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Travaux du laboratoire de Psychologie de la Clinique k la Salpfitri
{Troisieme serie)
U Pierre Janet
Pro/esseur de Psychologie au College de France
Les
Obsessions
et la
Psychasth^m
I
Etudes cliniques et expirimentales
sur les idits obsidantes, les impulsions. Us manies mentales,
la folic du doute, les tics, les agitations, les phobies,
les dilires du contact^ les angoisses, les sentitnents d'incompUtude,
la neurasthenie, les modifications des sentiments du rieU
leur pathoginie et leur traitement
AVEC GRAVURES DANS LB TEXTfi
Paris, F&LIX ALCAN, ^diteur, i£
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LES OBSESSIONS ET LA PSYCHASTHENIE
Travaox du laboratoire de Psychologic de la Gliniqne K la SalpMrl^re
TROISIEllE StRIE
LES OBSESSIONS
ET
LA PSYCHASTHfiNIE
I
6TUDES CLINIQUES ET EXPifeRIMENTALES
SUR LES IDl^ES OBS^DANTES, LES IMPULSIONS, LES MANIES MENTALES,
LA FOLIE DU DOUTE, LES TICS, LES AGITATIONS, LES PHOBIES,
LBS DftLIRES DU CONTACT, LES ANGOISSES, LES SENTIMENTS D*INC0MPL6TUDE,
LA NEURASTH6NIE, LES MODIFICATIONS DU SENTIMENT DU R^EL,
LEUR PATHOG^NIE ET LEUR TRAITEMENT
Le D« PIERRE JANET
Professeur de Psjchologie au College de France,
Directeur du Laboratoire de Psychologie de la Cliniquo k la Salp^tri^re
PARIS
FELIX ALCAN, EDITEUR
ANCIBNNE LtBRAIRIE GERMER BA1LL1£;rE ET C»
108, BOULEVARD S AINT-GERH AIN , 108
1903
Toui Uroiti riserr^s.
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BlOUMt
UBRARY
A MONSIEUR LE PROFESSEUR
TH. RIBOT
MEMBRE DE L INSTITUT
HoMMAGE
DE RBSPECTVEUSE AFFECTION.
INTRODUCTION
Ce livre, comme mes pr^c^dents ouvrages, s^adresse aux m^de-
cins et aux psychologues. II presente une nouvelle application
de celte m^thode que M. Th. Ribot a si heureusement enseignee
et qui a donn6 un caractere special a une grande partie de la
psychologie frangaise. Cette m^thode coDsiste a uuir la m^decine
mentale et la psychologie, a tircr de la psychologie tous les
^claircissements qu'elle peut apporter pour la classification et
rinterpr^tation des faits que nous presente la pathologic mentale
et reciproquement a chercher dans les alterations morbides de
Tesprit, des observations et des experiences naturelles qui per-
mettent d'analyser la pensee humaine. Ce livre continue la serie
des etudes dans lesquelles je me suis propose d'appliquer cette
methode aux differentes maladies mentales.
Les maladies qui font Tobjet de cette nouvelle etude sont les
obsessions, les impulsions, les manics mentales, la folic du doute,
les tics, les agitations, les phobies, les delires du contact, les
angoisses, les neurasthenics, les sentiments bizarres d'etrangete
et de depersonnalisation souvent d^crits sous le nom de n^vropa-
thie c^rebro-cardiaque ou de maladie de Krishaber. On voit que
ces malades ont ete d^sign^s sous des noms tres differents : ils
sont quelquefois reunis sous le nom de « delirants deg^neres »,
de « neurastheniques )>, de « phrenastheniques » ; je les ai deja
souvent designes sous le nom de « scrupuleux » parce que le
scrupule constitue un caractere essentiel de leur pensee ou sous
le nom plus precis de cr psychastheniques » qui me parait resumer
assez bien TaSaiblissement de leurs fonctions psycho logiques.
VIII LES OBSESSIONS ET LA PSYCHASTHENIE
Tous ces malades fort divers en apparence m'ont sembl^ fournir
roccasion d'une ^tude interessante a la fois au point de vue me-
dical et au point de yue psychologique.
Au point de vue medical, j^essaye de r^unir Ici la description
precise d'un grand nombre de symptomes qui me semblent avoir
6i6 rarement Tobjet d'une dtude d'ensemble; j'essaye d^apporter
quelque precision dans Tanalyse de toutes ces manies mentales,
de toutes ces phobies, de tous ces sentiments anormaux qui ont
ete trop souvent decrits incompletement et isolement et qui me
semblent devenir beaucoup plus clairs quand ils sont rapproches
les uns des autres.
Ce rapprochement de divers symptomes permet aussi de pro-
poser une reunion de diverses maladies en une seule et de con-
struire une grande psycho-n^vrose sur le modcle de Tepilepsie ct
de Thyst^rie, la psychasthenic, a la place de ces innombrables
obsessions, manies, tics, phobies, delires du doute ou du contact,
nevroses c6r6bro-cardiaques.
J'espere aussi par la comparaison de ces divers symptomes
r^unis dans une m6me etude apporter quelque contribution a
Tetude du diagnostic, du pronostic et du traitement de ces aficc-
tions qui jouent un role extr6mement important dans la patho-
logic nerveusc. EnFin I'analyse psychologique de ces divers
phenomenes permet de d^couvrir entre eux des caracteres com-
muns dignes d'int^ret et d'arriver sinon a une theorie au moins a
une interpretation provisoire destin^e surtout a reunir le plus
grand nombre possible de ces faits dans une conception g^n^rale.
Au point de vue psychologique, je crois qu'un grand nombre
de ces phenomenes nous presentent des experiences tres remar-
quables qui apportent des eclaircissements sur les plus interes-
sants problemes. Les obsessions, les pseudo-hallucinations, les
impulsions qui les accompagnent nous donnent une foule de
renseignements sur les diverses categories d^idees qui se develop-
pent dans Fesprit et sur les divers degres de leur developpement.
Les manies mentales, les tics, les phobies permctteut d'aborder
retude d'un grand fait, beaucoup trop laiss^ de cote d'ordinaire,
le fait de Tagitation et de comprendre la loi de la derivation
psychologique. Les sentiments qui accompagnent Texercice de
nos diverses fonctions mentales sont tres mal connus ; a peine
a-t-on examine un petit nombre d'entre eux comme le sentiment
INTRODUCTION IX
de Teffort et ie sentiment de la fatigue. L'etude de nos malades
permet de p^n^trer bien plus avant dans T^tude d'un tr6s grand
nombre de ces sentiments dits « sentiments intellectuels » ainsi
que dans T^tude de plusieurs sentiments soeiaux tr^s importants
pour comprendre les relations sociales.
Quelle que soit Timportance de ces analyses psychologiques
j'insiste sur un probleme dont la discussion revient tr^s souvent
dans ces pages et dont T^tude forme la partie principale de cet
ouvrage. Je veux parler de T^tude des operations psychologi-
ques qui permettent a Thomme d'entrer en rapport avec la
r^alite, d'agir sur elle et de saisir son existence avec certitude.
La fonction du reel, avec les operations de la volonte, le senti-
ment du r6el, Ic sentiment du present occupe la premiere place
dans la hierarchic des phenom^nes psychologiques et son etude
est aussi importante pour la m^taphysique que pour la psycho-
logic.
Cette etude des psychasth^niques est divisee en deux volumes,
le second que je publierai en collaboration avec M.le P*" Raymond
contiendra les observations cliniques d^un tr^s grand nombre de
ces malades, plus de deux cents, il renfermera des descriptions,
des documents psychologiques et cliniques qui ne pouvaient
prendre place dans les etudes plus g^n^rales du premier volume,
il apportera en quelque sorte la justification et les preuves des in-
terpretations presentees par celui-ci.
Le premier volume renferme la plupart des etudes relatives aux
psychastheniques, la premiere partie est descriptive et analyti-
que, la seconde est plus theorique et plus generate.
Dans la premiere partie, apr^squelques indications sur les mala-
des etudieset sur leur attitude assez caracteristique, Tetude de leurs
obsessions sera faite d'une mani^re analytique en descendant des
caract^res les plus apparents, jusqu'aux phenomenes plus profonds
dont les premiers semblent dependre. C'est ainsi que j*etudierai
d'abord le contenu ou la mati^re de ces obsessions, c'est-a-dire
le sujet auquel s^appliquent les pensees du malade. Ainsi ce sera,
par exemple, la pensee du demon, ou Fidee du meurtre, ou celle
du suicide, qui tourmente le plus son esprit. Cet aspect, que
Ton pent appeler intellectuel de Tobsession a ete, dans ces der-
niers temps, un peu neglige, depuis que Ton a remarque tr^s jus-
tement le role considerable que joue Vemotion dans cette mala-
X LES OBSESSIONS ET LA PSYCHASTHfiNIE
die. II ne me semble pas juste de le n^gliger eompletement, il
occupe une grande place dans les symptomes que pr^sente ce
groupe particulier des obs^d^s que je range sous ie nom de scru-
puleux. Peut-6tre son ^tude nous permettra-t-elle de classer ces
diverses obsessions, de remarquer qu*il y a entre elles beaucoup
d'analogies et que le contenu de ces id^es est loin d*etre insigni-
fiant pour Tinterpr^tatton de la maladie.
Ensuite, je me propose de r^unir sous ce titre « les agitations
forcees » les divers troubles qui accompagnent les id^es obs^dan-
tes ou qui les remplacent. J*entends par la toutes ces operations
exager^es et inutiles qui constituent les manies mentales, les tics,
les phobies ou les angoisses.
EnGn, je voudrais chercher dans Tanalyse d'un 6tat psycholo-
gique special, qui ne me parait pas 6tre pr^cis^ment une Amo-
tion, mais qui doit se ranger dans le grand groupe des sentiments
intellectuelsy dans Tanalyse de Tetat JC inquietude, le point de
depart plus profond d'ou proviennent et ces idees sp^ciales et les
diverses agitations.
II sera plus facile alors, dans une deuxi^me partie plus g^n^-
rale et plus synthdtique, d'examiner les differentes hypotheses
qui ont et6 pr^sent^es pour interpreter cette curieuse alteration
de Tesprit. Je rechercherai, a ce propos, ce que ces troubles, qui
sont de veritables experiences psychologiques, peuvent nous
apprendre sur le mecanisme dc Tesprit et sur Timportance de tel
ou tel phenomene. Ces alterations de la pensee mettent en
lumiere le role important de certains faits qui restcnt confondus
au milieu des innombrables phenom^nes qui remplissent le cours
de la vie normale. C'est ainsi que nous pourrons etudier « la
fonction du reel » et les divers degres de « la tension psycholo-
gique ». Cette meme partie contiendra egalement les etudes
generales relatives au diagnostic, au pronostic, au traitement et
a la place de la psychasthenic parmi les psycho-nevroses.
Ces etudes sur les psychastheniques ont ete faites sur un assez
grand nombrede malades ; j'ai reuni depuis quelques annees 325
observations qui, malgre une grande et interessante diversite, me
semblent assez comparables pour constituer un groupe. Une
partie de ces observations a ete prise dans le service de M. Jules
Falret a la Salpetriere ; une autre partie, la plus importante, a ete
recueillie alaclinique de M. leP' Raymond, mais un grand nombre
INTRODUCTION XI
de ces malades ont H6 Studies en dehors de Thopitai. II est inte-
ressant de remarquer d^ja que cette cat^gorie de malades se
rencontre un peu plus souvent dans la clientele de la ville que
dans celle de Thopital, car, ainsi qu*on le verra, un certain degre
de culture intellectuelle joue un role dans son developpement.
Je n'essaierai pas de r^sumer ici toutes ces observations ; il
sufBt d^ndiquer sur leur ensemble quelques remarques g^nd-
rales. Sur ces 3a5 malades, je compte 23o femmes et 95 hommes,
la plus grande frequence de la maladie, dans le sexe f^minin, est
done bien manifeste. La plupart de ces malades ont de ao a
4o ans ; c'est a cette p^riode de la vie que la maladie prend un
plus grand developpement ; 6 de ces sujets sont au-dessous de
16 ans et nous permettent d*assister aux premiers symptomes du
trouble mental, tandis que g malades qui ont d^pass^ 60 ans nous
en pr^sentent les formes ultimes.
Ne pouvant d^crirc avec precision tous ces malades, j'en choi-
sirai quelques-uns qui pr^sentent les ph^nomenes de Id facon la
plus precise et la plus int^ressante et qui, d'ailleurs, ont ^t^ Stu-
dies avec plus de soin pendant de longues p^riodes et je grou-
perai les autres cas autour de ces observations prises comme
types. Les malades sur lesquels j'insisterai le plus sont surtout
les cinq suivants : Claire (Obs. 222) \ est une jeune (ille actuel-
lement ag^e de 28 ans, que j'ai 6tudi6e et trait^e depuis 9 ans.
Cela prouve que la maladie ne se gu^rit pas ais^ment, puisque
cette jeune fiUe est encore au moins une anormale, d^cid^e a ne
pas se marier et dont on ne pent blamer la resolution. EUe habite
la province et vient de temps en temps passer plusieurs mois a
Paris, c'est a ces moments que je la vois r^guli^rement. Ces
alternatives entre les p^riodes de traitement et les p^riodes
d*interruption d^terminent des alternatives int^ressantes dans
revolution de la maladie qui nous fourniront quelques constata-
I. II est impossible de donner ici d'une fa^on complete toutes ces observations,
je dois me borner h iodiquer d*une fagon sommaire les faits pr6sent^s par cbaque
maladc et qui ont un interSt pour la discussion g<5nerale. Cependant comme ces
observations pr6sentenl un certain int^rSt, comme el les contiennent certains rensei>
gnements utiles, les anl<^cMenis h^r^dilaires ou personnels, la dureeet revolution de
la maladie, les resuUats du traitement, etc., je compte les r^sumer dans le second
volume de cet ouvrage que je publierai, je I'esp^re, procbainement en collaboration
avec M. le pf" Rajrmond. C'est pourquoi le nom conventionncl ou les lettres qui
d^signent un malade seront suivis dans cet ouvrage d'un numero d'ordre qui per-
mettra de retrouver son observation dans le second volume.
XII LES OBSESSIONS ET L\ PSYCHASTHfiNIE
tions int^ressantes. Lise (Obs. 223), pour lui'conserver le nom
sous lequei je I'al d6ja signal^e dans diverses Etudes, est uoe
femme de3o ans, que je suis r^gulierement a peu pres sans inter-
ruption depuis 5 ans. Sa maladie, tr^s grave au debut, a pu etre
amend^e peu a peu ; c'est une femme intelligente, instruite,
capable de bien observer. Jean (Obs. ib'j) estunhomme de 3i ans,
dont la maladie mentale, melange de scrupule et d*hypocondrie,
est des plus graves, et quoique je I'observe depuis un an, je
d^sespere dis l*am6liorer autant que les malades pr6c6dentes.
Nadia (Obs. i66), ce pseudonyme a H6 ehoisi par ia malade elie-
meme, est une jeune fille de 28 ans, que j'observe ^galement
depuis plus de 6 ans et qui est particuli^rement bien connue,
puisqu'elle a Thabitude, rare chez les scrupuleux, de m'^crire de
longues lettres, ou elle note, avec de grands details, beaueoup
d'incidents de sa maladie. Gis^le (obs, 171) est une femme de 3o
ans, remarquable par son aptitude a Fanalyse psychologique et
par ses descriptions imagoes, qu'elle consent souvent a ecrire
comme la pr^c^dente et qui m'ont souvent rendu service. Autant
que possible, ces cinq malades seront cit^s de preference, et les
autres, moins ^tudi^s, leur seront compares.
PREMIERE PARTIE
ANALYSE DES SYMPTOMES
LE8 OBSESSIONS I. I
CHAPITRE I
LES IDfiES OBSfiDANTES
Le premier phenomene qui se prcsente a Texamen chez les plus
graves de ces malades semble etre un phenomene inteliectuel de
Tordre le plus elev^, une idee et souvent une idee assez abstraite
et assez compliquee. Ces idf^es se distinguent en effet des autres
phenomenes psychologiquc par leur caractere abstrait et general:
ce ne sont pas des sentiments ou des operations uniquement en
rapport avec un 6tat present et particulier du sujet, ce sont des
conceptions qui s'appliquent d'une maniere g^nerale a toute une
p^riode de la vie ou a la vie tout entiere. L^angoisse d^terminee
par la peur d^un couteau est un sentiment particulier. La pens^e
que Ton est un criminel capable de tuer a coup de couteau est une
id6e generale. Dans ce premier chapitre je n'examinerai que les
id^es de ce genre.
Ces idees se reproduisent dans Tesprit du malade, ainsi qu'il
TafBrme tout d'abord, malgrc lui, d'une maniere continuelle et
penible. Cette permanence de Tidee n'est pas justifi^e par son
importance et son utilite pratique; aussi Tabsence d'utilite par
rapport a la vie pratique distingue ces idees de celles du savant et
de rinventeur et lui donne d^ja un caractere pathologique ^ Des
idees de ce genre sont designees sous le nom A^ idees obsedantes,
Dans nos pr^cedentes etudes sur des malades atteints d'id^es
fixes, nous avions remarque que Vobjet de ces idees^ leur contenii,
n'avait pas une extreme importance. Les phenomenes les plus
importants pour determiner la nature de Tid^e et son m^canisme
etaient constitucs par ce que Ton pent appeler la forme de
ndee, c'est-a-dire les caracteres psychologiqucs qu'cUes pr^sen-
I. Blocq et Onanof, Revue scienttftque, 1890. — Keraval, L'Idec fixe. Archives
de neurologie, 1899, II, p. 6.
4 LES IDfiES OBSfiDANTES
talent dans leur Evolution. L'id^e ^tait-elle consciente, clairement
reconnue comme fausse par le malade, <^tait-elieimpulsive, systema-
tique ou non, etc. ? Telles etaient les questions les plus importantes.
Quant au contenu de Tid^e, que le malade revat a un incendle ou a
son petit chien ecras^ par un tramway, cela n'avait qu'une impor-
tance secondaire.
Au contraire, les obsessions exprimees par les malades scrupu-
leux, que nous consid^rons maintenant, se presentent au premier
abord comme si ^tranges que leur contenu nitrite tout d'abord
d'attirer notre attention, car il joue un r6le important dans revo-
lution de la maladie.
Je me propose done, dans ce chapitre, d'6tudier d*abord le
contenu des idees obsedanteSy I'objet de la pensee qui remplit
I'esprit du malade. Puis, dans la deuxieme parlie de ce chapitre,
j'examinerai la forme psychologique que prend cette idee, c'est-
a-dire les caracteres psychologiques qui la d^terminent et qui
semblent la distinguer des autres iddes normales.
PREMIfiRE SECTION
LE CONTBNU DBS IDEBS OBSl^DANTES
Le contenu d^une idee ne pent etre connu que par des
expressions du malade, par son attitude et son langage. II faut ^tu-
dier en quelques mots cette attitude des malades pour se rendre
compte des difHcultes de Tobservation. Les pens^es qui rem-
plissent les obsessions peuvent etre rangees ensuite dans cinq
classes : les obsessions du sacrilege, les obsessions du crime, les
obsessions de la honte de soi, les obsessions de la honte du corps
et les obsessions de maladie ; enfin, nous pourrons ^ la fin de
cette premiere <5tude chercher a d^gager quelques caracteres
g^neraux qui se retrouvent toujours dans le contenu des idees
obs^dantes.
i. — U expression des id6es obs6dantes.
II est bcaucoup plus difficile qu^on ne le croit g^n^ralement de
L'EXPRESSION DES IDfiES OBSfiDANTES 5
decrire avec precision les idees qui tourmentent les obsedes. Ces
malades ont en effet presque tons une attitude et une maniere de
s'exprimer qui me parait precis^raent d^pendre de leur ^tat men-
tal, raais qui gene singulieremenl les recherches psychologiques.
Sans doute, ils sont doux, aimables, assez intelligents et ne pre-
sentent ni ces coleres, ni ces entetements, ni ces confusions qui
genent dans Texamen d'autres sujets, mais ils ont une peine infi-
nie a parler avec precision de ce qu'ils ^prouvent et ne font I'aveu
de leurs pensees que d'une maniere perp^tuellement incomplete,
obscure et embarrass^e.
Le scrupuleux, au debut de son mal, quand il s'aper^.oit que
sa pens^e est troubl6e, commence par dissimuler soigneusement
son 6tat a son entourage et pendant des annees, sa famille peut
ignorer qu'il est atteint d'une maladie mentale. II faut des cir-
constances toutes sp^ciales pour Ic decider a parler. Ger. (Obs.
2i4 ^)» par exemplc, laisse ^chapper son secret quand, pendant une
petite maladie, on veut la faire soigner par sa belle-soeur : dans
son delire, elle se figure depuis plusieurs annees avoir tue la mere
de cette jeune femme. Elle trouve trop horrible d'etre mainte-
nant soignee par elle et se decide a expliquer pourquoi elle re-
fuse ses soins. Ou bien il faut que la maladie ait ^te soupgonnee
a cause de quelques manifestations exterieures mal reprimees,
en general, a cause du bavardage que font ces malades, a mi-voix
et que la famille, inquiete,lespressede questions. On entend Bor.
pcndantplusieursjoursrepeter ind^finiment u non, non » des qu'elle
est seule. Elle refuse d'expliquer ce mot a son mari. 11 faut que son
pere vienne la supplier pour obtenir Taveu qu'elle r^siste au de-
mon. Bien souvent d'ailleurs on amene les malades au m^decin
simplement parce qu'on est inquiet de leur attitude mais sans
qu'on aitpu obtenir une rev(^lation precise. Cetaveu est si impor-
tant et le phis souvent si tardif que Legrand du SauIIe le consi-
derait comme un 6v^nement caractcristique dans revolution de la
maladie et faisait debuter avec lui ce qu'il appelait la secondc
phase.
I . Le chiffro qui suit lo nom d'un malado d^signe le num^ro quo portera son
observation dans Ic deuxi5mo volume de cet ouvragc. Dans ce volume publie en
collaboration avec M. lo profosseur Raymond, nous etudicrons les antecedents du
malade, revolution qu'a eue chez )ui la maladie, les traitemenls qui ont pu dans
ce cas avoir une influence, Etudes cliniques qui ne peuvent toutes prendre place dans
ce premier volume.
6 LES IDfiES OBSIiDANTES
Quand on interroge ces malades, ils prennent un air extreme-
ment embarrasse. lis sont hesitants, incertains cux-m^xnes sur ce
qu'ils eprouvent et sur ce qu*ils veulent dire. Las uns comme
Lod. (Obs, 182) poussent tout le temps des edats de rire et se
m.oquent d'eux-mfimes comme s'il n'y avait rien de serieux dans
leur 6tat. Les autres sont tristes, honteux^ prient qu'on n'insiste
pas.
Tons refuscnt absolunient de faire un recit net et precis de
leur maladie. Je puis donner a ce propos un detail caracteris-
tique. J'ai Thabitude, autant que cela est possible, de prier les
malades de m'ecrirc : la feuille de papier legendaire du neuras-
th^nique n'est pas pour me deplaire. Les descriptions sont plus
precises par Tecriture que par la parole et le document est sou-
vent inleressant a conserver. J'ai recueilli ainsi des confidences
manuscrites sur la plupart des maladies mcntales, eh bien, sur
200 scrupuleux, malgre toutes mes supplications, jc n'ai pu obte-
nir ces lettres que de cinq malades seulement. II ne faut done
compter que sur Tinterrogatoire et on nc tarde pas a s'apercevoir
qu'il est extremement difficile.
Ce ne sont cependant pas les difficultes ordinaires de Texamen
des alienes. Le persecute refuse souvent de parler parce qu'il prcnd
le m6dccin pour un enncmi et qu'il s'cn mefie ; le scrupuleux ne
pr<5sente riendeserablable. II ne se defie pas du m6decin et comme
nous le verrons, il est au contraire tout dispose a reclamer son aide.
Le mclancolique refuse de parler par honte, par humilite; le scru-
puleux sait presquc toujours fort bien que ses idees, ses accusations
sont fausses. II se rend assez bien compte qu*il est un malade et
qu'il n'a pas lieu d'etre honteux L'hystc^rique ne pent pas vous par-
ler parce qu'cUe ignore, parce qu'elle a oublie ; le scrupuleux ou-
blie fort peu et ce qu'il y a de plus aga^ant dans son examen c'est
qu'il pretend toujours savoir trcs bien ce ({u^il aurait a dire et que
cependant il le dit toujours trcs mal. II est hesitant, embrouillc,
il se repete sans avancer, il n'acheve jamais Tidee qu'il a commen-
cee, il n'avance jamais un mot sans le contredire Tinstant suivant
et d'ailleurs il vous avertit charilablement que tout ce qu'il a dit
est insulfisant, que ce n'est pas encore cela, qu'il aurait bien autre
chose il dire et Ton pent recommencer Tinterrogatoire toujours
avec le meme rdsultat.
Lod. (Obs. i/|4), au milieu de ses eclats de rire, vous avertit:
« Plus je vais, moins je comprends mes idees, comment voulez-
LEXPUESSION DES IDI^.ES OBSfiDANTES 7
vous que je vous les d^crive? Quand je veux expliquer uue id^e,
elie s'enfuit, ca me fait un trou dans la tete. Je ne puis plus la
rattraper. Quand je vous parle, qa me fait Teffet de choses si pe-
tites... si petitesetcependant quand je suis partie, c'estsi grave. »
Lise (Obs. 228), quand on Ta interrogee pendant deux heures,
quand on a 6crit tout ce qu'elle disait, termine en declarant : « ne
Foubliez pas, je dis presque toujours le contraire de ce que je
pense et je ne peux pas retrouver mes idees quand il s'agit d'en
parler. Je n'en dis jamais que la moitie. Ne tenez done pas compte
de ce que j'ai dit. » La plus remarquable a ce point de vue, c'est
Claire (Obs. 222) qui arrive toujours tres aflair^e, parce qu'elle a des
choses importantes a me dire, qu^elle tient a les dire et qu'elle
ne retrouvera sa tranquillite qu'aprcs avoir tout dit. On I'encou-
rage a commencer et alors ce sont des bavardages sur la diffi-
cultc qu'il y a a parler, sur le probleme de savoir par quoi com-
mencer. « J'ai deja dit tout cela, je Tai dit cent fois, j'ai dA vous
le dire, ce qui me tourmente, c'est que je n'ai pas dit Tessentiel »
et elle pleure, et elle rit, et elle se roule sur son fauteuil; en
supplications d'un c6te, en g^missements de I'autre, on passe plu-
sieurs heures et alors la voila au desespoir. <( Je vais encore par-
tir sans vous avoir dit ce que j'avais a dire, c'est si simple, je vais
vous le dire », et la scene recommencerait encore plusieurs heures
si on avait le temps de I'ecouter. II faut la rejivoyer avec la con-
solation que la prochaine fois elle dira mieux. J'ai connu cette
malade pendant dix-huit mois avant d'avoir devin^ sa principale
idee fixe.
Par exception, on rencontre des scrupuleux bavards comme
Jean (Obs. 167) ou qui ecrivent beaucoup comme Nadia (166), mais
I'espoir de les entendre parler clairement de leur maladie est
bientot de^u. C'est un flux intarissable de paroles, de plaintes,
de g^missements, mais avec les memes contradictions, les mcmes
obscurit^s. Jean complique son langage d'une grande quantite de
neologismes dont il a peu i\ peu precise le sens dans son esprit,
mais qui sont loin de rendre son langage plus clair. (c Ah ! j'ai eu
ma petite mesuredepuisqueje vous aiquitte ; une petite echaubouil-
laisona fait que tout repigeonnait encore, etl'obsession mentalc et le
fou-rire cerebral qui me labouraicnt la tele. Je ne pouvais plus r6-
sister au besoin de me crisper les organes, eric, crac, meurs done
en le donnant des jouissances. Ce que j'ai d(x soulever de poutrcs
en nombre rep6t^ pour rcsistcr. Yous ne vous figurez pas comme
8 LES IDfiES OBSEDANTES
cela produit un ^tat fastidieux tout le long de la ligne des nerfs. »
Et il continue ainsi pendant des heures sans arriver a se faire
comprendre et surtout sans arriver a se satisfaire lui-meme. II
supplie qu*on T^coute encore un quart d'heure, parce qu'il est si
important qu'il ait tout dit. II consent a s'arreter avec la pro-
messe que la prochaine fois il reprendra le recit interrompu. II
est curieux de comparer a ce point de vue Claire et Jean. L'une
ne pent pas arriver a dire dix mots, Fautre parle avec abondance
pendant des heures enti^res. Le resultat est cependant exactement
le m^me. Ni Tun ni Tautre ne sont arrives a une expression pre-
cise et satisfaisante des troubles quails eprouvent.
II en est de m6me pour ceux peu nombreux qui ^crivent. Dob.
(Obs. 86), jeune femme de 39 ans, qui a toujours le sentiment de
s*6tre mal expliqu^e par la parole se decide a m^^crire assez sou-
vent. Mais toutes ses lettres, qui sont semblables au point qu'elles
paraissent copi^esFune sur Tautre, ne contiennent que quelques
descriptions vagues et banales, identiques a ce que disait la ma-
lade. Nadia pretend ^prouver une peine extreme a parler : « il
me semble, dit-elle, que cela m'etrangle » et elle adopte vite le
systfeme de m'^crire des lettres interminables, d'abord dix ou
vingt feuilles de papier a lettres, puis, comme ce papier ne suffit
plus, cinq a six grandes feuilles de papier ^colier. Les mots im-
portants sont r^p^tefi trois ou quatre fois, ils sont soulign^s un grand
nombre de fois. Tout semble r^uni pour arriver a une precision
satisfaisante et cependant Nadia n*est jamais satisfaite : « que vou-
lez-vous, mes lettres sont aussi embrouillees que mes idees. »
Sans doute, il y a la un sentiment faux, une illusion du ma-
lade qui est toujours mec(mtent de ce qu'il a faitquoiquMI semble
avoir fait les choses d'une maniere a peu pres suffisantc. Nous
aurons a etudier en detail ce sentiment ct nous etudicrons jusqu'a
quel point il est erron6 et s'il ne correspond pas a une certaine
realite. Pour le moment, remarquons que ce sentiment du
malade a propos de son langage, quoique tres exagere chez
quelques-uns, est en general assez juste. Cette facon de s'exprimer
me parait assez importantc, le desir de se confesser, aucuneraison
serieusc qui s'y oppose ct Timpuissance oil est le malade a cxpri-
mer clairemcnt son etat, tels sont les caractercs essentiels du lan-
gage des obscdes scrupuleux.
On peut observer que ce trouble de Texpression depend chez quel-
L'OBSESSION DU SACRILEGE 9
ques-uns d*unc Amotion de timidide et on cherchera a le rattacher
aux autres troubles eraotionnels que le malade pr^sente en entrant
chez le inedecin, en cherchant a lui devoiler des choses intimes. II
y a la une partle de la verite: dans un certain nombre de cas, cette
attitude est en partie celle des timides. Mais je crois que cette
explication n*est que partielle. Beaucoup de ces malades ne sont
aucunement timides avec moi, a moinsque Ton ne veuille etendre
le mot detimidite a tons les troubles de la volonte; ily a dans leur
difficulte d*expression quelque chose de plus general et de plus
important. Elle depend d^une mani^re d'Mre de tout Tesprit, elle se
rattache a une impuissance g^n^rale de rien faire avec precision, de
rien terminer. Nous retrouverons cette impuissance avec toute son
importance a la fin de cette ^tude ; mais comme ce caractere est
capital, il ^tait bon de le signaler des le debut, simplement dans
la facon dont le malade se presente et expose sa situation.
On comprend que ce caractere ne facilite pas Tetude des mala-
dies : dans ce cas, comme d'ailleurs presque toujours, il faut un
temps 6norme pour eclaircir un peu ces observations psycholo-
giques, la depense de temps est la difficult^ principale de la
psychologic exp^rimentale.
2. — L'obsession du sacrilege.
Quelles que soient les difficultes qui empechent de saisir
completement la pens^e de ces malades, on finit par se rendre
compte dc quelques idees principales qui d'une raaniere plus ou
moins vague constituent le fond des obsessions.
Dans un premier groupe, il s*agit evideniment d'obsessions
religieuses, mais ce sont des idees religieuses toutes speciales,
ayant un aspect horrible, monstrueux en dehors de toute
croyance raisonnable. Au lieu de se preoccuper des ^venements
de la vie commune, de la mort d'un enfant, de Tabsence d'une per-
Sonne aim^e, ces malades songent a des crimes religieux irr^ali-
sables et fantastiques.
Quelques exemples feront facilement comprendre ce caractere,
j'en choisis d'abord deux particulierement typiques autour des-
quels il sera facile de grouper les idees du m^me genre presentees
par les autres malades. On. (Obs. 221), un homme de 4oans, apres
iO LES IDIilES OBSfiDANTES
beaucoup de tergiversations, nous fait Taveu de ce qui le tourmente
jour et nuit. 11 vient de perdre il y a deux ans son pere et son
oncle pour qui ii avait la plus grande affection et la plus grande
veneration: il les pleure, cela est naturel. Va-t-il ^tre obsed^ par
rimage de leur figure comme une hysterique pleurant son pere ?
Non. II est obs^de par la pens^e de Tame de son oncle. Mais ce qui
est effroyable, c'cst que Tame de son oncle est associee, juxtaposee
ou confonduc (nous savons que ces malades s'expriment tres mal)
avec un objet repugnant : des excrements huinains. « Cette arae
git au fond des cabinets, elle sort du derricre de M. un tel,
etc., etc. » 11 fait une foule de variantes sur ce joli theme et il
pousse des cris d'horreur, se frappe la poitrine. « Peut-on con-
cevoir abomination pareille, penser que Fame de mon oncle
c'est de la m... » Le cas est interessant par sa grossierete, une
idee de ce genre presente, a mon avis, un cachet tout special: elle
avertit deja le medecin qui ne le rencontrera guere en dehors du
delire du scrupule.
Avant de preciser ce caractere voyons un autre cxemple encore
plus typique. Claire, cette jeune fiUe, dont la chastete ne pent
mcme pas 6tre soupconnce, finit apres i8 mois d'examen et d'in-
terrogations par m'avouer Tobsession suivante qui, au premier
abord, me paraissait invraisemblable et dont j'ai d\i plus tard
constater la frequence chez les scrupuleuses. Elle pretend que
c'est plus qu'une id^e, c'est quelque chose qu'elle voit et qui lui
apparait brusquement a gauche. Acceptons pour le moment cette
expression de la malade : « Je vois. » Nous aurons a discuter
plus tard s'il s'agit d'une v<^ritable hallucination. Claire pretend
voir subitement devant elle un homme tout nu ou avec plus de
precision uniquement les parties scxuelles d'un homme, en train
d^accomplir un acte : celui de souiller une hostic consacree.
Voici des annees que cette jeune fille a cette image devant les
yeux des centaines de fois par jour. De temps en temps I'image
subit quelques legcres modifications : il y a plusieurs membres
virils autour de Thostie, ou bien c'est une femme qui met Thostie
sur ses parties genitales, tantot c'cst un chien qui fait ses ordures
sur une hostie, tantot Thoslie est simplement melee avec de la
boue, des excrements. Pendant certaines periodes de grand
trouble, c'etait un pr^trc qui venait appliquer Thostie sur les
parties g^nitalcs de la malade elle-memc ou sur son anus. Ces
images provoquentune angoisse horrible, bouleversentla malade;
L'OBSESSION DU SACRILEGE H
lui donnent, dit-elie, a chaque fois, une espcce de crise de nerfs,
lui enlevent toutes ses id^es, toute sa volenti.
De telles pensees paraissent au premier abord bien etranges
et bien exceptionnelles. Mais si on observe ces nialades on voit
d'abord qu'elles sont chez eux tres fr^quentes. II y a un siecle
Esquirol deorivait deja des hallucinations semblables a cclles de
Claire. Si nous examinons plusieurs autres malades nous allons
retrouver souvent des idees tres analogues a ces deux exemples.
Cc sont toujours des pensees obsedantes relatives a des atten-
tats monstrueux contre des choses religieuses ou infiniment res-
pectables.
Lise specule depuis des annees sur ce theme : le culte reli-
gieux dn demon. L'idee obsedante n'est pas chez elle aussi bru-
tale que chez les deux malades precedents, ce n'est pas une
image simple apparaissant tout a coup, c*est une meditation
longue et compliquee tournant autour de quelques id^es prin-
cipales que je resume en conservant le vague de I'expression qui
caracttirise cette malade. « II y a un principe du mal comme un
principe du bien... le mal est un Dieu comme le bien... le con-
traire de Dieu, venerer le contraire deDieu... quelle est la puis-
sance du d6mon... pricr le demon autant que Dieu... si on ne
croit pas au demon ne pas croire a Dieu non plus... demander
au demon des services et lui donner en echange ce qu'on aime
le plus... lui demander tout ce dont on a envie... donner au
demon Tame de ses cnfants... etc. » La derniere idee est
Tobsession capitale de cette malade qui est constamment tour-
mentee par la pensee de vouer au demon I'ame de ses enfants.
Un autre malade, Za... (Obs. 216), homme de 82 ans, r^ve ;i
violer une vieille femme devant une ^glise. Leb... (Obs. 217),
femme de 35 ans, se sent pouss^e par Satan a se masturber
toutes les fois qu'elle prepare une confession. Nous verrons
plus tard ce qu'il faut penscr du ph^nomene lui-m^me, excita-
tion genitale au moment d*un effort pour accomplir un acte
religieux. Pour le moment remarquons seulement que la malade
a a ce propos une obsession « je pense tout le temps que
le diable me pousse a faire des malpropretes pour m'empechor
de faire mon salut... ». Pour Xy... (Obs. 218J, lemme de 55 ans,
le diable intervicnt dans toutes ses actions, elle ne pent pas man-
ger sa soupe ou changer de chemise sans penser qu'elle fait ii ce
moment un acte agreable au d6mon. Lod... ne peut voir un era-
12 LES IDfiES OBSfiDANTES
chat par terre sans penser que c'est une hostie, ne peut donner
a boire a son chien sans croire qu*elle donne le vin et Teau de
rEucharistie, ne peut boIre elle-meme sans croire avaler le vin
de la niesse. Ger... se figure qu'elle veut « tuer le bon Dieu ».
Enfin, ce qui est banal chez tous, c*est Tid^e du blaspheme,
« parler mal des choses divines, penser au demon en faisant des
prieres et insulter Dieu au lieu de le prier..., ne savoir expri-
mer que la haine de Dieu d'une facon mauvaise et grossiere, se
revolter contre Dieu et le maudire, dire des blasphemes des
qu'on pense a la religion... cochon de Dieu, etc. » telles sont
les paroles que repetent un grand nombre de ces malades.
Ceux-la raemes qui ont des obsessions d'une autre nature comme
Vol... (96), femme de 2i ans, melent la divinite et la reli-
gion a Icur maladie : « Je suis damnee, je lutte contre Dieu si je
lutte contre mon cerveau malade, je me moque de Dieu si je
consens a me soigner. » L'idee de sacrilege se mele aux autres
id^es.
«
On voit par ces exemples faciles a multiplier que ces obses-
sions, si frequentes chez les scrupuleux, ont un trait commun.
Elles sont toutes constituees, semble-t-il,par deux pens^es asso-
ciees: Tune d*ordre ^lev^, le plus souvent religieuse et en tons les
cas infiniment venerable, aux yeux du sujet, Dieu, Tame, les
enfants, I'eglise, Thostie et de Tautre une pens^e basse, r6pu-
gnante, ignoble, les excrements, les organes g^nitaux, les paroles
grossieres, ordurieres. Cette association constitue une insulte
pour la premiere pensee et Ton peut dire que toutes ces obses-
sions sont constituees par la pensee d'un sacrilege : de la le nom
sous lequel j'ai deja eu Toccasion de les designer plusieurs fois,
les obsessions sacrileges, Le premier fait que nous ayons ii relever
chez nos scrupuleux c'est qu'ils sont tourmentes perpeluellement
par la pensee du sacrilege.
3. — L'obsession du crime.
Les obsessions singulieres qui constituent une sorle de manie
de sacrilege n'existenl pas seules chez ces malades. On peut
meme dire que le plus souvent elles ne se presentent que tres
L*OBSESSION DU CRIME 13
tard, lorsque revolution de la malade est d6ja bien avancee.
Chez ces memes malades on rencontre d'autres id6es un peu
difT^rentes soit qu'elles existent encore simultanement avec les
obsessions sacrileges, soit qu^clles aient doraine ant^rieurement
et n'existent plus qu*a T^tat de souvenirs ; chez d^autres sujets
moins gravement atteints on ne rencontrera pas d'id^es vraiment
sacrileges mais uniquement ces obsessions moins graves.
Ces malades sont tourmentes pendant des annees par des
preoccupations toujour s du mime genre relatives d la relief ion ou
a la morale. II nous faudra rechercher plus tard quelles sont les
raisons qui fixent ainsi Tesprit vers un menie ordre de reflexions
morales, pour le moment nous nous bornons a constater et a
d^crire. Ces personnes semblent s*interesser vivement aux pro-
blemes religieux et philosophiques, ce qui est permis a tout le
monde, mais elles Ic font d^une fa^on absorbante, p^nible ettouta
fait excessive.
Lise s'interrogeait des journ^es et des nuits entieres sur la
question du salut, elle ne s'int^ressait pas pr^cis^ment a son
propre salut, mais a celui de son pere, plus tard au salut de
son mari, de ses enfants. Elle spicule maintenant sur le pro-
bl^me du bien et du mal dans le monde, sur le probl^me
de Taction mutuelle des ames les unes sur les autres. Elle
en arrive ^ se faire une sorte de philosophic ou de religion
personnelle, mystique et enfantine, tandis qu*elle neglige com-
pletement la religion oflicielle. Une autre malade, Ger..., examine
nai'vement comment il est possible que Dieu soit dcscendu sur la
terre pour sauver les hommes et pour la sauver en particulier
elle-meme. Py... (i33), une fillette de i5 ans, est bourrelee
d*inquietudes a propos de la fm du monde, cela Tamene a exami-
ner les theories de la creation, des miracles, de Texistence de
Dieu. <c Ce serait si teri'ible, r^pete-t-elle en pleurant a chaudes
larmes, si Dieu n'existait pas. » On a d6ja vu que Lod... mele des
id^es religieuses a tous ses actes m^me les plus vulgaires, elle ne
pent passer devant une boulangeric sans s'interrogcr sur le mys-
tere de TEucharistie et elle ne pent se d^shabiller quand elle est
seule parce qu'elle est g^n^e par la presence continue de Dieu.
On pourrait multiplier cesexemplesqui montrent suffisamment la
direction religieuse et philosophique des reveries de ces malades.
D'autresplus nombreux encore et dont T^tude est particuliere-
ment interessante s'occupent plutot des probl6mes de morale
14 LES IDfiES OBSfiDANTES
concernant la conduite humaine. On..., le brave homme qui
voyait Tame de son oncle dans les cabinets, avait ete auparavant
pendant des annees tourment^ par Ics problemes relatifs a Thon-
n^tete ; il s'interrogeait avec angoisse sur les preuves du droit de
propriety, sur le devoir de reslituer, etc. Nb..., un littc^rateur
interessant 6tudie malgre lui la nature de Tamour, de Tamiti^, de
la charite. We... (170), une jeune fille de 19 ans, a la preten-
tion de r^soudre le probleme de la responsabilite et veut mesurer
jusqu'a quel degre elle est responsablc. Un homme de 82 ans,
Za... (ai6), est entre a 20 ans au seminaire a(in de pouvoir satisfaire
son goilt pour les questions th^ologiques, il s'absorbe dans ces
etudes d'une fagon si anormale que le superieur le signale au
m^decin et que celui-ci exige son renvoi du s(^minaire et Tinvite
a changer dY^tudes. A peine sorti des speculations religieuscs, il
va comme pousse par un instinct choisir Tetudc du droit et il
recommence avec le nxeme acharnemcnt les discussions sur le
bien, le mal, le crime, le delit, la punition, les droits, etc., si
bien qu'on a dil lui interdire ces nouvelles etudes comme les
pr^c^dentes. De pareilles etudes semblent bien permises et pa-
raissent indiquer simplement un goiit, une direction particuliere
et plut6t interessante de Tesprit. Mais nous aurons a ctudier la
forme que prennent de telles pens6es et a voir combien leur
d^veloppement est anormal.
Pour le moment remarquons seulement que ces speculations
ne restent privees, d^sint^ressdes chez ces malades, elles
se m^lent toujours a des preoccupations personnelles relatives a
des actions determin^es. Ce n'estpas d'une fa^on thcorique qu'ils
pensent a des actes religieux, a des actions bonnes ou mauvaises,
ils se sentent pouss^s a les accomplir. Le mal semble ne pas
etre bien grand quand il s'agit d'actions bonnes ou indiflerentes :
Leb... (217], une femme de 35 ans, est sans cesse poussee a
dire des prieres, a aller a la messe, We... sent une impulsion qui
Tentraine a se faire religieuse, a entrer dans un convent. Dor...
a une impulsion plus curieuse, elle se preoccupe non pas de ses
actes a elle mais de ceux des autres, elle est poussee a changer la
conduite de son mari et en particulier a le faire confesser sans
cesse pour la moindre des choses ; elle a une grande crise d'an-
goisse parce qu'il a fum^ une cigarette avant de communier avec
elle et qu'il ne veut pas aller se confesser tout de suite.
L'OBSESSION DU CRIME 15
Malheureusement les impulsions sont rareraent de ce genre,
Dans la grande majority des cas ce sont des impulsions a accom-
plir des actions mauvaises, criminelles. Les obsessions du crime
se pr^sentent ainsi sous la forme cVune tendance^ d'une impulsion
a commettre ces crimes,
Za... n'a pas seulement des obsessions sacrileges qui le
poussent, comme il dit, a « accomplir tous les p^chcs th^ologiques »,
il a des impulsions a des crimes plus terre a terre, violer une
femme sur un banc et Tassassiner. Mb... (i36), femme de
67 ans, est poursuivie par la tentation de frapper les gens avec
un long couteau pointu « qui crfeve les yeux, qui entre bien ».
Ger... est poussee a couper la t6te de sa petite fiUe, et a la
mettre dans Teau bouillante. D'ailleurs on ne pent compter les
scrupuleux qui ont des impulsions a frapper des gens et surtout
a frapper leurs enfants a coups de coutcaux. Dans une conference
que je faisais r^cemment a la Salpetriere sur ces malades, j'avais
pu reunir cinq meres de famille, r^petant toutes en pleurant
exactement la meme chose : que quelque chose les poussait a
frapper leurs petits enfants avec un couteau pointu. On ne pent
6num^rer tous ces malades, il suflfit d'cn citer quclques-uns, Lise,
Vod... (2o3), Wks... (197), Brk... (2il), Vi..., Ger..., etc., veu-
lent aussi frapper leurs enfants. Qes... veut se jeter sur sa mere,
r^trangler et se suicider apr^s.
Ces obsessions impulsives qui semblent pousser les malades
a rhomicide sont parmi les plus fr^quentes et les plus connues.
Schopenhauer rapportait d^ja un cas d'impulsion a Thomicide
chez un malade qui avait conscience de Tabsurdit^ d'une sem-
blable id^e et s'en dcsolait *. Maudsley en rapporte plusieurs
exemples, Magnan, Saury en d^crivent de nombreux exemples.
Dans une observation de M. Magnan, le malade veut simplement
mordre et manger la peau qu*il aura arrach^e '. On pent done
reunir dans un premier groupe toutes les obsessions-impulsions
a des actes de violence quelconque.
L'impulsion au suicide vient par ordre de frequence apres Tim-
pulsion au meurtrc, nous la retrouverons chez beaucoup de nos
malades, chez Nadia par exemplc qui dans une reverie roma-
nesque arrive a se representer qu'elle se noie dans la mer Bal-
1. Schopenhauer, I.c Uhre arbitre, trad., p. 177.
a. Magnan, Arch, de neurohyic, 189a, i, p. 3a i.
16 LES ID£ES OBS^DANTES
tique. Une femme de 3o ans, Kl... (211), a 6ie pendant trois
ans obs^dee par Timage d'un homme pendu dont on lui a raconte
la triste fin. Ce qui la tourmentait ce n'est pas r^eliement la mort
de cet individu, c'etait une reflexion personnelle: « Je pourrais bien
en faire autant » et elle se sentait poussee a se pendre a ce point
qu'il lui fallait prendre des precautions pour ne pas c^der a ce
d^sir. Elle fermait a clef son grenier et cachait la clef, car dans
son id^e c'^tait au grenier qu'elle irait ex^cuter ce suicide.
Les impulsions g^nitales sont souvent parmi les plus remar-
quables. Za... veut, coinme nous Tavons dit violer, une vieille
femme, V..., une jeune femme mariee, se sent poussee a se
mettre a la fenetre et a faire signe aux passants pour les inviter a
monter chez elle. Une jeune fiUe de 22 ans, Vob... (igA), ne
veut plus rester dans Tappartement de ses parents, elle veut se
r^fugier « dans une prison, ou dans un convent, dans un endroit
quelconque ou il n'y ait que des femmes », parce qu'elle est
poussee a s'approcher de ses freres et a deboutonner leur culotte.
a Elle ne pourra jamais resister jusqu*a son mariage, d^ja ses
bras font malgre elle de petits mouvements, elle sent ses mains
qui defont les boutons. » Nous aurons a rechercher s'il s'agit la
de v^ritables hallucinations kinesthesiqucs, notons seulementici la
forme d'image kinesth^sique que prend Tobsession, analogue a la
forme visuelle qu^elle prenait dans les id^es sacrileges de Claire.
Parmi ces obsessions avec impulsions genitales il faut noter
celles de Rk..., homme de 4o ans qui depuis vingt ans se croit
atteint d'inversion sexuelle et deplore le triste penchant qui le
pousse vers des jeunes gens. II n'a d^excitations sexuelles
qu*en pensant a des hommes, il declame sur la po6sie roman-
tique des amours masculines et en m6me temps il redoute le
sort d'un litterateur connu condamne pour cette conduite iil^gale.
Je ne discute pas ici la question des invertis sexuels, mais je suis
convaincu que trop souvent on a fait des theories sur I'inversion
sexuelle a propos de simples obs^des ayant une impulsion vers
cette action comme ils auraient une impulsion a un crime quel*
conque. Dans le cas present, cet homme a et^ amoureux d'une
jeune fille a 17 ans ; par consequent il n'a pas toujours ete un
inverti sexuel ; a la suite de beaucoup d'autres obsessions il est
parvenu a Tidee de ce crime genital particulier qui constitue
maintenant son obsession principale.
Ce sont surtout les impulsions a la masturbation qui jouent un
L'OBSESSION DU CRIME 17
grand role dans les tourments de ces malades. Deb... (i65),
femme de 44 ans, froide avee son marl, ne pensequ*a recommen-
cer d'anciennes masturbations, il en est de meme pour Loa...
(i38), pour Leb..., etc. Cette pens6e forme un des ph^no-
menes principaux de la maladie si complexe de ce pauvre Jean,
a tout instant et a tout propos, il croit avoir des tentations de
masturbation. Par exeraple s'il rencontre une femme dans Tomni-
bus, s'il est forc^ par les circonstances de toucher la main d'une
femme et meme tout simplement s'il 6prouve une Amotion quel-
conque m^me legere, il sent plus quUl n'entend une voix lui
disant : « Va done, crispe-toi les organes, masturbe-toi done,
meurs en te donnant des jouissances. » Et il sent que ses nerfs
s'agitent moitie involontairement, moitie volontairement. « II y a
en moi une complaisance, un laisser aller pour tons ces d^sirs
sexuels. » ^
Ajoutons les impulsions a d*autres actions malhonn^tes, par
exemple, I'impulsion a voler et a mentir chez Lod... Cette impul-
sion a voler se retrouve trfes souvent : elle joue un role dans une
impulsion plus complexe et particulierement int6ressante, celle
des fugues chez Go... Ce gargon de i5 ans ne pouvait parvenir
a rester immobile dans une 6cole, des qu'il essayait de s'appli-
qu6 a son travail, il sentait des agitations foUes qui le pous-
serent des son enfance a faire tres souvent T^cole buisson-
ni^re. Maintenant il a un desir fou de partir n'importe ou, de
voyager loin de Tecole, loin de son apprentissage. Cette idee lui
enleve tout bon sens et il faut qu'il y cede : il prend chez ses
parents une fois 68 francs, une autre fois 3o4 francs et il s'en va.
Son argent ne lui scrt qu'a payer le chemin de fer de la fa^on la
plus ^conomique, et a lui assurer une bien maigre ration. II vit
avec lo sous par jour, etsenourrit a peine. II ne prend aucunplai-
sir a son voyage, il voyage pour voyager, pour s'eloigner loin du
travail. II est tout le temps m^content d*6tre parti et 6crit des
lettres a des amis et a des parents pour demander des conseils,
il essaye de rentrer en prenant un billet pour Paris, mais il est
forc^ de descendre quelques stations avant d'arriver et de repar-
tir en sens inverse* II rentre quand il n'a plus aucune ressource^
il arrive la t6te basse, s'excusantde ses sottises et jurant qu'il ne
recommencera plus. II a en effet un souvenir complet de toute
Texp^dition et de la lutte qu*il a soutenue contre Tobsession.
C*est un cas qu'il ne faut. pas confondre avec les fugues hyste-
LE8 OBSKSSIOKS. I. — 2
18 LES ID^ES 0BS£DANTES
riques, mais qui rentre dans les dromofnanies que decrivalt
M. R^gis. II se rattache a ces obsessions impulsives qui poussent
le malade a toutes sortes d'actes criminels.
II faut faire une place a part aux impulsions qui poussent les sujets
a boire de I'alcool ou a absorber des poisons. Dans certains cas Tim-
pulsion a boire rentre dans les cas precedents : la malade si sin-
guliere que j'ai d^crite dans un ouvrage precedent 6tait pouss^e
a boire du caf6 au lait et a manger des petits pains vol^s. Elle
finissait par prendre vingt ou trente tasses de cafe au lait dans
la journ^e et prenait des precautions pour pouvoir en faire pen-
dant la nuit^ Ici le breuvage absorbe n'a pas d'importance par
lui-m^me, c'est une impulsion a boire un breuvage defendu par
le m^decin et consider^ com me dangereux pour son estomac.
Le plus souvent il s'agit de boire du vin, de Talcool, des exci-
tants sous une forme quelconque. L'obsession impulsive prend
alors le nom de dipsomanie, D..., homme de 3o ans, a depuis
I'age de i5 ans des p^riodes singulieres de depression sur les-
quelles je reviendrai longuement, car leur importance pour
rintelligence des obsessions me semble capitale. Ce n*est qu'a
22 ans que ces p^riodes de depression se transforment et sont
remplacees par une idee obs^dante, celle de boire. 11 r6siste
pendant un certain temps puis finit par c^der et boit jusqu'a
rivresse complete. Fm... (192), qui a deja des sympt<^mes de
n^vrite alcoolique, se fait a lui-meme toutes sortes de menaces :
« Si tu bois encore ton patron va te renvoyer, tu seras paralyse
des jambes, tu souffriras atrocement, etc. » Et cependant il ne
pent resister a Fimpulsion.
Toutes ces impulsions a des crimes peuvent se rencontrer chez
un meme sujet qui songera a la fois a Thomicide, au suicide, au
vol ou qui reunira d'une maniere vague tons les crimes. « C'est
comme si, repete Claire, je voulais me laisser aller, ceder a tons
mes caprices, renoncer a toute moralite. »
L'impulsion pourra prendre une autre forme egalement bien
connue : elle sera negative. Les malades seront pousses a resister,
a ne pas faire une action que la religion ou la morale comman-
dent. Chez Claire, ce refus constitue un veritable delire a propos
des actes religieux; refuser de faire ses Paques, refuser de faire la
prifere, la considerer comme impossible, refuser dialler a la messe,
I. Raymond el P. Janet, Nevroses el idies fixes, 1898, II, p. 194.
L'OBSESSION DU CRIME 19
refuser de manger, c*est la perp^tuelletnent ce que son impul-
sion lui inspire. En r^alit^, il lui suffit de penser qu'une action
est bonne pour qu'elle ait une impulsion violente a ne pas la
faire. C*est parce qu'elle croit de son devoir de me parler, de me
confier ses tourments, qu'elle est si incapable de le faire; une
action qu'elle jugera indiOi^rente s'effectuera beaucoup plus faci-
lement. Ce type se rencontre chez bicn des malades, chez Elg...
(i6), chezTr... (ii8], qui se sentent pouss^es a ne pas faire leur
travail, mais il est moins frequent que le pr^c6dent.
A c6t^ de ces diverses impulsions, il faut placer une manifesta-^
tion plus fr^quente encore et plus importante de Tobsession cri-
minelle, ce sont les remords, Le malade ne se sent pas actuelle-
ment pouss^ a accomplir une action criminelle, mais il pense
quHl Ta accomplie autrefois et il est bourrel^ de remords.
On pent mettre, bien entendu au premier rang, les remords
precis, portant sur tel ou tel acte d^termin^ et parmi ceux-ci
signaler tout d'abord les remords de fautes religieuses, les d^ses-
poirs causes par les confessions insuffisantes ou par les commu-
nions pretendues sacrileges. II est inutile de citer des noms, car
tons les scrupuleux ont eu ce symptome, presque toujours au d6"
but de leur maladie. Chez quelques-uns, ces remords constituent
un veritable acc^s de delire, tous ceux qui s'occupent de mala-
dies mentales ont connu ces femmes affolees pendant des mois,
parce qu'elles croient avoir fait entrer un morceau d^hostie dans
une dentcreuse. Le fait est si banal, qu'il a6t6 bien connu etbien
decrit par les romanciers : on pent relire a ce propos la jolie
description de la sceur aux scrupules dans le Mus^e de b^guines
de Georges Rodenbach*. Le m^decin aurait peut-etre a relever
dans cettepeinturequelques inexactitudes apropos deT^tat de d6-
mence de Soeur Marie des Anges, mais les premieres p^riodes de
la maladie sont remarquablement d6crites, Tattitude de la soeur
au confessionnal etses angoisses apr^s Tabsolution semblent avoir
et6 copi^es sur nos malades. Ce genre de penitentes est sans
doute bien connu par les pretres qui, si j*en juge par mes ma-
lades, doivent etre assourdis par les dol^ances relatives aux an-
ciennes communions.
Nous constatons ensuite des remords pour tous les crimes qui
I. Goor^cs Rodonbach, Mvaee de heguines, 189^.
20 LES IDfiES OBSfiDANTES
tout a rheure, se pr^sentaient comme des impulsions. II est a re-
marquer, en effet, que les malades qui se disent pouss6s a accom-
plir un meurtre sont souvent les m6mes qui, quelques jours apres,
vont avoir des remords comme sHIs avaient r^ellement commis
cet acte. Ainsi, du vivant de sa belle-mfere, Ger... 6tait pouss^e a
la tuer; quand cette femme fut morte, elle s*accusa d*avoir caus^
sa mort. Vi... s'accuse d^avoir accompli toutes les actions aux-
quellesy comme nous Tavons vu, elle se sentait pouss^e. Elle a
caus^ la mort des gens, elle a Strangle, elle a bless6 des pas-
sants, envoys des lettres compromettantes, vers6 du poison,
•tromp^ son mari, etc.
D'autres, sans avoir eu d'impulsions precises, ont perp^tuelle-
ment et uniquement des remords. Rob... (119), qui tient une
caisse dans une maison de commerce, est poursuivie par Tid^e
qu'elle a mal rendu la monnaie, qu'elle a vol6. We... (i7o)se re-
proche tous les chagrins, tons les malheurs qu'elle voit arriver
autour d'elle, parce qu'elle s'accuse de les avoir autrefois pr^vus
et souhaites. New... (212), homme de 3o ans, invente tout un
veritable d^Iire retrospectif, il se reproche sa conduite ind6-
cente a Ti^cole et il invente que tous ses maitres ont abuse de
lui, cela devient un roman assez complique. Kl... est poussee a
penser que son enfant n'est pas le (ils de son mari, ce probleme
dissimule une veritable obsession de remords, c'estune maniere de
se demander si elle a trompe son mari. Dk... (aiS) a Tidee qu'il
y a quinze jours, il a pu tuer quelqu'un ; il va dans la rue froler
les sergents de ville et se trouvesur le point de les prier de Tarre-
ter. Xya... (a5) n'a pas assez bien soigne ses enfants et les a fait
mourir. Lise, si on la croit, a fait tous les crimes possibles : com-
munions sacrileges, meurtres, infanticides innombrables (elle
s'accuse d'infanticide toutes les fois qu'elle a des rapports avec
son mari non suivis de conception) actes contre nature, etc. Rk...
a 3o ans se souvient qu^a Tage de 4 ans il venait le matin dans
le lit de son p^re avec sa petite sceur agee de 3 ans, il croit qu'ii
ce moment il a abus^ de sa petite sceur et il est effray^ a la pens^e
de cet inceste.
• Za... a des remords de ce genre assez curieux parce qu'ils
s'accompagnent d'images innombrables analogues a de v^ritables
tableaux. II a la manie de s'accuser de tous les meurtres dont il
entend parler. Ainsi, on lui apprend, a la campagne, qu'un vieil-
lard de 84 ans a 6te trouve mort sur une route. Imm^diatement,
L'OBSESSION DU CRIME 21
il se dit que c'est lui qui Ta tu6 pour lui prendre son argent. En
passant pres d'une maison, il a entendu ou cru entendre le bruit
d'un revolver et il apprend ensuite qu*un homme s'est tu6 dans
cette maison. Aussitot il en conclut que c'est lui qui a tir6 le coup
de revolver et tue cetindividu. L'obsession de ce remords a dur6
deuxans. « J'^prouve, dit-il, en parlant de ces remords, toutes les
Amotions du voleur, de Tassassin, toutes Ics tortures du reknords
pour ces crimes imaginaires. Je vois les suites du crime, je vois
deux agents venir me saisir au milieu des miens, je vois la pri- <
son, le cabinet du juge d'instruction, la cour d'assises ; je me vois
au banc des accuses, devisage par mes collegues qui chuchotent
entre eux : on ne s^en serait jamais dout6. Je subis les angoisses de
Tincertitude qui precedent les verdicts du jury et je travaille a
reproduire en moi-meme les impressions du condamn^ a mort
qu'on ligotte pour le conduire au lieu de Texecution. ' ».
Une seconde forme de Tobsession du remords, plus grave que
la pens^e et qui peut correspondre a une forme tres avancee de la
maladie, c'est le remords general portant sur tons les actes de la
vie presque sans exception. Claire serait une malade de ce genre,
elle ne peut « r^flechir a aucunc de ses actions, quelle qu'elle soit
sans en ^tre accabl6e de remords ». Nous etudierons ce cas (i propos
des obsessions de honte.
Dans certains cas, en effet, le remords portant meme sur un acte
determine s'associe avec une honte de toutes les actions. Xyb...
(209) pour une raison quelconque a renvoy6 sa blanchisseuse, puis
s'est d^cidee a la reprendre. Elle croit avoir ete injuste en la ren-
voyant, puis avoir manqu6 de decision en la reprenant. II r^sulte
de ce remords qu'elle trouve mauvaise toute sa conduite, il ne lui
est plus possible de rien faire correctement tant qu'elle n'a pas
repar^ sa conduite vis-a-vis de la blanchisseuse. Elle prend des
precautions pour etre toujours li^e a celle-ci, par exemple, elle
veut toujours lui devoir une petite somme d'argent afin de ne plus
pouvoir la quitter, mais jamais elle ne peut effacer le remords de
son action irreparable.
Une obsession curieuse me parait devoir etre rattach^e a ce
groupe, ce sont les « remords de vocation », le malade se re-
I. Une observation interessante que Ton peut comparer 2i celle-ci a ^t^ publico
par M. Bramwell dans le Brain, 1895, 344 : « H invente des histoires absurdes &
propos d*un empoisonnemcnt qu'il prepare, il se repr^scnte la trag^dic, Tenfant
buvant le chocolak ot mourant dans une horrible agonie, etc... »
22 LES IDfiES OBSfiDANTES
proche d'avoir « manque sa vocation ». J^ai d^ja ^tudi6, avec
M. le P' Raymond, Tobservation int6ressante de cette femme ob-
s^d^e par le regret de « n'etre pas institutrice », de « n*avoir pas
au moins epouse un instituteur » ^ On observe bien plus fr^-
quemment des femmes qui se reprochent de n'etre pas entries dans
un convent, de n'etre pas religieuses. C'estle castypique de Gis^le
femme de 3o ans (i7i)> qui trouve que toute sa vie est manqu^e,
mauvaise, que tons ses actes sont alt^r^s parce qu'elle n'est pas
religieuse. Se reprocher une faute dans le choix d'une vocation,
c'est une mani^re de se reprocher en g^n6ral toutes les actions
de sa vie.
Toutes ces obsessions a propos d'idees morales, a propos d'im-
pulsion au crime et surtout a propos de remords ont certaine-
ment, malgr^ leurs differences, des traits communs. C'est ce qui
m'a permis de les ranger sous ce titre commun : les obsessions
criminelles.
4. — Vobsession de la bonte de soi.
Un autre genre d'obsessions voisin des precedents, bien en-
tendu, mais un pen plus simple peut-^tre se retrouve chez les
scrupuleux, soit isole dans des cas relativement benins, soit en
coexistence avec les obsessions du sacrilege et du crime dans les
cas plus graves. II m'est difBcile de r^suraer par un mot le carac-
tere general qui se retrouve dans les idees de ce groupe. II s'agit
non seulement de remords proprement dits, mais de m^pris, de
meconientement portant non seulement sur les actes, mais sur les
facultes morales, sur la personne du sujet et plus souvent encore
sur son corps. Le malade a constamment Tid^e que ce qu*il fait,
que ce qu'il est, que ce qui lui appartient est mauvais. Le carac-
tere qui me semble le plus general, c'est le sentiment de honte
quoique dans certains eas la honte soit l^gere et qu'il s'agisse
surtout de m^contentement. C'est pourquoi nous r^uuissons ces
faits sous le nom gen^rique : d'obsession de honte,
Quoique les diverses formes de cette honte se melungent as-
sez intimement, il me semble bon d'en distinguer deux groupes
I. Neuroses et idees fixes, II, p. i48.
L*OBSESSION DE LA HONTE DE SOI 23
principaux qui ont un aspect cllnique assez difierent. Dans le
premier groupe, la honte ou le m^contentement reste a peu pres
compl^tement dans le domaine moral et les obsessions se rappro-
chent plus ou moins des deux classes pr^c^dentes, celui du sacri*
l^ge et du crime. Ce que le sujet meprise en lui-m^me, c'est son
esprit, sa volonte, son intelligence. Dans le deuxieme groupe, la
honte porte plutot sur le cot^ physique de I'individu et le sujet
est m^content de son corps ou de ses fonctions corporelles. Ces
nouvelles obsessions nous rapprocheront davantage des id^es hypo-
condriaques.
Occupons-nous d'abord du premier groupe : la honte morale,
Dans les cas les plus graves, chez les malades qui nous ont
pr^sent^ les idees sacrileges et les grands scrupules, ce m^con-
tentement, n^est pas localise a une action, il est absolument g^n^*
ral, et porte sur toute la personne. Le type de ce genre de d^lire
g^neralis6 est certainement Claire. Son m^contentement au debut,
comme il arrive souvent, portait sur des actes religieux, c*est-a-
dire sur ceux qu*elle voudrait le mieux faire. On verra de plus en
plus rimportance du contraste chez les scrupuleux. Elle a encore
le sentiment que les confessions, les communions ont 6t^ mal
faites. Puis ce sont les prieres qu'elle trouve tr^s insufHsantes.
Elle cherche des moyens pour y remddier : ce sont des prieres in-
terminables, des confessions par ^crit prepar^es pendant 1 5 jours,
puis des grimaces, des contorsions pour arriver a bien prier ;
mais bient6t ces systemes sont impuissants et ces actes religieux,
deviennent impossibles. Elle en est desesper^e, elle r^pete que le
pouvoir de prier serait chez elle le signe de la gu^rison compile.
Elle pleure des qu'on parle de religion devant elle mais elle a
pr^fere renoncer a toute pratique religieuse, tellement elle est con-
vaincue qu'elle les fait mat, d'une maniere indigne. Elle se laisse
conduire a la messe, de temps en temps, mais ne suit rien, ne veut
faire aucune priere. II lui faudrait de tels efforts pour en faire
une bien qu'elle pref^rerait mourlr. Puis le m6contentement s'est
etendu a d*autres actes, a toute chose qui lui paralt avoir un
caractere moral quelconque, a tout ce qui pourrait etre bien. Des
actions indifferentes au point de vue moral, ou qu'elle croit
telles, se font facilement, elle n'a pas de systfeme pour manger
ou pour respirer et encore ne faudrait-il pas attirer son atten-
tion la-dessus, nl lui faire une recommandation m^dicale sur la
nourriture, car aussitot le d6sir de bien faire en mangeant ren->
24 LES id£es obs£:dantes
drait ralimentation impossible. Pour tout le reste elle est
coDvaincue qu'elle agit tr^s mal, qu*eUe aime mal ses parents,
soigne mal sa mere, travaille mal, etc.
Elle exprime comme toujours ces remords d'une maniere tr^s
vague. « C*est comme si j'avais commis tous les crimes... j'ai
des remords comme si j'avais tu6 n'importe qui... tout le monde
a des reproches a me faire, on ne m'en fera jamais autant que je
m'en fais a moi-meme, autant que j'en mdrite... j*ai ^coute lemal,
j'ai cherche tout ce qui me paraissait mal... j« n'ai pas lutte contre
le mal... des reves insens^s, des pensees mauvaises contre la mo-
rale, contre Dieu, deux cents fois par jour... je suis dans chaque
action aussi coupable que les plus grands criminels. »
Si elle arrive a convenir, car elle n'a pas perdu tout bon sens,
que Facte accompli est en lui-meme un acte bon, qu'elle a veill^
sa m6re malade et que Ton ne pent pas considerer cet acte
accompli comme reprehensible, elle entre dans des subtilites
philosophiques et distingue Facte en lui-meme et Tintention
volontaire de celui qui Taccomplit. La volonte a toujours ete
mauvaise dans cette action ou plutot il n'y a eu aucune bonne vo-
lonte, car, s'il avait fallu le faire avec bonne volonte, Facte n^aurait
jamais pu etre accompli et elle reste tout aussi mecontentc d'elle-
meme, quoiqu*on lui ait demontre que Faction ^tait bonne.
Depuis qu'elle vient me voir il y a surtout une action sur
laqu'elle s'est localise ce sentiment d'imperfection. C'est Faction
de me raconter sa maladie, de me mettre au courant de son his-
toire. Elle desire le faire, mais ne se figure jamais que c'est bien
fait. Ce sont des desespoirs parce qu'elle ne m'a rien dit et, pour
bien dire, il lui faudrait recommencer en ordre depuis le commen-
cement; pour me raconter ce qu'elle a ^prouv^ hier il lui faudrait
raconter ce qui s'est pass6 depuis lo ans. Elle Fa d^ja fait
cent fois mais cela ne compte pas, car cela est mal fait ; il faudrait
le faire mieux et elle ne pent pas y parvenir.
Non seulement elle se croit coupable de tout faire avec imper-
fection, mais elle tient a ce sentiment de culpability, car c'est ce
sentiment qui I'excitera a faire mieux, qui la poussera a faire des
efforts. Si on le lui enlevait elle tomberait encore plus bas. En
effet la pauvre fiUe a le sentiment que Fimperfection va crois-
sant. Elle use toujours d'une image pour exprimer sa maladie:
c'est une chute dans un precipice dont elle a longtemps cotoye le
bord et dans lequel elle a fini par tomber. Elle nc me donnc pas des
L'OBSESSION DE LA HONTB DE SOI 25
nouvelies de sa sant^, elie vient simplement m'annoncer qu^elle est
descendue plus ou moins vite, car elle descend toujours et elle
mourra plutot que de remonter. Tout au plus lorsqu'elle va bien
consent-elle a m'avouer que ces mois-ci elle est descendue un peu
moins vite. L'ascension qu'il faudrait faire pour remonter lui
parait quelque chose d'horrible : c'est une montagne, une pyra-
mide a escalader et ce n'est que par des proc6d^s tres difficiles
que nous arrivons a remonter un peu de temps en temps.
II ne s'agit pas chez elle uniquement de remords, car elle
est tout aussi m^contente de choses dont elle ne pent se croire
responsable. II est inutile d'insister sur chaque fonction men-
tale : toutes les questions que Ton posera a Claire auront la
meme r^ponse, qu*on lui parle de sa m^moire ou de son raison-
nement, de son imagination ou meme de I'acuit^ de sa vue ce sera
toujours la m6me chose. Elle n'estpas bonne, elle n*est paspolie,
elle n'a plus d'afTection, elle n'est plus intelligente, plus active,
plus capable de sentir, elle n'est plus bonne k rien. Si on insiste
trop pour lui faire voir rexag6ration, elle r^pond toujours par cet
argument : « Vdus ne savez pas connue autrefois, j 'eta is cent fois
meilleure, plus douce, plus patiente, plus intelligente, etc. Je
n'ai pas seulemeut perdu la volonte et la conscience, mais j'ai
perdu tout ce qui faisaitmon intelligence ». Pousseesace degr6 ces
obsessions rappellent tout a fait le d^lire des m6lancoliques et
c'est en effet, au moins par son contenu, un d^lire m^lancolique.
Seulement nous verrons quand nous ^tudierons la forme que
prennent ces obsessions, ce qui s^pare le scrupuleux du melanco-
lique. On pent le faire prevoir ici d'un mot. C'est que le m^lan-
colique est profond^ment convaincu de sa dech^ance, tandis que
Claire est trfes loin de croire completement tout ce qu'elle dit ou
pcnse a ce sujet.
Les autres malades presentent a un degrd ordinairement moins
grave la m6me obsession. Yoici le langage de Leg...: « Je me
figure que ce que je fais est mal, je ne sais pas toujours en quoi
cela oQense la religion ou la morale, mais il me semble que je
n'aurais pas dd le faire. Tenez, je vous ai regarde en parlant et je
sens que je n'aurais pas dil vous regarder. » Ly... parle de meme.
Dev... est curieux sur ce point parce que son appreciation, ce qui
est rare, est artistique plutot que morale. C'est un musicien habile
et constamment il a Tidee « qu'il joue mal, quUI est immoral de
jouer aussi mal ».
(
26 LES I DEES OBS&DANTES
Un joli cas de m^contentement syst^matique est celui de Re...
(i4o), jeune fille sentimentale qui, 6tant 6anc^e, sent qu*elle
n'aime pas bien son fiance et se tourmente a la recherche « de
Faimer bi^n. » Elle en arrive a force de perfectionnements a le
d^tester et depuis il en est ainsi de toutes ses affections qui ne lui
paraissent jamais suffisamment parfaites et qui lui semblent si
mauvaises que c*est comme de la haine.
A cette obsession de mecontentement, de honte de soi-meme, se
rattachent un certain nombre d'autres id^es obs^dantes en appa-
rence assez diff(§rentes mais qui ont le meme caract^re psycholo-
gique.
i^ CeriSLins delires de doute sont en rapport avec une obsession
de m^contentement qui porte surtout sur lesfacultes intellectuelles
et la maladie prend alors un aspect un peu particulier qui pourrait
^garer Tobservateur. Voici par exemple une femme de 67 ans,
Mb... (i36) qui pr6sente au premier abord un singulier d^lire.
Elle est poussee malgr^ clle \k etudier sur toutes ses faces un pro-
bleme de psychologic : (c quelles sont les relations entre le sens du
toucher et les autres sens ? Dans quelle mesure peut-on dire que
la vue et Touie sontdes touchers lointains ? » Quoiqu'en r^alite elle
soit tres ignorante sur ces questions, elle discute le probleme
avec acharnement, et veut ^tablir qu'il y a action directe du monde
ext^rieur dans le cas du toucher et action indirecte dans les autres
sens. Cette discussion n'est qu^une forme ultime d'une obsession
prec6dente qui s*est d^veloppee depuis des annees, peut-etre depuis
Tenfance de la malade. Elle ^prouve un mecontentement de ses
sens « si imparfaits, si grossiers. » Elle cherche le moins mauvais
de tous, et arrive a accorder quelque confiance au toucher imm^-
diat et direct, de la la recherche de ce caractfere d'etre imm^diat
dans les autres sens.
Pour bienconstater que ce delire du doute n*est pas ici une ma-
ladie distincte, rappelons seulement que cette m6me malade Mb...
est aussi honteuse de sa volont6, de sa conduite et qu'elle se sent
capable de donner des coups avec un couteau pointu « qui entre
bien. » Le delire du doute et meme la forme psychologique sin-
guliere qu'il prend dans ce cas me semble n*etre qu*un Episode
dans Tobsession de honte et de mecontentement tout a fait carac-
ti^ristique de ces malades.
On peut rapprocher de ce cas fobscssion curieusc de Rk... « qui
L*OfiSESSION DE LA HONTE DE SOI 27
est force de penser constamment a Tid^alisme, a rirr6alit6 des
choses..., je suis honteux d*en etrc arriv6 a croire que mon pere
n'existe pas ». On verra irequemment cette notion de Firr^alit^
des choses a propos des sentiments qui tourmentcnt ces malades ;
dans les cas pr^c6dents ce sentiitient a donne naissance a une
veritable id^e obsedante.
Cette critique des fonctions intellectuelles qui constitue tout
un d^lire special chez Mb... se retrouve plus ou moins att^nu6e
chez les autres malades ; Claire va repeter : « Tout s'^teint en moi,
j'ai perdu le sentiment du r6el, tout se voile. »Beaucoupde malades
accusent plus encore leur intelligence. Dob... (86) se sentenvahie
par rid^e « qu*elle est b6te, qu'elle ne pent rien comprendre, qn*elle
va devenir foUe et qu'elle va d^lirer en pleine rue ». Cette obsession
determine, comme on Ic verra, une terreur queTonpeut jusqu'a un
certain point rapprocherde Tagoraphobie. Jean, ^galement, est dis-
pose a rabaisser son intelligence; si Ton prenait au s^rieux ses
paroles, on le croirait tout a fait idiot. II repMe sans cesse qu'il ne
peut ni lire ni 6crire, qu'il ne pent rien comprendre aux ph6nom^nes
naturels qui Tenvironnent. « Je suis etranger a tout. Tout ce qui
est naturel est entache pour moi de myst&re d^inaocessibilit^. » II
n'accepte pas qu'on lui demande le plus petit renseignement soit
sur ses propri^tes, sur sa fortune, sur la valeur de I'argent, sur
rien de pratique, car il r^pMe toujours que son esprit n*y peut
rien comprendre, quHl est Stranger a la vie. Sans aller jusqu'a
ce point Lise est toujours dispos^e a se trouver bete. EUe sent en
elle-meme comme quelque chose qui la critique et elle ne peut
accepter aucun compliment parce qu'elle les croit toujours faux.
II est bien clair que ces obsessions des malades nous posent un
tres curieux probleme de psychologic. Jusqu'a quel point ont-ils
raison ou ont-ils tort? Sont-ils tout a fait delirants quand ils
pretendent qu'ils sont devenus bStes ?
Nous aurons a discuter longuement la question quand nous
parlerons de Tetat psychologique sur lequel germent ces obses-
sions. Pour le moment, constatons que cette obsession est ^nor«
mement exageree, ne fdkt-ce que par sa repetition. Si Ton est
reellement devenu bete et sans volont^, ce n'est pas une raison suffi-
sante pour se le reprocher toute la journee, et ceux qui sont reel-
lement betes ne se le reprochent pas ainsi. II y a done la un senti-
ment tout particulier de honte de soi-meme qui est bien du meme
genre que les obsessions pr^cedentes du sacrilege et du crime.
28 LES IDEES OBSfiDANTES
Ces malades qui se sentent constamment pousses au crime croient
en m^ine temps qu'ils en son! capables.
2® Les obsessions relatwes a la folie : un tres grand nombre
de ces malades, paf exemple un homme de 46 ans, Mrc... (178),
unefemme deaS ans, Byp... (180), etc., sont 6pouvant^s a la pen-
s^e quMls sont fous, qu'ils ont eu ou quails vont avoir des crises de
folie et ils recherchent en eux tous les signes de ce qu'ils ap-
pellent la folic, a Je vois les maisons et les gens a Tenvers, je dis
des sottises, je vais me cogner la t6te contre les murs, regardez
done mes yeux, vous verrez comme ils sont ^gar^s. » Suivant leur
caract^re et revolution morale de Icurs maladies, ils insistent dans
leur obsession sur tel ou tel caractere de la folie. Zb... (175) re-
pete qu'il voit que tout est drole dans Tunivers et que par conse-
quent il est fou.Cas.. (177J a peur d'etre isolee : «il me semble que
je suis seule au monde, je ne puis plus me diriger, j*ai besoin
d'etre enfermee comme les fous. » Leo...(i73), r^pete que la folie
lui fera cc tuer sa petite fille, et suivre le premier monsieur venu
dans la rue. »
Les uns pretendent, comme Leo..., que cette obsession a ete
determin^e par la vue d*une femme folic, mais beaucoup et
en particulier Dob. chez qui cette obsession determine des
grandes crises d'angoisse ne peuvent invoquer cette explication.
L'idee de folie me semble se rattacher chez eux a cette honte, a
cette deBance qu'ils ont de leurs propres forces.
3*^ II faut a mon avis placer ici des obsessions qui semblent sou-
vent tres embarrassantcs, les obsessions de depersonnalisation.
Depuis quelques annees, divers auteurs, MM. Dugas, Bernard*
Leroy, insistent sur le phenom^ne signals autrefois par Krisha-
ber puis par Taine, le sentiment et Tidee d'avoir perdu saperson-
nalite. J*ai eu Toccasion de decrire deja deux cas remarquables
de ces phenom^nes a propos de Ver. . . etde Bei. . . II me semble qu'il
faut distinguer deux formes de la depersonnalisation : Tune qui
consiste en un sentiment se produisant dans des conditions deter*
minees et que nous aurons a etudier plus tard a propos de tous
les sentiments d'insuffisance psychologique qui jouent un role
considerable dans la pathogenic des obsessions. Mais Tautre
forme est une veritable idee obsedante developpee vraisemblable-
ment a Toccasion du sentiment precedent. Le sujet a sans cesse
LOBSESSION DE LA HONTE DE SOI 29
Fidde qu'il n'est plus lul-m^me, que ce n^est plus lui qui marche,
qui mange, qui parle, il le r^pete meme quand Timpression ini-
tiale de d^personnalisation a disparu. II a, a cepropos, une veri-
table obsession : il faudra tenir compte de cette distinction dans
r6tude de ces malades.
II en est de m^me pour un trouble de la m^moire, voisin de
celui-ci, qui a aussi beaucoup attir6 Tattention.
Le phenomene du « deja-s^u » est avant tout un certain senti-
ment intellectuel qui rentre dans le meme groupe que le senti-
ment de depersonnalisation. Dans certains cas exceptionnels, le
malade pent concevoir une sorte de delirea propos de ce sentiment
et etre obsed^ par la pensee que tout ce qu'il voit est la repetition
du passe. II en est ainsi ^videmment dans la remarquable obser-
vation de M. Arnaud ^ Le malade, a tout moment, dans quelque
6tat qu*il soit, ne pent fixer son attention sur aucun ev^nement
sans avoir Tid^e que cet ^venement s'est d^ja passe exactement le
meme, dans les memes circonstances, il y a un an. M. Arnaud
remarque tres bien qu'il y a la une id^e surajout^e a un senti-
ment, idee qui est devenue gen^rale et constante, tandis que le
sentiment ne se pr^sente probablement que d'une maniere rare et
passagere.
4° Des obsessions plus curieuses et plus rares sont des obsessions
d'en(fie,Fik.,, (169), ferame de 34 ans, en pr^sente un exemple
remarquable. Cette femme, dont les antecedents hereditaires sont
tres charges et qui a deja bien eu des troubles, a ete tres tourmen-
tee par une maladie grave de son mari. L*obsession qui s'est de-
veloppee depuis deux ans est une pensee d'envie a propos de
tout ce qu*elle voit. Elle ne pent pas rencontrer une personne quel-
conque sans tui envier immediatement quelque chose : (c celle-ci est
bien habillee, celui-la a une bonne mine, cet autre marche bien,
cette femme a un enfant, celle-ci un mari, voila un homme qui sait
parler, en voici un qui est vigoureux, voici une dame qui est cha-
ritable, cet individu qui entre dans un magasin est honnete. 9.
Cette pensee donne lieu chaque fois dans son esprit a un long de-
veloppement, et elle souffre d'une jalousie feroce. Detail curieux,
il lui arrive d'etre envieuse meme des malheurs d'autrui, (c ils ont
I. F.-L. Arnaud, Un cas d'illusion dudejk-vuou de fausse mcmoire. Ann. mid,
psych,, mai-juin 1896.
aO LES IDfiES OBSfiDANTES
bien de la chance de pleurer leur p^re, en v6icl qui ont du bon»
heur d'etre ainsi secoues par un grand malheur ». Quoique
Texpression de Tobsession soit ici bizarre, c*est toujours la
m6me id6e de sa propre insudfisance qui joue ie principal roie.
Quand Fa... envie Tintelligence, la force, Tactivite des passants,
c'est comme si elle r^p^tait qu'elle est elle-meme sans intelli-
gence, sans force, sans activity, sans honn^tet^. On le lui fait
dire assez facilement : « Pourquoi enviez-vous ces gens qui ont
eu un malheur et qui pleurent? — Parce qu'il me semble qu'il
serait bon de pouvoir pleurer et que je me sens incapable d*en
faire autant. »
5® Certains sujets sont obs^d^s par Tid^e de certaines
qualit^s: I'idee de la pudeitr, I' idee de Vindependance, Voz. (122)
repute que la liberte est le seul, Tunique bonheur auquel on
doit aspirer toute sa vie. II est toujours tourment^ par Tid^e qu'il
n'est pas libre, qu'il est en captivite, qu'il faut arriver a la d6li-
vrance. Cette id^e prend m6me dans son esprit une forme symbo-
lique bien curieuse sur laquelle je reviendrai. Mais il est evident
que cette obsession depend de la meme id^e de honte. II est honteux
d'avoir perdu son independance et il est obs^d^ par la pensee
d'une liberty id^ale.
6® II me semble juste de rattacher aux obsessions de la honte
de soi ou du moins de placer a c6t^ de celles-ci un groupe des plus
interessants, celui des obsessions amoureuses, J'ai d^ja d6crit
parmi les obsessions du crime, les idees obs^dantes dans lesquelles
dominent I'impulsion ou le remords genital. Dans ces idees la
pens6e que Taction est mauvaise, contraire a la morale joue un
r6le plus important que I'amour proprement dit, ef il etait juste
de les rapprocher des obsessions du suicide, du vol, etc. Mais il
y a des obsessions oil le ph^nomene genital, si meme il existe, ne
joue qu'un role accessoire, tandis que I'amour moral, le besoin de
vivre aupr^s d'une personne d^terminee, de penser constamment
a elle, de lui subordonner toutes les actions de la vie devieot Tes-
sentiel de I'obsession. Dans certains cas, cette obsession amou-
reuse n'est visiblement qu'une expression legerement modifi^e de
I'obsession de la honte de soi, ainsi qu'on vient de le voir pour
I'obsession de jalousie.
Le cas suivant est, acepropos, tout a faittypique : Byl... (181),
L'OBSESSION DE LA IIONTE DE SOI ai
jeune (ille de 21 ans, avait un caract^re deja anormal depuis l*Sge de
10 ans. Extr^memeut entet6e, timide et sauvnge, elle refusait depuis
loDgtemps de sortir, de voir du monde. A Tage de 17 ans, eile se
decide a donner de sa sauvagerie eette explication bizarre : « je
ne suispas une jeune fillecomme les autres, je suis laide, j^ai une
figure de chat, vous ne voyez done pas comme cela est honteux
de faire sortir une jeune fille comme moi. « Je suis un monstre,
tout le monde se retourne quand je passe, c'est pour moi un sup-
plice de me laisser voir ainsi. d
Depuis trois ans, elle conserve toujours k pen pr^s la meme
idee : « Je suis un pauvre etre a part, pas intelligente, laide, in-
capable de tenir mon rang. » Dans ces conditions, elle a pens^
quelque temps au convent, puis ne s'est pas. senti une vocation
sudGsante, et la voici qui conQoit Tidee d'un mariage extravagant.
Elle declare a ses parents stupefaits qu^^tant majeure et libre
d'elle-meme, elle vent ^pouser le gar^on jardinier de la maison,
qu'elle a p6n^tr6 la nuit dans sa chambre, qu'ils sont fiances et
que le mariage doit avoir lieu le plus tot possible. Elle a imaging
de changer tout a fait de situation sociale, elle veut se presenter
comme domestique et gagner sa vie avec lui. Depuis plusieurs
mois, elle refuse de se laver les mains pour etre plus a son ni-
veau. Aucun raisonnement n'a prise sur cette idee 6videmment
delirante, il se pent qu'elle ait fini par s'^prendre un pen de ce
gargon, mais Tamour n'est ici qu*une expression de I'obsession
plus profonde de la honte de soi.
Bien souvent ie rapport entre les deux groupes d'obsessions
n'est pas si etroit. Si les malades ne peuvent plus se passer d*une
personne d^terminee, s^ils se sentent seuls, s'ils croient devenir
fous par risolement, quand elle les abandonne, c*est quails sont
ou croient 6tre incapables de se diriger seuls et qu'ils ont un be-
soin obs^dant de cette direction ou de cette excitation tr^s sp^-
ciale qui les remonte. J'ai d^ja consacr^ une 6tude particuliere a
ce groupe '.
Nous aurons a T^tudier encore a propos des sentiments de ces
malades, pour le moment il suiBt d*ajouter quelques observations
typiques a celles que j'ai d^ja rapport^es. Gri... (i8a), femme de
28 ans, pleure son amant qui Tavait retiree d'une vie de d^sordre,
I. Le besoin de direction. Rev. phiL, fevr. 1877, P» 1*3, et Nhroses el idies fixes,
h p. 456.
32 LES IDfiES OBSfiDANTES
elle ne sait plus aucunement se conduire ei Tobsession amoureuse
est visiblement en rapport avec le besoin de direction. Tkm..,
femme de 89 ans, a une obsession identique depuis que son
amant s'est mari^, « il etait tyranuique et occupait toute ma vie,
jenem'occupaisderien autre. » Chez Sim... (i85), femme de 3 1 ans^
le desespoir est inimaginable, Tobsession est perpetuelle jour et
nuit. Elle croit encore- voir cet amant qui la dirigeait, s'occupe
de lui constamment « car lui seul ^tait capable de lui donner
Texcitation physique et morale dont elle avait besoin. » Le cas de
Ck... (i84) est a revoir en detail car il est curieux. Cett^ femme
de 4i ans, aboulique, phobique, obs^dee, avait trouv6 un appui et
une direction chez une autre pauvre infirme mentale qui avait
elle-m^me des tics de malpropret^ et qui ne savait pas se diriger.
Ces deux femmes se sont dirig^es reciproquement comme Taveugle
et le paralytique, elles sont parvenues a diminuer mutuellement
leur faiblesse et ont v^cu heureuses et raisonnables pendant des
annees. Un incident bizarre a tout perdu : une domestique renvoy^e
s'est permis une plaisanterie grossiere, sur rafiection passionnee de
ces deux femmes et a fait naitre en elles des scrupules sur leurs
relations. II n'est pas rare de voir ces malades concevoir ainsi des
scrupules a propos des traitements, ou de la direction, qui les
gu^rissaient. Cest une des diflicultes de leur th<^rapeutique. Ck...
est obligee de quitter son amie, mais alors elle est obs^dee par le
regret de I'avoir quittee, elle voudrait mourir plutot que de vivre
sans elle et des troubles tr^s graves se developpent a Foccasion
de cette obsession amoureuse.
Enfin, a la fin de ce groupe on peut placer un cas nssez sin-
gulier, celui de Qi... (188), cette femme de 36 ans est obsedee par
ridee qu*elle est une petite enfant de 10 a 12 ans; surtout lors-
qu'elle est scule, elle se laisse aller a sauter, a danser^ a rire aux
Eclats, elle d^fait ses cheveux, les fait flotter sur ses epaules, les
coupe au moins en partie. Elle voudrait pouvoir s'abandonner
completement a ce reve, d'etre une enfant, « il est si malheureux
qu'elle ne puisse pas devant le monde jouer a cache-cache, faire
des niches ». Cette idee n*est pas aussi etrunge, aussi isol6e
qu'elle le parait : « je voudrais, r^p^te la malade, qu'on me
trouve gentille, j'ai peur d'etre laide comme un pou, je voudrais
qu'on m'aime bien, qu'on me caresse, qu'on me caline, qu'on
me di^e tout le temps qu'on m'aime, comme on ajme les petits
enfants. » Malgre son extravagance apparente, c'est toujours
L'OBSESSION DE LA llONTE DU CORPS 33
comme dans les cas pr^ce^dents, Tobsession amoureuse, Tobses-
sioD du besoin d'etre almc sous la forme qu'il prend frequemment
chez les scrupuleux celle d^etre aime comme un enfant.
En examinant beaucoup de malades, on trouverait facilement
d'autres variet^s d*obsessions qui au fond ne sont qucdes formes
particulieres de la honte de soi. C'est un des groupes les plus
importants que nous ayons a signaler.
5. — L'obsession de la bonte du corps.
Cette id6e du mdpris de soi-meme, cette obsession du mecon-
tentement personnel porte bien plus souvent encore sur la per-
sonne physique^ sur le corps, Les malades chez qui Ton rencontre
ce mecontentement de leur corps sont fort nombreux, ils forment
un groupe singulier dont on ne pourrait pas soup^onner Timpor-
tance avant de les avoir frequentes. On pourrait les appeler tous
des « honteux de leur corps ». Les plus complets ont une obses-
sion relative a leur corps tout entier, a toutes ses parties et par
consequent leur obsession gen^rale se subdivise en une foule de
petitsd^Iiresparticuliers. Lesautres vont moins loin dans la m6me
voie et leur obsession de honte ne porte pas sur tout Torganisme,
mais elle se systematise sur telle pu telle partie, telle ou telle fonc-
tion dont ils sont purticulierement honteux. J'insisterai d'abord
sur un cas remarquable qui donne une id^e d'ensembledu premier
groupe, puis je choisirai quelques exemples particuliers qui
montrent la honte portant sur telle ou telle fonction.
Une observation curieuse qu'il est malheureusement impossible
de presenter completement sans entrer dans d^innombrables de-
tails, est celle de Nadia (i66), une jeune fille de 27 ans, que
je dirige autantque possible depuis plus de 5 ans. Cette jeune fille
m*a ete adressee avec ce diagnostic un peu superficiel d'anorexie
hysterique. Ce diagnostic ctait simplement justifie par Talimenta-
tion plus que bizarre que cette malade s'imposait dans sa famille
depuis des ann^es et par les scenes epouvautables qu'cllc faisait
dfes qu'on s'avisait de modifier le regime. Elle se prescrivait a
elle-meme deux potages par jour au bouillon leger, un jaunc
d'oeuf, une cuiller a bouchc de vinaigre et une tasse de the extre-
mement fort dans laquelle il fallait mettre le jus d'un citron tout
LES OBSfJSSlONS. I. 3
34 LES IDEtS OBSEDA^TEJ^
entier, soigneusementpress6. On avait pu d^couvrir, ce qui n*4tait
pas difBcile, qu'elle avait imaging ce regime dans la crainte d'en-
graisser, et on concluait a une anorexie hysterique.
L'anorexie hysterique est d6ja par elle-meme une maladie fort
bizarre, qui est loin d'etre completement elucid6e. Sous sa forme
typique elle n'est pas aussi fr^quente qu'on le croit et les hyst^ri-
ques conBrm^es sont loin de presenter fr^quemment ce ph^nom^ne
au nombre de leurs innombrables accidents. Les vomissements, les
regurgitations, les divers spasmes de ToDsophage, de Testomac, du
diaphragme, des muscles de Tabdomen determinent aussi des trou-
bles de Talimentation et sont beaucoup plus frequents queTano-
rexie proprement dite. En presence d'un cas de refus complet
d^aliments, il faut, si je ne me trompe, se mefier et songer que
des troubles mentaux plus ou moins graves sont peut-Mre plus
probables que Thysterie proprement dite.
Quoi qu'il en soit, on admet jusqu'a present une anorexie hyste-
rique ; pour la diagnostiquer il faut au moins retrouver un certain
nombre de symptomes caract^ristiques. Bien entendu, il serait bon
de constater soit actuellement, soit dans les antecedents des phe-
nomenes nettement hyst^riques. Malheureusement on sait que ce
symptome est frequemmentisole, au moins a ses debuts. Si Ton ne
pent done retrouver en dehors la signature de Thysterie, il faut a
mon avis que le refus d'aliments pr^scnte deux grands caracteres.
i' On doit constater la suppression complMe ou a pen pres
complete de la faim pendant presque tout le cours de la maladie.
Cette perte de la faim s'accompagne souvent de troubles conside-
rables dans les sensations de la bouche, soit pour le gout, soit
m^me pour le toucher, d'anesthesie du pharynx, de troubles des
mouvements des machoires et des joues, d'anesthesie de Toeso-
phage et probablement de Testomac avec ou sans propagation de
cette anesthesie a la peau de la region epigastrique. La perte de
la faim est-elle directement en rapport avec ces diverses anes-
thesies de la bouche, de Foesophage, de I'estomac qui I'accom-
pagnent souvent mais non toujours? C'est un probleme que j*ai
longuement discute dans nies lemons au College de France sur la
Conscience du corps et de ses fonctions. Sans pouvoir entrer ici
dans cette discussion je dirai seulement que Tanesthesie de ces
organes, quand elle existe, contribue a la suppression de la faim
et que, par consequent, elle joue un role dans le diagnostic de
Tanorexie hysterique.
L'QBSESSION DE LA HONTE DU CORPS 35
2^ Un second sympt6ine, plus curieux et beaucoup moins ana-
lyse, quoiqu'il ait d^ja 6te signale dcpuis longtemps, me parait ega-
lement important : c'est ce besoin exagere de mouvement physique
qui accompagne Tanorexie vraic. Les malades remuent incessam-
ment, font d'enormes promenades, dansent dans des soirees, se
surmenent de mille famous et elles font autant de scenes pour
conserver leurs marches exager6es que pour refuser la nourriture.
Ce symptome a 616 interprete de diverses manieres. Las^gue y
voit le r^sultat d'un calcul. Ces personnes, dit-il, ont peur de
passer pour malades, elles craignent qu'on ne se serve de leur fai-
blesse comme d'un argument pour les forcer a manger et elles
simulent une grande activite. M. Wallet, a propos de deux obser-
vations curieuseSy y voit un proc^de des malades pour augmenter
leur amaigrissement*. Elles font de I'exercice comme elles boivent
du vinaigre pour maigrir. Sans contester le rdle que de pareils
raisonnements ont pu jouer dans certains cas particuliers, je ne
puis admettre que ce grand symptome aussi general depende
toujours de reflexions, en somme, assez compliquees.
Dans des observations interessantes que je discutais dans mes
cours, j'ai pu montrer que Texageration du mouvement est quel-
quefois anterieure au refus d'aliments et pr^c^de par consequent
tons ces raisonnements. Dans un cas tr^s curieux, il s'agit d'une
femme de trente-cinq ans, raisonnable, qui vient elle-m^me
demander des soins, et qui par consequent ne cherche pas a faire
illusion. Chez elle Tanorexie, ce qui est bien rare, est a repetition
et procede par acces. A la suite d'une emotion elle se sent excitee,
agitee comme si elle etait enlevee ainsi qu*une plume. Elle a le
besoin de gesticuler, de parler, de marcher. Elle ne rentre plus
chez elle, mais elle continue encore a manger, tout en disant
qu^elle n*en sent plus le besoin : (c car elle est bien assez forte
sans cela. )> Puis deux jours apres elle est degodtee d'unc alimen-
tation i< inutile » et elle commence a refuser de manger.
On approche davantage de la verite en disant que Tancsthesie
musculaire et surtout Tanesthesie a la fatigue joue un role dans ce
mouvement perpetuel. Je crois qu'il faut aller plus loin et dire
que dans ce sentiment d'euphoie il y a une excitation veritable en
rapport avec des emotions d'un mecanisme particulier; si Ton
I. Wallet, deux cas d'anorcxic hysterique, Nouvelle ieonographie de la Salpitrihrct
iSga^ p. 376.
36 LES IDEKS OBSfiDANTES
pr6fcre le langage anatomique, il y a uiie veritable excitation des
centres moteurs corticaux. Cette excitation nous semble jouer un
role tres considerable dans la perte du sentiment de la faim,
peut-etre plus considerable que celui de Tanesth^sie de Testomac,
car la faim, avant d'etre le sentiment de la mise en jeu des divers
reflexes de la nutrition^ est un sentiment general lie a I'impres-
sion de faiblesse et d'6puisement. Quoi qu'il en soit, il ne suffit
pas qu'une jeune fille refuse de manger, ni m^me qu'elle ait visi-
blement la crainte d'engraisser pour qu'on puisse appeler son
etat une anorexic hysterique. II faut encore, outre les divers sym-
ptomes d'hysterie que Ton pourra constater, la diminution consi-
derable du sentiment de la faim et Texageration des mouvcments.
En etait-il ainsi chez cette malade, Nadia, a laquclle je reviens ?
Cette malade examinee avec le plus grand soin et a bien des
reprises n'a jamais present^ le plus petit signe d'hysterie. Elle n'a
aucune diminution de la sensibilite, pas plus a la region ^pigas-
trique que sur le reste du corps. Dans son histoire on releve des
coleres ^pouvantables, mais que Ton qualifie bien gratuitement
d'attaques d'hysterie. Ce qui est plus important, c'est qu'elle n'a
point du tout de veritable anorexic. Elle a parfaitement conserve
le sentiment de la faim. Souvent, il est vrai, dans les dernicrs
temps de la maladie, la faim est masquee, parce quHl y a des
troubles de I'estomac inevitables npres des ann^es de ce regime :
mais en g^n^ral Nadia a faim, elle a meme tr^s faim. On le con-
state d'abord par ses actions : de temps en temps elle s'oublie jus-
qu'a d^vorer gloutonnement tout ce qu'elle rencontre. Dans d*au-
tres cas, elle ne pent r^sister au besoin de manger quelque chose,
et elle prend des biscuits en cachette. Elle a des remords hor-
ribles de cette action, mais elle la recommence tout de meme. On
le constate mieux encore par ses confidences bien curieuses. Elle
reconnait qu'il lui faut un grand effort pour se priver de manger.
« Elle est une heroine d'avoir pu r^sister si longtemps... Quel-
quefois je passais des heures entieres a penscr a la nourriture,
tellement j'avais faim: j'avalais ma salive, je mordais mon mou-
choir, je me roulais par terre, tellement j'avais euvie de manger.
Je cherchais dans des livres des descriptions de repas et de grands
festins, et je tachais pour trompcr ma faim de m'imaginer que je
goi^tais moi aussi a toutes ces bonnes choses. Vraiment j'^tais abso-
lumcnt affam^e, et malgr^ quelques dcl^faillances pour les biscuits,
je sais quej'ai eu beaucoup de courage. » Est-ce dans Tanorexie
L'OBSESSION DE L\ HONTE DU CORPS 37
hyst^nque que I'on parte ainsi ? En outre, Nadia ne presente
aucunement le trouble du mouvement des hyst6riques. II est in-
t^ressant de remarquer qu'elle a fait justement les raisonnements
dont parle Lasegue. Elie cherchait a bien travailler, a aller a pied
a ses cours pour que sa m6re ne (dt pas inquiete de son refus
d'aliments et pour que Texercice la fit maigrir, mais cela lui coA-
tait un eiTort p^nible qu'elle nc faisait que par n^cessit6 ; le plus
souvent et surtout maintenant, elle veut rester tranquille dans sa
chambre et n'eprouve aucunement le besoin de marcher et de
depenser ses forces. La maladie est done di(r(^rente. Le refus
d*alimcnts n'est ici que la consequence d'une id6e, d'un d^lire.
Cette idee, si on la consid^re d'une manifere superficielle, est
evidemment la crainte d'engraisser. Nadia a peur de devenir forte
comme sa m6re ; elle tient a rester maigre, pale, cela seul lui
plait, est en harmonic avec son caractere ; de la une inquietude
continuelle, elle a peur d'avoir la figure enflee, de bouffir, d'avoir
de gros muscles, de prendre un meilleur teint. II faut 6viter avec
grand soin de lui faire des compliments sur sa sant^ ; une mala-
dresse de son pere qui, la revoyant au bout de quelques mois, lui a
dit qu'elle avait meilleure mine a determine une s6rieuse rechute.
II faut Hre prepare a r^pondre a ces questions qu'elle pose sans
cesse : « Je vous en prie, dites-moi le fond de votre pens^e ?
Trouvez-vous que j'aie de grosses joues rondes et roses depuis que
je mange davantage? Par charity dites-le-moi et consolez-moi, je
vous en prie. M'avez-vous trouv^e aussi maigre que lesautres fois?
Faites-moi le plaisir de me dire que je serai toujours maigre
Tenez, j'ai ct6 aujourd'hui dans un fiacre qui ne marchait pas, le
cheval ne pouvait pas me trainer, c'est a cause de ces c6telettes
que vous me faites manger. Je vous en supplie, rassurez-moi. »
Mais cette pens^e obsedante n'est pas du tout une id6e fixe
isol^e et inexpliqu^e, comme cela arrive quelquefois chez les hys-
t^riques. Elle se rattache «h tout un systeme de pensees extre-
mement complexe. D'abord Tembonpoint n'est pas consid6r6
uniquement au point de vue de la coquetterie : il presente aux
yeux de la malade quelque chose d'immoral. Elle r^pete toujours :
« Je ne tiens pas a etre jolie, mais cela me ferait trop de honte si
je devenais bouffie, cela me fait horreur ; si par malheur j'en-
graissais, je n'oserais plus me faire voir a personne, pas plus
dans la maison que dans la rue, j'aurais trop de honte. » Et
remarquons que ce n'est pas Tob^site en elle-meme qui lui
38 LK8 IDEES OBSKDANTES
parait honteuse. Elle aime des personnes qui son! ires fortes et
trouve que cela leur va bien ; c'est pour elle que ce serait immo-
ral et honteux. Ce u'est pas seulement Tembonpoint, c'est tout
ce qui sc rattache a Facte de manger qui m<5rite ce caractfere.
Elle commen^a par refuser de manger en presence d'autres per-
sonnes : il fallait qu'elle mangeut seulc, comme en cachette. Vrai-
ment, si on pent se permettre une telle comparaison, elle se dis-
simule pour manger, elle est g6n6e d'acconrplir cet ^cte devant
quelqu*un, comme si on la priait d'uriner en public, et d'ailleurs
elle-mcme reconnait que la comparaison est juste. Quand il lui
arrive de manger un peu plus, ce qu'elle faittoujours en cachette,
ce sont des protestations pour s'excuser comme si elle avait commis
une indccence. Au moment des f^tes de Nod, elle s'est permis de
goutcr a quelques boites de chocolat qu'elle envoyait a des amies.
Kile m*a ecrit plus de dix lettres a ce sujet, avouant comme un
crime chacun de ces bonbons, cherchant a cxpliquer, par un senti-
ment de gourmandise ou de curiosite, un acte qu'elle regrette tant.
Elle aurait ^te bien honteuse si on Tavait surprise en flagrant
delit. Non seulement il ne faut pas qu'on la voie pendant qu'elle
mange, mais il ne faut pas non plus qu'on Tentende. La mastica-
tion a quelque chose de si vilain que cela la ferait rentrer sous
terre, si on pouvait entendre la sienne. lei encore ce n'est pas la
fa^on de manger en g^n^ral qu'elle meprise : on peut manger
devant elle, elle ne trouve a cela rien de reprehensible, au con-
traire, elle est heureusc d'offrir quelque chose aux personnes qui
vienncnt la voir. Mais c'est sa mastication a elle, ((qui fait un bruit
special, ridicule et d(^shonorant. Je veux bien avaler, mais on ne
me forcera jamais a mucher ».
II ne faudrait pas croire que cette honte se limite ainsi a Tembon-
poiut et a Tacte de manger. Nadia a encore d'autres tourments.
Quoiqu'elle soit mince et ait des trails plutot jolis, elle est con-
vaincue que sa figure est non seulement bouflie, mais rouge etcou-
verte de boutons. Comme je n'arrivais pas a voir ces fameux bou-
tons, elle me declare (( que je n'y connais rien et que je ne sais
pas reconnaitre des boutous qui sont entre la peau et la chair ».
Quoiqu'il en soit, cela lui donne une figure abominablement laide
et bien qu'elle n'ait aucune coquetterie, une personne qui se res-
pecte ne peut pas lalsser voir une figure pareille. On se moquerait
d'elle, ce qui la ferait horriblement soulFrir, aussi refuse-t-elle
de se laisser voir. Parallelement au refus d'aliments s'est devc-
L'OBSESSIOX DE L\ IIONTE DU COUPS 39
lopp^ un autre delire qu'oa avait trop peu remarqu6, c'est la
crainte de sortir dans la rue. Ce sont des scenes horribles pour
arriver a sortir un peu, en voiture fermee. II faut que le cocher
et la femme de chambre detournent la tcte au moment ou elle se
precipite dans la voiture. Elle sort plus facilement le soir, dans
les endroits deserts, ou elle risque peu d^etre vue. Meme dans
sa chambre, si je la laissais faire, elle entretiendrait une demi-
obscurit^ et elle se place toujours dans le coin le plus sombre,
le dos tourne a la lumiere. Si on ne Tarretait pas, elle ne tarderait
pas, comme une malade que j'ai connue, a vivre dans une obscu-
rite complete.
Si sa figure la g6ne ainsi, les autres parties de son corps sont
loin de la luisser indifferente. Dcpuis Tage de quatre ans, pretend-
elle, elle est honteusc de sa taille, parce qu'on lui aurait dit
qu'elle etait grande pour son age. Depuis Tage de huit ans, elle
a commence a avoir honte de ses mains qu^elle trouve longues,
ridicules. Vers Tage de ii ans, comme elle portait des jupes
courtes, il lui semblait que tout le mohde regardait ses jambes
et elle nepouvait plus les soufTrir. II a lui fallu mettre des jupes
longues et alors elle a eu honte de ses pieds, puis de ses hanches
trop larges, de ses bras avec de gros muscles, etc.
Bien entendu, Tarrivce de la puberte a singulierementaggrav^
tons ces sentiments bizarres. L'apparition des regies I'a rendue a
moitie foUe. Quand les poils ont commence a pousserau pubis, elle
a eteconvaincuc qu'elle etait seule au mondc aveccette monstruo-
site et jusqu'a Tage de 20 ans elle travaillait a s'^piler « pour
faire disparaitre cet ornement de sauvage ». Le developpement de
la poitrine a surtout aggrave les obsessions, car les craintes rela-
tives a la pudeur s'ajoutaient aux anciennes idees sur Tobesite.
C'est a ce moment surtout qu'ellca commence a refuser tout a fait
de manger ct a ne plus vouloir se montrer. Par tons les moycns
possibles elle a cherche a dissimuler son sexe, dontelleaparticu-
lierement honte : ses corsages, ses chapeaux, ses coiflures doivent
se rapprocher du costume masculin. Elle coupe ses chevcux a
demi longs et les fait bonder et elle voudrait avoir Taspect d'un
jeune etudiant. 11 ne faudrait pas croire qu^il y a ici une inversion
sexuelle, comme on Tadmet beaucoup trop vite dans des cas sem-
blables. Elle scrait aussi honteuse d'etre un garcon que d'etre une
fille. Elle voudrait etre sans aucun sexe,et meme elle voudrait 6tre
sans aucun corps, car on voit que toutes les parties du corps
40 LES lOr.ES OBSKDANTES
d6terminent le meme sentiment dont le refus d*aliments n'etait
qu'une manirestation toute partielle.
Quelle est au fond Tid^e dominante qui determine ces apprecia-
tions singulieres ? La pudeur jouecertainementunrole considerable
et ce sentiment est chez elle pouss6 tout a fait a Textreme. Jamais
depuis la premiere enfance elle n'a pu se d^shabiller devant ses
parents et jusqu'a Tage de vingt-sept ans elle n'avait jamais con-
senti a 6tre auscult^e par un medecin. Mais il s'y mele une foule de
choses: un vague sentiment de culpabilite,un reprocherelatifa la
gourmandise et a toutes sortes de vices possibles. II s'y mele sur-
tout un sentiment plus interessant, que nous avons deja remarque
a propos des obsessions precedentes et quiva prendre une impor-
tance de plus en plus grande cheznos scrupuleux. « Jene voulais,
dit-elle, ni grossir, ni grandir, ni ressembler a une femme parce
que j'aurais voulu rester toujours petite fille. » II est visible que
ce desir de rester enfant a joue un role considerable, car ce
qu'elle a toujours redouts c'est de se developper, plus que d'en-
graisser a proprement parler. Mais pourquoi ce d^sir ? La raison
de ce souhait bizarre se resume en un mot que beaucoup de
malades vont nous repeter: « Parce que j'avaispeur d'etre moins
aimee. » C'est au fond cette idee qu'elle a, quand elle craint
d'etre laide, d'etre ridicule. « On se moquera de nioi et on ne
m'aimera plus. On trouvera que je ne suis plus comme tout le
monde et on ne m'aimera plus. Si on me voyait bien en pleine
lumiere on serait d^goiUe et on ne ra'aimerait plus. »
Ce desir d'etre aimee, cette crainte inquiete de ne pas m^riter
raffection que Ton desire tellement se m6le certaineraent dans re
cas aux id^es de fautes possibles et aux craintes de la pudeur
pour produire cette obsession de honte du corps. II va encore
intervenir dans Tobservation suivante.
II s'agit d'un cas beaucoup moins grave et surtout beaucoup
moins complct, dans Icquel I'obscssion que nous etudions ne
porte pas sur toutes les parties du corps mais, comme nous
Tcivons dit au debut, sur un organe et une fonction en particulier.
Wye... (i6o), jeune Homme de 27 ans, a eu momcntanement
quelques obsessions criminelles, il se croyait coupable en man-
geant la chair des animaux ; il a eu aussi quelques obsessions
hypocondriaques relatives a des maladies de la gorge ; mais ces
phenomenes n'ont ete que tres passagers. Le fait dominant
rORSESSION l)K L.\ llONTE DU CORPS H
depuis une dizaine d'ann^es c'est un m^contentement et une honte
qui porte a peu pres exclusivement sur les mouvements de scs
bras et de ses jambes.
Des renfance il ^tait preocciipe de la position a donner a son
bras gauche, il redoutait la saison de I'ete, parce qu'il n'avait
alors plus de raison pour tenir ses mains dans ses poches et qu'il
ne savait plus ou les mettre. Peu a peu, ce sentiment a beaucoup
augments et il est devenu une obsession grave. « Je sens, dit-il,
que je manque ^e spontaneite, que mes mouvements sont genes.
Jc suis tout ankylose. Je ne sais de quel ctHe porter le bras ou la
tete. J'ai des mouvements mecaniques. On dirait Tours du Jardin
des Plantes. Aussi je suis forc^ de penser tout le temps :i la fac^on
dont mon bras se balance, dont je redresse le cou. » La moindre
des choses dans son costume peut modifier cette g^ue de son
corps : un habit bien fait etun peu vieux le met a son aise,le cos-
tume de chasse qui autorise quelque d^braille des mouvements le
rend plus heureux. Au contraire un habit neuf, un costume qui
n'irait pas a la perfection augmentent cette obsession jusqu'a lui
rendre difficile toute sortie. II a etc pendant quelque temps
obsede par le probleme des faux cols. Cette preoccupation des
faux cols est loin d'etre insignifiuute. Chez deux autres malades
que je n*ai pas pu etudier avec le m^mc soin et qui d*ailleurs se
rapprochent de celui-ci, Tobsession scrupulcuse prenait exclusi-
vement la forme de Tobsession du faux col. Chez ces malades et
chezWye... surtout, ces obsessions genent les mouvements, les
amenent a faire des contorsions et des grimaces soit pour essayer
de rendre les mouvements normaux, soit pour dissimuler aux
autres la gene qu'ils eprouvent. Ainsi Wye... cligne des yeux
quand il croit que ses yeux n'ont pas un mouvemcnt naturel.
Ces contorsions donnent souvent naissance a des erreurs de
diagnostic. On en fait communement des tics: cela est juste
mais il ne faut pas oublier Tobsession qu'ils manifestent. Dans
un cas m6me Terreur futplus grave a mon avis. Un malade dont
nous avons parle a propos des obsessions criminelles a ete ren-
voye du service militaire a lage de vingt et un ans avec le dia-
gnostic de choree de Sydenham, On pourrait deja remarquer
qu'il est singulier de diagnostiquer hi choree chez un homme
de vingt et un ans, tandis que suivant la remarque de Syden-
ham, la choree vraie survient rarement apres la pubcrlc. Mais ici
Terreur <^tait encore plus grave, car les mouvements de Za.,.
42 LEvS infiES OBSfiDANTES
(216), n'etaient que des contorsions d6terinin6es par le sentiment
de gene et de honte et par des eflForts pour se dominer que
nous aurons a etudier plus tard chez tons les scrupuleux.
Qu'est-ce qui determine chez ces malades et chez Wye... sur-
tout ce sentiment de g^ne ? C'est encore la preoccupation qu'ils
ne sont pas comme les autres, qu'ils seront ridicules et ne seront
pas aimes. Le d^sir de plaire les preoecupe toutc leur vie et il
s'ajoute a une sorte de sentiment de d^sespoir, d*incapacit6 d'y
arriver qui entre pour beaucoup dans la honte du corps.
Dans un groupe tout voisin nous mettrons ceux quiont simple
ment honte de leur figure, des traits de leur visage. Tk-.-l'iGi),
jeune homme de vingt-quatre ans, fils d'unc mere qui s'est sui-
cidee, est surtout frappe par la maladie depuis qu'il a contracte
la syphilis. II en est inquiet, honteux, mais cette honte se localise
et determine uniquement le sentiment que son visage enlaidit,
que sa machoire est devenue trop grande, qu*il est ridicule, et
encore, comme toujours, indigne d'etre aime. Ul... (45), femme
de 33 ans, se figure (c qu'elle a des convulsions dans la figure ».
Men. . . (i63), femme de 3o ans, sent qu'elle a des convulsions dans les
yeux que ses yeux ne sont pas naturels, qu'ils regardentdrolement.
Ces malades ne veulent plus voir personne, ni entrer dans aucun
lieu public. Per... (162), femme de 38 ans, a les memes terreurs
parce qu'elle se figure que « son visage est poilu ». Enfin Pol...,
femme de 2/4 ans est horriblement tourment^e par la pensee qu'elle
a une petite cicatrice sur Paile gauche du nez : cette obsession
est Tune des plus frcquentes \ En un mot, il n'y a pas un trait,
une legere modification du visage qui ne puisse donner lieu a une
obsession de gene et de honte.
Quand on parle des scrupulcs relatifs au visage, il ne faut pas
oublier le groupe qui a et^ considere comme le plus important,
celui des malades qui out la honte de rougir. Je ne parle pas ici
du sentiment angoissant qui se developpc en m^me temps que la
rongeur, mais de Tid^e obsedante de cette rongeur. Les malades
tourmentes par cette obsession sont extr(^mement frequents et,
Tannee derniere, MM. Pitres et Regis ont consacre un article a
I. Cf. G. Tliibicrge, Les dcrmatophobies. Presse medicate^ julllet 1898.
a. Pitres cl Regis, L'obsession de la rongeur, crcutophobie. Archives de neuro-
logic, 1897, u® i3, cl ibid. Mars 1902, p. 177.
L'OBSESSION DE LV HONTE DU CORPS 43
cette maiadic sous le nom d'ereulophobie. Ccs auteurs en ont
d^crit des cas intdressants. J'en ai observ6 pour ma part cinq
tout a fait caract^ristiques ; je n^insiste que sur les principaux :
Deb... (i65), femme de quarante-quatre ans, Toq... (97), un
docteur en medecine de vingt-sept ans, et Vol... (96), jeune
(ilie de vingt et un ans. Chez tous ces malades les symptonics
principabx sont a peu pres les m^mes. lis croient avoir remarque
que leur visage, leur nez, surtout chez Vol..., rougit facile-
ment, apres les repas, dans une chambre chaude, etc. lis ont
a ce propos une pens^e obsedante que leur visage est rouge, en
feu et que cela est profondement ridicule, obcene,deshonorant.
(( Je ne faisais qu'y penser et soufTrais le martyre, je maudissais
de n*^tre pas coramc les autres jeunes filles, je soufTrais de
me montrer, et j'aspirais d*etrc seule dans ma chambre ; quand
j'dtais seule, je pleurais avec desespoir, a la pens^e de Tisole-
ment perpetuel auquel j'etais condamn6e. » Chez cellc-ci d'ail-
leurs, cette ereutophobie a amene com me chez Nadia un refus
d'aliment qui a n^ccssite sa sequestration dans une maison
sp<^ciale. Elle avait eu de Tadmirsttion pour une cousine qui
etait tres pale et, pour devenir anemiquc conime elle, elle
s't'tait rationnde a sa fac^on. Cette craintc amene aussi le refus de
sortir et trouble toute Texistence par un veritable dclire.
Apres avoir decrit des faits de ce genre d\ine manierc fort inte-
ressante, MM. Pitres et Regis font a leur propos une remarque
psychologique : Tereutophobie est liec, disent-ils, a la conges-
tion du visage, c'est-a-dire a un phenomene vaso-moteur. Cette
congestion, Tereutosc simple, a precede la phobic, c'est-ii-dire
Temotion.* Ne peut-on pas voir dans ce cas une demonstration
interessante des theories de Lange et de James sur le mecanisme
des emotions et une demonstration de cette hypothese qui ratta-
che Temotion a un trouble vaso-moteur. Quelle que soit Topinion
relative a la these de Lange et de James, que je ne discute pas
ici, mais que je suis loin d'admettre completement, je ne puis
croire que le fait de Tereutophobie puisse jouer de cette manierc
un role important dans la discussion.
C'est un tort a mon avis que de rattacher Tobsession de la ron-
geur au fait de la rongeur elle-m^me. Quoique cela semble bizarre,
ce n*est pas parce qu'ils sont rouges que ces malades sont obsedes
par la pensee de la rougeur ou du moins cette rongeur elle-memc
ne joue qu'un role tres minime dans Tobsession. D'abordon pcut
4i LES infiES OBSftD.WTES
<>trc creutophubc cjniiuc NaJiu suns uvoir jamais eu de rougeur.
Cette malade qui a le teint tres mat a toujours et^ pale et n'a
aucune disposition a la rougeur Emotive. Elie se fait cependant de
la rougeur une obsession terrifiante. En outre Tobsession de la
rougeur ne survient pas uniquement a la suite de rougeur veri-
table. II est trop facile de remarquer que tons les gens qui rou-
gissent ne sont pas des ^reutophobes. Elle survient a la suite
d'une serie de scrupules corporels qui n'dtaientaucunement li^sa
des phenomenes vaso-moteurs du visage.
Toq..., jeune homme de vingt-sept ans, actuellement obs^d^
par la pens^e qu'il a les joues rouges, a eu depuis Tage de treize
ans jusqu^a Tage de vingt ans une obsession toute differente. II
etait obs^de par la honte de ses moustaches et je ne crois pas que
dans les moustaches il y ait un phenomene vaso-moteur. Cette
honte elle-meme se rattachait visiblement a une id^e g^nitale.
« Je me figurais, dit-il, que j'avais une tare sexuelle parce que
mes moustaches avaient pouss^ trop tdt. » Plus tard il se rassura
sur ses moustaches, parce qu'a vingt ans elles devenaient plus
naturelles et son inquietude preexistante se porta sur un autre
ph^nom^ne, la rougeur du visage qu'il avait remarqu^e a un exa-
men. Inversement Per... (162), qui a commence par I'ereutophobie,
Ta remplacce maintenant par Tobsession d'etre ccpoilue » quoique
les phenomenes vaso-moteurs du visage soient restes exactement
les memes. II est done bon a mon avis de ne pas consid^rer ce
symptome isolement, mais de remarquer qu'il se rattache a un
groupe d'obsessions relatives au corps et en particulier au visage
qui font partie, comme j'essaye de Ic montrer, d'une grande
maladie mentale, le delire du scrupule. Quant aux phenomenes
cmotifs que les auteurs precedents ont bicn mis en lumiere dans
rereutophobie, ils existent comme point de depart dans beau-
coup de ces obsessions. Nous aurons Toccasion de les etudier a
propos des angoisses.
Apres les hontes relatives au visage, je signale rapidement les
obsessions relatives aux mains et surtout celles qui sont relatives
a la proprete des mains. II est prcsque inutile de citer des exem-
ples, car les observations seraient innombrables. Chy... a peur
d'avoir de la graisse et surtout des petites taches de graisse sur
ses mains, elle se lave 200 fois par jour. Qei..., jeune fille de
vingt ans, croit qu'elle a touche quelque chose de sale, surtout
L'OBSESSIOK DE LA IIONTE DU COUPS 45
depuis qu'elle a eu une petite suppuration d'oreille. Elle en esthun-
teuse, elle craint de communiquer le virus aux autres et les idees.
de crime se m^ient a la honte du corps. C'est la forme la plus
commune de la maladie.
J'aime mieux insister sur une forme particuliere d'une de ces
obsessions relative a la main, parce qu*elle est moins connue et
pent donner naissauce a des erreurs de diagnostic. M. Seglas a
etudi^ un malade nomme L. .. que j'avais vu avec lui il y a quel-
ques ann^es *. Ce gargon d'une vingtaine d'annees, type de scru-
puleux, avail eu la plupart des obsessions pr^c^demment decrites
sur les crimes, des obsessions relatives au vol, d'autres relatives
a Talimentation. II se faisait m^me scrupule d'avaler les microbes
de Tair. Parmi les differents reproches qu*il se faisait, L... trou-
vait son ^criture mauvaise. II cherchait a la reformer par des
syst^mes que nous retrouve^ons plus tards chez tous les autres
malades ; mais ces preoccupations et ces efforts n'avaient pas
d'autre r^sultat que de rendre son ecriturc de plus en plus
informe et impossible. II tenait sa plume de fa^on bizarre, Tatta-
chait avec des ficelles et ne pouvait plus parvenir a ^crire quel-
ques lignes de suite. M. S^glas faisait remarquer avec raison
qu'il semblait presenter une crampe des ecrivains, alors qu'il
n'avait qu'un d^lire de scrupule relatif a T^criture.
J'ai eu depuis Toccasion de verifier la justesse de cette remar-
que et je crois que dans bien des cas la prdtendue crampe des
ecrivains n'est qu'une manifestation de scrupules de ce genre. II
en est ainsi, parexemple, dans Tobservation de H..., dans celle
de P6... et dans celle de Lev..., homme de trente-six ans. P6...,
non seulcment, ne pent plus (^'crire, mais elle ne pent plus lire ni
meme voir de Tecriture, tellement cela lui faithorreur. Lev...n'a
la pr^tendue crampe que si on le regarde ou s'il soup9onne que
quelqu'un pent le voir. Le dernier cas que j'ai vu est curieux : ii
s*agit d'un homme, X..., pr^occup^ de scrupules divers et depuis
quelquc temps de scrupules relatifs a T^criture. II ne pent
essayer d'ecrire sans que sa main fasse un mouvement bizarre :
rindex, au lieu d'appuyer sur la plume, se relcve tout droit en
Tain, attitude singuliere, car d^ordinaire les doigts se resserrent
I . Seglas» Un cas dc folic du doutc, simulant la crampe des ecrivains. Bull, de la
Sor. incil. ties hupitaux^ a\ril iScjo, et Troubles <lu laiujmje rhec les alienes, i8yt?,
p. aoi.
40 LKS iDtES OBSF'daNTES
dans ia crampe. On peut faire surlui quelques petites experiences
interessantes. Quand il tient la plume saas ^crire, Tindex ne se
releve pas ; bien mieux, si on lui dit de simuler T^criture, c'est-
a-dire de faire faire a la plume tous les mouvementsde T^criture,
mais en la laissant a quelques millimetres au-dessus da papier
sans marquer reellement, les doigts n'eprouvent aucune gene et
le malade peut ecrire ainsi ind^finiment. Si on rempeche de
regarder, on peut approcher le papier de la plume jusqu*a faire
marquer T^criture legerement et le niaiade continue a n'avoir
aucune crampe : mais s'il s'apercoit qu*il ecrit reellement, im-
mediatement Tindex se releve et la plume tombe. « J'ai, dit-il,
comme une apprehension dVcrire depuis que je me suis rendu
compte que j'^crivais mal. » Le scrupulc simule la crampe des
(^crivains comme tout a Theure la choree. Un ^tudiant prepare en
ce moment une these sur ce sujet que je lui iii indique : « Les
rapports entre la crampe des ecrivains et le delire du scrupule. »
II est probable que Ton pourrait facilement recueillir bien des
fails de meme genre relatifs a la marche. M. S^glas a parl^ juste-
ment des buso-phobies. On pourrait montrer que quelques-unes
d*enirc elles ne sont que des scrupules relatifs a la marche. L*obser-
vation d'un homme de 56 ans, Fou... (78) est sur ce point tout
a fait concluante : les angoisses qu'il ressentait pendant la marche
le long d'un fosse ont peu a peu donn^ naissance a des obsessions
completes sur Timpossibilite dc la marche. Dans une these re-
cente M. Paul Delarue* insiste sur Fidee obs6dante de Timpo-
tenco des membres inferieurs qui se surajoute aux phobies de la
marche. II y a un diagnostic a faire entre ces scrupules de la
marche et I'abasie hysterique analogue a celui que nous venons
de faire a propos de Tanorexie.
Relativement aux diverscs fonctions visc^rales, je ne fais que
rappeler Tobservation de Rai..., que j'ai d(^ja publi6e dans le se-
cond volume des nevroses, de cet individu qui se fait des scru-
pules sur sa digestion et sa respiration. Convaincu qu*il ne respi-
rait pas bien, il cherchait des systemespour respirer mieux, pour
eviter les suffocations possibles. Puis ce furent des systemes pour
manger : il lui fallait une bouteille d'eau pr^s de lui pour hu-
I. I*aul Dclaruc, de la Staso-ifosophobie , Tliusc de Paris, 1 901.
L'OBSESSION l)E L/V llONTE DU COtlPS 4*
mecter la bouche avant chaque bouch^e. Menie en dehors des
rcpas, il iui fallait une goutte d'eaii dans la bouche pour bien res-
pirer *.
Les id^es obs6dantes relatives a Talinientation et meme aux
di verses fonctions de la deglutation, de la digestion, etc., sont
des plus frequentes. On en a deja eu un exemple dans Tobser-
vation de Nadia. Mais ces idees restent prcsquc toujours etroi-
tement associees avee des phenom6nes d'angoisse et il me semble
preferable de remettre leur description plus complete au moment
oil j'^tudierai les phobies des fonctions dans le chapitre suivant.
L*une des fonctions digestives a le privilege de provoquer plus
que les autres des obsessions de honte. C'est I'evacuation
des gazintestinaux. On ne se figure pas T^tat de folic ou peuvent
tomber certains individus par la crainte des pets. J 'en ai public
derniferement une belle observation*. UnhoramedeSi ans, Ch...,
vit toujours seul, habite au sixieme pour n'avoir pas de voisins
au-dessus de Iui, met son lit dans la cuisine, car il n'est pas pro-
bable que d*autres personnes couchent au-dessous dans la cui-
sine, et cependant en arrive a vouloir se tuer parce que sa mere
va venir le surprendre dans sa retraite. Le pauvre diable ne pent
avoir personne pres de Iui ou aux environs parce qu'il craint qu*on
entcnde le bruit de ses gaz abdominaux et voici dix ans qu'il est
en proie a une pareille obsession. Je viens de voir une jeune fille
de 20 ans qui commence le meme d^lire. a Elle n'est pas faite a
ce point de vue-Ia comme les autres, il y a dans ses parties des d^-
fectuosites, les gaz s'echappent d^s qu'elle y pense, et elle est
forcee d'y penser si elle est en public. Or eel accident est mons-
trueux, mieux vaudrait mourir » ; et elle refuse de sortir, de diner
en ville, de se marier.
J'ai observe bien des cas comparables relatifs cette fois aux
fonctions de la vessie. Une femme de 55 ans, ancienne scrupu-
leuse, ayant m^me eu a Tage de 18 ans une crisc d'obsession cri-
minelle pour laquellc Clfarcot Tavait fait isoler, Vor... (137) a ete
troublee il y a deux ans par un eczema du perinee et des parties
genitales. Les demangeaisons d'une part, les soins minutieux de
proprete nccessites par le traitement d*autre part, ont attire son
attention sur ces parties el apres la guerison de Tecz^ma elle a ^te
I. Raymond el P. Jaiicl^ Sevroses et Idees fixes, II, 887.
a. Id., ibi<i., II, 147.
48 KES IOCES OBStoANTES
cnvahie par une obsession curicuse, relative a l*acte d'uriner. Elle
avail le sentiment qu'elie urinait mal et surtout incompletement.
EUe s'etudiait a pousser mieux, a produire le coup de piston et
cependant eile conservait la pensec qu'elle n'avait pas termine et
qu'elle allait perdre les urines, ce qui fait qu*elle retournait im-
mediatement au cabinet, recommengait ses efforts et sortait, puis
6tait forc^e de rentrer de nouveau, cela jusqu'a cinquante fois de
suite. li est singulier de voir le scrupuie determiner des troubles
de la miction.
Dans toutes les hypocondries urinaires, il ne serait pas difficile
d'en trouver de semblables: je me rappelle Tobservation d'un
pauvre maitre d^etudes qui avail rcnoncc a son metier, ne pou-
vait plus assistcr a aucun cours, entrer dans aucunc rc^union, car
il avail constamment la pensee de n'avoir pas pris suflfisammenl
ses precautions, et il etait honteux de mouiller son pantalon en
public. On me permettra de rappeler a ce propos une observation
curieuse communiquee par M. le P*" Giiyon a mon frere le
D*" Jules Janet et r^sumee dans sa these de doctoral*. Un magis-
tral vient d'etre nomme consciller a la Cour de cassation et va
consulter M. Guyon pour lui demander s*il doit envoyer sa de-
mission et renoncer a cette haute fonction : cc J'ai visile, disait-il, les
locaux oil siege la Cour de cassation el j'ai rcmarque que les ca-
binets d'aisancc ne sont pas assez isolds. II est certain que de la
salle des seances on pent m'entendre quandj'urinerai, ilm'est im-
possible de resler sans uriner et il serait monstrueux de m'expo-
ser a ce danger d'etre entendu. » Je n'ai pas Tobservation com-
plete du sujel, mais il est bien probable que Ton y relrouverait
lous les autres symptcNmes de nos scrupuleux.
11 est Evident que la fonction qui sera le plus facileraent atteinte
par le scrupuie c'est la fonction gi^nitale : j*en ai deja parle a pro-
pos des id^es criminellcs. Dans certains cas Tobsession ne
portera pas precisement sur la tcntalion de la masturbation ou
rid^e des crimes genitaux, mais sur la honle des parties gdni-
tales. L'observation de Vg... que j*ai dcja publi^e est tout a fait
caract^ristique *. A la suite de meditations sur Tadultere il est
obsede par la pensee de ses propres organes ; il y resscnt des dou-
I, Jules Janet, Troubles psychopalhiques de la miction, 1890, i4.
a. ^'evroses el Idees Jixes, II, 1G2.
L'OBSESSION DE LA HONTE DU CORPS 49
leurs ^tranges, il en arrive a penser constamment que ses organes
genitnux sont appendus a son corps comme un corps Stranger et
ne lui appartiennent pas. Voici une autre observation toute
comparable. Wyb... (i64), un jeune homme de 22 ans, a com-
mence par toutes sortes de scrupules religieux, puis il a 6prouv6
des remords terribles a propos de quelques masturbations. La
peur de toucher ses parties lui fait tenir les mains derriere le dos,
dans des positions grotesques. li est obs6de par Todeur de ses
parties et croit que tout le monde la sent, il se figure que ses or-
ganes par leur grosseur ou leur forme ont quelque chose d'extra-
ordinaire qui n'existe pas chez les autres.
A cette honte des organes g^nitaux, il faut naturellement rattacher
le m^contentement relatif a leur fonction ; le scrupule est Forigine
de bien des pretendues impuissances. Qui ne connait ces jeunes
maries tout honteux de leur sort, qui ne peuvent arriver a accom-
plir Facte conjugal et qui sont poursuivis a ce sujet par une
obsession de honte et de desespoir ? Nous assistions Tannic der-
niere a une scene tragi-comique bien curieuse quand un beau-
p^re courrouc^ trainait a la Salpetriere son gendre humble et
r^signe. Le beau-pere demandait une attestation medicale qui lui
permit de demander le divorce. Le pauvre gar^on expliquait
qu'autrefois il avait ^te suffisant, mais que depuis son mariage un
sentiment de honte et de g^ne avait tout rendu impossible. Nous
eilimes bien de la peine a faire comprendre au beau-pere combien
son intervention 6tait inutile et facheuse. Ces cas sont tres nom-
breux : on les rattache souvent a diverses n^vroses, quand il n'ar-
rivepas, pour le plus grand malheur des patients, qu'on leur parle
de maladies de la moelle ^pini^re.
Cette honte des parties g^nitales prend assez souvent une autre
forme qu'il faut signaler. Deb..., femme de l\l\ ans, est depuis sa
jeunesse honteuse de son sexe, elle regrette d'etre une femme et
se figure qu'elle serait heureuse d'etre un homme. En rapport
avec cette idee, elle remarque qu'elle n*a jamais eu de plaisir com-
plet avec son mari et qu^elle serait disposee a aimer des femmes.
Nous avons d^ja vu le m6me fait chez un homme a propos des ob-
sessions impulsives au crime genital. IcI aussi on serait trop faci-
lement port^ a parler d'inversion sexuclle, je r^pete que je ne
crois dans ces cas a rien de semblable. Le plaisir incomplet de
Deb.. . est, commd on le verra, un caractere general des scrupuleux :
elle serait tout aussi incapable d'aller jusqu'au bout si elle avait
LF.S OBSKSSIONS. I. l\
oO LES ID£ES ODSeOANTES
des ra|)ports avec une femme. Sa pr^tendue iaverslon sexuelie n'est
qu'un des aspects divers que peut prendre la honte du sexe.
On remarquera que cette forme du scrupule, les obsessions de
honte relativement au corps, est Tune des plus int^ressantes au
point de vueclinique. Elle donne lieuatoutes sortes d*accidents :
des anorexics, des chorees, des crampes des ecrivains, des asta-
sies-abasics, des incontinences d'urine, desimpuissances, etc. Ces
symptomes, comme nous le verrons, sont loin d'etre complets et
ne peuvent pas tromperun observateur pr^venu, mais il estessen-
tiel d'etre averti. A ce point de vue la maladie du scrupule peut
s'etendre a tons les organes et a toutes les fonctions, determiner
des troubles varies qu'il est important de diagnostiquer. Elle
devient une grande n^vrose analogue par bien des c^^tes a Thys-
terie, mais qui ne doit pas cependant jamais etre confondue
avec elle. La distinction est aussi importante pour le pronostic
que pour le traitement.
e. — Les obsessions bypocondriaques.
II faut signaler, mais avec moins d'insistance, un troisieme
groupe d'obsessions qui se rencontrent aussi fr^quemmcnt que les
prec^dentes chez les m^mes sujets. Ce sont des preoccupations
qui ont rapport a leur propre sante ou a leur propre vie, en un
mot, ce sont des preoccupations bypocondriaques. On a remarqu^
bien souvent que les scrupuleux sont en meme temps bypocondria-
ques; je crois que d'ordinaire il faut accompagner cette remarque
dequelques restrictions. Quand il s^lgit demalades jeunes, au de-
but de leur affection, on trouve chez eux pele-ra^ledes idees scru-
puleuses et des preoccupations bypocondriaques; mais quand la
maladie s'est confirmee, quand ils sont entierement absorbes par
quelque grande obsession criminelle ou sacrilege, ilsoublient de se
preoccuper de leur sant^. Lise pense tout le temps au diable, iises
enfants voues a Tenfer et songe a peine aux troubles de son exis-
tence : il faut que le delire diminue pour qu'elle s'apercoive de
ses soufTrances physiques. II en est de meme pour Claire, qui ne
peut arriver a se preoccuper de sa sante. J'ai plus d'inqui^tudes
sur Tetat de sa poitrine (tuberculose au debut) qu'elle n'en a elle-
meme. En general le grand delire du scrupule exclut le delire
hypocondriaque.
LES OBSESSIONS HYPOCONDRIAQUES 51
li faut faire une exception pour Jean, qui est aussi extravagant
commehypocondriaque que comme scrupuleux. Ce jeune homme,
3o ans, fort bien portant au demeurant, est sans cesse pr^occup6
par la pens6e de ia mort. li ne pent nssister a des ceremonies
funebres sans devenir malade de terreur; il ne pent voir les em-
ployes des pompes funebres sans fremir ; ii ne peut passer devant
la mairie de sa petite ^ille entre neuf heures du matin et cinq
heures du soir parce qu^a ce moment le bureau de declaration
des dec^s est ouvert et qu*il le croirait ouvert pour Tenregistre-
ment de son propre d^ces. En outre^ il a des preoccupations par-
ticulieres pour tel ou tel de ses organes. Par exemple, il est tr^s
preoccupe de son coeur, il en compte les baltements pendant des
heures entieres et il est bouleverse quand il se figure que ce bat-
tement est irr^gulier : « Mon coeur fait cloc... doc... poum,
cloc... cloc... poum, ce n*est pas naturel, il est bistoiunie. » Et
alors il fait des efforts qui ont, dit-il, pour r^sultat de replacer le
coeur. A d'autres moments, il pousse des cris d^angoisse, appelle
au secours, dit qu'il va mourir, parce que son cceur n'a plus a que
des battements internes ». Ce m^me malade se figure toujours
que son cerveau va etre detruit par sa maladie, il s*attend a une
hemorragie cerebrate et me decrit sans cesse a un petit point
dans le cerveau, vous savez, la fin du nerf qui remonte, c'est la
qu*est le mal, il y a un cercle enflamme tout autour oil certaine-
ment quelque chose peut edater )>. II montre a ce moment le
point de la fontanelle posterieure ou les obsedes localisent sou-
vent Icurs maux de tete. Jean a encore peur d'avoir une hernie et
on lui fait grand plaisir en Texaminant de temps en temps ; il
surveille son alimentation et ne boit que du lait coupe d'eau de
goudron, etc.
Mais ce qu*il presente au plus haut degre, c*est une terrible
hypocondrie genitale. Pendant plus de six ans, il a souffert d*une
preteudue maladie du gland qu'il a soignee de toutes mani^res. II
avait ete affole en constatant que le prepuce ne recouvrait plus le
gland et il eprouvait des douleurs intolerables par le frottement
des vetements. II passait toute sa journee a recouvrir le gland
avec le prepuce, a le badigeonnerd'onguents, a prendre des pre-
cautions pour eviter les contacts, et il n*arrivait pas a attenuer
les souffrances. II resume lui-meme assez bien son etat mental en *
disant : a mon corps me gene et m'obs^de continuellement. »
Les menies caracteres se retrouvent a un degre moins grave
52 LES IDEES OBSfiDANTES
chez Za... (216), que la moindre indisposition met hors de lui,
tellement il est obs^d^ par la pensee de la mort. Bal... (.i55),
femme de 32 ans, semble obs^deepar une pensee singuliere, celle
de son age, celle de Tage de son mari et en general sur la pensee de
Tage des personnes qui Tint^ressent, c^est parce qu'elle compte
les annees qui les s^parent encore de la mort, la pensee de la
mort est en rdalit^ au fond de I'obsession.
A cote de la pensee de la mort, la pensee de toutes les mala-
dies possibles peut devenir une idee obs^dante. On peut citer a
ce propos une jeune fille, Qei..., qui surveille ses aliments de
peur d'avaler des fragments d*aiguille, qui lave ses mains conti-
nuellement de peur de s'infecter par des contacts malpropres, qui
se mouche sans cesse sans parvenir a se d^livrer « des mou-
cherons qui montent par le nez jusqu'a son cerveau ».
Nous retrouvons ici, bien entendu, les obsessions relatives aux
organes g^nitaux, il ne s'agit plus des mauvaises actions qu'ils
font ex^cuter, ni de la honte qu'ils inspirent, mais de leurs ma-
ladies. On ne peut enumerer les malades qui ont « des sensations
de bri^lure, d'^puisement dans le canal... des sensations de fa-
tigue comme si on leur avait enfonc^ un gros objet dans le rec>
tum... la pensee constante qu*il y a dans ces parties une lesion
irremediable, une syphilis incurable ». (Dea..., etc.).
II suffit de rappeler les obsessions de la phtisie (Dua..., i47),
les obsessions de la c^cit^(Mv..., i5i). Wye... (160) a des inquie-
tudes pour sa langue dont le bout frotte ses dents. Gye... a une
epingle arretee derrifere le sternum, Lobd... (Obs. 22) a « quel-
que chose dans le nez qui cherche a sortir, elle a le besoin
d'une grande hemorragie nasale ». II ne faut pas croire qu'il
s'agit ici d*un trouble de la sensibilite du nez, c*est bien
plut6t une idee consecutive a un singulier souvenir de famille :
la malade est convaincue que sa tante atteinte d*un d^lire
m^lancolique grave a ei6 guerie a la suite d'un saignement de nez,
d'ou le d6sir obsedant d'un accident semblable. Kl... (211) res-
sent une brulure dans la cuisse a qui est due probablement au
passage d'une epingle que la malade aurait aval^e ». Des obser-
vations de ce genre sont d'une grande banalite et pourraient
etre facilement multipli^es.
Au premier abord, ces obsessions sont bien distinctes des pr^-
LES OBSESSIONS HYPOCONDRIAQUES 53
cedentes et semblent former un groupe a part, celui des obses-
sions hypocondriaques. Je crois cependant que cette hypocondrie
n'est pas banale et qu^elle rev6t chez les scrupuleux des carac-
teres int^ressants qui rapprochent ces id^es nouvelles des pr^ce-
dentes. Ces maiades ne redoutent pas tous les accidents pos-
sibles, mais seulement certains accidents d^termin^s. lis ne
redoutent pas les accidents qui peuvent arriver subitement, qui
dependent du nionde exterieur et qui ne dependent pas d*eux-
m^mes. Jean qui parle sans cesse de mort subite, ne redoute pas
]a mort causee par un accident impossible a pr^voir ou a eviter :
il n'a pas peur d'un d^raillement de chemin de fer ou de la chute
d'une maison sur sa tete. Quand je lui parle de ces dangers pos-
sibles, il dit qn'il faut se r^signer a ce qui est inevitable, qu*il ne
pent rien faire pour se garantir contre la chute d'une cheminee et
que par consequent il ne s'en pr^occupe pas. Que redoute-t-il
done? Uniquementles accidents qui seraient causes par sa propre
imprudence ou par sa propre faute. Ces congestions c6r^brales,
ces faux pas du coeur, ces douleurs du gland sont toujours causes
dans son imagination par les excitations g^nitales auxquelles il
s'est abandonn^. Ce qui se dissimule au-dessous de ces id^e hypo-
condriaques, c'est une sorte de crainte du suicide.
II en est de meme chez Qei... dont la premiere id6e a €i6 la
crainte de jeter elle-meme des aiguilles cass6es dans les aliments
pour tuer ses parents et qui a maintenant la crainte de manger
des aliments oil elle aurait mis des aiguilles cass^es. Si elle craint
de s'infecter, c'est qu*elle a peur de ne pas avoir surveille ses
mains qui auraient touche des objets sales. Kn un mot, dans
quelques-uns de ces cas, je n*ose dire dans tous, Thypocondrie
n'est pas purcment la crainte de la maladie en elle-m^me, c'est la
crainte de causer la maladie par une faute ou une imprudence.
Nous pouvons resumer les diverses obsessions qui viennent
d'etre enumer^cs et dont nous avons analyst le contenu par le
tableau suivant.
54 LES IDfiES OBSfiDANTES
CONTENU DES OBSESSIONS
I. — Obsession du sacril&ge.
' I. Obsession des problimcs religieux et moraux.
Homicide.
[ a. Obsession du crime & forme
d'impulsion.
Suicide.
j Vol, etc.
.Grimes g^nitaux.
II. — Obsession du crime. ( / Fugues.
Dipsomania, etc.
i Resistance k des devoirs.
[ De fautes religieuses.
3. Obsession du crime k forme i D*homicide, de vol, etc.
de remords. J De crimes genitaux.
\ De vocation manqude.
' Honte des actcs.
— des sentiments.
— de I'intelligence (forme de la folie du doute).
III. — Obsession de la honte J Obsession de d6{)ersonnalisation.
de soi. ) — du dejk vu.
de la folie.
de Tenvie.
amoureuse.
Honte d'engraisser, de grandir, do so developpcr.
et gdne des mouvemonts du corps,
des traits du visage, de la moustache,
de rougir.
IV. — Obsession de la honte j — des mains (certaines crampcs des ecrivains).
du corps. ^ — de la marche.
des fonclions de nutrition,
de la miction,
des gaz intestinaux.
des fonctions g^nitales.
,. ^. . , C Obsession de la mort, des pompes funcbres.
V. — Obsessions hypocon-X , , ,. , .. ,
, . ""^ < — des maladies genitales.
^ ' ( — des maladies de poitrino, etc.
7. — Caractdres commuDS de ces obsessions.
En examinant le contenu des obsessions des scrupuleux, c'esl-
a-dire seuleraent le sujct siir lequel portent ccs pens<5es obsd*-
CARACTfiRES COMMUNS DE CES OBSESSIONS 55
dantes, j'ai cru pouvoir les r^partir en cinq groupes : les ob-
sessions sacrileges, les obsessions criminelles, les obsessions de
la honte de so!, les obsessions de la hodte du corps et les obses-
sions hypocondriaques. Mais il ne faudrait pas en conclure
que ces idees sont tout a fait difF^rentes les unes des autres et
que leur reunion chez des malades du meme genre pent etre
attribuee au hasnrd. II en est ainsi quelquefois chez les hyste-
riques dont les id^es flxes tres diverses ont peu de points com-
muns, surtout si Ton ne considere que leur contenu. L^une reve a
un incendie, Tautre a la figure de son amant, la troisieme est ob-
sedee par le souvenir du goilit des navets qu'elle a manges a la
pension, et la quatri^me par la peur d^engraisser comme sa mere:
les sujets des meditations pathologiques n'ont pas de caracteres
communs. Chez les scrupuleux au contraire, malgre une assez
grande diversite apparente, les sujets des obsessions sont ana-
logues.
On pent assez facilement les rattacher les unes aux autres. Le
sacrilege n*est qu'une exag^ration du crime, la honte de soi est na-
turellement voisine de la pens6e du crime. II ne faut pas croire que
les obsessions corporelles, la honte du corps par exemple, soient
isolees. Dans les descriptions d'ereutophobie on note souvent la
honte morale qui accompagne I'idde de rougir « la malade rougit
ou a Tobsession de rougir, remarque-t-on dans une observation,
quand on parle devant elle d'actes ind^licats, ou si elle est
devant des hommes dont il lui semble qu'elle pourrait 6tre la
maitresse* ». Parmi mes malades, Ul... qui a peur des convul-
sions du visage a surtout « peur de paraitre folle ». L'hypo-
condrie, comme on vient de le voir, se rattache a la crainte de
faire des sottises, elle se rattache aussi a la honte. Gbl...,
femme de 36 ans, qui a Tobsession « du rhumatisme dans
les mains », ne craint pas seulement la souffrance, elle est
« humiliee a la pens6e de laisser voir des mains et des pieds qui
grossissent ». Toutes ces obsessions sont done voisines les unes
des autres et il est facile de mettre en Evidence des caracteres
communs.
i^ II est facile de remarquer que ces idees ne portent pas sur
I. Boucher, Erythrophobie. Congres de medecine menlale. Rouen, Bo6t 1890;
Semaine midkale, 1890, p. 292.
56 LES IDfiES OBSfiDANTES
des objets du monde exterieur, muls portent toujours sur des
actes du sujet. Une hysterique comme Ze... a vu mourirson p^re,
elle a depuis deux ans une obsession terrible qui se pr^sente
sous forme d'une hallucination complete : c'est celle de la tete de
son pere telle qu*elle ^tait sur son lit de mort. Son delire consiste
dans la contemplation d'un objet, la tete de son pere, sans au-
cune autre preoccupation. Dans ses attaques, elle hurle : « La
lete a papa, la voici encore, elle me regarde, oh ! comrae elle est
jaune... » elle ne fait que des descriptions. En est-il de meme
chez nos scrupuleux ? Beaucoup d'auteurs n'h^sitent pas a Tac-
cepter, ils considerent ces malades sous un aspect particulier, ils
accordent toute leur attention a certaines manifestations ext^*
rieures du delire plutdt qu*a Tetatpsychologique interieur du ma-
lade. Ce qui les frappe surtout, c'est que ces malades refusent de
toucher certains objets et manifestent des signes d'emotion, des
terreurs quand on veut les forcer a faire usage de ces objets. Ce
point de vue est mis en Evidence par le mot m^me dont ces au-
teurs se servent pour designer ces malades ; plusieurs de ceux
que je viens de decrire seraient appel^s par eux des phobiques,
Ce mot de phobie mettrait en relief chez le malade : i° Temotion
qu'il 6prouve et 2* le rapport de cette Amotion avec un objet du
monde exterieur. II est clair que cette remarque est en grande
partie juste et dans les descriptions pr^cedentcs on a dejn releve
bien des cas de phobies, d*abord des phobies vulgaires : Mb...,
Vod..., Wks..., Brk..., Vis..., Ger..., etc., ont la phobie des
couteaux et surtout des couteaux pointus; c'est d'ailleurs une ma-
nifestation banale qu*on retrouve chez toutes ces meres de famille
obsedees par la pensee de tuer leurs enfamts ; Qei..., Kl...,
Gye..., ont la phobie des aiguilles ou des epingles : ce sont la des
cas de phobie classique. On en trouverait dans les cas precedents
bien d'autres plus curieux : Claire, cette jeune 611e qui pretend
avoir Thallucination du membre viril, a la phobie des bouteilles,
Lod... a la terreur des crachats par terre sur. le trottoir, Jean, le
type du scrupuleux genital, a la phobie des voitures et surtout
des tramways. Dans les chapitres suivants nous etudierons sp6-
cialement la forme sous laqueHe ces obsessions se presentent et
nous aurons alors a signaler bien d'autres cas de phobies dont
quelques-uns sont bien singuliers. II est done juste de dire avec
les auteurs auxquels je faisais allusion que ces malades sont par
un certain cote des phobiques.
CARACTfiRES COMMUNS DE CES OBSESSIONS 57
Cependant je pr^fere les appeler des scrupuleux et je crois que
ce mot met en Evidence un autre point de vue. II attire I'attention
sur les troubles de la volont6 et sur les id^es que le malade se
fait de ces troubles d^ volonte. Je crois, en efiet, que ces phobies
sont, an moins pour les cas que je consid^re, des phenom^nes
tout a fait secondaires, qu'ils forment ces sortes d'id^es fixes se-
condaires que j'ai deja eu Toccasion d'etudier. Nous verrons en
examinant ces phobies qu*elles se developpent par association
d*idees : Tobjet exterieur ne fait ici que rappeler par sa forme
comme la bouteille qui fait penserau membre viril, par son usage
comme le couteau qui fait penser au meurtre, par contiguite, par
consonance du nom, etc., I'id^e principale dont le malade ^tait
obs^d^ longtemps avant d*avoir eu ses phobies. Comme il vaut
mieux faire cette discussion plus compl^tement au moment oil
j'etudierai toutes les emotions, tons les troubles varies qui s'asso-
cient avec le d^veloppement de I'id^e fixe, il suffitde faire main-
tenant une remarque plus simple.
Les malades viennent de nous presenter un assez grand nombre
d^obsessions quails decrivent eux-m6mes comme ^tant le fait prin-
cipal de leur maladie. Ce sont ces obsessions-la qu'il faut, pour
le moment, nous borner a ^tudier. Peut-on dire qu'elles portent
r^gulierement sur un objet exterieur ainsi qu'il arrive si souvent
dans les hallucinations et les obsessions des hyst^riques. Si Ton
considere le groupe des obsessions criminelles qui est ici le plus
simple, il est visible que la preoccupation ne porte qu'indirecte-
ment sur un objet, mais qu*elle porte surtout sur une action. Le
sujet est toujours pousse a commettre des crimes ou croit en avoir
commis, c'est-a-dire qu'il se sent entraine a certaines actions ou
croit les avoir faites. L'obsession est ici d'une maniere incontes-
table Tobsession d'un acte du sujet. J'ai essaye de montrer qu'il
en est de meme pour les obsessions hypocondriaques ; le malade,
au moins celui dont jem*occupe, ne pense pas a des accidents phy-
siques independants de sa volont6, mais toujours a des fautes ou
a des imprudences qu'il pent commettre lui-meme. C'est encore
une preoccupation qui a rapport a des actes.
On pourrait croire qu*il n'en est pas tout a fait de meme dans
les obsessions sacrileges oil certains sujets en tres petit nombre
ont sous les yeux des spectacles auxquels ils ne paraissent pas
m^les. On... voit Tame de son oncle dans les cabinets, Claire voit
le membre viril souillant une hostie. Remarquons d'abord que ces
58 LES IDfiES OBSfiD ANTES
formes de Tobsession sacrilege qui sont les plus curieuses sont les
moins fr^quentes. Daus les autres observations, les malades
pensent a vouer leurs enfauts au diable, a eracher sur des hosties,
a donner le vin de la messe a un petit chien, a agir, en un mot.
Mais m6me dans ces deux cas, la difTi^rence est plus apparente
que r^elle. Ce qui desespfere On... e'est que c'est lui-meme qui
met Tame de son oncle dans les cabinets: « Comment puis-je en
arriver a penser une chose pareille... je devrais moins que tout
autre imaginer de telles choses. » Dans le cas de Claire, je n'ose
affirmer, car ses aveux sur ce point delicat sont loin d'etre pr6-
cis ; mais il est bien probable qu^elle coUabore a la profanation
des hosties. Elle r^pete toujours : « C'est horrible de me laisser
aller a de tellcs choses » ; et s'il ne s'agissait que d'un pur spec-
tacle elle n'aurait pas a se reprocher « de coupables complai-
sances ». Enfin, il faut remarquer que de tels tableaux ne sepr^-
sentent que chez des malades fort avanc^s dans leur delire. Pen-
dant longtemps ces malades ont r^v^ a des actions sacrileges :
« regarder dans les eglises les parties de Dieu, les chercher sous
le linge qui voile le Christ, etc. » Le tableau n'est venu plus tard
que comme un symbole qui resume des actions odieuses.
Dans un groupe tres considerable, nous avons remarque des
obsessions de honte qui ne portent pas pr^cis^ment sur les
actions, mais sur toute la personnalite physique «t morale. II me
semble que ces obsessions ne doivent pas ^tre s6par6es des pr^-
c6dentes. D'abord elles se pr^sentent chez des malades qui ont en
m6me temps les autres obsessions plus caract^ristiques. Claire,
qui presente si bien Tobsession de honte pour son esprit, pr6-
sente en meme temps un type d*obsession sacrilege. Mb..., en
m^me temps qu'elle est mecontente de son intelligence, a des
obsessions criminelles. D'autre part j'espere montrer dans
une prochaine ^tude que ces obsessions sont surtout caract^ris^es
par la forme qu'elles revetent : elles s'accompagnent de doute,
d'interrogation, d'h^sitation, de compensation, d'expiation, de
promesses, de serments, etc. Or ces formes si curieuses se retrou-
vent chez tons ces malades. Nadia, dont Tobsession principale est
la honte du corps, fait continuellement a ce propos des serments
et des pactes, comme Lise qui a des obsessions nettement sacri-
leges. Enfin ces diverses id^es se rattachent assez bien les unes
aux autres. La personnalite physique et la personnalite morale se
rapprochent intimement dans noire, esprit; si Ton est content de
CARACTfiRES COMMUNS DE CES OBSESSIONS 60
son esprit, on est content de sa figure et inversement ; d*autre
part on connait les relations ^troites entre la volont^ et la per-
sonnalit^, si bien que la critique des actes devient vite une cri-
tique de la personne.
Je crois done que Ton peut sans h(^siter generaliser et dire que
le d^lire des scrupuleux porte surtout sur leurs propres actes : ce
sont des obsessions relatives a leur {folonte et a leur personne.
2^ II est aussi int^ressant de constater que ces actions dont
la pens6e est obs6dante sont des actions maui^aises. Le plus sou-
vent, quand il s'agit de sacrileges et de crimes, ce caractere
est incontestable. Mais on peut 6tre embarrass^ quand il s*agit
d'impulsions a des actes que rien ne condanine,comme d*entrer au
convent et de faire confesser son mari. II faut alors ^largir le sens
du mot mauvais : il ne s'agit pas uniquement d'actes condamn^s
par la morale, mais d'actes condaranes par le sujet lui-meme,
d'actions qui lui sont odieuses, qui lui paraissent ridicules, en
un mot qu'il ne voudrait pas faire. Sur ce point Tafiirmation de
tons les malades est des plus precises : on peut lire a ce propos
une bien int^ressante etude publi^e par M. Josiah Royce dans
la Psychological Bei^iewy sur un grand auteur mystique anglais
John Bunyan, qui est en meme temps un beau type du d^lire de
scrupule. Bunyan est « tent^ » de blasphemer contre Dieu,
d'adorer le diable ; comme il le remarque lui-meme, le tentateurest
une sorte d'inversion de conscience insistant sur tout ce qui est le
plus oppos^ a ses intentions pieusesV D6sire-t-il prier Dieu, il a
des distractions, il r^ve a des images bizarres, a celles d'un tau-
reau, d'un balai, et il est tent^ de leur adresser ses pri^rcs.
La tentation porte toujours sur Taction le plus oppos^e a ce quMl
desire faire a ce moment.
II en est ainsi pour tons nos malades. Yi... conduit son enfant a
Tecole et veut aller le rechercher, car elle est tres inqui^te a pro-
pos de son retour dans les rues de Paris. Elle se demande si elle
n*a pas dit a une femme suspecte d'aller le chercher. Elle aime
son mari par-dessus tout, aussi craint-elle de trahir ses secrets,
de le tromper avec le premier venu, de faire signe par la fenfttre
aux passants pour quails montent. Yod..., Wks..., adorent leurs
enfants, et c'est toujours leurs enfants qu*elles pensent a tuer, a
I. Josiah Roycc, Tho case of John Bunyan. Psychological Review, iSg^t p. i43.
60 LES ID£ES OBSfiDANTES
faire bouillir, a donner au diable. D'apres les obsessions de ces
femmes scrupuleuses, on peut toujours deviner qui elles aiment
mieux de leurs maris ou de leurs enfants. Je demahde a Vod...
pourquoi elle vent toujours tuer sa petite Bile et ne songe pas a
tuer son mari, et elle ne peut s'crap^cher de rire en disant : <( Oh,
mon mari, je ne Taime pas assez pour penser a le tuer. »
Quand il s^agit de jeunes filles, on peut deviner le degr^ de leur
pudeur d*apres la nature de leurs obsessions : quand elles parlent
des « parties de Dieu », des hosties souill^es, de crimes contre
nature, c'est qu'elles sont parfaitement chastes. Les autrcs n^out
plus de preoccupations sur ce sujet et songent a tuer leur m^re
ou a voler. a C'est bien simple, me disait Qes..., je suis poussee a
tuer ce que j'aime le mieux, je veux tuer ma mere parce que je
n*ai qu'elle ; si j'avais un mari, je voudrais le tuer ; si j*aimais un
petit chien, je voudrais tuer ce petit chien. » En un mot elles
sont toujours obs^d^es par la pens^equi leur fait le plus horreur.
M. Paulhan a fait une remarque analogue a propos du delire du
doute quand il a dit que les idees de ces malades sont dues a
Texag^ration de V association par contrasted. Dans un travail pre-
cedent* j'ai eu Toccasion de discuter cette theorie ; je dois au-
jourd'hui relever dans ma discussion une erreur partielle.
Sans doute j^avais raison de faire observer que les malades ana-
lys^es dans cette dlude, telles que Marcelle, et dans un des cha-
pitres suivants, Justine, ne justifiaient pas la remarque de
M. Paulhan. Leurs idees fixes en rapport avec des emotions ante-
rieures, d^veloppees par un m^canisme analogue a celui de la
suggestion, n'obeissaient pas a la loi du contraste et n'^taient
nuUement en opposition avec les d^sirs actuels des sujets. Mais
ces malades formaient un groupe particulier, celui des hyste-
riques suggestibles, et j'ai eu tort de g^neraliser une remarque
qui s*appliquait a ce groupe particulier. Les scrupuleux que nous
etudions maintenant forment un autre groupe tres distinct du
premier et on peut dire que chez eux les obsessions forment un
contraste frappant avec leurs tendances dominantes. Reste a voir
si elles doivent leur origine a Fassociation par contraste. Nous
ne devons maintenant retenir qu'une seule chose, c'est que ces
obsessions portent sur des actes et des actes mauvais, c^est-a-dire
1. M. Paulhan, L'activiti mentale et les ilemenls de Vesprit, 1889, p. 3/41-357.
2. Nevroses et Wes fixes, 1898, I, 3a.
CARACTERES COMMUNS DE GES OBSESSIONS 61
en opposition non avec la morale commune, mais avec les desirs
et les volont^s du sujet ; le malade est obs^dc par la pensee d'un
acte qu'il voudrait ne pas faire.
3® Le troisifeme earactere qui me frappe dans le contenu de ces
obsessions est plus difficile a exprimer, bien qu'il soit tres curieux
et probablementtr^s important dans cette maladie. Les actes dont
la pensee obsede les malades sont des actes extremes. Ce sont les
actes les plus sacrileges, les plus criminels, les plus dangcreux,
en un mot les plus odieux qu'il leur soit possible de concevoir.
C*est une conception qui est poussee dans un certain sens jus-
qu^aux plus extremes limites.
II est visible que ces pauvres gens cherchent toujours a pr^ciser,
a grossir le crime auquel ils pensent. On les ennuie fort quand
on conserve un air calme et indifferent pendant quails enumerent
leurs impulsions ; ils cherchent alors a ajouter des circonstances
horribles pour provoquer notre indignation. Za..:, qui est un
homme de trente ans, avoue en tremblant qu'il est pousse a
commettre le peche d'amour *avec une femme. Je lui r^ponds
tranquillement qu'a son age cela me parait assez naturel. II se
hate d'ajouter : « Mais, Monsieur, je me represente que la chose
se passe sur un banc. — Eh bien, soit. — Mais vous oubliez,
repond-il en colere, que ce banc est devant une ^glise. » Jean, qui
a de raeme des impulsions g^nitales, se consolerait encore s'il
etait pouss^ a aimer de jeunes femmes qui soient jolies, mais il
a des impulsions erotiques pour des femmes louches, laides et
tres ag^es. « Un jour deux jeunes Giles sont venues nous voir,
Tune d'elles m'a beaucoup plu et apres son depart j'etais tour-
mente par la pensee que j'^tais mari6 avec elle. — II n'y a pas
grand mal a cela. — Mais, Monsieur, vous ne vous figurcz pas
que cela m'a donne des impulsions ^pouvantables : je rivals que
j'avais des rapports avec leur mere, avec ma belle-mere ! ! ! » Au
bout de quelque temps d'ailleurs, Timpulsion se d^veloppe tou-
jours dans le meme sens et il est d6sol6 parce qu'il pense mainte-
nant a sa propre mhve, Quand il s'agit de meurtre, ce sont des
crimes « contre des petits enfants sans defense que me conseille le
diable », dit Brk... ou <( Tassassinat d*un vieillard de quatre-
vingt-quatre ans », dit Za..., et ils inventcnt des raffinements de
cruaut^ et de lachet^. Toujours ils cherchent a aller le plus loin
possible dans cette conception du crime.
62 LES IDfiES 0BS£DANTES
Certains d'entre eux se rendent compte de ce besoin singulier.
Je demandals a Lisc pourquoi depuis quelques ann^es elle con-
servait toujours la m^me idee, celle de vouer ses enfants au
diable, tandis que auparavant elle changeait assez souvent d'ob-
sessions. a C'est, me dit-elle, que je ne puis pas faire mieux :
comme je pousse toujours mes idees a Tinfiniy s'il y avait une
chose plus terrible, j'y penserais. Vouer mes enfants au diable,
c'est le plus que je puisse faire pour le moment. » Une autre
malade nous montre un exempie curieux de cet effort pourarriver
a Textr^me. Ger... me r^p^te sans cesse qu*elle est poussee a
offenser Dieu par un p6ch6 horrible et elle ne precise jamais quel
est ce p6ch6. J'insiste vivement pour savoir de quoi il s'agit et
j'^numere des crimes avou^s d*ordinaire par les scrupuleuses.
« Voulez-vous faire cuire vos enfants ? — Non, ce n'est pas cela.
— Troraper votre mari avec le diable? — Non, ce ne serait
rien. — Voler et souiller des hosties consacrees? — Mais non,
pis que cela. ' — Alors j'y renonce ; dites-moi quel est ce crime.
— C*est un p6ch6 qui n'aurait jamais existe, que personne n'au-
rait encore fait, auquel personne n'uurait pu encore penser ; eh
bien, c'est ce peche-la que je suis poussee a faire. — Mais encore
quel est ce p6ch6? — Je n*en sais rien. » Peut-on avouer plus
nai'vement cet effort impuissant de Timagination ?
Ce sont des gens qui font des efforts desesperes, qui se tor-
turent Timagination pour arriver a Tabominable, bien que presque
toujours ils ^chouent dans le grotesque. Cet etat d*esprit est assez
bien decrit par I'auteur de « A rebours » et de « La-bas ». En ^cou-
tant nos sacrileges, on pense a ce chanoine a qui nourrit des souris
blanches avec des hosties consacrees et qui s*est fait tatouer sous
la plante des pieds Timage de la croix, afin de pouvoir toujours
marcher sur le Sauveur^ », Cette disposition a la recherche de
Textreme est <^vidente dans les obsessions des scrupuleux, elle me
parait un caract^re essentiel qu'il faut constater avant de chercher
a rinterpr^ter.
4® A ces caracteres s'en ajoute un autre qui me parait decouler
des pr^c^dents, mais comme il porte sur Torigine des id^es et que
I. Hujsmans, Ld-bas, p. 297. Dans lo m^me ouvrage, un passage curieux sur
rimagination des crimes nouveaiix, compliqu^s d*inceste, de crimes contre nalureet
de sacriI6ge» se tapporte au memo etat d*csprit (p. a58).
CARAGTfiRES GOMMUiNS DE CES OBSESSIONS 6a
tout ce travail est destine a mettre cette origiae en Evidence, il
faut se borner a Tenoncer maintenant d'une maniere hypoth^-
tique. Les idees fixes que nous avons 6tudi^es autrefois chez des hys-
t^riques avaient un contenu determine par les circonstances ext^-
rieures. Sans doute la condition essentlelle de Tidee fixe etait un
certain ^tat d'esprit du sujet qui le rendait 6minemment sugges-
tible; cet engourdissement, cette diminution des fonctions cere-
brates qui determinait le retrecissement de Tesprit et la sugges-
tibilite ^tait le caract^re essentiel de T^tat mental hysterique.
Mais la nature particuliere de Tidee fixe, la pens^c d'un incendie
ou rimage d'un mort 6tait la consequence des circonstances ext^-
rieures qui avaient determine une emotion et une suggestion a
propos d'un incendie ou a propos d'un mort*. De telles id^es
determinees par le m^canisme de la suggestion pouvaient etre
appelc^es des idees fixes ejoogenes.
Eh bien, une pareille origine peut-elle etre attribute au con-
tenu des obsessions chez les scrupuleux ? C'est ce que les malades
ou leurs parents supposent bien souvent: Ls... pense que ses id^es
sacrileges sont n^es a propos des conversations philosophiques
qu'aimait a faire son pere. Les parents de We... restent con-
vaincus, malgre mes affirmations, que la maladie de leur fille a ete
produite au convent par Tenseignement des religieuses. J'h^site
beaucoup a accepter cette interpretation. Sans doute les circon-
stances exterieures jouent un role ; les femmes qui n'ont pas
d'enfants ne songent pas a les vouer au diable. Mais ces circons-
tances banales qui consistent a avoir des enfants, a entendre de
temps en temps une conversation philosophique, a etre eieve par
des religieuses suffisent-elles pour faire naitre un delire pareil ?
D*autre part, si le delire venait surtout de Texterieur, comment
aurait-il des caracteres communs si remarquables chez tons les
malades, pourquoi porterait-il toujours sur des actes, des actes
mauvais, des actes extremes, et comment serait-il etroitement en
rapport avec le caractere individuel du sujet? Le contenu des
obsessions, tout en gardant ses caracteres communs, n'est pas le
meme chez la m^re de famille, chez Thomme adulte, ou chez la
jeune fille. Si je puis employer une expression vulgaire, il semble
que ces malades jouent au jeu des combles et a la m^me question
I . Voir k ce propos dc nombreux exempics dc ces idees fixes accidentcllcs par
suggeslibilit^ : Nevroses et I dies fixes, 1898, I, 173.
6& LES ID£ES OBSCDANTES
r6pondent tous difT^remment, suivant leur sexe, leur age, leurs
conditions sociales. « Quel est pour vous le comble du crime ? —
Jeter sur ma petite fille Teau bouillante qui est sur le feu, repond
la mfere de famille habituee aux travaux du menage; vouer mes
enfants au diable, r6pond la m^re d'un milieu social plus 6lev6. —
Et pour vous quel est le comble du crime ? — Mettre Tame de mon
oncle dans les cabinets, repond Thomme reconnaissant; souiller
les hosties par Tacte sexuel », repond la jeune fille. Cette modifi-
cation de la reponse qui garde les m6mes caractercs communs,
tout en s'adaptant si bien au caractere individuel, peut-elle s'ex-
pliquer par Taction des circonstances ext^rieures sur un esprit
suggestible ?
On pent done se demander si les id^es fixes sont toujours exo-
genes et si certaines categories d'id^es fixes ne meriteraient pas
le nom d'endogenes. Leur contenu ne pourrait-il pas ^tre invente
par le sujet lui-m^me, en vertu de certaines lois diff^rentes de
celles de la suggestibilite ? Ces idees ne seraient-elles pas Vexpres-
sion d'un trouble profond dans le fonctionnement c(^r6bral que le
malade ressent et qu'il traduit d'abord par des sentiments parti-
culiers et ensuite par des id^es obsedantes qui rdsument et
expriment ce sentiment? Dans le cas du d^lire du scrupule en
particulier, le malade n'est-il pas obsed^ par des pens^es particu-
lieres relatives a ses actes, parce qu*il a r^ellement des troubles
de la volont6 et parce qu'il a une certaine conscience de ces alte-
rations de la volont^ ?
I/etude du contenu des obsessions chez les scrupuleux nous
amcnent simplement a poser ces probl^mes ; il faut continuer T^-
tude de la forme que presentent ces obsessions et de Tetat psy-
chologique sur lequel elles se developpent, pour preparer un peu
sa solution.
LA FORME DES OBSESSIONS 65
DEUXIfiME SECTION
LA FORME DBS OBSBSSIONS.
Pour etablir le diagnostic d*une QfTection mentale il ne suffit
pas de savoir le sujct ordinaire des preoccupations des malades,
c'est-a-dire le contenu des obsessions, il faut encore ^tudier
de quelle maniere se presentent ces preoccupations, a quelles
lois elles obeissent dans ieur apparition et leur evolution, en un
mot il faut examiner la forme psychologique que revetentces pen-
sees obs^dantes. Pour bien comprendre ce probl^me, consid^rons
certaines idees fixes des hyst^riques qui determinent de grandes
fugues de plusieurs mois compietement oubli^es par les malades
apr^s leur execution. Ces id^es ne se manifestent que pendant
des somnambulismes ou dans des ecritures subconscientes, elles
semblent tout a fait absentes de la conscience normale du sujet
qui les ignore. Ces id^es fixes ne sont-elles pas totalement diffe-
rentes dans leur forme psychologique de celles du persecute qui
connait parfaitement son delire, qui est convaincu de sa r^alite
et qui a systematise toutes ses pens6es et toutes ses actions autour
de ia croyance a telle ou telle persecution. Gette opposition entre
des idees dissociees qui se developpent isolement en dehors de
la vie consciente du sujet et ces idees compietement systdmatisees
qui sont au contraire devenues le centre de toutes les pensees est
d'une importance capitale pour interpreter toute la malndie. Aussi
doit-on appliquer cette recherche aux obsessions des scrupuleux
et voir quelle place elles occupent dans la pensee, le degre et la
forme de leur developpement.
Pour etudier les caracteres psychologiques que revetent ces
obsessions, les lois de leur apparition et de leur developpement,
il est necessaire de faire quelques distinctions. Les malades ne
restent pas toujours a la meme periode de leur maladie ; ils peu-
vent traverser des etats de trouble tres grand ou se rapprocher
de Tetat normal. Dans ces diverses periodes leurs obsessions ne
conservent pas toujours les monies caracteres et une description
LES OBSESSIONS. I. — 5
(iO LES IDKES OBSeOANTES
ne pourrait pas impunement etre appliquee a tous les accidents des
scrupuleux. Je mettrai done de c6t6, pour les examiner plus com-
pletement quand j'^tudierai revolution et les complications de la
maladie, des etats aigus, des periodes de delire grave qui peuvent
malheureusement survenir au cours de la maladie. Le grand carac-
tere de tels etats, c'est que le malade a perdu a peu prfes complfe-
tement le pouvoir de critiquer ses obsessions, de leur r^sister,
qu'il s'abandonne a son d6lire. Ces etats se rapprochent de la
m^lancolie anxieuse ou des diverses formes de la confusion men-
tale : ils nous font entrer dans le domaine d'autres maladies men-
tales. Je crois qu'il faut les considerer comme des accidents sur-
venant au cours d^un delire du scrupule, accidents dont il faut
discuter la possibility et la frequence, mais qu'ils ne constituent
pas I'etat normal de ces malades.
D'autrc part, tantot par revolution naturelle de la maladie,
tant6t sous Tinfluence de certains traitements, ces id^es fixes peu-
vent se reduire, diminuer d'importance ou perdentleur precision.
Le malade sent encore qu'il est tourmente par quelque chose,
qu'il est obsede. II pourrait par un l^ger effort retrouver Tidee
qui le tourmente, mais il sait qu'il faut eviler cette recherche et
il n'a qu'une notion vague de cette id^e qui Tobsede, c'est I'Stat
s^ague de Lise, c'est Vetat implicite de Jean. Get etat fait encore
partie de la maladie, mais c'est un degr^ efface, estomp^ que Ton
ne pent prendre comme objet principal de Tetude.
Dans cette description des caracteres psychologiques de I'ob-
session du scrupuleux^ je considerai done en premier lieu le degr^
moyen du developpement de ces idees qui est d'ailleurs de beau-
coup le plus frequent et le plus important. On le reconnaitra
aux caracteres suivants. L'idee est assez nette et assez precise
pour que le sujet sache tres bien ce qui Tobs^de, et cependant
rintelligence du malade reste assez entiere pour que celui-ci
puisse critiquer Tobsession et en reconnaitre au moins en partie
Tabsurdite.
En effet, le caractere essentiel de ces idees maladives est si
frappant qu'il a presque toujours ete bien mis en evidence dans
les terraes m^mes qui servent a les designer. On se sert souvent
pour decrire cette maladie de deux termes associes, c'est, dit-
on, une folie lucidey un delire a^^ec conscience, une obsession
consciente,
Cette association des termes « folie et lucidite » provoquait
LA FORME DES OBSESSIONS 67
autrefois Tindignation du D' Thulie ' quand il critiquait la « manie
raisonnante » du D*" Campagne ; clle est pourtant legitime et exacte.
Le premier de ces termes se coinprend facilement, il designe une
id^c qui s'impose au malade et se d^veloppe dans son esprit
d'une maniere automatique sans rapport ni avec les eirconstances
exterieures ni avec la volonte du sujet. Le second, le mot « cons-
cient » est, comme je Tai deja souvent remarque, assez malheureux
a cause de Tambiguite du mot conscience, le mot dans le langage
psychologique signifie que le sujet connait son idee, qu'il la con-
state, qu*il en a la perception personnelle ; il s'oppose aux termes
(( inconscient, subconscient » qui s'appliquent a des ph^nomenes
ignores du malade. Or, dans le cas present, on veut dire que le
malade juge son id6e, Tappr^cic au point de vue de sa r^alite, de
son rapport avec ses autres croyances. On veut done designer une
operation intellectuelle beaucoup plus 6lev^e que la simple con-
science psychologique : si Ton pouvait changer Tusage il vaudrait
mieux dire qu*il s'agit d'obsession avec jugement, d'obsession
contr6l^e ou critiquee par le malade.
Quoi quHI en soit, ces deux mots appliques aux scrupuleux
spnt extremement justes. Le malade est obs^d6, tourment6 par
une id^e qui sHmpose a lui sans qu'elle soit justi£i(^e par les eir-
constances sans que le sujet la recherche lui-meme. C'est une
id^e envahissante comme un d^lire ou une suggestion et cepen-
dant le malade n'accepte pas cette idee avec la conviction d'un
persecute ou d'un individu suggestionn^. Au moins jusqu'a un
certain point il sent comme nous que son id^e est absurde, il la
juge et la repousse, c'est une obsession a{>ec critique,
II r^sulte de cette remarque generale que ces idees peuvent 6tre
examinees a deux points de vue : i® le point de vue positif, qui
pr^sente leur caractere obsedant et maladlf, leur puissance pour
tourmenter le malade ; 2° le point de vue negatif nous montre I'ar-
ret de ces idees, le point auquel se termine leur puissance. Nous
retrouverons ces deux points de vue dans tons les caract^res des
obsessions, dans leur permanence, dans leur puissance impulsisfe,
dans leur representation hal/ucinatoire, dans le degre de croyance
qui les accompagne.
I. De Thuli6, La manie raisonnante du D^ Campagne, 1870.
68 LES IDfiES OBSfiDANTES
i. — La permanence et revocation de Vobsession.
Un certain^nombre de caract^res s^parent les id^es patholo-
giques de nos scrupuleux des id^es ou des pensees d'un homme
normal, ce son! ces caracteres qui les rendent obsedantes.
Au premier rang il faut placer la duree de ces preoccupations.
La dur^e de ces obsessions chez les scrupuleux pent Mre extr^-
mement longue. L'ldee du d^'mon chez Lise, Tidee sacrilege et
obscene chez Claire existent chez chacune au moins depuis 12 ans.
II en est de meme pour la plupart des obsessions que j*ai signa-
lees, leur duree se compte toujours par ann^es. D'ailleurs si Ton en
croit M. J. Falret, les obs^dds de ce genre conserveraient toute leur
vie la m^me idee malgr^ des remissions apparentes. On pent dire
que certaines idees se prolongent chez nous tons et qu'un savant
pent poursuivre un probl^me pendant 20 ans. Ce caractere n'est
done pas absolument d^cisif. Cependant il a une certaine impor-
tance relative. Etant donnds la nature des esprits et le sujet de
ces idees, on doit reconnaitre que d'ordinaire chez des esprits de
ce genre une telle idee ne devrait pas durer 10 ans. Lise est une
Temme intelligente et instruite : il n'est pas vraisemblable que son
attention soit naturell.ement employee pendant 10 ans a m^diter
sur rid6e de donner ses enfants au diable. D'ailleurs tons ces
malades s'en etonnent eux-m^mes et ne comprenncnt pas pourquoi
lis restent si longtemps sur le meme sujet qu'ils trouvent eux-
memes insigniBant et grotesque. II y a done d^ja dans la dur^e un
element pathologique qui donne a Tidi^e un caractere p^nible et
obs^dant.
Le second caractere, la frequence des repetitions est ici plus net
encore. Claire pretend qu'elle a 200 fois par jour son image de
I'hostie et du membre viril. Lise est convaincue que sa preoccu-
pation est perp^tuelle et ne Tabandonne m6me pas pendant la
nuit. Celle-ci a en efiet le sentiment que toute la nuit elle r6ve au
m6me probleme et elle se reveille le matin avec le sentiment de
n'avoir pas cess<^ d'y penscr. Nous verrons par Tetude de certains
malades comme Jean que meme au moment oil Tidee semble dis-
paruc dc la conscience elle subsiste cependant. Ce malade nous
rcpete qu'il pense a sa dame d'unc maniere « implicite )). Meme
LA PERMAXRNCE ET I/l^VOGATION DE L'OBSESSIO.N 69
quand elle est a peu pres guerie et tranquille, Gisele salt bien que
son id^e, ses remords de vocation ne sont pas loin, « cette idee
me gratte toujours, le regret de la vocation religieuse c'est le chat
qui dort, il ne faudrait pas m'amener a y penser un peu, tout ne
demande qu'a recommencer ». On voit done que ces id^es r^ap-
paraissent tres souvent dans I'esprit, ne disparaissent mcme
jamais d'une maniere complHe.
Ici encore on peut dire que Tattention volontaire peut main-
tenir notre esprit sur un m6me sujet. Cela est bien rare et il fau-
drait au moins que, par son int^rM, par Timportance que Tesprit
lui accorde, une pareille prolongation de Tattention pAt se justifier.
II est loin d'en ^tre ainsi dans nos exemples.
Cette dur^e, cette permanence de Tid^e ne doit cependant pas
ctre consid^r6e comme un phcnomene tout a fait automatique
qui se prolonge de lui-meme. Le sujet pretend bien que Tidee
vient d'elle-m^me, qu'elle persiste quoiqu'il ne fasse rien pour la
conserver, quoiqu'il souhaite de tout son pouvoir sa disparition
En reality il nous trompe ou il se trompe lui-merae. Lise veut etre
soignee et guerie, cependant elle est tres agit^e a la pens^e qu'elle
pourrait etre hypnotisable. C'est qu'elle a bien peur que pendant
le sommeil hypnotique on n'efiace completement son obsession,
elle y tient au fond et ne veut sacrifier que « ce qu'elle a d'exa-
g6r6 ». Quand elle va r^ellement mieux et que Tid^e a une ten-
dance a s'effacer a il faut qu'elle cherche a y repenser pour etre
tranquille, je ne puis pas me decider a n'y plus penser ». En
reality pendant que je m'efforce d'effacer ces idees elle fait « un
eflort horrible pour ne pas les perdre et elle ne peut s'emp6cher
d'etre heureuse quand jc ne reussis pas ». Dans un leger etat hyp-
notique j^u'on determine sur elle et dont je reparlerai, j'essaye de
contredire ses id^es fixes, de les dissocier, de les modifier. Cela
provoque des crises de resistance excessivement curieuses. Elle
s'^carte de moi avec horreur, elle se raidit en sortes de contrac-
tures, elle serre les dents pour ne pas r^peter les paroles que je
lui suggere. Elle supplie qu'on ne lui enleve pas des idees ensei-
gnees par I'Eglise. Si elle ob(^it un peu c'est avec toutes sortes de
reserves. Elle dit bien, pour expliquer ses resistances, que c'est
le diable qui resiste et non pas elle, mais en fait elle y tient elle-
meme beaucoup. cc Quand on a vecu dix ans avec une id^e on ne
peut plus s'en passer. » Aussi ne cede-t-elle que trfes peu et pour
un moment seulement avec la plus grande crainte d'engager
70 LES IDfiES OBSfiDANTES
Tavcnir. EUe se r6signe simplement a remettre son id^e a plus
tard et se console en se disant (c quand je le voudrai bien, j'y
repenserai ».
Les raftmes entetements et les memes resistances se repro-
duisent chez Claire et amfenent des scenes qui sent v^ritablement
comiques. Claire vient de me dire qu'elle est desol6e de s'accuser
elle-m^me d'immoralite, car elle sait au fond que ce n'est pas
vrai. Je lui r^ponds en abondant dans son sens, en lui disant
qu'elle est une jeune fiUe tres estimable et que je la sais incapable
de toute malhonnetet^. La voici furieuse contre moi, disant que je
me moque d^elle, que je n'en pense pas un mot, qu*elle ne tol^rera
pas qu'on la contredise ainsi. Elle se met a pleurer et elle supplie
qu'on ne lui enleve pas son dernier espoir. « Si je ne me croyais
pas immorale, je ne ferais plus aucun effort pour arriver a me
changer, je serais absolument perdue. » Jamais elle netol^reau fond
qu'on contredise son delire. En rdalite la permanence de Tidee
n'est pas chez les scrupuleux un fait aussi automatique que chez
les hyst^riques; il r^sulte d'un effort permanent pour maintenir
I'attention sur une meme id^e; c'est une sorte de manie de la
fijcite des idees,
Cctte frequence de Tidee est en rapport avec un autre caractere
important, la facilite des reproductions. Si Tid^e revient si souvent
dans Tesprit c'est qu'elle est evoquee par d'innombrables pheno-
menes en apparence sans grands rapports avec elle. II est toute
une categoric de malades tres nombreux qui resument leurs ma-
ladies en disant qu'ils ont peur des couteaux. Cela signifie que la
vue d'un couteau ou d'un instrument dangcreux eveille immedia-
tement dans leur esprit la pensce de frapper, de tuer a coupsde
couteau la personne qu'ils aiment le mieux. C'est la,comme on I'a
vu, une obsession criminelle extremement frequente chez les
scrupuleux. II en sera ainsi pour tous les objets, pour tons les
phenomenes qui pcuvent 6tre consider^s comme faisant partie de
Tidee obsedante a un titre quelconquc, comme objet, comme ins-
trument du crime, comme <^lement de Taction vertueuse ou mau-
vaise a laquelle songe le malade. Qes. . . a horreur des escaliers, des
fen^tres parce que nous savons qu'elle pense au suicide. Vi... ne
pent voir un puits, ni une riviere. Bor... craint les images reli-
gieuses, les eglises, les hosties parce qu'elle a imm^diatement
des idees sacrileges. Brk... ne pent plus voir les enfants, cela
LA PERMANENCE ET I/fi VOCATION DE I/OBSESSION 7!
eveille Tid^e de les tuer. Qd..., scrupuleuse qui se reproche de ne
pas avoir bien soign^ son mari, est obsed^e par la pensee qu'il va
avoir une fluxion de poitrine ; son obsession la prend quand il
tousse ou quand il louche a son mouchoir. Za... qui se sent pous-
s^e a avaler des 6pingles ou a en jeter dans les aliments des
autres est tourmentee par son obsession quand elle doit manger
ou quand elle doit toucher a une boite a lait. Gisele qui a des
remords de vocation parce qu'elle n'est pas religieuse soufire de
cetteideea proposde tous ses « devoirs dYtat ». Le fait derecoudre
un bouton lui fait penser qu'elle a un manage, qu'elle est marine,
qu^elle n'est pas religieuse. <c Mon enfant est devant moi comme
un remords vivant, sa vue me fait mal. »
Le point de depart de Tassociation peut etre moins determine.
Ce ne sera plus un objet qui entre comme partie integrante dans
rid^e, ce sera un objet qui par sa forme ou simplement par son
nom ressemble a un des objets pr^'c6dents : Tassociation se fera
par ressemblance lointaine. Xa... (2o4) est terrifiee parce qu'une
de ses bonnes s'appelle Antoinette, ce qui fait penser a Techafaud
et au crime. Claire ne peut plus voir de bouteilles ni d'objet
long, sans voir le membre viril qui souille Thostie.
II suflSra meme d'une association de contiguity dans le temps
ou dans le lieu. Si I'objet a ete vu a un moment ou Tidee obs^dait
Tesprit, par le fait de cette contiguite dans le temps il devient
dor^navant capable de T^voquer. « Si j'ai eu une idee en me
lavant les mains, elle reviendra toujours dfes que je verrai une
cuvette. » « Je pensais a mon chien enrag6 en traversant la place
de la Concorde, dit Fi... (83) et depuis, cette place m'est odieuse
et je ne puis ricn tolerer qui me la rappelle. » II ne veut plus entrer
dans son cabinet de travail parce que sa femme y a pen^tre en
portant une robe qui peu auparavant avail traverse la place de la
Concorde. C'est ainsi que Lod... et Lise ont pris Thorreur de
leur mobilier, parce qu'elles se trouvaient sur telle ou telle
chaise quand clles avaient telle ou telle idee. C'est pourquoi
certains de ces scrupuleux sont am^liores, il faut le savoir, sim-
plement quand on les change de milieu parce que tous les objets
du milieu habituel ont pris une influence evocatrice. C'est pour-
quoi enfin ils retombent malades en rentrant chez eux. « Je
retrouve toutes mes idees en rentrant chez moi comme un paquet
pose, dit Gisfele, chaque meuble en est un vrai nid. » Elle ne se
rappelle les lieux et les temps que par les obsessions qu^ellc
72 L^S IDfiES OBSfiDANTES
avait dans ces circonstances, et en ^voquant telle p^riode de sa
vie, elle retombe dans une obsession correspondante .
La facilite ct la complication de ces associations d'idees peut
aller encore plus loin, et Thistoire de Jean est tout a fait instruc-
tive a cet egard. II a des obsessions relatives a la masturbation,
mais tout lui rappelle la masturbation. Le nez, par exemple, lui
semble avoir des rapports avec les organes g^nitaux parce que
les odeurs sont excitantes et il ne peut plus porter un lorgnon :
« c'est comme si cela me comprimait les organes. » II ne peut
plus se moucher de m^me qu^il ne peut plus uriner a car le mou-
chage ou Turinage me font le meme effet que la masturbation ».
Nous avons deja vu que ses scrupules genitaux se sont particu-
lierement localises sur deux femmes de sa connaissance. Tout ce
qui peut lui rappeler Tune ou i'^utre de ces deux femmes va
evoquer le delire et Ton est etonne de la subtilite de Tassociation.
11 ne peut plus marcher avec certaines bottines parce qu'il s'est
aper^u une fois qu'il y avait sur elles le chiffre ^9. Or la dame
de ses pens^es avait ^9 ans quand Tobsession a commence. II a
la peur du chiffre 58 parce qu'une autre dame est n^e en i858.
II ne peut ^crire de lettres parce que la correspondance lui fait
penser a un bureau de poste oil il a vu cette personne. II ne
peut se coucher dans son lit parce que ce lit est dirige de ma-
niere que la tete soit dans la direction de la province ou se
trouve Tune de ces dames ; il ne peut manger a table quand il
tourne le dos au quartier Montmartre ou il a rencontre Tautre.
II est effray^ par tons les noms qui commencent par un A, car
ces noms evoquent la pens^e d'un de ces prenoms. Le dernier
incident peut dispenser d'enumerer toutes ces associations d'idees.
On lui sert a table un giitcau qu'il trouve bon, et par malheur il
en demande le nom. Sa mere lui repond : « c'est une Charlotte. »
Une terrible crise s'ensuivit : II avait avale Charlotte, il avait
sa tete dans Testomac, il Tavait dans le sang, et toutes les idees
erotiques c^taient cpouvantablement surexcitees par cette presence
continuelle de Charlotte au dedans de lui-meme.
Bientot Tassociation semble se gcneraliser. II ne suflit pas
que la moindre consonance vienne faire penser a Tune de ces
deux personnes. Toute femme, lout objet de la toilette feminine
et m6me la presence de sa pauvre mere suffit a Evoquer tout
le delire. Un detail quelconque capable d'evoquer la pensee de
rinconduite amene le m^me resultat. II suflit qu*il ait entendu
LA PERMANENCE ET L'tlVOCATlON l)E L'OBSESSION 73
dire qu*un personnage politique n'a pas eu une mort exemplaire
pour qu'il ne puisse plus voir TElys^e, ni la Chambre des
deputes, ni rien de ce qui a rapport a la politique, si bien que la
vue d'un kiosque de journal devient le point de depart de toutes
ses meditations sur les deux fcmmes qui le pers^cutent.
Chez lui les associations d'id^es ne sont pas forc^ment directes,
elles peuvent etre tout a fait indirectes et former de veritables
cascades. II est tourment^ parce qu*il a dans sa poche un indica-
teur des cours qui se font a Paris. Get indicateur ne semble
pourtant rien contenir de bien critique en lui-mcme, mais il
contient Tindication des heures du cours de M. D... auquel
Charlotte a ^te assister une fois quand ellc est venue a Paris il y
a 3 ans. L'incident provoque par le gateau qui s'appelait une
Charlotte recommence dans ded circonstances plus complexes :
Jean est tres tourmente parce que : i** il a mange du pain ;
2^ que ce pain vient d'un certain boulanger ; 3^ lequel boulanger
a ete recommande a sa mfere par un ami ; 4" dont la femme est
morte r^cemment un certain jour ; 5" qui etait prdcisement I'an-
niversaire du jour ; 6** ou il a commence a etre tourmente relati-
vement a Charlotte. Dans ces conditions, on se demande s'il
existe un objet que Jean puisse regarder sans qu'il 6veille par
association son delirc.
J'insiste sur ce phenomcne de Ti^vocation de Tobsession par
Tassociation des idees parce qu'il joue un role tres important
dans revolution de la maladie. C'est par la que la maladie s^etend
et gagne en quelque sorte comme une tache d'huile. L'obsession
qui n'^tait que localisee et qui ne d^terminait des troubles que
sur une seule pensee semble par Tassociation des idees s'etendre
a toutes les autres pensccs et troubler tous les actes du sujet.
Precisement a cause de leur importance il faut bien se rendre
compte de la nature de ces associations d'idees. Elles sont evi-
demment singulieres et ne ressemblent pas aux associations d'idees
que nous sommes habitues a observer dans les suggestions des
hyst^riques par exemple. A-t-on suggere a une hysterique qu'elle
verra un portrait sur une carte, Thallucination du portrait appa-
rait quand elle voit cette carte dclerminee reconnaissable ii des
signes precis, elle n'apparait pas sur une autre carte et surtout
elle n'apparait pas arbitrairement a propos de n*iniporte quoi.
C'est justement cette precision de Tassociation qui rend Texpe-
7i LES IDCES OBSfiDANTES
rience possible. De m^me la vue d*une flamme amene ['hallucination
de rincendie et la crise d'hyst^rle d'un jeune homme,jon provoque
encore la crise en lui montrant une allumette enflamm6e, mais
on ne la provoque pas en lui faisant voir un paquet de cigarettes
ou une seringue, quoique a la rigueur, d'apres ce que nous a mon-
tr^ Jean, le paquet de cigarettes ou la seringue puissent faire
penser a Tincendie. En un mot, dans ces cas Tassociation des
idees est precise, parce qu'elle est organisee d'avance, qu'elle
fait partie de la conception, du systeme d'images coordonn^es qui
constitue Tidee fixe et qui est invariable.
Au contraire, chejs le scrupuleux, un objet quelconque semble
pouvoir jouer le role d'^vocateur. Quel est I'objet, quel est m^me
le mot que Ton pourrait presenter a Jean sans qu*il trouve le
moyen d'y rattacher son obsession erotique ? 11 semble vraiment
que Tassocialion ne soit qu'un pretexte, une justification que le
malade so donne a lui-meme apres coup. Les choses se passent
comme si le malade commencait par penser lui-m6me presque
tout le temps a son obsession et cherchait ensuite avec ingeniosite
quel rapport lointain pourrait bien exister entre son obsession
perp^tuelle et les objets ext^rieurs afin de justifier sa preoccu-
pation constante.
Cs... (4i), femme de 38 ans, grande hypocondriaque, sc plaint
de jouer de malheur car elle rencontre tout le temps des
objets qui lui font penser a la maladie u une bouteille de phar-
macie jetee dans le bois de Boulogne, vous voyez que je n'ai pas
de chance ! » Je fais prendre quelques precautions aux personnes
qui la surveillent pour que Ton evite absolument deparler devant
elle de maladies, de lui montrer des malades. EUe ^chappe a la
surveillance pour aller chercher des malades et les interroger sur
leur mal, puis elle pousse des cris de desespoir en se plaignant
qu'une conversation a encore rappele son obsession. 11 en est
evidemment de mcme pour Jean qui travaille a decouvrir ces
associations d'idees bizarres dont il sc plaint. 11 est tres preoc-
cupe par les femmes de chambre qui entrent chez ses parents et
quand ceux-ci doivent choisir une femme de chambre nouvelle,
il cherche avec grand soin si elle n'^veillera en lui aucune asso-
ciation d'idees dangereuse avant d'accorder son consentement.
Ses parents lui proposent un jour de faire entrer une femme de
chambre dans la maison et lui demandent s'il trouve a leur choix
quelques inconvenients. 11 examine minutieusement les noms.
LA TENDANCE A L'ACTTON. L'ABSENCE D'EXl^.CUTION 75
prenoms, pays et date de naissance, figure, antecedents de cette
servante et ne trouve rien a lul reprocher : la femme de chambre
est done admise. Jean reste tres inquiet a son sujet, il examine
tons les jours tout ce qu'Il apprend sur elle et cependant pen-
dant quinze jours il est forc^ de convcnir que rien en elle ne
rappelle Charlotte. Mais quelques jours apres il accourt d(^sesper6
me dire : « qu'un grand malheu r lui arrive, bien par hasard : il savait
depuis Fentree de la femme de chambre qu'elleavait ^t^ domesti-
que chez unc madame Patissier et cela ne Tavait pas trouble, mais
brutalement, comme par un coup de baton, Patissier lui a rappele
Galette, or parmi les amies de Charlotte il y a une madame Ga-
lette dont elle a souvent parl6. N'est-ce pas malheureux que ses
parents aient choisi justement une femme de chambre qui le fasse
penser a Charlotte. »
Sous cette forme Tassociation n*est point du tout semblabic a
celle qui caracterise les suggestions des hysteriques. Ce n'est pas
une association automatique resultant de liaisons d'id^es ancien-
nement ^tablies, c'est une association cherchee et construite
actuellement par le sujet. C'est une manie de Vassociation qui est
une consequence de la fixity, de la permanence de Tidee ou
plut6t, comme on I'a vu, de la manie relative a cette permanence.
Nous retrouvons done deja dans ces premiers caractcres de la
permanence et de revocation des idees les deux tendances carac-
teristiques de Tobsession. II y a une exageration de la perma-
nence et de revocation, mais cette exageration ne consiste pas
en une necessite complete qui s'impose au sujet, il y a quelque
chose de volontaire dans ces phenomenes et c'est ce double phe-
nomene qui constitue une sorte de tic ou de manie.
2. — La tendance k I'action, I'absence d'ex6cution.
Le second caractere que nous presentent les obsessions c'est
I'impulsion, c'est-a-dire la tendance a I'acte. Ce caractere est evi-
demment le plus important au point de vue pratique, puisqu'il
constitue le danger social dc cette maladie. Les obsessions crimi-
nelles surtout vont ^tre fort graves si elles poussent les maladcs
a accomplir reellement les meurtres, le suicide, les crimes contre
nature auxquels ils revent. C'est aussi le caractere quiintdresse
76 LES IDfiES OBSfiDANTES
le plus le maladc, car il est 6pouvaute a la pens6e qu'il va execu-
ter ces crimes et une grande partie de son mal est causae par
cette terreur de Tex^cution.
D^autre part, ce caractere de la tendance a Taction est si reel
dans ces id^es que beaucoup d'auteurs ont meme admis une classe
particuli^re parmi ces idees maladives qu*ils designerent par le
mot d'impulsions, pour les distinguer des autres obsessions.
Ceux qui, comme M. Arnaud, reunissent toutes ces idees sous
le nom commun d'obsessions admettent encore parmi ces obses-
sions un groupe qui serait specialement les obsessions impul-
sives. Je crois qu'il faut aller plus loin encore et reconnaitre que
rimpulsion est un caractere commun a toutes ces obsessions, bien
qu'il presente des degr^s assez variables.
II est clair que ce caractere sera plus net dans le groupe que
j'ai appel^ les obsessions criminelles. « Toutes mes idees, dit
Du..., ont une tendance a se transformer en actes, je vais Jeter
mon chien par la fen^tre, je vais bruler un billet de banque,
frapper un enfant, etc... » « Quand je pense au chien enrag6, j'ai
vraiment envie de me jetersur les gens et delesmordre. » « Je suis
poussee a voler les gens, a organiser des plans pour faire voler
certaines personnes, a faire des sacrileges en brisant des hosties,
a faire des choses pas convenables la nuit, etc. » Ces mots, « je
vais faire, j'ai envie de faire, je suis pousse a faire, » reviennent
sans cesse dans le langagedecesmalades. On a souvent d^montre
et on pent encore le verifier en etudiant I'ex^cution des sugges
tions hypnotiqucs que ces expressions et ces sentiments corres-
pondent au debut de Texecution reelle, ils r^sultent de la sensa-
tion de petites contractions musculaires, de petits mouvements
commenc<^s dans une certaine direction. « Mes mains se dirigent
vers le pot a tabac, disait Delbeuf quand il decrivait Tenvie de
rouler une cigarette. » « Mes mains commencent a serrer et a
frapper, disent tous ces impulsifs, » « mes mains s'avancent pour
deboutonner la culotte de mon pere, disait Vob. » On peut
d'ailleurs constater chez beaucoup ces mouvements du corps, ces
changements de physionomie qui constituent le debut de Tac-
tion.
11 ne faudrait pas croire que dans les autres obsessions, ce ca-
ractere impulsif soit absent. « Entre les obsessions du remords ou
de la crainte d'un acte et Tobsession impulsive il n'y a pas de
demarcation tranchee, elles sont toutes accompagnees d'une ten-
LA TENDANCE A L'ACTION. L'ABSENCE D'EXfiCUTION 77
dance a Tacte * ». « La phobie d'un acte a beaucoup de rapport
avec rimpulsion a un acte : chez tous il y a coexistence de
phobie et de propension impulsive... ' » Aussi retrouve-t-on par-
tout ce caractere impulsif : dans les impulsions sacrileges, il y a
des mouvements pour cracher les hosties, pour les ddchirer, des
paroles pour blasphemer, des gestes pour exprimer le mepris.
Dans les obsessions de honte, Claire se laisse aller a crier tout
haut ses pens^es de honte : « Ah, que je suis coupable, j'ai la
t6te reraplie de vilaines pensees, c'est terrible... » elle se roule
par terre pendant des heures, elle dechire ses mouchoirs, en
use ainsi une quarantaine en un mois, elle mange ses draps
de lits, etc., elle est obs^dee par la pensee qu'un pr^tre lui met
Thostie consacr^e aux parties et elle refuse d'aller a la selle, etc.
Nous ne^consid^rons pas en ce moment les actes beaucoup plus
nombreux que font les malades pour resister a leurs obsessions.
Nous constatons seulement qu ils en font quelques-uns pour leur
c6der.
Dans les hontes du corps, les malades sont si bien pouss^s a
se cacher, a ne pas manger, qu'ils changent toute leur existence,
restent enferm^s pendant des ann^es, et en arrivent a des 6tats
de maigreur effrayante. Enfin, les hypocondriaques sont pousses
a prendre des precautions invraisemblables et Jean se vante avec
raison d'en 6tre arrive a une vie d'ascete. II nous faudra meme
revenir sur Tascetisme fort curieux qui resulte de la maladie du
scrupule. II est done incontestable que, dans toutes ces obses-
sions, il y a un caractere nettement impulsif. Sur ce point, d'ail-
leurs se confirme la loi g^n^rale qui veut que dans toute idee
predominante, il y ait une tendance au raouvement.
Le probleme important consiste a savoir jusqu'a quel point
cette tendance a Tacte est forte. Beaucoup d'auteurs et en par-
ticulier Westphal, qui decrivait Tun des premiers ces idces, les
appelle des impulsions irresistibles, et beaucoup font de Tirre-
sistibilite un des caracteres essentiels au point d'appeler ces
phenomenes des anancasmes {a^orf%ry. « L'impulsion, dit M. Bour-
I. L. Groignac, Des impuhionset en partieuUer des obsessions impulsives. These
de Bordeaux, 1897-98.
a. Pitrcs et Regis, Uapport sur les obsessions au Congres de medecine de MoscoUf
1897. p. 47.
3. J. Donalli (de Budapesth). Arckiv. f. Psychialrie, i8yG.
:8 L£S ID^ES OBSfiDANTES
din, est un mode d'actlvit^ cerebrate qui determine irr^sistible-
ment, fatalement la production d*un mouvement, d'un acte simple
ou complexe '. » Cette irr^sistibilite semble se presenter dans
les suggestions hypnotiques, dans les somnambulismes hyst^ri-
ques oil le sujet accomplit rigoureusement et sans h^siter les
actions auxquelles il r^ve. En est-il de m^me dans ces obsessions
des scrupuleux?
Pour un premier groupe d^observations, le plus important, car
il contient les deux tiers des malades, la reponse ne souleve au-
cune difGculte. Ces obs^d^s qui, si on en croit leur langage, res-
sentent les impulsions les plus epouvantables, n*ex^cutent en
r^alitc rien du tout. N'est-il pas curieux que dans tant d'observations
d*obsessions criminelles portant sur plus de 200 malades^recueil-
lies pendant une douzaine d'ann^es, je ne puisse noter aucan
accident r^el. Je n'ai jamais vu aucun crime commis, aucun suicide
accompli par un de ces obsedes. Ce ne pent ^tre la un fait dA au
hasard : il faut qu'il y ait dans ces obsessions une bien faible
tendance a passer a Facte. C'est ^videmment en plaisantant que
Ball nous decrit son emotion en presence d'un malade de ce
genre, k Au moment oil je vous parle, lui disait son malade,
j'eprouve un vif d^sir de vous 6trangler, mais je me retiens. —
Get aveu sincere venant de la part d'un homme taill6 en Hercule
donnait ii reflechir..., nous dit Tauteur. )> Qui done a jamais
pris au s^rieux de semblables discours des obsedes ? D'ailleurs
Ball ajoute tout de suite : a Le point int^ressant de cette curieuse
observation, c'est que cet homme n*a jamais commis un acte
reprehensible ; il est toujours reste correct et a toujours pu se
retenir au moment critique. II etait bien sur les frontieres de
la folic ^. ))
Ces malades disent, il est vrai, quails resistent avec beaucoup
de peine a Timpulsion ; ils emploient toutes sortes de proced^s
plus ou moins curieux pour rcsister. Un malade c^Iebre se liait
les pouces avec un ruban pour resister a Timpulsion de Thomi-
cide. Nos malades ont tons des procedes analogues que nous
aurons a (^tudfier. II suffit de remarquer maintenant que les
impulsions ne doivent pas Hre bien terribles puisque de pareils
I. V. Bourdin, De I' impulsion, spdcialemeut dans ses rapports avee le crime. Th^
(Ic Paris, 189^.
a. Ball, Les frontieres dc la folie. licvue scientijlque . , i883t I, p. 3.
LA TENDANCE A l/AGTiON. L'ABSENCE D'EXfiCUTION 70
simulacres sudisent pour les arr^ter tous. MoreP avait deja not6
que les impulsions au suicide iraboulisseut jamais a une termi-
naison fatale, Ladame remarque que de telles impulsions restent
presque toujours theoriques, nous voyons que celte conclusion est
exacte dans le plus grand nombre des cas.
Un deuxieme groupe d^ja beaucoup plus restreint contient des
malades qui ex^cutent r^ellement quelque chose, c'est-a-dire qui
font certaines actions ayant un certain rapport avec leur obses-
sion. Pr... (210), femme de 82 ans, a 6t^ trfes emue par la ren-
contre d'un homme dans un couloir obscur, elle reste obsedee par
la pens^e que-cet homme a r^ellement abus^ d*elle, qu'elle est
enceinte et qu'elle veut se faire avorter. Ne pouvant r^sister da-
vantage a cette impulsion qui la d^sespere, elle a cede et a
pris... une cuiller^e a cafe d'huile de ricin. Ger... pour me
prouver qu'elle ne pent r^sister a Tidee de tuer son enfant,
me raconte qu'elle Ta pouss^e avec la main. Elle voulait a se
ddtruire et savait qu*un flacon de laudanum la tuerait, aussi
elle en a pris trois gouttes. C'est bien la preuve, dit-elle^
qu'une autre fois elle prendra le flacon tout entier ». Qes...
qui veut se jeter par la fenetre se contente de se jeter par terre
dans sa chambre. Vi... n'achete pas reellement du poison, commc
elle le reve, mais elle entre cependant chez le pharmacien et
achete deux sous de violettes, pour prendre quelque chose. Jean
ne semble ceder en aucune maniere a ses innombrables impul-
sions ^rotiques ; mais il vous fait observer lui-m^me qu'il ne
ferme pas completement la braguette de son pantalon^ c*est tout
ce qu'il pent faire comme crime genital. Les sacrileges qui songent
a souiller les autels se bornent tout au plus a prononcer du bout
des Ifevres le mot « cochon » en pensant au bon Dieu. D'ailleurs,
on pourrait considerer les paroles comme des actes incomplets
de ce genre et ces malades qui ne tuent pas commencent un peu
a realiser leur obsession en parlant de tuer.
A cot^ de ceux-ci, d'autres semblent realiser davantage leur
idee, mais il faut noter qu'ils prennent eux-m<^mes des precautions
curieuses pour que leur action n'ait aucune consequence et reste
insignifiante. Tel est le cas int^ressant rapport^ par Ball : « on
cite, dit-il, le cas d'un homme d'Ktat c^lebre qui a rempli dans
son pays les fonctions politiques les plus clevees et qui, lorsqu'il
I. Morel, Dilire emotif, p. 4oo.
80 LES IDfiES OBSfiDANTES
dine en ville, est invariablement accompagn^ d*un domestique
sp^ciaiement chargd de rapporter a domicile les converts d'ar-
gent que son maitre ne manque jamais de dumber ^ » Je suis dis-
pose a croire que si ce personnage prenait r^ellement les couverts
c'est parce quMI comptait sur la presence de son domestique.
Voici un cas du m^me genre : Bs... (187), un homme de 4i ans,
qui a rimpulsion au suicide a la suite d'une obsession amoureuse,
commence par se mettre au telephone, appelle sa mere et son
m^decin, v^rific s'ils I'^coutent et leur annonce que maintenant
c'est fini et qu'il avale du chloroforme. Naturellement on court a
son secours eton constate qu'il a reellementpris une certaine dose
de chloroforme ; il estd'ailleurs trfes heureux de se laisser soigner.
Ces derniers cas nous permettent de comprendre comment de
temps en temps, d'une mani^re exceptionnelle, il pent arriver des
accidents. L'obsede, qui ne voulait ex^cuter qu'un simulacre, a
mal pris ses precautions et, si Tacte s'execute compl^tement,
c*est tout a fait contre les intentions du malade. M. S^glas* fait
aussi tres justement remarquer que Tobs^d^ pent se laisser
aller a des actes extremes sans ceder pour cela a des impul-
sions, lis en arrivent quelquefois, assez rarement a mon avis,
au suicide, non parce qu'une obsession impulsive se realise,
mais parce qu'ils sont d^sesperes par leur maladie et qu'ils se
tuent de sang-froid. M. Nicoulau ^, dans un article int^ressant,
montre une femme obs^d^e par Tidee et la terreur de la mort
qui en arrive a des tentatives de suicide pour 6chapper a Tan-
goisse causae par la crainte de la mort. En dehors de ces cas
exceptionnels, la realisation de Timpulsion est chez les malades
de ce groupe tout a fait insignifiante.
II me semble necessaire d^admettre un troisieme groupe com-
post d'un petit nombre de malades qui semblent ex<^cuter com-
pletement ou du moins d'unc maniere assez grave des actes
en rapport avec leurs obsessions. Ce seront, pour prendre
quelques exemples, les honteux de leur corps qui refusent
r^ellement de manger, les dipsomanes, les morphinomanes et
les malades du meme genre qui s'intoxiquent r^ellemenf.
I. Ball, Revue scientifique, i883, I, p. a.
3. Soglas. Lemons sur les maladies mentales, 1895, p. 87.
3. .Nicoulau. Thanalophobie et suicide. Ann. med. psychol., 189a, I, p. 189.
LA TENDANCE A L' ACTION, L'ABSENCE D'EXfiCUTlON 81
On a cl6ja vu le cas typique de Nadia qui, de peur de grossir,
de se d^velopper, ne mangeait plus chaque jour qu'un peu de
bouillon, un jaune d'ceuf, du the et du vinaigre. Voici un second
cas du meme genre : Red...,une jeune (ille qui avait toujourset^
tres impressionnabie et tres scrupuleuse, a, vers i8 ans, une pre-
miere crise de refus d'aliments. Kile fut examinee a ce moment
par MM. Brissaud et Souques * qui publicrent une observation
dans la nouvelle Iconographie de la Salp^triere sous ce titre Delire
de maigreur. Elle etait en effet d'une maigreur squelettique,
elle guerit cependant en ce sens qu*elle consentit rapidement a
s'alimenter et reprit ses forces et son embonpoint. Mais a 20
ans le meme accident reparut, plutot plus grave ; elle recom-
menga a refuser de manger et en outre elle s'efforcait de provo-
quer les vomissements quand elle avait mang^ et prit Thabitude
de vomir tres facilement. La maigreur et la faiblesse redevinrent
de nouveau tres inqui^tantes et elle fut reconduite a la Salpe-
trifere oil j'ai pu 6tudier cette seconde crise.
Elle 6tait dans un ^tat d*inanition tres avanc6, tr^s maigre, la
peau seche, rugueuse, froide, la langue s^che et rouge, la respi-
ration rapide, le pouts petit et pr^cipit^ ; elle avait certainement
pouss^ tres loin le refus des aliments et les efforts de vomisse-
ment. J^hesite cependant, comme pour Nadia et pour les m6mes
raisons a faire de cette malade une anorexique hyst^rique. Dans
toute son histoire, avant et apres cet accident, Red... n'a jamais
pr^sent6 aucunphenomene hyst^rique; pendant longtemps, avant
Tapparition des accidents graves, elle avait conserve le senti-
ment de la faim ; elle n*a jamais eu de besoin exager^ de mouve-
ment. D'autre part, c'etait tout a fait une scrupuleuse : elle avait
commence par se reprocher les oublis de confession, elle avait
imaging de s'astreindre a bien des pratiques superstitieuses
et malgre ses efforts elle etait sans cesse inqui^te et tourment6e.
Bile ^tait obsedee par la vue des miseres, des maladies,
par Tetat meme de la temperature : cc c'etait sa faute s'il y
avait tant de malades, c'etaitsa faute s'il faisait mauvais temps et
si les pauvres gens en souffraient. » Dans ces conditions elle
avait cru voirun cerclede feu et Tavait interprete en disant qu'elle
<^tait damnee. Elle restait obsedee par la pensee que sa damna-
I. Brissaud et Souques, Delire dc maigreur. NouveUe Iconographie de la Salp^-
Irierc, 1896.
LES OBSESSIONS. I. 6
S^ LfeS IDfiES obs^:daNtes
tlon la rendait indigne de manger. C*est ce qui avait d6ter-
min6 la premiere crise de refus d'aliments, a i8 ans. Ce refus
avait cesse a Thopital en vertu de ce raisonnement : « ici on nie
force a manger, je ne suis done pas respousable si je ie fais. » La
seconde crise a Tage de ao ans se rattachait ^galement au scru-
pule d'une maniere tres nette quoique differente : elie etait deve-
nue honteuse d'elle-m^me, a la suite de toutes les reflexions
pr^cedentes, elle s'imagina que sa digestion etait ridicule, qu*elle
determinait des rougeurs au visage et surtout des Eructations
bruyantes. Elle avait d'autant plus honte de ces choses qu*elle
devait se rendre apres son repas au cours d'un professeur dont
elle Etait tout a fait amoureuse. C'est a ce moment qu'elle se
sentitpoussee a ne plus manger eta vomir pour dEbarrasser Testo-
mac. Je cite rapidement pour montrer la frequence du fait le cas
d'un jeune homme de 26 ans, As... (102), parvenu lui aussi comme
le montre sa photographic* a un etat de maigrcur invraisembiable.
11 avait pris Thabitude des vomissements provoques pour des rai-
sons du meme genre dependant de la honte du corps et de Thy-
pocondrie. Dans ces cas, Timpulsion semble done se realiser d'une
maniere grave par le refus d'aliraents et Tinanition.
A ces observations, je voudrais rattacher un cas plus curieux
oil le scrupule amene aussi une maladea faire de grandes sottises.
On a vu Tobsession amoureuse de Byl..., cette jeune fille qui
par suite de la honte d'elle-mEme, a force de s'imaginer qu'elle
etait laide, indigne de tenir son rang etait devenue amoureuse
d'un ganjon jardinier de la maison. Ce qui est curieux c*est que
I'acte chez elle semble avoir suivi Tobsession : elle attend qu'elle
ait 21 ans pour avoir sa liberte, la nuit a I'aide d'une Echelle
elle monte dans la chambre de ce gargon, lui fait sa declaration,
Tembrasse, et lui fait promettre de la demander a ses parents.
Le lendemain elle raconte son equipee a ses parents et avec un
entejement formidable s'obstine dans son projet de manage. Ne
peut-on pas considerer de nouveau ce cas comme une execution
considerable d'une obsession scrupuleuse ? Ces faits nous montrent
done a Tinverse des precedents que dans certains cas qui ne sont
pas frequents ces impulsions presentent une certainc force sufH-
sante pour determiner des actes reels.
Cependant je ne crois pas que Ton puisse d'apr^s ces seuls
I. Cf. 2*^ volume dc cet ouvragc, observation 102.
LA TENDANCE A L*AGTI0N. L'AliSENCE D'EXfiCUTION S'S
exeniples rapprocher ces obsessions des suggestions ou des im-
pulsions hyst^riques qui s'executent autoniatiqucment. L'execu-
tion quoiqu'avancee n'est pas en r^alite complete, ces malades ne
refusent pas tout a fait de manger, elles reduisent seulement
d'une maniere enorme leur alimentation. Byl..., dans la chambre
du cocher, se borne a se laisser embrasser, mais en somme ne
lui cede pas. Une fois guerie, elle nous avouc qu^cUc n'^tait pas
bien certaine d'aller jusqu'au bout de ce manage et qu'elle aurait
ete bien embarrassee si ses parents n'avaient pas r^siste. Une
deuxicme rem'arque nous montre que ces malades qui refusent de
manger vont en somme plus loin qu'elles ne croient aller. Ce
sont des jeunes gens tres ignorants des notions d'hygiene qui ne
se rendent pas compte du danger de leur alimentation insuffi-
sante. Nadia m'assure qu*elle n'avait jamais eu Tintention de
mourir de faim et qu*elle aurait cesse si elle avait cru sa vie en
danger. Ces malades qui, nous le verrons, ne peuvent arriver a
croire ne sont pas convaincus par les affirmations de leur entou-
rage, ils se comportent un peu commc les obs^des dont nous
venons de parler qui se suicident r^ellement, quand ils croient
ne faire qu'un simulacre. Ajoutons qu'une fois entres dans cette
voie ils pr6sentent des troubles de Testomac et peut-etre des
delires par inanition qui changent le caractere de la maladie. Je
ne crois done pas que ces cas evidemment plus embarrassants
doivent changer notre conception primitive, sur le peu de puis-
sance de ces impulsions.
II reste encore des obscurites dans ce probleme difficile : cer-
taines obsessions impulsives semblent avoir le singulier privilege
de passer a I'acte beaucoup plus regulierement que les autres.
Je citerai par exemple la morphinomanie et la dipsomanie.
Jc me demande si Tabsorption du poison ne change pas les
conditions dans lesquelles se developpe Tobsession. Apres
les premiers verres Telat mental du scrupuleux d*ordinaire
ind^cis, hesitant, incapable d*aller jusqu'au bout de rien
est change. Le fait est evident, et Ton connait ces ereu-
tophobes qui ont besoin de se griser pour pouvoir affronter les
regards. On sait aussi que la morphine lalsse dans Torganisme
des substances capables de provoquer le besoin intense du poison
primitif : il se pent que ces modifications de Torganisme cntrent
pour une certaine part dans la realisation auormale de ces impul-
sions.
84 I ES IDltES OnS^DAXTES
Enfin on peut ciler des cas dans lesquels des obs^d^s ont
coromis de v^ritables crimes, je n'en ai pas observe pour ma
part. Mais voici une curieuse observation de M. Vallon: un indi-
>idu obsed^ depuis longtemps par Tid^e de tuer une fille publi-
que finit par tirer sur une femme plusieurs coups de revolver *.
Je ne puis m'empecher de douter dans ces cas de Texactitude du
diagnostic: il me semble probable que d'autres facteurs: epilepsie,
alcooiisme, aSaiblissement intellectuel, imbecility ont dd inter-
venir et modifier le pronostic habituel des obsessions. C'est
d'ailleurs ['opinion d^ja d^fendue dans le rapport de MM. Pitres
et Regis' et dans la these de M. Le Groignac sur les im-
pulsions'.
Toutes les fois que j*ai eu Toccasion d'examiner un malade
qui avait ced^ a ce genre d'obsessions, j'ai di!k constater que ce
n'^tait pas un obs^d^ typique se rattachant aux psychastheniques
que j'etudie dans eet ouvrage mais qu'il s*agissait d'une autre
maladie mcntale. Voici par exemple un personnage c^lebre, le
nomm^ Mau..., qui a ete ^tudie par.Chambard, par Luys, par bien
d'autres et qui a echoue pendant quelque temps a la Salpetriere.
Parmi ses innombrables obsessions, il a maintenant celle des
« petits cheveux ». II lui faut couper les petits frisons des femmes
dans le cou, ou les poils du pubis, et quand il les a dans sa
possession il arrive a T^jaculation. Cette impulsion est vraiment
chez lui tout a fait irresistible, il devient, comme il le dit, som-
nambule et s'empare r^ellement des « petits cheveux » malgre les
plus grands dangers.
Dans ce cas et d^autres du m^me genre Timpulsion se realise
complMement d'une mani^re irresistible. C'est a mon avis que le
terrain psychologique n*est plus du tout le meme et que la ma-
ladie est differente. Mau... a une anesthesie tactile g^n^rale, un
r^trecissement du champ visuel a 3o°, il a des somnambulismes,
des fugues suivies d'amn<^sic, etc. En un motc*est un hysterique,
nous retombons dans le mecanisme de la suggestion et de Tidee
fixe hysterique. II faut savoir* que ces maladies mentales ne sont
pas caracterisees par le contenu de Tobsession mais par la forme
psychologique qu'elle prennent. Une hysterique peut etre eroto-
1. Vallon. Socieie medico -psychologique, 28 avril 1896.
2. Pilres ct Rcf'gis, op. cit., 1897, P- ^*^'
3. Le Groignac, Des impulsions et en particulier des obsessions impulsives. Th^se de
Bordeaux, 1897-98.
LA TENDANCE A LA REPReSENTATrON. L'llALLUGINATION SYMBOLIQUE 85
mane comme Jean, mais elle r^alisera son impulsion d'une toute
autre mani^re. Je crois done que, si on rencontre des obsessions
quis'ex^cutent d*une toute autre maniere que celle qui vient d'etre
decrite il est bon de les rattacher a d'autres maladies: Tepilepsic
ou rhyst^rie par exemple et non a Tetat mental psychasthenique
que nous etudions maintenant.
En resume, les obsessions des scrupuleux pr^sentent une cer-
taine tendance impulsive, une certaine disposition a passer a
Tacte. Mais cette disposition loin d'etre irresistible comme on Fa
dit a tort n'est jamais complete, le malade s'effraie de son impul-
sion plus qu*il ne lui ob^it. II dprouve un singulier besoin de la
croire terrible et irresistible ; il y a comme une vanite du crime,
comme un secret d^sir de se croire pouss^ au crime qui lui
fait effectuer tant bien que mal certains commencements d*ac-
tion. Ce n'est que par accident que ces simulacres deviennent
des realit^s. Ici encore, c'est une manie de croire a Timpulsion
plus qu*une impulsion proprement dite.
3. — La tendance S la representation, 1' hallucination
symbolique.
A cote du developpemcnt des elements moteurs et de la ten-
dance a Taction, il Taut placer le developpemcnt des <^lemcnts
rcpresentatifs et la tendance a Thallucination. Les obsed^s que
nous Studious sont-ils susceptibles d'avoir au cours de leurs ob-
sessions de v^ritables hallucinations? La question a souleve bien
des controverses. M. Jules Falret avait soutenu autrefois* qu'un
des caractcrcs distinctifs de ces obs^des, c'est qu'ils n'arrivent
jamais a Fhallucination veritable : cette proposition trop absolue
a cte vivementcontredite. Buccola, Tamburini, Seglas', Stefani',
I. Jules Falret, Obsessions intollcctuellcs el cmotives. Rapport au Congres inter-
national de medecine mentaie. Paris, 1889 ; Archives de neurologic, 1889, II, 274.
a. Soglas, Do I'obscssioa hallucioatoirc et do rhallucination obsedantc. Ann. med,
psychol., 3o nov. 1891, Legons cliniques, p. 107.
3. Stefani, Ann. mid. psychol., 189a.
80 LES inKES OBSflDANTES
Catsaras*, Larroussinie^, Raymond et Arnaud^ ont soutcnu Texis-
tence de « Tobsession hallucinatoire ». J'ai moi-meme insists a
diverses reprises surtout en etudiant les ideas fixes de Justine sur
les hallucinations remarquables qui accompagnaient ses obses-
sions ^ 11 semble done qu'il y ait deux opinions tout a fait contra-
dictoires sur ce point.
Cette contradiction pent s'expliquer d'abord d'une maniere
assez simple. Dans certains cas les auteurs ne parlent pas des
m^mes malades. Je reconnais pour ma part que les obs^dees hal-
lucin^es que j'ai decrites comme Marcelle et Justine etaient des
hysteriques. II est probable, etant donnees la frequence et Tim-
portance des idees fixes chez les hysteriques qu'il doit en (itre de
meme pour quelqucs-uns des malades hallucin<^s decrits par les
autres auteurs. La proposition de M. Falret resterait vraie pour
les obsedes proprement dits du type psychasth^nique.
La question reste cependant embarrassante, car au moins un
certain nombre de ces derniers malades presentent des pheno-
menes tout voisins de Thallucination dont la nature doit 6tre
discutee. Les hypocondriaques arrivent a se representcr certains
phenomenes visceraux comme s'ils avaicnt des hallucinations du
sens organique. Je ne parle pas de leurs dysesth<^sies que j'^tu-
dierai plus tard a propos des troubles emotlonnels. Je parle
de representations visc^rales et tactilcs qui semblent assez
intcnses quoique imaginalres. Une malade de Wernicke, citee
par MM. Pitres et Regis, avait la sensation d'etre couverte de
poux, les voyait ct entendait leur bruissement^. Une dc nos
malades, Mae..., femme de 5o ans, qui a accouche it IVige de
22 ans, a longtemps soufl'ert de son ventre. 11 lui prend main-
tenant a tout instant « des crises d'accouchement », elle pretend
tout ressentir avec precision dans les reins, dans le ventre, dans
les jambes comme si elle accouchait : « c'est au point de s'y me-
prcndre, dit-elle. » Deux autres ont I'idee fixe d'un vcr intes-
tinal : chez Mort..., femme de 63rans, a le ver remontc a la gorge,
I. Catsaras, Ann. mcH. psychol.^ 1892.
3. Larroiissiilic, Hallucinations siicccdant k des obsessions. Archives dc neurol.,
l8()6, II, p. 33.
3. Uaymond ct Arnaud, Ann. mcd. psychoL, 1892, II, 2o/|.
!\. Hevue philosophique , fe>rier 1894. — ^ievroses et Idees fixes, 1898, I, p. 161,
5. Wernicke, Deutsche med. Wochensch., 23 juin 1892 ; Pilrcs ct Regis, op. cit.,
p. 58,
LA TENDANCE A LA riEPRfiSENTATION, L'^ALLUCINATFON SYMBOLIQUE 87
il vientlui donner un petit coup dans la bouche puis il redescend :
il est tantAt dans le dos, tant6t a restomac. « Vous n'entendez
pas le ver grouiller, il me remonte de nouveau a la gorge et il
faut que je prenne une gorg6e d'eau pour le faire redescendre ».
Bd... a un ver solitaire dans le ventre « elle sent par ses glis-
sements froids qu'il se pelotonne jusqu'a T^pigastre. C'est un
ver araign^e qui a de grosses pattes velues comme une araignee ».
Comme type d*hallucinations du sens tactile on pent ^tudier les
fluides de Jean. II sait toujours cxactcment dans quelle direction
est situ^e par rapport a lui la dame de ses pens^es. S'il marche
dans cette direction ou s'il a le visage tourne vers ce point
tout va bien : il pent a la rigueur resister. Mais ce qui est
terrible c'est quand il tourne le dos a ce point de Tespace ;
alors le fantome est dans son dos et se permet mille extrava-
gances. II determine des chatouillements, des frissons, des
« fluides » et la situation est intenable. Aussi Jean se pr^occupe-t-il
enormdment de I'orientation de son lit dans la charabre, de sa
chaise a table. II en change la position jusqu'a ce qu'il ait trouve
une situation oii il ne tourne plus le dos a ce fantome dangereux.
Le malheur c'est qu'il y a une autre personne situee dans une
autre direction qui exerce a pen pres la m^me influence et il est
bien difficile de trouver une situation qui ne I'expose ni a Tune, ni
a I'autre.
Les hallucinations auditives sont assez rares : en voici quelques
exemples. John Bunyan, auteur mystique anglais, atteint ^videm-
ment du delire du scrupule, entend un jour une voix qui lui dit :
« veux-tu hiisser tes peches et avoir le ciel ou conserver tes
peches et avoir Tenfer » et il voit J^sus dans le ciel*. M. Lepine
cite une observation singuliere d'une malade obs^dee qui est
contrainte d'entendre une voix repetant toujours une serie
de 25 mots. L'observation un peu abregee me parait cependant se
rapprocher de nos malades^. M. de Sanctis rapporte une singu-
liere obsession musicale, obsession qui peu a peu devient impul-
sive et contraint le sujet h chanter interieurement le m^me air '.
Dans une observation de M. Larroussinie, des voix viennent a
I'appui de la pens^e de la malade et formulent les memes repro-
1. Josiah Roycc, The case of John Bunyan. Psychological Review, iSq^'i, 32.
3. Lepine, Obsession verbale et auditive. SociHe de mMecine de Lyon, la juillet
3, S. de Sanctis, Obsession et impulsion musicale. Policlinico^ III, n*> 4, i8q6,
S8 LES lOEES OBSfiDANTES
ches querobsessionMJnedenos malades, Per...,obsec[ee parune
honte du corps relative a des poils sur son visage, entend au tra-
vers du mur ses voisins murmurer : « poilue, poilue ! » Jean a
aussi dc ces hallucinations auditives : il est obs^de par le souve-
nir d'une femme de chambre en i'honneurde laquelle il eut, croit
il, ses premieres ejaculations. Ce visage tr6s laid, d'ailleurs, nous
Savons que Jean n'est obscde que par les femmes vieilles ou tres
laides, se dessine de profil. II est aniine de mouvements, la bou-
che peut s'ouvrir et le fant6me se met a rire. Ce rirc d'abord
modere est devenu en quelques ann^es absolument enorme, c'est
un fou rire demesure qui lui ouvre la bouche jusqu^aux oreilles.
Ce rire est determine par les actions du pauvre Jean, car la femme
dc chambre le surveille et se moque de lui d'une manierc indigne
de quelque maniere qu'il se conduise. Entre-t-il dans un tramway
ou il risque de se trouver assis aupres d'une femme, Timage de
la femme de chambre se met a rire parce qu'il est tourmente par
savoisine. Quittet-il le tramway etprend-iiun fiacre pour etre seul,
la femme de chambre eclate tout a fait et lui dit : « Tu depenses
4o sous pour ne pas te trouver en tramway avec des femmes,
hi, hi, hi. » II est difficile de trouver des hallucinations plus com-
pletes en apparence ; images visuellcs complexes, en mouvement,
accompagn^es d'images tactilcs dans le dos et dans certains cas
damages auditives.
Les representations purement visuelles sont de beaucoup les
plus frcquentes ; nous les trouvons d'abord chez les sacrileges. Un
malade de M. Fer^' voyait apparaitre le membre viril. C'est aussi
ce qui caracterise les obsessions de Claire. Elle pretend voir appa-
raitre subitement devant elle un hommc tout nu ou plutot les
parties sexuelles d'un homme en train de souiller une hostie con-
sacreeetbien d*autres tableaux de m6me genre. Lod... et Lise on I
aussi vu des hosties par terre surtout lorsqu'elles apercevaicnt un
crachat. We... pretend qu'elle voit dans le ciel des croix et des
saintes. Parmi les malades qui ont des obsessions criminelles,
Xa..., une des femmes obsedees par rid^c de tuer, voit devant elle,
a gauche, une figure travcrsce au niveau des yeux par un long
couteau de cuisine (fig. i) D'ailleurs cetle hallucination du cou-
I. Larrou^slnic, Ilallucinalions huccedant a des obsessions. Archives de neurologic,
1896.
