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' ^i
Le théâtre hors de France
Henry Lyonnet
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TERQUCM REU.
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LYONNET
ORS DE FRANCE
Quatrième Série
Pulcinella & C.
(Le Théâtre Napolitain)
AVEC UNE PRÉFACE
DE
GUSTAVE LARROUMET
Membre de l'Institut.
OUVRAGE ILLUSTRÉ
DE
50 PHOTOGRAVURES
Dfi
SOCIÉTÉ D'ÉDITIOI
Lihrai
$0, CHAI
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f^BSi.
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Pulcinella & C
(LE THÉATRH NAPOLITAIN)
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HENRY LYONNET
LE THEATRE HORS DE FRANCE
Quatrième Série
Pulcinella & C.
(LE THÉÂTRE NAPOLITAIN)
Ouvrage illustré de ^o photogravures
Avec une Préface de Gustave LARROUMET
Membre de l'Institut.
Deuxième édition.
'^^^ or THE '^>-^
UNIVER8ITY
.cmJIs^ paris
SOCIÉTli D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES
Librairie Patd Olhndorff
50, CHAUSSÉE D'aNTIN, 50
1901
Tous droits réservés.
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PREFACE
M. Henry Lyonnet offre une très particulière phy-
sionomie d'écrivain. Il est le contraire du pur homme
de lettres, tout entier à sa profession et sédentaire
au milieu des livres. Quoiqu'il ait déjà publié six
volumes, la littérature n'est pour lui qu'une distrac-
tion. Il est commerçant et il voyage, mais, grand
amateur de théâtre, après avoir vaqué pendant le
jour à ses affaires, il s'informe le soir de ce que le
pays où il se trouve peut offrir comme spectacles ;
ensuite il note ce qu'il a vu. Après l'Espagne et le
Portugal, il continue par l'Italie son eaquète sur
c( le théâtre hors de France ».
Ses livres sont l'œuvre non seulement d'un curieux,
' mais d'un chercheur. Si leur auteur n'emporte pas
une bibliothèque dans ses voyages, il entre chez
les libraires ; il complète par la littérature locale le
résultat de ses propres observations ; sur chacun de
ses sujets, il se fait une érudition. Ainsi documenté,
il écrit sans prétention, voire avec quelque laisser-
aller, mais d'une plume alerte. Ce n'est certes pas
un styliste, mais il dit avec agrément des choses
justes et neuves.
Neuves surtout. Nous ignorons trop l'étranger, et,
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PREFACE
îulier, son théâtre. Notre supériorité dans
matique est incontestable ; de là beaucoup
pence pour ce qu'il produit hors de chez
uf le cas d'une révélation impérieuse comme
)sen. Mais, du fait même de son ancienneté
Fécondité, notre théâtre souffre de la routine
b des signes de fatigue. Il a besoin de se
ier et non pas certes l'imitation, mais la
isonpeut l'y aider. Au point de vue des su-
conditions matérielles, de la formation des
l'étude de l'étranger lui serait un stimulant,
avoir étudié dans son ensemble le mouve-
îâtral en Italie, du nord au midi de la pénin-
Lyonnet concentre cette fois son obser-
îur le théâtre napolitain et sur un point
ier de ce théâtre, le répertoire,de Pulcinella.
de côté le San-Garlo, la salle fameuse de
►éra, le Mercadante et le Bellini, consacrés à la
médie et à Topéra-comique. Il s'en tient aux
aies populaires, le Nuovo, où continue de
8 personnage typique du théâtre napolitain,
r Pulcinella, et les Fiorentini, qui font con-
5 au Nuovo .
illette son livre avant vous et devant vous,
is indiquer ce que vous y trouverez, me bor-
Y joindre quelques réflexions personnelles,
iru que c'était ici le meilleur moyen de pré-
'auteur à ses lecteurs, comme il m'a fait,
ir de me le demander.
avons si bien adopté depuis trois siècles les
aditionnels de la comédie italienne qu'ils ont
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PREFACE III
fiai par ne plus guère ressembler à leurs ancêtres^
mais, entre tous, ^oliehinelle est celui que nou^
avons le plus profondément modifié. Tandis que tel
d'entre eux, comme Arlequin, a toujours retenu
quelque chose de son origine bergamasque, ne fût-ce
<iue son costume, il n'y a presque plus rien de com-
mun que le nom entre notre Polichinelle français et
le Pulcinella napolitain. Ils pensent, parlent et s'ha-
billent de manière toute dififérente.
C'est que Pulcinella est l'incarnation du caractère
napolitain, qui ne ressemble pas du tout au carac-
tère français. Comme le dit M. Lyonnet, « Pulcinella,
qu'on le sache bien une fois pour toutes, est né entre
Santa-Lucia et la Porta Gapuana. Il est Napolitain
de la tête aux pieds, et toutes les tentatives faites
pour le dépayser échoueront ». Il ne s'est même pas
répandu dans le reste de l'Italie. A plus forte raison
ne le retrouve-t-on pas dans les pays, autres que la
France, qui ont cru l'accueillir et le garder. Le Punch
anglais, le Hanswurst allemand, le Toneelyck hol-
landais, le don Polichinela espagnol, le Karagheus
turc ne sont que de faux Pulcinellas.
Le vrai est un descendant de Maccus et de Bucco,
deux personnages grotesques des antiques Atellanes,
ces farces improvisées, que jouaient les paysans de
Campanie. Maccus était maigre et Bucco était gras,
tons deux gourmands et sensuels, menteurs et vo-
leurs, fanfarons et poltrons, vaniteux et plats, niais
et spirituels. A tous deux, Pulcinella prit quelque
chose, tantôt chargé de graisse et tantôt famélique
d'aspect, mais il dut surtout à Maccus.
D'abord son aspect physique et son organe. Mac-
cus avait le nez crochu, le dos convexe et le ventre
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IV PREFACE
bedonnant. Pais, sa spécialité était d'égayer Faction
en imitant le piaulement du poulet, au moyen d'jine
sorte d*appeau, le sgherlo ou pivetta, pour parodier
la voix des acteurs passant à travers la bouche mé-
tallique du masque. La pivetta est devenue la pra-
tique, le seul trait essentiel que le Polichinelle fran-
çais ait conservé de son origine napolitaine.
Maccus était d'ordinaire vêtu de blanc. C'était le
mimus albus. Le blanc est donc resté le costume tra-
ditionnel de Pulcinella. Aujourd'hui encore sur les
théâtres de Naples, il paraît toujours en blouse
blanche très ample, serrée et plissée à la taille par
une ceinture basse, en pantalon blanc et large, en
souliers blancs à forte semelle, un chapeau pointu
en feutre blanc sur un serre-tête noir^ un demi-
masque en cuir verni au nez crochu. Dans l'occasion,
il complétera ce costume par quelque pièce du vête-
ment spécial à telle ou telle profession, mais le fond
reste immuable. Tantôt gros et tantôt maigre^ scton
le tempérajnent de l'acteur, il doit toùjerurs être
agile et souple.
Dès qu'il paraît en scène, le public crie, de tradi-
tion :
— Marchera! Maschera! (Le masque! le mas-
que !)
L'acteur doit alors s'avancer jusqu'à. la rampe,
soulever son masque et saluer. Cette politesse accom-
plie, Pulcinella replace son masque et commence. Il
va offrir au populaire napolitain son fidèle portrait,
car son répertoire est tout réaliste et d'observation.
Au moment où ce masque se soulève, on est frappé -
de la figure impassible, sérieuse, presque triste, qui
apparaît un moment. Le titulaire actuel de l'emploi,
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PREFACE V
au théâtre Nuovo, Giuseppe De Martine, avec ses
traits dodus, son œil calme, sa bouche fine, n'offre
dans ses traits rien de la mobilité qui caractérise
nos acteurs comiques. Qu'en ferait-il sous le mas-
que? Aussi, ses principaux effets sont-ils des effets
de diction. « N'ayant nullement besoin, dit M. Lyon-
net, de contracter son visage pour y peindre ses sen-
sations, Tacteur qui tient le rôle de Pulcinella de-
vient, à la longue, une espèce de pince-sans-rire
dont toute Faction consiste à bien lancer le mot. »
C'est essentiellement un diseur.
Il se dédommage par la gesticulation et, en ceci, il
est l'image fidèle de ses compatriotes. Quiconque a
vu Naples reconnaîtra la parfaite justesse du portrait
suivant tracé par M. Lyonnet : .
Le Napolitain parle avec les mains. Il avance les avant-
bras ; ensuite, il rapproche ses mains ouvertes, les doigts
fermés et allongés, comme s'il voulait recueillir de Teau
de pluie ; il fes élève insensiblement jusqu'à la hauteur
du menton, en les agitant toujours et eu rapproche les
paumes, et il dit alors à son interlocuteur :
— Capisce ? (Comprenez-vous ?)
Ou encore, pour prouver son contentement ou témoi-
gner de rafiTection à la personne à qui il parle — homme
ou femme —-il lui caressera familièrement le menton d'un
air protecteur, en lui disant :
— Simpatico /ou Simpatica!
Au théâtre, le personnage comique, s'il est contrarié,
se mordra l'index de la main droite, puis élèvera la main
vers le ciel en agitant les doigts. La soubrette, pour indi-
quer qu'une chose est difficile, secouera sa main, les doigts
mous et ballants, comme le font les gamins à l'école, lors-
qu'ils font claquer leurs doigts en criant :
— Chouette !
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PREFACE Vil
bons tours, se moquant de lui-même et d'autrui,
rarement dupe, surtout de lui-même. Les sujets où
il parait sont de préférence des scènes de la rue,
essentiellement napolitaines. Parmi les trente-cinq
pièces jouées au Nuovo, du 1*"^ janvier au 30 mars
1900, et cataloguées par M. Lyonnet, je relève les
titres suivants :
Pulcinella qui va trouvant son sort par les tnces
de Naples.
Au premier et au second étage, en haut du quar-
tier de la Santéy avec Pulcinella serviteur plein de
cœur. — Ce sujet-ci est particulièrement indigène.
A Naples, en effet, la condition sociale change d'étage
en étage plus brusquement que dans n'importe quelle
grande ville. Les gens du premier et ceux du second
ne vivent pas la même vie.
La grève des cuisinières.
Les cent disgrâces de Pulcinella.
La veille de Noël, célébrée à Naples par des ré-
jouissances gastronomiques qui laissent bien loin
nos réveillons parisiens.
Pulcinella tourmenté le jour de son mariage.
La Carrera mise enrumeur par deux Pulcinellas,
etc., etc.
Les représentations de Pulcinella sont connues
dès la fin du xvi® siècle et certainement elles remon-
tent beaucoup plus haut. A Torigine^ leur réper-
toire se rattachait è la Commedia delV arte, c'est-à-
dire qu^l était improvisé sur canevas. Peu à peu, des
auteurs se mirent à écrire pour lui et les premiers
dont les œuvres se soient conservées datent du mi-
lieu du xvin* siècle. La plupart étaient en même
temps comédiens. Un des plus complets représen-
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VIII PREFACE
tants de l'espèce fut Pasquale Altavilla) mort en
1872, qui, pendant trente-huit ans, alimenta le San-
Garlino, le petit San-Garlo, c'est-à-dire le temple du
genre pulcinellique, comme le grand San-Carlo Tétait
de l'opéra. Il a fait imprimer une centaine de pièces,
mais une grande partie de ses compositions est res-
tée inédite.
Qu'était-ce que cet Altavilla ? « Un observateur,
répond M. Lyonnet, un fin et gai critique, saisissant
l'actualité sur le vif, et, avant tout, un homme de
théâtre, c'est-à-dire un amuseur. » Il a écrit et joué
l'histoire de Na{)les au jour le jour, trouvant pour
chaque fait cette forme concrète et saisissante qui
est la forme dramatique. Cela ne l'avait pas enrichi,
car les droits d'auteur à San-Garlino sont minimes,
mais il portait gaiement et bonnement sa misère.
Si, au sortir du théâtre, nous suivons l'auteur dans la
vie privée, nous trouvons un homme bon, simple, doux,
religieux jusqu'au bigotisme, allant entendre la messe
chaque jour, sortant de l'église pour donner une leçon
de guitare, se rendant ensuite dans quelque bureau
public où il est copiste, faisant, avec la permission de son
imprésario, sa partie de ténor dans une église, s'échap-
pant de là pour enseigner la danse ou la mimique, et ne
manquant jamais de se rendre à la répétition du San-
Garlino pour mettre en scène une comédie nouvelle, tout
en songeant à celle qu'il va écrire après diner dans sa
cuisine.
Dans les pièces d'Altavilla et de ses confrères, l'in-
vention proprement dite est peu de chose : il n'y a
guère d'intrigue. Le théâtre napolitain attache même
peu d'importance à cette complication ingénieuse
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PREFACE IX
de faits qui a fini par prendre chez nous tant d'im-
portance. Il finit n'importe comment. Ainsi par un
compliment au public.
Pulcinella veut se marier. Son maître lui dit :
— Si tu persistes à vouloir épouser la Rosina, je
te chasse.
Pulcinella répond :
— Peu m'importe !
Et, retirant son chapeau pointu, il s'avance vers^ la
rampe :
— J'ai un autre maître, fait-il, qui m'accueillera
toujours avec faveur, cet honorable public dont j'ose
réclamer les applaudissements.
Et la toile tombe.
Si ce théâtre s'inquiète peu de l'intrigue, il abonde
en situations ingénieuses. Dans une pièce de Petito,
le Diable endommagé, qu'analyse M. Lyonnet, se
trouve l'indication d'une des meilleures scènes de
Cyrano de Bergerac, la déclaration d'amour que
Cyrano souffle au beau Christian. Pulcinella est le
domestique d'un intendant amoureux et sot. Cet
intendant veut faire une déclaration à sa dame et,
ne sachant comment s'y prendre, il demande à Pul-
cinella de lui souffler ce qu'il doit dire. Naturelle-
ment, Pulcinella lui souffle des sottises et, pour
doubler l'effet comique, l'intendant en ajoute de son
cru.
Ici, le Diable endommagé rappelle les Plaidews
de Racine. Mais Petito n'a pas plus imité Racine que
Rostand n'a imité Petito.
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X PRÉFACE
Anciens et modernes, antenrs et acteurs, répertoire
et interprétation. M. Lyonnet énurn^^ les généra-
tions d'artistçs et d' « écrivains » qui se 8cnit«ic-
cédées à San-Carlino et caractérise leurs successeurs
du Nuôvo.
Le primitif San-Carlino s'élevait, depuis le milieu
du siècle dernier, sur cette piazza del Gastello, qui
fut longtemps un des coins les plus pittoresques de
Naples. Plusieurs fois reconstruit, fermé, rouvert, il
finit par émigrer, en 1884, au milieu du dédale
grimpant de ruelles, pavées de lave glissante, qui
s'accrochent au flanc de Montecalvario, et par s'y
installer dans un vieil édifice, ce qui ne Tempêcha
pas de 3'appeler le Nuovo. Il est à cette heure en
pleine prospérité.
Derrière une modeste façade, percée de trois
portes, c'est une salle à peu près grande <;ommé
celle de nos Variétés. Selon l'usage italien, elle offre
cinq étages de loges, sans galeries ; à l'orchestre des
fauteuils, des stalles et un parterre. On y entre sans
autre formalité que de payer sa place au bureau et
de déposer sa canne au vestiaire. En Italie, comme
en Espagne et en Portugal, pas de contrôleurs, pas
d'ouvreuses et une police réduite au minimum.
Pourtant, selon la' remarque de M. Lyonnet, le
peuple de Naples est « le plus remuant, le plus
tapageur, le plus exubérant de la terre ». Mais,
ajoute trop justement notre auteur, « il n'y a qu'en
France où l'on soit toujours sous la férule du pion
ou du contrôleur, depuis l'école jusqu'au théâtre ».
Pour tout personnel, un placeur à qui on laisse la
moitié de son billet, dans le cas fort rare de con-
testation, et à qui on ne doit rien. Dans les loges,
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PRÉFACE XI
OÙ accroche son pardessus et son chapeau à une
patère ; à Torchestre, on trouve adapté au siège que
Ton a devant soi un petit mécanisme, simple et com-
mode, pour recevoir ledit chapeau et pardessus
celui-ci plié en deux. Sur le rideau est peint Timpro-
visateiur, le fameux improvisateur de Naples, le
cantatore^ qui n'est plus guère qu'un souvenir. Le
public se compose de petite bourgeoisie, avec beau-
coup d'enfants, surtout aux représentations de jour ;
public nombreux et gai, sans excès de bruit. Une
fois le spectacle commencé, il n'y a pas ou presque
pas d'entr'actes, « de ces entr'actes énervants et
lassants qui permettent, à Paris surtout, de ser-
vir, ea trois heures d'horloge, un spectacle d'une
heure et demie j»«
C'est dans ce cadre et devant ce public que défile,
avec une affiche nouvelle par jour , le vieux réper-
toire de San-Garlino, toujours rajeuni et semblable
à lui-même, c'est-à-dire simple et gai, piquant et
décent. Pas une pièce où ne paraisse Pulcinella. Le
Pulcinella d'à présent est ce Giuseppe De Martino,
dont je viens de parier.
A cette heure, le Nuovo est un théâtre plus bour-
geois que populaire. Est-ce à dire que Pulcinella ait
perdu son caractère primitif? Non, il amuse tou-
jours par la représentation du caractère napolitain,
étudié surtout dans le peuple et dans la rue, mais,
dans cette ville où la petite bourgeoisie et le peuple
se mêlent, il se tient aujourd'hui plus près de celle-
là que de celui-ci, alors que, à l'origine, c'était plu-
tôt le contraire. Il n'y a rien perdu de sa verve et de
son intérêt, il y a gagné en tenue relative et surtout
en décence ; il s'est élevé d'un degré vers l'art.
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XII PREFACE
Quant au petit peuple, il n'est pas privé pour cela
du héros favori auquel il a donné naissance et qui
n'a pas renié son origine. Si le Pulcinella par excel-
lence, il vero Pulcinella, est au Nuovo, il y en a
d'autres puro sangue au Partenope, au Petrella,
dans une foule de théâtricules, à dix sous et h, trois
sous, où fréquentent les petits marchands et les
lazzaroni.
Il faut que Pulcinello et le Nuovo soient bien
vivaces et qu'ils tiennent bien ferme au sol natal,
car ils résistent à une concurrence redoutable, qui
se proposait de les anéantir, celle de Scarpetta et du
théâtre dei Fiorentini.
Il signor cavalière Eduardo Scarpetta, aussi connu
sous le surnom de don Felice, qu'il s'est donné lui-
même, a déclaré à Pulcinella une guerre à mort ;
il veut sa peau, comme nous disons. Directeur,
auteur et acteur, il s'est installé près de la rue de
Rome, l'ancienne et célèbre rue de Tolède, dans une
salle très élégante, les Fiorentini, et pàf un mani-
feste en règle, plus grandiloquent que la préface de
Cromwell, il a déclaré que les vieilleries tradition-
nelles du Nuovo devaient céder la place à un art plus
moderne et plus vivant, le sien.
Mais cet art original consiste principalement à
« réduire », comme dit Scarpetta, des pièces étran-
gères, surtout françaises, ainsi le Bébé de Henne-
quin et de Najac, qui est devenu Tetillo aux Fioren-
tini.
Scarpetta s'est enrichi à ce commerce , malgré
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PRÉFACE XIII
quelques désagréments, comme une condamnation
toute récente pour avoir trop visiblement « réduit »,
sous le titre de Girolini e Pirolo, notre Coquart et
Bicoquet. Cette entreprise est sévèrement jugée par
M. Lyonnet, qui défend avec vigueur Pulcinella et
le Nuovo. Les chapitres qu'il leur consacre sont bien
amusants par la forme et par le fond, pleins de faits
et de verve. Il en résulte de don Felice une figure
quasi grandiose de faiseur dramatique.
J'ai pu entrevoir à Naples ce que M. Lyonnet a su
voir à fond. Ceux des faits et opinions exposés par lui
qu'il m'a été donné de contrôler par mes propres
impressions m'ont fait voir en lui un guide très sûr
et, par là, m'ont permis de préjuger l'exactitude du
reste. Sans appareil d'érudition ni prétention d'au-
cune sorte, il nous donne une étude exacte et com-
plète sur un des types les plus populaires et les plus
curieux du théâtre universel. Est-il beaucoup de
livres plus majestueux et à plus hautes visées dont
on en pourrait dire autant ?
Gustave Larroumet.
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G. De Marlino, le « Pulcinclla » actuel du Nuovo.
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PULGINELLA & G
THEATRE NAPOLITAIN
A LA RECHERCHE DE PULCINELLA
Arrivée à Naples. — Bruits de la mort de « Pulcinella ». —
Triste fin des aiitres Masques italiens. — Le Nord et le Midi.
— Petit bonhomme vit encore. — Conversation avec un
libraire. — Eduardo Scarpetta le tombeur de « Pulcinella i>.
— Un livre à faire. — Les théâtres de Naples. — Le plus
grand et le plus petit théâtre d'Europe. — « Pulcinella » au
théâtre Nuovo. — « Don Felice » aux Fiorentini.
J'arrivai à Naples très préoccupé, inquiet
même. Ne m'avait-on pas affirmé que « Pulci-
nella » était mort, bien mort ? Et les mieux
informés ajoutaient même d'un air entendu :
« Eduardo Scarpetta s'est chargé de l'enterrer
en bonne et due forme. » Je m'empresse d'ajou-
ter pour la compréhension de ce qui précède
que ledit Scarpetta est l'enfant gâté des Napoli-
tains et que, auteur, acteur, directeur, il a banni
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4 LE THEATRE NAPOLITAIN
de son théâtre par principe « Pulcinella », ses
pompes et ses œuvres.
J'avais beaucoup de raisons, en somme, pour
ajouter foi à cette déplorable nouvelle. A Turin,
j'avais vu le légendaire Giandiija réduit à ne
paraître que sur un théâtre de marionnettes. A
Milan, le fameux Girolamo^ son proche parent,
subit le même sort. A Bergame, j'avais en vain
cherché Arlequin et je n'avais retrouvé les cou-
leurs rouges, jaunes et noires de son habit que
dans les losanges qui décorent les façades des
maisons, dans la bigarrure des carrelages et dans
les armes de la ville. A Venise, je m'étais lon-
guement promené sur la place Saint-Marc sans
jamais rencontrer Sior Pantalone ; à Bologne
les étudiants ne se souvenaient plus guère du
Docteur^ et à Florence j'avais plaint le sort du
Slenterello piteusement tombé sur les tréteaux
de la foire. Pourquoi donc « Pulcinella », à Naples,
n'aurait-il pas suivi le sort de ses très illustres
rivaux ?
Je n'avais plus, en ma faveur, qu'une chance
basée sur l'observation que je vais dire : dans la
plupart des pays que j'ai visités jusqu'à ce jour,
j'ai toujours remarqué que le Noi^d dédaignait
profondément le Midi et semblait vouloir ne le
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A LA RECHERCHE DE PULCINELLA, 5
considérer que comme une expression géogra-
phique, tandis que le Midi, dans une belle indif-
férence, se moque souverainement de tout ce que
peut faire ou dire le Nord. Allez demander, par
exemple, à un filateur de Catalogne ce qu'il
pense d'un andalou ! Mais, par contre, allez de-
mander à un andalou fièrement campé sur son
pur sang avec son fusil en bandoulière, alors qu'il
galope dans les champs de sa ganaderia S s'il
se soucie de ce qui se passe dans les manufac-
tures de Catalogne ou dans les mines de Bilbao!
Si donc, pensais-je toujours à part moi, les Turi-
nais, les Génois ou les Milanais, fidèles à la tra-
dition que je viens de dire, ignorent absolument
ce que font les Napolitains, ou sont mal infor-
més, je suis sauvé ! Et de fait, lorsque j'arrivai à
Naples, je m'aperçus bien vite que « Pulcinella »
— comme le petit bonhomme — vivait encore !
J'allai chez un libraire, et ce libraire voulut
bien me raconter qu'il avait assisté aux derniers
beaux jours du fameux théâtre San Carlino^ mais
qu'il ne lui déplaisait pas d'aller encore au Nuovo
dernier refuge de « Pulcinella. » Je pris un
logement en ville, et mon hôte me conta qu'il
* Élevage de taureaux.
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A LA RECHERCHE DE PULCINELLA 7
— Oh ! dites-le, celui qui tua, ou mieux qui
voulut tuer « Pulcinelia ».
— Le misérable ! Ce n'est certes pas lui qui
me documentera. De plus, à quelle date remonte
celte publication ?
— A 1883.
— C'est trop vieux ; je veux du neuf.
— Attendez ! justement vient de paraître Da
S. Carlinoai Fiorentini (Du théâtre San Carlino
au théâtre des Fiorentini), nouveaux mémoires
d'Eduardo Scarpetta, 530 pages in-18, 1900!
— Sapristi ! Mais ce n'est pas encore dans ce
volume que j'entendrai parler de « Pulcinelia »,
puisque l'auteur veut Tenterrei* !
— Eh bien ! prenez alors la brochure de
M. Benedetto Croce, déjà nommé, Pulcinelia e
il personaggio del Napoletano in commedia.
— Je la connais, répondis-je ; mais malgré la
grande somme d'érudition qui s'y trouve rien
n'y est assez précis, à mon avis. L'auteur com-
mence par y avouer, par exemple, que « Pulci-
nelia » ne se définit pas. Alors, quelle idée vou-
lez-vous, à mon tour, que je m'en fasse ? Ce que
je veux, c'est un livre où Ton me parle de « Pul-
cinelia » tel qu'il existe, tel que nous pouvons
le voir tous les soirs sur les théâtres de Naples,
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8 LE THEATRE NAPOLITAIN
OÙ Ton raconte ce qu'il dit, ce qu'il fait, le tout
agrémenté de quelques histoires se rapportant
au théâtre actuel napolitain.
— Oh ! Monsieur, un pareil livre n'existe pas.
— Eh ! bien, pensai-je, je tâcherai de le faire,
et ce sera mon quatrième volume du a Théâtre
hors de France ». — Et voilà!
Les théâtres sont nombreux à Naples, relati-
vement plus nombreux que dans aucune autre
ville d'Europe. Ce peuple si gai, si vif, si bon
enfant, a besoin de bruit, de musique, de rires,
de bons mots, de chansons! Beaucoup de ces
théâtres, tels autrefois chez nous au boulevard
du Temple les Funambules et le Petit Lazari,
donnent deux représentatiotistous les jours. Tune
dite de joui\ qui commence à six heures et demie
du soir ou à sept heures, selon la longueur du
spectacle, l'autre dite de nuit qui lui succède
entre neuf heures et demie et dix heures. Cha-
cune de ces représentations qui n'ont presque
pas d'entr'actes se termine invariablement par
un petit concert dans lequel des duettistes ou
une, deux, trois chanteuses, presque toujours
fort jolies femmes, et quelquefois bonnes diseuses,
viennent débiter les chansonnettes napolitaines
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A LA RECHERCHE DE PULCINELLA 9
les plus en vogue. De telle sorte que celui qui ne
veut pas payer après minuit les cinquante cen-
times obligatoires à son concierge (usage napo-
litain), ou qui habite à Chiaia, au Pausilippe, à
Portici, à Résina — car les faubourgs de Naples
ont plusieurs lieues d'étendue, — peut tranquil-
lement regagner son domicile vers dix heures.
Le prix des places de ces spectacles de jour est,
en outre, quelque peu moins élevé que pour les
représentations du soir. Enfin, détail assez ori-
ginal, c'est Naples qui, de toutes les villes d'Eu-
rope, possède le plus grand théâtre, le San Carlo ,
et peut-être le plus petit, la Fenice,
Quels sont à présent ces théâtres ?
Voici le San Carlo, déjà nommé, accolé au
Palais royal, construit en 1737 par Tarchilecte
Angelo Carasale, détruit en partie par un incen-
die en 1846, rebâti splendidement par Tarchitecte
Niccolini. Il est à six rangs de loges, et chaque
rang compte 32 loges. On l'ouvre généralement
vers Noël pour y donner Topera et des ballets,
et l'on en ferme les portes avant Pâques.
Le Mercadante (ci-devant Fondo) en plein centre
de Naples,entre l'Hôtel de Ville et le Môle, cons-
truit en 1778, pour l'opéra et la haute comédie.
Le théâtre Bellini, près du Musée, terminé en
1.
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À LA RECHERCHE DE PULCINELLA {{
Le théâtre Partenope, place Cavour, réper-
toire napolitain avec « Pulcinella ».
Le théâtre Mercadante, son voisin, même
genre.
Le théâtre des Variétés, théâtre élégant, pour
Topérette; souvent fermé.
Le théâtre Petrella, populaire, genres divers.
Puis une foule de théâtricules à tous prix, à
dix sous, à cinq sous, à trois sous, véritables
boîtes à. puces — nous adoptons ce titre géné-
rique pour ne pas entrer dans des détails trop
réalistes — et où le personnage comique de la
pièce doit invariablement jouer sous le masque :
ce sont le nouveau Politeama, une baraque en
bois, sur le môle, l'arena Mergellina dans le
quartier de ce nom, puis les théâtres de marion-
nettes avec tableaux peints à la porte, bouges
aux entrées sordides, Stella Cerere, l'Immacu-
lée, etc., où la clientèle ne se compose guère
que des petits marchands et des lazzaroni du voi-
sinage. D'autres salles, telles que celles du
théâtre Umberto I et de TEden, près de la Bourse,
du Salon Margherita sous la grande Galerie, sont
uniquement réservées au genre dit Variétés ou
café concert cosmopolite.
D'où il résulte que si nous voulons connaître
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II
ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA
Une initiation nécessaire. — Origines de « Pulcinella ». — Ce
qu'en pense M. Benedetto Croce. — Opinions de divers au-
teurs. — Silvio Fiorillo ou le capitaine Matamore « inven-
teur » de « Pulcinella » et père de Scaramouche. — Maurice
Sand et le Pulcinella Ciuccio. — Antiquité du personnage.
— Maccus et Bucco. — Rapprochement entre les coutumes
de Pompéi et celles de la Naples contemporaine. — Etymo-
logie du nom de « Pulcinella ». — Son costume. — Le seul
et vrai « Pulcinella ».
Ceci posé, devrons-nous aller au théâtre Nuovo
comme on va dans le premier théâtre venu, c'est-
à-dire sans préparation d'aucune sorte? Je ne le
crois pas, car nous nous exposerions à une décep-
tion. La ville de Naples n'est pas comme une autre
ville, le peuple de Naples ne ressemble pas à un
autre peuple, et le théâtre de « Pulcinella » n'a
rien à voir avec tous les autres théâtres. Vous aurez
beau aller chercher des points de comparaison
entre Pulcinella et Brighella, Pierrot, Jocrisse,
et tutti quanti^ rien n'y fera, car « Pulcinella »
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14 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
c^est... Pulcinella. U est seul, il est unique en
son genre, il est immense, il est génial quand il
le faut! Mais comme il est en même temps l'ex-
pression la plus typique, la plus sincère, la plus
vraie du peuple de Naples — à tel point qu'à
quelques lieues de distance le personnage est
dépaysé — il faudrait supposer pour sa compré-
hension immédiate que vous avez déjà longue-
ment étudié le caractère du peuple napolitain.
C'est pourquoi, en admettant que vous soyiez
étranger, ou simplement italien des autres pro-
vinces, « Pulcinella » doit vous être présenté
d'abord dans toutes les règles, selon toutes les
formes du grand et du petit cérémonial.
Essayons tout d'abord de rechercher son acte
de naissance dans la poussière des vieux gri-
moires.
Sur ce point, disons-le tout de suite, les dic-
tionnaires et les ouvrages qui se sont occupés du
théâtre napolitain ne sont guère d'accord. M. Be-
nedetto Croce qui, par sa profonde connaissance
en la matière, doit faire autorité au chapitre, le
fait naître vers la fin du xvi® ou le commence-
ment du xvif siècle, et lui donne pour parrain
l'acteur napolitain Silvio Fiorillo qui s'était déjà
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ACTE DE NAISSANCE DE PULCJNELLA 15
rendu célèbre dans l'emploi du Capitaine espa-
gnol sous le nom de Capitan Matamoros *. On se
rî^ppelle, soit dit en passant, que ce Silvio Fio-
rillo fut le père du fameux Scaramouche né à
Naples le 9 novembre 1608.
Scherillo, de son côté, dans son étude sur
« Pulcinella » * s'en réfère sur ce point au témoi-
gnage d'Andréa Perrucci dans son Arte rappre-
sentativa (1699). Enfin Fier Maria Cecchi ni, l'ac-
teur originaire de Ferrare, plus connu sous le
nom de Frittellino^ avait précédemment affirmé
le même fait dans son ouvrage publié à Padoue
en 1628 ^
Nous savons effectivement que le personnage
de « Pulcinella » figure dans le Viaggio del Par-
naso de Corteseen 1621. L'année suivante le
grand Callot nous donne le portrait de « PuUi-
ciniello » dans les Balli di Sfessania.
Puis le nom apparaît indifféremment sous les
* Pulcinella e il personaggio del napoletano in commedia,
Rome, E. Loescher e>C. 1899.
* La Commedia delVarte in Italia, Etudes et profils, Rome,
Loescher, 1884.
3 Frutti délie moderne comédie et avisi a chi le récita^ di
Pier MaHa Cecchini, nobile Ferrarese Ira comici detto Fnttel-
linOy dedicati al Sereniss. Gran iJuca di Toscana, Ferdinando
Secondo, in Padova, Appresso Guaresco Guareschi al Pozzo
depinlo, 1628.
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16 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
formes de Policinella^ Pulicinella^ Polecenella^
Pullecinella^ et, en italien, Pulcinella et Pulci-
nello.
Pier Maria Cecchini, contemporain de Silvio
Fiorillo, nous déclare donc que ce dernier fût
« Tinventeur » — c'est son propre terme — de
« Pulcinella ». Mais n'oublions pas que Cecchini
était de Ferrare, et que, par conséquent, ce per-
sonnage était une nouveauté pour lui quand il
vint à Naples. D'autre part, ce mot « inventeur »
voudrait-il dire que Fiorillo tint lui-même cet
emploi, comme semble le croire M. Benedetto
Croce ? Tous les portraits de Silvio Fiorillo nous
le représentent en costume de Capitan Mata-
moros. Et puis comment se fait-il que son fils,
l'illustre Scaramouche, qui vint en France vers
1640, et qui y mourut cinquante-six ans plus tard,
n'ait jamais essayé de reprendre pour son compte
le masque de « Pulcinella » sur les planches du
Petit Bourbon ou des autres scènes où il parut?
L'on nous objectera que ce personnage aurait
eu de la peine à être compris hors de Naples.
Soit. Mais n'a-t-on pas acclimaté chez nous, aux
siècles passés, l'Arlequin qui ne parle que le
bergkmasque et Pantalon qui rie parle que le
vénitien ?
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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 17
J'ai SOUS les yeux une liste de. pièces jouées
à Paris par les Italiens au temps de Molière ou
peu après lui , et je n'y vois pas une seule fois
Pulcinella dans les Balli di Sfessania, par J. Callot.
. (1622).
figurer le nom de « Pulcinella ». Il n'apparaît
point ou guère dans les troupes italiennes qui
vinrent en France, et c'est encore Molière qui,
dans un intermède du Malade imaginaire lui a
donné le plus grand rôle; mais, comme Ta fait
remarquer M. Louis Moland \ ce personnage ne
* Molière et la Comédie italienne, par Louis Moland, p. 367.
Paris, Didier et C^s 1867.
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LE THEATRE NAPOLITAIN
le remplacer le Pédant, et n'a point là son
>riginal. D'où il résulte que Molière a bien
lu parler de lui — puisqu'il lui a emprunté
om — mais qu'il n'en a jamais connu le
ère.
onasque de « Pulcinella », — si nous vou-
dmettre que Fiorillo en fût « l'inventeur »,
rait dû revenir de droit à Scaramouche,
s, comme un héritage. Or, celui-ci semble
tre fort médiocrement soucié. C'est pour-
'aime beaucoup mieux croire que ce mot
inteur » ne signifie pas que Silvio Fiorillo,
lit chef de troupe, ne l'oublions pas, tenait
iploi pour son compte, mais veut bien plu-
e qu'il avait eu l'idée de mettre en lumière
psonnage sur son théâtre, et d'en faire
re le masque par quelque acteur de sa
Lgnie. Ce qui nous induirait à penser que
B par lui-même est beaucoup plus ancien
j»
is ce cas, Scaramouche n'avait aucune
pour l'adopter en Italie ou en France, ce
dvint.
irice Sand, qui s'est occupé passionnément
asques et Bouffons de la comédie italienne,
in joli ouvrage à peu près introuvable à
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AdTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA i9
rheure actuelle, était absolument de cet avis ' :
a Pendant tout le moyen âge, écrit-il, à Tépoque
où Ton ne représentait sur les théâtres que des
mystères, Pulcinella disparut. Ce n'est qu'au
xvi' siècle, à la renaissance de» théâtres, qu'un
comédien nommé Silvio Fiorillo tira ce person-
nage de l'oubli, et introduisit Pulcinella dans les
parades napolitaines. Fiorillo était chef d'une
troupe de comédiens. Il jouait lui-même sous le
nom du Capitaine Matamore^ et confia le rôle de
Pullictnielio (comme on l'appelait alors) à Andréa
Calcese, d'abord tailleur, surnommé le Ciuccio^
qui imitait dans la perfection Taccent et les ma-
nières des paysans d'Acerra, près de Naples. Le
Ciuccio mourut en 1636 ^. »
Voilà une version infiniment plus acceptable
^ Masques et Bouffons, (Comédie italienne) texte et dessins
par Maurice Sand, gravures par A. Manceau, préface par
George Sand, 2 vol. Paris, A. Lévy fils, 1862.
* Qu'Andréa Calcese dit le Ciuccio ait tenu avec autorité l'em-
ploi du « Pulcinella » dans les commencements du xvii" siècle,
cela est incontestable, mais je ne puis m*empécher de signaler
les contradictions suivantes que je relève au sujet de son ori-
gine et de la date de sa mort :
L'abbé PaciccheUi veut qu'il ait été jurisconsulte.
Perrucci dans son Arte rappresentativa nie le fait, et pré-
tend que ce fut un tailleur qui par ses études et sa grâce arriva
à perfectionner le « masque » qu'avait inventé Fiorillo. Il fait
mourir le Ciuccio de la peste en 1656 (et non 1636 comme dit
Maurice Sand).
