 
au  moment  de  Temotion  elle-meme,  que  par  consequent  elle 
s'exerce  surtout  sur  des  images  et  des  souvenirs.  Ajoutons  que 
cette  introspection  peut  s'exercer  avec  autant  d'interet  sur  n'im- 
porte  quelle  image  et  n'importe  quel  souvenir  et  qu'elle  ne 
demande  aucune  precision  a  I'esprit.  II  en  resulte  qu'elle  se  rap- 
proche  de  la  rumination  et  de  la  reverie.  II  suffira  que  certaines 
curiosites  determinees  par  les  sentiments  d'incompletude  incli- 
nent  le  sujet  vers  cette  introspection  pour  qu'il  s  y  plonge  avec 
deliccs  a  cause  de  son  extreme  facilite. 

Je  crois  que  Ton  peut  placer  au-dessous  de  ce  troisieme  degre 
une  operation  mentale  encore  plus  basse,  c'est  le  developpement 
de  I'emotion,  quand  cette  emotion   n'est  pas  exactement  en  rap- 


I.  N.  Vaschide  el  Gl.  Vurpas,  Delire  par  introspection  mentale,  Nouvelle  Icono- 
graphie  de  la  iialpHrVere,  1901,  p.  338.  Contribution  2i  la  psjchologie  de  la  gen^se 
des  hallucinations  psYcho-motrices,  Archives  de  neurologic,  190a,  p.  474- 


480  TUtoRlES  PATIlOGfiNIQUES 

port  avec  la  perception  d'une  situation  presente.  L'excitation  de 
ces  reactions  visc6rales  at  vaso-motrices  que  Ton  considere 
comme  un  element  essentiel  de  T^motion  doit  6tre  bien  facile, 
puisque  nous  la  voyons  persister  a  un  si  haut  degr6  chez  les  indi- 
vidus  les  plus  affaiblis,  parfaitement  incapables  d'accomplir  les 
operations  sup^rieures.  Cette  emotion  devient  encore  plus  facile, 
quand  ellc  perd  les  caracteres  qui  lui  permettaient  de  revctir  des 
formes  distinctes.  Au-dessous  de  la  colore,  de  la  peur,  de  Tamour 
se  place  une  emotion  qui  n'est  plus  rieu  de  special,  qui  est  un  en- 
semble de  troubles  respiratoires  et  cardiaques  tres  vagues, 
n'eveillant  dans  Tesprit  la  pensee  d'aucune  tendance,  d'aucune 
action  particulierc.  C*est  ce  qu'on  appelle  Tangoisse,  la  plus  ele- 
mentaire  des  operations  mentales. 

Je  placerais  a  c6t6  d'elle,  peut  etre  un  peu  au-dessous  la  pro- 
duction de  mouvements  inutiles  mal  adaptes  a  la  situation  presente 
et  r^elle,  c'est-a-dire  les  tics  de  toute  espece.  Bien  entendu  ces 
mouvements  seront  encore  plus  simples  quand  ils  n'auront  meme 
plus  cette  coordination  ancienne  que  Ton  retrouvait  dans  les  tics, 
anciens  mouvements  adaptes  qui  sont  simplement  sans  rapport 
avec  le  present.  Les  agitations  motrices,  les  mouvements  incoor- 
donnes  qui  se  rapprochent  des  convulsions  semblent  ^videmment 
les  operations  plus  basses  et  les  plus  elementaires. 

II  est  facile  de  constater  ce  qui  caracterise  ces  trois  derniers 
groupes  et  ce  qui  les  distingue  des  premiers.  Dans  les  opera- 
tions qui  portent  sur  des  images  et  sur  des  id^es  abstraites, 
comme  la  memoire,  la  reverie,  le  raisonnement,  le  rapport  avec 
la  r^alite  et  le  sentiment  juste  ou  faux  de  la  realite  a  bcaucoup 
diminue.  Ces  phenomenes  ne  portent  que  sur  le  passe  oii  sur  le 
futur  qui  n'ont  aucunement  a  nos  yeux  le  meme  degre  de  realite 
que  le  present  etsouvent  ils  portent  sur  Timaginaire  auquel  nous 
n*accordons  qu'un  minimum  de  realit<^.  Dans  les  derniers  groupes 
le  rapport  avec  la  reality  et  le  sentiment  de  reality  disparait  en- 
core plus  completemenl.  Comme  je  Tai  fait  remarquer  a  chaque 
page  en  decrivant  les  tics,  les  agitations  motrices,  les  phobies, 
les  angoisses,  ces  operations  fonctionnent  a  vide  si  Ton  peut  par- 
ler  ainsi,  elles  n'ont  pas  d'action  sur  le  reel,  et  elles  ne  font  a 
personne  ni  bien  ni  mal  serieux  ne  donnent  pas  au  sujet  I'impres- 
sion  du  r^el  :  le  sujet  sent  toujours  leur  inutilite,  leur  vanite  et 
il  se  sent  forc^  de  travailler  dans  le  ni^ant.  Les  premieres  opera- 
tions, la  premiere  surtout,  avaient  les  caracteres  exactcment  in- 


LA  HlfiRARCHIE  DES  PllfiNOMfiNES  PSYCHOLOGIQUES  487 

verses  :  elles  agissaient  sur  le  r^el,  le  transformaient,  le  faisaient 
connaitre  avec  plus  ou  moins  de  verite,  peu  nous  importe,  ou  du 
moins  donnalent  au  sujet  rimpression,  le  sentiment  de  la  r^a- 
Iit^.  Ce  caractere  a  diminue  dans  les  operations  d^sinteress^es 
qui  restalent  encore  prdsentes,  mais  avec  moins  de  sentiment 
vif  du  reel;  il  s^est  fortement  reduit  dans  le  troisi^me  groupe  ou 
ne  se  trouve  plus  que  le  sentiment  du  passe,  de  Taveniry  ou  de 
rimaginaire  ;  il  a  disparu  dans  les  derniers  groupes. 

Ce  caractere  essentiel  des  (aits  dc  Tesprit,  qui  consiste  a  agir 
sur  la  realite  ou  a  la  faire  connaitre  m^mc  en  apparence,  a  en 
donner  le  sentiment,  au  moins  a  lui  correspondre,  suivant  Tex- 
pression  de  Spencer,  pourrait  ^tre  design^  sous  le  nom  de 
coefficient  de  rea/ite  d*un  fait  psychologique.  On  pent  alors  pr6- 
ciser  ce  que  j'entends  par  cette  hierarchic  des  phenomenes  psy- 
chologiques  :  si  on  considcre  Tordre  de  frequence  et  de  rapidite 
avec  laquelle  se  perdcnt  les  fonctions  psychologigues  chez  nos 
malades,  on  constate  qu^elles  disparaissent  d'aatant  plus  vite  que 
leur  coefficient  de  realite  est  plus  eleve  et  qu^ elles  persistent  d'au- 
tant  plus  longtemps  que  leur  coefficient  de  realite  est  plus  has. 
J'en  conclus  que  ces  operations  forwent  une  serie  de  difficulte  et 
de  complexite  decroissantes  sui\>ant  que  leur  relation  a\fec  la  rea- 
lite au  point  de  9ue  de  Paction,  de  la  connaissance,  en  un  mot  de 
la  correspondance  va  en  diminuant  et  c'est  a  cette  disposition  en 
s^rie  que  je  donne  le  nom  de  hierarchic  psychologique. 

Provisoirement,  et  simplement  a  titre  de  resume,  on  pent  ^ta- 
blir  le  tableau  hierarchique  de  cette  maniere  : 


HiERARCHlE    DES     PHENOMk?(ES    P8YCHOLOG1QUFS. 


I  1  action  efficace  sur  la   realite     ;     ,     . 

1.    1-  )  f  physique. 

taction         I  i  d      H ' 

/  Taction  nouvelle  avec  sentiment  }  ,  ...  " 
\  {  Holiberte. 

La    fonction     j  (  la  perception  avec  sentiment  dc  realitd. 

du  reel.  \  \  1*  certitude,  la  croyancc. 

Patten tion  dans  <  1«  perception  d'objets  nouveaux. 

I  la  perception  de  I  avec  sentiment  de  r^alit6. 

f        la  personne      |  avec  sentiment  d'unite. 

la  pr^scntification,  la  perception  et  la  jouissancc  du  present. 


488  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

Taction  habiiuelle. 

idu  present, 
de  Tunit^. 
.a...«.^«,^w.     a  .  de  la  liberie. 

la  perception  sans  le  sentiment  de  la  certitude  avec  le  senti- 
ment vague  du  present. 

ila  m^moire  purement  representative. 
I'imagination. 
le  raisonnoment  abstrait. 
la  reverie. 

IV.  Les  reactions  ^motionnelles  visccrales  !   r.^ '        ^ 

(  ditluses. 


V.  Les  mouvements  musculaires  inutiles  |  *,T1.         '^ 

f  diflus. 


Ce  tableau  est  ^videmment  tres  sommaire,  beaucoup  de  degr^s 
intermediaires  sont  omis,  la  place  exaete  de  telle  ou  telle  opera- 
tion souleveralt  bien  des  dldicult^s.  II  est  impossible  d'entrer  ici 
dans  ces  discussions,  il  nous  suffit  d'avoir  constate  un  certain 
ordre  hierarchique  dans  la  facilite  croissante  des  operations  de 
Tesprit,  ordre  qui  a  ete  mis  en  evidence  par  leur  conservation 
plus  prolong^e  chezles  malades. 


3.  —    La  tension  psycbologique. 

Les  ph^nomenes  semblent  se  disposer  dans  cet  ordre  au  point 
de  vue  de  leur  facilite  croissante,  si  on  examine  Tordre  dans 
lequel  ils  perdent  chez  nos  malades.  Ce  n'est  la  qu'une  consta- 
tation  assez  empirique.  Peut-on  chercher  a  se  rendre  compte  des 
raisons  qui  determinent  cet  ordre  ?  Qu'est-ce  qui  fait  la  difficult^ 
particuliere  de  la  fonction  du  reel,  du  sentiment  du  r^el  ?  Qu'est- 
ce  qui  justifie  la  place  de  Taction  mise  au  premier  rang,  ce 
«  primat  de  la  volonte  »,  comme  disait  Schopenhauer  ^ 

line  premiere  reponse  tres  dUmentaire  pent  Atre  facilement 
ecartee  grace  a  Texamen  de  nos  malades.  Les  phenomenes  psy- 
chologiques  qui  donnent  le  sentiment  du  r6el  seraient  simplement 
des  phenomenes  forts,  ceux  qui  donnent  le  sentiment  du  pass^ 
ou  de  rimaginaire  seraient  des  phenomenes  faibles.  II  y  a  peut-etre 
dans  cette  reponse  une  part  de  verity  qu'il  faudra  d6gager,  mais 

I.  Cf.  Th.  Ribot,  La  philosophU  de  Schopenhauer,  i885,p.  67,  (Paris,  F.  Alcan). 


LA  TENSION  PSYGHOLOGIQUE  489 

elle  ne  peut  ^tre  admise  s«nns  interpretation.  En  effet,  un  fait 
fondamental  domine  la  psychologic  du  douteur,  c*est  qu'il  n'a 
pas  d*anesthesies  veritables.  Ces  sujets  qui  doutent  de  la  realite, 
qui  doutent  dc  ce  qu*ils  sentent  ou  de  ce  qu'ils  voient  sentent  et 
voient  cependant  aussi  bien  que  Thomme  qui  ne  doute  pas.  Leurs 
sensations  ne  sont  pas  diminuees  quantitativement,  on  ne  le  sent 
que  d'une  manicre  insignifiante,  incapable  d'expliquer  leur  doute. 
En  reality,  ils  ont  une  sensibility  forte  dans  le  sens  ordinaire  du 
mot,  puisqu'ils  sentent  fort  bien  les  excitations  les  plus  minimes  ; 
ils  ont  une  vision  puissante  puisqu'ils  lisent  tres  bien  les  plus 
petites  lettres  du  tableau  et  nialgr^  cette  force,  cette  acuite  de 
leurs  sens,  ils  n'ont  pas  le  sentiment  du  r^el. 

Une  seconde  hypothese  serait  bien  simple  et  bien  seduisante, 
elle  consisteraita  rattacher  cette  difference  entre  le  reel  et  Tima- 
ginaire  a  Tintervention  du  mouvement.  Ce  qui  semble  le  plus 
didicile  dans  le  premier  groupe,  c'est  Taction  et  Tattention, 
or  dans  Tune  et  Tautre  interviennent  les  fonctions  motrices. 
Ne  pourrait-on  pas  supposer  que  dans  cette  maladie  il  y  a 
un  engourdissement  des  centres  moteurs  corticaux  avec  conser- 
vations de  Tactivite  des  centres  sensoriels  P  Cela  n'expliquerait-il 
pas  cette  difficulte  de  Taction  et  cette  facility  de  Timagination. 

Une  conception  a  pen  pres  semblable  a  celle-ci  forme  Tidee 
fondamentale  du  livre  de  M.  Bergson  auquel  je  faisais  allusion 
dans  un  passage  precedent :  «  L'actualit^  de  notre  perception, 
dit-il,  consiste  dans  son  activity,  dans  les  mouvements  qui  la 
prolongent  et  non  dans  sa  plus  grande  intensity,   le   passe    n'est 

qu'idee,    le   present  est  id^o-moteur* C'est  juslement    parce 

que  j'aurai  rendu  un  souvenir  actif  qu*il  sera  devenu  actuel,  c'est- 

a-dire  sensation   capable   de   provoquer  des  mouvements' Le 

sentiment  concret  que  nous  avons  de  la  reality  presente  consiste- 
rait  done  dans  la  conscience  que  nous  prenons  des  mouvements 
effectifs  par  lesquels  notre  organisme  repond  naturellement  aux 
excitations,  de  sorte  que  la  oil  ces  relations  se  d^tendent  ou  se 
gatent  entre  sensations  el  mouvements,  le  sens  du  r^el  s'affaiblit 
et  disparait'  ». 


I.   Bergson f  Matihre  et  memoire,  1896,  p.  6a. 
a.  Id.,  ibid.,  p.  166. 
3.  Id.,  ibid.,  p.  iija. 


490  THEORIES  PATHOCeNIQUES 

Prise  au  pied  de  la  lettre,  cette  conception  difTere  moinsqu'on 
ne  le  oroit  de  la  prdcedente.  Aulieude  faire  d^pendre  la  fonction 
du  ri^el  de  Tintensite  des  sensations,  elle  la  fait  dcpendre  de  Tin- 
tensit^  des  mouvementsqui  ne  sontconnus  que  par  des  sensations. 
Elle  contient  sans  doute  une  part  de  v^rit^,  mais  ne  pent  etre  ad- 
mise  sans  restriction,  car  il  ne  me  semble  pas  juste  de  dire  que  le 
mouvemcnt  par  lui-m6me,en  tant  que  mouvement  de  notre  corps, 
suffise  a  donner  le  sens  du  reel  et  a  constituer  le  groupe  des 
ph^nom^nes  psychologiques  superieurs. 

Mon  objection  a  cette  conception  est  semblable  a  la  prece- 
dente  :  de  nieme  que  les  douteurs  ont  conserve  les  sensations,  ils 
ont  conserve  les  reflexes,  les  mouvemcnts  ct  la  sensation  precise 
de  ces  mouvements. 

II  y  a  meme  chez  eux  des  mouvementsqui  se  pr^sentent  comme 
tout  a  Fait  el6mentaires  ct  faciles.  Les  tics,  les  agitations  motri- 
ces  peuvent  donner  lieu  a  des  mouvements  considerables  et 
meme  violents.  Les  ph^nomenes  d'emotion  necessitent  aussi  la 
production  de  mouvements  et  s'accompagnent  souvent  d'une 
agitation  extreme  :  cependant  malgre  ces  mouvements  les  mala- 
des  restent  dans  le  doute,  loin  du  reel.  On  ne  peut  done 
pas  dire  que  tout  mouvement  soit  diflicile,  que  ce  qui  de- 
termine r^l^vation  d*un  phenomene  dans  la  hierarchic  ce  soit 
rintervention  du  mouvement.  II  ne  faut  pas  croire  qu'up  pheno- 
mene psychologique  soit  cleve,  demande  un  plus  grand  travail 
parce  que  le  mouvement  physique  qui  le  manifeste  au  dehors  est 
un  mouvement  plus  violent.  Un  mouvement  violent  peut,  au  point 
de  vue  qui  nous  occupe,  correspondre  a  un  phenomene  psycholo- 
gique et  cerebral  hierarchiquement  tres  elementaire. 

Sans  doute  la  th^orie  prccedente  fera  un  progres  si  au  mot 
«  mouvement  »,  comme  d'ailleurs  M.  Bergson  le  fait  souvent,  on 
substitue  le  mot  «  action  »,  c'est-a-dire  si  Ton  remplace  le  mouve- 
ment simple  par  un  systeme  bien  coordonn6  de  mouvements. 
«  II  y  a  bien  autre  chose,  disait  M.  Bergson,  entre  le  pass^  et  le 
present  qu'une  difference  de  degre.  Mon  present  est  ce  qui 
m'interesse,  ce  qui  vit  pour  moi,  ce  qui  me  provoque  a  Taction 
(Tauteur  dit  souvent  a  Taction  utile  et  bien  adaptee)  au  lieu  que 
mon  pusse  est  essentiellement  impuissant\  »  Mais  cela  n*est  pas 
encore  sufflsant,  car  ces  sujets  exccutent  des  actions  bien  r^glees 

X.  Bergson,  op.  cit.,  p.  1/48. 


LA  TENSION  PSYCHOLOOIQUE  491 

en  rapport  avec  les  ohjets  qn'on  leur  niontre  et  ils  sc  pinignent 
((  quails  ne  font  pas  eux-memes  Taction,  que  Inaction  n'est  pas 
reelle».  L'automatisme  bien  regie  se  montre  dans  les  tics  et  ne 
leur  donne  pas  aux  malades  le  sens  du  reel. 

Una  autre  hypoth^se  plus  int^ressante  consistcrait  a  appliquer 
ici  mes  anciennes  etudes  sur  Tactivite  de  synthese  par  opposition 
a  Tactivite  automatique.  La  synthese  mentale  est  una  operation 
qui  r^unit  en  un  compose  unique  et  nouveau  les  elements  fournis 
a  chaque  moment  de  la  vie  par  les.  sens  et  par  la  memoire.  La 
construction  de  ce  systeme  nouveau  semble  ^tre  I'op^ration  par- 
ticulierement  didicile,  celle  qui  disparait  la  premiere.  Je  crois  qu'il 
y  a  encore  ici  une  partie  de  la  verite.  Dans  la  fonction  du 
reel  entrc  pour  beaucoup  des  adaptations  a  la  r<^alite  changeante  et 
par  consequent  des  systematisations  toujours  nouvelles:  certaine- 
ment  une  des  raisons  de  Televation  de  la  volonte  et  de  I'atten- 
tion  dans  noire  hi<^rarchie,  tient  au  role  qu*y  jouent  les  operations 
de  synthese  mentale  perpetuellement  nouvelles,  et  inversement 
la  position  inferieure  de  la  reverie  et  de  Temotion  tient  a  ce 
fait  qu*une  partie  considerable  de  ces  operations  est  purement 
automatique.  D'aillaurs  on  constate  aisement  chez  les  malades  qui 
ont  perdu  le  sens  du  reel,  Taboulie,  Taprosexie,  le  misoneisma, 
rinintelligence  des  situations  nouvelles,  tons  les  caract^res  qui 
indiquentla  diminution  des  syntheses  mentales,  du  pouvoir  d'adap- 
tation  et  de  coordination. 

Cependant  j'ai  quelque  hesitation  a  consid^rer  cetta  distinction 
comma  sufGsante  dans  ce  cas.  D*une  part  il  ne  me  semble  pas 
qu'il  y  ait  une  proportionnalite  complete  entra  la  developpement 
de  Taboulie  et  la  pertedu  sens  reel.  Ces  malades  agissent  encore 
a  peu  pr^s  correctement  et  ils  repetent  qu'ils  agissent  comme 
dans  un  reve.  D*autre  part  il  n'est  pas  exact  de  dire  que  le  trou- 
ble existe  uniquement  dans  les  phenomenes  de  synthese  mentale 
etquelesphdnomenesautomatiquessontrestcsintacts.  Eneflet,ilne 
fautpasoublierquenousavonsconstatelesm^mesdiflicultesnonseu- 
lenient  dans  les  fonctions  du  reel,  mais  encore  dans  les  operations 
qui  se  bornent  a  imiter  ces  fonctions.  La  suggestion  et  Thalluci- 
nation  se  presentent  chez  ces  malades  comme  aussi  difficiles  que 
Taction  reelle  ou  la  perception  de  la  realile.  Or  dans  Thallucina- 
tion,  il  y  a  une  tres  petite  part  de  synthese  mentale  mais  beau- 
coup  d*automatisme.   Si   elle  est  tres  difficile    c'est  que  d'autres 


492  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

didicultes    doivent   s'ajouter  a  celles   que    presente  la  synthase 
mentale. 

L'etude  de  ces  derniers  faits,  T^tude  des  hallucinations  et  sur- 
tout  des  hallucinations  suggerees  pourra  peut-6tre  nous  indiquer 
un  caracterc  nouveau  qui  joue  un  role  important  dans  le  senti- 
ment de  la  r^alit^.  Les  hallucinations  en  eOet  s'accompagnent  de 
ce  sentiment  a  un  haut  degri^et,  dans  Texp^rimentation  au  moyen 
de  la  suggestion  hypnotique,  nous  pouvons  noter  a  quel  moment 
il  survient.  «  La  perception  reelle  ou  Thallucination  d'un  chien, 
disais-je  autrefois  ^  est  un  ensemble  d*images  visuelles,  tactiles, 
auditives  m6me,  tres  varices.  Pour  passer  de  Tidee  d'un  chien  a 
Timage  hallucinatoire  d'un  chien,  il  faut  non  pas  renforcer,  mais 
completer  Timage.  Ce  serait  etre  bien  maladroit,  en  face  d'un 
sujet  qui  voit  didicilement  les  hallucinations  que  de  r^p^ter 
meme  en  criant  tres  fort  :  «  tu  vois  un  chien,  tu  vois  un  chien  »  : 
on  n'arriverait  a  rien.  II  faut  preciser  et  completer  Timage  :  «  Tu 
vois  ses  oreilles,  tu  vois  sa  queue,  tu  vois  ses  longs  poils  de  cou- 
leur  jaune,  tu  entends  qu'il  aboie.  )>  Oubien,  si  Ton  a  afiaire  a  un 
sujet  qui  en  soit  capable,  il  faut  lui  laisser  le  temps  de  develop- 
per  lui-m^me  son  image.  Si,  dans  une  conversation  rapide,  je  dis 
a  L6onie  qu'il  y  a  des  moutons  dans  la  prairie  au  bord  de  la 
riviere,  etc.,  j'^veilie  par  chaque  mot  une  image  incomplete  et 
vague  qui  ne  sera  pas  une  hallucination.  Mais  si  apres  avoir  dit : 
«  il  y  a  un  mouton  devant  toi,  »  je  m'arrete  brusquement  et  ne  lui 
parle  plus  ;  son  idee  se  developpe  peu  a  peu,  elle  cherche  a  se 
repr^senter  des  details  nouveaux,  a  sentir  la  toison,  a  entendre  le 
cri  et  elle  finit  par  dire  :  «  C'est  un  vrai  mouton.  »  C'est-a-dire 
un  mouton  complet  et  non  plus  une  image  de  mouton.  La  com- 
plexite  de  Timage,  comme  le  montraitM.  Souriau,  a  donn^  nais- 
sance  a  son  objectivite^  ».  Depuis  cette  epoque,  j'ai  eu  Toccasion 
a  plusieurs  reprises  d'insister  sur  ce  role  de  la  complexity  et  du 
dcveloppement  de  Timage  dans  la  suggestion  et  dans  Thallucina- 
tion^,  et  je  considere  encore  comme  bien  vraisemblable  que  c'est 
au  nombre  et  a  la  richesse  des  images  evoqu^es  a  propos  d'une 


I.  Automaiisme  psychologique,  1889,  p.   181. 

a.  Souriau.  Sensation  et  perception.  Revue  philosophique,  i883,  II,  75, 
3.  Accidents   menlaux  des  hystiriques,    iSgAt    p.  a3.    Nevroses  et    idies   fixes,  I 
p.  ai6.  11 ;  p.  i3i,  etc. 


LA  TENSION  PSYCHOLOGIQUE  493 

meme  id^e  qu'est  di!k  le  caractere  de  reality  apparente  des  hnlluciDa- 
tionshyst^riques. 

Si  nous  coDsid^rons  au  contraire  ces  psychasth^niques  qui 
n'arrivent  point  au  sentiment  du  r^el  ni  dans  leurs  pseudo-hallu^ 
cinations  ni  meme  dans  leurs  perceptions,  nous  voyons  qu'ilsoot 
toujours  la  pens6e  occupee  par  des  ph^nomenes  plus  simples, 
moins  riches.  lis  ont  des  souvenirs  et  surtout  des  souvenirs  loin- 
tains,  mais  de  tels  souvenirs  sont  simplifies,  d^colores,  ils  ne  sont 
pas  aussi  complexes  que  le  spectacle  d'un  ev^nement  r^el.  lis  ont, 
surtout  des  raisonnements  abstraits,  des  bavardages,  dans  lesquels 
la  pensde  se  fait  au  moyen  de  substituts  qui  remplacent,  par  une 
image  simple,  un  groupe  de  phenomenes.  Quelquefois  ils  consta- 
tent  eux-memes  cette  simplification  de  leur  pens^e,  cette 
diminution  de  la  richesse  des  perceptions.  Jean  me  repete 
sans  cesse  «  qu'il  ne  saisit  pas  la  reality  avec  la  force  nor- 
male  >>.  J*insiste  en  lui  demandant  ce  qu*il  entend  par  la,  com- 
ment il  se  rend  compte  de  cepretendu  changement,  puisque  je  ne 
puis  decouvrir  en  lui  aucune  sensation  insuflSsante  :  cc  Yoici,  me 
dit-il,  ce  que  je  crois  avoir  remarqu^  :  dans  la  vision  normale, 
dans  la  vision  que  j'avais  autrefois,  un  objet  6tait  compose  d'une 
foule  de  details  :  si  vous  voulez,  il  y  avait  dans  cette  surface  de 
Tobjet  au  moins  trois  mille  petits  points  difTerents  que  je  voyais 
tons  a  la  fois,  maintenant  il  me  semble  qu'il  n'y  en  a  plus  que 
quinze  cents.  » 

Get  ensemble  de  remarques  nous  montre  que  dans  la  consti- 
tution des  phenomenes  de  notre  premier  groupe,  dans  notre 
fonction  du  r^el,  il  faiit  faire  jouer  un  role  a  la  complexite  et 
a  la  richesse  des  phenomenes  psychologiques.  Dans  Thallucination 
comme  dans  la  perception  du  reel  et  dans  Taction,  le  contenu  de 
la  conscience  a  propos  de  chaque  objet  est  non  seulement  syn- 
thetise  mais  il  est  riche  ;  le  nombre  de  sensations  et  des  images 
donnees  simultanement  est  considerable.  Au  contraire,  dans  les 
groupes  inferieurs,  dans  le  raisonnement  et  meme  dans  la  reve- 
rie, la  pensee  est  abstraite,  elle  se  fait  au  moyen  de  substituts  et 
elle  est  en  rcalite  assez  pauvre  de  phenomenes  rentrant  simulta- 
nement dans  la  synthese  mentale. 

Plusieurs  auteurs  semblent  avoir  senti  Timportance  qu*a  dans 
le  fonctionnement  de  Tcsprit  le  nombre  des  phenomenes  psycho- 
logiques simultanes.  M.  Espinas,  a  propos  du  sommeil  chez  les 
hysteriques,  a  parle  de  Timportance  des  sensations  volumineuses 


49i  THtoRIES  PATHOGI^INIQUES 

qui  mcttent  dans  la  conscience  un  grand  nombre  de  ph^nom^nes 
simuItan^sV  M.Stout,  a  propos  de  la  croyance,  remarqu^  cc  que 
la  force  de  cohesion  entrc  deux  id^es  A  et  B  n'est  pas  seule- 
ment  dans  les  idees  elles-niemesmais  dans  la  masse  des  elements 
conscients  et  subconscients  qui  les  soutiennent^. 

M.  Manouvrier,  dans  un  article  int^ressant  sur  la  volont^, 
exprime  des  id^es  du  nieme  genre  :  «  quand  Ics  cellules  cere- 
brates sont  le  siege  d'une  nutrition  tres  active,  quand  leur  com- 
position mol^culaire  est  telle  que  la  quantite  d'^nergie  mise  en 
liberty  par  leur  disintegration  est  a  son  maximum...  alors  les 
sensations  sont  vives  et  nombreuses ;  il  y  a  des  deliberations 
larges  et  vives  parce  que  de  nombreux  groupes  cellulaires  asso- 
cies  sont  mis  en  jeu  et  fortement  excites  :  les  deliberations  sont 
largement  conscientes  parce  que  Texcitation  se  propage  jusqu'aux 
groupes  les  plus  nouvellement  formes  et  parce  que  la  desinte- 
gration  moleculaire  d*ou  resulte  la  conscience  est  tres  active  :  la 
deliberation  est  breve,  parce  que  cette  activite  meme  entraine  la 
cohesion  rapide  de  plusieurs  desirs  on  volontes  naissantes  d*ou 
resulte  cette  desintegration  moleculaire  preponderante  qui  cons- 
titue  la  volonte.  Enfin,  cette  volonteest  s6rement,  rapidement  et 
energiquement  suivie  d'execution  parce  que  le  courant  nerveux 
energiquement  commence  par  cette  desintegration  centrale  par- 
ticipe  lui-meme  de  la  vigueur  generale  que  Tori  pent  appeler 
neurosthenie  (oSivs^).  Dans  Tetat  oppose  ou  neurasthenique 
[xy  crOcvs^),  la  volonte  au  contraire  est  ailaiblie  conime  tons  les 
etats  de  conscience  qui  la  precedent.  Les  sensations  sont  faibles, 
les  images  eveillees  dans  le  processus  associatif  sont  excitees  fai- 
blement  en  petit  nombre  et  successivcment.  Les  premieres  eveil- 
lees sont  deja  eteintes  au  moment  oil  Fexcitation  parvient  au 
groupe  voisin,  de  sorte  que  Ics  coordinations  sont  pauvres  et  pre- 
caires;  la  deliberation  est  etroite  et  moUe  par  suite  de  Texi- 
gui'te  qualificative  et  numerique  des  motifs  mis  en  jeu ;  les  desirs 
sont  sans  energie.  II  peut  arriver  qu'aucun  d'eux  n'acquiere  une 
intensite   suiHsante  pour   constitucr  la  volonte.  En  ce  cas,  c^est 

Taboulie Ce    qui    me   parait    avoir    une    tres    grande    portee 

psychologique,   ajoute  M.  Manouvrier  avec  beaucoup  de  profon- 


1.  M.  Espinas,  Du  sommeil provoque  chez  les  hysteriques,  Essai  d'expUcation  de  scs 
causes  et  de  ses  effets.  Bordeaux,  i884,  p.  i5. 

2.  Stout.  Mind,  July-oct.  1891. 


LA  TENSION  PSYCHOLOGIQUE  i95 

deur,  c'est  Topposition  entre  la  neurosth6nie  et  la  neurasth^nie 
ou,  si  Ton  veut,  entre  la  cerebrosthenie  et  la  cerebrasthenie , 
quant  aux  eOets  pi^oduits  par  ces  deux  etats  sur  Tintensit^  ou 
m^me  sur  la  forme  du  fonctionnement  mentaP  ». 

C*est  la  m^me  notion  de  la  richesse  des  processus  mentaux 
que  je  retrouve  comme  element  essentiel  des  veritables  halluci- 
nations et  qui  me  semble  jouer  un  grand  role  dans  toutes  les 
operations  de  la  fonction  du  reel.  Cette  notion  a  Tavantage  de 
contehir  ce  qui  6tait  interessant  dans  les  hypotheses  precedentes 
relatives  a  Timportance  des  sensations  et  surtout  des  sensations 
de  mouvement,  celles-ci  sont  ^videmment  contenues  dans  ce  que 
j'appelle  la  richesse  du  contenu  de  la  pens^e. 

Pourrait-on  aller  plus  loin  et  chercher  si  nous  pouvons  d^cou- 
yrir  d'autres  caracteres  psychologiques  auxquelles  soient  li^s 
cette  concentration  et  cette  richesse  des  ph^nom^nes.  Je  suis 
dispose  a  imaginer  que  la  rapidite  des  ph^nomenes  psycholo- 
giques ou  plutot  des  elements  de  ces  phdnom^nes  doit  intervenir 
ici.  II  est  visible,  je  Tai  montre  bien  souvent,  que  les  douteurs 
sont  des  lents  et  il  n'est  pas  impossible  de  supposer  qu*il  y  a  chez 
eux  un  ralentissement  de  ces  oscillations,  de  ces  vibrations  qui 
constituent  peut-etre  les  (Elements  de  la  conscience.  Mais  il  est 
trop  Evident  que  ce  sont  la  des  hypotheses  actueilement  invcri- 
(iables  que  nous  ne  pouvons  ajouter  sans  demonstration  aux  faits 
acquis. 

En  un  mot,  il  me  semble  que  deux  phenomenes  essentiels  ca- 
ract^risenl  les  premiers  degr^^s  de  cette  hierarchic:  i®  Tunifica- 
tion,  la  concentration,  surtout  importante  lorsqu'elle  est  nouvelle 
etqu^elle  constituc  la  synthese  mentale  ;  2°  le  nombre,  la  masse 
des  phenomenes  psychologiques  qui  doivent  faire  partie  de  cette 
synthese.  La  reunion  de  ces  deux  ph^nom^nes,  une  synthase 
nouvelle,  une  forte  concentration  et  des  faits  de  conscience  tres 
nombreux  constitue  un  caractere  qui  doit  etre  essentiel  en  psy- 
chologic et  que  Ton  peut  appeler  par  convention  la  tension  psy^ 
chologie. 

Muudsley  a  deja  parle  des  divers  degres  de  tension  que  pouvait 
prendre  Tenergie   cerebrale  *.    Spencer   exprime    des    idees    du 


I.  Manouvrtcr,  La  volonl^.  lievae  de  I'hypnotisme,  189^^.  p.  aag,  aSa. 
a.   Maudslcy,  Physioloyie  de  V esprit,  p.  3oo  el  suiv. 


496  THEORIES  PATliOGfiNIQUE^ 

meme  genre  «  sur  les  diverses  tensions  ou  pressions  du  systehie 
nerveux,etsur  le  role  qu^elles  doiventjouer  dans  la  conscience S). 
HofTding  a  d^ja  insiste  sur  cette  tension,  cette  concentration 
qu'il  consid^re  comme  essentielle  dans  la  volition.  «  A  Texpan- 
sion  de  la  recherche  des  motifs  doit  succeder  une  concentration. 
II  s'agit  de  clore  tout  le  debat  conscient,  de  conceutrer  T^nergie 
sur  un  seul  point  qui  puisse  servir  de  point  de  depart  pour  la 
realisation  du  but  qu'on  s'est  propose'.  »  M.  Bergson  a  exprime 
beaucoup  d'idees  philosophiques  dans  le  meme  sens  quand  il 
dit  que  «  Taction  doit  concentrer  de  plus  en  plus  un  grand  nombre 
d*images  dans  un  moment  du  temps  de  plus  en  plus  court  \  a  Les 
divers  souvenirs  ^voques,  dit-il  encore,  repondent  a  divers  degr^s 
de  tension  de  la  m^moire  ici  plus  rapprochee  de  Timage  pure 
(du  revc),  la  plus  disposee  a  la  replique  immediate,  c*est-a-dire 
a  Taction*.  » 

Voici  done  un  ensemble  de  recherches  qui  convergent  vers 
cette  id^e  qu'il  y  a  des  degres  de  tension  psychologique  et  qu'a 
ces  divers  degres  correspondent  non  seulement  des  modifications 
d'intensit^  mais  des  modifications  tres  interessantes  de  quality  ou 
de  nature  dans  ces  ph^nom^nes.  J'ai  essaye  de  les  preciser  en 
r^unissant  ces  notions  relatives  a  la  tension  psychologique  avec  les 
faits  mis  en  Evidence  dans  le  tableau  de  la  hierarchic.  Le  degve  de 
la  tension  psychologique,  ou  I* elevation  du  nweau  mental  se  mani- 
feste  par  le  degre  qnoccupe  dans  la  hier archie  les  phenomhnes  les 
plus  eleves  auxquels  le  sujet  peut  par^enir.  La  fonction  du  r6el 
avec  Taction,  la  perception  de  la  reality,  la  certitude  exigeant 
le  plus  haut  degr<^  dc  tension,  ce  sont  des  ph^nomenes  de  haute 
tension;  la  r6verie,  Tagitation  motrice,  Temotion  exigeant  des 
tensions  bien  inferieures,  on  peut  les  consid^rer  comme  des  phe- 
nomenes  de  basse  tension  correspondents  a  un  niveau  mental 
infcrieur. 

Bien  entendu  il  est  facile  de  traduire  ces  hypotheses  psycholo- 
giques  en  hypotheses  physiologiques  :  comme  je  Tai  dit  souvent, 
en  dehors  des  experiences  de  physiologic  et  des  recherches  his- 
tologiques  proprement  dites,  les  interpretations  physiologiques 
ne  sont  que  des   traductions  des    notions  psychologiqucs    en    un 

1.  Spencer,  Principes  de  psychologies  I,  p.  635  et  suiv. (Paris,  F.  Alcan). 

2.  Hoarding,  Manuel  de  psychologies  chap.  vii. 

3.  Bergson,  Op,  cil.,  p.  33 1. 

4.  Id.  Ibid.     p.  i85. 


ABAISSEMENT  DE  LA  TENSION   PSYCIIOLOGIQUE  497 

autre  langage.  II  est  bien  vraisemblable  que  cette  tension  psycho- 
logique  correspond  a  une  certaine  tension  physiologique  et  phy- 
sique qui  existe  dans  le  systeme  nerveux  central.'  On  connaitbien 
des  forces  physiques  pr^sentant  des  degres  de  tension  du  m^me 
genre  et  determinant  des  ph^nomenes  diflerents  suivant  leur 
degre  de  tension.  Quand  il  s'agit  du  courant  electrique  on  sait 
tres  bien  que  certains  phenomenes  ne  sont  possibles  que  grace 
a  une  certaine  tension  du  courant.  Une  lampe  donn^e  ne  s'aliu- 
mera  que  si  le  courant  a  ii5  volts;  cela  ne  veut  pas  dire  qu'un 
courant  de  go  volts  soit  un  courant  nul.  Ce  cogrant  inf^rieur  pent 
etre  capable  de  produire  d'autres  ph^nom^nes,  de  porter  au 
rouge  un  (11  de  platine,  de  faire  marcher  un  moteur,  etc. ;  mais 
il  ne  peut  pas  allumer  la  lampe  precedente.  La  chaleur  pr^sente 
des  degres  de  tension  diflerents  suivant  la  temperature  a  laquelle 
elle  s'eleve  :  a  33o°  elle  determine  la  fusion  du  plomb,  a  1776*^ 
celle  du  platine.  II  doit  se  passer  quelque  chose  d'absolument 
semblable  au  point  de  vue  des  courants  nerveux. 

Malheureusement  nous  ne  savons  guere  aujourd'hui  de  quoi 
depend  cette  tension  du  cerveau.  S'agit-il  d'une  certaine  vitesse 
de  vibrations  encore  inconnues  ?  Y  a-t-il  un  organe  special  charge 
des  phenomenes  de  haute  tension,  tandis  que  d'autres  regions  se 
bornent  a  Tex^cution  des  phenomenes  de  basse  tension  ?  Est-ce 
tout  le  cerveau  qui  change  de  tension  suivant  les  cas  ?  D'oii 
provient  la  regulation  de  cette  tension  ?  il  faut  sur  tons  ces 
points  avouer  notre  ignorance.  Tout  ce  que  nous  pouvons  con- 
clure,  c'est  que  les  modifications  de  la  tension  du  cerveau  vont 
avoir  une  importance  psychologique  enorme  s'il  est  vrai  que, 
comme  nous  avons  ete  amenes  a  le  supposer  dans  cette  premiere 
hypothese,  des  categories  de  phenomenes  psychologiques  abso- 
lument  difii^renls  correspondent  ii  diflerentes  tensions. 


2.  —  Abaissement  de  la  tension  psychologique. 

Si  Ton  a  bien  concu  la  notion  de  la  tension  psychologique,  on 
doit  s'apercevoir  immediatement  que  cette  tension  est  tres  va- 
riable non  seulement  chez  les  diflerents  6tres  mais  encore  au 
cours  de  la  vie  d'un  meme  Hre.  Si  je  ne  me  trompe,  lu  eonnais- 
sance  de  ves  variations  de  la  tension  psychologique,  de  ces  oscilla^ 
LES  OBSEssio.Ns.  I.  —  3a 


498  THEORIES  PATHOGCNIQUES 

tions  du  niveau  mental  \o\ier2i  plus  tard  un  role  de  premier  ordre 
dans  rinterpr^tatioQ  des  modifications  du  caractere,  de  revolu- 
tion de  I'esprit,  des  modifications  produites  par  I'^motion. 

II  suiEtde  rappeler  ici  quelques  exempies  bien  connus  decette 
oscillation  pour  pouvoir  appliquer  cette  notion  a  notre  pro- 
bleme.  En  premier  lieu,  il  est  probable  que  ces  variations  de 
tension  psychologique  jouent  un  grand  role  dans  les  modifica- 
tions mentales  produites  par  Page.  La  puissance  d'adaptation  au 
reel,  tres  petite  dans  Fenfance,  s'accroit  dans  la  jeunesse  et  baisse 
dans  la  vieillesse  :  on  connait  Tabouliey  la  distraction,  Tamn^sie 
continue  des  vieillards. 

En  second  lieu,  on  pent  signaler  les  modifications  psycholo- 
giques  que  Ton  observe  pendant  le  sommeil.  Dans  mes  cours  de 
1901  sur  «  le  sommeil  et  les  etats  hypnoi'des  »,  j'ai  constam- 
ment  developp^  cette  id^e  que  la  veille  et  le  sommeil  nous  pre- 
sentaient  un  des  plus  beaux  exempies  des  grandes  oscillations  du 
niveau  mental.  On  retrouve  dans  le  reve  tous  les  troubles  carac- 
teristiques  de  Tabaissement  de  la  tension  psychologique.  L'abou- 
lie,  la  lenteur,  Tent^tement,  Tabsence  d^adaptation  caract^risent 
Taction  des  r^veurs,  comme  la  distraction,  le  retr^cissement  du 
champ  de  la  conscience,  Tabsence  de  comparaison  et  de  critique 
caract^risent  leur  attention.  II  y  a  dans  le  r^ve  de  Tamnesie  conti- 
nue qui  empeche  la  fixation  et  la  persistance  des  souvenirs,  il  y 
a  aussi,  chose  curieuse,  de  Tamn^sie  retrograde  ou  de  la  me- 
moire  retardante,  car  le  reve  ne  porte  pas  sur  les  evenements  de 
la  journee  mais  sur  les  faits  dejci  rcculds  dans  le  passed.  On  re- 
marque  facilement  dans  le  r^ve  de  Tautomatisme,  de  la  repetition 
indefinie,  de  la  declamation,  des  illusions  dans  Tappreciation  du 
temps,  le  sentiment  de  drole,  le  deja-vu,  le  doute,  le  dedouble- 
ment,  etc.  La  notion  de  Tabaissement  de  la  tension  psycholo- 
gique, comprise  avec  precision,  est  un  des  meilleurs  resumes 
que  Ton  puisse  donner  de   Fetat  de  Tesprit  pendant  le  r^ve. 

On  peut  done,  apres  ces  remarques,  appliquer  notre  hypothese 
de  la  hierarchic  des  ph^nomcnes  psycbologiques  ou  des  divers 
degres  de  la  tension  psychologique  a  Tinterpretation  des  etats 
psychastheniques.  Pour  y  parvenir  voici  de  quelle  maniere  on 
pourrait  se  representer  le  trouble  fondamental  de  la  maladie. 

A  partir  d'un  certain  moment  sous  des  influences  diverses  que 
j'etudierai  plus  tard  survient  chez   ces  individus  un  abaissement 


ABAISSEMENT  DE  LA  TENSION  PSYCHOLOGIQUE  499 

de  la  tension  psychologique  et  nen^euse  telle  que  nous  Tavons 
comprise.  Chez  les  uns  cet  abaissement  une  fois  commence  va 
Tester  definitif  pendant  plus  ou  moins  longtemps,  chez  les  autres 
il  disparaitra  rapldement  pour  reapparaitre  bientot ;  il  faut  aussi 
remarquer  que  suivant  les  sujets  Tabaissement  de  la  tension  sera 
plus  ou  moins  profond.  Ce  sont  des  varietes  que  Ton  pent  n^gliger 
pour  le  moment,  Tessentiel,  c'est  que  cet  abaissement  existe  chez 
tons  au  debut  des  p^riodes  de  la  maladie  qu*elle  soit  courte  ou 
longue,  profonde  ou  l^gfere.  Celaveutdire  d'aprfes  les  etudes  pre- 
c^dentes  que  certains  ph^nomenes  sup^rieurs  fonction  du  r^el, 
action  volonlaire  avec  adaptation  nouvelle  avec  sentiment  de 
liberty  et  de  personnalit^,  perception  de  la  r^alit^,  croyancc, 
certitude,  douleur  et  jouissance  du  present,  notion  exacte  du 
present  vont  devenir  impossibles,  tandis,  que  les  autres  groupes 
d'op^rations,  action  et  perception  d^sinteress6e  ou  avec  distrac- 
tion, et  a  plus  forte  raison,  raisonnement,  reverie  et  emotion 
mal  coordonn^e  vont  rester  parfaitement  fgciles.  II  sulfit  de  se 
reporter  a  tout  ce  que  nous  avons  dit  sur  Tinsuffisance  psycho- 
logique pour  constater  que  c'est  bien  ainsi  que  les  choses  se 
passent. 

On  a  vu  en  effet  que  ces  personnes  ne  sont  pas  simplement 
des  emotifs  mais  que  ce  sont  des  malades  dont  toute  la  vitalite 
et  toute  la  nutrition  semble  altdr^e,  leur  amaigrissement  carac- 
teristique  ne  me  parait  pas  convenir  a  un  caractere  simplement 
emotif.  II  y  a  la  un  abaissement  de  la  vitalite  qui  est  bien 
d'accord  avec  cet  abaissement  de  la  tension  nerveuse  que  nous 
supposons.  Plusieurs  auteurs  ont  ainsi  insists  avec  juste  raison 
sur  ce  caractere  maladif  que  d'ordinaire  on  neglige  trop*. 

II  est  inutile  de  reproduire  tons  les  faits  que  nous  avons  cites 
a  propos  de  ces  insufHsances  psychologiques  et  qui  demontrent 
bien  Tabaissement  de  la  tension  psychologique.  Je  rappelie  seu- 
lement  certains  cas  caract^ristiques  ou  les  malades  debutent  par 
un  abaissement  tout  a  fait  visible.  Nous  avons  vu  des  cas  conime 
celui  de  Ver...  et  de  Bei...  oil  brusquement  sans  obsession,  sans 
crises  d'angoisse  proprement  dite  les  malades  perdent  la  r^alit^ 
de  leur  personne  ne  peuvent  plus  atteindre  a  la  perception  per- 
sonnelle  attentive  et   r^elle,   mais  continuent   a  avoir   toutes   les 


1.  Van  Eeden,  Le»  obsessions.  Hevuc  de  Vhyynolisme,  189a,  p.  11.   Haskovec,  op, 
cit.,  ia4 


500  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

operations  correctes  du  moment  qu'eiles  sont  faites  avec  distrac- 
tion et  qu'ils  n'essayeut  pas  de  les  porter  a  iin  degr^  6lev6  devenu 
impossible.  Ces  memes  sujets  ne  parviennent  aux  autres  formes 
de  la  maladie  qu'un  an  ou  deux  apres.  D'autres  ne  peuvent  plus 
parvenira  la  r^alite  dans  la  perception  ext^rieure  ou  bien  n'ont 
que  de  Taboulie,  de  Tindecision,  ils  ont  de  la  lenteur,  de  Tina- 
chevement  des  actes,  ils  deviennent  incapables  d'apprendre,  ne  se 
rendent  plus  bien  comptede  ce  qu'ilslisent,  de  cequ'ils  entendent 
«  il  y  a  quelque  chose  de  travers  dans  ma  vie,  un  voile  qui  m'en- 
toure  et  dont  je  ne  peuxplus  me  dep^trer  »  (Gisele).  «  Les  choses 
n'ont  plus  leur  effet  complet  sur  moi  »  (Jean).  «  Ma  tete  est 
devenue  faible,  ecrit  Mm...,  et  ne  pent  plus  se  livrer  a  aucun  tra- 
vail... je  deviens  d*une  distraction  sans  ^gale.  Je  ne  vois  ni  n'en- 
tends  ce  qui  se  passe  autour  de  moi...  j'ai  Tesprit  constamment 
absorbs,  je  ne  puis  me  d^barrasser  d'un  ennui,  d'un  etat  de 
langueur   indefinissable.  » 

((  A  17  ans  je  suis  devenue  peu  a  pen  distraite,  dit  Mb...,  je  ne 

me  rendais  plus  compte  de  ceque  je  faisais,  pendant  que  je  jouais 

du  piano  je  me  demandais  si  j'etais  au  piano,  et  il    me  semblait 

que  le  piano  n'existait  pas.  »  cc  C'est  un  voile  ^ui  est  tomb^  sur 

moi,  ditLag...,je  ne  peux  plus  le  percer,   je   ne   m'appartiens 

plus,  je  ne  peux  plus  etre  sur  terre,  il  me  faut  malgre  moi  rester 

dans  les  nuages.  »  a  II  me  semble,  dit  Xyb...,  que  quelque  chose 

s'est  cass^  dans  ma  t^te,  je  ne  suis   plus    moi-m6me,   je  ne  suis 

plus  posde  a  un  moment  du  temps,  je  ne  suis  plus  nulle  part.  » 

C'est  un  ^tat  cr^pusculaire  oil  le  malade  vit  plus  dans  le  pass6 

que  dans  le   present.  Al...  debute  par  un  etat  de  distraction,  elle 

ne  comprend  plus  ce  qu'elle  lit  et  n'a  plus  de  memoire  des  6ve- 

nements  recents.  «  II  me  semble   que  tout  s'efTace   au   fur  et  a 

mesure  comme  si  le   prc^sent  n'existait  pas  pour  moi,  je  ne  me 

rends  plus  compte  de  la  facou  dont  je  vis  depuis  quelque  temps.  » 

Celle   qui  exprime    le    mieux  cet    abaissement    des    fonctions 

mentales   au    debut    c'est  Claire.  La  maladie   a  commence  chez 

cette  jeune   fille  vers   Tage  de  18  ans  par   une   sorte   d'engour- 

dissement,    d'incapacite  qui  a   d^abord  porte  sur  des  operations 

superieures  et  qui  s'est  ^tendue  peu  a  peu  :  «  tout  s'est  eloigne  de 

moi,  dit-elle,  c'etait  comme  une  lumi^re  qui  s'eloignaitde  moi  tr^s 

lentement,  mais  de  plus  en  plus.  J'avais  une  tristesse  sans  savoir 

pourquoi,  un  manque  d'espoir,  de  confiance,  de  croyance  m^me, 

je  sentais  cela  jour  et  nuit,  J'ai  cru  que  c'etait  ma  foi  religieuse 


ABAISSEMENT  DE  L.V  TENSION  PSYCIIOLOGIQUE  501 

qui  s'en  allait,  mais  je  n'al  jamais  pu  trouver  exactement  ce  qui 
me  manquait  :  je  disais  que  je  n'avais  plus  de  foi  comme  maiu- 
tenant  je  dis  que  je  n'ai  plus  de  coeur...  J'6prouvais  une  difficulte 
pour  tout  ce  que  je  faisais  auparavant...  II  y  avail  comme  un  voile 
qui  s'^tendait  sur  moi,  qui  m'empechait  de  voir,  d'agir  comme 
avant,  qui  m'empechait,  par  exemple,  de  me  repentir  comme  si 
ma  foi  s'en  allait.  C'est  plus  tard  que  j*ai  senti  mes  autres  senti- 
ments diminuer,  j'ai  moins  senti  les  affections,  les  joies,  les 
peines,  il  me  semblait  que  j'^tais  comme  endurcie...  II  me 
semblait  qu'on  m'enlevait  ma  liberte,  quand  j'agissais  ce  n'etait 
pas  moi  comme  autrefois;  mes  idees  se  succedaient  et  je  ne  pou- 
vais  plus  les  arr^ter...  ».  Puis  sont  survenus  chez  cette  malade 
tons  les  troubles  de  Tinsuffisance  psychologique.  Je  tiens  seu- 
lement  a  faire  remarquer  que  cet  ^tat  n'etait  aucunement  chez 
elle  au  d6but  le  r^sultat  d'une  obsession,  celles-ci  ne  se  sont 
developpees  chez  Claire  que  plusieurs  annees  apres. 

Meme  chez  les  malades  avanc^s  qui  ont  toutes  les  obsessions 
possibles,  il  y  a  des  moments  oil  T^tat  d'abaissement  se  presente 
seul  sans  angoisse  et  sans  idee.  C'est  ce  que  Jean  appelle  son  etat 
implicite  a  un  etat  vague  qui  revient  tout  d'un  coup,  ind^finis- 
sable  et  affreux,  c'est  comme  une  couche  qui  surplombe  tout 
Tesprit,  qui  I'empeche  de  s'^lever  a  rien  ;  c'est  perpetuel  et  ira- 
muable  sans  que  je  sache  aucunement  pourquoi,  sans  que  je  souffre 
v6ritablement  et  sans  que  j'aie  aucune  idee  »,  c'est  I'^tat  vague  de 
Gis^le  :  «  Je  souflFre  comme  si  j'avais  un  obsession  qui  m'empeche 
d'agir  et  de  penser,  mais  vraiment  je  ne  sais  pas  laquclle  et  je 
crois  qu'il  n'y  en  a  pas.  » 

II  y  a  done  la  un  ph^nomene  primitif  et  essentiel  qui  consiste 
dans  la  disparition  de  certaines  operations  psychologiques  sup^- 
rieures  d'apr^s  notre  hierarchic  avec  conservation  des  infcrieures. 
On  peut  done  r^sumer  cet  etat  en  disant  qu'il  y  a  un  abaissement 
de  la  tension  psychologique.  Si  cet  abaissement  est  rapide  et  de 
pen  de  dur^e  nous  dirons  que  c'est  une  chute  de  la  tension  et 
nous  pourrons  designer  cette  crise  sous  le  nom  de  crise  de  psy- 
cholepsie,  M.  Meschede  (Konigsberg)  a  d^ja  employe  dans  un 
sens  analogue,  mais  non  identique,  le  mot  de  «  phenom^nes  phr^- 
noleptiquesS).  «  Le  mot  de  phr^nolepsie  est  forme,  dit  I'auteur, 

1.  Meschede  (Konigsberg)  sur  I'Echolalie  et  la  Phrenolepsie.  AUg.  Zeiiz.  /. 
Psychiatric,  LIU,  f.  4,  1897. 


502  THEORIES  PATllOOEMQUES 

par  analogic  avec  catalepsie,  ^pilepsie,  narcolepsie  et  exprime  bien 
rirresistibilit6  du  ph^nom^ne  qui  se  passe  dans  le  domaine  de 
rid^ation.))  Tout  en  conservant  en  partie  le  mot  qui  me  semble 
heureux  et  le  sens  que  lui  donne  Tauteur,  je  crois,  par  les  etudes 
pr^c^dentes,  avoir  donn6  plus  de  precision  a  la  notion  de  la 
psycholepsie.  Si  Tabaissement  est  durable  il  constitue  cet  6tat 
psychologique  infi^rieur  permanent  que  j'ai  d^signe  sous  le  nom 
de  psychasthenie. 


3.  —  Rapport  des  crises  de  psycholepsie  avec  les  acces 

6pileptiques. 

Puisque  le  fait  de  Tabaissement  de  la  tension  psychologique, 
la  crise  de  psycholepsie  est  pour  moi  le  fait  principal  de  la  maladie, 
Torigine  de  tous  les  autres,  il  faut  insister  sur  lui  en  montrant 
son  rapport  avec  des  phenoni^nes  pathologiques  bien  connus  et 
du  meme  genre. 

Le  plus  int^ressant  probleme  a  examiner  a  ce  propos  est  celui 
des  rapports  qui  existent  entre  ces  crises  de  psycholepsie  et  les 
acces  d'epilepsic  proprement  dite.  En  effet,  Tacces  ^pileptique 
avec  sa  perte  totale  de  conscience,  avec  ses  vertiges  et  ses  actions 
completement  automatiques  est  bien  certainement  le  type  le  plus 
completd^abaissement  mental  et  d^oscillation  du  niveau  mental :  si 
les  crises  de  psycholepsie  meritent  leurnom,  il  me  semble  diffi- 
cile qu'elles  n'aient  pas  quelque  rapport  avec  les  acces  epilep- 
tiques. 

Griesinger  et  aprbs  lui  Berger  signalaient  des  relations  possibles 
entre  Tepilepsie  et  la  maladie  des  obsessions,  mais  plus  tard  ce 
probleme  sembla  bien  oublie  et  la  plupart  des  auteurs,  remarque 
M.  Haskovec'y  se  refuserent  a  voir  ces  relations.  Cependant, 
d'apres  une  citation  de  Legrand  du  SauUe  ',  je  crois  que  Westphal 
se  demande  s'il  n'y  a  pas  lieu  de  rapprocher  Tagoraphobie  de  Te- 
pilepsie.  Dans  le  m^me  passage,  pour  montrer  Tint^r^t  qu^ilprend 
a  la  question,  Legrand  du  Saulle  cite  une  observation  d'un  ^pi- 

« 
I.  Haskovcc,  op.  cit.,  p.  ia5. 
a.  Legrand  du  Saulle,  Agoraphobic,  p.  60. 


LES  CRISES  DE  PSYCKOLEPSIE  ET  LES  ACCfiS  fiPILEPTIQUES        503 

leptique  agoraphobe.  Cependant,  en  g^n^ral,  il  est  exact  que 
cette  relation  a  6t6  le  plus  souvent  completement  ni^e  par  les 
observateurs,  qui  sont  beaucoup  plus  frapp^s  des  grandes  diffe- 
rences apparentes  que  des  resseniblances. 

C'est  ce  qui  est  tres  net  dans  cette  discussion  de  M.  Mickle  dont 
MM.  Pitres  et  Rdgis  adoptent  completement  les  conclusions.  «  I/^- 
mergence  soudaine  du  fin  fond  de  la  conscience  des  ^l^ments  de 
Tobsession,  pent  rappelcr  Tattaque  d'^pilepsie,  cependant  ce  n'est 
pas  la  de  Tepilepsie  vraie;  ce  n'est  pas  non  plus  de  T^pilepsie  lar- 
vee...  ces  etats  d'obtusion  secondaire,  de  tourbillon  mental  diffe- 
rent absolument  de  Tabsencc  primaire,  du  voile  momentane  de 
rimperception  des  etats  nuageux  de  Tepilepsie ;  des  obsessions  chez 
les  epileptiques  n'existent  jamais  au  moment  precis  ou  Tesprit  est 
sous  le  coup  d^une  attaque. . .  En  resume,  dans  Tobsession,  il  y  a  con  • 
servation  en  tiereoupresque  enticrede  la  conscience, d'ordinairepar- 
faite,  souvenirde  Tattaque,  anxi^te  etangoisse  concomitante,  inquie- 
tude du  malade  sur  son  6tat  mental,  d^go^t  de  la  vie,  frequemment 
stigmates  physiques  de  neurasthenic  cerebrale.  Dans  Tepilepsie, 
il  y  a  explosion  soudaine  de  Tattaque,  inconscience,  etat  de  trouble 
ou  grande  obscurite  mentale  pendant  Texplosion,  perte  plus  ou 
moins  complete  du  souvenir  de  Tattaque,  souvent  ressemblance 
absolue  des  details  entre  plusieurs  attaques  consecutives...  » 
MM.  Pitres  et  R^gis  insistent  en  plus  sur  la  lutte  mentale  qui 
caracterise  Tobsession  au  lieu  de  la  soudainete  irresistible  de 
r^pilepsie,  ils  opposcnt  comme  exemple  la  dromomanie  de  Tob- 
s6de  a  Tautomatisme  ambulatoire  de  T^pileptique*. 

Sans  contcster  Tint^r^t  de  ces  remarques  je  crois  que  nos 
etudes  prec^dentes  nous  permettent  de  ne  pas  les  consid^rer 
comme  absolument  definitives.  Ces  auteurs  insistent  beaucoup 
sur  cette  observation  que  Tobtusion.  est  secondaire  chez  Tobs^d^, 
qu'elle  est  consecutive  a  Tobsession  elle-meme ;  mais  c'est  un 
point  qui  me  parait  trfes  contestable.  II  y  a  chez  les  psychasthe- 
niques  tout  un  ensemble  d^insuffisances  psychologiques  qui  sont 
quelquefois  tres  graves  et  qui  loin  de  d^pendre  de  Tobsession 
en  sont  au  contraire  le  point  de  depart.  II  est  faux  de  dire  que 
les  sentiments  de  depersonnalisation,  d^automatisme,  de  voile, 
de  nuage,  de  defaut  d'^motion,  soient  la  suite  d'une  obsession,  a 
laquelle  songerait  tout  le  temps  le  malade ;  on  les  observe  fr6- 

1.  Pitres  et  Regis,  op.  ei7.,  p-  96. 


50i  THEORIES  PATIIOGENIQUES 

quemment  et  pendant  des  ann^es  enti^res  avant  Tapparition  d'au- 
cune  obsession. 

On  insiste  ensuite  sur  la  conservation  complete  de  la  con- 
science pendant  les  crises  d'obsession.  C'est  encore  un  point  que 
je  ne  puis  admettre  :  Tincapacite  absolue  d'arriver  malgre  des 
efforts  inoui's  a  une  resolution,  a  une  croyance,  I'amn^sie  conti- 
nue, la  diminution  enorme  de  toutes  les  fonctions  du  r6el  ne  sont 
pas  les  marques  d*une  conscience  intacte.  II  y  a  une  diminution 
de  la  tension  psychologique  que  I'on  ne  peut  pas  consid^rer 
comme  insignifiante. 

D'autre  part  on  insiste  sur  la  soudainet^,  Tinconscience,  la 
perte  totale  des  souvenirs,  la  r^p^tition  automatique  de  la  grande 
attaque  comitiale.  D'abord  certains  de  ces  caracteres,  la  soudai- 
net6  et  la  r^gularit^  se  retrouveraient  trfes  blen  chez  les  psychas- 
th^niques.  Jean  est  toujours  saisi  soudainement  de  ces  idees 
(f  cela  me  vient  tout  d*un  coup,  comme  si  je  recevais  un  coup 
de  baton  »,  et  ses  crises  ont  une  monotonie  remarquable.  11  en 
est  de  meme  chez  Gisele  «  9a  tombe  sur  mot  comme  un  coup  de 
tonnerre  »  et  Ton  peut  pr^dire  mot  a  mot  les  phrases  qu'elle  va 
prononcer.  Ensuite  les  caracteres  que  Ton  indique  ici  n'appar- 
tiennent  qu'aux  grands  acc^s  ^pileptiques  et  personne  n'a  jamais 
pr6tendu  que  les  crises  d'obsessions  fussent  identiques  au  grand 
mal  avec  secousses  cloniques  et  stertor.  II  y  a  d'autres  ph^no- 
menes  ^pileptiques  dans  lesquels  on  n*observe  ni  la  perte  totale 
de  la  conscience,  ni  la  perte  totale  des  souvenirs.  Les  differences 
indiqu^es  par  ces  auteurs  ne  me  semblent  done  pas  sufCsantes  a 
priori  pour  ecarter  le  probleme  et  c'est  a  la  clinique  a  montrer 
si  le  rapprochement  est  possible  et  int^ressant. 

A  plusieurs  reprises  M.  F^re  a  montr^  que  certaines  formes 
d'^motivite  morbide  doivent  ^tre  considerees  comme  des  syn- 
dromes analogues  aux  syndromes  epileptiques.  MM.  Marinesco 
et  P.  S6rieux  ont  insist^  sur  la  fr^quente  coexistence  des  idees 
obs6dantes,  des  scrupules,  des  manies  impulsives,  des  phobies 
avec  r^pilepsie*.  M.  Nagy*  et  surtout  M.  Ottolenghi '  ont  insiste 
sur  les  epilepsies  psychiques  «  L'eiat  crepusculaire  peut  pr^ceder 
le  grand  acccs,  le  suivre  ou  en  etre  independant,  il  peut  durer 

1.  Marinesco  et  P.  S^rieux,  Essai  sur  la  pathogenic  et  le  traitement  de  Npilepsie, 
1895,  p.  64. 

2.  Nagy,  Centralbl.  f.  Nervenheilk.,  1898. 

3.  Oitolenghi»  Epilepsies  psjchic[ues.  Ftiv.  sper.  d,  freniat.,  XVII »  fasc.  i,  189a. 


LES  CRISES  DE  PSYCIIOLEPSIE  ET  LES  ACCES  EPILEPTIQUES         505 

quelques  heures,  quelques  jours,  des  mois,  des  annees  et  consti- 
tuer  alors  une  sorte  d'etat  second...  cet  ^tat  est  souvent  difficile 
a  distinguer  de  Tetat  somnambulique.  Lorsqu'il  dure  un  certain 
temps  il  peut  ^tre  conscient,  c'est  une  sorte  d*etat  second  ^pilep-^ 
tiqne  dans  lequel  l*individu  a  conscience  de  ce  qu'il  fait,  s'en 
souvient  mais  agit  tout  autrement  qu'a  I'etat  normal  ^  »  II  est 
facile  de  voir  que  cet  ^tat  crepusculaire  peut  se  rapprocher  de 
notre  etat  psychasthenique. 

Aussi  n'est-il  pas  surprenant  que  M.  Haskovec  au  dernier 
Congres  de  m^decine  ait  repris.rancienne  opinion  de  Griesinger 
et  montr^  par  une  observation  remarquable  que  Ton  rencontre  par- 
fois  chez  des'6pileptiques  des  ph^nomenes  identiques  a  ceux  que 
pr^sentent  les  obsedes.  <(  Un  homme  de36ans,  J.  R...,  atteint  de- 
puis  longtemps  de  mal  comitial  classique  se  trouvant  un  jour  au 
theatre  sent  les  premiers  signes  d'un  acces  semblables  a  ceux  qu'il 
a  depuis  longtemps.  II  r^siste  de  toutes  ses  forces  et  arrive  a  arr6ter 
Facets.  Celui-ci  ne  se  produisit  pas,  mais  le  malade  entra  dansun 
^tat  psychique  Strange.  II  me  semblait,  dit-il,  que  je  revais  ;  je 
voyais  tout,  j^entendais  tout,  mais  tout  cela  me  semblait  etrange  ; 
il  me  semblait  que  ces  perceptions  n*arrivaient  pas  directement  a 
moi  que  je  n'avais  pas  des  impressions  r^elles  mais  que  ce  n'^tait 
que  des  reproductions  dechoses  automatiques.  »  L'observation  de 
M.  Haskovec  ne  parut  pas  tr^s  demonstrative  parce  qu'elle  portait 
en  realite  uniquement  sur  le  sentiment  d'etrangete,  de  d^person- 
nalisation  dont  on  etait  dispos6  a  faire  une  maladie  ind^pendante 
sous  le  nom  de  nevrose  de  Krishaber.  Mais  pour  nous  qui  avons 
beaucoup  insiste  pour  montrer  que  ce  sentiment  est  banal  chez  les 
obsedes,  qu'il  est  a  la  racine  de  leurs  obsessions,  le  fait  prend  une 
plus  grande  importance.  Pour  terminer  cette  incomplete  revue 
historique  des  auteurs  qui  ont  6tudie  ces  relations  de  la  psychas- 
thenic avec  Tobsession,  nous  rappellerons  seulement  que  depuis 
plus  de  quatre  ans  dans  les  legons  cliniques  de  la  Salp^triere  M.  le 
P'  Raymond  et  moi-m6me  avons  signals  a  maintes  reprises  a 
propos  d'un  grand  nombre  d'observations  cliniques  analogues  a 
celle  de  M.  Haskovec  Timportance  de  ce  rapprochement*.  Nous 
pouvons  maintenant  passer  a  Texamen  clinique  des  faits. 


I.   Haskovec,  op.  ril.,  p.  ia5. 

a.  Raymond,  Legons  cliniques  sur  les  maladies  du  sysieme  nerveux,  5«  »6rie,  1901, 
.  ii5.  " 


506  THEORIES  PATHOGIiNIQUES 

Une  premiere  rem«nrque  qui  a  une  certaine  importance  c'est  la 
coincidence  assez  fr^quente  de  T^pilepsie  vulgaire  avec  la  maladie 
des  obsessions.  Parmi  les  malades  que  j^ai  citc^s  dans  ce  travail  il 
J  en  a  12  qui  sont  de  v^ritables  epileptiques,  ayant  des  grands 
acces  classiques  et  des  vertiges.  Ce  nombre  a  deja  quelque  intd- 
ret,  quand  on  songe  que,  si  je  ne  me  trompe,  la  coincidence  de 
riiysterie  avec  la  maladie  du  doute  bien  nette  est  infiniment  plus 
rare.  Les  idees  fixes  existent  bien  entendu  tres  souvent  dans 
Thysterie,  mais  elles  prennent  de  tout  autres  caracteres.  L'id6e 
fixe  hyst^rique  qui  se  d^veloppe  .au  cours  d*un  somnambulisme 
sous  forme  d'actes  et  d'hallucinations  ne  ressemble  pas  dn  tout 
a  mon  avis  a  Tobsession  qui  determine  des  ruminations  intermi- 
nables  et  des  angoisses  sans  jamais  se  developper  completement 
dans  la  crise  de  psychasthenic. 

Cette  simultaneity  de  Tepilepsie  et  de  la  maladie  du  scrupule 
est-elle  une  simple  coincidence  fortuite  ou  ces  deux  symptomes 
ont-ils  des  relations  entre  eux?  Si  nous  considerons  les  pheno- 
mfenes  ranges  sous  le  titre  d'insufTisances  psychologiques  et  de 
sentiments  dMncompl^tude  que  presentent  constamment  les  obs^- 
des  nous  verrons  que  des  troubles  de  la  perception  exterieure  ou 
personnelle  tout  a  fait  identiques  sont  souvent  sous  la  depen- 
dance  immediate  d'accidents epileptiques.  Qes...  a  des  obsessions 
conscientes  avec  impulsion  a  tuer  sa  mere  ou  des  remords  obs^- 
dants  de  Tavoir  tu^e,  elle  se  figure  qu'elle  fera  du  mal  a  tout 
le  monde,  elle  veut  vivre  enferm^e  dans  un  hopital  parce  que  les 
fen^tres  sont  grillees  et  qu'elle  sera  emp^chee  de  commettre  des 
crimes.  En  m^me  temps  elle  a  des  acces  Epileptiques  complets 
et  des  vertiges.  Ceux-ci  sont  tout  a  fait  caract^ristiques  :  sou- 
dainete,  paleur  de  la  face,  obnubilation  intellectuelle.  Souvent 
dans  ces  etats  vertigineux  quand  ils  se  prolongent  un  peu  et 
qu'ils  ne  sont  pas  assez  complets  pour  supprimer  tout  souvenir 
consecutif  elle  eprouve  des  sentiments  bizarres,  elle  voit  les  objets 
les  plus  habituels  avec  une  sortc  d'Etonnement,  elle  les  trouve 
estranges,  inattendus  comme  des  objets  qu'elle  n*aurait  jamais 
vus  et  qui  appartiendraient  a  un  monde  imaginaire.  Chez  cette 
malade  qui  est  a  la  fois  obsed^e  et  epileptique,  les  sentiments 
d'etrangete  dans  la  perception  exterieure  apparaissent  d*une  fa^on 
tout  a  fait  nette  au  cours  d'un  vertige  qui  a  tous  les  caracteres 
d'un  vertige  epileptique. 

Une  autre  malade   me  parait  fort  remarquable,   elle  reproduit 


LES  CRISES  DE  PSYCHOLEPSIE  ET  LES  ACCES  EPILEPTIQUES        507 

exactement  robservation  de  M.  Haskovec.  Is...  (28),  jeune  fillede 
22  ans,  a  des  acc^s  epileptiques  francs  depuis  la  puberty,  elle  en 
a  deux  ou  trois  par  mois.  II  y  a  quelque  temps  a  la  suite  d'un 
acces  avort^  dont  elle  a  seulement  senti  les  debuts,  elle  est  entree 
dans  r^tat  suivant :  elle  voit  tout  et  entend  tout  comme  a  Tordi- 
naire  mais  elle  s'est  mise  a  douter  de  tout.  Elle  ne  sait  plus  si  ce 
qu*elle  voit  existe  ou  n*existe  pas ;  en  regardant  sa  mere  elle  se 
met  a  dire :  «  Je  voudrais  bien  que  cette  dame  soit  ma  mere,  mais 
je  ne  peux  pas  arriver  a  le  croire,  je  ne  peux  meme  pas  me  mettre 
dans  la  tete  que  cette  dame  soit  vivante.  »  Elle  doute  aussi  d'elle- 
m^me:  a  elle  a  peut-etre  perdu  sa  personne,  elle  n'en  est  pas 
sikre...  »  Elle  ne  croit  plus  rien  de  ce  qu^on  lui  dit,  elle  ne  fait 
plus  aucun  travail  et  ne  peut  plus  fixer  I'attention.  Get  etat  se 
prolonge  pendant  quatre  jours,  puis  il  semble  disparaitre  en 
partie.  Le  cinquieme,  la  malade  se  sent  un  peu  mieux,  a  peu 
pres  normale,  sauf  qu'elle  ne  peut  pas  travailler.  Is...  revient  a 
la  reality  et  elle  eprouve  a  ce  moment  des  sentiments  de  joie 
infinie,  des  envies  de  rire,  un  enthousiasme  analogue  a  celui  que 
j'ai  d^crit  a  propos  des  «  sentiments  sublimes  »  de  Jean.  Mais 
le  sixieme  jour  tout  recommence,  elle  se  sent  de  nouveau  rever 
et  doute  de  tout.  Cette  fois  cet  etat  anormal  Timpatient^,  elle 
se  sent  mal  a  Taise,  etouffe>  se  sent  angoissde  ;  elle  fait  des  efforts 
impuissants  pour  arriver  a  la  r^alit^  et  commence  des  manies 
d'interrogations.  Si  Tetat  s'^tait  prolonge  davantage,  elle  serait 
parvenue  a  la  maladie  complete  de  Tinterrogation  et  deTangoisse. 
Mais  le  septieme  jour  un  grand  acces  ^pileptique  est  venu 
simplifier  la  situation  :  apres  Tacces  elle  s'est  retrouvee  dans 
r^tat  normal.  Dans  toute  la  vie  de  la  malade  cet  ^tat  bizarre  ne 
s'est  reproduit  que  trois  fois  et  le  sujet  est  reste  en  somme  une 
^pileptique  a  grands  acc^s. 

Une  autre  malade  Hot...  (27),  jeune  fille  de  i5  ans,  a  des  acces 
Epileptiques  et  des  vertiges  depuis  Tage  de  8  ans  1/2.  Souvent 
ses  acces  sont  avortes  :  elle  frotte  son  estomac,  cligne  des  yeux, 
balbutie  quelques  mots,  palit  et  c'est  tout,  de  tels  ph6nomenes 
sont  bien  connus  chez  les  comitiaux.  Depuis  quelque  temps  a  la 
suite  de  ces  acces  avortes  elle  change  d'attitude.  Elle  reste  im- 
mobile sur  sa  chaise  en  refusant  tout  travail  et  toute  occupa- 
tion :  «  maman,  dit-elle  tout  doucement,  je  ne  demande  pas  mieux 
que  de  travailler,  mais  je  nc  vois  pas  clair,  je  ne  peux  pas  tra- 
vailler sans  voir  clair...  Est-ce  que  je  resterai  aveugle?»  Elle  est 


:m  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

venue  au  laboratoire  dans  cet  ^tat  et  j'ai  pu  constater  qu*elle  ne 
pr^sentalt  absolument  aucun  trouble  de  la  vision.  II  ne  s*agissait, 
comme  on  Ta  vu,  que  d'un  trouble  du  sentiment  de  la  reality 
dans  la  perception  visuelle.  Rile  sort  de  cetetat  au  bout  de  quel- 
ques  jours  par  un  acces  ^pileptique  complet.  Pendant  les  quelques 
jours  de  cet  ^tat  crepusculaire,  il  serait  impossible,  si  on  igno- 
rait  les  antecedents,  de  la  distinguer  d'une  de  nos  psychastheni- 
ques  qui  voit  dr6le,  qui  voit  le  nuage,  qui  se  plaint  d'etre  dans 
le  noir. 

N'est-il  pas  Evident  que  ces  observations  d*etats  cr^puscu- 
laires,  comme  les  appelle  M.  Ottolenghi,  rapprochees  de  celle  de 
M.  Haskovec,  montrent  au  coursde  Tepilepsie  desabaissements  de 
la  tension  psychologique,  des  insuffisances  psychologiques  des 
sentiments  d'incompl^tude  identiques  a  ceux  des  obs^dcs. 

Un  autre  phenomene  psychasth^nique  pent  se  rencontrer  dans 
Tepilepsie,  c*est  la  crise  d'angoisse.  M.  W.  de  Bechterew  a  d^ja 
decrit  des  attaques  epileptiques  et  epileptoi'des  revetant  la  forme 
d'angoisses  sansperte  de  connaissance,  ni  vertige,  qui  surviennent 
chez  des  epileptiques  au  milieu  des  acces  ordinaires  et  qui  les 
remplacent  de  plus  en  plus*.  II  est  vrai  que  M.  de  Bechterew 
distingue  ces  angoisses  Epileptiques  de  celles  qu'il  appelle  neu- 
rastheniques  parce  que  Tangoisse  Epileptique,  dit-il,  ne  se  rattache 
aucunement  a  une  cause  exterieure  comme  les  grandes  places,  le 
tonnerre,  la  foule,  etc.  Mais  cette  distinction  ne  nous  suflfit  plus, 
elle  repose  sur  cette  notion  deja  contest^e  par  MM.  Pitres  et 
Regis  que  Tangoisse  a  toujours  une  forme  systematique  en  rap- 
port avec  une  perception  determinee;  nous  savons  que  surtoutau 
debut  Tangoisse  pent  etre  indeterminee  et  que  par  consequent 
cette  difference  n'existe  pas. 

On  peut  done  generaliser  la  remarque  de  Bechterew  sur  les 
rapports  de  Tepilepsie  et  de  Tangoisse.  II  y  a  d'abord  des  ma- 
lades  qui  commencent  par  Tepilepsie  proprement  dite  et  qui 
aboutissent  a  Tangoisse.  Si...  (34)»  femme  de  33  ans,  a  eu  depuis 
Tage  de  i8  ans  des  crises  nocturnes  dans  lesquelles  elle  se  mor- 
dait  la  langue,  urinait  dans  son  lit  et  qui  laissaient  une  grande 
courbature  au  reveil ;  ces  crises  n'ont  jamais  cesse  complMement 
quoique  dans  ces  derniers  temps  elles  se   soient   fort  espacEes. 

I.  W.  de  Bechterew.  Neurolog,  CentralbL,  XVII.  1898. 


LES  CRISES  DE  PSYCHOLEPSIE  ET  LES  ACCi^S  fiPlLEPTIQLES         509 

La  malade  se  plaint  maintenant  beaucoup  plus  de  ce  qu'elle 
appelle  des  crises  d'idees  noires,  c'est  un  etat  d'inqui^tude  et 
d'angoisse  qui  s'empare  d'elle  surtout  le  soir.  II  lui  semble  que 
son  coeur  se  serre  et  que  chez  elle  tout  estmort,  il  lui  semble  que 
ses  visceres  disparaissent,  n'existent  plus  :  ce  sentiment  Teffraye 
beaucoup,  elle  croit  qu'elle  va  devenir  foUe  et  ne  pent  plus  tol6- 
rer  de  rester  seule  chez  elle.  D'apres  son  opinion  cette  angoisse 
vient  uniquement  des  tourments  qu'elle  a  endures  et  du  depart 
d'un  amant,  mais  en  realite  cette  tristesse  prend  un  caractere 
special  a  cause  de  T^pllepsie  ant^rieure.  Si  on  en  doutait,  il  suf- 
firait  d*examiner  la  fa^on  dont  s'est  termin^e  une  de  ses  angoisses 
pour  en  6tre  convaincu.  Dans  un  de  ses  d^sespoirs  elle  est  sortie 
de  chez  elle  et  elle  ne  sait  pas  oil  elle  a  ^t^  :  en  r^alit^  elle  est 
tomb^e  dans  la  rue  en  proie  a  un  acc^s  ^pileptique  ainsi  que 
le  prouvent  la  plaie  qu'elle  a  encore  au  front  et  sa  langue  mordue. 

Une  autre  malade,  Fy...  (34),  femme  de  35  ans  est  ^pileptique 
depuis  renfance,  morsure  de  la  langue,  perte  d'urine,  etc.;  depuis 
que  ses  crises  s'^cartent,  surtout  depuis  Tinfluence  du  traitement 
bromur^,  elle  a  «  des  crises  d'inqui^tude,  des  peurs  d'etre  seule, 
il  lui  faudrait  un  maitre  a  qui  se  d^youer,  elle  a  peur  de  voir  le 
monde  comme  il  est...  Tout  est  si  etrange  que  cela  Tangoisse.... 
Le  temps  est  drole,  c'est  peut-etre  la  fin  du  monde  et  elle  ^toufie 
au  point  d  appeler  sans  cesse  au  secours.  »  C*est  comme  on  voit 
la  forme  de  Bechterew  :  ^pilepsie  d^abord  et  angoisse  ensuite, 
dans  le  dernier  cas  avec  troubles  de  perception. 

II  y  a  aussi  la  forme  inverse  et  a  ce  propos  Tobservation  sui- 
vante  est  remarquable.  Gny...  (Sq),  homme  de  52  ans,  mecanicien 
de  chemin  de  fer,  d'un  esprit  intelligent  et  delicat  a  toujours  eu 
une  volont^  faible.  Depuis  Tage  de  I2  ans,  il  a  des  preoccupations 
et  des  scrupules  qui  ont  pris  bientot  la  forme  interrogative,  il 
lui  vient  en  tete  des  id^es  singulieres  qu'il  a  de  la  peine  a  expri- 
mer  et  qu'il  comprend  mal  lui-m^me  :  «  pourquoi  les  hommes 
vivent-ils  ?  Comment  les  hommes  sont-ils  faits  ?  Pourquoi  les 
hommes  doivent-lls  mourir  ?  »  Ces  id^es  Tout  deja  beaucoup  tour- 
ments. Au  m6me  moment  ou  il  se  posait  ces  questions,  il  a  dSja 
Sprouv6  depuis  longtemps  des  Stats  Smotifs  tout  a  fait  speciaux, 
il  avait  des  iremblements,  des  secousscs,  des  sensations  de  froid 
dans  les  jambes,  des  troubles  de  respiration  et  des  palpitations 
de  cceur.  En  un  mot  depuis  sa  jeunesse  il  a  des  angoisses  en 
meme  temps  que  des  idees  obsedantes  et  des  interrogations  scru- 


r.lO  THEORIES  PATUOGfiNIQUES 

puleuses.  Dans  ces  dernieres  ann^es,  les  angoisses  out  beaucoup 
augmente  et,  comme  il  arrive  souvent  dans  ce  cas,  les  manies 
mentales  ont  diminue.  Cependant  il  restait  uniquement  un  psy- 
chasthenique  douteur  et  angoiss6,  personne  n'aurait  song^  a  faire 
tin  autre  diagnostic.  Mais  voici  que  depuis  deux  ans  les  choses  en 
s*aggravant  ont  semble  changer  de  caractere.  Le  malade  dans  ses 
crises  d*angoisse  perd  conscience  de  plus  en  plus  :  a  trois  reprises 
il  est  tomb^  par  terre  de  tout  son  long,  il  a  perdu  conscience  et 
il  n'a  eu  pendant  deux  minutes  «  qu^un  petit  grelottemeut  dans 
les  mains  »  il  est  revenu  a  lui  tres  heb^t^  et  engourdi  et  il  a  6te 
saisi  d*un  sommeil  profond  et  irresistible  qui  a  dur^  plusieurs 
heures;  dans  un  de  ces  acces  il  a  mouille  son  pantalon.  Ce  cas 
est  tout  a  fait  remarquable  pour  nous  montrer  la  transformation 
tr^s  tardive,  a  5o  ans,  des  angoisses  en  acces  epileptiques. 

Meme  Evolution  dans  Tobservation  de  Gy...  (46),  femme  de 
34  ans  :  crises  d'angoisse  qui  ont  commence  a  la  pension  apres 
une  peur,  sortede  sentiment  de  vertige  et  de  bourdonnement  de 
pensee.  Dernierement  dans  une  de  ces  crises  elle  a  march^  droit 
devant  elle  sans  savoir  ce  qu'elle  faisait,  puis  elle  est  tombee 
sans  connaissance  et  en  bavanl,  Tacces  a  et^  typique.  C'est  assez 
pour  montrer  que  Tangoisse  psychasthenique  pent  se  transformer 
en  epilepsie  de  la  m^me  maniere  que  T^pilepsie  en  angolsse. 

Knfin,  il  est  un  dernier  ph^nomene  dont  les  rapports  avec  Tepi- 
lepsie  sont  extr^mement  interessants,  c^est  la  rumination  men- 
tale  et  Tobsession  intellectuelle  elle-m^me.  Tous  ceux  qui  ont 
decrit  les  epileptiques  ont  bien  note  leurs  crises  psychiques.  Quel- 
ques-uncs  de  ces  crises  sont  tout  i\  fait  identiques  a  des  rumina- 
tions psychastheniques.  M.  Cullerre  decrit  chez  les  Epileptiques 
les  arithmomanies,  les  impulsions  a  compter,  a  combiner  d*une 
fa^on  generate  des  nombres  quelconques  et  plus  particulierement 
a  faire  des  calculs  portant  sur  les  divisions  du  temps,  les  secondes, 
les  minutes,  les  heures,  les  jours,  les  mois,  les  annees,  les  siecles^. 

Je  rappelle  surtout  a  ce  propos  une  observation,  tres  interes- 
sante  de  M.  Keraval  qui  a  rapport,  il  est  vrai,  a  la  migraine 
ophtalmique  dont  on  sait  les  relations  avec  Tepilepsie.  II  s'agit 
d'une  malade  qui  a  une  migraine  ophtalmique  avec  hemianopsie 
et  scotome  scintillant  a  gauche  :  en  meme  temps  que  le  trouble 

I.  A..  Cullerre,  Ann.  mMic.  psychoL,  1890,  I,  p.  20. 


LES  GUISES  DE  PSYCHOLEPSIE  ET  LES  ACCtS  I^PILEPTIQUES         oil 

visuel  elle  ressent  une  excitation  intellectuelle  bizarre,  une  pro- 
fusion d'id^es  avec  afTlux  obs^dant  et  genant  do  toutes  les  concep- 
tions qui  s'y  rattachent,  elle  se  sent  forc^e  d'examiner  chacune 
de  ces  id^es,  de  les  soupeser  et  de  r^pondre  par  a  oui  »  ou  par 
((  non ))  sur  tous  leurs  caracteres.  Detail  bizarre  de  {'observation 
que  nous  ne  sommes  pas  capables  aujourd'hui  d'interpreter  quand 
Themianopsie  est  inverse  et  plus  accentuee  a  droite  il  n'y  a  rien 
de  mentaP.  J'observe  6galement  en  ce  moment  une  malade  qui 
a  des  crises  de  migraine  ophtalmique  avec  scotome  scintillant  si 
gauche  et  qui  est  une  scrupuleuse  obs^dee,  mais  je  n'ai  pas  trouv^ 
de  rapport  ^troit  entre  les  crises  de  migraine  et  les  crises  de 
scrupule. 

Dans  un  article  interessantsur  Taction  inhibitoire  de  la  volont^ 
dans  les*  attaques  d'^pilepsie  M.  Tissie  '  decrit  un  epileptique 
dont  la  crise  est  precedee  par  a  une  mauvaise  id^e  n.  C*est  une 
id^e  banale  qui  traverse  son  esprit,  grossit  pen  a  peu,  devient  fixe 
et  chasse  toutes  les  autres  pens^es,  le  malade  qui  connait  cette 
mauvaise  id^e  lutte  contre  elle  des  qu'elle  apparait  en  tachant  de 
grossir  d'autres  idees.  Cette  observation  est  int^res^nte  a  bien 
des  points  de  vue.  Un  des  caracteres  distinctifs  que  Ton  donne 
souvent :  c'est  que  Tobsede  lutte  contre  son  idee,  on  voit  ici  que 
r^pileptique  pent  lutter  6galement ;  cette  observation  nous  montre 
aussi  la  rumination  au  d^but  de  la  crise  d'^pilepsie. 

C'est  ce  que  nous  verifierons  dans  Tobservation  de  Jet...  (36), 
homme  de  25  ans,  acces  6pileptiqucs  depuis  Tage  de  7  ans.  «  Cela 
debute,  dit-il,  quand  je  pense  a  une  idee,  cette  id^e  m*entortille  et 
je  ne  comprends  plus  rien.  »  Les  acces  de  Sie...,  homme  de  17  ans, 
commencent  par  la  pensee  de  chercher  quelque  chose,  tout  le 
temps  il  rcve  qu'il  cherche  une  cle  qu'il  a  perdiie,  il  s'absorbe 
dans  cette  recherche,  il  ne  reprend  conscience  qu'apr^s  une  demi- 
heure  de  sommeil  et  se  reveille  la  langue  mordue.  Get...  tombe 
quand  elle  cherche  a  approfondir  quelque  chose.  Lug...,  Pax... 
(28},  presentent  des  ph^nomenes  semblables.  On  en  trouverait 
beaucoup  d'autres  exemples  dans  les  observations  que  j'avais  re- 
cueillies  pour  la  lecon  de  M.  Raymond^  sur  les  equivalents  psy- 
chiques  de  Tdpilepsie. 

1.  Keraval,  Idees  fixes.  Archiv.  de  neurologic^  »i^99.  H.  p-  83o. 
a.  Tissi^,  Cony  rhs  des  alienistes  et  neurologistes  frangais,  iSgbf  ei  Revue  del' hypno- 
tisme,  1896,  p.   129. 

3.  F.  Raymond,  Lemons  sur  les  maladies  du  sysCeme  nerveux,  1901,  Y,  p.  107. 


512  TIIf:OKIES  PATHOGJ^^NIOUES 

A  cot^  des  observations  prec^dentes  je  puis  placer  un  cas  que 
je  trouve  tout  a  fait  interessant  et  d^monstratif ;  la  malade  m'a 
He  obligeamment  signal^e  par  M.  Riche  parmi  les  ^pileptiques 
de  la  Salpetriere.  II  s'agit  d'une  jeune  fille  Yol...,  ag^e  de  20  ans, 
dont  la  maladie  a  commence  des  Tage  de  5  ans.  Au  debut  elle 
presentait  seulement  une  sorte  de  malaise  et  de  tic.  Elle  avait 
une  soufirance  a  Testomac  qui  la  faisait  palir,  elle  y  portait  les 
mains,  frottait  la  region  deux  ou  trois  fois  et  c'^tait  tout.  Les 
phenomenes  sont  restes  semblables,  plus  ou  moins  frequents 
jusqu'a  Tage  de  i3  ans.  A  ce  moment,  huit  jours  avant  Tappa- 
rition  des  regies,  elle  eut  son  premier  grand  acces.  Depuis,  les 
acc^s  se  r^pMent  a  peu  pres  tous  les  mois  et  les  vertiges  tons  les 
huit  ou  quinze  jours.  Mais  ceux-ci  se  sont  un  peu  compliqu^s  par 
Taddition  d'un  ph^nomene  intellectuel  remarquable.  Le  ifialaise  de 
Testomac  avec  mouvements  de  friction  et  paleur  la  saisit  ordinaire- 
ment  le  matin  assez  brusquement.  Au  moment  ou  le  malaise  sur- 
vient  elle  avait  une  pens^e  quelconque  en  tete,  ou  bien  elle  regar- 
dait  quelque  objet.  Imm^diatement,  par  le  fait  meme  de  sa  coin- 
cidence av^c  le  malaise,  cette  pensee  change  de  caractere,  elle 
devient  douloureuse  et  obsedante.  A  partir  de  ce  moment  et  sans 
interruption  pendant  toute  la  journee  Yol...  se  sent  forc6e  de 
penser  a  cette  meme  idee  et  ne  peut  s'en  detourner  «  elle  sait 
que  cette  idee  lui  est  tres  p^nible  physiquement  et  moralement, 
car  rid^e  ramene  le  malaise  de  Testomac  et  fait  tout  voir  d*une 
maniere  drole;  mais  elle  est  forc6e  d'y  penser  constamment  et  ne 
peut  absolument  rien  faire  d'autre.  »  Yol...  a  6t6  ainsiobs^dee  par 
la  pensee  de  la  premiere  communion  de  sa  sceur,  par  une  date, 
par  le  nom  d'une  personne,  par  Timage  d'un  calendrier,  par 
rimage  d'une  chaise  ou  d'un  parapluie,  parce  que  au  moment  du 
malaise  initial,  elle  pensait  a  cette  premiere  communion  ou  a 
cette  personne,  parce  que  a  ce  moment  elle  regardait  le  calen- 
drier,  la  chaise  ou  le  parapluie.  L'obsession  et  le  malaise  durent 
tant  que  la  malade  n'a  pas  eu  plusieurs  heures  de  sommeil  normal. 
Si  elle  dort  bien  la  nuit  suivante  elle  est  delivree  le  lendemain 
matin  et  elle  peut  se  remettre  au  travail,  sinon  elle  aura  le  meme 
tourment  toute  la  journee  et  ne  sera  gu^rie  qu*apres  la  nuit  sui- 
vante. Un  tel  cas  dont  je  compte  poursuivre  Tetude  est  tout  a  fait 
instructif  pour  Tinterpr^tation  des  obsessions. 

Pour  montrer  le   fait   inverse   que  la  rumination    proprement 
psychastlienique  peut   se   terminer  par    un  acces  epileptique  je 


LES  CRISES  DE  PSYGHOLEPSIE  ET  LES  ACCfiS  fiPILEPTIQUES        613 

rappellerai  robservation  remarquable  de  Yil...,  que  j'ai  deja  sou- 
vent  signal^e.  EUe  a  rapport  a  ce  jeune  homme  qui  pr^sentait 
de  si  singulieres  obsessions  sur  IHnfini  du  temps  et  de  Tespace. 
On  a  d^ja  vu  dans  T^tude  des  ruminations  comment  Tesprit  de 
ce  jeune  homme  s'^garalt  a  la  poursuite  de  Tinfini  en  toutes 
choses,  comment  il  avait  des  mc^ditations  Torches  sur  Tinfini  du 
temps  et  de  Fespace,  sur  Tinfini  du  bonheur  ou  sur  Tinfini  du 
malheur.  II  m'avait  d^crit  ses  ruminations  dans  une  lettre  ou  il 
montrait  une  pleine  conscience  de  leur  absurdity,  d'apr^s  cette 
description,  je  Tavais  consid^rd  comme  unobs^de  se  rattachanta  la 
folie  du  doute  et  du  scrupule  et  je  Tavais  pri6  de  venir  chez  moi 
m'expliquer  ce  qu'il  ressentait.  Quand  il  vint  me  voir  il  me  demanda 
de  ne  pas  insister  devant  lui  sur  ces  idees  d'infini «  car  cela  me  cause, 
disait-il,  un  mat  Strange  ».  Croyant  provoquer  tout  au  plus  Tan- 
goisse  du  scrupuleux,  j'insistai  sur  les  espaces  qui  s*ajoutent  ind^- 
finiment  aux  autres  espaces.  Le  malade  se  plaignit  de  ressentir 
«  des  impressions  de  perdre  la  t^te,  de  descendre  »  que  nous 
connaissons  bien  ;  puis  brusquement  il  se  renversa  en  arriere  et 
palit,  les  globes  oculaires  se  convulserent,  il  y  eut  des  secousses 
rapides  dans  tons  les  membres.  Quelques  instants  apres,il  reprit 
connaissance,  mais  il  y  avait  une  grande  tache  d*urine  sur  le 
parquet  au-dessous  de  lui.  Le  malade  n'eut  aucun  souvenir  de  ce 
qui  lui  etait  arrive  et  reprit  sa  conversation  avec  une  certaine 
h^b^tude  et  de  Tamnesie  r6trograde.  il  etait  Evident  qu'il  venait 
d*avoir  un  acces  epileptique,  qui  avait  ^16  le  terme  de  Tangoisse 
determin^e  par  la  rumination  sur  Tinfini.  Depuis  j'ai  eu  Tocca- 
sion  d'observer  un  certain  nombre  de  faits  exactement  du  m^me 
genre. 

Tons  ces  faits  qu'il  serait  facile  de  multiplier  me  semblent 
d^montrer  que  la  distinction  complete  6tablie  par  M.  Mikle, 
par  MM.  Pitrcs  et  R6gis  entre  Tetat  psychasth^nique  et  le  mal 
comitial  est  un  peu  exager6e.  Je  n'ai  pas  la  pens^e  de  les  identi- 
fier, je  dis  seulement  qu'il  y  a  dans  ces  deux  maladies  quelque 
chose  de  commun,  que  leurs  ph^nomenes  sont  voisins  et  peuvent 
ais^ment  se  transformer  les  uns  dans  les  autres.  Get  element 
commun  me  paraft  ^tre  Tabaissement,  la  chute  de  la  tension  psy- 
chologique.  Dans  T^pilepsie  vraie  cette  chute  est  6norme,  il  y  a  sup- 
pression complete  de  la  conscience,  toutes  les  forces  quidevaieut 
^tre  employees  a  produire  cette  conscience  amenent  la  d^charge, 
se  depensent  en  convulsions  de  tout  le    corps  ;  dans    Tetat    psy- 

■  LEB    OBSESSIONS.  I.     —    33 


tll^OniES  PATllOGr5:MQUES 


chasth^nique  la  chute  est  bien  moins  grande,  mais  il  y  a  tout  de 
m^nie  une  chute  de  conscience  qui  determine  les  sentiments 
bizarres  des  malades,  leurs  doutes  et  leurs  angoisses. 


4.  —  Oscillations  du  niveau  mental  —  Influences 
qui  diterminent  I'abaissement 

Pour  justifier  ces  theories  psychasth6niques  qui  considerent  les 
crises  de  tics,  d'angoisse,  de  rumination  comme  des  crises  de 
psycholepsie,  qui  les  explique  par  un  abaissement  du  niveau 
mental  il  faut  montrer  davantage  qu'il  existe  chez  les  malades  des 
abaissements  de  Tesprit  ou  d'une  maniere  plus  generale  des 
oscillations  du  niveau  mental  et  que  ces  oscillations  sont  en  rap- 
port etroit  avec  les  phenomenes  observes  dans  les  crises  et  sans 
les  obsessions. 

Pour  y  parvenir  il  faut  rechercher  dans  quelles  circonstances  se 
d^veloppe  cette  maladie  des  psychasth6niques,  quelles  sont  les 
conditions  dans  lesquelleselle  prend  naissance,  ou  dans  lesquelles 
elle  pr6sente  de  grandes  augmentations  quand  elle  existe  deja 
depuis  longtemps.  II  ne  s'agit  pas  ici  d'une  ^tude  clinique  sur 
revolution  de  la  maladie,  6tude  que  nous  tenterons  dans  le  cha- 
pitre  suivant,  mais  d'une  recherche  psychologique  sur  les  condi- 
tions de  son  d^veloppement. 

I.  —  Influence  des  maladies. 

II  y  a  un  premier  groupe  de  circonstances  causales  sur  lesquelles 
tout  le  monde  est  d'accord  et  qu*il  sudit  de  signaler  ici.  Ce  sont 
toutes  les  circonstances  qui  d^termincnt  un  afTaiblissement  de 
Torganisme.  Les  maladies  infectieuses,  la  fievre  typhoide  surtout 
dans  une  vingtaine  de  mes  observations,  Tinfluenza,  la  tubercu- 
lose,  les  fausses  couches,  les  accouchements,  les  suites  de 
couches,  Tallaitement  chez  Kl...,  Car...,  Xa...,  Vod...,  Cht... 
Lise...,  etc.,  ont  6i6  Foccasion  du  d^but  de  la  maladie  ou  de 
rechutes  s^rieuses  apres  une  periode  d'am^lioration.  En  general 
Tabaissement  de  Tesprit  se  nianifcste  apres  Taccouchement,  apres 
la  maladie  dans  la  periode  de  fatigue  et  de  convalescence,  il  se 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'ABAlSSEMENT  DU  NIVEAU  MENTAL      515 

manifeste  beaucoup  plus  rarement  pendant  la  grossesse  et  pen- 
dant les  fi&vres. 

Toutes  les  circonstances  qui  determinent  d'ordinaire  un 
engourdissement  physique  sont  mauvaises  pour  ces  malades.  La 
p^riode  de  la  digestion  leur  est  fatale.  Wye...  remarque  qu'il  a 
toujours  perdu  sa  confiance  a  2  heures  et  qu'il  la  reprend  a 
5  heures.  La  matinee  pendant  laquelle  persiste  un  peu  Fengour- 
dissement  de  sommeil  ramene  toutes  les  manies  et  toutes  les 
obsessions.  II  n*y  a  rien  que  Dob...  redoute  autant  qu'un  demi- 
sommeil.  (c  Ce  serait  la  cause  de  terribles  angoisses,  je  n*ose 
pas  me  laisser  aller  a  rassoupissement  en  voiture,  en  chemin  de 
fer;  des  que  mon  intelligence  ne  serait  plus  bien  en  ^veil  je 
serais  reprise  d'angoisses.   » 


2.  — Influence  de  la  fatigue, 

II  en  est  de  m6me  pour  les  surmenages  physiques  ou  moraux 
qui  semblent  avoir  determine  des  accidents  chez  Er...  (i74)» 
Ce...y  Nadia,  Mm...,  etc.  Legrand  du  Saulle  avait  d^ja  insist^  sur 
le  role  des  troubles  dyspeptiques,  du  travail  intellectuel  exag^r^, 
d*une  vie  dissolue  *.  M.  Tissi^  d^crit  tr6s  bien  les  ph^nomenes 
d'abaissement  psychologique  qui  suivent  chez  les  jeunes  gens  la 
fatigue  exag6r^e  :  «  Un  exercice  gymnastique  trop  violent,  trop 
prolonge,  trop  attentif,  une  marche  a  pied  trop  longue^  comme 
un  devoir  d'arithm^tique,  Taudition  d'une  musique  trop  bruyante 
produisent  des  actes  impulsifs,  des  besoins  de  marcher,  des 
Eructations,  des  expressions  orduriferes,  du  mutisme,  de  la  bru- 
tality, de  rentetement,  des  miaulements,  des  repetitions  de  mots, 
de  rinconscience  morale'.  »  MM.  Pitres  et  Regis  insistent 
beaucoup  sur  cette  influence  de  la  fatigue,  et  nous  aurons  a 
reprendre  cette  question  en  traitant  de  revolution  de  la  maladie. 

Cette  influence  de  la  fatigue  physique  et  morale  est  tres  inte- 
ressante,  il  y  a  des  malades  chez  qui  on  pent  determiner  par  la 
fatigue  des  rechutes  nettes  d*une  mani^re  presqueexperimentale. 
Les  obsessions  de  Za...  deviennent  plus  violentes  a  la  moindre 
fatigue.  Claire  revient  d*une  ville  d'eau  oil  elle  a  passe  Fete  avec  une 


I.  Legrand  du  SauUc,  Agoraphobic,  p.  56. 
a.  Tissic,  Revue  scienlifique,  1890.  H,  p.  643. 


516  THtoRIES  PATHOGfiNIQUES 

grave  rechute  de  son  d^Iire  de  scrupule  parce  que  le  traitement 
hydroth^rapique  excessif  l*a  fatigu^e.  Nadia  a  toujoursune  rechute 
apres  Noel  parce  qu'elle  s'est  fatigu6e  a  la  recherche  de  cadeaux. 
Gisele  fit  une  grave  rechute  apr^s  un  grand  diner  qu'elle  avait 
organist.  Dob...,  Len...,  etc.,  sont  obligees  de  renoncer  a  leur 
metier  d'institutrlce  parce  que  les  longues  classes  determinent 
des    accidents  mentaux. 

Chez  Wo...  et  chez  Xyb...  on  pent  verifier  Teffet  d'une  petite 
fiitigue  mentale.  La  premiere  addition,  le  premier  compte  de  ma- 
nage se  fait  assez  bien,  mais  elles  sont  fatiguees  d'avoir  fait  un 
effort  d'attention  :  si  sans  intervalle  de  repos,  on  leur  fait  recom- 
mencer  un  nouveau  compte,  il  y  aura  hesitation,  douteet  crise  de 
scrupule,  «  le  premier  travail  m'a  comme  ebranl^eyd^s^quilibree 
et  je  ne  puis  faire  le  second  de  maniere  a  le  terminer...  ».  «  II  en 
est  de  meme  pour  tout,  il  Taut  me  laisser  reposer  apres  une 
decision,  aprfes  un  effort  d*attention  sinon  tout  s^embrouille.  » 

Les  situations  p^nibles,  mal  d6finies,  les  periodes  d'attente, 
avant  un  concours,  avant  la  mort  d*une  person  ne,  avant  le  ma- 
riage,  avant  une  election,  sont  tres  difficiles  a  supporter  et  sont 
signal^es  par  une  recrudescence  des  id6es  fixes.  Un  romancier 
russe  Dostoiewski  Tavait  tres  bien  observe :  «  si  je  fais  arreter 
ce  monsieur  avant  le  temps  voulu,  je  me  retire  a  moi-meme  les 
moyens  ulterieurs  d'^tablir  sa  culpability.  Et  comment  cela  ? 
Mais  parce  que  je  lui  donne  une  situation  definie;  en  le  mettant 
en  prison,  je  le  calme,  je  le  fais  entrer  dans  son  assiette  psycho- 
logique,  d^sormais  il  m'^chappe,  il  se  replie  sur  lui-meme,  il 
comprend  enfin  qu*il  est  detenu  \  » 

Ces  circonstances  :  Taifaiblissement  physique,  Tengourdisse- 
ment,  la  fatigue  physique  et  morale  ont  les  memes  caract^res.  On 
a  souvent  constate  leurs  efTets  psychologiques,  qui  ont  toujours 
6te  la  diminution  des  perceptions,  la  reduction  des  synthases 
mentales,  Tabaissement  de  la  volont^,  en  un  mot  la  diminution 
de  toutes  les  fonctions  du  reel.  On  pent  les  consid^rer  comme 
de  vdritables  abaissements  du  niveau  mental  et  c'est  precise- 
ment  dans  ces  circonstances  que  les  crises  de  manies,  et  d'an- 
goisses  et  que  toutes  les  obsessions  prennent  leur  plus  grand 
d^veloppement. 


I.  Dostoiewski,  Crime  et  chdtiment,  II,  p.  71. 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'ABAISSEMENT  DU  NIVEAU  MENTAL      517 

3.  —  Influence  des  emotions. 

Le  probl^me  le  plus  iDtcressant  nous  est  pose  par  le  n^le 
pathog^nique  que  jouent  les  Amotions  et  surtout  certaines  emo- 
tions. Dans  les  cas  les  plus  connusque  nous  aurons  a  etudier  plus 
tard  r^motion  semble  determiner  la  nature  de  robsession,  mais 
ce  ne  sont  pas,  a  mon  avis,  les  cas  les  plus  frequents  ni  les  plus 
int^ressants. 

II  y  a  des  cas  tres  nombreux  oil  T^motion  qui  semble  le  debut 
de  la  maladie  n'a  aucun  rapport  avec  les  phobies  ou  les  obses- 
sions qui  vont  suivre.  Lf...,  comme  on  vient  de  le  voir, est  devenue 
malade  parce  qu*elle  a  ramasse  son  neveu  tomb^  mourant  d'un 
^chafaudage.  L*6motion  ^tait  assez  intense  pour  amener  un  trou- 
ble et  le  sujct  semblait  ant^rieurement  bien  portant,  mais  ce  qui 
m'^tonne  c'est  que  la  maladie  consecutive  est  simplement  Tago- 
raphobie  qui  semble  avoir  un  rapport  bien  lointain  avec  la  mort 
du  neveu.  Cat...,  Instituteur,  change  de  poste  sur  sa  demande  : 
ce  changement,  la  vue  d'une  ^cole  nouvelle  Timpressionne  ;  il 
est  atteint  d*une  obsession  criminelle  et  il  est  poursuivi  par  le 
remords  du  meurtre  d'un  enfant.  Chu...  a  des  contrarietes  de 
famille  et  sc  dispute  avec  une  belle-sceur,  la  voici  qui  prend  la 
phobic  de  la  salet6  et  qui  eprouve  le  besoin  de  se  laver  les  mains 
dix  fois  de  suite.  J'ai  peine  a  voir  dans  ces  obsessions  ou  ces  ma- 
nies,  et  on  en  pourrait  citer  cent  du  m6me  genre,  la  reproduc- 
tion de    F^motion    primitive. 

Dans  quelques  cas  Torigiue  de  Tobsession  se  comprend  assez 
bien  ;  mais  on  voit  que  son  contenu  ne  depend  en  aucune  fa^on  de 
Temotion  qui  a  cependant  determine  la  maladie.  L'obsession  est 
la  reproduction  d'un  6v6nement  ou  d'une  idee  tres  ant^rieure  qui 
au  moment  de  son  apparition  n*avait  determine  aucun  trouble 
mais  qui  devient  pathologique  a  Toccasion  de  I'emotion  nouvelle. 
Les  faits  de  ce  genre  m'ont  toujours  interesse  :  j'en  ai  d^crit  de 
remarquables  a  propos  des  hysteriques.  En  voici  un  que  je  rap- 
pelle  parce  qu*il  est  typique.  Un  homme  ag^  de  29  ans,  mecani- 
cien  de  locomotive,  est  bless6  grievement  dans  un  tamponnement, 
il  a  une  plaie  grave  au  ventre  qui  n'est  guerie  qu'au  bout  de 
six  mois.  Cependant  il  ne  conserve  aucun  accident  nevropathique, 
il  ne  reste  pas  impressionnable  et  il  reprend  son  service  sans 
aucune  didiculte.  Onze  ans  apres,    a    Tage   de   [\o  ans,  il   a  une 


518  THEORIES  PATHOGfiNlQUES 

grave  Amotion  :  il  se  reveille  le  matin  pres  du  cadavre  de  sa 
remme  morte  subitement  pendant  la  nuit.  Eh  blen  a  la  suite  de 
ce  bouleversement  il  commence  des  crises  d'hysterie,  dans 
lesquelles  il  voit  une  locomotive  se  pr^cipiter  sur  lui,  dans 
laquelle  il  a  du  meteorisme  abdominal  avec  une  ^norme  fayperes- 
thf^sie  de  son  ancienne  cicatrice  indolente  pendant  onze  ans. 

On  observe  des  faits  tout  a  fait  semblables  chez  les  psychas- 
theniques.  F6...,  femmede  ^9  ans,  a  eprouv^  une  vive  contrariele  : 
la  fille  de  son  mari,  qu'elle  avait  elevee  comme  son  enfant,  s^cst 
fait  enlever  par  un  amant  et  n*a  plus  voulu  rentrer  chez  ses  pa- 
rents. F*^...  6prouve  de  Tennui  a  ce  sujet,  mais  ne  devient  aucu- 
nement  obs^d^e  et  reprend  regulierement   le   cours  de   sa  vie. 
8  mois  apr^s  elle  doit  subir   une  operation  chirurgicale  grave, 
rhyst^rectomie  totale.  Cette  operation  lui   a  cause  de  grandes 
angoisses   et  de  grandes  fatigues.  A  la  suite  de   cette   operation 
la  voici  obs^d^e   par  la  pens^e  de  la    fugu«   de  sa  belle-fille  : 
«  Cette  fille  s'en  est  all^e  de  ma  maison,  tout  le  monde  le  sait, 
c'est  honteux  pour  moi.  C'est  moi  qui  suis  coupable...  etc.  »  et 
la  voici  qui  a  des  angoisses  a   la  pens^e  de  rentrer  chez    elle. 
Lep...,  femme  de    Sg  ans,    perd  un  fils  de   i8   ans,  elle  parait 
s'en  consoler,  et  reste  parfaitement  raisonnable.  lo  mois  apres 
elle  fait  une  chute  de  voiture  et  en  est   tres  ^motionn^e.    Elle 
reste  troubl^e,  se  plaint  de  ne  plus  voir  les  choses  de  la  meme 
fayon   et  se  tourmente  a   propos   de    la    mort  de   son  fils  :   vc  si 
j'avais  cherch^  un  autre  m^decin,  si  je  Tavais  envoys  a  la  cam- 
pagne,  il  vivrait  encore,  c'est   moi  qui  suis  coupable,  je  devrais 
me  tuer,   etc.   »  Jui...,  homme  de  38  ans,  a    et^  lech^   par  un 
chien  dans  la  rue  quand  il  avait  Tage  de  25  ans,   il   en  a   et^ 
ennuye  car  il  etait  deja  peureux,  mais  il  a  bien   compris  que   ce 
n'etait  rien.  A  3o  ans  il  se  marie  et  cet  evenement  lui  determine 
bien  des  Amotions;  c'est  a  ce  moment  et  a  ce  moment  seulement 
qu'il  s'inquiete  serieusement  a  propos  de  ce  chien  qui    Ta  lech^ 
il  y  a  cinq  ans  et  qu'il  est  pris  d'une  phobic  de  la  rage.  II  gu^rit  au 
bout  de  quelqucs  mois.  A  33  ans  il  perd  un  enfant  et  ce   chagrin 
ramene  de  nouveau  la  phobic  de  la  rage,  depuis  il  a  eu  nombre  de 
crises  de  cette  m^me  phobic  toujours  a  propos  d'6motions   quel- 
conques  n'ayant  aucun  rapport  avec  le  chien.  «  C'est  d^solant,  je 
ne  puis  avoir  la  plus  petite  emotion,  meme  pas  le  depit  de   rater 
un  omnibus,  sans  que  cela  me  donne  Tidee  du   chien  enrage.  » 
J'avoue  que  dans  ces  cas  j'ai  de  la  peine  a  comprendre  comment 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'ABAISSEMENT  DU  NIVEAU  MENTAL      o19 

ou  peut  raitacher  directement  la  phobie  a  I'emotion,    et    a  com- 
prendre  le  role  de  Temotion.. 

Enfin  un  dernier  groupe  me  semble  plus  embarrassant  encore, 
c'est  le  groupe  des  cas  tr^s  nombreux  oil  Temotion  de^termlne  un 
trouble  qui  n'est  pas  du  tout  Tobsession  ou  la  phobie  mais  qui 
est  simplement  une  insuflSsance  psychologique.  Dans  le  cas  le 
plus  simple  et  qui  se  rapproche  le  plus  des  precedents,  Temotion 
cree  simplement  Temotivite.  Des  personnes  qui  n'elaient  pas  im- 
pressionnables  ou  qui  T^taient  moderement  sont  transform^s 
apres  un  accident  qui  les  a  r^volutionnes.  Dorenavant  elles  eprou- 
vent  des  emotions  violentes  pour  la  moindre  des  choses,  elles  ont 
des  perturbations  physiologique  remarquables  avec  troubles 
cardiaques  et  respiratoires,  avec  de  grandes  angoisses  pour  des 
faits  insignifiants  qui  les  auraient  certainement  laissees  froides 
auparavant.  Morel,  Freud,  Pitres  et  R^gis  ont  tres  bien  d6crit 
des  cas  de  ce  genre  sous  le  nom  d'anxiete  diffuse  ou  de  pano- 
phobie,  «  chaque  ev^nement,  chaque  incident  de  la  vie  devenait 
ainsi  matifere  a  d^charge  pour  son  angoisse  momeutan^ment 
specialis^e  par  le  hasard  ^  » 

J'ai  observe  un  grand  nombre  de  cas  de  ce  genre  que  j^ai  deja 
cites  et  que  je  rappelle  brievement.  Cs...  (4i)  a  accouche  a  Tage 
de  3i  ans,  elle  se  porte  bien  et  se  remet  de  sa  fatigue  quand  trois 
jours  apres  Taccouchement  la  garde  effray^e  d'une  grimace  de 
Tenfant  laisse  ^chapper  une  exclamation  des  plus  sottes  a  oh, 
Madame,  s'ecrie-telle,  le  b^b^  a  des  convulsions,  je  crois  qu'il  va 
mourir  ».  L'enfant  n'avait  absolument  rien,  mais  la  mere  reste  bou- 
leversee,  se  plaignant  de  beaucoup  soufTrir  dans  la  tete  et  dans  les 
epaulcs,  gemissant  et  plcurant  sans  pouvoir  s'arrdter.  Depuis  son 
caractere  est  completement  chang^  :  elle  ^tait  autrefois  vive, 
mais  suffisamment  calme  pour  avoir  dirige  une  niaison  de  com- 
merce avec  succes,  pour  avoir  surmonte  bien  des  difficultes. 
Maintenant  elle  a  a  propos  de  tons  les  faits  les  plus  insignifiants 
des  emotions  epouvantables  qui  lui  font  perdre  la  t^te.  Si  un  de 
ses  enfants  tousse,  si  elle-mcme  se  mouche,  si  elle  voit  une 
bouteille  de  pharmacie,  si  elle  lit  dans  le  journal  le  nom  d'une 
maladie,  la  voici  affol^e,  soufTrant  d'horribles  angoisses  errant  au 
hasard  dans  la  maison  pour  chercher  quelqu'un  qui  la  rassure.  11 

I.  Pilres  ct  Regis,  op.  cii.,  p.  19,  79. 


520  THEORIES  PATHOGENIQUES 

lui  devient  impossible  de  s'occuper  du  commerce,  elle  ne  peut 
meme  plus  voir  sur  son  chemin  une  boutique  sans  penser  a  la 
ruine  et  sans  se  bouleverser,  elle  a  une  crise  de  d^sespoir  qui 
dure  plus  de  la  heures  parce  qu'une  de  ses  petitcs  filles  a  fait 
une  tache  a  sa  robe,  ou  parce  que  une  domestique  lui  annonce 
qu'elle  va  se  marier.  Ku...  est  un  cas  presque  identique.  J*ai  etudle 
dans  un  chapitre  precedent  ses  singulieres  angoisses  avec  tremu- 
lations  de  la  paroi  abdominale.  Ces  angoisses  se  reproduisent  a 
proposde  tout  et  elles  ont  debute  a  la  suite  d'une  singuliere  aven- 
ture.  Un  jeune  homme  qui  habitait  dans  la  m^me  maison  que  Ku . . .  a 
ete  arrMe  parce  qu'il  se  livrait  a  des  manifestations  inconvenantes  a 
la  fenetre.  Pour  se  disculper  il  fait  appel  au  temoignage  de  cette 
dame  et  se  fait  conduire  chez  elle  par  un  agent  de  police  afin 
qu'elle  certifie  de  sa  conduite  exemplaire.  La  pauvre  femme  se 
croit  accus^e  avec  lui,  se  voit  impliqu^e  dans  un  proems  scanda- 
leux  et  perd  completement  la  tete.  C'est  a  partir  de  ce  moment 
qu'elle  devient  une  panophobique. 