3. F6rc, Pathologic des emotioiiSt p. 4 16.
LA TENDANCE A LA RElMif.SENTATION. L'HALLUCINATION SYMBOLIQUE 89
teau pointu est fr^quente, on la retrouve chez Mb... et chcz plu-
sieurs autres. Vod... se voit couper le cou a sa petite fille. « Je
me voyais la saigner, la mettrc dans un cercueil et jeter la boite
dans une grande mare d'eau sale. » Fa... qui croit avoir des im-
pulsions ^rotiques, « voit tons les hommes dans la rue se d^bou-
tonner et courir apres elle ». Jean voit non seulcment la servante
au fou rire lui apparaitre a droite mais la dame de ses pens^es
Charlotte perpetuellement devant lui ou dans sa t^te.
Fig. I — Dessin fait par la malado ello-m^ine pour repreientor son hallucination,
le couteau est vu d*ane mani6re beaucoup plus nelte quo los traits du visage.
Dans le groupe des hontcux les hallucinations sont particulie-
rcment curieuses. Une hallucination Ires fr(^quente est celle d'un
trou, d\in precipice dans lequel ils vont tomber ou dans lequel
ils sont tombes. Claire a longtcmps cotoyc un grand precipice,
maintenant elle est au fond du trou et elle voit bien qu*il lui est
impossible de remonter. Hi..., femmc de ^7 «ns, « voit morale-
ment un trou dans lequel il lui semble qu'clle tombe ; si elle ne
parvient pas a se tirer de la elle se tucra plutot que de rester au
fond w. On se souvient que Pascal, qui d'ailleurs avait bien des
symptomes de la maladie du scrupule, voyait a ses coles un pre-
cipice. On a beaucoup discut^ sur rhallucination de Pascal : si
elle est historiquie, cc qui est fort douteux, il faudrait la rappro-
cher des autres hallucinations du meme genre chez des scrupu-
leux, ce serait le meilleur moyen d'en comprendre la nature.
II faut aussi rattacher au meme groupe les cas suivants qui me
paraissent particulieremcnt interessants. Un jcunc homme de
20 ans, Voz..., vient se plaindre d'un trouble singulier : il est dis-
trait dans ses etudes et dans ses plaisirs par un spectacle genant,
il voit sans cesse devant lui un mur, et cc mur il Ic rcconnait bien :
c'est celui de la premiere cour du lycee. II est aussi g6ne dans
90 LES inCES OBSI^DANTES
scs promenades, car il marche saus cesse etroilement environne
par 4 arbres, deux en avant et deux derriere lui. Ce sont l\ arbres
bien connus de la cour du lycee. Enfin il est encore plus embar-
rass^ quand il voit des chaines ou des cordes qui sont tendues
devant lui, qui s*enroulent autour des arbres precedents et qui lui
barrent lechemin\ Rp..., un homme d*une trentaine d'ann^es,
que je viens d'eludier avec M. le P*" Raymond, voit passer devant
lui un personnage a une distance d*a pen pres 5 metres- Ce per-
sonnage, qui est presque toujours le directeur d'une grande
Ecole, a tant6t Fair souriant, tantot Tattitude et le visage cour-
rouce et menacant. Ces cas pourraient ctre multiplies facilement,
car ils sont en realite tres nombreux.
Ces phdnom^nes se presentent avec Tapparence d'hallucinations :
ce sont des phenomenes psychologiques qui semblent dans la
conscience du sujet se confondre avec le phenomene de la per-
ception exterieure, quoiquc pour un observateur plac^ en dehors
du sujet, il n'y ait pas d'objet r^el en rapport avec cette percep-
tion. Ils semblent representer un systeme damages correspondant
a un objet, ils paraisscnt avoir Tapparence de Texteriorit^, et
s'imposer d'une maniere irresistible. Aussi le sujet les donne-t-il
pour des hallucinations. Le jcune Yoz..., Claire et Rp... viennent
consulter le medecin en demandant a c^tre gueris de leurs halluci-
nations et, si on se borne a une observation superficiellc, on les
prcndra evidemment pour des hallucin^s. Cependant Texistence
d'hallucinations completes serait un fait singulier chez les scru-
puleux. Comment ces malades qui n'arrivaient pas a Timpulsion
complete, a Texecution reelle de leurs idees, arrivent-ils a la
representation complete qui est un phenomene du m6me genre. Il
ne faudrait Tadmettre qu'apres un examen demonstratif.
Or, chez la plupart de ces malades, ces pretendues hallucinations
ne resistent pas a Texamen. « Tout objet blanc, disait Lod..., me
fait penser a Thostie, surtout quand il est sale, me force a regarder
a deux fois, mais, quand je regarde, je vois bien que je me suis
trompee. Ce n'etait qu'un crachat par terre. » Lise reconnait meme
tres bien qu'elle s'avance dans son delirc presque jusqu'au mo-
ment d*avoir des hallucinations, mais qu'elle s'arrete en de^a.
1. J'ai deja prcscnlc ce cas a la Sociele de 2)sychologlc. Ihilletin de VlfiStUul psy-
chologique, juin 1901, p. 188.
LA TENDANCE A LA REPEir.SENTATION. L'lIALLUClNATION SYMBOLIQUE 91
« Dans nies grandes peurs du demon je sentais que j'allais coni-
mencer a voir quelque chose mais a ce moment je m'arretais. » II
ne faut pas se tromper au langage de We... EUe ne voit pas
dans le ciel dcs croIx et des saintes, clle cherehe si elle les voit,
ce qui n'est pas la m(^mc chose. « J'ai peur de les voir, je veux
voir si franchement je les vois. » Tout cehi ne ressemblc pas a de
rhallucination.
En reality ii ne resle qu'un tres petit nombre de cas embarras-
sants. Mais on pent alors faire sur ces hallucinations les reraarques
suivantes. i® Ces hallucinations ne sont pas completes et sonl
loin de presenter toutes les couleurs, tous les details que Ton
verrait dans un objet reel, il en resulte qu'elles sont vagues et
manquent de ncttete. II faut insister uu pen et ne pas trop
inquieter les malades en mettant en doute leurs hallucinations
pour obtenir tous les aveux sur ce point. Xa.. qui dessinait
le couteau au travers de la figure, remarque bien que la figure est
devinee plut(^t qu'elle n'est vue. « J'ai besoin, dit-elle avec
naivete, de dessiner cette image pour me rendre bien compte d^
ce qu'elle repr^sente. » Quoique Claire semble voir les images
les plus terribles, il est facile de constater que ce spectacle
manque beaucoup de precision. II est impossible de lui faire dire
la forme de ce pretendu membre viril, la place qu'il occupe par
rapport a Thostie. Elle n'a jamais su me dire s'il il etaita la droite
ou a la gauche de Thostie ct dans bien des cas, elle s'embrouille
encore davantage : c'est quelque chose qui doit etre commc un
membre viril sans qu'elle sache bien cc que c'est. u En tous cas
je suis bien convaincue que c'est quelque chose de sale. » Pour
unc image visuelle, c'est pen net.
Le dernier jeune homme Rp... scrait fort embarrasse pour
decrire le personnage qu'il voit, car il a trop peur pour le
regarder, il sait qu'il le voit, mais en realite, il ne Fa jamais bien
vu. Les hallucinations de Jean malgre leur precision apparentc
sont tout il fait du meme genre. Ces figures sont vagues, efi'acees,
« c'est comme si je la voyais, c'est comme si elle me parlait ». Ce
sont des images sans couleur et des paroles sans bruit. Le plus
souvent ces images semblent m6me s'elfacer encore plus. « Je ne
vois pas le fantt^me de M... puisqu'elle est derriere mon dos,
mais je sais qu'cllc y est. » II arrive a employer a ce propos un
mot qui est int^ressant. « je ne vois pas tout a fait, dit-il, cela
reste implicite. » II entend par la qu'il n'y a presque aucune
92 LES 1DI5:ES OBSfiD ANTES
image precise, qu'il y a a peine un petit signe vague qui sufiit
pour Tavertir. « Je n'ai rien dans I*idee qui soil precis, je ne vois
pas sa figure, je n^entends pas sa voix, je ne murmure pas son
noin et cependant je sais que je pense tout le temps a elle ».
Comme je ne pouvais guere me contenter de cette obsession per-
sistante odieuse qui n'^tait rien, qui ne consistait en aucun fait
psyehologique, j'ai insists et Jean pretend avoir fait dans certains
cas cette remarque curieuse. « Charlotte a en r^alite une voix trfes
forte et fait rouler les r. Cette prononciation m'a frappe et quand
je suis obs^de implicitement ']e sens dans la bouche, sur la langue,
comme un tres petit roulemcnt d'r. Cela suflfit, je sais queje pense
constamment a Charlotte. » Dans d'autres cas il sent dans son
front comme si une lettre de son nom 6tait ^crite. C'est a ces
images tres petites que se reduisent les obsessions et c^est lui
qui en tire comme conclusions toutes ces pretendues hallucina-
tions. Une remarque interessante, c*est que ces hallucinations
implicites font beaucoup soufTrir les malades, « plus c'est vague
et implicite, plus c'est odieux ». Le defaut de precision, disait
d^ja Iloffding, donne un sentiment de terreur tout particulier :
nous aurons a Tetudier avec plus de soins en parlant de Tinqui^-
tude de ces malades.
Ce n'est pas une pure diminution dans Tintensite des images,
c'est un defaut de complexity : des categories essentielles d'images
font completement defaut. II est impossible d'ajouter les images
qui manquent et de preciser Thallucination. Chez les hyst^riques
hypnotisables, on pent faire naitre Thallucination en eveillant
dans Tesprit du sujet les images les unes a la suite des autres.
J*ai monire autrefois que cette complexity croissante, cc develop-
pemenl automatique des elements de Tidee jouaient un grand
role dans Thallucination ^ Mais ici les malades n'arrivcnt pas a
voir mieux et Tattention supprime au contraire le peu qu'ils
voyaient.
2** Beaucoup d'auleurs et en particulier M. Seglas ont aussi
remarque que ces hallucinations n'avaient pas le caractere de
Text^riorite si important dans la perception et dans les halluci-
nations completes. Cette remarque est juste pour un certain
nombrc de malades.
I. Automalismc ps^chologiquc, 1889. p. aoi, accidents men taux des h^stdriqucs,
LA TENDANCE A LA REPRESENTATION, L'HALLlJClNATrON SYMBOLIQUE 03
Si les hallucinations de Jean manquent de precision, elles man-
quent aussi d*exterioril6, 11 est dispos6 ii les localiser dans « le cer-
velet » ou bien dans le front « au somniet a droitc, ou elles ont
fini par determiner comme une saillie de Tos ». Aussi reconnait-il
lui-m^me la nature du ph^nomene « c*est, dit-il, mon fou rire
cerebral. »- Claire est tres embarrass^'e quand on veut lui faire
pr^ciser la place ext^rieure de son image, elle croit que Ten-
semble est a gauche, mais elle ne salt pas bien ou. a D'ailleurs,
si elle ne peut pas bien pr^ciser Tendroit, ce n'est pas de sa faute,
Tobjet est trop loin... non pas trop loin en distance... e'est au
loin comme si c'^tait une autre personne qui le verrait... Cette
autre personne verrait que c*est bien un membre viril, verrait
bien sa place, moi je ne le vois pas. )) Sans parler ici des troubles
de la personnalite que cette phrase r^vele, nous noterons seule-
ment combien la localisation exterieure reste vague.
Cependant je n'osefai pas dire que ces hallucinations manquent
tout a fait d*ext6riorit^, comme M. Sc^glas le disait a la Soci6t^
psychologique. II y a des malades qui ont le sentiment de cette
ext^riorite. Voz... voit les arbres, le mur, les chaines, en dehors
de lui : « c'est bien en dehors de moi puisque cela m'empeche d'a-
vancer, il me semble que cela mebarre le chemin. »Rp... soutient
que rimage de son directeur est a 5 metres devant lui. M^me pour
les malades precedents Jean et Claire qui (inissent par mettre
Thallucination dans leur tete, il ne faut pas conclure trop vite.
C'est quand on les interroge, quand on les force a reflcchir qu'ils
h^sitent a consid^rer leur image comme exterieure. Au debut
quand ils parlent spontanement ils aflfirment que Timage appa-
rait « devant eux, a Texterieur ». Pourquoi done changcnt-ils d'avis
a la reflexion, c'est qu'ils sont eux-memes etonnes qu^une image
puisse etre exterieure quand elle manque d'un caractere essentiel
des choses ext^rieures.
3** Le fait le plus important, en eflFet, ce n'est pas precisement
que ces images manquent d'exteriorlte, c'est qu'elles manquent r/&
realUe. Ce caractere tres important se rattache au sentiment de la
croyance, de la certitude. Un objet nous parait reel quand nous
mettons tons nos actes, tons nos sentiments en accord avec Timage
qu'il pr^sente. Or, nos sujets serendent compte que cette hallu-
cination n^est pas pour eux une r^alit^. Ils disent eux-m^mes que
cesont « des sortes d'hallucinations, » « des irrealites ». Leur tour-
ment consistc precisement a douter de la r^alite de ces images, ii
J. LES IDEES OBSEDATTE^
s'lDterro^rer sor leor existence. L'une de ces malades se demande
saDS e<?s«e si elle a la rocalion reli^eose ; elle suppose que cette
TfMration. si r>lle existaiu se manlleslerait par des signes divius,
par la lision de saintes dans le ciel. Anssi se demande-t-elle toat
I^ temps si elle a vn des ^^inles dans le ciel: un moment elle yo«s
d.t que oui. et I'inslant apres elle reconnait qu'elle sera it bien fachee
d'eo a^oir %'o. Le malade qui voit passer le directeur de TEcole est
'ians le meme cas : il a la manie des presages^ pour se decider a
a^ir dans nn sens on dans I'antre malgre son aboulie il veut voir
pa«>ser son directeor sonriant ou menacant, et il s*interroge pour
saToir s*Il la bien vu. Xon seulement.ee sentiment de realite ex-
terieure fait defaul, mais il est curieux de remarquer qu'il n'appa-
raitra jamais. Si ce phenomene ne differait de T ha Unci nation
ordinaire que par un moindre de<:^re. il devrait par le progres de
la maladie se rapprocher du sentiment de la realite. Eh bien, si
res maiades arrivaient jamais a la conviction de leurs hallucina-
tion^. ii< seraient gueris« ou du moins ils changeraient la nature
de leur maladie, ce que nous n^observons pas. Ces images memes,
si eiles apparaissent vaguement exterieures avant la reflexion,
res tent tou jours pour eux irreelles et douteuses.
i' i^es hallucinations presenlent encore un autre caractere impor-
ted nt, c'est qu eiles sont symboliques : elles ne sont pas constituees
par la representation dun objet interessant en lui-meme, mais
par I'evcMration d'un si^rne qui resume une quantite d*autres pen-
sees. La manie du trunbole est si importante chez les scrupuleux
que nous ne pouvons Petudier ici d'une maniere incidente, il
sutfit de si^^naler ce caractere qu'elle donne a i'hallucination.
On voit d'apres ces observations que les hallucinations des
scrupuleux sont loin d etre identiques aux hallucinations com-
pb'tes des hysteriques et des alcooliques. C'est la conclusion a
laquelle par^iennent de nonibreux auteurs en particulier M. Pick ^
et M. FrancoUe". On p4>uvait leur appliquer le mot de pseudo-
h;«Iluciriations qui a et*' propose par le D*" Kandinsky a propos
de ma lades du nieme ir»*nre ^ Un malade croit changer de natio-
I. \. I't k fVn^itt, UeU-rp'lie Bc/ichun^rcn zwisclien Z^^-angs^orstellungcn und
2- X. francyUe. £>»:•< bailuciiiatii>n$ diles [isvohiques. DuUetin de la Society de me-
'V >/- ..^r.'y u /'^ Bf':i'i'i^, join i^^<|8.
-5 ly Kar:J'r-k*. Oli>4'nati<iii< rliniqiios siir Ie« liallticiitations sonsorielles,
C^-i''-'. y '.' / S'^i'trhhtOk w.'V, i5^>j, cilt'iar >\ . JauK^^, Psyhohj*j\ II, ii6.
La tendance a la GROYANGE ET L.V CRltlQUE DE L'OBSESSION 95
nalite et devenir sujct singlais, ii cc propos il i^oil apparaitre un
lion qui lui met les pattes sur lesepaules. II remarque lui-m^me
qii'il n'a pas ele eHVaye conime il l*aurait ^t^ par un lion veritable,
il comprenait bien que c'etait un embleme national anglais. Nos
malades comprennent de m^me que ces pr^tendues images ne
sont que des emblcmes, des symboles pour resumer de longues
meditations et rendre en quelque sorte Tidee plastique, ils ne les
prennent pas pour des r^alit^s comme feraient les vrais hallu-
cin^s.
Nous pouvons done repondre d'une nianiere plus complete au
probleme pos^ au debut de ce paragraphe. Si nous laissons de
cote les obsedes hysteriques qui ont des hallucinations incontes-
tables, les scrupuleux peuvent-ils presenter ce phenomene ? lis
pr^sentent sans doute une certaine apparence d'hallucination, les
pseudo-hallucinations ou les hallucinations symboliques, mais
M. Falret avait raison de faire observer qu'ils ne presentent pas
Thallucination proprement dite.
Ici encore nous voyons une tendance vers la representation
hallucinatoire qui n'aboutit pas completemcnt. Le sujet semble
pousser la representation aussi loin que possible. II s'entete avoir
apparaitre Timage ext^rieure et r^elle, il la cherche, mais il ne
la voit pas reellement, c'est encore une sorte de manie de riiallu-
cination plus que Thaliucination reelle.
4. — La tendance d la croyance et la critique de
r obsession.
Si Tobsession est loin de se realiser complctement, si les hallu-
cinations qui Taccompagnent quelquefois sont loin d'etre com-
pletes, le malade accepte-t-il au moins comme une croyance les
idees qu'il vient d'exprimer ? II est facile de constater que cenou-
veau caractere n'est pas plus complet que les precedents. On
constate en efiet presque toujours Ires facilement que le malade
est le premier a mettre en doute les sacrileges, les accusations
dont il semble si pr^occupe.
Ce caractere se manifcstc d<^ja par des traits de la conduite des
malades. On les voit venir spontanement, seuls, chez le medccin
OG LES IDISES OBSfiDANTES
et ohez le medecin alieniste ; ils deroandent a etre soign^s a cause
de certaines idees qu'ils dt^signent. lis savcnt done irhs bien qu'ils
ont des idees fausses et ils savent quelles sont ces id^es fausses ;
car jamais ils ne parleront des autres au medecin. D^autre part,
il est facile de remarquer qu'en presence des Strangers ils
savent admirablement dissimuler ces m6mes id^es, ce qu'ils ne
feraient evidemment pas, s^ils les croyaient exactes. Claire qui
s'accuse de tout avec un tel desespoir, qui se roule par terre
en gemissant, se releve des qu'elle entend sonner a ha porte, ra-
juste bien vite sa toilette, se montre correcte et meme gaie avec
les personnes etrangeres qui viennent d'entrer pendant une de
scs crises : elle accepte meme des compliments sur sa conduite.
Lise, dans son salon, ne laisserait jamais soupQonner ce qu'elle
pense : bien mieux, elle joue une sorte de comedie, car elle af-
fecte de se raoquer des gens supcrstitieux et il parait que bien
des personnes trouvent qu'elle verse avec exageration dans le
camp des libres penseurs. Rob... s*accuse de ne pas rendre
exactement la monnaie aux clients qui se presentent a la caisse.
On lui a proposed cent fois, quand elle est dans une grande crise,
d'envoyer un employe a Tadresse du client pour verifier le compte
et lui ofTrir une reparation ; elle n'a jamais voulu accepter.
N'est-ce pas une preuve manifeste qu'elle sait bien au fond
avoir fait un compte exact ?
Les declarations des malades sont d'ailleurs en parfait accord
avec ces observations relatives a leur conduite. Ces personnes
n'hesiteront pas a vous dire : « Je sais tres bien que je n'ai fait
aucun mal, il est inutile d'interroger personne pour verifier ».
Lod... ou Claire qui se declarent des miserables plus coupables
que les plus grands criminels ne peuvent, si on insiste, d^couvrir
une faute precise a avouer, et elles Knissent par se facher si
j'examine devant elles les fautes qu'une jeune fiUe pent commettre
en leur demandant s^rieusemeut si elles les ont commises. « Si
une personne, disait Lise, me racontait la moitie des choses que
je viens vous dire, je la croirais completement folic. » Un detail
fort curieux chez elle, c'est qu'elle a une soeur moins ag^e qui
commence exactement le meme delire. Lise, le reconnait parfai-
tement, elle suit avec chagrin la marche de la maladie mentale
chez sa scEur : « Dieu que ma soeur est bete de penser les m^mes
sottises que moi. »
Nadia repete sans cesse au milieu de scs plus grandes agita-
LA TENDANCE A LA CROYANGE ET LA CRITIQUE DE L'OBSESSION 97
tions : « Je trouve ces idees ridicules, je les meprise moi-m6me,
je voudrais tellcment etre en dehors de cespetites miseres qui me
tourmentent tellement, je ne pourrais done jamais renvoyer ces
id6es que je d^teste, c'est mon destin qui le veut ainsi. II est
encore bien plus tristc de savoir ce que valent toutes ces belles
id^es et de ne pouvoir m'en debarrasser, tout en reconnaissant
combien elles sont sottes ». Jean lui-meme ne pent pas s^emp6-
cher de se trouver ridicule: « Todieux, Tabsurde, le ridicule d'une
maladie comme celle-lh, dit-il souvent, est inqualifiable ». « Le
• second homme qui est en moi, dit Rk..., se moque terriblement
de moi et de mes sottises. »
Apr^s ces constatations, il faut cependant faire des reserves
qui ne sont pas toujours sudisamment faites quand on parle
de la conscience de ces obsessions. 11 ne faut pas aller jus-
qu'a dire que ces malades ne croient pas du tout a la r^alit^ de
leurs obsessions. S'il en 6tait ainsi, ils n'auraient aucune souf-
france, aucune maladie.
Quand sur un point particulier, on pent les amener a mieux
coraprendre Tabsurdite de leur idee, ils en sont pour un temps
plus ou moins long d^barrass^s. Par exemple, j'explique a
Lise avec beaucoup de peine que les enfants ne sont pas respon-
sablcs des fautes des parents, elle finit par reconnaitre qu'elle a
compris et que j'ai raison; a la suite de cette demonstration,
pendant plusieurs mois, elle renonce a vouer ses enfants au diable.
Get heureux effet d'une explication montre bien que ces ma-
lades n'avaient pas sur ce point des id«^es bien claires et qu'ils
accordaient une certaine croyancea leurs obscssjons tout en ayant
Fair de les tourner en ridicule.
D'ailleurs, avec un peu de patience, on finit par leur faire avouer
ce sentiment. Lise reconnait parfaitcmcnt qu'il y a dans ses
idees religieuses sur le diable un fond mysterieux dont elle ne
comprend pas bien Tabsurditd; elle comprend mal ce qu'on lui
dit sur le demon, ou ne le comprend qu'un instant. Jean ou Claire
veulent bien declarer eux-memes que leur maladie est ridicule,
mais ils n'admettent pas qu'on le leur declare. Si on insiste sur la
negation de leurs idees, ils se tournent du cote de Taffirraative
et recommencent a nous presenter ces debuts d'actcs et d'images
hallucinatoires qui ont et6 decrits. II faudrait a ce propos revenir
sur tous les caracteres positifs de Tobsession^ car ceux-ci nous
LES OBSESSIONS. L — 7
U8 LES iDfiES OBSfiDANTES
montrent bien que Tidee absurde a bien line ccrtaine r^alite, une
certaine puissance dans Tesprit des nialades et par consequent
n'est pas sans une certaine croyance.
Comment se melent alors et se juxtaposent ceite critique qui
semble aller jusqu'au d^faut de croyance, a la negation et cette
tendance a Inaction, a la representation qui forme une croyance ?
D'abord on pent dire que les deux phenonienes n*existent pas
simultanement. La croyance n'existerait que dans les periodes de
crise et la critique dans les pc^riodes de luciditc. Cela est vrai en
partie et il y a des moments de crise que nous etudierons plus
sp^cialemcnt ou la croyance est certainement plus grande. Mais
je ne crois pas que la difTcrence entre la crise et Tetat de lucidite
soit jamais tranch^e comme elle Test chez les hysteriques. Ces
malades n'arrivent jamais ni h croire completement, ni a nier
completement, leur delire. lis restent dans un etat interm^diaire
rempli de contradictions; ils reconnaissent que leur idee n*est
pas conforme a Topinion generale et qu'il ne faut pas Texprimer
en public devant des gens « peu au courant de leur situation »,
ils veulent bien 6tre malades sur un point mais pas sur tons et le
plus souvent ils oscillent suivant les difT^rents moments du temps.
Ils restent done dans un ^tat de doute extrememcnt penible
dont nous trouvons un type dans le cas de Je... Cette femme de
5i ans a une attitude humble, inquiete et cependant agit^e. u Jene
pcux plus rien faire depuis 3 mois, je n'ai plus de goiit a rien, je
ne sors pas, je ne peux plus m'habiller, c'est a cause de ce mal-
heureux bonnet. J'ai vole le bonnet d'une de mes voisines... Mais
elle dit que non, je sais bien que je ne Tai pas vole, j'en suis
incapable... Je crois Tavoir vole pas pour le garder, mais pour le
Jeter dans le feu... Mais il y a une grille autour du po6le et je
n'avais pas la clepour Touvrir. .. etc.)). Elle restedans Th^sitation
indcfinie. Cet 6tat de doute se rattache d^ailleurs tres bien aux
faits prccedemment 6tudi<5s: la croyance resulte de ce fait que
I'id^e entierement ddveloppee a atteint Taction et la perception :
la vraic croyance fait agir et fait voir. Ces deux grands caracteres
de la croyance etant absents il est tout naturel que le sujet n'y
parvienne pas.
On a voulu faire une maladie spccialc de ce doute sous le noni
de delire du doute (Legrand du Saulle), puis on en a fait une
obsession speciale (Arnaud). Je crois que le doute n'est pas une
DliVELOPPEMENT INCOMPLET DE L'lDliE OBSI^IDANTE 9d
obsession, c'est une forme que peut prendre telle ou telle obses-
sion. Je... doute a propos dii bonnet vole, comme Lise a propos
des enfantsvou^s au diable, comme Claire a propos de son immo-
ralit(^, comme Jean doute de la m^ningite qu'il craint de s'etre
donn^e en lisant une colonne du journal. C'est une forme gen^rale
que prend Tobsession avec developpement incomplet chez les
scrupuleux.
Ce doute general chez tous est plus ou moins marque chez
quelques-uns et peut prendre des formes plus particulieres qui
constituent les autres formes du scrupule.
5. — Developpement incomplet de l'id6e obsidante.
Je viens d'^tudier quatre caracteres de Tobsession scrupuleuse :
la duree et la reproduction facile de TiJ^e, la tendance a Taction,
la tendance a la representation hallucinatoire, la croyance, parce
que ces caracteres determinent Timportance et le role des idees
et indiquent le degre de leur developpement.
On comprend facilement la signification de ces caracteres en
etudiant les suggestions hypnotiques ou certaines id^es fixes des
hysteriques. Pour le montrer je rappellerai en deux mots un cas
remarquable sur lequel j'ai deja longuement insistc *. Depuis 20 ans
Justine est obsedee par Tidee d'une maladie, celle du cholera. II
lui sufTit de penser a une maladie, de voir un h6pital, de sentir
Todeur de Tacide phenique pour que son esprit soit envahi par
cette idee. EUe pousse alors des cris de terreur, contracture ses
jambes, vomit, perd les urines et les selles. En meme temps elle
entend le glas des cloches, entend des voix crier « cholera, cho-
lera », voit des cadavres de choleriques, sent leur odeur, etc. ;
elle est convaincue qu'elle est atteinte du cholera, elle Fa m^me
en rcalite autant que cela est possible.
A cet exemple ancien je voudrais ajouter un fait du m^me
genre tout aussi caracteristique. Lee..., jeune femme de 26 ans,
dejii graveraent atteinte d'hysterie, qui a deja eu des attaques
et de la choree par imitation d'une danse de Saint-Guy, a decou-
vert un jour que son amant la trompait avec une jeune fille
1. Nevroses et idees fixes, I, p. iSg.
iOO L£S iDfiES OBSfiDANTES
qu'elle connait blen. De la une jalousie feroce ct Tidee fixe de la
vengeance : elle pensc constamment a cette vengeance, s'en
represente d'avance toutes les perip6ties ; elle veut tuer sa
rivale dans les bras de Tamant coupable et pour echappcr
aux consequences elle veut se tuer elle-m^me. Cette idee gran-
dit, se precise de plus en plus, si bien qu'un jour Lee... iin
revolver a la main, s'embusque a une fenc^tre et quand elle voit
passer sa rivale dans une voiture pros dc son amant, elle tire
deux coups sur eux, s'enfuit et va se jeter dans la riviere. Ces
actes tres reels n'eurent heureusemcnt aucunc consequence
grave : personue ne fut atteint et Lee... fut rcrtiree de la riviere
simplcraent ^vanouie. Comme on reconnul sou ctat, on se borna
a la transporter a la Salpetriere dans le service dc \I. Raymond.
La elle presente a tout instant I'accident suivant : a propos de la
moindre chose, parce qu'elle regarde dans'la cour, parce qu'elle voit
une malade causer avec un honime, parce qu'on prononce un mot
devant elle, la voici qui se trouble, cesse de parler et garde les
yeux fixes. Elle se dirige vers une armoire et semble y prendre un
objet qu'elle garde dans la main droite ; elle s*approche de la
fenetre, regarde dans la cour avec un air de fureur, tend son bras
droit, semble decharger un revolver en poussant un cri, puis se
met a courir en travers de la salle, elle finit par se jeter par terre
et reste 6vanouie. En un mot elle joue de nouveau, mais cette fois
sans realite exterieure, la scene du meurtre et du suicide. Des
hallucinations nombreuses ont simplement remplace les percep-
tions absentes puisque les circonstances ont chang(^.
Dans ces observations on pent noter entre autres faits impor-
tants les caracteres suivants. i® Pendant une longue p^riode, plus
de 20 ans chez Justine, Tidec reapparait subitement a propos de
certaines associations d'idees, comme si on declenchait un rcssort
qui fait fouctionner un mc^canisme automatique sans aucun eflf'ort
du sujet. 2^ Le passage de Tidee a Facte est (itonnamment rapide et
complet. Les mouvements, les actions en rapport avec Tidc^e fixe
sont immediatement executes et d'unemaniere aussi complete que
possible, etant donnees les circonstances. 3° On constate aussi le
passage egalement rapide et complet de I'idec a Thallucination qui
envahit tons les sens et se presente avec le plus grand degr^ de com-
plexite et de realite. 4" Le sujet, au moins pendant une p^riode de-
tcrminee est absolument convaincu de la realite de son id^e fixe.
DfiVELOPPEMENT INCOMPLET DE LIDEE OBSfiDANTE 101
J*ai essaye souvent de r^sumer ces caractcres essentiels de
la suggestion hysteriquc par la notion du dcveloppemcnt des
idees. Une id^e, en effet, pent etre consid^ree comme un en-
semble, un systeme d'images empruntees a divers sens ', ayant
chacune des propriet^s sp^ciales et diversement coordonnees les
lines avec les autres. La pens6e d*un bouquet de roses ou la
pensee d*un chat, de meme que la pens^e d^assassiner ou de
donner ses enfants au diable est toujours au fond un systeme de
ce genre plus ou moins complique. Ce qui donne aux id^es des
aspects tres particuliers et distincts les uns des autres, c*est le
degr6 de d6veloppement que pent prc^senter ce systeme. Le plus
souvent ces systemes se reproduisent dans notre esprit d^unefagon
tout a fait sp^ciale ou abregee, par exemple I'image sonore ou
kinesthcsiquc du mot (leur ou du mot chat se reproduira scule
ou a peu pres et suflfira pour repr^senter tout le systeme com-
plexe dont elle n'est qu'un petit element. L'effort de la pensee
consiste dans ce cas non a d^velopper Tidee de fleur ou Tidee de
chat mais a adapter, a coordonner cctte image rapide avec les
sensations nouvelles et actuelles de maniere a constituer et a
d^velopper jusqu'au bout d'autres systemes d'images dont les
premiers ne sont que des elements.
Au contraire, une idee pent se developper complctement
lorsque tout le systeme d*images qu'elle contient en puissance se
realise complctement, que les diverses images apparaissent
simultanement ou a la suite les unes des autres en conservant
leur coordination. En effet, ces images sont rattachees les unes
aux autres de telle sorte que la presence de Tune d'entre
elles sulfit pour evoquer les autres dans un ordre determine.
Chaque image entraine avec elle les consequences physiolo-
giqucs ou psychologiques qui en dependent, les unes determi-
nant des mouvementa des muscles, les autres des mouve-
ments des organes scnsoriels, les autres des modifications
vasculaires et des ctats d'emotion. II est facile de constater que
toutes les idees qui parviennent a cettc seconde forme de d^ve-
loppement complct envahissent complctement Tesprit du sujet et
sont accompagnees de conviction profonde. Au contraire les
idees qui en restent a la premiere forme sont vagues, n'occupent
I. Antomatisme [isychologique, 1889, p. aoo. Accidents mcntaux des hysleriqucs,
i8()3, p. a3 ; yevroscs ct Idiesjixes, i8y8, I, 16a.
102 LES IDt^ES OBSfiDANTES
qu'une petite partle de I'esprit et peuvent n'6tre accompagn^es
il'aucunc croyance.
On voit ties bien par les experiences de suggestion le passage
graduel de la premiere forme a la seconde quand dans Tesprit du
sujet ridee se developpe, c'est-a-dire deroule tons les elements
qu^elle contenait implicitement grace a Teducation ant<^rieure et
tend de plus en plus a se completer. Le sujet passe de Tidee
abstraite a Tidee concrete qui lui parait de plus en plus reelle et
a laquellc il accorde le plus en plus de croyance.
En decrivant la maniere dont se presentait Tidee Gxe du cholera
chez Justine j'ai pu montrer que c'etait grace au developpement
parfait de tons les elements conlenus dans cette idee qu'elle
pouvait prendre cette puissance c^norme de conviction et se trans-
Cormer en une r^alite incontestable. En un mot toutes ces etudes
anciennes brievement r^sumees nous amenent a penser que la
conviction est en rapport avec le developpement que les idees
prennent actuellement et qu'au contraire le defaut de croyance
est en rapport avec un developpement tout a fait incomplet de
ces memes idc^es.
Sans discuter completement la question de la nature de la
croyance ne pouvons nous pas appliquer a nos malades scru-
puleux le resultat de ctss anciennes etudes, ne pouvons-nous pas
soupvonner que leurs obsessions n'entrainent pas la convic-
tion parce que ce sont des idees a developpement tres incomplet.
C*est cette difference capitate justement remarquee depuis
longtemps qui a donne lieu a la distinction importante entre les
idees fijces admises completement par Tesprit du malade et les
obsessions qui restent toujours incompletes et qui n'entrainentpas
la conviction.
L*ctude que nous venons de faire ne nous montre-t-elle pas
qu'a ce point de vue Tobsession des scrupulcux ne pr<^sente pas
la meme forme que celle des hysteriques. L'apparitionde Tidee est
beaucoup moins neltc : Tassociation des idees qui Tamene est beau-
coup plus large et plus vague. Kile n'est pas due au dcclenchement
:iutomatique d*un ressort, mais a une recherche du sujet. L'execu-
tion est tres loin d\^tre complete et les actes quand ils existent ne
sont qu'ebauches. [/hallucination n'est qu'apparente et la repre-
sentation ne se complete pas assez pour prendre le caractcre de
reality extcrieure. Nous pouvons resumer ces caracteres en un
^
DfiVELOPPEMENT INGOMPLET DE LlDfiE OBSfiDANTE 103
mot. L'obsession des scrupuleux est caracterisee par un develop-
pement tres incomplet des ^l^ments contenus dans I'id^e et elie
dilTere sur ce point de la suggestion et de i'idee fixe hyst^rique
oil ce developpement est aussi complet que possible.
II en r^sulte que sur ce point Tobsession des scrupuleux se
rapproche des id^es normales caracterisees elles aussi par un
developpement incomplet. Sans doute nous avons observe qu'il y
a plus de duree, plus de facilite d'e vocation, plus de tendance a
Tacte et a la representation que dans la moyenne des id^es nor-
males, surtout si I'on tient compte du contenu de ces idees et du
peu d'importance qu'un homme normal leur attacherait. Le degr^
dc developpement est done plus grand que dans la vie normale,
on pent dire qu'il est variable suivant les cas, mais qu'il est tou-
jours intermediaire entre le faible developpement normal et le
developpement complet des suggestions hysteriques, sans arriver
jamais ni a Tun ni a Tautre terme. Le fait le plus anormal a ce
point de vue c'cst, comme nous Tavons remarque, la duree et la
frequence de pareilles idees plutot que leur grand developpe-
ment.
II n*en est pas moins vrai qu'aprcs cet examen on ne pent
s'empecher de constater que par leur force, leur degre de deve-
loppement, leurs elements positifs, ces obsessions ne different
pas enormement des pensees normales et on reste etonne du
trouble qu'elles amencnt dans la vie des malades. Pour compren-
dre ce trouble il faut done examiner encore ces malades a d'autres
points de vue, chercher Ics autres symptomcs qui accompagnent
leurs idees obsedentes et voir si ces nouveaux symptomes ne
doanent pas a Tobsession son caractere pathologique et sa raison
d'etre.
CHAPITRE II
LES AGITATIONS FORCfiES
Les obsessions proprement ditcs, c'est-h-dire les id^es repre-
sentant dans Tesprit du sujet des ev^nemcnts, des objets ct surtout
des actions d'une maniere gdneralc nc nous ont pas paru avoir un
developpcment suflisant pour expliquer la maladic. II existe cvidem-
ment d'autres phc^nomencs pathologique qui s'ajoutent a Tobses-
sion et qui determinent son caractere peniblc ct maladif. Nous
remarquons alors que les monies malades sont tourmentds par un
autre groupe de syinptomes qu*il ne faut pas confondre avec
Tobsession proprement dite. lis se plaignent que sans se repr6-
senter une idee d^terminee, ils sont cependant forces de pensfer
d'une maniere exagerce, que leur tete travaille malgre eux,
qu'ils sont de memc forces d'accomplir des mouvements au moins
inutiles et de remucr sans aucune necessite, enfin qu'ils eprou-
vent d'une maniere irresistible des Amotions violentes sans que
celles-ci soient suffisamment justifiees par les circonstances pre-
sentes. Ces operations tres diverses sembleut quelquefois s'effec-
tuer a propos des obsessions, niais elles existent tres souvenl
sans qu'il y ait une obsession, c'cst-a-dire une idee generale bien
precise ;' elles constituent un autre groupe de symptomes plus
simples que les premiers. A cote des idees obsedantes (Zwangs-
vorstellungen), comme disait tres bien un auteur allemand,
M. Thomsen, il y a des processus obscdants (/Avangsvorgange)*
dont le cadre est beaucoup plus large.
Ces processus obs<»dants ont comme caractere essentiel au
moins apparent de se devclopper d'une maniere presque irresis-
tible, sans le consentement expres du malade. Quoique ce carac-
tere soit a examiner et a discuter, on pent au debut admettre
1. ThoiiiMMi (Bonn), Contribution a IcHiido ciiniquc ties icircs obsedantes. Arch,
f, P.^ychiatr, und .\i'rvcnh-ankli., XX.V11, 1895,
LES AGITATIONS FORCfiES 105
Timportance de cette apparence et en tcnir compte dans la designa-
tion de ce groupe de phenomenes. Je suls trcs embarrasse pour
adopter un terme general qui designe tous ces phenomenes de ma-
nias mentaks^ de rumination mentale, de tics, d'agitations motrices,
de phobies d'angoisses, et cependant je crois essentiel de les reunir
en un groupe unique. M. J. Donath, de Budapest*, se trouvant en
presence de la meme difficult^, a propose le mot « anancasmes n de
(ivayxa^ci), forcer). Le mot n'est pas sans interet, mais il est si
etrange et si peu usit6 que j'hesite a I'adopter pour titre de ce
chapitre. Les Allemands ont des expressions assez heureuses,
« Zwangsprocessus, Zwangsvorgange » : je me borne a les
traduire en y ajoutant cependant un detail. Ces opt^rations forcees
ne sont pas des operations normales, ce sont des opc^rations de
pensee, d'acte, d'6motion, qui sont a la fois excessii>es^ steriles
et d'ordre inferieur, A la fin de ce chapitre, quand nous connai-
trons mieux ces operations, nous verrons combien ces caractcres
sont importants. II me semble que le mot « agitation » r^unit
assez bien ces divers caractcres : aussi, faute de mieux, je reunirai
ce second groupe de symptomes sous ce nom « les agitations
forcees, »
Les agitations forcees peuvcnt etre divisees en trois groupes
suivant qu'il s'agit surtout de pensees, de monvements on de
phenomenes emotionnefs, en remarquant que dans chaque
groupe Tagitation pent se presenter d'une maniere systematiqne
ou d'une maniere diffuse. On pent done au debut de cetle etude
et d'une maniere tout a fait sommaire classer ces agitations forcees
d*apres le tableau suivant dont les titres seront justifiecs ulte-
rieurement :
( Systcmaliques, les manies
... , \ mentales.
li.Losag.laUonsmenUlc... a uij^^,^ /„ rumination
\ f mentale,
Les agitations forcees . ) S^stemaliquos, les tics. ^
j 3. Les agitations motrices. . .^ DifTuscs, les crises d'agi-
1 i tation.
_ _ . . , . „ < SYstcmaliqucs, les phobies,
^3. Les agitations emoUonnellcs.| ^.^^^^^ ^^^ angoisses,
Dans unc derniere section nous reunirons les caractcres communs
a ces difTdrents groupes.
1. J. Donath (Rudapcslh), yirchiv. f. Psychialrie, 1896.
106 LES AGITATIONS FORCfiES
PREMIERE SECTION
LES AGITATIONS MBNTALES
Les plus remarquables cle ces agitations, celles qui ont le
rapport le plus etroit avec les obsessions, sont des agitations
mentales, des operations d'ordre intellectuel, des reflexions, des
comparaisons, des recherches qui se d6veloppent rapideraent
et pendant des heures dans Tesprit du sujet ou s'imposent a lui
d'une maniere en apparenee irresistible. Quand ces agitations de
la pensee sont systeinatiqucs elles constituent les tics intellectuels
dont parlait Azam*, les stigmates psychiques, comme les appelait
Grasset ou simplement les manies mentales, suivant Texpression
vulgaire qui me semble suflisamment claire. On pent remar-
quer que ces operations meriteraient presque toujours le nom de
manies mentales du scrupule car il s'agit toujours d'operations
intellectuelles interminables a propos dc tres petites choses qui
occupent dans Tesprit du sujet une place tout ii fait dispropor-
tionnee avec leur importance reelle.
Quand ces agitations forcecs dc la pensee sont diffuses, elles
forment les phenomenes connus sous le nom dc fuite dc la pen-
see, de mentisnie, de rumination mentale.
i. — Les manies mentales de roscillation.
Les premieres et les plus typiques de ces manies, celles que le
defaut de croyance caractcristique de Tobsession nous faisait pr^-
voir sont les manies de I' oscillation, L'esprit n'arrive pas a une
conviction complete, a une decision unique, mais il continue
jndnHniment a osciller entre deux termes. Get etat de doute
que Montaigne appelait un mol oreiller pour les t^tes bien faites
I. Azam, Revue scicntijiqnc, 1891, I, p. 6 1 8.
r
LES MANXES MENTALES DE L'OSCILLATION 107
devient pour les tetes de nos malades un instrument de torture.
Si la manie porte sur des idees, dcs representations, elle prend la
forme de manie du doutc ou de Tinterrogation, si elle porte sur des
actes elle devient la manie de la deliberation ou de Th^sitation.
I. — La manie de I' interrogation.
Beaucoup de malades s'interrogenl a propos des sensations
elles-memes : Nadia se regarde devant la glace et se demande si
elle est pale oui ou non, si elle est aussi pale qu'hier. Vi... en
goutant la soupe se demande si elle a oui ou non le gout du poi-
son, tf Je doute de Tcvidence, dit Za... Quand j'ai fait quelque
chose je la reeommencerai vingt fois et la vingti^me fois je ne
serai pas sur de Tavoir faite et de ne pas avoir fait un crime a la
place. »
Us s'interrogent aussi sur leurs sentiments, Fa... (169), qui a des
obsessions criminelles et des impulsions a tromper son mari^ se
demande si elle trouve les autres hommes mieux que son mari
ou inversement, et Re... (i4o) cherche ind^finiment si oui ou non
elle aime son fianc^.
Naturellement les interrogations porteront bien plus souvent sur
les souvenirs. Lise a-t-cllc voue son enfant au bleu ? II serait essen-
tiel de le savoir: certaincs circonstnnces la poussent a croire que
oui, certaines autres a penser que non. Des que la consideration
des unes Tincline a une opinion, les autres se prdsentent avec plus
de force et le balancement continue pendant des heures a propos
de ces souvenirs. Bor... a-t-elle dit des blasphemes dans I'eglise ?
Ce n'est ni oui, ni non: elle ne le decide jamais. Lod... at elle oui
ou non de mauvaises pensees? II lui est impossible de le savoir.
« Je me crois assassin, ditZa..., empoisonneur, le dernier des cri-
minels et je passe mes jours et mes nuits a me prouver a moi-m^me
que ce n'est pas possible, Thomme sense qui est en moi repete que
c'esl le comble de Tabsurde, et cependant je ne suis calme que pour
un moment et j'en arrive a nc plus savoir si oui ou non j'ai commis
ce crime. » Zo... recherche si elle a mis des epingles dans le
dos des gens et examine minutieusement tons les mouvements
qu*elle a accomplis.
We... cherche de meme si elle a fait va?u d'etre religieuse,
Bor..., si pendant la communion, elle a pousse son voisin du
coude, Je..., si elle a pris un timbre-poste il y a deux ans. « Je me
108 LES AGITATIONS FORCfiES
souviens bien d'etre entree dans la chambre oil 6tait ce timbre,
mais je ne me souviens pas de la position qu^ont gardee mes mains
et c'est la ce qu'iUaiit retrouver. » C'est toujours Tinstant essen-
liel qui est oublie et qu'il faut rechercher en gemissant.
Nous retrouverons ces recherchcs plus importantcs encore
dans d'autres manies mentales plus completes. Ici nous notons
seulemcnt Tindecision, le douteet la manic de Toscillation entre
deux solutions.
2. Les manies de l' hesitation, de la deliberation.
Quand le doute porte sur des actes, il prend Taspect d'une
hesitation, d'une deliberation interminable.
Tr... (ii8), jeune fiUe de 26 ans, a presenteau debut de sa mala-
die, vers Tage de 20 ans, unc manie d'oscillation tres curieuse
par sa nettete. Son metier consistait ii faire des fleurs en porce-
lainc, die devait prendre un petale en pate tout prepare et lui
donncr avec le doigt une courbure, une gaufrure elegante. Pen-
dant longtemps, elleavait fait ce travail avec succeset avec rapidite.
On s'apergut qu'elle travaillait de plus en plus lentcment, puis
qu'elle nc pouvait plus terminer aucun petale. Au moment de
donner la courbure a la pate, elle pensait a une forme possible,
puis a une autre qui serait peut-etre plus elegante, elle rcvenait a
la premiere forme, puis a la seconde et ainsi indefiniment sans
parvenir a terminer un petale.
Loy..., age de 56 ans, doit renoncer a sa situation de uotaire,
car il n'arrivc plus a signer un acte. Chaque signature qu'il doit
donner cveille Tidee d'une malhonn<^tetc qu'il va accomplir, il
s'interroge pour savoir s'il pent passer outre et accomplir Tacte
malhonnete, s'il doit ne pas se laisser entrainer, s'il doit croire
que I'acte est insignifiant, s'il doit consulter avant de signer,
etc., etc.
Nadia ne veut pas manger de peur d'engraisscr et de n'etre
plus aimee, d*autre part, elle a reconnu devant sa mere que Tidc^e
etait absurdc et elle a promis de manger. Kile a done fait deux
promesses : Tune a clle-m6me, Tautre a sa mere : laquelle faut-il
tenir? Si elle mange, elle sera honteuse de n'avoir pas eu d*6ner-
gie, elle meritera d'engraisser reellement ; si elle ne mange pas,
elle aura des remords d'avoir manque de parole a sa mere... et
Thesitation va se prolonger indc^finiment. « Faut-il se decider a
LES MANIES MENTALfeS DE L'OSClLLATroN 100
sortir, se demande Lise de la m^me raaniere, et par la s'exposer
a donner au diable l^ame de scs enfants on faut-il rester a la
maison et renoncer a une sortie utile. »
Jean nous presente les exemples Ics plus curicux de ces delibe-
rations interminables, car chez lui les deux parties de la delibe-
ration semblent etre personnifiees par les deux femmes qui sont
Tobjet principal de ses obsessions. Doit-il oui ou uon monter
dans un tramway? S'il y monte, le voisinage des femmes va ra-
mener Tobsession de Charlotte. Cette pensee de Charlotte d^ter-
miiiera des (luides dans tous les membres, des tentations de
masturbation, des crispations des organes, etc. S'il ne monte
pas dans le tramway et s'il prend un fiacre va-t-il 6viter tout
cela et etre tranquille? En aucune facon : il aura Tobsession d'une
autre persoiine, celle de la femme de chambre Elise dont la tete
iui apparaitra avec une expression narquoise. Cette tete se niettra
a rire de plus en plus^ semblera lui parler et se moquer de lui.
« Tu ne montes pas en tramway, tu vas payer un fiacre quarante
sous et cela parce que tu as pcur des remmes, hi, hi, hi. » Comment
choisir sans tomber de Charybde en Scylla ?
11 en est de meme pour tous les actes. S'agit-il de jouer du
piano pres de sa mere, Charlotte envoie des (luides et Elise se
moque de lui : « Tu veux cesser quand ta mere est la parce qu*elle
te donne des excitations, eh bien, attend un pen, eric, crac. »
Son pantalon le gene, Charlotte donne Tidee de le decoudre a
la braguette « pour que les organes soient plus a Taise », mais
Elise est prise de fou rire a la pensee du pantalon decousu. Entre
les deux, Jean ne sait plus que faire. « Je ne puis pas prendre de
decisions, je vois les consequences de part et d*autre, je suis
comme Tane entre deux bottes de foin : que je fasse blanc, que je
fasse noir, j'aurai toujours ma petite mesure de phenomencs. »
Cetle hesitation est gcnerale chez lui et les pensces hypocon-
driaqucs la dc^terminent aussi bien que les pensces relatives aux
p^ches sexuels. Ainsi il tient absolument a suivre un traitement
hydrotherapique et je lui conseille de prendre des douches.
Voici quelqucs-unes de ses rcllexions a ce sujet: « Sans doute, la
douche a ses avantages, elle est tonique pour le syst^me ner-
veux, mais elle est excitante, elle me donne des excitations. Apres
une douche je dois sans cesse reraucr les doigts et pour qu*on
ne le voie pas, je les remue dcrriere mon dos, comme cela... Ce
mouvement est agagant, il est dangereux, car il pourrait m'exciter
110 LES AGITATIONS rOllC£ES
les organes... il vaudrait mieux des bains tiedes que m'a jadis
conseille mon vieux medecin. Oui, mais le bain est aplatissant ;
il m'abrutit, m*enleve toute energie et tout pouvoir d'aipplication,
il pourrait me faire tomber dans la torpeur... 11 est vrai <|ue la
douche a sur ce point un grand avantagc, elle est tonique ei
reconfortante, je ne la prendrai pas froide, ni chaude, mais tiede,
a 28", il faudra prendre des precautions pour ne pas diriger Ic
jet sur la colonne vertebrale et pour remonter bien de chaque
cote... Oui, mais je Tai deja essayce ainsi, c^est tout de meme
excitant et cela pourrait ramener les fluides et les tentations...
Ce danger est le plus grand en somme, il vaut mieux un bain
tiede, un bain alcalin, on m'a dit que c'etait ealmant ; seulemcnt
apres les bains de ce genre il faut renoncer a toute activity et moi
qui me desole dcjk de n'avoir pas de situation, pas d'occupation...
Une douche me vaudrait evidemment mieux pour me tirer de
la... )) Si on ne Tinterrompt pas, il continuera ainsi pendant
plusieurs hcurcs.
On comprcnd combien cette hesitation va troubler Taction.
Mais nous verrons chez les scrupuleux bien d'autres troubles de
Taction, ce qui nous amenera pen a peu a rechercher si ce trouble
de Taction volontaire n'est pas le fait le plus important de la
maladie.
3. — Les manies du presage on de l' interrogation du sort.
A cote de la manie de Tinterrogation, il faut placer un pheno-
mene qui me semble voisin, la manie de Tinterrogation du sort
ou la manie des presages. Le malade ne pouvant arriver lui-meme
a la solution de la question qu'il s*est posee ou ne pouvant tran-
cher son hesitation sur une action cherche partout des rai-
sons qui peseut d'un cote ou de Tautre; il s'en remet a quelque
affirmation exterieure. Mais il lui faut une aflfirmation ext^rieure
qu'il ne puisse pas discuter, une affirmation mysterieuse et in-
^ c^mpr^hensible, aussi cherche-t-il a obtenir la decision du sort. De
riiome quand nous hesitons entre deux actions qui nous paraissent
I'gales ou du moins quand nous n'avons pas Tenergie suffisante
pour reconnaitre quelle est la meilleure, nous jouons a pile ou
iace.
V'oici quelques exemples de cette manie frequente et bizarre :
Vy... se tourmente pour savoir s'il croit en Dieu ou s'il n y croit
i
LES MANIES MENTALES DE L'OSCILLATION lii
pas et il se repcte la phrase suivante : « Si en marchant dans la
rue je puis eviter de traverser Tombre des arbres, o'est que je
crois en Dieu, si je traverse Tombre, c'est que je n'y crois pas. »
On trouve On... le front fortement appuye sur un carreau de vitre.
Voici ce qu'il pense: « Si \e carreau n'est pas cassequand j'appuie,
c'est que je nc suis pas sacrilege, s*il casse, je le suis », et de
fait, il n'appuie pas bien fort. « Si je ne casse pas ce verre que je
scrre, dit Lise, c'est que je n'ai pas voue mes cnfants au diable. »
M Si je marche du pied droit, dit Bor..., c'est que j'ai pense du
mal de Dieu. » « Si je me coiffe de telle facon, dit Vi..., je ferai
casser la jambe a raon gar^on. » « Si le bon Dieu m'envoic Ics
id^es de d^faire les morts dans les cimctieres, c'est que ma petite
fille sera mechante... Si je vais trois dimanches de suite a la
messe sdns fetes intermediaires, c'cst que Dieu veut me sauver. »
(Ger...), etc...
Les choses se compliquent quand il est didicile de constater le
phenomene qui sert de presage, car alors le doute recommence
sur lui et cela donne lieu a toute une nouvelle interrogation. Ainsi
We... se demande si elle doit oui ou non devenir religieuse. Elle
conclut dans sa sagesse que si Dieu la veut comme religieuse, il
lui fera voir des presages dans le ciel, c'est-a-dire des croix et des
figures de saintes, et la voici le nez en Tair a regarder le ciel et a
se demander si elle y voit des croix et des images de saintes. Ce
problemc devient tout un nouvcau d^lire avec doutes, interroga-
tions, examen perpetuel du ciel, et ce qu'il y a de plus malheu-
reux, incertitude sur les souvenirs. Aujourd'hui, elle ne voit
pas de croix ni de saintes dans le ciel, mais en a-t-elle vu hier?
li faut rechercher I'emploi des moments de la journee et la voici
saisie d'une inquietude. Comme au fond elle nc veut pas etre reli-
gieuse, elle ne veut pas avoir vu de presages et elle a la crainte
d'en avoir vu.
Cette facon de s'en remettre au destin du soin de decider pour
nous est tres caracteristique et on la retrouve dans beaucoup
d'observations anciennes. Le mystique anglais Bunyan s^interroge
en marchant sur une route et se demande s'il a oui ou non sauve
sa foi. Le tentateur lui suggere Tidee qu'il pent Ic decider en v<i-
riflant si ses prieres sont oui ou non capables de faire des mi-
racles. Que dans une prierc, il demande a Dieu de changer les
flaques d'eau en endroits sees et les tas de boue en poussiere
seclie et qu'il v^rifie cnsuite. II lui vient en idee que s'il fait
11^ LES AGITATIONS FOaCfeES
cette verification et qu'elle ne r^ussisse pas, il se croira damn^.
« S'il en est ainsi, je h'essayerai pas encore, je veux attendre un
peu pour le fa ire. » *
J. -J. Rousseau qui, par bien des cotes, etait un maladc tout a
fait semblable a ceux que j'etudie ici, note dans ses Confessions
qu'il se sentait pousse a r^soudre les questions insolubles par un
procede semblable. « La peur de Tenfer m'agitait encore souvent;
je me demandais : en quel etat suis-je ? Si je mourais a Tinstant
meme, serais-je damne?... Toujours craintif, et flottant dans cette
cruelle incertitude j'avais recours, pour en sortir, aux expedients
les plus risibles et pour lesquels je ferais volontiers enfermer un
homme si je lui en voyais faire autant... Je m^avisais de me faire
une espece de pronostic pour calmer mon inquietude. Je me dis :
je m'en vais jeter cette pierre contre Tarbre qui est vis-a-vis de
moi ; si je le touche, signe de salut ; si je le manque, signe de
damnation. Tout en disant ainsi, je jette ma pierre d^une main
tremblante et avec un horrible battement de coeur, mais si heu-
reusement qu'elle va frapper au beau milieu dc Tarbre ; ce qui
veritablement n'etait pas difficile, car j'avais eu soin de le choisir
fort gros et fort pr^s. Depuis lors, je n*ai plus doute de mon
salut *. )) Rousseau se dit rassure sur son salut par une scule
experience heureuse, c'est qu'il n'etait guere malade a ce moment.
Nos maladcs ne sont pas si faciles a satisfaire et Ton a vu que la
recherche des presages devenait chez eux une veritable manic,
aussi interminable que la manic des interrogations dont elle me
parait d^river.
M. Van Eeden^ decrit sous le nom de manie de superstition une
interessante variete dc manies mentales. Son malade attache une
signification prophetique a des faits insignifiants : une cravate de
l<*Ile couleur lui promet bonheur ou m;.lheur, une borne 'qu'il
ttiuche ou non de sa canne decide de sa destinee. Ce n^est pas la
iMie maladie particuliere et rare, comme Tautour semble le penser :
r t;ftt une forme asscz fr^quente de la manie de Tinterrogation.
Ces premiers phenom6nes, les manies du doute, de la delibe-
ration, de rinterrogation, des presages se relient comme on voit
rtroitement. Elles peuvent former un premier groupc dont le trait
I Josiali Uoyce, The case of Bunjan. Psyrholofjical Review, 189^, 137.
a. .I.-J. Uousscau, Les Confessions, I, liv. VI, edit, des criiv., 1839, XV, p. 4^7-
3^ Van Eedon, lievue de rhypnotisnie, 1892, p. i3. Psycliolht^rapie, 1894. Gf. M.
Uraiuwcll, Brain, 1895, p. 335.
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Li:S MAMES l)E L'Al DELA '" li3
caracteristique est roscillation de rcsprit. II y a un balancement
entre deux idees, le oui et le non, et Tesprit n'arrive pas a se
fixer definilivement ni sur I'une ni surTaulre. II cherche avec effort
des raisons pour ou contre et il n'arrive pas a se satisfaire malgr^
rinterrogation des presages.
2. — Les manies de I'au deJd.
L'esprit toujours instable peut cependant ne pas osciller iude-
Gniment entre deux termes opposes. II lui sudit de d^passer le
terme donne, de le remplacer par quelque chose d'autre, d'aller
simplement au dela. C'est le caractere que je retrouve dans unie
foule de manies dont je ne puis signaler que les principales.
I . — Les manies de la precision,
Le malade qui ne peut arrivcr a la certitude a besoin pour se
rassurer d'environner ses actes et ses pens^es de tout ce qui peut
les preciser, les materialiser en quelque sorte. Legrand du Saulle
le remarquait d^ja : «sous Tinfluence d*habitudes inveterccs d'ona-
nisme, dit-il, le malade eut une sorte de precision maladive,
d'attention exager^e, provenant d'un certain manqufe de confiance
en lui. ' »
Nous retrouvons ce besoin chez beaucoup de nos malades. Jean
est tout a fait d^sesper^ de ma fa^on de rediger une ordonnance
pour les douches, il veut qu'on indique la temperature exacte, la
pression en chiffres, le nombre de secondes, Tendroit du dos oil
doit frapper le premier jet, la ligne que le jet doit tracer sur le
corps en faisant des detours pour ^viter certains points, Tendroit
du dos par lequel il faut finir, etc : il doit epouvanter son dou-
cheur. II lui faut faire chaque chose a sa date et il aurait des
remords ^pouvantables s'il lisait un journal d'une date ancicnne
«c'est un desordre, ce n'est pas a cette date qu'il devait etre lu. »
Wo. s'^puise a prendre des notes minutieuses sur tous leslivres
qu'elle lit, a tenir un journal de tous les incidents de la journd'e,
a tout noter par ^crit avec precision.
I. Legrand du Saulle, Folic du doute, p. 17.
LE8 OBBE8SION8. I. 8
114 LES AGITATIONS FORCfeES
J'ai signalc autrefois a propos de la parole interieure une ma-
lade F... qui avail l*habitude bizarre de se rcpeter en dedans le
nom des objels qu'elle voyait : « c'est un pave, c'est un arbre,
e'est un tas d'ordures.' » Je n'avais pas compris a ce moment la
raison de ce besoin. En r^alite c'etail une serupuleuse, qui crai-
gnait en passant pres des gens de leur fairc du mal, qui retournait
en arri^re pour voir si elle n'avait pas cogne les chevaux, qui
s'interrogeaitindefiniment pour,savoir si elle avait paye, etc. Cctte
denomination perpetuelle des objets etait chez elle en rapport
avec une manie de precision.
D'autres auront la manie des ifenficnttons, qui difiere peu de
la precedente. R... identique sur ce point a un malade de M. Ar-
naud tale perpetuellement ses veteraents et surtout ses poches
a pour verifier si tout est bien a sa place, si elle est bien tiree a
quatre epingles, si elle n'a perdu aucun petit objct. »Ser... tou-
chc a chaque instant ses oreilles (c pour voir si elle a toiijours
ses boucles d'orcille » on verra que cette manie devient souvent
i'origine des tics. II est inutile de rappeler les malades bien
connus qui verifient indefiniraent si la porte est bien ferm^e, si
le gaz est eleint, si la leltre est bien dans la boite, etc.
A la meme manie de precision se rattache /a manie de la fixite
des idees qui a deja ^te decrite ii propos de la forme des obses-
sions.
«
II faut placer dans un groupe voisin les manies de I'ordre, On
voit souvent debuter la maladie du scrupule chez les enfants
comme chez Ser..., chez les enfants de Lise, par la manie de
plier leurs robes exactement dans les memes plis, de ranger leurs
v(^tements le soir en se couchant, de mettre de I'ordre dans leurs
armoires d'une facon tout a fait exag^ree et ridicule. Plus tard la
manie devient grave, Lkb..., femme de 22 ans, ne pent plus souf-
frir qu'aucune personne pas meme son mari entre dans sa
chambre : « j'ai trop peur qu'on ne derange mes affaires, siquel-
qu'un derangeait chez moi une ^pingle cela me rendrait afireuse-
ment malade. » Vk..., femme de 58 ans, s*epuise depuis 20 ans
a mettre de Tordre dans son menage, elle refuse de manger et de
de dormir « avant qu'elle n'ait mis tout en ordre » et elle ne
pent y parvenir « car elle voudrait la perfection et elle a ^16 de-
I. Mevroses et Idees fixes, I, p. 23.
LEs man:es de i;au DEL.\ II5
bordec. » Qsa... eproiive toujuui!) le besuiu de ruugcr « ses
aflaires, ses papiers, c'est pour lui un besoin de simplification
perp6tuel. »
Claire met de Tordre non seulement dans ses objets mais
encore dans ses iddes. II faut qu'elle pense la meme chose a la
m6me heure, a la meme place. II fautqu^elle ne pense pas plus un
jour qu'un autre, il faut surtout qu'elle raconte les 6vt»nements
dans un ordre determine. Personne n'obtiendra qu'elle raconte
tout de suite ce qu'elle a eprouve hier : il lui faut reprendre les
choses par le commencement et reciter par ordre chronologique
ce qu'ellc a eprouv^ depuis lo ans avant d'en arriver a la journee
pr^eedente.
Mettons a c6i6 la nianie de la symetrie dont M. Azam nous
donne un exemple : « il lui faut toujours ranger les objets la
moitie a sa droite, la moitie a sa gauche... Si elleamisle piedsur
une pierre un pen saillante, elle se sent forc6ede rechercher pour
Tautre pied une sensation analogue. Lorsqu^elle a place une main
sur du marbre ou sur tout autre objet froid elle est contrainte de
faire subir a Tautre organe symetrique i^ne impression ana-
logue ^ »
Jean a des besoins analogues : si en levant les yeux il a remar-
que un objet rouge a sa droite il lui faut d^tourner la tete et
cherche a fixer son regard sur un objet rouge fixe a gauche.
M. Flournoy, dans son livre sur les synopsies ^ signale une symv-
tromanie typographique : « les noms et les mots qui ne sont pas
composes d'un nombre regulier de lettres m'ont toujours fait une
impression desagreabic et cause un vrai chagrin ii mcs yeux. Les
titres de livres, les enseignes de magasin me donncnt toujours
sous ce rapport un vrai travail : je compte les lettres, et si elles
ne sont pas en nombre pair, je coupe les mots de facon a mettre
une lettre isolee au milieu des autres; ainsi pour les mots Japon,
seule, je les ccris en pensee de cette maniere : Ja-p-on, sc-u-lew.
On a souvent remarqu^ Timportance dn contraste et de la con^
treidiction chez ccs maladcs, M. Raggi^ rapporte Tobservation
1. Azam, Les toques. Revue scienlifique, 1891, I. 618.
2. Flournoy, Les synopsies, i8q3, p. aai.
3. Raggif Archivio ilaUano per la malallic nervose, 1887.
i16 LES AGITATIONS FORCeES
d*un jeune homme de 20 ans qui, par instants, ne pouvait ouvrir
la bouchc sans Hrc force de faire les raisonnements les plus ab-
surdes et souvent meme dc dire lout le contraire de ce qu*il
aurait voulu. M. Seglas, qui cite cc cas, ajoutc plusieurs obser-
vations du meme genre ^. « Ce qui le peine le plus, dit son ma-
lade, c'est qu'il lui arrive par moments de se contredire lui-meme
et au moment oil il veut exprimer une idee de dire tout le con-
traire de ce qu'il veut. » MM. Pitres et Regis* donnent plusieurs
excmples curieux de ce phenomene. « C'est, disent-ils, la manic
blasphematoire de Verga. » Dans la priere on voit « maudit » au
lieu de « benit », « enfer » au lieu de « ciel », « Wilde Sau (sanglier
sauvage) » au lieu de « Liebe Frau (notrc Dame))) au lieu de «je
vous ai au cccur )) elle pense «je vous ai au cul )) au lieu dc « mon
Diou je n'adorc que vous » elle pense « j 'adore ca » ct elle croit
voir un derriere )). On observe facilement des faits scmblables :
Bunyan pense a adorer un balai, une ordure quand il veut prier
Dieu, Claire, Vy... et bien d'autres pensent a se masturber quand
elles veulent preparer une confession et Qi... (ii3) se sent forcee
d'appeler « cochon » les gens qu'elle respecte le plus.
Les auteurs qui rappellent de tels faits les rattachent volontiers
a quelquc loi profonde de I'esprit. M. de Sanctis, dans un article
interessant, parle de Tassociation par contraste qu'il expliquc ainsi :
« Un certain exercice force de Tattention inhibe et ^loigne Timage
a laquelle il s'applique et favorise I'opposition et la vicloire de I'as-
sociation par contraste ^)). II y a beaucoup de v^rite dans celte
remarque que je reprendrai plus tard, mais il ne faut pas oublier
que les ph^nomenes de contraste prdsentes par les scrupuleux ne
sont pas tonjours des phenomenes primitifs, spontanes, ce
sont des phenomenes voulus, cherches par le malade, c'est bien
souvent une manie de precision, de comparaison, d'opposition
extrc^me qui le pousse a chercher ce terme qui fait si bien
contrpstc.
C'est aussi de la meme maniere que je comprendrai les asso-
ciations d'idees extravagantes que presentent certains malades et
qui scmblent jouer un role ^norme dans la reproduction des
1. Soglas, Lri;ons cUniques sur les maladies ncrveuses el mentales, 1896, p. 129.
2. Pilrcs ct Regis, op. rit., p. .'4 5.
3. S. de Sanctis, Fenomem di ronfraslo in psuohtjia. Rome, 1895.
LES MANTES l)E L AU DELA tl7
obssesions. J'en ai d^ja cite beaucoup a ce propos, en void encore
une. Jean trouvc de Tobscenit^ dans la duree de trois quarts
d'heure ; une vlsite de trois quarts d'heure serait obscene parce
qu'il a appris qu'un personnage est reste trois quarts d'heure
avec une feinme avant de mourir. Ce sont la a mon avis des manies
rnentales d'association et non de v<5ritables associations irrefl^-
chies et ces manies d'association ne sont que des consequences
des manies de la precision.
La nianie de proprete se presente frequemment, nous la
retrouverons dans bien des cas, en particulier a propos des pho-
bies, mais elle sc rattache aussi a ce besoin de faire les choses
avec ncttete, avec precision. Vk... se lave les mains ind^finiment,
sans crainte precise de souillure, simplement parce que « les
mains mal lavees, c'est du desordre ».
La micromanie merite qu'on s'y arr^te : il est Evident que
beaucoup de ces malades accordent plus d'importance a ce qui
est petit qu'a ce qui est grand, Chu . . . , fenime de 36 ans, recherche
avec anxiete les cc petites micttes de graisse, les miettes de salet^x)
mais ne s'occupe pas « des grandes saletes ». Bow... a peur
(c des petits bruits » non des grands. (( Un coup de canon ne me
fait rien, mais j'ai envie de tuer les gens qui machent, qui se
curent les dents, qui toussent... » M. Stadelmann de Wurzbourg*
rapporte une jolie observation d'un homme de 3o ans, pr^occupe
depuis la puberty par la preoccupation de ce que deviendront
dans Tavcnir divers objets insignifiants, une mouche qui vole,
une allumettc eteinte, la cendre d*un cigare, les taches de bougie
tombees a terre, etc. M. Farez rapporte aussi des obsessions et
des degouts pour des tres petits objets, bouts d'allumettes,
taches de bougie^. II est inutile d'insister sur Timportance que
ces malades attachent aux « petits microbes ». Dans cette preoc-
cupation de ce qui est petit entre evidemmentla manie de I'atten-
tion et de la precision.
1. Stadelmann (Wurzbourg), Trailcmcnt psychiquo. SocicU d'hypnologie et dc
psychoUtgie, 20 mars 1900.
2. P. Farcz, Cas do phobic consciontc. Sociele d'hypnologie et de psychologic,
ao mars 1900.
118
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: •-? * ' T'l-^-Ti** : *^ t*- . *- *^y.''* '•.!*'*-:• jiitrulDf *-: 6* i« ii-^ar^ r.s—
i-j-? 1» ii'-^ •' *** p-**: - -r* -.'.i^*'**:.-*: .'L -el k cm* at si D*ri.'re.
Li i-i".'^ i '• ■•-• -•- '•- -' »^ p'*--- *-?* foi* ;-e I a: fiirt*f- h irrine* con-
^^nj21-"ii-*it- '-- '-.'^ **'/., ^'-r.*. 'i*'* cji* i-e iD*-ii*(i.r< f^traifc-l -aire
ch-tz i-^ !::•:- " * ** '7^- "-" ^.-'i*. I^"^ aKr!e* 0*- iitj*.ftai»cf t** d< iii:»rl de
ton* \i'i i.-.-i^*^ -"^ ^* r,o'r.K,ute 03 «3ji recMfi*! j'lii»ri:re du
cheaii:i It r'tr '.•" a t»/rt. a moo a%i«. dc tf w»iif.i 3*-reT en fux
que la r:-T. ■!-•<?• r* -If I*:* d»r<rrire un;<{'jei»<-iit comme des hy-
iH»rmne>i^ -*■*. S. ! on remarquaJt que €<• soat des srrapulciix,
nirils out I^ rr. ir.i«r l»-'liri;r*^r toule leur altentioD 5.or ce pi»int et
(jirils napprenn^ffjl en r#:alite ricn d'aulre, on traaverait cette
inemoire moins m^rrveill'U^e.
Dans une secoride forme les maladcs accordent une ^rrande im-
portance a certain!* nombres determines : Lisedoonesa preference
Jiux nombres 2, 3, '1, S;^, qui represcntent telle ou telle de ses
ideos obsedantes. Jean deteste les nombres 6, li, 20, prononces
par Charlotte, 22, date du jour oil la femme de chambre Ta
quittc, 57, Tage de (Charlotte, 53, date de sa naissance, etc.
On a depuis longlenipH si^nale le besoin de compter. M. Gi-
nestoux a preseiile w la nociele (Panatoniie et de physiologie de
Bordeaux, en iHcjy, un jeuiie hoininc de 27 ans qui depuis Tage
de 10 ans comple touleH leH lellros eontenues dans les phrases
'i Til pense, qu'il dil, (|u'll eerit ou qu'il entend, sans que ce tra-
^^il pht'iionienal soil eepiMulunl une gi^ne ou une fatigue potirlui * :
\
LES MANIES DE L'AU DEL.\ 119
le dernier point serait a verifier. On connait le malade celebre
de Legrand du Saiille qui en entrant chez le m^decin lui deman-
dait la permission de compter d'abord Ics boutons de son gilet.
Jean n'a*t-il pas imagine de compter le nombre de lettres qui
dans Talphabct separent les diff^rentes lettres d'un mot : le mot
c( mere » est pour lui 7, 12, 12 ; car entre M et E il y a 7 lettres
cl 12 enlre R et E. Zo... se croit obligee de compter toutes les
epingles qui sont dans la maison afin de verifier si elle n'en met
pas dans la soupe.
Enfin dans des cas plus complexes les mhlades ont besoin de
compter jusqu'a des nombres determines : Ser... et F... exigent
que chaque question leur soil repctee trois fois avant qu'elles
daignent repondre. Mw..., jeune fille de 28 ans, compte malgre
elle le nombre de doigts avec lequel elle touche un objet : pour
rien au monde elle ne voudrait toucher un objet avec 7 doigts a
la fois, aussi pour Feviter prend-elle la resolution de ne rien tou-
cher qu'avec une seule main. Rien n'y fait, elle a touche I'objet
completement avec trois doigts et legerement avec le quatrieme,
cela fait 3 doigts 1/2 et elle pense forcement que si elle avait mis
les deux mains cela ferait 3 1/2 X 2 c'est-a-dire 7. Jean compte
ainsi une foule de choses, le nombre de fois qu'il avale sa salive,
les battements de son coeur; il compte par 4 et par multiples de
4. « un, deux, trois, quatre, il faut que je les compte sans quoi
j'etouflerais et je ne pouvais pas m'arreter avant quatre; cinq,
six, sept, vous savez qu'on ne pent pas s'arreter a sept ; huit,
j'ai ete oblige d'aller jusqu'a huit. Si Texcitation etait tres forte,
il faudrait encore une s^rie de quatre. Quelquefois il faut aller
jusqu*a 32, 64)). Je remarque en passant que ce compte des batte-
ments du coeur est tout a fait imaginaire : j'ai essaye une fois de
compter moi-mcme son pouls pendant qu'il comptait a sa fa^on les
battements du ca»ur, noscomptes etaient absolument discordants.
II compte ainsi toutes sortcs d'actions bizarrcs que nous retrouve-
rons a propos de la lutte contrc les obsessions et a propos de la
manie decompensation. Un autre malade Vy... me disait naive-
nient qu'il avait besoin de compter pour se raccrocher a quelque
chose. Je crois que ce malade a raison, Tarithmomanie n^est pas
une obsession specinle, une idee fixe isolc^e, c*est une manie men-
tale, une sorte de besoin pathologique de precision qui peut
s'appliquer a toutes les obsessions, et memc a des idees quel-
conques.
120 LES AGITATIONS FORCfiES
3. — Les mantes clii symbole.
Je di^signe par ce mot une tendance et tin besoin tres curieux
qui me semhient n'avoir pas ete suflisamment remarques : c'est le
l)esoin dc traduire en images, en representations sensibles les
sentiments et les idees. Ce besoin se constate d'abord dans le
langagc des malades. On est frappe de Tabus qu'ils font des
ni^taphores pour exprimer leur etat. « Je suis un pauvre petit
oiseau sans plumes... je suis au milieu d^un labyrinthe avec d'in-
nombrables couloirs obscurs, — je suis comme un saccouchepar
terre et Thumanite danse dcssus. )> II faudrait recopier tons leurs
discours pour mettre ce signe en evidence.
Le symbole se retrouve encore bien plus dans les images que
se repr^sentent les scrupuleux, images qui donnent naissance aux
pseudo-hallucinations que nous avons ^tudiees prec^demment. On
a dA ctre <^tonne du contenu singulier de ces pseudo-hallucina-
tions. D*ordinaire Thallucination reproduit un spectacle particu-
liercment impressionnant qui merite de rcster dans la memoire ;
une hysterique a Thallucination dc la t^tc de son pere sur son
lit de niorty une autre de la figure de son amant qui Tembrasse.
Ici nous avons signals chezVoz... Thallucination du mur du lycee,
de !\ arbres qui reutourent pendant qu'il. marche, chez Rp...
riiallucinatiou dc la silhouette d'un homme qui passe. Comment
cos images banales ont-oUes pu attirer assez Tattention pour se
reproduire ainsi indefiniment? En realite, ce ne sont pas de sim-
ples souvenirs, ce sont des images qui ont un sens, une significa-
tion et cette signification est plus importante que Timage elle-
nit^me : en un mot ce sont des symboles.
Rp... qui voit passer devant lui a 5 metres de distance le direc-
teur de Tecole avec un visage souriant ou courrouce est un scru-
puleux qui a la mauie des presages. II s'est dit que son entre-
prise r<^ussirait s*il voyait passer devant lui son directeur avec le
visage souriant. II va tout a Theure s'interroger, nous le savons,
et se demander si le visage etalt souriant ou non, peu importe.
L*essentiel ii romarquer main tenant c'est que cette vision iraagi-
naire de la figure du directeur est devenue un symbole qui
resume les bous et mauvais presages. Yoz..., ce jeune homme de
23 ans, qui a des pseudo-hallucinations si curieuses du mur, des
arbres du lycee, des chainos qui lui bar rent le chemin, eprouve
L
LES MANIES DE L VU DELA 121
au supreme degr^ un sentiment tr^s frequent chez les s'crupuleux
et aussi chez les pers^cut^s, un amour passionne, obs^dant de la
liberte avec {'impression qu'elle lui est ravie. « Je sens toujours
comme une limitation qui me contraint, qui m'arr^te, je suis ob-
sede par la pens^e de eontrainte et de limite a mon action... »
Nous aurons a etudier la genese de ce sentiment si curieux et si
frequent; pour le moment remarquous comme il est bien sym-
bolise par les images que voit le malade, le mur du college, les
arbres de la cour entre lesquels il croit marcher sans cesse, les
cordes qui le lient. Peut-on trouver plus parfaite hallucination
symbolique ?
Chez d*autres malades nous trouverons beaucoup d*autres
exemples moins brillants : chez Jean les deux images de femme
symbolisent Tunc celle de Charlotte, la tentation, Tautre, celle
de la femme de chambrc qui rit, la conscience. Chez Claire nous
avons deja insiste sur Timage du membre viril et de Thostie qui
symbolisent le crime sacrilege ; chez la meme malade le precipice
repr^sente la maladie et ses progres. Ce dernier symbole est si
nature! que d'autres personnes, en particulier Lise, me discnt
eprouver aussi ce sentiment de descendre et d'avoir besoin d'un
effort pour ne pas se rcpresenter une descente mat^rielle dans
un trou. Les saintes dans le ciel sont pour We... le symbole de
la vie religieuse et le visage de Tenfant est pour Gisele le symbole
des devoirs conjugaux.
Des objets et non des images peuvcnt devenir des symboles.
Le faux col est pour Vy... le symbole de la gene et de la eon-
trainte, comme le journal est pour Jean le symbole de tons les
crimes politiques et genitaux. De la sont venues bien des terreurs de
ces objets.
Cette manie du symbole se retrouve aussi dans certains actes
el dans certains mouvemenls : pivoter siir ses talons, c'est pour
Led... le symbole de la religion « parce qu'on tourne ainsi de
ciHe pour saluer I'autel quand on passe devant. Fcrmer le poing,
c'est comme si on insultait Dieu, fermer brusquement un tiroir,
c'est envoyer Dieu promener ». Nous en verrons bien des
exemples en dtudiant les tics. Remarquons seulement que la
manie de la proprete qui etait deja une consequence des
raanies de precision se rattache aussi souvcnt au symbole. La
soeur aux scrupules de Uodcnbach epoussette sans cesse sa
cornette pour faire tomber les poussieres, symboles des pctits
i22 LES AGITATIONS FORCfiES
peches^ et Vk... se lave les mains avec du savon blanc toutes
les fois qu'elle a pense a mentir.
Ccttc manie du synibole joue un grand role dans les im-
pulsions et, si on la m^connait, on s'expose a de graves erreurs.
On a vu que ces malades ont des commencements d'actes,
pousser du doigt sa petite fille, boire un petit purgatif, ouvrir un
bouton de la braguette, j'ai deja cit6 trop d'exemples pour y
revenir. D'autresn'ontquc Timage kinesthesique d'un mouvement
qui commence. Plusieurs autcurs ont vu la Texplicatlon deTobses-
sion impulsive : les sentiments de ces representations de mouve-
ment, de ces pctits mouvements commences donneraient au malade
ridde qu'il est pousse a accomplir quelque chose. II en est quel-
quefois ainsi chez les hystcriques qui ont des actes automatiques
<ivec subconscience, mais il n'en est pas ainsi chez les scrupuleux
qui font eux-mcmes ces petites actions, conimc des symboles du
crime, pour se donner a eux-m6mes Tillusion d'c^tre pousses au
crime et pour pouvoir se faire plaindre et proteger.
Cette manie du symbole me sembic jouer un tres grand role
dans la maladie et quand nous discutcrons la gencse des obses-
sions elles-memes, nous verrons que beaucoup ne font que sym-
boliser un trouble antericurcment ressenti. Quant a cette manie
elle-meme, elle me parait seraltacher aux phenomenes precedents,
comme la manie arithmetique, elle depend du besoin de preciser,
d'exprimer avec une neltete, d'une manicre matcrielle, des senti-
ments et des id<^es a propos dcsquels le malade n'arrive jamais
a la certitude.
!\. — Les manies de la recherche. — La manie du passe,
la manie de Vavcnir,
Le travail mental me semble se compliqucr quand il d(§passe
les circonstances environnant Tacte present et qu'il porte sur de
tout autres faits, en particulier sur des fails passes.
Pour r^pondre au probleme pose par Tlnterrogation primitive :
c( ont-ils oui ou non commis une action reprehensible ? » les ma-
lades sonl amenes a se rcmemorer exactemenl les actes ancien-
nement accomplis. Par excmplc, Ce... a des souprons sur tel ou
tel acte de la journce, il s'arrete el cherche a se rappeler exacte-
1. Uodcnbach, La sceur aux scrupuleSj p. 80.
LES MANIES DE L'AU DELA 123
ment les diverses actions qu'il a faites, les diverscs phases par
lesquelles a passe chaque action. II passe dcs heures a verifier
dans SB m^moire comment il a pass^ d'un mouvement insignifiant
a un autre aussi futile. Si par malheur dans cette revue, il y a un
instant dont le souvenir ne lui soit pas precis, le voilii au comble
du desespoir. Qu'a-t-il pu faire dans cet instant? C'est la que se
g-lisse Tobscssion et il fait les plus grands efTorts de m^moire
pour se convaincre que pendant cette sccondc, il n'a pas accompli
quelque horreur. II en est de m6me pour Dk... : « a quel moment
a-t-il pu tuer cette femme ? de quelle maniere s y cst-Jl pris ?
quel est Tinstant de la journc^e oil il n'^tait pas occupe a autre
chose ? » II emploie dcs heures a cette recherche.
La recherche indefinie est un des grands caractcres de Lise,
car, pour son malheur, elle ne se pose ces questions que sur une
epoque cloigneeoii la verification minutieusede Temploidu temps
est horriblement difficile. II y a un an, le vendredi soir de telle
date, s'est-elle laissce aller a vouer ses enfants au diable? Pour le
savoir, il faut rechercher, si a cette epoque, elle a ddsire quelque
chose assez forlement pour prier le* diable de le lui accorder, si
elle a cede a la tentalion d'obtenir ce qu'elle desirait par le sacrifice
des enfants, ou si elle a su resislcr en disant la formule d'exor-
cismes : « Non, non, 4t 3, 2. » Voila un petit probleme qui n'cst
pas facile a resoudre: il faut trouver minutieusement Temploi de
son temps afin de constater une sorte d'alibi moral. <( Ca ne dis-
parait pas une minute de mon esprit. Je sens que jc recherche tout
le temps et cc sontdes heures d'immobilite dans cette recherche
stupide. » Or, elle recherche ainsi toutes les promesses qu'elle a
pu faire a Dieu ou au diable, toutes les paroles qu'elle a prononcees,
tous les signes qu'elle a faits jusqu'a s'affoler completement.
Un cas interessant de cette manic de rechercher un souvenir est
celui de Bre... (i4i)» femme de 42 ans ; elle a perdu son mari il y a
trois ans dans dcs conditions assez emotionnantes. Depuis ce mo-
ment, elle a le sentiment qu'elle a oublie la figure de son mari. Nous
aurons a etudier jusqu'a quel point cet oubli est reel. Pourle mo-
ment nous constatons que cc pretcndu oubli est le point de depart
d'une manie de recherche. II lui faut arrivcr a se represenler vi-
suellement la figure de son mari: elle se sert pour y parvenir des
portraits, des descriptions, des souvenirs de toutes sortes, elle tra-
vaille nuit et jour et ne parvient pas suffisamment a son gre i\
cette representation. Puis elle s'excitc a rechercher de la meme
124 LES AGITATIONS FORCfiES
maniere le souvenir de s.i voix, de ses actions, etc. Elle croil avoir
oublie tout ce qui le concerne, avoir oublie de la mcme maniere
tous les visages d'homme et ne plus meine se souvenir d'avoir ete
niariee et elle s*epuise a rctrouver avec precision tous ces sou-
venirs.
C'est a cette manie de rechercher des souvenirs que se rap-
portent le plus souvent les manies qui out ete ddcrites par Char-
cot et Magnan * sous le noin d' o no mato manies. Dans le cas le plus
remarquable decrit par ces auteurs, le inaladc recherche toute la
nuit le nom d'une petite (ille dont il a lu Thistoire dans le journal ;
son etat de crise determine par cette manie de recherche est epou-
vantablc jusqu'a cc que le matin il puisse retrouver dans un journal
le nom de Georgette.
On pourrait citer bien des exemples semblables : Hg... (i3o),
femme de 5o ans, a H6 conduitc a la manie des recherches d'une ma-
niere singulicre : elle a etc tres cnnuyce parce que Ton a biiti un mur
devant la fenetre de sa cuisine et toute la journee elle se demandait
ce qui se passait derriere ce mur. La manie s*est peu a peu d6placce
et maintenant elle remarque une ressemblance quelconque ii pro-
pos de la figure d*un passant et il faut absolument qu'elle trouvc
le nom de la personnc qui pr^sente cette ressemblance avec le
passant. Cha... (i3i), un homnie dc 76 ans, est encore ii cet age
tourmentc par une manic semblable. A-t-il dans la journee cause
avec une personne peu connue, il faut absolument qu'il retrouvc le
nom et I'adresse de cette personne, et il passe des jours et des
nuits a rechercher dans sa memoire ces renseignements. Aussi
des qu'il nous aborde, nous prie-t-il d'inscrire notre nom etnotre
adresse sur un carnet qu'il ne quittc jamais.
C'est aussi a cette manie du pass6 qu'il faut rattacher toutes les
manies de vememorntion qui peuvcnt prendre des formes varices.
M. Raymond en a d6crit un cas curieux : « Un homme de
[\o ans, quand il voyage, regarde toujours altentivement les sites
qui se deroulent sous ses ycux; Iorsqu*il a parcouru une certaine
zone, il cherche ii se remcmorcr Taspect du paysage aper(;u. S'il
ne pent pas y arriver, il soufTre tellement qu*il refait souvent le
voyage pour combler les lacunes de sa memoire... Parfois, il
I. Charcot ct Magnan, Onomatomauio. Archives de neurologic, scplcmbro i885.
LES M.\NIES DE L'AU DELA 125
transige avec lui-merac et envoie un domestique verifier eertaincs
particularites restees incertaines dans son esprit *. »
Dans un cas de M. Lowenfeld', la manie du passe semble encore
plus independante de la recherche et de Tinterrogation. Depuis
I'age de i3 ans, le malade se plaint « que la pens^e est envahie
par des souvenirs obsedants d'une exactitude photographique... »
II en rcsulte, ditl'auteur, « un efiacement remarquable du moment
present, le malade vit plus dans le pass^ que dans le present ».
C'est la une remarque tres importante, raais elle a rapport a des
phenomenes essentiels que nous devons etudier plus tard isolc^*
ment. Chez une de nos malades, chez 'Cz. . . , femme de 33 ans, nous
retrouvons cetle manie de rememoration sans recherche precise :
« Autrefois, dit-elle, je rechcrchais mes souvenirs pour savoir si
je devais me reprocher quelque chose, pour me rassurer sur ma
conduite, mais maintenant ce n*est plus du tout la m^me chose.
Je me raconte tout le temps ce que j'ai fait il y a huit jours, il y a
quinze jours, j'en arrive a voir les choses exactement et je n'ai
aucun inter^t a les rcvoir, cela m'agace tout simplement, mais
cela revient malgre moi. 5)
A cette manie du passe on pent joindre certalnes manies de
conservation des objets, certaines manies de collection. Plusieurs
maiades (Nadia, Lod..., etc.), gardent precieusement des tiroirs
pleins de petits papiers sur lesquels sont ecrits leurs serments, leurs
pro'messes ou simplement des resumes de leur vie, d'autres con-
servent des enveloppes, des lettres (Jean), des boites en carton
(U...), des chiflbns (Vk...), et ne veulent pas que Ton detruise
rien. M. S. de Sanctis^ a decrit ces manies de collection, mais
son etude vise surtout des maladcs difT^rents des notrcs, atteints
de paralysie gen^rale ou de divers d^lires systematiques, quel-
ques-uns seulemcnt de ses exemples se rapprochent des cas que
j*eludie ici.
Dans tons les cas precedents la manie pousse les maiades a
depasser le moment present par la recherche et la consideration
du passe.
I. F. Raymond, Journal de medecine et de chirurgie pratiques, 1899, P- ^^^*
a. howenfcXd (Munich) Psychiatrische Worhensrhrift, 10 juiii 1899.
'S. S. tic Sanctis, Collc/ionismo c iminilsi colle/ionisli. liolL delta iiwieta Lanci-
slana detjli ospedali di liomn, XVII, fasc. 1, 1897.
126 LES AGITATIONS FORGOES
La recherche peut aussi porter sur l*avenir, les malades cher-
chent quelles sont les consequences lointaines de leurs actions ou
cherchent a se represenler siinplcment les evenements futurs.
Jean appelle cela scs pressentiments, il imagine toujours tout ce
qui va arriver dans i5 jours, dans un mois et il se plonge dans
cette contemplation. Bab..., femme de 28 ans, pr^sente une
malndie de Tavenir curieuse, des imaginations obsedantes, tout a
fiiit analogue aux souvenirs obsedants de Lovvenfeld. Devant le ber-
ceau de sa petite fiUe qui a 18 mois elle cherche quelle robe elle
mettra au mnriage de cette enfant « ct cette ceremonie de raariage
me tracasse enorm^ment, il faut que je combine toute la cere-
monie, toutes les invitations, que je cherche comment je pourrai
payer la robe de la mariee, c'est une veritable fatigue ». Lise
d^passe toujours Ic moment present se r6p6tant cc qui arrivera
quand elle aura fini ce travail, quand elle sera vieille, quand elle
sera morte. « J 'arrive toujours i\ la pensee de la mort parce que
c'est le dernier terme. » Nous retrouverons cette pens<^e a propos
des manies de Textrc^me.
5. — Les manies de V explication.
La recherche peut d6passer les faits du passe et ceux de Tave-
nir ; elle peut porter sur tons les problcmes scienti6ques ou phi-
losophiques. C'est la recherche pour la recherche, sans int^ret
imm^diat.
Cette forme dc la manie est la plus connue, elle se trouve
d^crite souvent sous le nom dc folic de Tinterrogation, folic me-
laphysique, etc. C'est le Gruhelsuchtj le Fragetrieb des auteurs
allemands, c'est Tune des formes de la psychasthenic qui a et<^
(Idcrite en premier lieu par Griesinger. Un de ses malades ne
pouvait entendre le mot « beau » sans se poser malgrc lui une
serie inextricable et indefinie de questions sur les problemes les
plus obstrus de resthetique. Le mot « etre » le lan^ait dans la
serie des discussions metaphysiques. « Je mine ma sant^, disait-
il, en pensant sans cesse a des problemes que la raison ne pourra
jamais r^soudre ct qui malgre les efibrts les plus <^nergiques de
ma volonte me fatiguent sans treve. Le cours de ces id^es est
incessant... Cette reflexion metaphysique est trop continue pour
6tre naturelle..., chaque fois que ces idees reviennent, je tente
de les chasser et je m'exhorte a suivre la voie naturelle de la
LES MANIES DE L*AU DELA 127
pensee, ;i iie pas m'erabroiiillcr le cervcaii dc choscs abstraites
et insolubles ct cependant je ne puis me soustraire a Timpulsion
cootinuelle qui martele mon esprit. )) Depuis ce travail de Crie-
singer, cetle manie mentale a cte decrite bien souvent. « L'obses-
sion peut prendre la forme interrogative, disait M. Saury :
« Pourquoi les couleurs sont-elles in^galcmentr^parties, les arbres
verts, les pantalons rouges, le deuil en noir ? Pourquoi les hommes
ne sont-ils pas plus grands?' » Une observation de M. Ladame
est fort remarquable : il s'agit d'une femme qui depuis Tenfance
se posait a elle-meme toute espcce de questions insolubles dont
elle cherchait en vain la reponse de maniere a troubler toute son
aetivitc. Ce sont dcs questions relatives a la creation (Schopfungs-
fragen). « Est-ce que le monde a pu se faire tout seul ? Peut-on
diviser un objet en parties infiniment petites ? Comment Tame
sort-elle du corps, etc. ?' »
J'ai pu observer chez de nombreux sujets tons les degrees de
ces recherches depuis les questions les plus humbles sur le cos-
tume, jusqu'aux plus grands problemes metaphysiqucs. Elg...,
jeune femme de ig ans, s'interroge a propos du costume que
porte la personne qu'elle regarde : « Pourquoi porte-t-on un
tablicr? Pourquoi met-on une robe..? Pourquoi les messieurs
n*ont-iIs pas de robes ? » et quand elle s'absorbe dans ces
questions elle ne peut ni ^couter ni repondre. Un homme de 87
ans, Qs..., s'interroge sur la fabrication des objets, « comment
a-t'OD pu faire une maison ? un bee de gaz?... » II essaye
de s*arreter en murmurant : « Allons, ne t'emballe pas, n'y
pense pas, » mais il revient a la question : « Comment pcut-on
faire briller du gaz? Comment de Fair peut-il s'enflammer et
eclairer ?.. » Rost... se borne a chercher a la definition du
violet ». Za... s'interroge sur des problemes de morale : a Qu'est-
ce qu'unc mauvaisc pens^e ? En ai-je eu avec ou sans mon
consentement ? Car tout est la, mais qu'est-ce que c'est qu'un
coDsentement ?» Za... est reste 3 ans a m(l»diter sur le mot
a consentir » sans arriver a une solution.
Nem..., apres avoir eprouv6 un sentiment d'6tonnement en
voyant un individu qui lui paraissait drole, trouve tout surprenant
et s'interroge sur tout. « Comment se fait-il qu'il tonne, qu'il y
1. Saury. Folic des degenfr^s, p. 03.
2. Ladame, Ann. niM. lisych., 1890, II, 384 .
128 LES AGITATIONS FORCtlKS
ait des eclairs, qu*il y ait un soleil, qu'il fasse jour ou nuit? Si
on n'avait pas de rivieres et pas d*eaii comment est-ce qu'on ferait
pour boire, pour laver ? Et si on n'avait pas d*yeux comment est-
ce que Ton ferait pour voir ? »
^Nb..., a propos de la critique des sens et de Tintelligence se
pose une foule de problemes philosophiques : non seulement,
comme nous Tavons vu, elle interroge sur le caractere direct ou
indirect de la perception sensible, mais elle cherche aussi a com-
prendre la nature de Tentendemcnt, la signification de la parole
ou de r^criture. « Comment des petits points noirs sur le papier
peuvent-ils contenir une pensee ? Comment les mots viennent-ils
dans ma bouche en meme temps que je pense ? Est-ce done une
indication de la pensee? Je me perds lii-dedans... Comment la
parole qui est un bruit peut-elle transporter la pensee qui n'est
pas une chose materielle..? Ah, si jepouvais oublier touted^?...
Comment se fait-il que je comprenne une personne en dehors de
moi ? Comment se fait-il que j'aime ma fille qui est en dehors de
moi ? »
II est curieux de remarquer que ces speculations ne se presen-
tent pas uniquement chez les personnes intelligentcs et cultivees,
elles se retrouvent prcsque identiques chez des femmes du peuple
absolument sans education. Nadia, qui est une femme tres ins-
truite et qui a beaucoup lu, s'interroge « sur la religion, sur la
vie future, sur les mystcres de Tame... que devicndra mon
ame, que deviendra Tame du monde ? » Cela semble assez
nature!. MaisIIm..., femme de 21 ans, domestique a la campagne,
habituee aux durs travaux d'une ferme, qui sait a peine lire et
qui ne sait pas ecrire, est tourmentee apres un accouchement par
les memes idees. « Je ne puis pas savoir comment cela se fait qu^il
y ait du monde, pourquoi y a-t-il des arbrcs, des betes, qu'est-
ce que tout cela va devenir plus tard quand tout sera (ini ?... »
II y a la un besoin de speculation, de travail mental, qui s'cf-
fectue ind^pcndamment des connaissanccs acquises et des cape-
cit^s du sujct pour discuter les problemes qu'il se pose.
6. — Les manies des precautions,
Les recherches precedentes s'appliquaient surtout aux id^es,
nous allons retrouver a propos des actions des manies du m^me
genre que Ton pent aussi considerer comme des consequences du
LES MANIES DE L'AtJ DlDtA 120
besoin de precision. On remarqiiera en premier lieu, la manie
des precaiilions, c'est-ii-dire le besoin de faire une foule de
petites actions accessoircs qui sont destinees a rendre plus facile
une action principale ou a empecher une action que Ton rcdoute.
Zo..., qui a Tobsession des epingles, se dctourne des boites au
laity fait des detours dans la rue pour nc pas passer aupres des
marchands de comestibles, elle mange elle-m6me tres lentement,
divise ses aliments a Tinfini, etc. Dk... se met en t^te d'6crire
sur un carnet tout ce qu'il fait au cours de la journ^e a6n de ne
rien oublier. Cha..., qui a la manic dc rechercher les noms
et adresses des personnes qui lui parlcnt, ne vous aborde
jamais sans vous prier d'^crire tout dc suite votre nom ct votre
adresse sur un carnet qu'il porte constamment. Nadia prend
toutes sortes de precautions dans son alimentation, j'en ai
deja parl^, elle se couvre le visage, ordonne a sa femme de
chambre une attitude speciale quand elle passe devant elle,
etc. La manie des precautions se manifeste dans ses lettres
surchargees de mots soulign^s et terrainecs toujours par la for-
mule : (c veuillez, je vous pric, avoir la bonte de ne montrer cette
lettre a personne et de la brAler. » Vob... ne s^endort pas sans
coudre le bas de sa chemise en dessous de ses pieds, sans
attacber les manches de sa chemise aux draps par des 6pingles,
afin d*eviter pendant le sommeil les masturbations.
Jean presente bien des actions bizarres en rapport avec ses
precautions : il marche tres lentement a petits pas, il prend de
grandes precautions au tournant des rues, car s'il se permettait
un mouvement un pen brusque, il y aurait un « Irottement psy-
chique » de ses parties qui provoquerait la masturbation et ses
terriblcs consequences. Un jour, mais une fois seulcment, il a 6te
jusqu'a decoudre son pantalon ct a enlever la doublure (c pour
gagner de la place » et il est rest6 une soiree avec son pantalon
d^cousu sans ^tre plus tranquille d'ailleurs. II continue toujours
a tenir ses jambes tres ecartees quand il est assis, il arrange sa
chemise et son calccon de mani^re speciale. II ne pent coupcrson
pain quand il est debout, ce qui occasionne I'idee de se crisper,
il change la place de son lit, etc., il a des artifices pour se mou-
cher « sans ebranlement », il reduit Tactc d*uriner et ecarte les
mictions jusqu'a perdre les urines par regorgement, etc.
Chez Claire il faut noter que cc besoin de precautions amene
une extraordinaire ct perpetuelle surveillance d'elle-meme. C'est
LES OB8ES8IO?i8. 1. g
130 LtS AGITATIONS FORCfifiS
un effort perp^tuel pour elre sur le qui-vive, « je ne me donne pas
une minute de liberty et j'absorbe toutes mes forces dans cette
surveillance de moi-m6me ». La nuit meme, elle s'oblige a rester
parfaitement immobile dans une position ddtermin^e et elle y
r^ussit au prix d'une courbature de tout le corps. Les membres
ne peuvent pas se laisser aller au repos, ils sont constamment a
demi raidis. Nous retrouverons le meme symptome chcz Lise, dans
les grandes periodes de surveillance d'ellc-meme, et nous aurons
a r^tudier encore comme une des manifestations physiques de
r^tat d^inqui^tude.
A cette manie on peut rattacher la manie de la lenteur si cu-
rieuse chez Vk... Ce n'est pas une lenteur naturelle en rapport
avec Taboiilie, c'est une lenteur voulue, calculce dans tous les
actes qui lui paraissent avoir quclque importance. II lui faut une
demi-heure pour mettre son jupon et une autre demi-heure pour
passer une robe, « si je vais plus vite je ne suis pas sAre que ce
soit bien fait et la vue des gens presses qui vont vite m'enerve ».
Parmi ces precautions que prennent les malades, la plus simple
et la plus banale de toutes, ce sont des precautions de proprele.
Comme ils ont peur de faire avec leurs mains un acte qu'ils
redoutent et comme, ainsi qu'on Fa vu, leurs craintes portent sur
de petites choses, le meilleur moyen de garantir leurs mains, c'est
de les laver. II en r^sulte qu'un tres grand nombre de ces ma-
lades ont passe par une p^riode oil ils se lavaient les mains per-
petuellement. II est inutile de citcr ici des noms, nous avons une
vingtaine de malades qui se lavaient ainsi continuellement.
D'autres se preoccupent aussi de la proprete de leurs vetements
et passent leur temps a les brosser, « de peur qu'il ne soit
tomb^ dessus une mictte d'hostie, » ou bien ils lavent les
meubles, les essuyent sans cesse de peur de la poussiere, des mi-
crobes, des parccUcs metalliques.
Quelqucfois cette manie de proprct<^* est tres loin de s'alHer
avec une proprete rcelle. U... a surtout des id^eshypocondriaques
et la craintc du microbe de la phtisie. Elle se lave continuelle-
ment les mains, mais elle a peur de toucher un objet de sa chambre
et elle ne peut pas tolerer qu'une autre pcrsonne y touche. II en
resulte que la salle n*est jamais nettoyee, que le lit n'est jamais
touche et que des ordures invraisemblables s'amoncellent en un
veritable fumier. Quand j'ai commence a soigner cette personue,
LES MANlES DE L'AU DELA 131
j'ai Ad lui faire couper une chevelure ^norme, transformee en
malelas infect qu'il etait impossible dc hettoyer autrement et ce
resultat bizarre provenait d'une manie de proprete.
Bien entendu la manie de la proprete se compliquera des
doutes precedents; apres s'etre lav^s, ils doutent qu'ils se soient
laves et ils recommencent a se laver. Cette manie se joint a celle
des interrogations et celle des repetitions, (c Ledoute, dit Legrand
du Saulle, s'est mis au service du delire du contact et il se de-
mande s'il s'est bien lav6 les mains ^ »
7. — Les manies de la repetition et du retour en arriere,
Malgre ces efforts de precision et ces precautions les malades
sent toujours pen satisfaits de leur action. Ils veulent essayer de
faire mieux les choses, de se satisfaire eux-memes. Dans le cas le
plus simple et le moins delirant, ils recommencent Facte tout
simplement, mais ils ne sont pas plus satisfaits la seconde fois
que la premiere et alors ils recommencent indefiniment : nous arri-
vons aux manies de la repetition qui sont parmi les plus fr^-
quentes et les plus importantes.
Une jeune fille Tr..., que nous avons deja vu hesiter pour
donner la forme definitive a un p^tale de rose en arrive a ne plus
pouvoir faire aucun mouvement sans le recommencer plusieurs
fois : elle se leve de sa chaise et ne s'en va pas, mais se rasscoit et
recommence a se lever; elle prend un verre puis le repose, le re-
prend, le repose et continue ce manege indefiniment. Ce - . . pour s'as-
surer que la porte est bien ferm^e la rouvre et la ferme et cela une
dizaine de fois de suite. Ce sympt^me de fermer plusieurs fois de
suite la porte ou le bee de gaz est tout a fait banal, il commence
m^me chez les individus a peu pres sains dans toutes les p^riodes
d'affaiblissement et de distraction. Mais Ce... va plus loin, car il
recommence indefiniment une addition, si bien qu'il ne pent
plus arriver a faire ses comptes. a Un homme sain d'esprit et
bien portant, disait Ball, est oblig6 de renoncer a la lecture car
des qu*il a tourne une page, il croit en avoir saute une et recom-
mence de nouveau sans pouvoir avancer *)).
Dans certains cas il s'agit d'actes particuliers que les malades
I. Legrand du SauUc. Folic du doute, jj. Sg.
a. Ball, Fron litres do la folic. Revue scientifique, i883, I, p. 3.
132 LKS AGITATIONS FORCfiKS
recommencent indefiniment tandis qu'ils n'hcsitent pas pour Ics
autres. Vor... (iSy), quand die a urine, eprouve un m^conten-
tement que j'ai d^ja signalc, aussi relourne-t-elle imniediate-
ment aux cabinets, elle en ressort « sans etre certaine d'avoir
^vacu6 lesderniereffgoultes )). Elle retournc ainsi soixante fois aux
cabinets avant de se coucher et ne s'arrdte que tout a fait
epuis^e de fatigue.
Un de nos malades Rk... r^pete chaque phrase qu'il lit, chaque
phrase quMl prononce ou bien il fait repeter chaque phrase que
Ton prononce devant lui : « Mon Dieu, pense-t-il, voila encore
une phrase qui s'en va dans rcternitc et je ne I'ai pas bien com-
prise ».
D^autres pour ne pas recommencer indefiniment se fixent une
limite, un nombre de fois determine. Nous retrouvons ici cet
amour pour les chiflres, dont la precision apparente les enchante
et ils recommenceront Tacte quatre fois, dix fois, esperant par la etre
surs qu'il sera bien fait.Nadia veut faire chaque action six fois
Ser... se borne a trois fois, Jean a quatre fois ou a un multiple de
quatre. Rien n'y fait malheureusement, car ils ne sont plus si^rs
maintenant d'avoir bien compte : pour etre satisfaits, il ne leur
faut plus recommencer Tacte mais la serie des actions. Une pauvre
femme pour se tranquilliser veut reciter une dizaine de chapelet,
puis elle la recommence parce qu'elle croit qu'il en manque,
aussi fait-elle des dizaines de quatre heures du matin jusqu'amidi.
Une forme curieuse de ce besoin de recommencer, forme qui
donne lieu a bien des erreurs, c'est le hesoin du retour en arriere.
Pour recommencer Taction il ne faut pas s'eloigner du milieu oii
elle doit^tre faite, il ne faut pas quitter trop vite les circonstances
au milieu desquelles Tacte doit avoir lieu. Ces malades dcsirent
done ne pas c]ianger de place. Cette haine du changemenl, fon-
damentale chez eux, en raison de leur aboulie est ici fortifiee par
le desir d'etre a meme de recommencer les pensc^es, les senti-
ments, les actes dans les memes conditions ou ils ont deja etc
accomplis. lis cherchent done, comme Claire a retourner en
arriere, a reprendre la meme pensee aux memes heures,
au meme endroit. Ils craignent qu'on ne les deplace malgrc
eux et trop rapidement. Des que Claire est a Paris elle veut
repartir a la campagne « comme il me semble, dit-elle, que
je n'ai jamais fait ce je devais, je crois aussi que jc ne suis pas a
LES MANIES DE L'AU DEL.\ 133
la place qu'il faudrait, que je devrais retourner a la place prece-
dente ». On comprend quel trouble terrible apportent les voyages
en chemin de fer qui entrainent rapidement loin dc la place pre-
cedente. Cela met cette jeune fille au desespoir, elle voudrait
revenir en arrifere, a son point de depart, au moins a la station
precedente.
Cette idee est tres frequente. M. Ameline signalait au dernier
congres de psychologic une jeune fille du service de M. Magnan
qui n'aimait pas, en chemin de fer, voir les maisons rester en
arriere a mesure que le train avangait. « L'impression du sol qui
fuit sous mes pas me lais^ un vide et tout en me rendant compte
que je dois continuer mon chemin, j'eprouve des hc^sitations ii
poursuivre vers mon but. Quand je suis arrivee il me semble que
j'ai 6te trop vite ; il faut que je retourne a mon point de depart.
Quand au lieu de faire un trajet a pied, je le fais en voiturc,
j'eprouve le m^me vide en voyant les maisons et tout fuir sur la
route et si je n'^tais pas en voiture, il me semble que je m'ar-
reterais * » .
On retrouve ce retour en arriere chez F^..., chez Byl..., qui
croit toujours « laisser un vide derriere elle en passant trop
vite ». Je crois que cette manic de retourner a la m^me place et
au meme moment ou a debute Taction, joue quelquefois un role
dans la phobic des chemins de fer. II est facile de voir qu*elle se
rattache non seulcment a la manic de la repetition mais aussi a
a la manic du symbole ; ce retour en arriere est une fa^on de
syniboliser le besoin de recommencer, le mecontentement de
Taction.
8. — Les manies des procedes et les manies de la perfection.
Souvent les malades ne sc bornent pas a reipeter I'acte, ils
cherchent a le perfectionner, a le rendre plus complet. Ils inven-
tent des trues, des procedes pour faire mieux Taction.
L... inventait des systemes pour ecrire. II attachait si bicn sa
plume a tons les doigts dc la main succcssivement qu'il en ctait
arrive a ne plus ecrire du tout et que sa maladie etait prise au
premier abord pour une crampe des ecrivains. Rai... avait
I. AmcUne, ConsidiTalions sur la psjcho-physiologio des obsessions ct des im-
puisions degcncralives, Comptes rendus du IV*' Congres dc psycholofjie, 1901, p. 57a.
LES AGITATIONS FORCfiES |3i
d'abord invent^ des systemes potlr ecrire bien, pour lenir sa
plume, pour mettre la ponctuation, pour reciter, pour aiguiser
des couteaux et il en arrivait a ne plus pouvoir Ecrire une ligne,
ni faire aucun metier ; puis il inventa des systcraes pour bien
fumer. « En tout, dit-il, j'aspire a Fidi^al, je creuse le sujet et je
disseque a fond. » Enfin, ce qui causa son plus grand malheur,
il inventa des systemes pour deglutir et pour respirer. II veut
avaler une gouttc d*eau entre chaque respiration, il fait des gri-
maces, des crachements, des rots et devient aussi repugnant que
malheureuxV
Vor... ne se borne pas, comme on Ta vu, a r^p^terles mictions
cinquante fois de suite, elle cherche, "elle combine des procedes
pour « uriner bien », elle etudle la theorie du coup de piston et
m^dlte a tort et a travers sur quelqucs idees vagues qu'elle a sai-
sies de la physiologic de la miction chez Thomme sans deviner
qu'elles ne s'appHqucnt pas aux femmes. « N'y aurait-il pas
quelque mouvement, quelque grimace a faire avec le ventre pour
uriner bien..? » Je n'Insiste pas sur la manie de la perfection
dans la masturbation qui est plus fr^quente que Ton ne le croit.
Cette manic de la perfection joue aussi un grand role dans
certains troubles souvent designes sous le nom d'onomatomanie.
Ce nom trop vague d^signait simplement un trouble quelconque
rclatifs aux mots, ce pouvait etre une obsession, une manie de
repetition, une manie de recherche, etc. On vient de voir Cha...
rechercher pendant toute une nuit le nom et Tadresse des per-
sonncs qui lul ont parle dans la journee. Dans d'autres cas, il
s'agit plutol de manie de la perfection. Pn... (iSg), homme de
5o ans, atteint surtout d'obsessions hypocondriaques s'est mis en
tete de chasser les preoccupations sur sa sante par une phrase
caballstlque qu'Il doit rep^ler pour se tranquilliser. II doit dire :
« C'est assez, allons diner, nous verrons apres. » Malheureuse*
ment cette phrase n'a tout son effct que si elle est bien dite. II
ne la trouve pas assez bien dite, 11 U\ rcpetc, ccla ne lul sufGt pas.
II la crie ii tuc-tete ou la dit a voix basse, il cherche comment 11
pourrait la dire ; il prie sa femme de Tecoutcr, de Taider, de la
repeter avec lui ; il Imagine dc descendre avec sa femme au fond
de la cave, d'eleindre la lumicre et de crier la phrase en choeur
I. Rajrmond cl Plerro Janet, Nevroses el IdScs fixes, II, p. 385.
LES MANIES DE L'AU DELA 135
dans robscurite ctil remonte d^sesp^r^ parce qu'il n'a pas encore
trouve « le nioyen de la bien dire ». Une observation int^res-
sante de M. S^glas sur un malade qui a un mot sur le bout de la
langue et qui ne parvient pas a le bien rep^ter me parait se rap-
porter a des ph^nomenes analogues ^
Le delire le plus curieux que j'aie constate a propos de cette
manie du niieuxest celuid'unefemmedeSoans, Loa... (i38). Apro-
pos de quelques masturbations, elle a des remords et s'efFraye en
pensant qu'elle n'a pas eprouve d'unc fa^on correcte la satisfac-
tion genitale. Elle Jittribue a cette satisfaction incomplete un en-
gourdissement qu'elle ressent et elle va a la recherche du bon-
heur. Son mari nc lui sulTit phis, elle donne des rendez-vous a tort
et a travers ; elle ne s'y rend pas toujours, mais cependant elle essaye
quelquefois si elle aura plus de succfes avec un autre, elle revient
toujours desillusionnee et ddsesper6e. Cette fcmme semble avoir
un delire ^rotique, tandis qu'il ne s'agit que d'une manie de la
perfection chez une scrupuleuse. Ce singulier trouble doit Mre
frequent puisque je le retrouve exactement semblable chez une
autre femme, Len... « Je ne me rendais pas compte de ce que
c'^tait que Texistence, j'^tais trop naive, il faudrait changer,
arriver a 6tre comme les autres femraes... il me faut ma na-
ture,., je n'arrive pas a 6prouver ce que Ton doit, il me semble
que ce n'est jamais termini, je continuerai ind^finiment... » II
se pent qu'il y ait quelque chose de vrai dans ses plaintes, nous
Ic verrons plus tard. Mais il n'en est pas moins exact qu'elle a une
manie bizarre, celle de chercher, par tons les moyens, cette
jouissance parfaite, celle de rever tout le temps a ce probleme
comme s'il n y avait pas d'autre but possible dans la vie.
9. — Les manies de I' extreme et de Vinjini,
Toutes ces manies aboulissent a la meme tendance, celle de
pousser toutes les operations mentales a Textreme, aussi loin
qu'il est possible d'arriver. Nous avons deja vu cette manie se
manifester fortement dans les caracteres des obsessions, il est
inutile de revenir sur le caractere extreme des sacrileges, des im-
I. Scglas, Deux cas cConomatonianic. Dullelin de la Societe mSdieale des hdpitaux,
17 avril 1887.
i:n LES AGITATIONS FORCEES
pulsions, des remords, dcs hontes que ces inalades imaginent.
Buc..., une femme de 33 ans, qui se rend compte de cette manie,
inc disait encore •: « C'est ridicule, mon cerveau travaille tout le
temps h des idccs extraordinaires. . . je voudrais arriver a des choses
epouvantables, a des crimes inouis, ou bien a des fortunes, a des
voyages incroyables, enfm il faudrait que ce soit extravagant. »
On a aussi vu cette manie se manifester a propos des recher-
clics, Lise, par exemple, dans ses conceptions sur Tavenir, arrive
toujours Ji penser a sa mort, a ce qui arrivera apres sa mort,
ou bien si clle regarde en arriere, « elle arrive tout de suite au
neant qui a pr^c^de la naissance ». Bal... ne peut sortir de la
contemplation (( du dernier au dela )>, sa manie des explications
portc sur le commencement et la fin du monde, sur les destinies
de Tame, du monde, etc.
II Taut encore ajouter quelques applications nouvelles de cette
manie. On la retrouve dans la manie des generalisations, dans la
manie de Tabsolu qui se manifoste souvent. « Des que je me sens
un peu faible, dit Claire, j'en arrive a concevoir que tout est im-
possible, que personne au monde ne peut rien faire, que pcr-
sonne n'est religieux, que pcrsonne ne peut guerir ». Jean nous
pr^sente quelques beaux exemples de cette manie de la genera-
lisation a Finfini. Une pcrsonne de sa connaissance vient de moufir
dans un quarlier a TEst de sa petite ville, « il lui semble que ce
quartier est desolc, vide de tout; a force d'y penser il croit que
tout ce quartier Est est mort, qu'il ne renferme plus aucun ctre vi-
vant; bientot il en est ainsi de tout ce qui est a TEst. Toute la
region Est de la France au dela de Vincennes est vide, il n'y a
plus' que de la tcrre et de I'herbe ». La manie du « tout ou rien »
est commune chez ces personnes « il leur faut la perfection en
amour ou bien ce n'est pas la peine de sortir de Tignorance... »
« j'aimerais mieux ne pas uriner du tout nous dit Vor... que de ne
pas uriner dans la perfection ». Dans un autre cas, ceiui de Qs...,
bomniede 37 ans, Textreme prend dojii Tapparence numcrique« je
suis force .de chercher a multiplier onormement les choses aux-
quclles je pense, je cherche i\ imaginer sur une nier immense des
centaines, des milliers de bateaux, puis dcs milliers de milliers
de bateaux et je m'epuise a los multiplier encore ».
Mais la notion de rinfini se degage encore mieux de Tobservation
suivante, interessante a divers points de vue. Un jeune homme de
25 ans, Vil..., dans une lettre que je lui demande d*ecrire me
LES MANIES HE LAU DELA 137
decrit ainsi son obsession : « Tidee principale qui me tourmente
le plus, c'est Fidee de reternite : elle passe pour moi dudomaine
de la raison dans celul de la scnsibilite et me cause des douleurs
intolerables. Je sens letemps durerindefiniment, Tespace s'allonger
toujours, quelque chose comme un crescendo sans arr6t, il me
semble que mon etre gonfle progressivement, prend la place de
tout, se grossit d'univers et de siccles, puis une sorte d*eclate-
ment et tout dispnrait me laissant une douleur atroce dans la tete
etdans Testomac. Ce travail d'esprit me poursuit pt m'accable d'un
decouragement profond. C'est done vrai que Teternite ex^iste, je
viens de la voir, de la sentir trop ^videmment pour que cela soit
une simple forme de mon esprit, mais alors que m'importe
les quelques instants de ma vie, que m'importe le bonheur, le
raalheur ou le ncant eternel ? C'est reternite qui est effrayante.
Quelque chose sans fin, c/est horrible. Toujours du bonheur, et
aprcs ? Encore du bonheur ; et apres ? Et apres ? Cela est aussi
horrible que toujours souflrir ou toujours ne rien etre. L'6ternit6
existera quand m^me il n'y aura rien. Les distractions les plus
vives sont impuissantes a chasscr ces impressions de mon cer-
veau, tout mon corps en est comme impr^gne, si j'essaye de
raisonner, je m'enfonce encore plus et je sens bien que ce sera
indefini, interminable, ce n'est pas le resultat d'un syllogisme,
c'est le resultat d'une perception immediate, evidente, plus evi-
deute mdme que la conscience de mon moi... »
Je reprcndrai Tctude de ce phenomene remarquable a propos
des phenomenes de Fangoisse. Pour le moment, je remarque
seulement qu'il s'agit bien d'un scrupuleux, honteux de lui-
nieme, qui se croit sans personnalito, qui se reprochc tout ce
qu'Il pense, qui critique et analyse ses sentiments jusqu'a les
metamorphoser en leur contraire. « Ces questions me font tant
plaisir ou tant souflrir, je ne sais si c'est Tun ou I'autre, car mon
plaisir me semble a la fois 6trepoussetrop loin et rester incomplet
etje ncsais pas si cen'est pas uneespece de douleur. » II a lamanie
de pousscr lout a I'infini, de chercher ce qu'il y a apres le plaisir
qu'il eprouve, ce que serait un plaisir plus grand, encore plus
grand, etc. C'est a I'idee d'espace et de temps que cetle manie
s'applique le mieux, aussi finit-il par en etre obscde. 11 est rare
de trouver cette manic aussi explicite, mais en realite elle est
contcnue dans toutes les manies de Tau dela.
Toutes ces manies de Tau dela presentaient en eflet comme
138 LES AGIT\TIO>S FORCfiES
caractere essentiel une agitation de I'esprit incapable de s'arreter
sur une pensee et qui etait sans cesse force de la depasser pour y
ajouter quelque chose, puis -encore une autre chose sans repos et
sans fin. Une agitation seniblable conduit infailHblement a la
pensee de rextreme et de Tinfini.
3. — Les manies de la reparation.
Malgre tons ces efforts et ces procedes varies quitous semblent
avoir pour but de perfcctionner Faction ou Tidee, le sujet n'arrive
pas a etre satisfait. Aussi se Hvre-t-il a une autre s^rie d'exercices
qui ont pour but de rcparer, d'effacer autant que possible les
vices de Taction precedente. Ce sont ces manies que je rapproche
sous le titre de manies de la reparation.
I. — Les manies de la compensation.
La premiere est une simple compensation. Apres Taction dite
d^fectueuse, il faut en faire une autre qui semble souvent Hre
choisie d'une manierearbitraire, qui dans d'autres cas est opposee
a la precedente pour la compenser.
Quand Bunyan avait trouve dans la Bible un mot dont la signi-
fication lui paraissait dcsngreable et decouragoante il lui fallait
trouver dans les livres saints un autre mot dont la signification
Alt encourageante pour compenser le premier '\ Une observation
interessante de Ladame semble se rapprocher de ce groupe :
u Quand je marche, dit le malade, et que les mauvaises Idees mc
prennent, je dois m'arreter pour revcnir d'un pas en arriere, pour
corriger la mauvaise pensee, c'est comme si je corrigeais une
erreur dans un livre de comptc -. »
Nadia s'est r^signee a manger pour m'obeir, mais a la condition
de prendre aussitot apres le rcpas quelque chose qui la fasse
maigrir a quelque chose d'amaigrissant, puisque vos cotelettes
sont grossissantes ». Autrefois, elle prenait une cuilleree de vi-
naigre ; je Tai araenee a accepter une petite tasse d'une tisane que
1. Jo^iuh Rovcc, Tlie case of Bun van. PsYrhohtjiml Review, i8i)4, p. 1 36.
J. Ladame, Ann. medic, psych., 1890, II, 383.
LES MANIES DE LA REPARATION 139
j'ai baptisce amaigrissante. Elle sail niaintenant que je la trompe
et que sa tisane est faite de th6 et de camomille; peu importe, elle
a besoin de la prendre encore, le symbole suffit pour falre la
compensation.
Quand les necessites de la politesse ont contraint Jean bien
malgre lui a toucher lamaind'une femme,il faut, pour compenser,
toucher bien vite la main d'un homme. Aussi quand il est seul
lesoiravec sa mere et que celle-ci lui tend la main avant d'aller
se coucher, se trouve-t-il dans « une situation horrible ». II n'ose
pas reTuser sa main, mais il passe ensuite une nuit bien p^nible
puisqu'il n*a pu toucher la main d'lin homme pour compenser.
Quand il est entre a Teglise de la Madeleine (qui porte un nom
de femme), il faut qu'il entre au moins un instant dans une autre
eglise pour efTacer cette impression.
Cette manie de la compensation presente bien des variet^s dont
la principale est la manie suivante, Tunc des plus importantes au
point de vue clinique.
2. — Lcs manies de V expiation,
L'expiation n'est qu'une forme de la compensation avec ces
deux caract^res sinon surajout^s, au moins precises. Le premier
acte qui est le point de depart de la manie semble au sujet hon-
teux et immoral, il s*agit surtout des malades honteux d^eux-
raemes ou de leur corps. La deuxieme action qui doit compenser
la premiere a un caractere desagr^able, p6niblc, elle prend
I'apparence d'une punition.
« 11 faut toujours, dit Pn..., que je fasse quelque chose pour sou-
lager ma conscience et il cherche a repeter avec perfection sa
formule : « Allons diner, il ne faut plus penser a cela. » liil...
(71), qui a honte dialler a la selle, nV va qu'en faisant des r^v^-
rences « pour s'excuser ». Claire qui croit avoir une hostie coUee
a Tanus, et qui, par consequent, redoute cgalement d'aller a la
selle, ne consent a y aller qu'en s'agenouillant dans les cabinets
quelqucfois des heures entieres avant et apr^s. Zei... (i42), qui a
« envie de dire des gros mots au bon Dieu » veut faire des prieres
pour expier et elle s'agenouille a chaque instant. Comme la
priere ne lui parait pas bien dite, elle se condamno a ne pas
manger et c'est la une cause de refus d'aliments. Rn... (i46) se
condamne, pour expier ses mauvaises id^es^ a doaner un coup
no LES AGITATIONS FORCfiES
de coude dans les ineubles aupres desquels il passe. On prevoit
que ce ph^nomene va jouer un role dans les tics.
Au lieu d'expier par une action reellement ex^cutee au mo-
ment nieme, lis veulent expier en promettant de faire une action
desagreable plus tard ou en promettant de sacrifier un plaisir quails
se promettaient. L... se promet a lui-m^me de se mettre en prison
cinq minutes pour expier ses actions indelicates et Mw... (i45)
se figure qu'un voyage agreable a hicyclette qu*elle esp^rait ne se
fera pas parce qu'elle ne sMiabille pas assez vite. Cette promesse
d' expiation finit par se repeter pour tons Ics autres actes meme
insignifiants. « Si je marche, si je touche ce fauteuil, si je bois
ce verre, le voyage a bicyclette ne se fera pas. »
Ce sont des faits du m^me genre avec un plus haut degre de
complication qui joucnt le r6le principal dans la maladie de Lise.
« Pour me punir d'avoir maudit Dieu, repele tout Ic temps Lise,
il faut que je me fixe une chose desagreable a faire, donner moo
ame au demon, par exemple. » Et ainsi pour tout ce qu'elie peut
se reprocher : a propos de tous les actes qui la preoccupent et
ils sont noinbreux, il faut quVlle fasse une expiation pour se ras-
surer. Si ellc s'accuse de mensonge, d'impudicite, il faut expier
el par consequent accepter un changcnient de sejour desagreable,
ou accepter qu'un de ses enfants meure, ou vouer son ame ct
celle de ses enfants au demon, etc. Au debut, il ne s'agissait que
d'expiations personnelles, elle ne voulait reparer que ses propres
fautes, mais bientot Tidee d*expiation s'est gcneralisee. II faut
expier pour son oncle, pour un frere qui n'est pas religieux; il
faut expier pour un homme politique qui vient de mourir d'une
facon peu edifiante, il faut expier pour Texplosion d*une pou-
driere, etc. « En un mot, dit-elle, j'ai des rages d'expier pour
tout le monde. » Le mot meme '< expier » finit par la fasciner, elle
le cherche dans tous lesdictionnaireset apprend Tarticle parcceur.
Ce qui est bicn etrange, c'est que je retrouve exaclement la
meme maladie chez la sirur de cette malade. Ellc a une foule de
scrupules, s*aceuse d\iimer une amie plus que sa famille, d*aimer
a jouer du piano, da voir ponse a rEucharistie devanl une bou-
lan:^erie, etc., et pour toutes ees mauvaises actions imaginaires
« le regret ne suifit pas il faut une compensation. II faut toujours
une petite chose pour satisfaire Dieu, »> Ce sont chez elle des
tics, des simagrees. beaucoup plus simples que chez Lise. Kile
doit manger quelque temps dans une assiette vide, se dcshabiller
LES MANIES DE LA ni5PARATI0N i4i
ct se rhabiller, ouvrir line armoire, prendre iin air triste tout.e la
matinee avec ses parents pour compenser Tapres-midi oil elle
s'amusera avec une amie. C'est plus pueril, mais c'est le meme
trouble psychologique. Je ne crois pas que dans ce cas il s'agisse
de suggestion ou de maladie communiquee par contagion; il
s*agit d'un meme trouble psychologique, profond, her^ditaire qui,
en evaluant chez les deux soeurs, amene chez toutes deux les
memes manifestations.
Chez ces deux dernicres maladcs, on trouve une varlante de
Texpiation et de la promesse. Elles acceptent la peine sans se re-
procher rien, uniquement comme payemcnt d'une grace qu'elles
demandent. Des qu'elles souhaitent quelquc chose, elles pensent
qu'clles doivent expier pour voir ce souhait s'accomplir. « Je
n^aurai telle chose que je desire que si je fais un present aud^mon
on a Dieu... Si mon petit neveu malade guerit, je donnerai au
demon Tame de mes enfants, si je retrouve ce bijou perdu, je
donnerai aussi Fame de mon oncle. )>
Ces malades qui ont la manie de Texpiation en arrivent a un
petit commerce avec le cicl et Fenfer qui est tout a fait curieux.
Elles sont en retard ou en avance dans le paiement de leurs
dettes, elles s'effrayent et elles se hatent d'expier bien vite quand
dies croient avoir trop d'arri^re.
3. — Les manies des pactes.
Au lieu de consid^rer Taction presente et de chercher a la
compenser, au lieu de considt*rer Taction passce et de cher-
cher a Texpicr, les malades pensent encore plus souvent a
Taction future et ils s'engagent par avance a la reparer. lis pro-
mettent de subir quelques chruiments penibles, tantot s'ils fortt,
tant(H s'ils ne font pas une certaine action sur laquelle leur atten-
tion est attiree : ces engagements prennent la forme de serments
ou Aq pactes,
M. van Eeden, sous le nom de manie de superstition, decrit
un cas que nous avons dejii rattachc^ a la manic des presages;
ce m<\me malade a en outre la manie de faire des va^ux : « si
pendant Thcure qui vient je cede a un seul de mes caprices, je
consens a avoir une apoplexie avant 24 heures*. » Dans la these
I. Van Eedcn, Psycholherapie, 189/1. ^^- Milne Bramwell, Brain, iSgS, p. 335.
n2 LES AGItAtlONS POftCI^.ES
de Lnnteires * se trouve signale un cas souvent cit6 a propos d'un
malade qui a horreur du nombre i3. « Si je fais d'ici a demain un
seu] ncte superstitieux, que toutes les etoiies du ciel solent iS,
que Dieu soit i3... Si, quand le surveillant sera arriv6 en se
promenant a tel pupitre, ou si au premier coup de cloche je ne
suis pas arrive a tel passage de nion travail, eh bien, je veux
mourir et aller aussitot a Dieu... )) On a souvent reproduit ce cas
comme une curiosite et cependant rien n'est aussi banal que ce
symptome.
« Si je ne fais pas 26 signes de croix sans m'arr^ter, dit
Vr... (48), femme de 25 ans, qu'il arrive malheur a toute ma
famille)), « si je me masturbe une seule fois, que toute ma vie
soitbrisee, dit Toq... (97) », « sijenetouche pas ce meuble avant
que ma m^re ne rentre, ditRn..., filiette de i3 ans, je mourrai
dans la semaine )>. « Si je fais la cuisine en regardant mon cou-
teau, je consens a mourir demain, se dit Vks..., qui a des impul-
sions criminellesa tuer sa petite Glle avec un couteau. » « Si je suis
gaie un vendredi, je vais me tuer le dimanche. » (Ger...) « Si je
ne me decide pas a me faire religieuse, je jure que je me marierai
avec le premier homme qui passera » (We.)...
Nadia est tout a fait remarquable par sa manie des serments.
(( Je jure de ne pas toucher ce meuble (c'^tait un de ses tics)
sinon un grand malheur m'arrivera..., je jure de recommencer ma
priere du matin 10 fois, 20 fois, 1000 fois, sinon un malheur arri-
vera a ceux que j'aime. » Plus tard les pactes arrivent bien
entendu a propos de la honte du corps et dc Tobsession d*en-
graisser qui s'^tait surajoutee, aje jure par tous les saints du
paradis que je ne toucherai plus h une seule miette de pain, sinon
toutes sortesde malheurs arriveront a mafamille etamoi-m^me. »
Ces serments se compliquent et deviennent de plus en plus ter-
ribles en vertu de cette disposition a pousser les choses a Fex-
tr6me que nous avons deja not^e. (( Je jure sur la tete de mon
pere, de ma mere, de mon id^al (elle d^signe ainsi un person-
nagedont elle etait devenue amoureuse), je jure par tousles saints
du paradis, par le Saint-Esprit, par Dieu le pere que je ne man-
gcrai aujourd'hui qu'un jaune d'oDuf, el si je manque a ma parole,
je ne devicndrai jamais une grandc artiste, je ne serai pas com-
I. Lanloires, FJssai descriptif sttr les troubles pSYchopathiques avec lucidite d'esprit.
These, 1880, p. laS, p. 4^.
LES MANIES DE LA RlfipARATlON 143
positeur, maman mourra bientot et nion ideal aussi. » Comme
elle nc tient pas ses serments et ne peut pas arriver a les tenir,
elle en est desesper^e et se torture rimngination pour trouver
une maniere de les faire plus precise et plus terrible qui ait plus
d'influence sur sa pauvre yoloiite. Au lieu de se borner a les dire
elle les ^crit sur des papiers qu'elle porte sur son co^ur ; elle va
les relire agenouillee devant le lit de sa mere sur lequelle elle a
mis une bible. Rien n'y fait et ses serments non tenus ne servent
qu'a la pr^occuper davantage.
Chez ces malades le pacte semble etre un moycn de r^parer
Taction defectueuse ou une excitation pour leur faire accomplir
une action desiree a tort ou a raison. Mais peu a peu la manie se
developpe et se reproduit a propos de toute action meme insi-
gnifiante qu'ils font ou qu'ils veulent faire, Texpiation ou le pacte
n'est plus qu^un obstacle de plus a Taction, cette manie se rap-
proche alors de celle des presages et de celle de Tinterrogation
du sort, (c Si je touche cet objet ma mere succombera», se dit
Mw... a chaque moment. Si elle desire une chose agr^able, elle se
croit forcee dejurer d'y renoncer a propos de tons les actes.
Ainsi elle prepare une promenade a bicyclette et a chaque ins-
tant elle est forci^e de jurer « si je fais cette lecture, je jure que je
ne sortirai pas; sije prends mon mouchoir, je jure que je n'irai pas
a bicyclette,... il faut pourtant bien que je me mouche, ajoute-t-
elle avec tristesse ». Puis quand arrive Tinstant de la promenade
elle n'ose plus sortir parce qu'elle a si souvent jure de ne pas le
faire. Ainsi le serment semble annihiler les actes futurs et
arrele egalement Tacte present.
Sous cette forme la manie des serments et des pactes est extre-
mement fr^quente quoique souvent meconnue et elle joue un trcs
grand role dans ces maladies de la volont^.
4. — Les monies des conjurations,
Dans les cas plus graves, quand les malades ne sont pas seulc-
ment m^contents de leurs«actions mais encore qu*ils se sentcnt
pouss^s a faire des actions reprehensiblcs ils luttent contre Tim-
pulsion en lui opposant une action quails croicnt bonne, qu'ils
croient destinee a conjurer la mauvaise tentation. Ces manies de
conjuration sont tout a fait caract^ristiques des scrupuleux et ser-
veul bien souvent a faire reconnaitre une maladie jusque-la cachee.
Ui LES AGITATIONS FORCfiES
Presque tousces malades, Bor..., Xy..., Claire, Ger..., Lise ont
ete surpris faisant un geste du bras ou parlant toutes seules et
repetant pcDdant des hcures des mots comme : «non, non,... je
ne veux pas... va-t-en... cc n'esl pas vrai. » C*est parce que au
dedans d'elle-meme une autre voix blasph^mait et avait envie de
dlre^: « salaud, vache, cochon », u Tadresse du bon Dieu : la
malade protestait par rexclamation qu'on avait surprise.
II est impossible d'enumerer toutes les formules de conju-
ration que Ton peut rencontrer; elles sont innombrables^
Une des choses les plus interessantes a relever dans ces repon-
ses, ces resistances a Tobsession, c'est que ce sont des reponsos
abregees, des signes qui n^ont de valeur que par leur signification
symbolique. M. Paulhan a justemenl insists surce role des repre-
sentations symboliques dans la volonte^.
Un premier groupe est constitu^ par de petits mouvements, de
simples gestes, lever un doigt en Pair, remuer les doigts derriere
le dos ou dans la poche, lever les yeux au plafond, frapper un
meuble, etc. Nous reverrons ces ph^nomenes a propos des tics.
Le plus souvent la conjuration se fait par une phrase ou un
mot. Lise r^pete « chut, va-t-en » comme si elle parlait au diable,
mais en realite elle repcte cette formule pour chasser une idee
quelconque meme quand il ne s'agit pas du diable. Vob... s^ecrie
« non, je ne le ferai pas, arriere Satan. » Gisele « advienne que
pourra, pour le moment fini » et Bu... (85) repetetoute la journee
la singuliere formule suivante : aMaman, ratan, bibi, bitaquo, je
vais mourir. »
Dans beaucoup de cas ces formules cabalistiquesde conjuration
sont emprunt^es a Tarithm^tique etdeviennent des nombres, sans
doute a cause du caractere abstrait et precis du nombre qui le
fait aimer par les scrupulcux dont Tesprit toujours vague aspire
sans cesse a la precision. Ou bien la manic arithmdtiquc amene
le sujet a rep^tcr sa formule un nombre de fois determine. Lise
emploie des nombres qui correspondent dans sa pensee a telle
ou telle idee fixe ou qui rt^sument une grande resistance contre
elle. II lui arrive de r^peter des journees entieres, au dedans
d'ellc-m6me « un, deux, quatre, six. » Ce qui est une resistance
I. Cf. Bcllcl, Moyens de dejense et psycholherapie dans robsession. Th&se de Bor-
deaux, 1898.
3. Paulhan, Revue phihsophi(jue, i884, II, 083.
LES MANIES DE LA RfiPARATlON 145
contre les idecs designees par ces nutn^ros. Quand elle est seule
on peut Fentendre murmurer des phrases comme celleci, bien
incompr^hensibles pour un profane. c(Le contraire de Dieu...
quatre, trois, deux, cent soixante-quinze mille. » Cela veut dire
qu*elle a pens^ au culte du d^mon et, qu'elle a lanc6 la forniule
de resistance. Pour rien au monde elle n'abandonnerait ces for-
mules qui la protfegent contre elle-m6me ; pendant des essais de
sommeil hypnotique, elle r^pete tout le temps « quatre, trois,
deux, » ce qui ne facilite pas le traitement.
Pour lutter contre ses impulsions gcnitales Jean doit murmurer
la syllabe « t^ >i qui est, parait-il, une abr^viation du mot a assez »,
mais il faut la dire un nombre de fois determine, quatre fois, huit,
seize, trente-deux ou soixantle-quatre fois, par multiples de quatre
suivant ses manies arithm^tiques. « Je sens venir une douce erec-
tion, je sens mes tentatives de laisser aller, alors je balbutie mes
syllabes de cloture : allons pas de phenomenes, t^ te t^ t6, il faut
le dire par quatre, ce n'est pas suffisant: t^, vous savez que je ne
peux m'arreter a cinq, t6 i6 te, a huit jepeux m'arreter quand la
tentation n'est pas trop forte, mais il faudrait aller a seize quand
c'est grave. » Ce ne sont pas toujours des mots que le nialade r^pete
ainsi, souvent il compte des gestes. Quand il croit avoir une tete de
femme dans Festomac apres avoir mange une charlotte ou un pain
suspect il lui faut faire des secousses des muscles abdominaux
quatre, huit ou seize fois « c*est le seul moycn de la faire sortir ».
Enfin j'observe chez Jean une forme plus curieuse de conjura-
tion, c*est un acte mental, un eflbrt imaginaire. 11 se reprc^sente
que les (luides envoy^s par les femmes autour de lui sont comme
autant de fils t^nus qui se dirigent vers sa tete et avec des ciseaux
imaginaires il faut qu*il serepr^sente Facte decouper ces fils. Dans
d'autres cas, il faut qu^il se represente visuellement des lignes
qui se coupent a angle aigu disposees symetriquement par quatre.
La representation imaginaire des figures que ce malade a bien
voulu dessiner est, parait-il, un remede souverain pour ^carter
les images obscenes (figure 2). Cette manie de se repr^senter des
lignes derive d*une manie pr^cedente du meme malade. II doit
evoquer des poutres de bois qui lui semblent placees tres haul
dans Fair a un kilometre au-dessus de sa tete et par un effort
d^imagination il doit les faire descendre par terre, ou bien il evo-
que Fimage d'un homme qui marche dans les airs et il doitegale-
ment, par un effort d*imagination, le forcer a prendre pied a
LKS OB8B98I0N8. I. — lO
i'i6 LES AGITATIONS FORCfiES
terre. II parait que cctte derniere operation est fort difficile, car il
fait de grands eflbrts et des contorsions de tout le corps pour
parvenir a Taccomplir.
<
«
Fio. a. — Reproduction d'un dessin du malade.
De pareilles formules, de semblables actions se transforment
rapidement chez ces esprits faibles ct ne tardent pas a devenir
elles aussi une manie et une impulsion. Les malades ne veiilent
pas coder le dernier mot et autant de fois que Timpulsion se pre-
sente, autant de fois il faut lui r^pondre. De la une preoccupation
de la reponse qui devient aussi grave que Tobscssion ellc-meme.
Lise n'osait plus dormir de peur que pendant le sommeil une idee
se prcsentut et qu'elle n'ei^t pas la presence d*esprit de repondre.
Les malades se tourmentent autant pour les conjurations que pour
les impulsions elles-m^raes.
4. — Les agitations mentales diffuses.
Ces diverses manies mentales semblent, au premier abord, tres
nombreuses, on pent ^num^rer leurs diverses vari^tes dans le
tableau ci-contre.
Chacun des malades se figure d*ordiuaire qu'il est seul au
monde de son espece et il arrive souvent a faire partager au me-
decin sa conviction : de la toutes ces maladies bizarres, maladie
de superstition, folic du doute, manie de la perfection, arithmo-
manie, onomatomanie, etc., qui ne sont a mon avis que des varie-
t^s accidentelles des manies scrupuleuses erig^es en entit^s cli-
LES AGITATIONS MENTALES DIFFUSES
U7
niques. C*est le menie probleme que nous avons dejii rencontre a
propos des idees obs^dantes et qui doit avoir ici la m^rne solu-
tion. Aussi devons-nous rechercher les relations que ces diverses
manies ont les unes avec les autres et le fond commun d^excita-
tion mentale diffuse qui se retrouve dans chacune d'elles.
I. Manie de fos
cillation
\
Manies men tales.
II. Manies de Tau
delk.
1 . Manie de I'interrogation .
2 . — de r hesitation et de la deliberation .
3. — de I'interrogation du sort et manic
des presages, etc.
^. Manie de la precision.
5. — de I'ordre.
0. — de la sy metric.
7. — du contrasle.
8. — do Tassociation des idees.
9. — de la lentcur.
10. Micromanie.
1 1 . Manie arithmetique.
12. — du symbole.
i3. — de la recherche dans le passe.
1 4- — de la recherche dans Tavenir.
1 5. — des explications.
16. — des precautions.
17. — de la repetition et du relour en
arrifere.
18. — du mieux et manie des proc^d^s.
\ 19. — de Textr^me et deTinBni, etc.
!20. Manie de la compensation.
21. — de I'cxpialion.
22. — des sermcnls et des pactes.
. 23. — des conjurations, etc.
I. — Unite clinique des manies mentales.
Quelques malades, pour des raisons qui tiennent a revolution
de leurs troubles et que nous etudierons plus tard, semblent affec-
tionner certaines manies particulieres. Lise fait des promesses
pour expier, Nadia pr^ffere les serments, Jean se borne aux com-
pensations; Claire cherche des proc^d^s de perfectionnement,
Zo... prend des precautions etZei... se contente de r^peter les
actes. Ces differences dans la variety de la manie habituelle donnent
m^me a certains malades une physionomie assez distincte. II est
certain que Rai..., qui cherche des procedes pour manger bien,
pour respirer mieux et qui pour y parvenir crache et rote conti-
148 LES AGITATIONS FORCfiES
nuellement, ne ressemble pas ext^rieurement a Lise qui, tout
a fait immobile, s'interroge silencieusement sur les promesses
qu'elle a pu faire au diable. Mais cette remarque faite, il faut se
hater d'ajouter que cctte difference dans Taspect exterieur des
malades est pen profonde.
En reality, si on suit avee soin rhistoire de ces malades, on voit
qu'a cote dc la manie principale aujourd'huipredominante, ils ont
une quantity d'autres manies secondaires dont ils ne se plaignent
pas et qui se rapportenta toutes les autres formes observees chez
les autres sujets. En outre, il est tres facile de constater qu'a
d'autres epoques de leur vie ils ont donnd le premier rang a
d'autres manies. Jean, dont les compensations sont si remar-
quables, a en meme temps la manie de la conjuration, celle des
precautions, celle des presjlges, etc. We... qui interroge le sort a
aussi la manie des conjurations et des pactes. Claire a la manie de
la repetition, celle du retour en arriere,;«t celle des expiations, etc.
Lise a cote de ses promesses au d6mon a Tinterrogation, Tarithmo-
manie, la conjuration, etc. Myl... (98) qui a maintenant la manie
de la precision et la micromanic a commence, il y a trois ans, par la
manic des recherches et des procdd6s : Zo... actuellement tour-
mentee par la manie des precautions a eu autrefois la manie de
Texpiation. Yor... pr^sente maintenant les procedcs urinaires, il
y a dix ans elle ^tait tourment^e par les serments. Gisele qui fail
actuellement des conjurations a eu les interrogations, les precau-
tions, les pactes.
En un mot, il est bien rare qu'un malade qui vient sc plaindre
d'une de ces manies ne connaisse pas par experience toutes les
autres. Vient-il d*avouer un besoin de retour en arriere, on peut
sans hesitation lui demander s'il est bien rassur^ a propos des
serments qu'il a faits. On peut ainsi surprcndre le malade en lui
decrivant des bizarreries mentales qu'il a presentees et qu'il
croyait parfaitement inconnues. L*interrogatoire est pour ainsi
dire formule d*avance, comme celui de Thysterique ; les ques-
tions sont diflerentes, mais les reponses sont aussi bien prevues*
Enfin, certaines experiences peuvent mettre encore en evidence
cette relation qui existe au point de vue cliniqueentreces diverses
manies. Si par divers traitements on arrive a supprimer on a di-
minuer chez un malade certaine manie, on le voit plus ou moins
rapidement tomber dans une autre. J'ai empeche Nadia de faire
des serments qui eugageut Tavenir, elle prend I'habitude de se
LES AGITATIONS MENTALES DIFFUSES 149
borner a des conjurations dans le present et elle reste tout aussi
tourmentee par cette nouvelle manie. Si je lui supprimc celle-ci,
ce seront des precautions interminables pr^cisement pour ne pas
s'exposer a faire ce que je lui ai d^fendu. II en est de m^me plus
nettement encore chez Jean, il remplace une compensation pav
une autre : il- arrive, « vous ne vous (igurez pas avec quel effort »,
a aller se coucher apres avoir serr6 la main de sa mere sans cher-
cher son frere pour lui serrer la main en dernier, mais il se lave
la main droite huit fois a Teau bien froide, et quand il vient me
raconter ce haut fait il voudrait recevoir des compliments. Je
veux supprimer toute compensation, alors il y aura avant Taction
d'interminables deliberations. II va rester une heure a la porte
d'une eglise sans se decider a entrer ou a s'en aller : « s'il
entre, il sait bien qu'il aura besoin de compenser ce sanctuaire
par un autre et M. Janet Ta absolument defendu ; mais s'il ne com-
pense pas, il s'expose a etre poursuivi par des fluides, lequel est
pref(^rable les reproches qu'il pr^voit ou les fluides ? » Claire
remplace le retour en arriere par les recherches ou par les pactes.
II en est ainsi bien souvent au cours des traitements.
Ce melange et cette succession des diverses manies chez le
ra^me individu nous montre deja qu*au point de vue clinique ces
diverses manies doivent ^tre tres voisines les unes des autres et
qu'elles doivent toutes dependre d'une meme disposition mentale
qui en est chez tons le point de depart. Cette disposition est evi-
demment une agitation de Tesprit, un besoin de faire travailler la
pensee qui se montre d'une maniere plus complete dans la simple
rumination mentale.
2. — La rumination mentale,
Les manies mentales pr^c^dentes nous montraient une activit6
mentale dans un sens determine toujours le meme, Tagitation de
Tesprit etait syst^matisee. Trfes souvent, ces diverses manies se
combinent, se m^langent plus ou moins confusement et le caractere
de la systematisation devient moins visible. II en r6sulte un phe-
nomene psychologique extremement curieux dont Timportance au
point de vue de Tintcrpr^tation de Tesprit ne me semble pas avoir
ete encore suffisamment mise en Evidence.
C'est un singulier travail de la pensee qui accumule les asso-
ciations d*idees, les questions sur les questions, les expiations,
i:/l LES AGITAT1035S FORCEES •
les pactes de maDiere a former on inextricable d^dale. De temps
en temps, les associations dldees ramenent comme parhasard una
des questions do debot et alors le malade recommence tous les
rabachages precedents, il toorae ainsi en cercle comme Lisa ; ou
bien ces hasards font naitre one idee toot a fait diflerente qui lance
la pensee sor one autre piste et ce sont a des embranchements
d*idees »», comme dit Lod... Le travail est plos ou moins compli-
que suivant rintelligence et le degre de culture du sujet, mais qu'il
tourne en cercle ou qu'il enfile des embranchements, il n'arrive
jamais une conclusion, il ne pent jamais « tirer la barre » et
s'epuise dans un tra^-ail aussi interminable qu'inutile.
Ce phenomene est souTcnt decrit sous le nom de fuite des idees,
volee des idees, « ideen flucht b '. Legrand du Saulle le designait
sous le nom de rumination meniale que nous conservous ^. Le fait
est si remarquable qu^il faut encore en revoir quelques exemples
aGn de pouvoiren degager les caracterespsvchologiques assent iels.
Voici une rumination de Ger..., une femme du peuple trespeu
instruite. Une apres-midi de jeudi, elle songe a preparer le diner
et prend un pot afin de dialler chez la fruitiere acheter pour quel-
ques sous de bouillon. Elle s*arr^te sur Tescalier avec la pensee
qu'il faut reflechir un moment s*il n'y a rien de reprehensible a
acheter du bouillon chez la fruitiere 'manie de precision) « en ge-
neral non, mais c'est aujourd^hui jeudi, il faut faire attention ace
detail : qu'est-ce que la fruitiere va penser en lui voyant acheter
du bouillon aujourd^hui ^manie de Tinterrogation) ? Si elle croit
qyt> c*est pour faire la soupe ce soir, il n'y a pas grand mat,
mais on peut supposer que la fruitiere croira autre chose (nianie
des suppositions) ; elle croira peut-^tre que je veux en faire une
iuijpe pour demain vendredi. Si elle suppose cela ellevaetre scan-
iLlisee a cause de moi : c^est bien ma nature de donner toujours
aux autres le mauvais exemple [obsession criminelle) : si j*ai fait
croire cela a la fruitiere j'ai commis un acte qui en lui-menie ne
parait pas tres grave mais qui est horrible par sa signification ;
ci'la signifie que je me moque du bon Dieu (manie du symbole).
TiiUle la question revient a savoir si la fruitiere peut supposer
que je mangerai mon bouillon demain plutot que ce soir. Com-
I Aschaffenbiirp, La voice des idees. Ideen Flucht. Congrh des alienisles alle-
mtm*f>, i^o'i. Archives de neurolo'jie, i8f)5, I, p. Sa^-
5, Legrand du Saulle, 1878, cf. CuUcrc, les frontieres de la folic , p. 65 ; Raymond
el \mand. Ann. med. psych., i8«)3, IL p. 78.
k
LES AGITATIONS MENTALES DIFFUSES 15I
ment fera-l-elle une pareille supposition ? En r^fl^chissant a ce qui
pourra me rester dans raon garde-manger pour la soupe de ce
soir. La derniere fois que je Tai vue, c*est-a-dire hier matin, lui
ai-je donne a penser qu'il me restait de la soupe pour jeudi soir,
quelle parole lui ai-je bien pu dire hier matin (manie des re-
cherches dans le passe et embranchement d'idees). » La voici main-
tenant qui travaille a se rem^morer tout ce qu*elle a bien pu dire
a la fruitiere, malheureusement le souvenir ne revient pas assez
complet et elle finit par se dire (c que si la fruitiere lui a fait a'un
moment mauvais visage, c'est qu'elle lui a dit quelque chose d'ex-
traordinaire, mais voila, la fruitiere lui a-t-elle fait a un moment
mauvais visage, impossible de le savoir avec precision... non, de-
cidement le mieux c'est de demander conseil au mari ; mais le
mari va repondre, c'est si^r : tu m'embetes avec ton vendredi ;
et le seal resultat, c'est qu'elle aura fourni a son mari Tocca-
sion de dire du mal du bon Dieu, la voila bien qui scandalise tout
le monde ; quel horrible ^tat criminel est le sien. Vraiment tout
vaudrait mieux que ce crime perpetuel et si Dieu lui accordait de
ne plus scandaliser tout le monde, elle lui promettrait bien de
faire n'importe quoi. Mais si Dieu lui demande de tuer sa petite
fille (manie des pactes], il pent le demander puisque c'est Tenfant
d'une mere coupable qui sera coupablc comme elle. Yaut-il
mieux continuer a scandaliser tout le monde ou consentir a tuer
sa petite fille avec un couteau de cuisine..., etc. » Trois heures
aprcs le debut de ces belles reflexions, le mari rentre ehez lui et
trouve Ger... dcbout sur le palicr de Tescalier, son pot vide a la
main: elle n'avait pu se decider ni a allcr chez la fruitiere, ni a
entrer chez elle en renoncant a faire cette %oupe.
Les ruminations paraissent un peu plus compliquees et les raison-
nements plus subtils si on prend un sujet d*un milieu social plus
tMeve, mais cette difTerence est loin d'etre aussi considerable qu'on
pourrait le supposer. Nadia sort assez emue d'une conversation
qu'elle vient d'avoir avec son pere ; celui-ci a essaye de lui faire com-
prendre qu'il est juste de manger pour vivre et que c'est un devoir
pour elle. Nadia ne d&manderait pas mieux que d'acccpter cette
croyance u ce serait une solution, une tranquillite, mais quelque
chose s*y oppose, c*estle souvenir des innombrablessermentsqu*elle
a faits. Qu'arrivera-t-il si elle manque a de tcls serments (manie des
pactes et des interrogations). D'autre part, si c'est mal de man-
quer a ses serments, c'est aussi tres mal de refuser d'ecouter les
152 LES AGITATIONS FORGOES
supplications de ses parents. Elle a fait aassi des serments pour
promeltre d'obeir a ses parents et de ne plus faire pleurer.sa mere;
lesquels de ces deux serments comptent le plus? On lui a dit qu'il
ne faut pas tenir compte des serments qui sont evidemment
ridicules, mais lesquels sont evidemment ridicules et doit-elle
les supprimer si elle n^a pas I'evidence qu'ils sont tels ? La di-
rection qu'on lui a donnee est en somme hypothetique et cVst
a elle a decider en dernier ressort (manie de Toscillation). Heu-
reusement, elle a pris la precaution de ne rien ecrire relativement
a ces pactes, ce qui n'est pas ecrit ne compte pas (manie de la
precision), niais n'est-il pas possible qu^elle ait ecrit sans s'en
rendre compte : une lettre quelconque ecrite a une amie pent
avoir la signification d'un pacte (manie du symbole), comment
savoir si ce n'est pas arrive. Si j 'arrive a tourner la tete cinq fois de
suite avant que ma gouvernante ne se retourne, je n*aurai rien pro-
mis, si je n'y arrive pas le pacte existe (tic et manie des presages)...
J'ai reussi, mais qu*importe, ma mere n^est-elle pas morte,
j'avais tant de fois jure sur sa t^te, c'est pour cela qu'elle est
morte; si je manque de nouveau a mes serments, mon pere
mourra et mon ideal aussi. Est-ce que je suis maudite ? etc. » La
rumination continue dans ce sens pendant plusieurs heures sans
que Nadia arrive a une solution sur la question posce au debut :
elle cbercbait en somme s'il fallait accepter ou nier rafBrmation
de son pere que son devoir etait de manger pour vivre, elle est
encore au meme point et ne sait pas davantage si elle croit ou ne
croit pas ce qu^on lui a dit.
Je n'insiste plus que sur un troisieme exemple de ces rumina-
tions complexes interessant par les circonstances dans lesquelles
il se prodiiit. Lod... est en train de jouer du piano et comme
elle est assez musicienne, elle commence a y prendre un certain
plaisir; ce plaisir va se developper et donner naissance a une
jouissance artistique qu*elle connait pour Favoir eprouvee autrefois
et qu'elle attend, mais a ce moment une foule de pens^es com-
mencent a surgir dans sa conscience. « Ce n'est pas un travail
qu'elle fait la puisqu*elle prend du plaisir. Estce que Dieu permet
que Ton puisse ainsi s'oublier dans des plaisirs (manie de la per-
fection et du remords), il faut effacer ce plaisir egoVste en.faisant
quelques petites choses pour la gloire de Dieu (manie de Texpia-
tion". II faut se condamner, faire une triste figure toute la journee.
Oui, mais cela va ennuyer ses parents: lequel vaut le mieux :
LES AGITATIONS MENTALES DIFFUSES 153
ne rien faire pour Dieu ou ennuyer ses parents (manie de Tinter-
rogation)? Les Idees vont encore rester en litige sans que je puisse
tirer la barre » et elle continue a m^diter ainsi toute la matinee.
On pourrait multiplier ind^finiment ces exemples, il est tres
facile de les imaginer en combinant de mille manieres toutes les
diverses categories des manies mentales que nous avons analysees
de maniere a rormer des erabranchements de pensees ou des
cercles d'id^es tout a fait interminables.
3. — La rii^erie forcee,
Dans les ruminations precedentes on pent encore retrouver la
trace de diverses manies mentales, la syst^matisation maladive est
incomplete mais elle existe encore en partie. Je crois qu'il faut
rapprocher de ces malades un groupe tres interessant de sujets
dont Ic caract^re maladif n'est pas toujours bien compris.
Void un exemple qui pr^cisera le ph^nomene que je consid^re.
line femme de ^4 ans, Lib... (iiy), tres intelligente, tres raison-
nable, se plaint d'un trouble de la tete qui depuis 20 ans derange
toute son existence, Temp^che de jouir de la vie, de travailler et
meme de dormir. Ce trouble, c'est la rSverie qui s' impose d'une
maniere irresistible « il me semble, dit-elle, que je suis forcee de
penser trop, que je suis oblige de me raconter des histoires, de
discuter avec mol-meme, de me souvenir, de raisonner d'une
maniere tout a fait exag^ree et inutile ». Cette femme reste toujours
tres calme, tres tranquille, elle n'a point de tics, encore molns
d'emotlons ou d'angoisses, mais a propos de tout ev^nement ou
de toute action elle a Tesprit assailli par d'interminables reveries.
Le plus souvent elle pent dissimuler sa reverie et elle semble
agir, causer avec les person nes presentes ou llreun livre; mais elle
ne se donne que tres peu a ces occupations, la plus grande
partie de son esprit estoccup^e ailleurs par la reverie continuelle.
Dans blen des cas, d6s que Faction devient difficile ou demande
plus d'attentlon, Lib... devient incapable de la faire. Elle ne
pent plus suivre une conversation au milieu de plusieurs per-
sonnes, elle ne pent plus comprendre une lecture difficile. Le
sommeil surtout est presque completement supprlme et est rem-
place par cette reverie perpetuelle.
Je n^etudierai pas muintenant les troubles de la volonte et de
Tattentlon qui jouent un grand r6le dans cette observation, je ne
15i LES AGITATIONS FORCfiES
considere maintenant que la reverie elle-meme. Le caractere le
plus curieux de cette reverie c'est qu'elle ne contient en appa-
rence aucun des sympt^mes pathologiques que nous venons
d'etudier. Lib... n'a certaineraent aucune obsession, blen mieux
elle ne presente aucunement ce que nous venons d'appeler une
manic mentale. Aucune idee obsedante ne revient regulierement,
il n'y a pas de processus mental, interrogation, recherche,
comparaison qui joue un role reellement predominant. Cette
reverie est tres variee, le plus souvent elle n*est pas desagrt^able
en elle-m^me, et surtoutelle n'est pas d^raisonnable. Ce sont des
reflexions, des rememorations, du passe, des imaginations de
Tavenir des discussions, des meditations qui n'ont de patholo-
gique que leur exageration et leur irr^sistibilite. « Ce que je
regrette, dit-elle, c'est d'etre obligee de penser ainsi un million
de choses absolument inutiles, quand je f'erais bien mieux de
m*occupcr de mon travail ou de dormir. Ce sont des tableaux
innombrables et des bavardages sans fin que je ne puis arreter
que pour un moment et avec une peine extreme. »
Ce symptome de la reverie forcee me parait tres important, il
se retrouve chez beaucoup de nos malades. « Ce n^est pas ma
faute, dit Vk..., si je ne fais rien, il me vient des idees en sura-
bondancc, j'en suis submergee. » a II me semble,dit Lgh..., qu'il
m'arrive ii Tintcrieur des flots d*idces qui se succedent avec une
rapidite inoui'e. Ce ne sont pas toujours des idces folles, je vous
assure, ni des interrogations absurdes. Toutes ces idees me sem-
blent seduisantes : il y aurait de bons motifs pour m'arr^ter sur
toutes. Mais je ne puis choisir, je suis oblige de passer de Tune
a Taulre, c'est dans ma tete un remue-menagc d'idees invrai-
semblable. » Lise sent bien qu'ii de certains moments « toute sa
vie se concentre dans sa t^te, que le reste du corps est comme
endormi et qu'elle est forcee de penser cnormement sans pouvoir
s'arr6ter. Sa memoire devient extraordinaire el se developpe
demesuremeht sans qu*elle puisse la diriger par Tattcntion ».
Wo..., qui a maintenant des manies mcntales bien nettes (manie
de la verification et manie des pactes), reconnait tres bien qu'il
n'en a pas toujours et^ ainsi. « Pendant bien des ann^es mes
reveries n*^taient pas comriie aujourd'hui toujours dans le meme
sens, je savais bien que je pensais trop, que mon esprit s'em-
brouillait de choses a cote, que je n'en finissais pas de penser
cent choses au lieu d'une seule. Dcpuis longtemps mes pensecs
r
LES AGITATIONS HEfJTALES DIFFUSES 155
tournaient dans le vide sans pouvoir s'accrocher a rien de pre-
cis... » II sera litres facile de retrouver cet elat mental de la reverie
forcee an d^but de bien des cas de maladie des obsessions. Meme
chez les individus a peu pres normaux, ceshistoires interminables
que Ton se raconte, ces meditations faciles qui se substituent au
travail et a Tattention sont des plus frequentes.
Ces reveries forcees ont ete, comme la rumination precedente,
decrites sous le nom de fuite des idees, de volee des id^es car ce
sont des phenomenes tres voisins. Riles correspondent aussi, si je
ne me trompe, a ce qui a ete decrit sous le nom de mentisme « sorte
d'efTervescence intellectuelle particuliere, dans laquelle, pour me
servir de la definition d'un auteur qui en ^tait atteint lui-m^me,
Dumont de Monteux, nous voyons, avec un sentiment tres net, des
pens^es qui nous sont 6trangeres, que nous ne connaissons pas
comme notresy et qui s'^tant introduites du dehors, puUulent, se
meuvent avec la plus grande rapidite * ».
Dans Tetude des obsessions on s'est beaucoup occupe et avec
raison des angoisses diOPuses, c*est-a-dire des agitations emotion-
nelles diffuses. 11 me parait necessaire d'attirer aussi Fattention
sur ces reveries forcees qui sont des agitations mentales diffuses.
Si nous rapprochons les reveries forcees, et les ruminations
mentales de toutes les manies mentales qui ont ete decrites pr^-
c^demment, nous voyons qu'il existe chez ces malades un grand
travail mental qui se d^veloppe d'une maniere anormale. Ce tra-
vail est en apparence assez considerable : il comprend la plupart
des operations intellectuelles, associations des idc^es, memoire,
imagination, jugement, raisonnement, toutes sortes d'operations
qui s*effectuent surtout sur des images et des idees abstraites. Ce
travail n'est pas sans diflicult^ ni sans efforts, il est souvent fati-
gant et penible. Malheureusement il presente un caractere Evident
au premier abord, il est parfaitement inutile et sterile: qu'il soil
systematique ou diffus, il n'aboutit jamais a rien de reel ni d'utile;
c'est pourquoi il justifie le nom que nous lui avons donne d'agita-
tion mentale. Cette agitation est forcee, ellc s'irapose au sujet d*une
maniere particuliere ; mais ce caractere tres important se retrouve
exactement le m^me dans les mouvements forces etdans les emo-
tions forcees, il sera ^tudie plus utilement .Via fin de ce chapitre.
I. Dumont dc Monteux, d*apr6s S6glas, Lemons cliniques sur les maladies mentales
et nerueuses, 1895, p. 69.
i56 LES AGITATIONS FORCfiES
DEUXIfiME SECTION
LES AGITATIONS MOTRICBS
La plupart des troubles mentaux precedents s'accompagnaient
de quelques mouvements, ne fiit-ce que de paroles ou d'ecriture.
Mais ces mouvements ^taient en realite peu de chose et la prin-
cipalc depense de force se faisait dans les phenoraenes de pensee.
Au contraire, chez les memes malades, on observe des troubles
surtout moteurs oil une sorte xl*excitation semble se depenser en
mouvenient, accompagn^e d*une somme de pens^es conscientes
assez minime.
Ces mouvements presentent au premier abord les mcmes carac-
t^resd^ja remarqucs dans tons ces phenomenes forces. lis sepro-
duisent sans etre en rapport ni avec les clrconstances ext^rieures
ni avec les desirs du sujet ; cependant ils ne sont pas absolument
inconscients, ils ne s'ex6cutent pas tout a fait sans la participa-
tion de la conscience ni meme de la volonte du sujet. Le malade
sent au moins en partie qu'ils s'accomplissent et qu'ils s'accom-
pHssent parce qu'il veut bien les accomplir, mais il se sent
contraint d*avoir cette volonte inutile et absurde : ce sont tout a
fait, suivant Texpression d'un malade « des travaux forces )).
De meme que pour les pensees, ces mouvements forces peuvent
etre syst^matiques ou difTus; quand ils sont systematiques ils
constituent les tics, et quand ils sont diffus les crises d'agi-
tation.
i. — Les agitations motrices syst6matis6es. — Les tics.
I/c^tude de ce phenomcne est relativement recente, il 6tait
autrefois confondu vaguement avec les convulsions et les spas-
nies; mais en raison de Tint^ret qui s'attache aujourd'hui aux
etudes de psychologic pathologique, le tic a ^te Tobjet de
i
LES AGITATIONS MOTRICES SrSTfiMATISfiES. — LES TICS 157
beaucoup de travaux recents qui ont au moins pr^cis^ le pro-
bleme. J^emprunterai d'abord a ccs etudes int^ressantes les ^16-
ments d'une determination du tic, c'est-a-dire les caracteres
essentiels qui constituent le tic. Puis je resumerat brievement la
description de quelques tics importants pr^sent^s par mes malades
en insistant surtout sur les caracteres psychologiques de ces
ph^nomenes.
I . — Les caracthres des tics.
Le premier caractere qui a etc bien mis en evidence, c'est la
syst^matisation du tic, son analogic avec cet ensemble systema-
tise de mouvemcnts qui constitue un acte. Trousseau comprenait
encore le tic d'une maniere assez vague : il le caracterisait
(c par des contractions rapidcs g^neralement limitees a un
petit nombre dc muscles, habituellement aux muscles de la
face, mais pouvant afTecter d'autres muscles du cou, du tronc,
des membres * » Rn somme il ne parlait que de la petitesse
el de la rapidite du mouvement : quelques secousses d*epi-
lepsie partielle pourraient ainsi etre confondues avec des tics.
Charcot', Gilles de la Tourette', Guinon* ont chcrche a distin-
guer et a grouper au moins quelques tics tr^s exag^r^s et faciles
a reconnaitre. En outre des caracteres precedents, petitesse du
mouvement et sa rapiditc, ils ont insiste sur sa regularite et sur sa
ressemblance avec des actes determines. <c Les tics, disait Charcot,
reparaissent toujours les memes chez un m^me sujet, et de plus
ils reproduisent en les exagerant cependant certains mouvements
uutomatique^ complexes d*ordre physiologique appliques a un
but, ce sont en quelquc sorte, en d'autres termes, la caricature
d'actes dc gestes naturels*^... »
L'auteur qui a le plus contribue a faire connaitre le tic et a le
distinguer cliniquement des phenoraenes convulsifs voisins est
M. Brissaud. Dans ses lecons a la Salp^triere il est revenu a plu-
sieurs reprises sur la distinction interessante du spasme etdu tic*.
1. Trousseau, CUniques de I'lldtel-Uieu, 1873, 11, p. 267, p. 464-
a. Charcot, Lemons du mardi, II, p. iH.
3. Gillcs de la Tourelte, i885.
4. Guifjon, 1886.
5. Charcot, Lemons du mardi, 1888-89, P- ^^^•
6. firissaud, Le^ns sur les maladies nerveuses, i'^ serie, 1896, p. 5i3.
i56
LES AGITATIONS FORCEES
/
/
deuxi£:me SECTIOI'
LBS AGITATIONS
re deja
en evi-
irritation
ul muscle,
i6me nerf.
facial, le
est en rea-
. ermines par
ixienie fron-
c^rebrale au-
int^ressant ce
on seulement
'S grimaces de
larynges, etc. ;
_ i iiypoglosse, du
..i«/ii qui nc pent se comprendre
,,Mi Lie 1 ecorcc c^rebrale.
.,0 ijvstomatique, cette relation du tic avec les actions
/rouve confirm^ dans la plupartdes Etudes ult^rieures.
La plupart des troubles w
de quelques mouvements,
Mais ces mouvements ^
cipale depensc de for
Au contraire, che^
surtout moteurF
mouvement, r
assez minir
Ces m'
teres <^
dui*^ - ^
.' *'\-i^re essentiel du tic, dit M. Oddo ', est le caractere
•' niiei ou mieux pseudo-mtentionnel, car I intention volon-
' ^^ ^^,'5paru depuis longtemps dans le tic. II n*en est pas moins
"^ ^ lie los mouvements des tiqueurs sont coordonnes pour Tac-
' plissement d'un acte toujours le m^me. Le tic est un mou-
*^ „oiil essentiellement figure, la choree est constituee par un mou-
,,.riient amorphe. »
MM. Meige et Feindel ont encore insiste sur ce caractere en
|i,i faisant jouer un grand role dans la classification des tics. « Les
lies doivent Hre classes, disent-ils^, non d'apres les muscles qui
iiitervienncnt dans le mouvement, mais d'apres les actes dent le
lie est la caricature. Ainsi on distinguera des ^ics ties patipieres,
t>:kttements, clignottements analogues aux actes determines par un
iorps etranger dans Tivil, par une trop vive lumiere, des ^ics des
yt*tu\ elevations, mouvements lateraux, analogues aux actes deter-
niia^s par la presence de corps etrangers, par des troubles de la
vision.
Les lies da /ler, reniilement, battement, froncement des narines,
I. ('.. Ovldo. Les lies. Presse m/fZ/.-.t/c. l8«»t), I, i8t).
1- Meii:e el Feindel. l.es causes pn»»icalrioe< el la j»alhoirenie des tics de la face
H All cou. >'>*•*>/€• de neurol-fjie. ii> a^ril UH>I-
\
LES AGITATIONS MOTRIGES SYSTfiMATISI^ES. — LES TIGS 159
ndent aux actes suivant, aspiration justifiec par un
lent passager des voies nasales, dilatation des narines
'a gene ou la cuisson d'une petite plaie.
la bouchey des levres, de la langue, les moues, les
rdillages, les plncements, les rictus, les inachon-
lutitions, etc. correspondent aux mouvements
>^ nellicule dans les ger^ures des levres, pour
■*, 'i branle, pour tater un endroit de la bou-
^ t6te, secousses, hochements, on trouve
ints les d^placements, les redressements
^nts pour se debarrasser de la g^ne
r un vetement, etc. ».
Mt aussi M. Oddo, sont des abr^via-
ui s, d'exclamations, de mots d'injures*. »
^ lies Ju cou, dans le torticolis mental; le mouvement
correspondnnt est un effort pour eviter la douleur d*une fluxion
dentaire, pour Eviter une douleur musculaire, pour eviter un
courant d'air et proteger le cou en relevant les vetements, pour
dissimuler une tristesse, pour regarder dans la rue, etc.
Dans les tics de Tepaule, on retrouvera le geste du colporteur
d^crit par M. Grasset*, geste de charger un ballot sur son ^paule,
et beaucoup de gestes professionnels du m^rac genre. Dans des
tics du pied que j'ai decrits^ on retrouvera les claudications d^ter-
minees par la douleur d*un cor, les retractions des orteils dans
une chaussure trop courte, etc.
En se plagant au m6me point de vue M. Meige fait encore une
distinction interessante entre les tics classiques qui consistent en
un mouvement rapide et des tics d'atUiude, des tics toniques en
quelque sorte qui consistent dans la conservation d^une attitude :
celle-ci represente toujours une action mais une action perma-
nente^. II rappelle a ce propos le cas de trismus de machoires que
j'avais ^tudi^ avec M. Raymond^: un brave pretre qui craignait
1. C. Oddo, Presse mid., op. cit., 1899, 11, 190.
2. (irassei, Nouvelle honographie de la Salpetriere, 1897.
3. Raymond et P. Janet, Nolo sur deux tics du pied. iVonvelh honographie de la
Salp^lriere, '899. p. 353.
\. H. Meige, Hisloire d'un liqueur. Journal de medecine el de chirurgie pratiques^
20 aoiit 1 90 1.
5. Nevroses et Idees fixes, II, p. 38 1.
160 LES AGITATIONS FORCfiES
de se montrer Indiscret et de laisser ^chapper le secret du confes-
sionnal, en ^tait venu a ne plus pouvoir desserrer les dents et
devait se mettre un bouchon dans ia bouche pour pouvoir faire un
sermon. M. Meige ^tudie aussi a ce propos une observation de
tiqueur tout a fait remarquable qui pour arr^ter un mouvement
de son ^paule prend une attitude permanente et tient son bras
colle au corps, appuy^ sur I'^pigastre.
Le second caractere du tic egalement bien mis en lumiere par
la plupart de ces auteurs c'est que le tic est un acte inopportune
intempestif. « Le tic, disait Charcot, n^est que la caricature d'un
acte, d'un geste naturel... le mouvement complexe du tic n^est
pas absurde en soi, il est absurde, illogique parce qu'il s'op^re
hors de propos sans motif apparent ^ » « Le tic, disait M. Noir
dans son etude int^ressantc, est la reproduction habituelle mais
intempestive d'iin geste... *» et M. Guinon disait aussi: « le tic est
un mouvement convulsif, habituel et conscient resultant de la
contraction involontaire d*un ou dc plusieurs muscles du corps et
reproduisant le plus souvent, mais d'une fa^on intempestive
quelque geste reflexe ou automatique de la vie habituelle. »
J*ajouterai dans le meme sens que, si le tic est un acte, il ne
faut pas cependant oublier que c'est un acte sterile qui ne produit
rien. II est evident qu'il ne produit rien d'utile, mais je crois que
Ton pent meme dire dans Ic plus grand nombre des cas qu'il
n'est meme pas capable de faire du mal. Cc qui nuit au sujet
c'est le fait d'etre un tiqueur, c'est Tensemble des phcnom&nes,
des troubles qui accompagnent le tic. Mais Tacte lui-mt^me qui
est le tic, le mouvement de la tete, le torticolis, le clignemenl
des yeux, la grimace de la bouche ne font pas grand mal. J*ai
decrit une jeunc (ille qui avait le singulier tic de tomber brus-
quement a genoux tons les dix pas dans la rue aussi bien que
dans sa chambre', et j*ai remarque avec etonnement que dans ces
agenouillements brusques elle ne se fait jamais de mal aux
genoux. Cette ineillcacite du tic est int^ressante, elle est a rap-
procher de Tinutilitd complete des manies mentales et devra
I. Charcol, Legons du mardi, 1888-89, p. /i6^.
•Jt. J. Noir, Etude sur les tics chez les imbeciles et chez les degenhh, 1893.
3. Xevroses et Jd^esjlces, II, 39a.
LES AGITATIONS M0TRICE8 SYSTfiMATISfiES. - LES TICS 161
etre rappel^e quand nous etudierons les troubles de la volonte qui
determinent ces agitations steriles.
Cette impuissance du tic se rattache a un autre caractere quHl
ne faut pas oublier quand on insiste sur le rapprochement du tic
et de Facte. Si on laisse de c6t^ les hyst^riques qui ont des tics
un peu particuliers et chez qui la reproduction de Tacte pent etre
plus complete, chez Les psychasth^niques qui sont les vrais
liqueurs, le tic nest /ms un acte complete
Quand As... a la singuliere habitude de se faire vomir apres
chaque rcpas en s'introduisant deux doigts au fond de la bouche,
tout en trouvant lui-meme que Facte est inopportun, absurde et
dangereux, on ne pent pas dire qu*il a un tic. C/cst une impul-
sion en rapport avec des obsessions de honte du corps et d'hy-
pocondrie. U n*y aura ticqu*au moment o^i Facte se sera peu a peu
simplism et quand As... n'a plus que quelqucs spasmes, quelques
regurgitations, quelques rots apres chaque repas. II faut conserver,
je crois, dans la notion du tic Fid^e ancienne de Trousseau que le
tic est un petit mouvement incomplet, d*aulantplus que ce carac-
tere d'etre incomplet n'est pas sans importance chez les scrupu-
leux. Leur micromanic, leur manie de la precision, du symbole, les
predispose a rechercher ces petits mouvements incomplets. Si le
tic estainsi un mouvement incomplet, il peut se r^duire a tres peu
de chose, devenir un mouvement des plus simples dans lequel la
systemaiisation toujours fondamentale au d^but devient de moins
en moins visible. Ser... leve continuellement la main droite afin
de toucher sa boucle dWeille et de verifier si elle ne Fa pas
perdue. Ici le mouvement est tres bien systematise, mais peu a
peu il se reduit et elle n*a plus qu^une secousse de Findex qui se
leve brusquement. Ce petit mouvement est encore bien un tic par
ses origtnes et par F^tat mental qui Faccompagne, mais si on le
considerait isol^ment il serait difficile d'y voir une systematisation
bien nette.
C'est en considi^rant des cas de ce genre que M. Bourdin* en
vient a contester la systematisation du tic et a nier qu'il reproduise
des actes. Les mouvements du tic sont, a son avis, beaucoup trop
simples et trop bizarres. Get auleur en vient jusqu'a rattacher
les tics, au moins les tics simples a une lesion fonctionnelle de
I. Bourdin, L' impulsion spicialement dans ses rapports avec le crime. Th5se de
Paris, 1894, p. 55.
UE8 OBSESSIONS . 1. — II
162 LES AGITATIONS FORCfiES
^ la moelle qui se traduit par des d^charges motrices. Une semblable
erreur serait impossible si I'on remontait a Torigine du mouve-
ment et si i'on remarquait que ce qui caract^rise surtout le
tic c'est le trouble mental qui le determine et qui, pendant tres
longtemps si ce n'est loujours, continue a Taccompagner.
M. Brissaud avalt dcja remarqu^ que la syst^matisation du tic
conduisait a son 6tude psychologique. Dans bien des cas, dit-il,
le tic serait impossible h diagnostiquer si Ton n^examinait que
le mouvemcnt lui-meme, si Ton ne tenait pas compte des antece-
dents et de Tetat mental qui a prepare le tic et qui raccora-
pagne.
Aussi la plupart des travaux r^ccnts sur les tics sont-ils en
somme des etudes de psychologic plus ou moins avouees dans
lesquelles on cherche surtout a determiner Taspect mental de cc
phenomene. Parmi les contributions les plus interessantes a cftte
etude il faut citer le memoire de Tokarski', les articles de
MM. Oddo', Dubois de Saujon', Meige*, Feindel, Hartenberg^
La plupart de ces travaux se placent surtout au point de vue
therapeutique et devront etre ^tudi^s a propos des divers traite-
ments de T^tat psychasthenique. Nous remarquons sculement ici
qu'ils notcnt tons deux aspects dans le tic, le mouvement syste-
matique et le phenomene mental concomitant.
En effet le tic est accompagnd par des phenomenes de con-
science, de volonte et de pensee. En premier lieu ce mouvement
est conscient; je parle toujours ici du psychasthenique et non de
Thysterique. Le sujet sait parfaitement qu'il ferme les yeux, qu'il
touriie la tcte, qu'il s^agenouille. II le sent d'autant mieux qu*il a
le sentiment de laire Iuim6mele mouvement et de le faire volon-
tairement. Cette intervention de la volonte personnelle du sujet
est si importante qu*il peut parfaitement faire son tic a tel mo-
ment plutot qu'a tel autre, qu'il peut le supprimer momentane-
I Tokarsky, R61c des idees, desmomonls psycliiques dans la production des lies.
SociHe medicale des neurologisles et alienisles de Moscou, dec. 1892. Arch, de Neuro-
logic t 1898. 1, 34 1.
a. Oddo, op. cil. Presse medicale, 1899, II, 189.
3. Dubois de Saujon, Les tics. Sociele de Iherapeuiique, 27 mars 1901.
4. li. Meige el E. Feindel, fitat mental des liqueurs. Progrhs medical, 78eplembre
1901.
5. Hartenbcrg, Trailement d'un cas de tic sans angoisse. Revue de psychologic cli-
nique et thS rapeutique, jAn\iCT 1899, p. 17.
LES AGITATIONS MOTRICES SYSTfiMATISfiES. — LES TICS 163
ment, le remettre a plus tard et le recommencer quand il le veut
(Guinon, J. Noir, Brissaud).
Une preuve curieuse de celle intervention de la conscience et de
la volont6 ce sont les erreurs que le malade commet souvent dans
Texecution de son tic. Fous... (loi), qui a un torticolis mental,
'tient toujours la tete inclin^e a gauche; quand elle est distraite et
pr^occupee au cours d'un examen de son tic, elle se trompe et
pendant une partie de la le^on tient la tete a droite.
D'autres preuves ont et^ emprunt^es surtout par M. Brissaud
a Tetude des proc^d^s qu'emploient les malades pour arreter
momentan^ment leurs tics. Dans la plupart de ces torticolis men-
taux que decrivait M. Brissaud, le malade pent lui-meme arreter
le tic par un true quelconque, par un leger appui de ses doigts
sur la t^te ou de sa tete sur un mur. Or il est impossible d'^tablir
ainsi une lutte entre notre main et notre tete, ou bien entre nos
deux mains. L'attitude definitive qui resulte de cette pr6tcndue
lutte est une attitude accept^e, voulue par le sujet lui-meme et
si le malade peut arreter son tic en appuyant la main sur le men-
ton, c'est qu*en somme il veut bien arreter son tic. Dans bien des
cas, d*ailleurs, le sujet choisit pour arreter le tic un mouvement
qui serait absurde s'il s^agissait r^ellement de lutter contre lui.
Une de nos malades a un tic qui rejette la t6te en arriere, elle
Tarrete en touchant le front avec I'index *, ce mouvement devrait
en r^alite repousscr la tete en arriere : il est simplcment pour la
malade Toccasion de vouloir abaisser la tete en avant.
On peut aussi signaler tous les proc6des qui guerissentplus ou
moins longtemps les tics. II suflit quelquefois d'expliquer au
malade ce que c'est que son tic, comment il le fait lui-meme,
comment il peut I'arr^ter s'il veut bien yconsentir pour que le tic
ccsse pendant un temps plus ou moins long. Dans d'autres cas il
suffit que le malade croie a Tefficacite d'uh remfede, d*une pom-
made quelconque appliqu^e sur le cou ou sur le bras pour qu'il
cesse au moins pendant quelque temps son mouvement absurde.
Tous ces faits montrent done que le tic n'est pas un mouvement
compl^tement automatique mats qu'il est en grande partie un acte
conscient et volontaire.
Mais pourquoi le malade {>eut''il faire cet acte absurde? Le plus
souvent on peut dire qu'il ne le sait pas du tout, il se sent force
I. N^roses et Idees fixes, II, p. 875.
161 LES AGITATIONS FORCfiES
de le vouloir sans savoir pourquoi. Si on insiste, si on remonte
tout a Fait a I'origine du tic on retrouve presque toujours d*uoe
maniere vague des besoins de preciser, de perfectionner, de veri-
fier ou des besoins de compenser, de r6parer queique chose
qui font songer aux manies mentales que nous venons d*^tudier.
L'une des plus interessantes parmi les malades de M. Dubois
(de Saujon) se sent fovcee de se baisser par terre comme pour
ramasser tin objet^ elle se sent obligee a faire cet acte avec une
perfection speciale, il Taut que ie dos de sa main toucbe le sol ;
elle a la manie de compter jusqu'a trois, de regarder trois fois
un objet ou une personne, de heurter son coude droit contre sa
poitrine jusqu'a ce qu*il choque une petite Erosion et alors de
pousser un petit cri, etc. *. Nous verrons parmi nos malades bien
des cas semblables, ou une manie mentale force la volonte a
accomplir le tic.
Le tic est done en r^sum^ un ensemble de mouvements syste-
matis^s, un acte reproduit r^gulierement et fr^quemment, mais
d'une maniere tout a fait intempestive, inutile et incomplete
parce que la volonte se sent forcee de Taccomplir. On retrouve
ici tout a fait les caracteres d^ja constates dans toutes les manies
mentales, c'est pourquoi il sera utile dans T^num^ration des tics
de les rapprocher de ces manies.
2. — Les tics de perfectionnement,
Le premier groupe des manies mentales nous a paru etre
constitue par des manies d'oscillation par des doutes et des de-
liberations. De telles manies sont presque exclusivement men-
tales, elles contiennent des operations qui s'accompagnent diflTi-
cilement de mouvements materiels.
Si Ton voulait rechercher Tattitude qui accompagne ce genre
de manies, il faudrait considerer comme tics les immobilites, ce
qui serait souvent assez juste. Lise s'arr^te bien souvent com-
pletement immobile au milieu d'une action. Tantot elle prend
d'avance une position qui puisse justifier aux yeux des specta-
teurs son immobility, par exemple, elle tient un livre a la main.
Tantot, surtout si elle ne se croit pas surveillee, elle reste immo-
bile dans une position quelconque, debout, le pied lev^ pour
I. I)ulK)is (Jc Saujon, Societe de th6rapeulique, 27 mars 1901.
LES AGITATIONS MOTRICES SYSTfiMATISliES - LES TICS 1G5
avancer et eile s'arrete indeGniment. Get arret demande encore
un eflbrt musculairc, c'est bien un tic d'attitude. II lui semble
qu*elle ne doit pas bouger avant d'avoir trouv^ ce qu'elle cher-
chait, avant d'etre sortie de son doutc. Claire se force ainsi a
rester immobile dans son lit en gardant la premiere position
jusqu'au matin, et elle se reveille toute raidie.
Le second groupe des manies, les manies de Tau dela impli-
quent de nombreux mouvements et bien souvent ces mouvements
semblent au sujet etre forces par la manie sous-jaoente. Quand
ces manies s*accompagnent ainsi de tics, elles sont mentalement
moins developpees et ne contiennent guere toutes les subtilites
que nous venons de decrire. Elles contiennent simplement Tidee
vague ou le sentiment qu'il faut perfeclionner Facte ou le ph6-
nom^ne primitif, y ajouter quelque chose, et que le mouvement
du tic est une adjonction urgente.
Un grand nombre de tics se rattachent a ces manies de preci-
sioHy de verification qui sont parmi les plus fr^quentes. Un ma-
lade de Brissaud secoue la tete pour mettre son chapeau bien en
place. Nadia et Claire inqui^tes sur leur personne ont besoin de
verifier leur etat, elles detournent rapidement les yeux pour se
regarder en passant dans toutes les glaces : il a fallu dans Tap-
partement de Nadia couvrir toutes les glaces. Nadia, en outre,
tate perpetuellement son corps, ses jambes, sa poitrine pour
verifier rapidement si elle n'a pas engraisse.
Myl... preoccupe au d^but par ses maux de t^te secoue de
temps en temps la t^te <( pour savoir si elle est bien a sa place ».
Fok... prcoccup6 de T^tat de son ventre le secoue par une brus-
que contraction des muscles droits; Ul. .. fait une grimace avec
ses yeux « pour sentir s'ils ne sont pas 6gar^s » Ser..., agde de
i6 ans, se touche a tout instant Torcille et frappc trois petits
coups sur sa t^te c< pour 6tre s6re que la bouclc d'orcille est
bien attach^e et qu'elle ne tombe pas ». Beaucoup, comme nous
Tavons vu, secouent leur tdte pour voir si leur col les gene. Peu a
peu rid^e, la recherche determinee qui amenait ces mouvements
s'elTace a peu prfes de I'esprit ou n'est plus representee qu'a
peine par un bref sentiment d^inquietude et le mouvement se
fait rapidement, d'une manicre incomplete et perpetuelle. Ul... n*a
plus qu'un petit mouvement de rotation des yeux que Ton croirait
convulsif, Myl... un petit hochement de tete.
IC6 LES AGITATIONS FORCfiES
La manie de la syjnelrie ameue des tics de la marche comnie
chez la maiade de Azam qui saute d*une pierre sur I'autre pour
procurer a ses deux pieds des sensations analogues.
La mnnie du symbole dcvieut le point de depart d'un tres
grand nombre de tics, puisque, ainst que nous Favons vu, des
mouvements resument et expriment des id^es. Lod... imagine
une signification religieuse ou irreligieuse a certains actes, Ter-
mer le poing c^est comme si on disait : je ne crois pas en Dieu;
comme elle pense a chaque instant qu'elle ne croit pas en Dieu
et comme elle a besoin de formuler vite cette pensee pour ne
pas en etre trop d^rangee dans le cours de la vie, elle se con-
tente d^esquisser rapidement le geste de Termer le poing. Si elle
Tait a chaque instant Tacte de se retourner a demi dans la rue,
c'est que ce geste represente pour elle la pens6e de la religion,
« c'est comme si en traversant une 6glise on se retournait devant
le tabernacle ».
Jean a une interpretation semblable bien bizarre : il se croit
toujours en butte aux tentations g^nitales et il considere une
petite satlsTaction comme I'image du plaisir sexuel. Or il a eprouv6
un jour quelque plaisir en se grattant le nez : ce plaisir etait
d'autant plus impressionnant qu'il lui rappelait une impression
vivede ses anciennes masturbations : il les accomplissait, parait-il,
en s'ecrasant le nez contre un mouchoir ayant appartenu a la
Temme de chambre. De la natur^Uement une association d*id6es
symbolique entre le Tait de se gratter le nez et la pensee des plai-
sirs sexuels, Tun devient le symbole de I'autre ; mais comme le Tait
de se gratter le nez est beaucoup plus simple et dans son esprit
beaucoup moins dangereux que la masturbation, le symbole
remplaceperpetuellement Timpulsion g^nitale. Ces interpretations
compliqu^es sont venues se mcler a une habitude malpropre, lui
ont donne de Timportance et ont contribue a la fixer. Le meme
maiade a sans cesse besoin d^un appui moral, il symbolise ce
besoin en tenant toujours sou bras droit a demi lev^ au-dessus de
sa tete et appuy^ sur un objet plus dleve, n c'est comme si je
me reposais sur quelqu'un de plus Tort que moi a mon cM^ ».
Le meme sentiment a joue un role dans la formation d*un ve-
ritable torticolis spasmodique, chez Brk..., <c j'ai toujours eu be-
soin de m^appuyer, je voudrais avoir un soutien, un ami, je ne
sais pas comment cela a anient le besoin d'appuyer ma tete de
cute sur mon epaule ».
LES AGITATIONS MOTRICES SYSTfiMATISfiES — LES TICS 167
Par la meme raison que prec^demment, ces mouvements ont
plus ou moins perdu leur interpretation et Lod... se retourne en
marchant, Jean se gratte le nez ou s'arrache les ongles ou leve le
bras en Fair, Brk... tient la tete de cdte a peu pres perp^tuelle-
ment sans trop savoir pourquoi et en apparence malgre eux.
On pourrait rattacher a ce besoin de symbole le tic int^ressant
attribue par Rodenbach a la so&ur aux scrupules « de temps en
temps de son mouchoir d^pli^ elle se tapotait, elle s'epoussetait,
aurait-on dit^ comme pour eparpiller Tinvisible chute surelle de
la poussiere, ces molecules du silence ^ ».
La manie de la tentation, la manie de Vimpulsion qui joue un
grand role dans les obsessions criminelles a determine les tics
de Sau... (i3], enfant de i6 ans, elle a Tidee fixe qu^elle veut se
tuer. « On voitbienque cette idee est serieuse, dlt-elle, puisque,
malgre moi, mon bras commence tout le temps des petits mou-
vements pour me Trapper, pour piquer ». Nous avons d^ja vu
beaucoup d'exemples semblables a propos des obsessions du
crime.
II faut faire une assez grande place a la manie du contraste,
qui est toute voisine de la manie de ^impulsion, M. S^glas re-
marquait d^ja que les tics de langage sont souvent en contra-
diction avec Texpression normale des sentiments du moment'.
Beaucoup de psychastheniques, au moment de faire un acte avec
attention, pensent aux operations tout a fait opposees qui seraient
contraires a leurs desirs et qu'ils redoutent; chez beaucoup cette
pens^e reste un simple phenomene conscient et ils font une
rumination surlapensee de ces actes opposes. Mais chez quelques-
uns cespensees amenent une action en contraste avec Facte ini-
tial. Do..., toutes les fois qu'il s'agit de faire un mouvement de-
licat, se sent g6ne par Tid^e de faire une maladresse, il croit qu'il
va Jeter le verre par terre, commettre une incongruite. Son pouce,
au lieu de saisir Tobjct, se pHe fortement dans la paume de la
main. Peu a peu ce tic se produit presque sans reflexion etDo...
ne pent plus accomplir aucun acte delicat. II en r^sulte qu'il ne
pent plus ecrire a cause de ce tic : le pouce se met dans la paume
avant qu'il n'ait touche la plume. La crampe des ^crivains est un
1. G. Rodenbach, Musee de beg nines, p. 86.
2. Scglas, Le langage chez les alUnis, i8ga, p. aga.
168 LES AGITATIONS FORCEES
syndrome qui peut avoir bien des origines diverses, mais qui
se produit souvent par ce mecanisme.
Gi... (ii3) pr^sente an cas remarquable de coprolalie, cettc
malade a eu des tics de la danse, elle se seDtait forc^e de tourner,
de faire des belles manieres*, c'^tait un tic en rapport avec ses
preoccupations sur le theatre oil son (ils allait trop souvent.
Quand ce tic Tut gueri, elle commen^a a pousser des cris epou-
vantables et a nous agoniser de sottises : cc cochon, chameau, tu
me fais ch... ». Elle pouvait fort bien resister a ce tic dans la rue
en presence d'etrangers. Ces malades, nous le savons, s'ar-
retent toujours dans Timpulsion au moment oil Tacte pourrait
devenir serieux. Mais (c elle etait pouss6e a crier ces injures »
dans rhopital, quand elle me voyait. « Je voudrais ^tre polie,
dit-elle, me bien tenir et je suis obligee de penser a des sottises
que je ne voudrais pas faire, il me semble que je suis obligee de
les faire. » Ce tic n'est-il pas Texpression de la manie de Timpul-
sion et de la manie du contraste.
Les tics de Ren^e ^ sont du raeme genre, elle a horreur des
chats, des chiens, elle a ete effray^e par un petit patissier idiot
qui parlait comme un enfant, elle voudrait ne plus du tout penser
a tout cela, elle est obligee d'y penser, de chercher toutes les cir-
constanccs qui Vy font penser (manie des associations), de cher-
cher si elle peut y penser sans danger (manie des tentations) et
la voici qui crie « miaou, oua, oua, Zozo, ma nounou, petite
femme, putain, bordel, etc. ».
Les manies prec^dentes jouent encore un role dans les tics qui
imitcnt des maladies. Gauc...^ estpr^occup^ par lapens^e du ta-
bes, il craint((qu*iln*y ait quelque chose dans ses jambes », surtout
depuis qu'il a vu pratiquer Texamen des reflexes rotuliens. 11
cherche si ces reflexes ont quclque chose de bizarre, et malgre
lui il leve ses jambes en Tair des que Ton touche son genou, il
marche avec de grandes secousses des jambes. Ren^e, Bor... ont
le tic de se tenir de travers, elles ont a la fois Tid^equ'elles sont
atteintes de coxalgie et Tidee qu'elles jouent lacomcdie, il y a un
singulier sentiment de doute qui se surajoute au tic de la d-mar-
che.
I. Raymond el P. Janet, Nevroses et Idees fixes, II, p. 34 1.
a. Pierre Janet, Accidenls menlaux des hysteriqnes, p. i58.
3. I^evroses et Idies fixes, II, p. 393.
LES AGITATIONS MOTRICES SYSTfiMATISfiES — LES TICS 169
Beaucoup detorticolis spasmodlques comme celui de Buq...
sont lies avec une inquietude sur les courants d'air, sur la mala-
die du cou, avec un besoin de verifier la maladie, avec des phe-
nomenes de contraste.
Voici maintenant les tics qui se rattachent a la manie de la
propretey a la manie des precautions : bien des malades qui ont
eu la manie de se laver les mains conservent meme apres la gue-
rison apparente le tic de frotter les mains Tune contre Tautre.
Zo... qui a eu peur d^avaler des epinglcs a des tics de machon-
nement, de toux, de crachottement. Faut-il rappeler les tics de
Jean qui ecarte les jambes, qui s'arr^te un instant aux coins des
rues, qui se leve pour couper son pain, etc.
Les manies de recommencer les actes laisscront aussi comme
residus des petits mouvements incomplets ou des tics, s'asseoir
en deux ou trois fois, tatonner en touchant les portes, se retour-
ner a demi des qu'on fait un acte, repeter les choses deux ou trois
fois. Voici a ce propos une curieuse observation de M. S^glas.
Une raalade avance dans les rues en faisant des cercles, « elle doit
faire un tour en sens inverse sur le trottoir oppose a(in de faire
un rond avant d'avancer* ». C*est un tic en rapport avec la manie
du retour en arriere.
La manie des procedes determine les grognements et les rots
deRai... qui veut « respirer bien », les spasmes de la main de
L... qui « veut ^crire avec perfection ». Un jeune homme de
i[\ ans Yog..., inquiet et timide est poursuivi depuis son enfance
par le d^sir de a parler bien devant le monde ». II en arrive a
b^gayer et a grimacer d'une maniere abominable. « Les tics de la
figure sont venus peu a peu, dit-il, comme des mouvements pour
faciliter le langage, pour m'aider, me soulager. » Des mauvais
mouvements de la langue qui Tempechent d'avaler se sont deve-
loppeschez Ev... femme de 3g ans de la m6me maniere. Une g^ne
de la deglutition a ete le point de depart d'eflforts d'attention et
de tics de toute espece dans les machoires, dans la langue et
dans le pharynx. Bien des cas de spasme de FQesophage rentrent
dans ce groupe.
Peut-on rattacher ^galement a ce groupe le tic singulier d'une
jeune fille de 19 ans, Dey... (io5) qui s'arrache les cheveux un a
I. Seglas, Societe medico- psychologique, jaiwicr 1888.
170 LES AGITATIONS FORCfiES
un jusqu'a presenter de grandes plaques simulant la pelade.
(( C'est parce qu'elle ne peut pas travailler, pas faire attenlion,
sans se secouer, se gratter : ^a Texcitc ct Tencourage, elle a pris
ainsi I'habitude de s'arrachcr tous les cheveux. »
II y a ainsi un ties grand nonibre de tics qui ne sont pas pr^-
cisement accompagn^s par des ruminations analogues a cellcs
que nous avons observccs dans les manies mentales de Tau deia,
mais qui semblent en rapport avec des besoins, des sentiments
analogues a ceux qui out inspire les manies de I'au dcla.
3. — Les tics de defense,
Dans d'aulres eas, le phenomene mental qui accompagne le tic
est un pent different, le malade se sent pousse a aecomplir le
mouvement, non pour faire mieux quelque chose, mais pour re-
parer, pour compenser quelque chose de (acheux, pour sc de-
fendre contre une influence nuisible.
M. Meige a rapporte un beau cas de ce genre. Son malade pour
arreter un tic de Tepaule gauche, eprouve le besoin de saisir le
bras malade avec la main droite. Bientot la main droite preseute
aussi un tic celui de serrer, tiruiller, tortiller de toute maniere
le bras recalcitrant, ct finit par determiner des lesions. Cette
batailie absurde des deux mains etait pour le malade un besoin
extreme et obsedant^
« Le sourire obsedant » dont parle Bechterew est plutot un tic
du sourire chez un honteux de son corps. Le malade, Ires timide
et tres honteux, a imagine de sourire quand on le regarde, c'cst
une formule de conjuration. Ce sourire se repr^sente malgre lui,
ou plutot il se croit force de sourire des que quelqu\in a les ycux
(ixcs sur lui ou simplement des qu'il pense que quelqu*un peut
le voir^
Un malade de MM. Pitres et Regis a des manies mentales de
conjuration « pousse cette pierre du pied deux fois et il ne t'ar-
riverarien » sedit-il sans cesse. « Les actes deviennent a la longue
automatiques, disent les auteurs, mais pendant longtemps ils ont
ete precedes par une idee^ ».
1. Mcigo, Uistoire d'un liqueur, Journal de medecine et de chirurgie pratiques,
a5 aoiU 1901.
a Rechlercw, Revue de psychologies 1899, 35.
3. Pilrcs cl UcgLs, op cit.y 53.
LES AGITATIONS MOTRICES SYSTfiMATISfiES. — LES TICS 17i
Parmi mes maladcs, les exemples sont trop nombreux pour
pouvoir 6tre tous ^numeres. As..., homme de 26 ans, Ad...
(49), fenime de ^9 ans, Qsa., homme de 55 ans, sont inquiets de
leur estomac, iis en souffrent legerement et se sentenl gonfl^s.
lis ont la honte de manger et pensent qu'il vaudrait mieux ne pas
manger, mais comme ils ne peuvent s'en abstcnir tout a fait,
ils reparenl le repas, les uns par des efforts de vomissements et
des vomissements reels, Tautre par des rots interminables et des
secousscs du ventre. Ces tics de vomissement ont chez les psy-
chastheniques une importance considerable. Je ne puis que les
signaler ici dans cette enumeration des tics, il faudra revenir sur
leur pathogenic et leurs consequences.
Te..., age de 20 ans, a la suite d*une marche avec des souliers
trop courts, conserve, un ticde recroquevillcment des orteils et de
raideur de toute la jambe. Qk..., pour lutter contre la fatigue
de Tecriture doit ecrire a genoux, puis dans des postures de plus
en plus bizarres.
Xy... repousse avec la main droite un objet imaginaire qui
viendrait sur elle; Zo... fait « hem, hem », pour ne plus penser
aux epingles; Myl... 6bauche un signe de croix; Be..., poursuivie
par la pens^e qu'elle a dans le ventre un ver-araign^e, dissipe
cette crainte en se frottant le ventre a droite, ce tic est si conti-
nue! qu'il determine toujours Tusure de ses robes a cet en-
drott. Lae... (80), homme de 28 ans, obsed6 par la pensee
de la rage, a eu d'abord des sortes de crises qui lui semblaient
en rapport avec la rage. Dans ses crises ses os craquaient, il en
est arrive a se borner a un petit mouvement singulier, il lui suffit
de faire craquer ses articulations pour 6tre comme debarrasse de
la pensee de la rage. Ce m6me malade passe ses mains sur son
pantalon parce qu'il a I'id^e qu'un chicn le frole et que par ce
mouvement il ecarte Tidee : ces deux mouvements finissent par
constituer de v^ritables tics.
On voit que chez toUs ces malades le tic est comme une reduc-
tion de la manie mentale, soit que la manie mentale ait ete
autrefois tout a fait complete, soit qu'elle ne fasse que debuter
et reste encore embryonnaire, soit meme qu'elle n'existe pas
sous une forme intellectuelle et soit complctement remplac^e par
cette agitation motrice systematisee. En general on pent dire que
la manie mentale est d'autant moins developpee que le tic moteur
est plus complet. Mais ce sont des tendances analogues qui de-
172 LES AGITATIONS F0RCI5ES
terminent Tun ou I'autre de ccsdeux phenomenes et c'estla ceque
j'ai voulu mettre en evidence en montrant que les tics pouvaient
etre group^s a pen prcs de la m6me manicre que les manies men-
tales.
2. — Les agitations motrices diffuses. *
Les crises d'agitation.
Chez d'autres malades ies mouvements deviennent bien plus
considerables et en meme temps plus vagues, ils semblent consti-
tuer de veritables crises convulsives. Je crois qu'il Taut insister
sur ces agitations motrices difTuses analogues aux agitations men-
tales dilTuses. Elles jouent un role considerable dans la maladie
et doivent egalement jouer un role important dans son interpre-
tation.
I . — La crise des efforts.
La plus curieuse de ces crises pent rccevoir le nom de crise
des efforts, Le malade raecontcnt de lui-m^me, d^sirant mieux
faire, en conclut naturellement qu'il doit faire ce qui permct aux
kommes normaux dese transformer, c'est-a-dire des efforts; mais
ceux-ci, pour son malheur, tourncnt bien vite a la manie. II y
a la un point delicat, parce que nous verrons plus tard en ^tu-
diant les procedes th6rapeutiques que certains efforts sont reelle-
ment tres bons pour le malade et qu'il se transforme par des
efforts d'attention. Mais ces efforts utiles doivent etre diriges par
le medecin et doivent avoir une nature particulifere. II est rare
que le malade trouve tout seul les efforts utiles a faire et nous
ne parlous pas de ceux«ci, en ce moment. Les efforts que le malade
imagine sont une serie d'actions asscz r^gulieres, quoique moins
stereotypies que les tics, fatigantes ct p6nibles, qu'il croit ne-
cessairc d'accomplir pour donner a son acte cccaractere de certi-
tude et de satisfaction qui lui manque toujours.
Les malades qui font des efforts de ce genre, chez qui ces
efforts tourncnt a la manie et constituent de veritables crises sont
assez nombreux. Vy... essaye de se donner des convulsions pour
faire un mouvcment qui soit parfait; elle ^prouve le besoin de
pousser comme pour aller a la selle. Tr... fait des efforts comma
pour soulever un fardcau, avant d'ouvrir une porte ou de faire ses
priercs et se contorsionne pendant des heures.
LES AGITATIONS MOTRICES DIFFUSES. — LES CRISES D^AGITATION 173
Le type vraiment extraordinaire de ce genre de manie c'est
Claire. Cette malade a plusieurs fois par jour des periodes de
contorsions 6pouvantables qui ont et^ prises bien souvent pour des
crises d'hysterie et qui, a mon avis, ne leur ressemblenten aucune
nianiere. Ce sontdes contorsions volontaires ou quasi-volontaires :
quand elle sent ou se figure sentir qu'une action est mauvaise,
qu'une pens6e est honteuse, qu*elle va avoir son image obedante
da membre viril et de Thostie, die croit qu^elle doit faire quelque
chose pour modifier l*acte ou eloigner Fimage. Ce quelque chose,
c'est ce qu'elle appelle des efforts. Th^oriquement, ses efforts
sont moraux ; au d^but, elle avait la t^te dans les mains, Ics yeux
en I'air, le regard perdu tres loin et elle se livrait a un travail de
rumination mentale. Mais peu a peu elle s'est convaincue que les
efforts moraux doivent etre Jiccompagnes d'efforts physiques cor-
respondants et elle a commence a prendre des attitudes speciales ;
ainsi il faut quVlle soit assise ou couch^e, en raidissant la jambe
gauche, en ayant la bouche ouverte et la tete aussi basse que
possible, les yeux ferm^s ou d^mesur^ment ouverts. Puis elle
prit Thabitude de faire des niouvements desordonn^s des bras et
des jambes jusqu'a se mettre absolument en nage et a dprouvr des
douleurs dans tons les muscles. Elle plie le tronc et le releve en
mouvements rythmiques de salutation, elle secoue le thorax par de
grands mouvements respiratoires. Elle porte ses mains a sa
bouche, ronge ses ongles jusqu'au sang, suce et mord ses doigts :
ces dernieres manies ont fini par developper d'enormes callosites
aux articulations des doigts. Quand elle ne mange pas ses mains,
elle mange ses mouchoirs et ses draps: en un hiver, elle a r^duit en
charpie une cinquantaine de mouchoirs. Enfin, en se livrant a
cet exercice, elle ne cesse d'avoir a la figure d'horribles gri-
maces. Toutes ces contorsions se prolongent sans interruption
pendant plusieurs heures.
La malade se figure que ces mouvements physiques suivent des
mouvements paralleles a sa pens^e : « si je vois Tid^e tout au
fond de moi, il Taut que je baisse la tete tres has pour la cher-
cher ; si je la vois en haut, il me semble que ma volonte s*6lance
pour la saisir etque mon corps en fait autant... II me semble que
c'est mon coeur qui pense, il faut que je cherche la pensee par
des mouvements de la poitrinc et en augmentant les battements
du coeur... Ma vie est a Tombilic, il faut que je secoue le ventre
pour la retrouver. » On voit bien ici se meler aux efforts la manie
174 LES AGITATIONS FORCfiES
du syrabolc et on pouvrait appliquer ici les remarques dc M. Ribot
siir I'analogie de TelTort moral et de reObrt physique : u le sen-
timent de Teffort eprouve quand nous cherchons notre route a
travers une masse d'id^es obscures et enchevetr^es n*est qu*une
forme affaiblie du sentiment que nous avons en cherchant notre
route dans une foret 6paisse et sombre » *.
Bien cntendu toutes ces contorsions violentes et toutes ces
pensees amenent toutes sortes de perturbations viscerales, des
troubles de la respiration qui est exageree et anxieuse, des
troubles du ca}ur qui bat a tout rompre. Mais ce qui est surtout
provoque a la suite de cette agitation et de ces mouvements
abdominaux c'est une grande excitation gcnitale et les efforts
se terminent tout simplement par une veritable masturbation. Je
signale Textr^me importance de cette substitution de I'excitation
gcnitale aux efforts volontaircs.
Nous retrouverons ces faits dans les prochains paragraphes oil
nous etiidicrons les phenomenes ^motifs de Tangoisse. Je ticns
seulement a rcmarquer ici que cette malade a plutot les pheno-
menes ext^ricurs de Tangoisse que Tangoissc elle-meme. El/e ne
se plaint pas du tout de souffrir pendant cette crise d'efforts. « Les
mouvements de sa poitrine et de son coeur, dit-clle tres juste-
ment, sont dus a Tessouniement tout simplement )>. L'agitatioti
dans ce cas reste motrice beaucoup plus qu'emotionnelle.
Un exemple bien curicux de ces crises d*efforts est celui de
Lrm. (232), un homrae de quarante ans. Ses crises bizarres se coni-
pliquent de manic du symbole et d'obsessions de persecution. Ce
pauvre diable avail, comme tons les scrupuleux, besoin de syni-
pathie et il avnit Thorreur de la lutte. A la suite d'une querelle
insignifiante avcc un individu qui etait son associe et son meilleur
ami, il garde, sinon une idee obs^dante, au moins un sentiment
obsedant, c'cst qu'il est en lutte contre cet individu, X. 11 lui semble
que X. I'attaque, qu'il faut lui repondre, quoique ce soit bieu
penible, qu*il est necessaire de se defendre. Sans avoir aucunc
hallucination, en sachant bien qu'il est seul, que X. n'est
pas present, il se sent oblige de hitter contre lui. La lutte est
materielle : il se met debout, lance des coups de poing et des
coups de pied avec fureur, il se demene comme un forcen^,
I. Ribot, Lts maladies dc la volonti, p 107. (Paris, F. Alcan.)
LES AGITATIONS MOTRICES DIFFUSES. - LES CRISES D' AGITATION 175
se frappe lui-m^me, se mord les poings et finit par tomber par
terre epuis^ par de tels efforts et ruisselant de sueur. II ne faut
pas oublier que ce malade n'a aucun delire, il salt tres bien « que
X. est son meiileur ami et que, s'il etait la, il se garderait bien de
le toucher », mais cette lutte mat<^rielle est ie symbole d'une lutte
morale (( qu'il devrait faire, s'il avait du coeur » ; elle est le
r^sultat d'efforts inouVs qu'il se sent oblig^ de faire.
Quelquefois les crises d'efforts sont plus precises, plus syst6-
matis^es encore et se rapprochent des tics. Je n'insisterai pas sur
ces nfialades, hommes ou femmes, qui font des efforts inouVs pour
arriver a la perfection dans la masturbation. Je prendrai comme
exemple une crise d'efforts qui se presente asscz fr^quemment et
qui est bien typique. Un Homme de 55 ans, Qsa.., comme on Tad^ja
vu, a des digestions penibles et souvent des vomissements plus ou
moins volontaires pour decharger Testomac, vomissements qui se
rapprochent des tics. De temps en temps, a la suite de troubles
pr^monitoircs dont je parlerai plus tard, il sent que son estomac
le tourmente davantage et il s'agite de toutcs manieres, il a des
ruminations mentales sur la mort, sur ses parents qui ne Taiment
pas assez ; puis il marchc, nc peut plus tenir en place, puis il
essaie de boire un peu, il suce des bonbons, il commence a secoucr
son estomac par des spasmes de I'abdomen. Puis il essaie de vomir,
mais il pretend s*y ^tre pris trop tard, ne plus pouvoir vomir ou
du moins ne pas vomir assez bien. II vomit un peu, il crache
enormement, mais il sent que ce n'est pas sudisant, quMl serait
gueri s'il pouvait rendre une certaine gorg^e de bile qui ne vient
pas. Et ce sont pendant des heures d'epouvantables efforts pour
vomir cette gorg^e de bile, des contorsions de tons les membres
et de tous le corps. Parvenus a ce degre les efforts different a peine
de ceux de Claire, si ce n'est que de temps en temps il y a un
violent mouvement de vomissement. La crise peut durer une nuit
entiere, elle s'arr^te soit apres un petit vomissement quelconque,
soit par Tc^puisement du malade qui finit par s'endormir. Je
relrouve ces crises d'efforts pour vomir chez deux autres malades,
en particulier chez un enfant de 12 ans qui a fait de grandes crises
semblables toutes les fois que ses parents lui faisaient manger
autre chose que de la gelee de viande et des pruneaux, les seuls
aliments qu'il put dig^rer sans crise.
176 LES AGITATIONS FORCfiES
2. — Les crises de marche et les crises de parole.
J'h^site a rattacher a des tics ordinaires des ph^nomenes de
mouvement plus complexes et surtout plus prolonges que Ton
rencontre souvent chez les memes malades dans les m^mes cir-
Constances. Ces malades sont troubles a propos d'un acte ou
d'une idee et, au lieu de se livrer a des recriminations mcntales, ils
^prouvent le besoin plus ou moins irresistible de marcher.
Leur enervement ne se calme que lorsqu'ils ont marchd tres
longtemps sans se livrer a aucune violence. Nous avons vu que
Cha... a des manles de recherche et d'interrogation : il a ren-
contre une personne qu*il a eu le malheur de regarder avec
attention, immediatement il se demande a qui cette personne res-
semble, quel est le nom et Tadresse de cette personne qui lui
ressemble ; il faut qu'il recherche ind^finiment ces ressemblances
et ses adresses. Cette recherche, si elle u'aboutit pas tout de
suite, se transforme en une agitation qui le force a marcher de
long en large dans sa chambre, il va tourner comme un animal
en cage pendant une nuit entiere et le calme ne reviendra que
quand il tombera 6puise de fatigue. Car..., une femme de 28 ans,
arrete aussi Tahgoisse determin^e par Tid^e de la folic en mar-
chant indefiniment. Cr... (io4), homme de 44 ans, est bouleverse
par la moindre Amotion et aussitcH il faut qu'il sorte de chez lui
et qu'il fasse des courses 6normes.
Un malade de M. Souques se rapproche de ceux-ci : apres des
crises de dipsomanie ou a la place de ces crises, il ^prouve le
besoin de marcher pendant plusieurs jours et rentre 6puise V II
en est de m^me dans un cas de M. Magnan. Cc sujet interrompt
ses tics par de grands mouvements et par de grandes marches '.
Ic..., age de 18 ans^ presente tout a fait les memes symptomes,
c'est un scrupuleux, timide, mecontent de ce qu'il fait. II se met
a sa table de travail avec Tintention de faire un travail meilleur
que les autres, il essayc d*y mettre toute son attention. Mais cet
effort Tagace et Tagite, il ^prouve un besoin invincible de mar-
cher pour se calmer. Aussi sort-il de chez lui et commence-t-il a
I. Souques, Impulsions dipsomaniaqucs prolongees sous forme ambulatoire. Arch,
de neurologic, 189a, II, 6t.
a. Magnan, Sociele nwdico-psychol., 28 mai i885.
LES AGITATIONS MOTRIGES DIFFUSES. - LES CRISES DAGITATION 177
errer dans les rues de Paris, ii ne recherche jamais de camarades
et satisfait sa manie seul comme un dipsomane ; il prend tou-
jours ies inemes rues, vieilles et solitaires autant que possible et
il tourne dans le meme quartier pendant cinq ou six heures puis
il rentre calm^ et satisfait.
C'estla, si Ton veut, une variety des fugues, mais c'est une
variety assez distincte. Ce n'est pas la marche en avant irraison-
nec, inconsciente de T^pileptique vrai. Ce n'est pas la fugue hys-
terique pendant un ^tat second suivi d'amn^sie: le malade rentre
tranquillement chez lui sans r6veil, sans surprise et se spuvient
en general assez bien de tout ce qui s'est passe. Ce n'est pas non
plus tout a fait Timpulsion a la fuite, ou aux voyages que Ton
la rencontre chez ces in^mes psychasth^niques ' et que M. Regis a
appelee la dromomanie. Dans ces impulsions il y a une idee qui
pousse le malade vers un but, il pense a aller vers un certain
endroit, a fuir le travail comme on Ta vu dans une des observa-
tions rapportdes dans le premier chapitre de cet ouvrage. Dans
les crises que j'etudie ici, il n'y a pas la d'id6e qui determine
la marche, d'obsession qui pousse au voyage, c'est la marche
pour la marche. C'est une operation forcee que le malade execute
de meme qu'il travaillait dans ses ruminations mentales.
Dans d'autres cas la marche est remplacee par quelque autre
exercice physique egalement exagere et inutile. M. Tissi6 a d6-
crit a ce propos des cas remarquables de manie du canotage
chez de jeunes psychastheniques qui ne peuvent resister au besoin
irresistible de s'exciler et de se surmener dans les sports ^
On pent rattacher a ces crises de marche les besoins de parler
ou meme d'^crire qui prennent les malades dans les memes cir-
constances. Fy..., (34) femme de 35 ans,sujet remarquablea bien
des points de vue, a des obsessions de honte, craint de devenir
folle, et a ce moment se sent agit^e « soulev6c comme une
plume ». II faut qu'elle aille et vienne et surtout qu'elle parle,
qu'elle parle indefiniment a n'importe qui, qu'elle racontc ses
peines « tout ce qu'il ne faudrait pas dire ». Elle bavarde ainsi
I. P. Denomm^, Les impuhions morbides d la deambulation au point de vue medico-
legal. Th^se de Lyon, 1890. Dubourdieu, La dromomanie des deyenerh. Th^se de
Bordeaui, 189a.
3, Tissi^ (Bordeaux). Un cas d'impulsion sportive ou ludomanie. Journal de me-
decine de Bordeaux^ a6 janv. 189C, p. 35.
LES OBSESSIONS. I. — 13
478 LES AGITATIONS FORCEES
toute la null et ne se calnie le matin qu*en dcrivant une vingtaine
de pages de son journal. Jean cede a un besoin du m6me genre
quand il vient chez nioi el me supplie « simplement de Tecouter
pour Ic soulager... II ne pent rien dire de tout cela chez lui, cela
rendrait ses parents trop malheureux et il faut qu'il le dise » et
pendant une heure et demie ou deux heures il parle, il parlc sans
s'arreter un instant, sur le fou rire de la femme de chambre
borgne, sur une piece de deux sous qu'il a en poche et qui a
ete touch^e par une femme, ce qui met des fluides dans son
pantalon, sur les timbres-poste qui font penser a la politique et
au personnage qui est mort apres etre reste trois quarts d'heure
avec une dame, sur un petit chien qui en le touchant a failli lui
gourfouler la verge.. , etc., etc. » II se sent soulage « d^tendu »»
quand il a (ini. Peu lui importe ce qu'il a dit, il a simplement
epuis^ en paroles une agitation qui n'arrivait pas a se depenser
autrcment.
3, — Les crises d' excitation.
Enfin les agitations motrices peuvent etre encore plus diffuses,
encore plus incoordonnees.
Apropos dequelqueelTort impuissant do la volont6ou de Fatten-
tion, ou a propos d'une legere emotion, les voici qui se levenl
toutd'un coup, qui renoncent a leur travail en declarant qu'ils en
sont definitivemeiit incapables ou meme qui interrompent une
manie mentale, une rumination interrogative, parexemple, et qui
se livrent a une agitation d(^sordonnee. Nadia veut essayer de me
jouer un morceau de piano, elle s'arrete au bout de quelques
mesures, mecontente d'elle-meme et recommence; meme arret au
meme point, meme recommencement ; puis ellc s'impatiente, se
livre a son bavardage ordinaire de formules et de pactes « si je
ne joue pas bien ce morceau tout entier, je veux mourir cesoir...
si je ne le joue pas bien c'est a cause de moi que ma mere est
morte, etc. » Maintenant fagitation, de mentale qu'elle dtait de-
vient physique; la malade se leve, jette sa musique, et alors la voici
qui va et vient dans la piece, renversant les meubles, jetant les
coussins, cassant les vases. Au moment le plus fort de sa maladie,
elle brisait beaucoup d'objets et semblait dans un etat de fureur
maniaque, en apparence dangereuse a approcher. En r^alit^ elle
n'a jamais fait de mal a personnc, et m^me elle ne brisait que
des objets insignifiants ; de meme que Claire dans ses crises
LES AGITATIONS xMOTRlCES DIFFUSES. - LES CRISES D* AGITATION 179
d'efforts, eile restait tottjours capable de s'arreter au point qui
lui semblait necessaire et de cesser hrusquement s'il entrait
une personne a qui elle ne voulait pas se montrer dans cet 6tat.
Ces crises d'agitation ne sont pas rares chez les scrupuleux et
peuvent se presenter sous diflerentes formes. Chez Tf..., homme
de 32 ans, ce sont des crises de tremblerlient ou « un bcsoin fou de
casser de la vaisselle ». Chez Ho... (99), fillette de i3 ans, cc sont
d'abord des tics divers qui se m<^lent, se r^petent : elle met les
doigts dans son nez, ronge ses ongles, se frotte le venire, puis
des contorsions de tout le corps, puis des cris de toutc espece
qu'elle ne peut pas retenir, dit-elle » c'est comme si j'avais le
devoir moral de me secouer, de crier ». M. Dubois de Saujon
d^crit de meme « un tiqueur si agit6 qu'on eiit pu croire a une
choree suraigu^* ». M. Pitres* d^crit aussi des tics convulsifs
generalises qui, dit-il, ont re^u difTdrents noms, choree electrique
de Henoch -Bergeron, electroiepsie de Tordeus, nevrose convul-
sive rhytmee de Guerlin. Plusieurs des malades precedents pour-
raient ^tre rapproches de ces descriptions, car ils ressembient
ii ce moment a des chor6iques extremement agit^s.
D'autres, comme Lkb..., femme de 28 ans, tourmcntee par une
obsession du suicide, Sy..., femme de 29 ans, qui a une obses-
sion d'homicide, Af... (39), Kn... (37), vont, viennent, sautent,
gesticulent, cricnt et cassent tout; puis elles finissent par sepr6-
cipiler sur leur lit, ou m^me par tomber a terre et se tordent
dans tons les sens comme en proie a une grande crise convulsive.
Dans quelques cas la ressemblance de ces agitations avec une
crise d'hysterie devient si grande que, a la simple inspection, le
diagnostic est impossible. Qes..., obsed^e, comme on Ta vu, par
ridee de tuer sa mere, pretend r^sistcr a Tobsession en se jetant
par lerre et en faisant des contorsions. Avant qu'elle n'entrat a
rhopital, cet acte avait visiblement son cachet, on voyait bien
qu'elle ne perdait pas conscience, qu'elle se couchait elle-meme
par terre et qu'elle avait des contorsions volontaires. Dcpnis
qu'elie a sejourn^ longtemps dans une salle oil il y a de vraies
hyst^riques et des 6pileptiques, elle a perfectionne son procede
1. DuboiH de Saujon, Societe de IhSrapeuliqaet 27 mars 1901.
2. Pilres, Tics convulsifs generalises. SocUtS de mSdecine el de chirurtjie de Bor-
deaux, 31 decembre 1900.
180 LES AGITATIONS FORCfiES
et je mettrais aujourd'hui au d6fi un observateur stranger de
faire Ic diagnostic, en voyant simplement sa chute brusque et
ses convulsions.
Quoique je compte reprendre a part dans un chapitre special
le diagnostic entre les phenomenes psychastheniques et les troubles
hysteriques, je rappelle ici ce qui distingue une crise d'hysterle
typique de ces agitations motrices des psychastheniques. Ces
malades ne perderit jamais conscience d'^une maniere complete,
ils n'ont pas d'amn^sie nette apres la crise, ils sont toujours ca-
pables d'arreter leur crise a n*iraporte quel moment, s'ils en
comprennent la n^cessite ; ils n'ont pas d*automatisme veritable,
ils n'assistent pas aux phenomenes, ils les font eux-m^mes ; ils
ont conscience de faire eflbrt pour produire tons ces mouvements
et ils se sentent simplement pousses a les faire. Ces caracteres
sont inverses dans une crise d'hyst6rie qui serait typique. Dans
les cas incomplets le diagnostic ne peut etre fait que par Tetude
des phenomenes antecedents et de toute revolution de la
maladie.
Dans tons ces mouvements on retrouve facilement les caracteres
essentiels des agitations. Ce sont evidemment des mouvements
exageres et inutiles: il n'y pas lieu de demontrer que ces efforts,
ces excitations sont inadaptes a la situation donnee et inutiles,
eomme etaient les tics. II est bon de rappeler que ces mouvements
sont simples, grossiers, sans delicatesse et sans precision reelle.
Les tics representent grossierement un acte, mais un acte execute
d'une maniere tres incorrecte; les marches, les crises de contor-
sions sont des mouvements simples sans delicatesse. N*a-t-on pas
remarquc ce petit detail que Ic... se salit beaucoup plus dans
ces crises de marche, qu'il ne le ferait dans une promenade exe-
cutee dans des conditions normales. On remarquera que les lies
et surtout les crises d'cxcitation donnent lieu a des mouvements
symetriques : les deux epaules se levent en meme temps, les deux
bras frappent a la fois des coups de poing ou se tordent de la
meme maniere. Ces mouvements symetriques frequents chez les
enfants se retrouvent chez les sujets fatigues, comme le remar-
quc M. Fere ils indiquent une diminution de la complexite du
mouvement, une sorte de decadence motrice'. II est trop evident
que les sujets sont capables dans d'autres circonstances de mou-
vements bien plus precis, plus adaptes et plus delicats. Nous
LES AGITATIONS MOTRICES DIFFUSES
LES CRISES DAGITATION 181
retrouvons done ici le troisieme caractere dejii note dans les agi-
tations mentales, le caractere injerieur des monvements qui
constituent ces agitations motrices.
Dans ces derniers phenomenes de grande agitation motrice,
les efVorts de pensee, les ruminations mentales ont beaucoup
diminu^ quoiqu*il en subsiste encore des traces. On voit qu'une
agitation motrice a pu remplacer presque completement les agita-
tions mentales precedentes. Non seulement cette agitation mo-
trice peut prendre dans les tics une forme systematisee analogue
aiix menies mentales, mais elle peut prendre une forme difTuse
analogue a la rumination mentale et a la reverie forct^e.
On peut done r^sumer par le tableau ci-contre les principales
formes des agitations motrices.
LBS AGITATIONS FORCEBS MOTRICES
k forme systematisee,
les tics.
i forme diffuse,
les agitations.
les tics
de
perfectionnement.
les tics
de defense.
les immobilites,
les ticsde verification,
— de pr^ision,
— do symbole,
— d'impuhion,
— de contraste,
— de precaution,
— de recommencement, etc.
les tics de lutte,
— de reparation,
— de conjuration, etc.
les crises des efforts,
de marche,
— de parole,
d'excitation.
I =
I. F^ri, Revue scientijique, 1890, I, 816.
182 LES AGITATIONS FORCfiES
TROISIEME SECTION
LBS AGITATIONS EMOTIONNBLLES
En m6me temps que se developpent ces obsessions, ces in-
nombrables manies mentales et ces agitations motrices que nous
venous d'enum^rer se presentent chez un certain nombre de ces
memes malades des troubles emotionnels qui ont une tres grnndc
importance. Les sujets les mettent souvent au premier plan parcc
qu'ils sont tres douloureux et plusieurs parmi les auteurs qui ont
^tudie les obsessions sont disposes a considerer ce symptome
comme ie point de depart de tous les autres. II est done necessaire
de I'examiner avec quelque soin,
Ces emotions presentent ie caractere general de ces phenome-
nespsychastheniques, clless'imposent au sujet sans rapport legi-
time ni avec les circonstances ext6rleures ni avec ses propres pen-
sees, elles sontconsiderees par la personne meme qui les <5prouve
comme exager^es, inopportunes et absurdes. Mais Ie malade croit
impossible de les eviter, il ne les subit pas tout a fait passivement
comme un phenomene purement physique qui Ie frappc, il s\
abandonne avec une certaine complaisance parce qu^il croit,
parce qu'il sent qu'il ne peut pas faire autrement. Ce sont les
caracteres des operations forcees, qui se retrouvent dans des emo-
tions comme dans des caiculs et des mouvements.
Ces emotions qui s*imposent ont presque toujours un caractere
desagreable, elles se rapprochent de la douleur, de la tristesse et
de la peur. Tantot cette peur est precise, syst^matis^e, elle a des
caracteres emotionnels nets et s^accompagne de perceptions et
d'idt'cs assez precises : dans ce cas les agitations 6mottonnelles
sont syst^matisees et ont recu Ie nom d^algies ("AXyo?, douleur)
ou plus souvent de phobies (<&66o;, peur), tantot elles sont diffuses
sans rapport avec une pens^e determin^e et elles constituent les
angoisses. Dans notre 6tude des phobies nous rechercherons
surtout les formes precises qu'elles prennent dans tel ou tel cas
determine ; dans notre etude des angoisses nous examinerons les
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTCMATISEES — LES PHOBIES 183
phenomenes generaiix qui constituent ces emotions pathologiques
et qui existaient d^jii plus ou moins masques dans toutes les
phobies.
i. — Les agitations imotionnelles systimatisies.
Les pbobies.
Ces emotions forcees, qui prennent une forme un peu speciale
suivant les phenomenes a propos desquels elles se d^veloppent,
paraissent etre innombrables. Pendant une periodechaque autcur
decouvrait une phobie nouvelle et la baptisait d'un nom grcc.
On inventa ainsi la misophobie, la canophobie, la nosophobie,
Tagoraphobie, Tereutophobie, la microphonophobie, la peur des
petits bruits, Tamaxophobie ou peur des voitures, la siderodro-
mophobie, la peur des chemins de fer, la dysmorphophobie, la
peur des diflbrmit^s, la triskaidecaphobie, la peur du nombrc
treize, etc. Je n'ai pas la pretention de les ^uum^rer toutes ; il
suflfit d'indiquer certains groupes ou les principales se rangent
facilement et qui servent a mettre en relief certains caracteres
psychologiques.
I. Les classifications des phobies.
La classification de ces phobies semblc fort difficile puisque
elle a ete essayee bien des fois sans qu^une classification se soit
imposee. M. Freud, qui a beaucoup etudid ces nevroses d'an-
goisse, admet trois classes*: i^ les phobies traumatiques, relevant
surtout de Thysteric; 2*^ les phobies communes, peurs exagerees
des choses que tout le monde craint un peu, la nuit, la solitude,
la mort, la maladie ; 3° les phobies d*occasion, agoraphobic et
autres phobies raaladives. Le premier groupe nenousint^resse pas
ici et d'ailleurs se rattache a de tout autres phenomenes ;
j^avoue ne pas voir nettement la distinction des deux autres grou-
pes, les agoraphobics par exemple et les phobies de la solitude
me paraissent se rapprocher par tant d*intermediaires que cette
distinction n'a guere d*utilite.
I. Freud, Revue neurologique, 3o Janvier iSgb.
18i LES AGITATIONS FORCfiES
M. R^gis dans son manuel de medecine mentale^ admettait une
classification simple d'apres les principaux groupes d'objets qui
donnent naissance a la phobic : i° phobia des objets (rupophobie,
peur des objets sales] ; 2^ phobie des lieux, des elements, des
maladies (agoraphobie, astrophobie, bacillophobie) ; 3^ phobic
des etrcs vivants (zoophobie, anthropophobie, gynephobie). Cette
classification est conserv^e dans le rapport de MM. Pitres et
Regis sur les obsessions ^ Elle est ^videmment commode, niais
elle est purement exterieure et ne nous apprend rien sur les ca-
racteres psychologiques qui sdparent ccs phobies les uncs des
autres.
M. Marrel dans sa these sur les phobies ^ me semble avoir fait
une tentative interessante en essayant de les classer, non d'apres
les objets, mais d'apres le trouble mental qui se produit a I'occa-
sion de Tobjet. II admet trois groupes : i^ les phobies relatives a
un trouble sensoriel de la sensibility g^n6rale, du toucher, de la
vue, du sens musculaire, de Tou'ie, du go6t ou de Todorat ; 2^ les
phobies relatives a un trouble de la perception ou de Timagina-
tion ; 3^ les phobies relatives a un trouble dans les idees ou les
sentiments. L*id^e me semble juste, mais il me semble que Tau-
teur ne fait pas une place suflisante au trouble des actes et au
trouble des sentiments.
llln essayant de combiner la classification d^apres la nature des
objets et la classification d'apres les troubles psychologiques,
je proposerai d'admettre 4 groupes : i^ les algies ou phobies
du corps qui ont leur point de depart dans le corps meme
du sujet et sont d^terminees surtout par des troubles a propos
des perceptions simples ; 2^ les phobies des objets qui ont
leur point de depart dans la perception des objets exterieurs
et sont d^terminees surtout par le trouble des actions ; 3® les
phobies de situations dans lesquelles le trouble emotionnel
n'est pas determine par la vue d*un objet simple mais par la per-
ception d'un ensemble de circonstances qui constituent la situa-
tion actucUe du sujet. Le trouble existe a la fois dans les actes
et dans les sentiments; k^ les phobies des idees oil une pen-
see, meme abstraite, suflit pour amener Temotion intense et dou-
1. Regis, Manuel de medecine menlale, 189a, p. 270.
2. Pilres el Rc^is, op. c'U., p. 27.
3. Marrel, Les phobies , etude sur la psychologic pathologique de la peur. Thbse d«
Paris, 1895.
LES AGITATIONS fiMOTIONlSELLES SYSTfiMATISfiES — LES PHOBIES 185
loureuse: rattention, le jugement, la croyance, sont suriout en
cause.