Bastoli invoque l'autorité de Bernardo de' Dominici (Vite de"
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20 LE THEATRE NAPOLITAIN
que toutes les autres et qui met tout le monde
d'accord, à moins que M. Benedelto Croce ne
persiste à faire tenir Femploi de « Pulcinella »
par le matamore en personne ?
Quanta Tantiquité du personnage, c'est encore
Maurice Sand qui nous semble le plus près de la
vérité.
« Ce fut vers Tan 840 de Rome, nous dit-il, que
les Romains introduisirent chez eux le genre des
pièces improvisées, diies A tellanes, avec les types
principaux : Maccus, Bucco, Pappus et Casnar^
parlant l'osque, le grec et le latin.
« C'étaient presque toujours des sujets cham-
pêtres, les mœurs des paysans de la Campanie,
puis les ridicules des habitants des petites villes.
C'est Pappus prœteritus^ comme qui dirait P«n-
talon éconduit ; Maccus soldat ; Macciis déposi-
taire testamentaire ; le Médecin; les Peintres ; le
Boulanger ; Pappus agricola. )>
Le Maccus était vif, spirituel, insolent, un peu
féroce; le Biicco était suffisant, flatteur, fanfa-
Piltori NapolUani, t. III, p. 87) lequel affirme qu'il fut juris-
consulte et* l'un des meilleurs acteurs de son temps non seule-
ment à Naples, mais aussi à Rome où il fut appelé à jouer.
Luigi Rasi (/ Comici italiani, p. 542) nous dit qu'il florissait
vers 1660 ? Bien malin celui qui pourra déchiffrer cette énigme.
— Ce qu'on ne saurait refuser au Ciuccio, c'est son talent 1
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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 21
ron, voleur et lâche. Le Pulcinella moderne a
de ces deux caractères tout à la fois.
« Le Maccus, personnage osque, a dit autre
part M. Ferdinand Fouque, a pour caractère la
sottise, rimpertinence. le désordre, comme son
nomrindique ; — car en grec, «Jiaxxoîo-Qai signifie
faire le bouffon, radoter, être fou... Le Maccus,
dans les Atellanes, répond quelquefois à T Arle-
quin, mais le plus souvent au Polichinelle. C'est
un Maccus que représente la statuette en métal
conservée au musée du marquis Capponi. II a
une espèce de manteau qui lui descend aux ge-
noux, et des sandales aux pieds; sa tête est rasée,
sonnez est gros, courbe et crochu... On trouve
encore un Maccus sur une cornaline : il est vêtu
de pourpre; ses pieds sont nus ; sa tête est rasée ;
son nez lui tombe sur la bouche et lui couvre le
menton, ce qui lui donne un air stupide ; sa pos-
ture est flegmatique, et ses bras qu'il tient croi-
sés sur sa poitrine, sont entortillés dans son
habit. Il représente un Maccus philosophe comme
dans la comédie intitulée Polichinelle travesti en
docteur (Pulcinello fînto dottore).
« Bucco est d'origine osque... Par son nom et
par sa figure, il ressemble au parasite de la grande
comédie. Son caractère est un composé de hau-
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22 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
leur et de bassesse, de ridicules et de folies. Il
fait le plaisant au besoin, Timpertinent selon les
circonstances; souple, officieux, insinuant,
bouffon, bavard, paresseux, gourmand, famé-
lique, il a tous les vices qui cadrent avec les
mœurs d'une nation corrompue ; il étudie leurs
penchants, se prête à leurs fantaisies, sert leurs,
passions, favorise leurs entreprises libertines. »
Je sais que cette idée de faire remonter Tori-
gine de « PulcineUa^> à des temps aussi reculés
fera sourire plus d'un sceptique. Et cependant, si
après nous être bien promenés dans Naples vous
voulez m'accorder quelques heures pour vous
conduire à Pompeï, je me permettrai de vous
demander ce qu'il y a de changé entre les cou-
tumes de Pompeï au premier siècle de notre ère
et celles de Naples au commencement du ving-
tième?
A Pompeï, les boutiques des marchands ne
prennent jour que sur la rue, par la porte. Or
pouvez-vous me dire en quoi diffèrent de ces
boutiques de Tan 79 les bassi actuels^ de Naples
oii huit à dix personnes occupent au rez-de-
chaussée un magasin sans fenêtre, servant en
même temps de chambre à coucher, avec les
poules, les chèvres, les brebis, et où la terre
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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 23
poisseuse qui colle aux pieds sert de plan-
cher?
A Pompeï, nous trouvons à chaque pas des
niches, des petits reposoirs où l'on plaçait la
divinité protectrice de la rue ou de la maison.
Qu'est-ce donc, à Naples^ que ces madones à
chaque carrefour, à chaque façade de palais, et
cette petite veilleuse brûlant nuit et jour devant
Timage de la Vierge ou d'un saint, même dans
les logis les plus humbles ?
A Pompeï, les funérailles des gens riches
étaient accompagnées d'un cortège de joueurs
de flûte, de mimes, de saltimbanques, de trom-
pettes, de tambourins et de pleureuses. Mais
que penser, à Naples, des deux cent huit
archiconfréries ou confréries qui assurent à
leurs adhérents des obsèques luxueuses avec
corbillards rouges, verts , jaunes ou violets,
dorures, plumets et franges multicolores, ca-
goules blanches ou mi-partie noires et bleues,
moines, sœurs de charité, enfants des hospices,
vieillards habillés de drap bleu, coifiés d'un
chapeau de toile cirée et portant de petites ban-
nières, pleureuses à la tête recouverte d'une
mantille noire avec un petit mouchoir à la main,
valets de pied en livrée causant entre eux de
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24 I^E THEATRE NAPQL
leurs petites affaires avec Texul
qui caractérise les napolitains ?
A Porapeï, en guise de Téc
de déposer, etc. » les serpents ^
les murs nous font songer au^
Pinge duos angues; pueri, sace
Mejite...
A Naples, pour protéger le
contre les mêmes inconvéniei
croix... ce qui faisait dire à M
— le héros comique napolitai
un passant qui lui reprochait c
tel lieu : « Imbécile ! ne vois
cette croix est celle du mauvai
A Pompeï, enfin, petite ville
bitants, nous voyons un grand
un petit théâtre comique, un va
A Naples, ne trouvons-nous pas
tout? Pourquoi n'admettrions-
une chose toute naturelle, que
descendant en ligne directe de M
Ce serait tout le contraire qui
* Lire sur ce sujet dans Naples con
quable ouvrage de M. Marcellin Pellet,
Naples. — Paris, Charpentier, 189G, — c
Archiconfréries et les Cimetières »;
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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 25
« L'on ne sait rien de Pulcinella avant Sil-
vio Fiorillo, persiste à dire M. Benedetto Croce
déjà cité, mais si Ton en pouvait savoir quelque
chose, cela n'aurait pas grande importance. »
Voilà ce qui s'appelle faire bon marché des
recherches antérieures au xvu® siècle ! Il est
vrai que dix pages avant * le même auteur a
conclu de façon presque contraire en nous lais-
sant entendre que l'expression <c inventeur de
Pulcinella » appliquée par Cecchini à Fiorillo
pourrait bien être un peu rigoureuse, et suppo-
ser que ce nom de « Pulcinella », de même que
ce vêtement, pouvaient bien avoir déjà appar-
tenu à des personnages comiques.
« C'est ainsi, nous dit encore fort judicieuse-
ment M. B. Croce. qu'un de nos contemporains
n'aurait aucun scrupule à affirmer que le per-
sonnage comique de Sciosciammocca a été
inventé par l'acteur Scarpelta ; eh bien ! le
même Scarpetta raconte dans ses Mémoires qu'il
fut amené à adopter ce nom pour avoir joué
une première fois avec un bon succès le person-
nage de Felicctto Sciosciammocca dans une
vieille farce. »
* Pulcinella, p. 19 et 20.
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26 LE THEATRE NAPC
Scherillo, déjà cité, a retrc
« Pulcinella » au xvi° siècle,
Joan Polcinella au xv® siècle,
nous dit ce dernier auteur, c< g
vrait un beau jour le nom
avant Fiorillo, nous n'en s
veillés. » C'est An reste, Yo\
M. Albrecht Dieterich qui, da
ment publié, fait aussi remon
personnage à la plus haute ant
Reste à expliquer ce nom l
nella ». Ici, nous aurons encc
rice Sand : « On sait que le M
crochu, les jambes longues,
voûté, Testomac proéminant,
de tous les anciens mimes, il
ses gestes et ses cris que par
spécialité de Maccus était d'imi
le cri des oiseaux et le piaule
au moyen d'une sorte d'app(
pratique, le sghe?*lo ou pivet
donc surnommé, à cause de î
effarouchée, peut-être aussi à
* Tealri di Xapoli par B. Croce, p.
* Albrecht Dieterich, Pulcinella, Pon
und romische Safyrspiele, Leipzig, Tei
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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 27
en bec et de sa démarche bizarre, Piillits galli-
naceus^ puis, par contraction, Piilcino et Pielci-
nella, »
Quoi qu'il en soit, j'aime infiniment mieux
celte version que celle de Tabbé Galiani qui fait
dériver ce nom d'un certain Puccio d'Aniello,
villageois à la face comique, au.nez long, qui
fit au xvu® siècle les beaux jours d'une troupe
de comédiens ambulants en Campanie.
Sans affirmer, pour le costume, que Pulci-
nella descend en ligne droite du Mimus albiis de
la comédie des Atellanes, comme le décla-
rait Louis Riccoboni au commencement du
xviii** siècle, il est bien certain que depuis
trois cents ans ce personnage exhibe deux fois
par jour sur les théâtres de Naples sa blouse
blanche très ample, serrée et plissée à la taille,
son pantalon blanc et large, son chapeau pointu
en feutre souple, son demi-masque noir au nez
crochu. Nous pouvons même mentionner pour
le Pulcinella de nos jours le serre-tête noir (le
Maccus n'avait-il pas la tête rasée ?) et Tabsence
de collerette. C'est ainsi que le représente du reste
à quelques variations près une vieille image avec
cette mention : « Masque burlesque qui parle
la langue des paysans napolitains, et qui est
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28 LE THEATRE NAPOLITAIN
vestu de toile blanche, contrefaisant la beste et
le stupide. »
Pulcinella au commencement du xyiii» siècle.
[Histoire du théâtre italien de Riccoboni).
Il ne s'agit donc pas ici du Polichinelle de la
Comédie italienne de Paris à qui Barbançois, le
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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 29
Pulcinella de la troupe de Mazarin, imitant
Jupilles, le Polichinel français de 1640, donna
la veste et le pantalon aux couleurs rouge et
jaune.
Il ne s'agit donc pas du Polichinelle de Michel
Ange da Fracassano qui en 1697 exagérait les
deux bosses du costume et se coiffait avec un
feutre gris orné de deux plumes de coq — le
Polichinelle de Watteau.
Laissons Polichinelle à la France, Punch à
l'Angleterre, Hanswurst à TAllemagne, Toneel-
gek à la Hollande, Don Christoval Pulichinella
à l'Espagne, Karagheus à la Turquie.
Occupons- nous seulement, puisque nous
sommes à Naples, du seul, du vrai, de Tunique
« Pulciniella » le digne descendant de Maccus et
de Bucco, tour à tour balourd, rusé, sensuel,
maître ou valet, mais plus souvent valet, tel
enfin qu'il trôna pendant cent quarante-six ans
(1738-1884) à l'ex-théâtre San Carlino, tel enfin
que nous allons aller Tapplaudir au Niiovo en
Tan de grâce 1900!
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ni
FONDATION DU SAN CARLINO
La Piazza del Caslello au xviii* siècle. — Un théâtre sous une
église. — Le premier San Carlino. — La Chronique du San
Carlino par M. S. di Giacomo. — Fermeture du premier
San Carlino. — Fermeture de la « Cantina ». — Reconstruc-
tion du San Carlino. — La Commedia delVarte, — Le « Pul-
cinella » Cammarano Vincenzo dit Giancola, — Le répertoire
de Cerlone. — Tableau de la tro'upe en 1796. — Triste fin de
siècle. — Giancola presque centenaire.
La Piazza del Castello, tant de fois décrite
dans les vieux livres qui s'occupent de Naples^
n'était pas sans analogie avec notre ancien bou-
levard du Temple sous les règnes de Louis XV
et de Louis XVL C'était le rendez-vous tout
naturel des oisifs, des vendeurs ambulants, des
charlatans, des tire-bourses. Ce qu'on voyait en
plus, à Naples — et qui faisait entièrement
défaut devant le théâtre de Nicolet, — c'était
quelques moines montés sur un banc ou sur un
escabeau et prêchant en plein air, un crucifix à
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32 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
la main. Mais, à part celte petite note toute
napolitaine, le reste ne différait guère : théâtres
en bois, parades, bruits discordants, badauds
surtout.
Face au Môle, à .l'angle actuel du palais du
Municipe et de la rue S. Giacomo, se voyait
alors, bien en évidence, Téglise du même nom à
présent enclavée dans les bâtiments de l'Hôtel
de Ville et fermée pour cause de réparations.
Cette église, dont on ne soupçonnerait guère
aujourd'hui l'existence, était alors précédée
d une terrasse haute de quatre à cinq mètres, à
laquelle on accédait par deux escaliers. Sous
Féglise, en contre-bas, on avait ouvert des bou-
tiques : un libraire, un marchand de comes-
tibles y tenaient leurs assises ; puis enfin — qui
le croirait? sous une église — la Cantina,
espèce de cave, comme le nom italien l'indique,
où depuis 1719 Ton jouait la comédie! Nous
avons dit plus haut que Naples n'était pas
comme une autre ville, et ces rapprochements
du sacré et du profane, impossibles partout ail-
leurs, n'ont rien ici qui doive nous étonner ^
* Archives de VÉtat. — Documents relatifs aux théâtres du
xviii« siècle, fasc. xii.
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FONDATION DU SAN CARLINO 33-
C'était du reste un superbe emplacement que
celui de cette église S. Giacomo, et, lorsque le
prêtre du haut du maître-autel se retournait
pour bénir les fidèles, il avait devant lui, au delà
de la porte toute grande ouverte, le Môle, la
mer bleue ponctuée de voiles blanches, le phare
rouge, et tout au fond du côté gauche, les jolies^
villas de Portici, de Résina et de Torre del
Greco groupées en demi-cercle au pied du
Vésuve.
Ce théâtre de la « Cantina » que rappelle for-
cément de nos jours le petit théâtre de la Fenice
situé à deux pas de là dans une cave, fut donc
comme le doyen de tous les théâtres fixes napo-
litains. Puis, un peu avant la moitié du
xvm® siècle, à « cent cinquante palmes » envi-
ron de cette « Cantina » * un théâtre surgit tout
à coup comme des entrailles de la terre : grande
commode, possédant trois rangs de loges, une
scène assez vaste, un éclairage brillant pour
l'époque, le nouveau-né se plaça immédiatement
sous la protection de son grand confrère, le San
Carlo, récemment ouvert (1737) et s'intitula le
San Carlino. Cette baraque — pour l'appeler
* Archives de VÉtat, — Documents d® d» fasc. xiv.
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34 LE THEATRE NAPOLITAIN
plutôt de son vrai nom — se trouvait donc pla-
cée tout proche l'église S. Giacomo : un certain
Giovanni Brancaccio qui l'avait fait bâtir en resta
le directeur jusqu'en 1754.
La Chronique du théâtre San Carlino a été
récemment écrite *, et loin de nous l'idée de tra-
duire ici les 300 pages du gros volume de
M. S. di Giacomo qui contribua ainsi, par cet
immense labeur, à tirer de l'obscurité Thistoire
si intéressante, et en général' si peu connue, du
théâtre en dialecte napolitain. Mais il nous suf-
fira de rappeler combien furent difficiles à fran-
chir ces premières années de lutte, à tel point
qu'une première fois Michèle Tomeo, l'impré-
sario de la « Gantina » obtint la fermeture du
nouveau théâtre, son rival.
Ce Michèle Tomeo mourut en 1762, et son
fils Tommaso lui succéda. Maître de la situa-
tion, par suite de la suppression injustifiable du
San Carlino^ il régna sans partage dans son
« Fosso », ainsi qu'on désignait le théâtre delà
« Gantina ». Chaque mois d'août venant, il
conduisait sa troupe comique au théâtre de la
* Cronaca del Teatro San Carlino par S. di Giacomo, un yoI.
in-4o, 300 pages, nombreuses figures. Naples S. di Giacomo
édit. 1891.
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FONDATION DU SA^ CARLINO 35
foire, et, en carême, il faisait réciter dans sa
cave des tragédies sacrées. Parfois, enfin, au
cœur de Tété, il se mettait en route à travers les
provinces napolitaines. Ce fut un de ces dépla-
cements qui le perdit : un beau jour le roi de
Naples étant en villégiature à Caserte, la com-
pagnie Tomeo y vint sans y avoir été demandée
et sollicita la permission de donner des repré-
sentations. Ferdinand IV, encouragé par Taudi-
teur Pirelli qui était un ennemi des comédiens,
se fàcba fort de ce « sans-gêne » et autorisa
ledit Pirelli à lancer ses foudres. Défense fut
faite au chef de la troupe, sous peine de cinq ans
de prison, de s'arrêter sans permission dans un
séjour royal, et ordre lui fut enjoint de reprendre
le chemin de la capitale ou des provinces. Mais
tout cela n'eut été rien encore si le terrible audi-
teur qui né badinait pas avec les troupes
comiques n'avait glissé dans son rapport au
ministre un petit entrefilet qui n'avait Tair de
rieTi, mais qui disait en propres termes :
« Don Nicola Pirelli, auditeur de Tarmée...
profite de cette occasion pour porter à la con-
naissance de V. E. que ce théâtre à' histrions est
situé à Naples sous la Congrégation des Espa-
gnols de S. Giacomo, oîi se trouve continuellc-
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36 LE THEATRE NAPOLITAIN
Oient le Saint Sacrement. Les (pielques gens
qui exercent ce métier sont des gens de mœurs
perdue; ils reçoivent de l'argent pour amuser
les oisifs^ Ita désœuvrés de la ville, et cela de
jour et de nuit avec des représentations qui
<i puent de laideur » ; c'est véritablement un
scandale. C'est pourquoi V. E. ferait œuvre de
piété souveraine et de providence supérieure en
le faisant cesser et en en effaçant la mémoire,
-car c'est un art absolument mauvais, professé
par quelques-uns pour la ruine de beau-
coup. »
C'était la condamnation à mort de la « Can-
tina » et le 8 décembre 1769 Tordre royal reçut
exécution. Telle fut la fin du premier théâtre
napolitain où Ton jouait depuis près de cin-
quante ans, lequel était puni par l'excès de
sévérité dont il avait péché envers le jeune et
premier San Carlino. On tira dé la cave, pêle-
mêle, les décors et les accessoires; on mit pour
la première fois au grand air les nuées céleftes,
les sceptres de bois doré, les palais éblouissants,
et le public des lazzaroni put regarder de près
tout à son aise le trône qui avait reçu entre ses
bras de carton-pâte tant d'empereurs et de sul-
tans ! Tomeo , condamné à payer encore six
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FONDATION DU SAN CARLINO 37
mois de loyer \ regardait ce déménagement les
larmes aux yeux.
Une ville comme Naples pouvait-elle vivre
sans théâtre, et surtout sans « Pulcinella »?.
Assurément, non. C'est ici que nous allons assis-
ter à la résurrection du San Carlino.
Un mois avant la fermeture de la « Gantina »,
Tommaso Tomeo avait déjà adressé une demande
au roi afin, d'être autorisé à ouvrir un nouveau
théâtre. On s'était aperçu au bout de cinquante
ans que l'on donnait la comédie sous ui^e église,
soit; mais à présent que l'on avait vidé la
place, ne pouvait-on pas jouer autre part? Les
documents qui sont parvenus jusqu'à nous con-
cernant cette affaire sont curieux. D'abord, le
roi s'informe si Tancienne compagnie du San
Carlino supprimé jadis était la môme que celle de
la « Gantina » récemment fermée. Il lui est
répondu que l'ancienne compagnie à laquelle il
est fait allusion est débandée depuis longtemps ;
que parmi les comédiens nouvellement mis à
pied l'on ne trouve guère que deux individus,
sur le compte desquels il y ait quelque chose à
* Arch. de la Banque de Naples (Banque de S. Giacomo,
année 1770, f* 3733). — Document retrouve par M. S. di Gia-
como.
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38 LE THEATRE NAPOLITAIN
redire sous le rapport de la conduite; que tous
les autres, hommes et femmes, soiit les plus
honnêtes gens de la terre ; que TrivelH, le chef
de la troupe, vit avec sa femme ; que Giancola,
le « Pulcinella » est marié ; qu'une romaine,
nommée Teresa Marlorini, se tient tranquille
dans son ménage, que tous enfin, selon leur
condition, passent le temps « sans donner scan-
dale aucun ».
Or, remarquez que le signataire de ce rapport
est le même auditeur qui, quelques mois aupa-
ravant, signalait ces mêmes histrions comme
un amas de gens perdus de vices.
La vérité est que le .mal n'était pas dans ce
que faisaient, mais dans ce que pouvaient dire les
comédiens qui pratiquaient alors la Cormnedia
delParte sur laquelle nous aurons à revenir plus
tard, et qui, improvisant sur un canevas donné,
se permettaient ou pouvaient se permettre toute
espèce de licences. Cela est si évident que nous
lisons cette phrase dans une adresse au roi :
« L'Imprésario et les acteurs du susdit théâtre
aboli supplient V. M. pour la révocation du
décret d'abolition, offrant de ne jouer que des
comédies préméditées revues par l'audi-
teur. »
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FONDATION DU SAN CARLINO 39
C'est, en termes clairs, la demande de l'appli-
cation de la censure.
La requête est datée de novembre 1769, et la
permission de rouvrir une nouvelle salle fut
donnée à Tommaso Tomeo le 17 mars 1770.
Celle fois les véritables bases du théâtre napo-
litain avec répertoire écrit — ou du moins en
grande partie écrit pour Texamen de la censure
— étaient fixées.
Restait à trouver un endroit convenable pour
bâtir un théâtre dans « un lieu profane ». Mais
quel endroit pouvait être mieux choisi que
cette Piazza del Castello, rendez-vous de toute la
badauderie napolitaine, et où Tommaso Tomeo
possédait précisément de vieilles maisons dont
il prit trois boutiques adjacentes pour son
théâtre. On défit les planchers, on plaça le par-
terre dans le sous- sol, et les loges du second
rang au niveau de la rue. Bref, on dépensa là
huit mille ducats (plus de trente mille francs) ',
l'imprésario réengagea pour trois ans l'ancienne
troupe de la « Cantina » et le second San Car-
lino ouvrit ses portes avec éclat ! La vogue allait
durer plus de cent. ans.
* Arch. de VEtal. — Docum. Thcatr. Fasc. xx.
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40 LE THEATRE NAPOLITAIN
Tous ces détails pourront paraître un. peu
oiseux, un peu en dehors de notre cadre. Ils
nous ont semblé indispensables : d'abord parce
qu'ils sont peu connus, même à Naples, ensuite
parce qu'ils sont comme l'explication de la trans-
formation progressive de la Commedia delïarte
des xvi'* et xvn® en théâtre napolitain des xvui*
et XIX® siècles. C'est là une évolution très
curieuse sur laquelle nous nous expliquerons
beaucoup plus en détail lorsque nous rendrons
compte de nos soirées au Ntiovo.
Quels furent les comédiens de cette époque
qui tinrent avec succès l'emploi du « Pulci-
nella » ? Nous allons tâcher de vous le dire.
Autant que la chronique napolitaine peut nous
renseigner à cet égard, on peut citer, en 1745,
Barese Francesco, à la Cantina. « Il fut un gra-
cieux Pulcinella, nous dit Francesco Batoli*,
et joua pendant longtemps avec succès sur les
théâtres de Naples. Ce fut une perte pour Fart et
un deuil pour ses amis lorsqu'il vint à manquer
vers 1777. Puis Di Fiore, Domenico Antonio,
né en 1711, et dont Bartoli déjà cité dit encore :
* Notizie Istoriche de' Comici italiani che fiorirono intorno
alV anno MDL fino a' giorni presenti, 2 petits volumes, Con-
zattij Padoue, .1782.
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FONDATION DU SAN CARLINO 41
« sa promptilude dans les ripostes, sa panto-
mime naturelle et gracieuse et une profonde intel-
ligence des comédies improvisées furent autant
de mérites qui lui valurent succès et réputa-
tion. » Il avait déjà tenu l'emploi du « Pulci-
nella » au premier San Carlino. C'est enfin, dès
Tannée 1765, à la Canlina d'abord, puis au nou-
veau San Carlino ensuite, le fameux Camme-
rano Vincenzo dit Giancola * , né à Sciaçca
(Sicile) en 1720. Quant aux auteurs, c'est incon-
testablement Cerlone qui tient la corde, suivi à
quelque distance par Lorenzi.
Un mystère impénétrable a caché jusqu'ici
les origines de ce Cerlone Francesco. Certains
même vont jusqu'à prétendre qu'il n'était que
le prête-nom de son frère, moine Teresiano,
une espèce de bon vivant qui ne dédaignait pas
entre deux pages de théologie de faire agir
« Pulcinella ». Quoi qu'il en soit, Francesco
Cerlone fut populaire à cause précisément de
ses moyens un peu vulgaires et de son dédain
absolu pour le beau style, ce qui n'empêcha pas
* Surnom qui lui Tenait d'un rôle qu'il avait tenu avant de
porter le masque dans une comédie de Cerlone, intitulée La
Vedova Donzella e Maritata (7° vol. du Th. de Cei"lone publié
par Vinaccia, édition rarissime, Bibl. du musée de S. Martino
à Naples).
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42 LE THEATRE NAPOLITAIN
le roi Ferdinand IV de faire représenter quelques-
unes de ses comédies sur son Teatrino di Pa-
lazzo. Mais il faut bien se reporter à une époque
où Ton n'élait encore habitué qu'à la Commedia
delCarte^ qu'à k comédie improvisée, de telle
sorte que ces nouveaux essais fixés sur le papier
paraissaient déjà des chefs-d'œuvre, Cerlone n'a
jamais posé pour la forme ; c'était, avant tout,
un impressionniste qui jetait sur la scène, sans
préparation, ce qui l'avait le plus frappé; un
poète à sa manière, nullement raffiné, mais pos-
sédant un brio singulier et comraunicatif qui
lui fit croire sincèrement à un talent qui, autre
part, eût fait sourire.
Cerlone fut donc pour le théâtre napolitain ce
que, sur une plus vaste scène, Goldoni fut pour
la comédie italienne. L'un et l'autre, chacun
dans sa sphère, portèrent le dernier coup à la
commedia deWarte agonisante. Aussi ne faut-il
pas s'étonner outre mesure si Fun et l'autre
eurent de nombreux et d'impitoyables détrac-
teurs *. Cerlone chercha à intéresser son public
* La première édition des œuvres de Cerlone se compose de
huit volumes. Le dernier porte la date de 1769. Tous se ven-
daient « reliés en parchemin » dans le Corridor du Conseil, au
prix de trois carlins (environ t fr. 35). Vinaccia acheva de pu-
blier la seconde, composée de i4 volumes, en 1778. Et cepen-
dant Cerlone mourut pauvre, dit-on, vers 1812, à Tâge de 77 ans.
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Francesco Cerlone, auteur dramatique napolitain du XviiP feiècle.
Gravure extraite de la seconde édition de Vinaccia.
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FONDATION DU SAN CARLINO 45
mieux que n'importe quel autre auteur napoli-
tain de son temps. Quant à Lorenzi, son seul
rival, <5'était un lettré, et son œuvre est plus
italienne. Mais comme il lui eût fallu un public
plus cultivé, plus intelligent, sa satire restait bien
souvent incomprise : d'où la vogue de Cerlone.
On a fait remarquer que « Pulcinella » ne fi-
gure pas dans les premières comédies de Cerlone;
c'est très juste. Mais lorsque Vincenzo Camma-
rano reprit la succession de Di Fiore avec un
éclat incomparable, Cerlone eut bien garde de
laisser de côté le fameux « masque » napoli-
tain. Quant à écrire spécialement pour « Pulci-
nella » il faut s'entendre : quiconque a fréquenté
les théâtres de Naples, et cela encore de nos
jours, sait fort bien que le seul acteur auquel il
soit permis d'impix> viser c'est celui qui tient l'em-
ploi du « Pulcinella ». On n'écrit pas le rôle de
Pulcinella. Aussi, dans ses comédies, Cerlone lui
laisse-t-il toujours la scène « a soggetlo », de
même que l'on mettait fort bien dans nos anciens
vaudevilles à un endroit déterminé : « Ici, lazzi
selon la fantaisie de l'acteur. » Comme dans
la première édition du Sourd ou de r Auberge
pleine^ par exemple.
Puis, tandis que le talent de Vincenzo Camma-
3.
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46 LE THEATRE NAPOLITAIN
rano avait donné un nouvel éclat au personnage
de Pulcinella, la belle apparence, le « nez mer*
veilleux » et la crasse ignorance d'un autre co-
médien, ancien barbier, Francesco Massaro,
avaient engagé Cerlone à mettre à la scène un
nouveau type. Don Fastidio\ sorte de Sancho
Pancha émettant sans cesse de sentencieux pro-
verbes et qui, sôus les traits d'un valet empressé,
parlait toujours dans sa langue native. Mais ce
personnage disparut avec l'acteur qui en avait
été l'inspirateur et Maurice Sand dans son énu-
mération de tous les masques italiens a même
omis ce Don Fastidio, Francesco Massaro mourut
un soir, en scène, sur le Théâtre de la Caniina,
quelque temps avant sa fermeture, en 1768.
Tommaso Tomeo, la Cantina disparue, trôna
donc au San Carlino, émigrant seulement pen-
dant 1 été pour donner des représentations au
frais dans des jardins situés hors la ville, tantôt
près de la porte Capuana, tantôt près de la porte
S. Gennaro. A Pâques, l'on conserva l'usage de
réciter des comédies sacrées en prose, entremê-
lées de quelques airs de musique.
M. Vincenzo d'Auria, infatigable chercheur
dans les archives de Naples, a retrouvé une
liste complète du personnel de la scène et de la
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FONDATION DU SAN CARLINO 47
salle du petit théâtre San Carlino en 1796. Nous
y voyons un caissier, treize acteurs, cinq actrices.
Yincenzo Cammarano dit Giancola, 17i0-l 809, célèbre « Pulci-
nella » du San Carlino, ddssin de Giuseppe Cammarano, son
fils. Reproduit de la Chronique du San Carlino,
six musiciens d'orchestre, huit placeurs et em-
ployés dans la salle, un garçon chargé du lumi-
naire, un tailleur, une habilleuse, un perruquier,
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48 LE THEATRE NAPOLITAIN
un portier, deux machinistes, deux souffleurs,
quatre porteurs de chaises, un gardien, un se-
crétaire, et enfin Timpresario, soit un total de
quarante-neuf personnes.
Quant au Pulcinella de la troupe, c'est toujours
le fameux Vincenzo Cammarano, acclimaté à
Naples depuis plus de trente ans, et comme les
choses se passent tout à fait en famille parmi ces
comédiens, ainsi que nous avons eu si souvent
Toccasion de le faire remarquer dans notre Théâtre
en Italie^ nous retrouvons ce nom de Cammarano
porté par Filippo, acteur de la Compagnie et fils
du précédent, et même par un certain Lorenzo
qui se contentait de recevoir les billets à la
porte.
Les événements qui troublèrent Naples vers
la fin du xviii° siècle ne furent pas sans se réper-
cuter sur le modeste et paisible théâtre San Car-
lino qui dut fermer ses portes à plusieurs re-
prises ; d'abord ce fut le tremblement de terre
du 12 juin 1794 et Féruption du Vésuve qui s'en
suivit qui jetèrent un trouble bien naturel parmi
la population. A peine est-on remis de cette
alarme que voici Téchafaud qui. se dresse sur la
place du Château, à quelques pas du théâtre, sous
les canons du fort; pauvre théâtre oîi des sbires
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FONDATION DU SAN CARLINO 49
déguisés surveillaient jusqu'aux perruques des
acteurs qui ne devaient pas être trop «jacobines ».
Le manque de poudre ou la suppression de la
queue eût été un cas de prison pour le malheu-
reux qui se fût periîiis une de ces audaces. Puis
ce fut l'entrée à Naples de Championnet, de ce
général Ghampionnet qui mettait saint Janvier
lui-même en d.emeure d'accomplir à heure fixe
son miracle ; les théâtres durent rester ouverts
par ordre et le San Carlino notamment où l'on
donnait alors une comédie « tutta da ridere col
Pulcinella e co' buffi. »
Ferdinand IV revient, à la suite de la Révolu-
tion de 1799, et pour punir sans doute ces répu-
blicains de la veille, voici les théâtres encore
une fois fermés. Giancola ayant posé son masque,
presque centenaire, en est réduit à passer les
soirées à raconter les aventures de sa longue
carrière artistique entre son fils Filippo, auteur-
acteur, qui médite une nouvelle pièce, et son
autre fils Giuseppe, peintre déjà connu, qui des-
sine à la lueur d'un quinquet, tandis que son
imprésario et vieil aini TommasoTomeo l'écoute
en somnolant au fond d'un fauteuil et que les
femmes tricotent machinalement dans la pé-
nombre.
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'^l^
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IV
LE THÉÂTRE SAN CARLINO
La famille Cammarano. — La retraite de Giancola. — Sa
mort. — Ferdinand IV et Giancola. — Débuts de Lablache.
— Le « Pulcinella » Giovannone, — L'imprésario Silvio Maria
Luzi. — Filippo Cammarano auteur dramatique. — Un qua-
tuor d'artistes. — Apparition de Salvatore Petito. — Histoire
de Donna Peppa. — Antonio Petito dit Tolonno succède à
son père dans l'emploi de « Pulcinella ».
La famille Cammarano a décidément envahi
les planches du petit théâtre San Carlino. L'an
iSOO, sur la liste de la compagnie, nous trouvons
ïes noms de Domenica, Caterina, Vincenzo, Fi-
lippo, Antonio Cammarano. L'imprésario, Tom-
maso Tomeo, est mort en 1801, laissant sa suc-
cession à son neveu Salvatore; le vieux Giancola
(Vincenzo Cammarano) tient toujours Temploi
du « Pulcinella » malgré ses quatre-vingts ans
bien sonnés et son fils Filippo renaplit les rôles
de Mezzo carattere en attendant qu'il reprenne
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52 LE THEATRE NAPOLITAIN
pour son compte le masque de son père à qui les
forces vont manquer.
Pauvre Giancola! Un beau soir de 1802, un
bruit se répandit comme une traînée de poudre
depuis Toledo jusqu'à Chiaia, depuis le môle jus-
qu'à Santa-Lucia. Celui qui avait fait rire plu-
sieurs générations en portant l'a blouse blanche
de « Pulcinella » allait paraître en public pour la
dernière fois. Pensez un peu si la salle du San
Carlino fut bondée depuis le parterre jusqu'au
paradis. Giancola se montra, en effet, mais assis.
Le vieillard n'avait plus l'usage de ses jambes
et l'on vit alors ce spectacle : Pulcinella pleurant
et faisant pleurer. Sept ans plus tard, en 1809,
le brave homme s'éteignit, au moment même où
il espérait vivre encore quelques jours de plus
pour voir le retour de son roi et de Marie-Ca-
roline.
Le fait est que Ferdinand IV — le roi Nasone^
comme on l'appelait — avait été le protecteur
de « Pulcinella » et qu'on l'avait pu voir plus
d'une fois assis dans une petite loge du San Car-^
lino pendant lès représentations du jour.
Un soir, raconte M. S. di Giacomo dans sa
Chronique, le joi Nasone assistait précisément à
une re[jrésentalion du Médecin nocturne de
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LE THKATRE SAN CARMNO 53
Soave, et Giancola'avait appris que son souve-
rain revenait de la chasse où il avait tué de
bonnesetgrassesalouettesen quantité. Or, comme
dans une scène de cette comédie des soldats de-
vaient s'emparer de Pulcinella qui venait de me-
nacer un inconnu :
— Arrêtez ce misérable! criait le sergent.
— Gomment! répliquait Pulcinella. Pourquoi?
Qu est-ce que j'ai fait?
— Tu as insulté une auguste personne.
— Moi? Et qui donc? -
— Le Roi!
Ace passage, Giancola qui aurait dû, comme
il était indiqué, se jeter à genoux en demandant
grâce, s'écria :
— Sango de na vtifera! Je le croyais à la. chasse
aux alouettes!
Alors on entendit une grosse voix, la voix du
vrai roi, cette fois, qui partait du fond d'une
loge :
— Je t'en enverrai, Cammarà ! Je t'en enverrai !
Et le matin du jour suivant un domestique du
palais apportait chez Cammarano un joli panier
d alouettes que lui envoyait Ferdinand.
Un nom que l'on ne s'attendrait guère à ren-
contrer dans rhistoire de ce théâtre, c'est assuré-
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54 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
ment celui de Lablache ! Et cependant la célèbre
basse qui fit retentir sa voix profonde sur les
scènes fameuses de l'Europe, débuta modeste-
ment le jour de Pâques, en 1814, au San Carlino
qui s'était voué momentanément à la musique ^
L'histoire des commencements de Lablache ap-
partient à l'art français aussi bien qu'à Tart ita-
lien. De plus, comme elle est loin d'être banale
nous ne pouvons la laisser passer sous silence.
En 1794, un certain comte de Lablache craignant
les conséquences de la Révolution française s'em-
barqua à Marseille sur un havire qui faisait voile
pour Naples, en la compagnie de ses deux fils.
L'un d'eux, qui s'appelait Nicolas, alla loger à
TArco Mirelli, à Chiaia, avec sa jeune femme qui
était irlandaise. C'est là, le 6 décembre de la même
année, que naquit le grand chanteur lequel apprit
la musique au Conservatoire délia Pielà dei
Turchini et dont le succès fut énorme dès qu'il
se fit entendre en public.
L'invasion musicale fut de courte durée au
San Carlino. En 1818, on en était bel et bien re-
venu à la prose; mais, il faut bien l'avouer, tous
ceux qui avaient succédé dans l'emploi de « Pul-
• Cette date de 1814 a été donnée par Malpica ; mais nous
n'ignorons pas que Ton a écrit aussi 1811, 1813 et Florïmo 1812.
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Filippo Cammarano, 1765?-1842.
Auteur dramatique napolitain et « Pulcinella » au San Carlino.
Gravure extraite de la Chronique du San Carlino.