Si  on  y  r^fl^chit  il  n*est  pas  facile  de  comprendre  comment 
une  emotion  rend  ^motif.  II  ne  suflSt  pas  de  dire  que  T^motion  pri- 
mitive se  r^pete,  il  faudrait  expliquer  pourquoi  elle  se  reproduit 
ainsi  sans  raison,  ce  qui  ne  serait  pas  ais^.  Mais  cela  meme  n'est 
pas  exact,  car  ce  n'est  pas  I'emotion  primitive  qui  se  rcpete.  Les 
choses  ne  se  passent  pas  du  tout  comme  dans  les  crises  d'hysterie 
qui  reproduisent  automatiquement  une  Amotion  comme  par  sug- 
gestion. L'emotion  primitive  est  parfaitement  oubli^e  et  Cs...,  qui 
est  devenue  tres  egoi'ste,  ne  s'occupe  plus  du  tout  de  ses  enfants. 
Ce  sont  d'autres  Amotions  qui  se  d^veloppent  a  propos  d'incidents 
lout  diff(6rents  et  c'est  une  aptitude  particuliere  a  reproduire  avec 
trop  de  facilite  ces  ph^nom^nes  qui  s^est  formee  dans  le  sujet  et 
je  trouve  remarquable  que  cette  aptitude  se  soit  formee  si  rapi- 
dement  a  la  suite  d'une  premiere  emotion. 

Mais  Temotion  ne  produit  pas  uniquement  T^motivitd,  il  est 
quelquefois  bien  plus  curieux  de  la  voir  produire  TindiRerence, 
de  la  voir  amener  la  suppression  des  emotions  normales.  Je  rap- 
pelle  rhistoire  d'Al...  Elle  fait  un  mariage  absurde  et  se  trouve 
marine  a  un  inverti  sexuel  qui  ne  veut  pas  de  sa  femme  et  qui 
poursuit  son  beau-frere,  scenes  et  proems  invraisemblables.  A  la 
suite  Al...  entre  dans  un  6tat  fort  curieux  d'indifference  et  de 
froideur  et  se  sent  Incapable  d'eprouver  aucun  sentiment  de 
plaisir  ou  de  douleur.  Get  (^tat  a  ei6  decrit  a  propos  des  insuffi- 


INFLUENCES  QUI  DETERMINENT  I/ABAISSEMENT  DU  NIVEAU  MENTAL      521 

sances  psychologiques,  je  remarque  seulement  ici  qu'il  a  ^t^  le 
r6sultat  de  violentes  Amotions. 

L'emotion  peut  faire  nattre  de  meme  tous  les  phenomcnes  de 
raboulIe;je  ne  parle  pas  d*uneaboulie  Imm^diatement  en  rapport 
avec  les  phenomenes  ^motirs  et  que  Ton  pourraitrattacher  a  I'in- 
hibition  ;  mais  d'une  aboulie  qui  persiste  sans  que  Temotion  se 
renouvelle.  AI...  dans  Tobservation  precedente  est  enorm^ment 
aboulique  en  meme  temps  que  tout  a  fait  incapable  d'emotion. 
Cas...,  femme  de  52  ans  qui  a  vu  son  fils  tomber  a  Teau,  se  sent 
la  tMe  g^nce,  ne  peut  plus  faire  aucune  action  ni  suivre  aucune 
idee,  en  meme  temps  elle  a  cess6  «  d*6tre  impressionnable,  elle' 
ne  sent  plus  les  joies,  ni  les  peines,  elle  est  indifTi^rente  a  tout  ». 

Enfin  c^est  Temotion  qui  est  la  source  principale  de  ces  ^tats  d*in- 
quietude,  de  doute  et  de  tous  ces  sentiments  d^insuflisance  dontj'ai 
dejh  rapports  tantd'exemples.  C'esta  la  suite  d'un chagrin  d'amour 
que  Tr...  devient  aboulique  et  commence  a  resscntir  les  doutes 
et  les  hesitations  qui  la  caracterisent ;  c'est  a  la  suite  d'une  con- 
fession que  Clsiire  se  sent  inquiete  qu'elle  sent  a  Tespoir  et  la 
confiance  s'en  aller  comme  une  lumiere  qui  s'eloigne  ».  Nem... 
est  frapp6  par  Taspect  efTrayant  d'un  mendiant  qui  s'adresse  a 
elle,  elle  reste  impressionn^e  et  depuis  elle  ne  retrouve  plus  la 
perception  normale,  elle  trouve  a  tous  les  objets  et  surtout  aux 
personnes  un  aspect  drole,  etrange.  To...  est  bouleversee  par  une 
declaration  obscene  que  lui  fait  un  petit  employ^  et  depuis  elle 
doute  de  toutes  les  choses  pr^sentes,  qui  lui  semblent  avoir 
perdu  leur  r^alite. 

Le  sentiment  de  depersonnalisation  si  remarquable  de  Ver... 
et  de  Bei...  a  commence  chcz  tous  les  deux brusquement  a  la  suite 
d'une  emotion.  Ver...  a  et6  menace  par  son  patron  qui  tenait  a  la 
main  un  instrument  de  fer  et  Bei...  a  lu  dans  un  journal  une  his- 
toire  d*amour  ameuant  des  malheurs,  des  suicides  et  qui  lui 
semblait  identique  a  ses  propres  aventures.  Quand  chez  ces 
deux  malades  le  sentiment  pathologique  diminue  c'est  une  nou- 
velle  emotion  qui  le  fait  reapparaitre.  «  Ca  m^a  fait  un  efl'et  dans 
la  t^te  et  apres  ^a  me  fait  comme  si  ce  n'^tait  pas  moi '.  »  On 
pourrait  facileraent  accumuler  des  exemples  de  tous  les  senti- 
ments d'insuffisance  psychologique  ayant  une  semblable  origine. 
Ces  faits  se  rattachent  encore  moins  que  les  precedents  a  Texpli- 

I.  Nevroses  et  Idees  fixes,  1898,  II,  p.  6a. 


522  THEORIES  PATHOGfiNlQUES 

cation  simple  de  r^motion   donnee  dans  les  theories  que  nous 
avons  discut^es. 

Toutes  ces  difficult^s  proviennent,  a  mon  avis,  de  ce  que  Ton  a 
beaucoup  trop  slmplifi^  le  concept  de  T^motion.  L'emotion 
s'accompagne  sans  doute  dans  bien  des  cas  de  modiGcations  vis- 
cerales  et  la  conscience  en  retour  de  ces  modifications  doit  jouer 
un  certain  role  dans  la  conscience  de  Temotion  elle-nieme.  C'est 
peut-etre  ainsi  que  se  caract^risent  certaines  vari^i^s  d'emotions 
qui  se  distinguent  les  unes  des  autrcs  par  la  conscience  de  ces 
difTerentes  harmoniques  viscerales.  Mais  il  n'est  pas  possible  de 
soutenir  que  les  phenonienes  si  complexes  designes  sous  le  nom 
d'emotions  ne  contiennent  pas  autre  chose  que  ces  concomitantes 
organiques.  Je  crois  que  Ton  trouvera  dans  Tanalyse  de  Temotion 
un  trcs  grand  nombre  de  phenomenes  proprement  cer^braux  et 
psychologiques  qu'il  faudra  successivenient  ajouter  a  ce  concept 
trop  etroit  de  Teraotion  organique. 

Pour  le  moment  je  ne  voudrais  ajouter  a  la  notion  de  Temotion 
qu*un  seul  detail  c*est  qu'elle  est  tres  souvent  Toccasion  et  le  sen- 
timent des  grandes  oscillations  du  niveau  mental.  Dans  mes  pre- 
cedents travauxyj'ai  deja  insists  a  plusieurs  reprises  sur  ce  point: 
((  Temotion,  disais-je  autrefois,  a  une  action  dissolvante  sur  Tes- 
pritydiminue  sa  synthase  et  le  rend  pour  un  moment  miserable*.  » 
«  Les  emotions  surtout  les  Amotions  deprimantes  comme  la  peur, 
desorganisent  les  syntheses  mentales  ;  si  on  pent  ainsi  dire, 
leur  action  est  analytique  par  opposition  a  celle  de  la  volonte 
de  Tattention,  de  la  perception  qui  sont  synthetiques.  Une  reso- 
lution qui^tait  prise  est  perdue  a  la  suite  de  remotion...Chez  Ics 
hyst^riques  on  pent  en  excitant  leur  attention  forcer  un  malade 
anesthesique  a  reprendre  sa  sensibility,  un  paralytique  a  reprendre 
la  possession  des  images  kinesthesiques  et  le  mouvemcnt  volon- 
taire,  vous  les  amenez  ainsi  a  rattacher  a  leur  personnalit^  certaines 
sensations  et  certaines  images,  ce  sont  des  syntheses  mentales.  La 
moindre  emotion  va  detruire  tout  ce  travail  et  dissocier  de  nou-, 
veau  dc  lapersonnalite  ces  sensations  et  ces  images...  Mais  jamais 
ce  pouvoir  de  dissociation  qui  appartient  a  T^motion  ne  se  mani- 
feste  plus  nettement  que  dans  son  action  sur  la  memoire...  Cette 
dissociation  pent  s^exercer  3ur  les  souvenirs  au  fur  et  a  mesure  de 
leur  production  et  constituer  Tamndsie  continue,  elle  pent  aussi 

I.  Automatisme  psychologique,  1889,  p.  457. 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'ABAISSEMENT  DU  NIVEAU  MENTAL      523 

s'exercer  tout  d'un  coup  sur  un  groupe  de  souvenirs  deja  consti- 
tue,  d^ja  rattache  a  la  personnalite.  Le  plus  souvent  ces  souvenirs 
dissocies  par  T^motion  seront  simplement  les  plus  recents  et 
Tamnesie  d^terminee  par  Temotion  prendra  la  forme  bien  connue 
de  I'amn^sie  retrograde ^  »  «  On  constate  des  faits  semblables 
ii  propos  des  traitements  par  suggestion  et  par  direction  morale, 
une  emotion  supprime  tout  le  travail  de  restauration  qui  a  etc 
accompli  pendant  la  stance,  fait  reapparaitre  Ics  anesth^sies, 
les  paralysies,  les  idees  fixes.  Le  travail  du  directeur  pendant  les 
stances  precedentes  a  ete  un  travail  de  synthese  :  il  a  organise 
des  resolutions,  des  croyances,  des  Amotions,  il  a  aide  le  sujet  a 
rattacher  a  sa  personnalite  des  sensations  et  des  images.  Bien 
plus,  il  a  echafaude  tout  ce  syst^me  de  pensees  autour  d'un  centre 
special  qui  est  le  plus  souvent  son  nom  et  Timage  de  sa  personne. 
Le  sujet  a  emporte  dans  son  esprit  et  dans  son  cerveau  une  syn- 
these nouvelle,  passablement  artificielle  et  tres  fragile,  sur  laquelle 
Temotion  a  facilement  exerce  sa  puissance  d^sorganisatrice^.  » 

Cette  description  convenait  surtout  aux  hyst^riques,  elle  doit 
6tre  elargie  pourpouvoir  s'appliquer  a  nos  malades  pyschasth^ni- 
ques.  Un  des  ph^nomenes  de  Temotion,  dirons-nous  maintenant, 
c'est  de  s'accompagner  d'un  abaissement  marque  du  niveau  men- 
tal, en  entendant  le  niveau  et  la  hic^rarchie  mentale  dans  le  sens 
oil  nous  Tavons  precedemment  defini.  Elle  ne  produit  pas  seule- 
mcnt  la  perte  de  la  synthese  et  la  reduction  a  Tautomatisme  qui 
est  si  visible  chez  Thysterique,  elle  supprime  graduellement  sui- 
vant  sa  force  les  phenomenes  superieurs  et  abaisse  la  tension  au 
seul  niveau  des  phenomenes  dits  infi^rieurs. 

C^est  pourquoi  dans  cette  hypothese  tous  les  faits  pr6c(^dcnts 
me  paraissent  s'expliquer  facilement.  Dans  Tcmotion  nous 
vbyons  disparaitre  la  synth6se  mentale,  Tattention,  la  volonte, 
Tacquisition  des  souvenirs  nouveaux  ;  en  m^me  temps  nous 
voyons  diminuer  ou  disparaitre  toutes  les  fonctions  du  r^el,  le 
sentiment  et  le  plaisir  du  r^el,  la  confiance,  la  certitude.  A  la 
place  nous  voyons subsister  les  mouvementsautomatiques,  les  rumi- 
nations et  surtout  les  manifestations  viscerales  ^lementaires  que 
Ton  considere  beaucoup  trop  comme  la  cause  de  T^motion  et  qui 
n*en  sont  qu'une  consequence. 


I.  Nivroses  et  Idees  fixes  ^  1898,  I,  p.  i44- 
a.  Id.,  1,  p.  475. 


r,5i  THEORIES  PATII0G£NIQUES 

Bien  des  malades  dans  leur  analyse  psychologique  si  curieuse  se 
rendent  bien  compte  de  ce  r6le  des  emotions.  Quand  Jean  parle 
d'une  violente  emotion  qu'il  a  eue  lors  de  sa  derniere  masturba- 
tion, quand  il  a  pens6  en  mourir,  il  a  des  termes  saisissants : 
«  Nod,  vousne  pouvez  pas  comprendre  le  nuage,  le  rideau  noir, 
Tempreinte  lugubre  qui  m^est  restee  de  ce  moment-la,  Temotion 
a  eu  sur  moi  un  effet  degradant,  »  «  Je  ne  sais  comment  faire,  dit 
Claire,  pour  m'emp^cherde  tombercomme  une  loque  alamoindre 
emotion,  mon  corps  et  mon  esprit  m'abandonnent  a  la  moindre 
contrari^te.  »  Ce  sentiment  de  decheance  si  notable  dans  toute 
la  maladie  prend  bien  souvent  une  origine  dans  une  emotion  de- 
primante. 

Les  physiologistes  essayent  d'expliquer  le  fait  de  diverses  ma- 
nieres,  M .  Marro  compare  ing^nieusement  les  efTets  de ces emotions 
a  ceux  du  froid.  «  Nous  retrouvons,  dit-il,  dans  ces  emotions,  la  con- 
traction des  vaisseaux  capillaircs  p^ripheriques,  la  sensation  de 
froid,  de  chair  de  poule,  le  tremblemcnt,  les  contractions  de  la 
vessie  ^  »  II  serait  aussi  juste  de  comparer  ces  efiets  de  Temotion 
a  ceux  de  la  fatigue,  de  Tepuisement  rapide  et  difEcilement  repa- 
rable du  systeme  nerveux.  Ces  faits,  en  efiet,  se  rapprochent  de 
ceux  que  j'ai  signales  au  d6but  de  ce  paragraphe,  quand  j'ai 
montre  que  la  fatigue,  Tengourdissement,  tout  afTaiblissement  * 
maladif  amenait  les  mcmes  abaissements  du  niveau  mental  et  favo- 
risait  de  la  meme  fagon  le  d^veloppement  des  phobies  et  des 
obsessions. 


5.  —  Oscillations  du  niveau  mental.  —  Influences  qui 
diterminent  Vilivation. 

Nous  n'avons  6tudie  jusqu'ici  que  les  abaissements  de  Tesprit, 
les  oscillations  descendantes  du  niveau  mental,  on  pent  se  de- 
mander  s*il  n'en  existe  pas  d'autres  et  si  les  m^mes  sujets  ne 
sont  pas  susceptibles  de  presenter  certaines  ascensions  men- 
tales.  L*etude  de  ces  modifications  en  sens  inverse  et  de  leurs 
resultats  me  parait  etre  la  meilleure  verification  des  etudes  pre- 
c^dentes. 

I.  Mbtto,  La  puberte,  p   424- 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'fiL^VATION  DU  NIVEAU  MENTAL    52u 


I.  —  Les  ascensions  du  nweau  mentaf. 

Les  malatles  pr^senteiit  en  effet  assez  souvent  des  ameliorations 
remarquables  non  seulement  au  moment  de  la  gu^rison,  mais 
encore  au  cours  de  la  maladie.  II  est  rare  que  la  gu^rison  se  fasse 
d*une  maniere  continue  et  graduelle  ;  presque  toujours  sous  I'in- 
fluence  du  traitement,  on  sous  {'influence  de  diverses  circons- 
tances,  les  maladcs  changent  brusqucment,  se  transforment  pen- 
dant quclques  heures  ou  quelques  jours,  puis  retombent  dans 
leur  ctat  habitucl.  Ce  sont  ces  p6riodes  que  j'ai  d^ja  eu  Toccasiou 
d'appeler  des  instants  clliirs  \ 

Ces  periodes,  par  exemple,  sont  tr^s  nettes  chez  Lise,  et  il  est 
tres  interessant  de  remarquer  ce  qui  les  caract^rise.  La  malade 
est  a  ce  moment  en  partie  debarrassee  de  ses  obsessions,  elle 
n^arrive  jamais  a  s*en  d^barrasser  completement.  Les  id^es  qui 
constituaient  sa  rumination  lui  semblent  s'^loigner,  quoiqu'elle 
les  sente  toujours  tout  pr6s  d'elle  et  pretes  a  reapparaitre  au 
premier  appel,  mais  en  somme  Tesprit  est  beaucoup  plus  calme 
et  cesse  les  serments,  les  pactes,  les  discussions  perp6tuelles  qui 
le  remplissaient  preccdemment.  En  meme  temps  je  remarque 
chez  la  malade  tout  un  ensemble  d'autres  changements. 

Lise  a  sur  elle-meme  des  sentiments  difl*(6rents :  elle  se  sent 
moins  partagce,  moins  divis<5e  «  enfin,  dit-elle,  jc  suis  plus  unifiee, 
plus  moimeme  »  comme  elle  se  rend  mieux  compte  d'elle-meme, 
elle  appr^cie  mieux  ses  sensations,  elle  n'a  plus  cet  cngourdisse- 
ment,  cette  diminution  de  la  sensation  de  la  douleur  que  nous 
avions  observ^e  sur  elle  et  elle  se  plaint  maintenant  d*une  sensation 
de  fatigue  «  a  laquelle  elle  ne  faisait  pas  attention  auparavant  ». 
Cette  sensibiliteou  plutot  cette  faculty  de  donner  plus  d*attention 
aux  sensations  et  aux  perceptions  presentes  existe  aussi  au  moral 
et  la  malade  parait  changer  de  caract^re.  Elle  devient  plus  sus- 
ceptible, plus  impressionnable  et  supporte  moins  facilement  une 
foule  d*ennuis  de  sa  situation,  qu'elle  ne  remarquail  meme  pas 
auparavant.  L'activit^  ^galement  a  augments,  ses  parents  sont 
^tonnes  de  la  trouver  plus  en  train,  plus  vivante,  moins  terne,  et 
en  effet  la  voici  qui  pent  travailler,  s'occuper  de  T^ducation  de  ses 
enfants,  lire  et  s'interesser  a  sa  lecture,  etc.  Enfin  je  note  que  le 

I.  Revue  philosophiqae,  1891,  et  Nevroses  et  IdSes  fixes,  1898,  I,  p.  49- 


o26  THEORIES  PATHCXJfiNIQUES 

sommeil  est  devenu  plus  profond  et  plus  calme,  quelquefois  elle 
se  reveille  en  sursaut  ^tonn^e  dc  ne  plus  dormir  a  sa  fa^on  ordi- 
naire et  de  se  laisser  aller  au  sommeil  profond  sans  rien  ruminer. 
Le  sommeil  hypnotique  merae  et  la  suggestion  semblent  avoir 
augmente  d'une  facon  sensible. 

Les  m^mes  observations  peuvent  etre  faites  sur  Claire.  II  y  a 
des  moments  oil  elle  n'est  plus  au  fond  de  son  precipice  et  ne  se 
croit  plus  unepersonne  aussi  indigne.  (cJe  reconnais,  m'^crit-elle, 
que  depuis  trois  mois  j*ai  ^t^  moins  tourment^e,  que  vous  avez 
secouc  mon  engourdissement  et  que  je  suis  remont^e.  i>  Elle  ne  nie 
plus  le  bien  qu*elle  pent  faire,  elle  a  un  sentiment  a  d*6tre  meilleure, 
de  revenir  dans  la  bonne  route,  de  traverser  un  mur  qui  la  g^nait.  » 
La  confiance  en  Dieu  et  la  foi  dans  ta  religion  reviennent.  II  est 
tr^s  int6ressant  de  remarquer  a  ce  propos  que  la  croyance  revient 
sans  que  le  sujet  ait  rien  lu,  rien  entendu  de  nouveau  sur  la  reli- 
gion. De  m^me  que  la  foi  est  partie  sans  quUl  y  ait  eu  de  discus- 
sion, de  meme  elle  revient  sans  qu'il  y  ait  eu  de  demonstration, 
tellement  les  raisons  proprement  intellectuelles  sont  pour  peude 
chose  dans  ces  croyances. 

Claire  signale  en  meme  temps  d^autres  changements  :  les  iddes 
sont  moins  vagues,  plus  precises,  moins  compliquees,  les  souvenirs 
sont  plus  nets,  «  j'ai  ete  vraiment  mieux,  dit-elle,  ext^rieure- 
ment  comme  au  dedans,  j'etais  plus  gaie,  plus  active,  c'est  que 
j'avais  pass^  plusieurs  personnes,  j'avais  traverse  une  mauvaise 
personne  qui  me  faisait  peur,  j'avais  beaucoup  moins  de  person- 
nes en  moi,  mesidees  s'enchainaient  mieux,  j'avaispresqueTunite 
de  Tesprit.  Je  me  suis  int^ress^e  davantage  a  ce  qui  se  passait 
autour  de  moi,  tout  me  paraissait  plus  r^el  et  plus  facile,  oui 
j'etais  tout  pres  de  la  reality  et  aussi  de  la  religion,  il  me  sem- 
blait  que  j'6tais  plus  pres  des  choscs,  je  les  rcconnaissais  mieux 
quoique  je  ne  les  avais  pas  vues  depuis  longtemps,  mon  sommeil 
meme  6lait  plus  reel  et  mes  r^ves  plus  nets,  car  j'en  avais  moins 
a  la  fois  ». 

Ces  deux  exemples  suflfisent  car  les  autres  seraient  analogues 
pour  nous  montrer  que  dans  ces  instants  clairs  tons  les  sympto- 
mes  se  modifieut  dans  le  ni^me  sens.  Les  obsessions  s'^loignent, 
les  ruminations  et  les  phobies  diminuent,  mais  en  meme  temps, 
les  sentiments  d'incompletude  disparaissent  et  Ton  assiste  a  une 
restauration  des  ph^nomenes  psychologiques  superieurs,  de  la 
volonte,  de  Tattention,  des  functions  du   reel.   La  transformation 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'fiLfiVATlON  DU  NIVEAU  MENTAL    ,V27 

atteint  m6me  les  fonctions  physiologiques,  les  digestions  son! 
meilleures  ;  a  quand  j'ai  de  I'excitation  cerebrale,  dit  Gisele, 
quand  je  sens  du  plaisir  et  de  Tunite  dans  mon  esprit,  je  digere 
bien,  il  me  faut  une  petite  Bevre  d^enthousiasme  pour  m'aider  a 
digerer,  »  bien  mieux  des  malades  qui  ont  d*ordinaire  beaucoup 
de  pertes  blanches,  voient  se  tarir  ces  s^cr^tions  vaginales  pen- 
dant les  periodes  d'ascension  morale.  En  un  mot  la  plupart  des 
symptomes  neurastheniques  qui  ont  ete  ^num^res,  se  modifient 
favorablement  en  m6me  temps  que  Tesprit  lui-meme. 

II  en  r^sulte  que  ces  ascensions  nous  posent  un  probleme 
comme  les  abaissemcnts.  De  ces  diflerents  phenom^nes  qui  se 
modifient  ensemble,  lequel  faut-il  consid^rer  comme  primitif  ? 
Quel  est  le  phenomene  qui  se  restaure  le  premier  et  qui  par  sa 
restauration  amene  la  modification  constatee  dans  tous  les  autres  ? 
Pour  le  savoir  il  faut  chercher  quelles  sont  les  conditions  qui 
d6terminent  ces  ameliorations  meme  passageres  et  sur  quel  phe- 
nomene elles  ont  agi  primitivement. 

Je  ne  crois  guere  que  cette  modification  commence  par  les 
obsessions  proprement  dites.  11  semble  bien  diflScile  d'agir  direc- 
tement  sur  ces  idees  qui  obsedent  les  malades.  Une  des  choses 
qui  surprend  le  plus,  quand  on  examine  des  obs^d^s,  c'est  Tim- 
puissance  du  raisonnement.  On  veut  tout  d'abord  d^montrer  au 
malade  Tabsurdit^  de  Tid^e  qui  le  tourmente  et  on  essaye  de  le 
convaincre  qu'il  est  inutile  de  s'en  preoccuper.  Claire  pretend 
en  g6missant  qu'ellc  serait  gu^rie  si  elle  croyait  a  Texistence  de 
Dieu  et  Lise  promet  de  relrouver  la  tranquillity  si  elle  sait  que 
le  diable  n'exipte  pas  :  on  se  laisse  entrainer  a  6prouver  la  force 
des  arguments  philosophiques.  lyias  leur  r^sultat  est  bien  me- 
diocre ;  les  malades  font  semblant  d'^couter,  ils  discutent  quel- 
quefois  et  avec  finesse,  mais  on  pent  continuer  la  conversation 
pendant  des  heures  sans  modifier  en  rien  leur  ^tat  d'esprit. 
Quand  on  les  voit  s'am^liorer,  la  logique  n'y  a  6te  pour  rien  ; 
Claire  retrouve  la  foi  en  Dieu  sans  avoir  trouv^  aucun  argument 
nouveau  et  Lise  renonce  a  se  preoccuper  du  d^mon  sans  avoir 
mieux  compris  les  arguments  contre  le  dualisme.  Leur  ameliora- 
tion a  son  origine  dans  un  phenomene  plus  profond  que  les  idees 
de  la  raison. 

Quelquefois  surtout  au   debut  ces    ameliorations    surviennent 
sans  raison  bien  apparente.  Claire,  au  debut  de  sa  maladie,  vera 


h2fi  THEORIES  PATII0G£MQLES 

Tage  de  i8  ans,  avail  des  oscillations  de  ce  genre.  «  La  lamiere 
cessait  tout  d^un  coup  de  s*eloigner,  elle  se  rapprochait,  je  ne 
sais  pas  pourquoi,  alors  je  me  trouvais  ridicule,  jesavais  bien  que 
je  n^avais  pas  mal  fait,  je  cessais  de  me  tourmenter.  II  me  semblait 
que  je  remootais,  c^etait  un  sentiment  de  confiance  en  Dieu,  d*es- 
poir  qui  me  revenait.  Cependant  je  ne  suis  jamais  revenue  que 
deux  fois  a  la  lumiere  complete,  ce  souvenir-la  m*a  soutenue  long- 
temps,  il  me  montrait  le  chemin  a  suivre.  Plus  tard  je  ne  suis 
jamais  revenue  aussi  completement.  »  Chez  Bei...  aussi,  les 
doutes  sur  sa  personnalite  disparaissaient  par  moment  d'une  ma- 
niere  complete,  sans  qu'elle  pAt  savoir  pourquoi,  il  est  probable 
que  dans  ces  cas  une  des  causes  que  nous  allons  voir  a  Tcenvre 
agissait  a  Tinsu  des  sujets  et  qu'au  d^but  du  mal  il  sufBsait  d'une 
action  minime. 


a.  —  Les  substances  excitantes. 

Les  premieres  causes  que  nous  voyons  agir  eflScacement  sont 
des  causes  physiques  que  les  malades  savent  d'ordinaire  tres  bien 
d^couvrir  tout  seuls,  ce  sont  les  poisons  excitants.  On  a  remarqu^ 
depuis  longtemps  que  les  ereutophobes  prennent  de  Talcool  avant 
de  se  rendre  aupres  d*une  personne  a  qui  ils  ne  veulent  pas 
montrer  leur  rongeur  \ 

On  explique  dWdinaire  ce  besoin  en  disant  avec  eux  que  Tal- 
cool  les  fait  deja  rougir  et  qu'ils  n*ont  plus  peur  de  rougir  da- 
vantage.  Je  ne  puis  croire  a  cette  explication  que  me  donne  aussi 
un  malade  Mk... ;  des  agoraphobes  comme  Oz...  usent  du  meme 
proced^  et  n'ont  pas  peur  de  rougir.  L'excitation  cerebrale  causae 
par  Talcool  joue  ici  un  role  bien  plus  important  que  la  pens^e  de 
la  rougeur.  En  reality,  le  point  de  depart  de  la  dipsomanie  est 
aussi  le  sentiment  de  bien-etre  determine  par  Falcool  chez  des 
malades  qui  ont  senti  auparavant  une  «  horrible  impression 
d'abaisscment  mental.  » 

D'autres,  malheureusement  tres  nombreux,  ont  recours  a 
rather  et  a  la  morphine.  Une  de  mes  malades  avail  la  deplo- 
rable habitude  de  respirer  de  Tether  en  se  cachanl  la  t^te  sous 
ses  couvertures  pour  ne  rien  perdre,  elle  a  reussi  a  s'asphyxier. 
II  n*esl  que  trop  vrai  que  la  morphine  soulage  momenlan^ment 

I.  Bechterew,  Neurol.  CentralbL,  XVI,  1897. 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMlNENT  L'^LfiVATION  DU  NIVEAU  MENTAL    529 

ces  malades,  Mb...  s'en  est  bien  trouv6e  pendant  plusieurs  mois, 
Qsa...  continue  sa  digestion  tranquillement  et  arrete  sa  crise  des 
efforts  de  vomissements  apres  une  piqilire  d^un  centigramme  de 
morphine.  Bien  entendu  ces  malades  finissent  par  ajouter  la 
morphinomanie  a  leurs  autres  mis^res.  Quelques-uns  se  bornent 
a  une  excitation  moins  dangereuse,  celle  de  Talimentation.  Ppi..., 
agoraphobe  et  timide,  a  toujours  dans  sa  poche  un  fort  morceau 
de  pain  et  de  jambon,  dont  l*ingestion  faite  a  propos  lui  donnera 
I'assurance  n^cessaire. 

D'autres  proc^d^s  physiques  seront  ^galement  utiles,  Bei..., 
Wye...  retrouvent  leur  personnalit6  pour  un  moment  quand  elles 
prennent  une  douche  froide.  «  De  Teau  bien  froide  sur  la  tete, 
dit  Jean,  et  pour  un  moment  Ton  saisit  le  monde  cxterieur  un 
peu  plus  fortement  ».  II  en  est  ainsi  chez  beaucoup  de  malades 
pour  un  temps  malheureusement  court.  Pour  quelques-uns  il 
sufFit  i(  d'une  belle  matinee  ou  d*un  beau  temps  »  pour  dissiper 
les  genes  et  les  obsessions  «  que  le  soleil  me  rie  et  me  voila 
honnete  homme  ».  On  verra  dans  T^tude  de  revolution  Tinfluence 
remarquable  de  certains  etats  comme  la  grossesse  et  la  (ievre  : 
ce  sont  toujours  des  excitations  qui  d^terminent  ces  instants  clairs. 

3.  —  Influence  dii  ckangement. 

Si  nous  passons  maintenant  au  point  de  vue  moral,  nous  de- 
vons  signaler  le  bon  effet  des  changements :  Claire  va  mieux 
quand  elle  rentre  chez  elle  apres  une  absence,  a  J*ai  et6  mieux 
en  arrivant,  plus  heureuse,  plus  gaie,  et  moins  tourment^e, 
comme  la  derniere  fois,  je  voyais  les  choses  plus  nettement,  tout 
me  semblait  plus  facile,  moins  compliqu^.  Je  me  suis  moins  aper- 
^ue  de  Tengourdissement  que  j'ai  d^ordinaire ;  il  dtait  un  peu 
pass^,  j*ai  ^te  certainement  plus  active,  plusenergique.  Je  le  suis 
encore,  mais  cela  diminue  et  il  m'arrive  de  nouveau  de  rever,  je 
n^ai  ete  bien  que  quelques  jours.  Ce  qui  m'ennuie  c*est  que  j'ai 
de  nouveau  des  images  (ses  pseudo-hallucinations  sacrileges). 
Elles  s'etaient  calm^es  au  commencement,  a  mon  retour ;  elles 
reviennent  maintenant  davantage...  »  a  Lise  fait  les  m^mes  re- 
marques;  je  suis  mieux  pendant  quelques  jours  quand  je  retourne 
a  la  campagne,  quand  je  change  de  s^jour,  cela  me  fait  reraonter 
de  voir  un  endroit  ou  des  personnes  que  je  n'ai  pas  vus  depuis 
longtemps.  »  On  pent  r^peter  cette  observation  sur  Vi...  et  sur 

LES    OB8BSSIONS.  I.   —  34 


5.%  THEORIES  PATHOGtMOCES 

la  plapart  des  malades :  tc  il  me  faat,  dit  Gisele,  rinedit,  le  sor- 
tant  de  TordiDaire  poor  respirer  on  pen.  » 

iDdependammeDt  du  changement  certains  milieax  sont  plus 
favorables  aax  malades.  Je  croyais  a  ane  opinioD  indiTidoelle  pea 
jostifiee,  qaand  Jean  me  repetait  qo'il  avait  besoio  de  vivre 
a  Paris  et  qa^il  etait  beaocoap  plus  malade  et  malheoreox  en 
province  et  surtoot  a  la  campagne.  Cette  opiDion  me  parais- 
sait  bizarre  dans  la  bouche  d*un  individu  phobique  qai  a  pear  des 
femmes,  peur  de  la  foule,  pear  des  Toitares.  Mais  j'ai  remarque 
que  la  m^me  aHirmation  m*a  ete  faite  d^une  maniere  toot  a  fait 
ind^pendante  par  Za...,  par  On...,  par  Lise  et  par  plusieurs autres 
et  j'observe  qu*ils  ont  raison.  Paris  leor  donne,  il  est  vrai,  plus 
d*occasion  de  phobies  et,  si  leur  maladie  n'etait  que  de  Temoti- 
vit^,  lis  devraieot  le  fuir.  Mais  Paris  lenr  donne  en  meme  teraps 
des  occupations,  des  distractions,  en  un  mot  des  excitations. 
«  Cela  me  fouette,  me  fait  vivre,  me  fait  marcher  plus  vite.  »  Et 
comme  leur  emotivity  est,  si  je  ne  me  trompe,  la  consequence  de 
leur  engourdissement,  ils  sont,  quoique  ce  soit  paradoxal,  moins 
emotifs  a  Paris.  Jean  a  plus  peur  des  femmes  dans  sa  campa- 
gne isol6e  que  sur  les  boulevards. 

4.  —  Influence  du  mouifement  et  de  V effort. 

En  dehors  des  circonstances  ext^rieures  il  y  a  evidemment  des 
actions,  des  modifications  morales  du  sujet  qui  ont  une  influence 
favorable,  par  exemple  le  mouvement,  Tagitation  physique  est 
plutot  une  bonne  chose.  Lise  remarque  tres  bien  que  le  mouve- 
ment diminue  ses  id^es  et  que  I'immobilite  est  dangereuse.  II  est 
vrai  que  le  mouvement  lui  devient  de  plus  en  plus  p^nible,  quand 
les  id^es  Tenvahissent  et  que  dans  les  crises  graves  de  rumina- 
tion elle  va  etre  r^duite  a  une  immobility  complete ;  mais  clle 
pent  arreter  une  crise  si  elle  se  leve,  si  clle  sort  asscz  a  temps. 
Aussi  ne  faut-il  pas  dire  que  les  crises  d'efibrts  de  Claire  soient 
conipletement  maladives ;  actuellement  ces  agitations  sont  deve- 
nues  tout  a  fait  absurdes  et  sont  le  r^sultat  d'une  manie,  mais 
au  debut  la  malade  sentait  une  amelioration  apr^s  ces  seances 
de  contorsions  a  je  me  voyais  mieux,  je  me  rendais  mieux  compte 
de  mon  engourdissement,  c'dtait  bon  signe  ».  Apres  des  seances 
v^ritablement  convulsives  qu*on  peut  exciter  chez  elle,  en  diri* 
geant  ses  eflPorts  elle  est  comme  transformee,   elle  sort  et  elle 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'fiLfiVATlON  DU  NIVEAU  MENTAL    531 

agit  le  reste  de  la  journ6e  sans  hesitation.  Lise  dit  souvent  qu'elle 
a  besoin  d'une  crise  de  nerfs  et  certaines  observations  me  font 
croire  qu'elle  a  en  partie  raison. 

II  en  r^sulte  certains  genres  de  traitement  bizarre  que  les  ma- 
lades  r^clament  eux-m^mes.  Quand  j'avais  essay^  d'hypnotiser 
Lise,  je  lui  avais  sugg^r^,  pour  v6ri6er  son  6tat,  des  contractures. 
J*ai  remarqu^  bieu  souvent  que  les  contractures  pr^sent^es  par 
elle  n'avaient  rien  de  r^el  et  ne  ressemblaient  pas  aux  contrac- 
tures hyst^riques  provoquees  dans  les  memes  conditions  :  le  sujet 
restait  toujours  maltre  de  d^faire  ses  contractures  quand  il  le 
voulait  et  en  somme  il  ne  maintenait  la  position  du  bras  ou  de  la 
jambe  que  par  bonne  volont^,  par  ddsir  d'ob^ir  et  de  faire  r^us- 
sir  un  traitement.  J^^tais  done  dispose  a  consid^rer  ces  contrac- 
tures comme  insignifiantes,  je  fus  surpris  de  voir  que  la  malade 
les  reclamait  et  disait  s'en  trouver  fort  bien,  il  lui  fallait  des  con- 
tractures de  plus  en  plus  fortes,  de  plus  en  plus  gdn^rales.  En 
somme,  comme  je  suis  convaincu  qu*il  n'y  avait  la  presque  rien 
de  suggestif,  c'^tait  elle  qui  par  des  efforts  volontaires,  inoui's,  se 
raidissait  tout  le  corps  dans  des  positions  bizarres.  Elle  ^tait 
couverte  de  sueur  et  visiblement  fatigu^e  de  maintenir  ainsi  des 
attitudes  p^nibles  :  apres  de  pareils  travaux  qui  n'avaient  pour- 
tant  aucun  rapport  a  ses  scrupules,  elle  se  sentait  beaucoup 
mieux,  Tesprit  plus  uni(i6,  elle  avait  une  meilleure  notion  de  sa 
personnalite  et  avait  la  tete  beaucoup  moins  encombree.  Elle 
conserve  le  sentiment  que  ses  spasmes  ne  vont  jamais  jusqu'au 
bout  cc  qui  est  vrai  d*ailleurs,  mais  que  Teffort  pour  les  former 
relive  et  transforme  son  esprit.  On  pent  r^p^ter  Tobservation 
sur  Claire,  et  on  obtient  les  memes  r^sultats. 

5.  —  Influence  de  V attention. 

On  peut  faire  les  m^mes  remarques  a  propos  de  Tattention  qui 
demande  des  efforts  du  meme  genre  :  Gis^le  dit  tres  bien 
qu'elle  a  besoin  de  s'interesser  a  quelque  chose  qui  excite  sa  cu- 
riosity par  le  mystere  et  qu'elle  va  bien  mieux  quand  elle  fait 
des  efforts  d'attention.  Une  idee  penible  qui  la  force  a  penser 
modifie  non  seulement  ses  scrupules  mais  aussi  son  estomac  et 
Taide  a  dig^rer.  Pot...  me  disait  aussi  que  si  une  chose  attire  sufli- 
samment  son  attention  elle  reprend  le  sentiment  de  la  reality 
comme  autrefois  et  Claire  parvient  a  se  retrouver  par  Tattentiou. 


532  THtoRIES  PATHOG^NIQUES 

Elle  fixe  fortement  son  esprit  sur  une  id^e  ou  un  sentiment  et  se 
fatigue  la  tele  pour  retrouver  cette  id^e  ou  ce  sentiment  tels  qu'ils 
etaient  autrefois.  Elle  essaye  de  me  parler,  d*arriver  a  le  faire 
avec  precision,  elle  travaille  a  prier  en  se  donnant  tout  entiere 
a  ce  qu'elle  faisait.  «  Je  rassemble  toutes  mes  forces  pour  trouver 
un  passage  dans  mon  esprit,  pour  arriver  a  un  instant  clair, 
pour  saisir  une  id^e  et  quand  je  suis  arrivee  a  dire  quelques  mots 
en  les  pensant  moi-meme  commc  autrefois,  je  retrouve  Tespoir, 
la  confiance  et  je  sais  tres  bien  que  tons  mes  reproches  sont  ridi- 
cules. Seulement  cette  attention  est  de  plus  en  plus  difScile,  j'ai 
eu  besoin  de  faire  en  m6me  temps  des  efforts  physiques  et  j*ai 
fini  par  repeter  mes  contorsions  pendant  des  hcures  sans  tra- 
vailler  reellement,  alors  elles  ne  servent  a  rien.  s> 

Ce  travail  pour  ^claircir  les  id^es  existe  chez  Lise  et  quelque- 
fois  il  n*est  pas  mauvais,  il  ne  se  confond  pas  avec  une  mauie  de 
recherche  ou  une  rumination  sterile ;  elle  a  travaille  pendant 
quatre  jours  pour  eclaircir  une  id^e  et  elle  a  eu  ensuite  Tesprit 
beaucoup  plus  clair.  On  retrouve  ces  efforts  chez  Nadia,  quand 
on  I'a  forcee  a  faire  une  visite  a  son  pere,  quand  elle  a  r^ussi  a 
^couter  la  conversation,  a  se  surveiller :  elle  reste  ensuite  infini- 
ment  mieux.  On  les  retrouve  aussi  de  la  meme  maniere  chez 
Tr...  et  Vy...,  etc. 

Bien  entendu  j'ai  cherch^  a  tirer  parti  de  ce  fait  au  point  de 
vue  th^rapeutique  et  au  point  de  vue  experimental,  j'ai  essaye  de 
forcer  ces  malades  a  fixer  leur  attention  sur  divers  points.  Ce 
n'est  pas  facile,  car  nous  avons  deja  remarqu^  la  difficulte,  la  mo- 
bilite  de  leur  attention.  Lise  ne  comprend  rienaux  raisonnements 
philosophiques  sur  les  sujets  qui  touchent  a  son  idee  fixe,  niais 
on  pent  fixer  son  attention  sur  d*autres  points.  Une  difficult^  cu- 
rieuse  que  Ton  rencontre  chez  elle,  c'est  qu'elle  est  tres  habituee 
a  suivre  plusieurs  id^es  a  la  fois  et  a  ne  donner  qu^unc  petite 
partie  de  son  attention;  quand  on  reussit  a  la  fixer  tout  entiere 
pendant  quelque  temps  elle  est  transform<!>e.  «  C*est  un  manque 
de  vie, que  j'ai  dans  la  t^te  et  quand  je  suisparvenue  a  la  secouer 
un  peu  je  n'ai  plus  ce  besoin  bizarre  de  m'analyser,  de  me  sur- 
veiller. »  Nadia,  Lkb...,  etc.,  m'ont  pr^sente  les  memes  heureux 
resultatsde  ces  fixations  dePattention.  Chose  plus  curieuse,Ver... 
etBei...,  qui  ont  toujours  perdu  leur  personnalite,  la  retrouvent 
quand  je  les  force  a  faire  une  extreme  attention  aux  sensations 
qu'ils  eprouvent.  Ver...  est  tout  etonne  de  constaterque  ses  mains 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'fiLCVATION  DU  NIVEAU  MENTAL    533 

sont  bien  ses  propres  .mains.  «  Je  suis  change  pour  quelques 
heures  en  vous  quittantet  puis  cela  retombe.  » 

Cette  remarque  souleve  une  difScult^  assez  grave  :  dans  un 
chapitre  precedent  nous  avons  constat^  que  beaucoup  de  ces 
malades  pr^sentaient  le  maximum  de  leurs  troubles  au  moment 
de  Inattention  et  qu'ils  semblaient  beaucoup  mieux  pendant  les 
etats  de  distraction.  M.  Bernard  Leroy  a  temarque  l*opposition 
de  ces  deux  faits  et  m'a  deja  reproch6  cette  contradiction  \  je  re- 
pondrai  d'abord  que  la  contradiction  appartient  aux  malades  et 
non  a  moi  et  que  je  me  borne  a  constater  des  faits  que  notre 
ignorance  fait  paraitre  contradictoires.  Je  crois  cnsuite  que  ces 
faits  peuvent  se  comprendre. 

Dans  le  premier  cas,  il  y  a  chez  ces  malades  insuffisance  d'at- 
tention,  les  phcnom^nes  psychologiques  superieurs  s*accom- 
plissent  insuniisamment,  il  en  resulte  que  le  trouble  se  produit 
surtout  quand  ils  essayent  d'exercer  ces  fonctions  qui  sont  in- 
suflisantes  et  que  le  trouble  n'apparait  pas  quand  ils  se  bornent 
aux  fonctions  inf^rieures  qui  ne  sont  pas  lesees. 

Dans  le  second  cas,  on  pousse  le  sujet  a  retablir  momentane- 
ment  son  attention,  a  augmenter  sa  tension  mentale.  Si  on  y 
reussit,  il  est  tout  naturel  que  Ton  ne  retrouve  plus  les  memes 
troubles  apportes  par  une  attention  defaillante.  En  un  mot,  il  n'y 
a  pas  de  contradiction  parce  que  dans  le  premier  cas  on  ^tudiait 
Tattention  malade,  et  que  dans  le  second  on  examine  Tattention 
momentanement  gu^rie. 

Quoi  qu'il  en  soit  il  resulte  des  faits  pr^c^dents  que  les  malades 
n'arrivent  a  un  etat  meilleur,  ne  sont  d^barrasses  de  leurs  senti- 
ments anormaux  et  de  leurs  obsessions  qu'en  se  maintenant  par 
des  efforts  de  volont^  et  d'attention  quelquefois  tres  conside- 
rables. «  Je  suis  bien,  dit  Gisele,  dans  Texcitation  et  je  suis  mal 
dans  la  detente  et  il  faut  que  je  m'excite  tout  le  temps.  11  faut 
que  je  cherche  des  travaux  difficiles  pour  me  tenir  en  haleine, 
que  je  sois  dans  un  eflFort  perp^tuel.  »  On  devine  la  conse- 
quence, c*est  qu'une  gu^rison  pareille  est  horriblement  fatigante 
et  que  les  malades  vous  repetent :  «  rien  n'est  si  p^nible  que  de  se 
main  tenir  ainsi  perpetuellement  tendu.  ^)    Claire  dit  qu'elle  par- 


I.   Bernard  I.eroy,  L'lllusion  dc  dc^personnalisation.   Comptes  rendus  du  IV*  Con- 
gres  de  Psychologic  de  1900. 


u3i  THEORIES  PATHOGfiMQUES 

vient  a  remonter  mais  que  Tascenslon  est  trop  p^nible  et  qu*elle 
ii'a  plus  le  courage  de  recommencer. 

La  plus  curieuse  a  ce  point  de  vue  est  Lise  qui  fait  des  efforts 
inouis  pour  ne  pas  retomber  dans  le  d^lire,  elle  me  r^petait  tou- 
jours  un  mot  que  je  comprenais  tr^s  mal  au  debut  de  ces  Etudes  : 
a  Mais  cela  me  fatigue  horriblement  d'aller  bien,  je  n^y  puis  plus 
tenir  ».  En  fait,  elle  maigrit  visiblement  et  parait  epuis6e  dans 
ces  p^riodes  oil  tout  justement  elle  est  parvenue  a  supprimer 
les  obsessions,  ou  elle  n'a  plus  de  rumination,  ou  elle  retrouve 
presque  compfetement  Tunite  de  Tesprit.  C'est  que  cette  ame- 
lioration n'est  obtenue  que  par  une  tension  artificielle  due  a  dcs 
efforts  d*attention  extremement  penibles. 

Pour  comprendre  ce  qui  se  passe  chez  ces  malades  nous  pou- 
vons  nous  reporter  a  ce  qui  se  passe  en  nous-memes.  Quel  que 
soit  le  degr6  de  la  .tension  nerveuse  avec  laquelle  nous  vivons, 
il  est  certain  que  nous  pouvons  momentanement  Taugmenter  ; 
je  ne  cherche  pas  ici  le  m^canisme  de  ces  efforts,  mais  je  constate 
seulement  que  quand  nous  preparons  un  examen  difficile,  quand 
nous  exposons  une  th^orie  compliqu^e,  quand  nous  luttons 
pour  faire  triompher  nos  idees  dans  une  reunion,  nous  faisons 
un  travail  de  synthase  mentale  bien  plus  considerable  que  si 
nous  nous  laissons  aller  mollement  au  cours  de  la  vie.  Chez 
nous  cette  augmentation  de  tension  n'est  que  momentanee, 
parce  que  notre  tension  normale  ind^pendamment  de  tout  effort 
est  suffisante  pour  les  perceptions  et  les  actions  courantes, 
qu'elle  nous  donne  une  decision,  une  certitude,  une  unite  suffi- 
santes.  Mais  chez  les  psychastheniques  la  tension  normale  est 
insuflfisante  pour  les  besoins  de  la  vie  et  les  laisse  dans  Tindeci- 
sion,  le  doute,  la  division;  ils  ont  besoin  de  faire  perpetuellement 
et  simplement  pour  vivre  Teflort  supplementaire  que  nous  ne 
faisons  qu'accidentellement.  «  Pour  me  bien  porter  il  faut  que  je 
sois  perpetuellement  comme  a  la  veille  d'un  concours,  c'est  im- 
possible, laissez-moi  retomber.  »  C'est  ainsi  que  je  m'explique 
maintenant  ce  besoin  de  rechutcs  qui  me  surprenait  tant  chez 
Li^e.  11  en  est  tout  autrement  dans  les  vraies  guerisons  oil  Ton 
voit  au  contraire  les  malades  engraisser,  tout  en  restant  sans 
obsessions  et  sans  efforts.  Mais  les  observations  precedentes  nous 
montrent  que  le  m^canisme  du  r^tablissement  doit  6tre  le  meme, 
il  y  a  ascension  de  la  tension  cerebrale,  seulement  cette  ascension 
se  fait  spontancnient  au  lieu  de  se  faire  par  les  efforts  du  sujet. 


INFLUENCES  QUI  DETERMINENT  LfiLfiVATlON  DU  NIVEAU  MENTAL    :.3o 

6.  —  Influence  de  C emotion. 

Nous  arrivons  a  une  autre  cause  de  ces  oscillations  ascendantes, 
bien  int^ressante  et  qui  souleve  de  curieux  problemes,  ce  sont  les 
sentiments  et  les  Amotions. 

II  est  d*observation  banale  que  T^motion  pent  relever  le  niveau 
mental  et  j*ai  ete  frappe  par  cette  curieuse  observation  psycholo- 
gique  (inement  d^crite  par  le  romancier  anglais  Rudyard  Ki- 
pling*. Son  h^ros  Kim,  apres  une  grande  fatigue,  a  sentit  sans 
pouvoir  Texprimer  par  des  mots  que  son  ame  ne  s^engrenait 
plus  a  cc  qui  Tentourait,  roue  sans  rapport  avec  aucun  meca- 
nisme...  )>.  Apres  quelques  Amotions  heureuses  a  il  se  mit  a  pleu- 
rer  et  il  sentit  avec  un  d^clenchement  presque  imperceptible  les 
roues  de  son  etre  remboit^es  de  nouveau  sur  le  monde  ext^rieur. 
Les  choses  qui  un  instant  auparavant  traversaient  le  globe  de  ses 
yeux  sans  rien  signifier  reprirent  leurs  proportions  conve- 
nables.  Les  routes  6taient  faites  pour  y  marcher,  les  maisons  pour 
y  vivre,  le  betail  pour  etrc  nicn^,  le  sol  pour  6tre  cultive  et  les 
hommes  et  les  femmes  pour  leur  parler.  lis  ^taient  tons  reels,  sur 
leurs  pieds,  parfaitement  intelligibles,  argile  de  son  argile,  ni 
plus,  ni  moins  ». 

On  constate  d*abord  sans  trop  d'^tonnement  que  cerlaines 
Amotions  particulieres  qui  sont  connues  comme  agreables  et 
cxcitantes,  que  Ton  appelait  deja  sth6niques  sans  bien  com- 
prendre  pourquoi,  puissent  produire  ce  bon  efiet  et  aug- 
mcnter  momentanement  la  tension  insuflfisante.  «  Les  emotions 
excitantes,  ruslige,  sont  des  emotions  qui  font  entrer  dans  la 
conscience  un  quantum  de  representation  reelle  plus  grand 
qu'elle  n'en  pent  ordinairement  contenir'  ».  11  suflfit  quelquefois 
a  Qsa...  d'entendre  de  la  musique  et  surtout  de  la  musique 
militaire  pour  qu'il  ressente  un  frisson  dans  tout  son  corps  et 
puisse  digerer  sans  phobic.  Le  plaisir  d'avoir  achet6  un  cheval 
le  fait  digerer  parfaitement  et  sans  la  moindre  emotion  un  fort 
dejeuner.  Jean  a  6te  invito  a  un  diner  ou  il  devait  se  rcndre  en 
habit.  Inutile  de  dire  avec  quelles  protestations  il  a  recueilli 
cette  proposition,  quelles  terreurs  Tont  envahi  et  en  presence  de 

I.   Ru(l}ar(l  Kipling,  Aim,  1901,  ch.  XV. 

a.   Ribot.  La  Psycholoyie  allemande  conteniporaine,  p.  28. 


536  THfiORIES  PATHOGfiNIQUES 

quelles  indecisions,  de  quelles  aboulies  je  me  suis  trouv<5.  Mais, 
un  peu  par  curiosity,  je  me  suis  entete  plus  que  lui  et  par  tout 
Tascendant  possible  j'ai  exig6  qu'il  allat  a  ce  diner.  Une  fois  le 
premier  pas  franchi,  tout  se  passa  tr^s  bien  :  les  dames  que 
Jean  redoutait  tellement  furent  tr^s  aimables  avec  lui  et  il  fut 
bien  oblige  de  constater  qu'il  obtenait  autant  de  succ^s  qu'un 
autre.  Le  r^sultat  de  cette  emotion  et  de  cette  satisfaction  Tut 
incroyable  :  Jean  Tut  transform^  et  pendant  plus  de  quinze  jours 
il  oublia  Charlotte,  la  femme  de  chambre,  les  timbres- poste, 
les  fluides,  etc.  II  en  fut  ainsi  dans  la  suite  a  plusieurs  reprises, 
chaque  fois  que  Ton  parvenait  a  lui  faire  obtenir  quelque  petit 
succ^s. 

Lo...  a  presents  une  resurrection  de  ce  genre  sous  Tinfluence 
d'une  Amotion  heureuse  qui  a  eu  malheureusement  des  suites 
lamentables.  Cette  jeune  fille,  grande  scrupuleuse  depuis  des 
ann^es,  aboulique  et  ^trang^re  a  la  vie  au  plus  haut  degr6,  fut 
vivement  recherch^e  par  un  jeune  homme.  La  vanite  de  se  sentir 
recherch^e,  la  joie  des  fian^ailles  produisirent  une  metamorphose 
extraordinaire.  Le  caractere  devint  pendant  deux  mois  m^con- 
naissable  :  gaie,  active,  pratique,  cette  jeune  fille  comprit  la  vie 
pour  la  premiere  fois  et  descendit  des  nuages.  Sa  famille  fut 
stupdfaite  de  son  enthousiasme  et  du  courage  avec  lequel  elle 
entreprenait  une  vie  nouvelle.  La  chute  ne  fut  que  plus  triste  : 
apres  quelques  jours  de  mariage,  fatigue  et  abaissement  de  ten- 
sion, degoilt  de  la  vie,  incertitude  de  la  perception  et  de  la 
personnalite,  aboulie  et  rumination,  puis  obsessions  scrupuleuses 
et  quelques  semaines  apres  une  separation  inevitable. 

Une  emotion  en  particulier  semble  jouer  ce  role  excitant  d'une 
maniere  remarquable,  c'est  Temotion  genitale.  Sans  que  je  puisse 
facilement  insister  sur  ce  point  ni  citer  des  exemples  et  il  est 
evident  par  toutes  les  confidences  que  j'ai  recues  que  ce  genre 
d'excitations  quand  il  reussit  est  tres  souvent  la  source  d'une 
amelioration  manifeste.  Quand  ces  personnes  viennent  a  une 
excitation  complete  elles  retrouvent  leur  energie  et  leur  unite 
mentale.  Dans  tous  les  cas  de  ce  genre  on  pent  dire  que  Temotion 
a  augmente  la  tension  mentale  parce  qu'elle  etait  agreable  et 
qu*elle  etait  sthenique,  cela  n'explique  pas  grand'chose,  mais 
beaucoup  se  dedarent  satisfaits. 

Les  choses  sont  loin  de  se  presenter  toujours  ainsi.  Dans  bien 


INFLUENCES  QUI  DfiTERMINENT  L'fiLfiVATION  DU  NIVEAU  MENTAL    537 

des  caSy  j'ai  pu  observer  que  le  meme  eflet  absolument  heureux 
6tait  d^termin^  par  des  Amotions  quelconques  et  meme  par  des 
emotions  trisies  considerees  d'ordinaire  comme  d^pressives. 

Yoici  UDc  observation  qui  a  toute  la  valeur  d'une  experience. 
Claire  vint  un  jour  me  voir  dans  un  ^tat  lamentable  :  elle  se 
sentait  divis^e  en  une  foule  de  personnes,  elle  se  sentait  auto- 
mate et  cependant  mauvaise,  elle  etait  envahie  par  toutes  les 
obsessions  scrupuleuses  et  par  toutes  les  hallucinations  sacrileges 
et  obscenes.  Je  ne  parvins  pas  a  fixer  son  attention,  par  aucun 
moyen  je  nc  pus  la  faire  remonter.  Le  meme  jour,  je  fus  oblige 
d'aller  voir  sa  mere  qui  Tavait  accompagn^e  a  Paris  et  qui  ^tait 
malade  depuis  plusieurs  jours  d'une  affection  grippale.  Je  me 
suis  trouve  en  presence  d*une  femme  agee,  depuis  longtemps 
emphys6mateuse  au  plus  haut  degr^,  ayant  un  cceur  irr^gulier  et 
qui  etait  atteinte  de  broncho-pneumonie.  Je  ne  pus  m'empecher 
de  dire  a  sa  fille  que  j^^tais  inquiet  et  qu*il  fallait  prevenir  sa 
famille  d'une  maladie  trcs  s^rieuse.  Claire  Tut  tres  impressionnee 
de  cette  nouvelle  a  laquelle  elle  ne  s'attendait  pas.  Mais  cette 
secousse  eut  un  effet  inattendu  celui  de  la  transformer  complete- 
ment.  II  ne  Tut  plus  question  du  membre  viril  et  des  hosties,  les 
ruminations  et  les  angoisses  disparurent  comme  par  enchante- 
ment;  devant  cette  Amotion  r^elle  Tesprit  retrouva  son  unite  et 
la  volonte  son  energie.  Ce  fut  ^videmment  peu  durable,  mais 
pendant  plusieurs  jours  la  restauration  de  Tesprit  Tut  complete 
sous  rinfluence  d'une  Amotion  grave  et  ^videmment  p6nible. 

J'ai  recueilli  bien  des  exemples  de  ce  fait  sur  la  meme  malade. 
Au  moment  de  la  mort  de  son  pere  elle  a  eu  une  veritable  gu^ri- 
son  pendant  trois  mois.  c<  J'avais  des  chagrins  r^els,  mais  les  cha- 
grins reels  sont  beaucoup  moins  p^nibles  que  les  reproches  ima- 
ginaires  de  ma  conscience,  j*etais  plus  6nergique,  j*avais  plus  de 
volonte,  ce  qui  m'a  etonnee  c'est  que  jamais  je  n'ai  si  bien  dormi, 
calme,  sans  reves,  sans  cauchemars.  »  Frapp6  de  ces  faits,  je  lui 
ai  demands  de  s'observer  sur  ce  point  et  voici  ce  qu'elle  m*a 
ecrit  :  (c  Depuis  que  je  suis  malade,  les  emotions  me  font  revenir; 
au  commencement  elles  me  faisaient  revenir  tout  a  fait  ou  presque 
tout  a  fait;  quand  elles  etaient  fortes,  je  me  r^veillais  comme 
d'un  reve,  je  me  trouvais  absurde  et  j'esp^rais  de  nouveau...  Je 
sentais  que  je  m'engourdissais,  que  j'avais  besoin  d'emotion,  le 
calme  me  faisait  peur,  je  cherchais  les  peines,  les  joies,  les  peurs 
pour  me  rctrouver  heureuse,  je  faisais  des  efforts  pour  que    ces 


538  THEORIES  PATIlOGeMQUES 

emotions  fussent  completes  et  claires.  Une  fois  I*idee  d'un  manage 
qui  me  plaisait  m'a  fait  remonter  tout  d*un  coup,  une  autre  fois 
la  peur  d*uD  cheval  emball6  m*a  fait  revenir  a  la  realite  Tespace 
de  quelques  heures,  mais  le  souvenir  m'en  est  reste  longtemps,  il 
me  soutenait  et  me  dirigeait  comme  une  lumiere  qui  m'indiquait 
le  chemin  a  suivre...  Plus  j'ai  ^t^,  moins  j*ai  senti  les  vraies 
Amotions  (on  sait  qu'elle  distingue  ainsi  les  emotions  reelles  en 
rapport  avec  la  realite  des  angoisses  pathologiques),  je  trouvais 
que  jc  n*avais  plus  de  cceur,  que  j'^tais  endurcie,  que  je  n'aimais 
plus  comme  avant.  Aussi  j*ai  faim  d'emotions,  meme  de  souf- 
frances,  encore  maintenant  quand  une  Amotion  arrive  a  me  secouer 
cela  me  fait  remonter  mieux  que  tons  les  raisonnements.  »  II  est 
facile  de  confirmer  ces  remarques  :  la  premiere  visite  qu^elle 
vient  me  faire  a  son  retour,  une  menace  prise  au  serieux,  une 
scene  violente  que  je  lui  fais  ont  des  r^sultats  remarquables.  Si  je 
r^ussis  a  la  faire  pleurer,  ses  obsessions  s*effacent  pendant  une 
huitainc  de  jours. 

J*ai  fait  exactement  les  memes  observations  sur  Lise.  Quand 
elle  a  des  enfants  malades,  ou  des  ennuis  serieux,  ellc  est  mieux 
pendant  plusieurs  jours ;  sans  la  connaitre,  elle  parle  exactement 
comme  Claire  et  reclame  des  ennuis  pour  la  faire  revenir.  II  est 
n^cessaire  de  temps  en  temps  de  lui  faire  une  sc^ne  et  surtout  de 
la  menacer  serieusement  dc  Tenfermer  comme  alienee,  cc  Decide- 
ment,  dit-elle,  il  n'y  a  que  la  peur  qui  me  fait  marcher.  » 

Vi. . .  n^a  plus  de  scrupules  quand  son  mari  est  trcs  malade.  Ges. . . 
est  gu^rie  pour  plusieurs  jours  parson  entree  a  Th^pital.  Bjl..., 
obs^dee  par  I'id^e  d*epouser  son  jardinier,  pour  s'abaisser  car 
ellese  croit  indignc  de  tout,  est  momentanement  guerie  quand 
on  renferme  «  Temotion  m'a  remotit^e  et  rendue  plus  bardie  ». 
Jean  est  transforme  par  des  reproches  et  meme  par  des  peurs, 
comme  par  la  joic  de  ses  petits  succes,  et  Tr...  s'am^liore  quand 
on  lui  fait  une  scene  violente.  Rnfin  ce  qui  semble  extraordi- 
naire Wo...  scrupuleuse  obs^dee  par  les  prieres  et  par  les 
comptes,  a  fait  naufrage  au  cours  d*unc  excursion  maritime. 
Non  seulement  elle  n'a  pas  ^t6  troublee  par  eel  accident  tr«*s 
^mouvant,  le  navire  s'etant  echou6  a  la  cote  pendant  la  nuit, 
mais  elle  s'est  montree  tres  courageuse  et  elle  s*est  tres  bien 
portee  moralement  pendant  tout  le  mois  suivant. 

Je  pourrais  citer  beaucoup  d'autres  exemples,  le  fait  me  parait 
suiHsamment  etabli  :  les  Amotions,  meme  les  emotions   les  plus 


INFLUENCES  QUI  DETERMINENT  L'fiLfiVATION  DU  NIVEAU  MENTAL    539 

p6nib1eSy  peuvent  determiner  chez  ces  malades  des  oscillations 
ascendantes  du  niveau  mental  avec  augmentation  de  la  tension 
psychologique,  retour  des  phenomenes  sup^rieurs  et  disparition 
des  6tats  obs^dants. 

Ce  fait  est  tr^s  remarquable  parce  qu*il  se  trouve  en  contra- 
diction complete  avec  un  autre  fait  capital  sur  lequel  est  m^me 
fondee  la  theorie  ^motionnelle  c'est  que  les  Amotions  sontle  point 
de  depart  de  la  maladie.  L'^motion^avons-nous  constats  cent  fois, 
a  determine  la  chute  de  la  tension  et  donne  naissance  aux  senti- 
ments pathologiques  et  aux  obsessions.  Je  constate  cette  contra- 
diction, je  la  regrette  car  je  la  trouve  plus  grave  que  la  contradic- 
tion pr^cedente  a  propos  de  inattention,  mais  je  ne  crois  pas 
devoir  chercher  a  la  dissimuler.  La  terreur  exag^ree  de  la  contra- 
diction est  la  marque  d'un  esprit  de  systeme,  elle  n*a  pas  de  rai- 
son  d'etre  dans  de  semblables  etudes  :  il  est  bien  entcndu  que  nos 
hypotheses  sont  tout  a  fait  provisoires  et  qu'elles  ne  donnent 
qu'une  synthese  approximative  de  ces  phenomenes  encore  si 
mal  connus.  Tout  ce  que  nous  pouvons  leur  demander  c*est  de 
mettre  un  peu  d'ordre  dans  la  classification  de  phenomenes  trop 
nombreux  et  trop  confus,,  il  ne  Taut  pas  etre  surpris  outre  mesure 
si  elles  laissent  subsister  9a  et  la  quelque  incoherence  et  quelque 
contradiction. 

Cette  diflficultc  nous  montre  que  Femotion  est  un  phenomene  in- 
finiment  plus  complexe  qu'on  ne  le  suppose  et  dont  les  elements 
ne  se  presentent  pas  toujours  de  la  meme  facon  quand  lescircon- 
stances  varient.  II  y  a  evidemment  dans  Temotion  deux  groupes  de 
phenomenes  :  i^  des  phenomenes  inferieurs,  evocation  damages, 
reactions  viscerales  variees,  a°  il  doit  y  avoir  aussi  dans  Temotion 
des  phenomenes  superieurs,  specialisation  de  Temotion,  adapta- 
tion exacte  de  Temotion  a  la  situation  reelle  et  actuelle.  Les  emo- 
tions sont  plus  basses  si  la  premiere  categoric  de  phenomenes  y 
predominenty  plus  elevees  dans  le  cas  contraire.  Si  les  emotions 
sont  tres  inferieures,  elles  provoquent  une  derivation  considera- 
ble et  un  epuisement  a  la  suite  duquel  la  tension  nerveuse  pent 
rester  insuifisante.  Si  au  contraire  les  emotions  sont  surtout  ca- 
racterisees  par  leurs  phenomenes  superieurs,  si  elles  surviennent 
a  un  moment  favorable  quand  I'esprit  n'a  besoin  que  d'une  exci- 
tation pour  s'elever  a  une  tension  superieure,  on  pent  s'expliquer 
que  TeSet  d*une  emotion  soit  exactement  inverse  du  precedent. 


540  THEORIES  PATHOGEMQUES 

Voici  quelques  observations  relatives  a  Wo...,  celte  malade 
dont  l*etat  mental  est  releve  par  un  naufrage,  qui  peuvent  non 
resoudre  le  probleme  mais  mettre  sur  la  voie  de  certaines  recher- 
ches  utiles.  J'ai  observe  que  cette  malade,  si  courageuse  en  face 
du  naufrage,  succombe  devant  de  tres  petites  Amotions.  Elle  avait 
achete  un  piano et  I'attendait  avec  impatience:  en  traversant Fanti- 
chambre,  eileest  surprise  de  voir  la  porte  dVntree  de  Fappartement 
grande  ouverte  et  de  voir  apporter  son  piano.  C*est  la  une  emo- 
tion, mais  elle  semble  une  emotion  legere  et  plutot  une  Amotion 
agreable,  sth^nique.  Cependant,  cette  emotion  bouleverse  complete- 
ment  Tesprit  de  la  malade  :  Wo...  n'^prouve  pas  la  joie  qu^elle 
s'attendait  a  eprouver,  elle  est  horriblement  agitee.  II  lui  semble 
qu'clle  ne  pense  pas  librement,  qu^elle  est  dominee,  qu'elle  est 
forc^e  de  faire  des  voeux,  des  pactes.  L'agitation  continue,  amene 
des  crises  de  manie  raentale  ;  Wo...  s*interroge,  recherche 
minutieusement  les  pensees  qu*elle  a  cues  en  voyant  entrer  le 
piano,  pour  savoir  si  a  ce  moment  elle  a  fait  des  voeux  ct  des 
pactes ;  elle  devient  tout  a  fait  malade  pendant  quinze  jours. 

Yoila  qui  est  singulier  :  une  femme  qui  supporte  tres  bien 
Temotion  d'un  naufrage  au  milieu  de  la  nuit,  tombe  malade 
parce  qu'on  lui  apporte  un  piano  qu'elle  desirait!  Sans  pretendre 
expliquer  les  faits,  voici  les  quelques  remarques  que  j'ai  pu  faire 
a  ce  sujet.  Quand  le  danger  est  grave  soit  pour  le  sujet  lui- 
meme,  par  exemple  dans  le  naufrage  de  Wo...,  soit  pour  une 
personne  aimee,  par  exemple  dans  la  maladie  de  la  mere  de 
Claire,  il  y  a  un  violent  eObrt,  determine  par  les  tendances 
excitees.  Get  effort  amene  Tadaptation,  Temotion  correcte  sans 
abaissement  mental.  Quand  la  situation  est  insignifiante,  il  n'y  a 
plus  cet  effort  et  Temotion  prend  le  caractere  inferieur  et  dange- 
reux.  Cette  premiere  remarque  nous  ramene  aux  etudes  prec<^den- 
tes  sur  rinfluence  de  Teffort  et  de  Tattention. 

Une  autre  remarque  importante  m'est  suggeree  par  certaines 
attitudes  que  je  retrouve  chez  Lise  et  surtout  chez  Wo...  Ces 
malades  redoutent  surtout  T^motion  rapide  et  brusque,  elles 
demandent  que  Temotion  mette  un  certain  temps  a  se 
developpcr  pour  qu'cllcs  aient  le  temps  de  s'y  adapter.  «  Je 
n*aurais  pas  et^  malade,  repete  Wo...,  si  j'avais  vu  ou  entrevu  par 
la  fenetre  la  voiture  qui  apportait  le  piano,  si  j^avais  pu  pr^voir 
qu*il  arrivait,  si  j'avais  eu  quelques  instants  pour  me  preparer  au 
plaisir  de  le  voir  arriver...  C'est  ce  que  je  fais  toujours  avant  toute 


INFLUENCES  QUI  DfiTEUMINENT  L'fiLfiVATION  DU  NIVEAU  MENTAL    oil 

Amotion,  quand  je  suis  un  pen  pr^venue,  je  me  prepare  a  tel  ou 
tel  sentiment,  je  me  (lis  :  il  faut  6tre  calme,  ne  pas  m*embrouiller, 
ne  pas  faire  de  voeu,  penser  uniquement  a  ceci  ou  a  cela...  Dans 
le  naufrage  j'ai  6t^  r^veilUe  par  mon  mari  qui  m'a  pr6venue  qu'il 
se  passait  quelque  chose.  J'ai  eu  le  temps  de  me  dire  que  c'^tait 
grave,  qu*il  ne  fallait  pas  perdre  la  t^te,  et  quand  je  suis  mont^e 
sur  le  pont,  j'etais  preparee  et  c'etait  moi  la  plus  courageuse.  » 
Tout  cela  est  d'une  analyse  bien  interessante  :  Ces  malades,  nous 
le  savonsy  sont  des  esprits  lentSy  il  leur  faut  du  temps  pour  la 
decision,  pour  Tattention,  pour  Temotion  reelle,  surtout  quand 
r^venement  n'est  pas  tres  grave  et  tres  excitant  par  les  tendances 
qu*il  reveille.  11  en  r^sulte  qu'ils  adaptent  beaucoup  moins  bien 
leurs  Amotions  aux  ev^nements  insignifiants  et  qu'il  leur  faut  alors 
un  certain  temps  de  preparation  entre  le  signal  et  Temotion  elle- 
nieme.  Quand  ce  temps  ne  leur  est  pas  laisse,  lV6motion  se  produit 
d*une  mani^re  incomplete  avec  predominance  des  ph^nomenes 
inf(6rieurs  et  elle  am^ne  a  sa  suite  une  depression. 

Telles  sont  les  quelques  remarques  encore  tres  incompletes 
que  Ton  pourrait  faire  pour  expliquer  Taction  si  difierente  de 
r^motion  qui  est,  suivant  les  circonstances,  tantot  d^primante, 
tantot  excitante. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  explications  qui  sont  peu  importantes 
et  qui  montrent  simplement  la  complexity  des  Amotions  et  notre 
ignorance,  les  malades  connaissent  bien  cet  effet  de  Temotion  et 
il  en  r^sulte  chez  eux  une  recherche  de  F^motion  excitante  qui 
est  un  trait  de  leur  caractere :  «  Que  voulez-vous,  dit  Gis^le,  je 
suis  toujours  ardente  a  rechercher  ce  qui  m'enthousiasme  ;  j'en 
ai  tant  besoin,  j'eprouve  les  impressions  d'un  coeur  qui  a  faim, 
d*un  cerveau  qui  a  faim,  c'est  un  besoin  intense  de  sensations, 
d'emotions  extraordinaires  et  si  je  me  laisse  aller  a  ce  sentiment 
(un  amour  bizarre)  cela  me  fait  Timpression  du  grignoter  un  peu 
pour  ne  pas  mourir  de  faim.  »  J'ai  rencontr^des  jeunes  femmes  trfes 
curieuses  sur  ce  point :  Plo...  estd'ordinaire  assez  calme,puissous 
rinfluence  d'une  fatigue  quelconque,  elle  ressent  un  horribleabaisse- 
ment  avec  degoilit  de  la  vie,  impuissance,  etat  dereve,  etc.  «  Elle 
devinc  que  pour  sortir  de  cet^tat  il  lui  faut  une  excitation  emotive. 
Alors  malgre  elle  sa  t^te  imagine  lesaventures  les  plus  baroques, 
les  expeditions  les  plus  aventureuses  et  les  plus  contraires  a  la  pu- 
deur  commune  et  elle  a  des  tentationsinouies  des*y  lancer  a  corps 


-.42  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

perdu.  »  C'est  ainsi  qu'elle  a  d^ja  fait  nombre  de  sottlses  qu'elle 
regrette  ensuite  mais  qui  lui  ont  fourni  sur  le  moment  le  remade 
a  sa  depression. 

Nous  avons  vu  que  par  mi  les  Amotions  excitantes  une  des  plus 
remarqttable  6tait  T^motion  g^nitale,  aussi  ne  faut-il  pas  etre 
surpris  de  h  Yoir  particuli^rement  recherchee  dans  ces  cir- 
constances.  Quand  rexcttation  sexuelle  r6ussit,  la  malade  est 
momentan^mentgu^rie,  puis  an  bout  de  quelque  temps  elle  cher- 
che  de  nouveau  le  remede.  Bien  des  pr^tendues  excitations 
sexuelles  chezles  psychasth^niques  n*ont  pas  d*autre  origine.  Si 
['excitation  sexuelle  se  montre  insuffisante,  la  malade  est  d^sap- 
point^e  et  recherche  passionn^ment  une  excitation  plus  complete. 
Loa...  et  Len...,  tout  a  fait  identiques sur  ce  point, ont  une  obses- 
sion g^nitale  qui  les  pousse  a  chercher  partout  cette  satisfaction 
ideale;  un  veritable  d^lire  prend  sa  racine  sur  ce  fait  psychologique. 
M.  Marro  observe  que  la  passion  du  jeu  remplit  souvent 
un  role  analogue:  a  le  jeu,  dit-il,  tient  dans  le  champ  de 
Tactivite  psycho-motrice,  la  meme  place  que  Talcool  dans  Talinien- 
tation.  Le  jeu  est  un  exercice  hautement  emotif  qui  donne  Tillu- 
siou  de  la  richesse  comme  le  vin  donne  Tillusion  de  la  force  ^  » 
Dans  le  jeu  les  efforts  d'attention  combinent  leur  influence  avec 
celle  de  Temotion  pour  relever  le  niveau  mental.  Aussi  observe- 
t-on  la  manie  du  jeu  dans  les  m6mes  conditions  que  la  dipso- 
manie  ou  F^rotomanie. 

Dans  bieh  des  cas  d'ailleurs  il  y  a  unecombinaison  de  ce  genre  : 
comment  comprendre  Texcitation  favorable  que  Ton  observe  chez 
Qsa... -quand  je  Tai  pouss6  a  m'exposer  pendant  une  heure  ses 
idees  philosophiques  et  artistiques.  L'efTort  d'attention,  le  mou- 
vement  de  la  parole  se  m^le  a  T^motion  assez  complexe  qu'il 
ressent  et  releve  beaucoup  son  niveau  mental.  Quand  Sim... 
quitte  son  mari  «  parce  qu*il  est  trop  bete,  qu*il  ne  lui  apprend 
rien  d'extraordinaire,  qu'il  ne  fait  pas  marcher  son  esprit »,  quand 
elle  a  besoin  d'un  amant  plus  brillant,  il  y  a  a  la  fois  excitation 
des  sens,  et  excitation  morale  par  Tattention  et  T^motion.  Nous 
avons  d^jh  not^  ce  besoin  d*excitation  morale  dans  beaucoup  de 
ces  besoins  de  direction. 

Ces  nombreuses   influences  excitantes  viennent  combiner  leur 
action  avec  les  influences    d^primantes  et  determiner  des   mou- 
lt Marro,  La  puherie^  p.  a8a. 


INFLUENCES  QUI  DifiTEBMINENT  L'fiLfiVATlON  DU  NIVEAU  MENTAL    543 

vements  tr^s  varies  du  niveau  mental.  Certains  malades  oscillent 
tres  facilement  dans  les  deux  sens,  comme  Gisele  (|ui  descend^ 
«  parce  qu^elle  a  regards  la  figure  de  son  mari »  et  qui  «  est  regrimpee 
parce  qu'elle  a  regarde  la  statue  de  ^(otre-Dame  des  Yictoires  ». 
D'autres  restent  abaiss^s  pendant  de  longues  periodes  a  la  suite 
d*une  forte  depression  et  remontent  leqtement ;  il  en  r^sulte  de 
grandesvari^t^s  que  nous  aurons  a  ^tudier  a  propos  de  revolution. 

On  voit  d'apres  ce  resume  trop  brefrimportance  de  ces  oscil- 
lations du  niveau  mental  suivant  que  la  tension  psychologique  et 
nerveuse  descend  ou  monte.  Les  oscillations,  que  j'avais  autrefois 
notees  chez  les  hyst^riques,  caract^ris^es  par  Taugmentation  ou 
la  diminution  de  leur  sensibility,  de  leur  m^moire,  de  leur  vo- 
lonte,  la  disparition  ou  le  retour  de  leur  suggestibilite,  de  leurs 
contractures,  de  leurs  paralysies  n^^taient  qu'un  cas  particulier 
d'unc  loi  beaucoup  plus  g^nerale  relative  aux  variations  de  la  ten- 
sion cerebrale  et  les  psychastheniques  nous  ont  appris  a  mieux 
connaitre  la  hi^rarchie  de  ces  ph^nom^nes,  Tordre  de  leur  dis- 
parition et  de  leur  r^apparition. 

En  m6me  temps  Tetude  de  ces  oscillations  si  importantes  me 
semble  apporter  une  confirmation  aux  hypotheses  psychastheni- 
ques. 11  me  semble  bien  difiicile  de  rattacher  tons  ces  faits  a  Temo- 
tivite  quand  on  voit  T^motion  produire  tant  d'effets  diffe rents. 
N'est-il  pas  vraisemblable  que  ces  oscillations  par  les  sentiments 
qu'elles  ddterminent,  par  les  derivations  qu'elles  font  naitre 
jouent  un  role  capital  dans  une  maladie  surtout  caracteris^e  par  le 
doute,  Toscillation  et  Tinstabilite. 


544  THfiORIES  PATHOGftNlQUES 


TROISIEME  SECTION 
Interpretation  dbs  symptomes 


Aprcs  avoir  chcrch6  a  comprendre  cette  notion  a  mon  avis  f(6conde 
de  la  hierarchie  des  phenomhnes  psychologiques,  des  i^ariations  de 
la  tension  psychologique  sous  di verses  influences  d^primantes  ou 
excitantes,  il  faut  maintenant  chercher  a  appliquer  ces  id6es  aux 
symptomes  de  la  maladie  que  nous  avons  d^crits  dans  la  pre- 
miere partie  de  cet  ouvrage.  Pour  interpreter  ces  symptomes,  je 
me  pr^occuperai  d'abord  de  leurs  caracteres  g^n^reux  tels  qu'ils 
ont  ete  r^sum^s  a  la  fin  de  chaque  chapitre.  Puis  j'l^tudierai  a 
part,  comme  un  dernier  probleme,  la  specialisation  de  ces  symp- 
tomes leur  application  particuliere  a  tel  ou  tel  fait.  Ainsi,  je  me 
propose  de  rechercher  d'abord  d'une  maniere  gen^rale  pourquoi 
les  sujets  ont  des  sentiments  d'etranget^  et  des  manies  de  re- 
cherche et  ensuite  pourquoi  ils  appliquent  ces  sentiments  et  ces 
manies  a  un  objet  ou  a  un  acte  determine. 


i.  —  Interpretation  des  sentiments  d'incomplStude. 

Le  premier  phenomena  que  nousayons  a  considerer  est  consti- 
tue  par  les  sentiments  bizarres,  que  nous  avons  appeles  sentiments 
d'incompletude,  ils  sont  extremement  varies  et  nombreux  et  por- 
tent sur  toutes  les  fonctions  de  Tesprit,  ils  se  rattachent  evidem- 
ment  aux  insuflisances  r^elles  qui  resultent  de  ce  fait  que  Tesprit 
ne  pent  plus  parvenir  aux  operations  du  premier  degre. 

La  difliculte  qui  est  ici  plus  psychologique  que  clinique  con- 
siste  a  savoir  comment  le  sujet  arrive  a  se  rendre  compte  de 
cette  insuflfisance  et  a  la  traduire  par  des  sentiments.  II  n'est  pas 
probable  qu'il  y  ait  un  fait  de  conscience,  un  sentiment  directe- 
ment  en  rapport  avec  le  degre  de  la  force  nerveuse ;  du  moins 
jusqu'a  present  les  sentiments  qu'on  a  voulu  rattacher  a  remission 


INTERPRETATION  DES  SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  545 

de  la  force  nerveuse,  a  Teffort  interieur  n'ont  pas  6t^  d^montr^s. 
Mais  je  ne  crois  pas  cependant  qu'il  faille  tout  de  suite  adopter  la 
th^se  de  M.  James  et  dire  que  nousne  sentonsque  le  r^sultat  physi- 
que de  nos  efforts,  Tinfluence  qu'ils  out  sur  nos  muscles  et  sur 
nos  visceres.  Nous  sentons  aussi  les  r^sultats  psychologiques  de 
la  tension  nerveuse,  Tunit^  et  la  complexity  de  nos  etats  men- 
taux,  rimpression  de  r^alite,  de  personnalit6  pr^sente,  d'unit6, 
de  liberty,  etc.  Nous  remarquons  bien  vite  que  ces  id^es  et  ces 
sentiments  cessent  de  se  presenter  dans  les  circonstances  ou  d'or- 
dinaire  ils  survenaient.  C'est  exactement  ce  que  font  nos  ma- 
lades.  Quand  Jean  vient  nous  dire  :  «  il  me  semble  que  je  ne 
saisis  pas,  que  je  ne  m'assimile  pas  les  choses  avec  la  force  nor- 
male,  »  je  crois  qu*il  fait  simplement  une  observation  psychologi- 
que  juste.  Ces  observations  quUls  font  eux-m^mes  sur  le  fonc- 
tionnement  de  leur  esprit  sont  facilities  par  la  disposition  que 
uous  leur  avons  reconnue  a  Tintrospection  psychologique. 

II  y  a  ainsi  trois  grands  phdnomenes  qui  jouent  un  r61e  dans 
la  formation  des  sentiments  d'incompl^tude  :  i®  La  diminution  de 
la  synthese  mentale  et  par  consequent  la  diminution  de  la  syst^- 
matisation,  de  Tunite  des  elements  r^unis  dans  le  champ  de  la 
conscience.  2®  La  reduction  de  la  complexity  mentale,  du  nombre 
des  elements,  sensations,  images,  mouvements,  Amotions  qui 
remplissent  dWdinaire  la  conscience  et  qui  nous  donnent  le 
sentiment  de  la  r^alit^  et  du  present.  3*^  Le  souvenir  de  la  mani^re 
dont  fonctionnait  autrefois  notre  pens^e,  de  son  unite,  de  sa 
richesse,  les  comparaisons  entre  cet  6tat  pnss^  et  IVtat  pre- 
sent et  les  interpretations  inevitables  qui  se  melent  a  ces 
comparaisons. 

i*^  Un  certain  nombre  de  sentiments  d'incompletude  sont  plus 
immediatement  en  rapport  avec  le  premier  ph^nom^ne,  la  dimi- 
nution de  la  synthese  mentale.  Ce  sont  par  exemple  les  sentiments 
d'incapacite  intellectuelle,  d'obscurite,  d^incoordination,  de  con- 
fusion, et  en  m^me  temps  les  sentiments  de  la  difliculte  de  Tacte 
volontaire,  de  la  difRculte,  de  Tattention,  de  la  distraction,  de 
Tinstabilite. 

Bien  des  sentiments  de  vague,  de  myst^re  qui  vont  donner 
naissance  a  des  tendances  mystiques  ou  orienter  le  delire  dans  un 
sens  particulier  dependent  de  cette  difficulte  qu'eprouve  le  siijet 
a  unifier  ses  pens^es,  m^me  quand  leur  nombre  est  reduit.  Le 
sentiment  de  dedoublement,  de  multiplicity,  qu'il  s'applique  aux 

LEH  OBSESSIONS.  I.  35 


5i6  TElfiORlES  PATUOG£7ilQUES 

choses  ou  quHl  s*applique  a  I'esprit,  prend  aussi  son  point  de  depart 
dans  la  meme  faiblesse  de  syst^matisation. 

Je  serais  dispose  a  croire  que  le  sentiment  si  important  d*auto- 
matisme,  d^absence  de  liberty,  de  domination  se  rattache  aux 
pr^c^dents.  Notre  sentiment  de  liberte  est  surtout  un  sentiment 
d'anit^.  L'accord  s'est  fait  entre  toutes  les  tendances  de  notre 
etre,  entre  les  motifs  imposes  da  dehors  et  les  inspirations  de 
notre  caractere  toot  entier,  Taction  qui  se  fait  resume  en  un  seul 
systeme  tons  nos  ph^nomenes  psychologiqnes.  C*est  pourquoi  on 
ne  constate  jamais  de  plus  beaux  sentiments  de  liberte  que  ceux 
des  individus  suggestionnes  dont  le  champ  de  conscience  est 
r6duit  sans  doute,  mais  tres  uniG^  et  rempli  completement  par 
le  d^veloppement  d*une  seule  tendance. 

Chez  les  psychasth^niques  il  n'en  est  pas  ainsi  :  ils  agissent 
ou  ils  parlent,  presses  par  les  n^ccssit6s  de  la  vie  sans  que  Tunit^ 
ait  6t6  faite  dans  leur  esprit,  quand  il  y  a  encore  dans  leur 
conscience  des  tendances,  des  habitudes,  des  caracteres  en  oppo- 
sition avec  Tacte  qui  s*accomplit.  Ils  ne  parviennent  pas  a  ratta- 
cher  davantage  leur  acte  a  toute  leur  personne.  C*est  ce  qui  se 
traduit  par  le  sentiment  d^automatisme,  de  domination,  c*est-a- 
dire  d*action  non  volontaire,  non  persounelle,  c*est  ce  qui  donne 
naissance  a  ce  sentiment  de  r^volte  perp^tuelle,  au  sentiment 
qu'ils  ne  peuvent  jamais  accepter  une  situation  donnee,  c*est-a-dire 
mettre  d*accord  tout  leur  caractere,  toutes  leurs  tendances  avec 
la  perception  de  cette  situation. 

a^  Si  le  defaut  de  synthese  compile  joue  ainsi  un  role  consi- 
derable, je  crois  que  le  dt^faut  de  complexite,  de  richesse  mentale 
a  une  importance  encore  plus  grande,  car  il  intervient  particulie- 
rement  dans  la  perte  du  sentiment  du  reel  et  dans  le  sentiment 
de  r^trange,  ces  deux  phenomenes  fondamentaux.  M.  Bergson  qui 
fondait,  comme  on  Ta  vu,Ie  sens  du  reel  sur  «  la  conscience  d*un 
accompagnement  moteur  bien  r^gl^  »  interprete  naturellement  le 
sentiment  de  I'irr^el  et  de  Fetrange  par  la  perte  de  cette  associa- 
tion entre  la  sensation  et  le  mouvement.  a  Qu'on  lise,  dit-il,  les 
descriptions  donn^es  par  certains  fous  de  leur  maladie  naissante, 
on  verra  qu'ils  ^prouvent  souvent  un  sentiment  d'^tranget^  ou, 
comme  ils  disent,  de  «  non-realit6  »  comme  si  les  choses  per^ues 
perdaient  pour  eux  de  leur  relief  et  de  leur  solidity.  Si  nos  ana- 
lyses sont  exactes,  le  sentiment  concret  que  nous  avons  de  la 


INTERPRfiTATION  DES  SENTIMENTS  D'INGOMPLfiTUDE  547 

r^alit^  pr^sente  consisterait  en  efTet  dans  la  conscience  que  nous 
prenons  des  mouvements  eflfectifs  par  lesquels  notre  organisme 
r^pond  naturellement  aux  excitations  ;  de  sorte  que  la  ou  ces 
relations  se  d^tendent  ou  se  gatent  entre  sensations  et  mouve- 
ments, le  sens  du  r^el  s'affaiblit  ou  disparait  ^   » 

II  y  a  la  une  grande  part  de  verite,  les  sujets  qui  ont  le  senti- 
ment de  rirr^el  ont  peu  d'activit^,  ils  ont  peu  de  disposition  a  se 
servir  de  i'objet  qu'on  leur  montre.Mais  leur  sentiment  depend- 
il  uniquement  de  cette  reduction  du  mouvement  ?  Remarquons 
d'abord  que  chez  eux  Tassociation  entre  Tobjet  per^u  et  le  mou- 
vement n*est  pas  completement  rompue.  Tout  en  disant  que  Tobjet 
est  irrt^el,  ils  savent  encore  s*en  servir  et  reconnaissent  tres  bien 
son  usage  :  je  n*ai  pas  vu  le  sentiment  de  Tirreel  associ^  avec 
une  veritable  excite  psychique  ni  avec  une  veritable  apraxie. 
D*autre  part,  les  malaJes  atteints  de  c^cit^  verbale,  ou  m^me  de 
excite  psychique,  qui  ont  tout  a  fait  perdu  la  notion  des  mouve- 
ments de  la  parole  en  rapport  avec  le  mot  ^crit  ou  des  mou- 
vements de  la  main  en  rapport  avec  la  vue  de  Fobjet,  sodt 
loin  d'avoir  toujours  en  meme  temps  le  sentiment  de  Tirrealit^ 
de  Tobjet.  Le  defaut  de  mouvement  n*est  qu^un  element  dans 
le  sentiment  de  Firr^el. 

M.  W.  James  semble  dispose  a  dire  que  le  defaut  de  r^alit^ 
depend  d*une  absence  d^^motion,  d'une  indifference  en  presence 
deTobjet  per^u*.  Cela  est  encore  en  partie  exact,  car  TindiOe- 
rence  de  ces  sujets  est  incontestable,  mais  Tapathie  pent  etre 
complete,  chez  quelques  hyst^riques  par  exemple  sans  que  ce 
sentiment  prenne  naissance  et  d'autre  part  des  Amotions  infi^rieu- 
res  comme  Tangoisse  peuvent  accompagner  la  perception  de 
certains  objets  sans  les  rendre  plus  reels. 

M.  Dugas  a  raison  ^galement  de  faire  intervenir  la  diminution 
de  la  synthese  mentale,  Texag^ration  de  Tautomatisme^.  Mais  ce 
n*est  pas  suffisant,  car  il  est  trop  Evident  que  Tirr^el  n*est  pas  la 
consequence  de  tous  les  ^tats  automatiques,  meme  les  plus 
complets. 

II  faut  r^unir  toutes  ces  explications  et  dire  que  le  sentiment 
du  r^el  et  du  present  accompagne  un  certain  degr^  ^lev^  d'acti- 


I.  Bergson,  Matihre  et  mf moire,  1986,  p.  191. 
3.  W.  James,  The  will  to  believe,  1897,  p.  33 a. 
3.  Dugas,  Revue  philosophique,  1S9S,  I,  5o6. 


5i8  THEORIES  PATHOGlgNIQUES 

vit^  c^r^brale  dans  lequel  les  sensations,  les  images,  les  mouve- 
ments,  les  Amotions  sont  nombreux,  complexes  et  riches.  Cette 
richesse  mentale  esttoute  relative  et  il  est  probable  qu*un  imbecile 
s'est  contents  toute  sa  vie  d*une  pensee  peu  complexe  et  peu  riche 
qui  lui  suffit  pour  reconnaitre  le  present  et  le  r6el.  Mais  quand 
I'esprit  a  ^t^  accoutum^  a  un  certain  maximum  de  conscience,  il 
a  appel^  r^el  ce  maximum  et  il  ne  reconnait  plus  le  r^el  et  le 
present  quand  il  ne  pent  plus  atteindre  le  m^me  maximum. 

Les  ph^nomenes  auxquels  il  parvient  alors  n'ont  pas  d'analogue 
exact  dans  une  experience  pass^e  :  ils  r^unissent  des  caracteres 
contradictoires,  ils  paraissent  ^tre  ext^rieurs  et  ils  ne  semblent 
pas  etre  r6els,  ils  ressemblent  a  des  images  de  la  m^moire  et 
cependant  ils  n'ont  pas  le  caractere  habituel,  connu,  familier 
des  souvenirs,  ils  pr^sentent  le  d^doublement  qui  existe  dans  le 
jeu  et  dans  Toeuvre  d^art  et  cependant  ils  ne  sont  pas  accompa- 
gnes  par  le  sentiment  de  liberty  qui  d'ordinaire  caract^rise  le 
jeu  et  rimagination  artistique,  comme  Tavait  bien  remarqu<^ 
Schiller  ^  Ces  caracteres  plus  ou  moins  bien  analyses  par  le 
malade  font  qu'au  sentiment  de  I'irreel  s*ajoute  le  sentiment  de 
Velrange,  que  Ton  trouve  presque  tou jours  associe  avcc  lui. 

II  est  bien  probable  que  le  sentiment  du  «  deja  vu  »  n'est 
qu*un  sentiment  du  m^me  genre.  M.  Dugas  suppose  que  le  sujet, 
((  sentant  que  les  impressions  lui  ^chappent,  les  rattache  a  lui  par 
un  lien  imaginaire;  n'ayant  plus  de  perceptions  il  croit  avoir  des 
souvenirs '».Le  meme  auteur  dit  ailleurstr^s  bien  «c'est  un  recul 
dans  le  pass6  a  cause  de  la  perte  des  caracteres  du  present,  cela 
parait  fuir  et  devenir  pass6  ^  ».  Dans  mes  cours  sur  la  m^moire  j^ai 
essay^  de  montrer  que  tout  etat  complexe  implique  une  partie 
d'activite  automatique  et  une  partie  d'activite  de  synthase,  une 
action  de  ce  que  j'appelle  ici  la  fonction  du  reel  et  du  present. 
Suivant  que  dans  notre  conscience  Tun  ou  Tautre  de  ces  deux 
ph^nomenes  nous  parait  pr6dominer,  Tetat  est  class6  par  notre 
esprit  parmi  les  faits  passes  ou  parmi  les  faits  presents.  S'il  y  a 
abaissement  de  la  tension  psychologique,  diminution  de  Tactivit^  de 
synthese,  de  la  concentration  et  de  la  complexity  pr^sentes,  avec 
conservation,  et,  comme  on  le  verra,  developpement  de  I'automa- 


I.  K.  Groo9,  Les  jeux  des  anirnaux,  traduct.,  190a,  p.  338.  (Paris,  F.  Alcan). 
a.  Dugas,  Revue philosophiquey  1898,  II,  434- 
3.  Id.,  ibid.,  1898,  I,  5oi-5o7. 


INTERPRETATION  DES  SENTIMENTS  D'INCOMPLfiTUDE  549 

tisme,  I'^tat  paraitra  ^videmment  passe.  Quant  a  le  reconnattre,  a 
le  locallser  a  une  ou  a  plusieurs  epoques  plus  ou  moins  reculees 
du  pass^,  ce  sont  des  details  dus  a  Tinterpr^tation  du  sujet. 

Ces  m^mes  sentiments  d'irr^el,  d'^tranget^,  ces  sentiments 
que  le  phenomene  est  par  un  certain  cote  un  ph^nom^ne  de 
souvenir  sans  en  avoir  cependant  tons  les  caracteres  troublent 
toutes  les  operations  de  I'esprit,  ils  determinent  la  g^ne,  Tinquie- 
tude,  ils  rendent  Taction  et  Tattention  encore  plus  incompletes 
qu'elles  n'^taient,  la  perception  encore  plus  insuflfisante ;  ils  se 
compliquentpar  des  sentiments  perpetuels  de  doute,  d*obscurit<^, 
de  reve,  de  d^couragement,  d'ind^cision. 

Si  ces  sentiments  sont  eveilles  a  propos  de  la  perception  exte- 
rieure,  le  sujet  les  exprimera  a  sa  fa^onsuivant  sa  puissance  d*ob- 
servation  intime  et  suivant  son  education  psychologique  et  it 
dira  que  tout  est  a  dr6le,  Strange,  nouveau  pour  lui,  qu*il  est 
tombe  dans  un  autre  monde,  qu*il  est  loin  des  choses,  qu^elles 
sont  devenues  petites,  qu*il  est  dans  le  vide, »  etc. 

Si  ces  sentiments  s'^veillent  a  propos  de  la  perception  per- 
sonnelle,  les  malades  r^p^teront  comme  Pr...  qu'ils  se  sentent 
etrangesy  dr6les;  c'est  la  remarque  la  plus  simple  que  Ton  puisse 
faire  sur  un  ^tat  semblable.  D^autres  trouvent  qu'ils  sont  faux, 
qu'ils  jouent  la  comedie  (Claire,  Gis^le).  Cela  correspond  assez 
bien  a  la  perte  de  la  fonction  du  r^el  qui  est  Fessentiel. 

Le  troisi&me  fait  qui  joue  un  grand  role,  sinon  dans  la  consti- 
tution au  moins  dans  Texpression  des  sentiments  d'incompl6tude, 
c'est  le  souvenir  de  T^tat  d'esprit  ant^rieur  a  la  maladie  ou  de 
Tetat  d*esprit  qui  r^apparait  de  temps  en  temps  dans  les  instants 
clairs  dus  aux  oscillations  ascendantes  de  la  tension  nerveuse. 
Les  malades  font  involontairement  une  comparaison  perpetuelle 
entre  leur  6tat  present  et  leur  ^tat  anterieur. 

C'est  pourquoi  beaucoup  se  disent  changes,  soutiennent  qu'ils 
sont  devenus  une  autre  personne,  (Xyb...,  Pot...,  To...);  il  me 
semble  quails  n'ont  pas  enti^rement  tort,  car  il  est  certain  qu'ils 
ne  sont  plus  ce  quails  6taient.  Enfin,  un  tr^s  grand  nombre  em- 
ploient  les  mots  :  «  descendre,  decadence,  »  ou  parlent  de  preci- 
pice :  «  j'ai  le  sentiment  de  ma  decadence,  dit  Jean,  je  sens 
qu'elle  n'est  pas  de  naissance,  mais  acquise,  j'avais  une  certaine 
vivacite  d'esprit,  tout  cela  a  baisse.  Ce  que  je  voudrais  lii 
pleine  possession  de  moi-meme,   de  la   mesure  avec  laquelle  je 


550  THfiORIES  PATHOGfiNIQUES 

suis  n6;  je  ne  puis  plus  supporter  ce  voile,  ce  nuage,  tout  ce  que 
vous  voudrez  qui  me  s^pare  de  la  r^alit^.  » 

Un  degr^  de  plus  et  les  malades  vont  avoir  le  sentiment  qu*il& 
ont  perdu  leur  personne,  ou  du  moins  leur  personne  ancienne, 
qu'ils  ne  sont  plus  eux-m^mes.  Le  sentiment  de  d^personnalisation 
n'estpas  autre  chose  qu'une  sorte  de  perception  interne  du  trouble 
de  la  fonction  du  r<^el.  C*est  une  forme  du  sentiment  dVtran- 
get^,  d*incomplet,  d'irr^el  appliqu^  a  la  personne  au  lieu  d'etre 
appliqu6  aux  choses.  Le  malade  constate  qu'il  n*agit  plus  que 
d'une  maniere  automatique,  qu'il  r^p^te  le  passt^  et  ne  s'adapte 
plus  au  present,  il  sait  vaguement  qu'^tre  c'est  agir,  et  que  ne  plus 
pouvoir  concentrer  ses  pens^es,  ses  d^sirs  dans  une  action  pr^- 
sente,  c'est  ne  plus  ^tre  une  personne.  Ces  remarques  se  tradui- 
sent  en  un  sentiment  de  non-existence  personnelle,  de  disparition 
de  la  personnalit^  ancienne. 

M.  Dugas  en  arrive  egalement  a  dire  que  «  le  processus  de  la 
d^personnalisation  c'est  Tapathie,  la  dissolution  de  Tattention, 
la  mise  en  liberty  de  Tactivit^  automatique  *  ».  Le  fait  fonda- 
mental  c'est  I'abaissement  de  la  tension  psychologique  ainsi  que 
je  Tai  definie. 

Enfin  il  est  bien  clair  que  toutes  sortes  d'autres  ph^nomenes 
pen  vent  se  meler  avec  ces  sentiments  fondamentaux.  De  Tagita- 
tion  ou  des  manies  que  nous  allons  interpreter  dans  le  paragra- 
phe  suivant  s'ajoutent  au  sentiment  d'incompl^tude  pour  former 
I'inqui^tude.  Dans  des  ph6nom6nes  complexes  comme  diverses 
hontes,  dans  le  besoin  d'etre  aim^,  d'etre  dirig^,  dans  Fambition 
m^me  qui  n'est  que  Tinqui^tude  jamais  satisfaite  du  present, 
dans  le  mysticisme  qui  est  le  d^faut  d'apprehension  du  r6el  joint 
a  une  certaine  agitation  de  I'esprit  et  au  besoin  de  se  repattre 
de  chimeres,  I'influence  de  mille  conditions  et  m^me  Tinter- 
pr^tation  des  troubles  par  le  sujet  lui-meme  devient  de  plus  en 
plus  considerable. 

Quand  Vof...,  apr^s  avoir  ete  mordue  par  un  chien,  vient  nous 
dire  <(  je  suis  humiliee  d'avoir  ete  mordue,  c'est  comme  si  cette 
morsure  n\B\n\t  fle trie,  je  ne  suis  plus  comme  les  autres,  je  suis 
comme  honteuse  apr^s  cette  morsure  »,  il  y  a  un  sentiment  tr^s 
delicat  et  tres  complexe.  La  verite  c'est  qu'apres  la  morsure,  il  y 
a  un  abaissement  de  la  tension  psychologique  et  diminution  des 

I.  Dugas,  Revue philosophique,  1898,  I,  5o4. 


INTERPRfiTATION  DES  AGITATIONS  FORCfiES  551 

fonctions  du  r^el.  La  malade  s*est  sentie  changes  et  diminuee. 
Pourquoi  complique-t-elle  cette  premiere  impression  par  les  id^es 
morales  de  hoiite,  de  fl6trissure,  d'humiliation.  Cela  depend 
^videmment  de  la  mani^re  dont  elle  sent  cet  abaissement,  de  son 
ignorance  relativement  a  la  faiblesse  mentale  et  a  Faboulie,  de 
son  education  religieuse  et  morale,  de  ses  id^es  ant^rieures  sur 
le  vice  de  la  parcsse,  sur  la  honte  de  Tinertie,  etc.  Le  degr^ 
d'intelligence  du  sujet  joue  ici  un  grand  r6le  pour  determiner 
la  forme  de  ces  sentiments. 

II  faut,  en  effet,  une  certaine  intelligence  pour  remarquer  ces 
lacunes  du  fonctionnement  mental  ;  nous  avons  deja  insiste  sur 
cette  remarque,  c'est  que  les  scrupuleux  sont  des  gens  intelli- 
gcnts.  II  y  a  a  cela  plusieurs  raisons  :  en  voici  une  en  rapport 
avec  le  probleme  actuel,  un  individu  d'esprit  lourd,  ayant  peu 
de  m^moire  et  peu  de  comparaison,  ne  remarquera  pas  beaucoup 
que  son  esprit  a  perdu  la  fonction  du  rdel,  qu'il  a  moins  de 
volonte  libre  ou  moins  d*unit6. 

II  y  aura  chez  lui  simple  abaissement  mental,  aboulie  pure  qui 
sera  plus  remarqu^e  par  les  autres  que  par  lui-m6me.  Nous 
avons  recueilli  de  tres  nombrcuses  observations  de  ces  abouli- 
ques  indifr^rents  a  leur  etat.  Au  contraireun  esprit  intelligent  com- 
pare son  6tat  actuel  avec  son  6tat  passe  et  remarque  les  differences. 
Mais  il  les  remarquera  dans  tel  ou  tel  sens  suivant  sa  situation, 
son  education  ou  ses  besoins  :  celui  qui  est  pr^occup^  de  Taction 
parcequ*il  doit  gagner  sa  vie,  se  faire  une  carriere,  va  remarquer 
son  indecision  volontaire,  sa  faiblesse  et  il  parlera  d*incapacite,  de 
domination,  celui  qui  agit  peu  mais  qui  s'interesse  aux  lectures, 
aux  spectacles,  va  remarquer  davantage  les  troubles  de  sa  per- 
ception et  dira  qu'il  trouve  tout  etrange.  Le  caractere  anterieur 
va  jouer  aussi  un  grand  role  et  determinera  chez  Tun  des  senti- 
ments de  colore  et  de  r^volte  et  chez  Tautre  des  sentiments  d*in- 
quietude  et  de  honte.  Deja  dans  la  formation  de  ces  sentiments  il 
y  a  de  Tinterpretation  qui  commence  et  qui  dirige  Tesprit  du  ma- 
lade dans  un  sens  determine. 


2.  —  Interpretation  des  agitations  torcies. 
En  remontant  la  serie  des    phenomenes   psychologiques  que 


552  THlgORlES  PATH0G£:MQUES 

nous  avoDs  analyses  nous  nous  trouvons  maintenant  en  presence 
de  ce  grand  groupe  des  agitations  forcees  qui  contient  les  agita- 
tions motrices  de  diverses  esp^ces,  les  crises  d'angoisse  et  les 
ruminations  mentales.  C'est  une  partie  essentielle  de  la  maladie  : 
pouvons-nous  chercher  a  la  rattacher  a  nos  theories  psychas- 
th^niques  ? 


I .  —  Les  carac teres  des  agitations  forcees. 

En  etudiant  les  crises  d*agitation  plus  ou  moins  irresistible 
nous  sommes  parvenus  aux  conclusions  sulvantes  que  jeme  borne 
a  rappeler,  la  demonstration  en  ayant  ete  donn^e  dans  le  troi- 
si^me  chapitre. 

Dans  un  grand  nombre  de  cas,  les  crises  commencent  toujours 
a  Toccasion  d'une  action  volontaire.  C'est  le  debut  d'un  acte  ou 
le  desir  d*accomplir  un  acte  qui  amene  des  agitations  et  des 
angoisses.  Tout  un  groupe  de  phobies,  celles  qui  ont  ete  desi- 
gnees d'une  faQon  assez  defectueuse  sous  le  nom  de  phobies  du 
contact  ne  sont  en  somme  que  des  phobies  d'actes ;  beaucoup  de 
dysesthesies  egalement  ne  sont  que  des  phobies  determindes  par 
les  fonctions,  les  actes  du  corps.  Nous  avions  egalement  remar- 
que  que  ces  accidents  ont  seulement  pour  point  de  depart  des 
actions  volontaires  que  le  sujet  voulait  accomplir  avec  attention. 

Les  agitations,  les  angoisses,  les  ruminations,  comme  nous 
Tavons  vu,  commencent  aussi  dans  d'autres  circonstances,  a  pro- 
pos  des  idees  quand  le  sujet  essayait  de  les  examiner  avec 
attention  et  d'arriver  a  leur  egard  a  une  solution  nette,  affirmative 
ou  negative  :  en  un  mot  quand  il  se  proposait  un  probleme  de 
croyance  ou  de  certitude. 

Enfin  nous  avions  remarque  avec  inter^t  comme  unphenomene 
fort  curieux  que  la  recherche  ou  le  desir  d'une  emotion  nette,  en 
rapport  avec  la  situation  presente,  etait  bien  souvent  le  debut 
d'une  crise. 

Une  dcuxieme  remarque  nous  avait  montre  que  ces  phenomenes 
initiaux  commences  par  le  sujet :  action  volontaire,  attention, 
croyance,  emotion  reelle,  n'aboutissaient  pas.  Dans  les  cas  les 
plus  simples,  ces  phenomenes  n'existaient  en  aucune  maniere. 
L'acte  ne  se  faisait  pas,  le  sujet  ne  parvenait  ni  a  la  croyance,  nia 
la  negation,  Temotion  restait  indistincte  et  ne  parvenait  ni  a  cette 
acuite  de  douleur,  ni  a  cette  fleur   de  plaisir  qui  achevc  Tacte. 


INTERPRfiTATION  DES  AGITATIONS  FORCfiES  55? 

Dans  d'autres  cas  molns  nets,  les  ph6nomenes  semblaient  se  pre- 
duire  au  moins  pour  un  t^moin  ext^rieur,  mais  ils  ne  satisfai- 
saient  pas  Tcsprit  du  sujet,  ils  lui  semblaient  insuflisants,  impar- 
fails,  incomplets  de  toute  maniere. 

Ces  sentiments  d'incompl^tude  nous  sont  maintenant  connus, 
nous  savons  qu*ils  correspondent  a  quelque  chose  de  vrai.  Le 
ph^nom^ne  n'a  pas  ^te  termine,  il  n'a  ni  la  complexity,  ni  Tunit^,. 
ni  Tadaptation  au  r^el  qu*il  devrait  avoir.  Nous  voyons  mainte- 
nant au  d^but  des  crises  une  manifestation  remarquable  de  cette 
disparition  des  fonctions  psychologiques  sup^rieures  qui,  a  notre 
avis,  caracterise  la  maladie  tout  entiere. 

Troisi^me  remarque  :  a  I'occasion  de  ces  ph^nomenes  superieurs 
qui  ne  s^accomplissent  pas  ou  qui  s'accomplissent  d*une  maniere 
insuffisante  se  d^veloppe  brusquement  dans  Tesprit  une  tout 
autre  categoric  d*op^rations :  tantot  ce  sont  des  mouvements 
varies,  des  tics,  des  efforts,  des  crises  d'agitation ;  tant6t  ce  sont 
des  troubles  visc^raux,  des  palpitations,  des  suffocations,  de& 
angoisses;  tantot  il  s*agit  d'op^rations  intellectuelles  intermi- 
nables  et  extremement  varices  que  nous  avons  r^sum^es  sous  le 
nom  de  rumination  mentale.  Toutes  ces  operations  qui  se  substi- 
tuaient  ainsi  aux  premieres  nous  ont  paru  des  operations  sans 
port^e,  incoordonnees,  vagues  et  pu^riles,  dignes  d'un  age  antd- 
rieur  et  quelquefois  m^me  d'une  ^poque  historique  anterieure, 
en  un  mot,  des  phenomenes  d^un  ordre  plus  ^I^mentaire. 

En  ajoutant  a  cette  observation  sur  le  peu  de  valeur  des  ope- 
rations secondaires  les  etudes  que  nous  venons  de  faire  sur  la 
hierarchic  des  phenomenes  psychologiques,  nous  remarquons 
facilement  que  toutes  ces  operations  occupent  un  des  rangs  infe- 
rieurs  du  tableau  :  les  ruminations  mentales  rentrent  toutes  dans 
ce  groupe  des  operations  qui  portent  sur  des  images  ou  sur  des 
abstractions,  il  n'occupe  que  le  troisieme  rang  bien  au-dessous 
de  la  fonction  du  reel  ou  m^me  des  operations  desinteressees, 
les  angoisses  et  les  tics  rentrent  dans  les  quatri^mes  et  cin- 
quiemes  groupes,  ceux  des  emotions  et  des  mouvements  inadap- 
tes  au  present. 

En  appliquant  les  notions  auxquelles  nous  sommes  parvenus 
par  I'etude  des  hypotheses  precedentes,  on  pent  done  dire  en 
resume  que  dans  ces  crises  le  sujet  a  balsse  de  plusieurs  degres, 
et  qu*un  groupe  de  phenomenes  inferieurs  s'est  substitue  aux 
phenomenes  superieurs  qui  ne  pouvaient  plus  s'accomplir. 


551  THEORIES  PATHOG^NIQUES 


2.  —  Uhypothbse  de  la  derwation  psychologique. 

Malheureusement  les  choses  me  paraissent  un  peu  plus  com* 
pliqu^es  et  me  forcent  a  admettre  une  hypothese  nouvelle  ou  du 
moins  k  d^velopper  les  pr^c^dentes.  Non  seulement  le  sujet  met 
une  operation  inferieure  a  la  place  de  la  sup^rieure,  mais  cette 
operation  inferieure  prend  un  d^veloppement  exorbitant  qui  nous 
^tonne  et  qui  paratt  en  disproportion  avec  le  point  de  depart.  Le 
sujet  voulait  faire  volontairement  une  action  simple  qui,  chez  un 
homme  normal,  aurait  6t^  termin^e  en  quelques  minutes,  il  vou- 
lait obtenir  une  solution  negative  ou  positive  sur  un  petit  probleme 
qui  demandait  quelques  instants  de  reflexion,  il  commen^ait  une 
Amotion  de  plaisir,  une  Amotion  artistique,  ou  meme  un  sentiment 
de  frayeur  qui,  vu  les  circonstances,  n'aurait  6t^  ni  bien  intense 
ni  bien  prolong^e  :  et  voici  qu'a  la  place  de  ces  ph^nom^nes 
simples  se  developpent  des  agitations  enormes,  des  ruminations 
durant  des  heures,  des  angoisses  avec  troubles  respiratoires  et 
cardiaques  qui  paraissent  tres  graves.  II  y  a  en  apparence  une 
disproportion  telle  que  Ton  a  quelque  peine  a  comprendre  que 
le  second  ph^nomenc  ne  soit  que  le  substitut  du  premier. 