2. — Les algies.
Beaucoup de psychastheniques prcsentciit, en apparenCe comme
les hyst^riques, sur certains points du corps, des regions dou-
loureuses oii ils ne peuvent supporter aucun contact, ni aucun
mouvement. Quand on effleure ces parties, ou quand ils doivent
faire fonctionner ces organes, les malades semblent ^prouver des
douleurs etdes troubles tout a fait enormes et, bien entendu, tout
a fait disproportionncs avec la modi6cation operee ; ils ont des
troubles de la circulation et de la respiration, ils sont couverts
de sueur, ils se contorsionnent, reculent avec des gestes d'^pou-
vante et poussent des cris de souffrance. Ces douleurs dispro-
portionnees, ces emotions inopportunes se produisent dans deux
circonstances l^gerement differentes. Tant6t elles sont a peu pres
continuelles, a propos d*une partie determinee du corps, mc^me
quand cette partie reste immobile: ce sont les algies proprement
dites. Tantot elles ne se d^veloppent qu'au moment oil I'organe
doit entrer naturellement en fonction, ce sont les phobies des fonc-
lions. U est evident d'ailleurs que dans bien des cas ces deux
troubles se rapprochent et se confondent.
Nous considerons d'abord le phenomene des algies, Leurct^
signalait d^ja une jeune fille « qui se croit frapp^e gravement et
qui pousse de hauts cris quand on la louche sculement du bout du
doigt ». Legrand du SauUe rapportait I'observation d'une femme
qui avait Tobsession d*un cancer au scin et qui y soufTrait constam-
ment*. Les observations de ce genre devinrent bientot trfes nom-
breuses dans les ouvrages de Beard, de Charcot, de lluchard, de
Bouveret, deVerneuil.Je rappellerai seulement Farticle int^ressant
de M. Galippe sur les obsessions dentaires^. Cet auteur decrit toutes
les soufTranccs terribles qui se developpcnt chez certaines per-
sonnes a propos de dents absolument saines, les angoisses d'une
malade <c qui sent un amoindrissement de sa personnalite » parce
que Ton veut lui faire porter de fausses dents; il insiste sur les
cas de cancer imaginaires de la bouche et de la langue. Ala m^me
I. Leurei, Fragments psjchologiques sur la folic » i84o p. 86.
3. Legrand du Saulle, FoUe du doute^ p. a8.
3. Galippe, Les obsessions dentaires. Archives de neurologic, 1891, I, p. i.
186 LES AGITATIONS FORCtES
^poque M. Paul Blocq reunit justement tous les phenomenes de
ce genre sous le nom de topoalgies, « Je propose, dit-il \ de de-
signer sous le nom de topoaigie une variety importante de neu-
rasth^nie monosymptomatique dans laquelle on constate seu-
lement une douleur fixe, localisee dans une region variable, mals
non en rapport avec un district aoatomiquement ou physiologi-
quement d^Iimite... C'est la manifestation clinique de la per-
sistance d'une image sensitive fixe, analogue dans le domaine dela
sensibilite a ce qu'est Tidee fixe dans le domaine de Tintelligence. »
On trouve de telles algics sur tous les points du corps. L'ob-
session de Her... (6i), semblable a celle recueillie par Legrand
du Saullc, nous montre une telle douleur sicgeant en sein. Cette
femme de 38 ans, toujours tres impressionnable, s'effraye a propos
d'une grossesse ; elle i^prouve au cours de celle-ci une petite g6ne
au sein, s'en inquicte, le regardc ct le tatc constamment. Elle con-
suite sottementdes livres de mcdecine et finit par ressentir des dou-
leurs tres p^niblcs ct angoissantes au moindre contact de ce sein.
Mc...^, qui a Tobsession de la phtisie presente deux regions de
la poitrine: Tune en avant sous la clavicule, Tautre en arriere sous
Tomoplate a droite oii elle souflre un mal bizarre, <( si quelque
chose touche ces regions, m6me legeremenl, je me sens prete a
defaillir et a etouHer ». Fik... (i58) femme de 57 ans, epouvantee
par un diagnostic absurde d'angine de poitrine conserve une ter>
rible algie de la poitrine au niveau du c<Bur.
Ja... (5o), qui a eu de telles souiTranccs pendant longtemps a
Tuterus, les a maintenant « sous la pcau du visage ou doit circul^rr
un sang corrompu qui procure des raideurs et des tiraillemcnts
horribles ». Divcrscs sensations cittanees peuvent, en elfet, de-
venir le point de depart de ces algies: M. Brocq signalait, sous
le nom d'acarophobie, une dysesthesie cutanee avec prurit
intense qu'il rattachait a une vesanie par idee fixe' et M. Thi-
bierge reunissait sous le nom de dermatophobie des syraptomes
varies tels que la peladophobie, les phobies engendrees par
Therpes genital, la syphiliphobie, Tacarophobic de Brocq *, etc.
1. Paul Blocq, Siir un syndrome caractorise par de la topoaigie, ncuraslhenie mo-
nosymptomatique a forme douloureuse. Gazette hebd. de med. et de chir., mai 1891.
2. iSevroses et ideesjixes^ II, p. 28^.
3. Brocq, Journal do mcdecine et de chirurgie pratiques, 1895, p. QO.
3. Thibierge, Dcrmatophobies. Pressc niedicnle, QJuillet 1898.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATISEES. - LES PHOBIES 187
Qnelquefois ces douleurs soot ititerpretees par les malades
qui disent eprouver toutes sortes de sensation's bizarres. Une
malade de M. Hirschberg, tout en se rendant compte de son etat
et en trouvant « ses sensations ineptes » ne pcut s'empechcr de
sentir des a greuouilles qui se promcnent dans son dos, des lan-
gues d'animaux degoi!ktants qui la lechent, des vers, des intestins
pourris qui glissent le long de son dos *. »
Les algies de la tSte forment un groupe int^ressant, elles se
rattachent naturellcment aux cephalees qui existent si frequem-
ment chez tous ces malades. Mais eiles ajoutent a ces cephalees
ordinatres une ^norme exag^ration de la douleur et des troubles
emotionnels repartis dans tout Torganisme. Cl... (57), femme de
28 ans, se frotte constamment le vertex au. point qu'elle a use les
cheveux a cet endroit et que le sommet de la t6te est denude:
son aigie de la tete est presque constante. Au contraire Talgie de
la t^te chez Box... (58), femme de 5o ans, se pr^sente par crises
qui ne durent que quelques heures ou quelques jours. Elle porte
alors attache sur la tete un enorme paquet d'ouate, destin6 a
calmer la douleur et a eviter les plus lagers attouchements. En
outre elle se tient constamment debout la tete appuyee en arriere
contre un mur destine a la soutenir « sans quoi elle tomberait
avec une enorme douleur » il y a tic et torticolis mental en m^me
temps que algie.
J'ai d^ja decrit dans le second volume des n^vroses^ le cas de
Bi..., femme de35 ans, qui s'est cogne le coude et qui a ressenti
lyusquement la douleur classique au petit doigt par Tirritation
du cubital, cette douleur Fa impressionnee vivemcnt et dorena-
vant pendant des annees elle nc pent ressentir un contact au petit
doigt sans Eprouver une angoisse. Le cas de Van..., femme de72
ans, est analogue : elle s*est fait il y a iSniois une coupure au petit
doigt, et depuis ce moment elle se plaint perp6tuellement de ce
doigt qui ne pr^sente aucune lesion, a S'il fait chaud ce doigt a
une temperature insupportable, s'il fait froidil refroidit tout son
corps. » Elle eric toute la nuit comme si ce petit doigt la torturait,
pendant la journee elle se cache dans un coin pour pleurer sur
1 . K. Hinchberg, N^vrose paresthesique chez une dcgcnerde. Reviie neurologique,
i89'4.
2. Nevroses et Idees Jixes, II, p. 3o5.
188 LES AGITATIONS FORCfiES
son petit doigt. A table elle prend un couteau et fait semblant de
voulolr se couper ce petit doigt ; puis elle va au travers de I'appar-
tement comme une folle et menace de se jeter par la fenetre pour
ne plus sentir son petit doigt. Une autre femme de 34 ans,
impressionn^e parce qu*elle a appris qu'une cousine avait de Ten-
flure aux jambes, conserve une douleur angoissante a la jambe
droite et ne veut plus marcher sans envelopper cette jambe
d^^nornies couches de coton.
On devine que les organes genitaux vont devenir le siege
de predilection de pareilles douleurs angoissantes. J'ai publie
avec M. Raymond une observation remarquable a ce sujet*, il
s'agit d'un pretre qui apres avoir eutendu parler d'un aduitere
surprenant reste obsede par la pensee des rapports genitaux. II
avait constamment dans Tesprit la pensee et mcme Timage de ces
deux amants dans les bras Tun de Tautre. Au bout d'une annee,
rimagese simplifia, mais pour devenir plus bizarre et plus genante
encore. II nepensaitetne voyaitplusque les organes genitaux femi-
nins, il ne pouvait voir une femme, parler a une femme, n'importe
Iaquelle,sans qu'il futconvaincu de voir ses organes genitaux sous
ses vctements. Au bout de bien des annees, il constata un nou-
veau changemeut dans la forme de la maiadie. « A force de rai-
sonner la chose, j'ai commence a penser a mes propres organes
^exuelset non plus a ceux de la femme. Mais cette preoccupation
amena un autre d^sagr^ment, elle produisit bientot une irritation
physique et developpa une hypersensibilit^ du penis et du scro-
tum tres d^sagreablc. » Le meme malade en arriva quinze ai^s
apres le debut a une derniere forme. II pensc constamment que
ses organes genitaux sont appendus a son corps comme un corps
etranger et ne lui appartiennent pas ; il ne sait plus si c'est lui
qui a conscience des impressions faites sur eux. Mais il n'en res-
sent pas moins une angoisse horrible au moindre contact.
Les algi^s jpuent un role important dans Thistoire de Jean :
il a des (luides qui lui courent dans le dos quand il tourne le dos
au pays oil se trouve Charlotte. II a des (c plaques d'hype*
resth^sies » sur les regions des jambes qui dans le tramway ont
^td frolees par la robe d'une dame. Mais surtout, il a abomina-
blement soufTcrt pendant six ans d^une maiadie invraisemblable
I. ^e\)roses et Idies fixes ^ il, obs, 48, p. i6a.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATISfiES. — LES PHOBIES 189
du gland et des testicules. A la suite des masturbations et des
lerreurs qu*elles engendrerent il se mit a souffrir du gland, sur-
tout quand celui-ci ^tant a d^couvert pouvait frotter contre les
v^tements ou avait simplement « un frottement psychique »
contre le robe d'urte dame. Get organe servait de point de depart
a des angoisses epouvantables : pour le gu^rir il usa de tous les
onguents, puis il voulut le maintenir constamment couvert par
le prepuce qui malheureusement reculait ; pour faire descendre
le prepuce sans y toucher, ce qui eiit ^te dangereux, il imagina
de le faire descendre par une secousse du ventre. Cette secousse
perpetuellement rep^tee irrita les testicules qui devinrent a leur
tour le point de depart d*angoisses et le pauvre gargon fut horri-
blement malheureux.
Chez les fenimes, ces algies des orgones genitaux sonl encore
plus dangereuses que chez les hommes, car elles donnent lieu,
bien trop souvent encore aujourd'hui, a de dangereuses opera-
tions chirurgicales. Vr... (55), apres avoir tromp^ son mari,
a de grands remords et de grandes craintes ; son inquietude
m^lee a Tid^e d'une maiadie qu'elle a d'abord pretext^e pour
refuser de s'enfuir avec son amant, determine cette douleur aux
parties genitalcs et aux ovaires : elle reste huit mois sur son
lit sans consentir a faire le moindre mouvement des jambes ou du
tronc. II faut la chloroformer pour pouvoir palper son ventre et
on se decide a une operation chirurgicale qui perraet simple-
ment de constater des organes parfaitemeut sains.
II faut placer a cot^ de ces algies g^nitales les algies de la i^essie
et de Vuretre si fr^quentes surtout chez Thomme et caus^es le plus
souvent par les craintes des maladies veneriennes. Cpt... (56), par
exemple, un homme de 48 ans, soufTre depuis vingt ans de son
uretre, quoique d'innombrables examens qui ont ^te faits n'aient
jamais pu decouvrir aucune lesion : il croit avoir des pertes s^mi-
nales que Ton n'a jamais pu constater. « II y a la une fuite par
laquelle toute mon cnergie s'en va. w Beaucoup d'autres ont « des
brililures et des epuiscments dans le canal. » J'ai observe bien
souvent, surtout chez des hommes, dc terribles algies de la vessic,
presque toujours accompagnees du lie de la pollakiurie. « lis
soufTrent constamment comme des damnes » et ne sont soulages
un instant qu'en urinant ou en essayant d'uriner toutes les cinq mi-
nutes, lis vont se faire sonder par tous les sp^cialistes, « pour
190 LES AGITATIONS FORCfiES
que i'on trouve Ic cnlcul » bien heureux quand ils n^ajoutcnt pas
ainsi line cystite infectieuse a leur algie.
Enfin, on est etonne d'apprendre que les allies de Vqnus
occupent constamment certains esprits. Lf... (92), une femme de
/|6 ans, nous avoue que » depuis bien des annces son anus a joue
le principal r6le dans son existence. » De petttes hemorroides sont
d'ordinaire le point de depart de ces preoccupations et de ces
algics. Quelquefois eiles s'accoinpagnent de tics coninie chez Bhu. ..
(54), femme de ^3 ans, qui depuis des annees « ne consentait a
s*asseoir que sur une seule fesse » et qui depuis six mois ne veut
plus s*asseoir du tout.
Comnie j'ai souvent essaye de le d^montrer, par I'etude des
ph^nomenes hyst^riqucs, Ic corps humain se divise en regions
psychologiques aussi bien qu'en regions anatomiques, ce sont des
rc^gions constituees dans la conscience par Tassociation fonction-
nelle des diverses sensations qui proviennent de ce point du corps
ou qui s'y rattachent, qu'une certaine unite anatomique dans un
centre certical special corresponde ou non a cette unite psycho-
logique qui fait la region psychologique ; chacune de ces regions,
du bras, du cocur, des parties genitales, etc. est susceptible de
devenir le point de depart d^une de ces algies.
3. — Les phobies des fond ions corporelles.
Les phobies des fonctions sont des phc^nomenes tres voisins. IjC
type peut 6trc Vakinesia algera de Mosbius dont Zr... (60),
femme de 47 ans, offre un exemple des plus nets. Son bras et
son t^paule sont en r^alit^ intacts et ne pr^sentent ni paralysie, iii
contracture, mais elle a la lerreur des mouvements de T^paule et
n'ose plus rcmuer les bras a cause des angoisses qu'elle ressent
si Tepaule est mise en mouvcment. J'ai d^ja decrit un fait ana-
logue relatifaux mouvements de la jambe et de la cuisse \
On peut rattachcr a ces phobies du moiivenient des memhres
certains cas de crampc des ecrivains dans lesquels on note raoins
un tic localise a la main et au bras qu'un etat emotif general,
une angoisse avec trcniblement, suffocation et palpitations car-
diaques des que le malade veut essayer d'ecrire.
On peut y rattacher aussi les diverses basophobies decrites par
I. Nevroses et idies fixes, II, 3ii.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATISfiES - LES PHOBIES 101
Seglas et Biswanger^ Quelquefois elles se ddveloppcnt a la suite
de paralysies plus ou moins reelles, comme dans unc obser-
vation de M. Grasset'; le plus souvent elles ne s'accompagnent
d'aucun trouble reel du mouvement. Fou (72), homme de 58 ans,
s'est effray^ de la marche parce que, pour se rendre h Tatelier,
il doit longer un fosse. II n'a pas simplement la peur du fosse
ou la peur des grands espaces a traverser: non, il a peur de
marcher n'importe ou, il avance a tout petits pas, en tr6pidant,
il recule d*un pas de temps en temps, puis il tombe ou plutot
il s'asseoit par terre, « car la marche lui donne des sueurs froides
et il faut qu'il se repose ».
Enftn il me semble que Ton pent ranger dans le meme groupe
de phobies des fonctions des membres, la singuliere aOfection qui
a ^le r6cemment decrite par M. Haskovec de Prague sous le nom
de akathisie (a, y.aOtCw, s'asseoir)'. J'en decrirai longuement dans
le second volume de cet ouvrage un cas remarquable, celui de
Rul (3g) homme de /|0 ans qui depuis une dizaine d*ann^es ne
pent plus rester assis. Quand il est assis depuis quelques mi-
nutes, il faut qu'il se cramponne a la chaise parce qu'il se sent
souleve en Tair, il a des palpitations, des ^touffements, des sueurs
surprcnantes : son visage exprime Tangoissc d*une maniere remar-
quable. A mon avis, il ne s'agit pas d'un ph^nomene hyst^rique
analogue a Tastasie-abasie, comme le pense M. Haskovec, mais
d\ine agitation a la fois motrice et cmotionnclle qui survient a
propos de Tacte de rester assis, parce que cette position, au moins
dans ce cas, est associee avec Tid^e du travail dont ce pauvrc
homme est devenu incapable. C'est un phcnom^ne de phobic et
d'agitation qui peut se ranger dans les phobies des fonctions.
Les fonctions de nutrition donnent lieu a d'innombrables pho-
bies tres importantes a cause de leurs cons<^quences. J^ai deja si-
gnale a propos de la honte du corps ces maladcs qui refusent de
manger parce que cette action leur parait honleuse. D'autres re-
I. Seglas, Deliove ct Houlioche, Soc. med. des hopilnux, 17 novembre iSgS. L.
Ilallion ct J,-B. Charcot, D^sbasies d'origino nerveuse. Archives dc neurol., 1895, I,
p. 81. G. Ballel, Les aslasics-abasies, ebasics amnesiques, abasles par obsession ct
|iar id^s fixes. Semainc medicale, la Janvier 1898.
a. J. Grassct, Basophobie ou abasie pbobiquc cbcz un heiniplegiqiie. Semaine
midicale, i5 aoiU iSg^* p. 366.
3. L. Haskovec (Prague). L'akalbisie, Revue neurolotjique, 3o novembre 1901,
p. 1107.
i92 LES AGITATIONS FORCfiES
fusent de manger ct se condamnent presque a rinanition parce
que cette action leur est douloureuse et leur fait peur. Te... (66),
jeune fille de i8 ans, sans phenomenes d'anorexie hyst^rique, ne
pent parvenir a manger quoiqu'elle le desire, a Quand je vois les
aliments, quand j'essaye de les porter a ma bouche, eela se serre
dans ma poitrine, cela me fait ^toufler, cela me brfile dans le
co^ur. II me semble que je meurs et surtout que je perds la
tete. »
Dans ce groupe, Tobservation de Gel... (67), femmede /j8 ans,
est assez singuli^re. Ordinairement, les maiades ont peur de
manger et repousscnt plus ou moins les aliments. Celleci a peur
de ne pas manger assez, elle a peur de refuser de manger. Vers
Fage de 21 ans, elie a eu un premier acces sous la forme com-
mune du refus d'aliments : apres avoir sevre un enfant, elle avait
eu des inquietudes, des remords, des troubles de la digestion.
Moitie parce qu'elle avait des remords, moitie parce qu'elle
soudrait de Testomac, elle commenca a refuser Talimentation et
a avoir de I'horreur et de Tangoisse en essayant de manger. Cetle
maladie se gu^rit, puis recommenca et disparut encore. Le troi-
sieme acces qui est survenu au moment de la menopause est tout
a fait rinverse des precedents. Le malade mange parfaitement, ma!s
elle a peur que sa maladie ne la reprenne, qu'elle soit empech^e de
manger par une peur et qu'ainsi elle n'arrive a mourir de faim ;
il en rcsulte qu'elle mange avec angoisse par la peur d'avoir peur
de manger.
Une des phobies des plus curieuses et semblet-il pratiquement
des plus importantes qui se rattache aux fonctions de nutrition,
est la phobic de la d<l»glutition. On en trouvera plusicurs obser^'a-
tions detainees dans le second volume de cet ouvrage, je signale
en particulier Tobservation de Fok... (69), femme de 4o ans; de
Rib... (68), femme de 29 ans, de Les... (70), homme de 4o ans, chez
tons, les phenomenes sont exactement les memes. Ces maiades qui
ont faim, qui digerent bien et qui veulent se nourrir ne peuvent
y parvenir parce qu'ils ont la terreur d'avaler la nourriture. lis
croient qu'ils vont avalcr de travers, qu'ils vont s'etouBer et mourir
subitement, ils imaginent des proc^des pour avaler dans la per-
fection et sans danger. Pour cela il est necessaire de continuer a
respirer en avalant, de respirer juste au moment oil Ton avale, etc.
Dans ces conditions, il n'cst pas surprenant qu'ils n'arrivent a
rien : la moindie gorg^e de liquide dans la bouche leur cause
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATIs1EE?*^LES PHOBIES i93
d*intoI^rables angoisses et leur am^ne des sueurs fi:oides sur tout
le corps. lis ne peuvent se nourrir qu^en absorbant un liquide
goutte a goutte et Fok... met une journ^e entiere pour absorber
deux jaunes d^oeuf d^lay^s dans une cuiller^e de jus de viande.
Ensuite on observe les phobies de la digestion, Le moindre
trouble de la digestion, la moindre pesanteur d'estomac cause
des angoisses et ces malades ont cc ia mort devant les yeux »
quand il leur arrive d*avoir un peu de pyrosis. Une forme cu-
rieuse de ce trouble determine des douleurs a la (in de la diges-
tion, surtout la nuit et reveille les malades par une crise de ter-
reur qui survient en g^n6ral vers une heure du matin. Lyx...,
femme de 28 ans, se reveille a cette heure toutes les nuits : pale,
les yeux hagards, elle se contorsionne, pretend avoir d'horribles
douleurs qui partent de Testomac et attend sa mort prochaine.
Dans d'autres cas plus communs, Tangoisse se d^veloppe meme
dans la journ6e a propos de toutes les digestions. Qsa... (108)
homme de 55 ans, scrupuleux typique depuis son enfance, qui a
traverse a peu pres toutes les phases de la maladie, est surtout
tourmente depuis une dizaine d'ann^es par la phobic de la diges-
tion. A rinverse des malades precedents qui ont la phobic de
Talimentation ou la phobie de la deglutition, il a le d^sir de man-
ger et c( mange tout ce que Ton veut lui donner » ; ilvoudraitmeme
continuer a manger, car ses tourments ne vont commencer qu*au
moment oil il cesse de manger. A ce moment, Testomac s'agite,
se gonfle, se tortille « la masse alimentaire remue comme dans
un sac, tous les membres sbnt brisks et remplis d'inquietudes,
le moindre mouvement tire sur Testomac comme si tous les
muscles y avaient leur point d'attache, les yeux sont retires a
rinterieur du cerveau, toutes les pens^es sont teint^es de souf-
frances, etc. » Ces troubles s'accompagnent chez ce malade de
tics, il a le tic de sucer quelque chose pendant qu*il digere, et
fait une consommation invraisemblable des boules de gomme,
enfin il pr^sente le tic des vomissements qui a deja ct^ decrit. Si
on le force a retarder le vomissement, Tangoisse augmente avec
agitation motrice et agitation viscerate et peut amener dans les
cas grave une crise que j'ai d^crite sous le nom de la crise des
efforts de vomissement. Les m^mes ph^nom^nes s'observent chez
beaucoup d*autres malades, car ces phobies de la digestion sont
par mi les plus fr^quentes.
La digestion intestinale cause les phobies du ventre^ les sensa-
L£8 OBSESSIONS. I. — 1 3
104 LES AGITATIONS FORCfiES
tions <c d'un ver qui a des pattes d'araignee qui se pelotonne
avec des glissements froids ».
Enfin, Hil..., femme de 4o ans, nous montre la phobie de la
defecation, « Elle va s'en aller en diarrhee, elle va perdre ses
aliments, elle souOTre tant a cette pens^e qu'elle aime mieux
mourir tout de suite que d'aller a^la selle. » Rt il Taut les sup-
plications de toute la famille pour la decider a ce sacrifice. Les
hypocondriaques urinaires et genitaux sont innombrables et
presque toujours leurs obsessions s^accompagnent de phobie de
la fonction, il est inutile d^y insister.
On peut observer des phobies plus curieuses portant sur les
fonctions de relation. On connait /^« phobies dii langage^, Bq. .
(65), homme de 38 ans, est soign^ depuis cinq ans pour de preten-
dues lesions du larynx : il a ^td dans plusieurs villes d'eau, il a suhi
toutes sortes de traitements. C'est que depuis des annees la parole
lui est de plus en plus didScile; qutind il essaye de parler, il ressent
une faiblesse g^nerale, ses jambes flageolent^ sa respiration s'arr^te
et son corps se couvre de sueur. Aussi n'assaye-t-il jamais de parler
quand il est debout, car il tomberait. 11 rattache tons ces troubles
a des lesions tuberculeuses qu'il doit avoir dans la gorge. I/exa-
men le plus attentifque M. Cartaz a bien voulu rep^ter demontre
que le larynx est absolument sain. Un peu de pharyngite surve-
nue il y a des annees et Tinquietude causee par son metier de
m^canicien « qui Texpose aux poussieres du charbon » ont deter-
mine la forme de cette phobie.
Les sens speciaux sont susceptibles de presenter les memes
angoisses et les memes dyscsthcsies. Uodorat devient penible
quand Todeur s'associe avec une des manies des scrupuleux.
Big... (6), femme de /jg ans, a peur de sentir une odeur surtout
de la narine gauche, car ccla lui donnerait des angoisses. Wy.--
(i64) craint les odeurs qui toutes rappellent Todeur des parties
g^nitales, et Ds... (i5/j), femme de 21 ans, aurait des angoisses si
elle sentait une odeur » car pour sentir il faut aspirer par
le nez et cela fait mouter dans le nez des petiles betes, des
mouches, des punaises qui iraient jusqu'au cerveau ». Elle est
obligee pour compenser une odeur de se moucher ind^finiment.
I. Cf. Clier\in, Des phobies verbales. Paris, 1895.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATISfiES. - LES PHOBIES 195
L'oiile est int^ress^e bien souvent dans toutes Ics phobies des
bruits. Ot... (75), hommc de 53 ans, retire des afiairesy prend en
degoikt son appartement, son quartier, se sent 6motionn^ par le
bruit qu'on y entend et en arrive a une terrible dyscsth6sie de
TouVe. II lui faut vivre dans une chambrematelass^e pour qu'aucun
bruit ne parvienne jusqu'a lui. Chez Bow... (76) s'ajoute un detail
particulier : tous les bruits n'aSectent pas douloureusement
Toreille, mais seulement les petits bruits : bruit d^un fouet dans
la rue, bruit d'une porte qui se ferme, c'est la microphonophobie.
On retrouve ici Tattention des scrupuleux pour les petites choses
que nous avons not6e dans leurs manies de la precision.
Ucpil donne naissance a un trouble remarquable qui semble
une maladie sp^ciale, cVst la photophohie ou au raoins une des
varietes de la photophobie. Mv..., (i5i) femme de txi ans a assiste
un soir a un concert ou jouait devant elle un musicien aveugle, elle
n*a pu s'emp^cher de Tobserver toute la soiree. Le lendemain, elle
prie son mari de la mener consulter un oculiste, celui-ci examine
les yeux qui ne pr^sentaient a ce moment encore aucunc douleur
et ne constate aucune alteration. Cependant Mv... n'est pas ras-
sur^e, elle declare cet oculiste incompetent, et va en voir un
autre, puis un troisieme. Son agitation croissant, on la force a
s'expliquer et elle finit par avouer qu*elle est poursuivie par la
pens^e d'etre aveugle, qu'elle examine sa vue continuellement,
que la nult elle s'^veille en sursaut pour allumer une lumiere et
verifier si elle voit clair. Chez cette malade s'est d^veloppee pen
a peu une horrible algie de la paupiere et des yeux; il sufht
d*approcher le doigt des paupieres pour provoquer des hurle-
ments et de terribles angoisses. Meme ph^nomene a peu pres
identique chez Mb... (i56) et chez Ria... (62) qui ont aussi peur
d'etre aveugles.
Ces dysesth^sies des yeux peuvent amener les malades a re-
douter la lumiere et a vivre dans Tobscurit^. C'est ce qui arrive
dans Tobservation remarquable de Rs... (63). Cette femme, agee
de 5g ans, a toujours eu des troubles de la volonte, elle etait
inquiete, hypocondriaque, tres exigeante et tres autoritaire, ce
qui arrive souvent chez les abouliques, comme on le verra dans
le chapitre suivant. A Tage de 56 ans, peu apr^s la menopause,
elle eut a subir une epouvantable secousse : on amena chez elle
sa 6IIe, jeune femme mariee depuis peu, qui venait d'etre hor-
riblement brdlee dans un incendie. Rs... soigna sa fille avec cou-
196 LES AGITATIONS FORCCES
rage pendant trois jours sans pouvoir la sauver. La mort de ceite
jeune femme ne sembia pas determiner chez elle une violente
emotion, Rs... s*6tonnait de n'avoir pas asscz de chagrin, de
ne pas pouvoir pleurer. Quelque temps apres elle commenca
a se plaindre de ses yeux, parlant de calaracte, de paralysle, etc.
« Elle ne pouvait se servir de ses yeux a volontc, elle ne pouvait
regarder; quand elle fixait un objet, surtout un objet 6clair^, elle
eprouvait une gene, une emotion penible qui la sufibquait. »
Bientot elle prit Thabitude de tenir les yeux mi-clos puis ferm^s
et de se comporter comme une aveugle.
Ria... [62), jeune femme de 26 ans, couvreconstammentsesyeux
d*un grand bandeau et refuse de voir la lumiere « car les objets
dansent d'une maniere odieuse et eflVayante ». Cela lui donne
de terribles angoisses a la pens^e qu*elle va perdre la vue. Le
point de depart est plus curieux, apres une operation abdomi-
nale determinee d*ailleurs par une algie uterine, elle eut ce sen-
timent de bizarrerie, d etrangete dans la perception des objets
qui joue un role si considerable chez les psychastheniques. Elle
en conclut que sa vue etait en jeu, qu'elle voyait mal, qu'elle
allait perdre la vue et presenta pen ii pen les symptc^mes de cette
photophobie.
L*observation de Bry . . . 6^ , jeune homme de 1 6 ans, nous pr^sente
des crises de photophobie un pen diflerentes : les phenomenes
mentaux sont reduits et les phenomenes organiques tr^s aug-
mentes. L'cedeme des paupieres, la congestion de la conjonctive,
le larmoiement, Thydrorrhee nasale qui lui fait mouiller cinquante
mouchoirs en vingt-quatre heures sont des plus remarquables.
Les crises sont courtes et se repetent tons les quinze ou vin^s
jours depuis I enfance. C'est la une forme diHerente de la mala-
die, qui me semble se rapprocher des phenomenes epileptiques
cl que nous aurons a discuter au point de vue clinique dans le
serbod volume de cet ouvrage.
Tiiutes ces algies et toutes ces phobies des fonctions presen-
trtat des caracteres communs, elles se developpent a proposd'une
sensation determinee par lexcitation d'une partie du corps : la
pe^u, les muscles, le pharynx, Toreille, les yeux. On pourrait
cfoireque cette region est hyperesthesiee et qu^une maladie locale
dclermine ces sensations douloureuses. CVst ce qui amene si
54hijvent les operations chirurgicales en particulier sur les
LES AGITATIONS fiMOTlONNELLES SYSTfiMATlSfiES - LES PHOBIES 197
ovaires. Cependant un examen attentif permet de constater
que I'organe est parfaitement sain. Bien mleux les sensations
determinees par cet organe ne sunt aucunement troubl^es, il
n*y a pas d'anesthesie, ni meme d'hyperesthesie veritable. Rs...
dont la photophobie est si remarquable qui reste depuis trois ans
sans ouvrir les yeux, qui se conduit tout a fail comme une aveugle
a et^ Tobjet de bien des examens par plusieurs oculistes : non
seulement Toeil est absolument sain, niais la vision est complete-
ment conserv^e, ni Tacuit^ visuelle, ni le sens des couleurs, ni le
champ visuel n*ont subi la plus l6gcre alteration, elle voit
raieux que la plupart des personnes de son age. Chose curieuse,
quand elle est ainsi Tobjet d'un examen medical, elle ne bouge
pas, tient les yeux ouverts sans se plaindre de rien, elle accepte
qu'on dirige un rayon lumineux dans rQ3il pour voir les reflexes,
tandis qu'elle aurait des angoisses horribles pour regarder un
objet.
On pourrait dire que la sensation intelligente est conservee
mais qu'il y a un sens special de la douleur qui est seul hyper-
esthesia dans ces regions. J'ai souvent essay6 de mesurer la sen-
sibility a la douleur avec une aiguille dont la pression variable
peut ^tre exactement determin^e, j'ai fait modifier dans ce sens
I'appareil de Cheron pour mesurer la tension sanguine. J'ai
d'abord determine la sensibility a la douleur de la m^me region
chez un individu normal, puis j^ai voulu mesurer cette memesen-
sibilite chez les malades qui pretendaient ne pas pouvoir etre
touches a cette region sans souflrir enormement. II faut pour cela
commencer par les rassurer, leur fairecroire que Texamen medi-
cal est utile, arreter un peu leurs ruminations et leurs obsessions,
les intdresser a ce petit problfeme, leur apprendre a r^pondre exac-
tement a quel moment le contact de Taiguille devient pour euxune
piqure douloureuse. Beaucoup ne laissent pas faire Texp^rience :
Mv... poussait des cris quand que je voulais approcherTinstrument
de ses tempes ou de ses paupieres et je n'ai pu obtenir sur elle
aucun chiffre precis. Mais d'autres se decident a permettre cet
examen : on est tout surpris de constater qu'ils arretent Tinstru-
ment au meme degre que Thomme normal et que par consequent
iU ont conserve la meme sensibilite douloureuse, ni moindre, ni
plus grande. Dans quelques cas, il y a plutot une certaine dimi-
nution de la sensibilite. Ces dysesthesies ne sont done pas des
troubles de la sensation de la region, ce sont des troubles gen^-
198 LES AGITATIONS FORCfiES
raux, des Amotions envahissant tout Torganisme qui se produlsent
apropos dela sensation de la region. Nous retrouverons la meme
loi a propos des autres phobies, c^est ce qui nous permettra de
r^unir toutes ces angoisses pour en chercher les caracteres g^ne-
raux.
4. — Les phobies des objets (Delire da contact),
Ce m6me 6tat qui rcssemble a une Amotion trcs douloureuse
se produit bien plus souvent a la suite de la perception des
objets. Comme cette emotion est tr^s redoutee par le malade, il
en r^sulte une crainte, une peur de Tobjet qui en est Toecasion :
c^est ce qui caracterise les phobies des objets.
La phobic se developpe quelquefois des que Tobjet est per^u
n'lmporte par quel sens meme quand il est percu par la vue ou
I'ou'i'e. (( Suis-je folle ou ne le suis-je pas, disait une malade de
Legrand du Saulle, faudra-t-il done me s^questrer dans une
maison d'ali^n^s, parce que je tremble a la vue d'un chien et que
je n'ose rien toucher chez mol ? Mais a quoi me sert done ma
raison* ? » II en est de meme pour ceux qui ont peur de voir
les ^toilcs (astraphobie) ou qui ont peur d*entendre les orages -.
Bunyan apres avoir pris beaucoup de plaisir a sonner les cloches
se fit un scrupule de ce plaisir et depuis resscntit une peur terrible
rien qu'on voyant ou en entendant les cloches ^.
Parmi nos malades, Xa..., qui a Tobsession de Thomicide, a,
bien entendu, la phobic des couteaux, de tous les instruments
tranchants ou pointus ; mais en outre elle ne pent voir sans souf-
france une branche d*arbre coupee, une fleur rouge ni meme un
papier rouge. Elle a des crises de phobic, si on veut la faire pro-
mener dans le bois de Boulogne, parce qu'elle a rencontre un
jour dans une all^e un morceau de papier rouge. Elle a surtout
peur qu'on ne fasse une allusion a Tun de ces objets terrifiants,
elle a des phobies a propos de tel ou tel mot qu'il lui suffit d'en-
tendre ou a propos d'une personne qui a autrefois prononce le
mot et qu'elle ne pent plus revoir. Myl... (98) a ses phobies en
voyant un salon rouge ou en voyanl la lunc. Mii... (i83) a le meme
phenomene en voyant certaines rues de Paris qui font penser a
I. Legrand du Saullc, Folie du douie, p. 26.
a. Ciillerrc. Folie heredilaire, p. 63.
3. Josiah Rojrcc, Psycholotjical Uevicw, 189^, p. i34.
LES AGITATIONS fiMOTlONNELLES SYSTfiMATISfiES. - LES PHOBIES 199
la vllle de Lyon ou a ^tc commis un crime et Gisele en voyant sa
petite fille qui lui rappelle le mariage et sa vocation r^Iigieuse
manqii^e. Fi... (83), comme beaucoup d'autres malades, a ces
terreur en voyant un chien, ou m^me en voyant sa femme parce
qu*elle porte une robe qui a trains place de la Concorde, rendez-
vous habituel, paralt-il, des chiens enrages, c*est la lyssophobie,
rhydrophobie morale de Trousseau. Jean s'effraye en voyant des
femmes dans les tramways ou en mangcant un repas servi par
une femme. II est done evident que la vision ou Taudition pent
6tre le point de depart de ces phobies.
Cependant c'est le contact qui determine le plus souvent ces
crises de peur angoissante ; Tobservation a d^ja et^ faite par
EsquiroP. U d^crit une femme de 34 ans qui se frotte constam-
ment les mains « elle a peur que quelque chose de valeur ne reste
attache a ses doigts. » Legrand du Saulle insiste surtout sur ce
role du toucher puisqu'il veut, bien a tort a mon avis, faire de
cette crainte une maladie speciale ou du moins une phase speciale
de la maladie sous le nom de a folic du contact » : « une dame,dit-il,
a d'abord peur des fnutes d'orthographe, puis elle a la crainte de
toucher tout ce qui sert a ecrire » '. Trelat accepte la m^nie idee,
il decrit une personne qui se figure que tout son linge est empoi-
sonne et que le contact en serait mortcl ^. M. J. Falret explique des
phobies semblables par la crainte que les objets ne soient de valeur
ou ne soient sales ^. « Une malade d^crite par M. Tamburini ne
peut plus toucher aucun objet de son appartement parce qu'elle
les croit « souilUs par Turine des rats^ ». Une femme, raconte
Fer^*, a fini parne plus pouvoir marcher sans avoir constamment
les orifices des narines et de la bouche obtur^s par une bande de
tissu destin^e a empecher les parcelles d'hostie qui pouvaient
^tre contenues dans Tatmosphere de penetrer dans son corps
pendant qu'elle n*6tait pas en elat de grace. » Bien des auteurs
I. Esquirol, Maladies mentales, H, p. 63.
a. Legrand du Saulle, Folic du doiUe, p. 33, a5, 27. Cf. un cas sembiable, decrit
par Baillarger. Ann. med. psych., juillet 1866, p. 92.
3. Trelat, Folic lucide, p. 23.
4. Falrel, Maladies mentales, p. 5 12. Cf. Saury, Degencres, p. 79, 83, 85. Cul-
lerre. Folic herediiaire, p. 76, 79, 80.
5. Tamburini. Kivista sperimentale di frcniatria. VlII, i884» p. 4.
6. Fere, Paiholofjie des emotions, 1892, p. 4i5 (Paris, F. Alcan) Ballet, Traite
de mcdccine de Charcot et Bouchard, VI, p. 1 179.
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LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTEMATISEES. — LES PHOBIES 201
de I'usage des objets de leur role dans une action, il est tout na-
tiirel que chez les scrupules, les phobies portent tout particulie-
rement sur le contact. C*est ce qui nous est bien montrd par cer-
taines phobies du contact sur lesquelles j'insiste en terminant et
qu'on pourrait appeler les phobies du contact professionncl.
M. Grasset a cite la phobic du m^decin, pour les instruments de
son metier, M. B^rillon' insiste sur la phobic du notaire pour son
6tude, du mecanicien pour sa machine. Parmi nos maladcs,
Nera. . . , couturiere, ne pent toucher a ses ciscaux et Pt. . . , barbier,
ne peut toucher un rasoir. II ne faut pas dire qu'il s'agit ici de la
phobie des objets tranchants car la premiere ne peut pas non
plus toucher un mMre et le second a horreur de toucher la barbe
ou de toucher du savon. Lch... (78), homme de 38 ans, t^legra-
pbiste, a la suite d'une pleurcsie grave, prend la crainte de ne
pouvoir travailler et la peur des appareils t^l^graphiques et m6me
des bureaux de poste.
Ces derniers exemples nous montrent que Facte et surtout Tacte
professionnel doit jouer un role dans ces phobies. Le fait est
moins visible mais on le retrouve dans toutes les autres phobies
des objets. Dans beaucoup de cas, comme j*ai essay^ de le mon-
trer ailleurs, le contact flc/f/" c'est-a-dire le contact qui r6sulte
d'un mouvement, d'un acle du sujet est infinimcnt plus redoute
que le contact passif dans lequel Tobjet est simplemcnt approch^
du sujet'. lu... (( pour rien au monde ne touchera elle-meme les
v^tements oil elle imagine avoir fait tomber des fragments
d'hostie » mais si je prends moi-meme la robe et I'approche de
ses mains elle se r^signe a subir le contact en disant : « c'est
vous qui faites Taction et qui prenez la responsabilite.. » L'objet
qui determine Tangoisse est surtout un objet qui intervient dans
une action qu'il faudrait executer, c'est une notion que je signale
en passant et sur laquelle il faudra revenir, en etudiant les carac-
teres generaux et Tinterpretation de ces phobies.
5. — Les phobies des situations (agoraphobic).
Ces m^mes phobies peuvent se d^velopper dans d'autres cir-
1. Beri Hon, Phobies neurastheniqiies envisagces au point de vue professionnel.
Revue de ihypnolisme, 1896, p. 33.
2. Nevroses el idies fixes, I, p. 8.
202 LES AGITATIONS FORCfiES
constanceS) a propos de perceptions plus complexes, qui portent
non plus sur un objet detcrmioe mais sur un ensemble de faits
et d'impressions du sujet, c*est-a-dire sur une situation physique
ou morale du sujet.
Dans un premier groupe de cas il s'agit de la perception d'une
situation physique : le type de ces phobies est celle qui se d^ve-
loppe quand le malade se sent isole, c'esta-dire quand un en-
semble de circonstances, une situation qu*il per^oit, fait naitre
en lui Timpression de vide autour de lui. Deja Leurct en i834
decrivait un cas de ce genre en le rattachant a Thypocondrie : « il
est quelquefois six mois sans sortir; lorsqu'il sort, c*est en voiture
et toujours accompagne d'une personne qui puisse lui porter se-
cours en cas de besoin, pendant la promenade. II est tres rare
qu*il descende de voiture et quand cela arrive, il faut que la per-
sonne dont il est accompagn^ se tienne tout pres de lui ; il ne
traverserait pas une place ou un pont; a peine s'il traverserait une
rue. Sur une place il est comme au milieu d'un desert, ou lout
manque a celui qui a besoin de tout^ » Leuret fait simplement
de cet etat une « hypocondrie engendree par le luxe et Toisivele »
et il note justement son rapport avec le defaut de volonte.
Plus tard ce symptc^me est decrit tres frequemment comme une
phobic sous le nom ii agoraphobic qui lui a ^t^ donn^, je crois,
par Westphal en 1872*. Une des descriptions les plus completes
est celle de Legrand du Saullc en 1877 et 1878 : cet auteur en fait
une nevrose speciale distincte de la folic du douteet du delire du
contact, ce qui me parait tres inexact. <( La peur des espaces, dit
Legrand du Saulle, est un etat nevropathique tres particulier,
caracterise par une ungoisse, une impression anxieuse vive ou
m6me une veritable terreur, se produisant subitementen presence
d'un espacc donne... c'cst une emotion comme en presence d'un
danger, du vide, d*un precipice, etc. Un malade commence par
avoir des coliques dans la rue, avec faiblesse des jambes ; il s'in-
quiete et en deux mois arrive a la terreur complete de marcher...
1. Leiircl, Fragments pSYchotogiques sur la folie, iSS'i, p. 892.
2. Westphal, Agoraphobic, Archiv fur Psychiatrie, III, 1872. William, Agora-
phobia. Hoslon med. and Surg. Journal, 1872. Weber, Agoraphobia. /6W., 1872.
Cordes, Agoraphobia, Arehiv fur Psychiatrie. Ill, 1872. Perroud, Note sur Tagora-
phobic, Lyon medical, 1873. Dechanibre, Do Fagoraphobio. Gaz. hebd, de med. el
de chir., 1873. Bourdin, Horrcur du vide, agoraphobic. Encyclopedic des lettres^des
sciences et des arts, 1878, etc.
LES AGITATIONS fiMOTlONNELLES SYSTfiMATlSfiES. - LES PHOBIES 203
La peDsee d^6tre abandonne dans le vide le glace d'effroi et la
conviction d'une assistance quelle qu'elle soit Tapaise sans effort.
Point de peur sans le vide, point de calme sans Tapparence d*un
semblant de protection \ »
Yoici quelques exemples de ces phobies du vide emprunt^s
aux observations de nos malades. Lise a peur de la solitude qui
est, en effet, plutot mauvaise pour elle parce qu^elle favorise le
developpement de ses reveries et de sa manie des pactes.
Deb... (i65), Bor..., etc. ont peur des ponts, des grandes places,
Por..., femme de 23 ans « etouffe de terreur dans les rues ou il
D*y a personno). Ilnu... (87) ne pent plus marcher seule; elle a peur
detomber, d'etre paralys^e, de devenir folle : « je vois le vide de
chaque cote... qiiand je vois des maisons cela ne me fait plus le
meme effet. « Leo. . . (i 78) redoute les grandes places ou les grandes
agglomerations de monde... elle est plus tranquille quand elle est
avec un petit nombre de personnes en qui elle a confiance. L'ago-
raphobie de Sc...* presente quelque inter^t, parce qu'elle
simule des vertiges ; comme le malade a eu ant^rieurement des
ecoulements d'oreilles, on a diagnostiquc^ son etat » vertige de
Meniere. En realite, il n*a aucun des symptomes de ce vertige,
Tangoisse qu*il ressent dans la rue est idcntique a celle qu'il
eprouve quand il touche des cartes ou quand il pense au nombre
treize. Bu... (85), un homme de 4o ans, apres s'etre d'abord fait
accompagner au dehors, ne pent plus faire un pas seul meme dans
son appartemcnt; un malade celebre de M. Azam'* exigeait que
sa femme Taccompagnut jusqu'a la porte des cabinets d'aisance
et en lui parlant de loin, lui fit constamment comprendre qu'elle
rcstait pros de lui ; Bu... ne pent se satisfaire par cet expedient
et il exige que sa femme entre toujours avec lui.
On voit bien d'apres ces exemples que ce n'est paspr^cis^ment
la grande place qui provoque la phobic, c'est Timpression de se
trouver seul sans appui physique ou moral dans un endroit qui ne
leur est pas familier. Des que cette impression est dissip^e, Tagora-
phobie disparait. Lep... (88), femme de ^9 ans, est agoraphobe de-
puis que son fils est parti au service militaire, elle se sent seule, et
alors elle redoute de sortir, ne pent traverser les places et a besoin
I. Legrand du Saullc, Agoraphobic. Cf. Magnan, Lemons, p. 179.
a. Nevroies et Idees fixes, II, p. 83.
3. Azam, Entre la raison ct la folic, les toques. Hevuc scienlifique, 189 1, I, 6i5.
204 LES AGITATIONS FORCfiES
de (( longer les murs des petites rues » mais cette angoisse disparail
des qu'elle donne la main a un enfant. Oz..., femme de 3i ans, se
contente a moins de frais, il lul suflSt de porter a son bras un
panier, c'est pour elle un point d'appui habituel « mais il Taut
quHl soit lourd, je sens alors que je tlens quelque chose de
ferme, quand il est vide je ne peux pas avancer ». Bo... se borne
a transporter avee elle un petit banc pour s*asseoir dessus s'il le
fallait et cette perspective la rassure. Une autre femme de 35 ans,
Fie..., a besoin de s'appuyer sur son parapluie (c avec mon para-
pluie j'irai n'importe oii, sans mon parapluie je n*ai plus d'6qui-
libre, il n'y a que Tepicier du coin chez qui je peux aller sans
parapluie ».
Tous ces details se trouvent bien pr<^cises par Tobservation de
Jean. II a constamment besoin d'avoir un appui materiel du cote
gauche et se tient toujours la main gauche fortement accroch^e a
quelque meuble ou quelque objet. Si ce point d'appui lui manque
dans les salles de cours par exemple il sent un creux, un vide a
gauche qui pent devenir effroyable. II n'a pas pr^cis^ment la
peur d'une grande place quelconque, mais il a des phobies terri-
bles quand il est dans un quartier 6loign<§, loin de sa maison et
surtout loin de son medecin. C'est pour la meme raison que le
sejour a la campagne lui fait horreur : « Les m6decins de lacam-
pagne ne connaissent pas ces affections-la , il faudrait des heures
et des jours pour leur expliquer ma maladie et je ne pourrais pas
le faire. C'est horrible d'avoir le fou rire labourant les nerfs, le
fantome de la mort, le coeur excite loin de tout medecin compe-
tent. )) A Paris le pare Monceau a le privilege de determiner 1r
meme impression parce qu'il ressemble a la campagne. Jean a
encore les m^mes phobies quand il se sent tourne vers telle ou
telle direction, quand il est dans un chemin de fer en marche,
quand il est dans une chambre trop petite, dans une salle de
conferences, etc. Dans les licux d<^couverts, il a besoin de sentir
toujours une protection; dans les lieux ferm^s, il faut qu'il %'oie
toujours une sortie facile : il ne consent jamais a avancer dans
une salle de conferences, car il faut qu'il se tienne toujours tres
pres de la porte.
Je n'ajouterai plus que Tobscrvation de Dob... (86) sur laquelle
il faudra rcvenir a propos de Tangoisse. Cette jeune femme de
33 iins a des acces d'angoisse qui la prennent des qu'elle est
seule dans la rue ; ces acces ont commence a Tage de I2 ans et
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATISfiES. — LES PHOBIES 205
vont toujours en aggravant. Ce qu'elle redoute c'est en somme un
acces de folie « qui la ferait courir comma une folle, la ferait
causer du scandnle en public ». Elle a moins peur la nuit, parce
qu^on ne la verrait pas si elle etait folle, on voit ici Pobsession
de honte ; elle prefcre Ics rues ou il y a dcs boutiques afin de
pouvoir s*y refugier, c'est maintenant le sentiment du besoin de
protection.
A I'agoraphobie doit se rattacher une autre phobic, celle des
endroits clos, la claustrophobie^ signal6e parBeardde New- York,
par Raggi de Bologne et d6crite par Ball en 1879*. « C'est, dit
Cullerre, une angoisse constrictive comparable a celle qu'on
pourrait ressentir en rampant a travers un passage de plus en
plus etroit*. » On peut y rattacher bien des faits du meme genre,
la phobic d'etre dans un theatre, la phobie d'etre dans un
chemin de fer que I'on ne peut pas faire arrcter, etc., dans une
voiture, Tamaxophobie (i'lx^Ca, voiture) si on veut conserver ce .
mot de Ball *.
C'est ainsi que Rt... (gS) « a une peur terrible d'etouffer dans
les voitures qui sont des petites boltes ferm^es, dans les wagons
de chemin de fer qui passent dans des tunnels ». Xo... n*a pas
peur d'etouffer en chemin de fer mais il craint d'etre indispose
dans le wagon sans pouvoir sortir et il ne peut plus faire aucun
voyage sans de terribles angoisses. Nae... (g^) fait des scenes
^pouvantables quand il faut la mettre dans une voiture ou dans
un wagon : elle veut que la porte reste ouverte et elle menace a
cbaque instant de s'elancer au dehors. Tantot la voiture ne va
pas assez vite, tantot elle va trop vite, ou bien une autre voiture
s'approche trop pres ; elle prie qu'on la retienne pour qu'elle ne
s*elance pas au dehors et quand on la retient elle etouffe et il faut
lui faire respirer de Tether. Les scenes les plus curieuses ont
lieu quand elle est dans sa chambre et qu'il pleut fortement au
dehors, elle regarde la rue, s'effraye de I'eau qui tombe, pense
qu'elle ne pourra plus sortir parce qu'il y a trop d'eau, que I'eau
va monter au premier etage puis au quatri^me ou elle est, qu'elle
sera noyee contre le plafond ; la respiration lui manque, elle
I. Ball, Claustrophobic. Ann. med. psych., novcmbrc 1879.
a. Cullerre, Les frontieres de la folie, 1888, p. 61.
3. E. Doyen, Quel<fues considerations sur les ter rears morbides et le dHire imotif en
general. These de Paris, i885.
206 LES AGITATIONS FORCfiES
rougit et palit et finalement eile tombe evanouie. Nous revien-
drons sur ces evanouissements ; pour le momeDt nous notons
seulement les formes diverses que prennent ces phobies.
Les malades de ce premier groupe ont besoin, comme on Fa vu,
de I'appui, du secours des autres hommes, ils redoutent d'etre
seuls, s^par^s des hommes, et par ce c6i6 on peut dire qu'il y a
d^ja dans ces phobies un sentiment social. Mais s'ils demandent
a 6tre secourus par des hommes, c'est parce qu'ils redoutent
certains dangers physiques, c'est la situation physique qu'ils
redoutent, le vide, la hauteur, le resserrement, etc. Au contraire,
dans d*autres cas, Temotion angoissante est essentiellement deter-
min^e par la perception d'une situation morale et surtout d'une
situation sociale. On peut considerer comme type de ce second
groupe Tangoisse causae par la rougeur du visage, Vereutophobie.
Cette localisation particuliere de la phobic a ete signalee en i846
dans un m^moire de Casper (Berlin). Nous devons remercier MM.
Pitres et R^gis d'avoir public une traduction de cette observation
remarquable et difficile a se procurer'. Le malade d^crit tr^s Lien
les troubles de la volont^ et de Tattention, le doute, la timidity,
qui ont pr^par^ la phobic et qui, a mon avis, jouent un grand
role dans son explication.
MM. Pieron et Vaschide viennent obligeamment de me commu-
niquer une observation ^galement assez ancienne et pen connue
du meme ph^nomfene publi^e par le D** Duboux en 1874*. « Parmi
les causes de la rougeur, dit cet auteur, il me semble que le grand
naturaliste (Darwin) en a oublie une tres int^ressante : cette cause
de rougeur est la crainte de rougir. Supposez qu'un individu
rougisse une premiere fois sous Tune des influences indiqu6es par
Darwin (telle que la honte ou la pudeur). Le sentiment qu'il
eprouve en sentant sa face s'empourprer est p^nible et humiliant ;
il cherche a refouler cette bouflfde sanguine ; ses efforts sont inu-
tiles et vont m6me directement contre leur but; la rougeur n'en
devient que plus intense. II rcdoute d'etre expose de nouveau a
une confusion pareille : le fait de Tappr^hension et de la resistance
amcne une rougeur plus intense que celle de la honte. II sait
I. Gasper, Biographic d*une id6e fixe, traduitc par le D^* Lalanne, publice par
MM. Pitres el Regis. Arch, de neurol., 1902, I, p. 270.
a. Duboux, k propos de la rougeur, Hull, de la Soe. med. de la Suisse liomande,
septembre 1874, p. 817.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATISfiES. — LES PHOBIES 207
maiDtenant qu'il suffit de craindre de rougir pour rougir; il n&
pourra s'empecher de craindre et de rougir.
Lorsqu'il se sentira expos^ aux regards, particulierement a ceux
de I'autre sexe, la crainte de rougir viendra Tassaillir et la honte
^nticipee empourprera son visage, toute lutte est inutile : sous
rinfluence de la volonte, la face peut presenter d'abord une paleur
l^gere, remplac^e bient6t par la rougcur redout^e. Il pourra
m^me arriver que seul, a Tabri de lout regard, Tindividu rougisse,
s'il craint, pour son cerveau par exemple, Tinducnce de la con-
gestion. Cette crainte constante a chaque instant realisee devient
pour rindividu un supplice de Tantale renvers^ ; du naturel peut-
etre le plus hardi et le plus sociable, il deviendra d'une timidite
et d'une sauvagerie ridicules ; il 6vitera toutes les occasions de se
produire, il recherchera la solitude ; les devoirs de soci^te et
quelquefois les devoirs professionnels lui deviendront horrible-
ment penibles; sa vie sera litt^ralenient brisee par une niaiserie.
Cette sorte de nes^rose ou de psyc/wse, moins rare qu'on ne
pourrait le croire, est surtout fr6quente chez les fenimes. Parmi
lesindividus afTectes, je connais un certain nombre de personnages
eminents dans les sciences ou la politique, et entre autres un phy-
siologiste cel^bre que toute science ne preserve pas et dont la
timidite est proverbiale. » Cette observation interessante surtout
par sa date relive deja le caractere pathologique du phenomene,
le rattache aux n^vroscs et aux psychoses sans bien indiquer ce-
pendant Tanalogie avec les autres phobies.
Westphal, en 1877, dans un m^moire sur les obsessions, cite
un cas semblable. M. Boucher (de Rouen) a public en 1890 un
cas int^ressant ^ et tout a fait net de cette phobie. Les auteurs
qui ont le plus attir^ Fattention sur le ph^nom^ne et qui lui
ont donu''^ le nom sous lequel il est connu sont MM. Pitres et
R^gis*. Au mot erithrophobie qui d^signe la peur d*une couleur
rouge quelconque, ils ont substitu^ le mot ercuthophobie (IpsjOs^,
rongeur de la honte). Leur travail a 6te Toccasion d'une foule
d'etudes sur cette phobie particuliere et sur son interpretation.
On en trouvera la bibliographic dans le dernier travail de
I. Boucher (Rouen), Sur une forme particuliere d^obsessions chez une hcreditaire.
CongT^s de m6d. mcntale de Rouen, 1890. Arch, de neurol.^ i8go, II, p. 280.
a. Pitres el Regis, Obsession de la rougeur (ereulophobie). Arch, de neuruL, 1897,
I, p. I.
208 LES AGITATIONS FORGOES
MM. Pitres et Regis' el dans la derDiere etude dont j'ai eu
cooDaissaDce, celle de M. Claparede*.
J^emprunte a ce deroier auteur uo resume rapide de Taspect
caracteristique d'un malade ereutophobe : a il n*ose plusse montrer
en public, ni meme sortir daus la rue. S'il s'agit d'uue femme, elle
n'ose plus rester eu presence d*un homme, de peur que sa rongeur
intempestive ne soil Toccasion de propos malireillants sur son
compte, s'il s^agit d*un hommeyil fuira les femmes. Comme cepen-
dant les n^cessites de la vie obligent Tereutophobe a ne pas vivre
absolument isoU, il va inventer certains stratagemes pour masquer
son infirmite. Au restaurant, il se plongera dans la lecture d*un
journal pour qu^on n^aper^oive pas son visage ; dsins la rue, il se dis-
simulera sous son parapluie, son parasol ou sous les larges ailes de
son chapeau. II sortira de preference le soir, a la nuit tombante,
ou, au contraire, par une journ^e de grand soleil, afin que son teint
^carlate n'ait rien d*extraordinaire. S*il est pris a Timproviste, il
s^essuiera la figure avec son mouchoir, se mouchera, fera semblant
de ramasser un objet sous un meuble ou ira regarder par la fen^tre
afin de dissimuler la rongeur qui vient. Parfois il recourt a la
poudre de riz, plus souvent a Falcool ; il espere par ce dernier
moyen noyer sa coloration morbide dans celle de Tethylisme.
Pour un motif analogue il supplie le m^decin ou le pharmacien de
lui donner une drogue qui lui teigne le visage en rouge. II cherche
et combine dans sa tete tons les moyens de rem^dier a son mal.
Cette crainte perp^tuelle, cette incertitude, a cbaque instant, du
moment qui va suivre, retentit sur tout son caractere, Taigrit,
Firrite. La vie pour F^reutophobe est un veritable calvaire : a
chaque pas, il voudrait en avoir fini avec cette insupportable exis-
tence et va jusqu'a maudire T^tre qui lui a donn^ le jour. »
Quelques auteurs^ en particulier M. Tbibierge, ont rang^ cette
maladie parmi les dermatophobies a cote des syphiliphobies et
des acarophobies. Ce n*est pas, je crois, mettre suffisamment en
relief le caractere essentiel de Tereutophobie. II no faut pas
croire en efiet que la rongeur du visage soit le caractere essen-
tiel de Tereutophobie ; comme je Tai deja remarqu^ a propos
I. Pi Ires el Regis, £reulophobie. .4rr/i. de nenroL, mars 190a. p. 181.
a. £d. Oarapede, L*obse!>sion de la rougeur k propos d'un cas d'ereulhophobie.
Arch, de psychoI'Mjie de lo Suisse romande, 1902, p. 807.
LES AGITATIONS fiMOTlONNELLKS SYSTfiMATISfiES. — LES PHOBIES 209
des obsessions, bien des gens ont la rongeur Emotive dn visage
sans etre des ereutophobes et il y a des ereutophobes comme
Nadia qui sont incapables de rougir r^ellement.
II est facile de voir que !e fait de la rougeur du visage a pen
d^importance dans cette phobie, qu'il joue simplement le r6le d'un
pretexte pour justifier une angoisse dont Torigine est plus pro-
fonde. Pour le comprendre, il faut remarquer que Tobsession de
la rougeur se transfornie bien souvent et que d'autres pr^texles
eoipruntes presque toujours a I'apparence du visage succ^dent a
Tereutophobie ou la precedent ou alternent avec elle. Ainsi que
je I'ai d6ja montr^ dans une etude pr6c6dente*, Toq..., actuelle-
ment angoiss^ par la pensee qu'il a Ics joues rouges, a eu autrefois
des angoisses a la pensee de ses moustaches qui avaicnt pouss^
trop tAt. Per... (162), femme de 38 ans, autrefois ereutophobe, a
mainlenant la phobie des poils sur son visage. UI... (45) a eu
autrefois de i5 a 20 ans de T^reutophobie proprement dite,
maintenant, a 33 ans, elle n'a plus peur de rougir devant le
monde, mais elle a peur de palir, d'avoir des convulsions dans
la figure et surtout dans les yeux qui la rendraient laide et
ridicule au moment de demander quelque chose a une personne.
En outre, il est impossible de s^parer T^reutophobie des
BDgoisses provoquees par d^autres modifications de Tattitude ou
du visage dans lesquelles il n'est pas question de rougeur.
Klu..., bien qu'il parle correctement, a la peur de b^gayer
quand il se trouve devant des etrangers, il ne peut sc faire
inscrire a une ecole,il ne peut demander son chemin a un agent,
ni prendre un billet de chemin de fer, tellement il est angoiss6 a
la pensee qu'il pourra non pas rougir, mais begayer devant ces per-
sonnes. D'autres, comme Pol..., ont des angoisses a la pensee
d\ine cicatrice qu'elles ont sur le nez, quand elles sentent que des
etrangers peuvent la remarquer, c*est la maladie que Morselli
a decrite sous le nom de djsm or phobie^, Tk... (i45), jeune
horn me de 2 4 ans, a la phobie de sa mdchoirc qu'il croit trop
grande. Bechterew a d6crit le malade epouvante par le sourire
obsedant qu'il a constamment sur les levres et je pourrais placer
en opposition le cas de Wgn..., jeune homme de 26 ans, angoisse
1. La maladie du scrupule et Taboulie delirante, Revue philosophique, 1901, I,
p. 337 el 507.
2. Morselli, La dysmorphophobic et la taph^pliobie. Riforma medica, 1891, n° i85.
LES OBSESSIONS. L — 1 4
210 LES AGITATIONS FORCfiES
a cause de ia paraiysie de ses levres « incapables de jamais sou-
rire naturellement ». On a deja vu a propos des obsessions, le cas
de Wye... (i44) dont les angoisses sont provoqu^es « par la rai-
deur du visage et les mouvements mecaniques des menibres, » on
pourrait enumerer toutes sortes de variet^s de ces phobies tout
a fait analogues, a mon avis, a T^reutophobie proprement dite.
Le caractfere essentiel qui se retrouve en eflet dans toutes ces
phobies, c'est le sentiment d'etre devant des hommes, d'etre en
public et le fait d'aroiV a agir en public. M. Hartenberg a raison
de rattacher Tereutophobie aux maladies de la timidite ^ Tousces
malades n*ont aucune peur de rougir ou de palir, ou de grimacer,
ou de sourire, ou de ne pas sourire quand ils sont seuls, et la
rongeur ou la grimace, si elle survenait a ce moment, ne les
impressionnerait aucunement. On pourrait done appeler ces phe-
nomenes des phobies sociales ou des phobies de la soci^te.
Dans ce groupe rentreront aussi les phobies du mariage qui
sont si fr^quentes (Hnu... (87), De...)*. On pent y rattacher aussi
des phobies en rapport avec certaines situations sociales. Bal...
(i55) est epouvant^e a la pensee de faire la classe devant des
enfants. Ku... (42), femme de 87 ans, a de singulieres terreurs
a la pensee d'avoir des domestiques : sa bonne Tintimide, elle
n'ose rien lui commander ni lui reprocher. Elle a surtout la
terreur de son concierge et elle a des angoisses a la pensee qu'elle
pourrait 6tre raal avec ce fonctionnaire necessaire.
Toutes ces phobies, qu'ellcs se rattachent au type de Tagora-
phobie, de la claustrophobic, des phobies sociales, me paraissent
avoir un point commun. Elles ne sont pas comme les pr^c^dentes
uniquement en rapport avec un objet ^veillant Tidee d'un acte,
mais elles sont determin^es par la perception d'une situation et
par les sentiments auxquels cette perception donne naissance.
6. — Les phobies des idees,
Les phobies se d^veloppent souvent encore sans qu'il y ait a
leur point de depart, ni une sensation localisee, ni la perception
d*un objet, ni meme la perception d'une situation ; elles survien-
nent simplemcnt a la suite d'une idee qui se pr^sente d'une ma-
I. Hartenberg, Les timides et la timiditi, rgoi, p. 201 (Paris, F. AJcan).
a. AViTOses et Idies fixes, II, p. 87.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES SYSTfiMATIS#.ES - LES PIIOBIES 21 1'
niere abstraite dans Tesprit du nialade. II suffirait de r^peter ici
toutes les id^es obsedantes qui ont ^t^ ^tudi^es dans le premier
chapitre. Presque toutes ces idees s'accompagnent de phobies.
A propos des obsessions sacrileges on remarquera la phobie du
demon, de Tenfer, du blaspheme, etc. Un malade comme Ki...
(219) eprouvc ces Amotions angoissantes a propos de toutes pen-
sees religieuses ou philosophiques. II faut qu^il ^vite de penser
a Dieu ou a la religion et pendant une p6riode il avait pris en
liorreur Tid^e abstraite de la causalite qui le faisait penser a la
creation et a la divinity. L'id^e d'infini qui determinait chez Vil...
des ruminations si remarquables s'accompagnait souvent de ph6-
nomenes d'angoisse bien caract^ristiques.
II en sera de meme pour les id^es criminelles. Leg... vit dans la
crainte de d^sirer du mal au monde ; elle a peur de penser a faire
venir des enfants difTormes. On... (221] a des angoisses a propos
de rid^e de mentir, de Tid^e « de suivre des femmes au th^Atre ».
Za... (216) a eu cette Amotion a la pens^e qu'il pourrait copier a
un examen et il Ta maintenant a la seule pensee d'un examen. Ces
malades redoutent toutes les circonstances comme les conversa-
tions ou les lectures qui pourraient faire naitre ces m6mes idees.
C'est ainsi que We... (170) a peur des journaux et meme a peur de
Timprimerie parce que les journaux dans leurs faits divers ^veil-
lent la pensee des crimes. lis finissent par avoir peur des imagi-
nations les plus vagues, des pensees les plus abstraites. We... a
peur de chercher a se repr^senter en imagination le membre viril
et Za... a peur (c de se repr^senter une idee quelconque parce que
ce pourrait etre une idee mauvaise ».
M6mes observations encore pour les obsessions de honte. Ceux
qui ont Tobsession de la folic, et ils sont nombreux, ont cette
emotion a propos de la pensee de la folic. « Je soufTre, dit L60...,
a la pensee que je deviens folic. Je me vois enferm^e, je me sens
Tair idiote et cela nie donne une angoisse horrible. » Byp...
(180), femme de 28 ans, croit voir son frfere qui est enferm^ a
Sainte-Anne, venir au-devant d'elle et elle Tentend qui lui dit :
c( tu scras folle comme moi. » A ces mots elle soufTre a en defail-
lir au milieu de la rue. De..., femme de 33 ans, a une idee
fixe assez compliquee qui tient a la fois de la honte de soi et de
la honte du corps. Elle ne pent concevoir sans horreur la pensee
du mariage parce qu'elle s'en croit tout a fait indigne au point dc
vue moral et aussi au point de vue physique. Ce sont des senti-
212 LES AGITATIONS FORGOES
ments d'incapacit^ pour tenir sa maison, pour rempllrses devoirs,
pour clever des enfants et en m^me temps des idees de difibrmite
des organes genitaux, des pensee de n*etre pas comme toutes les
femmes. Nous connaissons tous ces fails et ee cas s'ajoute seule-
meat aux pr^c6dents mais ce qu'il faut ajouter ici, c'est que la
pensee des (lancailles rend cette femme nialade et que des amis
maladroits en insistant pour la marier ont determine une crise
de terreur et raeme des accidents dclirants analogues a la confu-
sion mentale, sur lesquels il nous faudra revenir quand nous par-
lerons des complications du delire du scrupule. Les regrets de
vocation amenent chez Gisfele... (171) et chez Ri...' de grandes
angoisses d6s que I'une a Tidee de la vie religieuse et des que
Tautre pense au metier d'institutrice. De m^me, Nadia a des
angoisses quand elle pense seulement a engraisser, quand elle
se figure seulement qu*on pourrait lui trouver meilleure mine.
Toutes nos obsessions de la honte du corps s*accompagnent en
r^alit6 de phobies.
Enfin il suffit de signaler les innombrables phobies liees aux
idees hypocondriaques. Morselli en signalait une curieuse, sous
les noms de taph^phohie, c'est-a-dire la crainte d'etre euterre
vivant *. 01..., femme de 87 ans, a des angoisses a la pensee des
chaleurs, de la fi^vre typhoTde, du suicide, etc. II est inutile de
rappeler que Jean a des phobies en pensant aux m^ningites et aux
congestions et que Pn... (i3g] est pris par des crises d^angoisse
a la seule pensee qu'on pourra lui prouver Pair malade, ce qui
est juste le contraire de Nadia. Parmi les phobies plus banales il
faut mettre au premier rang la phobic de Tid^e de la mort.
Ml... (i56), femme de 4o ans, est d'abord obs^dee par le visage
de sa (ille qui vient de mourir. Nous avons d^ja discut6 ce qu il
faut penser de ces hallucinations. A la suite d'une petite opera-
tion pour un abces au cou, elle reporte ses idees de mort sur
elle-m^me et elle a des angoisses ^pouvantables d^s qu'elle pense
a la mort ou meme a la vie.
II est bon de remarquer que ces phobies des id^es se melent
intimement avec toutes Ics phobies pr^c^dentes : tr^s souvent,
comme le remarque Legrand du Saulle, il suffit du souvenir d*un
objet ou d'une situation pour reproduire la crise; la seule vue
1. Nhroies et Ideei fixes, II, p. i48,
2. Morselli, La Riforma medtca, 1891, no i85.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. — LES ANGOISSES 213
d'un dessin qui repr^sente Tint^rieur de Saint-PIerre-de-Rome le
faitchanceler sur ses jambes^ Chezbeaucoup de nos malades il en
est de ni^me : la seule pens^e de la femme produit chez Jean
« un etat fastidieux)) et la pensee dialler seule a une le^on de des-
sin donne mal au coeur a Dob...
D'autre part dans les phobies d*objets ou de situation se melent
souvent des id^es compliquees. Un malade de Westphall a de la
claustrophobie dans un theatre ; mais e'est qu'il se repete des pen-
sees de ce genre : « qu'est-ce que je deviendrai si le feu delate
dans la salle et si a ce moment-la j'ai un acccs? je ne pourrai pas
me sauver*. » Jean dans toutes ses phobies fait ou a fait des rai-
sonnements semblables.
On vo!t qu*il y a un grand nombre d'opdrations intellectuelles
qui peuvent determiner ces phobies comme prec^demment les
sensations, les perceptions, ou les sentiments.
2. — Les agitations 6motionnelles diffuses.
Les angoisses.
II surtit de r^peter brievement a propos des phobies ce que
nous avons d^ja ^tudie a propos des manies mentales : ni au
point de vue clinique, ni au point de vue psychologique, ces diver-
ses phobies ne Torment des ph^nom^nes veritablement distincts
les uns des autres. M. J. Falret faisait d^ja remarquer tres juste-
ment que toutes ces peurs sont solidaires les unes des autres :
« Tagoraphobie se rencontre souvent, disait-il, chez le meme indi-
vidu avec la peur d'une ^pee nue, la crainte de tomber d'une
fenetre, la frayeur en voiture ou le d^Iire dn toucher ». Ball sou-
tenait la meme opinion quand il proposait d'englober tons les cas
d*agoraphobie, de claustrophobie, de topophobie sous le titre
commun de phenomenes vertigincux^. Cette conception me parait
beaucoup plus juste que celle soutenue par Legrand du SauUe et
par quelques autres auteursqui voulaient faire de certaines de ces
phobies et en particulier de Tagoraphobie des maladies distinctes.
I. Legrand du Saullc, Agoraphobie, p. i5, a3, 67.
a. )d., ibid., p. 8, 18.
3. Ball, Lc8 fronti^rcs de la folic. Revue scientijique, i883, I, p. 4.
211 LES AGITATIONS FORCfiES
Oq peut facilement remarquer que lesmemes noms de malades
sont cites a propos des diverses phobies : Jean en particulier les a
cues a pen pres toutes, et quand on le gu6rit de I'une, il retombe
dans I'autre. La difKrence entre iine agoraphobie el une phobie
du contact n'existe guere que dans des circonstances exterieures
qui ont modifie i*aspect d*une m^me disposition psychologique
fondamentale. En eflet toutes ces phobies semblcnt constituees
par deux groupes de ph^nomenes, l*un accessoire et variable,
Tautre fondamental et immuable. Les phenomencs accessoires
sont les sensations, les perceptions, les sentiments qui provo-
quent un etatde trouble, qui se melent avec lui et lui donuent un
aspect particulier; le phenomene essentiel qui se retrouve tou-
jours c'est unc perturbation de tout I'individu physique et moral
designee d'une maniere generale sous le nom d'angoisse. De
meme que les manies mentales nous conduisaient au phenomene
de la rumination, les tics au phenomene de Tagitation motrice,
de meme toutes les phobies nous conduisent a Tctude de Tan-
goisse.
I. — Uangoisse diffuse,
Les diverses phobies pr^sentent le phenomene de Tangoisse
associ6 et combing avec des sensations, des perceptions ou des
sentiments ; ce phenomene peut aussi se presenter ind^pendam-
ment d'une phobie determin^e. On a souvent remarqu6 que cer-
tains malades sont dans un ^tat constant d'anxi6t^ diffuse : «En
outre de toutes les phobies particulieres, disait M. Ribot, il existe
quelques observations d'un etat vague mais permanent d'anxiete
ou de terreur qu'on a nomm^ panophobic ou pantophobie ; c'cst
un etat ou Ton a peur de tout et de rien, oil I'anxi^t^, au lieu
d'etre rivt^e a un objet toujours le meme, flotte conime dans un
reve et ne se fixe que pour un instant au hasard des circonstan-
ces, passant d*un objet a un autre*. )> MoreP, Weir Mitchell
Mac Farlane decrivaient deja ces « etats d'anxiete », ces elals
d*angoisse. Recemment M. Freud ^ a beaucoup insiste sur cet etat
constituant ce qu'il appelle a la n<^vrose d'angoisse ».
flC^''^ MM. Pitres et Regis, qui fout de cet 6tat d'anxidte diffuse le
1. Ribot, Psychologie des sentiments, 1896, p. 2ii (Paris, F. Alcan).
2. Morel, Delire emoiif, p. Sgn.
3. S. Freud, Obsessions el phobies. Revue neurologique, 3o Janvier iSgS.
LES AGITATIONS fiMOTlOXNELLES DIFFUSES. ^ LES ANGOISSES 215
ph^nomene essentiel des phobies et des obsessions, en rappor-
tent des cas remarquables parmi lesquels je rappelleral celui-ci.
Une dame de 52 ans, nerveuse, impressionnable rcssentit un
grand chagrin a la suite de la mort de sa mere, il y a 12 ans;
elle presente a ce moment une grande depression morale sans
troubles morbldcs proprement dits. Trois ans apres, a la suite
d*une autre mort, celle d'une amie, elle entra dans un etat d'emo-
tivite morbidc diffuse, avec « attente qnxieuse ». La malade etait
constamment en etat de souilrance vague, en 6tat latent d'angoissc,
qui eclatait sous forme de paroxysme a la moindre occasion. Une
voiture passait-elle pendant qu*elle marchait sur le trottoir dans
la rue, aussitot elle tombait en crise, craignant qu'une roue ne se
detachat et ne vint a T^craser. Au moindre vent, une tuile allait
glisser d'un toit et lui fendre la tete. A table les aliments ullaient
r^toufier. D'autrcs fois, a peine sortie de chez elle, I'angoisse
survenait, s'objectivant sur cette idee que quelqu^un des siens
venait peut-etre de mourir tout d'un coup et elle etait forc^e de
revenir sur ses pas pour se rassurer. Chaque ev^nement, chaque
incident, chaque acte de sa vie devenait ainsi matiere a d^charge
pour son angoisse momentanement sp^cialis^e par leha8ard^
Les observations de ce genre sont parmi les plus banales, on
pent reprendre beaucoup des cas precedents et remarquer que
chez certains sujets les phobies se multiplient. L*angoisse ne se
produit pas a propos d'un seul objet, mais a propos d'un grand
nombre. On ne pent enuraerer les objets qui dans certaines cir-
constances sont susccptibles de faire naitre Taagoisse chez
Jean, tout ce qui se rapporte au sexe, tout ce qui se rapporte a
la poste, tout ce qui se rapporte a la politique, a la religion, a
la sante, a la mort, etc. L^angoisse finit par Hre presque indd-
termin^e et se reproduit continuellement a propos de n'importe
quot : elle pent etre consid^r^e comme diffuse.
II y a des cas plus nets encore ou Tangoisse est presque
pcrmanente, ou se produit par acces tres rep^t^s, sans que le
sujet attache aucune pens^e a ces angoisses, sans qu*il donne
m^me une justification apparente d*ordre intellectuel, comme on
a vu que Jean le fait toujours^Une femme de 38 ans, Cs... (4i),
toujours emotive et impressionnable, a ete tres boulevers^e vers
I. Pitrcs et Regis, Semeiologic des obsessions el des idees fixes. Rapport au
congrbs de medecine de Moscou, 1897, p. 19,
216 LES AGITATIONS FORCfiES
Tage de 3i ans. Elle relevait a peine d'un accouchement quand la
garde commit la maladresse de lui dire que Tenfant ue respirait
pas et paralssait mort ; elle sentit comme un violent choc dans la
t6te, et depuis resta toute changee. Cette premiere perturbation
dura plusieurs raois et se gu^rit a peu prefe. II y eut une rechute
terrible quand un m^decin lui demanda si elle n'avait pas d'albu-
mine dans les urines. Depuis ce moment elle est reside pendant
plus de trois ans dans Tetat. suivant. Une dizaine de fois par jour,
sans aucune espece de raison, de pr^texte, au moins en appa-
rence, elle se met a s'agiter, elle remue, frappe les meubles, elle
prend une respiration haietante, le cceur bat rapidement, elle
pleure, se desole, se plaint d'etre souffrante, malheurcuse, d'at-
tendre elle ne sait quoi, d'avoir peur de quelque chose d'inconnu.
Jamais ^lle n^a une peur precise, une raison a son d^sespoir ; de
temps en temps elle pretend bien que les personnes pr^sentes lui
out dit un mot qui I'a impressionn^e, mais elle ne sait pas pour-
quoi ce mot Ta impressionn^e, et souvent elle n'invente aucune
raison. C'est la crise d'angoisse pure, sans elements intellectuels,
et se produisant d'une manicre tout a fait diffuse.
Je voudrais insister un peu sur Tobservation de Ku... (42) parce
que les details de ce cas joueront un role dans Tinterpr^tation des
phenomenes. C'est une femmede 87 ans, toujoursfaible ettimide;
toute sa vie elle a et^ tourmentee par la crainte de blesser les
gens, par ce besoin d'un milieu sympathique sur lequel je revien-
drai, car il est un des caracteres les plus curieux de Tesprit des
scrupuleux. II y a dix-huit mois un incident ridicule a change son
existence ; elle a 6t6 appel^e comme t^moin par le commissaire
de police pour donner son opinion sur la conduite d*un de ses voi-
sins. Get incident a sudi pour la mettre dans un ^tat tout a fait
anormal qui a dur^ plusieurs ann^es. Cette longue maladie pent
se diviser en trois p^riodes : dans la premiere qui a dure trois
mois il y a eu grande agitation mentale, une rumination perp^-
tuelle et diffuse a laquelle nous avons d6']h fait allusion ; dans la
seconde qui a rempli une dizaine de mois, Tagitation a ete surtout
motrice, c'cst une de ces malades avec pseudo-crises d*hyst^rie
que j'ai examinees a propos de Tagitation diffuse. Enfin la maladie
a pris une troisieme forme : « les crises sont bien plus doulou-
reuses, dit la malade, parce qu'elles sont devenues internes. »
Cela signifie dans son langage qu'il y a beaucoup moins de mou-
vements convulsifs des membres, de cris et de gesticulations,
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. — LES ANGOISSES 217
tnais que ces mouvements exterieurs sont remplac^s par des mou-
vemeDts visceraux : spasmes du diaphragme et du venire particu-
lierement curieux, tremulation perp^tuelle de rabdomen qui
remplacc la respiration, naus^es, vomissements, diarrh^es, etc.
Ces angoisses surviennent a chaque instant par crises plus ou
moins longues a propos de tous les incidents possibles, en rcalite
sans rime ni raison. II y a un etat d'angoisse presque perpetuel,
<c une angoisse vague qui flotte dans Tair, disait Freud, et qui ne
demande qu'a se fixer sur n'imporle quoi. »
On retrouvera un grand nombre d'observations semblables
dans le second volume de cet ouvrage. Je renvoie en particulier a
celles de Gy...(46), de Jo... (43), de Hb... (47), Dn.., (49). Les
angoisses de cetle derniere malade s^nt particulierement remar-
quables parce qu'elles se produisent une dizaine de fois pendant
le sommeil de la nuit et ne surviennent le jour que si la malade
essaye de s'endorrair. II faudra revenir sur ce fait en ^tudiant les
conditions pathog^niques de Tangoisse. Ces quelques observations
sont suflisantes pour montrer que Tangoisse ne prend pas tou-
joars la forme systematique des phobies, mais que tres souvent
ellc est vague, diffuse, sans rapport avec un ph^nomene intel-
lectuel determine. Cette forme semble si importante que certains
auteurs, comme M. Freud, ont voulu en faire une maladie sp6-
ciale, distincte de Tobsession et de la neurasthenic, sous le nom
de n^vrose d'angoisse. C'est une interpretation clinique qu'il
faudra discuter.
2. — Troubles phrsiologiques de F angoisse,
Apres avoir constate les diverses formes systematis^es ou dif-
fuses que Tangoisse pent rev^tir il faut maintenant cpnsiderer ce
phenomene en lui-m^me et voir de quels elements il est compost
dans la plupart des cas ou il se pr^sente, il faut rechercher les
caracteres gen^raux de I'angoisse. Ces caracteres me semblent de
deux espfeces : un grand nombre sont des caracteres physiolo-
giques qui seront etudi^s en premier lieu, mais il me semble qu'il
y a un second groupe compose par des phenomenes psychologi-
quesetdont Tetude ne doit pas etre negligee.
M. Freud enumere ainsi les principales formes que peut prendre
la crise d'angoisse, c'est-a-dirc les principaux ph^nomenes qui la
218 LES AGITATIONS FORCfiES
constituent et qui dans tel ou tel ens peuvent se developper isole-
ment :
1® Des troubles cardiaques avec palpitations, arythmie, tachy-
cardic, ailant jusqu'aux etnts asystoliques les plus graves ;
2® Des troubles respiratoiresdyspnec: nerveuse, acces d'asthme;
3° Les dcsordres de Tapparcil digestif: acces de fringale ou
de boulimie, faim paroxystique, souvent associee a des vertiges,
Isoifparoxystique, diarrh^e periodique ou chronique;
4** Des acces de vertiges ou d'etourdissements, ils consistent en
un malaise special accompagne de Timpression que le sol se de-
place, que les jambes s'efTondrent, ils peuvent nieme amener des
acces d'evanouissement profonds;
5^ Des paresth^sies ; #
6** Des terreurs nocturnes ou reveils angoissants ;
7® Des fr^missements musculaires et des tremblements ;
8^ Des sueurs profuses survenant souvent la nuit ;
9* Des ph^nom^nes vasculaires et congestifs analogues a
ceux que Ton observe dans la forme vaso-motrice de la neuras-
thenic ;
lo® Du tenesme et des besoins imp^rieux d'uriner *.
Les autres ph^nomenes que M. Freud ajoute : Tirritabilite ge-
n^rale, Tincapacite de supporter aucune excitation sensorielle,
Tattente inquiete, Tobsession, se rapportent plutot aux troubles
psychologiques.
M. Hartenberg ajoute quelques symptomes interessants, des
acces de baillements, le phenomene du doigt mort, des amai-
grissements p^riodiques.
J^insiste seulement sur les ph^nomenes physiologiques qui se
sont presentes le plus fr^quemment chez mes malades et je
n'etudie ici que les phenom^nes de la crise d'angoisse en laissant
de cote des troubles gendraux de la sante qui persistent en dehors
de Tattaque d'angoisse proprenient dite.
Jc desirais soumettre ces troubles a une analyse precise et
autant que possible prendre quelques mesures et quelques gra-
phiques, ainsi que j'avais pu le faire pour un certain nombre
I. S. Freud, de Vicnne, Sur la legitimite do scparer de la neurasth<^iiie un syn-
drome dcfini sous le nom « do nevrose d'angoisso ». Neurolog. Cenlraiblattf 1890,
n^* a, resume par ilartcnbcrg, La nevrose d'amjoisse, 1902, p. 3.
LES AcJlTATIONS fiMOTlONNELLES DIFFUSES. — LES ANGOISSES 219
de phenomenes hyst^riques. Je dois faire observer que de telles
Etudes sont beaucoup plus diflTicilcs sur ce genre de malades
et je suis un peu etonne quand je vois bien des auteurs parler
avec tant d'assurance des modifications physiologiques des psy-
chastheniques, comme s'ils avaient pu les observer et les mesurer
avec precision. Leurs crises d'angoisse ne se produisent pas a
heure dite, au moment le plus favorable a I*observation. Bien au
contraire, i! y a dans I'^tat mental de ces malades des dispositions
curieuses qui empechent les crises de se produire de cette maniere.
Nous avons vu qu'ils peuvent presque toujours arreter ou sup-
primer leurs crises quand il y a des etrangers a qui ils veulent les
cacher. Claire, qui se roule par terre dans ses crises d'efforts, se
releve aussitot des que quelqu'un entre et rajuste avec le plus grknd
calme le desordre de sa toilette. Dans ces conditions consentiront-
ils a laisser venir leur crise dans le laboratoire ? En outre nous
verrons plus tard un autre caractfere int^ressant, c'est qu'ils sont
tres facilement consoles, rassur^s par la presence de la personne
qui les soigne ou simplement les ^tudie. « Comment voulez-vous
que j'aie des angoisses devant vous, me repete Jean, mais chez
vous, c'est le seul endroit oil je sois tranquille, je voudrais etre
toujours aupres de vous et je n*aurais jamais rien. » Par defini-
tion meme Tagoraphobe a des terreurs dans la solitude, il ne les
aura pas dans un laboratoire, quand il est examine par son m^-
decin. C'est pourquoi a mon grand regret je n'ai pu reunir autant
de documents precis, dc graphiques quejeTaurais voulu sur ces
troubles. J'ai eprouve, je Tavoue, une deception quand j'ai dii
constater que sur deux cents malades observes pendant des
ann^es, j'ai eu assez rarement Toccasion favorable pour observer
moi-m^me dans dc bonnes conditions ces grands ph^nom^nes
^motionnels dont les malades parlent toujours mais qui s'eflTacent
tres rapidement des qu'on desire les analyser.
Cependant j'ai pu faire quelques experiences en petit nombre
dont je crois devoir tenir compte dans Tanalyse de ces perturba-
tions physiologiques.
Ces malades se plaignent beaucoup d'^prouver pendant Tan-
goisse des troubles du mouvement des membres. Je ne parle pas
ici des grandes agitations qui peuvent quelquefois accompagner
les angoisses. Les excitations motrices sont d'ordinaire peu com-
patibles avec Tangoissc proprement dite, qunnd il y a grande
220 LES AGITATIONS FORCfiES
soufTrance morale le mouvement exterieur n'est pas tres conside-
rable, et reciproquement. ^
Ceque Ton observe souvent ce sont desspasmes, des secousses,
chez Dob... par exemple, des sortes de crampes qui ne vont
jamais jusqu'a la contracture chez Mb..., et surtout du tremble-
ment des bras et des jambes(Cum..., Bo..., Vim...*, Dob..., etc.).
Chez Buc... ce tremblement des jambes a meme et^ pris dansun
examen pour du clonus. Quand le raalade est calme il est Evident
qu'il n'y a aucun tremblement ^pileptoide de la jambe et que
celui-ci est dd au trouble emotionnel.
Beaucoup de malades se plaignent d'etre comme paralysees de
perdre toute force dans les membres, « mes jambes, dit Fie...,
femme de 35 ans, sont comme de la laine, je me sens tomber par
terre », « tantot mes jambes se d^robent sous moi, dit Vim...,
tantot ce sont mes bras qui m'abandonnent. II n'y a pas moyende
tenir la plume pour ^crire ». « Je vais tomber par terre, la terre
m'attire, dit Dob... » J'ai voulu verifier cette faiblesse musculaire
qui n'est pas sans quelque importance.
A plusieurs reprises j*ai pu examiner ces malades qui pretendent
etre paralyses pendant I'angoisse : la paralysie ou meme la paresie
est un ph^nomene qui doit se verifier assez facilement. Eh bien,
je n^ai pas pu constater autre chose qu^un l^ger degr^ d^afiaiblis-
sement de T^nergie du mouvement volontaire qui disparaissait
assez vite des que Ton encourageait le sujet. Lkb... pretend
avoir les bras paralyses pendant Tangoisse ; j*ai pris la force de
ses mains au dynamometre de Cheron-Verdin d*abord pendant
son etat le plus normal, puis pendant la crise, en faisant serrer
dix fois rinstrument et en prenant la moyenne. Voici la serie des
chifTres obtenus a Tetat normal :
Main droite : 2^, 21, 2i, 24> I9) 22, 24* 23, 23, 23, moyenne
22,4;
Main gauche : 21, 22, 24? 21, ig, 19, 21, 21, 21, moyenne
21,0.
Autre experience egalement a Tetat normal :
Main droite : 25, 2^, 23, 23, 24, 24, 23, 24, 22, 25, moyenne
23,7 ;
Main gauche: 25, 26, 23, 24, 23, 25, 25, 25, 25, 25, moyenne
24,6.
I. Nevroses et Idhs fixes, 11.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. - LES ANGOISSES 221
Voici maintenant Texp^rience qui a pu ^tre faite une fois pen*
dant r^tat pathologique :
Main droite : 22, 25, 24, 22, 22, 28, 25, 28, 28, 25, raoyenne
23,4;
Main gauche : 21, 21, 21, 20, 21, ig, 26, 21, ig, 21, raoyenne
20,4.
L'experience n'est malheureusement pas assez r^pet^e pour
donner de conclusions bien nettes, on pent reraarquer que raerae
a r^tat normal la force est faible, et qu'il n'y a pas de grandes
variations au cours des dix pressions cons^cutives, le sujet me
parait faire peu d'efTorts merae au debut et se fatiguer peu, cela
se rattache a son aboulie g^n6rale. Mais ce qui est frappant, c'est
le peu de diflference entre les series obtenues a T^tat normal
et celles qui sont obtenues pendant Tangoisse. La paralysie dont
se plaint cette malade ^'est pas bien facile a appr^cier objective-
ment. J'arrive au m^me resultat chez 8 autres malades : la diffi^-
rence entre les moyennes de dix pressions faites dans I'^tat
normal et les moyennes de dix pressions pendant Tangoisse est
insignifiante.
Si on constate difficilement de la paralysie veritable, on observe
souvent de Tataxie, de Tincoordination. Les mouvements sont
troubles par les secousses et les spasmes et ils manquent de pr6*
cision. On constate que les actes delicats ne peuvent plus etre
executes, Nadia cesse de pouvoir jouer du piano et Jean ne pent
plus ^crire. Son ecriture devlent deplorable toutes les fois qu'il
est trouble, et pendant les crises d'angoisse il est incapable de
tenir une plume. En dehors des phobies de la parole qui, bien
entendu, rendent le langage impossible, dans beaucoup d'an-
goisses la parole devient saccadee, h^sitante, embrouillee. Cer-
tains malades ont pendant ces crises une parole tout a fait
speciale qui permet de reconnaitre leur etat.
Si nous passons aux fonctions viscerales il faut rappeler que
les angoisses d'un certain nombre de malades determinent des
excitations g^nitales. Chez les uns comme chez Jean, ces excita-
tions et les erections sont en rapport avecdcs obsessions erotiques
et Ton pent dire que ce sont les reveries des sujets qui ont amen6
Texcitation.
Mais chez d'autres et en particulier chez Claire ct chez plu-
sieurs autres Texcitation genitale se produit la premiere comme
222 LES AGITATIONS FORCfiES
une sorte de derivation de Tangoisse ou de Tagitation motrice et
les obsessions ^rotiques ne viennent qu'a la suite. Hb... (^7),
femme de 4o ans, toujours timor^e et scrupuleuse, est restee
toute sa vie tres calme au point de vue genital. A la suite de la
mort de son pere, elle se sent seule et abandonn^e, elle a des
crises de d^sespoir. A ce moment elle a une excitation genitale,
jusque-la inconnue et ne peut r^sister au besoin de se mastur-
ber. « Apres Tavoir fait elle se sent mieux, moins delaissee ct
plus courageuse. » On peut rattacher a cette excitation des
organes genitaux de curieuses exagerations de secretion. Ku....
dans ses angoisses « perd de Teau par le vagin comme une femme
qui accouche )>. II ne s'agit pas d*une secretion purulente qui se
rattache a quelque m^trite, c'est une secretion aqueuse r^ellement
trfes considerable qui n'existe qu'au moment de ces excitations et
qui disparatt ensuite.
Les troubles gastro-intestinaux en rapport avec Tobsession et
Tangoisse doivent ^tre importants mais ils sont difHciles a etu-
dier. En efTet il ne faut pas oublier que tons ces malades ont au
supreme degr^ T^tat neurasthenique dans lesquels les troubles
de Testomac et de Tintestiu sont fondamentaux. Presque toujours
leur alimentation, leur digestion gastrique, leurs fonctions intes-
tinales sont tres d6fectueuses et cela d'une maniere constante.
Nous aurons a les ^tudier en examinant T^tat g^n^ral de leur
sante physique. Mais il est bien difficile de constatersi quelques-
uns de ces troubles digestifs concordent exactement avec la crise
d'angoisse. Chez beaucoup de malades il n'en est pas ainsi,nous
aurons meme a signaler chez Lise, par exemple, et chez Gisele
une sorte d'alternance entre les troubles psychiques et les
troubles gastriques. II faudrait maintenant constater des troubles
digestifs aigus 'au moment de Tangolsse. Legrand du Saulle
remarquait d6ja qu'ils sont rares et il faisait observer que les
agoraphobes ne vomissent pas, ce qui les distingue des autres
vertigineux.
Cependant on constate quelquefols des troubles de Talimenta-
tion et de la digestion qui coincident avec Tangoisse. La plupart
des malades refusent de manger pendant leurs angoisses. Ku...
est restee six semaines presque sans alimentation, et il ne s'agis-
sait pas ici d'un refus d'aliments dependant d'une obsession, mais
d'un d^goCkt en rapport avec Tangoisse. D'autres ont des crises
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. - LES ANGOISSES 223
de boulimie comme Lkb... (lOo) qui a ce moment voudrait d^vo*
rer, mais je ne suis pas sur que cette boulimie d^pende unique-
ment de Tetat de Testomac et ne soil pas en rapport avec un sen-
timent general de faiblesse que nous retrouverons parmi les
troubles moraux.
Parmi ceux qui continuent a manger, un grand nombre
comrae Gr...,Bu..., Bx...(20o) se plaignent de naus^es p6nibles,
une seule malade Claire a rendu deux ou trois fois son repas au
milieu de ses contorsions. Bien entendu nous mettons a part ceux
qui ont dcs tics de vomissements, des crises d'eflbrts de vomisse-
ments, des phobies de la digestion, il fandrait tous les rappeler
ici. Ce qui est plus frequent c'est que les maladcs sans tics et
sans phobies particuli^res se rapportant a la digestion souffrent
cependant de la digestion, se sentent Testomac gonfl^, le ventre
serr^y qu'ils ont des spasmes de Toesophage, qu'ils sentent la
boule qui monte a la gorge, qu'ils se plaignent d'avoir la bouche
seche, pateuse et am^re. Bx... a constamment ce mauvais 'go6t
dans la bouche tout le temps que dure la p^riode de phobic.
Chez quelques-uns ces troubles vont jusqu*a Tindigestion, quand
la crise survient peu de temps apres un repas.
II faut noter aussi les crises singuli^res de diarrhee que Ton
observe de temps en temps. Chez Xo... c'est un veritable flux
intestinal rdp^te et extremement p^nible. Chez Gisele, chez Lise
c'est un ^tat lient^rique qui s'^tablit quand elles sont angoiss^es
et les aliments sont rendus sans aucune digestion. Chez plusieurs,
chez Gs... en particulier une s^cr^tion aqueuse continue a flots
meme quand les matieres sont rendues par excitation des glandes
de rintestin. II y a une hydrorrh^e intestinale comme une hydror-
rhee uterine et nasale.
Enfin il faut noter chez plusieurs de la pollakiurie et plus
rarement de la polyurie vraie; dans une demi-journee d'angoisse
Claire rend trois litres d'urine. Plusieurs autres m'ont indiqu^ le
m^me fait sans Favoir mesur6.
Avec les fonctions de la circulation nous arrivons a des
troubles qui sont plus nettemcnt en rapport avec Tangoisse.
Beaucoup de malades se plaignent de soufTrir au ccpur a ce mo*
meat et ils ont a ce propos comme toujours des descriptions
imagees et symboliques. « Je ressens, dit Al... (i5), quelque
chose qui me resserre et me gene a gauche et qui monte jusqu'a
221 LES AGITATIONS FORCfiES
la gorge, c*est conime un caillot qui serait dans le coeur et qui
arr6leralt le sang », « je souffre horriblement, dit Mm... (5),
femme dc 32 ans, parce que le coeur d^borde et que ce tropplein
du coeur se r^pand tout autour..., le coeur baigne dans Tennui
comme s'il avait et6 plongc^ dans un vase rempli d'ennui. » On ne
sait trop le phenomene physiologique qui se cache sous ces m^ta-
phores.
Plusieurs malades comme Claire pr^tendent sentir qu*elles
arr6tent leur coeur. Ce serait un phenomene plus facile a verifier
mais je n*ai jamais pu constater ces arrets du coeur ni m^me de
v^ritables ralentissements du pouls, les malades disent toujours
qu'ils vont toniber en syncope, qu'ils se sentent pres de s'evanouir,
mais je n'ai jamais observe au cours de Tangoisse de v^ritables
syncopes cardiaques. Les pertes de conscience sur lesquelles nos
aurons a revenir sont de tout autre nature.
Ce que Ton constate veritablement et cela d*accord avec le dire
des malades ce sont des palpitations cardiaques « mon coeur est
declanch^, dit Fy..., il bat comme si Ton retirait le balancier
d'une pendule. » Brk... parle des chocs violents de son coeur et
Jean ne tarit pas sur ce sujet. D*apres lui son coeur a non seule-
ment des battements pr^cipites mais des battements enormes qui
provoquent des chocs douloureux sur la poitrine et que Ton doit
entendre au loin : ce declanchement du coeur, comme il Tappelle
lui aussi, est ce qu'il redoute le plus au maximum de Tangoisse,
c'est pour T^viter qu'il fait toutes ces operations de rumination
mentale. II arr^te ses battements en les comptant suivant sa manie
quatre par quatre. J*ai deja fait remarquer a ce propos que ce comptc
est purement imaginaire. Malgr6 les exagerations relatives a ces
chocs cardiaques, il est certain a Tauscultation que leur coeur bat
souvent tres fort et tres vite. II n'est pas rare de constater lOO,
no pulsations par minute et plus, surtout chezceux qui s'agitent
beaucoup; quelquefois comme chez Claire ces palpitations se
prolongent toute une journee meme apr6s la fin de la crise d'an-
goisse.
La pression du sang dans les arteres est beaucoup ^tudiee
aujourd'hui dans les etats n^vropathiques : M. de Fleury croit que
des modifications de la tension au-dessus ou au-dessous de la
normale jouent un grand role dans la neurasthenic \ Je trouve
1. De Flciiry, Les grands sympt6mes neurasihSniques, igoi.p. 69 (Paris, F. Alcan).
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. — LES ANGOISSES 225
pour ma part ces mesures de tensioa du sang assez difficiles a
prendre chez Thomme. Je me servais au d^but de l^appareil de
Charon et j'ai remarqu^ que, si je faisais prendre par plusieurs
personnes, puis par moi-meme, la tension d'un sujet au meme
moment, nous arrivions a des resultats absolument discordants et
cette contradiction m'a d^courag^. Depuis, je me suis servi de
Tappareil de Potnin et les resultats me semblent un peu plus
precis, je ne crois cependant pas pouvoir attribuer a ces chiflres
une extreme precision.
Beaucoup de sujets me semblent conserver une tension a peu
pres normale, Jean qui est si angoisse m*a pr^sent^ le plus sou-
vent i4i i5 ou i6; sur trois sujets j'ai observe des chiffres de 19
et de 20, c'est-a-dire sup^rieurs a la normale, ce sont des sujets
qui s'agitent; chez deux autres : Lise et Gis^le les chiffres de
9 et de 11, ce sont des sujets qui semblent plutot immobiles
dans leur angoisse. Une seule observation m'a laiss^ une impres-
sion assez nette: Rk... est venu me trouver un matin parce qu'il
avait et^ pris dans la nuit, a trois heures du matin, d'une de ses
obsessions avec manie mentale d'interrogation qui avait peu a
peu amen^ une angoisse. La figure ^tait tout a fait d^compos^e,
cet homme de 4o ans ordinairement sanguin etait bl^me, il avait
la peau froide, le coeur battait 60 pulsations seulement et la pres-
sion mesur^e avec le sphigmomanometre de Potain me paraissait
nettement tres basse, 9 ou 10 au plus. J'ai pu le remonter par
une serie de proced^s, que j'indiquerai plus loin, le forcer au
travail et a Teffbrt et je vis peu a peu son teint changer, la
figure se colorer. La pression que j'ai reprise ^tait au moins
de 16. Dans ce cas Tangoisse a manifestement coincide avec les
sympt6mes d^affaiblissement cardiaque.
Mais j'hesiterais beaucoup a g^n^raliser cette observation.
D'autres auteurs, en particulier MM. Vaschide et Marchand* ont
constats une augmentation de la pression arterielle de 2 centi-
metre et demi en moyenne. La pression normale de leur sujet ^tait
de 18,5 et sous Tinfluence de Tangoisse (il s^agissait d'un 6reu-
tophobe) elle s*^levait a ai centimetres. J'ai observe moimeme
I. Vaschide et Marchand, Contribution k I'^tude de la psycho- physiologic des
Amotions k propos d*un cas d*^reutophobie. Revue de Psychiatric, juillet 1900.
Ufficio che le condizioni meniali hanno sulle modificazioni della respirazione et
della circulazione periferica. Rivista sperimentale di freniatria, 1900.
LK8 OBSESSIONS. I. 1 5
526 LES AGITATIONS FORCfiES
cette ^l^vation dans certains cas, sans compter les cas plus nom-
breux encore ou la pression a ^t^ trouvee normale.
Les troubles des vaso-moteurs ont 6t6 6galement pr^sentes
comme essentiels. M. Ribot, avec Wundt et Mosso, croit que le
relachement momentane de Tinnervation vaso-motrice cause la
rongeur du visage et se pr^sente comme une compensation de
Tacc^I^ration des battements du coBur\ MM. Pitres et R^gisfont
jouer un role considerable a cette dilatation des vaisseaux cutanes
qui accompagne Tereutophobie. Je fais simplement remarquer ici
que ces ph6nom^nes vaso-moteurs sont tr^s variables dans Tan-
goisse : si on constate la rongeur chez quelques-uns, on observe
chez d'autres une paleur livide qui meme me semble plus fr^-
quente. II y a quelquefois des alternatives assez rapides de rou-
geur et de paleur; enfin chez beaucoup la coloration des tegu-
ments reste tout a fait normale.
Les experiences que Ton pent faire sur Tetat des vaso-moteurs
de la main ne doivent pas ^tre generalisees trop vite : il n*est pas
certain que la circulation du reste du corps- et surtout du cer-
veau pr^sente les memes modifications. J'ai pu appliquer dans
deux cas le pl^tismographe deMM. Hallion et Comte pendant les
angoisses rendues 6videmment plus mod^r^es par Texperience.
Dans un cas le trace de la circulation capillaire etait identique
a celui que j'avais pris pendant Tetat normal. Dans Tautre le
. trace des pulsations etait fort reduit tandis qu'il etait assez fort a
retat normal : cela indiquerait un certain degre de constriction
vasculaire. MM. Vaschide et Marchand dans leurs etudes sur un
ereutophobe^ constatent deux formes du pouls radial et du pouls
capillaire suivant que Temotion et Tangoisse sont faibles ou devien-
nent plus intenses, « a la premiere correspond un pouls rapide,
avec un dicrotisme accentue et un sommet pointu et a la seconde,
un pouls lent, avec une pulsation rapetissante et un dicrotisme
legerement attenue. Le pouls capillaire ne presente aucun dicro-
tisme net; sous Tinfluence d'une emotion de la premiere catego-
ric, il est rapide et la ligne graphique devient moins ondulee.
L'idee de rougir provoque une legere vaso-dilatation, tandis
que la presence d'une personne etrangere est accompagnee d'une
vaso-constriction avec effacement considerable de la pulsation, le
I. Ribot, Psychologic des sentiments, 477-
a. Vaschide et Marchand, op. cit., les traces qui ne sont pas publies dans Tar-
tide fran^ais se Irouvent dans Tf^dition italienne, Riv. sper. d. freniatria, 1900.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES — LES ANGOISSES 227
pouls se ralentissant. Dans les deux cas, le sujet rougit et pour-
tant on constate tantot une vaso-dilatation, il est vrai, l^g^re,
tant6t une vaso-constriction, ce qui nous fait penser qu'il est
pr^matur^ d'admettre TidcSe de vaso-dilatation conime synonyme
de la rougeur * ».
Des troubles de la s^cr^tion sudorale s'ajoutent a ces modifi-
cations vaso-motrices, beaucoup de ces malades sont converts de
sueur. Cessueurs sont naturelles chez Claire, car elleselivreaune
gymnastique eflPr^n^e, mais d'aulres comme Al..., Dv..., Ul,..,
Lkb. .,etc.,ontla figure et les mains couvert^s de sueur quoiqu'ils
gardent Timmobilite, comme la peau se refroidit par vaso-constric-
tion en meme temps que la sueur s'6coule, celle-ci paratt fr^quem-
mentfroide*. Un malade curieuxRul..., homme de 4o ans, qui ne
pent rester immobile sur une chaise et que nous avons pr6sent6
comme un cas d'akathisie, a le front convert de grosses gouttes de
sueur si on le force a rester assis plus de quelques minutes.
Les troubles physiologiques les plus visibles et les incontes-
tables sont toujours les troubles des mouvements respiratoires.
Tons les malades qui ont des angoisses se plaignent de ne pas
respirer, d'^touffer ; Lkb... se plaint d'avoir des resserrements a
la poitrine, des g^nes de la respiration; « il me semble, dit
Bt... (44), que je m'arrete de respirer ». « Je sentais que
j'etouffaisy dit sans cesse Fy..., je sentais que rien ne remuait
dans ma poitrine et il me semblait que les autres personnes ne
devalent pas respirer non plus ; alors ce devait etre la fin du
monde, tout le monde mourait ^touff^, et comme mes ^toufTe-
ments augmentaient je me suis trainee chez la concierge pour lui
demander si elle ^touflfait aussi ».
Ces troubles respiratoires ne sont pas purement subjectifs ; on
peut facilement les constater. MM. Yaschide et Marchand, dans
le travail pr^cedemment cite observent que la seule id^e de rou-
gir provoque chez leur malade une acceleration de la respiration
avec augmentation de Tamplitude, et que Tangoisse plus intense
amene un ralentissement avec irr^gularites et fausses respira-
tions en saccades'.
I. Vaschide ct Marchand, op. cit., p. ao4.
a. Hartenberg, Les timides et la timidiU, p. 27.
3. Vaschide et Marchand, op. cit , p. ao3.
m
LE9 AGITATIONS FORCfiES
Mes observation m'ont permis de constater des fiiits analogues.
On observe a premiere vue que plusieurs parmi ces angoiss^s
respirent trop vite. On voit, par exemple, que Ku... est haletante,
elle a meme une tremulation du ventre extremement curieuse
et j'ai beaueoup regrett^ de ne pouvoir prendre le graphique de
sa respiration. Ces petites seeousses continuelles du ventre sont
dues a un tremblement du diaphragme, les mouveinents sont a
la fois tr^s superficiels et tres rapides.
Ces caracteres deviennent encore plus visibles quand on peut
prendre les graphiques. Je repete a ce propos combien il est diffi-
cile de r^ussir cette experience sur ce genre de malades. Le plus
souvent la crise d'angoisse disparait pendant que je les mene
avec moi au laboratoire et que je dispose les appareils. Quelque-
fois mais rarement Tangoisse persiste et s'aggrave au contraire
a la vue des appareils; niais alors il est impossible de tenir le
sujet tranquille sur son fauteuil; il s'agite beaueoup et si on
insiste il casse tons ces appareils delicats, comme cela m*est
arrive avec Lkb...
II en resulte que sur un si grand nombre de malades je n*ai pu
prendre qu'un petit nombre de graphiques et que les troubles
doivent 6tre en r^alite plus accentues que ces quelques figures ne
nous les montrent. La figure 3 nous montre seulementune legere
r^^./^.r\r\r^\.^
Fig. 3, — Respiration angolssee de Chm... -iS respirations par minute. — Ces eraphiqai
sent pris avec le pneumographe de Verdin, les lignes horltontales et verticales servei
de reperes. La fleche horizontale indique dans quel sens le graphique doit Aire lu. U
fltehe veriicale dans quel sens s'inscrit Tinspiratlon. T. Respiration thoracique. A. Res-
ent
piration abdominale. s. Le temps en secondes.
polypnee chez Chm..., 28 respirations par minute, on note aussi
un l^ger tremblement dans les mouvements de Fabdomen. II est
probable que les troubles se sont r^duits pendant que je disposals
Texp^rience. Ul... (45), dans la figure 4> nous pr^sente deja les
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. — LES ANGOISSES 229
m^mes ph6nomenes plus accentu^s; il y a 25 respirations parmi«
nute et elles sont beaucoup plus irr^gulieres ; la respiration
abdominale est a peu pres supprim^e et remplac^e par une tre-
mulation d^sordonnee.
i^l^/J^
^Mi \
,HH►^^444^HH4*t:M'»4-H►^^11w^%t*
-nW^
Fio. It, '— Respiralion angoisj^ee de Ul... quand elle essaye de regardcr quelqu'un dans les
jeux. 20 respirations par minute.
Dans la figure 5 la polypn^e de Lkb... est tout a fait ^norme,
88 respirations par minute, avec de grandes irregularit^s. Un
autre type de respiration dans Tangoisse est celui que nous
* Aj,^^AArt4*-w/
'^^^'W..v
..v*^--'- '-•*wv.^^y*l^-^^^y-^^,
Flo. 'b. — Respiration angoissee de Lkb... 88 respirations par minute.
voyons, dans la figure 6 prise sur Sy... ; il n*y a pas de polypnee,
il y a au contraire diminution du nombre des respirations, lo a
peine par minute. Mais la'respiration se fait par soupirs brusques,
et profonds. Chaque inspiration est une sorte de mouvement
convulsif surtout du diaphragme. Meme quand la raalade est un
peu calm^e (figure 7) elle conserve quelque cbose de cette respira-
tion brusque. Ces deux troubles principaux, la polypnee et les
spasmes inspiratoires, se combinent le plus souvent et la figure 8
prise sur Rib... (68) doit presenter le trouble le plus commun: la
230
LES AGITATIONS FORCeES
o
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. — LES ANGOISSES 231
resptration tres irreguliere surtout au diaphragme est entre-
coupee de grands soupirs convulsifs.
Fig. 7. — Respiration de Sy., quand Tangoisse diminue. 18 respirations par minate.
Je n'ai pu qu*une seule fois mesurer au spirometre de Verdin
la quantite d'air absorbe et je Tai trouv^e malgr6 la polypn^e
Ires inftrieure a la normale ; je n*ai pu, comme je Tavais fait
pour les hysteriques, faire Tanalyse des gaz de la respiration. II
est probable que Ton verrait la d'autres troubles qui s'ajouteraient
aux precedents.
fv A
(vJ^l
v_v~SV
Fig. 8. — UespiralioD angoissee de Rib... 26 respirations par minute, soupirs et polypnee,
irrcgularile complete de la respiration abdominaie.
Tels sont sommairement resumes les principaux troubles phy-
siologiques que Ton observe dans les angoisses.
232 LES AGITATIONS FORCfiES
a. — Troubles psychologiques de I'angoissey I'angoisse mentale,
II existe dans Tangoisse des troubles physiologiques, nous les
avons constates: il est merae probable, comme nous Tavons
r^p^t^, que ces troubles doivent ^tre souvent plus considerables
que nous n'avons pu Tobserver et surtout Tenregistrer. Dans des
circonstances plus heureuses on pourra noter encore plus de
modifications cardiaques, vaso-motrices et respiratoires. Mais
faut-il en conclure que ces alterations sont tout dans Tangoisse
des scrupuleux et qu'elle est uniquement la conscience en retour
de ces quelques modifications organiques. Je crois qu'il y a sur
ce point bien des r<5serves a faire.
Cette discussion sera reprise a propos des diverses theories de
la maladie. Pour le moment il suflit de constater que ces ma-
lades se plaignent encore et souvent bien davantage de troubles
qu'ils eprouvent dans la t^te et de grandes perturbations de leur
conscience M. Arnaud remarquait justement que « Tangoisse est
surtout c^rebrale intellectuelle, c'est une anxi^t^ mentale plutot
qu*une angoisse organique* », sans aller peut-etre aussi loin, je
dirai simplement ici que I'angoisse n'est pas seulement visc^rale,
qu'elle est 6galement cerebrale et intellectuelle.
Dans bien des cas cette seconde partie de Tangoisse semble
6tre la principale et pent meme subsister seule ; en un mot, a cole
de Tangoisse visc^rale qui pent se trouver chez un simple car-
diaque en acccs d'asystolie et qui n'a rien de specifique, existe
une angoisse mentale qui est propre aux scrupuleux et qui par
consequent a ici beaucoup d'importance.
Ces malades decrivent tons des sensations, des souffrances
qu*ils ressentent dans la t^te et que nous aurons a revoir en
detail. lis insistent beaucoup sur certains sentiments tr6s peni-
bles qui sont exclusivementd'ordre mental. «J'eprouve,ditDob...,
des sentiments ^tranges dans ces moments de d^tresse morale ou
je m'acharnea ressaisir ma raison. » lis ont, en efTet, le sentiment
dominant qu'ils pertent la tote (Dob..., Jean, Cer...). C'est a ce
moment qu'ils croient tons devenir fous. <( Je sens dans ma tete
comme un bourdonnement, a la fois une exaltation etune torpeur,
la peur de devenir folle m'a saisie» (Fy...). « II me passe des id^es
I. Aroaud, Les theories des Tobsession. Archives de neurologies 190a, II. p. 266.
LES AGITATIONS fiMOTIONNELLES DIFFUSES. - LES ANGOISSES 233
dr6les tout d'un coup, j'ai le sentiment frappant que je deviens
folle et c'est alors que j^ai peur. J'ai envie de crier moi-m^me que
je deviens folle et idiote » (Sy...).
Un autre sentiment tres bien not6 par Claire, c'est celui de
mourir ((Je perds non seulement la raison mais la vie, dit-elle,il
me semble que je meurs, heureusement que c'est tres rapide. » lis
ont aussi le sentiment de ne plus percevoir le monde exterieur.
<€ Vous ne pouvez pas comprendre le nuage, le rideau noir, dit
sans cesse Jean, qui vous tombe sur les yeux et sur la tete a ce mo-
ment-Ia. » (( Ce qui me donne Fanxi^te, dit Dob..., c'est que j'ai
le sentiment de ne plus comprendre oil je suis, qui je suis, que
j*ai comme un froid et un engourdissement dans toute la tete. »
Enfin ils ont le sentiment de perdre leur liberte, de devenir
comme des automates, de ne plus pouvoir commander a leurs
actes et c'est ce qui leur donne de telles terreurs de faire des
sottises. (( Quel moment, ^crit Dob..., non decid^ment je n'ai
plus une parcelle de volont^, je suis comme une 6pave battue par
les flots et ma tete se perd parce que je sens que je ne suis plus
du tout maitresse de moi. »
Ces sentiments me par^issent de la plus grande importance
dans I'angoisse, ils soulevent un probleme capital qui, si je ne me
trompe, n'a encore ete bien entrevu que par M. Seglas*, le pro-
bleme des troubles psychologiques qui se manifestent pendant la
crise et qui existent peut-etre perpetuellement a un degre
moindre chez les scrupuleux.
11 faut analyser ces alterations des fonctions psychologiques
avant de chercher a interpreter le m^canisme des obsessions et
des processus irr^sistibles. II me semble dilficile de s^parer
r^tude des troubles psychologiques pendant la crise d'angoisse
mentale de celles des troubles psychologiques qui existent plus ou
nrioins constamment chez les obsed^s, les uns n'^tant que les
exag^rations des autres. Aussi les etudierons-nous simultan^ment
sous le nom de stigma tes psychologiques des psychastheniques
dans le chapitre suivant.
Pour le moment, contentons nous de resumer dans un tableau
les principales formes des agitations emotionnelles qui viennent
d'etre etudi^es.
I. Scglas, Lemons cliniqnes sur les maladies mentales et nerveuses, iSqS. 5* le^on,
p. ii8.
234
LES AGITATIONS FORCEES
AGITATIONS FORCEES ^MOTIONNELLBS
les phobies
du corps.
A forme / les phobies des objcls,
syslcmatiqiie. \
los phobies
des situations.
\es phobies des idi'es
de la poilrine,
des seins,
de la peau,
. de la t^te,
j les algies. . . ^ jes dents, de la langue,
des membres,
des organes genitaux,
de la vessie, de I'uretre,
de I'anus, etc.
des mouveraents des bras,
de Tecrilure,
de la nnkarche,
de Tali mentation,
. de la deglutition,
les phobies I de la digestion,
dos fonctions. . \ de la ddf^cation,
de la respiration,
de la parole,
de Todorat,
de Touie,
de la vue, etc.
des objets dangereux,
des objets sales,
des objets de valeur,
des hommes ou des femmes,
des animaux,
des instruments proressionnels. etc.
des situations ( agoraphobic.
physiques ) pbobie dos endroiU Aleves,
( claustrophobic, etc.
ereutophobie,
djfsmorphophobie,
situations ] pbobie des poils, des traits de la
socialcs ^ figure, des mouvements du
visage ou des membres.
phobies des domestiques,
— du manage, etc.
des idces rcligieuses,
des idees morales,
de ridce de mort,
de Tidcc de maladie, etc.
^ Mes angoisses phjsiologiques.
dilTuse y .
\ les angoisses mentalcs.
digestives,
circulatoires,
respiratoires.
UNITfi GLINIQUE DES AGITATIONS FORGfiES 235
QUATRlfiME SECTION
CARACTERBS GENERAUX DES AGITATIONS FORCEES
Cette longue analyse de toutes sortes d'operations Torches qui
envahissent Tesprit des malades, avait pour but non seulement
de decrire leurs tres norabreuses vari^l^s mais encore d'^tablir
entre elles quelque ordre en les r^unissant par classes, en les
ramenant a quelques types principaux. Nous sommes ainsi par-
venus a constater trois classes ou trois types principaux de ces
phenomenes :
i^ Des operations intellectuelles que nous avons reunies
sous le titre de manies mentales et de ruminations mentales;
3** Des mouveraents irresistibles que nous avons r^unis sous le
nom de tics et de crises d'agftation ;
3^ Des angoisses visc^rales d^terinin^es par des troubles orga-
niques surtout de la circulation et de la respiration.
Malgr6 ces distinctions il estn^cessaire derechercherlescarac-
tcres communs appartenant a tons ces groupes.
i. — Unit6 clinique des agitations torches.
En general Tenseignement clinique jusqu'a ces dernicres
ann^es s'est montre dispose a separer ces trois groupes de syipp-
tomes et a les considerer comme autant de maladies distinctes.
Le groupe des mouvements forces constituait la maladie des tics
que Ton plaqait a part, les ruminations mentales formaientla/b/ie
du doute et les phenomenes ^motionnels se rangeaient sous le titi e
de du delire contact ou de phobies,
Les premiers auteurs qui ontdecrit les obsessions, m^mequand
ils ne cedaient pas a la tentation d'eriger chaque manic en mala-
die ind^pendante etaient toujours disposes a distinguer formelle-
ment ces divers groupes de symptomes. Griesinger, en i868,
236 LES AGITATIONS FORCfiES
mettait a part la manie du pourquoi et du comment dont il faisait une
obsession avec conscience sous forme de question et de doute. II
ne faisait pas la moindre allusion aux troubles du mouvement, ni
aux troubles de T^motion. Bien mieux il allait jusqu^a soutenir
que dans le d^lire du doute il n'y avait aucun trouble emotionnel.
Quand Legrand du Saulle chercha a r^sumer ce que Ton savait
sur ces manies bizarres, il ^crivit deux petits livres : Tun sur le
syndrome intellectuel qu*il appelait la folie du doute, Tautre sur
le syndrome emotionnel qu'il designait sous le nom de Tun de
ses types principaux, Tagoraphobie. Plus tard, il fut bien oblige
de remarquer qu'il y avait des rapports entre ces deux maladies
et il imagina de faire de ces deux syndromes deux phases succes-
sives d'une m6me maladie : les sujets devaient suivant lui debuter
par le d^lire du doute et terminer ensuite par une seconde pe-
riode ou se montrait la crainte de toucher certains objets.
Apres lui on conserva encore presque toujours la distinction
des deux syndromes, sans admettre son correctif et sans en faire
deux phases successives d'une m^me maladie. M. Cullerre ne
veut pas admettre avec Legrand du Saulle, que le di^lire du tou-
cher, soit une seconde phase de la folie du doute. cc Fin r^alite,
dit-il \ ce symptome a une existence indepehdante et merite
d'etre examine a part. » M. Ladame^, dans son ^tude remar-
quable sur ces maladies, termine en donnant deux observations
qui a son avis demon trent a la complete independnnce de la folie
du doute et du delire du toucher ». C'est a peine s*il admet que
ces deux maladies distinctes s*associent quelquefois comme la
pleuresie et la pneumonie.
Cependant depuis quelque temps Topinion inverse se deve-
loppe, les derniers travaux sur les tics de M. Dubois (de Saujon)et
de M. Meige nous ont montr^ bien souvent la coexistence des
manies mentales et des phobies avec les tics. M. Ritti^, dans son
etude sur la folie du doute, montrait deja en 1875 qu'un rappro-
chement de cette maladie avec le delire du contact serait legitime.
Krafft Ebing, i883,Wille, 1883, Mendel, 1888, expriment des opi-
I. Cullerre, Les frontier es de la folie ^ 1888, p. 78.
a. Ladame, Confjres de Psychiatrie de Berlin, 1891 , et Revue de Vhypnoiisme, 1891,
p. i35.
3. Rilti, Gazette hebdotnadaire, n" ^2, 1877, ^^ article « Folic du doute » du Die-
tionnaire encyclopedique.
UNITfi CLINIQUE DES AGITATIONS FORCfiES 237
nioDs analogues. M. Magnan en r^unissant tous ces fails sous le
nom de « delire des deg^n^resa beaucoup iortifi^ celte opinion ».
Les distinctions completes que Ton ^tablissait autrefois entre
ces trois groupes de symptomes semblent au premier abord assez
justifiees en clinique. Un individu qui a un grand nombre de tics,
qui cligne des yeux, tourne la t^te, secoue ses mains, prend une
physionomie bien speciale qui semble le distinguer des malades
troubles par un autre groupe de symptomes. Tout entier a ses
mouvements il ne nous parle guere des troubles mentaux qui
le genent beaucoup moins et qui d'ailleurs sont moins deve-
loppes que ses tics. De m6me une personne qui a de grandes
ruminations abstraites ne ressemble pas a celle qui a de grandes
angoisses.
II est certain par exemple que Ton ne pent pas confondre com-
pletement Lise et Dob..., I'une est toujours complfetement calme,
ne manifeste aucun trouble, elle serait plutot trop immobile, ses
agitations et ses souffrances sont purement int^rieures, elle se
borne a d'interminables ruminations mentales ; I'autre est une
femme agit^e, pleurant et criant qui est prise de terreur au mi-
lieu de la rue et qui court comme une folle pour rentrer chez
elle : Taspect clinique est evidemment different. On pent mcme
remarquer aussi un fait qui justifie en partie la conception de
Legrand du Saulle et que cet auteur signalait deja^ c'est que Tun
des ph^nomenes semble jusqu'a un certain point etre antagoniste
de Tautre. Plus les malades ruminent, moins ils ont de mouve-
ments d'agitation et m^me d'angoisse respiratoire, plus ils sont
agites physiquement, moins ils ont d'agitation mentale. 11 est
done juste de distinguer ces trois groupes cliniques, c'est ce que
nous avons fait en repartissant ces symptdmes en trois classes dis-
tinctes : la predominance de Tun ou de Tautre fera si Ton veut
trois vari^t^s de la maladie.
II est impossible d'aller plus loin : les liens qui unissent les
ruminations, les tics et les angoisses sont des plus ^troits. D'abord
les malades passent tr^s souvent de Tun a Tautre. Un certain
nombre suivent la marche indiquee par Legrand du Saulle et
vont du doute aux phobies: Claire a longtemps rumin^ sur la religion
I. Legrand du Saulle, Folic da doute, p. 89.
238 LES AGITATIONS FORCfiES
avantd'avoir ses crises d'agitation, ses terreurs devaiit leseglises,
les cabinets ou les bouteilles, Ul... a eu des scrupules, des rumi-
nations sur le bien et le mal avant d'etre une agoraphobe. On
pourrait tout aussi bien ^num^rer des malades qui ont suivi
I'ordre inverse: De... avait des phobies g^nitales puis elle s*est
mise k s'interroger sur la fa^on dont elle ^tait faite, sur Tamour,
etc., etc., Nem... a eu longteoips la phobic des conteaux, des
fourchettes puis elle a commence un d^lire d'interrogation sur la
fft^on Aoni les hommes sont faits, sur la nature du monde. Ud
grand nombre ont commence par avoir des tics puis ont ^volue
vers les doutes et les phobies, Nu... (112), gu^rie de ses tics par
un traitement s^v^re, commence les manies d*iaier rogation ; la
marche inverse se rencontre ^galement. Ces evolutions diverses
sont a discuter au point de vue du pronostic, il suflit de remar^
quer ici qu'elles existent toutes.
II faut observer en second lieu que ces divers phenom^nes se
remplacent les uns les autres avec la plus grande facility, soit
spontan6ment au cours de la maladie, soit artificiellement quand,
au cours du traitement, on cherche a supprimer une de ces agi-
tations. Tons les auteurs ont remarqu^ que la resistance a la
manie mentale am^ne Tangoisse. Si le malade s'efforce de ne pas
verifier, de ne pas recommencer, de ne pas compenser, de ne pas
expier, il a des suffocations et des palpitations cardiaques : au
contraire il se calme si on le laisse donner libre cours a ses be-
soins de rumination. Jean a donne la main a sa mere, il a Tid^e
de compenser en touchant la main d'un homme, s'il cfede et s'il
arrive a serrer la main d'un homme, il est sans doute m^con-
tent parce qu'il fait une absurdite, mais il ne souffre pas. Si ce
besoin surgit le soir quand il est seul avec sa m^re et si par
consequent il ne pent pas satisfaire sa manie, il a des angoisses
une partie de la nuit et une grande agitation motrice. Si Pn...
ne repete pas sa phrase : « Allons diner, etc. » il est augoisse et
sa femme aime mieux « Tentendre dire ses betises plutot que de
le voir suffoquer ». Dans bien des cas, les tics, les agitations
motrices, les masturbations ni^mes viennent a la place de rumi-
nations que Ton veut supprimer et inversement.
Enfin il ne faut pas oublier les sujets comme Jean qui sem-
blent avoir eu,presque tout le temps, des tics, des ruminations et
des phobies de toute esp^ce. Chez les malades s^rieusement
atteints on trouve souvent ces divers sympt6mes qui ^voluent
LES CRISES D»AGITATION FORCfiE 239
cote a cote et il est facile de remarquer que dans les Etudes pr^-
c^dentes les memes malades sont cites a propos des diverses agi-
tations Torches.
Je ne crois done pas que, au point de vue clinique, on puisse
admettre une separation complete entre ces divers groupes de
sympt^mes. Leur union est encore v6rifi6e par Tidentite profonde
des caracteres psychologiques que I'on observe dans les uns et
dans les autres.
2. — Les crises d' agitation torcSe.
Apres cette longue analyse il faut essayer de d^gager les
caracteres psychologiques qui se retrouvent d'une maniere gene-
rale dans ces ruminations, dans ces agitations motrices et dans
ces angoisses. Je ne recherche pas encore leur interpretation, je
voudrais seulement ramener a quelques faits simples cette diver-
sit6 ^norme de manifestations dans laquelle on sent tant de con-
fusion.
i. — Les periodes de crise.
Ces singuliers ph6nomenes moraux ne semblent pas au premier
abord, au moins chez la plupart des malades, 6tre continuels, ils
se presentent par crises plus ou moins fr6quentes et plus ou
moins longues. C'est la un caractere essentiel qu'il faut placer
au premier rang.
Ce caractere est incontestable pour les agitations et les phobies
avec angoisses visc^rales, ilestbien Evident queNadia ne bouscule
pas les meubles toute la journec et que Claire ne fait pas conti-
nuellement des eflbrts et des contorsions ; il y a des periodes
d^agitations et des periodes de repos au moins relatif. Quand
nous avons pris le graphique de la respiration de Sy..., nous
avons mis en opposition sa respiration pendant la p^riode de
sufTocation et sa respiration pendant la periode de calme. Pour
ces deux categories de ph^nomenes les crises sont done bien
marquees.
Ce caractere pent sembler un peu moins net quand il s'agit des
ruminations mentales. Chez beaucoup de sujets les ph^nomenesse
prolongent d'une maniere a peu pres indefinie : c'est le cas d*ail-
240 LES AGITATIONS FORCfiES
leurs de la plupart des grands maladcs. Lise pretend qu'elle ne
sort plus jamais de la rumination qui accompagne perp^tuelle-
ment toutes les actions de sa vie. A c6t<^ de Taction reelle, par
exemple, pendant qu'elle fait travailler ses enfants, ou meme a
cot^ de la pens^e r^elle, pendant qu'elle cherche a lire et a com-
prendre un livre, il y a toujours un ^norme travail imaginaire qui
porte sur des scrupules, des hesitations, des pactes, des preoccu-
pations de la vie future, des r6ponses, des formules de conjuration
comme 4> 3, 2, et cela ne cesse a peu pres jamais. Dans lesperiodes
de bonne sante relative la rumination s'eloigne et voila tout ; elle
parait plus lointaine a cela devient implicite, comme disait Jeani).
Mais la malade a toujours la conscience vague que ce travail
continue a se faire dans sa t^te : « meme quand je vais bien, dit
Gisele, il y a toujours dans ma tete un petit ronchonnement. »
' Mais il n'en est ainsi que chez de grands malades un peu
exceptionnels. Beaucoup de scrupuleux, surtout au d^but de la
maladie n'ont que des ruminations courtes, quelquefois d*une
dizaine de minutes a peine. Dans la plupart des cas, chez Lod...,
Nadia, Zei..., Zo..., par exemple, les ruminations se prolongent
d'une maniere grave pendant une heure ou deux, puis s*apaisent
plus ou moins completement. Wo... sent tres bien qu'elle a des
crises de calcul ou de perfectionnement de ses pri^res ; elle
peut m^me reculer une crise, la remettre a plus tard et la
reprendre pour la liquider.
Meme chez les sujets qui semblent avoir la rumination conti-
nuelle, il y a visiblement des exacerbations momentan^es qui les
forcent a raster immobiles, la iHe tombant sur leurs genoux,
puis des diminutions pendant lesquelles le « petit ronchonne-
ment » ne les empeche pas de vaquer a peu pres a leurs occu-
pations. 11 semble que chez eux les crises se m^lent Tune avec
Tautre, que la premiere n'a pas le temps de se terminer comple-
tement avant que le deuxieme ne commence. Les tics eux-memes
ne sont continuels qu'en apparence. Non seulement ils disparais-
sent pendant le sommeil, mais pendant de longues p^riodes de
la journ^e, surtout quand le sujet est seul et qu*on ne lui demande
rien, ils existent a peine.
En un mot aucune de ces agitations forc6es ne constitue un
6tat permanent stable du sujet, elles se developpent par crises en
rapport avec certaines occasions.
LES CRISES D'AGITATION FORC^E 241
2. — Point de depart des crises.
Mats quelles sont ces occasions qui servent de point de depart
a la crise : on ne saurait trop y insister, car c*est la un des points
essenttels qu'il est n^ccssaire de bien constater avant de chercher
a rinterpreter. Je ne cherche pas en ce moment les conditions
physiques ou morales qui determinent le d^but de la maladie ou
le debut d'une periode d^aggravation pendant laquelle les crises
sont plus fr^quentes, je cherche seulement les faits qui sont
Toccasion a propos de laquelle paraissent se developper Kes crises
d'agitation forcee.
i^ Dans un premier groupe de cas la r^ponse est parfaitement
simple. Ces crises commencent toujours a Toccasion diune action
\*olontaire. II suQit de passer en revue tons les exemples que j'ai
cit<^s pour voir que dans un grand nombre c^est le d6but d'un
acte, c'est le d^sir d'accomplir un acte qui am^ne les agita-
tions et les angoisses. La crise d*agitation de Nadia debute
quand elle 'essaye de me jouer un morceau de piano, les crises
d'efibrts de Claire se d^veloppeut quand elle veut faire ses
prieres, se mettre a table ou simplement aller aux cabinets. Tout
un groupe de phobies, celles que j'ai appelees phobiesdesobjtts,
ne sont en somme que des phobies d'actes. Je crois que la pre-
miere designation de ces ph^nomenes sous le nom de « d^Iire du
contact » a ete tout a fait facheuse et qu'elle a entrain^ lesobser-
vateurs dans une voie fausse. Ce mot semble indiquer que le con-
tact et Tobjet sont ici importants et on a imagine autant de
phobies que d'objets. L'objet n'esticia mon avis qu'une occasion,
ainsi que le contact, parce que Ton n'agit pas sans toucher a des
objets, mais I'essentiel c'est I'acte. La malade de Legr^nd du
Saulle qui a la phobie des objets qui servent a 6crire a en r^alit^
sa crise de phobie quand elle veut ecrire. Mrc... a I'angoisse
quand il fabrique ou veut fabriquer des couteaux pointus, Ger...
quand elle veut ranger des v^tements, Pr... quand elle veut se
purger, Jean a des tics, ou des ruminations ou des angoisses quand
il veut voyager, cnvoyer une lettre, se moucher, seraser, se laver,
traverser une place.
11 y a certaines categories d'actes qui donnent souvent nais-
sance a des phobres ce sont les actes professionnels. On voit que,
Lch...(78), t<il<^graphiste, a peur du telegraphe, du bureau de
LES OBSESSIONS. L — l6
^42 LES AGITATIONS FORGOES
poste. Va-t-on dire que la phobie se developpe parce qu'il voit,
qu'il touche, un appareil t^l^graphique? Non, c'est quand il veut
reprendre son metier : ce qui le prouve e'est qu'on a beau modi-
fier ses fonctions, on ne le gu^rit pas. Comme le m^decin avail
parl^ de « maladie du contact » on ne lui fit plus toucher Tap-
pareil telegraphique, on le fit ecrire, recopier des bandes, il
prit la phobie des bandes ; on voulut Temployer a tenir des re-
gistres, il prit la phobie des registres, du bureau de poste, etc.
C'est Tacte professionnel qui est le point de depart essential.
Un autre groupe important de phobies, que j'ai d^sign^es sous
le nom 'd'algies, de phobies du corps, donne lieu a des remar-
ques analogues : ce sont des actes du corps, des fonctions corporel-
les, qui provoquent Tangoisse. Remuer un membre, remuerle petit
doigt, marcher surtout dans beaucoup de basophobies et m(^me
d'agoraphobies, manger, deglutir comme on Ta vu chez tons les
phobiques de la deglutition, dig^rer, uriner, exercer les fonctions
g^nitales, aller a la selle, etc., voila les fonctions et les actes qui
jouent le role essentiel. Quand il s'agit des dysesth^sies des sens,
c'est Tacte de flairer, Tacte d'entendre, Tacte de voir qui est le
point de depart de la crise.
II en est de mcme pour les tics, le sourire obs^dant survient
quand il faut entrer dans un salon, parler a une personne peu
connue, faire en un mot un acte difficile. Les tics avec coprolalie
ne surviennent chez Qi... que si elle doit se lever de sa chaise et
parler a quelqu'un; c'est quand elle vient a Thopital me demander
des bons de douche qu'elle est forcee de crier « Salaud, tu me
faisch... ». Les tics de Lod..., qui fait claquer les doigts, qui
ferme le poing en pensant a Dieu commencent qudnd elle doit
s'installer au piano. Un grand nombre de tiqueurs ne font leurs
grimaces comme Ul... qu*au moment ou ils doivent s'adresser a
quelqu'un. Ul... a commence ses tics quand elle devait « voir des
dames pour chercher une place... », elle les a maintenant quand
elle doit entrer dans un omnibus.
On pent faire la mcme remarquc ii propos des ruminations, ce
sont les actes qui les provoquent le plus souvent. On vient de
voir la rumination de Ger... commencer quand elle veut descendre
chercher du bouillon pour le diner. Jean commence a ruminer
quand il veut monter en omnibus, quand il veut s'asseoir a table,
se laver, uriner, etc., Lise, quand elle veut ecrire une lettre,
dieter un devoir a ses enfants. Fi..., un notaire de 4S ans, quand
LES CRISES D'AGITATION FORCfiE 2^
il doit signer un acte, hesite et se met a ruminer. C^est le cas le
plus general et le plus simple. On ne saurait assez insister sur
son importance, car il nous fait pr^voir qu*il s'agit d'une maladie
de la volont^ et nous y reviendrons quand nous discuterons les
phenomenes d'aboulie si importants dans cette maladie.
Pour avoir cet effet, pour devenir ainsi le point de depart de
la crise, il faut que Facte soit volontaire ; une action involontaire,
automatique, ex(§cut^e par distraction n^a aucunement cet effet.
Cela est bien naturel, car autrement les malades ue pourraient
jamais bouger ; lis remuent cependant et ils accomplissent une
foule d'actions qui n'amenent aucun trouble moral parce qu'elles
ne les pr^occupent pas. Legrand du Saulle remarquait d^ja que
tt si le malade est tres preoccupe et s'il a Tesprit tendu il traverse
la place sans ressentir quoi que ce soit* ». Lise se met a table et
mange avec une parfaite indifference, elle s'habille et fait des'
visites sans aucun trouble; Bu... travaille a son metier habituel
sans avoir de phobies ; Jean lui-m^me pent avoir Tesprit tran-
quille au milieu des actions les plus graves pour lui s'il est
distrait ; quand il va diner en ville, il donne la main a des
dames sans faire de ruminations. Le fait essentiel c'est done
que Taction soit volontaire, c'est-a-dire qu'elle soit nouvelle
dans une certaine mesure et que le sujet essaye de la ratta-
cher a toute sa personnalit^.
II ne faut pas oublier qu'il pent s'agir d^actions negatives
aussi bien que de positives : prendre la rt^solution de ne pas faire
une action, refuser d<^(initivement quelque chose sera Toccasion
de Fangoisse et de la rumination aussi bien que Teffort pour faire
Taction ou pour accepter la proposition. On se souvient qu'un
grand nombre des ruminations ont commence a Toccasion de la
pens^e d*un acte criminel ou desagr^able que le sujet voulait
repousser. Ici encore la meme remarque trouve sa place, si c^est
par distraction que le malade s'ecarte d'une situation dange-
reuse, il n'y aura pas de rumination. Claire me r^pete qu'elle ne
peut rien faire pour soigner sa sant^, que si elle veut eviter de se
mettre dans un courant d'air, elle va imm^diatement discuter
indefiniment ; au meme moment je remarque qu*elle s'est rassise
et qu'elle refuse de sortir parce qu'elle a vu qu'il pleuvait. CVst
I. Legrand du Saulle, Agoraphobic, p. 63.
^44 LES AGITATIONS FORCfiES
toujours I'acte volontaire sous sa forme positive ou negative qui
joue le role principal. •
2® Le deuxieme ph^nomene qui joue un role preponderant
com me point de depart de ces crises, c*est V attention. En effet,
les agitations motrices, les ruminations, les angoisses comnien-
cent aussi dans d*autres circonstances quand il s'agit simple-
ment d'id^es et non pas d'actes. Je remarque alors que ces ideas
provocatrices demandaient pour etre comprises un certain effort
d'attention ou bien etaient propos^es a I'acceptation ou a la
croyance. C'est Teffort pour faire attention et surtout Teffort pour
croire ou pour nier comme tout a Theure I'effort pour agir qui
semble etre la cause de ce singulier travail mental.
Une (illette de i5 ans, Ho..., est forc^e de faire ses tics a quand
commence la classe a Tecole d elle se secoue, se met les doigts
dans le nez, ronge ses ongles, frotte son ventre, pense a ses poils
au pubis « parce que Ja dictee est difficile ». On pent observer
le fait chez un grand nombre d'enfants et la maitresse d'^cole
Lkb... n'echappe pas a la loi. Elle est tres tranquille pendant
les recreations ; elle cligne des yeux et secoue son epaule quand
il faut recommencer la classe et surtout « quand il faut faire la
legon aux grandes, ce qui demande plus d'attention. » Renee a
ses tics quand elle veut lire un livre et Ic... est « invinciblement
pousse a marcher indefiniment quand il se met a sa table de
travail pour ecrire ses devoirs. » Le fait est banal et se verifie
tres facilement.
Tout un groupe d'angoisses pent etre designe sous le nom de
phobies des idees. EUes naisscnt a propos de Teffort d*attention
pour adopter ou repousser certaines croyances. Essayer de se
faire une opinion sur la religion, sur Dieu, sur le demon, sur
Tenfer, voila ce qui determine les angoisses de Lise et de bieii
d*autres. Ki... a des angoisses quand il essaye de faire attention
a la causalite ou a une idee philosophique quelconque.
L'attention portant sur des idees morales sur le devoir, le men-
songe, le crime, rend tous ces malades anxieux. Mais il n'cst pas
necessaire qu'il s'agisse d'idee morale capable, de rappeler leurs
obsessions de scrupule. Une attention quelconque, sur une lettre,
sur un journal determine des phobies et des ruminations chez
Za...; Jean redoute « toute application d'esprit » qui amene des
palpitations de cwur. Le fait negatif a la meme valeur que le
LES CRISES D'AGITATION FORCfiE 245
fait positif : un effort pour nier une histoire absurde sufEt
pour ramener toutes les ruminations de Lise.
Enfin il faut encore ici faire la meme remarque que prec^dem-
ment, il ne s'agit pas d'une \d6e, d'une croyance quelconque
agissant sur notre conduite presque a notre insu, il s'agit d'une
croyance volontaire et attentive. Cha... ne se pose pas de ques-
tions quand il enseigne la musique. Claire a beau affirmerqu'elle
ne peut croire a rien, il est Evident cependant qu'elle est con-
vaincue d'une foule de choses : elle croit qu'il fait jour, que j'ha~
bite a Paris, qu'elle parle francais, etc. Toutes ces croyances sont
impliqu^es dans le simple fait de m'ecrire une lettre, mais elle
n'y fait pas attention, et ces croyances ne la troublent pas. C'est
en somme Tacte d'attention amenant Tacceptation ou la negation
qui a une influence tout naturellement analogue a celle de la
volont^.
3*^ Un autre ph^nomene peut devenir le point de depart de
certaines ruminations ou de certaines phobies, c'est Tc^motion ou
du moins un certain genre d*^motion.
Legrand du Saulle ' cite ce fait curieux : « d^s qu'il faisait une
tentative de coi't, ses pensees surgissaient aussitot avec la plus
grande intensity et glayaient toute disposition a la rigidity p^-
nienne. » Cette observation int^ressante est tout a fait banale : je
ne puis, on le comprend, raconter en detail les singulieres con-
fessions que m'ont faites un grand nombre de ces malades a pro-
pos de leurs emotions g^nitales. Mais je puis relever ce fait
principal : T^motion g^nitale est tres souvent le point de depart
des ruminations, des tics et des angoisses. Les malades ont le
desir, ils se sentent plus ou moins excites, et a ce moment com-
mencent des agitations, des angoisses ou d'interminables rumi-
nations mentales. C'est aussi I'instant ou plusieurs d'entrc etix
sont saisis par un invincible besoin d'uriner ou d'aller a la selle
ou commencent leurs tics.
II en est de meme pour la douleur physique ou morale. Lise a
une tres singuliere mani^re de ressentir les douleurs de I'accou-
chement. C'est a ce moment que son esprit est envahi au supreme
degre par les manics du serment, des pactes, par des ruminations
interminables et odieuses. Les douleurs morales ont le meme
I. Legrand du Saulle, Folic du doule, 16.
2i6 LES AGITATIONS FORCfiES
eOet. a La joie ou la peine^ dit Mm...^ me fontperdrel'^quillbre et
me font retomber dansmes reveries ». a Les situations lugubres,
dit Jean, me donnent des agitations et des crises de fou-rire. »
La colere, chez Lise, est aussi le point de depart de rumina-
tions et elle redoute meme a ce propos le plaisir esthetique.
(( Quand je jouais du piano, j*y prenais plaisir, je m'y donnais, je
m'emballais, cela me faisait perdre Tdquilibre, me faisait retom-
ber dans toutes mes pens^es c*esi pourquoi je me suis mise a
jouer toujours froidement. » II est singulier de constater que ce
detail se retrouve mot a mot dans Tobservation d*une autre malade
Lod..., c'est au moment oil Temotion artistique va parvenir a son
comble, va determiner une jouissance, que se d^clanchent ses
absurdes raisonnements. De meme une petite Amotion qui com-
mence determine chez Cr... les crises d'agitation et les besoins
de marcher pendant plusieurs heures. Chez un bien grand
nombre de malades comme chez Renee, Qi..., etc., on determine
une crise de tics en ferniant brusquement une porte, en deter-
minant chez eux le d^but d'une surprise ou d'une peur.
Je crois que tout lin groupe de phobies rentrent dans ce cas,
celles qui sont d^termin^es par la perception d'une situation, par
un sentiment et dont le type est i'agoraphobie. Les ponts, les
grandes places, les grandes rues font naitre chez bien des per-
sonnes une petite Amotion determinee, en rapport avec le senti-
ment de la grandeur, de Tespace, de Tisolement et c'est cette
petite (Amotion qui d^clanche les grands phenom^nes de la rumi-
nation et de Tangoisse. J*ai vu a ce propos un cas d'agoraphobie
bien curieux que Ton pourrait appcler Tagoraphobie admi-
rative. Qs... ne peut se promener au Trocadero, « la vue de
tant de maisons Texcite, il lui semble que c*est beau, grandiose,
etonnant. C'est au d^but un sentiment agr^able d admiration,
puis cela change. Je suis force de me demander comment pour-
rais-je faire moi-meme pour batir tant de maisons, comment les
hommes ont-ils pu amener tant de pierres ? puis mes genoux
tremblent, ma poitrine se serre, mon coeur bat, j'etouffe et je me
sauve pour rentrer. » D'autres phobies debutent quand le malade
est en public devant des hommes, parce que alors se developpe
r^motion de la timidite qui est suivie par Tangoisse, chez Ul...,
Lkb..., Meu..., par exemple. Enfin dans certains cas la situation
doit naturelleraent faire naitre chez tout homme de la peur et
c*estcelte peur qui est suivie soit de rumination, soil d'angoisse.
LES CRISES D' AGITATION FORCfiE 267
II y a la tout un r6le curieux de remotion qui ne nous parait
guere connu et sur lequel il faudra revenir ; pour le moment
nous signalons seulement ce fait que les crises d*agitation
forcee d^butent a propos des Amotions, comme a propos des
actes et des attentions.
4° Enfin je signale avec plus d*h^sitation et a titre de curiosite
one autre occasion de ces crises que j^ai observ^e plusieurs fois
d'une maniere incomplete et une seule fois d*une maniere tout
a fait nette. Dn... (49). femme de 3o ans, qui a toujours ^te
une scrupuleuse, a eu des crises d'agitation et d'angoisse a propos
de plusieurs des causes precedentcs, surtout a propos des actes.
Voici maintenant a quel propos ces ra6mes crises se deve-
loppent. Elle se couche pour s'endormir et commence a s'as-
soupir : tant que Tassoupissement est leger, tout va bien, elle reste
tranquille dans son lit. Mais le sommeil va devenir profond ; a ce
moment elle se reveille subitement avec une ^norme angoisse,
elle se sent etouffer et ne pent s'empecher de crier. La malade
ne pcrd aucunement connaissance,elle voudrait ne pas crier pour
ne pas reveiller ses compagnes, mais sa resistance est inutile et
ne provoque qu'une lutte plus douloureuse.
11 faut qu'elle hurle et se contorsionne de mille manicres, c*est a
la fois une crise d'angoisse et une crise d'agitation motrice comme
celles de Nadia. Au bout de cinq a dix minutes tout se calme et
la malade essaye de se rendormir, car elle en ^prouve un grand
bcsoin ; de nouveau elle reste calme dans Tassoupissement leger
puis des que le sommeil devient un peu plus profond la crise
recommence. 11 n'y a pas ici d'idee fixe relative au sommeil
qui explique ce r6veil par un r^ve comme dans Tobservation de
Zy...* et il n'est pas question d'hyst^rie, C'est un phenomcne
analogue a toutes les crises prdc^dcntes, il se d6veloppe seu-
lement dans des circonstances singulieres a propos du debut du
sommeil profond. Ce fait se rapproche de certaines observations
deja signalees dans lesquelles Tagitation forcc^e commenrait a
propos d'un debut d*une lonclion physiologique, a propos de la
deglutition ou de la digestion par exemple.
En resum6 je constate que ces crises d'agitations forcees, qu'il
s'agisse de tics, d^excitations, de ruminations ou d'angoisses,
I. Mevroses et Idees fixes, I, p. 355.
2i8 LES AGITATIONS FORCfiES
commeDcent presque toujours a propos de Tun ou de Tautre de
ces quatre phdnomfenes princlpaux, I'acte volontaire, rattentlon,
r^motion, Teffort pour s*endormir profond^ment. Nous pourrons
dorenavant designer ces ph^nomenes provocateurs sous le nom
de phenomknes primaires, tandis que les agitations forcees qui
viennent a la suite seront consid^r^s comme des phenomhnes
secondaires.
3. — Substitution des pbinomines secondaires
aux primaires.
Dans les cas les plus nets, cet acte, cette croyance, cette Amo-
tion qui constituent le phenom^ne primaire, loin de parvenir a
leur ternie, disparaissent completement, c'est la a mon avis le fait
capital de la rumination de Tagitation et de Tangoisse. On consi-
dere d^ordinaire ces agitations coinme des ph^nom^nes positifs
caract^ris6s par la presence d'un grand nombre d*id^es ou d'^mo-
tions qui envahissent Tesprit, inais il ne faut pas oublier que ces
troubles sont aussi et avant tout des phenomenes n^gatifs, carac-
t6ris6s par la suppression d'un acte, d'une croyance, d*une Amo-
tion qui auraient dii se produire. Nous avons vu Ger... se lever
son pot a la main pour aller chercher du bouillon chez la fruiti^re;
il ne sufiit pas de remnrquer qu'elle a eu pendant deux heures sur
Tescalier de belles ruminations a propos du maigre du vendredi ;
il ne faut pas oublier ce fait au moins aussi important c'est que le
bouillon n'a pas ^te cherche et que la soupe n*a pas ^t^ faite. II en
est de m6me pour les croyances : un probleme est pose aTattention,
une operation mentale commence qui devrait aboutir a la croyance
ou au refus de Tid^e, operation qui n*est faite en reality que si le
sujet arrive a Tune ou a Tautre. Quand la rumination survient
pendant plusieurs heures ou quand les angoisses surviennent, le
sujet se releve, la crise terniin^e, dans le m6me ^tatqu'auparavant
ne sachant pas s'il croit ou s'il ne croit pas, en un mot, que
rop6ration n'a pas 6te faite.
II est tr^s important de constater des faits analogues a propos
des Amotions, le fait que je me borne a signaler ici se confirmera
d'ailleurs de plus en plus. L'excitation g^oitale est le point de
depart de phobies ou dc ruminations, mais il faut encore ajouter
SUBSTITUTION DES PHfiNOMfiNES SECOXDAIRES AUX PRIMAIRES 249
que ces ph^nomenes secondaires qui s*y ajoutent ne semblent
pas du tout favorables au developpement de I'excitation. Bien au
contraire le plus souvent its am^nent Tarret complet de toute
Teaiotion. Quand Lise a d'^pouvantables ruminations au moment
des douleurs de raccouchement, elle a sans doute des soufTrances
morales, mais elle n'a plus les souffrances physiques qu*elle de-
vrait avoir. Elle ne gagne pas au change, car ses angoisses morales
sont horribles ; mais je fais remarquer que des reveries sur la
damnation des enfants, sur Teternit^ des pein^s de Tenfer, des
interrogations sur le probleme de savoir si elle est folle, si elle
va quitter les siens pour allcr demeurer toujours dans une mai-
son de fous, que tout cela est tr^s p^nible sans doute, mais
que ce n'est pas la douleur* qu'une femme .doit ressentir en
accouchant.
Le plaisir de jouer du piano disparait aussi comme I'admiration
du paysage, quand des agitations surviennent a propos de ces
Amotions. Une question bien plus delicate se pose a propos du
sentiment de la timidity et du sentiment de la peur. Ces senti-
ments sont trfes souvent le debut des ph^nomenes forces et plu-
sieurs de ceux-ci, en particulicr certaines angoisses, leur ressem-
blent beaucoup. C'est pourquoi on a appel^ ces phf^nomenes des
phobies et on les a souvent consid^r^s comme le developpement,
Texag^ration de la peur ou dc Tintimidation. Je ne crois pas que
ce soit tout a fait juste au moins dans tons les cas.Chez beaucoup
de malades la peur precise, determinee, qu*ils auraient dans cette
circonstance s'ils se portaient bien, disparait, elle est remplacee
par de Tagitation motrice ou de la rumination qui n*est pas de la
peur, et quand la phobic survient elle prend des caractcres spe-
ciaux qui la distinguent de la peur proprement dite. cc Je vois
des squelettes dnns le mus^e, cela m'aurait donne autrefois une
vraie peur, maintenant j'ai des angoisses vagues avec le senti-
ment de devenir folle, ce n'est pas du tout la meme chose. » La
peur semble avoir perdu sa precision, son rapport avec un
objet determiner elle est devenue plus vague etplus ^l^mentairc.
Dans les cas les plus nets Ton observe ainsi la suppression
totale des phenom^nes primaires, c'est-a-dire de Tacte, de Inat-
tention, de Temotion qui 6tait le point de depart de la crise. Dans
les cas moins nets ces ph^nomenes primaires ont simplement
diminue et presentent des alterations que nous aurons a etudier
dans le chapitre suivant.
250 LES AGITATIONS FORGfiES
A Toccasion de ces phenomencs primaires qui, comme nous
Tavons vu, iie s'accomplissent pas ou s'acconiplissent d'une
maniere qui ne satisfait pas la conscience du malade et a la place
de ces ph^nomenes se developpent brusquement dans Tesprit
une tout autre categoric d*operations que Ton peut consid^rer
comme secondaires. Tantot ce sont des mouvements varies, des
tics, des efforts, des crises d'agitation, tant6t ce sont des troubles
visceraux, des palpitations, des suffocations, des angoisses, tantot
ce sont des operations mentales, des ruminations.
Dans toutes les manies de perfectionnement on voit que le
sujet cherche a ajouter quelque cho^e au premier acte, dans les
manies de rt^paration il veut effacer le premier acte par quelque
autre pensee. Dans les manies d*oscillation il ne peut pas rester
en place sur le premier phenomene et il passe incessamment a
quelque autre. En un mot le caractere essentiel de toutes ces ma-
nies c'est qu'a Toccasion du premier phenomene insuffisant ou
mieux a la place de ce premier phenomene I'esprit place autre
chose « je ne puis pas en rester la, disent-ils tons, il me semble
que si j^en restais a ce premier point il arriverait des choses
^pouvantables » et tous en somme ob^isscnt a ce besoin en sub-
stituant un second travail au premier.
Quel est ce second travail qui constitucessentiellement la rumi-
nation, Tagitation ou Tangoisse. Au premier abord, ces pheno-
menes secondaires sembient de m^me nature que les primaires :
ce sont toujours des actes a faire, des croyanccs a preciser, des
Amotions a ressentir. Cependant les phenomenes sont toin d^^tre
identiques.
D'abord ce ne sont pas des actes reels, c'est-a-dire des opera-
tions de rhomme qui apportent un changement plus ou moins
profond et plus ou moins durable dans le monde exterieur. Les
mouvements que le malade execute sont en general insigni-
fiants. Ce sont des gesticulations, des secousses des bras, de la
t6le, ou des paroles prononcees a mi-voix : « non, non, te, te, te,
te, 4, 3, 2. » Les mouvements sembient plus importants dans les
efforts comme ceux de Claire ou dans les agitations motrices
comme celles de Nadia. Mais ces crises ont des caracteres bien
spcciaux qui restreignent leur importance. Les malades n^accom-
plissent aucun acte vraiment utile ou vraiment reprehensible : ils
s'agitent, crient, menacent quelquefois leurs proches, mais en
realite les malades que nous etudions ici ne font jamais de mal a
SUBSTITUTION DES PHfiNOMfiNES SECONDAIRES AUX PRIMAIRES 251
persoane. Quand ils s*en prennent aux objets et menacent de
tout briser il y a enorm^ment d*exageration dans leur attitude,
lis ne cassent que des objets insignifiants auxquels ils ne tien-
nent pas. Si un jour Nadia a renvers6 un encrier, je crois que
c*est tout a fait par hasard et qu'elle a et6 la premiere tres dupe
de ce resultat de ses agitations ; le plussouvent cesactes absurdes
disparaissent des qu'ils pourraient prendre quelque importance.
Les malades s*y laissent aller, par exeniple quand ils sont seuls
oa devant des personnes qui les connaissent assez pour n'avoir
plus rien a apprendre en les voyant, mais des qu'entrent des
strangers pour lesquels ces grimaces pourraient etre revela-
trices, ils se reprennent et touts'arrete au moins momentan^ment.
Claire est remarquable a ce point de vue et ne consent « a faire
la folle y> que devant sa mere, sa domestique ou son m^decin.
Enfin, on a deja vu, en ^tudiant les tics, que ce sont des mou-
vennents simples, maladroits, souvent symetriques, comme dans
Tenfance, en un mot des mouvements d'ordre tres inftrieur.
Dans d'autres cas ces ph^nomenes semblent plus complexes
puisqu'il y a de nombreuses pens^es. Ce que vaut cette pens^e
estbien precise par ce mot de rumination mentale, c'est une ope-
ration qui reste simplement mentale, intellectuelle et qui n*arrive
pas a devenir reelle sous forme de croyance ou d'action. Ce sont
des images legeres, incompletes, des mots surtout exprimant
des iddes vagucs qui surgissent a la place de Taction concrete
que le sujet n'execute pas. Le sujet s'embrouille au milieu d'in-
nombrables idees abstraites qui peuvent etre rattachees d'une
maniere quelconque a la pensee primitive. « 11 me semble, dit
Gisele, que j^approfondis Tid^e d'une action tres simple que jene
fais pas; j'en vois tous les details meme des details tres lointains
qui s'y rattachent a peine ; je me fais Teffet d'etre entree dans
ridee, elle me tient, m'enserre de tous cot^s et je ne puis plus
en sortir. Cest comme si j'avais en moi-meme un second moi
d^traqu^ qui voit tout ce que Ton peut penser a propos de la
moindre action. »
II est trop Evident qu'ils n'inventent rien dans leurs rumina-
tions : de ces heures de meditation si profonde il ne sort jamais
un fragment d'idee a peu pres interessante ; il n'en sort pas non
plus une seule croyance. II est facile de voir que le malade ne
prend pas au serieux toutes les sottises qu*il radote; ses menaces,
ses idees de culpabilite ou de danger restent pour lui tout ii fait
252 LES AGITATIONS FORCfiES
superficielles puisqu'il ne met jamais ses actions en rapport avec
dies.
D'autre part, ces idees manifestent en r^alit^ pen ({'intelli-
gence : on pent dire que cette rumination est enfantine et qu'elle
est bete. Je m'etonnais beaucoup, au d^but de ces etudes, de la
discordance qu'il y avait entre les ruminations d'une personne et
son niveau intellectuel. Lise est une femmc instruite, qui a lu
un certain nombre d'ouvrages philosophiques, les comprend
assez bien et dans ses conversations montre un esprit assez large.
Ses ruminations ressemblent aux questions obstinees des petits
enfants qui ont la manie du « comment » et du « pourquoi ».
D'autre part ses bavardages sont remplis par les plus basses
superstitions : ce sont des raisonnements sur le diable et le bon
Dieu, des petits marchandages avec le ciel et avec Tenfer dignes
d'une religion de peuplade negre. La malade sait fort bien que
c'est stupide, elle se rend compte que c'est de beaucoup au-
dessous de son niveau mental habituel, il en est ainsi chez tous
et Ton pent dire que ces pens6es semblent manifcster un retour
a Tenfance et un retour a la barbaric.
La rumination se rapproche anssi du reve dont elle a le vague,
la r^p^tition monotone et Tincoherence. Un autre caractfere du
r^ve qui se retrouve dans ces ruminations c'est la declamation.
Le reve, comme on sait, est declamateur « une puce me pique, dit
Descartes et je reve a un coup d*epee.» De mcme dans ces rumi-
nations tout est pris au tragique ; il ne s'agit que de mort, de
crimes contre nature, d'infanticide, de pacte avec les demons. U
y a un contraste ridicule entre le fait et I'expression quand on
entend Nadia s'ecrier : « si je fais une seule fausse note dans
mon morceau, je jure par Fame de ma mere que j'irai en enfer
ce soir et mon id^al aussi. » La declamation qui est un grand
caractere des maladies mentales domine dans le delire de perse-
cution oil la moindre offense prend Taspect d'une cruaute inouie,
elle fait aussi le fond de ces ruminations oil tout est grandi
dans Texpression beaucoup plus que le sujet ne le pense en
realite.
Les idees qui envahissent Tesprit pendant la rumination repr6-
sentent done des idees d'un autre age, des idees d'enfance, des
pensees d'une civilisation ancienne et inferieure ou d'un milieu
social plus humble, et des idees analogues au r^ve. Ne puis-je pas
dire en conclusion que ce sont des idees infirieures a celles que
CARACTfiaES APPARENTS DES AGITATIONS 253
le sujet devrait normalement avoir dans les circonstances ou il se
trouve plac6.
Les angoisses paraissent des phenomenes plus importants puis-
qu'elles donnent lieu a de grandes souffrances. Mais on peut remar-
quer que leur importance est plus apparente que rdelle : ces grands
mouvements visc^raux, ces palpitations du coeur, ces respira-
tions rapides sont le plus souvcnt sans aucun danger et amenent
moins de syncopes, moins d'^vanouissements, moins de maladies
s^rieuses que les Amotions r^elles et moins bruyantes. On connait
beaucoup de maladies produites par des emotions, mais il est
bien rare qu'on les observe apres des agoraphobics ou des ^reu-
tophobies.
Ces emotions pathologiques^ en efTel, ne sont pas des Amo-
tions precises en rapport avec une situation r^elle, ce sont les
emotions les plus simples^ les plus elementaires et les plus
abstraites en quelque sorte. Les angoisses se rapprochent de la
peur qui est la plus AlAmentaire des emotions, qui existe tout a
fait au debut de revolution des sentiments. Et meme, comme
on Fa vu, Tangoisse n'est pas precisAment de la peur, c'est une
Amotion encore plus AlAmentaire que celle de la peur. En rAalitA
ce sont des convulsions viscerales tres dAsordonnAes, comme les
mouvements eux-mAmes dans les agitations motrices. On peut
done les considArer comme des phenomenes infArieurs au-dessous
des Amotions qui devraient reellement se dAveloppcr a ce mo-
ment.
En un mot, aux phAnomenes primaires qui ne sont pas exAcutAs
ou qui sont exAcutAs avec un certain trouble se substituent des
phAnomenes secondaires qui ont comme caractAre essentiel d'Atre
des phAnomenes psychologiques exagArAs sans doute, mais AlA-
mentaires, infArieurs, sans rapport avec la rAalitA extArieure et
par consAquent tout a fait inutiles.
3. — Caract^res apparents des agitations.
A cotA de ces caracteres essentiels de la crise se placeut certains
caracteres apparents qui jouent un grand role dans les descrip-
tions classiques des obsessions, fa conser{>ation de la conscience
pendant la crise^ rirresisUbilite de ces agitations et la satisfaction
254 LES AGITATIONS FORCfiES
conseculii^e a la fin de la crise. Ces caracteres qui soiit compris
en general d'une facon tres vague nous semblent beaucoup moins
importants que ceux qui viennent d'etre Studies. II suffit de las
signaler rapidement ici pour niontrer qu'ils rentrent en r^alit^
dans un groupe de fails beaucoup plus vaste, celui des sentiments
6prouv6s par le sujet pendant les crises et qu'ils nous amenent
a une nouvelle ^tude.
En premier lieu, le caractfere insignifiant des operations secon*
daires est jusqu'a un certain point appreci^ par le sujet lui-m^me
qui semble se rendre assez bien compte de Finutilite et de
Tabsurdite de telles operations. C'est la ce qu'on appelle la
consen*ation de la conscience pendant la crise.
Faut-il entendre par la que le sujet sait comme nous que ces
mouvements, ces efforts, ces proc^des de perfectionnement, ces
recherches mentales n'ont aucun sens et que ce sont des r^ves
pu^rils ? Evidemment non, car alors it n'aurait aucune maladie;
s'il arrivait a la negation nette et definitive sur un point, il aurait
termini ce premier acte qui est le point de depart de tout le
reste et il n*aurait pas de rumination. En reality il n*arrive
jamais a cette negation, car il nous demande toujours, comme
il se le demande a lui-meme : Est-ce que je suis maudit a cause
de mes serments ? Est-ce que je ne dois pas chercher a faire
mieux ? Est-ce qu*il n'y a pas de danger? Ce qu'on appelle
conscience de la rumination ne doit pas ^tre pris dans le sens
de negation dc la rumination.
Faut-il entendre par cette conscience de Tobsession que les
fonctions psychologiques restent intactes pendant cette periode?
Nous aurons a 6tudier ce probleme en detail dans le chapitre
suivant, mais des maintenant la r^ponse est probable. Peut-on
considerer comme intact T^tat mental d*un sujet qui ne peut
parvenir au terme des actes volontaires, des croyances, des
emotions qu'il commence et qui remplace ces actes par des ope-
rations inutiles et absurdes ? II est bien probable que la con-
science dans ce sens n*est pas conservee.
La conscience que le malade a de la valeur de ses phenomenes
secondaires me semble consister simplement en ce fait, qu*il ne
se livre pas complctement a ces operations, qu^il n'est pas com-
pletement envahi par Tagitation, par Tinterrogation, par Tan-
goisse. L'operation lui semble incomplete et il ne se laisse pas
aller a un veritable delire. II critique ces operations, il en est
CARACTfeRES APPA RENTS DES AGITATIONS 255
Discontent comme il 6tait ro^content des operations primaires:
il applique ses manias du doute a ses ruminations elles-memes.
Nous retrouvons ici les m6mes sentiments d^insufHsance** qui
existent partout mais qui ici rendent service au malade en Fem-
p&chant de di^lirer compl^tcment.
Un autre caractere presente presque toujours en second lieu
semble avoir plus d'importance, c'est V irresistibilite du processus
mental pathologique. Ces trois operations secondaires : les mou-
vements, les ruminations, les angoisses sont toujours representees
comme s'imposant au sujet d'une maniere irresistible. Zwangs-
vorstellungen disait Westphal, Zwangsprocessus disait M. Mes-
chede, diathese d'incoercibilite psychique, disait M. Tanzi ^
M. J. Donath de Buda-Pest * avait meme propose pour r^unir
tous ces faits le nom bizarre d'anancasmes (ovdcY^Ti).
Ce caractere est pourtant moins clair qu'on ne se Timagine.
Veut-on dire par la que ces phenomenes sont determines, qu'etant
donnees certaines circonstances physiologiques et psychologiques
qui en sont les conditions, ils ne peuvent pas ne pas se produire ?
Mais c'est la simplement Texpression de la loi gSneralc du deter-
minisme a laquelle sont soumis tous les phenomenes sans excep-
tion qu'ils soient pathologiques ou non. Pourquoi ne pas dire
aussi que le syllogisme, la colfere, la melancolie ou la demence
sont des zwangsprocessus ?
Veut-on dire par la que ce sont des operations qui amenent
toujours regulierement a leur suite Texecution d'un acte auquel
pense le sujet ? Si Ton parle d'homicides, de suicides, de vols,
d'actes veritables, c'est-a-dire d*aclions qui modifient la realite
donnee peut-on dire que les obsedes presentent des impulsions
irresistibles ? En aucune facon : ces malades, qui n'arrivent pas a
executer les choses les plus simples, executent encore bien moins
les actions complexes et invraisemblables dont ils ont Tidee.
Nous avons vu que les obsessions des scrupuleux n'aboutissent
jamais ni a Texecution materielle, ni h, la croyance, ni a
Thallucination ; en ce sens elles ne sont done aucunement irre-
sistibles.
Veut-on dire que les operations dont Texecution est reguliere
1. Tanzi, Archivio iialiano per le malatie nervose, 1891.
2. J. Donath, Archio f&r Psychiatrie, 1896.
256 LES AGITATIONS F0RC£ES
et n^cessaire ce sont ces operations secondaires et inf^rieures,
tics, agitation motrice, efforts, ruminations, Amotions angois-
santes ? Cela semble ainsi un pen plus juste, car ces processus
secondaires se d^roulent en effet assez rr^quemment et r^guliere-
ment dans les conditions que nous avons indiqu^es. Est-ce la
une n^cessite particuli^rement absolue qui nitrite a la rumination
mentale le titre d'irr^sistible qu*on n'a pas Thabitude d'appliquer
a une crise d'hyst^rie ou d'epilepsie ? En aucune fa^on : ces pro-
cessus peuvent se transformer les uns dans les autres, si je m'op-
pose a ce que Cha... cherche mon adresse en se promenant a
grands pas, il interrompt r^ellement son travail, mais il a une
crise de suffocation, ce qui n*est pas une recherche mentale.
D*ailieurs des malades peuvent eux-m^mes tout arr^er: M. Bris-
saud a beaucoup insiste pour montrer que les tics peuvent etre
momentan^ment supprim^s par la volonte. Nous Tavons d^ja veri-
fie bien souvent pour tons ces phenom^nes, Qi..., quia une copro-
lalie si remarquable a Thopital, cesse completement dans les rues
de peur de mauvaises aventures, Claire suspend ses contorsions
des que quelqu'un vient a entrer, Wo..., plong^e dans ses rumi-
nations a propos d^un conipte, remet la crise a plus tard parce
qu' « on Tappelle pour diner et qu'il y a du monde ». D*ailleurs
c'est en se servant de cet arret volontaire, difficile peut-etre
mais toujours possible que Ton arrive a restreindre ces troubles
psychologiques. D'autre part, comme je Tai remarque des le
debut, ces operations forcees ne s^ex^cutent pas automatiquement
a rinsu du sujet comme T^criture subconsciente des hyst^riques.
Nous avons vu que le malade y participe et qu'il doit meme faire
des efforts conscicnts pour les ex^cuter. Tout cela constitue-t-il
de rirresistibilit6 reelle ?
Je crois que ce qualificatir d'irresistible a 6te appliqu^ a ces
faits non par le ra^decin observant du dehors, mais par le malade
lui-m6me et qu'il exprime simplement un sentiment que le sujet
eprouve relativement a ces phenomfenes secondaires. Les malades
r^petent tons qu'ils ont perdu leur liberte, leur volonte cc je n'ai
plus un atome de volonte, je suis emport^e par une force etran-
gere, je ne m'appartiens plus, etc. ». Ces phrases sont perp^-
tuelies sous toutes les formes. Elles expriment un fait que je crois
important dans la pathologic mentale et qui joue en particulicr
un role capital dans le d^lire de persecution : la perte du senti-
ment de hi libcrtt^. Ce sentiment de liberte vrai ou faux, peu
CARAGTfiRES APPARENTS DES AGITATIONS 257
importe, accompagne chacun de nos actes volontaires et il se
perd dans des circonstances pathologiques quHi serait tres impor-
tant de pouvoir bien determiner.
Le sentiment de la perte de la liberty correspond ici a deux
choses : d'abord a un sentiment d'incapacit^ et d'impuissance qui
est du a ce que le phenomene primaire, acte volontaire, attention,
croyance, Amotion sup6rieure que le sujet d^sirait, quUl voulait,
qu'il avait meme commence ne se produit pas, n'arrive pas au
terme prevu et qu'il y a une deception, puis a cet autre fait,
c*est qu'a la place du ph^nom^ne esp^r^ s*en produit un autre
qui est inutile, absurde et dans certains cas douloureux. L*irre-
sistibilite est done un sentiment du malade qui rentre dans la
categoric de tons ces sentiments de m^contentement, qui, comme
on Fa vu, ACcompagnentTarr^t des actes volontaires. PourF^tudier
plus completement nous arrivons a cet examen des alterations
mentales chez le scrupuleux dont nous avons d^ja vu la n^cessite.
Enfin le troisieme caractere que Ton attribue d'ordinaire a ces
phenomenes, c'est la satisfaction qu'eprouve le malade quand il a
obei a rimpulsion qui le pousse. Cette formule que Ton r^pete
toujours me semble comme les pr^cedentes tres vague et souvent
discutable.
Le malade n'execute presque jamais une action bien precise, ce
n'est done point dans Tex^cution finale d'une impulsion, qu'il
eprouve du contentement. Yeut-on dire par la qu'il est heureux
d'avoir accompli des tics, des ruminations, d'avoir ^prouv^ des
angoisses ? II Eprouve bien un certain soulagement tres naturel
quand cette crise p^nible est finie, mais il n'est ni fier, ni heu-
reux d'avoir de nouveau cede a un besoin qu'il trouve ridicule.
Je n'ai gu^re vu les malades satisfaits a la fin de leur crise, ils
sont fatigues et honteux d'eux-memes. MM. Pitres et R^gis *
font la meme remarque et disent qu*il s'agit plutot d'un apaise-
ment consecutif.
Vcut-on dire qu'il y a un etat de satisfaction pendant la dur^e
memo de Top^ration forcee. M. Roubinovitch cite un cas ou le
malade est heureux de retourner a sa rumination '. Ccla me parait
I. Pitres et R^gis, op. cii., 54-
3. Roubinovitch, Etat de satisfaction pendant la dur^e m6me de I'obsession con*
tinue. Congrea de$ alienistes frangais^ La Uochelle, 1893.
LES OBSESSIOMS. 1. — 11
258 LES AGITATIONS FORCfiES
plus juste, mais a la condition de faire une distinction indispen-
sable. De ces trois operations Torches il y en a une qui est parti-
culierement douloureuse c*est Tangoisse, tandis que les deux
autres sont moralcment penibles, mais ne sontpas physiquement
douloureuses. En outre cette op6ration penible, Tangoisse, peut,
au moins chez certains malades, remplacer les agitations motrices
ou les ruminations, si celles-ci sont arret^es par un effort de
voIont6. Si le malade supprime ses manies, cesse de tiquer, il
aura de Tangoisse, s'il s*abandonne de nouveau a ses manies
d^expiation, a ses tics, il sera au moins d^barrassd de Tangoisse.
Comme le malade a fort pen d'^nergie et de courage, il aime
mieux se laisser aller a toutes ses sottises plutot que de s^expo-
ser a des suffocations penibles. Cette satisfaction que Ton note
chez le malade qui c^de a certaines impulsions me parait ^tre
simplement une preference pour certains de ses phenomenes
pathologiques plutot que pour les autres, simplement parce
qu'ils determinent moins de douleur physique. C'est une resigna-
tion a un moindre mal plutot qu^une satisfaction.
En un mot, ces trois caracteres de la conservation de la
conscience, de Tirresistibilite, de la satisfaction que Ton donne
toujours comme les caracteres essentiels de la crise d'agitation
forc^e ne sont pas des caracteres psychologiques objectifs re*
connus par le m^decin. Ce sont des caracteres subjectifs, c'est-
a-dire des sentiments de doute, d'absence de liberte, de resigna-
tion que le malade exprime lui-meme a propos de ses crises.
Pour comprendre ces caracteres nous sommes done ameues a
etudier les sentiments qu'eprouvent les psychastheniques a
propos de leurs crises, leur 6tat mental pendant la crise et en
dehors de la crise.
Si nous laissons de cote ces sentiments subjectifs pour nous
borner a resumer ici les caracteres objectifs, les crises d'agitation
forcec nous paraissent essentiellement un ensemble d'operations
psychologiques, des pens^es, des actes, des. Amotions qui sont
inutiles et d'ordre inf^rieur et qui se d6veIoppent d*une maniere
exag^ree a Toccasion d'un acte, d'une attention, d'une croyancc,
d'une emotion qui n'ont pas pu s'ex^cuter ou qui ne sont executes
que d'une maniere tres incomplete. Pour comprendre cette alte-
ration du phenomene primaire qui est Toccasion du dedaoche-
meut des phenomenes d'agitation forc^e il nous faut encore
CAR\CTfeRES APPARENTS DES AGITATIONS 2J9
examiner Tetat des fonctions psychologiques du sujet, de sa
volonte, de son attention. Ces 6tudes doivent se joiudre a celle
des sentiments dont je viens de parler et nous permettront de
nous faire une id^e generate de ces crises.
CHAPITRE III
LES STIGMATES PSYCH ASTHfiNIQUES
Les premiers auteurs qui ont d^crit des obsessions ont 6t^
surtout frapp^s de ce fait que les malades ne ddliraient pas a
proprement parler. Ceux-ci n'arrivaient jamais a etre convaincus
de leurs idees d^Iirantes, ilsluttaient centre elles et se montraient
les premiers a les declarer fausses et ridicules. Devant ces decla-
rations les observateurs concluaient a la luciditc de Tesprit et a
rint6grit6 des fonctions psychologiques. Legrand du Saulle allait
jusqu'a dire que Tintelligence restait parfaite et la liberty morale
intacte pendant la crise. La conservation de la conscience, et par
ce mot on entendait Tint^grit^ des fonctions psychologiques aussi
bien que Tappr^ciation exacte de la valeur des idees, ^tait deve-
nue un des caracteres classiques de la crise d'obsession, a plus
forte raison personne ne songeait a soup^onner des troubles de
ces fonctions psychologiques dans Fintervalle des crises.
M. S^glas, Tun des premiers, je crois, a mis en doute cette
fameuse conservation de la conscience : (c Est-il bien juste de
dire, remarque-t-il, que la conservation de la conscience soit
toujours complete chez Tobs^de, avant, pendant et apres les
paroxysmes* ? » Get auteur ne croit pas que, surtout pendant
la crise, les obs^des aient « la notion complete de tous les ele-
ments constituant a ce moment leur personnalite. La syothese
secondaire obnubile et m^me efface la conscience principale. »
Aussi admettait-il pendant que la crise il y avait des alterations
des divcrses fonctions psychologiques, quoique elles ne fussent
pas directement engag^es dans Tobsession elle-meme.
Si Ton veut bien y reflechir, ces troubles psychologiques pen-
dant la crise d'obsession, et j*ajouterai meme en dehors de la
crise, sont infiniment vraisemblables. Est-il possible que des pen-
I. J. Seglas, Lemons sur les maladies mentales el nerveuses, 1895, p. 118.
LES STIGMATES PSYCHASTHENIQUES 261
sees absurdes, des manies inutiles et ridicules, des craintes
injustifiees viennent remplir un esprit pendant plusicurs heures
s'il est parTaitement sain et capable de leur r^sister. Cela est
tout a fait contraire a tout ce que nous savons deja sur la sugges-
tion et sur les id^es fixes des hysteriques. Les phenom^nes ne
soot sans doute pas absolument comparables, mais il y a une ana-
logie sudisante pour que nous supposions chez les obsed^s comme
chez les hysteriques une ccrtaine insuflfisance de resistance qui
permette ce developpement parasitaire. Bien plus, toutes ces
manies sont au fond de mauvaises habitudes, elles ont dd naitre
et grandir avant de constituer ces crises et par consequent m^me
avant les crises, m^me dans leur intervalle, Tesprit qui a favorise
un pareil developpement ne devait pas etre bien normal. En un
mot il serait tres important, pour mieux comprendre les obses-
sions, de savoir sur quel terrain elles se d^veloppent et de
constater les alterations fondamentales des fonctions psycholo-
giques qui en ont probablement 6t^ le point de depart.
Ce sont ces modifications dans le fonctionnement des opera*
tions psychologiques ind^pendamment de Tobsession et des ope-
rations Torches que je designe sous le nom de sligmates psychas-
theniqneSf analogues a ces « stigmates psychiques des tiqueurs »
dont parlait deja Charcot quand il concevait bien la necessity de
leur etude ^
Malheureusement Tetude de ces stigmates psychasth^niques
est encore plus difficile a faire que celle des stigmates hyste-
riques. On sait quelle difficulte apporte a Tetudc des hysteriques
leur suggestibilite ; il est toujours tres difficile, surtout si Ton
veut faire des experiences, de savoir ce qui est un trouble psycho-
logique fondamental et ce qui a ete ajoute par des suggestions
maladroites. Ici, les obsessions et les manies mentales des sujets
apportent des difficultes encore plus grandcs. Beaucoup de ces
malades sont disposes a croire que leurs facultes sont alterees, soit
en verlu d'obsessions de honte, soit en vertu d'obsessions hypo-
condriaqucs, peut-on croire a leurs appreciations d'eux-memes ?
Par exemple, est-il possible de se faire une idee exacte de I'etat
mental de Claire en Tinterrogeant sur ses propres facultes ? Elle a
rhabitude de se croire completement idiote, de se rabaisser en
I. Charcot, Lemons du mardi, II, i6.
262 LES STIGMATES PSYCHASTHENIQUES
tout ; aussi va-t-elle vous faire une description fantastique de ses
propres facult^s comme si elle voulait passer pour une demente.
D'autre part, si au lieu d*interroger les sujets on examine leur
conduite dans des cas d^termin^s, on verra qu'un grand nombre
d'actes sont arret^s, inhibes par des manies mentales et cepen-
dant il ne faut pas croire a leur suppression : si Ton rencontre
Bu... assis par terre le long d'un mur et incapable de traverser
la place il ne faut pas en conclure qu*il ne sait pas marcher. Ces
deux diflScult^s peuvent fournir des objections perp^tuelles contre
tons ceux qui essayent de d^crire les stigmates des psychasthe-
niques, on pourra toujours me r^pondre que tel trouble de la
perception ou de la volonte est produit par une id^e quelconque,
par une manie, un tic ou une angoisse qui a arrete I'acte au
moment oil je Tobscrvais.
Cependant ces stigmates doivent exister et il y a certainement
des troubles du fonctionnement mental qui sont ant^rieurs logi-
quement et chronologiqueraent aux idees fixes et aux manies.
C*est pourquoi, tout en reconnaissant ces dangers, je crois n^-
cessaire de tenter celte recherche en prenant le plus de pre-
cautions possible. D'abord, sauf dans des cas assez rares, les
experiences compliqu6es me semblent a pen pr^s impossibles,
elles ont Tinconv^nient d'attirer I'attention du sujct et de provo-
quer toutes ces reflexions et ces operations Torches que Ton
redoute; il faut user de Tobservatlon et surtout de la comparaison
des divers sujets. II y a des troubles qui sont int^ressants par
leur grande generality et qui apparaissent chez les sujets ayant
des obsessions, des manies mentales ou des phobies absolument
difTerenteSy et n^ayant jamais en Tesprit dirige sur ces troubles.
On observe aussi des troubles qui se developpent avant la nais-
sance des manies mentales et des obsessions, que nous retrouvoos
chez des malades simplement neurastheniques, n'ayant encore
aucune operation forcee. Enfin le raisonnement pent dans une
petite mesure confirmer les remarques precedentes, quand il nous
montre que ces troubles psychologiques ont ete chez le malade
le point de depart et non la consequence des obsessions. Mai-
gre ces precautions je continue a croire la recherche de ces trou-
bles tres difficile et la liste que j'en donnc me semble devoir
etre souvent modifiee.
Ces troubles psychologiques ne m'ont pas semble etre de nature
diirerente pendant la crise ou en dehors de la crise, je n*etablirai
LES STIGMATES PSYCIlASTHfiNIQUES 263
done pas a ce point de vue de divisions, il suflfit de se rappeler
que les troubles les plus exag^r^s se presentent pendant la crise
et qu'ils existent toujours chez les grauds malades a un degr6
plus faible pendant les intervalles des crises.
Ces troubles se presentent a Tobservateur de deux manieres,
d'abord d'une maniere simplement subjective sous la forme de
sentiments que ressent le sujet et qu'il exprime plus ou moins
bien. I^a conscience est un rdactif plus delicat que nos appareils
et eile accuse des troubles que nous ne serons pas capables de
mettre en evidence d'une maniere objective. Ccpendant dans les
cas les plus nets nous pouvons constater ces troubles par la
conduite du sitjet et dans des cas determines ind^pendamment
des sentiments quMl en exprime. J'^tudicrai d'sibord ces senti-
ments subjectifs, puis je chercherai a mettre en Evidence ces
m^mes troubles sous leur aspect objectif.
Enfin je signalerai plus rapidement dans une troisieme section
des troubles des fonctions physiologiques qui sont plus connus,
car ils se retrouvent plus ou moins dans toutes les nevroses.
26i LES STIGMATES PSYCHASTUfiNlQUES
PREMlfiRE SECTION
Sentiments d'incomplbtude
Le mot « incompl^tude » est ud barbarisme que je prie le
lecteur d'excuser, je n'ai pu designer micux le fait essentiel dont
tous les sujets se plaignent, le caractere inachev^, insuflisant, in-
complet quails attribuent a tous leurs phenomenes psychologiques.
Ces sentiments qu'eprouve lesujet a proposde sespropres opera-
tions mentalessonttres varies etse modifient incessamment sous les
plus legeres influences. Je les distinguerai surtout d'apres les
ph^nom^nes qui leuV donneirt naissance^suivant qu*ils se d^velop-
pent a propos des actions, a propos des operations intellectuelles,
a propos des Amotions et des sentiments ou bien a propos de
la conscience de la personnalite.
i. — Sentiments d'incomplitude dans Vaction.
Les crises qui sont constitutes par les operations forc6es, les
ruminations, les agitations, les angoisses, debutent tres souvent
a propos d'une action. Le sujet doit faire quelque acte, il Ta
meme commence ou accompli en partie et son espi;it se trouve
envahi par ces phenomenes en apparence irr^sistibles. II est tout
naturel de se demander si dans cette action il y a quelque chose
d'anormal, quelque chose qui puisse expliquer Tapparition de la
crisc. Dans les cas les plus simples, ainsi que nous Tavons vu.
Taction est completement supprimee ; mais il n'en est pas ainsi
toujours, dans bien des cas Tobservateur ne voit rien dans celte
action qui manifeste le trouble objectlvement, Tacte semble avoir
ete a peu prcs normal. Ainsi, Wo... a de grandes crises de rumi-
nation a Toccasion d'une priere ou d'une addition qu'elle vient
de faire. Le mari qui Tobserve constate cependant que la priere
a ete recitee correclement a demi voix exactement comme les
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE DANS L'ACTION 265
autres soirs, que Taddition a ^t^ bien faite et que le r^sultat
inscrit est juste. II en est ainsi bien souvent et, a premiere vue,
nous ne constatons dans ces actions rien d'anormal.
Mais le sujet n'est pas du m^me avis que Tobservateur plac^
en dehors et il a dans Tesprit, a propos de cet acte, un ensemble
de ph^nomfenes ires curieux. Ce ne sont pas des id6es, c*est-a-dire
des pensees abstraites et g^n^rales s'appliquant a cet acte et a
d'autres, comme il en aura dans les obsessions, ce sont des sen-
timents, c'est-a-dire un ph^nomene plus concret s'appliquant a
un ^tat determine et a un seul. Le sentiment pris dans ce sens
est pour la connaissance des faits internes Tanalogue de la per-
ception pour la connaissance des objets ext^rieurs. C'est une
connaissance plus complexe que la simple sensation, une connais-
sance form^e par le groupement de plusieurs faits ^l^mentaires,
mais s*appliquant cependant a un seul Tait concret.
En general Tattention des psychologues n'a pas 6t6 sufii-
samment attir^e sur ces sentiments qui accompagnent le d^velop-
pement de la volont^. lis n'ont guere analyse avec soin qu'un
seul d'entre eux, le sentiment de Veffort, Hoffding est Tun de
ceux qui ont le mieux signals Timportance d'autres sentiments
du meme genre : dans le chapitre vii de son manuel il insiste
sur la conscience de la volont^, sur le sentiment de la resolution.
Ces sentiments qui accompagnent les operations de Tesprit
sont a mon avis particulicrement importants dans la pathologic
mentale et serviront un jour a interpreter une foule de delires.
Pour le moment constatons que chez le scrupuleux les actes
volontaires sont Toccasion d'une foule de sentiments anormaux,
qui peuvent se r^sumer en un mot: le sujet sent que Taction n'est
pas bien faite, qu^elle n'est pas faite complctement, qu*il lui
manque quelque chose. Dans les premieres manies de perfection
ce sentiment est deja tres visible. Souvent il prend la forme mo-
rale : Tacte n'est pas bon moralement, c*cst ce que Ton voit dans
la manie des efforts. Souvent il s'agit simplement du point de
vue pratique, Tacte n'est pas suffisant pour arriver a son but, il
ne semble pas capable de produire la satisfaction cherchee, de
la toutes les recherches du mioux,toutes les manies des procedes,
enfin Tacte ou Pid^e ou m^me Temotion parait manquer de net-
tete, ne pas avoir les caracleres specifiques qui lui appartiennent,
tXve trop vagues, de la le besoin d'agir lentemcnt, de recom-
mencer et toutes les manies de la precision.
266 LES STIGMATES PSYCHASTHfiMQUES
Dans le deuxieme groupe, celui des manies de reparation, le
sentiment que le sujet ^prouve a propos de son acte ou de son
idee est encore plus visible, Tacte n*est pas seulement insuifi-
sant, il est franehement mauvais, ici encore ce n'est pas unique-
ment mauvais au point de vue moral, c'est dangereux pour la vie,
pour la sant^, c'est ridicule, maladroit, incapable d'arriver au
but. « J'ai le sentiment de rater tout ce que je fais, je ne fais que
des choses absurdes, disent sans cesse tons ces malades, ce que
je veux c'est retrouver ma vie, j*ai bien le droit de vivre comme
tout le monde » et toutes les manies de reparation et tous les
tics de defense semblent se rattacher a ce sentiment fonda-
mental.
Dans les manies d'oscillation ce sentiment de mecontentement
semble se generaliser, il ne porte pas sur une scule idee que Ton
pent reparer en pensanta une autre, il porte sur toutes les idees
possibles, le sujet les essaye successivement sans etre satisfait
d*aucune.
Ces sentiments se retrouvent a propos des crises d'agitation et
des angoisses. C*est parce que Tacte semble impossible, qu'il y a
des agitations, c'est parce qu*il semble imparfait, qu'il y a des
efforts et des tics. Les angoisses se rapprochent des peurs et
des d^sespoirs et quand elles se d6veloppent, Facte parait au sujet
dangereux, effrayant ou ridicule.
Si nous cherchons a analyser ce sentiment de mecontentement
nous voyons qu'il se decompose en une serie de sentiments plus
^l^mentaires relatifs a Taction. Ces sentiments n'existent pas seu-
lement au debut des crises, ils existent souvent et dans quelques
cas d*une maniere continuelle a propos de tous les actes que le
sujet veut accomplir. C'est la un des symptomes primordiaux de
la maladie qui existait bien avant que les ruminations, les an-
goisses et, surtout, les obsessions ne se soient d^veloppees.
I . — Sentiment de difficulte.
Pour apprecier la variete de ces sentiments il faut suivre Tacte
volontaire depuis son debut et voir la suite des sentiments engcn-
dres dans Tesprit du malade. Ces personnes ^prouvent d'avance
des sentiments p^nibles a la penst^e qu*il faudra agir, ils redou-
lent faction par-dessus tout. Leur r^ve, comme ils le disent tous,
scrait une vie ou il u*y aurait plus rien a faire. « Je voudrais.
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE DANS L' ACTION 267
disait Fa... (169), une chose malheureusement bien difficile, je vou-
drais pouvoir faire toutes les actions a la Tois, une fois pour toutes
et ne plus avoir jamais rien a faire... ce d<^sir d'en avoir fini me
donne quelquefois du courage, je me hate de finir pour qu'on ne
me parle plus de Taire quelque chose. »
Cette horreur de Taction volontaire se rattache a un sentiment
exagere de la difliculte de Facte, le sentiment de Teflbrt et sur-
tout la provision de Teflbrt qui existe chez tout homme a la pen-
see d*un acte devient ici enorme. « Pas une seule chose, repete
Jean avec dcsespoir, qui ne presente d^enormes didicultes, des
qu^il s'agit de la faire. » cell y a la, me dit Fz... (59), des resolutions
a prendre, il faudrait r^pondre a une lettre, il faudrait pour cela
penscr a ce que je dois ^crire, avoir la conception de Taffaire.
Oh, je suis epuis^ rien que de songer a tout cela, cela va faire
marcher Torchestre dans ma tete, non il vaut mieux ne pas y
songer pour le moment. »
(f Je me demande, dit Nadia, comment je puis arriver a faire
quelquefois des choses comme tout le monde. C'est tellement dif-
ficile, j'en suis tout a fait decouragee d'avance. Je crois que j'ai
de la volonle au fond, si je ne fais pas ce que vous voulez, c'est
qu*il y a des difficult^s epouvantables qui m'enlevent toute mon
energie. » II est bon de remarquer que ces paroles ne s^appli-
quent aucunement a des actions en rapport avec les idees obs6-
dantes de la malade et que je ne lui demandais ni de manger ni
de sortir ; il s'agissait simplement de commencer une tapisserie
pour avoir une petite occupation.
Une de ces difficultes qui arretent le sujet c'est qu'il se repr^-
sente d'avance son insncces. II sent qu'il va faire les choses trfes
mal, d'une facon immornle et ridicule « j'ai une apprehension
pour tout ce que je dois entreprendre, il me semble que si je
commence je vais faire des horreurs d, il est bon de remarquer
que ce malade Bu... est simplement un agoraphobe et qu*il ne
s*agit pas d*actes pouvant ^veiller ses phobies. « Je me connais,
dit Nadia, il suffit qu'il y ait une mauvaise action a cote de celle
que je veux faire, je ferai la mauvaise... vous voulez que je me
remette a jouer du piano, mais avec mes doigts rouill^s je vais
Ires mal jouer, j^ennuierai toute le monde en recommen<;ant,
je ne peux pas me decider a- jouer si mal que cela, ce serait
honteux. »
Un sentiment voisin est le sentiment de VinuUlile de raction,
268 LES STIOMATES PSYCHASTHfiNlQUES
surtout de son peu de valeur relativement aux efforts qu'elle va
couter. (( Rien ne vaut la peine d'etre commence... a quoi cela
sert-il... se donner tant de mal pour aboutir a quoi... autant vaut
se tenir tranquille... »
2. — Sentiment d'incapacite.
Une variante du m^me sentiment nous fournira le sentiment
d'incapacite. Quand le sentiment d'incapacite porte sur un acte
determine il se rapproche un peu plus des obsessions : il en est
ainsi dans le cas de De..., « qui s*effraye du manage, qui n'a rien
de ce qu'il faut pour rendre un homme heureux, pour clever des
enTants, pour tenir un manage, etc. » Mais beaucoup plus souvent
ce sentiment d'incapacite est general « je n'ai plus de goiU ii
rien, je n'ai plus la force de faire quoi que ce soit » Dd... (18;.
« La vie m'effraye, dit Lo..., je sens que je nc pourrai rien en
faire » un peu plus et ce sera le sentiment de paralysie comme
chez Kl... qui trouve le mouvement demande « presque impos-
sible » elle s'arrete a « presque impossible », il est a remarquer
que ces malades n'arrivent jamais a une idee aussi nette que celle
de Timpossibilit^ absolue.
lis ont un sentiment de faiblesse enorme a la pens^e de faire un
acte, sentiment qu'ils n'eprouvent pas quand ils ne songent pas a
agir. J'ai observe chez Lkb..., femme de 22 ans, un ph^nomene
curieux: elle est trfes calme sur sa chaise et ne reclame rien tant
qu'on ne lui demande aucun effort ; si je Tencourage a agir, a tra-
vailler un peu, elle gerait sur la difficult^ de Tacle « chez une per-
sonne qui se sent si faible » et la voici qui commence une crise
de boulimie. Elle reclame a manger tout de suite, sinon elle va
tomber de faiblesse a elle va devenir folle, ou enrag6e, ou s'eva-
nouir, si elle ne mange pas tout de suite ». On pent arreter ce
besoin Enorme de nourriture, non en lui donnant a manger, mais
en la tranquillisant sur Taction a accomplir. Si on lui declare
qu'elle est trop faible pour travailler, qu'il vaut mieux rester a
se rcposer, elle se calme et ne demande plus a manger. C'esl
en examinant des faits de ce genre que je suis dispose a croire
au grand role du sentiment de la faiblesse et surtout de la fai-
blesse cerebrale dans le sentiment de la faim. On voit ici que
ce sentiment de faiblesse et d'incapacite s'^veille a la pens^e d'ac-
complir un acte.
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE DANS L'ACTION 269
Ce sentiment de faiblesse, d'impuissanee personnelle me parait
jouer un role dans un langage bizarre que je retrouve chez plu-
sieurs. lis font toujours appel a une puissance myst^rieuse qui
les d^barrasserait de Taction et surtout de la complexite de la
situation donn^e. « II me semble que j^attends quelque chose
avant d*agir, j*attends qu'une fee ait mis tout en ordre d^un coup
de baguette... » (Yk...) <( Je compte sur les magiciens, dit Rk...,
ils vont tout preparer et je pourrai alors agir. » « Ah, dit Qsa...,
si un miracle me permettait de faire peau neuve, me d^barrassait
d'un passe lourd, vous verriez que j'agirais tres bien, mais la
complexity des choses me tarabuste ; c'est trop dur pour moi, si le
ciel ne m'aide pas. »
3. — Sentiment d' indecision .
Un des sentiments essentiels de la volonte, c'est le sentiment
de la resolution, de la decision. Ce sentiment, comme dit Iloif-
ding, nous montre qu'une volition a reellement pris naissance, il
distingue les possibles (le souhait et Timagination) du reel (la re-
solution). « L'un des caracteres particuliers de la resolution,
forme la plus nette de la volonte, c'est que Tesprit s'y concentre
ou s*y aiguise en regardant Taction possible comme la sienne
propre. Avant d'ex^cuter reellement Tacte, nous le reconnaissons,
nous le percevons comme faisant partie de notre moi. Nous Tadop-
tons ou anticipons sur lui, nous considerons comme un acte
acheve ce qui, vu du dehors, n'est encore qu'une simple possibi-
lity. Par opposition a Taction interne exprim^e par la resolution,
la multitude des souhaits et des imaginations variables ne sont
que de pures possibilites*. » 11 y a done dans le sentiment de reso-
lution un sentiment d'unite comme si une seule tendance avait
persiste, un sentiment du developpement de cette tendance qui
devient plus forte qu^auparavant, un sentiment de personnalite
puisque Taction est adoptee et nous semble dependre de nous-
meme, un certain sentiment de plaisir qui accompagne la Gin
d'une lutte et Texaltation de la force.
Aucun de ces sentiments ne se developpe naturellement chez
les scrupuleux, ils n'ont jamais le sentiment d'ensemble, qu'ils
I. H. HdfTding. Esquisse d'ane psychologic fondle sur Vexpdrience, traduction
L. Poilevin, 1900, p. 44^.
270 LES STIGMATES PSYGHASTHfiNIQUES
sont decides oa s'ils Tont, ils le sentent faible et Incomplel et ils
ont constamment peur de le perdre. Ka..., homme de 67 ans,
que je choisis precis^ment parce qu'il n^a pas de v^ritables
manies ni de vraies obsessions, veut que ses actions soient faites
tres vite, il est impatient d'en voir Texecution « parce qu'il a peur
que sa decision ne se maintienne pas, il est si rare qu'il en ait
pris une. » Rt... (89), femme de 35 ans, n'arrivant jamais au sen-
timent de decision, se figure qu'elle n'ose pas prendre un parti.
L'histoire de Tr. .. est amusante sur ce point, elle nous
pr^sente comme une image concrHe du sentiment d'ind^cision.
Cette jeune fiile que j*ai d6ja cit^e a propos des manies de la
deliberation, a comme profession le modelage des fleurs en por-
celaine : elle est laiss^e a son inspiration pour la forme et la
courbe elegante des p^tales. Le premier signe de sa maladie
c'est qu'elle gagne moins d'argent dans sa journ^e, parce qu'elle
fait plus lentement ses petales de roses : en eOet elle h^site tou-
jours entre deux plis, ou deux courbes a adopter et elle ne sent
plus comme autrefois que pour tel p^tale donn^ le pli est d^finitif,
elle dit tres bien qu*ayant le p^tale en main meme quandil devrait
etre termini, elle continue a se representer deux ou trois formes
possibles et non plus une seule comme autrefois: ce sentiment s*ac-
compagne d'une sorte de petite douleur a la place du petit plaisir
qu'elle avait autrefois a terminer un pdtale et a le trouver joli.
Pen a pen le meme sentiment envahit d'autres actes. Ayant un
pen d'dconomies elle devait employer quelque argent a s'acheter
un objet de toilette, a Autrefois j'aurais su choisir et le choix fait
j'aurais eu un plaisir, je sens que je n^ai pas choisi, que je continue
a me representer plusieurs objets a la fois et m^me si j'en prends
un, je n'aurai pas de plaisir. » Qei... remarque tres bien elle-meme
que les decisions et les choix ne se terminent pas dans son esprit,
que rien n'est fini et que cela est p^nible. La meme phrase se
retrouve partout « pas de terminaison, dit Gis^le. Je nepeux tirer
la barre, ditLod... Je ne puis me decider, ni prendre un parti,
dit Lise : si je recommence la discussion, c'est parce que je sens
qu'il reste deux idees ». Non seulement Nadia mais toutes les
personnes de sa famille ont ce sentiment d'h^siter toujours,
d'avoir de la peine a se decider : « j'ai beaucoup de volonte en
theorie, dit Nadia, mais je suis trop fatigu^e pour avoir Fair
d'en avoir »;ces jeunes Biles ont lasinguliere habitude de prendre
des precautions contre elles-m6mes pour rendre leurs decisions
SENTIMENTS D'lNCOMPLfiTUDE DANS L'ACTION 271
irrevocables. Quand Tune d'entre elles avail pris ou a molti^ pris
une petite decision queleonque, bien insignifiante d'ailleurs, sur
la couleur d*un ruban ou sur une lettre a 6crire, elle devait le
notifier a chacune de ses sceurs ou bien l'6crire sur un papier
afin de ne plus pouvoir changer. Y a-t-il bien loin de cette habi-
tude puerile aux serments et aux pactes ? Quant a Jean, c'est chez
lui la douleur d'une indecision perp^tuelle: bienentendu Facte est
recule jusqu'a ses dernieres limites et a inesure qu^approche Tins-
tant ou la decision va etre inevitable, ses souffrances augmentent,
mais ce trouble est d^ja chez lui tout a fait pathologique, il devient
une manie de Toscillation plus qu'un des troubles des sentiments.
Aussi ces malades desirent-ils toujours qu'une autre personne
ou meme une divinity prenne les resolutions pour eux. « C'est
la responsabilite de mes actes que je ne peux pas prendre, dit
Wo..., je demande enormdment d'avis, de conseils, et meme si
j*ai une opinion personnelle, je finis toujours par suivre ces
conseils, c*est moins p^nible que de me decider d^apres moi-
meme... » « Ah I si je pouvais 6tre toujours simple manoeuvre,
me dit un artiste Qsa..., obeir a quelqu'un qui me dispenserait
de choisir... si quelqu'un me donnait toujours le plan, la place
des figures, le reste irait bi^n, mais la decision, c'est atroce... »
Je rattacherai aussi a ce sentiment une disposition curieuse a se
repr^senter un changement impr6vu des decisions. « Eh bien oui,
c*est decide, dit Jean, mais s'il arrive des circonstances graves,
je ne sais pas d*avance lesquelles qui m*empechent de faire ce
que je vous aipromis, ilne faudra pasm'envouloir, voussavezbien
que tout pent arriver. » Cette observation se trouve bien not^e
dans un roman celebre. a II pensait qu*a tout prendre ces enga-
gements n'etaient que de la pure convention, sans signification
precise, et que d'ailleurs personne n'etait si!kr du lendemain, et
ne pouvait savoir s'il n'arriverait pas quelque evenement extraor-
dinaire qui emporterait, avec la vie, Thonneur et le deshonneur.
Cette faQon habituelle de raisonner bouleverse souvent les de-
cisions en apparence les plus arretees\ »
4. — Sentiment de gSne dans V action.
Si le sentiment d'unite de la decision n'existe pas, nous ne
1. ToUtoi'. La guerre et la paix, I, p. 33.
272 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
voyons pas non plus ce sentiment de facility, d^entrainement qui
est da au ddveloppement d'une seule tendance persistante : il est
remplac6 par un sentiment de g^ne, de resistance dans Taction.
Ce sentiment pent se pr^ciser plus tard et les malades vont pre-
tendre que c*est telle ou telle manie, telle ou telle phobie, telle
ou telle id^e qui les gene pour agir, mais il est visible qu*au debut
ils ne savent pas eux-memes ce qui les gene ou plutot que cette
gene est extremement variable et produite par n'importe laquelle
des tendances non definitivement eliminees.
Le fait est tr^s net chez Byl..., jeune fille de 21 ans. Elle finit
par faire des sottises tellement elle est agac<^e par ce sentiment
de gene constante pour tout ce qu'elle veut faire. Claire, Nadia
et toutes les autres d^crivent le meme sentiment au debut de
leur mal. « Oh la gene, la g^ne que j'ai ressentie toute ma vie
des qu'il Taut faire un acte quelconque, quel supplice ! » (Meu...)
« je ne puis done pas vivre sans 6tre gen^e ! » (Vol...) « Toute
ma vie le supplice de la g6ne, jamais un acte qui se soit fait
naturellement. .. » (Yk...) « Toujours quelque chose qui entrave
mes entournures ». (Jean) II ne faut pas se figurer que ce senti-
ment de gene n*existe que dans Temotion d'intimidation, il existe
chez Rk... quand il s^agit de commencer dans son cabinet un
travail sur la litt^rature francaise, aussi bien que chez Brk...
quand elle doit se mettre a coudreune robe ; chez Vol... quand
elle travaille pour son manage, c^est le sentiment de la difGcult^
de Facte non plus quand on le prepare par Timagination, mais
quand on le realise on ne saurait trop insister sur Timportance
de ce sentiment.
5. — Sentiment d'automatisme.
Dans la decision il ya,comme nous Tavons remarqu^^un senti-
ment de possession, de personnalit^, puisque Taction noussemble
adoptee par nous-memes; on ne sera pas surpris de voir ce senti-
ment manquer totalement chez les scrupuleux, c'est ce qui pro-
duit le sentiment d*automatisme dont Timportance dans les
maladies mentales, est, a mon avis, tout a fait considerable. Le
malade de Ball ddcrit tr^s bien cette impression « dans cet etat
atroce il faut cependant que j'agisse comme avant sans savoir
pourquoi. Quelque chose qui ne me parait pas r^sider en moi me
poussc a continucr comme avant et je ne puis pas me rendre
SENTIMENTS D'iNGOMPLfiTUDE DANS L'AGTION 273
compteque j'agis reellement, tout est m^canique en moi et se fait
inconsciemment ^ ».
Tous DOS malades tiennent le meme langage, les mots « ma-
chines, automates, m^caniques » revlennent constamment dans
leur langage : « je ne suis qu'une machine, dit Lise, et je dois
faire des efforts bien p^nibles pour rester quelqu'un. » « J'agts
toujours en reve, dit Nadia, comme une somnambule. » « Je suis
dans mes acces un automate, dit Dob;.., je vois mes mains et
mes pieds, je les sens faire des actions sans que je les veuille.
Pourquoi ne feraient-ils pas des sottises puisqu'ils agissent sans
moi ? Quand je suis dans un chemin de fer en marche, je sens
mes mains qui veulent ouvrir la portiere de la meme faconqueje
les sens dessiner quand je travaille. » M^me pensee chez Day...,
« ce n'est pas moi qui agis, alors pourquoi mes mains ne pour-
raient-elles pas me faire mal, me blesser puisque je sens depuis
longtemps qu'elles agissent seules, pourquoi en presence d'^tran-
gers ne me laisserais-je pas aller a des actes de grossicret^ puisque
je ne me gouverne pas. » Ce sentiment joue un role dans toute
la maladie de Claire, « elle s'exaspere de faire les choses comme
une machine, elle ne peut pas s'y r^signer » et elle fait des
eiforts comiques pour essayer d'echapper a ce sentiment. Quand
on la pousse trop a accomplir une action, que Ton bouscule son
hesitation, elle a une fagon d'agir assez curieuse, elle cesso brus-
quement d'hesiter et fait Paction tout de suite a la condition
qu'elle soit simple. Par excmplc elle se roule sur son fauteuil
depuis une demi-lieure sans parvenir a me remettre une lettre
qu^elle a a la main, je (inis par me facher ; alors elle se leve
et me donne la lettre tout de suite. Mais elle reste d^sol^e
« ce n*est pas moi qui ai fait Taction, ma main a marche toute
seule... c'est mon corps, ce n^est pas ma volonte... je vous Tai
dit de bouche et non pas de cceur... c^est ma machine qui a fait
cela, c'est une de mes autres personnes ». On voitcombien le sen-
timent d'automatisme se mele chez ces malades a toutes les
manies pr^c^demment d^crites.
6. — Sentiment de domination.
Un degr^ de plus dans ce sentiment d'absence d'action person-
I. Ball, Revue scientifique, i88a, 11, 43.
L£S oa3Kssioi«s. 1. — 1 8
274 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
uelle, d'autoniatisme et Ics malades vont dire qu'il y a quelque
chose d'exterieur qui pese sur eiix, qui determine leurs actes ;
en un mot lis vont attribuer a des volonles etrangeres Tac-
tion qu'ils ne senlent plus dependre de leur propre volonte.
Vau..., jeune filic de 19 ans, qui est tout a fait unc scrupuleuse,
se plaint ainsi : a depuis quatre mois il me vient des idees baro-
ques, il me semblc que je suis obligee de les penser, de les dire ;
quelqu'un me fait parler, on me suggere des mots grossiers, ce
n'est pas ma faute si ma bouche marche malgre moi, il y a long-
temps que ce n'est pas moi qui agis. » « Une force irresistible
me pousse, ditDob..., je suis comme fascinee. » « Je ne peux
plus me retenir, dit Claire, c'est comme un fleuve qui m'entraine,
c'est comme si on m'enlevait ma liberte, comme si on me com-
mundait d'avoir des pensees deshonnetes, je souifrirais moins en
faisant un acle mauvais avec ma liberie, qu'en faisant meme des
actions bonnes, toujours poussee par quelqu'un. »
On comprend bien que dans cette voie les malades vont bien-
tot avoir d'autres sentiments bizarres ddrivant du premier. Le
moins dangereux va elre un desir fou, un amour passionne de
cette liberty qu'ils croient avoir perdue : je ne puis expliquer
autrement que comme une reaction contre le sentiment de domi-
nation, Tamour singulier de la liberte qui manifestent tant de
malades. On est, en eflct, surpris d\ine contradiction dans leurs
sentiments, lis ont besoin de direction, ils reclament un directeur
de conscience et un maitre ct cependant ils se vantent de rester
librcs ; ils s'effarouchent si on leur commandc Irop ouvertemenl
et ils parlent sans cesse d^une independance qui leur convient
si peu. « Ce que je d^teste le plus au monde, dit Nadia, c'est
d'obeir a quelqu'un, si je fais des progres je ne veux pas qu'ils
viennent des autres, je veux sentir qu'ils viennent de moi, de ma
propre liberte... » Lise se plaint toujours de manquer de liberte,
« il y a quelque chose qui me gene dans toutcs mes actions, c'est
que je ne suis jamais libre... c'est cela qui determine mon aga-
cement. » Le plus curieux est Voz..., jeune homme de 23 ans, qui
d^clame constamment sur la liberte. « C'est un devoir d'avoir un
amour fou de la liberte... il faut qu'on Taime par-dessus tout...
ce mot a pour moi unsens precis c'est le bonheur supr^meauquel
je tends de toutes mes forces. »
D'autres sentiments et d'autres id^es plus dangereuses peu-
veut sortir du meme point de depart. Jean a constamment Tidee
SENTIMENTS D*lNGOMPLf.TUDE dXT^ T/VCTION 275
qu'il est trompe, qiril est dupe par dcs gens plus habilcs que lui.
« Je suls coiistnmmeiit un garcon qu'on roule et qui s'en rend
rompte... » II aime, ou il croit aimer une jeunc fille et il inter-
prete bien singulierement son amour a c'cst comme si la belle-
mere nravait tendu un pi^ge, je suis furieux de m'dtre laiss^
rouler, attraperw.
La plupart vont avoir simplement le sentiment qu'on leur en
veut, qu*on les persecute : Voz... est persecute par ses profes-
seurs, Rp... par ses parents qui out dd Topprimer dans son
enfance et qui doivent encore avoir la patte sur lui par Tinter-
mediairc dc juifs puissants. Le delire de persc^culion est tr^s voi-
sin du delire du scrupule. et je m'etonne qu^'on les ait aussi
completenient separcs Tun de Tautre ; nous aurons a eludier ce
rapprochement.
Un sentiment frequent c'est celui d'une domination irresistible
et mysterieuse qui dans un tres grand nombre de cas estcomparee
a Tobligation morale ou religieuse. « II me semble que c*est
immoral d'agir ainsi, il me semble qu'il y a quelque obligation
morale, quelque devoir sacre qui me pousse a agir ou qui m'em-
peche d'agir)), c'est la un langage bien frequent chez des malades
qui n'ont pas encore, je le repete, d'obsession sacrilege ou d*ob-
session criminelle.
Mais souvent Tidee d*obligation myst6rieuse est plus nette
encore : « Quand j'etais petit, dit Rp..., je sentais une puissance
mysterieuse qui me poussait, m'enlevait ma libert(^, je croyais
alors que c'6tait la sainte Vierge, maintenant je sens la meme
chose et je me dcmande s'il n'y a pas un sort contre moi. »
« Cela m'exaspere, dit Nadia, de sentir loujours quelque chose
de mystcrieux qui me retient en arriere et nrempi^che de
reussir dans mes ambitions... il me semble qu'il y a une i'atalite
contre moi et elle ne me quittera pas tanl que je vivrai.., il me
semble qu'il y a une fatality qui plane au-dessus de ma tete et
qui ne me quitte jamais... c'est mon destin qui amenera ce que je
redoutc le plus et qui me fera engraisser afin que je sols encore
plus tourmentee... il y a une Force qui me pousse ii faire des
serments idiots, c'est le demon qui me pousse. » « J'ai sans
cesse, dit Gisele, le sentiment d'une puissance superieure qui
m'etreint, le sentiment que je lulte contre quelque chose de
superieur, c'est cette puissance que j*ai appelee Dieu et que j'ai
aussi envie d'appeler le diable » et Lise parle tout le temps de
276 LES STIGMATES PSYCHASTHfiXIQUES
m^me : « il me semble que je profane quelque chose de sacre eo
luttant contre ectte puissance sup^rieure, c'est la ce qui me donne
constamment Tidee du d^mon ».
7. — Sentiment de m^contentement,
Plusieurs auteurs ont insists sur le sentiment de satisfaction
qui accompagne toule action, toute creation, c'est la joie de la
puissance, la joie d'etre cause*. Ce sentiment de satisfaction,
remarque M. Lapie^, existe dans la creation de quol que ce soil,
m6me de la laideur, de I'erreur, de la souflTrance. Cela est peut-
ctre juste pour Thomme normal mais cela est absolument faux
pour les individus dont la volont^ est malade. Les scrupuleux
restent mecontents de leur action et d'eux-memes « puisque je
ne puis arriver a faire les choses bien du premier coup, dit
Cph... (116), il faut me les laisser recommencer, je souRVe trop
de cette action insuflisante ».
« Si vous m'avicz laiss^e faire des efforts, j^aurais fait Facte
moi-m6me, et maintenant je suis desol^e d'avoir agi comme une
machine » (Claire). « II est horrible de voir que mon action est
encore inachev^c, me dit Simone, je n'ai pas T^nergie qu'il faut
pour achever,.. je suis un etre inachev^. Donnez-moi done le
coup de pouce, le feu sacr^, donnez-moi quelque chose pour me
continuer )). Ce sentiment de mecontentement est en g^n^ral mal
exprime, il semble s'appliquer a la perfection objective du r^sultat
de Taction et comme ce rcsultat nous parait suflisant, nous trou-
vons que ce sentiment est delirant. Nadia n'est jamais satisfaite
d'une broderie qu'elle fait, elle veut toujours la defaire, la re-
commencer. Ceux qui examinent sa broderie et qui la trouvent
parfaite ne comprennent rien a ce besoin ; c'est que la malade
se place a un tout autre point de vue. Elle se plaint de n'avoir
pas eprouve pendant son Iravail les sentiments d'unite, de
personnalit^, de libcrte qui accompagnent les resolutions et
les volitions ordinaires et c'est pour cela qu'elle trouve que sa
broderie est mal faite. C'est pour la meme raison que Lise est
m^contente delamusique qu'elle fait, de ses lectures, de tout son
travail.
I. R. Groos, Les jeux dcs aniinaux. Trad., frang. (Paris, F. Alcan), 190a, p. 84.
a. P. Lapie, Logique de la volonUy 1903, p. 80.
SENTIMENTS D'lNGOMPLfiTUDE DANS L'ACTION 277
Une variety interessante de ce sentiment est I'impression de
mensonge, de faussete, de comedie que Ton retrouve si frequem-
ment chez les psychasth^niques. Bien des tiqueurs qui ont des
torticolis psychiques ou des deviations de la taille connaissent
mieux que leur medecin la nature de leur mal : (c Mon m^decin
etait inquiet et se demandait si je n'avais pas une coxalgie tuber-
culeuse, je n'etais pas tourmentee comme lui, car je sentais bien
que c'etait une comedie, il me semblait que je jouais la co-
medie et que je ne pouvais pas faire autrement. » Cette impres-
sion se retrouve meme quand les nialadcs n'ont aucun tic et ne
trompent en rdalite personne. « Ne croyez pas ce que je viens
de vous dire, dit Claire, je crois que j'ai menti, j'ai toujours
rimpression que je ne dis pas la verite. » « Ma vie est una
comedie perp^tuelle, dit Giselc, il me semble toujours que je
joue un role et que je n'agis pas sinccrement. » On verra toute
rimportance de ce sentiment en le rapprochant des sentiments
de r6ve et d'irreel que nous allons retrouver a chaque instant.
Une autre vari^te va etre le seniimeni d'humilitey dehonte qui se
trouve chez quelques malades. Toq... ne se croit bon a rien,il se
croit au-dessous de tons les autres,et Jean (init parse croire incapa-
ble de quoique ce soit ; il ne veut plus rien essayer, rien tenter, con-
vaincu de son inferiority. « C'est triste, d'etre pour tout le monde
un objel de risee et de passer a mon age pour un parfait imbe-
cile. » La moindre des choses exaspere ce sentiment d'infe-
riorite. En entrant dans une reunion il a depose sa canne au
vestiaire et il s'apergoit que plusieurs des assistants ont conserve
la leur ; de la un desespoir car il se sent nioins queux et il est
plus gene que jamais.
Le sentiment de honte se retrouve chez une foule de sujets
qui n*ont pas de veritables obsessions de honte, ils eprouvent
ce sentiment d'une maniere passagere el le trouvent eux-memes
ridicule. A bien plus forte raison ce sentiment est-il considerable
chez tons les malades chez qui nous avons decrit les obsessions
de la honte du soi et les obsessions de la honte du corps. C'est
un des sentiments essentiels des scrupuleux, mais j'ai insists
pour montrer qu'il se developpait a la suite d'une foule de senti-
ments d'inachevement et d'incompletude de Taction.
M. Mourre, dans une ^tude sur Taboulie, a montr^ I'impor-
278 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
tance du sentiment de rinutilile des efforts^. Ces mahides cessent
de faire des cflorts inutiles, ils pcrdent nieme leurs manias qui
scmblaient constitucr resseutiel de leur maladie, lis ne rcpetent
plus, ils ne font plus de grimaces, mais ils sont loin d'etre
gueris. Au contraire ils sont bien plus malades, ils ne veulcnt
plus agir ; ils restent absolument iramobiles dans un ctat d'abru-
tissemcMit et de desespolr. En voyant revolution de la maladie
nous observerons de ces crises chez Lise, chez Claire, chez
bien d'autres. Claire avait en rcalite des scrupules religieux,
ellc voulait tres bien fairc ses prieres ct pendant des anners
elle avait des crises d'agitation ct d'angoisses a propos de ces
prieres. On peut s'etonner de voir que maintenant elle a re-
nonce absolument a tout exercice religieux : « Tout est inutile, ]e
n'arrive a rien, je suis perdue et cela m'estbien ^gal, je n*essaye
meme plus de me sauver. » Remarquons pour en tenir coniple
plus tard qu'a cc moment la malade n'a plus ses crises d'agita-
tion. Toutes nos malades qui au debut ont tant souflfert a propos
des confessions ct communions finissent par y renoncer com-
pletement et par ne plus approcher d'une eglise. 11 faut bien
connaitre ce phenomene du decouragement complet et de Tahan-
don d'un acte, de certaines categories d'actes ou m(ime de tous
les actes pour pouvoir se rendre compte de Tetat d'un de ces
malades.
8. — Sentiments d' intimidation,
Dans les cas extremes tous les sentiments que je viens de
decrire sc manifestent a propos de tous les actes quels qu'ils soient.
Mais il est evident que dans les cas moins graves ces senti-
ments ne survicnnent qu'a propos de certains actes et non a
propos de tous.
Quels sont done les actes qui ont le singulier privilege de les
faire naitre ? Cc ne sont pas les actions insignifiantes que rhabi-
tude a dejii rendues automatiques; Claire ne se preoccupe pas de
marcher, dc manger, de respirer. Les actions pour lesquellcs ce
sentiment s'eveille sont celles qui precisement ne sont pas d'or-
dinaire automatiques, celles qui attirent Tattention. Plus un acte
est fait d'ordinaire avec attention, plus il est a proprement parler
1. UaroM Mourrc. T Vboiilitv fifvae pliilosophiifuc, i^cw, II, 2S\.
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE D.WS L'ACTION 279
volontnire, plus il a chance d'eveiller tous ces sentiments d'insu(Ii-
sance de la volonte. On comprend done que ces actes soient
variables suivant les sujets, les uns, et ils sont nombreux, sont
surtout pr^occupes d'actes religieux et le trouble s'eveille au
debut dans les eglises. Tout a fait au d6but Claire ne ressent ce
sentiment de didiculte, ces indecisions, cet automatisme qu'au
moment de faire ses prieres et de se confesser. Chez d*autres
Tacte grave va ctre Tacte professionnel : envoyer des dep^clics
ou rouler des petales de rose en porcelaine, etc.
Mais il y a une categoric d'actes qui ont le privilege d'etre
didiciles et importants pour tout le monde et d'exiger une cer-
taine somme d'attention volontaire, ce sont les actes qui doivent
elre executes en public devant nos semblables. Je ne vois pas
dans la timidite un phenomene special, ce nVst a mesyeux qu'un
cas de tous les troubles precedents. Aussi nous ne serons pas
etonnes que tous ces malades soient des timides, c'est-a-dire
qu*ils eprouvent au supreme degr6 les troubles precc^dents quand
ils doivent accomplir des actes devant des temoins. Mt..., lemme
de /|i ans, est surtout genee dans ses actes quand sa femme de
chambre est presente, c'est a ce moment qu'elle sent son action
automatique et ridicule. « Je suis genee, dit Fie..., quand il y a
deux personnes qui me regardent. » aJe ressens un clTet etrange,
dit Ei..., femme de 4^ ans, quand il y a du monde il me semble
que j'agis betement, que je ne suis plus libre de faire ce que je
fais, je relrouve ma liberte quand je suis seule. » On retrouve-
rait les mcmes sentiments chez Dob..., chez Jean, et surtout
chez Nadia. Celle-ci a, comme on Ta vu, un si grand besoin d'af-
feclion qu'elle voudrait se montrer aimable avec tout le monde et
elle fait plus d'attention que jamais a sa conduite quand clle est
avec des personnes a qui elle veut plaire. « Cela meg^nede dire
des choscs aimables que je voudrais bien dire, je me trouvc stti-
pide, je suis tout a fait degoutee de moi meme. » Je ne discule
pas ici Ic role des phenomenes cmotifs dans les phenomenes
d'intimidation, je constate seulement que les sentiments d^insuf-
fisance de Taction se montrent souvent dans les mc^mes circon-
stances oil cette emotion prcnd naissance.
9. — Sentiments de revolte,
Enfin il ne faut pas oublier que la volonte n'est pas toujours
280 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
active et ne determine pas uniqucment des actes positifs, il y a
une volonte negative, celle qui refuse one action et une volonte
en quelque sorte passive qui accepte les choses donn^es et les
situations telles qu'elles sont. II Taut un certain efibrt pour
s'adaptcr a un evenement, pour reorganiser sa vie en tenant
compte de ce qui vient d'arriver. Eh bien ces deux formes de la
volonte donnent naissance exactement aux m6mes sentiments
que la volonte active. Nous pourrions retrouver les memes
genes, les m^^mes sentiments de difUculte, d*automatisme, de
fatalite quand ii s'agit de r^sister a une impulsion ou a un
desir. Mais j*insiste sur la derniere forme qui est plus curieuse.
Ces malades ont le sentiment qu'ils n*acceptent jamais les
choses, qu'ils sont incapablcs de se rdsigner. « Je ne puis pas
comprendre, dit Lise, qu'une chose est impossible et il me
semble toujours que je fais des souhaits et meme des efforts
pour atteindre une chose que je devrais savoir irrealisable, c'est
encore a ce moment que j'ai Tid^e d'lnvoquer une puissance
mysterieuse qui fera ce que je desire et cela me fait encore pen-
scr au demon. Yoici plus de douze ans que Nadia a perdu sa
mere, elle se figure toujours que ce malheur est arriv^ hier et
qu'il ne pent arriver qu'a elle. Elle n'a pas encore accepts que
ce soit une chose faite et irreparable, ct Yoici vingt ans que j'ai
perdu ma grand'mere, dit Bal..., et je la pleure comme au pre-
mier jour ; je ne pourrai done jamais prendre mon parti de sa
mort et .accepter qu'elle soit morte. »
Tons ces divers sentiments qui se presentent a propos de Tac-
tion se rattachent tons les uns aux autres. lis contiennent tous
un sentiment fondamental : c'estque Taction est incomplete. Pour
les designer j*ai ete oblige de forger un mot et je propose de les
appeler des sentiments d'incompletude, Ce mot est plus juste
que Ic terme « sentiment d'imperfection » qui implique a tort un
desir de perfection au-dessus de la moyenne ; il me semble aussi
plus juste que le terme <( sentiment d'insufTisance », car il ne
s'agit pas d'une insuflisance quelconque, il s'agit de Tabsence de
terminaison definitive et complete, L'idee exprimee par le mot
complet me parait la principale et ce mot devait intervenir dans
la designation de ces sentiments tout particuliers. Le mot
« incompletude » a et^ employe par bien des malades, il me
semble (aire image et je crois que son usage va 6tre bien justifie
LINCOMPLfiTUDE DANS LES OPERATIONS INTELLECTUELLES 281
par I'etude des autres sentiments du meme genre qui se pr^sen-
tent a propos des perceptions et des emotions.
2. — Sentiments d'incompl6tude dans les operations
intellectuelles.
Les crises pr^cedentes de rumination, d'agitation ou d*angoisse
commencent a l*occasion d'un travail intellectuel, d*une per-
ception, d'un effort d'attention comme a I'occasion d'un acte vo-
lontaire. On retrouve a propos de cette operation intellectuelle
les memes sentiments que nous avons constates a propos des
actes volontaires.
I. — Sentiments de difficnlte des ope rat ions intellectuelles,
Ces maladcs pr^tendent d'abord que le travail de I'esprit leur
est devenu a peu pres impossible, a cause des difficult^s qu'il
pr^sente et des souffrances qu'il leur cause. Tons se plaignent
d'avoir des douleurs dans la tcte quand ils veulent appliquer leur
esprit ; nous avons vu d'ailleurs que Tattention est tres souvent le
point de depart des agitations, des ruminations et des angoisses.
Aussi Jean a-t-il une grande terreur de Tattention, « qui va lui
donner des coups a Testomac... », ii faut des exhortations et des
precautions inouies pour obtenir quelques instants de lecture.
Lise egalenient se plaint des fatigues que lui cause la lecture, des
difBcultes qu'elle (^*prouve a faire un petit calcul. Beaucoup de
sujets comme Vob..., Ck... s'epouvantent et se mettent en colere
si on essaye de fixer leur attention ou de leur faire accepter une
occupation reguliere.
Cette resistance s^explique en partie par le sentiment qu'ils ont
de Vinsuffisance de leur attention : ils sentent qu'ellc ne se fixe
pas et n'arrive pas a Tunite. « Quand je tiens une conversation,
dit Jui..., je voudrais bien pouvoir penser a ce que je dis. »
Lise sent toujours un engourdissement, un etat vague, une g^nc
enorme dc la pensee ; elle n^a jamais la disposition de Tesprit tout
entier, elle sent qu'elle he se donne jamais completement a ce
qu'ellc fait « ce que je lis, m^me ce que je regardo, n'cst pas bien
282 LES STIGMATES PSYCHASTHGNIQUES
net pour nioi, c'est que je pcnse tonjours a autre chose ». Gisele
se fixe plus facilement sur des idees que sur dcs ohjets, cela est
a retenir, mais menic quand il s*agit dcs idees abstraites qu'elle
preferc elle ne peut jamais peiiscr ii uiie scule idee a la fois, a il
sullit que je veuille appliquer inon cervcau pour qu'il brode ».
11 en est de m6me dans rubservalion de Vor... (iSy) « qui n'cst
jamais cntierenient a scs additions ». « Je ne puis pas clucider
mes idees^... je suis comme sous Ic coup d'un ramollissement...
je ne suis pas a cc que vous me dites... je ne suis pas toute
entiere a Tendroil oil est mon corps... » Ce sont des paroles
rcpetees a chaque instant par bien des maladcs.
line variante du sentiment precedent consiste dans Ic senti-
ment d*instabilitL% Ic maladc sent qu'il quittc tout le temps la
chose qu'il considcrait. « Jc ne m'attache a mcs idees qu*une mi
nute, une seconde a peine, je ncpuis pas penscrde la mcme facon
et avec la m(>me force deux sccondes de suite. » « Rien n'est fixe,
rien n'est stable dovant moi parcc que je ne puis pas m'arrc^ter
sur cc point. » M. Duprat * a beaucoup insiste sur Timportance
de ce sentiment d'instabilite et sur le role qu'il joue dans la
pathogenic de certains troubles mentaux.
2. — Sentiment de perception incomplete.
Cette faiblesse que les maladcs pretendent ressentir dans leur
faculte d'attention semble avoir des consequences puisqu'ils se
plaignent tons d'eprouver des alterations de la perception dcs ob-
jets ext(^rieurs. Ces troubles consistent comme toujours en sen-
timents bizarreSy anormaux qu*ils eprouvent a propos de ces ope-
rations.
Le plus commun de ces sentiments est une impression dc inal
percevoir, de percevoir incoiftplctcment. De lit toutes ces oppres-
sions si connues que Ton retrouve dans la bouche de tons les psy-
chasthcniques. « (^'est comme si je voyais les chosesau travers d'un
voile, d*un brouillard, d'un nuagc, c'est comme si j'entendais au
travers d'un mur qui me separe de la realite. » Ce fait est lout a
fait banal et la description en est deja ancienne et fort connue.
Hillod fait les remarques suivantcs a propos d*une de ses malades
I. Diiprat, L'iristabililr menOilr, iScjiS (Paris, F. Alcan).
L'INCOMPLfiTUDE DANS LES OPERATIONS INTELLECTUELLES 283
abouliques : « Kile assure qifelle se trouve dans la situation d'une
personne qui n'est ni morte ni vivante, qui vivrait dans un som-
meil continue!, a qui les objets apparaissent coinme enveloppes
d'nn nuage, a qui les personnes scmblent se mouvoir coninie des
ombres et les paroles venir d'un monde lointain*. »
Un malade de Krishaber cxpliquait ainsi d*unc manieretres fine
ce sentiment de perception incomplete : « II se faisait comme une
atmosphere obscure aulour de ma personne, je voyais cependant
tres bien qu*il faisait grand jour. Lc mot « obscur » ne rend pas
exactement ma pensee ; il faudrait dire u dumpf » en allemand
qui signifie aussi bien lourd, epais, terne, (^teint. Cette sensation
etait non seulement visuelle, mais cutanee. L'atmosphere dumpf
in'enveloppait, je la voyais, je la sentais, c'etait comme une couche,
iin quelque chose mauvais conducteur qui m*isoIait du monde
exterieur '. . . » 11 est inutile d'ajouter d'autres exemples qui seraient
absolument semblables : j'insiste seulement pour rappeler (jue de
tols sentiments ne sont pas particuliers, comme le croyait Krishaber,
a une n^vrose speciale, mais qu'ils se retrouvent a chaque instant
sous la forme simple <( du voile, du nuage » ou sous des formes
plus speciales chez tons les psychastheniques.
L'une de ces formes speciales les plus curieuses est constituee
par le sentiment de jamais-ifu et d'etrange. Dans bcaucoup d'ob-
servations, Krishaber remarque que les objets semblent etrangcs,
qu'ils deviennent droles, qu'ils sont plats et qu'un homme appa-
rait a ces malades comme une image decoupee et sans relief.
Le malade de Ball vit se produire un changement brusque,
etrange dans Tapparence des objets qui ne Ini paraissaient plus les
memes ; il ne leur trouvait plus de relief, c'est-a-dire plus d'appa-
rence naturelle^. Ces expressions se trouvent repetees si souvcnt
par nos malades qu*il faut se borner a citer brievement quelques
exemples. « Les choses ne me paraissent plus de la mc^me laeon
qn'autrefois. » (Lap...) a Quand jc suis fatiguee, mes yeux sont
alTectes du meme trouble que mes oreilles, tout ce que jc vois, les
dcssins du mur de ma chambrc me paraissent 6tranges comme le
sonde mes paroles. » (Dob...) « Le monde est drolement fait,
f. Billocl, Ann. mrd. psyrhoL, iS\~.