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LE THEATRE SAN CARLINO 57
cinella » au vieux et toujours regretté Giancola
n'avaient que médiocrement réussi. Tavassi,
Filippo Gammarano lui-mêtee avaient passé ina-
perçus. Il fallut que Timprésario du moment, un
certain Giovannone^ ancien vendeur dans la salle,
ancien préposé au vestiaire, prit le masque. On
voulut retrouver en lui la façon de gesticuler et
de dire de Giancola. Il ne lui en fallut pas davan-
tage pour faire fortune. Giovanni Stile — c'était
son nom — se retira des affaires quelques années
plus tard avec un bel immeuble acquis de ses
deniers via Salvator Rosa, une jolie villa à Por-
tici, et une somme rondelette dans ses poches.
C'est alors qu'apparaît à la tête de l'entreprise
Silvio Maria Luzi, d'origine romaine, dont le fils
fut, de nos jours, le dernier directeur du San
Carlino disparu.
Filippo Gammarano, second du nom, en 1837
avait déjà soixante-douze ans. Sans avoir jamais
eu le succès de son père sous le masque de « Pul-
cinella » il avait acquis une certaine réputation
comme auteur. Il rassembla dans un volume ses
meilleurs vers*, la chronologie de sa production
* Vierze stramhe e bisbelece de Filippo Gammarano, etc.,
Napoli délia stamperia Reale, 1837.
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58 LE THEATRE NAPOLITAIN
théâtrale, quelques notes biographiques, mit son
portrait en tête du livre, et celui qui fut toute sa
vie un homme probe, économe, travailleur, un
modèle de père et de mari, prit ainsi congé de
ses contemporains, soutenu pendant les dernières
années de sa vie par la bienveillance de Luzi. Il
mourut le 29 décembre 1842, regretté de tous et
le San Carlino en resta fermé pendant trois jours.
Ce n'était pas, du reste, le sfeul fils qu'eut
laissé Giancola. Indépendamment de ce Filippo,
il y eut encore Michèle, bon ténor qui chantait
au Nubvo en 1797; Antonio qui peignait, tout
en tenant Temploi des valets naïfs au théâtre de
San Severino ; Giuseppe, enfin, peintre en re-
nom, Tami des Camuccini, des Benvenuti, des
Podesti, de Hayez, le décoré du Lys de France
et de l'ordre de François V% le membre de l'Aca-
démie Royale qui ne dédaignait pas de se mon-
trer sur les planches du San Severino sous le
masque de cuir noir qui avait illustré à tout
jamais son père. Toutes ces quatre familles
habitaient la même maison, Vico Corrieri a
Santa Brigida n® 11 et se parlaient de fenêtre à
fenêtre à travers le jardin. Donizetti, Verdi,
Mercadante, Pacini fréquentèrent cette maison,
et c*est d'une de ces terrasses qu'Antonio Cam-
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LE THEATRE SAN CARLINO • 59
.marano avait Thabitude de peindre — et de re-
peindre — la blanche chartreuse de S. Martino
que Ton aperçoit tout là-haut et qui surplombe
toute cette vallée où se trouve Finterminable
rue Toledo (ou Roma). Mais à la tribu des Gam-
marano devait succéder celle des Petito, et avec
celle-ci nous touchons presque à l'histoire d'hier
et d'aujourd'hui.
Ce fut vers 1822 que Ton vit pour la première
fois sur la scène de San Carlino, Salvatore Pe-
tite, le chef et la souche de la nombreuse famille
comique qui fournit depuis près d'un siècle à
tous les théâtres de Naples tant de comédiens, de
danseurs, de mimes et de soubrettes.
Ce Salvatore Petite était un ancien danseur
du San Carlo. Compromis pour ses opinions
francophiles — du temps du règne éphémère de
Murât — il avait dû, au retour des Bourbons,
fuir à Corfou en compagnie d'une danseuse,
Donna Peppa^ dont il fit sa femme. Tel fut le
commencement dé cette dynastie dramatico-cho-
régraphique. Revenu dans sa patrie, Salvatore
Petilo dit adieu aux entrechats et prit le masque
de « Pulcinella », tandis que Donna Peppa diri-
geait un petit théâtre situé d'abord sur « la ma-
rine » puis près de la porte del Cartnine. Ro-
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60 LE THEATRE NAPOLITAIN
sina, Tune des filles, tenait le café, Donna Peppa
surveillait la caisse, et les acteurs qui donnaient
quatre représentations par jour en été, et deux
en hiver, s'habillaient parfois dans la cour, faute
de place, à la grande joie de tout le voisinage.
Une chaise, dans une loge, coûtait quatre grains ;
on payait deux grains au parterre, 'et l'on pou-
vait monter pour un seul grain au paradis.
Huit quinquets à l'huile soutenaient une lutte
acharnée contre les ténèbres, et la toile, qui
aurait dû représenter un sacrifice, était tellement
noircie par le temps que Ton ne voyait plus la
victime !
Cela dura ainsi' quarante ans, jusqu'aux envi-
rons de 1860. Lorsque Donna Peppa mourut,
eti 1867, elle avait soixante-quinze ans. De son
mariage étaient nés sept enfants : Gaëtano, Da-
vide, Pasquale, Antonio, Michèle, Adélaïde et
Rosa, dont les quatre premiers étaient ainsi dé-
finis par le père : Gaëtano, le français^ Davide le
jésuite, Pasquale Y anglais, ^i Totonno le fou,
La famille Pelito, tant que vécut Donna Peppa,
ne se débanda jamais. Gaëtano, Faîne, était
mime au San Carlo et bouffe au San Carlino où
sa femme tenait l'emploi de soubrette ; Davide
et Adélaïde jouaient l'amoureux et la soubrette
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LE THEATRE SAN CARLINO 61
chez leur 'mère; Pasquale avait débuté par les
rôles d'enfants, et Antonio — Totonno — déjà
auteur connu, allait suppléer fort adroitement
Salvatore Petito, mort en 1869.
Célèbre « Pulcinella » du. San Carlino (1822-1852).
Portrait tiré de la Chronique du San Carlino.
son père sous le masque de « Pulcinella ». El
c'était un spectacle patriarcal que de voir tous
ces grands enfants groupés autour de la même
table que présidait le vieux Salvatore à l'heure
4
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62 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
des repas, tandis que Donna Pepp^ tournait
tout autour pour donner à chacun sa ration de
soupe. Puis, quand la soupière était vide, elle
refaisait le tour de la table, reprenant de chaque
assiette une cueillerée pour sa part — innocenle
manie de cette bonne vieille qui se serait dé-
pouillée pour ses enfants.
En 1835, la compagnie du San Carlino comp-
tait quinze acteurs, hommes et femmes, mais
nous voyons, à partir de cette époque, chaque
emploi se préciser. Chaque artiste a Tobligation
de « soutenir un caractère », et ce fait est très
important à signaler dans Thistoire de la comé-
die napolitaine. Indépendamment de Yamorosa
«t des prima et seconda donna^ de la servetta
(la soubrette), voici Pulcinella^ le guappo (le
bellâtre fanfaron), le tartaglia (le bègue), le
sciocco (rimbécile), VamorosOy le bu^o^ le carat-
terista (rôles de caractère), le biscegliese (le
géronte napolitain). Nous trouvons aussi sur ces
vieilles listes des noms qui vont nous être
bientôt familiers, tels que celui de Pasquale
Altavilla qui débutait alors dans les niais et qui
allait devenir avec A. Petito Tun des principaux
fournisseurs du théâtre en dialecte, ou de Crispo.
Il n'y a pas actuellement un théâtre de Naples
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LE THEATRE SAN CARLINO 63
qui n ait un ou une Grispo dans sa compagnie.
Dans la semaine de Pâques de Tannée 18S2,
Salvatore Petito présenta à Timprésario Silvio
Maria Luzi son fils Antonio comme son succes-
seur pour l'emploi du « Pulcinella ». Le vieux
Salvatore était fatigué. Antonio, lui, était né le
22 juin 1822. Il avait, par conséquent, à peine
trente ans. Son père lui avait enseigné la danse,
son frère aîné la musique ; il savait convenable-
ment chanter, connaissait la prestidigitation et
avait fait ses armes comme comédien dans la
troupe de Donna Peppa, s{& mère, sans parler
d'autres compagnies secondaires.
M. di Giacomo nous a laissé un compte rendu
delà soirée mémorable où le père transmit so:i
héritage artistique à son fils. Le petit orchestre
du San Carlino joua une symphonie très tou-
chante, puis Salvatore Petifo vêtu de son cos-
tume habituel, le masque sur le visage, sortit
de la première coulisse à droite du spectateur.
Du côté opposé, vêtu aussi en « Pulcinella »,
mais la figuf'e découverte, apparut Antonio qui
attendit.
Le vieux Salvatore se découvrit alors, et,
s'avançantà la rampe, avec une voix tremblante
d'émotion, prononça le discours suivant :
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6fc , LE THEATRE NAPOLITAIN
« Respectable public,
« Votre serviteur tout dévoué s'est fait vieux ;
il a besoin de repos, et vous ne voudrez pas le
lui refuser après trente ans durant lesquels il a
tout fait pour vous être agréable. A partir de
ce soir, il quitte le masque de « Pulcinella ». Il
le confie à son fils Antonio, qu'il a r.honneur
de présenter au respectable public, et à Tillustre
garnison. »
En disant ces paroles, le vieux comique ôta
son masque et l'appliqua sur le visage de son
fils ; il lui mit sur la tête le légendaire Coppo-
lone^ et les larmes aux yeux : '
— « Pour cent ans! » lui dit-il.
Le public, ému et souriant, applaudit, et là
comédie commença.
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DÉMOLITION DU SAN CARLINO
Pasqaale Altavilla auteur et acteur. — Son esprit à saisir Tac-
tualité. — L'homme privé. — Le guappo Ratfaele di Napoli
et le bu/fo de Angelis. — Victor Emmanuel au San Carlino.
— Fin accidentelle d'Altavilla. — Mort de A. Petito sur le
théâtre. — Scarpetta et sa nouvelle compagnie. — Don Felice.
— Transformation de la salle. — Tripatouillage des pièces
françaises. — Bébé devenu Tetillo. — Construction de la
nouvelle Piazza Manicipio. — Démolition du San Carlino. —
« Pulcinella » vit toujours!
Parmi les comédiens qui, ce soir-là, donnaient
la réplique au nouveau venu, nous ne devons
pas oublier le nom d'un artiste qui était tout
simplement en train de devenir le réformateur,
ou mieux le rénovateur du théâtre populaire
napolitain. Nous avons nommé Pasquale Alta-
villa.
Qu'était-ce donc que ce Pasquale Altavilla qui
pendant trente-huit ans, de 1834 à 1872, impro-
visa sur ce théâtre tant et tant de pièces qu'il
4.
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66 LE TH-EATRE NAPOLITAIN
serait à peu près impossible d'en dresser une
liste vraiment complète * ?
Un écrivain ? Le mot est bien gros. Le pauvre
homme ne songeait guère à présenter à son pu-
blic une laborieuse conception littéraire.
Un artiste ? Mais il n'eut jamais un idéal d'au-
cune sorte.
Quoi donc alors? Un observateur, un fin et
gai critique, saisissant l'actualité sur le \ii^ et,
avant tout, un homme de théâtre, c'est-à-dire
un amuseur.
Rien, dans Naples, n'échappe à son coup d'œil
investigateur. S'ouvre- t-il à Toledo^ le café
d-Eiirope où un sieur Revany répand à profu-
sion les glaces, les dorures et les marbres, que
voici aussitôt une comédie du même nom sur
l'affiche du San Carlino; un premier tronçon
de chemin de fer est à peine installé entre Na-
ples et Castellammare di Stabia, et voici Une
excursion à Castellaynmare par le chemin de fer.
On inaugure une boulangerie française : Alta-
* p. Altavilla avait écrit sa première comédie en 1834, mais
ce ne fut qu'en 1 849 qu'il se décida à faire imprimer une partie
de son théâtre qu'il dédia au prince de Salerne, frère du roi de
Naples. Cinquante-quatre autres pièces furent éditées séparé-
ment de 1849 à 1853 ; d'autres en 1807. Beaucoup ne sont pas
imprimées.
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Pasquale AHavilla, auteur dramatique et acteur napolitain
mort en 1872.
Gravure extraite de la Chronique du San Carlino.
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w
DEMOLITION DU SAN CARLINO 69
villa prend sa plume et écrit : Y Engouement pour
le pain français. Tous les petits faits du jour
•défilent ainsi devant le public comme dans un
kaléidoscope, depuis Téclairage au gaz jusqu'à
Tarrivée du célèbre Maestro Thalberg.
Les noms de Giacorao MaruUi, Nicola Tauro,
Francesco Zampa, Antonio di Lerma, Antonio
Petito alternent avec le sien sur Taffiche.
Si, à préseiit, au sortir du théâtre, nous sui-
vons Fauteur dans la vie privée, nous trouvons
un homme bon, simple, doux, religieux jus-
qu'au bigotisme, allant entendre la messe chaque
jour, sortant de Téglise pour donner une leçon
de guitare, se rendant ensuite dans quelque bu-
reau public pour faire des copies qui lui rappor-
tent un maigre salaire, faisant, avec la permis-
sion de son imprésario, sa partie de ténor dans
une église,- s'échappant de là pour enseigner la
danse ou la mimique, et ne manquant jamais de
, se rendre à midi à la répétition du San Carlino
pour mettre en scène une comédie nouvelle tout
en songeant à celle qu'il va écrire après dîner
dans sa cuisine.
En 1853 j deux artistes nouveaux, ou pour
mieux dire deux caractères étaient entrés dans la
troupe : Raffaelç di Napoli et Pasquale de An-
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70 LE THEATRE NAPOLITAIN
gelis, dont nous retrouverons les descendants
sur les théâtres napolitains de nos jours.
Raffaele di Napoli, ancien tailleur, fut celui
qui affirma au San Carlino l'emploi du Guappo. Le
guappo, que n'a pas mentionné Maurice Sand, fait
partie intégrante de la comédie napolitaine. Les
prédécesseurs de Raffaele di Napoli, dans ce type,
avaient été Giovanni de Lillis, mort en 1856, et
Raffaele Santelia à qui il succédait, avec cette
différence toutefois que le premier — Dé Lillis
— représentait un bellâtre fanfaron en gants
et en habit, parlant Titalien tout de travers,
tandis que le second — Santelia — faisait de ce
caractère un Giiappà plébéien, vêtu comme un
Rugantino^, culotte courte noire, épée, chapeau
immense à tricorne. C'est le premier de ces deux
types, costume avec habit bleu à bouto/is d'or,
gilet rouge à ramages, pantalon de nankin,
grand chapeau en peluche café au lait, breloques
et grande canne, qui s'est conservé jusqu'à nous.
Pasquale de Angelis avait abandonné ses études
* Le Ruqanllno ou Rogantino, brutal, faisant vibrer les r,
était toujours, dans l'ancienne comédie italienne, chef des
sbires, ou caporal, menaçant tout le monde, mais toujours rossé;
c'était lui qui avait coutume de dire : « Us m'ont bien battu,
mais je le leur ai dit. » — Voir Maurice Sand, Masques et bouffons,
vol. I, p. 203, vol. II, p. 3i2.
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^'
Antonio Petito.sous le masque de « Pulcinella ».
Dessin de Jules de Goncourt (1856).
Extrait de ïltalie d'hier par Edmond et Jules de Goncourt.
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DEMOLITION DU SAN CARLINO 73
en médecine pour se vouer au théâtre. L'impré-
sario Luzi lui conffa des rôles de demi-caractère.
Ce même Silvio Maria Luzi mourut aux environs
de 1860, et son fils Giuseppe lui succéda. C'est
vers cette époque qu'il faut faire remonter la
visite au San Carlino de Victor Emmanuel, qui,
nouveau roi d'Italie, voulait connaître tous ses
sujets, sans oublier « Pulcinella ». Prenant Tîm-
présario un peu au dépourvu, Victor Emmanuel
se rendit avec son ministre Rattazzi au petit
théâtre de la place du Château. Mais A. Petilo
qui tenait le rôle du Pulcinella, comme à son
habitude, craignant sans doute de ne pas être
suffisamment compris du souverain, dit presque
entièrement son rôle en italien^ ce qui scanda-
lisa fort les napolitains, comme on peut le voir
par l'extrait suivant du journal Cuorpo de Na-
pôle du vendredi 13 mai 1862 :
« A. Petito nous le disons avec toute franchise :
Tautre soir il a perdu tout son esprit. On eût dit
un bouffe toscan, et non pas « Pulcinella ». Nous
sommes persuadés qu'il joua ainsi pour faire
comprendre au Roi le sel de ce qu'il disait en
parlant la langue toscane, mais si le roi eût voulu
entendre parler toscan il serait allé au théâtre
des Fiorentini, Le roi voulait entendre le diar
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74 LE THEATRE NAPOLITAIN
lecte, et Timprésario a mal fait de ne pas choisir
une comédie où il y eût des caractères napoli-
tains. Il fit mal, très mal, de ne pas faire jouer
de Angelis et di Napoli en guappo. En somme,
la comédie [les Métamoiyhoses de Piilcinella) et
la farce {Pulcinella médecin à force de coups de
bdton^) parurent froides, froides. Le roi rit de
bon cœur et resta jusqu'à la fin, mais il aurait ri
encore bien plus si on lui avait joué une comédie
d'Altavilla. — Le roi fut acclamé à l'arrivée et
au départ. »
Ce répertoire, sur lequel nous aurons à revenir
à propos des pièces qu'il nous sera donné de
voir au Niiovo^ se composait donc en grande
partie des vieilles comédies de Cammarano aux-
quelles venaient s'ajouter les nouveautés de Pas-
quale Altavilla et d'Antonio Petito,.
En 1872, Altavilla tomba par accident dans
son escalier en voulant répondre à une voisine
qui rappelait pour lui demander des places de
théâtre, et mourut des suites de cette chute trois
ou quatre jours après. En 1876, le 26 mars,
Antonio Petito, suivant de près son père, mort
• Yoilà un Pulcinella qui nous semble passablement coasin
germain de Sganarelle du Médecin malgré lui i — Note de
TauteuF.
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Antonio Petito, mort le 26 mars 1870.
Autêvir dramatique napolitain et illustre « Pulcinella »
du San Carlino.
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■ '.nwa
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DEMOLITION DU SAN CARLINO 77
sept ans auparavant, expirait d'un anévrismesur
la scène même de ses exploits. Ce fut donc une
triste et mémorable soirée pour le petit théâtre
San Carlino
On donnait la Dame blanche de Giacomo
Marulli, et Totonno avait pris, comme d'habi-
tude, son masque de Pulcinella. A ses côtés,
Milzi, un jeune acteur alors, que nous retrouve-
rons de nos jours au petit théâtre de la Fenice,
de Angelis le buffo^ Marangelli le tartaglia^
d'autres encore lui donnaient la réplique. Déjà
Ton avait joué les deux premiers actes et Ton
commençait le troisième. Petito paraissait préoc-
cupé, distrait. Les battuie manquaient de viva-
cité; Pulcinella paraissait visiblement fatigué.
Giuseppe Maria Luzi qui se trouvait avec Fac-
teur Pietriboni dans une loge d'avant-scène ne
reconnaissait plus son pensionnaire. Petito s'en
aperçut et força ses effets. Mais à peine le
rideau était-il baissé — ce rideau qu'il ne devait
plus jamais voir se relever devant lui — qu'ôtant
son masque il alla s'asseoir sur une chaise dans
le couloir qui conduisait à sa loge. La soubrette
Telesco qui passait le vit tout à coup la face
congestionnée et la langue pendante. Croyant
alors qu'il plaisantait : « Don Anto, lui cria-t-elle,
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78 LK THEATRE NAPOLITAIN
ne faites pas cela ! » Le dernier grand Pulci-
nella n'était plus.
Ce fut alors une scène navrante : les comé-
diens placent sur un matelas le corps inerte de
leur camarade et le portent sur la scène ; un
acteur prévient le public pour l'inviter à sortir,
et au milieu d'un silence de mort voici la
toile qui se relève, et Ton voit autour de
Petito le guappo qui lui soutient la tète, le
biiffo qui lui secoue les mains en l'appelant :
Toto, Toto ! le tartaglia qui accourt un verre
d'eau à la main pour lui baigner la figure,
la caratterista agenouillée près du matelas et
pleurant !
Quel deuil dans Naples ! Car, il faut bien le dire,
les napolitains se souviennent de qui les a fait
rire. Tout est joie, à Naples ! Tout est allégresse !
Les guitares et les mandolines se turent pour
un jour, et l'on vit une foule innombrable d'ac-
teurs, de journalistes, d'hommes de lettres, d'ha-
bitués du San Carlino, d'hommes du peuple, de
femmes et d'enfants suivre le cercueil de leur
« Pulcinella » préféré, mort sur la brèche, à la
façon de notre Molière.
Et puis Antonio Petito avait fait aussi autre
chose que de revêtir chaque soir la blouse
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DEMOLITION DU SAN CARLINO 79
blanche de Pulcinella et d'en avoir porté le
masque. Il en avait rajeuni et transformé le
caractère.
Disons le mot : il l'avait en quelque sorte
modernisé : à l'antique « Pulcinella » de Cam-
marano, type bouffon assez grossier, il avait subs-
titué un Pulcinella bon mari, ouvrier honnête,
généreux, bon cœur, observateur, taquin. C'est
la révolution qu'avait opérée chez nous dans la
pantomime notre grand Deburau, l'immortel
Pierrot. Salvatore Petito, le père, avait été le
trait d'union entre la vieille formule et la nou*-
velle : danseur, mime, comédien, chanteur, il
n'avait pas voulu se contenter du vieux moule,
et en avait c^réé un nouveau ; son fils Antonio le
perfectionna en Tamplifiant. Puis, quand il lui
semblait que le masque empêchait à son visage
de traduire suffisamment sa passion, alors il le
posait, et c'était à visage découvert Pascariello^
type populaire, où il se révélait grand comé-
dien.
Tel était l'homme qui cependant savait à peine
écrire, qui dédiait sa photographie « Al mio
ibresario Giisepe Maina Liissi », mais dont des
amis dévoués revoyaient avec soin les grandes
feuilles de papier couvertes de sa grosse écri-
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80 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
ture * et que M. S. di Giacoruo qui le connut
beaucoup juge ainsi : « L'acteur était vraiment
grand, sa figure éclairait toute la scène, remplis-
sait tous. les vides, recueillait toutes les émo-
tions, captivait toute l'attention ; c'est ainsi que
les vulgarités ou les stupidités de la comédie,
son manque d'humanité, de sens logique, d esprit,
était oublié pour faire place à une jouissance
qui s'emparait du public, qui durait encore hors
du théâtre, une félicité qui accompagnait les
spectateurs jusque chez eux, et laissait encore
sourire, dans le sommeil, leurs lèvres entr 'ou-
vertes. »
Succession bien lourde à reprendre, et qui
échut à Giuseppe De Martino, le « Pulcinella »
de nos jours, dont nous aurons tant de foie l'oc-
casion de vous parler dans les chapitres qui
vont suivre. Qui était-ce que ce De Martino?
Un « Pulcinella » de second plan qui jouait alors
au théâtre Rossini, une petite salle nouvelle-
ment ouverte près de la piazza Dante.
Le lendemain de la mort de Pelito,, Luzi
* Antonio Petito commença en 1867 à faire imprimer une par-
tie de ses comédies sous ce titre : Selva Comica Nazionale. —
L'éditeur Chiurazzi de la place Cavour, à Naples, en publie en
ce moment quelques autres détachées, restées manuscrites jus-
qu'à ce jour.
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DEMOLITION DU SAN CARLINO 81
s'aboucha avec le jeune artiste, et, le 30 mars,
le nouveau venu fit, non sans émotion, son
début au San Carlino. On voulut voir en lui la
tournure de son prédécèsisçur, eh reconnaître la
voix, en retrouver V école. Eh bien ! c'est cette
école que nous allons juger ensemble au
Nuovo.
Mais finissons-en une fois pour toutes avec le
San Carlino agonisant. Altavilla est mort,
Pelito a succombé à son poste, l'imprésario
Luzi, second du nom, a suivi ce dernier un an
après. En 1878, c'e'st le tour de Raffaele di
Napoli, le guappo^ emporté par la maladie de
la pierre ; en 188.0, le bu/fo Pasquale de Angelis
est frappé d'apoplexie au moment où il se dis-
posait à sortir de chez lui pour assister au début
de la nouvelle compagnie Scarpetta. Car, entre
temps, a surgi Scarpetta, celui-là même que
nous pouvons aller entendre chaque soir au
théâtre des Fiorentini.
Eduardo Scarpetta ayant pris soin d'écrire,
non pas une fois, mais deux fois ses Mémoires *
* Don FelicBy Memovie di Eduardo Scarpetta, Naples, typ.^ Fr.
Carlaccio 1883. Da S. Carlino ai Fiorentini [nuove memôrie)
de Ed. Scarpetta, préface de Benedetto Croce, Naples, Pungolo
Parlamentare, édit. 1900.
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82 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
nous n'aurons pas grand peine à vous dire qui il
était et d'où il venait. Né le 13 mars 1854 d'une
famille bourgeoise, il avait fait ses premières
armes au petit théâtre Partenope, et un soir que
dans la farce napolitaine Feliciello Sciosciam-
mocca inmnulo de na pizza\ il avait été remar-
qué par rimprésario Luzi et le giiappo Raffaele
di Napoli. Bien qu'il n'eût alors que quinze ans,
le jeune homme fut engagé au San Carlino, aux
appointements de dix-sept lires par mois, avec
obligation, par contrat, — de « danser, dispa-
raître dans les trappes, voler dans les airs, se
fournir de bas ve3tiaire alV oltramontana^ se ma-
quiller, être suspendu au besoin et chanter dans
les chœurs », engagement qui pourrait être rap-
proché de ceux que l'on signait chez nous aux
Funambules du temps de l'inoubliable Debu-
rau.
Bref, en 1876, lorsque mourut Antonio
Petito, le nom de Scarpetta était déjà populaire
* Sciosciam^nocca (mot à mot : souffle dans la bouche)
intraduisible, par conséquent. Le titre de cette farce est donc
par à peu près : le Petit Félix Gohemouche voleur d'une pizza.
Nous rappellerons à ce propos que la pizza est le mets popu-
laire napolitain. C'est une sorte de galette molle faite à Thuile
sur laquelle on sème des fragments de tomates, de piments, de
petits poissons, et que des vendeurs ambulants offrent sur une
planche .
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DÉMOLITION DU SAN CARLINO 83
à Naples; cet artiste s'était incarné dans un
nouveau type dont il ne devait plus jamais se
départir, celui de Don Felice,
Malheureusement les comédiens, privés de
leurs chefs d'emploi, se débandaient. On était
en 1880; le San Carlino ferma ses portes. C'est
alors qu'Eduardo Scarpetta, qui déjà ne doutait
de rien, se mit à» la tête d'une nouvelle troupe
dans laquelle figuraient Gennaro Pantalena que
nous retrouverons au Nuovo, Raffaele de Cres-
cenzo que nous verrons aux Fiorentini ; on dé-
cora la salle, on remplaça l'ancien rideau, œuvre
de Giuseppe Cammarano et reproduisant les
types de la comédie napolitaine présentés par
Thalie à Apollon, par une toile neuve ; les becs
de gaz chassèrent les quinquets et l'on vit
même — qui l'eût cru ? — deux ou trois rangs
de fauteuils précédant les sièges du parterre. Ce
fut l'âge d'or. Seulement, ne l'oublions pas. Don
Felice avait tué Pulcinella sur ses propres plan-
ches, car tout le secret de Scarpetta, rompant
complètement en visière avec les traditions napo-
litaines, consistait à prendre des pièces fran-
çaises en vogue, à en changer le titre, aies
« tripatouiller, » à sa manière, et à les présenter
comme ses œuvres à lui.
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84 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Je crois entendre déjà les auteurs français se
récrier.
Mais, chers messieurs, ce petit commerce
dure depuis plus de vingt ans. Si vous le savez,
si vous permettez que Ton dénature ainsi vos
ouvrages, tout est pour le mieux. Si vous ne le
savez pas, pourquoi n'a-t-iljamais pris fantaisie
à Tun de vous d'aller voir ce qql se passe à l'é-
tranger? La traduction s'appelle « réduction »,
et" bien souvent même ce dernier mot disparaît.
Le nom du véritable auteur n'est jamais imprimé
sur Taffiche, et le bon public napolitain — pourvu
qti'il s'en soucie — peut se figurer que toutes
les pièces jouées par Scarpetta sont de lui, et que
dans toutes ces pièces le principal personnage
s'appelle Z>on Felice, J?eAé'' de Najac et d'Henné-
quin devient Tetillo^ de Scarpetta, naturelle-
ment, et ainsi du reste. Or, affirme M. S. DiGia-
comi, de 1881 à i887 seulement, Eduardo Scar-
petta gagna 300.000 lires à ce jeu-là, et l'on vit
hi^nibi Don Felice arriver aux répétions dans son
coupé et faire construire un bel immeuble au
Rione Amedeo, c'est-à-dire dans le quartier le
plus aristocratique de la ville.
Pendant ce temps, pour venger la mémoire
de son illustre frère sans doute, Davide Petito
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22 W
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o &,
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DEMOLITION DU SAN CARLINO 87
jouait au Partenope une comédie qui n'était
autre que V Apothéose de la célèbre « Maschera »
napolitaine. Hélas ! ni les applaudissements,
ni les larmes ne pouvaient réintégrer Pulcinella
au San Carlino. Mais d'autres événements bien
autrement graves se préparaient. La vieille
place du Château, obéissant à un plan tracé
pour les embellissements de Naples, changeait
d'aspect à vue d'œil. Les boutiques en plein
vent des charlatans disparaissaient Tune après
l'autre ; une nouvelle Piazza Municipio , des
constructions nouvelles,^un square allaient surr
gir. Les vieilles bicoques qui abritaient le
fameux théâtre San Carlino étaient condamnées
à une mort certaine, et le 6 mai 1884 la pioche
inflexible des démolisseurs commençait son
œuvre de destruction.
Le San Carlino méritait une histoire : il Keut.
M. Di Giacomo dans son œuvre touffue, si sou-
vent citée par nous, s'en fît le chroniqueur fidèle,
et il eut raison. Le résumé que nous en avons
fait ici suffira à faire comprendre au lecteur la
genèse de ce théâtre napolitain qui resterait
absolument lettre morte pour un étranger sans
ces explications préliminaires.
Mais le San Carlino une fois disparu, et Don
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88 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Felice tout puissant — grâce aux emprunts faits
au répertoire français — est-ce à dire que ce
théâtre napolitain unique en son genre, si typique,
si original, tantôt nous reportant aux parades de
la foire, tantôt faisant revivre devant nous les
improvisations géniales de la Commedia de/l'arte,
avec ses caractères immuables du guappo et de
la servetta, est-il donc passé à tout jamais à Tétat
de curiosité dramatique? Scarpetta Ta-t-il remisé
une fois pour toutes dans le magasin des accès-,
soires? N'enlendrons-nous plus bégayer le tarta-
glia ; ne verrons-nous plus « Pulcinella » débiter
gravement ses sublimes balourdises?
Halte-là ! Seize ans se sont passés depuis la
disparition du San Carlino. Pulcinella est mort !
Vive Pulcinella! — Et nous allons voir après
ce laps de temps ce qu'il en reste.
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VI
LE THÉÂTRE NUOVO
Les affiches du jour. — Le théâtre Nuovo. — Pourquoi A
— La via Toledo. — Le quartier de Montecalvario.
qu'on voit dans les rues. — Comment on entre au thé
Naples. — Description de la salle. — Le public. — I
sentations du jour et du soir. — La toile du Nuovo. —
provisateur ou Cantastorie. — Ce qu'en dit Alexandi
mas. — Pourquoi l'improvisateur disparait. — Au ride
Nous voici donc à Naples, en Tan de g
1900. Nous voulons connaître le théâtre na
tain actuel. Où passerons-nous notre soiréi
Nous irons d'abord regarder les affiches
s'étalent le long du mur de TArsenal, car il ai
bien souvent que les indications fournies pa
journaux sont erronées. Nous nous apercev
bientôt que la musique règne en maîtress
San Carlo, au Mercadante (ci-devant Fonde
Bellini, et que si nous voulons assister à un s
tacle napolitain il nous faut aller soit aux
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90 LE THEATRE NAPOLITAIN
rentini, théâtre aristocratique, soit au Nuovo,
théâtre bourgeois.
Au premier, règne Scarpetta avec ses « réduc-
tions » qui ne sont, comme nous Tavons dit déjà,
que des pièces françaises déformées, mutilées,
tronquées, sans originalité pour nous par con-
séquent; au second, trône « Pulcinella » avec
GiuseppeDe Martino et tout son cortège de tradi-
tions et de bons mots.
L'hésitation n'est pas permise.
Nous irons de suite au Nuovo.
Pourquoi le Nuovo? Est-ce parce qu'il est
neuf? Certes non; mais sans doute parce qu'il
Ta été. C'est l'histoire du Pont-Neuf, ainsi nommé,
bien qu'il soit Tun des plus anciens ponts de
Paris, ou encore des carabiniers ainsi désignés
bien qu'ils n'aient plus de carabines. Ils en ont
eu, ça doit suffire. Le théâtre Nuovo qui existait
déjà au xvm® siècle a sans doute été neuf à son
heure.
Où se trouve le théâtre Nuovo, à Naples?
Dans un dédale de ruelles grimpantes et glis-
santes dont je voudrais tâcher de vous donner
une idée.
Il existe à Naples une rue unique en son genre
dans le monde entier : cette rue c'eat la via To-
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LE THEATRE NUOVO 91
ledo — aujourd'hui jRoma, — maison l'appelle
toujours Toledo; celle-là même que Dumas père
célébrait il y a soixante ans, et — chose curieuse
— dont on pourrait donner la même description
de nos jours sans avoir la peine d'y changer un
seul mot :
(t Toledo est la rue de tout le monde. C'est la
rue des restaurants, des cafés, des boutiques ;
c'est l'artère qui alimente et traverse tous les
quartiers de la ville; c'est le fleuve où vont se
dégorger tous les torrents de la foule. L'aristo-
cratie y passe en voiture, la bourgeoisie y vend
des étoffes, le peuple y fait sa sieste. Pour le
noble, c'est une promenade ; pour le marchand,
un bazar ; pour le lazzarone, un domicile.
« Toledo est aussi le premier pas fait par
Naples vers la civilisation moderne, telle que
l'entendent nos progressistes; c'est le lien qui
réunit la cité poétique à la ville industrielle ; c'est
UQ terrain neutre où Ton peut suivre d'un œil
curieux les restes de l'ancien monde qui s'en va
et les envahissements du nouveau monde qui
arrive*. »
Ce que Dumas eût pu ajouter encore, c'estque
* Le Corricolo, vol. I, p. 38, édit. Calmann-Lévy, 4897.
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92 LE THEATRE NAPOLITAIN
celte longue artère de Toledo dont il est impos-
sible de voir la fin, suit exactement Fancienne
ligne des fossés des remparts de la ville, depuis
la Piazza San Ferdinando jusqu'au musée, etque
tout le quartier construit sur les pentes du Mon-
tecalvario, c'est-à-dire autrefois hors de la ville,
a été bâti uniformément du temps du duc d'Albe,
et ne se compose que de ruelles se coupant à
angles droits. C'est un bien bizarre quartier, en
vérité, entièrement construit sur remplacement
d'anciennes carrières d'où, pendant des siècles,
on a extrait sur place la pierre à bâtir; les car-
rières furent comblées depuis avec des déblais
de toutes sortes, des immondices provenant du
balayage, des terres rapportées, etc. *.
Les premières maisons qu'on y éleva n'avaient
qu'un seul étage ; on ne prit pas la peine de creuser
desfondements. Puis les maisons furentpeu à peu
surélevées de cinq ou six étages, et personne ne
songea jamais à renforcer les murs. Nulle part
les fondations n'atteignent le sol rocheux. Alors il
en résulte que la plupart de ces constructions ne
se soutiennent absolument — comme à Amster-
* Naples contemporaine, par Marcellin Pellet, p. 46. Paris,
Charpentier, 1896.
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or THE -r ■
UNIVERSITY
dam, (lu reste — que par la pression des édifices
voisins. Beaucoup sont soutenues par des poutres,
des contreforts de maçonnerie qui interrompent
la circulation, et les choses restent en l'état des
années entières.
Tel est fort exactement Taspect du quartier où
je vous conduis : une annonce au gaz portant le
nom du théâtre où nous allons nous a prévenus
qu'il nous fallait quitter la Via Toledo où il est si
difficile d'avancer à cause du nombre des piétons
et des voitures, et nous engager dans une de ces
ruelles escarpées qui s'allongent sur le flanc du
Montecalvario. Nous foulons aux pieds des dalles
de lave, ghssantes par les temps secs, gluantes
et poisseuses par les temps de pluie. Des poutres
et des contreforts de maçonnerie — ceux dont
nous parlions tout à Theure — encombrent la
route et soutiennent les hautes maisons bran-
lantes. Aux murs, à la hauteur du premier étage,
des madones encastrées dans la maçonnerie sem-
blent nous regarder passer ; des charrettes char-
gées de légumes et de fruits magnifiques, traî-
nées par de petits ânes, se mettent à chaque
instant en travers du chemin. S'il débouche un
fiacre de quelque part, comme ces ruelles n'ont
pas de trottoirs, il faut nous réfugier sous une
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94 LE THEATRE NAPOLITAIN
porte ; à droite, à gauche, des marchands d'oi- ,
seaux; les cris discordants des perroquets fendent
les airs. Sur le seuil des bdssi^ ou rez-de-chaussée,
où logent généralement huit à douze personnes
dans une seule pièce ne prenant jour que par la
porte, les gens exercent en plein vent leurs mé-
tiers de cordonniers, de rétameurs, d'ébénistes, ou
encore les femmes épluchent leurs légumes, tan-
dis que les enfants cherchent à allumer le feu
d'un braserO'dont les étincelles voltigent de tous
côtés. — Tout cela dans la rue, seul endroit où
l'on vit à Naples. Plus loin, des femmes se dis-
putent — ou causent — Chi lo sa? — sur un dia-
pason d'une hauteur invraisemblable. De-ci, de-là,
de petits débits de friture de poisson, de morue,
de sauce tomate relevée d'ail et d'oignon avec
des tranches d'aubergines ou de piments verts.