On  pent  cependant  comprendre  ce  passage  de  difTerentes  ma- 
nitres.  On  pent  d'abord  remarquer  un  fait  tres  vrai,  c'est  que 
rinsuflisance  psychologique  du  d^but  est  penible  et  qu'elle  deter- 
mine un  certain  genre  de  soufTrance  difficile  a  supporter.  Cette 
souffrance  serait  la  raison  d'etre  des  efforts  infructueux  du  sujet 
et  de  son  agitation.  «  Yous  ne  pouvez  pas  vous  figurer,  dit  Lise, 
comme  cet  engourdissement  qui  m^emp^che  d*arriver  a  une  Amo- 
tion est  penible.  »  «  Cela  finit  par  ^tre  horrible,  dit  KI...,  de  ne 
pas  savoir  si  oui  ou  non  on  croit  quelque  chose.  »  II  y  a  aussi 
le  sentiment  qu^on  est  b^te,  ridicule  et  cela  agace  continuelle- 
ment.  «  L'^motion,  comme  la  lumi^re,  dit  Claire,  ne  va  jamais 
jusqu'a  moi,  c'est  exasp^rant  ii  la  fin.  On  a  tort  de  se  moquer  de 
moi,  en  disant  que  je  cherche  la  perfection...  Je  n'ai  pas  cherch^ 
a  me  perfectionner,  a  etre  mieux  qu'avant,  j'ai  cherch6  a  re- 
prendre  ce  qui  s'cn  allait,  voila  tout ;  j'ai  cherche  a  combler  le 
vide  que  je  sentais,  j'ai  cherch6  a  me  retenir  parce  que  j'avais 
un  horrible  sentiment  de  tomber.  )>  En  un  mot  si  les  malades  se 
livrent  a  des  agitations  si  considerables,  c'est  parce  que  la  lacuna 


INTERPRETATION  DES  AGITATIONS  FORCfiES  565 

d^termin^e  par  la  suppression  du  ph^nomene  sup^rleur  est  dou- 
loureuse  et  qu'ils  cherchent  tout  naturellement  meme  par  des 
efforts  et  des  agitations  prolong^es  a  se  debarrasser  d'une  souf- 
f ranee. 

On  pourrait  aussi  appliquer  a  cette  souffrance  une  remarque 
int^ressante  et  juste  faite  par  M.  Dumas,  c*est  que,  dans  certains 
€as,  la  douteur  est  excitante  ^  Le  m^lancolique  simplement 
d6prim^,  sans  souffrance  morale,  pr^sente  dans  tons  ses  ph^no- 
menes  phvsiologiques  et  psychologiques  un  abaissement  conside- 
rable ;  le  m^lancolique  en  apparence  plus  malade,  qui  souffre  et 
qui  delire  se  montre  benucoup  moins  d^prim^.  II  y  a  chez  le 
second  une  excitation  determin6e  par  la  souffrance  ellem^me. 
Dans  ce  cas  void  comment  on  pourrait  se  repr^senter  les  choses  : 
le  scrupuleux,  6tant  avant  tout  un  psychasth^nique  qui  ne  pent 
s*6lever  a  la  fonction  du  reel,  a  de  temps  en  temps  a  propos 
d'actes  volontaires  ou  de  croyances  des  insufiisances  psycholo- 
giques. Celles-ci  determinent  des  sentiments  d^incompl^tude  et 
une  douleur  qui  est  excitante,  qui  amene  dans  Tesprit  ou  dans 
les  visc^res  tout  ce  travail  considerable  de  la  rumination  ou  de 
I'angoisse. 

Ces  explications  ne  me  paraissent  pas  suffisantes  pour  tons  les 
cas;  il  ne  me  semble  pas  que  Tinsuflisance  du  premier phenomene 
soit  toujours  sentie  assez  douloureusement  pour  determiner  soit 
d'une  maniere  presque  volontaire  soit  d*une  mani^re  automatique 
toute  Tagitation  consecutive. 

II  faut  completer  notre  premiere  hypothese  sur  TinsufTisance  de 
tension  et  la  suppression  des  phenom^nes  superieurs  par  un» 
notion  qui  s*y  rattache  tout  naturellement,  celle  de  la  deriifation. 
Quand  une  force  primitivement  destinee  a  etre  depensee  pour  Xn 
production  d'un  certain  phenomene  reste  inutilisee  parce  que  ce 
phenomene  est  devenu  impossible,  il  se  produit  des  derivations 
c*est-a-dire  que  cette  force  se  depense  en  produisant  d^autres 
phenom^nes  non  prevus  et  inutiles. 

Des  allusions  a  des  operations  de  ce  genre  ont  deja  souvent 
ete  faites  par  les  psychologues.  Cabanis  considerait  deja  <c  la 
sensibilite  comme  une  espece  de  fluide,  si  elle  ne  pent  s'ecouler 
d'un  cote,  disait-il,  elle  s'ecoule  d*un  autre...  Les  travaux  et  les 

I.  G.  DiimaB,  La  trisiesst  ct  la  joie,  1900,  p.  37,  96.  367. (Paris,  F.  Alcan). 


556  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

exercices  du  corps  font  une  diversion  et  la  reflexion  ne  pent  pas 
naftre  *  ». 

Spencer  explique  de  cette  fagon  les  expressions  de  la  physio- 
nomie  qui  se  produisent  au  cours  de  certaines  Amotions.  L*exci- 
tation  incompletement  utilis^e  dans  la  production  des  ph^no- 
menes  de  conscience  se  d^pense  en  determinant  la  contraction 
de  petits  muscles  peu  resistants*.  Le  rire  est  le  r6sultat  d'une 
derivation  de  la  force  nerveuse  vers  les  muscles  \es  plus  faibles 
qui  se  meuvent  le  plus  habituellement.  Cette  derivation  a  lieu 
parce  que  T^motion  commencee  se  trouve  en  contradiction  avec 
la  situation  donn^e  et  qu'elle  ne  pent  pas  continuer  a  se  d6ve- 
lopper.  11  y  a  un  surplus  d'excitation  qui  doit  ^'^couler ;  la  d^- 
charge  se  produit  par  le  canal  qu^elle  trouve  ouvert  et  produit 
le  rire.  L'irrascibilite,  dit  encore  Spencer,  se  produit  par  suite 
d*une  inactivity  relative  des  elements  sup^rieurs,  la  decharge  se 
fait  d'une  maniere  soudaine  par  des  plexus  inferieurs  qui  ajustent 
la  conduite  aux  impressions  p^nibles'. 

Dumont  explique  d*une  maniere  analogue  les  caracteres  de  la 
deception  :  «  Quand  nous  attendons  un  evenement,  dit-il,  un 
ensemble  d'idees  et  de  tendances  sont  en  eveil,  la  deception 
supprirae  brusquement  leur  emploi,  les  forces  inemployees  se 
depensent  en  luttes  et  en  tristesses^.  »  Je  crois  que  Ton  pourraii 
completer  la  remarque  trfes  juste  de  Dumont  par  une  etude  ana- 
logue sur  les  phenomenes  de  Tattente.  Pendant  Tattente  tout  un 
ensemble  de  forces  est  mis  en  mouvement,  est  prepare,  elles 
trouveront  leur  emploi  quand  le  signal  sera  donne  par  Tevene- 
ment,  mais  en  Tattendant  elles  restent  sans  emploi.  On  observe 
alors  toutes  sortes  de  phenomenes  d'agitation  motrice  ou  mentale 
et  meme  d'excitation  viscerale  qui  cessent  d^s  que  Fattente  est 
terminee.  Voici  un  fait  que  j'ai  observe  bien  souvent  et  que  Ton 
pent  Hicilement  verifier.  Des  jeunes  gens  sont  reunis  pour  un 
concours  et  attendent  que  Ton  dicte  le  sujet  de  la  composition. 
L^attente  du  sujet  du  travail  les  tient  dans  une  agitation  extreme  : 
ils  ne  peuvent  tenir  en  place,  ils  ont  une  foule  de  pensees,  d(> 
craintes,  d'angoisses,  ils  ont  des  besoins  frequents  d'uriner  par 

1.  Cabanis,  Rapports  de  physique  et  de  morale  IV,  p.  3i. 

2.  11.  Spencer,  Essais  sur  le  rire.  Gf.  Th.  Ribot,  La  psychologie  anglaise  contem- 
poraine,  p.  3o3.  (Paris,  F.  Alcan). 

3.  H.  Spencer,  Principes  de  psychologies  l,  p.  362.  (Paris.  F.  Alcan). 

^.  Dumont,  Theorie  scientijique  de  la  sensibilite,  1877,  p.  1^8.  (Paris,  F.  Alcan). 


IXTERPRfiTATION  DES  AGITATIONS  FORCEES  657 

contraction  de  la  vessie  et  meme  des  crises  de  diarrh^e.  Le  sujet 
dict6,  tout  se  calme;  car,  le  barrage  ^tant  lev^,  les  forces  prepa- 
rees  se  depensent  librement  dans  le  travail  attendu.  Les  deriva- 
tions sont  ici  tres  nettes  et  tres  demonstratives. 

M.  Ribot  se  rattache  a  ces  id^es  quand  il  dit  a  que  des  lois  ge- 
ncrales  president  a  la  repartition  de  Tactivite  nerveusc  dans  les 
diffi^rents  points  du  systeme  nerveux  comme  des  lois  m^caniques 
gouvernent  la  circulation  du  sang  dans  le  systeme  vasculaire*  ». 

Dans  son  ^tude  sur  la  puberty,  M.  Marro  donne  plusieurs 
exemples  de  derivations  de  ce  genre  «  les  premieres  manifesta- 
tions de  la  douleur  annoncent  que  la  reaction  psychique  est  en 
defaut,  k  la  reaction  dans  la  vie  de  relation  se  substitue  la  reac- 
tion organique  seule,  qui,  par  la  suite,  pourra  se  resoudre  en 
simples  actions  physiques  ou  chimiques'». 

Mantegazza  en  d6crivant  des  sujets  en  proie  au  d^sespoir  qui 
se  mordent,  s'arrachent  les  cheveux,  se  frappent  la  t^te  contre  les 
niurs,  suppose  que  Tindividu  s'impose  volontairement  ces  souf- 
frdnces  pour  substituer  a  la  douleur  morale  une  douleur  artifi- 
cielle  qui  serve  de  derivatif.  Une  jeune  fiUe  decrite  par  M.  Tis- 
sie  avait  remarque  qu'une  vive  douleur  physique  lui  etait  n^ces- 
sairea  pour  depenser  le  trop-plein  de  la  force  nerveuse»,  elles'etait 
brilile  deux  fois  la  poitrine  avec  un  fer  rouge  et  elle  avait  entretenu 
les  plaies  en  cachette  :  «  par  la  douleur  violente,  disait-elle,  elle 
arrivait  a  faire  diffuser  la  trop  grande  puissance  nerveuse^».  En 
un  mot  cette  notion  de  la  derivation  est  assez  commune  dans  les 
etudes  psychologiques  :  quand  on  voit  une  femme  sans  enfants 
soigner  avec  devouement  un  chien  ou  un  perroquet  on  est  tout 
dispose  a  dire  qu'il  s'agit  la  d*une  derivation  de  Tamour  maternel. 
Je  suis  dispose  a  croire  que  Ton  devrait  faire  un  plus  grand 
usage  de  cette  notion  trfes  juste  et  tres  importante. 

Plusieurs  auteurs  ont  essaye  d'appliquer  cette  notion  de  la 
derivation  a  la  pathologic  mentale.  M.  H.  Jackson  fait  observer 
que  dans  la  psychiatric  on  se  preoccupe  d'ordinaire  des  pheno- 
m^nes  negatifs,  c'est-a-dire  des  operations  supprimees  par  la 
maladie^mais  que  Ton  ne  tient  pas  assez  compte  des  phenomenes 

I.  Th.  Ribot,  Les  maladies  de  la  volonle,  p.  19.  (Paris,  F.  Alcan). 
a.  Marro,  La  pubertct  p.  4i8. 

3.  Mantegazza,  Physiologic  de  la  douleur,  p.  219,  cf.  G.  Dumas,  La  tristesse  et 
la  joie,  p.  339. 

4.  Tissic,  Revue  scieniifique,  1896,  II,  p.  645. 


558  THlilORIES  PATH0G£N1QUES 

positiis,  des  opi^rations  qui  restent  possibles,  lesquelles  peuvcnt 
tr^s  bien  ^tre  exager^es  par  la  suppression  des  premieres  \ 

M.  E.  Wright,  en^tudiantt'el^ment  physiologique  de  T^motion 
exag^r^e,  dit  que  ces  reflexes  visc^raux  sont  secondaires,  et 
sont  une  simple  derivation  des  forces  c^r^brales  mal  employees. 

Hack-Tuke  indique  une  remarque  du  meme  genre  a  propos- 
des  reveries.  Si,  dit-il,  on  est  occupe  a  un  travail  monotone  et 
facile,  menuiserie  ou  jardinage,  qui  ne  demande  que  peu  d'atteu- 
tion  et  de  travail  mental  et  si  cependant  par  inexperience  on  fait 
a  ce  moment  un  grand  effort  d'attention,  il  en  r^sulte  une  exci- 
tation de  Tattention  et  une  alimentation  insuffisante.  Cette 
situation  am^ne  r^guli^rement  une  foule  de  reveries  qui  se  repro- 
duisent  ind^finiment  ^ 

Enfin  M.  Freud  semble  faire  un  emploi  tres  int^ressant  de 
cette  notion  pour  expliquer  les  ph^nomenes  de  Tangoisse.  D'apr^s. 
lui  Tangoisse  aurait  toujours  pour  origiue  des  ph^nom^nes- 
d'excitation  g6nitale.  Cette  excitation  devrait  normalement  se 
ddpenser  dans  I'ex^cution  de  Tacte  sp^cifique,  si  par  abstinence, 
par  suite  du  co'it  imparfait,  ou  pour  d*autres  causes  cette  exci- 
tation n'arrive  pas  a  son  terme  elle  s^^coule  en  suivant  d'autres 
voies  et  donne  lieu  a  des  reactions  visc^rnles  pathologiques  qui 
determinent  Tangoisse. 

Je  pense  depuis  longtemps  qu'il  est  necessaire  de  comprendre 
d'une  maniere  plus  large  le  riMe  de  ces  ph^nomenes  de  derivation 
dans  la  pathologic  mentale. 

D*abord  la  derivation  ne  donne  pas  uniquement  naissance  a 
des  phenomenes  visceraux  et  h  de  Tangoisse  comme  le  pensent 
quelques-uns  des  auteurs  precedents.  Elle  pent  prendre  diverses 
directions  suivant  les  predispositions  individuelles  et  les  circon- 
stances,  elle  peut  etre  musculaire  et  determiner  des  agitations  ou 
des  mouvements  plus  ou  moins  systematises,  elle  peut  etre  visce* 
rale  et  determiner  des  excitations  de  Tappareil  circulatoire^ 
de  Tappareil  respiratoire  ou  meme  de  Tappareil  intestinal  ou  vesi- 
cal, elle  peut  etre  aussi  cerebrale  et  determiner  des  phenomenes 
intellectuels  de  diverses  sortes,  pourvu  que  ces  phenomenes 
restent  d'ordre  elementaire,   restent  des  phenomenes  de  basse 


1.  H.  Jackson,  Od  imperative  ideas.  Brain,  iSgS,  p.  3i8. 
a.  Cf.  G.  Mercier,  Brain,  1896,  p.  Sag. 


INTERPRfiTATION  DES  AGITATIONS  FORCfiES  55d 

tension,  des  images  automatiquement  associees,  des  idees 
abstraites,  des  raisonnements,  etc. 

Ce  quMI  est  le  plus  important  de  bien  comprendre,  c'est 
Torigine  de  la  derivation.  Je  ne  puis  admettre  que  Torigine  de  la 
force  qui  va  ddriver  provienne  uniquement  de  Texcitation  g^ni- 
tale  inassouvie.  Cela  arrive  sans  doute  dans  certains  cas  et  j'ai 
montr^  des  malades  qui  ont  des  crises  de  rumination  parce 
qu'elles  sont  incapables  de  parvenir  a  I'emotion  g^nitale  complete. 
Mais  nous  avqns  observ^x  le  meme  fait  apres  des  Amotions  artis- 
tiques,  des  Amotions  de  chagrin,  de  peur,  etc.,  qui  ne  parvenaient 
pas  non  plus  a  leur  terme,  nous  Tavons  vu  egalement  apr^s  des 
efforts  d'attention  ou  de  croyance,  apr^s  des  tentatives  d'actes, 
surtout  quand  ces  efforts  et  ces  tentatives  n'aboutissaient  pas.  En 
un  mot,  la  derivation  pent  se  produire  toutes  les  fois  qu'un  phe- 
nomene  superieur  de  haute  tension  a  commence  a  se  produire,  et 
qu'il  est  arrete  dans  son  d^veloppement  par  cet  abaissement  du 
niveau  mental  qui  rend  impossibles  les  ph6nomenes  de  haute 
tension. 

Cette  conception  permet  de  resoudre  la  diflficulte  qui  nous  avait 
arretes  dans  Tinterpretation  des  crises  d'agitation  forcee.  Com- 
ment se  fait-il,  demandions-nous,  qu'au  phenomene  initial  sup- 
prime,  qui  semblait  un  phenomena  unique  et  assez  petit,  se 
substitue  une  quantite  ^norme  d^autres  ph^nomenes  secondaires 
qui  se  prolongent  pendant  longtemps  ? 

Je  crois  que  Ton  pourrait  repondre  par  un  d^veloppement  de 
notre  hypoth^se  relative  a  la  hi^rarchie  psychologique  et  aux  de- 
gr^s  de  tension  des  phenom^nes.  Quand  un  phenomene  psycho- 
logique est  tres  superieur  a  un  autre,  la  tension  qu'il  exige  pour 
se  produire  pourrait  Hre  suffisante,  si  on  Temployait  autrement, 
pour  produire  cent  fois  le  phenomene  inf^Heur.  Un  courant  electri- 
que  de  no  Volts  est  necessaire  pour  allumer  une  lampe^Iectrique 
et  il  produit  ainsi  une  lumi^re  qui  ne  nous  parait  avoir  rien  d'ex- 
cessif.  Mais  si  on  appliquait  le  meme  courant  a  des  sonnettes,  il  en 
ferait  marcher  des  quantit^s  et  produirait  un  vacarme.  Si  on  lui 
faisait  traverser  des  fils  m^talliques  r^sistants,  il  les  ferait  rougir 
et  pourrait  determiner  un  incendie.  Une  quantity  donn^e  d'^nergie 
calorique  doit  etre  port^e  a  1800*,  c'est-a-dire  a  un  degr^  eleve  de 
tension  pour  fondre  une  quantite  minime  de  platine,  si  cette 
meme  quantity  d'^nergie  n*arrive  qu'a  la  tension  de  4oo®,  die  ne 
pourra  plus  fondre  un  milligramme  de  platine,  mais  elle  pourra 


160  TIlfiOKIES  PATllOGKNIOUES 

facilement  fondre  des  kilogrammes  de  plomb.  Nous  sommes  ame- 
nes  a  admettre  de  meme  que  lu  tension  psychologique  inemploy^e 
pour  les  phenomenes  superieurs  qu'elle  ne  peut  plus  produire  sc 
<lepense  en  ph^nom^nes  inferleurs,  et  qu*elle  donne  alors  nais- 
sance  a  une  veritable  explosion  de  phenomenes  infiniment  nom- 
breux  et  puissants,  mais  toujours  inf^rieurs  dans  la  hi^rarehie. 
Eh  bien,  c*est  cette  conception  de  la  derivation  ainsi  entendue 
•que  nous  devons  appliquer  a  I'lnterpr^tation  des  crises  d'agita- 
tion  motrice,  d'angoisse  ou  de  rumination  mentale.  L'examen  de 
quelques  faits  nouveaux  nous  montrera  que  cette  interpretation 
resume  d'une  maniere  commode  un  certain  nombre  de  caracteres 
<Ie  ces  crises. 


3.  —  La  derwation  dans  les  agitations  et  les  angoisses. 

On  a  d6ja  vu  bien  des  exemples  de  la  fagon  dont  les  efforts 
•d'attention  amenaient  des  agitations  motrices  et  des  tics.  La  timi- 
dity, par  exemple,  c'est-a-dire  Taboulie  sociale,  Timpuissance 
pour  accomplir  completement  les  actes  les  plus  complexes  qui 
sont  les  actes  sociaux,  ne  determine  pas  uniquement  des  phe- 
nomenes emotionnels,  mais  elle  donne  aussi  naissance  a  des 
<Iecharges  motrices. .  X...  a  la  figure  parfaitement  ca^lme  quand 
il  est  seul  et  il  parle  correctement ;  s*il  vient  me  voir  et  s'il  veut 
me  demander  quelque  chose,  il  a  une  agitation  invraisemblable 
de  tout  le  corps  et  particuli^rement  de  la  figure  et  il  b^gaye 
faorriblement.  La  derivation  est  chez  lui  motrice  et  il  ne  ressent 
pas  d^angoisse,  c'est  en  se  placant  a  ce  point  de  vue  que  M.  Scholz 
^  pu  ranger  la  timidite  dans  Tordre  des  emotions  impuIsivesV' 

On  trouvera  des  faits  de  ce  genre  dans  tous  les  tics,  danstoutes 
les  agitations  motrices  qui  surviennent,  comme  on  I'a  vu,  a  la 
^uite  d^un  effort  de  volonte  ou  d'attention.  Une  preuve  interes- 
sante  du  role  que  joue  la  derivation  dans  ces  phenomenes  secon- 
daires,  c'est  leur  disparition  quand  on  supprime  Teffort  pour  ac- 
•complir  le  phenomene  primaire.  Ho...  a  des  tics  quand  elle  va  a 
recole  et  fait  attention  ou  essaye  de  faire  attention  a  la  le^on  ; 
elle  a  beaucoup  moins  de  tics  les  jours  de  vacances.  Claire  avail 
des  crises  d^agitation  enorme  avant  chaque  repas  parce  qu*elle 
€ssayait  de  faire  une  priere  avec  attention  et  avec  foi.    Elle    est 

I.  Scholz,  Revue  de  I'hypnoUsine,  1892,  p.  7. 


INTERPRfiTATION  DES  AGITATIONS  FORCfiES  56» 

prise  de  decouragement  en  voyant :  «  que  la  lumiere  s*eloigne  de 
plus  en  plus  et  que  d^cidement  elle  ne  pent  plus  prendre  la  pen- 
see  de  prier  ».  Elle  renonce  a  cette  priere  a  van!  le  repas,  et  elle 
n^a  plus  de  crises  d'agitation  a  ce  moment. 

II  vaut  mieux  insister  sur  la  formation  de  Tangoisse  qui  a  pris 
dans  ces  etudes  une  grande  importance.  L*angoisse  comprend, 
comme  on  Ta  vu,  deux  cat<§gories  de  ph^nomenes,  des  sentiments 
intellectuels  qui  tous  se  rattachent  au  groupe  des  sentiments 
d*incompUtude,  sentiment  de  decadence,  de  chute,  de  folic,  de 
mort.  Ces  sentiments  sont  en  rapport  avec  Tabaissement  vrai  du 
niveau  mental,  c*est  le  sentiment  de  la  psycholepsie  elle-m6me. 
lis  accompagnent  Tincapacit^  ou  est  reellement  le  sujet  d'accom- 
plir  les  phenomcnes  superieurs  de  haute  tension.  En  r^alit^  Tan- 
goiss6  n*a  pas  fait  les  actes  ni  les  efforts  d*attention,  il  n'a  pas 
eprouv6  les  Amotions  que  commandaient  les  circonstances,  il  en 
etait  incapable  et  c^est  cette  incapacity,  en  rapport  avec  tout  un 
abaissement  de  Tesprit  qu'il  sent  d*une  fagon  aigue. 

En  deuxieme  lieu  Tangoisse  contient  des  sensations  de  troubles 
organiques,  ceux-ci  nous  apparaissent  comme  le  resultat  d'une 
decharge  interessant  les  appareils  des  fonctions  organiques.  Cette 
dd*charge  est  en  rapport  avec  une  fuite  du  courant  inutilis^  par  les 
ph6nomenes  superieurs. 

Des  fuites  de  ce  genre  sont  nombreuses  :  un  exemple  bien 
frappant  nous  est  donne  par  Texcitation  g^nitale  et  la  mastur- 
bation. Chez  Fy...,  chez  Claire  et  chez  plusieurs  autres,  TefFort 
pour  vouloir  et  pour  penser  amene  une  masturbation.  C'est  un 
tort,  a  mon  avis,  que  d'accuser  le  sujet  et  de  dire  «  la  mastur- 
bation est  venue  empecher  son  travail  ».  C'est  la  renverser  les 
termes  :  en  r^alite  c*est  parce  que  le  travail  ne  pouvait  pas  sc 
faire  que  la  masturbation  se  produit  comme  une  decharge  de 
Texcitation  inutilement  accumulee.  Chez  Rk...,  le  phenomene 
est  bien  plus  saisissant  encore  car  il  n'y  a  aucun  mouvement  que 
|*on  puisse  accuser  d'etre  volontaire.  II  essaye  d'appliquer  son 
esprit  il  un  probleme  de  math^matique,  il  lui  semble  quMl  va 
comprendre,  mais  il  ne  r^ussit  pas  et  il  fait  un  plus  grand  effort 
d*attention.  A  ce  moment  une  erection  se  produit  sans  aucun  con- 
sentement  de  sa  part,  suivie  d'une  ejaculation  :  c*est  ici  une  deri- 
vation visc^rale  absolument  pure. 

La  decharge  pent  se  faire  sur  d'autres  organes  d'une  maniere 

LES  OBSE9SIO?(S.  I.  36 


662  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

aussi  nette.  On  a  vu  plusieurs  de  ces  malades  qui  ne  peuvent 
accomplir  le  coi't  d'une  fa^on  normale  et  qui  se  plaignent  de 
n*arriver  qu*a  des  Amotions  incompletes.  Yoici  comment  plusieurs 
expliquent  leur  m^saventure  :  u  Ce  qui  m^empeche  d'avoir  des 
rapports  normaux  avec  ma  femme,  me  dit  un  homme  de  3o  ans, 
c'est  que,  au  moment  oil  le  desir  grandit,  il  me  prend  un  violent 
besoin  d'uriner.  Je  ne  puis  y  rdsister  et  naturellement  tout  est 
change.  »  Len...  commence  a  ^tre  excitee,  mais  tout  d'un  coup 
elle  a  un  besoin  irresistible  d'aller  k  la  selle  au  moment  oil  elle 
approchait  de  T^motion  complete.  Ici  encore  c'est  renverser  les 
termes  que  d'expliquer  Tarret  du  coi't  par  Texcitation  v6sicale  ou 
intestinale  ;  Timpuissance  a  terminer  une  Amotion  forte  et  precise 
est  Tessentiel,  cette  im puissance  caract^risait  d^ja  toute  la  con- 
duite  du  malade,  les  derivations  sont  Taccessoire. 

Quand  la  decharge  se  fait  sur  la  poitrine,  sur  le  diaphragme, 
sur  le  cceur,  elle  produit  Tangoisse  vulgaire.  On  pent  en  trouver 
des  exemples  interessants  en  considerant  encore  une  fois  le  fait 
si  remarquable  de  la  timidite.  II  y  a  a  mon  avis  un  malentendu 
dans  rinterpr6tation  des  phenom^nes  de  la  timidity.  On  note 
a  ce  propos,  comme  le  remarque  tres  bien  M.  Hartenberg, 
une  transformation  de  la  conduite  :  le  timide  prend  des  atti- 
tudes factices,  il  devient  bourru,  hautain,  agressif  meme  \  les 
sentiments  eux-memes  sont  arret^s,  metamorphoses.  «  J^ai,  dit 
Marie  Bashkirtseff,  des  pudeurs  qu'on  ne  s^expliquera  peut-etre 
pas,  je  ne  voudrais  pas  qu^on  me  surprit  aimant,  admirant 
quelque  chose,  enfin  j*ai  honte  d'etre  surprise  manifestant 
un  sentiment  sincere,  je  ne  puis  m'expliquer  cela.  »  On  attribue 
toujours  ces  arrets,  ces  metamorphoses  a  Temotion  d'intimi- 
dation,  on  les  consid^re  comme  des  resultats  des  palpitations, 
des  etouffements,  etc.  Pourquoi  ne  pas  admettre  que  ces  phe- 
nomenes  d'arret  psychique  sont  tout  naturels  au  moment  ou  le 
phenomene  devient  infiniment  plus  difficile  a  cause  de  la  pre- 
sence des  temoins.  Avoir  une  emotion  sincere  devant  dix  per- 
sonnes  est  un  acte  difierent,  bien  plus  difficile  que  celui  d*avoir 
la  meme  emotion  quand  on  est  seul.  11  est  plus  complexe,  demande 
une  plus  grande  puissance  de  synthese,  une  plus  haute  tension 
psychologique.  II  suffit  d'admettre  que  Tindividu,  pour  une  raison 
anterieure  quelconque,  est  deja  un  psychasthenique,  et  on  com- 

I .  Ilaftenberg,  Lrs  timides  et  la  timidite,  p.  89. 


INTERPRfiTATION  DES  AGITATIONS  FORCfiES  563 

prendra  qu'il  ne  puisse  pas  parvenir  a  cet  acte,  a  cette  Amotion 
sup^rieure.  C'est  alors  que  les  diverses  angoisses  interviendront 
comme  de  simples  ph^nom^nes  de  derivation. 

Enfin  nous  retrouverons  ce  m^canisme  de  Tangoisse  dans  les 
accidents  determines  par  Teffort  d'attention.  M.  Sante  de  Sanctis 
sous  ce  titre  :  a  un  trouble  special  de  Tattention  chez  un  deg^n^re  )>, 
fait  la  remarque  suivante  :  «  Loin  de  rendre  la  perception  plus 
distincte,  Tattention  rendait  la  perception  obscure,  confuse,  jetait 
le  chaos  dans  Tesprit  du  sujet  et  amenait  une  grande  angoisse*.  » 
Cette  observation  sur  Teffort  d*attention  qui  am^ne  Tangoisse 
pent  se  r^p^ter  presque  experimentalement  sur  une  dizaine  de 
nos  malades.  Mais  chez  tons,  on  observera  les  deux  faits  suivants  : 
I**  L*angoisse  ne  se  d^veloppe  que  si  I'attention  est  impuissante 
et  n'arrive  a  constituer  aucune  id^e  ni  aucune  croyance ;  2®  si  en 
aidant,  en  encourageant  le  sujet  on  le  pousse  a  d6passerce  point, 
si  on  r^ussit  a  fixer  son  attention,  a  la  rendre  capable  de  perce- 
voir  le  r^el,  Tangoisse  disparait  :  elle  n^etait  qu'une  derivation 
en  rapport  avec  TinsudGsance  des  phenomenes  sup^rieurs. 

Les  emotions  ont  un  effet  analogue  :  Dob...  parle  exactement 
comme  Lise,  sauf  qu'il  s'agit  chez  elle  d'excitations  viscerales  et 
non  de  travail  mental  inferieur  :  «  c'est  toujours  a  propos  d'une 
petite  emotion,  dit-elle,que  Tangoisse  devient  enorme.  Cette  petite 
emotion  devrait  etre  le  plaisir  d*une  rencontre,  une  surprise,  une 
frayeur  meme.  Mais  non,  mon  emotion  ne  se  developpe  pas ;  car 
tout  de  suite  j'etouffe,  mon  coeur  bat,  mes  jambes  flageollent,  je 
sens  ma  tete  s'egarer  et  je  suis  prise  par  cette  terreur  de  devenir 
folle,  qui  est  toujours  suspendue  au-dessus  de  moi  comme  une 
epee  de  Damocles.  »  On  repeterait  les  m^mes  observations  chez 
UI...,  chez  qui  tout  effort  et  toute  emotion  se  transforment  en 
angoisse  et  chez  beaucoup  d^autres  dont  nous  avons  cite  des 
exemples. 

J'ai  insiste  sur  cette  interpretation  de  Tangoisse  et  j'ai  ajoute 
de  nouveaux  exemples  de  ces  transformations  des  phenomenes 
psychologiques  superieurs  en  angoisses  a  tousceux  que  j'avais  deja 
cites,  car  je  considere  cette  question  comme  tres  interessante  en 
psychiatric.  On  fait  jouer  un  role  considerable  a  Vemotwite  ;  mais 
on  ne  parait  pas  se  rendre  bien  compte  de  ce   qu^est  Temotivite. 


I.  Sante  de  Sanctis,  BoUetino  della  Soc.  lanclana  degli  Ospedali  di  Roma,  XVI, 
1897,  p.  2. 


56i  THfiOBIES  PATH0G£!«1QLES 

li  ne  Taut  pas  se  borner  a  en  faire  one  exageration  de  remotion 
normale.  Car  il  en  resolterait  que  les  emotifs  ont  une  soperio- 
riii  sor  les  individos  bieo  ^quillbr^s,  qu*ils  sont  capables  de  plus 
de  finesse  etde  d^licatesse  dans  les  sentiments.  Or  cela  n*estpas 
exact,  rindividu  consider^  au  point  de  vae  pathologique  comme 
on  emotif  n'a  pas  une  sensibilite  morale  plus  delicate,  il  a  ao 
contraire  des  Amotions  inferieures  et  plus  grossieres.  Ce  qui  le 
caract^rise,  c*est  qu*il  est  un  faible,  un  insuflisant,  non  seule- 
ment  au  point  de  vue  de  la  volonte  et  de  Tattention  mais  sou- 
vent  m^me  au  point  de  vue  de  la  sensibilite  morale,  de  Temotion 
elle-meme.  L'emotivit^  n*est  cbez  lui  qu'une  disposition  a  rem- 
placer  les  phenomenes  sup^rieurs  par  de  grossieres  excitations 
visc^rales. 

4.  —  La  denization  dans  la  rumination  mentale. 

Les  memes  observations  peuvent  ^tre  faites  a  propos  de  la 
rumination  mentale  qui  n^est  qu'une  derivation  vers  des  pheno- 
menes mentaux  d'ordre  inferieur.  L*essentiel  de  la  rumination 
mentale,  c'est  ce  developpement  de  pensees  sans  valeur  r^elle, 
sans  rapport  a  Taction,  sans  certitude,  en  relation  avec  le  passe, 
Tavenir  ou  Timaginaire  et  non  avec  le  present.  Ces  pensees,  ^tran- 
geres  a  notre  personne,  a  notre  present,  a  noire  action,  sembleut 
n'avoir  aucune  liberte,  etre  imposees  du  dehors.  Elles  ont  done 
tons  les  caracteres  des  ph^nom^nes  inferieurs  de  basse  tension. 

Cette  agitation  mentale  qui  remplace  «  Tattention  a  la  vie  » 
me  parait  d'une  grande  importance  :  son  ^tude  permettra  de 
comprendre  bien  des  phenomenes  qui  excitent  a  tort  Tadmiration. 
On  a  beaucoup  parle  r^cemment  de  la  pretendue  excitation  men- 
tale des  mourants^  de  leur  vue  panoramiquedu  passe  et  on  en  a 
cherche  bien  des  explications.  Sans  pouvoir  insister  ici  sur  ce 
point,  je  signale  en  passant  cette  hypothese  simple  :  cette  pre- 
tendue excitation  ne  survient-elle  pas  au  moment  oil  par  le  choc, 
par  Tasphyxie,  la  conscience  est  tres  abaiss^e,  au  moment  ou  les 
efforts  r6els  pour  se  sauver  sont  impuissants  et  supprim^s  et  ne 
pourrait-elle  pas  etre  un  fait  analogue  au  mentisme,  a  la  rumina- 
tion, c'est-a-dire  une  derivation  de  Tactivile  mentale  dont  la  ten- 
sion est  abaissee  vers  des  phenomenes  tres  inferieurs  ? 

1.  Eggcr.  Revue  phihsophifjue ,  i896.  I,  p.  28. 


INTERPRETATION  DES  AGITATIONS  FORCfiES  o65 

C*est  surtout  dans  Tetude  de  nos  malades  que  Tagitation  nien- 
nle  se  pr^sente  comme  une  simple  derivation.  Nous  le  const vv- 
tons  encore chez  les  timides:  pourquol  done  M.  Hartenberg^  n'ad- 
met-il  pas  de  timidity  intellectuelle?  «  II  faut,  dit-il,  qu*il  y  ait 
toujours  dans  la  timidity  une  Amotion  objective  organique.  »  Ce 
n*est  point  mon  avis  :  Tessentiel  de  la  timidite,  ce  n*est  pas  la  forme 
de  la  reaction  consecutive  a  la  suppression  de  Facte,  c'est  Taboulie 
f;ociale,  c*est-a-dire  la  suppression  ou  la  reduction  de  Tacte  quand 
il  doit  etre  accompli  devant  des  hommes,  et  il  y  a  des  timides  a 
derivation  intellectuelle.  «  Je  veux  etre  bonne,  dit  Nadia,  je  veux 
etre  aimable,  etre  polie,  et  je  ne  peux  pas.  Je  pense  toujours 
aux  consequences,  c'est  ce  qui  me  paralyse  :  il  me  prend  des 
envies  de  r^ver,  de  me  plaindre  vaguement  du  destin  toujours 
oontre  moi;  je  me  mets  h  rechercher  si  j*ai  ete  polie  la  dernifere 
fois  avec  cette  personne.  Et  en  revant  a  toutcela,  je  reste  aujour- 
d^hui  devant  elle  sans  rien  dire,  glacde,  paralys^e  et  tres  impolie.  )> 
La  meme  personne  joue  tr^s  bien  du  piano  quand  elle  est  seule, 
mais  elle  ne  peut  jouer  devant  quelqu'un  (c  parce  que  son  esprit 
est  distrait  de  la  musique  par  le  souvenir  d'une  foule  de  ser- 
ments  et  de  proraesses  ».  Mw...  nepeut  pas  monter  a  bicyclette 
s'il  y  a  quelqu*un  d'etranger  avec  elle  «  parce  qu'elle  est  obligee 
de  faire  des  serments  a  chaque  arbre,  a  chaque  poteau  telegra- 
phique  qu'elle  traverse  ».  On  retrouve  dans  ces  paroles  la  m^me 
interpretation  fausse  deja  signalee  :  c'est  Facte  reel  qui  n'est  pas 
accompli,  dans  sa  plenitude  etc'est  la  rumination  qui  vientensuite 
comme  derivation. 

II  en  est  de  m^me  si  on  examine  les  efforts  d^attention.  Jean  est 
au  travail  et  essaye  de  s'interesser  a  ce  qu'il  lit,  il  fait  effort,  il  se 
tend  pour  ainsi  dire,  il  est  probable  que  la  tension  de  son  sys- 
t^me  nerveux  augmente,  il  va  comprendre  et  apprendre  quelque 
chose,  c*est  a  ce  moment  qu'il  se  produit  une  fuite  et  que  les 
evocations  psychiques,  le  fou  rire  cerebral,  les  conjurations  con- 
tre  le  mauvais  sort  se  dechainent  d'une  maniere  irresistible. 
«  C'est  drole,  dit  Red...,  depuis  quelque  temps  je  ne  peux 
plus  faire  attention  et  mes  idees  n'ont  aucune  suite.  Je  ne  suis 
tranquille  que  si  je  ne  cherche  pas  a  faire  attention.  A  Teglise 
j'essaye  de  prier  avec  attention  et  confiance,  et  voici  que  ma  foi 
s'ebranle.  Je  me  demande  s'il  est  vrai  que  Dieu  voit  tout  ce  que 

I.  Harlcnbcrg,  Les  timides  et  la  timidity,  p.  i8i. 


566  THEORIES  PATH0G£NIQUES 

je  fais  ;  je  me  demandc  pourquoi  les  descendants  d'Adam  et  d*£lve 
ont  une  nature  si  diff(6rente  de  celle  de  leurs  premiers  parents  ? 
Pourquoi  d^gen^rons-nous  puisque  nos  premiers  parents  6taient 
bons  ?  Que  sera-ce  alors  dans  les  temps  futurs?  Pourquoi  Dieu  nous 
a-t-il  rendus  responsables  des  fautes  d*Adam  et  d'£)ve  ?  J'ai  Tim- 
pression  que  je  tombe  dans  le  fatalisme,  qu*un  destin  pese  sur 
moi  et  m'emp^che  de  penser  comme  je  le  veux.  Et  moiqui  voulais 
simplement  faire  une  petite  priere  et  me  sentir  confiante  !  »  On 
a  remarqud  avec  raison  qu*il  y  a  dans  ces  ph^nomenes  une  exag6- 
ration  de  Tassociation  par  contraste^  Mais  Texag^ration  de  cette 
association  est  d^ja  une  marque  d*activit^  mentale  inf(§rieure  qui 
se  substitue  a  une  activity  de  tension  plus  ^lev^e. 

Enfin  je  rappelle  seulement  ce  qui  a  d^ja  ^t6  longuement 
d6montr6,  c'est  que  Pemotion  qui  s'arrete  se  transforme  en  rumi- 
nation. Lise  raconte  tr^s  bien  comment  toute  Amotion,  un  ennui  ou 
meme  un  plaisir,  determine  ses  rechutes.  «  Cela  commence  par 
une  petite  Amotion,  on  dirait  qu'elle  va  grandir  mais  tout  d*un 
coup  elle  s'arrete,  elle  ne  va  pas  jusqu^a  moi,  ii  me  semble  qu'elle 
disparalt  et  je  reste  plong^e  dans  mes  id^es.  »  C'est  cette  m6me 
malade  qui,  dans  les  douleurs  de  Paccouchementy  ne  trouvait 
qu^une  seule  chose  de  terrible,  les  interminables  id6es  que  ces 
douleurs  am^nent  avec  elles. 

Pour  montrer  que  dans  ces  cas,  la  rumination  mentale  est  la 
consequence  de  Parrot  des  ph^nom^nes  primaires,  attention  ou 
Amotion  r^elle,  il  faudrait  r^peter  les  m6mes  arguments  que  pr^- 
c^demment.  Cette  rumination  ne  survient  que  si  le  ph^nom^ne 
primaire  s'arr^teetonpeuttoujours  constater  avant  qu*elle  ne  sur- 
vienne  des  signes  decetarr^t.  Nous  avonsmontr^  que  le  sentiment 
de  «  d^javu  »  est  un  signe  de  cette  absence  de  r^alit^  dans  la  per- 
ception, on  a  souvent  note  que  ce  sentiment  est  suivi  par  de  Pagita- 
tion  mentale  :  «  Pendant  un  moment,  dit  M.  Lalande,  j'ai  eu  Pim- 
pression  que  j'avais  d^ja  vu  tout  cela  et  il  se  produisit  dans  mon 
esprit  un  tel  tourbillon  de  souvenirs  et  d'images  que  je  crus 
devenir  fou '.  »  On  note  toujours  ce  tourbillon  de  pens^es  a  la 
suite  des  doutes,  des  sentiments  de  depersonnalisation  ^ 

Au  contraire,  si  le  ph^nom^ne  primaire  arrive  a  se  d^velopper, 


I.   Paulban,  L'activiU  mentale  et  les  Elements  de  Vesprit,  p.  34a  (Paris,  F.  Alcan). 
a.  Bernard  Leroy,  U illusion  de  fausse  reconnaissance,  p.  ia6.  (Paris,  F.  Alcan). 
3.  Dugas,  Revue  philosophique,  1898,  I,  p.  5o6. 


INTERPRETATION  DES  AGITATIONS  FORGfiES  567 

il  n*y  a  pas  de  rumination.  Vk...  ne  peut  agir  que  lentement,  si 
on  veut  la  presser,  elle  n'agit  pas  et  tombe  dans  les  ruminations, 
si  elle  peut  agir  lentement,  elle  fera  Facte  et  ne  revera  pas  du 
tout.  On  a  deja  vu  que  Wo...  tombe  dans  les  manies  mentales  si 
Temotion  est  subite  et  par  consequent  incomplMe  et  qu'elle  n'y 
tombe  pas  si  elle  a  le  temps  de  preparer  et  par  consequent  <(  de 
r^ussir  son  Amotion  ». 

Enfin,  on  est  souvent  frappe  de  la  facilite  avec  laquelle  un  de 
ces  phenomeues  secondaires  se  transforme  en  un  autre,  tandis 
quHl  est  impossible  de  les  supprimer  tons  a  la  fois  tant  que  le 
sujet  reste  psychasthenique.  Si  on  emp^che  le  sujet  de  ruminer 
ou  s'il  essaye  lui-mdme  de  ne  plus  s'interroger,  il  tumbe  dans 
Tangoisse  conime  s'il  y  avait  la  une  excitation  qui  devait  se 
d^penser  d'une  mani^re  ou  d^une  autre.  Claire  remarque  elle- 
memle  qu'elle  a  cc  un  besoin  fou  de  se  tourmenter  par  une  manie 
quelconque,  je  me  demande  quel  tourment  je  pourrai  bien 
prendre,  je  suis  trop  g^n^e  quand  je  reste  tranquille  ».  Red... 
avait  des  angoisses  et  des  vomissements,  et  c*est  quand  ces  ph6- 
nomenes  ont  ete  supprimes  qu'elle  a  pris  ses  manies  de  ru- 
mination mentale.  L'observation  la  plus  remarquable  a  ce  propos 
a  laquelle  je  renvoie  est^celle  de  Ku...  A  la  suite  d'une  Amotion 
elle  tombe  dans  Tetat  psychasthenique  avec  aboulie,  troubles 
de  la  perception  du  r^el,  apathie,  etc.  Pendant  une  premiere 
periode  de  plusieurs  mois,  elle  est  tourment^e  par  des  inter- 
rogations et  son  esprit  travaille  tout  le  temps,  puis  survient 
une  seconde  periode  de  plus  d'un  an  sans  rumination  men- 
tale,  mais  avec  des  contorsions  continuelles  et  des  crises 
d*agitation  que  Ton  prend  bien  a  tort  pour  des  crises  d^hyst^rie. 
Enfin  elle  passe  a  une  troisieme  forme  de  la  maladie  quand  elle 
n'a  plus  de  crises  convulsives,  mais  des  troubles  cardiaques,  res- 
piratoires,  digestifs,  une  tr^mulation  continuelle  du  diaphragme 
et  d^horribles  angoisses.  N'est-ce  pas  la  meme  maladie  qui  a 
amene  la  derivation  sous  les  trois  formes  ? 

Je  crois  done  que  Ton  peut  considerer  ces  crises  d*agitations 
forcees  non  seulement  comme  une  sorte  de  reaction  du  sujet 
contre  la  douleur  produite  par  Tinsuffisance  psychologique  du 
debut,  mais  comme  une  derivation  dans  laquelle  se  depensent  les 
forces  qui  n*ont  pu  etre  employees  par  la  volonte,  Tattention  ou 
remotion  initiale. 

Ces  crises  sont  done  vraiment  caracterisees  par  Tabaissement, 


568  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

la  chute  cle  la  tention  psychologique  qui  constitue  leur  debut. 
Non  seulement  cette  chute  de  tension  determine  la  lacune  ini- 
tiale  si  iniportante,  mais  elle  amene  encore  tout  le  d^veloppe- 
ment  irresistible  consecutif;  elles  meritent  bien  le  nom  de  crises 
de  psycholepsie. 


3.  —  Interpretation  des  troubles  systimatiais. 

Quelle  que  soit  Timportance  qu*on  accorde  a  ces  grands  ph6no- 
menes  g^neraux  qui  remplissent  les  crises  de  psycholepsie,  les 
sentiments  d'iucompletude,  et  les  agitations  forcees,  il  est  Evi- 
dent que  Tinterpr^tation  de  ces  faits  nous  laisse  assez  loin  de 
Tobs^de  et  du  phobique,  tel  qu*il  se  pr^sente  le  plus  couramment 
quand  la  maladic  est  avancee. 

Les  ph^nomenes  precedents  ont  le  grand  caractere  d'etre 
vagues  et  difTus,  ce  sont  des  affaiblissements  de  toute  la  pensee, 
une  faiblesse  gen^rale  de  la  volonte  et  des  sentiments,  des  mou- 
vements  exageres  et  desordonn^s,  des  reveries  continues  et  in- 
nombrables,  des  Amotions  de  tout  Torganisme.  Or,  en  pratique 
un  tres  grand  norabre  de  sujets  protestent  quand  on  interprete 
ainsi  leur  maladie  «  ils  ne  sont  pas,  disent-ils,  incapables  de 
toute  volonte,  ils  savent  agir  dans  beaucoup  de  cas  et  actuelle- 
ment  encore  ils  exercent  une  profession  et  dirigent  leur  menage, 
ils  n'ont  pas  dans  leurs  crises  des  agitations  physiques  ou  morales 
diffuses.  C'est  une  certaine  action  qui  leur  est  devenue  impos- 
sible, un  certain  mouvement  qui  se  transforme  en  tic,  une  cer- 
taine operation  mentale  qui  les  tourmente  par  sa  repetition,  un 
certain  objet  qui  provoque  leurs  angoisses  et  rien  que  lui.  »  En  un 
mot  a  la  forme  diffuse  de  la  maladie  se  surajoute  la  forme  precise 
et  systematique.  Bien  des  auteurs  sentent  parfailement  que  la 
forme  systematisee  sort  de  la  forme  diffuse.  MM.  Pitres  et 
Regis  ont  beaucoup  insiste  sur  ce  point,  mais  la  plupart  se 
bornent  a  constater  la  transformation  et  cherchent  gufere  a  Tex- 
pliquer. 

Dans  cette  systematisattion  de  la  maladie  il  y  a  deux  aspects 
et  deux  formes  differentes  a  consid^rer.  Ce  qui  se  precise 
d'abord  c'est  le  ph^nomene  primaire,  point  de  depart  de  la  crise 
de   psycholepsie.   Ce  ne  sont  plus  tous  les  actes,  mais  un  acte 


INTERPRfiTATION  DES  TROUBLES  SYSTfiMATlSfiS  560 

d^termin^y  qui  est  insuffisant  et  amene  la  derivation ;  c'est  une 
certaine  attention,  une  certaine  croyance,  un  sentiment  parti- 
culier  qui  s'arretent  plutot  que  les  autres.  Nous  designerons  cc 
fait  sous  le  nom  de  specialisation  des  insuffisances  psycholof^iques, 
Ensuite  quand  la  derivation  commence  elle  prend  une  forme 
determinee,  une  manie  mentale  particuliere  se  substitue  a  la  ru- 
mination generate,  un  tic  a  Tagitation  motrice,  une  phobie  a  Tan- 
^oisse  diffuse,  c'est  ce  que  nous  appellerons  la  systematisalion  de 
la  derivation. 


1.  —  La  specialisation  des  insuffisances  psychologiques. 

Etudions  d'abord  le  premier  fait  :  comment  se  fait-il  quand  la 
volonte,  Tattention,  la  sensibilite  baissent  d^une  mani^re  gene- 
rale,  qu'un  certain  acte  soit  le  seul  a  manifester  cet  abaisse- 
mcnt?  Je  r^pondrai  d'une  mani^re  gdn^rale  que  c*est  tout 
simplement  parce  que  cet  acte  est  par  nature  ou  qu*il  est  devenu 
par  accident  le  plus  diflScile  de  la    vie  du    malade. 

Pour  le  comprendre,  il  faut  se  souvenir  d'une  notion  gen^rale 
aussi  importante  que  celle  de  la  hidrarchie  des  phenom^nes,  c'est 
que  toutes  les  actions  ne  pr^sentent  pas  toujours  la  meme  diffi- 
culte  et  n^exigent  pas  toutes  pour  etre  suflfisantes  le  m^me  degre 
de  tension.  L'homme  n'a  pas  besoin  de  depenser  toujours  son 
maximum  d'effort,  il  n'est  pas  necessaire  qu'il  atteigne  perpe- 
tuellement  les  termes  les  plus  elev^s  de  la  hierarchic  mentale, 
meme  quand  il  est  capable  de  le  faire.  Ce  que  nous  avons  dit 
de  Tacte  proprement  volontaire,  de  la  decision,  de  la  croyance, 
du  sentiment  profond  adapte  au  reel  est  vrai  de  certains  actes 
parfaits  et  non  pas  de  tons.  Nous  agissons  tres  souvent  sans  avoir 
besoin  de  prendre  a  chaque  instant  des  resolutions  volontaires, 
des  decisions  nouvelles  qui  transforment  notre  vie;  nous  pensons 
sans  avoir  besoin  de  choisir  a  chaque  instant  entre  des  croyances 
et  des  negations.  11  en  est  ainsi  meme  pour  la  perception  du  red  : 
il  ne  faudrait  pas  croire  que  ce  travail  considerable,  tel  qu'il  a  ete 
decrit,  s'effectue  a  chaque  instant  dfes  que  nous  ouvrons  les  yeux. 
II  se  fait  de  temps  en  temps  et  il  nous  laisse  un  souvenir  sufR- 
sant  pour  que  Timpression  de  realtte  subsiste  malgre  une  per- 
ception reduite  a  des  traits  essentiels.  On  Ta  dit  bien  souvent, 
nous  percevons  par  symbole  :  un  signe,  une  image  nous  sufGsent 
pour  reconnaitre  une  personne  et  il  nous  suffit  de  savoir  vague- 


570  THEORIES  PATH0G£N1QUES 

meot  qu*avec  un  peu  d*atteiitioii  oous  amenerions  cette  percep- 
tion a  un  degr6  complet  de  certitude  et  de  r6alit^.  Cette  simple 
id^e  nous  suflSt  pour  nous  rassurer  et  nous  faire  attribuer  a  toute 
la  perception  le  caract^re  de  rdalit^.  En  un  mot  ce  n'est  que 
dans  certains  phenomenes  que  se  manifeste  cette  tension  psy» 
chologique  complete  qui  est  parfaitement  inutile  dans  les  autres. 

II  en  resulte  une  consequence  curieuse,  c'est  qu^un  individii 
pent  ^tre  psychasthenique  tres  longtemps  sans  s*en  douter  :  il 
n'ani^ne  pas  les  phenomenes  a  leur  dernier  terme,  mais  comme  il 
n*en  a  pas  besoin,  il  ne  cherche  pas  a  le  faire  et  ne  se  rend  pa& 
compte  qu'il  a  perdu  ce  pouvoir.  A  quel  moment  va-t-il  s'aperce- 
voir  de  cet  abaissement  du  niveau  mental  ?  Quand  les  circons- 
tances  vont  le  mettre  en  presence  d'un  ph^nomene  qui  exige 
cette  tension  sup^rieure;  il  est  done  tout  naturel  que  le  sentiment 
d*incompletude  ne   survienne  qu*a    propos   d'actes   determines. 

Quels  sont  ces  actes  ?  Ceux  qui  par  nature  sont  les  plus  difBciles 
pour  leshommesy  et  il  faut  mettre  au  premier  rang,  ainsi  que  je  le 
repete  sans  cesse,  les  actes  sociaux,  ceux  qui  supposent  la  consi- 
deration des  hommes  presents  etde  leur  sentiment  a  notre  egard. 
Cette  preoccupation  des  sentiments  que  les  autres  hommes  peu- 
vent  avoir  a  notre  egard  ajoute  toute  suite  a  Facte  que  nous 
faisons  une  complication  enorme  et  demande  une  tension  ner- 
veuse  inGniment  plus  considerable;  c'est  pourquoi  la  timidite 
qui  n*est  que  de  Faboulie  sociale,  Tintimidation  qui  n'est  qu'une 
derivation  emotionnelle  a  la  suite  de  cette  aboulie  sociale  vont  etre 
les  premiers  phenomenes  que  Ton  va  rencontrer.  Nous  avons  vu 
dans  des  cas  tr^s  nombreux  que  tons  les  accidents  ne  commen- 
caient  qu'en  presence  de  la  societe.  La  peur  de  la  rongeur,  la 
honte  des  moustaches,  la  honte  des  mouvements  du  corps,  les 
sentiments  varies  de  honte  a  propos  du  corps,  des  mains,  des 
pieds,  de  la  poitrine,  desboutons  surle  nez,  de  la  figure,  des  con- 
vulsions des  yeux,  tous  ces  troubles  innombrables  que  nous  avons 
enumeres  ne  commeucent  qu'a  Toccasion  d'actes  sociaux ;  toutes 
ces  personnes,  quand  elles  sont  seules,  ne  presentent  plus  aucun 
de  ces  accidents. 

Dans  certains  cas,  la  difference  entre  les  actes  se  precise 
admirablement :  Dev...  joue  tres  bien  de  son  instrument  quand 
il  est  seul  dans  sa  chambre  et  il  cesse  de  pouvoir  en  jouer  quand 
il  fait  partie  de  Torchestre  de  I'Opera.  On  appelle  cela  la  phobie 
deTorchestre,  c*est  d^abordTaboulie  de  Torchestre.  Bien  des  mala- 


INTERPRETATION  UES  TROUBLES  SYSTfiMATISfiS  571 

des  commeNadia,Cui...,nepeuYeDt  plus  manger  a  tableyinats  man*^ 
geot en  cachette.  On  a  ete  tres  surpris  de  voir  Vr . . . ,  cette  femme  cou- 
cheesur  son  lit  depuis  un  an  ii  cause  d\ine  pretendue  douleur  a 
Tut^ruSy  se  lever  en  cachette  et  marcher  dans  sa  chambre  quand  elle 
croyait  qu'on  ne  la  voyait  pas.  Ces  faits  font  toujours  accuser  les 
malades  de  simulation,  ils  me  paraissent  pourtant  bien  simples  : 
jouer  a  Torchestre,  manger  avec  les  autres,  c'est  surmonter  une 
foule  de  genes,  c'est  n^gliger  les  sentiments  qu'inspirent  les 
regards  braqu^s  sur  nous,  c'est  reconnaitre  nettement  et  r^elle- 
ment  que  Ton  s*est  tromp6  en  refusant  de  jouer  ou  de  manger 
depuis  six  mois.  Se  lever  de  son  lit  et  marcher  devant  des 
t^moins,  c'est  avouerouvertement  que  Ton  n*aaucunemaladie,  que 
Ton  pent  prendre  une  decision  demandee  depuis  longtemps,  c'est 
en  fait  se  r^soudre  a  prendre  cette  decision.  Au  contraire,  pour 
jouer  seul,  manger  et  marcher  en  cachette,  on  pent  beaucoup  plus 
rester  dans  Tind^cision,  on  se  dit  a  soi-meme  quecesquelques  bou- 
ch^es  et  ces  quelques  pas  ne  signifient  pas  grand'chose,  on  les 
accomplit  avec  beaucoup  moins  d'attention  en  leur  donnant  beau- 
coup  moins  d'importance,  c'est-a-dire  beaucoup  moins  de  r^a- 
lit6 ;  c*est  pourquoi  quand  la  tension  psychologique  est  abaiss^e 
on  pent  encore  faire  Facte  seul  ou  en  cachette  et  on  ne  pent  plus 
le  faire  devant  des  t^moins. 

Parmi  nos  diflr<6rentes  actions,  celles  qui  sont  aussi  tres  diffici- 
les  sont  celles  qui  impliquent  Tisolement,  Tabandon  loin  de  nos 
protecteurs  naturels  et  surtout  celles  qui  impliquent  la  lutte 
contre  nos  semblables.  Faire  une  action  au  milieu  d'intimes,  de 
parents  et  d'amis  que  Ton  sait  tout  disposes  a  la  sympathie  et  a 
rindulgence,  en  qui  on  est  certain  de  trouver,  le  cas  t^cheant,  un 
point  d'appui  est  infiniment  plus  facile  que  de  faire  le  mdme  acte 
au  milieu  d^indi£ferents  et  a  plus  forte  raison  au  milieu  de  con- 
currents hostiles.  La  surveillance  de  nous-mdmes,  la  complexity 
de  Tacte,  le  degv6  de  tension  est  absolument  difTerent.  Or,  il  y  a 
a  ce  propos  une  distinction  tout  a  fait  inevitable  dans  la  vie  des 
hommes,  c'est  Topposition  de  la  vie  en  famille,  chez  soi,  dans 
Tappartement  clos  dont  on  connait  tons  les  coins  et  de  la  vie  au 
dehors,  en  public  dans  la  rue.  Un  individu  tres  bien  portant, 
dont  la  force  psychologique  d^passe  de  beaucoup  la  tension  exi- 
g^e  par  les  actes  difficiles  ne  s'apergoit  pas  de  cette  difference : 
marcher  dans  sa  chambre,  fumer  une  cigarette  dans  sa  chambre, 


o72  TlieORlES  PATIlOGfiNIQUES 

ou  bien  marcher  dans  la  rue  et  fumer  dans  la  rue,  lui  parait  abso- 
lument equivalent;  il  ne  sent  m^me  pas  qu'il  v  aunpeu  plus  d*at- 
tention,  de  perception  d'objets  nouveaux,  de  surveillance  de  soi- 
m^me  dansle  deuxieme  acte  que  dans  le  premier.  Mais  nos  debi- 
les  vont  lesentir  tout  de  suite  :  Wya...  nepeut  plus  fumer  quand 
il  est  dans  la  rue,  quoiqu*il  n^ait  pas  d'obsession  a  ce  sujet,  cela 
le  gene  tout  simplement.  La  rue  est  en  eflfet,  depuis  Torigine  de 
Thumanit^,  le  lieu,  le  symbole  dc  Tisolement  et  de  la  lutte, 
c'est  la  vie  publique  oppos^e  a  la  vie  priv^e.  Serons-nous  surpris 
alors  de  voir  que  les  actes,  les  attentions,  les  sentiments  dans  la 
rue  vont  ^tre  le  point  de  depart  de  beaucoup  dc  g^andes  crises  de 
psycholepsie. 

Les  uns  vont  etre  frappes  par  le  sentiment  de  Tisolement : 
c'est  ce  qui  fait  qu'ils  veulent  dans  la  rue  un  soutien  quelconque, 
qu*ils  suivent  un  passant  pour  traverser  les  places,  qu'il  leur  faut 
avec  eux  un  enfant,  un  chien  ou  simplement  un  parapluie.  Les 
autres  vont  avoir  le  sentiment  de  la  lutte :  c^est  dans  la  rue  qu'on 
les  regarde,  qu*on  les  surveille,  qu*on  les  critique  et  ils  consenti- 
ront  a  marcher  la  nuit  et  non  le  jour.  D'autres  encore  auront  le 
sentiment  des  dangers  de  la  rue,  c*est  dans  la  rue  qu^on  est 
expose  a  toutes  sortes  d'accidents  qui  n'arrivent  pas  chez  soi : 
W...,  Lf...  (92)  par  exemple,  ont  peur  des  voitures,  des  gens  qui 
tombent  du  haut  d'une  echelle,  des  sergents  de  ville  qui  arr6- 
tent  si  on  fait  des  sottises,  etc.  Quand  on  observe  le  debut  des 
agoraphobics,  on  voit  tres  bien  cette  specialisation  progressive 
des  insuffisanccs.  Dob...  (86)  est  une  enfant  timide,  qui  avait 
horreur  de  parler  a  quelqu'un :  au  debut  c'etait  une  timidite 
generate,  une  aboulie  sociale.  Son  premier  acces  est  survenu  a 
Tage  de  onze  ans  quand  sa  mfere  Ta  envoy^e  faire  une  commis- 
sion dans  une  boutique :  elle  croyait  sV  trouver  seule  avec  la 
patronne,  elle  y  a  rencontre  une  autre  cliente,  de  la  «  cette  Amo- 
tion qui  lui  a  dess^che  le  cerveau,  »  le  sentiment  d'abaissement, 
d'^trangete,  d'angoisse  morale,  etc.  Plus  tard  Taccident  est  sur- 
venu, quand  elle  croisait  dans  la  rue  une  personne  unpen  connue; 
et  enfin  il  survient  simplement  par  la  rue  elle-meme.  C'estTabou- 
lie  sociale  qui  est  le  point  de  depart  de  ces  diflerentes  formes 
d'agoraphobie. 

Si   nous   continuous   cette   ^tude,  nous   rencontrons    un    acte 
extr^mcment    difficile     a     tons     les    points    de     vue,    c'est    le 


IXTERPRfiTATION  DES  TROUBLES  SYSTfiMATISfiS  573 

manage  et  les  actes  genitaux.  Tout  se  mele  ici  pour  faire  de  ce 
ph^nomene  uuedes  actions  les  plus  complexes:  nouveautepresque 
toujourstres  grande  de  la  persoiine  qu*on  Spouse,  complexity  des 
visagesetdescaracteresd'une  famillenouvelle, gravity deTacteetde 
ses consequences,  preoccupation  de  Tavenir,  etc. ,  etc.  Les  personnes 
les  plus  normales  eprouventace  moment  des  sentiments  d^efibrt  et 
de  tension.  Est-il  surprenant  que  nos  aboultques  manifestent  a 
ce  moment  d^une  mani^re  remarqunble  leur  faiblesse.  On  ne  pent 
enum^rer  tons  lescas  oil  les  crises  de  folie  du  doute,  d'angoisse, 
d'agitation  commencent  avant  ou  apres  le  mariage.  On  connait  l|f 
malade  qui  se  demande  st  sa  fiancee  est  jolie,  si  elle  n'a  pas  dans  la 
figure  un  trait  dur  auquel  il  ne  pourra  pas  s'habituer,  la  jeune 
(ille  qui  a  la  manie  de  s'interroger  pour  savoir  si  elle  aime  assez 
son  fianc^,  ceux  qui  ont  des  terreurs  en  songcant  aux  devoirs 
de  la  famille,  qui  se  croient  incapables  de  les  remplir,  ceux  qui 
craignent  de  n'avoir  aucune  rcssource,  les  jeunes  gens  et  les 
jeunes  Giles  qui  examinent  leurs  organes  genitaux^  qui  les  croient 
insuflisants,  les  impuissants,  les  femmes  a  vaginisme,  etc.  :  c'est 
toute  une  legion  de  psychasth^niques  qui  sp^cialisent  leur  insuf- 
fisance  a  Facte  du  mariage. 

On  ne  sera  pas  surpris  si  je  rapproche  Facte  genital  des 
actes  sociaux.  II  exige  pour  etre  normal  la  presence  d'une 
autre  personne,  d*une  personne  differente,  il  fait  naitre  des 
g^nes  et  des  timidit^s,  il  est  fortement  emotionnant,  il  est  dan- 
gereux  par  ses  consequences,  il  est  represents  comme  immoral : 
c'estassezpour  qu'ildevienne  extr^mement  complexe,  etqu'il  exige 
a  ce  moment  une  forte  tension  vers  le  reel.  Cette  tension  est  encore 
plus  marquee  dans  Torgasme  venerien,  Tune  des  plus  fortes 
emotions  du  present. 

II  en  rSsulte  que  les  troubles  de  Facte  genital  vont  6tre 
innombrables  chez  ces  abouliques  :  la  masturbation  solitaire  n*est 
peut-etre  qu'une  premiere  forme  des  aboulies  sociales.  L'im- 
puissance  a  Facte  genital  normal,  la  chastetS  excessive  a  un 
age  avance  chez  des  individus  qui  semblent  se  conduire  nor- 
malement  est  deja  quclquefois  un  signe  de  psychasthenic. 
M.  Guyon  signalait  le  debut  tardif  des  rapports  genitaux  chez 
tons  les  rateuf's.  Nous  ne  serons  pas  surpris  de  voir  se  developper 
toutes  sortes  de  phobies  et  d'algies  par  rapport  aux  organes 
sexuels  associSes  avec  un  acte  qui  est  si  souvent  incomplet.  Les 
hyperesthSsies  du  gland  chez  Jean,  la  terreur   des  odeurs  g^ni- 


574  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

tales  chez  Wy...,  la  phobie  des  femmes,  etc.,  tout  ce  groupe  de 
ph^nomenes  a  le  meme  point  de  depart.  Si  I'acte  s'accomplit  tant 
bien  que  mal,  il  ne  va  pas  jusqu'a  son  terme  psychologique,  le 
sujet  en  g^tnit  et  nous  avons  toutes  les  manies  de  perfection  par 
rapport  au  coit  qui  troublent  tant  de  femmes  et  qui  am^nent 
meme  des  idees  de  persecution  contre  le  mari.  II  y  a  dans  tons 
ces  faits  une  specialisation  tres  naturelle  de  la  psychasthenic 

Si  nous  passons  a  un  autre  groupe  nous  allons  retrouver  les 
oremes  remarques  a  propos  d^actions  toutes  differentes,  des  actions 
professionnelleSy  en  y  comprenant  bien  entendu  les  attentions  et 
les  sentiments  qu'exige  la  profession.  II  y  a  encore  a  ce  point  de 
vue  un  prejuge  forme  par  Topinion  commune  des  gens  bien  por- 
tants,  c'est  que  la  profession  est  la  partie  banale^  habituelle, 
facile  de  la  vie  et  que  la  volonte  se  depense  bien  plus  en  dehors  ; 
cela  n'est  juste  que  dans  les  cas  exceptionnels.  L'homme  du 
commun  depense  les  neuf  dixi^mes  de  sa  force  dans  sa  profession. 
Quand  il  est  en  dehors  il  ne  fait  plus  aucune  espece  d'effort  et  il 
est  curieux  de  remarquer  comment  il  n'apprend  plus  rien, 
ne  cherche  plus  rien ,  comme  il  repute  les  m^mes  plaisanteries  banales 
en  se  laissant  aller  visiblement  a  un  veritable  automatisme,  des 
qu*il  a  cesse  le  travail  exige  par  son  metier.  C'est  dans 
sa  profession  aucontrairequ'ilest  actif,  attentif^qu'ila  des  emotions 
Justes,  qu'il  lutte  contre  les  concurrents,  qu'ils'adapte  au  present. 
II  en  resulte  que  dans  tous  les  affaiblissements  de  Tesprit  c*est  Facte 
professionnel  qui  est  le  plus  difHcile  pour  la  plupart  des  hommes  et 
c'est  celui  qui  disparait  le  premier.  Nous  avons  vu  bien  desabou- 
liesprofessionnelles,amener  par  derivation  desphobies  profession- 
nelles,  aboulie  de  la  couture  et  peur  des  ciseaux  chez  Nem. . .  coutu- 
riere,  aboulie  du  metier  et  peur  du  rasoir  chez  Pt...,  barbier, 
aboulie  du  metier  et  phobie  du  telegraphe  chez  Lch...,  employe 
des  postes.  C*est  aussi  dans  le  metier  que  nous  avons  vu  les 
manies  mentales  en  quelque  sorte  professionnelles,  Taboulie  du 
metier  et  la  manie  de  Toscillation  chez  Tr...  qui  fabrique  des 
fleursen  porcelaine,  Tincapacite  de  tenir  des  comptes  et  la  manie 
de  I'hesitation  pour  rendre  de  Targent  chez  Rob...,  caissiere; 
c'est  la  qu'on  a  vu  egalement  des  tics  comme  derivation  de 
I'aboulie  professionnelle.  Le  plus  important  de  tous  est  la 
crampe  des  ecrivains  :  Cr...,  homme  de  44  ans,  «  est  degoilte  de 
travailler  au  bureau,  il  voudraitetre  riche  pour  ne  rien  faire.  »  Si, 


INTERPRETATION  DES  TROUBLES  SYSTfiMATISfiS  575 

par-dessus  le  march^,  il  a  un  ennui  au  bureau,  il  ne  peut  plus  du 
tout  ^crire.  An...,  ferame  de  35  ans,  n'a  plus  le  courage  de  se 
mettre  a  ses  copies,  «  ce  travail  lui  parait  ridicule  et  honteux  »:  c*est 
Tinsuffisance  et  le  sentiment  d'incompl6tude.  Bile  s'aper^oit 
qu'elle  ne  peut  plus  tenir  sa  plume  et  qu'elle  a  des  crampes  dans 
la  main :  c^est  la  derivation  sous  forme  motrice.  Ajoutons  chez 
Lov...  des  ph^nom^nes  de  timidity  car  il  peut  6crirequand  il  est 
seul  et  non  quand  il  est  a  la  caisse,  devant  le  public  et  nous  ver- 
rons  cpmment  la  profession  est  dans  bien  cas  la  raison  d'etre 
de  cette  specialisation  des  insutlisances,  simplement  parce  que 
c*est  elle  qui  demande  le  plus  de  tension  psychologique  vers  la 
r^alite. 

Aux  phenomenes  du  groupe  precedent  que  Ton  peut  d'ailleurs  faci- 
lement  augmenter,  il  faut  joindredesactes,  des  attentions  et  des 
sentiments  tout  h  fait  diff^rents.  Leur  difficult^  n'est  pas  natu- 
relle,  elle  ne  r^sulte  pas  d'une  complexity  fondamentale  des  cho- 
ses ;  mais  leur  idifficult6  est  en  quelquesorte  artificielle,  elle  r6sulte 
du  sujet  lui-meme  et  de  la  fa^on  dont  il  veut  que  cet  acte  soit  op^r^. 
Nous  pouvons,  en  effet,  commc  jeTai  dit,  accomplirles  actions  de 
diverses  mani^res,  soit  d*une  fagon  el6mentaire  sous  la  forme  des 
actions  desinteress6es  et  par  consequent  avec  peu  de  tension, 
soit  en  faisant  un  effort  pour  les  mener  a  la  perfection  psycho- 
logique a  la  fonction  du  r^el,  et  par  suite  avec  une  haute  tensioa« 
Une  operation  qui  esttres  facile,  accomplie  de  la  premiere  mani^re 
pent  devenir  extrememeut  difficile,  si  nous  voulons  absolument 
la  faire  de  la  seconde.  Un  enfant  recite  ses  prieres  sans  aucune 
difficulte,  il  se  peut  meme  qu'en  raison  de  Teducation,  il  y  joigne 
un  certain  sentiment  religieux  sans  le  chercher  d'ailleurs; 
mais  se  represente-t-on  combien  cette  priere  deviendrait  difficile 
s*il  voulait  Taccomplir  avec  un  sentiment  de  foi  complete,  une 
conviction  a  la  fois  raisonnee  et  sentimentale  de  Texi^tence  de 
Dieu,  de  sa  providence,  etc.  Ce  serait  toute  une  philosophic, 
toute  une  religion,  qu'il  faudrait  condenser  dans  son  esprit  en 
quelques  instants. 

S'il  en  est  ainsi,  on  comprend  que  la  specialisation  de  rinsufii- 
sance  psychologique  pourra  se  faire  d*une  mani^re  en  quelque 
sorte  artificielle,  si  pour  une  raison  quelconque  le  sujet  faible  est 
amene  a  vouloir  transformer  un  certain  acte  qui  se  faisait  facile- 
ment    d'une    maniere    elementaire   et    a    vouloir   le    faire    avec 


576  THEORIES  PATHOG^NIQUES 

le  maximum  de  perfection  psychologique.  Cela  va  arriver. 
quand  le  sujet  va  Hre  convaincu  de  Timportance  exceptionnelle 
de  cet  acte.  Comment  se  fait-il  que  les  trois  quarts  de  nos  ma- 
lades  aient  debute  par  une  crise  de  scrupule  religieux  au  moment 
de  la  premiere  communion  ?  Qu'il  y  ait  a  ce  moment  un  afiaiblis- 
sement  de  Torganisme  par  la  puberty,  c*est  possible  ;  mais 
pourquoi  Taboulie  nc  se  manifeste-t-elle  si  souvent  que  par  Tim- 
puissance  a  accomplir  les  actes  religieux  ?  Pourquoi  ces  enfants^ 
continuent-ils  a  pouvoir  travailler,  lire,  apprendre,  d^une  maniere 
a  peu  pres  convenable,  quand  ils  pretendent  ne  plus  ^tre  capa- 
bles  de  suivre  la  messe  ou  de  dire  une  priere  ?  C*est  qu*en 
r^alit^  ils  ont  toujours  ires  peu  d'attention,  que,  s'ils  vou- 
laient  bien  le  remarquer,  ils  n'arrivent  ni  a  la  conviction,  ni  au 
sentiment  du  r^el  dans  aucune  operation.  Mais  cela  leur  est  in- 
diflerent,  ils  ne  remarquent  meme  pas  que  leur  perception  est 
troubl^e,  parcequ'ils  se  contentent  du  souvenir  des  anciens  senti- 
ments de  r^alite  qu'fls  avaient  eus  autrefois  ;  ils  ne  cherchent  le 
sentiment  actuel  de  confiance,  de  foi,  de  reality  que  dans  les 
actes  religieux,  parce  que  toute  leur  education  a  ce  moment-lii, 
les  a  conduits  a  n*accorder  d*importance  qu'a  ces  actes.  II  en 
resulte  qu'ils  cherchent  au  moment  de  la  priere  et  a  ce  moment 
seulement  une  tension  psychologique  quails  ne  peuvent  pas  avoir. 

II  va  en  ^tre  ainsitouteslesfois  que  pour  une  raison  quelconque 
Tattention  du  sujet  sera  attir^e  vers  un  certain  acte,  et  qu*il  cher- 
chera  dans  cet  acte  une  perfection  psychologique  qu'il  ne  cherche 
pas  dans  les  autres.  Wo...,  apres  avoir  eu  des  scrupules  a  propos 
dans  les  pri^res,  presente  des  crises  de  psycholepsie  a  propos  des 
comptes  de  manage.  Ces  comptes  sont  d'ailleurs  la  terreur 
de  bien  des  femmes  (Kl...,  Xyb...,  etc.).  Cest  parce  que  <c  elle 
croit  de  son  devoir  de  faire  au  moins  cela  de  serieux  dans  son 
manage,  qu'elle  craint  par  sa  distraction  maladive  de  faire  du 
tort  aux  pauvres  fournisseurs  »,  c*est  a  cause  de  cette  attention 
qu'elle  a  des  crises  de  quarante-huit  heures  parce  qu*elle  a  peur 
d'avoir  vol^  deux  sous  au  Bon  March^.  Elle  n'arrive  pas  a  la  certi- 
tude dans  les  additions  qui  ont  rapport  a  son  menage,  pas  plus 
qu'elle  n'arrivait  a  la   conviction  dans    les  prieres. 

Une  foule  de  meres  de  famille  ont  des  phobies  et  des  doutes 
relatifs  a  leurs  enfants.  Elles  peuvent  tout  faire  sauf  de  les  soi- 
gner  correctement,  c^est  a  ce  moment  qu'elles  se  sentent 
insufTisantes  et  qu'clles  ont   des  derivations.  Cest  que  pour  une 


INTERPRETATION  DES  TROUBLES  SYSTfiMATlSfiS  577 

jeune  mere  Facte  de  soigner  un  petit  enfant  ne  se  pr^sente  pas 
comme  une  operation  simple,  elle  y  joint  toutes  sortes  de  pre- 
occupations imaginaires,  de  r^ves  d'avenir^  de  dangers  possibles, 
de  responsabilit6s,  etc.  L'acte  n'est  pas  simplement  le  fait  de 
baigner  un  enfant,  c*est  un  acte  qui  devient  complexe  comme 
les  actes  sociaux  par  toutes  les  iddes  accessoires  qu*il  faut  coor- 
donner  avec  lui.  11  en  r^sulte  qu*il  devient  extr^mement  diffi- 
cile, le  plus  difficile  au  milieu  de  la  vie  simple  de  ces  femmes, 
et  c*est  lui  seul  qui  manifeste  la  faiblesse.  Cette  insuffisance 
sp^cialis^e  amene  comme  derivation  des  troubles  dmotionnels  et 
Ton  dira  trop  souvent  que  Facte  est  difficile  parce  que  ces  fem- 
mes s'emotionnent.  C'est  le  renversement  des  termes  :  pourquoi 
s*emotionnent-elles  ainsi  sans  raison  toujours  a  propos  du  meme 
acte,  s*il  n*y  avait  pas  une  impuissance  fondamentale  pour  un 
acte  devenu  difficile  qui  determine  cette  derivation  ? 

On  comprend  que  toutes  sortes  de  circonstances  puissent  ainsi 
attirer  Tatteution  sur  certaines  parties  du  corps,  sur  certaines 
fonctions  du  corps  ou  sur  certaines  operations  mentales.  Chez  un 
psychasthenique  avec  diminution  generale  de  toutes  les  fonctions, 
une  douleur  quelconque  va  attirer  Tattention  sur  un  organe  ou 
sur  une  fonction.  Immediatement  cette  fonction  deviendra  plus 
difficile,  cessera  de  pouvoir  se  faire  et  ainsi  se  precisera  a  ce 
moment  cette  angoisse  qui  etait  flottante.  Un  pen  de  pyrosis 
sera  le  point  de  depart  des  algies  de  Testomac,  une  douleur 
intestinale  des  algies  du  ventre,  des  phobies  dela  defecation.  Les 
hemorroifdes  jouent  un  r6le  capital  dans  les  algies  de  I'anus.  La 
pharyngite  chronique  fait  naitre  la  phobic  dulangage  chez  Bq...: 
une  broucho-pneumonie  donne  les  phobies  de  la  respiration,  une 
migraine  les  algies  de  la  tete,  le  fait  d'avaler  de  travers  ou  simple- 
ment de  voir  avaler  de  travers  va  amener  pen  a  peu  les  phobies  de 
deglutition.  Combien  de  ticsde  la  bouche  sont  dus  uniquementa 
une  mauvaise  dentition,  et  combien  de  phobies  vesicales  et 
uretrales    sont  en  rapport  avec  une  malheureuse  blennorrhagie. 

Des  circonstances  exterieures  peuvent  jouer  le  meme  role, 
Mv...  a  la  phobic  d'etre  aveugle  parce  qu'elle  a  vu  jouer  un  musi- 
cien  aveugle,  Ot...  prend  la  terreurdespetits  bruits  parce  qu'il  a 
entendu  sa  belle-mere  croquer  des  dragees. 

11  ne  faut  pas  oublier  que  ces  malades  par  le  fait  de  leur  insuf- 
fisance ont  deja  un  etat  mental  special,  etqu*ils  ont,  comme  on  le 

LES  OBSfeSSIONB.  I.    —  87 


578  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

verra,  des  manies  mentales  qui  ne  sont  que  la  syst^matisation  de 
I'agitation  de  leur  esprit.  Ces  manies  mentales  les  poussent  a 
donner  une  attention  excessive  a  certaines  choses  et  vont  con- 
tribuer  a  leur  tour  a  specialiser  les  actes,  les  croyances  et  les 
sentiments  qui  sont  le  point  de  depart  des  crises.  On  ne  peut 
gu^re  expliquer  autrement  le  fait  si  g^n6ral  de  la  micromanic . 
Chez  un  grand  nombre  de  ces  malades  ce  ne  sont  pas  les  grandes 
choses  et  les  graves  actions  qui  d^terminent  des  crises,  ce  sont 
les  petits  objets,  les  actes  insignifiants,  les  petites  taches  de 
graisse,  les  bouts  d'allumettes,  les  petits  mots  passes  dans  une 
priere,  les  petites  distractions  a  table.  Cette  specialisation  de  Tin- 
suffisance  a  propos  des  petites  choses  me  parait  tenir  a  deux 
raisons.  C'est  d'abord  que  les  circonstances  graves  sont  chez  eux 
excitantes  et  relevent  leur  niveau  mental,  tandis  que  les  petites 
les  laissent  dans  la  depression.  C'est  aussi  que  leur  manie  de  la 
precision  les  pousse  a  attacher  de  Timportance  a  toutes  ces  petites 
actions,  a  chercher  a  leur  propos  une  perfection  et  une  certitude 
qu'ils  sont  incapables  d'atteindre.  C'est  pour  la  meme  raison  que 
les  chiffres  exercent  une  attraction  sur  eux,  ils  esperent  y  trou- 
ver  une  certitude  qu'ils  n'ont  pas  ailleurs,  et  leurs  efforts  a  ce 
propos  n'amenent  que  des  crises  nouvelles.  II  ne  faut  pas  oublier 
leur  manie  d'association  sur  laquelle  j'ai  tant  insiste,  ils  cher- 
chent  perpdtuellement  les  ph^nom^nes  qui  peuvent  se  rattacher 
a  leur  preoccupation  et  ainsi  ils  rendent  de  nouveau  ces  nouveaux 
phenomenes  plus  difSciles. 

Toutes  ces  etudes  nous  montrent  done  que  raboulie,le  defaut  de 
de  croyance,  la  fatigue  de  Tattention,  ne  sont  g^n^rales  qu'en 
theorie  ;  en  pratique  elles  se  manlfestent  davantage  pour  les  ope- 
rations qui  sont  naturellement  ou  artificiellement  les  plus  diffici- 
les.  II  en  r^sulte  que  les  insuRisances  psychologiques  se  sp^ciali- 
sent  a  ces  ph^nom^nes  et  amenent  uniquement  a  la  suite  de  ces 
actions  determin^es  tous  les  accidents  qui  ont  He  consid^r^s 
comme  des  derivations. 

2.  —  La  systematisation  de  la  derivation, 

Le  principe  de  la  derivation  nous  a  explique  d'une  maniere  ge- 
nerale  comment  les  diverses  agitations  de  Tesprit  et  du  corps, 
les  excitations  viscerales  qui  forment  les  angoisses  n'etaient  que 
des  depenses,  des  derivations  d'une  force  inemployee  a  cause  de 


INTERPRETATION  DES  TROUBLES  S^STI^iMATlSfiS  57» 

la  suppression  des  ph^nomenes  sup^rieurs.  Cela  ne  suflfit  pas 
pour  rendre  compte  des  formes  toutes  particulteres  que  pren- 
nent  dans  chaque   cas   determine   ces   derivations. 

Quelquefois  ces  derivations  restent  vagues  et  diffuses,  on  a  vu 
la  fuite  des  pens^es,  le  mentisme  qui  correspond  a  Texcitation 
diffuse  de  la  pensee,  I'agitation  motrice  ind^termin^e  et  Tan- 
goisse  diffuse,  mais  le  plus  souvent  des  manies  mentales,  des 
tics,  des  phobies  speciales  remplacent  ces  agitations  diffuses. 
L'op6ration  qui  joue  le  role  de  derivation  reste  inferieure,  mais 
elle  prend  une  apparence  syst^matique  toujours  la  meme,  c*est 
ce  que  j'appellerai  la  system atisat ion  de  la  derwation. 

Cette  syst^matisation  me  parait  se  former  assez  facilement  par 
la  simple  Evolution  de  la  maladie,  elle  r^sulte  de  trois  principes 
g^n^raux  qui  determinent  la  nature  des  phenomenes  du  p4ycha- 
sthenique. 

La  premiere  raison  de  cette  systematisation  me  parait  etre 
simplement  la  predisposition  individuelle  :  chacun  de  ces  sujets 
reagita  la  maladie  d'une  mani^re  particuliere  suivant  sa  nature 
et  son  education.  Ainsi  il  m'a  semble  que  Ton  rencontrait  plus 
d*angoisses  et  de  phobies  chez  les  malades  de  Thopital  ayant  peu 
d^education  intellectuelle  et  que  Ton  rencontrait  plus  de  manies 
mentales  chez  les  malades  de  la  ville  habitues  aux  exercices  de 
Tesprit.  De  m^me  on  rencontre  plus  de  tics  chez  lessujetsjeunes 
que  chez  les  sujets  ages. 

Le  second  principe  est  le  principe  de  Thabitude.  Ball  disait 
autrefois*:  a  La  folic  du  doute  est  essentiellement  caracterisee 
par  une  sorte  de  prurit  cerebral,  que  rien  ne  pent  satisfaire,  la 
repetition  des  memes  actes,  des  m^mes  questions  et  des  m^mes 
pensees  tient  a  un  phenom^ne  organique  qui  ramene  sans  cesse 
les  memes  impressions.  »  Cette  reflexion  est  trfes  juste  et  nous 
aurons  a  Futiliser  encore  en  parlant  des  obsessions.  L*etat  pe- 
nible  determine  par  Tinsuffisance  psychologique  est  toujours  le 
meme,  et  chaque  fois  qu*il  se  represente  il  dispose  le  sujet  a  re- 
commencer  exactement  les  memes  pensees.  Cela  est  d^autant  plus 
vrai  que  le  psychasthenique,  dans  cet  etat,  est  plus  que  jamais 
un  individu  sans  volonte,  incapable  de  modifier  son  etat  mental 
et  d'echa'pper  a  la  tyrannic  des  impressions  qui  ramenent  les 
memes  idees.  Precisement  parce  qu'il  est  toujours  tres  dispose  it 

I.  Ball,  Revue  scientifique,  1883,  II,  p.  46. 


580  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

c^der  a  Thabitude ;  il  y  ob^it  plus  que  jamais  dans  les  derivations 
et  quand  il  a  commence  une   fois  une  crise  d'une  maniere  il  y  a 
bien  des  chances  pour  qu'il  fasse  toutes  les  autres  sur  le  meme 
'  modele. 

Le  troisieme  principe  sera  celui  de  la  meilleure  adaptation 
possible  :  il  est  n^cessaire  de  Texpliquer  davantage.  Le  point  de 
depart  de  la  crise  est  une  action  insuflisante  et  cette  adaptation 
incomplete  s*accompagne  de  sentiments  d'incompletude  extreme- 
ment  p^nibles.  II  y  a  la  un  etat  d'inqui^tude  tr^s  douloureux, 
qui  pousse  le  sujet  a  chercher  par  tons  les  moyens  possibles  a 
en  sortir.  Cette  douleul*  ne  nous  a  pas  paru  etre  suflisante  pour 
determiner  a  elle  toute  seule  toute  la  derivation  ;  mais  Tagitation 
mentale  et  physique  existant  reellement,  cette  douleur  que  res- 
sent  ie  sujet  doit  jouer  un  r6le  pour  la  diriger  en  tel  ou  tel 
sens.  Le  sujet  est  mal  a  son  aise  et  en  m^me  temps  son  esprit  est 
agite,  se  remplit  de  pens^es  de  toutes  especes.  Dans  quel  sens 
vont  se  diriger  ses  pens^es  ?  Les  pens^es  vont  etre  orientees  vers 
la  consideration  de  ce  malaise  et  vers  la  recherche  des  moyens 
pour  en  sortir;  les  agitations  vont  etre  dans  lamesuredu  possible, 
un  effort  pour  parvenir  a  Tadaptation  complete.  Elles  n'arrivent 
pas  au  resultat  a  cause  de  TinsuQisance  mais  elles  vont  etre 
aussi  pr^s  que  possible  de  cette  adaptation. 

II  en  resulte  que  sauf  dans  les  cas  de  grande  confusion,  les  de- 
rivations vont  toujours  avoir  un  certain  rapport  avec  le  pheno- 
mene  primaire  qui  n'a  pas  pu  etre  acheve.  Si  le  point  de  depart 
est  un  acte  insuUisant,  il  y  aura  dans  la  derivation  des  efforts 
intellectuels  et  physiques  en  rapport  avec  Tacte.  S*il  s^agit  d*une 
idee  surlaquelle  la  certitude  a  ete  impossible  il  y  aura  un  travail 
en  rapport  avec  la  recherche  de  la  certitude,  c'est  la  ce  qui  donne 
naissance  a  des  tics  et  a  des  manies  particulieres. 

Le  premier  de  ces  principes  semble  determiner  d*une  maniere 
generale  la  disposition  aux  grandes  categories  de  reaction.  II  est 
bien  difficile  d'expliquer  autrement  que  par  des  dispositions indi- 
viduelles  la  maniere  dont  un  homme  reagit  a  Tinquietude,  soit 
par  des  agitations  physiques,  soit  par  des  angoisses  viscerales, 
soit  par  des  ruminations  mentales.  Nous  retrouverons -davantage 
Tapplication  des  deux  autres  principes  dans  les  formes  particu- 
lieres que  prennent  chacune  des  reactipns. 

Les  angoisses  presententpeu  de  systematisation,  les  differences 


INTERPRfiTATION  DES  TROUBLES  SYSTfiMATISfiS  58i 

qu*elles  pr^sentent  tiennent  plutot  a  la  difference  des  objets  qui 
servent  de  point  de  depart  a  la  crise,  difference  que  nous  avons 
^tudi^e  sous  le  nom  de  specialisation  de  Tinsuffisance.  Ainsi,  les 
algies  Torment  un  groupe  de  ph^nomenes  assez  distinct,  leur  ca- 
ractere  distinctif  n*est  pas  dd  aune  modification  de  Tangoisse  fon- 
damentale,  mais  a  Tassociation  de  cette  angoisse  avec  lea  sensa- 
tions provenant  d'une  partie  determin^e  du  corps.  II  en  r^sulte 
que  les  algies  sont  ou  peuvent  etre  plus  continues  que  les  autres 
phobies  puisque  leur  cause  est  toujours  pr^sente.  On  pent  dire 
aussi  que  cette  intervention  d*une  partie  du  corps  determine 
quelque  modification  du  ph^nomene  :  les  angoisses  liees  avec  des 
sensations  cutau^es  comme  dans  les  diverses  dermatophobies 
contiennent  plut<)t  du  prurit,  celles  qui  sont  li^es  avec  les  sen- 
sations fournies  par  la  poitrine  ou  par  le  ccBur  dounentune  place 
plus  iraportante  aux  ^touffements,  celles  qui  sont  en  rapport  avec 
les  organes  sexuels  renferment  souvent  des  sensations  sp^ciales 
d'excitation,  comme  on  Ta  vu,  dans  la  maladie  de  Jean.  La  syste- 
matisation  ici  se  rapproche  beaucoup  de  la  specialisation. 

Dans  les  diverses  phobies  intervient  aussi  beaucoup  la  pensee 
de  Tacte  qui  sert  de  point  de  depart.  Quelquefois  il  y  a  au  debut 
un  sentiment  particulier  d'incompl^tude  qui  donne  a  Tangoisse 
une  nuance  sp^ciale,  les  agoraphobes  ont  souvent  avec  leurs  an- 
goisses le  sentiment  d'etre  isol^s,  d'etre  absolument  seuls  au 
monde,  d'etre  en  dehors  de  Tun ivers  (Cas...).  D^autres  sentiments 
d'humiliation  (Vof...),  de  crainte,  de  colere,  peuvent  modifier 
Tangoisse  fondamentale.  Je  remarque  en  effet  que  chez  quelques 
personnes  comme  Cos...  (i77)»  femme  de  44  ans  et  Vod...,  proba- 
blementa  caused'un  caract^re  irritable  ant^rieur,  Tangoisse  donne 
au  sujet  rimpression  qu'il  est  en  colore.  Ce  fait  est  loin  d'etre  in- 
signifiant  a  cause  des  obsessions  que  le  sujet  ne  va  pas  tarder  a  en 
tirer. 

Enfin  dans  certains  cas,  le  malade  pretend  ^prouver  une  emo- 
tion tout  a  fait  sp^ciale.  Nous  avons  vu  la  description  singuliere  de 
ce  que  Lae...  appelle  a  Temotion  du  chien  enragd  »,  emotion  qui 
vient  remplacer  tons  les  sentiments  en  rapport  avec  la  r^alite. 
L'analyse  de  cette  Amotion  du  chien  enrage  nous  montre  cepen- 
dant  les  memes  troubles  de  la  respiration  et  du  coeur  «  une  cris- 
pation  des  nerfs,  un  petit  tournoiementdu  ventre  et  le  sentiment 
qu'un  chien  leche  le  bout  des  doigts».  II  n'ya-gucre  en  reality 
que  cette   derni^re  sensation  qui   soit   bien   sp^ciale.   C'est  une 


582  THfiORIES  PATHOGfiNIQUES 

interpretation  intellectuelle,  comme  on  en  verra  dans  T^tude  des 
obsessions,  qui  vient  syst^matiser  Tangoisse. 

Les  manies  mentales  sont  le  phenomene  de  derivation  le  niieux 
systematise  et  qui  semble  presenter  la  plus  grande  vari^t^.  Cette 
system atisation  me  parait  dependre  du  troisieme  principe  :  Teffbrt 
vers  la  meilleure  adaptation  possible.  Si  au  point  de  depart  de  la 
criseil  s^agitd'une  action  a  accomplir  le  sujet  gardera  Thabitude 
d'avoir  un  certain  nombre  de  ruminations  qui  concerneut  les  ac- 
tes,  il  pr^sentera  la  manie  de  la  deliberation,  toutes  les  manies  qui 
ont  rapport  aux  precautions  et  aux  procedes,  la  manie  de  lenteur, 
la  manie  de  la  repetition,  du  retour  en  arriere,  la  manie  de  la  per- 
fection, de  surveillance  de  soi-meme,  la  manie  des  serments,  etc. 

S'il  Skagit  d*un  acte  negatif,  c*est-a-dire  d'une  action  a  repous- 
ser,  ces  m^mes  manies  presenteront  une  legfere  variante  :  ce  se- 
ront  surtout  les  manies  de  compensation,  les  manies  de  repara- 
tion, les  pactes  pour  se  menacerde  quelque  danger  si  onse  laisse 
aller  a  Taction,  les  manies  d'expiation  et  de  conjuration. 

Si  au  debut  de  la  maladie  il  s^agit  surtout  d'idees,  de  croyan- 
ces,  d'eSbrts  d*attention  qui  n'aboutissent  pas,  nous  rentrerons 
dans  le  groupe  des  manies  de  precision  ;  ce  seront  les  manies  de 
la  repetition,  de  Tordre,  du  contraste,  du  symbole,  qui  joueront 
le  plus  grand  role.  Dans  ces  manies  a  point  de  depart  intellectuel 
il  faut  encore  tenir  compte  de  ce  fait  que  Tesprit  se  preoccupe 
davantage  du  passe,  du  present  ou  de  Tavenir.  S'il  s*agit  du 
passe,  nous  aurons  des  interrogations,  des  recherches  indefinies 
du  souvenir,  des  manies  de  rememoration ;  s'il  s'agit  du  present, 
nous  aurons  les  manies  d*interrogation  du  sort.  S'il  s'agit  de 
Tavenir,  surviendra  la  manie  des  presages,  des  pressentiments, 
etc.  Une  inquietude  plus  grave  au  point  de  depart,  chez  un  es- 
prit plus  cultive,  donnera  lieu  aux  manies  des  explications  et  aux 
manies  de  Tinfini. 

Or,  les  malades  sont  plus  ou  moins  disposes  a  penser  de  telle  ou 
telle  manicre :  nous  avons  deja  remarque  comme  un  fait  singulier 
queXyb...  vit  toujours  dans  le  passe  et  Mw...  dans  Tavenir.  II  en 
resulte  tout  naturellementque  la  forme  de  leurs  manies  sera  un  peu 
differente  etse  systematisera  dans  tel  ou  tel  sens.  Bien  entendule 
meme  sujet  pent  passer  par  la  plupart  des  manies  et,  suivant  qu'il 
s'agit  d^une  hesitation  sur  un  acte  oil  d^une  absence  de  croyance,  il 
aura  la  manie  des  procedes  ou  la  manie  des  interrogations ;  mais 


INTERPRETATION  DE  LlDfiE  OBSfiDANTE  583 

il  arrive  tr^s  souvent  que  les  premieres  crises  ^tablissent  d'une 
inaniere  a  peu  pres  definitive  la  forme  des  manies  et  que  plus  tard 
les  crises  nouvelles,  m6me  d^termin^es  dans  d'autres  conditions, 
conservent  sous  Tinfluence  de  Thabitude  la  forme  des  premieres. 

Les  tics  sont  des  derivations  motrices  systematis^es,  ce  sont 
de  petits  mouvements  qui  reproduisent  en  les  r^duisant  certains 
actes.  La  raison  principalede  cette  systematisation  meparait  etre 
dans  les  manies  mentales  pr6cedentes  qui  accompagnent  toujours 
au  moinsen  germe  le  d6veloppement  des  tics.  Le  premier  groupe, 
le  plus  simple,  est  celui  des  efforts,  ce  sont  des  arises  de  grande 
agitation  qui  ne  sont  que  legerement  systematis^es  par  une  id6e 
directrice,  celle  de  faire  un  effort.  On  voit  la  ce  travail  pour  par- 
venir  a  Tadaptation  sur  lequel  j*ai  insists.  Nous  trouvons  ensuite 
les  tics  de  perfectionnement  qui  sont  tous  inspires  par  les  manies 
de  precision,  comme  on  le  voit  dans  les  tics  de  se  tater,  de  se  tou- 
cher le  corps,  de  remuer  les  yeux  pour  savoir  s'ils  sont  ^gares 
(Ul...),  de  secouer  la  tete  pour  savoir  si  on  y  a  du  mal. 

D'autres  sont  en  rapport  avec  la  manie  du  symbole  u  fermer  le 
poing  c'est  comme  si  je  disais  :  je  ne  crois  pas  en  Dieu  »  (Lod...), 
<(  se  gratter  le  nez,  c'est  comme  si  on  se  laissait  aller  au  plaisir 
genital  »  (Jean).  Un  tres  grand  nombre  de  tics  sont  en  rapport 
avec  la  manie  des  proc^d^s  comme  les  Eructations  de  Rai..  qui 
veut  ainsi  mieux  respirer. 

Nous  avons  vu  ensuite  les  tics  de  defense,  les  mouvements  pour 
repousser,  le  petit  «  hem,  hem  »,  pour  cracher  une  epingle  de  la 
gorge,  recartement  des  jambes  de  Jean  pour  lutter  contre  la 
masturbation,  les  manies  de  compensation  et  de  reparation  y 
jouent  un  grand  r6le. 

On  pourra  facileraent  appliquer  ces  quelques  principes  a  la 
description  des  nombreuses  manies  et  des  tics  que  nous  avons 
cites.  On  verra  toujours  comment  I'effortdu  sujet,  pour  echapper 
aux  sentiments  d'incompletude,  se  combine  avec  la  situation  don- 
nee  pour  former  cette  systematisation. 


4.  —  L'interpritation  de  I'idie  obs^dante. 
Pour  terminer  Tetude   de  ces   theories  pathogeniques,    il  ne 


684  THEORIES  PATHOGflNlQUES 

nous  restc  plus  qu'un  dernier  probleme,  c'est  celui  de  Tid^e 
m6me  qui  est  obs^dante,  du  contenu  de  Tobsession  propremeot 
dite.  Ce  n'est  plus  une  operation  mentale  qui  se  r^pete,  une  agi- 
tation motrice  ou  visc^rale,  c'est  une  idee  bien  d^terminee,  repr^- 
sentant  dans  Tesprit  du  sujet  un  objet  ou  un  fait  determine. 
Comment  les  malades  en  arrivent-ils  a  concevoir  cette  id^e  de- 
terminee  et  comment  prend-elle  dans  leur  esprit  les  caracteres  qui 
en  font  une  obsession  psychasth^nique. 

I .  —  L'origine  endogene  du  contenu  des  idees  obsedanies, 

Les  theories  intellectuelles  et  emotionnelles  etaient  disposees  a 
rattacher  le  contenu  de  ces  id^es  obsedantes  a  une  action  du 
monde  ext^rieur  sur  le  sujet,  a  les  consid6rer   comme  exoghnes. 

II  me  semble  que  ces  obsessions  ne  presentent  pas  une  diversite 
sufEsante  pour  que  Ton  puisse  Ics  rapporter  aux  ev^nements  ext^- 
rieurs  qui  ont  pu  de  bien  des  manieres  ^motionner  les  sujets. 
Au  fond  toutes  ces  id^es  se  ramenent  a  un  petit  nombre  d*ob- 
sessions  fondamentales  que  j*ai  essaye  d'enumerer  au  d^but  sous 
ces  litres:  obsessions  de  sacrilege,  de  crime,  de  honte  de  soi,  de 
honte  du  corps,  de  maladie.  Ces  obsessions  fondamentales  con- 
tiennent  toutes  des  pensees  relatives  a  la  personne,  aux  actes, 
aux  idees,  au  corps,  plutot  que  la  representation  d*objets  et  d'^v6- 
nements  ext^rieurs.  II  n'en  est  pas  du  tout  de  meme  chez  les  in- 
dividus  qui,  comme  les  hyst^riques,  ont  des  id<^es  obsedantes 
venant  du  dehors,  en  rapport  avec  des  suggestions  ou  des  causes 
^motionnantes.  La  ce  sont  les  objets  et  les  ^v^nements  qui  pre- 
dominent,  obsession  de  Tincendie,  de  Tamant,  de  la  figure  du 
pere  ou  de  la  mfere,  du  rat  dans  la  cuisine,  du  voleur,  etc.  II  y  a 
la  une  difference  dans  le  contenu  qui  me  parait  fort  appreciable. 

Les  obsessions  des  psychasth^niques  ont  aussi  dans  leur  con- 
tenu certains  caracteres  generaux  fort  remarquables  :  ce  sont  des 
pensees  de  critique,  des  appreciations  mauvaises  sur  les  actes  et 
les  idees,  et  en  outre  des  pensees  extremes.  Le  crime  auquel 
Tobsede  pense  est  toujours  le  crime  extreme  pour  lui,  etant 
donnes  son  sexe,  son  age,  sa  condition.  Cela  n'existe  guere  dans 
les  idees  sugger^es  par  les  spectacles  exterieurs  et  cela  ne  s*ex- 
plique  pas  par  le  hasard  des  circonstances  emotionnelles. 

Je  suisdonc  dispose  a  croire  que  les  obsessions  psychastheniques 
sortent  bien  plus  qu'on  ne  le  croit  du   fond  meme  du  sujet,  que 


INTERPRETATION  DE  L'1D£E  OBSfiDANTE  585 

Ton  peut  les  considerer  comme  endogenes,  par  opposition  aux 
id^es  exogfenes  qui  sont  d^termin^es  par  le  mecanisme  de  la  sug- 
gestion. Cette  conception  est  d^ja  indiqu^e  par  les  auteurs  qui 
font  sortir  Tobsession  intellectuelle  de  la  phobic,  mais  je  pense 
qu*il  faut  aller  plus  loin  et  admettre  que  les  obsessions,  comme 
les  phobies  elles-m^mes,  prennent  leurs  points  de  depart  dans  des 
ph^nomenes  pathologiques  plus  profonds  qui  sont  surtout  les  sen- 
timents d'incompletude  et  les  insuflSsances  psychologiques. 

2.  —  L' influence  des  sentiments  d'incompletude  sur  le  contenu 
des  idees  obsedantes. 

L*obse$sion  est  le  r^sultat  d*un  travail  intellectuel  qui  s^op^re 
pendant  les  crises  de  psycholepsie  et  qui  remplit  surtout  les  ru- 
minations mentales.  Le  besoin  de  precision,  d'explication,  de 
symbole,  conduit  les  malades  a  interpreter  eux-m6mes  leur  propre 
^tat  mental  et  a  d^couvrir  une  explication,  une  veritable  th^orie 
de  leur  transformation.  L*idee  obs^dante  est  une  interpretation 
des  troubles  psychologiques  eldmentaires,  interpretation  faite 
suivant  les  lois  des  manies  mentales. 

Les  troubles  des  psychasth^niques  qui  peuvent  engendrer  des 
obsessions  sont,  a  mon  avis,  tres  nombreux  et  ne  se  limitent 
point  aux  seuls  troubles  ^motifs.  Des  le  debut,  Pabaissement  de 
la  tension  psychologique,  en  diminuant  Taction  et  la  perception 
du  red,  favorise  la  meditation  ;  il  donne  aux  malades  une  ten- 
dance a  preferer  I'ideal  au  reel,  a  aimer  le  mysterieux,  le  vague, 
a  se  tourner  vers  les  choses  mystiques. 

L^insufCsance  a-t-elle  donne  naissance  a  des  derivations  men- 
tales,  chacune  de  ces  manies  qui  constituent  la  rumination,  est 
une  grande  source  d'idees.  Les  manies  d'interrogation  perpe- 
tuelle  amenent  a  concevoir  Tidee  de  mystere,  de  tromperie  : 
Hg...  (119)  apres  avoir  pendant  des  mois  ete  tourmentee  par 
des  interrogations  ;  «  qu'y  a-t-il  derriere  ce  mur,  d  oil  le  mari 
vient-il,  a  qui  a-t-il  parle  ?  »  devientobsedee  par  I'idee  que  le  mari 
lui  cache  quelque  chose  et  qu*il  la  trompe. 

La  manie  du  symbole  qui  n'est  qu*une  manie  de  precision  exa- 
geree  est  Forigine  d'un  irhs  grand  nombre  de  ces  pensees.  Les 
idees  sacrileges  sont  evidemment  dans  ce  cas  :  Claire  est  avant 
tout  une  psychasthenique,  avec  sentiment  d^incompletude,  toutes 
nos  etudes  sur  ses  oscillations  Tout  bien  demontre.  Elle  a  d*abord, 


586  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

a  la  suite  de  ce  sentiment,  des  crises  d^efforts  d6termin6es  en 
grande  partie  par  une  derivation  qui  remplace  les  ph6no- 
m^nes  sup^rieurs  devenus  impossibles.  Ces  mouvements  convul- 
sifs  am^nent  de  Texcitation  genitale  et  des  masturbatiohs,  comme 
nous  Tavons  observe  souvent.  Ce  crime  genital  devient  pour  elle 
le  symbole  de  sa  d^ch^ance.  D*autres  manies,  celle  de  la  genera- 
lisation, celle  de  Tinfini  la  poussent  a  remonter  a  Textreme  :  elle 
associe  les  crimes  religieux  avec  les  fautes  g^nitales  et  elle  sym- 
bolise son  opinion  sur  elle-meme  par  Thallucination  du  membre 
viril  et  de  Thostie. 

L*idee  sacrilege  de  Lise,  qui  croit  vouer  ses  enfants  au  diable, 
celle  de  Za...,  qui  pense  a  violer  une  vieille  femme  devant  une 
eglise,  et  celle  de  On...,  qui  met  Tame  de  son  oncle  dans  les  cabi- 
nets, sont  evidemment  des  symboles  du  m^me  genre  inventes  par 
les  malades  eux-memes,  sans  grand  rapport  avec  les  circonstan- 
ces  exterieures  pour  resumer  et  exagerer  Timpression  de  m^con- 
tentement  qu'ils  ressentent  d'eux-memes. 

Les  phenomenes  qui  jouent  a  ce  point  de  vue  le  r6le  le  plus 
considerable  sont  les  sentiments  d'incompletude.  Quand  ces  sen- 
timents portent  surtout  sur  la  volonte,  les  malades  peuvent  conce- 
voir  des  idees  relatives  a  leur  dependance,  peuvent  rever  une 
liberte  ideale,  en  opposition  avec  leur  etat  d'automatisme.  Ou 
bien,  au  contraire,  ils  cherchent  dans  quelle  situation  ils  auraient 
le  moins  d^efforts  penibles  a  faire  :  Ic...,  obsede  par  Tidee  qu'il 
veut  se  faire  pretre,  remarque  lui-meme  qu'il  arrive  a  cette  idee 
parce  qu*il  ne  veut  plus  etre  expose  a  aller  dans  la  societe,  a 
prendre  part  (c  aux  plaisirs  du  monde  »  que  sa  timidite  lui  fait 
prendre  en  horreur,  parce  qu'il  a  peur  des  responsabilites  que 
cause  la  famille. 

Bien  plus  souvent  encore,  ce  sentiment  de  TinsuflGisance  de 
la  volonte  inspire  des  idees  de  honte,  de  mauvaise  conduite. 
o  Bunyan,  en  se  sentant  agir,  concevait  sans  cesse  I'idee  qu'il 
etait  dans  un  marais  fangeux  et  qu'il  s'enfongait  a  chaque  pas^  » 
Ce  sentiment  inspire  Tidee  que  Ton  a  manque  toute  sa  vie,  que 
«  Ton  s'est  trompe  de  chemin,  que  Ton  a  choisi  une  mauvaise  car- 
riere  ».  Les  reraords  de  vocation,  qui  sont  si  frequents,  ne  sont 
que  Texpression  intellectualisee,  precisee,  symbolique  du  mecon- 

I.  Josiah  Royce,  Psych,  Review j  1894,  p.  189. 


INTERPRETATION  DE  L*ID£E  0BS£DANTE  587 

tentement  de  la  conduite.  II  est  trop  Evident  que  les  sentiments 
d*humilit^,  de  honte  sont  le  point  de  depart  des  obsessions  de  la 
honte  de  soi  et  de  la  honte  de  corps. 

Les  idees  criminelles  ont  la  meme  origine.  Dob...,  dans  un 
wagon  de  chemin  de  fer,  se  sent  si  pen  maitresse  de  sa  volont^ 
qu'elle  se  demande  si  sa  main  ne  va  pas  malgr6  elle  ouvrir  la 
portiere.  De  la  a  penser  que  Ton  est  capable  de  commettre  un 
crime  il  n*y  a  qu'un  pas.  Bien  souvent  les  malades  qui  pr^tendent 
«tre  pouss^s  a  Thomicide  ou  au  suicide  expriment  simplement 
par  la  le  sentiment  qu*ils  ont  de  leur  faiblesse  de  volont^.  Bien 
entendu  la  manie  du  contrastejoue  un  r6le  et  les  crimes  inventus 
sont  ceux  qui  sont  les  plus  dangereux  dans  la  situation  du  malade; 
la  caissiere  a  des  impulsions  a  voler,  le  musicien  «  a  faire  expr^s 
des  fausses  notes  a  Torchestre  de  TOp^ra  ». 

Trfes  souvent  le  malade  se  rend  compte  que  ce  crime  n'est  pas 
present  et  par  les  manies  de  rem^moration,  de  recherches  dans  le 
passe,  il  les  transforme  en  remords.  II  cherche  avec  une  ardeur 
incroyable  ou  et  comment  il  a  bien  pu  tuer  quelqu*un,  il  y  a 
quinze  jours,  ou  bien  il  invente  tout  un  delire  retrospectif  dans 
lequel  ses  maltres  auraient  abus6  de  lui  a  T^cole  primaire. 
Rk...  va  plus  loin  encore  et  il  cherche  si  h  Tage  de  quatre  ans, 
quand  il  venait  avec  sa  petite  S03ur  de  un  an  moins  agee  dans  le 
lit  de  son  pere,  il  n'a  pas  attente  a  la  pudeur  de  celle-ci. 
D6ja  dans  ces  cas  ('obsession  s'eloigne  un  pen  du  sentiment 
initial,  mals  ce  n'est  qu'une  apparence.  Quand  Kl...  est  obs^d^ 
par  la  pens^e  que  son  enfant  n'est  pas  de  son  mari,  il  est  Evi- 
dent qu'elle  dissimule  un  remords  genital,  c'est  comme  si  elle  se 
demandait  si  elle  a  tromp6  son  mari,  et  cette  question  qu'elle  ne 
precise  pas  dans  son  esprit  resulte  du  sentiment  qu'elle  a  de  ne 
plus  etre  maitresse  de  sa  volonte. 

Les  sentiments  d'incompletude  intellectuelle  qui  sont  si  nom- 
breux  et  si  int^ressants  deviennentle  point  de  depart  d'une  foule 
d'obsessions  qui  semblenttouta  fait  incomprehensibles  si  on  nese 
reporte  pas  a  ce  d^but ;  je  n'en  signalerai  que  quelques  exemples. 
Hm...  (i35),  femme  de  21  ans,  qui  vient  d'accoucher  il  y  a  trois 
raois,  est  obs^d^e  par  la  pens^e  que  son  enfant  est  un  monstre; 
quand  elle  le  voit,  elle  constate  qu'il  est  normal,  mais,  des  qu'elle 
le  quitte  desyeux,  elle  pense  qu'il  pr^sente  les  difformit^s  les  plus 
extraordinaires.  Fatiguee  par  la  grossesse,  elle  a  eu  des  troubles 


588  THEORIES  PATHOG^NIQUES 

de  perception  «  le  monde  me  paraissait  drole,  je  ne  pouvais  pas 
mettre  le  monde  a  sa  place,  il  y  avait  quelque  chose  de  derange 
qui  m*emp6chait  de  voir  les  choses  comme  elles  ^taient...  »  Puis 
elle  euty  comme  phenom^ne  de  derivation,  de  la  manie  mentale 
d*interrogation.  Cette  manie  6tait  systematis^e  par  le  sentiment 
precedent.  «  Comment  cela  se  fait-il  qu*il  y  a  du  monde,  pourquoi 
et  comment  y  a-t-il  des  arbres,  comment  les  b^tes  ont-elles  cette 
figure  Strange?))  L'enfant  naquit  sur  ces  entrefaites  et,  Tattention 
de  la  malade  se  fixant  sur  lui,  fit  naitre  a  son  propos  les  senti- 
ments et  les  interrogations  pr^cedentes.  Le  trouvant  Strange, 
sHnterrogeant  a  son  propos  pour  savoir  comment  et  pourquoi  il 
avait  cet  aspect  bizarre,  Hm...  en  vint  tout  naturellement  a  la 
conception  qu*il  ^tait  un  monstre  etonnant. 

Le  meme  m^canisme  se  retrouve  dans  bien  des  cas.  We...  n'a 
pas  seulement  Tobsession  de  la  vocation  manqu^e  en  rapport  avec 
les  sentiments  d'incompl^tude  volontaire,  elle  a  une  obsession  as- 
sez  Tr^quente,  V obsession  de  la  signification,  Elle  croit  que  tons  les 
objets,  tous  les  plus  petits  ev^nements  ont  un  sens  mysterieux,. 
qu'il  lui  faut  chercher.  II  nous  faudra  plus  tard  reprendre  T^tude 
de  cette  pens6e  a  propos  des  mystiques.  Chez  cette  malade  Texpli- 
cation  de  cette  obsession  est  fort  simple  et  elle  la  donne  elle- 
m^me  :  <(  que  voulez-vous,  dit-elle,  il  y  a  si  longtemps  que  je 
vois  les  choses  d'une  maniere  drole,  bizarre,  pas  naturelle;  je 
ne  puis  plus  m*empecher  de  croire  qu*il  y  a  quelque  chose  la-des- 
sous,  vous  en  feriez  autant  si  vous  voyiez  toutes  les  figures  de  vos 
amis  vous  faire  des  grimaces  ». 

L'obsession  id^aliste  de  Rk...  qui  specule  sur  d  Tirr^alite  du 
monde  »,  Tobsession  psychologique  de  Mb...  qui  recherche  a  la 
difference  de  certitude  entre  la  vue  et  le  toucher  »  n*ont  pas 
d'autre  origine  que  ce  sentiment  de  r^ve  a  propos  de  la  per- 
ception. 