2. Krishaber, W'vropathit' rrrrbrocanUwjiw, 1873.
.S. Hall, lievtie srientijiijuc, 1883, II. j». \'i.
284 LES STIGMATES PSYGHASTHfiMQUES
singulier, degoutant. » (Brk. .) « C'est comma si je voyais les
choses pour la premiere fois... clles ont un aspect etonnant,
drole, Gomme si je ne les avais pas vues depuis tres longtemps. »
(Dod. . .) (c Depuis que je suis malade, les objets me paraissent plats,
sans relief, sales, etranges. » (Pr...), « il me sembic que tout est
faux, meme les objets que je vois. » (Claire) « quand je sors, il me
semble que ma rue n'est plus pareille, qu'il y a tres longtemps que
je ne Tai vue, c'est comme une ville que je n*ai pas vue depuis Ires
longtemps ». (Qb... i^) « tout a coup les choses exterieures me
font Teffet de devenir droles, il y a quelque chose qui n'est pas
comme de coutume. Je perds la notion de Texact, c'est comme une
deformation de la realite. » (Gisele) « tout ce que je vois, tout ce
que j'entends est comme inconnu, tout i\ fait etrange, il me semble
que je n'ai pas compris, c'est pour cela que je rcpete en dedans
le nom de tous les objets que je vois, c'est pour cela que j'ai
besoin de les toucher plusieurs fois ». (Cht...). Vod... en voyant
une de ses amies la regarde avec etonnement, elle trouve si drole
que cette amie ait deux trous au milieu de la figure, ce sont les
yeux qui lui font cet effet etrange.
M. Dugas a signale une forme singuliere de ce sentiment
d'^trangete. « Dans Tacces de M..., la vision parait surcxcitee,
elle dcvicnt nette, d^taillee et precise, plus exactement elle cesse
d'etre schematique et abstraite, le malade remarque la forme et
la couleur de chaque feuille d'arbre... chaque dos de Hvre lui
apparait avec sa physionomie propre, son relief et sa teinte carac>
teristique, la transformation qui s'opere alors dans la vision des
choses est marquee par la predominance du detail sur Tcn-
semble *. » Dans des <5as semblables une manie de precision se
joint souvent au sentiment d'incompletude de la perception. Du
moins il me semble qu'il en est ainsi dans le cas suivant assez
analogue. <c Apres le diner, dit Jean, je suis tourmente par les
couleurs du salon ; elles apparaissent si nettes, si precises sur
tous les objets que cela est Strange et genant. Cela m'obligc
a chercher une couleur rouge a droite quand mon ceil s'est pose
sur une couleur rouge u gauche, c'est une fatigue de plus. »
On peut remarquer a propos de la perception cxtericure un autre
sentiment voisin du sentiment de Tetrangc, Ic sentiment de deifon-
I. L. Dugas, Un ca;* dc depcrsonnallsation. Revue phihsophujnef 1898, I, 5o'i.
L'lNCOMPLfiTUDE DANS LES OPfiRATlONS INTELLECTUELLES 285
bleinent qui va jouer un r6le plus important dans la perception
personnelle. Dd...» femme de 24 ans, apres una troisieme gros-
sesse a le sentiment de ne pas se r^veiller bien, de rester comme
dans un r6ve, elle trouve que tout est strange « c'est comme si,
dit-elle, je voyais tous les objets doubles ». Fya..., femme de 20
ans, a le m^me sentiment pendant scs crises d'angoisses, a il me
passe un voile devant les yeux et il me semble que je vois
double ». Gisele a des doutes sur ce qu'elle volt et se demande si
ellc voit double. II est curieux de remarquer que ce sentiment de
diplopie ne correspond pas a un trouble precis objectivement ap-
preciable. Quand on leur demande la place de la seconde image par
rapport a la premiere, en un mot, quand on veut preciser leur di-
plopie, les maladesne peuvent plus rt^pondre et sont obliges d'avouer
qu*ils ne voient en reality qu'un seul objet, mais que cela leur
procure un sentiment de trouble comme s'ils en voyaient deux.
Aux troubles precedents de la perception exlerieure j*ajouterai
un petit sentiment bizarre sur lequel nion attention a etc attiree
parce que trois ou quatre malades s*en sont plaints exactement
de la meme maniere, le sentiment de desorientation. Gisele, en
particulier, dit que lorsqu'elle est tres mat, elle a une certaine
peine a se conduire non seulement dans la ville, mais m6me
dans son appartement, il n'y a plus de coordination entre la place
des diff^rents objets par rapport les uns aux nutres ; les rues,
les maisons, les portes et les fenetres de Tappartement semblent
avoir perdu leur place relative et la malade se trouve toute d^so-
rient^e. Ppi... me parle tout a fait de la meme facon ; depuis
qu'il est malade il ne s*oriente plus consciemment dans Paris.
II ne perd pas son chemin, car il connait la ville depuis long-
temps, mais c'est en quelque sorte inconsciemment qu'il rentre
chez lui : s'il essaye avant de partir de se repr^senter le chemin,
la direction de la place de Passy par rapport au Quartier Latin,
il ne pent aucunement y parvenir; il se souvient cependant qu'il
faisait tres bien cette operation avant d'«>tre malade. Je ne pre-
tends pas que cette desorientation soit un caractere n^ccssaire
des scrupuleux, Jean pousse au contraire a Textreme le sens de
la direction puisqu'il y a certaines directions auxquelles il ne
pent pas tourner le dos sans recevoir des fluides ; mais chez les
malades qui ont des troubles nets de la perception ce petit fait
s'ajoute aux sentiments de nuage et d'etrange.
<
826 * LES STIGMATES PSYCUASTHfiNrQUES
l!!n(in, ces objets pcrcus vaguement, etranges, dedoubles parais-
sent encore blen souvent se rnpetisser el s*eloii(ner. Ce sentiment
d*^loignenient des objets sc compliqiie prcsque toujours d'un sen-
timent (Cisolementy puisquc le siijot se sent lui-menie loin des
choses et s^par<^ d\dles. « l^our beaucoup, disait Krishaber, les
objets paraisscnt sc rapetisser ct s'eloigner a Finfini. Le malade
ne reconnait plus le son de sa voix ; elle liii semble venir de tres
loin et se perdrc dans Tcspace sans pouvoir atteindro Toreille des
intcrlocuteurs dont les reponses sont difticilcment percues... »
Dans sa these sur « le sentiment de dcja vu », M. Bernard Leroy
remarque souvent que la fausse reconnaissance est accompagui^e
par le sentiment de petitesse et d'^loignement des objets \
cc Tout s'eloigne de moi » repe^tcnt nombre de nos malades,
les objets sont dans le lointain et ils deviennent petits, petits... »
(Claire, Lise, Wc..., etc.). Dans quelques cas rares, il peut se
produire ici un trouble de la vision analogue aux spasmes d'ac-
commodation bien connus chez les hysteriques, mais le plus
souvent il n'cn est rien. Ces malades qui pretendent que les
objets sont loin et petits les touchent a leur place et font des
mouvemcnts corrects pour les prendre des qu'on leur demande
de le faire ; ils (inissent par reconnaitrc que les objets sont restes
semblables, mais qu'ils leur donnent Timpression d*i^tre loin el
d'<^lrc petits. M. Bernard-Leroy me semble bien decrire ce phe-
nomene, quand il dit « qu'il s*agit moins d'un eloignemcnt ma-
teriel que d'un eloignement moral, Tillusion visuclle sc Irouvc
sous la dependance de I'impression d'^loignemenl, d'isolement,
de fuite du monde' ».
Ces sujets ne reconnaissent plus le monde ordinaire, ils Ic
sentent disparu, eloigne d'eux, separe d'eux par une barriere in-
visible, par le voile, le niur dont nous avons deja parle, et ils
traduisent ce sentiment d'unc manierc symbolique en parlant
d'eloignement materiel ct de petitesse.
Ce sentiment peut etre pousse a Textreme : Tun des sujets dc
M. Bernard-Leroy croyait c< Hotter dans les espaces interplan^-
taires et se croyait separe de tons les univers, dans une sorle
cViso/emenl vosmiqne n. J'ai vu deux malades qui avaient des
rellexions de ce genre. Gel... r^pele tout le temps qu*il lui
1. K. Uornani I^croy, i/illusion df fansst' rrroniiaissanre, 1898 (Paris. F. Alcaii).
2. \^c^u'd^d -Leroy, Ht'vue pUilosophitf lie, i8(j8, 11. lOo.
LiNCOMPLfiTUDE DANS LES OPERATIONS INTELLEGTUELLES 287
semble avoir qiiitte la terre et elre tombee dans une autre pla-
nele, elle voudrait bien revenir siir la teri'e oil sont tous les siens.
X..., femme de 3o ans, pendant six scmaines, apres une fievre
lyphoide, a eu IMmpression qu'ellc ^lait (c loin de la ten e el loin
tin systeme solaire ». L'Arc de Triomphe qu'elle voyait de ses
fenetres etait une copie de TArc de Triomphe terrestre « quUls
avaient faite dans une autre plancte ». On voit que ces interpre-
tations delirantes auxquelles le malade croit plus ou moins vicnnent
compliquer le sentiment de Tctrange et de Tt^loignement.
3. — Sentiment de conception imaginaire.
A un degre plus avance, les malades n'ont plus seulemenl le
sentiment que leurs perceptions sont mauvaises, insulHsantes,
bizarres ; mais ils ont encore le sentiment que leur operation n'est
plus du tout une perception de Tobjet ext6rieur, mais une autre
operation, une conception plus ou moins imaginaire. II y a tou-
jours quclque diflicultc, ainsi que je Tai indiquc souvent, a distin-
guer Tune de Taulre une perception actuelle, un souvenir ou un
rcve'. Nos malades se trompent maintenant tout a fait et ils ont a
propos d'une perception les m^mes sentiments qu'a propos du
souvenir ou de Timagination.
On a beaucoup etudie dans ces dcrnieres annees le phenomcne
de la Tausse reconnaissance ou du deja vu, dans lequcl le sujet a
r impression que tous les details de sa situation actuellc sont la
reproduction d'une situation identique dt^ja vecue par lui autre-
fois. Les descriptions anciennes de Wigan, i8/|4, de Jensen,
i8<)8, de Sander, 1878, de Angel, 1877,5001 lout a fait classiques.
« Cest, disait un malade de Wigan, une impression soudaine
que la scene a laquelle nous venous d'assister a Tinslant (quoiquo
etant donnee la nature m^me des circonstances elle n'ait pas ete
vue anlerieurement) s'est dejii trouvee sous nos yeux autrefois avec
les memes personnes, causant entre ellcs, assises exactement dans
les monies positions, exprimant les mt^mes sentiments dans les
roemes termes. Les poses, les expressions, les gestes, tel son de
voix, il semble que Ton se souvienne de tout et que tout cela attire
notre attention pour la seconde fois^. » On trouvera bien des des-
I. Necroses el 'uUe» fixes, II, p. i()8.
a. NN igan. The duality of Mind, iSVi, p. i^4.
288 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
criptions de ce genre dans le travail de M. Arnaud^ et dans la
these de M. Bernard Leroy^.
Ce sentiment du pass^ se retrouve assez souvent chez nos ma-
lades et je rappelle les deux cas suivants, Lo... est souvent sur-
prise de voir que sa vie actuelle reproduit identiquement (c mot
pour mot » une p^riode de sa vie pass^e. « Dans certains moments
qui passent vite, dit Claire, il me semble que je les ai d^ja vecus...
je retrouve Facte que je fais, la pensee que j'ai, tout comme si je
les revivais de nouveau, et cela me produit un sentiment tres im-
pressionnant. »
Je ne puis etudier ici le ph^nomene du d^ja vu dans tons les
details, je rappelle seulement qu'il ne constitue pas un trouble
de la memoire comme on le dit trop souvent, mais un trouble dc
la perception. C'est une appri^ciation fausse du caractere de la
perception actuelle qui prend plus ou moins Taspect d'un phdno-
mene reproduit au lieu d'avoir Faspect d'un ph^nomene nouvelle-
mentpercu. Dans mes cours sur la m6moire en 1897, j'ai essaye de
montrer que le a d^ja vu » rentre dans les sentiments d'automa-
tisme. Le sujet qui sent son activity diminu^e ne retrouve plus le
sentiment du petit effort de synthese qui accompagne chaque
perception normale, il croit reciter, c'est ce qui donnc a la per-
ception Tapparence d'un ph^nomcne passe. La localisation a telle
ou telle date devient une affaire d'interprelation, quand ce senti-
ment donne naissance a une obsession. II me semble necessaire
maintenant de faire rentrer le phenomene du « deju vu » dans
un groupe plus considerable, celui des sentiments d'incomple-
tude.
Quand on dit que les ^v^nements de la perception pr^sente
prennent aux yeux du sujet Tapparence de souvenirs, il ne faut
pas ceder compl^tement a une illusion et croire que Fapparence
est complfetement celle d'un souvenir. Jamais le malade, sauf quand
il y a un delirc surajoute comme dans le cas de M. Arnaud, ne
cede completement a Tillusion ; jamais il n'aflirme que Tevenement
actuel soit r^ellement un souvenir du pass^, jamais il ne sc conduit
comme si c*etait un souvenir. Le sentiment du deja vu est plutot
une negation du caractere present du phenomene qu^une aHirma-
tion de son caractere passe. Le sujet, a moins qu'il n'arrive lui-
1. Arnaud, Le sciilimenl de « deja vu ». Ann. med. psych. y 1896, p. 8.
2. E. Bernard Leroy, L'Ulusion de fausse reconnaissance ^ 1898.
LnNCOMPLfiTUDE DANS LES OPI^RATIONS INTELLEGTUELLES 289
m^ine a des interpretations, sent tout simplement que les pheno-
menes n'excitent pas en lui le meme sentiment que des choses
presentes, qu*ils ressemblent sur ce point a des choses passees.
II y a presque toujours une difference importante entre « le d6ja-
vu » et le vrai souvenir du pass^. Le passe a le caractere d'etre
connu, d'Mre habituel, il ne nous 6tonne pas ; au contraire, le
(( deja-vu » conserve toujours un sentiment de vague, d'^trange ;
il se rapproche toujours des sentiments precedents du voile, de
Tetrangete dont il n'est en r^alit^ qu'une forme particuliere.
-Aussi n'est-il pas surprenant que ce sentiment pr^sente des
vari^tes et qu41 ne soit pas toujours interprete comme un senti-
ment de souvenir. Dans quelques cas assez rares d'ailleurs, si je
ne me trompe, le sujet sentant toujours que le fait n'est pas pre-
sent, car c'est la le fait fondamental, est dispose a le situer dans
Tavenir. « II me semblait que ce que j^entendais 6tait ce qui allait
elre dit ou fait*. » Nadia se plaint bien souvent de ne pas etre
dans le present, de ne pas se rendre compte de ce qui existe dans le
present. « J'ai, dit-elle, de droles d'impressions, il me semble que
les choses n'existent pas r^ellement, mais que j*ai des pressenti-
ments de leur existence. Tout a I'heure j'attendais votre visite et
je me la reprdsentais, et bien maintenant j*ai envie de dire que
c'est la mueme chose, l^tes-vous vraiment la ? » C'est a propos de
sentiments de ce genre que quelques auteurs ont parl^ de sentiment
de pressentiment', de sentiment de a promn^sie^ ». II est facile
de voir que ce n'est qu'une variante du sentiment precedent.
Un autre sentiment bien plus naturel se d^veloppera frequem-
ment a la place des precedents, c'est le sentiment de rimaginaire,
de VirreeL « L'impression du deja vu, disait M. Paul Bourget*,
s accompagne d*une espece de sentiment impossible a analyser que
la realite est un reve. » On trouvera une foule d'exemples de ce
sentiment de Tirreel dans les observations de Krishaber. a Quand
je vois mes camarades d'hopital, je me dis a moi-m^me: ce sont
les figures d'un reve... » « Meme en touchant et en voyant, le
monde m'apparait comme une gigantcsque hallucination... )> On
retrouvera ces memes paroles chez le malade de Ball, dans les
1. Bernard Leroy, op. cit., p. 211.
3. A. Lalande, Les paramn^siest Revue philosophiques, 1898, II, p. 4^5.
3. Fr. W. Myers, Proceedings of the society for psychical Research, i8()5, p. 3V4'
4. Bernard Leroy, op, cit., p. 1O9.
LES OBSESSIONS. I- 7 0
200 LES STIGMATES PSY'CHASTHfiNIQUES
observations de M. Dugas, de M. Bernard Leroy, etc., c'est iin
des sentiments les plus frequemment observes. A mon avis, il est
beaucoup plus frequent, plus caract^ristique et plus interessant
pour la psychologie que le sentiment du « d^ja vu » qui a ^te trop
souvent 6tudi6 d*une maniere isol^e.
Pour ma part, c'est le sentiment que j'ai le plus souvent observe
chez les psychasth<^niques. Je ne puis citer que quelques expres-
sions de ce sentiment au milieu d^une foule d'autres. a Je ne vis
plus sur terre, dit Pot... dans les p^riodes de grave maladie.
puisque je ne vois plus rien qui existe reellement. Je ne puis pas
me mettre dans Tid^e que vous et les gens qui m^cntourent vous
vivez reellement, vous etes de vraies personnes. n Cette malade
est int^ressante parec que dans tons les intervalles des crises,
quand la maladie diminue, elle se f^licite « de retrouver enfin des
objets reels ». D'autres, comme To... ou Mb..., n'ont ce sentiment
qu*a propos des perceptions visuelles ou auditives, « elles ont
besoin de toucher, comme saint Thomas, pour se rendre un peu
compte que Fobjet existe... ». On se rappelle Tobsession « de la
veracite des sens, de la priority du toucher, sens direct au milieu
des sens indirects... » qui s'est d^veloppee chez Mb... a ce propos.
Une expression dont les maladcs aiment beaucoup a se servir
pour designer ce trouble de leurs perceptions est celle de m'P,
quoique ce soit, bien entendu, une simple metaphore ainsi que le
remnrque M. Dugas, car il n'est pas du tout certain que Ton ait
un sentiment semblable dans le'^ veritable reve. Tons repetent
comme Lo... : « je vis dans le reve, dans les espaces, je ne sens
pas les choses de ce monde. » « Je vois tout au travers d'un
voile, d'un brouillard, j'entends parler comme si j'^tuis dans un
reve » (Dd...), « Je ne distingue vraiment pas bien ce que j'ai
vecu et ce que j*ai reve » (Gisele). Pendant de longues periodes
Nadia r^pete « qu'elle se sent drole', quVlle se sent comme dans
un reve perp^tuel. »
Les 6v^nements les plus graves ne les sortent pas toujours de
leur etat de r^ve. On a commis la sottise ^norme de marier Lo...
elle semble n'avoir rien compris a ce qui s'est pass^, elle resle
toute surprise qu'on Tappelle Madame et ne pent parvenir a com-
prendre que tout cela n^est pas un simple reve.
II y a m^me des malades qui vont encore plus loin dans ces
sentiments d'incompletude de la perception ext^rieure et qui
L*lXCOMPLfiTUDE DANS LES OPERATIONS INTELLECTUELLES 201
ont le sentiment d'avoir perdu tout a fait certaines perceptions.
Btu..., un€ femrae de 56 ans, dont I'observation est tout a fait
remarquable pour Tetude de la maladie de Krishaber, repete
constamment : « Je suis enTerm^e dans un tombeau... quelle
horreur que Tisolement absolu ! II n'y a personne, personne
autour de moi. Je ne vois que du noir, un noir d*encre, meme
quand il y a du soleil je ne vois rien, rien que du noir. » II est
toujours surprenant en examinant de tels malades de constater
qu'ils n*ont absolument aucun trouble de la vision, qu'ils distin-
gaent tons les plus petits objets et les reconnaissent sans hesi-
tation. Hot..., jeune (ille de 17 ans, arrive en se plaignant d*^tre
aveugle. a Est-ce que je pourrai encore voir clair, est-ce que je
pourrai guerir et voir clair? » En r^alite elle lit les plus petites
lettres du tableau de Wecker a la distance de 5 metres. — Ret...
va chez tons les m^decins qui traitent les oreilies et pretend ^tre
sourde quoique on ne constate aucune surdity objectivement. Ce
sont deja des obsessions qui se d^veloppent a propos des sen-
timents d'incompl^tude de la perception.
4. — Sentiment de disparition du temps.
A cot^ de ce trouble de la perception des ^venemcnts dans Fes-
pace, il est juste de placer un fait analoque a propos du temps.
Les etudes sur les sentiments des malades a propos du temps
pendant lequel se deroulent les plienomenes seraient a mon avis
des plus int^ressantes ; clles ont ^t^ tr^s rarement faites car elles
sont fort didiciles. On constate au premier abord les faits les plus
incoh^rents chez les differents malades ou chez le m^me sujet. II
faut, je crois bien, separer les appreciations qu'ils portent pendant
qu'ils sont malades, sur leur etat de sante anterieur ou sur les
phenom^nes de leur p^riode de maladie.
Quand le malade songe a son etat de sant^ antdrieur a T^poque
oil il ^tait bien portant, 011 il avait le sentiment du reel, il me
semble dispose a le reculer enormenient, dans le temps, a avoir a
ce propos un sentiment exager^ du cours du temps. Voici comment
s^exprime un malade de Krishaber: « II me semblait 6tre trans-
ports extremement loin de ce monde et machinalement je pro-
non^ais a haute voix ces paroles : je suis bien loin, bien loin. Je
savais tres bien cependant que je n'Stais pas SloignS, je me souve-
nais tr^s distinctement de ce qui m'etait arrive, mais entre le
292 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
moment qui avail pr^ced^ et cclui qui avait suivi mon attaque, il
y avait un intervalle immense en dur^e, une distance comme de la
terre au soleil... » Si on se place exactement dans la meme situa-
tion et si on interroge le sujet sur le temps ^coul^ depuis son etat
de sant^ jusqu*a F^tat actuel de maladie, il repond comme le
malade de Krishaber : « Ma jeunesse heureuse est scpar^e de moi
par des siecles, dit Claire. » « Ma crise n'a commence en r^alite
que depuis trois jours, me dit Kl..., mais c'est une cternite, il y a
si longtemps que je suis etonn^e de me souvenir de ce que je faisais
avant d'etre malade. » Est-ce bien la un sentiment du temps, n'esl-
ce pas le meme sentiment d*eloignement qui poussait le sujet a
mettre des espaces infinis entre lui et les choses reelles, 11 se s^pare
de sa vie reelle anterieure par des si^cles, comme tout a Theure il
separait son corps de la terre ct du systeme solaire.
On trouve des sentiments qui portent plus exactement sur le
temps.quand on prend la precaution de ne pas sortir de la periode
de maladie et meme de la periode pendant laquelle la maladie est
reside la meme,
J'ai note ce detail avec soin dans mon observation deja publico
de Bei... Cette jeune fille atteintedu sentiment de dcpersonnalisa-
tion se plaignait qu*elle avait perdu le sens du temps, ellene coni-
prenait pas la signification des mots : hicr, aujourd'hui, demain ;
la journec s*^coulait sans quVlle edi compris comment, elle
croyait toujours etre au meme moment, « hier, aujourd^hui,
demain me paraissent la meme chose, comme un grand vide, »
elle pouvait se rendre compte de ce trouble bizarre en le compa-
rant a ce qu'elle 6prouvait autrefois quand elle faisait correcte-
ment la distinction des divers moments du temps*. Beaucoup de
malades sont du m^me genre, Ver..., PI... (20) et par moments
aussi,Nadia : il est clair que cette derniere ne se rend pas compte
de r^loignement des annees, elle reste toujours exactement la
meme et quoiqu'elle ait 3o ans, elle croit etre rest^e tout a fait
comme une enfant.
Lise a fait sur ce point des remarques plus nettes : elle est sur-
prise de la facon dont le temps s'ecoule pendant qu'elle est malade :
« Les heures passent tout a fail sans que je m'en aper^oive, je reste
trois heures a mediter et quand je me secoue j'ai le sentiment que
je ne me suis laiss^e aller que cinq minutes a peine. J*ai el6 tres
I. Mevroses et hUesJixes, II, p. 63.
L'INCOMPLfiTUDE DANS LES OPERATIONS INTELLECTUELLES 293
malade toute cette semaine et en revenant vous voir j'avais Tim-
pression de sortir de chez vous, je ne puis pas me figurer qu'il y
a huit jours d'ecoules... Pendant mes periodes de maladie, le
temps est toujours trcs court... s'il existe... ou plutot je n*en sais
rien, // me semble quil ny a plus de temps quand je suis trfes
malade... » M. Fouill^e disait d^ja « m^nie chez rhomme, 11 y a
des cas maladifs ou toute notion du temps semble disparue, oii
r^tre agit par vision machinate des choses dans Tespace sans
distinction du passe et du present^ ».
On explique ordinaircment ces faits en disant que le sujet
s'absorbe dans le sentiment du present. Quoiqu'il soit didicile
d'avancer sur ce point autre chose que des hypotheses je serai
dispose a dire que mes malades perdent la notion du temps d'une
maniere bien plus complete, parce qu*ils perdent le sentiment du
present. Pendant la dur^e de leur crise, quand la perception ne
donne que de Tirreel ou du pass^, ils n'ont point le sentiment du
present, c*est du moins cequ'expriment des malades comme Bei...
et Lise « qui sont dans un reve et ne sententplus le temps s^ecou-
ler ».
Ces modifications du sentiment du temps prendront plus tard
une grande importance, nous ne pourrons ici que les signaler et
attirer Tattention sur elles.
5. — Sentiments d'inintelUgence.
Les modifications deTattention ne determinent pas seulement
les sentiments pr^c^dents a propos de la perception ext^rieure, ils
determinent des sentiments du meme genre a propos de toutes les
operations de Tesprit, de toutes les conceptions, de toutes les
idees. Les souvenirs et les idees ont le meme caractere de vague et
d'irr^el que le monde exterieur. <( Ma vie pass^e, dit Claire, me
parait appartenir a un autre monde, qui n*est pas reel, tout cela
est si loin de moi, je nc peux pas m*expliquer bien mes idees, je
fais des efforts pour atteindre une id^c claire, il faudrait pour cela
ouvrir une petite porte qui est dans ma tete, Tidee claire est
derrierc cette porte mais je ne puis parvenir h Tatteindre. »
Dob... gemit indefiniment sur la peine qu'elle a a exprimer et
I. Fouiil6e, Introduction a la genhe de Videe de Temps, par Gu^rau, 1890 (Paris,
F. Alcan).
294 LES STIGMATES PSYCH ASTHfiNlQUES
a comprendre ses id^es, elle desespere d'arriver a la precision.
Qi... se d^sole parce qu*elle ne peut plus comprendre son fils
ni sc faire comprendre par lui « on dirait que depuis deux ans
notrc maison se translbrme en une Tour de Babel. »
Ce vague de Tid^e provoque certainement divers sentiments se-
condaires que Ton a remarques chez ces malades, d'abord le senti-
ment du mystere, Tidee qu'ils sont entoures de choses profonde-
ment incomprehensibles, ensuite le besoin de chercher, Teffort
pour se d^brouiller au milieu de toutes ces choses qu'ils ne com-
prenncnt pas. « Les choses mystiques et niysterieuses me font du
mal et m'atlirent,. je sens si bien le myst^rieux » (Gisele). Chez
Gat... et chez Pot... la progression est bien visible : au debut
ellesont des sentiments douloureux d*automatisme, d*irreel, d'obs
curite et ce n'est qu'apres qu'elles se mettent a interroger.
<c Pourquoi ces gens qui ont Tair droles sont-ils sur terre ? Pour-
quoi vit-on puisqu'on doit mourir ? » Le goAt des questions m^-
taphysiques se rattache a diverses tendances, nous en voyons ici
un exemple.
Les malades semblent se rendre compte que cette obscurite
tient a quelque chose, a une operation mcntale mal faite, ils ont
constamment comme Jo... le sentiment qu'ils ont oubli6 quelque
chose, qu'il leur manque une operation mentale. Ver... dc meme
qu'il se plaint d'avoir perdu sa personne se plaint d'avoir perdu
scs idees : dans son langagc sans precision psychologique il dit
sans cesse » qu'il ne se fait pas d'id^es des choses, qu*il ne peut
pas poursuivre ses idees. » II a ete a Tenterrement d'un de ses
oncles et se plaint de nc pas se faire Tidee qu'il est mort. « Que
voulez-vous, dit-il en terminant, la vie est de penser et je ne pense
pas. )>
D*autres se rendent mieux compte qu*ils ont des idc^es nom-
breuses mais qu*ils ne les unifient pas, ne les coordonnent pas :
« mon attention est sans cesse 6parpillee, dit Lise. » a J'ai trop
d'idees compliquees a la fois, dit Nadia », Xyb... se rend compte
qu'ellc ne met pas les choses a leur place. Elle a des doutos et
des scrupules relativement a une domestique, « je ne suis pas
naturelle avec elle, il faudrait qu'elle ait sa place dans mon ima-
gination comme domestiquc, les places des idees me semblent
changees. II faudrait que les choses soient ^quilibrees de nou-
veau ». Ppi... se sent toujours faible dans son travail, il ne peut
L'INCOMPLfiTUDE DANS LES OPfiRATIONS INTELLECTUELLES 295
pas avoir de vues d'ensemble, embrasser une 6tude, a il me faut
indefiniment prendre chaque petit coin de la question ».
On pent rattacher a ce sentiment d'incoordination certains be-
soins qu'eprouvent les sujets. lis ont, disent-ils, une soif d*ap-
prendre, ilsvoudraientqu^on leurRtdes demonstrations, qu'onleur
fit comprendre des id^es generates capables de mettre de Tordre
dans leur esprit. Ce desir se symbolise dans la pensee de Jean qui
aspire a des enseignements d'une simplicite et d'une g^n^ralit^
inouies. II est impossible de trouver un livre qui soit de son goiit :
« Comment peut-on lui faire lire des details a lui qui ne sait
rien de Tensemble ? » A 32 ans, il ne veut lire que des manuels
et des manuels tres gen^raux; il ne pent pas lire un manuel
d'histoire de France avant d'avoir lu un manuel d'histoire uni-
verselle et avant de s'interesser a une notion scientifique quel-
conque, le voici qui veut ^tudier les « lemons de choses » qu'on
donne aux petits enfants. Ces gouts correspondent a des senti-
ments bizarres relatifs a la clarte de la mcthode deductive, a un
besoin ridicule de subordination et de coordination qui se rat-
tache, si je ne me trompe, a la souffrance causae par la lacune
pr^cedente.
5. — Sentiment de dotite.
Nous arrivons au sentiment le plus connu de ces malades, celui
que Ton prend bien trop souvent comme repr^sentant de tous les
autres. M^me surce point il y a souvent des malentcndus, ainsion
se borne a dire que ces malades ont la manie du doute, la manie
de rinterrogation. Ce n'est la qu'une des formes du doute qu*ils
peuvent presenter : a c6te de ces manies de s'interroger sur un
point comme sur Texistence de Dieu, ils ont un doute perp^tuel
qui est un simple sentiment portant plus ou moins sur tous les
actes de la vie. J'avais insiste sur cette distinction dans mes an-
ciennes etudes sur Taboulie. MM. Raymond et Arnaud la font
egalement avec neltete*. C'est pourquoi apr^s avoir decrit les
manies de recherches nous arrivons maintenant aux sentiments
du doute.
Les malades doutent au d^but des choses qui sont evidemment
les plus obscures et qu'ils comprennent le moins, c'est-a-dire des
I. Rajmond et Arnaud, Ann. m^d. psych., 1893, ll» aoa.
296 LES STIGMATES PSYCHASTHENIQUES
choses religieuses. a Quand j*ai commence a etre malade, dit
Bal..., j'ai perdu la foi de mon enfance, je ne savais pas pour
quelle raison je ne croyais plus et j'ai fait tout ce que j'ai pu pour
retrouver la foi, mais inutilement. » Claire commen^a par sentir
que la foi religieuse s'en allait « c'<^tait un dcfautde coniiance en
Dieu, quelquechosc qui s'eteignait en moi comme une lumierequi
s'eloignait. » Son education, ses desirs, toutes ses id^es la ratta-
chaient a la religion, aussi se d^solait-elle du doute qui Tenvahis-
sait. II est curieux de remarquer que cet affaiblissement de la foi
n'est pas causd par des lectures, des discussions, ne depend pas
d'arguments. Sa raison, si on pent ainsi dire, n*a pas perdu la foi
religieuse et serait incapable de formuler la moindre objection.
C*est une vieille erreur que de se figurer la croyancc toujours de-
terminee par des raisons et le doute par des arguments : la foi
chez cette malade se perd sans raison en vertu du meme me-
canismc qui fait paraitre le monde (Strange et qui amene le senti-
ment de ddpersonnalisation.
Quand la maladie s'aggrave, le doute commence a porter sur
des choses qui d'ordinaire sont crues plus facilement. Les ma-
lades perdent confiance dans les personnes environnantes. Claire
ne pent plus croire cc qu'on lui dit, n'a plus de confiance dans
le langage de ses parents. Lod... de meme ne croit plus qu'unc
seule personnc, c'cst sa scBur, aucune autre ne pent la rassurcr
sur n'importe quoi. « Je sais bien que Ton a raison, dit Lise, je
le sais, mais je ne puis pas ^tre convaincue... » <c Je sais que ce
que vous me dites est vrai, me r^pond Gis^le, ma raison me le
representc ainsi, mais mon impression persiste... impossible
d'etre convaincue dans le fond. » « Je veux vous croire, je me
repetc que je vous crois... mais ce n'est pas ma faute, je ne le
sens pas... il me reste quelque chose, un doute, un vague, un
je ne sais quoi... » (Claire, Fik..., etc.) A toute autorite, elles
opposent le d6sir d'une autorite plus grande, si le mddecin leur
parle, elles voudraicnt le pretrc et si c'est le prdlre, elles lui rc-
prochent de ne pas 6tre archev6que ou pape « et encore si le
pape me parlait, je ne le croirais pas, car il se pourrait qu'il m'ail
mal comprise et que sa reponse infaillible ne s'applique pas a la
question » (Claire), de m6me que la confiance est disparue sans
raisons, de m6me des raisons sont tout a fait incapables de la ra-
mener. Si ce d^faut de confiance dans les personnes s'exagere et
s'isole, comme il arrive chez Simone, que je compte etudier dans
L'INCOMPLfiTUDE DANS LES OPERATIONS INTELLECTUELLES 297
un autre ouvrage sur la psychologie des persecutes, le doute se
rapprochera de la persecution.
Un degre de plus et les malades vonl douter de leur propre
avenir ou de leur propre passe. L'absence d'espoir, Tavenir
sombre qui se pr^sente comme un trou noir est un grand carac-
tere de ces malades. Am... ne pent rien croire de ce qui arrivera
demain et malgre toute evidence nc salt pas oil elle sera, si elle
sera r^ellement sortie, si elle saura marcher dans la rue; Simone
prend meme une terreur folic de Tavenir, elle ne veut meme plus
y penser et n'essaye pas de se representer rien au dela de Tins-
tant present. D'autres douteront du pass^ et 6prouveront le
besoin de verifier leurs souvenirs. c( Kst-ce bien moi qui ai fait
ceci ou cela ? »
Enfin, les malades se mettent a douter du present, et sentent
qu'ils ne sont pas sures de ce qu'ils voient. « Depuis longtemps,
dit un malade de Legrand du Saullc, j*avais pris Thabitude de me
parler a moi-meme, pour elre siir que j'etais ici ou la, pour m*en
donner des preuves. * » « Je vols bien ceci, dit Ges..., mais au
fond je n'en suis pas plus si^re que cela et je retourncrai vingt fois
dans cette chambre pour voir si Tobjet y est bien, sans en ^tre
plus siire. Vous avez beau me raffirmer, je crois que vous pouvez
vous tromper. » On voit ici comment les manies se greflent sur
les sentiments d*incompldtude. Cc doute de la r^alitd nous mene
au sentiment de Tetrange, a retonncment que certains malades,
comme To..., eprouvent en presence des choses et au sentiment
de rirreel que nous avons deja etudie. Tous ces sentiments en
effel dependent etroitement les uns des autres.
A ces sentiments de doute se rattachent aussi des sentiments
de decouragement que nous avons vus a propos de la volonte et
qui peuvent se generaliser, a je crois que tout est impossible, dit
Claire, non seulement pour moi, mais pour tous les autres )> des
sentiments de defiance, des soupcons. Ces malades ne sont jamais
rassures et prennent des precautions interminables pour qu*on
ne les trompe pas, pour qu^on ne livre pas leurs secrets. Enfin, ce
doute va donner naissance au besoin perpetuel d'une affirmation
etrangere que nous retrouvcrons dans leurs besoins de direction.
Tous ces sentiments relatifs aux fonctions intellectuelles sont
analogues a ceux qui ont ete constates a propos des operations
I. Legrand du Saullc, FoUe da doute, p. ^7.
298 LES STIGMATES PSYGHASTHENIQUES
volontaires. Ce sont des sentiments d'inachevcmenl : k Vous poii-
vez etre tranquille, dit Lise, je n'arriverai pas a delirer comple-
tement, je suis incapable de penser quelque chose completement,
merae une sottise. » Je puis done leur appliquer le meme notn
que precedemment et en faire aussi des sentiments d*incompIetude.
3. — Sentiments d'incomplitude dans les Amotions.
Tres souvent les crises de rumination, d'agitation ou d'angoisse
semblent determinees par des emotions : c'est la un fait important
sur lequel j'ai deja insists. Beaucoup d'auteurs en ont tire une
conclusion tres grave, c'est que T^motion determine la crise a
cause de son exageration et ils ont admis sans discussion que les
emotions des psychasthcniques ctaient trop grandes, trop fortes.
Sans entrer ici dans cctte discussion, je remarquerai seulement
que ce n*est pas toujours la ce que pensent les malades d^eux-
memes et qu'ils ont de tout autres sentiments a propos de leurs
propres emotions.
I. — Sentiments d' indifference.
Un malade, cit^ autrefois par Esquirol, s*exprimait ainsi :
« Mon existence est incomplete, les fonctions, les actes de la vie
ordinaire me sont restes, mais dans chacun d^eux il manque
quelque chose, d sa{>oir la sensation qui leur est propre et la joie
qui leur succede. Chacun de mes sens, chaque partie de moi-m^nie
est pour ainsi dire separee de moi et ne peut plus me donner
aucun sentiment. )>
Les malades eprouvent,en effet, tr^s souvent un m^contentement
fort curieux a propos de leurs Amotions et surtout a propos des
emotions qui semblent determiner les crises d'agitations,forc6es :
quil s'agisse de Temotion genitale ou de Temotion de la colere,
il leur semble que T^motion s'arrete avant de devenir complete
et qu*elle se transforme en une autre operation mentale, les ru-
minations, les tics et les angoisses. « Je nc peux pas, dit Ijse,
arriver au bout d'une emotion ou d\in sentiment, c'est la ce qui
me donne des scrupules. » Cette appreciation des emotions et
SENTIMENTS D'lNCOMPLfiTUDE DANS LES fiMOTIONS 299
des sentiments est tres generate et comme le phenomene a son
importance, il Taut en rapporter quelques exemples.
cc II me semble, dit Pot..., que je ne reverrai plus mes enfants,
tout me laisse indifT^rente et froide..., je voudrais pouvoir me de-
sespcrer, crier de douleur, je sais que je devrais 6tre malheu-
reuse, mais je n'arrive pas a TMre..., je n'ai pas plus de plaisir
que de peine, je sais qu'un repas est bon, mais je Tavale puisqu*il
le faut, sans y trouver le plaisir que j'aurais eu autrefois. Les joies
ont fui, les peines aussi, je vais a Tenterrement de mon grand-
pere et je n'ai mcme pas une crise de chagrin... II y a une epais-
seur enorme qui m'empeche de ressentir les impressions mo-
rales, qui m'emp^che de sentir mcme de la peine. » On retrouve
ici a propos des emotions les memes expressions a du mur, de
Tepaisseur » qui servaient d^ja a bien des malades pour carac-
teriser le trouble de la perception ext^rieure.
Nem... n'estplus lameme, elle nes*occupe plus ni de son marini
de son enfant. « Je voudrais bien cssayer de penser a ma petite (ille,
mais je ne peux pas, la pensee de mon enfant me traverse a peine
Tesprit, elle passe et ne me laisse aucun sentiment » . « II me semble,
ditBrk..., que depuis un an je n*aime plus personne. » « Mes en-
fants me g^nent, dit Xyb..., je ne suis pas pour eux ce que j'^tais
avant, je n'existe plus au point de vue maternel, je voudrais bien
m'y interesser, maisje ne veux pas. » « Autrefois j'ctais peureuse,
dit Gay... et vous n'auriez pas pu me faire enlrer dans cette
salle pleine de squelettes (le musee de la Salpetriere); mainte-
nant cela ne me fait rien du tout, jc ne me sens m6me pas
effray^e... tout m'est egal. » <f Je n'aimc plus les gens, dit Gisele,
il ne me semble pas que j'aime comme les autres, comme j'aimais
avant; j'ai Timpression qu'ils m'aiment mieux que je ne les
aime. Je vis repll^e sur moi-meme comme une ^goiste qui
pourtant se detesterait. Je ne me fache plus de rien, je n'ai plus
peur de rien, je ne m'interessc plus h rien, tout glisse sur moi
comme sur une toile ciree, tout est emousse. »
Voici les remarques de Claire sur ses propres emotions : « les
Amotions s'arr^tent, ne se developpent pas, elles se perdent et
n*arrivent pas jusqu'a moi, une chose qui aurait dA m'effrayer
me laisse calme, je n'ai pas de la peur, j'ai trop de calme;
j^eprouve quand meme les joies et les peines, mais afiaiblies... II
est tres rare que je puisse rire, je souris mais je ne puis rire de
bon coeur, une joie comme une peine cela reste au loin, cela reste
300 LES STIGM\TES PSYCHASTHfiNIQUES
en I'air et c'ost la ce qui me d^sole le plus, de n'avoir plus
de coeur.... 11 se reveille quelquefois puis il retombe Vous
ne voulez pas croire que je n'ai pus de c(eur, je n'ai que Fair
d'aimer ma mere. Au fond tout m'est egal, je ne desire pas
guerir, je suis insouciante, j'aimerais tant pouvoir avoir beau-
coup de chagrin. Je voudrais ^tre boulevers^e, souffrir beaucoup :
Hre SI tranquille, si calme, cela m'effraye ».
On retrouve le meme sentiment d'incompletude des Amotions
dans le phenomene si complexe de la timidity. « II y a des copurs,
disait tres bien M. Dugas, qui ne savent pas adapter leurs senti-
ments aux circonstances... On pent prendre Amiel comme type
quand il se plaint d'etre devenu incapable de sentir : mon ca?ur
n*ose jamais parler serieusement, dit-il, je badine toujours avec
le moment qui passe et je n'ai que T^motion retrospective \ »
On retrouve egalement ce sentiment d'emotion insuflisante dans
le sentiment perpetuel d'ennui^ si banal chez tons les psychasthe-
niqucs qu'il est inutile de rappeler leurs intarissables gemisse-
mentsa ce sujet. Chez beaucoup Tennui estevidemment en rapport
avec Taboulie et Taprosexie ; ils s^ennuient parce qu'ils ne font
rien. Mais j'ai ete ^tonne de voir un profond sentiment dVnnui
chez des maladcs qui continuent cependant a s*occuper suffisam>
mcnt. C'est que Taction et le travail ne leur dounaient pas <c la
sensation qui leur est propre et la joie qui leur succede ». Cast
qu'ils restaient toujours indiflF^rents et que, comme disait tres bien
I'un d*eux, « on s'ennuie de ne pas soufTrir, aussi bien que de ne
pas jouir ».
A ces sentiments d*incompletude des Amotions je rattacherai
aussi un sentiment d'une nature un peu diflferente, le sentiment
que ces sujets ont a propos de leur sommeil.
Si le sommeil pent etre lui aussi, comme on Ta vu, le point
de depart des crises d'angoisses et d*agitation, on ne sera pas
ctonne de constaler que dans certains cas il donnc naissance aux
memes sentiments d'incompletude. Claire, comme beaucoup de
ces malades, n'arrive pas a avoir un sommeil complet, elle ne
dort qu'a moitie, il lui semble toujours « qu*il y a une personne
qui continue a penser aussi nettement que si elle etait eveillee...
Je n'ai qu'une personne qui dort, les autres veillent et revent
I. Dugas, La timidite, Revue philosophique, 1896, 11, p. 569.
SENTIMENTS D'lNCOMPLfiTUDE DANS LES EMOTIONS 301
et elles ne revent pas toutes la meme chose » aussi continue-t-elle
a ^prouver la meme inquietude pendant le sommeil que pendant
la veille.
Lise a le sentiment qu'elle dort a moltie, qu'elle reste a rumi-
ner eomme pendant la veille; au reveil elle a le sentiment d'avoir
dormi d'une mani^re tres incomplete. Quand elle va mieux, elle
se reveille en sursaut, etonnee de dormir si profond6ment, d'une
maniere qui contraste avec son sommeil habitueliement si incom-
plet.
2. — Sentiment d' inquietude.
A c6t^ de ce sentiment d'incompletude il faut decrire un etat
d'espi'it tout a fait essentici chez les obsedes, c*est le sentiment
d'inqui^tude. « Un trait caracteristique qui reunit tons ces etats en
apparence si divers, c'est Tinquietude intellectuellc, qu'on pent
comparer a la lypemanie anxieuse qui correspond a une inquie-
tude affective*. » A mon avis tous ces malades ont presque per-
petuellement une inquietude a la fois intellectuelle et emotive.
(1 Je suis inquiet », c*est un mot que tous les malades ont per-
petuellement a la bouche. w Inquietudes perpetuelles, dit Brk...,
telle est ma vie c'est Tinquietude qui mc mene a Tahurissement. »
<' J'ai toujours un esprit inquiet, tourment^ comme s'il allait
m'arriver je ne sais quel grand malheur. » (Kl...). « Ma maladie,
dit Nadia, c'est d'avoir Tesprit inquiet, je guerirais si je pouvais
avoir un peu de s^curit^. » « Inquietude, tourment constant, repute
Claire, c'est la mon grand mal. » « Rn somme j'ai toujours une mou-
che qui me digonne, je suis malade d'inqui^tude, nous dit tres bien
Gisele, malade de peur dans le doute, je n'ai pas de confiance en
moi, ni en Dieu, ni en rien ; je n*ai pas la paix; je fais des efforts
surhumains pour avoir cette paix et mon ame est toujours emmail-
lotee dans Tinqui^tude. J'ai peur pour mes sentiments, pour mes
actions, j'ai peur pour mes idees, peur de mon cerveau dont je ne
me sens plus la maitressc, j*ai peur de lutter, peur de tout enfin
et de ne je sais quoi, el au fond je ne sais meme pas si j'ai
peur. C'est une inquietude poussee a un degr6 enorme comme
si on attendait toujours quelqu'un de trts cher expose peut-etre
a un tres grand danger, on ne sait lequel. »
Cette inquietude ressemble en effet beaucoup a la peur et Ton
I. Ball, Revue icientijiqae, 1882, II, ^2.
302 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
voit que les mahides emploient souvent ce mot, je ne crois pas
cepeiidant que le ph^nomenc soil tout a fait identique. La peur
est un ^tat plus precis, plus determine qui fait naitre en nous des
sensations positives et qui eveille des idees d*un danger connu
avec precision. L'inqui^tude est beaucoup plus vague, ni I'etat oil
Ton est, nila cause de cet ^tat, ni les actions a faire pour i'expri-
mer ou pour en sortir ne sont bien determin^es. D*ailleurs, on
constate la diffi^rence chez les malades eux-memcs. Quand on les
prie de faire attention, ils reconnalssent qu'ils n'ont pas verita-
blcment peur; « il vaudrait mieux avoir une vraie peur, ditCisetc,
ce serait moins penible. » On observe certains sujets chez lesquels
les emotions soi>t tres diminuees ou meme supprim^es et qui de-
puisleur maladie sont devenus incapables d'avoir peur. Cette ma-
lade Gay... qui se plaignait de ne plus avoir peur en regardant
des squelettes ajoute : « je n'ai plus de peur, je vois que cela ne
me fait plus rien... cependant je reste toujours tellement iu-
quietc ». Pour ces raisons, je crois done que Tinqui^tude, sur*
tout celle des scrupuleux, n'est pas de la peur, pas plus d'ailleurs
qu*elle n*est aucune autre Amotion precise.
L'inquietude me parait un ph^nomene complexe, elle contient
en premier lieu une excitation a Taction exagoree, inutile, infe-
rieure, a Tagitation : Tinquiet sent qu*il faut faire quelque chose
pour sorlir de son etat, il ne sait pas trop quoi et il ne pent
pas restercinq minutes en place, [/inquietude contient en second
lieu une souflVance, un etat de conscience p6nible. Mais Tessentiel
est cause par le sentiment que T^tat ou Ton est n'est pas stable,
d^finitif, complet. II y a une inquietude d'action quand on sent que
Taction n'est pas terminee, qu'il reste quelque chose a faire, que la
decision n'est pas prise. II y a une inquietude intellectuelle quand
on sent que Tattention n^est pas (ixee, que la perception n^est pas
prcScise, que le monde a un aspect etrangc et irr^cl. II y a une in-
quietude emotionnelle, quand on ne parvient pas carrement a un
etat de plaisir net, de souPfrance nette, de veritable peur. Un mal-
heur precis ne donne pas d'inquietude, pas plus qu\in danger
reel. Mais ces divers etats sont justement ceux que je viens de
decrire sous le noni de sentiments d'incompletude, dans les actes,
les perceptions et les Amotions. L'inquietude est done essentielle-
ment constitute par les sentiments d'incompletude auxquels s^a-
joutent un sentiment de malaise el une excitation a faire effort
pour en sortir.
SENTIMENTS DlNCOMPLfiTUDE DANS LES fiMOTIOXS 303
L'observation des malades d^montre cette interpretation ; I'in-
quietude a commence chez Claire avec les premiers doutes reli-
gieux vers Tage de 18 ans, c'est-a-dire avec les premiers senti-
ments d'incompl^tude, c'est a ce moment qu*ellc a eu des
inquietudes pour sa foi, pour ses confessions, des inquietudes
sur « la lumi^re qui s'en allait ». Lobd..., femme de 35 ans, nous
dit tres bien : « Quand je suis inquiete, c*estcomme si je n'avais
pas termini quelque chose, comme s'il restait a propos de tout
quelque chose de pressant a accomplir. » « J'ai un besoin de
completer quelque chose, dit Gisfele, je cherche toujours ce que
je devrais faire, ce que je devrais surveiller, ce que je devrais
chercher, mon esprit ne me parait jamais assez occupy, assez
emotionne, il cherche toujours ce qu'il aurait a faire, a sentir
d'autre. »
Un sentiment de ce genre pent evidemment Hre la consequence
de certaines idees fixes. Mais il Aiut remarquer qu'il existe chez
tous les malades quelles que soient leurs obsessions. II ne me
semble pas certain que Tinquietudc soit reellement determinee
par le motif qu'invoque le sujet pour Texpliquer. Si on retire ce
motif il en prend immediatement un autre, les motifs changent
indefiniment et Tinquietude reste la meme. Quand les malades
vont mieuxetqu'ils n'ont plus en r^alite d*obsessions precises, its
restent inquiets pendant quelque temps et par habitude, disent-ils,
lis continuent a chercher ce qui pourrait bien les tourmenter.
« C'est un fond d'habitude, dit Lise, qui m'empeche encore de
dormir tranquille. » Chez beaucoup de malades, ces inquietudes
existent longtemps avant la maladie proprement dite, Mus...,
Mb..., Lise reconnaissent qu'elles ont ete ainsi depuis Tenfance.
Jean etail inquiet au lyc^e a cause des devoirs, des lecons, des
pensums ; il devenait malade quand il y avait une composition de
recitation a preparer, comme aujourd'hui il est tourmente par les
femmes, les fluides, les omnibus et les lettres a mettre a la
poste. L'inquietude me semble done etre un sentiment fonda-
mental anterieur aux obsessions par lesquelles le malade cherche
souvent a la justifier : c'est la forme complexe que prennent plu-
sieurs de ces sentiments d'incompletude.
3. — Le besoin d' excitation. — U ambition.
Pour sortir de cette soulTrance inquiete les malades cherchent
304 LES STIGMATES PSYCHASTHENIQUES
instinctivement quelque chose qui pousse plus loin leurs senti-
ments insuflisantSy qui les excite. C'est ce besoin que nous avons
deja vu se nianifestcr grossierement dans le besoin de poisons
excitants, dans la dipsomanie, dans la morphinomanle, dans la
recherche de Texcitation g^nitale paiTaite chez certains eroto-
inanes. On le voit encore dans a le besoin de faire des sottises
pour se rcveiller » dans « le besoin fou de sensations nouvelles ».
Nous le reverrons encore sous bien des formes varices, en parti-
culier a propos des besoins de direction et d^aflection.
L'inqui^tude contient aussi une partie active, elle excite a faire
des efforts. Cette remarque est verifi^e par Texistence d'un sen-
timent inattendu chez nos scrupuleux, Vambition. lis sont d a-
bord tons des consciencieux, ils s'efforcent de faire les choses
jusqu*au bout pr6cisement parcc qu'elles leur paraissent tou-
jours insuflisantes. Jean ^tait un eleve modele dans sa medio-
crite, il se serait rendu malade plutot que de ne pas faire son
devoir jusqu'au bout, il preuait toutes les precautions possibles
pour ne jamais mdcontenter un maitre. Encore maintenant Vor...
a 5o ans, reconnaitqu'elle a une conscience ridicule : elle se force
dans son menage a faire toutes les choses pcnibles ; quand elle
commence un livre elle se croit obligee de le lire jusqu'au bout
sans passer une ligne, m6me si le livre Tennuie. Men... travaille
toute la journ^e sans se permettrc aucun repos, « il me semble
que si je cessais de travailler un moment je n'aurais plus le droit
de manger ». Cette activity inquiete depasse le present : « il faut
toujours, dit Lise, que je pense a plus tard, que je cherche ce
que je ferai aprfes cela, que je depasse ce travail, que j'aille au
dela ». Ce besoin va devenir une manic etnous Tavons justement
etudi^ sous le nom de manie de Tau dela, mais les sujets ont ce
besoin avant d'etre malades, ils Tont toute leur vie et je crois
que c'est au debut un trait de caractere en rapport avecleur per-
p^tuelle inquietude.
Un degr^ de plus dans le meme sens et Ton comprend com-
ment se developpe une sorte d'nmbition insatiable. Nadia n'est
jamais satisfaite de la facon dont elle joue du piano, elle veut ^tre
« une tout a fait grande artiste,... moi, je suis le ver de terre,
dit-elle, et mon idc^al, c'est I'etoile et je voud'rais devenir plus digne
de lui. II me semble que je veux toujours devenir Tegale des plus
grands hommes, quoique je sache bien que je n'ai jamais et^
bonne ii grand'chosc... Mcme si j'avais pu reussir a etre une grande
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE DANS LA PERCEPTION PERSONNELLE 305
musicienne je n^aurais jamais 6te contente, j'aurais toujours voulu
grimper plus haul encore... Mon ambitioD n'a pas de limites ».
Quelle que soit la situation a laquelle its parviennent, les scru-
puleux en sont toujours m^contents, ils revent toujours mieux,
toujours autre chose. II est bien probable que ces sentiments bi-
zarres sont quelquefois le principe d'une activite utile et qu'ils
ont inspire des ambitions genercuses ; mais il est vrai aussi qu'ils
peuvent etre plus souvent Ic point de depart de jalousies mala-
dives et d'une sorte de delire des grandeurs. « J'ai Tambition de
tout, dit Fa..., cela me rend jalouse de tout, oh ! si j*^tais comme
les gens qui sont dans cette voiture, comme cette belle dame,...
je voudrais arriver au comble de la fortune et de la gloire... et
je ne serais peut-^tre pas encore satisfaite. »
Tous ces sentiments dHncompletude que les sujets eprouvent
a propos de leurs Amotions sont bien analogues a ceux qui ont
^t^ constates a propos de Faction et de Tintelligence et ils me-
ritent bien le meme nom.
4. — Sentiments d'incomplitude dans la perception
personnelle.
M. S^glas, en d^crivant la crise d'obsession,signalait quelques
phenomenes tr^s interessants qu'il considerait comme Tindica-
tion d'un trouble de la conscience pendant la crise. « L'un d'eux,
dit-il, un agoraphobe, s'exprime ainsi : au bout de quelques pas,
il me semble que je me d^double, je perds la conscience de mon
corps qui me semble 6tre en avant de moi... j'ai bien conscience
que je dois marcher; mais je n'ai pas conscience de ma propre
identity, que c'est bien moi qui marche. Je fais des efforts pour
me prouver que c'est bien moi et souvent il me faut interpeller
un passant, entrer dans un magasin, pour parler, pour demander
quelque chose afin de me donner une nouvelle preuve que je suis
reellement bien moi...* » Un autre malade, garcon de 12 ans,
tourment^ par des obsessions, des manies du doute et du toucher
reste un instant en arri^re de son precepteur, il account etfar^
en s^^criant qu*on Tavait abandonn^ en arriere, qu'il fallait
I. S^glas, Le^ns cliniques sur les maladies menlales, 1895, p. i3t.
LBS OB8HS8IO:«S. I. — 30
300 LES STIGMATES PSYCHASTH^NIQUES
retourner le chercher, qu'il 6tail perdu. Le meme malade, en
voyant passer une voilure celliilaire, est pris d'une grande peur,
craignant d'avoir 6t^ enimen^ par le garde qui Taurait rcgarde
en passant ^ Ces deux observations semblaient mettre en evi-
dence un trouble remarquable de la conscience personnelle.
Des faits semblables ont et^ en r^alite observes depuis fort
longtenips. Les observations de Krishaber' connues sous le nom
de « nevrose c^r^bro-cardiaque » ont 6i^ rendues c^lfebres par
Taine « Dans les premiers temps, aussitot apres mes attaques,
disait un de ces malades, il m*a sembl^ que je n*etais plus de ce
nionde, que jc n'existais plus, que je n'existais pas. Je n'avais pas
le sentiment d'etre un autre, non, il me semblait que Je nesistais
pas du (out. Je tatais ma tete, mes membres, je les sentais.
Neanmoins il me fallait une grande contention d'esprit et de
vol6nte pour croire a la r^alit^ de ce que je toucliais... » « J'avais,
dit un autre malade, un ardent d^sir de revoir mon ancien monde,
de rede^enir i'ancien moi, C'est ce d6sir qui m'a empeche de me
tuer..., j'etais un autre et je haissais, je m^prisais cet autre; il
m^etait absolument odieux, il est certain que c'^tait un autre qui
avait revetu ma forme et pris mes fonctions » et Taine ajoutait :
« Le sujet ne se reconnait plus, il trouve toutes ses sensations
changecs et il dit a je ne suis pas »,plus tard il dira a je suis un
autre ». 11 semble se trouver dans le monde pour la premiere fois
(sentiment d*6tranget^), il croit que ses actions lui echappent,
qu'il assiste a ses actions en spectateur'. »
Plus tard ces observations se multiplierent, je rappelle celle
de Ball qui est remarquable : « An mois de juin iSy^, ^crit son
malade, j'eprouvai a peu pr^s subitcment sans aucune douleur ni
etourdissement un changement dans la fa^on de voir, tout roe
parut drole, Strange, bien que gardant les memes formes et les
m^mes couleurs (sentiment d'^tranget^ de la perception). En d6-
cembrc 1880 plus de 5 ans apres, je me sentis diminuer, dispa-
raitre : il ne restait plus de moi que le corps vide. Depuis cette
epoque ma personnalite est disparue d'une fagon complete, et
malgre tout ce que je fais pour reprendre ce moi-meme ^chappe,
je ne le puis. Tout est devenu de plus en plus etrange autour de
I. S6glas, ibid.y p. iSg.
a. Krishaber, De la nhyropaihie cirihro-cardiaque^ 1873, observation 38.
3. Taine, De VinLcUigencet II, p. 463-467.
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE DANS LA PEHCEPTION PERSONNELLE 307
moi et maintenant non seulement je ne sais ce que je suis, mais
je ne puis me rendre compte de ce qu^on appelle rexistenee, la
reality*. »
Ces cas sous leur fornie typique sont si etranges qu'ils ont con-
tinue a attirer Tattention. Dans un article public par la Reime
philosophiqne, M. Dugas propose de designer le ph^nomene sous
le nom de sentiment de depersonnniisation^ il observe que ce
sentiment se trouve lie avec un autre phenomene curieux, le
€< deja vu », c'est-a-dire que le sentiment de depersonnalisation
s'associe souvent avec la fausse reconnaissance. » Souvent le sujet
atteint de fausse reconnaissance avait conscience de devenir
autre, il se sentait rester le meme en devenant deux. J'^coutais
unevoix, dit un malade, comme celle d*une personne ^trangere,
mais en meme temps je la reconnaissais comme mienne, ce moi
qui parlait me faisait Teffet d'un moi perdu, tres ancien ct sou-
dainement retrouve^. » Cette impression le malade ne Ta pas
seulement a propos de sa parole, mais il Ta aussi a propos de
ses mouvements, de ses actes et il en arrive a Talienation de sa
personne, a la depersonnalisation^.
J'ai eu Toccasion de rapporter deux observations tout a fait
remarquables du meme genre, celles de Bei... et celle de Ver... *.
Les deux malades sont identiques dans les grands traits : a la suite
d'^motions ils perdent la conscience d'eux-m6mes, ils continuent
cependant a ex^cutcr d*une facon correcte toutes les operations
psycholbgiques, ils sentent tout, se souviennent de tout, parlent,
agissent, d'une fa^on a peu pres normale ; mais ils r^petent tou-
jours : ce n*est pas moi qui sens, c'est comme si ce n'etait pas moi qui
parle, qui mange, comme si ce n'etait pas moi qui souffre, comme
si ce n'etait pas moi qui dors, a Elle voyait clair, eutendait hien,
sentait correctement, pouvait se mouvoir sans peine, mais elle se
cherchait elle-meme en ayant Timpression qu'elle n^etait plus
la, quelle avait disparu, que les choses pr^sentes n^avaient pas de
rapport avec sa person n<ilite. Depuis ce moment elle repete tou-
jours la meme chose : mais ou suis-je ? que suis-je devenue ? ce
n'est pas moi qui mange, ce n'est pas moi qui travaille, je ne me
vois pas faire ceci ou cela, il y a queique chose qui me manque. »
1. Ball, Revue scientifique, 1888, 11, p. 43.
3. Dugas, Revue philosophiqae, 1898, I, 5oi.
3. Id., ibid., 5o3.
4. Raymond el Pierre Janel, Nivroses et Idies fixes, II, p. 62.
niOfhi
30S LES STIGMATES PSYCHASTHfi^JlQUES
Recemment M. Bernard- Leroy, qui avail d^ja public, a propos
de ces fails, une discussion sur laquelle je revicndrai, a pr^sente
au congres de psychologic un nouveau cas remarquable, lout a
fail idcnlique aux pr^c^denls. II s'agil d'une femme de 4i ans
qui esl lombee malade graducUement a la suite d^emolions vives
el prolong^es. Ellc s^agile conlinuellcmenl el se livre a Texecu-
lion de mouvemenls bizarres el compliqu^s, clle se tale les mains,
les bras, prom^nc les mains sur sa l^te el son qou. Ellc d^grafe
meme son corsage pour l&ler sa poilrine, clle fail claquer ses
niachoires, se lire les cheveux, se lire le pavilion de Toreille...
ellc dil qu*ellc ne sent plus rien ou du moins ne senl plus rieu
comme autrefois el que dhs lors c'esl plus fort qu*elle. (C'esl la
le ph^nom^ne des manies de verifications, des tics, des agita-
r^i> lions motrices que nous connaissons chez ces malades).
« II faul qu'elle late. C'esl insensible lout cela, dil-elle en se
palpant Torcille. Quand je me peigne je ne sens pas mes cheveux,
ni mes mains quand je me lave, ni mes levres quand j'embrnsse.
Que c'esl malheureux d'^lre vivanle el de ne pas pouvoir voir les
siens quand ils sonl la. Je ne vois pas du loul comme avanl, je
n'entends 'pas comme avanl, il me semble ne pas entendre le
bruit de mes pas, cela me g^ne pour marcher, je ne me rappelle
plus ricn, je ne sais plus rien, je n'ai plus aucune emotion... »
En reality on ne constate aucune diminution appreciable d'aucune
sensibility, elle semble avoir des souvenirs precis quand on
rinterroge el elle parail 6prouver les emotions normales ^'
MM. PitreselR^gis, en rapportanl les observations deM. S^glas,
font observer que dans ces cas la conscience n'esl poinl troublee
d'une maniere complete. « Si on entend le mot conscience au
poinl de vue clinique en lant que perception exacte des pheno-
menes psychiques ^prouv^s, il est ^videnl que sauf de Irbs rares
exceptions la conscience est conserv^e dans I'obsession ; si les
malades constalenl ce dedoublemenl, s'ils Tanalysenl si correc-
lemenl el si finement, c'esl qu*ils en onl conscience*. » Ces
auteurs rappellenl seulemenl ici ce fait importanl que I'appr^cia-
lion inlellectuelle des obsessions est conservee, que le delire de
1. Bernard Leroy, D^personnalisation. Comptes-rendus du congrhs de psychologic
de 1900, p. 48a.
2. Pilres el Regis, op. cit,, p.^o.
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE DANS LA PERCEPTION PERSONNELLE 309
Tobs^de est incomplet et ne determine ni conviction, ni impulsion
complete. Mais la conservation de Tintelligence proprement dite,
corame faculte de critique et de jugement n'empeche aucunement
{'alteration d'autres ph^nom^nes psychologiques qui entrent dans la
conscience personnelle. Si ces observations de M. S^glas et toutes
les autres semblables, car je les crois tres nombreuses, ne nous
montrent pas un trouble du jugement critique mais simplement
un trouble de la conscience personnelle elles n'en sont pas
moins tres importantes pour Tinterpretation des obsessions elles-
memes.
MM. Pitres et R^gis font observer ensuite que ces observa-
tions sur le sentiment de d^doublement de la personnalit^ ne sc
rapportent a notre etude actuelle sur le groupe tres homogene
des psychastheniques, sur la maladie des obsessions, a Ces faits,
disent-ils, Torment une categoric sp^ciale appartenant a Tautoma-
tisme psychique au moins autant qu'a Tobsession, les malades
qui se d^doublent au point de se croire en avant d'eux-memes ou
de se chercher ailleurs ont autre chose que de Tobsession simple,
ils eprouvent un ph^nomene analogue a certains effets de duality
hysterique* ». Je ne puis pas partager cettc opinion, le dedouble-
ment hystcrique pent exceptionnellement donncr naissance a des
expressions a pen pres semblables, mais en regie g^n^rale il ne
se pre^sente pas du tout sous cet aspect. Dans Thysterie il y a
subconscience veritable, les phenom^nes psychologiques forment
deux groupes independants qui s'ignorent reciproquement, mais
chacun de ces groupes conserve sa personnalite. Ici il n'y a pas de
dedoublementreel, on ne constate ni anesthesie, ni amnc^sie, on ne
peut mettre en evidence aucune lacune dans le groupe principal
des phenomenes, mais il y a un sentiment general qui porte sur
Tensenible de tous ces faits et qui les repr^sente a la conscience
comme changes, comme insuflfisamment rattach^s a la personna-
lite, c'est la un fait diflferent de Thyst^rie proprement dite.
M. Bernard-Leroy en cherchant le diagnostic de ces troubles dit
« qu'il a 6limin^ successivement les diagnostics de folic du
doute, de syndrome des negations, de m^Iancolie, de confusion
mentale, d'hypocondrie, et qu'il range ces faits dans la n^vropa-
thie cerebro-cardiaque de Krishaber* ». Qu'il s'agisse de la
I. Pitres ct Regis, op. cit., p. 4o.
a. Bernard Leroy, Comptes-rendus du congrhs de psychologie de 1900, p.- 487.
310 LES STIGMATES PSYCH AS TIlfiNIQUES
maladie de Krishaber, cela est incontestable, puisque cette mala-
die n'est constituee avec nettete que par cet unique sympt^me de
la depersonnalisation. Le diagnostic veritable consiste a recher-
cher dans lequel des groupes morbides aujourd'hui reconnus
rentre cette nevrose de Krishaber. II est egalement facile d'eli-
miner'Ie syndrome des negations, la melancolie, la confusion
mentale. Mais je ne partagc plus Topinion de Tauteur quand il
elimine la folic du doute, Thypocondrie et probableroent aussi les
obsessions dont il ne parle pas. La malade meme qu*il d^crit a
des doutes, elle a mcme des manies mentales de verification per-
petuelle, ses attouchements incessants ne sont pas autre chose
que des tics en rapport avec des manies de verification. Tons les
maladcs prcccdemment d^crits ceux de Krishaber, ceux de Ball,
ceux de M. S^glas, celui de M. Dugas ont en meme temps des
doutes, des manies et des obsessions. II est int^ressant de rap-
peler a ce propos la suite de Tobservation de Bei, que je publiais
en 1898. Apr^s 18 mois de depersonnalisation pure pendant
lesquels la malade ne se pr^occupait que de la perte de son moi,
Bei... est devenue un peu plus tranquille sur sa personne, elic
a oublie en partie le sentiment qu'elle ^prouvait ; mais elle s*est
mise a presenter des crises d'interrogation a propos des souve-
nirs : il faut qu^elle recherche ce qu*elie a fait la veille, si elle
a ete au bal il y a huit jours ou si elle n*y a pas et6, etc. Ce sont
de veritables crises de rumination caract^ristiques de la folic du
doute, c'est-a-dire de Tune des formes de Tdtat psychasthdnique.
Mes nouvelles observations du sentiment de depersonnalisation
auxquelles je vais faire allusion tout a Theure, observations qui
sont nombreuscs, portent toutcs sur des obs6d6s. Enfin chez la
plupart des obsedds, des maniaques, des phobiques que je vieus
d'etudicr dans les chapitres precedents on trouve au moins en
germe ce sentiment de depersonnalisation. Je suis done dispose
a croire que le sentiment de depersonnalisation est un des symp-
tomes de Tetat psychasthenique et qu'ily a lieu de le rapprocher
de tons les phenomenes precedemment Studies.
Nous nous trouvons alors en presence d*un autre probleme, de
quel groupe de phenomenes s'agit-il dans ces cas de deperson-
nalisation ? Je crois que bien souvent il s*agit de veritables idees
obsedantes. Certains de ces malades ont fini par concevoir une
idee plus ou moins generale a propos des troubles de leur per-
sonnalite. lis sont obsedes par la pensee qu'ils ont perdu leur
SENTIMENTS D'llSCOMPLfiTUDE DANS LA PERCEPTION PERSONNELLE 311
moi, comme d'autres par la pensee quails ont perdu leur mora-
lite ; c'est une obsession qui rentre dans la cat^gorie des obses-
sions de la honte de soi, et je Tai deja signal^e a ce propos.
Dans d'autres cas se developpent a ce sujet des manies men-
tales d'interrogation et de verification comme on vient de le voir.
Mais dans un tres grand nombre de cas, je pense que, surtout au
debut, quand la maladie est simple, il s'agit d'un sentiment que
le malade ^prouve a propos de tons ses phenom^nes de con-
science. Tons ces malades n'ont pas comme Claire la manie de
se rabaisser, comment se seraient-ils rencontres sur une idee
vraiment aussi etrange et en dehors des pens^es communes.
Cetle idee se pr^sente brusquement chez Bei..., chez Ver...,
chez PI... avant toute manie mentale qui chez Bei... ne com-
mence que 2 ans plus tard. Enfin dans une discussion tres impor-
tante nous aurons a comparer ce fait avec un sentiment qui est
decid^ment tres frequent chez les 6pileptiques, et il est evident
qu'il ne s*agisse pas chez. eux d'idees obs^dantes. Je crois done
que ce trouble de la personnalit^ est souvent une alteration
psychologique primitive chez le scrupuleux et qu'il r6vele une
insudisance de la perception personnelle.
Ainsi entendus les sentiments de trouble de la personnalit^
sent tres frequents chez nos malades et prdsentent divers
degr^s.
I . — Sentiment d'etrangete du moi,
D... au debut d'une crisc de dipsomanie sent un trouble dans
sa personne a il me semble que je m'efibndre, que mon etre tout
entier devicnt conjus et etrange, c'est un 6tat intolerable et
j'^prouve le besoin de faire des folies pour en sortir ». Vof...,
femme de 38 ans, qui a ^te mordue par un chien, le premier jour
de ses regies, en conserve une vive impression ; elle n'est pas tout
de suite tourment^e par Tobsession du chien enrag6 qui ne
viendra que plus tard. Pendant plusieurs mois elle reste tour-
ment^e par un sentiment qu*elle exprime de la maniere suivante:
<c II me semble que je suis humili^e d*avoir 6{e mordue, c*est
comme si cola m*avait (l^trie, je ne suis pas comme j*6tais aupa-
ravant, je ne suis plus la meme, Je suis une personne drole, infe-
rieurej plus basse que je netais. »
KI..., pendant les periodes d'abaissement qui precedent la
312 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
crise des agitations Torches comme une aura, se sent drole,
« je me sens comme enveloppee par quelque chose qui n'est pas
moi, c'est a cela que je reconnais que je vais avoir une crise et
que jc vais m'interroger sur la naissance de mon enfant ».
Tr... r^pete sans cesse qu' « elle n'est pas elle-m^me a la fa^on
ordinaire, qu'elle ne veut pas Hre iin 4tre a part et qu*elle fera
des efforts (agitation motrice] pour retrouver sa personne natu-
relle.
2. — Sentiment de dedoublement.
Un autre trouble du sentiment de la personnalit6 d^ja plus pro-
fond c'est le sentiment de division, de d6doublement : on le
rencontre tres commun^ment. Moreau (de Tours) remarquait
d^ja qu'il est frequent dans les monomanies^ Krishaber le si-
gnale a plusieurs reprises : cc Une idee des plus etranges qui s'im-
pose a mon esprit malgr6 moi, dit un de ses malades, c'est de
me croire double , je sens un moi qui pense et un moi qui
execute ^ » w Je «ie fais Teffet d'etre double, je sens comme
deux pensees qui se combattent, dit ^galement un malade de
M. Seglas^, Tune qui est bien mienne, qui cherche a raisonner
mais sans succes, Tautre qui me serait en quelque sorte imposee
et que je subis toujours. »
J'ai observ6 un sentiment de d^doublement plus ou moins ac-
centuc a peu prcs chez tons mes malades et je pourrais presenter
ici une centaine d*exemples. Je signale seulement quelques va-
rietes de cc phenomene. « On me discute en dedans, c'est comme
s'il y avait en moi deux personnes. » (Pr... 210) <c Je renferme
deux hommes, le raisonnable et I'irraisonnable qui luttent constara-
ment Tun contre I'autre. » (Za... 216) « Je suis comme dedouble,
je me donne en spectacle a.moi-meme. » (Nah...) « Pourquoi
que qa me double » (Ver.,.) « Depuis la fin de ma grossesse, tout
me paraissait nouveau et Strange et il me semblait que je deve-
nais double... » (Dd...) 18) <( C'est comme s'il y avait en moi
deux moi, Tun pense sur la vie un tas de choses auxquelles je nc
pensais jamais, Tautre repete : pourquoi faire toutes ces betiscs »
(Pot... 19).
I. Moreau (de Tours), Psychologie morbide, 1859. P- ^*^^-
a. Krishaber, La nivropathie cerSbro-cardiaque, observ. 6.
3. S^glas, Legons cliniques sur les maladies mentales, 1895, p. laS
SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE DANS LA PERCEPTION PERSONNELLE 313
Dob...cionDe de ce dedoublement une expression materielle
qui si elle etait gdn^rale nous conduirait a faire jouer un role a
la dualite des hemispheres. « J'^prouve un sentiment qui me fait
horreur, je marche comme dans un reve, ma tete me semble
nettement divisee en deux parties Tune tout entiere plong^c dans
rinertie la plus profonde, dans une sorte de r6ve, a tel point
que Topil de ce cAte me semble fixe, Tautre partie reste lucide
et m'appartient seule ; c'est insupportable. »
Lise se sent toujours Tesprit dedoublc en plusieurs personnes
et elle sent toujours en elle-m^me plusieurs pens^es qui se
deroulent simultanement et indcpendamment. « II y a toujours,
dit-elle, une partie de mon cerveau qui est libre et qui fait ce
qu'elle veut. Je ne parle jamais sans avoir une autre id6e en tete.
J'ai toujours le besoin de penser a trente-six choses a la fois, une
ne me sufBt pas. » Elle va jusqu^a dire que la nuit elle ne dort
jamais complfetement. « Quand je dors tout ne dort pas. II y a
un cot^ qui ne dort pas, qui ne sait a quoi penser et qui s^ennuie.
II en resulte que les deux cotes de la tete se disputent. Si je
pense a maudire Dieu, une partie de Tesprit Taccepte et Tautre
pas et je ne sais plus laquelle a raison. » Quand elle va miciix
elle est tout etonnee de ne plus avoir deux idees a la fois et cela
la gene. Cela est si vrai et si curieux, qu'elle se reveille en sur-
saut la nuit. comme nous Tavons deja vu, sentant qu'il y a en
elle quelque chose d'anormal parce qu'elle dort tout entiere.
Si Lise ne parle jamais que de deux personnes, il n'en est pas
de meine de Claire. Pour elle la personne d'autrefois est absolu-
meot disparue, elle est partie, c'etait la bonne. « 11 me semble
qu'elle n'existe plus en moi, qu'elle plcure a cM6 de moi, qu'elle
est en delire, ma vraie personne n'arrive plus a se rendre
compte des choses. Pour remplacer cette vraie personne il en est
survenu une autre, moins bonne, qui a ced6 le pas a une troi-
sieme, a une quatrieme. II s'est form6 au moins six personnes, des
bonnes et des mauvaises qui se presentent simultailement ou suc-
cessivement, qui se manifestent par des voix, qui se traitent r6ci-
proquement de Judas. » Trois de ces personnes lui paraissent
assez precises, les autres sont vagues, on ne sait ce qu'elles
pensent. En general elles se disputent et ne pensent jamais
toutes la meme chose. Pour accepter completement une action
ou une id^e il lui faudrait la faire accepter par les six personnes
et elle se repete cette idee autant de fois quMl y a de personnes.
314 LES STIGMATES PSYCH VSTHfiNlQUES
mais ce travail est interminable. Elle n*arrive jamais au bout pnrce
qu'il y a des reveries qui s'intercalent. « C'est pour cela, dit-
elle, qu'une idee n^est jamais accept(^e completement, il me
semble toujours qu*il y a des personnes qui ne Font pas com-
prise. » Comnie chez Lise, ce dedoublement etrange existe aussi
pendant le sommeil. « Dans le sommeil il y a moins de personnes,
il n'y en a plus que quatre, mais elles revent toutes les quatre
ensemble. II y en a une dont le reve est si loin et si vide qu'on
ne sait plus ce qut c*est, une autre dont le reve est vague mais
perceptible, une autre plus proche : c*est la plus mauvaise. »
Quand elle va mieux il lui semble qu^elle remonte en suppri-
mant les personnes les plus rdcemment formees, c'est ce qu'elle
appelhe « pa^er des personnes. » On peut les « passer physi-
quement » quand elle retrouve Tetat de sensibilite organique qui
lui paraissaijt appartenir a une personne anterieure; mais il est bien
plus difficile de les « passer moralemcnt », c'est-a-dire d*uni(ier
leurs iddes : il en reste toujours plusieurs qui se disputent.
Au contraire quand elle va mal, quand elle descend, elle reprend
des personnes. « Au debut j*avais en moi deux personnes qui
pensaient deux choses a la fois, maintenant il y en a six ou huit. »
Dans cette derniere observation tres complexe on remarque
une expression bizarre « ma vraie personne pleure a cote de
moi )). Si on insiste, Claire raconte imm^diatement une foule de
circonstances ou elle voit ainsi sa vraie personne en dehors d'elle.
Souvent elle se voit en dehors « jolie, aimable, vive, bonne,
comme elle ^tait autrefois, c'est une figure si diff<6rente de ce que
je suis aujourd'hui, » le plus souvent elle se voit triste : sa vraie
personne pleure sur elle-meme. Ces hallucinations bizarres qui
consistent a se voir soi-m^me en dehors sont fr^quemmeut citees
a propos du sentiment dc la depersonnalisation. Le malade ago-
raphobe cit^ par M. Seglas se voyait a quelques metre en
avant de son corps. M. Bernard Leroy cite une malade « qui se
voyait apparaitrc devant elle a trois ou quatre metres... en merae
temps elle avait Timpression d^etre comme transportee en dehors
de son corps veritable, il lui scmblait qu'elle assistait comme
simple temoin au deroulemcnt de ses propres etats de conscience
comme s'ils avaient et^ ceux d'une personne ^trang^re*. » J'ai
deja dit a propos des obsessions ce que je pensais des halluci-
I. Bernard Leroj, licvue phUosophique, 18^8, II, p. 161.
\
v
SENTIMENTS D'.INCOMPLfiTUDE DANS LA PERCEPTION PERSONNELLE 316
jiations du scrupuleux, elles sont incompletes et manquent de
reality. Le sujet (c croit se voir pleurer en dehors, il n'en est
pas sur ; il lui semble qu^ii devrait etre en dehors a pleurer
sur lui-mdme ». Ces images sont des' symboles plus ou moins
precis, plus ou moins vivement color^s que le sujet, en vertu de
ses manies de precision et de symbole, s'eflbrce de concevoir
pour exprimer ce sentiment de dedoublement : le sentiment lui-
ni^me reste le phenom^ne essentiel.
3. — Sentiment de depersonnalisation complete. T ^ -'
Deja dans bien des cas precedents, aux sentiments d'^trangete
du moi, de dedoublement de la personnc, se joig^iait un sentiment
de depersonnalisation plus ou moins complete. Claire nous dit
tres bien que sa personne actuelle est divisee, dedoublee, mais
que c*est la une personne d^ja artificielle et surajoutee, la» vraie
personne, celle d'autrefois, est completement partie, elle est en
dehors, a cot^, elle pleure. C'est un cas tout a fait idcntique a
ceux dont parlait Taine : « au debut, la personne est morte, puis
elle devient autre )>.
Dans des cas moins complexes on trouvera simplement la dis-
parition, la mort de la personne normale. Aux deux cas, que j'ai
deja Studies, ceux de Ver... et de Bei... * j'ajoute en resume
quelques cas nouveaux. PI..., fcmme de 28 ans, commence la
depersonnalisation a la suite d*unc grossesse, elle sent qu'elle
n*est pas naturellc, qu'ellc ne vit pas conime elle vivait autrefois,
elle cherche a se retrouver en se regardant dans la glace et elle
ne se reconnait pas « il est bizarre qu'clle sente encore la souf-
france, puisqu'elle n'est plus rien ; ses bras et ses jambes mar-
chent seuls car elle n*existe plus... Je raisonne comme tout le
monde et je vous assure que ce n*est plus moi, je sens bien que
je mange et cependant ce n'est pas moi qui mange, c'est telle-
ment drole que je ne pcux pas detourner mon esprit de cette
maladie ». Cette femmc en meme temps ne pent plus agir car
quelque chose la retient et la force a repeter Indefiniment le debut
d'un acte. Elle repele indefiniment des efforts qui sont des tics
et des petits mouvements convulsifs « car elle a peur de mourir
tout a fait si elle ne les fait pas ». Elle a done a cote du senti-
I. Mhroses el Idies fixes, II. p. 61 ct sq.
316 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
ment de la depersonnalisation deux manies raentales caracteris-
tiques, celle de la repetition et celle des efforts.
Ck..., femme de 4i ans (obsession amoureuse, besoin de' di-
rection, obsession de remords, manie de la recherche, manie
de Texpiation], ne demande qu'une seule chose a c'est de
retrouver sa pauvre et chetive personnalite ; pourrai-je re-
troiiver jamais ce pauvre moi qui depuis trots ans me semble
disparu, tantot il me semble que c'est moi qui souffre, tantot
j'ai besoin de me voir devant la glace pour savoir que je ^uis
encore moi-meme, je suis obligee de faire des efforts pour
ne pas croirc que je suis morte ».
^'^ Leo..., femme de 36 ans (phobie des orages, des epingles, de
la mort, manie des expiations): « je ne sais ou je suis, je ne sais
d'oii je viens, je perds Tid^e de moi-m6me, je me trouve si drole
que je me crois a moitie morte et a moitie vivante, je suis tou-
jours occup^e a me demander si j'existe encore. » To... (folie du
doute typique avec manic de la recherche) se demande avec an-
goisse si elle est encore elle-meme « ou si elleest un meuble, un
animal, un pore que Ton saigne ». Dob..., pendant la crise
d'agoraphobie, est effray^e par sa propre voix « ma voix a une
sonority etrange, qui me fait mal, je suis convaincue que ce n'esl
pas moi qui parle, je ne reconnais plus mes membres, j'ai besoin
de rdfl^chir et de me retenir, pour ne pas aller me chercher
moi-meme, car il me semble que je suis reside en arriere, » on
voit que celle-ci parle tout a fait comme la malade de M. S^glas.
Gisele, dont j*ai bien souvent cit6 deja les obsessions de voca-
tion et toutes les manies mentales, a par moment des peurs ter-
ribles « parce que tout d'un coup, dit-elle, il me semble que je ne
suis plus moi, que je nens de mourir, et cela me donne le senti-
ment de la folie. »
Enfin jerappellerai Tobservation de Pot... qui est tres complete,
cette femme de 32 ans, toujours scrupuleuse, tombe malade apres
une troisieme grossesse, voici ce qu'elle m'ecrit : « je ne com-
prends plus la vie, ni le monde, ni moi-m^me, j'ai perdu toutc
conscience de mon etre. II me semble que je ne vis plus que
matc^riellement, que mon ame est s^par^e de mon corps... J'en
arrive a me demander si j'existe d'aucune maniere... Je me figure
ne plus etre sur terre,... sij'ai une vie quelconque c'est dans un
autre monde... Je ne puis plus me mettre dans la tete que moi et
les miens nous sonimes vivants... Jc suis lasse d'une vie pareille
SENTIMENTS D'lNCOMPLfiTUDE DANS LK PERCEPTION PERSONNELLE 317
qui dure ind^finiment sans que je puisse me rendre compte de-
puis combien de temps, je ne la comprends plus. Quand ces sen-
timents me prennent j'eprouve le besoin que les miens me
caressent afin de me persuader que je suis blen aupres d'eux et
je leur reproche de ne pas me faire sentir que je ne suis pas
morte. » Tous les troubles de la perception des choses, de la
perception du moi, de la notion du temps, du besoin d'etre aime
se retrouvent dans cette observation.
Sans chercher ici a interpreter ces sentiments de d6personna-
lisation, je voudrais seulement relever leurs relations avec les
phcnomenes precedents. M. Dugas montrait dcjii que ce sentiment
de depersonnalisation se rapprochait du sentiment de fausse recon-
naissance dn « dejh-vu », il parlait aussi tres justement a ce propos
du sentiment d*apathie, d'atonie morale. Un malade de Krishaber
qu'il cite disait qu'ilagit par une impulsion etrangere a lui-meme,
automatiquement^ « J*agis comme un m^canisme qui fonctionne
apres qu'on a retire la clef, qui sert a le remonter. » En un mot
M. Dugas se montrait dispose a r^unir en un groupe les senti-
ments de depersonnalisation, de d^ja-vu, d*apathie, de domina-
tion. M. Bernard Leroy veut^galement faire rentrer le sentiment
de d^personnalisation dans un groupe plus vaste, celui des sen-
timents d'^trangcte. (les sentiments d'^trangete peuvent, dit-il,
se presenter sous quatre formes: i° le sujet a sentiment inana-
lysable que la reality est un reve ; 2° il a Timpression d'^loigne-
nient, de fuite du monde exterieur ; 3** ce sont les proprcs actes
du sujet qui lui apparaissent avec cette couleur d'etrangete, d'inat-
tendu; il traduit alors son impression en disant qu'il lui semble
que ce soient les actes d\in autre ; /i'* enfin survient ce que Ton
peut appeler la forme complete de Timpression de depersonnali-
sation lorsque le sujet se sent Stranger a toutes ses perceptions,
actions, souvenirs, pris en bloc''.
Ces rapprochements sont tres interessants et a mon avis in-
dispensable, depuis longtemps je souticns qu*il est juste de les
faire plus etendus encore ainsi que je viens de le dire a propos
des sentiments d^elranget^ de la perception et de deja-vu. Dans
I. Dugas, Bevue philosophique, 1898, I. 5o3.
a. Bernard Lcroy, Sur I'illusion dite de d^personnalisalion. Revue philosophique,
1898, II. p. J 58.
318 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
mes comws de 1897 et i8g8 sur fes sentiments intellectuels qui
accompagnent Te fiMMtionnement de la volonte et de la m^moire
j'avais essciy^ de montrer (\ue \% sentiment de d^ja vu, les senti-
ments d'^trange, les sentiments de d^personnalisation se rappro-
chaient des sentiments de perte de liberty, d^aclion m^canique,
de domination et rentraient dans le groupe des sentiin^iiis d'auto-
matisme. Je continue a concevoir ce groupe de la m^me maoiere,
mats quand il s'agit des scrupuleux il me semble plus juste de
faire rentrcr tout ce groupe de ph^nomfenes dans les sentiments
d'incompletude dont on a d^jh vu bien des formes.
Ce qui caract^rise le sentiment de la d6personnalisation comme
Irs sentiments precedents, c'est que le sujet sent la perception
de sa personne incomplete, inachevee. <( Je ne puis pas arriver
jusqu*a Tunite de ma personne, repetent-ils tous, je ne puis pas
m'atteindrc moi-meme... » Au fond, ils savent bien tons qu'ils
ne sont pas ri^ellcment dedoubl^s et qu'ils ne sont pas morts, et
malgr^ leurs expressions souvent exager6es ils n'ontpas un senti-
ment positif de multiplicity et de mort. II serait trop facile de
montrer qu'un sentiment positif de ce genre est une conception
contradictoire et irrealisable. Ce qu'ils ont en r^alit^ c'est le sen-
timent n^gatifde n'etre pas assez un, de nV^re pas assez vivant,
de n'etre pas assez reel, lis devraient dire et on leur fait dire
tres facilement des qu'on insiste un peu. « Je ne sens pas assez
la r^alite de ma personne. » C*est la ce qu'ils traduisent dans
leur langnge symbolique par les mots » je sens que ma personne
est morle » sans se rendre compte de Tabsurdite de ces lermes.
Ce sentiment fondamental qui existe sous ce langage est done le
meme que nous avons rencontre a propos de Taction, de Tintelli-
gcnce, et des emotions, un sentiment perpetuel d'incompletude :
c'est lui dont il faudra rechercher Texplication.
LES S^'MPTOMBS DE RfiTRfiClSSEMENT OU CHAMP DE LA CONSCIENCE 319
DEUXlfiME SECTION
LeS INSUFFISANCRS PSYCHOLOGIQUBS.
Si la' plupart de ces sentiments pathologiques sont des ph^no-
mencs primitifs et non des Id^es obsi^dantes, il faut se demander
quelle est leur signiGcation. Correspondent-ils a des troubles
dans Ic fonctionnement mental que nous puissions appr^cier au-
trement que par les sentiments conscients du sujet ? Comme nos
precedes d'investigation soit psychologiques, soit physiologiques
sont encore tres rudimentaires, ce probleme est tres difficile a
r^soudre et 11 faut bien souvent nous borner a des indications
que nous donne Tobservation.
i. — Les symptdmes de rStrScissement du cbamp de
la conscience.
Quand on examine ces malades qui se plaignent d'avoir perdu
leur personnalile, de ne plus voir les choses comme elles sont,
de ne plus pouvoir agir, ni sentir comme autrefois, la premiere
idee qui vient a Tesprit, c'est que Ton va facilement constater en
eux des suppressions de fonctions psychologiques connues et Ton
songe immediatement aux troubles qui ont ete souvent decrits
chez les sujets hyst^riques. Observe-t-on chez les scrupuleux des
disparitions de sensations, de souvenirs, de mouvements comme
chez les hyst^riques ?
C'est la premiere question que nous avons a r^soudre.
I. — Les anesthisies .
I/existence d'anesth6sies, en particulier, aurait ici une tres
grande importance : il semble qu'elle expliquerait assez bien cer-
tains sentiments de privation, d'incompletude que Ton rencontre
320 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
a chaque pas chez ces malades. Je me suis done beaucoup pr^oc-
cup^ de r^tude de la sensibility chez les serupuleux, sans ^tre
parvenu, je dois Tavouer a des resultats bien nets.
11 est d'abord incontestable qu'on n'observe jamais chez eux
les grandes anesth^sies des hysteriques. Jamais je n*ai trouve
chez ces malades de ces vastes regions du corps, de ces visceres
ou la sensibility consciente parait tout a fait abolie et oii on ne
pent manifester la persistance d'une certaine sensation que par
des proc^d^s particuliers. Jamais on n^observe ces pertes du sens
musculaire, qui s'accompagnent de paralysie complete ou du syn-
drome de Lasfegue, (mouvement les yeux ouverts, paralysie et
catalepsie les yeux fermes, etc.) : ce premier point est tout a fait net
meme pendant les plus grandes crises de rumination ou d*an-
goisse. Pincez un de ces sujets pendant la crise la plus violente
ou levez son bras en Tair, il se retournera toujours et ne main-
tiendra pas son bras en Tair.
D'autre part, chez la plupart des sujets qui ne sont pas tres
malades et surtout qui ne Ic sont pas depuis tr^s longtemps, soit
pendant T^tat a peu pres normal, soit pendant la crise on ne pent
avec nos moyens d'investigation actuels constater aucune altera-
tion nette de la sensibility. Comme ce point est capital, voici
quelques observations et quelques chifTres. Chez Bei... et Ver...,
ces deux sujets qui soutiennent si dr6lement qu'ils ont perdu
leur personne et qui repetent sans cesse : « ce n'est plus moi
qui cause, qui marche, qui sent, qui vit, qui dort. » L^^tat de la
sensibilite a et6 particulierement etudi6. a Nous etions disposes
a penser, disais-je a ce propos, que ces sujets ne doivent pas
avoir de leur corps et de leurs visceres les m^mes sensations
qu'autrefois. Mais en cherchant a constater ces troubles de la
sensibility supposes a priori nous eprouvons un etonnement. Chez
Bei..., il n'y a aucune anesthesie : Ta^sthesiometre donne 2 a 5
millimetres a la face palmaire des doigts, 20 millimetres a droite
et 25 a gauche, a la face inf^rieure du poignet. Ces sensations
sont nettcs, sans erreurs, ne s'accompagnent d'aucune douleur,
d'aucuu chatouillement, elles sont localisees au dos de la main,
par exemplc avec unc precision de 2 a 3 millimetres, elles se
pr^sentent tout a fait comme chez Thomme normal.
Pour appr^cier et mesurer au moins d'une maniere grossiere
les sensations diles a du sens musculaire ou kinesthesique » qui
nous paraissaient avoir ici quelque importance, nous nous soniraes
LES SYMPTOMES DE RfiTRfiCISSEMENT DU CHAMP DE LA CONSCIENCE 321
servis de ia m^thode des poids. Nous faisons soupeser au sujet
des petits cyltndres, des cartouches de fusil, comine Tavait fait
autrefois Gallon. Ces cartouches sont toutes absolumcnt sem-
blables en apparence, mais elles sont remplics de plonib de ma-
niere a presenter des poids inegaux bien determines, et le sujet
doit en prenant ces cartouches, en les remuant, en les soupesant,
appr^cier la difference de poids, dire laquelledes deux cartouches
qu'on lui presente est la plus lourde ou la plus leg^re. Afin de rendre
ces experiences comparables, il est n^cessaire de choisir un poids,
toujours le meme pour tons les sujets, qui serve de point de de-
part. Nous avons adopte le poids de lo grammes ct nous exprimons
les reponses du sujet et le resultat de cette petite experience par
una fraction. Le d^nominatcur dcsigne le poids pris comme point
de depart, c'est-a-dire lo grammes, le numerateur le poids addi-
tionnel ndcessaire pour que le malade accuse une difference.
En admettant cette representation, la sensibilite musculaire pour
les poids sera chez Bei... i dixieme pour la main droite et de 2
dixiemes pour la main gauche. Ce sont a peu pres les chiffres
que Ton obticnt chez un individu normal qui n'est pas particu-
lierement eduque pour ce genre de recherches.
Le sens auditif a ete examine par M. Gelle qui n'a pu constater
aucune modification. Le sens visuel n'est aucunement altere,
Fio. 9. — Champ visuel de Bei.
Tacuiteest totale pour Toeil droit el de 9 dixiemes pour TumI gauche,
le champ visuel est tout a faitgrand(fig. 9). Lessensibililesviscerales
sontevidemmentdifTicilesa mesurerelnousneprelendons rienattir-
LES OBSESSIONS.
1 -
322 LES STIGMATES PSYGHASTH^NlQUES
mer : mais enfin cette jeune fille a faim et soifii Theure des repas,
mange de ires bon appetit, digere parraitement, ^prouve le be-
soin d'uriner et d'aller a la selle; ellc se sent suflfoquee si on lui
ferme les narines, en un mot elle ne se comporte pas du tout
comme les hysteriques anorexiques avec anesthesies visc^rales.
Cependant, malgre cette conservation apparente de toutes les
sensibilites, elle continue a dire : « Je ne vois pas, je n*entends
pas, c'est rigolo, je ne sens rien, c'est tres drole d'etre comma
cela. n
La meme etude a et6 refaite surVer... ; en voici la conclu-
sion : « II n'y a pas un stigmate d'anesth^sie ciiez ce gar^on. II
distingue les pointes de Tiesth^siometre a 20 milltmetres sur la
a
>
A^^:
■ ^*'*''^Cv^ \
/^r /NC- V i
'^i^i^;Udm mYt^m
"^^i^^ ,
v^^ — ^
1
Fig. 10. — Champ visuel de Ver..
face inferieure du poignet droit ; il distingue des poids trfes legers:
il soufTre des qu'on le pique ; le gout, Touie, Todoral, la vue
n'ont rien d'altere ; le champ visuel est a 90** dans chaqiic cpil
(fig. 10]. S'agit-il de troubles de la sensibilite visc6rale ? lis sont
plus probables encore que les precedents, car cette sensibilite
jout; un grand role dans la personnalit6. Mais oil sont ces trou-
bles? II a In faim, la soif, le besoin d'uriner, etc., il sent ce qu'il
avale, distingue les goi!its comme autrefois. Nous ne pouvons
cependant pus d^crire les anesthesies visc^rales dont nous ne
constatons aucun indice. Les supposer, en vertu de theories phi-
losophiques, qui rattachent le sentiment de la personnalite a
ces sensibilites ce serail oublier les regies el6raentaires de Tob-
servation clinique. ))
LES SYMPTOMES DE RfiTRfiClSSEMfiNT DU CHAMP DE LA CONSCIENCE 323
Depuis ces Etudes, M. Bernard Leroy a eu Toccasion de reraire
les memes recherches sur un cas tout a fait semblable. 11 arrive
exactement au mcme r^sultat, c'est qu'on ne peut constater exp6-
rimentalement aucune espece de troubles de la sensibilite. « Je
constate d'abord, dit-il, que le malade ne presente aucune anes-
ihesie tactile, aucune diminution appreciable de la sensibilite ; la
localisation des sensations se fait normalemcnt avec precision. La
sensibility a la douleur ne me parait pas diminuee et la sensibi-
lite thermique non plus. La vue semble egalement n'avoir rien
perdu de son acuity ; le champ visuel est de dimensions nor-
malesV »
Si nous passons a d'autres malades qui ont des obsessions, des
manies, des angoisses varices, voici quelques chifTres que nous
avons relev^s : Bu..., grand agoraphobe examine au milieu d'une
crise, distingue les pointes de raesthesiometrc au bout des doigts
quand ellcs sont s^par^es de 2 ou 3 millimetres; a la face infi^-
rieure du poignet droit il les distingue quand elles sont s^parees
de 35 millimetres, a la face inferieure du poignet gauche il les
distingue a 3o millimetres ; le champ visuel de chaque ceil s'^tend
a go". Ger. .., examinee vers la fin d'une grande crise de rumi-
nation mentale, a partout une sensibility tactile normale : Vxs-
thesiometre donne 3 millimetres au bout des doigts, 25 a la face
inferieure du poignet, 3o sur Tavant-bras; le sens musculaire
examine par les poids donne i/io. Qei..., qui se plaint de ne
plus sentir le plaisir ni la douleur, a partout une sensibility tactile
normale, je mesure le sens de la douleur avec Talg^simetre a
ressort (appareil de Cheron pour la mesure de la pression san-
guine transform^ par Taddition d*une pointe et par une gradua-
tion difTerente) et je trouve 25 sur le dos de la main, ce qui est
normal. Les ni^mes constatations sont faites sur Red..., Vod...,
Bor..., Lod... (aesth. au poignet 35, alg^simetre sur le dos de
la main 20, champ visuel go). Si on veut observer la sensibility
au plus fort d'une crise d'angoisse, ce qui est diflicile, conime
on Ta vu parce que la mise en observation arrete la crise, on
peut se trouver en presence de sujets qui ne veulent pas se
laisser toucher, qui prennent peur de I'instrument et on peut
avoir beaucoup de peine a obtenir une reponse. Quand on Tob-
I. Hernani Lcroy, Dc I'illusion clile dc la depersonnalisation. Comptes rendus da
cony res de psycholoyie de 1900, p. 48 a.
3-24 LES STIGMATES PSYGHASTH^NIQUES
tient, elle est normale, tout au plus indique-t-elle un peu de
diminution en rapport avec T^tat de distraction du sujet.
On peut rencontrer une difficult^ sp^ciale quand on expcriraente
sur les grands douteurs qui hesitent a repondre parce quails ne
sont jamais siirs de rien. J'essaye d*appliquer raesthesiometre a
Vi... en pleine crise de rumination et d*hesitation ; clle pretend
n*^tre jamais sure s'il y a unc pointe ou deux pointes ct il faut
que j'exige une r^ponse, meme si elle ne se sent pas certaine de
son exactitude. La moyenne de ces experiences faites dans ces
conditions sur la face infi^rieure du poignet droit donne 4o : cc
chiflTre semble indiquer une legfere diminution. Cependant ^lant
donnees les innombrables chances d'erreur, j'avais admis autre-
fois qu'il fallait au moins 60 pour admettre une hypoesth^sie hys-
teriquecliniquement interessante : le chifTre constate sur Vi...,
en est encore eloigne. II est vraisemblable d'ailleurs que ce chif-
fre un peu elev^ est en rapport avec le besoin de certitude du su-
jet, M. Binet a fort bien montr^ que le chiflTre donne par IVsthe-
siometrc est modifi6 considerablement par le degr^ d*interprela-
tion que fait le sujet de scs sensations tactiles* et il est bien
probable qu'il est 6leve par le besoin de precision, par le desir
de ne consid^rer commes doubles que des sensations reellement
bien distinctes. On peut done dire que chez la plupart de ces
malades psychasth^niques les methodes actuelles de mesure ne
mettent pas en Evidence d'anesth^sie appreciable.
II faut mettre a part un dernier groupe fort int^ressant dans
lequel on peut relever assez nettement des diminutions appr<^-
ciables de la sensibilite, surlout pendant les crises. MM. Buccola
et Seglas ont remarquc des cas oil la sensibilite 6tait diminu^e-.
J'en ai observe aussi quelqucs-uns.
Quelques malades emploient d'abord des expressions que nous
sommes habitues a rencontrer dans la bouche des anesth^siques.
« Pendant la crise, dit Bal..., mes mains me semblent ^tre dures
et froides »; « il me semble, dit Buq..., que j'ai la peau engourdie
et que j'y ressens comme des fourmis, on dirait des bestioles qui
me courent sur le corps. » Mio... (186) se plaint de sentir le ecu
1. A Bind, Eslil possible de mesurer la sensibilite tactile d'uiie personne axec
la methode de Weber? Communication k la soci^te de psychologic. Bulletin de Cinsti-
tat psyeholwjique, mai igoii p. i45.
2. Seglas, Lemons cHniques sur les maladies mentales, 1896, p. 70.
LES SYMPTOMES DE RfiTRfiCISSEMENT DU CHAMP DE SA CONSCIENCE 325
el la gorge pleins de boutons. Je n'ai pu examiner ces deux
malades qu*en dehors des crises et j*ai di^ constater que malgre
leur dire la sensibilite ^tait normale.
Chez d'autres les verifications donncnt quelques r^sultats, Qb...
se plaint de sentir plus confusement du cAt^ droit, cc c6te lui
parait plus engourdi et plus gros que Tautrc, c'est la le langage
de quelques hysteriques : j*obtiens a Ta^sth^siometre unc difference
minime mais nettement appreciable : 5o sous le potgnet droit et
3o a gauche.
Tr... se plaint qu*elle perd le goi^t, Todorat et que toute la
face s'engourdit, je trouve la sensibilite de la face normale, mais
le goAt est reellement diminue et Todorat est presque disparu.
11 est vrai qu'il faut ici tenir conipte de cette secheresse des
muqueuses qui existe souvent chez ces malades.
Les deux malades qui m'ont semble le plus intdressants au
point de vue des troubles de la sensibility sont Lise et Claire.
Use a not(^ bcaucoup de details qui montrent son grand cngour-
dissement. Pendant une crise de rumination elle s'est coup^ la
main sans s'en apercevoir ; elle devient surtout indiffiSrente a la
temperature, il lui est arriv^ en s'habillant d'etre absorbee par ses
idees et de rester debout une demi-heure a demi nue dans une
piece tres froide sans en 6tre incommodee ; elle me raconte que
donnant un jour un bain a son enfant tout en se laissant aller a
rever elle Fa briile et s*est elle-m^me bri\le les mains sans sentir
que le bain ^taittrop chaud. Elle pretend qu'au moment oil Tidee
est forte, elle voit moins et elle entend a peine.
Les experiences de verifications sont comme toujours tres dif-
ficiles et quand Tattention est attiree on ne constate plus d'aussi
grandes anesthesies. Le tact proprement dit mesur6 a IVsthesio-
metre n*est que pcu diminue, la vue et TouVe sont a peine modi-
fies, mais j'ai et6 frappe de trouver uneassez serieuse diminution
du sens de la douleur. Une injection hypodermique qui est dou-
loureuse a Tetat normal devient tout a fait indifferente pendant les
periodes de rumination. Les mesures de la sensibilite doulou-
reuse avec Talgesimetre donnent des differences assez nettes pour
que Ton puisse les resumer dans un schema. On constate pendant
les crises de rumination une hypoalgesle g^nerale surtout carac-
teristique a droite sur la poitrine et sur Tepaule. Les chiffres
sont 5o et meme 85 et io5, tandis que quand le malade va bien,
en particulier a la suite de stances dont nous parlerons, elle
326 LES STIGMATES PSYGHASTHfiNIQUES
ne liiisse pas cnfoncer Taiguille a plus de 20 ou 35 (fig. 11 et
fig. 12).
Chez Claire les troubles de sensibilite sont encore plus nets.
Quand elle se plaint que son corps est mort, qu'il y a comme un
trou sous son sein droit oil tombc sa personnalit^, il y a quelque
chose d'objcctivement appreciable. II y a une serie de regions du
corps au larynx, aux deux seins, a Tepigastre, a la partie inferieure
de Tabdomen ou Fengourdissement est notable surtout ii droite.
Fio. II. — £lal de la sco'sibililt' de Lise pendant une {leriode de niminaUon mesuree arcc
ralgeMmetre a ressort — Analgesic plus accentuee a droite.
[.a douleur de la piqAre dans ces regions n'est appreci^e qu'a io5
tandis qu'au poignet elle est sentie a 3o. Le contact d*un cheveu,
suivant la methode de Bloch, qui est nettement per^u Jans les
regions avoisinantes cesse d'etre peryu quand il arrive dans ces
regions. J'ai meme pu, cc qui est tout a fait exceptionnel pour
cos malades, etablir une sorte de schema de la sensibilite comme
on fait pour les hysteriques (fig. i3). II ne faut pas oublier que
les parties ombr6es de cette figure ne correspondent pas a de
Tanesthesie vraie, mais tout au plus a une diminution de la sensi-
LES SYMPTOMES DE RfiTRfiCISSEMENT DU CHAMP DE LA CONSCIENCE 327
bilite, surtout de la sensibility a la ilouleur. En considerant cette
figure on verra qu'elle ressemble tout a fait a celle que nous avons
deja publiee a propos d*hysleriques ayant des idees fixes g^nita-
les*. On sait que les sensations et les images venant de certaines
parties du corps ayant une fonction determinee et, par consequent,
ayant une cerlaine qualite commune, se groupent, s'associent
dans certaines Amotions de maniere a constituer. des regions psy-
chologiques. La sensibilite des parties genitales, du pubis, des
15 15
Fig. I a. — Ctat de la sensibilite de Lise mesure de la m^me maniere pendant uno p<iriode
plus normale. — Sensibilite k la douleur a pen pres normale.
seins et quelquefois de I'ombilic forme un systeme qui est li^ a
toutes les emotions ou id^es genitales : il est interessant de re-
marquer que chez une scrupuleuse ayant depuis une douzaine
d^ann^es des obsessions genitales la sensibilite de toutes ces re-
gions est troublee comme elle Tesl dans Thyst^rie. J*ai d(^ja rap-
porte Tobservation d'un homme qui, apres 20 ans de meditation
sur des obsessions de ce genre, en arrive aussi a une hypoesth^sie
1. Nevroses et IdSes fixes, II, p. 434-
328 LES STIGM\TES PSYCIlASTHfiNIQUES
des parties genitales : la difference avec Thysterie est toujours la
m6me, rinsensibilite est tres incomplete et ne porte nettement
que sur la douleur.
Fig. 1 3. — Schema de la repartition do Thypoesthesie choz Claire
X Localisation de la cephalalgie.
En resume nous n'avons rencontrd de troubles de la sensibilite
appreciables que dans un petit nombre de cas et encore ces trou-
bles portent-ils presque exclusivement sur la sensibility a la dou-
leur et dependent-ils ^troitement du degre de Tattention. Dans
rimmcnse majorite des cas, il n'y avait aucun trouble precis des
sensations tactiles et des sensibilites speciales, enfin dans aucun
cas nous n'avons pu noter de grandes et profondes anesthesies.
Je n'insiste pas sur Tamn^sie et sur la paralysie, car vraiment
je n'ai rien observe chez mes malades qui rappelle meme de loin
ce que Ton observe chez les hysteriques ; il n*y a guere que des
symptomes subjectifs. « Bei. . . soutient qu'elle n'a aucune mcmoire,
que depuis son accident elle ne se souvient de rien. II ne faudrait
pas, disions-nous*, la croirc sur parole et nous figurer qu'ellepre-
I. Xcvroses et UUes fixes, II, {1.65, p. 73.
LES SYMPTOMES DE RfiTRlSCISSEMENT DU CHAMP DE LA CONSCIENCE 329
sente des amnesie reelles et ^lendues, interrogez-la, si vous vou-
lez, nous vous mcttons au defi de trouver un oubli r6el ». « Ver...
a imaging de dire qu'il avait perdu la memoire et il voulait memc
se faire dispenser du service militaire sous pr^texte d*amn6sie :
<c je ne rae souviens de rien, dit-il, je ne puis pas tenir une
conversation, car je ne puis suivre aucune id^e » c'est la ce qu*il
d^crit mais meme embarras que tout a Theure, si vous cherchez
quelle forme d'amnesie II presente vous n*en pourrez trouver
aucune. Interrogez-le sur tout ce que vous voudrez, il vous re-
pondra avec des details interminables : et il continue a dire je
n'ai aucune memoire, tandis que sa parole a montr^ tous les sou-
venirs possibles. »
Claire pretend aussi avoir perdu la memoire, ne plus se sou-
venir du passe et ne pouvoir apprendre le present. En r^alite elle
raconte a peu prfes tout et quand j'ai essaye de lui faire apprendre
lo syllabes en les pronon^ant devant elle, elle y est arriv^e cor-
rectement apres i3 auditions. Cela ne montre pas une grandc
puissance d'attention, mais cela n'est pas de Tamndsie.
Gisele se plaint d*avoir par moment des paralysies completes,
je ne les ai jamais constatees : cette difficulte que la malade eprouve
a marcher dans certaines circonstances se rattache a ces sortes
de crises de fatigue qui surviennent frdquemment chez ces su-
jets; ce ne sont aucunement de v^ritables paralysies.
2. — Les mou\*ements aubconscients .
Un autre ph^nomene que Ton est tout dispose a rechercher
chez les scrupuleux c'cst le mouvement involontaire et subcon-
scient dont le type ideal est Tecriture automatique des mediums.
I^es raalades parlcnt comme s'ils constatalent sans cesse en eux '
des phenomenes de ce genre « j*agis sans me faire d'id^es de ce
que je fais, dit Ver..., mes mains s'occupcnt, ce n'est pas moi
qui m'occupe, » ces malades parlent certainement d'automatismo
beaucoup plus que les mediums eux-memes.
Mais la verification expt^rimentale ne correspond pas du tout a
cette apparence, j'ai essaye sur un grand nombre de ces sujets
psychastheniques de reproduire les experiences classiques qui
consistent a deviner le nombre qu'ils pensent par le mouvement
de leursdoigts, les experiences du pendule enregistreur, de Tecri-
ture automatique au moyen de la tablette, etc. : dans la grande
330 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
majority des cas, les resultats sont absolument mils. Exception-
nellement j'obtiens quelques gestes sugg^rt^s a Tetat de veille
chez Lise, mais elle n'oublie pas sa main, elle la sent remuer et
ecrire, elle pent toujours Tarr^ter qiiand elle veut et il y a beau-
coup de complaisance dans son obeissance. Claire dit toujours
qu'elle agit sans s'en rendre compte ; mais certainement cela ne
lui arrive pas quand je veux le verifier. Elle obeit un peu aux
mouvements suggeres, elle y a quelques mouvements en appa-
rence involontaires du doigt, mais comme Lise elle peut toujours
se surveiller, se reprendre : la subconscience n*est jamais com-
plete. D'ailleurs cette question doit 6tre generalis^e en cher-
chant ce que deviennent chez ces malades les phcnomenes d'hyp-
notisme, et de suggestion.
3. — Le sommeil hypnotique.
J'ai eu Foccasion d*etudier cette question de Thypnotisrae chez
les obs^des avec quelque soin, car la plupart des malades recla-
maient precisement la suggestion hypnotique comme le remede
de leurs id^es fixes et ils s'y pr^taient de la meilleure foi du
monde avec le plus vifdesirdese laisser endormir; sur quelques-
uns d'entre eux j*ai pu prolonger les essais pendant trois et
meme cinq ans pour ainsi dire sans interruption.
Arriventils au sommeil hypnotique? lei il Taut faire attention
a prcciser les termes, les scrupuleux sont des individus chez
lesquels tout consiste en nuances et en mesures. Si Ton cherche
un sommeil hypnotique veritable et complete un somnambulisme
typique, il faut obtenir deux choscs : i° pendant T^tat de som-
meil un developpement intellectuel suflisant pour que le sujel
puisse parler ou du moins comprcndre la parole et agir en confor-
mity avec la suggestion sans se rcveiller; 2° un oubli complet au
r^veil.
Ces caractercs on ne les obtient jamais chez les scrupuleux.
L'une des hypnoses les plus completes est celle de Lise. Les
seances ont ete repetees cinq ans tons les huit jours, nous verrons
plus tard pour quelle raison. Aujourd'hui encore elle n'est pas
parvenue au second phenomene caracteristique Toubli du som-
nambulisme. Cet oubli existe un peu, les souvenirs sont confus,
mais a la condition qu'elle ne fasse aucun effort pour les recher-
cher. Si elle les recherche, ses souvenirs se pr^cisent et reappa-
LES SYMPTOMES DE RfiTRfiCISSEMENT DU CHAMP DE LA CONSCIENCE 331
raissent fort bien. Et encore cet oubli l^ger dont elle se contente
n'a commence a apparaitre qu*a la 53*' stance.
Quant a cette hypnose elle-menie, elle consiste simplement en
un engourdissement dans lequel le sujet a de la peine a rerauer,
a ouvHr les yeux. Cet etat ressemble a ce que Lise 6prouve spon-
tanement quand elle retombe dans une idee fixe, dans une rumi-
nation en pensant au demon. Mais ce qui est caracteristiqu'e, c*est
qu'elle pent triompher de cet engourdissement; si elle y tient,
elle peut faire un eObrt volontaire et arriver a ouvrir les yeux ;
elle peut aussi par un effort remuer et parler. Mais alors ces
niouvements, et la parole surtout, la r^veillent, si bien qu'elle se
plaint d'etre troublee, si je veux la faire parler pendant qu'elle
dort. Ajoutez que Tesprit reste lucide, qu'elle ne perd jamais con-
science et continue a se surveiller pendant Thypnose.
Dans ce cas cependant il y a quelques ph^nomenes d*hypnose
interessants obtenus par une prolongation extraordinaire des
essais : il y a un engourdissement notable, non seulement des
mouvements mais, ce qui est plus curieux, des id^es. La malade
a de la peine a retrouver ses id^es fixes et a les decrire, il y a des
choses qu'elle ne peut pas arriver a exprimer dans cet etat et
qu*elle exprime bien etant reveiilee, elle conserve meme quelques
heores apres la seance un certain engourdissement et une l^gere
envie de dormir. Enfin cet ^tat est devenu chez elle assez habi-
tuel pour se reproduire sur un signe, par exemple quand je lui
mets la main sur le front.
Chez les autres malades je n'obtiens m^me pas ce resultat in-
complet. Lod... a ii peine les paupieres un pen tremblantes, rien
de plus, aucun engourdissement ni des mouvements, ni des idees,
bien enlendii aucun trouble de la memoire. Chez We... petit de-
but d'engourdissement apres une vingtaine de seances, aucun
oubli apres la seance. Chez On..., chezTr..., rien de plus. Mb...
s*endort un pen plus, mais ne presente pas d'oubli. Kl... arrive a
une somnolence tres incomplete avec persistance des souvenirs.
Chez Claire, les essais sont dilliciles, elle est si longue a faire
aucun acte, qu'elle est interminable avant d'accepter qu'on
essaye de Tendormir; elle voudrait me parler auparavant, dire ce
qui lui charge la conscience en commen^anl par le commencement.
Ce recit, a supposer qu'elle puissc le faire, serait interminable,
puis elle a des craintes sur ce qu'elle dira pendant le sommeil, des
scrupules sur I'hypnose qui retardent les essais. Enfin h force de
332 LES STIGMATES PSYCHASTmiNIQUES
patience je suis parvenu a essayer s^rieusement au moins 3o
fois, ce qui serait largement suflisant pour hypnotiser complele-
ment une personuc un pen predisposee : Ics resultats sont insi-
gnifiants : tete lourdc, quelques tremblements des paupieres, un
pen de resolution des membres, le tout ccsse des qu'elle vcut se
secouer, meme sans mon ordre.
Get insucces vraiment considerable dans Thypnotisme des
scrupuleux tient-il uniquement a la faoon dont j'ai dirig^ les es-
sais ? Je ne puis pas le croire, quand je mets en Tace de ces
malades le nombre aujourd'hui tres considerable d'hystcriques
que j'ai pu amener a tons les degres possibles du somnambulisme.
U y aurait done la un premier fait, c'est que le meme auteur, en
procedant de la meme maniere, determine Thypnotisme coinme il
le veut chez les hysteriques en quelques seances, tres souvent en
une seule, et qu'il ne parvient a rien chez les scrupuleux m^me eti
plus de cent stances comme dans le cas exceptionnel de Lise. Mais
il y a plus a dire, le hasard a fait que beaucoup de nies malades
soit avant, soit apres avoir cte etudi^s par moi, ont passe entre les
mains de plusieurs de mes confreres qui ont fait les meme lenta-
tives. Quelques-uns ont essaye de se faire illusion en appelant
hypnotisme n'importe quel engourdissement, mais toutes les
fois que j'ai pu avoir des renseignements precis, j*ai constate
qu'aucun d'eux n'avait rien obtenu de plus que moi.
Pour ne citer qu'un exemple Jean a et^ longtemps soigne par
M. Dumontpallier qui avec une grande confiance a fait tous ses
efforts pour Thypnotiser ; apr^s des essais trfes nombreux
M. Dumontpellier a etc oblige de dire au malade « qu*il avait
Fesprit trop vagabond pour arriver au sommcil provoque ».
J'ai remarqu^ aussi que les auteurs qui ont une grande pra-
tique de Thypnolisme, comme M. Bernheim, se montrent
adroits et devinent rien qu'a Tallure et au recit de ces malades
qu'ils ne sont pas hypnotisables. Dans quatrc de mes observations
M. Bernheim a habilemcnt refus^ de tenter un trailement par
rhypnotisme : je ne dis pas qu'il ait eu rdison au point de vue
therapeulique, ces essais d'hypnotisation peuvent avoir, comme
nous le verrons plus tard, des resultats utiles; mais au point de
vue scientifique je trouve qu'il a completement raison en consi-
derant ces malades comme rebelles au sommeil hypnotique.
Mes recherches sur ce point, je suis heureux de le constater,
sont tout a fait d'accord avec les conclusions auxquellesMM. Pitres
LES SYMPTOMES DE n^TRlvCISSEMENT DU CHAMP DE LA CONSCIENCE 333
et R^gis sont parvenus. « D'une facon g6nerale les obsddds pre-
sentent cette particularitc curicuse que, ires sensibles a raction
de la suggestion ordinaire, an reconfort moral du m<^decin, ils
sont rebelles a la suggestion hypnotique qui n'a pas souvent prise
sur eux. Ils ressemblenl encore en cela aux neurasth^niques quise
trouvent momentan^ment soulag^s et meme gu^ris de leurs niaux
par une simple visite du m^decin et qui ne sont pas d'habitude
hypnotisables ^ »
II est vrai que quelques auteurs, en tres petit nombre, ont pu-
blic des observations de sommeil hypnotique determine cliez des
agoraphobes ou des obsedes. M. Berillon en « signale' plusieurs,
M. Auguste Voisin surtout en a d6crit un tres grand nombre au
congres de Psychologic tenu a Munich en 1896^: « Phobies et
nianics multiples, habitudes de religiosite, am(^liorations par la
suggestion hypnotique. — Manies et phobies multiples, craintes
de manquer a des promesses, sommeil absolu a la 2° seance, gue-
rison a la 4° seance. — Agoraphobic, claustrophobic, peur des
cheniins de fer et des voitures, sommeil hypnotique en une
seance, gu<^rison en 3 stances, etc... » J'avoue que je suis rest^
tres etonne en entendant ces communications.
Ces opinions opposees ne me paraissent pouvoir s'expliquer
que de deux famous. Ou bien les auteurs, uniquement pr^occupcs
du point de vue thcrapeutique,ne se sont pas inqui^t^s de preciser
le diagnostic de Tetat qu'ils ont appel^ sommeil hypnotique, ou
bien, ils ne se sont pr^occupes que du contenu de Tobsession et
non du diagnostic de la nevrose sous-jacente et ils ont eu alTaire
a des id^es fixes chez des hysteriques. Je reste dispose a croire
que Tun des grands caracteres des psychastheniques c'est de ne
pas pouvoir presenter Tetat de somnambulisme naturel ou pro-
voque qui, au contraire, caract^rise les hysteriques.
4. — La suggestion.
Pendant ces etats hypnotiques tout a fait insuffisants et mal
I. Pitres et Regis, op. cit., p. 100.
3. Berillon, Soc'iHi de mhlecine et de chiruryic pratiques, 8 jiiin 1893.
3. A. Voisin, Dritter internationaier Congress fur Psycholwjie in Miinchen, 1897,
p. 38i), et Emploi de la suggestion hypnotique dans certaines formes d'atiination
mtntale, 1897.
334 LES STIGMATES PSYCHASTHENIQUES
determines j'ai cependant essayc de pousser le plus loin possible
les experiences de suggestion.
C'est encore chez Lise que j'ai obtenu les ri^sultats les plus
interessants. J'ai essay6 de determiner les ph^nom^nes- de
suggestion les plus simples, les attitudes et les mouvements par
suggestion et je lui ai sugg^re que son poing se fermait bien fort
et qu'elle ne pouvait plus Touvrir. A la i3^ seance seulement cette
suggestion a eu un resultat qui semblait assez net, le poing se
fermait et paraissait contracture. Depuis ce moment les sugges>
tions de mouvement ont semble avoir quelque succes. On peut
actuellement determiner quelques mouvements du bras, de la
jambe qui se levcnt en Fair ou suivent ma main comme s'ils
etaient attires par elle. Depuis la 28" stance quelques suggestions
peuvent meme s*executer apr^s le sommeil. La nialade prend un
papier et le d^jchire comme je Tavais commande pendant le som-
meil; elle pretend ne pas faire d'edbrt volontaire pour accomplir
cet acte ; il semble m^me que les actes suggeres s'accomplisseut
mieux si Lise n'y fait pas attention.
Malgre CCS resultats en apparence positifs il y a deux remar-
ques a faire sur ces actes : 1° 11 n'y a jamais eu oubli de la
suggestion apres leur execution. 2*^ L'impulsion n'a jamais ete
assez forte pour vaincrc la volonte de la malade, les mouvements
s'accomplissent bien d'une fa^on en apparence automatique
sans eflbrts volontaires, mais a la condition que Lise le per-
niette, les laisse faire en pensant a autre chose : des qu'elle
veut s'y opposer elle les supprime toujours d'une fa^on defini-
tive. Ces remarques sont particulierement netles a propos des
contractures. Celles-ci a un moment semblaient tres develop-
pees chez Lise et envahissaient tons les membres : on pou-
vait pendant le sommeil la raidir entierement. Mais il fatlait
toujours que la malade s'y pr^tat, si elle s*avisait de chcrcher ii
detruire ces contractures ou si je lui demandais de chercher a les
defaire, elle reprenait presque inimediatemenl la libre disposi-
sition de ses mouvements quelquefois apres une sorte de lutte.
II faut aussi rcmarquer que jamais les suggestions n*ont pu
etre developpees au dela de celtc forme tout elementaire, jamais
je n'ai pu obtenir par suggestion des actes plus complexes, jamais
surtout je n'ai pu faire naitre dc reves, ni d'hallucinations. Lise
pense bien a une rose quand je lui dis d'y penser, il y a pendant
quelque temps une certaine fixite de Tidee et d'une image un peu
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 335
rudimentaire. Dans les circonstances les plus favorables elle croit
y r^ver, mais il n'y a pas d'illusion et jamais elle ne voit le rose
en dehors d'ellememe. II est cgalement impossible, m6me a la
56* stance, de determiner de Tanesth^sie veritable : elle pretend
sentir un pen moins la piqiire, mais elle la sent tout de meme et
ne laisse pas enfoncer Fepingle plus profondi^ment.
Les memes r^sultats de la suggestion se retrouvent chez quel-
ques autres sujets avec cettc diderence que les phdnomenes de
suggestion sont chez eux en general beaucoup moins accentues,
quelques mouvements automatiques sugg6r<^s chez Ger..., chez
We..., chez Claire et c'est tout. Les autres malades obsddes,
liqueurs, phobiques quand ils sont bien des psychasth^niques et
non des hysteriques ne sont suggestibles en aucune mani^re.
II ^tait interessant de mettre en evidence par des experiences
nombreuses sudisamment prolongees le peu d'importance des
mouvements subconscients, du sommeil hypnotique, des sugges-
tions chez les psychastheniques. Ce caract^re quoique simplement
negatif me semble avoir une certaine importance dans Tinterpr^-
tatron de leur ^tat mental.
2. — Les troubles de la volonti.
Si Ton ne constate pas chez les scrupuleux les troubles precis
et assez sp^ciauxqui caracterisent les hysteriques, il ne faut pas
en conclure que tous Icurs sentiments d'incompletude soient
erron^s et qu'ils n'aient pas des troubles fondamentaux ant^rieurs
a leurs propres sentiments ct surtout a leurs id6es fixes. Ces
troubles se trouvent surtout dans Tactivite volontaire qui est pro-
fondement troublee chez ces malades bien avant que Ton constate
leur maladie etdans beaucoup de cas, si je ne me trompe, depuis
Kenfance. La description detaillce de ces troubles de la volonte
serait interminable, je Tai deja faite si souvent dans mes autres
travaux que je crois pouvoir me borner ici a une enumeration
rapide des principaux symptomes par ordre de gravity crois-
sante.
I. — L' indole nee.
Presque toutes ces personnes presentent quelquefois depuis
336 LES STIGMATES PSYGHASTHfiNIQUES
leur premiere enfance un caractere bien reconnaissable : ee sonl
des mous, des indolents, des paresseux. Avecdes tcrmes variables,
les families et les malades eux-m^mes d^crlventtoujours ce ni^me
caractere « quelle enfant molle, disait-on de Tr..., on diraitqu^il
faut la battre aussi bien pour la faire jouer que pour la faire Ira-
vailler. » Claire a toujours et^, sans doute, une bonne enfant, elie
pretend qu'elle etait plus active autrefois et que maintenant les
actes sont supprimes par les idees maladives ; mais ce n'est pas
tout a fait exact, elle a toujours 6te paresseuse, elle a toujours cu
le degoiit du travail « elle se souvient qu*6tant jeune elle avait
deja besoin de s*exciter au travail par des menaces ou des pro-
messes qu'elle se faisait a elle-meme n. Notons que c'est une
jeune fiUe qui n*a jamais eu la manie du serment et que cepcndant
le travail ne se faisait chez elle que par des excitations du nieme
genre.
Sera-t-on etonne d'apprendre que Jean a toujours ^te « en-
dormi, apathique, indolent, sans energie ». Quoique done d'une
intelligence plutot sup^rieure a la moyenne il n'est jamais arrive
ai rien, m6me dans son college. Cette paressc est done fondamen-
tale, bien ant^rieure aux manies et aux obsessions, on la retrouve
chez tons les malades, sinon pendant toutc la vie comme chez
les precedents,, au moins pendant toutes les periodes maladives.
2. — L' irresolution.
Cette moUesse gen^rale pent se decomposer en un certain
nombre de troubles particuliers de Taction, le plus frappant est
ant^rieur a Facte mfime, c'est une indecision perp^tuelle qui
existe a.monavis en fait, bien avant que le malade n'en ait Ic
sentiment et qu*il n'en parle bien, avant qu*il n'ait des crises de
doute et de d6lib<^ration. Tous les auteurs qui ont parle des
obsedes et des douteurs ont bien decrit cette indecision V Que
d'exemples on pourrait citer de cette irresolution, choisis, je
le repute, tout a fait en dehors des crises d'excitation patho-
logique'. Tod..., tout enfant, passait des heures interminables a
ranger son tiroir parce qu'elle « ne pouvait jamais decider si
un objet devait iHre a droite ou a gauche. » Bsn..., une fenime
qui a actuellemcnt 5i ans, raconte en riant des incidents de sa
I. Gf. Raymond ct Ariiaud, Arm. med. psych., 189a, II, 199.
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 337
jeunesse : « elle a 6te tr^s malheureuse quand on a voulu la
forcer a ranger sa chambre elle-m6me, car elle hesitait ind^-
finiment sur la place d'un bibelot. » Qei... a toujours ^t^ mal-
heureuse quand il fallait choisir une robe, un chapeau ou une
distraction. Min... ne sait jamais ce qu*il veut faire, il lui fautdes
jours et des jours pour savoir s*il veut profiter d'une journ^e de
vacance et faire une promenade cc ce que j'ai toujours aim6 le
mieux, dit-il, c'est qu'un camarade d^cidat pour moi: son opinion
me donnait une sorte de coup de fouet » aussi ne sortait-il jamais
seul et m^me a 20 ans, il ne quittait pas les jupons de sa m^re.
Bien entendu ces hesitations vont devenir curieuses quand les
resolutions a prendre sont plus graves ; il est int^ressant de voir
que ces personnes hesitent entre des actions tout a fait oppos^es,
tellement distantes qu*au premier abord la comparaison meme
semble impossible. Toutes ces femmes par exemple, comme Fya. . .,
hesitent pour se marier entre plusieurs jcunes gens, mais Ren^e
fait mieux, elle passe des ann^es a hesiter entre la vie religieuse
et la vie d'actrice dans un petit theatre. Cette derniere existence
d*ailleurs elle se la represente tres bien comme une vie de d6-
sordre. Mais comme elle le dit dans son naif langage, elle est
rest^e des annees a se demander si « elle voulait faire la noce ou
^tre une sainte ». Si la decision semble 6tre prise, elle change et
disparait pour le plus l^ger obstacle, ces personnes aiment les
pr^textes et renoncent a ce qu^elles avaient decide pour un
nuage, un rayon de soleil ou une migraine plus ou moins r^elle.
Ce caract^re est au plus haut degr6 chez deux de mes malades
principales : Claire, depuis son enfance, et a plus forte raison au
cours de sa maladie, ne se decide a rien d*une mani^re ferme, elle
change sans cesse d*occupation, laisse une chose, la reprend, la
laissede nouveau : elle a voulu ^tre religieuse, puis elle y a renonc6,
ridee revient de temps en temps puis disparait; elle ne sait pas
si elle veut ou ne veut pas se marier. Elle oscille pour tout, et
cela en dehors, je le r^pete, de tout delire : en voici un exemple
entre mille : elle a ecrit une lettre pour me la. remettre, il lui
a fallu un grand effort pour T^crire. Elle vient chez moi et cache
sa lettre ne voulant plus que je la voie, puis un quart d^heure
apres elle me dit qu'elie Ta ^crite et me la montre, puis elle la
remet dans sa poche, puis elle me la donne et la voici qui se
jette sur moi pour me la retirer des mains; m6me scfene
parce qu'elle veut et ne veut pas qu'on essaye de Thypuotiser etc.
LS8 OBSESSIONS. I. — 22
338 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
Lise a toujours v^cu de m6me, elle a eu des hesitations pour
la vie religieuse, pour le mariage, pour presque toutes Ics actions.
Aujourd'hui, quand elle sort dans la rue, elle ne sait plus de
quel cote elle veut aller et il lui arrive de rentrer au bout de
quelques pas plut6t que de choisir entre les diverses courses
qu'elle pourrait avoir a faire.
3. — La lenteur des actes,
M^me si Taction est d^cidee, elle se fait tr^s lentement et cela
avant qu'il n'y ait des manies ou des ruminations pour Tarr^ter.
La lenteur de ces personnes pour se lever du lit est classique : il
leur faut des heures pour savoir si elles sont reveillees ou non.
Leur lenteur a faire leur toilette, a prendre leurs repas^a ecrire
une lettre, a faire en general une action quelconque est observee
tout a fait dans la premiere jeunesse. Claire devenait exigeante
sur ce point, elle voulait qu'on lui laissat des heures pour ecrire
un petit mot, pour se preparer a sortir, pour se mettre a table.
Comme nous Tavons remarque autrefois chez les hyst^riques,
comme MM. Raymond et Anaud Tout d^crit chez un aboulique,
ces malades fractionnent Tacte, ils emploient une premiere
journ^e a chercher du papier a lettre, une seconde a prendre
une enveloppe et peut-^tre qu*en huit jours ils arriveront a
6crire une lettre.
4. — Les retards.
Cette conduite amene une consequence inevitable, c*est qu'iis
n'arrivent jamais a rien en m^me temps que les autres personues,
au moment ou il le faudrait. Lorsqu'ils sont intclligents ils gemis-
sent comme Ka... sur ce trait de caract^re qui leur a nui dans
toute leur carriere, ils ne sont jamais prets a temps pour saisir
une occasion quelconque, « je laisse toujours passer le moment et
je n'arrive a rien ». Ils remettent toujours Teffort au dernier
moment possible : Claire ne me parlera un peu qu'a la fin de sa
visite quand decidement je ne puis pas la garder plus longtemps ;
elle ne fera quelques efforts pour se gu^rir qu'a la fin de son
sejour a Paris, quand elle voit qu'il faut rentrer chez elle.
Un caract^re curieux qui en resultc, c'est Tabsence totale de la
notion de Theure. 11 n'y a rien de plus terrible que d'avoir des
rendez-vous avec des scrupuleux : un retard d'une heure ou deux^
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 339
quand ils n*ont pas d'id^e fixe sur ce point, leur parait si peu de
chose et si insignifiant qu'ils croient en arrivant m^riter des
compliments. On m*a fait remarquer que ce caractere de n'etre
jamais a Theure, qui est si net chez Xyb... (209), Vk. .., etc., est
un veritable caractere de famille, que Ton retrouve chez les
parents, les fr^res et les soeurs des malades.
5. — La faiblesse des efforts,
11 est bien Evident que ces malades auront une grande faiblesse
morale, nous avons vu qu'ils abandonnent Taction pour le
moindre pr^texte. II me semble qu'ils ont encore une certaine
faiblesse physique au moins dansTeffort instantan6, j'ai fait beau-
coup de mesures dynamomdtriques, esp6rant, comme je Tai dit,
trouver la preuve d*une certaine paralysie pendant les 6tats d'an-
goisse. Comme on I'a vu dans le chapitre pr6c6dent, les expe-
riences sur ce point n*ont rten de decisif : mais elles me laissent
une autre impression. Je suis dtonne de la faiblesse des chiffres
que Ton trouve comme raoyenne,'ainsi Bu..., homme vigoureux
de ^2 ans, a comme moyenne de 10 experiences avec la main
droite, 3i. Jean, gar^on bien muscle de 32 ans, a comme
moyenne de la main droite 28,5 et de la main gauche 28. Qes...,
une forte jeune femme de 25 ans, moyenne de la main droite, 22,3,
de la main gauche 20,7. Claire, moyenne dela main droite 25,5, de la
main gauche 16,9. Lise moyenne de 10 pressions dela main droite,
dans une premiere experience 25, /| de la main gauche, 23,9 dans
une seconde experience moyenne de la main droite 23,4 pour la
main gauche 21,7. Ces chilfres evidemment ne signifient pas une
paralysie, mais ils sont faibles et indiquent tres peu d'eCForts.
Les malades cependant se figurent qu'ils font sans cessc des
efforts physiques et moraux enormes. Lise a pour le moindre
progrds un sentiment d'eObrt, de raidissement des membres
comme si elle accomplissait des oeuvres extraordinaires, il en est
de meme pour Claire.
* 6. — La fatigue.
D^s qu'ils ont fait le moindre effort physique ou moral les
psychastheniques sont epuises et ressentent un horrible senti-
ment de fatigue. « C'est un manteau de fatigue qui tombe sur
3i0
LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
moi », dit Lf. .., femme de 46 ans, ce sentiment s'accompagnede
douleurs aux articulations et dans les muscles, de derobement
des jambes, de laisser aller de tout corps. Jean se laisse tomber
6tendu sur un lit et ne pent plus bouger.
Moralement on observe aussi qu'ils ne peuvent plus suivreune
id^e, que leur attention ne se fixe plus du tout. Wo... fait uu
effort pour une addition : « J*ai un sentiment de courbature hor-
rible, j'ai ddpens^ un gros effort qui a ^puise mon attention, men
esprit ne se fixe plus, tout papillote devant moi. » Jean s^epuise
pour une lecture de quelques lignes. II faut tenir grand compte
de cette fatigue rapide dans le traitement.
6. — Le desordre des actes.
Ce caractere semblera curieux chez ces personnes qui ont la
manie de la precision et de Tordre, il est cependant incontes-
table. On sait qu'il n'y a pas de chambre plus sale que celle
Fio. \k.
d'une femme qui a la manie de la propret^ : U..., qui a la
phobie des microbes, ^tait arriv^e a faire de sa chambre un veri
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 341
table fumier. De meme il n'y a rien de plus d^sordonn^ que la
chambre et la table d'une personne atteinte de la manie de
Tordre : ces personnes rangent avec une precaution minutieuse
deux ou trois objets et n'arrivent pas a mettre de Tordre dans le
reste. Ce caractere du desordre dans les actes se manifeste quel-
quefois dans r^criture : ce fragment d'une lettre d'un de ces
maladcs qu'il m*a autoris^ a reproduire (fig. i4) est tout a fait
caracteristique. Son ecriture est aussi embrouillee que le sont
ses pensees et il est aussi incapable de la rendre claire que de
mettre un pen de suite dans sa conduite. On pent remarquer
aussi a ce sujet que son ecriture devient de plus en plus desor-
donnee et illisible quand on avance vers la fin de ses Icttres a
cause de la fatigue rapide.
II faut rapprocher de ce desordre une maladresse des mou-
vements qui me parait tr^s interessante. Beaucoup de ces mala-
des ne peuvent toucher aucun objet sans le casser, ils ne peu-
vent apprendre aucun travail a cause de leur inhabilete manuelle.
J'ai voulu faire faire a Jean quelques petit travaux, lui apprendre
a coudre des livres, a coller des papiers : on ne se figure pas
comme il d^chire et salit sans aboutir a rien. Chez d*autres ce
caractere n'est pas constant et n'existe que dans les periodes de
maladie. Simone, qui veut coller une construction en carton, se
desole d'etre devenue si sale et si maladroite, tandis que plus
jeune elle faisait ce petit travail avec une precision merveil-
leuse.
7. — L'inachevement.
Dans le m6me ordre d'idees quand on considere les caracteres
qui manifestent un I^ger trouble de la volonte anterieure aux niu-
nies et aux obsessions, il faut insister sur un detail souvent observe
par la famillc elle-m^me. Ces personnes commencent quelque-
fois des actions mais ne les achevent jamais : chezKa...,ce carac-
tere existe a son insu d'une fa^on tout a fait curieuse. II n'a pas
la moindre id^e fixe sur ce point, il ne sait meme pas que sa
femme a constamment observe ce trait de sa conduite : qu'il soit
assis a un travail ou qu'il commence a ratisser une all6e de son
jardin pour se distraire, il n'acheve jamais ce qu'il a commence,
il en est degoDt^ un peu avantla fin. II fait de meme en mangeant
c;t n*acheve jamais ce qu'il a mis dans son assiette, il y a la une
3i2 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
instability toute particuliere qui lui fait prendre en degoAt les
chosesquand elles approchent de leurfin.
Ce caractere se retrouve chez tons les autres malades et cod-
tribue a leur instabilite caract^ristique. Get inachevement des
actes correspond au doutc et a Toscillation des id^es, comme Ta
remarqu6 autrefois Debs dans son « tableau de Tactivite volon-
taire » si remarquablc pour Tepoque ^ : « les velleites sont dans
le pouvoir volontaire ce que dans Tintelligence sont les conjec-
tures, jugements douteux auxquels Tesprit n'attache qu*un com-
mencement d^adh^sion et qu'il abandonne sans effort un instant
apres. De meme qu'il y a tous les degres de la croyance, il y a
entre la v^ll^it^ et la resolution parfaite qui s'acheve un nombre
infini de volitions difieremment energiques. »
8. — U absence de resistance.
On donne souvent comme preuve de la force de volonte conservee
paries obsed^s leur resistance aTimpulsion. « II n*est pas absolu-
mentvrai de dire comme on le croit g^neralement que la volonte
chez les obsedes soit tres amoindrie. Beaucoup sont susceptibles
de donner des preuves d'uneenergie peu commune etc'est tres reelle-
mentqu'ilscombattent leurideefixe...'.)) Je ne suis pascertainque
cette pr^tendue resistance a Timpulsion soit une preuve d'^ner-
gie peu commune. Us ont des manies de se dire, de se croire, de
se montrer en proie a des tentations et ils ont des manies de lut-
ter d^sesp^rement contre une impulsion quails invcntent. Ce qui
serait une preuve d'6nergie ce serait de cesser ce combat gro-
tesque et de penser a autre chose et c'estce qu'ils ne peuvent pas
fa ire.
Comme nous Tavons souvent remarque la faiblesse n'existe pas
seulementdans la voIont6 active, mais aussi dans la volonte qui se
borne a resister passivement. Ces malades qui ne font rien eux-
m^mes sont incapables de resister a ceux qui veulent faire quel-
que chose. Ils ne savent ni lutter, ni se d^fendre contre ceux qui
les d^pouillent et les tourmentent. J'ai ^te tres frappe de ce trait
de caractere dans Tenfance de tous les malades. lis sont tres
1 . A. Debs, Tableau de Vaciiviii volontaire pour servir d la science de Viducation,
i844. p. a5.
a. Pilres et R^gis, op. cii., p. 36.
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 3i3
malheureux dans les internals, ils deviennent les victimes, les
soufTre-douIeurs detous leurscamarades. Dk... (2i5)a toujours^te
tourmente au college. Jean surtout a eu sur ce point une jeunesse
deplorable: a 12 ou i3 ans il etait la victinie de tons les eleves
du lyc^e. 11 n'etait pas de farce qu'on essayat de lui faire, on lui
faisait supporter la consequence de toutes les fautes de ses ca-
marades et on tournait constamment en ridicule ses qualit^s
memes, son honnetet6 et sa bont^ : a Je savais bien, dit-il, que
j*aurais di\ me defendre, je savais bien que j'^tais meme plus
fort que beaucoup de ceux qui me tourmentaient le plus, mais je
ne pouvais supporter la pens6e de me battre, au moment de me
defendre, je devenais tremblant, paralyse, j'ai toujours ete un
pauvre 6tre sans defense. » On dira certainement ici que Temo-
lion paralysait la volonte, nous verrons plus tard ce qu'il faut
penser de cette theorie. Pour le moment constatons simplement
le fait c*est qu'ils s'^motionnent au lieu de se defendre, et qu'en
fait ils ne se defendent pas.
Une des consequences singulieres de cette absence de lutte,
c'est que, pour avoir la paix, ils obeissenta tont le monde.Quand
on parle de ces malades, on dit toujours qu'ils se laissent
conduire, qu'on leur fait faire et dire tout ce qu'on veut et
qu'ils obeissent au premier venu. Bei...,^ Claire cedent au dernier
qui leur parle et on pent les amener a se dejuger a peu de
moments d'intervalle. On en tire comme conclusion que ce sont
des individus tr^s suggestibles. Cette conclusion serait en con-
tradiction avec les experiences que je viens de relater a propos
de rhypnotisme et de la suggestion, aussi je ne la crois pas
vraie. Leur obeissance n'est pas du tout de la suggestion, comme
celle des hysteriques.
Une hysterique suggestionnee adopte Facte, se laisse envahir
par la pcnsee qui est semee en elle,etla pousse a Textreme, elle
croit avoir decide elle-meme Taction et, pour peu qu*on insiste,
elle invente m^me les motifs de sa resolution, en un mot elle se
croit libre et se donne tout enti^re a Facte. Le scupuleux ne fait
qu^obeir, il le fait a contre-ccDur en se sentant humilie, en rai~
sonnant fort bien et en trouvant stupide Facte qu'il n'adopte pas,
il ne pousse pas cet acte a Fextreme, il n'en fait que le moins
possible sans y mettre de croyance, d'enthousiasme, ni de senti-
1. i\evroses et Idees Jhces, II, p. 63.
344 LES STIGMATES PSYCHASTimMQUES
ment de liberty. Pourquoi le fait-il alors? Pour deux raisons, d*a-
bord parce qu'il faudrait lutter pour resister a ceux qui com-
mandent et ensuite parce qu'il faudrait prendre la resolution de
faire autre chose : deux choses qu'il ne pent pas faire. C'est
pourquoi son ob^issance n'est pas du tout la meme que celle de
rindividu suggestionn^.
9. — Le misoneisme,
Les caracteres precedents etaient en somme assez legers, nous
arrivons a des caracteres de plus en plus graves qui se pr^sentent
quand la maladie avance et qui dWdinaire accompagnent alors
des manies et des obsessions, quoique a mon avis ils n^en depen-
dent pas.
Jusqu^a present les actes etaient mal fails, avec hesitation, len-
teur, faiblesse, mais ils finissaient par etre faits tout de m^nie.
Voici maintenant certains actes qui se suppriment, c'est-a-dire
certaines actions que le sujet ne parvient pas a faire et cela au
debut, sans savoir pourquoi. Nous voyons d'abord disparaitre des
actions nouvelles, toutes celles qui demandent une adaptation a
des circonstances nouvelles. J'ai tant insiste autrefois sur ce fait,
caracteristique de Faboulie qu*il suflSt de le rappeler. « Tout ce
qui est nouveau me fait peur », dit Nadia en ne se rendant pas
compte qu^elle donne la definition du misoneisme. Tons ces scru-
puleux sont des individus routiniers qui recommenceront inde-
finiment avec ennui et tristesse la meme existence monotone et
qui sont incapables d'aucun effort pour la changer.
Au caract^re precedent il faut naturellement rattacher I'impos-
sibilite d'interrompre les habitudes une fois acquises, ces personnes
out une peine enorme a s'accoutumer a une situation nouvelle,
c'est parmi eux que Ton observe ces individus curieux qui « ne
peuvent pas s'habituer a leur femme » quand ils se marient
(Ka...) et qui une fois habitues apr^s un grand nombre d'annees
ne peuvent plus s'en passer. C*est parmi eux que Ton trouve
toutes les « manies )> dans le sens vulgaire du mot avant qu^il n'y
eiit de veritables manies mentales : se coucher de la meme ma-
niere, avoir la meme place a table, la meme plume et le m^me
papier buvard, etc. « Ce qui change mes habitudes me boule-
verse tou jours, dit Lise. » Nous verrons, en etudiant revolution
de la maladie, comment les grands changements, changement
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 345
d'appartement comme changementde situation et surtout le grand
changement du mariage provoquent les graves rechutes.
lO. — Les aboulies sociales^ la timidite,
Apres les actes nouveaux il y a une categoric d*actes qui sont
tres fr^quemment supprim^s, ce sont les actes sociaux, ceux qui
doivent ^tre accomplis d^ant quelques personnes ou qui dans
leur conception impliquent la representation de quelques-uns de
DOS semblables.
Cette impuissance a agir devant les hommes, cette aboulie
soclale me parait constituer Tessentiel de la timidite. Bien des
auteurs ont deja insist^ sur ces troubles de la volontd et de Tac-
tion dans la timidite; « La timidity, dit M. Dugas, trouble les
mouvements volontaires, paralyse la volont^. Elle atteint plus
souvent les mouvements ordonn6s en respectant les mouvements
instinctifs et ressemble a Faboulie... ' » « cette aboulie att^nu6e
qu'on nomme la timidity, disait aussi M.Lapie*. M. Hartenberg,
dans son etude int^ressante sur les timides, insiste surtout
sur I'aspect emotif que prend le phenom^ne de la timidity,
mais il note bien cependant cette suppression des actes qu'il
appelle une abstention. « Illviter les occasions de se mon-
trer, voila le soin du timide ; comme ces occasions consistent
en contacts sociaux il en r^sulte une tendance a rechercher
risolement... il y a chez lui une inhibition qui paralyse momen-
tan^ment la volont^, qui retient le mot sur les levres, qui
emp^che aussi bien le timide de refuser que d'accepter, qui I'em-
p^che m6me d'exprimer les sentiments de reconnaissance ou de
tendresse '. »
Cette inhibition ou mieux cette disparition de Facte volontaire
en presence des hommes, car nous aurons a voir si c'est bien une
inhibition, joue un r(Me enorme chez presque tons les malades
psychasth^niques. 11 en est bien peu qui a un moment de leur
existence et quelquefois pendant toute leur vie n'aient 6t^ rendus
impuissants par la timidite.
Yoici un bel exemple de cette timidite : « independamment des
1. Dugas, La Timidite, Revue philosophique, 1896, IL p. 56a.
2. P. Lapie, Logique de la volonti, 190a, p. 2g^. (Paris, F. Alcan).
3. Hartenberg, Les limides et la timidiU, p. 89. (Paris, F. Alcan).
316 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
membres de ma famille, dit une malade, il a ^te tres restreini le
nombre des personnes avec qui je n'ai pas 6t^ g^nee. Devant la
plupartj'^taisabsolumentparalysee, une simple addition jene pou-
vais pas la faire devant quelqu'un. J'etais obligee d'etre fausse pour
masquer cette impuissance^ de chercher des pretextes, de casser mon
crayon, d'aller chercher un canif^je faisaismon addition au dehors,
a la derobee. J'avais le sentiment que si j'accusais cette impuis-
sance ce serait fini, que je serais perdu^, que je n'arriverais plus
a rien ».
Ne pas pouvoir jouer du piano devant des temoins, ne plus
pouvoir travailler si on vous regarde, ne plus pouvoir meme
marcher dans un salon et surtout nc plus pouvoir parler devant
quelqu'un, avoir la voix rauque, aigu6 ou rester aphone, ne plus
trouvcr une seule pens6e a exprimer quand on savait si bien au-
paravant ce qu'il fallait dire, c'est le sort commun de toutes ces
personnes, c'est Thistoire banale qu'ils racontent tous. « Quand
je veux jouer un morceau de piano devant quelqu'un, dit Nadia,
et meme devant vous que je cOnnais heaucoup, il me semble
que Taction est difficile, qu'Il y a des genes a Taction et, si je
veux surmonter, c'est un effort extraordinaire, j'ai chaud a la
tete, je me sens perdue et je voudrais que la terre s'ouvre pour
m'engloutir. » Cat..., un homme de 3o ans, se sauve d^s qu'il
cntend quelqu'un entrer, il a de la peine a faire sa classe devant
ses eleves « je ne ferais r^ellement bien ma classe que si je la
faisais tout seul sans Aleves et surtout sans directeur ». « Je vou-
drais vous parler, disent Dob... ou Claire, 'etje ne peux pas, cela
s'arrete dans ma gorge, je suis une heure pour demander quelque
chose d'insignifiant. Je ne vous parle r^ellement bien que si je
suis seule, si vous n'^tes pas la. » Lev... fait bien ses comptes
dans le sous-sol du magasin, mais ne pent plus ^crire un chiffre,
car il est pris par la crampe des ^crivains, quand il est mis au
premier devant le public. Tous repetent comme Simone : « Je
serais parfaite; je ferais tout si je pouvais etre tout a fait seule,
comme une sauvage dans une ile deserte ; la societt^ est faite
pour empecher les gens d*agir, j'ai de la volonl6 pour tout, mais
je n'ai cette volonte que si je suis seule. »
On admet d'ordinaire que ces troubles de la timidite sont des
phenomenes emotionnels. Qu'il y ait des troubles emotionnels,
des angoisses chez les timides, j'en suis convaincu ; il y a aussi
chez eux de Tagltation motrice, des tics et meme de la ru-
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi Si?
mination mentale, dont on ne parle pas assez. Mais il ne faut pas
oubiier cju'il y a chez eux de Timpuissance volontaire. M. Har-
tenberg, qui explique tout par T^motion, le remarque Iui-m6nie
a propos d'Amiel a le manque de foi simple, Tindecision par
defiance de moi, remettent presque toujours tout en question
dans ce qui ne concernc que ma vie personnelle. J'ai peur de
la vie objective et recule devant toute surprise, demande ou
promesse qui me realise; j'ai la terreur de Taction et ne me
sens a Faiseque dans la vie impersonnelle, desinteressee, subjec-
tive de la pensee. Pourquoi cela ? Par timidite^ », et M. Harten-
berg ajoute « veut-il dire par la qu'au moment d'accomplir un
acte, il est arrets brusquement par une emotion poignante qui le
paralyse? Non, ce qu'il designe par timidity, c'est la peur ins-
tinctive d'agir, c'est aussi la peur de prendre une determination
avec les consequences utiles ou facheuses qu'elle comporte. C'est
sa maladie de lavolonte en somme qu'il appelle timidite^ ».
Pourquoi hesite-t-on a appliquer cette remarque si juste aux
autres cas de timiditePOn est frapp^ de ce fait que lestimides
incapables de faire une action en public, la font dans la perfection,
quand ils sont seuls. Nadia joue du piano dans la perfection
quand elle se croit seule, et Cat... ferait tres bien sa classe s'il n*y
avait pas d'eleves, on en conclut qu'ils ne sont pas impuissants a
faire I'acte et qu'il faut faire appel a un trouble exterieur a Tacte
lui-meme pour expliquer sa disparition dans la societe.
II y a la un malentendu, Tacte de faire une classe imaginaire
sans eleves et Tacte de faire une classe reelle devant des Aleves
en chair et en os ne sont pas le m^mc acte. Le second est
bien plus complexe que le premier, il renferme outre Tenonce
des m^mes idees, des perceptions, des attentions complexes a des
objets mouvants et variables, des adaptations innombrables a des
situations nouvelles et inattendues, qui transforment complete-
ment Taction. Pourquoi un individu aboulique peut-il faire le
premier acte et ne peut-il pas faire le second? Je r^ponds sim-
plement, parce que le second est bien plus diflficile que le premier.
II en est ainsi dans tons les actes sociaux, car il n*y a rien de
plus complexe pour des hommes que les relations avec les hommes.
Que des emotions, des agitations motrices, des crampes des ^cri-
1. Kmielt Journal intime, IT, 193.
2. Hartenberg, Les iimides et la iimidite, p. 106.
348 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
vains, des tics viennent s'ajouter, ou roieux se substituer a cet
acte qui ne s'accomplit pas, c'est un grand ph^nomene secon-
daire dont il faudra tenir conipte, mais le fait essentiel c'est
rincapacite d'accomplir Tacte complexe et en particuiier Taclc
social.
C'est ce que Ton v^rifie par Texamen des diverses formes de
cette timidity. La timidite fait le grand malheur de ces personnes,
elles ont un sentiment qui les pousse a desirer raflTection, a se
faire diriger, a confier leurs tourments et elles n'arrivent pas a
pouvoir se montrer aimables, a pouvoir meme parler. Nadia
r^pete sans cesse : cc je crois que je ne serais pas devenue si
d^traquee si j'avais eu le courage de confier mes tourments a
quelqu'un, mais malgr^ moi j'al toujours 6te tres renfermee. »
Ce sont tons des a renferm^s » qui sentent beaucoup, mais qui
n'arrivent pas a exprimer et surtout qui n'arrivent pas a exprimer
devant leurs semblables parce que Texpression est un acte et
Texpression sociale un acte complexe et que les actes complexes
leur deviennent impossibles.
II en resulte encore une contradiction, ces personnessontpour-
suivies par le besoin d'aimer et d^etre aim^es, ils ne songent qu'a
se faire des amis, d'autre part ils m^ritent Taffection : extreme-
ment honn^tes, ayant une peur terrible de froisser quelqu*un,
n'liyant aucune resistance et disposes a c^der sur tons les points,
ne devraient-ils pas obtenir tr6s facilement les amities qu'ils
recherchent ? Eh bien en r^alite ils sont sans amis, ce sont des
isoles qui ne rencontrent de sympathie nulle part et qui souf-
frent cruellement de leur isolement. Comment comprendre cette
contradiction? C'est que pour se faire des amis il faut agir, par-
ler, et le faire a propos. Pour attirer Tattention des gens et se
faire comprendre d'eux, il faut saisir le moment oil ils doiventvous
ecouter, dire et faire a ce moment ce qui le pent mieuxnous faire
valoir. Or nos scrupuleux sont incapables de saisir une occasion,
comme J.- J. Rousseau, ils trouvent dans I'escalier le mot qu'il
faudrait dire au salon. Ont-ils Tidee, ils ne se d^cident pas a
I'exprimer et s'ils s'y decident comme ce pauvre Jean, ils veulent
bien parler tons seuls quand il n'y a personne, mais ne peuvent
plus parler des qu'il y a quelqu'un. Pour que quelqu'un s'int^-
resse a eux il faut qu'il les devine, qu'il fasse tous les efforts
pour les mettre a Taise, pour leur faciliter Texpression. Alors ils
s'accrochcront a lui avec passion et prendront des affections folles
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 349
dont nous aurons a parler. Un tel bonheur leur arrive rarement
et presque toujours ils le paient tres cher. Tous ces caract^res de
timidity et de leurs relations sociales dependent au fond de leur
aboulie fondamendale ; la diminution ou la disparition des actes
sociaux qui se manifestent dans la timidity est un des ph^nomenes
essentiels de Taboulie du psychasth^nique.
12. — Les aboulies professionnelles ,
Apres les aboulies sociales, les aboulies pour les actes de la
profession se pr^sentent tres souvent. Nous avons d6ja ^tudi^ des
phobias professionnelles, presque toujours elles ont commence
par un « d^goi^t ^norme du metier qui semblait plus fatigant que
tout autre, ridicule, honteux... » (An... no) M. B^rillon et
M. Bramwell citent un pretre qui ne peut monter en chaire, un m^-
decin qui ne peut faire une ordonnance \ Je trouve ce sentiment dans
toutes les professions, chez TeccUsiastique, le professeur, I'insti-
tuteur, le violoniste a Torchestre, le mar^chal ferrant, le ma^on.
Cast que le metier est encore Tensemble des actions le plus con-
siderables des hommes qui agissent pen. C'est la que Taboulie
commence a se faire sentir.
II est int^ressant de remarquer qu'une des premieres aboulies
qui ont et6 d^crites, celle du notaire de Billod est une aboulie pro-
fessionnelle, ce sont les actes de son etude que le malade ne peut
plus signer* cen'est que plus tard que Taboulie s'etend a d'autres
actes.
1 3. — UahouUe et V inhibition.
Nous arrivons aux troubles les plus graves, qui se pr^sentent le
plus souvent dans une circonstance bien determin6e, au d^but
de ces crises, de « ph^nomenes forces » de ces ruminations, de
ces agitations motrices ou de ces angoisses que nous avons
etudiees dans le chapitre precedent.
D'ordinaire on neconsid^reces crises qu'a un seul point devue:
au point de vue du d^veloppement anormal que prennent dans
la crise les ph^nomenes secondaires : pens^es, mouvements ou
Amotions. Si Ton veut bien y faire attention il y a dans ces crises
I. Bramwell, On imperative ideas. Brain, iSgS, p. 336.
a. Billod, Maladies de la volonii, p. 177.
3oO LES STIGMiVTES PSYCHASTHfiNIQUES
un autre phenom^ne n^gatif, celui-la, mais encore plus impor-
tant que le premier. C^est I'arret, la suppression complete de
Tacte volontaire que les sujets 6taient en train d'accomplir quaod
la crise a commence.
On a vu en effet que tres souvent ces crises commenyaient a
propos d'action. Ger... descendait chercher du bouillon, Nadia
voulait me jouer un morceau de piano, Jean voulait mettre une
lettre a la poste. Or non seulement ces sujets se sont mis a
delirer, a avoir des mouvements incoherents et des peurs
mais encore Tacte commence s'est arr6t6 et n'a pas H6 accompli.
On divise souvent les obsessions en deux groupes distingu^s
par M. Regis et acceptes par M. S^glas. D'un cote on place les
obsessions impulsives dans lesquelles le sujet est pousse a
accomplir malgr6 lui des actes inutiles ou absurdes : briser tout,
faire d'interminables r6(lexions ou se laisser aller a des emotions.
De I'autre on admet les obsessions inhibitrices qui arretent uoe
action, suppriment un phenomene en train de s'accomplir. Cette
distinction pent 6tre utile dans la pratique : chez quelques malades
rinhibition pent ^tre plus remarqu^e et chez d'autres rimpulsion
a Facte pathologique pent 6tre consid^r^e comme pluspenible et
mise en premier lieu. Mais cc ne sont la que des difF^rences de
point de vue. A mon avis ces crises pr^sentent simultan^ment
rinhibition ou meme Tarret et Timpulsion.
II y a un phcnomfene de supprim6 et un autre qui prend uu
d^veloppcment ^norme a sa place. Voici un exemple qui montrera
bien, je crois, combien cette distinction entre Tobsession inhi-
bition et Tobsession impulsion est en r^alitc^ pen de chose et
depend d'un accident dans Tappr^ciation des malades. Le hasard
a fait que j'aie eu deux malades ayant exactement le meme acci-
dent, mais qui par suite du milieu ou elles sont plac^es le d^si-
gnaient chacune d'une maniere diflerente. Ces deux malades,
Xyb... (209) el Vk..., sont toutes deux incapables de tenir leur
menage ; un acte en particulier est devenu impossible et pro-
voque de grandes crises de rumination, c'est Tacte qui consiste
a payer les d^penses faites par la bonne : ni Tune ni Tautre nc
pent se decider a regler ces comptes. Quand elles commencent
a faire ce calcul, les hesitations surviennent, les doutes sur
Taddition, les recherches, les craintes de voler la bonne, les
angoisses, etc., et la crise de rumination ou d^angoisse dure
plusieurs heures. Ce dernier fait constitue, si Ton veut, un
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 351
gros ph^nomene impulsif, mais ce qu'il ne faut pas oublier c'est
qu'il y a a cot^ un autre ph^nomene qui consiste en ce que la
bonne n'a pas et6 pay6e^ phenomene que Ton peut appeler une
inhibition. L'une de ces maladesest seule chezelle avecdesenfants
trop jeunes pour tenir le menage a sa place, ce qui fait que Ton
remarque principalement le phenomene n^gatif. La malade et sa
famille se plaignent surtout d'une impuissance, d'un empechement
que Xyb... ressent pour payer sa bonne et on fait de cette ma-
ladie une obsession inhibitrice. Vk..., au contraire, est entour^e
de jeunes filles assez agecs pour avoir pris completement la direc-
tion du menage a*la place de leur mere, on se resigne done a ce
que celle-ci ne paye pas la bonne ; mais ce qui pafait important,
c'est qu'elle soufTre de ses ruminations et Ton vient dire que Vk...
a des impulsions a compter, a s'interroger, a parler toute seule.
Rn un mot, la maladie apparait plutot chez Tune sous son aspect
inhibitoire, chez Tautre sous son aspect impulsif, quoiqu'elle
soitau fond exactement la meme dans les deux cas.
Ce fait de I'arr^t plus on moins complet de certains actes ou
m^me de tons les actes est Tun des ph^nomenes les plus essen-
tiels de T^tat mental de Tobsed^. On a beau dire qu'il a conserve
la conscience intacte, il y a toujours une lacune considerable,
c est qu'il est absolument incapable d'accomplir un certain acte a
propos duquel a commence la crise. Pendant sa crise d'agitation
Nadia est incapable de jouer son morceau de piano ou de sortir de
sa chambre, ou de tourner son visage a la lumiere, ou de manger
son dejeuner, etc. L'acte supprime varie suivant Taction que le
sujet ^tait en train d'accomplir au moment ou la crise a com-
mence, mais il y en a toujours un de supprime. II en est de
meme pour Lise : « Des que cette phrase est formee dans mon
esprit, dit-elle, si je fais cette action, je donne mes enfants au
diable, je n'y suis plus, ma volonte est arretc^e... » Jean veut
coromencer a uriner quand surgit dans son esprit la pensce
qu'il n'est pas loin d'une administration de pompes funcbres et
qu'il a failli avoir affaire a ces tristes maisons a cause de ses
masturbations, il a une grande crise de ruminations et de
phobies, mais en m^me temps c'est fini : il ne peut plus ouvrir
son pantalon et il ne peut plus uriner. Claire est ainsi arretee
dans ses prieres, dans ses repas, dans ses promenades, dans
Tacte m^me d'aller aux cabinets, etc. « II me prend des genes
pour agir, tantc^t pour une action, tant6t pour une autre, d
352 LES wSTIGMATES PSYCIlASTHeNIQUES
II semble, comme le disait M. Sautarei, dans une these sur
rinhibition genitale, tc que le sujet essaye vainenient de transfor-
mer une id^e en un acte, que sa volont^ n'est plus sudisante
pour actionner son systeme moteur; les efforts qu*il tente a cet
^gard n'aboutissent qu'a augmenter son trouble et son angoisse'».
C'est la un des grands troubles de la maladie, quand il se pre-
sente chez les grands malades, il s'associe avec les autres troubles
la rumination et Tangoisse, et c'est un probleme important de
savoir s*il faut le considerer comme la consequence de ces agi-
tations ou s'll faut le regarder comme un trouble primitif. Pour
le moment, je me contente de signaler sa frequence et son im-
portance parmi les troubles de la volont^ que pr^sentcnt ces
malades.
1 4. — Les fatigues insurmontables .
Cette aboulie pent s*6tendre et supprimer un nombre d'actes
encore plus grand sans determiner en meme temps ces crises
d'agitation. II s'agit d'un ph^nomene tres curieux et encore assez
peu connu que pr^sentent souvent ces malades. Ce sont des crises
d^^puisement accompagn^es d'un sentiment de> fatigue tout si fait
inoui*.
En dehors du sentiment de fatigue constant il y a chez eux de
v6ritables crises de fatigue. Ces crises surviennent chez Fz... a la
suite du coit, chez Gis^le a la suite de grand travail pour une
c^remonie, chez Jean a la suite des efforts d'attention, chez la
plupart des malades, Nadia, Lise, Brk... (24) a la suite des efforts
qu*elles ont faits pour triompher de leurs id6es obs^dnntes: e'est
un des accidents que Ton est exposd a d<^terminer dans le traite-
ment de ces malades. Le sujet se sent tout a fait t^puis6 : a c'est,
dit Jean, une horrible fatigue, a croire qu'on va toniber evanoui,
qu'on va se coucher par terre. » a C'est une fatigue a ni'en
trouver mal, dit Brk..., il y a un tel poids sur mes membres
et sur mes yeux et sur mon estomac que je deviens incapable
de rien faire. » Le fait est que dans ces cas les malades devien-
nent incapables de rien faire, ils restent couches ou se trai-
nent sur des fauteuils pendant des heures et des jours. Nadia,
I. Sautarel, Contribution d VStude des obsessions et en particulier de Vinhibition
ginitale. These de Bordeaux, 1897, p. 98.
LES TROUBLES DE LA VOLONTfi 353
Gis^Ie ne bougent presque plus pendant plusieurs jours et
sentent leurs sens engourdis « toutes les sensations dans du
coton (Gisele) ».
Les autres Lise, Brk..., se trainent peniblement et n^ont meme
plus la force de penser a leurs obsessions, elles ne pensent a rien.
C'est m^me pour Brk... une sorte de bonheur que cette absence
d'idees « apres tant d*ugitation de Tesprit il y a un grand bien-etre
a ne penser a rien ». Ic... non seulement ne pense a rien mais il
trouve du plaisir a ne pas faire le plus petit mouvement. « Si dans
son lit une position fausse ou le contact d'un objet lui est penible
il aime mieux supporter cette geneind^finimentplutot que de faire
le moindre mouvement pour T^carter. »
En general ces crises qui sont en rapport avec un effort pr^-
c^dent et une fatigue durent pen et le malade ne tarde pas a re-
prendre plus d'activit^ et en meme temps malheureusement il
retrouve son agitation physique et morale.
i5. — Les inerties,
Enfin au dernier terme, Taboulie s*^tend encore, les malades
n'attendent pas que Facte soit rendu impossible par nne inhibi-
tion, une crise ou une fatigne, ils se souviennent de la difficult^
qu'ils ont ^prouvee pour agir, ils Texagerent par Timagination et
en arrivent a ne plus rien faire du tout. On remarque bien vite
que tons ces malades ne savent plus rien faire, restent des jour-
u^es entieres sans aucune occupation : a je n'ai plus de goiit a
rien...,je tiens les objets en main sans rien faire..., je ne puis
plus avoir aucune occupation... » (Ce... (i24), Cht..., Mio... (208),
Vob...(i9/4).
Ceux qui avaient un travail finissent par le cesser, Sy... ne
pent plus coudre, ni meme s'occuper a lire, Ver... cesse absolu-
ment de travailler et n'accepte plus aucune occupation. Cat...
qui ^tait instituteur desire rester au lit sans rien faire; si on le
force a se lever il reste assis sans bouger. Ce d^sir de rester
couch^ se retrouve tres souvent, il caract^rise Chy. .., Za... (216),
Xyb... (209), etc. Presque tons restent immobiles des heures
entieres et passent leur vie assis dans un coin.
Plus la maladie se prolonge, plus elle s*aggrave et plus on voit
augmenter cette inertie caract^ristique, si bien qu'a la iin les
grands malades ne peuvent plus quitter leur chambre, ne peu-
LKS OBSESSIONS. I. — 2 3
35/i LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
vent plus recevoir personne et achevent leur vie dans i*isolement
et rim mobility.
La volonte active s'est montree troubiee d^s le debut de la vie:
on notait d'abord Tindolence, Tirresolution, ia lenteur, les retards,
la faiblesse des efforts, le dcsordre, la maladresse, rinachevement,
le d^faut de resistance, puis on a vu certains actes disparaitre,
d'abord les actes nouvcaux, les changements de conduite, puts
les actes sociaux dans la timidite, les actes professionnels, des
actes quelconques qui sont genes, puis annules et supprimes. Les
sujets ont des crises d'^puisement, puis enfin une inertia geue-
rale et constante. Cet ensemble de troubles de la volonte forme
un stigmate essentiel de Tetat psychasth^nique et il est essentiel
d'en tenir compte pour chercher les rapports qu'il presenie avee
les autres accidents.
3.— Troubles de Vintelligence.
Les troubles de Tintelligence proprement dite sont beaucoup
moins evidents, beaucoup plus diflUciles a constater que ceuxde
Tactivite volontaire. C'est un point qui avait deja frappe les pre-
miers observateurs quand ils appelaient cette maladie une folie
avec conscience, avec conservation dujugement et de la critique.
Loin de paraitre inintelligents les scrupuleux semblent tros sou-
vent avoir une intelligence sup^rieure, etre capables de tout dans
le doraaine de Tesprit pourvu qu'on ne leur demande pas d ac-
tion. C'est ce que Amiel note deja tres bien sur lui-meme :
« aimer, rever, sentir, apprendre, comprendre, je puis tout pourvu
qu'on me dispense de vouloir, c'est ma penle, mon instinct, iiion
defaut, mon p^ch^. J'ai une sorte d'horreur primitive pour Tam-
bition, pour la lutte, pour la haine,pour tout ce qui disperse Tame
en la faisant dependre des choses et des buts ext<^rieurs. * >».
Ce developpement intellectuel n'est pas toujours de pure appa-
rence : j'ai souvent ele frapp^ de la sup^riorite intellectuelle veri-
table d'un grand nombre de ces malades.
En lisant les pages precedentes on a dd remarquer parmi les
nombreuses paroles des sujets que j^ai citees une foule d'expres-
I. Amiel, Journal intime, I, p. i68.
TROUBLES DE L'lNTELLlGENCE 355
sioDs pittoresques, de cocnparaisons ing^nieuses, de m^taphores
heureusement venues. Leur conversation en est 6maill6e, il y en
a avee qui on voudrait tout ecrire et tout conserver : Gisele en
)):irticulier a un langage extraordinaire et vraiment tout a fait
seduisant. Sous ce brillant des mots, il y a beaucoup d*observa-
lions fines et justes : les scrupuleux sont trfes souvent de remar-
quables psychologues. Gisele fait Tanalyse de Tamour aussi bien
qirau pays du tendre, Jean est celebre pour son appreciation
des caracteres et des personncs, il disseque ^tonnamment les
motifs de conduite et il n'est bete que quandil parle de sa ma-
ladie.
On trouvc chez eux toutes sortcs de talents etde connaissances,
lis sont souvent tres artistes: Claire dessine tres bien, beaucoup
sont des musiciennes hors lignecomme Nadia. On trouve parmi
eux des litterateurs delicats, on serait surpris de voir parmi les
malades que j*ai cites quelques ^crivains connus. Rk.. ., traduit des
textes grecs en vers elegants et fait ainsi toute une anthologie de
poetes grecs. Les idees qu'ils arrivent a concevoir sont souvent
surprenantes pour leur milieu : on a vu les reflexions de Vil... sur
rinfini du bonheur et du malheur, les analyses de Mb... sur la per-
ception. Une malade de Th^pital absolument ignorante de toute
etude de psychologie m*exprimait le r^sultat de ses reflexions sur
les lois des associations des id^es, une pauvre femme de la cam-
pagne atteinte du doute des perceptions en arrivait a decouvrir
avec etonnement Fhomologie des membres chez les poissons, les
oiseaux, les mammiferes, I'homme. Le cas le plus frappant de cette
superiority intellectuelle est celui de Nadia. Cette jeune fille parle
et ecrit couramment cinq langues : Tanglais, le fran^ais, Talle-
mand, Titalien, le russe. J'ai eu Toccasion de la mettre en rela-
tion avec une jeune fille russe qui m*a assure qu'eile parlait le
russe tout a fait correctement, comme les autres langues. Elle lit
enormement, et connait a fond la litterature de ces cinq langues
dont elle pent parler avec une memoire surprenante. Elle est
surtout trfes artiste ; non seuleraent elle a une virtuosite remar-
quabie sur le piano et sur le violon mais elle compose de la mu-
sique avec une connaissance trfes suffisante de Tharmonie, ce que
j'ai pu faire verifier en donnant a lire de ses morceaux a des
personnes competentes. Elle a un goOt tr^s pur dans toutes les
choses d'art, et peut inventer, dessiner et executer toutes sortes
de decorations. Ce serait certainement au point de vue du go6t
356 LES STIGMATES PSYGHASTHfiNlQUES
une femme sup^rieure. Des reflexions de ce genre pourraient ^tre
faites, a dlfT^rents degr^s bien entendu pour la plupart de ces
malades et apres les avoir beaucoup fr^quent^s j'ai I'impression
que leur groupe est superieur a la moyenne intellectuelle des
gens normaux pris au hasard.
Cependant il est evident que leur intelligence n'est pas com-
plete et qu'il doit y avoir des lacunes pour permettre le develop-
pement de tons les troubles qu'il pr^sentent. II faut les rechcr-
cher en examinantles facult^squisemblentpouvoir etre troublees.
I . — Les amnesies.
D'apres ce que je viens de dire, il est evident que les troubles
se rencontreront peu parmi les ph^nom^nes intellectuels abstraits:
les raisonnements, les jugements, la generalisation sont tout a
fait corrects surtout quand ces operations s^executent d'une ma-
ni^re involontaire sans que les malades aient a fixer leur atten-
tion volontairement.
La memoire semble bien souvent etre plutot exageree, Wo...
a de la minutie dans les souvenirs, elle pent, probablement par
suite d*une longue habitude de cet exercice, se rememorer toutes
les sensations qu'elle a eprouvees d'un moment a un autre, tous
les mots prononces pendant une visite. Lise conserve indefmi-
ment le souvenir de tous les plus petits incidents de sa vie, elle
se plaint de ne pas savoir oublier ; la memoire de Jean, on la
deja vu, touche k Tinvraisemblable. Ces souvenirs sont si nels
que beaucoup de ces malades, comme le disait LoweiTeld, vneiit
plus dans le passe que dans le present.
Malgre ce caractere general de la memoire des psychaslht*-
niques, plusieurs auteurs ont constate des alterations des souve-
nirs dans certaines circonstances particulieres. M. Seglas re-
marque que revocation des souvenirs est quelquefois pleioe
d'incertitude *, surtout quand il s'agit de retrouver le souvenir
d'une crise. Les malades croient egalement avoir une ires niau-
vaise memoire et s'en plaignent bien souvent. Dans les cas Je
depersonnalisation, ils soutiennent avoir perdu leurs souvenirs
comme leurs sensations. Bien souvent les crises d'interrogation
sont causees par Tincapacite ou sont les sujets de retrouver uo
I. Seglas, Legons cliniques sur les maladies mentaUs, p. 137.
TROUBLES DE L'lNTELLlGENCE ^ 367
souvenir. Bre... (i4i) en est un exemple remarquable : depuis
qu'elle a perdu son mari, elle est tourment^e par le chagrin
d'avoir oubli^ sa physionomie, les traits de son visage, elle ne
pent ^voquer dans son imagination cette image qu'elle ch^rissait.
Aussi passe-t-elle ses journ^es a rechercher la figure de son mari,
les photographies lui semblent insudisantes, elle ne Iqs reconnait
pas suflisamment, il faut qu'elle cherche mieux ; a force de cher-
cher, elle sent qu'elle oublie de plus en plus tout ce qui a rapport
a la figure du mari. Ainsi elle pent evoquer, dans son imagination,
des fleurs, des monuments, TArc de Triomphe, des figures de
renimes,mais non des figures d'hommes, et surtout pas des figures
d'hommes portant des moustaches. Elle oublie la voix du mari,
ses paroles, son metier et meme son mariage. Cette malade res-
semble au cas c^lebre presente par Charcot comme une perte de
la representation visuelle, elle a la conception logique que (c son
mari avait des yeux noirs, un grand nez et une moustache foncee,
raais elle ne pent pas se le representer devant les yeux ». II est
probable que le malade de Charcot, qui pouvait « d^finir Togive
et non se la representer », ^tait un scrupuleux du meme genre.
Que faut-il penser de ces amnesics au moins apparentes ? M.
Sdglas remarque justement qu'elles sont paroxystiques- se pr6-
sentent par crise avec une impulsion violente a chercher, que Ton
ne retrouve pas dans d'autres amnesics \
Nl^me dans ces moments de crise ces amnesics sont-elles tou-
jours r^elles et profondes? On remarque facilement, surtout dans
les cas de depersonnalisations, que les sujets n'ont pas r^elle-
inent ces oublis. Des qu'ils veulent bien se laisser aller, ils racon-
tent tout ce qu'on leur demande. II n'est pas necessaire d'6voquer
des souvenirs subconscients comme chez les hyst^riques, il suflGt
que revocation ne soit pas volontaire. Ce qu'ils font mal en effet
c'est revocation volontaire, ils ont comme des crampes de Tatten-
tion sur un point et ne peuvent la mouvoir pour passer a revo-
cation de faits voisins : des qu'ils ne se surveillent plus ils expri-
ment facilement tous les souvenirs.
Cette persistance des souvenirs se retrouve, a mon avis, presque
toujours et je ne suis pas tout a fait d'accord avec M. Seglas
quand il admet un certain degre d'amnesie des periodes de crise.
Cette amn6sie serait importante car elle rapprocherait ces crises
I. Seglas, Troubles du langage chez les alUnes, p. loo.
358 LES STIGMATES PSYCH ASTHfiNIQUES
du somaambulisme : elle ne me parait pas bien nette. La plupart
de mes sujets m*ont raconte leurs crises de ruroination et dW
goisse avec un luxe inou'i de details. Jean pourrait raconter
combien de fois son coeur a fait a ploc ploc » et comblen a iia
di!k soulever de.poutres en nombre repute », il n'a pas du tout
d'amnesie et je crois qu'il en est ainsi de presque tous les
autres. Les malentendus sur ce point dependent, je crois, de
deux choses. D'abord il ne fuut pas que le malade fasse Irop
d'efforts volontaires pour retrouver le souvenir de la crise, il faut
attendre que le recit lui vienne a Tesprit spontanement, ensuite
il faut eviter de rechercher ce r^cit trop tot apres la crise elle-
meme.
Ces malades se rappellent d'autant mieux une chose qu'elle est
plus ancienncy ils m'ont serable avoir souvent un certain degrade
« memoire retardante^ ». Cela s'accorde d'ailleurs avec la re-
marque pr^c^dente, on sait que revocation volonlaire des sou-
venirs est d*autant plus difficile que le souvenir est plus recem-
ment acquis, d*autant plus facile qu'il est plus ancien : il est tout
naturel qu*avec une puissance d^attention et d'^vocation volontaire
faible la memoire soit retardante.
Je crois cependant que Ton pent dans certains cas constater
apres les crises certains oublis quand on interroge les malades
non sur leurs propres id^es et leurs propres sentiments, mats sur
les ev^nements qui ont eu lieu en dehors d'eux pendant cette
p^riode. Claire sait bien qu'elle est restee a genoux aux cabinets
parce qu'il lui semblait qu'elle avail une hostie collee a I'anus et
qu'elle faisait des efforts pour (c passer cette idee » ; elle sait
comment I'idee s'est d^roulee, les mouvements qu'elle a faits. Mais
il est visible qu'elle ne sait pas si c'est sa mere ou sa bonne qui
est venue la chercher et I'a forcee a cesser ses contorsions. D'au-
tres malades, Gb... ou Sy..., qui ont ^t^ malades toute la journeet
ne savent plus ou elles ont ^t^, si elles ont mange ou non, si on
leur a parle. II y a la un certain degr^ d'amzuesie continue pour
les ^v^nements exterieurs en rapport cvidemment avec un etatde
distraction.
D'ailleurs, d'une maniere gen^rale, les troubles de la memoire
les plus nets que pr^sentent les psychastheniques se rattacheot
au type de Yamnesie continue, Le malade semble Cvidemment
I. Cf. Neuroses et Idees fixes, I, p. iSa.
TROUBLES DE LINTELLIGENCE 359
distrait, il irepete souvent la meme chose, il radote, il oublie qu'il
vient de nous raconter tout cela et quand on le lui fait remarquer
il pretend qu'il n*a pas fait ces questions et qu*on ne lui a pas
repondu. « II m'est impossible de rctenir un mot, disait deja un
malade de Baillarger, apres avoir lu et relu une lettre, rien ne
me reste, a mesure que je lis, j'oublie. II en est de meme en ^cri-
vant, j'oublie ce que je viens d*ecrire*. » Chez quelques malades
que j'ai deja d^crits dans mon etude pr^cedente sur a Tamn^sie
continue », en particulier dans le cas de Sch... (observation IV)',
qui se rattache tout a fait a notre groupe des psychastheniques,
on trouve une amnesie des evenenients recents qui se developpe
d*une maniere continue a mesure que la vie se deroule : a Elle ne
peut faire aucune course, aucune commission, car aussitot dans la
rue elle perd et le souvenir des adresses et le souvenir meme de
ce qu'elle doit faire. Ou bien, au contraire, elle fait les choses
plusieurs fois, tout ^tonn^e par exemple de trouver son lit deja
fait ou surprise de constater que sa soupe n'est pas mangeable car
elle Ta sal^e dix fois. Ce n'est qu'en raisonnant sur ses occupa-
tions habituelles qu^elle peut supposer assez vaguement ce
qu'elle a fait hier ou ce matin. Cetoubli n'est pas continuellement
aussi profond et aussi rapide, il augmente aux anniversaires de
la catastrophe, il diminue dans Tintervalle. » Les autres observa-
tions de cette etude surTamnesie continue avaient surtout rapport
u des hysteriques chez lesquelles d'ailleurs le symptdme est bien
plus accentu^. Mais il serait facile d'ajouter ici bien des cas aussi
nets chez des psychastheniques. On retrouve Tamn^sie continue
rhez des tiqueurs comme Myl... ou As... ou Lrm..., chez des
phobiques comme Ku... ou Dob... « qui ne sait plus a quoi elle
a employe ses journees », chez des obsed^s comme Bei..., « inca-
pable de se rappeler au bout de deux minutes ce qu*elle vient
de faire », chez Claire « qui oublie tout au fur et a mesure )).
Malgre la banality de ce symptAnie que I'on retrouvera chez
presque tons les malades, je crois cependant qu'il ne faut pas
s^attendre a le trouver parfaitement net chez les psychastheniques
comme chez quelques hysteriques ou comme dans la psychose
poljnevritique de Korsakof. Trfes souvent les souvenirs reappa-
raissentplus ou moins complets au boutd'un certain temps quand
1. Baillarger, Recherches snr les maladies mcntales, 1890, I, p. 568.
2. Nevroseset Idits fixes, I, p. 11 5.
360 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
le sujet ne cherche plus a les ^voquer volontairement. 11 y a
surtout m6nioire retardante et troubles de Tattention dans la fixa-
tion et revocation des souvenirs.
3. — Arr4t de V instruction.
Ces troubles se manifestent d'ailleurs de bien des mani^res.
Les sujets n*ont ^videmment pas profite de I'instruction qu'lls
ont regue coinme auraient fait des indtvidus normaux. Lo... (2i3u
qui a suivi tous les cours possibles, ne salt en realite pas grand'-
chose, elle est en retard sur les jeunes femmes de son age placees
dans les memes conditions. Le fait est encore plus manifeste chez
Jean. II a suivi toutes les classes du lycee, il a €i€ aide et dirige
autant que possible, je persiste a le croire intelligent d*apres son
langage et ses analyses psychologiques et morales. Cependantil
est arrive tres peniblement a des examens elementaires, il n'a pu
continuer Tetude du droit et en somme il ne salt presque plus
rien de ce qu'on a essaye de lui apprendre. J*ai deja signale le
sentiment bizarre qui le pousse a demander des iddes g6nerales,
mais ce sentiment correspond a quelque chose de juste. II a une
m^moire extraordinaire des dates, des faits bruts, mais il n'a
aucunc instruction generale. La maladie de Red... a commence
plus tard, vers i8 ans, ses progres se sont arretes a ce moment
et les etudes scientifiques qu'elle suivait parfaitement auparavant
sont devenues trop difficiles pour elle.
Ces lacunes se manifestent surtout dans lesexercices qui deman-
dent de la precision et de la composition. On pourrait croire que
ces arithmomanes qui veulent toujours compter et qui recherchent
une si grande precision vont avoir des dispositions pour les ma-
thematiques. Ce serait une grande erreur: ils ont tous horreur
des mathematiques proprement dites et sont incapables de com-
prendre le moindre raisonnement geometrique ou de resoudre un
petit probleme. J*ai essaye bien souvent de fairc devant eux un
raisonnement de ce genre, aucun ne m'a meme laisse aller jus-
qu*au bout, il est evident qu'ils n y comprenaient rien. Un exer-
cice que la plupart n*arrivent pas a faire davantage, c'est une
composition par ecrit sur un sujet quelconque. Ils redoutent
surtout les sujets descriptifs oil il est question d'objets reels; ils
aiment mieux les idees, surtout les idees abstraites. Gisele remarque
qu'elle comprend mieux les idees que les choses concretes.
TROUBLES DE L'INTELLIGENCE 361
Wye... veul bien s'occuper de psychologic mais^ non de physio-
logic, c'est la un fait important sur lequel nous reviendrons.
Mais ils ne peuvent mettrc leurs id^es en ordre, ils veulent poii-
voSr en parler d'abondance, a tort et a travcrs; ils ne peuvent pas
coordonner une composition ^crite. C'est une des raisons pour
lesquelles ils ont tant de peine a vous 6crire et quelquefois a vous
parler.
Nous retrouvons ici un caractere curieux que nous avons si-
gnale des le debut de cetle etude en decrivant Tattitude des nia-
lades. Leur embarras, ieur di({icult6 pour exprimer leurs troubles
ne dependent pas seulement de leurs idees, de leurs sentiments
de gene, mais aussi de Timpuissance de leur esprit a coordonner
et a exprimer.
3. — Inintelligence des perceptions,
II n'est pas facile de mettre en evidence par une experience
rapide cette incapacite intellectuelle.Presque toujours lesmalades
sont encore capables de fixer Tesprit pendant un moment quand
on les excite : ils ne se comportent pas comme certaines hysteriques
qui lisent tout haut quelques lignes, qui les r6citent m^me et ne
comprennent absolument rien a ce qu*elles ont lu. II est n^ces-
saire de les faire lire plus longtemps des morceaux un peu plus
s^rieux, il est bon surtout de les laisser lire seuls quelques instants
et de les interroger ensuite sur ce qu'ils ont lu. J'ai fait souvent
cette experience chez Tr..., chez Lo... et chez Claire et j'ai sou-
vent constate que ces sujets avaient tres mal compris leur lecture.
Elles me priaient toujours de les laisser recommencer et relire
plusieurs fois de suite le m^me morceau. Ce n'etait pas tout a
fait une manie de repetition et un sentiment faux de m6contente-
roent : Tintelligence du morceau etait reellement tres insufli-
sante.
On peut quelquefois constater plus encore et voir que les
malades n'ont pas seulement des obsessions conscientes, comme
on les appelle, dont ils reconnaissent bien la faussete. lis ont
des idees fausses sur leur situation et sur les personnes qui les
environnent. Ils ne se rendent pas compte dc Topinion quails
inspirent, ils croient que leur situation n'est pas grave dans les
cas les plus desesp^r^s, ils continuent a croire possible une
362 LES 8TIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
foule de choses impraticables. Lo... s^est mariee, a quitte ses
parents, a habile deux mois avec son mari sans prendre cette situa-
tion au serieux et sans la comprendre; elle quitte subitement son
mari et rctourne chez ses parents ; le mari demande le divorce,
etc. Rien de tout cela n'interrompt ses reves, cette jeune femme
repete en souriant qu'elle est toute surprise de s'entendre appeler
Madame, qu'elle ne se rend pas compte d'avoir r^ellement ete
marine. II est certain que cette pauvre femme ne sent point du
tout la gravite de sa situation. Xyb... a renvoy6 une domestique
puis elle Ta reprise quelque temps apres. En dehors de ses hesi-
tations et de ses obsessions elle se fait sur cet acte une apprecia-
tion tout a fait fausse. Elle croit devoir a cette domestique des
reparations extraordinaires, elle croit que les « rapports ordinaires
de maitre a domestique n'existent plus entre elles deux, cette bonne
n*a plus sa place dans mon imagination comme domestique, elle
se sent liee vis-a-vis de sa bonne par quelque chose, etc. ». J'in-
siste sur ce point, Ics malades n'ont pas seulenient des obsessions
conscientes, ils ont des idccs inexactes qui peuvent facilement
devenir des idees delirantes.
Ce defaut de Tintelligence ne se manifeste pas d^ordinairedans
la simple conversation, on n'observe un trouble dans les percep-
tions auditives que dans deux cas, d'abord quand les malades
sontau milieu d'une crfse de rumination ou d'angoisse tres forte,
souvent ils ne comprenncnt plus rien a ce qu'on leur dit, mais ce
trouble ne dure en general que pen de temps. On I'observe aussi
quand ils essayent d'ecouter pendant assez longtemps une con-
ference ou un sermon. Claire se desolait au d^but parce qu'elle
ne pouvait plus comprendre les sermons, elle accusait ses senti-
ments religieux; en realite elle ne pouvait suivre la parole du pre-
dicatcur que pendant peu de temps. Jean met beaucoup de zele
a suivre des conferences litteraires mais il n'en profite guere, car
il ne peut ^couter le professeur plus de quelques minutes, son
esprit s'en va et pense a autre chose.
4. — Troubles de I' attention,
Ces alterations dans le r^sultat du travail mental revelent des
troubles assez graves de Tattention. C'est en effet un fait d'ob-
servation vulgaire que Tctat de distraction perpetuelledesobs^des.
TROUBLES DE L'INTELLIGENCE 363
Baillarger notait deja <( la lesion de Tattention dans la monoma-
nieS). Buccola et Tamburini ont insists sur Texag^ration de
Tattention spontanee et raffaiblissement de Tattention volon-
taire.
On pent dire que c'est la le trouble principal qui consiste non
dans une suppression des facultes intellectuelles mais dans une
difficulte de fixer rattention. lis ont toujours Tesprit distrait
par quelque preoccupation vague et ne se donnent jamais entiere-
ment a Tobjet qu'on leur propose. II r^sulte de cette division de
I'esprit qu'il ne donne que peu de force pour Top^ration prin-
cipale. lis ont de la peine a effectuer les operations mentales des
qu'elles deviennent un peu difliciles, ils comprennent mal, n'ont
pas de vues d'ensemble, s'embrouillentextr^mement vite des que
Fobjet d^etude est un peu complique : Xyb... avouequ'elle perd la
tete des qu'elle a plusieurs operations a faire a la fois. S'il entre
quelqu'un pendant qu*on lui parte ellenecomprend plus. Ellevou-
drait comme d'ailleurstous les autres etre dansle plus grand calme
pour lire une phrase ou repondre a une question. « Des que je
regois une visite, dit Lib... (117) je ne puis plus fixer mon atten-
tion meme sur une simple broderie, j'ai la t^te pleine de choses,
il Taut que je sois absolument seule pour me fixer un peu sur
quelque chose. » « II m'est devenu bien diflicile d'etre presente,
dit Wo..., a chaque instant les gens me secouent et me disent :
a quoi penses-tu ? Je sens surtout cette difHcultd quand j'essaye
dejouerde la musique a quatre mains, je ne puis pourtant pas
dire a la personne qui joue avec moi: je n'y suis pas, attends-
moi. II me faut un effort ^norme pour continuer a peu pres et
ne pas partir sur quelque recherche. »
Meme quand Tattention se fixe un peu elle a toujours un autre
defaut, c'est son extreme brievete. II ne faut pas maintenir long-
temps la m^me operation, le malade cesse vite de s'y interesser :
Jean ne pent suivre une etude que quelques minutes, meme sans
qu'il ait de manies a ce sujet il se met au bout de trois ou quatre
minutes a vous faire rep^ter et ne comprend plus, il en est de
meme chez Mm... qui ne pent pas prolonger une conversation
plus d'un quart d'heure. Claire change sans cesse d'occupation,
elle laisse une chose et la recommence, elle s'agace de ne pas
I. Baillarger, De la 168ion de rattention dans la monomanie. Ann. mid. psych.,
i846. II, 168.
364 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
pouvoir fixer Tattention et tombe dans ses manies. Lise se plaint
de ne plus pouvoir aller jusqu'au bout d'une addition. Chez
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Fig. 1 5. — Courbe de« temps de reaction ^ des excitations tactiles chez Boi. — Ixis exci-
tations lactiles ont lieu sur le dos de la main gauche, les mouvements sent faiti par la
main gauche. — Dureo de rexp^rience: i5 minutes.
Simone le fait devient grossier : je reussish Tarracher a ses idees
fixes en Tinteressant a Tanalyse botanique d'une fleur : tout va
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Fig. 1 6. — Courbe des temps de ruction simple a des excitations tactilcs chez Bel. — Les
excitations tactiles ont lieu sur le dos de la main droite. — L'exp^rience a une daree de
3o minutes. — En A, premiere partie du graphique pendant les la premieres minutes;
en B, derniere partie pendant Ics la dernieres minutes.
tres bien au debut en ecoutant avec attention elle devient ainiable,
elle demande ce qu'elle ne comprend pas et ne manifeste plus de
TROUBLES DE LINTELLIGENCE
305
delire. Ces belles dispositions ne diirent pas plus dc quatre ou
cinq minutes; puis je vois bien que sa figure change, elle se bute
et ne comprend plus, elle se frotte le front conime si elle y souf-
Fio. 17. — Courbe des temps de
reaction simple k dos excita-
tions aaditives chez Bei. . .
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;'"'"■
Fig. 18. — Courbe des temps de
reaction simple k des excita-
tions visuelles chez Bei...
frait, si je continue elle va se facher et tomber dans une crise
d'agitation delirante.
KmS'^
ii
!■ 'I -'I'm if
-;:::::: 4. .,,^;;;4}^l4^^#iiH^^R^t4ii4t^tiii^^ffft4{■4t^^^^j^t^
4i;IUfiM.;iteH4lii4Jti4;4tTffi
Fia. ig. — Courbe des temps de reaction simple k des excitations tactiles chez Qes.,
On observe le fait inverse quand il s'agit d'une association
d'idees qui revient ni^caniquement. Le sujet y revient sans cesse,
il ne pent plus parler d'autre chose. « Je remarquais, dit Tr^lat,
366 LES STIGMATES PSYCIIASTHeMQLES
que lorsque sesid^es ^taient port^es sur un sujet, 11 ne pensait qu'a
cela et ne parlait plus d'au\re chose V »
J'aurais vivement d^sir^ rendre manifesle cette brievete de Tat-
tention par des mesures et des graphiques et verifier Tobservation
de M. Buccola sur raugmentation des temps de reaction. Les dif-
ficultes sont tres grandes : les grands malades ne se prMent pas
aux experiences, les autres sont momentan^ment modifies par le
dispositif memc, enfin les precedes de mesure de Tattention sont
encore insutlisants. J*ai cependant essays d*oblenir chez quelques
malades le graphique des temps de reaction suivant une methode
qui a ete discutc^e dans un ouvrage pr^cddent ', Les graphiques
de Tattention par la courbc des temps de reaction, pris chez
Bei..., ne sont pas tres caracteristiques. Quand il s'agit de temps
de reaction simple a des excitations tactiles faites sur le dos de
la main gauche ou de la main droitc, la courbe est a peine au-
dessus de la normale, et elle s'eleve fort pen sous Finfluence de
la fatigue, comme on le voit dans les figures i5 et 16 empruntees
a notre livre sur les n^vroses^ et qnl represcntent une experience
d*un quart d*heure de dur^e. Dans les figures 17 et 18 qui repre-
scntent des temps de reaction a des excitations auditives et a
des excitations visuelles on note une elevation notablemeot plus
grande des courbes qui nous montrc mieux la diminution de
Tattention.
Les deux courbes (figures 19 et 20) obtenues par les memes
proced<^s sur Qes... sont interessantes : la courbe des reactions a
des excitations tactiles et cclle des reactions a des excitations
visuelles sont toutes deux beaucoup trop elevees. Cette elevation
est un peu moins grande dans la figure 21 qui montre la courbe
des reactions de Gei... a des excitations visuelles. J'ai deja fait
remarquer toutes les critiques dont est passible ce mode de me-
sure de I'attention. Ces recherches n'ajoutent que peu a nos
observations precedentes sur la faiblesse de Tattention, elles ne
font que les confirmer.
I. Tr^lal, FoUe lucide, p. 57.
a. \h'ro$es et Itit^es fixes ^ 1, chapitrc a, La mesure de TaUenlion et le graphique
des temps de reaction, p. 69.
3. Neuroses ei Idees fixes, 11, p. 69.
Cm
6
5e» o o
n p« »=-
368
LES STIGMATES PSYGHASTHfiNIQUES
Fig. ai. — Courbe des temps de reaction simple a des exoitatioas visuelles ches Gei..
5. — HSverie,
De cette disparition de rattention tl resulte que leurs pensees
ressemblent beaucoup plus a uq etat de r^ve, a une reverie per-
p(^tuelle. Chaque fait provoque des associations d'idees qui vonl
absolument a la derive sans que le malade puisse les diriger.
« Mes idees, dit Lise, ne sont jamais nettes au fond, je suis inca-
pable de ni'y debrouiller. Elles viennent subitement, occupent
Tesprit une demi-journee et puis s'en vont. J'ai une paralysie
dans la t^te qui nr^inpeche de les secouer. » We... (170) reve
toule la journee, clle reniarque elle-m^me que ses idees se pre-
sentent la nuit en r^ve de la meine fa^on que dans la journee.
II n'y a pas pour elle une grande difference enlre la veille el
le somineil.
Chez Claire la reverie est tres bien d^crite. « Je r^ve toujours
tant de choses que je n'en sais meme pas la moiti^. » Ce ne
sont pas toujours des idees ayant rapport a son d^lire, ce
sont des choses qu'elle a vues, qui viennent, elle ne sait d'oii,
qui se melent confus^ment et elle ne pent fixer une de ses id^es
sans qu'il en vienne une foule d'autres tout autour. « Quand je
regarde en arriere je ne sais pas comment j*ai vecu, je trouvedes
TROUBLES DE L'lNTELLIGENGE 36^
reveries sans (in sur tout. Toutes mes pens^es se tournent en
reve; quand on me parle, quand on me touche, on me fait sursau-
ter comme si je n'y 6tais plus, comme si j'etais toujours dans un
siutre monde. »
Gisele a remarqu6 qu'elle n*est jamais entierementa ce qu*elle
fait parce qu'il y a toujours trois vies en elle : la vie ext^rieure en
rapport avec les choses du dehors, c'est la moins developp^e, la
vie interieure des reflexions, la plus int^ressante et la plus deve-
lopp^e et une troisieme vie dont elle se rend mal compte et
qu'elle sent au fond d'elle-meme comme si quelque chose revait
en elle encore plus profond^ment. Ces divisions de la pensee
qui se produisent quand diminue Tefibrt de Tattention justi-
fieraient ce mot bien juste de M. Espinas « une conscience
afTaiblie c'est une conscience dispers^e ». On ne sera plus ^tonn^
de la reverie de Lib... que j'ai decrite comme un accident une
agitation mentale diffuse : ce n'est que Texageration d'un stigmate
([ue nous retrouvons sous une forme att^nu^e chez tons les autres
malades.
Dans ces conditions il semble bien didicile que ces esprits
puissent arriver a une conclusion nette sur un fait ou sur un
raisonnement. Krafft-Ebing, disait justcment que ce qui frappe
immediatement c'est Timpossibilite d'amener ces malades a une
conclusion ^ Ce sentiment de doute que nous avons constats dans
les sentiments d'incompletude est Texpression dans la conscience
de ce travail insudisant de Tattention. « C'est, disait M. Ribot,
un etat d'h^sitation constante pour les motifs les plus vains avec
inipuissance d'arriver a un r^sultat definitif. )>
6. — Eclipses mentafes,
Je voudrais signaler a propos de ces troubles de Tattention un
ph^nomene tres curieux dont on verra bientot toute Timportance.
Simone vient se plaindre d'6prouver souvent un singulier arret
de la pensee. Tout d'un coup elle s*arrete au milieu d'une con-
versation et reste un petit moment sans parler puis elle se
retrouve, quelquefois elle continue sa conversation comme si rien
n^^tait arrive et ses parents sont seuls a avoir remarqu^ la petite
1. KraflTl-Eblng, Psychiatrie, traduct. 1897, p. 544.
2. Ribot, Les Maladies de la volonte, p. 59 (Paris, F. Alcan).
LES OBSESSIONS. I. — 3^
370 LES STIGMATES PSYCH ASTHfiNIQUES
interruption ; souvent elle reste un peu troubl^e et a besoin de
quelques efforts pour savoir oii elle en ^tait. Ce fait me parait
d'autant plus curieux que chez cette jeune fille il a pr^c^d^ de
quelques mois et comme annonce Tarriv^e de grandes obsessions
de honte du corps qui ont pris pendant longtemps un assez grand
d^veloppement. Le meme fait se pr^sente chez Gis^le, grande
scrupuleuse. Suivant son expression « elle perd ses id^es», mais
il parait, a ce qu'elle pretend, que c'est la up ph^nomene fre-
quent dans sa famille et que ses freres ont aussi Thabitude de
perdre de temps en temps leurs id^es.
La diminution de Tattention peut done aller chez quelques-uns
jusqu'a des Eclipses de la pensee comme la diminution de la
volont^ arrive a Tinertie complete.
3. — Troubles des Amotions et des sentiments.
L'6tude des Amotions et des sentiments de ces malades serail,
je crois, particuliferement fructueuse, parce qu'elle expliquerait
beaucoup d^autres faits, mais on trouve toujours la meme diffi-
cult^ ; les troubles qui se presentent et qui sont incontestables
sont-ils les r^sultats des id^es absurdes du malade, sont-ils cr^^s
par son d^lire ou sont-ils anterieurs a ce d^lire et forment-ils le
fond naturel de la maladie? Bien souvent les malades eux-memes
rattachent le trouble de leurs emotions a une sorte de retenue
qu'ils supposent presque volontaire, c^est ce que font souvent les
timides : « II y a en moi» disait AmieP, une raideur secrMe a
laisser paraftre une Amotion vraie, a dire ce qui peut plaire, a
m'abandonner au moment present, sotte retenue que j*ai toujours
observ^e avec chagrin... mon coeur n'ose jamais parler s^rieuse-
ment, je badine toujours avec le moment qui passe etj*ai F^roo-
tion retrospective. II repugne a ma nature r^fractaire de recon-
naltre la solennite de Theure ou je suis, un instinct ironique
qui provient de ma timidite me fait toujours glisser leg^rement
sur ce que je liens sous pretexte d*autre chose et d'un autre
moment... La peur de Tentrainement et la defiance de moi-raeme
me poursuivent jusque dans Tattendrissement. » Get arr^t des
I. Amiel, Journal intime, 1, p. i5i.
TROUBLES DES ^MOTIONS ET DES SENTIMENTS 371
sentiments est-il vraiment une retenue par crainte de Tentrai-
n€ment, ou bien au contraire cette pretendue retenue n'est-elle
pas inventee pour Texpliquer ?
Le meme probl^me se pose a propos des id^es de scrupule qui
semblent ^tre la raison de cet arr^t des Amotions. Lod... se plaint
d'une chose qui Tenerve au plus haut point, e'est qu'elle ne pent
plus s^amuser, se r^jouir, prendre du plaisir de bon coeur a quelquc
chose. Quand ^excitation agreable arrive et quele plaisir va surve-
nir» elle est arret^e, ne pent plus se livrer au sentiment quel qu'il
soit, il faut qu'elle pense a autre chose et ses id6es ordinaires,
ses probl^mes surgissent : il faut qu'elle les resolve d'abord, avant
de continuer la jouissance. Un chapeau lui plait-il, aussitot surgit
ridee que c'est une satisfaction egoiste. Veut-elle passer outre,
elle a des remords comme si « elle avait Tid^e d'envoyer la reli-
gion promener ». Ecoute-t-elle une comddie au theatre, il lui
faut <( remettre droites ses id^es sur Dieu » avant de s'int^resser
a la pi^ce. Elle ne pent prendre plaisir a la musique qu'elle joue, il
faudrait d'abord se d^barrasser de Tidee qu'elle pense mal de Dieu.
Elle a une amie qu'elle aime beaucoup et ne pent se laisser aller
au plaisir de I'afiection, au simple plaisir de Tembrasser, car il lui
vient I'idee qu'elle aurait bien pu I'embrasser sur les levres et que
ce serait contraire a la pudeur.
En ^coutant ce langage, on est port6 a penser qu'elle est sur-
tout d^lirante, que c'est elle qui se supprime ses plaisirs a
cause des scrupules qui la pers^cutent, et on est tent6 de lui dire :
« Ne pensez plus au bon Dieu et a la morale et vous vous amuserez. >
La question est plus delicate, car cet arr^t du plaisir se re-*
trouve chez beaucoup de malades qui n'ont pas pr6cisement des
obsessions ni des phobies a ce sujet et dont les emotions s'arre-
teot cependant de la meme maniere sans qu'il y ait une id^e
d^termin^e ni une angoisse pouvant servir de pr^texte a cet arr^t.
Chez beaucoup des idees surgissent et pullulent apres cet arret
mais sans avoir aucun rapport avec I'^motion ant^c^dente, chez
d'aatres I'arret de T^motion n'est suivi d'aucun trouble particu-
lier. II semble done qu'il exisle chez ces malades un trouble fon-
damental des Amotions et des sentiments ind^pendant des autres
phdnomenes que nous venons d'^tudier.
D'autre part, on voit se developper chez beaucoup de ces ma-
lades un grand nombre de sentiments sp^ciaux que Ton ne ren-
contre pas au moins au m6me degre chez les individus normaux.
372 LES STIGMATES PSYGlIASTllENIQUES
Chez quelques-uns ces besoins ou ces amours bizarres sont ac-
compagnes par des phenom^nes intellectuels, des obsessions du
m^me genre, mais chez beaucoup il n*en est pas ainsi et les sen-
timents anormaux se d^veloppent en dehors des reflexions du
sujet presque a son insu. Ces sentiments sont voisins des seoti-
ments d'Incompletude qui viennent d'etre Studies, mais ils ne
sont pas identiques a ces phenomenes : ce sont plut6t des alte-
rations des sentiments naturels qui existent chez tous les hommes.
Ces remarques nous conduisent a ^tudier dans les paragraphes
suivants ces modifications primitives des emotions et des sen-
timents.
I. — Indifference.
II faut mettre en premiere ligne comme modification primitive
une modification tres importante et inattendue des Amotions. On
est toujours dispose a croire que ces malades sont des emotifs et
Ton se figure qu'ils ressentent au supreme degre toutes les emotions
et tous les sentiments. II y a peut-etre dans cette opinion quelque
v^rite, si on considere les emotions-chocs qui bouleversent rapi-
dement F^quilibre de la pensee ; mais cette opinion est certaine-
ment tr^s exager^e si on ^tudie les Emotions-sentiments qui doi-
vent se prolonger un certain temps et qui consistent dans la
conscience de tendances plus ou moins d^velopp^es.
En effet, il est essentiel de constater que la plupartdes mala-
des se plaignent d'etre devenus tout a fait indiflTErents. Al...,
femme de 27 ans, devenue maladc apr^s un mariage absurdo
uvec un individu a demi ali^ne et perverti sexuel, et apres un
proces scandaleux de plus de deux ans de dur^e remarque tres
bien le changement qui s'est fait dans son caractere. Au commen-
cement de ses aventures elle 6tait excit^e, en colere, tres
d^solee de son mariage, de son proces, en un mot de ses mal-
heurs qu'elle ressentait vivement. Tres souvent elle se laissait a
des crises de d^sespoir, elle pleurait et se lamentait. Maiatenant
tout est change, elle ne pleure plus, ne se desole plus, est deve-
nue indifferente a tout, elle pense a son mari sans que cela lui
fasse ricn : « je n'ai pas de d^sir, dit-elle, pas de regrets, pas
d'ambition, rien n'est mauvais, rien ne me g^ne, rien ne me con-
traric, rien ne me fait plaisir. » Nadia se plaint de ne pouvoir
6tre emotionn^e et de ne pouvoir pleurer sa mere. Kl... et Wks...,
qui etaient autrefois tres vives et tres coleres sont devenues cal-
TROUBLES DES fiMOTIONS ET DES SENTIMENTS 373
mes et n'ont plus leurs acces d'lrritation. Vil... est indifTerente
a la realite et ne s'int^resse qu^a des r^ves. Ce qui est surtout
atteint par I'indifF^rence ce sont les sentiments affectueux pour
la famille et pour les amis et cette froideur contraste avec I'amour
qu'ils ont d'un autre ciHe pour ceux qu'ils ont choisis comme
directeurs de conscience.
D^apres les confidences de quelques malades on pent faire des
remarques sur une emotion qui d*ordinaire est intense, T^motion
genitale. II est curieux de remarquer que des personnes autrefois
tres excitables sur ce point sont devenues presque entierement
froides et ressente^nt un veritable engourdissement genital, cette
remarque a ^te faite sur une douzainede sujets. Chez quelques-
uns cet engourdissement determine m^me une recherche exag6-
r^e et bizarre de I'excitation sexuelle qui pent se transformer en
un veritable d^lire, comme on le voit dans les observations de
Lea... et de Len... Plusieurs se laissent aller a la masturbation,
avec une sorte de fr^nesie pour a arriver jusqu'au bout » de Temo-
tion, cequ'ils sont devenus incapables de faire.
Chez beaucoup de malades, hommes ou femmes, cet arr^t de
r^motion genitale n'est accompagn6 d'aucune de ces manies ni
d*aucune autre obsession. Leurs troubles intellectuels ou leurs
phobies portent sur de tout autres questions ; ils n'ont aucunc
disposition a se reprocher Tacte genital accompli dans des con-
ditions normales et legitimes, ils n'ont aucune envie de le trans-
former ou de le perfectionner. Ils constatent seulement qu'ils
eprouvaient autrefois une Amotion violente qui grandissait jusqu'i)
un maximum, puis s'arretait brusquement en laissant un senti-
ment de satisfaction et d'apaisement et que maintenant les choscs
sont chang^es, que cette Amotion commence, qu'ellesed^veloppeim-
parfaitement, etqu'elle n*arrive jamais au maximum suivi d*apaise-
ment. Bien mieux, quelques-uns n'avaient fait aucune attention a ce
fait et sont tout surpris quand on le leur fait remarquer. II y a done,
a cote du sentiment d'incompl^tude genitale que nous avons
signals et qui pouvait ^tre plus ou moins juste, un engourdisse-
ment reel qui ne semble pas dependre de I'appreciation du sujet.
II ne faudrait pas en conclure que tons ces sentiments soientcom-
pletementdisparuset que nous soyons en presence de cette anesthc'
sie morale que Ton observe chez quelques hystdriques. Les ma-
lades ont Temotion ou du moins ils commencent ii Tavoir,
1
37& LES STIGMATES PSYCHASTH£NIQUES
mais ces emotions commenc^es s'arretent rapidementy cessent de
se d^velopper ou se traDsformeDt en ruminations ou en angoisses.
Le malade se rend compte que son sentiment n*est pas complet,
n*est pas fini et d'autre part ii redoute ces transformations p^ni-
bles. II en vient a redouter lui-m^me ces sentiments insuffisants,
qui, sHl essaye de les qaener plqs loin, donnent naissance a des
crises douloureuses et il finit par ajouter une restriction volontaire
a cet arret qui survenait d'abord naturellement. Depuis qu'il a des
scrupules, On... craint les col^res, les Amotions, il a peur de Texci-
tation sexuelle, peur de la surprise, « peur de se laisser emballer
par quoi que ce soit ». II se rend ^videmment plus indifferent
quHl ne le serait spontan^ment.
Comme le fait me parait extr^mement important je rapporte
encore sur ce point Tobservation de Lise qui confirme toutes les
remarques pr^c^dentes. Cette personne semble ^tre inacces-
sible a toute Amotion. « II y a longtemps qu'elle a renonce
il prendre plaisir h quelque chose et elle ne songe m^me pas a
s'en plaindre. » L'indiff^rence est not^e non par la malade, mais
par la famille qui la constate et me raconte ces details. Lise n'a
pas d'amie intime, pas de d^sirs, pas de caprices, pas decraintes
sinenses meme quand les enfants sont malades, pas d'impatience
vis-a-vis d*un mari tout a fait insupportable: elle est admirable de
calme et de raison. Si on la savait raisonnable, on pourrait admirer
ce calme, mais comme nous savons le d^sordre de sou esprit, on
peut se demander si cette sagesse n'est pas un symptdme patho-
logique.
Quand on cherche Toriglne de cette indifference, on est dis-
pose au premier aborda la croire volontaire. On remarquequ^elle
a H6 tr^s affectueuse, qu'elle a encore quelquefois une grande deli-
catesse de sentiments ; elle pr6tend qu^elle est capable de se mettre
en colere comme une autre personne et de ressentir la douleur et
rindignation. Mais tout cela n^existe plus qu'en puissance et ne se
d^veloppe plus jamais; car il lui semble qu'elle s'arrete elle-m^me :
« si les Amotions se d^veloppaient jusqu'a un certain point, dit-
elle, mes id^es, mes terribles id^es sur le diable, les enfants vou^s,
etc.,surgiraientetmedomineraientd'une mani^re irresistible. Sije
me laisse aller a Texcitation ou It la colere une minute, je ne suis
plus maitresse de mes idees, elles surgissent avec force et vonl
persister longtemps ». II en r^sulte qu^elle a une peur affreuse de
se laisser aller a une Amotion, elle se surveille continuellement, ne
TROUBLES DES EMOTIONS ET DES SENTIMENTS 375
se laisse jamais aller h un 6tat emotif complet; meme au milieu
des scenes violentes auxquelles elle assiste elle conserve son sang-
froid, il y a toujours une partie d'elle-meme, qui n'y prend pas
de part. Elle a ^galement peur de se laisser aller a une emotion
en assistant au theatre ou en ^coutant de la musique ; en un mot
elle travaille k maintenir en elle un ^tat d'indifTi^rence, si bien
qu'elle se Ggure que c*est elle-meme qui arr^te les Amotions.
Je crois que sa volont6 et sa prudence contribuent un peu a dimi-
nuerlesph6nom^ne6 : maisd'apresson aveu etd*apres Tobservation
des autres malades, ses Amotions s'arreteraient toutes seules a un
degr^ peut-Mre'un peu sup6rieur et se transformeraient contre sa
volonte en ruminations et en angoisses. Celles-ci sont evidemment
des ph^nomenes d'une autre nature que les Amotions de joie, d^afTec-
tion, de plaisir artistique qui avaient commence a se developper.
On pent noter a ce propos un petit detail assez demonstratif. Lise
a supporte pendant dix ans sans se facher et sans se plaindre les
bizarreries de caractere de son mari. Quand elle commence a se
guerir, elle ne pent plus conserver le meme calme. Quoiqu*elle
desire encore arreter les Amotions et surtout les manifestations
des Amotions elle n'y parvient plus et malgre sa volonte elle s'ir-
rite et elle souffre de ce mariage. C'^tait done bien son etat ma-
ladif qui Temp^chait d'en souffrir.
Ces observations sont tout a fait concordantes, elles sont fa-
ciles a verifier et montrent que ces malades ont beaucoup moins
de sentiments et d'^motions normales qu*on n'est dispose a le
croire.
2. — Sentiments melancoliques,
Les sentiments qui subsistent avcc une certaine acuite sont
des sentiments de tristesse analogues a ceux que Ton rencontre
chez les melancoliques. La suppression de toute Amotion vive
jointe a la depression de toute activity donnent naissance a un
sentiment perp^tuel d' ennui. M. Tissi^ remarque fort bien le role
du sentiment de Tennui dans toutes les fatigues. « Le sentiment
de Tennui domine toutes les psychoses et on le retrouve toujours
a un moment donn6 de Tentrainement intensif chez tons les su-
jets les plus gais et les mieux 6quilibres\.. » U n'est pas surpre-
I. T\%i\i. Revue scientifique, 1896, II, p.64a.
376 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
nant que I'on retrouve ce seutiment chez tous nos psychasth^ni-
ques perp^tuellement fatigues.
Ku..., Dk..., Dd..., etc., tous d'ailleurs r^petent qu'ils ne peu-
vent prendre leur part des joies de la vie pas plus que de ses
soufirancesd^ailleurset qu'ils s'ennuientincurablement. Lise... pre-
tend qu'elle 6tait ainsi d^s sa premiere enfanee, qu'elle ne s*amu-
sait jamais compl6tementetqu*elle n'a jamais pu selaisser altera an
plaisir ou a une Amotion quelconque a cause d*un fond d'ennui
incurable.
lis n'ont pas de veritables douleurs mais ils ont une tristessc
vague qui consiste plutot dans Tabsence de toute joie que dansuo
reel sentiment de chagrin, c*est une nuance de Tcnnui. Qsa...
(io8) est toujours morose : « il n'aime pas a voir des gens gais
qui Texasp^rent, il sent qu'il pourrait Hre capable de gait^ si sa
maladie ne le separait pas de toutes choses ». Claire se plaint dc
s'attrister elle-meme continuellement : (c je ne m'aime pas moi-
m^me... parce que je me deteste..., je m*ennuie et m'attriste de
me voir moi-m^me ».
Gisele, Jean, Nadia g^missent sur cette existence terne a la-
quelle ils sont condamn^s a j'ai toujours ^te tres triste m^me
dans les moments les plus heureux de ma vie, c'est une existence
gat^e ». (( Je ne puis meme pas prendre un plaisir pur dans la
musique que j'ainie tant ; je mele de la tristesse a tout, j'ai un
esprit merveilleusement organist pour ^tre malheureux. »
Ce sentiment de tristesse donne sa nuance a toutes les percep-
tions et a toutes les idees. Claire etend cet ennui et cette tris-
tesse a tout Tunivers « il nie semble que tout le monde doit etre
malheureux et tous les endroits qui me plaisaient autrefois me
paraissent tristes comme si tout ce monde qui est si peu r^el
^tait toujours sur le point de mourir, de s'ecrouler ». Jean exa-
gere encore comme toujours ces dispositions m^lancoliques : a
bien des reprises il est envahi a propos de certaines personnes
«t de certains endroits par « le sentiment de la fin du monde ».
Quand il quitte un endroit ou il s'est plu, quand il apprend la
mort d'un parent qui habitait telle region, quand il a dans un
endroit une Amotion triste, deprimante,il est envahi par un senti*
ment de tristesse profonde, par un sentiment de mort qui s'ap-
plique uniquement a cet endroit. Nous avons deja vu de ces sen-
timents de mourir dans les angoisses morales, mais ce qu'il y a
de particulier dans cette observation de Jean c'est que le senti-.
TROUBLES DES fiMOTIONS ET DES SENTIMENTS 377
ment s*associe avec la pens^e d*une region « dans ce pays tout
est mort, c*est la fin du monde pour ce pays ». Bientot la manie
de generalisation va s^emparer du sentiment et toute la region
aux alentours, tout TOuest de la France va ^tre mort. II est facile
de voir le lien de tels sentiments avec les delires m^lancoliques :
chez nos malades, ilsrestent a Tetat de sentiments vagues sans se
transformer en une id^e nette ici surtout en une id^e accept^e et
crue par le sujet.
3. — E mo twite.
On rencontre cependant des malades qui paraissent se corn-
porter autrement et d'apres lesquels s'est form^e cette opinion
commune que les obs^des sont extr^mement ^motifs.
Ce sont d*abord les timides, presque tous nos scrupuleux ont
ete des timides, or « pour etre timide, dit M. Hartenberg, il
faut d'abord etre enclin a eprouver une certaine Amotion dans
certaines circonstances... c'est une reaction Emotive spontan^e,
aveugle, irresistible qui survient par le seul fait de se presenter
en public, comme le vertige se produit a la vue d'un precipice < ».
Ce sont ensuite les tiqueurs « qui sont tous des ^motifs,
attaints d'une afTectivite desordonn^e* ». Puis tous les phobiques
dont la maladie consiste dans une tendance irresistible a des
emotions disproportionnees.
Aussi n'estil pas surprcnant que beaucoup de nos malades se
plaignent de leur emotivite excessive : par exemple Vr..., Brk...
remarquent que chez eux la moindre impression prend des pro-
portions etiormes, une surprise, une parole adressee brusque-
ment, la vue d'un accident dans la rue leur donne des chaleurs a
ia tete, des palpitations de coeur, des suffocations, des respirations
en soupir pendant plus de lo minutes, « la moindre des contra-
rietes dit Za..., devient pour moi au bout de quelque temps
la cause de tremblements nerveux, de secousses dans tous les
membres et de crises de larmes tout a fait absurdes )>. Wo... se
met a fondre en larmes pour la moindre des choses. Ces emotions
exagerees se presentent surtout quand il s'agit de se montrer, de
faire un acte en public: quand Ul... est devant quelqu'un elle se
sent serree a la gorge, elle sent un gros poids qui lui ecrase la
I. Hartenberg, Les timides et la timiditi, p. 5, p. i66.
a. Meige et Feindel, Prog res medical, 7 sept. 1901.
378 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
poitrine, elle suffoque, elle sent comme des convulsions dans
tOds les muscles de la face et des yeux. Cette description est
banale, on la trouverait r^p6t^e par des centaines de malades.
Est-ce la de Temotion complete et ce caract^re contredit-il le
pr6c6dent? Dans un sens oui, c'est unecertaine forme d'^motioD«
c'est en r6alit^ plus ou moins completement la crise d'angoisse
qui apparatt, et ne semble-t-il pas qu'avoir des crises d*an-
goisse a tout propos c'est ^tre un ^motif ?
II me semble cependant qu'il y a bien des reserves a faire a propos
de cette 6motivit6. Cette emotion pr^sented*abordun caractere bien
curieux qui merite d'attirer Tattention : elle est retardante,
« retrospective », comme disait Amiel. Ces malades restent sou-
vent parfaitement calmes devant rev6nement qui devrait les 6mo-
tionner, ils se comportent comme s'ils ^taient tout a fait indiffi^-
rents. Les reflexes cardiaques et vaso-moteurs qui, suivant la
th^orie de Lange et de James, devraient accompagner immediate-
ment r^v^nement, anterieurement a tout travail proprement ce-
rebral ne se produisent pas du tout. Cependant tout n'est pas
termini : au bout de quelques heures ou au bout de quelques
jours un travail s'est fait dans le cerveau a propos de cet ^v^ne-
ment et les malades ont des palpitations, des tremblements inter-
minables comme s'ils etaient violemment ^mus par cet evenement
quiydanssarealitepresente, a semble passer inapergu. Claire releve
un homme qui s'est blesse en cherchant k se suicider, elle a un
calme incomprehensible chez une jeune fille, elle reste indifferente
toute la journee ; mais elle est malade d*emotion le lendemain.
Meme observation dans une foule de circonstances chez Nadia,
chez Jean, chez Gis^le, Dob..., Kl..., etc. Ce fait de T^motion
retardante me paratt trfes interessant, il doit etre rapproche de
cette action retardante qui caracterise les abouliques, de cette
memoire retardante sur laquelle je viens d*insister. En un mot,
chez certains malades, un evenement n*a d*action, ne fait naitre
le phenomene psychologique en apparence approprie que lors-
qu'il est passe depuis un certain temps.
Un autre caractere de cette emotion des psychastheniques
c'est qu'elle reste une emotion vague, indeterminee, une angoisse,
c'est-a-dire la plus basse des emotions ct qu'elle est tres peo
adaptee a Tevenement qui la determine.
Les malades eux-memes remarquent que cette emotion a an
caractere bizarre, c'est qu'elle est toujours la meme, elle survient
TROUBLES DES EIMOTIONS ET DES SENTIMENTS 379
aussi bien a propos des 6v^nements qui devraient faire naitre de
la peur, qu*a propos de ceux qui devraient faire naitre de la colere
ou de ceux qui devraient faire naitre de la joie. On pent le veri-
fier tr^s bien avee Ul... qui a les memes ph^nomenes de sufibca-
tion, de convulsions de la face et des yeux en recevant une lettre
qu'elle attend ou en entrant dans un omnibus. Les crises d'an-
goisse de Cs... semblent 6tre en rapport avec son d6lire hypo-
coodriaque et d^buter quand on parte de maladie devant elle ou
quand elle voit une fiole de pharmacie, mais elles surviennent
cxactement semblables, quand elle rencontre une amie dans la
rue ou quand elle regoit une page de « batons » faits par son petit
gargon qui a quatre ans. Lae... exprime cette banality de son
Amotion d'une maniere bizarre. II a et^ ou a cru etre mordu par
un chien eurag6 a Tage de i5 ans ; depuis il eprouve perp^tuel-
lement une angoisse toute sp^ciale qu'il a baptis6e lui nieme
« Temotion du chien enrage », elle consiste en maux de t^te
sp^ciaux, tournoiement dans le ventre, secousses de la jambe
gauche et besoin de regarder, de toucher cette jambe pour voir
« si un chien ne la lechepas », pour ^carter ce chien. Eh bien, il
ne peut plus avoir aucune autre Amotion que celle-la <c c'est trop
fort, je ne peux plus etre amoureux, si j*embrasse une femme, cela
me donne uniquement mon Amotion du chien enrag^ et malgr6
moi je d^tourne la t6te pour voir si un chien ne me fr6le pas la
jambe ou ne me l^che pas le pouce ».
Un detail curieux, c^est que ces crises d*angoisse peuvent se
presenter chez des sujets comme chez Jean ou Nadia qui viennent
de nous r^p^ter et de nous montrer qu'ils ne peuvent pas avoir
d'^motion. lis out des crises qu'on appelle des phobies qui res-
semblent vaguement a de la peur et ils protestent qu'ils ne sont
plus susceptibles d'6prouver la peur ; ils ont des agitations motrices
qui ressemblent assez vaguement du reste, comme je I'ai dit, a
de la colore et ils se plaignent de ne plus pouvoir sUndigner ni
se facher : c'est que ces crises ne sont pas des Amotions normales
de peur ou de colere et qu'elles se substituent a ces Amotions nor-
males au moment ou leur developpement s'arrete. En un mot, quand
on remarque que ces malades ont de Temotivite, cela ne veut
pas dire qu'ils sont plus susceptibles que les autres personnes
d'avoir des Amotions normales et complMes, mais qu'ils sont plus
disposes sous I'influence du moindre choc a commencer des cri-
ses d'agitation motrice ou d'angoisse.
380 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
4. — Emotions sublimes.
Pour ^tre complet dans ce chapitre et indiquer sommairement
les sentiments et les Amotions qui se pr^sentent chez les scrupu-
leux, je dois indiquer une emotion tres singuliere qu'il m*est
tres difTiciie d'expliquer completcment et sur laquelle je crois
n^cessaire de revenir plus tard apres avoir acquis quelques notions
g^n^rales sur la psychologie de ces malades. J'ai observe ces
emotions snr une dizaine de personnes avec des symptomes assez
semblables pour qu*elles ne me parussent pas des phenom^nes
accideutels.
On a vu que d'ordinaire et pendant la majeure partie de leur
vie ces malades sont deprimes, tristes, incapables de s'^lever aux
actes, a Tattention, ii Temotion normale : de temps en temps chez
quelques-uns d'entre eux se produit une exaltation extraordinaire
qui les soul^ve au-dessus de leur niveau habituel et leur donne
pour un moment des Amotions de bonheur ineffable, des senti-
ments d^activite surhumaine, d'intelligence tout a fait complMe.
M. Lanteires, dans sa th^se' sur les troubles psychopathiques avec
lucidit(^ signalait d6ja un peu vaguement que certains malades
^prouvent tout d'un coup « une sorte d*extase, une sorte d'6rc-
thisme nerveux avec de voluptueux frissons ».
Yoici quelques exemples de ce fait singulier Gs... en contem-
plant les maisons du haut du Trocad^ro est enflamm6 d*eathou-
siasme, il a des sentiments d'admiration merveilleux et il oublie
pour un instant toutes ses miseres : « II me semble que c*est
trop beau, trop grandiose, que je suis soulev6 au-dessus de moi-
meme; sur le moment cela me cause un enorme plaisir, mais cela
m'epuise, me fait trembler les jambes et il me semble que je
vais tomber ^vanoui, incapable de supporter ce bonheur. »
Fy..., en se promenant dans la campagne, se sent comma grisee
par le grand air (( tout me parait delicieux, il me semble que je
vais ^clater de bonheur, jamais je n^avais eprouve cela, la journee
passe comme un reve, le temps marche cinquante fois plus vite qu'ii
Paris. Je me sens meilleure et il me semble qu'il n'y a pas degens
m^chants comme dans les autres pays, toutes les figures sont sym-
I. Lan ieircs, Essdi descriptif sur les troubles psychopathiques avee lucidiU d'esprit,
Tbfese, i885. p. AA.
TROUBLES DES fiMOTIONS ET DES SENTIMENTS 38»
pathiques et il me semble que je suis a Tage d*or. Les expressions
me viennent plus facilement, moi qui ne peux pas ouvrir la bou-
che quand il y a une personne, je parlerais devant une assembl6e ».
Nadia aussi a eprouve par Instants, mais incompletement, ces sen-
timents au moment de son amour Insens6 pour un grand musicien.
Nah..., homme de 21 ans, sent par moment « une stupefaction
sacree qui cause un bonheur In6ni ». Gv..., homme de 26 ans,
« se sent enleve au-dessus de sa condition, il croit marcher sur
une autre terre oii I'on est meilleur et plus fort ». L'un des
plus curieux sur ce point c'est Jean qui a baptist ce ph^nomene
d'un nom que je conserve en partie : a les sensations sublimes
et solennelles. » De temps en temps, mais rarement, il est pris de
cette sensation quand II r^ve a une occupation Intelllgente et elevee
qui lui plairait, mais qui est en contradiction complete avec son
caractere ; par exemple quand II r^ve qu'Il est depute a la Chambre
et que devant les tribunes bien plelnes II prononce un grand dis-
cours politique. II ressent alors un petit frisson par tout le corps
mais qui n'a rien des fluldes p^nibles, il sent le coeur calme et
ralenti, ses muscles sont a la fois forts et comme detendus, au
lieu desa marche humble a petits pas, la t^tebalss^e, II se redresse
et marche a grand pas d'un air important, il a de Texcitation intel-
lectuelle, il comprend bien les choses et ressent la soif de s'in-
struire, enfin et surtoutll a un sentiment de bonheur qu'il n'^prouve
jamais. « Ce sont des Impressions divines qui me prouvent
I'existence de Tame dans le corps, »
Ces emotions sublimes durentpeu d*ordinaIre,elles sontpresque
toujours ch^rement payees par les malades. Gs... tombe bien vite
dans une rumination p^nlble sur le nombre infini des maisons, et
recommence les questions : « Comment a-t-on pu les construire ?
comment a-t-on pu les compter? » II a de nouveau un horrible
sentiment de depression. Fy... (34 termlne son Idylle a la cam-
pagne par une petite crise avec perte de conscience et emission
d^urlne dont nous aurons a discuter la nature et le pauvre Jean
retombe piteuscment de la tribune; Texcitatlon s'est propagee aux
organes g6nitaux, a ramen^ la pens^e de la masturbation et toutes
les angolsses plus grandcs qu'auparavant.
Je trouve ces Amotions excesslvement curleuses : elles forment
un contraste avec le sentiment ordinaire de chute qui carac-
terise le scrupuleux. En outre, elles etablissent une liaison tres
int^ressante avec d'autres malades dont je ne m*occupe pas
382 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
ici, mais que j^esp^re pouvoir ^tudier un jour, les extatiques. Je
suis arrive non sans quelque 6tonnement a cette concIusioD que
les extatiques ne sont pas des hyst^riques comme je le croyais
primitivement, mais qu'ils se rattaehent bien plut6t au groupe des
scrupuleux. En les 6tudiant il faudra raontrer que les extatiques
ont des crises de rumination, d'angoisse et de chute comme les
scrupuleux ; il est int^ressant de montrer ici que les scrupuleux
ont au moins en germe des crises d'extase.
5. — Le besoin de direction,
A c6t6 da trouble fondamental des Amotions, a cot^ du senti-
ment d*incompl^tudeet probablementiicause de lui se developpent
chez nos scrupuleux des sentiments tout particuliers en rapport
avec des tendances speciales qui n'existent pas au meme degre
chez des individus normaux, Tun des plus importants est le besoin
de direction,
J*ai d^ja eu Toccasion d'insister sur ce sentiment surtout a pro-
pos dc ces exag^rations pathologiques. Avant de donner naissance
a des troubles morbides ce sentiment existe a T^tat normal chez
certaines personnes et contribuent a constituer leur caractfere.