A chaque instant, dégringole au-dessus de votre
tête un panier suspendu à une longue ficelle :
ce sont les ménagères des étages supérieurs qui
font ainsi descendre leurs paniers au passage du
verdummaro lequel s'époumonne à annoncer sa
marchandise. Celui-ci arrête alors son àne, prend
les sous contenus dans le panier, et y met à la
salade ou ses choux. Cette montée et
perpétuelle des paniers au bout d'une
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I
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LE THÉÂTRE NUOVO 97
corde, jointe aux cris des vendeurs ambulants,
constitue même une des originalités de cette
curieuse ville où la densité excessive de la popu-
lation est plus forte que dans toute autre ville
d'Europe, puisque chaque habitant ne dispose
que de 7 à 8 mètres carrés de superficie dans les
quartiers les plus peuplés, alors qu'à Londres
chaque individu a, en moyenne, 344 mètres
carrés à sa disposition, soit, exactement, qua-
rante-trois fois plus. Que vous dirai-je enfin? Tout
ce monde est gai, chante, rit, gesticule — gesti-
cule surtout I — Au coin d'une rue une lampe à
arc.
Nous sommes arrivés au Nuovo.
Les théâtres de Naples présentent encore cette
particularité que Ton peut y entrer « comme
dans un moulin ». Toutes les portes en sont
ouvertes. On ne vous demande qu'une chose :
c'est de mettre votre canne ou votre parapluie au
vestiaire. Sur ce point, le règlement est inexo-
rable. Mais, pour le reste, ni contrôle à la porte,
ni distributeurs de contremarques à la sortie,
rien enfin. Et c'est bien simple : comme je l'ai
expliqué maintes fois en parlant des théâtres en
Espagne, au Portugal et en Italie, il n'y a vrai-
ment qu'en France où Ton soit toujours sous la
6
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98 LE THKATRE NAPOLITAIN
•
férule du pion, — ou du contrôleur ^ — depuis
récole jusqu'au théâtre.
Dans les pays que je viens de citer, il existe
au bureau où Fon prend ses places un petit plan
de la salle sur lequel sont indiqués les numéros
de tous les fauteuils, de toutes les loges, de toutes
les stalles. Que je me présente la veille, le matin,
la journée ou le soir, c'est le même prix. Il ne
viendra jamais à l'idée d'un entrepreneur de spec-
tacles de me demander un ou deux francs de plus
par place parce que je lui achète ferme une mar-
chandise qu'il n'est pas toujours certain de vendre
àla dernière heure. Ilneme trompe pas, puisqu'il
me fait voir à l'avance le plan de la salle et la
place que je dois occuper. Il ne me jette pas en
pâture entre les mains d'ouvreuses affamées qui
vont abuser de mon ignorance des lieux et des
usages pour me mettre au dernier rang alors que
j'aurais le droit d'être au premier, espérant ainsi
recevoir un pourboire du spectateur qui désire
être mieux placé. On me demande seulement au
bureau : Quelle place voulez-vous ?
— Un fauteuil d'orchestre.
— Voici le plan. Nous avons disponibles les
fauteuils du quatrième rang, et au delà. Quel
numéro voulez-vous prendre?
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LE THÉÂTRE NUOVO 99
— Là, le numéro 10 du quatrième rang.
— Fort bien. Voici le billet. ^
Et sur ce billet que Ton me donne en échange
de mon argent sont mentionnés les numéros de
la rangée et du fauteuil (4*^ rang, n"* 10).
Il en résulte que j'entre au théâtre par la porte
qui me plaît, sans cet appiareil de police — ser-
gents de ville, municipaux, inspecteurs, contrô-
leurs, employés de tous grades — pourquoi pas
gardes champêtres? — dont tout théâtre qui se
respecte en France ne peut se passer. Or notez
que j'écris ces lignes au milieu du peuple le plus
remuant, le plus tapageur, le plus exubérant de
la terre. A l'entrée du couloir qui conduit au fau-
teuil que je dois occuper, je trouve seulement
un placeur qui regarde mon billet, en déchire la
moitié, m'en laisse l'autre moitié en cas de con-
testations, que je n'ai jamais vu se produire, et
m'indique fort poliment l'endroit où je dois
m'asseoir. A cet homme, je ne dois rien. S'il me
donne le programme ou s'il m'apporte un petit
banc, je lui glisse dix centimes dans la main. Si
je suis dans une loge, j'accroche mon pardessus
et mon chapeau à une patère. Si je suis à l'or-
chestre, je vois adapté au dossier du siège qui
me précède, un petit système fort simple et fort
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100 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
ingénieux pour y fixermon paletot plié en deux,
et mon chapeau. Enfin, dernier point de compa-
raison, une fois le spectacle commencé, il n'y
aura pas, ou presque pas d'entr'actes — de ces
entr' actes énervants et lassants qui permettent, à
Paris surtout, de servir en trois heures d'hor-
loge un spectacle de une heure et demie !
Je rappellerai pour terminer, bien que je Taie
dit déjà, que dans ces théâtres napolitains Ton
entend par représentation de jour celle qui com-
mence vers six heures et demie ou sept heures
pour se terminer vers neuf heures et demie du
soir, et par représentation du soir celle qui lui
succède. La seule différence entre ces deux repré-
sentations, c'est que les prix de jour sont quelque
peu moins élevés.
Nous voici donc dans la salle, qui peut se com-
parer comme grandeur à notre salle des Variétés.
Le théâtre est ancien, mais commode. Il possède
cinq étages de loges, suivant l'usage italien. Ni
fauteuils de balcon, ni galeries (si ce n'est une
insignifiante, tout en haut), ni pourtour. En bas,
les fauteuils [poltrone)^ lès stalles [distintï)^ le
parterre [platea),l&.diis ainsi que le veut une cou-
tume napolitaine assez singulière, tandis que
Ton peut entrer librement aux loges et aux fau-
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Le théâtre Nuovo. — Un coin de la salle.
6.
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LE THEATRE NUOVO 103
teuils dès que la salle est éclairée, l'on n'ouvre
les portes aux spectateurs du parte
moment où l'on va lever le rideau. Me
encore pour compléter notre descripti
a dix musiciens à Torchel^tre, que tou
est garnie d'un public toujours nombr
fort convenable, négociants, bourgeois,
qu'il y a souvent de jolies brochettes
dans les loges, surtout aux représeni
îour, que la lumière électrique est re
profusion, et que tout ce monde parai
à la seule pensée qu'il va voir et enten
cinella ».
Que faire en attendant que la toil
sinon regarder le sujet qu'elle représi
vous prie de croire que celui-ci n'est j
C'est une des scènes les plus caractéri
la vie presque disparue du Môle , c'
V improvisateur entouré de son public,
nous soyions fort impatients, vous c
parler du spectacle, nous de le racoi
voici encore une fois forcé d'ouvrir u
thèse.
L'improvisateur, ou cantastorie n'e
guère à Naples qu^à l'état de souvenir,
uns sont restés célèbres, tels // Puh
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104 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Stiiorto qui, il y a près d'un siècle et demi,
lisaient à leur naïf auditoire composé en grande
partie de soldats, de pêcheurs et de marins, le
premier Roland furieux du Tasse, le second V His-
toire de Louis Mandrin^ célèbre contrebandier de
France * .
Dumas qui s'est occupé de Naples, surtout au
point de vue pittoresque, n'a pas oublié non plus
l'improvisateur tel qu'il Ta vu il y a soixante ans.
Il le cite parmi les plaisirs populaires, mais il
constatait déjà son déclina
« Il y a l'improvisateur du Môle. — Malheu-
reusement, nous avons dit qu'à Naples il y
avait beaucoup de choses qui s'en allaient, et
rimprovisateur est une des choses qui s'en
vont.
« Pourquoi l'improvisateur s'en va-t-il ? Quelle
est la cause de sa décadence ? Voilà ce que tout
le monde. s'est demandé et ce que personne n'a
pu résoudre.
« On a dit que le prédicateur lui avait ouvert
une concurrence .: c'est vrai ; mais examinez
sur la même place le prédicateur et Timprovisa-
* De Tabbc Piétro Chiari ; ouvrage public en 1762.
' Le Corricolo, vol. I, p. 97, 98. Edition Calmann-Lévy, 1897.
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s
«
^
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a
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108 LE THEATRE NAPOLITAIN
sateur. Fart de Timprovisateur est sur le point
de disparaître. »
Tel est le sujet peint — et bien peint — sur
la toile du Nuovo : l'improvisateur du Môle,
entouré de son auditoire habituel, avec Fimpo-
sante masse du Vésuve, au fond, et les grands
bâtiments rouges des granili (anciens magasins
de grains) échelonnés sur la plage qui conduit à
Portici^
Pendant que nous examinions ceci, les dix
musiciens de Torchestre ont exécuté une sym-
phonie quelconque, et, sans autre avertissement,
sans les trois coups traditionnels, au bruit seul
d'une sonnerie électrique très lointaine, le rideau
s'est enfin levé.
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VII
UNE PREMIÈRE SOIRÉE AU NUOVO
Une affiche nouvelle tous les jours. — Robert le Diable avec
Ptilcinella première danseuse absolue, comédie-parodie en
quatre actes de P. Altavilla, — Michelone et Anselmo. —
Les gestes napolitains. — Mimique des mains. — « Pulci-
nella » et Tartiste Giuseppe De Martino. — Les deux langues.
— Une parodie démodée. — Premiers sujets de la troupe du
théâtre Nuovo. — Simplicité de la mise en scène. —
Alexandre Dumas père. — Les frères de Concourt. — Ce
qu'ils ont dit de ce théâtre. — Résolution d'atteindre le but
poursuivi.
L'affiche du théâtre Nuovo changeant tous
les jours, et le répertoire courant se composant
pour le moins d'une cinquantaine de pièces en
trois actes, il en résulte une grande incommo-
dité pour Tamateur qui ne connaît jamais la
composition du spectacle du lendemain. Si Ton
manque Toccasion, par exemple, d'aller voir
une pièce affichée que l'on veut connaître, on
risque fort de ne retrouver jamais cette occa-
7
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UO LE THEATRE NAPOLITAIN
sion. Mais qu'importe à ce genre de public !
Pourvu qu'il y ait au bas du programme :
PULCINELLA. — G. DE MARTINO
C'est pour le mieux ! Car, soit dit en passant,
tandis que chez nous Fon met les noms des
artistes qui attirent la foule en haut de l'affiche,
en vedette, à Naples on les 'met en bas.
Je n'y vois pas d'inconvénient.
Donc, pour la première fois, j'étais allé là,
à l'aveuglette. L'on nous annonçait Robert le
Diable avec Pidcinella première danseuse absolue,
comédie-parodie en quatre actes de P. Altavilla^
c'est-à-dire une de ces pièces qui appartiennent
au vieux répertoire du San Carlino. Mais, comme
j'ignorais encore la plupart des choses que j'ai
rapportées dans les chapitres qui précèdent, je
fus un peu déconcerté. L'on ne se trouve pas
ainsi impunément en face de caractères aussi
typiques que le Guappo ou le Tartaglia sans
avertissement, sans préparation.
Je m'attachai tout d'abord au côté extérieur
des êtres et des choses. Je vis dans le Guappo,
qui ce soir là s'appelait Michelone, comme nous
dirions le « beau Michel », une espèce de « Beau
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UNE PREMIÈRE SOJREE AU ^NUOVO 111
Nicolas », — le costume d'ailleurs n'est pas
sans analogie — avec des attitudes spéciales,
plus un gourdin dont il semble menacer tout
le monde, prêta fuira la première échauffourée.
Je vis dans le Tartaglia que, de nos jours, Ton
appelle généralement Anselmo^ un bègue, un
bredouilleur, qui, ne pouvant venir à bout de
formuler ses idées se met dans une colère perpé-
tuelle contre les autres et contre lui-même. Il
est vêtu de noir comme un scribe du xvni® siècle,
porte perruque, culotte courte, des bas noirs,
des 'souliers à boucles et un tricorne. Mais
ce qui le distingue particulièrement ce sont
d'énormes lunettes bleues qui ne le quittent
jamais'. L'acteur G. De Angelis, chargé de cet
emploi au Nuovo, et qui me semble parfaitement
dans la tradition, est sec, maigre, parcheminé.
J'ai ridée que chez nous Bâche, que je n'ai
jamais connu, mais dont le type est resté pro-
verbial, avec son teint jaune, ses longs bras et
ses airs de bedeau, eût fait un magnifique
Anselmo. La figure de ce pauvre Léonce, dont
j'apprends la si triste fin, se fût également fort
bien prêtée à ces ahurissements de bègue.
Tel est le Guappo^ tel est le Tartaglia,
Que disent ou que font ces gens ?
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112 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Pour une première fois, je Tavoue, je songeai
beaucoup plus à regarder qu'à écouter. Tous
ces comédiens — bons acteurs pour la plupart
— ont d'ailleurs une mimique si particulière,
si napolitaine, en un mot, qu'il faut quelques
séances pour s'y faire.
Le napolitain parle... avec les mains. Cette
constatation peut paraître assez singulière ou
même exagérée à quiconque n'est pas venu à
Naples. Et cependant rien n'est plus vrai. Pla-
cez-vous à cinquante mètres de distance d'ita-
liens de toutes les provinces d'Italie causant
entre eux, et vous pourrez dire de suite, sans
les entendre, à la seule manière d'agiter les*
mains en parlant, quels sont les napolitains. Ce
qui me remet en mémoire ce passage des Choses
vues de Victor Hugo :
« M™® la duchesse d'Aumale parlait malai-
sément français; mais dès qu'elle se mettait à
parler italien, l'italien de Naples, elle tressaillait
comme le poisson qui retombe dans l'eau, et se
mettait à gesticuler avec toute la verve napo-
litaine. « Mets donc tes mains dans tes poches,
« lui criait M. le duc d'Aumale. Je te ferai atta-
« cher. Pourquoi gesticules-tu comme cela? —
« Je ne m'en aperçois pas, disait la princesse. Le
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UNE PREMIÈRE SOIRÉE AU NUOVO 113
(( prince me dit un jour — c'est toujours Victor
« Hugo qui parle — c'est vrai ; elle a raison. Elle
« ne s'en aperçoit pas. Tenez, vous ne le croiriez
« pas, ma mère, si grave, si froide, si réservée
« tant qu'elle parle français, si par hasard elle se
« met à parler napolitain, se met à gesticuler
« comme Polichinelle. »
Le napolitain avance les avant-bras, puis agite
les mains. Ensuite, par un geste qui lui est
familier, il rapproche ses mains ouvertes, les
doigts fermés et allongés, comme s'il voulait
recueillir de Teau de pluie, il les élève insensi-
blement jusqu'à la hauteur du menton, en les
agitant toujours, en rapproche les paumes, et dit
alors à son interlocuteur : « Capisce? » — Vous
comprenez? — Quand on a pris Thabitude de
voir ce petit manège, Ton n'y fait pas attention,
et cela paraît très gentil. Ou encore, pour
prouver son contentement ou témoigner de
TaOection à la personne à qui Ton parle —
homme ou femme — on lui caressera familière-
ment le menton d'un air protecteur en lui
disant : « Simpatico ! » ou « Simpatica ! » si
c'est une femme.
• Loin de moi la prétention d'affirmer ici que
ces tics sont chose courante dans la bonne
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114 . LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
société ! L'écrivain , M"™* Matilde Serao , qui
régit le code du savoir-vivre à Naples, ne le per-
mettrait certainement pas ! On ne les voit pas
moins fréquemment répétés sur les théâtres. A
chaque instant le jeune homme, la jeune fille
s'écrieront : « Matiunja mia !» — Oh ! ma mère !
— Le personnage comique, s'il est contrarié, se
mordra l'index de la main droite puis élèvera la
main vers le ciel en agitant les doigts. La sou-
brette, pour indiquer qu'une chose est difficile,
secouera sa main, les doigts mous et ballants,
comme font les gamins à Técole qui veulent faire
claquer les doigts en criant : « Chouette ! » Tout
cela est amusant au possible, et vous compre-
nez bien qu'un néophyte a bien plus à faire à
regarder ces gestes qu'à écouter ce qui se dit.
Mais ce que l'on attend — ce sans quoi rien
ne pourrait être — vous l'avez déjà deviné :
c'est « Pulcinella ». Et le voici, dans son cos-
tume d'une blancheur de neige, le pantalon
large, la blouse serrée et plissée à la taille, les
manches amples d'où sortent ses bras couverts
d'une espèce de tricot rouge, sans collerette, avec
son demi-masque noir de cuir verni, son serre-
tête noir sur ses cheveux courts, son petit cha-
peau pointu de feutre blanc. A peine est-il entré
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Giuseppe De Martino
(Pulcinella) levant son masque pour saluer le public.
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UNE PREMIÈRE SOIRÉE AU NUOVO 117
que le public des petites, places crie : « Mas-
chera ! Maschera ! » — Le masque ! Le masque !
— C'est Tusage. L'artiste s'avance vers la rampe,
relève son demi-masque pour laisser voir son
visage, et salue. C'est un échange de politesses :
le public doit demander à son « Pulcinella »
favori de faire voir sa figure, et celui-ci doit la
lui montrer.
L'acteur Giuseppe De Martino qui remplace le
fameux A. Petito dans cet emploi depuis vingt-
quatre ans, est de taille moyenne, assez replet;
le menton est rond, la voix grasseyante — mais
c'est, paraît-il, ainsi qu'elle doit être. Est-ce
une illusion? Il me semble que le visage, une
fois le masque levé, reflète plutôt une expression
triste, mélancolique, et — chose curieuse —
cette expression je la retrouve sur les traits de
tous les prédécesseurs de De Martino. J'aime à
croire que l'habitude de jouer sous le masque
prive le visage de cette mobilKé excessive qui
caractérise le mime ou le comédien. N'ayant
nullement besoin de contracter son visage pour
y peindre ses sensations, pour faire rire ou
pleurer son public, l'acteur qui tient le rôle du
« Pulcinella » devient, à la longue, une espèce
de pince-sans-rire dont toute Faction consiste
7.
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à
m
118 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
à bieo laocer le mot sans jamais contracter les
muscles de sa face — d'où cette impassibilité
qui contraste singulièrement avec les figures
expressives si variées des autres comédiens.
La première bizarrerie qui frappe tout d'abord
l'oreille de l'étranger peu familier à ce théâtre
napolitain, c'est la diversité de langages parmi
les personnages de ]a même comédie. En eflFet,
tandis que tous ceux qui occupent un rang un
peu élevé dans la société ou qui représentent des
gens de bonne éducation parlent italien (c'est-
à-dire toscan) , les hommes du peuple , les
paysans, les domestiques n'emploient que le dia-
lecte napolitain. Ainsi, un chef de famille, négo-
ciant, avocat, médecin, ne s'adressera jamais
qu'en italien à sa femme, à sa fille, à ses amis,
mais répondra toujours en napolitain à son fer-
mier, à son cocher, à son valet de chambre
qu'il tutoiera toujours. C'est, du reste, la repro-
duction fidèle de ce qui se passe dans la vie
courante de Naples.
Toutes ces réflexions faites, je commence à
m'occuper de ce que peut signifier la pièce^ et
je m'aperçois bien vite que si elle a pu charmer
les habitués du San Carlino du temps où Roberto
il Diavolo était une nouveauté au San Carlo,
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UNE PREMIERE SOIREE AU NUOVO 119
elle est, aujourd'hui, passablement dénuée d'à-
propos. Supposez un chanteur de salon venant
nous jouer la scène comique de Levassor : Un
titi à la représentation de Robert le Diable^
laquelle faisait fureur il y a cinquante ou soixante
ans ! Tout le côté « actualité » nous échap-
^pant, on se demande comment nos pères et nos
grands-pères pouvaient bien s'amuser à si bon
compte. Mais que diraient, à leur tour, nos petits
neveux, si on leur resservait dans cinquante
ans la Revue de fin d'année qui fait nos dé-
lices? Actualités d'hier ou d'avant-hier, fleurs
fanées.
La réputation de Pasquale Altavilla, dont
nous vous -avons parlé, n'a rien à gagner à ces
^exhibitions posthumes de parodies. Le plaisir de
voir Pulcinella en première ballerine danser un
petit pas entre deux tombes n'est pas suffisam-
ment complété par un intérêt soutenu. Et cepen-
dant le pauvre vieil auteur napolitain qui avait
l'habitude de porter la première copie de chacune
de ses pièces à la Madonna de l'église Santa Bri-
gida, avec son obole d'une piastre pour que sa
pièce nouvelle ait du succès, a laissé un assez
joli bagage de comédies de mœurs pour que l'on
puisse y puiser avec discernement. Je dois ajou-
Digiti
izedby Google
120 LE THEATRE NAPOLITAIN
ter, pour être sincère, que rarement par la suite
je revis cette parodie sur Taffiche.
Cette première représentation m'avait permis
de faire connaissance avec les artistes de la
troupe : Gennaro Pantalena, l'un des deux
directeurs artistiques, un excellent financier
plein de naturel, occupant toujours la scène, ne
forçant aucun effet, et que, physiquement, je
définirai ainsi : la tète de Charles Monselet ou
de Louis Ulbach sur un corps de géant.
Giuseppe De Martino, l'autre directeur, et le
« Pulcinella » de la troupe, fanatique de son
art, gardien fidèle des traditions d'A. Petito
dont il parle avec grand respect, valet balourd,
brouillon, naïf, stupide, le type enfin du vrai
« Pulcinella » dont nous nous faisons fausse-
ment — peut-être à cause de Pierrot — une
conception plus dégagée.
Luigi De Martino, son frère, bon comédien,
dont le talent se plie un peu à tous les genres ,
excelle dans les rôles de bohème ou de meurt
de faim.
G. di Napoli, un jeune premier comique à la
figure de séminariste ; très intelligent et très fin.
G. Cosenza — le Giiappo — sorte d'hercule,
très bien dans ce personnage de bellâtre de
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UNE PREMIÈRE SOIREE AU NUOVO 123
faubourg ou dans les rôles qui exigent de la
brutalité.
G. de Angelis — VAnselmo — à la ligure
bilieuse, suffisamment bégayant, tatillon et
ahuri.
Et du côté féminin — le côté le plus défec-
tueux dans le théâtre napolitain où les rôles de
femmes sont presque toujours de peu d'impor-
tance :
La toute charmante M"*" A. Magnetti, jeune,
belle sans pose, éclairant toute la scène de sa
grâce naturelle.
Je m étais, de plus, rendu compte qu'aucun
décor n'étant planté, Ton pouvait au moyen de
toiles de fond modifier instantanément la mise
en scène réduite ainsi à sa plus simple expres-
sion, d'où la suppression presque complète des
entractes.
Je sortis donc de cette première « soirée d'es-
sai » un peu déçu. J'avais vu des choses nou-
velles, mais je sentais d'instinct que pour les
comprendre il me faudrait pas mal d'épreuves en
ce genre; alors je me promis de revenir. Seule-
ment je pensais à part moi :
— Il est impossible que Dumas père ou les
Concourt n'aient pas fait mention du théâtre
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napolitain dans leurs ouvrages. Je me figure
peut-être fort naïvement aller à la découverte
d'une Amérique depuis longtemps connue et
décrite. J'eus des scrupules et je voulus les
éclair cir.
Or, Alexandre Dumas dans son Corricolo
parle à peine dé « Pulcinella » et encore n'en
parle-t-il que comme un des divertissements du
Môle, et non comme d'un personnage de. comé-
die. Il ne saurait donc s'agir eii l'espèce que
d'un saltimbanque ayant ce costume ou simple-
ment d'un fantoche, d'un guignol, comme on en
voit encore dans les rues de Naples, car la
chose n'est pas expliquée. Il fait remarquer seu-
lement que ce « Pulcinella » avec sa camisole
de calicot, son pantalon de toile, son chapeau
pointu et son demi-masque noir n'a rien à voir
avec notre Polichinelle, être fantastique, por-
teur de deux bosses comme il n'en existe pas,
frondeur, libertin, vantard, bretteur, voltai-
rien, sophiste, qui bat sa femme, qui bat le
guet, qui tue le commissaire. « Le Polichinelle
napolitain, nous dit-il, est bonhomme, bêle et
malin à la fois, comme on dit de nos paysans ;
il est poltron comme Sganarelle, gourmand
comme Crispin, franc comme Gautier Garguille. »
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126 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
une terrible entreprise, et toujours des paroles
pareilles à celles-ci : « Je suis connu, j'ai fait
couler des lacs de sang dans mon quartier. »
Et c'est tout.
Ce fut donc après une telFe constatation, et
surtout après une soirée passée au Nuovo, que je
persévérai dans ma double résolution : m'ins-
truire d'abord sur le passé de ce théâtre pour en
saisir la raison d'être (voir les chapitres pré-
cédents) y revenir fréquemment ensuite afin
de l'étudier sur le vif avant de pouvoir en parler
(lire les chapitres qui vont suivre).
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.VIII
LE RÉPERTOIRE DU NU
L'ÉRUPTION DU VÉSU
ET UN DIABLE ENDOMM
Une comédie en 3 actes de 0. Schiano et un
— . Compte rendu de la pièce . — Le testamei
— U Éruption du Vésuve, — Les pièces fani
Diable endommagé de A. Petito. — Trois c
tions au San Carlino. — Dialogue de Pulcini
décésseur de Rostand. — Compte rendu (
Affiuence du public. — Petit concert final.
Je choisis, pour ma seconde éprei
tion du Vésuve ou Piilcinella et PiccI
tés par le tremblement de terre^ coiïk
actes de 0. Schiano, auteur naj
florissait vers 1834 si j'en crois un(
datée que j'ai sous les yeux. Le titre
n'est pas banal, et vous remarque]
pour toutes que dans ce théàtr
nellesque » plus le titre est long,
goûté. Mais que diable un auteur p(
sur un pareil sujet?
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128 LE THEATRE NAPOLITAIN
Federico est un jeune mauvais sujet- dont
l'oncle fort riche va partir au Brésil. Ce brave
homme voudrait, avant son départ, voir son
neveu mener une existence un peu plus réglée,
et le fiancer avec la belle Carolina. Et cela
d'autant plus que, la veille de son embarque-
ment, il est assailli par la nuée des créanciers de
Federico qui viennent lui réclamer de Targent.
C'est alors que son intendant Melchiorre lui
suggère l'idée suivante : faire un premier testa-
ment par lequel il déshéritera son neveu, et
rendre ce testament public ; puis en faire un
second secret, pour laisser tous ses biens à
Federico. Le jeune homme, se croyant ruiné, ne
tardera sans doute pas à changer de conduite.
L*oncle adopte donc cette manière de faire, et
malgré les remontrances de son ami, le notaire
Pantasileo, qu'il n'a pas mis dans la confidence,
dicte un premier testament par lequel il lègue
sa fortune à son intendant Melchiorre en qui il
a placé toute sa confiance.
Nous voici donc lancés dans une donnée de
comédie qui n'est pas plus déplaisante qu'une
autre. Pourquoi faut-il, qu'au second acte, nous
versions dans le mélodrame ?
L'oncle, poursuivant son projet, se rend chez
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LE RÉPERTOIRE DU NUOVO, ETC. 129
le notaire pour annuler ce premier testament,
comme il était convenu, et pour en dicter un
second. Mais à peine s'est-il embarqué que l'in-
tendant, qui est un coquin, vient proposer carré-
ment au notaire de détruire ce second acte et
de partager avec lui la fortune du vieillard qui
ne reviendra certes plus du Brésil. L'honnête
Pantasileo s'indigne à Tidée de cet infâme con-
trat, et Melchiorre, se voyant perdu, menace le
notaire' d'un poignard et brûle ce qu'il croit être
le second testament.
Il est élémentaire que le véritable testament
aura' été remis par erreur à un autre person-
nage de la comédie, lequel, dans l'occasion, se
trouve être une vieille ridicule cherchant à se
remarier et venue dans l'étude pour y prendre
son premier contrat de mariage.
Puis, comme l'auteur a voulu jeter une note
gaie au milieu de cette action mélodramatique,
il y a introduit deux éléments comiques : le
premier, cette D* Panfilia, plus que mûre, qui,
très bavarde, veut épouser Anselmo, le bègue ;
le second, Palcinella, valet, qui ayant vu dicter
un testament, veut faire de même :
« Je lègue... Item, une montre en or pour
marquer l'heure qu'il est ;
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i30 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
« Item, une voiture avec deux chevaux vivi ;^
(c Item, une maison située... mettez la rue que
vous voudrez ;
« Le tout... au sieur Federico... le jour où
table m'aura fait cadeau de tout
ISSUS énuméré. »
t de Pulcinella ; il n'a guère varié
its ans.
en comédie, continuée en mélo,
Vésuve finit en farce de tréteaux,
oudrais bien que Ton ne veuille
resser de questions, car j'avoue
je je serais terriblement embar-
)ondre.
iteur transporte-t-il tous les per-
pièce au pied du Vésuve, dans une.
3agne appartenant au notaire ?
notaire veut-il se jouer de Pulci-
propre clerc Picchio, prétendant
ridicule de la belle Carolina? —
hevaux sont dénommés morts ou vivants.
il mort celui qui est à poiilt pour l'abattoir,
m attelle généralement aux corricoli — et
le cheval de luxe, ou tout au moins- l)on
•nvenable. Telle est Texplication des çhe-
Icinella. — Voir A. Dumas, le Corricolo,
— Edit. Calmann-Lévy, 1897.
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LE REPERTOIRE DU NUOVO, ETC. 13t
Pourquoi convie-t-il aussi, pour être victime de
cette « fumisterie », le bègue Anselmo?
Gennaro Pantalena, co-directeur artistique
et premier comique grime du théâtre Nuovo.
Je vous ai prévenus de ne pas être trop indis-
crets.
Nous sommes dans une maison de campagne
voisine du Vésuve, et cela doit nous suffire. Nous
y voyons venir Pulcinella, Picchio et Anselmo.
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132 LE THEATKE NAPOLITAIN
Franchement nous serions bien difficiles d'en
vouloir savoir davantage.
Voici donc les trois hommes enfermés dans
une chambre à deux lits où ils doivent passer la
nuit, après avoir été dûment avertis que le
Vésuve donnait des signes non équivoques
d'une éruption très prochaine. Vous devinez le
reste : les trois « victimes » voulant se coucher
et dormir, les coups de traversins, les bruits
insolites dans la coulisse, les grondements du
volcan figurés par des coups de grosse caisse,
les lueurs du cratère représentées par des feux
de bengale, et Pulcinella, Picchio et Anselmoà.
moitié vêtus se débattant dans l'obscurité. Et
Ton rit ! Oh ! le bon public que ce public napoli-
tain ! Toujours gai, toujours content, laissant à
la porte, en entrant, tout raisonnement et tout
esprit de critique !
Et la pièce ? — Parfaitement, je Foubliais.
Eh! bien, le vrai testament est retrouvé entre
les mains de la vieille ridicule, le navire qui
emportait l'oncle a dû regagner le port par suite
d'un accident, et Federico corrigé épousera
Carolina dans la personne de la belle M"® M.
Migliorato.
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LE REPERTOIRE DU NUOVO, ETC.
Ce genre de répertoire comprenant égale
un certain nombre de pièces dites fantast
— comme nous dirions féeriques — je
garde de manquer d'assister à la représenl
d'un ouvrage de ce genre, Nu Diavolo !
chialOy un diable endommagé, comédie fan
que musicale en quatre actes du célèbre A. P
représentée jadis plus de 300 fois sur la scè
San Carlino.
Une féerie avec des décors qui ne se comf
guère que de toiles de fond... c'est hardi!
pensai-je, puisqtie le public napolitain s€
tente de cette mise en scène depuis plui
siècles, ne soyons pas beaucoup plus exi
que lui. Nous en aurons bien toujours poi
deux lires !
Eh bien ! dans toutes ces pièces — ces ca
bâclés à la hâte, pourrais-je dire — je rem
qu'il y a toujours une idée scénique..* ei
tout cela finit ensuite n'importe commen
croirait que l'auteur, homme de théâtrCj a
un acte sur une donnée quelconque, puis s'ej
« Nous terminerons cela aux répétitions ; '.
nella brodera sur le tout quelques iazzi d
cru; les autres personnages lui répondre
qui leur passera par la tète, et nous demand
rP}
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:j34 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
rindulgence du public dans un petit couplet bien
troussé. »
; Quand je vous disais que ce théâtre se ressen-
tait terriblement de la Commedia deWarte dont
il descend en ligne directe.
. Revenons au Diable endommagé.
Le rideau se lève sur un atelier de peintre; à
droite, au fond, un grand tableau recouvert d'un
voile. Le vieil artiste, chez qui nous sommes, a
comme élève son neveu Pulcinella dont c'est
aujourd'hui le mariage.
A ce propos, nous ouvriront une parenthèse :
lorsque Pulcinella est serviteur il ne change géné-
ralement rien à son costume classique : blouse
blanche sans fraise, et pantalon blanc. Mais s'il
doit représenter un autre caractère, il passe par
dessus sa blouse un vêtement quelconque et
échange son chapeau pointu contre une autre
coiffure. C'est ainsi que dans la pièce qui nous
occupe, pour bien nous faire comprendre qu'il
étudie la peinture, il a endossé par dessus son
costume un veston de rapin, et s'est coiffé d'un
petit bonnet de police en papier.
Dans le calme de cet atelier un intendant gro-
tesque vient annoncer à grand fracas la prochaine
visite de la duchesse qui règne en souveraine
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I
LHi RKPERTOIRE DE NUOVO, ETC. 135
dans ce pays imaginaire — quelque chose comme
la duchesse de Gerolstein. — On lui présentera les
fiancés; Tun de ces fiancés, ne l'oublions pas,
c'est Pulcinella en personne, type naïf et balourd
qui n'est pas sans analogie avec le Pierrot àe De-
burau, avec cette, différence totitefois que Pulci-
nella en a toute la bêtise et la malice sans en avoir
la sveltesse. Puis, çà et là, quelques scènes qui
sentent la tradition d'une lieue. Ce sont des
lazzi que l'on doit se repasser de génération
en génération. En voulez-vous par exemple un
échantillon ; je cite, bien entendu, de mé-
moire :
V intendant, — Ah ! mon cher Pulcinella, je
t'^-vouerai que depuis quelque temps je ne suis
guère à jnon aise.
Pulcinella. — Qu'est-ce que vous avez?
L'intendant. — Une indisposition à laquelle je
ne comprends rien. D'abord, un poids sur l'esto-
mac, un manque complet d'appétit, deâ maux de
cœur, enfin des nausées inexplicables.
Pulcinella. — Attendez donc ! Vous vous
sentez un poids sur l'estomac?
L'intendant (surpris). — Oui.
Pulcinella. — Vous avez un manque complet
d'àppélit?
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^r^^fçwî!; -
136 LE THEATRE NAPOLITAIN
V intendant (de plus en plus surpris). — Parfai-
tement.
Pulcinella. — Et, le matin surtout, vous avez
des maux de cœur, des nausées ?
L'intendant (ébahi). — Mon cher Pulcinella,
c'est cela ! Il n'y a pas un mot à changer à tout
ce que tu dis.
Pulcinella (d'un air entendu). — Eh bien! ce
n est pas difficile de deviner ce que vous avez.
L'intendant. — Et qu'est-ce donc?
Pulcinella (avec mystère). — Vous êtes...
dans une position intéressante.
Plus loin, c'est le même intendant qui, voulant
faire une déclaration d'amour à une demoiselle
et ne sachant comment s'y prendre, se fait souf-
fler par Pulcinella ce qu'il doit dire. La scène est
amusante, car l'intendant refuse souvent de dire
ce qu'on lui souffle, et veut rectifier le texte à
à sa guise. L'autour, A. Petito, n'avait pas attendu
Rostand, qui n'était pas encore né, sans doute,
pour écrire la scène de la déclaration d'amour à
trois (rien de Cyrano!).
La duchesse annoncée arrive enfin ; elle est
jeune, elle est belle, mais insolente à la façon de
la fée rageuse. Orgueilleuse, elle tutoie les
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M"« A. Magnetti, première actrice du théâtre Nuovo.
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LE RÉPERTOIRE DE NUOVO, ETC. 139
paysans, ses vassaux, se prête à contre-cœur à la
cérémonie du baise-main, se faisant suivre p
secrétaire dont la mission consiste à lui en
la main de parfums après chaque baiser, tou
entremêlé de quelques battute de Pulcinella
lorsque son tour est venu de s'approcher
duchesse, lui retient la main et engage la co
sation avec les personnages qui Tentpu
Comme détail : la duchesse se fait accompi
encore .d*un comptable qui, chargé dlnscrii
un grand livre les libéralités de sa maîti
marque toujours autre chose que ce qu'o
dit, tandis que Pulcinella, voyant déployé
énorme in-folio, fait des génuflexions et s
à chanter comme au lutrin.
Le vieux peintre, en souvenir de cette \
veut oflrir à la duchesse une de ses toiles ;
ci accepte avec dédain et ordonne à son i
dant de remettre quelque argent au viei
Sous cet outrage, l'artiste relève la tête, el
une assez belle tirade sur Fart déclare
repousse cette aumône, le peintre ne vivar
seulement d'argent, mais surtout de gloire
Décidément, cette duchesse est intrait
voulant voir le nouveau tableau de Puici
elle fait enlever le voile qui le couvre. Ce ta
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140 LE THEATRE NAPOLITAIN
représente le diable. Ne le trouvant pas à son
goût, rirascible jeune femme le crève, et sans
plus de formalités quitte Tatelier. Le malheureux
Pulcinella, voyant son « diable » endommagé de
la sorte, est au désespoir et veut se tuer. C'est
alors que le diable — qui n'est pas un mauvais
diable — descend de son cadre, malgré son accroc
qu'il porte toujours sur la poitrine, et déclare à
Pulcinella épouvanté qu'il se meta sa disposition
pour exécuter l'accomplissement de toutes ses
volontés.
Le point de départ pour une féerie est gra-
cieux.
La noce revient au grand complet; Pulcinella
prend des airs de conquérant ; tout est ensorcelé
dans l'atelier ; les portraits eux-mêmes se trans-
forment lorsque la duchesse les regarde; hors
d'elle-même, elle veut sévir, et voici que la
fiancée de Pulcinella est transformée en duchesse
tandis qu'elle-même, devenue simple villageoise,
est arrêtée par son propre capitaine des gardes
et conduite en prison.
Mais c'est toujours la même chose : après
avoir tracé cette donnée assez originale voici l'au-
teur qui nous apparaît trop essoufflé pour mener
à bien les deux autres actes : diables, ogre, vieille
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LE REPERTOIRE DE NUOVO, ETC. 141
sorcière, trucs ridicules, feux . d'artifices qui
effraient les enfants assez nombreux dans la
salle, tout le reste n'est plus à raconter,
qu'au moment où la duchesse repentie
enfin remonter sur son trône de cartor
avec la permission du dieu des enfers.