Ria...,  aprfes  une  operation  chirurgicale,  a  trouve  que  les  ob- 
jets avaient  un  aspect  Strange  ;  comme  elle  est  fort  ignorante  elle 
ne  s'est  pas  elevee  jusqu*a  la  conception  de  Tiddalisme,  elle  s'est 
bornee  a  accuser  ses  yeux  et  elle  a  une  obsession  relative  a  une 
maladie  des  yeux  «  qui  fait  danser  les  objets  ».  Dans  le  m^me  cas, 
Hot...,  jeune  fiUe  de  i6  ans,  arrive  a  la  conception  qu*elle  est  ab- 
solument  aveugle,  bien  que  Texamen  de  ses  yeux  montre  une  vi- 
sion parfaite.  «  Mais  je  vois  drole,  cela  me  fait  penser  que  je  ne 
vois  pas  ».  Le  meme  sentiment  d'etrangete   dans  la  perception 


INTERPRfiTATION  DE  LIDfiE  OBSfiDANTE  089 

«xt^rieure  joint  au  sentiment  de  d^persunnalisation  va  faire  naltre 
l^obsession  si  remarquable  de  Btu...  <c  Je  suis  morte,  je  suis 
enterree  dans  un  tombeau  tout  noir,  d*un  noir  d'encre.  » 

D*autres  formes  particulieres  des  sentiments  d*incompl^tude 
vont  simplement  se  transformer  en  id^e,  en  obsession  correspon- 
dante.  Le  sentiment  de  depersonnalisation,  passager,  variable,  in- 
complet,  va  faire  naitre  une  idee  nette,  abstraite,  (c  que  la  personna- 
lit^  est  toujours  perdue,  quele  moi  est  supprim^  ou  transform^  ». 
Le  sentiment  passager  de  a  d^ja-vu  »  va  donner  dans  le  cas  de 
M.  Arnaud  Tobsession  precise  et  perp^tuelle  «  du  d^ja-vu  il  y 
a  un  an  ».  (c  La  continuity  de  Tillusion,  dit  tres  bien  M.  Ar- 
naud, n'est  qu'apparente,  elle  est  le  r^sultat  d'une  sorte  d*entrai- 
nement,  d*une  habitude  ayant  d^termin6  un  faux  pli  de  Tesprit, 
un  veritable  delire  \  » 

Enfin  une  des  observations  les  plus  fr^quentes,  tout-a-fait  ba- 
nale  chez  ces  malades,  c*est  I'obsession  de  la  folie.  Plusieurs  au- 
teurs  disent  que  cette  obsession  cc  est  une  forme  objectiv6e 
de  Tangoisse  ».  Je  ne  comprends  pas  pourquoi  des  ^tats  d'an- 
goisse  doivent  s'objectiver  sous  forme  d'id6e  de  folie  :  les  car- 
diaques  qui  out  de  Tangoisse  sbnt-ils  done  obliges  de  se  croire 
fous?  S*ils  n'avaient  queTangoisse  pure  et  simple,  les  psychasth6- 
niques  n*arriveraient  pas  non  plus  a  cette  idee  de  folie.  Elle  est 
pour  moi  Texpression  de  sentiments  plus  profonds :  «  si  je  dis  que 
je  deviens  folie,  dit  Dep...,  femme  de  28  ans,  c'estqueje  sens 
mon  esprit  vague,  engourdi,  drole...  ».  «  Sij'ai  peur  de  devenir 
folie,  dit  Zb...,  femme  de  32  ans,  c'estparce  qu*il  me  semble  que 
je  ne  suis  pas  maitresse  de  mes  actions,  que  je  suis  dans  un  cau- 
chemar  et  parce  que  dans  les  cauchemars  on  fait  des  crimes  et 
des  folies  ».  «  C'est  parce  que  je  me  sens  comme  une  machine 
que  je  me  dis  fou  ».  (Lois...). 

Bien  des  obsessions  ne  sont  ainsi  que  Texpression  plus  logique 
et  plus  g^n^rale  des  sentiments  d*incompl^tude. 

3.  —  L'influence  des  insufflsances  psychologiques  sur  le  contenu 
des  idees  obsedantes. 

Les  insuflisances  des  sentiments,  les  apathies,  les  ^motivit^set 
surtout  les  sentiments  anormaux  qui  se  developpent  a  ce  pi  opos, 

I.  F.-L.  Arnaud,  Ann.  midico-psych.,  mai-juin  1896. 


590  THfiORlES  PATHOGfiMQUES 

comme  le  besoin  de  dominer  et  le  besoin  d*^tre  aim^  vont  don- 
ner  naissance,  sous  Tinfluence  de  la  reflexion  et  des  manies  men- 
tales  de  precision,  a  toutes  sortes  d'id^es  obsedantes. 

II  suffit  d'en  rappeler  quelques  exemples  :  j*ai  souvent  fait 
allusion  a  rinsudisance  des  Amotions  g^nitales,  elle  a  deja  ^t^  le 
point  de  depart  de  manies  de  perfection  appliquees  au  coit  et 
d'erotomanies  singulieres.  Clle  amene  aussi,  chez  Loa...,  Len..., 
Lup...,  des  idees  de  persecution  contre  Ic  mari  rendu  responsable 
de  cet  arret,  «  ce  n*est  pas  un  homme  comme  les  autres,  etc.  ». 
Mais  ce  m^me  ph^nomene  amene  une  obsesssion  plus  curieuse 
chez  une  femme  Deb...  et  chez  un  homme  Rk...,  c'est  Tid^e  de 
I'uwersion  sexuelle.  lis  se  (igurent  que  I'amour  homo-sexuel  leur 
r^ussirait  mieux  et  croient  avoir  «  une  ame  d'homme  dans  un 
corps  de  femme  »  et  reciproquement.  C^est  trop  souvent  sur  des 
cas  semblables  que  Ton  a  fonde  les  theories  des  invertis  sexuels. 
Beaucoup  de  hontes  du  corps  ou  de  honte  portant  sur  tel  ou  tel 
organe  ont  un  point  de  depart  analogue. 

Quelquefois  ces  apathies  inspirent  des  id^es  de  jalousie,  nous 
avons  vu  Fa...,  femme  de  34  ans,  jalouse  de  toutes  les  personnes 
qu'elle  rencontre,  parce  qu'elle  leur  pr^te  des  sentiments  com- 
plets.  «  lis  ont  bien  de  la  chance  de  pleurer  leur  pere,  en  voila 
qui  ont  du  bonheur  d'etre  ainsi  seconds  par  un  grand  malheur.  » 

D'autres  malades  beaucoup  plus  nombrcux  en  tireront  Tid^e 
qu*ils  ont  besoin  du  remede  a  leur  engourdissement  et  que  ce 
remede  c'est  une  excitation.  L'obsession  du  besoin  de  boire,  du 
besoin  dc  se  faire  des  piqQres  de  morphine,  Timpulsion  au  jeu,  etc. , 
ou  plus  simplement  le  desir  de  Textraordinaire,  de  Tin^dit,  le 
besoin  de  faire  une  action  absurde  qui  les  secoue,  se  d^veloppe  a 
la  suite  de  ces  apathies  et  determine  bien  plus  souvent  qu'on  ne 
le  croit  les  conduites  les  plus  inexplicables  en  apparence.  Quand 
Plo...  se  sent  ainsi  abaiss^e  dans  une  crise  de  psycholepsie,  elle 
reve  de  se  faire  engager  comme  artiste  aux  Folies-Bergeres,  elle 
veut  prendre  un  amant  dans  la  rue;  il  faut  qu'elle  scandalise  sa 
famille  par  son  langage. 

Les  ^motivites  donnent  naissance  a  des  coleresou  a  des  peurs 
et  a  des  obsessions  en  rapport  avec  ces  sentiments,  de  la  naissent 
bien  des  obsessions  impulsives  et  bien  des  phobies  que  j*ai  d^ja 
signal^es.  La  reflexion  pent  se  meler  a  ces  peurs  et  les  transformer 
en  apparence.  Fi...  est  en  reality  un  agoraphobe  vulgaire,  Tori*- 
ginc  de  son  mal   se  trouve  dans   son   aboulie  et  sa  timidity.  Sa 


INTERPRETATION  DE  L1D£E  0BS£DANTE  59t 

crainte  de  la  lutte,  sa  crainte  de  tous  les  dangers  possibles  Ta 
conduit  a  ne  plus  pouvoir  sortir  au  dehors  sans  angoisses.  II 
ne  veut  pas  avouer  cette  faiblesse  ni  aux  autres,  ni  a  lui-meme 
et  il  cherche  a  s'explique  sa  crainte  de  la  rue  par  la  preoccupation 
d'un  danger  r^el.  Dix  ans  apres  le  d^but  evident  de  Tagora- 
phobie,  il  trouve  Texplication,  c'est  que  dans  son  enfance,  trente 
ans  auparavant,  il  a  ^t^  mordu  par  tin  chien  enrag6  et  qu'une 
nouvelle  morsure  lui  donnerait  infailliblement  la  rage.  Va-t-on 
soutenir  que  cette  obsession  du  chien  enrag^  qui  s'exprime  a 
4o  ans  est  en  rapport  avec  I'^motion  de  cette  morsure  subie  a 
Tage  de  lo  ans  ?  Cette  obsession  est  simplement  une  interpre- 
tation retrospective  de  son  trouble  fondamental  de  la  volonte  et 
des  sentiments. 

Le  besoin  de  domination  chez  les  autoritaires  se  rattache 
comme  on  Ta  vu  a  leur  aboulie,  il  cause  bien  des  obsessions. 
La  microphonophobie  de  Bow...  n'est  pas  une  hyperesth^sie 
deTouie,  c'est  une  obsession  en  rapport  avec  Tid^e  que  les  autres 
personnes  lederangent  dans  son  travail  et  ses  pens^es.  Ce  senti- 
ment des  autoritaires  joue  un  r^le  capital  dans  le  delire  de  per- 
secution peut-etre  plus  que  dans  le  delire  du  scrupule. 

II  suflfit  de  rappeler  toutes  les  obsessions  amoureuses  en  rap- 
port avec  le  besoin  d'etre  dirige,  le  besoin  d'aimer,  le  besoin 
d'etre  aime.  Je  ne  puis  insister  icique  sur  quelques  formes  parti- 
culieres.  Qi...  est  amusante  avec  son  obsession  d'etre  petit  enfant, 
de  laisser  Hotter  ses  cheveux  dans  le  dos  et  son  desir  fou  d'etre 
appelee  «  Nenette  ».  Cr...,  femme  de  33  ans,  est  poursuivie  par 
Tobsession  qu'elle  veut  avoir  un  enfant,  elle  court  les  hopitaux 
pour  demander  la  fecondation  artificielle,  et  regarde  sous  toutes 
les  portes  pour  trouver  un  enfant  abandonne  a  adopter  «  c'est 
parce  que  son  amant  I'epousera  si  elle  a  un  enfant.  C'est  aussi 
parce  que  cet  enfalit  lui  fera  un  soutien  si  elle  est  seule  ».  Lour..., 
femme  de  44  ans,  a  des  obsessions  de  jalousie  qui  ne  sont  pas 
identiques  a  celles  de  Fa...  que  je  viens  de  citer.  «  Depuisque  je 
me  sens  faible  il  me  semble  que  mon  mari  ne  s'occupe  pas  assez 
de  moi,  qu'il  me  laisse  isolee,  qu'il  ne  me  console  pas,  il  me 
semble  que  je  n'arrive  plus  a  le  comprendre,  a  le  croire,  et  j'en 
viens  a  penser  qu'il  n'est  plus  comme  il  devrait  etre.  » 

On  pourrait  enumerer  bien  d'autres  obsessions  et  montrer 
qu'elles  sont  des  interpretations  plus  ou  moins  compliquees  por- 
tant  sur  les  insuflSsances  et  sur  les  sentiments  qui  en  derivent. 


^92  THIiORlES  PATHOGf.XlQUES 


4.  —  U influence  des  evenements  exterienrs  sur  le  contenu 
de  V obsession. 

Qiioiqu'il  en  soil,  robservation  nous  montrequeles  ^venements 
cxt6rieurs  ont,  eux  nussi,  une  action  et  qu'ils  determinent  assez 
souvent  le  contenu  de  Tobsession  surtout  quand  ils  sont  Toccasion 
d'une  violente  Amotion.  La  maladie  de  Lf...  commence  quand 
elle  a  ramass^  son  neveu  tombe  mort  d*un  ^chafaudage,  celle  de 
Ger...,  parce  qu^elle  tenait  sa  belle- m^re  pendant  un  ^vanouis- 
sement  et  que  celle-ci  est  morte  dans  ses  bras;  celle  de  Cas..., 
parce  qu'elle  a  vu  son  fils  tomber  a  I'eau.  Cette  derniere  malade 
a  peu  pres  gu^rie  a  eu^  dix  ans  apr^s,  une  rechute  parce  qu'elle  a 
appris  brusquement  que  sa  mere  ^tait  devenue  foUe  et  avait  6te 
enfermee.  We...  a  commence  tr^s  jeune  cette  maladie  quand  on 
lui  a  fait  embrasser  son  grand-p^re  qui  venait  de  mourir.  Je  note 
au  d6but  des  grandes  p6riodes  de  maladie,  chez  Lisc  une  scene 
avec  le  mari,  chez  Voz...  un  examen,  chez Lo...  le  mariage,  chez 
Yof. . .  la  morsure  par  un  chien,  chez  Mnd. . .  (179)  la  vue  d'une  foUe, 
chez  Gt...  la  vue  d'un  morphinomane,  chez  Alx...  un  vertige 
survcnu  au  caf(6,  etc. 

On  pent  remarquer  que  certaines  Amotions  semblent  jouer  un 
role  preponderant.  Ce  sont  d^abord  les  Amotions  religieuses,  sur- 
tout celles  de  la  premiere  communion  et  plus  tard  des  confessions. 
Ce  sont  aussi  les  emotions  g^nitales  qui  ont  joue  un  grand  role 
chez  Bu...,  chez  Ki...,  chez  Jean,  c'est  de  cette  remarque  qu*est 
n6e  Topinion  de  Freud,  soutenue  par  Tamburini*  que  les  obses- 
sions derivaient  toujours  d'un  trouble  des  sentiments  sexuels, 
nous  avons  d^ja  eu  Toccasion  de  remarquer  Texag^ration  de  cette 
these.  11  n*en  est  pas  moins  evident  que  les  evenementsexterieurs 
qui  determinent  de  T^motion  ont  une  action  certaine  sur  le  d^ve- 
loppement  de  la  maladie  des  obsessions. 

Mais  cette  action  est  extremement  complexe :  On  a  vu  dans  les 
etudes  sur  les  oscillations  du  niveau  mental  que  les  ev^nements 
capables  de  provoquer  de  fortes  emotions  peuvent  deja  agir  en 
determinant  un  abaissement  de  la  tension  psychologique  et  quel- 
quefois  d'une  mani^re   inverse  en  determinant  une  elevation.  II 


I.  Tamburlni,  Obsessions  scxuelles  ot obsessions  du  suicide,  autosadisme*  Congrhs 
de  neurolwjie  de  DruxcUes,  1897. 


INTERPRETATION  DE  L'lDfiE  OBSfiDANTE  593 

faut  constater  aussi  que  si  le  sujet  est  deja  abaisse  par  quelqu'une 
des  causes  pr^c^dentes,  Tev^nement  ^motionnant  peut  encore 
jouer  un  autre  role,  il  peut  determiner  le  contenu  de  Tobsession, 
la  nature  de  Tid^e  qui  va  devenir  obsedante. 

Cela  ne  peut  arriver  a  raon  avis  que  si  le  sujet  6tait  antdrieure- 
ment  prepare  par  tous  les  troubles  precedents.  L*idee  fournie  par 
Teveneraent  ne  devlent  obsession  que  si  elle  est  d'accord  avec  un 
etut  anterieur  dont  le  sujet  avait  le  sentiment  depuis  quelque 
temps.  Cette  idee  qui  est  remarqu^e  par  le  sujet  devient  Texpres- 
siou  qu'il  cherchait  deson  etat.  Claire  avait  depuis  longtemps  ses 
sentiments  d'abalssement,  de  mecontentement,  quand  elle  s'aper- 
^ut  qu'elle  avait  une  excitation  genitale  a  Teglise  et  que  ses 
regards  se  portaient  avec  descuriosites  malsaines  vers  la  statue  du 
Christ.  Cela  lui  parut  repugnant,  odieux  et  cette  idee  la  frappa 
que  c*etait  peut-etre  la  le  crime  contre  nature  qui  lui  causait  tant 
de  remords  inexpliques.  Dur...  (54)  passe  une  soiree  a  la  fenetre 
attendant  son  mari  qu'elle  soup^onne  de  la  tromper.  Cette  attcnte 
la  rend  furieuse,  elle  remarque  qu'elle  se  refroidit  et  qu'elle  se 
rend  malade  a  cause  du  mari.  Cette  idee  la  frappe  comme  le  re- 
sume et  le  symbole  de  longues  inquietudes  antericures  et  elle 
commence  a  ce  moment  une  obsession  singuliere  qui  consiste  a 
repeter  que  son  mari  Ta  rendue  phtisique.  Cette  idee  ne  la 
frappee  que  parce  qu'elle  etait  inquiete,  qu'elle  se  sentait  fati- 
guee,  qu'elle  avait  le  besoin  d'une  direction  morale  perpetuelle 
et  qu*elle  se  croyait  abandonnee  si  son  mari  ne  s'occupait  pas 
sans  cesse  d'elle. 

VI...  a  grand  tort  de  rapporter  son  ereutophobie  a  une  con- 
sultation medicale  ou  le  medecin  aurait  parle  d*eczema  du  nez  ; 
la  rongeur  du  nez  n'est  qu^un  pretexte  qu'elle  a  adopte  avec  en- 
thousiasme  pour  resumer  son  aboulie  et  sa  timidite.  Toq...  rem- 
place  successivement  sa  honte  des  moustaches  par  sa  honte  des 
joues  rouges,  Nadia  sa  honte  des  mollets  sous  sa  jupe  courte,  par 
sa  honte  des  pieds,  des  mains,  de  la  poitrine,  de  la  figure,  etc. 
I/evenement  ne  determine  que  la  nuance  particuliere  de  Tex- 
pression. 

Ce  besoin  d'une  preparation  anterieure  explique  un  petit  detail 
assez  curieux  de  la  gen^se  des  obsessions,  j'avais  remarque  ce 
petit  fait  depuis  longtemps  et  j'ai  ete  heureux  d'apprendre  que 
M.  Arnaud  Tavait  remarque  de  son  c6te  ;  cela  montre  qu'il  a 
quelque  generalite.  Dansleur  recit,  il  est  rare  que  les  sujets  rap- 

LB8  OB9E8SI07(8.  1.    —  38 


594  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

portent  leur  maladie  a  une  seule  Amotion  :  presque  toujours  ils 
en  racontent  deux  cons^cutives  et  leur  obsession  se  rapporte 
tantot  a  la  premiere,  tantot  a  la  seconde.  Nous  avons  d^ja  noi6  le 
fait,  quand  nous  avons  etudi^  Tinfluence  de  T^motion  sur  les  os- 
cillations mentales,  nous  avons  vu  des  malades  ne  comniencer 
Tobsession  relative  a  une  Amotion  d^ja  ancienne  qu^au  moment 
ou  ils  sont  bouleverses  par  une  sec6nde  emotion  sans  rapport 
avec  la  premiere.  Nous  pouvons  citer  maintenant  le  fait  inverse: 
Dsy...,  femme  de  38  ans,  est  d'abord  trfes  emotionn^e  par  le  sui- 
cide de  son  mari.  Elle  reste  malade  sans  volont^  et  tres  inquiete, 
mais  elle  n^a  pas  d'id^es  6xes;  cinq  mois  apres  on  arrete  un  voleur 
cach^  dans  sa  maison  ce  qui  TefTraye  beaucoup,  et  a  ce  moment  se 
d^veloppe  Tobsession  qu*elle  ne  pent  pas  rester  seule,  de  crainte 
des  voleurs.  Chy...  doit  soigner  son  mari  pendant  une  operation 
chirurgicale  grave;  elle  reste  troublee,  tout  a  faitaboulique,  inca- 
pable de  se  lever  et  en  proie  a  une  inquietude  continuelle,  mais 
sans  id^e  fixe  determin^e.  Survient  un  petit  incident  assez  insi- 
gnifiant)  une  serviette  qu'elle  tenait  a  la  main  est  tombee  dans 
un  vase  qui  contenait  de  Thuile  et  cela  a  determine  aux  alentours 
quelques  ^claboussures,  la  voici  frapp^e  de  cette  idee  qu'elle  est 
maladroite  et  sale,  qu'elle  ne  pent  plus  rien  toucher  sans  6cla- 
bousser  de  la  graisse  et  tout  un  d^lire  de  propret6  se  d^ve- 
ioppe. 

II  me  semble  visible  que  Tune  des  Amotions,  la  premiere  dans 
ces  observations,  la  seconde  dans  celles  qui  ont  ^t^  rapportdes 
pr^c^demment  a  determine  un  abaissement  de  Tesprit  dans  Ic 
sens  ou  nous  Tavons  entendu,  Tautre  Amotion  fournit  simplement 
au  sujet  une  interpretation  des  troubles  qu'il  ressent.  Chez  ces 
derniers  malades,  Tinterpr^tation  vient  apres  la  chute  mentale, 
dans  d'autres  cas,  le  sujet  remonte  en  arriere  pour  trouver  cette 
interpretation  et  Taccident  qu'il  prend  comme  explication  a  eu 
lieu  longtemps  avant  le  debut  r^el  dela  maladie. 

Quand  on  a  compris  ces  divers  roles  de  Temotion  en  consid6- 
rant  des  cas  typiques  oil  ils  sont  s^par^s,  oncon^oit  facilemeut 
que  dans  des  cas  particuliers  toutes  ces  diverses  operations  puis- 
sent  se  confondre.  Une  seule  emotion  violente  pent  a  la  fois  de- 
terminer Tabaissement  qui  va  permettre  le  developpement  de  la 
psycholepsie  et  en  meme  temps  fournir  au  sujet  Texplication  qui 
va  former  Tobsession.  Mgi...,  homme  de  36  ans,  pretend  qu'il 
n'avait  aucun  trouble  anterieur   a  une  visite    malheureuse  qu'il  a 


INTERPRETATION  DE  LUDfiE  OBSfiDANTE  595 

faite  a  un  m^decin.  Celui-ci  lui  aurait  d6clar6  brutalement  qu*il 
^tait  phtisique:  «  cela  in*a  frapp^,  dit  le  malade  d'une  manifere 
indigne,  je  passe  les  jours  et  les  nuits  sans  repos  a  attendre  la 
mort,  je  ne  vols  que  des  enterrements  etdes  morts,  rien  ne  peut 
me  distraire  et  je  suis  incapable  de  faire  le  moindre  travail.  »  Si 
Mgi...  a  dit  vrai,  mais  je  me  d6fie  un  peu  sur  ce  point  des  dires 
des  malades,  une  seule  emotion  a  d^termin6  a  la  fois  le  trouble 
et  rinterpr^tation.  Mais  ce  n*est  pas  la  forme  la  plus  commune, 
car  Tobsession  est  en  g^n^ral  une  interpretation,  une  expres- 
sion, un  symbolequi  resume  dans  Tespritdu  malade  des  troubles 
d^ja  anciens  portant  sur  les  fonctions  psychologiques  sup^rieures 
et  determinant  depuis  longtemps  des  ruminations  et  des  phobies. 

Enfin  le  contenu  des  obsessions  pr^sente  certains  caract^res  qui 
ont  ete  mis  en  evidence  dans  les  chapitres  precedents.  Ces  carac- 
teres  me  semblent  faciles  a  comprendre  si  on  considere  Tobsession 
comme  I'expression  d*un  etat  pathologique  anterieur,  car  ils  ne 
sont  pas  autre  chose  que  les  caracteres  de  cet  etat  lui-meme.  Ainsi 
les  obsessions  portent  le  plus  souvent  surles  actes  du  sujet,  elles 
portent  sur  des  actes  mauvais  que  le  sujet  voudrait  ne  pas  faire  : 
elles  constituent  surtout  un  delire  d'auto-accusation.  Cette  direc- 
tion generale  des  obsessions  se  rattache  simplement  a  leur  point  de 
depart.  Elles  se  sont  developpees  dans  Tesprit  du  sujet  comme  des 
interpi^etations  d'un  etat  d'impuissance  dans  lequel  aucune  pen- 
see  ne  pouvait  etre  poussee  a  son  terme,  dans  lequel  le  trouble 
portait  surtout  sur  les  actions  et  les  croyances ;  il  est  tout  natural 
que  ces  interpretations  meme  pueriles  soient  en  rapport  avec 
les  sentiments  d'incompletude  du  malade  et  expriment  surtout  la 
critique  des  actes  et  des  croyances.  En  un  mot  je  trouve  que  les 
obsessions  du  malade  sont  en  partie  justifiees  malgre  leur  appa- 
rence  allegorique  et  symbolique. 

Si  nous  passons  a  d'autres  caracteres  de  I'obsession  nous  avons 
remarque  qu'elle  portait  sur  des  actes  extremes  et  que  le  sujet 
poussait  toujours  jusqu'au  dernier  terme  possible  son  idee  de 
crime  ou  de  sacrilege.  C'est  encore  la  consequence  de  plusieurs 
caracteres  qui  se  trouvent  deja  dans  la  rumination  ;  la  generalisa- 
tion desordonnee,  le  passage  a  Tinfini  ont  deja  ete  remarques 
dans  ces  meditations  qui  restent  abstraites  et  sans  aucune  des 
limites  qu'impose  la  perception  de  la  realite. 

L'etude  du  contenu  des  obsessions  me   semble  done  verifier 


696  THfiORIES  PATHOGfiNIQUES 

notre  interpretation  pr^cedente  des  etats  psychasth^niques  et 
uotre  hypoth^se  qui  met  au  premier  rang  les  troubles  de  la  volonte 
et  de  Tattention  ou  du  moins  les  troubles  de  cette  fonction  du  reel 
qui  nous  a  paru  la  plus  elev^e  des  fonctions  cerebrales. 

5.  —  U interpretation  de  la  forme  de  I'obsession. 

II  nous  reste  a  montrer  que  cette  interpretation,  ou  plutot  cette 
representation  d'ensemble  des  faits,  rend  encore  assez  bien  compte 
de  la  forme  que  prennent  les  obsessions  proprement  dites  dans 
Tesprit  du  malade.  J*ai  insists  au  debut  de  cette  etude  pour  mon- 
trer que  les  obsessions  des  psychastheniques  avaient  toujours  des 
caracteresspeciauxtres  diilerents,  enparticulier,  de  ceux  que  pre- 
sentent  les  idees  fixes  des  hysteriques.  Ces  caracteres  se  trouvent- 
ils  justifies  par  une  conception  qui  cherche  le  point  de  depart  de 
Tobsession  dans  Tetat  mental  sous-jacent,  dans  Tabaissement  de 
la  tension  psychologique  et  la  disparition  des  phenomenes  consi- 
deres  comme  superieurs,  ceux  de  la  fonction  du  reel? 

Le  premier  caract^re  des  obsessions  c'est  d^etre  obsedantes^ 
c'est-a-dire  de  se  prolonger  pendant  un  temps  extremement  long 
dans  Tesprit  du  sujet,  de  reapparaitre  perpetuellement  et  absolu- 
ment  a  tout  propos.  Peut-on  mieux  expliquer  ce  caractere  qu'en 
considerant  les  obsessions  comme  les  expressions  d'un  etat  mental 
sous-jacent  qui  est  perpetuel.  Si  Tidee  de  crime,  de  honte  de 
soi-meme,  de  folic,  de  maladie,  n*est  au  fond  qu*une  maniere  de 
nous  dire  que  Tesprit  est  abaisse,  qu'aucun  phenom^ne  ne  va  a  son 
terme,  qu'il  y  a  un  sentiment  d*incompletude,  ces  idees  dureront 
tout  naturellement  autant  que  TinsufHsance  elle-meme.  Or,  cette 
insuffisance  pent  se  prolonger  pendant  vingt  ou  trente  ans  en  res- 
tant  toujours  exactement  la  meme.  II  n*est  done  pastres  surprenant 
que  le  sujet  ayant  adopte  une  fois  pour  toutes  une  maniere  de 
Texprimer  ne  change  pas  cette  maniere  et  conserve  la  meme  idee 
indefiniment.  Ainsi  que  Ball  le  disait  tres  bien  * :  «  la  repetition  des 
memes  questions  et  des  memes  pensees  tient  a  un  phenomene 
organique  qui  ramene  sans  cesse  les  memes  impressions.  C'est 
ainsi  que  dans  un  reve,  nous  nous  debattons  peniblement  dans 
une  situation  dont  nous  ne  pouvons  sortir,  parce  que  la  repetition 
incessante  des  memes  impressions  physiques  reproduit  la  meme 

I.  Ball,  lievue  scientijlque ,  i88a,  II,  p.  46. 


INTERPRETATION  DE  L'IDfiE  OBSfiDANTE  597 

•s^rie  d'idees.  Ce  n'est  qu*au  r^veii  que  nous  sommes  delivr^es  de 
cette  obsession.  »  Le  r^veil,  ce  serait  pour  le  malade  la  dispari- 
tion  de  son  abaissement  mental.  Si  cela  arrive,  s*il  y  a  une  ascen- 
sion de  la  tension,  nous  avons  vu  que  Tobsession  disparait  tout 
<ie  suite  :  cela  prouve  bien  qu'elle  etait  li^e  avec  le  sentiment  de 
ia  diminution  de  cette  ni6me  tension. 

Nous  avons  remarqu^  que  Tassociation  des  id^es  jouait  un  r61e 
bizarre  dans  Tobsession  et  quMl  y  avait  plut6t  une  sorte  de  manie 
^'association  qui  pousse  le  sujet  a  unir  son  obsession  avec  tous  les 
autres  ph6nomenes  psychologiques  qu'il  eprouve.  Ce  caract^re 
se  rattache  tres  simplement  a  la  manie  de  la  precision  et  a  Tin- 
quietude.  Le  malade,  qui  a  beaucoup  soufTert  du  sentiment  d*in- 
compl^tude  6prouv6  a  propos  d*un  certain  acte,  reste  inquiet  et  il 
Eprouve  le  besoin  de  verifier  toutes  les  autres  actions,  toutes  les 
croyances,  tous  les  sentiments  pour  voir  si  a  leur  tour  ils  ne  vont 
pas  lui  faire  defaut.  Bien  entendu,  comme  nous  le  savons,  cet 
«fibrt  d'attention  va  simplement  rendre  difficiles  des  actions  qui 
se  faisaient  assez  bien  d*une  mani^re  d^sint^ress^e  :  celles-ci 
vont  de  nouveau  Mre  insulEsantes,  elles  vont  comme  les  pr^ce- 
denies  donner  naissance  au  meme  sentiment  d*incompl6tude  et  le 
sujet  sera  amen^  tout  naturellement  k  traduire  encore  une  fois  ce 
sentiment  par  la  m6me  obsession.  II  vous  dira  done  que  son  ob- 
session s'associe  avec  des  actions  et  des  id6es  de  plus  en  plus 
nombreuses  et  vous  aurez  Timpression  qu'il  cherche  lui-meme  a 
produire  cette  association.  En  r^alit^,  il  cherche  simplement  a 
^prouver  ses  actions  et  ses  croyances  et  en  les  ^prouvant  il  met 
en  Evidence  la  m^me  insuffisance  et  retrouve  partout  la  m6me  ob- 
session. C'est  ainsi  que  le  malade  inquiet  a  une  tendance  a 
^tendre  perp6tuellement  son  obsession  comme  une  tache  d'huile 
jusqu'a  ce  que  toute  sa  vie  en  soit  envahie. 

Les  obsessions  sont  impulsives,  mais  cette  impulsion,  comme 
nous  Tavons  vu,  consiste  en  une  sorte  de  manie  de  la  tentation 
et  de  I'impulsion.  On  dirait  que  le  malade  cherche  a  verifier  a 
chaque  instant  s'il  est  r^ellement  bien  pouss^  au  crime  ou  a  la 
folic  :  il  y  a  la  encore  un  r^sultat  de  Tinquietude  fondamentale. 

L*obsession,  Tid^e  d'etre  pouss6  au  crime  ou  I'id^e  d'etre  fou, 
est  une  sorte  d'explication  que  le  malade  aime  a  se  donner  a  lui- 
meme  des  troubles  p^nibles  qu'il  Eprouve.  Cette  id^e  lui  plait  en 
quelque  sorte,  parce  qu*elle  ^claircit  un  peu  une  situation  inex- 
tricable et  parce   qu'elle  justifie   les  soins,  les  protections,   les 


:m  THEORIES  PATHOGfiNIQUES 

directions  qu'il  est  pouss^  a  r^clamer.  II  est  evident,  quoique  cela 
paraisse  absurde,  que  certains  malades  seraient  d^sol^s,  si  on 
pouvait  leur  d^montrer  d^finitivemeut  qu*ils  n'auront  pas  une 
m^ningite  en  lisant  le  journal,  qu'ils  ne  feront  aucun  mal  a  per- 
Sonne  si  on  les  laisse  libres  et  qu'ils  ne  seront  pas  les  plus  vils  des 
hommes  s'ils  cessent  leurs  efforts  absurdes.  lis  se  trouveraient  en 
face  de  leur  oi^me  faiblesse  sans  Tombre  d*une  explication  et  ils 
seraient  abandonn^s  a  eux-m^oies,  ce  quails  redoutent  le  plus  au 
monde  anterieurement  a  toute  obsession,  en  raison  de  leur  abais- 
senient  du  niveau  mental.  D'autre  part,  il  ne  faut  pas  nier  que 
cette  idee  obs^dante  ne  leur  fasse  horreur,  non  pas  qu*ils  pren- 
nent  r^ellement  ces  crimes,  ces  hontesau  s^rieux,  mais  parce  que 
cette  id^e  resume  leur  mal  dont  ils  ont  deja  moralement  tant 
souffert. 

II  en  r^sulte  un  etat  mental  tout  special  qui  est  justement  Tim- 
pulsion  de  I'obs^d^  :  il  se  sent  pouss^,  chaque  fois  qu'il  se  sent 
malheureux  c^est-a-dire  incomplete  a  verifier  si  son  obsession  est 
bien  la,  si  elle  le  pousse  r^ellement,  s'il  commence  r^ellement  les 
mouvements  du  crime  ;  il  est  attir6  vers  cette  verification  comme 
par  un  plaisir  et  quand  cette  verification  commence  a  se  faire,  il 
recule  avec  horreur  comme  s*il  sentait  de  nouveau  son  mal  d'une 
maniere  plus  aiguS.  Ainsi,  quand  nous  avons  un  petit  abc^s  ou 
une  dent  malade  qui  nous  fait  du  mal  et  qui  nous  agace,  nous 
sommes  port^s  a  y  toucher  constamment,  a  tater  Tendroit  malade, 
a  le  tourmenter  jusqu*a  ce  qu'une  douleur  plus  aigu6  nous  fasse 
retirer  vivement  la  main  en  jurant  que  nous  n'y  toucherons 
plus;  mais  bientotle  d6sir  nous  reprend  de  recommencer.  Notre 
obs^de  si  aboulique  est  moitis  que  tout  autre  capable  de  resister 
a  cette  tentation.  II  faut  bien  comprendre  cette  nature  toute 
sp^ciale  de  I'impulsion  psychasth^nique  pour  ne  pas  confondre 
ce  ph^nom^ne  avec  les  impulsions  automatiques  que  Ton  ren- 
contre dans  d'autres  maladies. 

Ces  impulsions  n'arrivent  jamais  a  Tex^cution,  au  moins  dans 
les  cas  complets  et  nets  de  la  maladie,  de  meme  les  representa- 
tions n'arrivent  jamais  a  Thallucination  complete  et  veritable  avec 
objectivity  et  r^alite.  Ces  deux  caracteres  negatifs  tout  a  fait  es- 
sentiels  chez  les  scrupuleux  me  paraissent  tres  diflSciles  a  expli- 
quer,  si  on  veut  se  borner  a  consid^rer  Tobsession  comme  une 
idee  sugg^ree  ou  comme  Texageration  d'une  emotion,  car  les  id6es 
suggerees   et  les   emotions  exagerees  vont    precisement  jusqu'a 


REPRESENTATION  ANATOMIQUE  DES  THfiORlES  59» 

leur  terme  qui  est  I'acte  et  Thallucination.  Pour  moi  Tobsession 
cxprimant  une  maladie  generate  de  I'esprit  participe  natureile- 
ment  au  caractere  de  cette  maladie.  Or  le  caractere  essentiel  de 
toute  la  maladie,  c'est  qu'elle  supprime  le  dernier  terme  des 
operations  psychologiques,  qu'elle  rend  impossible  tout  ce  qui 
depend  de  la  fonction  du  r^el.  Le  malade  qui  d'une  maniere  g^- 
n^rale  est  incapable  d'agir  et  de  croire  n'arrive  pas  plus  a  agir 
et  a   croire  dans  son  obsession. 

Enfin  ces  obsessions  sont  avant  tout  des  obsessions  conscientes, 
des  folies  lucides,  c'est-a-dire  que  le  sujet  garde  le  pouvoir  de  les 
critiquer  et  de  rire  de  lui-meme.  Cela  revient  a  dire  tout  simple- 
ment  que  ces  obsessions  restent  incompletes  et  n'arriyent  pas 
jusqu'a  la  certitude.  Mais  la  maladie  est  justement  une  folic  du 
doute  qui  supprime  partout  les  croyances,  il  est  done  tout  nature! 
qu'clle  les  supprime  aussi  dans  Tobsession  qui  la  resume.  Nous 
avons  vu  que  les  obsessions  des  psychasth^niques,  par  opposition 
aux  idees  fixes  des  hysteriques,  sont  des  syst^mes  d'images  avec 
d^veloppement  incomplet.  Ce  caractere  qui  resume  les  prece- 
dents resume  aussi  la  maladie  qui  est,  comme  on  Ta  vu,  une  im- 
puissance  a  completer  les  phenomenes  psychologiques.  Tons  les 
caracteres  de  Tobsession  ne  sont  en  somme  que  les  caracteres  de 
retat  psycbasthenique,  il  est  done  tout  naturel  d'admettre  qu'elle 
en  derive. 


5.  —  La  representation  anatomique  des  tbiories. 

Beaucoup  d*auteurs  ont  essaye  de  donner  a  leurs  explications 
de  la  maladie  des  obsessions  une  couleur  anatomique,  il  faut  au 
moins  signaler  les  tentatives  qui  ont  ete  faites  dans  ce  sens. 

Je  n'insiste  pas  sur  les  troubles  de  Testomac  et  des  divers  vis- 
ceres  qui  ont  deja  ete  signales,  il  est  admis  a  peu  prfes  genera- 
lement  que  ces  troubles  sont  secondaires.  Mais  il  ne  Taut  pas  ou- 
blier  que  ces  troubles  donnent  naissance  a  des  auto-intoxications 
qui  ont  la  plus  grande  influence  sur  le  developpement  de  la  ma- 
ladie. La  lesion  principale  est  peut-etre  une  susceptibilite  speciale 
des  cellules  cerebrales  pour  toutes  les  intoxications.  Comme  le 
systeme  nerveux  altere  n'excite  plus  suffisamment  les  fonctions 
gastro-intestinales,  il  en  resulte  de  nouvelles  fermentations  et  de 


600  THEORIES  PATHOGEN IQL'ES 

nouvelies  intoxications.  Ce  cercle  vicieux  joue  un  role  consid^> 
rable,  mais  il  n*en  est  pas  moins  vrai  que  le  trouble  gastrique  ne 
sufGrait  pas  a  lui  seul  pour  determiner  toute  la  maladie  si  le  sys> 
Xhme  nerveux  ^tait  sain. 

Les  troubles  auxquels  on  a  attribue  le'plus  grand  role  sont  en- 
suite  les  troubles  circulatoires.  J*ai  d^ja  signale  les  travaux  de 
Angel,  et  la  these  de  Lubetzki  sur  le  role  de  la  congestion  et  des 
troubles  vaso-moteurs  dans  les  cephalalgies  et  dans  les  douleurs 
de  la  plaque  sacr^e.  M.  de  Fleury  explique  les  angoisses  a  par  un 
spasme  general  de  Farbre  circulatoire  s'accompagnant  probable- 
men  t  de  rhyperactivit6  fonctionnelle  du  cceur.  La  crosse  de 
l*aorte,  organe  presque  entierement  ^lastique  et  denue  de  Gbres 
musculaircs,  se  trouve  prise  entre  deux  forces  contraires  qui  teu- 
dent  a  la  distendre  violemment,  le  lacis  nerveux  dont  elle  est  en- 
touree  se  trouve  tiraille  et  soufTre  de  cette  douleur  retrosternale 
qui  constitue  T^lc^ment  essentiel  de  Tangoisse'  ».  J'ai  d^ja  si- 
gnale le  role  que  cet  auteur  fait  jouer  a  Thypertension  et  surtout 
a  rhypotension  arterielle. 

Un  des  auteurs  qui  a  le  plus  insiste  sur  Torigine  circulatoire  de 
la  psychasthenic  est  M.  Auguste  Yoisin.  Deja  dans  ses  lemons  cli- 
niques  il  se  montrait  dispose  a  rattacher  beaucoup  de  maladies 
mentales  a  Tan^mie  cerebrale'.  Plus  tard  il  chercha  a  montrer 
les  relations  «  du  d^lire  du  doute  avec  la  sthenic  et  Tasth^nie 
vasculaires'  ».  L'auteur  presentait  des  traces  sphigmographiques 
et  se  fondait  sur  Taction  de  certains  medicaments  comme  la  ca- 
fi^ine  et  la  morphine  sur  ces  troubles  vasculaires. 

Ces  theories  contiennent  une  part  de  v^rite  car  les  troubles 
circulatoires  sont  evidemment  frequents.  Mais  il  est  peu  probable 
qu'ils  soient  primitifs  :  tous  les  auteurs  sont  naturellement  ame- 
nds a  admettre  un  trouble  d'un  centre  circulatoire  ou  vaso-mo- 
teur  et  par  consequent  a  se  rapprocher  des  theories  nerveuses. 

Parmi  celles-ci  il  faut  distinguer  d^abord  celles  qui  veulent 
rattacher  la  maladie  a  des  organes  nerveux  en  dehors  du  cerveau 
proprement  dit.  Morel  et  Legrand  du  SauUe  parlaient  deja  d'une 


I.  F\euT\,  Les  grands  symptomes  neurasth^niques,  1901,  p.  98  (Paris,    F.  Alcan) 
3.   A.  Voisin,  Lemons  cliniques  sur  les  maladies  mentales,  1876. 
3.   A.  Voisiii.    Delire  du  doute,  ses  relations  palhogcniques  avec  la  stb^nie  et 
l*asthcDie  vasculaires.  Union  medicale,  33  mars  1896. 


REPRfiSENTATION  ANATOMIQUE  DES  THfiORIES  601 

n^vrose du syst^me  nerveux ganglionnaire  visceral  *. M.  Fere  remar- 
quait  le  grand  role  du  sympathique  au  molns  «  comme  organe 
p^ripb^rique  des  Amotions  ».  M.  (lartenberg  a  essay6  dialler  plus 
loin  :  dans  une  communication  pr^sent<^e  au  dernier  congres  de  psy- 
chologic et  dans  son  travail  sur  la  n^vrose  d^angoisse  il  concevait 
les  obsessions  et  surtout  les  phobies  comme  une  n^vrose  du  sym- 
pathique. Ces  auteurs,  j*en  suis  certain,  reconnaissent  eux-memes 
combien  tout  cela  est  aujourd'hui  hypothdtique.  Quel  est  le  r61e 
exact  du  sympathique  dans  T^motion  ?  Les  maladies  connues  des 
ganglions  coeliaques  d^terminent-elles  des  troubles  analogues  a  la 
folic  du  doute  et  aux  manies  du  serment  ?  N'est-il  pas  aujourd*hui 
bien  plus  vraisemblable  que  les  centres  corticaux  du  cerveau 
jouent  un  role  considerable  dans  les  Amotions  et  dans  les  obses- 
sions ? 

M.  Dallemagne  semble  dispose  a  rattacher  ces  maladies  a  des 
troubles  ^motionnels  et  ceux-ci  a  des  alterations  «  des  centres  ner- 
veux inf^rieurs...  qui  servent  comme  de  transition  entre  les 
fonctions  m^dullaires  automatiques  et  inconscientes  et  les  fonc- 
tions  corticales  conscientes  et  d*apparence  spontan^e'  ».  II 
semble  peu  probable  que  les  angoisses  des  psychastheniques 
soient  assez  el^mentaires  pour  etre  rattach^es  uniquement  a  des 
lesions  bulbaires.  Celles-ci  n'ont  gu^re  determine  des  troubles 
comparables  a  ceux  des  scrupuleux  et  tous  ces  auteurs  n*h6site- 
ront  pas  a  ajouter  aux  troubles  des  organes  qu'ils  signalent  le 
role  preponderant  des  troubles  du   cerveau. 

Les  theories  cerebrates  de  la  psychasthenic  sont  tres  peu  nom- 
breuseSy  elles  se  ramenent  a  quelques  types  tr^s  simples. 
Quelques  auteurs  font  allusion  a  des  centres  speciaux,  par 
exemple  aux  centres  corticaux  de  la  rongeur  de  Bechterew  et 
Misslawski.  Peut-on,  apres  toutes  les  observations  sur  la  honte 
du  corps,  rattacher  Tereutophobie  a  une  maladie  speciale  d*un 
centre  determine,  celui  de  la  rongeur  du  visage.  Si  ce  centre 
existe,  son  trouble  me  parait  singulierement  secondaire  a  des 
alterations  bien  plus  generates. 

Le  plus  souvent  on  explique  la  maladie  par  Texcitation  inde- 
pendante  et  isolee  des  divers  centres  corticaux.  C'est  deja  ce  que 
disait  Spencer  non  sans  quelque  naivete  :  «  une  fonction  cerebrate 


I.   Lcgratid  du  Saiille,  Agoraphobie^  p.  \^. 

a.   Dallemagne,  Deyvneres  et  tiHequiUbrh»  1895,  p.  573. 


G02  THfiORIES  PATHOGfiNIQUES 

appelle  le  sang  en  un  point  du  cerveau.  Le  sang  continue  a  y  en- 
tretenir  la  fonction,  de  la  les  id^es  6xes,  les  obsessions^  ».  En 
1886,  M.  Blaise  disait  de  m^me  :  «  L'impulsion  est  un  ph^no- 
m^ne  physiologique  qui  a  son  origine  dans  Texcitation  subite 
d'un  centre  nerveux.  Chez  le  sujet  normal  les  autres  centres 
peuvent  la  modifier,  Tannihiler;  mais,  chez  les  ali^n^s,  Taction 
de  ces  centres  mod^rateurs  Hani  troubl^e,  n'existant  pas,  cette 
excitation  se  r^v^Ie  puissante,  irresistible,  et  les  pousse  aux 
actions  les  plus  extraordinaires^. 

M.  Philip  Coombs  Knapp  donne  une  th^orie  qui  ne  me  parait 
gu^re  diflferente  :  tout  s'explique  selon  lui  «  par  Tirritation  progres- 
sive d'un  centre  de  Tid^ation,  le  groupe  de  cellules  oil  a  pris  nais- 
sance  Fidde  fixe  absurde  est  en  permanence  en  activity.  II  doniine 
la  conscience,  suspend  Tactivit^  des  autres  centres  et  finalement 
agit  sur  la  zone  motrice  dont  il  provoque  la  d^charge.  Ce  ph^no- 
m^ne  a  quelque  analogic  avec  ce  qui  se  passe  dans  T^pilepsie 
Jacksonienne^  ». 

M.  Bourdin  expliquait  de  meme  les  tics  «  par  des  ph^nomenes 
de  congestion  vasculaire  dans  beaucoup  de  cas  purement  fonc- 
tionnels,  ou  par  une  accumulation  d'influx  nerveux  dansun  centre 
determine.  La  cellule  mieux  nourrie,  surchauffee,  suroxyg^n^e, 
va  avoir  une  activite  anormale,  il  se  fait  la  une  accumulation  des 
forces  latentes  qui  doit  se  depenser,  se  transformer  en  mouve- 
ment...  L'impulsion  nous  apparait  comme  la  d^charge  brusque 
d'un  centre  passagerement  surexcite.  Elle  n'existe  que  parce  qu'il 
y  a  desequilibration,  desharmonie  entre  les  differents  territoires 
nerveux,  preponderance  de  Tun  dVntre  eux  aux  depens  des  au- 
tres *  » . 

Enfin  MM.  Vallon  et  Marie,  en  interpretant  quelques  obses- 
sions, fonl  les  remarques  suivantes  :  «  d'une  fa^on  generale  les 
obsessions  peuvent  etre  considerees  comme  des  excitations  non 
difiusees  a  Tensemble  des  centres  nerveux,  mais  irradiees  par- 
tiellement  en  un  sens  particulier.  Les  pheuomenes  secondaires 
sont  d'autant  plus  intenses  que  Tirradiation  est  plus  limitee  a 


I.  H.  Sponccr,  Principes  de  psychotogie,  I,  p.  661  (Paris,  F.  Alcan). 
a.   Blaise,  L'impulsion.  These,  Paris,  1886. 

3.  Philip  Coombs  Knapp.  The  insanity  of  doubt.  American  Jouwnal  of  psychology, 
1890.  Ann.  mid.  psych.,  1891,  II,  3^3. 

4.  Bourdin,  L'impulsion  specialemenl  dans  ses  rapports  avec  le  crime.  Thdse,  Paris,. 

1894. 


REPRESENTATION  ANATOMIQUE  DES  THEORIES  603 

telle  sphere  d^terminee.  S'agit-il  de  la  sphere  coenesth^sique  on 
aura  les  obsessions  emotionnelles ;  s'agit-il  de  la  sphere  sensi- 
tivo-sensorielle,  on  aura  les  obsessions  hallucinatoires ;  s'ngit-il 
de  la  sphere  motrice,  on  aura  les  obsessions  impulsives  ;  s'agit-il 
de  la  sphere  psychique,  on  aura  les  obsessions  intellectuelles  \  )> 
Ce  langage  en  apparence  anatomique  ajoute-t-il  quelque  chose 
aux  descriptions  et  aux  classiBcations  cliniques  des  obsessions  ? 
J'avoue  que  je  n'en  suis  pas  convaincu.  Je  ne  vois  pas  bien  quel 
avantage  on  trouve  a  exprimer  les  conclusions  psychologiques 
d^rivees  d'une  observation  qui  n'est  encore  et  qui  ne  peut  etre 
que  psychologique  en  un  autre  langage  bien  plus  hypothetique. 
Pourquoi  mfiler  le  probleme  de  la  nature  des  centres  corticaux, 
de  leur  role  dans  la  pensee  avec  Tinterpr^tation  des  obsessions  ? 
Sait-on  bien  s'il  y  a  un  centre  special  pour  chaque  id^e,  et  chaque 
fonction  psychologique  ?  Sait-on  s'ils  ne  collaborent  pas  tous  dans 
chaque  pensee  ?  Que  de  problemes  on  ajoute  inutilement  a  celui 
que  Ton  ^tudiait. 

Pofur  moi,  je  ne  puis  croire  qu'il  soit  possible  d'expliquer 
ancune  des  obsessions  ou  des  impulsions  que  j'ai  d^crites  dans 
cet  ouvrage  par  Tirritation  localis^e  d'un  centre  cortical,  a  moins 
que  Ton  ne  transforme  coinpletement  le  sens  que  les  physiolo- 
gistes  donnent  a  cemot,  centre  cortical,  et  que  Tonn'entre  com- 
pletement  dans  le  domaine  de  la  fantaisie.  Pour  prendre  un 
exemple  parmi  les  plus  simples,  T^reutophobie  ne  peut  aucune- 
ment  etre  presentee  comme  une  maladie  du  centre  de  la  rongeur 
du  visage.  Imaginez  le  trouble  vaso-moteur  de  la  face  le  plus 
6norme,  se  produisant  par  suite  d'une  lesion  centrale  comme 
une  ^pilepsie  Jacksonienne,  ce  ne  sera  aucunement  de  T^reuto- 
phobie.  L'obsession  de  la  rongeur  est  une  pensee  qui  vient  dans 
Tesprit  du  sujet  pour  expliquer  au  moyen  d'un  trouble  plus  ou 
moins  r^el  de  la  face,  d'innombrables  sentiments  de  gene,  de 
difficult^,  d'arret,  de  honte,  qui  surviennent  en  lui  depuis  long- 
temps  a  propos  des  actes  sociaux. 

Ce  qui  serait  peut-^tre  le  plus  trouble  chez  T^reutophobe  ce 
serait  le  centre  des  mouvements  puisqu'il  y  a  une  aboulie  au  point 
de  depart.  Mais  il  ne  peut  s*agir  du  centre  des  mouvements  quel- 

I.  Vallon  et  Marie,  Contribution  k  V6iu6e  de  quelques  obsessions.  XII^  Congrh 
de  mSdecine  de  Moseou,  1897. 


604  THEORIES  PATHOGfiMQUES 

conques,  car  le  trouble  n'existe  que  dans  les  mouvements  sociaux. 
II  va  falloir  revenir  comme  Gall  au  centre  de  la  sociability  et  il 
va  falloir  combiner  ce  centre  avec  tous  les  autres,  car  non  seule- 
ment  les  mouvements,  mais  les  sensations,  les  souvenirs,  les 
attentions,  les  pens6es  sont  genres  quand  le  malade  est  en  pu- 
blic. II  en  r^sulte  que  ce  centre  malade  devra  contenir  une  partie 
de  tous  les  autres  et  s'etendra  a  toute  Tecorce.  De  teller  expli- 
cations doivent  6tre  repoussees  car  au  milieu  de  beaucoup  d'autres 
inconvenients,  elles  presentent  surtout  ce  grand  danger,  c'est 
qu*elles  ont  Tair  de  fournir  une  explication  et  qu'elles  essaient 
de  masquer  notre  ignorance. 

Un  dernier  groupe  de  conceptions  anatomiques  me  parait  plus 
intercssant,  ce  sont  celles  qui  admettent  une  lesion  g^nerale  du 
cerveau,  soit  une  malformation  qui  r^duirait  les  centres  sup^- 
rieurs,  soit  plutot  un  afTaiblissement  g^n^ral  de  tout^  T^corcc. 
Laycock  parlait  deja  en  i8^ii  d*un  trouble  chimique  qui  pr^dis- 
posait  a  la  fixite  des  ph^nomenes  cer^braux^  H.  Jackson  admet 
une  dissolution  des  centres  les  plus  elev^s,  avec  predominance 
des  moins  hautement  organises^.  M.  F^r^  parle  souvent  d'une 
attenuation  g^n^rale  des  fonctions  du  cerveau.  M.  de  Fleury 
admet  dans  la  neurasthenic  un  ^puisement  nerveux  g^n^ral  qui  ne 
s^adresse  pas  a  tel  ou  tel  territoire  en  particulier. 

J*ai  deja  indique  que  si  Ton  ne  craint  pas  les  hypotheses  pr^mn- 
turees  on  pouvait  essayer  d'imaginer  une  diminution  de  la  tension 
nerveuse  en  la  rapprochant  de  phenom^nes  analogues  pr^sentes 
par  le  courant  electrique  ou  par  la  chaleur.  On  peut  ajouter  peut- 
etre  que  cette  diminution  de  tension  est  relative  a  Tetendue  des 
centres  c^rebraux.  Un  cerveau  simple,  etroit,  peu  complexe  peut 
probablement  plus  facilenient  avoir  une  tension  sufRsante.  Cela 
expliqucrait  ce  fait  souvent  signals  que  les  psychastheniques  sont 
souvent  des  gens  intelligents  et  delicats  et  que  les  espris  tres 
simples,  ceux  des  idiots  et  des  imbeciles  par  exemple,  ne  sont  pas 
capables  de  presenter  cette  maladie  des  obsessions. 

Au  lieu  de  faire  de  cette  maladie  un  trouble  anatomique  localise, 
je  serai  plutot  dispose  a  en  faire  un  trouble  dynamique,  une  insuf- 
(isance  de  la  force  qui  est  fournie  a  Torgane  pour  qu*il  fonctionne. 
Le  cerveau  du  psychasthenique  est  un  beau  lustre  electrique  dont 


I.  Cilf^  par  Hack -Til  kc,  Brain,  189^,  p.  19a. 
a.  Jackson,  Drain,  1894,  p.  19^. 


REPRfiSENTATION  ANATOMIQUE  DES  THEORIES  605 

les  lampes  sont  tr6s  nombreuses  et  ires  artistementdispos^es;  s*il 
eclaire  mal,  si  les  lampes  s^^chaufTent,  s'il  se  produit  des  d^riva-  • 
tioDs  c'est  que  le  courant  fourni  par  le  secteur  n'a  pas  le  voltage 
suiBsant.  Je  me  hate  d'ajouter  d'ailleurs  que  Ton  ignore  compl^- 
tement  a  quoi  tient  cette  baisse  de  courant  du  cerveau,  s*il  y  a 
un  organe  special  qui  produit  cette  tension  et  qui  la  rfegle,  si 
cet  organe  est  dans  T^corce  c^r^brale,  dans  le  cervelet  ou  en 
dehors.  Ce  n'est  la  qu'une  representation  vague  qui  est  bien  loin 
d*atteindre  la  precision  que  Ton  pent,  je  crois,  donner  a  des 
interpretations  purement  psychologiques. 

II  est  Evident  que  c*est  la  bien  peu  de  choses,  mais  c'est  tout 
ce  que  Ton  pent  dire  avec  quelque  vraisemblance.  S'il  «  faut 
toujours  penser  anatomiquement  »,  il  faut  se  r^signer  a  ne  pas' 
penser  du  tout  quand  il  s'agit  de  psychiatrie.  N'est-il  pas  plus 
raisonnable  et  plus  utile  m6me  de  constater  les  faits  de  la  ma- 
niere  dont  ils  se  pr^sentent  actuellement  a  Tobservation  et  de  les 
exprimer  dans  le  langage  qui  leur  convient.  Ces  etudes  psycho- 
logiques, en  analysant  les  phenomenes,  en  les  r^duisant  a  leurs 
elements  essentiels,  prdparent  les  voies  a  une  interpretation 
anatomique,  interpretation  qui  n*est  pas  encore  possible  a  notre 
dpoque. 


CHAPITRE  II 
L'fiVOLUTION 

La  modification  anatomique  a  laquelle  on  pourrait  rattacher  les 
accidents  psychasth^niques^la  nature  intimedu  trouble  qui  les  pro- 
dult  nous  echappe.  II  en  resulte  que  les  Etudes  sur  T^tiologie  et 
revolution  de  cette  afiection  sont  n^cessairement  fort  vagues.  Je 
me  borne  a  rapporter  les  principales  conditions  auxquelles  Tob- 
servation  r^p^tee  donne  quelque  importance  comme  conditions 
etiologiques  et  a  rechercher  de  quelle  maniere  se  fait  le  plus  com- 
mun^ment  le  d^veloppement  de  tons  ces  troubles. 


PREMIERE  SECTION 
CONDITIONS    iTIOLOGIQUBS 


La  maladie  de  la  psychast^nie  entendue  dans  ce  sens  gdn^ral 
que  j'ai  essay^  de  faire  comprendre,  comprenant  les  aboulies,  les 
tics,  les  scrupules,  les  angoisses,  les  obsessions,  est  extr^mement 
fr^quente.  En  trfes  pen  d*ann6es,  depuis  que  j'ai  r^solu  d'entre- 
prendre  Tetude  de  ces  malades,  j*ai  pu  tr^s  facilement  reunir 
325  observations  de  cas  tout  a  fait  remarquables.  Sous  sa  forme 
plus  vulgaire,  la  maladie  doit  etre  enormement  repandue,  c'est 
elle  qui  se  dissimule  le  plus  souvent  dans  ces  cas  innombrables 
que  Ton  baptise  des  noms  b^nins  de  nervosity,  de  neurasthenic. 

Les  conditions  qui  semblent  dc^terminer  Teclosion  de  cette 
maladie  sont  d'abord  *des  conditions  essentielles  predisposantes 
sous  la  dependance  de  Th^redit^  etde  la  constitution  individuelle, 
puis  des  conditions  accidentelles,  en  rapport  avec  des  troubles 
physiques  ou  moraux  qui  d^terminent  Teclosion  de  la  maladie. 


L^HfiREDlTfi  607 


i.  —L'h6r6dit6. 


II  est  ({'observation  ancienne  que  rh6r^dit6  joue  un  r6le  consi- 
derable dans  la  maladie  des  obsessions.  Legrand  du  Saulle  pla^ait 
deja  rh^r^dite  en  premier  lieu  parmi  les  causes  pr^disposantes  : 
<c  La  folic  du  doute  va  de  pr6r(grence  recruter  ses  victimes  parmi 
les  descendants  des  n^vropathes,  ces  surnum^raires  obliges  de 
^alienation^»  Tousles  observateurs  ont  reproduit  la  meme  re- 
marque.  M.  Saury*  reproduisant  Tenseignement de  M.  Magnan^, 
appellecc  cette  maladie  »  la  folie  her^ditaire  et  ^crit  en  parlant  des 
obs^d^s  :  «  qui  dit  folie  dit  h^r^dit^y  c*est  le  principe  qu*il  faut 
admettreen  th6se  g^n^rale.  )> 

MM.  Pitres  et  R^gis  ^tablissent  a  ce  sujet  le  tableau  suivant 
tres  d^monstratif.  lis  constatent  dans  les  Ix/b  des  cas  des  ascen- 
dants directs  ou  collat6raux  qui  sont  des  obs^d^s,  des  ali^n^s, 
des  alcooliques  ou  des  n^vros^s.  Sur  lOO  observations  d'obs^d^s 
ayant  dansleur  ascendance  des  tares  n^vropathiques,  ils  observent 
les  proportions  suivantes  : 

i^  paternelle 5 
/                           similaire. .     .<  maternelle a'l 
(  coUal^rale lo 
.'  ali^n^s,  ^pilepliques  ou  hyst^riques.        i5 
(  pire  ou  m^re.|  alcooliques i4 
^  dissemblable }                         '  violenU,  originaux i4 

f  collat^rauz      ^  ali^n^s,  ^pileptiques,  hyst^riques,  al- 

'{       cooliques,  etc i8 


s 


Je  n'ai  recueilli  quelques  renseignements  suflSsamment  precis 
sur  les  maladies  des  parents  que  dans  170  cas.  Voici  les  r^sul- 
tatsde  ces  observations  en  ramenant  la  proportion  a  100  cas: 

Parents  sans  maladie  connue ^ 

Tuberculeux,  syphilitiques la 

Arthriliqucs,  goutte,  etc 7 

H^rMit6        )    Alcoolisme iT) 

dans    100  cas.  j    N^vropalhiques 17 

/   AlUnation  1  '=!'''\'"*  P'.V"!' '^ 

I                       f  chez  les  collaleraux 16 

I     Psychasth<^nie  similaire a 8 

1.   Legrand  du  Saulle,  Folie  du  doute,  p.  61. 

a.   Saury,  Les  degenerh,  etude  sur  la  folie  hereditaire,  1886. 

3.  Magnan,  H6reditaires  d^g6n^r6s.  Archives  de  neurol,,  189a,  I,  3o5. 


608    ^  L'fiVOLUTlON 

Dans  8  cas  seulement  pour  loo  je  ne  trouve  rien  de  bien  no- 
table chez  le  pere  et  la  m^re,  il  est  probable  qu^une  ^tude  plus 
attentive  de  la  famille  aurait  encore  r^duit  ces  cas  sans  h^r^dlte. 
D'ailleurs  c'est  dans  ces  cas  qu'il  faudrait  rechercher  les  troubles 
du  caractere,  la  timidity,  Tautorltarisme,  etc.,  qui  sont  plusqu*on 
ne  le  croit  la  preparation  de  Tetat  psychasth^nique.  Dans  13  cas 
Tun  des  parents  6tait  atteint  de  tuberculose  ou  de  syphilis.  Cette 
proportion  me  semble  un  peu  forte,  elle  est  due  a  ce  que  la  plu- 
part  deces  malades  appartiennentala  population  parisienne  pau- 
vre.  Dans  7  cas  pour  100  je  note  chez  Tun  des  parents  ou  dans 
quelques  cas  chez  les  deux  des  formes  graves  de  Tarthritisme, 
Tobesite,  le  rhumatisme  chronique^  la  goutte.  Cette  constatation 
n'est  pas  sans  importance  clinique. 

Dans  1 5  cas  Tun  des  parents  ^tait  alcoolique.  Dans  17  des  cas 
Tun  des  parents  etait  atteint  d'une  nevrose  grave  :  ^pilepsie,  hyste- 
ric, asthme.  Pour  Tali^nation  proprement  dite,  nous  ne  bornons 
pas  notre  enquete  au  pere  et  a  la  mere,  mais  aux  collateraux  im- 
m^diats,  oncles,  tantes,  cousins  germains,  nous  trouvonsalors  dans 
3o  cas  des  antecedents  atteints  d*alienation.  Ces  cas  se  d^com- 
posent  ainsi :  \!\  malades  ont  leur  pereou  leur  mere  atteints  d'alie- 
nation  et  16  comptent  des  alien^s  parmi  leurs  collateraux.  En 
outre,  dans  7  observations  il  faut  noter  quele  p^re,  la  mere  ou  un 
collateral  imm^diat  se  sont  suicides. 

Dans  ces  derniers  cas  il  y  a  souvent  accumulation,  dans  le  cas 
deWeu...  le  p^re  alcoolique  est  mort  de  delirium,  la  grand'- 
m6re  paternelle  est  morte  alienee,  la  mere  etait  atteinte  de  delire 
circulaire,  une  sceur  de  la  malade  est  hysterique  et  deux  freres 
morts  dans  Tenfance  etaient  idiots.  Yoici  la  genealogie  de  Fa... 

Grand-p5re,  Grand -p^re, 

alcoolique,   alMn^»    aBsassin.  alcoolique. 

I  I 


I  III 

Oncle.  P^re,  M^re,  Tante. 

alcoolique.  asthmatique,  bysUrique.  delire  m^lanoollque. 

I  crises  de  Bommeil, 
Cousin,  ali6n^. 

obsede,    suicide.  | 


Fa...,  ScBur,  frftre, 

obsdd^.  b^stdrique.        6plleptique  et  imb^ile. 


Dans  le  second  volume  de  cet  ouvrage  on  trouvera  beaucoup  de 
cas  de  ce  genre. 


Ce  qui  parait  le  pluscurieux  c'estquedans^ycaSjC'est-a-dire  38 
pour  100,  jetrouve  a  un  degr^plus  ou  molnsaccentu^  ce  que  Ton 
peutappeier  une  her^dite  similaire ;  dans  12  de  cescas  Th^r^dit^  est 
absolument  semblable  et  la  maladie  se  repute  quelquefois  dans 
tous  ses  details.  Le  p^re  de  Mb...  avail  une  manie  d'interrogation, 
de  verification  qui  ressembie  tout  a  fait  aux  interrogations  que 
fait  maintenant  sa  fille  parvenue  au  meme  age  sur  la  valeur  des 
ditferents  sens.  L'obsession  du  suicide  que  j'observe  actuellement 
chez  Er...  existe  aussi  chez  sa  soeur,  elle  a  exists  chez  la  mere  et 
chez  la  grand*mere  de  cesdeux  jeunesfilles.  Dans  le  cas  de  Sol... 
la  mere  et  le  fils  pr^sentent  en  meme  temps  la  meme  obsession 
qui  les  pousse  a  penser  constamment  avec  terreur  a  la  mort  su- 
bite.  Dans  les  autres  cas  les  parents  ont  d'autres  obsessions, 
d'autres  manies  bien  caract^ris^es.  La  mere  de  Dob...  avait  des 
obsessions  de  jalousie,  et  Dob...  est  une  agoraphobe.  Bow... 
nous  pr^sente  la  microphonophobie,  son  (ils  a  la  phobic  du  be- 
gaiement.  La  grand'm^re  de  Gis^le  avait  des  craintes  de  depen- 
ser  de  Targent,  de  le  voler  et  de  Tamour  fou  pour  les  betes.  La 
iille  de  cette  malade,  a  Cans,  pr^sente  des  manies  d'ordre  et  des 
remords  obsedants,  elle  sent  d6ja  «  qu'elle  n^est  pas  comme  les 
autres  petites  (illes  qui  savent  [avoir  des  id6es  gaies  ».  Trousseau 
avait  deja  remarqu6  qu*il  y  a  des  families  chez  qui  les  tics  sont 
h^r^ditaires,  il  y  en  a  de  meme  chez  qui  les  phobies  et  les  scru  - 
pules  se  transmettentde  generation  en  generation  comme  les  traits 
du  visage.  Lise  et  sa  plus  jeune  soeur,  qui  ressemblent  a  leur 
p^re,  ont  des  scrupules  comme  lui;  son  fr^re,  qui  ressembie 
physiquement  a  la  m^re,  ^chappe  a  la  maladie. 

Dans  bcaucoup  d'observations,  ou  j^ai  compt6  les  parents  comme 
sains  ou  bien  comme  ne  pr^sentant  que  de  Tarthritisme,  on  trouve 
cependant  chez  eux  des  troubles  psychologiques  extremement  inte- 
ressants.  Ce  sont  des  gens  bizarres,  des  agit^s  ou  bien  des  mous 
et  des  inertes  ne  pouvant  se  decider  a  rien,  ou  bien  des  violents, 
des  entet^s  incapables  de  se  diriger  ou  de  se  contraindre.  La  mere 
de  Mm...  reste  absorb^e  dans  ses  idees  :  elle  a  toujours  ete  une 
reveuse  ne  pouvant  jamais  se  decider  a  agir  mais  elle  n'a  jamais 
soufFert  de  Tobsession,  sa  fille  a  le  meme  caractere  r^Veur  mais 
elle  souffre  de  ses  idees.  Le  pere  de  Chv. ..  est  un  inquiet,  sans 
Anergic  qui  s'est  tourmente  toute  sa  vie  sans  motif,  sa  fille  est 
une  hypocondriaque  et  une    phobique.    La    mere  de   Lcp...,    le 

LSS   OBSESSIONS.  I.    —    89 


610  L'fiVOLUTION 

pere  de  Ade...,  le  pere  de  Bu...,  le  pere  de  Claire,  le  pere  et  la 
mere  de  Nadia,  la  mfere  de  Wye...,  etc.,  sont  de  veritables  abou- 
liques,  ne  terminant  jamais  ce  quUls  entreprennent,  d^sesp^res  et 
tourment^s  par  des  hesitations  au  moment  d*unchangementd*ap- 
partement,  malades  pour  le  plus  petit  changement  de  leurs  habi- 
tudes. J'ai  deja  signale  ces  families  comme  celle  de  Ho...,  de 
Sim...,  de  Za...,  oil  Tun  des  parents  6taitremarquablepar  un  ca- 
ractfere  horriblement  autoritaire  et  j'ai  montre  que  c/6tait  d^ja  la  un 
trouble  de  la  volont^  qui,  chez  les  enfants,  aboutit  au  scrupule. 

L*observation  de  Jean  est  partlculierement  int^ressante :  il  me 
semble  qu'il  a  fallu  une  Evolution  constante  dans  la  meme  direc- 
tion pour  arriver  a  constituer  son  esprit.  Le  grand-pere  paternel 
etait  un  homme  a  la  fois  triste  et  agit^,  il  se  tourmentait  et  s^afTli- 
geait  d'une  maniere  excessive,  il  est  mort  apres  avoir  ^i6  plu- 
sieurs  ann^es  dans  un  ^tat  voisin  de  la  melancolie  anxieuse,  etat 
determine  par  la  mort  de  sa  femme.  Le  p^re  est  un  homme  ex- 
tremement  intelligent,  meditatif,  mais  timor^,  sans  activite  et 
sans  Anergic  Pour  le  plus  l^ger  ennui,  il  tombe  dans  desetats  de 
depression  mentale,  n'agit  plus  et  ne  parle  plus  pendant  plusieurs 
jours  ;  il  est  tres  preoccupy  de  sa  sante  d^une  maniere,  il  est 
vrai,  encore  raisonnable,  mais  qui  touchc  bien  a  Thypocondrie. 
Enfin  le  fils,  Jean,  touta  fait  aboulique,  pr6sente  au  plus  hautde- 
gre  ledelire  du  scrupule  et  de  Thypocondrie.  On  pourrait  dire  ici 
avec  M .  Fer6  «  Ther^dite  a  besoin  d'c^tre  accumul^e,  capitalisee 
en  quelque  sorle  avant  de  se  montrer  sous  une  forme  nettement 
caracterisee,  avant  de  se  traduirepar  uneentite  morbibe  a  laquelle 
on  puisse  imposer  un  nom  ^  ». 

Ces  dernieres  observations  sur  Theredite  sont  interessantes : 
elles  nous  montrcnt  que  la  maladiede  Tobsession  n'estque  le  der- 
nier terme  d'une  Evolution  caract^ris^e  par  Tabaissement  de  Tac- 
tivite  mentale  qui  correspond  probablement  a  un  abaissement 
parallele  de  Tactivite  vitale  se  manifestant  par  Tarthritisme. 
Comme  cet  abaissement  de  Tesprit,  cette  diminution  des  pheno- 
menes  superieurs  de  synthese,  de  volonte  et  d'attention  et  leur 
remplacement  par  les  phenomenes  inferieurs  de  la  division  men- 
tale, de  la  reverie,  de  I'^motivite  est  aussi  le  point  de  depart  de 
de  la  plupart  des  alienations  etdesnevroses,  il  n'estpassurprenant 
que  des  families  engagees  dans  cette  voie  descendante  n'aboutis- 

l.  F6r^,  La  famille  nhropathique,  iSg^. 


LES  STIGMATES  PIlVSlQUES  DE  D^GfiN^RESCENCE  6ll 

sent  pas  toujours  a  Tobsession  proprement  dite,  mais  que  plu- 
sieurs  de  leurs  membres  d^vient  dans  d'autres  directions  vers 
r^pilepsie,  Thyst^rie  ou  d'autres  psychoses. 


2.  —  Lea  stigmates  physiques  de  diginirescence. 

Cette  influence  de  Th^r^dit^  a  conduit  a  rechercher  chez  les 
obsed^s  des  marques  physiques  dWganisation  incomplete  ou 
d^fectueuse,  les  stigmates  physiques  de  la  d^gen^rescence. 
Morel  signalait  deja  ce  probl^me ;  Legrand  du  Saulle  y  insiste 
dans  son  6tude  clinique  sur  T^tat  mental  de  Sandon,  1878  V 
II  signale  les  malformations  du  crane,  Taplatissement  de  la  re- 
gion post^rieure  de  la  tete,  le  d^faut  d'harmonie  du  front  et  de 
la  tete,  Tasym^trie,  le  strabisme,  le  nystagmus,  la  grandeur  de 
la  bouche^Tepaisseurde  lal^vre  inf(6rieure,rirr6gularit6dentaire, 
la  decadence  rapide  et  pr^coce  de  la  dentition,  Tasy metric  et 
r^troitesse  de  la  voAte  du  palaia^  Tasym^trie,  Timplantation  vi- 
cieuse,  la  forme  anormale,  du  pavilion  de  I'oreille,  I'arret  de 
d^veloppement  des  organes  g^nitaux,  etc. 

M.  Magnan  et  toute  son  6cole  ont  beaucoup  insists  sur  Tim- 
portance  de  ces  stigmates  physiques  dont  ils  se  servent  pour 
ranger  ces  malades  parmi  les  d^g^ncres  ^.  Parmi  les  travaux  r^- 
cents  on  pent  signaler  ceux  de  Binder  sur  I'oreille  de  Morel*, 
ceux  de  Metzger  sur  les  signes  dela  d^g^n^rescence*,  cet  auteur 
remarque  justement  qu'il  ne  faut  accorder  de  Timportance  qu'au 
concours  de  plusieurs  de  ces  signes  associ^s  chez  le  m^me  indi- 
vidu,  deM.  Ladame^,  de  M.  Iscovesco'etc. 

I .  Legrand  du  Saullo,  Signes  physiques  des  folies  raisonnantes,  Made  clinique  sur 
i'Slat  mental  de  Sandon,  1878. 

a.  Magnan,  Journal  des  conseils  mSdicaux,  26  novembre  1889.  Lemons  I'aites  h 
Sainte*\nno,  recueillles  par  Legrain.  Legrain.  Du  delire  chez  les  deqenires,  i885. 
Magnan,  Des  signes  physiques,  intellcctuels  ot  moraux  de  la  folic  hereditaire, 
Ann.  med  psych.,  Janvier  1886,  p.  90.  Discussion.  Ann.  mSd.  psych.,  1886,  p.  370, 
437.  444.  Archives  de  neurologic,  1893,  II,  3o8. 

3.  Binder,  L'oreille  de  Morel.  Arch.  f.  Psych.,  XX,  a,  1890. 

4.  MeUgcr,  £tude  des  signes  de  la  d^g^n^rescence.  Allg.  Zeitschr.  f.  Psych., 
XLV,  5,  1890. 

5.  Ladame.  fievue  de  I'hypnotisnie,  189 1,  p.  137. 

6.  Iscovesco,  Trois  cas  d'impulsion  chez  des  d^g^n^r^s.  Ann.  mid.-psych.,  1898, 
II,  6a. 


or:  L*f.  VOLUTION 

MM.  Pitres  et  R6gis  ont  cependant  fait  a  ce  propos  une  remar- 
que  trfes  juste,  c'est  que  ces  tares  physiques  sont  loin  d'aecom- 
pagner  toujours  et  r^gulierement  les  troubles  nioraux  des  phobias 
et  des  obsessions,  a  Laplupart  des  obs^d^s  ont  le  crane  bien  con- 
forme,  les  dents  bien  implant^es,  les  organes  g^nitaux  normale- 
nient  d^velopp6s,  ils  ne  pr6scntent  m^me  pas  plus  souvent  quo 
les  sujets  r^put^s  sains  les  petits  stigraates  auxquels  on  ^tait 
porte  naguere  a  attacher  une  importance  fort  exager^e.  »  Ces 
auteurs  dans  une  cnqu^te  sur  5o  sujets  ont  examine  T^tat  de 
la  voi!kte  palatine,  la  forme  des  oreilles,  Texistence  ou  Tabsence 
du  trembleraent  des  mains  et  ils  n'ont  pas  obtenu  des  resultats 
differant  sensiblement  de  ceux  qu*on  obtient  d'ordinaire  chcz  des 
sujets  normaux. 

Je  n'ai  pas  fait  la  meme  enqu6te  aussi  systdmatiquement  ;  je 
constate  de  temps  en  temps  quelques-uns  de  ces  signes  qu'on 
est  convenu  d'appeler  stigmates  physiques  de  deg^n^rescence,  j'ai 
note  deux  cas  de  bec-de-lievre,  douze  cas  d'asymetrie  faciale  tr^s 
nette,  en  particulier  chez  Jean,  unetrentainede  fois  la  voi^te  pala- 
tine ogivale,  quelques  implantations  des  dents  tr^s  irr^gulieres, 
en  particulier  chez  Lo...  et  chez  Ver...,  Toreille  de  Morel,  Tasy- 
metric  du  visage  et  du  corps,  des  plaques  de  vitiligo  sur  la  peau 
chez  Vk...,  le  gigantisme  chez  Gisele,  femme  de  i",86  et  le 
nanisme  chez  Far...,  homme  de  i,™38,  Tasymetrie  reniarquable 
de  la  couleur  de  Tiris  dans  les  deux  yeux  chez  Fa...,  Tarret  de 
developpement  des  seins  et  des  organes  g^nitaux  chez  Mw...  qui 
n'est  pas  encore  r^glee  a  3o  ans,  etc. 

Cependant,  il  faut  observer  que  ces  deformations  sont  loin 
d'etre  la  regie,  il  ne  faut  pas  oublier  que  Ton  rencontre  des 
scrupuleux  qui  sont  de  tr^s  beaux  hommes,  d'une  conformation 
irr^prochable  comme  Rk...  Je  suis  dispose  a  conclure  comnie 
MM.  Pitres  et  R6gis  que  ces  malformations  sont  tr^s  loin  d'avoir 
chez  les  obs^d^s  la  meme  frequence  et  la  meme  importance  que 
chez  les  idiots  et  m^me  chez  les  ^pileptiques. 

Ce  que  Ton  observe  plus  souvent  ce  sont  ces  troubles  fonction- 
nels  qui  se  manifestent  des  Tenfance  et  qui  indiquent  une  resis- 
tance defectueuse  du  systfeme  nerveux.  Dans  douze  cas  parmi  les 
antecedents  personnels  j'ai  nott^  des  convulsions  infantiles.  Le 
fait  a  une  petit  importance  :  on  sait  que  ces  convulsions  sont 
tres  rares  dans  les  antecedents  des  hysteriques  et  qu*elles  sont 
au   contraire  tres  fr^quentes  dans  les  antecedents   des  epilepti- 


LE  SEXE  ET  L'AGE  613 

ques,  or,  comme  on  Ta  vu,  je  suis  tent6  de  rapprocher  nos  psy- 
chastheniques  des  epileptiques.  Dans  7  cas,  j'ai  not6  Tinconti- 
nence  nocturne  infantile,  se  prolongeant  jusqu'a  10,  12  et  i5  ans, 
dans  trois  cas  du  begaiement.  Dans  un  de  ce^  cas  assez  curieux, 
le  begaiement  a  gueri  vers  I'age  de  22  ans,  au  moment  oil  a 
commenc6  revolution  des  troubles  mentaux. 

Si  les  stigmates  physiques  de  la  d^g^n^rescence  ne  sont  pas 
toujours  evidents,  il  y  a  cependant  une  faiblesse  du  systeme  ner- 
veux  qui  se  manifeste  par  ces  troubles  fonctionnels  et  qui  sera 
encore  plusevidente  quand  nous  considererons  le  caractere  moral 
ant^rieur  a  la  maladie  proprement  dite. 


3.  —  Le  sexe  et  I'Age. 

En  outre  de  Ther^dit^,  le  sexe  senible  jouer  un  certain  role 
comme  condition  pr^disposante.  En  faisant  la  statistique  des 
observations  maintenant  assez  nombreuses  que  j*ai  recueillies  et 
qui  s'elevent  au  nombre  de  325,  je  constate  qu*il  y  a  parmi  ces 
maladcs  g5  hommes  et  280  femmes.  La  dific^rence  est  considera- 
ble puisque  le  nombre  des  femmes,  71  pour  100,  est  plusde  trois 
fois  celui  des  hommes,  29  pour  100.  Quelques  remarques  peuvent 
peut-^tre  diminuer  cette  difference,  les  hommes  ont  moins  que  les 
femmes  le  temps  de  venir  se  plaindre  d'une  maladie  semblable  de 
Tesprit,  ils  s*occupent  moins  des  details  de  leurpensee.  Maiscela 
memc  confirme  qu'ils  sont  moins  susceptibles  de  dcvenir  des  scru- 
puleux.  On  pent  admcttre  en  rc^sume  qu*il  y  a  un  quart  d'hommes 
pour  trois  quarts  de  femmes  :  c'est  une  remarque  qui  a  deja  ete 
faite  a  propos  de  Thysterie  et  en  general  a  propos  des  nevroses. 

Elle  s'accorde  avec  cette  opinion  generale  peu  galante  mais 
assez  vraie :  c'est  que  la  femme  est  en  general  d'un  niveau  mental 
inferieur  a  celui  de  Thomme,  en  entendant  toujours  la  hierarchic 
mentale  dans  le  sens  que  j'ai  indique,  qu'elle  a  plut(H  les  fonc- 
tions  inferieures  de  la  reverie  et  de  T^motivit^  etqu'elle  a  moins 
les  fonctions  sup^rieures  qui  agissent  sur  le  rc^el,  le  percoivent 
et  le  modiBent. 

II  est  plus  difficile  de  determiner  Tinfluence  de  Tage  :  on  pent 
commencer  par  dresser  un  tableau  indiquant  Tage  qu'avaient  les 


614  LfiVOLUTION 

ma  lades  au  moment  oil  ils  se  sont  preseDtes  a  notre  examen  poor 
la  premiere  fois,  c^est  ce  que  MM.  Pitres  et  Regis  ont  fait  dans  le 
tableau  suivant  qui  resume  25o  observations' : 

AGE  BOMMES  FEMMES  TOTAL 

De  II  a   1 5  ans 3  4  6 

16  k  30  ans 5  7  la 

ai  k  35  ans 17  i5  3a 

36  a  3o  ans i4  36  5o 

3i  k  35  ans 17  a8  45 

36  h  4o  ans 11  37  38 

fn  k  45  ans 8  18  a6 

46  h  5o  ans 7  8  i5 

5i  a  55  ans 6  5  11 

56  h  60  ans a  4  6 

61  &  65  ans..     .....  5  a  7 

66  k  70  ans i  o  i 

71  k  75  ans I  o  I 

96  I 54  35o 

J'ai  tir6  un  tableau  semblable  de  3oi  observations  que  j'ajoute 
ici  a  cdt<^  du  precedent  simplement  a  titre  de  document  : 


10  ans o 

i5  ans 4 

ao  ans 9 

a5  ans 11 

3o  ans 16 

35  ans la 

4o  ans i3 

45  ans 6 

5o  ans 3 

55  ans 10 

60  ans I 

65  ans a 

70  ans o 

75  ans I 

80  ans I 

"89" 

Ce  tableau  s'accorde  d^une  mani^re  interessante  avec  celui  de 
MM.  Pitres  et  Regis  :  il  montre  comme  le  precedent  que  les 
obs6d^s  viennent  demander  dcs  soins  a  peu  pres  a  tons  les  ages. 
En  realite,  aucun  age  n'est  totalement  exempt  de  cette  maladie. 

I.  Pitres  ot  P6gi8,  op,  eit.,  p.  69. 


De  5  & 

II  k 

16  k 

31  k 

36  k 

3i  k 

36  k 

4i  k 

46  k 

5i  k 

56  k 

61  a 

66  k 

71  k 

76  k 

I 

I 

6 

10 

»9 

38 

35 

46 

43 

59 

33 

45 

•i6 

39 

16 

sa 

i5 

18 

7 

»7 

6 

7 

3 

5 

I 

I 

1 

a 

0 

I 

13 

3oi 

LE  SEXE  ET  fAGE  615 

Mais  il  est  certain  aussi  que  dans  I^enfance  et  I'extreme  jeunesse 
les  cas  que  Ton  presente  au  m^decin  sont  fort  rares,  de  meme  a 
partir  de  5o  ans  on  note  dans  les  deux  tableaux  une  decroissance 
tr^s  rapide.  Les  cas  d'obsession  dans  Tenfance  ou  dans  la  vieil- 
lesse  sont  toujours  signal6s  comme  des  raret^s  cliniques  ^  La  pe- 
riode  la  plus  favorable  au  d^veloppement  de  cette  maladie  semble 
etrc  entre  20  et  5o  ans,  c'est-a-dire  dans  Tage  adulte.  Enfin  par 
une  coincidence  qui  ne  pent  pas  etre  fortuite,  les  deux  tableaux 
nous  montrent  le  maximum  au  meme  age  entre  a6  et  3o  ans, 
il  semble  bien  que  ce  soit  la  la  periode  la  plus  active  de  la  ma- 
ladie si  on  veut  bien  admettre  que  la  gravity  de  la  maladie  est  en 
rapport  avec  Tactivite  que  mettent  les  malades  a  rechercher  les 
soins  du  medecin. 

Une  statistique  qui  serait  beaucoup  plus  int^ressante  nous  don- 
nerait  non  plus  Tage  ou  les  malades  se  pr^sentent  chez  le  mede- 
cin, mais  Tage  ou  la  maladie  a  debute  ;  malheureusement  cette 
statistique  est  presque  impossible  a  etablir.  La  maladie  des  obses- 
sions procede  souvent  par  rechutes  successives  separ^es  par  des 
periodes  d'amelioration  relative.  Les  malades  sont  trop  portes  a 
donner  comme  le  debut  de  leur  maladie  la  date  du  debut  de 
leur  derniere  rechute  grave  et  laissent  de  c6t6  la  date  du  ddbut 
veritable  quelquefois  tres  eloignee.  Par  exemple  Vor...,  femme 
de  58  ans,  vous  dira  volontiers  que  sa  maladie  actuelle,  le  scrupule 
urinaire,  a  commence  il  y  a  deux  ans;  ce  n'est  qu'incidemment 
qu'elie  raconte  avoir  ^te  soignee  par  Charcot  a  Tage  de  18  ans, 
pour  une  crainte  bizarre  de  dire  des  mensonges  en  confes- 
sion. Ellc  est  toute  surprise  quand  on  lui  fait  reconnaitre  que 
c*cst  toujours  la  m^me  maladie.  On  commet  ainsi,  en  prenant 
la  date  d'une  rechute  pour  la  date  du  debut,  de  grossicres 
erreurs. 

Mais  une  deuxieme  difficult^  est  plus  grave  encore  ;  qu'est-ce 
qu'on  appelle  le  d^but  veritable  d*une  maladie  semblable  ?  Est-ce 
le  d6but  de  Tobsession  proprement  dite?  Mais  il  peut  y  avoir 
auparavant  des  crises  de  rumination,  de  phobie,  de  tics  qui 
sont,  comme  on  Ta  vu,  la  preparation  de  I'obsession;  admettra- 


I.  H.  Berger,  Obsession  et  impulsion  chei  un  enfant  de  10  ans.  Arch.  f.  Psy- 
chiatric, XVllI,  3,  1890.  J.  Seglas,  Ncurasthcnie  tardive  avec  id^es  obs^antes  et 
folie  du  doule  choz  un  hommo  dc  56  ans.  SocUU  medico-psych,,  a5  mai  1891. 


616  Lfi  VOLUTION 

t-on  ces  crises  comme  d^but  ?  Mais  il  y  a  auparavant  des  senti- 
ments pathologiques  d^irr^el,  des  inquietudes,  des  aboulies  qui 
sont  a  noire  avis  la  maladie  elle-m6me.  Or,  ces  phenomenes  ont 
pu  commencer  des  annees  avant  T^closion  de  Tobsession.  Choi- 
sir  la  date  entre  ces  deux  extremes  est  tout  a  fait  arbitraire. 

II  en  r^sulte  une  consequence  singuliere  :  plus  Tobservation 
d'un  malade  est  ^tudiee,  plus  on  reconnait  que  les  troubles  sont 
anciens  et  plus  on  est  dispose  a  prendre  comme  date  du  debut 
un  age  tres  jeune,  plus  Tobservation  est  sommaire,  plus  on  ac- 
cepte  d*apres  les  dires  du  malade  un  age  avance.  II  resulte 
de  ces  didicultes  qu^une  statistique  de  Tage  du  debut  est 
presque  impossible  ou  du  moins  qu'il  faut  la  consid^rer  comme 
une  indication  vague  sans  pouvoir  y  attacher  une  grande  pre- 
cision. 

MM.  Pitres  et  R6gis  ont  essay^  une  statistique  de  ce  genre 
dont  voici  les  r^sultats  * : 

AGE  IIOMMES  FEMMES  TOTAL 

De    5  k  ID  ans 6 

II  a  i5  ans 8 

i6  a  ao  ans 3 

ai  k  35  ans 4 

a6  k  3o  ans 4 

3i  &  35  ans o 

36  &  4o  ans 1 

4i  &  45  ans o 

46  k  5o  ans i 

5i  k  55  ans i 

56  a  6o  ans o 

37  73  100 

Pour  etablir  le  tableau  suivant  portant  sur  186  miilades  seule- 
ment,  mieux  connus  que  les  autres  a  ce  point  de  vue,  j'ai  essaye 
dans  la  mesure  du  possible  de  noter  le  debut  du  premier  acci- 
dent independamment  des  rechutes  et  je  n'ai  consider^,  comme 
debut,  que  des  accidents  reels  en  general  des  agitations  forcees 
sous  forme  de  manies  mentales,  de  tics  ou  d'angoisse,  inquietant 
le  malade  ou  son  entourage  sans  remonter  jusqu'aux  troubles  du 
caractere  qui  dans  la  plupart  des  cas  s'etaient  manifestes  beaucoup 
plus  t6t. 

I.  Pilros  et  Regis,  op.  cit.,  p.  70. 


8 

i4 

34 

3a 

9 

II 

10 

i4 

9 

i3 

9 

9 

0 

I 

I 

1 

3 

3 

0 

I 

I 

I 

LE  SEXE  ET  L'AGE 


617 


TOTAL 

TOTAL 

AGE 

HOMMES 

FBMMES 

POUR  1 86 

POUR  100 

5  k  lO 

ans.  ...    3 

4 

7 

3.7 

II  k    l5 

ans.  . 

6 

33 

29 

i5,5 

i6  k   ao 

ans.  . 

i3 

33 

46 

a4,3 

ai  k  a5 

ans. 

8 

ao 

a8 

i5.a 

a6  k   3o 

ans. 

5 

33 

38 

ao,4 

3i  a  35 

ans. 

9 

a 

II 

5.9 

36  k  4o 

ans. 

3 

8 

11 

5,9 

^l  k   45 

ans. 

o 

6 

6 

3. a 

/i6  k   5o 

ans. 

a 

4 

6 

3, a 

5i  k   55 

ans. 

o 

o 

0 

0 

56  k   6o 

ans. 

o 

a 

a 

1,07 

6i  k  65 

ans. 

I 

I 

a 

1,07 

5o 


1 36 


186 


Ici  Ics  deux  tableaux  ne  sont  plus  aussi  concordants  que  tout 
a  rheure,  ils  montrent  bien  tous  ies  deux  le  noihbre  considera- 
ble des  debuts  dans  la  jeunesse,  nombre  qui  va  en  diminuant  a 
mesure  que  Tage  avance.  Mais  dans  le  tableau  de  MM.  Pitres  et 
R^gis  le  maximum  se  trouve  entre  11  et  i5  ans,  tandis  que  dans 
le  mien  le  maximun  se  trouve  un  peu  plus  tard  entre  16  et 
20.  Les  auteurs  precedents  concluent  leur  etude  en  disant  :  «  plus 
de  la  moiti6  des  cas  commence  dans  Tenfance  avant  la  fin  de  la 
qulnzieme  annee,  plus  des  trois  quarts  avant  la  trentieme  ^  »  Mon 
tableau  ne  me  permct  pas  d*avoir  tout  a  faitla  m6me  formule  et  je 
dirai  :  a  peu  pres  la  moitie  des  cas  commencent  avant  la  fin  de  la 
vingtieme  ann^e  et  plus  des  trois  quarts  avant  la  trentieme. 

Cette  remarque  sur  Tage  du  d^but  le  plus  frequent,  n'est  pas 
sans  int^rdt.  Tous  les  auteurs  sont  d'accord  pour  admettre  Tenorme 
influence  de  la  puberte.  Legrand  du  Saulle  disait  que  chez  des 
predisposes  par  rh^redit^  Tage  de  la  puberty  ne  va  pas  sans  ora- 
ges  et  sans  perils.  M.  J.  Falret  ajoutait  qu*a  la  puberty,  il  se  fait 
comme  une  bifurcation,  Ics  uns  sont  frapp^s  d*un  arret  de  deve- 
loppement  et  se  dirigent  vers  la  debilite  intellectuelle,  les  au- 
tres  vers  les  phobies  raisonnantes.  »  J'ai  ete  frappe  de  ce  fait, 
ecrivait  Baillarger*,  que  presque  ton  jours  la  maladie  du  doute 
avait  debute  a  Tepoque  de  la  puberte.  »  M.  Marro  insiste  beau- 
coup  sur  ces  dangers  de  la  puberte  :  Tactivite  de  la  croissance, 


I.  Pitres  et  R^gis,  op.  cU.,  p.  70. 

a.  Batllarger,  Folic  du  doute.  Archives  cliniqiies  des  maladies  mentales  et  nerveuses. 
Paris,  1 86 1. 


618  L'fi  VOLUTION 

dit-il,  correspond  a  un  arr^t  du  perfectionnement  organique ;  il  y 
a  a  ce  moment,  surtout  chez  les  femmes,  une  diminution  dans  la 
quantity  d'acide  carbonique  elimin^  qui  indique  un  ralentisse- 
ment  de  la  nutrition  \  et  il  y  a  une  predisposition  a  toutes  les 
maladies  mentales.  Toutes  ces  remarques  sont  fort  justes  et  le 
d<^but  des  regies  chez  la  femme  est  bien  souvent  le  d^but  des 
phobies  et  des  obsessions. 

Depuis  longtemps  j'essaye  de  montrer  qu'il  ne  faut  pas  tenir 
compte  uniquement  de  la  puberty  physique  mais  qu*il  faut  tenir 
compte  aussi  de  la  puberty  morale  qui  se  produit  un  pcu  plus  tard. 
La  perception  des  sensations  nouvelles,  leur  assimilation  a  la 
personnalite,  tous  les  sentiments  qu'elles  entrainent  compliquent 
singulierement  Texistence  morale.  «  II  est  un  age,  disais-je  a  ce 
propos,  legerement  variable  suivantles  payset  les  milieux  oil  tous 
les  grands  problemes  de  la  vie  se  posent  simultan^ment.  Le  choix 
d'une  carriere  et  le  souci  de  gagner  son  pain,  tous  les  problemes 
de  Tamour  et  pour  quelques-uns  tous  les  problemes  religieux :  voila 
des  preoccupations  qui  envahissent  Tesprit  des  jeuncs  gens  et  qui  ab- 
sorbent completement  leur  faible  force  de  pensee.  Cesmille  influen- 
ces manifestent  une  insuffisance  psychologique  qui  reste  latente 
pendant  les  p6riodes  moins  diflSciles '.  »  L'augmentation  du  nom- 
bre  des  scrupuleux  entre  i6  et  20  ans  semble  confirmer  ce  role 
queje  donnais  autrefois  a  la  periode  de  la  puberte  morale,  c'est 
une  influence  un  peu  plus  tardive  qui  s'ajoute  simplement  a  celle 
deja  considerable  de  la  puberty  physique. 

Cependant  il  ne  faut  pas  oublier  notre  remarque  prealable, 
c'est  qu'il  est  tres  diflScile  de  fixer  I'age  du  d^but  et  qu'il  est  tres 
facile  en  tenant  compte  des  troubles  des  sentiments,  de  la 
volonte,  de  T^motivite,  dc  le  faire  remontcr  dans  certains  cas 
plus  haut  que  je  ne  Tai  fait.  C'est  la  ^videmment  ce  qui  explique 
les  divergences  que  j'ainotees. 


4.  —  Les  conditions  physiques  dSterminantes. 
Quelle  que  soit  Timportance  de  la  predisposition  hereditaire. 


1.   Marro,  Puberte^  p.  ^2.  67,  3^3. 

a.   Les  accidents  menlaux  des  hysleriques,  i8()4,  p.  299. 


LES  CONDITIONS  PHYSIQUES  DfiTERMINANTES  619 

li  est  evident  que  certaines  causes  determinantes  jouent  un  role 

dans  I'^closion  de  la  maladie.  Tous  les  auteurs  ont  not^  Timpor- 

tance  des  fatigues,  des  exces,  des  traumatismes,  des  maladies  in- 

fectieuses,  de  la  puerp6ralit^,  etc.\ 

On  a  rattache  des  cas  d'une  manifere  nette  a  des  maladies  d*es- 

tomac*,  a  des  lesions  cardiaques^,  a  Tinfluenza^y  etc.  MM.  Pitres 

et  Regis  ont  fait  une  statistique  de  4o  cas  oil  les  causes  physiques 

semblent  avoir  eu  une  grande  influence.  Ces  cas  se  decomposent 

ainsi^: 

Operations  chirurgicale« a 

Maladies  vcn^riennes  et  cutandes 8 

Surmcnago 5 

Maladies  iofectueuses I2 

Accidents  nerveux 6 

Grossesses a 

Menopause 5 

Dans  mes  observations  j'ai  not^  que  les  obsessions  semblent 
avoir  commence  immediatement  ou  quclque  temps  apres  les  phe- 
nomenes  suivants  et  que  par  consequent  ceux-ci  peuvent  avoir 
eu  quelque  influence  sur  elles. 

Congestion  par  la  chaleur i  cas. 

Refroidissement  de  la  t^te i 

Surinenage  physique 3 

Blessures  accidcntellos 4 

Contusions  k.  la  tdte i 

Operations  chirurgicales 5 

Eczema  ot  maladies  culan6cs 3 

Ur6thrite ^ 

Metrite a 

Syphilis a 

Troubles  gastriques lo 

Cholera.  .     '. i 

Bronchito a 

Influenza 4 

Pleurisies  et  pneumonies 3 

Tuberculose a 


I.  Baillarger,  Recherches  sur  les  maladies  mentales,  1890.  p.  a6a.  S^glas,  Maladies 
mentaleSy  p.  69,  etc. 

a.  DevaY.  £latdelirantpar  auto-intoxication.  Journal  mid.  et  de  chir.  pral.,  1873, 

p.  497- 

3.  Roubinovitch,  Phobie  dans  un  cas  d'insuflisance  mitrale.  Sociite  med.-psych., 
37  mai  1876. 

4.  Pailhas,  Obsessions  nerveuses  au  cours  d*une  atteinte  d'influenza.  Ann.  med.- 
psjch.y  1893,  11,  '426. 

5.  Pitres  et  Regis,  op.  eit.,  p.  74. 


620  L'EVOLUTION 

Variole "...  a 

Typhoide ii 

Accidents  nervcui a  a 

Puborte   tardive  et  djrsmcnorrhde a 

Onanisme 7 

Grouesse 4 

Fausses  couches  et  h^morragies 3 

Accouchement i 

Allaitement 3 

Menopause 3 


Ii  est  Evident  que  rinfluence  de  beaucoup  de  ces  causes  est 
loin  d'etre  directe,  je  suis  dispose  a  croire  que  piusieurs  de  ces 
accidents  sont  deja  la  premiere  manifestation  de  la  maladie  et  non 
sa  cause.  II  en  est  ainsi  probablement  pour  piusieurs  des  troubles 
gastriques,  pour  piusieurs  des  cas  d^onanisme  etpour  ce  que  nous 
avons  appel^  accidents  nerveux,  ies  sommeils  que  pr^sentait 
Gis^e,  ies  crises  convuisivcs  de  Yod...,  etc.  Ii  est  probable  que 
ces  accidents  ont  et^  consid^r^s  a  tort  conime  hysteriques  et  qu'ils 
etaient  d^ja  des  crises  d'cngourdissement  ou  d'agitation  comme  ies 
presentent  ies  psychasth^niques.  Ii  est  probable  aussi  que  beau- 
coup  dc  ces  accidents  n*ont  pas  agi  comme  cause  physique  mais 
uniquement  par  l*^motion,  par  ie  choc  moral  qui  ies  accompa- 
gnaient,  ii  en  est  ainsi  pour  ces  biessures  a  ia  main  faites  par  une 
aiguilie,  pour  i'eczema  du  perinee  ciiez  Vor...,  pour  ia  syphilis 
chez  TIl...,  pour  piusieurs  des  accouchements. 

Cependant  un  certain  nombrede  ces  phenomenes  ont  une  action 
bien  certaine,  ie  surmenage  chez  Ez...,  qui  soigne  son  mari  nuit 
et  jour  pendant  5  mois  et  qui  commence  imm6diatement  apres 
une  abouiie  a  i*age  de  3o  ans  quand  rien  n'existait  auparavant, 
ia  syphiiis  d'une  femme  de  28  ans  accompagn^e  d'ancmie,  c'est 
ie  seui  cas  d'aiiieurs  oil  j'aie  vu  ia  nevrosc  ct^der  compietement 
au  traitement  specifique  de  ia  syphiiis. 

ija  fievre  typhoide  qui  se  rencontre  dans  un  si  grand  nombrede 
cas  joue  un  r6le  incontestabie.  Trois  fois  j'ai  vu  des  personnes  de 
trente  ans  presentant  tres  peu  d'antecedents  her^ditaires,  d'une 
sante  moraie  anterieure  tres  complete,  etre  transformees  par  la  fievre 
typhoide  et  devenir  rapidement  abouiiques,  douteurs,  obsedes. 

Ln  puberte  n'agit  ^videmment  que  chez  ies  predisposes,  on 
pent  dire  cependant  que  i'apparition  tardive  des  regies  vers  16 
ou  18  ans,  Ies  douleurs  qui  accompagnent  ia  dysmenorrhee  ne 
sont  pas  sans  avoir  une  influence  directe. 


LES  CONDITIONS  PHYSIQUES  DfiTEUMINANTES  621 

L'accouchementy  surtout  iorsque,  conime  chez  Fok...,  il  se 
complique  d'accidents  infectieux,  est  fr^quemment  le  point  de 
depart  d*accidents  nientaux  graves,  quoique  ia  predisposition  ne 
fOt  que  leg^re  auparavant. 

Un  probleme  bien  plus  int^ressant  et  plus  delicat  se  pose 
quand  on  considere  Tinfluence  dc  Tonanisme  et  des  divers  trou- 
bles dcs  fonctions  sexuelles.  Un  grand  nombre  d'auteurs  ont 
attire  Tattention  snr  Tinflucnce  considerable  que  les  fonctions 
genitales  exercent  sur  les  fonctions  raentales.  Tous  les  nnciens 
auteurs  et  en  particulicr  Legrand  du  Saulle  avaient  deja  signale 
rinfluence  de  Fonanismc.  line  belle  observation  de  delire  du 
scrupule  qui  se  trouve  rapportee  dans  le  livre  curieux  de  Zini- 
merniann  «  la  Solitude  »  est  rattach^e  par  Tauteur  «  a  cette  habi- 
tude deplorable*  ».  Cette  influence  ddletfere  etait  done  commune- 
ment  admise  niais  d'une  maniere  un  peu  vague. 

M.  Freud,  de  Vienne,  a  essaye  de  montrer  que  les  n^vroses  et 
en  particuHer  Thysterie  et  la  nevrose  d'angoisse  avaient  pour  ori- 
gine  exclusive  des  troubles  des  fonctions  genitales'.  «  L^hysterie 
aurait  pour  origine  un  souvenir  inconscient  relatif  a  la  vie  sexuelle 
et  remontant  a  la  premiere  enfance,  la  neurasth6nie  serait  due  au 
surnienage  genital  par  masturbation  excessive  et  pollutions  re- 
p6tees  et  la  nevrose  d'angoisse  proviendrait  de  la  satisfaction  in- 
compl(;te  du  besoin  sexueP.  »  L'origine  de  la  maladie  qui  nous 
occupe  et  qui  est,  comme  on  Fa  vu,  bien  voisine  de  la  nevrose 
d'angoisse  de  Freud  serait  bien  simple  :  «  Son  etiologie  sp6ciflque 
est  Taccumnlation  de  la  tension  genesique,  provoqu^e  par  Tabsti- 
nence  ou  Tirritation  g^n^sique  fruste  (formule  g^n^rale  pour  indi- 
quer  reffet  du  coVt  reserve,  de  Timpuissance  relative  du  mari,  des 
excitations  des  fiances,  de  Tabstinence  forcee,  etc.]  ».  Plusieurs 
auteurs  ont  public  des  statistiques  curieuses  pour  montrer  le  bien 
fonde  de  cette  interpretation  :  les  plus  importantes  sont  celles  de 


t.  2iminermann,  La  solUude,  p.  i54*  m^me  opinion  dans  lo  livrc  dc  M.  Dagonct» 
Maladies  mentales,  189/1.  p.  /ia^. 

3.  Froiid  (de  Vienno),  Die  scxualitut  in  der  (JCtiologio  dor  neurosen.  Wiener 
klin.  fiundsrhan,  1899,  a,  /|»  5,  7. 

3.  Les  theories  dc  M.  Freud  sur  cc  point  sont  claircmeiit  r^suinecs  dans  le  petit  his- 
torirpic  de  la  nc\rosc  d'angoissc  dc  M.  Ilartcnberg,  p.  i4. 


622  L'fiVOLUTION 

M.  GatteP,  de  M.  Tournier*,  de  M.  Tschisch^,  de  M.  Kish*,  de 
M.  F^r6%  etc. 

Cette  proposition  parait  au  premier  abord  singuli^re,  mais  une 
observation  d^sint^ress^e  montre  qu'eile  contient  eertainement 
une  part  de  v^rit6.  Si  on  pent  avoir  des  renseignements,  des 
aveux  sur  la  vie  sexuelle  des  raalades,  on  voit  qu'elle  est  presque 
toujours  troubl^e  et  qu'elle  est  bien  troiibl^e  en  effet  dans  le 
sens  qu'indique  Freud.  Ces  personnes  ont  des  d^sirs,  souvent 
meme  trop  frequents,  ils  essayent  de  les  satisfaire,  mais  n*y  par- 
viennent  que  tres  incompletement.  Les  uns  le  constatent  avec 
resignation,  les  autres  s'en  irritent  et  font  des  efforts  d^sesp^res 
et  ridicules  pour  retrouver  ce  Paradis  perdu.  Chez  ceux-ci  et  a 
un  moindre  degre,  mais  d'une  maniere  6galement  certaine,  des 
troubles  remarquables,  ruminations,  agitations,  angoisses  accom- 
pagnentces  excitations  sexuelles  incompletes.  On  peut  remarquer, 
comme  le  dit  tres  bien  M.  Tournier,  que  le  m^me  trouble  existe 
dans  Tamour  moral  comme  dans  Tamour  physique  «  cette  n^vrose 
se  realise,  dit-il,  chez  le  jeune  homme  par  besoin  sentimental  non 
satisfait,  par  aspiration  vers  Tamour  du  coeur...  »  Nous  avons  d^- 
crit  longucment  ces  besoins  du  coeur  chez  les  psychasth6niques. 

J'admets  done  le  fait  signals  de  M .  Freud,  mais  je  crois  qu'il 
faut  I'interpr^ter.  M.  Freud  considere  le  trouble  sexuel,  la  satis- 
faction insuffisante  comme  un  fait  primitif  resultant  des  circons- 
tances  ext^rieures  ou  de  la  conduite  volontaire  du  malade,  et  il 
admet  que  c'est  cette  insuHisance  accidentelle  des  excitations  g6- 
nitales  qui  determine  de  toutes  pieces  la  nevrose  conisider^e 
comme  posterieure.  Divers  auteurs,  en  particulier  M.  Lowenfeld, 
de  Munich^,  et  M.  Hartenberg,  ont  fait  des  objections  tr^s  justes. 
«  La  marche  de  Taffection,  dit  ce  dernier  auteur,  avec  ses  ame- 
liorations et  ses  rechutes,  ne  Concorde  nullement  avec  les  diverses 
phases  de  la  vie  sexuelle^.  »  Cela  mesemble  incontestable:  meme 


1.   Galtcl,  Veber  die  Schueller  Ursache  der  !^eurasthenie  und  Angstneurose . 
a.  Tournier,  Essai  de  classification  6tioIogique  des  n^vroscs.   Archives  d'anihro^ 
pologie  criminelle.  Lyon,  i5  Janvier  1900. 

3.  Tschisch,  Comptes  rendus  du  VI*>  Corujrhs  de  la  SocieU  des  niSdecim  russes  de 
Kiew,  1896. 

4.  Kish,  Nivrose  cardiaque  d'origine sexuelle  chez  la  femme,  1897.  Cf.  Hartenberg, 
loc.  cit.,  p.  38. 

5.  Ch.  Fer6,  L' instinct  sexuel,  1899  (Paris,  F.  A  lean). 

6.  Lowenfeld  (Munich).  Munch,  med.  Wochenschrijt,  n"  i3,  1895. 

7.  Hartenberg,  Nhyrose  d'angoisse,  190 1,  p.  27. 


LES  CONDITIONS  PHYSIQUES  DfiTERMINANTES  623 

si  je  me  borne  a  consid^rer  les  malades  qui  pr^sentent  unique- 
ment  de  Tangoisse,  pour  ne  pas  sortir  du  groupe  dtudi6  par  M. 
Freud,  je  ne  vois  pas  que  les  circonstances  exterieures  aient  tou- 
jours  d^termin^  chez  eux  eette  insuflfisance  du  coi't  au  moment  de 
leurs  rechutes.  Bien  loin  de  ia,  j'ai  eu  des  aveux  significatifs,  me 
demontrant  qu'ils  avaient  a  ieur  disposition  les  moyens  d'une  sa- 
tisfaction largement  suflisante. 

Si  j'admets  les  faits  signal^s  par  M.  Freud  et  M.  Tournier,  je 
suis  dispose  a  les  interpreter  d'une  tout  autre  fagon.  M<^nie  dans 
la  masturbation,  meme  dans  le  coit  r^serv^,  et  a  plus  forte  raison 
dans  le  coi't  normal,  ces  personnes  pourraient  trouver  une  satis- 
faction suflisante  si  elles  etaient  normales.  Mais  elles  ne  le  sont 
pas  et  ces  insuflisances  de  T^motion  sexuelle  ne  sont  qu'une  ma- 
nifestation, un  cas  particulier  de  leurs  insuffisances  psychologi- 
ques.  C'est  parce  qu'elles  deviennent  de  plus  en  plus  incapables  de 
pousser  un  phenomene  psychologique  jusqu'a  son  terme  qu'elles 
s'arretcnt  a  moitie  chemin  dans  cette  emotion  comme  dans  les 
autres. 

11  se  pourrait  m^me  que,  du  moins  dans  certains  cas,  Tona- 
nisme  lul-mcme,  avec  son  isolement,  ses  restrictions,  soit  en  rap- 
port avec  les  premieres  manifestations  de  la  maladie.  «  II  ne  faut 
pas  oublier,  comme  Lasegue  aimait  a  le  rappeler,  que  Tonanisnie 
est  souvent  le  symptome  d'un  etat  morbide,  d'une  nevrose  c<5r<^- 
brale.  Souvent  la  folic  n'est  pas  consecutive  a  Tonanisme,  mais  il 
existait  un  (^tat  cerebral  qui  a  engendr^  Tonanisme*.  »  II  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  dans  quelques  cas  les  pratiques  signalees  par 
M.  Freud  peuvent  favoriser  cet  arr^t  des  6motions,  d^velopper 
Thabitude  des  ph^nomenes  d^incompl^tude  et  par  consequent  etre 
fort  nuisibles. 

En  un  mot,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  lieu  de  faire  jouer  dans 
cctte  maladie  un  role  special  aux  ph6nomenes  sexuels.  II  suflit 
d*admettre  avec  M.  Marro,  MM.  Pitres  et  R^gis,  M.  Haskovec, 
que  tous  les  troubles  de  la  sph6re  g^nitale,  puberty,  age  critique, 
menstruation,  lactation,  onanisme,  ont  une  influence  d^primante 
dans  eette  maladie  comme  d'ailleurs  dans  toutes  les  n^vroses  ^ 
L'^puisement  determine  par  ces  troubles  g^nitaux  s'ajoute  sim- 


1.  Lasogue,  l^ludes  mMicales,  11,  p.  3^7. 

2.  Marro,  La  puberte,  p.  8a.  Pitros  et  R6gU,  op.  cU.,  p.  3i.  Haskovec,  op.  cit., 
p.  ia6. 


62i  L'fiVOLUTION 

plement  a  tous  ceux  qui  ont  616  relev^s  a  propos  des  trauma- 
tismes,  des  maladies  infectieuses,  des  accoucheraents. 


5.  —  Les  conditions  morales  diterminantes. 

Les  coDditions  morales  qui  interviennent  dans  la  constitution 
de  la  maladie  sont  assez  difllciles  a  analyser,  parce  qu*elles  sont 
tres  nombreuses  et  tres  varices  et  surtout  parce  qu'elles  jouent 
des  r6les  tres  diff^rents  dans  la  formation  de  cet  etat  psycholo- 
gique  assez  complexe.  Les  unes  en  eflfet  semblent  intervenir  pour 
determiner  ou  pour  aggraver  I'^tat  d'abaissement  psychologique 
qui  est  le  point  de  depart  de  la  maladie.  Les  autres  d^terminent 
des  derivations  et  sont  simplement  Toccasion  des  ruminations  ou 
des  phobies,  tandis  que  Tetat  mental  ^tait  d^ja  abaiss^  primitive- 
ment.  Les  autres  donnent  au  sujet  une  interpretation  de  ce  qu'il 
ressent  souvent  dcpuis  longtemps,  et  sont  Toccasion  a  propos  de 
laquelle  se  forment  les  obsessions. 

Le  plus  souvent,  toutes  ces  circonstances  qui  jouent  des  roles 
si  difTerents  sont  confondues  p^le-melc,  et  les  auteurs  se  bornent 
a  enumerer  sans  aucun  ordre  une  scrie  d'ev^nements  de  la  vie 
des  sujets  qui  semblent  avoir  precede  une  aggravation  de  la  ma- 
ladie. Metlre  de  Tordre  dans  cette  enumeration,  montrer  le  role 
joue  par  tel  ou  tel  ^v^nement  ne  pent  etre  fait  que  pour  un  petit 
nombre  de  malades  tres  connus  et  suppose  une  foule  de  discus- 
sions que  nous  avons  deja  faites  au  cours  de  cet  ouvrage.  Je  ne 
puis  ici  qu*indiquer  sommairement  les  faits  qui,  le  plus  fr^quem- 
ment,  interviennent  de  telle  ou  telle  manicre,  mais  il  est  Evident, 
a  cause  de  la  complexity  des  circonstances,  que  cette  action  varie 
souvent  suivant  les  sujets. 


I.  —  Le  caracthre. 

La  premiere  des  conditions  morales  ant^cedentes  qui  me  parait 
essentielle^  quoiqu'on  en  parle  g^neralement  fort  pen,  c'est  une 
manifere  d'etre  g^nerale,  une  fagon  de  se  conduire,  un  caractere, 
en  un  mot,  qui  existait  chez  les  sujets  depuis  fort  longtemps, 
quelquefois  depuis  leur  premiere  enfance  et  qui  s'est  developpe 


LES  CONDITIONS  MORALES  DfiTERMINANTES  625 

lentement  dans  le  meme  sens  pendant  les  mols  ou  les  ann^es  qui 
-ont  prec^d^  la  maladie. 

Ce  caract^re  est  facilement  reconnaissable,  il  est  constitu^  par 
•des  ph^nom^nes  analogues  a  ceux  que  j'ai  decrits  a  propos  des 
insuflisances  psychologiques  et  des  crises  de  derivation.  On  y  re- 
trouvera  d'abord,  mais  a  un  degr^  plus  faible,  toutes  les  formes 
de  Taboulie.  Ce  sont  des  individus  qui  ont  peu  ou  point  de  reso- 
lution et  d'activite  volontaire.  Ce  qui  leur  repugne  surtout,  c*est 
faction  sociale  et  ils  sont  avant  tout  des  timides,  incapables 
d*agir  et  de  parler  devant  les  autres  hommes.  Ils  ont  un  caractere 
renferme,  car  ils  ne  peuvent  developper  leurs  pens6es  et  leurs 
sentiments,  ils  ne  peuvent  les  amener  a  T^tat  de  precision  suscep- 
tible d'expression  quand  il  y  a  des  t6moins.  Meme  quand  ils  sont 
seuls  ils  n'aiment  pas  agir  et  ils  agissent  mal ;  souvent  ils  ont  en 
horreur  les  exercices  physiques  et  surtout  ceux  oil  il  faut  con- 
struire  quelque  chose.  Ils  ont  toujours  et6  d'une  maladresse  eton- 
nante  et  ils  ne  savent  rien  faire  de  leurs  mains. 

lis  sont  indecis,  ils  n*aiment  point  a  prendre  des  decisions,  ils 
redoutent  horriblement  les  responsabilit^s.  Aussi  ont-ils  pris 
rhabitude  de  ne  jamais  agir  personnellement,  ils  se  laissent  con- 
duire  par  tout  le  monde  et  meme  s*ils  se  rendent  compte,  car  ils 
«ont  fort  intelligents,  qu'ils  sont  mal  conduits,  ils  ne  font  aucun 
effort  pour  echapper  a  la  direction  et  pour  se  diriger  seuls.  C'est 
qu'il  y  a  une  chose  encore  plus  p^nible  pour  eux  que  la  decision 
personnelle,  c'est  la  lutte.  lis  ont  horreur  de  lutter  contre  qui 
que  ce  soit  et  c'est  pour  cela  qu'ils  ont  la  reputation  d'avoir  un 
caractere  doux.  Jamais  leur  interet  compromis  ne  leur  pnrait 
assez  considerable  pour  les  decider  a  entamer  une  lutte  si  p^ni- 
ble.  Ils  aiment  infiniment  mieux  sacrifier  ce  qu*ils  voient  bien 
^tre  leur  interet  et  faire  ce  qu'on  leur  deraande. 