C'est ce qui arrive au plus haut degre pour les scrupuleux.
Je hifsse de c6t6 ici ceux qui ont des obsessions amoureuscs et
qui fiout ;iu d^sespoir parce qu'ils ont perdu une personne qui les
iln igcEiU, jeprendsdes malades qui ont de toutes autres obsessions
oil de toutes autres manies et je constate que ce sentiment existe
chez eiix pour ainsi dire a leur insu. Ces personnes ^prouvent un
rorlijin plaisir a ob^ir, a recevoir tout formulas les jugcments
qirib dt)ivent avoir, les decisions qu'ils doivent prendre. Ins-
tiiielivenient ils se mettent sous les ordres de quelqu'un et leur
sou mission une fois efiectuce ils ne se donnent plus jamais la
peine de controler ou de discuter les ordres que cette personne
leur donne, les jugements qu'elle leur inspire, les exemples
iprdle ](3ur montre, ils ne veulent plus rien faire sans I'avis de
cette personne.
Cc ctiiactere est d^crit par tons les observateurs. Legrand du
Sutitlf [uile « le besoin d'6tre rassurd qui conduit le malade chez
Jf^ mcdecin aux heures les plus insolites^ ». II decrit une dame de
I. I'Ck'-niiid du Saulle, Folic du doute, p. 35.
L
I
..^ r
TROUBLES DES fiMOTIONS ET DES SENTIMENTS 383
3o ans qui se fait dinger par un petit garcon de 8 ans« il ne m'en
Taut pas d'avantage, dit-elle, pour que j'6vite une crise^ ». Bail-
larger remarque chez les douteurs « ce besoin ^norme d*afHrma-
tioD 6trang^re' ». « lis ne peuvent agir que sous rimpulsion des
aotres, disaient MM. Raymond et Arnaud de leurs malades^. »
Aox cas nombreux que j*ai d6ja d^crits^, je n'ajoute que quelques
examples.
Ps..., jeune fille de 23 ans, s'abandonne ainsi entre les mains
d*une religieuse qu'elle a choisie et la force de tout decider dans
savie. Bu... (85) appelle sa femme tout le temps et ne I^ve pas
le petit doigt sans lui en demander la permission. Dua... (i35),
femme de 27 ans, ne pent plus faire un pas sans Tordre de son
m^decin, elle 6prouve le besoin de tout lui raconter, de lui
faire des confessions enti^res sous des pr^textes quelconques.
Elle demande conseil sur tout meme a propos des choses les
moins m^dicales et ob^it minutieusement. Mbo... ob^it a sa
soeur et Vi... est dirigee par son enfant qui a 10 ans a peine.
KI... se conduit exactement de meme: sans me connaitre, elle
se confie completement et se met a ne plus penser que par
moi. Lise se rend bien compte qu'elle a ce besoin d'une fagon
ridicule, elle a essay6 a plusieurs reprises de le satisfaire avec des
amies, avec des pr^tres et elle doit r^sister pour ne pas trop s'y
laisser aller. Malgr^ elle elle se sent inqui^te lorsqu*eIle est loin
de moi <( sentir que je suis libre pendant plusieurs mois^ c*est
comme quelque chose de terrible ; je vais etre tres mal au com-
mencement, puis j*irai mieux a la fin par la pens^e que le terme
de ma liberty approche ». Claire a tout a fait le m6me caractire,
elle est heureuse quand elle est comprise, c*est-a-dire quand
quelqu'un se rend compte de sespens^es, de ses besoins,et decide
pour elle. Au bout de quelques visites a peine elle s'accroche
d^sesper^ment a moi, ne veut plus me quitter, et pretend qu^elle
ne pourra plus vivre si je ne lui dicte pas « mot a mot tout ce
qu'elle doit faire et penser dans la journ^e. » Za..., Rk..., m'ecri-
vent a chaque instant des lettres suppliantes pour me demander
<( de r^pondre imm^diatement ce qu'ils doivent croire. » Xo... de-
f . Legrand du Saulle, i6ic/., p. 38.
a. Baillargcr, OEMMrtt, I, p. a 18. Gf. Gullerre, Frontihre de la folic, p. 70.
3. Raymond et Arnaud, Ann. mid. psych., 189a, II, 199.
4. L 'influence somnambulique et le besoin de direction . Revue philosophiqae, 1 897 ,
I. p. 1 13 el Nhroses el Idees fixes, I, p. 4a3.
384 LES STIGMATES PSYCllASTHfiNIQUES
mande en me quittant des ordres et des aflirmations par dcrit et
Jean « ne vit que sur la perspective de venir me voir. »
Quand ces malades n^ont pas a leur disposition un directeur
de conscience qui leur convienne, il n'est pas d*eirorts qu'ils ne
fassent pour en trouver un. « Je me suis mise volontairemcnt, dit
Gisele, sous une d^pendance morale, j*ai cherch6 a substituer
une autre pens6e a celle qui me hante, une volonte a la mienoe,
je sens tellement qu'il me faut a tout prix obeir. » Elle a cherche
a se confier a un pretre. Mais elle a ete bien vite effray^e en
voyant que son sentiment de d^pendance se compliquait de senti-
ments profanes.
Inversement quand ils ont perdu cette direction si n^cessaire, ces
malades tombent dans le plus complet d^sordre. Gri... (8a). jeune
femme de 28 ans, a eu depuis Tage de i5 ans toutes especes de
troubles de la volonte, des crises d'agitation, des phobies, etc. ; elle
fmit par trouver un amant qui lui impose une tenue correcte, qui
obtient un travail regulier et une attention suffisante. Sous cette
influence, la malade oublie tons ses troubles et se porte parPai-
tement pendant cinq ans. Depuis que cet amant Ta quitt^e elle
retombe dans le plus complet desordre, elle est tourroentee
par des obsessions et surtout, bien entendu, par un amour
obs^dant pour ce directeur perdu. I/observation de Ck...,
que j'ai d<^ja cit^e, est des plus amusante. Cette pauvre femme
de 4i ans, apr^s avoir eu toutes les obsessions et les pho-
bies, a rencontr^ vers Tage de 3o ans une autre pauvre femme
tourmentee par des manies de proprete qui amenaient pratique-
ment une grande salet6. Ces deux infirmes de la volonte se sont
consolees, soutenues et reform^es mutuellement, elles ont forme
pendant dix ans un couple admirable, parfaitement raisonnable,
comme Taveugle et le paralytique. Une aventure lamentable les
a separ^es : une domestique renvoyee a tenu, parait-il, un propos
qui tendait a mettre en doute la morality de TafTection mutuelle
des deux vieilles dames. Celles-ci sont alors troublees par un
scrupule sur leur amiti^ et croient devoir se s^parer. On verra
a propos du traitement, que Tobsed^ prend ainsi des scrupules
par rapport a celui qui le traite et le dirige et que ces scrupules
sont un signe s^rieux de rechute. Dans le cas present les deux
malades recommencerent un veritable d^lire avec obsession de
toute espece, obsessions de crime, de remords, d'hypocondrie
jusqu'a ce que j'aie reussi a les r6unir de nouveau.
TROUBLES DBS ^MOTIONS ET DES SENTIMENTS 385
En etudiant des cas de ce genre j'ai montre que le sentiment
depend principalement du besoin de faire faire par un autre Facte
de volont^ devenu diflficile. « Le malade, disais-je a ce propos\ n'a
en reality aucune resolution, aucune idee dans une circonstance
donn^e, il faut que le directeur fasse lui-meme la synthese que
son sujet ne pent pas faire ef lui impose la resolution toute faite.
C*est la tres souvent ce que les douteurs viennent demander a
ieur medecin, quand ils lui racontent leur vie etleurs incertitudes.
« Faut-il me facher avec cette personne qui m'a regards de tra-
vers? — Faut-il faire nion menage? — Faut-il me marier? —
Faut-il acheter une robe? — Faut-il recevoir mon amant? etc. »
Ce sont entre mille les questions que m'ont posees les malades,
questions que Ton ne pent declarer insigniGantes quand on les
voit determiner de telles souffrances et de tels delires. Pen leur
imporle la response ; pourvu qu'elle soit nette et decisive, ils sont
Imm^diatement soulages... On comprend maintenant le role du
directeur et comment il doit en r^alit^ vouloir pour les ma-
lades. »
6. — Le besoin d' excitation.
Le besoin de direction ne se pr^sente pas toujours sous cette
forme simple que je viens de rappeler. Dans bien des cas, il est
evident que les sujets savent ce quails ont a faire et ne deman-
dent pas d'indications a ce sujet. Ce qu'ils demandent, c*est
simplement une excitation capable d'enrichir la resolution d*un
cortege d'emotions qui lui manquent afin qu'elle ait la force de se
realiser. « Dans des cas plus simples, disais-je autrefois a ce
propos, le directeur va simplement fortifier la resolution que le
malade avait deja a peu pres formulee. II la fortifie en Tenrichis-
sant, en y ajoutant par le fait meme des circonstances dans les-
quelles il se trouve plac^, des details et des emotions qui lui
faisaient defaut. Le confessionnal, la consultation, le titre sacer-
dotal ou medical, et surtout la fameuse ordonnance m^dicale dont
tant de railleries n'ont pu entamerla formidable autorite, rendent
deja de grands services. Mais il faut souvent que le directeur
ajoute plus encore, qu*il use de la menace, de Tironie, de la caresse,
de la priere, qu'il s'adresse a tous les sentiments qu'il sait exister
encore dans le coeur du sujet et quHl les reveille Tun apres Tautre
I. Nevroses et Idees fixes ^ I, p. ^']0.
LE8 OBSKSSIO^S. I. a5
386 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
pour les forcer a faire cortege a Tid^e chanceiante. — Vous man-
querez a des engagements qui maintenant sont publics, vous serez
ridicule aux yeux de Monsieur un tei, vous aflligerez une per-
Sonne que vous aimez, etc. — Que de fois j'ai dA faire jouer tous
ces ressorts de la rh^torique, pour obtenir qu'un malade boive
un verre d'eau ou change de chemise, comme s'ii s*agissait
d'obtenir les resolutions les plus graves ^ »
Aux malades que j'ai cites dans le travail precedent, on peut
facilement en ajouter beaucoup d'autres, je rappelle seulement
que Claire ne reclame pas seulement un directeur, mais cc quel-
qu'un qui Texcite, qui la remonte, il doit me secouer pour me faire
faire ce que je sais bien devoir faire. » Le pauvre Bu... a besoin
que sa femme lui donne des claques sur le derriere, « cela m'hu-
milie de me voir traits comme un petit enfant et cela me donne
quelque Anergic... ».
Chez beaucoup, le r6le de Texcitation est encore plus conside-
rable. II ne s'agit plus seulement d'une excitation particuli^re qui
s*ajoute a un conseil, afin de pousser a Tex^cution d'une action,
c'est une excitation quelconque capable de pousser le sujel jus-
qu'a une Amotion. Ces malades ^prouvent tr^s difficilement les
emotions completes et comme on le verra, ils sont beaucoup mieux
quand ils arrivent a les eprouver. Aussi cherchent-ils tous les
moyens possibles pour se procurer ces Amotions et eprouvent-ils
un besoin pressant souvent presque irresistible de retrouver la
cause de cette excitation. De la Torigine du go6t pour Talcool,
pour la morphine, pour toutes sortes de poisons. De la ce besoin
etrange et bien caracteVistique de « faire des sottises, des excen-
tricites, n'importe quoi d'etrange qui nous sorte de notre engour-
dissement ».
II arrive souvent que la cause de Texcitation emotionnante est
une personne determinee qui arrive a exciter physiquement el
moralement ces engourdis. II en resulte une passion particulifere
pour cette personne qui se rapproche des amours precedents
inspires par besoin de direction mais qui se developpc par un me-
canisme un peu different. Ainsi la passion folle, obsedante de Sim...
(i85) pour un amant ne s'explique guere par le besoin de direc-
tion, car cet amant ne la dirige en aucune mani^re, mais elle s'ex-
plique tr^s bien par la difference que la malade remarque entre
I. Nivroses el Id^es fixes, I, p. 470.
TROUBLES DES ^MOTIONS ET DES SENTIMENTS 387
le mari et Tamant : « Mon mari iie fail pus travailler ma tete suf-
fisaniment, il ne salt rien, ne m'apprend rien, ne m'etonne pas.
J'ai besoin qu'on me donne de nouvelles idees, de nouvelles im-
pressions, d'nutres emotions. II ne sait pas me faire soulFrir un
peu et je ne peux pas aimer quelqu^un qui ne sait pas me faire
souffrir, car j'en ai besoin de temps en temps... L'aiitre m'etonne
par sa froideur, par sa cruaut^, par son absence de tout senti-
ment... Un peu de remords, de crainte,' rendait enfin la chose plus
pimentee qu'avec le mari et c'est la ce qui me faisait du bien. »
La passion egalement maladive de Nadia pour le musicien X...
serait inexplicable si Ton n'y cherchail que le besoin de direction,
puisque X... ne iui a jamais pari6 et ne pouvait aucunement din-
ger son esprit. Mais voici un fragment de lettre qui explique trfes
bien cette passion : « Les concerts de X... ont et6 pour moi une
revelation, ils m'ont tellement enthousiasmee que je ne me suis
jamais remise de cette emotion : je ne puis pas expliquer refTet
que cela m'a fait. Quand je suis sortie de la salle apres le premier
de ces concerts, mes jambes et tout mon corps tremblaient telle-
ment que je ne pouvais plus marcher et j'ai passe la nuit a pleu-
rer... Mais je ne souffrais pas ^ bien au contraire il me semblait
que je sortais d*un r^ve qui remplissait ma vie auparavant, que
je voyais mieux les choses comme elles sont, que j'etais dans un
veritable ciel de bonheur (En un mot, elle ^prouve a ces concerts
un de ces sentiments d*excitation que Jean appelait un sentiment
sublime, elle se trouve relev^c au-dessus de son apathie ordi-
naire). Mon seul espoir pendant des annees a et^ de Tentendre
de nouveau et d'dprouver les memes sentiments. Je crois, en effet,
comme on me Ta tant reproche, que j'ai eu une passion pour Iui,
mais ma passion n'est pas le meme genre de passion que celle des
autres personnes, de cela je suis s6re. II me semblait avoir sur
moi une influence surnaturelle et pouvoir seul me tlrer de mon
reve perpetuel. » Je trouve cette lettre trfes interessante pour ex-
pliquer certains amours piatoniques spuvent signalees chez les
obs^des, il s^agit ici d'une excitation artistique que la malade
aspire a retrouver.
L*excitation peut ne pas ^tre produite par une personne r^elle
el avoir cependant le meme r^sultat. « J'ai irbs souvent le besoin,
dit Gisele d*aller voir la statue de Notre-Dame des Victoires, on
dirait que c*est chez moi une manie, c'est que cette statue a une
impression sp^ciale de force, cela me regrimpe de la regarder. »
388 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
Je signale a sa place avec ces quelques exemples ce singulier
besoin d'excitation, nous aurons k le discuter de nouveau a propos
des interpretations de la maladie et de ses traitements.
7. — Le besoin il' aimer,
De pareils sentiments deviennent facilementvoisinsde Tamour.
Quelques malades y echappent, ils se contentent d'une direction
froide ou d\in amour paternel, mais on comprend bien que beau-
coup de ces personnes vont transformer ces sentiments en senti-
ments amoureux, bien cntendu en comprenant Tamour d'une
certaine maniere. Gisele le sent si bien qu'elle m^dite perp^tuel-
lement sur Tamour, elle devine tres bien les difierentes especes
d'amour : « Tamour qui donne, c*cst celui qui dirige, qui protege
et Tamour qui se donne, c'est le besoin de s'incarner en un au-
tre, de se donner, de s^abandonner, de consolider une impres-
sion de faiblesse qui cherche unc force, c'est un sacrifice de sa
personne pour vivre en quelque chose de sup^rieur». Or elle
avoue tres bien qu'elle a le second amour et non le premier, car,
suivant une jolie expression qu'elle affectionne, elle a toujourseu
« le besoin de se blottir ».
On constate chez elle au supreme degr^ ce besoin immodere
de confession qui lui fait sans n^cessite livrer sa vie entiere. A
plusieurs reprises elle a essaye de se mettre sous la direction mo-
rale et sous la d^pendance de quelqu*un, le mari comme toujours
lui a semble insuilisant pour ce r6le: (( il ne me comprend pas ».
Son rftve « de rencontrer une volont^ droite et ferme dont onpeut
jouir sans mal » a semble un moment salisfait, quand elle a ete
dirigee par unpr^tre; malheureusement elle melait bien vite a sa
docilit<^ d'autres sentiments et il a fallu cesser. C'est le malheur
de ces femmes qui cherchent une direction morale etqui trouvent
qu'elle se confond trop vite avec I'amour physique. J'ai deja cito
bien des cas de ces personnes qui evidemment ne s'abandonnent
que pour obtenir un maitre. L'histoire de Sim... est encore typi-
que sur ce point, elle aimait tant a se sentir sous sa dependance.
elle avait tellement besoin d'un maitre capable de I'exciter qu'elle
a tout fait pour lui plaire, sans meme qu'il exigeat beaucoup, tout
simplement parce qu'elle esp^rait le retenir davantage.
II est curieux de remarquer que ces malades sont quelquefois
tres superieurs intellectuellement aux maitres qu'elles se don-
TROUBLES DES ^MOTIONS ET DES SENTIMENTS 389
nent, elles sentent bien que c'est un imbecile, mais elles trouvent
SI doux d*ob6ir qu*elies ne veulent pas prendre la peine de juger.
Nous retrouvons cc m^me besoin de direction m^le d^amour chez
New...y chez Bs..., chez Lod... qui a ainsi une passion bizarre
pour une jeune fille, il a exists chez Nadia. Elle s*^tait prise de
passion pour un grand musicien qui ^tait devenu son id^al, son
dieu, qui repr^sentait pour elle tout ce qu'ii y avait de beau, de
noble, de grand sur cette terre, elle faisait tout en pensanta lui,
elle consentait meme a manger. Elle aurait tout sacrifie pourpou-
voir le suivre, pour Tavoir a elle toute seule et etre son esclave,
ft la vie n'est rien pour moi si je n'ai pas quelqu*un a admirer, i»
aimer, a ecouter, il me semble que celui que j'aime est comme un
bon rocher auquel je suis attachee au milieu d'une mer en tern-
p6te J) .
Rk... avoue en gemissant «qu'a^o ans il cherche encore le
parfait ami, qui dirige et qui console, celui que Ton aime
plus que tout, un frere cadet qui ait plus de t^te que moi ». Wye.. .
a ete longtemps un amoureux de college*, il a eudes amours fous
pour plusieurs de ses camarades dont il voulait f'aire « ses mai-
tres bien-aimes », encore a Tage de 4o ans, il ne songequ^a aimer
et a rencontrer Tamour. Toujours il est preoccupy de savoir s'il
a plu, s'il estaim^; il ne veut Iravailler, faire un effort, que pour
arriver a aimer.
Ce besoin d*aimer me parait complexe, d*un cote il serattache,
comme on Ta bien vu, au besoin de direction, mais de Tautre il
tient au besoin d^excitation. L'objet aime doit « les amuser, les
sortir de leur milieu morne, les relever par un mot aimable ».
Mais il doit aussi etre une cause d'excitation par le devouement
qu'il reclame. Ces maladesont un besoin immod^rede se devouer
parce qu'il leur faut la pensee d'un but qui excite leur activite et
leur Amotion.
8. — Besoin d'etre aime,
II me semble cependant que toutes les affections de ces
malades ne s'expliquent pas uniquenient parce besoin d'cmprun-
ter a autrui une direction ou une excitation. Quand Ku... ^prouve
I. Sur les amours de college, ^oir Marro, Puherte, traduct., p. 60. Get auleiir
qui tient grand comple du c6t6 physique de ces amours ne me parait pas insistor
assez sur les besoins moraux que je signale ici.
390 LES STIGMATES PSYCIIASTHfiNIQUES
un besoin intense d'etre aim^e par son concierge, quand elle
pense avec terreur a une brouille possible avec ses voisins ou a
un malentendu avec sa bonne, il ne me semble pas qu'elle
veuille comme les prec^dentes demander une direction ou une
excitation a son concierge, a ses voisins ou a sa bonne. Beaucoup
de ces malades comme Kl..., Bal..., Voz..., Qsa...,*parlent sans
cesse de leur besoin « de manieres afTables autour d'eux, d'un
milieu sympathique, » ilsont des inquietudes mortellesa la pensee
qu'ils pourraient bien ctre indiSerents ou antipathiques a quel-
ques personnes de leur entourage et alors ils prennent des
precautions inoui'es cc pour ne faire de la peine a personne, pour
ne pas deplaire a quelqu'un, pour se faire pardonner ce qu*ils
peuvent avoir de deplaisant. » Wye... se demande avec angoisse
quel a ete son effet sur les personnes du salon, si tout le monde
le trouve aimable, il serait au d^sespoir d'avoir, je ne dis pa$
froisse quelqu*un, raais d'avoir d^plu a quelqu'un. « Un visage
mecontent me met au supplice et m'enleve toutes mes forces. »
Lrm... (282) avoue « qu'il n'a jamais pu supporter la pensee que
quelqu'un etait fache contre lui, il voudrait 6tre convaincu de la
sympathie de tons, vivre dans une atmosphere de sympathie. »
Ce sentiment n'est ^videmment pas identique au precedent,
les malades ne demandent rien aux personnes qui les envi-
ronnent, mais je crois qu'ils craignent quelque chose. lis
craignent une hostilite, une lutte qui exigerait de leur part des
efforts. (( Dans ce besoin de sympathie universelle, me disait tr^s
bien Yoz..., un jeune homme de 22 ans, il y a tout simplementla
peur d'avoir a se battre, n'est-ce pas horrible de sentir qu*on est
en concurrence avec quelqu'un. »
Cc sentiment se manifeste souvent dans les rapports des maitres
avec les domestiques. Un tres grand nombre de ces malades ont
pris Thabitude de ne jamais parler eux-m^mes a leurs domesti-
ques : Qsa... prend toujours sa femme comme intermediaire pour
leur demander la moindrc des choses. C'est evidemment la pear
de rencontrer des resistances, d'avoir a commander, a lutter qui
intervient dans ces cas.
Bien entendu cette crainte de la lutte peut sc meler avec tous
les sentiments precedents et constituer certains a besoins d'etre
aime » plus ou moins complexe. Voici Texpression touchante
d'un de ces sentiments : a Mon rcve, dit Qi... femme de 35 ans,
serait d'etre une jeune fille phtisique. fttre poitrinaire, que cc
TROUBLES DES fiMOTIONS ET DES SENTIMENTS 391
seraitcharinanti On donne aux poitrinaires tout ce qu'iis veulent,
on les gate, on n'exige rien d'eux avec des airs m6chants. Je
voudrais tant 6tre aim^e ainsi, et surtout qu^on me le dise tout
le temps, qu*on me le fasse sentir, qu*on me force a croire que
c'est bien vrai. »
9. — La crainte de risolement,
Un autre aspect de ces m^mes sentiments sera la crainte de
I'isolement. J'ajoute seulement quelques exemples aux cas que
j*ai d^ja signales dans un autre travail. Dob. . . (86) explique ainsi sa
maladie : « mes souffrances viennent d'un manque de satisfaction
ducoeur... tons les actes deviennent faciles avec quelqu'un prfes
de soi et impossibles quand on est seul. »
Pou... est si malheureuse quand elle est seule qu'elle cesse de
manger et ne mange qu'en soci^t^. On pourrait 6num^rer toute
une s^rie de ces femmes : Lkb..., Fy..., VI..., Mm..., etc., qui
g^missent de leur isolement. « Leui^ mari ne leur parle pas assez,
ii est sombre, il ne cause pas assez, il ne les comprend pas : si je
le craignais un peu, cela vaudrait plutot mieux : on ne peut pour-
tant pas vivre seule. » « Quand je suis seulc, dit Pi..., je marche
dans le vague, il me semble que je n'ai plus d'id^es, que tout
devient dr6le et j^ai peur de tout et de tons. »
Ce que ces personnes redoutent quand elles ont peur d'etre
seules c'est de se trouver sans direction, sans excitation et sans
protection.
10. — Le retour a Venfance.
Un degr6 de plus et ces sentiments s'exagerent, jusqu'a don-
ner au caractere un aspect bien singulier, ces personnes jouent
une sorte de comedie, ils se font petits, nai'fs, calins, ils jouent
rignorance complete et aiment a passer a pour un peu bebetes. »
C'est qu'ils veulent ^tre dirig^s encore plus ^troitement que les
autres, c*est qu'ils d^sirent aussi une direction douce qui les
amene a tous les actes, a tons les plaisirs en aplanissant les
voies. Ils veulent que non seulement on leur indique les actes
a faire, mais qu'on les amuse, qu^on les distraye, qu'on les fasse
jouer aussi bien que travailler ; en un mot ils veulent qu'on les
traite comme des petits enfants et ils essayent de meriter ce
traitement.
392 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
Mill..., a 20 ans, ne quitte pas les juponsde sa m^re et « il veut
qu'elle le gronde comme son beb^. » Ger..., a 35 ans, reclame
« une pension d^enfants, e'est la qu'elle serait le mieux ». Gisele,
a 27 ans, aime « a faire Tenfant avec les gens, e'est un pli qu'elle
prend bien facilement». Or..., fenime de ^o ans, avoue elle-m^me
qu'elle a besoin de se croire a Tage de 16 ans, qu'il lui faut
toujonrs ses parents aupres d'elle comme aupr^s d'une petite
jeune fille. C..., femme de 25 ans, voudrait que Ton s*occupat
d'elle constamment comme d'un petit enfant, il ne lili semble pas
qu'elle ait grandi. On a d^ja vu ce caractere chez Nadia a propos
de la honte du corps, si elle a peur de se d^velopper, de voir s»
poitrine grossir, ce n*est pas, comme on le croirait, par pudeur,
c'est qu'elle a peur de paraitre plus agee, de ne plus 6tre traitee
en toute petite (ille, de ne plus etre aim^e comme une enfant;
quoiqu'elle ait trente ans, elle ne pent croire qu'elle ait plus de
1 5 ans et, on obtient tout d'elle en la traitant en petit enfant. Ai»
fond c'est le meme besoin qui existe chez Jean, il veut non seule-
ment qu'on le dirige, mais il veut qu'on lui dicte tout « il lui
semble qu'il serait si heureux s'il ^tait comme un petit enfant
sur les genoux d'une grande personne ».
L'observation laplusremarquable est celle deQi... (188), femme
de 35 ans, qui est poursuivie par le d^sir de sauter a la corde, de
couper ses cheveux courts, de les laisser flotter dans le dos et
qui reve d'etre appel^e « Nenette ». £videmment il y a la une
obsession, mais elle s'est developp^e sur le caractere pr^c6-
dent : « On aime un enfant pour ses espi^gleries, dit-elle sans
cesse, pour son bon petit cceur, pour ses gentillesses, et que
lui demande-t-on en retour, de vous aimer, rien de plus. C'est
la ce qui est bon, mais je ne puis pas dire cela a mon mari, il
ne me comprendrait pas. Tenez, je voudrais tant 6tre encore
petite, avoir un pere ou une mere qui me tiendrait sur ses ge-
noux, me caresserait les cheveux... mais, non, je suis Madame^
mfere de famille, il faut tenir son interieur, etre serieuse, refl6-
chir toute seule, oh quelle vie ! »
II. — U amour de Vhonn4tete,
D'autres sentiments derivent de ceux-ci. Je n'insiste pas dans
ce travail sur les sentiments mystiques, car je compte reprendre
leur etude dans un travail sur les extatiques. On comprend que
TROUBLES DES ^MOTIONS ET DES SENTIMENTS 31.3
ce besoin de direction et d'excitation par ce qui est Strange, mys-
terieux conduise aux sentiments religieux amene a s'abandonner
amoureusement a la divinite. On retrouve souvent le germe de
pareils sentiments chez des scrupuleux bien loin de T^tat exta-
tique, nous avons vu Gisfele chercher de Tenergie dans la contem-
plation d^une statue de la Yierge. Bal..., Fy... se plaisent dans
la pens6e de la mort et de Tautre vie « ou le bon Dieu recueillc
les petites ames ». Ces sentiments, en se d^veloppant, donnent
a la maladie un caract^re un peu special.
Dans ce travail je signale surtout les sentiments d*honnetete
parce qu'ils ont un rapport plus etroit avec les obsessions crirai-
nelles qui sont Tobjet de cette ^tude. On est frappe de constater
chez les individus de ce groupe des sentiments moraux extraordi-
nairement d^veloppes. lis tiennent enormement a etre tres sin-
ceres, Rk..., Nadia ont Thorreur du mensonge et protestent avec
indignation des qu'on peut les soup^onner d'une petite fausset^.
II est evident que Nadia ne comprcnd pas les complaisances so-
ciales qui obligent souvent ii farder la v6rite : elle s'en indigne
outre mesure. On est frapp^ de Thonn^tete de Toq..., de Brk...
a Je n'ai pas de m^rite a ^tre honnMe, dit celle-ci, si quelque
chose dans ma conduite d^plaisait a ma conscience scrupuleuse
je serais trop malheureuse, la vie me serait trop penible. » Kl...,
Bal... ont pour un rien le sentiment de la justice violee. Voz... ne
peut pas se resigner a etre recu a un examen, tandis qu'un autre
de ses camarades est refuse, parce que cela ne lui semble pas ab-
solument juste. Sur ce point T^tat d'esprit des scrupuleux justifie
leur nom.
Que faut-il penser de ces beaux sentiments de justice ? Ne
pourrait-on pas songer que la justice est surtout utile aux faibles
et que Thonnetete est surtout n6cessaire a ceux qui ne veulent
avoir d'affaires avec personne? N'est-ce pas trop rabaisser ces
beaux sentiments que de remarquer leur rapport etroit avec le
besoin d'etre protege et la crainte de la lutte?
12. — Le besoin d'autorite,
Un sentiment plus curieux qui semble au premier abord en
contradiction avec les precedents c'est le besoin excessif d'auto-
rite et de commandement. Ce sentiment et cette tendance carac-
terise ce qu'on appelle « des autoritaires ». 11 nous semble avoir
394 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
et^ tr^s peu analyst et etre en g6n6ral tr^s mal compris par les
psychologues.
Constatons d'abord qu*il existe tr^s fr^quemment chez les
individus n^vropathes, plus ou moins obs^d^s et qui out
pr6cis^ment toutes sortes de troubles de rattention et de la vo-
Iont6. Nadia dans sa famille ^tait devenue tout a fait intolerable :
depuis son enfance elle se vantait de n'ob^ir a personne et de
faire ob6ir tout le monde. (( Personne au monde ne reussira a
avoir de Tinfluence sur moi, je suis n^e avee un caract^re tres do-
minateur. » Depuis la mort de sa mere qui la dirigeait encore un
peu, elle tourmentait afTrcusement son pere et ses sa;urs, elle
exigeait d'eux une ob^issance de tons les instants a ses caprices
ridicules ; elle avait ^videmment une tendance a leur imposer la
meme vie absurde qu'elle avait adoptee pour elle-meme. Elle ne
permettait pas a ses sceurs de recevoir une visile, de s'habiller
pour sortir : un peu plus elle leur aurail impost le meme regime
alimentaire qu'elle avait choisi. Quand on lui r6sistait quelque
peu, elle ac^/Usait tout le monde d'injustice, de cruaut^ envers
elle et se livrait a des scenes de violence. Gisele et Sim... ont la
m6me pretention singuliere, c'est de dominer absolument leur
mari, de lui faire faire tout cc qu'elies veulent, de r^gler toute
la maison conform^ment a leurs caprices : elles sont convaincues,
bien a tort cependant, que le mari n'a aucune volonte, aucune
energie et qu'il est parfaitement incapable de leur r^sister. D'ail-
leurs elles montrent dans Torganisation de la maison une activite
devorantc, courant partout, s'occupant de tout, dictant a chacuD
ses actions, son attitude, jusqu'a ses idees. « Elle ne pent pas
tolerer, me disait le mari de I'une d*elles, chez moi, chez ses
cnfants, chez aucune des personnes qui Tapprochent un mot, ud
geste qu'elle n'ait pas dicte. » Je retrouve le meme caractere
chez Fy... (34) et chez beaucoup d'autres. J'ai 6i^ etonn6 de le
rencontrer sinon chez les malades elles-memes au moins chez
les parents, chez la m^re surtout des malades a un tel point que
j*ai 6te dispose a dire : « mere autoritaire, fille scrupuleuse ».
La mere de Ku..., de Zo..., de Sim... elle-meme, semblent avoir
ce meme egoi'sme implacable qui commande jusqu^aux plus petits
details et qui en meme temps inspire une ardeur infatigable a
s'occuper de ces petits details qu'on exige.
D'ailleurs ces autoritaires formeront deux groupes dont la dis-
tinction offre ici peu d'interet : Tautoritaire violent qui veut
TROUBLES DES fiMOTIONS ET DES SENTIMENTS 395
tmposer ses pens6es et ses caprices par la force et rautorltaire
doux qui exige en g6missant au nom du respect, de rafTection
qa'on lui doit, qui declare a chaque instant qu'on ie fait mourir
de chagrin si on montre ia moindre independance.
Ce caractere a beaucoup attir^ mon attention, et au d^hut il me
paraissait fort inexplicable, en contradiction avec ce que je
savais de la volonte faible de ces malades, avec ces innombrables
besoins de direction, besoins d'etre ainie qui caract^risaient ies
niemes scrupuleux. Le plus Strange, en effet, c'est que ces deux
besoins en apparence contradictoires coincident tr^s souvent
chez la raeme personne. Chez Sim... et chez Gisele on voit cette
folic de commander, mais en meme temps on observe un besoin
egalement fou d'etre aim6 par tout le monde, et un d^sespoir
quand Ies personnes tourmentees par elles ne manifestent pas
en retour une grande affection. La mere de Sim... battait ses
enfants si elles avaient eu quelque independance dans un minus-
cule detail et Tinstant suivant se mettait a pleurer parce que ses
enfants ne paraissaicnt pas Taimer suflTisamment.
Bien mieux, ces monies malades nous ont d^ja present^ la
folic de Tobeissance. Nadia quand elle m'eut connu quelque
temps me fit un jour un compliment qui m'a beaucoup flatt^ :
« Vous etes une personne encore plus ent^tee que moi, je n'au-
rais pas cru que cela fAt possible. » Elle est enchant^e de Tavoir
trouv^e cette personne, non seulement elle lui obeit mais elle
veut lui ob^ir encore plus comme un petit enfant, tandis qu'elle
reste extr^mement exigeante vis-a-vis de son pere et de ses soeurs.
Sim... se donne a un amant pour avoir un maitre et elle est
enchant^e de son incroyable duret6. Nous avons vu Gisele
chercher un maitre en se confiant a un pretre. On trouvera simul-
tanement chez ces personnes un autoritarisme effrdne pour une
partie de leur famille et une soumission ridicule vis-a-vis d'un
fils ou d^un etranger.
Ces caract^rcs nous montrent qu'il ne s'agit pas la d*une veri-
table puissance de la volonte. Les grands volontaires sont des
chefs, et ne sont pas des autoritaires : tout le monde en a senti
la difference. lis commandent les grandes choses, en inspirant
une direction generale a la conduite et surtout en commandant
d'une facon avantageuse pour leurs subordonnes ; les autoritaires
commandent dans Ies petites choses plus que dans les grandes,
396 LES STIGMATES PSYGHASTHfiNIQUES
ne donnent aucune direction g^n6rale et laissent trop voir que le
commandemeDt a toujours pour objet leur propre inUret et non
celui des sujets.
La raison de ce com ma nd em en t ne parait etre exactement la
m^me que ia raison de leur obeissance : la difliculte de leur adap-
tation au monde r^el. Ce sont des gens d*activit^ mentale faible,
pour qui tout effort nouveau d'adaptation, d'organisation est p^-
nible et qui cependant 6prouvent au supreme degr^ le besoin
d\ine vie adaptee et ordonnee. lis veulent que les autres fassent
leur besogne ou du moins leur facilitent la tache. Au lieu de se
modeler sur le milieu ambiant comme fait Tetre qui s'adapte, ils
veulent que le milieu ambiant se modele sur eux, pour qu'ils
n'aient pas a s^adapter. Nous avons vu que le milieu le plus embar-
rassant pour le scrupuleux, c'est le milieu social ; les variations
du milieu social causent ses timidites et toutes ses crises d'an-
goisse. C'est ce milieu social qu'il veut modeler sur lui-meme et
dont il exige la parfaite conformite avec ses propres maniercs
d'etre.
Voici des exemples exager^s qui feront comprendre ma pens^e.
Bow... (76) est a son bureau et essaye de fixer son attention
sur une lecture : le voici qui entre dans une crise de fureur parce
qu'il entend une domestique qui balaye une piece a cot^. Le
bruit du balai le distrait, et evoque dans son esprit des images
d'une autre action que sa lecture et en raison de sa faiblesse
d'attention rerapeche de lire. II veut ^dieter que dans la maison
tout le monde doit lire en meme temps que lui. Vk... ne peut
plus arriver a se laver les mains, parce que de sa chambre elle
entend la cuisiniere qui fait couler de I'eau sur Tevier: « que
peut-elle faire de cette eau ? Quelque chose de sale assur^ment.
Cela me donne des idees d*eau de vaisselle, de graillon et vous
comprenez bien que cela m'emp^che de prendre I'id^e que mes
mains sont propres. Je voudrais, si cela etait possible, que tout
le monde dans toute la maison du haut en bas fasse des choses
propres, quand je cherche a me laver les mains. » Ces deux eas
me plaisent beaucoup, car ils me semblent expliquer le m^canisme
de Tautoritarisme. Ces faibles d'esprit ne peuvent pas faire une
chose, croire a une chose, jouir d'une chose, si les autres
homnies en font en meme temps quelque autre, en croient quelque
autre, si d'autres hommes ont une autre jouissance. De la ce besoin
d'lmposer Tuniformite ; de la aussi ce melange Strange du besoin
TROUBLES DES EMOTIONS ET DES SENTIMENTS 397
d'etre dirige, aim^, associ^ au besoin de commander. Ce sont
deux m^thodes qui se superposent et ne se contredisent pas pour
;irriver a radaptation vitale. Par rautoritarisme on cherche a
rcndre le milieu horaogene et par Tob^issance on cherche a
se faire adapter aux variations que le milieu a conserv^es.
M. Murisier, dans son excellent petit livre sur la pathologie du
sentiment religieux', explique tresbien d'une maniere analogue la
fcirmation du fanatisme religieux. Des esprits faibles ne se sen-
tent pas rassures dans leur propre croyance, se sentent ebranl^s
dans leurs pr^tendues convictions quand ils voient a cote d'eux
des gens qui croient autrement. Ils ont besoin de les faire dispa-
ruitre soit en les convertissant soit en les d^truisant pour pouvoir
croire tout a leuraise. Ce n'est pas la foi religieuse qui a allume
les bilchers du moyen age, le veritable croyant assiste indifferent
aux negations d'autrui : c'est le doute religieux ou plutot c'est la
terreur du doute religieux, qui a inspir6 les fanatiques. Je suis
heureux en retrouvant le ph^nomene voisin de Tautoritarisme
chez de v^ritables malades atteints cette fois d'un delire du
doute evident de completer cette interpr<^tation.
Tons ces troubles de sentiments se rattachent les uns aux
autres, leur ensemble vient completer le tableau des troubles que
la volont^ et Tintelligence nous avaient deja pr^sente d*une ma-
il ifere plus objective.
1. E. Murisier, Les Maladies du sentiment religieux, (Paris, F. Alcan), igoi.
398 LES STIGMATES PSYCHASTHENIQUES
TROISIfiME SECTION
LBS INSUFFISANCBS PHYSIOLOGIQUBS
Beaucoup de psychasth^niques pr^occupesde leurs obsessions,,
de leurs manies mentaies ou de leurs phobies ne se plaiguent que
de symptomes psychologiques et I'observateur pourrait etre dis-
pose au premier abord a croire simplement a une maladie de
I'esprit. Certains maiades, au moins pendant un certain temps,
justifient cette illasion. Rk... est un homme de ^o ans, grand,
fort, ie teint frais, sans troubles physiologiques apparents, II d'u
que des scrupules et des manies de recherche qui suflfisent a ie
torturer. Mais c'est la une exception trfes rare et peut-etre plus
apparente que r^elle ; Ie plus souvent un examen attentif reveiera
une foule de troubles physiologiques qui font de T^tat psychas-
theniques une maladie de tout Torganisme.
On ne saurait trop insister sur ce point essentiel : les obsed^s
par leur bavardage, par la description interminable de leurs pen-
sees extraordinaires detournent Ie m^decin de Texamen organique
qui ne devrait jamais etre neglige. Leur aspect physique est pres-
que toujours caract^ristique : ils sont tres souvent amaigris,
ils sont pales et ont les traits tir^s, leur peau seche a un mauvais
aspect, leur langue est saburrale, leur haleine est mauvaise et
presque toujours cet aspect physique se modifie compl^tement en
meme temps qu'ils retrouvent Ie calme de Tesprit. En un mot,
quelle que soit Tinterpr^tation que Ton donne de leur etat men-
tal, il ne faut pas oublier quails sont surtout et avant tout des
maiades.
1. — Troubles des tonctions nerveuses.
Sans doutetous les troubles prec^demment ^tudi^s, obsessions^
agitations, insuflisances psychologiques etaient en rapport avec
TROUBLES DES FONCTIONS NERVEUSES 399
des troubles, des fonctions c^r^brales, mais its constituaient sur-
tout des troubles psychologiques. II Taut placer a c6t6 des
troubles des fonctions physiologiques du systeme nerveux, trou«
bles encore peu connus mais qui serviront sans doute plus tard
pour interpreter les precedents.
I. — Cephalalgies et rachialgies,
Un premier fait, des plus importants, nous montre que ces
troubles de Tesprit sont en rapport avec unfonctionnement anor-
mal, une alteration pathologique du cerveau. Ce sont les douleurs
que la plupart des malades ressentent dans la tete.
Ces douleurs sont toujours situ^es par eux dans la tete, mais la
s'iirrete leur accord : il y a une diversite surprenante dans la des-
cription des formes ou des modalites de cette douleur et dans le
siege qu'ils lui attribuent. II est bien probable que dans ces des-
criptions imagees il y a beaucoup de choses insignifiantes. On
s'en rendra compte plus tard, quand on saura la veritable raison
de ces douleurs, nous en sommes encore a la periode empirique
des anciens medecins qui notaient avec precision les caracteresdu
pouls capricant et du pouls duriuscule, nous sommes obliges de
recueillir telies quelles les expressions des malades.
Si nous nous occupons en premier lieu de la forme, des modalites
de la douleur nous avons d'abord ceux qui ont peu d^imagination
et qui disent simplement qu'ils ont mal a la tetc, qu'ils ressentent
une gene, une douleur plus ou moins grave dans la tete. Nous au-
rons ensuite ceux qui parlent d'engourdissement « j'ai la cervelle
paralysee)) (Bsn... lo). <( J'ai la tete engourdie » (Claire) « il y a
un coin de ma tete qui est engourdi et qui a envie de dormir »
(Vod... 3o3), « j'eprouve une sorte de torpeur (Dob... 86) ».
Un certain nombre de malades se plaignent de phenomenes de
mouvement dans la tete « il y a commc des corps etrangers qui
courent sous la peau du crane, et a Tinterieur des eOets bizarres,
des contractions, des torsions, des ecartements qui pousscs a
un certain point sont tout a fait angoissants » (Gisele). Jean sent
« comme s*il avait des objets qui tournent dans le cerveau sans
qu'il puisse les arreter, des roues, des poulies, des ailes de mou-
lin; il ne voit rien, il n'entend rien, il sent qu'il y a une petite
poulie qui tourne ».
D'autres sensations peuvent etre comparees a des demangeai-
iOO LES STIGMATES PSYCH ASTIlENIQUES
sons: « il rae semble, dit Mt... (12), que Ton m'arrache des mu-
cosites sur le sommet de la t^te ou bien je sens conime des four-
mis sur la t6te. » Ck... sent des tiraillements au-dessus du crane
(( comme si un (il invisible le coulissait ».
Nous arrivons aux malades tres nombreux qui traduisent leurs
impressions par des sensations sonores et qui ont des bruits, des
craqueraents dans la tete (Lap..., Qb... i4), des cr^pitements
(Gisele). L'observation la plus interessante a ce point de vue se-
rait celle de Fr... (69) a laquelle je renvoie : il a toujours des
bruits dans la tete tantot tres forts quand il a subi une fatigue
quelconque, sifdets de chemin de fer, coups de pistoiet, cloches,
ou bien quand il est repose des bruits plus faibles, une cas-
cade d*eau, le train qui passe, Teau bouillante, le chant de la
cigale : depuis 4 ans ces bruits n^out jamais cesse. II ne faut
pas confondre ces bruits avec les bourdonnements ou les sifQe-
ments qui r^sultent des v^ritables maladies de Toreille et surtout
de la sclerose de Toreille moyenne, car ces persounes n*ont aucun
des signes d'une lesion de Toreille. J'ai tcnu a faire examiner avec
grand soin le dernier malade Fz... par M. Gell^ qui m*a assure
que Toreille etait intacte. D'ailleurs ces bruits ne sont pas situes
dans les oreilles mais dans la t6te, c*est encore, si je ne me
trompe, une interpretation analogue aux prec^dentes des memes
ph6nomenes cerebraux.
Je signale aussi les impressions de froid (Gisele) qui dure pen-
dant des heures ou celles plus frequentes de chaleur anormale.
(( On me desseche le cerveau en le chauDant (Dob...). »
Parmi les impressions plus frequentes encore il faut noter celle
de pesanteur : « c'est une barre pesante sur la tete, un bandeau,
une couronne de plomb, une meurtrissure par un poids, une
brique lourde (Gisele, Dob..., etc.), une brique lourde en travers
de la tete (Lag..., Qb...). » C'est, en un mot, le casque classique
des neurastheniques.
La plus interessante des expressions, celle qu'on retrouve a
peu pres chez la moitie des malades, scule ou surajoutee aux
autres est celle de vide. « Ma tete est videe » (Al... i5, Day.,.,
Lobd... 22). « Ma tete est vide, dit Ver..., c*est comme si je
n*avais pas de tete ou plutcU rien dans la tete. » Lise pretend
qu'elle a xi besoin de combler ce vide avec ses idees » et Claire
soutient que « la tete est vide et en meme temps remplie par
un caillou pesant, ce sont les mauvaises idees qui forment ce
TROUBLES DES FONCTIONS NERVEUSES iOl
caillou au milieu du vide », on remarque Tanalogie entre ces
deux malades.
Apr^s la forme de cette douleur ce qui est tres iut^ressant
a relever c'est sa localisation. Remarquons d^abord qu^elle est
tres rarement laterale ; je n*ai remarqu^ qu'un petit nombre de
malades pretendant souflrir plus d*un cot^ que de Tautre : Vod...
(qo3), Claire, Lise, disent quelquefois qu*elles souOrent, qu'elles
sont engourdies, qu'elles ont des bri!ilures surtout a droite. Gisele
sent un liquide qu'on injecte a droite, Fz.., a plus de bruits a
droite, la tete semble a Lise grossir a droite. Deux de ces mala-
des : Claire et Lise, avaient deja certains troubles legers de la
sensation cutanee situ6s ^galement a droite, on ne pent done pas
faire intervenir ici le croisement des hemispheres.
Quelquefois la douleur est g^n^rale dans toute la t^te, souvent
elle est plutot superficielle Lise, remarque que ce n'est pas tres
profond, il lui semble que cela descend a mesure qu*elle est plus
malade. Mais la plupart des localisations dans Timmense majority
des cas se font sur la ligne m^diane.
Nous avons d'abord un premier groupe de malades qui situent
cette douleur sur Ic front, le malade de Ball disait d6ja quUl avait
une g^ne sur le front, entre les yeux, au haut du nez. Fie... a une
compression au milieu du front, Brk. . . (24)» Vod. . . ont un poids entre
les yeux sur la racine du nez, comme un frein que Ton serre.
Car... (176) une brdlure au front, au-dessus des sourcils, elle
croit aussi a une predominance a droite.
Une localisation d6ja beaucoup plus fr^quente c'est celle du
vertex, la douleur est analogue au fameux clou des hyst^riques.
Lobd... (22) se demande si sa mere ne lui a pas donn^ des coups a
cet endroit quand elle ^tait petite, elle a remarqu^ elle-m^me
que c'etait la place de la fontanelle des petits enfants. Vod...,
Claire ont « la tete tout ^caUe a cet endroit », Lise y sent comme
une grosseur, etc. On pourrait ^videmment citer a propos de la
douleur du vertex un bon tiers des malades.
Nous arrivons a la localisation de beaucoup la plus frequente :
la localisation occipitale. Tantot elle est vague, « jc souffre en
arriere de la tete » (Brk...), « j'ai une calotte de plomb en arri^re »
(Vi...) « c'est le derriere de la t^te ma region mauvaise oil il y a
unegri{re,un poids et oil se font entendre tons mes bruits »(Fr...).
Mt..., Jean, Cs..., Gisele localisent leurs ph^nomenes bizurres
LE8 OBSESSIONS. L — aU •
^
m LES STIGMATES PSYCHASTIIlfiNIQUES
en arri^re, a I'occiput. Tant6t la localisation occipitale presente
un pen plus de precision ; beaucoup de malades comme Gisele,
Voz. . . (i 22), Rai. . . d^signent avec le doigt un point situe sur la ligne
m^diane a quelques centimetres au-dessus de la bosse occipitale
et qui me parait correspondre au point lambda des anatomistes,
au point de rencontre des sutures occipito-pari^tales. Fy... pre-
tend meme qu'elle a eu longtemps comme des petits boutons ace
point et Bei... pretend que ce point se creuse sous les coups de
marteauqu'elle y ressent perp^tuellement. Cette localisation me
parait chez les scrupuleux encore plus fr^quente que les prec^-
dentes et jecrois qu'elle existe dans prfes de la moitie des cas.
On ne pent guere avoir la pretention d'expliquer actuellcment
le m^canisme de ces douleurs bizarres, il n'est pas vraisemblable
que les malades apprccient directement par des sensations T^tat
de leur substance c^r^brale, ils ne I'appr^cient qu'indirectement
par la conscience de leurs operations mentales, ce qui fait naitre
tons les sentiments anormaux que nous avons d^crits. Je ne crois
pas que Ton puisse expliquer la sensation de vide par la perte
de certaines sensations produites normalement par le cerveau
lui-meme. Sur Ver... qui presentait cette impression au supreme
degr6y je n'ai pu constater aucun trouble des sensations que pro-
cure d^ordinaire la t^te : il n*y a aucune anesthesie des teguments
du crane et il ne semble pas non plus avoir des troubles des sen-
sation du poids de la tete. Le malade sent tr^s bien un poids que
je mets sur sa tete, il discerne les yeux fermes les inclinaisons
que je communique a sa tete. Autant que Ton peut le dire il me
semble aussi, qu*il a conserve une certaine sensibility interne :
j'ai essay^ de le placer pendant quelque temps la tete en bas, il
sent comme tout le monde TafTlux du sang, la chaleuret la pesan-
teur de la tete. Pour verifier davantagc la sensibiiite de la surface
cerebrale il faudrait lui ouvrir la tete, mais ces observations sufli-
sent pour que Ton puisse consid^rer comme tout a fait hypoth^-
tique rinterpretation qui attribue dans ces cas ce sentiment de
vide a une anesthesie cer6brale spc^ciale : il ne faut pas rcsoudre
les problemes par des anesthesics inv^rifiables et imaginaires.
Un malade, LI. . . (226), me sugg^rait sa propre explication qui m'a
paru int^ressante : « quandnous disons que la tete est vide cen'est
pas que nous sentions quelque chose de particulier en dedans,
c'est que nous sentons d'une maniere douloureuse les enveloppes
TROUBLES DES FONCTIONS NERVELSES 403
du cerveau, le crane et la peau, cette sensation anormale du crane
attire Tattention sur la p^riph^rie et nous fait remarquer le vide
en dedans. Quand je ne sens plus mon cr^ne, je n*ai plus Tid^e de
vide. » L'explication de ce malade vaut au moins autant que la
plupart de celles qui ont ^t^ propos^es.
II semble aujourd'hui probable que la sensibilite intracra-
nienne n'existe que dans les meninges, dans le p^rioste et dans
les OS du crane; il en r^sulte que la plupart des maux de tete
sont dus a des modifications qui atteignent les meninges et
en particnlier, comme les belles Etudes de M. Sicard viennent
de le montrer, a des modifications dans la tension du liquide
c^phalo-rachidien. II faut done supposer que, soiten raison de trou-
bles s6cr^toires ou de troubles vaso-moteurs, le liquide cephalo-
rachidien est en quantity exager^e ou insuffisante ; cette suppo-
sition n*a rien d'absurde si on songe a tons les troubles
s^cretoires et vaso-moteurs que nous allons observer du c6t6 de la
peau, des muqueuses et surtout de Testomac. Pourquoi les petites
glandes recemment decouvertes et qui s^cretent le liquide cephalo-
rachidien ne seraient-elles pas ^galement troubles ?
Cette modification de la tension du liquide c^phalo-rachidien
est aussi probablement en rapport avec des troubles circulatoires.
Angel, en i884i rapportait les vertiges de la neurasthenic a des
congestions d'origine vaso-motrice ' et il d^montrait la surdis-
tension du sang dans le cerveau, par Tetude d'un trouble vaso-
moteur observe a la pi^riph^rie sur lequel nous reviendrons a
propos de la circulation. L'a(}*aiblissement du tonus arteriet amfe-
nerait des dilatations frequentes des vaisseaux c^r^braux. Cela
expliquait comment T^coulement des regies, lesommeil qui deter-
mine Tanemie peuvent amener souvent la diminution de ces maux
de tete, le rcpos agit dans le m^me sens en produisant une deri-
vation et en relevant le tonus art^riel. Le travail cerebral augmente
la c^phal^e en determinant un accroissement de la congestion.
M. Auguste Voisiu', puis plus recemment M. Lubetzki ^, ont
1 . Angel, Expcrimentelle zur Pathologic und Therapie der cerebralen Neuras-
thenia. Arch.f. Psych., Berlin, i884, XV, p. 6i8.
2. A. Voisin, £tude sur la temperature des parois du cr^ne. Congrh international
de nUdecine mentale. Paris, 1878. Le^ns cliniqaes sur les maladies mentales, i883,
p. 109.
1^3. Lubetzki, Recherches cliniqaes et expirimenlales sur la cause de la ciphalie neu-
rasthenique. Thfese Paris, 1899.
m LES STIGMATES PSYCllASTHfiNIQUES
cherch^ a preciser ces actions par des Etudes de thermometrie
c^rebrale. Par I'emploi d'un thermometre de surface tres sensible,
ils ont cherch^ a etablir les points suivants : i® que la tempera-
ture des parois du crane chez les neurasth^niques a c^phal^e est
sensiblement plus elevee que celle que Ton observe chez les indi-
vidus bien portants, cette elevation pouvait atteindre plus de 2 de-
gres; 2" Que chez les neurasth^niques sans c^phalee, Tel^vation de
la temperature n*est pas bien appreciable; 3^ Qu^en general le
thermometre indique chez le m^me individu une temperature
plus elevee la ou si^ge le maximum de la cephalee. 4*^ Que
lorsque la cephalee diminue, la temperature diminue egalement\
Malheureusement ces mesures sont tres discutables, M. Francois
Franck faisait deja observer il y a quelques annees qu*il fallait
une augmentation enorme de la temperature cerebrale pour
determiner en dehors du crane une modification appreciable au
thermometre.
Si ces observations encore isolees etaient confirmees, elles jus-
tifieraient notre interpretation generale que les cephalees sont
dues a des modifications de la pression du liquide cephalo-ra-
chidien, elles-memes dependantes de troubles secretoires et cir-
culatoires. Les cephalees resteraient sans doute une consequence de
Tengourdissement fonctionnel des centres nerveux, mais une
consequence tres indirecte et non une sensation immediate de cet
engdurdissement.
Quant aux formes varlees que le malade attribue a ses douleurs
cerebrales, nous nesommes pas capables de lesexpliquer,comple-
tement elles doivent dependre du degre de ces modifications de la
pression intra-cerebrale et d*une foule de sensations concomitantes.
Des contractions musculaires de tons les muscles qui s'inserent sur
le crane et qui determinent des douleurs siegeant dans leurs ten-
dons, des troubles de la vue ou des muscles moteurs de Toeil, des
troubles de Touie et en outre des sentiments varies d'incomple-
tude, de bizarrerie, d'isolement, viennent se joindre dans Tesprit
du sujet a la sensation principale de douleur et determinent ces
nuances variees de la cephalee qu'il aime a exprimer par des me-
taphores et des symboles.
Quant a la localisation j*ai deja eu Toccasion d'exprimer quelle
1. Lubetzkij Th&se» 1899, p. 33.
TROUBLES DES FONGTIONS NERVEUSES 405
etait mon opinion a ce sujet ^, je ne puis pas croire que Thomme
ait conscience de la place de ses diverses circonvolutions et qu'il
ressente une douleur a la place de la circonvolution qui fonc-
tionnele moinsbien. II s^agitla d^une localisation beaucoup moins
importante : le malade sent une douleur vague qui a son point de
depart principal dans les meninges et il la localise vaguement a
Tendroit du crAne qui est le plus en rapport avec elles et qui a
conserve la plusgrande sensibility. J^ai eu Toccasion de refairesur
LI... (226) qui avait un beau crane chauve,'une experience que
j'ai deja d^crite qui consiste a rechercher centimetre par centi-
metre, la sensibility de la peau du crane a la douleur. En em-
ployant mon alg^simetre a ressort, j'ai constate que le crane est
en g^n^ral peu sensible, il faut que Tinstrument marque de 26
a 3o pour que le malade reconnaisse une piqi!kre. Or, il y a deux
' regions assez petites qui tranchent tres nettement sur Tensemble
parleur sensibilite ; c*est justcment le vertex et le point lambda
ou Taiguille ne marque plus que 10 ou i5. Ces deux regions sont
celles des fontanelles : est-il impossible que Fabsence de tissu
osseux pendant plusieurs ann^es de Tenfance, le petit mouvement
que les fontanelles ont pendant la respiration de Tenfant, la suture
longtemps incomplete et la presence du perioste conservent a ces
endroits cette sensibility exager^e. Ce serait en raison de cette
sensibilite que le malade localiserait a ce point une douleur res-
sentie d*une maniere vague.
Bien entendu il faut tenir compte d'une foule de circonstances
accessoires qui, en attirant Tattention, de-
terminent la localisation a un point plutot ^^'^'H ^\
qu*a un autre. E..., gargon de i5 ans (tics et /
manies mentales), a une cicatrice au sommet I
du front, a gauche, r^sultat d*une petite bles- ^
sure determinee par une chute dans la pre- >\
miere enfance ; la figure 22 represente un \
schema donl je me suis souvent servi pour \
noter la place attribuee par les malades a
leurs cephalees, la croix indique Tendroit iJ^uJuonle u'^c^h^f^^^
de cette petite cicatrice, l^gere d'ailleurs et
non adherente a Tos. Le malade a pris Thabitude de localiser a
ce point anormal tons ses maux detete. La sechercsse desnarines,
I. Neuroses et Idees fixes, II, p. 118, Sig, 45a.
406 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
la g^ne de la respiration, des crampes du muscle frontal ou du
muscle occipital et des muscles de la nuque d^terminent chez
les autres malades la localisation en avant et en arriere.
A ces douleurs cerebrales il faut joindre les douleurs dans les
vertcbres lombnires, la rachialgie. Ce symptome ne me semblait
pas avoir un grand int^ret, mais j'ai ^16 ^tonne de voir que quel-
ques auteurs lui donnaient une certaine importance pour diagnos-
tiquer la neurasth^nie de ce qu'ils appelaient la nevrose d'an-
goisse*.
J'^tudierai plus tard cette question de diagnostic, pour le mo-
ment je remarque seulement que la rachialgie est frequente chez
les malades que j'ai observes, quelle que soit la forme de leurs trou-
bles psychasteniques. Wo..., qui a des maniesde la recherche et
des obsessions sacrileges ou criminelles la presente comme Dob,
Jean, £tc., qui ont des angoisses, comme Es... qui a des tics. La
rachialgie est peut-etre un peu moins frequente que la c^pha-
lalgic, mais elle existe dans un nombre de cas assez consid^-
sable pour que Ton ne puisse pas, a mon avis, faire de ce symp-
tome un caractere distinctif des neurasth^niques sans troubles
mentaux.
M. de Fleury remarque justement que la rachialgie est sou-
vent en rapport avec des fatigues ou des spasmes des muscles
lombaires ; j'en suis convaincu, mais je ne crois pas impossible
que duns ce phenomene des troubles circulatoires de la moelle et
des modifications de la pression intrarachidicnnes ne puissent
jouer un r6le comme dans la cephalalgie.
2. — Troubles du sommeil.
L^importance du sommeil est si grande dans les n^vroses, son
rapport avec la volonte et Tattention est si probable qu'il faut
placer ici une note rapide sur les modifications du sommeil chez
nos malades.
Dans un premier groupe,le sommeil semble peu trouble, aucon-
trairc les sujets sontplut6t de grands dormeurs. Lo... (2i3) depuis
son enfance dort plut6t trop. A 20 ans il lui faut encore 12 heu-
res de sommeil par jour et encore il lui arrive de se rcndormir
I. Harlenborg, La nivrose (TangoUse, 1902 (Paris, F. Alcan).
TROUBLES DES FOISCTIONS NERVEUSES 407
dans la journ^e. Ce cas est assez frequent et un bon nombre de
ces malades ont un sommeil lourd et prolonge. Dans ces cas il
faut noter que le sommeil n'est pas trouble par les idc^es qui
tourmentent la veille. Comme on Pa remarque souvent, les re-
ves du sommeil profond ne reproduisent pas les emotions de la
journee.
Chez quelques sujets ce sommeil lourd devient par moments
tout a fait excessif et pathologique : il arrive assez souvent que
Bu... (85) dorme 2 4 heures de suite; une fois il est reste endormi
deux jours et une nuit. Lo... a dessommeils malgre elie au mi-
lieu de la journee, il en est de m^me chez Vod... Chez Je... ces
sommeils exager^s surviennent par p6riodes : pendant une quin-
zaine de jours elle va etre engourdie, elle va etre prise a chaque
instant par des sommeils qui se prolongent plusieurs heures.
Pendant cette p^riode elle n*a plus d'obsessions et n'est plus
tourmentee par ses interrogations et ses recherches continuelles.
Je crois que ces sommeils exag^r^s doivent 6tre rapprochds de
ces periodes de fatigues ^normes que nous avons ^tudiees a
propos des troubles de Tactivite, ce sont des phenomenes du
meme genre.
Dans un autre groupe de malades peut-etre plus nombreux que
le premier, le sommeil est trouble : il est devenu plus leger, il reste
incomplet et il est traverse par des r^ves penibles. Claire est tour-
mentee la nuit comme le jour quoique a un degre un pen moins
fort. II lui semble qu'elle ne dort pas tout entiere « il y a toujours
deux ou trois de mes personnes qui ne dorment pas, cependant
j'ai moins de personnes pendant le sommeil, il y en a quelques-
unes qui dorment un pen. Ces personnes ont des reves et des re-
ves qui ne sont pas les mcmes ; je sens qu'il y en a plusieurs qui
^ r6vent a d'autres choses ». Ces reves de Claire sont presque tons
d'un genre bienconnu, elle poursuit quelque chose qu*elle nepar-
vient jamais a atteindre, elle se perd dans d'interminables cou-
loirs, elle ouvre des milliers de portes et elle a le sentiment
qu'elle n'arrivera jamais au bout. Ce reve « du lubyrinthe » me
parait la continuation sous une forme plusimagee des recherches,
des eflbrts intcrminables ct infructueux que cette personne fait
continuellement pendant la veille, c*est le meme etat d'esprit qui
continue dans les deux ^tats a Tinverse de ce qui se passait
dans les sommeils profonds.
Beaucoup d'autrcs malades Bei..., Tr..., etc., se plaignent de
408 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
ne pouvoir pas dormir compl^tement. Lise se reveille au moin-
dre bruit et le matin elle a le sentiment qu^elle n'a pas dormi,
qu'elle est restee au debut du sommeil n qu'elle ne pent pas plus
achever le sommeil qu'elle ne pent terminer un acte ou un sen-
timent quelconque». Elle dort plut6t mieux quand elle est tr^s
malade et qu^elle s*est epuisee toute la journ^e dans ses rumina-
tions. Quand elle est en voie d^am^lioration, elle est ^tonnee du
changement de son sommeil : a J'etais habitude a dormir d'une
maniere bizarre en continuant mes discussions, maintenant il
m'arrive de me r^veiller en sursaut, ^tonnee de cette facon
nouvelle de dormir tranquille ; cela me fatigue de dormir de cette
facon. » En un mot il y a un changement du sommeil quand elle
va mieux, et ce changement la trouble au d^but.
II est souvent juste de faire intervenir dans ces troubles du
sommeil des phenomenes physiologiques analogues a ceux qui
nous ont paru jouer un role dans les cephalalgies. Des troubles
vaso-moteurs, des phenomenes de congestion sont invoqu^s pour
les expliquer par Angel, par Lubetzki et par plusieurs auteurs.
M. de Fleury rattache Tinsomnie a des modifications de la ten-
sion sanguine : le sommeil normal exigerait une tension moyenne
de 9 a 12 centimetres de mercure mesuree a la radiale; au-dessus
de ce chiffre on observerait des insomnies par hypertension,
au-dessous des insomnies par hypotension ^
II y a quelque verity dans ces remarques, mais jc crois devoir
observer, comme je I'ai montre autrefois', que le sommeil est un
ph^nomene mixte, il ne depend pas seulement des phenomenes
physiologiques extrac^rebraux pour ainsi dire, circulation, ten-
sion cephalo-rachidienne, mais encore de faits psycho-physiolo-
giques qui ont lieu dans Tintimit^ du cerveau. Par un c6i6 le som-
meil estun acte, il demande une certaine Anergic pour etre de-
cide au moment opportun et pour etre accompli correctement.
Les mauvaises habitudes, les tics, les manies mentales intervien-
nent dans le sommeil : on a d^ja vu Tobservation de Dn... (4g)
dans laquelle des agitations et des angoisses apparaissent a I'oc-
casion du debut du sommeil comme a propos du d^but des actes.
Par bien des points I'insomnie des psychastheniques se rap-
proche de leur aboulie.
1 . De Fleury, Les grands symptomes neurasth^niques, tqoi , p. i3o (Paris, F. Alcan).
2. Sligmates mentaux des hjsUriqueSt 1893, p. 137.
TROUBLES DES FONCTIONS DIGESTIVES 409
3. — Les modifications des reflexes.
A tousles troubles nerveux deja signales il Taut ajouterquelques
modifications des reflexes. II faut remarquer que ces modifica-
tions sont rares et peu nettes : Tetat psychastheniques porte evi-
demment plus sur les fonctions superieures du systeme nerveux
et trouble peu les fonctions dementaires et les reflexes. Cepen-
dant chez une dizaine de personnes je remarque que les reflexes
des membres inferieurs sont exag^res. Je ne suis pas convaincu
qu'il s^agisse uniquement d*une exageration du mouvement quasi
volontaire et en rapport avec Tagitation motrice ou les tics. Je
crois que Ton observe quelquefois chez les ueurasth^niques une
veritable exageration des reflexes des membres inferieurs qui
semble accompagner Tengourdissement cerebral. Je dois d'ail-
leurs ajouter que je n*ai observe nettement nl le clonus du pied,
ni le ph^nomene de Babinski, m^me en examinant des maladcs
qui out des phobies de la marche, des derobements des jambes
ou des crises de fatigue portant surtout sur les membres infe-
rieurs. C^est la une remarque importante, tres utile pour le
diagnostic souvent tres difliclle de ces symptomes qui simulent
quelquefois des maladies de la moelle ^piniere.
J'insiste surtout sur une dilatation remarquable des pupilles
que Ton constate chez Claire, chez Qes..., et chez plusieurs
autres ; il n y a pas suppression complete mais v^ritablement
paresse et diminution du reflcxe lumineux. Cette dilatation dimi-
nue quand les malades sont un peu mieux et peut servir d'indice
pour suivre leur amelioration.
2. — Troubles des fonctions digestives.
Les troubles des fonctions de la nutrition sont beaucoup plus
nets, plus indc^pendants de Tetat mental des malades. L*aspect
g^n^ral de ceux-ci est presque toujours mauvais : ils sont mai-
gres, ont un mauvais teint et changent de mine et d'aspect d'une
fa^on tres rapide et tres frequente, Jean ou GIsele prennent tout
d'un coup des aspects extremement mis^rables et on les croirait
sous le coup d'une grave maladie.
408 LES STIGMATES PSVr'
ne pouvoir pas dormir r^
dre bruit et le mat'- .//♦'^'^
qu'elle csl r* ' ,.,.^^'^
aehever le ' ^- /^ ,/ ^*" existe chez la grande
Limcnt qy ^/a' /'^S>''*"^ P^r les troubles de la
111 ji lade i.p^.*'^''iiii"'^'^^ d'l^^ ^"^ neuf fois sur dix on a
tioasi. j^ /^^. .^••j^'' ^^''/^^/ /"«'»'> ""c exception extraordinaire
chan' ^'"'''!! •^'''''C//''' 1//J avoir un assez bon cstomac : tous
mar
m
i
i
^^*"':\^ ''*.if(ri)le avoir un assez Don esiomac : i'
J-^'"\, J*'' "LfP ^'" *^^^pnon ont des troubles gastriques.
''^yV' 'L^g^^^^lg CCS malades presenlent une exagdration
'%^'^'\ ii^'^^'^\^*soin perpetuel de nourriture. M. J. Roux,
^^IV' ^^ \eressanie sur la fium, rapporte Tobservation
/ f//^ ^^"le fc^'^^ atteinte aprcs un accouchement d'une
*^'^!r^^^''^^^^ lie '. ^^"^ ^® ^^^^ perpetuellement en 6tat de defail-
">jy '■''"'''' cprend un peu d'energie qu'apres avoir absorbs un
/ '''"' ' ' arri^^^^' J'^' observe plusieurs sujets de ce genre :
pt'if .tioe fi"^ ^® ^^ ^"*> obsedee, phobique, et surtout
>>''*", demande constamment a mangrer et, si on la laisse
^'''* ' ivvnre toule la journee. « Elle a besoin de revivre et pour
^"^*^ /*? '"^"S^^** continuellement... elle est comme morte de
^* ' ^ tJlt^ devrait manger continuellement sans s'arreter et si
p ffjvnit pas toujours empechc^e de manger, sa maladie serait
i.ii ii^^^^ dcpuis longtemps. » J'ai deja signalc le cas de Lkb...
oo) 4^'^ I't^clame a manger des qu*on veut obtenir d'elle le plus
pftil t'^ii^rt. Pi... a dans sa poche un morceau de pain et une
trniH'^^*' «li^ JHmbon et il « les mange sur Tescalier avant d'entrer
chez qiH^qirun afin de se donner quelque assurance ». Ce sont la
(]cs pht'noruenes analogues aux besoins d'excitation par Talcool
(HI 1*1 morphine en rapport avec des sentiments de faiblesse
physique e*t mentale. On le remarque tres bien dans Tobserva-
tii)n (tc Lkb,.. qui oublie sa boulimie quand on la laisse inerte,
jilmij^/u* fl;ms ses reveries et qui ne reclame a manger qu'au
iiHMnt*ni LIU la dilficulte dun effort lui rappelle son sentiment de
Cv^ f \;t^eralions de Tappetit sont done tout a fait acciden-
U'lles ; III general, la grande majorite des psychastheniques
msmi^e Uni peu. Ces malades n'ont aucun appetit et ils sont
plutiit (lt'f(*iiUes de toute alimentation.
I, J Ki.jiu, Ln /aim. Elude psycho phjsiologique^ i^97» P- 28.
TROUBLES DES FONGTIONS DIGESTIVES 4H
Les douleurs commencent presque toujours des que les malades
ont mange, Brk..., Nadia, Za..., Mrc..., etc., commencent a souf-
frir aussitot et se plaignent de crampes et de briilures. Quel-
ques-iins (Claire, Qs...)ont des vomissements, mais cephenomene
n'est pas ires frequent. Ce qui est constant, c'est que Testomac
est gonfle et pesant ; les malades etouflent, ont des bail-
lements, sont forces de se desserrer. A Texamen on observe
souvent du gonflement ^pigastrique et on constate surtout un
bruit de clapotement determine par toute secousse. Ce bruit se
fait entendre plus ou moins bas suivant que Testomac est plus ou
moins distendu, tres souvent il descend jusqu'a I'ombilic et
quelquefois bien au-dessous. La digestion est lente, les malaises
se prolongent jusqu*au repas suivant et les malades ont le senti-
ment que le premier repas n'est pas diger^ quand ils prennent le
second. Ils ont des brtklures, du pyrosis, ils ont la langue sabur-
rale, ils sentent un gout infect dans la bouche et bien souvent
d*atroces migraines ne tardent pas a suivre ces mauvaises diges-
tions (Bal..., Claire, Gisele, etc.).
Ce tableau pent presenter quelques vari^tes, Lise diflTere un pen
de la description generate en ce que le plus souvent elle ne sent
rien pendant la digestion et ne se plaint de rien ; mais je suis
dispos<^ a croire qu'elle est beaucoup trop absorbee par ses id^es
pour se rendrc compte de ce qu*elle ^prouve. Elle mange d'une
fa^on mecanique, tres rapidement sans savoir ce qu'elle avale,
elle a Testomac enormement clapotant, elle a souvent des indi-
gestions suivies de vomissements ou des diarrhees immediate-
ment apres le repas dans lesquelles elle rend les aliments presque
intacts. Cependant elle ne souflre pas de Testomac et se plaint
seulement de ressentir une fatigue enorme pendant la periode
digestive.
Chez Gisele egalement il y a lieu de remarquer quelques parti-
cularit^s du trouble gastrique. Elle digere toujours difHcilement
avec du gonflement et meme de la gene du coeur par refoulement,
mais par p^riodes elle commence de grands troubles gastriques tout
speciaux. Le debut en est assez brusque : elle sent une irritation
de la gorge, des br^lures dans Toesophage et dans Testomac, la
langue devient blanche brusquement et va rester saburrale pen-
dant une assez longue periode, la digestion est pour ainsi dire
supprim^e, les aliments sont rendus dans une diarrhee presque
immediatement apres avoir ^te absorbes. Comme la malade pre-
412 LES STIGMATES PSYCH ASTHfiNlQUES
cedente et bien plus qu'elle, Gis^le sent dans sa t^te le contre
coup de ses troubles digestifs. Des qu'elle a mang6 elle eprouve
une violente douleur a I'occiput et cette douleur est telle qu'elle
la redoute et refuse Talimentation. II en resulte que pendant ces
crises singulieres de I'estomac, durant quelquefpis plusieurs
moisy la malade semble avoir une autre obsession, au lieu d'etre
preoccup^e par ses remords de vocation, elle a Tid^e fixe de
refuser les aliments ou d'absorber des quantites minimes de
nourriture.
L'alternance qui se pr^sente ici est un des ph^nomenes les plus
singuliers que pr^sentent les troubles de I'estomac chez les psychas-
th^niques. Chez une vingtaine de malades, avec beaucoup de r^gu-
laritc, j^ai observe Talternance entre les troubles psychiques et les
troubles gastriques : il est Evident que Gisele est moins scrupu-
leuse, moins obs^d^e par ses remords de vocation quand elle est
malade de I'estomac. II en est de meme de Lise, quand elle est tres
obsedee, elle mange bien et ne parle pas de son estoroac; quand
Tetat d'esprit est meilleur, elle se plaint de fortes crampes d'esto-
mac, d'indigestions, de paralysie abdominale. II en est de meme
chez Lod..., chez Bal..., et chez un tres grand nombre d'autres
malades.
Pour expliquer ces singulieres alternances entre les troubles
mentaux et les troubles gastriques j'avais d'abord suppose que
le trouble gastrique etait a pen pres permanent et que pendant
les p^riodes de trouble mental les malades cessaient de s'en
apercevoir a cause de Texces de leurs pr<^occupations morales.
Cette explication me semble maintenant insuflisante au moins
pour certains sujets. Pendant la periode de douleur gastrique,
Lise a des diarrhees immddiatement apres le repas et elle ne les
a pas pendant la periode d'obsession ; dans la premiere periode
elle maigrit, tandis qu'elle engraisse dans la seconde. II est pro-
bable que Talternance doit ^tre plus profonde : les choses se
passent comme si le trouble nerveux portait tantot sur les centres
des fonctions psychiques, tantot sur les centres visceraux.
II est en eflet evident que ces troubles gastriques ont leur point
de depart dans un trouble nerveux. Je ne puis reprendre ici
Tetude de cette maladie speciale de Testomac neurasthenique qui
a ^t^ tr^s bien analysee dans bien des ouvrages^ La plupart de
I. Cf. BouYcret, La neurasthenic; LevLllain, Neurasth^nie, ^. ^^; lleim » Dys-
TROUBLES DES FONCTIONS DIGESTIVES 413
ces troubles se rattachent a trois ph^nomenes principaux : i® II y a
une paralysie motrice de resloraac qui devient flasque, s'abaisse,
se laisse disteudre par les aliments, les liquides et les gaz ; 2° on
constate le defaut de s^er^tion des glandes gastriques, la pauvrete
du liquide secret^ en acide chlorhydrique et en pepsine: la
plupart des analyses de sue gastrique qui ont €16 faites dans ces
conditions niontrent un etat d'hypochlorhydrle ; 3° enfin les ali-
ments mal dig^r^s, stagnants dans Testomac dilate, subissent des
fermentations anormales, donnent naissance a des acides et a
des produits toxiques qui modifient Tetat du sang et vont avoir
un retentissement sur le systeme nerveux central et jouer un rdle
dans les migraines.
Dans quelques cas rares il s*agit au contraire d'hypersth^nie
gastrique, suivant le mot de M. Robin, avec spasme et hyperse-
cretion d'acide chlorhydrique. C'est la maladie de Reissmann,
cette maladie pent indirectement affaiblir le systeme nerveux
central et determiner des troubles psychasth^niques. II faut en
tenir compte dans le traitement. Mais c'est la a mon avis une
exception dans la psychasthenic vraie et primitive. Les hyperse-
cretions gastriques qui se presentent quelquefois au debut de Tali-
mentation sont un feu de paille, comme disait M. de Fleury, et Tetat
fondamental reste le plus souvent une paresie motrice et secre-
toire. Ces troubles gastriques des psychastheniqucs ne sont pas,
comme cela pent arriver quelquefois chez les hysteriques, directe-
ment en rapport avec une idee. M. Dubois de Berne ^ me semble
exagerer quand il dit que toute dyspepsie nerveuse est justiciable
de la suggestion. Beaucoup de ces malades n'ont aucune idee
fixe relative a leur digestion. Ce n'est qu'indirectement, par la
faiblesse des fonctions cerebrates, que la pensee influe ici sur
Testomac.
En etudiant les circonstances qui font varier la maladie dans
divers sens, on verra comment une excitation heureuse, fiit-elle'
simplement morale, transforme la digestion et comment cette
adynamic gastriques est en rapport avec un abaissement de toutcs
les fonctions nerveuses.
pepsie des neurasthiniques, Th6se, Paris, 1898 ; Soupault, Les dyspepsies nerveuses^
Thfese, Paris, 1898.; A. Mathieu, La neurasthinie, 1899; A. Uobin, Maladies de
Vestomac, 1900 ; De Floury, op. cit., 1901, p. i48.
I . Dubois (de Berne), Troubles gastro-intestinaux du nervosismc. Revue de mede-
cine, 10 juillet 1900.
41 i LES STIGMATES PSYCH ASTHfiNIQUES
2. — Troubles intestinaua: ,
Des modifications abdominales et intestinales accompagnent
presque toujours ces troubles gastriques. On est !e plus souvent
frapp^ de la flaccidit^ de Tabdomen si bien decrite par M. Gle-
nard ^ On note chez Lise, chez Ger..., etc., la diminution de
tension, la mollesse de la paroi qui n'oflre aucune resistances le
ballottement visceral, le ventre en gourde, en bissac. Quelquefois
j'ai observe que les deux muscles droits relach^s s'ecartent Tun
de Tautre d*une mani^re tout a fait anormale, ce qui pent donner
lieu accidentellement au pincement des visceres signale par Gi-
bert (Le Havre).
Puis on constate le prolapsus, Fabaissement de la masse intes-
tinale, et dans quelques cas des prolapsus visc^raux tels que le
rein flottant (n6phrophtose), le foie mobile (h^patoptose), la rate
mobile (spleroptose), etc. Les autres signes decrits par M. Gl^nard,
retroitesse du c61on, le boudin ca^cal, le cordon sigmoi'dal, la
corde colique transverse, le battement 6pigastrique sont plus
rares.
Des troubles de la digestion intestinale accompagnent toujours
ces modifications de la statique abdominale. En dehors de ces diar-
rh^es qui succedent qu.elquefois a une indigestion complete, on
note, dans Timmense majorite des cas, une constipation opiniatre
avec selles glaireuses, de temps en temps accompagn^es de muco-
sites dess^chees et quelquefois d'un pen de sang. Ron...,Ab... (7],
Be... (i48), sont des types remarquables de cetle coincidence
entre le delire du scrupule et la colite muco-membraneuse. Chez
la derniere malade les filaments muco-membraneux ont joue un
role dans la formation de Tobsession hypocondriaque du « ver
araignee ».
Le plus rcmarquable exemple est celui de Nadia : on pent dire
que pour soigner cette malade il faut etre perp^tuellement preoc-
cupe de sa constipation. II s'agit ici de choses serieuses, comme
nous le verrons en parlant des complications : elle pent faire des
1. Cf. Gu^niol, 1879. Gl^nard. 1885-87. Coularel, 1890. Traslour, Les disS-
quUihrh du ventre, entiroptosiques et dilatis, 189a. Gl^nard, Exploration du venire.
Revue de medecine, 1887.
TROUBLES DES FONGTIONS DIGESTIVES 415
retentions prolong<^es des matieres fecales qui d^terminentles ^tats
les plus dangereux et dans lesquels il faut pratiquer un veritable
curettage de la fosse rectale. Ces retentions produisent des ph^-
nomenes d^auto-infection plus ou moins graves chez les divers
malades ; chez Nadia ils ont ^t^ accompagnes par des ^tats de
confusion mentale pendant trois mois et m^me par de la nevrite
p^ripherique, mais chez tous les autres sujets ils amenent au
moins une aggravation de T^tat menial.
De tels troubles ne sont pas uniquement mecaniques, suivant
la th^orie de M. Glenard, ni uniquement chiniiques, suivant la
th^orie de M. Bouchard, ils sont ^videmment en rapport avec
la depression nerveuse qui se manifestait deja par tant d'autres
signes. M. Brocchi (de Plombi^res)* signalait deux observations
d'entero-colite muco-membraneuse, survenues a la suite d*emo-
tion. Nous aurons a discuter bien des faits semblables.
3. — Troubles de la nutrition.
Ces troubles de la digestion retentissent sur la nutrition g^ne-
rale. Sauf des cas assez rares d'ob^site, les malades sont maigres.
Jean, pendant des ann^es, pr^sentait une maigreur elTrayante ;
malgre une alimentation plus que suflfisante et une digestion
presque toujours passable, il reste etonnamment maigre et garde
un teint plutot mauvais. Lise, toujours tres maigre, maigrit encore
d'une facon remarquable, quand elle traverse une mauvaise p^riode
mentale. Elle a passe de 54 kilogrammes a 46 en 3 mois, sous
rinfluence de crises r^pet^es de ruminations sur le demon. Quand
on reussit a calmer son esprit, elle reprend rapidement du poids
et augmente de pr^s de 5oo grammes par semaine. lo..., dans une
crise d'hypocondric qui a dur^ lo mois, a eu tous les troubles
digestifs precedents et a perdu 20 kilogrammes.
Gisele pour sa taille excessive (I'^fSs), a un poids tr^s petit de
57 kilogrammes. Pendant certaines periodes elle maigrit encore
plus, s'epuise et semble dans un etat desespere. Comme chez la
malade precedente le poids augmente rapidement des que Tesprit
se calme. J^ai suivi ainsi une vingtaine de malades en prenant leur
I. A. Brocchi (de Plombi^res), A propos de la pathog^nie de renl^ro-coUte
muco-membraneuse. Presse inedicale, 2S aoiit igoi.
416 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
poids chaque semaine ; il est inutile de reprodiiire ces colonnes
de chiOres, le r6sultat general est une concordance curieuse entre
l'am6lioration mentale et Taugmentation du poids.
II n^est pas surprenant que de pareils troubles de nutrition fa-
vorisent toutes les infections et que dans plusieurs de ces cas il
n'y ait des lesions tuberculeuses. Mais le plus souvent on observe
plutot les symptomes de rarthritisme. Le rhumatisme chronique
d^formant est frequent surtout chez les malades ag^s: Germ...,
d^ja a 26 ans, a les doigts effiles et d^formes, Xa... (2o4) a 65 ans
a les genoux hypertrophies, toutes les articulations des doigts
gonilees et d6forniees, il en est de m6me chez treize de ces
malades.
Ces remarques suflfisent a montrer que I'etat psyschasth^nique
n*est pas seulement un trouble moral, mais un trouble de toute
la nutrition de Torganisme.
4. — Troubles urinaires,
Les fonctions urinaires ne pr^sentent guere chez les psychas-
th6niques ces troubles caract^ristiques que Ton voit souvent chez
les hysteriques : on n'observe pas ces retentions completes ou
ces incontinences qu'il faut discuter et interpreter dans d'autres
n^vroscs.
Ccpendant chez deux malades, chez Brk... en particulier, j'ai
observe des crises de polyurie assez nettes : Turine emise a ete
une fois de trois litres dans une journee. Cette polyurie precede
chez elles les p^riodes de fatigue insurmontable.
Chez les autres malades les troubles des fonctions urinaires ne
sont pas sp6ciaux a ces fonctions, ce sont des tics de repetition
determinant quelquefois de la poUakiurie ou la recherche de la
perfection urinaire, comme on Ta vu dans Fobservation de Vor...
L^analysc des urines scrait particulierement interessante si
elle pouvait etre assez precise pour donner des indications
particulieres a la maladie. Malheureusement les donnees de cette
analyse sont encore bien vagues et se retrouvent dans les diverses
formes de Tarthritisme.
Les analyses totales que j'ai fait faire, en petit nombre il est
vrai, une vingtaine environ, ne m'ont rien donne^ d'interessant :
i'observe en general une diminution de Turee, une certaine augmen-
THOLBLES DES FONGTIONS DIGESTIVES 417
tation de Tacide urique etde Tacide phosphorique. Je constate cette
augmentation de l*indican et du skatol, de ces produits en rap-
port avec les fermentations intestinales, qui a deja 6ie signalee par
M. de Fleury', mais je nesuis pas frapp^comme lui par l*augmcn-
tation du chlorure de sodium chez ceux qui ont des troubles gas-
triques. Je constate le plus souvent pour les 2^ heures io^',20
(Lise), 9*^5o (Lise), i3^,65o (Bal...), ii grammes (Dob...), ce
sont des chifTres normaux, la moyenne etant de lo a 12^.
Ce qui a ete particulierement Tobjet de mes Etudes c'est Taci-
dite urinaire. Frapp^ de Timportance des travaux de M. Joulie
sur ce point, j'avais essay6 de les verifier en examinant a ce point
de vue les urines des n^vropathes.Je dois tons mes remcrciements
a M. Lacroix, interne en pharmacie de la Salpetriere qui, avec
une tres grande complaisance, a bien voulu faire pour moi un
nombre considerable de ces analyses suivant la m^thode de
M. Joulie.
Je laissc ici de cote les analyses tres nombreuses faites sur des
hyst^riques et je ne donne que les resultats obtenus sur des psy-
chasth^niques. L'analyse est faite sur la i'' urine du matin avec
la solution de sucrate de chaux dont le titre est v^rifie tres fr6-
quemment. Le chiiTre d'acidit6 obtenu et calcule en SO^HO est
rapporte u Texces de densite de Turine examinee a Teau, la density
^tantramcnee acelledu liquide a i5^.Je note aussi la quantite d'a-
cide phosphorique par litre et le rapport de cette quantity a Tex*
cedent de densit<^ calculee de la meme maniere. La plupart de ces
malades ont H^ soumis au traitement propose par M. Joulie, par
Tacide phosphorique. Je donnerai plus loin a propos du traite-
ment et les analyses des urines modifiees par cette medication. Je
n'indique ici que les analyses des urines ant^rieurement a tout
traitement.
Pour apprecier ces chiflVes il faiit se souvenir des chilTres don-
nes par M. Joulie comme normaux.
Densite corrigt'e k i5<* i 0170,8
Acidile tolale en SO^HO 0,8^9
Acide phosphorique en PhO'* 2 , o83
Rapport de I'aciditt'' h I'excedent de densite'*. ... 4»55
Rapport de Tacide phosphorique k Texcedent de densite . 1 1 » 1 7
I. Dc Fleur^-, op. cit., 178.
a. Yvon. Analyse des urines ^ 1901, p. i63.
LES OBSESSIONS. I. 27
418
LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
Analyses faites par M. LAGROIX.
NOMS DES BIALADES
rr H** DBS AHAtTSBS
DENSITY
COBBIoiB A 1 5*
PhO» PAR LITRE
RAPPORT
0 B l'a C I D I T <
i IVic^dent
de denaite
RAPPORT
DB PkOs
k rexc^cnl
de dentil^
Jc
I oi3
3K*',IO
5,86
l5,I7
Ls. I
ioa8,5
4 .84
3,34
16.8
3
I 037,5
4 .43
3,83
i5,64
Bro.
I 017
I ,33
0,39
7.4
Dou.
I 030,57
3 ,01
4.79
9.78
Dn. I
I on '
»
3,78
»
a
I OI3
I .41
4
6.7.
3
I 033
»
3,9
»
4
I 031
»
3,83
»
Er.
io3o,84
3, 86
3,io3
9.^7
Ger. I
1 oi5
»
4.o3
»
a
I 033
X ,4a
4.64
9.8
3
1008.5
»
7.85
»
4
I 014.5
»
4,53
»
Qes. I
I 017,5
»
3,38
»
a
I oi4
I ,011
3,08
7'i
Sim.
I 013,75
I ,58
4,55
13,39
Mad. I
I 0 1 8 . 88
»
2.^9
u
a
I oao,a5
I ,53
3,03
7,5o6
3
I 030,07
»
4.83
»
^
I 019,34
I ,59
3,33
8,3^
5
1 o'Jo,84
»
3,09
>}
6
I oi5,35
»
2.9'*
»
7
I 018,35
»
3,8
»
8
I 016,75
»
3,71
»
9
I 01^,8^
I ,34
3,5'|
9*07
I oa()
3 ,38
3,53
8,87
Ka.
I oa4»39
3 ,37
4.16
i3,8i
TROUBLES DES FONGTIONS DIGESTIVES
419
Analyse des urines faites par M. TERRIAL, mdme mdthode.
NOMS
DES VALADBS
el n"
des aual^ses
Rl.
X .
s. .
Jean.
DENSITY
COUIIoiB A 1 5'
I oi5»6
I oi9»5
I o33 , 3
I oa6,8
ACIDITfi
TOTALB
en SOsUO
o.Sag
o,5o3
0.477
0,379
ACIDE
rHCMPBOBIQVE
ea PhOs
1,157
i,3g3
5,838
3,366
RAPPORT
DB L'AClOlTi
k rexc^denl
de densite
3,77
51,56
1,42
i,4o
RAPPORT
DB PhOs
a Texcedent
de dcnsiij
8,20
9*67
•17.48
ia,5i
Vie. .
Nadia .
Analyses faites par M. TVON, mdme mdthode.
I a33,3
I 016
1. 17
0,98
5,27
1. 71
3,5o
6,1
15,73
10,7
On remarque dans ces analyses quelques caracteres communs
int^ressants par leur frequence. La density n'offre rien de remar-
quable, elle est douze fois au-dessous de la normale, i5 fois au-
dessus, ce caractere varie suivant le regime desboissons, qu'il est
important de r^gler chez ces dyspeptiques.
Mais ce qui est frappant, c'est la faiblesse du rapport de
l*acidit^ a Texces de density, il n'est que 3 fois sup^rieur a la
normale et il estSi foisinf^rieur. Si Ton s'en rapporte a ces ana-
lyses, les psycbasth^niques comme la plupart des n^vropathes se-
raient des hypoacides.
Le rapport de Tacide phosphorique a Texc^s de density est 8 fois
au-dessus de la normale eti3 fois au-dessous.
On pent tenir compte de ces remarques, particulierement des
indications relatives a Thypoacidite tr^s fr^quente au point de
vue du traitement. Malheureusement cette m^thode d'analyse
chimique et le choix exclusif de Turine du matin sont aujourd*hui
encore tres discutes et Ton ne pent considerer ces r^sultats, sur-
tout ceux relatifs a Tacidit^, comme d^finitifs. D'autres auteurs,
comme M. Vigoureux, ont le plus souvent trouve les urines des
neurastheniques hyperacides.
II faut done se borner a enregistrer ces analyses d'urine comme
des documents d'attente sans en tirer encore des conclusions g6ne-
rales sur Tetat dela nutrition de ces malades.
420 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
2. — Les modifications de la circulation.
Je n*insisterai pas sur la respiration : dans les crises d*angois-
ses se pr^sentent des troubles m^caniques que j*ai d^ja indiqu^s
en ^tudiant quelques graphiques. Mais en dehors de ces crises
la respiration semble a peu pres normale.
On peut simplement remarquer qu'elle est en g^n^ral faible,
peu profonde et un peu rapide. Les autres troubles de la respi-
ration, les touXy les bruits larynges, se rattachent aux tics et aux
angoisses et ont d6ja ^t^ d^crits dans les chapitres precedents'. Je
n'ai pas eu Toccasion d'analyser les gaz de la respiration chez
ces malades comme chez les hyst^riques ; il est probable que
Ton observerait chez plusieurs une diminution de Tacide carbo-
nique en rapport avec le ralentissement de Tactivite nutritive.
Les troubles les plus frappants de la circulation se produisent
ainsi au moment des angoisses oil nous avons note les palpita-
tions, les modifications de la tension sanguine, les troubles vaso-
moteurs. II est interessant de se demander si quelques-uns de ces
troubles ne persistent pas en dehors des periodes d'angoisse.
Le nombre des pulsations m'a semble presque toujours normal
ou du moins ne presenter que des variations insignifiantes, en
rapport avec les Amotions du moment.
I. — Les modifications de la tension sanguine.
Plusieurs auteurs, Angel' en Allemagne, Webber^ en Am^rique,
ont admis un affaiblissement du tonus arteriel dans T^tat neuras-
thenique. M. Charon en France, et M. de Fleury, ont donne
une tres grande importance a ce symptome. M. de Fleury
admet un petit nombre de ueurastheniques avec hypertension du
pouls, et rattache leur maladie a des autointoxications et une
grande majorite de ueurastheniques avec hypotension arterielle ^.
1 . Cf. Coulampis, Les troubles respiratoires dans la neurasthSnie. Th^se. Paris, 1894.
2. Angel, Experim. zur Palhologie und Therapie der cerebralen neurasthenie.
Archiv fur Psych. Berlin, i884. XV, p. 618.
3. Webber, Boston med. Journal, 3 mai i888.
4. De Fleury, Les grands symptomes neurasthiniqueSt 1901, p. 48, 67.
MODIFICATIONS DE LA CIRCULATION 421
Cette baisse de la pression art^rielle r^sulterait de la faiblesse
de propulsion du coeur et de la faiblesse du tonus des parois des
arteres, elle d^terminerait un appauvrissement du sang en h^mo-
globine, une diminution apparente du nombre des globules par
augmentation de la partie liquide du sang, tandis que dans
I'hypertension, il j aurait chasse d'eau dans les tissus periph^-
riques par resserrement de Tarbre art^riel et augmentation appa-
rente du nombre des h^maties. Ces observations sont int6res-
santes et probablement justes dans bien des cas.
Je suis tout dispose a admettre qu'il y a une hypotension art^-
rielle frequente en rapport avec la faiblesse musculaire, les ptoses
visc^rales divcrses et la depression mentale. Je fais seulement ob-
server que la verification precise experimentale du fait n'est pas
toujours facile.
J'ai pris beaucoup de mesures de la tension art^rielle avec le
sphigmom^tre de Charon et j'ai ^t^ amene comme je I'ai dit a propos
des angoisses a considerer ces chifTres comme douteux et inutili-
sables. Depuis je me suis servi du sphigmo-manometre de Potain,
il me semble d'un emploi plus ais6 etm'a donne des resultats plus
concordants. Cependant je ne puis m'empecher de rester 6tonne
de la precision des chilFres donnas par quelques auteurs, quand, a
mon avis, la mesure clinique de la pression du sangchezThomme
est encore bien imparfaite et sujette a beaucoup d'erreurs.
Quoi qu*il en soit, voici les chiffres qui m'ont paru les plus
certains chez quelques-uns des malades precedents :
Lpx, en dehors des crises de scrupule. 12.
Ul., en dehors des crises d'angoisses . i^.
Ul. — autre mesure i3.
Men. — ID.
Lise. — i5.
Kl. — i5.
— — autre mesure. . i5.
— - _ . . 14.
Pot. — i5.
Chx. — 18.
— — autre mesure . 17.
Lais. — i4.
Claire. — 12.
— — 12.
— — i3.
422 LES STIGMATES PSYCH ASTHfiNIQUES
Si Ton se souvient que la normale est de i6, il est Evident que
la plupart de ces observations montrent un certain degr6 d'hypo-
tension.
Dans un cas, celui de Meu..., j'ai pu constater une tension
de 17 et 18 pendant une periode de grande amelioration en con-
traste avec les chifTres ant^rieurs de 10. Mais en g^n^ral la rela-
tion de rhypotension arterielle avec la depression mentale est
loin d'etre aussi nette.
2. — Les troubles vaso-moteurs ei secretaires.
Angel en i884 et M. Bouveret en 1891 ont decrit chez les neu-
rastheniques un trouble particulier des reactions vaso-motrices :
chez rhomme sain qui fait un effort intellcctuel, les vaisseaux ce-
rebraux se dilatent, mais on observe en meme temps que les vais-
seaux du bras se resserrent. Chez le neurasthenique, d*apres les
observations de ces auteurs, cette reaction vaso-motrice du bras
n'existe plus. Le bras ne change pas de volume, tout au plus ob-
servct-on sur le bras quelques legeres oscillations vaso-motrices.
Angel expliquait ces faits en admettant que les vaisseaux du bras
etaient deja prealablement contractus et les vaisseaux du cerveau
dilates. Les oscillations persistantes seraient dues a la surdisten-
sion des vaisseaux du cerveau pendant TeOort intellectuel, un
afflux nouveau de sang determinerait le retour d*une partie du
sang a la peripheric V
Ces experiences donneraient souvent un resultat interessant sur
les malades psychastheniques si Ton pouvait facilement les repro-
duire sur eux avec quelques precisions. En efiet, il est facile d'ob-
server qu'ils presentent souvent un grand nombre de phenom^nes
en rapport avec des troubles vaso-moteurs.
Gisele a des engourdissements des doigts qui vont jusqu'au
phenomene du doigt niort. Beaucoup de malades ont souvent les
mains et les pieds rouges ou bleuatres et froids ; ils presentent
des rongeurs sur les oreilles et sur le nez, des balafres rouges
des deux cotes du nez au-dessous des yeux comme s*ils portaient
un lorgnon trop serre. Ce sont des personnes qui, surtout dans
leur jeunesse, ont eu tres frequemment des congestions du pha-
rynx, des gonflemcnts des amygdales, des angines pour le moindre
I. Lubetzki, op. cit., p. i5.
MODIFICATIONS DE LA CIRGULATFON 423
pr^texte. Je notechez Claire une disposition curieuse aux oed^mes
qui se produisent le plus souvent aux paupieres, aux levres et
quelquefois a la vulve. Chez quelques malades ces oedemes se re-
produisent d'une maniere experimentale, il suflSt d'exercer une
pression sur la peau pour les voir apparaitre. C'est le ph^nomene
de la peau dermographique que j'ai observe cinq fois chez des
obsedes ou des phobiques et en particulier d'une maniere remar-
quable chezDn... (49), chez Qi... (188), qui a cette curieuse obses-
sion de vouloir 6tre une enfant, ii y a constamment des pouss^es
d*urticaire. Chez cette derniere malade Qi..., quand elle porte un
paquet sous le bras, quand un objet dur appuie sur une partie de la
peau, il apparait rapidement a cet endroit une plaque d'cedeme dur,
blanchatre. Si elle coud, il y a deroedeme au bout des doigts, si
elle se frotte les paupi^res celles-ci restentenfl^es toute unejour-
n6e, son bras reste enfle, si elle s*appuie sur le rebord d'une fen6tre,
les cuisses enflent si elle restent quelque temps assise, etc. J*in-
si^te sur ces troubles vaso-moteurs, car ils ont jou6 un role dans la
th^orie emotionnelle des obsessions. Mais il ne faudrait pas croire
que tons les psychasth^niques pr^sentent ces reactions anormales.
Beaucoup n'ont aucune trace de dermographisme et leurs vais-
seaux semblent r^agir aux diverses excitations de la fagon la plus
normale.
On pent rapprocher des ph^nomenes precedents certaines ma-
ladies de la peau dans lesquelles les troubles nerveux jouent cer-
tainement un r6le; j'ai 6t^ frapp^ de la frequence de Tecz^ma
chez ces malades; je le retrouve dans une vingtaine de cas, Tec-
zema de la face est particuli^rement tenace chez Lise L'ecz6ma
perineal a ete le point de depart de la manie urinaire de Vor...
(137).
Enfin il faut signaler les troubles s^cr^toires, la seche-
resse de la peau est un phenomene banal qui s*aggrave pendant
les mauvaises p6riodes de la roaladie mentale. La secheresse
du nez, Tabsence des larmes s'observent fr6quemment. Beau-
coup d'agoraphobes, comme R..., se plaignent n que leur nez
est sec, comme durci en dedans » soit d'un seul c6t^, soit des
deux.
Par opposition il y a* des crises de secretions exag^rees, dans
la photophobie de Bry..., il y a oedeme des paupieres, larmoie-
ment invraisemblable u a treraper quarante mouchoirs » en
424 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
une matin6e. Apres la crise on note une poussee d'herpes sur les
paupi^res, sur le nez et sur la bouche.
De nombreux psychasth^niques pr^sentent ces crises de rhi-
norrh^e si bien ^tudi^es r^cemment par M. Nattier dans le journal
La Parole^. Chez Mrc..., femme de 4i ans, « le nez se met subi-
tement a couler comme une Fontaine pendant plusieurs heures ».
Chez Gay... (26), jeune fille de 20 ans, la rhinorrh^e sur-
vient le lendemain d'une Amotion ou d'une grande crise de scru-
pule. Elle se reveille avec le sentiment que son nez est gonfl^ et
douloureux comme au d^but d'un rhume de cerveau. Au debut la
secretion est un peu ^paisseet muqueusepuis peu a peu elle prend
les caracteres de Thydrorrh^e: c'est un flux aqueux ininterrompu.
Elle a bien voulu recueillir pour moi assez exactement le liquide
qui s'^coulait du nez pendant un temps determine. La quantite a
6te de pres de 3o centimetres cubes en une heure. M. Lacroix a
bien voulu en faire Tanalyse que voici :
Reaction neutre.
Chlorures 9 grammes 3 par litre.
Acide phosphorique (phosphates alcalins) traces.
Pas de sulfates.
Sodium (chorure et phosphate) traces.
Pas de potassium, ni chaux, ni magn^sie.
Traces d'albumine.
Pas de cholesterine.
C'est en somme le liquide de roedeme, et la rhinorrh^e se rap-
proche des troubles cedemateux precedents. Dans le deuxieme
volume de cet ouvrage a propos de Tobservation de Gay... (26)
nous etudierons les interpretations de ce phenomene, nous ver-
rons qu'il est a peu pres impossible d'expliquer Thydrorrh^e na-
sale de cette jeune fille par un ^coulement du liquide cephalo-
rachidien et qu'il s'agit probablement d'un trouble de la secre-
tion des glandes qui tapissent les sinus frontaux.
J'ai observe un cas d'hydrorrhee vaginale : « Teau coulait par
verres comme chez une femme qui accouche. » Les diarrhees se-
reuses, « la pluie intestinale » de Lasfegue, se rapproche evidem-
ment de ces phenomenes.
I. M. Nattier, La rhinorrh^e cxclusivement symptomatique de neurasth^nie. La
Parole^ juillet 1900 et sq.
TROUBLES DES FONCTIONS GfiNlTALES 425
3. -r- Les troubles des tonctions ginitales.
J*ai d^ja parl^ du trouble des fonctions sexuelles a propos des
emotions, car le trouble est plutot moral que physique. La sensi-
bilite est 6moussee, T^motion semble incomplete, inachevee, et
Texcitation, surtout chez la femme, se prolonge ind^finiment
sans aboutir. Get acte incomplet est suivi de fatigue, de regret,
de mecontentement. Quelquefois il y a, chez la femme surtout, un
besoin intense de parvenir a cette sensation qui semble fuir et
unc manie de la perfection en cette matiere tout a fait singuliere.
Mais a cot^ de ces troubles moraux se placent quelques
troubles physiques. L^erection insuflisante, Tc^jaculation pr^-
matur^e, Tinsuffisance de la secretion, se constatent tres fre-
quemment *.
J'ai cherch^ a reunir quelques renseignements sur les fonctions
menstruelles chez ces femmes scrupuleuses et je n'ai pu arriver a
des conclusions bien nettes car les troubles sont tr^s variables.
Presque toujours T^tablissement des regies est tardif et ne se fait
qu'a i5 ou 17 ans ; comme on verra en ^tudiant revolution de la
maladie, cet etablissement tardif de la puberty est pour beaucoup
la date du d^but des accidents mentaux. J'ai observe un fait
curieux et assez rare chez Gr..., agee de 3o ans, c'est que cette
femme n'a jamais 6ie r^glee, je viens de refaire la meme observa-
tion sur unc autre malade. Mw... (i45), ag^e de 38 ans, a eu vers
Tage de i5 a 17 ans des saignements de nez periodiques pendant
quelques mois ; depuis Page de 20 ans elle a des malaises et des
fatigues qui surviennent tous les mois, mais elle n'a jamais eu
ses regies. G'est une scrupuleuse typique avec manie des ser-
ments, etc. Le plus curieux c'est qu'elle a deux soeurs qui sont
semblables en ce qii'elles n^ont pas non plus ete jamais r^gleed,
mais qui sont simplement des nerveuses sans avoir la m6me
maladie mentale.
Ghez beaucoup d'autres nous notons des retards, des irregula-
rit^s, des pertes blanches et quelquefois des h^morragies. Tres
souvent on observe la suppression des regies pendant une p^riode
I. De Fleury, op. cit.y 300.
426 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES
plus ou moins longue, quand se d^veloppentles grands accidents
mentaux. Dans un cas curieux cet arr6t des regies survenu a
23 ans chez Mx... a et6 definitif. La malade a maintenant ^o ans
et les menstrues n^ont jamais reparu. Chez les roalades qui out
conserve les menstruations, Tepoque des regies est d'ordinaire
caracterisi^e par un redoublement de tons les troubles. C'est ce
qu'on observe chez Claire, chez Ger..., chez Vi..., chez Lod...,
etc. Quelques malades comme Lise ne sont aucunement impres-
sionn^es par leurs menstrues. Par exception quelques sujets
sont mieux a ce moment comme pendant la grossesse. Ces der-
niers phenomenes seront ^tudi^s avec plus d'inter^t au moment
oil nous examinerons revolution de la maladie et les phenomenes
qui influent sur son cours.
L'INCOMPLfiTUDE MORALE 427
QUATRIEME SECTION
CARACT^RBS GENBRAUX DB l'eTAT PSYCH ASTHENIQUB.
Je voudrais comme dans les chapitrcs precedents dcgager les
caracteres generaux de ces divers troubles psychologiques et
physiologiqiies dont Tensemble constitiie Vetaf psychasthenique,
Je ne cherche pas encore a les interpreter mais simplement a les
resumer.
i. — L'incomplitude morale.
Les troubles psychologiques se presentent en majeure partie
sous la forme de sentiments qu'eprouvent les malades et quMls
decrivent avec un grand luxe de comparaisons et de metaphores.
Ces sentiments peuvent etre resumes par le tableau suivant :
LES SENTIMENTS d'iNCOMPL^TUDB.
/ Sentiment de difficult^,
— d*inutilite de Taction,
— d 'incapacity,
— d 'indecision,
1 — de c^ne.
Sentiments d'incomplctude dans Tac- J ,, .
"^ < — d automatisme,
— de domination,
— de m^contcntement,
— d'humilite, de honte,
— d'intimidation,
— de r^ volte.
428
LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
Sentiments d'tncompletude dans les
operations intellectuelies. .
Sentiments d'incompletude dans les
Amotions
^ Sentiment de difficult^,
— d'insuffisance,
— d'instabilite,
. — de perception incomplete, de nuage,
' — d'^trange, de jamais vu,
— de dedoublement,
— de desorientation,
— d*isolement,
— defaussa reconnaissance, ded6jk vu,
— de pressentimont,
— de I'irr^el, de Timaginaire,
— du r^ve,
— de disparition du temps,
— d'inintelligence, d'obscurite,
— de doute.
Sentiment d'indifl(£rence,
— d*ennui,
— d'inquictude,
— du besoin d*excitation,
— de Tambition.
i Sentiment d'ctranget6 du moi,
— de d^doublement,
— de d^personnalisation,
y — de mort.
Si on essaye de retrouver et d'exprimer ce qu'il y a de commun
dans tons les sentiments on arrive d'abord a cette notion de Tina-
chevement, de Tincomplet que les malades expriment de mille
fagons a propos de tons ces sentiments divers « le pire detout, dit
Lise,c'estque je n'arrive au bout, au fond de rien, c'est une sorte
de vertige des que je dois arriver au bout de quelque chose ».
J'ai designe ce fait remarquable par le mot, sentiment d'tncom-
pletude. Les psychasth^niques sont caract^rises par un sentiment
plus ou moins g^n^ral, plus ou moins profond, plus ou moins
permanent d'incompl^tude psychologique.
II etait des lors tres important de se rendre compte de la valeur,
de rimportance de ce sentiment. Une premiere question se posait:
cc sentiment d'lncompletude est-il fauxou est-il juste ? Est-ce une
id6e fausse, une obsession, une manie mentale, ou correspond-il a
des caracteres r^els des operations psychologiques elles-memes?
Le probleme paraittr^s simple, il est en r^alite extremement diffi-
cile. Des malades intelligents, comme Lise, se le sont pos6 a eux-
memos et ne sont pas parvenus a r^pondre d'une mani^re nette.
L'INGOMPLfiTUDE MORALE 429
^videmment il y a de nombreux cas oil ce sentiment est devenu
exag6r6 et ridicule. Quand Vor... retourne cinquante fois de suite
aux cabinets parce qu'elle a Ic sentiment d*avoir urine insuffisam-
nient, il est clair que c*est absurde. Un acte comme celui-la nous
semble consister simplement a vider la vessie et ne demande rien
de plus, or elle Fa vid^e suiGsamment puisque la premiere fois
elle a urine un demi-litre, par consequent nous pensons qu'elle
delire en sentant que Tacte d'uriner est incomplet.
Dans d'autres cas, il est clair aussi que si Facte est imparfait,
c'est le malade qui Ta rendu tel, precisement en le perfection-
nant. Certainement Rai... respire d'une maniere mauvaise, en
crachant et en rotant de tous les cot^s ; une pareille respiration
est tres defectueuse. Mais elle est devenue irr^guliere a cause
des proc^d^s employes par le malade et ces procedes ne sont
survenus que parce que le malade la jugeait d^ja imparfaite. II est
done probable que cette respiration n'etait pas mauvaise au d^but,
en tous cas elle Tetait beaucoup moins qu'aujourd'hui.
Mais ces cas exager^s ne resolvent pas le probleme. De ce que
le malade se trompe evidemment maintenant, il ne s'ensuit pas
qu*il ait toujours eu tort. Ne se pourrait-il pas qu'il ait generaHs^
a tort et a travers, qu'il ait applique a un acte insignifiant un sen-
timent determine par une imperfection psychologique r^elle ?
J'avoue que, malgre la dilliculte, c'est vers cette opinion que je
tendrais et pour moi le probleme des scrupuleux consiste a trou-
ver quelle est cette imperfection psychologique qui, comme une
epine, les tourmente perpetuellement, qui determine leurs exage-
rations et leurs divagations. Ce qui m'incline vers cette opinion,
c'est que j'ai retrouve des sentiments d'incompletude chez beau-
coup de sujets qui n'avaient pas d'obsessions d'humilite ou
d'auto-accusation, qui constataient ces sentiments d'une fayon
trfes moder^e sans y attacher d'importance, sans les transformer
en nianies ou en obsessions.
La seconde raison de cette opinion, c'est que Ton pent observer
chez ces malades un certain nombre de troubles psychologiques
reels et independants de leur propre appreciation. Tous les
auteurs out constate chez les obscd<^s et les phobiques des arrt^ts
ou des retards duns le deveioppement des diverses facultes et
surtout un d(^veloppement inegal, un manque d'harmonie et d'e-
quilibre entre ces facultes. cc Ces individus, disait M. S^glas,
sont moralement des 6tres particls, incomplets, des^quilibres, ils
430
LES STIGMATES PSYGUASTHfiNIQUES
peuvent avoir une m^moire prodigieuse, mais ils ne peuvent
arriver a fixer leur attention. Mobiles et distraits, leur instabilite
mentale est parfois extreme. En meme temps ils sont abouliques,
apathiques avec des acees de grande excitation et des emballe-
ments inexplicables : ce sont des originaux, des excentriques, des
reveurs, d'imagination dcr^glee a tendances romanesques. Knfin
ce sont des ^motifs, des timides, sensibles a Texces, impression-
nables et susceptibles, egoi'stes et orgueilleux* ». J'ai essaye de
pr^ciser ces remarques bicn souvent faites et d'^num^rer, en
outre des agitations d^crites dans le chapitre pr^c^dent, les in-
suflisances psychologiques que pr^sentent le plus r^gulierement
les psychasth^niques.
Ces insuffisances peuvent etre resumees par le tableau sui-
vant :
Le8 troubles de la volonte.
LES INSUFFISANCES PSYCHOLOGIQUES
Sympt^mes de r^tr^cissement du champ de la conscience, anesth^sies, mouve-
ments subconscients, suggestions k T^tat rudimentaire.
I/indolence,
rirr^solution,
la lenteur des actes,
les retards*
la faiblesse des efforts,
la fatigue rapide,
le desordre des actcs,
la maladresse,
rinachfevement,
I Tabsencc de resistance,
le mison^isme,
les abouHes sociales, la timidity,
les aboulies professionnelles,
les inhibitions,
les crises d'epuisement,
les inerties.
Les amnesics d'evocation,
la m^moire retardante,
les amnesics continues,
TarrSt de I'instruction,
1'inintelligence des perceptions,
les troubles de Tattention,
la reverie,
les Eclipses men tales.
/
Les troubles de Tintelligence.
1. Seglas, Legons sur les maladies mentales, p. G8.
LA PERTE DE LA FONCTION DU RfiEL 431
L'indiffSrence,
les sentiments melanooliques,
r^motivit^,
, les Amotions sublimes,
I le besoin de direction,
Les troubles des Amotions et des] i^ j^g^jQ (]'ex(.i^ljQQ^
sentiments "i le besoin d*aimer,
le besoin d'etre aim6,
la crainte de Tisolement,
le rctour k Tcnfance,
Tamour exag^r^ de Thonn^tet^,
le besoin d'autorit^.
Tous ces troubles ont une certaine importance, plus ou moins
considerable suivant les cas, ils semblent bien independants des
obsessions et des raanies.
11 en r^sulte que Ton peut d6ja presenter un premier carac-
t^re g^n^ral qui resume une partie considerable des stigmates
psychastheniques. Les malades ont le sentiment que leur activite
mentale est incomplete et d'autre part cette activity presente en
efiet un certain nombre de lacunes qui jusqu'a un certain point
justifient ce sentiment d'incompletude.
2. — La perte de la fonction du r6eL
En nous pla^ant a une autre point de vue nous retrouverons
dans tous ces troubles psychologiques un autre caractere general
si curieux et si important qu'il est essentiel de le mettre en relief.
Parmi les sentiments les plus remarquables que le sujet ^prouve
a propos des actions, a propos des perceptions des objets exte-
rieurs et a propos de la perception de lui-meme il y a tout un
groupe compose par les sentiments de drole, d'etrange, de jamais
vu, de reve, que Ton peut je crois ramener a un caractere com-
mun.
Quand le sujet r^pete qu'il ne peut pas parvenir a faire un acte,
que cet acte est devenu impossible, on peut remarquer qu'il ne
sent plus que cet acte existe ou peut exister qu'il a perdu le sen^
timent de la realite de cet acte. Quand d'autres nous disent qu'ils
agissent en reve comme des somnambules, qu'ils jouent la com^die
432 LES STIGMATES PSYCHASTIlfiMQUES
c*est encore la r^alit^ de Tacte par opposition au simulacre de
Tacte dans les songes et les comedies qu'iis sont devenus inca-
pables d'apprecier.
Dans la perception ext^rieure et int6rieure, le fait est si curieux
que je desire en donner un exemple de plus a ajouter a tons les
precedents. Une vieille femme de 58 ans, Gou..., admise a la Sal-
p^triere vient d'etre envoyee a Tinfirmerie parce que depuis deux
mois elle est atteinte d'un d^lire extraordinaire. Elle ne veut plus
faire aucun travail ni s'occuper a quoi que ce soit, elle reste cons-
tamment sur sa chaise a g^mir et a se lamenter : « II est inutile
de rien faire, r^pete-t-elle, puisque tout est mort... on m'a mise
dans un tombeau oil il n'y a rien, oil je suis absolument seule dans
une afTreuse obscurity... Tout est noir autour de moi, d'un noir
d'encre... tout est vide, il n'existe plus personne, aucun 6tre
vivant ne m'entoure, c'estcommesi j'etais morte moi aussi,etc... )>
Corame toujours Texamen habituel des sens et de la conduite
nous cause le meme etonnement, on ne pent constater aucun
trouble m^me le plus l^ger d'aucune sensibility, la malade voit
tres bien les objets et les couleurs et se conduit tres correctement.
Au moment m^me oil elle declare que tout est noir et que tout
est mort, elle va tres bien demander sa tisane a la surveillante.
Les principaux sentiments observes dans ce cas comme dans
les precedents sont le sentiment d'absence de relief, d'obscurite,
de noir, de drole, d'etrange, de degoiitant, de jamais vu, de faux,
de simule, de r^ve, d'eloignement, d'isolement, de mort. Quel
est le sentiment auquel se rattachent tous les autres, on a dit que
c'etait le sentiment de nouveau et d'etrangete. Je crois plutot que
c'est le sentiment de non r^el, le sentiment d'absence de rialite,
C'est le sentiment d'absence de r^alite psychologique dans les
etres ext^rieurs qui leur fait dire que les animaux et que les
personnes places devant eux sont des morts. C'est le m^me senti-
ment relatif a la disparition de la r^alite ordinaire qui se trouve
dans les sentiments de reve, de simuie, de jamais vu et d*etrange.
En un mot les malades continuent a avoir la sensation et la per-
ception du monde exterieur, mais ils ont perdu le sentiment de
r^alite qui ordinairement est inseparable de ces perceptions.
II en est de meme pour la perception personnelle : quand les
malades sentent qu'ils ont perdu leur moi, qu'ils sont a moitie
vivants, qu'ils sont morts, qu'ils ne vivent plus que mat^riel-
lement, que leur ame est separ^e de leur corps, qu'ils sont
LA PERTE DE LA FONGTION DU RfiEL 433
6tranges, dr6les, comme s'ilsavaient une vie dans un autre monde,
c'est encore, k mon avis, qu'ils se sentent irr^els. lis ont con-
serve toutes les fonctions psychologiques, mats ils ont perdu ie
sentiment que nous avons toujours, a tort ou k raison, c'est d'etre
r^elsy de faire partie de la r^alit^ du monde.
Ce ph^nomene irhs remarquable de la perte du r6el n'existe-t-
il que dans les sentiments subjectifs des malades ? Ne peut-on pas
retrouver dans Tobservation ext^rieure de leurs actions et des
manifestations de ieur pensee, des preuves qu'ii y a dans leur
esprit un trouble particulier ? Ce trouble porterait sur les fonctions
psychologiques dans leur rapport avec la r^alit^ donn^e, sur une
fonction sp^ciale que Ton pourrait appelcr la fonction du reel,
II me semble, en effet, n^cessaire pour r^sumer les observations
pr^c^dentes de distinguer une operation, ou si Ton pr6fere une
partie des operations psychologiques que les descriptions clas-
siques ne mettent pas a part, mais que la maladie semble avoir
analys^e. Une operation mentale, un souvenir, une attention ou un
raisonnement semblent rester de meme nature quel que soit leur
objet, que celui-ci soit constitu^ par des representations tout a
fait imaginaires ou que son objet soit forme par des evenements
tout a fait reels, appartenant au monde dans lequel nous sommes
plonges. L'association des idees, dit-on souvent, est la m^me dans
le reve et dans Texperience de la vie. Cette aflSrmation toujours
acceptee est-elle bien juste ? L'observation de nos malades pre-
sente, en efTet, un fait singulier ; c'est que leurs operations men-
tales ne sont point troubles quand il s'agit seulement de Tima-
ginaire et qu*elles ne presentent du desordre qu'au moment ou
il s'agit de les appliquer a la realite.
Tons les troubles du raisonnement, de Tattention, de Tappre-
ciation des situations n*existent pas dans les ruminations ni dans
les reveries, le malade construit dans son imagination des petites
histoires tres coherentes et tr^s logiques : c'est quand il s*agit de
la realite qu'il n'est plus capable de faire attention ni de com-
prendre. Plusieurs de ces malades ont quelque talent litteraire
ou musical; quand ils invcntent des histoires ou des morceaux dc
musique, leur esprit fonctionne parfaitement bien, ils n*ont ni
hesitation ni doute. L'hesitation va venir si Toeuvre d'imagination
doit se transformer en ceuvre reelle et etre donnee au libraire ou
au commercant. « Je vis dans les espaces, dit Lo..., et j'y vis tres
LES OBSESSIONS. I. — a8
43 i LES STIGMATES PSYCIIASTIlf-NlQUES
bien, mais je ne peux pas jouir des choses de ce oionde, je ne
vois pas le reel et ma vie est imaginaire et factiee... » a S'il ne
s'agissait que demon goi^t je saurais tres bien terminer mes feuilles
de rose, dit Tr. ..,'mais quand il s'agit de donner une feuiile de
rose terminee pour qu'elle soit vendue, j'h^site ind^6niment. »
De meme que les fonctions sont correctes dans le domaine de
i'imnginaire, elles restent parfaites quand il s'agit de Pavenir et
du passe. 11 y a chcz quelques sujets des experiences curieuses
qui mettent ce caractere en evidence. Wo... a d'epouvantables
crises de scrupule h propos des comptes du menage et surtout des
additions des fournisscurs, il semble que son attention soit fati-
guee des qu'elle fait une addition de quelques chifires et qu*elle
ne puisse plus arriver a la certitude. Si on la prie de faire une
addition sur des chifTres imaginaires sans rapports avec sa vie
r^elle, le travail se fait tres facilement, aussi longtemps qu'on le
veut, sans fatigue et sans hesitation. Bien plus, la malade a remar-
qu^ elle-meme qu^un de ses comptes de manage pent etre fait
sans difliculte a la condition qu'il soit ancien, qu'il ait rapport
aux affaires du trimestre pr^c^dent. Elle prcnd spontanement
Thabitude de laisser les comptes attendre pour les verifier, (c plus
ils sont vieux plus ils se calculcnt ais<§ment ». II est visible que
le pass^, comme Timaginaire, est un clement de facility, c'est le
r^el et le present qui troublent Taction.
En eiTet, tons les troubles que nous avons constates se ramfenent
au present et au reel, les (Amotions sont vagues sans adaptation
avec les circonstances pr^sentes et r^elles. cc Le present me fait
TefTet d'un intrus, disait un malade de M. Dugas ' ». « II y a pour
moi une deformation de la r^alite, dit Gisele, et je ne peux pas
m'interesser au monde tel qu'il est, ni m'^motionner pour ce qui
existe », « au fond, dit Lise, tons mes tourments viennent de
ce que j'ai une mauvaise appreciation de la r6alite )).
Les troubles les plus accentuds se rencontrent dans Tacte
volontaire, dans la perception attentive des objets presents, dans
la perception de la personnalitc r^elle parce que ce sont les
operations les plus etroitement en rapport avec Tapprehension de
ce qui est r^el. Leur indecision, leur defaut de certitude, leur
doute si caracteristique ne sont que d'autres aspects du m^me
phenomene fondamental.
I. Dugas, Revue philosophique, iSgii H, p. 4o.
L\ PERTE DE L\ FONCTION DU RfiEL 435
Les maiades agissent bien a une condition, d'est que leur action
soit insignifiante, c'est ce qui fait que leurs agitations, leurs im-
pulsions sont si peu dangereuses : ils peuvent se promener, bavar-
der, g^mir devant des intimes, mais des que Taction devient
importante et par consequent reelle, ils cessent de pouvoir agir,
ils abandonnent peu a peu le metier, la lutte contre les autres,
les relations sociales, etc. Quelques-uns rattachent ce d6faut
d'action r^elle a la timidity. « Moi, dont tout Tetre, dit Amiel,
pens^e et coeur a soif de s'absorber dans la r^alit^, dans le prochain,
dans la nature et en Dieu, moi que la solitude d^vore et detruit,
je m'enferme dans la solitude et j*ai Tair de ne me plaire qu'avec
moi-meme. La fiert6 et la pudeur de Tame, la timidite du cceur
m'ont fait violenter tous mes instincts, intervertir absolument toute
ma vie^ » II faudrait discuter si, comme le pense Amiel, cet eloi-
gnement du r6el depend de la timidit6 ou si ce n*est pas, comme
je le crois, la timidite qui resulte de cette incapacity d'alFronter
le r^el. Mais pour le moment je constate seulement combien cet
eloignement de la r^alit^ existe au fond de tous les troubles not^s
chez les scrupuleux. D*autres maiades ne donnent pas Tinterpr^-
tation d'Amiel, « ce n'est pas Taction elle-meme qui m'est difficile,
dit Claire, c^est de prendre Taction r6elle, de faire Taction pour
le monde rdel, c^est la ce qui me fait prendre pour une timide ».
Jean, depuis Tenfance, a une existence sp^ciale : ne faisant ni
du bien, ni du mal, parfaitement insignifiant a tous les points de
vue, ne se pr^occupant en rien du monde donn^, il vit, comme
disaient d^ja ses maftres au college, « Stranger aux choses, stranger
a tout ». II n*a jamais pu s'int^resser a quoi que ce soit de la reality,
il n'a acquis aucune habilet^ manuelle « il ne sait que faire de ses
dix doigts ». C*est en vain qu'on a voulu lui apprendre a jouer de
la musique, a dcssiner, a relier des livres, a travailler un peu la
terre a la campagne, il n'a rien pu comprendre a ces divers travaux
pratiques. Et, enefiet, quandon cherchesi comprendre cet 6trange
gar^on, on reconnait que c'estla pratique de la vie qui lui manque
d'une maniere invraisemblable. Quoiqu'il ait toujours 6t6 dans
Taisance, il ne connait aucunement la valeur de Targent, de la
fortune; il a v^cu dans un pays agricole et il ignore tout de
Tagriculture. Ce gargon de 3o ans, tres intelligent, je le repete,
est au desespoir quand il lui faut trouver son diner dans les
I. Amiel, Journal intime, I, 169. Hart. aSg.
436 LES STIGMATES PSYGHASTIlfiNIQUES
rues de Paris. Choisir ud restaurant, y eotrer, commander son
diner lui parait une operation inouie : il ne s'agit pas la de timi-
dite ou d'obsesslon, c'est Facte pratique dont ii n'a pas la moindre
notion. II en est de meme a des degr^s difTi^rents pour tons nos
sujets. II faut interroger sur ce point, non les malades, mais leur
&milie et j'ai entendu bien des g^missements venant des meres,
des maris ou des femmes des maiades. On repete toujours que le
malade n'a jamais ^t^ pratique, qu'il d^pensait Vnrgent a tort et a
travers, qu'il ne se rendait pas compte de sa fortune, de sa situa-
tion reelle, qu'il ne savait rien organiser, rien r^ussir. L'entourage
des malades insiste aussi sur cette absence d*habilet^ manuelle
qui est souvent chez eux un signe de leur d^Faut de sens pratique.
Les malades gardent plus d'activit6 pour les choses qui sontplus
6loign6es de la r^alit^ mat6rielle, ils sont plus facilement psycho-
logues, Jean, qui ne voit rien des choses mat^rielles, fait des re-
marques morales sur les gens et ces remarques sonrt souvent fines.
Ils aiment la litt^rature comme Gisele et tournent au bas bleu, ils
ainient surtout la philosophic comme Qsa...et deviennent de
terribles m^taphysiciens : quand on a vu beaucoup de scrupuleux,
on en arrive a se demander avec tristesse si la speculation philo-
sophique n'est pas une maladie de Tesprit humain. Ces quelques
remarques et ces quelques Etudes dont quelques malades sont
encore capables ne font que confirmer le caractere general de
leur esprit qui est toujours T^loignement de la r^alite concrete.
Une consequence tres remarquable et un peu inattendue de
cet.eloignement du reel, c'est Tasc^tisme. Jean ne s^int^resse a
rien, n'admire rien, n'aime rien ; il n*a qu'une preoccupation en de-
hors de ses obsessions c'est de faire le moins d'efTorts possible
dans la vie. Comme ces efforts am^nent des deliberations, des
scrupules intcrminables, il ne tient pas assez a la realite pour
braver ces accidents: aussi en arrive-t-il,peu a peu, a se passer de
tout, a renoncer a tout. II a une vie d'uneregularite,d'unesobriete,
d^une simplicite invraisemblable pour la situation ou il se trouve :
« il n'y a pas de merite a cela, me repond-il quand je lui en fais la
remarquc, les choses auxquelles vous tenez ne m'interessent pas
et ne me causent aucun plaisir; je suis separe de votre vie par
un fosse ». C'est a cet ascetisme qu'arrivent tons les scrupuleux:
Nadia malgre ses qualites brillantes s'est peu a peu retiree du
monde, elle vit depuis cinq ans dans un petit appartement d'oii
ellc ne sort presque jamais. En dehors de son medecin et de
LA PERTE DE LA FONCTION DU RfiEL 437
queiques personnes de sa famille qu'elle regoit de temps en
temps, elle ne voit absolument personne et vit aussi retiree du
monde que si eiie ^tait dans un convent. Tons en arrivent ainsi pen
a pen a simplifier leur vie, non seulement par le progrcs de la
maladie, par suite des manies et des phobies, mais parce qu'ils
sont au fond desint^ress^s de la vie r^eiie.
Je voudrais rattacher encore a cet ^loignement du r6el
les troubles que nous avons not^s pr^c^demment sur le sens du
temps. Bain dit que « pour comprendre la conduite de Thomme,
il faut toujours tenir grand compte de la puissance absorbante
du present* ». Cette remarque n'est pas exacte pour nos malades
car le present n'est pas absorbant pour eux. II me semble evident
qu'ils ne mettent pas la meme dKT^rence que nous entre le present
et le pass^.
lis accordent une importance disproportionn^e au pass^ et a
Tavenir et surtout au passe. Lowenfeld, comme on Ta vu, signa-
lait un malside^ a bsor be par le passe^y mais nons avons montre
que ce caractere a des degres divers est absolument general :
« lis ne vivent pas dans le present, r^pctent toujours leurs pro-
ches ; ils sont toujours en train de se raconter a eux-mcmes et
d'arranger dans leur imagination queiques faits anciens. )> « Ils
sont convaincus, comme disait Xyb. . . , que le present ne pent jamais
effacer le pass6. » C'est a cause de ce peu d'interet accords au pre-
sent que les scrupuleux n'ont aucune notion de Theure et quails
sont toujours en retard. C'est ^galement pour cela qu'ils ont le sin-
gulier sentiment que nous d^crivaientVer... et Bei... ces malades
atteints de depersonnalisation, le sentiment de ne plus distinguer
hier, aujourd'hui et demain. Aujourd'hui se distingue pour nous
par un coeflicient plus ^leve de reality et d'action c'est parce
qu'ils sont ^loignes du r^el qu'ils n'ont plus le sens du present.
Enfin une derni^re remarque doit 6tre ajout^e aux observations
pr<^cedentes, c'est qu'on retrouve un trouble analogue m6me dans
les ph^nom^nes pathologique des psychastheniques, dans leurs
hallucinations et dans leurs impulsions. Comme j'ai essaye de le
d^montrer, ils n'ont que des pseudo-hallucinations qui ont tons
les caracteres de Thallucination excepte le sentiment de la r^a-
I. Bain, Les emotions et la volonte, p. 5oi (Paris, F. Alcan).
a. Lowenfeld. PsychiatrUche Wochenschrift, lo juin 1899.
438 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
Iit6; lis ont des impulsions qui ont tous les caracteres de la coer-
cition morale sauf le pouvoir de determiner des actions reelles.
Cette remarque est interessante, car eile me parait ici ^chapper
a i'objection que jusqu*a present nous faisions constamment. Si
les emotions, les sentiments, les actions de ces nialades sont in-
complets et loin de la r^alite, disions-nous, c'est peut-etre parce
qu'ils ont une idee fixe d'imperfection qui les arrete. Ehbien, ces
malades ne se doutent pas que Thallucination serait a notre point
de vueun phcnomene parfait. lis nese rendent m^me pas compte
des caracteres d'une vraie hallucination et quand ils nous decri-
vent leurs hallucinations si imparfaites, ils ne peuvcnt y mettre
aucune humility.
Ils n'ont de m6me aucune idee sur le r^sultat des pratiques
d'hypnotisme. Ils desirent plut6t le sommeil qu'ils croient utile
pour leur guerison. Cependant les experiences hypnotiques long-
temps et serieusement continu^es m'ont montr^ que tant que les
scrupuleux sont tres malades ils ne sont ni hypnotisables, ni sug-
gestibles. Tous ces phenomenes d^impulsion, de suggestion et
d'hallucination consistent surtout a donnet* au sujet Tillusion de
la realite, il est curieux de voir que les scrupuleux les ont perdus
commc les precedents. Non seulement ils n'ont plus Tapprdhen-
sion de la realite veritable, mais ils n'arrivent pas non plus a
rillusion de la realite. Ce fait sutfirait a prouver, s'il en etait
besoin, que le trouble ne consiste pas dans une action insulEsante
de la realite sur le sujet, mais dans une insuflisance des operations
mentales qui conduisent soit a la perception de la realite, soit a
rillusion de cette perception.
On pourrait done reunir un assez grand nombre de leurs trou-
bles psychologiques en supposant contrairement a Topinon com-
mune que la realite presente exige une complexite speciale de
Toperation psychologique et qu*il y ait par consequent une fonc-
tion speciale que Ton pourrait appeler la fonction da reel, C'est
tin trouble dans I' apprehension du reel par la perception et par
i'aciion qui resume les troubles presentes par nos malades en
dehors de leur manies et de leurs obsessions.
L'etude des troubles physiologiques est plus simple et il est
plus facile de les resumer. On a observe des douleurs dans la
tete en relation probablement avec une insuflisance de regular!-
sation de la pression intracephalique et avec des troubles vaso-
LES PfiRIODES PSYGHASTHfiNIQUES 439
rooteurs, des troubles digestifs en rapport avec Tatonie gastro-in-
testinale, de Thypoacidit^ urinaire, de la faiblesse cardiaque et
de Thypotension vasculaire, des troubles des' s^cr^tions et des
troubles des fonctions g^nitales.
D'une maniere generale ce sont les symptomes de la neuras-
thenie. Nous aurons a discuter a propos du diagnostic s'il y a
lieu de s6parer les obsessions et I'angoisse de la neurasthdnie
proprement dite. Pour le moment il suffit de reraarquer que Ton
note dans tout Torganisme les signes d'un ^puisement nerveux
qui est paralelle a la diminution d'activit^ psychique.
En un mot les caracteres gen^raux des stigmates psychast^-
niques peuvent etre maintenant r^sum^spar cestrois notions plus
simples: i**rinachevement, Tincompl^tude des operations psycho-
logiques; 2® la diminution ou la perte de la fonction du reel;
3** les symptomes physiologiques de Tepuisement nerveux.
3. — Les p6riode8 psycbastbiniques.
Ces phenomenes psychologiques et physiologiques que j'ai
appeles des stigmates psychasth6niques ne sont pas continuels
pendant toute la vie du malade, ils n'existent pas sans interruption
m^me dans les cas les plus graves depuis la naissance jusqu'a la
mort. Je crois que cette notion est capitale et qu'elle n'a pas assez
frappe Tesprit de ceux qui considerent cette maladie comme une
simple d^generescence mentale. Le raisonnement seul pourrait
d'abord faire prevoir ce caractfere : la plupart des sentiments
anormaux exprim^s par les malades ne sont intelligibles que si
on suppose dans leur esprit une comparaison entre Tetat actuel
de maladie et un 6tat de. sant6 ant^rieur. Les sujets vous disent
sans cesse quails descendent, qu'ils ont perdu leur force, leur
intelligence, leur personne : il faut done admettre qu'ils aient
^te plus hauty quUls aient eu a un moment donne une autre force,
une autre intelligence, une autre personne.
Le sentiment du r6el dont nous ignorons presque compl^te-
ment le mecanisme, doit ^tre un ph^nomene relatifet d^pendre
d'un certain degr^ d'activit^ moyenne auquel Tindividu est accou-
tum^. Un idiot qui a eu toute sa vie une activity meutale faible
arrive cependant a un certain sens du r^el qui lui suffit. II est
440 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
bien probable que si nos malades avaient toujours eu cette meme
faiblesse de pens^e, ils ne s'en apercevraient pas maintenant
et ne se plaindraient de ne pas saisir la r^alit^, de trouver que
tout est lointain, que tout est mort. Ce raisonnement qui peut
s'appliquer a presque tous les symptomes montre bien que les
stigmates psychastheniques appartiennent a un 6tat accidentel et
de nature transitoire, comme une veritable maladie.
D'aillcurs {'observation est sur ce point tres demonstrative :
sans entrer dans T^tude de revolution de la maladie a laquelle je
consacrerai un chapitre special, je puis faire remarquer ici que
chez tous les malades sans exception ces stigmates constituant
Tetat psychasth^nique se sont present^s par periodes. II est vrai
seulement que dans les cas graves ces periodes peuvent durer
tres longtemps.
Dans certains cas particulierement typiques les periodes sont
tres precises et peuvent ne durer que quelques jours. Dans ces
cas on peut bien noter Tapparition des troubles, leur Evolution et
leur disparition. Les auteurs qui ontdecrit la dipsomanie, comme
M. Magnan, ont bien remarqu^ les troubles m^lancoliques, la con-
fusion qui precede souvent de plusieurs jours Timpulsion propre-
ment ditc \ M. Seglas est Tun de ceux qui ont le mieux not6
chez les obs^des Tapparition de ces periodes qui cc r^alisent, dit-il,
comme une forme attenuee de la confusion mentale... II y a pen-
dant deux ou trois jours une exageration de quelques symptomes
neurastheniques... Les malades ne se rcconnaissent plus eux-
memes, ne se trouvent plus comme auparavant. L'attention est
tres defectueuse, difficile a fixer, facile a fatiguer ; la m^moire
est paresseuse et infidelc, la volonte est attelnte dans sa forme
motrice et Taboulie se traduit par une invincible apathie- ».
Chez beaucoup de nos malades on peut observer ces periodes
de psychasthenic qui preparent les crises d'obsession : les
choses se passent ainsi chez Got..., chez Pot... Je prendrai sur-
tout comme exemple Tobservation de Kl... Cette femme a eu
autrefois de longues periodes maladives durant des ann^es;
actuellement les periodes sont courtes, elles ne durent que
quelques jours et elles cessent d'une maniere assez nette. Le
trouble survient en g^n^ral quelques jours apr^s la fin des
I. Magoan, La dipsomanie, p.
a. Seglas, op. cit, p. 70.
LES PERIODES PSYGHASTHENIQUES 441
regies^ il a ete prepare par diverses Amotions dont nous 6tu-
dieroDs Timportance, il s'annonce presque toujours par une
modification du sommeil, la malade dort moins bien et d'une
maniere bizarre. II lui semble qu'elie dort trop profond^ment
et en meme temps qu'elle ne se repose pas. Ceux qui ont etudie
le sommeil des 6pileptiques sont habitues a cette description.
En m^me temps Kl... sent que son sommeil est douloureux,
qu'elle a tout en dormant une douleur qui se forme au-dessus
de la tete ; c'est ce qu'elle appelle « avoir la fievre dans la
tete )). Quand elle se reveille le matin en se souvenant qu'elle
a eu pendant le sommeil la fievre dans la tete elle est cer-
taine qu'elle va encore etre malade. En effet, elle se sent dans
cette premiere journ^e mal a son aise, elle est fatigu^e, elle
soufTre de la t^te, elle n'a aucun app^tit ; les digestions sont
longues, p^nibles, accompagnees de pesanteur et de gonflement
de la region epigastrique, la langue est devenue immediatement
tout a fait saburrale, et la constipation est opiniatre. On voit que
du moins chez cette malade ce sont les symptdmes physiques
qui semblent apparaitre les premiers.
La nuit suivante est encore plus mauvaise et la « fievre de tete »
plus forte. Quand la malade se reveille elle est moralement trou-
bl^e : « Je sens que je n'y suis plus, j^ai tout a fait perdu ma
volonte, on pent faire de moi ce que Ton veut, puisque je suis de-
venue une machine... je ne peux plus lire ni comprendre... les
gens me paraissent droles et j*ai en vie de me facher contre eux
parce quMls ont de dr6les de t^tes... je deviens Strange, incom-
prehensible a moi-m6me et je m'interroge sur une foule de
choses. » Voici done que surviennent nos sympt6mes psychasthe-
niques qui forment trcs nettement chez cette personne une
periode maladive. Quand ces symptomes ont dure en s'aggravant,
la moindre occasion, un effort pour retrouver la volont6 absente,
un effort d'attention, ou une petite Amotion va determiner le
debut d^autres phenomenes que nousconnaissons bien ; la malade
va avoir une crise de rumination mentale et s'interroger ind^fini-
ment sur la naissance de son enfant. « La petite tache qu'il porte
au derriere est-elle la preuve qu'il soit de son mari, peut-on
concevoir des enfants sans avoir eu d*amants, etc. » Ou bien si
la malade veut se debarrasser de ces questions obsedantes, elle va
avoir^de Tagitation motrice et entrer dans de veritables crises
d*excitation. Si la periode se prolonge les id^es obs^dantes
442 LES STIGMATES PSYCHASTHfiNIQUES
vont devenir plus nettes et KI... va s'accuser d'avoir tromp^ son
mari avec tout le monde, va avoir des remords, des hontes d'elle-
meme, etc...
Autrefois les periodes aiosi commenc^es se prolongeaient pen-
dant des mois. Aujourd'hui la crise de rumination ou d'excitation
ne survient Tortement que deux ou trois fois pendant quelques
heures,la nialade n'y est exposee que pendant deux ou trois jours.
Le sixieme ou le septieme jour de la maladie, surtout si elle a
pris quelques soins est d^ja moins grave, il n'y a plus de v^rita-
bles crises d'agitation forc^e. Tout se borne aux symptomes de
Tetat psychasthenique encore tr6s graves, aboulie, sentiment
d'^trangete et un certain degr^ de depersonnalisation. Ces symp-
tomes diminuent le jour suivant et quand Kl..*. a dormi une bonne
nuit sans a Gevre de tete » tout est fini.
Ce cas remarquable est tres instructif: il nous montre que la pe-
riode psychasthenique est plus longue que la crise d'agitation for-
cee. La crise d'agitation forc^e et surtout la crise d*obsession se
surajoutent a la pcriode psychasthenique, ces crises commencent
quelques temps apres le debut de la pcriode maladive, et en
general elle disparaissent quelque temps avant elle. On peutdonc,
dans les cas irbs nets comme celui-ci, dire que les stigmates sont
les preliminaires de la crise d'obsession, qu'ils constituent une
sorte d'aura analogue aux troubles respiratoires et a la boule des
hysteriques. Mais il ne faut pas oublier que les choses ne sont
pas aussi nettes que dans Thysterie : les stigmates qui jouent le role
d'aura ne disparaissent pas quand la crise est commenc^e, ils per-
sistent tout le temps plutot aggraves ; en outre cette aura ne pre-
cede pas une seule crise, mais plutot un 6tatde mal pendant lequel
les crises sont nombreuses a propos des circonstanccs que j*ai in-
diquees et entre lesquelles Tetat psychasthenique se prolonge.
11 est bien Evident que chez d'autres malades les choses ne sont
pas aussi nettes, I'etat psychasthenique nedisparaitpas complete-
ment au bout de quelques jours ; il persiste constamnient plus ou
moins att^nud et on observe seulement une. augmentation de ces
stigmates qui precede et annonce les crises. Nous reverrons avec
plus de precision ces divers groupements des symptomes en
etudiant revolution de la maladie. Ce tableau presente par les
cas typiques etait seulement destine a resumer et a presenter
dans leur ensemble les divers ph^uomenes que nous venons de
passer en revue dans cette etude surtout descriptive et clinique.
DEUXifiME PARTIE
ETUDES GENERALE8 SUR l'aBAISSEMENT DE LA
TENSION PSYCIIOLOGIQUE
CHAPITRE PREMIER
THEORIES PATHOGfiNIQUES
LES MODIFICATIONS DE LA TENSION PSYGHOLOGIQUE
Dans rignorance ou nous sommes des fonctions essentielies du
syst^me nerveux et des causes qui d^terminent Taugmenta-
tion ou la diminution des operations c^r^brales les theories patho-
g^niques des troubles de Tesprit ne peuvent guere etre que des
classifications aussi naturelles que possible des symptomes obser-
ves. Elles doivent se borner a determiner quel est le groupe dc
symptomes que Ton considere comme principal et auquel on
essaye de rattacher tons les autres et quels sont au contraire les
symptomes que Ton considere comme secondaires et que I'on
met sous la d^pendance des premiers. Comme les symptomes sont
ici essentiellement des ph^nomfenes psychologiques, les theories
ont pour but de rechercher quels sont, a nos yeux, les ph^no-
menes psychologiques dominateurs et quels sont les phenom^nes
psychologiques secondaires.
A cote de ces theories qui classent les symptomes les uns par
rapport aux autres, il faut placer d'autres theories plus g^n^rales
qui cherchent les rapports entre cette maladie de Tobsession et
les autres maladies mentales ou m6me physiques. Ce sont encore
des classifications qui etablissent les rapports de cette maladie
avec les autres. II ne faut pas confondre ces deux genres de
theories : la theorie de Westphal qui rattache tous les symp-
tomes a Tobsession intellectuelle est une theorie psychologique
du premier genre, la theorie de M. Magnan qui considere
tous ces phenomenes sans exception comme des stigmates de
degenerescence mentale est une theorie m^dicale du second
genre ; il ne faudrait pas non plus opposer ces deux theories
Tune a Tautre, elles peuvent etre vraies ensemble, car elles
repondent a deux questions difTerentes. Nous nous occuperons
446 THEORIES PATH0G£NIQUES
(I'abord des premieres theories qui essayent d'arriver a une inter-
pretation psychologique, c*est-a-dire a une classification naturelle
des sympt^mes lesunspar rapport aux autres et nous rcserverons
pour les chapitres suivants les etudes relatives a T^tiologie et a la
classification de la maladie par rapport aux autres n^vroses.
Ces symptomes, dans Tanalyseque nous en avons faite, nousont
paru se r^partir en trois groupes d'apres leurs analogies :
i^ Le groupe constitue par les obsessions proprement dites,
c*est-a-dire par des id^es contenant une representation assez nette,
ayant pour objet determine une conception generate etenvahissant
la conscience des sujets d'une maniere excessive et involontaire.
Ces obsessions avaient des caracteres sp^ciaux dont le principal
etait un defaut de conclusion, d'achevement, ces id^es ne parvenant
jamais, ni a Taction, ni a Thallucination, ni a la certitude.
2** Un groupe trfes varie de processus, c'est-a-dire d'op^rations
psychologiques s'efTectuant d'une maniere plus ou moins irresis-
tible dans Tesprit des sujets. Ces operations etaient des mouve-
ments diffiis ou systematises sous forme de tics, des emotions
angoissantes, des ruminations mentales, c*est-a-dire des opera-
tions intellectuelles, interminables qui ne formulaient pas des
idees precises, mais qui se repetaient indefiniment sans arriveru
des conclusions. Ces diverses operations excessives, inutiles et
dWdre inferieur constituaient les agitations forcees.
3** Des insuffisances psychologiques, c'est-a-dire des troubles
de ccrtaines operations psychologiques qui ne s^eSectuaient plus
comme ii Tetat normal ; ces troubles consistaient d'abord en senti-
ments pathologiques d'irrealite, d'impuissance, d*incompletude,
puis en alterations redles des fonctions qui etaient surtout des
phenomenes d^aboulie et d^aprosexie.
Le probleme de Tinterpretation psychologique de cette maladie
consiste a savoir lequel de ces trois groupes doit etre considere
comme le plus important et comme le point de depart des deux
autres. II en resultc qu'il y aura theoriquement trois groupes de
theories principales suivant que Ton prendra pour point de depart
Tun de ces groupes ou Tun des phenomenes appartenant a tel ou
tel de ces groupes.
On aura ainsi des theories intellectuelles qui mettront au pre-
mier rang Tobsession proprement dite ou Fidee qui tourmente le
sujet.
On aura des theories qui prendront pour point de depart
LES MODIFICATIONS DE LA TENSION PSYCHOLOGIQUE 447
Tune des agitations Torches et le plus souvent les attaques d'an^
goisse, il en r^siilte que les theories de ce groupe seront surtout
des theories emolionnelles,
Enfin il est naturel de concevoir des interpretations qui s'ap-
puient sur le troisieme groupe de faits, qui accordent la plus
grande importance aux insullisances psychologiques el en parti-
eulier aux aboulies et que Ton pent appeler des theories pyschasthe^
niques. Nous resumerons les deux premieres theories et nous
insistcrons sur Ics dernieres qui nous semblent presenter plus
d'int^ret.
448 THEORIES PATHOGCNIQUES
PREMIfiRE SECTION
THiORIES INTBLLBCTUBLLBS ET THEORIES ^MOTIONNELLBS
Les premiers observateurs semblent avoir 6\6 surtout frappes
par le ph^nom^ne intellectuel assez bizarre de Tobsession et sup-
posent tout naturellement que le trouble principal est dans Tin-
telligence des malades^
i. — ExpoaSdea tbSoriea intellectuellea.
Deja en i854 pendant la discussion qui eut lieu a la soci^t^
medico-psychologique sur les monomanies Delasiauve et Peisse
furent disposes a penser que le trouble est primitivepient dans
rintelligence et non dans le sentiment'.
Griesinger en 1868^, d^crivant des faits relatifs a la manie du
pourquoi et du comment en fait une obsession avec conscience sous
forme de question et de doute. II d^crit en somme certaines formes
de rumination mentale et les obsessions qui s'y rattachent : il n'a
pas remarque les ph6nomenes d*angoisse et ne fait aucune allusion
aux phobies qui sont pourtant fr^quentes chez les memes malades
et il soutient que le trouble est exclusivement dans les idees inde-
pendamment de toute complication Emotive ou passionnelle.
Un m^moire qui (it epoque et qui contient une expression plus
precise de la meme theorie est celui de Westphal, 1877, Ueber
I. Pour tous ces renseignemenU hisloriques, je dois Leaucoup Si Tetude hislo-
rique presenlee par M. Ladameau Congres dcsalienisles aliemands k Berlin, public
in extenso dans un article des Annales mid. psych., 1890, II, 872 et dans la Revue
de I'Hypnolisme, 1891, p. i3'J, ei au rapporl remarquable sur les obsessions pr^sente
par MM. Pitres ot Regis, au Congres de m^decine de Moscou en 1896.
3. Delasiauve, -Inn. mid. psych., i854, p. 118, 276. Peisse, Ann. mid. psych.,
i854. p. a83.
3. Griesinger, Ueber cinen wenig bekanntcn psychopatiscben Zustand. Archivfur
Psychiatric, 1, 1868, p. 62C.
EXPOSfi DES THfiORIES INTELLECTUELLES 449
zwangsvorsteIIungen^ En premier lieu, Tauteur observe bien le ca-
ractere incomplet du delire : jamais, dit-il, Tobsession ne devient
une veritable idee delirante car les malades ne Tassimilent jamais
compl^tement comme font les alienes syst^matiques, Tobsession
reste toujours etrangere au moi des malades. L*auteur ajoute en*
suite un second caractere qu'il croit fondamental, c'est que Tobses-
sion n'est jamais sous la dependance d'un etat ^motifou passionnel,
c'est qu'elle est un trouble originel de Tid^e. Quand Tobsession
apparait pour la premiere fois le malade pent etre dans un etat de
tranquillity parfaite, d'indiff^rence, sans trace d^emotion. Les acces
d'angoisse n'apparaissent que plus tard et sont toujours secon-
daires : jamais on ne trouve Tangoisse primaire comme dans d*au-
tres psychoses, la m^lancolie ou Thypocondrie. Si on a cru cons-
tater Tangoisse en m^me temps que Tobsession c*est une simple
coincidence.
Cette opinion de Wcstphal qui consid^re les obsessions comme
de simples troubles intellectuels semble pr^valoir dans les tra-
vaux de Meynert, 1877, de Buccola, 1880, de Tamburini, 1880,
de Morselli, i885, de Hack-Tuke, 1894 ^ Nous retrouvons la
m^me affirmation dans Touvrage de MM. Magnan et Legrain i8g5.
« Les phenomenes de Temotion ne sont que des reactions secon-
daires... si le sympathique intervient il le fait secondairement et
non primitivement, il ob^it a la situation mentale au lieu de la
commander... L'onomatomanie, la folic du doute, le delire du
toucher, Techolalie sont sans aucun doute des troubles du fonc-
tionnement de Tecorce. Enfin, rappelons que les phenomenes
^motionnels ont une intensity tr^s variable, qu'ils sont souvent
reduits a peu de chose et que dans certains cas ils disparaissent^. »
Meme conception egalenient dans le travail de Mickle, 1896 : ce
sont les troubles de I'idee qui prevalent toujours. « L'idee impera-
tive est le grand f^cteur, les troubles emotifs peuvent etre consi-
d^res comme secondaires et sont dus au conflit entre Tidee et la
volonte *. »
1. Weslphal. Berliner klinische Wochenschrijl, 1872, p. 890. Ueber zwangsvor-
stellunyen, 1877.
2. Meynert, Abortive Verruckheil. Psych. Centralbl., 1877. Buccola, Rev. sper. di
freniatria, 1880. Tamburini, Sulla pazzia del Dubbio. Rev. sper. difren., 1880. Mor-
selli, Mandate di semeiolica, i885. Hack-Tuke, Drain^ 1894.
3. Magnan et Legrain, Les degenires (Bibl. Gharcot-Debove), 1895, p. 17^.
4. J. Mickle, Mental Besetments or Obsessions. Mental Science, oct. 1896, d'apr^s
Pitres et Regis, op. cit., p. 8.
LES OBSESSIONS. I. — 29
450 THEORIES PATHOG^NIQUES
Enfin dans la derniere edition du traits de psychiatrie de
Krafi^-Ebing, F^motion de Tobs^d^ est consid^r^e comme secon-
daire, comme la reaction de la representation obsedante sur la
vie Emotive du malade. Tout au plus i'auteur convient-il qu'ii y
a lieu de constituer une vari^te oil T^motion joue un assez grand
r61e\ c*est d'allleurs a cette conclusion que parvenaient ^galement
Tamburini, Luys, J. Falret.
2. — Discussion des tb6ories intellectuelles.
Cette opinion cependant ne semble pas en faveur aujourd'hui,
elle est fortement battue en breche dans le m^moire de MM. Pitres
et R^gis, qui r^sumait T^tat actuel de la question, et je suis dispose
a partager Topinion de ces auteurs. Je remarquerai d'abord que
cette theorie dite intellectuelle de Tobsession est excessivement
vague et ne nous apprend absolument rien sur la nature de ce
trouble intellectuel ni sur son mecanisme : elle affirme simple-
ment que les troubles intellectuels sout les premiers de tons. II
faudrait pourtant s'entendre sur ce que Ton d^signe par ces
mots (c troubles intellectuels » qui peuvent avoir ici trois signifi-
cations : 1° ils peuvent designer Tobsession proprement dite, cette
idee saugrenue qui s*impose au malade et lui fait penser : qu'il a
viole et assassin^ une vieille femme devant une eglise ; 2^ ils
peuvent designer les manies mentales, ces mauvaises habitudes de
rep^ter une operation psychologique parfaitement inutile comme
de se souvenir, de chercher, de compter, de jurer; 3** on peut
entendre par troubles intellectuels les sentiments d*^trangete,
d'inintelligence, les troubles de Tattention, de la perception per-
sonnelle, etc. Les partisans de theories intellectuelles sont bien
loin de nous dire avec precision iequel de ces trois sens ils
adoptent.
II semble certain que les auteurs ne parlent pas du troisi^me
groupe dont ils semblent ne pas soupconner Timportance ou dont
ils font une maladie a part, quand ils sont forces de les constater
ainsi qu'il arrive dans la n^vrose cerebro-cardiaque de Krisha-
ber. lis confondent les deux premiers groupes, mais ils accordent
I. Krafilt-EbiDg, Traiti de psychiatrie, trad. Laurent, 1897, P- ^^^'
DISCUSSION DES THEORIES INTELLECTUELLES 451
^videmmeot plus d'importance au premier et en somme les theo-
ries intellectueiles semClent Hre des theories qui, d'une mani^re
il est vrai fort vague, admettent la priority de Tid^e obs^dante.
Pouvons-Dous partager cette opinion ?
Les arguments presentes par Westphal et par les auteurs
intellectualistes se bornent a nous montrer qu*il y a des obses-
sions sans angoisses et sans troubles emotionnels prealables. La
remarque est tres juste, mais elle se borne a contredire les theo-
ries emotionnelles, elle ne donne pas de preuve directe de la
priority de Tid^e obs^dante. D'autre part on pent objecter bien
des arguments contre cette priority.
L*observation clinique permet d^ja de faire des reserves : ces
idees obsedantes, nettes, d^terminees donnees par le malade
comme une interpretation de son mal ne sont pas aussi communes
qu'on le croit. Si on veut bien ne pas isoler arbitrairement les
malades qui ont des v^ritables obsessions, si Ton r^unit en un
ensemble, comme j'ai essaye de le faire, tons ceux qui par la
grande majority des sympt6mes psychologiques et par revo-
lution de leur maladie sont reellement du meme genre, on verra
que beaucoup de ces sujets ont simplement des tics, des agi-
tations mentales, des angoisses, des sentiments varies d*in-
completude et n'ont pas dHdees obsedantes proprement dites.
Dob... a des grandes angoisses qui se produisent dans des cir-
constances particulieres, ce qui fait qu^on pent les nommer des
agoraphobics, des peurs de Tespace ; maisc'est nous qui donnons
ce nom et cette explication. La malade repete toujours qu'elle n'a
aucune idee absurde a propos des grandes places ou des rues, elle
se defend d'avoir des idees de honte ou de pudeur exageree, elle
ditqu^une crise la prend dans la rue sans qu'elle sache pourquoi \
En somme elle a des crises d^angoisse physiologique et n'a pas
d'idee obsedante anterieure a ces crises. Mw... est tourmenteepar
la manie des serments, c'est deja plus intellectuel, mais il n'y a
pas la d'idee determinee, elle ne fait pas ces serments par prin-
cipe en vertu d'une theorie de la vie qu*elle se soit faite. Elle ne
salt pas pourquoi elle les fait, elle ne les rattache a rien, c'est une
habitude, un tic de Tesprit, ce n^est pas une idee ayant un objet
determine et representant quelque chose.
I. Mdme remarque sur un agoraphobe dans un article de M. Van Eeden, d'Am-
ftterdam, Les obsessions. Hevue de rhypnotisme, 189a, p. 5.
452 THtoRIES PATHOOeNIQUES
Cependant ces memes malades peuvent avoir des idees obse-
denies, mais ils les auront plus tard, car on voit dans revolution
de beaucoup de sujets que des obsessions viennent apres cette
p^riode. Claire a eu toutes ses idees de honte, d'auto-accusation,
quatre ou cinq ans apres le debut de la maladie et pendant toute
cette premiere p^riode elle avait simplement des sentiments de
manque de foi, d*incompletude, des manies, des tics, des agita-
tions. Gisele a eu des angoisses longtemps avant d'avoir ses re-
mords de vocation. Sans doute il y a des cas oil tout parait com-
mencer a la fois, ou il y a en meme temps les manies de propret^,
les angoisses et Fobsession du chien enrage, mais ces cas sont
plutot rares et la regie g^nerale c'est que Tidee est un symptome
terminal.
A ces observations cliniques s'ajoutent des reflexions psycholo-
giques. Une id^e est un phenomene psychologique complexe qui
demande des antecedents en rapport avec ses caracteres et il ne
me semble pas facile de comprendre comment de semblables
idees peuvent se former dans un esprit, comment elles peuvent
prendre les caracteres de Tobsession s'il n*y a aucun trouble
psychologique anterieur.
On pourrait penser a la formation de certaines idees fixes par
un mecanisme analogue a celui de la suggestion hypnotique '.
Mais en premier lieu la suggestion hypnotique suppose des
troubles prealables et, ce qui est ici particulierement grave, la
suggestion hypnotique n'existe pas chez les scrupuleux. C'est la
un point sur lequel j'ai beaucoup insiste et que je considere
comme important. Les scrupuleux ne se comportent pas du tout
comme les hysteriques vis-a-vis de la suggestion, ils ne la subis-
sent que dans une mesure tres imparfaite et qui est tout a fait
insuflSsante pour engendrer une idee fixe. C'est done a tort que
beaucoup d'auteurs font appel a cette analogic pour expliquer
la formation des obsessions. II reste que Tobsession serait tout
a fait inexplicable si on la considerait comme primitive.
Ces raisons que je viens de resumer et d'autres du meme
genre ont diminue la confiance dans les theories dites intellec-
tuelles qui aujourd'hui ont certainement peu de partisans.
I. Arie de Jong (de La Haye). Congres de medecing de Moscou, aoi^t 1897.
EXPOSfi DES THEORIES fiMOTlONNELLES iy3
3. — Expo86 dea tbioriea 6motionnelles.
Des Torigine de ces Etudes, une autre interpretation s^estoppo-
see aux interpretations intellectuelles que nous venons de resu-
mer. L^une des' premieres descriptions des obsessions a et6 don-
nee par Morel en 1866 sous le nom de delire emotify eequi indique
bien le point de vue auquel cet auteur se pla^ait. Quand West-
phal soutint a la Society m^dico-psychologique de Berlin la these
intellectuelle en 1877, il fut vivement conibattu par Jastrowicz
et par Sander*. Berger, de Breslau, fut plus adirmatif encore
puisqu'il rangeait sans hesitation les obsessions parmi les n^-
vroses emotionnelles \
Cette conception de la nature Emotive des obsessions qui etait
en sommc celle de Morel est reprise parLegrand du Saulle : a Le
delire emotif, ditil, n'est que la resultante de toutes les iinpres-
sionnabi4ites anxieuses possibles, tandis que la peur des espaces
se limite a une angoisse penible, terrifiante en face du vide ou
dans des conditions absolument speciales*. » Legrand du Saulle,
comme on va le faire plus tard, distingue d6ja tres bien les emo-
tions diffuses et les Amotions systematis^es. Cette doctrine va se
retrouver sans grandes modifications chez Brosius, Wiile, 1881,
Wernicke, Krafft-Ebing. Les m^mes idees semblent se preciser
un peu avec Friedenreich, 1887*, Hans Kaan, Schuele; ces au-
teurs examinent de preference un phenomene special, la crise
d'angoisse, ils considerent cette crise d'angoisse comme le symp-
tome principal de Tetat psychasthenique et comme le point de
depart de Pobsession. M. Fere, 1892*^, admet que les idees fixes
ont leur origine dans Temotivite morbide, pour M. Dallemagne^
remotion est toujours le fait primitif, etM. Seglas dit de memeque
Tobsession repose toujours sur un fondd'emotivite pathologique^.
1. Arrhiv. fur Psych,, VIII, 1878, p. 78^, 760.
2. Berger, Archio. fur Psych., VI, 1876, p. 217 ; VII. 1878, p. 616.
3. Legrand du SauUe, Agoraphobic, p. 46-
4. Friedenreich, Xeuroloffisch. Centralblatt, 1887.
5. Gh. Fcr^, Pathologic des emotions, 1892, p. 453 (Paris, F. Alcan).
6. Dalleniagne, Degeneres et desegnilibres, iSgS, p. 673.
7. Seglas, Legons cliniqnes, 1895, p. 81.
45i THfiORIES PATHOGfiMQUES
M. Ballet ajoute un mot de plus qui me parait avoir une cer-
taine importance : ii place les obsessions parmi les anomalies de
r^motivite et de la volont^ chez les d^g^n^res ^ Je ne parle pas
pour le moment du mot n degen6r^s » dont a mon avis on a
singulicrement abuse dans cette question; je remarque seulement
que M. Ballet ne se borne pas comme les auteurs precedents a
parler de Temotion mais quHl indique au moins comme probleme
les troubles de la volont^.
M. Freud, de Vienne, precise d'abord la notion de Tangoisse,
il en decrit avec precision une dizaine de formes caracterisees par
certains ph^nomenes physiologiques predominants, il nous sufGt
de rappeler les titres de ces varietes, car il est facile de voir que
plusieurs d^entre elles ont ^te decrites quand nous avons examine
les ph^nomenes physiologiques de Tattaqued'angoisse: i^Attaque
cardiaque (pseudo-angine de poitrine). 2® Attaque respiratoirc
(dyspnce nerveuse, faux asthrae). 3^ Attaque de sueurs profuses,
souvent nocturnes. 4" Attaque de secousses et de tremblements
(non hyst^riques). 5° Attaque de boulimie (ce dernier phcnomene
a et6 decrit par nous a propos des troubles psychologiques : chez
les malades qui ont pr^sent^ de la boulimie, celle-ci etait en
rapport avec des sentiments de faiblesse, de fatigue, d*aboulie
tout a fait caracteristiques). 6^ Attaque de diarrh^e ou de polyurie.
7® Attaques vaso-motrices. 8° Attaques de paresth^sies. 9° Atta-
ques de frayeurs nocturnes avec reveils angoissants. 10^ Attaques
de vertiges*. Par cette description precise, Freud et Hecker ont
mis au premier rang le phenomene de Tangoisse, ils en ont fait
une maladie distincte sous le nom de n^vrose d'angoisse (Angst-
neurose). Mais M. Freud a et6 plus loin et a voulu donner une
explication a mon avis tr^s hypoth^tique de ces angoisses en les
rattachant toujours a des troubles de la sensibility et des fonc-
tions sexuelles ; nous aurons a revenir sur ce point en ^tudiant
revolution de la maladie.
Ces divers travaux sur le role de Tcmotivite morbide dans le
mecanisme des obsessions sont resumes, coordonn6s et completes
dans le travail de MM. Pitres et Regis, qui a ete presente au
Congres de medecine de Moscou en 1897 comme rapport sur
I. Ballet, DSginerescence mentale, in Traiti de medecine de Charcot, Bouchard,
1894.
a. Freud, Neurologisch. Cenlralbl., Janvier iSgS. Heckor, AUq. Zeitsehr. f.
Psych., LII, fasc. 6, p. 1167. Freud, Hevue neurologique, 3o Janvier iSgS.
EXPOSfi DES THEORIES fiMOTIONNELLES ' 455
r^tat actuel du probleme interessant de Tobsession \ Ce rapport
constitue aujourd'hui la meilleure expression de i'ancienne these
de Morel sur Torigine ^motionnelle des obsessions.
Voyons done comment ces auteurs interpr^tent ce probleme.
Apres quelques reflexions gen^rales sur la priorite de la vie affec-
tive par rapport a la vie intellectuelle emprunt^es a Schopen-
hauer et a M. Ribot, les auteurs admettent comme un fait de-
montre la th^orie de F^motion de Lange et de James, « T^mo-
tion, disent-ils, n'est que la conscience des variations neuro-vas-
culaires')). Ainsi entendue, I'^motivil^, c'est-a-dire Faptitude a
produire et a ressentir les variations physiologiques diverses
et surtout les variations neuro-vasculaires est variable suivant
les individus, « il y en a qui sont dou^s a cet ^gard d'une
susceptibility particulicre, ce sont les emotifs », cette ^motivit^
devient excessive, suivant les remarques de M. F6re quand ces
phenomenes physiologiques d^passent Tintensite normale, se
prolongent outre mesure, se produlsent sans cause determinante
suffisante. Dans un premier groupe de cas cette 6motivit6 est
diffuse et produit une sorte de panophobie, a les sujets sont dans
un etat permanent de tension Emotive qui eclate brusquement
par paroxysmes comme une d^charge de fluide emotionnel. Une
id^e, une Amotion, une sensation quelconque suffisent, le moment
venu, pour provoquer la d^charge qui pent m^me se produire
dans le sommeil sous la forme de chocs anxieux (emotional dis-
charges de Weir Mitchell) de r^veils brusques avec angoisses
respiratoires (r^veils angoissants de Mac Farlane) ^ ». Ces ma-
lades vivent dans un ^tat d'appr^hension continuelle, ils ont peur
d'avoir peur, c'est Tattente anxieuse de Freud ; « il semble qu*il
y ait toujours de Tangoisse a T^tat libre toujours prete a se mani-
fester, la forme pouvant varier suivant les circonstances' ».
Dans un second groupe de cas, cette emotivity vague et diffuse
se precise, se systematise : Tattaque d'angoisse se produit dans
des circonstances d^terminees. Tantot il s*agit de phobies cons-
titutionnelles en quelque sorte h^reditaires : certaines personnes
ont des peurs anxieuses a propos du velours, de certains fruits, du
I. Pitres et R^gis, SSmiiologie des obsessions, XII« Congr&s de m^decine. Moscou,
1897.
a. Pitres et R6gis, op. eii., 16.
3. Id., ibid,, p. 17.
456 THEORIES PATHOGtXlQUES
sang, du feu, de Teau, des hauteurs, des orages, d*un animal, etc.,
etc. ^ Dans d'autres cas, il s*agit de phobies acquises, « traumati-
ques » (Freud). Entre trente et cinquante ans ces malades qui
avaient jusque-Ia une ^motivite diffuse, apres une periode d^aflfai-
blissement ou de fatigues, subissent un choc moral, « c'est tres
souvent la mort d*un parent ou d'un ami, un accident grave, une
chute de voiture, de chemin d^ fer, la morsure d'un animal, le
contact fortuit d'un malade atteint d*une maladie contagieuse, une
fausse couche, une attaque, une syncope, un fort vertige, la vue
ou le recit d'un ^v^nement emouvant, d'un sinistre, d*un assassi-
nat, d*une epidemic, en un mot tout ce qui pent produire un
^branlement ^^motif considerable... » a partir de ce moment appa-
rait une phobie en rapport avec la cause originelle. M. Ribot a
trfes nettement decrit cette transformation : « La crainte maladive
pent etre le resultat de la transformation occasion nelle d*un etat
vague indetermin^ en une forme precise. La panophobie serait un
stade pr^paratolre, une periode d'indifferenciation. Le hasard,
un choc brusque, lui donne une orientation et la fixe (peur d'une
^pid^mie, des microbes, de la rage, etc.). C'est le passage de
r^tat aflfectif diiTus a T^tat intellectualise, c'est-a-dire concentre
et incarn^ dans une idee fixe : travail analogue a celui du delire
de persecution, oil la suspicion, d^abord vague, s'attache a un
homme et ne le lache plus^. »
Rnfin, nous arrivons au troisieme degre de la maladie, Tetat
obsedant devient intellectuel et il est accompagn^ d*une id^e
anxieuse, il est monoideique. Pour MM. Pitres et Regis, Tobses-
sion n'est souvent que la forme aggravee ou intellectualisee de la
phobie : « entre la phobie systematisee et Fobsession, il n*y a pas,
a notre avis, si loin qu'on le croit g^neralement... que faut-il, en
eifet, pour que la phobie systematisee tourne a Tobsession ? Il
faut simplement que cette phobie, au lieu de se manifester par
des crises d'angoisses intermittentes, avec calme complet dans
rintervalle, preoccupe plus ou moins, dans Tinterparoxysme, Tes-
prit du sujet, ce qui arrive dans la majorite des cas. Et c'est
ainsi, que par une pente toute naturelle, la monophobie tend peu
a peu vers ie monoideisme et qu*on a si souvent affaire dans la
pratique non a des phobies syst^matisdes pures, mais a des cas
1. Cf. Gelineau, Los pscudo- phobies. Hevue de rhYpnotisme , 189^, p. 353.
2. Th. Ribot, La psychologic des sentiments, 1896. p. a i4 (Paris, F. Alcan).
EXPOSfi DES THEORIES fiMOTIONNELLES 457
intermediaires ou de transition entre la phobie ou Tobsession...
L'obsession n'est done souvent qu'une phobie ayant perdu son
caract^re de simple trouble ^motifpour prendre par le fait m^me
de son evolution, celui de trouble a la fois ^motifet inteliectuel...
On retrouve toujours a un degr^ queiconque les symptomes carac-
teristiques de Tangoisse. Ce qu'on peut seulement remarquer au
moins en th^se gen^rale, c*est que plus Tobsession tend a s*intel-
lectualiser, plus son substratum ^motif s'attcnue \ »
Ce qui prouve bien la priority et la preponderance de Temotion
c'est qu'elle reste Telement constant et indispensable. « Prenez
une obsession quelconque, doute ou homicide, suppriraez par la
pensee Tangoisse, Tanxiete qui s'y trouve et vous n*aurez plus
d'obsession, enlevez Tid^e fixe, vous avez encore Tobsession dans
son essence, il n'y a pas d'obsession sans emotion, sans ph^no-
menes vaso-moteurs-. » Quand les malades traversent plusieurs
obsessions successives, celle de la rage, de la malpropret^, des
pieces de monnaie, ce qui varie, c'est le phenomene inteliectuel,
ce qui reste immuable et constant, c*est le phenomene ^motif :
Tanxi^te. On voit souvent les obsessions finir comme elles ont
commence par une phase d'angoisse indetermin^e apres la dispa-
rition de toute idee fixe. Enfin, on ne peut pas dire que cette
emotion n'est qu'une reaction de Tid^e car elle devrait alors etre
en raison directe de Tintensite de cette derniere, c'est le con-
traire qui a lieu, car on voit T^motion s^attenuer quand le cote
inteliectuel de Tobsession grandit ^.
Depuis la publication de ce rapport, la plupart des auteurs qui
ont parle des obsessions se rattachent visiblement a cette th^orie
emotionnelle. Je rappellerai seulement la communication presentee
par M. Jose de Magalhaes au dernier Congres de psychologic^ et
les travaux de M. Hartenberg sur la timidite et sur la n^vrose
d'angoisse ^.
Telle est la derniere fo»me qu'a prise la vicille theorie de Morel
I. Pitres et Regis, op. cit., p. Sa.
a. Id., ibid., p. ii.
3. Id., ibid., p. la.
4. Jose de Magalhaes, Note sur la psychopathie des id^es fixes. Comptes rendus
du congres de Psychologic de 1900. 1901, p. 594-
5. Hartenberg, Bevue de Psychologic, 1897, p. 18. La timidite, 1900. La nh)rose
d'angoisse, 1900. Conception psychologiquc sur la ncvrose d'angoisse. Congrhs de
Psychologic, 1901, p. 5 18.
458 THfiORIES PATHOGfiNIQUES
siir Torigine ^motionnelle des ^tats obs^dants. Tout le monde
doit 6tre frapp^ du progres que cette th^orie presente sur la
pr^cedente surtout dans la derniere forme qui lui a ^te donn6e ;
plusieurs points de cette conception me sembient tout a fait
satisfaisants et pouvent ^tre consideres comme acquis dans la
solution de ce problerae si d^licat.
D'abord la methode est juste, c'est la vieille methode de Des-
cartes qui explique le complexe par le simple. Au lieu de consi-
d^rer comme donn^ et comme primitif Tetat le plus complexe,
ridee obsedante, MM. Pitres et R^gis veulent partir de ph^no-
menes beaucoup plus simples, T^motivite et Tetat d^^motion dif-
fuse. En outre, la gen.ese des troubles les plus complexes me
semble bien comprise, elle se rattache a un travail de syst^ma-
tisation, de precision de plus en plus grande appliqu^ a des
troubles qui sont d'abord diflus et vagues ; on passe ainsi de
Tangoisse diffuse a Tangoisse svst^matique puis a Tobsession
intellectuelle. Enfin, MM. Pitres et R^gis choisissent comme
point de depart un trouble qui est evidemment tres important,
I'angoisse physiologiquc : il est Evident que ce ph^nom^ne joue
un rAle considerable dans la crise de processus irresistible de
meme que T^motivite est bien un caractere important des symp-
tomes psychasth^niques. Je crois done que cette theorie cons-
titue un grand progres et si j'essaye d'aller plus loin c'est parce
qu'il me semble necessaire d*appliquer avec plus de rigueur en-
core la methode expos^e par ces auteurs et de remonter un peu
plus loin jusqu'a des ph^nomcnes encore plus simples et plus ge-
neraux dans la maladie que Tangoisse elle-meme.
4. — Discussion des tbiories imotionnelles.
La theorie emotionnelle de Morel renouvel^e par MM. Pitres
et R^gis avait ete presentee au XII" Congres de medecine ; au
Congres suivant reuni a Paris, en 1900, elle fut deja contredite.
M. Lad. Haskovec (de Prague), en rapportant quelques observa-
tions int^ressantes sur lesquelles nous reviendrons essaya de mon-
trer qu*elle presentait des lacunesV
1. Lad. Haskovec de Prague, Contribution k la connaissance des idees obs^dantes.
DISCUSSION DES THEORIES CMOTIONNELLES 4o9
MM. Piires el Regis remarquaient que les id6es obsedantes
peuvent changer mais que Tetat ^motif accompagnant reste beau-
coup plus stable, cela prouve simplement, repond M. Haskovec,
que le domaine de rintelligence est plus riche et plus varie que
celui de r^motivite, mais cela ne nous inontre pas laquelle des
deux joue le role essentiel dans le phenomene pathologique. Ces
auteurs disent encore que Temotion ne peut etre secondaire,
qu*elle ne peut etre consid^ree comme une simple reaction deter-
minee par Tid^e, parce que, s^il en etait ainsi, Temotion devrait
toujours etre en raison de Fintensit^ de Tid^e, ce que Ton n'ob-
serve pas. La conclusion est precipitee, le degre d*emotivite n'est
pas le m^me chez tons les individus, Temotion depend de bien
d*autres raisons qui peuvent Temp^cher de correspondre exacte-
ment a Tintensite de Tidee (ixe quoique elle vienne a sa suite.
Enfin, ce qui est plus grave, MM. Pitres et Regis ont tort de
tout ramener a Temotion et surtout a une seule et unique Amotion,
a cette angoisse speciale qu*on observe souvent il est vrai chez
quelques-uns de ces malades. D'abord ce n'est pas toujours cette
Emotion-la qui fait le fond de Tobsession, M. Haskovec rapporte
Tobservation int^ressante d'un dtudiant obsed6 par des idees
gaies accompagnees d'un sentiment de joie. Je dois avouer que
cette observation me laisse des doutes : s'agit-il bien d'un malade
du meme genre, c'est chez les hysteriques par le m^canisme de la
suggestion plutot que chez les psychastheniques que Ton observe ces
joies obsedantes, j'en ai rapporte un exemple avec M. Raymond* ;
peut-etre aussi s'agit-il de ces sentiments d'ElEvation sublime, de
ces enthousiasmes que presentent, comme nous Tavons vu, les
sujets psychastheniques, mais qui ne sont pas de la meme nature
que les obsessions et les angoisses.
Ce qui est plus important a considerer ce sont les malades qui
tout en etant des obs(^des ne presentent pas de troubles 6mo-
tionnels. 11 y a bien des das de ce genre cites par Westphal,
Meschede, Griesinger et M. Haskovec y ajoute d'autres exemples
oil les lesions intellectueiles semblent tout a fait primaires.
« MM. Pitres et Regis vont trop loin quand ils disent : sup-
primez par la pensee, Tangoisse, Tanxi^te qui s'y trouve et vous
XlII*^ Congres internat. de mid. d Paris en 1900. Compies rendus de la section de
Psjchiairie, p. I3i.
I. Raymond el P. Janet, Nivroses et Idies fixes, II, p. 353.
460 TUfiORIES PATHOGfiNlQUES
n*aurez plus d^obsession. Bien des malades sont obsed^s jusqu'a
ne plus pouvoir rien faire et lis ne restent que trop indiff(§rents a
leur obsession. »
D'autres auteurs out aussi presents des critiques contre cette
restauration un peu simpliste desanciennes theories e motion nelies.
MM. Vaschide ct Marchand, dans une ^tude exp^rlmentale sur un
cas d'ereutophobie, ont bien constate un certain nombre de modi-
fications viscerates en rapport avec Tangoisse. Ces modifications
sont, il Taut en convenir, assez vagueset assez banaies, comme nous
avons essaye de le montrer en etudiant les symptomes de i*an-
goisse. Les auteurs font justement observer que ces modifications
sont bien loin de prec^der et de determiner les troubles mentaux.
Le sujet accuse d^abord la conscience du trouble intellectuel et
du sentiment phychologique, la r^apparition de son obsession
et de sa phobic, puis un certain temps apres les graphiques
accusent quelques modifications circulatoircs et respiratoires.
Aussi MM. Vaschide et Marchand concluent-ils ainsi : « L'id^a-
tion du sujet provoque une association qui, a son tour, suggere
une emotion d'attente, d*anxiete et d'angoisse et les ph6nomenes
neuro-vasculaires ne sont nuUement la source de ces changements
intellectuels ou emotifs..., il faut encore ajouter que Tobsession
de la peur de rougir est bien loin d'etre li^e avec une coloration
speciale du visage, le ph6nomene qui predomine est bien un
element purement emotionnel, un etat pour ainsi dire intel-
lectuel*... »
Dans une etude sur le meme phenomcne de Tereutophobie,
M. Claparede (de Geneve) reproduit les objections de MM. Vaschide
et Marchand. II insiste sur une remarque deja faite parM. R^gnier
que la rongeur du visage ne produit pas d'angoisse si Tintelligence
du malade « n'est pas suffisamment d^veloppee pour avoir souci
de Topinion d*autrui et de ses remarques a cet egard' ». Aprfes
avoir remarque que suivant Ics cas le trouble vasculaire pent pre-
ceder quelquefois depuis longtemps ou suivre le trouble moral,
il ajoute : « Ce n'est pas la rongeur comme telle qui provoque cette
honte, mais c'est la rongeur en tant qu'elle est une infirmite, en
tant qu'elle attire Tattcntion du public sur celui qui y est sujet »
I. Vaschide et Marchand, Un cas d*ercutophobie. Revue de Psychiatrie, }ui\\ei
1900.
a. R^gnier, De I'erentophobie. These de Bordeaux, 1896, p. 53.
DISCUSSION DES THEORIES fiMOTIONNELLES 461
et il se montre dispose a rattacher, comme je l*avais propos6
dans mon etude publi6e par la Re^fue philosophiquey T^reutophobie
aux maladies des scrupules, a la honte de soi-meme^
Enfin, dans une ^tude presentee au congr^s des alienistes et
neurologistes de Limoges en igoi, M. Arnaud a de nouveau discut^
rinterpretation ^motionnelle des obsessions et surtout la th^orie
p^riph^rique qui les rattache exclusivement a des modifications vis-
c6rales et vaso-motrices essentiellement p^riph^riques. « i° Cette
th6orie, dit-il, attache a Texpression Emotive et aux modifications
p^riph^riques une importance vraiment excessive. L'expression
Emotive est loin d'etre toujours adequate a Ti^motion ressentie dans
la conscience, il y a dans Temotion totale une part considerable
a faire aux id^es, a la brusque perception du trouble de notre
existence, ce que Ton appelle affectivit^ n'a pas d'cxistence dis-
tincte mais fait partie int^grante de T^tat psychique. 2" Cette
th^orie n'explique qu'une partie de la maladic des obsessions,
I'acc^s emotif. Get acces emotif est un incident important sans
doute, mais passager. L'^tat obsedant qui persiste en dehors
des crises ne pent etre explique par Temotion, phenomene brus-
que et passager. L'anxiete des obs^d^s est surtout c^r^brale,
intellectuelle, il y a un grand nombre d'obsessions intellectuelles
dans lesquelles ne se retrouve pas Tinfluence d'une tendance orga-
nique ni d'un trouble vaso-moteur^ »
Ces critiques m'ont int^ress^. En cfTet quoique dispose, comme
je Tai dit, a admettre dans ses grandes ligiies Tinterpr^tation
pr^sent^e au congres de Moscou, j'avais fait depuis longtemps
en observant les malades des reflexions analogues. La theorie
^motionnelle qui consiste a expliquer et a d^finir Tobsession
par Tangoisse et par T^motion me semble, malgr^ les services
qu'elle a rendus, devoir ^tre provisoire : elle me semble trop vague,
trop gen^rale et en meme temps trop restreinte.
Cette theorie est n^cessairement tres vague, non par la faute de
ses autcurs, mais a cause des ignorances de la psychologic sur
la nature des Amotions. Est-il un concept plus vague que celui de
r^motion en gdn^ral et que celui de Temotivit^ ?Les Emotions-chocs
1. Clapar^de (Geneve), L*obsession de la rougeur. Archives de Psychologie de la
Suisse romande, avril 190a, p. 323.
2. F.-L. Arnaud (de Vanves), Sur la theorie de Tobsession. Archives de neuro-
logies 1902, I, p. 257.
462 THlfiORIES PATHOGfiNIQUES
etles Emotions-sentiments ne sont pas du tout de la meme nature,
veut-on rattacher Tobsession a des Emotions analogues a la sur-
prise, a la colere ou a des Emotions analogues a Tamour, a la
honte : ce seront en rEalitE des theories absolument difTerentes.
II est bien Evident que si on persiste a prendre le mot « Emotion »
dans un sens absolument vague, si on dEsigne par ce mot tous les
troubles imaginablesdes sentiments, de la volontE, de la conscience
personnelle, aucune discussion n'est possible et du moment que
Ton n'admet pas une thEorie purement intellectuelle on se rat-
tache forcEment a ces thEories Emotionnelles. Mais cela revient a
peu prEs a supprimer toute explication.
Tres justement MM. Pitres et REgis ont voulu prEciser la con-
ception de TEmotion en rappelant la theorie cElebre et deja
ancienne de Lange et de James et en adirmant tres brievement que
(( TEmotion est la conscience des variations nearo-vasculaires' ».
Ajoutons pour etre plus complet le r6le des modifications cardia-
ques, respiratoires, digestives et nous dirons que TEmotion est alors
comprise comme la conscience de certaines modifications viscErales
qui accompagnent quelquefois les phEnomenes de conscience.
Sans doute il serait facile de discuter la thEorie de TEmotion
donnEe par Lange et James et de dEmontrer qu'il y a dans TEmotion
vEritable quelque chose de spccial,*de psychologique, au moins de
cErEbral qui prEcEde et qui dEtermine les rEactions respiratoires
et vasculaires.Mais pour I'Etude prEsente cette discussion gEnErale
de la these de James a peu d'importance. L'angoisse, TEmotion
entendue, si Ton veut, comme la conscience en retour de ces
rEactions viscErales peut-elle prEcEder, dEterminer et par con-
sequent expliquer tous les phEnomenes observEs chez les psychas-
thEniques d'une facon sulfisamment prEcise pour caractEriser cette
affection et la distinguer des autres, c'est la toute la question que
nous avons a considErer.
MEme ainsi prEcisee la thEorie Emotionnelle me parait rester
encore beaucoup trop vague et ne pas caractEriser le phEnomene
qu'elie se propose de dEfinir. Si I'Emotion ne consiste que dans
les palpitations de coeur, les respirations irrEgulieres, les bouffEes
de rongeur, elle va se retrouver exactement la meme dans les
Emotions normales et dans les obsessions pathologiques. Un
homme en colere prEsente des palpitations, de la rongeur, de la po-
I. Pitros et R^gis, op. cit., p. 9.
DISCUSSION DES TUfiORIES fiMOTIONNELLES 463
lypD^e, un homme qui a peiir a egalement des palpitations, de Tir-
regularitt^ respiratoire, des troubles vaso-moteurs; faut-il conclure
que la colere normale, la peur normale sont identiques a Tangoisse
d'une crise d'obsession ? Cette assimilation me parait absolument
fausse, Tangoisse du psychasth6nique, j*ai essays de le montrer,
est un ^tat pathologique tout special, ce serait une grosse erreur
que de la confondre avec une Amotion normale. Les malades sont
les premiers a nous avertir « qu'ils n'^prouvent pas une peur
naturelle, que leur angoisse, toujours la meme, supprime et rem-
place la peur naturelle ». Comment pourra-t-on dans cette inter-
pretation rendre compte de cette difference psychologique consi-
derable entre Temotion normale et Tobsession ?
On ne peutr^pondre qu'en all^guant une difference de quantity
dans ces ph^nomfenes visceraux dont le contre-coup determine
dans la conscience les Amotions et les angoisses. C'est leur exag^*
ration qui leur donne leur caract^re pathologique et qui distingue
Tobsession de la colere ou de la peur. Est-ce la une distinction
suffisante ? N'y a-t-il pas des grandes coleres, des elans d'enthou-
siasme, des grandes terreurs qui s'accompagnent de grandes
modifications viscerales et qui cependant restent des coleres, des
enthousiasmes, des peurs, sans se transformer en phobies et en
obsessions ?
Mais admettons cependant que cela soit vrai et que Ton puisse
distinguer Tangoisse psychasthenique de T^motion normale
uniquement par la difference dans le degr6 d'intensit^ des reac-
tions viscerales. N'y at-il pas infiniment d'autres etats patholo-
giques qui s*accompagnent de grandes modifications viscerales du
meme genre sans etre identiques a des crises d*obsession ? Des
phtisiques, des cardiaques presentent des modifications respira-
toires et circulatoires du meme genre et bien plus graves sans avoir
aucunement le meme desespoir, les memes obsessions : ils suffo-
quent, ils asphyxient reellement et ils continuent a s'interesser a
ce qu'on leur dit, a suivre meme une conversation, ils disent bien
qu'ils souffrent, mais ils ne se lamentent pas ainsi, ils sont loin
d'avoir le meme trouble mental. Dans d'autres maladies nerveuses
on constate souvent des palpitations, des polypnees, des troubles
vaso-moteurs et les malades restent calmes : Ar..., par exemple,
un homme hysterique, a une polypnee de 88 respirations par
minute et il attend tranquillement sur sa chaise qu'on Texamine,
il dit en souriant qu'il est gene pour respirer, mais il ne sent pas
464 THEORIES PATHOGfiNIQUES
« sa volont^ qui lui ^chappe et son ame qui descend au tombeau
dans un noir d'encre ». Voa, une femme hyst^rique de 28 ans*,
a des troubles vaso-moteurs si considerables qu*elle a de graves
cedemes aux mains et meme a la face : cela est plus grave que la
rongeur superficielle de T^reutophobe, et cependant elle est
calme et n*a aucunement Tangoisse de celui-ci. Dans la plus
simple attaque d'hysterie, celle que nous avons appel^e la crise
^motionnelle de Briquet, on va constater des respirations ra-
pides, des palpitations, des secousses du ventre, des rongeurs,
des paleurs plus considerables que dans la plupart des agorapho-
bies,et cependant une hysterique pendant cette attaque ne pr^sente
aucunement I'etat d'esprit d'un agoraphobe pendant Tangoisse. Je
reviens alors a ma question : comment va-t-on distinguer une crise
d'obsession de Tangoisse d'un cardiaque, de la polypnee on de la
crise d'une hysterique, puisque le caractere considere corame
essentiel, les reactions viscerales, se trouve exagere de la m^me
maniere dans tons ces syndromes si differents Tun de Tautre ?
Quel que soit le probleme considere, on est toujours force
dans cette theorie emotionnelle de rester dans de grandes gene-
ralites. Le passage de Temotivite diffuse a la phobic systematisee
qui est Ir^s important et qui est bien, comme on Ta dit, au moins
dans certains cas, le point de depart de Tobsession ne pent etre
expli'que que par une violente emotion accidentelle qui determine
de violentes reactions viscerales; on nc peut tenir compte que de
la grandeur de Temotion. Comment expliquer alors tous les
details des observations? Certains malades resistent parfaite-
ment a de violentes emotions et ne succombent qu'a de petites
emotions de nature tres speciale. D'autres sujets curieux ont
besoin de deux emotions consecutives pour^rriver a Tobsession.
S'il ne s'agit que de la violence de Temotion, les choses se passent
done tout a fait comme chez Thysterique qui a vu un rat dans la
cuisine et qui a des crises dans lesquelles elle court apres le rat ?
Comment expliquer Tenorme difference qu'il y a entre la crise de
scrupule et cette crise banale d'hysterie ? Tous les deux cepen-
dant ont eu une forte emotion avec grande reaction viscerale.
L*alieniste en passant trop tot a la consideration exclusive de ces
reactions viscerales qui sont banaies et a pen pres les memes dans
toutes sortes de maladies me semblent avoir abandonne trop tot
1. MSvroses ei Idees Jixes, II, p. 5o5.
DISCUSSION DES TUtoRIES fiMOTIONNELLES 465
son domalne et ne plus pouvoir trouver les ph^nomenes propre-
ment c^r^braux qui caract^risent et distinguent les maladies les
unes des autres.
Si celte th^orie ^motionnelle se montre ainsi trop g^ne-
rale et trop vague, par un autre c6t6 elle me paratt beau-
coup trop restreinte et jc crois qu'elle laisse de c6i& bien des
ph^nomfenes essentiels de la maladie. Pour que cette th^orie soit
admissible, il faudrait pouvoir ddmontrer que les reactions visc^-
rales exag^r^es, consid^rees comme essentiellcs, se retrouvent
comme point de depart dans tons les symptoities caracterisques
de r^tat psychasthenique et les accompagnent tons. En est-il
reellement ainsi ? Pour repondre a cette question il suffit de
passer en revue les symptomes enum^res dans les trois chapitres
precedents.
Si Ton considere les obsessions proprement dites, il est cer-
tain que quelques-unes se sont d^velopp^es a la suite de ces agi-
tations visc6rales sous forme syst^matique ou diffuse. Les id^es
obsedantes de Jean sur les crimes g^nitaux ont H6 pr^c^d^es
d'algies du gland qui etaient des ph^nom^nes d'angoisse syste-
matique. On pourrait citer bien des exemples de ce genre, cela
est incontestable. Mais en est-il ainsi dans tons les cas ? C'est ce
qui me parait insoutenable. Beaucoup d^obsessions non seulement
sont actuellement des ph^nom^nes intellectuels, mais se sont d^-
velopp^s a la suite de troubles intellectuels et eon a la suite de
troubles ^motionnels. Les obsessions metaphysiques de Lise sur
le dualisme, sur la puissance du diable opposee a celle de Dieu,
sont la consequence, le d^veloppement d^agitations mentales ant6-
rieures et non d'agitations viscerales. Ce sont les manies de la
recherche, de Texpiation, du pacte, d'interminables ruminations
mentales qui ont precede pendant des ann^es les obsessions
actuelles ; jamais cette malade n'a ^t^ une phobique ou une
angoiss^e, mais elle a toujours 6te une r^veuse. On pourrait
citer bien des exemples de ce genre : des obsessions de folic ont
pris naissance a la suite de manies mentales ou des sentiments
d'insuffisance intellectuelle ; des obsessions amoureuses se sont
d^velopp^es a la suite des perturbations des sentiments, du besoin
de direction, du besoin d'etre aime et du sentiment de Taboulie,
des obsessions d'indignit6 et de honte de soi ont et^ le d6ve-
loppement naturel des sentiments d'incompletude intellectuelle,
LES OBSESSIONS. I. 3o
4% THtoRlES PATIIOG^NIQUES
des sentiments d'^trangete, des sentiments d'ineapacite et d'hu-
milite. li me parait impossible de soutenir que tons les obsedds
soient actuellement ou meme quails aient n^cessairement et^.
autrefois des phobiques ou des angoisses; beaucoup d'entre eux
ont d^but^ par de tout autres symptomes.
Si nous passons maintenant a la seconde categorie de symp-
tomes, aux agitations Torches, nous trouvons aussi un groupe
pour lequel I'importance des perturbations visc^rales est consi-
derable. Un grand nombre d'agitations forcees sont des agitations
6motionnelies sous forme de phobie ou d'angoisse. Meme a ce
propos il est essentiel de faire une distinction et de ne pas con-
fondre les angoisses mentales caracteris^cs par des c^plial^es,
par le vide dans la tete, par le sentiment de perte de la volonte
et de rintelligence avec les angoisses visc^ralcs ; les deux phdno-
m^nes ne sont pas du tout identiques et on pent constater d'enormes
angoisses mentales avec le calme le plus absolu du cceur et de la
respiration.
A plus forte raison est-il impossible de confondre avec les an-
goisses viscerales, les agitations motrices et les agitations mentales.
L*angoisse pent quelquefois accompagner les tics et les crises
d'agitation motrice dans certains cas complexes, mais cctte juxta-
position n'a rien de n^cessaire. J'ai meme montre a plusieurs
reprises que ces diverses sortes d'agitation sont en antagonisme.
Quand il y a beaucoup de mouvements physiques, des grandes
marches, beaucoup de tics, le sujet ne soufFre pas d^angoisse ;
au contraire il va souffrir de Tangoisse si on le force a arr^ter
ses tics. Quand Claire a une crise d'efibrts et qu'elle fait dans
tons les sens des mouvements excessifs, elle a sans doute une
respiration rapide, des palpitations et des sueurs, mais ce sont
des phenom^nes d^essouiHement et non des ph6nom^nes d'an-
goisse, elle ne se sent pas etoufi(^e. Au contraire, si je veux
arr^ter ces grands mouvements, elle va souffrir d'une suffocation
speciaie et elle va avoir de Texcitation g^nitale. L*agitation vis-
c^rale sous une forme, il est vrai, qui n'a guere ^t^ pr^vue par
la th^orie emotionnelle, se substitue a Tagitation motrice.
Cette discussion est encore plus frappante si on considere le
groupe des agitations mentales. Comment passer sous silence ces
malades si curieux qui ont de la reverie forcee, du mentisme, qui
vivent dans le passe et non dans le present, mais qui ne sont au-
cunement angoisses. Chez Tun d'eux, chez Lib..., on determine
DISCUSSION DES THEORIES fiMOTlONNELLES 467
l^angoisse quelle ne connaissait pas du tout en la forwent a lutter
pour arreter sa reverie perp^tuelle, et elle revient a sa reverie
en disant que « cela lui fait mal a la poitrine d'essayer de I'ar-
reter. » II y a ainsi toute unecat^gorie de ph^nomenes dont, chose
"curieuse, MM. Pitres et R^gis sembient ne pas aimer a parler, ce
sont les ruminations mentales. Dans ces manies d'interrogation,
de repetition, de retour en arriere, de reparation, de serment,
etc.,iin'ya pas une id^e proprement dite que ie malade aurait
congue comme explication il n*y a pas non plus de Tangoissc
syst^matique ou diffuse, il y a uniquemtnt un travail mental
avec des caract^res particuliers qui absorbe toute Tagitation du
malade.
Observons Lise, quand elle radote sur ses pactes, sur ses
enfants vou^s au diable, sur le culte du demon, elle reste abso-
lumcnt immobile, elle ne pense pas a bouger, elle est envahie
par uue immobility de plus en plus absolue, on voit sa tete qui
s'incline de plus en plus jusqu'a toucher ses genoux et si on ne
la trouble pas elle va rester des heures dans cette position ;
a ce moment elle respire avec le plus grand calme et son coeur bat
tout a fait r^gulierement, son visage pr^sente sa coloration nor-
male et les troubles vaso-moteurs restent tout a fait hypothetiques.
Cependant pendant cette pi^riode elle soufTre cruellement, elle a
le sentiment de perdre la tete, de devenir folic, de mourir a il
me semble que je d^gringole dans un trou sans fin et qu'a mesure
je perds quelque chose de mon existence ». Mais ce n*est qu'une
angoisse morale qui n'est pas du tout identique a Tangoisse
d^termiu^e par le sentiment en retour des reactions viscerales.
Ce meme phenom^ne pent s'observer dans la plupart des cas
de rumination : quahd Ger... est debout dans son escalier en se
demandant si elle scandalisera la fruitiere elle est tout aussi
tranquille physiquement et physiologiquement et elle ne soufFre
que moralement. II suflit de parcourir les longues descriptions
que j'ai donnees de toutes les formes de rumination mentale,
pour voir que presque toujours cette forme d'agitation est ind^-
pendaute de Tangoisse physique et se d^veloppe plutot en
antagonisme avec elle.
En dehors de ces ph^nom^ncs d^agitation forcee il y a encore
toute une grande cat^gorie de faits dont la th^orie emotionnelle ne
me semble pas tenir assez compte : ce sont toutes les insufHsances
468 THEORIES PATHOGfiNIQUES
psychologiques, les troubles de perception, les troubles de la vo-
lont^, les troubles de Tattention. Je sais bien que Ton pourra essayer
de rattacher ces troubles a r^motion en disant que celleci a une in-
fluence inhibitrice. Mais c'est deja compliquer la th^orie de Temo-
tion telle qu'on Tavait presentee, la theorie de T^motion simple*
conscience des reactions viscerales, c'est deja introduire dans Te-
motion des modifications cerebrales d*une tout autre nature. Mais
cela meme est-il bien sufGsant ? Comment se fait-il que Temotion
pendant des ann^es ne troctble aucunement Taction ou Tattention
des nialades et qu'a partir d'un certain moment elle les rende
incapables d'efTectuer ces m£mes operations. II faudrait au moins
nous dire en quoi consiste Taugmentation d'emotivit^ et de quoi
elle depend, on sera done forc^ de remonter au dela de Temo-
tion. II y a des cas ou cette action inhibitrice de Temotion
devient tout a fait incomprehensible. Nous avons cite des jeunes
gCQS qui a la suite d'une petite emotion se sentent etonn^s d^eux-
memesy ne se reconnaissent plus, disent qu'ils sont changes,
qu'ils ont perdu leur personne ou bien que le monde est tout
difli^rent et qu'il n'a plus de r^alit^. Est-ce la un efiet ordinaire
de Temotion, simple conscience en retour des reactions viscerales,
des troubles de la respiration et de la circulation? En outre les
sentiments singuliers de ces sujets se prolongent et durent des
annees pendant lesquelles ils vont repetcr qu'ils n'ont plus de moi
ou que le monde est un reve ? Cela est-il d'accord avec la concep-
tion de Temotion qui est par essence une modification brusque de
peu de duree ?
Dautre part, est-il bien certain qu'il y ait r^ellement un trouble
emotif avec reactions viscerales violentes au point de depart de
toutes ces insuHfisances ? Je crains qu*il n*y ait ici une erreur de
methode malheureusement bien commune en psychiatric. On croit
que la theorie exige la presence d*un certain phenomene et on
admet que ce phenomene existe sans chercher autremeut a verifier
son existence. Si la theorie exige qu'une hysterique ait une anes-
thesie viscerale, on afllrme qu'elle Ta : « car, sans cela,dit-on,on
ne comprendrait pas les alterations de sa ccenesthesie », En realite
cette anesthesie viscerale est tres difficile a verifier et si quel-
qu'un se donne la peine de faire le travail, il verra souvent qu'elle
n'existe pas. Je suis etonne de voir que dans certains travaux
sur Tobsession on parle sans cesse d'enormes reaclions visce-
rales, de troubles cardiaques, respiratoircs, intestinaux. J'ai deja
DISCUSSION DES THfiORIES fiMOTIONNELLES 469
dit comment j*ai 6prouv6 a ce sujet bien des deceptions, com-
bien ces phenomenes m'ont paru difticiles a verifier et comment
il m'est arriv^ trop souvent de constater leur absence. En r^alite
je crois qu'ii y a un tres grand nombre de ces troubles, dc ces
insuflTisances psychologiques qui ne peuvent pas etre considerees
comme secondaires a des modifications visc^rales, mais qui r^sul-
tent primitivement d'un trouble cerebral constitutionnel ou acci-
dentel, dans Icquel I'dmotivit^ ne joue qu^un trfes petit role.
Enfin, n y a-t-il pas des troubles de T^motion elle-meme ?
A ccH6 de Temotivit^ excessive, se presente, plus souvent qu'on
ne le croit, Tabsence d'^motion et I'indifference. On pourrait
s'amuser a soutenir ce paradoxe : c'est que certains malades arri-
vent a Pobsession en cherchant a interpreter non pas leurs emo-
tions excessives, mais leurs froideurs. Va-t-on dire que c'est
Temotion qui inhibe T^motion et Terap^che de se developper,
on arrive alors a concevoir Temotion d'une maniere ♦illement
confuse que cette conception ne pent plus servira rien expliquer.
Ces reflexions nous montrent que le second groupe de theo-
ries qui considerent I'angoisse ct Temotion comme le ph^nomene
principal n*arrivent pas a une interpretation precise et complete
de tons les phenomenes observes. Sans avoir aucunement la pre-
tention de chercher la cause derniere de ces faits il faut essayer
de presenter une interpretation un peu plus precise et un peu
plus complete, qui explique Tangoisse et Temotivite elle-meme
ainsi que les autrcs phenomenes.
4 70 THEORIES PATHOGfiNIQUES
deuxi£:me section
LB PRINCIPE DB LA THEORIB PSYCHASTHENIQUB
En presence de ces difficultes que I'on peut opposer aux theories
intellectiielles et aux theories emotionnelles, ne pourrait-on pas
grouper ies symptomes d'une autre maniere autour d'un autre
groupe de ph^noni^nes? Au lieu de considerer comme fait essen-
tiel et primitif I'idee obs^dante du premier groupe de symptomes,
au lieu de prendre comme point de depart Tangoissc Amotion-
nelle, c'est-a-dire Tune des agitations forcees du second groupe
deja plus profond, il faudrait etudier le role joue par Ies troubles
du troisieme groupe de phenom^nes, celui que j*ai decrit sous Ic
nom de « stigmates psychastheniques ». II faudrait rechercher si
ces aflaiblissements c6rebraux et psychologiques ne se presentent
pas d*une maniere g^nerale chez tons Ies sujets en m6me temps
que Ies agitations forcees, que Temotivit^ elle-m^me, s'ils ne
persistent pas sous Ies crises d'obsession et s'ils ne peuventpas
en expliquer la formation. Ce serait encore chercher dans un
trouble elementaire la raison des phenomenes complexes plus
apparents, mais ce serait choisir pour lui faire jouer ce role une
alteration plus dementaire et plus profonde.
Comme ces theories prennent pour point de depart un certain
afTaiblissement psychologique, on peut Ies designer en general
sous le nom de theories psychastheniques. Depuis longtemps deja
j'avais adopte ceterme de psychasthenic pour designer la faiblesse
mcntale particuliere des obsedes en Topposant a celle que Ton
observe dans Thyst^rie. a Ces malades fort nombreux, surles fron-
ticres de la folic, disais-je en iSg^* qui presentent des Sympton^es
en apparence tres varies mais ayaiit entre eux d'incontestables rap-
ports, le delire du doute, la folic dite consciente ou raisonnante,
Ies obsessions, Ies impulsions, Ies phobies, etc... ont ete presque
toujours design^s en France sous le nom de d^g^n^res ; en Alle-
magne on appelle ces malades des neurasth^niques d^lirants.
Pour ne pas prendre parti dans Ies querelles que soulevent ces
RESUMfi lUSTORIQUE DES THfiOIUES PSYGHASTIlfiNIQUES 4.1
appellations, nous d^signerons toutes ces personnes par un nom
qui leur convient bien, nous les appellerons simplement des
psffchastheniques^, » Depuis j'ai souvent oppose les obsessions
de forme hysterique aux obsessions de forme psychasthenique,
les tics de forme hysterique aux tics de forme psychasthenique ^.
C*est pourquoi je conserve ici ce mot pour designer les theories
qui prennent pour point de depart les phenomenes caract^ris-
tiques de cet aflaiblissement special de I'esprit, de la psychas-
thenic.
i. — R6sum6 historique des theories psycbastbi-'
niques.
Des theories de ce genre ont d^ja et6 indiqu^es a plusieurs re-
prises, mais, il est juste de le remarquer, d'une niani^re excessi-
vement vague. Plusieurs auteurs choisissaient un phenomeme de
ce groupc, le plus souvent les troubles de la volont^ pour y rat-
tacher tous les autres accidents de la maladie.
Benedict considerait la peur des espaces comme une vari^te du
vertige et se demandait s'il n'y avait pas lieu de supposer quelque
trouble oculaire. Cordes, cite par Legrand du Saulle^, fait de
Tagoraphobie un sympt6me d'^puisement du systeme nerveux
moteur avec perturbation du sens musculaire et Legrand du
Saulle luimcme en fait « une paralysie fonctionnelle symptoma-
tique de certaines modifications survenues dans les foyers cen-
traux moteurs et capables de faire naitre en nous des impressions
de peur*. » Hack-Tuke disait formellement : « II n'est pas neces-
saire de supposer une predominance dans les passions, il suffit
d'admettre que les plus hautes fonctions volontaires sont afTai-
blies, les chevaux sont bons, mais le cocher est ivre^. » Laycock,
cite par Hack-Tuke, fait entendre d'une mani^re assez vague qu*il
s'agit la d'un phenomene de regression des fonctions du cer-
veau », il n*y a pas seulement une loi d^evolution pour le cerveau
1. Accidenls menlaux des hysleriques, 189-^1. p. agS.
3. Ncvroses et Idees fixes, II. p. lag et i45 ; p. 35a el 876.
3. Legrand du Sanllc, Agorophobie, p. 55.
4. Id., ibid., p. ()2.
5. Ilack-Tukc, Journal of mental Sciencfj Jul^ i885.
472 THEORIES PATHOGfiNIQUES
sain, il y a ^galement une loi inverse de disvolution qui est im-
portante pour comprendre ces d^sordres mentaux *. Pour expli-
quer ces troubles, KrafT-Ebing ne fait pas seulement appel a une
accentuation morbide de Temotivite mals.a une augmentation de
Tactivite de I'imagination et a une diminution « de Tencrgie de la
pens^e et de la volontd (cerveau ant^rieur] qui sont tr6s abaisses
chez ces n^vropathes' ». Levillain se demandait si les phobies
ne consistent pas surtout en une ind<^cision de la volonte^.
Dans tous mes travaux anciens sur Tidee fixe en 1889, en i8gi,
j'insistais toujours beaucoup pour montrer dans Tetat aboulique
le point de depart des obsessions. MM. Raymond et Arnaud,
dans une ^tude sur un cas dc d^lire du doute et du toucher,
insistent a plusieurs reprises pour montrer que le phenomene
principal est une aboulie considerable, qu*en dehors de leurs
idees fixes, les malades sont dans I'impossibilit^ de se fixer,
qu'ils rcstent dans Tincertitude perpetuelle. lis adoptent Topinion
de M. J. Falret qu'au point de depart du delire, il y a un trouble
dans le fonctionnement general des facult^s et dans T^tat des
mouvements volontaires*.
M. F6re admet deux formes de la folic du doute, Tune qui de-
pend d'une peur morbide et qu^il explique ainsi par la thcorie
emotionnelle, Tautre qui depend « de Taboulie, c'esta-dire en
somme d'un d^faut d'emotivite ». C'est la une explication inverse
de la prec^dente et qui se rapproche des theories psychasthe-
niques\
M. Boissier, dans sa these int^ressante sur les rapports de la
neurasthenic et de la melancolie resume ainsi la pathogenic psy-
chologique de ces affections : cc C'est la volont^, expression pre-
miere de nos Energies et par suite expression de la personnalite
qui presente les alterations les plus apparentes et les plus im-
portantes dans T^tat mental des deprim^s. Les troubles afTectifs,
douleur morale, etc., n'arrivent eux-memes qu'en seconde ligne
et ne sont souvent pas en rapport avec Taboulie ^. »
M. S^glas, tout en donnant un grand role a I'emotivite admet
I. Hack-Tuke. Brain, 1894, p. 193.
3. Krafl^Ebbing, Psychiatric, trad., 1897, p. 546.
3. Levillain, Nenrasthenie, p. i53.
4. Raymond et Arnaud, Ann. med. psych., 1892, II, p. 69, 330.
5. Fdrd, Palhologie des emotions, 189a, p. 46o. (Paris, F. Alcan).
6. Boissier, Neurasthenic et melancolie depressive. These, Paris, i894» p. 78.
RfiSUMfi HTSTORIQUE DES THEORIES PSYCHASTHENIQUES 473
que certaines agoraphobics ne sont que « des obsessions abou-
liques pures* », et reclame une place, comme on Ta vu, pour les
troubles de la perception personnelle.
M. Dallemagne admet « un etat de d^sequilibre dela systemati-
sation psychique^ ». J'ai d^ja rappele Topinion de M. Ballet qui
rattache les obsessions non seulement aux troubles de T^motion
mais aussi a ceux de la volont6. M. Roubinovitch dit de meme
que ce qui est lese chez Tobsed^, c'est la sphere Emotive et la
volonte*. Je rappellerai aussi un article de M. F, del Greco qui
rattache ces 6tats psychopathiques a la desagr^gation psycholo-
gique et a la decadence de la volont^*.
Tout r^cemment, M. Arnaud insistait de nouveau sur les trou-
bles moteurs volontaires, sur le defaut d'impulsion et d'arr^t,
sur rh^sitation, Tincertitude et concluait <( que Tetat anterieur
est une lesion de la volonte. A des degres divers les obs^d^s
sont tons des hesitants, des perplexes, des abouliques, incapables
d'efForts soutenus, ils ne finissent rien, ils n^aboutissent pas qu'il
s'agisse d'idees ou de mouvements ^ ».
Une des expressions les plus precises de ces theories se trouve
peut-^tre dans un article recent de M. Edw. B. Angell ; cet auteur
considere les obsessions comme resultant des troubles sous-ja-
cents des fonctions psychologiques. « Les idees imperatives de-
pendent d'un etat de faiblesse mentale, d'une absence de cere-
bration, d'un instabilite de la synthese mentale... le recul du
champ de conscience est peut-etre le caractcre le plus general.
Le sujet trouve que la vie actuellen'estpas r^elle, le reveremplace
la r^alite®. »
On voit qu'un grand nombre d'auteurs tendent a supposer
en dessous de Temotivite et de Tangoisse un trouble plus profond
de Tactivite mentale qu'il faut essayer de determiner en resumant
les nombreuses observations precedentes.
1. Seglas, Legons sur les maladies mentales, 1896, p. i3i.
2. Dallemagne, DegSneres et des^quillbres^ i8g5.
3. Roubinovitch, Bulletin medical, 22 juillet i8g6.
4. F. del Greco. Idee fisse e disgregazione psioologica. Annali di nevrologia, anno
XVIII, fasc. 2, 1900.
5. Arnaud, Archives de neurologie, 1902, I, p. 268.
6. Edw. B. Angell, Imperative ideas in the sane. Journal of nervous and mental
disease, ^oiii 1900.
47i THCORIES PATIIOGENIQUES
2. — La bi6rarcbie des phinomdnes psycbolo-
giques.
Beaucoup des diflicult^s que pr^sente la psychologie sont crees
par le langage : une des plus curieuse me parait resulter de noire
habitude d'employer toujours les termes de la langue courante
pour designer des ph^nomenes elementaires et inaccessibles a
Tobservation vulgaire. Quand nous voulons trouver rexplication
d'un fait complexe et que nous cherchons a le rattacher a un
fait simple, nous nous laissons entrainer a designer les ph^nome-
nes simples auxquels I'analyse nous conduit par les noms ordi-
naires a de sentiment, d*emotion, de pensee, d'imagination ». Mais
il n'est pas du tout certain que des phenomenes psychologiques
elementaires soient des sentiments, des emotions, des pensees,
des volontes. Ces mots dcsignent des ph^nom^nes tres com-
plexes, distingu^s, classes et dcnommes par Tobservation popu-
laire et en raison de besoins pratiques. Pourquoi supposer que
des phenomenes plus elementaires donncs par Tanalyse scien-
tifique et inaccessibles a Tobservation vulgaire vont rentrer dans
ces anciennes classes ? Pourquoi nous quereller sur cette question
oiseuse: le phenomene elementaire qui est trouble chez Tobsed^
est-il une emotion ou une volont^, quand il n'est probablement
ni Tun ni Tautre ? Un acte de volonte est un ph6nomcne com-
plexe aussi bien qu'une emotion et il n*est pas probable qu'un
phenomene elementaire soit identique a Tun ou a Tautre.
11 en resulte que suivant les preferences des auteurs il peut sans
plus de raisons d^ailleurs etre appele « emotion » ou etre appele
(( volonte )). Le role de la psychologie n'est pas de continuer ces
querelles de mots, mais de chercher par Tanalyse a mettre en
evidence des phenomenes nouveaux, c'est-a-dire des phenomenes
qui n*6taient pas connus ni denommes dans cet etat de simpli-
cite.
C'est un peu ce que j'ai essay^ de faire quand j*ai cherche a
montrer que le phenomene essentiel de Tetat mental des hyst^ri-
ques ctait « le retr^cissement du champ de la conscience)). La
formation du champ de la conscience n'est a proprement parler
ni un fait d'inteliigence, ni un fait de sensibiliie et je ne me ratta-
LA FIIfiRARCHIE DES PHfiNOMfiNES PSYCHOLOGIQUES 475
chais ni aux theories iDtellectuaiistes, ni aux theories sensualistes,
mais je cherchais a decrire un phenomene plus profond que
rid6e ou le sentiment tels qu'on les observe d'une maniere super-
ficielle.
Je voudrais faire un travail du menie genre a propos des obse-
d^s et chercher si les stigmates psychastheniques ne mettent pas
en Evidence un phenomene psychologique simple, capable de
jouer un nWe important et d'expliquer par ses alterations les
troubles de la volonte et de T^motion.
Cette section sera consacr<^e a la description de ce phenomene
fondamental que Ton pent considerer comme le resum6 des divers
stigmates psychastheniques ; la section suivante montrera com->
ment en prenant pour point de d(^part ce phenomene et ses
modifications, on pent se representer la formation des divers
troubles des obsedes.
Dans un chapitre pr^c^dent nous avons constats Taffaiblisse-
ment et la disparition de certaines operations psychologiques
chez les obs^d^s ; d'autre part nous avions vu que d'autres ope-
rations ^taient bien eonservees et presentaient plutot un deve-
loppement exagere ; en ^tudiant cette difierence on est naturel-
lement conduit a supposer que toutes les operations de Tesprit
ne pr^scntent pas les memes degr^s de facilite et qu'au cours
d*un afTaiblissement des fonctions cerebrales elles ne disparais-
sent pas simultanement mais successivement et progressivement
en raison de ces degres in^gaux de facilite. En un mot, les opera-
tions mentales semblent se disposer en une hierarchic dans
laquelle les degres superieurs sont compliques, difHciles a attein-
dre et inaccessibles pour nos malades, tandis que les degres infe-
rieurs sont ais^s et sont restes a leur disposition.
Sans doute nous avons toujours eu vaguement une conception
de ce genre a propos des travaux de Tesprit : nous disions que la
recherche scientifique, Texdcution ou Tappreciation de Toeuvre
d'art, Tefiort pour atteindre la perfection morale sont des opera-
tions superieures ; nous savions que pour un enfant apprendre a
faire une division est plus difficile que d'apprendre a compter,
que pour un idiot il est plus difficile de parler que de manger.
Mais cette recherche des degres de difficulte n'etait faite qu'au
point de vue de Tart ou de Tinstruction et pour un petit nombre
d'op^rations seulement, elle n'^tait pas faite d*une maniere gene-
476 THEORIES PATHOGfiNIQUES
rale pour tous les phenomenes psychologiques comme agir, per-
cevoir, imaginer. Aussi cette comparaison nous conduisait-t-elle
a des resultats tres superficiels et tres inexacts. Qui ne croirait
a premiere vue que faire un raisonnement syllogistique est une
chose qui demande plus de travail cerebral que de reconnaitre
Texistence reelle d*une personne ou d'une fleur et cependant
je cr.ois pouvoir montrer que sur ce point le sens commun se
trompe.
Pour que eeUe hierarchie soit vraiinent interessante et
utile il ne Taut pas I'etablir en se placant au point de vue de nos
preferences artistiques ou morales, mais en se placant au point
de vue des conditions de la vie, de la sante et de la maladie. Si
je ne me trompe, la psychologic a procede tout d*abord comme
Tancienne histoire naturelle des animaux. Les premiers natura-
listes d^crivaient tous les dtres dans un ordre arbitraire en met-
tant tout au plus au premier rang les etres qui leur paraissaient
les plus beaux ou les plus utiles. Les psychologues decrivent de
meme tous les faits psychologiques sans ordre, sans perspective,
ou en mettant arbitrairement au premier rang ceux qui leur
plafsent le plus. Les theories de revolution sont venues appren-
dre aux naturalistes qu*il y a un ordre de perfection dans les
^tres, qu*il faut le decouvrir et en tenir compte dans les descrip-
tions. La pathologic mentale doit montrer de m^me aux psycho-
logues quels sont les veritables degres d'importance des pheno-
menes de la pensee. Pour constater avec precision dans quel
ordre se rangent les phenomenes au point de vue de leur diffi-
culte, il ne faut pas juger d*apres nos sentiments ou nos pre-
ferences personnelles mais d*apres la frequence et Tordre de la
disparition de ces phenomenes chez les malades.
Je travaille depuis longtemps a etablir les divers degres de
cette hierarchic psychologique. Mcs premiers travaux ont etabli
une distinction tres importante, cellc de Tactivite synthetique et
celle de Tactivit^ automatique : ce sont la deux degres essentiels
de la hierarchie. Mais d'abord cette distinction n'est pas assez
precise et ne donne que deux degres tandis qu'il y en a proba-
blement un grand nombre. Ensuite elle ne s'applique bien net-
tement qu'aux hysteriques, chez lesquels Tautomatisme s'ac-
compagnant souvent de subconscience se distingue tres nette-
ment de la synlhese mentale volontaire, attentive et dou6e de
conscience personnelle. L'etude de nouveaux malades, les psy-
LA mfiRARCIIIE DES PHfiNOMfiNES PSYGHOLOGIQUES 477
cbasth^niques, va nous permettre de completer ces recherches
sur la hierarchie des phenomenes psychologiques.
SI nous faisons cet examen d*apr^s les tongues observations
prec^dentes, il nous faudra placer au premier degr^ comme
l'op<^ration mentale la plus didicile, puisque c'est elle qui dispa-
rait le plus vile el le plus souvent, la fonction du reeL Celle
fonclion qu*on a peu Thabilude de dislingucr des aulres el que
n.ous avons fail connailre en r^sumant les insuffisances psy-
chologiques consisle dans Tappr^hension de la r^alil^ sous
toutes ses formes. Elle conslilue cc celle attenlion a la vie pr^->
senle )> dont parle M. Bergson dans un livre de m^laphysique
qui semble souvenl prevoir ces observations psychologiques \
Voila ce qui semble Topcralion mentale la plus parfaite el celle
que lous les obsedes perdcul des le debut de leur maladie.
La premiere forme de celle fonclion du r^el, c'esl Taction qui
nous permel d'agir sur les objels extdrieurs el de m^lamor-
phoser la r6alit6. Celle action volonlaire pr^sente elle-meme
diSerents degres de difficult^. Au point de vue de son ob-
jel, il semble qu'elle devient plus diflicile quand elle est sociale,
quand elle doit s*exercer non seulemenl sur le milieu physique,
mais encore sur le milieu social dans lequel nous sommes plon-
Elle est aussi difficile quand elle est professionnelle, c'esl-a-
dire quand il s'agil des actes d'un metier pralique, qui doit reel-
lenient aboutir a construire des choses precises, qui doit satis-
faire une clientele exigeante, qui doit reellement nous faire
gagner noire vie. Inaction interessee, c'esl-a-dire Taction la plus
r^elle pour nous el pour les aulres, semble celle qui exige le plus
d'efforls el celle qui disparail la premifere.
Au point de vue de sa forme, Taction est d'autant plus difficile,
comme je Tai monlre autrefois, qu'elle est plus nouvelle el qu'elle
demande davanlage une nouvelle adaptation a des circonslances qui
onl chang^^ « Rien neme rend malheurcuse el malade, dit Voz...,
comme la n^cessilc d^avoir a prendre une decision nouvelle. »
L'aclion est aussi difficile quand elle doit avoir a nos yeux le ca-
raclere de liberie el de personnalit^, c'est-a-dire quand la syn-
1. Bergson, Matiere ei memoire, i8()6, (Paris, F. Alcaii) p. 190.
2. ISevroses ei idevs fixes, I. p. la.
478 THEORIES PATHOGfiNIQUES
these mentale qui la determine dolt se trouver en accord avec la
plupart de nos tendances principales nettement coordonn^es, en
un mot quand Taction doit etre coordonnee non seulement avec
les donn^es du monde ext^rieur mais encore avec Fensemble de
notre personnallt^. A un degre un pen inferieur noustrouvons de
la difficulte dans Tachevement, la terminaison complete d'une
action commencee, dans la rapidity, la precision, T^nergie, la re-
sistance aux influences ^trangeres, qui doivent sc trouver dans
certaines actions volontaires.
Enfin, nous avons vu que bien souvent le fait de s'endormir
volontairement ^tait un acte et un acte difficile. Nous sommes
conduits a placer cet acte du sommeil et celui du r^veil a une
certaine hauteur dans cette hierarchic immediatement apr^s les
actes volontaires accompagn^s du sentiment de personnalite et de
liberte.
Ce qui nous determine a placer au premier rang dans cette
hierarchic Taction volontaire qui modifie reellement le monde
donne c'est que nous avons vu cette action constamment trou-
biee chez bien des malades et dcs le debut. L'indolence, la pa-
resse, Tirresolution, la lenteur des actes, les retards, la faiblesse
des'eflorts, le desordre, la maladresse, Tinachevement, Tabsence
de resistance, le misoneisme, la continuation indefinie caracte-
risent bien les psychastheniques. La timidite excessive, Taboulie
professionnelle, les inhibitions, les arrets, les fatigues insurmon-
tables, les inerties completes surviennent a un bien plus grand
degre chez ceux qui ont des obsessions ou qui vont en avoir et
augmentent surtout dans la periode qui precede les crises d'agi-
tation forcee et que nous avons comparee a une aura.
Dans la meme fonction du reel mais peut-etre a un degre un
pen inferieur a celui de Taction volontaire nous trouvons Tatten-
tion qui nous permet de percevoir les choses reelles. Son degre
le plus eleve toujours au point de vue de nos malades et par
consequent le plus fragile, c'est Toperation qui nous donne la
notion du reel, c'est-a-dire qui determine la certitude et la
croyance. Saisir une perception ou une idee avec le sentiment
que c'est bien le reel, c'est-a-dire coordonner autour de cette
perception toutes nos tendances, toutes nos activites, c'est
Toeuvre parfaite de Tattention.
Une anclenne conception philosophique, qui remonte a Spi-
noza et a Hume, qui a ete admise par Spencer et par Taine, c'est
L\ HitRARCHIE DES PHfiNOMftNES PSYCHOLOGIQUES 479
que la croyance accompagne toujours I'idee, que le doute r^sulte
uniquement de la lutte entre plusleurs representations egalement
clalres. Cette conception a 6te combattue par bien des philosophes
qui lui opposaient la pens6e de Descartes sur le role de la volonte
dans raffirtnation et dans Terreur. M. Brochard, dans sa these
sur Terreur, dans ses articles sur la croyance et la volonte, est Tun
de ceux qui ont le mieux montr6 cette distinction n^cessaire
entre la croyance et la pens^e proprement dite, « autre
chose est, dit-il tres bien, la n^cessite de penser ou de Her des
idees, autre chose la n^cessite de croire, c*est-a-dire de poser
com me vraies absolument les syntheses que Tesprit nc peut
pas rompre ; a la rigueur on peut comprendre une verit«5 g^<^~
metrique et ne pas y croire ^ )> iM. Gayte dans son livre sur la
croyance decrit ainsi le sceptique : « C'est une intelligence tou-
jours en mouvement qui demande a la pens^e elle-meme une
decision qu^elle ne saurait lui donner. II ne s^attache a aucune
theorie parce qu'il ne sait pas vouloir, il d^libere toujours
parce qu'il est incapable d^arreter sa pens6e par un acte,
il ne la domine pas, il se laisse dominer par elle^ » Parmi les
travauxplus recentsdans le meme sens, je signale ceux de M. W.
Jerusalem^, ceux deM. A. -J. Balfour* qui insistent a sur les causes
non rationnelles de la croyance » et le livre de M. W. James ^.
Ces theories . philosophiques semblent etre le resume de
Tobservation de nos malades. Certainement, dirons*nous avec
M. Brochard, on peut penser et ne pas croire, puisque nous voyons
tant de sujets qui peryoivent tres bien, qui raisonnent admirable-
ment et qui ne peuvent pas arriver a croire. II faut se rendre bien
compte de ce fait que |a croyance est un degre d'activit^ cere-
brale au dessus de la simple intelligence. Dans la hierarchic que
nous etablissons, la croyance fait partie des fouctions du r^el et
occupe un rang elev^ a cote des operations volontaires.
En dessous de cette operation de croyance a Texistence reelle
des objets, Tattention trouve encore des diilicultcs moins graves
peut-etre dans la perception d'objets nouveaux, dans la com-
plexite du spectacle oQert a nos sens, dans la clartt^ qu'il faut
I. Brochard, Croyance c I volonl^. Revue pkilosophique, i884, II, p. i5.
a. Gayle, La croyance, i884. p. io4.
3. W. Jerusalem, Psychological Fieview, 1895, p. 2o5.
4. A. -J. Balfour, The foundation of belief . Now -York, 1895, p. 2i4.
5. W. James, The will to believe, 1897.
480 THEORIES PATHOGfiNIQUES
lui donner, dans la perception intelligente de la lecture, de Faudi-
tion, simpletnent dans la perception intelligente d'une situation
donn6e. L'orientation, c'est-a-dire la disposition des perceptions
par rapport a notre corps et a nos mouvements possibles, est
encore une operation proche de la croyance et de Taction qui
se rapproche des fonctions du reel.
La memoire ne presente r^ellement des difficultes et ne se rat*
tachc aux fonctions du r^el que dans une partiedeses operations.
La fixation du souvenir des ^venements presents de maniere
qu'il puisse etre utilise plus tard, revocation des souvenirs r^*
cents encore intimement lies a la realite presente, enfin revocation
precise des souvenirs passes dans la mesure exacte ou ils doivent
jouer un role dans la perception actuelle, telles sont les opera-
tions superieures de la memoire. « Fonder des souvenirs, disait
deja tr^s bien Debs, creer par un seul effort d'attention une pre-
disposition, ou ce qui est synonyme, une habitude nouvelle est
a coup si^r une des plus utiles prerogatives de la volonte^ ».
« Ce qui caracterise Tbomme d*action, disait M. Bergson,
c'est la promptitude avec laquelle il appelle au secours d'une
situation donnee tous les souvenirs qui s'y rapportent, mais c'est
aussi la barriere infranchissable que rencontrent chez lui en se
presentant au seuil de la conscience les souvenirs inutiles ou in-
differents*. »
La fonction du reel se retrouve aussi dans la conscience de nos
etats inlerieurs et dans la perception de notre propre personne.
II Taut savoir nous percevoir nous-m^mes comme nous sommes
en realite ; nous retrouvons ici la didiculte principale qui est la
perception avec certitude, avec le sentiment de la realite. Nous en
trouvons aussi une autre qui prend ici plus d'importance, c'est la
perception de notre unite, le sentiment que Tesprit est reelle-
ment parvenu a une synthase mentale unique.
II est presque inutile de rappeler les troubles si frequents de
I'attention et de la perception chez les psychastheniques qui nous
obligent a mettre ainsi ces operations dans le premier groupe, le
doute des perceptions, rinintelligence de la lecture, de Taudi-
tion, rinstabilite de Tattention, les eclipses mentales, la memoire
I. Debs, Tableau de I'activitS voionlaire pour servir d la science de Vidacaiion,
i844, p. i53.
3. Bergson, Maiihe et memoire, 189G, p. 166.
LA HiCRARCmE DES PH^.NOMfcNES PSYCHOLOGIQUES 481
retardante, ramnesie continue, les troubles de la perception per-
sonnelle, etc.
A ces operations de la volonte et de Tattention il Taut rattacher
certains phenomenes qui tiennent a Temotion. Celle-ci est en
general, comme nous le verrons, une operation mentale tres facile
et tr^s differente par consequent des operations de ce premier
groupe, mais elle prend de la didficulte quand il s'agit d'une Amo-
tion precise, bien adapt^e a la r^alit^ donn^e, surtout quand il
s'agit d'emotions heurcuses. Savoir jouir completement du pre-
sent, de ce qu*il y a de beau et de bon dans le present, c^est une
operation mentale qui semble tres difficile et digne d'etre rap-
prochee sur ce point de Taction et de Tattention au r^el, on la voit
disparaitre bien souvent dans Tindiflerence et dans Tennui que
pr6sentent presque toujours ces malades.
Le dernier terme decette fonction du r^el, celui qui resume pro-
bablemen t tons les precedents serait une operation mentale malheu-
reusement trespeu counue : la constitution du temps, la formation
dans Vesprit du moment present, Le temps n'est pas donn^ a Tes-
prit tout fait ; il suffiraitpour le d^montrer d'etudier les illusionsdes
enfantset des malades surle temps. Lemomentpr6sent des math6-
maticiens, ce point inaccessible n*a rien a voir avec les notions
dont nous parlons ici. Le present m^me qu^etudie la psychom6-
trie, cette pulsation de un dixieme de seconde, n'est pas non
plus ce que nous appr^cions comme present. Le present r6el
pour nous, c'est iin acte ou un ^tat d'une certaine complexity
que nous embrassons dans un seul etat de conscience, malgre
cette complexity et malgr^ sa dur^e r^elle qui pent etre plus ou
moins longue. Pour les gens distraits, indiflerents a la r^alit^,
ce present s'allonge et reste vague, pour des esprits actifs qui
sont toujours a la minute, ce pr<^sent se resserre et devient pre-
cis. II y a une faculty mentale que Ton pourrait, en forgeant le
mot, appeler la presentification et qui consiste a rendre present
un etat d'esprit et un groupe de phenomenes. II ne serait pas dif-
ficile de montrer que cette operation se confond en r^alit^ avec
les pr^c^dentes, c'est Taction, c'est Tattention, c*estla perception
exacte de la situation donn^e avec le sentiment de sa r^alite qui
produit la presentification ; il n'est pas non plus difiicile de com-
prendre que cette operation n'est qu'un aspect de la fonction du
r^el et qu'elle pr^sente par consequent les memes diflicultes et
les m^mes troubles.
LES OBSESSIONS. I. — 3l
482 THEORIES PATHOGfiNIQUES
Au-dessous de ce premier degr^, le plus parfait et le plus di(16-
cile se place le groupe des operations que j'appellerai desi/tteres-
sees: ce sont les m^mes operations psychologiques simplement d^-
pouillees dc ce qui faisait leur perfection, c'est-a-dire de Tacuite
du sentiment r^el. Ce sont des actions sans adaptation exacte aux
faits nouveaux, sans coordination de toutes les tendances de Tin-
dividu, des perceptions vagues sans certitude, et sans jouissance
du present. C'est ce que Ton designe souvent comme des actions
et des perceptions avec distraction, c'est une vie en apparence
identique a la vie complete mais avec indifference a la realite.
Nous avons d6ja note bien des fois que la distraction rendait faci-
les a nos malades des operations qu'ils ne pouvaient plus accom-
plir avec pleine conscience. Voici des exemples nouveaux de
cette remarque iraportante.
J'ai eu I'occasion de remarquer bien des fois un trait de carac-
t^re assez> etrange chez beaucoup de scrupuleuses. Ces malades
qui sont tout a fait incapables de se conduire elles-memes, qui
hesitent indefiniment a propos de la moindre action quand il
s'agit de leur inter^t ou dc leur devoir personnel, deviennent
sensees, perspicaces et decidees, quand il s'agit de donncr des
conseils a quelque autre personne. Je ne puis m'expliquer cette
difference qu'en remarquant combien la conduite d'autrui est a
nos yeux plus indifferente, plus simple, moins reelle que notre
propre conduite. On a vu que Wo... fait indefiniment et fort bien
des aditions sur des chiffres imaginaires, elle m'offre meme
d'additionner mes propres comptes, mais elle ne pent plus
fixer son attention des qu*il s'agit des comptes de son propre
manage.