Toutes ces choses se jouent devant des
archi-pleines, deux fois par jour, et cha<
ces spectacles se termine invariablement,
la coutume napolitaine, par un petit conc
Ton entend généralement deux ou trois
méros ». A Tépoque dont je parle, un
couple de café-chantant « le couple Tromh
parfois accompagné aussi d'une chanteuse
litaine ou de deux danseuses, faisait les
de ce public.
Le « couple Trombetta » est jeune — c
principale excuse. — L'homme est bien h
chante avec goût; la femme a un petit 1
voix au vinaigre, mais elle possède une s
de petite frimousse, avec son nez au vei
grands yeux étonnés et son menton rond,
apparaît seulement toute fraîche, toute rose
potelée, presque inexpérimentée. Tous deu
sent, et Ton applaudit.
L'art n'a rien à voir là dedans, c'est é^
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IX
LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE
UN MAIRE RAGEUR
En pays de connaissances. — Une autre pièce d'Altavilla. —
Au premier et au second étage. — L'importance et la signi-
fication des étages à Naples. — Compte rendu de la pièce. —
Gennaro Pantalena. — Sa soirée d'honneur. — Un AfrtiVe ra-
geur. — M"»® Angelini, la servetta. — Analogies avec notre
vieux répertoire. — De Angëlis. — Ansehno. — Compte rendu
de la pièce . — L'acteur Di Napoli . — Le compliment au pu-
blic comme au bon vieux temps.
Il est un fait à remarquer^ au théâtre, c'est
que le plaisir qu'on y prend est d'autant plus vif
que l'on connaît mieux tous les artistes que l'on
va voir jouer. C'est ce qui explique, je crois, la
grande passion du parisien pour le théâtre.
Combien de fois se dérange-t-on, par exemple,
non pas pour une pièce nouvelle qui vous met en
défiance, mais pour un acteur ou une actrice que
Ton préfère. On s'intéresse alors aux progrès de
chacun, et ce sentiment s'accentue avec le temps :
« Celui-ci, je l'ai vu débuter ! Et cet autre ! Qu'il
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144 LE THEATRE NAPOLITAIN
était mauvais jadis ! Qui eût jamais cru ? etc. »
J'éprouve un peu cet effet depuis, cinq mois
environ que je suis à Naples : ces comédiens du
Nuovo, avec leur théâtre en dialecte, m'étaient
assez indifférents dès le principe. Aujourd'hui je
retourne de bon cœur dans ce théâtre dont les
gestes des acteurs me sont devenus familiers. Les
deux frères De Martino, le gros Pantalena, le
bégayant Anselmo^ le frétillant Di Napoli, la
gracieuse M"® A. Magnetti sont déjà pour mo-
d'anciennes connaissances. Leurs noms seuls ins
crits sur l'affiche me rassurent; je sais où aller
. passer ma soirée. Seulement, comme je l'ai dit,
ce répertoire étant extrêmement varié, il est fort
difficile d'en suivre attentivement les chauge-
ments.
' La première pièce d'Altavilla que j'étais allé
voir n'était qu'une vieille parodie sans actualité,
et ne m'avait que fort médiocrement plu. Je
voulus juger cet auteur sur une épreuve plus
concluante, plus sérieuse, et j'accourus dès qu'on
afficha la première représentation de la reprise
de No Pmnmo e no Seconno piano ncopp a
Salute con Pulcinella servo corrazone^ c'est-à-dire
au premier et au second étage en haut du quartier
de la Santé, avec Pulcinella serviteur plein de
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LE PREMIER ET LE SECOND ETAGE 145
cœur, comédie en trois actes de l'artiste P. Alla-
villa, représentée jadis à l'ancien théâtre San-
Carlino, J'ai fait remarquer déjà que — dans le
théâtre napolitain : — plus le titre est long plus il
plaît. Aussi la salle du Nuovo, comme presque
toujours du reste, est-elle comble !
A Naples, on attache généralement une grande
importance à Tétage que l'on habite. C'est ainsi
que, dans beaucoup de quartiers, l'étage supérieur
est préféré à Tétage inférieur. Les malheureux
logent au rez-de-chaussée dans les bassL Les gens
riches demeurent au troisième et au quatrième oii
ils possèdent souvent de belles terrasses d'où Ton
jouit d'une vue splendide sur le golfe de Naples,
le Vésuve et l'île de Capri. Voilà pourquoi dans
celte maison du quartier de la Santé, Pangrazio
qui SQ dit de sang noble habite le second étage,
tandis que le professeur en médecine Taddeo
habite au-dessous, au premier.
L'argent n'abonde pas dans le ménage Taddeo,
et celui-ci se hasarde à venir demander un petit
emprunt à son propriétaire et voisin Pangrazio
qui le lui refuse brutalement. Pangrazio a,
comme domestique, Pulcinella, qui, malgré sa
grosse bêtise, et peut-être même à cause de cela,
est un garçon plein de cœur. Il ne peut assister
9
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146 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
d'un œil froid aux misères endurées par le pauvre
professeur, et, prenant fait et cause pour celui-
ci contre son palron — tant il est vrai que les
malheureux inspirent plus facilement pitié aux
malheureux, — vole des victuailles à son maître
pour nourrir la famille du professeur et bombarde
à coup de saucissons et de jambons le vieux Pan-
grazio qui a le mauvais goût de venir réclamer
ce qu'on lui a dérobé.
La guerre est déclarée entre le premier étage
et le second, et Plilcinella n'écoutant que son bon
cœur, — pour justifier le titre de la pièce, — a
passé résolument à l'ennemi. Ce n'est pas tout :
comme Pangrazio veut marier son héritier à une
jeune femme que Ton croit veuve — la propre
sœur de Taddeo, la jolie Carolina — iln'estpas
de niches que Pulcinella n'invente pour contrarier
son ex- patron et ses invités. Il assomme à moitié
les musiciens qui venaient donner une sét*énade
pour le contrat, fait dégringoler les gens de la
noce dans Tescalier... jusqu'au moment où
Ernesto, le mari de Carolina et par conséquent
le beau-frère du pauvre professeur, revient d'Amé-
rique sous un déguisement. C'est le Deiis ex
machinal Ernesto, pour ne pas contrarier les
usages établis, a fait fortune en Amérique; il
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LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE 147
apprend à\\ même coup Tannonce du prochain
mariage de ^a trop consolaWe Carolina, et la
misère de Tad(^eo. Vous pouvez compter sur lui
pour remettre tput en état.
A partir de ce moment, la comédie va se trans-
former en une charge monumentale : au troi-
sième acte, nous sommes au second étage, chez
Pangrazio, le soir même où a lieu le bal des
fiançailles. PulcinelU travesti en suisse gro-
tesque, c'est-à-dire avec un habit rouge passé
par dessus sa blouse blanche, un chapeau à
plumes, une grande canne à pomme d'or, une
trompette et un télescope en bandoulière, sert
d'introducteur aux nobles étrangers : ces étran-
gers ne sont autres que Taddeo sous Thabit'd'un
maître de danse français et Ernesto en savant
allemand à lunettes, suivis d'autres personnages
aussi burlesques. Pulcinellaqui les précède sonne
de la trompe à tout propos, déploie son téles-
cope et se livre à mille extravagances. Carolina,
feignant quelque piège, feint une indisposition
et Taddeo, se rappelant qu'il est professeur en
médecine et ne connaissant que son devoir, se
dépouille de.sa fausse barbe pour voler au secours
de sa sœur. Tout se trouve ainsi découvert.
Ernesto reprendra sa femme, et Taddeo remis à
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148 LE THEAtRE NAPOLITAIN
flot, grâce à son beau-ïrère, ira occuper le second
étage tandis que Pangrazio ruiné redescendra
au premier.
Nous sommes à la fin de décembre et Pulci-
nella ne veut pas laisser passer cette date sans
nous rien dire : la comédie finie, il s'approche
de la rampe, et dans un petit compliment bien
tourné nous souhaite à tous la bonne année.
Ce rôle de Taddeo ayant été tenu avec une
véritable autorité par Gennaro Pantalena, je ne
voulus pas manquer à la soirée d'honneur de cet
artiste qui choisit pour la circonstance Nu Sin-
neco arragghiso con Pulcinella carceriere di D.
Picc/tio Pellecchia^ comédie en deux actes de
C. Guarino, soit un maire rageur avec Pulcinella
geôlier de D. Picchio Pellêcchia.
Un début à la Molière : une suivante, sorte de
Doripe, — c'est M"*^ C. Angelini qui a la spé-
cialité de ces rôles — conseille la jeune fille dé
la maison, la guide dans ses amours, et se
laisse, pour son compte, courtiser par Pulcinella,^
C'est Marinette et Gros René. Il y a plus :
Pulcinella, dans sa manière de s'exprimer,
cherche les mots à la façon du val^t du Dépit
amoureux: : -^
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Pulcinella et la Servetta (G. De Martino et M»'» G. Angelini).
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LE PREMIER ET LE SECOND ETAGE loi
Et lors ua... certain vent, qui par... de certains flots,
De... certaine façon, ainsi qu'un banc de sable...
Quand... les femmes enfin ne valent pas le diable !
Pulcinella ne parle pas autrement à sa Rosina,
et comme il y a de grandes chances que le mo-
deste auteur de cette comédie n'ait jamais lu les
œuvres de notre grand poète comique, je pense
que ce sont là des traditions du vieux théâtre
napolitain, traditions qui se sont perpétuées à
travers les siècles — les mêmes que Scaramou-
che et ses camarades importèrent à Paris et
qu'assimila à la scène française notre Molière.
Que dit ainsi Pulcinella ?
Rien, si vous voulez, mais il trouve le moyen
de faire rire toute une salle en racontant que par
une de ces maladresses qui lui sont familières,
il a cassé toute la verrerie de son maître à la
soirée de la veille.
Voici Anselmo,le Tartaglia^ le bègue — tous
ces personnages nous sont à présent connus —
avec des énormes lunettes bordées de bleu, —
représenté toujours à ce théâtre par Facteur De
Angelis: Le procédé — non plus — n'a pas varié
depuis trois cents ans. C'est l'ancien Notaire de
la comédie italienne.
'- — Alors vous voulez spugn... spugn...
Digiti
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152 LE THEATRE NAPOLITAIN
{spiigna veut dire : épooge; on rîl), sposare
(épouser).
C'est toujours le vieux cliché :
— Ser... Ser... vîtore ! lUustri... tri... tri...
- — C'est un notaire qui vient de Tripoli.
*— Trissimo ! (prenant sa plume et son papier
pour écrire). L'an... an... an...
— Qu'on mène cet âne à l'écurie î
Revenons à la pièce de ce soir.
Don Picchio qui veut se marier avec la fille
d'Asdrubale, le maire, fréquente assidûment
la maison de sa fiancée. Pulcinella, qui Ta connu
enfant, se permet envers lui certaines familia-
rités comme, par exemple, celle de le tutoyer.
• — Mon cher Pulcinella, lui dit D. Picchio,
quand nous ne sommes que nous deux, tout cela
m'est absolument égal, et je ne vois pas d'incon-
vénient à ce que tu me tutoies tout à ton aise.
Mais quand il y a du monde, il faut, par conve-
nance, ne parler qu'à la troisième personne.
On sait qu'en italien la troisième personne,
du verbe est employée pour la formule de grande
politesse, comme on dirait en français :« Vôtre
grâce veut-elle, etc. »
Mais Pulcinella comprend difficilement quelle
peut être cette « troisième personne » dont il
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LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE 153
^st question. Alors D. Picchio, fort patient, lui
explique que dès qu'il verra entrer quelqu'un il
devra dire, par exemple : « Votre grâce voit-elle,
entend-elle? Que dit-elle? Que veut-elle? » Et
Pulcinella d'apprendre consciencieusement sa
leçon par cœur. Aussi, dès Tenlrée d'un nouveau
personnage — Jennaro, qn paysan qui vient
pour parler au maire absent — ce fidèle servi-
teur voyant en lui la « troisième personne » dont
on Ta entretenu, se met-il à crier à tue-tête, au
nez et à la barbe du nouvel arrivant : « Votre
grâce veut-elle ? Entend-elle ? Que dit-elle ? Que
veut-elle?»
C'est absurde, si vous voulez, mais c'est d'un
comique irrésistible, du genre de celle autre
scène des Trente mil/ions de Gladiator : « Quel
génie que ce Gredane ! Quel lalent ! Quel den-
tiste ! Il n y a que lui ! Il n'y a que lui ! »
Asdrubale, le maire, fort bien représenté par
le gros et consciencieux Pantalena, revient de
voyage et se fait raconter par Pulcinella tout ce
qui s'est passé en son absence. Ici, nous assis-
tons encore à une de ces scènes burlesques où
Pulcinella trouve le moyen de placer un discours
invraisemblable, faisant de tous les événements
qu'il veut raconter une macédoine fort indigeste :
y.
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1^4 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Don Picchio, la suivante, le bègue, le paysan,
« Que veul-ellé ? Que dit-elle? » Le maire pensje
en devenir fou. Cependant Jennaro, le villageois
à peine entrevu tout à Fheure, revient avec
insistance. Il se plaint au maire de ce que Ton
a enlevé sa fille Fanny, et comme le -maire veut
connaître le nom du séducteur, il apprend que le
coupable n'est autre que Don Piccliio Pellecchia
le fiancé de sa propre fille. Le maire entre alors
dans une violente colère et, usant de son pouvoir
discrétionnaire, fait arrêter celui dont il voulait
faire son gendre.
Au second acte nous voyons la fiancée Luisa,
représentée par une belle personne, M"° M. Mi-
gliorato, inconsolable malgré les exhortations
de sa suivante. Pulcinella compatissant à tant
d'infortune — car il est à. remarquer que s'il est
bien bête, il a toujours bon cœur, Pulcinella, ce
emquoi il ressemble à notre Pierrot — Pulcinella
donc, veut bien se faire le gardien de Don Pic-
chio, le tirer du violon de la mairie, et lui faci-
liter une entrevue avec sa fiancée.
La scène est amusante, car toutes les fois que
le malheureux Don Picchio veut prouver son
innocence, il élève la voix sans s'en apercevoir,
tandis que Luisa, Rosina et Pulcinella le font
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LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE 15$
taire. Puis- cette entrevue ne va pas sans diffi-
cultés. D'abord, c'est ce bègue d'Anselmo qui
vient se jeter par le travers, puis c'est l'arrivée
du maire, d'où la nécessité pour Don Picchio de
se cacher.
Le maire Asdrubale veut une explication caté-
gorique. Il ordonne à Pùlcinella d'aller chercher
le prisonnier et de l'amener en sa présence. Mais
ici redouble l'embarras de Pùlcinella qui n'ose
avouer que Don Picchio se trouve tout simple-
ment dans la salle voisine. La soubrette sauve
alors la situation en renversant la lumière et en
plongeant la chambre dans l'obscurité. Picchio
profitant de la confusion produite sort à quatre
pattes du cabinet, passe entre les jambes du maire
qui trébuche, et gagne la porte, tandis que l'on
rallume la bougie et que Pùlcinella qui a repris
ses esprits annonce avec fracas : « Le prison-
nier. »
Don Picchio — ce rôle était tenu ce soir là par
l'acteur Di Napoli qui y est parfait — n'a pas
de peine à prouver son innocence. Il n'a jamais
connu personne du nom de Fanny ; le jour n'est
pas plus pur que le fond de son cœur. Les soup-
çons se portent alors sur Pùlcinella, au grand
désespoir de la suivante qui assiste àl'interroga-
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156 LE THEATRE NAPOLITAIN
toire du seuil de la chambre d'à côté. Pulcinella,
pour sa part, qui avait été chargé de surveiller
les agissements d'une chatte, nommée Fanny,
et qui, paraît-il, avait relâché sa surveillance, ne
fait aucune difficulté pour avouer qu'il est res-
ponsable de la mise à mal de Fanny, et confesse
même la délivrance clandestine de la malheu-
reuse bêteconfiée à ses soins.
Le quiproquo s'éclaircit enfin, et Jennaro, le
père de la véritable Fanny, est le premier à
déclarer qu'il ne reconnaît dans aucune des per-
sonnes présentes le séducteur de sa fille. La
raison en est que ce nouveau Don Juan n'était
autre qu'un certain Cesarino, ami de Don Picchio,
qui, pour courir les aventures, n'avait pas hésité
à changer de nom. Cesarino, qui au fond est un
honnête garçon, ne demande pas mieux que de
réparer ses torts. Picchio se mariera avec la fille
d'Asdrubale, et Pulcinella lui-même convolera en
justes noces avec Rosina que le maire, en sa
qualité de veuf, aurait bien voulu garder pour
lui.
Puis la façon de terminer, toute napolitaine,
car on en est encore ici au « compliment au
public )) comme au bon vieux temps.
— Si tu persistes à vouloir te marier avec
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LE PREMIER ET LE SECOND ETAGE 157
Rosina, dit le maire à Pulcinella, je te chasse.
— Eh bien ! peu m'importe, répond Pulci-
nella en retirant son chapeau pointu et en s'avan-
çant vers la rampe, car j'ai un autre maître qui
m'accueillera toujours avec faveur, cet honorable
public qui m'écoute, et dont j'ose réclamer les
applaudissements.
Pièce, non seulement amusante, mais bien
jouée.
Décidément je commence à m'acclimater au
théâtre de « Pulcinella ».
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LA VEILLE DE NOËL
COLOMBINE AVEC PULCINELLA...
DON FELIGE ET DON PIPETTO ENFOURNÉS
La Veille de Noël, tableau napolitain en un acte. — La fête de
Noël à Naples. — Les marchands de paniers. — Festins pan-
tagruéliques. — Compte rendu de la pièce. — La jeune Elvira
Pantalena. — Colomhine avec Pulcinella premier aide de
camp du sieur Peppe. — Analyse de la pièce . — Don Felice
et don Pipetto enfournés comme des petits pains* — Rémi-
niscences de nos Funambules. — Tableaux populaires. —
Lambert Thiboust et Clairville.
Cette représentation en l'honneur de Gennaro
Pantalena était complétée par une comédie en
un acte, Na Vigilia di Natale (la Veille de Noël)
de V. Di Napoli-Vita, charmant petit tableau
napolitain que je ne puis vraiment pas laisser
passer sous silence. Mais pour en bien com-
prendre tout le sel il faut dire tout d'abord Tim-
portance que revêt la fête de Noël, tout particu-
lièrement à Naples — le premier de Tan n'étant
considéré que comme un simple jour de chômage.
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160 tE THÉÂTRE NAPOLITAIN
A Noël, la vie sociale est suspendue. Les
pauvres diables qui se résignent à mourir de
faim toute Tannée veulent manger pendant vingt-
quatre heures de suite sans désemparer. C'est
du reste la vraie façon d entendre et de pratiquer^
la religion à Naples : on connaît les fêles de
l'Eglise bien plutôt par ce que l'on doit manger
à date 'fixe que par les cérémonies du culte.
Ainsi, à Noël, il est d'usage de manger des an-
guilles ; à la Saint- Joseph des ze^pole^ à Pâques
des casate/li. La table et Fautel se sont toujours
coudoyés dans ces parages ainsi qUe le faisait
remarquer Marc Monnier. Les sacrifices antiques
avaient des odeurs d'abattoirs : Vénus ou Marie,
le bambino ou Cupidon, il n'y a pas grand'chose
de changée
Donc, à Noël, il est d'usage de manger des
anguilles. Dès la veille, la via Santa Brigida, au
centre de Naples, est convertie en marché aux
anguilles^ Les trottoirs sont encombrés dcihon-
* Marc Monnier, Pompéi et les Pompéiens, Paris, Hachette, 1855.
* Les 23 et 24 décembre 1891, a noté M. MarcelUn Pellet dans
sa Naples contemporaine^ il est entré en gar^ quatre-vingts
wagons de capitoni (anguilles) venant des marais de Comacchio
et de Cor^e, sans préjudice de ce qui est arrivé par bateaux ,
en tout, plus de 400 000 kilogrammes. A Noël 1892, le nombre
a été moins grand, mais on a constaté, par contre, l'entrée de
30.000 colis postaux de trois à dix kilogrammes, contenant
pour la plupart des comestibles.
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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 161
tagoes invraisemblables de légumes, de charcu-
terie, de viandes. Les rues voient bien encore
•
des acheteurs, mais ne voient plus de promeneurs.
Chacun s'enferme chez soi, en famille, et mange
jusqu'au lendemain ; et comme les malheureux
qui vivent au jour le jour ne pourraient jamais
réaliser pendant toute Tannée assez d'économies
pour faire face aux frais de cette débauche pan-
tagruélique, il existe une industrie particulière
à Naples — celle des « marchands de paniers ».
Le marchand dé paniers est un homme qui,
moyennant un versement quotidien de cinq, dix
quinze ou vingt centimes, du 30 mars au 24 dé-
cembre, s'engage à fournir, le jour de Noël, à
tous ses clients, une copieuse série de comes-
tibles dont il donne la liste à Tavatice. M. Marcel-
lin Pellet, ex-consul de France à Naples, nous
en a donné le détail : c'est ainsi que Tabonné à
quinze centimes par jour a droit, en ce jour bien-
heureux, à trente-quatre articles divers, dont 25
kilos de macaroni. Pour trois sous par jour pen-
dant 27Ji jours, soit lires 41.25, une famille a à
sa disposition plus de cent livres de victuailles
qu'il faut engloutir en vingt-quatre heures.
Le professeur RaCfaele Sgneglia, que nous met
en scène l'auteur de la Veille de Noël^ a sans doute
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i62 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
oublié de verser cette cotisation habituelle, car
Ton ne voit pas, la trace du moindre « panier »
dans le pauvre logis. Et cependant nous sommes
bien à la veille de Noël : dans la rue on entend
les détonations des pétards, de ces pétards soi-
disant défendus par la police, mais qui blessent
chaque année un nombre incalculable de per-
sonnes. Il est bon de rappeler que Naples est la
ville de toutes les licences : les pétards sont pro-
hibés, c'est vrai ; mais on en vend à chaque coin
de rue, publiquement, et le premier gamin venu
ne se gênera pas pour en faire partir un dans
les jambes de l'agent chargé de le surveiller. Si
vous avez Tair de vous étonner, Ton vous répon-
dra que c'est l'usage. C'est cet usage, sans doute,
qui cette annéfc a rempli les journaux de Naples
d'une longue liste de blessés soas la rubrique :
« Les victimes des bombes en papier », sans
oublier la mort d'un maçon qui succomba à la
suite de l'amputation de. la jambe gauche et de
nombreuses brûlures sur le corps.
La pauvre famille du professeur doit donc se
contenter pour son maigre réveillon... des bruits
de la rue. La femme, anxieuse, attend le retour
du mari. La petite fille, insouciante comme toiis
les enfants de son âge, a dressé dans un coin une
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LA VEILLE DE NOËL. ETC. 163
petite crèche devant laquelle elle fait trûler une
veilleuse. Il n'y a pas d'argent à la maison et ce-
pendant la jeune Elvira a trouvé le moyen d'ache-
ter pour sa mère un petit gâteau d'un sou que
celle-ci accepte les larmes aux yeux. Survient,
pour comble, on créancier brutal. L'enfant fait
cacher sa mère, raconte je ne sais quelle histoire
à ce butor qu'elle arrive à attendrir et le renvoie.
EnOn, voici D. Raffaele, un malheureux profes-
seur à l'habit troué. La femme et l'enfant inter-
rogent du regard. le pauvre homme. Celui-ci se
met à entonner l'hymne royal : il rapporte à la
maison un billet de cinq lires! Père, mère, enfant
s'embrassent. Cinq lires, à Naples, c'est bien
vingt francs à Paris! L'on n'en verra jamais la
fin. La femme dresse le couvert, et Ton fait déjà
mille projets plus insensés les uns que les autres.
La famille e^t groupée autour de la table et
forme tableau. La petite Elvira prend dans ses
mainç ce billet rarissime, le tourne, le retourne,
l'examine, se rend compte comment il est fait,
puis l'approchant trop de la bougie le fait flam-
* ber par mégarde en présence du père et de la
mère abasourdis! Le père, hors de lui-même,
veut battre l'enfant qui se réfugie derrière sa
*crèche, et cette scène n'est interrompue que par
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16t LK TUKATRE NAPOLITAIN
Tarrivée de D. Gennaro, le riche voisin, qui
vient sans façon, en robe de chambre, demander
dit-il, un service.
A ce mot dé service le professeur et sa femme
échangent des regards intraduisibles. Un service !
Quel service?
— Vous n'avez peut-être pas encore soupe?
interroge le bourgeois.
' Mais il n'obtient que deux soupirs pour toute
réponse. D. Gennaro se lance alors dans une his-
toire interminable dans laquelle il raconte par le
menu Tétai de ses relations avec tous les membres
de sa famille, ses frères, ses sœurs, ses fils, ses
brus.
-^ Qu'est-ce que cela peut bien nous faire?
pensent les deux autres.
— D'où il résulte, poursuit D. Gennaro sans
se décourager, que ma bru qui est en bisbille
avec ma femme, se dit malade pour nous faire
une niche, et s'est mise au lit. Les autres parents
avec qui je suis en froid ont suivi son exehfîple,
et c'est bien ennuyeux dans un-jour comme ce-
lui-ci où Ton ne regarde pas à cent francs dç plus
ou de moins pour un repas !
Vive mimique échangée entre le professeur et
sa femme.
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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 165
— EnQn, fait le bourgeois en manière de con-
clusion, nous ne pouvons pas être six autour
d'une table où il y a à manger pour vingt, et je'
viens vous inviter... si toutefois cela ne vous
gêne en rien.
— Ça ne nous gêne pas, s'empresse de dire le
professeur qui cependant veut mettre Tenfant en
pénitence, mais pardonne grâce à Tinlervenlion
de D. Gennarq, ce qui permet à tout le monde
d'aller se mettre à table... pour trois jours.
Telle est cette piécette, bien napolitaine, ins-
pirée des usages napolitains, et fort bien jouée
par G. Pantalena (D. Gennaro), Di Napoli (le
professeur) et la petite Elvira Pantalena, fille de
Texcellent grime déjà nommé, et pour qui, en
résumé, cette pièce a été montée.
Par goût, je n'aime pas les enfants sur la scène
pas plus que dans un cirque, d'ailleurs. J'ai tou-
jours peur que les uns se cassent un membre ou
que les autres restent en plan au beau milieu de
leurs. rôles. Je pense, malgré moi, qu'ils feraient
bien meilleure figure à Técole, et que c'est un
crime de les faire coucher si tard. Mais je dois
déclarer qu'il faut établir une exception pour la
petite Elvira Pantalena, enfant de la balle, à qui
Kon ne fait jouer fort sagement que des rôles
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166 LE THEATRE NAPOLITAIN
appropriés à son âge, et qui joint à un joli
minois et à une intelligence peu ordinaire un
talent de diction dé premier ordre doublé d*un
naturel tout à fait exquis.
Le père et la fille reviennent saluer, mais le
contentement de Tenfant n'est rien auprès de
celui du père dont la grosse figure ronde s'épa-
nouit démesurément au bruit des applaudisse-
ments destinés à sa petite Elvira.
Avec Palummella con Pulcinella primo ahUante
di campo d\0 Sié Peppe — Çolombirie avec Pul-
cinella premier aide de camp du sieur Peppe —
comédie en trois actes de A. Petito, représentée
plus de 150 soirs de suite au théâtre San Carlino
(dit Taffiche), nous abordons une des pièces les
plus classiques du théâtre napolitain du xix®
siècle. Elle a de plus ce grand avantage, pour
un profane qui veut s'instruire, de mettre en
scène tous les types légendaires de la comédie
napolitaine, tels que Pulcinella, Felicetto, D, An-
seltno, Baldassare, Palummella.
Le but évident de l'auteur a été de mettre dû
mouvement et de la gaité dans toute sa pièce. Le
premier acte, par exemple, nous peint les ridi-
cules d'une soirée bourgeoise, Tune de ces so^-
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3
3 -a:
aj O.
6
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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 169
rées dans legenre de celle de M. Choufleury. Vingt
personnes sont en scène : Anselmo, le bègue,
tient le piano; Pulcinella, vieux serviteur de la
famille, va, vient, circule parmi les invités, et
ne se fait pas faute d'user de son franc parler. La
dame de la maison, D. Gigia, une vieille enrichie,
a deux enfants dont un fils, Felicetto, caractère
timide de bon jeune homme qui ne fait rien sans
consulter sa mère, et une fille qui soupire en si-
lence pour Luigino^ui se cache sous la livrée
d'un domestique pour se rapprocher de celle qu'il
aime. Cette vieille ridicule se laisse enfin faire la
cour par un jeune homme qui se fait passer pour
noble. Bref, cette soirée grotesrque est troublée
par l'arrivée d'O Sié Peppe, frère de la maîtresse
de la maison. Ce sieur Peppe revient d'Amérique
oii il n'a pas fait fortune, et finit par être jeté
à la porte comme un intrus.
Au second acte seulement — dans la rue —
nous faisons connaissance avecPalummella. Cette
jeune personne est une chanteuse ambulante
qui parcourt les carrefours de Naples en compa-
gnie de son frère Ri velli. Ce tableau n'a guère
d'autre but que de nous mettre en scène des
types napolitains : les chanteurs des rues, le
Guappo fanfaron, et comme il faut bien que ces
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i:0 l'E THÉÂTRE NAPOLITAIN
persotinages se rattachent quelque peu à raction
commencée, D. Felice, le petit jeune homme
innocent et timide du premier acte, est devenu
amoureux de la belle Palùmmella. Mais voici
que sur les racontars d'un enfant, le petit
Trommoncîello, D. Felice se figure que Palùm-
mella (mot à mot la petite colombe — Colom-
bine) est mariée et a deux enfants. Querelle des
amoureux, puis raccommodement, car le gamin
n'avait jamais voulu parler que de sa colombe,
et arrivée de Luigino, le soupirant évincé, qui
pour se venger de D* Gigia, sa future belle-
mère, combine une charge digne d'un atelier
de peintres du temps de la jeunesse d'Henry
Monnier.
Au troisième acte, nous sommes chez le jeune
homme riche, ledit Luigino, et dans le domaine
de la pure fantaisie. Le , sieur Peppe se fait
annoncer comme amiral, et Pulcinella cumule. à
la fois les hautes fonctions « d'aide de camp de
l'amiral » et de grand maître de cérémonies.
Les invités^ revêtus d'uniformes invraisem-
blables, avec des plunjets multicolores et des
lanternes en papier allumées suf la tète, défilent
pendant. que Pulcinella sonne de la trompe»
Rivelli, le chanteur des rues, est en prince; sa
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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 171
sœur, Palummella, en princesse. Ne me demandez
pas de raisonner :D. Felice épousera sa Palum-
mella; le jeune homme riche, sa fiancée; et la
vieille parvenue s'apercevra que le galant qui
lui faisait la cour n'est autre qu'un vulgaire
cuisinier... comme son confrère le vicomte de
Jodelet.
' Ces pièces d'une tournure spéciale, et presque
impossibles à raconter, sont excessivement bien
jouées par les artistes du Nuovoqui ont reçu de
"leurs prédécesseurs les traditions de ce théâtre.
-Pantalena dans le sieur Peppe, G. DeMartino en
Pulcinella, son frère Luigi en chanteur des rues,
Di Napoli en amant timide, G. Cosenza en Bal-
dassare, M^^® A. Magnetti charmante sous les
traits de Palummella et la petite El vira dans le rôle
du gamin font passer une excellente soirée et
oublier l'invraisemblance de ces turlupinades.
• Après avoir entendu la prose d'Altavilla et
celle de A. Pelito, il ne me déplaisait pas d'en-
tendre aussi celle de Cammarano, plus ancienne.
Celte occasion se présenta avec — ne vous effa-
rouchez jamais des litres quand il s agit de
pièces napolitaines^ — Don Felice et Don Pip-
pelto enfournés comme des j^e^its pains avec Pal-
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172 . LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
cinella amant malheureux^ comédie en deux
actes de Filippo Cammarano.
Il serait ridicule, vous pensez bien, de vouloir
discuter gravement le sujet de ces canevas sans
prétention qui, par la forme, rappellent terri-
blement, la donnée des pantomines que Ton
jouait aux Funambules du temps dû grand Debu-
rau, et que nous a si bien fait revivre L. Péri-
caud dans son si intéressant volume*. Mais ces
pièces ont le grand avantage pour un étranger,
comme nous, de nous faire voiries mœurs popu-
laires et les coutumes napolitaines d'il y a cin-
quante ans, lesquelles, à quelques exceptions
près, sont à peu près les mêmes aujourd'hui.
Le décor n'est généralement pas compliqué :
une toile de fond représentant un carrefour. A
droite, à gauche, une porte sur laquelle, 'pour
la circonstance, on cloue une pancarte avec ces
mots : café, ou boulangerie, ou fruiterie ; nous
serions difficiles d'en demander davaotage.
Ainsi, pour cette fois, nous sommes prévenus
que la porte de gauche donne entrée à une piz-
zeria^ c'est-à-dire une boutique où Ton. fabrique
^ Le Théâtre des Funambules, ses mimes, ses acteurs et ses
pantomimes, depuis sa fondation jusqu'à sa démolition, par L.
Péricaud, Paris, L. Sapin," 1897.
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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 173
la fameuse pizza napolitaine, cette galette accom-
modée à la graisse, sur laquelle sont semés
des fragments d'échalote, de tomate, de petits
poissons, et que des marmitons vont offrir sur
une planche en criant par les rues. Disons-le
tout de suite à la louange de Naples, quelques-
unes de ces pizzeKÎe sont très proprement
tenues. Celle dont il s'agit, dans la pièce que
nous allons voir, revêt sans doute une certaine
importance, car elle possède en outre, devant
sa porte, sur le trottoir, un débit de maccheroni.
En face, c'est la « changeuse de monnaies ».
A Naples, quand on a cinq lires en argent on
va les changer au coin de la rue pour cent ^ous
en cuivre, et l'on bénéficie d*un sou. C'est un
petit commerce innocent qui ne fait de tort...
-qu'aux poches de ceux qui consentent à se char-
ger cle celte mitraille. Ces femmes qui fout le
change de la monnaie sont installées en plein
air, devant une petite table dont le dessus est
recouvert d'un treillage métallique pour proté-
ger la monnaie de billon contre toute mauvaise
tentation. Voici enfin le marchand d'eau, sous
los traits de Pulcinella, avec sa provision de
citrons, débitant de grands verres pour deux
centimes.
10.
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174 LE THEATRE NAPOLITAIN
Si A.lesio ne possède pas que cette pizzeria :
il est le père de fort jolies filles dont les deux
aînées sont courtisées par D. Felice et D. Pip-
petto, les deux frères, fils du bègue Anselmo
qui voudrait bien pour son propre compte con-
voler avec la belle Margherita, tandis que le
marchand d'eau, Pulcinella, qui s'intitule « com-
merçant » a osé jeter les yeux sur la seconde.
Ces deux frères se présentent sous un aspect
assez comique ; le premier parle sans cesse en
vers, à la façon du pâtissier de V Homme nest
pas parfait, et ces vers n'ont que peu de chance
d'être compris. Le second, beaucoup plus timide,
le type exact de Califourchon de la Corde sensible^
s'inspire de ce que fait son frère D. Felice et
essaie de Timiter en tout.
Ces rapprochements s'imposent, malgré moi.
Et cependant Cammarano est de beaucoup le
précurseur de Clairville et de Lambert Thi-
boust. D'autre part, ces charmants vaudevillistes
n'ont peut être jamais soupçonné qu'il existait
un théâtre napolitain ni un auteur du nom de
Cammarano; en tout cas, s'ils l'ont su, soyez
persuadés qu'ils ne s'en sont que médiocrement
souciés. Eh bien ! voilà des points de cohtact
vraiment curieux à observer.
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LA VEILLE DE NOËL, ETC. i75
Toute cette scène est égayée par le marchand
de macaroni criant à tue-tête sa marchandise, ^
par les prétendus qui, pour se rendre agréables,
achètent une assiétée de ces fameux maccheroni
d'une longueur napolitaine, qu'ils ne savent pas
manger avec les doigts selon la coutume popu-
laire, et qu'ils finissent par se faire voler par des
lazzaroni dès quils tournent un peu la tête.
Puis, nous retrouvons tout ce monde dans le
« pétrin » du marchand de pizza où les jeunes
gens viennent poser officiellement leurs candi-
datures devant la mère.
Cette demande en mariage est nécessairement
troublée par Tarrivée des deux amoureux écon-
duits, Anselmo et Pulcinella, ce qui force Don
Felice et Don Pippetto à se cacher dans le four.
Mais les deux nouveaux venus avaient oublié
le père qui, ne badine pas sur l'honneur de ses
filles, et frappe à la porte avec rage.
On cache Anselmo dans la huche et Pulci-
nelljL dans les copeaux... jusqu'au moment où
la chaleur du four allumé et la poussière de la
farine chasseront les uns et les autres de leurs
cachettes. Tableau original que je regrette de
n'avoir pas en photographie : Pulcinella sortant
de dessous le four, D. Felice et D. Pippetto au-
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176
LE THEATRE NAPOIITAIN
dessus, passant leurs lêtes effarées par l'ou-
verture, Anselmo blanc de la tête aux pieds sor-
tant ahuri du coffre à farine, et tous les person-
nages groupés.
Anselmo et Pulcinella renonceront à leurs
prétentions amoureuses, et le marchand de pizza
mariei'a toutes ses filles, donnant encore celles
qui restent, par-dessus le marché, à ses com-
mis.
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XI
LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE LAN
Les Revues de fin. d'année en Italie. — Le Cinémat
revue napolitaine en 3 actes et 14 tableaux. — La lot
Superstitions et coups du hasard. — L'année 1899 el
1900. — Ce qu'on voit devant l'Hôtel de Ville. — I
italo-parisien. — La Poupée, — Notes tristes. — Li
inonde. — Un souvenir à Ga^^badi. -^ La veilleuî
Madone .
Les Revues de fin d'année sont rares
pays, et la raison en est bien simple. Ain
je l'ai expliqué dans le Théâtre en Italù
capitales comme Turin, Milan, Florence, 1
Naples, Paierme ont une vie propre.
Qu'importe aux Florentins de savoir (
se passe à Milan, ou aux Vénitiens de con
la vie de Naples.