Ce  sacrifice  d^ailleurs  ne  leur  est  pas  tres  p^nible,  car  ils  sont 
tres  indifferents  a  leur  propre  interet,  surtout  s*il  est  un  peu  eloi- 
gne.  Ils  sont  tout  a  fait  incapables  d'etre  pratiques  et  cela  leur 
donne  un  aspect  d^sinteresse.  Ce  peu  de  souci  de  leur  interet  per- 
sonnel, joint  a  leur  horreur  de  la  lutte,  les  rend  extremement 
honnetes.  Ils  ne  songent  a  leser  personne  et  ils  souhaitent  ar- 
demment  que  les  autres  aient  autant  de  respect  pour  leurs  pro- 
pres  droits.  Comme  ils  ont  le  mepris  du  terre  a  terre  de  la  prati- 
que, ils  conQoivcnt  un  monde  parfaitement  honnete  et  ideal.  En 
eBet  ils   aiment  et  coraprennent  mieux  les  idees.    Bien   qu*ils 

LE8  OBSESSIONS.  I.    —   ^O 


626  L'fiVOLUTION 

soient  peu  capables  d'une  attention  soutenue  pour  les  r^alltes 
actuelles,  ils  sont  intelligents.  lis  ont  I'esprit  fin,  ils  sont  capables 
d*observer  et  de  comprendre  les  choses  morales,  ils  ont  une  m6- 
moire  extraordinaire,  beaucoup  d'imagination  et  de  raisonne- 
ment.  Ils  vivent  dans  Tavenir  et  surtout  dans  le  pass^  plut6t  que 
dans  le  present  et  ils  ont  toujours  Tesprit  rempli  de  souvenirs  et 
de  constructions  imaginaires.  II  en  r^sulte  qu'ils  adorent  la 
po^sie,  la  philosophie,  la  religion  :  tout  ce  qui  est  vague,  loin  de 
toute  demonstration  precise  et  definitive  et  surtout  loin  de  toute 
application  pratique  les  s^duit  de  prime  abord. 

Les  reveries  po^tiques  et  mystiques  conviennent  a  leurs  dispo- 
sitions m^lancoliques  car  ils  sont  plutot  tristes  et  disposes  a  la 
reverie  solitaire.  Aussi  ont-ils  besoin  d'etre  sans  cesse  excites  et  re- 
veilles ;  mais  ces  excitations  doivent  etre  bien  gradu6es  et  faites 
avec  delicatesse,  car  la  moindre  des  choses  semble  les  mettre 
dans  des  etats  d'^motion  indescriptible.  Le  coeur  joue  chez  eux 
un  grand  r6Ie  et  ils  ont  de  grandes  amours  d'autant  plus  grandes 
que  Tobjet  en  est  surtout  imaginaire  et  qu'ils  ne  se  rendent  au- 
cunement  compte  du  caractfere  veritable  de  la  personne  qu'ils 
transforment  en  un  id^al.  Presque  toujours  malheureux  dans 
ces  belles  amours,  car  leur  timidity  ^norme,  leur  defaut  de  con- 
naissance  des  hommes,  leur  inhabilete  a  profiter  des  circonstances 
les  rendent  toujours  incompris,  ils  ont  d'^normes  desespoirs. 
Cette  emotivite  est  irr^guli^re  :  tantdt  ils  restent  indifferents, 
tantot  ils  se  bouleversent  pour  la  moindre  des  choses.  Ces  Amo- 
tions qu'ils  craignent,  ces  amities  qu'ils  ont  besoin  d'obtenir  et 
qui  leur  font  defaut,  ce  moude  hostile  avec  lequel  ils  redoutent 
d'avoir  a  se  mesurer,  ces  resolutions  qu'il  faudrait  prendre  et  qui 
sont  toujours  en  retard,  tout  cela  les  met  dans  une  inquietude 
continuelle  qui  se  traduit  souvent  en  dehors  par  une  agitation 
inutile.  Ce  caractere  tout  special,  aboulique,  timide,  non  combattif, 
idealiste,  amoureux,  emotionnable  et  surtout  inquiet  n*est  pas 
sans  doute  la  maladie  constituee ;  mais  il  la  prepare  d'une  ma- 
ni^re  remarquable,  a  un  tel  point  qu'on  Tobserve  chez  plus  des 
deux  tiers  des  sujets,  bien  avant  que  n'apparaisse  aucun  trouble 
caracteristique  considere  comme  morbide. 

2.  —  L' education, 
A  ce  caractere  fondamental,  hereditaire  et  prepare,  comme  on 


LES  CONDITIONS  MORALES  DETERMINANTES  627 

Ta  vu,  par  plusieurs  generations  evoluant  dans  le  memc  sens 
s'ajoute  ires  souvent  une  education  deplorable  qui  tend  a  deve- 
lopper  les  tares  de  ces  esprits.  Cette  education  est  due  a  ce  fait 
que  les  parents,  sans  avoir  ete  malades  a  proprement  parler  et 
par  consequent  sans  avoir  ressenti  les  inconvenients  graves  de  cet 
abaissement  de  la  tension  mentale,  ont  eux-memes  un  caractere 
absolument  semblable.  lis  semblent  faire  tons  leurs  efforts  pour 
enlever  a  leurs  enfants  les  occasions  d*agir,  its  prennent  pour  eux 
toutes  les  decisions,  ils  les  empechent  d^afTronter  aucun  danger, 
d*entreprendre  aucune  lutte,  ils  ne  leur  donnent  que  des  lemons 
de  prudence  et  d*abstension.  Temoin  ce  pauvre  Jean  qu'une  bonne 
accompagne  au  lycee  alors  qu*il  avait  deja  i8  ans,  de  peur  qu'il 
ne  se  refroidisse  ouqu*il  ne  sebatte  avec  ses  camarades  (!!)  et  qui 
devient  la  risee  de  tout  le  college. 

A  rinfluence  des  parents  s*ajoute  Teducation  absurde  des  jeu- 
nes  Fran^ais  qu'on  laisse  pendant  d'interminables  heures  d'etude 
rever  derriere  leurs  dictionnaires  et  a  qui  on  interdit  tout  mouve> 
ment  et  tout  exercice  pratique.  Je  suis  frappe  de  voir  combien 
cette  education  des  jeunes  gens  et  meme  des  jeunes  filles  en 
France  developpe  chez  eux  le  temperament  aboulique  et  comme 
elle  prepare  des  scrupuleux.  Je  me  suis  pose  a  ce  propos  une 
question  que  je  ne  peux  pas  resoudre  :  dans  les  pays  oil  Tedu- 
cation  est  toute  differente,  dans  I'Angleterre  en  particulier,  est-ce 
que  cette  maladie  des  obsessions  est  aussi  repandue  qu'en 
France  ?  C*est  un  probleme  qu'il  serait  interessant  de  resoudre 
par  quelques  statistiques. 

Aprfes  ces  conditions  generales  du  caractfere  anterieur  et  de 
I'education,  quelles  sont  les  circonstances  morales  qui  jouent  un 
r61e  dans  IVclosion  de  la  maladie  ? 


3.  —  Les  problbmes  de  la  vie, 

Je  signalerai  d'abord  les  probl^mes  poses  par  la  vie.  Quelles 
que  soient  les  precautions  des  parents  pour  epargner  a  leurs  en- 
fants toute  difficulte  a  resoudre,  quelle  que  soit  la  prudence  du 
sujet  pour  n'engager  de  lutte  avec  personne  et  pour  ne  se  meler 
de  rien,  il  est  impossible  d'eviter  qu*il  ne  se  presente  jamais  une 
decision  a  prendre,  un  probleme  a  resoudre.  Tres  souvent,  dans 
une  douzaine  de  mes  observations,  par  exemple,  Taccident  sur- 
vient  a  propos  du  mariage.  Tout  a  ete  si  bien  prepare  que  le 


628  L'fiVOLUTION 

manage  s'est  presque  fait  tout  seul,  mais  cependant  il  arrive  un 
moment  ou  notre  debile  doit  enfin  faire  quelque  chose  lui-meme, 
c*est-a-dire  prononcer  le  «  oui  »  sacramentel.  II  faut  se  decider, 
decider  si  «  oui  »  ou  a  non  »  on  consent  a  ce  mariage  :  le  sujet 
s'apergoit  alors  peut-etre  pour  la  premiere  fois  de  sa  vie  qu*il 
doit  choisir,  conclure  et  que  cela  a  quelque  importance. 

Le  moment  ou  il  s^aper^oit  de  cette  n^cessit^  est  plus  ou  moins 
tardif.  Les  uns,  ce  sont  les  plus  sages,  sentent  la  difiiculte  avant 
les  fian^ailles,  les  autres,  toujours  heureux  de  retarder  une  de- 
cision a  prendre,  disent  cc  oui  »  aux  (iangailles  sans  r^flechir  et 
sans  se  decider  simplement,  suivant  leur  habitude,  pour  ne  pas 
d^sobliger  et  ne  pas  engager  de  lutte  :  ils  se  r<^servent  pour  plus 
tard.  La  n^cessit^  de  la  decision  leur  apparait  au  moment  du  ma- 
riage. D*autres  attendent  plus  tard  encore,  et  se  laissent  marier 
sans  savoir  ce  qu'ils  font,  puis  se  posent  la  question  au  moment 
de  Facte  conjugal  ou  m6me  plus  tard  encore,  apr^s  quelques  mois 
de  vie  commune  ils  se  demandent,  si  oui  ou  non,  ils  acceptent  ce 
mariage.  Quoi  qu'il  en  soit,  de  ces  diff(6rentes  ^poques,  une  fois 
la  question  pos^e  la  situation  est  toujours  la  meme.  Le  malade  par 
suite  de  Tabaissement  de  sa  tension  psychologique  est  incapable 
d'arriver  a  une  decision.  Ses  eflbrts  aboutissent  seulement  a  des 
phenomenes  de  derivation,   ruminations  interminables,  folic  du 
doute,   angoisses,  etc...    J'ai   cit^  deja    trop   d'exemples  de   ces 
jeunes  filles  qui  se  demandent  si  elles  aiment  ou   si   elles  d^- 
testent  leurs  fiances,  de  ces  hommes  qui  ne  savent  pas  s*ils  pour- 
ront  s'habituer  a  leurs  femmes  pour  y  revenir  ici.  M.  Savage  a 
d^crit  quelques-uns  de  ces  «  troubles  de  Tesprit  determines  a 
Toccasion  des  fiancailles  ».  II  admet  que  c(  ce  qui  produit  le  trou- 
ble c*est  la  concentration  des  sentiments  et  des  Amotions  vers  les 
organes  de  la  reproduction,  c*est  Taccumulation  des  desirs  et  des 
besoins  par  defaut  d'assouvissement^  ».  Si  j*admets  Timportance 
du  fait,  j'hesite  a  admettre  Texplication :  Tincapacite  de  prendre 
une  decision  en  presence  d*une  situation  nouvelle  et  grave  me 
parait  bien  plus  importante  qu*un  inassouvissement  genital  tres 
hypothetique.  D'ailleurs  le  m^me  trouble,  comme  je  Tai  dit,  sur- 
vient  meme  apr^s  le  mariage  et  d'ailleurs  il  existe  dans  des  actes 
tres  differents. 


I.  G.  Savage,  Des  troubles  d'esprit  d^vcloppes  k  Toccasion  ties  fiancailles.  Journal 
of  mental  Science^  oclobrc  1888,  trad,  de  V.  Parant,  Enciphale,  1888. 


LES  CONDITIONS  MORALES  DfiTERMINANTES  629 

Beaucoup  d*autres  circonstances  d^terminent  le  d^but  du  mal 
par  un  mecanisme  analogue  a  celui  que  nous  venons  de  voir  dans 
le  mariage,  par  exemple,  les  changements  de  situation.  Un  pro- 
fesseur  de  I^enseignement  secondaire  se  trouve  sur  le  point  d*etre 
charge  d'un  cours  dans  Tenseignement  sup^rieur,  un  instituteur 
primaire  va  6tre  change  de  classe  et  va  enseigner  dans  des  condi- 
tions l^gerement  differentes  :  cela  suffit  par  determiner  des 
crises  terribles  de  doute  et  d^angoisse.  On  a  Thabitude  de  desi- 
gner ces  phenomenes  comme  des  Amotions  et  de  dire  que  dans 
ces  cas  la  maladie  a  une  origine  6motionnelle.  L'^motion  me  parait 
ici  secondaire,  la  question  essentielle  est  de  savoir  pourquoi  un 
changement  de  classe  est  ^motionnel :  il  ne  Test  que  parce  qu'il 
pose  au  sujet  un  probleme,  qu*il  le  force  a  prendre  une  decision, 
a  faire  effort  pour  une  adaptation  nouvelle.  Des  faits  de  ce  genre 
se  pr^sentent  assez  souvent  au  debut  de  la  folic  du  doute. 

Voici  les  changements  qui,  chez  mes  malades,  ont  joue  le.plus 
souvent  un  role.  Le  fait  de  se  retirer  des  affaires  determine  la 
maladie  dans  deux  cas,  la  necessite  de  choisir  une  carriere  inter- 
vient  dans  quatre  cas,  le  probleme  de  la  vocation  religieuse, 
entrer  ou  non  au  couvent,  dans  huit  cas,  le  changement  de 
residence  dans  trois  cas,  le  changement  de  fortune  dans  deux, 
un  heritage  embarrasse  et  des  proems  dans  trois,  I'introduction 
de  domestiques  nouveaux  dans  la  maison  ou  le  depart  de  do- 
mestiques  anciens  dans  cinq.  Peut-etre  peut-on  rattacher  au 
meme  groupe  les  embarras  moraux  causes  par  un  enseignement 
nouveau  et  les  troubles  apportes  dans  les  anciennes  croyances 
par  des  lectures  nouvelles  :  c'est  ainsi  que  dans  deux  cas  la 
classe  de  philosophic  a  ete  pour  des  jeunes  gens  le  point  de 
depart  des  obsessions. 

Un  fait  qui  a  une  tres  grande  importance  au  point  de  vue  pa- 
thologique,  c'est  la  premiere  communion  qui  pourrait  etre  rangee 
a  la  fois  dans  ce  groupe  ct  dans  les  suivants.  Get  evenement  impose 
un  effort  d'attention  qui  rend  Facte  diflicile,  il  pose  des  proble- 
mes  relatifs  a  la  croyance,  enGn  il  emotionne,  c'est  ainsi  qu*il  est 
si  souvent  le  point  de  depart  de  la  premiere  crise  d'angoisse  ou 
de  scrupule. 

Dans  un  groupe  voisin  nous  placerons  les  circonstances  qui 
imposent  au  psychasthenique  un  effort,  une  lutte  qu^il  a  toujours 
evites.  Une  plaisanterie  obscene  dans  un  cas,  un  reproche  serieux 
dans  trois  cas,  la  necessite  de  cacher  Tinconduite  du   mari  dans 


630  L'EVOLUTION 

un  cas,  des  moqueries  dans  trois  cas,  des  accusations,  des  proems 
dans  six  cas,  des  menaces  une  fois,  des  querelles  deux  fois,  des 
examens  six  fois  son!  le  point  de  depart  de  crises  graves. 

A  cot^  il  faut  mettre  les  observations  bien  plus  nombreuses  oil 
le  sujet  devient  malade  parce  qu*il  a  perdu  la  personne  qui,  en 
r^alit^,  faisait  les  efforts  pour  lui  et  d^cidait  pour  lui :  la  perte  de 
ce  directeur  de  conscience  dans  dix  cas,  la  rupture  avec  un 
amant  ou  une  maitresse  qui  jouait  ce  role  dans  huit  autres,  le 
mariage  du  (ils  devenu  le  soutien  moral  dans  un  cas,  enfin  la 
mort  du  mari  ou  de  la  femme  qui,  dans  ccs  cas,  ne  me  semble 
pas  avoir  agi  comme  une  emotion  ordinaire  dans  trois  cas  me  sem- 
blent  etre  de  ce  genre.  On  pent  remarquer  a  ce  propos  que  cette 
perte  du  soutien,  par  une  sorte  de  m^taphore  qu'affectionnent 
les  malades,  determine  souvent  diverses  vari^tes  de  I'agora- 
phobie. 

4v —  Les  chocs  emotionnels. 

Nous  arrivons  maintenant  aux  Amotions  proprement  dites  qui 
jouent  le  role  que  nous  avons  6tudi6  dans  le  chapitre  pr^c^dent, 
qui  font  tomber  Tesprit  plus  bas  ou  qui  donnent  au  malade  une 
interpretation  de  cette  depression.  II  faut  ranger  dans  cette  cate- 
goric les  terreurs  religieuses  et  en  particulier  les  terreurs  si 
dangereuses  poiir  ces  faibles  de  la  premiere  communion  qui  sont 
intervenues  dans  29  cas,  les  chagrins  d*amour  dans  10  cas,  les 
agressions  ou  les  vols  dans  5  cas,  la  morsure  d'un  chien,  mor- 
sure  plus  ou  moins  grave  dans  i3  cas,  la  mort  d'une  personne 
aim^e,  d'un  parent,  d'un  enfant  ou  leur  maladie  dans  23  cas. 

Dans  certains  de  ces  cas  Taction  deprimante  de  Temotion  est 
tout  a  fait  caracteristique,  Rs...,  femme  de  5g  ans,  6tait  a  peu 
pres  saine  anterieurement,  si  ce  n*est  qu'elle  avait  le  caractere 
tr^s  autoritaire,  ce  qui  indique  une  tare.  On  a  ramene  chez  elle 
sa  fille  r^cemment  marine  qui  venait  de  succomber  dans  un  in- 
cendie  et  qui  etait  a  demi  carbonisee.  La  mere  est  devenue  a  la 
suite  et  tres  rapidement,  obsedee,  agoraphobique  et  photopho- 
bique. 

II  faut  aussi  relever  la  terreur  des  maladies  apres  des  mastur- 
bations ou  des  fautes  g^nitales  dans  12  cas,  la  vue  de  la  mort 
dans  3  cas,  la  vue  d'un  aveugle  dans  un  cas,  la  vue  ou  le  contact 
de  maladies  cutan^es  dans  8  cas,  desr^cits  emouvants  de  suicide, 
de  maladie,  d^^pidemie  dans  i4  cas,  la  vue  d'un  fou  dans  5  cas, 


FORMES  DE  LA  PSYCHASTHfiNIE  CONSTITUTIONNELLE  ET  ACQUISE  631 

la  mort  d*un  chien  bien-aime  ou  le  depart  d'un  chat  dans  6  cas, 
des  surprises  ou  des  mauvaises  nouvelles  dans  12  cas,  des  con- 
tacts repugnants  dans  4  c^Sf  des  blessures  accidentelles  avec  un 
rasoir  et  des  Amotions  en  touchant  ces  rasoirs  ou  des  couteaux 
dans  4  cas. 

Faut-il  ajouter  Thistoire  singuli^re  de  Mb...  quiallant,  un  soir, 
au  spectacle,  voit  jouer  le  Courrier  de  Lyon,  drame  dans  lequel 
un  individu  est  assassin^  sur  la  sc^ne  avec  un  grand  couteau  et 
qui  rentre  avec  la  crainte  d^assassiner  et  la  phobic  des  couteaux? 
A  la  suite  de  cet  incident  qui  parait  insignifiant,  la  phobic  a  dur^ 
3o  ans.  M.  Daguillon  cite  un  malade  qui  a  eu  des  impulsions  ho- 
micides apres  la  lecture  du  livre  de  Zola,  la  Bete  humaine^. 

Dans  deux  cas  il  me  semble  qu^il  Taut  faire  une  part  a  la  con- 
tagion de  Texemple ;  la  fatigue,  I'^motion  causees  par  les  soins  a 
donner  a  une  femme  phobique  ont  d^termin^  chez  des  personnes 
de  leur  famille,  6galement  pr^dispos^es  bien  entendu,  des  trou- 
bles du  meme  genre.  On  peut  rappeler  a  ce  propos  les  observa- 
tions si  curieuses  de  M.  F^r^  sur  des  chiens  qui  deviennent  ma- 
lades  et  ont  des  peurs  angoissantes  quand  il  s'agit  de  traverser 
la  rue  parce  qu'ils  sont  rest6s  longtemps  aupres  d'une  maitresse 
agoraphobe*. 

II  faut  observer  que  les  Amotions  p^nibles  longtemps  prolon- 
g^es  agissent  souvent  plus  que  les  Amotions  brusques.  Une  sorte 
de  jalousie  que  Jean  conservait  malgr^  lui  pendant  des  ann^es 
contre  une  personne  adoptee  par  ses  parents  semblent  avoir  et6  la 
raison  d'etre  de  ses  obsessions  a  propos  de  Charlotte. 

Toutes  ces  diverses  influences  morales  s'ajoutent  aux  causes 
physiques  et  surtout  a  la  predisposition  cre^e  par  le  caractere  et 
par  rheredite  pour  constituer  peu  a  peu  une  maladie  mentale  aussi 
complexe. 


e.  —  Les  deux  formes  de  la  psycbastbinie 
constitutionnelle  et  acquise. 

Si  Ton  jette  un  coup  d'oeil  d'ensemble  sur  les  diverses  remar- 

I.  Daguillon,  Ann.  nied.  psych.,  juin  iSg^* 

3.  F^r^,  Folie  comrauniqude  dc  rhommeaux  animaux,  agoraphobie  chezle  chien. 
SocUU  de  biologie,  1897. 


632  L'fiVOLUTION 

ques  qui  vienncnt  d*etre  faites  a  propos  des  debuts  dc  la  maladie 
des  obsessions  on  peut  faire  une  observation  generate.  D*apres  les> 
debuts  les  malades  peuvent  etre  divises  en  deux  categories.  Les 
uns  ont  une  heredity  pathologique  tres  forte,  les  autres  ont  peu 
d'heredite  ou  n'ont  qu'une  heredite  assez  banale  dans  laquelle  do- 
minent  les  manifestations  arthritiques.  Si  Ton  consid^re  Tage  du 
d6but  les  uns  commencent  la  maladie  tres  jeunes,  d^s  la  premiere 
enfance,  au  plus  tard  avant  20  ans,  a  Tepoque  de  la  puberty  mo* 
rale,  les  autres  ne  pr^sentent  les  premieres  manifestations  qu*a 
un  age  plus  avanc6.  Si  on  consid^re  les  conditions  physiques  d^- 
terminantes,  les  uns  deviennent  de  plus  en  plus  malades  d*une 
maniere  insidieuse*  sans  qu'aucun  trouble  physiologique  bien 
grave  soit  venu  apporter  une  perturbation  dans  leur  sant6,  les 
autres  ne  tombent  moralement  qu'apres  des  maladies  physiques 
graves,  fievre  typhoide,  fievre  puerp^rale  qui  ont  supprim^  leur 
resistance.  Enfin  au  point  de  vue  moral  les  uns  ont  un  carac- 
tere  particulier  que  j'ai  essay^  de  decrire  et  qui  s'est  d^ve- 
loppe  d^s  Tenfance,  il  leur  suffit  de  la  moindre  cause  morale,  un 
probleme  pos6  ou  une  l^gere  Amotion  pour  devenir  des  obs^d^s,, 
les  autres  n'ont  pas  eu  d'une  maniere  bien  nette  ce  caractere 
special  et  ils  ne  succombent  que  tard  apres  de  v^ritables  boule- 
versements  moraux. 

Plusieurs  auteurs,  MM.  Morselli,  Audriani,  Ventra,  R^gis^ 
Fere,  Seglas  ^  ont  fort  bien  resume  ces  dilTerences  en  admet- 
tant  deux  classes  d'obsedes,  en  premier  lieu  les  obsed^s  con- 
stitutionnels  avec  heredite  chargee  :  debut  precoce,  absence  de 
troubles  physiques  graves  au  debut,  caractere  special  depuis 
la  jeunesse  et  causes  morales  insignifiantes,  en  second  lieu  les 
obsedes  accidentels,  sans  heredite  tres  nette  avec  debut  variable 
mais  plutot  tardif,  sans  le  caractere  anterieur  special,  avec  ma- 
ladies physiques  graves  et  grands  bouleversements  moraux  comme 
points  de  depart. 

Cette  distinction  clinique  est  evidemment  interessante,  elle  est 
theoriquement  tres  juste.  II  est  certain  que  les  maladies  infec- 
tieuses,  les  grandes  emotions  peuvent  determiner  rapidement  sur 
des  esprits  jusque-la  sains  des  alterations  qui,  d'ordinaire,  sont 
le  resultat  d^une  lente  elaboration  au  travers  de  plusieurs  gene- 
rations. Mais,  en  pratique,    il    est    malheureusement   necessaire 

I.   Seglas,  Maladies  mentales,  p.  67. 


FORMES  DE  LA  PSYCHASTHfiNIE  CONSTITUTIONJ^ELLE  ET  ACQUISE  63^ 

d'observer  que  ces  deux  classes  sont  loin  d'avoir  une  importance 
egale  et  que  la  seconde  se  r^duit  a  un  tres  petit  nombre  de  cas. 
Tout  ce  que  Ton  pent  admettre  c*est  que  les  cas  sont  le  plus  sou- 
vent  interm^diaires  entre  ces  deux  extremes,  le  malade  consti- 
tutionnel  et  le  malade  tout  a  fait  accidentel,  et,  comme  on  va  le 
voir,  ils  seront  d*autant  plus  graves  ou  d*autant  plus  curables  qu'il& 
se  rapprocheront  plus  de  Tun  ou  de  Tautre. 


634  L'fiVOLUTION 


DEUXifiME  SECTION 


L  EVOLUTION    DB    LA    MALADIB 


La  maladie  des  psychasth^niques  est  essentiellemeDt  une  ma- 
ladie  chronique,  presque  toujours  de  longue  dur6e;  il  faut  done 
considerer  les  periodes  de  debut,  les  diverses  formes  que  peut 
prendre  la  maladie,  son  Evolution,  ses  complications  et  ses  di- 
verses terminaisons. 


1.  —  Les  formes  du  dibut 

Apres  avoir  recherch6  T^poque  du  debut,  les  causes  occasion- 
nelles  physiques  ou  morales  qui  le  d^terminent,  il  est  encore 
plus  important  d'examiner  la  forme  que  la  maladie  prend  le  plus 
souvent  a  ses  debuts  :  la  connaissance  de  ces  formes  permettra  de 
la  diagnostiquer  de  meilleure  heure  ou  du  moins  de  la  prevoir  et 
peut-etre  de  lutter  contre  son  d^veloppement  par  une  education 
appropriee.  II  ne  faut  pas  oublier,  en  effet,  que  le  malade  n'avoue 
rid^e  obsedante  proprement  dite  que  trfes  tardivement,  d^abord 
parce  qu'il  en  a  honte  et  ensuite  parce  qu'il  ne  peut  pas  arri- 
ver  a  la  formuler  avec  precision.  II  est  bon  de  rechercher  de 
quelle  fagon  la  maladie  se  pr^sente  a  Tobservation  avant  que  Tob- 
session  ne  soit  caract^ris6e  et  surtout  avou^e. 

Sans  doute  ily  a  certains  cas  aigus  qui  se((deveIoppent,comme 
disent  MM.  Pitres  et  R^gis,  a  la  suite  d'un  choc  moral  ou  d*une 
infection  sous  forme  de  phobic  diffuse  ou  syst6matique  avec^tat 
anxieux  intense^  »,  j^ajouterai  aussi  sous  forme  de  rumination 
avec  immobilite.  Cs...  (/ii)  a  senti  un  choc  dans  la  tMe  quand  la 
garde  lui  a  dit  que  Tenfant  ^tait  mort  et  son  agitation  Amotion- 
nelle,  ses  angoisses  se  sont  completement  developp^es  du  pre- 

I.   Pitres  cl  Regis,  op.  cit ^  p.  79. 


LES  FORMES  DU  DfiBUT  635 

mier  ooup.  Un  certain  nombre  de  malades,  une  vingtainc,  pr^- 
tendent  avoir  ressenti  cette  douleur  de  la  Ute  en  general  a 
I'occiput  et  etre  entres  tout  de  suite  dans  un  ^tat  grave. 

Dans  des  eas  de  ce  genre  on  se  trouve  imm^diatement  en  pre- 
sence de  synipt6mes  complets  tels  que  nous  les  avons  d^crits,  il 
n*y  a  pas  de  remarques  particuli^res  a  faire  sur  le  d6but.  Mais  a 
cnon  avis  ces  formes  sont  exceptionnelles  et  elles  deviendront  de 
plus  en  plus  rares,  k  mesureque  Ton  fera  d'une  mani^re  plus  s^- 
rieuse  Tanalyse  du  caractere  ant^rieur  des  malades.  Presquetou- 
jours  il  y  a  un  ^tat  psychologique  anormal  qui  se  developpe 
depuis  tres  longtemps  avantque  n'apparaissent  sous  une  influence 
provocatrice  ces  6tats  aigus.  Ce  sont  ces  signes  precurseurs  qu'il 
faut  rechercher. 

Ce  sont  d'abord  a  un  degr^  plus  ou  moins  accuse  tons  les  symp- 
tomes  de  neurasthenic  :  les  fatigues  excessives,  les  engourdisse- 
ments  des  membres,  qui  paraissent  quelquefois  grossir  «  depuis 
longtemps,  dit  Qb...,  il  y  avait  un  cote  du  corps  qui  me  sem- 
blait  devenir  plus  gros  que  Tautre  »,  indiquant  d^ja  la  dimi- 
nution de  la  tension  nerveuse.  Toutes  les  sensations  anormales 
dans  lat^te  :  les  bruits,  les  vertiges,  le  sentiment  de  perdre  con- 
naissance,  les  craquements,  le  vide,  les  ^tourdissements,  les 
vapeurs,  les  serrements  comme  dans  un  ejtau,  etc.,  sont  des 
ph^nomenes  du  mdme  genre. 

II  faut  m^me  tenir  compte  des  sympt6mes  physiques,  la  fai- 
blesse,  les  tremblements,  les  troubles  de  la  digestion,  Tamaigris- 
sement.  Dans  huit  de  mes  observations,  la  maladie  a  debute  dans 
Tenfance  par  des  faiblesses  et  des  amaigrissements  que  Ton  a  a 
tort  rattach^s  a  de  simples  an^mies.  En  un  mot  je  crois  qu'il  faut 
se  defier  du  diagnostic  banal  de  neurasthenic,  si  la  maladie  se 
borne  souvent  a  un  aflaiblissement  nerveux  organique,  il  faut 
quelquefois  redouter  des  troubles  mentaux  plus  graves  qui  com- 
mencent  tres  souvent  sous  le  convert  de  ces  symptomes  neuras- 
th^niques. 


I .  —  Sentiments  pathologiques, 

Les  symptomes  moraux  sont  evidemment  plus  importants 
encore  :  les  sentiments  d'etre  «  comme  endormi  »  (Dd...)  et 
tous  les  sentiments  d'insuffisance  psychologique  se  develop- 
pent  souvent  desanndes  avant  Teclosion  apparente  de  la  maladie. 


cii^  pour    tout  travail    mental 

.^  Jout^^'  ^'"j^lfut.   I^es   sentiments    d^automa- 

J  >y>/Y>.«*^'^j  j^^  sigo^^  ^^jgtiques :  dfes  sa  premiere  jeunesse 

fit>pf  '-'"'^  j^j^  plus  c»        ygrner  elle-meme  ses   mouvements, 

['^"'^j'est  «P^"^  fj!^  aui  i^  Pousse  a  se  jeter  sous  les  roues  des 

//^  r^/ji/o^  ^"^  !  /jju^  k  dire  des  gros  mots,  cela   n'aboutissait 

oittiref*  *  '"^       y^  assez  vite  mais  cela  reflFrayalt  d6ja  ».  Deja 

iViiiifl'-'' ^'    J?    \7  ..,  quandje  n'etais   pas  encore  malade,  il  me 

.^  Jix  ^"^'        ^  jj'^tait  pas  moi  qui  faisais  mes  compositions  et 

gen^hia*    H       ^^,^  amende  a  croire  que  le  diable  me  les  inspi- 

''  •        V  rs  le  metne  age,  Lise  commen^ait  a  etre  trfes  tourment6e 

'*^'    .  (lue  quelque  chose  la  poussait  a  entrer  au  couvent  et  a  se 

P*.       fcligieuse   tandis  qu'au  fond   d'elle-meme  elle  savait  bien 

'die  ne  le  voulait  pas,  le  meme   sentiment  de  dedoublement 

xactt*ment  se   retrouve  chez  trois  autres  malades. 

Ce  qui  est  plus  frequent  au  debut  ce  sont  les  sentiments  perp^- 

tuels  d*inquietude,    de  crainte  vague  et  sans   raison   suflisante : 

■  Adc..-,  Dk...,  Claire)  «  depuis  I'age  de  huit  ou  ncuf  ans,  dit  cette 

clerniere,  j'ai    vt^cu    dans  Tinquietude,  je  Tai  ditcentfoisa  mes 

parents  et  mcme   au   medecin  qui  n'a  pas  voulu  s*en   occuper  ». 

Ain...  (83),  Xa...,  Mrc...,  Pot...,  Er...,  Cha...  nous  parlent  ainsi 

((ma  vie  n'a   6ie    qu*une   apprehension   continuelle)>.  Dans   una 

douzaine  d'autres  cas  c*est  egalcment  par  Tinqui^tude  que  la  ma- 

ladie  a  debut6. 

A  bien  plus  forte  raison  la  maladieest-elle  probable  quand  Tin- 
quietude  prend  deja  des  formes  systematis^es  et  se  porte  de  pre- 
ference sur  certains  points.  On  sait  que  dans  un  tres  grand  nom- 
bre  de  cas  le  debut  est  caract^rise  par  les  inquietudes  de 
confession :  il  ne  faut  pas  considerer  corame  une  chose  insigni* 
fiante  les  gemissements  de  ces  petites  Giles  qui  pleurent  pendant 
six  semaines  parce  qu'elles  ont  peur  d'avoir  touche  Thostie  avec 
les  dents  ou  parce  qu'elles  ont  oublie  des  peches  en  seconfessant. 
Une  autre  inquietude  frequente  au  debut  ce  sont  les  inquietudes  de 
pudeur:  il  s'agit  de  petites  filles  qui  des  Tage  dehuit  ou  neufans 
craignent  toujours  de  n'etre  pas  assez  couvertes,  qui  veulent  etre 
toutes  senles  quand  elles  s'habillent,  qui  ne  veulent  plus  etre  em- 
brassees  par  leur  pere,  ou  qui  se  desolent  «  parce  qu'elles  ont  re- 
garde  le  pantalon  de  leur  frere  »  (Vob...)  Nadia  se  preoccupait 
du  mariage  a  9  ans,  elle  avait  entendu  dire  que  les  hommesprefe- 
raient  les  femmes  grosses  et  elle  ne  voulait  pas  engraisser  pour 


LES  FORMES  DU  DfiBUT  637 

qu^aucun  homme  ne  voulil^t  d'elle.  La  maladie  commence  aussi 
de  ires  bonne  heure  par  des  inquietudes  sous  forme  de  remords. 
A  12  ans  Leg...  s'inquiete  beaucoup,  par  crainte  d'avoir  dit  du 
mal  des  gensetPy...  par  crainte  de  n'avoir  pas  6i6  assez  res- 
pectueuse  avec  le  cur^. 

A  c6te  de  rinquietude,  il  faut  placer  parmi  les  formes  du  debut 
beaucoup  d'autres  sentiments,  Tennui  perp^tuel,  symptome  de 
Taboulie  et  prelude  des  n^vroses,  qu'on  observe  a  un  si  haut  de- 
gr6  chez  Dk...,  Zo...,  Ku...,  Van...,  etc.  Un  ^tat  de  tristesse 
permanente  avec  manie  de  rechercher  les  pens^es  qui  entretien- 
nent  cette  tristesse  se  manifeste  chez  Vor...,  chez  Vk...,  chez  Na- 
dia  des  sa  jeunesse,  comme  chez  Mt...  a  4o  ans  apres  I'op^ration 
qui  a  ete  le  point  de  depart  des  troubles  nerveux.  On  note  chez 
d*autres  6galement  au  d^but  un  ^tat  hypocondriaque  avec  dou- 
leurs  vagues  diss^min^es de  tousc6t6s  Cs...,  Mor...,  Her..., Ml..., 
Mae... 

Une  timidity  bizarre,  excessive,  qui  rend  ces  personnes  tout  a 
fait  paralyses,  se  d^veloppe  de  plus  en  plus  au  d^but  de  la  ma- 
ladie. Cette  timidity,  comme  on  Ta  vu,  s'accompagne  d'idees 
d'humilite,  «  je  ne  suis  pas  comme  les  autres,  je  suis  laide,  j'ai 
une  tete  de  chat,  je  suis  un  monstre,  tout  le  monde  se  retourne 
quand  je  passe  ».  (Byl...). 

Ces  memes  personnes  timides,  honteuses  d'elles-memes,  ont 
tres  souvent  des  amours  tout  a  fait  excessifs  qui  ne  sont  nulle- 
ment  en  rapport  avec  le  developpemcnt  des  passions  normales. 
Ce  sont  des  attachements  invraisemblables  pour  un  maitre,  pour 
un  camarade.  II  faut  avoir  presents  a  Tesprit  les  caractferes  des 
besoins  d'aimer  et  d'etre  aime  propres  aux  scrupuleux  pour  re- 
connaitre  ce  signe  en  general  assez  pr^coce. 

Par  suite  de  cette  tristesse,  de  cette  timidity  et  de  leur  mala- 
dresse  d6j.H  signalee,  ces  malades  ne  peuvent  plus  frayer  avec  le 
monde,  ils  perdent  ou  quittent  leurs  amis  et  on  les  voit  s'isoler 
de  plus  en  plus.  Ser...,  jeune  fille  de  i6  ans,  enfant  jusque-Ia  in- 
telligente,  cesse  de  bien  travailler  et  ne  fait  plus  aucun  progr^s, 
elle  cesse  de  jouer  avec  les  autres  enfants  de  T^cole,  elle  declare 
qu'elle  les  trouve  sales  et  s'isole  de  plus  en  plus :  peu  de  temps 
apres,  commencent  des  actions  en  rapport  avec  la  folic  du  doute. 
En  meme  temps  que  ces  malades  s*isoIent,  ils  prennentce  carac- 
tere  renfermt^  que  nous  avons  d^ja  etudi^  chez  les  scrupuleux, 
ils  ne  veulent  plus  et  bient6t  ne  peuvent  plus  exprimer  ce  qu'ils 


638  L»EVOLUTION 

ressentent.  li  en  r^sulte  que  les  parents  ne  comprennent  rien  a 
leur  ^tat  et  que  la  folie  qui  (init  par  apparaitre  surprend  tout  le 
monde  car  on  n*a  jamais  soupgonn^  son  d^veloppement. 

2.  —  Les  aboulies, 

A  cote  de  ces  sentiments  qui  sont  des  signes  plutcU  subjectifset 
que  Ton  ne  peut  bien  connaitre  que  par  les  confidences  des  ma- 
lades  presque  toujours  retrospectives,  il  y  a  des  signes  objectifs 
du  debut  quelemedecin  doit  bien  connaitre.  En  premier  lieu  Tiner- 
tie,  qui  commence  par  la  lenteur  des  actes  (Ce...,  Bsn...,  Vk...) 
et  qui  arrive  graduellement  jusqu*a  une  immobility  presque  com- 
pile. Nu...  devient  paresseuse  et  ne  veut  plus  qu'on  la  derange, 
Bei...,  autrefois  active,  devient  nonchalante  vers  17  ans  et  ne  se 
decide  plus  a  rien.  Gisele  a  12  ans  a  des  immobilit^s  si  completes 
pendant  qu*elle  s'abandonne  a  ses  reveries  que  Ton  croit  qu'elle 
dort.  Mv...,  Zei...,  Chv. ..,  Lch...  d^butentegaleraent  par  Finer- 
tie  qui  est  un  caractere  essentiel  de  la  maladie.  A  c6te  de  Tinertie 
il  faut  signaler  Tinstabilite,  les  malades  ne  savent  plus  ce  qu'ils 
veulent  et  changent  de  d^sir  ou  de  caprice  a  chaque  instant 
(Lep...,  Nadia). 

II  faut  attirer  Tattention  sur  un  ph^nomene  particulier  qui 
semble  tr^s  difF^rent  de  Taboulie  et  qui  a  les  plus6troits  rapports 
avec  elle.  Ce  sont  les  crises  d'entetement  que  Ton  constate  tr^s 
souvent  dans  ces  debuts.  Get  entetement  m^l^  de  bouderie  est 
quelquefois  si  extraordinaire  qu'il  attire  Tattention  et  fait  soup> 
Conner  une  maladie.  La  petite  X...,  agee  de  16  ans,  se  bute  ainsi 
devant  toutes  sortes  d'actions  :  un  jour  elle  essuyait  le  parquet 
avec  une  serviette,  sa  mere  lui  fait  simplement  observer  qu'elle 
ferait  mieux  de  prendre  un  balai.  «  S'il  en  est  ainsi,  r^pond-elle 
avec  colere,  je  ne  ferai  rien  du  tout  ».  Elle  se  met  debout  dans 
un  coin  et  malgr6  les  appels,  puis  les  supplications  de  sesparents^ 
elle  y  reste  immobile.  Elle  est  rest^e  ainsi  dans  son  coin  soixante 
heures,  deux  nuits  et  trois  jours,  sans  vouloir  manger  et  sans 
consentir  a  aller  se  coucher.  C'est  a  ce  moment  que  les  parents  la 
conduisent  a  la  Salpetriere  et  la  malade  explique  tres  bien  qu^au> 
trefois  elle  se  butait  ainsi  sans  savoir  pourquoi,  mais  que  mainte« 
nant  il  y  a  une  foule  d'idees  qui  arretent  son  action.  On  trouvera  ^ga- 
lement  dans  les  observations  de  Nadia,  deChu...,de  Xyb...,  etc., 
bien  des  exemples  de  ces  entetements  symptomatiques. 


LES  FORMES  DU  D£BUT  639 

L'entetement  sera  d*autant  plus  caract^ristique  qu'il  portera 
sur  une  action  plus  particuli^re,  quand  les  malades,  par  exemple, 
refusent  de  manger  (Nadia),  de  toucher  un  certain  vetement  (Yy. . ., 
Ger...),  de  toucher  a  de  rargent(Lkb...,  Rob...,  etc.).  Depuis  deux 
ans  malgr^  toutes  les  objurgations  Xyb...  refuse  de  rendre  a  sa 
bonne  une  petite  somme  de  29  francs  qu'elle  lui  doit.  II  sera  ^ga- 
lementplus  net  si  le  malade  avoue  que  Tentetement  est  en  rapport 
avec  certaines  id^es,  certains  serments.  Mais  nous  retombons 
alors  dans  la  maladie  tout  a  fait  constitute. 

L'agitation  chez  plusieurs  malades  remplace  Tinertie  :  pas  plus 
que  les  pr6c6dentSy  les  malades  agit^s  n'arrivent  a  ex6cuter 
quelque  chose,  mais  ils  ont  de  longues  p^riodes  oil  ils  remuent, 
ou  ils  crient,  pendant  lesquelles  ils  ne  peuvent  dormir.  Les  uns 
s'agitent  sans  trop  savoir  pourquoi  et  on  les  croit  atteints  de 
choree  (Za...)  ou  de  crises  d*hyst6rie  (Bai...,  Mb...,  Vod...). 
Le  plus  souvent  cette  agitation  accompagne  une  crise  de  doute 
une  rumination  interminable  (To...,  Cha...). 

3.  —  Les  tics, 

Une  des  formes  de  debut  les  plus  remarquables  et  les  plus 
souvent  m^connues,  ce  sont  les  tics.  Je  compte  au  moins  i5  de 
mes  malades  qui  ont  debute  par  une  p6riode  de  tics  et  qui  en- 
suite  ont  suivi  toute  revolution  de  la  psychasthenic  avec  les  sen- 
timents   d'insui&sance,  les  obsessions  et  les  phobies  varices. 

Je  rappelle  ici  quelques  excmples  de  cette  evolution  qui  est 
importante  et  mal  connue.  GisMe,  a  I'^ge  de  10  ans,  a  eu  des 
secousses  de  la  t^te  «  comme  si  elle  disait  oui  »  cela  a  dure  plus 
de  deux  ans ;  puis  ce  tic  a  diminue,  quand  elle  a  eu  des  p^riodes 
d*inertie  semblables  a  des  sommeils,  mais  remplies  par  des  reve- 
ries. A  quinze  ans  les  tics  et  les  sommeils  sont  enti^rement  dis- 
parus,  parce  que  la  malade  s'interroge  pour  savoir  si  elle  n'a 
pas  la  vocation  religieuse  ;  le  delire  du  doute  avec  les  grandes 
crises  de  rumination  qui  durent  encore  a  3o  ans  est  constitue. 
Nu...  a  eu  des  tics,  secousses  de  Tepaule  droite  et  grimaces 
depuis  Tage  de  9  ans,  jusqu*a  Tage  de  ao  ans.  En  cherchant  a 
guerir  ce  tic,  elle  se  demande  si  elle  ne  fait  pas  des  grimaces 
expres,  si  elle  n'est  pas  coupable  k  ce  propos,  etc.  Le  tic  diminue 
puis  disparait,  quand  les  crises  d'obsessions  sont  completes.  Les 
observations  de  Mau...,  de  Fok...,  de  Fie...,  de  Yl...,  de  Bab..., 


€iO  L*fi  VOLUTION 

de  Vy...   sont  absolument  semblables  :  les  tics  semblent  avoir 
pr6ced^  les   obsessions. 

Cependant  dans  les  cas  les  plus  frequents,  Tobsession  se  d^ve- 
ioppe  en  m^nre  temps  que  le  tic.  Ser...,  ag^e  de  i6  ans,  a  un 
tic  qui  consiste  a  secouer  un  peu  la  tete  et  a  frapper  son  oreille 
avec  sa  main  gauche,  tres  rapidement,  trois  fois  de  suite  ;  ce 
tic  est  en  rapport  avec  une  manie  de  verification.  Elle  est  forc^e 
de  verifier  si  sa  boucle  d*oreiIie  ne  tombe  pas.  On  lui  a  retire 
ses  boucles  d'oreilies,  mais  le  besoin  de  v^riGer  et  ie  tic  persiste, 
d^ailleurs  tout  un  delire  de  propret^  se  developpe  chez  cette  ma- 
lade  avec  mauie  de  brosser  ses  vetements,  de  se  laver  les  mains, 
etc.  II  est  int^ressant  de  remarquer  que  la  mere  de  cette  malade, 
qui  est  encore  une  scrupuleuse,  a  eu  fort  longtemps  des  tics  dans 
sa  jeunesse ;  elle  ne  se  souvient  plus  si  les  tics  ont  pr(^c6de  ses 
obsessions  ou  les  ont  accompagn^es  comme  chez  sa  fille.  B6..., 
fcmme  de  ^2  ans,  a  le  tic  de  se  frotter  sa  robe  a  droite,  si  bien 
que  toutes  ses  robes  sont  usees  a  cet  endroit.  C*est  une  obs^d^e 
qui  a  des  angoisses  a  la  pens6e  qu'elle  a  dans  le  ventre  un  a  ver 
araign^e  ».  Rn...,  fillette  de  i3  ans,  a  le  tic  de  frapper  du  coude 
droit  sur  la  table,  sur  les  meubles  ou  contre  les  niurs  elle  a  en 
m^me  temps  la  manie  des  presages  et  la  manie  des  compensa- 
tions ((  si  je  ne  frappe  pas  du  coude  ou  si  je  ne  compte  pas  les 
dalles...,  je  mourrai,  cela  portera  malheur  a  mes  parents  ». 
Myl...,  garQon  de  i3  ans,  a  toutes  sortes  de  tics,  tons  en  rapport 
avec  des  id^es  obs^dantes,  il  secoue  la  tete  «  c'^tait  au  d^but 
pour  voir  si  elle  lui  faisait  mal,  s'il  y  avait  encore  un  grelot  de- 
dans)). II  l^ve  les  epaules  a  pour  voir  si  mon  col  me  g^ne. ))  II 
ouvre  les  paupieres  d^mesurement  (c  pour  voir  s'il  voit  claim, 
etc.  En  m^me  temps  ce  pauvre  gar^on  a  la  manie  de  rep^ter  cer- 
tains mots  trois  fois  et  de  douter  de  tous  ses  actes ;  il  a  la  phobie 
du  diable,  du  salon  rouge  et  de  la  lune.  Quelles  que  soient  les 
illusions  que  Ton  se  fait  aujourd'hui  sur  la  guerison  facile  de  la 
pr^tendue  maladie  des  tics,  je  crains  bien  qu*il  ne  commence 
une  triste  carri^re  d*obsed^.  On  retrouve  chez  lui  des  le  debut 
<;ette  «  association  des  troubles  musculaires  et  des  troubles  psy- 
chiques  ))  que  signalait  r^cemment  M.  JoSroy  ^  Deja  Tetude 
psychologique  des  tics  nous  avait  amends  a  les  rattacher  aux  phe- 


1.  A.  JofTroy.  Association  des  troubles  musculaires  et  des    troubles  psvchiques. 
Revue  neurologique,  i5  avril  190a,  p.  289. 


LES  PRINGIPALES  VARIfiTfiS  CLINIQUES  641 

nomenes  de  derivation  qui  r^sultent  deTabaissement  de  la  volonte 
exactement  comme  les  autres  manies  mentales,  I'^tude  de  revo- 
lution de  la  maladie  nous  ainene  au  meme  r^sultat,  il  faudra  en 
tenir  compte  dans  le  diagnostic. 

Aux  tics  doivent  se  rattacher  les  diverses  manies  mentales  qui 
sont  le  plus  communes  dans  les  debuts,  les  manies  de  propret^, 
la  manie  de  se  laver  les  mains  et  certaines  manies  de  conjuration 
qui  se  traduisent  par  des  gestes  ou  des  paroles  prononc^es  a  demi 
voix.  Dans  une  dizaine  d'observations  les  parents  se  sont  avisos 
de  la  maladie  en  entendant  le  sujet  r^p^ter  tout  bas  certaines  pa- 
roles toujours  lesm^mes:  «  non,  non,  ...je  neveuxpas,  ...un,deux, 
trois)),  ce  sont  des  formules  de  conjuration  dont  on  a  vu  Timpor- 
tance. 

Tous  ces  phenomenes  caracterisent  les  debuts  dela  maladie;  il 
etait  important  de  lesconnaitre  et  de  noter  leur  frequence. 


2.  —  Les  principales  variitis  cliniques. 

L'etat  psychaslhenlque  une  fois  constitue  se  prolonge  pendant 
un  temps  en  general  fort  long,  mais  il  pr6sente  des  aspects  assez 
differents  suivant  la  variete  qui  se  d^veloppe  plus  particuliere- 
ment. 

Sur  ce  point  la  psychasthenic  ressemble  a  Thysterie  qui  est  au 
fond  toujours  la  meme  maladie,  quoique  Taspect  d*une  malade  qui 
a  des  crises  de  temps  en  temps  ne  soit  pas  le  meme  que  celui 
d'une  h^miplegique  ou  d'une  anorexique.  C*est  pourquoi  on  a 
souvent  essay^  d'etablir  des  classifications  pour  distinguer  les  di- 
verses formes  de  troubles  psychasth^niques. 

Ces  classifications  sont  difficiles  parce  que  nous  sommes  loin 
de  connaitre  bien  le  mecanisme  et  les  relations  mutuelles  de  ces 
divers  accidents.  Certains  auteurs  compliquent  inutilement  ces 
classifications  en  melangeant  avec  les  6tats  psychastheniques  d'au- 
tres  maladies  ou  Ton  rencontre  aussi  des  iddes  fixes  a  mon  avis 
d'une  tout  autre  nature.  M.  Freud  admet  trois  classes  : 

i''  Les  obsessions  intenses,  images  d'ev^nements  (hysteric  trau- 
matique)  ; 

2®  Les  obsessions  vraies,  id^es  et  etats  dmotifs  associes ; 

3**  Les  phobies. 

LBS  0B$ESSI0:<8.  L  4  I 


642  L'fiVOLUTION 

Le  premier  groupe  ayant  manifesteineDt  rapport  a  Thyst^rie  oii 
les  id^es  fixes  ont  de  tout  autres  lois,  il  ne  reste  qu*une  division 
en  deux  parties  :  obsessions  et  phobies  qui  est  un  peu  sommaire 
et  ne  repond  pas  a  la  multiplicite  des  cas. 

II  en  est  exactement  de  m^me  pour  la  classification  de  M.  Has- 
kovec,  qui  admet  4  groupes*  : 

i"  Idee  fixe  proprement  dite  (Griesinger,  Westphal,  phr^no- 
lepsie  de  Meschede)  l6sions  intellectuelles  primaires ; 

2^  ^tats  passagers  de  phobie  curable,  qui  se  rattachent  a  la 
neurasthenic  ; 

3®  Obsessions  et  phobies  symptomatiques  de  la  neurasth^nie^ 
de  rhyst^rie,  du  Basedow,  des  intoxications,  etc.  ; 

4°  Prodromes  des  psychoses.  Dans  cette  classification  un  peu 
vague,  il  n^y  a  que  les  deux  premiers  groupes  qui  se  rapportent 
a  nos  malndes  et  ils  ne  nous  donnent  que  la  meme  division  en  ob- 
sessions et  phobies. 

Les  classifications  les  plus  r^pandues  sont  plus  precises  :  elles 
semblent  conserver  un  souvenir  vague  des  anciennes  facultes  de 
Tame  et  admettent  que  Tobsession  prend  trois  formes  suivant 
qu'elle  porte  sur  Tintelligence,  la  sensibility  ou  la  volont^.  En 
efiet,  M.  Tamburini  admet  trois  groupes  : 

I®  Id6es  obs^dantes  intellectuelles  (interrogations,  doutes,  cal* 
culs,  folic  du  doute,  folic  metaphysique,  folic  du  calcul) ; 

2**  Id^es  accompagn6es  d'un  sentiment  de  peur,  peur  d'Mre 
souille,  peur  de  sortir  ; 

3**  Idees  impulsives*. 

M.  Van  Eeden  reproduit  exactement  la  m^me  division  :.  i*  les 
conceptions  obs6dantes,  2^  les  emotions  obsedantes,  3®  les  impul- 
sions obs^dantes,  4°  les  id^es  obsedantes  proprement  dites,  ob- 
sessions intellectuelles  des  Fran^ais,  Griibelsucht  de  Berger  el 
Griesinger*.  La  distinction  entre  les  groupes  i  et  4  n'est  pas  indi- 
qu^e  bien  nettement,  je  crois  qu'elle  correspond  a  ce  que  j'ai 
appele  obsession  et  ph^nom^nes  de  rumination  intellectuelle,  jela 
crois  juste  et  utile. 

M.  R6gis  fondait  d*abord  sa  classification  sur  les  lesions  de  la 
volonte  :    i^  la  volont^  est  i^s^e  dans  sa  force  d'arr6t  (obsessions 


I.  Ilaskovec,  op.  cit.,  p.  i3i. 

a    Tamburini,  Riv.  sper,  d.  freniatria,  anno  VIII,  4»  ifi 

3.  Van  Eeden.  Retme  de  Vhypnoiisme,  189a,  p.  7. 


LES  PRINGIPALES  VARIfiTfiS  CLINIQUES  6i3 

impulsives),  2®  la  volont6  est  l6s^e  dans  sa  force  d'action  (ob- 
session d*ind6cision,  folie  du  doute,  obsession- crainte,  agora- 
phobie).  Le  point  de  depart  est  juste  car  les  l6sions  de  la  volonte 
jouent  ici  un  role  considerable,  mais  la  volonte  me  parait  presque 
toujours  l^s^e  a  la  fois  dans  sa  force  d'arr^t  et  dans  sa  force  d^ac- 
tion,  dans  la  folie  du  doute  :  il  y  a  arr^t  de  Taction  que  le  malade 
ne  fait  pas  et  en  m^me  temps  il  y  a  exag^ration  de  la  rumination. 
Pourquoi  s6parer  cet  arret  de  Taboulie  mise  dans  le  premier 
groupe?  II  en  est  de  m^me  pour  Tagoraphobie  et  il  me  semble  dif- 
ficile de  ranger  un  cas  dans  le  premier  ou  dans  le  second  groupe. 

M.  S^glas  adopte  cette  classification  sans  la  discuter\  il  de- 
mande  seulement  d'ajouter  une  categoric  speciale  pour  les  obses- 
sions qui  ont  trait  a  des  ph^nom^nes  de  sensibility  (glossodynie, 
obsession  dentaire  de  Galippe,  algies  centrales  des  neurasth^- 
niques,  topoalgies  de  Blocq,  etc.  Ce  groupe  des  algies,  dont 
parle  M.  S^glas  est  en  eBet  tres  int^ressant,  mais  je  ne  vois  pas 
de  raison  suffisante  pour  le  separer  compl^tement  du  groupe  des 
phobies  avec  lequel  il  a  tant  d'analogies. 

Plus  tard  M.  R6gis  reprenant  cette  question  avec  M.  Pitres 
laisse  de  c6te  le  point  de  vue  des  l6sions  de  la  volonte  auquel  il 
s*etait  place  d'abord  et  ne  se  pr^occupe  plus  que  des  troubles  de 
r^motion  ;  il  distingue  trois  formes  : 

i"  L'etat  obs^dant  a  anxi^te  diffuse  ou  panophobique  ; 

2°  L'etat  obsedant   a  anxiety  syst^matisee  ou  monophobique  : 

3°  L*etat  obsedant  a  id6e  anxieuse  ou  monoideique^. 

II  y  a  dans  cette  classification  un  r^el  progr^s  en  particulier 
sur  les  classifications  en  phobies  et  obsessions  ;  MM.  Pitres  et 
Regis  montrent  bien  qu'il  y  a  un  etat  primitif  et  vague  qui  sert 
de  point  de  depart  a  la  maladie  et  qu*il  faut  distinguer  des  ob- 
sessions constituees,  en  outre  ils  mettent  bien  a  la  fin  de  la  clas- 
sification, Tobsession  proprement  dite  qui  est  le  resultat  d'une 
interpretation  et  de  toute  une  evolution  maladive.  Je  regrette 
seulement  que  le  premier  etat  soit  caracterise  uniquement  par  de 
remotion  quand  il  contient  les  troubles  tr^s  variees  de  I'abaisse- 
ment  psychologique,  je  regrette  aussi  que  le  second  groupe  ne 
contienne  que  les  phobies,   ce  qui  laisse  de  c6te  les  tics,  les  agi- 


I.  S^glas,  Lemons  sur  les  maladies  mentales,  p.  6o.  Confdrenco  faile  k  la  Saljic- 
tri^re.  Journal  de  medecine  et  de  chirurgie  pratiques,  a5  f^vricr  1894. 
a.  Pitres  et  H^s,  op.  cU.,  p.  i3. 


G44  L'fiVOLUTION 

tations  motrices,  les  ruminations  qui  ne  sont  bien  a  leur  place  ni 
dans  le  premier  groupe  ni  dans  le  troisieme. 

Je  crois  done  preciser  et  completer  les  classifications  precd- 
dentes,  en  admettant  d'apres  les  Etudes  pr^c^dentes,  trois  gronpes 
principaux  : 

i^  Les  insuflisances  psychologiques  ; 

2**  Les  phenomenes  de  derivation  ou  crises  de  psycholepsies  ; 

3^  Les  obsessions  intellectualis^es.  Chaque  groupe  peutse  sub- 
diviser  de  la  mani^re  suivante  : 

/    avec  predominance  des  troubles  organiques,  les  HaU 

\  neuraslheniques ; 
i«   Les  insuffisance^      ) 

psYcho-physiologiques     )  »^®^  pi^lominance  des  troubles  psychologiques  et  sur- 

/  tout  des  sentiments  d*inoomplelude,  les  etals  psychas- 

\  theniques, 

I  y  .       \  k  forme  diffuse,  les  agitations  motriees  ; 

I  (  k  forme  syst^matis^e,  les  ties. 

a'*  Crises  de  psycholepsie  \        -    a    ]       (  ^  forme  diffuse,  les  angoisses  ; 

avec  phenomenes  de  <  (  k  forme  systematis^e,  les  algies,  lesphobies. 

derivation  i  f^  ^^^^^  diffuse,  les  ruminations,  le  menr- 

I      c^rebrale    j       tisme\ 

\  \  &  forme  systematisee,  les  manies  menlales. 

!de  sacrilege  ; 
de  crime ; 
de  honte ; 
de  maladie. 

Cette  classificatiou  a  Tavantage  de  nous  indiquer  aussi  revolu- 
tion de  la  maladie  et  de  nous  montrer  suivant  la  classe  dans  la- 
quelle  se  range  le  sujet  la  gravity  de  son  dtat,  Ron...  qui  se  plaint 
en  somme  des  symptomes  de  T^tat  mental  psychasthenique  un  peu 
aggrav^s,  aprosexie,  aboulie,  indiff(6rence  a  tout,  sentiments  de  d^- 
doublement  et  d^automatisme,  est  moins  avanc^  que  Mw...  qui  a 
tons  les  phenomenes  precedents  et  qui  en  plus  a  la  manie  du 
serment  et  presentc  des  crises  de  manie  d'interrogation.  Cepen- 
dant  comme  cellc-ci  se  borne  a  faire  des  serments  sur  n'importe 
quoi,  qu'elle  cede  simplement  a  une  manie  sans  Tinterpreter, 
elle  est  moins  malade  que  Lise  qui  a  les  symptomes  psychasthe- 
niques  du  premier,  les  manies  du  serment  et  de  Tinterrogation 
de  la  seconde  mais  qui  y  ajoute  une  obsession  sacrilege  et  toute 
une  conception  obs^dante  de  la  dualite  divine. 

Cette  classification    s'applique   encore   trfes  bien  a  revolution 


LA  MARCHE  DE  LA  MALADIE  645 

<l^un  cas  individuel  qui  passe  successivement  par  ces  trois  degr6s. 
Yoici  comment  Claire  resume  elle-meme  sa  propre  maladle  :  «  au 
commencement  j'ai  simplement  souffert  bien  cruellement  du  man- 
<{ue  de  conGance  et  de  ne  plus  pouvoir  croire.  Ensuite  j'ai  eu 
comme  une  fuite  des  id^es,  il  me  venait  des  pens^es,  des  ques- 
tions, de  v^ritables  calculs  que  je  faisais  malgr6  moi,  que  je  ne 
pouvais  pas  plus  emp^cher  que  mes  tics.  Enfin  j*ai  6t6  bien  plus 
malheureuse  quand  il  y  a  eu  des  hallucinations  (le  membre  viril 
et  Thositie)  qui  m*ont  montr^  combien  j'^tais  tomb^e  bas  et  quand 
j*ai  senti  que  je  ne  pourrais  jamais  remonter.  »  Traduisons  ce  Ian- 
gage  de  la  malade  :  elle  a  d'abord  le  trouble  des  fonctions  du  r^el, 
c*est-a-dire  des  ph^nomenes  d'abaissement  et  d'insuiBsance,  puis 
elle  a  des  tics  et  des  raanies  mentales,  ph^nomenes  de  derivation, 
enfin  elle  a  de  pseudo-hallucinations  qui  ne  sont  que  des  expres- 
sions de  Tobsession  intellectuelle  qui  s'est  formee  peu  a  peu. 

On  pourrait  montrer  bien  des  cas  ou  les  choses  ont  ^volu^  de 
la  meme  maniere.  II  ne  faut  pas  oublier  que  quelquefois  revolu- 
tion se  fait  plus  ou  moins  vite  et  que  certains  sujets  traversent 
rapidement  les  premiers  degres,  tandis  que  d'autres  restent  ind^- 
finiment  au  premier  ou  au  second. 

Des  vari^t^s  moins  importantes  sont  constitutes  par  le  melange 
de  divers  groupes  de  caract^res,  par  exemple  les  angoisses  et  les 
obsessions,  les  tics  et  les  manies  mentales,  les  sentiments  d'in- 
completude  et  les  obsessions.  Enfin  il  faut  tenir  compte  aussi, 
pour  bien  pr^ciser  la  situation  d*un  malade,  de  sa  disposition  plus 
ou  moins  grande  a  la  variabilite.  M.  Meige  a  remarque  qu^il  y  a 
des  tics  qui  meritent  le  nom  de  variables  par  opposition  a  ceux 
qui  sontfix^s\  II  en  est  absolument  de  meme  pour  les  phobies, 
les  manies  mentales,  les  obsessions.  La  forme  variable  se  rap- 
proche  de  la  forme  diffuse,  de  Tagitation  motrice,  de  Tangoisse, 
de  la  rumination.  Elle  est  en  g^n^ral  moins  grave  que  la  (orme 
systematique  devenue  stable  et  indique  en  g6n^ral  une  Evolution 
moins  avanc^e  de  la  maladie. 


3.  —  La  marcbe  de  la  maladie. 

La  psychasthenic  constitue    une  maladie  essentiellement  lon- 
I.   Mcige,  Histoire  d'un  liqueur.   Journal  de  mid.  et  de  chir.  prat.,  20  aoiU  1901. 


616  L'fi  VOLUTION 

gue  dont  la  dur^e  minima  est  de  plusieurs  mois  et  qui  tree  souvent 
remplit  la  vie  entiere.  Des  vari^t^s  int^ressantes  sont  encore 
constitutes  par  cette  dur^e  et  par  la  fa^on  dont  la  maladie  la 
remplit. 

I.  —  La  forme aigue, 

II  faut  distinguer  une  forme  aigue  qui,  comme  on  Ta  vu  a  pro- 
pos  des  conditions  etiologiques,  se  developpe  chez  des  sujets 
pr^sentant  peu  d'ant6c^dents  h^r^ditaires  et  peude  predisposition 
par  le  caract^re  anterieur,  a  la  suite  de  maladies  infectieuses  ou 
de  grands  bouleversements  moraux.  Ces  formes  appartiennent 
d'ordinaire  au  deuxifeme  degr^,  ce  sont  des  ruminations  ou  des 
phobies,  elles  tourmentent  beaucoup  le  malade  pendant  cinq  a  six 
mois,  puis  elles  s'att^nuent,  disparaissent  pendant  quelques  jours, 
r^apparaissent  affaiblies  et  apres  quelques  oscillations  de  ce 
genre  le  malade  se  gu^rit  d'une  fa^on  a  peu  prfes  complete.  Tous 
les  auteurs  citent  des  cas  ou  les  choses  se  sont  pass^es  de  cette 
nianiere  et  oil  pendant  dix  ou  vingt  ans  la  maladie  n*a  pas  reap- 
parU'  J'ai  observ6  une  vingtaine  de  cas  qui  semblent  bien  etre 
de  ce  genre,  on  les  trouvera  signal^s  dans  les  observations  qui 
constituent  le  second  volume  de  cet  ouvrage. 

Je  dois  avouer,  cependant,  que  pour  plusieurs  de  ces  cas, 
n'ayant  pas  analyst  suffisamment  le  caractere  ant^rieur,  n^ayant 
pas  suffisamment  suivi  le  malade  apr^s  sa  gu6rison  apparente,  je 
conserve  quelques  doutes.  Les  cas  tout  a  fait  aigus  me  semblent 
assez  rares.  II  semble  que  cet  abaissement  special  de  Tesprit 
exige  presque  toujoars  une  predisposition.  D'autre  part,  lorsqae 
Tesprit  s*est  une  fois  abaiss^  de  cette  maniere  au-dessous  de  la  ten- 
sion normale,  il  se  relive  difficilement  et  lentement  et  surtout  il 
garde  une  disposition  remarquable  a  s'abaisser  de  nouveau  de  la 
ra^me  maniere  sous  la  moindre  influence.  Le  plus  souvent  done 
nous  avons  affaire  a  des  formes  chroniques  qui  durent  plusieurs 
ann^es. 

La  plupart  des  cas  remarquables  que  nous  avons  Studies  durent 
depuis  dix  ou  vingt  ans  et  souvent  depuis  Tenfanee. 

2.  —  La  forme  chronique. 

L'etat  psychasth^nique  est  done,  dans  Timmense  majority  des 
cas,  un  etat  chronique  qui  a  son  origine  dans  une  predisposition 


L\  MARCHE  DE  LA  MALADIE  647 

familiale,  qui  se  manifeste  par  un  caractere  special  et  qui,  sous  Tin- 
fluence  des  traumatismes  physiques  et  moraux,  pr6sente  seulement 
des  exacerbations  plus  ou  moins  graves.  A  ce  point  de  vue  tons 
les  auteurs  sont  d'accord  pour  distinguer  trois  formes  principales, 
la  forme  inter mittente,  la  forme  remittente  et  la  forme  continue. 

La  forme  continue  a  et^  surtout  signal^e  par  M.  Roubinovitch, 
en  1893*.  Sansdoute  beaucoup  de  maladespr^sentent  I'etat  psy- 
chasth^nique  d'une  mani^re  a  peu  pres  continue,  pendant  des 
annees,  Claire,  Lise,  Nadia,  Jean  sont  dans  cet  etat  depuis  dix 
ou  vingt  ans.  On  pent  dire  que  pendant  cette  longue  p^riode 
aucun  de  ces  malades  n'a  6t^  completement  gueri,  c'est-a-dire 
n'est  entiereraent  revenu  a  son  niveau  normal  d'attention,  de 
volonte,  de  fonction  du  r^el. 

Mais  cependant  il  est  impossible  de  dire  que  leur  6tat  est 
rest^  completement  le  m6me.  Les  malades  eux-memes  n'ont  pas 
cette  impression  :  Claire  ne  dit  pas  qu'elle  est  tout  le  temps 
descendue,  elle  a  eu  comme  les  autres  des  periodes  plus  6lev^es 
ct  d'autres  plus  basses.  Jamais  Tidee  obs6dante  n'est  completement 
disparue,  mais  elle  est  quelquefois  devenuecc  implicite,  latente», 
les  ruminations  et  les  phobies  etant  presque  arret6es.  La  forme 
dite  continue  ne  m^rite  done  pas  enti^rement  ce  nom  des  qu^on 
suit  les  sujet  pendant  un  temps  assez  long.  II  ne  reste  en  somme 
que  deux  varietes  principales,  la  vari^te  intermittente  et  la  vari^te 
remittente  ;  dans  la  premiere,  le  sujet  revient  par  intervalles 
assez  longs  a  un  ^tat  tout  a  fait  normal  ou  presque  normal,  dans 
la  seconde,  le  sujet  s'ameliore  un  peu  de  temps  en  temps  mais  ne 
revient  pas  aussi  completement  a  la  sante  que  dans  la  variete 
prec^dente.  Ces  differences  peuvent  bien  se  comprendre  si  on  se 
reporte  a  nos  Etudes  sur  les  modifications  du  niveau  mental. 
Ces  modifications  sont  des  oscillations  de  la  tension,  oscillations 
plus  grandes  qu'a  Tetat  normal  et  qui  maintiennent  le  niveau  trop 
bas.  Tantot  ces  oscillations  sont  grandes  et  font  remonterle  niveau 
presque  jusqu'en  haut,  c'est  la  forme  remittente,  tantot  les  oscil- 
lations sont  petites  et  laissent  constamment  le  niveau  tr^s  inf^- 
rieur,  c'est  la  forme  simplement  remittente.  C*est  a  ce  point  de 
vue  en  consid^rant  la  rapidite  ou  la  grandeur  des  oscillations  que 
nous  comprendrons  ces  varietes  de  revolution. 


I.   Roubinovitch,   Obsessions  ct  impulsions  k   forme  continue,   /l'*  Congrh  des 
aliem$tes  fran^ais  de  La  Rochelle,   1898. 


€48  L^fiVOLUTION 


3.  —  La  forme  inter mittente, 

II  existe  d'abord  des  oscillations  rapides,  c'est-a-dire  qui  ame- 
nent  des  changements  en  quelques  heures :  je  range  dans  ce  groupe 
les  malades  dont  les  crises  ne  d^passent  pas  quelques  heures  et 
qui  changent  d'etat  dans  le  cours  d'une  m^me  journ^e.  II  est  int6- 
ressant  de  remarquer  que  presque  tous  les  malades  de  ce  genre 
sont  des  phobiques  avcc  des  angoisses.  Peut-^tre  les  oscillations 
rapides  du  niveau  mental  donnent-elles  plus  que  les  oscillations 
lentes  le  sentiment  d'abaissement,  de  chute,  de  mort  et  favori- 
sent-elles  le  developpement  des  angoisses  surtout  des  angoisses 
morales.  Quoi  qu'il  en  soit  nous  observons  ces  oscillations 
rapides  chez  les  agoraphobes,  chez  les  claustrophobes.  Leur 
acces  a  besoind*une  cause  pour  seproduire,  quand  il  sortent  dans 
la  rue,  ils  sont  pris  de  leur  angoisse,  s'ils  rentrent  chez  eux  Tan- 
goisse  cesse  et  ils  sont  ou  se  croient  a  peu  pres  normaux.  Gz...  a 
ainsi  quatre  crises  par  jour,  chaque  fois  qu'il  va  a  son  bureau  ou 
qu'il  en  sort;  quand  il  est  devant  son  pupitre  et  sur  son  fauteuil 
de  cuir  il  a  un  esprit  d'un  niveau  suflfisant  pour  ses  fonctions. 
Dob...,  Fie...  sont  des  agoraphobes  a  peu  pres  semblables  avec 
une  ou  deux  crises  par  jour.  Er...  a  des  terreurs  de  la  mort  su- 
bite  quand  elle  se  trouve  seule  s^par^e  de  son  mari,  elle  est  ras- 
sur^e  quand  son  mari  est  prfes  d'elle  :  comme  le  mari  part  le  matin 
et  rentre  a  six  heures  du  soir,  la  crise  commence  le  matin  et  se 
termine  a  six  heures.  Wo...  a  des  crises  d'angoisse  et  de  manie 
de  verification  a  propos  des  prieres  et  des  comptes  du  manage, 
elle  a  done  deux  crises  r^gulieres  I'une  le  matin,  Fftutre  le  soir, 
a  propos  des  prieres,  et  d'autres  crises  irregulieres  plus  nom- 
breuses  a  la  fin  du  mois,  a  propos  des  comptes. 

D'autres  intermittences  ne  sont  pas  en  rapport  avec  les  circon- 
stances  qui  provoquent  les  crises,  mais  avec  des  conditions  plus 
g^n^rales  qui  influent  sur  I'activite  de  Tesprit.  Cs...,  Claire,  etc. 
n'ont  leur  grand  abaissement  mental  et  leurs  obsessions  hypo- 
condriaques  que  le  matin  et  sont  mieux  Tapres-midi.  C'est  la 
d'ailleurs  une  loi  gen^rale,  la  plupart  de  ces  sujets  sont  plus 
malades  le  matin  et  se  relevent  I'apres-midi  surtout  a  partir  de 
cinq  heures.  Cela  tient  a  la  grande  oscillation  diurne  qui  existe 
chez  tous  les  hommes  et  qui  releve  natureilement  la  tension  phy- 
siologique   ct   psychologique  vers  cinq   heures  de   Tapr^s-midi. 


LA  MARCHE  DE  LA  MALADIE  649 

Les  individus  normaux  sentent  leg^rement  cette  excitation,  les 
malades  dont  le  niveau  mental  est  dWdinaire  au-dessous  de 
la  normale  profitent  de  cette  ascension  et  se  sentent  plus  pres  de 
r^tat  normal.  II  y  a  cependant  des  exceptions  surtout  chez  les 
malades  qui  dorment  tr^s  bien  et  qui  se  reposent  bien  la  nuit. 
Qsa...  est  beaucoup  mieux  le  matin  que  Tapres-midi :  cette  forme 
teste  cependapt  exceptionnelle. 

A  cote  de  ces  oscillations  il  en  faut  signaler  de  plus  lentes  qui 

occupent  I'intervalle  d'un  ou  de  plusieurs  mois,  Cos comme 

beaucoup  de  femmes  d'ailleurs,  a  une  rechute  de  son  obsession  au 
moment  des  regies,  puis  Tobsession  disparait  dans  les  journ^es 
qui  suivent  leur  apparition.  C*est  la  la  regie  g^n6r^le  et  il  faut 
s'atlendre  a  des  aggravations  ou  des  rechutes  a  Tepoque  des 
menstrues,  probablement  a  cause  des  modifications  de  la  tension 
vaso-motrice  et  de  la  fatigue  de  ces  periodes.  Cependant,  quel- 
ques  femmes  (9  observations]  font  exception  a  cette  loi,  elles  se 
trouvent  plutot  am^lior^es  au  moment  des  regies.  II  est  probable 
qu*il  faut  rattacher  cette  anomalie  aux  excitations  g^nitales  dont 
j'ai  deja  signale  Teffet  heureux. 

Des  periodes  d'am^lioration  tr^s  remarquable  qui  tr^s  sou- 
vent  interrompent  le  cours  de  la  maladiesont  a  signaler  pendant  les 
grossesses.  J'ai  observe  le  fait  plus  de  3o  fois;  je  le  v^rifie 
encore  en  ce  moment  chez  Bab...  et  L^o...  qui  arriv6es  au  qua- 
trieme  mois  de  la  grossesse,  se  trouvent  transform^es  et  oublient 
leur  obsession  de  la  folic.  Ce  fait  trfes  remarquable  existe  dans 
rhyst^rie  comme  dans  la  psychasthenic  :  il  tient,  je  crois,  a  cette 
exaltation  de  la  vitality  qui  caract^rise  la  grossesse.  La  circula- 
tion, la  respiration,  la  nutrition  sont  exalt^es,  il  n'est  pas  ^ton- 
nant  qu'une  maladie  mentale,  qui  est  en  rapport  avec  la  depres- 
sion de  la  tension  psychologique,  en  soit  favorablement  influenc^e. 
Bien  entendu,  il  y  a  quelques  cas,  surtout  quand  la  grossesse  est 
penible,  oil  la  fatigue  determin^e  par  cet  etat  Temporte  sur  Tex- 
citationet  aggrave  la  maladie  :  mais  c*est  la  plutot  une  exception. 
En  general,  en  presence  d'une  femme  psychasth^nique  enceinte, 
on  pent  pronostiquer  que  son  etat  mental  sera  tres  fortement 
am6liore  pendant  toute  la  dur^e  de  la  grossesse,  puis  qu'il  y 
aura  probablement  une  rechute  s^rieuse  peu  de  temps  aprcs 
Taccouchement. 

Dans  quelques  cas,  certaines  oscillations  m'ont  semble  etre  en 
rapport  avec  les  saisons    lib...,  Claire,  Bal...  ont    des  rechutes 


650  L*fiVOLUTION 

caract^ris6es  en  hiver  et  se  portent  mieux  quand  vieut  T^te.  Le 
froid,  la  vie  plus  retiree,  la  diminution  des  exercices  au  grand 
air  ont  probablement  quelque  influence  sur  cet  abaissement.  Par 
opposition  quelques  raalades,  comme  Jean,  se  portent  plus  mal 
r^t^  quand  ils  quittent  Paris  pour  la  campagne. 

II  faut  aussi  signaler  surtout,  a  titre  de  ph^uomenes*  curieux 
encore  mal  ^tudi^s,  des  suspensions  de  la  maladie  d(§termin^es,  si 
je  ne  me  trompe,  par  Texcitation  de  la  fievre  :  j'ai  d^ja  signale  ces 
malades  dont  les  sentiments  d'incompletude  disparaissent  momen- 
tan^ment  pendant  le  cours  d'une  angine  herp^tique  on  d*une 
grippe.  J'ai  insists  sur  le  cas  de  Nae...  (94)  qui  pendant  les  der- 
niers  six  mois  de  revolution  d'une  tuberculose  pulmonaire,  n'a 
plus  jamais  pr^sent^  aucun  trouble  mental. 

Enfln  des  oscillations  plus  grandes  sont  dues  a  Tinfluence  des 
afFaiblissements  organiques  ou  des  grandes  secousses  morales 
qui  d^terminent  des  abaissements  avec  troubles  physiques^  autant 
que  troubles  mentaux.  Ceux-ci  sont  tres  graves  au  d^but,  peu 
apr^s  la  circonstance  provocatrice,  puis  ils  diminuent  plus  ou 
moins  6videmment  en  quelques  mois  et  les  malades  sont  a  peu 
pr^s  remontes  au  niveau  normal  jusqu^a  un  nouvel  incident  d6- 
primant.  le...,  femme  de  5i  ans,  a  ainsi  depuis  une  vingtaine 
d'annees,  a  propos  de  tons  les  incidents  possibles,  des  crises 
d'obsession  scrupuleuse.  Ces  crises  plus  ou  moins  graves  ne 
durent  guere,  en  g^n^ral,  plus  de  deux  ou  trois  mois,  puis  la 
malade  se  retablit  a  peu  pr^s  pendant  un  intervalle  egal.  Norn- 
breux  sont  les  malades  qui  ont  dc  ces  oscillations  lentes  et  qui 
alternent  entre  quelques  mois  de  tranquillite  et  quelques  mois 
de  phobies  ou  de  ruminations. 

Dans  cette  forme  les  oscillations  sont  assez  espac^es  pour  que 
Ton  puisse  parler  de  gu^rison  et  de  rechute ;  c'est  ainsi  d'ailleurs 
que  la  maladie  se  prcsente  presque  toujours  a  ses  debuts  dans  la 
jeunesse.  II  est  rare  que  le  premier  acces  soit  deflnitif,  cela  n'ar- 
rive  que  chez  les  tres  grands  malades.  Vy...,  Tr...,  Gei...,  Zei... 
ont  eu  un  premier  acc^s  ^  12  ou  i4  ans,  le  plus  souvent  a  propos 
de  la  premiere  communion;  puis  graduellement  au  bout  de  10  ou 
i5  mois,  Tesprit  s'est  releve  peu  a  peu,  la  gu6rison  6tait  ou  sem- 


I.  Thomson,  LTIl<^  Coiigrcs  dc  la  Soci^te  psjchiatrique  de  la  jirovince  du  Hhin. 
Archives  de  neurohgie,  1890,  I,  /40a. 


LA  MARCHE  DE  LA  MALADIE  651 

blaitetre  a  pen  pres  complete.  Mais  au  bout  de  quelques  mois  ou 
de  quelques  anuses,  a  roccasion  d'une  cause  deprimante  plus  ou 
raoins  serieuse,  il  y  a  un  nouvel  abaissement  :  tant^t  Tobses- 
sion  reprend  avec  la  meme  forme  que  prec^demment,  tant^t  la 
nouveile  occasion  a  fait  naitre  une  phobic  ou  une  rumination  dif- 
f^rente.  Souvent  ce  second  acc^s  est  plus  grave  que  le  premier 
et  se  prolonge  pendant  deuxou  trois  ans,  puis  une  nouveile  gueri- 
son  plus  ou  moins  r6elle  est  p^niblement  obtenue.  Un  troisieme 
acces  survient  plus  ou  moins  tard,  en  general  avec  une  gravite 
croissante.  II  y  a  des  malades  qui  ont  ainsi  5  ou  lo  acces  plus  ou 
moins   espac^s,  d*autres   n*en  ont  qu'un  plus  petit  nombre. 

On  trouvera  des  exemples  de  ces  differentes  formes  dans  les 
observations  suivantes,  En...,  homme  de  43  ans,  a  eu  des  scru- 
pules  de  premiere  communion  a  12  ans,  une  phobic  du  cholera 
a  18  ans,  une  obsession  amoureuse  a  23ans,  une  obsession  homi- 
cide contre  ses  beaux-parents  a  3i  ans,  la  phobic  du  chien  enrag^ 
a  36  ans  et  actuellement  depuis  Tagede^oans,  il  rumine  constam- 
ment  a  propos  du  testament  que  sa  m^re  a  fait  contre  lui.  X..., 
femme  de  4o  ans,  a  H6  obs^d^e  a  Tage  de  i5  ans  a  propos  d'uo 
chien  enrag^  qui  a  ete  tue.  et  enterr^  dans  le  jardin.  Elle  s'est 
gu^rie  de  Tobsession,  mais  voici  la  quinzieme  fois  qu'elle  est 
reprise  de  la  meme  phobie,  qui  chaque  fois  a  ^t^  en  s'accroissant 
et  qui  est  devenu  maintenant  un  veritable  d6lire  du  contact.  Au 
contraire,  ces  autres  malades  n'ont  eu  qu*un  petit  nombre  d*acces: 
Cas...  presente  le  premier  accident  s6rieux  a  3o  ans  en  voyant 
son  fils  tomber  a  Teau,  obsession  de  mort,  d^homicide,  refus  de 
manger  pendant  18  mois;  la  rechute  n*a  eu  lieu  au  moins  d*une 
mani^re  visible  qu'a  5i  ans  a  la  nouveile  que  sa  m^re  est  devenue 
folic:  elle  tombe  alors  dans  la  phobic  banaie  de  la  folic.  Vor... 
a  eu  un  delire  de  scrupule  a  18  ans,  avec  manic  de  Tinterrogation 
pour  chercher  si  elle  avait  dit  ou  fait  quelque  chose  de  d^fendu  ; 
elle  ne  presente  une  rechute  a  45  ans  seulement  quand  elle  a 
sa  curieuse  manic  de  perfection  urinaire.  Mio...  (186),  femme  de 
37  ans,  a  eu  une  premiere  crise  qui  a  dur6  6  mois  quand  elle 
avait  vingt  ans  a  propos  d'un  locataire  de  la  maison  ou  elle  ^tait 
concierge,  qui  a  d^m^nag^  sans  la  pr^venir,  elle  a  eu  une  deuxi^me 
crise  a  27  ans,  a  propos  de  son  chat  qui  est  mort  et  maintenant 
elle  est  entree  dans  une  troisieme  crise  de  remords  effrayants 
a  37  ans,  parce  qu^elle  s'est  laissee  convaincre  et  a  abandonn6 
une  de  ses  chattes. 


652  L'fiVOLUTION 

Bien  enteudu  ces  diverses  formes  d'intermittences  secombinent 
entre  elles.  Au  coqrs  d'une  grande  maladie  de  i8  mois  se  pr^- 
sentent  les  oscillations  diurnes,  mensuelles,  et  d'autres  oscilla- 
tions accidentelles  a  propos  des  incidents  qui  rappellent  davan- 
tage  ridee  principale. 

4.  —  La  forme  remittente. 

Nous  arrivons  a  la  forme  remittente  dans  laquelle  les  oscilla- 
tions existent  encore,  rapides,  lentes  ou  tr^s  espac6es,  comme 
dans  la  forme  prec^dente,  mais  dans  laquelle  ces  oscillations  res- 
tent  petites,  reinvent  un  peu  I'etat  du  malade,  mais  ne  le  reinvent 
jamais  au  niveau  normals  Si  on  ^tait  s^v^re  dans  Texamen  des 
sujets  et  si  on  voulait  examiner  a  fond  leur  6tat  prc^tendu  nor- 
mal, entre  les  paroxysmes,  je  crois  bien  que  presque  tons  se 
rattacheraient  a  cette  derniere  forme.  M.  J.  Falret  soutenait 
que  Tobsession  ne  disparaissait  jamais,  completement,  cela  est 
plus  juste  qu*on  ne  le  pense  g^n^ralement.  Dans  tous  les  cas,  il 
reste  toujours  quelque  chose  de  Taboulie,  de  Tinsuffisance  psy- 
chologique  qui  a  determine  la  premiere  obsession  et  qui  amenera 
la  rechute. 

Quoi  qu'il  en  soit  il  y  a  des  malades  chez  qui  ce  r^sidu  est 
beaucoup  plus  net  et  plus  visible  et  qui  ne  paraissent  jamars  se 
r^tablir  sudisamment.  Lise  a  commence  les  insuHisances  psycho- 
logiques  vers  Tage  de  six  ou  sept  ans,  a  douze  ans,  elle  avait  les 
grandes  ruminations  sur  les  confessions  et  les  interrogations 
sur  la  vocation  religieuse,  sans  aucune  interruption  elle  arrive 
a  quinze  ans  aux  doutes  sur  la  religion  et  a  dix-huit  ans  aux  im- 
pulsions sacrileges  et  aux  formules  de  conjuration.  C'est  a  ce 
moment  que  la  famille  s'apercoit  de  la  maladie,  car  on  la  sur- 
prend  a  parler  seule  ;  il  y  a  une  l6gere  remission  causae  par  les 
Amotions  du  mariage  vers  vingt-trois  ans,  puis  le  d6lire  ^volue 
avec  les  interrogations   sur  le   moyen  de  sauver  Tame  du  mari, 


I.  Lcgrand  du  Saullc  n'cntendait  pas  le  mot  «  remission  »  dans  ce  sens:  pour 
lui  la  remission  ^tait  un  intervalle  de  sante  morale  «  de  meilleur  aloi  et  plus  dura- 
ble que  Tinlcrmission.  »  (Folic  du  douie,  p.  48.)  MM.  Pitres  el  Regis  admettent  que 
dans  la  vari^tc  r^miltente  «  la  maladie  so  traduit  par  des  paroxysmes  plus  ou  moins 
rapproches  entre  Icsqucls  il  reste  des  syraptomes  encore  tr^s  sensibles  d*emotivi(e 
obs(§dante.  »  (Op.  cii.,  p.  26  et  80.)  Le  second  sens  du  mot  me  paraft  le  plus  na- 
turel. 


LA  MARGHE  DE  LA  MALADIE  653 

et  les  pactes  avec  le  diable;  a  vingt-six  ans,  elle  rumine  sur  les 
religions  dualistes  et  sur  la  puissance  du  d^raon.  Depuis  cinq  ans 
la  lutte  contre  la  maladie  a  simplement  enraye  le  mouvement 
ascensionnel  et  ramen^  pendant  de  longues  periodes  les  obses- 
sions «a  Tetat  implicite». 

Jean  etait  probablement  depuis  Tenfance  un  insuffisant  psycho- 
logique :  il  prend  des  habitudes  de  masturbation  a  i4  ans,  ces 
habitudes  provoquent  a  Tage  de  i5  ans  une  grande  terreur  avec 
chute  du  niveau  mental,  qui  depuis  ce  moment  jusqu^a  T^ge  de 
32  ans  ne  s'est  jamaisrelev^.Ila  passe  par  une  s6rie  d'obsessions 
etranges  dont  nous  avons  souvent  parle,  il  a  eu  pendant  5  ans  des 
algies  et  des  phobies  relatives  au  p^nis  et  au  gland,  il  n'a  jamais 
eu  en  somme  que  de  legeres  remissions. 

Gis^leest  malade  depuis  Tage  de  la  ans;  mais,  quoiqu'elle  n'ait 
pas  d'intermittence  vraie,  elle  pr^sente  une  vari^t6  curieuse, 
c'est  Talternance  du  d^lire  de  scrupule  et  des  troubles  de  Tes- 
tomac.  Pendant  la  periode  gastrique,  si  Ton  pent  ainsi  dire,  elle 
n'est  plus  guere  obsed^e  si  ce  n'est  par  la  pensee  qu'elle  ne  veut 
pas  manger;  quant  a  son  scrupule  sur  la  vocation  religieuse  il  est 
presque  disparu,  a  il  n'est  plus  que  dans  un  petit  coin  de  sa  t6te.  » 
U  est  vrai  que  Tobsession  de  vocation  va  reapparaitre  apres  Ta- 
m^lioration  de  Tetat  gastrique. 

Nadia  est  curieuse  par  Timmutabilit^  de  son  obsession ;  cette 
honte  du  corps,  cette  crainte  d'engraisser  a  pris  diff^rentes  for- 
mes ;  elle  ^tait  enfantine  a  6  ans  avec  la  crainte  de  lagourmandise, 
elle  se  complique  a  i6  ans  de  sentiment  de  pudeur  et  plus  tard 
de  peur  de  se  montrer,  mais  en  somme  jusqu'a  3o  ans  elle  n*a 
jamais  disparu.  D*ailleurs,  dans  ces  formes  chroniques,  Tobses- 
sionpeut  pers^v^rer  bien  plus  iongtemps,  Leg...  a  commence  la 
maladie  a  12  ans  par  la  peur  de  faire  du  mal  et  a  45  ans  elle 
reste  encore  immobile  sur  sa  chaise  «  de  peur  de  vous  empoison- 
ner  par  les  poussieres  ou  par  sa  salive  ».  Xa...,  a  6g  ans,  con- 
serve encore  sa  crainte  de  Thomicide  qui  a  commence  a  22  ans. 
C'est  la  la  veritable  forme  grave  de  la  psychasthenic  vers  laquelle 
tendent  les  formes  intermittentes. 

Toutes  les  causes  qui  agissent  sur  les  oscillations  de  niveau, 
toutes  les  conditions  qui  font  monter  ou  descendre  la  tension, 
les  fatigues,  les  efforts,  les  Amotions  determinent  des  variations, 
des  remissions  ou  des  rechutes  dans  ces  6tats,  qui,  pour  etre  a 
peu  pres  continus,  n'en  restent  pas  moins  6minemment  instables. 


664  L'fiVOLUTION 


5.  —  Les  periodes  critiques. 

Au  cours  de  cette  longue  Evolution  les  ph6nom^nes  pathologi- 
ques  ne  sont-ils  pas  soumis  a  quelque  loi  de  transformation,  ne 
traversent-ils  pas  certaines  periodes  caract^rltisques?  C*est  la  ques- 
tion que  Legrand  du  SauUe  s'etait  d6ja  pos6e  et  qu*il  avait  essays 
de  r^soudre  par  sa  th^orie  connue  des  deux  periodes  dont  la 
premiere  6tait  remplie  par  le  doute  et  la  deuxieme  par  le  d^lire 
du  contact.  II  aflfirmait  en  un  mot  que  les  sujets  d^butaient  par 
les  ruminations  mentales  puis  continuaient  par  les  phobies.  C*est 
la  une  hypoth^se  malheureusement  inadmissible,  beaucoup  d'au- 
teurs  se  sont  hat6s  de  montrer  la  marche  inverse,  la  phobic  du 
contact  d'abord,  puis  au  boutde  quelques  ann^es  les  ruminations 
mentales ^  J'ai  d^ja  souvent  discute  cette  question  et  je  crois 
que  les  ruminations  ou  les  phobies  dependent  de  I'etat  d'esprit 
du  sujet,  de  son  education,  des  circonstances  provocatrices  et  ne 
se  succedent  passuivant  une  loi  r6guliere. 

Une  autre  p^riode  signal6e  par  Legrand  du  Saulle  est  plus  in- 
teressante,  «  ce  que  je  constate,  dit-il,  c*est  que  le  signe  diff^- 
rentiel  qui  s6pare  la  seconde  periode  de  la  premiere  consiste 
dans  les  revelations  absolument  inattendues  du  malade,  dans  le 
r^cit  prolixe  de  souQVances  non  soup^onn^es,  dans  Tinauguration 
d*un  systeme  de  questions  sans  fin,  dans  la  sollicitation  r^it^ree 
de  paroles  rassurantes  et  dans  Textr^me  facility  avec  laquelle  une 
personne  de  Tentourage  dissipe  momentan^ment  les  perplexit^s, 
en  apparence  les  plus  vives*  ». 

II  y  a  dans  cette  remarque  des  exagcrations  :  le  besoin  de  di- 
rection existe  des  le  d^but  et  fait  partie  des  symptomes  de 
Tinsuflfisance  psychologique.  Mais  il  y  a  la  cependant  une  obser- 
vation tres  juste  a  propos  des  revelations  des  malades.  Presque  tou- 
jours  les  malades  gardent  longtemps  secretes  leurs  angoisses,  ils 
ont  un  sentiment  vague  de  n*etre  pas  comme  tout  le  monde,  une 
sorte  de  honte  qui  les  retient ;  d*autre  part  ils  sont  timldes  et  ne 
savent  pas  s'exprimer;  enfin  la  famille  fait  tous  ses  efforts  pour 
ne  pas  voir  ce  qui  se  passe  et  pour  ne  pas  accepter  m^me  le  soup^on 
d'une  maladie  mentale.  II  arrive  un  moment  oil  les  choses  eclatent. 


1.  Van  Eedcn-  Revue  de  I'hypnolisme,  1891,  p.  ao. 

2.  Legrand  dn  Saulle,  Folie  du  doute,  p.  30. 


LV  M\RCHE  DE  LA  MALADIE  .    655 

oil  les  souSVances  dii  malade  le  forcent  a  parler,  a  rechercher  unc 
direction  plus  precise.  Je  n'oserai  pas  dire  que  ce  moment  commence 
une  seconde  p^riode  mais  il  est  certainement  tr^s  important  et 
presque  toujours  il  est  le  point  de  depart  d'une  recrudescence  du 
mal.  Le  malade  faisait  des  efforts  pour  cacher  ce  qu'il  ^prouvait, 
la  cessation  de  ces  efforts  lul  est  nuisible.  On  pourrait  m^me  di- 
viser  en  deux  degres  ce  changement  indique  par  Legrand  du 
Saulle  ;  il  y  a  un  premier  moment  oil  le  malade  r^vMe  son  mal 
a  une  personne  d^terminde,  a  un  parent,  a  un  pretre  ou  a  un  m6- 
decin,  mais  oh  il  continue  a  le  cacher  aux  autres,  et  un  second 
moment  beaucoup  plus  tardifoii  il  eprouve  le  besoin  de  raconter 
ses  tourments  a  tout  le  monde  :  ce  deuxi^me  moment  est  le  signe 
d'une  aggravation  beaucoup  plus  considerable. 

Une  autre  loi  avait  ^t^  signalee  par  M.  S^glas  «  dans  bon  nom- 
bre  de  cas,  disait-il,  les  malades  debutent  par  une  phase  d^an- 
goisse  vague  ».  M.  Dallemagne  ajoutait  que  lorsqu'ils  gu^rissent, 
ils  reviennent  ^galement  a  cette  phase  d'angoisse  diflfuse.  Cette 
remarque  me  parait  devenir  plus  juste  si  on  remplace  le  mot 
an'goisse  par  le  terme  d'insufGsance  psychologique  ;  elle  corres- 
pond a  cette  Evolution  que  j'ai  signalee  au  d^but  chez  certains 
malades  dont  revolution  est  lente  :  ils  pr^sentent  une  phase 
d'insuffisance  psychologique  avant  les  ruminations  et  les  phobies 
et  quand  ils  gu^rissent,  ils  terminent  egalement  par  une  p^riode 
psychasth^nique  analogue  a  celle  du  d^but. 

Nous  avons  d6ja  signals  la  remarque  de  MM.  Pitres  et  Regis, 
sur  rintellectualisation  progressive  de  ces  troubles,  cela  revient  a 
dire  que  le  malade  interprete  peu  a  peu  ce  qu'il  ressent  et  que  les 
v6ritables  obsessions  intellectuelles  sont  tardives,  mais  cette  ob- 
servation ne  s'applique  qu^aux  formes  mod^rdes  de  la  maladie, 
nos  grands  malades  etaient  d6ja  parvenus  a  I'obsession  du  scru- 
pule  vers  12  ou  i3  ans. 

Une  loi  signalee  par  MM.  Raymond  et  Arnaud  est  encore 
tres  importante,  c'est  la  generalisation  progressive  de  la  ma- 
ladie.  «  Un  nombre  d'id^es  toujours  plus  grand  entre  succes- 
sivement  dans  la  sphere  du  doute,  Tincertitude  et  Thesitation 
deviennent  la  caract^ristique  de  toutes  les  reactions  intellec- 
tuelles ^  »  Cette  loi  est  tr^s  vraie  et  tris  importante  au  debut  : 
rinsuflSsance  psychologique,   le   trouble  de  la  fonction   du  red, 

I.  Raymond  et  Amaud.  Ann,  mid.  psych.,  189a,  IT,  p.  209. 


656  L'fiVOLUTION 

I'aboulie,  le  doute  n*atteignaient  que  des  phenomenes  particu- 
lierement  difliciles,  ces  troubles  s'^tendent  graduellement  jus- 
qu'aux  notes  et  aux  pens^es  les  plus  6l6mentaires.  Leg...,  a  25 
ans,  a  des  phobies  du  poison  a  propos  de  la  cuisine  qu'elle  doit 
faire,  c'est  un  phenomene  de  derivation  a  propos  d'un  travail, 
d*un  acte  volontaire  professionnel  comme  nous  Tavons  vu  bien 
souvent ;  a  45  ans,  comme  elle  le  dit  elle-m6me,  elle  voit  du  poi- 
son partout,  elle  ne  peut  plus  marcher,  toucher  un  objet,  respi- 
rer  meme.  Tous  ces  actes,  des  qu'ils  sont  faits  avec  attention, 
cessent  de  s'accomplir  correctement  et  donnent  naissance  a  1» 
rumination  sur  le  poison.  Xa...  au  d^but  ne  pouvait  toucher  des 
couteaux  sans  penser  a  Thomicide,  a  6g  ans  elle  ne  peut  plus 
s*asseoir  sur  aucune  chaise,  mettre  aucun  vetement  sans  ^tre 
assaillie  par  la  memecrainte.  La  multiplicite  des  associations  ca- 
ract^rise  les  obsessions  d'une  evolution  avanc^e ;  elle  est  en  rap* 
port  avec  le  d^veloppement  des  aboulies  et  des  insufEsances  psy- 
chologiques. 

M.  Freud  a  signals  une  loi  interessantede  substitution,  d'apres 
laquclle  une  id6e  prend  la  place  d*une  autre.  II  applique  cette  loi 
d'une  maniere  un  peu  etroite,  en  disant  que  I'id^e  primitive  a 
toujours  rapport  aux  phenomenes  sexuels.  Mais  en  g^n^ral  cette 
loi  est  assez  juste,  elle  correspond  k  la  loi  d*alternance  des  idees 
que  nous  avons  souvent  rencontr6e.  Bien  des  choses  expliquent 
cette  alternance  :  la  phobic  ou  la  rumination  n'^tant  qu*une 
derivation,  on  comprend  qu'une  derivation  analogue  puisse  se 
substituer  a  la  premiere,  «  une  manie  chasse  I'autre,  disaitZa...  ». 
((  II  faut  que  cette  idee  soit  remplacee  par  une  autre,  disait  Lise, 
si  je  ne  maudis  pas  Dieu,  je  r^verai  au  demon.  » 

On  retrouve  ici  cette  loi  des  idees  stratifiees  que  j'ai  etudiee 
ailleurs^,  quand  on  efface  une  idee  recente  des  malades,  ils  re- 
tombent  dans  une  ancienne.  Une  autre  cause  de  ces  substitutions, 
c'est  que  certaines  excitations  ont  le  pouvoir  en  faisant  remonter 
la  tension  nerveuse  de  dissiper  Tobsession,  le  besoin  de  cette 
excitation  se  substitue  a  Tidee  elle-meme.  Lut...,  femme  de  25 
ans,  est  obsedee  par  le  regret  d'un  mariage  rompu  et  par  ui^e 
obsession  amoureuse,  on  lui  offre  un  verre  dans  un  cabaret  pour 
la  consoler  et,  de  fait,  cela  la  console  tres  bien,  si  bien  qu*elle 


I.  Accidents    mentaux  des  hysUriques,  1898,   p.    i83,    nevroses  et   idees  fixes,  \, 
p.  64  el  172. 


LES  COMPLICATIONS  60? 

recommence  et  au  lieu  d'etre  une  obsed6e  amoureuse  elle  devient 
une  dipsomane.  L'excitation  erotique  'a  le  m^me  r^sultat,  c^est 
pourquoides  scrupuleuses  comme  Loa...  et  Len...  sont  conduites 
a  la  rechercher  et  devienneDt  des  ^rotomanes. 

Ces  diverses  lois  commencent  a  dous  faire  connaitre  les  pha- 
ses de  cette  Evolution  dont  une  grande  partie  reste  encore  in- 
connue. 


4.  —  Les  complications. 

La  maladie  des  obsessions  psychasth^niques  presente  des  trou- 
bles physiques  et  des  troubles  moraux  mais  ceux-ci  semblent  res- 
ter  compatibles  avec  la  conservation  de  la  raison  pulsque  la  ma- 
lade  garde  le  pouvoir  de  critiquer  ses  idees  fausses  et  ceux-la 
semblent  ne  pas  compromettre  la  vie,  puisque  les  troubles  neu- 
rasth^niques  n'amfenent  pas  directement  la  mort. 

Les  complications  de  la  maladie  sont  les  troubles  qui  s'y  sura- 
joutent  de  maniere  a  compromettre  la  vie  et  la  raison. 

I.  — Les  accidents  physiques, 

J'insisteraipeu  sur  les  complications  purement  organiques,  ce 
qui  serait  entrer  incidemment  dans  T^tude  de  tous  les  ralentisse- 
ments  de  nutrition.  J'ai  signals  chemin  faisant,  les  troubles  diges- 
tifs, les  troubles  circulatoires,  les  maladies  cutan^es  comme  Tec- 
zema,  le  rhumatisme  chronique  d^formantqui  coexistent  souvent 
avec  Tetat  psychasth^nique  et  qui  peuvent  dans  certains  cas  pren- 
dre un  grave  d^veloppement.  Ces  troubles  de  nutrition  peuvent 
comme  toujours  favoriser  toutes  les  infections  et  j*ai  malheureu- 
sement  constat^  une  dizaine  de  fois  la  tuberculose  pulmonaire  qui 
venait  se  grefTer  sur  ces  aHaiblissements.  II  faut  insister  un  peu 
plus  sur  un  accident  bizarre  qui  est  plus  directement  en  rapport 
avec  Tengourdissement  des  fonctions. 

La  retention  des  matieres  fecales,  puis  la  stercorh^mie  et  les 
accidents  toxiques  dus  a  cette  retention  sont  assez  frequents  et 
il  faut  etre  pr^venu  de  leur  extreme  gravity.  A  la  suite  d'une 
mauvaise  nouvelle  Nadia  a  presente  un  engourdissement  de  ce 
genre,  avec  retention  prolong^e  des  matieres  fecales.  Les  urines 

LES  OBSESSIONS.  I.   —  t^2 


658  L'lllVOLUTION 

devinrent  hemaph^iques,  ramaigrissement  et  la  cachexie  furent 
considerables,  il  y  eut  au  point  de  vue  mental  un  6tat  de  confusion 
et  de  stupeur  dont  je  reparlerai. 

Les  grands  lavements  d*buile  pouss^s  avec  une  sonde  devenant 
insuffisants  il  a  fallu  pratiquer  un  veritable  curage  de  la  fosse 
rectale.  A  la  suite  de  cette  operation  et  sous  Tinfluence  des  gran- 
des  injections  de  serum  cette  malade  s'est  r^tablie,  mais,  ce  qui 
donne  la  preuve  de  Tauto-intoxication,  elle  a  pr^sent^  a  la  suite 
un  n^vrite  p^riph^rique  des  jambes  dont  la  gu^rison  a  6i^  lente. 
J'ai  observe  le  m^me  accident  quoique  moins  grave  chez  deux 
autres  malades  et  je  crois  qu*il  est  n^cessaire  d'en  signaler  la 
gravite. 

2.  —  U alienation, 

Au  point  de  vue  mental,  les  obsessions  semblent  ne  pas  com- 
promettre  la  raison  et  nous  verrons  en  etudiant  les  terminaisons 
de  la  maladie  normale  qu'elle  n*aboutit  pas  d'ordinaire  a  une  ve- 
ritable d^mence.  On  en  a  souvent  conclu  un  peu  vite  que  la  mala- 
die des  obsessions  n*expose  pas  le  sujet  a  la  folic  proprement 
dite. 

MM.  Pitres  et  R^gis,  apres  avoir  rapports  ces  opinions  remar- 
quent  qu'elles  ont  ete  souvent  contredites  et  dans  leur  rapport, 
^numerent  un  grand  nombre  d'auteurs  etrangers  et  francais  qui 
ont  rapport^  des  cas  d'obsessions  aboutissant  a  un  delire  propre- 
ment dit,  Meynert,  Schafer,  Wille,  Emminghaus,  Kraepelin, Wer- 
nicke, Tuczeck,  Morselli,  Friedmann,  Mickle,  S^glas.  lis  citent 
six  de  leurs  malades  qui  ont  presente  des  formes  de  psychose 
av^r^eetonzequi  sont  tombesdans  un  etatintermediaireentre  Tob- 
session  et  la  folic  proprement  dite.  «  Ce  bilan,  concluent-ils,  nous 
semble  assez  significatif  et  nous  pouvons  en  conclure  que  dans 
certains  cas  Tobsession  vraie  peut  verser  dans  Talienation  men- 
tale.  » 

Je  partage  tout  a  fait  sur  ce  point  Topinion  de  ces  auteurs  :  sur 
mes  3oo  observations,  je  connais  23  malades  qui  ont  vers^  soit 
dans  Talienation  mentale  proprement  dite,  soit  dans  des  etats  tres 
approcbants.  J'ai  meme  le  sentiment  que  ce  chifTre  est  tout  a  fait 
insuflisant,  car  beaucoup  de  ces  malades  n'ont  pas  et6  ^uivis  suf- 
fisamment  et,  s'ils  sont  tombes  dans  le  delire,  ils  ontet6  conduits 
dans  d'autres  services.  II  ne  faut  pas  etre  surpris  de  ce  r^sultat, 
Tobsession  est  le  signe  d'un  trouble  mental  grave.  Pourquoi   des 


LES  COMPLICATIONS  659 

cerveaux  capabies  de  presenter  ce  premier  trouble  nen  au- 
raient-il  pas  d'autres  plus  considerables  ?  Pourquoi  Tabaissement 
de  la  tension  qui  fait  perdre  a  nos  malades  les  fonctions  sup6- 
rieures  du  r^el  ne  pourrait-il  pas  s'aggraver  ettroubler  des  fonc- 
tions plus  elementaires.  Je  suis,  au  contraire,  pour  ma  part  assez 
surpris  de  ce  petit  nombre  d'ali^n^s,  il  faut  que  le  trouble  psy- 
chasth6nique  soit  en  g^n^ral  bien  l^ger  pour  qu'il  n*aboutisse  pas 
plusviteet  plus  souvent  a  des  d^Iires. 

Les  formes  d*alienation  dans  lesquelles  versent  les  obsedes  sont 
d'ordinaire  rattach^es  a  la  m^lancolie  anxieuse^  vers  laquelle  se 
dirigent  ceux  qui  ont  des  symptomcs  surtout  ^motionnels,  des 
phobies  et  aux  etats  paranoiaques,  aux  d^lires  syst^matises,  par- 
ticulierement  au  d6lire  de  persecution  vers  lequel  se  dirigeraient, 
selon  les  auteurs  precedents,  ceux  qui  ont  des  obsessions  intellec- 
tuelles. 

J*ai  observe  5  cas  de  melancolie  anxieuse  survenant  chez  des 
obsedes,  donttroisont  gueri,  au  moins  approximativement,  dans 
un  cas,  apr^s  5  mois  d'asile,  dans  Tautre  apres  lo  mois.  Une  des 
malades,  Brk...,  a  eu  trois  rechutes  de  cette  melancolie.  Inver- 
sement  quand  on  etudic  les  melancoliques  delirants  on  constate 
tres  souvent  qu*ils  ont  eu  avant  leur  dernier  acces  un  etat  preve- 
sanique  souvent  tres  long  dans  lequel  ils  ont  presente  dcssymp- 
tomes  de  la  maladie  des  obsessions.  Dans  la  thfese  de  M .  Bois- 
sier  sur  la  melancolie  et  la  neurasthenic,  je  remarque  le 
malade  de  Fobservation  I  qui  a  ete  longtemps  aboulique,  scru- 
puleux,  meticuleux  avant  ses  acc^s  de  melancolie  avec  stupeur,  le 
malade  de  Tobservation  VIII  qui  est  analogue,  le  malade  de  I'ob- 
servation  XII,  agoraphobe  et  claustrophobe  avant  ses  acces  de 
melancolie'. 

Lesdelires  systematiques  ont  ete  plus  frequents  dansmes  obser- 
vations, j'ai  eu  12  malades  qui  sont  devenus  des  persecutes.  Mais 
je  dois  dire  que  le  delire  de  persecution  me  semble  devoir  soulever 
bien  des  problemes  psychologiques  et  qu*il  me  paralt  se  rappro- 
cher  singulierement  des  obsessions  des  scrupnleux.  II  y  a  dans  ce 
delire  systematique  un  certain  nombre  de  sympt6mes  dont  il  se- 
rait  necessaire  de  faire  Tanalyse  psychologique,  pour  voir  leurs 


1.  Gf.  KTBifh-Ehing,  Psychiatric f  1897,  p.  546. 

2.  Fr.  Boissier.  Essai  sur  la  neurasthinie^^t  la  melancolie  depressive  considerees  dans 
leurs  rapports  reciproques.  Th^se  1894*  p.  a3  et  sq. 


660  L'fiVOLUTION 

relations  avec  les  ph^nomenes  psychasth^niques.  Je  reviendrai 
sur  ce  probleme  dans  le  chapitre  suivant  a  propos  du  diagnostic, 
sans  pquvoir  d'ailleurs  le  traiter  completement  dans  cet  ouvrage. 

Je  voudrais  ajouter  trois  formes  psychopathologiques  dont  les 
auteurs  ne  me  paraissent  pas  parler  sufBsamment  et  qui  peuvent 
survenir  au  cours  du  delire  du  scrupule,  i**  les  etats  extatiques 
avec  un  delire  mystique  plus  ou  moins  systematise.  Yoici  par 
exemple  une  jeune  fille  de  ao  ans,  Cbv...  Le  pere  est  un  inquiet 
et  un  aboulique,  la  mhre  une  nerveuse ;  depuis  Tage  de  12  ans, 
elle  pr^sente  des  scrupules  sur  les  confessions  et  les  communions; 
puis  les  scrupules  se  portent  sur  Tbonnetete,  elle  ne  veut  pas 
toucber  a  la  monnaie  de  peur  de  voler,  elle  ne  veut  paspermettre 
a  sa  mere  de  faire  de  petits  benefices  dans  son  commerce,  enfin 
elle  a  des  idees  obs^dantcs  a  propos  de  la  pudeur,  elle  ne  veut 
pas  lever  les  yeux  de  peur  de  regarder  des  pantalons.  Ajoutons 
que  depuis  son  enfance  c'estune  aboulique  quine  pent  rien  acbe- 
ver,  rien  faire,  qu^elle  a  des  hesitations  interminables  et  quoi- 
qu*elle  se  rende  compte  de  Tabsurdite  de  ses  idees,  elle  a  perpe- 
tuellement  des  doutes :  c'est  done  une  obsedee  scrupuleuse  typi- 
que.  Eh  bien,  depuis  un  an,  elle  commence  a  presenter  d'autres 
sympt^mes  :  elle  renonce  a  tons  les  efforts  qu^elle  pouvait  faire 
pour  lutter  contre  sa  maladie,elle  ne  veut  plus  voir  personne.  Elle 
renonce  egalement  a  toute  satisfaction,  ne  mange  plus  que  tres 
peu  d'une  nourriture  tr^s  grossiere  et  ne  veut  plus  accepter  au- 
cun  plaisir.  Elle  declare  qu'elle  a  trouve  en  Dieu  le  calme  qui  lui 
manquait :  elle  presenteen  effet  une  expression  de  beatitude  et  se 
declare  parfaitement  heureuse.  Elle  reste  immobile  des  journees 
entieres  en  souriant  aux  anges,  en  un  mot  elle  est  envahie  par 
un  delire  mystique  avec  une  disposition  plus  ou  moins  forte  a  Tex- 
tase. 

Je  crois  qu*il  en  a  ete  absolument  de  meme  dans  revolution 
d'un  cas  remarquable  d'extase  avec  stigmatisation  que  j*ai  decrit 
dans  Tobservatlon  de  Madeleine  ^  A  mon  avis,  on  a  exagere  le 
n^le  die  Thysterie  dans  les  extases  proprement  dites ;  la  maladie  du 
scrupule  y  est  au  moins  aussi  importante.  L'obsession  se  deve- 
loppe  a  la  suite  d'une  insuHisance  psychologique.et  Textase  reli- 

I.  Une  extatiquc.  Bulletin  de  I'lnslUut  psychologique  international,  juillet  1901. 
p.  210. 


LES  COMPLICATIONS  661 

gieuse  qui  est  un  r^tr^cissement  volontaire  ou  involontaire  de  la 
conscience  est  une  sorte  de  remade  aux  troubles  de  cette  insuffi- 
sance,jene  fais  que  signaler  le  probl^me  que  j'esp^re  reprendre 
d'une  facon  plus  complete  dans  T^tude  des  extatiques. 

Une  autre  maladie  mentale  me  parait  a  signaler  au  cours  des 
obsessions,  c'est  la  confusion  mentale  ou'la  stupeur  telle  que  Ta- 
vait  decrite  r^cemment  M.  Chaslin.  On  vient  de  voir  Tindication 
rapide  d'une  maladie  grave  qu'a  travers^e  Nadia,  a  la  suite  d'une 
nouvelle  d^sagreable  pour  elle.  Au  cours  de  cette  maladie;  elle  est 
tombee  dans  un  etatde  tristesse  et  d'inertie  beaucoup  plus  grand 
qu*a  I'ordinaire,  elle  restait  des  heures  entieres  immobile  sur  sa 
chaise,  les  yeux  vagues,  disant  qu'elle  n*etait  plus  preoccup^e 
par  ses  idees  et  qu'elle  ne  pensait  a  rien.  La  faiblesse  aug- 
mentant,  elle  dAt  s'aliter  et  elle  resta  trois  mois  a  peu  pres 
sans  conscience  pouvant  a  peine  repondre  et  d'une  maniere  peu 
correcte  a   quelques  questions  tr^s  simples. 