Quand les malades seront fortement distruits de Taction qu'ils
accomplissent, ils arrivent de m^me a cette indifference qui rend
Taction plus facile. Bei..., quia perdu son moi quand elle cherche
a agir ou a sentir avec conscience, avec attention, « n'a plus aucun
trouble pendant Tetat de distraction. Quand la malade est entrai-
nee par une preoccupation, ne pensepas a elle-meme, tout va par-
faitement bien et elle est parfaitement normale. Le trouble revient
quand elle essaye de faire attention, de penser a elle-meme, de
se rendre compte de ce qu'elle eprouve * ».
Lod..., Claire agissent normalement quand elles sont distraites
I. Neuroses et idies fixes, II, p. 65.
LA HlfiR.\RGHIE DES PHfiNOMfiNES PSYCHOLOGIQUES 483
et ne se preoccupent pas de ce qu'elles font. « Pour que mon
travail marche bien, dit Gisele, il faut que je n'y sois pas, que je
le fasse sans le vouloir et prcsque sans le savoir. » Nadia finit
par preferer les p^riodes oil elle est dans un etat de reve, c'est
a ce moment qu'elle fait le plus facilemeut les choses qui etaient
difliciles auparavant. Elle aimait a Turner non pour trouver dans le
tabac une excitation, mais parce que ccla T^tourdlssait et qu'elle
pouvait alors agir a pen pres comme tout le monde sans trop
savoir ce qu'elle faisait, « et si dans cet etat de reve il m'arrive de
me r^veiller un pcu et de penser que c'est la realite, alors je me
sens tout de suite paralys^e et agitee et je ne peux plus rien
faire )).
L'action plus ou moins vague avec distraction et peu de senti-
ment du r^el forme done un second degr^ moins difficile que le pre-
mier. II ne faudrait pas croire que ce groupe soit constitue unique-
ment par ce que j'appelais autrefois les actions automatiques . Ces
actes tels qu'on les observe sous leur forme parfaite chez les hys-
teriques sont des actes inconscients Ou subconscients ignores par
le sujet qui les accomplit. Les actes que je place ici sont con-
scients, mais ils sont accompagn^s d'une conscience moindre,
qui n'a pas la precision, la concentration de la conscience qui
accompagne les actions du premier degr^. Sans doute, ce groupe
des actions d^sint^ress^es contient les ph^nomenes automatiques
comme une de ses vari^t^s les plus int^ressantes, mais il s'etend
au dela, car il contient bien des formes et bien des degr^s.
Entre la fonction du reel et les actions tout a fait subconscien-
tes, il y a mille degres, mille nuances d^actions plus ou moins
desinteress^es. La connaissance de ces nuances est essentielle
pour comprendre comment un sujet pent executer un acte et ne
pent pas en executer un autre qui nous parait tout voisin, com-
ment de l^geres modifications de la distraction ou de Tattention
facilitent un acte ou le rendent impossible.
L^opinion populaire pla^ait a un niveau ^Icve dans la hierar-
chic les operations mentales proprement dites, les operations qui
portent sur des idees et non sur des objets reels, mais les mora-
listes ont eu deja bien souvent le sentiment que cette opinion
etait erron^e. « Vous etes a la fleur de Tage, disait un romancier
tres psychologue, vous appreciez au dela de tout Pintelligence
humaine ; le piquant de Tesprit et la deduction abstraite de la rai-
484 THEORIES PATHOGfiNIQUES
son vous seduisent... quelle erreur est la voire'. » « Par Taction
nous sommes des anges, disait d^ja Hamlet, par la pensee nous
ne sommes que des hommes. »
Nos observations sur les psychasth^niques confirment grande-
ment et precisent ces anciennes remarques. On reraarque tout de
suite qu'ils se fixent plus facilement sur des id^es que sur des
objets, qu'ils suivent assez facilement une piece de theatre ou un
roman, tandis qu'ils regardent difficilement un musee. Mais il
s'agit encore ici d'observation : la difference s*accentue quand il
s'agit de purs raisonnements int^rieurs. II nous faut pour le com-
prendre lutter contre un vieux prdjug6 d'enfance, c'est que Tabs-
trait nous parait plus difficile que le concret. Si nous avons bien
remarqu6 comment ces malades raisonnent a perte de vue, com-
ment ils accumulent les divisions, les distinctions et les hypotheses
nous comprendrons que le raisonnement est une operation inf^-
rieure. Je me place toujours au point de vue de nos malades et je
dis que chez eux le raisonnement, m^me complique, est une
operation mentale bien plus ais^e que Taction r^elle.
On retrouve la m6me racilit6 si Ton considere les operations
representatives qui portent sur les images, la m^moire et Tima-
gination. La memoire presentait des difficult^s qui lui donnaient
une place au premier rang quand il s'agissait de la fixation et de
Tevocation des souvenirs d'une mani^re volontaire et utile. Mais
la memoire perd tout a fait ces caracteres de la fonction du reel
quand elle est simplement representative et qu'elle se borne a
evoquer le tableau du passe sans engager ce passe d*unc mani^rc
effective dans Taction presente. Les malades abouliques et sans
attention presente, incapables d'evoquer volontaircmcnt un sou-
venir utile ont une memoire inou'ie dans leurs ruminations ab-
surdes. Ce sont des pages entieres de leur vie passee que Jean
ou Lise peuvent reciter mot a mot; le passe devient chez ces ma-
lades obsedant et semble obnubiler le present (Lowenfeld), c'est
que le present offre a leur esprit infiniment plus de difficultes que le
passe. On observe d'ailleurs ce m^me developpement exagore de
la memoire chez Timbecile, chez le sauvage, chez Tenfant etcette
faculte de representation desinteressee semble diminuer avec
Tage adulte etavec le developpement intellectuel.
Cette representation des images devient encore plus facile quand
I. Dostoiewski, Crime et chdtirnent, II, p. 78.
LA HlfiRARCniE DES PHfiNOMfiNES PSYCIIOLOGIQUES 485
celles-cl ne sont meme plus soumises aux regies rigoureuses de
la m^moire et qu'il suffit de les laisser aller a la derive suivant
les hasards de rassociation des id^es. On sait la place qu*occupe
la reverie dans la maladle que nous 6tudions, le developpement
^norme qu'elle peut prendre. Enfin, le dernier degre de facilite
est obtenu quand les reveries cessent meme d'etre originales et
se repetent les unes les autres avec monotonie.
Cette facilite plus grande des raisonnements abstraits et de la
representation des images rend compte d'un caractcre souvent
observe et qui ne me parait pas toujours avoir ete bien compris.
Non seulement ces individus se vantent d'etre « des penseurs,
des analystes » mais ils montrent un goi^t prononce et quelque-
fois un certain talent pour Tobservation psychologique interieure,
pour Tauto-observation*. Cette aptitude a Tintrospcction psycho-
logique me parait simplement une consequence de la faiblesse
de leur esprit. Entendons-nous : Fobservation psychologique
bien faite et surtout Tobservation psychologique objective est
extr6mement difficile. A toutes les difficultes de Tobservation
r^elle du monde physique se joignent les difficultes des pheno-
menes sociaux, de Tapprehension d'une conscience etrangere a
la notre. Mais Tintrospection qui consiste a se regarder penser
est d'untout autre ordre. Cousin et Joufiroy avaient deja remar-
que autrefois qu'elle ne peut s'exercer pendant Tacte meme ou
au moment de Temotion elle-meme, que par consequent elle
s'exerce surtout sur des images et des souvenirs. Ajoutons que
cette introspection peut s'exercer avec autant d'interet sur n'im-
porte quelle image et n'importe quel souvenir et qu'elle ne
demande aucune precision a I'esprit. II en resulte qu'elle se rap-
proche de la rumination et de la reverie. II suffira que certaines
curiosites determinees par les sentiments d'incompletude incli-
nent le sujet vers cette introspection pour qu'il s y plonge avec
deliccs a cause de son extreme facilite.
Je crois que Ton peut placer au-dessous de ce troisieme degre
une operation mentale encore plus basse, c'est le developpement
de I'emotion, quand cette emotion n'est pas exactement en rap-
I. N. Vaschide el Gl. Vurpas, Delire par introspection mentale, Nouvelle Icono-
graphie de la iialpHrVere, 1901, p. 338. Contribution 2i la psjchologie de la gen^se
des hallucinations psYcho-motrices, Archives de neurologic, 190a, p. 474-
480 TUtoRlES PATIlOGfiNIQUES
port avec la perception d'une situation presente. L'excitation de
ces reactions visc6rales at vaso-motrices que Ton considere
comme un element essentiel de T^motion doit 6tre bien facile,
puisque nous la voyons persister a un si haut degr6 chez les indi-
vidus les plus affaiblis, parfaitement incapables d'accomplir les
operations sup^rieures. Cette emotion devient encore plus facile,
quand ellc perd les caracteres qui lui permettaient de revctir des
formes distinctes. Au-dessous de la colore, de la peur, de Tamour
se place une emotion qui n'est plus rieu de special, qui est un en-
semble de troubles respiratoires et cardiaques tres vagues,
n'eveillant dans Tesprit la pensee d'aucune tendance, d'aucune
action particulierc. C*est ce qu'on appelle Tangoisse, la plus ele-
mentaire des operations mentales.
Je placerais a c6t6 d'elle, peut etre un peu au-dessous la pro-
duction de mouvements inutiles mal adaptes a la situation presente
et r^elle, c'est-a-dire les tics de toute espece. Bien entendu ces
mouvements seront encore plus simples quand ils n'auront meme
plus cette coordination ancienne que Ton retrouvait dans les tics,
anciens mouvements adaptes qui sont simplement sans rapport
avec le present. Les agitations motrices, les mouvements incoor-
donnes qui se rapprochent des convulsions semblent ^videmment
les operations plus basses et les plus elementaires.
II est facile de constater ce qui caracterise ces trois derniers
groupes et ce qui les distingue des premiers. Dans les opera-
tions qui portent sur des images et sur des id^es abstraites,
comme la memoire, la reverie, le raisonnement, le rapport avec
la r^alite et le sentiment juste ou faux de la realite a bcaucoup
diminue. Ces phenomenes ne portent que sur le passe oii sur le
futur qui n'ont aucunement a nos yeux le meme degre de realite
que le present etsouvent ils portent sur Timaginaire auquel nous
n*accordons qu'un minimum de realit<^. Dans les derniers groupes
le rapport avec la reality et le sentiment de reality disparait en-
core plus completemenl. Comme je Tai fait remarquer a chaque
page en decrivant les tics, les agitations motrices, les phobies,
les angoisses, ces operations fonctionnent a vide si Ton peut par-
ler ainsi, elles n'ont pas d'action sur le reel, et elles ne font a
personne ni bien ni mal serieux ne donnent pas au sujet I'impres-
sion du r^el : le sujet sent toujours leur inutilite, leur vanite et
il se sent forc^ de travailler dans le ni^ant. Les premieres opera-
tions, la premiere surtout, avaient les caracteres exactcment in-
LA HlfiRARCHIE DES PllfiNOMfiNES PSYCHOLOGIQUES 487
verses : elles agissaient sur le r^el, le transformaient, le faisaient
connaitre avec plus ou moins de verite, peu nous importe, ou du
moins donnalent au sujet rimpression, le sentiment de la r^a-
Iit^. Ce caractere a diminue dans les operations d^sinteress^es
qui restalent encore prdsentes, mais avec moins de sentiment
vif du reel; il s^est fortement reduit dans le troisi^me groupe ou
ne se trouve plus que le sentiment du passe, de Taveniry ou de
rimaginaire ; il a disparu dans les derniers groupes.
Ce caractere essentiel des (aits dc Tesprit, qui consiste a agir
sur la realite ou a la faire connaitre m^mc en apparence, a en
donner le sentiment, au moins a lui correspondre, suivant Tex-
pression de Spencer, pourrait ^tre design^ sous le nom de
coefficient de rea/ite d*un fait psychologique. On pent alors pr6-
ciser ce que j'entends par cette hierarchic des phenomenes psy-
chologiques : si on considcre Tordre de frequence et de rapidite
avec laquelle se perdcnt les fonctions psychologigues chez nos
malades, on constate qu^elles disparaissent d'aatant plus vite que
leur coefficient de realite est plus eleve et qu^ elles persistent d'au-
tant plus longtemps que leur coefficient de realite est plus has.
J'en conclus que ces operations forwent une serie de difficulte et
de complexite decroissantes sui\>ant que leur relation a\fec la rea-
lite au point de 9ue de Paction, de la connaissance, en un mot de
la correspondance va en diminuant et c'est a cette disposition en
s^rie que je donne le nom de hierarchic psychologique.
Provisoirement, et simplement a titre de resume, on pent ^ta-
blir le tableau hierarchique de cette maniere :
HiERARCHlE DES PHENOMk?(ES P8YCHOLOG1QUFS.
I 1 action efficace sur la realite ; , .
1. 1- ) f physique.
taction I i d H '
/ Taction nouvelle avec sentiment } , ... "
\ { Holiberte.
La fonction j ( la perception avec sentiment dc realitd.
du reel. \ \ 1* certitude, la croyancc.
Patten tion dans < 1« perception d'objets nouveaux.
I la perception de I avec sentiment de r^alit6.
f la personne | avec sentiment d'unite.
la pr^scntification, la perception et la jouissancc du present.
488 THEORIES PATHOGfiNIQUES
Taction habiiuelle.
idu present,
de Tunit^.
.a...«.^«,^w. a . de la liberie.
la perception sans le sentiment de la certitude avec le senti-
ment vague du present.
ila m^moire purement representative.
I'imagination.
le raisonnoment abstrait.
la reverie.
IV. Les reactions ^motionnelles visccrales ! r.^ ' ^
( ditluses.
V. Les mouvements musculaires inutiles | *,T1. '^
f diflus.
Ce tableau est ^videmment tres sommaire, beaucoup de degr^s
intermediaires sont omis, la place exaete de telle ou telle opera-
tion souleveralt bien des dldicult^s. II est impossible d'entrer ici
dans ces discussions, il nous suffit d'avoir constate un certain
ordre hierarchique dans la facilite croissante des operations de
Tesprit, ordre qui a ete mis en evidence par leur conservation
plus prolong^e chezles malades.
3. — La tension psycbologique.
Les ph^nomenes semblent se disposer dans cet ordre au point
de vue de leur facilite croissante, si on examine Tordre dans
lequel ils perdent chez nos malades. Ce n'est la qu'une consta-
tation assez empirique. Peut-on chercher a se rendre compte des
raisons qui determinent cet ordre ? Qu'est-ce qui fait la difficult^
particuliere de la fonction du reel, du sentiment du r^el ? Qu'est-
ce qui justifie la place de Taction mise au premier rang, ce
« primat de la volonte », comme disait Schopenhauer ^
line premiere reponse tres dUmentaire pent Atre facilement
ecartee grace a Texamen de nos malades. Les phenomenes psy-
chologiques qui donnent le sentiment du r6el seraient simplement
des phenomenes forts, ceux qui donnent le sentiment du pass^
ou de rimaginaire seraient des phenomenes faibles. II y a peut-etre
dans cette reponse une part de verity qu'il faudra d6gager, mais
I. Cf. Th. Ribot, La philosophU de Schopenhauer, i885,p. 67, (Paris, F. Alcan).
LA TENSION PSYGHOLOGIQUE 489
elle ne peut ^tre admise s«nns interpretation. En effet, un fait
fondamental domine la psychologic du douteur, c*est qu'il n'a
pas d*anesthesies veritables. Ces sujets qui doutent de la realite,
qui doutent dc ce qu*ils sentent ou de ce qu'ils voient sentent et
voient cependant aussi bien que Thomme qui ne doute pas. Leurs
sensations ne sont pas diminuees quantitativement, on ne le sent
que d'une manicre insignifiante, incapable d'expliquer leur doute.
En reality, ils ont une sensibility forte dans le sens ordinaire du
mot, puisqu'ils sentent fort bien les excitations les plus minimes ;
ils ont une vision puissante puisqu'ils lisent tres bien les plus
petites lettres du tableau et nialgr^ cette force, cette acuite de
leurs sens, ils n'ont pas le sentiment du r^el.
Une seconde hypothese serait bien simple et bien seduisante,
elle consisteraita rattacher cette difference entre le reel et Tima-
ginaire a Tintervention du mouvement. Ce qui semble le plus
didicile dans le premier groupe, c'est Taction et Tattention,
or dans Tune et Tautre interviennent les fonctions motrices.
Ne pourrait-on pas supposer que dans cette maladie il y a
un engourdissement des centres moteurs corticaux avec conser-
vations de Tactivite des centres sensoriels P Cela n'expliquerait-il
pas cette difficulte de Taction et cette facility de Timagination.
Une conception a pen pres semblable a celle-ci forme Tidee
fondamentale du livre de M. Bergson auquel je faisais allusion
dans un passage precedent : « L'actualit^ de notre perception,
dit-il, consiste dans son activity, dans les mouvements qui la
prolongent et non dans sa plus grande intensity, le passe n'est
qu'idee, le present est id^o-moteur* C'est juslement parce
que j'aurai rendu un souvenir actif qu*il sera devenu actuel, c'est-
a-dire sensation capable de provoquer des mouvements' Le
sentiment concret que nous avons de la reality presente consiste-
rait done dans la conscience que nous prenons des mouvements
effectifs par lesquels notre organisme repond naturellement aux
excitations, de sorte que la oil ces relations se d^tendent ou se
gatent entre sensations el mouvements, le sens du r^el s'affaiblit
et disparait' ».
I. Bergson f Matihre et memoire, 1896, p. 6a.
a. Id., ibid., p. 166.
3. Id., ibid., p. iija.
490 THEORIES PATHOCeNIQUES
Prise au pied de la lettre, cette conception difTere moinsqu'on
ne le oroit de la prdcedente. Aulieude faire d^pendre la fonction
du ri^el de Tintensite des sensations, elle la fait dcpendre de Tin-
tensit^ des mouvementsqui ne sontconnus que par des sensations.
Elle contient sans doute une part de v^rit^, mais ne pent etre ad-
mise sans restriction, car il ne me semble pas juste de dire que le
mouvemcnt par lui-m6me,en tant que mouvement de notre corps,
suffise a donner le sens du reel et a constituer le groupe des
ph^nom^nes psychologiques superieurs.
Mon objection a cette conception est semblable a la prece-
dente : de nieme que les douteurs ont conserve les sensations, ils
ont conserve les reflexes, les mouvemcnts ct la sensation precise
de ces mouvements.
II y a meme chez eux des mouvementsqui se pr^sentent comme
tout a Fait el6mentaires ct faciles. Les tics, les agitations motri-
ces peuvent donner lieu a des mouvements considerables et
meme violents. Les ph^nomenes d'emotion necessitent aussi la
production de mouvements et s'accompagnent souvent d'une
agitation extreme : cependant malgre ces mouvements les mala-
des restent dans le doute, loin du reel. On ne peut done
pas dire que tout mouvement soit diflicile, que ce qui de-
termine r^l^vation d*un phenomene dans la hierarchic ce soit
rintervention du mouvement. II ne faut pas croire qu'up pheno-
mene psychologique soit cleve, demande un plus grand travail
parce que le mouvement physique qui le manifeste au dehors est
un mouvement plus violent. Un mouvement violent peut, au point
de vue qui nous occupe, correspondre a un phenomene psycholo-
gique et cerebral hierarchiquement tres elementaire.
Sans doute la th^orie prccedente fera un progres si au mot
« mouvement », comme d'ailleurs M. Bergson le fait souvent, on
substitue le mot « action », c'est-a-dire si Ton remplace le mouve-
ment simple par un systeme bien coordonn6 de mouvements.
« II y a bien autre chose, disait M. Bergson, entre le pass^ et le
present qu'une difference de degre. Mon present est ce qui
m'interesse, ce qui vit pour moi, ce qui me provoque a Taction
(Tauteur dit souvent a Taction utile et bien adaptee) au lieu que
mon pusse est essentiellement impuissant\ » Mais cela n*est pas
encore sufflsant, car ces sujets exccutent des actions bien r^glees
X. Bergson, op. cit., p. 1/48.
LA TENSION PSYCHOLOOIQUE 491
en rapport avec les ohjets qn'on leur niontre et ils sc pinignent
(( quails ne font pas eux-memes Taction, que Inaction n'est pas
reelle». L'automatisme bien regie se montre dans les tics et ne
leur donne pas aux malades le sens du reel.
Una autre hypoth^se plus int^ressante consistcrait a appliquer
ici mes anciennes etudes sur Tactivite de synthese par opposition
a Tactivite automatique. La synthese mentale est una operation
qui r^unit en un compose unique et nouveau les elements fournis
a chaque moment de la vie par les. sens et par la memoire. La
construction de ce systeme nouveau semble ^tre I'op^ration par-
ticulierement didicile, celle qui disparait la premiere. Je crois qu'il
y a encore ici une partie de la verite. Dans la fonction du
reel entrc pour beaucoup des adaptations a la r<^alite changeante et
par consequent des systematisations toujours nouvelles: certaine-
ment une des raisons de Televation de la volonte et de I'atten-
tion dans noire hi<^rarchie, tient au role qu*y jouent les operations
de synthese mentale perpetuellement nouvelles, et inversement
la position inferieure de la reverie et de Temotion tient a ce
fait qu*une partie considerable de ces operations est purement
automatique. D'aillaurs on constate aisement chez les malades qui
ont perdu le sens du reel, Taboulie, Taprosexie, le misoneisma,
rinintelligence des situations nouvelles, tons les caract^res qui
indiquentla diminution des syntheses mentales, du pouvoir d'adap-
tation et de coordination.
Cependant j'ai quelque hesitation a consid^rer cetta distinction
comma sufGsante dans ce cas. D*une part il ne me semble pas
qu'il y ait une proportionnalite complete entra la developpement
de Taboulie et la pertedu sens reel. Ces malades agissent encore
a peu pr^s correctement et ils repetent qu'ils agissent comme
dans un reve. D*autre part il n'est pas exact de dire que le trou-
ble existe uniquement dans les phenomenes de synthese mentale
etquelesphdnomenesautomatiquessontrestcsintacts. Eneflet,ilne
fautpasoublierquenousavonsconstatelesm^mesdiflicultesnonseu-
lenient dans les fonctions du reel, mais encore dans les operations
qui se bornent a imiter ces fonctions. La suggestion et Thalluci-
nation se presentent chez ces malades comme aussi difficiles que
Taction reelle ou la perception de la realile. Or dans Thallucina-
tion, il y a une tres petite part de synthese mentale mais beau-
coup d*automatisme. Si elle est tres difficile c'est que d'autres
492 THEORIES PATHOGfiNIQUES
didicultes doivent s'ajouter a celles que presente la synthase
mentale.
L'etude de ces derniers faits, T^tude des hallucinations et sur-
tout des hallucinations suggerees pourra peut-6tre nous indiquer
un caracterc nouveau qui joue un role important dans le senti-
ment de la r^alit^. Les hallucinations en eOet s'accompagnent de
ce sentiment a un haut degri^et, dans Texp^rimentation au moyen
de la suggestion hypnotique, nous pouvons noter a quel moment
il survient. « La perception reelle ou Thallucination d'un chien,
disais-je autrefois ^ est un ensemble d*images visuelles, tactiles,
auditives m6me, tres varices. Pour passer de Tidee d'un chien a
Timage hallucinatoire d'un chien, il faut non pas renforcer, mais
completer Timage. Ce serait etre bien maladroit, en face d'un
sujet qui voit didicilement les hallucinations que de r^p^ter
meme en criant tres fort : « tu vois un chien, tu vois un chien » :
on n'arriverait a rien. II faut preciser et completer Timage : « Tu
vois ses oreilles, tu vois sa queue, tu vois ses longs poils de cou-
leur jaune, tu entends qu'il aboie. )> Oubien, si Ton a afiaire a un
sujet qui en soit capable, il faut lui laisser le temps de develop-
per lui-m^me son image. Si, dans une conversation rapide, je dis
a L6onie qu'il y a des moutons dans la prairie au bord de la
riviere, etc., j'^veilie par chaque mot une image incomplete et
vague qui ne sera pas une hallucination. Mais si apres avoir dit :
« il y a un mouton devant toi, » je m'arrete brusquement et ne lui
parle plus ; son idee se developpe peu a peu, elle cherche a se
repr^senter des details nouveaux, a sentir la toison, a entendre le
cri et elle finit par dire : « C'est un vrai mouton. » C'est-a-dire
un mouton complet et non plus une image de mouton. La com-
plexite de Timage, comme le montraitM. Souriau, a donn^ nais-
sance a son objectivite^ ». Depuis cette epoque, j'ai eu Toccasion
a plusieurs reprises d'insister sur ce role de la complexity et du
dcveloppement de Timage dans la suggestion et dans Thallucina-
tion^, et je considere encore comme bien vraisemblable que c'est
au nombre et a la richesse des images evoqu^es a propos d'une
I. Automaiisme psychologique, 1889, p. 181.
a. Souriau. Sensation et perception. Revue philosophique, i883, II, 75,
3. Accidents menlaux des hystiriques, iSgAt p. a3. Nevroses et idies fixes, I
p. ai6. 11 ; p. i3i, etc.
LA TENSION PSYCHOLOGIQUE 493
meme id^e qu'est di!k le caractere de reality apparente des hnlluciDa-
tionshyst^riques.
Si nous coDsid^rons au contraire ces psychasth^niques qui
n'arrivent point au sentiment du r^el ni dans leurs pseudo-hallu^
cinations ni meme dans leurs perceptions, nous voyons qu'ilsoot
toujours la pens6e occupee par des ph^nomenes plus simples,
moins riches. lis ont des souvenirs et surtout des souvenirs loin-
tains, mais de tels souvenirs sont simplifies, d^colores, ils ne sont
pas aussi complexes que le spectacle d'un ev^nement r^el. lis ont,
surtout des raisonnements abstraits, des bavardages, dans lesquels
la pensde se fait au moyen de substituts qui remplacent, par une
image simple, un groupe de phenomenes. Quelquefois ils consta-
tent eux-memes cette simplification de leur pens^e, cette
diminution de la richesse des perceptions. Jean me repete
sans cesse « qu'il ne saisit pas la reality avec la force nor-
male >>. J*insiste en lui demandant ce qu*il entend par la, com-
ment il se rend compte de cepretendu changement, puisque je ne
puis decouvrir en lui aucune sensation insuflSsante : cc Yoici, me
dit-il, ce que je crois avoir remarqu^ : dans la vision normale,
dans la vision que j'avais autrefois, un objet 6tait compose d'une
foule de details : si vous voulez, il y avait dans cette surface de
Tobjet au moins trois mille petits points difTerents que je voyais
tons a la fois, maintenant il me semble qu'il n'y en a plus que
quinze cents. »
Get ensemble de remarques nous montre que dans la consti-
tution des phenomenes de notre premier groupe, dans notre
fonction du r^el, il faiit faire jouer un role a la complexite et
a la richesse des phenomenes psychologiques. Dans Thallucination
comme dans la perception du reel et dans Taction, le contenu de
la conscience a propos de chaque objet est non seulement syn-
thetise mais il est riche ; le nombre de sensations et des images
donnees simultanement est considerable. Au contraire, dans les
groupes inferieurs, dans le raisonnement et meme dans la reve-
rie, la pensee est abstraite, elle se fait au moyen de substituts et
elle est en rcalite assez pauvre de phenomenes rentrant simulta-
nement dans la synthese mentale.
Plusieurs auteurs semblent avoir senti Timportance qu*a dans
le fonctionnement de Tcsprit le nombre des phenomenes psycho-
logiques simultanes. M. Espinas, a propos du sommeil chez les
hysteriques, a parle de Timportance des sensations volumineuses
49i THtoRIES PATHOGI^INIQUES
qui mcttent dans la conscience un grand nombre de ph^nom^nes
simuItan^sV M.Stout, a propos de la croyance, remarqu^ cc que
la force de cohesion entrc deux id^es A et B n'est pas seule-
ment dans les idees elles-niemesmais dans la masse des elements
conscients et subconscients qui les soutiennent^.
M. Manouvrier, dans un article int^ressant sur la volont^,
exprime des id^es du nieme genre : « quand Ics cellules cere-
brates sont le siege d'une nutrition tres active, quand leur com-
position mol^culaire est telle que la quantite d'^nergie mise en
liberty par leur disintegration est a son maximum... alors les
sensations sont vives et nombreuses ; il y a des deliberations
larges et vives parce que de nombreux groupes cellulaires asso-
cies sont mis en jeu et fortement excites : les deliberations sont
largement conscientes parce que Texcitation se propage jusqu'aux
groupes les plus nouvellement formes et parce que la desinte-
gration moleculaire d*ou resulte la conscience est tres active : la
deliberation est breve, parce que cette activite meme entraine la
cohesion rapide de plusieurs desirs on volontes naissantes d*ou
resulte cette desintegration moleculaire preponderante qui cons-
titue la volonte. Enfin, cette volonteest s6rement, rapidement et
energiquement suivie d'execution parce que le courant nerveux
energiquement commence par cette desintegration centrale par-
ticipe lui-meme de la vigueur generale que Tori pent appeler
neurosthenie (oSivs^). Dans Tetat oppose ou neurasthenique
[xy crOcvs^), la volonte au contraire est ailaiblie conime tons les
etats de conscience qui la precedent. Les sensations sont faibles,
les images eveillees dans le processus associatif sont excitees fai-
blement en petit nombre et successivcment. Les premieres eveil-
lees sont deja eteintes au moment oil Fexcitation parvient au
groupe voisin, de sorte que Ics coordinations sont pauvres et pre-
caires; la deliberation est etroite et moUe par suite de Texi-
gui'te qualificative et numerique des motifs mis en jeu ; les desirs
sont sans energie. II peut arriver qu'aucun d'eux n'acquiere une
intensite suiHsante pour constitucr la volonte. En ce cas, c^est
Taboulie Ce qui me parait avoir une tres grande portee
psychologique, ajoute M. Manouvrier avec beaucoup de profon-
1. M. Espinas, Du sommeil provoque chez les hysteriques, Essai d'expUcation de scs
causes et de ses effets. Bordeaux, i884, p. i5.
2. Stout. Mind, July-oct. 1891.
LA TENSION PSYCHOLOGIQUE i95
deur, c'est Topposition entre la neurosth6nie et la neurasth^nie
ou, si Ton veut, entre la cerebrosthenie et la cerebrasthenie ,
quant aux eOets pi^oduits par ces deux etats sur Tintensit^ ou
m^me sur la forme du fonctionnement mentaP ».
C*est la m^me notion de la richesse des processus mentaux
que je retrouve comme element essentiel des veritables halluci-
nations et qui me semble jouer un grand role dans toutes les
operations de la fonction du reel. Cette notion a Tavantage de
contehir ce qui 6tait interessant dans les hypotheses precedentes
relatives a Timportance des sensations et surtout des sensations
de mouvement, celles-ci sont ^videmment contenues dans ce que
j'appelle la richesse du contenu de la pens^e.
Pourrait-on aller plus loin et chercher si nous pouvons d^cou-
yrir d'autres caracteres psychologiques auxquelles soient li^s
cette concentration et cette richesse des ph^nom^nes. Je suis
dispose a imaginer que la rapidite des ph^nomenes psycholo-
giques ou plutot des elements de ces phdnom^nes doit intervenir
ici. II est visible, je Tai montre bien souvent, que les douteurs
sont des lents et il n'est pas impossible de supposer qu*il y a chez
eux un ralentissement de ces oscillations, de ces vibrations qui
constituent peut-etre les (Elements de la conscience. Mais il est
trop Evident que ce sont la des hypotheses actueilement invcri-
(iables que nous ne pouvons ajouter sans demonstration aux faits
acquis.
En un mot, il me semble que deux phenomenes essentiels ca-
ract^risenl les premiers degr^^s de cette hierarchic: i® Tunifica-
tion, la concentration, surtout importante lorsqu'elle est nouvelle
etqu^elle constituc la synthese mentale ; 2° le nombre, la masse
des phenomenes psychologiques qui doivent faire partie de cette
synthese. La reunion de ces deux ph^nom^nes, une synthase
nouvelle, une forte concentration et des faits de conscience tres
nombreux constitue un caractere qui doit etre essentiel en psy-
chologic et que Ton peut appeler par convention la tension psy^
chologie.
Muudsley a deja parle des divers degres de tension que pouvait
prendre Tenergie cerebrale *. Spencer exprime des idees du
I. Manouvrtcr, La volonl^. lievae de I'hypnotisme, 189^^. p. aag, aSa.
a. Maudslcy, Physioloyie de V esprit, p. 3oo el suiv.
496 THEORIES PATliOGfiNIQUE^
meme genre « sur les diverses tensions ou pressions du systehie
nerveux,etsur le role qu^elles doiventjouer dans la conscience S).
HofTding a d^ja insiste sur cette tension, cette concentration
qu'il consid^re comme essentielle dans la volition. « A Texpan-
sion de la recherche des motifs doit succeder une concentration.
II s'agit de clore tout le debat conscient, de conceutrer T^nergie
sur un seul point qui puisse servir de point de depart pour la
realisation du but qu'on s'est propose'. » M. Bergson a exprime
beaucoup d'idees philosophiques dans le meme sens quand il
dit que « Taction doit concentrer de plus en plus un grand nombre
d*images dans un moment du temps de plus en plus court \ a Les
divers souvenirs ^voques, dit-il encore, repondent a divers degr^s
de tension de la m^moire ici plus rapprochee de Timage pure
(du revc), la plus disposee a la replique immediate, c*est-a-dire
a Taction*. »
Voici done un ensemble de recherches qui convergent vers
cette id^e qu'il y a des degres de tension psychologique et qu'a
ces divers degres correspondent non seulement des modifications
d'intensit^ mais des modifications tres interessantes de quality ou
de nature dans ces ph^nom^nes. J'ai essaye de les preciser en
r^unissant ces notions relatives a la tension psychologique avec les
faits mis en Evidence dans le tableau de la hierarchic. Le degve de
la tension psychologique, ou I* elevation du nweau mental se mani-
feste par le degre qnoccupe dans la hier archie les phenomhnes les
plus eleves auxquels le sujet peut par^enir. La fonction du r6el
avec Taction, la perception de la reality, la certitude exigeant
le plus haut degr<^ dc tension, ce sont des ph^nomenes de haute
tension; la r6verie, Tagitation motrice, Temotion exigeant des
tensions bien inferieures, on peut les consid^rer comme des phe-
nomenes de basse tension correspondents a un niveau mental
infcrieur.
Bien entendu il est facile de traduire ces hypotheses psycholo-
giques en hypotheses physiologiques : comme je Tai dit souvent,
en dehors des experiences de physiologic et des recherches his-
tologiques proprement dites, les interpretations physiologiques
ne sont que des traductions des notions psychologiqucs en un
1. Spencer, Principes de psychologies I, p. 635 et suiv. (Paris, F. Alcan).
2. Hoarding, Manuel de psychologies chap. vii.
3. Bergson, Op, cil., p. 33 1.
4. Id. Ibid. p. i85.
ABAISSEMENT DE LA TENSION PSYCIIOLOGIQUE 497
autre langage. II est bien vraisemblable que cette tension psycho-
logique correspond a une certaine tension physiologique et phy-
sique qui existe dans le systeme nerveux central.' On connaitbien
des forces physiques pr^sentant des degres de tension du m^me
genre et determinant des ph^nomenes diflerents suivant leur
degre de tension. Quand il s'agit du courant electrique on sait
tres bien que certains phenomenes ne sont possibles que grace
a une certaine tension du courant. Une lampe donn^e ne s'aliu-
mera que si le courant a ii5 volts; cela ne veut pas dire qu'un
courant de go volts soit un courant nul. Ce cogrant inf^rieur pent
etre capable de produire d'autres ph^nom^nes, de porter au
rouge un (11 de platine, de faire marcher un moteur, etc. ; mais
il ne peut pas allumer la lampe precedente. La chaleur pr^sente
des degres de tension diflerents suivant la temperature a laquelle
elle s'eleve : a 33o° elle determine la fusion du plomb, a 1776*^
celle du platine. II doit se passer quelque chose d'absolument
semblable au point de vue des courants nerveux.
Malheureusement nous ne savons guere aujourd'hui de quoi
depend cette tension du cerveau. S'agit-il d'une certaine vitesse
de vibrations encore inconnues ? Y a-t-il un organe special charge
des phenomenes de haute tension, tandis que d'autres regions se
bornent a Tex^cution des phenomenes de basse tension ? Est-ce
tout le cerveau qui change de tension suivant les cas ? D'oii
provient la regulation de cette tension ? il faut sur tons ces
points avouer notre ignorance. Tout ce que nous pouvons con-
clure, c'est que les modifications de la tension du cerveau vont
avoir une importance psychologique enorme s'il est vrai que,
comme nous avons ete amenes a le supposer dans cette premiere
hypothese, des categories de phenomenes psychologiques abso-
lument difii^renls correspondent ii diflerentes tensions.
2. — Abaissement de la tension psychologique.
Si Ton a bien concu la notion de la tension psychologique, on
doit s'apercevoir immediatement que cette tension est tres va-
riable non seulement chez les diflerents 6tres mais encore au
cours de la vie d'un meme Hre. Si je ne me trompe, lu eonnais-
sance de ves variations de la tension psychologique, de ces oscilla^
LES OBSEssio.Ns. I. — 3a
498 THEORIES PATHOGCNIQUES
tions du niveau mental \o\ier2i plus tard un role de premier ordre
dans rinterpr^tatioQ des modifications du caractere, de revolu-
tion de I'esprit, des modifications produites par I'^motion.
II suiEtde rappeler ici quelques exempies bien connus decette
oscillation pour pouvoir appliquer cette notion a notre pro-
bleme. En premier lieu, il est probable que ces variations de
tension psychologique jouent un grand role dans les modifica-
tions mentales produites par Page. La puissance d'adaptation au
reel, tres petite dans Fenfance, s'accroit dans la jeunesse et baisse
dans la vieillesse : on connait Tabouliey la distraction, Tamn^sie
continue des vieillards.
En second lieu, on pent signaler les modifications psycholo-
giques que Ton observe pendant le sommeil. Dans mes cours de
1901 sur « le sommeil et les etats hypnoi'des », j'ai constam-
ment developp^ cette id^e que la veille et le sommeil nous pre-
sentaient un des plus beaux exempies des grandes oscillations du
niveau mental. On retrouve dans le reve tous les troubles carac-
teristiques de Tabaissement de la tension psychologique. L'abou-
lie, la lenteur, Tent^tement, Tabsence d^adaptation caract^risent
Taction des r^veurs, comme la distraction, le retr^cissement du
champ de la conscience, Tabsence de comparaison et de critique
caract^risent leur attention. II y a dans le r^ve de Tamnesie conti-
nue qui empeche la fixation et la persistance des souvenirs, il y
a aussi, chose curieuse, de Tamn^sie retrograde ou de la me-
moire retardante, car le reve ne porte pas sur les evenements de
la journee mais sur les faits dejci rcculds dans le passed. On re-
marque facilement dans le r^ve de Tautomatisme, de la repetition
indefinie, de la declamation, des illusions dans Tappreciation du
temps, le sentiment de drole, le deja-vu, le doute, le dedouble-
ment, etc. La notion de Tabaissement de la tension psycholo-
gique, comprise avec precision, est un des meilleurs resumes
que Ton puisse donner de Fetat de Tesprit pendant le r^ve.
On peut done, apres ces remarques, appliquer notre hypothese
de la hierarchic des ph^nomcnes psycbologiques ou des divers
degres de la tension psychologique a Tinterpretation des etats
psychastheniques. Pour y parvenir voici de quelle maniere on
pourrait se representer le trouble fondamental de la maladie.
A partir d'un certain moment sous des influences diverses que
j'etudierai plus tard survient chez ces individus un abaissement
ABAISSEMENT DE LA TENSION PSYCHOLOGIQUE 499
de la tension psychologique et nen^euse telle que nous Tavons
comprise. Chez les uns cet abaissement une fois commence va
Tester definitif pendant plus ou moins longtemps, chez les autres
il disparaitra rapldement pour reapparaitre bientot ; il faut aussi
remarquer que suivant les sujets Tabaissement de la tension sera
plus ou moins profond. Ce sont des varietes que Ton pent n^gliger
pour le moment, Tessentiel, c'est que cet abaissement existe chez
tons au debut des p^riodes de la maladie qu*elle soit courte ou
longue, profonde ou l^gfere. Celaveutdire d'aprfes les etudes pre-
c^dentes que certains ph^nomenes sup^rieurs fonction du r^el,
action volonlaire avec adaptation nouvelle avec sentiment de
liberty et de personnalit^, perception de la r^alit^, croyancc,
certitude, douleur et jouissance du present, notion exacte du
present vont devenir impossibles, tandis, que les autres groupes
d'op^rations, action et perception d^sinteress6e ou avec distrac-
tion, et a plus forte raison, raisonnement, reverie et emotion
mal coordonn^e vont rester parfaitement fgciles. II sulfit de se
reporter a tout ce que nous avons dit sur Tinsuffisance psycho-
logique pour constater que c'est bien ainsi que les choses se
passent.
On a vu en effet que ces personnes ne sont pas simplement
des emotifs mais que ce sont des malades dont toute la vitalite
et toute la nutrition semble altdr^e, leur amaigrissement carac-
teristique ne me parait pas convenir a un caractere simplement
emotif. II y a la un abaissement de la vitalite qui est bien
d'accord avec cet abaissement de la tension nerveuse que nous
supposons. Plusieurs auteurs ont ainsi insists avec juste raison
sur ce caractere maladif que d'ordinaire on neglige trop*.
II est inutile de reproduire tons les faits que nous avons cites
a propos de ces insufHsances psychologiques et qui demontrent
bien Tabaissement de la tension psychologique. Je rappelie seu-
lement certains cas caract^ristiques ou les malades debutent par
un abaissement tout a fait visible. Nous avons vu des cas conime
celui de Ver... et de Bei... oil brusquement sans obsession, sans
crises d'angoisse proprement dite les malades perdent la r^alit^
de leur personne ne peuvent plus atteindre a la perception per-
sonnelle attentive et r^elle, mais continuent a avoir toutes les
1. Van Eeden, Le» obsessions. Hevuc de Vhyynolisme, 189a, p. 11. Haskovec, op,
cit., ia4
500 THEORIES PATHOGfiNIQUES
operations correctes du moment qu'eiles sont faites avec distrac-
tion et qu'ils n'essayeut pas de les porter a iin degr^ 6lev6 devenu
impossible. Ces memes sujets ne parviennent aux autres formes
de la maladie qu'un an ou deux apres. D'autres ne peuvent plus
parvenira la r^alite dans la perception ext^rieure ou bien n'ont
que de Taboulie, de Tindecision, ils ont de la lenteur, de Tina-
chevement des actes, ils deviennent incapables d'apprendre, ne se
rendent plus bien comptede ce qu'ilslisent, de cequ'ils entendent
« il y a quelque chose de travers dans ma vie, un voile qui m'en-
toure et dont je ne peuxplus me dep^trer » (Gisele). « Les choses
n'ont plus leur effet complet sur moi » (Jean). « Ma tete est
devenue faible, ecrit Mm..., et ne pent plus se livrer a aucun tra-
vail... je deviens d*une distraction sans ^gale. Je ne vois ni n'en-
tends ce qui se passe autour de moi... j'ai Tesprit constamment
absorbs, je ne puis me d^barrasser d'un ennui, d'un etat de
langueur indefinissable. »
(( A 17 ans je suis devenue peu a pen distraite, dit Mb..., je ne
me rendais plus compte de ceque je faisais, pendant que je jouais
du piano je me demandais si j'etais au piano, et il me semblait
que le piano n'existait pas. » cc C'est un voile ^ui est tomb^ sur
moi, ditLag...,je ne peux plus le percer, je ne m'appartiens
plus, je ne peux plus etre sur terre, il me faut malgre moi rester
dans les nuages. » a II me semble, dit Xyb..., que quelque chose
s'est cass^ dans ma t^te, je ne suis plus moi-m6me, je ne suis
plus posde a un moment du temps, je ne suis plus nulle part. »
C'est un ^tat cr^pusculaire oil le malade vit plus dans le pass6
que dans le present. Al... debute par un etat de distraction, elle
ne comprend plus ce qu'elle lit et n'a plus de memoire des 6ve-
nements recents. « II me semble que tout s'efTace au fur et a
mesure comme si le prc^sent n'existait pas pour moi, je ne me
rends plus compte de la facou dont je vis depuis quelque temps. »
Celle qui exprime le mieux cet abaissement des fonctions
mentales au debut c'est Claire. La maladie a commence chez
cette jeune fille vers Tage de 18 ans par une sorte d'engour-
dissement, d'incapacite qui a d^abord porte sur des operations
superieures et qui s'est ^tendue peu a peu : « tout s'est eloigne de
moi, dit-elle, c'etait comme une lumi^re qui s'eloignaitde moi tr^s
lentement, mais de plus en plus. J'avais une tristesse sans savoir
pourquoi, un manque d'espoir, de confiance, de croyance m^me,
je sentais cela jour et nuit, J'ai cru que c'etait ma foi religieuse
ABAISSEMENT DE L.V TENSION PSYCIIOLOGIQUE 501
qui s'en allait, mais je n'al jamais pu trouver exactement ce qui
me manquait : je disais que je n'avais plus de foi comme maiu-
tenant je dis que je n'ai plus de coeur... J'6prouvais une difficulte
pour tout ce que je faisais auparavant... II y avail comme un voile
qui s'^tendait sur moi, qui m'empechait de voir, d'agir comme
avant, qui m'empechait, par exemple, de me repentir comme si
ma foi s'en allait. C'est plus tard que j*ai senti mes autres senti-
ments diminuer, j'ai moins senti les affections, les joies, les
peines, il me semblait que j'^tais comme endurcie... II me
semblait qu'on m'enlevait ma liberte, quand j'agissais ce n'etait
pas moi comme autrefois; mes idees se succedaient et je ne pou-
vais plus les arr^ter... ». Puis sont survenus chez cette malade
tons les troubles de Tinsuffisance psychologique. Je tiens seu-
lement a faire remarquer que cet ^tat n'etait aucunement chez
elle au d6but le r^sultat d'une obsession, celles-ci ne se sont
developpees chez Claire que plusieurs annees apres.
Meme chez les malades avanc^s qui ont toutes les obsessions
possibles, il y a des moments oil T^tat d'abaissement se presente
seul sans angoisse et sans idee. C'est ce que Jean appelle son etat
implicite a un etat vague qui revient tout d'un coup, ind^finis-
sable et affreux, c'est comme une couche qui surplombe tout
Tesprit, qui I'empeche de s'^lever a rien ; c'est perpetuel et ira-
muable sans que je sache aucunement pourquoi, sans que je souffre
v6ritablement et sans que j'aie aucune idee », c'est I'^tat vague de
Gis^le : « Je souflFre comme si j'avais un obsession qui m'empeche
d'agir et de penser, mais vraiment je ne sais pas laquclle et je
crois qu'il n'y en a pas. »
II y a done la un ph^nomene primitif et essentiel qui consiste
dans la disparition de certaines operations psychologiques sup^-
rieures d'apr^s notre hierarchic avec conservation des infcrieures.
On peut done r^sumer cet etat en disant qu'il y a un abaissement
de la tension psychologique. Si cet abaissement est rapide et de
pen de dur^e nous dirons que c'est une chute de la tension et
nous pourrons designer cette crise sous le nom de crise de psy-
cholepsie, M. Meschede (Konigsberg) a d^ja employe dans un
sens analogue, mais non identique, le mot de « phenom^nes phr^-
noleptiquesS). « Le mot de phr^nolepsie est forme, dit I'auteur,
1. Meschede (Konigsberg) sur I'Echolalie et la Phrenolepsie. AUg. Zeiiz. /.
Psychiatric, LIU, f. 4, 1897.
502 THEORIES PATllOOEMQUES
par analogic avec catalepsie, ^pilepsie, narcolepsie et exprime bien
rirresistibilit6 du ph^nom^ne qui se passe dans le domaine de
rid^ation.)) Tout en conservant en partie le mot qui me semble
heureux et le sens que lui donne Tauteur, je crois, par les etudes
pr^c^dentes, avoir donn6 plus de precision a la notion de la
psycholepsie. Si Tabaissement est durable il constitue cet 6tat
psychologique infi^rieur permanent que j'ai d^signe sous le nom
de psychasthenie.
3. — Rapport des crises de psycholepsie avec les acces
6pileptiques.
Puisque le fait de Tabaissement de la tension psychologique,
la crise de psycholepsie est pour moi le fait principal de la maladie,
Torigine de tous les autres, il faut insister sur lui en montrant
son rapport avec des phenoni^nes pathologiques bien connus et
du meme genre.
Le plus int^ressant probleme a examiner a ce propos est celui
des rapports qui existent entre ces crises de psycholepsie et les
acces d'epilepsic proprement dite. En effet, Tacces ^pileptique
avec sa perte totale de conscience, avec ses vertiges et ses actions
completement automatiques est bien certainement le type le plus
completd^abaissement mental et d^oscillation du niveau mental : si
les crises de psycholepsie meritent leurnom, il me semble diffi-
cile qu'elles n'aient pas quelque rapport avec les acces epilep-
tiques.
Griesinger et aprbs lui Berger signalaient des relations possibles
entre Tepilepsie et la maladie des obsessions, mais plus tard ce
probleme sembla bien oublie et la plupart des auteurs, remarque
M. Haskovec'y se refuserent a voir ces relations. Cependant,
d'apres une citation de Legrand du SauUe ', je crois que Westphal
se demande s'il n'y a pas lieu de rapprocher Tagoraphobie de Te-
pilepsie. Dans le m^me passage, pour montrer Tint^r^t qu^ilprend
a la question, Legrand du Saulle cite une observation d'un ^pi-
«
I. Haskovcc, op. cit., p. ia5.
a. Legrand du Saulle, Agoraphobic, p. 60.
LES CRISES DE PSYCKOLEPSIE ET LES ACCfiS fiPILEPTIQUES 503
leptique agoraphobe. Cependant, en g^n^ral, il est exact que
cette relation a 6t6 le plus souvent completement ni^e par les
observateurs, qui sont beaucoup plus frapp^s des grandes diffe-
rences apparentes que des resseniblances.
C'est ce qui est tres net dans cette discussion de M. Mickle dont
MM. Pitres et Rdgis adoptent completement les conclusions. « I/^-
mergence soudaine du fin fond de la conscience des ^l^ments de
Tobsession, pent rappelcr Tattaque d'^pilepsie, cependant ce n'est
pas la de Tepilepsie vraie; ce n'est pas non plus de T^pilepsie lar-
vee... ces etats d'obtusion secondaire, de tourbillon mental diffe-
rent absolument de Tabsencc primaire, du voile momentane de
rimperception des etats nuageux de Tepilepsie ; des obsessions chez
les epileptiques n'existent jamais au moment precis ou Tesprit est
sous le coup d^une attaque. . . En resume, dans Tobsession, il y a con •
servation en tiereoupresque enticrede la conscience, d'ordinairepar-
faite, souvenirde Tattaque, anxi^te etangoisse concomitante, inquie-
tude du malade sur son 6tat mental, d^go^t de la vie, frequemment
stigmates physiques de neurasthenic cerebrale. Dans Tepilepsie,
il y a explosion soudaine de Tattaque, inconscience, etat de trouble
ou grande obscurite mentale pendant Texplosion, perte plus ou
moins complete du souvenir de Tattaque, souvent ressemblance
absolue des details entre plusieurs attaques consecutives... »
MM. Pitres et R^gis insistent en plus sur la lutte mentale qui
caracterise Tobsession au lieu de la soudainete irresistible de
r^pilepsie, ils opposcnt comme exemple la dromomanie de Tob-
s6de a Tautomatisme ambulatoire de T^pileptique*.
Sans contcster Tint^r^t de ces remarques je crois que nos
etudes prec^dentes nous permettent de ne pas les consid^rer
comme absolument definitives. Ces auteurs insistent beaucoup
sur cette observation que Tobtusion. est secondaire chez Tobs^d^,
qu'elle est consecutive a Tobsession elle-meme ; mais c'est un
point qui me parait trfes contestable. II y a chez les psychasthe-
niques tout un ensemble d^insuffisances psychologiques qui sont
quelquefois tres graves et qui loin de d^pendre de Tobsession
en sont au contraire le point de depart. II est faux de dire que
les sentiments de depersonnalisation, d^automatisme, de voile,
de nuage, de defaut d'^motion, soient la suite d'une obsession, a
laquelle songerait tout le temps le malade ; on les observe fr6-
1. Pitres et Regis, op. ei7., p- 96.
50i THEORIES PATIIOGENIQUES
quemment et pendant des ann^es enti^res avant Tapparition d'au-
cune obsession.
On insiste ensuite sur la conservation complete de la con-
science pendant les crises d'obsession. C'est encore un point que
je ne puis admettre : Tincapacite absolue d'arriver malgre des
efforts inoui's a une resolution, a une croyance, I'amn^sie conti-
nue, la diminution enorme de toutes les fonctions du r6el ne sont
pas les marques d*une conscience intacte. II y a une diminution
de la tension psychologique que I'on ne peut pas consid^rer
comme insignifiante.
D'autre part on insiste sur la soudainet^, Tinconscience, la
perte totale des souvenirs, la r^p^tition automatique de la grande
attaque comitiale. D'abord certains de ces caracteres, la soudai-
net6 et la r^gularit^ se retrouveraient trfes blen chez les psychas-
th^niques. Jean est toujours saisi soudainement de ces idees
(f cela me vient tout d*un coup, comme si je recevais un coup
de baton », et ses crises ont une monotonie remarquable. 11 en
est de meme chez Gisele « 9a tombe sur mot comme un coup de
tonnerre » et Ton peut pr^dire mot a mot les phrases qu'elle va
prononcer. Ensuite les caracteres que Ton indique ici n'appar-
tiennent qu'aux grands acc^s ^pileptiques et personne n'a jamais
pr6tendu que les crises d'obsessions fussent identiques au grand
mal avec secousses cloniques et stertor. II y a d'autres ph^no-
menes ^pileptiques dans lesquels on n*observe ni la perte totale
de la conscience, ni la perte totale des souvenirs. Les differences
indiqu^es par ces auteurs ne me semblent done pas sufCsantes a
priori pour ecarter le probleme et c'est a la clinique a montrer
si le rapprochement est possible et int^ressant.
A plusieurs reprises M. F^re a montr^ que certaines formes
d'^motivite morbide doivent ^tre considerees comme des syn-
dromes analogues aux syndromes epileptiques. MM. Marinesco
et P. S6rieux ont insist^ sur la fr^quente coexistence des idees
obs6dantes, des scrupules, des manies impulsives, des phobies
avec r^pilepsie*. M. Nagy* et surtout M. Ottolenghi ' ont insiste
sur les epilepsies psychiques « L'eiat crepusculaire peut pr^ceder
le grand acccs, le suivre ou en etre independant, il peut durer
1. Marinesco et P. S^rieux, Essai sur la pathogenic et le traitement de Npilepsie,
1895, p. 64.
2. Nagy, Centralbl. f. Nervenheilk., 1898.
3. Oitolenghi» Epilepsies psjchic[ues. Ftiv. sper. d, freniat., XVII » fasc. i, 189a.
LES CRISES DE PSYCIIOLEPSIE ET LES ACCES EPILEPTIQUES 505
quelques heures, quelques jours, des mois, des annees et consti-
tuer alors une sorte d'etat second... cet ^tat est souvent difficile
a distinguer de Tetat somnambulique. Lorsqu'il dure un certain
temps il peut ^tre conscient, c'est une sorte d*etat second ^pilep-^
tiqne dans lequel l*individu a conscience de ce qu'il fait, s'en
souvient mais agit tout autrement qu'a I'etat normal ^ » II est
facile de voir que cet ^tat crepusculaire peut se rapprocher de
notre etat psychasthenique.
Aussi n'est-il pas surprenant que M. Haskovec au dernier
Congres de m^decine ait repris.rancienne opinion de Griesinger
et montr^ par une observation remarquable que Ton rencontre par-
fois chez des'6pileptiques des ph^nomenes identiques a ceux que
pr^sentent les obsedes. <( Un homme de36ans, J. R..., atteint de-
puis longtemps de mal comitial classique se trouvant un jour au
theatre sent les premiers signes d'un acces semblables a ceux qu'il
a depuis longtemps. II r^siste de toutes ses forces et arrive a arr6ter
Facets. Celui-ci ne se produisit pas, mais le malade entra dansun
^tat psychique Strange. II me semblait, dit-il, que je revais ; je
voyais tout, j^entendais tout, mais tout cela me semblait etrange ;
il me semblait que ces perceptions n*arrivaient pas directement a
moi que je n'avais pas des impressions r^elles mais que ce n'^tait
que des reproductions dechoses automatiques. » L'observation de
M. Haskovec ne parut pas tr^s demonstrative parce qu'elle portait
en realite uniquement sur le sentiment d'etrangete, de d^person-
nalisation dont on etait dispos6 a faire une maladie ind^pendante
sous le nom de nevrose de Krishaber. Mais pour nous qui avons
beaucoup insiste pour montrer que ce sentiment est banal chez les
obsedes, qu'il est a la racine de leurs obsessions, le fait prend une
plus grande importance. Pour terminer cette incomplete revue
historique des auteurs qui ont 6tudie ces relations de la psychas-
thenic avec Tobsession, nous rappellerons seulement que depuis
plus de quatre ans dans les legons cliniques de la Salp^triere M. le
P' Raymond et moi-m6me avons signals a maintes reprises a
propos d'un grand nombre d'observations cliniques analogues a
celle de M. Haskovec Timportance de ce rapprochement*. Nous
pouvons maintenant passer a Texamen clinique des faits.
I. Haskovec, op. ril., p. ia5.
a. Raymond, Legons cliniques sur les maladies du sysieme nerveux, 5« »6rie, 1901,
. ii5. "
506 THEORIES PATHOGIiNIQUES
Une premiere rem«nrque qui a une certaine importance c'est la
coincidence assez fr^quente de T^pilepsie vulgaire avec la maladie
des obsessions. Parmi les malades que j^ai citc^s dans ce travail il
J en a 12 qui sont de v^ritables epileptiques, ayant des grands
acces classiques et des vertiges. Ce nombre a deja quelque intd-
ret, quand on songe que, si je ne me trompe, la coincidence de
riiysterie avec la maladie du doute bien nette est infiniment plus
rare. Les idees fixes existent bien entendu tres souvent dans
Thysterie, mais elles prennent de tout autres caracteres. L'id6e
fixe hyst^rique qui se d^veloppe .au cours d*un somnambulisme
sous forme d'actes et d'hallucinations ne ressemble pas dn tout
a mon avis a Tobsession qui determine des ruminations intermi-
nables et des angoisses sans jamais se developper completement
dans la crise de psychasthenic.
Cette simultaneity de Tepilepsie et de la maladie du scrupule
est-elle une simple coincidence fortuite ou ces deux symptomes
ont-ils des relations entre eux? Si nous considerons les pheno-
mfenes ranges sous le titre d'insufTisances psychologiques et de
sentiments dMncompl^tude que presentent constamment les obs^-
des nous verrons que des troubles de la perception exterieure ou
personnelle tout a fait identiques sont souvent sous la depen-
dance immediate d'accidents epileptiques. Qes... a des obsessions
conscientes avec impulsion a tuer sa mere ou des remords obs^-
dants de Tavoir tu^e, elle se figure qu'elle fera du mal a tout
le monde, elle veut vivre enferm^e dans un hopital parce que les
fen^tres sont grillees et qu'elle sera emp^chee de commettre des
crimes. En m^me temps elle a des acces Epileptiques complets
et des vertiges. Ceux-ci sont tout a fait caract^ristiques : sou-
dainete, paleur de la face, obnubilation intellectuelle. Souvent
dans ces etats vertigineux quand ils se prolongent un peu et
qu'ils ne sont pas assez complets pour supprimer tout souvenir
consecutif elle eprouve des sentiments bizarres, elle voit les objets
les plus habituels avec une sortc d'Etonnement, elle les trouve
estranges, inattendus comme des objets qu'elle n*aurait jamais
vus et qui appartiendraient a un monde imaginaire. Chez cette
malade qui est a la fois obsed^e et epileptique, les sentiments
d'etrangete dans la perception exterieure apparaissent d*une fa^on
tout a fait nette au cours d'un vertige qui a tous les caracteres
d'un vertige epileptique.
Une autre malade me parait fort remarquable, elle reproduit
LES CRISES DE PSYCHOLEPSIE ET LES ACCES EPILEPTIQUES 507
exactement robservation de M. Haskovec. Is... (28), jeune fillede
22 ans, a des acc^s epileptiques francs depuis la puberty, elle en
a deux ou trois par mois. II y a quelque temps a la suite d'un
acces avort^ dont elle a seulement senti les debuts, elle est entree
dans r^tat suivant : elle voit tout et entend tout comme a Tordi-
naire mais elle s'est mise a douter de tout. Elle ne sait plus si ce
qu*elle voit existe ou n*existe pas ; en regardant sa mere elle se
met a dire : « Je voudrais bien que cette dame soit ma mere, mais
je ne peux pas arriver a le croire, je ne peux meme pas me mettre
dans la tete que cette dame soit vivante. » Elle doute aussi d'elle-
m^me: a elle a peut-etre perdu sa personne, elle n'en est pas
sikre... » Elle ne croit plus rien de ce qu^on lui dit, elle ne fait
plus aucun travail et ne peut plus fixer I'attention. Get etat se
prolonge pendant quatre jours, puis il semble disparaitre en
partie. Le cinquieme, la malade se sent un peu mieux, a peu
pres normale, sauf qu'elle ne peut pas travailler. Is... revient a
la reality et elle eprouve a ce moment des sentiments de joie
infinie, des envies de rire, un enthousiasme analogue a celui que
j'ai d^crit a propos des « sentiments sublimes » de Jean. Mais
le sixieme jour tout recommence, elle se sent de nouveau rever
et doute de tout. Cette fois cet etat anormal Timpatient^, elle
se sent mal a Taise, etouffe> se sent angoissde ; elle fait des efforts
impuissants pour arriver a la r^alit^ et commence des manies
d'interrogations. Si Tetat s'^tait prolonge davantage, elle serait
parvenue a la maladie complete de Tinterrogation et deTangoisse.
Mais le septieme jour un grand acces ^pileptique est venu
simplifier la situation : apres Tacces elle s'est retrouvee dans
r^tat normal. Dans toute la vie de la malade cet ^tat bizarre ne
s'est reproduit que trois fois et le sujet est reste en somme une
^pileptique a grands acc^s.
Une autre malade Hot... (27), jeune fille de i5 ans, a des acces
Epileptiques et des vertiges depuis Tage de 8 ans 1/2. Souvent
ses acces sont avortes : elle frotte son estomac, cligne des yeux,
balbutie quelques mots, palit et c'est tout, de tels ph6nomenes
sont bien connus chez les comitiaux. Depuis quelque temps a la
suite de ces acces avortes elle change d'attitude. Elle reste im-
mobile sur sa chaise en refusant tout travail et toute occupa-
tion : « maman, dit-elle tout doucement, je ne demande pas mieux
que de travailler, mais je nc vois pas clair, je ne peux pas tra-
vailler sans voir clair... Est-ce que je resterai aveugle?» Elle est
:m THEORIES PATHOGfiNIQUES
venue au laboratoire dans cet ^tat et j'ai pu constater qu*elle ne
pr^sentalt absolument aucun trouble de la vision. II ne s*agissait,
comme on Ta vu, que d'un trouble du sentiment de la reality
dans la perception visuelle. Rile sort de cetetat au bout de quel-
ques jours par un acces ^pileptique complet. Pendant les quelques
jours de cet ^tat crepusculaire, il serait impossible, si on igno-
rait les antecedents, de la distinguer d'une de nos psychastheni-
ques qui voit dr6le, qui voit le nuage, qui se plaint d'etre dans
le noir.
N'est-il pas Evident que ces observations d*etats cr^puscu-
laires, comme les appelle M. Ottolenghi, rapprochees de celle de
M. Haskovec, montrent au coursde Tepilepsie desabaissements de
la tension psychologique, des insuffisances psychologiques des
sentiments d'incompl^tude identiques a ceux des obs^dcs.
Un autre phenomene psychasth^nique pent se rencontrer dans
Tepilepsie, c*est la crise d'angoisse. M. W. de Bechterew a d^ja
decrit des attaques epileptiques et epileptoi'des revetant la forme
d'angoisses sansperte de connaissance, ni vertige, qui surviennent
chez des epileptiques au milieu des acces ordinaires et qui les
remplacent de plus en plus*. II est vrai que M. de Bechterew
distingue ces angoisses Epileptiques de celles qu'il appelle neu-
rastheniques parce que Tangoisse Epileptique, dit-il, ne se rattache
aucunement a une cause exterieure comme les grandes places, le
tonnerre, la foule, etc. Mais cette distinction ne nous suflfit plus,
elle repose sur cette notion deja contest^e par MM. Pitres et
Regis que Tangoisse a toujours une forme systematique en rap-
port avec une perception determinee; nous savons que surtoutau
debut Tangoisse pent etre indeterminee et que par consequent
cette difference n'existe pas.
On peut done generaliser la remarque de Bechterew sur les
rapports de Tepilepsie et de Tangoisse. II y a d'abord des ma-
lades qui commencent par Tepilepsie proprement dite et qui
aboutissent a Tangoisse. Si... (34)» femme de 33 ans, a eu depuis
Tage de i8 ans des crises nocturnes dans lesquelles elle se mor-
dait la langue, urinait dans son lit et qui laissaient une grande
courbature au reveil ; ces crises n'ont jamais cesse complMement
quoique dans ces derniers temps elles se soient fort espacEes.
I. W. de Bechterew. Neurolog, CentralbL, XVII. 1898.
LES CRISES DE PSYCHOLEPSIE ET LES ACCi^S fiPlLEPTIQLES 509
La malade se plaint maintenant beaucoup plus de ce qu'elle
appelle des crises d'idees noires, c'est un etat d'inqui^tude et
d'angoisse qui s'empare d'elle surtout le soir. II lui semble que
son coeur se serre et que chez elle tout estmort, il lui semble que
ses visceres disparaissent, n'existent plus : ce sentiment Teffraye
beaucoup, elle croit qu'elle va devenir foUe et ne pent plus tol6-
rer de rester seule chez elle. D'apres son opinion cette angoisse
vient uniquement des tourments qu'elle a endures et du depart
d'un amant, mais en realite cette tristesse prend un caractere
special a cause de T^pllepsie ant^rieure. Si on en doutait, il suf-
firait d*examiner la fa^on dont s'est termin^e une de ses angoisses
pour en 6tre convaincu. Dans un de ses d^sespoirs elle est sortie
de chez elle et elle ne sait pas oil elle a ^t^ : en r^alit^ elle est
tomb^e dans la rue en proie a un acc^s ^pileptique ainsi que
le prouvent la plaie qu'elle a encore au front et sa langue mordue.
Une autre malade, Fy... (34), femme de 35 ans est ^pileptique
depuis renfance, morsure de la langue, perte d'urine, etc.; depuis
que ses crises s'^cartent, surtout depuis Tinfluence du traitement
bromur^, elle a « des crises d'inqui^tude, des peurs d'etre seule,
il lui faudrait un maitre a qui se d^youer, elle a peur de voir le
monde comme il est... Tout est si etrange que cela Tangoisse....
Le temps est drole, c'est peut-etre la fin du monde et elle ^toufie
au point d appeler sans cesse au secours. » C*est comme on voit
la forme de Bechterew : ^pilepsie d^abord et angoisse ensuite,
dans le dernier cas avec troubles de perception.
II y a aussi la forme inverse et a ce propos Tobservation sui-
vante est remarquable. Gny... (Sq), homme de 52 ans, mecanicien
de chemin de fer, d'un esprit intelligent et delicat a toujours eu
une volont^ faible. Depuis Tage de I2 ans, il a des preoccupations
et des scrupules qui ont pris bientot la forme interrogative, il
lui vient en tete des id^es singulieres qu'il a de la peine a expri-
mer et qu'il comprend mal lui-m^me : « pourquoi les hommes
vivent-ils ? Comment les hommes sont-ils faits ? Pourquoi les
hommes doivent-lls mourir ? » Ces id^es Tout deja beaucoup tour-
ments. Au m6me moment ou il se posait ces questions, il a dSja
Sprouv6 depuis longtemps des Stats Smotifs tout a fait speciaux,
il avait des iremblements, des secousscs, des sensations de froid
dans les jambes, des troubles de respiration et des palpitations
de cceur. En un mot depuis sa jeunesse il a des angoisses en
meme temps que des idees obsedantes et des interrogations scru-
r.lO THEORIES PATUOGfiNIQUES
puleuses. Dans ces dernieres ann^es, les angoisses out beaucoup
augmente et, comme il arrive souvent dans ce cas, les manies
mentales ont diminue. Cependant il restait uniquement un psy-
chasthenique douteur et angoiss6, personne n'aurait song^ a faire
tin autre diagnostic. Mais voici que depuis deux ans les choses en
s*aggravant ont semble changer de caractere. Le malade dans ses
crises d*angoisse perd conscience de plus en plus : a trois reprises
il est tomb^ par terre de tout son long, il a perdu conscience et
il n'a eu pendant deux minutes « qu^un petit grelottemeut dans
les mains » il est revenu a lui tres heb^t^ et engourdi et il a 6te
saisi d*un sommeil profond et irresistible qui a dur^ plusieurs
heures; dans un de ces acces il a mouille son pantalon. Ce cas
est tout a fait remarquable pour nous montrer la transformation
tr^s tardive, a 5o ans, des angoisses en acces epileptiques.
Meme Evolution dans Tobservation de Gy... (46), femme de
34 ans : crises d'angoisse qui ont commence a la pension apres
une peur, sortede sentiment de vertige et de bourdonnement de
pensee. Dernierement dans une de ces crises elle a march^ droit
devant elle sans savoir ce qu'elle faisait, puis elle est tombee
sans connaissance et en bavanl, Tacces a et^ typique. C'est assez
pour montrer que Tangoisse psychasthenique pent se transformer
en epilepsie de la m^me maniere que T^pilepsie en angolsse.
Knfin, il est un dernier ph^nomene dont les rapports avec Tepi-
lepsie sont extr^mement interessants, c^est la rumination men-
tale et Tobsession intellectuelle elle-m^me. Tous ceux qui ont
decrit les epileptiques ont bien note leurs crises psychiques. Quel-
ques-uncs de ces crises sont tout i\ fait identiques a des rumina-
tions psychastheniques. M. Cullerre decrit chez les Epileptiques
les arithmomanies, les impulsions a compter, a combiner d*une
fa^on generate des nombres quelconques et plus particulierement
a faire des calculs portant sur les divisions du temps, les secondes,
les minutes, les heures, les jours, les mois, les annees, les siecles^.
Je rappelle surtout a ce propos une observation, tres interes-
sante de M. Keraval qui a rapport, il est vrai, a la migraine
ophtalmique dont on sait les relations avec Tepilepsie. II s'agit
d'une malade qui a une migraine ophtalmique avec hemianopsie
et scotome scintillant a gauche : en meme temps que le trouble
I. A.. Cullerre, Ann. mMic. psychoL, 1890, I, p. 20.
LES GUISES DE PSYCHOLEPSIE ET LES ACCtS I^PILEPTIQUES oil
visuel elle ressent une excitation intellectuelle bizarre, une pro-
fusion d'id^es avec afTlux obs^dant et genant do toutes les concep-
tions qui s'y rattachent, elle se sent forc^e d'examiner chacune
de ces id^es, de les soupeser et de r^pondre par a oui » ou par
(( non )) sur tous leurs caracteres. Detail bizarre de {'observation
que nous ne sommes pas capables aujourd'hui d'interpreter quand
Themianopsie est inverse et plus accentuee a droite il n'y a rien
de mentaP. J'observe 6galement en ce moment une malade qui
a des crises de migraine ophtalmique avec scotome scintillant si
gauche et qui est une scrupuleuse obs^dee, mais je n'ai pas trouv^
de rapport ^troit entre les crises de migraine et les crises de
scrupule.
Dans un article interessantsur Taction inhibitoire de la volont^
dans les* attaques d'^pilepsie M. Tissie ' decrit un epileptique
dont la crise est precedee par a une mauvaise id^e n. C*est une
id^e banale qui traverse son esprit, grossit pen a peu, devient fixe
et chasse toutes les autres pens^es, le malade qui connait cette
mauvaise id^e lutte contre elle des qu'elle apparait en tachant de
grossir d'autres idees. Cette observation est int^res^nte a bien
des points de vue. Un des caracteres distinctifs que Ton donne
souvent : c'est que Tobsede lutte contre son idee, on voit ici que
r^pileptique pent lutter 6galement ; cette observation nous montre
aussi la rumination au d^but de la crise d'^pilepsie.
C'est ce que nous verifierons dans Tobservation de Jet... (36),
homme de 25 ans, acces 6pileptiqucs depuis Tage de 7 ans. « Cela
debute, dit-il, quand je pense a une idee, cette id^e m*entortille et
je ne comprends plus rien. » Les acces de Sie..., homme de 17 ans,
commencent par la pensee de chercher quelque chose, tout le
temps il rcve qu'il cherche une cle qu'il a perdiie, il s'absorbe
dans cette recherche, il ne reprend conscience qu'apr^s une demi-
heure de sommeil et se reveille la langue mordue. Get... tombe
quand elle cherche a approfondir quelque chose. Lug..., Pax...
(28}, presentent des ph^nomenes semblables. On en trouverait
beaucoup d'autres exemples dans les observations que j'avais re-
cueillies pour la lecon de M. Raymond^ sur les equivalents psy-
chiques de Tdpilepsie.
1. Keraval, Idees fixes. Archiv. de neurologic^ »i^99. H. p- 83o.
a. Tissi^, Cony rhs des alienistes et neurologistes frangais, iSgbf ei Revue del' hypno-
tisme, 1896, p. 129.
3. F. Raymond, Lemons sur les maladies du sysCeme nerveux, 1901, Y, p. 107.
512 TIIf:OKIES PATHOGJ^^NIOUES
A cot^ des observations prec^dentes je puis placer un cas que
je trouve tout a fait interessant et d^monstratif ; la malade m'a
He obligeamment signal^e par M. Riche parmi les ^pileptiques
de la Salpetriere. II s'agit d'une jeune fille Yol..., ag^e de 20 ans,
dont la maladie a commence des Tage de 5 ans. Au debut elle
presentait seulement une sorte de malaise et de tic. Elle avait
une soufirance a Testomac qui la faisait palir, elle y portait les
mains, frottait la region deux ou trois fois et c'^tait tout. Les
phenomenes sont restes semblables, plus ou moins frequents
jusqu'a Tage de i3 ans. A ce moment, huit jours avant Tappa-
rition des regies, elle eut son premier grand acces. Depuis, les
acc^s se r^pMent a peu pres tous les mois et les vertiges tons les
huit ou quinze jours. Mais ceux-ci se sont un peu compliqu^s par
Taddition d'un ph^nomene intellectuel remarquable. Le ifialaise de
Testomac avec mouvements de friction et paleur la saisit ordinaire-
ment le matin assez brusquement. Au moment ou le malaise sur-
vient elle avait une pens^e quelconque en tete, ou bien elle regar-
dait quelque objet. Imm^diatement, par le fait meme de sa coin-
cidence av^c le malaise, cette pensee change de caractere, elle
devient douloureuse et obsedante. A partir de ce moment et sans
interruption pendant toute la journee Yol... se sent forc6e de
penser a cette meme idee et ne peut s'en detourner « elle sait
que cette idee lui est tres p^nible physiquement et moralement,
car rid^e ramene le malaise de Testomac et fait tout voir d*une
maniere drole; mais elle est forc6e d'y penser constamment et ne
peut absolument rien faire d'autre. » Yol... a 6t6 ainsiobs^dee par
la pensee de la premiere communion de sa sceur, par une date,
par le nom d'une personne, par Timage d'un calendrier, par
rimage d'une chaise ou d'un parapluie, parce que au moment du
malaise initial, elle pensait a cette premiere communion ou a
cette personne, parce que a ce moment elle regardait le calen-
drier, la chaise ou le parapluie. L'obsession et le malaise durent
tant que la malade n'a pas eu plusieurs heures de sommeil normal.
Si elle dort bien la nuit suivante elle est delivree le lendemain
matin et elle peut se remettre au travail, sinon elle aura le meme
tourment toute la journee et ne sera gu^rie qu*apres la nuit sui-
vante. Un tel cas dont je compte poursuivre Tetude est tout a fait
instructif pour Tinterpr^tation des obsessions.
Pour montrer le fait inverse que la rumination proprement
psychastlienique peut se terminer par un acces epileptique je
LES CRISES DE PSYGHOLEPSIE ET LES ACCfiS fiPILEPTIQUES 613
rappellerai robservation remarquable de Yil..., que j'ai deja sou-
vent signal^e. EUe a rapport a ce jeune homme qui pr^sentait
de si singulieres obsessions sur IHnfini du temps et de Tespace.
On a d^ja vu dans T^tude des ruminations comment Tesprit de
ce jeune homme s'^garalt a la poursuite de Tinfini en toutes
choses, comment il avait des mc^ditations Torches sur Tinfini du
temps et de Fespace, sur Tinfini du bonheur ou sur Tinfini du
malheur. II m'avait d^crit ses ruminations dans une lettre ou il
montrait une pleine conscience de leur absurdity, d'apr^s cette
description, je Tavais consid^rd comme unobs^de se rattachanta la
folie du doute et du scrupule et je Tavais pri6 de venir chez moi
m'expliquer ce qu'il ressentait. Quand il vint me voir il me demanda
de ne pas insister devant lui sur ces idees d'infini « car cela me cause,
disait-il, un mat Strange ». Croyant provoquer tout au plus Tan-
goisse du scrupuleux, j'insistai sur les espaces qui s*ajoutent ind^-
finiment aux autres espaces. Le malade se plaignit de ressentir
« des impressions de perdre la t^te, de descendre » que nous
connaissons bien ; puis brusquement il se renversa en arriere et
palit, les globes oculaires se convulserent, il y eut des secousses
rapides dans tons les membres. Quelques instants apres,il reprit
connaissance, mais il y avait une grande tache d*urine sur le
parquet au-dessous de lui. Le malade n'eut aucun souvenir de ce
qui lui etait arrive et reprit sa conversation avec une certaine
h^b^tude et de Tamnesie r6trograde. il etait Evident qu'il venait
d*avoir un acces epileptique, qui avait ^16 le terme de Tangoisse
determin^e par la rumination sur Tinfini. Depuis j'ai eu Tocca-
sion d'observer un certain nombre de faits exactement du m^me
genre.
Tons ces faits qu'il serait facile de multiplier me semblent
d^montrer que la distinction complete 6tablie par M. Mikle,
par MM. Pitrcs et R6gis entre Tetat psychasth^nique et le mal
comitial est un peu exager6e. Je n'ai pas la pens^e de les identi-
fier, je dis seulement qu'il y a dans ces deux maladies quelque
chose de commun, que leurs ph^nomenes sont voisins et peuvent
ais^ment se transformer les uns dans les autres. Get element
commun me paraft ^tre Tabaissement, la chute de la tension psy-
chologique. Dans T^pilepsie vraie cette chute est 6norme, il y a sup-
pression complete de la conscience, toutes les forces quidevaieut
^tre employees a produire cette conscience amenent la d^charge,
se depensent en convulsions de tout le corps ; dans Tetat psy-
■ LEB OBSESSIONS. I. — 33
tll^OniES PATllOGr5:MQUES
chasth^nique la chute est bien moins grande, mais il y a tout de
m^nie une chute de conscience qui determine les sentiments
bizarres des malades, leurs doutes et leurs angoisses.
4. — Oscillations du niveau mental — Influences
qui diterminent I'abaissement
Pour justifier ces theories psychasth6niques qui considerent les
crises de tics, d'angoisse, de rumination comme des crises de
psycholepsie, qui les explique par un abaissement du niveau
mental il faut montrer davantage qu'il existe chez les malades des
abaissements de Tesprit ou d'une maniere plus generale des
oscillations du niveau mental et que ces oscillations sont en rap-
port etroit avec les phenomenes observes dans les crises et sans
les obsessions.
Pour y parvenir il faut rechercher dans quelles circonstances se
d^veloppe cette maladie des psychasth6niques, quelles sont les
conditions dans lesquelleselle prend naissance, ou dans lesquelles
elle pr6sente de grandes augmentations quand elle existe deja
depuis longtemps. II ne s'agit pas ici d'une ^tude clinique sur
revolution de la maladie, 6tude que nous tenterons dans le cha-
pitre suivant, mais d'une recherche psychologique sur les condi-
tions de son d^veloppement.
I. — Influence des maladies.
II y a un premier groupe de circonstances causales sur lesquelles
tout le monde est d'accord et qu*il sudit de signaler ici. Ce sont
toutes les circonstances qui d^termincnt un afTaiblissement de
Torganisme. Les maladies infectieuses, la fievre typhoide surtout
dans une vingtaine de mes observations, Tinfluenza, la tubercu-
lose, les fausses couches, les accouchements, les suites de
couches, Tallaitement chez Kl..., Car..., Xa..., Vod..., Cht...
Lise..., etc., ont 6i6 Foccasion du d^but de la maladie ou de
rechutes s^rieuses apres une periode d'am^lioration. En general
Tabaissement de Tesprit se nianifcste apres Taccouchement, apres
la maladie dans la periode de fatigue et de convalescence, il se
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'ABAlSSEMENT DU NIVEAU MENTAL 515
manifeste beaucoup plus rarement pendant la grossesse et pen-
dant les fi&vres.
Toutes les circonstances qui determinent d'ordinaire un
engourdissement physique sont mauvaises pour ces malades. La
p^riode de la digestion leur est fatale. Wye... remarque qu'il a
toujours perdu sa confiance a 2 heures et qu'il la reprend a
5 heures. La matinee pendant laquelle persiste un peu Fengour-
dissement de sommeil ramene toutes les manies et toutes les
obsessions. II n*y a rien que Dob... redoute autant qu'un demi-
sommeil. (c Ce serait la cause de terribles angoisses, je n*ose
pas me laisser aller a rassoupissement en voiture, en chemin de
fer; des que mon intelligence ne serait plus bien en ^veil je
serais reprise d'angoisses. »
2. — Influence de la fatigue,
II en est de m6me pour les surmenages physiques ou moraux
qui semblent avoir determine des accidents chez Er... (i74)»
Ce...y Nadia, Mm..., etc. Legrand du Saulle avait d^ja insist^ sur
le role des troubles dyspeptiques, du travail intellectuel exag^r^,
d*une vie dissolue *. M. Tissi^ d^crit tr6s bien les ph^nomenes
d'abaissement psychologique qui suivent chez les jeunes gens la
fatigue exag6r^e : « Un exercice gymnastique trop violent, trop
prolonge, trop attentif, une marche a pied trop longue^ comme
un devoir d'arithm^tique, Taudition d'une musique trop bruyante
produisent des actes impulsifs, des besoins de marcher, des
Eructations, des expressions orduriferes, du mutisme, de la bru-
tality, de rentetement, des miaulements, des repetitions de mots,
de rinconscience morale'. » MM. Pitres et Regis insistent
beaucoup sur cette influence de la fatigue, et nous aurons a
reprendre cette question en traitant de revolution de la maladie.
Cette influence de la fatigue physique et morale est tres inte-
ressante, il y a des malades chez qui on pent determiner par la
fatigue des rechutes nettes d*une mani^re presqueexperimentale.
Les obsessions de Za... deviennent plus violentes a la moindre
fatigue. Claire revient d*une ville d'eau oil elle a passe Fete avec une
I. Legrand du SauUc, Agoraphobic, p. 56.
a. Tissic, Revue scienlifique, 1890. H, p. 643.
516 THtoRIES PATHOGfiNIQUES
grave rechute de son d^Iire de scrupule parce que le traitement
hydroth^rapique excessif l*a fatigu^e. Nadia a toujoursune rechute
apres Noel parce qu'elle s'est fatigu6e a la recherche de cadeaux.
Gisele fit une grave rechute apr^s un grand diner qu'elle avait
organist. Dob..., Len..., etc., sont obligees de renoncer a leur
metier d'institutrlce parce que les longues classes determinent
des accidents mentaux.
Chez Wo... et chez Xyb... on pent verifier Teffet d'une petite
fiitigue mentale. La premiere addition, le premier compte de ma-
nage se fait assez bien, mais elles sont fatiguees d'avoir fait un
effort d'attention : si sans intervalle de repos, on leur fait recom-
mencer un nouveau compte, il y aura hesitation, douteet crise de
scrupule, « le premier travail m'a comme ebranl^eyd^s^quilibree
et je ne puis faire le second de maniere a le terminer... ». « II en
est de meme pour tout, il Taut me laisser reposer apres une
decision, aprfes un effort d*attention sinon tout s^embrouille. »
Les situations p^nibles, mal d6finies, les periodes d'attente,
avant un concours, avant la mort d*une person ne, avant le ma-
riage, avant une election, sont tres difficiles a supporter et sont
signal^es par une recrudescence des id6es fixes. Un romancier
russe Dostoiewski Tavait tres bien observe : « si je fais arreter
ce monsieur avant le temps voulu, je me retire a moi-meme les
moyens ulterieurs d'^tablir sa culpability. Et comment cela ?
Mais parce que je lui donne une situation definie; en le mettant
en prison, je le calme, je le fais entrer dans son assiette psycho-
logique, d^sormais il m'^chappe, il se replie sur lui-meme, il
comprend enfin qu*il est detenu \ »
Ces circonstances : Taifaiblissement physique, Tengourdisse-
ment, la fatigue physique et morale ont les memes caract^res. On
a souvent constate leurs efTets psychologiques, qui ont toujours
6te la diminution des perceptions, la reduction des synthases
mentales, Tabaissement de la volont^, en un mot la diminution
de toutes les fonctions du reel. On pent les consid^rer comme
de vdritables abaissements du niveau mental et c'est precise-
ment dans ces circonstances que les crises de manies, et d'an-
goisses et que toutes les obsessions prennent leur plus grand
d^veloppement.
I. Dostoiewski, Crime et chdtiment, II, p. 71.
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'ABAISSEMENT DU NIVEAU MENTAL 517
3. — Influence des emotions.
Le probl^me le plus iDtcressant nous est pose par le n^le
pathog^nique que jouent les Amotions et surtout certaines emo-
tions. Dans les cas les plus connusque nous aurons a etudier plus
tard r^motion semble determiner la nature de robsession, mais
ce ne sont pas, a mon avis, les cas les plus frequents ni les plus
int^ressants.
II y a des cas tres nombreux oil T^motion qui semble le debut
de la maladie n'a aucun rapport avec les phobies ou les obses-
sions qui vont suivre. Lf..., comme on vient de le voir, est devenue
malade parce qu*elle a ramasse son neveu tomb^ mourant d'un
^chafaudage. L*6motion ^tait assez intense pour amener un trou-
ble et le sujct semblait ant^rieurement bien portant, mais ce qui
m'^tonne c'est que la maladie consecutive est simplement Tago-
raphobie qui semble avoir un rapport bien lointain avec la mort
du neveu. Cat..., Instituteur, change de poste sur sa demande :
ce changement, la vue d'une ^cole nouvelle Timpressionne ; il
est atteint d*une obsession criminelle et il est poursuivi par le
remords du meurtre d'un enfant. Chu... a des contrarietes de
famille et sc dispute avec une belle-sceur, la voici qui prend la
phobic de la salet6 et qui eprouve le besoin de se laver les mains
dix fois de suite. J'ai peine a voir dans ces obsessions ou ces ma-
nies, et on en pourrait citer cent du m6me genre, la reproduc-
tion de F^motion primitive.
Dans quelques cas Torigiue de Tobsession se comprend assez
bien ; mais on voit que son contenu ne depend en aucune fa^on de
Temotion qui a cependant determine la maladie. L'obsession est
la reproduction d'un 6v6nement ou d'une idee tres ant^rieure qui
au moment de son apparition n*avait determine aucun trouble
mais qui devient pathologique a Toccasion de I'emotion nouvelle.
Les faits de ce genre m'ont toujours interesse : j'en ai d^crit de
remarquables a propos des hysteriques. En voici un que je rap-
pelle parce qu*il est typique. Un homme ag^ de 29 ans, mecani-
cien de locomotive, est bless6 grievement dans un tamponnement,
il a une plaie grave au ventre qui n'est guerie qu'au bout de
six mois. Cependant il ne conserve aucun accident nevropathique,
il ne reste pas impressionnable et il reprend son service sans
aucune didiculte. Onze ans apres, a Tage de [\o ans, il a une
518 THEORIES PATHOGfiNlQUES
grave Amotion : il se reveille le matin pres du cadavre de sa
remme morte subitement pendant la nuit. Eh blen a la suite de
ce bouleversement il commence des crises d'hysterie, dans
lesquelles il voit une locomotive se pr^cipiter sur lui, dans
laquelle il a du meteorisme abdominal avec une ^norme fayperes-
thf^sie de son ancienne cicatrice indolente pendant onze ans.
On observe des faits tout a fait semblables chez les psychas-
theniques. F6..., femmede ^9 ans, a eprouv^ une vive contrariele :
la fille de son mari, qu'elle avait elevee comme son enfant, s^cst
fait enlever par un amant et n*a plus voulu rentrer chez ses pa-
rents. F*^... 6prouve de Tennui a ce sujet, mais ne devient aucu-
nement obs^d^e et reprend regulierement le cours de sa vie.
8 mois apr^s elle doit subir une operation chirurgicale grave,
rhyst^rectomie totale. Cette operation lui a cause de grandes
angoisses et de grandes fatigues. A la suite de cette operation
la voici obs^d^e par la pens^e de la fugu« de sa belle-fille :
« Cette fille s'en est all^e de ma maison, tout le monde le sait,
c'est honteux pour moi. C'est moi qui suis coupable... etc. » et
la voici qui a des angoisses a la pens^e de rentrer chez elle.
Lep..., femme de Sg ans, perd un fils de i8 ans, elle parait
s'en consoler, et reste parfaitement raisonnable. lo mois apres
elle fait une chute de voiture et en est tres ^motionn^e. Elle
reste troubl^e, se plaint de ne plus voir les choses de la meme
fayon et se tourmente a propos de la mort de son fils : vc si
j'avais cherch^ un autre m^decin, si je Tavais envoys a la cam-
pagne, il vivrait encore, c'est moi qui suis coupable, je devrais
me tuer, etc. » Jui..., homme de 38 ans, a et^ lech^ par un
chien dans la rue quand il avait Tage de 25 ans, il en a et^
ennuye car il etait deja peureux, mais il a bien compris que ce
n'etait rien. A 3o ans il se marie et cet evenement lui determine
bien des Amotions; c'est a ce moment et a ce moment seulement
qu'il s'inquiete serieusement a propos de ce chien qui Ta lech^
il y a cinq ans et qu'il est pris d'une phobic de la rage. II gu^rit au
bout de quelqucs mois. A 33 ans il perd un enfant et ce chagrin
ramene de nouveau la phobic de la rage, depuis il a eu nombre de
crises de cette m^me phobic toujours a propos d'6motions quel-
conques n'ayant aucun rapport avec le chien. « C'est d^solant, je
ne puis avoir la plus petite emotion, meme pas le depit de rater
un omnibus, sans que cela me donne Tidee du chien enrage. »
J'avoue que dans ces cas j'ai de la peine a comprendre comment
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'ABAISSEMENT DU NIVEAU MENTAL o19
ou peut raitacher directement la phobie a I'emotion, et a com-
prendre le role de Temotion..
Enfin un dernier groupe me semble plus embarrassant encore,
c'est le groupe des cas tr^s nombreux oil Temotion de^termlne un
trouble qui n'est pas du tout Tobsession ou la phobie mais qui
est simplement une insuflSsance psychologique. Dans le cas le
plus simple et qui se rapproche le plus des precedents, Temotion
cree simplement Temotivite. Des personnes qui n'elaient pas im-
pressionnables ou qui T^taient moderement sont transform^s
apres un accident qui les a r^volutionnes. Dorenavant elles eprou-
vent des emotions violentes pour la moindre des choses, elles ont
des perturbations physiologique remarquables avec troubles
cardiaques et respiratoires, avec de grandes angoisses pour des
faits insignifiants qui les auraient certainement laissees froides
auparavant. Morel, Freud, Pitres et R^gis ont tres bien d6crit
des cas de ce genre sous le nom d'anxiete diffuse ou de pano-
phobie, « chaque ev^nement, chaque incident de la vie devenait
ainsi matifere a d^charge pour son angoisse momeutan^ment
specialis^e par le hasard ^ »
J'ai observe un grand nombre de cas de ce genre que j^ai deja
cites et que je rappelle brievement. Cs... (4i) a accouche a Tage
de 3i ans, elle se porte bien et se remet de sa fatigue quand trois
jours apres Taccouchement la garde effray^e d'une grimace de
Tenfant laisse ^chapper une exclamation des plus sottes a oh,
Madame, s'ecrie-telle, le b^b^ a des convulsions, je crois qu'il va
mourir ». L'enfant n'avait absolument rien, mais la mere reste bou-
leversee, se plaignant de beaucoup soufTrir dans la tete et dans les
epaulcs, gemissant et plcurant sans pouvoir s'arrdter. Depuis son
caractere est completement chang^ : elle ^tait autrefois vive,
mais suffisamment calme pour avoir dirige une niaison de com-
merce avec succes, pour avoir surmonte bien des difficultes.
Maintenant elle a a propos de tons les faits les plus insignifiants
des emotions epouvantables qui lui font perdre la t^te. Si un de
ses enfants tousse, si elle-mcme se mouche, si elle voit une
bouteille de pharmacie, si elle lit dans le journal le nom d'une
maladie, la voici affol^e, soufTrant d'horribles angoisses errant au
hasard dans la maison pour chercher quelqu'un qui la rassure. 11
I. Pilres ct Regis, op. cii., p. 19, 79.
520 THEORIES PATHOGENIQUES
lui devient impossible de s'occuper du commerce, elle ne peut
meme plus voir sur son chemin une boutique sans penser a la
ruine et sans se bouleverser, elle a une crise de d^sespoir qui
dure plus de la heures parce qu'une de ses petitcs filles a fait
une tache a sa robe, ou parce que une domestique lui annonce
qu'elle va se marier. Ku... est un cas presque identique. J*ai etudle
dans un chapitre precedent ses singulieres angoisses avec tremu-
lations de la paroi abdominale. Ces angoisses se reproduisent a
proposde tout et elles ont debute a la suite d'une singuliere aven-
ture. Un jeune homme qui habitait dans la m^me maison que Ku . . . a
ete arrMe parce qu'il se livrait a des manifestations inconvenantes a
la fenetre. Pour se disculper il fait appel au temoignage de cette
dame et se fait conduire chez elle par un agent de police afin
qu'elle certifie de sa conduite exemplaire. La pauvre femme se
croit accus^e avec lui, se voit impliqu^e dans un proems scanda-
leux et perd completement la tete. C'est a partir de ce moment
qu'elle devient une panophobique.
Si on y r^fl^chit il n*est pas facile de comprendre comment
une emotion rend ^motif. II ne suflSt pas de dire que T^motion pri-
mitive se r^pete, il faudrait expliquer pourquoi elle se reproduit
ainsi sans raison, ce qui ne serait pas ais^. Mais cela meme n'est
pas exact, car ce n'est pas I'emotion primitive qui se rcpete. Les
choses ne se passent pas du tout comme dans les crises d'hysterie
qui reproduisent automatiquement une Amotion comme par sug-
gestion. L'emotion primitive est parfaitement oubli^e et Cs..., qui
est devenue tres egoi'ste, ne s'occupe plus du tout de ses enfants.
Ce sont d'autres Amotions qui se d^veloppent a propos d'incidents
lout diff(6rents et c'est une aptitude particuliere a reproduire avec
trop de facilite ces ph^nom^nes qui s^est formee dans le sujet et
je trouve remarquable que cette aptitude se soit formee si rapi-
dement a la suite d'une premiere emotion.
Mais Temotion ne produit pas uniquement T^motivitd, il est
quelquefois bien plus curieux de la voir produire TindiRerence,
de la voir amener la suppression des emotions normales. Je rap-
pelle rhistoire d'Al... Elle fait un mariage absurde et se trouve
marine a un inverti sexuel qui ne veut pas de sa femme et qui
poursuit son beau-frere, scenes et proems invraisemblables. A la
suite Al... entre dans un 6tat fort curieux d'indifference et de
froideur et se sent Incapable d'eprouver aucun sentiment de
plaisir ou de douleur. Get (^tat a ei6 decrit a propos des insuffi-
INFLUENCES QUI DETERMINENT I/ABAISSEMENT DU NIVEAU MENTAL 521
sances psychologiques, je remarque seulement ici qu'il a ^t^ le
r6sultat de violentes Amotions.
L'emotion peut faire nattre de meme tous les phenomcnes de
raboulIe;je ne parle pas d*uneaboulie Imm^diatement en rapport
avec les phenomenes ^motirs et que Ton pourraitrattacher a I'in-
hibition ; mais d'une aboulie qui persiste sans que Temotion se
renouvelle. AI... dans Tobservation precedente est enorm^ment
aboulique en meme temps que tout a fait incapable d'emotion.
Cas..., femme de 52 ans qui a vu son fils tomber a Teau, se sent
la tMe g^nce, ne peut plus faire aucune action ni suivre aucune
idee, en meme temps elle a cess6 « d*6tre impressionnable, elle'
ne sent plus les joies, ni les peines, elle est indifTi^rente a tout ».
Enfin c^est Temotion qui est la source principale de ces ^tats d*in-
quietude, de doute et de tous ces sentiments d^insuflisance dontj'ai
dejh rapports tantd'exemples. C'esta la suite d'un chagrin d'amour
que Tr... devient aboulique et commence a resscntir les doutes
et les hesitations qui la caracterisent ; c'est a la suite d'une con-
fession que Clsiire se sent inquiete qu'elle sent a Tespoir et la
confiance s'en aller comme une lumiere qui s'eloigne ». Nem...
est frapp6 par Taspect efTrayant d'un mendiant qui s'adresse a
elle, elle reste impressionn^e et depuis elle ne retrouve plus la
perception normale, elle trouve a tous les objets et surtout aux
personnes un aspect drole, etrange. To... est bouleversee par une
declaration obscene que lui fait un petit employ^ et depuis elle
doute de toutes les choses pr^sentes, qui lui semblent avoir
perdu leur r^alite.
Le sentiment de depersonnalisation si remarquable de Ver...
et de Bei... a commence chcz tous les deux brusquement a la suite
d'une emotion. Ver... a et6 menace par son patron qui tenait a la
main un instrument de fer et Bei... a lu dans un journal une his-
toire d*amour ameuant des malheurs, des suicides et qui lui
semblait identique a ses propres aventures. Quand chez ces
deux malades le sentiment pathologique diminue c'est une nou-
velle emotion qui le fait reapparaitre. « Ca m^a fait un efl'et dans
la t^te et apres ^a me fait comme si ce n'^tait pas moi '. » On
pourrait facileraent accumuler des exemples de tous les senti-
ments d'insuffisance psychologique ayant une semblable origine.
Ces faits se rattachent encore moins que les precedents a Texpli-
I. Nevroses et Idees fixes, 1898, II, p. 6a.
522 THEORIES PATHOGfiNlQUES
cation simple de r^motion donnee dans les theories que nous
avons discut^es.
Toutes ces difficult^s proviennent, a mon avis, de ce que Ton a
beaucoup trop slmplifi^ le concept de T^motion. L'emotion
s'accompagne sans doute dans bien des cas de modiGcations vis-
cerales et la conscience en retour de ces modifications doit jouer
un certain role dans la conscience de Temotion elle-nieme. C'est
peut-etre ainsi que se caract^risent certaines vari^i^s d'emotions
qui se distinguent les unes des autrcs par la conscience de ces
difTerentes harmoniques viscerales. Mais il n'est pas possible de
soutenir que les phenonienes si complexes designes sous le nom
d'emotions ne contiennent pas autre chose que ces concomitantes
organiques. Je crois que Ton trouvera dans Tanalyse de Temotion
un trcs grand nombre de phenomenes proprement cer^braux et
psychologiques qu'il faudra successivenient ajouter a ce concept
trop etroit de Teraotion organique.
Pour le moment je ne voudrais ajouter a la notion de Temotion
qu*un seul detail c*est qu'elle est tres souvent Toccasion et le sen-
timent des grandes oscillations du niveau mental. Dans mes pre-
cedents travauxyj'ai deja insists a plusieurs reprises sur ce point:
(( Temotion, disais-je autrefois, a une action dissolvante sur Tes-
pritydiminue sa synthase et le rend pour un moment miserable*. »
« Les emotions surtout les Amotions deprimantes comme la peur,
desorganisent les syntheses mentales ; si on pent ainsi dire,
leur action est analytique par opposition a celle de la volonte
de Tattention, de la perception qui sont synthetiques. Une reso-
lution qui^tait prise est perdue a la suite de remotion...Chez Ics
hyst^riques on pent en excitant leur attention forcer un malade
anesthesique a reprendre sa sensibility, un paralytique a reprendre
la possession des images kinesthesiques et le mouvemcnt volon-
taire, vous les amenez ainsi a rattacher a leur personnalit^ certaines
sensations et certaines images, ce sont des syntheses mentales. La
moindre emotion va detruire tout ce travail et dissocier de nou-,
veau dc lapersonnalite ces sensations et ces images... Mais jamais
ce pouvoir de dissociation qui appartient a T^motion ne se mani-
feste plus nettement que dans son action sur la memoire... Cette
dissociation pent s^exercer 3ur les souvenirs au fur et a mesure de
leur production et constituer Tamndsie continue, elle pent aussi
I. Automatisme psychologique, 1889, p. 457.
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'ABAISSEMENT DU NIVEAU MENTAL 523
s'exercer tout d'un coup sur un groupe de souvenirs deja consti-
tue, d^ja rattache a la personnalite. Le plus souvent ces souvenirs
dissocies par T^motion seront simplement les plus recents et
Tamnesie d^terminee par Temotion prendra la forme bien connue
de I'amn^sie retrograde ^ » « On constate des faits semblables
ii propos des traitements par suggestion et par direction morale,
une emotion supprime tout le travail de restauration qui a etc
accompli pendant la stance, fait reapparaitre Ics anesth^sies,
les paralysies, les idees fixes. Le travail du directeur pendant les
stances precedentes a ete un travail de synthese : il a organise
des resolutions, des croyances, des Amotions, il a aide le sujet a
rattacher a sa personnalite des sensations et des images. Bien
plus, il a echafaude tout ce syst^me de pensees autour d'un centre
special qui est le plus souvent son nom et Timage de sa personne.
Le sujet a emporte dans son esprit et dans son cerveau une syn-
these nouvelle, passablement artificielle et tres fragile, sur laquelle
Temotion a facilement exerce sa puissance d^sorganisatrice^. »
Cette description convenait surtout aux hyst^riques, elle doit
6tre elargie pourpouvoir s'appliquer a nos malades pyschasth^ni-
ques. Un des ph^nomenes de Temotion, dirons-nous maintenant,
c'est de s'accompagner d'un abaissement marque du niveau men-
tal, en entendant le niveau et la hic^rarchie mentale dans le sens
oil nous Tavons precedemment defini. Elle ne produit pas seule-
mcnt la perte de la synthese et la reduction a Tautomatisme qui
est si visible chez Thysterique, elle supprime graduellement sui-
vant sa force les phenomenes superieurs et abaisse la tension au
seul niveau des phenomenes dits infi^rieurs.
C^est pourquoi dans cette hypothese tous les faits pr6c(^dcnts
me paraissent s'expliquer facilement. Dans Tcmotion nous
vbyons disparaitre la synth6se mentale, Tattention, la volonte,
Tacquisition des souvenirs nouveaux ; en m^me temps nous
voyons diminuer ou disparaitre toutes les fonctions du r^el, le
sentiment et le plaisir du r^el, la confiance, la certitude. A la
place nous voyons subsister les mouvementsautomatiques, les rumi-
nations et surtout les manifestations viscerales ^lementaires que
Ton considere beaucoup trop comme la cause de T^motion et qui
n*en sont qu'une consequence.
I. Nivroses et Idees fixes ^ 1898, I, p. i44-
a. Id., 1, p. 475.
r,5i THEORIES PATII0G£NIQUES
Bien des malades dans leur analyse psychologique si curieuse se
rendent bien compte de ce r6le des emotions. Quand Jean parle
d'une violente emotion qu'il a eue lors de sa derniere masturba-
tion, quand il a pens6 en mourir, il a des termes saisissants :
« Nod, vousne pouvez pas comprendre le nuage, le rideau noir,
Tempreinte lugubre qui m^est restee de ce moment-la, Temotion
a eu sur moi un effet degradant, » « Je ne sais comment faire, dit
Claire, pour m'emp^cherde tombercomme une loque alamoindre
emotion, mon corps et mon esprit m'abandonnent a la moindre
contrari^te. » Ce sentiment de decheance si notable dans toute
la maladie prend bien souvent une origine dans une emotion de-
primante.
Les physiologistes essayent d'expliquer le fait de diverses ma-
nieres, M . Marro compare ing^nieusement les efTets de ces emotions
a ceux du froid. « Nous retrouvons, dit-il, dans ces emotions, la con-
traction des vaisseaux capillaircs p^ripheriques, la sensation de
froid, de chair de poule, le tremblemcnt, les contractions de la
vessie ^ » II serait aussi juste de comparer ces efiets de Temotion
a ceux de la fatigue, de Tepuisement rapide et difEcilement repa-
rable du systeme nerveux. Ces faits, en efiet, se rapprochent de
ceux que j'ai signales au d6but de ce paragraphe, quand j'ai
montre que la fatigue, Tengourdissement, tout afTaiblissement *
maladif amenait les mcmes abaissements du niveau mental et favo-
risait de la meme fagon le d^veloppement des phobies et des
obsessions.
5. — Oscillations du niveau mental. — Influences qui
diterminent Vilivation.
Nous n'avons 6tudie jusqu'ici que les abaissements de Tesprit,
les oscillations descendantes du niveau mental, on pent se de-
mander s*il n'en existe pas d'autres et si les m^mes sujets ne
sont pas susceptibles de presenter certaines ascensions men-
tales. L*etude de ces modifications en sens inverse et de leurs
resultats me parait etre la meilleure verification des etudes pre-
c^dentes.
I. Mbtto, La puberte, p 424-
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'fiL^VATION DU NIVEAU MENTAL 52u
I. — Les ascensions du nweau mentaf.
Les malatles pr^senteiit en effet assez souvent des ameliorations
remarquables non seulement au moment de la gu^rison, mais
encore au cours de la maladie. II est rare que la gu^rison se fasse
d*une maniere continue et graduelle ; presque toujours sous I'in-
fluence du traitement, on sous {'influence de diverses circons-
tances, les maladcs changent brusqucment, se transforment pen-
dant quclques heures ou quelques jours, puis retombent dans
leur ctat habitucl. Ce sont ces p6riodes que j'ai d^ja eu Toccasiou
d'appeler des instants clliirs \
Ces periodes, par exemple, sont tr^s nettes chez Lise, et il est
tres interessant de remarquer ce qui les caract^rise. La malade
est a ce moment en partie debarrassee de ses obsessions, elle
n^arrive jamais a s*en d^barrasser completement. Les id^es qui
constituaient sa rumination lui semblent s'^loigner, quoiqu'elle
les sente toujours tout pr6s d'elle et pretes a reapparaitre au
premier appel, mais en somme Tesprit est beaucoup plus calme
et cesse les serments, les pactes, les discussions perp6tuelles qui
le remplissaient preccdemment. En meme temps je remarque
chez la malade tout un ensemble d'autres changements.
Lise a sur elle-meme des sentiments difl*(6rents : elle se sent
moins partagce, moins divis<5e « enfin, dit-elle, jc suis plus unifiee,
plus moimeme » comme elle se rend mieux compte d'elle-meme,
elle appr^cie mieux ses sensations, elle n'a plus cet cngourdisse-
ment, cette diminution de la sensation de la douleur que nous
avions observ^e sur elle et elle se plaint maintenant d*une sensation
de fatigue « a laquelle elle ne faisait pas attention auparavant ».
Cette sensibiliteou plutot cette faculty de donner plus d*attention
aux sensations et aux perceptions presentes existe aussi au moral
et la malade parait changer de caract^re. Elle devient plus sus-
ceptible, plus impressionnable et supporte moins facilement une
foule d*ennuis de sa situation, qu'elle ne remarquail meme pas
auparavant. L'activit^ ^galement a augments, ses parents sont
^tonnes de la trouver plus en train, plus vivante, moins terne, et
en effet la voici qui pent travailler, s'occuper de T^ducation de ses
enfants, lire et s'interesser a sa lecture, etc. Enfin je note que le
I. Revue philosophiqae, 1891, et Nevroses et IdSes fixes, 1898, I, p. 49-
o26 THEORIES PATHCXJfiNIQUES
sommeil est devenu plus profond et plus calme, quelquefois elle
se reveille en sursaut ^tonn^e dc ne plus dormir a sa fa^on ordi-
naire et de se laisser aller au sommeil profond sans rien ruminer.
Le sommeil hypnotique merae et la suggestion semblent avoir
augmente d'une facon sensible.
Les m^mes observations peuvent etre faites sur Claire. II y a
des moments oil elle n'est plus au fond de son precipice et ne se
croit plus unepersonne aussi indigne. (cJe reconnais, m'^crit-elle,
que depuis trois mois j*ai ^t^ moins tourment^e, que vous avez
secouc mon engourdissement et que je suis remont^e. i> Elle ne nie
plus le bien qu*elle pent faire, elle a un sentiment a d*6tre meilleure,
de revenir dans la bonne route, de traverser un mur qui la g^nait. »
La confiance en Dieu et la foi dans ta religion reviennent. II est
tr^s int6ressant de remarquer a ce propos que la croyance revient
sans que le sujet ait rien lu, rien entendu de nouveau sur la reli-
gion. De m^me que la foi est partie sans quUl y ait eu de discus-
sion, de meme elle revient sans qu'il y ait eu de demonstration,
tellement les raisons proprement intellectuelles sont pour peude
chose dans ces croyances.
Claire signale en meme temps d^autres changements : les iddes
sont moins vagues, plus precises, moins compliquees, les souvenirs
sont plus nets, « j'ai ete vraiment mieux, dit-elle, ext^rieure-
ment comme au dedans, j'etais plus gaie, plus active, c'est que
j'avais pass^ plusieurs personnes, j'avais traverse une mauvaise
personne qui me faisait peur, j'avais beaucoup moins de person-
nes en moi, mesidees s'enchainaient mieux, j'avaispresqueTunite
de Tesprit. Je me suis int^ress^e davantage a ce qui se passait
autour de moi, tout me paraissait plus r^el et plus facile, oui
j'etais tout pres de la reality et aussi de la religion, il me sem-
blait que j'6tais plus pres des choscs, je les rcconnaissais mieux
quoique je ne les avais pas vues depuis longtemps, mon sommeil
meme 6lait plus reel et mes r^ves plus nets, car j'en avais moins
a la fois ».
Ces deux exemples suflfisent car les autres seraient analogues
pour nous montrer que dans ces instants clairs tons les sympto-
mes se modifieut dans le ni^me sens. Les obsessions s'^loignent,
les ruminations et les phobies diminuent, mais en meme temps,
les sentiments d'incompletude disparaissent et Ton assiste a une
restauration des ph^nomenes psychologiques superieurs, de la
volonte, de Tattention, des functions du reel. La transformation
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'fiLfiVATlON DU NIVEAU MENTAL ,V27
atteint m6me les fonctions physiologiques, les digestions son!
meilleures ; a quand j'ai de I'excitation cerebrale, dit Gisele,
quand je sens du plaisir et de Tunite dans mon esprit, je digere
bien, il me faut une petite Bevre d^enthousiasme pour m'aider a
digerer, » bien mieux des malades qui ont d*ordinaire beaucoup
de pertes blanches, voient se tarir ces s^cr^tions vaginales pen-
dant les periodes d'ascension morale. En un mot la plupart des
symptomes neurastheniques qui ont ete ^num^res, se modifient
favorablement en m6me temps que Tesprit lui-meme.
II en r^sulte que ces ascensions nous posent un probleme
comme les abaissemcnts. De ces diflerents phenom^nes qui se
modifient ensemble, lequel faut-il consid^rer comme primitif ?
Quel est le phenomene qui se restaure le premier et qui par sa
restauration amene la modification constatee dans tous les autres ?
Pour le savoir il faut chercher quelles sont les conditions qui
d6terminent ces ameliorations meme passageres et sur quel phe-
nomene elles ont agi primitivement.
Je ne crois guere que cette modification commence par les
obsessions proprement dites. 11 semble bien diflScile d'agir direc-
tement sur ces idees qui obsedent les malades. Une des choses
qui surprend le plus, quand on examine des obs^d^s, c'est Tim-
puissance du raisonnement. On veut tout d'abord d^montrer au
malade Tabsurdit^ de Tid^e qui le tourmente et on essaye de le
convaincre qu'il est inutile de s'en preoccuper. Claire pretend
en g6missant qu'ellc serait gu^rie si elle croyait a Texistence de
Dieu et Lise promet de relrouver la tranquillity si elle sait que
le diable n'exipte pas : on se laisse entrainer a 6prouver la force
des arguments philosophiques. lyias leur r^sultat est bien me-
diocre ; les malades font semblant d'^couter, ils discutent quel-
quefois et avec finesse, mais on pent continuer la conversation
pendant des heures sans modifier en rien leur ^tat d'esprit.
Quand on les voit s'am^liorer, la logique n'y a 6te pour rien ;
Claire retrouve la foi en Dieu sans avoir trouv^ aucun argument
nouveau et Lise renonce a se preoccuper du d^mon sans avoir
mieux compris les arguments contre le dualisme. Leur ameliora-
tion a son origine dans un phenomene plus profond que les idees
de la raison.
Quelquefois surtout au debut ces ameliorations surviennent
sans raison bien apparente. Claire, au debut de sa maladie, vera
h2fi THEORIES PATII0G£MQLES
Tage de i8 ans, avail des oscillations de ce genre. « La lamiere
cessait tout d^un coup de s*eloigner, elle se rapprochait, je ne
sais pas pourquoi, alors je me trouvais ridicule, jesavais bien que
je n^avais pas mal fait, je cessais de me tourmenter. II me semblait
que je remootais, c^etait un sentiment de confiance en Dieu, d*es-
poir qui me revenait. Cependant je ne suis jamais revenue que
deux fois a la lumiere complete, ce souvenir-la m*a soutenue long-
temps, il me montrait le chemin a suivre. Plus tard je ne suis
jamais revenue aussi completement. » Chez Bei... aussi, les
doutes sur sa personnalite disparaissaient par moment d'une ma-
niere complete, sans qu'elle pAt savoir pourquoi, il est probable
que dans ces cas une des causes que nous allons voir a Tcenvre
agissait a Tinsu des sujets et qu'au d^but du mal il sufBsait d'une
action minime.
a. — Les substances excitantes.
Les premieres causes que nous voyons agir eflScacement sont
des causes physiques que les malades savent d'ordinaire tres bien
d^couvrir tout seuls, ce sont les poisons excitants. On a remarqu^
depuis longtemps que les ereutophobes prennent de Talcool avant
de se rendre aupres d*une personne a qui ils ne veulent pas
montrer leur rongeur \
On explique dWdinaire ce besoin en disant avec eux que Tal-
cool les fait deja rougir et qu'ils n*ont plus peur de rougir da-
vantage. Je ne puis croire a cette explication que me donne aussi
un malade Mk... ; des agoraphobes comme Oz... usent du meme
proced^ et n'ont pas peur de rougir. L'excitation cerebrale causae
par Talcool joue ici un role bien plus important que la pens^e de
la rougeur. En reality, le point de depart de la dipsomanie est
aussi le sentiment de bien-etre determine par Falcool chez des
malades qui ont senti auparavant une « horrible impression
d'abaisscment mental. »
D'autres, malheureusement tres nombreux, ont recours a
rather et a la morphine. Une de mes malades avail la deplo-
rable habitude de respirer de Tether en se cachanl la t^te sous
ses couvertures pour ne rien perdre, elle a reussi a s'asphyxier.
II n*esl que trop vrai que la morphine soulage momenlan^ment
I. Bechterew, Neurol. CentralbL, XVI, 1897.
INFLUENCES QUI DfiTERMlNENT L'^LfiVATION DU NIVEAU MENTAL 529
ces malades, Mb... s'en est bien trouv6e pendant plusieurs mois,
Qsa... continue sa digestion tranquillement et arrete sa crise des
efforts de vomissements apres une piqilire d^un centigramme de
morphine. Bien entendu ces malades finissent par ajouter la
morphinomanie a leurs autres mis^res. Quelques-uns se bornent
a une excitation moins dangereuse, celle de Talimentation. Ppi...,
agoraphobe et timide, a toujours dans sa poche un fort morceau
de pain et de jambon, dont l*ingestion faite a propos lui donnera
I'assurance n^cessaire.
D'autres proc^d^s physiques seront ^galement utiles, Bei...,
Wye... retrouvent leur personnalit6 pour un moment quand elles
prennent une douche froide. « De Teau bien froide sur la tete,
dit Jean, et pour un moment Ton saisit le monde cxterieur un
peu plus fortement ». II en est ainsi chez beaucoup de malades
pour un temps malheureusement court. Pour quelques-uns il
sufFit i( d'une belle matinee ou d*un beau temps » pour dissiper
les genes et les obsessions « que le soleil me rie et me voila
honnete homme ». On verra dans T^tude de revolution Tinfluence
remarquable de certains etats comme la grossesse et la (ievre :
ce sont toujours des excitations qui d^terminent ces instants clairs.
3. — Influence dii ckangement.
Si nous passons maintenant au point de vue moral, nous de-
vons signaler le bon effet des changements : Claire va mieux
quand elle rentre chez elle apres une absence, a J*ai et6 mieux
en arrivant, plus heureuse, plus gaie, et moins tourment^e,
comme la derniere fois, je voyais les choses plus nettement, tout
me semblait plus facile, moins compliqu^. Je me suis moins aper-
^ue de Tengourdissement que j'ai d^ordinaire ; il dtait un peu
pass^, j*ai ^te certainement plus active, plusenergique. Je le suis
encore, mais cela diminue et il m'arrive de nouveau de rever, je
n^ai ete bien que quelques jours. Ce qui m'ennuie c*est que j'ai
de nouveau des images (ses pseudo-hallucinations sacrileges).
Elles s'etaient calm^es au commencement, a mon retour ; elles
reviennent maintenant davantage... » a Lise fait les m^mes re-
marques; je suis mieux pendant quelques jours quand je retourne
a la campagne, quand je change de s^jour, cela me fait reraonter
de voir un endroit ou des personnes que je n'ai pas vus depuis
longtemps. » On pent r^peter cette observation sur Vi... et sur
LES OB8BSSIONS. I. — 34
5.% THEORIES PATHOGtMOCES
la plapart des malades : tc il me faat, dit Gisele, rinedit, le sor-
tant de TordiDaire poor respirer on pen. »
iDdependammeDt du changement certains milieax sont plus
favorables aax malades. Je croyais a ane opinioD indiTidoelle pea
jostifiee, qaand Jean me repetait qo'il avait besoio de vivre
a Paris et qa^il etait beaocoap plus malade et malheoreox en
province et surtoot a la campagne. Cette opiDion me parais-
sait bizarre dans la bouche d*un individu phobique qai a pear des
femmes, peur de la foule, pear des Toitares. Mais j'ai remarque
que la m^me aHirmation m*a ete faite d^une maniere toot a fait
ind^pendante par Za..., par On..., par Lise et par plusieurs autres
et j'observe qu*ils ont raison. Paris leor donne, il est vrai, plus
d*occasion de phobies et, si leur maladie n'etait que de Temoti-
vit^, lis devraieot le fuir. Mais Paris lenr donne en meme teraps
des occupations, des distractions, en un mot des excitations.
« Cela me fouette, me fait vivre, me fait marcher plus vite. » Et
comme leur emotivity est, si je ne me trompe, la consequence de
leur engourdissement, ils sont, quoique ce soit paradoxal, moins
emotifs a Paris. Jean a plus peur des femmes dans sa campa-
gne isol6e que sur les boulevards.
4. — Influence du mouifement et de V effort.
En dehors des circonstances ext^rieures il y a evidemment des
actions, des modifications morales du sujet qui ont une influence
favorable, par exemple le mouvement, Tagitation physique est
plutot une bonne chose. Lise remarque tres bien que le mouve-
ment diminue ses id^es et que I'immobilite est dangereuse. II est
vrai que le mouvement lui devient de plus en plus p^nible, quand
les id^es Tenvahissent et que dans les crises graves de rumina-
tion elle va etre r^duite a une immobility complete ; mais clle
pent arreter une crise si elle se leve, si clle sort asscz a temps.
Aussi ne faut-il pas dire que les crises d'efibrts de Claire soient
conipletement maladives ; actuellement ces agitations sont deve-
nues tout a fait absurdes et sont le r^sultat d'une manie, mais
au debut la malade sentait une amelioration apr^s ces seances
de contorsions a je me voyais mieux, je me rendais mieux compte
de mon engourdissement, c'dtait bon signe ». Apres des seances
v^ritablement convulsives qu*on peut exciter chez elle, en diri*
geant ses eflPorts elle est comme transformee, elle sort et elle
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'fiLfiVATlON DU NIVEAU MENTAL 531
agit le reste de la journ6e sans hesitation. Lise dit souvent qu'elle
a besoin d'une crise de nerfs et certaines observations me font
croire qu'elle a en partie raison.
II en r^sulte certains genres de traitement bizarre que les ma-
lades r^clament eux-m^mes. Quand j'avais essay^ d'hypnotiser
Lise, je lui avais sugg^r^, pour v6ri6er son 6tat, des contractures.
J*ai remarqu^ bieu souvent que les contractures pr^sent^es par
elle n'avaient rien de r^el et ne ressemblaient pas aux contrac-
tures hyst^riques provoquees dans les memes conditions : le sujet
restait toujours maltre de d^faire ses contractures quand il le
voulait et en somme il ne maintenait la position du bras ou de la
jambe que par bonne volont^, par ddsir d'ob^ir et de faire r^us-
sir un traitement. J^^tais done dispose a consid^rer ces contrac-
tures comme insignifiantes, je fus surpris de voir que la malade
les reclamait et disait s'en trouver fort bien, il lui fallait des con-
tractures de plus en plus fortes, de plus en plus gdn^rales. En
somme, comme je suis convaincu qu*il n'y avait la presque rien
de suggestif, c'^tait elle qui par des efforts volontaires, inoui's, se
raidissait tout le corps dans des positions bizarres. Elle ^tait
couverte de sueur et visiblement fatigu^e de maintenir ainsi des
attitudes p^nibles : apres de pareils travaux qui n'avaient pour-
tant aucun rapport a ses scrupules, elle se sentait beaucoup
mieux, Tesprit plus uni(i6, elle avait une meilleure notion de sa
personnalite et avait la tete beaucoup moins encombree. Elle
conserve le sentiment que ses spasmes ne vont jamais jusqu'au
bout cc qui est vrai d*ailleurs, mais que Teffort pour les former
relive et transforme son esprit. On pent r^p^ter Tobservation
sur Claire, et on obtient les memes r^sultats.
5. — Influence de V attention.
On peut faire les m^mes remarques a propos de Tattention qui
demande des efforts du meme genre : Gis^le dit tres bien
qu'elle a besoin de s'interesser a quelque chose qui excite sa cu-
riosity par le mystere et qu'elle va bien mieux quand elle fait
des efforts d'attention. Une idee penible qui la force a penser
modifie non seulement ses scrupules mais aussi son estomac et
Taide a dig^rer. Pot... me disait aussi que si une chose attire sufli-
samment son attention elle reprend le sentiment de la reality
comme autrefois et Claire parvient a se retrouver par Tattentiou.
532 THtoRIES PATHOG^NIQUES
Elle fixe fortement son esprit sur une id^e ou un sentiment et se
fatigue la tele pour retrouver cette id^e ou ce sentiment tels qu'ils
etaient autrefois. Elle essaye de me parler, d*arriver a le faire
avec precision, elle travaille a prier en se donnant tout entiere
a ce qu'elle faisait. « Je rassemble toutes mes forces pour trouver
un passage dans mon esprit, pour arriver a un instant clair,
pour saisir une id^e et quand je suis arrivee a dire quelques mots
en les pensant moi-meme commc autrefois, je retrouve Tespoir,
la confiance et je sais tres bien que tons mes reproches sont ridi-
cules. Seulement cette attention est de plus en plus difScile, j'ai
eu besoin de faire en m6me temps des efforts physiques et j*ai
fini par repeter mes contorsions pendant des hcures sans tra-
vailler reellement, alors elles ne servent a rien. s>
Ce travail pour ^claircir les id^es existe chez Lise et quelque-
fois il n*est pas mauvais, il ne se confond pas avec une mauie de
recherche ou une rumination sterile ; elle a travaille pendant
quatre jours pour eclaircir une id^e et elle a eu ensuite Tesprit
beaucoup plus clair. On retrouve ces efforts chez Nadia, quand
on I'a forcee a faire une visite a son pere, quand elle a r^ussi a
^couter la conversation, a se surveiller : elle reste ensuite infini-
ment mieux. On les retrouve aussi de la meme maniere chez
Tr... et Vy..., etc.
Bien entendu j'ai cherch^ a tirer parti de ce fait au point de
vue th^rapeutique et au point de vue experimental, j'ai essaye de
forcer ces malades a fixer leur attention sur divers points. Ce
n'est pas facile, car nous avons deja remarqu^ la difficulte, la mo-
bilite de leur attention. Lise ne comprend rienaux raisonnements
philosophiques sur les sujets qui touchent a son idee fixe, niais
on pent fixer son attention sur d*autres points. Une difficult^ cu-
rieuse que Ton rencontre chez elle, c'est qu'elle est tres habituee
a suivre plusieurs id^es a la fois et a ne donner qu^unc petite
partie de son attention; quand on reussit a la fixer tout entiere
pendant quelque temps elle est transform<!>e. « C*est un manque
de vie, que j'ai dans la t^te et quand je suisparvenue a la secouer
un peu je n'ai plus ce besoin bizarre de m'analyser, de me sur-
veiller. » Nadia, Lkb..., etc., m'ont pr^sente les memes heureux
resultatsde ces fixations dePattention. Chose plus curieuse,Ver...
etBei..., qui ont toujours perdu leur personnalite, la retrouvent
quand je les force a faire une extreme attention aux sensations
qu'ils eprouvent. Ver... est tout etonne de constaterque ses mains
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'fiLCVATION DU NIVEAU MENTAL 533
sont bien ses propres .mains. « Je suis change pour quelques
heures en vous quittantet puis cela retombe. »
Cette remarque souleve une difScult^ assez grave : dans un
chapitre precedent nous avons constat^ que beaucoup de ces
malades pr^sentaient le maximum de leurs troubles au moment
de Inattention et qu'ils semblaient beaucoup mieux pendant les
etats de distraction. M. Bernard Leroy a temarque l*opposition
de ces deux faits et m'a deja reproch6 cette contradiction \ je re-
pondrai d'abord que la contradiction appartient aux malades et
non a moi et que je me borne a constater des faits que notre
ignorance fait paraitre contradictoires. Je crois cnsuite que ces
faits peuvent se comprendre.
Dans le premier cas, il y a chez ces malades insuffisance d'at-
tention, les phcnom^nes psychologiques superieurs s*accom-
plissent insuniisamment, il en resulte que le trouble se produit
surtout quand ils essayent d'exercer ces fonctions qui sont in-
suflisantes et que le trouble n'apparait pas quand ils se bornent
aux fonctions inf^rieures qui ne sont pas lesees.
Dans le second cas, on pousse le sujet a retablir momentane-
ment son attention, a augmenter sa tension mentale. Si on y
reussit, il est tout naturel que Ton ne retrouve plus les memes
troubles apportes par une attention defaillante. En un mot, il n'y
a pas de contradiction parce que dans le premier cas on ^tudiait
Tattention malade, et que dans le second on examine Tattention
momentanement gu^rie.
Quoi qu'il en soit il resulte des faits pr^c^dents que les malades
n'arrivent a un etat meilleur, ne sont d^barrasses de leurs senti-
ments anormaux et de leurs obsessions qu'en se maintenant par
des efforts de volont^ et d'attention quelquefois tres conside-
rables. « Je suis bien, dit Gisele, dans Texcitation et je suis mal
dans la detente et il faut que je m'excite tout le temps. 11 faut
que je cherche des travaux difficiles pour me tenir en haleine,
que je sois dans un eflFort perp^tuel. » On devine la conse-
quence, c*est qu'une gu^rison pareille est horriblement fatigante
et que les malades vous repetent : « rien n'est si p^nible que de se
main tenir ainsi perpetuellement tendu. ^) Claire dit qu'elle par-
I. Bernard I.eroy, L'lllusion dc dc^personnalisation. Comptes rendus du IV* Con-
gres de Psychologic de 1900.
u3i THEORIES PATHOGfiMQUES
vient a remonter mais que Tascenslon est trop p^nible et qu*elle
ii'a plus le courage de recommencer.
La plus curieuse a ce point de vue est Lise qui fait des efforts
inouis pour ne pas retomber dans le d^lire, elle me r^petait tou-
jours un mot que je comprenais tr^s mal au debut de ces Etudes :
a Mais cela me fatigue horriblement d'aller bien, je n^y puis plus
tenir ». En fait, elle maigrit visiblement et parait epuis6e dans
ces p^riodes oil tout justement elle est parvenue a supprimer
les obsessions, ou elle n'a plus de rumination, ou elle retrouve
presque compfetement Tunite de Tesprit. C'est que cette ame-
lioration n'est obtenue que par une tension artificielle due a dcs
efforts d*attention extremement penibles.
Pour comprendre ce qui se passe chez ces malades nous pou-
vons nous reporter a ce qui se passe en nous-memes. Quel que
soit le degr6 de la .tension nerveuse avec laquelle nous vivons,
il est certain que nous pouvons momentanement Taugmenter ;
je ne cherche pas ici le m^canisme de ces efforts, mais je constate
seulement que quand nous preparons un examen difficile, quand
nous exposons une th^orie compliqu^e, quand nous luttons
pour faire triompher nos idees dans une reunion, nous faisons
un travail de synthase mentale bien plus considerable que si
nous nous laissons aller mollement au cours de la vie. Chez
nous cette augmentation de tension n'est que momentanee,
parce que notre tension normale ind^pendamment de tout effort
est suffisante pour les perceptions et les actions courantes,
qu'elle nous donne une decision, une certitude, une unite suffi-
santes. Mais chez les psychastheniques la tension normale est
insuflfisante pour les besoins de la vie et les laisse dans Tindeci-
sion, le doute, la division; ils ont besoin de faire perpetuellement
et simplement pour vivre Teflort supplementaire que nous ne
faisons qu'accidentellement. « Pour me bien porter il faut que je
sois perpetuellement comme a la veille d'un concours, c'est im-
possible, laissez-moi retomber. » C'est ainsi que je m'explique
maintenant ce besoin de rechutcs qui me surprenait tant chez
Li^e. 11 en est tout autrement dans les vraies guerisons oil Ton
voit au contraire les malades engraisser, tout en restant sans
obsessions et sans efforts. Mais les observations precedentes nous
montrent que le m^canisme du r^tablissement doit 6tre le meme,
il y a ascension de la tension cerebrale, seulement cette ascension
se fait spontancnient au lieu de se faire par les efforts du sujet.
INFLUENCES QUI DETERMINENT LfiLfiVATlON DU NIVEAU MENTAL :.3o
6. — Influence de C emotion.
Nous arrivons a une autre cause de ces oscillations ascendantes,
bien int^ressante et qui souleve de curieux problemes, ce sont les
sentiments et les Amotions.
II est d*observation banale que T^motion pent relever le niveau
mental et j*ai ete frappe par cette curieuse observation psycholo-
gique (inement d^crite par le romancier anglais Rudyard Ki-
pling*. Son h^ros Kim, apres une grande fatigue, a sentit sans
pouvoir Texprimer par des mots que son ame ne s^engrenait
plus a cc qui Tentourait, roue sans rapport avec aucun meca-
nisme... )>. Apres quelques Amotions heureuses a il se mit a pleu-
rer et il sentit avec un d^clenchement presque imperceptible les
roues de son etre remboit^es de nouveau sur le monde ext^rieur.
Les choses qui un instant auparavant traversaient le globe de ses
yeux sans rien signifier reprirent leurs proportions conve-
nables. Les routes 6taient faites pour y marcher, les maisons pour
y vivre, le betail pour etrc nicn^, le sol pour 6tre cultive et les
hommes et les femmes pour leur parler. lis ^taient tons reels, sur
leurs pieds, parfaitement intelligibles, argile de son argile, ni
plus, ni moins ».
On constate d*abord sans trop d'^tonnement que cerlaines
Amotions particulieres qui sont connues comme agreables et
cxcitantes, que Ton appelait deja sth6niques sans bien com-
prendre pourquoi, puissent produire ce bon efiet et aug-
mcnter momentanement la tension insuflfisante. « Les emotions
excitantes, ruslige, sont des emotions qui font entrer dans la
conscience un quantum de representation reelle plus grand
qu'elle n'en pent ordinairement contenir' ». 11 suflfit quelquefois
a Qsa... d'entendre de la musique et surtout de la musique
militaire pour qu'il ressente un frisson dans tout son corps et
puisse digerer sans phobic. Le plaisir d'avoir achet6 un cheval
le fait digerer parfaitement et sans la moindre emotion un fort
dejeuner. Jean a 6te invito a un diner ou il devait se rcndre en
habit. Inutile de dire avec quelles protestations il a recueilli
cette proposition, quelles terreurs Tont envahi et en presence de
I. Ru(l}ar(l Kipling, Aim, 1901, ch. XV.
a. Ribot. La Psycholoyie allemande conteniporaine, p. 28.
536 THfiORIES PATHOGfiNIQUES
quelles indecisions, de quelles aboulies je me suis trouv<5. Mais,
un peu par curiosity, je me suis entete plus que lui et par tout
Tascendant possible j'ai exig6 qu'il allat a ce diner. Une fois le
premier pas franchi, tout se passa tr^s bien : les dames que
Jean redoutait tellement furent tr^s aimables avec lui et il fut
bien oblige de constater qu'il obtenait autant de succ^s qu'un
autre. Le r^sultat de cette emotion et de cette satisfaction Tut
incroyable : Jean Tut transform^ et pendant plus de quinze jours
il oublia Charlotte, la femme de chambre, les timbres- poste,
les fluides, etc. II en fut ainsi dans la suite a plusieurs reprises,
chaque fois que Ton parvenait a lui faire obtenir quelque petit
succ^s.
Lo... a presents une resurrection de ce genre sous Tinfluence
d'une Amotion heureuse qui a eu malheureusement des suites
lamentables. Cette jeune fille, grande scrupuleuse depuis des
ann^es, aboulique et ^trang^re a la vie au plus haut degr6, fut
vivement recherch^e par un jeune homme. La vanite de se sentir
recherch^e, la joie des fian^ailles produisirent une metamorphose
extraordinaire. Le caractere devint pendant deux mois m^con-
naissable : gaie, active, pratique, cette jeune fille comprit la vie
pour la premiere fois et descendit des nuages. Sa famille fut
stupdfaite de son enthousiasme et du courage avec lequel elle
entreprenait une vie nouvelle. La chute ne fut que plus triste :
apres quelques jours de mariage, fatigue et abaissement de ten-
sion, degoilt de la vie, incertitude de la perception et de la
personnalite, aboulie et rumination, puis obsessions scrupuleuses
et quelques semaines apres une separation inevitable.
Une emotion en particulier semble jouer ce role excitant d'une
maniere remarquable, c'est Temotion genitale. Sans que je puisse
facilement insister sur ce point ni citer des exemples et il est
evident par toutes les confidences que j'ai recues que ce genre
d'excitations quand il reussit est tres souvent la source d'une
amelioration manifeste. Quand ces personnes viennent a une
excitation complete elles retrouvent leur energie et leur unite
mentale. Dans tous les cas de ce genre on pent dire que Temotion
a augmente la tension mentale parce qu'elle etait agreable et
qu*elle etait sthenique, cela n'explique pas grand'chose, mais
beaucoup se dedarent satisfaits.
Les choses sont loin de se presenter toujours ainsi. Dans bien
INFLUENCES QUI DfiTERMINENT L'fiLfiVATION DU NIVEAU MENTAL 537
des caSy j'ai pu observer que le meme eflet absolument heureux
6tait d^termin^ par des Amotions quelconques et meme par des
emotions trisies considerees d'ordinaire comme d^pressives.
Yoici UDc observation qui a toute la valeur d'une experience.
Claire vint un jour me voir dans un ^tat lamentable : elle se
sentait divis^e en une foule de personnes, elle se sentait auto-
mate et cependant mauvaise, elle etait envahie par toutes les
obsessions scrupuleuses et par toutes les hallucinations sacrileges
et obscenes. Je ne parvins pas a fixer son attention, par aucun
moyen je nc pus la faire remonter. Le meme jour, je fus oblige
d'aller voir sa mere qui Tavait accompagn^e a Paris et qui ^tait
malade depuis plusieurs jours d'une affection grippale. Je me
suis trouve en presence d*une femme agee, depuis longtemps
emphys6mateuse au plus haut degr^, ayant un cceur irr^gulier et
qui etait atteinte de broncho-pneumonie. Je ne pus m'empecher
de dire a sa fille que j^^tais inquiet et qu*il fallait prevenir sa
famille d'une maladie trcs s^rieuse. Claire Tut tres impressionnee
de cette nouvelle a laquelle elle ne s'attendait pas. Mais cette
secousse eut un effet inattendu celui de la transformer complete-
ment. II ne Tut plus question du membre viril et des hosties, les
ruminations et les angoisses disparurent comme par enchante-
ment; devant cette Amotion r^elle Tesprit retrouva son unite et
la volonte son energie. Ce fut ^videmment peu durable, mais
pendant plusieurs jours la restauration de Tesprit Tut complete
sous rinfluence d'une Amotion grave et ^videmment p6nible.
J'ai recueilli bien des exemples de ce fait sur la meme malade.
Au moment de la mort de son pere elle a eu une veritable gu^ri-
son pendant trois mois. c< J'avais des chagrins r^els, mais les cha-
grins reels sont beaucoup moins p^nibles que les reproches ima-
ginaires de ma conscience, j*etais plus 6nergique, j*avais plus de
volonte, ce qui m'a etonnee c'est que jamais je n'ai si bien dormi,
calme, sans reves, sans cauchemars. » Frapp6 de ces faits, je lui
ai demands de s'observer sur ce point et voici ce qu'elle m*a
ecrit : (c Depuis que je suis malade, les emotions me font revenir;
au commencement elles me faisaient revenir tout a fait ou presque
tout a fait; quand elles etaient fortes, je me r^veillais comme
d'un reve, je me trouvais absurde et j'esp^rais de nouveau... Je
sentais que je m'engourdissais, que j'avais besoin d'emotion, le
calme me faisait peur, je cherchais les peines, les joies, les peurs
pour me rctrouver heureuse, je faisais des efforts pour que ces
538 THEORIES PATIlOGeMQUES
emotions fussent completes et claires. Une fois I*idee d'un manage
qui me plaisait m'a fait remonter tout d*un coup, une autre fois
la peur d*uD cheval emball6 m*a fait revenir a la realite Tespace
de quelques heures, mais le souvenir m'en est reste longtemps, il
me soutenait et me dirigeait comme une lumiere qui m'indiquait
le chemin a suivre... Plus j'ai ^t^, moins j*ai senti les vraies
Amotions (on sait qu'elle distingue ainsi les emotions reelles en
rapport avec la realite des angoisses pathologiques), je trouvais
que jc n*avais plus de cceur, que j'^tais endurcie, que je n'aimais
plus comme avant. Aussi j*ai faim d'emotions, meme de souf-
frances, encore maintenant quand une Amotion arrive a me secouer
cela me fait remonter mieux que tons les raisonnements. » II est
facile de confirmer ces remarques : la premiere visite qu^elle
vient me faire a son retour, une menace prise au serieux, une
scene violente que je lui fais ont des r^sultats remarquables. Si je
r^ussis a la faire pleurer, ses obsessions s*effacent pendant une
huitainc de jours.
J*ai fait exactement les memes observations sur Lise. Quand
elle a des enfants malades, ou des ennuis serieux, ellc est mieux
pendant plusieurs jours ; sans la connaitre, elle parle exactement
comme Claire et reclame des ennuis pour la faire revenir. II est
n^cessaire de temps en temps de lui faire une sc^ne et surtout de
la menacer serieusement dc Tenfermer comme alienee, cc Decide-
ment, dit-elle, il n'y a que la peur qui me fait marcher. »
Vi. . . n^a plus de scrupules quand son mari est trcs malade. Ges. . .
est gu^rie pour plusieurs jours parson entree a Th^pital. Bjl...,
obs^dee par I'id^e d*epouser son jardinier, pour s'abaisser car
ellese croit indignc de tout, est momentanement guerie quand
on renferme « Temotion m'a remotit^e et rendue plus bardie ».
Jean est transforme par des reproches et meme par des peurs,
comme par la joic de ses petits succes, et Tr... s'am^liore quand
on lui fait une scene violente. Rnfin ce qui semble extraordi-
naire Wo... scrupuleuse obs^dee par les prieres et par les
comptes, a fait naufrage au cours d*unc excursion maritime.
Non seulement elle n'a pas ^t6 troublee par eel accident tr«*s
^mouvant, le navire s'etant echou6 a la cote pendant la nuit,
mais elle s'est montree tres courageuse et elle s*est tres bien
portee moralement pendant tout le mois suivant.
Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples, le fait me parait
suiHsamment etabli : les Amotions, meme les emotions les plus
INFLUENCES QUI DETERMINENT L'fiLfiVATION DU NIVEAU MENTAL 539
p6nib1eSy peuvent determiner chez ces malades des oscillations
ascendantes du niveau mental avec augmentation de la tension
psychologique, retour des phenomenes sup^rieurs et disparition
des 6tats obs^dants.
Ce fait est tr^s remarquable parce qu*il se trouve en contra-
diction complete avec un autre fait capital sur lequel est m^me
fondee la theorie ^motionnelle c'est que les Amotions sontle point
de depart de la maladie. L'^motion^avons-nous constats cent fois,
a determine la chute de la tension et donne naissance aux senti-
ments pathologiques et aux obsessions. Je constate cette contra-
diction, je la regrette car je la trouve plus grave que la contradic-
tion pr^cedente a propos de inattention, mais je ne crois pas
devoir chercher a la dissimuler. La terreur exag^ree de la contra-
diction est la marque d'un esprit de systeme, elle n*a pas de rai-
son d'etre dans de semblables etudes : il est bien entcndu que nos
hypotheses sont tout a fait provisoires et qu'elles ne donnent
qu'une synthese approximative de ces phenomenes encore si
mal connus. Tout ce que nous pouvons leur demander c*est de
mettre un peu d'ordre dans la classification de phenomenes trop
nombreux et trop confus,, il ne Taut pas etre surpris outre mesure
si elles laissent subsister 9a et la quelque incoherence et quelque
contradiction.
Cette diflficultc nous montre que Femotion est un phenomene in-
finiment plus complexe qu'on ne le suppose et dont les elements
ne se presentent pas toujours de la meme facon quand lescircon-
stances varient. II y a evidemment dans Temotion deux groupes de
phenomenes : i^ des phenomenes inferieurs, evocation damages,
reactions viscerales variees, a° il doit y avoir aussi dans Temotion
des phenomenes superieurs, specialisation de Temotion, adapta-
tion exacte de Temotion a la situation reelle et actuelle. Les emo-
tions sont plus basses si la premiere categoric de phenomenes y
predominenty plus elevees dans le cas contraire. Si les emotions
sont tres inferieures, elles provoquent une derivation considera-
ble et un epuisement a la suite duquel la tension nerveuse pent
rester insuifisante. Si au contraire les emotions sont surtout ca-
racterisees par leurs phenomenes superieurs, si elles surviennent
a un moment favorable quand I'esprit n'a besoin que d'une exci-
tation pour s'elever a une tension superieure, on pent s'expliquer
que TeSet d*une emotion soit exactement inverse du precedent.
540 THEORIES PATHOGEMQUES
Voici quelques observations relatives a Wo..., celte malade
dont l*etat mental est releve par un naufrage, qui peuvent non
resoudre le probleme mais mettre sur la voie de certaines recher-
ches utiles. J'ai observe que cette malade, si courageuse en face
du naufrage, succombe devant de tres petites Amotions. Elle avait
achete un piano et I'attendait avec impatience: en traversant Fanti-
chambre, eileest surprise de voir la porte dVntree de Fappartement
grande ouverte et de voir apporter son piano. C*est la une emo-
tion, mais elle semble une emotion legere et plutot une Amotion
agreable, sth^nique. Cependant, cette emotion bouleverse complete-
ment Tesprit de la malade : Wo... n'^prouve pas la joie qu^elle
s'attendait a eprouver, elle est horriblement agitee. II lui semble
qu'clle ne pense pas librement, qu^elle est dominee, qu'elle est
forc^e de faire des voeux, des pactes. L'agitation continue, amene
des crises de manie raentale ; Wo... s*interroge, recherche
minutieusement les pensees qu*elle a cues en voyant entrer le
piano, pour savoir si a ce moment elle a fait des voeux ct des
pactes ; elle devient tout a fait malade pendant quinze jours.
Yoila qui est singulier : une femme qui supporte tres bien
Temotion d'un naufrage au milieu de la nuit, tombe malade
parce qu'on lui apporte un piano qu'elle desirait! Sans pretendre
expliquer les faits, voici les quelques remarques que j'ai pu faire
a ce sujet. Quand le danger est grave soit pour le sujet lui-
meme, par exemple dans le naufrage de Wo..., soit pour une
personne aimee, par exemple dans la maladie de la mere de
Claire, il y a un violent eObrt, determine par les tendances
excitees. Get effort amene Tadaptation, Temotion correcte sans
abaissement mental. Quand la situation est insignifiante, il n'y a
plus cet effort et Temotion prend le caractere inferieur et dange-
reux. Cette premiere remarque nous ramene aux etudes prec<^den-
tes sur rinfluence de Teffort et de Tattention.
Une autre remarque importante m'est suggeree par certaines
attitudes que je retrouve chez Lise et surtout chez Wo... Ces
malades redoutent surtout T^motion rapide et brusque, elles
demandent que Temotion mette un certain temps a se
developpcr pour qu'cllcs aient le temps de s'y adapter. « Je
n*aurais pas et^ malade, repete Wo..., si j'avais vu ou entrevu par
la fenetre la voiture qui apportait le piano, si j^avais pu pr^voir
qu*il arrivait, si j'avais eu quelques instants pour me preparer au
plaisir de le voir arriver... C'est ce que je fais toujours avant toute
INFLUENCES QUI DfiTEUMINENT L'fiLfiVATION DU NIVEAU MENTAL oil
Amotion, quand je suis un pen pr^venue, je me prepare a tel ou
tel sentiment, je me (lis : il faut 6tre calme, ne pas m*embrouiller,
ne pas faire de voeu, penser uniquement a ceci ou a cela... Dans
le naufrage j'ai 6t^ r^veilUe par mon mari qui m'a pr6venue qu'il
se passait quelque chose. J'ai eu le temps de me dire que c'^tait
grave, qu*il ne fallait pas perdre la t^te, et quand je suis mont^e
sur le pont, j'etais preparee et c'etait moi la plus courageuse. »
Tout cela est d'une analyse bien interessante : Ces malades, nous
le savonsy sont des esprits lentSy il leur faut du temps pour la
decision, pour Tattention, pour Temotion reelle, surtout quand
r^venement n'est pas tres grave et tres excitant par les tendances
qu*il reveille. 11 en r^sulte qu'ils adaptent beaucoup moins bien
leurs Amotions aux ev^nements insignifiants et qu'il leur faut alors
un certain temps de preparation entre le signal et Temotion elle-
nieme. Quand ce temps ne leur est pas laisse, lV6motion se produit
d*une mani^re incomplete avec predominance des ph^nomenes
inf(6rieurs et elle am^ne a sa suite une depression.
Telles sont les quelques remarques encore tres incompletes
que Ton pourrait faire pour expliquer Taction si difierente de
r^motion qui est, suivant les circonstances, tantot d^primante,
tantot excitante.
Quoi qu'il en soit de ces explications qui sont peu importantes
et qui montrent simplement la complexity des Amotions et notre
ignorance, les malades connaissent bien cet effet de Temotion et
il en r^sulte chez eux une recherche de F^motion excitante qui
est un trait de leur caractere : « Que voulez-vous, dit Gis^le, je
suis toujours ardente a rechercher ce qui m'enthousiasme ; j'en
ai tant besoin, j'eprouve les impressions d'un coeur qui a faim,
d*un cerveau qui a faim, c'est un besoin intense de sensations,
d'emotions extraordinaires et si je me laisse aller a ce sentiment
(un amour bizarre) cela me fait Timpression du grignoter un peu
pour ne pas mourir de faim. » J'ai rencontr^des jeunes femmes trfes
curieuses sur ce point : Plo... estd'ordinaire assez calme,puissous
rinfluence d'une fatigue quelconque, elle ressent un horribleabaisse-
ment avec degoilit de la vie, impuissance, etat dereve, etc. « Elle
devinc que pour sortir de cet^tat il lui faut une excitation emotive.
Alors malgre elle sa t^te imagine lesaventures les plus baroques,
les expeditions les plus aventureuses et les plus contraires a la pu-
deur commune et elle a des tentationsinouies des*y lancer a corps
-.42 THEORIES PATHOGfiNIQUES
perdu. » C'est ainsi qu'elle a d^ja fait nombre de sottlses qu'elle
regrette ensuite mais qui lui ont fourni sur le moment le remade
a sa depression.
Nous avons vu que par mi les Amotions excitantes une des plus
remarqttable 6tait T^motion g^nitale, aussi ne faut-il pas etre
surpris de h Yoir particuli^rement recherchee dans ces cir-
constances. Quand rexcttation sexuelle r6ussit, la malade est
momentan^mentgu^rie, puis an bout de quelque temps elle cher-
che de nouveau le remede. Bien des pr^tendues excitations
sexuelles chezles psychasth^niques n*ont pas d*autre origine. Si
['excitation sexuelle se montre insuffisante, la malade est d^sap-
point^e et recherche passionn^ment une excitation plus complete.
Loa... et Len..., tout a fait identiques sur ce point, ont une obses-
sion g^nitale qui les pousse a chercher partout cette satisfaction
ideale; un veritable d^lire prend sa racine sur ce fait psychologique.
M. Marro observe que la passion du jeu remplit souvent
un role analogue: a le jeu, dit-il, tient dans le champ de
Tactivite psycho-motrice, la meme place que Talcool dans Talinien-
tation. Le jeu est un exercice hautement emotif qui donne Tillu-
siou de la richesse comme le vin donne Tillusion de la force ^ »
Dans le jeu les efforts d'attention combinent leur influence avec
celle de Temotion pour relever le niveau mental. Aussi observe-
t-on la manie du jeu dans les m6mes conditions que la dipso-
manie ou F^rotomanie.
Dans bieh des cas d'ailleurs il y a unecombinaison de ce genre :
comment comprendre Texcitation favorable que Ton observe chez
Qsa... -quand je Tai pouss6 a m'exposer pendant une heure ses
idees philosophiques et artistiques. L'efTort d'attention, le mou-
vement de la parole se m^le a T^motion assez complexe qu'il
ressent et releve beaucoup son niveau mental. Quand Sim...
quitte son mari « parce qu*il est trop bete, qu*il ne lui apprend
rien d'extraordinaire, qu'il ne fait pas marcher son esprit », quand
elle a besoin d'un amant plus brillant, il y a a la fois excitation
des sens, et excitation morale par Tattention et T^motion. Nous
avons d^jh not^ ce besoin d*excitation morale dans beaucoup de
ces besoins de direction.
Ces nombreuses influences excitantes viennent combiner leur
action avec les influences d^primantes et determiner des mou-
lt Marro, La puherie^ p. a8a.
INFLUENCES QUI DifiTEBMINENT L'fiLfiVATlON DU NIVEAU MENTAL 543
vements tr^s varies du niveau mental. Certains malades oscillent
tres facilement dans les deux sens, comme Gisele (|ui descend^
« parce qu^elle a regards la figure de son mari » et qui « est regrimpee
parce qu'elle a regarde la statue de ^(otre-Dame des Yictoires ».
D'autres restent abaiss^s pendant de longues periodes a la suite
d*une forte depression et remontent leqtement ; il en r^sulte de
grandesvari^t^s que nous aurons a ^tudier a propos de revolution.
On voit d'apres ce resume trop brefrimportance de ces oscil-
lations du niveau mental suivant que la tension psychologique et
nerveuse descend ou monte. Les oscillations, que j'avais autrefois
notees chez les hyst^riques, caract^ris^es par Taugmentation ou
la diminution de leur sensibility, de leur m^moire, de leur vo-
lonte, la disparition ou le retour de leur suggestibilite, de leurs
contractures, de leurs paralysies n^^taient qu'un cas particulier
d'unc loi beaucoup plus g^nerale relative aux variations de la ten-
sion cerebrale et les psychastheniques nous ont appris a mieux
connaitre la hi^rarchie de ces ph^nom^nes, Tordre de leur dis-
parition et de leur r^apparition.
En m6me temps Tetude de ces oscillations si importantes me
semble apporter une confirmation aux hypotheses psychastheni-
ques. 11 me semble bien difiicile de rattacher tons ces faits a Temo-
tivite quand on voit T^motion produire tant d'effets diffe rents.
N'est-il pas vraisemblable que ces oscillations par les sentiments
qu'elles ddterminent, par les derivations qu'elles font naitre
jouent un role capital dans une maladie surtout caracteris^e par le
doute, Toscillation et Tinstabilite.
544 THfiORIES PATHOGftNlQUES
TROISIEME SECTION
Interpretation dbs symptomes
Aprcs avoir chcrch6 a comprendre cette notion a mon avis f(6conde
de la hierarchie des phenomhnes psychologiques, des i^ariations de
la tension psychologique sous di verses influences d^primantes ou
excitantes, il faut maintenant chercher a appliquer ces id6es aux
symptomes de la maladie que nous avons d^crits dans la pre-
miere partie de cet ouvrage. Pour interpreter ces symptomes, je
me pr^occuperai d'abord de leurs caracteres g^n^reux tels qu'ils
ont ete r^sum^s a la fin de chaque chapitre. Puis j'l^tudierai a
part, comme un dernier probleme, la specialisation de ces symp-
tomes leur application particuliere a tel ou tel fait. Ainsi, je me
propose de rechercher d'abord d'une maniere gen^rale pourquoi
les sujets ont des sentiments d'etranget^ et des manies de re-
cherche et ensuite pourquoi ils appliquent ces sentiments et ces
manies a un objet ou a un acte determine.
i. — Interpretation des sentiments d'incomplStude.
Le premier phenomena que nousayons a considerer est consti-
tue par les sentiments bizarres, que nous avons appeles sentiments
d'incompletude, ils sont extremement varies et nombreux et por-
tent sur toutes les fonctions de Tesprit, ils se rattachent evidem-
ment aux insuflisances r^elles qui resultent de ce fait que Tesprit
ne pent plus parvenir aux operations du premier degre.
La difliculte qui est ici plus psychologique que clinique con-
siste a savoir comment le sujet arrive a se rendre compte de
cette insuflfisance et a la traduire par des sentiments. II n'est pas
probable qu'il y ait un fait de conscience, un sentiment directe-
ment en rapport avec le degre de la force nerveuse ; du moins
jusqu'a present les sentiments qu'on a voulu rattacher a remission
INTERPRETATION DES SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE 545
de la force nerveuse, a Teffort interieur n'ont pas 6t^ d^montr^s.
Mais je ne crois pas cependant qu'il faille tout de suite adopter la
th^se de M. James et dire que nousne sentonsque le r^sultat physi-
que de nos efforts, Tinfluence qu'ils out sur nos muscles et sur
nos visceres. Nous sentons aussi les r^sultats psychologiques de
la tension nerveuse, Tunit^ et la complexity de nos etats men-
taux, rimpression de r^alite, de personnalit6 pr^sente, d'unit6,
de liberty, etc. Nous remarquons bien vite que ces id^es et ces
sentiments cessent de se presenter dans les circonstances ou d'or-
dinaire ils survenaient. C'est exactement ce que font nos ma-
lades. Quand Jean vient nous dire : « il me semble que je ne
saisis pas, que je ne m'assimile pas les choses avec la force nor-
male, » je crois qu*il fait simplement une observation psychologi-
que juste. Ces observations quUls font eux-m^mes sur le fonc-
tionnement de leur esprit sont facilities par la disposition que
uous leur avons reconnue a Tintrospection psychologique.
II y a ainsi trois grands phdnomenes qui jouent un r61e dans
la formation des sentiments d'incompl^tude : i® La diminution de
la synthese mentale et par consequent la diminution de la syst^-
matisation, de Tunite des elements r^unis dans le champ de la
conscience. 2® La reduction de la complexity mentale, du nombre
des elements, sensations, images, mouvements, Amotions qui
remplissent dWdinaire la conscience et qui nous donnent le
sentiment de la r^alit^ et du present. 3*^ Le souvenir de la mani^re
dont fonctionnait autrefois notre pens^e, de son unite, de sa
richesse, les comparaisons entre cet 6tat pnss^ et IVtat pre-
sent et les interpretations inevitables qui se melent a ces
comparaisons.
i*^ Un certain nombre de sentiments d'incompletude sont plus
immediatement en rapport avec le premier ph^nom^ne, la dimi-
nution de la synthese mentale. Ce sont par exemple les sentiments
d'incapacite intellectuelle, d'obscurite, d^incoordination, de con-
fusion, et en m^me temps les sentiments de la difliculte de Tacte
volontaire, de la difRculte, de Tattention, de la distraction, de
Tinstabilite.
Bien des sentiments de vague, de myst^re qui vont donner
naissance a des tendances mystiques ou orienter le delire dans un
sens particulier dependent de cette difficulte qu'eprouve le siijet
a unifier ses pens^es, m^me quand leur nombre est reduit. Le
sentiment de dedoublement, de multiplicity, qu'il s'applique aux
LEH OBSESSIONS. I. 35
5i6 TElfiORlES PATUOG£7ilQUES
choses ou quHl s*applique a I'esprit, prend aussi son point de depart
dans la meme faiblesse de syst^matisation.
Je serais dispose a croire que le sentiment si important d*auto-
matisme, d^absence de liberty, de domination se rattache aux
pr^c^dents. Notre sentiment de liberte est surtout un sentiment
d'anit^. L'accord s'est fait entre toutes les tendances de notre
etre, entre les motifs imposes da dehors et les inspirations de
notre caractere toot entier, Taction qui se fait resume en un seul
systeme tons nos ph^nomenes psychologiqnes. C*est pourquoi on
ne constate jamais de plus beaux sentiments de liberte que ceux
des individus suggestionnes dont le champ de conscience est
r6duit sans doute, mais tres uniG^ et rempli completement par
le d^veloppement d*une seule tendance.
Chez les psychasth^niques il n'en est pas ainsi : ils agissent
ou ils parlent, presses par les n^ccssit6s de la vie sans que Tunit^
ait 6t6 faite dans leur esprit, quand il y a encore dans leur
conscience des tendances, des habitudes, des caracteres en oppo-
sition avec Tacte qui s*accomplit. Ils ne parviennent pas a ratta-
cher davantage leur acte a toute leur personne. C*est ce qui se
traduit par le sentiment d^automatisme, de domination, c*est-a-
dire d*action non volontaire, non persounelle, c*est ce qui donne
naissance a ce sentiment de r^volte perp^tuelle, au sentiment
qu'ils ne peuvent jamais accepter une situation donnee, c*est-a-dire
mettre d*accord tout leur caractere, toutes leurs tendances avec
la perception de cette situation.
a^ Si le defaut de synthese compile joue ainsi un role consi-
derable, je crois que le dt^faut de complexite, de richesse mentale
a une importance encore plus grande, car il intervient particulie-
rement dans la perte du sentiment du reel et dans le sentiment
de r^trange, ces deux phenomenes fondamentaux. M. Bergson qui
fondait, comme on Ta vu,Ie sens du reel sur « la conscience d*un
accompagnement moteur bien r^gl^ » interprete naturellement le
sentiment de I'irr^el et de Fetrange par la perte de cette associa-
tion entre la sensation et le mouvement. a Qu'on lise, dit-il, les
descriptions donn^es par certains fous de leur maladie naissante,
on verra qu'ils ^prouvent souvent un sentiment d'^tranget^ ou,
comme ils disent, de « non-realit6 » comme si les choses per^ues
perdaient pour eux de leur relief et de leur solidity. Si nos ana-
lyses sont exactes, le sentiment concret que nous avons de la
INTERPRfiTATION DES SENTIMENTS D'INGOMPLfiTUDE 547
r^alit^ pr^sente consisterait en efTet dans la conscience que nous
prenons des mouvements eflfectifs par lesquels notre organisme
r^pond naturellement aux excitations ; de sorte que la ou ces
relations se d^tendent ou se gatent entre sensations et mouve-
ments, le sens du r^el s'affaiblit ou disparait ^ »
II y a la une grande part de verite, les sujets qui ont le senti-
ment de rirr^el ont peu d'activit^, ils ont peu de disposition a se
servir de i'objet qu'on leur montre.Mais leur sentiment depend-
il uniquement de cette reduction du mouvement ? Remarquons
d'abord que chez eux Tassociation entre Tobjet per^u et le mou-
vement n*est pas completement rompue. Tout en disant que Tobjet
est irrt^el, ils savent encore s*en servir et reconnaissent tres bien
son usage : je n*ai pas vu le sentiment de Tirreel associ^ avec
une veritable excite psychique ni avec une veritable apraxie.
D*autre part, les malaJes atteints de c^cit^ verbale, ou m^me de
excite psychique, qui ont tout a fait perdu la notion des mouve-
ments de la parole en rapport avec le mot ^crit ou des mou-
vements de la main en rapport avec la vue de Fobjet, sodt
loin d'avoir toujours en meme temps le sentiment de Tirrealit^
de Tobjet. Le defaut de mouvement n*est qu^un element dans
le sentiment de Firr^el.
M. W. James semble dispose a dire que le defaut de r^alit^
depend d*une absence d^^motion, d'une indifference en presence
deTobjet per^u*. Cela est encore en partie exact, car TindiOe-
rence de ces sujets est incontestable, mais Tapathie pent etre
complete, chez quelques hyst^riques par exemple sans que ce
sentiment prenne naissance et d'autre part des Amotions infi^rieu-
res comme Tangoisse peuvent accompagner la perception de
certains objets sans les rendre plus reels.
M. Dugas a raison ^galement de faire intervenir la diminution
de la synthese mentale, Texag^ration de Tautomatisme^. Mais ce
n*est pas suffisant, car il est trop Evident que Tirr^el n*est pas la
consequence de tous les ^tats automatiques, meme les plus
complets.
II faut r^unir toutes ces explications et dire que le sentiment
du r^el et du present accompagne un certain degr^ ^lev^ d'acti-
I. Bergson, Matihre et mf moire, 1986, p. 191.
3. W. James, The will to believe, 1897, p. 33 a.
3. Dugas, Revue philosophique, 1S9S, I, 5o6.
5i8 THEORIES PATHOGlgNIQUES
vit^ c^r^brale dans lequel les sensations, les images, les mouve-
ments, les Amotions sont nombreux, complexes et riches. Cette
richesse mentale esttoute relative et il est probable qu*un imbecile
s'est contents toute sa vie d*une pensee peu complexe et peu riche
qui lui suffit pour reconnaitre le present et le r6el. Mais quand
I'esprit a ^t^ accoutum^ a un certain maximum de conscience, il
a appel^ r^el ce maximum et il ne reconnait plus le r^el et le
present quand il ne pent plus atteindre le m^me maximum.
Les ph^nomenes auxquels il parvient alors n'ont pas d'analogue
exact dans une experience pass^e : ils r^unissent des caracteres
contradictoires, ils paraissent ^tre ext^rieurs et ils ne semblent
pas etre r6els, ils ressemblent a des images de la m^moire et
cependant ils n'ont pas le caractere habituel, connu, familier
des souvenirs, ils pr^sentent le d^doublement qui existe dans le
jeu et dans Toeuvre d^art et cependant ils ne sont pas accompa-
gnes par le sentiment de liberty qui d'ordinaire caract^rise le
jeu et rimagination artistique, comme Tavait bien remarqu<^
Schiller ^ Ces caracteres plus ou moins bien analyses par le
malade font qu'au sentiment de I'irreel s*ajoute le sentiment de
Velrange, que Ton trouve presque tou jours associe avcc lui.
II est bien probable que le sentiment du « deja vu » n'est
qu*un sentiment du m^me genre. M. Dugas suppose que le sujet,
(( sentant que les impressions lui ^chappent, les rattache a lui par
un lien imaginaire; n'ayant plus de perceptions il croit avoir des
souvenirs '».Le meme auteur dit ailleurstr^s bien «c'est un recul
dans le pass6 a cause de la perte des caracteres du present, cela
parait fuir et devenir pass6 ^ ». Dans mes cours sur la m^moire j^ai
essay^ de montrer que tout etat complexe implique une partie
d'activite automatique et une partie d'activite de synthase, une
action de ce que j'appelle ici la fonction du reel et du present.
Suivant que dans notre conscience Tun ou Tautre de ces deux
ph^nomenes nous parait pr6dominer, Tetat est class6 par notre
esprit parmi les faits passes ou parmi les faits presents. S'il y a
abaissement de la tension psychologique, diminution de Tactivit^ de
synthese, de la concentration et de la complexity pr^sentes, avec
conservation, et, comme on le verra, developpement de I'automa-
I. K. Groo9, Les jeux des anirnaux, traduct., 190a, p. 338. (Paris, F. Alcan).
a. Dugas, Revue philosophiquey 1898, II, 434-
3. Id., ibid., 1898, I, 5oi-5o7.
INTERPRETATION DES SENTIMENTS D'INCOMPLfiTUDE 549
tisme, I'^tat paraitra ^videmment passe. Quant a le reconnattre, a
le locallser a une ou a plusieurs epoques plus ou moins reculees
du pass^, ce sont des details dus a Tinterpr^tation du sujet.
Ces m^mes sentiments d'irr^el, d'^tranget^, ces sentiments
que le phenomene est par un certain cote un ph^nom^ne de
souvenir sans en avoir cependant tons les caracteres troublent
toutes les operations de I'esprit, ils determinent la g^ne, Tinquie-
tude, ils rendent Taction et Tattention encore plus incompletes
qu'elles n'^taient, la perception encore plus insuflfisante ; ils se
compliquentpar des sentiments perpetuels de doute, d*obscurit<^,
de reve, de d^couragement, d'ind^cision.
Si ces sentiments sont eveilles a propos de la perception exte-
rieure, le sujet les exprimera a sa fa^onsuivant sa puissance d*ob-
servation intime et suivant son education psychologique et it
dira que tout est a dr6le, Strange, nouveau pour lui, qu*il est
tombe dans un autre monde, qu*il est loin des choses, qu^elles
sont devenues petites, qu*il est dans le vide, » etc.
Si ces sentiments s'^veillent a propos de la perception per-
sonnelle, les malades r^p^teront comme Pr... qu'ils se sentent
etrangesy dr6les; c'est la remarque la plus simple que Ton puisse
faire sur un ^tat semblable. D^autres trouvent qu'ils sont faux,
qu'ils jouent la comedie (Claire, Gis^le). Cela correspond assez
bien a la perte de la fonction du r^el qui est Fessentiel.
Le troisi&me fait qui joue un grand role, sinon dans la consti-
tution au moins dans Texpression des sentiments d'incompl6tude,
c'est le souvenir de T^tat d'esprit ant^rieur a la maladie ou de
Tetat d*esprit qui r^apparait de temps en temps dans les instants
clairs dus aux oscillations ascendantes de la tension nerveuse.
Les malades font involontairement une comparaison perpetuelle
entre leur 6tat present et leur ^tat anterieur.
C'est pourquoi beaucoup se disent changes, soutiennent qu'ils
sont devenus une autre personne, (Xyb..., Pot..., To...); il me
semble quails n'ont pas enti^rement tort, car il est certain qu'ils
ne sont plus ce quails 6taient. Enfin, un tr^s grand nombre em-
ploient les mots : « descendre, decadence, » ou parlent de preci-
pice : « j'ai le sentiment de ma decadence, dit Jean, je sens
qu'elle n'est pas de naissance, mais acquise, j'avais une certaine
vivacite d'esprit, tout cela a baisse. Ce que je voudrais lii
pleine possession de moi-meme, de la mesure avec laquelle je
550 THfiORIES PATHOGfiNIQUES
suis n6; je ne puis plus supporter ce voile, ce nuage, tout ce que
vous voudrez qui me s^pare de la r^alit^. »
Un degr^ de plus et les malades vont avoir le sentiment qu*il&
ont perdu leur personne, ou du moins leur personne ancienne,
qu'ils ne sont plus eux-m^mes. Le sentiment de d^personnalisation
n'estpas autre chose qu'une sorte de perception interne du trouble
de la fonction du r<^el. C*est une forme du sentiment dVtran-
get^, d*incomplet, d'irr^el appliqu^ a la personne au lieu d'etre
appliqu6 aux choses. Le malade constate qu'il n*agit plus que
d'une maniere automatique, qu'il r^p^te le passt^ et ne s'adapte
plus au present, il sait vaguement qu'^tre c'est agir, et que ne plus
pouvoir concentrer ses pens^es, ses d^sirs dans une action pr^-
sente, c'est ne plus ^tre une personne. Ces remarques se tradui-
sent en un sentiment de non-existence personnelle, de disparition
de la personnalit^ ancienne.
M. Dugas en arrive egalement a dire que « le processus de la
d^personnalisation c'est Tapathie, la dissolution de Tattention,
la mise en liberty de Tactivit^ automatique * ». Le fait fonda-
mental c'est I'abaissement de la tension psychologique ainsi que
je Tai definie.
Enfin il est bien clair que toutes sortes d'autres ph^nomenes
pen vent se meler avec ces sentiments fondamentaux. De Tagita-
tion ou des manies que nous allons interpreter dans le paragra-
phe suivant s'ajoutent au sentiment d'incompl^tude pour former
I'inqui^tude. Dans des ph6nom6nes complexes comme diverses
hontes, dans le besoin d'etre aim^, d'etre dirig^, dans Fambition
m^me qui n'est que Tinqui^tude jamais satisfaite du present,
dans le mysticisme qui est le d^faut d'apprehension du r6el joint
a une certaine agitation de I'esprit et au besoin de se repattre
de chimeres, I'influence de mille conditions et m^me Tinter-
pr^tation des troubles par le sujet lui-meme devient de plus en
plus considerable.
Quand Vof..., apr^s avoir ete mordue par un chien, vient nous
dire <( je suis humiliee d'avoir ete mordue, c'est comme si cette
morsure n\B\n\t fle trie, je ne suis plus comme les autres, je suis
comme honteuse apr^s cette morsure », il y a un sentiment tr^s
delicat et tres complexe. La verite c'est qu'apres la morsure, il y
a un abaissement de la tension psychologique et diminution des
I. Dugas, Revue philosophique, 1898, I, 5o4.
INTERPRfiTATION DES AGITATIONS FORCfiES 551
fonctions du r^el. La malade s*est sentie changes et diminuee.
Pourquoi complique-t-elle cette premiere impression par les id^es
morales de hoiite, de fl6trissure, d'humiliation. Cela depend
^videmment de la mani^re dont elle sent cet abaissement, de son
ignorance relativement a la faiblesse mentale et a Faboulie, de
son education religieuse et morale, de ses id^es ant^rieures sur
le vice de la parcsse, sur la honte de Tinertie, etc. Le degr^
d'intelligence du sujet joue ici un grand r6le pour determiner
la forme de ces sentiments.
II faut, en effet, une certaine intelligence pour remarquer ces
lacunes du fonctionnement mental ; nous avons deja insiste sur
cette remarque, c'est que les scrupuleux sont des gens intelli-
gcnts. II y a a cela plusieurs raisons : en voici une en rapport
avec le probleme actuel, un individu d'esprit lourd, ayant peu
de m^moire et peu de comparaison, ne remarquera pas beaucoup
que son esprit a perdu la fonction du rdel, qu'il a moins de
volonte libre ou moins d*unit6.
II y aura chez lui simple abaissement mental, aboulie pure qui
sera plus remarqu^e par les autres que par lui-m6me. Nous
avons recueilli de tres nombrcuses observations de ces abouli-
ques indifr^rents a leur etat. Au contraireun esprit intelligent com-
pare son 6tat actuel avec son 6tat passe et remarque les differences.
Mais il les remarquera dans tel ou tel sens suivant sa situation,
son education ou ses besoins : celui qui est pr^occup^ de Taction
parcequ*il doit gagner sa vie, se faire une carriere, va remarquer
son indecision volontaire, sa faiblesse et il parlera d*incapacite, de
domination, celui qui agit peu mais qui s'interesse aux lectures,
aux spectacles, va remarquer davantage les troubles de sa per-
ception et dira qu'il trouve tout etrange. Le caractere anterieur
va jouer aussi un grand role et determinera chez Tun des senti-
ments de colore et de r^volte et chez Tautre des sentiments d*in-
quietude et de honte. Deja dans la formation de ces sentiments il
y a de Tinterpretation qui commence et qui dirige Tesprit du ma-
lade dans un sens determine.
2. — Interpretation des agitations torcies.
En remontant la serie des phenomenes psychologiques que
552 THlgORlES PATH0G£:MQUES
nous avoDs analyses nous nous trouvons maintenant en presence
de ce grand groupe des agitations forcees qui contient les agita-
tions motrices de diverses esp^ces, les crises d'angoisse et les
ruminations mentales. C'est une partie essentielle de la maladie :
pouvons-nous chercher a la rattacher a nos theories psychas-
th^niques ?
I . — Les carac teres des agitations forcees.
En etudiant les crises d*agitation plus ou moins irresistible
nous sommes parvenus aux conclusions sulvantes que jeme borne
a rappeler, la demonstration en ayant ete donn^e dans le troi-
si^me chapitre.
Dans un grand nombre de cas, les crises commencent toujours
a Toccasion d'une action volontaire. C'est le debut d'un acte ou
le desir d*accomplir un acte qui amene des agitations et des
angoisses. Tout un groupe de phobies, celles qui ont ete desi-
gnees d'une faQon assez defectueuse sous le nom de phobies du
contact ne sont en somme que des phobies d'actes ; beaucoup de
dysesthesies egalement ne sont que des phobies determindes par
les fonctions, les actes du corps. Nous avions egalement remar-
que que ces accidents ont seulement pour point de depart des
actions volontaires que le sujet voulait accomplir avec attention.
Les agitations, les angoisses, les ruminations, comme nous
Tavons vu, commencent aussi dans d'autres circonstances, a pro-
pos des idees quand le sujet essayait de les examiner avec
attention et d'arriver a leur egard a une solution nette, affirmative
ou negative : en un mot quand il se proposait un probleme de
croyance ou de certitude.
Enfin nous avions remarque avec inter^t comme unphenomene
fort curieux que la recherche ou le desir d'une emotion nette, en
rapport avec la situation presente, etait bien souvent le debut
d'une crise.
Une dcuxieme remarque nous avait montre que ces phenomenes
initiaux commences par le sujet : action volontaire, attention,
croyance, emotion reelle, n'aboutissaient pas. Dans les cas les
plus simples, ces phenomenes n'existaient en aucune maniere.
L'acte ne se faisait pas, le sujet ne parvenait ni a la croyance, nia
la negation, Temotion restait indistincte et ne parvenait ni a cette
acuite de douleur, ni a cette fleur de plaisir qui achevc Tacte.
INTERPRfiTATION DES AGITATIONS FORCfiES 55?
Dans d'autres cas molns nets, les ph6nomenes semblaient se pre-
duire au moins pour un t^moin ext^rieur, mais ils ne satisfai-
saient pas Tcsprit du sujet, ils lui semblaient insuflisants, impar-
fails, incomplets de toute maniere.
Ces sentiments d'incompl^tude nous sont maintenant connus,
nous savons qu*ils correspondent a quelque chose de vrai. Le
ph^nom^ne n'a pas ^te termine, il n'a ni la complexity, ni Tunit^,.
ni Tadaptation au r^el qu*il devrait avoir. Nous voyons mainte-
nant au d^but des crises une manifestation remarquable de cette
disparition des fonctions psychologiques sup^rieures qui, a notre
avis, caracterise la maladie tout entiere.
Troisi^me remarque : a I'occasion de ces ph^nomenes superieurs
qui ne s^accomplissent pas ou qui s'accomplissent d*une maniere
insuffisante se d^veloppe brusquement dans Tesprit une tout
autre categoric d*op^rations : tantot ce sont des mouvements
varies, des tics, des efforts, des crises d'agitation ; tant6t ce sont
des troubles visc^raux, des palpitations, des suffocations, de&
angoisses; tantot il s*agit d'op^rations intellectuelles intermi-
nables et extremement varices que nous avons r^sum^es sous le
nom de rumination mentale. Toutes ces operations qui se substi-
tuaient ainsi aux premieres nous ont paru des operations sans
port^e, incoordonnees, vagues et pu^riles, dignes d'un age antd-
rieur et quelquefois m^me d'une ^poque historique anterieure,
en un mot, des phenomenes d^un ordre plus ^I^mentaire.
En ajoutant a cette observation sur le peu de valeur des ope-
rations secondaires les etudes que nous venons de faire sur la
hierarchic des phenomenes psychologiques, nous remarquons
facilement que toutes ces operations occupent un des rangs infe-
rieurs du tableau : les ruminations mentales rentrent toutes dans
ce groupe des operations qui portent sur des images ou sur des
abstractions, il n'occupe que le troisieme rang bien au-dessous
de la fonction du reel ou m^me des operations desinteressees,
les angoisses et les tics rentrent dans les quatri^mes et cin-
quiemes groupes, ceux des emotions et des mouvements inadap-
tes au present.
En appliquant les notions auxquelles nous sommes parvenus
par I'etude des hypotheses precedentes, on pent done dire en
resume que dans ces crises le sujet a balsse de plusieurs degres,
et qu*un groupe de phenomenes inferieurs s'est substitue aux
phenomenes superieurs qui ne pouvaient plus s'accomplir.
551 THEORIES PATHOG^NIQUES
2. — Uhypothbse de la derwation psychologique.
Malheureusement les choses me paraissent un peu plus com*
pliqu^es et me forcent a admettre une hypothese nouvelle ou du
moins k d^velopper les pr^c^dentes. Non seulement le sujet met
une operation inferieure a la place de la sup^rieure, mais cette
operation inferieure prend un d^veloppement exorbitant qui nous
^tonne et qui paratt en disproportion avec le point de depart. Le
sujet voulait faire volontairement une action simple qui, chez un
homme normal, aurait 6t^ termin^e en quelques minutes, il vou-
lait obtenir une solution negative ou positive sur un petit probleme
qui demandait quelques instants de reflexion, il commen^ait une
Amotion de plaisir, une Amotion artistique, ou meme un sentiment
de frayeur qui, vu les circonstances, n'aurait 6t^ ni bien intense
ni bien prolong^e : et voici qu'a la place de ces ph^nom^nes
simples se developpent des agitations enormes, des ruminations
durant des heures, des angoisses avec troubles respiratoires et
cardiaques qui paraissent tres graves. II y a en apparence une
disproportion telle que Ton a quelque peine a comprendre que
le second ph^nomenc ne soit que le substitut du premier.
On pent cependant comprendre ce passage de difTerentes ma-
nitres. On pent d'abord remarquer un fait tres vrai, c'est que
rinsuflisance psychologique du d^but est penible et qu'elle deter-
mine un certain genre de soufTrance difficile a supporter. Cette
souffrance serait la raison d'etre des efforts infructueux du sujet
et de son agitation. « Yous ne pouvez pas vous figurer, dit Lise,
comme cet engourdissement qui m^emp^che d*arriver a une Amo-
tion est penible. » « Cela finit par ^tre horrible, dit KI..., de ne
pas savoir si oui ou non on croit quelque chose. » II y a aussi
le sentiment qu^on est b^te, ridicule et cela agace continuelle-
ment. « L'^motion, comme la lumi^re, dit Claire, ne va jamais
jusqu'a moi, c'est exasp^rant ii la fin. On a tort de se moquer de
moi, en disant que je cherche la perfection... Je n'ai pas cherch^
a me perfectionner, a etre mieux qu'avant, j'ai cherch6 a re-
prendre ce qui s'cn allait, voila tout ; j'ai cherche a combler le
vide que je sentais, j'ai cherch6 a me retenir parce que j'avais
un horrible sentiment de tomber. )> En un mot si les malades se
livrent a des agitations si considerables, c'est parce que la lacuna
INTERPRETATION DES AGITATIONS FORCfiES 565
d^termin^e par la suppression du ph^nomene sup^rleur est dou-
loureuse et qu'ils cherchent tout naturellement meme par des
efforts et des agitations prolong^es a se debarrasser d'une souf-
f ranee.
On pourrait aussi appliquer a cette souffrance une remarque
int^ressante et juste faite par M. Dumas, c*est que, dans certains
€as, la douteur est excitante ^ Le m^lancolique simplement
d6prim^, sans souffrance morale, pr^sente dans tons ses ph^no-
menes phvsiologiques et psychologiques un abaissement conside-
rable ; le m^lancolique en apparence plus malade, qui souffre et
qui delire se montre benucoup moins d^prim^. II y a chez le
second une excitation determin6e par la souffrance ellem^me.
Dans ce cas void comment on pourrait se repr^senter les choses :
le scrupuleux, 6tant avant tout un psychasth^nique qui ne pent
s*6lever a la fonction du reel, a de temps en temps a propos
d'actes volontaires ou de croyances des insufiisances psycholo-
giques. Celles-ci determinent des sentiments d^incompl^tude et
une douleur qui est excitante, qui amene dans Tesprit ou dans
les visc^res tout ce travail considerable de la rumination ou de
I'angoisse.
Ces explications ne me paraissent pas suffisantes pour tons les
cas; il ne me semble pas que Tinsuflisance du premier phenomene
soit toujours sentie assez douloureusement pour determiner soit
d'une maniere presque volontaire soit d*une mani^re automatique
toute Tagitation consecutive.
II faut completer notre premiere hypothese sur TinsufTisance de
tension et la suppression des phenom^nes superieurs par un»
notion qui s*y rattache tout naturellement, celle de la deriifation.
Quand une force primitivement destinee a etre depensee pour Xn
production d'un certain phenomene reste inutilisee parce que ce
phenomene est devenu impossible, il se produit des derivations
c*est-a-dire que cette force se depense en produisant d^autres
phenom^nes non prevus et inutiles.
Des allusions a des operations de ce genre ont deja souvent
ete faites par les psychologues. Cabanis considerait deja <c la
sensibilite comme une espece de fluide, si elle ne pent s'ecouler
d'un cote, disait-il, elle s'ecoule d*un autre... Les travaux et les
I. G. DiimaB, La trisiesst ct la joie, 1900, p. 37, 96. 367. (Paris, F. Alcan).
556 THEORIES PATHOGfiNIQUES
exercices du corps font une diversion et la reflexion ne pent pas
naftre * ».
Spencer explique de cette fagon les expressions de la physio-
nomie qui se produisent au cours de certaines Amotions. L*exci-
tation incompletement utilis^e dans la production des ph^no-
menes de conscience se d^pense en determinant la contraction
de petits muscles peu resistants*. Le rire est le r6sultat d'une
derivation de la force nerveuse vers les muscles \es plus faibles
qui se meuvent le plus habituellement. Cette derivation a lieu
parce que T^motion commencee se trouve en contradiction avec
la situation donn^e et qu'elle ne pent pas continuer a se d6ve-
lopper. 11 y a un surplus d'excitation qui doit ^'^couler ; la d^-
charge se produit par le canal qu^elle trouve ouvert et produit
le rire. L'irrascibilite, dit encore Spencer, se produit par suite
d*une inactivity relative des elements sup^rieurs, la decharge se
fait d'une maniere soudaine par des plexus inferieurs qui ajustent
la conduite aux impressions p^nibles'.
Dumont explique d*une maniere analogue les caracteres de la
deception : « Quand nous attendons un evenement, dit-il, un
ensemble d'idees et de tendances sont en eveil, la deception
supprirae brusquement leur emploi, les forces inemployees se
depensent en luttes et en tristesses^. » Je crois que Ton pourraii
completer la remarque trfes juste de Dumont par une etude ana-
logue sur les phenomenes de Tattente. Pendant Tattente tout un
ensemble de forces est mis en mouvement, est prepare, elles
trouveront leur emploi quand le signal sera donne par Tevene-
ment, mais en Tattendant elles restent sans emploi. On observe
alors toutes sortes de phenomenes d'agitation motrice ou mentale
et meme d'excitation viscerale qui cessent d^s que Fattente est
terminee. Voici un fait que j'ai observe bien souvent et que Ton
pent Hicilement verifier. Des jeunes gens sont reunis pour un
concours et attendent que Ton dicte le sujet de la composition.
L^attente du sujet du travail les tient dans une agitation extreme :
ils ne peuvent tenir en place, ils ont une foule de pensees, d(>
craintes, d'angoisses, ils ont des besoins frequents d'uriner par
1. Cabanis, Rapports de physique et de morale IV, p. 3i.
2. 11. Spencer, Essais sur le rire. Gf. Th. Ribot, La psychologie anglaise contem-
poraine, p. 3o3. (Paris, F. Alcan).
3. H. Spencer, Principes de psychologies l, p. 362. (Paris. F. Alcan).
^. Dumont, Theorie scientijique de la sensibilite, 1877, p. 1^8. (Paris, F. Alcan).
IXTERPRfiTATION DES AGITATIONS FORCEES 657
contraction de la vessie et meme des crises de diarrh^e. Le sujet
dict6, tout se calme; car, le barrage ^tant lev^, les forces prepa-
rees se depensent librement dans le travail attendu. Les deriva-
tions sont ici tres nettes et tres demonstratives.
M. Ribot se rattache a ces id^es quand il dit a que des lois ge-
ncrales president a la repartition de Tactivite nerveusc dans les
diffi^rents points du systeme nerveux comme des lois m^caniques
gouvernent la circulation du sang dans le systeme vasculaire* ».
Dans son ^tude sur la puberty, M. Marro donne plusieurs
exemples de derivations de ce genre « les premieres manifesta-
tions de la douleur annoncent que la reaction psychique est en
defaut, k la reaction dans la vie de relation se substitue la reac-
tion organique seule, qui, par la suite, pourra se resoudre en
simples actions physiques ou chimiques'».
Mantegazza en d6crivant des sujets en proie au d^sespoir qui
se mordent, s'arrachent les cheveux, se frappent la t^te contre les
niurs, suppose que Tindividu s'impose volontairement ces souf-
frdnces pour substituer a la douleur morale une douleur artifi-
cielle qui serve de derivatif. Une jeune fiUe decrite par M. Tis-
sie avait remarque qu'une vive douleur physique lui etait n^ces-
sairea pour depenser le trop-plein de la force nerveuse», elles'etait
brilile deux fois la poitrine avec un fer rouge et elle avait entretenu
les plaies en cachette : « par la douleur violente, disait-elle, elle
arrivait a faire diffuser la trop grande puissance nerveuse^». En
un mot cette notion de la derivation est assez commune dans les
etudes psychologiques : quand on voit une femme sans enfants
soigner avec devouement un chien ou un perroquet on est tout
dispose a dire qu'il s'agit la d*une derivation de Tamour maternel.
Je suis dispose a croire que Ton devrait faire un plus grand
usage de cette notion trfes juste et tres importante.
Plusieurs auteurs ont essaye d'appliquer cette notion de la
derivation a la pathologic mentale. M. H. Jackson fait observer
que dans la psychiatric on se preoccupe d'ordinaire des pheno-
m^nes negatifs, c'est-a-dire des operations supprimees par la
maladie^mais que Ton ne tient pas assez compte des phenomenes
I. Th. Ribot, Les maladies de la volonle, p. 19. (Paris, F. Alcan).
a. Marro, La pubertct p. 4i8.
3. Mantegazza, Physiologic de la douleur, p. 219, cf. G. Dumas, La tristesse et
la joie, p. 339.
4. Tissic, Revue scieniifique, 1896, II, p. 645.
558 THlilORIES PATH0G£N1QUES
positiis, des opi^rations qui restent possibles, lesquelles peuvcnt
tr^s bien ^tre exager^es par la suppression des premieres \
M. E. Wright, en^tudiantt'el^ment physiologique de T^motion
exag^r^e, dit que ces reflexes visc^raux sont secondaires, et
sont une simple derivation des forces c^r^brales mal employees.
Hack-Tuke indique une remarque du meme genre a propos-
des reveries. Si, dit-il, on est occupe a un travail monotone et
facile, menuiserie ou jardinage, qui ne demande que peu d'atteu-
tion et de travail mental et si cependant par inexperience on fait
a ce moment un grand effort d'attention, il en r^sulte une exci-
tation de Tattention et une alimentation insuffisante. Cette
situation am^ne r^guli^rement une foule de reveries qui se repro-
duisent ind^finiment ^
Enfin M. Freud semble faire un emploi tres int^ressant de
cette notion pour expliquer les ph^nomenes de Tangoisse. D'apr^s.
lui Tangoisse aurait toujours pour origiue des ph^nom^nes-
d'excitation g6nitale. Cette excitation devrait normalement se
ddpenser dans I'ex^cution de Tacte sp^cifique, si par abstinence,
par suite du co'it imparfait, ou pour d*autres causes cette exci-
tation n'arrive pas a son terme elle s^^coule en suivant d'autres
voies et donne lieu a des reactions visc^rnles pathologiques qui
determinent Tangoisse.
Je pense depuis longtemps qu'il est necessaire de comprendre
d'une maniere plus large le riMe de ces ph^nomenes de derivation
dans la pathologic mentale.
D*abord la derivation ne donne pas uniquement naissance a
des phenomenes visceraux et h de Tangoisse comme le pensent
quelques-uns des auteurs precedents. Elle pent prendre diverses
directions suivant les predispositions individuelles et les circon-
stances, elle peut etre musculaire et determiner des agitations ou
des mouvements plus ou moins systematises, elle peut etre visce*
rale et determiner des excitations de Tappareil circulatoire^
de Tappareil respiratoire ou meme de Tappareil intestinal ou vesi-
cal, elle peut etre aussi cerebrale et determiner des phenomenes
intellectuels de diverses sortes, pourvu que ces phenomenes
restent d'ordre elementaire, restent des phenomenes de basse
1. H. Jackson, Od imperative ideas. Brain, iSgS, p. 3i8.
a. Cf. G. Mercier, Brain, 1896, p. Sag.
INTERPRfiTATION DES AGITATIONS FORCfiES 55d
tension, des images automatiquement associees, des idees
abstraites, des raisonnements, etc.
Ce quMI est le plus important de bien comprendre, c'est
Torigine de la derivation. Je ne puis admettre que Torigine de la
force qui va ddriver provienne uniquement de Texcitation g^ni-
tale inassouvie. Cela arrive sans doute dans certains cas et j'ai
montr^ des malades qui ont des crises de rumination parce
qu'elles sont incapables de parvenir a I'emotion g^nitale complete.
Mais nous avqns observ^x le meme fait apres des Amotions artis-
tiques, des Amotions de chagrin, de peur, etc., qui ne parvenaient
pas non plus a leur terme, nous Tavons vu egalement apr^s des
efforts d'attention ou de croyance, apr^s des tentatives d'actes,
surtout quand ces efforts et ces tentatives n'aboutissaient pas. En
un mot, la derivation pent se produire toutes les fois qu'un phe-
nomene superieur de haute tension a commence a se produire, et
qu'il est arrete dans son d^veloppement par cet abaissement du
niveau mental qui rend impossibles les ph6nomenes de haute
tension.
Cette conception permet de resoudre la diflficulte qui nous avait
arretes dans Tinterpretation des crises d'agitation forcee. Com-
ment se fait-il, demandions-nous, qu'au phenomene initial sup-
prime, qui semblait un phenomena unique et assez petit, se
substitue une quantite ^norme d^autres ph^nomenes secondaires
qui se prolongent pendant longtemps ?
Je crois que Ton pourrait repondre par un d^veloppement de
notre hypoth^se relative a la hi^rarchie psychologique et aux de-
gr^s de tension des phenom^nes. Quand un phenomene psycho-
logique est tres superieur a un autre, la tension qu'il exige pour
se produire pourrait Hre suffisante, si on Temployait autrement,
pour produire cent fois le phenomene inf^Heur. Un courant electri-
que de no Volts est necessaire pour allumer une lampe^Iectrique
et il produit ainsi une lumi^re qui ne nous parait avoir rien d'ex-
cessif. Mais si on appliquait le meme courant a des sonnettes, il en
ferait marcher des quantit^s et produirait un vacarme. Si on lui
faisait traverser des fils m^talliques r^sistants, il les ferait rougir
et pourrait determiner un incendie. Une quantity donn^e d'^nergie
calorique doit etre port^e a 1800*, c'est-a-dire a un degr^ eleve de
tension pour fondre une quantite minime de platine, si cette
meme quantity d'^nergie n*arrive qu'a la tension de 4oo®, die ne
pourra plus fondre un milligramme de platine, mais elle pourra
160 TIlfiOKIES PATllOGKNIOUES
facilement fondre des kilogrammes de plomb. Nous sommes ame-
nes a admettre de meme que lu tension psychologique inemploy^e
pour les phenomenes superieurs qu'elle ne peut plus produire sc
<lepense en ph^nom^nes inferleurs, et qu*elle donne alors nais-
sance a une veritable explosion de phenomenes infiniment nom-
breux et puissants, mais toujours inf^rieurs dans la hi^rarehie.
Eh bien, c*est cette conception de la derivation ainsi entendue
•que nous devons appliquer a I'lnterpr^tation des crises d'agita-
tion motrice, d'angoisse ou de rumination mentale. L'examen de
quelques faits nouveaux nous montrera que cette interpretation
resume d'une maniere commode un certain nombre de caracteres
<Ie ces crises.
3. — La derwation dans les agitations et les angoisses.
On a d6ja vu bien des exemples de la fagon dont les efforts
•d'attention amenaient des agitations motrices et des tics. La timi-
dity, par exemple, c'est-a-dire Taboulie sociale, Timpuissance
pour accomplir completement les actes les plus complexes qui
sont les actes sociaux, ne determine pas uniquement des phe-
nomenes emotionnels, mais elle donne aussi naissance a des
<Iecharges motrices. . X... a la figure parfaitement ca^lme quand
il est seul et il parle correctement ; s*il vient me voir et s'il veut
me demander quelque chose, il a une agitation invraisemblable
de tout le corps et particuli^rement de la figure et il b^gaye
faorriblement. La derivation est chez lui motrice et il ne ressent
pas d^angoisse, c'est en se placant a ce point de vue que M. Scholz
^ pu ranger la timidite dans Tordre des emotions impuIsivesV'
On trouvera des faits de ce genre dans tous les tics, danstoutes
les agitations motrices qui surviennent, comme on I'a vu, a la
^uite d^un effort de volonte ou d'attention. Une preuve interes-
sante du role que joue la derivation dans ces phenomenes secon-
daires, c'est leur disparition quand on supprime Teffort pour ac-
•complir le phenomene primaire. Ho... a des tics quand elle va a
recole et fait attention ou essaye de faire attention a la le^on ;
elle a beaucoup moins de tics les jours de vacances. Claire avail
des crises d^agitation enorme avant chaque repas parce qu*elle
€ssayait de faire une priere avec attention et avec foi. Elle est
I. Scholz, Revue de I'hypnoUsine, 1892, p. 7.
INTERPRfiTATION DES AGITATIONS FORCfiES 56»
prise de decouragement en voyant : « que la lumiere s*eloigne de
plus en plus et que d^cidement elle ne pent plus prendre la pen-
see de prier ». Elle renonce a cette priere a van! le repas, et elle
n^a plus de crises d'agitation a ce moment.
II vaut mieux insister sur la formation de Tangoisse qui a pris
dans ces etudes une grande importance. L*angoisse comprend,
comme on Ta vu, deux cat<§gories de ph^nomenes, des sentiments
intellectuels qui tous se rattachent au groupe des sentiments
d*incompUtude, sentiment de decadence, de chute, de folic, de
mort. Ces sentiments sont en rapport avec Tabaissement vrai du
niveau mental, c*est le sentiment de la psycholepsie elle-m6me.
lis accompagnent Tincapacit^ ou est reellement le sujet d'accom-
plir les phenomcnes superieurs de haute tension. En r^alit^ Tan-
goiss6 n*a pas fait les actes ni les efforts d*attention, il n'a pas
eprouv6 les Amotions que commandaient les circonstances, il en
etait incapable et c^est cette incapacity, en rapport avec tout un
abaissement de Tesprit qu'il sent d*une fagon aigue.
En deuxieme lieu Tangoisse contient des sensations de troubles
organiques, ceux-ci nous apparaissent comme le resultat d'une
decharge interessant les appareils des fonctions organiques. Cette
dd*charge est en rapport avec une fuite du courant inutilis^ par les
ph6nomenes superieurs.
Des fuites de ce genre sont nombreuses : un exemple bien
frappant nous est donne par Texcitation g^nitale et la mastur-
bation. Chez Fy..., chez Claire et chez plusieurs autres, TefFort
pour vouloir et pour penser amene une masturbation. C'est un
tort, a mon avis, que d'accuser le sujet et de dire « la mastur-
bation est venue empecher son travail ». C'est la renverser les
termes : en r^alite c*est parce que le travail ne pouvait pas sc
faire que la masturbation se produit comme une decharge de
Texcitation inutilement accumulee. Chez Rk..., le phenomene
est bien plus saisissant encore car il n'y a aucun mouvement que
|*on puisse accuser d'etre volontaire. II essaye d'appliquer son
esprit il un probleme de math^matique, il lui semble quMl va
comprendre, mais il ne r^ussit pas et il fait un plus grand effort
d*attention. A ce moment une erection se produit sans aucun con-
sentement de sa part, suivie d'une ejaculation : c*est ici une deri-
vation visc^rale absolument pure.
La decharge pent se faire sur d'autres organes d'une maniere
LES OBSE9SIO?(S. I. 36
662 THEORIES PATHOGfiNIQUES
aussi nette. On a vu plusieurs de ces malades qui ne peuvent
accomplir le coi't d'une fa^on normale et qui se plaignent de
n*arriver qu*a des Amotions incompletes. Yoici comment plusieurs
expliquent leur m^saventure : u Ce qui m^empeche d'avoir des
rapports normaux avec ma femme, me dit un homme de 3o ans,
c'est que, au moment oil le desir grandit, il me prend un violent
besoin d'uriner. Je ne puis y rdsister et naturellement tout est
change. » Len... commence a ^tre excitee, mais tout d'un coup
elle a un besoin irresistible d'aller k la selle au moment oil elle
approchait de T^motion complete. Ici encore c'est renverser les
termes que d'expliquer Tarret du coi't par Texcitation v6sicale ou
intestinale ; Timpuissance a terminer une Amotion forte et precise
est Tessentiel, cette im puissance caract^risait d^ja toute la con-
duite du malade, les derivations sont Taccessoire.
Quand la decharge se fait sur la poitrine, sur le diaphragme,
sur le cceur, elle produit Tangoisse vulgaire. On pent en trouver
des exemples interessants en considerant encore une fois le fait
si remarquable de la timidite. II y a a mon avis un malentendu
dans rinterpr6tation des phenom^nes de la timidity. On note
a ce propos, comme le remarque tres bien M. Hartenberg,
une transformation de la conduite : le timide prend des atti-
tudes factices, il devient bourru, hautain, agressif meme \ les
sentiments eux-memes sont arret^s, metamorphoses. « J^ai, dit
Marie Bashkirtseff, des pudeurs qu'on ne s^expliquera peut-etre
pas, je ne voudrais pas qu^on me surprit aimant, admirant
quelque chose, enfin j*ai honte d'etre surprise manifestant
un sentiment sincere, je ne puis m'expliquer cela. » On attribue
toujours ces arrets, ces metamorphoses a Temotion d'intimi-
dation, on les consid^re comme des resultats des palpitations,
des etouffements, etc. Pourquoi ne pas admettre que ces phe-
nomenes d'arret psychique sont tout naturels au moment ou le
phenomene devient infiniment plus difficile a cause de la pre-
sence des temoins. Avoir une emotion sincere devant dix per-
sonnes est un acte difierent, bien plus difficile que celui d*avoir
la meme emotion quand on est seul. 11 est plus complexe, demande
une plus grande puissance de synthese, une plus haute tension
psychologique. II suffit d'admettre que Tindividu, pour une raison
anterieure quelconque, est deja un psychasthenique, et on com-
I . Ilaftenberg, Lrs timides et la timidite, p. 89.
INTERPRfiTATION DES AGITATIONS FORCfiES 563
prendra qu'il ne puisse pas parvenir a cet acte, a cette Amotion
sup^rieure. C'est alors que les diverses angoisses interviendront
comme de simples ph^nom^nes de derivation.
Enfin nous retrouverons ce m^canisme de Tangoisse dans les
accidents determines par Teffort d'attention. M. Sante de Sanctis
sous ce titre : a un trouble special de Tattention chez un deg^n^re )>,
fait la remarque suivante : « Loin de rendre la perception plus
distincte, Tattention rendait la perception obscure, confuse, jetait
le chaos dans Tesprit du sujet et amenait une grande angoisse*. »
Cette observation sur Teffort d*attention qui am^ne Tangoisse
pent se r^p^ter presque experimentalement sur une dizaine de
nos malades. Mais chez tons, on observera les deux faits suivants :
I** L*angoisse ne se d^veloppe que si I'attention est impuissante
et n'arrive a constituer aucune id^e ni aucune croyance ; 2® si en
aidant, en encourageant le sujet on le pousse a d6passerce point,
si on r^ussit a fixer son attention, a la rendre capable de perce-
voir le r^el, Tangoisse disparait : elle n^etait qu'une derivation
en rapport avec TinsudGsance des phenomenes sup^rieurs.
Les emotions ont un effet analogue : Dob... parle exactement
comme Lise, sauf qu'il s'agit chez elle d'excitations viscerales et
non de travail mental inferieur : « c'est toujours a propos d'une
petite emotion, dit-elle,que Tangoisse devient enorme. Cette petite
emotion devrait etre le plaisir d*une rencontre, une surprise, une
frayeur meme. Mais non, mon emotion ne se developpe pas ; car
tout de suite j'etouffe, mon coeur bat, mes jambes flageollent, je
sens ma tete s'egarer et je suis prise par cette terreur de devenir
folle, qui est toujours suspendue au-dessus de moi comme une
epee de Damocles. » On repeterait les m^mes observations chez
UI..., chez qui tout effort et toute emotion se transforment en
angoisse et chez beaucoup d^autres dont nous avons cite des
exemples.
J'ai insiste sur cette interpretation de Tangoisse et j'ai ajoute
de nouveaux exemples de ces transformations des phenomenes
psychologiques superieurs en angoisses a tousceux que j'avais deja
cites, car je considere cette question comme tres interessante en
psychiatric. On fait jouer un role considerable a Vemotwite ; mais
on ne parait pas se rendre bien compte de ce qu^est Temotivite.
I. Sante de Sanctis, BoUetino della Soc. lanclana degli Ospedali di Roma, XVI,
1897, p. 2.
56i THfiOBIES PATH0G£!«1QLES
li ne Taut pas se borner a en faire one exageration de remotion
normale. Car il en resolterait que les emotifs ont une soperio-
riii sor les individos bieo ^quillbr^s, qu*ils sont capables de plus
de finesse etde d^licatesse dans les sentiments. Or cela n*estpas
exact, rindividu consider^ au point de vae pathologique comme
on emotif n'a pas une sensibilite morale plus delicate, il a ao
contraire des Amotions inferieures et plus grossieres. Ce qui le
caract^rise, c*est qu*il est un faible, un insuflisant, non seule-
ment au point de vue de la volonte et de Tattention mais sou-
vent m^me au point de vue de la sensibilite morale, de Temotion
elle-meme. L'emotivit^ n*est cbez lui qu'une disposition a rem-
placer les phenomenes sup^rieurs par de grossieres excitations
visc^rales.
4. — La denization dans la rumination mentale.
Les memes observations peuvent ^tre faites a propos de la
rumination mentale qui n^est qu'une derivation vers des pheno-
menes mentaux d'ordre inferieur. L*essentiel de la rumination
mentale, c'est ce developpement de pensees sans valeur r^elle,
sans rapport a Taction, sans certitude, en relation avec le passe,
Tavenir ou Timaginaire et non avec le present. Ces pensees, ^tran-
geres a notre personne, a notre present, a noire action, sembleut
n'avoir aucune liberte, etre imposees du dehors. Elles ont done
tons les caracteres des ph^nom^nes inferieurs de basse tension.
Cette agitation mentale qui remplace « Tattention a la vie »
me parait d'une grande importance : son ^tude permettra de
comprendre bien des phenomenes qui excitent a tort Tadmiration.
On a beaucoup parle r^cemment de la pretendue excitation men-
tale des mourants^ de leur vue panoramiquedu passe et on en a
cherche bien des explications. Sans pouvoir insister ici sur ce
point, je signale en passant cette hypothese simple : cette pre-
tendue excitation ne survient-elle pas au moment oil par le choc,
par Tasphyxie, la conscience est tres abaiss^e, au moment ou les
efforts r6els pour se sauver sont impuissants et supprim^s et ne
pourrait-elle pas etre un fait analogue au mentisme, a la rumina-
tion, c'est-a-dire une derivation de Tactivile mentale dont la ten-
sion est abaissee vers des phenomenes tres inferieurs ?
1. Eggcr. Revue phihsophifjue , i896. I, p. 28.
INTERPRETATION DES AGITATIONS FORCfiES o65
C*est surtout dans Tetude de nos malades que Tagitation nien-
nle se pr^sente comme une simple derivation. Nous le const vv-
tons encore chez les timides: pourquol done M. Hartenberg^ n'ad-
met-il pas de timidity intellectuelle? « II faut, dit-il, qu*il y ait
toujours dans la timidity une Amotion objective organique. » Ce
n*est point mon avis : Tessentiel de la timidite, ce n*est pas la forme
de la reaction consecutive a la suppression de Facte, c'est Taboulie
f;ociale, c*est-a-dire la suppression ou la reduction de Tacte quand
il doit etre accompli devant des hommes, et il y a des timides a
derivation intellectuelle. « Je veux etre bonne, dit Nadia, je veux
etre aimable, etre polie, et je ne peux pas. Je pense toujours
aux consequences, c'est ce qui me paralyse : il me prend des
envies de r^ver, de me plaindre vaguement du destin toujours
oontre moi; je me mets h rechercher si j*ai ete polie la dernifere
fois avec cette personne. Et en revant a toutcela, je reste aujour-
d^hui devant elle sans rien dire, glacde, paralys^e et tres impolie. )>
La meme personne joue tr^s bien du piano quand elle est seule,
mais elle ne peut jouer devant quelqu'un (c parce que son esprit
est distrait de la musique par le souvenir d'une foule de ser-
ments et de proraesses ». Mw... nepeut pas monter a bicyclette
s'il y a quelqu*un d'etranger avec elle « parce qu'elle est obligee
de faire des serments a chaque arbre, a chaque poteau telegra-
phique qu'elle traverse ». On retrouve dans ces paroles la m^me
interpretation fausse deja signalee : c'est Facte reel qui n'est pas
accompli, dans sa plenitude etc'est la rumination qui vientensuite
comme derivation.
II en est de m^me si on examine les efforts d^attention. Jean est
au travail et essaye de s'interesser a ce qu'il lit, il fait effort, il se
tend pour ainsi dire, il est probable que la tension de son sys-
t^me nerveux augmente, il va comprendre et apprendre quelque
chose, c*est a ce moment qu'il se produit une fuite et que les
evocations psychiques, le fou rire cerebral, les conjurations con-
tre le mauvais sort se dechainent d'une maniere irresistible.
« C'est drole, dit Red..., depuis quelque temps je ne peux
plus faire attention et mes idees n'ont aucune suite. Je ne suis
tranquille que si je ne cherche pas a faire attention. A Teglise
j'essaye de prier avec attention et confiance, et voici que ma foi
s'ebranle. Je me demande s'il est vrai que Dieu voit tout ce que
I. Harlcnbcrg, Les timides et la timidity, p. i8i.
566 THEORIES PATH0G£NIQUES
je fais ; je me demandc pourquoi les descendants d'Adam et d*£lve
ont une nature si diff(6rente de celle de leurs premiers parents ?
Pourquoi d^gen^rons-nous puisque nos premiers parents 6taient
bons ? Que sera-ce alors dans les temps futurs? Pourquoi Dieu nous
a-t-il rendus responsables des fautes d*Adam et d'£)ve ? J'ai Tim-
pression que je tombe dans le fatalisme, qu*un destin pese sur
moi et m'emp^che de penser comme je le veux. Et moiqui voulais
simplement faire une petite priere et me sentir confiante ! » On
a remarqud avec raison qu*il y a dans ces ph^nomenes une exag6-
ration de Tassociation par contraste^ Mais Texag^ration de cette
association est d^ja une marque d*activit^ mentale inf(§rieure qui
se substitue a une activity de tension plus ^lev^e.
Enfin je rappelle seulement ce qui a d^ja ^t6 longuement
d6montr6, c'est que Pemotion qui s'arrete se transforme en rumi-
nation. Lise raconte tr^s bien comment toute Amotion, un ennui ou
meme un plaisir, determine ses rechutes. « Cela commence par
une petite Amotion, on dirait qu'elle va grandir mais tout d*un
coup elle s'arrete, elle ne va pas jusqu^a moi, ii me semble qu'elle
disparalt et je reste plong^e dans mes id^es. » C'est cette m6me
malade qui, dans les douleurs de Paccouchementy ne trouvait
qu^une seule chose de terrible, les interminables id6es que ces
douleurs am^nent avec elles.
Pour montrer que dans ces cas, la rumination mentale est la
consequence de Parrot des ph^nom^nes primaires, attention ou
Amotion r^elle, il faudrait r^peter les m6mes arguments que pr^-
c^demment. Cette rumination ne survient que si le ph^nom^ne
primaire s'arr^teetonpeuttoujours constater avant qu*elle ne sur-
vienne des signes decetarr^t. Nous avonsmontr^ que le sentiment
de « d^javu » est un signe de cette absence de r^alit^ dans la per-
ception, on a souvent note que ce sentiment est suivi par de Pagita-
tion mentale : « Pendant un moment, dit M. Lalande, j'ai eu Pim-
pression que j'avais d^ja vu tout cela et il se produisit dans mon
esprit un tel tourbillon de souvenirs et d'images que je crus
devenir fou '. » On note toujours ce tourbillon de pens^es a la
suite des doutes, des sentiments de depersonnalisation ^
Au contraire, si le ph^nom^ne primaire arrive a se d^velopper,
I. Paulban, L'activiU mentale et les Elements de Vesprit, p. 34a (Paris, F. Alcan).
a. Bernard Leroy, U illusion de fausse reconnaissance, p. ia6. (Paris, F. Alcan).
3. Dugas, Revue philosophique, 1898, I, p. 5o6.
INTERPRETATION DES AGITATIONS FORGfiES 567
il n*y a pas de rumination. Vk... ne peut agir que lentement, si
on veut la presser, elle n'agit pas et tombe dans les ruminations,
si elle peut agir lentement, elle fera Facte et ne revera pas du
tout. On a deja vu que Wo... tombe dans les manies mentales si
Temotion est subite et par consequent incomplMe et qu'elle n'y
tombe pas si elle a le temps de preparer et par consequent <( de
r^ussir son Amotion ».
Enfin, on est souvent frappe de la facilite avec laquelle un de
ces phenomeues secondaires se transforme en un autre, tandis
quHl est impossible de les supprimer tons a la fois tant que le
sujet reste psychasthenique. Si on emp^che le sujet de ruminer
ou s'il essaye lui-mdme de ne plus s'interroger, il tumbe dans
Tangoisse conime s'il y avait la une excitation qui devait se
d^penser d'une mani^re ou d^une autre. Claire remarque elle-
memle qu'elle a cc un besoin fou de se tourmenter par une manie
quelconque, je me demande quel tourment je pourrai bien
prendre, je suis trop g^n^e quand je reste tranquille ». Red...
avait des angoisses et des vomissements, et c*est quand ces ph6-
nomenes ont ete supprimes qu'elle a pris ses manies de ru-
mination mentale. L'observation la plus remarquable a ce propos
a laquelle je renvoie est^celle de Ku... A la suite d'une Amotion
elle tombe dans Tetat psychasthenique avec aboulie, troubles
de la perception du r^el, apathie, etc. Pendant une premiere
periode de plusieurs mois, elle est tourment^e par des inter-
rogations et son esprit travaille tout le temps, puis survient
une seconde periode de plus d'un an sans rumination men-
tale, mais avec des contorsions continuelles et des crises
d*agitation que Ton prend bien a tort pour des crises d^hyst^rie.
Enfin elle passe a une troisieme forme de la maladie quand elle
n'a plus de crises convulsives, mais des troubles cardiaques, res-
piratoires, digestifs, une tr^mulation continuelle du diaphragme
et d^horribles angoisses. N'est-ce pas la meme maladie qui a
amene la derivation sous les trois formes ?
Je crois done que Ton peut considerer ces crises d*agitations
forcees non seulement comme une sorte de reaction du sujet
contre la douleur produite par Tinsuffisance psychologique du
debut, mais comme une derivation dans laquelle se depensent les
forces qui n*ont pu etre employees par la volonte, Tattention ou
remotion initiale.
Ces crises sont done vraiment caracterisees par Tabaissement,
568 THEORIES PATHOGfiNIQUES
la chute cle la tention psychologique qui constitue leur debut.
Non seulement cette chute de tension determine la lacune ini-
tiale si iniportante, mais elle amene encore tout le d^veloppe-
ment irresistible consecutif; elles meritent bien le nom de crises
de psycholepsie.
3. — Interpretation des troubles systimatiais.
Quelle que soit Timportance qu*on accorde a ces grands ph6no-
menes g^neraux qui remplissent les crises de psycholepsie, les
sentiments d'iucompletude, et les agitations forcees, il est Evi-
dent que Tinterpr^tation de ces faits nous laisse assez loin de
Tobs^de et du phobique, tel qu*il se pr^sente le plus couramment
quand la maladic est avancee.
Les ph^nomenes precedents ont le grand caractere d'etre
vagues et difTus, ce sont des affaiblissements de toute la pensee,
une faiblesse gen^rale de la volonte et des sentiments, des mou-
vements exageres et desordonn^s, des reveries continues et in-
nombrables, des Amotions de tout Torganisme. Or, en pratique
un tres grand norabre de sujets protestent quand on interprete
ainsi leur maladie « ils ne sont pas, disent-ils, incapables de
toute volonte, ils savent agir dans beaucoup de cas et actuelle-
ment encore ils exercent une profession et dirigent leur menage,
ils n'ont pas dans leurs crises des agitations physiques ou morales
diffuses. C'est une certaine action qui leur est devenue impos-
sible, un certain mouvement qui se transforme en tic, une cer-
taine operation mentale qui les tourmente par sa repetition, un
certain objet qui provoque leurs angoisses et rien que lui. » En un
mot a la forme diffuse de la maladie se surajoute la forme precise
et systematique. Bien des auteurs sentent parfailement que la
forme systematisee sort de la forme diffuse. MM. Pitres et
Regis ont beaucoup insiste sur ce point, mais la plupart se
bornent a constater la transformation et cherchent gufere a Tex-
pliquer.
Dans cette systematisattion de la maladie il y a deux aspects
et deux formes differentes a consid^rer. Ce qui se precise
d'abord c'est le ph^nomene primaire, point de depart de la crise
de psycholepsie. Ce ne sont plus tous les actes, mais un acte
INTERPRfiTATION DES TROUBLES SYSTfiMATlSfiS 560
d^termin^y qui est insuffisant et amene la derivation ; c'est une
certaine attention, une certaine croyance, un sentiment parti-
culier qui s'arretent plutot que les autres. Nous designerons cc
fait sous le nom de specialisation des insuffisances psycholof^iques,
Ensuite quand la derivation commence elle prend une forme
determinee, une manie mentale particuliere se substitue a la ru-
mination generate, un tic a Tagitation motrice, une phobie a Tan-
^oisse diffuse, c'est ce que nous appellerons la systematisalion de
la derivation.
1. — La specialisation des insuffisances psychologiques.
Etudions d'abord le premier fait : comment se fait-il quand la
volonte, Tattention, la sensibilite baissent d^une mani^re gene-
rale, qu'un certain acte soit le seul a manifester cet abaisse-
mcnt? Je r^pondrai d'une mani^re gdn^rale que c*est tout
simplement parce que cet acte est par nature ou qu*il est devenu
par accident le plus diflScile de la vie du malade.
Pour le comprendre, il faut se souvenir d'une notion gen^rale
aussi importante que celle de la hidrarchie des phenom^nes, c'est
que toutes les actions ne pr^sentent pas toujours la meme diffi-
culte et n^exigent pas toutes pour etre suflfisantes le m^me degre
de tension. L'homme n'a pas besoin de depenser toujours son
maximum d'effort, il n'est pas necessaire qu'il atteigne perpe-
tuellement les termes les plus elev^s de la hierarchic mentale,
meme quand il est capable de le faire. Ce que nous avons dit
de Tacte proprement volontaire, de la decision, de la croyance,
du sentiment profond adapte au reel est vrai de certains actes
parfaits et non pas de tons. Nous agissons tres souvent sans avoir
besoin de prendre a chaque instant des resolutions volontaires,
des decisions nouvelles qui transforment notre vie; nous pensons
sans avoir besoin de choisir a chaque instant entre des croyances
et des negations. 11 en est ainsi meme pour la perception du red :
il ne faudrait pas croire que ce travail considerable, tel qu'il a ete
decrit, s'effectue a chaque instant dfes que nous ouvrons les yeux.
II se fait de temps en temps et il nous laisse un souvenir sufR-
sant pour que Timpression de realtte subsiste malgre une per-
ception reduite a des traits essentiels. On Ta dit bien souvent,
nous percevons par symbole : un signe, une image nous sufGsent
pour reconnaitre une personne et il nous suffit de savoir vague-
570 THEORIES PATH0G£N1QUES
meot qu*avec un peu d*atteiitioii oous amenerions cette percep-
tion a un degr6 complet de certitude et de r6alit^. Cette simple
id^e nous suflSt pour nous rassurer et nous faire attribuer a toute
la perception le caract^re de rdalit^. En un mot ce n'est que
dans certains phenomenes que se manifeste cette tension psy»
chologique complete qui est parfaitement inutile dans les autres.
II en resulte une consequence curieuse, c'est qu^un individii
pent ^tre psychasthenique tres longtemps sans s*en douter : il
n'ani^ne pas les phenomenes a leur dernier terme, mais comme il
n*en a pas besoin, il ne cherche pas a le faire et ne se rend pa&
compte qu'il a perdu ce pouvoir. A quel moment va-t-il s'aperce-
voir de cet abaissement du niveau mental ? Quand les circons-
tances vont le mettre en presence d'un ph^nomene qui exige
cette tension sup^rieure; il est done tout naturel que le sentiment
d*incompletude ne survienne qu*a propos d'actes determines.
Quels sont ces actes ? Ceux qui par nature sont les plus difBciles
pour leshommesy et il faut mettre au premier rang, ainsi que je le
repete sans cesse, les actes sociaux, ceux qui supposent la consi-
deration des hommes presents etde leur sentiment a notre egard.
Cette preoccupation des sentiments que les autres hommes peu-
vent avoir a notre egard ajoute toute suite a Facte que nous
faisons une complication enorme et demande une tension ner-
veuse inGniment plus considerable; c'est pourquoi la timidite
qui n*est que de Faboulie sociale, Tintimidation qui n'est qu'une
derivation emotionnelle a la suite de cette aboulie sociale vont etre
les premiers phenomenes que Ton va rencontrer. Nous avons vu
dans des cas tr^s nombreux que tons les accidents ne commen-
caient qu'en presence de la societe. La peur de la rongeur, la
honte des moustaches, la honte des mouvements du corps, les
sentiments varies de honte a propos du corps, des mains, des
pieds, de la poitrine, desboutons surle nez, de la figure, des con-
vulsions des yeux, tous ces troubles innombrables que nous avons
enumeres ne commeucent qu'a Toccasion d'actes sociaux ; toutes
ces personnes, quand elles sont seules, ne presentent plus aucun
de ces accidents.
Dans certains cas, la difference entre les actes se precise
admirablement : Dev... joue tres bien de son instrument quand
il est seul dans sa chambre et il cesse de pouvoir en jouer quand
il fait partie de Torchestre de I'Opera. On appelle cela la phobie
deTorchestre, c*est d^abordTaboulie de Torchestre. Bien des mala-
INTERPRETATION UES TROUBLES SYSTfiMATISfiS 571
des commeNadia,Cui...,nepeuYeDt plus manger a tableyinats man*^
geot en cachette. On a ete tres surpris de voir Vr . . . , cette femme cou-
cheesur son lit depuis un an ii cause d\ine pretendue douleur a
Tut^ruSy se lever en cachette et marcher dans sa chambre quand elle
croyait qu'on ne la voyait pas. Ces faits font toujours accuser les
malades de simulation, ils me paraissent pourtant bien simples :
jouer a Torchestre, manger avec les autres, c'est surmonter une
foule de genes, c'est n^gliger les sentiments qu'inspirent les
regards braqu^s sur nous, c'est reconnaitre nettement et r^elle-
ment que Ton s*est tromp6 en refusant de jouer ou de manger
depuis six mois. Se lever de son lit et marcher devant des
t^moins, c'est avouerouvertement que Ton n*aaucunemaladie, que
Ton pent prendre une decision demandee depuis longtemps, c'est
en fait se r^soudre a prendre cette decision. Au contraire, pour
jouer seul, manger et marcher en cachette, on pent beaucoup plus
rester dans Tind^cision, on se dit a soi-meme quecesquelques bou-
ch^es et ces quelques pas ne signifient pas grand'chose, on les
accomplit avec beaucoup moins d'attention en leur donnant beau-
coup moins d'importance, c'est-a-dire beaucoup moins de r^a-
lit6 ; c*est pourquoi quand la tension psychologique est abaiss^e
on pent encore faire Facte seul ou en cachette et on ne pent plus
le faire devant des t^moins.
Parmi nos diflr<6rentes actions, celles qui sont aussi tres diffici-
les sont celles qui impliquent Tisolement, Tabandon loin de nos
protecteurs naturels et surtout celles qui impliquent la lutte
contre nos semblables. Faire une action au milieu d'intimes, de
parents et d'amis que Ton sait tout disposes a la sympathie et a
rindulgence, en qui on est certain de trouver, le cas t^cheant, un
point d'appui est infiniment plus facile que de faire le mdme acte
au milieu d^indi£ferents et a plus forte raison au milieu de con-
currents hostiles. La surveillance de nous-mdmes, la complexity
de Tacte, le degv6 de tension est absolument difTerent. Or, il y a
a ce propos une distinction tout a fait inevitable dans la vie des
hommes, c'est Topposition de la vie en famille, chez soi, dans
Tappartement clos dont on connait tons les coins et de la vie au
dehors, en public dans la rue. Un individu tres bien portant,
dont la force psychologique d^passe de beaucoup la tension exi-
g^e par les actes difficiles ne s'apergoit pas de cette difference :
marcher dans sa chambre, fumer une cigarette dans sa chambre,
o72 TlieORlES PATIlOGfiNIQUES
ou bien marcher dans la rue et fumer dans la rue, lui parait abso-
lument equivalent; il ne sent m^me pas qu'il v aunpeu plus d*at-
tention, de perception d'objets nouveaux, de surveillance de soi-
m^me dansle deuxieme acte que dans le premier. Mais nos debi-
les vont lesentir tout de suite : Wya... nepeut plus fumer quand
il est dans la rue, quoiqu*il n^ait pas d'obsession a ce sujet, cela
le gene tout simplement. La rue est en eflfet, depuis Torigine de
Thumanit^, le lieu, le symbole dc Tisolement et de la lutte,
c'est la vie publique oppos^e a la vie priv^e. Serons-nous surpris
alors de voir que les actes, les attentions, les sentiments dans la
rue vont ^tre le point de depart de beaucoup dc g^andes crises de
psycholepsie.
Les uns vont etre frappes par le sentiment de Tisolement :
c'est ce qui fait qu'ils veulent dans la rue un soutien quelconque,
qu*ils suivent un passant pour traverser les places, qu'il leur faut
avec eux un enfant, un chien ou simplement un parapluie. Les
autres vont avoir le sentiment de la lutte : c^est dans la rue qu'on
les regarde, qu*on les surveille, qu*on les critique et ils consenti-
ront a marcher la nuit et non le jour. D'autres encore auront le
sentiment des dangers de la rue, c*est dans la rue qu^on est
expose a toutes sortes d'accidents qui n'arrivent pas chez soi :
W..., Lf... (92) par exemple, ont peur des voitures, des gens qui
tombent du haut d'une echelle, des sergents de ville qui arr6-
tent si on fait des sottises, etc. Quand on observe le debut des
agoraphobics, on voit tres bien cette specialisation progressive
des insuffisanccs. Dob... (86) est une enfant timide, qui avait
horreur de parler a quelqu'un : au debut c'etait une timidite
generate, une aboulie sociale. Son premier acces est survenu a
Tage de onze ans quand sa mfere Ta envoy^e faire une commis-
sion dans une boutique : elle croyait sV trouver seule avec la
patronne, elle y a rencontre une autre cliente, de la « cette Amo-
tion qui lui a dess^che le cerveau, » le sentiment d'abaissement,
d'^trangete, d'angoisse morale, etc. Plus tard Taccident est sur-
venu, quand elle croisait dans la rue une personne unpen connue;
et enfin il survient simplement par la rue elle-meme. C'estTabou-
lie sociale qui est le point de depart de ces diflerentes formes
d'agoraphobie.
Si nous continuous cette ^tude, nous rencontrons un acte
extr^mcment difficile a tons les points de vue, c'est le
IXTERPRfiTATION DES TROUBLES SYSTfiMATISfiS 573
manage et les actes genitaux. Tout se mele ici pour faire de ce
ph^nomene uuedes actions les plus complexes: nouveautepresque
toujourstres grande de la persoiine qu*on Spouse, complexity des
visagesetdescaracteresd'une famillenouvelle, gravity deTacteetde
ses consequences, preoccupation de Tavenir, etc. , etc. Les personnes
les plus normales eprouventace moment des sentiments d^efibrt et
de tension. Est-il surprenant que nos aboultques manifestent a
ce moment d^une mani^re remarqunble leur faiblesse. On ne pent
enum^rer tons lescas oil les crises de folie du doute, d'angoisse,
d'agitation commencent avant ou apres le mariage. On connait l|f
malade qui se demande st sa fiancee est jolie, si elle n'a pas dans la
figure un trait dur auquel il ne pourra pas s'habituer, la jeune
(ille qui a la manie de s'interroger pour savoir si elle aime assez
son fianc^, ceux qui ont des terreurs en songcant aux devoirs
de la famille, qui se croient incapables de les remplir, ceux qui
craignent de n'avoir aucune rcssource, les jeunes gens et les
jeunes Giles qui examinent leurs organes genitaux^ qui les croient
insuflisants, les impuissants, les femmes a vaginisme, etc. : c'est
toute une legion de psychasth^niques qui sp^cialisent leur insuf-
fisance a Facte du mariage.
On ne sera pas surpris si je rapproche Facte genital des
actes sociaux. II exige pour etre normal la presence d'une
autre personne, d*une personne differente, il fait naitre des
g^nes et des timidit^s, il est fortement emotionnant, il est dan-
gereux par ses consequences, il est represents comme immoral :
c'estassezpour qu'ildevienne extr^mement complexe, etqu'il exige
a ce moment une forte tension vers le reel. Cette tension est encore
plus marquee dans Torgasme venerien, Tune des plus fortes
emotions du present.
II en rSsulte que les troubles de Facte genital vont 6tre
innombrables chez ces abouliques : la masturbation solitaire n*est
peut-etre qu'une premiere forme des aboulies sociales. L'im-
puissance a Facte genital normal, la chastetS excessive a un
age avance chez des individus qui semblent se conduire nor-
malement est deja quclquefois un signe de psychasthenic.
M. Guyon signalait le debut tardif des rapports genitaux chez
tons les rateuf's. Nous ne serons pas surpris de voir se developper
toutes sortes de phobies et d'algies par rapport aux organes
sexuels associSes avec un acte qui est si souvent incomplet. Les
hyperesthSsies du gland chez Jean, la terreur des odeurs g^ni-
574 THEORIES PATHOGfiNIQUES
tales chez Wy..., la phobie des femmes, etc., tout ce groupe de
ph^nomenes a le meme point de depart. Si I'acte s'accomplit tant
bien que mal, il ne va pas jusqu'a son terme psychologique, le
sujet en g^tnit et nous avons toutes les manies de perfection par
rapport au coit qui troublent tant de femmes et qui am^nent
meme des idees de persecution contre le mari. II y a dans tons
ces faits une specialisation tres naturelle de la psychasthenic
Si nous passons a un autre groupe nous allons retrouver les
oremes remarques a propos d^actions toutes differentes, des actions
professionnelleSy en y comprenant bien entendu les attentions et
les sentiments qu'exige la profession. II y a encore a ce point de
vue un prejuge forme par Topinion commune des gens bien por-
tants, c'est que la profession est la partie banale^ habituelle,
facile de la vie et que la volonte se depense bien plus en dehors ;
cela n'est juste que dans les cas exceptionnels. L'homme du
commun depense les neuf dixi^mes de sa force dans sa profession.
Quand il est en dehors il ne fait plus aucune espece d'effort et il
est curieux de remarquer comment il n'apprend plus rien,
ne cherche plus rien , comme il repute les m^mes plaisanteries banales
en se laissant aller visiblement a un veritable automatisme, des
qu*il a cesse le travail exige par son metier. C'est dans
sa profession aucontrairequ'ilest actif, attentif^qu'ila des emotions
Justes, qu'il lutte contre les concurrents, qu'ils'adapte au present.
II en resulte que dans tous les affaiblissements de Tesprit c*est Facte
professionnel qui est le plus difHcile pour la plupart des hommes et
c'est celui qui disparait le premier. Nous avons vu bien desabou-
liesprofessionnelles,amener par derivation desphobies profession-
nelles, aboulie de la couture et peur des ciseaux chez Nem. . . coutu-
riere, aboulie du metier et peur du rasoir chez Pt..., barbier,
aboulie du metier et phobie du telegraphe chez Lch..., employe
des postes. C*est aussi dans le metier que nous avons vu les
manies mentales en quelque sorte professionnelles, Taboulie du
metier et la manie de Toscillation chez Tr... qui fabrique des
fleursen porcelaine, Tincapacite de tenir des comptes et la manie
de I'hesitation pour rendre de Targent chez Rob..., caissiere;
c'est la qu'on a vu egalement des tics comme derivation de
I'aboulie professionnelle. Le plus important de tous est la
crampe des ecrivains : Cr..., homme de 44 ans, « est degoilte de
travailler au bureau, il voudraitetre riche pour ne rien faire. » Si,
INTERPRETATION DES TROUBLES SYSTfiMATISfiS 575
par-dessus le march^, il a un ennui au bureau, il ne peut plus du
tout ^crire. An..., ferame de 35 ans, n'a plus le courage de se
mettre a ses copies, « ce travail lui parait ridicule et honteux »: c*est
Tinsuffisance et le sentiment d'incompl6tude. Bile s'aper^oit
qu'elle ne peut plus tenir sa plume et qu'elle a des crampes dans
la main : c^est la derivation sous forme motrice. Ajoutons chez
Lov... des ph^nom^nes de timidity car il peut 6crirequand il est
seul et non quand il est a la caisse, devant le public et nous ver-
rons cpmment la profession est dans bien cas la raison d'etre
de cette specialisation des insutlisances, simplement parce que
c*est elle qui demande le plus de tension psychologique vers la
r^alite.
Aux phenomenes du groupe precedent que Ton peut d'ailleurs faci-
lement augmenter, il faut joindredesactes, des attentions et des
sentiments tout h fait diff^rents. Leur difficult^ n'est pas natu-
relle, elle ne r^sulte pas d'une complexity fondamentale des cho-
ses ; mais leur idifficult6 est en quelquesorte artificielle, elle r6sulte
du sujet lui-meme et de la fa^on dont il veut que cet acte soit op^r^.
Nous pouvons, en effet, commc jeTai dit, accomplirles actions de
diverses mani^res, soit d*une fagon el6mentaire sous la forme des
actions desinteress6es et par consequent avec peu de tension,
soit en faisant un effort pour les mener a la perfection psycho-
logique a la fonction du r^el, et par suite avec une haute tensioa«
Une operation qui esttres facile, accomplie de la premiere mani^re
pent devenir extrememeut difficile, si nous voulons absolument
la faire de la seconde. Un enfant recite ses prieres sans aucune
difficulte, il se peut meme qu'en raison de Teducation, il y joigne
un certain sentiment religieux sans le chercher d'ailleurs;
mais se represente-t-on combien cette priere deviendrait difficile
s*il voulait Taccomplir avec un sentiment de foi complete, une
conviction a la fois raisonnee et sentimentale de Texi^tence de
Dieu, de sa providence, etc. Ce serait toute une philosophic,
toute une religion, qu'il faudrait condenser dans son esprit en
quelques instants.
S'il en est ainsi, on comprend que la specialisation de rinsufii-
sance psychologique pourra se faire d*une mani^re en quelque
sorte artificielle, si pour une raison quelconque le sujet faible est
amene a vouloir transformer un certain acte qui se faisait facile-
ment d'une maniere elementaire et a vouloir le faire avec
576 THEORIES PATHOG^NIQUES
le maximum de perfection psychologique. Cela va arriver.
quand le sujet va Hre convaincu de Timportance exceptionnelle
de cet acte. Comment se fait-il que les trois quarts de nos ma-
lades aient debute par une crise de scrupule religieux au moment
de la premiere communion ? Qu'il y ait a ce moment un afiaiblis-
sement de Torganisme par la puberty, c*est possible ; mais
pourquoi Taboulie nc se manifeste-t-elle si souvent que par Tim-
puissance a accomplir les actes religieux ? Pourquoi ces enfants^
continuent-ils a pouvoir travailler, lire, apprendre, d^une maniere
a peu pres convenable, quand ils pretendent ne plus ^tre capa-
bles de suivre la messe ou de dire une priere ? C*est qu*en
r^alit^ ils ont toujours ires peu d'attention, que, s'ils vou-
laient bien le remarquer, ils n'arrivent ni a la conviction, ni au
sentiment du r^el dans aucune operation. Mais cela leur est in-
diflerent, ils ne remarquent meme pas que leur perception est
troubl^e, parcequ'ils se contentent du souvenir des anciens senti-
ments de r^alite qu'fls avaient eus autrefois ; ils ne cherchent le
sentiment actuel de confiance, de foi, de reality que dans les
actes religieux, parce que toute leur education a ce moment-lii,
les a conduits a n*accorder d*importance qu'a ces actes. II en
resulte qu'ils cherchent au moment de la priere et a ce moment
seulement une tension psychologique quails ne peuvent pas avoir.
II va en ^tre ainsitouteslesfois que pour une raison quelconque
Tattention du sujet sera attir^e vers un certain acte, et qu*il cher-
chera dans cet acte une perfection psychologique qu'il ne cherche
pas dans les autres. Wo..., apres avoir eu des scrupules a propos
dans les pri^res, presente des crises de psycholepsie a propos des
comptes de manage. Ces comptes sont d'ailleurs la terreur
de bien des femmes (Kl..., Xyb..., etc.). Cest parce que <c elle
croit de son devoir de faire au moins cela de serieux dans son
manage, qu'elle craint par sa distraction maladive de faire du
tort aux pauvres fournisseurs », c*est a cause de cette attention
qu'elle a des crises de quarante-huit heures parce qu*elle a peur
d'avoir vol^ deux sous au Bon March^. Elle n'arrive pas a la certi-
tude dans les additions qui ont rapport a son menage, pas plus
qu'elle n'arrivait a la conviction dans les prieres.
Une foule de meres de famille ont des phobies et des doutes
relatifs a leurs enfants. Elles peuvent tout faire sauf de les soi-
gner correctement, c^est a ce moment qu'elles se sentent
insufTisantes et qu'clles ont des derivations. Cest que pour une
INTERPRETATION DES TROUBLES SYSTfiMATlSfiS 577
jeune mere Facte de soigner un petit enfant ne se pr^sente pas
comme une operation simple, elle y joint toutes sortes de pre-
occupations imaginaires, de r^ves d'avenir^ de dangers possibles,
de responsabilit6s, etc. L'acte n'est pas simplement le fait de
baigner un enfant, c*est un acte qui devient complexe comme
les actes sociaux par toutes les iddes accessoires qu*il faut coor-
donner avec lui. 11 en r^sulte qu*il devient extr^mement diffi-
cile, le plus difficile au milieu de la vie simple de ces femmes,
et c*est lui seul qui manifeste la faiblesse. Cette insuffisance
sp^cialis^e amene comme derivation des troubles dmotionnels et
Ton dira trop souvent que Facte est difficile parce que ces fem-
mes s'emotionnent. C'est le renversement des termes : pourquoi
s*emotionnent-elles ainsi sans raison toujours a propos du meme
acte, s*il n*y avait pas une impuissance fondamentale pour un
acte devenu difficile qui determine cette derivation ?