Il y a même une certaine afîectation à
rer. Ce n'est donc plus comme à Paris, à 5
ou à Lisbonne où des Revues de lin d'ann
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i78 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
faisant défiler sous nos yeux les événements les
plus récents, nous mettent en scène tles faits
que nous connaissons tous en France, en Espa-
gne, au Portugal. Il ne saurait ici être question
que. de revues locales, très locales. Mais il y a
un autre obstacle pour la réussite de ce genre en
Italie : presque toutes les troupes étant nomades,
aucune d'elles, devant entreprendre une tournée
Turin-Milan-Gênes- Venise, etc., ne se- hasar-
derait à monter -une jR^t^^^ qui ne serait jamais
comprise que dans la ville pour laquelle elle
aurait été faite.
Une exception existe cependant pour Naples
dont la population dépasse celle de toutes les
autres capitales d'Italie, qui a ses usages parti-
culiers, qui ne veut pour rien au monde être
confondue avec le reste de la Péninsule, et qui
a plusieurs compagnies dramatiques stables — ^
telle celle du théâtre Nuovo dont nous nous
occupons en ce moment.
Rompant pour une fois avec les usages éta-
blis qui consistent à changer l'affiche chaque soir,
l'imprésario Cammerano voulut donc frapper
un grand coup pour la saison du Carême en
montant une Revue que Ton jouerait jusqu'à, ex-
tinction de succès — une Revue napolitaine en
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LE ClNKiMATOGRAPHE, REVUE DE LANNÉE ITO
trois actes et quatorze tableaux, due à la plume
d'un modeste artiste de la compagnie, Francesco
Paolillo, avec musique nouvelle des Maestri
Valente, Di Chiara, Nulile, Fonzo, Fanli et
Gambardella.
Des décors nouveaux furent commandés ; on
ne recula même pas devant les trucs ! Cette Revue
prit le nom de In Cinematografo^ et la première
fut annoncée pour le 3 mars.
Je ne dissimulerai pas que j'ai toujours pris
un très vif plaisir aux Revues quand elles sont
spirituelles et bien faites. A Paris, nous avons
des maîtres en ce genre. En Espagne, elles sont
navrantes, et ne sont tolérables que grâce aux
airs fort jolis qui les accompagnent. J'ai raconté
dans le Théâtre au Portugal combien la Revue
était en faveur à Lisbonne. Jamais je n'en vis de
si alertes, de si pimpantes, de si gaies ni de si
mouvementées que dans ce pays où des auteurs
tels que MM. Sousa Bastos et Eduardo Schwal-
bach Lucci se sont acquis une véritable célé-
brité, très méritée, comme revuistes.
Ce né fut donc pas sans une certaine appré-
hension que j'allai voir celle-ci... avec Pulci-
nella bien entendu. Eh bien! je dois déclarer
de suite qu'avec les éléments de ce théâtre il
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180 LE THEATRE NAPOLITAIN
était difficile de faire mieux. Qu'on en juge!
Le premier tableau qui s'intitule Un qua-
iame et trois cent mille lires commence à Ja
façon d'une comédie populaire, et nous présenté
une spirituelle satire de la Loterie, Ce mot ne
vous dit rien peut-être? Il faut avoir vécu
quelque temps è Naples pour en connaître la
véritable signification. Il existe, il est vrai,
2.328 bureaux de loterie dans toute lltalie, mais:
la seule circonscription de Naples "en compta à
elle seule 597, plus du quart ! V
Le Lotto est une des ressources des finances
* italiennes ; il donne net plus de 30.000.000 de
lires au Trésor, sorties de la poché de malheu*
reux qui pour la plupart se privent de manger
pour mettre sur deux ou sur plusieurs numéros, .
et qui n'ont jamais . envie de travailler dans
l'espérance de gagner le samedi suivant. On joué.
1 extrait simple, l'extrait déterminé, Tambe, le
terne, le quaterne qui touche 60.000 fois la
mise. L'administration accepte depuis deux cen-
times pour Tambe et le terne, huit centimes
pour l'extrait simple ou déterminé, quatre cen-
times pour le quaterne. Le samedi, l'on ne peut,
pas jouer moins de cinquante centimes ou d'une
lire.
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La Ictrrie à Naple?^
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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE L ANNÉE 183
Les uns ont une forpciule mathématique qui
doit gagner, à moins qu'elle ne les mène aux
pires extrémités; les autres, dans l'esprit du
peuple, agissent sous Tinfluence d'une sugges-
tion extra-humaine. Les numéros indiqués par
les moines doivent être infaillibles. Aussi, à
chaque instant, voit-on un capucin assailli dans
la rue par des femmes qui lui demandent un
numéro. Le capucin, pour se dégager, n'a
d'autre ressource que d'offrir une prise de
tabac. Tout vrai napolitain se demande toute la
semaine quels sont les bons numéros de 1 à 90.
Mais la Smorfia vient à leur aide.
La Smorfia est un livre oîi tous les objets, tous
les êtres, tous les sentiments, toutes les idées,
toutes les actions sont exprimés par un numéro.
Il contient 22.000 mots en 463 pages. C'est le
livre dltalie qui a çu, peut-être, le plus d'édi^
lions. Ainsi, à Naples, on traite tout naturelle-
nient un homme de 23, pour dire qu'il est fou,
ou une femme de 78 pour lui reprocher des
jnœurs dissolues. Tout événement, mort, crime^
guerre, inondation doit être sérieusement tenu
en compte. 11 n'est pas rare, par exemple, de
voir un napolitain entrer dans un bureau de
Lolto et demander le numéro correspondant à
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184 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
« voiture renversée » ou « cheval emporté » ou
« chien enragé ». Le buraliste, qui e;i a vii bien
d'autres, cherche dans' son code le numéro cor-
respondant et le donne à son^ client sans sour-
ciller. Telle est rexplicalion d'entrefilets de
journaux du genre de celui-ci : {Roma, jour-
nal de Naples, 15 mai 1892) « L'extraction
d'hier, à Frattamaggiore a été providentielle
pour cette ville et les environs, parce que toutes
les familles, de la plus riche à la plus pauvre,
avaient joué les numéros 26-37-71 à propos
d'un accident ridicule survenu au curé pendant
qu'il disait la messe. Les gains s'élevèrent à un
chiffre énorme. »
26 représente la messe ; 37 le curé ; 71 la
colique. — A Frattamaggiore et Afragola ce
terne est sorti 537 fois et a rapporté plus d'un
million aux joueurs. Jamais colique ne fut plus
funeste aux finances italiennes M
11 y a huit ans de cela, mais il n'y a absolu-
ment rien de changé. Tout ce que l'on a pu
raconter sur le Lolto à Naples est encore au-
dessous de la vérité; cela dépasse toute imagi*
* Cité par M. Marcellin Pellet, Naples contemporaine^ p. 177,
Paris, Charpentier, 1893.
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LE CINÉMATOGRAPHE, .REVUE DE LANNÉE 185
nation, toute vraisemblance, et comme je pour-
rais être taxé d'exagération, je copie ce qui suit
dans le journal // Matlino du 23-26 mars 1900,
jour où j'écris ces lignes.
Il s'agit d'une femme coupée en morceaux
dont les restes viennent d'être retrouvés murés
dans une maison de Fuorigrotla (à la grotle de
Pausilippe) et de l'arrestation de l'assassin pré-
sumé qui avait, écrit ses Mémoires! Je cite
textuellement :
. (( Outre le mémorial, ou journal, dans lequel
ce très singulier Basile (l'homme arrêté) notait
ses aventures, celui-ci possédait une smorfia
(j'ai expliqué plus haut ce que c'était) annotée...
Kn marge d'une feuille de manuscrit sur lequel
Basile s'amusait à tracer des formules cabalis-
tiques et des combinaisons pour le jeu de Lotto,
il avait tracé cette phrase : « 2G juillet 1898 :
Angelo Exposito, ma femme, est morte. » Et
plus bas : « 28 juillet 1898 ». Ce qui fait croire
qu'il Ta tuée. Plus loin cette autre phrase rela-
tive à son ancienne maîtresse : « 20 juillet,
Rosa Rippa m'a donné son amour. » Puis, il
note le jour oti il achète un canif, une chatte,
et sur un morceau de papier Ton trouve aussi
les numéros suivants : « 3, 6, 50, 45, 29, 89, qui
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i86 LE THEATBE NAPOLITAIN
ont fait gagner un ambo aux agents de police qui
viennent de les jouer ».
J'ai voulu m'assurer du fait : c'est exact. La
loterie de Naples a extrait le 24 mars 1900 les
numéros suivants : 67, 13, 3, 6, 77. Il est vrai
qu^on ne nous parle jamais des millions de
combinaisons qui échouent!
C'est ce travers que l'auteur de la Revue qui
nous occupe raille agréablement au premier
tableau. La scène se passe dans une petite ville
de province où quatre pauvres diables, D. Gen-
naro, Luigi, D. Mincuccio et Pulcinella, ont mis
toutes leurs espérances sur des numéros et
attendent avec anxiété l'heure du tirage. Par
suite d'un accord, ils conviennent que celui des
quatre qui aura gagné emmènera les trois
autres visiter Naples, l'Italie, la France, et
rExposition de 1900 à Paris. Le hasard favorise
D. Gennaro qui n'avait pas mangé depuis deux
jours pour alimenter son quaterne, et qui, ayant
mis cent sous à la loterie, gagne, par consé-
quent, trois cent mille lires. Pendant ce temps,
le jeune baron Filippetto fait une cour assidue
à la jolie M*"* Pulcinella qui ne se décide à le
suivre, en tout bien tout honneur, que pour s'assu-
rer chemin faisant des trahisons de son époux.
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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE •DE l'aNNÉE 187
Tel est le point de départ qui en vaut bien un
autre, et qui nous permet d'aller voir ce qui se
passe à Naples à la suite des quatre amis.
Nous assistons tour à tour à la naissance de
Tannée 1900, gentiment personnifiée par la
jeune Elvira Pantalena ; à la rencontre de deux
trains, la nuit, dans un décor fort bien truqué
pour une si petite scène, et nous arrivons devant
le Mimkipio (hôtel de ville) de J^faples où défilent
toutes les personnalités les plus en vue, le
maire, les conseillers municipaux, les agents de
police dont les têles connues du public provo-
quent lés rires de la salle.
La statue de Neptune que Ton promène de
place en place vient se plaindre au maire entre
deux déménagements ; les journaux de Naples,
politiques et humoristiques, sont criés par des
enfants de différentes grandeurs, selon Timpor-
tance de la feuille ; Fauteur effleure même les
scandales de Tannée y compris une certaine
affaire d'extorsion qui fit grand bruit ici, et
Tacte se termine par un chœur de conseillers
municipaux, de pompiers représentés par des
femmes, et de balayeurs.
Au second acte, Carmela, la femme de Pulci-
nélla, est devenue une chanteuse de café-con-
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188 LE TflKATRK NAPOLITAIN
cert à la mode, mais lient toujours son jeune
baron à distance. Pulcinella qui se civilise
esquisse de son côté une aventuré galante, et
les docteurs qui reviennent d'étudier la peste au
Portugal, et en rapportent des bacilles dans des
flacons, nous chantent un chœur assez réussi.
Mais le cloti^ c'est le bazar italo-parisien où les
directeurs des théâtres de Naples viennent pour
acheter des jouets (lisez des pièces) et se préci-
pitent tous sur les poupées disponibles.
Pour bien comprendre cette allusion, il est
bon de dire que la Poupée d'Audrân fit fureur
à Naples tout Thiver. Après avoir été jOuée,
comme elle fut écrite, c'est-à-dire en opérette,
par la troupe Acconci-Soarez, elle fut transfor-
mée en comédie par Ed. Scarpelta, coutumier
du fait. Scarpetla vous prend une pièce française
quelconque, Mamzelle Nitoùche^ par exemple,
en Ole les airs qui le gênent, défait là pièce à
sa manière, copie mot pour mot des scènes
entières, l'appelle Santai^ellina^ Tannonce pom-
peusement comme de lui et gagne une fortune.
Ça n'est pas plus malin que ça!
Donc, pour en revenir à notre Revue, il y
avait dans ce bazar italo-parisien une belle pou-
pée automate toute neuve, débarquée fraîche-
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M"^ a: Magnetti.
Première actrice du théâtre Nuovo.
11.
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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE l'aNNÉE 191
ment de Paris, la vraie Poupée d'Aud
sonnifiée par M"* A. Magnetli. Ce beau j
chante à merveille, est immédiatemen
par rimprésario-ténor Acconci qui d
moins à son public une marchandise
tique, tandis que Scarpelta en est réd
contenter d'un vieux rossignol de pou
les traits de la duègne du théâtre.
L'observation est fine, mais il m'a sei
cette spirituelle critique n'avait été qui
crement comprise du public qui n'atleii
le défilé de tous les jouets animés. Il
que le nom d'un auteur sur Taffiche
d'importance à Naples ! Qu'importe ur
de plus ou de moins? C'est pourquoi S
a pris une résolution catégorique : U
pièces que Ton joue chez lui sont signées
Ah mais ! Comme cela ses habitués
jamais à se préoccuper du nom de 1
Quelle simplification ! Et dire que perse
avait songé avant lui !
Cela rappelle le beau temps où, en p
le nom seul de M. Scribe faisait de Tar
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192 l-E tHEATRE NAPOLITAIN
LE MISANTHROPE
COMÉDIE EN CINQ ACTES, EN VERS
De Monsieur SCRIBE
affichait un imprésario aux abois. Ne riez pas :
j'ai copié lextuellcmenl ce qui suit sur les murs
de Bruges, en 1895 — je précise :
LE CUEF-d'œUVRE DE l'aCADÉMIE FRANÇAISE
CASQUE EN FER
De Victor HUGO
Le troisième acte, et dernier, commence par
des « Notes tristes » dit le programme. A mon
avis, on aurait bien pu se passer de ces notes
tristes. L'auteur nous transporte à Salerne, au
moment des inondations qui ont désolé cette
contrée l'hiver dernier. Des villageois enfermés
dans une cabane poussent des cris, tandis que
le régisseur agite son tonnerre à la cantonade
el que le machiniste fait succéder les éclairs aux
éclairs, ce qui permet à Facteur Cosenza de
jouer fort bien une scène dramatique beaucoup
trop longue.
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Pliol. E. Majorama e F**, Naples.
Giuseppe De Marlino (Pulcinellu) et Gennaro Pantalena.
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LE CINEMATOGRAPHE, REVUE DE LANNEE 195
Puis Fon nous parle de la comète, de la
fameuse comète qui devait amener la fin du
monde, et comme en italien le mot cometa signi-
fie tout à la fois comète et cerf-volant, vous
pensez bien que ladite comète qui a effrayé tant
de gens n'était, après tout, qu'un jeu d'enfants.
Quoi encore? Nous voyons les vieux garibal-
diens, survivants des guerres de l'indépendance,
venir, au son de leur hymne, déposer une cou-
ronne au pied du nouveau monument érigé à
Tendroit dit Ponti délia Valle, et Tauteur nous
montre pour finir la nouvelle Bourse de Naples
récemment inaugurée devant laquelle se retrou-
vent tous les personnages de la Revue avant
d'assister à Tapothéose finale.
Quel fut le sort de cette Revue qui, en
somme, était un petit événement pour une ville
comme Naples où Ton joue si peu de pièces
vraiment nouvelles? Les journaux, qui ne s'oc-
cupent guère que de la saison des trois mois
d'opéra au San Carlo afin de pouvoir conspuer
tout à leur aise l'imprésario (à tort ou à raison,
mais plus souvent à raison qu'à tort), ne savent
encore que très vaguement ce que c'est qu'un
compte rendu dramatique, surtout s'il s'agit du
théâtre en dialecte ! Pulcinella ! Fi donc ! Bon
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196 LE THEATRE NAPOLITAIN
pour le peuple ! Souvenez-vous de nos usages il
y a soixante ans. Qui donc avant Janin eut jamais
l'idée de révéler Deburau ? Gautier, Champ-
fleury ! Des rêveurs! Aujourd'hui seulenaent
quand on secoue la poussière de ces manuscrits,
quand on étudie sur le vif, comme le fit L. Péri-
caud, rhistoire si intéressante de la pantomime
française, Ton s'aperçoit qu'entre ces quatre
quinquets fumeux, sur ces planches populaires,
ce qui manquait encore le moins à Pierrot c'était
le génie.
Donc, quelques mots flatteurs dans la presse,
et ce fut tout. D'analyse, de critique, pas
l'ombre. C'est l'usage à Naples, et ces braves et
modestes artistes n'en sont pas autrement offus-
qués !
Eh bien, cette Revue, en comptant les repré-
sentations de jour et de soir, fut jouée 25 fois,
puis , le succès épuisé , on retourna au vieux
répertoire en attendant les fêtes de Pâques pour
une reprise.
Maintenant pouvait-on faire davantage avec
une troupe de vingt-cinq artistes et des moyens
aussi restreints ? Songez que pour jouer si peu
de temps il avait fallu peindre des toiles nou-
velles, commander des costumes. L'auteur a
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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE LANNÉF
donc fort bien compris le parti qu'il pouvai
des éléments dont il disposait, et puis, d
théâtre napolitain, il ne faut guère compt
le côté féminin. Alors que faire?
Telles sont les réflexions que je roulaiî
ma tête en sortant du Nuovo et en redesce
les ruelles du Monte-Calvario où Ton ne re
trait plus guère, à cette heure, que qu(
marins attardés en quête d'aventures, et
vis ce soir -là — tableau bien napolitai
Toriginalité dés contrastes — les « pierrei
de la strada Incoronata occupées dans la
grouper poétiquement des fleurs devant V
de VIrmnacolata dont elle rallumaient la
leuse.
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XII
PULCINELLA & C. VOLEURS D'UN TRÉSOR
AU BAS PORT
Pulcinella el C. voleurs. d*un trésor, comédie en 3 actes d'O .
Schiano. — Un bon public. — La misère à Naples. — Ren-
contre de deux bohèmes. — Un dîner fantastique et le quart
d'heure de Rabelais. — Une caverne imprécise. — Les cos-
tumes des archiconfréries. — Pulcinella qui descend du ciel.
— Au bas port. — La camorra et le roman populaire. — Drames
de M. G. Cognetti. — Santa Lucia. -^ La vie dans la rue.
Il ne faudrait cependant pas croire que Fan-
cien répertoire du San Carlino, toujours repris
avec succès , se bornât aux seules pièces de
Cammarano, ^d'Altavilia et de Petito. On dis-
tingue encore d'aulres auteurs dont les noms
sont beaucoup moins connus, presque oubliés,
et de ce nombre 0. Schiano déjà cité, et dont le
Nuovo a affiché ce soir (1^' avril) Pulcinella^
D. Miseriïio e D. Felice ladri di un tesoro (voleurs
d'un trésor) comédie en trois actes, « chef-
d'œuvre' de l'antique répertoire du San Carlino »,
ajoute Taffiche.
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"^■JBÇ
200 LE ÏHKAÏRE NAPOLITAIN
C'est aujourd'hui dimanche, et malgré une
pluie torrentielle le théâtre est comble. Ah !
quel bon public que ce public napolitain ! Je
ne cesserai jamais de le répéter. Comme on
voit bien que tout ce monde vient là pour
s'amuser, et combien il a raison ! Tant il est
vrai que la somme de plaisir que Ton prend
n'est jamais en rapport avec ce que l'on paie à
la porte. Bien à plaindre les publics blasés! Ils
se font leurs propres bourreaux. A ce théâtre
Nuovo, depuis cinq mois, je vois jouer presque
chaque soir une pièce nouvelle par d'excellents
artistes et de jolies femmes. Que leur. faut-il?
Dix toiles de fond. Quant aux costumes de Pul-
cinella, de TAnselmo et du Guappo, Jls nechan-
gent jamais.
Le vieux magistrat Eustachio a un polisson
de neveu, Camillo, qui fréquente une bien mau-
vaise société. Il passe le meilleur de son temps
à jouer dans la taverne de Giorgio avec des
sujets de son espèce, courtise même la fille du
patron qui ne craint pas d'écouter à la fois les
doux propos du sergent Picchio, signe des
lettres de change qu il ne paie pas, et en est
réduit, après avoir dissipé son patrimoine, aux
pires extrémités. Pour être complet nous dirons
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PULCINELLA ET C* VOLEURS d'UN TRÉSOR 201
encore que ce tav^rnier qui ne vaut pas cher,
lui non plus, a pour voisin un certain D. Min-
cuCcio dont le valet n'est autre que Polci-
nella-
Cependant, D. Eusfachio, pour mettre à Tabri
une partie de la fortune de son neveu, s'était
fait faire une donation de quatre-vingt mille
ducats qu'il lui conserve pieusement pour les
mauvais jours. Pourquoi avait-il eu l'idée de
cacher cet argent dans une caisse et cette caisse
dans un monument funéraire, voilà ce que je ne
me charge pas d'expliquer , mais sans trésor
caché, adieu la pièce !
Dans tous ces canevas écrits à la diable, ce
n'est pas l'intrigue qu'il faut voir. Presque tou-
jours elle est enfantine ou ridicule. Ce sont les
épisodes, lès scènes populaires, les hors-d'œuvre
qui nous amusent, et dans l'ouvrage de Schiano
la scène capitale est évidemment la rencontre au
second acte de deux bohèmes devant la boutique
d'un traiteur. Ces deux pauvres diables qui se
présentent à nous à la façon de Dupont et
Durand d'A. deJMusset, sontTun, maître d'école,
D. Miserino, l'autre poète, D. Felice. Ces rôles
étaient ce soir magnifiquement tenus par l'ar-
rondi Pantalena représentant la misère grasse.
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202 LE THEATRE NAPOLITAIN
et Fanguleux Di Napoli figprant la pauvreté
maigre, car les deux types existent.
« En fait de vêtements, a écrit M. Marcellin
Pellet, il faut avoir habité Naples pour savoir
ce que c'est que des haillons, de vrais haillons
laissant voir de ci, île là, des plaques de chair
larges comme la main*. »,
Il faut venir au Nuovo pour voir le costume
de Di Napoli dans le rôle de son poète affamé.
Le pantalon seul est une merveille ! Et la redin-
gote, et le chapeau !
Tous deux sont à la recherche, naturellement,
du dîner très problématique; ils arrivent à
causer ensemble, et, par suite d'un malentendu,
comprennent chacun de son côté que l'autre est
à la tête d'un capital de quinze sous. A la suite
de cette révélation — ou mieux de. cette mé-
prise — échange de politesses réciproques, et il
est convenu que l'on dînera ensemble. D. Mi-
seriuo ne voulant pas outrepasser le supposé
budget de son nouvel ami commande avec pru-
dence un repas pour deux au traiteur. La con-
fection du menu est un modèle du. g^nre. On
s'arrête, à! force, de .'combinaisons^ |, six sous de
* Naples contemporaine, ouvrage déjà cite, les quartiers
pauvres, p. 22 et suiv* * . . ' ' .....
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il faut avoir habite Naples pour savoir ce que c'est que
des haillons... »
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ÉLi '.
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PULCINELLA Eï C. VOLEURS D UN TRESOR ^05
macchermi, deux sous de pain, un autre plat
et un fruit. A Naples, les fruits sont, pour rien,
<3uant au vin, on le remplacera pour celte fois
par de l'eau.
Commence alors le dîner, dans la rue, à la
porte du èabarètier, et ce diner est devenu léi-
gendaire. Tout dépend, bien entendu, de la
façon dont la scène est jouée. Avec Pantalena
et Di Napoli elle prend des proportions épiques.
D'abord, la question du pain.
— Ce pain est bien commun, commence à
dire D. Miserino en en détachant une forte
miche qu'il engloutit dans son énorme bouche.
— On peut en demander d'autre, hasarde
timidement le poète qui voit d'un regard inquiet
le morceau de pain diminuer à vue d'œil.
Vient le tour du macaroni.
Il faut aussi avoir vécu à Naples pour savoir
ce que représentent six sous de macaroni. Une
telle portion, servie dans une pleine soupière,
suffirait amplement chez nous à nourrir toute
une famille ; mais un Napolitain ne s'épouvante
pas pour si peu. D. Miserino accapare la sou-
pière, sert maigrement son compagnon, et lorsque
celui-ci se dispose à manger à son tour, c'est Ib
cabaretier qui lui arrête le bras pour lui parler en
12
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206 l'E THEATRE NAPOLITAIN
aparté. Il vient d'apprendre qu'il avait devant lui
un poète, et il aurait besoin de ses services. Il
va sans dire que pendant cette courte absence de
la table, D. Miserino a renversé le contenu de
l'assiette de D. Felice dans sa soupière et avalé
4e tout d'une façon telle que tout acteur qui ne
serait pas napolitain en serait étouffé à la se-
conde bouchée.
. Le repas se poursuit ainsi, D. Miserino en-
gloutissant tout ce qui se présente, D. Felice ne
pouvant toucher à rien, jusqu'au moment où la
vieille Silvestra vient demander à ce dernier de
lui versifier une déclaration amoureuse. Mais
alors, pour mieux lui parler, D. Felice avant de
se lever de table emporte toute la desserte dans
son chapeau où D. Miserino va la repêcher pour
cacher le tout dans son propre chapeau qu'il se
met crânement sur la tête.
Ce dîner homérique est salué, comme on
pense, par de continuelles fusées de rires qui
partent de tous les coins de la salle. Le quart
d'heure de Rabelais n'est pas moins joli. Chacun,
de bonne foi, dit à son ami qu'il est l'heure de
parlir et de payer, et c'est alors seulement que
tous deux s'aperçoivent qu'ils n'ont le sou ni
l'un ni l'autre.
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PULCINELLA ET C. VOLEURS D UN TRESOR 207
L'hôtelier qui ne se paie pas de paroles pour-
rait prendre fort mal la chose, mais il veut en
tirer parti. Il leur annonce dans le plus grand
mystère que, s'ils veulent Taider, leur fortune
est faite. Il s'agit, en effet, d'aller déterrer un
trésor de 80 000 ducats qui se trouve dans un
endroit qu'il connaît. Autant par crainte du
cabaretier que par appât du gain, ils acceptent,
tandis que le voisin d'en face, D. Mincuccio, met
pour le même motif son serviteur Pulcinella en
campagne. Nous avons vu, au même tableau, le
jeune viveur Camillo sur le point d'être arrêté
pour une traite impayée — car la prise de corps
existait en ce temps à Naples — et son bon tuteur
1^ tirer de ce mauvais pas à condition qu'il re-
nonçât à Satan, à ses pompes et a ses œuvres.
Nous voici dans une caverne — imprécise,
comme dirait Pierre Loti — où nous ne voyons
guère que des tombeaux. Le magistrat D. Eus-
tachio fait une doscenle de police dans cette
grotte, car l'on s'est aperçu que les barreaux d'un
soupirail avaient été sciés. Quant à la caisse qui
a renfermé les 80 000 ducats, on l'a bien laissée
dans le tombeau, mais il y a beau temps que le
trésor est à l'abri. Une fois les gendarmes postés
au bon endroit, le théâtre est plongé dans l'obs-
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208: LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Gurité, et nous assistons à la scène qui a donné
le tilre à là pièce : PiilcineUa^ D, Miserino et
D. Felice voleurs d'un trésor^ Ici se place ua
détail amusant : comme Facteur Pantaleaa est
très gros, c'est une joie pour les spectateurs de
le voir descendre dans la caverne par une échelle,
eii compagnie de Télique D. Felice. Ajoutez que
t0us deux sont vêtus pour cette expédition
comme les membres des confréries de Naples^
avec éette seule différence que, pour être recon-
nus du public, ils ont rejeté leur cagoules sur le
derrière de la tête.
Il est bon de rappeler, à ce propos, qu'à Na-
ples iLy a deux cent huitarchiconfréries ou con-
fréries qui se recrutent par quartiers par tradi-
tions de famille ou par corps d état. L'origine,
des plus anciennes de ces sociétés remonte aux
x®^ xi° et xii^ siècles; ce sont, avant tout, des
sociétés, de bienfaisance et de sefcours mutuels,
et à chaque enterrement d'un membre Ton voit
les autres affiliés revêtus de robes blanches et
de cagoules — à moins que ces costumes ne
soient mi-partie rouges, bleus, noirs, — suivre
le cercueil une cire à la main.
La caisse découverte dans le monument funé«
raire est fortement attachée avec des cordes.
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PULCINELLA ET C. VOLEURS D UN TRESOR 209
puis remontée par le soupirail, mais à ce mo-
ment Tinfàme cabaretier retire Téchelle et «'en-
fuit avec les amis qu'il avait amenés, laissai
deux naïfs dans le caveau. Grand effareme
ceux-ci ; mais bien plus grand encore lorsi
voient descendre du ciel, par Touverture
puits, Pulcinella. assis sur une escarpolette
lanterne sourde à la main. En présenc
celte apparition inattendue, ils rabattent
ment leurs cagoules et se tiennent immobil
chaque côté du tombeau.
La scène suivante, digne tout au plus d'an
les enfants, à moins qu elle ne les effraie, s
vine sans peine. Pulcinella, à la place du t
convoité, rencontre ces deux fantômes blanc
la fraîcheur du lieu fait éternuer, trembl
tous ses membres, crie, appelle, jusqu'au
ment où les carabiniers viennent [arrêter te
monde.
Le dernier acte nous reste pour arr^
toutes les affaires. Il se passera dans le ca
du juge d'instruction qui n'est autre, pn
ment, que D. Eustachio, tandis que le gr
est le bègue Anselmo. Ici nous retombon
plein dans la tradition du vieux théâtre i
litain.: Anselmo, le greffier, enseigne àl
12.
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210. LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
nella comment il doit répondre devant le juge,
et l'interrogatoire prend des proportions fantas-
tiques — je n'y insiste pas ayant déjà indiqué
le procédé — jusqu'au moment où le magistrat
équitable, mis en belle humeur par la conversion
de son pupille, punit les vrais coupables et par-
donne aux faibles et aux égarés.
Le lendemain de cette soirée, l'on annonça la
première représentation de Abbasçio Puorlo —
Ail bas port — scènes napolitaines en trois actes
de Goffredo Cognetti, traduction napolitaine
de Salvatore Di Giacomo. Vous comprenez déjà
qu'il s'agit d'un ouvrage écrit en italien, puis
mis en dialecte : j'ajouterai même un ouvrage
d'une certaine valeur, car l'observation y est
puissante et juste.
L'auteur a choisi pour lieu d'action l'un des
quartiers les plus pittoresques de NapJes, Santa
Lucia, et étudié l'une des plaies les plus ingué-
rissables de cette ville, la C^morm.
La Camorra, mot dont les romanciers fantai-
sistes ont tant usé et abusé, de telle sorte que
l'on se fait, hors de Naples, une idée très vague
de ce que ce mot veut dire, n'est en somme,
comme on Ta définie souvent, que l'exploitation
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PULCINELLA ET C. VOLEURS D UN TRESOR 213
du faible par le fort, du lâche par rhomme cou-
rageux, du travailleur par l'oisif : figurez-vous
une vaste association avec chefs, sous-chefs, etc.,
organisée en vue d'opérations diverses de chan-
tage, avec coups de couteau tout prêts à l'adresse
des récalcitrants, et dont tous les membres ont
juré l'obéissance passive.
« La Camorra, a écrit M. MarcelHn Pellet à
qui j'ai recours toutes les fois que j'ai besoin de
faits précis, a joué un rôle considérable dans
l'histoire de Naples, même dans son histoire lit-:
téraire. Les romans de Francesco Mastriani:
nous la montrent à l'œuvre, surtout son livre
/ Ve7'mij studii storici sidle classi pericolose in
Napoli^ consacré à l'étude des camorristes, des
vagabonds, des forçats, des mendiants et des pros-
tituées. Des romans de Mastriani où la vie des
bouges est si bien prise sur le vif, on a tiré des
drames populaires comme la Spigaiola di Pen-
dinOf la Pettinatrice di San Giovanni a Carho-
nara ou la Medea di Porta Médina, M. G. Co-
gnelti avec ses drames A Basso Porto^ A Santa
Liicia, la Mala Vita, mieux écrits, mais non moins
bien observés, a mis également les camorristes
sur les planches. Dans les théâtres napolitains
on applaudit ces scènes de mœurs locales avec
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214 KE THKATHE NAPOLITAIN
autant de passion que les farces de Pulcinella >. »
C'est précisément une de ces "pièces que nous
allons voir : Au bas port.
Le bas port, communément, c'est Santa Lucia,
dont tous les poètes napolitains ont chanté les
beautés... relatives. C'est le quai partant du
Palais royal, d'où l'on découvre le splendide
panorama du golfe, avec le Vésuve juste en face.
Mais, de 'grâce, n'allez pas vous retourner. Ce
ne sont que masures, hideuses surtout par un
temps de pluie, guenilles sans nom accrochées
aux fenêtres, ruelles où le soleil ne pénèlre
jamais; puis, sur les trottoirs, des odeurs de
viande cuite, dé poissons frits dans l'huile ; çà et
là, pour égayer le tableau, des marchands de pas-
tèques, de légumes, d'oranges, de citrons, de
noisettes; les acquaiuoliy marchands d'eau. à la
glace, et, du côté de la mer, les vendeurs d'huîtres,
de crabes, de homards, de tous ces comestibles
que le napolitain appelle si bien fruiti di mare^
* Naples contemporaine, la Camorra, p. 80 et suiv. — Voir
aussi : La Camorra par Marc Monnier, Florence, 1862. — La
Camorra^ studio di sociologia ciHminale, par G. AUongi, Turin,
1890. — Usi e cosLumi dei Camorristi par M. le Docteur A. De
Blasio, fondateur du bureau anthropométrique. de la préfec-
ture de Naples avec préface de Cesare Lombroso, Naples, L.
Pierro, 1897. — Catalogue Emilio Prass, Naples 1898, p. 10 et
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PULCINELLA ET C. VOLEURS d'uN TRÉSOR 215
sans oublier les coquillages que les étraugers
emportent pour meltre sur leurs commodes.
Il est vrai que ce quartier s'est bien transformé :
on a comblé récemment avec des décombres le
port fangeux de Santa Lucia, et cette opération,
qui dans tout autre pays eût provoqué des épi-
démies, n'a pas même amené une recrudescence
de mortalité, tant est pur et vivifiant Fair de
Naples. Mais ce qui subsiste toujours, c'est la
vie de ce peuple sur le trottoir, et c'est à Santa
Luciaque celle-ci se révèle sans la moindre gêne.
Les femmes travaillent dans la rue, y font leur
toilette, s'y livrent sans fausse honte soit sur la
tête de leurs enfants, soit même entre elles, à
la chasse aux parasites. Quand il fait chaud les
enfants y courent à moitié ou même entièrement
nus.
Puis ce sont les conversations des voisines
entre elles, et sur quel diapason, Dieu du ciel !
Les propos salés, les invectives lancées à plein
gosier, les gestes démesurés des énergumènes ne
s'arrêtent que sur le passage du Saint Sacrement
que Ton apporte à un mourant. Toute cette foule
se tait alors, au bruit de la sonnette qui précède
le prêtre, et tombe à genoux... puis recommence
de plus belle dès qu'il a tourné le coin de la rue.
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216 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Celle-ci allume sur le trottoir un réchaud
qu'elle évente; telle autre tricote, car les femmes
ne s'occupent presque jamais de raccommoder les
effets de burs maris et de leurs enfants qui circu-
lent les habits troués. Tout le travail consiste à
allaiter le dernier né, à faire la cuisine sur le
pas de la porte et à se peigner dans la rue. Les
garçonnets offrent des bouquets aux misses, ven-
dent des allumettes, ramassent les bouts de
cigares, cirent les sabots des chevaux et des
mules, allument à, la course les lanternes des
voitures, mais en sont encore à savoir ce que
c^est qu'une paire de souliers. Nul ne sait com-
ment ils mangent ni où il dorment.
Tel est le cadre. Voyons à présent le tableau.
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xiir
pascarielLo
les types populaires napolitains
Une brochure introuvable. — M">«» A. de Crescenzo et Tacteur
Cosenza. — Pascariello. —G. De Martino jouant sans masque.
— Une pièce de MaruUi calquée sur une pièce française. ^-
Pascariello devenu riche. — Pulcinella duelliste nocturne,
— Le concert.de variétés. — Le maestro S. Gambardella. —
Une collection de jolies femmes. — Le couple Villani-Tedes-
cbi. — Types populaires. — Le retour de Montevergine et
de Piedigrotta.
Je m'étais promis de parler assez longuement
de ces scènes napolitaines Au bas port qui me
semblèrent fort bien traitées à Taudilion, — la
seule qu'en donna le Nuovo en cinq mois, — et
voici que je suis arrêté dans mes bonnes inten-
tions par un obstacle des plus imprévus : il m'a
été absolument impossible à Naples, à Rome, à
Milan, de me procurer la brochure. En napolitain,
la pièce n'^st pas imprimée. En italien, elle le
futîly a quelques années, mais Téditeur milanais
n'existant plus en tant qu'éditeur, après de nom-
13
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218 LE THÉATRP NAPOLITAIN
breuses démarches verbales et écrites auprès dès
principaux libraires de la péninsule, je nfe déclare
vaincu. L'on attache — en Italie — si peu d'im-
portance' aux tentatives dramatiques ! Le théâtre
est un lieu de rendez-vous, de causeries, de
visites ; bien rarement un lieu d'études et d'obser-
vations comme chez nous. Dans ces conditions,
qui peut être assez original ou assez fou pour
se mettre en quête d'une brochure?
Il me faut dpnc faire appel à mes souvenirs,
et je n'ai rien pour en xontrôler l'exactitude.
Maria, une femme du peuple, a deux enfants :
Luigiello, un ouvrier qui travaille à ses heures,
et Sesella, une grande et belle jeune fille qui a
le tort d'écouter les doux propos de Ciccillo^o
Luciano. Ce Ciccillo, qui approche de la quaran-
taine, est une espèce dé maquignon bellâtre et
brutal, un puissant chef de la Camorra, et la
terreur de tout le quartier. En vain, le frère
a-t-il cherché à éloigner de sa sœur ce très mau-
vais sujet dont les intentions ne sont pas dou-
teuses, mais il n'en a reçu pour toute réponse
qu'une paire de soufflets appliqués en public en
présence d'une foule de lâches qui méprisent Cic-
cillo, mais le redoutent.
Cependant les exigences de ce tyranneau du
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LES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 2J9
bas port commencent à exaspérer les camorristes
eux-mêmes . Ceux-ci tiennent une assemblée
secrète dans la boutique d'O Si Pascale, le mar-
chand de vins le plus autorisé de l'endroit, et
comme entre gens de cette trempe Ton ne badine
pas sur les moyens, Ciccillo est condamné à mort
à l'unanimité par l'assistance. Toutes les langues
se délient, et c'est à qui accusera Ciccillo de tous
les méfaits . Reste à savoir à qui incombera
l'office de justicier : le sort désigne Luigiello, le
propre frère dç Sesella. Ce tirage au sort est
exactement conforme aux us et coutumes de la
société de la Camorra.