J*etais  dispose  a  croire  que  dans  ce  cas  le  retention  des  matie- 
res  fecales,  la  stercorh^mie  avait  jou^  le  role  principal  pour  pro- 
voquer  la  confusion  mentale.  II  n^en  est  pas  de  m6me  dans  le  cas 
suivant :  Eu...,  jeune  fille  de  27  ans,  est  une  obsdd^e  scrupuleuse 
depuis  Tage  de  loans,  scrupules  de  confession,  impulsion  au  sui- 
cide, etc.  Elle  a  appris  Tannic  derniere  la  mort  de  sa  m^re  et 
s'est  mise  en  tete  a  ce  propos  Tidee  obsedante  qu'elle  Tavait  tuee  ; 
de  la  des  regrets,  des  remords,  des  id^es  de  suicide,  des  pseudo- 
hallucinations,  elle  croyait  entendre  la  foule  qui  la  huait,  le  diable 
qui  lui  parlait  et  elle  murmurait  :  c(va-t-en,  Satan  ».  Cependant 
elle  conservait  encore  sa  lucidite.  Trois  mois  apres,  elle  refuse 
de  manger  et  ne  parait  plus  comprendre,  elle  cesse  de  repondre 
aux  questions  et  on  Tamene  dans  un  etat  de  stupeur  complet.  Je 
n'en  puis  tirer  aucune  explication  et  il  est  visible  qu'elle  ne  com- 
prcndplus. 

Elle  demande  seulement  «  ou  suis-je,  qui  ^tes-vous?»  et  ne 
comprend  pas  les  reponses;  elle  est  d'ailleurs  docile  comme  un 
enfant  et  se  laisse  maintenir  au  lit,  mais  elle  refuse  de  manger 
et  elle  gate.  J'ai  dii  la  nourrir  a  la  sonde  pendant  2  mois;  preoc- 
cupy par  le  souvenir  du  cas  precedent,  j'ai  constamment  surveill^ 
les  selles  qui  sont  toujours  rest^es  suffisantes.  La  malade  s'est  r^- 
tablie  graduellement  :  elle  est  revenue  a  la  conscience  comme 
font  souvent  les  confus  avec  le  souvenir  net  des  scrupules  ant^- 
rieurs  mais  sans  aucune  notion  de  la  periode  de  stupeur. 


662  L'fiVOLUTION 

Le  cas  de  Zca...  (aoS),  femme  de  29  ans,'  est  exactement  sem- 
blable.  C*^tait  une  obs^d^e  avec  remords  de  masturbation  et  de 
crimes  genitaux  imaginaires,  a  la  suite  d*une  emotion  elle  pr^- 
senta  une  stupeur  de  3  mois. 

Enfin  la  confusion  mentale  peut  prendre  la  forme  d*excitation 
avec  bouffi^es  d^lirantes  comme  dans  Tobservation  de  Mbv..., 
jeune  (ille  de  20  ans.  Cette  malade  etait  atteinte  de  delire  du 
scrupule  religieux  depuis  IVige  de  i5  ans,  tourmentee  par  des 
remords  interminubles,  elle  ^tait  toujours  a  genoux  aupres  de  son 
confesseur.  A  la  suite  de  remords  plus  grands  et  de  fatigues,  elle 
presenta  un  arret  des  regies  et,  depuis  ce  moment,  une  grande 
agitation  delirante;elle  voit  le  diable,  elle  croit  ^tre  elle-m6me  le 
diable  qui  a  pris  son  corps,  ses  mains,  ses  pieds;  elle  a  ^tabli  un 
pacte  avec  lul,  elle  veut  arracher  ses  yeux  qui  ont  peche  et  elle 
cherche  a  Ics  frapper,  elle  declare  qu*elle  nous  perd  tous  si  elle 
nous  touche,  et  elle  se  couche  par  terre  pour  essayer  de  mourlr. 
De  temps  en  temps  si  on  Tinterpelle  vivement,  elle  reprend 
conscience  et  s^excuse  des  folies  qu'elle  vient  de  dire,  puis  elle 
recommence.  L'etat  delirant  a  dure  4  mois,  puis  il  y  eut  une  pe- 
riode  de  confusion  mentale  et  de  reves  pendant  trois  mois,  enfin 
le  r^tablissement  fut  a  pen  prfes  complet. 

On  voit  par  ces  exemples  que  la  confusion  mentale  se  presente 
sous  ses  deux  formes,  avec  stupidity  et  avec  excitation  au  cours 
de  la  maladie  des  obsessions.  C'est  une  remarque  qui  avait  deja 
616  faite  par  M.  Hughes  \  au  dernier  congres  de  medecine,  les 
observations  prec^dentes  en  confirment  Timportance. 
.  Les  cas  de  confusion  mentale  que  je  viens  de  rapporter  ont 
gueri,  mais  il  peut  fort  bien  ne  pas  en  etre  ainsi.  Quand  de 
tels  etats  de  confusion  avec  stupeur  ou  excitation  se  prt^sentent 
cbez  des  jeunes  genset  aboutissent  a  la  demence  precoce,  on  est 
assez  dispose  a  les  consid^rer  comme  une  maladie  speciale,  la 
demence  precoce  des  adolescents,  rheb^phrduie  des  auteurs  alle- 
mands.  Ces  confusions  incurables  ne  sont  pas  essentiellement 
d'une  autre  nature  que  les  precedentes  et  elles  peuvent  de  memo 
survenir  au  cours  d'un  etat  psychasthenique  avec  obsessions  et 
scrupules.  C'est  ainsi  que  les  choses  se  sont  pass^es  dans  deux  de 
mes  observations  d'h^b^phrenie.  Cette  remarque  est  importante; 


I .  P""  Hughes.  Congrhs  international  de  midecine  de  Paris,  section  de  Psyehiatriey 
1900,  p.  iSa. 


LES  TERMINAISONS  663 

si  Ton  songe  que  lesscrupules,  les  remords  interminables  de  con- 
fession, les  hontes  du  corps  si  frequents  chezles  jeunes  genspeu- 
ventaboutir  a  la  confusion  des  h^bdphreniques  dont  le  pronostic 
est  si  sombre  on  ne  sera  plus  dispose  a  consid^rer  ces  troubles  de 
I'esprit  comme  peu  dangereux  et  comme  si  ^loignes  de  la  folic 
proprement  dite. 

Enfin  parmi  les  terminaisons  fatales  de  la  maladie,  il  ne  faut 
pas  oublier  de  signaler  la  tcrminaison  par  le  suicide  dont  M. 
S^glas  a  signals  la  frequence.  Je  n'ai  pas  eu  Toccasion  dVn  rele- 
ver  des  exemplcs,  et  je  crois  le  fait  assez  rare  a  cause  de  Tabou- 
lie  de  ces  malades.  Mais  il  existe  cependant  et  doit  etre  redoute, 
parmi  les  accidents   possibles  de  cette   maladie. 


5.  —  Les  terminaisons. 

En  dehors  de  ces  complications,  ^trangeres  en  reality  a  la  ma- 
ladie proprement  dite,  il  est  interessant  de  rechercher  comment 
se  termine  la  maladie  psychasth^nique  quand  elle  garde  jusqu'au 
bout  ses  traits  caracteristiques  et  ne  se  transforme  pas  en  une  autre 
psychose. 

Les  premiers  observateurs  ont  ^te  frappes  de  ce  fait  que  les 
obs^des  n*arrivent  pas  au  d^lire  complet  et  que  la  maladie  n'aboutit 
pas  a  une  demence.  C^^tait  Topinion  soutenue  dans  le  rapport  de 
M.  J.  Falret  en  1889.  C'^tait  egalement  la  these  soutenue  dans  le 
livre  de  MM.  Magnan  et  Legrain  :  «  C'est  un  fait  remarquable, 
disent-ils,  jamais  dans  ces  cas  on  n'observe  la  moindre  modifica- 
tion du  syndrome  qui  reste  toujours  semblable  a  lui-meme.  II 
n*dvoluc  pas,  il  ne  se  transforme  pas,  jamais  il  ne  devient  Torigine 
d'un  d^lire  proprement  dil,  comme  on  Tecrit  quelquefois  en 
confondant  Tidee  obsedante  avec  Tobsession  pure  ;  jamais  il  ne  se 
termine  par  la  demence*.  jy 

D'autre  part,  quelques  auteurs  remarquent  justement  que  les 
troubles  vont  en  augmentant,  rendant  Texistence  de  plus  en  plus 
anormale;  MM.  Marie  etVigouroux  proposaient  de  consid^rer  cet 
etat  terminal  «  comme  une  demence  sp^ciale'  ». 

I.  Magaan  et  Legrain,  1896,  p.  i65.  Cf.  Seglas,  Maladies  mentales,  p.  87. 
3.  Marie  et  Vigouroux.    Congrhs  des  aVUnisies  el  neurologistes  frangais.  Aagers, 
ao6t  1898. 


664  L'fiVOLUTION 

En  examinant  les  caracteres  que  la  maladie  rev^t  a  sa  derniere 
p^riode  chez  les  malades  ages  qui  sont  restes  obsed^s  depuis 
leur  jeunesse,  nous  verrons  ce  qu'il  y  a  de  juste  dans  ces  deux 
opinions  en  apparence  oppos^es. 

I.  —  L'inertie  et  I'isolement. 

(c  A  la  trolsi^me  p^riode,  disait  Legrand  du  Saulle,  le  malade 
vit  dans  la  solitude,  les  mouvements  sont  lents,  la  vie  se  prolonge 
et  s'^teint  dans  une  sorte  dMmmobilite...,  les  malades  sortent  de 
moins  en  moins,  leurs  idees  deviennent  etroites,  leur  caractere 
tres  ^goi'ste,  leurs  mouvements  lents,  leur  temps  est  perdu  a 
mille  petits  details  de  toilette  et  de  repas,  ils  restent  dans  Tim- 
mobility  et  renoncent  aux  relations  avec  autrui,  mais  meme  au 
dernier  degr6  le  malade  n'est  pas  d6mentV  »  MoreP  disait  d6ja  : 
«  lorsque  le  mal  a  conquis  tous  ses  droits  a  Thabitude,  a  la  chro- 
nicite,  voici  ce  qui  pent  arriver,  les  malades  tombent  dans  Tin- 
diOerence,  dans  une  sorte  de  misanthropie  morose.  Ils  ne  se 
genent  pas  plus  devant  les  Strangers  que  devant  leur  famille  pour 
se  livrer  a  des  actes  ridicules  qui  les  font  passer  pour  des  excen- 
triques,  pour  des  hommes  a  tics  ».  Ball  arrive  a  la  meme  descrip- 
tion :  (c  la  gu^rison  est  rare,  mais  la  maladie  nefinitpresque  jamais 
par  la  d^mence.  Arrives  a  la  derniere  ^tape  de  leur  maladie,  les 
sujets  restent  fig6s  dans  leur  d^lire,  incapables  de  tout  travail, 
tristes  et  moroses,  ils  s'eloignent  de  la  society  et  vivent  dans  un 
^tat  de  sequestration  volontaire^  ».  KrafiTt-Ebing  tout  en  disant 
que  la  maladie  n'est  pas  progressive,  ce  qui  m^^tonne,  dit  que  la 
maladie  aboutit  a  des  ^tats  de  torpeur  intellectuelle  qui  ne  doivent 
pas  ^tre  confondus  avec  rimb^cillit^*. 

Ces  descriptions  sont  tres  exactes,  on  est  ^tonn^  en  voyant  ces 
malades  ag6s  conserver  une  intelligence  en  apparence  sufEsante 
et  cependant  avoir  renonc6  a  toute  activity,  avoir  adopts  une  exis- 
tence vraiment  absurde.  Fok...  qui  a  toute  sa  vie  eu  des  manies 
hypocondriaques  et  des  phobies  de  deglutition,  vit  maintenant 
constamment  etendue  sur  une  chaise  longue,  elle    lit   encore  un 


I.  Legrand  du  Saulle,  Folie  du  doute,  p.  8,  67. 

a.  Morel,  Delire  imoUf,  p.  891. 

3.  Ball.  Revue  scientifique,  i88a,  II,  p.  &6. 

4.  Kraflt-Ebing.  Psychialrie,  trad.  1897,  p.  54a t  546. 


LES  TERMINAISONS  665 

peu,  elle  recoit  quelques  visites  assez  rares,  elle  semble  intellt- 
gente  et  cependant  voici  cinq  ans  qu'elle  n*a  pas  quitte  la  chaise 
longue  etqu'elle  passe  ses  jours  et  ses  niiits  a  avaler  lentement, 
goutte  a  goutte,  un  peu  dejauned*oeuf.  Nadia,  a  trente,  ans  est  ar- 
rivee  a  se  s^questrer  dans  un  petit  appartement  qu'il  est  devenu 
impossible  de  lui  faire  quitter,  elle  ne  recoitjamaisqu'dneou  deux 
personnes  et  rarement,  elle  n*a  plusaucune  relation  avec  le  monde, 
mais  elle  a  encore  quelque  activite  puisqu'elle  se  livre  avec  grand 
succes  a  quelques  petits  travaux  artistiques.  Au  contraire,  Leg... 
a  45  ans  est  devenue  completement  immobile,  elk  reste  toute  la 
journee  sur  une  chaise,  ne  faisant  absolument  plus  rien  et  n'osant 
meme  pas  remuer  ou  parler  de  peur  d'envoyer  des  microbes  et 
du  poison  sur  les  personnes  pr^sentes.  Xa...  a  65  ans  ne  veut 
m6me  plus  s^asseoir,  elle  reste  debout  ou  accroupie  au  milieu  de 
sa  chambre,  son  dernier  fauteuil  ayant  ^t^  contamine  par  une  per- 
Sonne  qui  s'est  assise  dessus.  Kile  ne  voit  plus  personne  et  il  Taut 
deux  gardes  pour  arriver  a  lui  faire  accomplir  les  actes  n^cessaires 
a  la  conservation  d*une  aussi  pauvre  existence.  Sans  doute  ces 
malades  parlent  encore  raisonnablement :  la  derniere  est  meme 
capable,  depuis  que  je  suis  parvenu  a  la  faire  asseoir,  de  soute- 
nir  une  conversation  etde  rire  d'elle-meme. 

Un  type  tout  a  fait  remarquable  a  ce  point  de  vue  est  Fik... 
(i58).  Cette  femme,  agee  de  60  ans,  parfaitement  bien  portante, 
sans  aucune  infirmite,  intelligente  et  riche,  qui  pourrait  mener 
une  vie  tout  a  fait  raisonnable  et  agreable  en  est  arriv^e  a  une 
existence  absurde  qui  la  met  au  d^sespoir.  Elle  ne  pent  plus 
accomplir  aucune  espece  d'action,  elle  ne  pent  recevoir  personne, 
ni  allervoir  personne.  Elle  pent  ii  peine  sortir  dans  les  rues,  elle 
ne  pent  s'occuper  ni  de  toilette,  ni  de  religion,  ni  d^un  travail 
quelconque,  ni  d'une  lecture,  ni  de  quoi  que  ce  soit.  Elle  peut  a 
peine  se  nourrir  d'une  maniere  raisonnable  et  encore  faut-il 
qu'elle  mange  apres  les  autres,  qu'elle  soit  seule  a  table.  Elle 
peut  difficilement  dormir  et  m^me  se  coucher  et  souvent  elle 
passe  48  heures  etendue  sur  un  fauteuil.  Toute  action,  ou  plutot 
tout  commencement  d^une  action  car  elle  n'en  fait  aucune,  deter- 
mine des  ruminations,  des  phobies,  des  angoisses  interminables. 
Mais  tout  cela  ne  serait  rien  si  cette  pauvre  femme  n*avait  un 
caract^re  epouvantable,  d'une  susceptibility,  d*une  intolerance, 
d^un  autoritarisme  inouVs.  De  m^me  que  toute  action  lui  parait 
possible  quand  il  ne  s'agit  pas  de   Taction  pr^sente,  toute  per- 


666  L'fiVOLUTlON 

Sonne  lui  parait  agreable  quand  il  ne  s*agit  pas  de  la  personne 
qui  est  devant  elle.  Elle  se  fache  centre  tous  ceux  qui  Tappro- 
chent,  elle  se  pretend  martyrisee  par  tous  ceux  qui  essayent  de 
lui  dire  un  mot  et  elle  prend  alors  un  ton  a  la  fois  g^missant, 
ironique  et  m^chant  qui  fait  fuir.  II  en  r6sulte  qu'elle  a  ete  aban- 
donn^c  successivement  par  tout  le  monde,  qu'elle  n'a  plus  ni 
famille,  ni  amis  et  qu'elle  est  r^ellement  dans  un  isolement  com- 
plet ;  tous  ceux  qui  pourraient  s'interesser  a  elle  sont  terrifies  a 
la  pensee  de  la  revoir.  NVstil  pas  surprenant  qu'une  ferame  sem- 
blable  ait  cependant  toute  sa  raison.  qu*elle  ait  de  Tintelligence  et 
meme  de  Tesprit  ? 

II  n*est  pas  de  plus  bel  exemple  pour  montrer  que  cette  ma- 
ladie  laisse  subsister  tout  ce  qui  appartient  au  domaine  des 
images,  des  idees  abstraites,  de  la  parole,  mais  qu'elle  supprime 
completement  toute  activity  qui  concerne  le  reel  et  le  present. 
L'isolement  social  dsins  lequel  finissent  ces  malades  est  aussi 
bien  instructif :  il  nous  montre  qu'une  certaine  puissance  d*ac- 
tivite  reelle  est  necessaire  pour  conserver  des  amities  et  merae 
des  relations.  De  m6me  que  la  plus  haute  activity  de  la  volonte 
se  manifeste  par  le  pouvoir  de  r^unir  et  de  diriger  les  homnies, 
de  meme  la  plus  grande  decheance  de  toute  volonte  amene  I'inca- 
pacite  de  conserver  aucune  relation  avec  des  hommes,  et  risole- 
ment  absolu. 

Sans  doute,  on  ne  pent  dans  ces  cas  parler  de  demence  intel- 
lectuelle  complete.  Mais  cependant  en  voyant  ce  d^sordre,  cette 
nullite  de  I'existence,  on  ne  pent  s'empecher  de  trouver  qu'il  y 
avait  quelque  chose  de  vrai  dans  Texpression  de  MM.  Marie  et 
Yigouroux  et  de  dire  que  les  malades  aboutissent  a  une  ddmence 
sp^ciale.  Ce  n'est  pas  la  demence  ordinaire  qui  supprime  Tintel- 
ligence  abstraite,  c'est  une  demence  specialc  qui  porte  sur  Tac- 
tion, sur  les  rapports  avec  la  r^alite.  Ce  dernier  aboutissant  de 
rinsuflisance  psychologique  fondamentale  ne  vient-il  pas  confir- 
mcr  notre  theorie  qui  fait  des  troubles  de  la  volonte,  do  Talten- 
tion,  des  fonctions  du  reel,  le  trouble  essentiel  et  primordial  de 
toute  la  maladie. 


2.  —  La  guerison  relatwe. 


Ileureusement  ces  tristes  terminaisons  de  la  maladie  ne  sont 


LES  TERMINAISONS  667 

pas  fatnles.  MM.  Pitres  et  Regis  '  ont  fait  une  observation  tres 
reinarquableaproposdes  tables  statistiques  qu'ils  avaient  dressees 
sur  Tage  de  leurs  malades  ctcette  remarque  peut  se  r^p^ter  exac- 
tement  sur  las  miennes.  11  est  certain,  soit  pour  ces  auteurs,  soit 
pour  moi,  que  plus  des  3/4  de  nos  malades  en  traitement  sont 
jeunes,  au-dessous  de  3o  ans  et  que  le  nombre  des  malades  en 
traitement  diminue  tres  rapidement  a  mesure  que  nous  conside- 
rons  des  ages  plus  avancds.  Comment  expliquer  le  fait  ? 

On  peut  dire  d'abord  que  quelques-uns  des  malades  jeunes 
meurent;  maisles  morts  sont  rares  chezlesobs^des.  Quclques-uns 
doivent  se  degouter  des  traitements,  leur  nombre  ne  doit  pas  etre 
grand,  quand  on  voit  combien  ces  malades  aiment  a  etre  diriges.  II 
ne  reste  qu'une  explication  possible,  c'est  que  les  scrupuleux  sont 
en  realite  de  moins  en  moins  nombreux  a  mesure  que  Tage  s'avance 
et  qu'un  tres  grand  nombre,  plus  de  la  moitie,  a  du  guerir 
avant  d'arriver  a  ^o  ans.  Cette  notion  que  nous  apprend  le  rai- 
sonnement  est  confirmee  par  Tobservation.  On  voit  un  grand 
nombre  de  malades  s'ameliorer  vers  la  fin  de  la  jeunesse.  II  en 
est  de  cette  maladie  exactement  comma  de  Thyst^rie  qui  se  dcve- 
loppe  tres  frequemment,  chez  les  femmessurtout,  a  Tage  de  la  pu- 
berte  physique  ou  morale  etqui  diminue  ou  disparait  quand  cette 
double  evolution  est  bien  termin^e,  c'est-a-dire  de  25  a  3o  ans, 
car  il  s  agit  de  sujets  dont  le  d^veloppement  est  lent  et  dont 
revolution  est  en  retard.  Ball  disait  deja  que  les  malades  atteints 
a  Tepoque  de  la  puberty  ont  des  chances  de  gudrison,  parce  que 
revolution  progressive  de  Torganisme  peut  les  debarrasser  de 
cette  faiblesse.  Legrand  du  Saulle,  Krailt-Ebing  parlent  aussi  de 
ces  gu^risons,  j'en   ai  observe  un  tres  grand  nombre. 

Quand  les  idees  fixes  diminuent,  les  malades  repassent  en 
sens  inverse  a  travers  la  s^rie  des  phenomenes  qui  se  sont  deve- 
loppes  au  debut.  lis  oublient  les  obsessions  proprement  dites 
mais  conservent  d'abord  des  manies,  des  tics,  des  phobies,  puis 
quand  ils  les  perdent,  ils  restent  simplement  abouliques,  enfin 
dans  lescas  les  plus  heureux  Taboulie  tend  a  disparaitre  au  moins 
jusqu'a  Tepoque  des  rechutps ;  les  observations  de  Bor...,  de 
Toq...,  etc.,  sont  demonstratives  a  ce  point  de  vue.  D'autres  ma- 
lades qui  ont  depasse  ce  terme  tardifde  revolution  de  la  puberte 
guerissent  encore  aux  approches  de   la   maturity.    C'est  ^videm- 

1.  Pitres  el  Regis,  op.  cil.,  p.  83. 


668  L'fiVOLUTION 

ment  a  cause  de  ces  gu^risons  frequentes  survenant  soit  spon- 
tan^ment,  soit  sous  Tinfluence  du  traltement  que  les  obs^d^s 
deviennent  de  plus  en  plus  rares  a  partir  de  Tage  de  4o  ans. 

Cette  diminution  de  la  maladie  avec  Tage  me  parait  encore  inte- 
ressante  et  se  rattaQher  a  nos  Etudes.  La  jeunesse,  quelles  que  soient 
les  illusions  qu'on  ait  cues  sur  elle,  est  la  periode  la  plus  dure  de  la 
vie, /;'est  celle  quidemande  de  grands  efforts  d'organisation  physi- 
que et  morale.  La  femme  surtout  se  d^pcnse  dans  Torganisation  des 
fonctions  de  la  g<^neration,  puis  des  fonctions  de  la  maternity. 
Au  point  de  vue  moral  c'est  T^poque  oil  il  faut  acqu^rir  d'in- 
nombrables  connaissances,  comprendre  et  organiser  toutes  sortes 
de  sentiments  nouveaux  et  se  preparer  simultanement  un  carac- 
tere,  une  conduite,  des  croyances,  une  carriere,  une  famille,  etc. 
Chez  les  individus  trfes  normaux  la  jeunesse  pr^sente  tout  juste- 
ment  des  forces  speciales  pour  r6pondre  a  ces  besoins  spdciaux 
et  quand  on  saura  mesurer  la  tension  psychologique  et  nerveuse 
on  verra  qu'elle  est  a  ce  moment  plus  forte  que  jamais.  L'enfant 
et  le  jeune  homme  normal  ont  une  force  enorme  de  presentifica- 
tion :  ils  vivent  dans  le  present,  ils  sentent  le  present  reel,  ils  s*y 
adaptent  avec  une  Anergic  surprenante  qui  leur  fait  oublier  tout 
ce  qui  n'est  pas  present  et  r^el.  Mais  Tindividu  h^r<^ditairement 
faible  n'est  pas  assez  fort  pour  traverser  sans  encombres  cette 
periode  diflicile  ;  il  s^6puise  dans  cette  organisation  physique  et 
morale,  il  devient  incapable  d'avoir  une  tension  nerveuse  suffi- 
sante  pour  la  perception  du  present  et  pour  Taction  r^elle. 
Je  ne  suis  pas  etonne  quand  j'entends  des  parents  expliquer  a 
leur  fa^on  la  maladie  du  scrupule  de  leur  (ille  :  «  Elle  est  deve- 
une  reveuse  parce  qu^elle  a  trop  grandi  ».  C*est  la  I'expression 
vulgaire  de  cette  idee  gen^rale  que  Tobsession  provient  de  I'in- 
suflTisance  des  forces  psycho-physiologiques.  Mon  regrette  maitre, 
M .  Hanot,  avait  Thabitude  dans  ses  cliniques  si  vivantes  d'cxpli- 
quer  par  cette  comparaison  la  chlorose  des  jeuncs  filles  :  «  c'est 
un  voyageur  parti  avec  un  trop  petit  capital,  dans  les  petits  vil- 
lages pas  chers,  il  a  pu  passer  sans  diiliculte,  mais  quand  il  faut 
traverser  les  grandes  villes  ou  de  grosses  d^penses  sont  n^ces- 
saires,  il  fait  faillite.  »  La  faillite  ne  se  manifeste  pas  uniquement 
par  les  troubles  de  la  nutrition,  elle  se  manifeste  dans  bien  des 
cas  par  des  insuffisances  cerebrates  dont  la  folic  du  doute  est  une 
manifestation. 

Quand  cette  periode  est  passee,  la  vie  adulte  devient  infiniment 


LES  TERMINAISONS  669 

moins  difficile,  Torganisme  est  construit  et  doit  tout  simplement 
s'entretenir,  la  carriere,  la  famille,  les  croyances  sont  organis6es  : 
la  depense  mentale  devient  infiniment  moindre.  Sans  doute  nos 
obsed^s  ne  deviendront  pas  des  hommes  6minents,  its  n'auront 
pas  de  forces  a  d^penser  pour  un  travail  suppl^mentaire,  mais  ils 
auront  une  force  suffisante  pour  la  perception  ordinaire  et  pour 
des  actions  devenues  en  grande  partie  automatiques.  Ces  percep- 
tions et  ces  actions  deviendront  alors  plus  reelles,  ne  donneront 
plus  naissanceau  sentiment  d'incompl^tude,  les  derivations  et  les 
obsessions  qui  resultaient  de  cette  faiblesse  de  tension  disparai- 
tront  graduellement.  La  guerison  au  moins  partielle  est  done  une 
terminaison  que  Ton  pent  esperer  dans  un  bon  pombre  de  cas, 
et  le  traitement  doit  tendre  a  aider  les  bons  effets  du  progres  de 
I'Age. 


CHAPITRE  III 
LE  DRGNOSTIC  ET  LE  TRA.ITEMENT 

Les  questions  de  diagnostic  et  de  pronostic,  la  recherche  des 
rares  proced^s  th^rapeutiques  qui  sont  reconnus  comme  ayant 
quelque  influence  doivent  terminer  une  ^tude  complete  de  cette 
affection.  Comme  ce  livre  a  surtout  pour  but  de  rechercher  les  no- 
tions psychologiques  qui  se  d(^gagent  de  Texamen  des  malades, 
je  r^sumerai  bri^vement  ce  qu'il  y  a  d*essentiel  dans  ces  recherches 
pratiques  :  un  grand  nombre  de  notions  relatives  au  diagnostic 
et  au  pronostic  d^coulent  d'ailleurs  tres  naturellement  des  Etudes 
prec6dentes.  J'insisterai  surtout  sur  la  th^rapeutique  :  Texamen 
de  quelques  essais  interessants  pent  etre  utile  et  les  divers  trai- 
tements  constituent  des  experiences  qui  peuvent  jeter  quelque 
lumiere  sur  les  theories  psychologiques  que  je  viens  d'etudier. 


PREMIERE   SECTION 


LB    DIAGNOSTIC 


Le  diagnostic  est  evidcmment  facile  quand  on  a  affaire  aux  cas 
typiques  et  bien  developp^s.  Quand  une  femme  de  26  ans  vient 
confier  au  medecin  que  malgr6  elle  die  s'lnterroge  avec  angoisse 
sur  une  question  qu^elle  sait  etre  stupide  et  inutile,  qu'elle  se 
demande  pendant  des  heurcs  entieres  si  la  tache  noire  que  son 
enfant  porte  a  la  cuisse  est  bien  un  signe  de  l^gttimit^  et  prouve 
que  Tenfant  est  du  mari ;  dans  un  cas  de  ce  genre  il  n'y  a  guere 
d'h^sitation  possible.  Mais  si  la  maladie  est  moins  nette,  si  elle 
determine  des  troubles  des  fonctions  organiques,  de  la  marche, 


LE  DIAGNOSTIC  ET  LE  TRAITEMENT  671 

de  la  miction,  etc.,  on  pent  souvent  etre  tres  embarrass^  et  quel- 
quefois  ce  n'est  que  revolution  qui  donnera  una  connaissanceplus 
nette  du  malade  et  permettra  d^arriver  a  une  opinion  precise.  Ce 
probl^me  du  diagnostic  me  parait  difi(§rent  suivant  le  groupe  des 
symptdmes  predominants  que  pr^sente  le  malade.  Nous  avons 
adniis  trois  groupes  de  symptomes,  les  insuffisances  psycholo- 
giques,  les  ph^nomenes  de  derivation  ou  les  crises  de  psycholepsie 
et  les  obsessions  proprement  dites  qui  se  surajoutent  aux  pheno- 
menes  precedents. 

Quand  les  malades  ne  presentent  que  le  premier  groupe  de 
sympt6mes,  qu'ils  sont  surtout  abouliques,  aprosexiques,  qu'ils 
ont  des  troubles  de  Temotivite,  du  sommeil,  le  diagnostic  avec  la 
neurasthenie  semble  le  plus  difficile  a  faire.  Je  ne  suis  pas  con- 
vaincu  qu41  soit  important  de  chercher  a  Tetablir.  La  neuras- 
thenic est  une  maladie  encore  tres  vaguement  determinee,  elle 
contient  probablement  un  grand  nombre  de  troubles  qui  sont 
siraplement  des  debuts  d*autres  n^vroses  ou  d'autres  psychoses. 
Tant  que  la  maladie  n'est  pas  caracterisee,  il  n'y  a  pas  grand 
inconvenient  a  se  servir  de  ce  terrae  vague  de  neurasthenic 
qui  est  accepte  volontiers  par  les  malades.  11  suffit  de  no  pas 
oublier  que  la  neurasthenic  pent,  en  evoluant,  donner  naissance 
a   des  etats  psychastheniques   plus   ou    moins   graves. 

Mais  peut-on  prevoir  quelles  sont  les  neurasthenics  dangereuses 
a  ce  point  de  vue  ou  peut-on  reconnaitre  le  moment  oil  elles  se 
transforment  et  meritent  de  prendre  un  autre  nom  ?Bien  entendu, 
les  neurnstheniques  dont  Theredite  est  chargee,  dont  la  maladie 
a  debute  plus  insidieusement  pour  des  causes  physiques  ou  morales 
minimes  sont  les  plus  predisposes  a  cette  evolution.  II  faut  aussi 
tenir  compte  de  la  predominance  des  symptomes  psychiques  sur 
les  sympt6mes  physiques.  Enfin,  a  propos  des  symptomes 
psychiques  on  pent  faire  la  remarque  suivante.  Certains  malades 
sont  tres  abouliques,  ne  peuvent  plus  faire  attention  et  presentent 
de  Tamnesie  continue,  mais  ils  le  constatent  sans  s^en  inquieter, 
ils  ont  tres  peu  ces  sentiments  dMncompletude  qui  caracterisent 
les  psychastheniques  ;  chez  ceux-la  les  troubles  de  Tobsession  sont 
peu  a  redouter.  Au  contraire,  si  un  malade  ayant  les  symp* 
tomes  de  neurasthenie  surtout  morale  se  plaint  ensuite  de  ne 
plus  se  reconnaitre  lui-meme,  de  trouver  le  mondc  eirange,  de 
se  sentir  comme  dedouble,  de  constater  lui-meme  le   caractere 


672  LE  DIAGNOSTIC  ET  LE  TRAITEMENT 

automatique  de  ses  actes,  il  y  a  lieu  de  se  montrer  inquiet  et  de 
craindre  que  T^tat  neurasth^nique  ne  se  complique  bientoi  de 
ruminatioDSy  de  phobies  et  d'obsessions. 

Un  autre  diagnostic  qui  se  presente  au  meme  moment  c'est 
celui  de  la  confusion  mentale  aigne  ou  chronique.  Nous  avons  vu 
que  la  confusion  se  presente  comme  un  accident  grave  au  cours 
des  etats  psychastheniques,  mais  si  la  confusion  mentale  est  legere 
elle  pent  etre  confondue  avec  la  periode  d^insuffisance  psycholo- 
gique  des  obsessions.  Le  diagnostic  est  surtout  interessant  a 
propos  de  ces  confusions  chroniques  et  lentes  qui  se  d^veloppent 
chez  les  jeunes  gens  et  que  Ton  range  souvent  sous  le  nom  d'h^- 
b^phr^nies.  En  g^n^ral  les  symptomes  d*insuflSsance  psycholo- 
gique  sont  beaucoup  plus  accuses  dans  les  confusions  d'origine 
infectieuse  oq  toxique,  le  trouble  n*atteint  pas  seulement  les  ph^- 
nom^nes  sup^rieurs,  les  fonctions  du  r6el,  mais  il  atteint  les 
fonctions  plus  ei^mentaires  de  la  perception,  du  raisonnement^ 
de  Tassociation.  Le  malade  ne  se  borne  pas  a  douter  de  ce  qu*il 
Yoit  ou  de  ce  qu'il  entend,  il  ne  pent  meme  plus  le  comprendre 
ou  le  percevoir.  II  en  r^sulte  que  les  confus  ont  beaucoup  moins 
que  les  psychasth^niques  la  conscience  de  leur  maladie.  lis  ontpeu 
ou  point  les  sentiments  d'incompletude  et  quand  ils  ont  des  idees 
fixes,  ils  n'en  reconnaissent  pas  Tabsurdite. 

Le  diagnostic  avec  les  etats  melancoliques  depend  des  troubles 
du  sentiment,  de  la  douleur  morale  qui  est  si  caract^ristique  chez 
le  m^lancolique\  Sans  doute  quand  la  maladie  des  obsessions  est 
tr^s  developpee  elle  pent  faire  naitre  un  sentiment  de  desespoir, 
mais  ce  sentiment  est  secondaire  et  tardif,  tandis  qu'il  semble  etre 
primitif  dans  la  melancolie.  Bien  entendu,  les  troubles  melanco- 
liques peuvent  s'ajouter  aux  troubles  de  Tobsession  et,  comrae  le 
disent  MM.  Pitres  et  R^gis,  il  y  a  des  6tats  mixtes  qui  tiennent  de 
la  melancolie  et  de  Tobsession'. 

Enfin  on  pent  rencontrer  de  tres  graves  diliicultes,  exception- 
nellement  il  est  vrai,  si  Ton  est  amen^  a  hesiter  entre  ces  etats 
psychasth^niques  et  le  d^but  de  la paralysie  generate,  C'est  le  pro- 
bleme  du  diagnostic  toujours  d^licat  a  mon  avis  entre  la  neuras- 
thenic et  la  paralysie  g^n^rale  a  ses  debuts.  Je  me  suis  trouve  une 


1.  S^glas,  Cofigrh  des  aUinistes  d' Angers,  aoiit  1898. 
a.  Pitres  el  R6gis,  op.  cit,,  p.  98. 


DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT'  675 

fois  dans  une  grande  hesitation.  Le  malade,  homme  de  45  ans, 
tr^s  intelligent,  d*une  haute  situation,  venait  consulter  de  lui- 
meme,  ce  qui  indiquait  la  conscience  des  troubles,  il  se  plaignait 
de  diminution  de  la  volont^,  de  Tattention  et  de  la  memoire,  de 
sentiments  d*automatisme  et  d'un  etat  permanent  d'inqui^tude. 
En  m^me  temps  j^apprenais  par  la  familleque  le  malade  avaiteu  a 
Tage  de  3o  ans  une  grande  crise  d^id^es  obsedantes  de  jalousie  et 
de  persecution.  D'autre  part  Tage  d^ja  avance,  Tintdgrite  intel- 
Icctuelle  et  la  haute  puissance  de  volonte  pendant  la  plus  grande 
partiede  la  vie,  un  peu  de  tremblement  de  la  langue  et  des  l^vres, 
un  peu  d'inegalite  puplllaire  et  une  v^role  anterieure  me  firent 
hesiter  et  me  conduisirent  a  avertir  la  famille  d'un  diagnostic  de 
paralysie  generate.  Mon  diagnostic  fut  contests  dans  une  con- 
sultation ;  malheureusement  Tavenir  me  donna  raison  et  deux 
ans  apres  le  malade  mourut  dans  un  acces  ^pileptoide.  On  se 
trouvera  rarement  dans  un  embarras  semblable :  les  signes  phy- 
siques de  la  paralysie  generate,  le  d^veloppement  de  la  demence  qui 
descend  plus  profondement  que  le  trouble  psychasth6nique  per- 
mettront  en  general  d'arriver  facilement  au  diagnostic. 

Si  nous  consideronslesecondgroupedesymptomes,  les  agitations 
motrices,  les  phobies  et  les  ruminations  mentales,  les  deux  premiers 
ph^nomenes  surtout  donneront  naissance  a  des  problcmes  de  dia- 
gnostic. Le  premier  de  ces  problemes  consisted  bienreconnaitrele 
caractere  nevropathique  des  phenomenes  et  a  ne  pas  les  rnttacher 
aux  aOections  organiques  qu'ils  simulent.  Les  phobies  determi- 
nent  des  troubles  de  Talimentation,  de  la  deglutition,  de  la  defe- 
cation, de  la  miction,  de  la  marche,  de  T^criture  et  surtout  des 
fonctions  genitales.  II  est  essentiel  de  ne  pas  faire  de  tous  ces 
troubles  des  lesions  du  pharynx,  de  Testomac,  de  Tintestin  ou'  de 
la  moelle  ^piniere.  Cela  est  surtout  important  ici  car  un  faux  dia- 
gnostic confirme  le  malade  dans  ses  apprehensions  et  aggrave  la 
maladie  mentale.  On  se  souvient  de  ce  qui  arrive  aux  jeunes 
maries  que  T^motion  rend  insuffisants  et  a  qui  on  parle  de  maladie 
de  la  moelle  epiniere.  II  suflit  en  g^n^ral  de  rechercher  avec  beau- 
coup  de  precision  les  symptomes  de  la  maladie  organique  simul^e 
et  de  les  rechercher  en  silence  sans  expliquer  au  malade  ce  que 
Ton  verifie.  Sans  doute  la  suggestibilite  du  malade  n'est  pas  aussi 
redoutable  que  celle  des  hysteriques,  mais  le  d6sir  d'etre  pris 
pour  un  malade  serieux,  la  crainte  de  s'entendre  appeler  «  hypo- 

LES  OBSESSIONS.  I.    —   43 


674  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

condriaque  »  suffit  pour  amener  sinon  une  veritable  simulation^ 
au  moins  une  aggravation  des  sympt6ines  bien  faite  pour  embar- 
rasser  le  m^decin.  Si  I'on  ne  retrouve  en  aucuue  faqon  ces  symp* 
tomes  des  maladies  organiques,  il  faut  rechercher  les  symptomes 
des  phobies,  des  angoisses,  le  sentiment  de  Tirresistibilit^  et  la 
conscience  de  Tabsurdit^  qui  en  g^n^ral  ne  manquent  point,  puis 
tousles  troubles  de  la  volonte^  de  I'attention,  de  Temotivite  qui 
en  general  sont  assez  nombreux  pour  ne  laisser  aucun  doute. 
Quelquefois  cependant  le  diagnostic  reste  delicat,  au  moins  pen- 
dant un  certain  temps.  C'est  qu'au  d6but  le  symptome  pent  paraitre 
isol^  comme  il  arrive  dans  Fhyst^rie  monosymptomatique  et  que 
tons  les  troubles  de  Tetat  psychasth^nique  semblent  se  grouper 
autour  de  ce  phenom^ne  particulier.  L'^volution  ne  tarde  pas  a 
lever  la  diflScult^. 

Je  n'iusiste  pas  sur  le  diagnostic  de  la  maladie  des  tics  parce 
que  cette  maladie  me  parait  singulierement  con^ue:  on  s'est  uni- 
quement  preoccupy  en  F^tablissant  de  s^parer  le  tic  de  la  choree 
sans  se  pr^occuper  de  diagnostiquer  T^tat  mental  dont  les  tics 
n'etaient  que  la  manifestation.  A  mon  avis  cet  ^tat  mental  peut 
appartenir  a  deux  maladies,  soit  a  Thyst^rie,  soit  a  la  psychas- 
thenic. Si  un  tic  n'est  pas  hyst^rique  et  ici  nous  retombons  dans 
le  diagnostic  de  Thyst^rie,  il  forme  un  ph^nom^ne  de  derivation 
propre  a  Taboulie  psychasth^nique.  M.  Oddo*  insistait  derniere- 
ment  sur  la  gravity  du  tic  au  point  de  vue  du  pronostic.  «  Si  le 
tiqueux  n'est  pas  encore  un  deg^n^r^  en  fait,  il  le  sera,  il  est 
marque  pour  le  devenir;  la  curabilite  de  certains  tics  ne  contredit 
pas  cette  opinion,  car  les  obsessions  et  les  phobies  eiles-memes 
sont  curables  au  moins  dans  certains  cas.  »  II  y  a  tout  avantage 
a  mon  avis  apres  avoir  separe  les  tics  hyst^riques  a  faire  rentrer 
les  autres  tics  dans  le  groupe  des  agitations  forcees  avec  les 
ruminations  les  phobies,  les  obsessions  dont  tons  leurs  caracteres 
psychologiques  les  rapprochent. 

Le  diagnostic  le  plus  interessant  a  propos  de  ce  groupe  de 
phenom^nes  est  celui  de  Thysterie,  il  se  pr6sente  a  propos  des 
crises  d'agitation  motrice  qui  sont  souvent  prises  pour  des  crises 
d'hyst6rie  (Vod...,  Nadia),  a  proposdes  ruminations  qui  constituent 
quelquefoisdesperiodessemblablesadessomnambulismes(Gisele), 


I.  G.  Oddo,  Diagnostic  differcntiel  de  la  maladie  des  tics  et  de  la  choree  de  Sj- 
dcnham.  Presse  medicate »  3o  scplembre  1899. 


DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT  675 

a  propos  des  refus  de  mouvement,  des  refus  d'aliments,  a  propos 
des  ticsy  etc.  Th^oriquement  le  diagnostic  devrait  Mre  fait  tres 
facilement  grace  a  la  recherche  des  stigmates  :  une  hyst^rique 
avec  h^mianesth^sie  nette  et  r^tr^cissement  du  champ  visuel  ne 
ressemble  pas  a  une  scrupuleuse  qui  n'a  que  des  troubles  de 
Tattention ;  mais  d'une  part  nous  avons  vu  que  les  scrupuleuses 
dans  les  etats  graves  comme  Claire  et  Lise  peuvent  presenter 
des  diminutions  de  la  sensibility  et  d'autre  part  j*en  arrive  a 
croire  que  nous  avons  exag^r^,  sinon  la  frequence,  au  moins  la 
g^n^ralit6  de  Tanesth^sie  complete  chez  Thyst^rique.  Dans  ce 
diagnostic  souvent  d^Iicat  on  sera  guide  par  les  antecedents,  il  y 
a  certains  faits  nettement  hysteriques  :  les  contractures,  les  vraies 
paralysies,  les  somnambulismes  typiques  suivis  d'amn^sie  qui 
n'existent  pas  chez  les  psychasth^niques  ;  on  pourra  se 
servir  de  quelques  experiences,  Thypnotisme  vrai,  la  suggestion, 
les  actes  subconscients  n'existent  pas  davantage  chez  ces  malades. 
Le  veritable  diagnostic  doit  se  faire  par  Texamen  de  la  forme 
psychologique  que  prennent  les  troubles  principaux.  L'hyst^rie 
estcaracterisee  par  la  suppression  complete  de  certains  faits  et  par 
Texag^ration  de  certains  autres.  Tandis  que  des  sensations,  des 
souvenirs,  des  images  motrices  sont  completement  disparus  de  la 
conscience  personnelle,  ce  qui  constitue  des  anesth^sies,  des 
amn^sies,  des  paralysies,  etc.,  les  ph^nom^nes  psychologiques 
conserves  vont  jusqu'a  leur  terme  extreme :  on  constate  des 
impulsions  a  des  actes  qui  s^ex^cutent  completement  au  moins 
pendant  certaines  crises,  des  hallucinations  completes,  avec  illu- 
sion de  la  r^alite,  des  convictions  irr^sistibles.  C'est  la  ce  qui 
constitue  chez  Thysterique  le  retr^cissementdu  champ  de  la  con- 
science. Les  psychastheniques  au  lieu  de  ce  r^trecissement  du 
champ  de  la  conscience  pr^sentent  un  abaissement  de  la  conscience 
dans  sa  totality.  lis  ne  pr^sentent  aucune  des  lacunes  completes 
de  rhysterique,  ni  ancsthesie,  ni  amnesic,  ni  paralysie,  ni  sub- 
conscience,  ni  suggestion  qui  r6sulte  de  ce  r^tr^cissement ;  ils  nc 
pr^sentent  pas  non  plus  de  ces  conservations  completes  ou  m^me 
de  ces  exag^rations  de  certains  ph^nom^nes  conserves  et  isoles 
des  autres.  Enfin  cet  abaissement  g^n^ral  quin'est  pas  compense 
par  un  retr^cissement  du  champ  de  la  conscience  leur  donne  des 
sentiments  d*incompl6tude  bien  plus  accentu^s  qu'ils  ne  sont 
d*ordinaire  dans  rhyst^rie.  Tandis  que  Thyst^rique  a  tons  les 
sentiments  extremes,  vous  aime  ou  vous  d^teste  avec  une   ^gale 


670  DIAGNOSTIC  ET  TRAITfcMENT 

perfection,  le  scrupuleux  iie  sail  pas  s'il  aime  ou  s'il  deteste: 
Thyst^rique  ne  termine  que  certains  phenomfenes  mats  elle  les 
terniine  trop  ;  le  psychasthenique  ne  perd  aucun  phenomene,  mais 
il  n'en  termine  aucun. 

Si  on  consid^re  les  phenomenes  en  particulier  on  trouveru 
dans  chacun  d*eux  les  consequences  de  ces  grandes  differences. 
L'anesthesie,  Tamnesie,  In  subconscience  donnent  aux  pheno- 
menes automatiques  des  hysteriques,  aux  agitations,  aux  tics,  aux 
impulsions  une  perfection,  une  r^gularite,  un  rj'thmc  qui  n'exislc 
plus  chez  les  autres  malades.  Ily  a  un  inachevement  caracteristique 
dans  toutes  les  manifestations  morbides  des  psychasth^niques. 
Quelques  auteurs  pensent  que  la  neurasthenic  et  Thysterie  se 
confondent,  se  combinent  souvenl.  Cela  pent  exister  au  debut 
quand  les  symptomes  de  Tetat  psychologique  sont  encore  pen 
accentu^s,  mais,  si  je  ne  me  trompe,  cette  confusion  ne  continue 
pas  longtemps.  D'ordinaire  les  malades  versent  franchement  dans 
Tune  ou  dans  Tautre  des  deux  formes  de  Tabaissement  psycholo- 
gique. Seul  Tetat  d'esprit  des  extatiques  me  semble  6tre  un  inter- 
mediaire  entre  Tetat  d*esprit  scrupuleux  et  Tetat  mental  hyste- 
rique.  La  didiculte  meme  qu'eprouve  Textatique  a  r^aliser  dans 
Textase  I'isoleraent,  Tunit^  de  Tesprit  qu'il  cherche,  les  efforts 
qu'il  doit  faire  pour  se  rapprocher  de  la  catalepsie  si  facile  aux 
hysteriques  montre  bien  Popposition  r^elle  qui  existe  entre  ces- 
deux  grandes  nevroses. 

Si  nous  arrivons  au  troisi^me  groupe  de  symptomes  et  si  \c 
malade  considere  presente  surtout  des  obsessions  nous  retrou- 
vons  d'abord  quclques-uns  des  diagnostics  precedents,  il  faut  no 
pas  confondre  les  troubles  amends  par  des  obsessions  de  la  honte 
du  corps  avec  les  maladies  organiques  corrcspondantes.  Nous 
retrouvons  aussi  le  diagnostic  de  Thyst^rie  a  propos  des  id^es 
fixes  de  ces  malades,  les  remarques  seraient  les  m^mes  que 
pr^cedemment. 

Nous  arrivons  h  un  nouveau  probleme  que  nous  pr^sentent  les 
delires  systematiques  a  leur  d^but,  les  paranoias  rudimentaires  qui 
vont  constituer  le  delire  hypocondriaque,  la  folic  mystique,  le 
delire  de  persecution.  Les  anciens  auteurs  confondaient  presque 
toujours  ces  delires  system atises  avec  le  delire  du  doutc,  Dela- 
siauve  en  1809  donne  comme  exemple  de  a  pseudo-monomanie  >« 
un  cas  typique  de  delire  de  persecution,  Marc^  en  1862  confond 


DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT  677 

«n  un  meme  groupe  le  d^Iire  de  persecution  et  «  les  id^es  for- 
cees  »  des  obs^des.  Ici  encore  le  diagnostic  th^orique  est  fort 
simple,  il  consiste  a  constater  Texistence  de  ces  signes  qui  sont 
<)doptes  par  tous  les  auteurs  d'une  maniere  classique  pour  ^tablir 
In  difference  entre  Tid^c  fixe  et  Tobsession.  «  L'id^e  fixe,  disait 
M.  Roubinovitch,  est  une  conception  delirante,  inconsciente,  do- 
minant toute  la  personnalite  psychique  ;  I'obsession  est  une  id6e 
inutile  o.u  nuisible,  reconnue  fausse  qui  occupe  Tesprit  du  malade 
-contre  sa  volonte.  L'id^e  fixe  est  permanente,  Tobsession  procede 
par  paroxysme ;  chez  le  premier  malade  c'est  le  jugement,  la 
faculte  d^association  des  idees  qui  est  lesee,  c'est  chez  le  second 
la  sphere  emotive,  la  volont^  ^  »  II  en  est  ainsi  sans  doute  dans 
les  cas  typiques  et  un  persecute  au  terme  de  son  delire  raanifeste 
une  conviction  absolue,  en  exprimant  des  idees  de  persecution  et 
de  grandeur,  il  accomplit  des  actes  en  rapport  avec  ses  idees,  il 
intend  des  voix  hallucinatoires  etil  ne  ressemble  aucunement  a  un 
obsede  qui  s'interroge  indefiniment  sur  son  scrupule  et  qui  n'a 
<{ue  des  pseudo-hallucinations. 

Cependant  je  crois  qu'il  y  a  lieu  d'etre  tres  embarrasse  si  Ton 
considere  les  malades  a  leur  debut.  M.'  Marandon  de  Montiel, 
MM.  Vigouroux  et  Decasse  ont  montre  comment  les  idees  deli- 
rantes  des  persecutes  se  rattachaient  egalement  chez  eux  a  des 
troubles  anterieurs  de  Temotivite  et  de  la  coenesthesie '.  J'ai  ete 
toutsurpris  d'observer  chez  les  persecutes  un  grand  nombre  des 
caracteres  de  nos  psychastheniques  :  on  constate  dans  le  develop- 
peraent  de  leur  maladie  la  meme  influence  de  toutes  les  causes 
debilitantes,  des  maladies  infectieuses,  des  emotions,  les  memes 
oscillations  du  niveau  mental,  les  memes  troubles  de  Tinsuflfi- 
sance  psychologique,  Taboulie,  Taprosexie,  le  besoin  de  direc- 
tion et  surtout  les  sentiments  d'automatisme.  «  Ce  n'est  plus  moi 
qui  lis,  on  lit  a  ma  place,  rep^tent-ils  souvent  ».  On  retrouve 
egalement  chez  les  persecutes  systematiques  les  sentiments 
de  dedoublement,  d'etrangete  du  corps,  d'etrangete  du  monde 
€Xterieur.  Inversement  on  pent  retrouver  chez  Tobsede  le  plus 
typique  le  meme  contenu  des  idees  que  dans  le  delire  systemati- 
que  :  les  idees  obsedantes  mystiques  sont,  comme  on  Ta  vu,  fre- 

I.  Roubinovitch.  Bulletin  med.,  a  a  juillet  1896.  Cf.  K^raval,  L'id^  fixe.  Archives 
We  neurologie,  1899,  II,  a4. 

a.  Marandon  de  Montiel,  Dc  la  gencse  des  conceptions  ddlirantes  et  des  halluci. 
nations  dans  le  delire  systematise.  Gazette  des  hopitaux,  5  juin  190(1. 


678  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

quentes,  des  idees  de  persecution  se  m^lent  tres  souvent  aux 
obsessions  de  la  honte  de  soi.  Leplus  souvent  il  estyrai,  l'obs6de 
s'accuse  lui  meme  a  propos  des  troubles  qu'il  ressent,  mais  il 
n'est  pas  rare  de  Tentendre  en  accuser  les  autres.  Rp...  (ia3) 
obsede  tout  a  fait  typique,  avec  manie  des  presages  et  pseudo- 
hallucinations  symboliques  est  tourment6  par  Tid^e  «  que  depuis 
son  enfance  des  juifs  puissants  ont  la  patte  sur  lui  et  lui  enlevent 
toute  liberte.  »  Lrm...  (aSa)  qui  pr^sente  des  luttes  symboliques 
si  amusantes  contre  un  personnage  X  est  en  r^alit^  tourment^ 
par  Tobsession  que  X  le  persecute.  On  trouve  ^galement  chez  les 
obsi^d^s  des  id^es  de  grandeur,  M.  S^glas  en  a  rapports  un  exem- 
pie  curieux  \  j'en  ai  d6ja  cit6  plusieurs  dans  les  descriptions  pre- 
c^dentes.  En  un  mot,  tons  ces  phenomenes  sont  tellement  sem- 
blables  que  dans  une  douzaine  d'observations  je  soutiens  que  le 
diagnostic  n'^tait  pas  possible  au  d^but. 

II  y  a  des  malades  qui  au  d^but  oscillent  visiblement  entre 
le  delire  de  persecution  et  le  ddlire  du  scrupule.  Ha...  (208), 
femme  de  35  ans,  a  toujours  ^te  une  scrupuleuse,  se  repro- 
chant  de  ne  pas  travailler  sui&samment,  craignant  de  ne  pas 
gagner  sa  vie.  Elle  a  eu  longtemps  la  manie  des  serments,  des 
alternatives,  des  pactes,  elle  se  disait  a  elle-meme  a  si  tu  vas 
<iux  halles  tu  seras  une  vieille  putain,  si  tu  vas  aux  Tuileries  tu 
seras  une  vieille  folle.  »  Elle  va  aux  halles  et  se  dit  a  elle-m^me, 
((  c'est  vrai  que  tu  es  une  vieille  garce  ».  Mais  depuis  quelque 
temps  le  delire  de  persecution  s'accuse,  «  on  Tendort  dans  sa 
chambre,  on  Thypnotise,  on  la  pousse  dans  le  dos,  on  lui  fait 
faire  des  pirouettes.  Mais  surtout  on  lui  parle  a  travers  le  mur : 
des  voix  qu'elle  croit  r^elles  se  m^lent  de  tout  ce  qu*elle  pense, 
r^petent  ses  pens^es,  les  tournent  en  ridicule,  cherchent  a  se 
moquer  d'elle,  en  lui  disant  qu'une  de  ses  tantes  a  i3o  ans  ou 
bien  Tinsultent,  Tappellent  garce,  putain,  la  menacent  de  la 
faire  mourir  a  la  Salp^tri^re,  etc...  »  II  est  Evident  qu'elle  ^volue 
lentement  avec  des  oscillations  du  scrupule  a  forme  obs^dante 
vers  la  persecution  a  forme  systematique. 

Toute  Tobservation  de  Ex...,  serait  des  plus  curieuses  a  ce 
point  de  vue,  c'est  avant  tout  une  psychasthenique,  avec  tons  les 
sentiments  d'incompletude,  sentiment  d'absence  de  liberte,  d'au- 
tomatisme,  defolie,  de  perte  de  la  vie,  de  depersonnalisation  et  en 

I.  S^glas.  Le^ns  sur  les  maladies  mentales,  p.  764- 


DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT  679 

meme  temps  interpretation  d6lirante  que  tons  ces  biens  lui  ont  ^t^ 
ravis  par  des  anarchistes  dont  son  mari  est  le  roi,  par  des  initios 
qui  lui  lancent  des  poudres  pour  paralyser  sa  Volont6.  EUe 
semble  croire  ce  qu'elle  affirme  puisqu'elle  a  commis  une  foule 
d'excentricit^s,  qui  Font  fait  enfermer;  mais  cependant  elle  ne 
peut  jamais  parler  des  inities  ou  des  poudres  sans  se  tordre  de 
rire  exactement  comme  Lise  quand  elle  parle  du  d^mon. 

En  un  mot,  je  crois  quHl  y  a  une  serie  de  gros  problemes 
psychologiques  a  rdsoudre  dans  T^tude  du  pers^cut6  :  il  faudrait 
expliquer  sa  manie  d'objectiver,  de  chercher  toujours  Texplica- 
tion  en  dehors  de  lui  tandis  que  le  scjrupuleux  cherche  le  plus 
souvent  cette  explication  en  lui-meme,  il  faudrait  examiner  le 
degr^  de  sa  conviction  qui,  si  je  ne  me  trompe,  n'est  pas  toujours 
absolue  et  varie  ^normement  suivant  les  oscillations  du  niveau 
mental.  II  faudrait  ^tudier  ses  fameuses  hallucinations  de  TouVe 
et  expliquer  pourquoi  il  n'est  hallucin^  que  de  Touie,  ce  sens  du 
langage,  ce  sens  social  qui  se  trouble  plus  facilement  que  les 
autres  chez  les  individus  qui  ont  precis^ment  dePaboulie  sociale. 
Si  Ton  faisait  ces  Etudes  on  verrait,  je  crois,  qu'il  y  a  au  d^but 
infiniment  de  ph^nom^nes  communs  entre  les  psychasth^niques 
et  les  paranoiaques  et  Ton  pourrait  indiquer  avec  precision  le 
point  ou  s'effectue  la  separation,  ce  qui  aujourd'hui  ne  peut  etre 
fait  que  d'une  mani^re  assez  vague. 

Quoi  qu*il  en  soit  le  probleme  consiste  actuellement  a  distinguer 
les  ^tats  psychasth^niques  qui  ont  une  tendance  a  ^voluer  vers  les 
d^lires  syst^matiques  et  ceux  qui  sont  destines  a  se  borner  aux 
obsessions.  La  tendance  ant^rieuredu  caractere,  Tautophilie,  Tor- 
gueil,  la  susceptibility,  le  caractere  autoritaire  montrent  une  dispo- 
sition a  objectiver  les  troubles  psychologiques,  a  rendre  les  autres 
responsables  de  tons  les  phenomenes  de  Tinsufiisance  psycholo- 
gique.  En  outre  on  trouve  chez  ces  malades  une  tendance  a  sys- 
t^matiser,  moins  de  disposition  au  doute  quand  il  s'agit  de  Tin- 
terpr^tation  delirante:  ces  caracteres  doivent  faire  craindre  que 
r^tat  psychasth^nique  n'^volue  vers  cette  vari^te  particulierement 
dangereuse  qui  est  le  delire  syst^matique  de  persecution.  Les 
caracteres  inverses,  la  douceur,  Thumilite,  la  tendance  a  Tanalyse 
subjective,  font  plutot  pr^voir  les  obsessions  du  doute  et  du  scru- 
pule.  C*est  toujours  Tanalyse  psychologique  des  divers  sympto- 
mes  qui  permet  de  donner  quelque  precision  au  diagnostic. 


680  DIAGNOSTJC  ET  TRAITEMENT 


DEUXlCME  SECTION 


LB    PRONOSTIC 


Ind^pendamment  du  diagnostic  difT^rentiel  qui  nous  montre  a 
ranger  le  malade  dans  telle  ou  telle  cat^gorie  dont  revolution  est 
plus  ou  moins  dangereuse,  on  peut  distinguer  des  formes  de  la 
maladie  dogt  le  pronostic  n*est  pas  le  m^me. 

En  g^n^ral,  je  crois  qu'il  faut  commencer  par  reconnaitre  que 
cette  maladie  est  grave  :  il  me  semble  que  Ton  a  souvent  Thabi- 
tude,  en  opposant  les  obsessions  aux  d^liresproprement  dits,  en  se 
souvenant  qu^elles  n'aboutissent  pas  a  la  demence  intellectuelle 
complete,  de  r^p^ter  que  c'estla  une  maladie  mentale  b^nigne.  Ce 
n'est  pas  tout  a  fait  raon  avis  :  si  Ton  songe  que  presque  tons 
les  cas,  a  moins  qu'ils  ne  soient  insignifiants,  vont  se  prolongerde 
8  a  12  moisy  qu'il  y  a  tres  souvent,  dans  les  trois  quarts  des  cas 
des  r^cidives  ordinairement  plus  graves  que  la  premiere  atteinte, 
qu'un  bon  nombre,  a  peu  pres  le  dixieme  des  cas,  est  destine  a 
passer  a  la  chronicit6,  si  Ton  songe  que  pendant  son  evolution 
cette  maladie  non  seulement  cause  de  tres  grandes  soufirances, 
mais  6loigne  presque  completement  le  sujet  de  la  vie  normale  et 
Tamene,  si  elle  se  prolonge,  a  une  complMe  incapacity  de  tra- 
vail, lui  supprime  la  famille  et  les  relations  sociales  et  le  conduit 
a  risolement  complet,  on  verra  que  malgr^  la  conservation  de  la 
conscience,  c'est  une  triste  maladie  de  Tesprit.  II  est  bon  de  faire 
cette  remarque,  non  pour  la  communiquer  au  malade  lui-meme, 
mais  pour  avertir  ses  parents,  s'il  en  a  de  senses,  et  pour  repdre 
s6rieux  les  efforts  n^cessaires  au  traitement.  On  doit  aussi  cher- 
cher  a  reconnaitre  les  formes  dont  le  pronostic  est  plus  particu- 
liferement  s^rieux.  Un  premier  caractere  joue  un  role  capital, 
c'est  rher6dit6,  sur  laquelle  il  est  toujours  difficile  d'avoir  des 
renseignements  precis.  L'existence  d*ali^n^s  dans  la  famille,  sur- 
tout  de  ces  ali^n^s  qui  sout  voisins  des  psychastheniques,  des 
obs^d^s  du  meme  genre,  des  melancoliques,  des  pers^cut^s,  des 
paranoiaques  prend  ^videmment  une  grande  importance.  Si  dans 


LE  PRONOSTIG  681 

la  famille  il  y  a  deja  des  obs^d^s,  il  est  bon  de  bien  connaitre 
l*^volutioD  de  la  maladie  chez  eux,  car  cette  Evolution  se  repute 
souvent  absolument  semblable.  II  Taut  aussi  tenir  grand  compte 
daDs  la  recherche  de  Ther^dit^  des  n^vroses  et  surtout,  a  mon 
avis,  de  T^pilepsie. 

A  c6i6  des  alienes  et  des  nevropathes  proprement  dits,  il  est  tres 
important  de  s'enquerir  de  Texistence  dans  la  famille  de  ce  que  Ton 
appellecommun^ment  des  bizarres.  M.  Magnan  a  justement  remar- 
que  que  ces  individus  bizarres,  originaux^excentriques,  ayant  des 
tics,  des  manies,  un  caract^re  difficile,  autoritaire  a  Texc^s,  sont 
pr^cisementceuxquilaissentle  plus  souvent  a  leurs  descendants  les 
tares  psychastheniques.  Cela  se  comprend  facilement  si  Ton  songe 
que  ces  bizarrcries  sont  deja  des  marques  de  Finsuilisance  de 
Tadaptation  sociale,  de  Tinsuffisance  des  fonctions  dur^el,etde 
Taboulie.  Parmi  ces  bizarreries,  j'insiste  sur  ce  genre  de  carac- 
tere  que  Ton  voit  sc  transmettre  pendant  plusieurs  generations 
en  se  perfectionnant  a  chacune  et  qui  consiste  dans  une  prudence 
allant  jusqu'a  la  poltronnerie,  dans  une  indecision  de  la  volonte, 
un  defaut  de  resistance,  une  gravity  allantjusqu'a  latristesse.  On 
constate  en  meme  temps  une  grande  delicatesse  des  sentiments  et 
une  tendance  a  pr^ferer  la  vie  id^ale  ii  la  vie  reelle.  Ce  caractfere 
qui  ne  laisse  pas  d'etre  eleve  et  sympathique  a  ses  debuts  ne  tarde 
pas  a  aboutir  dans  les  generations  suivantes  aTaboulie,  a  Tinquie- 
tude  permanente  et  donne  enfin  naissance  a  des  douteurs,  des 
scrupuleux,  des  obsedes.  II  est  bon  de  s'informer  de  ces  carac- 
teres  surtout  chez  celui  des  parents  auquel  Ic  malade  ressemble 
le  plus.  Plus  ce  caractere  se  sera  developpe  dans  plusieurs  gene- 
rations, plus  il  sera  difficile  de  remonter  ce  courant  et  plus  le 
pronostic  sera  seHeux. 

Apres  Theredite,  Tage  du  debut  a  une  grande  importance,  je 
parle  du  debut  red  et  non  du  debut  apparent,  de  Tepoque  d'ap- 
parition  des  phenomcnes  d*insuffisance  psychologique  et  des  sen- 
timents d*incompletude.  Plus  ce  debut  est  precoce,  plus  il  a 
une  signification  grave,  les  phenonienes  qui  apparaissent  de 
bonne  heure  dans  le  developpement  sont  ceux  qui  sont  le  plus 
fortenient  hereditaires  qui  font  le  plus  partie  de  la  constitution.  II 
faut  done  se  defier  de  ces  enfants  qui  sont  deja  des  sages,  des 
prudents,  des  reflechis  a  cinq  ou  six  ans,  ce  caractere  devient 
vite  dangereux  quand  ils  sont  des  lents,  des  hesitants,  des  repen- 
tants.  On  apprend  vite,  quand  on  interroge  bien  le  malade,  qu'a 


G82  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

cinq  ans  il  etait  malheureux  si  ses  v^tements  n^etaient  pas  bien 
ranges  avant  de  se  coucher,  si  on  ne  lui  donnait  pas  partout  et 
toujours  exactement  la  m^me  place.  Ce  d^but  pr^coce  est  en 
g^n^ral  un  mauvais  signe.  II  faut  faire  une  exception  pour  les 
debuts  tr^s  frequents  qui  apparaissent  a  la  pubert6,  ou  qui  sur- 
viennent  au  moment  ou  les  enfants  grandissent  beaucoup,  sans 
doute,  ils  montrent  toujours  une  disposition  constitutionnelle  a 
Uinsuffisance  psychologique,  mais  on  pent  esp^rer  que  cette  in- 
suffisance  est  en  rapport  avec  les  grandes  d^penses  de  vitality  que 
Torganisme  doit  faire  a  ce  moment  d^un  autre  c6t^  et  qu'elle  dis- 
paraitra  au  moment  du  developpement  complet.  C*est  pour  la 
m6me  raison  que  le  pronostic  s'aggrave  quand  la  fin  de  ce  deve- 
loppement est  arrivee  sans  amener  la  terminaison  de  la  maladie, 
chez  une  femme,  parexemple,  le  pronostic  devient  plus  grave  si 
la  maladie  se  prolonge  apr^s  ^5  ans. 

II  faut  tenir  compte  ^galement  des  circonstances  qui  ont  de- 
termine le  debut.  A  peu  pres  comme  dans  toutes  les  maladies 
mentales,  le  pronostic  est  d'autant  plus  grave  que  les  circons- 
tances ont  ete  plus  insignifiantes.  Les  debuts  lents  insidieux,  sans 
graves  maladies,  sans  grandes  emotions  determinantes  sout  plus 
graves  que  les  debuts  rapides  a  la  suite  d'un  etat  infectieux^  d'un 
grand  trouble  moral  d'une  violente  emotion.  Dans  ces  derniers 
cas  on  pent  esperer  qu'il  s*agit  de  la  forme  accidentelle,  acquise 
de  la  maladie  plutot  que  de  sa  forme  constitutionnelle. 

Enfin  il  faut  se  preoccuper  pour  le  pronostic  de  la  forme  qu'a 
prise  la  maladie.  MM.  Pitres  et  Regis  font  observer  justement 
que  les  obsessions  devenues  intellectuelles  sont  plus  dange- 
reuses  que  les  phobies  et  surtout  que  les  etats  emotionnels  non 
sy  sterna  tises. 

Cela  me  semble  juste  a  la  condition  que  Ton  ne  confonde  pas 
avec  les  obsessions  bien  constituees  les  etats  de  rumination  men- 
tale  qui  ne  sont  que  des  sortes  de  tics,  des  phenomenes  de  deri- 
vation exactement  comme  les  phobies  elles-memes.  La  gradation 
au  point  de  vue  du  pronostic  se  retrouvera  etre  celle  que  j'ai 
adoptee  dans  Tinterpretation  des  symptomes  :  au  plus  bas  degre, 
les  phenomenes  d'insuflfisance  dans  lesquels  rentrent  non  seule- 
ment  Temotivite,  mais  encore  toutes  les  formes  de  Taboulie,  en 
second  lieu  les  accidents  de  derivation  qui  ne  comprennent  pas 
seulement  les  phobies  plus  ou  moins  systematisees,  mais  encore 
tons  les  tics  et  les  ruminations  mentales,  enfin  en  dernier  lieu  les 


LE  PIIONOSTIC  68i 

obsessions  qui  montrent  que  le  malade  entre  dans  la  periode  des 
interpretations  d^lirantes,  quoique  son  deilire  conserve  les  ^arac- 
teres  de  Th^sitation  et  du  doute  qui  sont  les  troubles  fondamen- 
taux  de  la  maladie. 

Quand  le  malade  est  parvenu  au  dernier  degre  et  que  la  maladie 
est  tout  a  fait  chronique  il  Taut  pour  ^tablirle  pronostic  tenir  compte 
de  Tactivite  que  conserve  encore  le  sujet,  du  nombre  de  relations 
que  Ton  peutluigarder,  des  travaux  que  Ton  pent  lui  faire  ex^cuter : 
risolement  et  Tinertie  complete  etant  le  terme  le  plus  triste  des 
efats  psychasth^niques. 

Jc  ne  fais  que  signaler  Timportance  du  point  de  vue  medico- 
legal bien  discute  dans  un  grand  nombre  d'^tudes^  En  general 
ces  obsessions  ne  determinent  pas  d'actions  v^ritables,  mais  une 
execution  plus  ou  moins  incomplete  pent  survenir  a  I'insu  du 
malade  et  au  cours  de  ses  monies  de  tentation  et  de  demi-ex^cution. 
LHmpulsion  pent  etre  plus  grave  et  le  pronostic  bien  plus  reserve 
quand  a  T^tat  psychasth^nique  proprement  dit  se  joignent 
r^pilepsie,  la  debility  mentale^  Talcoolisme  ou  d'autres  intoxi- 
cations. 

En  dehors  des  crimes  proprement  dits,  des  actes  absurdes  comme 
des  promesses  de  mariage^  des  fugues,  des  conduites  inconve- 
nantes  peuvent  etre  en  rapport  avec  les  obsessions  de  honte  ou 
les  besoins  d*excitation.  Non  seulement  il  faut  songer  a  mettre 
quelquefois  le  malade  hors  d'etat  de  nuire  aux  autres,  mais  il 
faut  aussi  dans  certains  cas,  le  d6fendre  contre  lui-m^me. 

f .  En  particulier  dans  les  travaux  suivants  :  Renaudin,  Observations  midxco- 
t^gales  sur  la  monomanie.  Ann,  med.  psych.,  i85/|,  p.  a36.  Delasiauve,  Des  pseudo- 
monomanies  et  de  leur  importance  legale.  Ann\  med.  psych.,  iSSg.  Motet.  SocUtide 
mSdecine  Ugale  de  Paris,  i3  fevrier  1890.  P.  Denomm^,  Des  impulsions  morbides 
au  point  de  vue  m^ico-l^gal.  Tkkse,  Lyon,  1890.  B^rillon,  Les  phobies  neurasth^- 
niques  au  point  de  vue  du  service  militaire.  Revue  de  I'hypnotisme,  1894*  p.  a4i< 
G.  Carrier  (de  Lyon),  Contribution  k  I'^tude  des  obsessions  et  des  impulsions 
I'homicide  et  au  suicide  chez  les  dfSg^ncrds  au  point  de  vue  medico-l(^gal,  1899. 


684  DIAGNOSTIC  ET  TRUTEMENT 


TROISIEME  SECTION 


LA    THERAPBtJTlQUB 


De  semblables  etats  psychopathiques  se  developpent  lentement 
souvcnt  au  cours  de  plusleurs  generations  et  chez  le  malade  lui- 
meme  ont  besoin  de  plusieurs  ann^es  pour  arriver  a  leur  terme, 
il  en  resulie  que  les  efTorts  diriges  contre  eux  doivent  s^exercer 
avant  le  developpement  eomplet  du  mal.  II  serait  evidemment 
utile  de  prevoir  Tapparition  de  ces  troubles  mentauxetde  retarder 
leur  eclosion.  Ensuite  interviendront  les  efforts  du  traitement 
proprement  dit  quand  la  psychasth^nie  est  constituee. 


i.  —  La  propbylaxie. 

En  realite  cette  prophylaxie  devrait  commencer  avant  la  nais- 
sance  et  tenir  compte  du  principal  facteur  des  6tats  psychasthe- 
niques,  c*est-a-dire  de  Theredite.  II  faudrait  redouter  les  unions 
avec  les  families  targes  qui  contiennent  des  ali^n^s,  des  n^vropa- 
thes,  des  aleooliques,  M.  Cazalis  ^crivait  sur  ee  point  des  articles 
eloquents  et  courageu)c  quand  il  reclamait  pour  le  mariage  un 
certificat  medical.  Cette  opinion  qui  parait  aujourd'hui  une  para- 
doxe  deviendra  bientot  une  v6rit6  ^ementaire.  On  finira  par  com- 
prendre  qu'il  n'est  pas  n^cessaire  de  rechercher  avant  tout  Taug- 
mentation  num^rique  des  populations,  mais  qu'il  Taut  se 
pr^occuper  aussi  de  leur  quality  et  qu'il  est  dangereux  d'encombrer 
un  pays  de  ce  nombre  croissant  de  nevropathes  et  dedebiles. 

Si  on  se  place  au  point  de  vue  particulier  de  cette  maladie  du 
scrupule,  il  faudrait  se  preoccuper  non  seuleraent  de  Talienation 
proprement  dite,  mais  encore  de  cette  tendance  croissante  dans 
certaines  families  a  Tinertie,  a  la  timidite,  a  la  meditation  :  on  ne 
pent  evidemment  pas  faire  de  cescaracteres  qui  vont  d'ordinaire 
avec  la  dclicatesse  des  sentiments  et  raffinement  de  la  race  une 


LA  PROPFn  LAXIE  685 

condition  interdisant  le  manage,  raais  on  pent  en  tenir  compte 
dans  la  mesure  du  possible  par  la  remarque  suivante.  M.  Talbot, 
dans  un  article  recent  sur  la  degenerescence  et  le  maringe^  insiste 
sur  le  danger  des  unions  consanguines  qui  accentuent  les  carac- 
t^res  familiaux.  II  fait  remarquer  a  ce  propos  que  ce  danger 
n'existe  pas  seulement  dans  les  unions  entremembresd'une  meme 
famille ;  il  observe  que  dans  les  m^mes  professions,  dans  les  m^mes 
milieu^  se  d^veloppent  les  m6mes  tares,  les  memes  d^g^n^rations 
a  un  degre  peut-^tre  plus  eleve  que  dans  les  memes  families  et 
que  ces  tares  rendent  ^galement  dangereuse  Tunion  de  ces 
families ;  entre  elles.  J*ai  6t6  frapp6  de  cette  remarque  en  voyant 
le  delire  duscrupulesed^velopper  dans  des  families  universitaires^ 
dans  des  families  de  magistrals,  oil  le  pere  et  la  m^re  appartien- 
nent  au  m^me  milieu  depuis  plusieurs  generations.  Quand  cette 
tare  psychasthenique  commence  a  se  d^velopper,  il  serait  bon 
non  seulement  d'^viter  les  unions  consanguines,  mais  encore 
d'eviter  les  unions  dans  le  m^me  milieu  moral  et  de  croiser  non 
seulement  les  races,  mais  aussi  les  situations  et  les  educations 
professionnelles.  Malheureusement  ces  precautions  sontbien  diflS- 
ciles  a  prendre,  par  une  sorte  de  fatalite  nos  futurs  psychastheni- 
ques  sont  souvent  s^duisants  surtout  pour  des  esprits  du  m^me 
ordre- Leur douceur,  leurhonneteteexageree  parTabsencede  com- 
bativite,  la  subtilite  de  leurs  sentiments  etde  leurs  idees,  les  ren- 
dent souvent  sympathiques  et  ils  se  recherchent  entre  eux.  J*ai 
souvent  ete  ^tonne  de  I'adresse  extraordinaire  que  deployait  un 
scrupuleux  pour  decouvrir  une  femme  aussi  atteinte  que  lui  : 
faudrat-il  s'etonner  ensuitesi  lesenfants  sont  des  obsedes.  II  est 
inutile  d'insister  beaucoup  sur  ces  precautions  que  Ton  devrait 
prendre  pour  relever  Tenergie  de  la  race  et  eviter  la  chute  de  la 
tension  jusqu^a  rinsudisance  ;  le  medecin  sera  bien  rarcment 
consulte  sur  ce  premier  point  de  prophylaxie. 

Le  second  point  de  la  prophylaxie  doit  etre  Thygiene  et  Tedu- 
cation  d'un  enfant  pour  lequel  on  a  des  raisons  de  supposer  une 
predisposition.  Ce  conseil  sera  demande  plus  souvent  que  le  pre- 
cedent par  les  parents  qui  sont  eux-memes  atteints  de  troubles 
psychastheniques  et  qui  s'effrayent  en  apercevant  les  premiers 
signes  de  la  maladie  chez  leurs  tout  jeunes  enfants. 


I.  D*"  Talbot,   D».'g(5neresccnce  el  niariage.    The  alienist  and  neurologist,  Janvier 
1899. 


686  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

II  n'y  a  guere  a  insister  sur  Thygiene  physique,  elle  doit  6tre 
celle  du  futur  arthritique,  nourriture  simple,  a  moo  avis  surtout 
v^g^tale,  suppression  totale  des  vins,  des  alcools  et  reduction  de 
la  viande;  vie  au  grand  air,  a  la  campagne,  si  possible,  habitude 
des  sommeils  prolong^s  en  couchant  Tenfant  de  bonne  heure  ; 
pratiques  d'hydroth^rapie. 

Au  point  de  vue  moral  ily  a  toute  une  education  a  Faire.  L'enfant 
de  tres  bonne  heure  doit  ^tre  habitu^  au  mouvement  qui  est  an 
des  grands  antagonistes  de  la  rumination  mentale,  il  doit  faire 
beaucoup  d'exercices  physiques  de  toute  espece.  Mais  il  faut  que 
ces  mouvements  ne  soient  pas  incoordonnes,  Tagitation  motrice 
etant  pour  lui  un  danger,  il  faut  que  ces  exercices  soient  regies 
et  adroits.  Je  considere  comme  essentiel  de  d^velopper  Tadresse 
des  mouvements  physiques.  Les  scrupuleux  sont  de  terribles  ma- 
ladroits  qui  ne  savent  rien  toucher,  rien  manier.  II  faut  habituer 
les  enfants  d^s  le  plus  bas  ige  a  se  servir  de  leurs  membres,  a 
apprendre  des  metiers  manuels,  ils  doivent  savoir  travailler  la 
terre,  le  bois,  le  papier,  faire  pousser  des  plantes,  construire  des 
objets,  agir  sur  la  r^alit6. 

Un  autre  caract^re  de  ces  exercices  est  bien  plus  diflScUe  a  faire 
accepter  par  les  families :  il  faut  que  ces  exercices  soient  jusqu'a 
un  certain  point  dangereux.  Les  enfants  et  les  jeunes  gens  doivent 
apprendre  et  apprendre  a  leurs  d^pensa  faire  attention  a  la  r^alite, 
a  surveiller  les  instruments  quails  emploient  et  les  mouvements 
qu'ils  font.  Ce  danger  joue  un  r61e  essentiel  :  quand  il  a  ^t^ 
surmont^  il  donne  aux  jeunes  gens  confiance  en  eux-memes,  il 
remonte  leur  niveau  mental  par  la  satisfaction  de  la  difficult^ 
vaincue.  «  Le  fait  de  s'etre  trouv^  en  face  d'un  danger,  dit  trfes 
bien  M.  Marro,  et  de  Favoir  surmont6  heureusement  est  pour 
Torganisme  mental  T^quivalent  d'avoir  resiste  a  une  infection 
pour  Torganisme  physique.  II  cree  en  m^me  temps  un  pouvoir 
d^fensif  qui  permet  de  r^sister  a  de  nouveaux  et  plus  graves 
dangersV  »  II  resulte  de  ces  remarques  que  ces  enfants  doivent 
etre  habitues  a  agir  seuls  a  leurs  risques  et  perils  :  il  faut  de  tres 
bonne  heure  dans  une  foule  de  circonstances  les  abandonner  a 
eux-memes,  les  laisser  se  promener  et  m^me  voyager  seuls.  La  n^- 
cessite  les  forcera  de  s'adapter  aux  circonstances,  de  devenir  pra- 
tiques, ce  qui  est  Tantipode  du  scrupule  ou  de  la  phobic. 

I.   Marro f  La  puberley  p.  ^35. 


LA  PROPHYLAXIE  687 

Enfin  il  faut  chercher  dans  ces  exercices  et  ces  actions  un  au- 
tre caractere,  le  caract^re  social.  De  tres  bonne  heure  ces  enfants 
predisposes  doivent  ^tre  habitues  a  la  society  eta  la  society  de  per- 
sonnes  quails  ne  connaissent  pas.  Cette  habitude  ne  s'acquiert 
pas  si  Tenfant  esttoujours  accompagn^  par  ses  parents  ou  par  sa 
bonne.  Rien  ne  rend  un  enfant  timidecomme  la  presence  de  ses  pa- 
rents, parce  que  en  leur  presence  il  ne  sent  pas  la  n^cessite  de 
faire  un  effort,  de  tendre  son  activite  raentale  et  qu'il  se  laisse 
uller  a  cette  aboulie  qui  est  la  source  de  Temotivite.  On  est  tout 
surpris  devoir  que  le  m^me  enfant  ccsse  d'etre  ttmide,  quand  il 
est  laisse  seul  danslameme  society.  Le  fait  d'etre  abandonnea  lui* 
meme  suflSt  pour  qu'il  se  tende  et  que  son  esprit  fonctionne  a  un 
niveausuperieur.il  n'est  pas  necessaire  que  lasocieteoiiilsetrouve 
ait  toujours  de  la  sympathie  pour  lui  comme  il  le  desire  :  il  est  bon 
qu'il  trouve  devant  lui  des  resistances,  des  jalousies,  des  compe- 
titions, en  un  mot  des  luttes.  Tout  a  Toppose  de  ce  pauvre  p^re 
de  famille  qui  jusqu'a  la  fin  de  la  classe  de  philosophic  faisait 
accompagner  etrechercher  par  une  domestique  son  fils  aux  classes 
du  lycee  «  pour  qu'il  ne  ptit  jamais  se  battre  avecses  camarades  » 
je  crois  qu'il  est  extremement  important  de  forcer  notre  jeune 
psychasthenique  a  se  battre.  S'il  reussit  a  le  faire  et  si  parhasard 
il  triomphe,  ce  qui  est  fort  possible,  il  en  sera  transforme  et  le 
soucideson  avenirvaut  bien  le  danger  de  quelques  horions. 

L'education  intellectuelle  ne  vient  qu'en  second  lieu  chez  ces 
personnes:  elles  ne  sont  que  trop  disposees  au  developpement  de 
rintelligence  pure.  II  faut  eviter  Tenseignement  abstrait  de  pure 
memoire,  qui  n'est  que  trop  repandu  en  France.  Dans  Tetat 
psychasthenique  Tesprit  semble  etre  developpe  en  etendue  et  non 
en  profondeur,  il  y  a  comme  une  dispersion  de  la  pensee.  C'est 
la  une  indication  dont  on  doit  tenir  compte,  le  grand  nombre 
des  etudes  diverses,  faites  d'une  maniere  superficielle  est  pour 
ces  jeunes  gens  d'autant  plus  dangereux  qu'ils  reussissent  facile- 
ment  a  acquerir  ainsi  quelques  notions  en  apparence  brillantes. 
II  faut,  que  Tintelligence  soit  dirigee  avant  tout  vers  Tobservation 
et  versTobsession  physique  plus  que  vers  I'observation  morale.  II 
faut  se  mefier  surtout  de  Tobservation  subjective  dans  laquelle  ces 
individus  sont  passes  maitres.  Cette  disposition  a  Tintrospection 
chez  les  scrupuleux  depend  en  partie  de  leur  inquietude  et  en  grande 
partie  de  ce  fait  que  les  images  et  les  associations  d'images  sont 


688  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

des  phenomenes  d'ordre  inferieur,  plus  faciles  et  plus  nombreux 
que  les  phenomenes  de  perception  exterieure  dans  des  eerveaux 
dont  la  tension  est  abaissee :  le  d^veloppement  de  rintrospection 
n'est  qu*une  vari6t6  de  la  rumination.  Pour  lutter  contre  cctte 
tendance,  des  etudes sur  les  objets,  les  animauxjesplantesdoivent 
intervenir  pour  une  bonne  part  dans  leurs  travaux. 

II  Taut  surtout  surveiller  Tapplication  de  leur  attention,  ii  faut 
chercher  par  toutes  sortes  d'exercices  a  la  maintenir  fix^e  sur 
quelque  etude  precise  et  il  ne  faut  jamais  perniettre  la  reverie 
vague.  Une  des  choses  les  plus  funestes  ce  sont  les  longues  heures 
d'etude,  ou  on  laisse  les  enfants  libres  de  faire  toutce  qu'ils  veu- 
lent,  pourvu  qu'ils  restent  imniobiles  et  silencieux.  lis  emploient 
trois  heures  a  faire  un  petit  travail  mediocre,  qu'ils  pourraient 
faire  en  une  demi-heure  et  tout  en  feuilletant  nonchalamment 
leur  dictionnaire,  ils  se  laissent  aller  a  toutes  leurs  reveries  va- 
gues,  premieres  ebauches  de  leurs  ruminations  futures;  il  leur  faut 
des  etudes  courtes  et  un  travail  mental  actif,  rapide  et  objectif. 
Sans  cesse  on  doit  les  pousscr  a  la  rapidity,  a  Texactitude  ii 
Tactivite  pratique. 

Ce  genre  d'education  qui  bien  applique  lutterait  contre  la  ten- 
dance h^reditaire  aux  nevroses  etaux  obsessions  est  bien  diOici- 
lement  appliqu^  par  les  parents  eux-memes  qui  sont  pouss^s  par 
tons  leurs  sentiments  a  donner  a  leurs  enfants  une  direction  abso- 
lument  inverse.  Trop  souvent  Tenfant  n'^chappera  a  la  predis- 
position que  s'il  est  eleve  en  dehors  de  sa  famille. 


2.  ^  Le  traitement  physique. 

Aucunede  ces  precautious  n'a  ete  prise,  Thygiene  comme  Tedu- 
cation  ont  ete  aussi  absurdes  que  possible  et  la  maladie  s'est 
declar^e  ou  plutot,  de  latente,  qu'elle  etait  depuis  desannees,  elle 
est  devenue  apparente  pour  Tentourage.  Celui-ci  attend  en  gene- 
ral le  plus  tard  possible  et  refuse  longtemps  de  croire  a  Texis- 
tence  d'une  maladie  mentale.Ce  n'est  que  pouss^par  la  necessite, 
quand  le  malade  depuis  plusieurs  mois  est  incapable  d^aucune 
occupation,  ne  dort  plus  et  s'agite  continuellement,  c'est  quand 
il  rumine  toute  la  journee,  qu'il  parle  tout  haut,  qu*il  fait  sans 
cesse    ses    formules    de    conjuration,    qu^il    est    tourmente   par 


LE  TRAITEMENT  PHYSIQUE  689 

ties  phobies  et  des  angoisses  continuelles  que  sa  famille  se  decide 
ii  Tamener  au  medecin.  Quelle  doit  etre  alors  la  conduite  de 
t;elui-ci,  quelles  sont  les  medications  ou  les  traitements  physiques 
ou  morauxqui  peuvent  avoir  une  certaine  influence  et  preparer  la 
terminaison  de  cette  crise  ? 

II  est  important  que  le  medecin  fasse  vite  son  diagnostic,  car  il 
iloit  prendre  vis-a-vis  de  ces  malades  une  attitude  particuliere 
«t  toute  hesitation  serait  des  plus  facheuses.  Toutes  les  descrip- 
tions pr^c^dentes  permettent  de  reconnaitre  vite  la  maladie  dont 
il  s'agity  d*autant  plus  que  ces  malades  presentent  une  remar- 
i[uable  uniformity  et  que  Ton  retrouvera  vite  les  formes  et  meme 
les  expressions  que  Ton  connait  comme  caracteristiques. 

Le  malade  arrive  avec  une  disposition  d*esprit  toute  particu- 
liere dont  II  faut  se  d^fier.  Sans  en  etre  bien  certain,  car  il 
iloute  de  tout,  II  est  dispose  a  croire  qu'il  n'est  pas  un  malade  ou 
(lu  moinsqu'Il  u'a  pas  une  maladie  ordinaire.  II  sent  bien  que  son 
etat  n'est  pas  natural,  mals  il  croit  que  c*est  un  6tat  extraordi- 
naire, unique  au  monde,  que  personne  n'a  jamais  vu  et  que  les 
m^decins,  en  particuller,  Ignorent  completement.  Comme  il  ne 
veut  faire  aucun  effort,  comme  11  salt  qu*il  n'a  fait  aucun  effort 
pour  se  gu^rlr,  il  aime  a  penser  que  cette  maladie  exceptionnelle 
est  absolument  Incurable  et  qu'il  n'y  a  rien  a  faire.  II  le  dit  en 
entrant  ;  cc  c*est  sa  famille  qui  I'a  forc6  a  venir  voir  un  medecin, 
mais  il  sait  tres  bien  que  c'est  inutile  et  que  son  etat  est  tout  a 
fait  en  dehors  de  la  m^decine.  » 

Si  le  medecin  h^site  sur  son  cas  et  semble  surpris  par  la  bizar- 
rerie  des  sympt<)mes  que  le  malade  d'ailleurs  exagere  a  plaisir,  le 
sujet  se  confirme  dans  son  opinion  et  en  profite  pour  se  laisser 
aller  encore  davantage.  II  faut  que  le  mddecin  puisse  montrer 
rapidement  une  grande  assurance  et  lui  donner  Tlmpression  que 
sa  maladie  est  parfaitement  connue,  qu'elle  est  des  plus  banales, 
etque  le  traitement  curatif  est  tout  a  fait  stereotype. 

Pour  y  parvenir  le  medecin  doit  deviner  les  sympt6mes  au  lieu 
de  s'en  etonner.  Des  que  le  malade  a  un  peu  explique  son  etat, 
on  volt  facilement  dans  quelle  categoric  11  se  range,  s'il  a  plus 
dc  ruminations  ou  plus  de  phobies,  dans  quel  sens  sont  ses  obses- 
sions princlpales.  II  suffit  alors  de  lui  enum6rer  les  manies  dc 
precision,  d'oscillation  ou  de  reparation,  de  lui  parler  des  serments, 
des  pactes,  des  formules  de  conjuration,  des  angoisses  physiques 
ou  morales,  etc.  II  est  bien  rare  que  Ton  ne  tombe  pas  juste  sur 

LES  OBSESSIONS.  I.  fl!i 


690  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

des  symptomes  qu'il  a  pr^sent^s.  II  faut  alors  les  lui  d^crire  avec 
une  precision  quir^tonne;puisoDluia(firmequesamaIadieestcura- 
ble,  ce  qui  est  vrai  au  moins  dans  les  deux  tiers  des  cas.  que 
dans  tous  les  cas  il  n'est  pas  tr^s  difficile  de  lui  procurer  quelque 
soulagement.  Comme  le  malade  malgr^  son  affirmation  6tait 
loin  d'etre  convaincu  de  son  incurability,  il  se  laisse  assez 
facilement  persuader  et  accepte  un  traitement  au  moins  k  titre. 
d'essai. 

I .  —  L' alimentation  et  Vhygiene, 

Le  premier  soin  doit  6tre  de  reformer  Thygiene  du  malade  qui 
est  ordinairement  deplorable.  L'alimentation  doit  etre  examinee 
avec  un  grand  soin  :  un  certain  nombre  de  ces  maladcs  ne  se 
nourrissent  pas  et  d'autres  ont  une  alimentation  d^fectueuse.  Les 
premiers  sont  nombreux,  ce  sont  presque  tous  les  sujets  qui  ont 
les  obsessions  de  la  honte  du  corps,  ou  qui  ont  des  phobies  rela- 
tives a  Talimentation  ou  a  la  deglutition.  Les  psychastheniques 
ont  besoin  d'uneixourriture  assez  forte  et  plusieurs  se  sont  rapide- 
ment  amelior^s  par  une  alimentation  mieux  dirig^e.  II  faut  done 
les  convaincre  de  la  n^cessite  de  manger  suffisamment  :  en  dehors 
des  cas  d'obsession  ayant  un  rapport  direct  avec  Talimentation 
on  y  parviendra  facilement.  D'autre  part  la  digestion  stomacale 
et  intestinale  de  ces  malades  est  presque  toujours  atteinte  grave- 
ment  et  Ton  constate  presque  toujours  la  dilatation  stomacale  par 
atonic,  les  ententes  et  la  constipation.  Bien  souvent  les  aliments 
sont  mal  dig6r6s,  ils  restent  dans  Testomac,  d^terminent  ou  non 
sutvant  rindifi<6rence  du  sujetdesdouleurs,  des  bri^lures  quelques 
heures  apr^s  le  repas.  Ces  aliments  qui  fermentent  donnentnais- 
sance  a  des  acides  et  a  des  ptomaines  qui  sont  r^sorb^s  et  qui  ira- 
pressionnent  tres  facheusement  un  systfeme  nerveux  aussi  suscep- 
tible. Je  crois  qu'il  faut  surtout  redouter  a  ce  point  de  vue  les 
aliments  difliciles  a  dig^rer  et  qui  fermentent  facilement  et  qu'il 
est  n6cessaire  de  r^glerrigoureusementralimentation  meme  chez 
ceux  dont  la  dyspepsie  est  latente  et  qui  ne  se  plaignent  pas  de 
leur  estomac ;  ceux-ci  sont  d'ailleurs  la  minority. 

M.  Dejerine,  partant  du  m^me  point  de  vue  impose  aux  neuras- 
theniques  le  regime  lact^  ;  M.  Nattier,  a  propos  de  la  rhinorrh6e, 
qu'il  rattache  justement  a  la  meme  maladie,  exige  le  m^me 
regime.  Dans  les  cas  tres  graves,  quand  la  digestion  est  tr^s  com- 
promise, quand  Tintoxicatiou  d'origine  alimentaire  est  6vidente, 


LE  TBAITEMENT  PHYSIQUE  691 

quand  le  trouble  est  plus  gastrique  qu*intestinal  je  n'h^stte  pas  » 
faire  de  mcme  au  moins  pendant  une  ou  deux  semaines,  mais  en 
g^n^ral  j*h6site  a  imposer  un  regime  aussi  severe. 

Le  regime  lact^  integral  est  debilitant,  ce  qui  est  ici  tres  mau- 
vais,  car  cela  Tavorise  les  sentiments  d^incompl^tude,  il  n'est  pas 
toujourstr^s  bien  tolere  par  I'estomac  des  malades.  «  Le  lait,  dit 
M.  L6pine,  ne  convient  pas  aux  estomacs  dilates,  il  ne  stimule 
pas  le  systeme  nerveuxetne  donne  pas  la  sensation  de  force.  La 
vie,  a  dit  un  vieux  maitre,  ne  se  soutient  que  par  les  excitants.  Si 
cette  proposition  est  vraie,  le  lait  ne  suflirait  pas  a  entretcnir,  la 
vie*.  »  J'ajoute  que  le  regime  lacte  est  surtout  contre-indique 
quand  il  y  a  un  certain  degre  d'ent^rite. 

II  sudit  de  se  borner  d'ordinaire  a  supprimer  completement  le 
vin  et  TalcooL  les  sauces,  les  graisses,  les  viandes  faisandees,  les 
conserves,  a  r^duire  assez  forteraent  la  proportion  des  viandes 
dans  I'alimentation,  a  se  rapprocher  en  un  mot  du  regime  v^ge- 
tarien.  Le  lait,  les  oeufs,  les  farines  de  toute  espece  et  surtout 
les  farines  de  cer^ales  en  abondance,  les  legumes  verts,  les  fruits 
cuits  avec  un  peu  de  viande  grill^e  h  un  repas  seulement  me 
parait  un  regime  suffisant  et  extrdmement  utile  dans  les  cas 
moyens.  Dans  les  cas  graves  d'atonie  gastrique,  je  me  suis  bien 
trouv^  en  laissant  les  malades  au  regime  exclusif  du  lait,  des  oeufs 
et  des  bouillies  de  farines  comme  des  enfants  en  sevrage,  mais 
il  s'agit  alors  du  traitement  de  la  dyspepsie  hyposth^nique  dont 
je  n*ai  pas  a  m'occuper  sp^cialement  ici.  Ces  regimes  v^getariens 
ou  presque  v^getariens  en  r^duisant  les  toxines  qui  impression- 
nent  le  systeme  nerveux  determinent  souvent  chez  les  neurasth^*- 
niques  et  m^me  chez  les  psychasth6niques  des  ameliorations  sur- 
prenantes.  Les  aliments  doivent  etre  pris  en  quantity  suffisante, 
a  des  intervalles  bien  regies  et  en  general  assez  longs,  car  il  est 
essentiel  de  laisser  Testomac  se  reposer ;  il  faut  interdire  a  cer- 
tains malades  atteints  de  boulimie  de  manger  dans  Tintervalle 
des  repas.  Mais  il  sera  bon  pour  certains  estomacs  atones  et  di- 
lates de  faire  boire  tres  peu  aux  repas  et  de  faire  boire  deux  tasses 
de  the  irhs  leger  plusieurs  heures  apr^s  le  repas,  de  maniere  a  ne 
pas  diluer  le  sue  gastrique  pendant  la  digestion,  mais  a  donner 
cependant  au  malade  la  quantity  d'eau  indispensable.  Dans  Tana- 
lyse  des  urines  qu'a  conseill^e  M.  Joulie,  il  y  a  une  indication 

1.  Lupine,  Semaine  medicale,  19  fevrier  1903. 


692  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

tres  utile,  c*est  de  surveiller  la  density  des  urines  du  matin.  La 
density  moyenne  doit  etre  de  1018,  chez  beaucoup  de  neurasthe- 
niques  elle  est  bien  sup^rieure.  II  faut  alors,  en  augmentant  la 
quantity  des  boissons  prises  en  dehors  des  repas,  si  cela  est  ne- 
eessaire,  la  ramener  a  la  normale.  Ces  conseils  relatifs  au  regime 
alimentaire  des  neurasth^niques  se  retrouvent  chez  tons  ceux  qui 
ont  etudie  ces  malades,  ils  semblent  assez  bien  justifies  par  Tex- 
p^rience. 

Les  fonctions  de  Tintestin  sont  troubl^es  comme  celles  de  Tes- 
tomac  et  il  faut  se  preoccuper  d'un  ^tat  de  constipation  tres 
constant  et  tres  grave  qu'ils  pr^sentent  presque  toujours.  Les 
Evacuations  intestinales  doivent  6tre  obtenues  par  tous  les  moyens 
possibles.  On  ne  saurait  trop  insister  sur  les  avantages  des  grands 
lavages  intestinaux  avec  de  Teau  lEgferement  salEe  10  pour  1000, 
pousses  tres  profondement  avec  une  grande  sonde.  Dans  des  cas 
s^rieux  je  me  suis  servi  avec  avantage  des  grands  lavements 
d'huile  pousses  avec  la  sonde,  gardes  le  plus  longtemps  possible 
et  suivis  d'un  lavement  d'eau  de  t^tes  de  camomille.  Dans  un 
cas  que  j'ai  rapporte  il  a  fallu  pratiquer  un  veritable  curettage 
de  la  cavit6  rectale. 

Dans  les  cas  moius  sErieux  il  suffit  d'user  r6gulierement  des 
laxalifs  connus  en  les  variant  de  temps  en  temps  a  cause  de 
Taccoutumance.  Tous  les  dix  ou  quinze  jours  une  petite  purge 
plus  active  m'a  semblE  utile.  Dans  plusieurs  cas  j'ai  employe  avec 
succfes  le  calomel  ou  les  sels  de  karlsbad  qui  sont  avantageux 
quand  les  fonctions  du  foie  sont  engourdies.  On  est  souvent  sur- 
pris  de  ram^Iioration  remarquable  que  Ton  constate  meme  dans 
les  fonctions  mentales  apr^s  une  purge  de  ce  genre. 

Apres  ralimentatlon  il  faut  r^gler  le  sommeil  et  le  repos.  Les 
uns  veulent  dormir  constamment  et  resteraient  au  lit  toute  la 
journee,  d'autres  s'agitent  sans  cesse,  ne  veulent  pas  se  coucher 
et  passent  la  nuit  a  marcher  dans  leur  chambre.  Ils  sont  tous  des 
Epuises  qui  ont  le  plus  grand  besoin  de  repos.  Le  traitement  de 
Weir-Mitchell,  tres  pratique  en  Amerique,  condamne  tous  les 
neurasth^niques  a  un  repos  absolu  au  lit,  en  ne  leur  donnant  des 
mouvements  que  par  des  massages  ct  des  mobilisations  passives  des 
membres.  M.  Dejerine  et  M.  Nattier,  dans  le  travail  que  ]'ai  cite, 
reclament  au  moins  i5  heures  de  repos  au  lit  par  jour.  II  se  peut 
que  ce  traitement,  dont  je  n*ai  pas  beaucoup  Texperience,  soit 


LE  TRAITEMENT  PHYSIQUE  695 

Utile  dans  quelques  cas  de  neurasth^nie  simple,  j'avoue  que  je  le 
redoute  beaucoup  chez  les  psychasth^niques  qui  ont  des  troubles 
mentaux.  Plusieurs  de  ces  derniers  m'ont  racont^  qu'ils  avaient 
subi  auparavant,  et  quelques-uns  a  plusieurs  reprises,  le  traite- 
meut  dit  de  Weir-Mitchell  sans  en  retirer  aucun  avantage.  Dans 
trois  cas  j'ai  vu  les  malades,  apres  avoir  subi  un  traitement  de 
ce  genre,  tomber  dans  Tinertie  et  dans  la  malproprete.  Ces  ma- 
lades ont  deja  beaucoup  de  tendance  a  Taboulie,  a  Timmobilit^ 
et  a  la  reverie.  II  ne  Faudrait,  a  mon  avis,  les  laisser  au  lit 
qu'avec  une  grande  surveillance  et  en  6vitant  Tinaction  absolue. 

II  me  semble  preferable,  tout  en  laissant  au  malade  beaucoup 
de  repos,  de  r^gler  la  dur^e  du  sejour  au  lit  d'une  fa^on  qui  se 
rapproche  de  la  normale,  afin  de  ne  pas  determiner  des  habitudes 
(acheuses,  plus  tard  dif&ciles  a  rompre.  Ce  qui  est  essentiel,  c'est 
d'exiger  le  coucher  et  le  lever  a  des  heures  fixes  et  de  maintenir 
une  grande  regularite. 

II  faut  encore  surveiller  toute  Thygiene  du  malade,  le  retirer 
s'il  y  a  lieu  d'un  milieu  malsain,  le  faire  vivre  une  partie  de  la 
journ^e  au  grand  air,  supprimer,  s'il  ne  Ta  pas  d^ja  fait  de  lui- 
meme,tout  travail  qui  serait  trop  fatigant  ou  malsain. 

II  faut  traiter  avec  soin  toute  maladie  locale  ou  g^n^rale  qui 
coi'nciderait  avec  T^tat  psychastheniqueet  qui  Tentretiendrait. 
Les  infections  ut^rines,  les  suppurations  locales  joueut  en  parti- 
culier  un  grand  r6le  et  doivent  etre  autant  que  possible  suppri- 
mees.  II  ne  faut  cependant  pas  se  laisser  cntrainer  a  faire  jouer 
un  trop  grand  r6le  a  des  troubles  locaux  et  rattacher  toute  la  ma- 
ladie a  un  d^placement  uterin  ou  a  une  chute  du  rein.  II  faut 
beaucoup  se  m^fier  des  operations  que  ces  malades  supportent 
trfes  mal  et  qui  sont  souvent  le  point  de  d6part  de  rechutes.  De 
meme  des  traitements  excessifs  et  fatigants  comme  ceux  de  cer- 
taines  villes  d'eaux  ont  eu  pour  les  malades  que  j'ai  suivis  des  r^- 
sultats  deplorables.  II  faut  done  se  borner  aux  traitements  n^ces- 
saires  et  les  plus  simples. 

2.  —  La  medication  sedative, 

Le  traitement  medicamenteux  n'a  pas  chez  ces  malades  une 
grande  importance,  il  me  semble  cependant  exagere  de  le  sup- 
primer  tout  a  fait. 

Je  n'insiste  pas  sur  les  medicaments  eu  rapport  avec  tel  ou  tel 


4 


691  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

symptome  visceral,  en  particulier  je  n'examine  pas  ici  la  medica- 
tion de  Testomac,  elle  ne  diffibre  pas  chez  les  psychasth^niques  de 
ce  qu'elie  est  chez  les  autres  dyspeptiques  par  atonie  nervease. 

Les  medicaments  plus  sp^cialement  en  rapport  avec  la  maladie 
repondent  a  deux  indications  :  i^  calmer  Tagitation  excessive  cau- 
see  par  les  ph^nomenes  de  derivation,  2^  tonifler  un  organisme 
et  un  systeme  nerveux  deprim^s. 

Quelques  malades  arrivent  dans  un  etat  de  veritable  surexcita- 
tion  avec  des  mouvements  incoordonn^s  et  des  troubles  emotifs 
extremes  qui  rendraient  bien  difficile  toute  direction  morale.  II  me 
semble  n^cessaire  d'abattre  cette  excitation,  c'est  pourquoi,  con- 
trairement  a  Topinion  de  quelques  auteurs,  j'ai  cru  n^cessaire 
de  faire  un  assez  grand  usage  du  bromure.  Le  rappro- 
chement que  j*ai  ete  conduit  a  faire  entre  ces  etats  psy- 
chastheniques  et  Tepilepsie  est  encore  en  faveur  de  ce  traite- 
ment  bromure.  Chez  un  grand  nombre  de  malades  les  effets  ont 
ete  excellents  :  Lise,  On...,  Cs...,  Mw...  s'ameliorent  visible- 
ment  par  Tusage  du  bromure  a  tres  fortes  doses.  A  plus  forte 
raison  voit-on  les  bons  effets  de  ce  traitement  chez  Vil...  et  chez 
F'y...,  chez  Qes...  qui  ont  en  meme  temps  que  les  obsessions  de 
repilepsie  manifeste.  Quelques  malades  comme  Mw  et  Cs...  pren- 
nent  m^nie  une  raanie  du  bromure  et  se  figurent  qu'elles  ne  peu- 
vent  plus  s'en  passer.  Sans  doute  il  y  a  la  une  manie  du  medicament 
frequente  chez  ces  sujets,  mais  il  y  a  aussi  un  sentiment  d'agitation 
et  de  malaise  plus  grand  par  sa  suppression.  Je  m'en  suis  convaincu 
par  quelques  experiences  sur  Cs...  :  J'ai  fait  changer  les  doses 
dans  sa  potion  a  son  iusu,  en  cherchant  a  dissimuler  le  go6t  de 
maniere  qu'elle  ne  pi^t  que  diflicilement  s*en  apercevoir.  J'ai 
trouve  des  differences  tres  nettes  dans  son  agitation  hypocon- 
driaque,  et  dans  sa  docilite,  suivant  qu'elle  etait  a  une  dose  de 
6  ou  de  2  grammes  par  jour.  Je  propose  done  cette  conduite  au 
debut  du  traitement,  quand  on  se  trouve  en  presence  d'un  malade 
tres  agite  sur  lequel  on  n'a  encore  que  peu  d'influence  morale  :  le 
mettre  d'emblee  a  une  dose  elevee  de  bromure,  4  a  5  grammes  par 
jour  comme  un  epileptique,  s'il  le  faut  augmenter  la  dose  la 
semaine  ^uivante,  puis  le  plus  i6t  possible,  d^s  qu'il  y  a  un  peu 
de  calmeet  des  qu'on  pent  agir  moralement  sur  lui  la  diroinuer  et 
la   supprimer. 

Les  autres  sedatifs  m'ont  semble  jouer  un  role  moins  impor- 
tant. Theoriquement,  il  est  evident  que  Tusage  des   soporifiques 


LE  TRAITEMENT  PHYSIQUE  695 

est  detestable  ;  pratiquement  il  est  bien  difficile  de  ne  jamais  y  re- 
courir.  On  ne  pent  guere  nier  que  de  petites  doses  de  ces  medi- 
caments n*aient  souvent  rendu  dcs  services.  Le  trional,  le  suU 
fonal,  le  chloral,  le  bromidia  ne  sont  que  trop  connus  par  les 
malades,  il  faut  surtout  en  surveiller  et  en  reduire  Temploi  le 
plus  possible. 

Dans  quelques  cas  assez  rares  j'ai  eu  recours  a  Topium,  quel- 
ques  centigrammes  d'extrait  thebai'que  me  semblent  tout  in- 
diques  pour  les  malades  angoisses  qui  ont  un  grand  etat  de 
soufirance,  malheureusement  Teffet  constipant  de  Topium  est  a 
rcdouter  chez  des  malades  dont  la  constipation  est  d^ja  opi- 
niatre.  Quant  a  la  morphine  elle  demande  une  ^tude  toute  sp^- 
ciale  et  me  parait  jouer  aussi  bien  un  role  d'excitant  du  systeme 
nerveux  qu'un  role  de  calmant. 

3.  —  La  medication  tonique. 

II  ne  faut  pas  oublier  que  cette  excitation  apparente  du  sujet 
est  toute  secondaire  et  qu'elle  est  la  manifestation  d'un  ^puise- 
ment  r6el,  d'une  insuflisance  du  systeme  nerveux  central  qui  ne 
pent  plus  atteindre  la  tension  normale.  L^essentiel  serait  6videm- 
ment  de  relever  la  force  du  systeme  nerveux,  c'est  le  probleme 
general  des  6tats  neurasth^niques,  il  n'est  pas  dans  ce  cas  plus 
facile  a  resoudre  que  dans  les  autrcs.  Sans  doute  les  precautions 
d'hygiene  que  j*ai  mises  au  premier  rang  ont  sur  ce  point  une 
influence  incontestable.  Une  alimentation  convenable  que  le  ma- 
lade  puisse  dig^rer,  la  suppression  des  toxines  que  produisaient 
les  alcools,  les  viandes  ferment^es  insuffisamment  dig6r6es,  etc., 
sont  pour  beaucoup  dans  le  rel^vement  du  systeme  nerveux. 
Malheureusement  ces  precautions  sont  loin  de  suffire  toujours, 
d'ailleurs  la  mauvaise  digestion  depend  elle-m^me  de  cette  insuf- 
fisance  du  systeme  nerveux  et  Ton  tourne  dans  uncercle  vicieux. 
II  faut  done  recourir  a  tons  les  toniques  nervins,  a  tous  les  re- 
constituants  et  dans  notre  ignorance  il  faut  souvent  les  varier. 

Les  phosphates  occupent  une  grande  place  parmi  les  toniques 
nervins.  La  vogue  a  ete  longtemps  aux  glycerophosphates,  j'en  ai 
fait  prendre  a  tous  ces  malades  des  quantites  enormes  et  comme  un 
trfes  grande  nombre  sont  gueris  on  pent  supposer  que  ce  medi- 
cament a  eu  une  influence  favorable.  Aujourd'hui  la  mode  se 
tourne  davantage  vers    une   autre   forme  la    lecithine,  qui    m'a 


696  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

donn^  quelques  rdsultats  heureux,  il  est  tout  indigne  d'y  recou- 
rir.  L'arsenic  sous  la  forme  actuelle  des  cacodylates  et  des 
metharsinates  m'a  paru  avoir  une  tr^s  bonne  influence  sur  Fetal 
physique  et  par  la  influencer  favorableinent  T^tat  mental  surtout 
quand  les  obsessions  avaient  pour  point  de  depart  un  grand  sen- 
timent de  faiblesse  et  de  depression. 

Depuis  un  an,  s^duit  par  la  lecture  du  travail  de  M.  Joulie, 
j'avais  fait  analyser  tr^s  souvent  Turine  des  obs^d^s  au  point  de 
vue  de  Tacidit^  et  j'avais  constate  de  nombreux  cas  d'hypoacidite^ 
ainsi  que  je  Tai  indique  plus  haut :  dans  ces  cas  j'ai  voulu  essayer 
le  traitement  de  M.  Joulie  par  Tacide  phosphorique.  La  potion 
que  j'employais  ^tait  la  suivante  : 

Acide  phosphorique  ofiicinal 17  grammes. 

Phosphate  de  soude 3o         — 

Eau  distill^ aSo         — 

dont  je  donnais  aux  malades  de  deux  a  six  cuiller^es  a  cM  par 
jour. 

Les  dangers  de  cette  medication  essayee  graduellement  m*ont 
paru  minimes.  Dans  un  certain  nombre  de  cas,  les  r^sultats  ont 
6i€  assez  interessants  pour  que  je  continue  quelquefois  a  recourir 
a  cette  medication.  Chez  une  malade  en  particulier,  a  deux 
reprises  un  eczema  de  la  face  a  ete  completement  gueri  et  il 
reprenait  quand  on  cessait  cette  medication.  L'etat  general  s*est 
ameliore  et  Tetat  mental,  aide,  il  est  vrai,  par  un  traitement 
moral  que  je  crois  tr^s  important,  s'est  beaucoup  ameliore*. 

Parmi  les  autres  excitants  de  la  nutrition  nerveuse  MM.  Pitres 
et  Regis  citent  Tovarine  dont  ils  ont  vu  les  bons  effets  dans  un 
cas.  Dans  trois  cas,  j'avais  songe  a  essayer  la  thyroidine  parce  que 
certains  symptomes  me  rappelaient  le  myxced^me  fruste  que  Ton 
a  beaucoup  etudie  recemment ;  dans  deux  de  ces  cas  je  n'ai  pas 
constate  de  modification  appreciable,  mais  dans  un  troisieme, 
celui  de  Ron...,  les  changements  ont  ete  remarquables.  La  sante 
physique  s'est  transformee,  les  troubles  circulatoires  qui  ren- 
daient  les  mains  rouges  ctfroides,  le  nez  rouge,  qui  determinaient 
une  impression  de  froid  general  ont  assez  vite  disparu,  Tinquie- 
tude  et  les  obsessions  se  sont  prolongees  quelque   temps   encore 


I.  Cf.  A.  Martinet,  Indications  ct  con tre- indications   dc  la  medication   phospho- 
rique. Presse  medicalc,  8  Janvier  1903,  p.  3o. 


LE  TRAITEMENT  PHYSIQUE  697 

et  ont  c^d6  apres  un  traitement  de  quelques  mois.  Je  n^ai  pas 
revu  ce  malade  et  ne  sais  s'll  a  r^cidive.  Cette  observation  qui 
m'a  frappe  montre  done  que  dans  certains  cas,  assez  rares  peut- 
etre,  des  troubles  analogues  a  ceux  du  myxoedeme  fruste  peuvent 
jouer  un  r6le  dans  la  psychasth^nie.  II  faudrait  done  dans  des  cas 
semblables  songer  a  la  thyroi'dine  et  dans  d^autres  peut-^tre 
voisins  a  Tovarine. 

Un  traitement  auquel  j*ai  eu  tres  souvent  recours  ce  sont  les 
injections  sous-cutanees  d*une  solution  saline  concentric  :  la  so- 
lution de  Charon.  Ce's  injections  qui  relevent  la  pression  vas- 
culaire  et  d^terminent  une  excitation  vitale  de  tout  Torganisme 
ont  eu  souvent  des  eiTets  fort  utiles. 

Je  ne  cite  que  pour  memoire  les  grandes  injections  du  serum 
de  Hayem  que  j'ai  faites  chez  Nadia  a  la  dose  de  5oo  grammes 
pendant  la  p^riode  de  confusion  mentale  et  de  stercorh^mic.  Ces 
injections  ont  certainement  contribue  a  sauver  la  malade  et  leur 
action  est  bien  connue.  J'ai  eu  souvent  recours  ^galement  aux  in- 
jections de  strychnine  (de  i  a  5  centigrammes)  qui  ne  m'ont  pas 
paru  avoir  des  efiets  plus  nets,  que  les  solutions  pr^cedentes 
moins  dangereuses. 