On comprend que toutes sortes de circonstances puissent ainsi
attirer Tatteution sur certaines parties du corps, sur certaines
fonctions du corps ou sur certaines operations mentales. Chez un
psychasthenique avec diminution generale de toutes les fonctions,
une douleur quelconque va attirer Tattention sur un organe ou
sur une fonction. Immediatement cette fonction deviendra plus
difficile, cessera de pouvoir se faire et ainsi se precisera a ce
moment cette angoisse qui etait flottante. Un pen de pyrosis
sera le point de depart des algies de Testomac, une douleur
intestinale des algies du ventre, des phobies dela defecation. Les
hemorroifdes jouent un r6le capital dans les algies de I'anus. La
pharyngite chronique fait naitre la phobic dulangage chez Bq...:
une broucho-pneumonie donne les phobies de la respiration, une
migraine les algies de la tete, le fait d'avaler de travers ou simple-
ment de voir avaler de travers va amener pen a peu les phobies de
deglutition. Combien de ticsde la bouche sont dus uniquementa
une mauvaise dentition, et combien de phobies vesicales et
uretrales sont en rapport avec une malheureuse blennorrhagie.
Des circonstances exterieures peuvent jouer le meme role,
Mv... a la phobic d'etre aveugle parce qu'elle a vu jouer un musi-
cien aveugle, Ot... prend la terreurdespetits bruits parce qu'il a
entendu sa belle-mere croquer des dragees.
11 ne faut pas oublier que ces malades par le fait de leur insuf-
fisance ont deja un etat mental special, etqu*ils ont, comme on le
LES OBSfeSSIONB. I. — 87
578 THEORIES PATHOGfiNIQUES
verra, des manies mentales qui ne sont que la syst^matisation de
I'agitation de leur esprit. Ces manies mentales les poussent a
donner une attention excessive a certaines choses et vont con-
tribuer a leur tour a specialiser les actes, les croyances et les
sentiments qui sont le point de depart des crises. On ne peut
gu^re expliquer autrement le fait si g^n6ral de la micromanic .
Chez un grand nombre de ces malades ce ne sont pas les grandes
choses et les graves actions qui d^terminent des crises, ce sont
les petits objets, les actes insignifiants, les petites taches de
graisse, les bouts d'allumettes, les petits mots passes dans une
priere, les petites distractions a table. Cette specialisation de Tin-
suffisance a propos des petites choses me parait tenir a deux
raisons. C'est d'abord que les circonstances graves sont chez eux
excitantes et relevent leur niveau mental, tandis que les petites
les laissent dans la depression. C'est aussi que leur manie de la
precision les pousse a attacher de Timportance a toutes ces petites
actions, a chercher a leur propos une perfection et une certitude
qu'ils sont incapables d'atteindre. C'est pour la meme raison que
les chiffres exercent une attraction sur eux, ils esperent y trou-
ver une certitude qu'ils n'ont pas ailleurs, et leurs efforts a ce
propos n'amenent que des crises nouvelles. II ne faut pas oublier
leur manie d'association sur laquelle j'ai tant insiste, ils cher-
chent perpdtuellement les ph^nom^nes qui peuvent se rattacher
a leur preoccupation et ainsi ils rendent de nouveau ces nouveaux
phenomenes plus difSciles.
Toutes ces etudes nous montrent done que raboulie,le defaut de
de croyance, la fatigue de Tattention, ne sont g^n^rales qu'en
theorie ; en pratique elles se manlfestent davantage pour les ope-
rations qui sont naturellement ou artificiellement les plus diffici-
les. II en r^sulte que les insuRisances psychologiques se sp^ciali-
sent a ces ph^nom^nes et amenent uniquement a la suite de ces
actions determin^es tous les accidents qui ont He consid^r^s
comme des derivations.
2. — La systematisation de la derivation,
Le principe de la derivation nous a explique d'une maniere ge-
nerale comment les diverses agitations de Tesprit et du corps,
les excitations viscerales qui forment les angoisses n'etaient que
des depenses, des derivations d'une force inemployee a cause de
INTERPRETATION DES TROUBLES S^STI^iMATlSfiS 57»
la suppression des ph^nomenes sup^rieurs. Cela ne suflfit pas
pour rendre compte des formes toutes particulteres que pren-
nent dans chaque cas determine ces derivations.
Quelquefois ces derivations restent vagues et diffuses, on a vu
la fuite des pens^es, le mentisme qui correspond a Texcitation
diffuse de la pensee, I'agitation motrice ind^termin^e et Tan-
goisse diffuse, mais le plus souvent des manies mentales, des
tics, des phobies speciales remplacent ces agitations diffuses.
L'op6ration qui joue le role de derivation reste inferieure, mais
elle prend une apparence syst^matique toujours la meme, c*est
ce que j'appellerai la system atisat ion de la derwation.
Cette syst^matisation me parait se former assez facilement par
la simple Evolution de la maladie, elle r^sulte de trois principes
g^n^raux qui determinent la nature des phenomenes du p4ycha-
sthenique.
La premiere raison de cette systematisation me parait etre
simplement la predisposition individuelle : chacun de ces sujets
reagita la maladie d'une mani^re particuliere suivant sa nature
et son education. Ainsi il m'a semble que Ton rencontrait plus
d*angoisses et de phobies chez les malades de Thopital ayant peu
d^education intellectuelle et que Ton rencontrait plus de manies
mentales chez les malades de la ville habitues aux exercices de
Tesprit. De m^me on rencontre plus de tics chez lessujetsjeunes
que chez les sujets ages.
Le second principe est le principe de Thabitude. Ball disait
autrefois*: a La folic du doute est essentiellement caracterisee
par une sorte de prurit cerebral, que rien ne pent satisfaire, la
repetition des memes actes, des m^mes questions et des m^mes
pensees tient a un phenom^ne organique qui ramene sans cesse
les memes impressions. » Cette reflexion est trfes juste et nous
aurons a Futiliser encore en parlant des obsessions. L*etat pe-
nible determine par Tinsuffisance psychologique est toujours le
meme, et chaque fois qu*il se represente il dispose le sujet a re-
commencer exactement les memes pensees. Cela est d^autant plus
vrai que le psychasthenique, dans cet etat, est plus que jamais
un individu sans volonte, incapable de modifier son etat mental
et d'echa'pper a la tyrannic des impressions qui ramenent les
memes idees. Precisement parce qu'il est toujours tres dispose it
I. Ball, Revue scientifique, 1883, II, p. 46.
580 THEORIES PATHOGfiNIQUES
c^der a Thabitude ; il y ob^it plus que jamais dans les derivations
et quand il a commence une fois une crise d'une maniere il y a
bien des chances pour qu'il fasse toutes les autres sur le meme
' modele.
Le troisieme principe sera celui de la meilleure adaptation
possible : il est n^cessaire de Texpliquer davantage. Le point de
depart de la crise est une action insuflisante et cette adaptation
incomplete s*accompagne de sentiments d'incompletude extreme-
ment p^nibles. II y a la un etat d'inqui^tude tr^s douloureux,
qui pousse le sujet a chercher par tons les moyens possibles a
en sortir. Cette douleul* ne nous a pas paru etre suflisante pour
determiner a elle toute seule toute la derivation ; mais Tagitation
mentale et physique existant reellement, cette douleur que res-
sent ie sujet doit jouer un r6le pour la diriger en tel ou tel
sens. Le sujet est mal a son aise et en m^me temps son esprit est
agite, se remplit de pens^es de toutes especes. Dans quel sens
vont se diriger ses pens^es ? Les pens^es vont etre orientees vers
la consideration de ce malaise et vers la recherche des moyens
pour en sortir; les agitations vont etre dans lamesuredu possible,
un effort pour parvenir a Tadaptation complete. Elles n'arrivent
pas au resultat a cause de TinsuQisance mais elles vont etre
aussi pr^s que possible de cette adaptation.
II en resulte que sauf dans les cas de grande confusion, les de-
rivations vont toujours avoir un certain rapport avec le pheno-
mene primaire qui n'a pas pu etre acheve. Si le point de depart
est un acte insuUisant, il y aura dans la derivation des efforts
intellectuels et physiques en rapport avec Tacte. S*il s^agit d*une
idee surlaquelle la certitude a ete impossible il y aura un travail
en rapport avec la recherche de la certitude, c'est la ce qui donne
naissance a des tics et a des manies particulieres.
Le premier de ces principes semble determiner d*une maniere
generale la disposition aux grandes categories de reaction. II est
bien difficile d'expliquer autrement que par des dispositions indi-
viduelles la maniere dont un homme reagit a Tinquietude, soit
par des agitations physiques, soit par des angoisses viscerales,
soit par des ruminations mentales. Nous retrouverons -davantage
Tapplication des deux autres principes dans les formes particu-
lieres que prennent chacune des reactipns.
Les angoisses presententpeu de systematisation, les differences
INTERPRfiTATION DES TROUBLES SYSTfiMATISfiS 58i
qu*elles pr^sentent tiennent plutot a la difference des objets qui
servent de point de depart a la crise, difference que nous avons
^tudi^e sous le nom de specialisation de Tinsuffisance. Ainsi, les
algies Torment un groupe de ph^nomenes assez distinct, leur ca-
ractere distinctif n*est pas dd aune modification de Tangoisse fon-
damentale, mais a Tassociation de cette angoisse avec lea sensa-
tions provenant d'une partie determin^e du corps. II en r^sulte
que les algies sont ou peuvent etre plus continues que les autres
phobies puisque leur cause est toujours pr^sente. On pent dire
aussi que cette intervention d*une partie du corps determine
quelque modification du ph^nomene : les angoisses liees avec des
sensations cutau^es comme dans les diverses dermatophobies
contiennent plut<)t du prurit, celles qui sont li^es avec les sen-
sations fournies par la poitrine ou par le ccBur dounentune place
plus iraportante aux ^touffements, celles qui sont en rapport avec
les organes sexuels renferment souvent des sensations sp^ciales
d'excitation, comme on Ta vu, dans la maladie de Jean. La syste-
matisation ici se rapproche beaucoup de la specialisation.
Dans les diverses phobies intervient aussi beaucoup la pensee
de Tacte qui sert de point de depart. Quelquefois il y a au debut
un sentiment particulier d'incompl^tude qui donne a Tangoisse
une nuance sp^ciale, les agoraphobes ont souvent avec leurs an-
goisses le sentiment d'etre isol^s, d'etre absolument seuls au
monde, d'etre en dehors de Tun ivers (Cas...). D^autres sentiments
d'humiliation (Vof...), de crainte, de colere, peuvent modifier
Tangoisse fondamentale. Je remarque en effet que chez quelques
personnes comme Cos... (i77)» femme de 44 ans et Vod..., proba-
blementa caused'un caract^re irritable ant^rieur, Tangoisse donne
au sujet rimpression qu'il est en colore. Ce fait est loin d'etre in-
signifiant a cause des obsessions que le sujet ne va pas tarder a en
tirer.
Enfin dans certains cas, le malade pretend ^prouver une emo-
tion tout a fait sp^ciale. Nous avons vu la description singuliere de
ce que Lae... appelle a Temotion du chien enragd », emotion qui
vient remplacer tons les sentiments en rapport avec la r^alite.
L'analyse de cette Amotion du chien enrage nous montre cepen-
dant les memes troubles de la respiration et du coeur « une cris-
pation des nerfs, un petit tournoiementdu ventre et le sentiment
qu'un chien leche le bout des doigts». II n'ya-gucre en reality
que cette derni^re sensation qui soit bien sp^ciale. C'est une
582 THfiORIES PATHOGfiNIQUES
interpretation intellectuelle, comme on en verra dans T^tude des
obsessions, qui vient syst^matiser Tangoisse.
Les manies mentales sont le phenomene de derivation le niieux
systematise et qui semble presenter la plus grande vari^t^. Cette
system atisation me parait dependre du troisieme principe : Teffbrt
vers la meilleure adaptation possible. Si au point de depart de la
criseil s^agitd'une action a accomplir le sujet gardera Thabitude
d'avoir un certain nombre de ruminations qui concerneut les ac-
tes, il pr^sentera la manie de la deliberation, toutes les manies qui
ont rapport aux precautions et aux procedes, la manie de lenteur,
la manie de la repetition, du retour en arriere, la manie de la per-
fection, de surveillance de soi-meme, la manie des serments, etc.
S'il Skagit d*un acte negatif, c*est-a-dire d'une action a repous-
ser, ces m^mes manies presenteront une legfere variante : ce se-
ront surtout les manies de compensation, les manies de repara-
tion, les pactes pour se menacerde quelque danger si onse laisse
aller a Taction, les manies d'expiation et de conjuration.
Si au debut de la maladie il s^agit surtout d'idees, de croyan-
ces, d'eSbrts d*attention qui n'aboutissent pas, nous rentrerons
dans le groupe des manies de precision ; ce seront les manies de
la repetition, de Tordre, du contraste, du symbole, qui joueront
le plus grand role. Dans ces manies a point de depart intellectuel
il faut encore tenir compte de ce fait que Tesprit se preoccupe
davantage du passe, du present ou de Tavenir. S'il s*agit du
passe, nous aurons des interrogations, des recherches indefinies
du souvenir, des manies de rememoration ; s'il s'agit du present,
nous aurons les manies d*interrogation du sort. S'il s'agit de
Tavenir, surviendra la manie des presages, des pressentiments,
etc. Une inquietude plus grave au point de depart, chez un es-
prit plus cultive, donnera lieu aux manies des explications et aux
manies de Tinfini.
Or, les malades sont plus ou moins disposes a penser de telle ou
telle manicre : nous avons deja remarque comme un fait singulier
queXyb... vit toujours dans le passe et Mw... dans Tavenir. II en
resulte tout naturellementque la forme de leurs manies sera un peu
differente etse systematisera dans tel ou tel sens. Bien entendule
meme sujet pent passer par la plupart des manies et, suivant qu'il
s'agit d^une hesitation sur un acte oil d^une absence de croyance, il
aura la manie des procedes ou la manie des interrogations ; mais
INTERPRETATION DE LlDfiE OBSfiDANTE 583
il arrive tr^s souvent que les premieres crises ^tablissent d'une
inaniere a peu pres definitive la forme des manies et que plus tard
les crises nouvelles, m6me d^termin^es dans d'autres conditions,
conservent sous Tinfluence de Thabitude la forme des premieres.
Les tics sont des derivations motrices systematis^es, ce sont
de petits mouvements qui reproduisent en les r^duisant certains
actes. La raison principalede cette systematisation meparait etre
dans les manies mentales pr6cedentes qui accompagnent toujours
au moinsen germe le d6veloppement des tics. Le premier groupe,
le plus simple, est celui des efforts, ce sont des arises de grande
agitation qui ne sont que legerement systematis^es par une id6e
directrice, celle de faire un effort. On voit la ce travail pour par-
venir a Tadaptation sur lequel j*ai insists. Nous trouvons ensuite
les tics de perfectionnement qui sont tous inspires par les manies
de precision, comme on le voit dans les tics de se tater, de se tou-
cher le corps, de remuer les yeux pour savoir s'ils sont ^gares
(Ul...), de secouer la tete pour savoir si on y a du mal.
D'autres sont en rapport avec la manie du symbole u fermer le
poing c'est comme si je disais : je ne crois pas en Dieu » (Lod...),
<( se gratter le nez, c'est comme si on se laissait aller au plaisir
genital » (Jean). Un tres grand nombre de tics sont en rapport
avec la manie des proc^d^s comme les Eructations de Rai.. qui
veut ainsi mieux respirer.
Nous avons vu ensuite les tics de defense, les mouvements pour
repousser, le petit « hem, hem », pour cracher une epingle de la
gorge, recartement des jambes de Jean pour lutter contre la
masturbation, les manies de compensation et de reparation y
jouent un grand r6le.
On pourra facileraent appliquer ces quelques principes a la
description des nombreuses manies et des tics que nous avons
cites. On verra toujours comment I'effortdu sujet, pour echapper
aux sentiments d'incompletude, se combine avec la situation don-
nee pour former cette systematisation.
4. — L'interpritation de I'idie obs^dante.
Pour terminer Tetude de ces theories pathogeniques, il ne
684 THEORIES PATHOGflNlQUES
nous restc plus qu'un dernier probleme, c'est celui de Tid^e
m6me qui est obs^dante, du contenu de Tobsession propremeot
dite. Ce n'est plus une operation mentale qui se r^pete, une agi-
tation motrice ou visc^rale, c'est une idee bien d^terminee, repr^-
sentant dans Tesprit du sujet un objet ou un fait determine.
Comment les malades en arrivent-ils a concevoir cette id^e de-
terminee et comment prend-elle dans leur esprit les caracteres qui
en font une obsession psychasth^nique.
I . — L'origine endogene du contenu des idees obsedanies,
Les theories intellectuelles et emotionnelles etaient disposees a
rattacher le contenu de ces id^es obsedantes a une action du
monde ext^rieur sur le sujet, a les consid6rer comme exoghnes.
II me semble que ces obsessions ne presentent pas une diversite
sufEsante pour que Ton puisse Ics rapporter aux ev^nements ext^-
rieurs qui ont pu de bien des manieres ^motionner les sujets.
Au fond toutes ces id^es se ramenent a un petit nombre d*ob-
sessions fondamentales que j*ai essaye d'enumerer au d^but sous
ces litres: obsessions de sacrilege, de crime, de honte de soi, de
honte du corps, de maladie. Ces obsessions fondamentales con-
tiennent toutes des pensees relatives a la personne, aux actes,
aux idees, au corps, plutot que la representation d*objets et d'^v6-
nements ext^rieurs. II n'en est pas du tout de meme chez les in-
dividus qui, comme les hyst^riques, ont des id<^es obsedantes
venant du dehors, en rapport avec des suggestions ou des causes
^motionnantes. La ce sont les objets et les ^v^nements qui pre-
dominent, obsession de Tincendie, de Tamant, de la figure du
pere ou de la mfere, du rat dans la cuisine, du voleur, etc. II y a
la une difference dans le contenu qui me parait fort appreciable.
Les obsessions des psychasth^niques ont aussi dans leur con-
tenu certains caracteres generaux fort remarquables : ce sont des
pensees de critique, des appreciations mauvaises sur les actes et
les idees, et en outre des pensees extremes. Le crime auquel
Tobsede pense est toujours le crime extreme pour lui, etant
donnes son sexe, son age, sa condition. Cela n'existe guere dans
les idees sugger^es par les spectacles exterieurs et cela ne s*ex-
plique pas par le hasard des circonstances emotionnelles.
Je suisdonc dispose a croire que les obsessions psychastheniques
sortent bien plus qu'on ne le croit du fond meme du sujet, que
INTERPRETATION DE L'1D£E OBSfiDANTE 585
Ton peut les considerer comme endogenes, par opposition aux
id^es exogfenes qui sont d^termin^es par le mecanisme de la sug-
gestion. Cette conception est d^ja indiqu^e par les auteurs qui
font sortir Tobsession intellectuelle de la phobic, mais je pense
qu*il faut aller plus loin et admettre que les obsessions, comme
les phobies elles-m^mes, prennent leurs points de depart dans des
ph^nomenes pathologiques plus profonds qui sont surtout les sen-
timents d'incompletude et les insuflSsances psychologiques.
2. — L' influence des sentiments d'incompletude sur le contenu
des idees obsedantes.
L*obse$sion est le r^sultat d*un travail intellectuel qui s^op^re
pendant les crises de psycholepsie et qui remplit surtout les ru-
minations mentales. Le besoin de precision, d'explication, de
symbole, conduit les malades a interpreter eux-m6mes leur propre
^tat mental et a d^couvrir une explication, une veritable th^orie
de leur transformation. L*idee obs^dante est une interpretation
des troubles psychologiques eldmentaires, interpretation faite
suivant les lois des manies mentales.
Les troubles des psychasth^niques qui peuvent engendrer des
obsessions sont, a mon avis, tres nombreux et ne se limitent
point aux seuls troubles ^motifs. Des le debut, Pabaissement de
la tension psychologique, en diminuant Taction et la perception
du red, favorise la meditation ; il donne aux malades une ten-
dance a preferer I'ideal au reel, a aimer le mysterieux, le vague,
a se tourner vers les choses mystiques.
L^insufCsance a-t-elle donne naissance a des derivations men-
tales, chacune de ces manies qui constituent la rumination, est
une grande source d'idees. Les manies d'interrogation perpe-
tuelle amenent a concevoir Tidee de mystere, de tromperie :
Hg... (119) apres avoir pendant des mois ete tourmentee par
des interrogations ; « qu'y a-t-il derriere ce mur, d oil le mari
vient-il, a qui a-t-il parle ? » devientobsedee par I'idee que le mari
lui cache quelque chose et qu*il la trompe.
La manie du symbole qui n'est qu*une manie de precision exa-
geree est Forigine d'un irhs grand nombre de ces pensees. Les
idees sacrileges sont evidemment dans ce cas : Claire est avant
tout une psychasthenique, avec sentiment d^incompletude, toutes
nos etudes sur ses oscillations Tout bien demontre. Elle a d*abord,
586 THEORIES PATHOGfiNIQUES
a la suite de ce sentiment, des crises d^efforts d6termin6es en
grande partie par une derivation qui remplace les ph6no-
m^nes sup^rieurs devenus impossibles. Ces mouvements convul-
sifs am^nent de Texcitation genitale et des masturbatiohs, comme
nous Tavons observe souvent. Ce crime genital devient pour elle
le symbole de sa d^ch^ance. D*autres manies, celle de la genera-
lisation, celle de Tinfini la poussent a remonter a Textreme : elle
associe les crimes religieux avec les fautes g^nitales et elle sym-
bolise son opinion sur elle-meme par Thallucination du membre
viril et de Thostie.
L*idee sacrilege de Lise, qui croit vouer ses enfants au diable,
celle de Za..., qui pense a violer une vieille femme devant une
eglise, et celle de On..., qui met Tame de son oncle dans les cabi-
nets, sont evidemment des symboles du m^me genre inventes par
les malades eux-memes, sans grand rapport avec les circonstan-
ces exterieures pour resumer et exagerer Timpression de m^con-
tentement qu'ils ressentent d'eux-memes.
Les phenomenes qui jouent a ce point de vue le r6le le plus
considerable sont les sentiments d'incompletude. Quand ces sen-
timents portent surtout sur la volonte, les malades peuvent conce-
voir des idees relatives a leur dependance, peuvent rever une
liberte ideale, en opposition avec leur etat d'automatisme. Ou
bien, au contraire, ils cherchent dans quelle situation ils auraient
le moins d^efforts penibles a faire : Ic..., obsede par Tidee qu'il
veut se faire pretre, remarque lui-meme qu'il arrive a cette idee
parce qu*il ne veut plus etre expose a aller dans la societe, a
prendre part (c aux plaisirs du monde » que sa timidite lui fait
prendre en horreur, parce qu'il a peur des responsabilites que
cause la famille.
Bien plus souvent encore, ce sentiment de TinsuflGisance de
la volonte inspire des idees de honte, de mauvaise conduite.
o Bunyan, en se sentant agir, concevait sans cesse I'idee qu'il
etait dans un marais fangeux et qu'il s'enfongait a chaque pas^ »
Ce sentiment inspire Tidee que Ton a manque toute sa vie, que
« Ton s'est trompe de chemin, que Ton a choisi une mauvaise car-
riere ». Les reraords de vocation, qui sont si frequents, ne sont
que Texpression intellectualisee, precisee, symbolique du mecon-
I. Josiah Royce, Psych, Review j 1894, p. 189.
INTERPRETATION DE L*ID£E 0BS£DANTE 587
tentement de la conduite. II est trop Evident que les sentiments
d*humilit^, de honte sont le point de depart des obsessions de la
honte de soi et de la honte de corps.
Les idees criminelles ont la meme origine. Dob..., dans un
wagon de chemin de fer, se sent si pen maitresse de sa volont^
qu'elle se demande si sa main ne va pas malgr6 elle ouvrir la
portiere. De la a penser que Ton est capable de commettre un
crime il n*y a qu'un pas. Bien souvent les malades qui pr^tendent
«tre pouss^s a Thomicide ou au suicide expriment simplement
par la le sentiment qu*ils ont de leur faiblesse de volont^. Bien
entendu la manie du contrastejoue un r6le et les crimes inventus
sont ceux qui sont les plus dangereux dans la situation du malade;
la caissiere a des impulsions a voler, le musicien « a faire expr^s
des fausses notes a Torchestre de TOp^ra ».
Trfes souvent le malade se rend compte que ce crime n'est pas
present et par les manies de rem^moration, de recherches dans le
passe, il les transforme en remords. II cherche avec une ardeur
incroyable ou et comment il a bien pu tuer quelqu*un, il y a
quinze jours, ou bien il invente tout un delire retrospectif dans
lequel ses maltres auraient abus6 de lui a T^cole primaire.
Rk... va plus loin encore et il cherche si h Tage de quatre ans,
quand il venait avec sa petite S03ur de un an moins agee dans le
lit de son pere, il n'a pas attente a la pudeur de celle-ci.
D6ja dans ces cas ('obsession s'eloigne un pen du sentiment
initial, mals ce n'est qu'une apparence. Quand Kl... est obs^d^
par la pens^e que son enfant n'est pas de son mari, il est Evi-
dent qu'elle dissimule un remords genital, c'est comme si elle se
demandait si elle a tromp6 son mari, et cette question qu'elle ne
precise pas dans son esprit resulte du sentiment qu'elle a de ne
plus etre maitresse de sa volonte.
Les sentiments d'incompletude intellectuelle qui sont si nom-
breux et si int^ressants deviennentle point de depart d'une foule
d'obsessions qui semblenttouta fait incomprehensibles si on nese
reporte pas a ce d^but ; je n'en signalerai que quelques exemples.
Hm... (i35), femme de 21 ans, qui vient d'accoucher il y a trois
raois, est obs^d^e par la pens^e que son enfant est un monstre;
quand elle le voit, elle constate qu'il est normal, mais, des qu'elle
le quitte desyeux, elle pense qu'il pr^sente les difformit^s les plus
extraordinaires. Fatiguee par la grossesse, elle a eu des troubles
588 THEORIES PATHOG^NIQUES
de perception « le monde me paraissait drole, je ne pouvais pas
mettre le monde a sa place, il y avait quelque chose de derange
qui m*emp6chait de voir les choses comme elles ^taient... » Puis
elle euty comme phenom^ne de derivation, de la manie mentale
d*interrogation. Cette manie 6tait systematis^e par le sentiment
precedent. « Comment cela se fait-il qu*il y a du monde, pourquoi
et comment y a-t-il des arbres, comment les b^tes ont-elles cette
figure Strange?)) L'enfant naquit sur ces entrefaites et, Tattention
de la malade se fixant sur lui, fit naitre a son propos les senti-
ments et les interrogations pr^cedentes. Le trouvant Strange,
sHnterrogeant a son propos pour savoir comment et pourquoi il
avait cet aspect bizarre, Hm... en vint tout naturellement a la
conception qu*il ^tait un monstre etonnant.
Le meme m^canisme se retrouve dans bien des cas. We... n'a
pas seulement Tobsession de la vocation manqu^e en rapport avec
les sentiments d'incompl^tude volontaire, elle a une obsession as-
sez Tr^quente, V obsession de la signification, Elle croit que tons les
objets, tous les plus petits ev^nements ont un sens mysterieux,.
qu'il lui faut chercher. II nous faudra plus tard reprendre T^tude
de cette pens6e a propos des mystiques. Chez cette malade Texpli-
cation de cette obsession est fort simple et elle la donne elle-
m^me : <( que voulez-vous, dit-elle, il y a si longtemps que je
vois les choses d'une maniere drole, bizarre, pas naturelle; je
ne puis plus m*empecher de croire qu*il y a quelque chose la-des-
sous, vous en feriez autant si vous voyiez toutes les figures de vos
amis vous faire des grimaces ».
L'obsession id^aliste de Rk... qui specule sur d Tirr^alite du
monde », Tobsession psychologique de Mb... qui recherche a la
difference de certitude entre la vue et le toucher » n*ont pas
d'autre origine que ce sentiment de r^ve a propos de la per-
ception.
Ria..., aprfes une operation chirurgicale, a trouve que les ob-
jets avaient un aspect Strange ; comme elle est fort ignorante elle
ne s'est pas elevee jusqu*a la conception de Tiddalisme, elle s'est
bornee a accuser ses yeux et elle a une obsession relative a une
maladie des yeux « qui fait danser les objets ». Dans le m^me cas,
Hot..., jeune fiUe de i6 ans, arrive a la conception qu*elle est ab-
solument aveugle, bien que Texamen de ses yeux montre une vi-
sion parfaite. « Mais je vois drole, cela me fait penser que je ne
vois pas ». Le meme sentiment d'etrangete dans la perception
INTERPRfiTATION DE LIDfiE OBSfiDANTE 089
«xt^rieure joint au sentiment de d^persunnalisation va faire naltre
l^obsession si remarquable de Btu... <c Je suis morte, je suis
enterree dans un tombeau tout noir, d*un noir d'encre. »
D*autres formes particulieres des sentiments d*incompl^tude
vont simplement se transformer en id^e, en obsession correspon-
dante. Le sentiment de depersonnalisation, passager, variable, in-
complet, va faire naitre une idee nette, abstraite, (c que la personna-
lit^ est toujours perdue, quele moi est supprim^ ou transform^ ».
Le sentiment passager de a d^ja-vu » va donner dans le cas de
M. Arnaud Tobsession precise et perp^tuelle « du d^ja-vu il y
a un an ». (c La continuity de Tillusion, dit tres bien M. Ar-
naud, n'est qu'apparente, elle est le r^sultat d'une sorte d*entrai-
nement, d*une habitude ayant d^termin6 un faux pli de Tesprit,
un veritable delire \ »
Enfin une des observations les plus fr^quentes, tout-a-fait ba-
nale chez ces malades, c*est I'obsession de la folie. Plusieurs au-
teurs disent que cette obsession cc est une forme objectiv6e
de Tangoisse ». Je ne comprends pas pourquoi des ^tats d'an-
goisse doivent s'objectiver sous forme d'id6e de folie : les car-
diaques qui out de Tangoisse sbnt-ils done obliges de se croire
fous? S*ils n'avaient queTangoisse pure et simple, les psychasth6-
niques n*arriveraient pas non plus a cette idee de folie. Elle est
pour moi Texpression de sentiments plus profonds : « si je dis que
je deviens folie, dit Dep..., femme de 28 ans, c'estqueje sens
mon esprit vague, engourdi, drole... ». « Sij'ai peur de devenir
folie, dit Zb..., femme de 32 ans, c'estparce qu*il me semble que
je ne suis pas maitresse de mes actions, que je suis dans un cau-
chemar et parce que dans les cauchemars on fait des crimes et
des folies ». « C'est parce que je me sens comme une machine
que je me dis fou ». (Lois...).
Bien des obsessions ne sont ainsi que Texpression plus logique
et plus g^n^rale des sentiments d*incompl^tude.
3. — L'influence des insufflsances psychologiques sur le contenu
des idees obsedantes.
Les insuflisances des sentiments, les apathies, les ^motivit^set
surtout les sentiments anormaux qui se developpent a ce pi opos,
I. F.-L. Arnaud, Ann. midico-psych., mai-juin 1896.
590 THfiORlES PATHOGfiMQUES
comme le besoin de dominer et le besoin d*^tre aim^ vont don-
ner naissance, sous Tinfluence de la reflexion et des manies men-
tales de precision, a toutes sortes d'id^es obsedantes.
II suffit d'en rappeler quelques exemples : j*ai souvent fait
allusion a rinsudisance des Amotions g^nitales, elle a deja ^t^ le
point de depart de manies de perfection appliquees au coit et
d'erotomanies singulieres. Clle amene aussi, chez Loa..., Len...,
Lup..., des idees de persecution contre Ic mari rendu responsable
de cet arret, « ce n*est pas un homme comme les autres, etc. ».
Mais ce m^me ph^nomene amene une obsesssion plus curieuse
chez une femme Deb... et chez un homme Rk..., c'est Tid^e de
I'uwersion sexuelle. lis se (igurent que I'amour homo-sexuel leur
r^ussirait mieux et croient avoir « une ame d'homme dans un
corps de femme » et reciproquement. C^est trop souvent sur des
cas semblables que Ton a fonde les theories des invertis sexuels.
Beaucoup de hontes du corps ou de honte portant sur tel ou tel
organe ont un point de depart analogue.
Quelquefois ces apathies inspirent des id^es de jalousie, nous
avons vu Fa..., femme de 34 ans, jalouse de toutes les personnes
qu'elle rencontre, parce qu'elle leur pr^te des sentiments com-
plets. « lis ont bien de la chance de pleurer leur pere, en voila
qui ont du bonheur d'etre ainsi seconds par un grand malheur. »
D'autres malades beaucoup plus nombrcux en tireront Tid^e
qu*ils ont besoin du remede a leur engourdissement et que ce
remede c'est une excitation. L'obsession du besoin de boire, du
besoin dc se faire des piqQres de morphine, Timpulsion au jeu, etc. ,
ou plus simplement le desir de Textraordinaire, de Tin^dit, le
besoin de faire une action absurde qui les secoue, se d^veloppe a
la suite de ces apathies et determine bien plus souvent qu'on ne
le croit les conduites les plus inexplicables en apparence. Quand
Plo... se sent ainsi abaiss^e dans une crise de psycholepsie, elle
reve de se faire engager comme artiste aux Folies-Bergeres, elle
veut prendre un amant dans la rue; il faut qu'elle scandalise sa
famille par son langage.
Les ^motivites donnent naissance a des coleresou a des peurs
et a des obsessions en rapport avec ces sentiments, de la naissent
bien des obsessions impulsives et bien des phobies que j*ai d^ja
signal^es. La reflexion pent se meler a ces peurs et les transformer
en apparence. Fi... est en reality un agoraphobe vulgaire, Tori*-
ginc de son mal se trouve dans son aboulie et sa timidity. Sa
INTERPRETATION DE L1D£E 0BS£DANTE 59t
crainte de la lutte, sa crainte de tous les dangers possibles Ta
conduit a ne plus pouvoir sortir au dehors sans angoisses. II
ne veut pas avouer cette faiblesse ni aux autres, ni a lui-meme
et il cherche a s'explique sa crainte de la rue par la preoccupation
d'un danger r^el. Dix ans apres le d^but evident de Tagora-
phobie, il trouve Texplication, c'est que dans son enfance, trente
ans auparavant, il a ^t^ mordu par tin chien enrag6 et qu'une
nouvelle morsure lui donnerait infailliblement la rage. Va-t-on
soutenir que cette obsession du chien enrag^ qui s'exprime a
4o ans est en rapport avec I'^motion de cette morsure subie a
Tage de lo ans ? Cette obsession est simplement une interpre-
tation retrospective de son trouble fondamental de la volonte et
des sentiments.
Le besoin de domination chez les autoritaires se rattache
comme on Ta vu a leur aboulie, il cause bien des obsessions.
La microphonophobie de Bow... n'est pas une hyperesth^sie
deTouie, c'est une obsession en rapport avec Tid^e que les autres
personnes lederangent dans son travail et ses pens^es. Ce senti-
ment des autoritaires joue un r^le capital dans le delire de per-
secution peut-etre plus que dans le delire du scrupule.
II suflfit de rappeler toutes les obsessions amoureuses en rap-
port avec le besoin d'etre dirige, le besoin d'aimer, le besoin
d'etre aime. Je ne puis insister icique sur quelques formes parti-
culieres. Qi... est amusante avec son obsession d'etre petit enfant,
de laisser Hotter ses cheveux dans le dos et son desir fou d'etre
appelee « Nenette ». Cr..., femme de 33 ans, est poursuivie par
Tobsession qu'elle veut avoir un enfant, elle court les hopitaux
pour demander la fecondation artificielle, et regarde sous toutes
les portes pour trouver un enfant abandonne a adopter « c'est
parce que son amant I'epousera si elle a un enfant. C'est aussi
parce que cet enfalit lui fera un soutien si elle est seule ». Lour...,
femme de 44 ans, a des obsessions de jalousie qui ne sont pas
identiques a celles de Fa... que je viens de citer. « Depuisque je
me sens faible il me semble que mon mari ne s'occupe pas assez
de moi, qu'il me laisse isolee, qu'il ne me console pas, il me
semble que je n'arrive plus a le comprendre, a le croire, et j'en
viens a penser qu'il n'est plus comme il devrait etre. »
On pourrait enumerer bien d'autres obsessions et montrer
qu'elles sont des interpretations plus ou moins compliquees por-
tant sur les insuflSsances et sur les sentiments qui en derivent.
^92 THIiORlES PATHOGf.XlQUES
4. — U influence des evenements exterienrs sur le contenu
de V obsession.
Qiioiqu'il en soil, robservation nous montrequeles ^venements
cxt6rieurs ont, eux nussi, une action et qu'ils determinent assez
souvent le contenu de Tobsession surtout quand ils sont Toccasion
d'une violente Amotion. La maladie de Lf... commence quand
elle a ramass^ son neveu tombe mort d*un ^chafaudage, celle de
Ger..., parce qu^elle tenait sa belle- m^re pendant un ^vanouis-
sement et que celle-ci est morte dans ses bras; celle de Cas...,
parce qu'elle a vu son fils tomber a I'eau. Cette derniere malade
a peu pres gu^rie a eu^ dix ans apr^s, une rechute parce qu'elle a
appris brusquement que sa mere ^tait devenue foUe et avait 6te
enfermee. We... a commence tr^s jeune cette maladie quand on
lui a fait embrasser son grand-p^re qui venait de mourir. Je note
au d6but des grandes p6riodes de maladie, chez Lisc une scene
avec le mari, chez Voz... un examen, chez Lo... le mariage, chez
Yof. . . la morsure par un chien, chez Mnd. . . (179) la vue d'une foUe,
chez Gt... la vue d'un morphinomane, chez Alx... un vertige
survcnu au caf(6, etc.
On pent remarquer que certaines Amotions semblent jouer un
role preponderant. Ce sont d^abord les Amotions religieuses, sur-
tout celles de la premiere communion et plus tard des confessions.
Ce sont aussi les emotions g^nitales qui ont joue un grand role
chez Bu..., chez Ki..., chez Jean, c'est de cette remarque qu*est
n6e Topinion de Freud, soutenue par Tamburini* que les obses-
sions derivaient toujours d'un trouble des sentiments sexuels,
nous avons d^ja eu Toccasion de remarquer Texag^ration de cette
these. 11 n*en est pas moins evident que les evenementsexterieurs
qui determinent de T^motion ont une action certaine sur le d^ve-
loppement de la maladie des obsessions.
Mais cette action est extremement complexe : On a vu dans les
etudes sur les oscillations du niveau mental que les ev^nements
capables de provoquer de fortes emotions peuvent deja agir en
determinant un abaissement de la tension psychologique et quel-
quefois d'une mani^re inverse en determinant une elevation. II
I. Tamburlni, Obsessions scxuelles ot obsessions du suicide, autosadisme* Congrhs
de neurolwjie de DruxcUes, 1897.
INTERPRETATION DE L'lDfiE OBSfiDANTE 593
faut constater aussi que si le sujet est deja abaisse par quelqu'une
des causes pr^c^dentes, Tev^nement ^motionnant peut encore
jouer un autre role, il peut determiner le contenu de Tobsession,
la nature de Tid^e qui va devenir obsedante.
Cela ne peut arriver a raon avis que si le sujet 6tait antdrieure-
ment prepare par tous les troubles precedents. L*idee fournie par
Teveneraent ne devlent obsession que si elle est d'accord avec un
etut anterieur dont le sujet avait le sentiment depuis quelque
temps. Cette idee qui est remarqu^e par le sujet devient Texpres-
siou qu'il cherchait deson etat. Claire avait depuis longtemps ses
sentiments d'abalssement, de mecontentement, quand elle s'aper-
^ut qu'elle avait une excitation genitale a Teglise et que ses
regards se portaient avec descuriosites malsaines vers la statue du
Christ. Cela lui parut repugnant, odieux et cette idee la frappa
que c*etait peut-etre la le crime contre nature qui lui causait tant
de remords inexpliques. Dur... (54) passe une soiree a la fenetre
attendant son mari qu'elle soup^onne de la tromper. Cette attcnte
la rend furieuse, elle remarque qu'elle se refroidit et qu'elle se
rend malade a cause du mari. Cette idee la frappe comme le re-
sume et le symbole de longues inquietudes antericures et elle
commence a ce moment une obsession singuliere qui consiste a
repeter que son mari Ta rendue phtisique. Cette idee ne la
frappee que parce qu'elle etait inquiete, qu'elle se sentait fati-
guee, qu'elle avait le besoin d'une direction morale perpetuelle
et qu*elle se croyait abandonnee si son mari ne s'occupait pas
sans cesse d'elle.
VI... a grand tort de rapporter son ereutophobie a une con-
sultation medicale ou le medecin aurait parle d*eczema du nez ;
la rongeur du nez n'est qu^un pretexte qu'elle a adopte avec en-
thousiasme pour resumer son aboulie et sa timidite. Toq... rem-
place successivement sa honte des moustaches par sa honte des
joues rouges, Nadia sa honte des mollets sous sa jupe courte, par
sa honte des pieds, des mains, de la poitrine, de la figure, etc.
I/evenement ne determine que la nuance particuliere de Tex-
pression.
Ce besoin d'une preparation anterieure explique un petit detail
assez curieux de la gen^se des obsessions, j'avais remarque ce
petit fait depuis longtemps et j'ai ete heureux d'apprendre que
M. Arnaud Tavait remarque de son c6te ; cela montre qu'il a
quelque generalite. Dansleur recit, il est rare que les sujets rap-
LB8 OB9E8SI07(8. 1. — 38
594 THEORIES PATHOGfiNIQUES
portent leur maladie a une seule Amotion : presque toujours ils
en racontent deux cons^cutives et leur obsession se rapporte
tantot a la premiere, tantot a la seconde. Nous avons d^ja noi6 le
fait, quand nous avons etudi^ Tinfluence de T^motion sur les os-
cillations mentales, nous avons vu des malades ne comniencer
Tobsession relative a une Amotion d^ja ancienne qu^au moment
ou ils sont bouleverses par une sec6nde emotion sans rapport
avec la premiere. Nous pouvons citer maintenant le fait inverse:
Dsy..., femme de 38 ans, est d'abord trfes emotionn^e par le sui-
cide de son mari. Elle reste malade sans volont^ et tres inquiete,
mais elle n^a pas d'id^es 6xes; cinq mois apres on arrete un voleur
cach^ dans sa maison ce qui TefTraye beaucoup, et a ce moment se
d^veloppe Tobsession qu*elle ne pent pas rester seule, de crainte
des voleurs. Chy... doit soigner son mari pendant une operation
chirurgicale grave; elle reste troublee, tout a faitaboulique, inca-
pable de se lever et en proie a une inquietude continuelle, mais
sans id^e fixe determin^e. Survient un petit incident assez insi-
gnifiant) une serviette qu'elle tenait a la main est tombee dans
un vase qui contenait de Thuile et cela a determine aux alentours
quelques ^claboussures, la voici frapp^e de cette idee qu'elle est
maladroite et sale, qu'elle ne pent plus rien toucher sans 6cla-
bousser de la graisse et tout un d^lire de propret6 se d^ve-
ioppe.
II me semble visible que Tune des Amotions, la premiere dans
ces observations, la seconde dans celles qui ont ^t^ rapportdes
pr^c^demment a determine un abaissement de Tesprit dans Ic
sens ou nous Tavons entendu, Tautre Amotion fournit simplement
au sujet une interpretation des troubles qu'il ressent. Chez ces
derniers malades, Tinterpr^tation vient apres la chute mentale,
dans d'autres cas, le sujet remonte en arriere pour trouver cette
interpretation et Taccident qu'il prend comme explication a eu
lieu longtemps avant le debut r^el dela maladie.
Quand on a compris ces divers roles de Temotion en consid6-
rant des cas typiques oil ils sont s^par^s, oncon^oit facilemeut
que dans des cas particuliers toutes ces diverses operations puis-
sent se confondre. Une seule emotion violente pent a la fois de-
terminer Tabaissement qui va permettre le developpement de la
psycholepsie et en meme temps fournir au sujet Texplication qui
va former Tobsession. Mgi..., homme de 36 ans, pretend qu'il
n'avait aucun trouble anterieur a une visite malheureuse qu'il a
INTERPRETATION DE LUDfiE OBSfiDANTE 595
faite a un m^decin. Celui-ci lui aurait d6clar6 brutalement qu*il
^tait phtisique: « cela in*a frapp^, dit le malade d'une manifere
indigne, je passe les jours et les nuits sans repos a attendre la
mort, je ne vols que des enterrements etdes morts, rien ne peut
me distraire et je suis incapable de faire le moindre travail. » Si
Mgi... a dit vrai, mais je me d6fie un peu sur ce point des dires
des malades, une seule emotion a d^termin6 a la fois le trouble
et rinterpr^tation. Mais ce n*est pas la forme la plus commune,
car Tobsession est en g^n^ral une interpretation, une expres-
sion, un symbolequi resume dans Tespritdu malade des troubles
d^ja anciens portant sur les fonctions psychologiques sup^rieures
et determinant depuis longtemps des ruminations et des phobies.
Enfin le contenu des obsessions pr^sente certains caract^res qui
ont ete mis en evidence dans les chapitres precedents. Ces carac-
teres me semblent faciles a comprendre si on considere Tobsession
comme I'expression d*un etat pathologique anterieur, car ils ne
sont pas autre chose que les caracteres de cet etat lui-meme. Ainsi
les obsessions portent le plus souvent surles actes du sujet, elles
portent sur des actes mauvais que le sujet voudrait ne pas faire :
elles constituent surtout un delire d'auto-accusation. Cette direc-
tion generale des obsessions se rattache simplement a leur point de
depart. Elles se sont developpees dans Tesprit du sujet comme des
interpi^etations d'un etat d'impuissance dans lequel aucune pen-
see ne pouvait etre poussee a son terme, dans lequel le trouble
portait surtout sur les actions et les croyances ; il est tout natural
que ces interpretations meme pueriles soient en rapport avec
les sentiments d'incompletude du malade et expriment surtout la
critique des actes et des croyances. En un mot je trouve que les
obsessions du malade sont en partie justifiees malgre leur appa-
rence allegorique et symbolique.
Si nous passons a d'autres caracteres de I'obsession nous avons
remarque qu'elle portait sur des actes extremes et que le sujet
poussait toujours jusqu'au dernier terme possible son idee de
crime ou de sacrilege. C'est encore la consequence de plusieurs
caracteres qui se trouvent deja dans la rumination ; la generalisa-
tion desordonnee, le passage a Tinfini ont deja ete remarques
dans ces meditations qui restent abstraites et sans aucune des
limites qu'impose la perception de la realite.
L'etude du contenu des obsessions me semble done verifier
696 THfiORIES PATHOGfiNIQUES
notre interpretation pr^cedente des etats psychasth^niques et
uotre hypoth^se qui met au premier rang les troubles de la volonte
et de Tattention ou du moins les troubles de cette fonction du reel
qui nous a paru la plus elev^e des fonctions cerebrales.
5. — U interpretation de la forme de I'obsession.
II nous reste a montrer que cette interpretation, ou plutot cette
representation d'ensemble des faits, rend encore assez bien compte
de la forme que prennent les obsessions proprement dites dans
Tesprit du malade. J*ai insists au debut de cette etude pour mon-
trer que les obsessions des psychastheniques avaient toujours des
caracteresspeciauxtres diilerents, enparticulier, de ceux que pre-
sentent les idees fixes des hysteriques. Ces caracteres se trouvent-
ils justifies par une conception qui cherche le point de depart de
Tobsession dans Tetat mental sous-jacent, dans Tabaissement de
la tension psychologique et la disparition des phenomenes consi-
deres comme superieurs, ceux de la fonction du reel?
Le premier caract^re des obsessions c'est d^etre obsedantes^
c'est-a-dire de se prolonger pendant un temps extremement long
dans Tesprit du sujet, de reapparaitre perpetuellement et absolu-
ment a tout propos. Peut-on mieux expliquer ce caractere qu'en
considerant les obsessions comme les expressions d'un etat mental
sous-jacent qui est perpetuel. Si Tidee de crime, de honte de
soi-meme, de folic, de maladie, n*est au fond qu*une maniere de
nous dire que Tesprit est abaisse, qu'aucun phenom^ne ne va a son
terme, qu'il y a un sentiment d*incompletude, ces idees dureront
tout naturellement autant que TinsufHsance elle-meme. Or, cette
insuffisance pent se prolonger pendant vingt ou trente ans en res-
tant toujours exactement la meme. II n*est done pastres surprenant
que le sujet ayant adopte une fois pour toutes une maniere de
Texprimer ne change pas cette maniere et conserve la meme idee
indefiniment. Ainsi que Ball le disait tres bien * : « la repetition des
memes questions et des memes pensees tient a un phenomene
organique qui ramene sans cesse les memes impressions. C'est
ainsi que dans un reve, nous nous debattons peniblement dans
une situation dont nous ne pouvons sortir, parce que la repetition
incessante des memes impressions physiques reproduit la meme
I. Ball, lievue scientijlque , i88a, II, p. 46.
INTERPRETATION DE L'IDfiE OBSfiDANTE 597
•s^rie d'idees. Ce n'est qu*au r^veii que nous sommes delivr^es de
cette obsession. » Le r^veil, ce serait pour le malade la dispari-
tion de son abaissement mental. Si cela arrive, s*il y a une ascen-
sion de la tension, nous avons vu que Tobsession disparait tout
<ie suite : cela prouve bien qu'elle etait li^e avec le sentiment de
ia diminution de cette ni6me tension.
Nous avons remarqu^ que Tassociation des id^es jouait un r61e
bizarre dans Tobsession et quMl y avait plut6t une sorte de manie
^'association qui pousse le sujet a unir son obsession avec tous les
autres ph6nomenes psychologiques qu'il eprouve. Ce caract^re
se rattache tres simplement a la manie de la precision et a Tin-
quietude. Le malade, qui a beaucoup soufTert du sentiment d*in-
compl^tude 6prouv6 a propos d*un certain acte, reste inquiet et il
Eprouve le besoin de verifier toutes les autres actions, toutes les
croyances, tous les sentiments pour voir si a leur tour ils ne vont
pas lui faire defaut. Bien entendu, comme nous le savons, cet
«fibrt d'attention va simplement rendre difficiles des actions qui
se faisaient assez bien d*une mani^re d^sint^ress^e : celles-ci
vont de nouveau Mre insulEsantes, elles vont comme les pr^ce-
denies donner naissance au meme sentiment d*incompl6tude et le
sujet sera amen^ tout naturellement k traduire encore une fois ce
sentiment par la m6me obsession. II vous dira done que son ob-
session s'associe avec des actions et des id6es de plus en plus
nombreuses et vous aurez Timpression qu'il cherche lui-meme a
produire cette association. En r^alit^, il cherche simplement a
^prouver ses actions et ses croyances et en les ^prouvant il met
en Evidence la m^me insuffisance et retrouve partout la m6me ob-
session. C'est ainsi que le malade inquiet a une tendance a
^tendre perp6tuellement son obsession comme une tache d'huile
jusqu'a ce que toute sa vie en soit envahie.
Les obsessions sont impulsives, mais cette impulsion, comme
nous Tavons vu, consiste en une sorte de manie de la tentation
et de I'impulsion. On dirait que le malade cherche a verifier a
chaque instant s'il est r^ellement bien pouss^ au crime ou a la
folic : il y a la encore un r^sultat de Tinquietude fondamentale.
L*obsession, Tid^e d'etre pouss6 au crime ou I'id^e d'etre fou,
est une sorte d'explication que le malade aime a se donner a lui-
meme des troubles p^nibles qu'il Eprouve. Cette id^e lui plait en
quelque sorte, parce qu*elle ^claircit un peu une situation inex-
tricable et parce qu'elle justifie les soins, les protections, les
:m THEORIES PATHOGfiNIQUES
directions qu'il est pouss^ a r^clamer. II est evident, quoique cela
paraisse absurde, que certains malades seraient d^sol^s, si on
pouvait leur d^montrer d^finitivemeut qu*ils n'auront pas une
m^ningite en lisant le journal, qu'ils ne feront aucun mal a per-
Sonne si on les laisse libres et qu'ils ne seront pas les plus vils des
hommes s'ils cessent leurs efforts absurdes. lis se trouveraient en
face de leur oi^me faiblesse sans Tombre d*une explication et ils
seraient abandonn^s a eux-m^oies, ce quails redoutent le plus au
monde anterieurement a toute obsession, en raison de leur abais-
senient du niveau mental. D'autre part, il ne faut pas nier que
cette idee obs^dante ne leur fasse horreur, non pas qu*ils pren-
nent r^ellement ces crimes, ces hontesau s^rieux, mais parce que
cette id^e resume leur mal dont ils ont deja moralement tant
souffert.
II en r^sulte un etat mental tout special qui est justement Tim-
pulsion de I'obs^d^ : il se sent pouss^, chaque fois qu'il se sent
malheureux c^est-a-dire incomplete a verifier si son obsession est
bien la, si elle le pousse r^ellement, s'il commence r^ellement les
mouvements du crime ; il est attir6 vers cette verification comme
par un plaisir et quand cette verification commence a se faire, il
recule avec horreur comme s*il sentait de nouveau son mal d'une
maniere plus aiguS. Ainsi, quand nous avons un petit abc^s ou
une dent malade qui nous fait du mal et qui nous agace, nous
sommes port^s a y toucher constamment, a tater Tendroit malade,
a le tourmenter jusqu*a ce qu'une douleur plus aigu6 nous fasse
retirer vivement la main en jurant que nous n'y toucherons
plus; mais bientotle d6sir nous reprend de recommencer. Notre
obs^de si aboulique est moitis que tout autre capable de resister
a cette tentation. II faut bien comprendre cette nature toute
sp^ciale de I'impulsion psychasth^nique pour ne pas confondre
ce ph^nom^ne avec les impulsions automatiques que Ton ren-
contre dans d'autres maladies.
Ces impulsions n'arrivent jamais a Tex^cution, au moins dans
les cas complets et nets de la maladie, de meme les representa-
tions n'arrivent jamais a Thallucination complete et veritable avec
objectivity et r^alite. Ces deux caracteres negatifs tout a fait es-
sentiels chez les scrupuleux me paraissent tres diflSciles a expli-
quer, si on veut se borner a consid^rer Tobsession comme une
idee sugg^ree ou comme Texageration d'une emotion, car les id6es
suggerees et les emotions exagerees vont precisement jusqu'a
REPRESENTATION ANATOMIQUE DES THfiORlES 59»
leur terme qui est I'acte et Thallucination. Pour moi Tobsession
cxprimant une maladie generate de I'esprit participe natureile-
ment au caractere de cette maladie. Or le caractere essentiel de
toute la maladie, c'est qu'elle supprime le dernier terme des
operations psychologiques, qu'elle rend impossible tout ce qui
depend de la fonction du r^el. Le malade qui d'une maniere g^-
n^rale est incapable d'agir et de croire n'arrive pas plus a agir
et a croire dans son obsession.
Enfin ces obsessions sont avant tout des obsessions conscientes,
des folies lucides, c'est-a-dire que le sujet garde le pouvoir de les
critiquer et de rire de lui-meme. Cela revient a dire tout simple-
ment que ces obsessions restent incompletes et n'arriyent pas
jusqu'a la certitude. Mais la maladie est justement une folic du
doute qui supprime partout les croyances, il est done tout nature!
qu'clle les supprime aussi dans Tobsession qui la resume. Nous
avons vu que les obsessions des psychasth^niques, par opposition
aux idees fixes des hysteriques, sont des syst^mes d'images avec
d^veloppement incomplet. Ce caractere qui resume les prece-
dents resume aussi la maladie qui est, comme on Ta vu, une im-
puissance a completer les phenomenes psychologiques. Tons les
caracteres de Tobsession ne sont en somme que les caracteres de
retat psycbasthenique, il est done tout naturel d'admettre qu'elle
en derive.
5. — La representation anatomique des tbiories.
Beaucoup d*auteurs ont essaye de donner a leurs explications
de la maladie des obsessions une couleur anatomique, il faut au
moins signaler les tentatives qui ont ete faites dans ce sens.
Je n'insiste pas sur les troubles de Testomac et des divers vis-
ceres qui ont deja ete signales, il est admis a peu prfes genera-
lement que ces troubles sont secondaires. Mais il ne Taut pas ou-
blier que ces troubles donnent naissance a des auto-intoxications
qui ont la plus grande influence sur le developpement de la ma-
ladie. La lesion principale est peut-etre une susceptibilite speciale
des cellules cerebrales pour toutes les intoxications. Comme le
systeme nerveux altere n'excite plus suffisamment les fonctions
gastro-intestinales, il en resulte de nouvelles fermentations et de
600 THEORIES PATHOGEN IQL'ES
nouvelies intoxications. Ce cercle vicieux joue un role consid^>
rable, mais il n*en est pas moins vrai que le trouble gastrique ne
sufGrait pas a lui seul pour determiner toute la maladie si le sys>
Xhme nerveux ^tait sain.
Les troubles auxquels on a attribue le'plus grand role sont en-
suite les troubles circulatoires. J*ai d^ja signale les travaux de
Angel, et la these de Lubetzki sur le role de la congestion et des
troubles vaso-moteurs dans les cephalalgies et dans les douleurs
de la plaque sacr^e. M. de Fleury explique les angoisses a par un
spasme general de Farbre circulatoire s'accompagnant probable-
men t de rhyperactivit6 fonctionnelle du cceur. La crosse de
l*aorte, organe presque entierement ^lastique et denue de Gbres
musculaircs, se trouve prise entre deux forces contraires qui teu-
dent a la distendre violemment, le lacis nerveux dont elle est en-
touree se trouve tiraille et soufTre de cette douleur retrosternale
qui constitue T^lc^ment essentiel de Tangoisse' ». J'ai d^ja si-
gnale le role que cet auteur fait jouer a Thypertension et surtout
a rhypotension arterielle.
Un des auteurs qui a le plus insiste sur Torigine circulatoire de
la psychasthenic est M. Auguste Yoisin. Deja dans ses lemons cli-
niques il se montrait dispose a rattacher beaucoup de maladies
mentales a Tan^mie cerebrale'. Plus tard il chercha a montrer
les relations « du d^lire du doute avec la sthenic et Tasth^nie
vasculaires' ». L'auteur presentait des traces sphigmographiques
et se fondait sur Taction de certains medicaments comme la ca-
fi^ine et la morphine sur ces troubles vasculaires.
Ces theories contiennent une part de v^rite car les troubles
circulatoires sont evidemment frequents. Mais il est peu probable
qu'ils soient primitifs : tous les auteurs sont naturellement ame-
nds a admettre un trouble d'un centre circulatoire ou vaso-mo-
teur et par consequent a se rapprocher des theories nerveuses.
Parmi celles-ci il faut distinguer d^abord celles qui veulent
rattacher la maladie a des organes nerveux en dehors du cerveau
proprement dit. Morel et Legrand du SauUe parlaient deja d'une
I. F\euT\, Les grands symptomes neurasth^niques, 1901, p. 98 (Paris, F. Alcan)
3. A. Voisin, Lemons cliniques sur les maladies mentales, 1876.
3. A. Voisiii. Delire du doute, ses relations palhogcniques avec la stb^nie et
l*asthcDie vasculaires. Union medicale, 33 mars 1896.
REPRfiSENTATION ANATOMIQUE DES THfiORIES 601
n^vrose du syst^me nerveux ganglionnaire visceral *. M. Fere remar-
quait le grand role du sympathique au molns « comme organe
p^ripb^rique des Amotions ». M. (lartenberg a essay6 dialler plus
loin : dans une communication pr^sent<^e au dernier congres de psy-
chologic et dans son travail sur la n^vrose d^angoisse il concevait
les obsessions et surtout les phobies comme une n^vrose du sym-
pathique. Ces auteurs, j*en suis certain, reconnaissent eux-memes
combien tout cela est aujourd'hui hypothdtique. Quel est le r61e
exact du sympathique dans T^motion ? Les maladies connues des
ganglions coeliaques d^terminent-elles des troubles analogues a la
folic du doute et aux manies du serment ? N'est-il pas aujourd*hui
bien plus vraisemblable que les centres corticaux du cerveau
jouent un role considerable dans les Amotions et dans les obses-
sions ?
M. Dallemagne semble dispose a rattacher ces maladies a des
troubles ^motionnels et ceux-ci a des alterations « des centres ner-
veux inf^rieurs... qui servent comme de transition entre les
fonctions m^dullaires automatiques et inconscientes et les fonc-
tions corticales conscientes et d*apparence spontan^e' ». II
semble peu probable que les angoisses des psychastheniques
soient assez el^mentaires pour etre rattach^es uniquement a des
lesions bulbaires. Celles-ci n'ont gu^re determine des troubles
comparables a ceux des scrupuleux et tous ces auteurs n*h6site-
ront pas a ajouter aux troubles des organes qu'ils signalent le
role preponderant des troubles du cerveau.
Les theories cerebrates de la psychasthenic sont tres peu nom-
breuseSy elles se ramenent a quelques types tr^s simples.
Quelques auteurs font allusion a des centres speciaux, par
exemple aux centres corticaux de la rongeur de Bechterew et
Misslawski. Peut-on, apres toutes les observations sur la honte
du corps, rattacher Tereutophobie a une maladie speciale d*un
centre determine, celui de la rongeur du visage. Si ce centre
existe, son trouble me parait singulierement secondaire a des
alterations bien plus generates.
Le plus souvent on explique la maladie par Texcitation inde-
pendante et isolee des divers centres corticaux. C'est deja ce que
disait Spencer non sans quelque naivete : « une fonction cerebrate
I. Lcgratid du Saiille, Agoraphobie^ p. \^.
a. Dallemagne, Deyvneres et tiHequiUbrh» 1895, p. 573.
G02 THfiORIES PATHOGfiNIQUES
appelle le sang en un point du cerveau. Le sang continue a y en-
tretenir la fonction, de la les id^es 6xes, les obsessions^ ». En
1886, M. Blaise disait de m^me : « L'impulsion est un ph^no-
m^ne physiologique qui a son origine dans Texcitation subite
d'un centre nerveux. Chez le sujet normal les autres centres
peuvent la modifier, Tannihiler; mais, chez les ali^n^s, Taction
de ces centres mod^rateurs Hani troubl^e, n'existant pas, cette
excitation se r^v^Ie puissante, irresistible, et les pousse aux
actions les plus extraordinaires^.
M. Philip Coombs Knapp donne une th^orie qui ne me parait
gu^re diflferente : tout s'explique selon lui « par Tirritation progres-
sive d'un centre de Tid^ation, le groupe de cellules oil a pris nais-
sance Fidde fixe absurde est en permanence en activity. II doniine
la conscience, suspend Tactivit^ des autres centres et finalement
agit sur la zone motrice dont il provoque la d^charge. Ce ph^no-
m^ne a quelque analogic avec ce qui se passe dans T^pilepsie
Jacksonienne^ ».
M. Bourdin expliquait de meme les tics « par des ph^nomenes
de congestion vasculaire dans beaucoup de cas purement fonc-
tionnels, ou par une accumulation d'influx nerveux dansun centre
determine. La cellule mieux nourrie, surchauffee, suroxyg^n^e,
va avoir une activite anormale, il se fait la une accumulation des
forces latentes qui doit se depenser, se transformer en mouve-
ment... L'impulsion nous apparait comme la d^charge brusque
d'un centre passagerement surexcite. Elle n'existe que parce qu'il
y a desequilibration, desharmonie entre les differents territoires
nerveux, preponderance de Tun dVntre eux aux depens des au-
tres * » .
Enfin MM. Vallon et Marie, en interpretant quelques obses-
sions, fonl les remarques suivantes : « d'une fa^on generale les
obsessions peuvent etre considerees comme des excitations non
difiusees a Tensemble des centres nerveux, mais irradiees par-
tiellement en un sens particulier. Les pheuomenes secondaires
sont d'autant plus intenses que Tirradiation est plus limitee a
I. H. Sponccr, Principes de psychotogie, I, p. 661 (Paris, F. Alcan).
a. Blaise, L'impulsion. These, Paris, 1886.
3. Philip Coombs Knapp. The insanity of doubt. American Jouwnal of psychology,
1890. Ann. mid. psych., 1891, II, 3^3.
4. Bourdin, L'impulsion specialemenl dans ses rapports avec le crime. Thdse, Paris,.
1894.
REPRESENTATION ANATOMIQUE DES THEORIES 603
telle sphere d^terminee. S'agit-il de la sphere coenesth^sique on
aura les obsessions emotionnelles ; s'agit-il de la sphere sensi-
tivo-sensorielle, on aura les obsessions hallucinatoires ; s'ngit-il
de la sphere motrice, on aura les obsessions impulsives ; s'agit-il
de la sphere psychique, on aura les obsessions intellectuelles \ )>
Ce langage en apparence anatomique ajoute-t-il quelque chose
aux descriptions et aux classiBcations cliniques des obsessions ?
J'avoue que je n'en suis pas convaincu. Je ne vois pas bien quel
avantage on trouve a exprimer les conclusions psychologiques
d^rivees d'une observation qui n'est encore et qui ne peut etre
que psychologique en un autre langage bien plus hypothetique.
Pourquoi mfiler le probleme de la nature des centres corticaux,
de leur role dans la pensee avec Tinterpr^tation des obsessions ?
Sait-on bien s'il y a un centre special pour chaque id^e, et chaque
fonction psychologique ? Sait-on s'ils ne collaborent pas tous dans
chaque pensee ? Que de problemes on ajoute inutilement a celui
que Ton ^tudiait.
Pofur moi, je ne puis croire qu'il soit possible d'expliquer
ancune des obsessions ou des impulsions que j'ai d^crites dans
cet ouvrage par Tirritation localis^e d'un centre cortical, a moins
que Ton ne transforme coinpletement le sens que les physiolo-
gistes donnent a cemot, centre cortical, et que Tonn'entre com-
pletement dans le domaine de la fantaisie. Pour prendre un
exemple parmi les plus simples, T^reutophobie ne peut aucune-
ment etre presentee comme une maladie du centre de la rongeur
du visage. Imaginez le trouble vaso-moteur de la face le plus
6norme, se produisant par suite d'une lesion centrale comme
une ^pilepsie Jacksonienne, ce ne sera aucunement de T^reuto-
phobie. L'obsession de la rongeur est une pensee qui vient dans
Tesprit du sujet pour expliquer au moyen d'un trouble plus ou
moins r^el de la face, d'innombrables sentiments de gene, de
difficult^, d'arret, de honte, qui surviennent en lui depuis long-
temps a propos des actes sociaux.
Ce qui serait peut-^tre le plus trouble chez T^reutophobe ce
serait le centre des mouvements puisqu'il y a une aboulie au point
de depart. Mais il ne peut s*agir du centre des mouvements quel-
I. Vallon et Marie, Contribution k V6iu6e de quelques obsessions. XII^ Congrh
de mSdecine de Moseou, 1897.
604 THEORIES PATHOGfiMQUES
conques, car le trouble n'existe que dans les mouvements sociaux.
II va falloir revenir comme Gall au centre de la sociability et il
va falloir combiner ce centre avec tous les autres, car non seule-
ment les mouvements, mais les sensations, les souvenirs, les
attentions, les pens6es sont genres quand le malade est en pu-
blic. II en r^sulte que ce centre malade devra contenir une partie
de tous les autres et s'etendra a toute Tecorce. De teller expli-
cations doivent 6tre repoussees car au milieu de beaucoup d'autres
inconvenients, elles presentent surtout ce grand danger, c'est
qu*elles ont Tair de fournir une explication et qu'elles essaient
de masquer notre ignorance.
Un dernier groupe de conceptions anatomiques me parait plus
intercssant, ce sont celles qui admettent une lesion g^nerale du
cerveau, soit une malformation qui r^duirait les centres sup^-
rieurs, soit plutot un afTaiblissement g^n^ral de tout^ T^corcc.
Laycock parlait deja en i8^ii d*un trouble chimique qui pr^dis-
posait a la fixite des ph^nomenes cer^braux^ H. Jackson admet
une dissolution des centres les plus elev^s, avec predominance
des moins hautement organises^. M. F^r^ parle souvent d'une
attenuation g^n^rale des fonctions du cerveau. M. de Fleury
admet dans la neurasthenic un ^puisement nerveux g^n^ral qui ne
s^adresse pas a tel ou tel territoire en particulier.
J*ai deja indique que si Ton ne craint pas les hypotheses pr^mn-
turees on pouvait essayer d'imaginer une diminution de la tension
nerveuse en la rapprochant de phenom^nes analogues pr^sentes
par le courant electrique ou par la chaleur. On peut ajouter peut-
etre que cette diminution de tension est relative a Tetendue des
centres c^rebraux. Un cerveau simple, etroit, peu complexe peut
probablement plus facilenient avoir une tension sufRsante. Cela
expliqucrait ce fait souvent signals que les psychastheniques sont
souvent des gens intelligents et delicats et que les espris tres
simples, ceux des idiots et des imbeciles par exemple, ne sont pas
capables de presenter cette maladie des obsessions.
Au lieu de faire de cette maladie un trouble anatomique localise,
je serai plutot dispose a en faire un trouble dynamique, une insuf-
(isance de la force qui est fournie a Torgane pour qu*il fonctionne.
Le cerveau du psychasthenique est un beau lustre electrique dont
I. Cilf^ par Hack -Til kc, Brain, 189^, p. 19a.
a. Jackson, Drain, 1894, p. 19^.
REPRfiSENTATION ANATOMIQUE DES THEORIES 605
les lampes sont tr6s nombreuses et ires artistementdispos^es; s*il
eclaire mal, si les lampes s^^chaufTent, s'il se produit des d^riva- •
tioDs c'est que le courant fourni par le secteur n'a pas le voltage
suiBsant. Je me hate d'ajouter d'ailleurs que Ton ignore compl^-
tement a quoi tient cette baisse de courant du cerveau, s*il y a
un organe special qui produit cette tension et qui la rfegle, si
cet organe est dans T^corce c^r^brale, dans le cervelet ou en
dehors. Ce n'est la qu'une representation vague qui est bien loin
d*atteindre la precision que Ton pent, je crois, donner a des
interpretations purement psychologiques.
II est Evident que c*est la bien peu de choses, mais c'est tout
ce que Ton pent dire avec quelque vraisemblance. S'il « faut
toujours penser anatomiquement », il faut se r^signer a ne pas'
penser du tout quand il s'agit de psychiatrie. N'est-il pas plus
raisonnable et plus utile m6me de constater les faits de la ma-
niere dont ils se pr^sentent actuellement a Tobservation et de les
exprimer dans le langage qui leur convient. Ces etudes psycho-
logiques, en analysant les phenomenes, en les r^duisant a leurs
elements essentiels, prdparent les voies a une interpretation
anatomique, interpretation qui n*est pas encore possible a notre
dpoque.
CHAPITRE II
L'fiVOLUTION
La modification anatomique a laquelle on pourrait rattacher les
accidents psychasth^niques^la nature intimedu trouble qui les pro-
dult nous echappe. II en resulte que les Etudes sur T^tiologie et
revolution de cette afiection sont n^cessairement fort vagues. Je
me borne a rapporter les principales conditions auxquelles Tob-
servation r^p^tee donne quelque importance comme conditions
etiologiques et a rechercher de quelle maniere se fait le plus com-
mun^ment le d^veloppement de tons ces troubles.
PREMIERE SECTION
CONDITIONS iTIOLOGIQUBS
La maladie de la psychast^nie entendue dans ce sens gdn^ral
que j'ai essay^ de faire comprendre, comprenant les aboulies, les
tics, les scrupules, les angoisses, les obsessions, est extr^mement
fr^quente. En trfes pen d*ann6es, depuis que j'ai r^solu d'entre-
prendre Tetude de ces malades, j*ai pu tr^s facilement reunir
325 observations de cas tout a fait remarquables. Sous sa forme
plus vulgaire, la maladie doit etre enormement repandue, c'est
elle qui se dissimule le plus souvent dans ces cas innombrables
que Ton baptise des noms b^nins de nervosity, de neurasthenic.
Les conditions qui semblent dc^terminer Teclosion de cette
maladie sont d'abord *des conditions essentielles predisposantes
sous la dependance de Th^redit^ etde la constitution individuelle,
puis des conditions accidentelles, en rapport avec des troubles
physiques ou moraux qui d^terminent Teclosion de la maladie.
L^HfiREDlTfi 607
i. —L'h6r6dit6.
II est ({'observation ancienne que rh6r^dit6 joue un r6le consi-
derable dans la maladie des obsessions. Legrand du Saulle pla^ait
deja rh^r^dite en premier lieu parmi les causes pr^disposantes :
<c La folic du doute va de pr6r(grence recruter ses victimes parmi
les descendants des n^vropathes, ces surnum^raires obliges de
^alienation^» Tousles observateurs ont reproduit la meme re-
marque. M. Saury* reproduisant Tenseignement de M. Magnan^,
appellecc cette maladie » la folie her^ditaire et ^crit en parlant des
obs^d^s : « qui dit folie dit h^r^dit^y c*est le principe qu*il faut
admettreen th6se g^n^rale. )>
MM. Pitres et R^gis ^tablissent a ce sujet le tableau suivant
tres d^monstratif. lis constatent dans les Ix/b des cas des ascen-
dants directs ou collat6raux qui sont des obs^d^s, des ali^n^s,
des alcooliques ou des n^vros^s. Sur lOO observations d'obs^d^s
ayant dansleur ascendance des tares n^vropathiques, ils observent
les proportions suivantes :
i^ paternelle 5
/ similaire. . .< maternelle a'l
( coUal^rale lo
.' ali^n^s, ^pilepliques ou hyst^riques. i5
( pire ou m^re.| alcooliques i4
^ dissemblable } ' violenU, originaux i4
f collat^rauz ^ ali^n^s, ^pileptiques, hyst^riques, al-
'{ cooliques, etc i8
s
Je n'ai recueilli quelques renseignements suflSsamment precis
sur les maladies des parents que dans 170 cas. Voici les r^sul-
tatsde ces observations en ramenant la proportion a 100 cas:
Parents sans maladie connue ^
Tuberculeux, syphilitiques la
Arthriliqucs, goutte, etc 7
H^rMit6 ) Alcoolisme iT)
dans 100 cas. j N^vropalhiques 17
/ AlUnation 1 '=!'''\'"* P'.V"!' '^
I f chez les collaleraux 16
I Psychasth<^nie similaire a 8
1. Legrand du Saulle, Folie du doute, p. 61.
a. Saury, Les degenerh, etude sur la folie hereditaire, 1886.
3. Magnan, H6reditaires d^g6n^r6s. Archives de neurol,, 189a, I, 3o5.
608 ^ L'fiVOLUTlON
Dans 8 cas seulement pour loo je ne trouve rien de bien no-
table chez le pere et la m^re, il est probable qu^une ^tude plus
attentive de la famille aurait encore r^duit ces cas sans h^r^dlte.
D'ailleurs c'est dans ces cas qu'il faudrait rechercher les troubles
du caractere, la timidity, Tautorltarisme, etc., qui sont plusqu*on
ne le croit la preparation de Tetat psychasth^nique. Dans 13 cas
Tun des parents 6tait atteint de tuberculose ou de syphilis. Cette
proportion me semble un peu forte, elle est due a ce que la plu-
part deces malades appartiennentala population parisienne pau-
vre. Dans 7 cas pour 100 je note chez Tun des parents ou dans
quelques cas chez les deux des formes graves de Tarthritisme,
Tobesite, le rhumatisme chronique^ la goutte. Cette constatation
n'est pas sans importance clinique.
Dans 1 5 cas Tun des parents ^tait alcoolique. Dans 17 des cas
Tun des parents etait atteint d'une nevrose grave : ^pilepsie, hyste-
ric, asthme. Pour Tali^nation proprement dite, nous ne bornons
pas notre enquete au pere et a la mere, mais aux collateraux im-
m^diats, oncles, tantes, cousins germains, nous trouvonsalors dans
3o cas des antecedents atteints d*alienation. Ces cas se d^com-
posent ainsi : \!\ malades ont leur pereou leur mere atteints d'alie-
nation et 16 comptent des alien^s parmi leurs collateraux. En
outre, dans 7 observations il faut noter quele p^re, la mere ou un
collateral imm^diat se sont suicides.
Dans ces derniers cas il y a souvent accumulation, dans le cas
deWeu... le p^re alcoolique est mort de delirium, la grand'-
m6re paternelle est morte alienee, la mere etait atteinte de delire
circulaire, une sceur de la malade est hysterique et deux freres
morts dans Tenfance etaient idiots. Yoici la genealogie de Fa...
Grand-p5re, Grand -p^re,
alcoolique, alMn^» aBsassin. alcoolique.
I I
I III
Oncle. P^re, M^re, Tante.
alcoolique. asthmatique, bysUrique. delire m^lanoollque.
I crises de Bommeil,
Cousin, ali6n^.
obsede, suicide. |
Fa..., ScBur, frftre,
obsdd^. b^stdrique. 6plleptique et imb^ile.
Dans le second volume de cet ouvrage on trouvera beaucoup de
cas de ce genre.
Ce qui parait le pluscurieux c'estquedans^ycaSjC'est-a-dire 38
pour 100, jetrouve a un degr^plus ou molnsaccentu^ ce que Ton
peutappeier une her^dite similaire ; dans 12 de cescas Th^r^dit^ est
absolument semblable et la maladie se repute quelquefois dans
tous ses details. Le p^re de Mb... avail une manie d'interrogation,
de verification qui ressembie tout a fait aux interrogations que
fait maintenant sa fille parvenue au meme age sur la valeur des
ditferents sens. L'obsession du suicide que j'observe actuellement
chez Er... existe aussi chez sa soeur, elle a exists chez la mere et
chez la grand*mere de cesdeux jeunesfilles. Dans le cas de Sol...
la mere et le fils pr^sentent en meme temps la meme obsession
qui les pousse a penser constamment avec terreur a la mort su-
bite. Dans les autres cas les parents ont d'autres obsessions,
d'autres manies bien caract^ris^es. La mere de Dob... avait des
obsessions de jalousie, et Dob... est une agoraphobe. Bow...
nous pr^sente la microphonophobie, son (ils a la phobic du be-
gaiement. La grand'm^re de Gis^le avait des craintes de depen-
ser de Targent, de le voler et de Tamour fou pour les betes. La
iille de cette malade, a Cans, pr^sente des manies d'ordre et des
remords obsedants, elle sent d6ja « qu'elle n^est pas comme les
autres petites (illes qui savent [avoir des id6es gaies ». Trousseau
avait deja remarqu6 qu*il y a des families chez qui les tics sont
h^r^ditaires, il y en a de meme chez qui les phobies et les scru -
pules se transmettentde generation en generation comme les traits
du visage. Lise et sa plus jeune soeur, qui ressemblent a leur
p^re, ont des scrupules comme lui; son fr^re, qui ressembie
physiquement a la m^re, ^chappe a la maladie.
Dans bcaucoup d'observations, ou j^ai compt6 les parents comme
sains ou bien comme ne pr^sentant que de Tarthritisme, on trouve
cependant chez eux des troubles psychologiques extremement inte-
ressants. Ce sont des gens bizarres, des agit^s ou bien des mous
et des inertes ne pouvant se decider a rien, ou bien des violents,
des entet^s incapables de se diriger ou de se contraindre. La mere
de Mm... reste absorb^e dans ses idees : elle a toujours ete une
reveuse ne pouvant jamais se decider a agir mais elle n'a jamais
soufFert de Tobsession, sa fille a le meme caractere r^Veur mais
elle souffre de ses idees. Le pere de Chv. .. est un inquiet, sans
Anergic qui s'est tourmente toute sa vie sans motif, sa fille est
une hypocondriaque et une phobique. La mere de Lcp..., le
LSS OBSESSIONS. I. — 89
610 L'fiVOLUTION
pere de Ade..., le pere de Bu..., le pere de Claire, le pere et la
mere de Nadia, la mfere de Wye..., etc., sont de veritables abou-
liques, ne terminant jamais ce quUls entreprennent, d^sesp^res et
tourment^s par des hesitations au moment d*unchangementd*ap-
partement, malades pour le plus petit changement de leurs habi-
tudes. J'ai deja signale ces families comme celle de Ho..., de
Sim..., de Za..., oil Tun des parents 6taitremarquablepar un ca-
ractfere horriblement autoritaire et j'ai montre que c/6tait d^ja la un
trouble de la volont^ qui, chez les enfants, aboutit au scrupule.
L*observation de Jean est partlculierement int^ressante : il me
semble qu'il a fallu une Evolution constante dans la meme direc-
tion pour arriver a constituer son esprit. Le grand-pere paternel
etait un homme a la fois triste et agit^, il se tourmentait et s^afTli-
geait d'une maniere excessive, il est mort apres avoir ^i6 plu-
sieurs ann^es dans un ^tat voisin de la melancolie anxieuse, etat
determine par la mort de sa femme. Le p^re est un homme ex-
tremement intelligent, meditatif, mais timor^, sans activite et
sans Anergic Pour le plus l^ger ennui, il tombe dans desetats de
depression mentale, n'agit plus et ne parle plus pendant plusieurs
jours ; il est tres preoccupy de sa sante d^une maniere, il est
vrai, encore raisonnable, mais qui touchc bien a Thypocondrie.
Enfin le fils, Jean, touta fait aboulique, pr6sente au plus hautde-
gre ledelire du scrupule et de Thypocondrie. On pourrait dire ici
avec M . Fer6 « Ther^dite a besoin d'c^tre accumul^e, capitalisee
en quelque sorle avant de se montrer sous une forme nettement
caracterisee, avant de se traduirepar uneentite morbibe a laquelle
on puisse imposer un nom ^ ».
Ces dernieres observations sur Theredite sont interessantes :
elles nous montrcnt que la maladiede Tobsession n'estque le der-
nier terme d'une Evolution caract^ris^e par Tabaissement de Tac-
tivite mentale qui correspond probablement a un abaissement
parallele de Tactivite vitale se manifestant par Tarthritisme.
Comme cet abaissement de Tesprit, cette diminution des pheno-
menes superieurs de synthese, de volonte et d'attention et leur
remplacement par les phenomenes inferieurs de la division men-
tale, de la reverie, de I'^motivite est aussi le point de depart de
de la plupart des alienations etdesnevroses, il n'estpassurprenant
que des families engagees dans cette voie descendante n'aboutis-
l. F6r^, La famille nhropathique, iSg^.
LES STIGMATES PIlVSlQUES DE D^GfiN^RESCENCE 6ll
sent pas toujours a Tobsession proprement dite, mais que plu-
sieurs de leurs membres d^vient dans d'autres directions vers
r^pilepsie, Thyst^rie ou d'autres psychoses.
2. — Lea stigmates physiques de diginirescence.
Cette influence de Th^r^dit^ a conduit a rechercher chez les
obsed^s des marques physiques dWganisation incomplete ou
d^fectueuse, les stigmates physiques de la d^gen^rescence.
Morel signalait deja ce probl^me ; Legrand du Saulle y insiste
dans son 6tude clinique sur T^tat mental de Sandon, 1878 V
II signale les malformations du crane, Taplatissement de la re-
gion post^rieure de la tete, le d^faut d'harmonie du front et de
la tete, Tasym^trie, le strabisme, le nystagmus, la grandeur de
la bouche^Tepaisseurde lal^vre inf(6rieure,rirr6gularit6dentaire,
la decadence rapide et pr^coce de la dentition, Tasy metric et
r^troitesse de la voAte du palaia^ Tasym^trie, Timplantation vi-
cieuse, la forme anormale, du pavilion de I'oreille, I'arret de
d^veloppement des organes g^nitaux, etc.
M. Magnan et toute son 6cole ont beaucoup insists sur Tim-
portance de ces stigmates physiques dont ils se servent pour
ranger ces malades parmi les d^g^ncres ^. Parmi les travaux r^-
cents on pent signaler ceux de Binder sur I'oreille de Morel*,
ceux de Metzger sur les signes dela d^g^n^rescence*, cet auteur
remarque justement qu'il ne faut accorder de Timportance qu'au
concours de plusieurs de ces signes associ^s chez le m^me indi-
vidu, deM. Ladame^, de M. Iscovesco'etc.
I . Legrand du Saullo, Signes physiques des folies raisonnantes, Made clinique sur
i'Slat mental de Sandon, 1878.
a. Magnan, Journal des conseils mSdicaux, 26 novembre 1889. Lemons I'aites h
Sainte*\nno, recueillles par Legrain. Legrain. Du delire chez les deqenires, i885.
Magnan, Des signes physiques, intellcctuels ot moraux de la folic hereditaire,
Ann. med psych., Janvier 1886, p. 90. Discussion. Ann. mSd. psych., 1886, p. 370,
437. 444. Archives de neurologic, 1893, II, 3o8.
3. Binder, L'oreille de Morel. Arch. f. Psych., XX, a, 1890.
4. MeUgcr, £tude des signes de la d^g^n^rescence. Allg. Zeitschr. f. Psych.,
XLV, 5, 1890.
5. Ladame. fievue de I'hypnotisnie, 189 1, p. 137.
6. Iscovesco, Trois cas d'impulsion chez des d^g^n^r^s. Ann. mid.-psych., 1898,
II, 6a.
or: L*f. VOLUTION
MM. Pitres et R6gis ont cependant fait a ce propos une remar-
que trfes juste, c'est que ces tares physiques sont loin d'aecom-
pagner toujours et r^gulierement les troubles nioraux des phobias
et des obsessions, a Laplupart des obs^d^s ont le crane bien con-
forme, les dents bien implant^es, les organes g^nitaux normale-
nient d^velopp6s, ils ne pr6scntent m^me pas plus souvent quo
les sujets r^put^s sains les petits stigraates auxquels on ^tait
porte naguere a attacher une importance fort exager^e. » Ces
auteurs dans une cnqu^te sur 5o sujets ont examine T^tat de
la voi!kte palatine, la forme des oreilles, Texistence ou Tabsence
du trembleraent des mains et ils n'ont pas obtenu des resultats
differant sensiblement de ceux qu*on obtient d'ordinaire chcz des
sujets normaux.
Je n'ai pas fait la meme enqu6te aussi systdmatiquement ; je
constate de temps en temps quelques-uns de ces signes qu'on
est convenu d'appeler stigmates physiques de deg^n^rescence, j'ai
note deux cas de bec-de-lievre, douze cas d'asymetrie faciale tr^s
nette, en particulier chez Jean, unetrentainede fois la voi^te pala-
tine ogivale, quelques implantations des dents tr^s irr^gulieres,
en particulier chez Lo... et chez Ver..., Toreille de Morel, Tasy-
metric du visage et du corps, des plaques de vitiligo sur la peau
chez Vk..., le gigantisme chez Gisele, femme de i",86 et le
nanisme chez Far..., homme de i,™38, Tasymetrie reniarquable
de la couleur de Tiris dans les deux yeux chez Fa..., Tarret de
developpement des seins et des organes g^nitaux chez Mw... qui
n'est pas encore r^glee a 3o ans, etc.
Cependant, il faut observer que ces deformations sont loin
d'etre la regie, il ne faut pas oublier que Ton rencontre des
scrupuleux qui sont de tr^s beaux hommes, d'une conformation
irr^prochable comme Rk... Je suis dispose a conclure comnie
MM. Pitres et R6gis que ces malformations sont tr^s loin d'avoir
chez les obs^d^s la meme frequence et la meme importance que
chez les idiots et m^me chez les ^pileptiques.
Ce que Ton observe plus souvent ce sont ces troubles fonction-
nels qui se manifestent des Tenfance et qui indiquent une resis-
tance defectueuse du systfeme nerveux. Dans douze cas parmi les
antecedents personnels j'ai nott^ des convulsions infantiles. Le
fait a une petit importance : on sait que ces convulsions sont
tres rares dans les antecedents des hysteriques et qu*elles sont
au contraire tres fr^quentes dans les antecedents des epilepti-
LE SEXE ET L'AGE 613
ques, or, comme on Ta vu, je suis tent6 de rapprocher nos psy-
chastheniques des epileptiques. Dans 7 cas, j'ai not6 Tinconti-
nence nocturne infantile, se prolongeant jusqu'a 10, 12 et i5 ans,
dans trois cas du begaiement. Dans un de ce^ cas assez curieux,
le begaiement a gueri vers I'age de 22 ans, au moment oil a
commenc6 revolution des troubles mentaux.
Si les stigmates physiques de la d^g^n^rescence ne sont pas
toujours evidents, il y a cependant une faiblesse du systeme ner-
veux qui se manifeste par ces troubles fonctionnels et qui sera
encore plusevidente quand nous considererons le caractere moral
ant^rieur a la maladie proprement dite.
3. — Le sexe et I'Age.
En outre de Ther^dit^, le sexe senible jouer un certain role
comme condition pr^disposante. En faisant la statistique des
observations maintenant assez nombreuses que j*ai recueillies et
qui s'elevent au nombre de 325, je constate qu*il y a parmi ces
maladcs g5 hommes et 280 femmes. La dific^rence est considera-
ble puisque le nombre des femmes, 71 pour 100, est plusde trois
fois celui des hommes, 29 pour 100. Quelques remarques peuvent
peut-^tre diminuer cette difference, les hommes ont moins que les
femmes le temps de venir se plaindre d'une maladie semblable de
Tesprit, ils s*occupent moins des details de leurpensee. Maiscela
memc confirme qu'ils sont moins susceptibles de dcvenir des scru-
puleux. On pent admcttre en rc^sume qu*il y a un quart d'hommes
pour trois quarts de femmes : c'est une remarque qui a deja ete
faite a propos de Thysterie et en general a propos des nevroses.
Elle s'accorde avec cette opinion generale peu galante mais
assez vraie : c'est que la femme est en general d'un niveau mental
inferieur a celui de Thomme, en entendant toujours la hierarchic
mentale dans le sens que j'ai indique, qu'elle a plut(H les fonc-
tions inferieures de la reverie et de T^motivit^ etqu'elle a moins
les fonctions sup^rieures qui agissent sur le rc^el, le percoivent
et le modiBent.
II est plus difficile de determiner Tinfluence de Tage : on pent
commencer par dresser un tableau indiquant Tage qu'avaient les
614 LfiVOLUTION
ma lades au moment oil ils se sont preseDtes a notre examen poor
la premiere fois, c^est ce que MM. Pitres et Regis ont fait dans le
tableau suivant qui resume 25o observations' :
AGE BOMMES FEMMES TOTAL
De II a 1 5 ans 3 4 6
16 k 30 ans 5 7 la
ai k 35 ans 17 i5 3a
36 a 3o ans i4 36 5o
3i k 35 ans 17 a8 45
36 h 4o ans 11 37 38
fn k 45 ans 8 18 a6
46 h 5o ans 7 8 i5
5i a 55 ans 6 5 11
56 h 60 ans a 4 6
61 & 65 ans.. ..... 5 a 7
66 k 70 ans i o i
71 k 75 ans I o I
96 I 54 35o
J'ai tir6 un tableau semblable de 3oi observations que j'ajoute
ici a cdt<^ du precedent simplement a titre de document :
10 ans o
i5 ans 4
ao ans 9
a5 ans 11
3o ans 16
35 ans la
4o ans i3
45 ans 6
5o ans 3
55 ans 10
60 ans I
65 ans a
70 ans o
75 ans I
80 ans I
"89"
Ce tableau s'accorde d^une mani^re interessante avec celui de
MM. Pitres et Regis : il montre comme le precedent que les
obs6d^s viennent demander dcs soins a peu pres a tons les ages.
En realite, aucun age n'est totalement exempt de cette maladie.
I. Pitres ot P6gi8, op, eit., p. 69.
De 5 &
II k
16 k
31 k
36 k
3i k
36 k
4i k
46 k
5i k
56 k
61 a
66 k
71 k
76 k
I
I
6
10
»9
38
35
46
43
59
33
45
•i6
39
16
sa
i5
18
7
»7
6
7
3
5
I
I
1
a
0
I
13
3oi
LE SEXE ET fAGE 615
Mais il est certain aussi que dans I^enfance et I'extreme jeunesse
les cas que Ton presente au m^decin sont fort rares, de meme a
partir de 5o ans on note dans les deux tableaux une decroissance
tr^s rapide. Les cas d'obsession dans Tenfance ou dans la vieil-
lesse sont toujours signal6s comme des raret^s cliniques ^ La pe-
riode la plus favorable au d^veloppement de cette maladie semble
etrc entre 20 et 5o ans, c'est-a-dire dans Tage adulte. Enfin par
une coincidence qui ne pent pas etre fortuite, les deux tableaux
nous montrent le maximum au meme age entre a6 et 3o ans,
il semble bien que ce soit la la periode la plus active de la ma-
ladie si on veut bien admettre que la gravity de la maladie est en
rapport avec Tactivite que mettent les malades a rechercher les
soins du medecin.
Une statistique qui serait beaucoup plus int^ressante nous don-
nerait non plus Tage ou les malades se pr^sentent chez le mede-
cin, mais Tage ou la maladie a debute ; malheureusement cette
statistique est presque impossible a etablir. La maladie des obses-
sions procede souvent par rechutes successives separ^es par des
periodes d'amelioration relative. Les malades sont trop portes a
donner comme le debut de leur maladie la date du debut de
leur derniere rechute grave et laissent de c6t6 la date du ddbut
veritable quelquefois tres eloignee. Par exemple Vor..., femme
de 58 ans, vous dira volontiers que sa maladie actuelle, le scrupule
urinaire, a commence il y a deux ans; ce n'est qu'incidemment
qu'elie raconte avoir ^te soignee par Charcot a Tage de 18 ans,
pour une crainte bizarre de dire des mensonges en confes-
sion. Ellc est toute surprise quand on lui fait reconnaitre que
c*cst toujours la m^me maladie. On commet ainsi, en prenant
la date d'une rechute pour la date du debut, de grossicres
erreurs.
Mais une deuxieme difficult^ est plus grave encore ; qu'est-ce
qu'on appelle le d^but veritable d*une maladie semblable ? Est-ce
le d6but de Tobsession proprement dite? Mais il peut y avoir
auparavant des crises de rumination, de phobie, de tics qui
sont, comme on Ta vu, la preparation de I'obsession; admettra-
I. H. Berger, Obsession et impulsion chei un enfant de 10 ans. Arch. f. Psy-
chiatric, XVllI, 3, 1890. J. Seglas, Ncurasthcnie tardive avec id^es obs^antes et
folie du doule choz un hommo dc 56 ans. SocUU medico-psych,, a5 mai 1891.
616 Lfi VOLUTION
t-on ces crises comme d^but ? Mais il y a auparavant des senti-
ments pathologiques d^irr^el, des inquietudes, des aboulies qui
sont a noire avis la maladie elle-m6me. Or, ces phenomenes ont
pu commencer des annees avant T^closion de Tobsession. Choi-
sir la date entre ces deux extremes est tout a fait arbitraire.
II en r^sulte une consequence singuliere : plus Tobservation
d'un malade est ^tudiee, plus on reconnait que les troubles sont
anciens et plus on est dispose a prendre comme date du debut
un age tres jeune, plus Tobservation est sommaire, plus on ac-
cepte d*apres les dires du malade un age avance. II resulte
de ces didicultes qu^une statistique de Tage du debut est
presque impossible ou du moins qu'il faut la consid^rer comme
une indication vague sans pouvoir y attacher une grande pre-
cision.
MM. Pitres et R6gis ont essay^ une statistique de ce genre
dont voici les r^sultats * :
AGE IIOMMES FEMMES TOTAL
De 5 k ID ans 6
II a i5 ans 8
i6 a ao ans 3
ai k 35 ans 4
a6 k 3o ans 4
3i & 35 ans o
36 & 4o ans 1
4i & 45 ans o
46 k 5o ans i
5i k 55 ans i
56 a 6o ans o
37 73 100
Pour etablir le tableau suivant portant sur 186 miilades seule-
ment, mieux connus que les autres a ce point de vue, j'ai essaye
dans la mesure du possible de noter le debut du premier acci-
dent independamment des rechutes et je n'ai consider^, comme
debut, que des accidents reels en general des agitations forcees
sous forme de manies mentales, de tics ou d'angoisse, inquietant
le malade ou son entourage sans remonter jusqu'aux troubles du
caractere qui dans la plupart des cas s'etaient manifestes beaucoup
plus t6t.
I. Pilros et Regis, op. cit., p. 70.
8
i4
34
3a
9
II
10
i4
9
i3
9
9
0
I
I
1
3
3
0
I
I
I
LE SEXE ET L'AGE
617
TOTAL
TOTAL
AGE
HOMMES
FBMMES
POUR 1 86
POUR 100
5 k lO
ans. ... 3
4
7
3.7
II k l5
ans. .
6
33
29
i5,5
i6 k ao
ans. .
i3
33
46
a4,3
ai k a5
ans.
8
ao
a8
i5.a
a6 k 3o
ans.
5
33
38
ao,4
3i a 35
ans.
9
a
II
5.9
36 k 4o
ans.
3
8
11
5,9
^l k 45
ans.
o
6
6
3. a
/i6 k 5o
ans.
a
4
6
3, a
5i k 55
ans.
o
o
0
0
56 k 6o
ans.
o
a
a
1,07
6i k 65
ans.
I
I
a
1,07
5o
1 36
186
Ici Ics deux tableaux ne sont plus aussi concordants que tout
a rheure, ils montrent bien tous ies deux le noihbre considera-
ble des debuts dans la jeunesse, nombre qui va en diminuant a
mesure que Tage avance. Mais dans le tableau de MM. Pitres et
R^gis le maximum se trouve entre 11 et i5 ans, tandis que dans
le mien le maximun se trouve un peu plus tard entre 16 et
20. Les auteurs precedents concluent leur etude en disant : « plus
de la moiti6 des cas commence dans Tenfance avant la fin de la
qulnzieme annee, plus des trois quarts avant la trentieme ^ » Mon
tableau ne me permct pas d*avoir tout a faitla m6me formule et je
dirai : a peu pres la moitie des cas commencent avant la fin de la
vingtieme ann^e et plus des trois quarts avant la trentieme.
Cette remarque sur Tage du d^but le plus frequent, n'est pas
sans int^rdt. Tous les auteurs sont d'accord pour admettre Tenorme
influence de la puberte. Legrand du Saulle disait que chez des
predisposes par rh^redit^ Tage de la puberty ne va pas sans ora-
ges et sans perils. M. J. Falret ajoutait qu*a la puberty, il se fait
comme une bifurcation, Ics uns sont frapp^s d*un arret de deve-
loppement et se dirigent vers la debilite intellectuelle, les au-
tres vers les phobies raisonnantes. » J'ai ete frappe de ce fait,
ecrivait Baillarger*, que presque ton jours la maladie du doute
avait debute a Tepoque de la puberte. » M. Marro insiste beau-
coup sur ces dangers de la puberte : Tactivite de la croissance,
I. Pitres et R^gis, op. cU., p. 70.
a. Batllarger, Folic du doute. Archives cliniqiies des maladies mentales et nerveuses.
Paris, 1 86 1.
618 L'fi VOLUTION
dit-il, correspond a un arr^t du perfectionnement organique ; il y
a a ce moment, surtout chez les femmes, une diminution dans la
quantity d'acide carbonique elimin^ qui indique un ralentisse-
ment de la nutrition \ et il y a une predisposition a toutes les
maladies mentales. Toutes ces remarques sont fort justes et le
d<^but des regies chez la femme est bien souvent le d^but des
phobies et des obsessions.
Depuis longtemps j'essaye de montrer qu'il ne faut pas tenir
compte uniquement de la puberty physique mais qu*il faut tenir
compte aussi de la puberty morale qui se produit un pcu plus tard.
La perception des sensations nouvelles, leur assimilation a la
personnalite, tous les sentiments qu'elles entrainent compliquent
singulierement Texistence morale. « II est un age, disais-je a ce
propos, legerement variable suivantles payset les milieux oil tous
les grands problemes de la vie se posent simultan^ment. Le choix
d'une carriere et le souci de gagner son pain, tous les problemes
de Tamour et pour quelques-uns tous les problemes religieux : voila
des preoccupations qui envahissent Tesprit des jeuncs gens et qui ab-
sorbent completement leur faible force de pensee. Cesmille influen-
ces manifestent une insuffisance psychologique qui reste latente
pendant les p6riodes moins diflSciles '. » L'augmentation du nom-
bre des scrupuleux entre i6 et 20 ans semble confirmer ce role
queje donnais autrefois a la periode de la puberte morale, c'est
une influence un peu plus tardive qui s'ajoute simplement a celle
deja considerable de la puberty physique.
Cependant il ne faut pas oublier notre remarque prealable,
c'est qu'il est tres diflScile de fixer I'age du d^but et qu'il est tres
facile en tenant compte des troubles des sentiments, de la
volonte, de T^motivite, dc le faire remontcr dans certains cas
plus haut que je ne Tai fait. C'est la ^videmment ce qui explique
les divergences que j'ainotees.
4. — Les conditions physiques dSterminantes.
Quelle que soit Timportance de la predisposition hereditaire.
1. Marro, Puberte^ p. ^2. 67, 3^3.
a. Les accidents menlaux des hysleriques, i8()4, p. 299.
LES CONDITIONS PHYSIQUES DfiTERMINANTES 619
li est evident que certaines causes determinantes jouent un role
dans I'^closion de la maladie. Tous les auteurs ont not^ Timpor-
tance des fatigues, des exces, des traumatismes, des maladies in-
fectieuses, de la puerp6ralit^, etc.\
On a rattache des cas d'une manifere nette a des maladies d*es-
tomac*, a des lesions cardiaques^, a Tinfluenza^y etc. MM. Pitres
et Regis ont fait une statistique de 4o cas oil les causes physiques
semblent avoir eu une grande influence. Ces cas se decomposent
ainsi^:
Operations chirurgicale« a
Maladies vcn^riennes et cutandes 8
Surmcnago 5
Maladies iofectueuses I2
Accidents nerveux 6
Grossesses a
Menopause 5
Dans mes observations j'ai not^ que les obsessions semblent
avoir commence immediatement ou quclque temps apres les phe-
nomenes suivants et que par consequent ceux-ci peuvent avoir
eu quelque influence sur elles.
Congestion par la chaleur i cas.
Refroidissement de la t^te i
Surinenage physique 3
Blessures accidcntellos 4
Contusions k. la tdte i
Operations chirurgicales 5
Eczema ot maladies culan6cs 3
Ur6thrite ^
Metrite a
Syphilis a
Troubles gastriques lo
Cholera. . '. i
Bronchito a
Influenza 4
Pleurisies et pneumonies 3
Tuberculose a
I. Baillarger, Recherches sur les maladies mentales, 1890. p. a6a. S^glas, Maladies
mentaleSy p. 69, etc.
a. DevaY. £latdelirantpar auto-intoxication. Journal mid. et de chir. pral., 1873,
p. 497-
3. Roubinovitch, Phobie dans un cas d'insuflisance mitrale. Sociite med.-psych.,
37 mai 1876.
4. Pailhas, Obsessions nerveuses au cours d*une atteinte d'influenza. Ann. med.-
psjch.y 1893, 11, '426.
5. Pitres et Regis, op. eit., p. 74.
620 L'EVOLUTION
Variole "... a
Typhoide ii
Accidents nervcui a a
Puborte tardive et djrsmcnorrhde a
Onanisme 7
Grouesse 4
Fausses couches et h^morragies 3
Accouchement i
Allaitement 3
Menopause 3
Ii est Evident que rinfluence de beaucoup de ces causes est
loin d'etre directe, je suis dispose a croire que piusieurs de ces
accidents sont deja la premiere manifestation de la maladie et non
sa cause. II en est ainsi probablement pour piusieurs des troubles
gastriques, pour piusieurs des cas d^onanisme etpour ce que nous
avons appel^ accidents nerveux, ies sommeils que pr^sentait
Gis^e, ies crises convuisivcs de Yod..., etc. Ii est probable que
ces accidents ont et^ consid^r^s a tort conime hysteriques et qu'ils
etaient d^ja des crises d'cngourdissement ou d'agitation comme ies
presentent ies psychasth^niques. Ii est probable aussi que beau-
coup dc ces accidents n*ont pas agi comme cause physique mais
uniquement par l*^motion, par ie choc moral qui ies accompa-
gnaient, ii en est ainsi pour ces biessures a ia main faites par une
aiguilie, pour i'eczema du perinee ciiez Vor..., pour ia syphilis
chez TIl..., pour piusieurs des accouchements.
Cependant un certain nombrede ces phenomenes ont une action
bien certaine, ie surmenage chez Ez..., qui soigne son mari nuit
et jour pendant 5 mois et qui commence imm6diatement apres
une abouiie a i*age de 3o ans quand rien n'existait auparavant,
ia syphiiis d'une femme de 28 ans accompagn^e d'ancmie, c'est
ie seui cas d'aiiieurs oil j'aie vu ia nevrosc ct^der compietement
au traitement specifique de ia syphiiis.
ija fievre typhoide qui se rencontre dans un si grand nombrede
cas joue un r6le incontestabie. Trois fois j'ai vu des personnes de
trente ans presentant tres peu d'antecedents her^ditaires, d'une
sante moraie anterieure tres complete, etre transformees par la fievre
typhoide et devenir rapidement abouiiques, douteurs, obsedes.
Ln puberte n'agit ^videmment que chez ies predisposes, on
pent dire cependant que i'apparition tardive des regies vers 16
ou 18 ans, Ies douleurs qui accompagnent ia dysmenorrhee ne
sont pas sans avoir une influence directe.
LES CONDITIONS PHYSIQUES DfiTEUMINANTES 621
L'accouchementy surtout iorsque, conime chez Fok..., il se
complique d'accidents infectieux, est fr^quemment le point de
depart d*accidents nientaux graves, quoique ia predisposition ne
fOt que leg^re auparavant.
Un probleme bien plus int^ressant et plus delicat se pose
quand on considere Tinfluence dc Tonanisme et des divers trou-
bles dcs fonctions sexuelles. Un grand nombre d'auteurs ont
attire Tattention snr Tinflucnce considerable que les fonctions
genitales exercent sur les fonctions raentales. Tous les nnciens
auteurs et en particulicr Legrand du Saulle avaient deja signale
rinfluence de Fonanismc. line belle observation de delire du
scrupule qui se trouve rapportee dans le livre curieux de Zini-
merniann « la Solitude » est rattach^e par Tauteur « a cette habi-
tude deplorable* ». Cette influence ddletfere etait done commune-
ment admise niais d'une maniere un peu vague.
M. Freud, de Vienne, a essaye de montrer que les n^vroses et
en particuHer Thysterie et la nevrose d'angoisse avaient pour ori-
gine exclusive des troubles des fonctions genitales'. « L^hysterie
aurait pour origine un souvenir inconscient relatif a la vie sexuelle
et remontant a la premiere enfance, la neurasth6nie serait due au
surnienage genital par masturbation excessive et pollutions re-
p6tees et la nevrose d'angoisse proviendrait de la satisfaction in-
compl(;te du besoin sexueP. » L'origine de la maladie qui nous
occupe et qui est, comme on Fa vu, bien voisine de la nevrose
d'angoisse de Freud serait bien simple : « Son etiologie sp6ciflque
est Taccumnlation de la tension genesique, provoqu^e par Tabsti-
nence ou Tirritation g^n^sique fruste (formule g^n^rale pour indi-
quer reffet du coVt reserve, de Timpuissance relative du mari, des
excitations des fiances, de Tabstinence forcee, etc.] ». Plusieurs
auteurs ont public des statistiques curieuses pour montrer le bien
fonde de cette interpretation : les plus importantes sont celles de
t. 2iminermann, La solUude, p. i54* m^me opinion dans lo livrc dc M. Dagonct»
Maladies mentales, 189/1. p. /ia^.
3. Froiid (de Vienno), Die scxualitut in der (JCtiologio dor neurosen. Wiener
klin. fiundsrhan, 1899, a, /|» 5, 7.
3. Les theories dc M. Freud sur cc point sont claircmeiit r^suinecs dans le petit his-
torirpic de la nc\rosc d'angoissc dc M. Ilartcnberg, p. i4.
622 L'fiVOLUTION
M. GatteP, de M. Tournier*, de M. Tschisch^, de M. Kish*, de
M. F^r6% etc.
Cette proposition parait au premier abord singuli^re, mais une
observation d^sint^ress^e montre qu'eile contient eertainement
une part de v^rit6. Si on pent avoir des renseignements, des
aveux sur la vie sexuelle des raalades, on voit qu'elle est presque
toujours troubl^e et qu'elle est bien troiibl^e en effet dans le
sens qu'indique Freud. Ces personnes ont des d^sirs, souvent
meme trop frequents, ils essayent de les satisfaire, mais n*y par-
viennent que tres incompletement. Les uns le constatent avec
resignation, les autres s'en irritent et font des efforts d^sesp^res
et ridicules pour retrouver ce Paradis perdu. Chez ceux-ci et a
un moindre degre, mais d'une maniere 6galement certaine, des
troubles remarquables, ruminations, agitations, angoisses accom-
pagnentces excitations sexuelles incompletes. On peut remarquer,
comme le dit tres bien M. Tournier, que le m^me trouble existe
dans Tamour moral comme dans Tamour physique « cette n^vrose
se realise, dit-il, chez le jeune homme par besoin sentimental non
satisfait, par aspiration vers Tamour du coeur... » Nous avons d^-
crit longucment ces besoins du coeur chez les psychasth6niques.
J'admets done le fait signals de M . Freud, mais je crois qu'il
faut I'interpr^ter. M. Freud considere le trouble sexuel, la satis-
faction insuffisante comme un fait primitif resultant des circons-
tances ext^rieures ou de la conduite volontaire du malade, et il
admet que c'est cette insuHisance accidentelle des excitations g6-
nitales qui determine de toutes pieces la nevrose conisider^e
comme posterieure. Divers auteurs, en particulier M. Lowenfeld,
de Munich^, et M. Hartenberg, ont fait des objections tr^s justes.
« La marche de Taffection, dit ce dernier auteur, avec ses ame-
liorations et ses rechutes, ne Concorde nullement avec les diverses
phases de la vie sexuelle^. » Cela mesemble incontestable: meme
1. Galtcl, Veber die Schueller Ursache der !^eurasthenie und Angstneurose .
a. Tournier, Essai de classification 6tioIogique des n^vroscs. Archives d'anihro^
pologie criminelle. Lyon, i5 Janvier 1900.
3. Tschisch, Comptes rendus du VI*> Corujrhs de la SocieU des niSdecim russes de
Kiew, 1896.
4. Kish, Nivrose cardiaque d'origine sexuelle chez la femme, 1897. Cf. Hartenberg,
loc. cit., p. 38.
5. Ch. Fer6, L' instinct sexuel, 1899 (Paris, F. A lean).
6. Lowenfeld (Munich). Munch, med. Wochenschrijt, n" i3, 1895.
7. Hartenberg, Nhyrose d'angoisse, 190 1, p. 27.
LES CONDITIONS PHYSIQUES DfiTERMINANTES 623
si je me borne a consid^rer les malades qui pr^sentent unique-
ment de Tangoisse, pour ne pas sortir du groupe dtudi6 par M.
Freud, je ne vois pas que les circonstances exterieures aient tou-
jours d^termin^ chez eux eette insuflfisance du coi't au moment de
leurs rechutes. Bien loin de ia, j'ai eu des aveux significatifs, me
demontrant qu'ils avaient a ieur disposition les moyens d'une sa-
tisfaction largement suflisante.
Si j'admets les faits signal^s par M. Freud et M. Tournier, je
suis dispose a les interpreter d'une tout autre fagon. M<^nie dans
la masturbation, meme dans le coit r^serv^, et a plus forte raison
dans le coi't normal, ces personnes pourraient trouver une satis-
faction suflisante si elles etaient normales. Mais elles ne le sont
pas et ces insuflisances de T^motion sexuelle ne sont qu'une ma-
nifestation, un cas particulier de leurs insuffisances psychologi-
ques. C'est parce qu'elles deviennent de plus en plus incapables de
pousser un phenomene psychologique jusqu'a son terme qu'elles
s'arretcnt a moitie chemin dans cette emotion comme dans les
autres.
11 se pourrait m^me que, du moins dans certains cas, Tona-
nisme lul-mcme, avec son isolement, ses restrictions, soit en rap-
port avec les premieres manifestations de la maladie. « II ne faut
pas oublier, comme Lasegue aimait a le rappeler, que Tonanisnie
est souvent le symptome d'un etat morbide, d'une nevrose c<5r<^-
brale. Souvent la folic n'est pas consecutive a Tonanisme, mais il
existait un (^tat cerebral qui a engendr^ Tonanisme*. » II n'en est
pas moins vrai que dans quelques cas les pratiques signalees par
M. Freud peuvent favoriser cet arr^t des 6motions, d^velopper
Thabitude des ph^nomenes d^incompl^tude et par consequent etre
fort nuisibles.
En un mot, je ne crois pas qu'il y ait lieu de faire jouer dans
cctte maladie un role special aux ph6nomenes sexuels. II suflit
d*admettre avec M. Marro, MM. Pitres et R^gis, M. Haskovec,
que tous les troubles de la sph6re g^nitale, puberty, age critique,
menstruation, lactation, onanisme, ont une influence d^primante
dans eette maladie comme d'ailleurs dans toutes les n^vroses ^
L'^puisement determine par ces troubles g^nitaux s'ajoute sim-
1. Lasogue, l^ludes mMicales, 11, p. 3^7.
2. Marro, La puberte, p. 8a. Pitros et R6gU, op. cU., p. 3i. Haskovec, op. cit.,
p. ia6.
62i L'fiVOLUTION
plement a tous ceux qui ont 616 relev^s a propos des trauma-
tismes, des maladies infectieuses, des accoucheraents.
5. — Les conditions morales diterminantes.
Les coDditions morales qui interviennent dans la constitution
de la maladie sont assez difllciles a analyser, parce qu*elles sont
tres nombreuses et tres varices et surtout parce qu'elles jouent
des r6les tres diff^rents dans la formation de cet etat psycholo-
gique assez complexe. Les unes en eflfet semblent intervenir pour
determiner ou pour aggraver I'^tat d'abaissement psychologique
qui est le point de depart de la maladie. Les autres d^terminent
des derivations et sont simplement Toccasion des ruminations ou
des phobies, tandis que Tetat mental ^tait d^ja abaiss^ primitive-
ment. Les autres donnent au sujet une interpretation de ce qu'il
ressent souvent dcpuis longtemps, et sont Toccasion a propos de
laquelle se forment les obsessions.
Le plus souvent, toutes ces circonstances qui jouent des roles
si difTerents sont confondues p^le-melc, et les auteurs se bornent
a enumerer sans aucun ordre une scrie d'ev^nements de la vie
des sujets qui semblent avoir precede une aggravation de la ma-
ladie. Metlre de Tordre dans cette enumeration, montrer le role
joue par tel ou tel ^v^nement ne pent etre fait que pour un petit
nombre de malades tres connus et suppose une foule de discus-
sions que nous avons deja faites au cours de cet ouvrage. Je ne
puis ici qu*indiquer sommairement les faits qui, le plus fr^quem-
ment, interviennent de telle ou telle manicre, mais il est Evident,
a cause de la complexity des circonstances, que cette action varie
souvent suivant les sujets.
I. — Le caracthre.
La premiere des conditions morales ant^cedentes qui me parait
essentielle^ quoiqu'on en parle g^neralement fort pen, c'est une
manifere d'etre g^nerale, une fagon de se conduire, un caractere,
en un mot, qui existait chez les sujets depuis fort longtemps,
quelquefois depuis leur premiere enfance et qui s'est developpe
LES CONDITIONS MORALES DfiTERMINANTES 625
lentement dans le meme sens pendant les mols ou les ann^es qui
-ont prec^d^ la maladie.
Ce caract^re est facilement reconnaissable, il est constitu^ par
•des ph^nom^nes analogues a ceux que j'ai decrits a propos des
insuflisances psychologiques et des crises de derivation. On y re-
trouvera d'abord, mais a un degr^ plus faible, toutes les formes
de Taboulie. Ce sont des individus qui ont peu ou point de reso-
lution et d'activite volontaire. Ce qui leur repugne surtout, c*est
faction sociale et ils sont avant tout des timides, incapables
d*agir et de parler devant les autres hommes. Ils ont un caractere
renferme, car ils ne peuvent developper leurs pens6es et leurs
sentiments, ils ne peuvent les amener a T^tat de precision suscep-
tible d'expression quand il y a des t6moins. Meme quand ils sont
seuls ils n'aiment pas agir et ils agissent mal ; souvent ils ont en
horreur les exercices physiques et surtout ceux oil il faut con-
struire quelque chose. Ils ont toujours et6 d'une maladresse eton-
nante et ils ne savent rien faire de leurs mains.
lis sont indecis, ils n*aiment point a prendre des decisions, ils
redoutent horriblement les responsabilit^s. Aussi ont-ils pris
rhabitude de ne jamais agir personnellement, ils se laissent con-
duire par tout le monde et meme s*ils se rendent compte, car ils
«ont fort intelligents, qu'ils sont mal conduits, ils ne font aucun
effort pour echapper a la direction et pour se diriger seuls. C'est
qu'il y a une chose encore plus p^nible pour eux que la decision
personnelle, c'est la lutte. lis ont horreur de lutter contre qui
que ce soit et c'est pour cela qu'ils ont la reputation d'avoir un
caractere doux. Jamais leur interet compromis ne leur pnrait
assez considerable pour les decider a entamer une lutte si p^ni-
ble. Ils aiment infiniment mieux sacrifier ce qu*ils voient bien
^tre leur interet et faire ce qu'on leur deraande.
Ce sacrifice d^ailleurs ne leur est pas tres p^nible, car ils sont
tres indifferents a leur propre interet, surtout s*il est un peu eloi-
gne. Ils sont tout a fait incapables d'etre pratiques et cela leur
donne un aspect d^sinteresse. Ce peu de souci de leur interet per-
sonnel, joint a leur horreur de la lutte, les rend extremement
honnetes. Ils ne songent a leser personne et ils souhaitent ar-
demment que les autres aient autant de respect pour leurs pro-
pres droits. Comme ils ont le mepris du terre a terre de la prati-
que, ils conQoivcnt un monde parfaitement honnete et ideal. En
eBet ils aiment et coraprennent mieux les idees. Bien qu*ils
LE8 OBSESSIONS. I. — ^O
626 L'fiVOLUTION
soient peu capables d'une attention soutenue pour les r^alltes
actuelles, ils sont intelligents. lis ont I'esprit fin, ils sont capables
d*observer et de comprendre les choses morales, ils ont une m6-
moire extraordinaire, beaucoup d'imagination et de raisonne-
ment. Ils vivent dans Tavenir et surtout dans le pass^ plut6t que
dans le present et ils ont toujours Tesprit rempli de souvenirs et
de constructions imaginaires. II en r^sulte qu'ils adorent la
po^sie, la philosophie, la religion : tout ce qui est vague, loin de
toute demonstration precise et definitive et surtout loin de toute
application pratique les s^duit de prime abord.
Les reveries po^tiques et mystiques conviennent a leurs dispo-
sitions m^lancoliques car ils sont plutot tristes et disposes a la
reverie solitaire. Aussi ont-ils besoin d'etre sans cesse excites et re-
veilles ; mais ces excitations doivent etre bien gradu6es et faites
avec delicatesse, car la moindre des choses semble les mettre
dans des etats d'^motion indescriptible. Le coeur joue chez eux
un grand r6Ie et ils ont de grandes amours d'autant plus grandes
que Tobjet en est surtout imaginaire et qu'ils ne se rendent au-
cunement compte du caractfere veritable de la personne qu'ils
transforment en un id^al. Presque toujours malheureux dans
ces belles amours, car leur timidity ^norme, leur defaut de con-
naissance des hommes, leur inhabilete a profiter des circonstances
les rendent toujours incompris, ils ont d'^normes desespoirs.
Cette emotivite est irr^guli^re : tantdt ils restent indifferents,
tantot ils se bouleversent pour la moindre des choses. Ces Amo-
tions qu'ils craignent, ces amities qu'ils ont besoin d'obtenir et
qui leur font defaut, ce moude hostile avec lequel ils redoutent
d'avoir a se mesurer, ces resolutions qu'il faudrait prendre et qui
sont toujours en retard, tout cela les met dans une inquietude
continuelle qui se traduit souvent en dehors par une agitation
inutile. Ce caractere tout special, aboulique, timide, non combattif,
idealiste, amoureux, emotionnable et surtout inquiet n*est pas
sans doute la maladie constituee ; mais il la prepare d'une ma-
ni^re remarquable, a un tel point qu'on Tobserve chez plus des
deux tiers des sujets, bien avant que n'apparaisse aucun trouble
caracteristique considere comme morbide.
2. — L' education,
A ce caractere fondamental, hereditaire et prepare, comme on
LES CONDITIONS MORALES DETERMINANTES 627
Ta vu, par plusieurs generations evoluant dans le memc sens
s'ajoute ires souvent une education deplorable qui tend a deve-
lopper les tares de ces esprits. Cette education est due a ce fait
que les parents, sans avoir ete malades a proprement parler et
par consequent sans avoir ressenti les inconvenients graves de cet
abaissement de la tension mentale, ont eux-memes un caractere
absolument semblable. lis semblent faire tons leurs efforts pour
enlever a leurs enfants les occasions d*agir, its prennent pour eux
toutes les decisions, ils les empechent d^afTronter aucun danger,
d*entreprendre aucune lutte, ils ne leur donnent que des lemons
de prudence et d*abstension. Temoin ce pauvre Jean qu'une bonne
accompagne au lycee alors qu*il avait deja i8 ans, de peur qu'il
ne se refroidisse ouqu*il ne sebatte avec ses camarades (!!) et qui
devient la risee de tout le college.
A rinfluence des parents s*ajoute Teducation absurde des jeu-
nes Fran^ais qu'on laisse pendant d'interminables heures d'etude
rever derriere leurs dictionnaires et a qui on interdit tout mouve>
ment et tout exercice pratique. Je suis frappe de voir combien
cette education des jeunes gens et meme des jeunes filles en
France developpe chez eux le temperament aboulique et comme
elle prepare des scrupuleux. Je me suis pose a ce propos une
question que je ne peux pas resoudre : dans les pays oil Tedu-
cation est toute differente, dans I'Angleterre en particulier, est-ce
que cette maladie des obsessions est aussi repandue qu'en
France ? C*est un probleme qu'il serait interessant de resoudre
par quelques statistiques.
Aprfes ces conditions generales du caractfere anterieur et de
I'education, quelles sont les circonstances morales qui jouent un
r61e dans IVclosion de la maladie ?
3. — Les problbmes de la vie,
Je signalerai d'abord les probl^mes poses par la vie. Quelles
que soient les precautions des parents pour epargner a leurs en-
fants toute difficulte a resoudre, quelle que soit la prudence du
sujet pour n'engager de lutte avec personne et pour ne se meler
de rien, il est impossible d'eviter qu*il ne se presente jamais une
decision a prendre, un probleme a resoudre. Tres souvent, dans
une douzaine de mes observations, par exemple, Taccident sur-
vient a propos du mariage. Tout a ete si bien prepare que le
628 L'fiVOLUTION
manage s'est presque fait tout seul, mais cependant il arrive un
moment ou notre debile doit enfin faire quelque chose lui-meme,
c*est-a-dire prononcer le « oui » sacramentel. II faut se decider,
decider si « oui » ou a non » on consent a ce mariage : le sujet
s'apergoit alors peut-etre pour la premiere fois de sa vie qu*il
doit choisir, conclure et que cela a quelque importance.
Le moment ou il s^aper^oit de cette n^cessit^ est plus ou moins
tardif. Les uns, ce sont les plus sages, sentent la difiiculte avant
les fian^ailles, les autres, toujours heureux de retarder une de-
cision a prendre, disent cc oui » aux (iangailles sans r^flechir et
sans se decider simplement, suivant leur habitude, pour ne pas
d^sobliger et ne pas engager de lutte : ils se r<^servent pour plus
tard. La n^cessit^ de la decision leur apparait au moment du ma-
riage. D*autres attendent plus tard encore, et se laissent marier
sans savoir ce qu'ils font, puis se posent la question au moment
de Facte conjugal ou m6me plus tard encore, apr^s quelques mois
de vie commune ils se demandent, si oui ou non, ils acceptent ce
mariage. Quoi qu'il en soit, de ces diff(6rentes ^poques, une fois
la question pos^e la situation est toujours la meme. Le malade par
suite de Tabaissement de sa tension psychologique est incapable
d'arriver a une decision. Ses eflbrts aboutissent seulement a des
phenomenes de derivation, ruminations interminables, folic du
doute, angoisses, etc... J'ai cit^ deja trop d'exemples de ces
jeunes filles qui se demandent si elles aiment ou si elles d^-
testent leurs fiances, de ces hommes qui ne savent pas s*ils pour-
ront s'habituer a leurs femmes pour y revenir ici. M. Savage a
d^crit quelques-uns de ces « troubles de Tesprit determines a
Toccasion des fiancailles ». II admet que c( ce qui produit le trou-
ble c*est la concentration des sentiments et des Amotions vers les
organes de la reproduction, c*est Taccumulation des desirs et des
besoins par defaut d'assouvissement^ ». Si j*admets Timportance
du fait, j'hesite a admettre Texplication : Tincapacite de prendre
une decision en presence d*une situation nouvelle et grave me
parait bien plus importante qu*un inassouvissement genital tres
hypothetique. D'ailleurs le m^me trouble, comme je Tai dit, sur-
vient meme apr^s le mariage et d'ailleurs il existe dans des actes
tres differents.
I. G. Savage, Des troubles d'esprit d^vcloppes k Toccasion ties fiancailles. Journal
of mental Science^ oclobrc 1888, trad, de V. Parant, Enciphale, 1888.
LES CONDITIONS MORALES DfiTERMINANTES 629
Beaucoup d*autres circonstances d^terminent le d^but du mal
par un mecanisme analogue a celui que nous venons de voir dans
le mariage, par exemple, les changements de situation. Un pro-
fesseur de I^enseignement secondaire se trouve sur le point d*etre
charge d'un cours dans Tenseignement sup^rieur, un instituteur
primaire va 6tre change de classe et va enseigner dans des condi-
tions l^gerement differentes : cela suffit par determiner des
crises terribles de doute et d^angoisse. On a Thabitude de desi-
gner ces phenomenes comme des Amotions et de dire que dans
ces cas la maladie a une origine 6motionnelle. L'^motion me parait
ici secondaire, la question essentielle est de savoir pourquoi un
changement de classe est ^motionnel : il ne Test que parce qu'il
pose au sujet un probleme, qu*il le force a prendre une decision,
a faire effort pour une adaptation nouvelle. Des faits de ce genre
se pr^sentent assez souvent au debut de la folic du doute.
Voici les changements qui, chez mes malades, ont joue le.plus
souvent un role. Le fait de se retirer des affaires determine la
maladie dans deux cas, la necessite de choisir une carriere inter-
vient dans quatre cas, le probleme de la vocation religieuse,
entrer ou non au couvent, dans huit cas, le changement de
residence dans trois cas, le changement de fortune dans deux,
un heritage embarrasse et des proems dans trois, I'introduction
de domestiques nouveaux dans la maison ou le depart de do-
mestiques anciens dans cinq. Peut-etre peut-on rattacher au
meme groupe les embarras moraux causes par un enseignement
nouveau et les troubles apportes dans les anciennes croyances
par des lectures nouvelles : c'est ainsi que dans deux cas la
classe de philosophic a ete pour des jeunes gens le point de
depart des obsessions.
Un fait qui a une tres grande importance au point de vue pa-
thologique, c'est la premiere communion qui pourrait etre rangee
a la fois dans ce groupe ct dans les suivants. Get evenement impose
un effort d'attention qui rend Facte diflicile, il pose des proble-
mes relatifs a la croyance, enGn il emotionne, c'est ainsi qu*il est
si souvent le point de depart de la premiere crise d'angoisse ou
de scrupule.
Dans un groupe voisin nous placerons les circonstances qui
imposent au psychasthenique un effort, une lutte qu^il a toujours
evites. Une plaisanterie obscene dans un cas, un reproche serieux
dans trois cas, la necessite de cacher Tinconduite du mari dans
630 L'EVOLUTION
un cas, des moqueries dans trois cas, des accusations, des proems
dans six cas, des menaces une fois, des querelles deux fois, des
examens six fois son! le point de depart de crises graves.
A cot^ il faut mettre les observations bien plus nombreuses oil
le sujet devient malade parce qu*il a perdu la personne qui, en
r^alit^, faisait les efforts pour lui et d^cidait pour lui : la perte de
ce directeur de conscience dans dix cas, la rupture avec un
amant ou une maitresse qui jouait ce role dans huit autres, le
mariage du (ils devenu le soutien moral dans un cas, enfin la
mort du mari ou de la femme qui, dans ccs cas, ne me semble
pas avoir agi comme une emotion ordinaire dans trois cas me sem-
blent etre de ce genre. On pent remarquer a ce propos que cette
perte du soutien, par une sorte de m^taphore qu'affectionnent
les malades, determine souvent diverses vari^tes de I'agora-
phobie.
4v — Les chocs emotionnels.
Nous arrivons maintenant aux Amotions proprement dites qui
jouent le role que nous avons 6tudi6 dans le chapitre pr^c^dent,
qui font tomber Tesprit plus bas ou qui donnent au malade une
interpretation de cette depression. II faut ranger dans cette cate-
goric les terreurs religieuses et en particulier les terreurs si
dangereuses poiir ces faibles de la premiere communion qui sont
intervenues dans 29 cas, les chagrins d*amour dans 10 cas, les
agressions ou les vols dans 5 cas, la morsure d'un chien, mor-
sure plus ou moins grave dans i3 cas, la mort d'une personne
aim^e, d'un parent, d'un enfant ou leur maladie dans 23 cas.
Dans certains de ces cas Taction deprimante de Temotion est
tout a fait caracteristique, Rs..., femme de 5g ans, 6tait a peu
pres saine anterieurement, si ce n*est qu'elle avait le caractere
tr^s autoritaire, ce qui indique une tare. On a ramene chez elle
sa fille r^cemment marine qui venait de succomber dans un in-
cendie et qui etait a demi carbonisee. La mere est devenue a la
suite et tres rapidement, obsedee, agoraphobique et photopho-
bique.
II faut aussi relever la terreur des maladies apres des mastur-
bations ou des fautes g^nitales dans 12 cas, la vue de la mort
dans 3 cas, la vue d'un aveugle dans un cas, la vue ou le contact
de maladies cutan^es dans 8 cas, desr^cits emouvants de suicide,
de maladie, d^^pidemie dans i4 cas, la vue d'un fou dans 5 cas,
FORMES DE LA PSYCHASTHfiNIE CONSTITUTIONNELLE ET ACQUISE 631
la mort d*un chien bien-aime ou le depart d'un chat dans 6 cas,
des surprises ou des mauvaises nouvelles dans 12 cas, des con-
tacts repugnants dans 4 c^Sf des blessures accidentelles avec un
rasoir et des Amotions en touchant ces rasoirs ou des couteaux
dans 4 cas.
Faut-il ajouter Thistoire singuli^re de Mb... quiallant, un soir,
au spectacle, voit jouer le Courrier de Lyon, drame dans lequel
un individu est assassin^ sur la sc^ne avec un grand couteau et
qui rentre avec la crainte d^assassiner et la phobic des couteaux?
A la suite de cet incident qui parait insignifiant, la phobic a dur^
3o ans. M. Daguillon cite un malade qui a eu des impulsions ho-
micides apres la lecture du livre de Zola, la Bete humaine^.
Dans deux cas il me semble qu^il Taut faire une part a la con-
tagion de Texemple ; la fatigue, I'^motion causees par les soins a
donner a une femme phobique ont d^termin^ chez des personnes
de leur famille, 6galement pr^dispos^es bien entendu, des trou-
bles du meme genre. On peut rappeler a ce propos les observa-
tions si curieuses de M. F^r^ sur des chiens qui deviennent ma-
lades et ont des peurs angoissantes quand il s'agit de traverser
la rue parce qu'ils sont rest6s longtemps aupres d'une maitresse
agoraphobe*.
II faut observer que les Amotions p^nibles longtemps prolon-
g^es agissent souvent plus que les Amotions brusques. Une sorte
de jalousie que Jean conservait malgr^ lui pendant des ann^es
contre une personne adoptee par ses parents semblent avoir et6 la
raison d'etre de ses obsessions a propos de Charlotte.
Toutes ces diverses influences morales s'ajoutent aux causes
physiques et surtout a la predisposition cre^e par le caractere et
par rheredite pour constituer peu a peu une maladie mentale aussi
complexe.
e. — Les deux formes de la psycbastbinie
constitutionnelle et acquise.
Si Ton jette un coup d'oeil d'ensemble sur les diverses remar-
I. Daguillon, Ann. nied. psych., juin iSg^*
3. F^r^, Folie comrauniqude dc rhommeaux animaux, agoraphobie chezle chien.
SocUU de biologie, 1897.
632 L'fiVOLUTION
ques qui vienncnt d*etre faites a propos des debuts dc la maladie
des obsessions on peut faire une observation generate. D*apres les>
debuts les malades peuvent etre divises en deux categories. Les
uns ont une heredity pathologique tres forte, les autres ont peu
d'heredite ou n'ont qu'une heredite assez banale dans laquelle do-
minent les manifestations arthritiques. Si Ton consid^re Tage du
d6but les uns commencent la maladie tres jeunes, d^s la premiere
enfance, au plus tard avant 20 ans, a Tepoque de la puberty mo*
rale, les autres ne pr^sentent les premieres manifestations qu*a
un age plus avanc6. Si on consid^re les conditions physiques d^-
terminantes, les uns deviennent de plus en plus malades d*une
maniere insidieuse* sans qu'aucun trouble physiologique bien
grave soit venu apporter une perturbation dans leur sant6, les
autres ne tombent moralement qu'apres des maladies physiques
graves, fievre typhoide, fievre puerp^rale qui ont supprim^ leur
resistance. Enfin au point de vue moral les uns ont un carac-
tere particulier que j'ai essay^ de decrire et qui s'est d^ve-
loppe d^s Tenfance, il leur suffit de la moindre cause morale, un
probleme pos6 ou une l^gere Amotion pour devenir des obs^d^s,,
les autres n'ont pas eu d'une maniere bien nette ce caractere
special et ils ne succombent que tard apres de v^ritables boule-
versements moraux.
Plusieurs auteurs, MM. Morselli, Audriani, Ventra, R^gis^
Fere, Seglas ^ ont fort bien resume ces dilTerences en admet-
tant deux classes d'obsedes, en premier lieu les obsed^s con-
stitutionnels avec heredite chargee : debut precoce, absence de
troubles physiques graves au debut, caractere special depuis
la jeunesse et causes morales insignifiantes, en second lieu les
obsedes accidentels, sans heredite tres nette avec debut variable
mais plutot tardif, sans le caractere anterieur special, avec ma-
ladies physiques graves et grands bouleversements moraux comme
points de depart.
Cette distinction clinique est evidemment interessante, elle est
theoriquement tres juste. II est certain que les maladies infec-
tieuses, les grandes emotions peuvent determiner rapidement sur
des esprits jusque-la sains des alterations qui, d'ordinaire, sont
le resultat d^une lente elaboration au travers de plusieurs gene-
rations. Mais, en pratique, il est malheureusement necessaire
I. Seglas, Maladies mentales, p. 67.
FORMES DE LA PSYCHASTHfiNIE CONSTITUTIONJ^ELLE ET ACQUISE 63^
d'observer que ces deux classes sont loin d'avoir une importance
egale et que la seconde se r^duit a un tres petit nombre de cas.
Tout ce que Ton pent admettre c*est que les cas sont le plus sou-
vent interm^diaires entre ces deux extremes, le malade consti-
tutionnel et le malade tout a fait accidentel, et, comme on va le
voir, ils seront d*autant plus graves ou d*autant plus curables qu'il&
se rapprocheront plus de Tun ou de Tautre.
634 L'fiVOLUTION
DEUXifiME SECTION
L EVOLUTION DB LA MALADIB
La maladie des psychasth^niques est essentiellemeDt une ma-
ladie chronique, presque toujours de longue dur6e; il faut done
considerer les periodes de debut, les diverses formes que peut
prendre la maladie, son Evolution, ses complications et ses di-
verses terminaisons.
1. — Les formes du dibut
Apres avoir recherch6 T^poque du debut, les causes occasion-
nelles physiques ou morales qui le d^terminent, il est encore
plus important d'examiner la forme que la maladie prend le plus
souvent a ses debuts : la connaissance de ces formes permettra de
la diagnostiquer de meilleure heure ou du moins de la prevoir et
peut-etre de lutter contre son d^veloppement par une education
appropriee. II ne faut pas oublier, en effet, que le malade n'avoue
rid^e obsedante proprement dite que trfes tardivement, d^abord
parce qu'il en a honte et ensuite parce qu'il ne peut pas arri-
ver a la formuler avec precision. II est bon de rechercher de
quelle fagon la maladie se pr^sente a Tobservation avant que Tob-
session ne soit caract^ris6e et surtout avou^e.
Sans doute ily a certains cas aigus qui se((deveIoppent,comme
disent MM. Pitres et R^gis, a la suite d'un choc moral ou d*une
infection sous forme de phobic diffuse ou syst6matique avec^tat
anxieux intense^ », j^ajouterai aussi sous forme de rumination
avec immobilite. Cs... (/ii) a senti un choc dans la tMe quand la
garde lui a dit que Tenfant ^tait mort et son agitation Amotion-
nelle, ses angoisses se sont completement developp^es du pre-
I. Pitres cl Regis, op. cit ^ p. 79.
LES FORMES DU DfiBUT 635
mier ooup. Un certain nombre de malades, une vingtainc, pr^-
tendent avoir ressenti cette douleur de la Ute en general a
I'occiput et etre entres tout de suite dans un ^tat grave.
Dans des eas de ce genre on se trouve imm^diatement en pre-
sence de synipt6mes complets tels que nous les avons d^crits, il
n*y a pas de remarques particuli^res a faire sur le d6but. Mais a
cnon avis ces formes sont exceptionnelles et elles deviendront de
plus en plus rares, k mesureque Ton fera d'une mani^re plus s^-
rieuse Tanalyse du caractere ant^rieur des malades. Presquetou-
jours il y a un ^tat psychologique anormal qui se developpe
depuis tres longtemps avantque n'apparaissent sous une influence
provocatrice ces 6tats aigus. Ce sont ces signes precurseurs qu'il
faut rechercher.
Ce sont d'abord a un degr^ plus ou moins accuse tons les symp-
tomes de neurasthenic : les fatigues excessives, les engourdisse-
ments des membres, qui paraissent quelquefois grossir « depuis
longtemps, dit Qb..., il y avait un cote du corps qui me sem-
blait devenir plus gros que Tautre », indiquant d^ja la dimi-
nution de la tension nerveuse. Toutes les sensations anormales
dans lat^te : les bruits, les vertiges, le sentiment de perdre con-
naissance, les craquements, le vide, les ^tourdissements, les
vapeurs, les serrements comme dans un ejtau, etc., sont des
ph^nomenes du mdme genre.
II faut m^me tenir compte des sympt6mes physiques, la fai-
blesse, les tremblements, les troubles de la digestion, Tamaigris-
sement. Dans huit de mes observations, la maladie a debute dans
Tenfance par des faiblesses et des amaigrissements que Ton a a
tort rattach^s a de simples an^mies. En un mot je crois qu'il faut
se defier du diagnostic banal de neurasthenic, si la maladie se
borne souvent a un aflaiblissement nerveux organique, il faut
quelquefois redouter des troubles mentaux plus graves qui com-
mencent tres souvent sous le convert de ces symptomes neuras-
th^niques.
I . — Sentiments pathologiques,
Les symptomes moraux sont evidemment plus importants
encore : les sentiments d'etre « comme endormi » (Dd...) et
tous les sentiments d'insuffisance psychologique se develop-
pent souvent desanndes avant Teclosion apparente de la maladie.
cii^ pour tout travail mental
.^ Jout^^' ^'"j^lfut. I^es sentiments d^automa-
J >y>/Y>.«*^'^j j^^ sigo^^ ^^jgtiques : dfes sa premiere jeunesse
fit>pf '-'"'^ j^j^ plus c» ygrner elle-meme ses mouvements,
['^"'^j'est «P^"^ fj!^ aui i^ Pousse a se jeter sous les roues des
//^ r^/ji/o^ ^"^ ! /jju^ k dire des gros mots, cela n'aboutissait
oittiref* * '"^ y^ assez vite mais cela reflFrayalt d6ja ». Deja
iViiiifl'-'' ^' J? \7 .., quandje n'etais pas encore malade, il me
.^ Jix ^"^' ^ jj'^tait pas moi qui faisais mes compositions et
gen^hia* H ^^,^ amende a croire que le diable me les inspi-
'' • V rs le metne age, Lise commen^ait a etre trfes tourment6e
'*^' . (lue quelque chose la poussait a entrer au couvent et a se
P*. fcligieuse tandis qu'au fond d'elle-meme elle savait bien
'die ne le voulait pas, le meme sentiment de dedoublement
xactt*ment se retrouve chez trois autres malades.
Ce qui est plus frequent au debut ce sont les sentiments perp^-
tuels d*inquietude, de crainte vague et sans raison suflisante :
■ Adc..-, Dk..., Claire) « depuis I'age de huit ou ncuf ans, dit cette
clerniere, j'ai vt^cu dans Tinquietude, je Tai ditcentfoisa mes
parents et mcme au medecin qui n'a pas voulu s*en occuper ».
Ain... (83), Xa..., Mrc..., Pot..., Er..., Cha... nous parlent ainsi
((ma vie n'a 6ie qu*une apprehension continuelle)>. Dans una
douzaine d'autres cas c*est egalcment par Tinqui^tude que la ma-
ladie a debut6.
A bien plus forte raison la maladieest-elle probable quand Tin-
quietude prend deja des formes systematis^es et se porte de pre-
ference sur certains points. On sait que dans un tres grand nom-
bre de cas le debut est caract^rise par les inquietudes de
confession : il ne faut pas considerer corame une chose insigni*
fiante les gemissements de ces petites Giles qui pleurent pendant
six semaines parce qu'elles ont peur d'avoir touche Thostie avec
les dents ou parce qu'elles ont oublie des peches en seconfessant.
Une autre inquietude frequente au debut ce sont les inquietudes de
pudeur: il s'agit de petites filles qui des Tage dehuit ou neufans
craignent toujours de n'etre pas assez couvertes, qui veulent etre
toutes senles quand elles s'habillent, qui ne veulent plus etre em-
brassees par leur pere, ou qui se desolent « parce qu'elles ont re-
garde le pantalon de leur frere » (Vob...) Nadia se preoccupait
du mariage a 9 ans, elle avait entendu dire que les hommesprefe-
raient les femmes grosses et elle ne voulait pas engraisser pour
LES FORMES DU DfiBUT 637
qu^aucun homme ne voulil^t d'elle. La maladie commence aussi
de ires bonne heure par des inquietudes sous forme de remords.
A 12 ans Leg... s'inquiete beaucoup, par crainte d'avoir dit du
mal des gensetPy... par crainte de n'avoir pas 6i6 assez res-
pectueuse avec le cur^.
A c6te de rinquietude, il faut placer parmi les formes du debut
beaucoup d'autres sentiments, Tennui perp^tuel, symptome de
Taboulie et prelude des n^vroses, qu'on observe a un si haut de-
gr6 chez Dk..., Zo..., Ku..., Van..., etc. Un ^tat de tristesse
permanente avec manie de rechercher les pens^es qui entretien-
nent cette tristesse se manifeste chez Vor..., chez Vk..., chez Na-
dia des sa jeunesse, comme chez Mt... a 4o ans apres I'op^ration
qui a ete le point de depart des troubles nerveux. On note chez
d*autres 6galement au d^but un ^tat hypocondriaque avec dou-
leurs vagues diss^min^es de tousc6t6s Cs..., Mor..., Her..., Ml...,
Mae...
Une timidity bizarre, excessive, qui rend ces personnes tout a
fait paralyses, se d^veloppe de plus en plus au d^but de la ma-
ladie. Cette timidity, comme on Ta vu, s'accompagne d'idees
d'humilite, « je ne suis pas comme les autres, je suis laide, j'ai
une tete de chat, je suis un monstre, tout le monde se retourne
quand je passe ». (Byl...).
Ces memes personnes timides, honteuses d'elles-memes, ont
tres souvent des amours tout a fait excessifs qui ne sont nulle-
ment en rapport avec le developpemcnt des passions normales.
Ce sont des attachements invraisemblables pour un maitre, pour
un camarade. II faut avoir presents a Tesprit les caractferes des
besoins d'aimer et d'etre aime propres aux scrupuleux pour re-
connaitre ce signe en general assez pr^coce.
Par suite de cette tristesse, de cette timidity et de leur mala-
dresse d6j.H signalee, ces malades ne peuvent plus frayer avec le
monde, ils perdent ou quittent leurs amis et on les voit s'isoler
de plus en plus. Ser..., jeune fille de i6 ans, enfant jusque-Ia in-
telligente, cesse de bien travailler et ne fait plus aucun progr^s,
elle cesse de jouer avec les autres enfants de T^cole, elle declare
qu'elle les trouve sales et s'isole de plus en plus : peu de temps
apres, commencent des actions en rapport avec la folic du doute.
En meme temps que ces malades s*isoIent, ils prennentce carac-
tere renfermt^ que nous avons d^ja etudi^ chez les scrupuleux,
ils ne veulent plus et bient6t ne peuvent plus exprimer ce qu'ils
638 L»EVOLUTION
ressentent. li en r^sulte que les parents ne comprennent rien a
leur ^tat et que la folie qui (init par apparaitre surprend tout le
monde car on n*a jamais soupgonn^ son d^veloppement.
2. — Les aboulies,
A cote de ces sentiments qui sont des signes plutcU subjectifset
que Ton ne peut bien connaitre que par les confidences des ma-
lades presque toujours retrospectives, il y a des signes objectifs
du debut quelemedecin doit bien connaitre. En premier lieu Tiner-
tie, qui commence par la lenteur des actes (Ce..., Bsn..., Vk...)
et qui arrive graduellement jusqu*a une immobility presque com-
pile. Nu... devient paresseuse et ne veut plus qu'on la derange,
Bei..., autrefois active, devient nonchalante vers 17 ans et ne se
decide plus a rien. Gisele a 12 ans a des immobilit^s si completes
pendant qu*elle s'abandonne a ses reveries que Ton croit qu'elle
dort. Mv..., Zei..., Chv. .., Lch... d^butentegaleraent par Finer-
tie qui est un caractere essentiel de la maladie. A c6te de Tinertie
il faut signaler Tinstabilite, les malades ne savent plus ce qu'ils
veulent et changent de d^sir ou de caprice a chaque instant
(Lep..., Nadia).
II faut attirer Tattention sur un ph^nomene particulier qui
semble tr^s difF^rent de Taboulie et qui a les plus6troits rapports
avec elle. Ce sont les crises d'entetement que Ton constate tr^s
souvent dans ces debuts. Get entetement m^l^ de bouderie est
quelquefois si extraordinaire qu'il attire Tattention et fait soup>
Conner une maladie. La petite X..., agee de 16 ans, se bute ainsi
devant toutes sortes d'actions : un jour elle essuyait le parquet
avec une serviette, sa mere lui fait simplement observer qu'elle
ferait mieux de prendre un balai. « S'il en est ainsi, r^pond-elle
avec colere, je ne ferai rien du tout ». Elle se met debout dans
un coin et malgr6 les appels, puis les supplications de sesparents^
elle y reste immobile. Elle est rest^e ainsi dans son coin soixante
heures, deux nuits et trois jours, sans vouloir manger et sans
consentir a aller se coucher. C'est a ce moment que les parents la
conduisent a la Salpetriere et la malade explique tres bien qu^au>
trefois elle se butait ainsi sans savoir pourquoi, mais que mainte«
nant il y a une foule d'idees qui arretent son action. On trouvera ^ga-
lement dans les observations de Nadia, deChu...,de Xyb..., etc.,
bien des exemples de ces entetements symptomatiques.
LES FORMES DU D£BUT 639
L'entetement sera d*autant plus caract^ristique qu'il portera
sur une action plus particuli^re, quand les malades, par exemple,
refusent de manger (Nadia), de toucher un certain vetement (Yy. . .,
Ger...), de toucher a de rargent(Lkb..., Rob..., etc.). Depuis deux
ans malgr^ toutes les objurgations Xyb... refuse de rendre a sa
bonne une petite somme de 29 francs qu'elle lui doit. II sera ^ga-
lementplus net si le malade avoue que Tentetement est en rapport
avec certaines id^es, certains serments. Mais nous retombons
alors dans la maladie tout a fait constitute.
L'agitation chez plusieurs malades remplace Tinertie : pas plus
que les pr6c6dentSy les malades agit^s n'arrivent a ex6cuter
quelque chose, mais ils ont de longues p^riodes oil ils remuent,
ou ils crient, pendant lesquelles ils ne peuvent dormir. Les uns
s'agitent sans trop savoir pourquoi et on les croit atteints de
choree (Za...) ou de crises d*hyst6rie (Bai..., Mb..., Vod...).
Le plus souvent cette agitation accompagne une crise de doute
une rumination interminable (To..., Cha...).
3. — Les tics,
Une des formes de debut les plus remarquables et les plus
souvent m^connues, ce sont les tics. Je compte au moins i5 de
mes malades qui ont debute par une p6riode de tics et qui en-
suite ont suivi toute revolution de la psychasthenic avec les sen-
timents d'insui&sance, les obsessions et les phobies varices.
Je rappelle ici quelques excmples de cette evolution qui est
importante et mal connue. GisMe, a I'^ge de 10 ans, a eu des
secousses de la t^te « comme si elle disait oui » cela a dure plus
de deux ans ; puis ce tic a diminue, quand elle a eu des p^riodes
d*inertie semblables a des sommeils, mais remplies par des reve-
ries. A quinze ans les tics et les sommeils sont enti^rement dis-
parus, parce que la malade s'interroge pour savoir si elle n'a
pas la vocation religieuse ; le delire du doute avec les grandes
crises de rumination qui durent encore a 3o ans est constitue.
Nu... a eu des tics, secousses de Tepaule droite et grimaces
depuis Tage de 9 ans, jusqu*a Tage de ao ans. En cherchant a
guerir ce tic, elle se demande si elle ne fait pas des grimaces
expres, si elle n'est pas coupable k ce propos, etc. Le tic diminue
puis disparait, quand les crises d'obsessions sont completes. Les
observations de Mau..., de Fok..., de Fie..., de Yl..., de Bab...,
€iO L*fi VOLUTION
de Vy... sont absolument semblables : les tics semblent avoir
pr6ced^ les obsessions.
Cependant dans les cas les plus frequents, Tobsession se d^ve-
ioppe en m^nre temps que le tic. Ser..., ag^e de i6 ans, a un
tic qui consiste a secouer un peu la tete et a frapper son oreille
avec sa main gauche, tres rapidement, trois fois de suite ; ce
tic est en rapport avec une manie de verification. Elle est forc^e
de verifier si sa boucle d*oreiIie ne tombe pas. On lui a retire
ses boucles d'oreilies, mais le besoin de v^riGer et ie tic persiste,
d^ailleurs tout un delire de propret^ se developpe chez cette ma-
lade avec mauie de brosser ses vetements, de se laver les mains,
etc. II est int^ressant de remarquer que la mere de cette malade,
qui est encore une scrupuleuse, a eu fort longtemps des tics dans
sa jeunesse ; elle ne se souvient plus si les tics ont pr(^c6de ses
obsessions ou les ont accompagn^es comme chez sa fille. B6...,
fcmme de ^2 ans, a le tic de se frotter sa robe a droite, si bien
que toutes ses robes sont usees a cet endroit. C*est une obs^d^e
qui a des angoisses a la pens6e qu'elle a dans le ventre un a ver
araign^e ». Rn..., fillette de i3 ans, a le tic de frapper du coude
droit sur la table, sur les meubles ou contre les niurs elle a en
m^me temps la manie des presages et la manie des compensa-
tions (( si je ne frappe pas du coude ou si je ne compte pas les
dalles..., je mourrai, cela portera malheur a mes parents ».
Myl..., garQon de i3 ans, a toutes sortes de tics, tons en rapport
avec des id^es obs^dantes, il secoue la tete « c'^tait au d^but
pour voir si elle lui faisait mal, s'il y avait encore un grelot de-
dans)). II l^ve les epaules a pour voir si mon col me g^ne. )) II
ouvre les paupieres d^mesurement (c pour voir s'il voit claim,
etc. En m^me temps ce pauvre gar^on a la manie de rep^ter cer-
tains mots trois fois et de douter de tous ses actes ; il a la phobie
du diable, du salon rouge et de la lune. Quelles que soient les
illusions que Ton se fait aujourd'hui sur la guerison facile de la
pr^tendue maladie des tics, je crains bien qu*il ne commence
une triste carri^re d*obsed^. On retrouve chez lui des le debut
<;ette « association des troubles musculaires et des troubles psy-
chiques )) que signalait r^cemment M. JoSroy ^ Deja Tetude
psychologique des tics nous avait amends a les rattacher aux phe-
1. A. JofTroy. Association des troubles musculaires et des troubles psvchiques.
Revue neurologique, i5 avril 190a, p. 289.
LES PRINGIPALES VARIfiTfiS CLINIQUES 641
nomenes de derivation qui r^sultent deTabaissement de la volonte
exactement comme les autres manies mentales, I'^tude de revo-
lution de la maladie nous ainene au meme r^sultat, il faudra en
tenir compte dans le diagnostic.
Aux tics doivent se rattacher les diverses manies mentales qui
sont le plus communes dans les debuts, les manies de propret^,
la manie de se laver les mains et certaines manies de conjuration
qui se traduisent par des gestes ou des paroles prononc^es a demi
voix. Dans une dizaine d'observations les parents se sont avisos
de la maladie en entendant le sujet r^p^ter tout bas certaines pa-
roles toujours lesm^mes: « non, non, ...je neveuxpas, ...un,deux,
trois)), ce sont des formules de conjuration dont on a vu Timpor-
tance.
Tous ces phenomenes caracterisent les debuts dela maladie; il
etait important de lesconnaitre et de noter leur frequence.
2. — Les principales variitis cliniques.
L'etat psychaslhenlque une fois constitue se prolonge pendant
un temps en general fort long, mais il pr6sente des aspects assez
differents suivant la variete qui se d^veloppe plus particuliere-
ment.
Sur ce point la psychasthenic ressemble a Thysterie qui est au
fond toujours la meme maladie, quoique Taspect d*une malade qui
a des crises de temps en temps ne soit pas le meme que celui
d'une h^miplegique ou d'une anorexique. C*est pourquoi on a
souvent essay^ d'etablir des classifications pour distinguer les di-
verses formes de troubles psychasth^niques.
Ces classifications sont difficiles parce que nous sommes loin
de connaitre bien le mecanisme et les relations mutuelles de ces
divers accidents. Certains auteurs compliquent inutilement ces
classifications en melangeant avec les 6tats psychastheniques d'au-
tres maladies ou Ton rencontre aussi des iddes fixes a mon avis
d'une tout autre nature. M. Freud admet trois classes :
i'' Les obsessions intenses, images d'ev^nements (hysteric trau-
matique) ;
2® Les obsessions vraies, id^es et etats dmotifs associes ;
3** Les phobies.
LBS 0B$ESSI0:<8. L 4 I
642 L'fiVOLUTION
Le premier groupe ayant manifesteineDt rapport a Thyst^rie oii
les id^es fixes ont de tout autres lois, il ne reste qu*une division
en deux parties : obsessions et phobies qui est un peu sommaire
et ne repond pas a la multiplicite des cas.
II en est exactement de m^me pour la classification de M. Has-
kovec, qui admet 4 groupes* :
i" Idee fixe proprement dite (Griesinger, Westphal, phr^no-
lepsie de Meschede) l6sions intellectuelles primaires ;
2^ ^tats passagers de phobie curable, qui se rattachent a la
neurasthenic ;
3® Obsessions et phobies symptomatiques de la neurasth^nie^
de rhyst^rie, du Basedow, des intoxications, etc. ;
4° Prodromes des psychoses. Dans cette classification un peu
vague, il n^y a que les deux premiers groupes qui se rapportent
a nos malndes et ils ne nous donnent que la meme division en ob-
sessions et phobies.
Les classifications les plus r^pandues sont plus precises : elles
semblent conserver un souvenir vague des anciennes facultes de
Tame et admettent que Tobsession prend trois formes suivant
qu'elle porte sur Tintelligence, la sensibility ou la volont^. En
efiet, M. Tamburini admet trois groupes :
I® Id6es obs^dantes intellectuelles (interrogations, doutes, cal*
culs, folic du doute, folic metaphysique, folic du calcul) ;
2** Id^es accompagn6es d'un sentiment de peur, peur d'Mre
souille, peur de sortir ;
3** Idees impulsives*.
M. Van Eeden reproduit exactement la m^me division :. i* les
conceptions obs6dantes, 2^ les emotions obsedantes, 3® les impul-
sions obs^dantes, 4° les id^es obsedantes proprement dites, ob-
sessions intellectuelles des Fran^ais, Griibelsucht de Berger el
Griesinger*. La distinction entre les groupes i et 4 n'est pas indi-
qu^e bien nettement, je crois qu'elle correspond a ce que j'ai
appele obsession et ph^nom^nes de rumination intellectuelle, jela
crois juste et utile.
M. R6gis fondait d*abord sa classification sur les lesions de la
volonte : i^ la volont^ est i^s^e dans sa force d'arr6t (obsessions
I. Ilaskovec, op. cit., p. i3i.
a Tamburini, Riv. sper, d. freniatria, anno VIII, 4» ifi
3. Van Eeden. Retme de Vhypnoiisme, 189a, p. 7.
LES PRINGIPALES VARIfiTfiS CLINIQUES 6i3
impulsives), 2® la volont6 est l6s^e dans sa force d'action (ob-
session d*ind6cision, folie du doute, obsession- crainte, agora-
phobie). Le point de depart est juste car les l6sions de la volonte
jouent ici un role considerable, mais la volonte me parait presque
toujours l^s^e a la fois dans sa force d'arr^t et dans sa force d^ac-
tion, dans la folie du doute : il y a arr^t de Taction que le malade
ne fait pas et en m^me temps il y a exag^ration de la rumination.
Pourquoi s6parer cet arret de Taboulie mise dans le premier
groupe? II en est de m^me pour Tagoraphobie et il me semble dif-
ficile de ranger un cas dans le premier ou dans le second groupe.
M. S^glas adopte cette classification sans la discuter\ il de-
mande seulement d'ajouter une categoric speciale pour les obses-
sions qui ont trait a des ph^nom^nes de sensibility (glossodynie,
obsession dentaire de Galippe, algies centrales des neurasth^-
niques, topoalgies de Blocq, etc. Ce groupe des algies, dont
parle M. S^glas est en eBet tres int^ressant, mais je ne vois pas
de raison suffisante pour le separer compl^tement du groupe des
phobies avec lequel il a tant d'analogies.
Plus tard M. R6gis reprenant cette question avec M. Pitres
laisse de c6te le point de vue des l6sions de la volonte auquel il
s*etait place d'abord et ne se pr^occupe plus que des troubles de
r^motion ; il distingue trois formes :
i" L'etat obs^dant a anxi^te diffuse ou panophobique ;
2° L'etat obsedant a anxiety syst^matisee ou monophobique :
3° L*etat obsedant a id6e anxieuse ou monoideique^.
II y a dans cette classification un r^el progr^s en particulier
sur les classifications en phobies et obsessions ; MM. Pitres et
Regis montrent bien qu'il y a un etat primitif et vague qui sert
de point de depart a la maladie et qu*il faut distinguer des ob-
sessions constituees, en outre ils mettent bien a la fin de la clas-
sification, Tobsession proprement dite qui est le resultat d'une
interpretation et de toute une evolution maladive. Je regrette
seulement que le premier etat soit caracterise uniquement par de
remotion quand il contient les troubles tr^s variees de I'abaisse-
ment psychologique, je regrette aussi que le second groupe ne
contienne que les phobies, ce qui laisse de c6te les tics, les agi-
I. S^glas, Lemons sur les maladies mentales, p. 6o. Confdrenco faile k la Saljic-
tri^re. Journal de medecine et de chirurgie pratiques, a5 f^vricr 1894.
a. Pitres et H^s, op. cU., p. i3.
G44 L'fiVOLUTION
tations motrices, les ruminations qui ne sont bien a leur place ni
dans le premier groupe ni dans le troisieme.
Je crois done preciser et completer les classifications precd-
dentes, en admettant d'apres les Etudes pr^c^dentes, trois gronpes
principaux :
i^ Les insuflisances psychologiques ;
2** Les phenomenes de derivation ou crises de psycholepsies ;
3^ Les obsessions intellectualis^es. Chaque groupe peutse sub-
diviser de la mani^re suivante :
/ avec predominance des troubles organiques, les HaU
\ neuraslheniques ;
i« Les insuffisance^ )
psYcho-physiologiques ) »^®^ pi^lominance des troubles psychologiques et sur-
/ tout des sentiments d*inoomplelude, les etals psychas-
\ theniques,
I y . \ k forme diffuse, les agitations motriees ;
I ( k forme syst^matis^e, les ties.
a'* Crises de psycholepsie \ - a ] ( ^ forme diffuse, les angoisses ;
avec phenomenes de < ( k forme systematis^e, les algies, lesphobies.
derivation i f^ ^^^^^ diffuse, les ruminations, le menr-
I c^rebrale j tisme\
\ \ & forme systematisee, les manies menlales.
!de sacrilege ;
de crime ;
de honte ;
de maladie.
Cette classificatiou a Tavantage de nous indiquer aussi revolu-
tion de la maladie et de nous montrer suivant la classe dans la-
quelle se range le sujet la gravity de son dtat, Ron... qui se plaint
en somme des symptomes de T^tat mental psychasthenique un peu
aggrav^s, aprosexie, aboulie, indiff(6rence a tout, sentiments de d^-
doublement et d^automatisme, est moins avanc^ que Mw... qui a
tons les phenomenes precedents et qui en plus a la manie du
serment et presentc des crises de manie d'interrogation. Cepen-
dant comme cellc-ci se borne a faire des serments sur n'importe
quoi, qu'elle cede simplement a une manie sans Tinterpreter,
elle est moins malade que Lise qui a les symptomes psychasthe-
niques du premier, les manies du serment et de Tinterrogation
de la seconde mais qui y ajoute une obsession sacrilege et toute
une conception obs^dante de la dualite divine.
Cette classification s'applique encore trfes bien a revolution
LA MARCHE DE LA MALADIE 645
<l^un cas individuel qui passe successivement par ces trois degr6s.
Yoici comment Claire resume elle-meme sa propre maladle : « au
commencement j'ai simplement souffert bien cruellement du man-
<{ue de conGance et de ne plus pouvoir croire. Ensuite j'ai eu
comme une fuite des id^es, il me venait des pens^es, des ques-
tions, de v^ritables calculs que je faisais malgr6 moi, que je ne
pouvais pas plus emp^cher que mes tics. Enfin j*ai 6t6 bien plus
malheureuse quand il y a eu des hallucinations (le membre viril
et Thositie) qui m*ont montr^ combien j'^tais tomb^e bas et quand
j*ai senti que je ne pourrais jamais remonter. » Traduisons ce Ian-
gage de la malade : elle a d'abord le trouble des fonctions du r^el,
c*est-a-dire des ph^nomenes d'abaissement et d'insuiBsance, puis
elle a des tics et des raanies mentales, ph^nomenes de derivation,
enfin elle a de pseudo-hallucinations qui ne sont que des expres-
sions de Tobsession intellectuelle qui s'est formee peu a peu.
On pourrait montrer bien des cas ou les choses ont ^volu^ de
la meme maniere. II ne faut pas oublier que quelquefois revolu-
tion se fait plus ou moins vite et que certains sujets traversent
rapidement les premiers degres, tandis que d'autres restent ind^-
finiment au premier ou au second.
Des vari^t^s moins importantes sont constitutes par le melange
de divers groupes de caract^res, par exemple les angoisses et les
obsessions, les tics et les manies mentales, les sentiments d'in-
completude et les obsessions. Enfin il faut tenir compte aussi,
pour bien pr^ciser la situation d*un malade, de sa disposition plus
ou moins grande a la variabilite. M. Meige a remarque qu^il y a
des tics qui meritent le nom de variables par opposition a ceux
qui sontfix^s\ II en est absolument de meme pour les phobies,
les manies mentales, les obsessions. La forme variable se rap-
proche de la forme diffuse, de Tagitation motrice, de Tangoisse,
de la rumination. Elle est en g^n^ral moins grave que la (orme
systematique devenue stable et indique en g6n^ral une Evolution
moins avanc^e de la maladie.
3. — La marcbe de la maladie.
La psychasthenic constitue une maladie essentiellement lon-
I. Mcige, Histoire d'un liqueur. Journal de mid. et de chir. prat., 20 aoiU 1901.
616 L'fi VOLUTION
gue dont la dur^e minima est de plusieurs mois et qui tree souvent
remplit la vie entiere. Des vari^t^s int^ressantes sont encore
constitutes par cette dur^e et par la fa^on dont la maladie la
remplit.
I. — La forme aigue,
II faut distinguer une forme aigue qui, comme on Ta vu a pro-
pos des conditions etiologiques, se developpe chez des sujets
pr^sentant peu d'ant6c^dents h^r^ditaires et peude predisposition
par le caract^re anterieur, a la suite de maladies infectieuses ou
de grands bouleversements moraux. Ces formes appartiennent
d'ordinaire au deuxifeme degr^, ce sont des ruminations ou des
phobies, elles tourmentent beaucoup le malade pendant cinq a six
mois, puis elles s'att^nuent, disparaissent pendant quelques jours,
r^apparaissent affaiblies et apres quelques oscillations de ce
genre le malade se gu^rit d'une fa^on a peu prfes complete. Tous
les auteurs citent des cas ou les choses se sont pass^es de cette
nianiere et oil pendant dix ou vingt ans la maladie n*a pas reap-
parU' J'ai observ6 une vingtaine de cas qui semblent bien etre
de ce genre, on les trouvera signal^s dans les observations qui
constituent le second volume de cet ouvrage.
Je dois avouer, cependant, que pour plusieurs de ces cas,
n'ayant pas analyst suffisamment le caractere ant^rieur, n^ayant
pas suffisamment suivi le malade apr^s sa gu6rison apparente, je
conserve quelques doutes. Les cas tout a fait aigus me semblent
assez rares. II semble que cet abaissement special de Tesprit
exige presque toujoars une predisposition. D'autre part, lorsqae
Tesprit s*est une fois abaiss^ de cette maniere au-dessous de la ten-
sion normale, il se relive difficilement et lentement et surtout il
garde une disposition remarquable a s'abaisser de nouveau de la
ra^me maniere sous la moindre influence. Le plus souvent done
nous avons affaire a des formes chroniques qui durent plusieurs
ann^es.
La plupart des cas remarquables que nous avons Studies durent
depuis dix ou vingt ans et souvent depuis Tenfanee.
2. — La forme chronique.
L'etat psychasth^nique est done, dans Timmense majority des
cas, un etat chronique qui a son origine dans une predisposition
L\ MARCHE DE LA MALADIE 647
familiale, qui se manifeste par un caractere special et qui, sous Tin-
fluence des traumatismes physiques et moraux, pr6sente seulement
des exacerbations plus ou moins graves. A ce point de vue tons
les auteurs sont d'accord pour distinguer trois formes principales,
la forme inter mittente, la forme remittente et la forme continue.
La forme continue a et^ surtout signal^e par M. Roubinovitch,
en 1893*. Sansdoute beaucoup de maladespr^sentent I'etat psy-
chasth^nique d'une mani^re a peu pres continue, pendant des
annees, Claire, Lise, Nadia, Jean sont dans cet etat depuis dix
ou vingt ans. On pent dire que pendant cette longue p^riode
aucun de ces malades n'a 6t^ completement gueri, c'est-a-dire
n'est entiereraent revenu a son niveau normal d'attention, de
volonte, de fonction du r^el.
Mais cependant il est impossible de dire que leur 6tat est
rest^ completement le m6me. Les malades eux-memes n'ont pas
cette impression : Claire ne dit pas qu'elle est tout le temps
descendue, elle a eu comme les autres des periodes plus 6lev^es
ct d'autres plus basses. Jamais Tidee obs6dante n'est completement
disparue, mais elle est quelquefois devenuecc implicite, latente»,
les ruminations et les phobies etant presque arret6es. La forme
dite continue ne m^rite done pas enti^rement ce nom des qu^on
suit les sujet pendant un temps assez long. II ne reste en somme
que deux varietes principales, la vari^te intermittente et la vari^te
remittente ; dans la premiere, le sujet revient par intervalles
assez longs a un ^tat tout a fait normal ou presque normal, dans
la seconde, le sujet s'ameliore un peu de temps en temps mais ne
revient pas aussi completement a la sante que dans la variete
prec^dente. Ces differences peuvent bien se comprendre si on se
reporte a nos Etudes sur les modifications du niveau mental.
Ces modifications sont des oscillations de la tension, oscillations
plus grandes qu'a Tetat normal et qui maintiennent le niveau trop
bas. Tantot ces oscillations sont grandes et font remonterle niveau
presque jusqu'en haut, c'est la forme remittente, tantot les oscil-
lations sont petites et laissent constamment le niveau tr^s inf^-
rieur, c'est la forme simplement remittente. C*est a ce point de
vue en consid^rant la rapidite ou la grandeur des oscillations que
nous comprendrons ces varietes de revolution.
I. Roubinovitch, Obsessions ct impulsions k forme continue, /l'* Congrh des
aliem$tes fran^ais de La Rochelle, 1898.
€48 L^fiVOLUTION
3. — La forme inter mittente,
II existe d'abord des oscillations rapides, c'est-a-dire qui ame-
nent des changements en quelques heures : je range dans ce groupe
les malades dont les crises ne d^passent pas quelques heures et
qui changent d'etat dans le cours d'une m^me journ^e. II est int6-
ressant de remarquer que presque tous les malades de ce genre
sont des phobiques avcc des angoisses. Peut-^tre les oscillations
rapides du niveau mental donnent-elles plus que les oscillations
lentes le sentiment d'abaissement, de chute, de mort et favori-
sent-elles le developpement des angoisses surtout des angoisses
morales. Quoi qu'il en soit nous observons ces oscillations
rapides chez les agoraphobes, chez les claustrophobes. Leur
acces a besoind*une cause pour seproduire, quand il sortent dans
la rue, ils sont pris de leur angoisse, s'ils rentrent chez eux Tan-
goisse cesse et ils sont ou se croient a peu pres normaux. Gz... a
ainsi quatre crises par jour, chaque fois qu'il va a son bureau ou
qu'il en sort; quand il est devant son pupitre et sur son fauteuil
de cuir il a un esprit d'un niveau suflfisant pour ses fonctions.
Dob..., Fie... sont des agoraphobes a peu pres semblables avec
une ou deux crises par jour. Er... a des terreurs de la mort su-
bite quand elle se trouve seule s^par^e de son mari, elle est ras-
sur^e quand son mari est prfes d'elle : comme le mari part le matin
et rentre a six heures du soir, la crise commence le matin et se
termine a six heures. Wo... a des crises d'angoisse et de manie
de verification a propos des prieres et des comptes du manage,
elle a done deux crises r^gulieres I'une le matin, Fftutre le soir,
a propos des prieres, et d'autres crises irregulieres plus nom-
breuses a la fin du mois, a propos des comptes.
D'autres intermittences ne sont pas en rapport avec les circon-
stances qui provoquent les crises, mais avec des conditions plus
g^n^rales qui influent sur I'activite de Tesprit. Cs..., Claire, etc.
n'ont leur grand abaissement mental et leurs obsessions hypo-
condriaques que le matin et sont mieux Tapres-midi. C'est la
d'ailleurs une loi gen^rale, la plupart de ces sujets sont plus
malades le matin et se relevent I'apres-midi surtout a partir de
cinq heures. Cela tient a la grande oscillation diurne qui existe
chez tous les hommes et qui releve natureilement la tension phy-
siologique ct psychologique vers cinq heures de Tapr^s-midi.
LA MARCHE DE LA MALADIE 649
Les individus normaux sentent leg^rement cette excitation, les
malades dont le niveau mental est dWdinaire au-dessous de
la normale profitent de cette ascension et se sentent plus pres de
r^tat normal. II y a cependant des exceptions surtout chez les
malades qui dorment tr^s bien et qui se reposent bien la nuit.
Qsa... est beaucoup mieux le matin que Tapres-midi : cette forme
teste cependapt exceptionnelle.
A cote de ces oscillations il en faut signaler de plus lentes qui
occupent I'intervalle d'un ou de plusieurs mois, Cos comme
beaucoup de femmes d'ailleurs, a une rechute de son obsession au
moment des regies, puis Tobsession disparait dans les journ^es
qui suivent leur apparition. C*est la la regie g^n6r^le et il faut
s'atlendre a des aggravations ou des rechutes a Tepoque des
menstrues, probablement a cause des modifications de la tension
vaso-motrice et de la fatigue de ces periodes. Cependant, quel-
ques femmes (9 observations] font exception a cette loi, elles se
trouvent plutot am^lior^es au moment des regies. II est probable
qu*il faut rattacher cette anomalie aux excitations g^nitales dont
j'ai deja signale Teffet heureux.
Des periodes d'am^lioration tr^s remarquable qui tr^s sou-
vent interrompent le cours de la maladiesont a signaler pendant les
grossesses. J'ai observe le fait plus de 3o fois; je le v^rifie
encore en ce moment chez Bab... et L^o... qui arriv6es au qua-
trieme mois de la grossesse, se trouvent transform^es et oublient
leur obsession de la folic. Ce fait trfes remarquable existe dans
rhyst^rie comme dans la psychasthenic : il tient, je crois, a cette
exaltation de la vitality qui caract^rise la grossesse. La circula-
tion, la respiration, la nutrition sont exalt^es, il n'est pas ^ton-
nant qu'une maladie mentale, qui est en rapport avec la depres-
sion de la tension psychologique, en soit favorablement influenc^e.
Bien entendu, il y a quelques cas, surtout quand la grossesse est
penible, oil la fatigue determin^e par cet etat Temporte sur Tex-
citationet aggrave la maladie : mais c*est la plutot une exception.
En general, en presence d'une femme psychasth^nique enceinte,
on pent pronostiquer que son etat mental sera tres fortement
am6liore pendant toute la dur^e de la grossesse, puis qu'il y
aura probablement une rechute s^rieuse peu de temps aprcs
Taccouchement.
Dans quelques cas, certaines oscillations m'ont semble etre en
rapport avec les saisons lib..., Claire, Bal... ont des rechutes
650 L*fiVOLUTION
caract^ris6es en hiver et se portent mieux quand vieut T^te. Le
froid, la vie plus retiree, la diminution des exercices au grand
air ont probablement quelque influence sur cet abaissement. Par
opposition quelques raalades, comme Jean, se portent plus mal
r^t^ quand ils quittent Paris pour la campagne.
II faut aussi signaler surtout, a titre de ph^uomenes* curieux
encore mal ^tudi^s, des suspensions de la maladie d(§termin^es, si
je ne me trompe, par Texcitation de la fievre : j'ai d^ja signale ces
malades dont les sentiments d'incompletude disparaissent momen-
tan^ment pendant le cours d'une angine herp^tique on d*une
grippe. J'ai insists sur le cas de Nae... (94) qui pendant les der-
niers six mois de revolution d'une tuberculose pulmonaire, n'a
plus jamais pr^sent^ aucun trouble mental.
Enfln des oscillations plus grandes sont dues a Tinfluence des
afFaiblissements organiques ou des grandes secousses morales
qui d^terminent des abaissements avec troubles physiques^ autant
que troubles mentaux. Ceux-ci sont tres graves au d^but, peu
apr^s la circonstance provocatrice, puis ils diminuent plus ou
moins 6videmment en quelques mois et les malades sont a peu
pr^s remontes au niveau normal jusqu^a un nouvel incident d6-
primant. le..., femme de 5i ans, a ainsi depuis une vingtaine
d'annees, a propos de tons les incidents possibles, des crises
d'obsession scrupuleuse. Ces crises plus ou moins graves ne
durent guere, en g^n^ral, plus de deux ou trois mois, puis la
malade se retablit a peu pr^s pendant un intervalle egal. Norn-
breux sont les malades qui ont dc ces oscillations lentes et qui
alternent entre quelques mois de tranquillite et quelques mois
de phobies ou de ruminations.
Dans cette forme les oscillations sont assez espac^es pour que
Ton puisse parler de gu^rison et de rechute ; c'est ainsi d'ailleurs
que la maladie se prcsente presque toujours a ses debuts dans la
jeunesse. II est rare que le premier acces soit deflnitif, cela n'ar-
rive que chez les tres grands malades. Vy..., Tr..., Gei..., Zei...
ont eu un premier acc^s ^ 12 ou i4 ans, le plus souvent a propos
de la premiere communion; puis graduellement au bout de 10 ou
i5 mois, Tesprit s'est releve peu a peu, la gu6rison 6tait ou sem-
I. Thomson, LTIl<^ Coiigrcs dc la Soci^te psjchiatrique de la jirovince du Hhin.
Archives de neurohgie, 1890, I, /40a.
LA MARCHE DE LA MALADIE 651
blaitetre a pen pres complete. Mais au bout de quelques mois ou
de quelques anuses, a roccasion d'une cause deprimante plus ou
raoins serieuse, il y a un nouvel abaissement : tant^t Tobses-
sion reprend avec la meme forme que prec^demment, tant^t la
nouveile occasion a fait naitre une phobic ou une rumination dif-
f^rente. Souvent ce second acc^s est plus grave que le premier
et se prolonge pendant deuxou trois ans, puis une nouveile gueri-
son plus ou moins r6elle est p^niblement obtenue. Un troisieme
acces survient plus ou moins tard, en general avec une gravite
croissante. II y a des malades qui ont ainsi 5 ou lo acces plus ou
moins espac^s, d*autres n*en ont qu'un plus petit nombre.
On trouvera des exemples de ces differentes formes dans les
observations suivantes, En..., homme de 43 ans, a eu des scru-
pules de premiere communion a 12 ans, une phobic du cholera
a 18 ans, une obsession amoureuse a 23ans, une obsession homi-
cide contre ses beaux-parents a 3i ans, la phobic du chien enrag^
a 36 ans et actuellement depuis Tagede^oans, il rumine constam-
ment a propos du testament que sa m^re a fait contre lui. X...,
femme de 4o ans, a H6 obs^d^e a Tage de i5 ans a propos d'uo
chien enrag^ qui a ete tue. et enterr^ dans le jardin. Elle s'est
gu^rie de Tobsession, mais voici la quinzieme fois qu'elle est
reprise de la meme phobie, qui chaque fois a ^t^ en s'accroissant
et qui est devenu maintenant un veritable d6lire du contact. Au
contraire, ces autres malades n'ont eu qu*un petit nombre d*acces:
Cas... presente le premier accident s6rieux a 3o ans en voyant
son fils tomber a Teau, obsession de mort, d^homicide, refus de
manger pendant 18 mois; la rechute n*a eu lieu au moins d*une
mani^re visible qu'a 5i ans a la nouveile que sa m^re est devenue
folic: elle tombe alors dans la phobic banaie de la folic. Vor...
a eu un delire de scrupule a 18 ans, avec manic de Tinterrogation
pour chercher si elle avait dit ou fait quelque chose de d^fendu ;
elle ne presente une rechute a 45 ans seulement quand elle a
sa curieuse manic de perfection urinaire. Mio... (186), femme de
37 ans, a eu une premiere crise qui a dur6 6 mois quand elle
avait vingt ans a propos d'un locataire de la maison ou elle ^tait
concierge, qui a d^m^nag^ sans la pr^venir, elle a eu une deuxi^me
crise a 27 ans, a propos de son chat qui est mort et maintenant
elle est entree dans une troisieme crise de remords effrayants
a 37 ans, parce qu^elle s'est laissee convaincre et a abandonn6
une de ses chattes.
652 L'fiVOLUTION
Bien enteudu ces diverses formes d'intermittences secombinent
entre elles. Au coqrs d'une grande maladie de i8 mois se pr^-
sentent les oscillations diurnes, mensuelles, et d'autres oscilla-
tions accidentelles a propos des incidents qui rappellent davan-
tage ridee principale.
4. — La forme remittente.
Nous arrivons a la forme remittente dans laquelle les oscilla-
tions existent encore, rapides, lentes ou tr^s espac6es, comme
dans la forme prec^dente, mais dans laquelle ces oscillations res-
tent petites, reinvent un peu I'etat du malade, mais ne le reinvent
jamais au niveau normals Si on ^tait s^v^re dans Texamen des
sujets et si on voulait examiner a fond leur 6tat prc^tendu nor-
mal, entre les paroxysmes, je crois bien que presque tons se
rattacheraient a cette derniere forme. M. J. Falret soutenait
que Tobsession ne disparaissait jamais, completement, cela est
plus juste qu*on ne le pense g^n^ralement. Dans tous les cas, il
reste toujours quelque chose de Taboulie, de Tinsuffisance psy-
chologique qui a determine la premiere obsession et qui amenera
la rechute.
Quoi qu'il en soit il y a des malades chez qui ce r^sidu est
beaucoup plus net et plus visible et qui ne paraissent jamars se
r^tablir sudisamment. Lise a commence les insuHisances psycho-
logiques vers Tage de six ou sept ans, a douze ans, elle avait les
grandes ruminations sur les confessions et les interrogations
sur la vocation religieuse, sans aucune interruption elle arrive
a quinze ans aux doutes sur la religion et a dix-huit ans aux im-
pulsions sacrileges et aux formules de conjuration. C'est a ce
moment que la famille s'apercoit de la maladie, car on la sur-
prend a parler seule ; il y a une l6gere remission causae par les
Amotions du mariage vers vingt-trois ans, puis le d6lire ^volue
avec les interrogations sur le moyen de sauver Tame du mari,
I. Lcgrand du Saullc n'cntendait pas le mot « remission » dans ce sens: pour
lui la remission ^tait un intervalle de sante morale « de meilleur aloi et plus dura-
ble que Tinlcrmission. » (Folic du douie, p. 48.) MM. Pitres el Regis admettent que
dans la vari^tc r^miltente « la maladie so traduit par des paroxysmes plus ou moins
rapproches entre Icsqucls il reste des syraptomes encore tr^s sensibles d*emotivi(e
obs(§dante. » (Op. cii., p. 26 et 80.) Le second sens du mot me paraft le plus na-
turel.
LA MARGHE DE LA MALADIE 653
et les pactes avec le diable; a vingt-six ans, elle rumine sur les
religions dualistes et sur la puissance du d^raon. Depuis cinq ans
la lutte contre la maladie a simplement enraye le mouvement
ascensionnel et ramen^ pendant de longues periodes les obses-
sions «a Tetat implicite».
Jean etait probablement depuis Tenfance un insuffisant psycho-
logique : il prend des habitudes de masturbation a i4 ans, ces
habitudes provoquent a Tage de i5 ans une grande terreur avec
chute du niveau mental, qui depuis ce moment jusqu^a T^ge de
32 ans ne s'est jamaisrelev^.Ila passe par une s6rie d'obsessions
etranges dont nous avons souvent parle, il a eu pendant 5 ans des
algies et des phobies relatives au p^nis et au gland, il n'a jamais
eu en somme que de legeres remissions.
Gis^leest malade depuis Tage de la ans; mais, quoiqu'elle n'ait
pas d'intermittence vraie, elle pr^sente une vari^t6 curieuse,
c'est Talternance du d^lire de scrupule et des troubles de Tes-
tomac. Pendant la periode gastrique, si Ton pent ainsi dire, elle
n'est plus guere obsed^e si ce n'est par la pensee qu'elle ne veut
pas manger; quant a son scrupule sur la vocation religieuse il est
presque disparu, a il n'est plus que dans un petit coin de sa t6te. »
U est vrai que Tobsession de vocation va reapparaitre apres Ta-
m^lioration de Tetat gastrique.
Nadia est curieuse par Timmutabilit^ de son obsession ; cette
honte du corps, cette crainte d'engraisser a pris diff^rentes for-
mes ; elle ^tait enfantine a 6 ans avec la crainte de lagourmandise,
elle se complique a i6 ans de sentiment de pudeur et plus tard
de peur de se montrer, mais en somme jusqu'a 3o ans elle n*a
jamais disparu. D*ailleurs, dans ces formes chroniques, Tobses-
sionpeut pers^v^rer bien plus iongtemps, Leg... a commence la
maladie a 12 ans par la peur de faire du mal et a 45 ans elle
reste encore immobile sur sa chaise « de peur de vous empoison-
ner par les poussieres ou par sa salive ». Xa..., a 6g ans, con-
serve encore sa crainte de Thomicide qui a commence a 22 ans.
C'est la la veritable forme grave de la psychasthenic vers laquelle
tendent les formes intermittentes.
Toutes les causes qui agissent sur les oscillations de niveau,
toutes les conditions qui font monter ou descendre la tension,
les fatigues, les efforts, les Amotions determinent des variations,
des remissions ou des rechutes dans ces 6tats, qui, pour etre a
peu pres continus, n'en restent pas moins 6minemment instables.
664 L'fiVOLUTION
5. — Les periodes critiques.
Au cours de cette longue Evolution les ph6nom^nes pathologi-
ques ne sont-ils pas soumis a quelque loi de transformation, ne
traversent-ils pas certaines periodes caract^rltisques? C*est la ques-
tion que Legrand du SauUe s'etait d6ja pos6e et qu*il avait essays
de r^soudre par sa th^orie connue des deux periodes dont la
premiere 6tait remplie par le doute et la deuxieme par le d^lire
du contact. II aflfirmait en un mot que les sujets d^butaient par
les ruminations mentales puis continuaient par les phobies. C*est
la une hypoth^se malheureusement inadmissible, beaucoup d'au-
teurs se sont hat6s de montrer la marche inverse, la phobic du
contact d'abord, puis au boutde quelques ann^es les ruminations
mentales ^ J'ai d^ja souvent discute cette question et je crois
que les ruminations ou les phobies dependent de I'etat d'esprit
du sujet, de son education, des circonstances provocatrices et ne
se succedent passuivant une loi r6guliere.
Une autre p^riode signal6e par Legrand du Saulle est plus in-
teressante, « ce que je constate, dit-il, c*est que le signe diff^-
rentiel qui s6pare la seconde periode de la premiere consiste
dans les revelations absolument inattendues du malade, dans le
r^cit prolixe de souQVances non soup^onn^es, dans Tinauguration
d*un systeme de questions sans fin, dans la sollicitation r^it^ree
de paroles rassurantes et dans Textr^me facility avec laquelle une
personne de Tentourage dissipe momentan^ment les perplexit^s,
en apparence les plus vives* ».
II y a dans cette remarque des exagcrations : le besoin de di-
rection existe des le d^but et fait partie des symptomes de
Tinsuflfisance psychologique. Mais il y a la cependant une obser-
vation tres juste a propos des revelations des malades. Presque tou-
jours les malades gardent longtemps secretes leurs angoisses, ils
ont un sentiment vague de n*etre pas comme tout le monde, une
sorte de honte qui les retient ; d*autre part ils sont timldes et ne
savent pas s'exprimer; enfin la famille fait tous ses efforts pour
ne pas voir ce qui se passe et pour ne pas accepter m^me le soup^on
d'une maladie mentale. II arrive un moment oil les choses eclatent.
1. Van Eedcn- Revue de I'hypnolisme, 1891, p. ao.
2. Legrand dn Saulle, Folie du doute, p. 30.
LV M\RCHE DE LA MALADIE . 655
oil les souSVances dii malade le forcent a parler, a rechercher unc
direction plus precise. Je n'oserai pas dire que ce moment commence
une seconde p^riode mais il est certainement tr^s important et
presque toujours il est le point de depart d'une recrudescence du
mal. Le malade faisait des efforts pour cacher ce qu'il ^prouvait,
la cessation de ces efforts lul est nuisible. On pourrait m^me di-
viser en deux degres ce changement indique par Legrand du
Saulle ; il y a un premier moment oil le malade r^vMe son mal
a une personne d^terminde, a un parent, a un pretre ou a un m6-
decin, mais oh il continue a le cacher aux autres, et un second
moment beaucoup plus tardifoii il eprouve le besoin de raconter
ses tourments a tout le monde : ce deuxi^me moment est le signe
d'une aggravation beaucoup plus considerable.
Une autre loi avait ^t^ signalee par M. S^glas « dans bon nom-
bre de cas, disait-il, les malades debutent par une phase d^an-
goisse vague ». M. Dallemagne ajoutait que lorsqu'ils gu^rissent,
ils reviennent ^galement a cette phase d'angoisse diflfuse. Cette
remarque me parait devenir plus juste si on remplace le mot
an'goisse par le terme d'insufGsance psychologique ; elle corres-
pond a cette Evolution que j'ai signalee au d^but chez certains
malades dont revolution est lente : ils pr^sentent une phase
d'insuffisance psychologique avant les ruminations et les phobies
et quand ils gu^rissent, ils terminent egalement par une p^riode
psychasth^nique analogue a celle du d^but.
Nous avons d6ja signals la remarque de MM. Pitres et Regis,
sur rintellectualisation progressive de ces troubles, cela revient a
dire que le malade interprete peu a peu ce qu'il ressent et que les
v6ritables obsessions intellectuelles sont tardives, mais cette ob-
servation ne s'applique qu^aux formes mod^rdes de la maladie,
nos grands malades etaient d6ja parvenus a I'obsession du scru-
pule vers 12 ou i3 ans.
Une loi signalee par MM. Raymond et Arnaud est encore
tres importante, c'est la generalisation progressive de la ma-
ladie. « Un nombre d'id^es toujours plus grand entre succes-
sivement dans la sphere du doute, Tincertitude et Thesitation
deviennent la caract^ristique de toutes les reactions intellec-
tuelles ^ » Cette loi est tr^s vraie et tris importante au debut :
rinsuflSsance psychologique, le trouble de la fonction du red,
I. Raymond et Amaud. Ann, mid. psych., 189a, IT, p. 209.
656 L'fiVOLUTION
I'aboulie, le doute n*atteignaient que des phenomenes particu-
lierement difliciles, ces troubles s'^tendent graduellement jus-
qu'aux notes et aux pens^es les plus 6l6mentaires. Leg..., a 25
ans, a des phobies du poison a propos de la cuisine qu'elle doit
faire, c'est un phenomene de derivation a propos d'un travail,
d*un acte volontaire professionnel comme nous Tavons vu bien
souvent ; a 45 ans, comme elle le dit elle-m6me, elle voit du poi-
son partout, elle ne peut plus marcher, toucher un objet, respi-
rer meme. Tous ces actes, des qu'ils sont faits avec attention,
cessent de s'accomplir correctement et donnent naissance a 1»
rumination sur le poison. Xa... au d^but ne pouvait toucher des
couteaux sans penser a Thomicide, a 6g ans elle ne peut plus
s*asseoir sur aucune chaise, mettre aucun vetement sans ^tre
assaillie par la memecrainte. La multiplicite des associations ca-
ract^rise les obsessions d'une evolution avanc^e ; elle est en rap*
port avec le d^veloppement des aboulies et des insufEsances psy-
chologiques.
M. Freud a signals une loi interessantede substitution, d'apres
laquclle une id6e prend la place d*une autre. II applique cette loi
d'une maniere un peu etroite, en disant que I'id^e primitive a
toujours rapport aux phenomenes sexuels. Mais en g^n^ral cette
loi est assez juste, elle correspond k la loi d*alternance des idees
que nous avons souvent rencontr6e. Bien des choses expliquent
cette alternance : la phobic ou la rumination n'^tant qu*une
derivation, on comprend qu'une derivation analogue puisse se
substituer a la premiere, « une manie chasse I'autre, disaitZa... ».
(( II faut que cette idee soit remplacee par une autre, disait Lise,
si je ne maudis pas Dieu, je r^verai au demon. »
On retrouve ici cette loi des idees stratifiees que j'ai etudiee
ailleurs^, quand on efface une idee recente des malades, ils re-
tombent dans une ancienne. Une autre cause de ces substitutions,
c'est que certaines excitations ont le pouvoir en faisant remonter
la tension nerveuse de dissiper Tobsession, le besoin de cette
excitation se substitue a Tidee elle-meme. Lut..., femme de 25
ans, est obsedee par le regret d'un mariage rompu et par ui^e
obsession amoureuse, on lui offre un verre dans un cabaret pour
la consoler et, de fait, cela la console tres bien, si bien qu*elle
I. Accidents mentaux des hysUriques, 1898, p. i83, nevroses et idees fixes, \,
p. 64 el 172.
LES COMPLICATIONS 60?
recommence et au lieu d'etre une obsed6e amoureuse elle devient
une dipsomane. L'excitation erotique 'a le m^me r^sultat, c^est
pourquoides scrupuleuses comme Loa... et Len... sont conduites
a la rechercher et devienneDt des ^rotomanes.
Ces diverses lois commencent a dous faire connaitre les pha-
ses de cette Evolution dont une grande partie reste encore in-
connue.
4. — Les complications.
La maladie des obsessions psychasth^niques presente des trou-
bles physiques et des troubles moraux mais ceux-ci semblent res-
ter compatibles avec la conservation de la raison pulsque la ma-
lade garde le pouvoir de critiquer ses idees fausses et ceux-la
semblent ne pas compromettre la vie, puisque les troubles neu-
rasth^niques n'amfenent pas directement la mort.
Les complications de la maladie sont les troubles qui s'y sura-
joutent de maniere a compromettre la vie et la raison.
I. — Les accidents physiques,
J'insisteraipeu sur les complications purement organiques, ce
qui serait entrer incidemment dans T^tude de tous les ralentisse-
ments de nutrition. J'ai signals chemin faisant, les troubles diges-
tifs, les troubles circulatoires, les maladies cutan^es comme Tec-
zema, le rhumatisme chronique d^formantqui coexistent souvent
avec Tetat psychasth^nique et qui peuvent dans certains cas pren-
dre un grave d^veloppement. Ces troubles de nutrition peuvent
comme toujours favoriser toutes les infections et j*ai malheureu-
sement constat^ une dizaine de fois la tuberculose pulmonaire qui
venait se grefTer sur ces aHaiblissements. II faut insister un peu
plus sur un accident bizarre qui est plus directement en rapport
avec Tengourdissement des fonctions.
La retention des matieres fecales, puis la stercorh^mie et les
accidents toxiques dus a cette retention sont assez frequents et
il faut etre pr^venu de leur extreme gravity. A la suite d'une
mauvaise nouvelle Nadia a presente un engourdissement de ce
genre, avec retention prolong^e des matieres fecales. Les urines
LES OBSESSIONS. I. — t^2
658 L'lllVOLUTION
devinrent hemaph^iques, ramaigrissement et la cachexie furent
considerables, il y eut au point de vue mental un 6tat de confusion
et de stupeur dont je reparlerai.
Les grands lavements d*buile pouss^s avec une sonde devenant
insuffisants il a fallu pratiquer un veritable curage de la fosse
rectale. A la suite de cette operation et sous Tinfluence des gran-
des injections de serum cette malade s'est r^tablie, mais, ce qui
donne la preuve de Tauto-intoxication, elle a pr^sent^ a la suite
un n^vrite p^riph^rique des jambes dont la gu^rison a 6i^ lente.
J'ai observe le m^me accident quoique moins grave chez deux
autres malades et je crois qu*il est n^cessaire d'en signaler la
gravite.
2. — U alienation,
Au point de vue mental, les obsessions semblent ne pas com-
promettre la raison et nous verrons en etudiant les terminaisons
de la maladie normale qu'elle n*aboutit pas d'ordinaire a une ve-
ritable d^mence. On en a souvent conclu un peu vite que la mala-
die des obsessions n*expose pas le sujet a la folic proprement
dite.
MM. Pitres et R^gis, apres avoir rapports ces opinions remar-
quent qu'elles ont ete souvent contredites et dans leur rapport,
^numerent un grand nombre d'auteurs etrangers et francais qui
ont rapport^ des cas d'obsessions aboutissant a un delire propre-
ment dit, Meynert, Schafer, Wille, Emminghaus, Kraepelin, Wer-
nicke, Tuczeck, Morselli, Friedmann, Mickle, S^glas. lis citent
six de leurs malades qui ont presente des formes de psychose
av^r^eetonzequi sont tombesdans un etatintermediaireentre Tob-
session et la folic proprement dite. « Ce bilan, concluent-ils, nous
semble assez significatif et nous pouvons en conclure que dans
certains cas Tobsession vraie peut verser dans Talienation men-
tale. »
Je partage tout a fait sur ce point Topinion de ces auteurs : sur
mes 3oo observations, je connais 23 malades qui ont vers^ soit
dans Talienation mentale proprement dite, soit dans des etats tres
approcbants. J'ai meme le sentiment que ce chifTre est tout a fait
insuflisant, car beaucoup de ces malades n'ont pas et6 ^uivis suf-
fisamment et, s'ils sont tombes dans le delire, ils ontet6 conduits
dans d'autres services. II ne faut pas etre surpris de ce r^sultat,
Tobsession est le signe d'un trouble mental grave. Pourquoi des
LES COMPLICATIONS 659
cerveaux capabies de presenter ce premier trouble nen au-
raient-il pas d'autres plus considerables ? Pourquoi Tabaissement
de la tension qui fait perdre a nos malades les fonctions sup6-
rieures du r^el ne pourrait-il pas s'aggraver ettroubler des fonc-
tions plus elementaires. Je suis, au contraire, pour ma part assez
surpris de ce petit nombre d'ali^n^s, il faut que le trouble psy-
chasth6nique soit en g^n^ral bien l^ger pour qu'il n*aboutisse pas
plusviteet plus souvent a des d^Iires.
Les formes d*alienation dans lesquelles versent les obsedes sont
d'ordinaire rattach^es a la m^lancolie anxieuse^ vers laquelle se
dirigent ceux qui ont des symptomcs surtout ^motionnels, des
phobies et aux etats paranoiaques, aux d^lires syst^matises, par-
ticulierement au d6lire de persecution vers lequel se dirigeraient,
selon les auteurs precedents, ceux qui ont des obsessions intellec-
tuelles.
J*ai observe 5 cas de melancolie anxieuse survenant chez des
obsedes, donttroisont gueri, au moins approximativement, dans
un cas, apr^s 5 mois d'asile, dans Tautre apres lo mois. Une des
malades, Brk..., a eu trois rechutes de cette melancolie. Inver-
sement quand on etudic les melancoliques delirants on constate
tres souvent qu*ils ont eu avant leur dernier acces un etat preve-
sanique souvent tres long dans lequel ils ont presente dcssymp-
tomes de la maladie des obsessions. Dans la thfese de M . Bois-
sier sur la melancolie et la neurasthenic, je remarque le
malade de Fobservation I qui a ete longtemps aboulique, scru-
puleux, meticuleux avant ses acc^s de melancolie avec stupeur, le
malade de Tobservation VIII qui est analogue, le malade de I'ob-
servation XII, agoraphobe et claustrophobe avant ses acces de
melancolie'.
Lesdelires systematiques ont ete plus frequents dansmes obser-
vations, j'ai eu 12 malades qui sont devenus des persecutes. Mais
je dois dire que le delire de persecution me semble devoir soulever
bien des problemes psychologiques et qu*il me paralt se rappro-
cher singulierement des obsessions des scrupnleux. II y a dans ce
delire systematique un certain nombre de sympt6mes dont il se-
rait necessaire de faire Tanalyse psychologique, pour voir leurs
1. Gf. KTBifh-Ehing, Psychiatric f 1897, p. 546.
2. Fr. Boissier. Essai sur la neurasthinie^^t la melancolie depressive considerees dans
leurs rapports reciproques. Th^se 1894* p. a3 et sq.
660 L'fiVOLUTION
relations avec les ph^nomenes psychasth^niques. Je reviendrai
sur ce probleme dans le chapitre suivant a propos du diagnostic,
sans pquvoir d'ailleurs le traiter completement dans cet ouvrage.
Je voudrais ajouter trois formes psychopathologiques dont les
auteurs ne me paraissent pas parler sufBsamment et qui peuvent
survenir au cours du delire du scrupule, i** les etats extatiques
avec un delire mystique plus ou moins systematise. Yoici par
exemple une jeune fille de ao ans, Cbv... Le pere est un inquiet
et un aboulique, la mhre une nerveuse ; depuis Tage de 12 ans,
elle pr^sente des scrupules sur les confessions et les communions;
puis les scrupules se portent sur Tbonnetete, elle ne veut pas
toucber a la monnaie de peur de voler, elle ne veut paspermettre
a sa mere de faire de petits benefices dans son commerce, enfin
elle a des idees obs^dantcs a propos de la pudeur, elle ne veut
pas lever les yeux de peur de regarder des pantalons. Ajoutons
que depuis son enfance c'estune aboulique quine pent rien acbe-
ver, rien faire, qu^elle a des hesitations interminables et quoi-
qu*elle se rende compte de Tabsurdite de ses idees, elle a perpe-
tuellement des doutes : c'est done une obsedee scrupuleuse typi-
que. Eh bien, depuis un an, elle commence a presenter d'autres
sympt^mes : elle renonce a tons les efforts qu^elle pouvait faire
pour lutter contre sa maladie,elle ne veut plus voir personne. Elle
renonce egalement a toute satisfaction, ne mange plus que tres
peu d'une nourriture tr^s grossiere et ne veut plus accepter au-
cun plaisir. Elle declare qu'elle a trouve en Dieu le calme qui lui
manquait : elle presenteen effet une expression de beatitude et se
declare parfaitement heureuse. Elle reste immobile des journees
entieres en souriant aux anges, en un mot elle est envahie par
un delire mystique avec une disposition plus ou moins forte a Tex-
tase.
Je crois qu*il en a ete absolument de meme dans revolution
d'un cas remarquable d'extase avec stigmatisation que j*ai decrit
dans Tobservatlon de Madeleine ^ A mon avis, on a exagere le
n^le die Thysterie dans les extases proprement dites ; la maladie du
scrupule y est au moins aussi importante. L'obsession se deve-
loppe a la suite d'une insuHisance psychologique.et Textase reli-
I. Une extatiquc. Bulletin de I'lnslUut psychologique international, juillet 1901.
p. 210.
LES COMPLICATIONS 661
gieuse qui est un r^tr^cissement volontaire ou involontaire de la
conscience est une sorte de remade aux troubles de cette insuffi-
sance,jene fais que signaler le probl^me que j'esp^re reprendre
d'une facon plus complete dans T^tude des extatiques.
Une autre maladie mentale me parait a signaler au cours des
obsessions, c'est la confusion mentale ou'la stupeur telle que Ta-
vait decrite r^cemment M. Chaslin. On vient de voir Tindication
rapide d'une maladie grave qu'a travers^e Nadia, a la suite d'une
nouvelle d^sagreable pour elle. Au cours de cette maladie; elle est
tombee dans un etatde tristesse et d'inertie beaucoup plus grand
qu*a I'ordinaire, elle restait des heures entieres immobile sur sa
chaise, les yeux vagues, disant qu'elle n*etait plus preoccup^e
par ses idees et qu'elle ne pensait a rien. La faiblesse aug-
mentant, elle dAt s'aliter et elle resta trois mois a peu pres
sans conscience pouvant a peine repondre et d'une maniere peu
correcte a quelques questions tr^s simples.
J*etais dispose a croire que dans ce cas le retention des matie-
res fecales, la stercorh^mie avait jou^ le role principal pour pro-
voquer la confusion mentale. II n^en est pas de m6me dans le cas
suivant : Eu..., jeune fille de 27 ans, est une obsdd^e scrupuleuse
depuis Tage de loans, scrupules de confession, impulsion au sui-
cide, etc. Elle a appris Tannic derniere la mort de sa m^re et
s'est mise en tete a ce propos Tidee obsedante qu'elle Tavait tuee ;
de la des regrets, des remords, des id^es de suicide, des pseudo-
hallucinations, elle croyait entendre la foule qui la huait, le diable
qui lui parlait et elle murmurait : c(va-t-en, Satan ». Cependant
elle conservait encore sa lucidite. Trois mois apres, elle refuse
de manger et ne parait plus comprendre, elle cesse de repondre
aux questions et on Tamene dans un etat de stupeur complet. Je
n'en puis tirer aucune explication et il est visible qu'elle ne com-
prcndplus.
Elle demande seulement « ou suis-je, qui ^tes-vous?» et ne
comprend pas les reponses; elle est d'ailleurs docile comme un
enfant et se laisse maintenir au lit, mais elle refuse de manger
et elle gate. J'ai dii la nourrir a la sonde pendant 2 mois; preoc-
cupy par le souvenir du cas precedent, j'ai constamment surveill^
les selles qui sont toujours rest^es suffisantes. La malade s'est r^-
tablie graduellement : elle est revenue a la conscience comme
font souvent les confus avec le souvenir net des scrupules ant^-
rieurs mais sans aucune notion de la periode de stupeur.
662 L'fiVOLUTION
Le cas de Zca... (aoS), femme de 29 ans,' est exactement sem-
blable. C*^tait une obs^d^e avec remords de masturbation et de
crimes genitaux imaginaires, a la suite d*une emotion elle pr^-
senta une stupeur de 3 mois.
Enfin la confusion mentale peut prendre la forme d*excitation
avec bouffi^es d^lirantes comme dans Tobservation de Mbv...,
jeune (ille de 20 ans. Cette malade etait atteinte de delire du
scrupule religieux depuis IVige de i5 ans, tourmentee par des
remords interminubles, elle ^tait toujours a genoux aupres de son
confesseur. A la suite de remords plus grands et de fatigues, elle
presenta un arret des regies et, depuis ce moment, une grande
agitation delirante;elle voit le diable, elle croit ^tre elle-m6me le
diable qui a pris son corps, ses mains, ses pieds; elle a ^tabli un
pacte avec lul, elle veut arracher ses yeux qui ont peche et elle
cherche a Ics frapper, elle declare qu*elle nous perd tous si elle
nous touche, et elle se couche par terre pour essayer de mourlr.
De temps en temps si on Tinterpelle vivement, elle reprend
conscience et s^excuse des folies qu'elle vient de dire, puis elle
recommence. L'etat delirant a dure 4 mois, puis il y eut une pe-
riode de confusion mentale et de reves pendant trois mois, enfin
le r^tablissement fut a pen prfes complet.
On voit par ces exemples que la confusion mentale se presente
sous ses deux formes, avec stupidity et avec excitation au cours
de la maladie des obsessions. C'est une remarque qui avait deja
616 faite par M. Hughes \ au dernier congres de medecine, les
observations prec^dentes en confirment Timportance.
. Les cas de confusion mentale que je viens de rapporter ont
gueri, mais il peut fort bien ne pas en etre ainsi. Quand de
tels etats de confusion avec stupeur ou excitation se prt^sentent
cbez des jeunes genset aboutissent a la demence precoce, on est
assez dispose a les consid^rer comme une maladie speciale, la
demence precoce des adolescents, rheb^phrduie des auteurs alle-
mands. Ces confusions incurables ne sont pas essentiellement
d'une autre nature que les precedentes et elles peuvent de memo
survenir au cours d'un etat psychasthenique avec obsessions et
scrupules. C'est ainsi que les choses se sont pass^es dans deux de
mes observations d'h^b^phrenie. Cette remarque est importante;
I . P"" Hughes. Congrhs international de midecine de Paris, section de Psyehiatriey
1900, p. iSa.
LES TERMINAISONS 663
si Ton songe que lesscrupules, les remords interminables de con-
fession, les hontes du corps si frequents chezles jeunes genspeu-
ventaboutir a la confusion des h^bdphreniques dont le pronostic
est si sombre on ne sera plus dispose a consid^rer ces troubles de
I'esprit comme peu dangereux et comme si ^loignes de la folic
proprement dite.
Enfin parmi les terminaisons fatales de la maladie, il ne faut
pas oublier de signaler la tcrminaison par le suicide dont M.
S^glas a signals la frequence. Je n'ai pas eu Toccasion dVn rele-
ver des exemplcs, et je crois le fait assez rare a cause de Tabou-
lie de ces malades. Mais il existe cependant et doit etre redoute,
parmi les accidents possibles de cette maladie.
5. — Les terminaisons.
En dehors de ces complications, ^trangeres en reality a la ma-
ladie proprement dite, il est interessant de rechercher comment
se termine la maladie psychasth^nique quand elle garde jusqu'au
bout ses traits caracteristiques et ne se transforme pas en une autre
psychose.
Les premiers observateurs ont ^te frappes de ce fait que les
obs^des n*arrivent pas au d^lire complet et que la maladie n'aboutit
pas a une demence. C^^tait Topinion soutenue dans le rapport de
M. J. Falret en 1889. C'^tait egalement la these soutenue dans le
livre de MM. Magnan et Legrain : « C'est un fait remarquable,
disent-ils, jamais dans ces cas on n'observe la moindre modifica-
tion du syndrome qui reste toujours semblable a lui-meme. II
n*dvoluc pas, il ne se transforme pas, jamais il ne devient Torigine
d'un d^lire proprement dil, comme on Tecrit quelquefois en
confondant Tidee obsedante avec Tobsession pure ; jamais il ne se
termine par la demence*. jy
D'autre part, quelques auteurs remarquent justement que les
troubles vont en augmentant, rendant Texistence de plus en plus
anormale; MM. Marie etVigouroux proposaient de consid^rer cet
etat terminal « comme une demence sp^ciale' ».
I. Magaan et Legrain, 1896, p. i65. Cf. Seglas, Maladies mentales, p. 87.
3. Marie et Vigouroux. Congrhs des aVUnisies el neurologistes frangais. Aagers,
ao6t 1898.
664 L'fiVOLUTION
En examinant les caracteres que la maladie rev^t a sa derniere
p^riode chez les malades ages qui sont restes obsed^s depuis
leur jeunesse, nous verrons ce qu'il y a de juste dans ces deux
opinions en apparence oppos^es.
I. — L'inertie et I'isolement.
(c A la trolsi^me p^riode, disait Legrand du Saulle, le malade
vit dans la solitude, les mouvements sont lents, la vie se prolonge
et s'^teint dans une sorte dMmmobilite..., les malades sortent de
moins en moins, leurs idees deviennent etroites, leur caractere
tres ^goi'ste, leurs mouvements lents, leur temps est perdu a
mille petits details de toilette et de repas, ils restent dans Tim-
mobility et renoncent aux relations avec autrui, mais meme au
dernier degr6 le malade n'est pas d6mentV » MoreP disait d6ja :
« lorsque le mal a conquis tous ses droits a Thabitude, a la chro-
nicite, voici ce qui pent arriver, les malades tombent dans Tin-
diOerence, dans une sorte de misanthropie morose. Ils ne se
genent pas plus devant les Strangers que devant leur famille pour
se livrer a des actes ridicules qui les font passer pour des excen-
triques, pour des hommes a tics ». Ball arrive a la meme descrip-
tion : (c la gu^rison est rare, mais la maladie nefinitpresque jamais
par la d^mence. Arrives a la derniere ^tape de leur maladie, les
sujets restent fig6s dans leur d^lire, incapables de tout travail,
tristes et moroses, ils s'eloignent de la society et vivent dans un
^tat de sequestration volontaire^ ». KrafiTt-Ebing tout en disant
que la maladie n'est pas progressive, ce qui m^^tonne, dit que la
maladie aboutit a des ^tats de torpeur intellectuelle qui ne doivent
pas ^tre confondus avec rimb^cillit^*.
Ces descriptions sont tres exactes, on est ^tonn^ en voyant ces
malades ag6s conserver une intelligence en apparence sufEsante
et cependant avoir renonc6 a toute activity, avoir adopts une exis-
tence vraiment absurde. Fok... qui a toute sa vie eu des manies
hypocondriaques et des phobies de deglutition, vit maintenant
constamment etendue sur une chaise longue, elle lit encore un
I. Legrand du Saulle, Folie du doute, p. 8, 67.
a. Morel, Delire imoUf, p. 891.
3. Ball. Revue scientifique, i88a, II, p. &6.
4. Kraflt-Ebing. Psychialrie, trad. 1897, p. 54a t 546.
LES TERMINAISONS 665
peu, elle recoit quelques visites assez rares, elle semble intellt-
gente et cependant voici cinq ans qu'elle n*a pas quitte la chaise
longue etqu'elle passe ses jours et ses niiits a avaler lentement,
goutte a goutte, un peu dejauned*oeuf. Nadia, a trente, ans est ar-
rivee a se s^questrer dans un petit appartement qu'il est devenu
impossible de lui faire quitter, elle ne recoitjamaisqu'dneou deux
personnes et rarement, elle n*a plusaucune relation avec le monde,
mais elle a encore quelque activite puisqu'elle se livre avec grand
succes a quelques petits travaux artistiques. Au contraire, Leg...
a 45 ans est devenue completement immobile, elk reste toute la
journee sur une chaise, ne faisant absolument plus rien et n'osant
meme pas remuer ou parler de peur d'envoyer des microbes et
du poison sur les personnes pr^sentes. Xa... a 65 ans ne veut
m6me plus s^asseoir, elle reste debout ou accroupie au milieu de
sa chambre, son dernier fauteuil ayant ^t^ contamine par une per-
Sonne qui s'est assise dessus. Kile ne voit plus personne et il Taut
deux gardes pour arriver a lui faire accomplir les actes n^cessaires
a la conservation d*une aussi pauvre existence. Sans doute ces
malades parlent encore raisonnablement : la derniere est meme
capable, depuis que je suis parvenu a la faire asseoir, de soute-
nir une conversation etde rire d'elle-meme.
Un type tout a fait remarquable a ce point de vue est Fik...
(i58). Cette femme, agee de 60 ans, parfaitement bien portante,
sans aucune infirmite, intelligente et riche, qui pourrait mener
une vie tout a fait raisonnable et agreable en est arriv^e a une
existence absurde qui la met au d^sespoir. Elle ne pent plus
accomplir aucune espece d'action, elle ne pent recevoir personne,
ni allervoir personne. Elle pent ii peine sortir dans les rues, elle
ne pent s'occuper ni de toilette, ni de religion, ni d^un travail
quelconque, ni d'une lecture, ni de quoi que ce soit. Elle peut a
peine se nourrir d'une maniere raisonnable et encore faut-il
qu'elle mange apres les autres, qu'elle soit seule a table. Elle
peut difficilement dormir et m^me se coucher et souvent elle
passe 48 heures etendue sur un fauteuil. Toute action, ou plutot
tout commencement d^une action car elle n'en fait aucune, deter-
mine des ruminations, des phobies, des angoisses interminables.
Mais tout cela ne serait rien si cette pauvre femme n*avait un
caract^re epouvantable, d'une susceptibility, d*une intolerance,
d^un autoritarisme inouVs. De m^me que toute action lui parait
possible quand il ne s'agit pas de Taction pr^sente, toute per-
666 L'fiVOLUTlON
Sonne lui parait agreable quand il ne s*agit pas de la personne
qui est devant elle. Elle se fache centre tous ceux qui Tappro-
chent, elle se pretend martyrisee par tous ceux qui essayent de
lui dire un mot et elle prend alors un ton a la fois g^missant,
ironique et m^chant qui fait fuir. II en r6sulte qu'elle a ete aban-
donn^c successivement par tout le monde, qu'elle n'a plus ni
famille, ni amis et qu'elle est r^ellement dans un isolement com-
plet ; tous ceux qui pourraient s'interesser a elle sont terrifies a
la pensee de la revoir. NVstil pas surprenant qu'une ferame sem-
blable ait cependant toute sa raison. qu*elle ait de Tintelligence et
meme de Tesprit ?
II n*est pas de plus bel exemple pour montrer que cette ma-
ladie laisse subsister tout ce qui appartient au domaine des
images, des idees abstraites, de la parole, mais qu'elle supprime
completement toute activity qui concerne le reel et le present.
L'isolement social dsins lequel finissent ces malades est aussi
bien instructif : il nous montre qu'une certaine puissance d*ac-
tivite reelle est necessaire pour conserver des amities et merae
des relations. De m6me que la plus haute activity de la volonte
se manifeste par le pouvoir de r^unir et de diriger les homnies,
de meme la plus grande decheance de toute volonte amene I'inca-
pacite de conserver aucune relation avec des hommes, et risole-
ment absolu.
Sans doute, on ne pent dans ces cas parler de demence intel-
lectuelle complete. Mais cependant en voyant ce d^sordre, cette
nullite de I'existence, on ne pent s'empecher de trouver qu'il y
avait quelque chose de vrai dans Texpression de MM. Marie et
Yigouroux et de dire que les malades aboutissent a une ddmence
sp^ciale. Ce n'est pas la demence ordinaire qui supprime Tintel-
ligence abstraite, c'est une demence specialc qui porte sur Tac-
tion, sur les rapports avec la r^alite. Ce dernier aboutissant de
rinsuflisance psychologique fondamentale ne vient-il pas confir-
mcr notre theorie qui fait des troubles de la volonte, do Talten-
tion, des fonctions du reel, le trouble essentiel et primordial de
toute la maladie.
2. — La guerison relatwe.
Ileureusement ces tristes terminaisons de la maladie ne sont
LES TERMINAISONS 667
pas fatnles. MM. Pitres et Regis ' ont fait une observation tres
reinarquableaproposdes tables statistiques qu'ils avaient dressees
sur Tage de leurs malades ctcette remarque peut se r^p^ter exac-
tement sur las miennes. 11 est certain, soit pour ces auteurs, soit
pour moi, que plus des 3/4 de nos malades en traitement sont
jeunes, au-dessous de 3o ans et que le nombre des malades en
traitement diminue tres rapidement a mesure que nous conside-
rons des ages plus avancds. Comment expliquer le fait ?
On peut dire d'abord que quelques-uns des malades jeunes
meurent; maisles morts sont rares chezlesobs^des. Quclques-uns
doivent se degouter des traitements, leur nombre ne doit pas etre
grand, quand on voit combien ces malades aiment a etre diriges. II
ne reste qu'une explication possible, c'est que les scrupuleux sont
en realite de moins en moins nombreux a mesure que Tage s'avance
et qu'un tres grand nombre, plus de la moitie, a du guerir
avant d'arriver a ^o ans. Cette notion que nous apprend le rai-
sonnement est confirmee par Tobservation. On voit un grand
nombre de malades s'ameliorer vers la fin de la jeunesse. II en
est de cette maladie exactement comma de Thyst^rie qui se dcve-
loppe tres frequemment, chez les femmessurtout, a Tage de la pu-
berte physique ou morale etqui diminue ou disparait quand cette
double evolution est bien termin^e, c'est-a-dire de 25 a 3o ans,
car il s agit de sujets dont le d^veloppement est lent et dont
revolution est en retard. Ball disait deja que les malades atteints
a Tepoque de la puberty ont des chances de gudrison, parce que
revolution progressive de Torganisme peut les debarrasser de
cette faiblesse. Legrand du Saulle, Krailt-Ebing parlent aussi de
ces gu^risons, j'en ai observe un tres grand nombre.
Quand les idees fixes diminuent, les malades repassent en
sens inverse a travers la s^rie des phenomenes qui se sont deve-
loppes au debut. lis oublient les obsessions proprement dites
mais conservent d'abord des manies, des tics, des phobies, puis
quand ils les perdent, ils restent simplement abouliques, enfin
dans lescas les plus heureux Taboulie tend a disparaitre au moins
jusqu'a Tepoque des rechutps ; les observations de Bor..., de
Toq..., etc., sont demonstratives a ce point de vue. D'autres ma-
lades qui ont depasse ce terme tardifde revolution de la puberte
guerissent encore aux approches de la maturity. C'est ^videm-
1. Pitres el Regis, op. cil., p. 83.
668 L'fiVOLUTION
ment a cause de ces gu^risons frequentes survenant soit spon-
tan^ment, soit sous Tinfluence du traltement que les obs^d^s
deviennent de plus en plus rares a partir de Tage de 4o ans.
Cette diminution de la maladie avec Tage me parait encore inte-
ressante et se rattaQher a nos Etudes. La jeunesse, quelles que soient
les illusions qu'on ait cues sur elle, est la periode la plus dure de la
vie, /;'est celle quidemande de grands efforts d'organisation physi-
que et morale. La femme surtout se d^pcnse dans Torganisation des
fonctions de la g<^neration, puis des fonctions de la maternity.
Au point de vue moral c'est T^poque oil il faut acqu^rir d'in-
nombrables connaissances, comprendre et organiser toutes sortes
de sentiments nouveaux et se preparer simultanement un carac-
tere, une conduite, des croyances, une carriere, une famille, etc.
Chez les individus trfes normaux la jeunesse pr^sente tout juste-
ment des forces speciales pour r6pondre a ces besoins spdciaux
et quand on saura mesurer la tension psychologique et nerveuse
on verra qu'elle est a ce moment plus forte que jamais. L'enfant
et le jeune homme normal ont une force enorme de presentifica-
tion : ils vivent dans le present, ils sentent le present reel, ils s*y
adaptent avec une Anergic surprenante qui leur fait oublier tout
ce qui n'est pas present et r^el. Mais Tindividu h^r<^ditairement
faible n'est pas assez fort pour traverser sans encombres cette
periode diflicile ; il s^6puise dans cette organisation physique et
morale, il devient incapable d'avoir une tension nerveuse suffi-
sante pour la perception du present et pour Taction r^elle.
Je ne suis pas etonne quand j'entends des parents expliquer a
leur fa^on la maladie du scrupule de leur (ille : « Elle est deve-
une reveuse parce qu^elle a trop grandi ». C*est la I'expression
vulgaire de cette idee gen^rale que Tobsession provient de I'in-
suflTisance des forces psycho-physiologiques. Mon regrette maitre,
M . Hanot, avait Thabitude dans ses cliniques si vivantes d'cxpli-
quer par cette comparaison la chlorose des jeuncs filles : « c'est
un voyageur parti avec un trop petit capital, dans les petits vil-
lages pas chers, il a pu passer sans diiliculte, mais quand il faut
traverser les grandes villes ou de grosses d^penses sont n^ces-
saires, il fait faillite. » La faillite ne se manifeste pas uniquement
par les troubles de la nutrition, elle se manifeste dans bien des
cas par des insuffisances cerebrates dont la folic du doute est une
manifestation.
Quand cette periode est passee, la vie adulte devient infiniment
LES TERMINAISONS 669
moins difficile, Torganisme est construit et doit tout simplement
s'entretenir, la carriere, la famille, les croyances sont organis6es :
la depense mentale devient infiniment moindre. Sans doute nos
obsed^s ne deviendront pas des hommes 6minents, its n'auront
pas de forces a d^penser pour un travail suppl^mentaire, mais ils
auront une force suffisante pour la perception ordinaire et pour
des actions devenues en grande partie automatiques. Ces percep-
tions et ces actions deviendront alors plus reelles, ne donneront
plus naissanceau sentiment d'incompl^tude, les derivations et les
obsessions qui resultaient de cette faiblesse de tension disparai-
tront graduellement. La guerison au moins partielle est done une
terminaison que Ton pent esperer dans un bon pombre de cas,
et le traitement doit tendre a aider les bons effets du progres de
I'Age.
CHAPITRE III
LE DRGNOSTIC ET LE TRA.ITEMENT
Les questions de diagnostic et de pronostic, la recherche des
rares proced^s th^rapeutiques qui sont reconnus comme ayant
quelque influence doivent terminer une ^tude complete de cette
affection. Comme ce livre a surtout pour but de rechercher les no-
tions psychologiques qui se d(^gagent de Texamen des malades,
je r^sumerai bri^vement ce qu'il y a d*essentiel dans ces recherches
pratiques : un grand nombre de notions relatives au diagnostic
et au pronostic d^coulent d'ailleurs tres naturellement des Etudes
prec6dentes. J'insisterai surtout sur la th^rapeutique : Texamen
de quelques essais interessants pent etre utile et les divers trai-
tements constituent des experiences qui peuvent jeter quelque
lumiere sur les theories psychologiques que je viens d'etudier.
PREMIERE SECTION
LB DIAGNOSTIC
Le diagnostic est evidcmment facile quand on a affaire aux cas
typiques et bien developp^s. Quand une femme de 26 ans vient
confier au medecin que malgr6 elle die s'lnterroge avec angoisse
sur une question qu^elle sait etre stupide et inutile, qu'elle se
demande pendant des heurcs entieres si la tache noire que son
enfant porte a la cuisse est bien un signe de l^gttimit^ et prouve
que Tenfant est du mari ; dans un cas de ce genre il n'y a guere
d'h^sitation possible. Mais si la maladie est moins nette, si elle
determine des troubles des fonctions organiques, de la marche,
LE DIAGNOSTIC ET LE TRAITEMENT 671
de la miction, etc., on pent souvent etre tres embarrass^ et quel-
quefois ce n'est que revolution qui donnera una connaissanceplus
nette du malade et permettra d^arriver a une opinion precise. Ce
probl^me du diagnostic me parait difi(§rent suivant le groupe des
symptdmes predominants que pr^sente le malade. Nous avons
adniis trois groupes de symptomes, les insuffisances psycholo-
giques, les ph^nomenes de derivation ou les crises de psycholepsie
et les obsessions proprement dites qui se surajoutent aux pheno-
menes precedents.
Quand les malades ne presentent que le premier groupe de
sympt6mes, qu'ils sont surtout abouliques, aprosexiques, qu'ils
ont des troubles de Temotivite, du sommeil, le diagnostic avec la
neurasthenie semble le plus difficile a faire. Je ne suis pas con-
vaincu qu41 soit important de chercher a Tetablir. La neuras-
thenic est une maladie encore tres vaguement determinee, elle
contient probablement un grand nombre de troubles qui sont
siraplement des debuts d*autres n^vroses ou d'autres psychoses.
Tant que la maladie n'est pas caracterisee, il n'y a pas grand
inconvenient a se servir de ce terrae vague de neurasthenic
qui est accepte volontiers par les malades. 11 suffit de no pas
oublier que la neurasthenic pent, en evoluant, donner naissance
a des etats psychastheniques plus ou moins graves.
Mais peut-on prevoir quelles sont les neurasthenics dangereuses
a ce point de vue ou peut-on reconnaitre le moment oil elles se
transforment et meritent de prendre un autre nom ?Bien entendu,
les neurnstheniques dont Theredite est chargee, dont la maladie
a debute plus insidieusement pour des causes physiques ou morales
minimes sont les plus predisposes a cette evolution. II faut aussi
tenir compte de la predominance des symptomes psychiques sur
les sympt6mes physiques. Enfin, a propos des symptomes
psychiques on pent faire la remarque suivante. Certains malades
sont tres abouliques, ne peuvent plus faire attention et presentent
de Tamnesie continue, mais ils le constatent sans s^en inquieter,
ils ont tres peu ces sentiments dMncompletude qui caracterisent
les psychastheniques ; chez ceux-la les troubles de Tobsession sont
peu a redouter. Au contraire, si un malade ayant les symp*
tomes de neurasthenie surtout morale se plaint ensuite de ne
plus se reconnaitre lui-meme, de trouver le mondc eirange, de
se sentir comme dedouble, de constater lui-meme le caractere
672 LE DIAGNOSTIC ET LE TRAITEMENT
automatique de ses actes, il y a lieu de se montrer inquiet et de
craindre que T^tat neurasth^nique ne se complique bientoi de
ruminatioDSy de phobies et d'obsessions.
Un autre diagnostic qui se presente au meme moment c'est
celui de la confusion mentale aigne ou chronique. Nous avons vu
que la confusion se presente comme un accident grave au cours
des etats psychastheniques, mais si la confusion mentale est legere
elle pent etre confondue avec la periode d^insuffisance psycholo-
gique des obsessions. Le diagnostic est surtout interessant a
propos de ces confusions chroniques et lentes qui se d^veloppent
chez les jeunes gens et que Ton range souvent sous le nom d'h^-
b^phr^nies. En g^n^ral les symptomes d*insuflSsance psycholo-
gique sont beaucoup plus accuses dans les confusions d'origine
infectieuse oq toxique, le trouble n*atteint pas seulement les ph^-
nom^nes sup^rieurs, les fonctions du r6el, mais il atteint les
fonctions plus ei^mentaires de la perception, du raisonnement^
de Tassociation. Le malade ne se borne pas a douter de ce qu*il
Yoit ou de ce qu'il entend, il ne pent meme plus le comprendre
ou le percevoir. II en r^sulte que les confus ont beaucoup moins
que les psychasth^niques la conscience de leur maladie. lis ontpeu
ou point les sentiments d'incompletude et quand ils ont des idees
fixes, ils n'en reconnaissent pas Tabsurdite.
Le diagnostic avec les etats melancoliques depend des troubles
du sentiment, de la douleur morale qui est si caract^ristique chez
le m^lancolique\ Sans doute quand la maladie des obsessions est
tr^s developpee elle pent faire naitre un sentiment de desespoir,
mais ce sentiment est secondaire et tardif, tandis qu'il semble etre
primitif dans la melancolie. Bien entendu, les troubles melanco-
liques peuvent s'ajouter aux troubles de Tobsession et, comrae le
disent MM. Pitres et R^gis, il y a des 6tats mixtes qui tiennent de
la melancolie et de Tobsession'.
Enfin on pent rencontrer de tres graves diliicultes, exception-
nellement il est vrai, si Ton est amen^ a hesiter entre ces etats
psychasth^niques et le d^but de la paralysie generate, C'est le pro-
bleme du diagnostic toujours d^licat a mon avis entre la neuras-
thenic et la paralysie g^n^rale a ses debuts. Je me suis trouve une
1. S^glas, Cofigrh des aUinistes d' Angers, aoiit 1898.
a. Pitres el R6gis, op. cit,, p. 98.
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT' 675
fois dans une grande hesitation. Le malade, homme de 45 ans,
tr^s intelligent, d*une haute situation, venait consulter de lui-
meme, ce qui indiquait la conscience des troubles, il se plaignait
de diminution de la volont^, de Tattention et de la memoire, de
sentiments d*automatisme et d'un etat permanent d'inqui^tude.
En m^me temps j^apprenais par la familleque le malade avaiteu a
Tage de 3o ans une grande crise d^id^es obsedantes de jalousie et
de persecution. D'autre part Tage d^ja avance, Tintdgrite intel-
Icctuelle et la haute puissance de volonte pendant la plus grande
partiede la vie, un peu de tremblement de la langue et des l^vres,
un peu d'inegalite puplllaire et une v^role anterieure me firent
hesiter et me conduisirent a avertir la famille d'un diagnostic de
paralysie generate. Mon diagnostic fut contests dans une con-
sultation ; malheureusement Tavenir me donna raison et deux
ans apres le malade mourut dans un acces ^pileptoide. On se
trouvera rarement dans un embarras semblable : les signes phy-
siques de la paralysie generate, le d^veloppement de la demence qui
descend plus profondement que le trouble psychasth6nique per-
mettront en general d'arriver facilement au diagnostic.
Si nous consideronslesecondgroupedesymptomes, les agitations
motrices, les phobies et les ruminations mentales, les deux premiers
ph^nomenes surtout donneront naissance a des problcmes de dia-
gnostic. Le premier de ces problemes consisted bienreconnaitrele
caractere nevropathique des phenomenes et a ne pas les rnttacher
aux aOections organiques qu'ils simulent. Les phobies determi-
nent des troubles de Talimentation, de la deglutition, de la defe-
cation, de la miction, de la marche, de T^criture et surtout des
fonctions genitales. II est essentiel de ne pas faire de tous ces
troubles des lesions du pharynx, de Testomac, de Tintestin ou' de
la moelle ^piniere. Cela est surtout important ici car un faux dia-
gnostic confirme le malade dans ses apprehensions et aggrave la
maladie mentale. On se souvient de ce qui arrive aux jeunes
maries que T^motion rend insuffisants et a qui on parle de maladie
de la moelle epiniere. II suflit en g^n^ral de rechercher avec beau-
coup de precision les symptomes de la maladie organique simul^e
et de les rechercher en silence sans expliquer au malade ce que
Ton verifie. Sans doute la suggestibilite du malade n'est pas aussi
redoutable que celle des hysteriques, mais le d6sir d'etre pris
pour un malade serieux, la crainte de s'entendre appeler « hypo-
LES OBSESSIONS. I. — 43
674 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
condriaque » suffit pour amener sinon une veritable simulation^
au moins une aggravation des sympt6ines bien faite pour embar-
rasser le m^decin. Si I'on ne retrouve en aucuue faqon ces symp*
tomes des maladies organiques, il faut rechercher les symptomes
des phobies, des angoisses, le sentiment de Tirresistibilit^ et la
conscience de Tabsurdit^ qui en g^n^ral ne manquent point, puis
tousles troubles de la volonte^ de I'attention, de Temotivite qui
en general sont assez nombreux pour ne laisser aucun doute.
Quelquefois cependant le diagnostic reste delicat, au moins pen-
dant un certain temps. C'est qu'au d6but le symptome pent paraitre
isol^ comme il arrive dans Fhyst^rie monosymptomatique et que
tons les troubles de Tetat psychasth^nique semblent se grouper
autour de ce phenom^ne particulier. L'^volution ne tarde pas a
lever la diflScult^.
Je n'iusiste pas sur le diagnostic de la maladie des tics parce
que cette maladie me parait singulierement con^ue: on s'est uni-
quement preoccupy en F^tablissant de s^parer le tic de la choree
sans se pr^occuper de diagnostiquer T^tat mental dont les tics
n'etaient que la manifestation. A mon avis cet ^tat mental peut
appartenir a deux maladies, soit a Thyst^rie, soit a la psychas-
thenic. Si un tic n'est pas hyst^rique et ici nous retombons dans
le diagnostic de Thyst^rie, il forme un ph^nom^ne de derivation
propre a Taboulie psychasth^nique. M. Oddo* insistait derniere-
ment sur la gravity du tic au point de vue du pronostic. « Si le
tiqueux n'est pas encore un deg^n^r^ en fait, il le sera, il est
marque pour le devenir; la curabilite de certains tics ne contredit
pas cette opinion, car les obsessions et les phobies eiles-memes
sont curables au moins dans certains cas. » II y a tout avantage
a mon avis apres avoir separe les tics hyst^riques a faire rentrer
les autres tics dans le groupe des agitations forcees avec les
ruminations les phobies, les obsessions dont tons leurs caracteres
psychologiques les rapprochent.
Le diagnostic le plus interessant a propos de ce groupe de
phenom^nes est celui de Thysterie, il se pr6sente a propos des
crises d'agitation motrice qui sont souvent prises pour des crises
d'hyst6rie (Vod..., Nadia), a proposdes ruminations qui constituent
quelquefoisdesperiodessemblablesadessomnambulismes(Gisele),
I. G. Oddo, Diagnostic differcntiel de la maladie des tics et de la choree de Sj-
dcnham. Presse medicate » 3o scplembre 1899.
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT 675
a propos des refus de mouvement, des refus d'aliments, a propos
des ticsy etc. Th^oriquement le diagnostic devrait Mre fait tres
facilement grace a la recherche des stigmates : une hyst^rique
avec h^mianesth^sie nette et r^tr^cissement du champ visuel ne
ressemble pas a une scrupuleuse qui n'a que des troubles de
Tattention ; mais d'une part nous avons vu que les scrupuleuses
dans les etats graves comme Claire et Lise peuvent presenter
des diminutions de la sensibility et d'autre part j*en arrive a
croire que nous avons exag^r^, sinon la frequence, au moins la
g^n^ralit6 de Tanesth^sie complete chez Thyst^rique. Dans ce
diagnostic souvent d^Iicat on sera guide par les antecedents, il y
a certains faits nettement hysteriques : les contractures, les vraies
paralysies, les somnambulismes typiques suivis d'amn^sie qui
n'existent pas chez les psychasth^niques ; on pourra se
servir de quelques experiences, Thypnotisme vrai, la suggestion,
les actes subconscients n'existent pas davantage chez ces malades.
Le veritable diagnostic doit se faire par Texamen de la forme
psychologique que prennent les troubles principaux. L'hyst^rie
estcaracterisee par la suppression complete de certains faits et par
Texag^ration de certains autres. Tandis que des sensations, des
souvenirs, des images motrices sont completement disparus de la
conscience personnelle, ce qui constitue des anesth^sies, des
amn^sies, des paralysies, etc., les ph^nom^nes psychologiques
conserves vont jusqu'a leur terme extreme : on constate des
impulsions a des actes qui s^ex^cutent completement au moins
pendant certaines crises, des hallucinations completes, avec illu-
sion de la r^alite, des convictions irr^sistibles. C'est la ce qui
constitue chez Thysterique le retr^cissementdu champ de la con-
science. Les psychastheniques au lieu de ce r^trecissement du
champ de la conscience pr^sentent un abaissement de la conscience
dans sa totality. lis ne pr^sentent aucune des lacunes completes
de rhysterique, ni ancsthesie, ni amnesic, ni paralysie, ni sub-
conscience, ni suggestion qui r6sulte de ce r^tr^cissement ; ils nc
pr^sentent pas non plus de ces conservations completes ou m^me
de ces exag^rations de certains ph^nom^nes conserves et isoles
des autres. Enfin cet abaissement g^n^ral quin'est pas compense
par un retr^cissement du champ de la conscience leur donne des
sentiments d*incompl6tude bien plus accentu^s qu'ils ne sont
d*ordinaire dans rhyst^rie. Tandis que Thyst^rique a tons les
sentiments extremes, vous aime ou vous d^teste avec une ^gale
670 DIAGNOSTIC ET TRAITfcMENT
perfection, le scrupuleux iie sail pas s'il aime ou s'il deteste:
Thyst^rique ne termine que certains phenomfenes mats elle les
terniine trop ; le psychasthenique ne perd aucun phenomene, mais
il n'en termine aucun.