Maria, la mère, mise au courant de ce qui se
passe par Taniello, l'idiot, une espèce de Quasi-
modo qui se glisse partout sans éveiller de dé-
fiance, voudrait empêcher l'enlèvement de sa
fille et le meurtre où Ton pousse son fils. Éper-
due, elle en arrive à faire à sa propre enfant la
confession la plus douloureuse pour une mère;
elle lui avoue entre deux sanglots, qu'elle a cru
jadis, elle sCussi, aux beaux discours de ce Ciccillo
qui la séduisit puis l'abandonna il y a quelque
vingt ans : c'est le secret et le remords de toute
sa vie.
La scène entre Maria, la mère, et Ciccillo
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220 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
n'est pas moins belle : après lui avoir rappelé
leurs amours passées elle le prie, le conjure de
renoncer à ce nouveau caprice; de prendre en
pitié Finnocence de Sesella, et comme pour
toute réponse ce misérable ricane et la repousse,
elle lui plonge une lame dans le cœur-afin d'évi-
ter la honte pour sa fille et le bagne pour son
fils, qui, obéissant aux ordres des camorristes, se
préparait à assassiner Ciccillo.
Néanmoins — faute de celte brochure introu-
vable — un doute m'est resté dans l'esprit. Lui-
giello n'était-il pas le fils de Ciccillo? Gomme
combinaison dramatique ce serait logique. La
mère, en punissant le coupable, n'a-t-elle pas
aussi comme motif celui d'empêcher le fils de
tuer son përe ? Mais iallez donc éclaircir ce mys-
tère avec des voisins de stalle qui n'en savent
pas plus long que vous, une pièce que Ton
n'affiche plus une fois de la saison, une bro-
chure absolument inconnue chez les libraires,
et un éditeur qui n'existe plus î
Qu'il me suffise de constater que M"* A. de
Crescenzo (la mère) est une excellente actrice de
drame, que G. Gosenza, qui tient d'ordinaire
remploi du Giiappo est tout à fait Tacteur qui
convient pour le personnage de Ciccillo; qu'un
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XES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 221
comédien fort intelligent, A. Crispo, mais
dépourvu de moyens physiques, de voix surtout,
a tracé d'une façon remarquable le type de Tidiot
Taniello ; quant à G. De Martino qui, ce soir,
par exception, jouait sans masque, il a dessiné
d'une façon fort originale la figure d'un homme
du peuple très ennemi des luttes et du bruit, per-
sonnage de second plan.
Lorsque A. Pctito, qui fut le plus célèbre
Pulcinella de ce siècle qui finit, en avait assez
de jouer sous le masque auquel le condamnait
son emploi, il laissait là la blouse blanche et le
pantalon blanc, et apparaissait à visage décou-
vert sous la casaque de Pascariello.
Quelle différence existe-t-il entre Pulcinella et
Pascariello ? Je vais prendre une comparaison
empruntée à notre théâtre afin de me faire
mieux comprendre; vous connaissez tous ces
deux petits chefs-d'œuvre de M""® de Girardin,
la Joie fait peur, et le Chapeau dhin horloger. Eh
bien ! dans la première de ces deux pièces, le
vieux Noël, serviteur fidèle, simple, bon, dévoué,
c'est le type, des pieds à la tête, de Pascariello.
Dans la seconde, au contraire, le domestique
ahuri, brouillon, stupide, gaffeur, quoique plein
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222 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
de cœur, c'est le type de Pulcinella. Le premier
relève de la haute comédie et ne prête jamais à
rire : il fera pleurer au besoio. Le second
relève de la farce, il est volontairement gro-
tesque et bouffon.
G. De Martino, le successeur d'A. Petito, pour
rester fidèle à la tradition, et aussi pour mon-
trer qu'il sait jouer sans masque, se plaît à
endosser de temps à autre — bien que rare-
ment — la défroque de Pascarîello. C'est à Tune
de ces tentatives à laquelle j'ai assisté, et dont je
veux rendre compte avant de prendre congé du
Nuovo.
La pièce de ce soir s'appelait Pascariello qui
de simple campagnard devient riche ^ comédie en
deux actes de G. MaruUi « chef-d'œuvre de l'an-
cien répertoire du théâtre San Carlino » dit
l'affiche.
A vrai dire, j'avais des raisons pour me méfier
des productions originales de G. Marulli que j'ai
pris la main dans le sac. En bouquinant dans les
rues de Napies je mis un jour la main sur une
petite brochure de cet auteur portant le titre
fort alléchant de : Une horloge^ Un chapeau et un
fou^ ou Pulcinella serviteur imbécile et cru por-
teur de billets doux par une étrange combinaison.
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LES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 223
Mais je n'avais pas plutôt ouvert le livret que je
reconnaissais une traduction en napolitain du
Chapeau d'un horloger cité plus haut.
Giacomo MaruUi avait devancé Scarpetta !
Or, Pascainello devenu riche n'est qu'une imi-
tation d'un de nos vieux vaudevilles, Bruno le
fileur^ et du reste Scarpetta dans ses derniers
Mémoires nous déclare que cette pièce de Petîto
se jouait isous le nom de Pascariello filatore du
temps dé Pelito, rôle dans lequel celui-ci attei-
gnait le comble de l'art comique et dramatique *.
Cette pièce étant donc française, nous n'en
dirons que quelques mots : des héritiers
viennent pour assister à la lecture d'un testa-
ment, et dégustent le vin du défunt. Ces héri-
tiers, ce sont Floriano, le cousin pauvre au
troisième degré ; Eustacchio, le parent riche et
avare ; Angelica la jeune fille honnête et sans
dot; Antonino, le petit cousin roublard qui ne
vise à la main de la cousine que dans le cas où
celle-ci hériterait.
Pascariello, lui, est un brave domestique de
campagne qui pleure sincèrement la mort de
* Da San Carlino ai Fiorenlini, nouveaux mémoires, par
E. Scarpetta, p. 68. •
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224 LE THEATRE NAPOLITAIN
son patron, et qui ne comprend rien à toutes
ces intrigues. Tout comme dans le Testament de
César Girodot la lecture du fameux document est
faite en présence de tous les intéressés, mais à
la surprise générale c'est Pascariello qui est
nommé légataire universel. A cette nouvelle,
l'avare jette les hauts cris, regrette, surtout les
trois francs de voiture qu'il a dépensés pour
venir, s'emporte contre le mort, et s'en va en
disant qu'il va attaquer le testament. La jeune
fille écoute cette décision sans plaisir ni peine.
Floriano se montre le plus adroit en flattant Je
bonhomme Pascariello dont il espère tirer
quelque chose.
- Mais Tambition vient avec la fortune, et Pas-
cariello devenu riche se hasarde à lever les yeux
sur Angelica à qui il fait une déclaration dV
mour à sa manière tout en faisant ressortir son
humilité. Cette scène — qui sent terriblement
son origine — est de la bonne comédie, et
bien jouée par G. De Martino (pour -cette fois
sans masque) et M"^ A. Magnetti. La jeune fille
un peu stupéfaite ne sait trop que répondre mais
promet de réfléchir sur lu décision qu'elle doit
prendre et Pascariello, ivre de joie, tombe dans
lés bras du fermier Girolamo.
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NS 225
Au second acte, Pascariello est marié. Ange-
lica, pauvre, s'est résolue à ce sacrifice mitigé
d'ailleurs par les bonnes intentions de ce brave
campagnard qu'elle essaie de façonner aux
bonnes manières. Quant à Floriano, il s'est fait
donner la place d'intendant. Tout cet acte n'a
d'ailleurs pour but que de nous montrer Pasca-
riello devenu riche, donnant une fête, le fer-
mier Girolamo, invité, ne sachant comment se
servir d'une pince à sucre, et de nombreux ado-
rateurs tournoyant autour de la maîtresse de la
maison jusqu'au moment où le mari ingénu
découvre un billet doux caché dans un bouquet
que Ton adresse à sa femme. Voici donc Pas-
cariello en présence de son rival qui ne fait
d'ailleurs aucune difficulté pour avouer l'in-
succès de sa tentative ; il est prêt du reste à
donner la réparation due au mari.
C'est alors, nous dit Scarpetta, qu'il fallait
juger Petilo dans ce rôle de Pascariello. 11 fal-
lait le voir frémir et pâlir, puis éclater en voyant
son amour brisé, toutes ses illusions déçues !
Une réparation par les armes ! C'est tout cela
qu'on lui propose, à lui, pauvre paysan qui n'a
jamais tenu une épée. Mais la nature reprend le
dessus ; le campagnard timide dans les salons
13.
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226 LE THEATRE NAPOLITAIN
redevient l'homme de la nature, et, mettant
habit bas, Pa^cariello châsse à coups de poings
et à coups de pieds celui qui a voulu lui prendre
son honneur.
N'ayant pas vu A. Petito je ne puis répéter
après tous qu'il était inimitable dans ce rôle.
G. De Martinô qui lui succède, bien que jouant
sans masque, y est fort bien.
Piilcinella duelliste nocturne^ farce classique,
faisait suite. C'est là une de ces vieilles pochades
tellement connues à Naples que l'on ne met
même plus le nom de Taiiteur sur Taffiche. Il
est aussi possible qu'il n'y en ait pas. Ce sont
des scènes renouvelées de la commedia delVarte;
dans ce temps-là — nous parlons" des xvii'' et
xvui® siècles — chaque personnage, sur un ca-
nevas donné, venait débiter devant les chan-
delles tout ce qui lui passait par la tète.
Un jeune homme, avant de demander une
jeune fille en mariage, a Tidée d'envoyer à sa
place et sous son nom son valet, Pulcinella,
tandis qu'il se fera passer pour le valet de celui-
ci. Or voici que dans la maison de la fiancée se
trouve une espèce de bretteur qui a tué en duel
le propre frère de Giovanni, le jeune homme qui
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-228 LE THEATRE NAPOLITAIN
riablement, comme je Tai dit déjà, par un petit
concert dit Concert de variétés dont la direction
-artistique est conflée, au Nuovo, au compositeur
Salvatore Gambardella à qui Ton est redevable
de tant de mélodies napolitaines. Je ne sais où
Gambardella va chercher ses chanteuses, mais
il les choisit toujours jeunes, fraîches et jolies,
de telle sorte que n'eussent-elles qu'un filet de
voix — c'est souvent le cas — ça passe encore.
Souvent aussi ce sont des couples (le mari et la
femme, assez fréquemment) le couple Trombelta,
le couple Dini-Fari, le couple Villani-Tedeschi,
ce dernier très remarquable par la beauté et là
grâce de M™^ Tedeschi, et l'originalité de Vil-
lani qui, d'une laideur peu commune, arrive
à force de talent non seulement à se faire ac-
cepter, mais encore à créer des «. macchiette »
comme on dit à Naples, à esquisser des types
d'une drôlerie incomparable.
Les fêtes populaires ont, à Naples,'une impor-
tance exceptionnelle, et le couple Villani-Te-
deschi a précisément la spécialité de ces chan-
sons .qui s'appellent le Retour de Montevergine
ou de la Fête de Piedigrotta. Pourquoi pas ?
N'avons-nous pas eu En Kvenant dla ffviie qui
fit les délices de nos cafés concerts et qui ne
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232 LE THEATRE NAPOLITAIN
camorra les blessés perdent très vite la mémoire,
et la victime ne se souvient jamais du nom de
celui qui les lui a donnés.
La fête de Piedigrotta, pour avoir perdu un
peu de son importance, n'en est pas moins chère
aux napolitains. Ils s'y préparent de longs mois
à Favance en remplissant une tirelire comme
pour Montevergine et pour Noël. Pendant trois
jours la vie administrative, industrielle et com-
merciale reste suspendue ; on ne songe qu'à
s'amuser à partir de quatre heures du soir, le
8 septembre. Une foule compacte se dirige alora
vers Mergellina et Piedigrotta (le pied de la
grotte, c'est-à-dire vers Tentrée des deux loQgs
tunnels dePausilippe). La nuit tombe, la cohue
devient plus dense, les fenêtres s-illuminent. De
tous les côtés, a raconté M. Marcellin Pellel*,
sur les trottoirs, on boit, on mange — surtout
des lumache^ des escargots cuits dans la sauce
tomate. Voici la cavalcade annuelle des crieurs
de journaux, représentant le cortège du sultan ou
du roi Maure. Chacun crie, joue d'un instrument
susceptible de faire du tapage, tambourins, zer-
* Naples contemporaine, déjà cité. — Les fêtes populaires,
p. 207 et suiv. '
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Le retour de la l"dtc de Piedigrolta, type napolitain par Villani.
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LES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 235
rezzere (énormes crécelles), triccoballacchi (avec
trois marteaux de bois dont deux mobiles), pu-
Hpu, vases de terre cuite (voir notre gravure)
couverts' d'une peau de tambour qu'on tient
sous le ))ras gauche et dont on tire une vibration
sourde en enfonçant une baguette au milieu de la
peau d'âne, — comme à Séville du reste. — Et
les plus civiliâéa jouent de la mandoline et de
la guitare en chantant toute la nuit la chanson
nouvelle primée au concours de Piedigrotta.
Tels sont les types curieux et amusants que
nous représente Villani.
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XIV
COUP D'ŒIL D'ENSEMBLE
SUR LE RÉPERTOIRE DU NUOVO
Le nouveau répertoire. — Imitation de pièces françaises. —
Absence de raison d'être de Pulcinella dans les pièces dites
nouvelles. — Le répertoire du Nuovo pendant trois .mois. —
Trente-cinq ouvrages en cent soixante-trois représentations.
— Surmenage. — Un retour au passé : Altavilla et A. Petito
aux répétitions. — Cotnment déjeunait un Pulcinella de ce
temps-là. — Mœurs simplettes. — Le théâtre de Scarpetta. —
Motifs qui nous ont décidé à donner la place d'honneur à
Pulcinella.
Il me faut cependant constater une chose :
c'est que dans ce genre de théâtre, après les
vieilles pièces de Cammarano, de Schiano, d*Al-
tavilla, d'A. Petito, il faut tirer Téchelle. On di-
rait que cette production d'un caractère si parti-
culier s'est arrêtée du jour où Ton a démoli le
San Carlino. J*ai voulu suivre les représentations
de quelques-unes des pièces, dites nouvelles,
signées généralement Eugenio Ajello. Eh ! bien
cène sont que des ouvrages étrangers dont on
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238 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
cache soigneusement le nom du ou des vérita-
bles auteurs qui auraient bien de la peine à re-
connaître leurs œuvres dans Un médecin fou y un
client imbécile avec Pulcinella médecin et chirur-
gien sans savoir la médecine^ la même comédie
que Ferravilla joue en milanais sous le titre :
Le médecin des dames: — Ou encore : Un mari
espagnol^ un époux américain H une femme fran-
çaise avec Pulcinella comte Las Bergas y Cor-
dones.
Ces pièces sont amusantes et bien jouées, j'en
conviens, mais ce ne sont que des traductions,
et comme nos auteurs qui travaillent pour Cluny,
Déjazet ou TAthénée n'ont jamais songé à écrire
un rôle pour « Pulcinella », il en résulte que
Tacleur qui tient cet emploi d'ordinaire en est
réduit à jouer sous le masque le premier rôle
comique de la nouvelle pièce; le personnage
typique perd du même coup toute son origina-
lité, tout son charme. Dans ce cas — naais dans
ce cas seul, — je trouve que Scarpetta a raille fois
raison de supprimer Pulcinella dans les adap-
tations de pièces étrangères. Il est vrai qu'il le
remplace par un « Don Felice » qui n'a pas plus
de raison d'être même sans masque. Pulcinella,
qu'on le sache bien une fois pour toutes, est né
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Phol. A. Ricciardi, Napks.
PuKinella et le Guappo. (G. De yartino et Cosenza.)
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COUP D OEIL D ENSEMBLE 241
entre Santa Lucia et la Porta Capuana. Il est
napolitain de la tête aux pieds, et toutes les '
tatives faites pour le dépayser échoueront.
J'ai eu la curiosité, pour donner au le(
une idée de ce répertoire napolitain, de i
pendant trois mois toutes les représentatior
Nuovo. On pourra se rendre ainsi compi
Tétrangeté des titres ou du travail écrasai
ces artistes qui, toujours les mêmes, rép
toute la journée et jouent deux fois chaque
de sept heures du soir à une heure du mi
RÉPERTOIRE DU THÉÂTRE NUOV
DU l^*" JANVIER AU 30 MARS 1900
Nombre de représe
Titre des pièces. de jour et de i
pendant ces trois
1 . La maison de Don Pasquale Chierchia avec Pul
cinella embrouillé entre une femme et des
amoureux . » .
2. Pulcinella qui va trouvant son sort par les rues
deNaples.
3. Au premier et au second étage en haut du quar
lier de la Santé avec Pulcinella serviteur pleir
de cœur
4. Le voyage de deux jeunes mariés avec Pulci
nella qui passe pour chien caniche ....
5. Un mari espagnol, un époux américain et un(
femme française avec Pulcinella comte Lai
Bergas y Cordones .
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242 LE THKATRE NAPOLITAIN
6. Palummella avec Pulcinella premier aide de
camp du sieur Pepe 8
7. Les tribulations d'un ministre 6
8. La grève des cuisinières 2
9. Le campagnard du Vomero pu quatre comédies
dans une avec Pulcinella serviteur ignorant. 2
iO. Les cent disgrâces de Pulcinella 2
11. Le retour de Pulcinella des études de Padoue . 2
12. Un mari français et une femme espagnole. . . 2
13. Pulcinella meunier protégé et sauvé par la fée
Séraflnette 2
14. Le capitaine Fracasse avec Pulcinella marquis
supposé 2
15. Pulcinella qui fait tric-trac 2
16. L'ami Fogliamolla avec Pulcinella sculpteur
ignorant 6
17. La fille de Tours et le petit Félix cru un mou-
tard d'un an par Pulecenella Ce trulo. ... 2
18. Un mari rageur avec Pulcinella geôlier de D.
Picchio Pellechia 2
19. La'veille de Noël ' . . . 2
20. Sonate de guilare et Pulcinella époux promis
d'une dame et mari d'une servante 2
21. Un palais aux enchères avec Pulcinella épou- •
vanté par l'ombre de la dame blanche ... 2
22. Est-il mort ou devenu sourd? avec Pulcinella
tourmenté le jour de son mariage Z
23. Un bon fils avec Pulcinella serviteur imbécile . C
24. La belle fée de Buvero de lo Rito avec Pulcinella
épouvanté par des ombres et des diables . . 2
25. Deux faiseuses. d'embarras heureuses avec Pul-
cinella baron Scassacanero supposé 2
26. Un médecin fou et un client imbécile avec Pul-
cinella médecin et chirurgien sans savoir la
médecine
27. La tante de Ciccillo. (La marraine de Charley.) 2
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COUP D OEIL D ENSEMBLE 24?
28. Le fils de Don Nicola, avec Pulcinella poursuivi
par une vieille rageuse ^
29. Santarella (Mam'zelle Nitouche) 6
30. La Carrera mise en rumeur par deux Andréa
et deux Pulecçnielle 2
31. Un bal masqué au théâtre du Fondo, et trois
dominos roses avec Pulcinella mari qui trompe
sa femme - /. . 4
32. Le cinématographe, revue de l'année 23
33. Don Felice et D. Pipetto enfournés comme des
petits pains avec Pulcinella amant infortuné . 4
34. Un plat napolitain avec Pulcinella acteur Ira-.
gique (pastiche du vieux vaudeville les Folies
Dramatiques) 4
35. Deux maris pour une femme avec Pulcinella
m.ari heureux 2
.35 163
D'où il résulte qu'en trois mois, cette compagnie
dramatique a représenté 35 ouvrages différents,
. presque tous eil 3 actes, qu'elle a joué 163 fois en
public^ et qu'elle n'a eu comme relâche que les
vendredis, jour où le théâtre, principalement en
temps de carême, reste fermé.
Comment ces comédiens font-ils pour monter
une pièce avec une ou deux répétitions, et cela
presque chaquejour, voilà ce que je ne me charge
pas d'expliquer. L'on me dira fort bien qu'un
acteur comme G. De Martino qui, depuis plus de
vingt ans, tient l'emploi du Pulcinella, sait sur le
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244 Ï^E THEATRE NAPOLITAIN
bout du doigt toutes ces farces qui, au total, sont
toujours les mêmes. Soit. Mais les raccords, l'en-
semble ? Voilà pourquoi je persiàte à dire que ce
genre de théâtre est passablement parent de la
commedia delfArte, Ce n'est plus notre théâtre.
C'est autre chose.
Scarpetta, dans ses Nouveaux mémoires, en
parlant de la compagnie du San Carliho, dont il
faisait partie, nous a initiés à cette vie de derrière
la toile. Les répétitions commençaient le matin,
dès neuf heures et demie. Toujours arrivé le
premier, le vieil Altavilla s'asseyait sur le seuil
de la porte qui conduisait à la scène, puis atten-
dait ses camarades en faisant là, en plein air, son
modeste déjeuner — et quel déjeuner ! un sou de
tarallini ou de châtaignes qu'il mangeait tout
doucement, tandis qu'un garçon du théâtre col-
lait à la porte Taffiche annonçant le spectacle du
soir, ce spectacle où il entrait bien pour les trois
quarts à lui tout seul, comme auteur, acteur et
joueur de guitare ; car, le directeur qui ne le
payait guère que vingt ducats par mois (90 fr.)
— au dire des Concourt — avait l'autorisation
dans chacune de ses comédies, déjouer un air
de guitare — qu'il pinçait très bien. Le public
alors, — c'était un usage — lui jetait quelques
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245
SOUS sur la scène — pauvre artiste ! et ces quatre
carlins supplémentaires recueillis dans les deux
représentations du jour et du soir, venaient lui
augmenter sa paye d'environ un franc quatre-
vingts centimes tous les jours. Voilà toute l'ex-
plication de la vie napolitaine : ces gens-là n'ont
pas de besoins, et Scarpetta qui vivait à ses côtés
vient de vous dire qu'Altavilla lui-même se con-
tentait d'un sou de châtaignes pour déjeuner !
Antonio Petito, lui, exact comme une horloge,
petit détaille, un peu replet, sa large figure rasée
de frais, avec l'aspect d'un curé de campagne,
arrivait aussi à neuf heures et demie à son cher
théâtre, et pour ne pas perdre de temps commen-
çait son déjeuner sur le seuil de la porte des
.artistes ou sur la scene.hepizzaiuolo(]^aii expli-
qué déjà ce qu'est la. pizza) et le vendeur de fri-
tures, deux vieilles connaissances du vicolo Tra-
vaccari, avaient en lui un de leurs plus fidèles
clients.
— Don Antô, criaient.-ils, voyez ! voyez ! chaud !
chaud! tout chaud ! Che bella cosa! Don Antô!
Et Don Antô lirait lentement deux sous de sa
.poche en échange d'un morceau àe pizza exha-
lant des senteurs de basilic et d'origan, qu'il se
mettait à croquer en piedjusqu'au moment d'en-
14.
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246 LE THKATRE NAPOLITAIN
trer en scène ou à l'arrivée de son ami Luzi, le
directeur. Alors, comme s'il eût honte de manger
ainsi, il faisait disparaître dans les vastes poches
de son habit tout ce qu'il tenait à la main, de
telle sorte que celles-ci devenaient une espèce de
buffet ambulant où il allait puiser entre deux
scènes pendant la répétition.
Mœurs simplettes qui se sont un peu modifiées
avec le temps, et je ne suis pas assez ingénu pour
me figurer que les artistes du Nuovo, dont les
premiers sujets sont beaucoup mieux payés que
leurs prédécesseurs, déjeunent ou dînent encore
d'un sou de friture. Mais le comédien napolitain,
contrairement aux autres acteurs italiens qui,
voyageant toute Tannée^ ne peuvent avoir des
habitudes spéciales, est un être absolument à part.
Il naît, vit et meurt à Naples — et Naples, nous
ne cesserons de le redire à chaque page — ne
ressemble en rien à tout le reste de l'Italie. C'est
pourquoi j'ai voulu étudier ce théâtre absolument
à part, comme je l'ai fait, car, si les théâtres mila-
nais, piémontais ou vénitiens peuvent se rappro-
cher par de certains côtés du théâtre italien, il
n'en est pas de même du théâtre de « Pulcinella ».
Quant aux lecteurs italiens ou napolitains qui,
m'ayant fait Thonneur dé me suivre jusqu'ici,
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248 LE THEATRE NAPOLITAIN
napolitain. Cela fait, j Irai voir ce qui se passe aiix
Fiorentini. Je n'aurai guère d'ailleurs que la rue
Toledo à traverser.
Je ne nie donc en aucune façon que le théâtre
de Scarpetta ne soit infiniment plus comme il
faut, plus à la mode, que le public n'en soit plus
choisi, que les mises en scène n*en soient plus
soignées, que les ensembles n'en soient meilleurs.
Mais enfin — jouons caries sur table — ces
fameuses « réductions » sont des traductions,
n'est-ce pas?
Eh bien ! à Naples, il fallait bien que je m'oc-
cupe d'abord des comédies foncièrement et fran-
chement napolitaines î
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!'fll!AJ|B|.5pPl'J'l", .1 -*'
XV
EDUARDO SCARPETTA
Les deux autorités de Naples : M»» M/ Serao et Ed. Scarpetta.
— Il Mattino et la petite correspondance de Gibus. — Ouver-
ture du théâtre des Fiorentini . -r- Un Chien bâtard, — Une
déception. -— Traduction et réduction. — Où la réforme ? —
Origine de Scarpetta. — Mémoires de Don Felice. — Histoire
de ses débuts. — D'où lui vient ce nom de Don Felice.
A Naples, il y a deux autorités indiscutables
— pour les Napolitains : M""® Matilde Serao et le
cav. uff . (officier de la Couronne d'Italie) Eduardo
Scarpetta.
M""* Matilde Serao est la femme de lettres bien
connue dont les nouvelles ont été traduites dans
diverses langues. Après avoir dirigé pendant
plusieurs années le Corriere di Napoli avec son
mari, M. Ed. Scarfoglio, un journaliste de talent,
tous deux fondèrent en i8^2il Mattino pour faire
concurrence au précédent. M. Scarfoglio y signe
ses articles politiques sous le nom de « Tartarin »
et tt)ut bon napolitain veut lire chaque matin,
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250 LE THEATRE NAPOLITAIN
Moscojii (grosses mouches) ainsi que la Petite
correspondance sous la signature de Gibus (lisez
M™* Malilde Scrao) . — Tout le monde veut savoir
ce que pense M"® Serao sur telle ou telle chose :
« Quelle est la pierre qui protège ceux qui sont
nés au mois d'avril? » écrit l'un — C'est la pierre
d'améthiste, répond M™* Serao, le plus grave-
ment du monde/ ce dont les petits journaux
adverses comme Monsignor Perrelli font immé-
diatement leurs gorges chaudes en indiquant une
distribution de pierres à tous les rédacteurs du
Mattino^ sans oublier la pierre infernale !
C'est ensuite un fiancé qui ne sait pas com-
ment correspondre avec Vinnamorata qui, paraît-
il, est étroitement gardée à vue : « Entendez-
vous avec la camériste ou avec la concierge »
répond l'obligeante Gibus,
Quelquefois les correspondants s'attirent de
vertes réponses, telles que ; « Les romans de
Dickens vous font dormir, dites-vous. Vous êtes
stupide. »
Et allez donc !
Mais c'est surtout sur le chapitre savoir-vivre
que Gibus en rendrait des points à toute la terre :
A une jeune épouse : — « Non, madame, on
n'élend pas ses draps sur son balcon, et votre
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[
|A^R. M. OEnkfl
Eduardo Scarpetla.
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EDUARDO SCARPETTA 253
mari a parfaitement raison de vous le défendre. »
Ça vous apprendra !
Ou encore une indication : « gants tourte-
relle ». Gibus Ta dit, il n'y a plus d'appel. Tan-
tôt à un amoureux déçu : « Ne vous désolez
donc pas comme ça... Cherchez-en une autre. »
Conseil très sage. Ou à un autre trop pressé :
« Envoyer voire photographie dans une première
lettre d'amour, c'est un peu prématuré ». Ça sert
de frein; ainsi de suite. Cette petite correspon-
dance qui donne une triste idée de l'état d'esprit
^és demandeurs fait la joie des badauds. Puis,
quand on a fini de parler de Gibus^ de son savoir-
vivre et de sa petite correspondance, on parle
immédiatement de Scarpetta.
Scarpelta est acteur, auteur, directeur ; je
regrette de ne pas savoir s'il est compositeur. Il
le serait que cela ne m'étonnerait nullement. Il
est tout, il sait tout, il fait tout, il n'y a que lui,
il n'y a que lui !
Quand j'arrivai à Naples, l'on me demanda
immédiatement si je connaissais Scarpetta. Mais
comme sa réputation est plutôt une réputation
locale, je dus avouer que je ne l'avais pas encore
vu.
— Eh bien ! vous arrivez à point, me dit-on.
15
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254f LE THKATUE NAPOLITAIN
C'est ce soir Touverlure de la saison, au théâtre
des Fioi^entini. Tout le Naples élégant y sera.
N'y manquez point.
— Que joue-t-on ?
— Un Cane bastai^o^ un chien bâtard, comme
qui dirait un gêneur.
— De qui la pièce ?
— Cela ne se demande pas : de Scarpetta,
pardieu î
J'allai retenir ma place et voici tout simple-
ment la petite mystification dont je fus victime
et qui influença considérablement sur les juge-
ments que je voulus porter par la suite sur cet
artiste dont on ne saurait méconnaître pourtant
ni l'activité ni le talent.
Le théâtre des Fiorentini^ situé au centre de
Naples, au milieu d'un labyrinthe de ruelles^
non loin de la via Toledo, ne paie pas d'appa-
rence à l'extérieur. A Tintérieur, c'est une
coquette salle, très élégante, un peu plus grande
que la salle du Palais-Royal. C'est un théâtre
très ancien, ou l'on joua longtemps en florentin
(c'est-à-dire en italien) tandis q^ue les autres
théâtres jouaient en dialecte napolitain, et ce fut
toujours — qu'il fût question de prose ou. de
musique — une salle des plus :à la mode. Ce
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EDUARDO SCARPETTA 255
soir-là, elle était absolument bondée du parterre
au cintre, et j'allai prendre place à mon fauteuil
non sans relire le programme que je m'étais
procuré en entrant : « Un chien bâtard, réduc-
tion de Ed. Scarpelta. »
Vous avez bien lu ce mot-là « réduction. » Ça
n'a Tair de rien, et c'est tout. La toile se lève, et
j'assiste à une représentation du Voyage de Ber-
itiron^ traduit moitié en italien, moitié en dia-
lecte napolitain. Le « Chien bâtard » est tout
simplement le chien qui ravage le jardin de Ber-
luron, et contre qui celui-ci tire son malencon-
treux coup de fusil. Comprenez-vous à présent
le « truc de la réduction » ? Mais le nom des
vrais auteurs, direz-vous, le titre de la pièce
française? Cherchez si vous pouvez. Le nom de
M. Scarpetta est le seul sur l'affiche, et la pièce
s'appelle « Un chien bâtard. »
Ce cas n'est pas nouveau pour moi. Je Tai
déjà signalé en parlant du théâtre piémontais à
Turin. Croyant aller voir jouer « Vingt-quatre
heures à Turin » de M. Dellacorte, j'avais
dû assister à un épouvantable massacre de la
Cagnotte.
Mais, direz-vous, ces théâtres en dialectes
n'ont aucune importance. A ces mots, je vous
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256 LE THEATRE NAPOLITAIN
arrêterai net : ils en ont beaucoup. En Cata-
logne, en Piémont, dans le Milanais, dans la
Vénétie, à Naples, les théâtres catalans, pié-
montais, milanais, vénitiens, napolitains ont une
certaine importance, et la preuve, c'est qu'à
Naples, où j'écris ces lignes, sept théâtres sur
douze jouent en dialecte napolitain. Santarellina
(Mamzelle Nitouche)^ a été jouée plus de cent
fois devant des salles pleines. Ce « Chien bâtard »
(le Voyage de Berluron) en était à sa quaran-
tième quanti je l'ai vu. - .
Les véritables auteurs le savent-ils? Et s'ils le
savent pourquoi laissent-ils « tripatouiller » leurs
ouvrages au point quelquefois de ne les plus
reconnaître; pourquoi n'exigent-ils pas que leurs
noms flgurent sur l'affiche?
Vous me répondrez peut-être que ces « réduc-
tions » sont faites avec la pleine approbation
des vrais auteurs. Alors je n'ai plus rien à dire,
sinon que leurs ouvrages n'y gagnentpas!
Je sortis donc des Fiorentini très déçu. J'avais
vu sous un nom d'emprunt une pochade fran-
çaise archiconnue, jouée par quelques artistes
assez consciencieux, à la tête desquels figurait
naturellement Ed. Scarpetta, bon comédien,
cela va sans dire, mais du genre grimacier. Ainsi
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Scarpetta. — Don Felice.
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teDUARDO SCARPETTA 239
un des tics de Scarpeita consiste à fermer
œil et à tirer la langue ; j'ignore si cela ph
Naples, bien que j'entende dire autour de
que c'est toujours la même chose et qu'à la
cela devient un peu lassant. Mais on voit s
peine que ce sont là des façons d*enfant gâté.
mot est juste, car Scarpetta est Tidole du pu
napolitain ; on lui passe tout, et chaque
qu'il s'approche de la rampe en clignant de 1
il semble dire : attendez ! vous allez voir con
je vais être drôle ! Drôle peut-être pour
habitués. Pour les autres, cette précaution si
rait pour leur faire passer toute envie de rin
II ne faudrait pas croire par ce qui préc
que je nourrisse quelque rancune contre ce
estimable comédien. Je ne le connais pas, j(
lui ai jamais parlé, et je ne Tai jamais vu qi
bout de ma lorgnette, comme disait n(
« oncle » Sarcey. Je ne demande donc qu'à <
impartial. Mais il est un peu agaçant de voir
monsieur s'intituler Vauteiir d'une foule
pièces que Ton a déjà vues ailleurs et se pj
ainsi des plumes du paon pour le plus grand é
hissement des napolitains qui se figurent ai
dans leurs rnùrs un nouveau Goldoni. Scarp(
est un artiste fort honorable qui tiendrait c
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260 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
nous une bonne place au Palais-Royal, à Gluny,
dans des théâtres de genre, mais sapristi ! il ne
faut rien exagérer. Il a voulu supprimer le vieux
répertoire napolitain, et avec lui Pulcinella, et
je ne discute pas ses raisons; le vieux répertoire
se porte très bien au théâtre Nuovo, et Pulci-
nella aussi. Mais je ne vois pas bien — puis-
qu'il s'agit du théâtre napolitain, ne l'oublions,
pas — par quelle autre originalité il l'a rem-
placé ? Par des pièces étrangères traduites, muti-
lées, réduites, dans lesquelles il prend invaria-
blement le premier rôle comique sous le nom
immuable de Don Felice? Franchement Ton n'a-
vait pas besoin de lui pour semblable besogne, et
toutes les compagnies italiennes qui se respectent
donnent ces pièces dans leur intégrité, en vertu
d'un bon traité en règle avec les auteurs dont
on met le nom sur l'affiche. Rien n'est plus juste,
rien n'est plus loyal.
Je n'en veux nullement à Scarpetta, croyez-
le bien, mais l'on me permettra bien de le dis-
cuter commme rénovateur ou réformateur du
théâtre napolitain, puisque c'est pour tel qu'il se
donne. Car enfin, qu'a-t-il réformé? Il a banni
Pulcinella de son théâtre sous prétexte que ce
bouffon légendaire avait fait son temps, et qu'il
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261
était aussi peu naturel de voir dans chaque
pièce un personnage habillé en blanc et masqué
de noir, que si Tun de nous se rendait à une
cérémonie de notre temps habillé en sauvage ou
en mousquetaire. Je vous raccorde : mais c'est
le cas de tous les masques de l'ancienne comédie
italienne, d'Arlequin bariolé des pieds à la tête et
masqué, de tous les personnages de convention.
Donc, à ce vieux théâtre napolitain, dédaigné
bien à tort, il aurait fallu substituer tin théâtre
napolitain nouveau. Mais à la place de ces pièces
populaires d'une saveur si particulière vous
allez me mettre des traductions de pochades
diverses en appelant le premier personnage
Don Felice ! La belle avance ! Ayez donc le cou-
rage de votre opinion, soyez chair ou soyez
poisson, et appelez un chat, un chat!
Qu'est Scarpetta? D'où vient-il? D'où sort-il ?
Lui-même va se charger de nous le dire dans
son livre Don Félice, ses propres « Mémoires »
qu'il écrivait à l'âge de trente ans! Il paraît qu'à
Naples, comme autre part, il n'y a plus d'enfants !
Donc, faisant appel à tous ses souvenirs, le jeune
auteur nous fait l'aveu qu'il est né à Naples le
13 mars 1833 d'une honnête famille de petits
bourgeois. Ayant eu le malheur de perdre son
V6.
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262 LE THEATRE NAPOLITAIN
père dès Tàge de quinze ans, il fallut songer à
chercher un état. Le démon de Tart dramatique
le tourmentait. Bref, il se fit engager pour jouer
les petits emplois au San Garlino oh se trouvait
alors un certain Mormone tandis que la compa-
gnie de Luzi (la vraie) étant en représentation au
Nuovo.
Il n'est pas mauvais, soit dit en passant, de sa-
voir comment celui qui s'intitule modestement
V auteur de^Tetillo (Bébé)* sans parler du reste,
jugeait le répertoire de son nouveau patron :
« En ce temps, dit-il, étaient en vogue les vau-
devilles, la Belle Hélène^ Barbe-bleue^ nouveau
genre transplanté de France en Italie pour la ruine
de l'art dramatique, le détriment des acleurs, et
la perversion du bon goût. »
De la part d'un auteur napolitain pur sang,
passe encore ! Mais dans la bouche de celui qui
devait piller ce même répertoire à son profit et
sous son nom pendant trente ans, c'est véri-
tablement amusant n'est-ce pas ? Mais con-
tinuons.
Ce théâtre fermé, le jeune débutant passa à la
place Cavour, au Parlenope. C'est là qu'il devait
* Don Felice, p. 9. « Si, ô lecteurs, le jovial Don Felice, Fau-
teur de Tetillo, etc. »
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EDUARDO SCARPETTA 263
se faire remarquer dans les circonstances que
voici.