Un  tr^s  grave  probleme  se  pose  a  propos  de  ces  traitements  par 
toniques  nervins,  c'est  celui  des  injections  de  morphine  :  On  sait 
que  M.  A.  Yoisin  avait  fait  de  la  morphine  la  base  de  sa  th^ra- 
peutique  des  maladies  mentales,  il  en  avait  obtenu  quelquefois 
des  r^sultats  remarquables.  Certains  faits  d'observution  m*ont 
montre  depuis  longtemps  que  cette  th^rapeutique  reposait  sur  des 
observations  en  partie  exactes.  J'ai  vu  des  hysteriques  anesthesi- 
ques  qui  perdaient  tous  leurs  stigmates  apres  des  injections  de 
morphine  ;  je  connais  des  obs4des  qui  ont  recouru  a  la  morphine 
et  qui  ont  et^  gu6ris  au  moins  momentan^ment.  Ces  phenomenes 
se  comprennent  :  la  morphine  n'agit  pas  uniquement  comme  un 
anesth^sique,  de  meme  que  Talcool  elle  determine  une  excitation 
du  systeme  nerveux  qui  pent  augmenter  sa  tension  et  supprimer 
momentanement  les  resultats  de  son  insuflisance.  Cependant  j'ai 
longtemps  recul^  devant  I'emploi  de  cette  methode  a  cause  des 
dangers  de  la  morphinomanie  chez  des  malades  si  disposes  a 
contracter  un  besoin  pathologique  et  une  impulsion.  Je  restais 
convaincu  que  chez  la  plupart  des  psychasth^niques,  les  dangers 
de  ce  medicament  depassaient  ses  avantages. 

L'observation  de    certains   faits   me  rend  maintenant  un   peu 


698  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

plus  hesitant.  L^ann^e  derniere  une  malade  que  j'ai  cit^e  dans 
ce  travail  Mb...  (impulsions  homicides  et  d^lire  du  doute  a  pro- 
pos  des  perceptions  des  sens)  m*a  reclam6  le  traitement  par  la 
morphine,  je  le  lui  ai  refuse  et  elle  s'est  adress^e  a  d'autres  per- 
sonnes  qui  le  lui  ont  pratiqu6.  J'ai  appris,  malheureusement 
suns  details,  qu'elle  avait  obtenu  ainsi  une  am^ioration  remar- 
quable. 

Dans  un  cas  particulierement  grave,  je  me  suis  decide  a  recou- 
rir  a  quelques  injections  de  morphine.  II  s*agissait  de  Qsa...,  cet 
homme  de  55  ans,  qui  presentait  les  algies,  les  phobies  de  la 
digestion  et  qui  arrivait  souvent  a  des  terribles  crises  des  efforts 
de  vomissement.  Cet  homme  ne  pouvait  plus  du  tout  se  nourrir 
et  il  etait  bien  difficile  d'obtenir  une  amelioration  de  Tetat  men- 
tal avec  une  alimentation  aussi  insuffisante.  II  est  incontestable 
que  quelques  piqilres  d'un  centigramme  de  morphine  m'ont  per- 
mis  d'arreter  bien  plus  facilement  les  efforts  de  vomissement  et 
de  nourrir  le  malade.  Lc  poids  a  augmente,  j'ai  pu  diriger  un 
peu  Tesprit  et  modifier  quelques  habitudes  pathologiques.  Je  n*ai 
pas  eu  a  deplorer  d'accidents  de  morphinomanie  car  j'ai  pu  sup- 
primer  la  morphine  sans  difficult^. 

Yoici  d'ailleurs  une  precaution  que  j'avais  prise  dans  ce  cas 
et  que  je  crois  devoir  6tre  souvent  fort  utile.  Tai  toujours  cach^ 
au  malade  quand  je  faisats  usage  de  la  morphine  et  a  quelle  dose. 
Des  injections  de  s^rum  de  Cheron  que  je  lui  faisais  regu- 
lierement  permettaient  de  dissimuler  facilement,  quand  il  y  avait 
lieu,  la  dose  de  morphine;  la  suppression  se  fit  ^galement  a  son 
tnsu.  M.  Joffroy  a  deja  justement  insiste  sur  cette  facility  beaucoup 
plus  grande  de  la  demorphinisation  quand  on  pent  tromper  com- 
pletement  le  malade  et  lui  laisser  ignorer  la  suppression  de  la 
morphine.  II  y  a  done  des  cas  ou  la  morphine  par  son  action  exci- 
tante  et  analgesiante  pent  rendre  des  services  remarquables,  mais 
il  n*en  reste  pas  moins  vrai  que  son  usage  est  particulierement 
dangereux  chez  ce  genre  de  malades,  qu'il  doit  etre  trfes  reserve, 
et  qu'il  demande  beaucoup  de  prudence  et  de  precaution. 

4.  —  Le  traitement  par  les  agents  physiques, 

Dans  le  traitement  des  n^vroses  on  plagait  autrefois  au  pre- 
mier rang  Thydrotherapie  froide,  il  me  semble  qu'il  y  a  aujour- 
d'hui  une  reaction  contre  un  engouement  excessif,  MM.Pitres  et 


LE  TRAITEMEM  MORAL  690 

R^gis  craigaent  les  douches  froides  qui  surexcitent  ces  malades, 
lis  pr^tferent  les  douches  tildes,  les  bains,  les  affusions.  lis  ont 
parfaitement  raison  s'il  ne  s'agit  que  ^e  calmer  une  surexcitation 
trop  grande.  C'est  en  me  pla^ant  au  meme  point  de  vue  que  je 
r^clamais  Tusage  du  bromure.  Dans  beaucoup  de  cas  Thydroth^- 
rapie  froide  doit  etre  supprim^e  surtout  au  d^but  du  traitement 
€t  remplac^e  par  les  douches  tiedes  ou  les  bains. 

Cependant,  si  les  malades  sont  deja  un  pen  calm6s,  s*il  s'agit 
de  personnes  jeunes,  vigoureuses,  si  le  traitement  a  lieu  en  ^t^ 
dans  de  bonnes  conditions,  je  ne  crois  pas  qu'il  faille  renoncer 
aux  effet  toniques  de  la  douche  froide.  Legrand  du  SauUe  soute- 
nait  autrefois  avoir  vu  des  remissions  absolues  apres  un  traitement 
hydrotherapique,  bien  souvent  a  la  Salpetriere  j'ai  vu  de  jeunes 
malades  terminer  une  crise  et  s'ameliorer  visiblement  apres  ce 
traitement. 

M.  Marro  dans  une  ^tude  sur  a  la  prophylaxie  des  Amotions 
qui  amenent  la  degeneration  »,  explique  d'nne  maniere  int^res- 
sante  les  bons  effets  de  Thydrotherapie  froide.  «  Par  ces  applica- 
tions froides  graduelles  nous  teutons  d^^veiller  le  r^flexe  vaso* 
dilatateur  cutan^  qui  succede  a  la  premiere  constriction  vaso- 
capillaire  cutanee  et  qui  contraste  avec  les  reactions  desordonn^es 
vaso-paralytiques  ou  vaso-dilatatrices  visc6rales  dans  lesquelles 
se  r^soud  Taction  morbifique  du  froid  lorsqu'il  devance  la  force 
de  resistance  de  Torganisme.  L^^ducation  de  ce  reflexe  nous 
donne  un  premier  avantage  contre  les  impressions  peureuses 
dans  lesquelles  la  contraction  du  systeme  vasculaire  periph^rique 
est  un  des  premiers  phenom^nes.  L'hydrotherapie  froide  consti- 
tue  une  veritable  hygiene  contre  les  causes  deprimanles  soit  phy- 
siques, soit  morales  ^  » 

Le  role  heureux  de  Telectrisation  statique  a  ete  souvent  signals, 
les  effets  toniques  des  courants  avec  alternances  trfes  rapides  sont 
encore  a  Tetude. 


2.  —  Le  traitement  moral. 

Malgre  rimportance  de  la  th^rapeutique  physique,  il  est  incon- 
I.  A.  Marro.  Congres  de  psychologie  de  1900.  Cornptes  renduSt  1901,  p.  087. 


700  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

testable  que  le  traitement  moral  a  plus  (I'lnfluence  qu'elle  et  que 
bien  souvent  il  la  rend  inutile.  Ce  traitement  pent  ^tre  envisage  a 
plusieurs  points  de  vue  qui  d'ailleurs  ont  entre  eux  des  liens  fort 
6troits. 

I.  —  La  simplification  de  la  vie. 

Si  on  se  reporte  a  la  theorie  pathog^nique  de  cette  maladie  des 
obsessions  on  voit  que  le  fait  fondamental  est  une  insuffisance 
hereditaire  ou  acquise  des  fonctions  sup6rieures  d^adaptation  du 
cerveau.  Le  cerveau  ne  pent  plus  sufCre  a  la  besogne  qu'on  lui 
demande,  il  en  resulte  qu'il  y  a  un  affaiblissement  dans  toutes  ces 
operations  mentales  qui  am^ue  le  doute  et  Tinqui^tude.  An  lieu  de 
ehercher  a  toujours  relever  la  force  du  cerveau,  ce  qui  dans  bien  des 
cas  pent  6tre  impossible,  ne  serait-il  pas  tout  aussi  simple  de  eher- 
cher quelquefois  a  r6duire  sa  besogne?  Si  on  lui  demandc  moins 
de  travail  peut-etre  Taccomplira-t-il  plus  completement  et  par- 
viendra-t-il  au  terme  de  sa  fonction  et  peut-etre  avec  le  retour  des 
fonctions  du  reel  verra-t-on  disparaitre  les  ph^nomenes  de  derivation 
et  les  obsessions.  C'est  ce  qui  a  lieu  souvent,  comme  on  Fa  vu, 
par  le  progres  de  Tage ;  c'est  la  solution  qui  est  instinctivement 
trouvee  par  les  extatiques  et  par  les  scrupuleux  eux-m^mes  qui 
a  la  fin  de  leur  carriere  se  retirent  dans  Tisolement  le  plus  com- 
plet.  Je  crois  qu*un  ph^nomene  analogue  se  passe  dans  Thysterie 
oil  le  champ  de  la  conscience  se  retr^cit  sans  qu'il  y  ait  insuf- 
fisance dans  les  parties  conservees.  Ne  devrait-on  pas  suivre  dans 
certains  cas  cette  voie  de  traitement  et  favoriser  la  marche  natu- 
relle  de  la  maladie  ? 

II  est  evident  qu'il  ne  faut  pas  c^der  trop  vite  aux  malades,  qu'il 
ne  faut  pas  leur  permettre  de  ne  plus  sortir,  de  ne  plus  voir  per- 
sonne,  mais  on  pent  les  satisfaire  en  reduisant  les  difficultes  qu'ils 
ne  peuvent  pas  r^soudre.  II  est  certain  que  dans  bien  des  cas  la  ma- 
ladie commence  parce  que  le  sujet  est  place  dans  une  situation  trop 
complexe  pour  lui.  Dans  une  dtzaine  de  nos  observations  le  delire 
commence  a  Toccasion  des  fian^ailles  ou  a  Toccasion  du  mariage. 
Le  malade  nous  raconte  qu*il  est  pris  d'un  scrupule,  qu'il  ne 
peut  s'habituer  au  visage  de  sa  fiancee,  qu'il  n'a  pas  le  courage  de 
diriger  un  menage  et  qu'il  se  demande  s'il  aime  sulfisamment,  etc. 
En  realite  ces  scrupules  qu'il  invente  sont  Texpression  d'un  etat 
d*oscillation,  d'hesitation  qui  est  dil  a  une  volonte  incapable  de 
resoudre  les  problemes  poses  par  une  situation  nouvelle.  Faut-il 


LE  TRAITEMENT  MORAL  701 

dans  ces  cas  conseillera  la  famille  de  maintenir  les  fianyailles?  Le 
probl^me  est  souvent  extr^mement  d^Iicat.  Sans  doute  quand  la 
maladie  n*est  pas  grave,  quand  TinsufEsance  de  la  volont^  n*a  pas 
des  racines  profondes  dans  Th^redite,  on  pent,  en  encourageant 
et  en  aidant  le  malade,  lui  faire  franchir  Tobstacle.  Mais  faut-il 
toujours  pousser  le  malade  a  accomplir  des  actes  compliques  dont 
il  est  forc^ment  incapable  ?M.  Savage  remarquait  d^jh  qu'en  exi- 
geant  le  niariage  dans  ces  cas  on  s'expose  a  un  double  risque  «  celui 
de  rimpuissance  genitale  et  celui  d*une  violente  antipathic  contre 
laquelle  plus  tard  rien  ne  pourra  r^agir...  des  mariages  forces  de 
ce  genre  aboutissent  a  des  separations,  a  des  delires  lyp^maniques 
avec  internement*  ».  Je  ne  vols  guere  quel  int^ret  nous  pousserait 
a  courir  ces  risques.  Est-ce  done  un  si  beau  mariage  que  celui 
d'un  psychopathe  qui  va  procreer  une  race  de  d^g^ner^s?  La 
situation  matrimoniale  avec  toutes  ses  difTicultes,  T^ducation  d'en- 
fants  probablement  malades  sont-elles  faites  pour  le  gu6rir  ?  II  est 
deja  insuffisant  pour  sa  vie  de  c^libataire,  est-il  raisonnable  de  lui 
en  imposer  une  plus  compliqu^e  ?  Dans  des  cas  semblables  il  est 
souvent  indispensable  de  faire  rompre  le  mariage  de  la  mani^re 
la  plus  complete,  la  plus  decisive  possible.  J*ai  eu  plusieurs  fois 
a  prendre  une  decision  de  ce  genre  et  je  ne  m*en  suis  pas  re- 
penti.  Le  malade,  malgrd  sa  deception,  s'en  trouve  fort  bien  et  il 
guerit  de  cette  crise  de  rumination,  tandis  qu*il  auraitdclire  si  on 
Tavait  maintenu  dans  une  situation  trop  complexe  pour  lui. 

II  y  a  de  meme  bien  des  situations  morales  compliqu^es  que  Ton 
pent  ais^ment  simpliBer  dans  Tint^ret  du  malade.  Bien  souvent 
la  vie  de  famille  dans  laquelle  il  se  trouve  plac6  est  mauvaisc  pour 
lui ;  le  pere  ou  la  mere  sont  deja  des  psychastheniques  avec  leurs 
obsessions,  leurs  manies,  leur  caractere  cxtremement  autoritaire. 
Tout  cela  crec  un  milieu  penible  ou  il  faut  lutter  sans  cesse,  avoir 
de  rhabilete  pour  eviter  les  scenes  et  les  delires.  Notre  malade 
meme  faible  pourra  ctre  suflisant  ailleurs  tandis  qu'il  s'6nerve  et 
succombe  ici.  Tres  souvent  la  premiere  ordonnance  du  medecin  doit 
etre  que  la  fille  ne  peut  pas  vivre  avec  la  mere. 

II  y  a  de  m^me  des  professions  qui  font  naitre  des  diflficult^s 
morales  particuliercs,  tel  individu  n'est  pas  capable  de  supporter 
la  profession  juridique  ou  la  profession  medicale  ou  la  direction 


I.  G.  Savage,  Troubles  d'espril  a  proposdcs  fian^aillcs.  Journal  of  mental  Science, 
oclobrc  1888.  Encephale  1888. 


702  DIAGNOSTIC  tT  TRAITEMENT 

d'une  eiitreprise  et  il  gu^rira  dans  une  situation  plus  simple.  LI... 
i^tait  un  petit  employe  modele,  un  basard  malheureux  le  fait  monter 
dans  une  situation  plus  ^levee  et  le  force  a  dinger  la  caisse  de  la 
maison  ;  il  s'effraie  de  sa  responsabilite,  n*arrive  plus  a  prendre 
une  decision  et  commence  une  grande  crise  d'obsession  scru- 
puleuse.  Apres  Tavoir  traits  quelque  temps  et  apr^s  avoir  r^ussi 
a  le  calmer,  j'ai  exig6  quMl  reprit  sa  place  en  sous-ordre  :  il  sV 
comporte  de  nouveau  parfaitement.  Dans  plusieurs  observations 
(Tog...,  Rai...,  etc.),  je  constate  que  tons  les  troubles  dispa- 
raissent  pendant  les  ann^es  ou  le  malade  fait  son  service  militaire, 
c^est  la  simplicity  de  la  vie,  la  discipline,  Tabsence  d'initiative 
qui  leur  convenait.  En  un  mot,  Fetude  des  cas  d'aboulie  nous  a 
montr^  I'importance  de  la  hierarchic  daos  la  vie  humaine  et  les 
souffrances  qui  resultent  de  ce  qu'un  homme  n'est  pas  a  sa  vraie 
place.  Bien  souvent  on  pent  soulager  le  malade  en  mettant  de 
Tordre  dans  sa  vie,  en  reglant  minutieusement  Femploi  de  son 
temps.  Quand  Tinsuflisance  psychologique  n'est  pas  trop  con- 
siderable on  pourra  souvent,  je  crois,  conserver  Fequilibre  mental 
en  simplifiant  de  cette  mani^re  une  situation  qui  etait  au-dessus 
des  forces  du  malade. 

A  cette  question  se  rattache  la  question  de  Fisolement  des 
obs^d^s.  Westphal  disait  d^ja  que  Finternement  dans  les  asiles 
est  mauvais  pour  ces  malades,  cela  est  juste  car  ils  ont  conserve 
leur  conscience,  se  rendent  compte  de  F^tat  delirant  de  leurs 
compagnons  et  perdent  eux-m^mes  toute  Anergic  dans  un  tel  mi- 
lieu. La  plupart  des  auteurs  contemporains  h^sitcnt  ^galement 
a  enfermer  les  obs6d6s  :  il  est  incontestable  que  le  plus  souvent 
Finternement  veritable  pent  et  doit  etre  evite.  Cependant  il 
est  quelquefois  n^cessaire  de  les  retirer  de  leur  milieu,  il  faut 
leur  cr^er  un  milieu  artificiel  plus  simple  que  les  milieux  naturels 
et  il  faut  souvent  recourir  pendant  quelque  temps  sinon  a  un 
internement  complet,  au  moins  a  un  isolement  relatif. 

2.  —  Le  traitement  par  la  suggestion, 

Ne  peut-on  pas  d6passer  ce  traitement  palliatif  qui  obeit  en 
quelque  sorfe  a  la  maladie  au  lieu  de  lutter  contre  elle  ?  Un 
traitement  mental  qui  se  presente  imm^diatement  a  Fesprit,  c'est 
le  traitement  par  la  suggestion  hypnotique  :  il  semble  que  la 
suggestion,  qui  agit  en  imposant  des  idees  ou  en  les  supprimant, 


LE  TRAITEMENT  MORAL  7u5 

doit  avoir  un  role  remarquable  dans  une  maladie  oil  les  id6es 
pr^dominantes  semblent  au  premier  abord  Tessentiel. 

Aussi  des  le  debut  des  etudes  sur  la  th^rapeutique  suggestive 
a-t-on  essay^  cette  m^thode  chez  les  obs6d6s  et  a-t-on  soutenu 
qu'eile  ^tait  la  plus  logique  et  la  plus  heureuse.  Je  ne  puis  que 
rappeler  quelques-unes  de  ces  opinions  :  M.  Ladame  conclut  son 
excellent  article  historique  sur  les  obsessions  en  indiquant  la 
suggestion  hypnotique  comme  le  principal  mode  de  traitement, 
dans  une  autre  ^tude  il  montre  quHl  a  appliqu6  heureusement 
ce  traitement  aux  buveurs  et  aux  dipsomanes  K  M.  Tissi^  cite 
c(  un  cas  d'obsession  intellectuelie  et  emotive  gu^ri  par  la  sug- 
gestion '.  M.  B^rillon  a  communique  en  i8g3  a  la  soci^t^  de  me- 
decine  et  de  chirurgie  pratiques  a  un  cas  d*agoraphobie  chez  un 
deg^n^r^  traits  avec  succes  par  la  suggestion  ».  M.  Mavroukakis 
communique  un  fait  semblable  a  la  soci^t^  d'hynologie.  M.  Goro- 
diche  d^crit  un  cas  de  claustrophobic  chez  une  femme  de  38  ans 
gu^ri  par  la  suggestion  ^.  M.  Milne  Bramwell  cite  quelques  cas  de 
phobies  gu^ris  par  Fhypnotisme^.  La  conclusion  de  la  these  de 
L.  Faure  sur  les  obsessions  est  que  la  a  psychoth^rapie  hypnoti- 
que est  le  seul  mode  de  traitement  applicable  avec  lequel  on 
puisse  obtenir  des  r^sultats  s^rieux  et  durables  '  ».  Le  dernier 
travail  de  Bechterew  r^pete  encore  a  propos  des  obsessions  et  des 
illusions  importunes  que  la  suggestion  est  le  seul  traitement 
efficace*.  On  pourrait  trouver  dans  la  litt^rature  beaucoup 
d'autres  declarations  du  meme  genre. 

Cette  opinion  soul^ve  cependant  une  assez  grave  difficulte,  qui 
est  fort  bien  indiquee  par  MM.  Pitres  et  R^gis,  c'est  que  les 
obs^d^s  v^ritables,  les  tiqueurs,  les  douteurs,  les  phobiques,  ne 
sont  pas  hypnotisables.  a  Depuis  de  longues  ann^es,  disent  ces 
auteurs,  nous  avons  fait  a  cet  egard  de  nombreux  essais,  et  nous 
pouvons  dire  qu*en  dehors  des  cas  d*obsessions  se  rattachant  a  un 


I.  Ladame,  Revue  de  Vhypnotisme,  1890,  II,  385,  et  Ibid.,  1888,  p.  129. 

a.  Tissi^.  Semaine  midicale,  1899,  p.  397. 

3.  Gorodiche.  Revue  de  Vhypnotisme,  1894.  p.  53. 

\.  Milne  Bramwell.  Revue  de  Vhypnotisme,  1897,  p.  49. 

5.  L.  Faure.  Thbse  de  Paris,  1898. 

6.  Bechterew,  Des  obsessions  et  des  illusions  importunes.  ObozrSnii  Psychiatryi, 
f^vrier  1899.  Cf.  J.  Douath,  de  BudfkPe^ih.  Archiv.  f.  Psychiatrie,  1896.  A.  Voisin, 
Emploi  de  la  suggestion  hypnotique  dans  certaiues  formes  d'ali^nation  mcnlale. 
Congrh  de  psychologic  de  Munich,  1896.  Stadelman  (do  Wunburg),  Sociite  d'hypno- 
logic,  ao  mars  1900,  etc. 


704  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

degre  quelconque  a  un  etat  hysterique,  nous  n'avons  jamais 
r^ussi  a  suggestionner  les  obsedes,  meme  en  ayant  recours  a  des 
precedes  adjuvants,  tels  que  la  chloroformisation  ^  »  M.  R^gis 
avail  d6ja  ecrit  ailleurs  :  «  de  Taveu  general  aujourd*hui,  les 
alienes  hyst^riques  sontles  seuls  hypnotisables  et  cela  parceque, 
en  meme  temps  qu'ali^nes  ce  sont  des  hyst^riques  ^.  »  Je  ne 
puis  qu'approuver  completement  cette  proposition,  comme  je  Tai 
indique  ailleurs.  Au  point  de  vue  theorique  d'abord,  Tetat 
hypnotique  qui  avec  Tanesthesie,  I'amnesie,  le  dedoublement  de 
la  personnalit^,  le  retr^cissement  du  champ  de  la  conscience, les 
actes  subconscients,  etc.,  resume  tous  les  symptomes  de  Thys- 
t^rie  est  en  opposition  complete  avec  les  symptomes  des  psychas- 
th^niques  qui  ne  vont  au  terme  d*aucun  phenom^ne  et  n'ont  ni 
anesthesie,  ni  amnesic,  ni  dedoublement  v^ritables ;  j'ai  fait  a 
plusieurs  reprises  cette  demonstration  dans  mon  premier  travail 
sur  Tautomatisme  psychologique  et  dans  mes  etudes  sur  Tetat 
mental  des  hysteriques.  Ensuite,  au  point  de  vue  pratique,  sans 
idee  pr^con^ue  et  avec  un  sincere  desir  de  trouver  par  cette 
methode  un  procede  therapeutique,  j'ai  essay^  sur  presque  tous 
les  malades  cites  dans  cet  ouvrage  et  sur  quelques-uns  pendant 
des  ann^es  cons^cutives  d'obtenir  le  sommeil  hypnotique  et  la 
suggestion  comme  chez  des  hysteriques.  On  a  vu  les  resultats 
extr^mement  mediocres  auxquels  je  suis  parvenu  et  je  puis  dire 
comme  conclusion  de  longues  recherches  que  les  obs^des,  non 
hysteriques,  ne  sont  ni  hypnotisables  ni  suggestibles. 

Comment  comprendre,  s'il  en  est  ainsi,  les  heureux  resultats 
du  traitement  hypnotique  si  souvent  annonc^s?  Sansdoute  il  doit 
y  avoir  quelques  malentendus  sur  le  diagnostic  :  des  tics,  des 
impulsions,  des  obsessions  trait^es  avec  succes  par  Thypnotisme 
doivent  se  rattacher  a  Thysterie.  Dans  d'autres  etudes,  il  y  a  des 
malentendus  sur  le  sens  du  mot  hypnotisme  :  les  auteurs  remar- 
quent  eut-memes  que  le  sommeil  a  ete  leger,  la  suggestion  diffi- 
cile et  fragile;  en  un  mot,  nous  nous  retrouvons  en  presence  de 
cette  confusion  qui  etait  tres  grave  au  debut  des  recherches  sur 
rhypnotisme  et  qui  consiste  a  appliquer  le  mot  hypnotisme  et  le 
mot    suggestion    a    n'importe   quel    phenomene    psychologique. 

Quoi   qu'il  en  soit  de  ces  malentendus,   il  n*en  est  pas  moins 


1.  Pilres  et  Regis,  op.  cit.,  p.  loi. 

2.  Regis.  Hevue  de  Vhypnotisme,  1896,  p.  827. 


TRAITEMENT  MORAL  705 

vrai  que  beaucoup  d'obs^des  ont  H6  s^rieusement  ani^lior^s  par 
des  pratiques  analogues  a  celles  de  I'hypnotisme.  J'ai  observe  le 
fait  plusieurs  fois  d'une  maniere  tout  a  fait  convaincante.  Claire 
apr6s  ces  essais  d'hypnose  reste  plusieurs  heures  n  la  tete  vide 
de  mauvaises  pens^es  »  ce  qui  est  tres  remarquable  pour  elle. 
Xyb...,  Bhu...  (5/4),  se  trouvent  niieux  pendant  quelque  temps. 
Lkb...,U...  Jean  restent  dans  un  6tat  de  calme  qui  dure  plusieurs 
jours.  On  observe  le  meme  fait  chez  Pn...  Bs...  On...  et  chez 
plusieurs  autres.  Cette  influence  se  prolonge  chez  Dob...  pen- 
dant une  dlzaine  de  jours  et  cette  raalade  qui  depuis  une 
vingtaine  d'annecs  est  incapable  de  faire  quelques  pas  seule  en 
dehors  de  son  appartement  fait  seule  des  excursions  de  plusieurs 
kilometres  quand  elle  a  et^  suggestionn^e.  La  crise  d'obsessions 
sacrileges  de  We...,  a  6t6  completement  arret^e  par  des  seances 
de  ce  pretendu  hypnotisme  :  les  croix  qu'elle  croyait  voir  et 
qu'ellecherchait  a  voir  dans  le  ciel  s'efTagaient  quand  elle  pensait 
a  ce  que  je  lui  avals  dit  et  elles  ont  fini  par  disparaitre.  La 
honte  du  corps  chez  Wye...  a  ete  supprim^e  depuis  plus  d'un 
an.  A  la  suite  d'un  traitement  par  les  essais  de  sommeil  hyp- 
notique,  les  scrupules  urinaires  de  Yor...  ont  completement 
disparu  et  n*ont  pas  recommence  depuis  deux  ans.  Zo...  est 
debarrass^  de  sa  phobic  des  epingles  et  ce  sont  certainement  des 
stances  d'hypnotisme  qui  ont  permis  d'avoir  quelque  action  sur 
I*esprit  de  cette  jeune  fille.  Gisele  conserve  certainement  son 
aboulie,  ses  dispositions  aux  reveries  ideates,  quoiqu*elle  ait  fait 
de  grands  progr^s  comme  activity  reelle,  mais  elle  a  perdu  sous 
Tinfluence  de  cette  suggestion  «  son  id^e  principale  »  c'est-a-dire 
ses  remords  de  vocation  et  elle  peut  de  nouveau  vivre  avec  son 
mari  et  son  enfant.  Le  casle  plus  interessant  est  celui  de  Lise,  car. 
cette  malade  a  ete  hypnotis6e  regulierement  depuis  cinq  ans. 
J'ai  moutr^  ailleurs  qu'elle  n'est  jamais  arriv^e  a  un  ^tat  hypno- 
tique  complet  avec  amnesic.  Mais  cette  hypnose  incomplete  suiGt 
pour  produire  un  grand  eHet  sur  ses  interminables  ruminations. 
II  y  a  pendant  ce  sommeil  une  sorte  de  lutte  de  la  malade  contre 
ses  idees  :  au  d^but  elle  ne  tolerait  pas  que  je  lui  en  parle,  elle 
s*6cartait  de  moi  avec  horreur  si  je  faisais  la  moindre  allusion  au 
diable,  elle  faisait  des  gestes  de  resistance  desesp^r^.  Puis  elle 
se  calma,  consentit  a  ecouter  pendant  cet  etat  la  contradiction 
et  sembla  mieuxcomprendre.  Sous  cette  influence  les  id6es  dimi- 
nuerent,  «  elles  restaient  vagues,  plus  loin  de  son  esprit,  comme 
LES  0BSB8810N8.  I.  —  45 


706  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

s^par^es  les  unes  des  autres;  les  id^es  ne  se  developpaient  pas  car 
elle  les  sentait  comme  arret^es  ».  Cette  amelioration  etait  visi- 
blement  en  rapport  avec  la  stance  hypnotique,  car  si  elle  avait 
fortement  resist^  pendant  la  seance  et  m*avait  mal  ^coute,  les 
obsessions  recommenQaient  la  semaine  suivante,  si  au  contraire 
elle  s'etait  montree  docile  il  y  avait  une  semaine  de  r6pit  que  je 
pouvais  prevoir.  Dans  tons  ces  cas,  comme  dans  les  observations 
que  j*ai  rapportees  d'apr^s  divers  auteurs,  Thypnotisme  et  la 
suggestion  out  semble  avoir  un  eflTet  th^rapeutique  des  plus  int^- 
ressants. 

Comme  nous  avons  vu  que  Thypnotisme  ni  la  suggestion  n*oat 
pas  ^i6  complets  ni  r^els,  il  a  dd  se  passer  pendant  ces  stances 
quelques  operations  psychologiques  differentes  de  la  suggestion 
proprement  dite  et  de  I'automatisme  hyst^rique  qui  ont  amene 
ces  heureux  r^sultats.  Ce  sont  ces  operations  qu*il  faut  com- 
prendre  pour  arriver  a  les  reproduire  si  cela  est  possible  d'une 
mani^re  plus  directe. 

3.  —  La    direction  morale^   la   reponse  a  la  question. 

Une  indication  importante  au  point  de  vue  de  la  therapeutique 
morale  d^coule  en  effet  de  Tobservation  meme  des  malades  ;  on 
ne  saurait  trop  r^p^ter  que  la  therapeutique  doit  suivre  en  effel 
dans  ces  cas  les  indications  fournies  par  la  gu^rison  naturelle.  Les 
malades  se  gu^rissent  ou  du  moins  se  calment  souvent  en  se  sou- 
mettant  a  quelqu*un,  en  acceptant  ou  mieux  en  cherchant  une 
direction  morale.  J'ai  deja  decrit  un  grand  nombre  d*exemples 
ou  le  scrupuleux  a  trouve  un  ami  ou  une  maitresse  dont  il  est 
devenu  inseparable  et  auquel  il  obeit  aveuglement.  Le  point  sur 
Icquel  il  faut  insister  maintenant  c*est  que  cette  direction  qu'il 
paye  tres  souvent  du  sacrifice  de  sa  liberte  et  de  sa  personne  est 
Ires  loin  d'etre  inutile  pour  lui.  Sous  cette  influence  il  cesse 
d'avoir  des  hesitations,  des  interrogations  indefinies,  car  iltroave 
aupr^s  de  son  directeur  la  reponse  suffisante.  Son  inquietude  se 
calme  et  les  obsessions  qui  en  derivaient  s'efiacent.  Sim..., 
Tkm...,  trouvent  ainsi  la  guerison  momentanee  aupres  d*un 
amant^  Bs...  aupres  d'une  maitresse,  Er...  aupres  de  son  mari, 
Lod...Ck...auprfes  d'une  amie,  etc. 

Si  cette  direction  existait  pour  tons  les  malades  et  si  elle  pou- 
vait  durer  indefiniment  ils  ne  feraient  jamais  appel  au  medecin. 


TRAITEMENT  MORAL  707 

Malheureusement  elle  se  termlne,  il  arrive  des  circonstaDces  qui 
separentFy...  ou  Tkm...  de  leurs  amants,  Bs...  de  sa  maitresse. 
On  se  souvient  de  Taventure  arriv^e  a  Ck...  :  une  domestique 
renvoy^e  a  faitcouiir  dans  la  petite  ville  un  bruit  injurieux  sur 
les  relations  de  ces  deux  vieillesfilles  trop  inseparables,  et  il  a  fallu 
se  separer.  D'autre  part  le  dirige  s'inquiete  de  cette  direction 
qu'il  a  rendu  de  plus  en  plus  etroite,  il  se  fait  des  scrupules  sur 
les  sentiments  qui  en  ont  ^te  la  consequence  et  il  se  figure  qu*il 
pent  ^chapper  a  la  tutelle.  Enfin  c*est  le  directeur  qui  se  fatigue 
du  mdtier  qu'il  a  accepte  au  d^but  sans  le  connaitrc  :  la  fatigue 
survientd'autant  plus  vite  qu'il  vit  pluspresdu  malndc  et  qu'il  est 
incessamment  soumis,  commedisait  M.  J.Falret,au  supplice  de  la 
question.  En  un  mot  la  crise  existe  soit  parce  que  le  malade  n'a 
pas  trouv6  de  directeur,  soit  pa^:ce  qu*il  Fa  perdu. 

II  faut  alors,  pour  suivrecette  methode  naturelle  de  guerison, 
offrir  au  psychasthenique  une  direction  en  quelque  sorte  profes- 
sionnelie  et  transformer  en  un  metier  accepts  en  connaissance  de 
cause  la  direction  donn^e  d*abord  au  hasard  par  des  amateurs  si 
on  pent  ainsi  dire.  Cette  profession  singuliere  a  d'abord  et  tout 
naturellement  et6  exerc^e  par  les  pr^tres  des  differentes  reli- 
gions. Les  pretres  ont  connu  la  maladie  du  scrupule  bien  avant  les 
m6decins  et  la  confession  reguliere  semble  avoir  ^te  inventee  par 
un  alieniste  de  g^nie  qui  voulait  traiter  des  obsed(^s.  Grace  a 
I'obligeance  de  M.  Pi^ron  qui  a  bien  voulu  faire  cette  recherche 
pour  moi,  j'ai  recueilli  un  grand  nombre  de  passages  des  lettres 
de  Bossuet  et  de  F^nelon  qui  se  rapportent  directement  a  notre 
6tude  et  qui  montrent  avec  quelle  fermete  ils  dirigeaient  leurs 
malades.  «  Je  vous  assure,  ma  fille,  ^crit  Bossuet  a  M'°^  Albert 
de  LuyneSy  que  votre  confession  est  tres  bonne  et  tres  suffisante, 
une  autre  plus  g^ndrale  serait  inutile  et  dangereuse  a  votre  ^tat. 
Vous  ne  devez  pas  avoir  egard  a  ces  dispositions  oil  vous  croyez 
avoir  r^tract^  toutes  vos  resolutions  pr^cedentes.  Toutes  les  fois 
que  cela  vous  arrivera,  il  n'y  a  qu'a  rejeter  cette  pensee  comme 
une  tentation  et  d'aller  toujours  votre  train.  Je  vous  defends  d'avoir 
de  rinquietude  de  vos  confessions  passees,  ni  a  la  vie,  ni  h  lamort, 
ni  de  les  recommencer  en  tout  ou  en  partie,  a  qui  que  ce  soit, 
fussiez-*vous  a  I'agonie.  Ce  ne  serait  qu'un  embarras  d'esprit  qui 
ne  ferait  qu'apporter  du  trouble  et  de  Tobstacle  a  des  actes  plus 
importants  et  plus  essentiels  qui  sont  Fabandon,  Tamour  de  Dieu 


708  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

et  la  confiance  en  sa  mis6ricorde.  Hors  de  cette  confiance,  il  n*y 
a  que  trouble  pour  les  consciences  timorees  et  surtout  pour  les 
consciences  scrupuleuses  comme  la  v6tre'.  » 

Les  lettres  de  F^nelon  sont  remplies  ^galement  de  conseils  «  cen- 
tre le  scrupule  enracin^  dans  votre  coeur  depuis  votre  enfance  et 
pouss^jusqu'auxderniersexcesdepuistantd'ann6es*...<cyousdevez 
tourner  votre  d6licatesse  scrupuleuse  contre  vosscrupules  memes, 
est-il  permis  sous  pretexte  de  rechercher  les  plus  l^g^res  fautes 
de  se  troubler  ainsi^...  Les  consciences  scrupuleuses  ont  besoin 
d^^tre  pouss^es  au  dela  de  leurs  bornes  comme  les  chevaux  r^tifs 
et  ombrageux.  Plus  vous  h^siterez  dans  vos  scrupules,  plus  vous 
les  nourrirez  secretement ;  il  faut  les  gouverner  pour  les  gu^rir, 
plus  vous  les  vaincrez,  plus  vous  serez  en  paix^...  Je  crois  que 
vous  pouvez  vous  confesser  un  de  ces  jours-ci,  mais  a  la  condi- 
tion que  vous  bornerez  votre  confession  a  dire  les  fautes  qui  se 
font  remarquer  sans  peine  et  qu*apres  les  avoir  dites  simplement 
selon  la  lumi^re  que  vous  en  aurez  alors  vous  n*y  penserez  plus  ^... 
Le  raisonnement  subtil  pour  vous  tourmenter  vous-m^me  est 
pour  vous  comme  le  fruit  d^fendu.  Le  scrupule  ferme  a  Dieu  la 
porte  de  votre  coeur*...  » 

II  est  bien  probable  que  nombre  de  pr^tres  reraplissent  encore 
cette  fonction  et  je  dols  dire  que  quelques  eccl6siastiques  aux- 
quels  j'avais  envoy^  des  malades  avec  quelques  recommandations 
ont  parfaitement  compris  le  role  que  je  leur  demandaisde  jouer. 
Mais  il  est  vrai  aussi  que  bien  des  pretres  montrent  dans  leurs. 
rapports  avec  ces  malades  une  ignorance  et  une  indelicatesse 
invraisemblables  et  sont  assez  sots  pour  raconter  des  ntaiseries 
sur  le  diable  a  des  pauvres  esprits  tourmentds  par  des  obsessions 
sacrileges.  C'est  un  caractere  de  notre  temps  que  cette  oeuvre  de 
direction  morale  revienne  quelquefois  au  m^decin  qui  est  mainte- 


i.^  (Mavres  completes  de  Bossuet^  en  la  vol.  in-8,  ^il.  Gamier,  t.  VIIl,  p.  4aa. 
Toute  la  correspondance  de  Bossuel  avec  cette  p6nitente  roulc  sur  la  mdme  question. 
c*est-k-dirc  sur  les  inquietudes  et  les  scrupules ;  les  lettres  r^p^tent  sans  ccsse  les 
m^mes  formules,  comme  il  convient  avec  ces  malades,  cf.  p.  S^g,  378,  4aa«  427. 
/♦a8,  46a,  466,  549t  56i,  070,  673,  678,  etc. 

a.  F^nelon,  CEuvres,  6d.  in-4,  i844.  T.  IV,  Lettres  spiritueUes,  p.  3a7. 

3.  Ibid.,  p.  49a. 

4.  Fenelon,  OEuvres,  p.  a 58. 

5.  Ibid.,  p.  a6a. 

6  Ibid.,  p.  5oa.  On  Irouvera  beaucoup  de  passages  du  m^me  genre  dans  les 
OEuvres  de  Fenelon,  p.  337,  3a8.  335,  338,  348.  356,  357.  358,  366,  879.  SgS,  etc. 


TRAITEMENT  MORAL  709 

nant  souvent   charge    de  ce   role  de  direction  morale  quand  le 
malade  ne  trouve  pas  assez  de  soutien  autour  de  lui. 

Le  m^decin  peut  assez  facilement  r^usslr  dans  ce  role :  il  a  au- 
pres  du  malade  une  grande  autorit^,  il  peut  le  menacer,  lui  par- 
ler  des  consequences  connues  de  sa  maladie,  de  I'isolement  qui 
la  termine  ou  de  Tinternement  que  le  sujet  redoute,  il  peut  lui 
faire  esp^rer  un  traitement,  et  Fordonnance  medicale  a  encore  dtt 
prestige.  Enfin  le  medecin  ne  vit  pas  d'ordinaire  aupr^s  du  ma- 
lade et  ne  peut  pas  etre  harcel6  de  questions  continuellement^ 
aussi  son  autorite  et  son  influence  se  conservent-elles  plus  long 
temps. 

Pour  diriger  ainsi  ces  personnes,  le  medecin  doit  d'abord  leur 
faire  sentir  qu'il  s'int^resse  a  elles  et  qu'il  les  connait.  II  faut  les 
faire  parler  sur  les  details  curieux  de  leur  maladie,  analyser  ces 
details  devant  eux  en  deyinant  ce  qu*ils  n'ont  pas  dit,  leur  mon- 
trer  doucement  que  leur  interpretation,  qui  constitue  leur  obses- 
sion, n'est  pas  juste,  etc.  Puis  quand  on  voit  quails  sont  int^res- 
sds,  qu'ils  sont  heureux  de  trouver  une  personne  capable  de  les 
comprendre  et  de  les  plaindre  sans  se  moquer  d'eux,  il  faut  leur 
commander  avec  beaucoup  de  nettete  et  sans  Tombre  d'une  hesi- 
tation et  il  ne  faut  jamais  revenir  sur  un  commandement,  [di-W 
absurde.  J'ai  vu  un  medecin,  avec  d*excellentes  intentions,  provo- 
quer  une  grande  crise  chez  Jean  parce  qu'il  hesitait  entre  deux 
villes  d'eau  ou  il  voulait  Tenvoyer  et  qu'il  avait  fini  par  laisser  le 
choix  au  malade. 

«  Dans  la  therapeutique  de  beaucoup  d'etats  psychopathiques 
disait  deja  Legrand  du  Saulle,  I'absolutisme  autoritaire  est  une 
necessite  que  le  succes  couronne  frequemment  et  qui  ne  peut 
nuire  a  personne  \  Le  malade  se  pr^te  d'ailleurs  tres  bien  a 
cette  direction  autoritaire,  il  desire  etre  domine  et  cherche  lui- 
meme  a  grandir  I'influence  que  Ton  prend  sur  lui,  «  je  cherche 
toujours,  me  disait  Gis^le  a  aureoler  un  pen  celui  qui  me  parle 
pour  le  mieux  ecouter  ».  Dans  ces  conditions,  il  n'est  pas  tres 
difEcile  de  reussir  au  moins  pendant  quelque  temps  a  devenir  le 
directeur  de  I'esprit  du  sujet.  Ce  n'est  pas  la  guerison  sans  doute, 
c'est  plutot  I'utilisationd'unsymptome.  Maisc'est  unprocede  pal- 
liatif  qui  est  souvent  fort  remarquable. 

I.  Legrand  du  Saulle,  Afjoraphobie,  p.  78. 


710  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

Pour  r^usslr  a  calmer  les  malades  par  ces  commaD elements  et 
ces*  afllrmatioDS  qu'on  leur  impose,  il  y  a  une  certaine  didiculte 
qu'il  Taut  savoir  surmonter  ct  en  meme  temps  un  proc^d6  qu'il 
Taut  bien  connaitre.  N*oublions  pas  que  le  psychasth^nique  a 
perdu  la  volont^  agissante  et  la  croyance  mais  qu'il  est  loin 
d'avoir  perdu  Tintelligence  proprement  dite.  Quand  il  vient  nous 
dire  que  dans  telle  circonstance  donn^e  il  ne  sait  que  faire,  ni 
que  croire,  il  ne  Taut  pas  le  prendre  completement  au  mot.  En 
r^alit^,  comnie  il  est  intelligent,  il  sait  fort  bien  quelle  est  Tac- 
tion qui  serait  preferable,  quelle  est  la  croyance  qui  serait  la  plus 
juste.  II  a  presque  toujours  cette  preference  intellectuelle;  mais 
ce  qu'il  ne  pent  pas  faire  c'est  r^aliser  cette  preference,  «  croire 
sa  croyance  ou  ogir  son  acte  »  comme  me  disait  tres  bien  Qsa... 
II  en  resulte  qu'il  ne  faut  pas  faire  a  ces  malades  un  commande- 
ment  quelconque  ou  leur  imposer  une  affirmation  quelconque.  Si 
notre  commandement  tombe  en  opposition  avec  le  desir  secret 
du  malade,  cette  contradiction  ajoute  a  ses  troubles  au  lieu  de  les 
dissiper.  Sans  doute  on  pent  souvent  Timposer  tout  de  meme  a 
force  d'autorite  et  je  crois  meme  qu'il  ne  faut  pas  dans  ce  cas 
revenir  en  arriere.  On  perd  son  autorite  quand  on  modifie  ainsi 
les  commandenients  et  on  donne  au  malade  Texemple  pernicieux 
de  Toscillation.  Mais  il  est  evident  qu*il  vaut  mieux  eviter  cette 
contradiction  quand  elle  n'est  pas  necessaire.  a  Je  ne  veux  pas, 
disent  les  malades,  etre  traite  comme  un  enfant  a  qui  on  impose 
une  idee  ;  je  ne  tiens  pas  du  tout  a  ce  qu'on  me  contredise,  je 
veux  qu*on  m'aide  a  agir  mon  acte,  qu*on  me  pousse  dans  le  sens 
oil  je  veux  aller  ».  Cela  est  tres  juste  et  a  moins  de  necessite,  le 
medecin  doit  ordonner  au  malade  Tacte  ou  la  croyance  que  celui- 
ci  avait  deja  congu  intellectuellement  comnie  preferable. 

Cette  recommandation  parait  fort  simple  en  theorie,  elle  est 
cependant  d'une  application  tres  difGcile,  car  le  malade  se  garde 
bien  de  nous  indiquer  quel  est  Facte  ou  la  croyance  qu'il  preffere. 
Indiquer  cet  acte  au  medecin  pour  que  celui-ci  commande  de  le 
faire,  ce  serait  deja  choisir  cet  acte  efTectivement,  ce  serait  deja  en 
quelque  mani^re  «  agir  cet  acte  )>  et  notre  psychasthenique  est  pres- 
que toujours  incapable  de  pousser  j usque-la  la  fonction  du  reel. 
Aussi  arrive-l-il  chez  son  directeur  non  seulement  en  montrant 
rindecision  de  sa  volonte,  mais  en  simulant  une  indecisionn 
intellectuelle  qui  n'est  pas  dans  son  esprit.  Plus  il  aura  cache  son 
veritable  desir,  plus  il  sera  heureux  de  le  voir  confirme,  plus  il 


TRAITEMENT  MORAL  7H 

sera  entrain^  a  agir  et  a  croire  par  une  afBrmation  qu'il  croira 
spontan6e.  II  en  r^sultc  que  non  seulement,  le  m^decin,  avant  de 
commander,  doit  rechercher  ce  qui  est  juste  dans  le  cas  donn6, 
raais  qu*il  doit  encore  deviner  ce  que  pense  son  malade  et  deci- 
der en  consequence.  Sauf  dans  des  cas  particuliers  oil  le  sujet 
tres  malade  n'a  aucune  id^e  relative  a  Taction,  le  directeur  doit  se 
borner  a  pr^ciser  Tidee  de  Tacte,  a  en  d^duire  les  moyens  d'ex^- 
cution,  a  en  diriger  la  realisation.  II  doit  faire  en  un  mot  ce  que 
le  malade  ne  pent  pas  faire^  effectuer  le  passage  de  Tintelligible 
au  r^el.  C'est  alors  surtout  que  son  autoritd  sera  accept^e  avec 
reconnaissance  et  qu'elle  rendra  le  calme  au  malade  en  supprimant 
les  derivations. 

Sans  doute,  dira-t-on,  ce  proc^de  ne  pent  pas  reussir  toujours, 
et  rinfluence  d'un  m^decin  doit  finir  par  s'user.  Cette  remarque 
est  tres  juste,  mais  qu'importe  ?  J*ai  deja  vu  une  influence  de  ce 
genre  se  conserver  pendant  des  ann^es,  pendant  cinq,  six  et  neuf 
ans  dans  certains  cas  et  si  Ton  procure  le  calme  au  malade  pen- 
dant toutce  temps,  ce  n'est  pasinsignifiant.  Quand  rinfluence  sera 
us^e,  le  malade  trouvera  un  autre  directeur  de  conscience  et  arri- 
vera  ainsi  a  traverser  les  p^riodes  dangereuses  de  sa  vie.  II  est 
vrai  que  cette  direction  force  le  malade  a  revenir  r^gulierement 
a  rtiopital  :  une  infirmity  permanente  exige  un  traitement  per- 
manent. Nous  ne  sommes  pas  surpris  de  voir  des  malades  qui  ont 
besoin  d'etre  sondes  ou  d'etre  pansys  tous  les  jours  pendant 
des  annees ;  il  en  est  de  m^me  pour  Tesprit  et  il  vaut  mieux  se 
faire  gronder  et  commander  tous  les  quinze  jours  que  de  perdre 
la  raison*. 


4.  —  Le  reles^ement  de  la  tension  psjchologiqtie,   la  reeducation 

de  I' emotion, 

Les  obsessions  des  psychasth6niques  ne  sont  pas  comme  les 
idees  fixes  des  hyst^riques  des  systeraes  isol6s  qui  se  developpent 
automatiquement  en  dehors  du  reste  de  la  conscience,  ce  sont  des 
symboles,  des  expressions  resum^es  auxquelles  le  malade  s^at- 
tache  d^une  maniere  permanente  parce  qu'elles  expriment  un  etat 


I.  J'ai  dcjk  dccrit  les  caracicres  cl  les  consequences  de  cette  direction  permanente 
dans  un  travail  prdc6dent:  Nivroses  et  idees  fixes,  1,  chapitre  \11,  le  besoin  de  direc- 
tion, p.  /laS. 


712  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

permanent.  II  en  r^sulte  que  le  traitement  ne  pent  pas  se  borner 
a  attaquer  Tid^e  elle-m6me  qui  a  au  fond  peu  d'importance  et 
que  le  sujet  remplacera  facileraent  par  une  autre  analogue,  c'est 
l*etat  sous-jacent  qu*il  faudrait  pouvoir  modifier.  Si  on  y  parve- 
nait,  le  sujet  n*ayant  plus  rien  a  exprimer  renoncerait  de  lui- 
meme  a  son  obsession,  le  traitement  pr6c^deut  ne  se  bornail 
pas  a  nier  Tobsession,  il  donnait  au  malade  sur  tous  les  points 
un  decision  et  une  croyance  ce  qui  supprimait  en  partie  Tincom- 
pl^tude  et  la  derivation.  Le  succ^s  n'^tait  que  partiel  parce  que 
le  malade  sentait  bien  que  la  decision  ne  venait  pas  entierement 
de  lui-m6me  et  qu'en  definitive  il  n*apprenait  pas  a  parvenir  lui- 
m^me  a  cette  decision. 

Pour  aller  plus  loin  dans  le  traitement,  pour  attaquer  le  mal  a 
In  racine  il  faudrait  apprendre  au  malade  a  retrouver  cette  fonction 
du  reel  qu'il  a  perdue.  Le  veritable  traitement  serait  une  reedu- 
cation de  la  foncUon  du  reel.  Or,  la  perte  de  cette  fonction  est 
en  rapport  avec  un  abaissement  de  la  tension  psychologique,  ce 
quMl  faudrait  done  en  definitive  ce  serait  relever  la  tension  du 
systfeme  nerveux  central  et  par  consequent  la  tension  psycholo- 
gique.  Nous  ne  savons  pas  encore  relever  directement  cette  ten- 
sion ;  mais,  en  etudiant  les  oscillations  du  niveau  mental,  nou& 
avons  vu  un  certain  nombre  de  conditions  qui  agissent  sur  elle 
d'une  maniere  favorable.  Le  traitement  doit  s'efforcer  de  tirer 
parti  de  cette  observation  et  de  chercher  a  reproduire  artifi- 
ciellement  ces  conditions  excitantes. 

Une  des  plus  int^ressantes  de  ces  conditions  est  T^motion,  non 
remotion  vague  et  elementaire  qui  a  son  dernier  terme  constitue 
Fangoisse  de  la  phobic,  mais  Temotion  plus  precise  en  rapport  avec 
les  circonstanccs  et  bien  appreci^c  consciemment  par  le  sujet. 
Parvenir  a  determiner  des  emotions  de  ce  genre  chez  lespsychas- 
theniques,  c'est  un  des  plus  remarquables  moyens  de  traitement. 
Deja  la  premiere  visite  chezle  medecin,  Texamen  fait  d*une maniere 
qui  etonne  le  sujet  en  lui  montrant  que  sa  maladie  est  bien  con- 
nue,  la  demonstration  qu*on  lui  a  faite  que  son  etat  est  une  ma- 
ladie et  non  un  etat  diabolique  ou  un  remords  moral  et  que  cette 
maladie  est  en  general  curable,  tout  cela  a  determine  une  emo- 
tion heureuse  et  a  fait  remonter  le  niveau  mental.  C*est  pourquoi 
presque  toujours  le  malade  est  ameliore  pendant  les  jours  qui 
suivent  la  premiere  visite  chez  un  medecin  nouveau. 

Dans  les  succ^s  obteuus  par  les  seances  d'hypnotisme,  il   est 


TRAITEMENT  MORAL  713 

bien  probable  qu'une  grande  part  doit  Mre  attribute  a  la  in6me 
cause,  r^motion.  Le  sujet  desire  rhypnotisme  et  il  en  a  peur  :  il 
se  figure  qu'il  va  se  passer  des  choses  extra vagantes.  11  lui  faut  du 
temps  et  des  preparattfs  pour  qu^il  se  decide  a  affronter  une  opera- 
tion aussi  grave.  Si  le  m6decin  par  ses  commandements  et  par  ses 
encouragements  est  arriv^  a  le  decider,  c'est  comme  s*il  Tavait 
ameneafaire  une  action  tres  difficile  et  le  sujet  a  en  plus  Temotion 
de  la  difficult^  vaincue.  II  est  content  de  lui  pour  s'^tre  decide  a 
commencer  un  traitement  aussi  s6rieux,  de  la  une  oscillation  en 
hauteur  qu'il  est  inutile  de  rattachera  la  suggestion  hypnotiqueet 
qui  s'explique  tres  facilement  par  Teffet  excitant  de  Temotion. 

Puisque  nous  conuaissons  ce  m^canisme,  il  Taut  en  tirer  le 
maximum  d^effet.  Quand  nous  voulons  hypnotiser  une  hysterique, 
nous  prenons  toutes  les  precautions  possibles  pour  lui  presenter 
rhypnose  comme  tres  insignifiante,  car  nous  ne  desirous  pas  I'ef- 
fet  ^motif  et  nous  redoutons  une  crise  convulsive.  Avec  le  psy- 
chasth^nique  il  ne  faut  pas  trop  prendre  ces  precautions  ;  le 
malade  ne  verra  que  trop  UM  combien  Thypnotisme  est  chez  lui 
insignifiant,  il  faut  au  contraire  lui  montrer  ce  traitement  comme 
important  et  preparer  son  emotion. 

Quand  on  counait  cette  valeur  de  Temotion,  il  faut  chercher  a 
la  produire  de  toutes  mani^res  m6me  en  dehors  de  ces  stances 
d'hypnotisme.  Malheureusement  il  n*y  a  guere  pour  cela  de  pro- 
ced^s  techniques  a  indiquer  et  le  succ^s  depend  beaucoup  de 
Thabilete  individuelle.  II  faut  deviner  le  point  qui  est  encore 
reste  sensible  chez  le  malade  et  agir  sur  ce  point  pour  determi- 
ner des  emotions  reelles.  Chez  les  uns  il  faut  se  servir  de  Taffec- 
tion,.  de  la  sympathie,  chez  les  autres  de  la  honte  ou  de  la 
crainte.  Lise  a  cache  sa  maladie  a  une  partic  de  sa  famille,  on 
obtient  beaucoup  en  lui  faisant  entrevoir  que  sa  maladie  mcntale 
va  etre  connue  de  tons,  en  lui  faisant  peur  de  Fasile  de  fous  : 
«  c^est  desolant,  dit-elle,  quand  elle  se  sent  transform^e  par  ces 
menaces,  je  n^agis  que  par  la  peur  ».  Claire  est  sensible  a  Faffec- 
tion,  il  faut  la  traiter  avec  douceur,  lui  montrer  qu*elle  n'est  pas 
iiussi  isolee  qu'elle  le  croit;  si  on  parvient  a  la  faire  pleurer,  elle 
est  guerie  nu  moins  pour  quinze  jours.  Erasme  Darwin  reclamait 
pour  les  malades  tourment^s  par  une  obsession  amoureuse  \(  Tc- 
motion  du  saut  de  Leucade^  »;  ce  serait  pent- etre  un  peu  excessif, 

1.  £rasinc  Darwin,  Zoonomie,  IV,  p.  9a. 


714  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

mais  il  faut  leur  recommander  tout  ce  qui  les  excite  et  determine 
chez  eux  une  Amotion. 

On  peut  s'6tonner  que  le  m^decin  r^ussisse  par  son  attitude,  par 
sa  parole,  a  determiner  des  Amotions  intenses,  tandis  que  les 
<^venements  reels  qui  devraient  avoir  bien  plus  d'influence  sur  le 
nialade  le  laissent  indiff(6rent.  On  peut  demander  surtout  com- 
ment cetle  Amotion  d^termin^e  artificiellement  peut  ^tre  utile  au 
malade,  tandis  qu'il  souffre  d'ordinaire  d'une  emotivite  excessive 
qui  rend  les  autres  Amotions  dangereuses.  C'est  la  difference  de 
Tart  et  de  la  r^alite,  Tart  est  capable  de  determiner  des  Amotions 
plus  fortes  que  la  r^alite  elle-meme  et  surtout  des  emotions 
mieux  adapt^es  et  plus  elev^es.  Voici  une  observation  qui  m'a 
beaucoup  frappe  et  qui  me  parait  fort  instructive.  Af...,  jeune 
homme  de  28  ans,  d^ja  neurasth^nique  et  engourdi,  indifferent  a 
tout  si  ce  n'est  a  ses  preoccupations  hypocondriaques,  s'est 
trouve  mele  a  une  triste  aventure.  II  est  entre  le  premier  dans  la 
chambre  d'un  voisin  qui,  a  la  suite  d'un  delire^  venait  de  se 
pendre.  Af...  connaissait  ledesir  de  suicide  de  ce  voisin  et  sa 
triste  situation,  il  s^attendait  a  ce  suicide  comme  les  autres  per- 
sonnes  de  la  maison,  aussi  resta-t-il  tres  indifferent.  II  coupa  la 
corde,  etendit  le  cadavre  sur  le  plancher  et  sortit  tr^s  calme, 
sans  aucune  emotion.  Toute  la  journee  suivante,  il  continua  a  ge* 
mir  sur  son  propre  sort  et  sur  ses  maladies  imaginaires  sans  se 
preoccuper  une  seule  fois  du  triste  spectacle  qu'il  avait  vu  le 
matin.  Le  lendemain,  il  lut  dans  le  Petit  Journal  Ic  recit  de  ce 
suicide  :  le  journaliste  avait  decrit  la  chambre  en  desordre,  ia 
corde  fatale,  la  figure  convulsee  du  malheureux  et  son  recit  etait 
tres  dramatique.  Af...  fut  stupefait  en  lisant  cet  article  :  c<  Com- 
ment c'etait  la  la  scene  a  laquelle  il  avait  assiste  la  veille  le  pre- 
mier de  tous,  il  ne  se  doutait  pas  que  ce  fiit  si  affreux.  »  Cette 
lecture  Timpressionna  d'une  maniere  tres  vive,  lui  enleva  sa  tor- 
peur,  le  rendit  plus  actif  et  lui  fit  oublier  pendant  plus  de  deux 
mois  son  hypocondrie.  Ce  petit  exemple  montre  d'une  maniere 
saisissante  comment  les  psychastheniques  ont  besoin  qu'on  les  aide 
pour  parvenir  a  Temotion  precise  et  comment  il  est  possible  de 
les  aider  dans  ce  sens. 

Le  medecin  ne  se  borne  pas  a  exciter  Temotion,  il  la  dirige 
et  la  developpe ;  il  en  surveille  les  manifestations  pour  arreter  et 
empecher  les  derivations.  C'est  une  veritable  reeducation  de 
remotion  qui  cherche  a  substituer  aux  ruminations,   aux  agita- 


TRAITEMENT  MORAL  715 

tions,  aux  angoisses  ^I^mentaires  des  Amotions  hi^rarchiquement 
superieures.  Le  malade  doit  se  prater  a  ce  travail  et,  quoique  cela 
semble  singulier,  faire  des  efforts  pour  arriver  a  des  emotions 
precises. 

5.  —  La  direction  des  efforts^   la  reeducation  de  ['attention, 

Je  viens  de  dire  que  le  malade  doit  faire  effort.  II  ne  faut  pas 
«e  (igurer,  en  effet,  comme  on  le  croit  trop  souvent  et  comme  les 
sujets  sont  les  premiers  a  le  croire,  que  la  volont6  personhelle 
du  malade  soit  sans  action  sur  ces  phenomenes  dont  on  a  tres 
mal  compris  a  mon  avis  la  pr^tendue  irr^sistibilite.  Les  obsd- 
dds  ont  beaucoup  plus  d'action  sur  leur  maladie  que  n*en  ont 
les  hysteriques  pr^cisement  parce  quMl  y  a  chez  eux  beau- 
coup  moins  d^automatisme.  En  ^tudiant  les  oscillations  du  niveau 
mental  nous  avons  vu  cette  influence  considerable  des  efforts  dc 
la  volonte  et  de  Tattention,  il  Taut  encore  faire  servir  cette  in- 
fluence au  traitement. 

Dans  des  cas  particulierement  heureux  et  rares,  il  suffit  de 
faire  comprendre  au  malade  quelle  est  au  fond  sa  maladie  et  com- 
ment il  pent  en  sortir.  La  gu^rison  deWy...,  jeune  homme  de 
120  ans,  apres  une  simple  indication  de  ce  genre,  m'a  caus^  une 
reelle  surprise.  Ce  jeune  homme  est  venu  me  raconter  ses  mi- 
seres  :  depuis  plus  de  cinq  ans  il  etait  accable  par  des  scrupules 
genitaux  insens^s.  Tourment^par  la  pens6e  des  organes  genitaux, 
il  croyait  les  voir  chez  les  hommes  et  chez  les  femmes,  il  s^ima- 
ginait  assister  a  des  scenes  lubriques  meme  dans  sa  famille  et  it 
prenait  en  horreur  son  pfere  et  sa  mere.  Effray^  par  ses  propres 
organes,  il  leur  trouvait  une  grosseur,  une  odeur  toute  particu- 
Here  que  tout  le  monde  devait  remarquer  ;  il  avait  pris  peu  a 
peu  une  foule  de  tics  qui  primitivement  avaient  pour  but  de 
dissimuler  ses  parties  et  qui  amenaient  des  contorsions  perp^- 
tuellcs  du  tronc  et  des  jambes.  Je  lui  expliquais  ce  que  je 
pensais  de  cette  maladie,  son  point  de  depart  dans  le  d6faut 
d'^nergie  de  Tattention  et  de  la  volonte,  la  perte  du  contact  avec 
le  r^el,  la  reverie  et  la  rumination,  Tinquietude  et  le  m<5conten- 
tement,  puis  une  interpretation  quelconque  qui  donnait  un  pre- 
texte  aux  ruminations  et  auxangoisses.  Apres  avoir  r^flechi,  ilfinit 
par  me  dire  :  «  II  y  a  longtemps  que  je  me  doutais  de  tout  cela, 
mais  j'ai  fini  par  ^carter  cette  idee,  d'abord  parce  qu'onm'a  rep^t^ 


716  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

que  j'^tais  neurasth^nique  et  puisque  parce  que  cette  idee  m*au- 
rait  impose  des  efforts  p^nibles.  »  En  raison  de  sa  situation,  ce 
gargon  ne  pouvait  suivre  un  traitement  r^gulier  et  je  ne  Tai  revu 
qu'un  an  apres.  «  En  vous  quittant,  me  dit-il,  j'ai  voulu  gu^rir  et 
je  me  suis  mis  au  travail  :  cela  a  H6  dur,  mais  j'ai  r6ussi  et  depuis 
plus  de  six  mois  je  ne  pense  plus  du  tout  a  mes  b^tises  ».  II  se 
pent  qu'il  y  ait  plus  tarddes  rechutes,  c'est  m^me  probable  ;  mais 
cette  gu^rison  d*une  longue  crise  par  les  efiorts  du  malade  seul 
et  livre  a  lui-meme  est  bien  remarquable. 

Le  plus  souvent,  il  nous  faut  diriger  et  exciter  perp6tuelle> 
ment  Teffort  du  malade,  dans  quel  sens  doit-on  le  diriger  ? 
D*abord,  je  ne  crois  pas  que  Ton  doive  pousser  le  sujet  a  lutter 
directement  contre  son  id^e  fixe,  il  n*arriverait  qu*a  des  rumina- 
tions semblables  a  celles  qu'il  fait  depuis  longtemps.  II  faut 
redouter  ^norm^ment  les  efforts  faux^  les  crises  d*efforts  qui  ne 
sont  que  de  I'agitation  physique  et  morale  sterile,  qui  ne  sont  que 
des  derivations,  et  non  de  la  veritable  tension  mentale.  II  faut 
amener  le  sujet  a  faire  des  efforts  physiques  ou  moraux  quel- 
conques  en  dehors  du  sujet  ordinaire  de  leurs  meditations,  en  ne 
se  proposant  qu'un  seul  but  qui  est  de  se  rapprocher  du  reel  au- 
tant  que  possible. 

L^effort  pour  un  exercice  physique  est  excellent,  j'ai  deja  si- 
gnals quatre  maladcs  gu^ris  pendant  plusieurs  annees  par  les 
exercices  militaires  aussi  bien  que  par  la  discipline  du  regiment. 
Le  jardinage,  la  bicyclette  chez  Bov^...,  les  travaux  du  manage 
chez  Al...,  la  gymnastique  chez  beaucoup  ont  eu  d*excellents 
effets ;  voici  plus  de  dix  ans  que  j'ai  eu  Toccasion  de  gu^rir  des 
tics  physiques  aussi  bien  que  des  tics  moraux  en  for^ant  le  ma- 
lade suit  a  maintenir  Timmobilite,  soit  a  faire  des  mouvements 
precis,  des  actes  physiques  energiques  ou  delicats  avec  attention 
et  avec  effort.  II  se  peut  comme  le  ditM.  Lagrange,  que  la  gym- 
nastique permette  a  ces  malades  d^eliminer  leurs  toxines ',  il  est 
possible  qu'elle  contribue  a  Taugmentation  du  tonus  muscu- 
laire,  element  important  de  la  coenesthesie  comme  le  remarque 
M.  Hartenberg^.  Mais  a  ces  influences  physiques  s*ajoute  une 
influence  morale  ^normc,  qui  joue  un  role  infiniment  plus  consi- 


1.  Lagrange,   Lti   mouvements  methodiques  et   la  mecanotherapie,    1899,  .p.   4t^ 
(Paris.  F.  Alcan). 

2.  Hartenberg,  Les  timides  et  la  Timidite,  p.  a33  (Paris  F.  Alcan). 


TRAITEMENT  MORAL  717 

durable  et  qui  est  en  rapport  avec  Texercice  de  Tattention,  avec 
le  sentiment  de  l^^nergie  morale  d^pens6e  utilement,  avec  le  sen- 
timent du  danger  surmont6.  M.  C.  Th.Ewart  dans  un  article 
curieux  avait  d^ja  remarqu^  «  les  bons  effets  du  velocipede  dans 
(^alienation  mentale  ^  ».  Mais  il  ne  parle  que  de  la  distraction 
que  cet  exercice  procure.  Quand  j'ai  remarque  a  mon  tour  les 
bons  eflets  de  Texercice  de  la  bicyclette  chez  les  obs^d^s,  chez  les 
tiqueurs  ou  les  angoiss^s,  j*ai  note  que  ce  bon  efiet  se  manifeste 
surtout  au  d^but,  quand  ils  commencent  cet  exercice  et  n'y  sont 
pas  encore  trop  habitues  ;  je  crois  que  cet  exercice  vaut  surtout 
par  TefiFort  d'attention  qu'il  exige,  par  la  difficult6  qu'il  faut 
vaincre  et  par  la  satisfaction  d'avoir  traverse  un  petit  danger  qu'il 
procure  a  ces  timores. 

En  dehors  des  efforts  physiques  proprement  dits,  il  faut  exci- 
ter tons  les  efforts  moraux,  en  premier  lieu  il  faut  essayer  de  res- 
taurer  graduellement  le  travail  et  surtout  le  travail  professionnel. 
M.  Marro  a  ecrit  quelques  pages  remarquables  sur  Tinfluence  du 
travail  et  surtout  du  travail  remunere  chez  les  neurasth6niques 
deg^n^r^s '.  Arriver  a  leur  faire  gagner  quelque  chose  par  leur 
travail  personnel,  c'es^t  souvent  determiner  chez  eux  une  excita- 
tion extraordinaire  de  la  volonte.  On  ne  se  figure  pas  ce  que  Ton 
pent  obtenir  de  Jean,  en  lui  faisant  faire,  pour  une  revue,  un 
petit  compte  rendu  paye  quelques  sous  :  il  est  si  heureux  de 
gagner   quelque  chose  qu'il  en  oublie  la  meningite  et  le  diabete. 

Un  autre  effort  essentiel  doit  etre  dirige  vers  les  actions  so- 
ciales,  si  importantes  chez  les  abouliques.  II  faut  arriver  a  faire 
parler  les  malades  renferoies,  les  habituer  a  exprimer  leurs  pen- 
s^es  et  surtout  a  d^m^ler  leurs  sentiments  confus  pour  en  faire 
part  a  d'autres  personnes.  Plusieurs  auteurs  ont  justement  note 
Tamelioration  que  presentent  les  malades  quand  ils  r^ussissent  a 
se  faire  comprendre :  M.  A.  de  Jong',  M.  Tuczek*  remarquent 
combien  Faveu  precis  est  pour  les  obs^des  un  soulagement, 
M.  Claparede^  est  etonne  de  voir  que  sa  malade  ereutophobe  gu^rit 


1.  C.-Th.  Ewart,    Le   v^locipMe   dans  ralienation   mentale.    Journal  oj  mental 
Science f  juillet  1890. 

a.  Marro,  La  puberte,  p.  4o3. 

3.  Ariedc  Jong.  Coinptes  rendus  du  Congres  de  medecine  de  AIoscou,  1887,  IV,  p.  gO. 

4.  Tuczek.  Berlin.  Klin.   Woschenschrift,  1869,  p.  119. 

5.  Claparedc,  Archives  de  psychologie  de  la  Suisse  Romande,  1903,  p.  33o. 


718  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

quand  elle  a  racoute  son  histoire.  Kl...,  Claire  sont  tout  a  fait 
transform^es  quand  on  est  arriv6  a  les  faire  parler  nettement.  II 
est  clair  que  cette  meme  parole  ne  ferait  aucun  bien  a  Jean  qui 
parle  toujours  indeGniment,  tandis  qu'il  est  am^lior^  par  u[> 
effort  de  travail.  II  faut  toujours  demander  au  malade  ce  qui  n'est 
pas  chez  lui  un  ph^nom^ne  de  derivation,  ce  qui  lui  est  difficile^ 
nBn  de  determiner  un  effort  qui  remonte  la  tension  morale. 

Le  defaut  d'attention  joue  dans  cette  maladie  un  role  essentieU 
c'est  contre  lui  que  Ton  doit  surtout  diriger  les  efforts  du  malade. 
M.  Edw.  D.  Angell  le  remarque  bien  quand  il  dit  que  «  le  traite- 
ment  doit  etre  avant  tout  dirige  de  mani^re  a  d^velopper  le  pou- 
voir  de  Tattention  *  ».  Voici  bien  des  annees  que  j'insiste  sur  cette 
reeducation  de  Tattention  chez  les  hyst^riques  et  chez  les  psy- 
chasth^niques. 

On  pent  choisir  toute  espece  de  travaux  intellectuels  suivant 
Tage  et  la  situation  sociale  des  malades,  en  cherchant  toujours  a 
faire  faire  un  travail  qui  interesse  au  moins  un  pen  et  qui  offre 
un  peu  de  difficulte  pour  qu'il  ne  soit  pas  fait  d*une  maniere  au- 
tomatique.  II  ne  suflit  pas  de  faire  lire  le  journal  d'une  maniere 
distraite,  je  crois  n6cessaire  au  moins  dans  ces  cas  graves  de  faire 
surveiller  sans  cesse  cette  lecture  et  de  faire  interroger  le  ma- 
lade au  bout  de  peu  d'instants  sur  ce  qu*il  vient  de  lire,  pour  le 
forcer  a  suivre  et  a  comprendre  ce  qu'il  lit.  En  g^n^ral,  dans  des 
cas  de  ce  genre,  il  ne  faut  pas  prolonger  les  premiers  efforts 
d*attention  au  dela  de  quelques  minutes.  Kl...  dirigeait  son 
attention  sur  la  musique  et  si  elle  parvenait  a  surmonter  Tener- 
vement  que  la  musique  lui  causait  d'abord,  c'est-a-dire  si  elle 
parvenait  a  supprimer  la  derivation  qui  se  produisait  au  debut  des 
efforts  d'attention,  elle  se  trouvait  ensuite  beaucoup  mieux.  Nadia 
trop  musicienne  pour  faire  des  efforts  sur  son  piano  s'interessa 
au  dessin  et  a  la  broderie  et  retrouva  souvent  le  calme  d*une  fa- 
con  bizarre  en  apprenant  a  faire  des  travaux  difficiles  a  Taiguille. 
Le  dessin  et  la  peinture  ont  ete  la  grande  ressource  de  Claire  et 
de  Vi...  L'etude  des  langues  etrangeres  ont  rendu  de  grands  ser- 
vices a  Gisfele,  a  Lise,  a  Bow...,  a  Pot...,  etc.  Ces  travaux  ne 
s'accomplissent  en  general  d'une  maniere  a  peu  pr^s  correcte  que 
pendant  tres  peu  de  temps,  puis  il  faut  que  le  mddecin  parle  de 
nouveau  au  sujet,  le  gronde,  Tencourage,   fixe   lui-m^me  Tatten- 

1.  £dw.  B.  Angcll.  Journal  of  nervous  and  menial  disease,  bqM  1900. 


TRAITEMENT  MORAL  7il) 

tion  sur  les  mouvements,  sur  les  sensations,  sur  le  souvenir  des 
choses  qui  viennent  d'etre  ^tudiees,  niaintienne  le  sujet  en  ha- 
leine  et  le  remonte  :  Texpression  devient  ici  tout  a  fait  juste. 

Si  la  maladie  est  l^gere,  le  sujet  prend  Thabitude  d'etre  ainsi 
remonte,  de  se  maintenir  a  un  niveau  plus  ^lev^  ;  Tabaissement 
mental  disparait  et  avec  lui  les  agitations  et  les  obsessions.  Si 
la  maladie  est  constitutionnelle,  si  elle  est  grave,  le  sujet  se  fa- 
tigue de  cet  effort  perp^tuel,  il  ne  peut  plus  le  faire  sans 
retomber  dans  ses  tics  et  ses  ruminations,  nous  avons  vu  com- 
ment Lise  est  fatigu^e  d'allcr  bien,  comment  elle  cprouve  des 
besoins  de  rechute  :  «  cela  me  fatigue  trop  de  lire,  sans  avoir  une 
autre  id^e  en  tete,  je  ne  puis  plus  continuer  ».  Ces  sujets  ont 
toujours  besoin  d'etre  remontes  par  des  excitations  diverses,  des 
Amotions  varices  et  le  role  du  m^decin  se  rapproche  de  celui  du 
directeur  de  conscience  qui  se  borne  a  donner  les  solutions,  a 
supplier  a  la  volonte  insuflisante.  Autant  que  possible,  il  ne  faut 
pas  se  contenter  de  ce  role,  il  faut,  en  repondant  aux  questions, 
en  dissipant  les  inquietudes,  essayer  chaque  fois  d^exciter  Tacti- 
vite  du  malade,  de  la  rapprocher  du  r^el.  De  cette  fagon,  on  le 
maintient  a  un  niveau  moyen  beaucoup  plus  ^lev^  que  celui  qu'il 
aurait  spontanement,  et  on  enraye  le  developpement  de  la  ma- 
ladie dans  sa  tendance  la  plus  funeste,  celle  qui  entraine  vers 
Tinertie  et  Tisolement. 

Je  crois  que  c'est  a  cette  forme  de  traitement  que  se  rappor- 
tent,  quelquefois  m^me  a  Tinsu  des  auteurs,  la  plupart  des  pro- 
c6d6s  th^rapeutiques  qui  ont  eu  quelque  succes.  Nous  avons  vu 
que  la  stance  d*hypnotisme  agissait  au  d^but  chez  Tobs^de  par 
r^motion  qu'elle  determine  ;  elle  agit  ensuite  et  plus  encore  par 
Teffort  et  Tattention  qu'elle  demande.  On  exige  du  sujet  qu'il 
reste  immobile,  les  yeux  ferm^s  en  cherchant  le  sommeil  :  le  su- 
jet, qui  ne  s'endort  pas  du  tout  automatiquement  comme  Thys- 
t^rique,  fait  tout  cela  par  ob^issance,  parce  qu*il  croit  au  traite- 
ment, c*est  pour  lui  un  gros  effort.  On  lui  demande  ensuite,  sous 
pr^texte  de  suggestion,  des  mouvements,  des  attitudes  plus  ou 
moins  prolong^es,  et  il  essaye  de  les  r^aliser  :  Tattention  et  Tef- 
fort  sont  d'autant  plus  grands  qu*il  se  figure  faire  des  mouvement 
d'un  caractere  extraordinaire,  qu'il  surveille  ses  muscles  plus  que 
jamais.  Lise,  comme  je  Tai  dit,  se  trouvait  fort  am^lior6e  par  des 
contractures  sugg^r^es  :  en  r^alit^  ces  pretendues  contractures 


720  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

«taient  de  grands  efforts  qu*elle  faisait  pour  raidir  ses  membres  et 
meme  tout  son  corps.  «  C*est  singulier,  disait-elle,  pendant  qne 
vous  me  suggerez  des  tremblements  ou  des  contractures,  je  ne  puis 
plus  suivre  mes  idees  (ruminations  sur  le  sacrilege),  elles  cessent 
<le  me  tourmenter,  tandis  que  pendant  mes  roouvements  ordi- 
naires  elles  continuent  toujours  ».  Bien  entendu,  ses  idees  cessaient 
parce  qu^elle  se  donnait  tout  entiere  a  un  efibrt  gymnastiqae 
intense  qui  la  mettait  en  sueur,  parce  qu'elle  s'elevait  assez  aux  ph^- 
nom^nes  sup^rieurs  pour  quMl  n'y  eiit  plus  de  derivations.  On  sug- 
gereaussi  au  sujetdes  hallucinations,  des  reves  et,  comnie  ceux-ci 
se  d^veloppent  pas  tout  seuls,  il  faut  encore  un  effort  intense  d*ima- 
gination  etsurtout  d'attention  qui  amene  la  meme  tension  et  releve 
le  niveau  de  Tesprit.  Lise  et  Claire  sont  transform^es  par  les  efforts 
qu'elles  fontpour  avoir  Thallucination  d'une  rose,  c'est-a-dire  tout 
simplement  pour  se  la  repr^senter  d'une  maniere  nette  et  reelle. 
Enfin,  pendant  cette  pr^tendue  hypnose,  on  dirige  Tattention  sur 
des  id^es  et  Ton  force  le  sujet  a  les  comprendre  beaucoup  plus 
clairement  qu*a  Tordinaire.  En  un  mot,jecrois  que  le  m^canisme 
du  traitementpar  Thypnose  dans  ces  cas  de  psychashenie  n'estpas 
autre  chose  que  Texcitation  de  Tattention,  la  direction  et  la  ree- 
ducation de  la  volont^  :  il  en  est  peut-etre  quelquefois  de  meme 
dans  rhyst^rie  mais  plus  rarement,  car  ici  d*autres  mecanismes 
s^ajoutenta  celui-la. 

Certains  auteurs  proposent  un  traitement  qui,  au  premier 
abord,  6tonne  un  peu.  M.  Tissi<i  nous  dit  qu'il  gudrit  des  obses- 
sions et  des  phobies  par  la  gymnastique  su^doise^  M.  Thuli^  pro- 
pose tres  justement  de  discipliner  les  jeunes  d^g6n6r6s  en  les 
habituant  a  la  gymnastique  d'ensemble^.  M.  Pitres  et  M.  Tissi^ 
pr6sentent  un  malade  psychasthenique  avec  des  tics  et  des  toux 
spasmodiques  gu^ri  par  la  gymnastique  m6dicale  respiratoire  ^ 
11  est  bien  entendu  que  la  gymnastique  n*agit  pas  ici  directement 
mais  indirectement  par  les  influences  que  je  viens  d^indiquer. 

L'interpr^tation  des  effets  th6rapeutiquesa  sembl^  quelquefois 

1 .  Tissie,  Traitement  de  quelqucs  phobies  par  la  gymnastique  su^oise.  CongrH 
■des  alUnistes  et  neurologistes.  Bordeaux,  aoM  1896. 

2.  M.  Thulie,  Le  dressage  dei  jeunes  degeneres  on  orthophrenopedie,  1900  (Paris, 
F.  Alcan). 

3.  Tissie,  Clinique  de  gymnastique  midicale  psjchodynamique,  1899.  ■^*  P*tres,  Tict 
eonvulsifs  generalises  (choree  electrique  de  Bergeron -Henoch,  Electrolepsie  de  Tor- 
deus  ou  n^vrosc  convulsive  rylhmce  de  Guerlin),  traitcs  et  gueris  par  la  gymnastique 
rcspiratoire.  SocietS  de  medecine  et  de  rhirurgie  de  Bordeaux,  at  d^cembre  1900. 


TRAITEMENT  MORAL  721 

plus  delicate  a  propos  de  certaines  tentalives  tres  interessantes  de 
gu^risons  des  tics.  Trousseau  proposatt  pour  guerir  les  tics  (c  une 
gymnastique  ordonnee  des  muscles  aifectes  de  convulsions  ».  Char* 
cot^  parle  «  d*une  gymnastique  rationnelle  ».  M.  Letulle  reclame 
une  gymnastique  sp^ciale  en  remarquantd'ailleurs  «  qu*il  faut  main- 
tenir  le  moral,  soutenir  le  courage  et  les  efforts  du  patient'  ». 
M.  Brissaud  dans  un  grand  nombre  de  travaux',  M.  Bom- 
paire*,  M.  Popoff^  M.  P.  Montaigne*  MM.  II.  Meige  et  E.  Fein- 
del  ^  ont  pr^conis^  un  traitement  en  apparence  plus  precis  par 
((  la  reeducation  de  Timmobilite  etles  mouvements  antagonistes  ». 
Plusieurs  de  ces  auteurs  semblent  croire  que  ce  traitement  gym- 
nastique agit  directement  sur  le  tic  qu'il  s'agit  essentiellement 
d*un  traitement  des  muscles  ou  de  la  fonction  nerveuse  pro^ 
prement  motrice. 

M.  Dubois  (de  Saujon)  a  poursuivi  depuis  1896  avec  le  plus 
grand  soin  le  traitement  de  quelquestiqueurs.  Ildresseces  malades 
a  rester  absolument  immobiles pendant  un  temps  determine',  il 
obtient  des  gu^risons  remarquables  et  remarque  que  les  phobies 
s'ameliorent  en  meme  temps  que  les  tics.  M.  Dubois  ne  cherchc 
pas  les  mouvements  antagonistes,  il  ne  cherche  que  Teffort  d'at- 
tention  vers  «  Timage  du  repos,  de  Timmobilite  absolue,  mais  de 
rimmobilite  consentie,  \>oulue  ».  Comme  Tauteur  le  remarque 
aimablement,  cette  interpretation  se  rattache  a  la  conception  que 
nous  soutenons  depuis  longtemps  de  Timportance  des  exercices 
de  Tattention  chez  les  nevropathes.  A  mon  avis,  ces  traitements  des 
tics,  qu'il  s'agisse  de  la  gymnastique  generale,  d*un  exercice  des 
mouvements  antagonistes,    de  la    reeducation    de   Timmobilite, 


I.  Charcot,  Lemons  du  mardi,  1888-89,  p.  ^69. 

a.  Letulle,  article  «  tics  »  du  Dictionnaire  de  Jaccond. 

3.  Brissaud,  Tics  el  spasmes  cloniques  de  la  face.  Lemons  k  la  Sal|)^tri&re,  8  dc- 
cembre  1898.  Journal  de  medeeine  el  de  chirurgie  pratiques,  a5  Janvier  1894.  — 
Contrc  le  traitement  chinirgical  du  torticolis  mental.  Revue  neurologique,  3o  Jan- 
vier 1897. 

4.  Bompaire,  Le  torticolis  mental.  These,  Paris,  1894. 

5.  Popofl*.  Le  torticolis  psychique.  Revue  neurologique ,  1900,  p.  392. 

6.  P.  Montaigne,  l^tude  sur  le  torticolis  mental  et  son  traitement.  Thtse,  Paris. 
1900. 

7.  E.  Feindel,  Le  torticolis  ct  son  traitement.  Nouvelle  Iconographie  de  la  Salpe- 
triire,  1897,  n®  6.  H.  Meige  et  E.  Feindel,  Traitement  des  tics.  Presse  midicale, 
t6  mars  1901.  Gazette  des  hdpitaux,  11  juin  1901.  Journal  de  midecine  et  de 
chirurgie  pratiques ^  a5  ao6t  1901. 

8.  Dubois  (de  Saujon).  Societe  de  therapeutifjue,  27  mars  1901. 

LES  OBSESSIO.NS.  I.   46 


722  DIAGNOSTIC  ET  TRAITEMENT 

r^ussissent  tous  ^galement  bien,  mais  a  une  conditioD,  c^est  que 
le  medccin  par  son  autorite,  par  son  influence  r^ussissea  obtenir 
du  sujet  des  efTorts  volontalres,  de  Tattentiony  des  Amotions 
meme,  en  un  mot  de  Tadaptation  a  une  situation  donn^e.  C'est 
toujours  en  r^alit^  la  meme  gymnastique  fondamentale. 

Si  nous  passons  aux  traitements  de  Tobsession  proprementdite, 
nous  voyons  qu^autrefois  on  conseillait  souvent  les  voyages,  les 
distractions.  Ce  proc^de  ne  me  parait  pas  toujours  bon  :  souvent 
le  psychasthenique  est  trop  malade  pour  tirer  un  benefice  d'un 
voyage,  il  est  incapable  de  percevoir  des  objets  et  des  situations 
trop  varices,  on  risque  de  determiner  simplemcnt  par  ce  proc6d^ 
de  la  fatigue  et  une  augmentation  de  Tabaissement  mental.  Mais 
quand  ce  proc^d^  r^ussit,  c*est  que  le  sujet  l^gerement  atteint 
a  ^t^  excite  par  la  nouveaut^  des  spectacles  et  a  pr^t^  aux  choses 
une  plus  grande  attention. 

Legrand  du  Saulle^  note  Tinfluence  heureuse  du  travail  intel- 
lectuel,  de  la  recitation  de  morceaux  appris  par  coeur.  Azaoi  * 
remarque  Timportance  «  d'une  occupation  quelconque  qui  est 
une  des  n^cessit^s  de  Texistence.  Faute  d'aliments,  Tesprit  hu- 
main  se  d6vore  lui-m^me  ».  Cette  therapeutique  par  le  travail 
mental  ^chouera  ou  r^ussira  suivant  la  fagon  dont  elle  sera  com- 
prise, elle  n'a  de  valeur  que  par  Teffort  qu'elle  exige  pour  tendre 
Tattention. 

Legrand  du  Saulle  ^  parle  aussi  a  plusieurs  reprises  de  malades 
gu^ris  de  leurs  phobies  en  les  aguerrissant  peu  a  peu  contre  la 
peur  de  Tespace.  Cette  therapeutique  qui  habitue  le  malade  a 
lutter  contre  son  Amotion  a  ete reprise  r^cemment  par  MM.  Harten- 
berg  et  Valentin  *.  Je  crois  que  c'est  toujours  au  fond  le  meme 
traitement  dirig^  suivant  les  preferences  des  auteurs  dans  tel  ou 
tel  sens;  je  remarque  seulement  qu*il  n*est  gu^re  possible  de  de- 
mander  tout  de  suite  au  malade  des  efforts  contre  sa  phobic 
principale.  On  risque  de  n'obtenir  ainsi  que  des  phenomenes  de 
derivation.  Apres  une  education  plus  generate  de  la  volonte  et  de 
Tattcntion,  cette  lutte  contre  la  phobic  deviendra  une  gymnas- 
tique excellente  et  facile. 

En  un  mot,  tons  ces  divers   traitements  rentrent  dans  ce  que 

I.  Legrand  du  Saulle,  La  Folic  du  doule,  p.   ii. 

a.  Azam,  Les  toques.  Ftevue  scientifique,  1891,  L  p.  6a i. 

3.  Le^'rand  du  Saulle,  Agoraphobic,  p.  68. 

4.  P.  Valentin,  Revue  dc  psychologic  clinique  et  Ihirapeutique,  mai  1901. 


TRAITEMENT  MORAL  723 

M.  Bernheim  appelait  tres  bien  entrainement  suggestif  actif,  dy- 
namog^nie  psychique^ ;  ils  ne  sont  que  diverses  formes  de  cette 
th^rapeutique  que  jedecrisdepuis  une  dizaine  d*ann^es  comme  la 
reconstitutioD  graduelle  des  fonctlons  de  synthese  mentale.  Je 
crois  Tavoir  encore  pr^cis^e  dans  ce  livre  par  les  Etudes  sur  le 
r6tablissenient  de  la  tension  psychologiquesuffisante.  Ajout^e  aux 
traitements  physiques  et  moraux  precedents,  combin^e  avec 
une  direction  morale  qui  supprime  les  complications  et  qui  facilite 
la  tache  du  malade,  cette  excitation  mentale  par  T^motion,  les 
efforts  de  volont^  et  Tattention  est  la  meilleure  th^rapeutique  que 
nous  puissions  actuellement  diriger  contre  la  maladie  des  obses- 
sions. EUe  a  sans  doute  de  gros  inconvenients  :  elle  est  lente  et 
pent  durer  des  ann^es,  elle  est  plutot  une  education  qu'un  traite- 
ment  medical,  elle  est  peu  precise  et  laisse  ^norm^ment  a  Tinitia- 
tive  du  m^decin,  elle  exige  de  celui-ci  beaucoup  de  temps  et  un 
effort  ^norme  d'^ndrgie  que  ne  peuvent  s^imaginer  ceux  qui  n'ont 
pas  essay6  de  Tappliquereux-memes.  Mais  elle  est  la  seule  th6ra- 
peutique  qui  puisse  aujourd'hui  modifier  d*une  fagon  heureuse 
quelques-uns  de  ces  esprits  insuffisamment  adapt^s  a  la  vie  prati- 
que. II  faut  esp^rer  que  plus  tard  des  traitements  plus  efficaces 
pourront  agir  directenient  sur  la  tension  nerveuse  insuffisante  dont 
nous  ne  savons  encore  aucunement  ni  le  m^canisme,  ni  les  con- 
ditions. 

I.  hernhcim,  Revue  de  inedecine,  1898. 


CONCLUSION 
LA  PLACE  DE  LA  PSYCHASTHfiME  PARMI  LES  PSYCHO-NfiVROSES 


Je  n'essaye  pas  de  refaire  Thistorique  complet  des  Etudes  sur 
ces  etats  psychasth^nlques.  Cet  historique  est  fait  d*une  maniere 
interessante  dans  plusieurs  travaux,  en  particulier  dans  les  arti- 
cles de  M.  Ladame  ^  Je  rappelle  seulement  que  la  premiere 
observation  se  trouve  dans  les  oeuvres  d^Esquirol,  sous  ie  nom  de 
monomanie  raisonnante',  puis  que  les  observations  s*accumulent 
dans  les  travaux  de  Parchappe,  de  Tr6lat,  de  J.  Moreau  (de 
Tours),  de  C.  Pinel,  de  Baillargcr,  des  deux  Falret,  de  Dela- 
siauve,  de  Morel,  de  Marce.  A  partir  de  i860,  les  Etudes  devien- 
nent  bien  plus  nombreuses  et  il  Taut  aussi  signaler  des  travaux 
etrangcrs,  ceux  de  Griesinger,  de  Westphall,  de  Cordes,  de 
S.  Weber,  etc.  Legrand  du  Salle,  puis  M.  Ritti  dans  un  article 
du  dictionnaire  encjxlop^dique,  r^sument  les  travaux  de  ces  divers 
auteurs  et  inaugurent  la  p6riode  contemporaine  dans  laquelle  ce 
syndrome  est  bien  connu  et  dans  laquelle  les  recherches  seront 
dirig^es  du  c6te  de  Tinterpr^tation.  J*ai  deja  etudie  les  diverses 
theories  qui  furent  pr^sent^es,  la  theorie  intellectuelle,  la  theorie 
<^motionnelle,  et  la  theorie  psychasth^nique  ou  la  theorie  de  Tabais- 
sement  de  la  tension  psychologique.  Ce  que  je  desire  ^tudier 
maintenant  chez  ces  auteurs,  ce  ne  sont  plus  les  interpretations 
psychologiques  ou  pathogeniques,  ce  sont  les  interpretations 
m^dicales  et  la  place  qu'ils  attribuent  a  ces  troubles  dans  la  patho- 
logic. 

En  me  placant  a  ce  point  de  vue  il  me  semble  que  ces  etudes 
ont  parcouru  deux  phases  diflerentes  ou  plutot  que  les  patholo- 
gistes  se  sont  pos^  successivement  deux  problemes  un  peu  diflfe- 


I.   Ladatue,  Ann.  med.  psych.,  1890,  H,  890.  Rnme  de  Vhypnoi.,  1891,  p.  i3o. 
a.  EsquiroU  OEavres,  i838,  II,  p.  63  ;  I,  p.  36i. 


L'UNITfi  DU  SYNDROME  725 

rents.  Dans  une  premiere  p<§riode  on  envisage  d*abord  le  pro- 
bleme  de  Tunit^  du  syndrome,  puis  dans  une  seconde  le  pro- 
bl^me  de  sa  nature  au  point  de  vue  medical. 


i.  —  L'unitS  du  syndrome. 

Dans  la  premiere  p^riode  les  observations  recueillies  isol6ment 
semblent  des  curiosit^s  extremement  varices.  Les  observateurs 
sont  surtout  frapp^s  par  les  c^normes  differences  que  pr^sentent 
au  premier  abord  un  obs^d^  qui  a  des  remords,  un  douteur  qui 
s'interroge  sur  la  raison  d'etre  du  monde,  un  impulsif  homicide, 
un  agoraphobe  ou  un  6reutophobe.  C'est  la  p^riode  de  la  multi- 
plicity, et  chaque  auteur  d^couvre  sa  manie  ou  sa  phobic  :  il  y 
en  a  bientot  un  nombre  invraisemblable  et  le  besoin  de  mettre 
quelque  unite  dans  ces  interminables  description  se  fait  sentir. 
Les  premieres  tentatives  d'unification  sont  assez  incoordonn^es  : 
on  etablitle  groupe  des  monomanies  four  tous  les  symptomesintel- 
lectuels,  tantot  on  les  reunit  avec  les  d^Iires  systematis^s  comme 
Marc^,  1862,  qui  confond  le  d6lire  du  toucher  avec  le  d^lire  de 
persecution,  tantot  comme  Delasiauve,  i85g,  on  distingue  ces 
«  pseudo- monomanies  »  des  folies  systematis^es.  On  essaye, 
comme  Parchappe,  i85i,  de  r^unir  quelques-unes  des  phobies 
avec  le  groupe  vague  des  hypocondries.  Morel,  en  1861,  forme 
un  groupe  avec  tous  les  ^motifs.  Berger,  Griesinger,  Falret, 
Legrand  du  Saulle  cherchent  a  constituer  un  groupe  en  r^u- 
nissant  la  folic  du  doute  avec  le  delire  du  toucher,  il  en  fait 
«  une  alienation  partielle  avec  crainte  du  contact  des  objets 
exterieurs  » ;  la  meme  opinion  est  adoptee  par  Falret.  Cette  ten- 
tative etait  particulierement  interessante,  car  elle  r^unissait  les 
symptomes  intellectuels  de  Tobsession  et  les  symptomes  ^mo- 
tionnels  de  la  phobie,  et  cherchait  meme  avec  une  singuliere 
exag^ration  a  etablir  la  succession  reguliere  des  phenomenes. 
Plus  tard  MM.  Ritti,  Krafil-Ebing,  Wille,  Mendel  se  rattachent 
a  la  m^me  opinion.  Cependant  cette  unite  etait  loin  d'etre  admise 
par  tous  les  auteurs  et  loin  d'etre  complete  :  bien  des  impulsions, 
des  manies  et  surtout  les  tics  restaient  en  dehors.  L'unification 
etait  d'autant  plus  difficile  que  Ton  ne  voyait  pas  le  lien  qui  rat- 
tachait  tous  ces  symptomes  les  uns  aux  autres. 


726      LA  PLAGE  DE  LA  PSYCH ASTHfiNIE  PARMI  LES  PSYGHaNfiVROSES 

Je  crois  que  ToBuvre  de  M.  Magnan  a  et^  sur  ce  point  tres 
considerable,  il  n'a  pas  essay^  de  montrer  la  relation  psycholo- 
gique  ou  pathog^nique  des  symptomes,  mais  il  leur  a  trouv^  a 
tous  un  caract^re  commiin,  c'6tait  leur  origine  tr^s  frequemment 
her^ditaire.  Sans  tenir  compte  de  la  diffi^rence  apparente  de 
nature  il  les  a  r^unis  par  ce  seul  caract^re  commun.  Toutes  les 
obsessions,  les  manies,  les  phobies  sont  devenus  les  stigmates 
hereditaires  des  diginires.  Cette  interpretation  referme  des 
points  tr^s  contestabLes,  mais  elle  a  le  grand  m^rite  de  donner 
une  unite  a  des  faits  si  divers,  et  a  ce  point  de  vue  elle  a  ete 
presque  partout  accept^e  ;  on  n'h6site  plus  gu^re  a  consid^rer 
toutes  les  diverses  manies  ou  impulsions  comme  des  apparences 
diverses  d*un  trouble  qui  est  au  fond  toujours  le  meme. 

J'ai  essay e  d'apporter  une  contribution  a  cette  ceuvre  de 
Tunification,  d'abord  en  montrant  dans  chaque  chapitre  les 
relations  cliniques  et  psychologiques  des  differents  sympt6mes 
les  uns  avec  les  autres,  des  diverses  obsessions  entre  elles,  des 
obsessions  avec  les  ph^nom^nes  de  derivation,  les  ruminations, 
les  pbobies,  les  agitations  motrices.  J'ai  essaye  en  outre  de  ratta- 
cher  au  groupe  qui  s'etait  constitue  peu  a  peu  autour  des  anciennes 
monomanies  d'Esquirol,  d*autres  symptdmes  ou  d'autres  groupes 
de  sympt^mes  que  Ton  laissait  a  part  trop  isoles.  En  premier  lieu 
les  tics,  les  torticolis  psychiques,  les  clignements,  les  secousses 
varices  ne  doivent  pas  a  mon  avis  constituer  une  maladie  sp^- 
ciale  appelee  la  maladie  des  tics,  pas  plus  que  les  contractures 
hysteriques  ne  doivent  constituer  la  maladie  des  contractures.  Le 
tic  constitue  un  symptdme  qu*il  s^agit  de  diagnostiquer  :  il  y  a 
des  tics  a  s^parer  des  autres,  ce  sont  les  tics  des  idiots,  des  de- 
ments, le  tic  de  Salaam,  les  tics  de  deglutition  chez  les  epilepti- 
ques,  les  tics  hysteriques,  etc.,  et,  cette  operation  une  fois  faite, 
tous  les  autres  tics  rentrent  dans  les  phenom^nes  de  derivation 
despsychastheniques.  Ensuite  certaines  agitations  en  general  mal 
diagnostiquees  doivent  se  rattacher  au  meme  groupe.  Enfin  la  ne- 
vrose  cerebro-cardlaque  de  Krishaber  ne  me  parait  pas  constituer 
une  maladie,  mais  rentre  dans  un  groupe  de  faits  extremement 
important,  le  groupe  des  sentiments  d'incompletude  qui  se 
rattache  lui-meme  aux  insufEsances  psychologiques  fondamentales 
chez  les  psychastheniques. 

L*interpretation  psychologique  generale  que  j^ai  donnee 
permet    de    comprendre  les  relations  mutuelles  de  ces  pheno- 


INTERPRfiTATION  PATHOLOGIQLE  DU  SYNDROME  727 

m^nes  et  de  voir  la  maniere  dont  ils  derivent  souvent  les  uns  des 
autres. 

J'ai  done  essay^  de  eontinuer  et  de  pr^ciser  cette  oeuvre  de 
groupemeiit  qui  peu  a  peu  a  r^uni  en  un  syndrome  ces  troubles  si 
divers  et  au  premier  abord  si  disparates. 


2.  —  Interpretation  patbologique  du  syndrome. 

Dans  les  periodes  plus  r^centes  se  pose  un  autre  probleme^ 
celui  de  Tinterpretation  qu'il  Taut  donner  a  ce  groupe  ainsi 
constitue,  de  la  place  qu'il  faut  lui  attribuer  dans  la  pathologie. 
Sur  ce  point  les  opinions  ont  ct6  des  plus  diverses.  «  La  folie  du 
doute  est  ainsi,  dit  M.  Ladame,  chez  les  auteurs  contemporains, 
tantot  le  symptome  des  affections  mentales  et  nerveuses  les  plus 
varices,  tantot  un  Episode  psychopathique  de  la  d^g6n6rescence 
hereditaire,  tant6t  une  forme  speciale  de  psychose,  tantot  enGn 
un  simple  trouble  psychique  el^mentaire  qui  releve  de  la  patho- 
logie generale  de  Tali^nation  :  le  doute  n*est  pas  seulement  chez 
les  malades,  il  a  passe  dans  la  science^  ». 

Les  opinions  ne  me  semblent  pas  etre  si  nombreuses  si  on  les 
rapproche  les  unes  des  autres  et  si  on  les  interprete  d'apres  les 
etudes  pr^c^dentes.  Un  premier  groupe  d'auteurs  hesitent  un  peu 
a  considerer  ces  sy  mptomes  psycbastheniques  comme  v^ritablement 
pathologiques.  Ball  quand  il  decrit  la  zone  frontiere  qui  s'^tend 
entre  la  raison  et  la  folie',  Azam,  quand  il  parle  des  tics  intel- 
lectuels,  des  stigmates  psychiques^  remarquent  que  ce  sont  la 
souvent  des  bizarreries  de  caracteres  compatibles  avec  la  raison. 
Scholz,  cit^  par  M.  Ledame^  ne  parle  des  obsessions  qu'a  propos 
des  troubles  ^l^mentaires  de  Tintelligence  et  dit  qu^on  les  rencQU- 
tre  m^me  chez  les  hommes  sains d*esprit.  M.  G.  Savage^  remarque 
que  ce  sont  la  des  predispositions  her^ditairestr^s  fr^quentes  chez 
tout  le  monde.  M.  G^lineau  qui  en  i894decrivaitcertaines  formes 
de  phobies   maladives   revient  a  plusieurs  reprises  sur  ce  qu*il 

I.  Ladamc.  CotvjrH  de  Berlin ,  1890.  Hevue  de  Vhypnot.^  i^Qt.  p.  i3i. 

a.  Ball.  Hevue  scientifique,  i883,  I,  p.  i. 

3.  Azam.  Revue  scientijique,  1891,  I,  p.  618. 

4.  Ladame,  o/>.  cit.,  1891,  p.  i3o. 

5.  G.-II.  Savage,  On  imperative  ideas.  Brainy  1895,  p.  Sa'j. 


728      LA  PLACE  DE  LA  PSYCHASTIlfiNIE  PARMI  LES  PSYClIO-NfiV ROSES 

appelle  les  phobies  essentielles  ^  Ce  sont  des  craintes  bizarres 
inspir^es  par  certains  objets,  par  certains  animaux  ou  par  une  situa- 
tion particuli^re  sur  un  lieu  ^lev^  ;  ce  sont  des  ph^nomenes 
qui  se  rapproehent  du  vertige  ordinaire,  qui  existent  souvent  des 
la  premiere  enfance,  qui  peuvent  quelquefois  etre  h6r6ditaires  et 
qui  existent  chez  des  sujets  ne  pr^sentant  aucune  autre  tare.  Hack 
Tuke,  dans  Tenquete  qu'il  a  commenc^e  dans  le  Brain,  «  tient  a 
mettre  en  relief  la  parfaite  innocuit^  d'un  grand  nombre  d'id^es 
ou  d^actes  imperatifs  chez  des  gens  tres  senses,  par  exemple 
la  peur  de  n*avoirpas  bien  eteint  le  bee  de  gaz,  le  besoin  de  Trap- 
per les  paves  avec  sa  canne,  le  soin  de  marcher  en  6vitant  les 
intervalles  du  dallage,  la  tendance  a  compter  un  certain  nombre 
de  fois  avant  d*accomplir  Tacte  le  plus  simple*  ».  Si  on  poussait 
a  son  terme  la  tendance  indiqu^e  dans  quelques-uns  de  ces  tra- 
vaux  on  serait  dispose  a  considerer  les  obsessions,  les  tics  et  les 
phobies  comme  des  originalit^s  individuelles  qui  n'auraient  rien 
de  pathologique. 

Une  discussion  analogue  a  eu  lieu  il  y  a  quelques  annees  a 
propos  de  Thypnotisme,  quelques  auteurs  voulaient  bien  en  faire 
un  ph^nomene  exceptionnel,  une  particularity  individuelle  anor- 
male,  mais  non  un  ph6nomene  pathologique.  C'est  la  une  querellc 
de  mots  :  la  maladie  ne  peut  que  reproduire  en  les  deformant  des 
ph^nomenes  qui  out  leur  origine  dans  T^tat  normal,  on  retrou- 
vera  done  dans  Tetat  normal  les  vestiges  de  tous  les  phenom^nes 
pathologiques.Pourjugerde  la  nature  d*un  symptome  il  faut  con- 
siderer son  degre  et  ses  consequences  au  point  de  vue  de  la  vie 
individuelle  et  de  la  vie  sociale.  S'il  y  a  a  peu  pres  chez  tous  les 
hommes  des  habitudes,  des  manies  bizarres  r^sultat  de  souvenirs 
d'enfance,  cela  ne  supprime  pas  le  caractere  dangereux  des  v6ri- 
tables  ruminations  ou  des  veritables  phobies,  puisque  celles-ci 
aboutissent,  ainsi  qu*on  Ta  vu,  a  supprimer  toute  activite  de  Tin- 
dividu  et  a  le  retranchercompl^tement  de  la  vie  sociale. 

Une  deuxi^me  opinion,  plus  importante,  ne  veut  pas  non  plus 
faire  du  syndrome  psychasthenique  une  veritable  maladie,  c'est- 
a-dire  un  trouble  accidentel  surajoute  en  quclque  sorte  a  la  vie 
de   rindividu,   ils  le  considerent  comme  un  trouble  ou  comme 


1.  ficliiicau.  Revue  de  Vhypnoiisme,  1897,  p.  5i  et  1899,  p.  79. 

2.  Hack-Tukc.  Hrain,  i8ij\,  p.  i84. 


INTERPRETATION  PATIIOLOGIQUE  DU  SYNDROME  729 

la  manifestation  d*un  trouble  apporte  par  Tindividu  des  sa 
naissance  et  faisant  partie  de  sa  constitution  en  raison  de  ses 
antecedents  h^r^ditaires.  Schiile  en  fait  une  folic  her^ditaire 
simple  dans  le  groupe  des  psychoses  d^g^n^ratives,  KraSt  Ebing 
rattache  aussi  la  folic  du  doute  aux  psychoses  d^generatives, 
Tamburini  en  fait  la  forme  la  plus  el^mentairc  de  la  deg^n^- 
rescence  meutale,  Magnan  surtout  et  tous  les  ali^nistes  qui  se 
rattachent  a  son  6cole  font  de  ces  ph6nom^nes  un  symptome  ^pi- 
sodique  de  la  folie  h^reditaire  des  degen^r^s  \ 

II  y  a  dans  cet  enseignement  quelque  chose  de  tres  juste  c^est  de 
montrerTimportance  de  rh^rddit^  dans  les  conditions  6tiologiques 
de  ces  troubles;  en  outre  I'enseignement  de  M.  Magnan  abeaucoup 
contribue  h  r^unir  tous  ces  sympt6mes  en  un  seul  tout  et  a  faire 
cesser  la  creation  des  innombrables  manies  et  phobies  distinctes. 
Mais  il  me  semble  que  Ton  prepare  des  confusions  si  on  consi- 
dere  la  psychasthenic  comme  une  simple  deg^nerescence  mentale. 

En  efTet  si  on  prend  le  mot  degen6rescence  dans  son  sens  vague 
comme  signifiant    une    diminution,  un    moindre  fonctionnement 
d'un  organe,  cette  opinion  est  ^videmment  juste  mais  elle  est  si 
vague  qu'elle  ne  permet  aucune  distinction  et  peut  s'appliquer  a 
tous  les  troubles  possibles.  MM.   Magnan  et  Legrain   ont  defini 
ainsi  la  degenerescence  «  c'est  Tetat  pathologique  de  Tetre   qui 
comparativement  a  ses  g^nerateurs  les  plus  immediats  est  consti- 
tutionnellement  amoindri  dans  sa  resistance  psycho-physique  et 
ne  realise  qu'incompletement   les    conditions   de  la    lutte    herc- 
ditaire    pour  la   vie  ».  M.  Magri  la  definissait  ainsi:  «  est  d^ge- 
nere  tout  organisme  qui  est  incapable  par  lui-meme,  par  defaut 
organique  et  psychique,  d*a(Brmer  sa  propre  individualite  et  qu 
mene  une  vie  parasitaire,  improductive  et  nuisible  a  la  society  ^  )) 
De  cette  fa^on,  le  psychasth^niquequi  pour  nous  pr^sente  unemoin 
dre  faculty  d*adaptation  a  la  reality  est  evidemment  un  degenere 
Mais  la  paralysie  generale  aussi  est  une  regression  de  Tactivitc 
c^rebrale,  la  confusion  mentale,  I'idiotie  de  meme  emp^che  Tin- 
dividu  de  s*adapter  a  la  reality  et  on  ne  peut  pourtant  pas  con- 
fondre  tous    les   troubles    cer^braux    a    cause    de   ce    caractere 
commun. 


I.  Magnan,    Leyon  sur  la  folie  h^rcditairc.  Ann.  mid.  psych.,  novembre  i88(j, 
|).  45/|.  Cf.  Saury,  Syndromes  episodiques  des  degineres,  1886. 

a.  Fr.  Magri,  La  dcgencrazione  considerata  nella  sue  causa.  Pise,  1891. 


730      LA  PLACE  DE  LA  PSYCHASTHfiNIE  PARMI  LES  PSYCHO-NfiVROSES 

Si  on  prend  ce  mot  d^generescence  d'une  mani^re  plus  precise 
comme  une  mairormation  h^r^ditaire  et  congenitale,  cette  inter— 
pretation  appliqu6e  a  la  psychasthenie  me  pa  rait  tres  contestable. 
Les  troubles  psychasth^niques  peuvent  survenir  tardivement  chez 
des  individus  normaux  a  la  suite  d*une  maladie  infectieuse  ou  de 
violents  troubles  moraux.  D*autre  part,  les  obsessions  proprement 
dites  ne  caract^risent  pas  les  v^ritables  d^g^n^r^s  ne  se  retrou- 
vent  pas  dans  Tetat  mental  des  idiots  et  des  imbeciles,  au  con* 
traire,  comme  le  remarque  M.  Seglas,  elles  sont  d'autant  plus 
rares  que  T^tat  de  d^g^nerescence  est  plus  pro^ond^  Comme  Tout 
remarque  MM.  Pitres  et  R^gis,on  constate  rarement  chez  les  obs6- 
d^s  les  stigmates  physiques  de  la  d^g^n6rescence  qui  devraient 
etre  frequents  si  leur  maladie  n'etait  qu'une  manifestation  de 
leur  deg^nerescence.   » 

Sur  ce  point  voici  comment  on  pent,  si  je  ne  me  trompe^ 
concilier  ces  contradictions.  L'h^r^ditd  est  ici  simplement  pr6- 
disposante,  elle  produit  un  cerveau  dont  la  tension  est  sinon 
faible  du  moins  fragile,  capable  de  s'abaisser  trop  facilement 
sous  les  influences  que  nous  avons  ^tudi^es.  Si  les  autres  cir- 
constances  sont  cependant  favorables,  si  Tesprit  n'a  pas  en  raison 
de  r^ducation  ou  de  Tinstruction  une  trop  grande  etendue,  si  les 
conditions  deprimantes  ne  se  pr^sentent  pas,  cette  faiblesse  de 
tension  ne  se  produira  pas  et  les  troubles  ne  se  manifesteront  pas. 
C'est  la  un  fait  difficile  a  verifier  mais  bien  vraisemblable  :  nous 
voyons  que  deschangements  heureux  du  milieu  gu^rissent  souvent 
des  obsessions  toutes  constitutes.  II  est  bien  probable  que,  si  ces 
circonstances  heureuses  s*^taient  manifestoes  des  le  d^but,  la  mala- 
die n'auraitmeme  pas  apparu.  II  doiten^tre  souvent  ainsi  pour  ces 
enfants  de  families  targes  qui,  gardant  une  vie  aussi  simple  et 
tranquille  que  possible,  ^chappent  au  d^veloppement  des  germes 
qu'ils  portent  en  eux-m^mes.  Pourquoi  d'autres  predisposes 
n*6chapperaient-ils  pas,  grace  a  une  education  bien  comprise? 
Ces  remarques  ne  s'accordent  guere  avec  la  conception  d'une 
d^gen^rescence  dont  le  caractere  propre  est  d'etre  fatale.  Dans 
d*autres  cas  un  ensemble  de  circonstances  facheuses  provoque 
cette  diminution  de  la  tension  psychologique  qui  ^tait  latente, 
donne  naissance  a  des  ph^nomenes  d'insufGsances,  a  des  troubles 
de  derivation  et  constitue  les  6tats  psychastheniques.  Enfin  les 

I.   Seglas,  Mahdies  menialeSt  p.  6i. 


INTERPRCTATION  PATHOLOGIQUE  DU  SYNDROME  731  . 

monies  circonstances  facheuses  mais  plus  graves,  plus  prolong^es 
produiront  Ic  m^me  efiet  sur  des  individus  qui  apportaient  peu  de 
predispositions  cong^nitales. 

Ces  caracteres  sont  ceux  qui  appartiennent  a  toutes  les  mala- 
dies dans  lesquelles  les  predispositions  h^r^ditaires  jouent  un 
r6le.  Puisque  Ton  considere  rhyst^rie,  T^pilepsie,  le  d6lire  des 
persecutions  comme  des  maladies,  il  me  semble  juste  de  dire  de 
menie  que  la  psychasthenie  n^est  pas  uniquementuncbizarreriedu 
caractere  ou  une  deg^nerescence,  mais  que  c'est  une  maladie 
dont  il  reste  a  determiner  le  caractere. 