Si on consid^re les phenomenes en particulier on trouveru
dans chacun d*eux les consequences de ces grandes differences.
L'anesthesie, Tamnesie, In subconscience donnent aux pheno-
menes automatiques des hysteriques, aux agitations, aux tics, aux
impulsions une perfection, une r^gularite, un rj'thmc qui n'exislc
plus chez les autres malades. Ily a un inachevement caracteristique
dans toutes les manifestations morbides des psychasth^niques.
Quelques auteurs pensent que la neurasthenic et Thysterie se
confondent, se combinent souvenl. Cela pent exister au debut
quand les symptomes de Tetat psychologique sont encore pen
accentu^s, mais, si je ne me trompe, cette confusion ne continue
pas longtemps. D'ordinaire les malades versent franchement dans
Tune ou dans Tautre des deux formes de Tabaissement psycholo-
gique. Seul Tetat d'esprit des extatiques me semble 6tre un inter-
mediaire entre Tetat d*esprit scrupuleux et Tetat mental hyste-
rique. La didiculte meme qu'eprouve Textatique a r^aliser dans
Textase I'isoleraent, Tunit^ de Tesprit qu'il cherche, les efforts
qu'il doit faire pour se rapprocher de la catalepsie si facile aux
hysteriques montre bien Popposition r^elle qui existe entre ces-
deux grandes nevroses.
Si nous arrivons au troisi^me groupe de symptomes et si \c
malade considere presente surtout des obsessions nous retrou-
vons d'abord quclques-uns des diagnostics precedents, il faut no
pas confondre les troubles amends par des obsessions de la honte
du corps avec les maladies organiques corrcspondantes. Nous
retrouvons aussi le diagnostic de Thyst^rie a propos des id^es
fixes de ces malades, les remarques seraient les m^mes que
pr^cedemment.
Nous arrivons h un nouveau probleme que nous pr^sentent les
delires systematiques a leur d^but, les paranoias rudimentaires qui
vont constituer le delire hypocondriaque, la folic mystique, le
delire de persecution. Les anciens auteurs confondaient presque
toujours ces delires system atises avec le delire du doutc, Dela-
siauve en 1809 donne comme exemple de a pseudo-monomanie >«
un cas typique de delire de persecution, Marc^ en 1862 confond
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT 677
«n un meme groupe le d^Iire de persecution et « les id^es for-
cees » des obs^des. Ici encore le diagnostic th^orique est fort
simple, il consiste a constater Texistence de ces signes qui sont
<)doptes par tous les auteurs d'une maniere classique pour ^tablir
In difference entre Tid^c fixe et Tobsession. « L'id^e fixe, disait
M. Roubinovitch, est une conception delirante, inconsciente, do-
minant toute la personnalite psychique ; I'obsession est une id6e
inutile o.u nuisible, reconnue fausse qui occupe Tesprit du malade
-contre sa volonte. L'id^e fixe est permanente, Tobsession procede
par paroxysme ; chez le premier malade c'est le jugement, la
faculte d^association des idees qui est lesee, c'est chez le second
la sphere emotive, la volont^ ^ » II en est ainsi sans doute dans
les cas typiques et un persecute au terme de son delire raanifeste
une conviction absolue, en exprimant des idees de persecution et
de grandeur, il accomplit des actes en rapport avec ses idees, il
intend des voix hallucinatoires etil ne ressemble aucunement a un
obsede qui s'interroge indefiniment sur son scrupule et qui n'a
<{ue des pseudo-hallucinations.
Cependant je crois qu'il y a lieu d'etre tres embarrasse si Ton
considere les malades a leur debut. M.' Marandon de Montiel,
MM. Vigouroux et Decasse ont montre comment les idees deli-
rantes des persecutes se rattachaient egalement chez eux a des
troubles anterieurs de Temotivite et de la coenesthesie '. J'ai ete
toutsurpris d'observer chez les persecutes un grand nombre des
caracteres de nos psychastheniques : on constate dans le develop-
peraent de leur maladie la meme influence de toutes les causes
debilitantes, des maladies infectieuses, des emotions, les memes
oscillations du niveau mental, les memes troubles de Tinsuflfi-
sance psychologique, Taboulie, Taprosexie, le besoin de direc-
tion et surtout les sentiments d'automatisme. « Ce n'est plus moi
qui lis, on lit a ma place, rep^tent-ils souvent ». On retrouve
egalement chez les persecutes systematiques les sentiments
de dedoublement, d'etrangete du corps, d'etrangete du monde
€Xterieur. Inversement on pent retrouver chez Tobsede le plus
typique le meme contenu des idees que dans le delire systemati-
que : les idees obsedantes mystiques sont, comme on Ta vu, fre-
I. Roubinovitch. Bulletin med., a a juillet 1896. Cf. K^raval, L'id^ fixe. Archives
We neurologie, 1899, II, a4.
a. Marandon de Montiel, Dc la gencse des conceptions ddlirantes et des halluci.
nations dans le delire systematise. Gazette des hopitaux, 5 juin 190(1.
678 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
quentes, des idees de persecution se m^lent tres souvent aux
obsessions de la honte de soi. Leplus souvent il estyrai, l'obs6de
s'accuse lui meme a propos des troubles qu'il ressent, mais il
n'est pas rare de Tentendre en accuser les autres. Rp... (ia3)
obsede tout a fait typique, avec manie des presages et pseudo-
hallucinations symboliques est tourment6 par Tid^e « que depuis
son enfance des juifs puissants ont la patte sur lui et lui enlevent
toute liberte. » Lrm... (aSa) qui pr^sente des luttes symboliques
si amusantes contre un personnage X est en r^alit^ tourment^
par Tobsession que X le persecute. On trouve ^galement chez les
obsi^d^s des id^es de grandeur, M. S^glas en a rapports un exem-
pie curieux \ j'en ai d6ja cit6 plusieurs dans les descriptions pre-
c^dentes. En un mot, tons ces phenomenes sont tellement sem-
blables que dans une douzaine d'observations je soutiens que le
diagnostic n'^tait pas possible au d^but.
II y a des malades qui au d^but oscillent visiblement entre
le delire de persecution et le ddlire du scrupule. Ha... (208),
femme de 35 ans, a toujours ^te une scrupuleuse, se repro-
chant de ne pas travailler sui&samment, craignant de ne pas
gagner sa vie. Elle a eu longtemps la manie des serments, des
alternatives, des pactes, elle se disait a elle-meme a si tu vas
<iux halles tu seras une vieille putain, si tu vas aux Tuileries tu
seras une vieille folle. » Elle va aux halles et se dit a elle-m^me,
(( c'est vrai que tu es une vieille garce ». Mais depuis quelque
temps le delire de persecution s'accuse, « on Tendort dans sa
chambre, on Thypnotise, on la pousse dans le dos, on lui fait
faire des pirouettes. Mais surtout on lui parle a travers le mur :
des voix qu'elle croit r^elles se m^lent de tout ce qu*elle pense,
r^petent ses pens^es, les tournent en ridicule, cherchent a se
moquer d'elle, en lui disant qu'une de ses tantes a i3o ans ou
bien Tinsultent, Tappellent garce, putain, la menacent de la
faire mourir a la Salp^tri^re, etc... » II est Evident qu'elle ^volue
lentement avec des oscillations du scrupule a forme obs^dante
vers la persecution a forme systematique.
Toute Tobservation de Ex..., serait des plus curieuses a ce
point de vue, c'est avant tout une psychasthenique, avec tons les
sentiments d'incompletude, sentiment d'absence de liberte, d'au-
tomatisme, defolie, de perte de la vie, de depersonnalisation et en
I. S^glas. Le^ns sur les maladies mentales, p. 764-
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT 679
meme temps interpretation d6lirante que tons ces biens lui ont ^t^
ravis par des anarchistes dont son mari est le roi, par des initios
qui lui lancent des poudres pour paralyser sa Volont6. EUe
semble croire ce qu'elle affirme puisqu'elle a commis une foule
d'excentricit^s, qui Font fait enfermer; mais cependant elle ne
peut jamais parler des inities ou des poudres sans se tordre de
rire exactement comme Lise quand elle parle du d^mon.
En un mot, je crois quHl y a une serie de gros problemes
psychologiques a rdsoudre dans T^tude du pers^cut6 : il faudrait
expliquer sa manie d'objectiver, de chercher toujours Texplica-
tion en dehors de lui tandis que le scjrupuleux cherche le plus
souvent cette explication en lui-meme, il faudrait examiner le
degr^ de sa conviction qui, si je ne me trompe, n'est pas toujours
absolue et varie ^normement suivant les oscillations du niveau
mental. II faudrait ^tudier ses fameuses hallucinations de TouVe
et expliquer pourquoi il n'est hallucin^ que de Touie, ce sens du
langage, ce sens social qui se trouble plus facilement que les
autres chez les individus qui ont precis^ment dePaboulie sociale.
Si Ton faisait ces Etudes on verrait, je crois, qu'il y a au d^but
infiniment de ph^nom^nes communs entre les psychasth^niques
et les paranoiaques et Ton pourrait indiquer avec precision le
point ou s'effectue la separation, ce qui aujourd'hui ne peut etre
fait que d'une mani^re assez vague.
Quoi qu*il en soit le probleme consiste actuellement a distinguer
les ^tats psychasth^niques qui ont une tendance a ^voluer vers les
d^lires syst^matiques et ceux qui sont destines a se borner aux
obsessions. La tendance ant^rieuredu caractere, Tautophilie, Tor-
gueil, la susceptibility, le caractere autoritaire montrent une dispo-
sition a objectiver les troubles psychologiques, a rendre les autres
responsables de tons les phenomenes de Tinsufiisance psycholo-
gique. En outre on trouve chez ces malades une tendance a sys-
t^matiser, moins de disposition au doute quand il s'agit de Tin-
terpr^tation delirante: ces caracteres doivent faire craindre que
r^tat psychasth^nique n'^volue vers cette vari^te particulierement
dangereuse qui est le delire syst^matique de persecution. Les
caracteres inverses, la douceur, Thumilite, la tendance a Tanalyse
subjective, font plutot pr^voir les obsessions du doute et du scru-
pule. C*est toujours Tanalyse psychologique des divers sympto-
mes qui permet de donner quelque precision au diagnostic.
680 DIAGNOSTJC ET TRAITEMENT
DEUXlCME SECTION
LB PRONOSTIC
Ind^pendamment du diagnostic difT^rentiel qui nous montre a
ranger le malade dans telle ou telle cat^gorie dont revolution est
plus ou moins dangereuse, on peut distinguer des formes de la
maladie dogt le pronostic n*est pas le m^me.
En g^n^ral, je crois qu'il faut commencer par reconnaitre que
cette maladie est grave : il me semble que Ton a souvent Thabi-
tude, en opposant les obsessions aux d^liresproprement dits, en se
souvenant qu^elles n'aboutissent pas a la demence intellectuelle
complete, de r^p^ter que c'estla une maladie mentale b^nigne. Ce
n'est pas tout a fait raon avis : si Ton songe que presque tons
les cas, a moins qu'ils ne soient insignifiants, vont se prolongerde
8 a 12 moisy qu'il y a tres souvent, dans les trois quarts des cas
des r^cidives ordinairement plus graves que la premiere atteinte,
qu'un bon nombre, a peu pres le dixieme des cas, est destine a
passer a la chronicit6, si Ton songe que pendant son evolution
cette maladie non seulement cause de tres grandes soufirances,
mais 6loigne presque completement le sujet de la vie normale et
Tamene, si elle se prolonge, a une complMe incapacity de tra-
vail, lui supprime la famille et les relations sociales et le conduit
a risolement complet, on verra que malgr^ la conservation de la
conscience, c'est une triste maladie de Tesprit. II est bon de faire
cette remarque, non pour la communiquer au malade lui-meme,
mais pour avertir ses parents, s'il en a de senses, et pour repdre
s6rieux les efforts n^cessaires au traitement. On doit aussi cher-
cher a reconnaitre les formes dont le pronostic est plus particu-
liferement s^rieux. Un premier caractere joue un role capital,
c'est rher6dit6, sur laquelle il est toujours difficile d'avoir des
renseignements precis. L'existence d*ali^n^s dans la famille, sur-
tout de ces ali^n^s qui sout voisins des psychastheniques, des
obs^d^s du meme genre, des melancoliques, des pers^cut^s, des
paranoiaques prend ^videmment une grande importance. Si dans
LE PRONOSTIG 681
la famille il y a deja des obs^d^s, il est bon de bien connaitre
l*^volutioD de la maladie chez eux, car cette Evolution se repute
souvent absolument semblable. II Taut aussi tenir grand compte
daDs la recherche de Ther^dit^ des n^vroses et surtout, a mon
avis, de T^pilepsie.
A c6i6 des alienes et des nevropathes proprement dits, il est tres
important de s'enquerir de Texistence dans la famille de ce que Ton
appellecommun^ment des bizarres. M. Magnan a justement remar-
que que ces individus bizarres, originaux^excentriques, ayant des
tics, des manies, un caract^re difficile, autoritaire a Texc^s, sont
pr^cisementceuxquilaissentle plus souvent a leurs descendants les
tares psychastheniques. Cela se comprend facilement si Ton songe
que ces bizarrcries sont deja des marques de Finsuilisance de
Tadaptation sociale, de Tinsuffisance des fonctions dur^el,etde
Taboulie. Parmi ces bizarreries, j'insiste sur ce genre de carac-
tere que Ton voit sc transmettre pendant plusieurs generations
en se perfectionnant a chacune et qui consiste dans une prudence
allant jusqu'a la poltronnerie, dans une indecision de la volonte,
un defaut de resistance, une gravity allantjusqu'a latristesse. On
constate en meme temps une grande delicatesse des sentiments et
une tendance a pr^ferer la vie id^ale ii la vie reelle. Ce caractfere
qui ne laisse pas d'etre eleve et sympathique a ses debuts ne tarde
pas a aboutir dans les generations suivantes aTaboulie, a Tinquie-
tude permanente et donne enfin naissance a des douteurs, des
scrupuleux, des obsedes. II est bon de s'informer de ces carac-
teres surtout chez celui des parents auquel Ic malade ressemble
le plus. Plus ce caractere se sera developpe dans plusieurs gene-
rations, plus il sera difficile de remonter ce courant et plus le
pronostic sera seHeux.
Apres Theredite, Tage du debut a une grande importance, je
parle du debut red et non du debut apparent, de Tepoque d'ap-
parition des phenomcnes d*insuffisance psychologique et des sen-
timents d*incompletude. Plus ce debut est precoce, plus il a
une signification grave, les phenonienes qui apparaissent de
bonne heure dans le developpement sont ceux qui sont le plus
fortenient hereditaires qui font le plus partie de la constitution. II
faut done se defier de ces enfants qui sont deja des sages, des
prudents, des reflechis a cinq ou six ans, ce caractere devient
vite dangereux quand ils sont des lents, des hesitants, des repen-
tants. On apprend vite, quand on interroge bien le malade, qu'a
G82 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
cinq ans il etait malheureux si ses v^tements n^etaient pas bien
ranges avant de se coucher, si on ne lui donnait pas partout et
toujours exactement la m^me place. Ce d^but pr^coce est en
g^n^ral un mauvais signe. II faut faire une exception pour les
debuts tr^s frequents qui apparaissent a la pubert6, ou qui sur-
viennent au moment ou les enfants grandissent beaucoup, sans
doute, ils montrent toujours une disposition constitutionnelle a
Uinsuffisance psychologique, mais on pent esp^rer que cette in-
suffisance est en rapport avec les grandes d^penses de vitality que
Torganisme doit faire a ce moment d^un autre c6t^ et qu'elle dis-
paraitra au moment du developpement complet. C*est pour la
m6me raison que le pronostic s'aggrave quand la fin de ce deve-
loppement est arrivee sans amener la terminaison de la maladie,
chez une femme, parexemple, le pronostic devient plus grave si
la maladie se prolonge apr^s ^5 ans.
II faut tenir compte ^galement des circonstances qui ont de-
termine le debut. A peu pres comme dans toutes les maladies
mentales, le pronostic est d'autant plus grave que les circons-
tances ont ete plus insignifiantes. Les debuts lents insidieux, sans
graves maladies, sans grandes emotions determinantes sout plus
graves que les debuts rapides a la suite d'un etat infectieux^ d'un
grand trouble moral d'une violente emotion. Dans ces derniers
cas on pent esperer qu'il s*agit de la forme accidentelle, acquise
de la maladie plutot que de sa forme constitutionnelle.
Enfin il faut se preoccuper pour le pronostic de la forme qu'a
prise la maladie. MM. Pitres et Regis font observer justement
que les obsessions devenues intellectuelles sont plus dange-
reuses que les phobies et surtout que les etats emotionnels non
sy sterna tises.
Cela me semble juste a la condition que Ton ne confonde pas
avec les obsessions bien constituees les etats de rumination men-
tale qui ne sont que des sortes de tics, des phenomenes de deri-
vation exactement comme les phobies elles-memes. La gradation
au point de vue du pronostic se retrouvera etre celle que j'ai
adoptee dans Tinterpretation des symptomes : au plus bas degre,
les phenomenes d'insuflfisance dans lesquels rentrent non seule-
ment Temotivite, mais encore toutes les formes de Taboulie, en
second lieu les accidents de derivation qui ne comprennent pas
seulement les phobies plus ou moins systematisees, mais encore
tons les tics et les ruminations mentales, enfin en dernier lieu les
LE PIIONOSTIC 68i
obsessions qui montrent que le malade entre dans la periode des
interpretations d^lirantes, quoique son deilire conserve les ^arac-
teres de Th^sitation et du doute qui sont les troubles fondamen-
taux de la maladie.
Quand le malade est parvenu au dernier degre et que la maladie
est tout a fait chronique il Taut pour ^tablirle pronostic tenir compte
de Tactivite que conserve encore le sujet, du nombre de relations
que Ton peutluigarder, des travaux que Ton pent lui faire ex^cuter :
risolement et Tinertie complete etant le terme le plus triste des
efats psychasth^niques.
Jc ne fais que signaler Timportance du point de vue medico-
legal bien discute dans un grand nombre d'^tudes^ En general
ces obsessions ne determinent pas d'actions v^ritables, mais une
execution plus ou moins incomplete pent survenir a I'insu du
malade et au cours de ses monies de tentation et de demi-ex^cution.
LHmpulsion pent etre plus grave et le pronostic bien plus reserve
quand a T^tat psychasth^nique proprement dit se joignent
r^pilepsie, la debility mentale^ Talcoolisme ou d'autres intoxi-
cations.
En dehors des crimes proprement dits, des actes absurdes comme
des promesses de mariage^ des fugues, des conduites inconve-
nantes peuvent etre en rapport avec les obsessions de honte ou
les besoins d*excitation. Non seulement il faut songer a mettre
quelquefois le malade hors d'etat de nuire aux autres, mais il
faut aussi dans certains cas, le d6fendre contre lui-m^me.
f . En particulier dans les travaux suivants : Renaudin, Observations midxco-
t^gales sur la monomanie. Ann, med. psych., i85/|, p. a36. Delasiauve, Des pseudo-
monomanies et de leur importance legale. Ann\ med. psych., iSSg. Motet. SocUtide
mSdecine Ugale de Paris, i3 fevrier 1890. P. Denomm^, Des impulsions morbides
au point de vue m^ico-l^gal. Tkkse, Lyon, 1890. B^rillon, Les phobies neurasth^-
niques au point de vue du service militaire. Revue de I'hypnotisme, 1894* p. a4i<
G. Carrier (de Lyon), Contribution k I'^tude des obsessions et des impulsions
I'homicide et au suicide chez les dfSg^ncrds au point de vue medico-l(^gal, 1899.
684 DIAGNOSTIC ET TRUTEMENT
TROISIEME SECTION
LA THERAPBtJTlQUB
De semblables etats psychopathiques se developpent lentement
souvcnt au cours de plusleurs generations et chez le malade lui-
meme ont besoin de plusieurs ann^es pour arriver a leur terme,
il en resulie que les efTorts diriges contre eux doivent s^exercer
avant le developpement eomplet du mal. II serait evidemment
utile de prevoir Tapparition de ces troubles mentauxetde retarder
leur eclosion. Ensuite interviendront les efforts du traitement
proprement dit quand la psychasth^nie est constituee.
i. — La propbylaxie.
En realite cette prophylaxie devrait commencer avant la nais-
sance et tenir compte du principal facteur des 6tats psychasthe-
niques, c*est-a-dire de Theredite. II faudrait redouter les unions
avec les families targes qui contiennent des ali^n^s, des n^vropa-
thes, des aleooliques, M. Cazalis ^crivait sur ee point des articles
eloquents et courageu)c quand il reclamait pour le mariage un
certificat medical. Cette opinion qui parait aujourd'hui une para-
doxe deviendra bientot une v6rit6 ^ementaire. On finira par com-
prendre qu'il n'est pas n^cessaire de rechercher avant tout Taug-
mentation num^rique des populations, mais qu'il Taut se
pr^occuper aussi de leur quality et qu'il est dangereux d'encombrer
un pays de ce nombre croissant de nevropathes et dedebiles.
Si on se place au point de vue particulier de cette maladie du
scrupule, il faudrait se preoccuper non seuleraent de Talienation
proprement dite, mais encore de cette tendance croissante dans
certaines families a Tinertie, a la timidite, a la meditation : on ne
pent evidemment pas faire de cescaracteres qui vont d'ordinaire
avec la dclicatesse des sentiments et raffinement de la race une
LA PROPFn LAXIE 685
condition interdisant le manage, raais on pent en tenir compte
dans la mesure du possible par la remarque suivante. M. Talbot,
dans un article recent sur la degenerescence et le maringe^ insiste
sur le danger des unions consanguines qui accentuent les carac-
t^res familiaux. II fait remarquer a ce propos que ce danger
n'existe pas seulement dans les unions entremembresd'une meme
famille ; il observe que dans les m^mes professions, dans les m^mes
milieu^ se d^veloppent les m6mes tares, les memes d^g^n^rations
a un degre peut-^tre plus eleve que dans les memes families et
que ces tares rendent ^galement dangereuse Tunion de ces
families ; entre elles. J*ai 6t6 frapp6 de cette remarque en voyant
le delire duscrupulesed^velopper dans des families universitaires^
dans des families de magistrals, oil le pere et la m^re appartien-
nent au m^me milieu depuis plusieurs generations. Quand cette
tare psychasthenique commence a se d^velopper, il serait bon
non seulement d'^viter les unions consanguines, mais encore
d'eviter les unions dans le m^me milieu moral et de croiser non
seulement les races, mais aussi les situations et les educations
professionnelles. Malheureusement ces precautions sontbien diflS-
ciles a prendre, par une sorte de fatalite nos futurs psychastheni-
ques sont souvent s^duisants surtout pour des esprits du m^me
ordre- Leur douceur, leurhonneteteexageree parTabsencede com-
bativite, la subtilite de leurs sentiments etde leurs idees, les ren-
dent souvent sympathiques et ils se recherchent entre eux. J*ai
souvent ete ^tonne de I'adresse extraordinaire que deployait un
scrupuleux pour decouvrir une femme aussi atteinte que lui :
faudrat-il s'etonner ensuitesi lesenfants sont des obsedes. II est
inutile d'insister beaucoup sur ces precautions que Ton devrait
prendre pour relever Tenergie de la race et eviter la chute de la
tension jusqu^a rinsudisance ; le medecin sera bien rarcment
consulte sur ce premier point de prophylaxie.
Le second point de la prophylaxie doit etre Thygiene et Tedu-
cation d'un enfant pour lequel on a des raisons de supposer une
predisposition. Ce conseil sera demande plus souvent que le pre-
cedent par les parents qui sont eux-memes atteints de troubles
psychastheniques et qui s'effrayent en apercevant les premiers
signes de la maladie chez leurs tout jeunes enfants.
I. D*" Talbot, D».'g(5neresccnce el niariage. The alienist and neurologist, Janvier
1899.
686 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
II n'y a guere a insister sur Thygiene physique, elle doit 6tre
celle du futur arthritique, nourriture simple, a moo avis surtout
v^g^tale, suppression totale des vins, des alcools et reduction de
la viande; vie au grand air, a la campagne, si possible, habitude
des sommeils prolong^s en couchant Tenfant de bonne heure ;
pratiques d'hydroth^rapie.
Au point de vue moral ily a toute une education a Faire. L'enfant
de tres bonne heure doit ^tre habitu^ au mouvement qui est an
des grands antagonistes de la rumination mentale, il doit faire
beaucoup d'exercices physiques de toute espece. Mais il faut que
ces mouvements ne soient pas incoordonnes, Tagitation motrice
etant pour lui un danger, il faut que ces exercices soient regies
et adroits. Je considere comme essentiel de d^velopper Tadresse
des mouvements physiques. Les scrupuleux sont de terribles ma-
ladroits qui ne savent rien toucher, rien manier. II faut habituer
les enfants d^s le plus bas ige a se servir de leurs membres, a
apprendre des metiers manuels, ils doivent savoir travailler la
terre, le bois, le papier, faire pousser des plantes, construire des
objets, agir sur la r^alit6.
Un autre caract^re de ces exercices est bien plus diflScUe a faire
accepter par les families : il faut que ces exercices soient jusqu'a
un certain point dangereux. Les enfants et les jeunes gens doivent
apprendre et apprendre a leurs d^pensa faire attention a la r^alite,
a surveiller les instruments quails emploient et les mouvements
qu'ils font. Ce danger joue un r61e essentiel : quand il a ^t^
surmont^ il donne aux jeunes gens confiance en eux-memes, il
remonte leur niveau mental par la satisfaction de la difficult^
vaincue. « Le fait de s'etre trouv^ en face d'un danger, dit trfes
bien M. Marro, et de Favoir surmont6 heureusement est pour
Torganisme mental T^quivalent d'avoir resiste a une infection
pour Torganisme physique. II cree en m^me temps un pouvoir
d^fensif qui permet de r^sister a de nouveaux et plus graves
dangersV » II resulte de ces remarques que ces enfants doivent
etre habitues a agir seuls a leurs risques et perils : il faut de tres
bonne heure dans une foule de circonstances les abandonner a
eux-memes, les laisser se promener et m^me voyager seuls. La n^-
cessite les forcera de s'adapter aux circonstances, de devenir pra-
tiques, ce qui est Tantipode du scrupule ou de la phobic.
I. Marro f La puberley p. ^35.
LA PROPHYLAXIE 687
Enfin il faut chercher dans ces exercices et ces actions un au-
tre caractere, le caract^re social. De tres bonne heure ces enfants
predisposes doivent ^tre habitues a la society eta la society de per-
sonnes quails ne connaissent pas. Cette habitude ne s'acquiert
pas si Tenfant esttoujours accompagn^ par ses parents ou par sa
bonne. Rien ne rend un enfant timidecomme la presence de ses pa-
rents, parce que en leur presence il ne sent pas la n^cessite de
faire un effort, de tendre son activite raentale et qu'il se laisse
uller a cette aboulie qui est la source de Temotivite. On est tout
surpris devoir que le m^me enfant ccsse d'etre ttmide, quand il
est laisse seul danslameme society. Le fait d'etre abandonnea lui*
meme suflSt pour qu'il se tende et que son esprit fonctionne a un
niveausuperieur.il n'est pas necessaire que lasocieteoiiilsetrouve
ait toujours de la sympathie pour lui comme il le desire : il est bon
qu'il trouve devant lui des resistances, des jalousies, des compe-
titions, en un mot des luttes. Tout a Toppose de ce pauvre p^re
de famille qui jusqu'a la fin de la classe de philosophic faisait
accompagner etrechercher par une domestique son fils aux classes
du lycee « pour qu'il ne ptit jamais se battre avecses camarades »
je crois qu'il est extremement important de forcer notre jeune
psychasthenique a se battre. S'il reussit a le faire et si parhasard
il triomphe, ce qui est fort possible, il en sera transforme et le
soucideson avenirvaut bien le danger de quelques horions.
L'education intellectuelle ne vient qu'en second lieu chez ces
personnes: elles ne sont que trop disposees au developpement de
rintelligence pure. II faut eviter Tenseignement abstrait de pure
memoire, qui n'est que trop repandu en France. Dans Tetat
psychasthenique Tesprit semble etre developpe en etendue et non
en profondeur, il y a comme une dispersion de la pensee. C'est
la une indication dont on doit tenir compte, le grand nombre
des etudes diverses, faites d'une maniere superficielle est pour
ces jeunes gens d'autant plus dangereux qu'ils reussissent facile-
ment a acquerir ainsi quelques notions en apparence brillantes.
II faut, que Tintelligence soit dirigee avant tout vers Tobservation
et versTobsession physique plus que vers I'observation morale. II
faut se mefier surtout de Tobservation subjective dans laquelle ces
individus sont passes maitres. Cette disposition a Tintrospection
chez les scrupuleux depend en partie de leur inquietude et en grande
partie de ce fait que les images et les associations d'images sont
688 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
des phenomenes d'ordre inferieur, plus faciles et plus nombreux
que les phenomenes de perception exterieure dans des eerveaux
dont la tension est abaissee : le d^veloppement de rintrospection
n'est qu*une vari6t6 de la rumination. Pour lutter contre cctte
tendance, des etudes sur les objets, les animauxjesplantesdoivent
intervenir pour une bonne part dans leurs travaux.
II Taut surtout surveiller Tapplication de leur attention, ii faut
chercher par toutes sortes d'exercices a la maintenir fix^e sur
quelque etude precise et il ne faut jamais perniettre la reverie
vague. Une des choses les plus funestes ce sont les longues heures
d'etude, ou on laisse les enfants libres de faire toutce qu'ils veu-
lent, pourvu qu'ils restent imniobiles et silencieux. lis emploient
trois heures a faire un petit travail mediocre, qu'ils pourraient
faire en une demi-heure et tout en feuilletant nonchalamment
leur dictionnaire, ils se laissent aller a toutes leurs reveries va-
gues, premieres ebauches de leurs ruminations futures; il leur faut
des etudes courtes et un travail mental actif, rapide et objectif.
Sans cesse on doit les pousscr a la rapidity, a Texactitude ii
Tactivite pratique.
Ce genre d'education qui bien applique lutterait contre la ten-
dance h^reditaire aux nevroses etaux obsessions est bien diOici-
lement appliqu^ par les parents eux-memes qui sont pouss^s par
tons leurs sentiments a donner a leurs enfants une direction abso-
lument inverse. Trop souvent Tenfant n'^chappera a la predis-
position que s'il est eleve en dehors de sa famille.
2. ^ Le traitement physique.
Aucunede ces precautious n'a ete prise, Thygiene comme Tedu-
cation ont ete aussi absurdes que possible et la maladie s'est
declar^e ou plutot, de latente, qu'elle etait depuis desannees, elle
est devenue apparente pour Tentourage. Celui-ci attend en gene-
ral le plus tard possible et refuse longtemps de croire a Texis-
tence d'une maladie mentale.Ce n'est que pouss^par la necessite,
quand le malade depuis plusieurs mois est incapable d^aucune
occupation, ne dort plus et s'agite continuellement, c'est quand
il rumine toute la journee, qu'il parle tout haut, qu*il fait sans
cesse ses formules de conjuration, qu^il est tourmente par
LE TRAITEMENT PHYSIQUE 689
ties phobies et des angoisses continuelles que sa famille se decide
ii Tamener au medecin. Quelle doit etre alors la conduite de
t;elui-ci, quelles sont les medications ou les traitements physiques
ou morauxqui peuvent avoir une certaine influence et preparer la
terminaison de cette crise ?
II est important que le medecin fasse vite son diagnostic, car il
iloit prendre vis-a-vis de ces malades une attitude particuliere
«t toute hesitation serait des plus facheuses. Toutes les descrip-
tions pr^c^dentes permettent de reconnaitre vite la maladie dont
il s'agity d*autant plus que ces malades presentent une remar-
i[uable uniformity et que Ton retrouvera vite les formes et meme
les expressions que Ton connait comme caracteristiques.
Le malade arrive avec une disposition d*esprit toute particu-
liere dont II faut se d^fier. Sans en etre bien certain, car il
iloute de tout, II est dispose a croire qu'il n'est pas un malade ou
(lu moinsqu'Il u'a pas une maladie ordinaire. II sent bien que son
etat n'est pas natural, mals il croit que c*est un 6tat extraordi-
naire, unique au monde, que personne n'a jamais vu et que les
m^decins, en particuller, Ignorent completement. Comme il ne
veut faire aucun effort, comme 11 salt qu*il n'a fait aucun effort
pour se gu^rlr, il aime a penser que cette maladie exceptionnelle
est absolument Incurable et qu'il n'y a rien a faire. II le dit en
entrant ; cc c*est sa famille qui I'a forc6 a venir voir un medecin,
mais il sait tres bien que c'est inutile et que son etat est tout a
fait en dehors de la m^decine. »
Si le medecin h^site sur son cas et semble surpris par la bizar-
rerie des sympt<)mes que le malade d'ailleurs exagere a plaisir, le
sujet se confirme dans son opinion et en profite pour se laisser
aller encore davantage. II faut que le mddecin puisse montrer
rapidement une grande assurance et lui donner Tlmpression que
sa maladie est parfaitement connue, qu'elle est des plus banales,
etque le traitement curatif est tout a fait stereotype.
Pour y parvenir le medecin doit deviner les sympt6mes au lieu
de s'en etonner. Des que le malade a un peu explique son etat,
on volt facilement dans quelle categoric 11 se range, s'il a plus
dc ruminations ou plus de phobies, dans quel sens sont ses obses-
sions princlpales. II suffit alors de lui enum6rer les manies dc
precision, d'oscillation ou de reparation, de lui parler des serments,
des pactes, des formules de conjuration, des angoisses physiques
ou morales, etc. II est bien rare que Ton ne tombe pas juste sur
LES OBSESSIONS. I. fl!i
690 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
des symptomes qu'il a pr^sent^s. II faut alors les lui d^crire avec
une precision quir^tonne;puisoDluia(firmequesamaIadieestcura-
ble, ce qui est vrai au moins dans les deux tiers des cas. que
dans tous les cas il n'est pas tr^s difficile de lui procurer quelque
soulagement. Comme le malade malgr^ son affirmation 6tait
loin d'etre convaincu de son incurability, il se laisse assez
facilement persuader et accepte un traitement au moins k titre.
d'essai.
I . — L' alimentation et Vhygiene,
Le premier soin doit 6tre de reformer Thygiene du malade qui
est ordinairement deplorable. L'alimentation doit etre examinee
avec un grand soin : un certain nombre de ces maladcs ne se
nourrissent pas et d'autres ont une alimentation d^fectueuse. Les
premiers sont nombreux, ce sont presque tous les sujets qui ont
les obsessions de la honte du corps, ou qui ont des phobies rela-
tives a Talimentation ou a la deglutition. Les psychastheniques
ont besoin d'uneixourriture assez forte et plusieurs se sont rapide-
ment amelior^s par une alimentation mieux dirig^e. II faut done
les convaincre de la n^cessite de manger suffisamment : en dehors
des cas d'obsession ayant un rapport direct avec Talimentation
on y parviendra facilement. D'autre part la digestion stomacale
et intestinale de ces malades est presque toujours atteinte grave-
ment et Ton constate presque toujours la dilatation stomacale par
atonic, les ententes et la constipation. Bien souvent les aliments
sont mal dig6r6s, ils restent dans Testomac, d^terminent ou non
sutvant rindifi<6rence du sujetdesdouleurs, des bri^lures quelques
heures apr^s le repas. Ces aliments qui fermentent donnentnais-
sance a des acides et a des ptomaines qui sont r^sorb^s et qui ira-
pressionnent tres facheusement un systfeme nerveux aussi suscep-
tible. Je crois qu'il faut surtout redouter a ce point de vue les
aliments difliciles a dig^rer et qui fermentent facilement et qu'il
est n6cessaire de r^glerrigoureusementralimentation meme chez
ceux dont la dyspepsie est latente et qui ne se plaignent pas de
leur estomac ; ceux-ci sont d'ailleurs la minority.
M. Dejerine, partant du m^me point de vue impose aux neuras-
theniques le regime lact^ ; M. Nattier, a propos de la rhinorrh6e,
qu'il rattache justement a la meme maladie, exige le m^me
regime. Dans les cas tres graves, quand la digestion est tr^s com-
promise, quand Tintoxicatiou d'origine alimentaire est 6vidente,
LE TBAITEMENT PHYSIQUE 691
quand le trouble est plus gastrique qu*intestinal je n'h^stte pas »
faire de mcme au moins pendant une ou deux semaines, mais en
g^n^ral j*h6site a imposer un regime aussi severe.
Le regime lact^ integral est debilitant, ce qui est ici tres mau-
vais, car cela Tavorise les sentiments d^incompl^tude, il n'est pas
toujourstr^s bien tolere par I'estomac des malades. « Le lait, dit
M. L6pine, ne convient pas aux estomacs dilates, il ne stimule
pas le systeme nerveuxetne donne pas la sensation de force. La
vie, a dit un vieux maitre, ne se soutient que par les excitants. Si
cette proposition est vraie, le lait ne suflirait pas a entretcnir, la
vie*. » J'ajoute que le regime lacte est surtout contre-indique
quand il y a un certain degre d'ent^rite.
II sudit de se borner d'ordinaire a supprimer completement le
vin et TalcooL les sauces, les graisses, les viandes faisandees, les
conserves, a r^duire assez forteraent la proportion des viandes
dans I'alimentation, a se rapprocher en un mot du regime v^ge-
tarien. Le lait, les oeufs, les farines de toute espece et surtout
les farines de cer^ales en abondance, les legumes verts, les fruits
cuits avec un peu de viande grill^e h un repas seulement me
parait un regime suffisant et extrdmement utile dans les cas
moyens. Dans les cas graves d'atonie gastrique, je me suis bien
trouv^ en laissant les malades au regime exclusif du lait, des oeufs
et des bouillies de farines comme des enfants en sevrage, mais
il s'agit alors du traitement de la dyspepsie hyposth^nique dont
je n*ai pas a m'occuper sp^cialement ici. Ces regimes v^getariens
ou presque v^getariens en r^duisant les toxines qui impression-
nent le systeme nerveux determinent souvent chez les neurasth^*-
niques et m^me chez les psychasth6niques des ameliorations sur-
prenantes. Les aliments doivent etre pris en quantity suffisante,
a des intervalles bien regies et en general assez longs, car il est
essentiel de laisser Testomac se reposer ; il faut interdire a cer-
tains malades atteints de boulimie de manger dans Tintervalle
des repas. Mais il sera bon pour certains estomacs atones et di-
lates de faire boire tres peu aux repas et de faire boire deux tasses
de the irhs leger plusieurs heures apr^s le repas, de maniere a ne
pas diluer le sue gastrique pendant la digestion, mais a donner
cependant au malade la quantity d'eau indispensable. Dans Tana-
lyse des urines qu'a conseill^e M. Joulie, il y a une indication
1. Lupine, Semaine medicale, 19 fevrier 1903.
692 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
tres utile, c*est de surveiller la density des urines du matin. La
density moyenne doit etre de 1018, chez beaucoup de neurasthe-
niques elle est bien sup^rieure. II faut alors, en augmentant la
quantity des boissons prises en dehors des repas, si cela est ne-
eessaire, la ramener a la normale. Ces conseils relatifs au regime
alimentaire des neurasth^niques se retrouvent chez tons ceux qui
ont etudie ces malades, ils semblent assez bien justifies par Tex-
p^rience.
Les fonctions de Tintestin sont troubl^es comme celles de Tes-
tomac et il faut se preoccuper d'un ^tat de constipation tres
constant et tres grave qu'ils pr^sentent presque toujours. Les
Evacuations intestinales doivent 6tre obtenues par tous les moyens
possibles. On ne saurait trop insister sur les avantages des grands
lavages intestinaux avec de Teau lEgferement salEe 10 pour 1000,
pousses tres profondement avec une grande sonde. Dans des cas
s^rieux je me suis servi avec avantage des grands lavements
d'huile pousses avec la sonde, gardes le plus longtemps possible
et suivis d'un lavement d'eau de t^tes de camomille. Dans un
cas que j'ai rapporte il a fallu pratiquer un veritable curettage
de la cavit6 rectale.
Dans les cas moius sErieux il suffit d'user r6gulierement des
laxalifs connus en les variant de temps en temps a cause de
Taccoutumance. Tous les dix ou quinze jours une petite purge
plus active m'a semblE utile. Dans plusieurs cas j'ai employe avec
succfes le calomel ou les sels de karlsbad qui sont avantageux
quand les fonctions du foie sont engourdies. On est souvent sur-
pris de ram^Iioration remarquable que Ton constate meme dans
les fonctions mentales apr^s une purge de ce genre.
Apres ralimentatlon il faut r^gler le sommeil et le repos. Les
uns veulent dormir constamment et resteraient au lit toute la
journee, d'autres s'agitent sans cesse, ne veulent pas se coucher
et passent la nuit a marcher dans leur chambre. Ils sont tous des
Epuises qui ont le plus grand besoin de repos. Le traitement de
Weir-Mitchell, tres pratique en Amerique, condamne tous les
neurasth^niques a un repos absolu au lit, en ne leur donnant des
mouvements que par des massages ct des mobilisations passives des
membres. M. Dejerine et M. Nattier, dans le travail que ]'ai cite,
reclament au moins i5 heures de repos au lit par jour. II se peut
que ce traitement, dont je n*ai pas beaucoup Texperience, soit
LE TRAITEMENT PHYSIQUE 695
Utile dans quelques cas de neurasth^nie simple, j'avoue que je le
redoute beaucoup chez les psychasth^niques qui ont des troubles
mentaux. Plusieurs de ces derniers m'ont racont^ qu'ils avaient
subi auparavant, et quelques-uns a plusieurs reprises, le traite-
meut dit de Weir-Mitchell sans en retirer aucun avantage. Dans
trois cas j'ai vu les malades, apres avoir subi un traitement de
ce genre, tomber dans Tinertie et dans la malproprete. Ces ma-
lades ont deja beaucoup de tendance a Taboulie, a Timmobilit^
et a la reverie. II ne Faudrait, a mon avis, les laisser au lit
qu'avec une grande surveillance et en 6vitant Tinaction absolue.
II me semble preferable, tout en laissant au malade beaucoup
de repos, de r^gler la dur^e du sejour au lit d'une fa^on qui se
rapproche de la normale, afin de ne pas determiner des habitudes
(acheuses, plus tard dif&ciles a rompre. Ce qui est essentiel, c'est
d'exiger le coucher et le lever a des heures fixes et de maintenir
une grande regularite.
II faut encore surveiller toute Thygiene du malade, le retirer
s'il y a lieu d'un milieu malsain, le faire vivre une partie de la
journ^e au grand air, supprimer, s'il ne Ta pas d^ja fait de lui-
meme,tout travail qui serait trop fatigant ou malsain.
II faut traiter avec soin toute maladie locale ou g^n^rale qui
coi'nciderait avec T^tat psychastheniqueet qui Tentretiendrait.
Les infections ut^rines, les suppurations locales joueut en parti-
culier un grand r6le et doivent etre autant que possible suppri-
mees. II ne faut cependant pas se laisser cntrainer a faire jouer
un trop grand r6le a des troubles locaux et rattacher toute la ma-
ladie a un d^placement uterin ou a une chute du rein. II faut
beaucoup se m^fier des operations que ces malades supportent
trfes mal et qui sont souvent le point de d6part de rechutes. De
meme des traitements excessifs et fatigants comme ceux de cer-
taines villes d'eaux ont eu pour les malades que j'ai suivis des r^-
sultats deplorables. II faut done se borner aux traitements n^ces-
saires et les plus simples.
2. — La medication sedative,
Le traitement medicamenteux n'a pas chez ces malades une
grande importance, il me semble cependant exagere de le sup-
primer tout a fait.
Je n'insiste pas sur les medicaments eu rapport avec tel ou tel
4
691 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
symptome visceral, en particulier je n'examine pas ici la medica-
tion de Testomac, elle ne diffibre pas chez les psychasth^niques de
ce qu'elie est chez les autres dyspeptiques par atonie nervease.
Les medicaments plus sp^cialement en rapport avec la maladie
repondent a deux indications : i^ calmer Tagitation excessive cau-
see par les ph^nomenes de derivation, 2^ tonifler un organisme
et un systeme nerveux deprim^s.
Quelques malades arrivent dans un etat de veritable surexcita-
tion avec des mouvements incoordonn^s et des troubles emotifs
extremes qui rendraient bien difficile toute direction morale. II me
semble n^cessaire d'abattre cette excitation, c'est pourquoi, con-
trairement a Topinion de quelques auteurs, j'ai cru n^cessaire
de faire un assez grand usage du bromure. Le rappro-
chement que j*ai ete conduit a faire entre ces etats psy-
chastheniques et Tepilepsie est encore en faveur de ce traite-
ment bromure. Chez un grand nombre de malades les effets ont
ete excellents : Lise, On..., Cs..., Mw... s'ameliorent visible-
ment par Tusage du bromure a tres fortes doses. A plus forte
raison voit-on les bons effets de ce traitement chez Vil... et chez
F'y..., chez Qes... qui ont en meme temps que les obsessions de
repilepsie manifeste. Quelques malades comme Mw et Cs... pren-
nent m^nie une raanie du bromure et se figurent qu'elles ne peu-
vent plus s'en passer. Sans doute il y a la une manie du medicament
frequente chez ces sujets, mais il y a aussi un sentiment d'agitation
et de malaise plus grand par sa suppression. Je m'en suis convaincu
par quelques experiences sur Cs... : J'ai fait changer les doses
dans sa potion a son iusu, en cherchant a dissimuler le go6t de
maniere qu'elle ne pi^t que diflicilement s*en apercevoir. J'ai
trouve des differences tres nettes dans son agitation hypocon-
driaque, et dans sa docilite, suivant qu'elle etait a une dose de
6 ou de 2 grammes par jour. Je propose done cette conduite au
debut du traitement, quand on se trouve en presence d'un malade
tres agite sur lequel on n'a encore que peu d'influence morale : le
mettre d'emblee a une dose elevee de bromure, 4 a 5 grammes par
jour comme un epileptique, s'il le faut augmenter la dose la
semaine ^uivante, puis le plus i6t possible, d^s qu'il y a un peu
de calmeet des qu'on pent agir moralement sur lui la diroinuer et
la supprimer.
Les autres sedatifs m'ont semble jouer un role moins impor-
tant. Theoriquement, il est evident que Tusage des soporifiques
LE TRAITEMENT PHYSIQUE 695
est detestable ; pratiquement il est bien difficile de ne jamais y re-
courir. On ne pent guere nier que de petites doses de ces medi-
caments n*aient souvent rendu dcs services. Le trional, le suU
fonal, le chloral, le bromidia ne sont que trop connus par les
malades, il faut surtout en surveiller et en reduire Temploi le
plus possible.
Dans quelques cas assez rares j'ai eu recours a Topium, quel-
ques centigrammes d'extrait thebai'que me semblent tout in-
diques pour les malades angoisses qui ont un grand etat de
soufirance, malheureusement Teffet constipant de Topium est a
rcdouter chez des malades dont la constipation est d^ja opi-
niatre. Quant a la morphine elle demande une ^tude toute sp^-
ciale et me parait jouer aussi bien un role d'excitant du systeme
nerveux qu'un role de calmant.
3. — La medication tonique.
II ne faut pas oublier que cette excitation apparente du sujet
est toute secondaire et qu'elle est la manifestation d'un ^puise-
ment r6el, d'une insuflisance du systeme nerveux central qui ne
pent plus atteindre la tension normale. L^essentiel serait 6videm-
ment de relever la force du systeme nerveux, c'est le probleme
general des 6tats neurasth^niques, il n'est pas dans ce cas plus
facile a resoudre que dans les autrcs. Sans doute les precautions
d'hygiene que j*ai mises au premier rang ont sur ce point une
influence incontestable. Une alimentation convenable que le ma-
lade puisse dig^rer, la suppression des toxines que produisaient
les alcools, les viandes ferment^es insuffisamment dig6r6es, etc.,
sont pour beaucoup dans le rel^vement du systeme nerveux.
Malheureusement ces precautions sont loin de suffire toujours,
d'ailleurs la mauvaise digestion depend elle-m^me de cette insuf-
fisance du systeme nerveux et Ton tourne dans uncercle vicieux.
II faut done recourir a tons les toniques nervins, a tous les re-
constituants et dans notre ignorance il faut souvent les varier.
Les phosphates occupent une grande place parmi les toniques
nervins. La vogue a ete longtemps aux glycerophosphates, j'en ai
fait prendre a tous ces malades des quantites enormes et comme un
trfes grande nombre sont gueris on pent supposer que ce medi-
cament a eu une influence favorable. Aujourd'hui la mode se
tourne davantage vers une autre forme la lecithine, qui m'a
696 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
donn^ quelques rdsultats heureux, il est tout indigne d'y recou-
rir. L'arsenic sous la forme actuelle des cacodylates et des
metharsinates m'a paru avoir une tr^s bonne influence sur Fetal
physique et par la influencer favorableinent T^tat mental surtout
quand les obsessions avaient pour point de depart un grand sen-
timent de faiblesse et de depression.
Depuis un an, s^duit par la lecture du travail de M. Joulie,
j'avais fait analyser tr^s souvent Turine des obs^d^s au point de
vue de Tacidit^ et j'avais constate de nombreux cas d'hypoacidite^
ainsi que je Tai indique plus haut : dans ces cas j'ai voulu essayer
le traitement de M. Joulie par Tacide phosphorique. La potion
que j'employais ^tait la suivante :
Acide phosphorique ofiicinal 17 grammes.
Phosphate de soude 3o —
Eau distill^ aSo —
dont je donnais aux malades de deux a six cuiller^es a cM par
jour.
Les dangers de cette medication essayee graduellement m*ont
paru minimes. Dans un certain nombre de cas, les r^sultats ont
6i€ assez interessants pour que je continue quelquefois a recourir
a cette medication. Chez une malade en particulier, a deux
reprises un eczema de la face a ete completement gueri et il
reprenait quand on cessait cette medication. L'etat general s*est
ameliore et Tetat mental, aide, il est vrai, par un traitement
moral que je crois tr^s important, s'est beaucoup ameliore*.
Parmi les autres excitants de la nutrition nerveuse MM. Pitres
et Regis citent Tovarine dont ils ont vu les bons effets dans un
cas. Dans trois cas, j'avais songe a essayer la thyroidine parce que
certains symptomes me rappelaient le myxced^me fruste que Ton
a beaucoup etudie recemment ; dans deux de ces cas je n'ai pas
constate de modification appreciable, mais dans un troisieme,
celui de Ron..., les changements ont ete remarquables. La sante
physique s'est transformee, les troubles circulatoires qui ren-
daient les mains rouges ctfroides, le nez rouge, qui determinaient
une impression de froid general ont assez vite disparu, Tinquie-
tude et les obsessions se sont prolongees quelque temps encore
I. Cf. A. Martinet, Indications ct con tre- indications dc la medication phospho-
rique. Presse medicalc, 8 Janvier 1903, p. 3o.
LE TRAITEMENT PHYSIQUE 697
et ont c^d6 apres un traitement de quelques mois. Je n^ai pas
revu ce malade et ne sais s'll a r^cidive. Cette observation qui
m'a frappe montre done que dans certains cas, assez rares peut-
etre, des troubles analogues a ceux du myxoedeme fruste peuvent
jouer un r6le dans la psychasth^nie. II faudrait done dans des cas
semblables songer a la thyroi'dine et dans d^autres peut-^tre
voisins a Tovarine.
Un traitement auquel j*ai eu tres souvent recours ce sont les
injections sous-cutanees d*une solution saline concentric : la so-
lution de Charon. Ce's injections qui relevent la pression vas-
culaire et d^terminent une excitation vitale de tout Torganisme
ont eu souvent des eiTets fort utiles.
Je ne cite que pour memoire les grandes injections du serum
de Hayem que j'ai faites chez Nadia a la dose de 5oo grammes
pendant la p^riode de confusion mentale et de stercorh^mic. Ces
injections ont certainement contribue a sauver la malade et leur
action est bien connue. J'ai eu souvent recours ^galement aux in-
jections de strychnine (de i a 5 centigrammes) qui ne m'ont pas
paru avoir des efiets plus nets, que les solutions pr^cedentes
moins dangereuses.
Un tr^s grave probleme se pose a propos de ces traitements par
toniques nervins, c'est celui des injections de morphine : On sait
que M. A. Yoisin avait fait de la morphine la base de sa th^ra-
peutique des maladies mentales, il en avait obtenu quelquefois
des r^sultats remarquables. Certains faits d'observution m*ont
montre depuis longtemps que cette th^rapeutique reposait sur des
observations en partie exactes. J'ai vu des hysteriques anesthesi-
ques qui perdaient tous leurs stigmates apres des injections de
morphine ; je connais des obs4des qui ont recouru a la morphine
et qui ont et^ gu6ris au moins momentan^ment. Ces phenomenes
se comprennent : la morphine n'agit pas uniquement comme un
anesth^sique, de meme que Talcool elle determine une excitation
du systeme nerveux qui pent augmenter sa tension et supprimer
momentanement les resultats de son insuflisance. Cependant j'ai
longtemps recul^ devant I'emploi de cette methode a cause des
dangers de la morphinomanie chez des malades si disposes a
contracter un besoin pathologique et une impulsion. Je restais
convaincu que chez la plupart des psychasth^niques, les dangers
de ce medicament depassaient ses avantages.
L'observation de certains faits me rend maintenant un peu
698 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
plus hesitant. L^ann^e derniere une malade que j'ai cit^e dans
ce travail Mb... (impulsions homicides et d^lire du doute a pro-
pos des perceptions des sens) m*a reclam6 le traitement par la
morphine, je le lui ai refuse et elle s'est adress^e a d'autres per-
sonnes qui le lui ont pratiqu6. J'ai appris, malheureusement
suns details, qu'elle avait obtenu ainsi une am^ioration remar-
quable.
Dans un cas particulierement grave, je me suis decide a recou-
rir a quelques injections de morphine. II s*agissait de Qsa..., cet
homme de 55 ans, qui presentait les algies, les phobies de la
digestion et qui arrivait souvent a des terribles crises des efforts
de vomissement. Cet homme ne pouvait plus du tout se nourrir
et il etait bien difficile d'obtenir une amelioration de Tetat men-
tal avec une alimentation aussi insuffisante. II est incontestable
que quelques piqilres d'un centigramme de morphine m'ont per-
mis d'arreter bien plus facilement les efforts de vomissement et
de nourrir le malade. Lc poids a augmente, j'ai pu diriger un
peu Tesprit et modifier quelques habitudes pathologiques. Je n*ai
pas eu a deplorer d'accidents de morphinomanie car j'ai pu sup-
primer la morphine sans difficult^.
Yoici d'ailleurs une precaution que j'avais prise dans ce cas
et que je crois devoir 6tre souvent fort utile. Tai toujours cach^
au malade quand je faisats usage de la morphine et a quelle dose.
Des injections de s^rum de Cheron que je lui faisais regu-
lierement permettaient de dissimuler facilement, quand il y avait
lieu, la dose de morphine; la suppression se fit ^galement a son
tnsu. M. Joffroy a deja justement insiste sur cette facility beaucoup
plus grande de la demorphinisation quand on pent tromper com-
pletement le malade et lui laisser ignorer la suppression de la
morphine. II y a done des cas ou la morphine par son action exci-
tante et analgesiante pent rendre des services remarquables, mais
il n*en reste pas moins vrai que son usage est particulierement
dangereux chez ce genre de malades, qu'il doit etre trfes reserve,
et qu'il demande beaucoup de prudence et de precaution.
4. — Le traitement par les agents physiques,
Dans le traitement des n^vroses on plagait autrefois au pre-
mier rang Thydrotherapie froide, il me semble qu'il y a aujour-
d'hui une reaction contre un engouement excessif, MM.Pitres et
LE TRAITEMEM MORAL 690
R^gis craigaent les douches froides qui surexcitent ces malades,
lis pr^tferent les douches tildes, les bains, les affusions. lis ont
parfaitement raison s'il ne s'agit que ^e calmer une surexcitation
trop grande. C'est en me pla^ant au meme point de vue que je
r^clamais Tusage du bromure. Dans beaucoup de cas Thydroth^-
rapie froide doit etre supprim^e surtout au d^but du traitement
€t remplac^e par les douches tiedes ou les bains.
Cependant, si les malades sont deja un pen calm6s, s*il s'agit
de personnes jeunes, vigoureuses, si le traitement a lieu en ^t^
dans de bonnes conditions, je ne crois pas qu'il faille renoncer
aux effet toniques de la douche froide. Legrand du SauUe soute-
nait autrefois avoir vu des remissions absolues apres un traitement
hydrotherapique, bien souvent a la Salpetriere j'ai vu de jeunes
malades terminer une crise et s'ameliorer visiblement apres ce
traitement.
M. Marro dans une ^tude sur a la prophylaxie des Amotions
qui amenent la degeneration », explique d'nne maniere int^res-
sante les bons effets de Thydrotherapie froide. « Par ces applica-
tions froides graduelles nous teutons d^^veiller le r^flexe vaso*
dilatateur cutan^ qui succede a la premiere constriction vaso-
capillaire cutanee et qui contraste avec les reactions desordonn^es
vaso-paralytiques ou vaso-dilatatrices visc6rales dans lesquelles
se r^soud Taction morbifique du froid lorsqu'il devance la force
de resistance de Torganisme. L^^ducation de ce reflexe nous
donne un premier avantage contre les impressions peureuses
dans lesquelles la contraction du systeme vasculaire periph^rique
est un des premiers phenom^nes. L'hydrotherapie froide consti-
tue une veritable hygiene contre les causes deprimanles soit phy-
siques, soit morales ^ »
Le role heureux de Telectrisation statique a ete souvent signals,
les effets toniques des courants avec alternances trfes rapides sont
encore a Tetude.
2. — Le traitement moral.
Malgre rimportance de la th^rapeutique physique, il est incon-
I. A. Marro. Congres de psychologie de 1900. Cornptes renduSt 1901, p. 087.
700 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
testable que le traitement moral a plus (I'lnfluence qu'elle et que
bien souvent il la rend inutile. Ce traitement pent ^tre envisage a
plusieurs points de vue qui d'ailleurs ont entre eux des liens fort
6troits.
I. — La simplification de la vie.
Si on se reporte a la theorie pathog^nique de cette maladie des
obsessions on voit que le fait fondamental est une insuffisance
hereditaire ou acquise des fonctions sup6rieures d^adaptation du
cerveau. Le cerveau ne pent plus sufCre a la besogne qu'on lui
demande, il en resulte qu'il y a un affaiblissement dans toutes ces
operations mentales qui am^ue le doute et Tinqui^tude. An lieu de
ehercher a toujours relever la force du cerveau, ce qui dans bien des
cas pent 6tre impossible, ne serait-il pas tout aussi simple de eher-
cher quelquefois a r6duire sa besogne? Si on lui demandc moins
de travail peut-etre Taccomplira-t-il plus completement et par-
viendra-t-il au terme de sa fonction et peut-etre avec le retour des
fonctions du reel verra-t-on disparaitre les ph^nomenes de derivation
et les obsessions. C'est ce qui a lieu souvent, comme on Fa vu,
par le progres de Tage ; c'est la solution qui est instinctivement
trouvee par les extatiques et par les scrupuleux eux-m^mes qui
a la fin de leur carriere se retirent dans Tisolement le plus com-
plet. Je crois qu*un ph^nomene analogue se passe dans Thysterie
oil le champ de la conscience se retr^cit sans qu'il y ait insuf-
fisance dans les parties conservees. Ne devrait-on pas suivre dans
certains cas cette voie de traitement et favoriser la marche natu-
relle de la maladie ?
II est evident qu'il ne faut pas c^der trop vite aux malades, qu'il
ne faut pas leur permettre de ne plus sortir, de ne plus voir per-
sonne, mais on pent les satisfaire en reduisant les difficultes qu'ils
ne peuvent pas r^soudre. II est certain que dans bien des cas la ma-
ladie commence parce que le sujet est place dans une situation trop
complexe pour lui. Dans une dtzaine de nos observations le delire
commence a Toccasion des fian^ailles ou a Toccasion du mariage.
Le malade nous raconte qu*il est pris d'un scrupule, qu'il ne
peut s'habituer au visage de sa fiancee, qu'il n'a pas le courage de
diriger un menage et qu'il se demande s'il aime sulfisamment, etc.
En realite ces scrupules qu'il invente sont Texpression d'un etat
d*oscillation, d'hesitation qui est dil a une volonte incapable de
resoudre les problemes poses par une situation nouvelle. Faut-il
LE TRAITEMENT MORAL 701
dans ces cas conseillera la famille de maintenir les fianyailles? Le
probl^me est souvent extr^mement d^Iicat. Sans doute quand la
maladie n*est pas grave, quand TinsufEsance de la volont^ n*a pas
des racines profondes dans Th^redite, on pent, en encourageant
et en aidant le malade, lui faire franchir Tobstacle. Mais faut-il
toujours pousser le malade a accomplir des actes compliques dont
il est forc^ment incapable ?M. Savage remarquait d^jh qu'en exi-
geant le niariage dans ces cas on s'expose a un double risque « celui
de rimpuissance genitale et celui d*une violente antipathic contre
laquelle plus tard rien ne pourra r^agir... des mariages forces de
ce genre aboutissent a des separations, a des delires lyp^maniques
avec internement* ». Je ne vols guere quel int^ret nous pousserait
a courir ces risques. Est-ce done un si beau mariage que celui
d'un psychopathe qui va procreer une race de d^g^ner^s? La
situation matrimoniale avec toutes ses difTicultes, T^ducation d'en-
fants probablement malades sont-elles faites pour le gu6rir ? II est
deja insuffisant pour sa vie de c^libataire, est-il raisonnable de lui
en imposer une plus compliqu^e ? Dans des cas semblables il est
souvent indispensable de faire rompre le mariage de la mani^re
la plus complete, la plus decisive possible. J*ai eu plusieurs fois
a prendre une decision de ce genre et je ne m*en suis pas re-
penti. Le malade, malgrd sa deception, s'en trouve fort bien et il
guerit de cette crise de rumination, tandis qu*il auraitdclire si on
Tavait maintenu dans une situation trop complexe pour lui.
II y a de meme bien des situations morales compliqu^es que Ton
pent ais^ment simpliBer dans Tint^ret du malade. Bien souvent
la vie de famille dans laquelle il se trouve plac6 est mauvaisc pour
lui ; le pere ou la mere sont deja des psychastheniques avec leurs
obsessions, leurs manies, leur caractere cxtremement autoritaire.
Tout cela crec un milieu penible ou il faut lutter sans cesse, avoir
de rhabilete pour eviter les scenes et les delires. Notre malade
meme faible pourra ctre suflisant ailleurs tandis qu'il s'6nerve et
succombe ici. Tres souvent la premiere ordonnance du medecin doit
etre que la fille ne peut pas vivre avec la mere.
II y a de m^me des professions qui font naitre des diflficult^s
morales particuliercs, tel individu n'est pas capable de supporter
la profession juridique ou la profession medicale ou la direction
I. G. Savage, Troubles d'espril a proposdcs fian^aillcs. Journal of mental Science,
oclobrc 1888. Encephale 1888.
702 DIAGNOSTIC tT TRAITEMENT
d'une eiitreprise et il gu^rira dans une situation plus simple. LI...
i^tait un petit employe modele, un basard malheureux le fait monter
dans une situation plus ^levee et le force a dinger la caisse de la
maison ; il s'effraie de sa responsabilite, n*arrive plus a prendre
une decision et commence une grande crise d'obsession scru-
puleuse. Apres Tavoir traits quelque temps et apr^s avoir r^ussi
a le calmer, j'ai exig6 quMl reprit sa place en sous-ordre : il sV
comporte de nouveau parfaitement. Dans plusieurs observations
(Tog..., Rai..., etc.), je constate que tons les troubles dispa-
raissent pendant les ann^es ou le malade fait son service militaire,
c^est la simplicity de la vie, la discipline, Tabsence d'initiative
qui leur convenait. En un mot, Fetude des cas d'aboulie nous a
montr^ I'importance de la hierarchic daos la vie humaine et les
souffrances qui resultent de ce qu'un homme n'est pas a sa vraie
place. Bien souvent on pent soulager le malade en mettant de
Tordre dans sa vie, en reglant minutieusement Femploi de son
temps. Quand Tinsuflisance psychologique n'est pas trop con-
siderable on pourra souvent, je crois, conserver Fequilibre mental
en simplifiant de cette mani^re une situation qui etait au-dessus
des forces du malade.
A cette question se rattache la question de Fisolement des
obs^d^s. Westphal disait d^ja que Finternement dans les asiles
est mauvais pour ces malades, cela est juste car ils ont conserve
leur conscience, se rendent compte de F^tat delirant de leurs
compagnons et perdent eux-m^mes toute Anergic dans un tel mi-
lieu. La plupart des auteurs contemporains h^sitcnt ^galement
a enfermer les obs6d6s : il est incontestable que le plus souvent
Finternement veritable pent et doit etre evite. Cependant il
est quelquefois n^cessaire de les retirer de leur milieu, il faut
leur cr^er un milieu artificiel plus simple que les milieux naturels
et il faut souvent recourir pendant quelque temps sinon a un
internement complet, au moins a un isolement relatif.
2. — Le traitement par la suggestion,
Ne peut-on pas d6passer ce traitement palliatif qui obeit en
quelque sorfe a la maladie au lieu de lutter contre elle ? Un
traitement mental qui se presente imm^diatement a Fesprit, c'est
le traitement par la suggestion hypnotique : il semble que la
suggestion, qui agit en imposant des idees ou en les supprimant,
LE TRAITEMENT MORAL 7u5
doit avoir un role remarquable dans une maladie oil les id6es
pr^dominantes semblent au premier abord Tessentiel.
Aussi des le debut des etudes sur la th^rapeutique suggestive
a-t-on essay^ cette m^thode chez les obs6d6s et a-t-on soutenu
qu'eile ^tait la plus logique et la plus heureuse. Je ne puis que
rappeler quelques-unes de ces opinions : M. Ladame conclut son
excellent article historique sur les obsessions en indiquant la
suggestion hypnotique comme le principal mode de traitement,
dans une autre ^tude il montre quHl a appliqu6 heureusement
ce traitement aux buveurs et aux dipsomanes K M. Tissi^ cite
c( un cas d'obsession intellectuelie et emotive gu^ri par la sug-
gestion '. M. B^rillon a communique en i8g3 a la soci^t^ de me-
decine et de chirurgie pratiques a un cas d*agoraphobie chez un
deg^n^r^ traits avec succes par la suggestion ». M. Mavroukakis
communique un fait semblable a la soci^t^ d'hynologie. M. Goro-
diche d^crit un cas de claustrophobic chez une femme de 38 ans
gu^ri par la suggestion ^. M. Milne Bramwell cite quelques cas de
phobies gu^ris par Fhypnotisme^. La conclusion de la these de
L. Faure sur les obsessions est que la a psychoth^rapie hypnoti-
que est le seul mode de traitement applicable avec lequel on
puisse obtenir des r^sultats s^rieux et durables ' ». Le dernier
travail de Bechterew r^pete encore a propos des obsessions et des
illusions importunes que la suggestion est le seul traitement
efficace*. On pourrait trouver dans la litt^rature beaucoup
d'autres declarations du meme genre.
Cette opinion soul^ve cependant une assez grave difficulte, qui
est fort bien indiquee par MM. Pitres et R^gis, c'est que les
obs^d^s v^ritables, les tiqueurs, les douteurs, les phobiques, ne
sont pas hypnotisables. a Depuis de longues ann^es, disent ces
auteurs, nous avons fait a cet egard de nombreux essais, et nous
pouvons dire qu*en dehors des cas d*obsessions se rattachant a un
I. Ladame, Revue de Vhypnotisme, 1890, II, 385, et Ibid., 1888, p. 129.
a. Tissi^. Semaine midicale, 1899, p. 397.
3. Gorodiche. Revue de Vhypnotisme, 1894. p. 53.
\. Milne Bramwell. Revue de Vhypnotisme, 1897, p. 49.
5. L. Faure. Thbse de Paris, 1898.
6. Bechterew, Des obsessions et des illusions importunes. ObozrSnii Psychiatryi,
f^vrier 1899. Cf. J. Douath, de BudfkPe^ih. Archiv. f. Psychiatrie, 1896. A. Voisin,
Emploi de la suggestion hypnotique dans certaiues formes d'ali^nation mcnlale.
Congrh de psychologic de Munich, 1896. Stadelman (do Wunburg), Sociite d'hypno-
logic, ao mars 1900, etc.
704 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
degre quelconque a un etat hysterique, nous n'avons jamais
r^ussi a suggestionner les obsedes, meme en ayant recours a des
precedes adjuvants, tels que la chloroformisation ^ » M. R^gis
avail d6ja ecrit ailleurs : « de Taveu general aujourd*hui, les
alienes hyst^riques sontles seuls hypnotisables et cela parceque,
en meme temps qu'ali^nes ce sont des hyst^riques ^. » Je ne
puis qu'approuver completement cette proposition, comme je Tai
indique ailleurs. Au point de vue theorique d'abord, Tetat
hypnotique qui avec Tanesthesie, I'amnesie, le dedoublement de
la personnalit^, le retr^cissement du champ de la conscience, les
actes subconscients, etc., resume tous les symptomes de Thys-
t^rie est en opposition complete avec les symptomes des psychas-
th^niques qui ne vont au terme d*aucun phenom^ne et n'ont ni
anesthesie, ni amnesic, ni dedoublement v^ritables ; j'ai fait a
plusieurs reprises cette demonstration dans mon premier travail
sur Tautomatisme psychologique et dans mes etudes sur Tetat
mental des hysteriques. Ensuite, au point de vue pratique, sans
idee pr^con^ue et avec un sincere desir de trouver par cette
methode un procede therapeutique, j'ai essay^ sur presque tous
les malades cites dans cet ouvrage et sur quelques-uns pendant
des ann^es cons^cutives d'obtenir le sommeil hypnotique et la
suggestion comme chez des hysteriques. On a vu les resultats
extr^mement mediocres auxquels je suis parvenu et je puis dire
comme conclusion de longues recherches que les obs^des, non
hysteriques, ne sont ni hypnotisables ni suggestibles.
Comment comprendre, s'il en est ainsi, les heureux resultats
du traitement hypnotique si souvent annonc^s? Sansdoute il doit
y avoir quelques malentendus sur le diagnostic : des tics, des
impulsions, des obsessions trait^es avec succes par Thypnotisme
doivent se rattacher a Thysterie. Dans d'autres etudes, il y a des
malentendus sur le sens du mot hypnotisme : les auteurs remar-
quent eut-memes que le sommeil a ete leger, la suggestion diffi-
cile et fragile; en un mot, nous nous retrouvons en presence de
cette confusion qui etait tres grave au debut des recherches sur
rhypnotisme et qui consiste a appliquer le mot hypnotisme et le
mot suggestion a n'importe quel phenomene psychologique.
Quoi qu'il en soit de ces malentendus, il n*en est pas moins
1. Pilres et Regis, op. cit., p. loi.
2. Regis. Hevue de Vhypnotisme, 1896, p. 827.
TRAITEMENT MORAL 705
vrai que beaucoup d'obs^des ont H6 s^rieusement ani^lior^s par
des pratiques analogues a celles de I'hypnotisme. J'ai observe le
fait plusieurs fois d'une maniere tout a fait convaincante. Claire
apr6s ces essais d'hypnose reste plusieurs heures n la tete vide
de mauvaises pens^es » ce qui est tres remarquable pour elle.
Xyb..., Bhu... (5/4), se trouvent niieux pendant quelque temps.
Lkb...,U... Jean restent dans un 6tat de calme qui dure plusieurs
jours. On observe le meme fait chez Pn... Bs... On... et chez
plusieurs autres. Cette influence se prolonge chez Dob... pen-
dant une dlzaine de jours et cette raalade qui depuis une
vingtaine d'annecs est incapable de faire quelques pas seule en
dehors de son appartement fait seule des excursions de plusieurs
kilometres quand elle a et^ suggestionn^e. La crise d'obsessions
sacrileges de We..., a 6t6 completement arret^e par des seances
de ce pretendu hypnotisme : les croix qu'elle croyait voir et
qu'ellecherchait a voir dans le ciel s'efTagaient quand elle pensait
a ce que je lui avals dit et elles ont fini par disparaitre. La
honte du corps chez Wye... a ete supprim^e depuis plus d'un
an. A la suite d'un traitement par les essais de sommeil hyp-
notique, les scrupules urinaires de Yor... ont completement
disparu et n*ont pas recommence depuis deux ans. Zo... est
debarrass^ de sa phobic des epingles et ce sont certainement des
stances d'hypnotisme qui ont permis d'avoir quelque action sur
I*esprit de cette jeune fille. Gisele conserve certainement son
aboulie, ses dispositions aux reveries ideates, quoiqu*elle ait fait
de grands progr^s comme activity reelle, mais elle a perdu sous
Tinfluence de cette suggestion « son id^e principale » c'est-a-dire
ses remords de vocation et elle peut de nouveau vivre avec son
mari et son enfant. Le casle plus interessant est celui de Lise, car.
cette malade a ete hypnotis6e regulierement depuis cinq ans.
J'ai moutr^ ailleurs qu'elle n'est jamais arriv^e a un ^tat hypno-
tique complet avec amnesic. Mais cette hypnose incomplete suiGt
pour produire un grand eHet sur ses interminables ruminations.
II y a pendant ce sommeil une sorte de lutte de la malade contre
ses idees : au d^but elle ne tolerait pas que je lui en parle, elle
s*6cartait de moi avec horreur si je faisais la moindre allusion au
diable, elle faisait des gestes de resistance desesp^r^. Puis elle
se calma, consentit a ecouter pendant cet etat la contradiction
et sembla mieuxcomprendre. Sous cette influence les id6es dimi-
nuerent, « elles restaient vagues, plus loin de son esprit, comme
LES 0BSB8810N8. I. — 45
706 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
s^par^es les unes des autres; les id^es ne se developpaient pas car
elle les sentait comme arret^es ». Cette amelioration etait visi-
blement en rapport avec la stance hypnotique, car si elle avait
fortement resist^ pendant la seance et m*avait mal ^coute, les
obsessions recommenQaient la semaine suivante, si au contraire
elle s'etait montree docile il y avait une semaine de r6pit que je
pouvais prevoir. Dans tons ces cas, comme dans les observations
que j*ai rapportees d'apr^s divers auteurs, Thypnotisme et la
suggestion out semble avoir un eflTet th^rapeutique des plus int^-
ressants.
Comme nous avons vu que Thypnotisme ni la suggestion n*oat
pas ^i6 complets ni r^els, il a dd se passer pendant ces stances
quelques operations psychologiques differentes de la suggestion
proprement dite et de I'automatisme hyst^rique qui ont amene
ces heureux r^sultats. Ce sont ces operations qu*il faut com-
prendre pour arriver a les reproduire si cela est possible d'une
mani^re plus directe.
3. — La direction morale^ la reponse a la question.
Une indication importante au point de vue de la therapeutique
morale d^coule en effet de Tobservation meme des malades ; on
ne saurait trop r^p^ter que la therapeutique doit suivre en effel
dans ces cas les indications fournies par la gu^rison naturelle. Les
malades se gu^rissent ou du moins se calment souvent en se sou-
mettant a quelqu*un, en acceptant ou mieux en cherchant une
direction morale. J'ai deja decrit un grand nombre d*exemples
ou le scrupuleux a trouve un ami ou une maitresse dont il est
devenu inseparable et auquel il obeit aveuglement. Le point sur
Icquel il faut insister maintenant c*est que cette direction qu'il
paye tres souvent du sacrifice de sa liberte et de sa personne est
Ires loin d'etre inutile pour lui. Sous cette influence il cesse
d'avoir des hesitations, des interrogations indefinies, car iltroave
aupr^s de son directeur la reponse suffisante. Son inquietude se
calme et les obsessions qui en derivaient s'efiacent. Sim...,
Tkm..., trouvent ainsi la guerison momentanee aupres d*un
amant^ Bs... aupres d'une maitresse, Er... aupres de son mari,
Lod...Ck...auprfes d'une amie, etc.
Si cette direction existait pour tons les malades et si elle pou-
vait durer indefiniment ils ne feraient jamais appel au medecin.
TRAITEMENT MORAL 707
Malheureusement elle se termlne, il arrive des circonstaDces qui
separentFy... ou Tkm... de leurs amants, Bs... de sa maitresse.
On se souvient de Taventure arriv^e a Ck... : une domestique
renvoy^e a faitcouiir dans la petite ville un bruit injurieux sur
les relations de ces deux vieillesfilles trop inseparables, et il a fallu
se separer. D'autre part le dirige s'inquiete de cette direction
qu'il a rendu de plus en plus etroite, il se fait des scrupules sur
les sentiments qui en ont ^te la consequence et il se figure qu*il
pent ^chapper a la tutelle. Enfin c*est le directeur qui se fatigue
du mdtier qu'il a accepte au d^but sans le connaitrc : la fatigue
survientd'autant plus vite qu'il vit pluspresdu malndc et qu'il est
incessamment soumis, commedisait M. J.Falret,au supplice de la
question. En un mot la crise existe soit parce que le malade n'a
pas trouv6 de directeur, soit pa^:ce qu*il Fa perdu.
II faut alors, pour suivrecette methode naturelle de guerison,
offrir au psychasthenique une direction en quelque sorte profes-
sionnelie et transformer en un metier accepts en connaissance de
cause la direction donn^e d*abord au hasard par des amateurs si
on pent ainsi dire. Cette profession singuliere a d'abord et tout
naturellement et6 exerc^e par les pr^tres des differentes reli-
gions. Les pretres ont connu la maladie du scrupule bien avant les
m6decins et la confession reguliere semble avoir ^te inventee par
un alieniste de g^nie qui voulait traiter des obsed(^s. Grace a
I'obligeance de M. Pi^ron qui a bien voulu faire cette recherche
pour moi, j'ai recueilli un grand nombre de passages des lettres
de Bossuet et de F^nelon qui se rapportent directement a notre
6tude et qui montrent avec quelle fermete ils dirigeaient leurs
malades. « Je vous assure, ma fille, ^crit Bossuet a M'°^ Albert
de LuyneSy que votre confession est tres bonne et tres suffisante,
une autre plus g^ndrale serait inutile et dangereuse a votre ^tat.
Vous ne devez pas avoir egard a ces dispositions oil vous croyez
avoir r^tract^ toutes vos resolutions pr^cedentes. Toutes les fois
que cela vous arrivera, il n'y a qu'a rejeter cette pensee comme
une tentation et d'aller toujours votre train. Je vous defends d'avoir
de rinquietude de vos confessions passees, ni a la vie, ni h lamort,
ni de les recommencer en tout ou en partie, a qui que ce soit,
fussiez-*vous a I'agonie. Ce ne serait qu'un embarras d'esprit qui
ne ferait qu'apporter du trouble et de Tobstacle a des actes plus
importants et plus essentiels qui sont Fabandon, Tamour de Dieu
708 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
et la confiance en sa mis6ricorde. Hors de cette confiance, il n*y
a que trouble pour les consciences timorees et surtout pour les
consciences scrupuleuses comme la v6tre'. »
Les lettres de F^nelon sont remplies ^galement de conseils « cen-
tre le scrupule enracin^ dans votre coeur depuis votre enfance et
pouss^jusqu'auxderniersexcesdepuistantd'ann6es*...<cyousdevez
tourner votre d6licatesse scrupuleuse contre vosscrupules memes,
est-il permis sous pretexte de rechercher les plus l^g^res fautes
de se troubler ainsi^... Les consciences scrupuleuses ont besoin
d^^tre pouss^es au dela de leurs bornes comme les chevaux r^tifs
et ombrageux. Plus vous h^siterez dans vos scrupules, plus vous
les nourrirez secretement ; il faut les gouverner pour les gu^rir,
plus vous les vaincrez, plus vous serez en paix^... Je crois que
vous pouvez vous confesser un de ces jours-ci, mais a la condi-
tion que vous bornerez votre confession a dire les fautes qui se
font remarquer sans peine et qu*apres les avoir dites simplement
selon la lumi^re que vous en aurez alors vous n*y penserez plus ^...
Le raisonnement subtil pour vous tourmenter vous-m^me est
pour vous comme le fruit d^fendu. Le scrupule ferme a Dieu la
porte de votre coeur*... »
II est bien probable que nombre de pr^tres reraplissent encore
cette fonction et je dols dire que quelques eccl6siastiques aux-
quels j'avais envoy^ des malades avec quelques recommandations
ont parfaitement compris le role que je leur demandaisde jouer.
Mais il est vrai aussi que bien des pretres montrent dans leurs.
rapports avec ces malades une ignorance et une indelicatesse
invraisemblables et sont assez sots pour raconter des ntaiseries
sur le diable a des pauvres esprits tourmentds par des obsessions
sacrileges. C'est un caractere de notre temps que cette oeuvre de
direction morale revienne quelquefois au m^decin qui est mainte-
i.^ (Mavres completes de Bossuet^ en la vol. in-8, ^il. Gamier, t. VIIl, p. 4aa.
Toute la correspondance de Bossuel avec cette p6nitente roulc sur la mdme question.
c*est-k-dirc sur les inquietudes et les scrupules ; les lettres r^p^tent sans ccsse les
m^mes formules, comme il convient avec ces malades, cf. p. S^g, 378, 4aa« 427.
/♦a8, 46a, 466, 549t 56i, 070, 673, 678, etc.
a. F^nelon, CEuvres, 6d. in-4, i844. T. IV, Lettres spiritueUes, p. 3a7.
3. Ibid., p. 49a.
4. Fenelon, OEuvres, p. a 58.
5. Ibid., p. a6a.
6 Ibid., p. 5oa. On Irouvera beaucoup de passages du m^me genre dans les
OEuvres de Fenelon, p. 337, 3a8. 335, 338, 348. 356, 357. 358, 366, 879. SgS, etc.
TRAITEMENT MORAL 709
nant souvent charge de ce role de direction morale quand le
malade ne trouve pas assez de soutien autour de lui.
Le m^decin peut assez facilement r^usslr dans ce role : il a au-
pres du malade une grande autorit^, il peut le menacer, lui par-
ler des consequences connues de sa maladie, de I'isolement qui
la termine ou de Tinternement que le sujet redoute, il peut lui
faire esp^rer un traitement, et Fordonnance medicale a encore dtt
prestige. Enfin le medecin ne vit pas d'ordinaire aupr^s du ma-
lade et ne peut pas etre harcel6 de questions continuellement^
aussi son autorite et son influence se conservent-elles plus long
temps.
Pour diriger ainsi ces personnes, le medecin doit d'abord leur
faire sentir qu'il s'int^resse a elles et qu'il les connait. II faut les
faire parler sur les details curieux de leur maladie, analyser ces
details devant eux en deyinant ce qu*ils n'ont pas dit, leur mon-
trer doucement que leur interpretation, qui constitue leur obses-
sion, n'est pas juste, etc. Puis quand on voit quails sont int^res-
sds, qu'ils sont heureux de trouver une personne capable de les
comprendre et de les plaindre sans se moquer d'eux, il faut leur
commander avec beaucoup de nettete et sans Tombre d'une hesi-
tation et il ne faut jamais revenir sur un commandement, [di-W
absurde. J'ai vu un medecin, avec d*excellentes intentions, provo-
quer une grande crise chez Jean parce qu'il hesitait entre deux
villes d'eau ou il voulait Tenvoyer et qu'il avait fini par laisser le
choix au malade.
« Dans la therapeutique de beaucoup d'etats psychopathiques
disait deja Legrand du Saulle, I'absolutisme autoritaire est une
necessite que le succes couronne frequemment et qui ne peut
nuire a personne \ Le malade se pr^te d'ailleurs tres bien a
cette direction autoritaire, il desire etre domine et cherche lui-
meme a grandir I'influence que Ton prend sur lui, « je cherche
toujours, me disait Gis^le a aureoler un pen celui qui me parle
pour le mieux ecouter ». Dans ces conditions, il n'est pas tres
difEcile de reussir au moins pendant quelque temps a devenir le
directeur de I'esprit du sujet. Ce n'est pas la guerison sans doute,
c'est plutot I'utilisationd'unsymptome. Maisc'est unprocede pal-
liatif qui est souvent fort remarquable.
I. Legrand du Saulle, Afjoraphobie, p. 78.
710 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
Pour r^usslr a calmer les malades par ces commaD elements et
ces* afllrmatioDS qu'on leur impose, il y a une certaine didiculte
qu'il Taut savoir surmonter ct en meme temps un proc^d6 qu'il
Taut bien connaitre. N*oublions pas que le psychasth^nique a
perdu la volont^ agissante et la croyance mais qu'il est loin
d'avoir perdu Tintelligence proprement dite. Quand il vient nous
dire que dans telle circonstance donn^e il ne sait que faire, ni
que croire, il ne Taut pas le prendre completement au mot. En
r^alit^, comnie il est intelligent, il sait fort bien quelle est Tac-
tion qui serait preferable, quelle est la croyance qui serait la plus
juste. II a presque toujours cette preference intellectuelle; mais
ce qu'il ne pent pas faire c'est r^aliser cette preference, « croire
sa croyance ou ogir son acte » comme me disait tres bien Qsa...
II en resulte qu'il ne faut pas faire a ces malades un commande-
ment quelconque ou leur imposer une affirmation quelconque. Si
notre commandement tombe en opposition avec le desir secret
du malade, cette contradiction ajoute a ses troubles au lieu de les
dissiper. Sans doute on pent souvent Timposer tout de meme a
force d'autorite et je crois meme qu'il ne faut pas dans ce cas
revenir en arriere. On perd son autorite quand on modifie ainsi
les commandenients et on donne au malade Texemple pernicieux
de Toscillation. Mais il est evident qu*il vaut mieux eviter cette
contradiction quand elle n'est pas necessaire. a Je ne veux pas,
disent les malades, etre traite comme un enfant a qui on impose
une idee ; je ne tiens pas du tout a ce qu'on me contredise, je
veux qu*on m'aide a agir mon acte, qu*on me pousse dans le sens
oil je veux aller ». Cela est tres juste et a moins de necessite, le
medecin doit ordonner au malade Tacte ou la croyance que celui-
ci avait deja congu intellectuellement comnie preferable.
Cette recommandation parait fort simple en theorie, elle est
cependant d'une application tres difGcile, car le malade se garde
bien de nous indiquer quel est Facte ou la croyance qu'il preffere.
Indiquer cet acte au medecin pour que celui-ci commande de le
faire, ce serait deja choisir cet acte efTectivement, ce serait deja en
quelque mani^re « agir cet acte )> et notre psychasthenique est pres-
que toujours incapable de pousser j usque-la la fonction du reel.
Aussi arrive-l-il chez son directeur non seulement en montrant
rindecision de sa volonte, mais en simulant une indecisionn
intellectuelle qui n'est pas dans son esprit. Plus il aura cache son
veritable desir, plus il sera heureux de le voir confirme, plus il
TRAITEMENT MORAL 7H
sera entrain^ a agir et a croire par une afBrmation qu'il croira
spontan6e. II en r^sultc que non seulement, le m^decin, avant de
commander, doit rechercher ce qui est juste dans le cas donn6,
raais qu*il doit encore deviner ce que pense son malade et deci-
der en consequence. Sauf dans des cas particuliers oil le sujet
tres malade n'a aucune id^e relative a Taction, le directeur doit se
borner a pr^ciser Tidee de Tacte, a en d^duire les moyens d'ex^-
cution, a en diriger la realisation. II doit faire en un mot ce que
le malade ne pent pas faire^ effectuer le passage de Tintelligible
au r^el. C'est alors surtout que son autoritd sera accept^e avec
reconnaissance et qu'elle rendra le calme au malade en supprimant
les derivations.
Sans doute, dira-t-on, ce proc^de ne pent pas reussir toujours,
et rinfluence d'un m^decin doit finir par s'user. Cette remarque
est tres juste, mais qu'importe ? J*ai deja vu une influence de ce
genre se conserver pendant des ann^es, pendant cinq, six et neuf
ans dans certains cas et si Ton procure le calme au malade pen-
dant toutce temps, ce n'est pasinsignifiant. Quand rinfluence sera
us^e, le malade trouvera un autre directeur de conscience et arri-
vera ainsi a traverser les p^riodes dangereuses de sa vie. II est
vrai que cette direction force le malade a revenir r^gulierement
a rtiopital : une infirmity permanente exige un traitement per-
manent. Nous ne sommes pas surpris de voir des malades qui ont
besoin d'etre sondes ou d'etre pansys tous les jours pendant
des annees ; il en est de m^me pour Tesprit et il vaut mieux se
faire gronder et commander tous les quinze jours que de perdre
la raison*.
4. — Le reles^ement de la tension psjchologiqtie, la reeducation
de I' emotion,
Les obsessions des psychasth6niques ne sont pas comme les
idees fixes des hyst^riques des systeraes isol6s qui se developpent
automatiquement en dehors du reste de la conscience, ce sont des
symboles, des expressions resum^es auxquelles le malade s^at-
tache d^une maniere permanente parce qu'elles expriment un etat
I. J'ai dcjk dccrit les caracicres cl les consequences de cette direction permanente
dans un travail prdc6dent: Nivroses et idees fixes, 1, chapitre \11, le besoin de direc-
tion, p. /laS.
712 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
permanent. II en r^sulte que le traitement ne pent pas se borner
a attaquer Tid^e elle-m6me qui a au fond peu d'importance et
que le sujet remplacera facileraent par une autre analogue, c'est
l*etat sous-jacent qu*il faudrait pouvoir modifier. Si on y parve-
nait, le sujet n*ayant plus rien a exprimer renoncerait de lui-
meme a son obsession, le traitement pr6c^deut ne se bornail
pas a nier Tobsession, il donnait au malade sur tous les points
un decision et une croyance ce qui supprimait en partie Tincom-
pl^tude et la derivation. Le succ^s n'^tait que partiel parce que
le malade sentait bien que la decision ne venait pas entierement
de lui-m6me et qu'en definitive il n*apprenait pas a parvenir lui-
m^me a cette decision.
Pour aller plus loin dans le traitement, pour attaquer le mal a
In racine il faudrait apprendre au malade a retrouver cette fonction
du reel qu'il a perdue. Le veritable traitement serait une reedu-
cation de la foncUon du reel. Or, la perte de cette fonction est
en rapport avec un abaissement de la tension psychologique, ce
quMl faudrait done en definitive ce serait relever la tension du
systfeme nerveux central et par consequent la tension psycholo-
gique. Nous ne savons pas encore relever directement cette ten-
sion ; mais, en etudiant les oscillations du niveau mental, nou&
avons vu un certain nombre de conditions qui agissent sur elle
d'une maniere favorable. Le traitement doit s'efforcer de tirer
parti de cette observation et de chercher a reproduire artifi-
ciellement ces conditions excitantes.
Une des plus int^ressantes de ces conditions est T^motion, non
remotion vague et elementaire qui a son dernier terme constitue
Fangoisse de la phobic, mais Temotion plus precise en rapport avec
les circonstanccs et bien appreci^c consciemment par le sujet.
Parvenir a determiner des emotions de ce genre chez lespsychas-
theniques, c'est un des plus remarquables moyens de traitement.
Deja la premiere visite chezle medecin, Texamen fait d*une maniere
qui etonne le sujet en lui montrant que sa maladie est bien con-
nue, la demonstration qu*on lui a faite que son etat est une ma-
ladie et non un etat diabolique ou un remords moral et que cette
maladie est en general curable, tout cela a determine une emo-
tion heureuse et a fait remonter le niveau mental. C*est pourquoi
presque toujours le malade est ameliore pendant les jours qui
suivent la premiere visite chez un medecin nouveau.
Dans les succ^s obteuus par les seances d'hypnotisme, il est
TRAITEMENT MORAL 713
bien probable qu'une grande part doit Mre attribute a la in6me
cause, r^motion. Le sujet desire rhypnotisme et il en a peur : il
se figure qu'il va se passer des choses extra vagantes. 11 lui faut du
temps et des preparattfs pour qu^il se decide a affronter une opera-
tion aussi grave. Si le m6decin par ses commandements et par ses
encouragements est arriv^ a le decider, c'est comme s*il Tavait
ameneafaire une action tres difficile et le sujet a en plus Temotion
de la difficult^ vaincue. II est content de lui pour s'^tre decide a
commencer un traitement aussi s6rieux, de la une oscillation en
hauteur qu'il est inutile de rattachera la suggestion hypnotiqueet
qui s'explique tres facilement par Teffet excitant de Temotion.
Puisque nous conuaissons ce m^canisme, il Taut en tirer le
maximum d^effet. Quand nous voulons hypnotiser une hysterique,
nous prenons toutes les precautions possibles pour lui presenter
rhypnose comme tres insignifiante, car nous ne desirous pas I'ef-
fet ^motif et nous redoutons une crise convulsive. Avec le psy-
chasth^nique il ne faut pas trop prendre ces precautions ; le
malade ne verra que trop UM combien Thypnotisme est chez lui
insignifiant, il faut au contraire lui montrer ce traitement comme
important et preparer son emotion.
Quand on counait cette valeur de Temotion, il faut chercher a
la produire de toutes mani^res m6me en dehors de ces stances
d'hypnotisme. Malheureusement il n*y a guere pour cela de pro-
ced^s techniques a indiquer et le succ^s depend beaucoup de
Thabilete individuelle. II faut deviner le point qui est encore
reste sensible chez le malade et agir sur ce point pour determi-
ner des emotions reelles. Chez les uns il faut se servir de Taffec-
tion,. de la sympathie, chez les autres de la honte ou de la
crainte. Lise a cache sa maladie a une partic de sa famille, on
obtient beaucoup en lui faisant entrevoir que sa maladie mcntale
va etre connue de tons, en lui faisant peur de Fasile de fous :
« c^est desolant, dit-elle, quand elle se sent transform^e par ces
menaces, je n^agis que par la peur ». Claire est sensible a Faffec-
tion, il faut la traiter avec douceur, lui montrer qu*elle n'est pas
iiussi isolee qu'elle le croit; si on parvient a la faire pleurer, elle
est guerie nu moins pour quinze jours. Erasme Darwin reclamait
pour les malades tourment^s par une obsession amoureuse \( Tc-
motion du saut de Leucade^ »; ce serait pent- etre un peu excessif,
1. £rasinc Darwin, Zoonomie, IV, p. 9a.
714 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
mais il faut leur recommander tout ce qui les excite et determine
chez eux une Amotion.
On peut s'6tonner que le m^decin r^ussisse par son attitude, par
sa parole, a determiner des Amotions intenses, tandis que les
<^venements reels qui devraient avoir bien plus d'influence sur le
nialade le laissent indiff(6rent. On peut demander surtout com-
ment cetle Amotion d^termin^e artificiellement peut ^tre utile au
malade, tandis qu'il souffre d'ordinaire d'une emotivite excessive
qui rend les autres Amotions dangereuses. C'est la difference de
Tart et de la r^alite, Tart est capable de determiner des Amotions
plus fortes que la r^alite elle-meme et surtout des emotions
mieux adapt^es et plus elev^es. Voici une observation qui m'a
beaucoup frappe et qui me parait fort instructive. Af..., jeune
homme de 28 ans, d^ja neurasth^nique et engourdi, indifferent a
tout si ce n'est a ses preoccupations hypocondriaques, s'est
trouve mele a une triste aventure. II est entre le premier dans la
chambre d'un voisin qui, a la suite d'un delire^ venait de se
pendre. Af... connaissait ledesir de suicide de ce voisin et sa
triste situation, il s^attendait a ce suicide comme les autres per-
sonnes de la maison, aussi resta-t-il tres indifferent. II coupa la
corde, etendit le cadavre sur le plancher et sortit tr^s calme,
sans aucune emotion. Toute la journee suivante, il continua a ge*
mir sur son propre sort et sur ses maladies imaginaires sans se
preoccuper une seule fois du triste spectacle qu'il avait vu le
matin. Le lendemain, il lut dans le Petit Journal Ic recit de ce
suicide : le journaliste avait decrit la chambre en desordre, ia
corde fatale, la figure convulsee du malheureux et son recit etait
tres dramatique. Af... fut stupefait en lisant cet article : c< Com-
ment c'etait la la scene a laquelle il avait assiste la veille le pre-
mier de tous, il ne se doutait pas que ce fiit si affreux. » Cette
lecture Timpressionna d'une maniere tres vive, lui enleva sa tor-
peur, le rendit plus actif et lui fit oublier pendant plus de deux
mois son hypocondrie. Ce petit exemple montre d'une maniere
saisissante comment les psychastheniques ont besoin qu'on les aide
pour parvenir a Temotion precise et comment il est possible de
les aider dans ce sens.
Le medecin ne se borne pas a exciter Temotion, il la dirige
et la developpe ; il en surveille les manifestations pour arreter et
empecher les derivations. C'est une veritable reeducation de
remotion qui cherche a substituer aux ruminations, aux agita-
TRAITEMENT MORAL 715
tions, aux angoisses ^I^mentaires des Amotions hi^rarchiquement
superieures. Le malade doit se prater a ce travail et, quoique cela
semble singulier, faire des efforts pour arriver a des emotions
precises.
5. — La direction des efforts^ la reeducation de ['attention,
Je viens de dire que le malade doit faire effort. II ne faut pas
«e (igurer, en effet, comme on le croit trop souvent et comme les
sujets sont les premiers a le croire, que la volont6 personhelle
du malade soit sans action sur ces phenomenes dont on a tres
mal compris a mon avis la pr^tendue irr^sistibilite. Les obsd-
dds ont beaucoup plus d'action sur leur maladie que n*en ont
les hysteriques pr^cisement parce quMl y a chez eux beau-
coup moins d^automatisme. En ^tudiant les oscillations du niveau
mental nous avons vu cette influence considerable des efforts dc
la volonte et de Tattention, il Taut encore faire servir cette in-
fluence au traitement.
Dans des cas particulierement heureux et rares, il suffit de
faire comprendre au malade quelle est au fond sa maladie et com-
ment il pent en sortir. La gu^rison deWy..., jeune homme de
120 ans, apres une simple indication de ce genre, m'a caus^ une
reelle surprise. Ce jeune homme est venu me raconter ses mi-
seres : depuis plus de cinq ans il etait accable par des scrupules
genitaux insens^s. Tourment^par la pens6e des organes genitaux,
il croyait les voir chez les hommes et chez les femmes, il s^ima-
ginait assister a des scenes lubriques meme dans sa famille et it
prenait en horreur son pfere et sa mere. Effray^ par ses propres
organes, il leur trouvait une grosseur, une odeur toute particu-
Here que tout le monde devait remarquer ; il avait pris peu a
peu une foule de tics qui primitivement avaient pour but de
dissimuler ses parties et qui amenaient des contorsions perp^-
tuellcs du tronc et des jambes. Je lui expliquais ce que je
pensais de cette maladie, son point de depart dans le d6faut
d'^nergie de Tattention et de la volonte, la perte du contact avec
le r^el, la reverie et la rumination, Tinquietude et le m<5conten-
tement, puis une interpretation quelconque qui donnait un pre-
texte aux ruminations et auxangoisses. Apres avoir r^flechi, ilfinit
par me dire : « II y a longtemps que je me doutais de tout cela,
mais j'ai fini par ^carter cette idee, d'abord parce qu'onm'a rep^t^
716 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
que j'^tais neurasth^nique et puisque parce que cette idee m*au-
rait impose des efforts p^nibles. » En raison de sa situation, ce
gargon ne pouvait suivre un traitement r^gulier et je ne Tai revu
qu'un an apres. « En vous quittant, me dit-il, j'ai voulu gu^rir et
je me suis mis au travail : cela a H6 dur, mais j'ai r6ussi et depuis
plus de six mois je ne pense plus du tout a mes b^tises ». II se
pent qu'il y ait plus tarddes rechutes, c'est m^me probable ; mais
cette gu^rison d*une longue crise par les efiorts du malade seul
et livre a lui-meme est bien remarquable.
Le plus souvent, il nous faut diriger et exciter perp6tuelle>
ment Teffort du malade, dans quel sens doit-on le diriger ?
D*abord, je ne crois pas que Ton doive pousser le sujet a lutter
directement contre son id^e fixe, il n*arriverait qu*a des rumina-
tions semblables a celles qu'il fait depuis longtemps. II faut
redouter ^norm^ment les efforts faux^ les crises d*efforts qui ne
sont que de I'agitation physique et morale sterile, qui ne sont que
des derivations, et non de la veritable tension mentale. II faut
amener le sujet a faire des efforts physiques ou moraux quel-
conques en dehors du sujet ordinaire de leurs meditations, en ne
se proposant qu'un seul but qui est de se rapprocher du reel au-
tant que possible.
L^effort pour un exercice physique est excellent, j'ai deja si-
gnals quatre maladcs gu^ris pendant plusieurs annees par les
exercices militaires aussi bien que par la discipline du regiment.
Le jardinage, la bicyclette chez Bov^..., les travaux du manage
chez Al..., la gymnastique chez beaucoup ont eu d*excellents
effets ; voici plus de dix ans que j'ai eu Toccasion de gu^rir des
tics physiques aussi bien que des tics moraux en for^ant le ma-
lade suit a maintenir Timmobilite, soit a faire des mouvements
precis, des actes physiques energiques ou delicats avec attention
et avec effort. II se peut comme le ditM. Lagrange, que la gym-
nastique permette a ces malades d^eliminer leurs toxines ', il est
possible qu'elle contribue a Taugmentation du tonus muscu-
laire, element important de la coenesthesie comme le remarque
M. Hartenberg^. Mais a ces influences physiques s*ajoute une
influence morale ^normc, qui joue un role infiniment plus consi-
1. Lagrange, Lti mouvements methodiques et la mecanotherapie, 1899, .p. 4t^
(Paris. F. Alcan).
2. Hartenberg, Les timides et la Timidite, p. a33 (Paris F. Alcan).
TRAITEMENT MORAL 717
durable et qui est en rapport avec Texercice de Tattention, avec
le sentiment de l^^nergie morale d^pens6e utilement, avec le sen-
timent du danger surmont6. M. C. Th.Ewart dans un article
curieux avait d^ja remarqu^ « les bons effets du velocipede dans
(^alienation mentale ^ ». Mais il ne parle que de la distraction
que cet exercice procure. Quand j'ai remarque a mon tour les
bons eflets de Texercice de la bicyclette chez les obs^d^s, chez les
tiqueurs ou les angoiss^s, j*ai note que ce bon efiet se manifeste
surtout au d^but, quand ils commencent cet exercice et n'y sont
pas encore trop habitues ; je crois que cet exercice vaut surtout
par TefiFort d'attention qu'il exige, par la difficult6 qu'il faut
vaincre et par la satisfaction d'avoir traverse un petit danger qu'il
procure a ces timores.
En dehors des efforts physiques proprement dits, il faut exci-
ter tons les efforts moraux, en premier lieu il faut essayer de res-
taurer graduellement le travail et surtout le travail professionnel.
M. Marro a ecrit quelques pages remarquables sur Tinfluence du
travail et surtout du travail remunere chez les neurasth6niques
deg^n^r^s '. Arriver a leur faire gagner quelque chose par leur
travail personnel, c'es^t souvent determiner chez eux une excita-
tion extraordinaire de la volonte. On ne se figure pas ce que Ton
pent obtenir de Jean, en lui faisant faire, pour une revue, un
petit compte rendu paye quelques sous : il est si heureux de
gagner quelque chose qu'il en oublie la meningite et le diabete.
Un autre effort essentiel doit etre dirige vers les actions so-
ciales, si importantes chez les abouliques. II faut arriver a faire
parler les malades renferoies, les habituer a exprimer leurs pen-
s^es et surtout a d^m^ler leurs sentiments confus pour en faire
part a d'autres personnes. Plusieurs auteurs ont justement note
Tamelioration que presentent les malades quand ils r^ussissent a
se faire comprendre : M. A. de Jong', M. Tuczek* remarquent
combien Faveu precis est pour les obs^des un soulagement,
M. Claparede^ est etonne de voir que sa malade ereutophobe gu^rit
1. C.-Th. Ewart, Le v^locipMe dans ralienation mentale. Journal oj mental
Science f juillet 1890.
a. Marro, La puberte, p. 4o3.
3. Ariedc Jong. Coinptes rendus du Congres de medecine de AIoscou, 1887, IV, p. gO.
4. Tuczek. Berlin. Klin. Woschenschrift, 1869, p. 119.
5. Claparedc, Archives de psychologie de la Suisse Romande, 1903, p. 33o.
718 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
quand elle a racoute son histoire. Kl..., Claire sont tout a fait
transform^es quand on est arriv6 a les faire parler nettement. II
est clair que cette meme parole ne ferait aucun bien a Jean qui
parle toujours indeGniment, tandis qu'il est am^lior^ par u[>
effort de travail. II faut toujours demander au malade ce qui n'est
pas chez lui un ph^nom^ne de derivation, ce qui lui est difficile^
nBn de determiner un effort qui remonte la tension morale.
Le defaut d'attention joue dans cette maladie un role essentieU
c'est contre lui que Ton doit surtout diriger les efforts du malade.
M. Edw. D. Angell le remarque bien quand il dit que « le traite-
ment doit etre avant tout dirige de mani^re a d^velopper le pou-
voir de Tattention * ». Voici bien des annees que j'insiste sur cette
reeducation de Tattention chez les hyst^riques et chez les psy-
chasth^niques.
On pent choisir toute espece de travaux intellectuels suivant
Tage et la situation sociale des malades, en cherchant toujours a
faire faire un travail qui interesse au moins un pen et qui offre
un peu de difficulte pour qu'il ne soit pas fait d*une maniere au-
tomatique. II ne suflit pas de faire lire le journal d'une maniere
distraite, je crois n6cessaire au moins dans ces cas graves de faire
surveiller sans cesse cette lecture et de faire interroger le ma-
lade au bout de peu d'instants sur ce qu*il vient de lire, pour le
forcer a suivre et a comprendre ce qu'il lit. En g^n^ral, dans des
cas de ce genre, il ne faut pas prolonger les premiers efforts
d*attention au dela de quelques minutes. Kl... dirigeait son
attention sur la musique et si elle parvenait a surmonter Tener-
vement que la musique lui causait d'abord, c'est-a-dire si elle
parvenait a supprimer la derivation qui se produisait au debut des
efforts d'attention, elle se trouvait ensuite beaucoup mieux. Nadia
trop musicienne pour faire des efforts sur son piano s'interessa
au dessin et a la broderie et retrouva souvent le calme d*une fa-
con bizarre en apprenant a faire des travaux difficiles a Taiguille.
Le dessin et la peinture ont ete la grande ressource de Claire et
de Vi... L'etude des langues etrangeres ont rendu de grands ser-
vices a Gisfele, a Lise, a Bow..., a Pot..., etc. Ces travaux ne
s'accomplissent en general d'une maniere a peu pr^s correcte que
pendant tres peu de temps, puis il faut que le mddecin parle de
nouveau au sujet, le gronde, Tencourage, fixe lui-m^me Tatten-
1. £dw. B. Angcll. Journal of nervous and menial disease, bqM 1900.
TRAITEMENT MORAL 7il)
tion sur les mouvements, sur les sensations, sur le souvenir des
choses qui viennent d'etre ^tudiees, niaintienne le sujet en ha-
leine et le remonte : Texpression devient ici tout a fait juste.
Si la maladie est l^gere, le sujet prend Thabitude d'etre ainsi
remonte, de se maintenir a un niveau plus ^lev^ ; Tabaissement
mental disparait et avec lui les agitations et les obsessions. Si
la maladie est constitutionnelle, si elle est grave, le sujet se fa-
tigue de cet effort perp^tuel, il ne peut plus le faire sans
retomber dans ses tics et ses ruminations, nous avons vu com-
ment Lise est fatigu^e d'allcr bien, comment elle cprouve des
besoins de rechute : « cela me fatigue trop de lire, sans avoir une
autre id^e en tete, je ne puis plus continuer ». Ces sujets ont
toujours besoin d'etre remontes par des excitations diverses, des
Amotions varices et le role du m^decin se rapproche de celui du
directeur de conscience qui se borne a donner les solutions, a
supplier a la volonte insuflisante. Autant que possible, il ne faut
pas se contenter de ce role, il faut, en repondant aux questions,
en dissipant les inquietudes, essayer chaque fois d^exciter Tacti-
vite du malade, de la rapprocher du r^el. De cette fagon, on le
maintient a un niveau moyen beaucoup plus ^lev^ que celui qu'il
aurait spontanement, et on enraye le developpement de la ma-
ladie dans sa tendance la plus funeste, celle qui entraine vers
Tinertie et Tisolement.
Je crois que c'est a cette forme de traitement que se rappor-
tent, quelquefois m^me a Tinsu des auteurs, la plupart des pro-
c6d6s th^rapeutiques qui ont eu quelque succes. Nous avons vu
que la stance d*hypnotisme agissait au d^but chez Tobs^de par
r^motion qu'elle determine ; elle agit ensuite et plus encore par
Teffort et Tattention qu'elle demande. On exige du sujet qu'il
reste immobile, les yeux ferm^s en cherchant le sommeil : le su-
jet, qui ne s'endort pas du tout automatiquement comme Thys-
t^rique, fait tout cela par ob^issance, parce qu*il croit au traite-
ment, c*est pour lui un gros effort. On lui demande ensuite, sous
pr^texte de suggestion, des mouvements, des attitudes plus ou
moins prolong^es, et il essaye de les r^aliser : Tattention et Tef-
fort sont d'autant plus grands qu*il se figure faire des mouvement
d'un caractere extraordinaire, qu'il surveille ses muscles plus que
jamais. Lise, comme je Tai dit, se trouvait fort am^lior6e par des
contractures sugg^r^es : en r^alit^ ces pretendues contractures
720 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
«taient de grands efforts qu*elle faisait pour raidir ses membres et
meme tout son corps. « C*est singulier, disait-elle, pendant qne
vous me suggerez des tremblements ou des contractures, je ne puis
plus suivre mes idees (ruminations sur le sacrilege), elles cessent
<le me tourmenter, tandis que pendant mes roouvements ordi-
naires elles continuent toujours ». Bien entendu, ses idees cessaient
parce qu^elle se donnait tout entiere a un efibrt gymnastiqae
intense qui la mettait en sueur, parce qu'elle s'elevait assez aux ph^-
nom^nes sup^rieurs pour quMl n'y eiit plus de derivations. On sug-
gereaussi au sujetdes hallucinations, des reves et, comnie ceux-ci
se d^veloppent pas tout seuls, il faut encore un effort intense d*ima-
gination etsurtout d'attention qui amene la meme tension et releve
le niveau de Tesprit. Lise et Claire sont transform^es par les efforts
qu'elles fontpour avoir Thallucination d'une rose, c'est-a-dire tout
simplement pour se la repr^senter d'une maniere nette et reelle.
Enfin, pendant cette pr^tendue hypnose, on dirige Tattention sur
des id^es et Ton force le sujet a les comprendre beaucoup plus
clairement qu*a Tordinaire. En un mot,jecrois que le m^canisme
du traitementpar Thypnose dans ces cas de psychashenie n'estpas
autre chose que Texcitation de Tattention, la direction et la ree-
ducation de la volont^ : il en est peut-etre quelquefois de meme
dans rhyst^rie mais plus rarement, car ici d*autres mecanismes
s^ajoutenta celui-la.
Certains auteurs proposent un traitement qui, au premier
abord, 6tonne un peu. M. Tissi<i nous dit qu'il gudrit des obses-
sions et des phobies par la gymnastique su^doise^ M. Thuli^ pro-
pose tres justement de discipliner les jeunes d^g6n6r6s en les
habituant a la gymnastique d'ensemble^. M. Pitres et M. Tissi^
pr6sentent un malade psychasthenique avec des tics et des toux
spasmodiques gu^ri par la gymnastique m6dicale respiratoire ^
11 est bien entendu que la gymnastique n*agit pas ici directement
mais indirectement par les influences que je viens d^indiquer.
L'interpr^tation des effets th6rapeutiquesa sembl^ quelquefois
1 . Tissie, Traitement de quelqucs phobies par la gymnastique su^oise. CongrH
■des alUnistes et neurologistes. Bordeaux, aoM 1896.
2. M. Thulie, Le dressage dei jeunes degeneres on orthophrenopedie, 1900 (Paris,
F. Alcan).
3. Tissie, Clinique de gymnastique midicale psjchodynamique, 1899. ■^* P*tres, Tict
eonvulsifs generalises (choree electrique de Bergeron -Henoch, Electrolepsie de Tor-
deus ou n^vrosc convulsive rylhmce de Guerlin), traitcs et gueris par la gymnastique
rcspiratoire. SocietS de medecine et de rhirurgie de Bordeaux, at d^cembre 1900.
TRAITEMENT MORAL 721
plus delicate a propos de certaines tentalives tres interessantes de
gu^risons des tics. Trousseau proposatt pour guerir les tics (c une
gymnastique ordonnee des muscles aifectes de convulsions ». Char*
cot^ parle « d*une gymnastique rationnelle ». M. Letulle reclame
une gymnastique sp^ciale en remarquantd'ailleurs « qu*il faut main-
tenir le moral, soutenir le courage et les efforts du patient' ».
M. Brissaud dans un grand nombre de travaux', M. Bom-
paire*, M. Popoff^ M. P. Montaigne* MM. II. Meige et E. Fein-
del ^ ont pr^conis^ un traitement en apparence plus precis par
(( la reeducation de Timmobilite etles mouvements antagonistes ».
Plusieurs de ces auteurs semblent croire que ce traitement gym-
nastique agit directement sur le tic qu'il s'agit essentiellement
d*un traitement des muscles ou de la fonction nerveuse pro^
prement motrice.
M. Dubois (de Saujon) a poursuivi depuis 1896 avec le plus
grand soin le traitement de quelquestiqueurs. Ildresseces malades
a rester absolument immobiles pendant un temps determine', il
obtient des gu^risons remarquables et remarque que les phobies
s'ameliorent en meme temps que les tics. M. Dubois ne cherchc
pas les mouvements antagonistes, il ne cherche que Teffort d'at-
tention vers « Timage du repos, de Timmobilite absolue, mais de
rimmobilite consentie, \>oulue ». Comme Tauteur le remarque
aimablement, cette interpretation se rattache a la conception que
nous soutenons depuis longtemps de Timportance des exercices
de Tattention chez les nevropathes. A mon avis, ces traitements des
tics, qu'il s'agisse de la gymnastique generale, d*un exercice des
mouvements antagonistes, de la reeducation de Timmobilite,
I. Charcot, Lemons du mardi, 1888-89, p. ^69.
a. Letulle, article « tics » du Dictionnaire de Jaccond.
3. Brissaud, Tics el spasmes cloniques de la face. Lemons k la Sal|)^tri&re, 8 dc-
cembre 1898. Journal de medeeine el de chirurgie pratiques, a5 Janvier 1894. —
Contrc le traitement chinirgical du torticolis mental. Revue neurologique, 3o Jan-
vier 1897.
4. Bompaire, Le torticolis mental. These, Paris, 1894.
5. Popofl*. Le torticolis psychique. Revue neurologique , 1900, p. 392.
6. P. Montaigne, l^tude sur le torticolis mental et son traitement. Thtse, Paris.
1900.
7. E. Feindel, Le torticolis ct son traitement. Nouvelle Iconographie de la Salpe-
triire, 1897, n® 6. H. Meige et E. Feindel, Traitement des tics. Presse midicale,
t6 mars 1901. Gazette des hdpitaux, 11 juin 1901. Journal de midecine et de
chirurgie pratiques ^ a5 ao6t 1901.
8. Dubois (de Saujon). Societe de therapeutifjue, 27 mars 1901.
LES OBSESSIO.NS. I. 46
722 DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
r^ussissent tous ^galement bien, mais a une conditioD, c^est que
le medccin par son autorite, par son influence r^ussissea obtenir
du sujet des efTorts volontalres, de Tattentiony des Amotions
meme, en un mot de Tadaptation a une situation donn^e. C'est
toujours en r^alit^ la meme gymnastique fondamentale.
Si nous passons aux traitements de Tobsession proprementdite,
nous voyons qu^autrefois on conseillait souvent les voyages, les
distractions. Ce proc^de ne me parait pas toujours bon : souvent
le psychasthenique est trop malade pour tirer un benefice d'un
voyage, il est incapable de percevoir des objets et des situations
trop varices, on risque de determiner simplemcnt par ce proc6d^
de la fatigue et une augmentation de Tabaissement mental. Mais
quand ce proc^d^ r^ussit, c*est que le sujet l^gerement atteint
a ^t^ excite par la nouveaut^ des spectacles et a pr^t^ aux choses
une plus grande attention.
Legrand du Saulle^ note Tinfluence heureuse du travail intel-
lectuel, de la recitation de morceaux appris par coeur. Azaoi *
remarque Timportance « d'une occupation quelconque qui est
une des n^cessit^s de Texistence. Faute d'aliments, Tesprit hu-
main se d6vore lui-m^me ». Cette therapeutique par le travail
mental ^chouera ou r^ussira suivant la fagon dont elle sera com-
prise, elle n'a de valeur que par Teffort qu'elle exige pour tendre
Tattention.
Legrand du Saulle ^ parle aussi a plusieurs reprises de malades
gu^ris de leurs phobies en les aguerrissant peu a peu contre la
peur de Tespace. Cette therapeutique qui habitue le malade a
lutter contre son Amotion a ete reprise r^cemment par MM. Harten-
berg et Valentin *. Je crois que c'est toujours au fond le meme
traitement dirig^ suivant les preferences des auteurs dans tel ou
tel sens; je remarque seulement qu*il n*est gu^re possible de de-
mander tout de suite au malade des efforts contre sa phobic
principale. On risque de n'obtenir ainsi que des phenomenes de
derivation. Apres une education plus generate de la volonte et de
Tattcntion, cette lutte contre la phobic deviendra une gymnas-
tique excellente et facile.
En un mot, tons ces divers traitements rentrent dans ce que
I. Legrand du Saulle, La Folic du doule, p. ii.
a. Azam, Les toques. Ftevue scientifique, 1891, L p. 6a i.
3. Le^'rand du Saulle, Agoraphobic, p. 68.
4. P. Valentin, Revue dc psychologic clinique et Ihirapeutique, mai 1901.
TRAITEMENT MORAL 723
M. Bernheim appelait tres bien entrainement suggestif actif, dy-
namog^nie psychique^ ; ils ne sont que diverses formes de cette
th^rapeutique que jedecrisdepuis une dizaine d*ann^es comme la
reconstitutioD graduelle des fonctlons de synthese mentale. Je
crois Tavoir encore pr^cis^e dans ce livre par les Etudes sur le
r6tablissenient de la tension psychologiquesuffisante. Ajout^e aux
traitements physiques et moraux precedents, combin^e avec
une direction morale qui supprime les complications et qui facilite
la tache du malade, cette excitation mentale par T^motion, les
efforts de volont^ et Tattention est la meilleure th^rapeutique que
nous puissions actuellement diriger contre la maladie des obses-
sions. EUe a sans doute de gros inconvenients : elle est lente et
pent durer des ann^es, elle est plutot une education qu'un traite-
ment medical, elle est peu precise et laisse ^norm^ment a Tinitia-
tive du m^decin, elle exige de celui-ci beaucoup de temps et un
effort ^norme d'^ndrgie que ne peuvent s^imaginer ceux qui n'ont
pas essay6 de Tappliquereux-memes. Mais elle est la seule th6ra-
peutique qui puisse aujourd'hui modifier d*une fagon heureuse
quelques-uns de ces esprits insuffisamment adapt^s a la vie prati-
que. II faut esp^rer que plus tard des traitements plus efficaces
pourront agir directenient sur la tension nerveuse insuffisante dont
nous ne savons encore aucunement ni le m^canisme, ni les con-
ditions.
I. hernhcim, Revue de inedecine, 1898.
CONCLUSION
LA PLACE DE LA PSYCHASTHfiME PARMI LES PSYCHO-NfiVROSES
Je n'essaye pas de refaire Thistorique complet des Etudes sur
ces etats psychasth^nlques. Cet historique est fait d*une maniere
interessante dans plusieurs travaux, en particulier dans les arti-
cles de M. Ladame ^ Je rappelle seulement que la premiere
observation se trouve dans les oeuvres d^Esquirol, sous ie nom de
monomanie raisonnante', puis que les observations s*accumulent
dans les travaux de Parchappe, de Tr6lat, de J. Moreau (de
Tours), de C. Pinel, de Baillargcr, des deux Falret, de Dela-
siauve, de Morel, de Marce. A partir de i860, les Etudes devien-
nent bien plus nombreuses et il Taut aussi signaler des travaux
etrangcrs, ceux de Griesinger, de Westphall, de Cordes, de
S. Weber, etc. Legrand du Salle, puis M. Ritti dans un article
du dictionnaire encjxlop^dique, r^sument les travaux de ces divers
auteurs et inaugurent la p6riode contemporaine dans laquelle ce
syndrome est bien connu et dans laquelle les recherches seront
dirig^es du c6te de Tinterpr^tation. J*ai deja etudie les diverses
theories qui furent pr^sent^es, la theorie intellectuelle, la theorie
<^motionnelle, et la theorie psychasth^nique ou la theorie de Tabais-
sement de la tension psychologique. Ce que je desire ^tudier
maintenant chez ces auteurs, ce ne sont plus les interpretations
psychologiques ou pathogeniques, ce sont les interpretations
m^dicales et la place qu'ils attribuent a ces troubles dans la patho-
logic.
En me placant a ce point de vue il me semble que ces etudes
ont parcouru deux phases diflerentes ou plutot que les patholo-
gistes se sont pos^ successivement deux problemes un peu diflfe-
I. Ladatue, Ann. med. psych., 1890, H, 890. Rnme de Vhypnoi., 1891, p. i3o.
a. EsquiroU OEavres, i838, II, p. 63 ; I, p. 36i.
L'UNITfi DU SYNDROME 725
rents. Dans une premiere p<§riode on envisage d*abord le pro-
bleme de Tunit^ du syndrome, puis dans une seconde le pro-
bl^me de sa nature au point de vue medical.
i. — L'unitS du syndrome.
Dans la premiere p^riode les observations recueillies isol6ment
semblent des curiosit^s extremement varices. Les observateurs
sont surtout frapp^s par les c^normes differences que pr^sentent
au premier abord un obs^d^ qui a des remords, un douteur qui
s'interroge sur la raison d'etre du monde, un impulsif homicide,
un agoraphobe ou un 6reutophobe. C'est la p^riode de la multi-
plicity, et chaque auteur d^couvre sa manie ou sa phobic : il y
en a bientot un nombre invraisemblable et le besoin de mettre
quelque unite dans ces interminables description se fait sentir.
Les premieres tentatives d'unification sont assez incoordonn^es :
on etablitle groupe des monomanies four tous les symptomesintel-
lectuels, tantot on les reunit avec les d^Iires systematis^s comme
Marc^, 1862, qui confond le d6lire du toucher avec le d^lire de
persecution, tantot comme Delasiauve, i85g, on distingue ces
« pseudo- monomanies » des folies systematis^es. On essaye,
comme Parchappe, i85i, de r^unir quelques-unes des phobies
avec le groupe vague des hypocondries. Morel, en 1861, forme
un groupe avec tous les ^motifs. Berger, Griesinger, Falret,
Legrand du Saulle cherchent a constituer un groupe en r^u-
nissant la folic du doute avec le delire du toucher, il en fait
« une alienation partielle avec crainte du contact des objets
exterieurs » ; la meme opinion est adoptee par Falret. Cette ten-
tative etait particulierement interessante, car elle r^unissait les
symptomes intellectuels de Tobsession et les symptomes ^mo-
tionnels de la phobie, et cherchait meme avec une singuliere
exag^ration a etablir la succession reguliere des phenomenes.
Plus tard MM. Ritti, Krafil-Ebing, Wille, Mendel se rattachent
a la m^me opinion. Cependant cette unite etait loin d'etre admise
par tous les auteurs et loin d'etre complete : bien des impulsions,
des manies et surtout les tics restaient en dehors. L'unification
etait d'autant plus difficile que Ton ne voyait pas le lien qui rat-
tachait tous ces symptomes les uns aux autres.
726 LA PLAGE DE LA PSYCH ASTHfiNIE PARMI LES PSYGHaNfiVROSES
Je crois que ToBuvre de M. Magnan a et^ sur ce point tres
considerable, il n'a pas essay^ de montrer la relation psycholo-
gique ou pathog^nique des symptomes, mais il leur a trouv^ a
tous un caract^re commiin, c'6tait leur origine tr^s frequemment
her^ditaire. Sans tenir compte de la diffi^rence apparente de
nature il les a r^unis par ce seul caract^re commun. Toutes les
obsessions, les manies, les phobies sont devenus les stigmates
hereditaires des diginires. Cette interpretation referme des
points tr^s contestabLes, mais elle a le grand m^rite de donner
une unite a des faits si divers, et a ce point de vue elle a ete
presque partout accept^e ; on n'h6site plus gu^re a consid^rer
toutes les diverses manies ou impulsions comme des apparences
diverses d*un trouble qui est au fond toujours le meme.
J'ai essay e d'apporter une contribution a cette ceuvre de
Tunification, d'abord en montrant dans chaque chapitre les
relations cliniques et psychologiques des differents sympt6mes
les uns avec les autres, des diverses obsessions entre elles, des
obsessions avec les ph^nom^nes de derivation, les ruminations,
les pbobies, les agitations motrices. J'ai essaye en outre de ratta-
cher au groupe qui s'etait constitue peu a peu autour des anciennes
monomanies d'Esquirol, d*autres symptdmes ou d'autres groupes
de sympt^mes que Ton laissait a part trop isoles. En premier lieu
les tics, les torticolis psychiques, les clignements, les secousses
varices ne doivent pas a mon avis constituer une maladie sp^-
ciale appelee la maladie des tics, pas plus que les contractures
hysteriques ne doivent constituer la maladie des contractures. Le
tic constitue un symptdme qu*il s^agit de diagnostiquer : il y a
des tics a s^parer des autres, ce sont les tics des idiots, des de-
ments, le tic de Salaam, les tics de deglutition chez les epilepti-
ques, les tics hysteriques, etc., et, cette operation une fois faite,
tous les autres tics rentrent dans les phenom^nes de derivation
despsychastheniques. Ensuite certaines agitations en general mal
diagnostiquees doivent se rattacher au meme groupe. Enfin la ne-
vrose cerebro-cardlaque de Krishaber ne me parait pas constituer
une maladie, mais rentre dans un groupe de faits extremement
important, le groupe des sentiments d'incompletude qui se
rattache lui-meme aux insufEsances psychologiques fondamentales
chez les psychastheniques.
L*interpretation psychologique generale que j^ai donnee
permet de comprendre les relations mutuelles de ces pheno-
INTERPRfiTATION PATHOLOGIQLE DU SYNDROME 727
m^nes et de voir la maniere dont ils derivent souvent les uns des
autres.
J'ai done essay^ de eontinuer et de pr^ciser cette oeuvre de
groupemeiit qui peu a peu a r^uni en un syndrome ces troubles si
divers et au premier abord si disparates.
2. — Interpretation patbologique du syndrome.
Dans les periodes plus r^centes se pose un autre probleme^
celui de Tinterpretation qu'il Taut donner a ce groupe ainsi
constitue, de la place qu'il faut lui attribuer dans la pathologie.
Sur ce point les opinions ont ct6 des plus diverses. « La folie du
doute est ainsi, dit M. Ladame, chez les auteurs contemporains,
tantot le symptome des affections mentales et nerveuses les plus
varices, tantot un Episode psychopathique de la d^g6n6rescence
hereditaire, tant6t une forme speciale de psychose, tantot enGn
un simple trouble psychique el^mentaire qui releve de la patho-
logie generale de Tali^nation : le doute n*est pas seulement chez
les malades, il a passe dans la science^ ».
Les opinions ne me semblent pas etre si nombreuses si on les
rapproche les unes des autres et si on les interprete d'apres les
etudes pr^c^dentes. Un premier groupe d'auteurs hesitent un peu
a considerer ces sy mptomes psycbastheniques comme v^ritablement
pathologiques. Ball quand il decrit la zone frontiere qui s'^tend
entre la raison et la folie', Azam, quand il parle des tics intel-
lectuels, des stigmates psychiques^ remarquent que ce sont la
souvent des bizarreries de caracteres compatibles avec la raison.
Scholz, cit^ par M. Ledame^ ne parle des obsessions qu'a propos
des troubles ^l^mentaires de Tintelligence et dit qu^on les rencQU-
tre m^me chez les hommes sains d*esprit. M. G. Savage^ remarque
que ce sont la des predispositions her^ditairestr^s fr^quentes chez
tout le monde. M. G^lineau qui en i894decrivaitcertaines formes
de phobies maladives revient a plusieurs reprises sur ce qu*il
I. Ladamc. CotvjrH de Berlin , 1890. Hevue de Vhypnot.^ i^Qt. p. i3i.
a. Ball. Hevue scientifique, i883, I, p. i.
3. Azam. Revue scientijique, 1891, I, p. 618.
4. Ladame, o/>. cit., 1891, p. i3o.
5. G.-II. Savage, On imperative ideas. Brainy 1895, p. Sa'j.
728 LA PLACE DE LA PSYCHASTIlfiNIE PARMI LES PSYClIO-NfiV ROSES
appelle les phobies essentielles ^ Ce sont des craintes bizarres
inspir^es par certains objets, par certains animaux ou par une situa-
tion particuli^re sur un lieu ^lev^ ; ce sont des ph^nomenes
qui se rapproehent du vertige ordinaire, qui existent souvent des
la premiere enfance, qui peuvent quelquefois etre h6r6ditaires et
qui existent chez des sujets ne pr^sentant aucune autre tare. Hack
Tuke, dans Tenquete qu'il a commenc^e dans le Brain, « tient a
mettre en relief la parfaite innocuit^ d'un grand nombre d'id^es
ou d^actes imperatifs chez des gens tres senses, par exemple
la peur de n*avoirpas bien eteint le bee de gaz, le besoin de Trap-
per les paves avec sa canne, le soin de marcher en 6vitant les
intervalles du dallage, la tendance a compter un certain nombre
de fois avant d*accomplir Tacte le plus simple* ». Si on poussait
a son terme la tendance indiqu^e dans quelques-uns de ces tra-
vaux on serait dispose a considerer les obsessions, les tics et les
phobies comme des originalit^s individuelles qui n'auraient rien
de pathologique.
Une discussion analogue a eu lieu il y a quelques annees a
propos de Thypnotisme, quelques auteurs voulaient bien en faire
un ph^nomene exceptionnel, une particularity individuelle anor-
male, mais non un ph6nomene pathologique. C'est la une querellc
de mots : la maladie ne peut que reproduire en les deformant des
ph^nomenes qui out leur origine dans T^tat normal, on retrou-
vera done dans Tetat normal les vestiges de tous les phenom^nes
pathologiques.Pourjugerde la nature d*un symptome il faut con-
siderer son degre et ses consequences au point de vue de la vie
individuelle et de la vie sociale. S'il y a a peu pres chez tous les
hommes des habitudes, des manies bizarres r^sultat de souvenirs
d'enfance, cela ne supprime pas le caractere dangereux des v6ri-
tables ruminations ou des veritables phobies, puisque celles-ci
aboutissent, ainsi qu*on Ta vu, a supprimer toute activite de Tin-
dividu et a le retranchercompl^tement de la vie sociale.
Une deuxi^me opinion, plus importante, ne veut pas non plus
faire du syndrome psychasthenique une veritable maladie, c'est-
a-dire un trouble accidentel surajoute en quclque sorte a la vie
de rindividu, ils le considerent comme un trouble ou comme
1. ficliiicau. Revue de Vhypnoiisme, 1897, p. 5i et 1899, p. 79.
2. Hack-Tukc. Hrain, i8ij\, p. i84.
INTERPRETATION PATIIOLOGIQUE DU SYNDROME 729
la manifestation d*un trouble apporte par Tindividu des sa
naissance et faisant partie de sa constitution en raison de ses
antecedents h^r^ditaires. Schiile en fait une folic her^ditaire
simple dans le groupe des psychoses d^g^n^ratives, KraSt Ebing
rattache aussi la folic du doute aux psychoses d^generatives,
Tamburini en fait la forme la plus el^mentairc de la deg^n^-
rescence meutale, Magnan surtout et tous les ali^nistes qui se
rattachent a son 6cole font de ces ph6nom^nes un symptome ^pi-
sodique de la folie h^reditaire des degen^r^s \
II y a dans cet enseignement quelque chose de tres juste c^est de
montrerTimportance de rh^rddit^ dans les conditions 6tiologiques
de ces troubles; en outre I'enseignement de M. Magnan abeaucoup
contribue h r^unir tous ces sympt6mes en un seul tout et a faire
cesser la creation des innombrables manies et phobies distinctes.
Mais il me semble que Ton prepare des confusions si on consi-
dere la psychasthenic comme une simple deg^nerescence mentale.
En efTet si on prend le mot degen6rescence dans son sens vague
comme signifiant une diminution, un moindre fonctionnement
d'un organe, cette opinion est ^videmment juste mais elle est si
vague qu'elle ne permet aucune distinction et peut s'appliquer a
tous les troubles possibles. MM. Magnan et Legrain ont defini
ainsi la degenerescence « c'est Tetat pathologique de Tetre qui
comparativement a ses g^nerateurs les plus immediats est consti-
tutionnellement amoindri dans sa resistance psycho-physique et
ne realise qu'incompletement les conditions de la lutte herc-
ditaire pour la vie ». M. Magri la definissait ainsi: « est d^ge-
nere tout organisme qui est incapable par lui-meme, par defaut
organique et psychique, d*a(Brmer sa propre individualite et qu
mene une vie parasitaire, improductive et nuisible a la society ^ ))
De cette fa^on, le psychasth^niquequi pour nous pr^sente unemoin
dre faculty d*adaptation a la reality est evidemment un degenere
Mais la paralysie generale aussi est une regression de Tactivitc
c^rebrale, la confusion mentale, I'idiotie de meme emp^che Tin-
dividu de s*adapter a la reality et on ne peut pourtant pas con-
fondre tous les troubles cer^braux a cause de ce caractere
commun.
I. Magnan, Leyon sur la folie h^rcditairc. Ann. mid. psych., novembre i88(j,
|). 45/|. Cf. Saury, Syndromes episodiques des degineres, 1886.
a. Fr. Magri, La dcgencrazione considerata nella sue causa. Pise, 1891.
730 LA PLACE DE LA PSYCHASTHfiNIE PARMI LES PSYCHO-NfiVROSES
Si on prend ce mot d^generescence d'une mani^re plus precise
comme une mairormation h^r^ditaire et congenitale, cette inter—
pretation appliqu6e a la psychasthenie me pa rait tres contestable.
Les troubles psychasth^niques peuvent survenir tardivement chez
des individus normaux a la suite d*une maladie infectieuse ou de
violents troubles moraux. D*autre part, les obsessions proprement
dites ne caract^risent pas les v^ritables d^g^n^r^s ne se retrou-
vent pas dans Tetat mental des idiots et des imbeciles, au con*
traire, comme le remarque M. Seglas, elles sont d'autant plus
rares que T^tat de d^g^nerescence est plus pro^ond^ Comme Tout
remarque MM. Pitres et R^gis,on constate rarement chez les obs6-
d^s les stigmates physiques de la d^g^n6rescence qui devraient
etre frequents si leur maladie n'etait qu'une manifestation de
leur deg^nerescence. »
Sur ce point voici comment on pent, si je ne me trompe^
concilier ces contradictions. L'h^r^ditd est ici simplement pr6-
disposante, elle produit un cerveau dont la tension est sinon
faible du moins fragile, capable de s'abaisser trop facilement
sous les influences que nous avons ^tudi^es. Si les autres cir-
constances sont cependant favorables, si Tesprit n'a pas en raison
de r^ducation ou de Tinstruction une trop grande etendue, si les
conditions deprimantes ne se pr^sentent pas, cette faiblesse de
tension ne se produira pas et les troubles ne se manifesteront pas.
C'est la un fait difficile a verifier mais bien vraisemblable : nous
voyons que deschangements heureux du milieu gu^rissent souvent
des obsessions toutes constitutes. II est bien probable que, si ces
circonstances heureuses s*^taient manifestoes des le d^but, la mala-
die n'auraitmeme pas apparu. II doiten^tre souvent ainsi pour ces
enfants de families targes qui, gardant une vie aussi simple et
tranquille que possible, ^chappent au d^veloppement des germes
qu'ils portent en eux-m^mes. Pourquoi d'autres predisposes
n*6chapperaient-ils pas, grace a une education bien comprise?
Ces remarques ne s'accordent guere avec la conception d'une
d^gen^rescence dont le caractere propre est d'etre fatale. Dans
d*autres cas un ensemble de circonstances facheuses provoque
cette diminution de la tension psychologique qui ^tait latente,
donne naissance a des ph^nomenes d'insufGsances, a des troubles
de derivation et constitue les 6tats psychastheniques. Enfin les
I. Seglas, Mahdies menialeSt p. 6i.
INTERPRCTATION PATHOLOGIQUE DU SYNDROME 731 .
monies circonstances facheuses mais plus graves, plus prolong^es
produiront Ic m^me efiet sur des individus qui apportaient peu de
predispositions cong^nitales.
Ces caracteres sont ceux qui appartiennent a toutes les mala-
dies dans lesquelles les predispositions h^r^ditaires jouent un
r6le. Puisque Ton considere rhyst^rie, T^pilepsie, le d6lire des
persecutions comme des maladies, il me semble juste de dire de
menie que la psychasthenie n^est pas uniquementuncbizarreriedu
caractere ou une deg^nerescence, mais que c'est une maladie
dont il reste a determiner le caractere.
Tout en faisant de la psychasthenic une maladie, beaucoup
d'auteurs h^sitent a en faire une maladie sp^ciale et distincte des
autres, ils essayent de rattacher ces symptomes a d^autres groupes
pathologiques. Voici une opinion exprimee autrefois par Bigot
et qui est encore reproduite souvent d*une maniere plus ou moins
explicite : a la folic raisonnante, disait-il, n*est ni un genre,
ni une espece , mais une variety de la p6riode transitoire
de la raisou au delire qui se trouve dans tons les genres et
dans toutes les esp^ces d'ali^nation mentale et qui m^me ne m^-
rite ce nom de vari6te que lorsque le caractere Equivoque se fait
remnrquer par une trop longue dur^e, qui laisse au second plan
la p^riode d'^vidence du d6lire..., c'est une sorte de phase incer-
taine melee in^galement de delire et de raison \ d Certainement
beaucoup de maladies mentales ont une periode prodromique,
dans laquelle il y a de la confusion, de la tristesse, des reveries et
meme des idees irr^sistibles dont le malade ne se sent pas le
maitre. Mais si on vcut bien faire Tanalyse psychologique de ces
prodromes, on n'y verra pas les caracteres de rinsutfisance men-
tale de I'obsede, de cette insuffisance si particulifere qui ne porte
que sur les fonctions du r^el et qui laisse intactes les operations
intellectuclles proprement dites. Dans les prodromes des
maladies mentales, il y a plutot de la confusion mentale
ce qui est tout autre chose. En outre, on trouvera dans ces pro-
dromes les caracteres propres a la maladie mentale qui commence :
la demence speciale de la paralysie generate, la douleur morale
de la melancolie n'appartiennent pas a la symptomatologie des
I. V. Bigot, Des periodcs raisonnantei» dc ralicnalion mciilalc. lievue scientifique,
1877, I, |). 1243.
732 L\ PLACE DE LA PSYCHASTHfiNIE PARMI DES PSYCHO-NfiVROSES
obsessions. EnfiD des prodromes ne peuvent pas durer dix ans et
nous voyons I'ensemble des symptomes de nos malades se mainte-
nir dans le m^me sens pendant dix et vingt ans.
Je n'admettrai done pas non plus des opinions comme celle de
Lasegue qui rattache les obsessions a la m^lancolie perplexe.
Des obsedes peuvent aboutir a la m^lancolie anxleuse, mais c*est
la une complication de leur maladie et Ton voit bien qu*ils chan-
gent alors de caract6re: ils n'ont plus de veritables ruminations,
lis ne s^interrogent plus v^ritablement, ils souffrent et g^missent
avec une agitation vague qui a supprime les caracteres speciaux
pr^cddents.
Je serai beaucoup plus embarrass^ en presence des opinions
analogues a celle de M. Arndt, de M. Morselli qui appellent cette
maladie cc paranoia rudimentaire ». On pent dire, en eOet, que les
obsessions sont tres voisines des delires syst^matises en parti-
culier du delire de persecution : j'ai d^ja fait remarquer ce voi-
sinage. 11 n*en est pas moins vrai que revolution d'un ddlire de
persecution avec la conviction allant jusqu*aux actes, la syst^ma-
tisation croissante, les hallucinations auditives est loin d*etre la
meme que celle de la maladie des obsessions. II est probable, quand
on connaitra mieux le delire de persecution, qu'on lui trouvera
un debut analogue a celui de la psychasthenic, avec une certaine .
modification psychologique qui lui donne une autre evolution et
en fait une variety distincte.
Le groupe des maladies dont la psychasthenic se rapproche le
plus est celui des nevroses dans lesquelles nous observons les
m^mes symptomes d'epuisement nerveux et un etat mental ana-
logue. Morel disait deja que le delire emotif est plutot une
nevrose qu'une psychose, Meynert' admettait que cette mala-
die appartient au complexus de Thysterie et de Thypocondrie.
M. liaskovec remarquait que « I'etiologie et la pathogenic
des phobies et des idees fixes etaient les m^mes que celles de
ce grand groupe de lesions fonctionnelles du syst^me nerveux
que nous designons sous le nom de nevroses 'a. Mais il est admis
aujourd'hui que les nevroses sont en majeure partie le resultat
1. Meynert, Ueber Z wan gsvors tell un gen. W«>n. hlin, Wochenschrift, 3 mai i888,
p. 109.
a. Haskovec, op. cit., p. 127.
INTERPRfiTATION PATIIOLOGIQUE DU SYNDROME m
de troubles fonctionnels de Tecorce cerebrate, troubles se mani-
festant par des perturbations psycho-physiologiques, on ne peut
done pas les opposer trop completement comme on le faisait
autrefois aux psychoses. Aussi peut-on dire justement avec
MM. Pitres et R^gis que la psychasthenie se rattache aux ^tats
mixtes, que c'est une psycho-n^vrose.
Pour preciser maintenant sa place parmi les psycho-nevroses,
il faut voir ce qui la rapproche ou la distingue des formes
voisines. Je ne reprendrai pas ici la comparaison des nevroses
au point de vue du diagnostic qui a d6ja <^t^ faite dans un chapl-
tre pr6c^denty j*insiste seulement sur les conceptions g^n^rales
que Ton peut se faire de ces diverses nevroses et sur les relations
que pr^sentent entre elles ces diverses conceptions g^n^rales.
J'ai d^ja montr^ les rapports ^troits de la psychasthenic avec
r^pilepsie. Je crois que dans les deux maladies il y a des oscilla-
tions considerables du niveau mental et que des abaissements ou
des chutes de la tension psychologique ou nerveuse entendue
comme il a ete dit jouent dans les accidents de ces deux nevroses
lerole principal. Mais dans Tepilepsie, autant que nouspouvons le
savoir, cette chute est considerable et momentanee. Elle va jus-
qu'a la perte complete de conscience pendant un temps assez
court, ensuite la tension se releve non pas sans doute d'une
maniere complete, mais d'une maniere sufEsante pour que le
sujet se sente a peu pres normal et ne se plaigne pas d*ordinaire
de ces sentiments d'incompletude qui sont si caracteristiques du
psychasthenique. Les ph^nom^nes de derivation se retrouvent, je
crois, dans les convulsions de Tacc^s: ils sont violents et d*ordre
tres elementaire, c'est-a-dire que la derivation ne se fait pas sous
forme de ruminations mentales, phenomene conscient et relati-
vement sup6rieur, ni sous forme d'etats ^motifs conscients, ni
sous forme de ces mouvements encore a demi intelligents qui
sont les tics, mais sous la forme des mouvements les plus el^men-
taires. Des que ces caracteres de Tacces epileptique diminuent,
des que la chute de tension est moins grande, mais se prolonge
plus longtempSy quand les derivations sont moins elementaires^
on voit apparaltre des delires epileptiques qui se rapprochent
beaucoup des phenomenes psychastheniques. Quelques-uns d*en-
tre eux determinent des sentiments d'incompletude, des doutes
sur la realite de la personne et du monde exterieur tout a fait
identiques a ce qui existe chez les obsedes. Sans voir dans cette
73i LA PLACE DE LA PSYCUASTHfiNIE PARMl LES PSYCHO-NfiVROSES
proposition autre chose qu^une image destinee a montrer
les rapports apparents de ces deux psycho-n^vroses, il me
semble que T^tat psychasth^nique est une ^pilepsie att^nu^e ei
chronique.
Les rapports de la psychasth^nie et de Thyst^rie sont interes-
sants et instructifs. Au premier abord les deux maladies semblent
Hre assez voisines : Taboulie, Taprosexie existent dans Tune
comme dans Tautre et il y a dans les deux n6vroses une diminu-
tion de Factivit^ nerveuse et mcntale. Cependant Morel remar-
quait d^jiique le d^lireeraotif se rapprocheplus de la neurasthenic
que de Thysterie. Beaucoupd'auteurs ont d^ja remarqu6 de mcme
la grande difference clinique qui s^pare la psychasthenic de
Thysterie. J'ai beaucoup insiste pour faire ressortir cette oppo-
sition qui me semblait curieuse : en voici les principaux points.
Le psychasth^nique est surtout un incomplet dans tousses pheno-
menes pathologiques, il a des impulsions mais elles ne s'executent
pas, il a des hallucinations mais elles ne paraissent pas r^elles et
il n*est jamais tromp^ par elles, il a des idees obsedantes mais il
sait qu'elles sont fausses et il est le premier a les mettre en doute,
il a des p^riodes d'agitntions et des p^riodes d'immobilite, mais
il ne va jamais jusqu'a Tattaque ni jusqu'au sommeil, ces crises
n'amenent jamais Famnesie, il se sent d^double mais il n*a
jamais de subconsciencc et il sait toujours tr^s bien ce que pense
la seconde personne. Ce caractere d'incompletude se retrouve
encore dans les ph6nomenes normaux qu'il a conserves, il ne
sent pas bien, il ne se souvient pas bien, il ne fait pas bien atten-
tion, il n'agit pas bien, mais il n'a point d*anesthesic complete, ni
d'amnesie, ni de paralysie. En un mot il est incomplet toujours
et partout, mais jamais il ne va plus loin que cet etatd^insuflisance
generate; il a surtoutun voile qui n*enleve que les phenomenes
psychologiques sup^rieurs, qui les enleve partout, mais qui ne
determine nulle part de lacune precise ou profonde.
L'hysterique pr^sente siir tons ces points des differences impor-
tantes : d'une part, les phenomenes que Thyst^rique a conserves
sont tout a fait complets et vont jusqu'a la fonction du reel : le
malade ne doute ni de sa personne ni des choses cxterieures.
Bien mieuxces phenomenes conserves sont plutottropdeveloppes,
le sujet execute compl^tement ses idees impulsives, si complete-
nient et si facilement meme qu'il suffit de lui inspirer une idee
pour qu'il la transforme en acte, il developpe ses images jusqu'a
INTERPRfiTATION PATHOLOGIQUE DU SYNDROME 735
rhallucinatlon complete et il siiffit d*une suggestion pour que
celte hallucination surgisse, il arrive tr^s facilement a la convic-
tion extreme. D^autre part, Thyst^rique pousse aussi a Textr^me
les ph^nom^nes negatifs et il pr6sente dans son esprit de verita-
bles lacunes: il a des anesth^sies, des amnesics, des paralysies,
des subconsciences v^ritables. Sans doute ces lacunes ne portent
d'ordinaire que sur la* conscience personnelle, mais cette con-
science meme pr^sente des lacunes qui n^existent pas chez Tob-
s^di^.
A quoi tiennent ces difF^rences remarquables, a un fait capital
que presente Thyst^rique et qui n'existe pas chez le psychastheni-
que, au r^tr^cissement du champ de la conscience. L^hyst^rique
restreint son activite mentale, se concentre en quelque sorte sur
quelques ph^nomenes, il en r^sulte que les ph^nom^nes conser-
ves ne sont pas abaiss^s, incomplets, mais qu'ils sont plutot trop
developp^s et que les phenom^nes n^glig^s s'effaccnt de plus en
plus et disparaissent de la conscience personnelle. Ce qui carac-
terise Thyst^rie c'est ce r^tr^cissement, cette localisation sur
certains points de la force subsistante. La faiblesse mentale se
manifeste dans cette maladie comrae faiblesse de synthese, tandis
que dans la psychasthenic elle se manifeste par un abaissement
g^n^ral de tension et par la simple diminution des fonctions
sup^rieures ou fonctions du r^el a peu pres sur tons les points.
Si Ton pent ainsi dire la reduction de la conscience semble se
faire g^om^triquement chez le premier, en r^duisant le nombre
des fonctions conserv^es, dynamiquement chez le second en
reduisant la force, la perfection de tous les ph^nomenes. Sans
doute il y a quelques cas de transition : le plus curieux me
semble constitu^ par T^tat d'esprit de certains extatiques, mais
en g6ndral cette diffi6rence entre les deux psycho-n^vroses est
tres nette.
Beaucoup d'auteurs rapprochaient les obsessions, la folic du
doute, les phobies, de la neurasthenic (Westphal, Krapelin,
Krafft-Ebing, Morselli,Ventra,Bouveret, Levillain, Fer6, Mathieu,
etc.)R6cemment les auteurs, qui ontessay6 de constituer comme
maladie distincte la n^vrose d*angoisse, ont voulu la s^parer de
la neurasthenia et meme I'y opposer. Les conceptions de M. Freud*
I. S. Freud (de Vienne), Sur la Idgitimit^ de s^parer de la neurasth^nie un sjn-
drome deBni sous le nom de n^vrose d*angoisse. yeurol. Centralblatt, iSgb, p. a.
736 LA PLACE DE LA PSYCHASTHfiNIE PARMI LES PSYCHO-NfiVROSES
sur ce point ont ^te trcs bien resum6es et discut^es dans le
travail de M. Hartenberg sur la n^vrose d'angoisse '.
Le premier groupe d'arguments de ces derniers auteurs ne mo
semble pas tres iot^ressant: dans la n^vrose d'angoisse^disent-Ils^
un certain nombrede symptomes essentielsde la neurasth^nie font
toujours d^faut, tels sont : la rachialgie, Tobnubilation psychique^
Tasthenie neuro-musculaire, la dyspepsie et Tinsomnie chronlque.
C*est la, si je ne me trompe une constatation clinlque inexacte : les
phobiques et les douteurs sont si pr6occupes de leurs angoisses
et de leurs obsessions qu'rls attachent moins d*importance a des
troubles constants chez eux, mais en apparence secondaires. La
rachialgie est trfes frequente chez eux, depuis que j^ai vu ces dis-
cussions, je Tai recherch^e et retrouv^e dans une douzaine de cas ;
Tobnubilation rntellectuelle avec aprosexie, amn6sie continue,
troubles de perception, diminution des fonctions du r^el est un
symptome essentiel des psychastheniques comme des neurasth^-
niques, la faiblesse, la fatigue, la dyspepsie, Tinsomnie ont ^t^ Ion-
guement decrites chez eux. 11 ne me semble, en un mot que les
angoisses ont bien tons les symptomes des neurasth^niques et a
ce premier point de vue la distinction ne me parait pas legitime.
Une deuxieme remarque est plus int^ressante, c*est que la
neurasthenic est surtout depressive, tandls que dans la n^vrose
d*angoisse, il y a une surexcitation, une tension penible et des
d^charges paroxystiques surtopt visc^rales. On voulait en con-
dure que la neurasthenic serait r^puisenient nerveux du syst^me
cerebro-spinal, tandis que la nevrose d'angoisse serait plus
particulierement T^puisement nerveux du sympathique et peut-
^tre du vague'. J'avoue que je ne suis pas> aussi frapp6 par ces
differences : beaucoup de neurasth^niques ont, a un degr^ faible,
une agitation, un sentiment d'inquietude, une attente angoissante.
L*agitation du psychasthenique n^est a mon avis qu'un phenomena
secondaire, une derivation qui resulte justement de Timpuissance
primitive et qui ne s*y oppose pas. M. Hartenberg, d'ailleurs,
n*exagere pas cette opposition, il se rapproche de Topinion de
Bouveret, de Hecker, de Kaen qui voient « dans ces deux mala-
dies deux manifestations diversement localisees d*un meme ^pui-
sement nerveux ». ,
I. Hartenberg, La nevrose d'angoisse, 1901, p. 67.
a. Hartenberg, La nevrose d'angoisse, 68.
INTERPRfiTATlON PATHOLOGIQUE DU SYNDROME 737
Ajoutons qu'il s'agit de deux manifestations de degre et de
gravity diff6rentes. La neurasthenia, comme disaient M. Deje-
rine et M. Moebius, est « la forme initiate d^oii d^rivent les
autres n^vroses comme d'une source ». « La folic du doute,
dit encore M. Kowalewsky *, pent ^tre consid^r^e comme une
deuxieme p^riode de la neurasthenic. » Dans la neurasthenic
repuisement du systeme nerveux central est encore l^ger et
porte surtout sur les centres des viscferes ; il augmente, il
s^etend a tout le cerveau, il devient plus conscient, et determine
plus de phenomenes de derivation dans la psychasthenic.
Ces comparaisons nous permettent de resumer la conception
de la maladie des obsessions telle qu'elle resulte de ces etudes
cliniques et psychologiques. Les obsessions proprement dites qui
en sont le caractere le plus apparent ne sont que le dernier terme
d^une serie de troubles plus profonds. La psychasthenic est une
psycho-nevrose tr^s voisine de la neurasthenic et peut-etre de
certaines formes de paranoias, elle se place entre I'epilepsie et
rhystcrie. Toutes ces psycho-nevroses sont caracterisees par une
insuffisance du fonctionnement cerebral qu'il est encore aujourd'hui
impossible de rattacher a des lesions anatomiques ou a des trou-
bles physiologiques autres qu'un etat vague d'engourdissement
ou d'intoxication. Cette diminution d^activite est en rapport avec
Theredite, avec toutes les maladies infectieuses, les fatigues et
les emotions qui jouent un grand role dans ces oscillations du
niveau mental. Get epuisement qui a des caracteres physiorlogi-
ques et psychologiques generaux scmblables dans toutes les psy-
chonevroses se manifeste en outre par des troubles mentaux plus
spedaux qui les distinguent les unes des autres. Dans la psychas-
thenic la chute de la tension mentale est beaucoup moins brus-
que, moins profonde et plus prolongee que dans les acc^s epilep-
tiques ; elle u'amene point le retrecissement du champ de la
conscience, la localisation sur certains points comme dans
Thysterie ; elle semble dans cette psycho-nevrose rester gene-
rale et determiner dans toutes les operations de Tesprit une
simple diminution de la perfection et de la puissance d'adaptation
a la realite. Les fonctions les plus troublees sont les fonctions qui
I. P. -J. Kowalewskj. The Journal of mental Science, octobre 1887.
LBS OBSESSIONff. 1. — ^7
738 LA PLACE DE LA PSYCHASTllfiNIE PARMI LES PSYCHO-NfiVROSES
mettent Tesprit en rapport avec la r^alite, Inattention) la volenti,
le sentiment et T^motion adapt^e au present. D'autres fonctions
semblent rester intactes et elles se r^velent ainsi comme infi^rieo-
res, ce sont rintelligence discursive et le langage, les emotions
exag^r^es et incoordonnees, les mouvements mal adapt^s et en
partie automatiques. Cette diminution de la tension psychologi-
que determine un malaise mental, un ^tat d*inqui^tude, des
sentiments d'incompletude d^autant plus forts que le sujeta mieux
conserve son intelligence. Sous Finfluence de cette inquietude
excitante et par le fait de la suppression des ph^nom^nes sup^-
rieurs, les ph^nomenes inf^rieurs conserves prennent une grande
exag^ration et donnent naissance a des tics^ a des agitations mo-
trices, a des Amotions angoissantes, a des rumination smentales
tres varices. Enfin des idees se Torment suivant les circonstances
pour r^sumer et interpreter tons ces troubles et les id^es ainsi for-
m^es continuent a presenter les caract^res de I'^tat mental precedent;
elles sont permanentes et obsedantes parce qu'elles r^sument et
expriment un etat permanent, elles ne seterminentpas, ne donnent
pas naissance a de v^ritables convictions delirantes, mais gardent
la forme des emotions angoissantes et des ruminations. Les con-
ditions qui influencent la maladie sont toutes les circonstances qui
determinent des oscillations du niveau mental etfont descendre ou
monter cette tension psychologique dont Tabaissement est le
point de depart de toute la maladie. Le traitement consiste a uti-
liser toutes les influences physiques et morales qui peuvent deter-
miner une ascension de ce niveau, il faut surtout par une
education de la volonte de Tattention, de Temotion meme, faire
prendre au cerveau Thabitude d'un fonctionnement plus actif
qu'il n'est pas toujours impossible de lui demander. L'eniotivite
qui est un phenomcne secondaire ainsi que les tics et les rumi-
nations disparait quand les phenom^nes superieurs et les
fonctions du reel se reconstituent, et les obsessions ne durent
plus quand elles n'ont plus de raison d'etre pour exprimer un
etat general.
INDEX DES AUTEURS CITES
Ambline, i33.
Amibl, 3oi, 347* 354> 370, 378, 435.
Andkiam, 63a.
Angel, 387, 4o3, 4o8, 430, 4aa» 600.
Ancell (Edw. B.). 473, 718.
Arie de Yonc (La Haye). 452, 717.
Arnauu (Vanves), ag, 76. 86, 98, ii4.
i5o, 339, a88, 396, 336, 338, 383,
46i» 47a, 473, 589, 593, 655.
Arndt, 73a.
ASC HAPPEN BURG, l5o.
AzAM, 106, ii5, 166, ao3, 733, 737.
Babinski, 409.
Baillargrr, 359, 363, 383, 617, 619,
724.
Bain (A.), 437.
Balfour (A. -J.), 479.
Ball, 78, 79, 80, i3i, 3o5, 3i3, 37a,
373, 383, 389, 3oi, 3o6, 307, 3 10,
579, 596, 597, 664, 667, 737.
Ballet, 191, 454» 473.
Basedow, 643.
Baskirtseff (\farie de), 56a.
Beard, i85, ao5.
Bechtbrkw, 170, 309, 5o8, 509, 538,
601, 703.
Bellet, i44-
B^NiDicT, 471.
Bebger (de Breslau), 453, 5o3, 6x5,
64a, 735.
Bergeron, 179, 730.
B&RGSON (H.),477, 480. 489, 490, 496,
546, 547.
Berillon, 301, 333, 349. 683, 703.
Bernard Lf.roy, 38, 386, 388, 389,
390, 3o8, 309, 3 1 4, 317, 333, 533,
566.
Bernheim, 333, 733.
Bigot, 73 i.
Billod, 383, 383, 349.
Binder, 611.
Binet(A.), 334.
B18WANGER, 191.
Blaise, 603.
Blocq, 3, 186, 643.
BoissiER (Fr.), 473, 659.
BOMPAIRE, 731.
B08SUBT, 707. 708.
Bouchard, 4i5.
Boucher, 55, 307.
Boulloche, 191.
Bourdin, 77. 78, 161, 303, 603.
BOURGET, 389.
Bouveret, i85, 4 1 a, 4aa, 735, 736.
Bramwell (Milne), ai, 113, x4i« 349>
703.
Briquet, 464.
Brissaud, 81, 157, 163, i63, i65. 356,
731.
Bkocchi (de Piombi^res), 4i5.
Bbocuard (V.), 479-
Brocq, 186.
Brosius, 453.
BuccoLA, 85, 334. 363, 366, 449-
Gabanis, 555.
Gampagne, 67.
Garrier, 683.
Gartaz, 194.
740
INDEX DES AUTEURS CITfeS
Gaspeb, ao6.
Gatsaras, 86.
Gazalis, 684.
Ghambard, 84.
Gharcot (J.-B.), 191.
Gharcot (J.-M.). 47» ia4» i57, i58,
160, i85, 261, 357, 6i5. 721.
Ghaslin, 661.
Ghastrnet, aoo.
Gheryin, 194.
GLARAPiDE (de Geneve), ao8, 46o, 46it
717.
GoMTE, aa6.
G00MB8 Knapp (Philip), 602.
GoRDBs, aoa, 471 1 7a4.
GouLAMPis, 4ao.
GousiN (V.), 485.
GOUTARKT, 4l4-
GuLLRRRE, i5o, 198, ao5, a36, 5io.
Dagonet, 6a I.
Dacuillon, bSi.
Dallbmacre, 453, 473, 601, 655.
Dana, aoo.
Darwin (Gh.). ao6.
Darwin (Erasme), 71 3.
Drbove, 191.
Debs, 34a, 48o.
Dechambrb, aoa.
Decasse, 677.
Dkjerinb, 690, 69a, 737.
Delarue (Paul), 46.
Delasiauye, 448, 683, 7a4» 7a5.
Dblbceup, 76.
Del Greco (F.), 473.
Denomm^, 177, 683.
Descartes, 479-
Devay, 619.
DoNATH (de Buda-Pesth), 77, io5,a55,
7o3.
D0STOIEW8K1, 484. 5 16.
Doyen, ao5.
Dubois (de Berne), 4i3.
Dubois (de Saujon), i6a, i64) 179*
a36, 721.
Dubourdieu, 177.
Dl'boux, 206.
DuGAs, a8, a84» a9o, 3oo, 307, 3io,
317, 345, 434, 547, 548, 55o. 566.
Dumas (G.), 555.
DUMONT, 556.
DuMONT (de Monteux), i55.
DUMONTPALLIER, 33a.
Dupkat, a8a.
Eeden (Van), iia, x4i* 45i,499t64a,
654.
Egger (V.), 564.
Emminghaus, 658.
EspiNAs, 369, 493, 494.
EsQuiROL, II, 199, a98, 7a4. 7a
EwART (G.-Th.), 717.
Falrbt (Jules), X, 68, 85, 86, 95, 199.
ai3, 45o, 47a. 617, 65a, 663, 707,
7a4, 7a5.
Farez, 117.
Faure (L.), 7o3.
Fbindbl, i58, i6a, 377, 7ai.
FiNELoN, 707, 708.
F£r^, 88, 180. 181, 199. aoo, 453.
455, 47a, 5o4, 601. 6o4. 610, 6a2,
63i. 63a, 735.
Fleury (De), aa4. 4o6, 4o8, 4i3, 417.
4ao, 4^5, 600, 6o4.
Flournot (de Geneve), ii5.
FouiLL^E, a 93.
Franck (Francois), 4o4.
Francottb, 94.
Freud, i83, ai4i 317, 218, 454. 455,
456, 5x9, 558, 592, 6ai, 6aa. 6a3,
64i, 656, 735.
Fribdenreich, 453.
Friedmann, 658.
Galippe, i85, 643.
Gall, 6o4.
Galton, 3a I.
Gattel, 6a a.
Gayte, 479.
Gelineau, 456, 7a7, 7a8.
Gell£, 3a I.
GiBERT (du Havre), 4i4-
GlLLES DE LA TOURETTE, 1 57.
G1NE8TOUX, 118.
Gl^nard, 4i4. 4i5.
gorodiche, 703.
Grassbt, 106, 159, 191, aoi.
Griesinger, ia6, ia7, a35, 448, iSg,
5o2, 64a, 724, 7a5.
INDEX DES AUTEURS CITES
741
Groob (K ), 376, 548.
GuiifioT, 4i4<
GUERLIN, I79» 720.
GuiNON (G.), 167, 160, i63.
GuYAu, ag3.
GUTON, 48, 572.
HackTuke. 449* 471. 558, 6o4, 728.
Hallion, 191, 226.
Hammond, 200.
Hanot, 668.
Hartenberg, 162, 210, 218, 227, 345,
347. 377, '|57, 562, 565, 601, 621.
622, 716, 722, 736.
Haskovec, 191, 458, 459, 499* 5o2,
5o5, 507, 5o8. 623, 642, 782.
Hecker, 454. 736.
Heim, 4i3.
HENOCH, 179, 720.
Hirschberg, 187.
HOFFDING, 92, 265, 269, 496.
HUCHARD, l85.
Hughes, 662.
Hume, 478.
HuYSMANS, 62.
IscovESco, 611.
Jackson (H.), 557, 6o4.
James (Will.), 43. 94. 378, 455, 462,
479, 545, 547.
Janet (Jules), 48.
Jastrowicz, 453.
Jensen, 287.
Ji^:rl'8ALEM (W.), 479-
JoppROT, 64o, 698.
JOUFFROY, 485, 698.
JOUI.IE, 4 17* 696.
Kaan (Hans), 453. 736.
Kandensky, 94.
Ki^RAVAL, 3, 5io, 5ii, 677.
Kipling (Rudjrard), 535.
KisH, 622.
KoRSAKOP. 359.
kowalewsky, 737.
Krcepelin, 658. 735.
Krafft-Ebing, 236. 369. 45o, 453.
472. 658. 664, 667, 725. 729, 735.
Krishaber, 28. 283, 286, 289, 291,
292, 3o6, 309, 3io, 3i2, 317, 5o5,
726.
Lacroix, 417* 4i8, 424-
Ladame, 79, 127, i38, 236, 448, 611,
703, 724, 727.
Lagrange, 716.
Lalanoe (A.), 289, 566.
Lalanne, 206.
Langb, 43, 378, 455, 462.
Lanteirks. i43, 38o.
Lapie (P.). 276. 345.
Larboussinie, 86, 87, 88.
Lasegue, 35, 4^4* 623.
Laycock. 471, 6o4<
Legrain. 449> 611. 663, 729.
Legrand du Saulle. 5. 98. ii3. 119,
i3i, i5o, i85. 186. 198. 199. 202,
2o3, 212, 2i3, 236, 237, 243, 245,
260. 297, 382, 383, 453, 471. 5o2,
5i5, 600, 607, 611. 617, 621, 652,
654, 655, 664, 667, 709. 722. 724,
725.
Legroignac, 77, 84-
LUPINE, 87, 691.
Letulle, 721.
Leuret. I 85. 202.
Levillain, 4ia. 47a» 735.
Lowrnfeld (de Munich). i25. 126, 253,
437, 622.
LuBETZKi. 4o3, 4o4t 4o8, 4^2, 600.
LuYs, 84. 45o.
Mac Farlane, 2i4, 455.
Magalhaes (J086 do), 457.
Magnan, i5, 124, i33, 176, 2o3, 237,
44o, 445, 449f 607, 611, 663. 681,
726. 729.
Magri, 729.
Manouvrier, 494, 495.
Mantegazza. 557.
Marandon de Montifl, 677.
Marci^, 724, 725.
MaRCHAND. 225, 226, 227, 460.
Marie (A.), 602, 6o3, 663. 666.
Marin Fsco, 5o'|.
Marrel, i84-
Marro, 389. 524. 542. 557. 617. 618,
623, 686, 699. 717.
Martinet (A.). 696.
Mathieu, 4 1 2. 735.
Mauoslet, i5, 495.
742
INDEX DES AUTEUUS ClTtS
Mavroukakis, 7o3.
Meige (U.), i58t i6o, 163, 170, a36,
377, 645, 721.
Mendel, a36, 735.
MENiiRE, ao3.
Meacier (C), 558.
Meschede, 459, 5oi» 6^3.
Metzger, 611.
Meynkrt, 449t 658, 732. •
MicKLE, 449« 5o3, 5i3, 658-
MiSSLAWSKI, 601.
MOEBIUS, 190, 737. .
Montaigne, 106, 731.
MoREAU (de Tours), 3 13, 734.
Morel, 79, ai4> 453, 455, 456, 519,
600,611,613,664.734,735,733,734.
Morselli, 309, 313, 4491 633, 658,
733, 735.
MOURRB, 377, 378.
Mosso, 336.
Motet, 683.
MuRisiEH, 397.
My«rs (Fr.-W.), 389.
Nacy, 5o4.
Nattier, 434> 690, 693.
NicouLAu, 80.
NoiR, 160, i63.
Oddo, i58, 159, i6a, 674-
Onanof, 3.
Ottolengiii, 5o4f 5o8.
Pailhas, 619.
Parant, 6a8.
Parchappe, 734* 735.
Pascal, 89.
Paulhan, 60, i44* 566.
Peisse, 448.
PeRROUD, 303.
Pick, 94.
PiiRON, 306, 707.
PiNEL (C), 734.
P1TRE8, 4a, 43, 77, 84, 86, 116, 170,
179, i84, 306, 307, 308, 3i4f ai5,
336, 357, 3o8, 309, 333, 343, 448»
449, 455-459, 463, 467, 5o3, 5o8,
5i3, 5i5, 519, 568, 607, 613. 6i4.
616, 617, 619, 633, 634, 643, 653,
655, 658, 667, 673, 683, 696, 698.
7o3, 704, 730, 73o, 733.
POITEVIN, 369.
POPOFF, 731.
POTAIN, 335. 431.
Raggi, 1 1 5, 3o5.
Raymond, IX, X, XI, 5, 18, as, 47» ^^
90, 100, 134, 135, i34, i5o, iSg.
168, 188, 395, 307, 336, 338, 383,
459, 47a, 5o5, 5ii, 655.
RfeGis, 18, 4a. 43. 77, 84, 86. 116.
170, 177, 184, 306-308, ai4, ai5,
336, 357, 3o8, 309, 333, 34a, 35o,
448, 449, 455-459, 463, 467, 5o3,
5o8, 5i3, 5i5, 519, 568, 607, 61a,
6i4, 616-619, 633, 633, 634,64a,
643, 653. 655, 658, 667. 673. 682,
696, 699. 7o3, 704, 730, 733.
Ri:GNiER, 46o.
Reichmann, 4i3.
Renaudin, 683.
RiBOT (Th), V, VII, 174. 3i4. aa6,
369, 455, 456, 488, 535, 557.
RlCllE, 5l3.
RiTTi, 336, 734, 735.
Robin (A.), 4i3.
RODENBACH, I9, 131, 133, 167.
ROUBINOVITCH, 357, 473, 619, 647, 677.
Rousseau (J. -J.), 113, 348.
Roux (J.), 4 10.
RoYCE (Josiah), 59, 87, 11 a, i38. 198,
586.
Russell, aoo.
Sander, 387, 453.
Sante de Sanctis, 87, 116, i35, 563.
Saury, i5, 137, 607, 739.
Sautarel, 353.
Savage (G.), 638, 701, 737.
scrjlfer, 658.
Schiller, 548.
Schopenhauer, i5, 455, 488.
ScHOLz, 56o.
SCHUBLK, 453, 739.
S^GLAs, 45, 46, 80, 85, 93, 93, 116,
i35, i55, 167, 169, 191, 333, 360,
3o5. 3o6, 3o8-3io, 3i3, 3i4* 3i6.
334, 35o, 356, 357, 439, 43o, 44i,
453, 47a, 6i5, 633. 643, 655, 658.
663, 673, 678, 73o.
SeGUIN, 300.
INDEX DES AUTEURS GITfiS
743
Skrieux (P.), 5o4.
Shaw, aoo.
Sholz, 737.
soupault, 4 1 3.
SouQUES, 8i, 176.
SoURIAU, 493.
Spencer (Herbert), ^'jS^ 4S7, 495, 496,
556, 60 1.
Spinoza, 478.
Stadelmann (de Wiirzbourg), 117, 708.
Stefani, 85.
Stout, 494.
Sydenham, 4I'
Taine, 28, 3o6, 3i5, 478.
Talbot, 685.
Tamburini, 85, 199, 363, 449* 45o,
59a, 64a* 739.
Tanzi, 355.
Thibierge, 43, 186, 308.
Thomsen (de Bonn), io4-
Thomson, 65o.
Thulie, 67, 730.
T18SIE, 177, 375, 5ii, 5i5, 557, 703,
730.
Tokarskt, 163.
ToLSToi'. 371.
Tordbus, 179, 720.
tourkier, 633, 633.
Trastour, 4i4.
Trelat, 199, 365, 366, 734.
Trousseau, 157, 161, K99, 609, 731.
TscHiscH, 633.
Tugzbck, 658, 717.
Valentin. 733.
Vallon, 84, 603, 6o3.
Vasghide, ao6, 335, 336, 337, 46o,
485.
Ventra, 633, 735.
Verdin, 330, 338, 381.
VeRCA, 116, 300.
Verneuil, i85.
VicouRoux, 419. 663, 666, 677.
VoisiN (A.), 333, 4o3, 600, 697, 708.
VURPAS, 485.
Wallet, 35.
Weber, 303, 734.
Webber, 4ao.
Wecker. 391.
Weir Mitchell, 3i4. 455. 693, 693.
Wernicke, 86, 453, 658.
Westphal, 77, 303. 307, 3l3, 355,
445. 448, 449, 45i, 453, 459, 5o3,
643, 703, 734, 735.
WiCAN, 387.
Wille, 336, 453, 658, 735.
William, 303.
Wright (E.), 558.
Wundt, 336.
YvoN, 419.
Zimmerman N, 63 1.
Zola, 63 i.
r
INDEX ANALYTIQUE DES MATlfiRES
Abaissement de la tension psjrchologi-
que, 497, 499» 5oo; et deriva-
tion, 559.
Abasik hysl^rique, 46.
Aboulie sociale, 345, 347 "» — profes-
sionnelle, 349 * — ^^ inhibition, 349 *
— au d^but de la maladie, 638.
Absolu. Manie de T — , i36.
Abstrait. Raisonnement — , sa place
dans la hi^rarchie psychologipue, 485.
AcAROPHOBiR, 186.
Acquis. La maladie constitulionnelle et
la maladie — 63 1.
Action. Obsession de V — , 57, de 1' —
mauvaise, 59, de V — extreme, 61 ;
tendance h V — dans Tobsession, 75 ;
troubles de 1* — dans lesphobies, aoi,
au debut des crises d'agitation, a4i ;
sentiment d'incompletude de V — ,
265, de rinutilit^ de 1* — , 267, de
m^contentemcnt de 1* — , 276 ; peur
de r — , 266 ; lenteur des — . 338 ;
fractionnement des — , 338 ; retards
de r — , 338 ; ddsordre des — , 34o ;
inach&vement des — , 34 1 ; difficult^
des actions — nouvelles, 344 '* la place
de r — dans la hi6rarchie psycholo-
gique, 477 ; — desint^ressee, 482 ; —
automatique, 483 ; r6le de V — dans
la tension psjrchologique, 490 ; diffi-
cult^ del' — sociale, 670; difficult^ de
r — dans la rue, 571 ; difficultc de
r — du mariagc, des — genitales,
573 ; suppression do toutc — 666.
AsTHESioM^TRE, difficultc de SOU emploi
chez les douteurs, 324-
Age. Influence de TAge sur la maladie,
6i3. 683; — duddbut, 6i5.
Agitation forcee, io4 ; tableau des —
forc^es, io5 ; — mcntale, 106, i46,
467; — motrice, i56, 172 ; — ^mo-
tionnelle, 182, 2i3 ; caract^res de I*
— , i55, 180, 235, 552 ; crises d' — ,
172, 239 ; succession des difT^rentes
formes de 1* — , 216; unite clinique
des — 236 ; les ph6nom^nes secon-
daires de V — , 25o, 466 ; la place
des — dans la hidrarchie psjrchologi-
que, 486 ; interpretation des — , 55 1 ;
— et derivation, 56o, 567.
Agoraphobie, 27,202 ; interpretation
des — 571.
Aimer. Besoin d* — 388 ; besoin d'etre
—,32, 4o-42, 389.
Akathisie, 191.
Akinesia algera, 190.
Alcoolisme. Impulsion dans V — , 84-
Alg^simktre k ressort, 4o5.
Algie, 182, i85 ; — avec hjrpocondrie,
52 ; — de la tdtc, 187 ; des organes
g^nitaux, 188; de la vessie, 189 ; de
Tanus, 190 ; sensibilite dans les — ,
196.
Alienation. Danger de 1' — , 658.
Alimentation. Honte de l* — , 38, pho-
bic de r — , 192 ; — des malades, 690.
Alternance des troubles de la digestion
ot des troubles c6r4braux, 4i3-
7i6
INDEX ANALYTIQUE DES MATlfiRES
Amaxophobie, 2o5.
Ambition. Sentiment d* — , 3o3, 3o4.
Amnksif. chez Ics psychastheniques, 3a8,
353, — continue, 358, — dans la
maniedela recherche, ia3.
Amour de la liberie, 276; — de Thon-
n^leto, 39a ; — de la justice, 393 ; —
de college, 389 ; obsession d' — , 3o,
592.
A«NALGESIE, 335.
Analyse des urines, f\i'].
Ananca8mk, 77, io5.
A-NATOMiQUE. Representation — des
theories, 599-605.
Anestiiekie chez Ics psychastheniques,
319. 3ao, 3a3, 3a6 ; — k la fatigue
chez los anorexiques, 35.
Angois.se, 3, 44 1 47» i8a ; — dans les
algics, 198 ; — dans les phobics du
contact, 199; — dans les agorapho-
bies, 2o4 ; — diffuse, a 1/4 ; di verses
formes de 1* — , 317; tableau -des —
a34 ; troubles physiologiques de 1* — ,
218; exji^riences sur 1* — , 219 : agi-
tations dans r — , 46() ; paralysies dans
r — , a 19 ; excitation grnitale dans
r — , 221 ; troubles digestifs dans 1'
— , 222 ; diarrh^es dans 1' — , 223 ;
pollakiurie dans V — , 223 ; troubles
de la circulation dans I* — , 223, 224»
226; troubles des secretions dans V — ,
227 ; troubles de la respiration dans
r — , 227 ; — physique et morale,
466 ; troubles psychologiques dans 1'
— 232 ; timidite et — , 346 ; — et
vertige ^pilcptiquc, 509 ; interpreta-
tion de r — , 56i ; — par derivation,
56o, 563 ; systematisation des — 58o.
Anorexie, 33, 34. exag^ration des mou-
vements dans 1* — , 35.
ANXifeiK. fitat d* — diffuse, 2i4 ; —
mentale. 232.
Arithmetiql'e. Manie — , 118.
Arrft dc rinstniction, 36o ; — des
sentiments et des Amotions, 3oo, 370
Artistiques. Remords — ,25.
Ascension. Image de 1* — , 25 ; — du
niveau mental, 3i4, 525-527; — par
les substances ezcitantes, 5a8 ; — par
le changcment, 529 ; — par refrort,
53o ; — par Tattention, 53 1.
Ascetisme. Disposition k V — , 436.
Association. Evocation des obsessioos
par r — , 71 ; manie del' — , 75, 117 ;
generalisation de V — , 72.
Atta(}ue hyslerique ct agitation, 179.
Attente. Derivation dans 1* — 556.
Attention. Troubles de I' — , 244*362.
363 ; dcdoublement de V — , 369 ;
graphiques de T — , 364 ; la place de
r — dans la hierarchic psychologique,
478 ; r6lede I* — dans la psychaslh^-
nie, 532 ; excitation |mr I* — , 53 1 ;
derivation dans les efforts d' — , 563,
565 ; role do V — dans la systemati-
sation des troubles, 575, 577 ; reedu-
cation de r — , 7i5.
Attitude des malados, 6 ; tics d' — , i65.
Au DELA. Manies dc I' — , 1 13
AuDiTiF. Sens — , 32 1.
Aura dans les periodes psychastheniques,
44o, 44a.
Automatisms. Sentiment d* — 272, la
place des actions — dans la hierarchie
psychologique, 483.
Autoritaire. Caractere — , 195, SgS ;
— et volontaire, 395 — dans le trai-
tement, 709.
AvKNiR. Manie del* — , 126.
Basophobie, 190.
Besoin de direction, 3i, 382, 384; —
d'aimer, 388 ; — d'etre aim^, 82,
389 ; — d'autoritc, 898.
BoiLiMiE et sentiment defaiblesse, 268.
Bruits dans la t6te, 4oo ; peur des — ,
195.
Caractere des scrupuleux, 6a5; here-
dite de ce — , 610 ; influence du —
ant^rieur, 624 ; influence du — sur le
pronostic, 682.
Cahdiaquk. Troubles — dtns - I'an-
goisse, 2a3.
Ci-:ciTE Sentiment de — , agi .
Gepualalgie, 187, 399; forme des — ,
399, 4o4 ; localisation des — , 4oi,
4o5.
INDEX ANALYTIQUE DES M\TI£RES
747
Gepiialo-kachidien. R61e du liquide —
dans les cephalalgies, 4o3.
Cerebral. Th^orie — de la psychasthd-
nio» 60 1 -605.
Gkri§bro8thkmk elc^rdbrasth^nio, lig^.
Chords et tics, 4 1 ; — dans la crise
d'excitation, 179.
Chute de la tension psychologique, 5oi ;
— produite par Temotion, Saa ; —
am^no les derivations, 669.
Cicatrices. Honte des — du visage, ^3.
Circulation. Troubles de la — , 432 ;
— — dans Tangoissc, aa6 ; th^orie
circulatoire de la psjchasthenie, 600.
Classification des phobies, i83 ; —
des algies, 186 ; — des variet^s de la
psjchasth^nie, 64a.
Claustrophobie, ao5.
Collection. Manie de la — , ia5.
CoMBDiB. Sentiment de jouer la — ♦ a77.
Compensation. Manie de la — , i38.
Complications de la maladie, 657.
CoNFiANCE. Perle de la — , 396.
Confusion menlale, 66, 658, 661, —
avec excitation, 66a ; — avec d^mence
pr^oce, 66a ; diagnostic de la — , 673.
Conjuration. Manie des — , i43 ; for-
mules de — , i45.
Conscience du corps et de ses fonctions,
34; — dans I'obsession, 66, 97, —
dans les tics, i6a ; — dans les agita-
tions, 354 ; troubles de la — person-
nelle, 3o8 ; retrdcissement du champ
de la — , 319; — dans les crises de
psjcholepsie et dans les acc^s ^pilepti-
ques, 5o4-
Constipation, 4i4; — avec retention,
667 ; traitement, 69a.
CoNSTiTUTioNNEL. Maladie — et maladie
acquise, 63 1.
CoNTENu des idces obs^dantes, 3, 4» 54 ;
interpretation de ce contenu, 596.
CoNTRASTE dans Tobscssion, a3, 60 ;
dans les tics, 167 ; manie du — , ii5.
Cortical. Theorie — de I'obsession;
60a.
Crainte de la lutte, a43, 390 ; — de
risolement, 391.
Crampe des 6crivains, 45, 190,
et manie de la perfection, i33; inter-
pretation de la , 574.
Crepusculaire. Etat — dans Tepilcpsio
et dans la psychasthenic, 5o5-5o7.
Crime. Obsession du — , la, i5.
Cri8E de psycholepsie, 5oi ; — d'agita-
tion, 17a, 178, — des efforts, 17a,
les — de marche et de parole, 176 ;
les periodes de — , a39 ; point de de-
part des — , a4i ; raclion audebutdes
— , a4i ; Tattention au d^but des — ,
344; Tcmotion au debut des — , 345;
les — de fatigue insurmontable, 353.
Critique de Tobscssion, 67, 9698.
Croyance k Tobsession, 95-97 ; troubles
de la — , 345 ; place de la — dans la
hierarchie psychologique, 479.
Debut de la maladie,' 5, 6i5, — de Fex-
pression des iddes, 5 ; les formes du
-. 634.
Declamation dans le r6ve et dans la
rumination, 353.
Decouragement. Sentiment de — , 397.
Dedoublement. Sentiment de — dans
la perception, 384 ; dans la personna-
lite, 309, 3ia ; — del'attention, 369;
— chez les psychasth^niques et chez
les hysteriques, 309.
Def^xation. Troubles de la — , 4i4 ;
phobie dela — , 194.
Degenerescence. Stigmates de — , 611 ;
maladie de — , 63 1, 739.
DfecLUTiTiox. Phobie de la — , 193.
Deja-vu. Obsession de — , 39 ; senti-
ment de — , 387, 3i7 ; interpretation
de ce sentiment, 548.
Deliberation. Manic de — , 109.
Delirb melancolique, 35, 66, 659, 673,
— des (iancds, 36, 638, 700, — du
doute, 36, — de maigreur, 81 ; —
de persecution, 659, 677, 679, acci-
dents dc — , 66.
Dkmknce, 663; — sp^ciale, 666.
Depersonnalisation. Obsession de — ,
38, 3io, 3ii, sentiment de — , 3o5,
3i5; — h la suite d*emotions, 53 1;
Interpretation de la — , 549-
748
INDEX ANALYTIQUE DES MATlfiRES
Derivation. Thdorie de la — psycholo-
giquo, 554 ; — dans le rire, 555 ; —
dans Tattente, 555 ; — dans la dou-
leur, 556 ; — dans Tangoisse, 558, 56i ,
56a ; — causae par Tabaissement psj-
chologique, 559 ; — dans les Amotions,
563 ; — dans Tattention, 56a ; —
dans la rumination mentale, 56^.
Dekmatophobie, 186.
Desirteress£. Op^'rations — , leur place
dans la hi^rarchie ps^chologique, 48a,
frequence des operations — , 569.
Desordre. Le — des actes, 34o.
Desorientation. Sentiment de — , a85.
D&VELOPPEMENT dos id^s, loi ; — in-
complet, io3.
Diable. Le culte du — , 11 ; sentiment
de Taction du — , 375.
DiAGiNOSTic de la sitieirgie psychasth^-
nique et de Tanorexie hysterique, 36,
— de la psychasthenic, 670 ; — de
la neurasthenie, 671 ; — de la confu-
sion, 67a ; — de la m61ancolie, 67a ;
— de la paralysie g^n^rale, 67a ; —
do la maladie des tics, 67^ ; — de
rhysl6rie, 67^-676 ; — des d^lires
Bjstematis^s, 676, 677.
DiARRHEEs dans Tangoisse, aa3.
DiEU. Le blaspheme contre — , 11 ; sen-
timent de Taction de — , 375.
Difficult^:. Sentiment de ~, a8i.
Digestion. Phobic de la — , 193 ; trou-
bles de la — dans Tangoisse, aaa ;
troubles permanents de la — , 4 10,
4i4> alternance des troubles de la —
et des troubles ccrcbraux, ^la ; abais-
sement du niveau mental par la — ,
5i5.
DiPSOMANIE, 18, 80.
Direction. Besoin de — , 3i, 38a ; —
mutuelle, 384 ; traitement par la — ,
706, 707, 715.
Distraction. Action avec — ,48a.
Domination. Sentiment de — , 373, 375.
DouLEUR. Sensibilite k la — dans Ics
algies, 197 ; diminution de la — chez
les psychasth^niques, 335, douleurs de
la tdte, 399-4o5 ; — detcrminee par
les insuffisances, 554 ; excitation par
la ~, 555.
Doute, 36, — de T hallucination, 98 ;
— de Tobsession, 96-98 ; sentiment
de — , 395, 397.
Dromomanie, 18, 177.
DuR^E de Tobsession, 68.
Dysesth^sie visc^rale, 86 ; — tactile,
87.
Dysmorphopiiobie, 309.
Eclipses mentales, 369.
Egriture. Honte de T — , 45 ; desordre
de T — , 34o.
Education, 636; prophylazie par T — ,
686.
Effort imaginaire, i45 ; la crise des — ,
173 ; — de vomissement, 175 ; senti-
ment d* — , 365 ; sentiment de Tinuli-
lite des — , 378 ; faiblesse des — , 389 ;
excitation par T — , 53o ; — intellec-
tuel, 533 ; derivation dans les —
d*attention, 563, 565, 567 ; direction
des — , 715.
Eloignement. Sentiment d' — dans la
perception, 386.
Emotion, agitation ^motionnelle, i8a ;
trouble de T — au d^but des crises,
345 ; — d'admi ration au debut des
crises, 346 ; sentiment d'incompletude
dans les — , 398; sentiment d'arr6t
des — , 3oo; difficult^ de Texprcssion
des — , 348 ; troubles des — ,370; ar-
rM des — , 370 ; — retardante, 378,
54 1 ; — sublimes, 38o ; troubles visce-
raux dans T — , 469 ; — sth^niquo,
535 ; besoin de preparation dans T — ,
54 1 ; influence de T — sur Tanoreric,
35 ; influence de T — sur le niveau men-
tal, 195, 5 17 ; sur TinsufiBsance psycho-
logique, 5i9 ; sur Tobsession, 4 60.
465,5 18, 594i 63o ; influence des pelites
ct des graves — , 578 ; la double Amo-
tion k Torigine des obsessions, 598 ;
thdorie de Lange- James sur T — , 43 ;
T — ph^nomcne mental, 533 ; disso-
ciation par T — , 533 ; T — ct Tac-
tion du froid, 534; excitation par T
— , 536, 537, 54 a ; theories emotion-
INDEX ANALYTIQUE DES MATIfiRES
749
nelles. 453, 455.458, 46i, 462 ; V —
presente, sa place dans la hi^rarchie,
48 1, 485 ; complexile de 1' — , 589;
derivation dans 1' — , 56 1, 563 ;
reeducation de V — , 711.
Emotivitf, 377, 379, 455 ; son rapport
avec Temotion, 468, 5ao ; derivation
dans r — , 563, 564.
ENOOciNB. Originc — des obsessions,
64, 58^.
Enfant. Obsession d'etre — , 32, 4o ;
retour kV — , 391.
Ennui. Sentiment d' — , 3oo, 375.
Ent^tement. Crises d' — au debut de
la maladie, 638.
Enthousiasms. Sentiment d* — , a46,
38o.
Envie. Obsession de V — , 39.
Epilepsie. Impulsions dans 1* — , 84 ; —
et photophobie, 196; — et psycho-
lepsio, 5o3-5i4 ; — et obsession, 5o6,
5ii, 5i2; — et angoisse, 5o8; — et
rumination, 5io ; — et psjchasthe-
nie, 733.
EsTOMAC. Troubles del' — , ^12.
Ereutophobie, 43, ao6, caract^re social
de r — , 208.
Etiologib de la maladie, 606 ; influence
dcs conditions physiques, 619 ; in-
fluence des conditions morales, 6a ^ ;
influence de Teducation, 6a6 ; in-
fluence des probl&mes de la vie, 637,
6a8.
Etonnrment, 137.
Etrange. Sentiment de V — dans la
photophobie, 196; dans la per-
ception, 383 ; dans la conscience, 3i i ;
interpretation, 546.
Euphorie dans Tanorexie, 35.
Evolution de la maladie, 66, 606, 634 ;
les varietesde V — , 64i, 645, 646,
648, 653.
Excitation. Crises d* — , 178; besoin
d' — , 3o3, 385 ; diverses excitations,
538. 539, 53o, 53r, 534, 535, 542,
555.
Execution partielle de Timpulsion, 79,
80, 83, 83.
ExoG^NE. Theorie — des obsessions,
63.
Expiation. Manie d' — , 139.
Explication. Manie d' — , 136.
Expression des idees obsedanles, 4» 5 ;
difficulte de V — , 348 ; debut de l* —
des idees obsedantes, 634.
Extatique. Sentiments sublimes des — ,
383 ; eiats — , 660.
Extreme. L'action — dans Tobsession,
61 ; manie de V — , i35.
EcziIma, 423.
Faiblesse des ofibrts, 339 j sentiment
de— , 268.
Faim. Perte de la — , 34 ; exageration
de la — , 268.
Fanatisme et autoritarisme, 397.
Fatigue. Anesthesie k la — dans I'ano-
rexie, 35 ; la — dcs psychastheniqucs,
339, 352 ; influence de la — , 5i5.
Fiances. Delire des — , 26, 628, 700.
FifevRE. Influence de la — , 65o.
FixiT^. Manie de la — des idees, ii4.
FoLiE. Obsession de la — , 28 ; — de
rinterrogation, 126, — metaphysique,
126 ; — du doutcet tics, 236.
FoNGTioN du reel, 43 1, 438; sa place
dans la hierarchic, 477.
FoNTANELLEs. Localisation de la cepha-
lalgic aux — , 4o2.
Force. Caracl^re — des agitations, io4 ;
action — dans Ics tics, i64-
FoRMK des obsessions, 3, 65, 596 ; —
aigue, 646 ; chronique, 647 > chroni-
que, 647; intcrmitlente, 648; remit-
tente, 652.
Fugues, 17 ; — et crises de marche,
177.
G^.NE des mouvcmenls, 4i ; sentiment
de — , 271.
Geni-:rai.isation de Tassociation, 72 ;
manie de la — , i36 ; — de la mala-
die, 655, 656.
Genital. Impulsion — , 16 ; hypocon-
drie — , 5i, 52; manies — , i35 ; ex-
citation — dans Tangoisse, 221 ; en-
gourdissemenl, 373, 425 ; difficulte
des actes — , 573 ; influence des trou-
7:.o
INDEX ANALYTIQUE DES MATlfiRES
bles — , 6a 3; excitation par remotioii
-.5/ia.
Graphiques de Tatteiition, 364> 365;
de la respiration, aa8.
Grossrssk. Influence de la — , 6/19.
GuERisuN naturclle par I'Age, 666, 667.
Habitudf. Difficult^ de Tacquisiiion de
r — , 3^:4 ; influence de 1' — sur la
syst^matisation, 679.
Hallucination hysterique, 56, 73, SG ;
— ps^rchasthonique, 10, 85 ; — visc^-
rales, 86 ; — auditives, 87 ; — vi-
suclles, 8S ; — du precipice, 89 ; —
symboliqucs, 89, 94« lao ; — incom-
pletes, 90, 91, 9a, 94 ; — de la per-
son nc vue au dehors, 3i4; — sans
r^aliie, 438 ; la tension psychologique
dans r — , 49a-
IIeb^phkenik, 66a.
HERtoiTE, 607, 610, 680.
Hesitation. Manie de V — , 108, 337.
HiERARCHiB des ph^nom^nes psjchologi-
ques, 180, 487, 474.
HoNS^TKTfe. Amour de l' — , 39a.
HoNTE. Obsession de — , aa, a3 ; — du
corps, 33-4o. 43, 44> 45, 46 ; senti-
ment de — , 377.
Hydrorkhj:f: dans la photophobio, 196;
— intcstinale, aa3, 4^4 ; — vaginalc,
4a4.
Hydkoth^ikapie, 539.
Hygikne du psychasthdnique, 690.
Hypermnesik apparentc, 118.
Hypnotique. Sommeil — chez les psy-
chaslh (Uniques, 33o, 33 1, 33a ; Iraite-
ment par le sommeil — , 7o3-7o5.
Hypocondrik urinaire, 48 ; — gc^'nitale,
5o-5a.
HYST^RiguE. Anorexie — , 34 ; id6es
Axes — , 65, 99 ; impulsions — , 84 ;
— hallucinations, 86, 9a ; somnam-
bulisme — , 100 ; attaques — , 179;
d^doubloment — , 3o9 ; diagnostic de
la psychasth^nie etde V — , 674,734.
lofeALisME. Obsession de V — , 37.
lofeE. Fuite des — , i55 ; phobiedes — ,
aio ; recherche des — g^n^rales, 395.
Imaginaire. Sentiment de V — , 387-389.
Imbecillite. Impulsions dans V — , 84-
Immobilit^, comme tic d'attitode, i64-
Imperfection. Sentiment d' — , ai.
Impulsion criminelles, i5 ; — nega-
tives, 18 ; — dans Tidee obstante,
75 ; — dans les phobies, les hontes,
77 ; — irresistibles, 77 ; resistance k
V — , 78 ; execution de V — , 79. 84 ;
manie de V — , 85 ; symbole de V — ,
ia3 ; r — dans les tics, 167 ; inter-
pretation del' — psychasth^nique, 698.
iNACHfevEMBKT des actes, 341 ; sentiment
d* — . 398.
Incapacity. Sentiment d' — , 368.
Incompletude de Taction, 163 ; senti-
ment d' — , 364, 380; dans
r^motion, 398 ; dans le sommeil,
3oo ; et inquietude, 3o3 ;
dans la perception personnelle, 3o5 ;
tableau des sentiments d' — , 4a7; in-
fluence des sentiments d' — sur les
obsessions, 585 ; interpretation de ces
sentiments, 544> 545.
Incoordination dans Tangoisse, aai ;
sentiment d' — , 394.
Indecision. Sentiment d' — , 369.
Independance. Obsession d' — . 3o.
Inoiff^:rbnce. Sentiment d* — , 398 ;
dtot d' — , 373. 374.
Indolence, 335.
Inertie complete, 353, 664-
Infectifux. Influence des maladies — ,
5i4.
Inierirur. Caractore — des pb^nom&nes
de I'agitation, 35 1 ; des Amo-
tions dans Tangoisse, a53 ; senti-
mentd' — . 3ii.
Infini. Manie del' — , i36 ; rumination
sur r — et epilepsie, 5i3.
Inhibition des actes, 345 ; aboulie et — ,
349.
Inquietude. Sentiment d' — , 3oi ; —
et peur, 3oi ; — et incompletude,
3o3 ; — ant^rieure k TAreutophobie,
44-
Insomnie, 4o8.
Instabilite. Sentiment d' — , 382 ; —
de Tattention, 363.
INDEX ANALYTIQUE DES MATlfiRES
7M
Insuffisakce psjchologique, 3 19, 43o ;
— psychologique, SgS ; — d^termineo
par remotion, 5a i ; douleur determi-
n6e par 1' — , 55/i ; influence des —
sur I'obsessioii, 089.
Iktelligenck. D^veloppement de 1' —
chez les scnipuleux, 354 ; sentiment
d*incoinpl6tude de V — , a8i, 298,
36 1 ; la place de V — dans la hierar-
chie psychologique, 484 ; rdle de V —
dans I'obsession, 55 1 ; thuorics intel-
lectueltes de Tobsession, 45o.
iNTEHNEMKN'rdes psycliaslh^niques, 70a.
Interrogation, besoin d' — , 294 ; ma-
nie de r — , 107 ; du sort, 1 10.
IrvTEsTiNAi., troubles — , 4i4-
Intimidation. Sentiment d' — , 278.
Introspection psychologique chez les
psjrchasth^niques, 485.
Inversion sexuelle, 16, 49* 590.
IsoLEMENT. Crainte de T — , 891 ; r61e
de r — dans I'agoraphobie, 092.
Irr^el. Sentiment de V — , 27, 289 ;
dans rhallucinalion, 98.
Irresistible. Impulsion — , 77 ; carac-
tcre — des agitations, 255 ; sentiment
de domination — , 275.
Isolement. — Sentiment de V — , 208,
286 ; crainte de 1' — , 891 ; role de
r — dans Tagoraphobie, 2u8, 592 ;
— terminal du malade, 064.
Jalousie. Obsession de — , 590.
Ja.mai8 vu. Sentiment de — . 288.
Jeu. Excitation par le — , 54a,
Justice. Amour de la — , 898.
KlNKSTIIESIQUE. ScnS , 82I.
Langagb. Phobie du — , 194.
Lkgal. Pronoslic medico , 688.
Lentkur. Manie de la — , i3o ; — des
actes, 888.
LiBERTK. Amour de la — , 274 ; senti-
ment de perte de la — , 278, 275.
LuTTE. Crise de — , 174; crainte de la
— , 848, 890.
Maladresse des mouvemcnts, 84 r> 486.
Manie mentale, 106 ; de la fixity des
id^es, 70, ii4 ; de Tassociation, 75 ;
des vomissements, 8a ; de Timpulsion,
85 ; du symbole, 9^, 120 ; de Thallu-
cination, 95 ; del'au delk, 118 ; de la
precision, 118 ; des verificatioiis, ii4 ;
de I'ordre, ii4 ; de la symMrie, ii5;
du conlraste, ii5 ; de la contradic-
tion, 116 ; de I'association des id^es,
117 ; des petites clioses, 117 ; de Ta-
rithm^tiquo, 118, 119 ; de la recher-
che, 122 ; du pass^, 122 ; de Tavenir,
ia6;de rezplication, de I'interroga-
tion, laO; des precautions, ia8 ; de
la lenteur, 180 ; de la propret^, 180 ;
de la repetition, 181 ; du retour en
arriire, 182 ; des procedes, 188 ; dela
perfection, i84 ; de I'extreme et de
rinfini, 61, i85 ; des generalisations,
186; de I'absolu, 186 ; de la repara-
tion, 188 ; de la compensation, 188 ;
de Texpiation, 189; des pactes, i4i ;
de la superstition, i4i ; des serments,*
i4i ; des conjurations, i48; tableau
des — mentales, i47 ; unite clinique
des — , 147 ; rAle des — dans les tics,
1 65 : sjstemalisation des — mentales,
582.
Marche. Troubles de la — , 46 ; impul-
sion k la — , 176.
Mariage. Dilficulte du — 578 ; in-
fluence du — sur le d^veloppement de
la maladie, 628 ; precautions k pro-
pos du — , 684* 700.
Massf. La — des phenom^nes dans la
tension psychologique, 494.
Masturbation. Impulsion & la — , 17,
48 ; son rapport avec les aboulies so-
ciales, 578 ; influence de la — sur le
debut dc la maladie, 6ai-6a8.
Mf^coNTENTEMENT. Sentiment de — , 32,
26, 276.
Mkuication sedative, 698 ; bromuree,
694 ; toiiique, 695.
Melancolie. Deiire — ,25 ; — anxieuse,
66, 659 ; sentiments — , 875 ; dia-
gnostic de la — , 672.
Mi^iMoiHE. Exageratton de la — , 858 ;
— retardante, 858 ; place des di verses
formes de la — dans la hierarchie,
480, 4^8.
752
INDEX ANALYTIQUE DES MATIERES
Mknsonge. Sentiment de — , 277.
Mentismk, 100, 1 55.
M^iTAPHYsiQUE. Manic, 126, 138.
MlCROMA!CIE» 117, 195.
Miction. Scnipule de la — , 48.
MiSOMKISMR, 344-
Morphine. Maniede la — , 80 ; influence
de la — , 529 ; trailement par la — ,
MoKT. Obsession de la — , 52 ; senti-
ment de la — , 3i6, 877.
MouvEMRNT. Exageraiion du — , 35 ;
honte des — , 4^ ; caract^re inf6rieur
des — dans les tics, 181 ; troubles des
— dans Tangoisse* 220, 221 ; roala-
dresse des — , 34 1 ; — subconscients,
229 ; r6le des -r- dans la tension psy-
chologique, 4^9 ; excitation par le — ,
53i.
MuscuLAiRE. Sensibility — , 32 1 ; sa
mesure, 32 1.
Myst^rieux. Sentiment du — , 275,294*
Nl^JOLOGISMES, 7.
Neurasthi-^nie du d^but, 635 ; psychas-
th^nie et — , 736.
Ni^vROPATHiE c6r^bro-cardiaque, 309 ;
et dpilepsie, 5o5.
Niveau mental ddfini par les degres de
la tension psychologique, 496 ; oscilla-
tion du , 498 ; influences qui 66-
termiiient Fabaissement du — — ,
5i4 ; Tascension du , 525.
Nouvkau. La place de Taction — dans
la hierarchic, 477 * c^iAiculte cles actes
— . 344.
Nutrition. Troubles de la — , 4i5, 657.
0Bir:i8SANCE, 343.
Obligation. Sentiment d* — sacr^e,
275.
Obsession du sacrilege, 9 ; du crime,
12 ; de la honte de soi. 22 ; de la fo-
lie, 28, 589 ; de depersonnalisation,
28 ; d'envie, 29 ; d'ind^pendance, 3o;
d*amour, 3o, 591 ; d'etre un enfant, 32 ;
de la honte du corps, 33 ; des inou-
vements, 4i ; du faux col, 4i ; des
yeux, 4i ; de Timpotence des jambes,
46 ; visc^rales, 46 ; urinaires, 47 ;
genitales, 48-52 ; de I'impuissanoe,
49 ; de la mort, 52 ; des maladies,
52 ; tableau du contenu de 1* — , 54 ;
r — porte sur les actes, 57, 58 ; —
d'origine endog^ne, 64. 584 *• forme
des — , 65 ; — conscientes, 66, 67 ;
permanence et Evolution del* — , 68 ;
croyance k V — , 95, 97 ; d^veloppc-
ment incomplet de V — , io3 ; 1' — el
la suggestion, 452 ; — et Amotion.
465, 5i8 ; — et ^pilepsie, 5ii, 5i2 ;
interpretation del* — , 583, 589 ; in-
fluence des ev^nements ext^rieurs sur
l* — , 592, 593 ; la double Amotion k
Torigine des — , 593 ; interpretation
de la forme des — , 595, 596.
Odor AT. Phobie de l* — , 194.
GEofeMEs, 423.
CEiL. G6ne des — , 4i ; obsession des
-, 4i.
Oromatomanie, 124* i34-
Ordre. Manie de l* — , 1 14.
Oscillation. Mtnie de 1*—, 106; —
de la volonte, 337 > — de la tension
psychologique, 498 ; — avec abaissc-
ment du niveau mental, 5i4 ; — avec
elevation, 524 ; — parle changement,
529 ; — par Teflbrt, 53o ; — par Ve-
motion, 536 ; — de la maladie, 648-
653 ; — entre le delire du scrupule
et le delire de persecution, 678.
Olie. Phobie de 1' — , 195.
Pactes. Manie des — , i4i.
Palpitations dans langoisse, 224-
Paralysis chez les psychasthentques.
328 ; diagnostic de la paralysie gene-
rale, 672.
Paresse, 336.
Parole, interieure, ii4; impulsion k la
~ "77.
Passim. Manie du — , i25 ; sentiment
du — , 288.
Perception. Trouble des — dans les
phobies des situations, 202 ; troubles
de la — personnelle, 3o5 ; inintelli-
gence des — , 36 1.
Perfection. Manie de la — , i34, i35.
Periods de la maladie, 65 ; — psychaa-
INDEX ANALYTfQUE DES MATIfiRES
753
th^oiques, i39-44a ; — 'de r^miMion,
65i, 652 ; — critiques* 654-
Persecution. Sentiment de — , 276 ;
— dans la crise de lutte, 174 ; idees
de — , 590 ; d^lire de — , 659, 677,
679-
Person^iel. Sentiment dlncompMtude
— , 3o5 ; d'^tranget^ — , 3ii ; d*infi6-
rioril^ — , 3i I ; de dedoublement — ,
3ia ; hallucination — 1 3i4 ; senti-
ment de perte de la porsonne, 3i5.
Petitesse. Sentiment de — dans la per-
ception, a86.
Peur et inquietude, 3oi ; — de la
lutte, 343.
Phobib d'engraisser, 37 ; base — , 46 ;
— des pets. 47 ; — dans les obsessions,
56 ; — des chemins de fer, i33, i8a,
1 83 ; classification des — , i83 ; —
des fonctions du corps, 47» 190 ; —
des mouvements des membres, 190 ;
— deTalimentation, dela deglutition,
19a ; — de la digestion, 193 ; — du
ventre, 193 ; — de la defecation, 194 ;
— du langage, 194 ; — de Todorat,
194 ; — de I'ouie, 195 ; photo — ,
195 ; — des objets, 198 ; — du con-
tact, 199 ; miso — , rupo — , aoo ; —
professionnelle, aoi ; — des situations
physiques, aoi ; agora — , aoa ;
claustro — , ao5 ; erenlo — , 4^, ao6 ;
— des situations sociales, ao6 ; —
sociale, aio ; — du manage, aio ; —
des idees, aio ; — de la folic, an ;
— dela mort, aia ; interpretation des
— professionnelles, 574 ; localisation
des — , 569-577.
pHRi^?iOLEPsifi. Crises de — , 5oi«
Physiologique. InsufBsance — , 398.
PoLLAKitiHiE, aa3.
Polyj>,niSe, aa9.
PoLYURiE, aa3.
Pratique. Defaut de — , 436.
Precautions. Manie des — . ia8; —
dans les tics, 169.
Precipice. Image du — , a5, lai.
Precision. Manie de — , ii3.
PrEpabaiion dans I'emotion, 54 1>
LES OBSESSIONS.
PrEsage. Manie des — , no.
PrEse.nt. Effacement du — , ia5 ; sen-
timent du — , a88, 48 1 ; presentifica-
tion, 481 ; troubles dans les fonctions
du —.434, 437.
Pressentimeiyt, 389.
Prersiom arterielle dans I'angoisse, aa5.
PbocEdE. Manie des — , i33.
Procbssigrammes. Graphiques de Tat-
tention, 366.
pRoFE8SioN.>EL. Phobies — , aoi ;abou-
lies — , 349; Taction — , 477; s*
difficulte, 574.
PromnEsir, 389.
Phonostic, 680.
Prophylaxis, 684.
PropretE Manie de — , 117, i3o, 169.
PsychasthEnique. Diverses designa-
tions des — , viii ; difficulte de Tetude
des — , a6i ; impulsions — , 84 ; stig-
males — , a6o ; troubles de la con-
science des — , 309 ; periodes — , 439-
443 ; abaissement des — , 5oa ; — et
epilepsie, 5i3, 733 ; — constitution-
nelle et — acquise, 63 1 ; varietes cli-
niques des — , 64 1 ; marche de la
maladie — , 645 ; — et hysteHe, 675,
734 ; — el neurasthenie, 736 ; — et
deiire de persecution, 678 ; les dan-
gers de la — , 680 ; unite de la — ,
7a5 ; interpretation palhologique de
la — , 737 ; definition de la — , 737.
PsYCHOi.EPSiE. Crises de — , 5oi ; — et
epilepsie, 5o3-5i4-
PsYCHOLOGiQUE. Rcgions — du corps
humain, 190, 337 ; hierarchic — ,
474 ; phenomenes — eiementaires,
474.
PsYCHO-.>EvRosE. PUcc dc U psychas-
thenic parmi les — , 733.
PuBERTE. Honte de la — , 39 ; influence
de la — , 617 ; — morale, 618.
PuDBUR. Evageration de la — , 4o.
PupiLLEs. Dilatation des — , 409.
Rachialoir, 4o6.
Raisox.>rmbnt, sa place dans la hierar-
chic, 485.
Recherche. Manie de — , ia3.
1. -48
(
INDEX ANALYTIQUE DES MATlfeRES
Sentiment de fausse
754
Reconnaissance
-. a87.
Rl^^DucATioN. de l*6motion » 711 ; — de
rattcntion, 715.
Rt^iEL. Le sentiment du — , 98, 290,
43a, 435 ; la fonction du — , ix, 43 1 ;
place de la fonction du — dans la hie-
rarchies /177 ; coefficient de — , 487 ;
perte de la fonction du — , 433, 438,
569 ; interpretation de la perte de la
fonction du — , 546.
Ri^:flexe8. Modification des — , 409.
Refus d'aliments, 33-43.
REGIME alimentaire, 690.
Ri^:gion8 psychologiques, 190, 337.
Regles. Modifications des — , 4^5, 436 ;
influence des — , 6/19.
Religieuse. Id^es — , i3 ; Amotions — ,
639.
Rememoration. Manie de — , 134.
Ri^:mission de la maladie, 653.
Remords. Obsession de — , 19, 21.
REPARATION. Manie de — , i38 ; -— dans
Ics tics, 170.
Ricp^TiTioN. Manie de — . i3i.
RepoSv Traitement par le — , 69a.
. Repr^isentation imaginaire. 3i ; sa
place dans la hi^rarchie, 484.
Respiration dans Tangoisse, 337.
Responsabilite, i4 ; crainte des — ,
371.
Retard ANT. Action — , 338 ; m^moire
— , 358 ; emotion — , 378.
Retour en arriere, Manie du , i33 ;
— h Tenfance, 391.
Retrecissement du champ de la con-
science, 319.
Reverie forcee, |53 ; disposition h la
— . 368.
Ri^vE et rumination, 353 ; sentiment de
— , 289, 390.
RigvQLTE. Sentiment de — , 379.
Rhinorrhee, 434*
RiRE. La derivation dans le — , 556.
Rumination mentale, 106, i49f 467 ;
— — et epilepsie, 5 10 ; derivation
dans la , 564.
SackE. Sentiment d*obligalion — , 275.
Sacrilege. Obsession du — , 9-13 ; sen-
timent de — , 200.
Satisfaction. Sentiment de — dans les
crises, 257.
ScRUPULEux. Garactere — , 5, 57.
S^XRfeTioN. Troubles des — , 227, 433.
Sensibilite. Troubles de la — , Sao,
323 ; regions dc — , 827 ; — du cHine,
4o5.
Sentiment de mecontentemcnt, 8, 376;
d*im perfection, 34 ; d*euphorie dans
Tanorexie, 35 ; de pudeur, 4o ; de sa-
crilege, 300 ; d'isolement, ao3 ; de
mort, de folie dans Tangoisse, 33a ;
dc perte de la liberty, 333 ; d*irresis-
tibilite, 356 ; de satisfaction dans la
crise d'agitation, 357 ; d'incomple*
tude, 364* 380, 3i3 ; deTeflbrt, 3()5;
de la difliculte, 266 ; de Tinutilite de
Taction, 367, 378 ; d'incapacile, 268 ;
d'inddcision, 369 ; de g£ne dans Tac-
tion, 271 ; d*automalisme, 272 ; de
domination, I3i, 378; d'etre tromp^,
375 ; de persecution, 375 ; d'obliga-
tion sacree, 375 ; de mensonge, de
comedic, 377 ; de hontc, 377 ; d*inti-
midation, 378 ; de revolle, 279 ; de
difticulte de Tattention, 281 ; d'insta-
bilite, 282 ; de perception incomplHe,
282 ; d*etrangete, 283 ; dejamais-vu,
283 ; de dedoublement, 284 ; de deso-
rientation, 285 ; de petitessc, d'eloi-
gnement, 286 ; dc Timaginaire, 387 ;
de dej&-vu, de fausse reconnaissance,
287, 817 ; du passe et du present,
288 ; de presscntiment, 289 ; de reve,
289, 290 ; de cecite, 294 ; de dispari-
tion du temps, 291 ; dHnintelligcnce,
293 ; du m^sterieux, 294 ; de doute,
^9&> 397 ; de decouragement, 297 ;
d'inach^vement, 298 ; d'indifference,
298 ; d'ennui, 3oo ; d'incompietude
du sommejl, Soo ; d'inquieiude, 3oi ;
du besoin d*excitation, 3o3 ; d'ambi-
tion, 3o4 ; dedepersonnalisation,3o5,
3 II, 3 1 5, 317; d'etrangete du moi,
3ii ; de dedoublement du moi, 3ia ;
de mort, 3i6 ; arret des — , 870 ; —
INDEX ANALYTIQUE DES MATIfiRES
7J5
mdlancoliques, 875 ; — d'onnui, 875 ;
de la fin du monde, 877 ; d*enthou-
siasmo, 880 ; de vide dans la l6te, 4oo ;
— du reel, 48a ; inlerpr^lalion des —
d'incooipl^tude, 544. 545 ; des —
d'etrange, 547 » ^^ ^^i^ ^"» ^^^ » ^®*
— de d^pereonnalisalion, 549 > ^^'
fluence des — d'incompl^tudc sur les
obsessions, 585 ; — pathologiques au
d^but de la maladie, 635.
Serment. Manie du — , l^2.
Sexe. Honte du -^, 89 ; influence du
— 8ur la psychasthcnie, 618.
Signification. Obsession do — , 588.
Simplification de la vie, 700.
Social. Troubles des sentiments — dans
r^reutophobie, 308 ; phobie des situa-
tions — , 310; trouble de Taction —
au d^but de Tagitation, a43 ; les abou-
lies — , 345, 347 ; Taction — dans la
hi^rarchie psychologique, 477 ; diffi-
cultc de Taction — , 570 ; facililc de
Taction faite seule, 571 ; education — ,
687. •
SoMMEiL. Troubles du — au debut des
crises, 347» 4o6, 407, 4o8 ; role de la
volonte dans le — , 4o8, 478 ; senti-
ment d'incompletudc du — , 347.
SoMNAMBULisME hptcnque, too.
SouRiHE obscdant, 309.
Specialisation des insuffisanccs, 569.
Sphigmomanom^trk, 4ai-
Stigmates psychastheniques, 360 ; —
hjst^riques, 819, 330 ; — physiques
de dcgenurcscence, 611.
Stratification des id^es, 656.
Stupevr. 658, 661.
Subconscient. Mouvement — , 839.
Sublime. Amotion — , 38o.
Substitution d'unc manie mcnlale h
une autre, 149; des agitations, 388;
des phenombnes secondairos aux pri-
maircs, 348 ; des obsessions, 656.
Suggesti(»n, role dans Tobscssion, 63,
453 ; — hypnotiquc, 76, io3, 333,
334 ; obeissance et — , 343 ; iraitc-
menl par la — , 703.
Suicide. Impulsion au — , r5.
Superstition. Manie des ~, Ii3,~i4i-
Surveillance de soi-mdme, 139, i3q.
Symbolique. Hallucination — , 94> 109,
I30 ; manie — , i3o ; lulte — , 175 :
— dans la perception, 569 ; influence
de la manie — sur les obsessions, 585.
Sym^trie. Manie de la — , ii5.
Stnthkse mcntale dans la tension psy-
chologique, 491*
Syst^matisation de k derivation, 568,
571, 578 ; ddlires — , 659, 676.
Tableau des obsessions. 54 *. — des ma-
nics mcntalcs, 1 47 ; — des agitations
motrices, 181 ; — des agitations ^mo-
tionnelles, a34; — des sentiments
d*incompl<^tude, 4^7 ; — des insuffi-
sances psychologiques, 43o ; de la hie-
rarchic psychologiquc, 487.
TaPHF^PHOBIE, 313.
Temps. Sentiment do disparition du — ,
391.
Tendance k Taction dansTobsession, 75.
Tension sanguine, 4^0 ; — psycholo-
giquc, 445, 448, 494 '• oscillations do
la , 497. 498, 569, 668 ; rolcvo-
ment therapculique de la — , 711.
Tehminaisons, 663, 669.
Theories des obsessions, 4'i5 ; — in-
tellcctuelle, 448, 45o ; — 6motion-
nellc, 453, '458 ; — psychasth^nique.
470 ; — des sentiments d'incompl6-
lude, 544 ; — des agitations forc^es,
553, 567 ; — de la derivation psycho-
logique, 554*. — de Tangoisse, 56i ;
— des crises de psycholcpsie, 567 ; —
des troubles syst^matis^s, 568 ; — des
agoraphobics, 571 ; des obsessions,
598 ; — anatomiques, 599-603 ; — de
Tunitc du syndrome, 735 ; — de la
degen6rcscence, 738.
Tics el choree. 4 1 ; caractferes des — ,
131, 107, 161 ; les — des divers or-
ganes, i58 ; les — d*attiludc, 159;
classification des — , i64 ; — de per-
feclionnement, i64; — de defense,
170 ; — la derivation dans les — ,
56o ; la syst6matisation des — , 588 ;
lc8 — au ddbut de la psychasthenic,
INDEX ANAL\TIQUE DFS MATlfiRES
689 ; diagnostic de la maladie des — ,
674 ; traitement dc» — , 721.
TiMiDiTE, 9 ; arret des Amotions dans la
— , 3oo, 348 ; Taboulio sociale et la
— , 345 ; angoisse el — , 346 ; deri-
vation dans la — , 56a ; — intellcc-
tuelle avec derivation mentale, 565 ;
— ail debut dc la maladie, 637.
T0POALGIE8, 1 86.
T0RTICOLI8 mental, 187.
Thaitemext de la constipation, 658 ; —
physique de la psychasthenic, 684 «
688 ; — de Weir Mitchell, 693 ; —
m^dicamcnteux, 693-96 ; — par les
agents physiques, 698 ; — moral, 699 ;
— par la suggestion, 703, 706 ; —
par la direction morale, 706 ; — par
la reeducation de Temotion, 711; —
de fatten tion, 711 ; — par Ic travail,
7»7-
Tristesse. Sentiment de — , 376.
UniTi de la maladie, 735.
Urines. Analyse des — , 417; manie
urinaire, i3a, i34.
Vaso-moteurs. Troubles des , 43,
336, 4o3, 4a3.
V^RiFicATiox. Manie de — , ii4; tics
de — , i65.
Vektige epileptique, '5o6, 5o7 : — ei
angoisse, 5o8.
Visage. Uonte du — , 38, 4a-
Visceralrs. Sensibilites — , Sai. 33a.
VisuEL. Sens — , 33 1 ; champ visuel,
331, 333.
Vocation. Remords de — , 3i.
Vol. Impulsion au — , 17.
VoLONTE. Obsessions relatives k la — ,
59 *, troubles de la — , i43, 335, 354 ;
action de la — surles tics, i63 ; theo-
ries sur les troubles dc la — , 473.
Vomissemrnt. Manie des — , 83.
TABLK DES CHAPITRES
Pages.
INTRODUCTION ' . VII
PREMIERE PARTIE. — ANALYSE DES SYMPTOMES. i
CHAPITRE I. — LES IDfiES OBSfiDANTES. ... 3
PKEMliRE SECTION. — LE CONTENU DES ID^ES OBS^DANTES. 4
I. V Expression des idSes obs4danies 4
a. L' Obsession du sacriUge 9
3. L'Obsession du crime la
4. L'Obsession de la honte de soi aa
5. L* Obsession de la honte du corps 33
6. Les Obsessions hypocondriaques 5o
7. Les caracUres communx de ces obsessions 54
DEUXIEME SECTION. LA PORMB DES OBSESSIONS. ... 65
I. La permanence ei revocation de I' Obsession 68
a. La tendance a I'action, V absence d' execution 75
3. La tendance a la representation, l* hallucination symholique. . . 85
4. Aa tendance a la croyance et le critique de V Obsession gS
5. Le diveloppement incomplet de Vid4e obsedante 99
CHAPITRE II. — LES AGITATIOxNS FORCEES.. . . io4
PRBMIJSRE SECTION. LES AGITATIONS MENTALES. . . . Io6
I. Les manies mentales de Voscillation 106
I. La manie de 1* interrogation 107
a. Les manies de rh6sitalton, de la deliberation 108
3. Los manies du presage ou de Tinterrogation du sort no
a. Les manies de I'au dela ii3
I. Les manies de la precision Ii3
758 TABLE DES GHAPITRES
a. Les manies arithm^tiques Ii8
3. Les manies du symbolc lao
4. Les manios do la recherche. — Les manies du pass^, de l*avenir. . laa
5. Les manies de l*explication 136
6. Les manies dos precautions ia8
7. Les manies de la repetition ct du retour en arri^re i3i
8. Les manies des proc^dds et les manies de la perfection i33
9. Les manies de Textrdme et de Tinfini i35
3. Les manies de la reparation i38
I. Les manies de la compensation i38
3. Les manies de I'expiation iSq
3. Les manies des pactes ]4i
4. Les manies des conjurations i43
4. Les agitations mentales diffuses i46
I. L*unite clinique des manies mentales i47
a. La rumination mcntale i46
3. La reverie forc^e i53
DEUXliME SECTION. LES AGITATIONS MOTRICES. ... 1 56
I. Les agitations moirices systematis4est les tics i56
I. Les caract^res des tics 167
a. Les tics de perfectionnemcnt i64
3. Les tics de defense. . . . ' 170
a. Les agitations motrices diffuses. Les crises d'agitation 17a
I. La crise des efforts 17a
a. Les crises de marche et les crises de parole 176
3. Les crises d'excitation 178
TROISIEME SECTION. LES AGITATIONS EMOTIONNELLES. . . l8a
1. Les agitations emotionnelles systimatisies^ les Phobies i83
I. Les classifications des phobies i83
a. Les algics i85
3. Les phobies des fonctions corporelles 190
4. Les phobies des objets (Delire du contact) 198
5. Les phobies des situations (Agoraphobic) aoi
6. Les phobies des iddes a 10
a. Les agitations emotionnelles diffuses. Les angoisses a [3
I. L'angoisso diffuse ai4
a. Les troubles physiologiques de Tangoissc 317
3. Les troubles psychologiqucs de Tangoisse, Tangoisse menlale. . . a3a
QUATRIEME SECTION. CARACTERES GENEHAUX DES AGITATIONS FOECi&S. a35
I. Unite clinique des agitations forcees a3d
TABLE DES CHAPITRES 759
a. Les crises d'agitalion forc4e aSg
I. Les p^riodes de crise 289
a. Le point de depart des crises 34 1
3. La substitution des ph4nomenes secondaires aux primaires. . . a48
4. Les caract^res apparents des agitations a53
CHAPITRE III. - LES STIGMATES PSYCHASTHfiNlQUES.. a6o
PREMIERE SECTION. I.E8 SENTIMENTS D*INCOMPLiStUDE. . . . a64
I. Les sentiments d^incompUtude dans Taction a64
I. Le sentiment de difficult^ a66
a. — d*incapacit^ a68
3. — d'ind^cision a6g
4. — de gSne dans I'action 371
5. — d^automatisme 37a
6. — de domination 378
7. — de m^conteniement 376
8. — d*intimidation 378
g. — de r^volle 379
3. Les sentiments d*incompletude dans les operations intellectuelles. a8i
I. Le sentiment de difficult^ des operations intellectuelles 381
3. — de perception incompR*te 38a
3. — de conception imaginairo 387
4. — de disparition du temps 391
5. — d*inintelligence 398
6. — de doute 398
3. Les sentiments d'incompUtude dans les Amotions 398
I. Le sentiment d*indifli&rencc 398
3. — d'inqui^tude 3oi
3. Lc besoin d'oxcitation, l*ambition 3o3
4. Les sentiments d'incompUtude dans la perception personnelle.. . 3o5
I. Le sentiment d*etranget6 du moi 3ii
3. — de dedoublement 3ia
3. — de d^personnalisation complete 3i5
DBUXI^.ME SECTION. LES INSUFFI8ANCES PSYCIIOLOGTQUES. . . 3l9
I. Les symptdmes de retricissement du champ de la conscience. . . 819
I. Les anesthesies 819
3. Les mouYcments subconscients 3a9
3. Le sommeil hjpnotique 33o
4. La suggestion 333
760 TABLE DES CHAPITRES
a. Les troubles de la^ volonte ^^
I. L'indolence ^^
a. L'irresolulion' ^^"
3. La lenleur des acles 338
4. Le» roUnb 338
5. La faiblesse des efforts 339
6. La fatigue 339
7. Le d^rdre des actes 34o
8. L'inach^vement 34i
9. L^absence de rdsistance 34*
10. Le mison^isme ^^^
11. Les aboulies sociales, la timidity 345
I a. Les aboulies professionnelles 349
1 3. L*aboulie et rinhibition 349
1 4. Les fatigues insurmonlables 3oa
i5. Les inerties 353
3. Les troubles de I'intelligence ^ 354
I. Les amn^sies 355
a. L'arr^t de Tinstniction 3oo
3. L^inintelligence des perceptions 36i
4. Les troubles de Tattention 36a
5. La rAverie 363
6. Les 6c1i|)ses menlales 369
4. Les troubles des Amotions et des sentiments 370
I. L*indiff^rence 37a
a. Les sentiments melancoliques 375
3. L'emolivil^ 377
4. Les emotions sublimes 38o
5. Le besoin de direction 38a
6. Le besoin d'excitation 385
7. Le besoin d*aimer. 388
8. Le besoin d'Atre aim^ 389
9. La crainte de Tisolement 391
10. Le retour i I'enfance 391
1 1 . L*amour de rhonndlel^ 39a
la. Le besoin d'autorit^ 393
TROI8IEME SECTION. — LK8 IlfSUFFISAMCES PHTSIOLOCIQVES. . . 398
I. Les troubles des fonctions nerveuses 398
I. Les c^phalalgies et les rachialgies 399
a. Les troubles du sommeil ^^
3. Les modifications des reflexes 4o9
a. Us troubles des fonctions digestives 4^9
I. Les troubles gastriques 4*0
TABLE DE5 CHAPITRES 761
3. Lw troubles intestinaux 4i4
3. Les troubles de la nutrition 4i5
4. Lea troubles urinaires 4^6
3. Les modifications de la circulation 43o
1. Les modifications de la tension sanguine 4^0
a. Les troubles vaso-moteurs et s6cr^toires 4a 3
4. Lea troubles des fonctions genitales 4a5
QUATRliME SBCTION. — LE8 CARACXfeRES ciNEBAUX DE l'bTAT P9Y*
GHASTHENIQUE 4^7
I. L'incompletude morale 4a7
3. La perte de la fonction du riel 43 1
3. Les piriodes psychasthiniques 439
DEUXIfiME PARTIE. — ETUDES GEnERALES SUR
L'ABAISSEMENT DE LA TENSION PSYCHOLOGIQUE. 443
CHAPITRE 1. — LES THEORIES PATHOGfiNIQUES,
LES MODIFICATIONS DE LA TENSION PSYCHOLOGIQUE. 445
PREMIERE SECTION. — THEORIES INTELLECTUELLES ET THEORIES
BMOTIONMELLES 448
1. L' expose des theories intellectuelles 448
3. La discussion des theories intellectuelles 45o
3. Vexposi des theories imotionnelles 453
4. La discussion des theories imotionnelles 458
DEUXIEMR SECTION. LE PRINCIPE DE LA TH^ORIE PSYCHASTH^MQUE. 470
I. Le rSsum4 historique des theories psychasth4niques 471
3. La hiirarchie des phenomenes psychologiques 474
3. La tension psychologique 488
4. L'abaissement de la tension psychologique 497
5. Le rapport des crises de psycholepsie avec les acces epileptiques. 5oa
6. L' oscillation du niveau mental. — Les influences qui ddterminent
l'abaissement 5i4
I. L*influence des maladies 5i4
a. L'influence de la fatigue 5i5
3. L'influence des Amotions 517
LSS OBSESSIONS. I. — 49
762 TABLE DES CHAPITRES
7. Les oscillations du niveau mental. — Les influences qui d4ter-
minent lilevation 6a ^
I. Les ascensions du niveau mental 5a5
a. Les subslances cxcitantes SaS
3. L*influence du changoment 5a9
/i. L'influence du mouvement el de I'eflbrt 53o
5. L'influence de Tattention 53 1
6. L'influence de I'cmotion 535
TROISIEMS SECTION. l/lNTERPRETATION DES STBC1>t6mBS. . 5^4
I. Linterpritation des sentiments d'incompUtude 544
a. L'interpritation des agitations farcies 55 1
I. Les caracteres des agita lions forcces. .... 55a
a. L*hypoih6se de la derivation psychologiquc. . .... 554
3. I^a derivation dans les agitations el les angoisses 56o
4. La derivation dans la rumination men tale. . . 564
3. 1/ inter pritation des troubles systimatises 568
I . La specialisation des insuffisances psychologiques 569
a. La syst^matisation de la derivation 578
4. V interpretation de iidee obsedante 583
I. L'origine endog^ne du oontenu des id^ obsedantes 584
a. L'influence des sentiments d'incompl^tude sur lecontenu desidces
obsedantes 585
3. L'influence des insuffisances psychologiques sur le contenu des idces
ob8<^dantes 589
4. L'influence des dvenementsexterieurs sur lecontenu de I'obtession. 59a
5. L'interpretation de la forme do I'obsession 596
5. La representation anatomique des theories 699
CHAPITRE IL — L'fiVOLUTlON 606
PREMIERE SECTION. LES CONDITIONS ETIOLOGIQUBS. . 6o6
1. L'hirediti ... 607
a. Les stigmates physiques de deginirescencr 61 f
3. Le sexe et I age 6i3
4. Les conditions physiques diterminantes 618
5. Les conditions morales diterminantes 6a4
I. Le caractere 6a4
a. L'^ucation 6a6
3. Les probl^mes de k vie 6a7
4 . Les chocs ^moiionnels 63o
6. Les deux formes de la psychasthinie const itutionnelle et acquise. 63i
TABLE DES CHAPITRES 763
DEUXlitME SECTION. l'^VOLUTION DE LA MALADIE. . . 634
I. Les formes du dSbut 634
1. Les sentiments pathologiques 635
3. Les aboulies 638
3. Les tics 639
3. Les principales varietes cliniques 64 1
3. La marche de la maladie 645
I. La forme aigue 646
3. La forme chronique 646
3. La forme intermittente 648
4. La forme remittente 653
5. Les p^riodes critiques 654
4. Les complications 657
I. Les accidents physiques 657
3. L*ali^nation 658
5. Les terminaisons 663
I . L'inertie et Tisolement 664
3. La gu^rison relative 666
CHAPITRE in. — LE DIAGNOSTIC ET LE TRAITEMENT. . 670
PREMIERE SECTION. LE DIAGNOSTIC 67O
DEUZIEME SECTION. LE PR0N08TIC. ... 680
TROI8I&MB SECTION. LA TH^RAPEUTIQUE 684
I. La prophylaxie •. 684
3. Le traitement physique 688
I. L'alimentation et Thygiene 690
3. La medication sedative 693
3. La medication tonique ... 695
4. Le traitement par les agents physiques 698
3. Le traitement moral 699
I. La simplification de la vie 700
3. Le traitement par la suggestion 703
3. La direction morale, la r^ponse & la question 706
4. Le relcvemeut de la tension psychologique, la reeducation de I'e-
motion 711
5. La direction des efforts, la reeducation de Tattention 715
764 TABLE DES CHAPITRES
CONCLUSIOiN. - LA PLACE DE LA PSYCHASTHfiME PARMI
LES PSYCH0-N6VR0SES 724
I. L'unite du syndrome 73$
a. L' interpretation pathologique du syndrome 717
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Bain (A.). — Les Amotions et la volont^. ! vol. in-8 10 fr.
Bergson (Til.). — Mati6re et m6moire. 2" edit. 1 vol. in-8 5 fr.
Bernard-Leroy (B.). — L'illusion de fausse reconnaissance. 1 vol. in-8 i Tr.
Dumas (G.). — La tristesse et la joie. i vol. in-8, ... 7 fr. ."iO
DuMONT fL.). — Th6orie scientiiique de la. sensibility. 4* ^dit. 1 vol. in-8, cart. 6 fr.
DupRAT (G.-L.). — L'instabilit^ mentale. f vol. in-8 5 fr.
Fer* (Ch.). — La pathologic des Amotions. \ vol. in-8 12 fr.
— La iamille ndTropathique. 2* edit. 1 vol. in-I2, cart 4 fr.
— L'instinct sexuel. Evolution, difftolution. 2* e»lil. 1 vol. ln-12, cart 4 fr.
Fleury (M. de). — Les grands symptdmes neurasth^tiques. 2* edit. I vol. in-8. 7 fr. 50
Flournoy (Th.). — Des ph6nomdnes de synopsies. 1 vol. in-8 6 fr.
FouiLLEE (A.). — Voy. : Guyau.
Groos K.j. — Les jeux des animaux. I vol. in-8 7 fr. 50
GuYAi: (M.). — Gen^se de rid6e de temps. Introduction de A. Fouillee. 2* edit.
I vol. in-i2 2 fr..50
Hartenberg (P.). — Les timides et la timidity. 1 vol. in-8 5 fr.
H5FFUIN6 (H.). — Esquisse dune psychologiejgndde sur rexp6rience. Preface de M.
Pierre Janet. 1 vol. in-8 .j^/^^TT.]. .^ 7 fr. 50
Lagrange (F.). — Les mouvements m^thjtf^iques e\la k^canoth^rapie. 1 vol. in-8. 42 fr.
Lapie (P.). — Logique de la volont6^*f vol. in-SL ;. . / v 7 fr. 50
MuRisiER (E.). — Les maladies du»>sentiment relimux. 1 vol. in-l2 2 fr. 50
Paulhan (Fr.). — L'activitd mentile et les ^l^mjufts de Tesorit. 1 vol. in-8... 10 fr.
RiBOT (Th.). — Les maladies de<la volontd. ifi' ifTit. 1 vol. in-l2 2 fr. 50
— La philosophie de Schopenhniec. ^*' 6d\K,U^o\. in-12 2 fr. 50
— La psychologie anglaise con^^poratne.,^ edit. I vol. in-8 7 fr. 50
— La psychologie allemande contwn^orcdhe. 3" edit. 1 vol. in-8 1 fr. 50
— La psychologie des sentiments. 4" (^ilit. I vol. in-8 7 fr. 30
Schopenhauer (A.). — Le libre arbitre. 8" edit. 1 vol. in-12 2 fr. 50
Spencer (11.). — Principes de psychologie. 2 vol. in-8 20 fr.
TnuuE (D'). La mania raisonnante du D' Gampaane. I vol. in-8 2 fr.
— Le dressage des jeunes degendr^s ou orthopnrdnop^die. 1 vol. in-8 8 fr.
Revue philosophique
Dirigee par Th. RIBOT, de I'lnstilut, professeur honoraire au CoU^e de Prance.
(28*' ANN^E, 1903)
Parait tous les mois,.par livraisons grand in-8 de 7 fcuilles (112 pages).
.\B0.NNKiiBNr. — Un an : Paris, 30 francs. — T)6part. et stranger, 33 francs.
Coulommiors. — hup. Pai;l HROD.^lRD. —675-1002.
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