Tout  en  faisant  de  la  psychasthenic  une  maladie,  beaucoup 
d'auteurs  h^sitent  a  en  faire  une  maladie  sp^ciale  et  distincte  des 
autres,  ils  essayent  de  rattacher  ces  symptomes  a  d^autres  groupes 
pathologiques.  Voici  une  opinion  exprimee  autrefois  par  Bigot 
et  qui  est  encore  reproduite  souvent  d*une  maniere  plus  ou  moins 
explicite  :  a  la  folic  raisonnante,  disait-il,  n*est  ni  un  genre, 
ni  une  espece ,  mais  une  variety  de  la  p6riode  transitoire 
de  la  raisou  au  delire  qui  se  trouve  dans  tons  les  genres  et 
dans  toutes  les  esp^ces  d'ali^nation  mentale  et  qui  m^me  ne  m^- 
rite  ce  nom  de  vari6te  que  lorsque  le  caractere  Equivoque  se  fait 
remnrquer  par  une  trop  longue  dur^e,  qui  laisse  au  second  plan 
la  p^riode  d'^vidence  du  d6lire...,  c'est  une  sorte  de  phase  incer- 
taine  melee  in^galement  de  delire  et  de  raison  \  d  Certainement 
beaucoup  de  maladies  mentales  ont  une  periode  prodromique, 
dans  laquelle  il  y  a  de  la  confusion,  de  la  tristesse,  des  reveries  et 
meme  des  idees  irr^sistibles  dont  le  malade  ne  se  sent  pas  le 
maitre.  Mais  si  on  vcut  bien  faire  Tanalyse  psychologique  de  ces 
prodromes,  on  n'y  verra  pas  les  caracteres  de  rinsutfisance  men- 
tale  de  I'obsede,  de  cette  insuffisance  si  particulifere  qui  ne  porte 
que  sur  les  fonctions  du  r^el  et  qui  laisse  intactes  les  operations 
intellectuclles  proprement  dites.  Dans  les  prodromes  des 
maladies  mentales,  il  y  a  plutot  de  la  confusion  mentale 
ce  qui  est  tout  autre  chose.  En  outre,  on  trouvera  dans  ces  pro- 
dromes les  caracteres  propres  a  la  maladie  mentale  qui  commence : 
la  demence  speciale  de  la  paralysie  generate,  la  douleur  morale 
de  la  melancolie   n'appartiennent  pas  a  la  symptomatologie  des 


I.  V.  Bigot,  Des  periodcs  raisonnantei»  dc  ralicnalion  mciilalc.  lievue  scientifique, 
1877,  I,  |).  1243. 


732      L\  PLACE  DE  LA  PSYCHASTHfiNIE  PARMI  DES  PSYCHO-NfiVROSES 

obsessions.  EnfiD  des  prodromes  ne  peuvent  pas  durer  dix  ans  et 
nous  voyons  I'ensemble  des  symptomes  de  nos  malades  se  mainte- 
nir  dans  le  m^me  sens  pendant  dix  et  vingt  ans. 

Je  n'admettrai  done  pas  non  plus  des  opinions  comme  celle  de 
Lasegue  qui  rattache  les  obsessions  a  la  m^lancolie  perplexe. 
Des  obsedes  peuvent  aboutir  a  la  m^lancolie  anxleuse,  mais  c*est 
la  une  complication  de  leur  maladie  et  Ton  voit  bien  qu*ils  chan- 
gent  alors  de  caract6re:  ils  n'ont  plus  de  veritables  ruminations, 
lis  ne  s^interrogent  plus  v^ritablement,  ils  souffrent  et  g^missent 
avec  une  agitation  vague  qui  a  supprime  les  caracteres  speciaux 
pr^cddents. 

Je  serai  beaucoup  plus  embarrass^  en  presence  des  opinions 
analogues  a  celle  de  M.  Arndt,  de  M.  Morselli  qui  appellent  cette 
maladie  cc  paranoia  rudimentaire  ».  On  pent  dire,  en  eOet,  que  les 
obsessions  sont  tres  voisines  des  delires  syst^matises  en  parti- 
culier  du  delire  de  persecution :  j'ai  d^ja  fait  remarquer  ce  voi- 
sinage.  11  n*en  est  pas  moins  vrai  que  revolution  d'un  ddlire  de 
persecution  avec  la  conviction  allant  jusqu*aux  actes,  la  syst^ma- 
tisation  croissante,  les  hallucinations  auditives  est  loin  d*etre  la 
meme  que  celle  de  la  maladie  des  obsessions.  II  est  probable,  quand 
on  connaitra  mieux  le  delire  de  persecution,  qu'on  lui  trouvera 
un  debut  analogue  a  celui  de  la  psychasthenic,  avec  une  certaine  . 
modification  psychologique  qui  lui  donne  une  autre  evolution  et 
en  fait  une  variety  distincte. 

Le  groupe  des  maladies  dont  la  psychasthenic  se  rapproche  le 
plus  est  celui  des  nevroses  dans  lesquelles  nous  observons  les 
m^mes  symptomes  d'epuisement  nerveux  et  un  etat  mental  ana- 
logue. Morel  disait  deja  que  le  delire  emotif  est  plutot  une 
nevrose  qu'une  psychose,  Meynert'  admettait  que  cette  mala- 
die appartient  au  complexus  de  Thysterie  et  de  Thypocondrie. 
M.  liaskovec  remarquait  que  «  I'etiologie  et  la  pathogenic 
des  phobies  et  des  idees  fixes  etaient  les  m^mes  que  celles  de 
ce  grand  groupe  de  lesions  fonctionnelles  du  syst^me  nerveux 
que  nous  designons  sous  le  nom  de  nevroses 'a.  Mais  il  est  admis 
aujourd'hui  que  les  nevroses  sont  en  majeure  partie  le  resultat 


1.  Meynert,  Ueber  Z  wan  gsvors  tell  un  gen.  W«>n.  hlin,  Wochenschrift,  3  mai  i888, 
p.  109. 

a.  Haskovec,  op.  cit.,  p.  127. 


INTERPRfiTATION  PATIIOLOGIQUE  DU  SYNDROME  m 

de  troubles  fonctionnels  de  Tecorce  cerebrate,  troubles  se  mani- 
festant  par  des  perturbations  psycho-physiologiques,  on  ne  peut 
done  pas  les  opposer  trop  completement  comme  on  le  faisait 
autrefois  aux  psychoses.  Aussi  peut-on  dire  justement  avec 
MM.  Pitres  et  R^gis  que  la  psychasthenie  se  rattache  aux  ^tats 
mixtes,  que  c'est  une  psycho-n^vrose. 

Pour  preciser  maintenant  sa  place  parmi  les  psycho-nevroses, 
il  faut  voir  ce  qui  la  rapproche  ou  la  distingue  des  formes 
voisines.  Je  ne  reprendrai  pas  ici  la  comparaison  des  nevroses 
au  point  de  vue  du  diagnostic  qui  a  d6ja  <^t^  faite  dans  un  chapl- 
tre  pr6c^denty  j*insiste  seulement  sur  les  conceptions  g^n^rales 
que  Ton  peut  se  faire  de  ces  diverses  nevroses  et  sur  les  relations 
que  pr^sentent  entre  elles  ces  diverses  conceptions  g^n^rales. 

J'ai  d^ja  montr^  les  rapports  ^troits  de  la  psychasthenic  avec 
r^pilepsie.  Je  crois  que  dans  les  deux  maladies  il  y  a  des  oscilla- 
tions considerables  du  niveau  mental  et  que  des  abaissements  ou 
des  chutes  de  la  tension  psychologique  ou  nerveuse  entendue 
comme  il  a  ete  dit  jouent  dans  les  accidents  de  ces  deux  nevroses 
lerole  principal.  Mais  dans  Tepilepsie,  autant  que  nouspouvons  le 
savoir,  cette  chute  est  considerable  et  momentanee.  Elle  va  jus- 
qu'a  la  perte  complete  de  conscience  pendant  un  temps  assez 
court,  ensuite  la  tension  se  releve  non  pas  sans  doute  d'une 
maniere  complete,  mais  d'une  maniere  sufEsante  pour  que  le 
sujet  se  sente  a  peu  pres  normal  et  ne  se  plaigne  pas  d*ordinaire 
de  ces  sentiments  d'incompletude  qui  sont  si  caracteristiques  du 
psychasthenique.  Les  ph^nom^nes  de  derivation  se  retrouvent,  je 
crois,  dans  les  convulsions  de  Tacc^s:  ils  sont  violents  et  d*ordre 
tres  elementaire,  c'est-a-dire  que  la  derivation  ne  se  fait  pas  sous 
forme  de  ruminations  mentales,  phenomene  conscient  et  relati- 
vement  sup6rieur,  ni  sous  forme  d'etats  ^motifs  conscients,  ni 
sous  forme  de  ces  mouvements  encore  a  demi  intelligents  qui 
sont  les  tics,  mais  sous  la  forme  des  mouvements  les  plus  el^men- 
taires.  Des  que  ces  caracteres  de  Tacces  epileptique  diminuent, 
des  que  la  chute  de  tension  est  moins  grande,  mais  se  prolonge 
plus  longtempSy  quand  les  derivations  sont  moins  elementaires^ 
on  voit  apparaltre  des  delires  epileptiques  qui  se  rapprochent 
beaucoup  des  phenomenes  psychastheniques.  Quelques-uns  d*en- 
tre  eux  determinent  des  sentiments  d'incompletude,  des  doutes 
sur  la  realite  de  la  personne  et  du  monde  exterieur  tout  a  fait 
identiques  a  ce  qui  existe  chez  les  obsedes.  Sans  voir  dans  cette 


73i      LA  PLACE  DE  LA  PSYCUASTHfiNIE  PARMl  LES  PSYCHO-NfiVROSES 

proposition  autre  chose  qu^une  image  destinee  a  montrer 
les  rapports  apparents  de  ces  deux  psycho-n^vroses,  il  me 
semble  que  T^tat  psychasth^nique  est  une  ^pilepsie  att^nu^e  ei 
chronique. 

Les  rapports  de  la  psychasth^nie  et  de  Thyst^rie  sont  interes- 
sants  et  instructifs.  Au  premier  abord  les  deux  maladies  semblent 
Hre  assez  voisines :  Taboulie,  Taprosexie  existent  dans  Tune 
comme  dans  Tautre  et  il  y  a  dans  les  deux  n6vroses  une  diminu- 
tion de  Factivit^  nerveuse  et  mcntale.  Cependant  Morel  remar- 
quait  d^jiique  le  d^lireeraotif  se  rapprocheplus  de  la  neurasthenic 
que  de  Thysterie.  Beaucoupd'auteurs  ont  d^ja  remarqu6  de  mcme 
la  grande  difference  clinique  qui  s^pare  la  psychasthenic  de 
Thysterie.  J'ai  beaucoup  insiste  pour  faire  ressortir  cette  oppo- 
sition qui  me  semblait  curieuse  :  en  voici  les  principaux  points. 
Le  psychasth^nique  est  surtout  un  incomplet  dans  tousses  pheno- 
menes  pathologiques,  il  a  des  impulsions  mais  elles  ne  s'executent 
pas,  il  a  des  hallucinations  mais  elles  ne  paraissent  pas  r^elles  et 
il  n*est  jamais  tromp^  par  elles,  il  a  des  idees  obsedantes  mais  il 
sait  qu'elles  sont  fausses  et  il  est  le  premier  a  les  mettre  en  doute, 
il  a  des  p^riodes  d'agitntions  et  des  p^riodes  d'immobilite,  mais 
il  ne  va  jamais  jusqu'a  Tattaque  ni  jusqu'au  sommeil,  ces  crises 
n'amenent  jamais  Famnesie,  il  se  sent  d^double  mais  il  n*a 
jamais  de  subconsciencc  et  il  sait  toujours  tr^s  bien  ce  que  pense 
la  seconde  personne.  Ce  caractere  d'incompletude  se  retrouve 
encore  dans  les  ph6nomenes  normaux  qu'il  a  conserves,  il  ne 
sent  pas  bien,  il  ne  se  souvient  pas  bien,  il  ne  fait  pas  bien  atten- 
tion, il  n'agit  pas  bien,  mais  il  n'a  point  d*anesthesic  complete,  ni 
d'amnesie,  ni  de  paralysie.  En  un  mot  il  est  incomplet  toujours 
et  partout,  mais  jamais  il  ne  va  plus  loin  que  cet  etatd^insuflisance 
generate;  il  a  surtoutun  voile  qui  n*enleve  que  les  phenomenes 
psychologiques  sup^rieurs,  qui  les  enleve  partout,  mais  qui  ne 
determine  nulle  part  de  lacune  precise  ou  profonde. 

L'hysterique  pr^sente  siir  tons  ces  points  des  differences  impor- 
tantes  :  d'une  part,  les  phenomenes  que  Thyst^rique  a  conserves 
sont  tout  a  fait  complets  et  vont  jusqu'a  la  fonction  du  reel :  le 
malade  ne  doute  ni  de  sa  personne  ni  des  choses  cxterieures. 
Bien  mieuxces  phenomenes  conserves  sont  plutottropdeveloppes, 
le  sujet  execute  compl^tement  ses  idees  impulsives,  si  complete- 
nient  et  si  facilement  meme  qu'il  suffit  de  lui  inspirer  une  idee 
pour  qu'il  la  transforme  en  acte,  il  developpe  ses  images  jusqu'a 


INTERPRfiTATION  PATHOLOGIQUE  DU  SYNDROME  735 

rhallucinatlon  complete  et  il  siiffit  d*une  suggestion  pour  que 
celte  hallucination  surgisse,  il  arrive  tr^s  facilement  a  la  convic- 
tion extreme.  D^autre  part,  Thyst^rique  pousse  aussi  a  Textr^me 
les  ph^nom^nes  negatifs  et  il  pr6sente  dans  son  esprit  de  verita- 
bles  lacunes:  il  a  des  anesth^sies,  des  amnesics,  des  paralysies, 
des  subconsciences  v^ritables.  Sans  doute  ces  lacunes  ne  portent 
d'ordinaire  que  sur  la*  conscience  personnelle,  mais  cette  con- 
science meme  pr^sente  des  lacunes  qui  n^existent  pas  chez  Tob- 
s^di^. 

A  quoi  tiennent  ces  difF^rences  remarquables,  a  un  fait  capital 
que  presente  Thyst^rique  et  qui  n'existe  pas  chez  le  psychastheni- 
que,  au  r^tr^cissement  du  champ  de  la  conscience.  L^hyst^rique 
restreint  son  activite  mentale,  se  concentre  en  quelque  sorte  sur 
quelques  ph^nomenes,  il  en  r^sulte  que  les  ph^nom^nes  conser- 
ves ne  sont  pas  abaiss^s,  incomplets,  mais  qu'ils  sont  plutot  trop 
developp^s  et  que  les  phenom^nes  n^glig^s  s'effaccnt  de  plus  en 
plus  et  disparaissent  de  la  conscience  personnelle.  Ce  qui  carac- 
terise  Thyst^rie  c'est  ce  r^tr^cissement,  cette  localisation  sur 
certains  points  de  la  force  subsistante.  La  faiblesse  mentale  se 
manifeste  dans  cette  maladie  comrae  faiblesse  de  synthese,  tandis 
que  dans  la  psychasthenic  elle  se  manifeste  par  un  abaissement 
g^n^ral  de  tension  et  par  la  simple  diminution  des  fonctions 
sup^rieures  ou  fonctions  du  r^el  a  peu  pres  sur  tons  les  points. 
Si  Ton  pent  ainsi  dire  la  reduction  de  la  conscience  semble  se 
faire  g^om^triquement  chez  le  premier,  en  r^duisant  le  nombre 
des  fonctions  conserv^es,  dynamiquement  chez  le  second  en 
reduisant  la  force,  la  perfection  de  tous  les  ph^nomenes.  Sans 
doute  il  y  a  quelques  cas  de  transition :  le  plus  curieux  me 
semble  constitu^  par  T^tat  d'esprit  de  certains  extatiques,  mais 
en  g6ndral  cette  diffi6rence  entre  les  deux  psycho-n^vroses  est 
tres  nette. 

Beaucoup  d'auteurs  rapprochaient  les  obsessions,  la  folic  du 
doute,  les  phobies,  de  la  neurasthenic  (Westphal,  Krapelin, 
Krafft-Ebing,  Morselli,Ventra,Bouveret,  Levillain,  Fer6,  Mathieu, 
etc.)R6cemment  les  auteurs,  qui  ontessay6  de  constituer  comme 
maladie  distincte  la  n^vrose  d*angoisse,  ont  voulu  la  s^parer  de 
la  neurasthenia  et  meme  I'y  opposer.  Les  conceptions  de  M.  Freud* 

I.  S.  Freud  (de  Vienne),  Sur  la  Idgitimit^  de  s^parer  de  la  neurasth^nie  un  sjn- 
drome  deBni  sous  le  nom  de  n^vrose  d*angoisse.  yeurol.  Centralblatt,  iSgb,  p.  a. 


736      LA  PLACE  DE  LA  PSYCHASTHfiNIE  PARMI  LES  PSYCHO-NfiVROSES 

sur  ce  point  ont  ^te  trcs  bien   resum6es   et    discut^es   dans  le 
travail  de  M.  Hartenberg  sur  la  n^vrose  d'angoisse  '. 

Le  premier  groupe  d'arguments  de  ces  derniers  auteurs  ne  mo 
semble  pas  tres  iot^ressant:  dans  la  n^vrose  d'angoisse^disent-Ils^ 
un  certain  nombrede  symptomes  essentielsde  la  neurasth^nie  font 
toujours  d^faut,  tels  sont :  la  rachialgie,  Tobnubilation  psychique^ 
Tasthenie  neuro-musculaire,  la  dyspepsie  et  Tinsomnie  chronlque. 
C*est  la,  si  je  ne  me  trompe  une  constatation  clinlque  inexacte :  les 
phobiques  et  les  douteurs  sont  si  pr6occupes  de  leurs  angoisses 
et  de  leurs  obsessions  qu'rls  attachent  moins  d*importance  a  des 
troubles  constants  chez  eux,  mais  en  apparence  secondaires.  La 
rachialgie  est  trfes  frequente  chez  eux,  depuis  que  j^ai  vu  ces  dis- 
cussions, je  Tai  recherch^e  et  retrouv^e  dans  une  douzaine  de  cas  ; 
Tobnubilation    rntellectuelle   avec    aprosexie,  amn6sie  continue, 
troubles  de  perception,   diminution  des  fonctions  du  r^el  est  un 
symptome  essentiel  des  psychastheniques  comme  des  neurasth^- 
niques,  la  faiblesse,  la  fatigue,  la  dyspepsie,  Tinsomnie  ont  ^t^  Ion- 
guement  decrites  chez  eux.  11  ne  me  semble,  en  un  mot  que  les 
angoisses  ont  bien  tons  les  symptomes  des  neurasth^niques  et  a 
ce  premier  point  de  vue  la  distinction  ne  me  parait  pas  legitime. 
Une    deuxieme  remarque   est  plus    int^ressante,  c*est  que  la 
neurasthenic  est  surtout  depressive,  tandls  que  dans  la  n^vrose 
d*angoisse,  il  y  a  une  surexcitation,  une  tension  penible  et  des 
d^charges  paroxystiques  surtopt  visc^rales.   On  voulait  en  con- 
dure  que  la  neurasthenic  serait  r^puisenient  nerveux  du  syst^me 
cerebro-spinal,    tandis   que   la    nevrose    d'angoisse    serait   plus 
particulierement  T^puisement  nerveux  du  sympathique  et  peut- 
^tre  du  vague'.  J'avoue  que  je  ne  suis  pas>  aussi  frapp6  par  ces 
differences  :  beaucoup  de  neurasth^niques  ont,  a  un  degr^  faible, 
une  agitation,  un  sentiment  d'inquietude,  une  attente  angoissante. 
L*agitation  du  psychasthenique  n^est  a  mon  avis  qu'un  phenomena 
secondaire,  une  derivation  qui  resulte  justement  de  Timpuissance 
primitive  et  qui  ne  s*y  oppose  pas.   M.  Hartenberg,   d'ailleurs, 
n*exagere  pas  cette  opposition,  il  se  rapproche  de  Topinion  de 
Bouveret,  de  Hecker,  de  Kaen  qui  voient  «  dans  ces  deux  mala- 
dies deux  manifestations  diversement  localisees  d*un  meme  ^pui- 
sement  nerveux  ».  , 


I.   Hartenberg,  La  nevrose  d'angoisse,  1901,  p.  67. 
a.  Hartenberg,  La  nevrose  d'angoisse,  68. 


INTERPRfiTATlON  PATHOLOGIQUE  DU  SYNDROME  737 

Ajoutons  qu'il  s'agit  de  deux  manifestations  de  degre  et  de 
gravity  diff6rentes.  La  neurasthenia,  comme  disaient  M.  Deje- 
rine  et  M.  Moebius,  est  «  la  forme  initiate  d^oii  d^rivent  les 
autres  n^vroses  comme  d'une  source  ».  «  La  folic  du  doute, 
dit  encore  M.  Kowalewsky  *,  pent  ^tre  consid^r^e  comme  une 
deuxieme  p^riode  de  la  neurasthenic.  »  Dans  la  neurasthenic 
repuisement  du  systeme  nerveux  central  est  encore  l^ger  et 
porte  surtout  sur  les  centres  des  viscferes ;  il  augmente,  il 
s^etend  a  tout  le  cerveau,  il  devient  plus  conscient,  et  determine 
plus  de  phenomenes  de  derivation  dans  la  psychasthenic. 


Ces  comparaisons  nous  permettent  de  resumer  la  conception 
de  la  maladie  des  obsessions  telle  qu'elle  resulte  de  ces  etudes 
cliniques  et  psychologiques.  Les  obsessions  proprement  dites  qui 
en  sont  le  caractere  le  plus  apparent  ne  sont  que  le  dernier  terme 
d^une  serie  de  troubles  plus  profonds.  La  psychasthenic  est  une 
psycho-nevrose  tr^s  voisine  de  la  neurasthenic  et  peut-etre  de 
certaines  formes  de  paranoias,  elle  se  place  entre  I'epilepsie  et 
rhystcrie.  Toutes  ces  psycho-nevroses  sont  caracterisees  par  une 
insuffisance  du  fonctionnement  cerebral  qu'il  est  encore  aujourd'hui 
impossible  de  rattacher  a  des  lesions  anatomiques  ou  a  des  trou- 
bles physiologiques  autres  qu'un  etat  vague  d'engourdissement 
ou  d'intoxication.  Cette  diminution  d^activite  est  en  rapport  avec 
Theredite,  avec  toutes  les  maladies  infectieuses,  les  fatigues  et 
les  emotions  qui  jouent  un  grand  role  dans  ces  oscillations  du 
niveau  mental.  Get  epuisement  qui  a  des  caracteres  physiorlogi- 
ques  et  psychologiques  generaux  scmblables  dans  toutes  les  psy- 
chonevroses  se  manifeste  en  outre  par  des  troubles  mentaux  plus 
spedaux  qui  les  distinguent  les  unes  des  autres.  Dans  la  psychas- 
thenic la  chute  de  la  tension  mentale  est  beaucoup  moins  brus- 
que, moins  profonde  et  plus  prolongee  que  dans  les  acc^s  epilep- 
tiques ;  elle  u'amene  point  le  retrecissement  du  champ  de  la 
conscience,  la  localisation  sur  certains  points  comme  dans 
Thysterie ;  elle  semble  dans  cette  psycho-nevrose  rester  gene- 
rale  et  determiner  dans  toutes  les  operations  de  Tesprit  une 
simple  diminution  de  la  perfection  et  de  la  puissance  d'adaptation 
a  la  realite.  Les  fonctions  les  plus  troublees  sont  les  fonctions  qui 

I.  P. -J.  Kowalewskj.  The  Journal  of  mental  Science,  octobre  1887. 

LBS  OBSESSIONff.  1.  —  ^7 


738      LA  PLACE  DE  LA  PSYCHASTllfiNIE  PARMI  LES  PSYCHO-NfiVROSES 

mettent  Tesprit  en  rapport  avec  la  r^alite,  Inattention)  la  volenti, 
le  sentiment  et  T^motion  adapt^e  au  present.  D'autres  fonctions 
semblent  rester  intactes  et  elles  se  r^velent  ainsi  comme  infi^rieo- 
res,  ce  sont  rintelligence  discursive  et  le  langage,  les  emotions 
exag^r^es  et  incoordonnees,  les  mouvements  mal  adapt^s  et  en 
partie  automatiques.  Cette  diminution  de  la  tension  psychologi- 
que  determine  un  malaise  mental,  un  ^tat  d*inqui^tude,  des 
sentiments  d'incompletude  d^autant  plus  forts  que  le  sujeta  mieux 
conserve  son  intelligence.  Sous  Finfluence  de  cette  inquietude 
excitante  et  par  le  fait  de  la  suppression  des  ph^nom^nes  sup^- 
rieurs,  les  ph^nomenes  inf^rieurs  conserves  prennent  une  grande 
exag^ration  et  donnent  naissance  a  des  tics^  a  des  agitations  mo- 
trices,  a  des  Amotions  angoissantes,  a  des  rumination  smentales 
tres  varices.  Enfin  des  idees  se  Torment  suivant  les  circonstances 
pour  r^sumer  et  interpreter  tons  ces  troubles  et  les  id^es  ainsi  for- 
m^es  continuent  a  presenter  les  caract^res  de  I'^tat  mental  precedent; 
elles  sont  permanentes  et  obsedantes  parce  qu'elles  r^sument  et 
expriment  un  etat  permanent,  elles  ne  seterminentpas,  ne  donnent 
pas  naissance  a  de  v^ritables  convictions  delirantes,  mais  gardent 
la  forme  des  emotions  angoissantes  et  des  ruminations.  Les  con- 
ditions qui  influencent  la  maladie  sont  toutes  les  circonstances  qui 
determinent  des  oscillations  du  niveau  mental  etfont  descendre  ou 
monter  cette  tension  psychologique  dont  Tabaissement  est  le 
point  de  depart  de  toute  la  maladie.  Le  traitement  consiste  a  uti- 
liser  toutes  les  influences  physiques  et  morales  qui  peuvent  deter- 
miner  une  ascension  de  ce  niveau,  il  faut  surtout  par  une 
education  de  la  volonte  de  Tattention,  de  Temotion  meme,  faire 
prendre  au  cerveau  Thabitude  d'un  fonctionnement  plus  actif 
qu'il  n'est  pas  toujours  impossible  de  lui  demander.  L'eniotivite 
qui  est  un  phenomcne  secondaire  ainsi  que  les  tics  et  les  rumi- 
nations disparait  quand  les  phenom^nes  superieurs  et  les 
fonctions  du  reel  se  reconstituent,  et  les  obsessions  ne  durent 
plus  quand  elles  n'ont  plus  de  raison  d'etre  pour  exprimer  un 
etat  general. 


INDEX  DES  AUTEURS  CITES 


Ambline,  i33. 

Amibl,  3oi,  347*  354>  370,  378,  435. 

Andkiam,  63a. 

Angel,  387,  4o3,  4o8,  430,  4aa»  600. 

Ancell  (Edw.  B.).  473,  718. 

Arie  de  Yonc  (La  Haye).  452,  717. 

Arnauu  (Vanves),  ag,  76.  86,  98,  ii4. 
i5o,  339,  a88,  396,  336,  338,  383, 
46i»  47a,  473,  589,  593,  655. 

Arndt,  73a. 

ASC  HAPPEN  BURG,    l5o. 

AzAM,  106,  ii5,  166,  ao3,  733,  737. 

Babinski,  409. 

Baillargrr,  359,  363,  383,  617,  619, 

724. 
Bain  (A.),  437. 
Balfour  (A. -J.),  479. 
Ball,  78,  79,  80,  i3i,  3o5,  3i3,   37a, 

373,  383,  389,  3oi,  3o6,  307,  3 10, 

579,  596,  597,  664,  667,  737. 
Ballet,  191,  454»  473. 
Basedow,  643. 
Baskirtseff  (\farie  de),  56a. 
Beard,  i85,  ao5. 
Bechtbrkw,  170,   309,   5o8,  509,  538, 

601,  703. 
Bellet,  i44- 
B^NiDicT,  471. 
Bebger  (de  Breslau),    453,  5o3,    6x5, 

64a,  735. 
Bergeron,  179,  730. 
B&RGSON  (H.),477,  480.  489,  490,  496, 

546,  547. 
Berillon,  301,  333,  349.  683,  703. 


Bernard  Lf.roy,  38,  386,  388,  389, 
390,  3o8,  309,  3 1 4,  317,  333,  533, 
566. 

Bernheim,  333,  733. 

Bigot,  73  i. 

Billod,  383,  383,  349. 

Binder,  611. 

Binet(A.),  334. 

B18WANGER,  191. 

Blaise,  603. 

Blocq,  3,  186,  643. 

BoissiER  (Fr.),  473,  659. 

BOMPAIRE,  731. 

B08SUBT,  707.  708. 

Bouchard,  4i5. 

Boucher,  55, 307. 

Boulloche,  191. 

Bourdin,  77.  78,  161,  303,  603. 

BOURGET,    389. 

Bouveret,  i85,  4 1  a,  4aa,  735,  736. 
Bramwell  (Milne),  ai,  113,  x4i«  349> 

703. 
Briquet,  464. 
Brissaud,  81, 157,  163,  i63,  i65.  356, 

731. 
Bkocchi  (de  Piombi^res),  4i5. 
Bbocuard  (V.),  479- 
Brocq, 186. 
Brosius,  453. 

BuccoLA,  85,  334.  363,  366,  449- 
Gabanis,  555. 
Gampagne,  67. 
Garrier,  683. 
Gartaz,  194. 


740 


INDEX  DES  AUTEURS  CITfeS 


Gaspeb,  ao6. 

Gatsaras,  86. 

Gazalis,  684. 

Ghambard,  84. 

Gharcot  (J.-B.),  191. 

Gharcot  (J.-M.).  47»   ia4»   i57,    i58, 

160,  i85,  261,  357,  6i5.  721. 
Ghaslin,  661. 
Ghastrnet,  aoo. 
Gheryin,  194. 
GLARAPiDE  (de  Geneve),  ao8,  46o,  46it 

717. 
GoMTE,  aa6. 

G00MB8  Knapp  (Philip),  602. 
GoRDBs,  aoa,  471 1  7a4. 
GouLAMPis,  4ao. 
GousiN  (V.),  485. 

GOUTARKT,   4l4- 

GuLLRRRE,  i5o,  198,  ao5,  a36,  5io. 

Dagonet,  6a I. 

Dacuillon,  bSi. 

Dallbmacre,  453,  473,  601,  655. 

Dana,  aoo. 

Darwin  (Gh.).  ao6. 

Darwin  (Erasme),  71 3. 

Drbove,  191. 

Debs,  34a,  48o. 

Dechambrb,  aoa. 

Decasse,  677. 

Dkjerinb,  690,  69a,  737. 

Delarue  (Paul),  46. 

Delasiauye,  448,  683,  7a4»  7a5. 

Dblbceup,  76. 

Del  Greco  (F.),  473. 

Denomm^,  177,  683. 

Descartes,  479- 

Devay,  619. 

DoNATH  (de  Buda-Pesth),  77,  io5,a55, 

7o3. 
D0STOIEW8K1,  484.  5 16. 
Doyen,  ao5. 
Dubois  (de  Berne),  4i3. 
Dubois   (de    Saujon),    i6a,    i64)    179* 

a36,  721. 
Dubourdieu,  177. 
Dl'boux,  206. 
DuGAs,   a8,  a84»  a9o,  3oo,  307,  3io, 

317,  345,  434,  547,  548,  55o.  566. 


Dumas  (G.),  555. 

DUMONT,  556. 

DuMONT  (de  Monteux),  i55. 

DUMONTPALLIER,   33a. 

Dupkat,  a8a. 

Eeden  (Van),  iia,  x4i*  45i,499t64a, 

654. 
Egger  (V.),  564. 
Emminghaus,  658. 
EspiNAs,  369,  493,  494. 
EsQuiROL,  II,  199,  a98,  7a4.  7a 
EwART  (G.-Th.),  717. 
Falrbt  (Jules),  X,  68,  85,  86,  95,  199. 

ai3,  45o,  47a.  617,  65a,  663,  707, 

7a4,  7a5. 
Farez,  117. 
Faure  (L.),  7o3. 
Fbindbl,  i58,  i6a,  377,  7ai. 
FiNELoN,  707,  708. 
F£r^,   88,   180.    181,    199.   aoo,  453. 

455,  47a,  5o4,  601.  6o4.  610,  6a2, 
63i.  63a,  735. 

Fleury  (De),  aa4.  4o6,  4o8,  4i3,  417. 

4ao,  4^5,  600,  6o4. 
Flournot  (de  Geneve),  ii5. 
FouiLL^E,  a 93. 
Franck  (Francois),  4o4. 
Francottb,  94. 
Freud,  i83,  ai4i  317,  218,  454.  455, 

456,  5x9,  558,  592,  6ai,  6aa.  6a3, 
64i,  656,  735. 

Fribdenreich,  453. 

Friedmann,  658. 

Galippe,  i85,  643. 

Gall,  6o4. 

Galton,  3a I. 

Gattel,  6a a. 

Gayte,  479. 

Gelineau,  456,  7a7,  7a8. 

Gell£,  3a I. 

GiBERT  (du  Havre),  4i4- 

GlLLES  DE  LA  TOURETTE,    1 57. 
G1NE8TOUX,    118. 

Gl^nard,  4i4.  4i5. 
gorodiche,  703. 
Grassbt,  106,  159,  191,  aoi. 
Griesinger,  ia6,  ia7,  a35,  448,  iSg, 
5o2,  64a,  724,  7a5. 


INDEX  DES  AUTEURS  CITES 


741 


Groob  (K  ),  376,  548. 
GuiifioT,  4i4< 

GUERLIN,    I79»   720. 

GuiNON  (G.),  167,  160,  i63. 
GuYAu,  ag3. 

GUTON,  48,  572. 

HackTuke.  449*  471.  558,  6o4,  728. 

Hallion,  191,  226. 

Hammond,  200. 

Hanot,  668. 

Hartenberg,  162,  210,  218,  227,  345, 

347.  377,  '|57,  562,  565,  601,  621. 

622,  716,  722,  736. 
Haskovec,    191,    458,  459,  499*  5o2, 

5o5,  507,  5o8.  623,  642,  782. 
Hecker,  454.  736. 
Heim,  4i3. 

HENOCH,    179,    720. 

Hirschberg,  187. 

HOFFDING,   92,   265,   269,   496. 
HUCHARD,    l85. 

Hughes,  662. 

Hume,  478. 

HuYSMANS,  62. 

IscovESco,  611. 

Jackson  (H.),  557,  6o4. 

James  (Will.),  43.  94.  378,  455,  462, 

479,  545,  547. 
Janet  (Jules),  48. 
Jastrowicz,  453. 
Jensen,  287. 
Ji^:rl'8ALEM  (W.),  479- 
JoppROT,  64o,  698. 

JOUFFROY,   485,  698. 
JOUI.IE,   4 17*   696. 

Kaan  (Hans),  453.  736. 

Kandensky,  94. 

Ki^RAVAL,  3,  5io,  5ii,  677. 

Kipling  (Rudjrard),  535. 

KisH,  622. 

KoRSAKOP.  359. 

kowalewsky,  737. 

Krcepelin,  658.  735. 

Krafft-Ebing,    236.    369.    45o,   453. 

472.  658.  664,  667,  725.  729,  735. 
Krishaber,    28.   283,  286,  289,   291, 

292,  3o6,  309,  3io,  3i2,  317,  5o5, 

726. 


Lacroix,  417*  4i8,  424- 

Ladame,  79,  127,  i38,  236,  448,  611, 
703,  724,  727. 

Lagrange,  716. 

Lalanoe  (A.),  289,  566. 

Lalanne,  206. 

Langb,  43,  378,  455,  462. 

Lanteirks.  i43,  38o. 

Lapie  (P.).  276.  345. 

Larboussinie,  86,  87,  88. 

Lasegue,  35,  4^4*  623. 

Laycock.  471,  6o4< 

Legrain.  449>  611.  663,  729. 

Legrand  du  Saulle.  5.  98.  ii3.  119, 
i3i,  i5o,  i85.  186.  198.  199.  202, 
2o3,  212,  2i3,  236,  237,  243,  245, 
260.  297,  382,  383,  453,  471.  5o2, 
5i5,  600,  607,  611.  617,  621,  652, 
654,  655,  664,  667,  709.  722.  724, 
725. 

Legroignac,  77,  84- 

LUPINE,  87,  691. 

Letulle,  721. 

Leuret.  I 85.  202. 

Levillain,  4ia.  47a»  735. 

Lowrnfeld  (de  Munich).  i25.  126,  253, 
437,  622. 

LuBETZKi.  4o3,  4o4t  4o8,  4^2,  600. 

LuYs,  84.  45o. 

Mac  Farlane,  2i4,  455. 

Magalhaes  (J086  do),  457. 

Magnan,  i5,  124,  i33,  176,  2o3,  237, 
44o,  445,  449f  607,  611,  663.  681, 
726.  729. 

Magri,  729. 

Manouvrier,  494,  495. 

Mantegazza.  557. 

Marandon  de  Montifl,  677. 

Marci^,  724,  725. 

MaRCHAND.    225,  226,   227,   460. 

Marie  (A.),  602,  6o3,  663.  666. 

Marin Fsco,  5o'|. 

Marrel,  i84- 

Marro,  389.  524.  542.  557.  617.  618, 

623,  686,  699.  717. 
Martinet  (A.).  696. 
Mathieu,  4 1 2.  735. 
Mauoslet,  i5,  495. 


742 


INDEX  DES  AUTEUUS  ClTtS 


Mavroukakis,  7o3. 

Meige  (U.),  i58t  i6o,  163,   170,  a36, 

377,  645,  721. 
Mendel,  a36,  735. 
MENiiRE,  ao3. 
Meacier  (C),  558. 
Meschede,  459,  5oi»  6^3. 
Metzger,  611. 
Meynkrt,  449t  658,  732.  • 
MicKLE,  449«  5o3,  5i3,  658- 

MiSSLAWSKI,  601. 
MOEBIUS,    190,   737.  . 

Montaigne,  106,  731. 
MoREAU  (de  Tours),  3 13,  734. 
Morel,  79,  ai4>  453,   455,  456,  519, 

600,611,613,664.734,735,733,734. 
Morselli,  309,   313,   4491  633,   658, 

733,  735. 

MOURRB,   377,   378. 

Mosso,  336. 

Motet,  683. 

MuRisiEH,  397. 

My«rs  (Fr.-W.),  389. 

Nacy,  5o4. 

Nattier,  434>  690,  693. 

NicouLAu,  80. 

NoiR,  160,  i63. 

Oddo,  i58,  159,  i6a,  674- 

Onanof,  3. 

Ottolengiii,  5o4f  5o8. 

Pailhas,  619. 

Parant,  6a8. 

Parchappe,  734*  735. 

Pascal,  89. 

Paulhan,  60,  i44*  566. 

Peisse,  448. 

PeRROUD,    303. 

Pick,  94. 
PiiRON,  306,  707. 

PiNEL  (C),   734. 

P1TRE8,  4a,  43,  77,  84,  86,  116,  170, 
179,  i84,  306,  307,  308,  3i4f  ai5, 
336,  357,  3o8,  309,  333,  343,  448» 
449,  455-459,  463,  467,  5o3,  5o8, 
5i3,  5i5,  519,  568,  607,  613.  6i4. 
616,  617,  619,  633,  634,  643,  653, 
655,  658,  667,  673,  683,  696,  698. 
7o3,  704,  730,  73o,  733. 


POITEVIN,    369. 
POPOFF,  731. 
POTAIN,    335.   431. 

Raggi,  1 1 5,  3o5. 

Raymond,  IX,  X,  XI,  5,  18,  as,  47»  ^^ 
90,  100,  134,  135,  i34,  i5o,  iSg. 
168,  188,  395,  307,  336,  338,  383, 
459,  47a,  5o5,  5ii,  655. 

RfeGis,  18,  4a.  43.  77,  84,  86.  116. 
170,  177,  184,  306-308,  ai4,  ai5, 
336,  357,  3o8,  309,  333,  34a,  35o, 
448,  449,  455-459,  463,  467,  5o3, 
5o8,  5i3,  5i5,  519,  568,  607,  61a, 
6i4,  616-619,  633,  633,  634,64a, 
643,  653.  655,  658,  667.  673.  682, 
696,  699.  7o3,  704,  730,  733. 

Ri:GNiER,  46o. 

Reichmann,  4i3. 

Renaudin,  683. 

RiBOT  (Th),  V,  VII,  174.  3i4.  aa6, 
369,  455,  456,  488,  535,  557. 

RlCllE,   5l3. 

RiTTi,  336,  734,  735. 
Robin  (A.),  4i3. 

RODENBACH,   I9,    131,    133,    167. 
ROUBINOVITCH,   357,  473,  619,  647,  677. 

Rousseau  (J. -J.),  113,  348. 

Roux  (J.),  4 10. 

RoYCE  (Josiah),  59,  87,  11  a,  i38.  198, 

586. 
Russell,  aoo. 
Sander,  387,  453. 

Sante  de  Sanctis,  87,  116,  i35,  563. 
Saury,  i5,  137,  607,  739. 
Sautarel,  353. 
Savage  (G.),  638,  701,  737. 
scrjlfer,  658. 
Schiller,  548. 
Schopenhauer,  i5,  455,  488. 
ScHOLz,  56o. 

SCHUBLK,   453,   739. 

S^GLAs,  45,  46,  80,  85,  93,  93,  116, 
i35,  i55,  167,  169,  191,  333,  360, 
3o5.  3o6,  3o8-3io,  3i3,  3i4*  3i6. 
334,  35o,  356,  357,  439,  43o,  44i, 
453,  47a,  6i5,  633.  643,  655,  658. 
663,  673,  678,  73o. 

SeGUIN,   300. 


INDEX  DES  AUTEURS  GITfiS 


743 


Skrieux  (P.),  5o4. 
Shaw,  aoo. 
Sholz,  737. 
soupault,  4 1 3. 
SouQUES,  8i,  176. 

SoURIAU,    493. 

Spencer  (Herbert),  ^'jS^  4S7,  495,  496, 

556,  60 1. 
Spinoza,  478. 

Stadelmann  (de  Wiirzbourg),  117,  708. 
Stefani,  85. 
Stout,  494. 
Sydenham,  4I' 
Taine,  28,  3o6,  3i5,  478. 
Talbot,  685. 
Tamburini,   85,    199,   363,   449*  45o, 

59a,  64a*  739. 
Tanzi,  355. 

Thibierge,  43,  186,  308. 
Thomsen  (de  Bonn),  io4- 
Thomson,  65o. 
Thulie,  67,  730. 
T18SIE,  177,  375,  5ii,  5i5,  557,  703, 

730. 
Tokarskt,  163. 
ToLSToi'.  371. 
Tordbus,  179,  720. 
tourkier,  633,  633. 
Trastour,  4i4. 
Trelat,  199,  365,  366,  734. 
Trousseau,  157,  161,  K99,  609,  731. 


TscHiscH,  633. 

Tugzbck,  658,  717. 

Valentin.  733. 

Vallon,  84,  603,  6o3. 

Vasghide,   ao6,   335,   336,   337,    46o, 

485. 
Ventra,  633,  735. 
Verdin,  330,  338,  381. 

VeRCA,   116,   300. 

Verneuil,  i85. 

VicouRoux,  419.  663,  666,  677. 

VoisiN  (A.),  333,  4o3,  600,  697,  708. 

VURPAS,  485. 

Wallet,  35. 

Weber,  303,  734. 

Webber,  4ao. 

Wecker.  391. 

Weir  Mitchell,  3i4.  455.  693,  693. 

Wernicke,  86,  453,  658. 

Westphal,    77,    303.    307,    3l3,    355, 

445.  448,  449,  45i,  453,  459,  5o3, 
643,  703,  734,  735. 

WiCAN,  387. 

Wille,  336,  453,  658,  735. 
William,  303. 
Wright  (E.),  558. 
Wundt,  336. 
YvoN,  419. 
Zimmerman N,  63 1. 
Zola,  63 i. 


r 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATlfiRES 


Abaissement  de  la  tension  psjrchologi- 
que,  497,  499»  5oo; et  deriva- 
tion, 559. 

Abasik  hysl^rique,  46. 

Aboulie  sociale,  345,  347 "»  —  profes- 
sionnelle,  349  *  —  ^^  inhibition,  349  * 
—  au  d^but  de  la  maladie,  638. 

Absolu.  Manie  de  T  — ,  i36. 

Abstrait.  Raisonnement  — ,  sa  place 
dans  la  hi^rarchie  psychologipue,  485. 

AcAROPHOBiR,  186. 

Acquis.  La  maladie  constitulionnelle  et 
la  maladie  —  63 1. 

Action.  Obsession  de  V  — ,  57,  de  1'  — 
mauvaise,  59,  de  V  —  extreme,  61  ; 
tendance  h  V  —  dans  Tobsession,  75 ; 
troubles  de  1*  —  dans  lesphobies,  aoi, 
au  debut  des  crises  d'agitation,  a4i  ; 
sentiment  d'incompletude  de  V  — , 
265,  de  rinutilit^  de  1*  — ,  267,  de 
m^contentemcnt  de  1*  — ,  276  ;  peur 
de  r  — ,  266 ;  lenteur  des  — .  338  ; 
fractionnement  des  — ,  338  ;  retards 
de  r  — ,  338  ;  ddsordre  des  — ,  34o  ; 
inach&vement  des  — ,  34 1  ;  difficult^ 
des  actions  —  nouvelles,  344  '*  la  place 
de  r  —  dans  la  hi6rarchie  psycholo- 
gique,  477 ;  —  desint^ressee,  482 ;  — 
automatique,  483  ;  r6le  de  V  —  dans 
la  tension  psjrchologique,  490  ;  diffi- 
cult^ del'  —  sociale,  670;  difficult^  de 
r  —  dans  la  rue,  571 ;  difficultc  de 
r  —  du  mariagc,  des  —  genitales, 
573  ;  suppression  do  toutc  —  666. 


AsTHESioM^TRE,  difficultc  de  SOU  emploi 
chez  les  douteurs,  324- 

Age.  Influence  de  TAge  sur  la  maladie, 
6i3.  683;  —  duddbut,  6i5. 

Agitation  forcee,  io4 ;  tableau  des  — 
forc^es,  io5  ;  —  mcntale,  106,  i46, 
467;  —  motrice,  i56,  172 ;  —  ^mo- 
tionnelle,  182,  2i3  ;  caract^res  de  I* 
— ,  i55,  180,  235,  552  ;  crises  d'  — , 
172,  239  ;  succession  des  difT^rentes 
formes  de  1*  — ,  216;  unite  clinique 
des  —  236 ;  les  ph6nom^nes  secon- 
daires  de  V  — ,  25o,  466 ;  la  place 
des  —  dans  la  hidrarchie  psjrchologi- 
que,  486  ;  interpretation  des  — ,  55 1 ; 
—  et  derivation,  56o,  567. 
Agoraphobie,  27,202  ;  interpretation 
des  —  571. 

Aimer.  Besoin  d*  —  388  ;  besoin  d'etre 
—,32,  4o-42,  389. 

Akathisie,  191. 

Akinesia  algera,  190. 

Alcoolisme.  Impulsion  dans  V  — ,  84- 

Alg^simktre  k  ressort,  4o5. 

Algie,  182,  i85  ;  —  avec  hjrpocondrie, 
52  ;  —  de  la  tdtc,  187  ;  des  organes 
g^nitaux,  188;  de  la  vessie,  189  ;  de 
Tanus,  190  ;  sensibilite  dans  les  — , 
196. 

Alienation.  Danger  de  1'  — ,  658. 

Alimentation.  Honte  de  l*  — ,  38,  pho- 
bic de  r  — ,  192  ;  — des  malades,  690. 

Alternance  des  troubles  de  la  digestion 
ot  des  troubles  c6r4braux,  4i3- 


7i6 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATlfiRES 


Amaxophobie,  2o5. 

Ambition.  Sentiment  d*  — ,  3o3,   3o4. 

Amnksif.  chez  Ics  psychastheniques,  3a8, 

353,    —  continue,    358,  —  dans  la 

maniedela  recherche,  ia3. 
Amour  de  la  liberie,  276;  —  de  Thon- 

n^leto,  39a  ;  —  de  la  justice,  393  ;  — 

de  college,  389 ;  obsession  d'  — ,   3o, 

592. 

A«NALGESIE,   335. 

Analyse  des  urines,  f\i']. 

Ananca8mk,  77,  io5. 

A-NATOMiQUE.  Representation  —  des 
theories,  599-605. 

Anestiiekie  chez  Ics  psychastheniques, 
319.  3ao,  3a3,  3a6  ;  —  k  la  fatigue 
chez  los  anorexiques,  35. 

Angois.se,  3,  44 1  47»  i8a  ;  —  dans  les 
algics,  198  ;  —  dans  les  phobics  du 
contact,  199;  —  dans  les  agorapho- 
bies,  2o4  ; —  diffuse,  a  1/4  ;  di verses 
formes  de  1*  — ,  317;  tableau  -des  — 
a34  ;  troubles  physiologiques  de  1*  — , 
218;  exji^riences  sur  1*  — ,  219  :  agi- 
tations dans  r  — ,  46() ;  paralysies  dans 
r  — ,  a  19  ;  excitation  grnitale  dans 
r  — ,  221  ;  troubles  digestifs  dans  1' 
— ,  222  ;  diarrh^es  dans  1'  — ,  223  ; 
pollakiurie  dans  V  — ,  223  ;  troubles 
de  la  circulation  dans  I*  — ,  223,  224» 
226;  troubles  des  secretions  dans  V — , 
227  ;  troubles  de  la  respiration  dans 
r  — ,  227 ;  —  physique  et  morale, 
466  ;  troubles  psychologiques  dans  1' 
—  232  ;  timidite  et  — ,  346  ;  —  et 
vertige  ^pilcptiquc,  509  ;  interpreta- 
tion de  r  — ,  56i  ;  —  par  derivation, 
56o,  563  ;  systematisation  des  —  58o. 

Anorexie,  33,  34.  exag^ration  des mou- 
vements  dans  1*  — ,  35. 

ANXifeiK.  fitat  d*  —  diffuse,  2i4  ;  — 
mentale.  232. 

Arithmetiql'e.  Manie — ,  118. 

Arrft  dc  rinstniction,  36o  ;  —  des 
sentiments  et  des  Amotions,  3oo,  370 

Artistiques.  Remords  — ,25. 

Ascension.  Image  de  1*  — ,  25  ;  —  du 
niveau  mental,  3i4,  525-527;  —  par 


les  substances  ezcitantes,  5a8 ;  —  par 
le  changcment,  529  ;  —  par  refrort, 
53o  ;  —  par  Tattention,  53 1. 

Ascetisme.  Disposition  k  V  — ,  436. 

Association.  Evocation  des  obsessioos 
par  r  —  ,  71 ;  manie  del'  — ,  75, 117  ; 
generalisation  de  V  — ,  72. 

Atta(}ue  hyslerique  ct  agitation,   179. 

Attente.  Derivation  dans  1*  —  556. 

Attention.  Troubles  de  I'  — ,  244*362. 
363  ;  dcdoublement  de  V  — ,  369  ; 
graphiques  de  T  — ,  364  ;  la  place  de 
r  —  dans  la  hierarchic  psychologique, 
478  ;  r6lede  I*  —  dans  la  psychaslh^- 
nie,  532  ;  excitation  |mr  I*  — ,  53 1  ; 
derivation  dans  les  efforts  d'  — ,  563, 
565 ;  role  do  V  —  dans  la  systemati- 
sation des  troubles,  575,  577 ;  reedu- 
cation de  r  — ,  7i5. 

Attitude  des  malados,  6  ;  tics  d'  — ,  i65. 

Au  DELA.  Manies  dc  I'  — ,  1 13 

AuDiTiF.  Sens  — ,  32 1. 

Aura  dans  les  periodes  psychastheniques, 
44o,  44a. 

Automatisms.  Sentiment  d*  —  272,  la 
place  des  actions  —  dans  la  hierarchie 
psychologique,  483. 

Autoritaire.  Caractere  — ,  195,  SgS ; 
—  et  volontaire,  395  —  dans  le  trai- 
tement,  709. 

AvKNiR.  Manie  del*  — ,  126. 

Basophobie,  190. 

Besoin  de  direction,  3i,  382,  384;  — 
d'aimer,  388  ;  —  d'etre  aim^,  82, 
389 ;  —  d'autoritc,  898. 

BoiLiMiE  et  sentiment  defaiblesse,  268. 

Bruits  dans  la  t6te,  4oo  ;  peur  des  — , 
195. 

Caractere  des  scrupuleux,  6a5;  here- 
dite  de  ce  — ,  610  ;  influence  du  — 
ant^rieur,  624  ;  influence  du —  sur  le 
pronostic,  682. 

Cahdiaquk.  Troubles  —  dtns  -  I'an- 
goisse,  2a3. 

Ci-:ciTE   Sentiment  de  — ,  agi . 

Gepualalgie,  187,  399;  forme  des  — , 
399,  4o4  ;  localisation  des  — ,  4oi, 
4o5. 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  M\TI£RES 


747 


Gepiialo-kachidien.  R61e  du  liquide  — 

dans  les  cephalalgies,  4o3. 
Cerebral.  Th^orie  —  de  la  psychasthd- 

nio»  60 1 -605. 
Gkri§bro8thkmk  elc^rdbrasth^nio,  lig^. 
Chords   et   tics,   4 1 ;  —   dans  la  crise 

d'excitation,  179. 
Chute  de  la  tension  psychologique,  5oi  ; 

—  produite  par  Temotion,    Saa ;  — 
am^no  les  derivations,  669. 

Cicatrices.  Honte  des  —  du  visage,  ^3. 
Circulation.  Troubles  de  la  — ,  432  ; 

—  —  dans  Tangoissc,  aa6 ;  th^orie 
circulatoire  de  la  psjchasthenie,  600. 

Classification  des  phobies,  i83  ;  — 
des  algies,  186  ; —  des  variet^s  de  la 
psjchasth^nie,  64a. 

Claustrophobie,  ao5. 

Collection.  Manie  de  la  — ,  ia5. 

CoMBDiB.  Sentiment  de  jouer  la  —  ♦  a77. 

Compensation.  Manie  de  la  — ,  i38. 

Complications  de  la  maladie,  657. 

CoNFiANCE.  Perle  de  la  — ,  396. 

Confusion  menlale,  66,  658,  661,  — 
avec  excitation,  66a  ;  —  avec  d^mence 
pr^oce,  66a ;  diagnostic  de  la  — ,  673. 

Conjuration.  Manie  des  — ,  i43  ;  for- 
mules  de  — ,  i45. 

Conscience  du  corps  et  de  ses  fonctions, 
34;  —  dans  I'obsession,  66,  97,  — 
dans  les  tics,  i6a  ;  —  dans  les  agita- 
tions, 354  ;  troubles  de  la  —  person- 
nelle,  3o8 ;  retrdcissement  du  champ 
de  la  — ,  319;  —  dans  les  crises  de 
psjcholepsie  et  dans  les  acc^s  ^pilepti- 
ques,  5o4- 

Constipation,  4i4;  —  avec  retention, 
667  ;  traitement,  69a. 

CoNSTiTUTioNNEL.  Maladie  —  et  maladie 
acquise,  63 1. 

CoNTENu  des  idces  obs^dantes,  3,  4»  54  ; 
interpretation  de  ce  contenu,  596. 

CoNTRASTE  dans  Tobscssion,  a3,  60 ; 
dans  les  tics,  167  ;  manie  du  — ,  ii5. 

Cortical.  Theorie  —  de  I'obsession; 
60a. 

Crainte  de  la  lutte,  a43,  390 ;  —  de 
risolement,  391. 


Crampe  des  6crivains,  45,  190, 

et  manie  de  la  perfection,  i33;  inter- 
pretation de  la ,  574. 

Crepusculaire.  Etat  —  dans  Tepilcpsio 
et  dans  la  psychasthenic,  5o5-5o7. 

Crime.  Obsession  du  — ,  la,  i5. 

Cri8E  de  psycholepsie,  5oi  ;  —  d'agita- 
tion,  17a,  178,  —  des  efforts,  17a, 
les  —  de  marche  et  de  parole,  176  ; 
les  periodes  de  — ,  a39  ;  point  de  de- 
part des — ,  a4i  ;  raclion  audebutdes 
— ,  a4i  ;  Tattention  au  d^but  des  — , 
344;  Tcmotion  au  debut  des  — ,  345; 
les  —  de  fatigue  insurmontable,  353. 

Critique  de  Tobscssion,  67,  9698. 

Croyance  k  Tobsession,  95-97  ;  troubles 
de  la  — ,  345 ;  place  de  la  —  dans  la 
hierarchie  psychologique,  479. 

Debut  de  la  maladie,' 5,  6i5,  —  de  Fex- 
pression  des  iddes,  5  ;  les  formes  du 
-.  634. 

Declamation  dans  le  r6ve  et  dans  la 
rumination,  353. 

Decouragement.  Sentiment  de  — ,  397. 

Dedoublement.  Sentiment  de  —  dans 
la  perception,  384  ;  dans  la  personna- 
lite,  309,  3ia  ;  — del'attention,  369; 

—  chez  les  psychasth^niques  et  chez 
les  hysteriques,  309. 

Def^xation.  Troubles  de  la  — ,  4i4  ; 
phobie  dela  — ,  194. 

Degenerescence.  Stigmates  de  — ,  611 ; 
maladie  de  — ,  63 1,  739. 

DfecLUTiTiox.  Phobie  de  la  — ,  193. 

Deja-vu.  Obsession  de  — ,  39  ;  senti- 
ment de  — ,  387,  3i7  ;  interpretation 
de  ce  sentiment,  548. 

Deliberation.  Manic  de  — ,  109. 

Delirb  melancolique,  35,  66,  659,  673, 

—  des  (iancds,  36,  638,  700,  —  du 
doute,  36,  —  de  maigreur,  81  ;  — 
de  persecution,  659,  677,  679,  acci- 
dents dc  — ,  66. 

Dkmknce,  663;  —  sp^ciale,  666. 

Depersonnalisation.  Obsession  de  — , 
38,  3io,  3ii,  sentiment  de — ,  3o5, 
3i5;  —  h  la  suite  d*emotions,  53 1; 
Interpretation  de  la  — ,  549- 


748 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATlfiRES 


Derivation.  Thdorie  de  la  —  psycholo- 
giquo,  554  ;  —  dans  le  rire,  555  ;  — 
dans  Tattente,  555 ;  —  dans  la  dou- 
leur,  556 ;  — dans  Tangoisse,  558, 56i , 
56a ;  —  causae  par  Tabaissement  psj- 
chologique,  559 ;  —  dans  les  Amotions, 
563  ;  —  dans  Tattention,  56a  ;  — 
dans  la  rumination  mentale,  56^. 

Dekmatophobie,  186. 

Desirteress£.  Op^'rations  — ,  leur  place 
dans  la  hi^rarchie  ps^chologique,  48a, 
frequence  des  operations  — ,  569. 

Desordre.  Le  —  des  actes,  34o. 

Desorientation.  Sentiment  de  — ,  a85. 

D&VELOPPEMENT  dos  id^s,  loi  ;  —  in- 
complet,  io3. 

Diable.  Le  culte  du  — ,  11  ;  sentiment 
de  Taction  du  — ,  375. 

DiAGiNOSTic  de  la  sitieirgie  psychasth^- 
nique  et  de  Tanorexie  hysterique,  36, 

—  de  la  psychasthenic,  670 ;  —  de 
la  neurasthenie,  671 ;  —  de  la  confu- 
sion, 67a  ;  —  de  la  m61ancolie,  67a  ; 

—  de  la  paralysie  g^n^rale,  67a  ;  — 
do  la  maladie  des  tics,  67^ ;  —  de 
rhysl6rie,  67^-676  ;  —  des  d^lires 
Bjstematis^s,  676,  677. 

DiARRHEEs  dans  Tangoisse,  aa3. 

DiEU.  Le  blaspheme  contre  — ,  11  ;  sen- 
timent de  Taction  de  — ,  375. 

Difficult^:.  Sentiment  de  ~,  a8i. 

Digestion.  Phobic  de  la  — ,  193  ;  trou- 
bles de  la  —  dans  Tangoisse,  aaa  ; 
troubles  permanents  de  la  — ,  4 10, 
4i4>  alternance  des  troubles  de  la  — 
et  des  troubles  ccrcbraux,  ^la  ;  abais- 
sement  du  niveau  mental  par  la  — , 
5i5. 

DiPSOMANIE,    18,  80. 

Direction.  Besoin  de  — ,  3i,  38a  ;  — 
mutuelle,  384  ;  traitement  par  la  — , 
706,  707,  715. 

Distraction.  Action  avec — ,48a. 

Domination.  Sentiment  de  — ,  373,  375. 

DouLEUR.  Sensibilite  k  la  —  dans  Ics 
algies,  197  ;  diminution  de  la  —  chez 
les  psychasth^niques,  335,  douleurs  de 
la  tdte,  399-4o5  ;  —  detcrminee  par 


les  insuffisances,  554  ;  excitation  par 

la  ~,  555. 
Doute,  36,   —  de  T hallucination,  98  ; 

—  de  Tobsession,  96-98 ;  sentiment 

de  — ,  395,  397. 
Dromomanie,  18,  177. 
DuR^E  de  Tobsession,  68. 
Dysesth^sie  visc^rale,   86 ;  —  tactile, 

87. 

Dysmorphopiiobie,  309. 

Eclipses  mentales,  369. 

Egriture.  Honte  de  T  — ,  45  ;  desordre 
de  T  — ,  34o. 

Education,  636;  prophylazie  par  T  — , 
686. 

Effort  imaginaire,  i45  ;  la  crise  des  — , 
173  ;  —  de  vomissement,  175  ;  senti- 
ment d*  — ,  365 ;  sentiment  de  Tinuli- 
lite  des  —  ,  378 ;  faiblesse  des  — ,  389 ; 
excitation  par  T  — ,  53o ;  —  intellec- 
tuel,  533  ;  derivation  dans  les  — 
d*attention,  563,  565,  567 ;  direction 
des  — ,  715. 

Eloignement.  Sentiment  d'  —  dans  la 
perception,  386. 

Emotion,  agitation  ^motionnelle,  i8a  ; 
trouble  de  T  —  au  d^but  des  crises, 
345  ;  —  d'admi ration  au  debut  des 
crises,  346  ;  sentiment  d'incompletude 
dans  les  — ,  398;  sentiment  d'arr6t 
des  — ,  3oo;  difficult^  de  Texprcssion 
des  — ,  348  ;  troubles  des  — ,370;  ar- 
rM  des  — ,  370  ;  —  retardante,  378, 
54 1 ;  —  sublimes,  38o  ;  troubles  visce- 
raux  dans  T  — ,  469  ;  —  sth^niquo, 
535  ;  besoin  de  preparation  dans  T  — , 
54 1 ;  influence  de  T  —  sur  Tanoreric, 
35 ;  influence  de  T  —  sur  le  niveau  men- 
tal, 195,  5 17 ;  sur  TinsufiBsance  psycho- 
logique,  5i9  ;  sur  Tobsession,  4 60. 
465,5 18, 594i  63o ;  influence  des  pelites 
ct  des  graves  — ,  578  ;  la  double  Amo- 
tion k  Torigine  des  obsessions,  598  ; 
thdorie  de  Lange- James  sur  T  — ,  43  ; 
T  —  ph^nomcne  mental,  533  ;  disso- 
ciation par  T  — ,  533  ;  T  —  ct  Tac- 
tion du  froid,  534;  excitation  par  T 
— ,  536,  537,  54  a  ;  theories  emotion- 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATIfiRES 


749 


nelles.  453,  455.458,  46i,  462  ;  V  — 
presente,  sa  place  dans  la  hi^rarchie, 
48 1,  485  ;  complexile  de  1'  — ,  589; 
derivation  dans  1'  — ,  56 1,  563  ; 
reeducation  de  V  — ,  711. 

Emotivitf,  377,  379,  455  ;  son  rapport 
avec  Temotion,  468,  5ao ;  derivation 
dans  r  — ,  563,  564. 

ENOOciNB.  Originc  —  des  obsessions, 
64,  58^. 

Enfant.  Obsession  d'etre  — ,  32,  4o  ; 
retour  kV  — ,  391. 

Ennui.  Sentiment  d'  — ,  3oo,  375. 

Ent^tement.  Crises  d'  —  au  debut  de 
la  maladie,  638. 

Enthousiasms.  Sentiment  d*  — ,  a46, 
38o. 

Envie.  Obsession  de  V  — ,  39. 

Epilepsie.  Impulsions  dans  1*  — ,  84  ;  — 
et  photophobie,  196;  —  et  psycho- 
lepsio,  5o3-5i4  ;  —  et  obsession,  5o6, 
5ii,  5i2;  —  et  angoisse,  5o8;  —  et 
rumination,  5io  ;  —  et  psjchasthe- 
nie,  733. 

EsTOMAC.  Troubles  del'  — ,  ^12. 

Ereutophobie,  43,  ao6,  caract^re  social 
de  r  — ,  208. 

Etiologib  de  la  maladie,  606  ;  influence 
dcs  conditions  physiques,  619  ;  in- 
fluence des  conditions  morales,  6a  ^  ; 
influence  de  Teducation,  6a6  ;  in- 
fluence des  probl&mes  de  la  vie,  637, 
6a8. 

Etonnrment,  137. 

Etrange.  Sentiment  de  V  —  dans  la 
photophobie,  196; dans  la  per- 
ception, 383 ;  dans  la  conscience,  3i  i ; 
interpretation,  546. 

Euphorie  dans  Tanorexie,  35. 

Evolution  de  la  maladie,  66,  606,  634  ; 
les  varietesde  V  — ,  64i,  645,  646, 
648,  653. 

Excitation.  Crises  d*  — ,  178;  besoin 
d'  — ,  3o3,  385  ;  diverses  excitations, 
538.  539,  53o,  53r,  534,  535,  542, 
555. 

Execution  partielle  de  Timpulsion,  79, 
80,  83,  83. 


ExoG^NE.  Theorie  —  des  obsessions, 
63. 

Expiation.  Manie  d'  — ,  139. 

Explication.  Manie  d'  — ,  136. 

Expression  des  idees  obsedanles,  4»  5  ; 
difficulte  de  V  — ,  348  ;  debut  de  l*  — 
des  idees  obsedantes,  634. 

Extatique.  Sentiments  sublimes  des  — , 
383  ;  eiats  — ,  660. 

Extreme.  L'action  —  dans  Tobsession, 
61  ;  manie  de  V  — ,  i35. 

EcziIma,  423. 

Faiblesse  des  ofibrts,  339  j  sentiment 
de— ,  268. 

Faim.  Perte  de  la  — ,  34 ;  exageration 
de  la  — ,  268. 

Fanatisme  et  autoritarisme,  397. 

Fatigue.  Anesthesie  k  la  —  dans  I'ano- 
rexie,  35  ;  la  — dcs  psychastheniqucs, 
339,  352  ;  influence  de  la  — ,  5i5. 

Fiances.  Delire  des  — ,  26,  628,  700. 

FifevRE.  Influence  de  la  — ,  65o. 

FixiT^.  Manie  de  la —  des  idees,  ii4. 

FoLiE.  Obsession  de  la  — ,  28  ;  —  de 
rinterrogation,  126,  —  metaphysique, 
126  ;  — du  doutcet  tics,  236. 

FoNGTioN  du  reel,  43 1,  438;  sa  place 
dans  la  hierarchic,  477. 

FoNTANELLEs.  Localisation  de  la  cepha- 
lalgic  aux  — ,  4o2. 

Force.  Caracl^re  —  des  agitations,  io4  ; 
action  —  dans  Ics  tics,  i64- 

FoRMK  des  obsessions,  3,  65,  596 ;  — 
aigue,  646 ;  chronique,  647  >  chroni- 
que,  647;  intcrmitlente,  648;  remit- 
tente,  652. 

Fugues,  17  ;  —  et  crises  de  marche, 
177. 

G^.NE  des  mouvcmenls,  4i  ;  sentiment 
de  — ,  271. 

Geni-:rai.isation  de  Tassociation,  72  ; 
manie  de  la  — ,  i36  ;  —  de  la  mala- 
die, 655,  656. 

Genital.  Impulsion  — ,  16  ;  hypocon- 
drie  — ,  5i,  52;  manies  — ,  i35  ;  ex- 
citation —  dans  Tangoisse,  221  ;  en- 
gourdissemenl,  373,  425  ;  difficulte 
des  actes  — ,  573  ;  influence  des  trou- 


7:.o 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATlfiRES 


bles  — ,  6a  3;  excitation  par  remotioii 

-.5/ia. 
Graphiques  de  Tatteiition,   364>   365; 

de  la  respiration,  aa8. 
Grossrssk.  Influence  de  la  — ,  6/19. 
GuERisuN  naturclle  par  I'Age,  666,  667. 
Habitudf.  Difficult^  de  Tacquisiiion  de 

r  — ,  3^:4  ;  influence  de   1'  —  sur  la 

syst^matisation,  679. 
Hallucination  hysterique,  56,  73,  SG  ; 

—  ps^rchasthonique,  10,  85  ;  —  visc^- 
rales,  86  ;  —  auditives,  87 ;  —  vi- 
suclles,  8S  ;  —  du  precipice,  89  ;  — 
symboliqucs,  89,  94«  lao  ;  —  incom- 
pletes, 90,  91,  9a,  94  ;  —  de  la  per- 
son nc  vue  au  dehors,  3i4;  —  sans 
r^aliie,  438  ;  la  tension  psychologique 
dans  r  — ,  49a- 

IIeb^phkenik,  66a. 

HERtoiTE,  607,  610,  680. 

Hesitation.  Manie  de  V  — ,  108,  337. 

HiERARCHiB  des  ph^nom^nes  psjchologi- 
ques,  180,  487,  474. 

HoNS^TKTfe.  Amour  de  l'  — ,  39a. 

HoNTE.  Obsession  de  — ,  aa,  a3  ;  —  du 
corps,  33-4o.  43,  44>  45,  46  ;  senti- 
ment de  — ,  377. 

Hydrorkhj:f:  dans  la  photophobio,  196; 

—  intcstinale,  aa3,  4^4  ;  —  vaginalc, 
4a4. 

Hydkoth^ikapie,  539. 
Hygikne  du  psychasthdnique,  690. 
Hypermnesik  apparentc,  118. 
Hypnotique.  Sommeil  —  chez  les  psy- 

chaslh (Uniques,  33o,  33 1,  33a  ;  Iraite- 

ment  par  le  sommeil  — ,  7o3-7o5. 
Hypocondrik  urinaire,  48  ;  — gc^'nitale, 

5o-5a. 
HYST^RiguE.    Anorexie    — ,    34  ;    id6es 

Axes  — ,  65,  99  ;  impulsions  — ,  84  ; 

—  hallucinations,  86,  9a  ;  somnam- 
bulisme  — ,  100  ;  attaques — ,  179; 
d^doubloment  — ,  3o9  ;  diagnostic  de 
la  psychasth^nie  etde  V  — ,  674,734. 

lofeALisME.  Obsession  de  V  — ,  37. 
lofeE.  Fuite  des  — ,  i55  ;  phobiedes — , 
aio  ;  recherche  des  —  g^n^rales,  395. 
Imaginaire.  Sentiment  de  V  — ,  387-389. 


Imbecillite.  Impulsions  dans  V  — ,  84- 

Immobilit^,  comme  tic  d'attitode,  i64- 

Imperfection.  Sentiment  d'  — ,  ai. 

Impulsion  criminelles,  i5 ;  —  nega- 
tives, 18  ;  —  dans  Tidee  obstante, 
75  ;  —  dans  les  phobies,  les  hontes, 
77  ;  —  irresistibles,  77  ;  resistance  k 
V  — ,  78  ;  execution  de  V  — ,  79.  84 ; 
manie  de  V  — ,  85  ;  symbole  de  V  — , 
ia3  ;  r  —  dans  les  tics,  167  ;  inter- 
pretation del'  —  psychasth^nique,  698. 

iNACHfevEMBKT  des  actes,  341  ;  sentiment 
d*  — .  398. 

Incapacity.  Sentiment  d'  — ,  368. 

Incompletude  de  Taction,  163  ;  senti- 
ment d'  — ,    364,    380; dans 

r^motion,  398 ; dans  le  sommeil, 

3oo  ; et  inquietude,  3o3  ; 

dans  la  perception  personnelle,  3o5 ; 
tableau  des  sentiments  d'  — ,  4a7;  in- 
fluence des  sentiments  d'  —  sur  les 
obsessions,  585 ;  interpretation  de  ces 
sentiments,  544>  545. 

Incoordination  dans  Tangoisse,  aai  ; 
sentiment  d'  — ,  394. 

Indecision.  Sentiment  d'  — ,  369. 

Independance.  Obsession  d'  — .  3o. 

Inoiff^:rbnce.  Sentiment  d*  — ,  398  ; 
dtot  d'  — ,  373.  374. 

Indolence,  335. 

Inertie  complete,  353,  664- 

Infectifux.  Influence  des  maladies  — , 
5i4. 

Inierirur.  Caractore  — des  pb^nom&nes 
de  I'agitation,  35 1  ; des  Amo- 
tions dans  Tangoisse,  a53  ;  senti- 
mentd'  — .  3ii. 

Infini.  Manie  del'  — ,  i36  ;  rumination 
sur  r  —  et  epilepsie,  5i3. 

Inhibition  des  actes,  345  ;  aboulie  et — , 

349. 
Inquietude.  Sentiment  d'  — ,  3oi  ;  — 

et   peur,    3oi  ;  —    et    incompletude, 

3o3  ;  —  ant^rieure  k  TAreutophobie, 

44- 
Insomnie,  4o8. 
Instabilite.  Sentiment  d'  — ,  382  ;  — 

de  Tattention,  363. 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATlfiRES 


7M 


Insuffisakce  psjchologique,  3 19,  43o  ; 

—  psychologique,  SgS ;  —  d^termineo 
par  remotion,  5a  i  ;  douleur  determi- 
n6e  par  1'  — ,  55/i  ;  influence  des  — 
sur  I'obsessioii,  089. 

Iktelligenck.  D^veloppement  de  1'  — 
chez  les  scnipuleux,  354  ;  sentiment 
d*incoinpl6tude  de  V  — ,  a8i,  298, 
36 1  ;  la  place  de  V  —  dans  la  hierar- 
chie  psychologique,  484  ;  rdle  de  V  — 
dans  I'obsession,  55 1  ;  thuorics  intel- 
lectueltes  de  Tobsession,  45o. 

iNTEHNEMKN'rdes  psycliaslh^niques,  70a. 

Interrogation,  besoin  d'  — ,  294  ;  ma- 
nie  de  r  — ,  107  ;  du  sort,  1 10. 

IrvTEsTiNAi.,  troubles  — ,  4i4- 

Intimidation.  Sentiment  d'  — ,  278. 

Introspection  psychologique  chez  les 
psjrchasth^niques,  485. 

Inversion  sexuelle,  16,  49*  590. 

IsoLEMENT.  Crainte  de  T  — ,  891  ;  r61e 
de  r  —  dans  I'agoraphobie,  092. 

Irr^el.  Sentiment  de  V  — ,  27,  289  ; 
dans  rhallucinalion,  98. 

Irresistible.  Impulsion  — ,  77  ;  carac- 
tcre  —  des  agitations,  255  ;  sentiment 
de  domination  — ,  275. 

Isolement.  —  Sentiment  de  V  — ,  208, 
286  ;  crainte  de  1'  — ,  891  ;  role  de 
r  —  dans  Tagoraphobie,    2u8,  592  ; 

—  terminal  du  malade,  064. 
Jalousie.  Obsession  de  — ,  590. 
Ja.mai8  vu.  Sentiment  de  — .  288. 
Jeu.  Excitation  par  le  — ,  54a, 
Justice.  Amour  de  la  — ,  898. 

KlNKSTIIESIQUE.    ScnS  ,  82I. 

Langagb.  Phobie  du  — ,  194. 

Lkgal.  Pronoslic  medico ,  688. 

Lentkur.  Manie  de  la  — ,  i3o  ;  —  des 
actes,  888. 

LiBERTK.  Amour  de  la  — ,  274  ;  senti- 
ment de  perte  de  la  — ,  278,  275. 

LuTTE.  Crise  de  — ,  174;  crainte  de  la 
— ,  848,  890. 

Maladresse  des  mouvemcnts,  84  r>  486. 

Manie  mentale,  106  ;  de  la  fixity  des 
id^es,  70,  ii4  ;  de  Tassociation,  75  ; 
des  vomissements,  8a  ;  de  Timpulsion, 


85  ;  du  symbole,  9^,  120  ;  de  Thallu- 
cination,  95  ;  del'au  delk,  118  ;  de  la 
precision,  118  ;  des verificatioiis,  ii4  ; 
de  I'ordre,  ii4  ;  de  la  symMrie,  ii5; 
du  conlraste,  ii5  ;  de  la  contradic- 
tion, 116  ;  de  I'association  des  id^es, 
117  ;  des  petites  clioses,  117  ;  de  Ta- 
rithm^tiquo,  118,  119  ;  de  la  recher- 
che, 122  ;  du  pass^,  122  ;  de  Tavenir, 
ia6;de  rezplication,  de  I'interroga- 
tion,  laO;  des  precautions,  ia8  ;  de 
la  lenteur,  180  ;  de  la  propret^,  180 ; 
de  la  repetition,  181  ;  du  retour  en 
arriire,  182  ;  des  procedes,  188  ;  dela 
perfection,  i84  ;  de  I'extreme  et  de 
rinfini,  61,  i85  ;  des  generalisations, 
186;  de  I'absolu,  186  ;  de  la  repara- 
tion, 188  ;  de  la  compensation,  188  ; 
de  Texpiation,  189;  des  pactes,  i4i  ; 
de  la  superstition,  i4i  ;  des  serments,* 
i4i  ;  des  conjurations,  i48;  tableau 
des  —  mentales,  i47  ;  unite  clinique 
des  — ,  147  ;  rAle  des  —  dans  les  tics, 
1 65  :  sjstemalisation  des  —  mentales, 
582. 

Marche.  Troubles  de  la  — ,  46  ;  impul- 
sion k  la  — ,  176. 

Mariage.  Dilficulte  du  —  578 ;  in- 
fluence du  —  sur  le  d^veloppement  de 
la  maladie,  628 ;  precautions  k  pro- 
pos  du  — ,  684*  700. 

Massf.  La  —  des  phenom^nes  dans  la 
tension  psychologique,  494. 

Masturbation.  Impulsion  &  la  — ,  17, 
48  ;  son  rapport  avec  les  aboulies  so- 
ciales,  578  ;  influence  de  la  —  sur  le 
debut  dc  la  maladie,  6ai-6a8. 

Mf^coNTENTEMENT.  Sentiment  de  — ,  32, 
26,  276. 

Mkuication  sedative,  698  ;  bromuree, 
694  ;  toiiique,  695. 

Melancolie.  Deiire — ,25  ;  — anxieuse, 
66,  659  ;  sentiments  — ,  875  ;  dia- 
gnostic de  la  — ,  672. 

Mi^iMoiHE.  Exageratton  de  la  — ,  858  ; 
—  retardante,  858  ;  place  des  di verses 
formes  de  la  —  dans  la  hierarchie, 
480,  4^8. 


752 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATIERES 


Mknsonge.  Sentiment  de  — ,  277. 
Mentismk,  100,  1 55. 
M^iTAPHYsiQUE.  Manic,  126,  138. 

MlCROMA!CIE»    117,    195. 

Miction.  Scnipule  de  la  — ,  48. 

MiSOMKISMR,  344- 

Morphine.  Maniede  la  — ,  80  ;  influence 
de  la  — ,  529  ;  trailement  par  la  — , 

MoKT.  Obsession  de  la  — ,  52  ;  senti- 
ment de  la  — ,  3i6,  877. 

MouvEMRNT.  Exageraiion  du  — ,  35  ; 
honte  des  — ,  4^  ;  caract^re  inf6rieur 
des  —  dans  les  tics,  181  ;  troubles  des 
—  dans  Tangoisse*  220,  221  ;  roala- 
dresse  des  — ,  34 1  ;  —  subconscients, 
229  ;  r6le  des  -r-  dans  la  tension  psy- 
chologique,  4^9  ;  excitation  par  le  — , 
53i. 

MuscuLAiRE.  Sensibility  — ,  32 1  ;  sa 
mesure,  32 1. 

Myst^rieux.  Sentiment  du  — ,  275,294* 

Nl^JOLOGISMES,    7. 

Neurasthi-^nie  du  d^but,  635  ;  psychas- 
th^nie  et  — ,  736. 

Ni^vROPATHiE  c6r^bro-cardiaque,  309 ; 
et  dpilepsie,  5o5. 

Niveau  mental  ddfini  par  les  degres  de 
la  tension  psychologique,  496  ;  oscilla- 
tion du ,  498  ;  influences  qui  66- 

termiiient  Fabaissement  du  —  — , 
5i4  ;  Tascension  du ,  525. 

Nouvkau.  La  place  de  Taction  —  dans 
la  hierarchic,  477  *  c^iAiculte  cles  actes 
— .  344. 

Nutrition.  Troubles  de  la  — ,  4i5,  657. 

0Bir:i8SANCE,    343. 

Obligation.  Sentiment  d*  —  sacr^e, 
275. 

Obsession  du  sacrilege,  9  ;  du  crime, 
12  ;  de  la  honte  de  soi.  22  ;  de  la  fo- 
lie,  28,  589  ;  de  depersonnalisation, 
28  ;  d'envie,  29  ;  d'ind^pendance,  3o; 

d*amour,  3o,  591  ;  d'etre  un  enfant,  32  ; 
de  la  honte  du  corps,  33  ;  des  inou- 
vements,  4i  ;  du  faux  col,  4i  ;  des 
yeux,  4i  ;  de  Timpotence  des  jambes, 
46  ;  visc^rales,    46  ;    urinaires,    47  ; 


genitales,  48-52  ;  de  I'impuissanoe, 
49 ;  de  la  mort,  52  ;  des  maladies, 
52  ;  tableau  du  contenu  de  1*  — ,  54  ; 
r  —  porte  sur  les  actes,  57,  58  ;  — 
d'origine  endog^ne,  64.  584  *•  forme 
des  — ,  65  ;  —  conscientes,  66,  67  ; 
permanence  et  Evolution  del*  — ,  68  ; 
croyance  k  V  — ,  95,  97  ;  d^veloppc- 
ment  incomplet  de  V  — ,  io3  ;  1' — el 
la  suggestion,  452  ;  —  et  Amotion. 
465,  5i8  ;  —  et  ^pilepsie,  5ii,  5i2  ; 
interpretation  del*  — ,  583,  589  ;  in- 
fluence des  ev^nements  ext^rieurs  sur 
l*  — ,  592,  593 ;  la  double  Amotion  k 
Torigine  des  — ,  593  ;  interpretation 
de  la  forme  des  — ,  595,  596. 

Odor  AT.  Phobie  de  l*  — ,  194. 

GEofeMEs,  423. 

CEiL.  G6ne  des  — ,  4i  ;  obsession  des 
-,  4i. 

Oromatomanie,  124*  i34- 

Ordre.  Manie  de  l*  — ,  1 14. 

Oscillation.  Mtnie  de  1*—,  106;  — 
de  la  volonte,  337  >  —  de  la  tension 
psychologique,  498  ;  —  avec  abaissc- 
ment  du  niveau  mental,  5i4  ;  —  avec 
elevation,  524  ; — parle  changement, 
529  ;  —  par  Teflbrt,  53o  ;  —  par  Ve- 
motion,  536  ;  —  de  la  maladie,  648- 
653  ;  —  entre  le  delire  du  scrupule 
et  le  delire  de  persecution,  678. 

Olie.  Phobie  de  1'  — ,  195. 

Pactes.  Manie  des  — ,  i4i. 

Palpitations  dans  langoisse,  224- 

Paralysis  chez  les  psychasthentques. 
328  ;  diagnostic  de  la  paralysie  gene- 
rale,  672. 

Paresse,  336. 

Parole,  interieure,  ii4;  impulsion  k  la 

~    "77. 
Passim.  Manie  du  — ,    i25  ;  sentiment 

du  — ,  288. 
Perception.  Trouble  des  —  dans  les 

phobies  des  situations,  202  ;  troubles 

de  la  —  personnelle,  3o5 ;  inintelli- 

gence  des — ,  36 1. 
Perfection.  Manie  de  la  — ,  i34,  i35. 
Periods  de  la  maladie,  65  ;  —  psychaa- 


INDEX  ANALYTfQUE  DES  MATIfiRES 


753 


th^oiques,  i39-44a  ;  — 'de  r^miMion, 
65i,  652  ;  —  critiques*  654- 
Persecution.  Sentiment  de  — ,  276  ; 

—  dans  la  crise  de  lutte,  174  ;  idees 
de  — ,  590  ;  d^lire  de  — ,  659,  677, 

679- 
Person^iel.    Sentiment  dlncompMtude 

— ,  3o5  ;  d'^tranget^  — ,  3ii  ;  d*infi6- 
rioril^  — ,  3i  I ;  de  dedoublement  — , 
3ia  ;  hallucination  — 1  3i4  ;  senti- 
ment de  perte  de  la  porsonne,  3i5. 

Petitesse.  Sentiment  de  —  dans  la  per- 
ception, a86. 

Peur  et  inquietude,  3oi  ;  —  de  la 
lutte,  343. 

Phobib  d'engraisser,  37  ;  base  — ,  46  ; 

—  des  pets.  47  ;  —  dans  les  obsessions, 
56 ;  —  des  chemins  de  fer,  i33,  i8a, 
1 83  ;  classification  des  — ,  i83  ;  — 
des  fonctions  du  corps,  47»  190  ;  — 
des  mouvements  des  membres,  190  ; 

—  deTalimentation,  dela  deglutition, 
19a  ;  —  de  la  digestion,  193  ;  —  du 
ventre,  193  ;  — de  la  defecation,  194  ; 

—  du  langage,  194  ;  —  de  Todorat, 

194  ;   —  de   I'ouie,    195  ;   photo  — , 

195  ;  —  des  objets,  198  ;  —  du  con- 
tact, 199  ;  miso  — ,  rupo  — ,  aoo  ;  — 
professionnelle,  aoi  ;  —  des  situations 
physiques,  aoi  ;  agora  — ,  aoa  ; 
claustro  — ,  ao5  ;  erenlo  — ,  4^,  ao6  ; 

—  des  situations  sociales,  ao6 ;  — 
sociale,  aio  ;  —  du  manage,  aio ;  — 
des  idees,  aio  ;  —  de  la  folic,  an  ; 

—  dela  mort,  aia  ;  interpretation  des 

—  professionnelles,  574  ;  localisation 
des  — ,  569-577. 

pHRi^?iOLEPsifi.  Crises  de  — ,  5oi« 

Physiologique.  InsufBsance  — ,  398. 

PoLLAKitiHiE,  aa3. 

Polyj>,niSe,  aa9. 

PoLYURiE,  aa3. 

Pratique.  Defaut  de  — ,  436. 

Precautions.    Manie  des  — .   ia8;  — 

dans  les  tics,  169. 
Precipice.  Image  du  — ,  a5,  lai. 
Precision.  Manie  de  — ,  ii3. 
PrEpabaiion  dans  I'emotion,  54 1> 

LES  OBSESSIONS. 


PrEsage.  Manie  des — ,  no. 

PrEse.nt.  Effacement  du  — ,  ia5  ;  sen- 
timent du  — ,  a88,  48 1  ;  presentifica- 
tion,  481  ;  troubles  dans  les  fonctions 
du  —.434,  437. 

Pressentimeiyt,  389. 

Prersiom  arterielle  dans  I'angoisse,  aa5. 

PbocEdE.  Manie  des  — ,  i33. 

Procbssigrammes.  Graphiques  de  Tat- 
tention,  366. 

pRoFE8SioN.>EL.  Phobies — ,  aoi  ;abou- 
lies  — ,  349;  Taction  — ,  477;  s* 
difficulte,  574. 

PromnEsir,  389. 

Phonostic,  680. 

Prophylaxis,  684. 

PropretE    Manie  de  — ,  117,  i3o,  169. 

PsychasthEnique.  Diverses  designa- 
tions des  — ,  viii  ;  difficulte  de  Tetude 
des  — ,  a6i  ;  impulsions  — ,  84  ;  stig- 
males  — ,  a6o  ;  troubles  de  la  con- 
science des  — ,  309  ;  periodes  — ,  439- 
443  ;  abaissement  des  — ,  5oa  ;  — et 
epilepsie,  5i3,  733  ;  —  constitution- 
nelle  et  —  acquise,  63 1  ;  varietes  cli- 
niques  des  — ,  64 1  ;  marche  de  la 
maladie  — ,  645  ;  —  et  hysteHe,  675, 
734  ;  —  el  neurasthenie,  736  ;  —  et 
deiire  de  persecution,  678  ;  les  dan- 
gers de  la  — ,  680  ;  unite  de  la  — , 
7a5  ;  interpretation  palhologique  de 
la  — ,  737  ;  definition  de  la  — ,  737. 

PsYCHOi.EPSiE.  Crises  de  — ,  5oi  ;  — et 
epilepsie,  5o3-5i4- 

PsYCHOLOGiQUE.  Rcgions  —  du  corps 
humain,  190,  337  ;  hierarchic  — , 
474 ;  phenomenes  —  eiementaires, 
474. 

PsYCHO-.>EvRosE.  PUcc  dc  U  psychas- 
thenic parmi  les  — ,  733. 

PuBERTE.  Honte  de  la  — ,  39  ;  influence 
de  la  — ,  617  ;  —  morale,  618. 

PuDBUR.  Evageration  de  la  — ,  4o. 

PupiLLEs.  Dilatation  des  — ,  409. 

Rachialoir,  4o6. 

Raisox.>rmbnt,  sa  place  dans  la  hierar- 
chic, 485. 
Recherche.  Manie  de  — ,  ia3. 
1.  -48 


( 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATlfeRES 
Sentiment  de  fausse 


754 

Reconnaissance 

-.  a87. 
Rl^^DucATioN.  de  l*6motion  »  711  ;  —  de 

rattcntion,  715. 
Rt^iEL.    Le   sentiment  du    — ,  98,  290, 

43a,  435  ;  la  fonction  du  — ,  ix,  43 1 ; 

place  de  la  fonction  du  —  dans  la  hie- 
rarchies /177  ;  coefficient  de  — ,  487  ; 

perte  de  la  fonction  du  — ,  433,  438, 

569  ;  interpretation  de  la  perte  de  la 

fonction  du  — ,  546. 
Ri^:flexe8.  Modification  des  — ,  409. 
Refus  d'aliments,  33-43. 
REGIME  alimentaire,  690. 
Ri^:gion8  psychologiques,  190,  337. 
Regles.  Modifications  des  — ,  4^5,  436  ; 

influence  des  — ,  6/19. 
Religieuse.  Id^es — ,  i3  ;  Amotions — , 

639. 
Rememoration.  Manie  de  — ,  134. 
Ri^:mission  de  la  maladie,  653. 
Remords.  Obsession  de  — ,  19,  21. 
REPARATION.  Manie  de  — ,  i38  ;  -—  dans 

Ics  tics,  170. 
Ricp^TiTioN.  Manie  de — .  i3i. 
RepoSv  Traitement  par  le  — ,  69a. 
. Repr^isentation    imaginaire.     3i  ;    sa 

place  dans  la  hi^rarchie,  484. 
Respiration  dans  Tangoisse,  337. 
Responsabilite,    i4  ;    crainte   des   — , 

371. 
Retard  ANT.  Action  — ,  338  ;  m^moire 

— ,  358  ;  emotion  — ,  378. 
Retour  en  arriere,  Manie  du ,  i33 ; 

—  h  Tenfance,  391. 
Retrecissement  du  champ  de  la   con- 
science, 319. 

Reverie  forcee,    |53  ;   disposition    h  la 

— .  368. 
Ri^vE  et  rumination,  353  ;  sentiment  de 

— ,  289,  390. 
RigvQLTE.  Sentiment  de  — ,  379. 
Rhinorrhee,  434* 
RiRE.  La  derivation  dans  le  — ,  556. 
Rumination  mentale,    106,    i49f   467  ; 

—  —  et  epilepsie,  5 10  ;  derivation 
dans  la ,  564. 

SackE.  Sentiment  d*obligalion  — ,  275. 


Sacrilege.  Obsession  du  — ,  9-13  ;  sen- 
timent de  — ,  200. 

Satisfaction.  Sentiment  de  —  dans  les 
crises,  257. 

ScRUPULEux.  Garactere  — ,  5,  57. 

S^XRfeTioN.  Troubles  des  — ,  227,  433. 

Sensibilite.  Troubles  de  la  — ,  Sao, 
323  ;  regions  dc  — ,  827 ;  — du  cHine, 
4o5. 

Sentiment  de  mecontentemcnt,  8,  376; 
d*im perfection,  34  ;  d*euphorie  dans 
Tanorexie,  35  ;  de  pudeur,  4o ;  de  sa- 
crilege, 300  ;  d'isolement,  ao3  ;  de 
mort,  de  folie  dans  Tangoisse,  33a  ; 
dc  perte  de  la  liberty,  333  ;  d*irresis- 
tibilite,  356  ;  de  satisfaction  dans  la 
crise  d'agitation,  357  ;  d'incomple* 
tude,  364*  380,  3i3  ;  deTeflbrt,  3()5; 
de  la  difliculte,  266  ;  de  Tinutilite  de 
Taction,  367,  378  ;  d'incapacile,  268  ; 
d'inddcision,  369  ;  de  g£ne  dans  Tac- 
tion, 271  ;  d*automalisme,  272  ;  de 
domination,  I3i,  378;  d'etre  tromp^, 
375  ;  de  persecution,  375  ;  d'obliga- 
tion  sacree,  375 ;  de  mensonge,  de 
comedic,  377  ;  de  hontc,  377 ;  d*inti- 
midation,  378  ;  de  revolle,  279  ;  de 
difticulte  de  Tattention,  281  ;  d'insta- 
bilite,  282  ;  de  perception  incomplHe, 

282  ;  d*etrangete,  283  ;  dejamais-vu, 

283  ;  de  dedoublement,  284  ;  de  deso- 
rientation,  285  ;  de  petitessc,  d'eloi- 
gnement,  286 ;  dc  Timaginaire,  387  ; 
de  dej&-vu,  de  fausse  reconnaissance, 
287,  817  ;  du  passe  et  du  present, 
288  ;  de  presscntiment,  289  ;  de  reve, 
289,  290  ;  de  cecite,  294  ;  de  dispari- 
tion  du  temps,  291  ;  dHnintelligcnce, 
293  ;  du  m^sterieux,  294 ;  de  doute, 
^9&>  397  ;  de  decouragement,  297  ; 
d'inach^vement,  298  ;  d'indifference, 
298  ;  d'ennui,  3oo  ;  d'incompietude 
du  sommejl,  Soo  ;  d'inquieiude,  3oi ; 
du  besoin  d*excitation,  3o3  ;  d'ambi- 
tion,  3o4 ;  dedepersonnalisation,3o5, 
3 II,  3 1 5,  317;  d'etrangete  du  moi, 
3ii  ;  de  dedoublement  du  moi,  3ia  ; 
de  mort,  3i6  ;  arret  des  — ,  870  ;  — 


INDEX  ANALYTIQUE  DES  MATIfiRES 


7J5 


mdlancoliques,  875 ;  —  d'onnui,  875 ; 
de  la  fin  du  monde,  877  ;  d*enthou- 
siasmo,  880  ;  de  vide  dans  la  l6te,  4oo ; 

—  du  reel,  48a  ;  inlerpr^lalion  des  — 
d'incooipl^tude,  544.  545  ;  des  — 
d'etrange,  547  »  ^^  ^^i^  ^"»  ^^^  »  ^®* 

—  de  d^pereonnalisalion,  549  >  ^^' 
fluence  des  —  d'incompl^tudc  sur  les 
obsessions,  585  ;  —  pathologiques  au 
d^but  de  la  maladie,  635. 

Serment.  Manie  du  — ,  l^2. 

Sexe.  Honte  du  -^,  89  ;   influence  du 

—  8ur  la  psychasthcnie,  618. 
Signification.  Obsession  do  — ,  588. 
Simplification  de  la  vie,  700. 
Social.  Troubles  des  sentiments  —  dans 

r^reutophobie,  308  ;  phobie  des  situa- 
tions — ,  310;  trouble  de  Taction  — 
au  d^but  de  Tagitation,  a43  ;  les  abou- 
lies  — ,  345,  347  ;  Taction  —  dans  la 
hi^rarchie  psychologique,  477  ;  diffi- 
cultc  de  Taction  — ,  570  ;  facililc  de 
Taction  faite  seule,  571  ;  education  — , 
687.      • 

SoMMEiL.  Troubles  du  —  au  debut  des 
crises,  347»  4o6,  407,  4o8  ;  role  de  la 
volonte  dans  le  — ,  4o8,  478  ;  senti- 
ment d'incompletudc  du  — ,  347. 

SoMNAMBULisME  hptcnque,  too. 

SouRiHE  obscdant,  309. 

Specialisation  des  insuffisanccs,  569. 

Sphigmomanom^trk,  4ai- 

Stigmates  psychastheniques,  360 ;  — 
hjst^riques,  819,  330  ;  —  physiques 
de  dcgenurcscence,  611. 

Stratification  des  id^es,  656. 

Stupevr.  658,  661. 

Subconscient.  Mouvement  — ,  839. 

Sublime.  Amotion  — ,  38o. 

Substitution  d'unc  manie  mcnlale  h 
une  autre,  149;  des  agitations,  388; 
des  phenombnes  secondairos  aux  pri- 
maircs,  348  ;  des  obsessions,  656. 

Suggesti(»n,  role  dans  Tobscssion,  63, 
453  ;  —  hypnotiquc,  76,  io3,  333, 
334  ;  obeissance  et  — ,  343  ;  iraitc- 
menl  par  la  — ,  703. 

Suicide.  Impulsion  au  — ,  r5. 


Superstition.  Manie  des  ~,  Ii3,~i4i- 
Surveillance  de  soi-mdme,  139,  i3q. 
Symbolique.  Hallucination  — ,  94>  109, 
I30  ;  manie  — ,  i3o  ;  lulte  — ,  175  : 

—  dans  la  perception,  569  ;  influence 
de  la  manie  —  sur  les  obsessions,  585. 

Sym^trie.  Manie  de  la  — ,  ii5. 

Stnthkse  mcntale  dans  la  tension  psy- 
chologique,  491* 

Syst^matisation  de  k  derivation,  568, 
571,  578  ;  ddlires  — ,  659,  676. 

Tableau  des  obsessions.  54  *.  —  des  ma- 
nics  mcntalcs,  1 47  ;  —  des  agitations 
motrices,  181  ;  —  des  agitations  ^mo- 
tionnelles,  a34;  —  des  sentiments 
d*incompl<^tude,  4^7  ;  —  des  insuffi- 
sances  psychologiques,  43o  ;  de  la  hie- 
rarchic psychologiquc,  487. 

TaPHF^PHOBIE,   313. 

Temps.  Sentiment  do  disparition  du  — , 
391. 

Tendance  k  Taction  dansTobsession,  75. 

Tension  sanguine,  4^0  ;  —  psycholo- 
giquc, 445,  448,  494  '•  oscillations  do 

la ,  497.  498,  569,  668  ;  rolcvo- 

ment  therapculique  de  la  — ,  711. 

Tehminaisons,  663,  669. 

Theories  des  obsessions,  4'i5  ;  —  in- 
tellcctuelle,  448,  45o  ;  —  6motion- 
nellc,  453,  '458  ;  —  psychasth^nique. 
470 ;  —  des  sentiments  d'incompl6- 
lude,  544 ;  —  des  agitations  forc^es, 
553,  567  ;  —  de  la  derivation  psycho- 
logique,  554*.  —  de  Tangoisse,  56i  ; 

—  des  crises  de  psycholcpsie,  567 ;  — 
des  troubles  syst^matis^s,  568  ;  —  des 
agoraphobics,  571  ;  des  obsessions, 
598  ;  —  anatomiques,  599-603  ;  —  de 
Tunitc  du  syndrome,  735  ;  —  de  la 
degen6rcscence,  738. 

Tics  el  choree.  4 1  ;  caractferes  des  — , 
131,  107,  161  ;  les  —  des  divers  or- 
ganes,  i58  ;  les  —  d*attiludc,  159; 
classification  des  — ,  i64 ;  —  de  per- 
feclionnement,  i64;  —  de  defense, 
170  ;  —  la  derivation  dans  les  — , 
56o  ;  la  syst6matisation  des  — ,  588  ; 
lc8  —  au  ddbut  de  la  psychasthenic, 


INDEX  ANAL\TIQUE  DFS  MATlfiRES 


689  ;  diagnostic  de  la  maladie  des  — , 
674  ;  traitement  dc»  — ,  721. 
TiMiDiTE,  9  ;  arret  des  Amotions  dans  la 
— ,  3oo,  348  ;  Taboulio  sociale  et  la 
— ,  345  ;  angoisse  el  — ,  346  ;  deri- 
vation dans  la  — ,  56a  ;  —  intellcc- 
tuelle  avec  derivation  mentale,  565 ; 

—  ail  debut  dc  la  maladie,  637. 
T0POALGIE8,  1 86. 
T0RTICOLI8  mental,  187. 
Thaitemext  de  la  constipation,  658  ;  — 

physique  de  la  psychasthenic,  684 « 
688  ;  —  de  Weir  Mitchell,  693  ;  — 
m^dicamcnteux,  693-96  ;  —  par  les 
agents  physiques,  698  ;  —  moral,  699  ; 

—  par  la  suggestion,  703,  706  ;  — 
par  la  direction  morale,  706 ;  —  par 
la  reeducation  de  Temotion,  711;  — 
de  fatten tion,  711  ;  —  par  Ic  travail, 

7»7- 
Tristesse.  Sentiment  de  — ,  376. 


UniTi  de  la  maladie,  735. 

Urines.  Analyse  des  — ,  417;  manie 
urinaire,  i3a,  i34. 

Vaso-moteurs.  Troubles  des ,  43, 

336,  4o3,  4a3. 

V^RiFicATiox.  Manie  de  — ,  ii4;  tics 
de  — ,  i65. 

Vektige  epileptique,  '5o6,  5o7  :  —  ei 
angoisse,  5o8. 

Visage.  Uonte  du  — ,  38,  4a- 

Visceralrs.  Sensibilites  — ,  Sai.  33a. 

VisuEL.  Sens  — ,  33 1  ;  champ  visuel, 
331,  333. 

Vocation.  Remords  de  — ,  3i. 

Vol.  Impulsion  au  — ,  17. 

VoLONTE.  Obsessions  relatives  k  la  — , 
59  *,  troubles  de  la  — ,  i43,  335,  354 ; 
action  de  la  —  surles  tics,  i63  ;  theo- 
ries sur  les  troubles  dc  la  — ,  473. 

Vomissemrnt.  Manie  des  — ,  83. 


TABLK  DES  CHAPITRES 


Pages. 

INTRODUCTION '     .  VII 

PREMIERE  PARTIE.  —  ANALYSE  DES  SYMPTOMES.  i 

CHAPITRE  I.  —  LES  IDfiES  OBSfiDANTES.     ...  3 

PKEMliRE    SECTION.  —    LE    CONTENU    DES    ID^ES    OBS^DANTES.  4 

I.  V Expression  des  idSes  obs4danies 4 

a.  L' Obsession  du  sacriUge 9 

3.  L'Obsession  du  crime la 

4.  L'Obsession  de  la  honte  de  soi aa 

5.  L* Obsession  de  la  honte  du  corps 33 

6.  Les  Obsessions  hypocondriaques 5o 

7.  Les  caracUres  communx  de  ces  obsessions 54 

DEUXIEME    SECTION.  LA    PORMB    DES    OBSESSIONS.    ...  65 

I.  La  permanence  ei  revocation  de  I' Obsession 68 

a.  La  tendance  a  I'action,  V absence  d' execution 75 

3.  La  tendance  a  la  representation,  l* hallucination  symholique.    .     .  85 

4.  Aa  tendance  a  la  croyance  et  le  critique  de  V Obsession gS 

5.  Le  diveloppement  incomplet  de  Vid4e  obsedante 99 

CHAPITRE  II.  —  LES  AGITATIOxNS  FORCEES..     .     .  io4 

PRBMIJSRE    SECTION.   LES    AGITATIONS    MENTALES.    .       .       .  Io6 

I.  Les  manies  mentales  de  Voscillation 106 

I.  La  manie  de  1* interrogation 107 

a.  Les  manies  de  rh6sitalton,  de  la  deliberation 108 

3.  Los  manies  du  presage  ou  de  Tinterrogation  du  sort no 

a.  Les  manies  de  I'au  dela ii3 

I.  Les  manies  de  la  precision Ii3 


758  TABLE  DES  GHAPITRES 

a.  Les  manies  arithm^tiques Ii8 

3.  Les  manies  du  symbolc lao 

4.  Les  manios  do  la  recherche.  —  Les  manies  du  pass^,  de  l*avenir. .  laa 

5.  Les  manies  de  l*explication 136 

6.  Les  manies  dos  precautions ia8 

7.  Les  manies  de  la  repetition  ct  du  retour  en  arri^re i3i 

8.  Les  manies  des  proc^dds  et  les  manies  de  la  perfection i33 

9.  Les  manies  de  Textrdme  et  de  Tinfini i35 

3.  Les  manies  de  la  reparation i38 

I.  Les  manies  de  la  compensation i38 

3.  Les  manies  de  I'expiation iSq 

3.  Les  manies  des  pactes ]4i 

4.  Les  manies  des  conjurations i43 

4.  Les  agitations  mentales  diffuses i46 

I.  L*unite  clinique  des  manies  mentales i47 

a.  La  rumination  mcntale i46 

3.  La  reverie  forc^e i53 

DEUXliME    SECTION.  LES    AGITATIONS    MOTRICES.     ...  1 56 

I.  Les  agitations  moirices  systematis4est  les  tics i56 

I.  Les  caract^res  des  tics 167 

a.  Les  tics  de  perfectionnemcnt i64 

3.  Les  tics  de  defense.  .     .     .  ' 170 

a.  Les  agitations  motrices  diffuses.  Les  crises  d'agitation 17a 

I.  La  crise  des  efforts 17a 

a.  Les  crises  de  marche  et  les  crises  de  parole 176 

3.  Les  crises  d'excitation 178 

TROISIEME    SECTION.   LES    AGITATIONS    EMOTIONNELLES.       .       .  l8a 

1.  Les  agitations  emotionnelles  systimatisies^  les  Phobies i83 

I.  Les  classifications  des  phobies i83 

a.  Les  algics i85 

3.  Les  phobies  des  fonctions  corporelles 190 

4.  Les  phobies  des  objets  (Delire  du  contact) 198 

5.  Les  phobies  des  situations  (Agoraphobic) aoi 

6.  Les  phobies  des  iddes a  10 

a.  Les  agitations  emotionnelles  diffuses.  Les  angoisses a [3 

I.  L'angoisso  diffuse ai4 

a.  Les  troubles  physiologiques  de  Tangoissc 317 

3.   Les  troubles  psychologiqucs  de  Tangoisse,  Tangoisse  menlale.  .     .  a3a 

QUATRIEME    SECTION.    CARACTERES    GENEHAUX    DES     AGITATIONS    FOECi&S.  a35 

I.   Unite  clinique  des  agitations  forcees a3d 


TABLE  DES  CHAPITRES  759 

a.  Les  crises  d'agitalion  forc4e aSg 

I.  Les  p^riodes  de  crise 289 

a.  Le  point  de  depart  des  crises 34 1 

3.  La  substitution  des  ph4nomenes  secondaires  aux  primaires.     .     .  a48 

4.  Les  caract^res  apparents  des  agitations a53 

CHAPITRE  III.  -  LES  STIGMATES  PSYCHASTHfiNlQUES..  a6o 

PREMIERE    SECTION.  I.E8   SENTIMENTS    D*INCOMPLiStUDE.     .       .       .  a64 

I.  Les  sentiments  d^incompUtude  dans  Taction a64 

I.  Le  sentiment  de  difficult^ a66 

a.         —         d*incapacit^ a68 

3.  —         d'ind^cision a6g 

4.  —         de  gSne  dans  I'action 371 

5.  —         d^automatisme 37a 

6.  —         de  domination 378 

7.  —         de  m^conteniement 376 

8.  —         d*intimidation 378 

g.         —         de  r^volle 379 

3.  Les  sentiments  d*incompletude  dans  les  operations  intellectuelles.  a8i 

I.  Le  sentiment  de  difficult^  des  operations  intellectuelles 381 

3.         —         de  perception  incompR*te 38a 

3.  —         de  conception  imaginairo 387 

4.  —         de  disparition  du  temps 391 

5.  —         d*inintelligence 398 

6.  —         de  doute 398 

3.  Les  sentiments  d'incompUtude  dans  les  Amotions 398 

I.   Le  sentiment  d*indifli&rencc 398 

3.         —         d'inqui^tude 3oi 

3.  Lc  besoin  d'oxcitation,  l*ambition 3o3 

4.  Les  sentiments  d'incompUtude  dans  la  perception  personnelle..     .  3o5 

I.  Le  sentiment  d*etranget6  du  moi 3ii 

3.         —         de  dedoublement 3ia 

3.         —         de  d^personnalisation  complete 3i5 

DBUXI^.ME    SECTION.  LES    INSUFFI8ANCES    PSYCIIOLOGTQUES.  .       .  3l9 

I.  Les  symptdmes  de  retricissement  du  champ  de  la  conscience.  .     .  819 

I.  Les  anesthesies 819 

3.  Les  mouYcments  subconscients 3a9 

3.  Le  sommeil  hjpnotique 33o 

4.  La  suggestion 333 


760  TABLE  DES  CHAPITRES 

a.  Les  troubles  de  la^  volonte ^^ 

I.  L'indolence ^^ 

a.  L'irresolulion' ^^" 

3.  La  lenleur  des  acles 338 

4.  Le»  roUnb 338 

5.  La  faiblesse  des  efforts 339 

6.  La  fatigue 339 

7.  Le  d^rdre  des  actes 34o 

8.  L'inach^vement 34i 

9.  L^absence  de  rdsistance 34* 

10.  Le  mison^isme ^^^ 

11.  Les  aboulies  sociales,  la  timidity 345 

I  a.  Les  aboulies  professionnelles 349 

1 3.  L*aboulie  et  rinhibition 349 

1 4.  Les  fatigues  insurmonlables 3oa 

i5.  Les  inerties 353 

3.  Les  troubles  de  I'intelligence ^ 354 

I.  Les  amn^sies 355 

a.  L'arr^t  de  Tinstniction 3oo 

3.  L^inintelligence  des  perceptions 36i 

4.  Les  troubles  de  Tattention 36a 

5.  La  rAverie 363 

6.  Les  6c1i|)ses  menlales 369 

4.  Les  troubles  des  Amotions  et  des  sentiments 370 

I.  L*indiff^rence 37a 

a.  Les  sentiments  melancoliques 375 

3.  L'emolivil^ 377 

4.  Les  emotions  sublimes 38o 

5.  Le  besoin  de  direction 38a 

6.  Le  besoin  d'excitation 385 

7.  Le  besoin  d*aimer.         388 

8.  Le  besoin  d'Atre  aim^ 389 

9.  La  crainte  de  Tisolement 391 

10.  Le  retour  i  I'enfance 391 

1 1 .  L*amour  de  rhonndlel^ 39a 

la.  Le  besoin  d'autorit^ 393 

TROI8IEME  SECTION.  —  LK8  IlfSUFFISAMCES  PHTSIOLOCIQVES.  .       .  398 

I.  Les  troubles  des  fonctions  nerveuses 398 

I.  Les  c^phalalgies  et  les  rachialgies 399 

a.  Les  troubles  du  sommeil ^^ 

3.  Les  modifications  des  reflexes 4o9 

a.  Us  troubles  des  fonctions  digestives 4^9 

I.  Les  troubles  gastriques 4*0 


TABLE  DE5  CHAPITRES  761 

3.  Lw  troubles  intestinaux 4i4 

3.  Les  troubles  de  la  nutrition 4i5 

4.  Lea  troubles  urinaires 4^6 

3.  Les  modifications  de  la  circulation 43o 

1.  Les  modifications  de  la  tension  sanguine 4^0 

a.  Les  troubles  vaso-moteurs  et  s6cr^toires 4a 3 

4.  Lea  troubles  des  fonctions  genitales 4a5 

QUATRliME  SBCTION.   —    LE8    CARACXfeRES  ciNEBAUX  DE    l'bTAT    P9Y* 

GHASTHENIQUE 4^7 

I.  L'incompletude  morale 4a7 

3.  La  perte  de  la  fonction  du  riel 43 1 

3.  Les  piriodes  psychasthiniques 439 


DEUXIfiME   PARTIE.    —   ETUDES   GEnERALES   SUR 
L'ABAISSEMENT  DE  LA  TENSION  PSYCHOLOGIQUE.     443 


CHAPITRE  1.  —  LES  THEORIES  PATHOGfiNIQUES, 

LES  MODIFICATIONS   DE   LA  TENSION  PSYCHOLOGIQUE.  445 

PREMIERE  SECTION.    —    THEORIES    INTELLECTUELLES  ET  THEORIES 

BMOTIONMELLES 448 

1.  L' expose  des  theories  intellectuelles 448 

3.  La  discussion  des  theories  intellectuelles 45o 

3.  Vexposi  des  theories  imotionnelles 453 

4.  La  discussion  des  theories  imotionnelles 458 


DEUXIEMR  SECTION.  LE   PRINCIPE  DE  LA  TH^ORIE  PSYCHASTH^MQUE.  470 

I.  Le  rSsum4  historique  des  theories  psychasth4niques 471 

3.  La  hiirarchie  des  phenomenes  psychologiques 474 

3.  La  tension  psychologique 488 

4.  L'abaissement  de  la  tension  psychologique 497 

5.  Le  rapport  des  crises  de  psycholepsie  avec  les  acces  epileptiques.  5oa 

6.  L' oscillation  du  niveau  mental.  —  Les  influences  qui  ddterminent 

l'abaissement 5i4 

I.  L*influence  des  maladies 5i4 

a.  L'influence  de  la  fatigue 5i5 

3.  L'influence  des  Amotions 517 

LSS    OBSESSIONS.  I.    —   49 


762  TABLE  DES  CHAPITRES 

7.  Les  oscillations  du  niveau  mental.  —  Les  influences  qui  d4ter- 

minent  lilevation 6a ^ 

I.  Les  ascensions  du  niveau  mental 5a5 

a.  Les  subslances  cxcitantes SaS 

3.  L*influence  du  changoment 5a9 

/i.  L'influence  du  mouvement  el  de  I'eflbrt 53o 

5.  L'influence  de  Tattention 53 1 

6.  L'influence  de  I'cmotion 535 

TROISIEMS  SECTION.  l/lNTERPRETATION  DES  STBC1>t6mBS.  .  5^4 

I.  Linterpritation  des  sentiments  d'incompUtude 544 

a.  L'interpritation  des  agitations  farcies 55 1 

I.  Les  caracteres  des  agita lions  forcces.                                 ....  55a 

a.  L*hypoih6se  de  la  derivation  psychologiquc.    .                ....  554 

3.  I^a  derivation  dans  les  agitations  el  les  angoisses 56o 

4.  La  derivation  dans  la  rumination  men  tale.  .     .           564 

3.  1/ inter pritation  des  troubles  systimatises 568 

I .   La  specialisation  des  insuffisances  psychologiques 569 

a.  La  syst^matisation  de  la  derivation 578 

4.  V interpretation  de  iidee  obsedante 583 

I.  L'origine  endog^ne  du  oontenu  des  id^  obsedantes 584 

a.  L'influence  des  sentiments  d'incompl^tude  sur  lecontenu  desidces 

obsedantes 585 

3.  L'influence  des  insuffisances  psychologiques  sur  le  contenu  des  idces 

ob8<^dantes 589 

4.  L'influence  des  dvenementsexterieurs  sur  lecontenu  de  I'obtession.  59a 

5.  L'interpretation  de  la  forme  do  I'obsession 596 

5.  La  representation  anatomique  des  theories 699 


CHAPITRE  IL  —  L'fiVOLUTlON 606 

PREMIERE    SECTION.  LES  CONDITIONS    ETIOLOGIQUBS.     .  6o6 

1.  L'hirediti ...  607 

a.  Les  stigmates  physiques  de  deginirescencr 61  f 

3.  Le  sexe  et  I  age 6i3 

4.  Les  conditions  physiques  diterminantes 618 

5.  Les  conditions  morales  diterminantes 6a4 

I.  Le  caractere 6a4 

a.  L'^ucation 6a6 

3.  Les  probl^mes  de  k  vie 6a7 

4 .  Les  chocs  ^moiionnels 63o 

6.  Les  deux  formes  de  la  psychasthinie  const itutionnelle  et  acquise.  63i 


TABLE  DES  CHAPITRES  763 

DEUXlitME    SECTION.  l'^VOLUTION    DE    LA    MALADIE.  .       .  634 

I.  Les  formes  du  dSbut 634 

1.  Les  sentiments  pathologiques 635 

3.  Les  aboulies 638 

3.  Les  tics 639 

3.  Les  principales  varietes  cliniques 64 1 

3.  La  marche  de  la  maladie 645 

I.  La  forme  aigue 646 

3.  La  forme  chronique 646 

3.  La  forme  intermittente 648 

4.  La  forme  remittente 653 

5.  Les  p^riodes  critiques 654 

4.  Les  complications 657 

I.  Les  accidents  physiques 657 

3.  L*ali^nation 658 

5.  Les  terminaisons 663 

I .  L'inertie  et  Tisolement 664 

3.  La  gu^rison  relative 666 


CHAPITRE  in.  —  LE  DIAGNOSTIC  ET  LE  TRAITEMENT.  .  670 

PREMIERE  SECTION.  LE  DIAGNOSTIC 67O 

DEUZIEME    SECTION.   LE  PR0N08TIC.      ...  680 

TROI8I&MB    SECTION.   LA    TH^RAPEUTIQUE 684 

I.  La prophylaxie •.  684 

3.  Le  traitement  physique 688 

I.  L'alimentation  et  Thygiene 690 

3.  La  medication  sedative 693 

3.  La  medication  tonique ...  695 

4.  Le  traitement  par  les  agents  physiques 698 

3.  Le  traitement  moral 699 

I.  La  simplification  de  la  vie 700 

3.  Le  traitement  par  la  suggestion 703 

3.  La  direction  morale,  la  r^ponse  &  la  question 706 

4.  Le  relcvemeut  de  la  tension  psychologique,  la  reeducation  de  I'e- 

motion 711 

5.  La  direction  des  efforts,  la  reeducation  de  Tattention 715 


764  TABLE  DES  CHAPITRES 

CONCLUSIOiN.  -  LA  PLACE  DE  LA  PSYCHASTHfiME  PARMI 

LES  PSYCH0-N6VR0SES 724 

I.  L'unite  du  syndrome 73$ 

a.  L' interpretation  pathologique  du  syndrome 717 


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Revue  philosophique 

Dirigee  par  Th.  RIBOT,  de  I'lnstilut,  professeur  honoraire  au  CoU^e  de  Prance. 

(28*'  ANN^E,  1903) 

Parait  tous  les  mois,.par  livraisons  grand  in-8  de  7  fcuilles  (112  pages). 
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