On avait repris à ce théâtre FelicieUo Sciosciam-
inocca voleur (Hune pizza^ litre d'une vieille farce
du théâtre napolitain. Ce FelicieUo est un pauvre
petit diable qui, n'ayant pas mangé depuis vingt-
• quatre heures, passe devant la boutique d'un piz-
zaiuolo et qui, perdant la tête à Todeur Ae^pizze
fumantes, se laisse aller à la tentation, vole une
pizza et prend la fuite. Poursuivi par le mar-
chand, il se réfugie dans une maison, grimpe les
escaliers, se précipite par une fenêtre, et va tom-
ber chez un tailleur.
Scarpetta à xjui l'imprésario avait confié ce
rôle de FelicieUo — qu'il ne créa même pas,
comme on le croit généralement à Naples* — s'en
était tiré à merveille. Luzî, le directeur du San
Carlino, attiré par la curiosité, vint en compagnie
de son pensionnaire De Napoli voir jouer le dé-
butant, le trouva à son goût et l'engagea. Mais
lui ayant distribué un rôle dans une pièce du ré-
pertoire, il persista à mettre sur Taffiche, au lieu
du nom du personnage, celui de Felice Sciosciam-
mocca en face de celui de Scarpetta.
* Don Felice, p. 103 : « C'est le titre d'une pochade du vieux
théâtre napolitain ». Mémoires de Scarpetta.
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264 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
— A partir d'aujourd'hui, dans toutes les co-
médies, lui dit-il, nous t'appellerons toujours
Felice Sciosciammocca.
Laissons la parole à l'intéressé :
« Ce baptême me parut curieux, déclare-t-îl ;
mais je n'osai pas protester. Dans toutes les co-
médies du théâtre San Carlino figuraient cons-
tamment Piiicinella Cetrulo, Don Asdrubale Bari-
lotto^ Don Anselmo Tartagliû^ il Guappo napoli-
tano. On voulut y ajouter Feliciello Sciosciant-
mocca^ je n'y vis pas grand mal : c'était un nom
comme un autre. »
Voici donc Scarpetta condammé à se fairç ap-
pelé Don Felice dans toutes les pièces, quelque
rôle qu'il jouât, et si nous entrons dans tous ces
détails, c'est parce que nous allons voir bientôt
ce même Don Felice s'indigner de ce que dans
toutes les pièces du théâtre napolitain il y eût un
personnage qui s'appelât Pulcinella! Tant il est
vrai qu'on voit la paille dans l'œil du voisin...
Don Felice^ seul, unique, inimitable; Don Felice
et c'est assez. Que vient faire ce gêneur de Pul-
cinella qui encombre les planches depuis trois
siècles?
Je ne veux pas changer un mot à ce qui
suit :
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EDUARDO SCARPETTA 265
« Je joue dans la comédie du répertoire —
c'est Scarpetta qui parle, nalurellement — et je
suis applaudi comme les autres soirs. Mais à
peine la première représenlalion était-elle finie
(l'on sait qu'au San Carlino Ton donnait deux
représentations par jour) queLuzi me fait appe-
ler et me demande, avec un certain air de re-
proche, pourquoi je n'avais pas joué mon rôle de
la même façon que dans Feliciello voleur d'une
pizza. Je tombai des nues. Mais, voulant me jus-
tifier, je répondis respectueusement : « C'est
parce que j'ai pensé qu'il s'agissait de tout autre
chose. Je ne vois pas bien le type de Feliciello
dans la comédie de ce soir. Excusez ma franchise
mais cela viendrait un peu. à la façon de Pilate
dans le Credo.
« Eh bien ! reprit T imprésario cela devra
être toujours ainsi. Je n'admets pas de raison-
nements, et ce sont là des prétextes qui ne tien-
nent pas debout. Je sais ce que je dis, et je suis
vieux dans le métier, mon cher ! C'est décidé :
tu seras toujours Feliciello voleur d'une pizza et
tu parleras toujours de cette manière. Je veux
avoir le mérite d'avoir créé ce nouveau caractère. »
Le jeune artiste avait besoin de gagner sa vie,
il noTépondit rien. Mais sa conscience s'irritait
I
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266 LE THEATRE NAPOLITAIN
contre une prétention aussi absurde. Que le per-
sonnage, au lieu de s'appeLer Ambrogio, Barto-
lomeo ou Nicola s'appelle invariablement Don
Felice, passe encore, se disait-il. Mais que je de-
vienne un type unique, un pantin, une marion-
nette ! non, jamais. Patience ! Je n'en ferai bien
qu'à ma tête. »
C'est ainsi que le jeune Scarpetta, après avoir
commencé à suivre les instructions de son im-
présario, chercha peu à peu à sortir de son moule.
Il n'en avait pas moins été baptisé Do7i Felice,
nom qu'il porte encore dans toutes les pièces.
Du type obligatoire de Felice il n'était resté que
le nom.
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^^"^î^t^^^;
XVI
GUERRE OUVERTE A PULCINELLA
Décadence du San Carlino. — Le rêve de Scarpetta. — Con-
damnation des Masques. — Plan de réforme. — Pillage des
répertoires italien et français. — Don Felice directeur. —
Arguments contre Pulcinella. — Traditions et conventions. —
Don Felice à la mode. — Théâtre hybride. — Ce qu'en pense
M. ^. Verdinois. — Sciosciamocca n'a rien inventé.
Quelles sont à présent les raisotis qui allaient
pousser Scarpetta -Don Felice à déclarer une
guerre sans trêve et sans merci à Pulcinella, et
par conséquent au vieux théâtre napolitain ? Ces
raisons, il a pris soin de nous les dire lui-même.
La mort de Petilo, survenue le 24 mars 1876,
avait porté un coup terrible à rentreprise du
San Carlino, et Giuseppe De Martine, appelé à
le remplacer, était encore trop jeune pour avoir
assez d'autorité sur le public. Le 22 juillet 1877
Imprésario Luzi avait lui-même disparu de ce
monde. C'était la fermeture à bref délai. Mais
rien ne vaut la prose de Scarpetta :
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268 LE THEATRE NAPOLITAIN
« Oh ! mon rêve ! mon rêve doré depuis tant
d'années (notez que celui qui parlaft ainsi, à
cette époque, n'avait pas encore vingt-cinq ans).
Remettre en honneur le théâtre napolitain 1 Oh !
une réforme... Une réforme est nécessaire et
désirée I... Il faut que Tart comique, ayant brisé
les chaînes dans lesquelles il se débat, s'affran-
chisse d'un conventionnel baroque et ennuyeux,
privé d'esprit et de bon sens. Il faut envoyer au
diable les parodies et toutes les farces avec mas-
chère (avec masques, c'est-à-dire avec person-
nages typiques) lesquels tournent tôujours.sur
le même pivot et avec leurs mêmes personnages
ressemblent au jeu d'échecs où chaque pièce
marche toujours de la même manière... Assez,
une bonne fois, des Cassandre, des Don An-
selmo^ des Colombine^ des Rosaure^ des Pulci-
nella ; que Naples ait aussi son bon théâtre en
dialecte avec des ouvrages bien écrits, des scènes
dépourvues d'invraisemblances... Il faut faire
vrai et non pas de la prestidigitation... »
Bref, l'auteur des Mémoires de Don Felice
nous déclare que son plus grand ^ésir aurait élé
de prendre tous ces décors, tous ces trucs qui
avaient servi tant de fois aux apparitions, aux
disparitions, aux apothéoses, aux résurrections.
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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 269
de les entasser sur la voie publique et d'y mettre
le feu tandis que les gamins du quartier auraient
dansé une ronde folle tout autour de ce feu de
joie.
Voilà un beau plan de réformes, ou je ne m'y
connais guère, et il est clair que celui qui con-
çoit de telles choses va nous donner un théâtre
napolitain tout nouveau avec des personnages
très variés.
Scarpetta nous dira lui-même comment il s'y
prit* : « A bas les masques !... Et je mis en
scène la comédie Tetillo réduite du français,
Bébé^ laquelle fut jouée 40 soirs de suite... Met-
titeve a fa Vammore cou me^ réduction en deux
actes de la comédie italienne : Fatemi la corte;
Duie marite mbritglhme, réduction de la co-
médie française les Dominos roses,.. »
Avez- vous compris la réforme ? — Ces pauvres
et braves gens qui s'appellaient Caramarano,
Altavilla, Petito y allaient bon jeu, bon argent.
Ils prenaient leurs sujets où ils pouvaient, dans
leur milieu, et bâtissaient des pièces napolitaines
à leur manière avec Pulcinella, le bouffon napo-
litain par excellence. A défaut d'autres qualités
* Don Felice, p. 148.
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270 LE ïHÉATREi NAPOLITAIN
on ne pouvait leur reprocher l'originalité à
ces pièces ! Eh bien i M. Scârpetta est venu,
a vu, a vaincu. Au lieu d'aller à la chasse il
achète le gibier tout cuit chez le restaurateur
d'à- côté. C'est infiniment plus commode, et
voilà le théâtre napolitain réformé ! Enfin pour
ne pas ressembler à ces pièces du jeu d'échecs,
— qui, cofnme il dit fort bien, marchent tou-
jours de la même manière — il se donne dans
toutes les comédies le nom de Dou Felice,
prend le même petit chapeau à bords plats, les
mêmes pantalons trop courts, les mêmes petits
souliers découverts. Le public napolitain est un
bien bon public, en vérité.
Entre temps, vous l'avez compris, Don Felice
était devenu directeur, et comme ce nouveau
répertoire italien, français etc. n'était pas encore
connu en dialecte napolitain, rintelligent Scar-
petla fit rapidement des aflaires d'or. L'idée était
heureuse; mais ayant l'imagination très vive
et prenant ses désirs pour la réalité^ ce brave
artiste n'en resta pas moins intimement con-
vaincu qu'il avait réformé le théâtre et que les
« réductions » qu'il faisait,. comme il dit, étaient
des pièces de lui !
Pulcinella, momentanément terrassé, n'avait
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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 271
donc plus qu'à battre en retraite devant son
jeune et audacieux adversaire Don Felice, mais
il ne suffisait pas de chasser des planches du
San Carlino le vieux bouffon populaire qui avait
fait rire tant de générations ; il fallait Tenterrer
une bonne fois pour toutes, et Scarpetta, pour
compléter son œuvre, ne cessait d'entasser ar-
guments sur arguments :
— Voyons ! s'écriait-il, avez-vous jamais vu
des visages qui puissent servir de modèles aux
masques de Pantalon^ d'Arlequin,, de Pidcinella?
Si Ton veut, aujourd'hui, que les acteurs mo-
dernes paraissent tous à visage découvert, c'est
par homtnage pour l'art, pour la vérité. On dit
que le visage, Tœil particulièrement, est le mi-
roir de Tâme ; couvrez d'un morceau de carton,
de cuir ou de soie le visage d'un homme...
bonne nuit! Cette figure restera dans l'obscu-
rité ; c'est comme si vous lui aviez coupé la tête.
Mais ce que Ton ne s'attend guère à trouver
dans la suppression de Pulcinella c'est « le bien
du pays » ! Je n'exagère pas; écoutez ! « Sup-
primer les masques^ c'est travailler pour te bien
du pays. » Vous ne comprenez pas, n'est-ce
pas ? Eh bien ! Coviello n'est-il pas un fourbe?
Spavienta un spadassin? Arlequin un imbécile
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272 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
malicieux ? Le Gnappo napolitain une espèce de
souteneur? A quoi bon, je vous le demande,
exhiber toutes ces laideurs morales, en public?
— Mais, pourrions -nous répondre, n'est-il
donc pas convenu que la comédie est une satire
des mœurs ? MoHère, Goldoni, tous les grands
auteurs dramatiques, ont mis de tout temps en
scène des caractères. Que diriez-vous d'un ou-
vrage où tous les personnages seraient des saints?
Non seulement ce serait profondément ennuyeux
pour le public, mais ce serait absolument con-
traire à la vérité. Trouvez-moi donc une société
où il n*y ait ni fourbes, ni bravaches, ni sots,
ni gredins. Tout le monde, que diable, ne peut
pas être coulé dans le moule de Don Felice.
Votre raisonnement qui conseille — pour le
bien et le décorum du pays, dites-vous — de
supprimer des caractères — peu m'importe le
çorn dont on les affuble — ne tendrcdt rien moins
qu'à supprimer la comédie même. Si Ton avait
« pour le décorum du pays » toujours — banni
des planches les faux dévots, Molière nous au-
rait privé de son chef-d'œuvre, le Tartufe.
Où vous vous rapprochez de la vérité, c'est
lorsque vous venez me prouver sans peine qu'il
n'est pas naturel qu'un personnage soit masqué
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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 273
alors que tous les autres parlent à visage décou-
vert. Cette observation est si juste qu'elle tom-
berait des lèvres d'un enfant de quatre ans que
Ton mènerait pour la première fois voir Pulci-
nella. Dans la vie courante, dans Thistoire, nous
n'avons jamais entendu parier que du Masque
de fer que Ton promenait de citadelle en for-
teresse avec un masque sur le visage, et encore
est-il prouvé que ce masque de fer était en ve-
lours !
Eh bien ! je crois que si nous voulons partir de
ce principe : « les gens n'étant pas masqués à la
ville, il n'y a pas de raisons pour que les acteurs
le soient sur le théâtre» nous sortons absolument
de la question parce que, comme toutes les fois
qu'il s'agit d'une convention, nous ne sommes plus
ici à la recherche de la vérité.
L'invention d'un personnage masqué dans la
comédie italienne n'est pas nouvelle. Assurément
s'il s'agissait d'une pareille innovation de nos
jours il n'y aurait qu'une voix pour la combattre :
jugée absurde, elle serait immédiatement con-
damnée. Mais dans l'espèce il s^agit d'une tradi-
tion. Or — et vous êtes le premier à le prouver
avec vos « réductions » monsieur Scarpetta, —
en supprimant Pulcinella vous avez supprimé du
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274 LE THEATRE NAPOLITAIN
même coup le théâtre vraiment napolitain. Ce
n'est donc pas PulcineHa que vous avez voulu
enterrer, c'est le théâtre napolitain tout entier
dont il est Tâme.
Non, il n'est pas conforme à la yérité qu un per-
sonnage paraisse éternellement masqué sur la
scène, mais c'est là une tradition que naus devons
dans ce genre de théâtre accepter telle quelle au
risque de démolir tout Tédifice, et si nous entrons
— par amour de lawérité — dans cette série
de réformes, j'en vois bien d'autres, encore à
signaler.
Est-il naturel, par exemple, que des gens qui
ont une langue dans la bouche, fassent de grands
gestes, à la façon des sourds-muets, pour échanger
leurs idées?
Non. — Alors il nous faut supprimer la pan-
tomime.
Est-il naturel qu'une personne se barbouille la
figure en blanc, s'habille de même, et se mette
un serre-tête noir?
Non. — Alors il nous faut supprimer Pierrot.
Est-il naturel que deux amants s'adorent en mu-
sique et se répètent pendant un quart d'heure : je
t'aime, bonheur extrême, etc., ou que des multi-
tudes vocifèrent de pied ferme : courons ! partons l
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GUERRE OUVERTE
Non. : — Alors il nous faut supprimer Top»
Est-il naturel qu'au milieu d'une conversai
des dames peu vêtues fass'ent irruption p
danser un petit entrechat?
Non. — Alors il nous faut supprimer
ballets.
Est-il naturel qu'un acteur resté seul en se
éprouve le besoin de s'exprimer à haute v»
s'approche de la rampe, cligne de l'œil et tin
langue en ayant l'air de faire des confidences
public ? Est-il naturel que, la pièce finie, le p;
cipal personnage, en dépit de toute vraisemblar
et suivant on usage suranné et heureusem
disparu chez nous, adresse un mot aux spec
teurs pour solliciter leur indulgence?
Non. — El cependant les choses ne se pass
pas autrement dans votre théâtre dit réforr
pour l'amour de la vérité.
Absurdité le masque de Pulcinella, absun
la farine de Pierrot, la queue rouge de Giandi
la batte d'Arlequin, le bégaiement d'Anselme
grasseyement de Guignol, je vous l'accorde. M
sapristi ! dans toutes vos réformes laissez-r
donc quelque chose d'original et d'amusa
C'est avec ce système d'unification à outrai
que les habitants des cinq parties du monde
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276 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
arrivent à se promener tous en habit noir et en
chapeau de soie et à s'ennuyer prodigieusement
rien qu'en se regardant les uns les autres !
Ne confondons pas des apparences de réforme
avec une réalité qui n'a rien réformé du tout. Le
Chien i^/arrf (lisez le Voyage de Berhcrorij.eainne
amusante pochade et Scarpetta s'y montre bon
comédien. Mais je n'avais pas besoin de venir aux
Fiorentini pour la voir : avant que cette pièce
fut signée de M. Scarpetta, je l'avais vu jouer
sous le nom de ses vrais auteurs, en France, en
Italie, en Espagne, au Portugal; tandis qu'il m'a
fallu venir à Naples pour y respirer cette fleur
d'un parfum spécial qui ne pousse qu'au pied du
Vésuve, la bonne grosse gaîté de Pulcinella,
enfant du môle, dont l'originalité; nie charme
parce qu'elle est avant tout du terroir. Les vrais
napolitains le savent bien. Don.Felice est, ou
mieux 'a été, une mode, un caprice. Pulcinella est
une institution. Il y a donc un abîme qui les
sépare.
Quelle fut à présent l'œuvre accomplie depuis
vingt ans par Scarpetta? C'est ce que je vais
tâcher de résumer.
Profitant du désarroi dans lequel se trouvait
la comédie populaire napolitaine — la même que
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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 277
nous avons vu renaître de ses cendres — remuant,
insinuant, audacieux, le nouveau Don Felice
u'eut plus qu'une- idée fixe : devenir Timprésario
du San Carlino qu il remonterait sur d'autres
bases. Il le devint. Il fît de la petite salle une
bonbonnière, y attira le public bourgeois, et rem-
plaça le *vieu3^ répertoire par des imitations de
pièces italiennes et françaises qu'il signa. Le
genre était nouveau, l'interprétation convenable*
L'idée fit fortune. Le public napolitain qui n'y
regarde pas de si près crut qu'il lui était né uvl
nouveau Molière, ou tout au moins un Goldoni^
et le nom de^Scarpetta alla aux nues.
Un seul critique napolitain — et non des
moindres — M. F. Verdinois — avait saisi le sub-
terfuge et ne tombait pas dans le filet :
« Je ne pourrai jamais comprendre, écrivait
cet auteur*, comment des comédies ou des vaude-
villes traduits du français {Bébé, les Dominos
roses^ etc.) sont des comédies populaires. Tant il
^st vrai que le même Sciosciammocca (Scarpetta)
pour imprimer à ses œuvres un caractère napoli-
tain qu'elles n'ont pas, a besoin d'avoir recours
aux /azzi d'usage, aux facétices habituelles de
Journal II Pungolo, 20 janvier J881,
'10
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278 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
goût équivoque, qui font rire la partie la plus
grossière de son public et rougir les dames et
les demoiselles comme il faut.
« Une autre particularité à noter dans cette
demi-douzaine de comédies populaires \ c'est
que les personnages transportés de la scène
française à la scène napolitaine — n'étant pas à
proprement parler des gens du peuple — parlent
une langue qui n'est pas ritalienne et qui n'est
pas le dialecte, mais un mélange ingrat à Toreille
et qu'aucun peuple du monde n'a jamais eu l'idée
de parler. »
Et l'illustre critique napolitain (en dépit de son
nom à consonnance française) conclut ainsi :
« Si Pulcinella est mort, c'est bien qu'il soit
mort; mais si, d'autre part, Pulcinella mort n'est
plus la comédie populaire, Sciosciammocca
vivant l'est encore bien moins.
« A tel point que, placé entre les deux, je choi-
sirais le mort. »
Pour toute réponse, Scarpetta avec une ardeur
dévorante « réduisait», réduisait toujours, emplis-
sait les affiches de son nom d'auteur et d'acleur,
gagnait de l'argent et laissait dire.
* Oh ! combien depuis ! Ceci fut écrit il y a TÎngt ans, mais les
choses n'ont pas changé.
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XVII
NOUVEAUX MÉMOIRES DE SCARPETTA
LE RÉPERTOIRE ACTUEL DES FIORENTINI
Du San Carlino aux Fiorentini, nouveaux mémoires de Scar-
petta. — Souvenirs d'antan. — Comment Scarpetta définit
ses « réductions ». — Une façon d'apprécier les. autres com-
pagnies italiennes. — Le répertoire courant. — Ce que de-
viennent les pièces connues. — Une imitation du. Chapeau de
paille d'Italie, — La Creaiura sperduta, — Une vieille pièce
et Davide Petito. — Troupe des Fiorentini. —" Conclusion.
Au moment même oiT je réunissais ces notes,
l'infatigable Scarpetta qui nous avait donné ses
Mémoires à trenle ans, songea à propos de nous
en resservir une seconde tranche dix-sept ans
plus tard. Je lui souhaite de nous en donner
beaucoup encore ! — Ces nouveaux Mémoires
fort copieux, de 528 pages*, s'intitulent assez heu-
reusement Du San Carlino aux Fiorentini et n'ont
d*aulre but que de nous montrer le chemin par-
* Da S. Carlino ai Fiorentini (nuove memorie) préface de
Benedetto Croce, Naples, Pungolo édit., 1900.
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280 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
eouru depuis la direction du San Garlino démoli
jusqu'au règne actuel au théâtre des Fiorentinî,
C'est la plus belle glorification de soi-même qu'on
puisse rêver ! C'est Tinconscience naïve ! Les
Commentaires de Césa?' et le Mémorial de Sainte-
Hélène ne sont plus rien. Après les nouveaux
Mémoires de Scarpetta il faut assurément tirer
l'échelle.
Les souvenirs relatifs aux anciens auteurs et
acteurs du San Carlino, que nous avait déjà fait
connaître en partie M. S. di Giacomo dans sa
Chronique^ sont intéressants. Mais, comme pour
s'excuser déjà, Fauteur des nouveaux Mémoires
nous laisse sous-entendre que Filippo Camma-
rano ne fut, à son jugement^ pas autre chose
qu'un (c modeste réducteur » des comédies gol-
donniennes. Pauvre Scarpetta ! l'idée des ses
« réductions » le poursuit partout. Il y a là quel-
ques jolis portraits de « l'oncle » Altavilla, d'An-
tonio Petito, du bouffe De Angelis et du guappo
Di Napoli. Nous assistons aux jalousies intesti-
nes, aux rivalités des coulisses, mais l'on nous
fait comprendre qu'il ne s'agit, en l'espèce, que
de petites et de pauvres gens. Les temps sont
proches ; on attend la venue du messie; on le
devine, on le pressent; c'est lui, il n'y en a plus
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NOUVEAUX MEMOIRES DE SCARPETTA 281
que pour lui; le voici, il fulgure, il rayonne;
inclinons-
Scarpetta-Napoléon. (Extrait du journal Monsignor Perrelli.)
Mais où la mesure est vraiment à son comble,
c'est quand Fauteur, pour se disculper toujours,
16.
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282 LE THEATRE NAPOLITAIN
en arrive à nous démontrer que si les pièces qu'il
joue ont du succès, ce succès est dû — devinez :
aux vrais auteurs? nullement : au « réducteur. » ^
La définition de ces « réductions » est amusante
au possible : « Réduire signifie souvent recons-
iniire, refaire. Et pour reconstrvire^ refaire et
obtenir un succès indispensable, avant de se
mettre àTœuvre, revoir tout entière la pochade
que l'on veut réduire, en vue du milieu et du
théâtre pour lequel on écrit. »
Non, vous allez voir que les vrais auteurs vont
avoir tort ! Ils n'y ont jamais rien entendu.
(( Comment voulez-vous que le public com-
prenne tout l'esprit exquis et le comique sati-
rique de certains dialogues français si vous ne
lui refaites pas ces dialogues et si vous ne trans-
portez pas l'action chez nous, dans nos maisons
ou dans nos rues ?
<( Sans me donner Tair d'avoir découvert
l'Amérique, je peux dire que je dois à ce don
d'assimilation et d'adaptation mes plus, grands
succès.
(( Et comment, en effet, expliquer d'autre façon
les triomphes obtenus par quelques-unes de mes
* Da San Carlino ai Fiorentini, p. 376 et suiv.
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284 LE THEATRE NAPOLITAIN
macien pauvre (lisez : L^5 t?'ente millions de Gla-
diator) et de ma Santarella {lisez : ManCzelle
Nitoiiché) ».
Ainsi, vous avez bien saisi ? Il a fallu la venue
de M. Scarpetla pour faire goûter au public : Bébé,
les Trente millions de Gladiator ou Manizelle Ni-
touche. Tout le succès en est dû au « réducteur »
et quant aux autres compagnies italiennes qiii
jouent ce genre de répertoire, ce n^est pas long
à les exécuter :
« Ce ne sont pas les braves acteurs qui man-
quent dans les troupes italiennes ; il manque cet
entrain [afpatamento) qui contribue tant à la
bonne réussite de tout travail théâtral, surtout
dans ce genre brillant ; mais souvent il manque
dans ces compagnies un directeur comique qui
tienne lieu de bon réducteur ou traducteur des
pochades que Ton joue. »
Vous l'entendez, ô Novelli, Ferravilla, Lei-
gheb, Benini et tutti quand : Vous ne savez pas
un mot de votre métier. M. Scarpelta va vous
rapprendre.
A quoi bon prolonger ces citations? Laissons
M. Scarpetta, qui pourrait se contenter d'être un
bon comédien, croire de bonne foi que les pièces
qu'il réduit, sont de lui; ne le dérangeons pas
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NOUVEAUX MEMOIRES DE SCAUPETTA 285
dans la contemplalion de lui-même, et parlons
rapidement des représentations auxquelles nous
avons assisté, afin de ne pas être accusé, comme
mon estimé confrère Verdinois qui avait osé cri-
Della Rossa, gcncral de Scarpetta-Napoléon.
(Extrait du journal Monsignor Perrelli.)
tiquer le demi-dieu, de ne jamais être venu à son
théâtre ! Seulement louiez ces représentations
n'offrant aucun intérêt artistique je ne perdrai
pas le temps à vous parler de pièces que vous
avez déjà Vu jouer partout.
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286 LE THEATRE NAPOLITAIN -
Pendant cinq mois et demi que je suis resté à
Naples j'ai essayé de découvrir quelque chose de
nouveau ou de « réformé » aux Fiorentini, mais
en vain.
Je suis allé voir un Chien bdêard^ comédie en
trois actes, réduction d*Eduardo Scarpetta, et j'ai
assisté à une traduction à peu près littérale du
Voyage de Berluron»
Je suis allé voir Duje Chiapparielle^ comédie
en trois actes d'Eduardo Sparpelta et j'ai revu,
avec plaisir, du reste, le Contrôleur des vmgons-
lils.
Je suis allé voir la Ptipa movihile, comédie en
trois actes d'Eduardo Scarpella, et je me suis
aperçu qu'on avait mis en comédie Topérelte La
Poupée d'Audran.
Fuyant les titres à réminiscences françaises
j'ai cherché à me replonger dans un répertoire
vraiment italien ; alors je suis allé voir Nafigli-
ola rognant ica enu miedeco cinniiso^ comédie en
trois actes, en vers, d'Eduardo Scarpetta. Cette
fois je crus avoir fait une trouvaille; mais Ton
m'apprit que ces trois actes n'étaient qu'une ré-
duction (les cinq acies de la Femme romanesque
et le médecin homœpathiquc do Uiccanio Caslel-
vecchio.
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NOUVEAUX MKiMOIRES DE SCARPETTA 2S7
J'attendis que Taffiche ne fit plus mention
même de « réduction » tant j'avais envie de voir
De Crescenzo, officier de la Grande Armée Scarpetta-Napoléon.
(Extrait du journal Monsignor Perrelli.)
du nouveau et de pouvoir juger enfin Scar-
petta comme auteur , et je pris mon billet
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288 LE THEATnK NAPOLITAIN
pour Na Paglia de Firenze^ comédie en 4 acles
d'Eduardo Scarpetta;
Hélas! Trois fois hélas! Cette « Paille de Flo-
rence » n'étaii autre que notre Chapeau de paille
d'Italie !
... Quantum mietattis aà illo !
Pauvre chapeau! Vou3 connaissez tous le
légendaire vaudeville de Labiche? Vous savez
que cette pièce, chef-d'œuvre du genre, ne vit
que par le mouvement, ce mouvement spécial
que nos comédiens d'aujourd'hui ont même perdu.
Car si vous avez le temps de raisonner, adieu
l'effet ! Il faut que ces cinq petits actes soient
brûlés en moins de deux heures. Scarpetta, lui^
en fait une comédie : 4)remiôre faute. Et de
même qu'il n'en a pas compris le mouvement, il
n'en a pas saisi les côtés typiques : le vieux
sourd qui pendant cinq actes porte le carton
qu'il n'y aurait qu'à ouvrir pour trouver la clé
de l'énigme; Nonancourt qui se promène avec
son myrthe ; la mariée qui a une épingle dans le
dos. Ici, rien de tout cela : le sourd dépose son
carton dès le premier acle. Nonancourt (Alonzo)
a laissé son myrthe chez lui ; ainsi du reste.
Enfin cette noce qui défile, tous ces gens endi-
manchés qui se poussent à la queue leu-leu, tout
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NOUVEAUX MEMOIRES DE SCARPETTA 289
cela... supprimé : supprimé le bain dé pieds de
Beaupertuis, supprimé la scène des lits, et Ton
finit par une soirée chez la comtesse.
« Réduire signifie souvent reconstruire^ re-
faire^ » nous a dit Scarpetta dans des Mémoires,
Je crois que le mot défaire conviendrait mieux.
Aussi je pensais, malgré moi, en voyant ce
public naïf et bon enfçint s'amuser quand même :
« Faut-il qu'une pièce comme celle-ci soit ré-
sistante pour que, ainsi tronquée, dépouillée,
massacrée, elle puisse faire encore de l'effet 1 »
Vint enfin la Creatiira sperduta^ Tenfant perdu,
dont le sujet fit les délices des habituée, et que
le petit journal satirique Monsignor Perrelli
annonçait spirituellement en ces termes :
« Nous sommes heureux d'annoncer que
« l'Enfant perdu » a été retrouvé hier soir par
deux agents de la sécurité publique,
ce Conduit à la questure, on voulut le recon-
duire au Théâtre des Fioreïilini, mais il a pro-
testé vivement en affirmant qu'il n'avait rien de
commun avec le cavalière Scarpetta, et qu'il
était fils de parents français ^ »
* Monsignor Perrelli, 15 mars 1900. Il est juste d'ajouter que
le métier de « réducteur » n'est pas toujours exempt de danger
comme le prouve ce petit extrait des tribunaux {Il Mattino
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290 I-E THEATRE NAPOLITAIN
M. Scarpelta à qui le litre d'auteur tient fort
au cœur (toujours l'histoire du violon d'Ingres)
jure tous ses grands dieux (page 458 de ses Nou-
veaux mémoi7'es) qu'il a écrit vingt-neuf comédies
originales, dont il cite les noms. Je n'ai aucune
raison d'en douter, mais, toutes les fois que jje
suis allé à son théâtre, je suis toujours tombé
sur une de ses réductions. Trouvant, à la fin,
que le théâtre napolitain que je voulais étudier
n'avait rien à faire là dedans, on pe m'en voudra
pas si je préférai dès lors aller passer mes
soirées chez « Pulcinella. »
Je vis cej^ndant une chose intéressante à ces
Fiorentini. Une fois, par exception — car toutes
les pièces jouées à ce théâtre portent le nom du
directeur — Ton afficha Pascariello giiardapor^
tbne à lu Vico Rutto San Carlo ^ comédie en un
acte d'Antonio Petite, jouée par le vieux Davide
Petite, frère âLk.nionio.ïjQ guardaportone à
Naples, c'est le concierge, mais un concierge
17 -18. mai 1900) : « La première section de la coup d'appel de
Naples par une sentence du "9 courant, à la requête de» hérî -
tiers du commandeur Bersçzio, etc., etc., a con4^n)QJ^ le cav.
Eduar do Scarpetta à lires 4.040,45 pour les 18 repj?é0$otftMons die
la comédie Girolino e Pirolo réduction de la cf^médU française
Cocard et Bicoque t propriété (en Italie) du comin. Bersezio,
plus à un quart des frais du double judiciaire. >
Chaque médaille a son revers ! "^
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NOUVEAUX MÉMOIRES DE SCARPETTA 291
galonné des pieds à la tête avec une canne de
suisse. La pièce est jolie, dans le genre senti-
mental qui nous a donné des pièces comme le
Copiste^ la Partie cTéchecs^ etc. C'est l'histoire
d^un vieux et modeste serviteur qui, dans des
moments difficiles, a rendu des services à la
famille de son maître, a vu élever les enfants,
et qui, au moment où Ton va forcer la jeune
Eugénie à se marier contre son gré, intervieat
et fait pencher la balance du côté de sa jeune
maltresse. L'acteur Davide Petito s'y montre
très fin comédien, de la bonne et vieille école
enfin, de celle à laquelle devait appartenir son
frère.
Le jeune Vincenzo Scarpetta termina le spec-
tacle par une imitation de Frégoli dans une
piécette de sa composition, où il remplit à la
fois tous les personnages. Un jeune homme de
la mala vita^ Ciccillo, veut épouser Carmela qui
aime de son côté un jeune homme de bonne
famille, Giulio, dont elle est aimée. Le guappo
trouve les deux amants en un tendre colloque,
provoque Giulio, et le tue dans une boutique de
marchand de vin. Tous ces rôles sont tenus
naturellement par Scarpotta fils, qui s'y montre
fort adroit, ainsi que dans le type d'un vieux
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292 LE THEATRE NAPOLITAIN
septuagénaire de Santa Lucia. La toile tombe,
et au même moment Fauteur applaudit sa pièce
dans une loge du second rang où on ne Ta pas
vu arriver. Cette fantaisie s'appelle Au clair de
lune. .
Scarpetla père est entouré de bons artistes :
de Grescenzo, qui appartint au San Garlino, et qui
excelle dans les rôles de paysans ; Délia Rossa,
très bon dans les types de savetier, et autres,
mais qui a le défaut d'être toujours un peu le
même. Vincenzo Scarpetta, très intelligent, très
adroit, jeune premier comique d'avenir, mais
qui imite trop les tics de son père. — Qui lui
en voudrait? Aura certainement, avec le temps,
plus d'originalité personnelle.
Quant au côté féminin, comme je Tai déjà
fait remarquer au Nuovo, il est convenable, mais
très faible. La femme dans le théâtre napolitain^
comme dans la vie napolitaine d'ailleurs, occupe
une si petite place qu'elle ne compteras.
M. Scarpetta porté aux nues par les uns, dé-
nigré outre mesure par les autresf, ne mérite,
à mon avis,... ni cet excès d'honneur, ni cette
indignité.
C'est avant tout un travailleur opiniâtre et un
bon comique. Voilà ce qu'il faut dire. Chez lui
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NOUVEAUX MÉMOIRES DE SCARPETTA 293
on joue la comédie à la moderne, décemment,
proprement. C'est de l'ouvrage bien fait. Maïs
le jour où il consentira à mettre sur ses affiches
les noms des vrais auteurs dont il « réduit » les
pièces — au lieu du sien seul, — je l'applaudirai
encore plus fort.
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XVIII
LES PETITS THÉÂTRES. — LA FENICE
Une imitation de Don Felice. — Le petit théâtre de la Fenice.
— La famille Gaudiosi. — Le Fruit défendu. — La Caisse
de V oncle Gennaro. — Une affiche de Gaudiosi. — Compte
rendu de la pièce. — Marietta Gaudiosi. — Le concert final.
— Le théâtre fermé. — Le théâtre Partenope. — Le Buffo
Turzillo. — Pauvreté de la mise en scène. — Ce qui reste
à traiter.
Don Felice devait avoir des imitateurs; il en
eut. Et c'est ainsi que le jeune Girolamo Gau-
diosi était à son tour directeur, acteur, auteur,
quand je le vis au miniscule théâtre de La Fenice
qui mérite bien quelques lignes de description.
Figurez-vous, à deux pas de THôtel de Ville et
de la grande galerie, dans upe des rues les plus
fréquentées de Naples, une sorte de vestibule tout
en glaces, décoré dans le genre mauresque. Un
escalier assez étroit s'enfonce dans les entrailles
du sous-sol, et nous voici dans une toute petite
bonbonnière. Je ne me rappelle pas avoir vu
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296 LE THEATRE NAPOLITAIN
nulle part un théâtre si petit. La scène a bien
cinq à six mètres de large et peut-être autant de
hauteur; les spectateurs. du second étage — le
dernier, — courbent la tête pour ne pas toucher le
plafond. Bref, on peut bien entasser là cent cin-
quante à deux cents personnes, mais je tremble
à ridée d'une catastrophe survenant dans cette
cave, ayec un escalier si étroit pour tout déga-
gement. Seules les personnes du second rang,
doubles loges sont au niveau de la rue, auraient
quelque chance de s'échapper.
Comment un imprésario peut-il faire^ assez de
recette — malgré ses deux représentations —
pour couvrir ses frais, voilà ce que je ne me
charge pas d'expliquer. Il est bon d'ajouter que
les directions éphémères qui s'y succèdent ne
sont jamais venues à bout de résoudre le pro-
blème.
Au moment de mon arrivée, le petit théâtre
de La Fenice était donc occupé par la tribu des
Gaudiosi. Quand je dis tribu, c'est que je ne
trouve pas d'autre mot : il y a Marietta Gau-
diosi, la jeune première dont les yeux noirs
semblent faire le tour de la tête ; Girolamo, son
frère, qui tient l'emploi de Don Felice, se pro-
diguant, se mettant à toutes les sauces ; puis une
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LES PETITS THEATRES. — LA FENICE 2'J7
série de frères, de sœurs, absolument dénués de
Marietta Gaudiosi (caricature).
toul sens dramatique, qui bouchent les trous;
puis un ancien acteur du San Carlino, Antonio
17.
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298 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Uilzi qui tient convenablement l'emploi des
financiers. Mais tout cela manque de sérieux. On
dirait la petite classe à Theure de la récréation.
On cligne de l'œil aux amis qui sont' dans la
salle, on regarde aux galeries, un peu plus on
se tendrait la main par-dessus la rampe, par-des-
sus la tête des cinq ou six musiciens : le théâtre
est si mignon. Enfin, pou"r faire venir le monde^
on afifecte de se donner parfois un air de cas-
cade — sur l'affiche — car tout se passe abso-
lument convenablement. Un jour, par exemple»
vous lisez à la porte :
LE FRUIT DÉFENDU
COMÉDIE LICENCIEUSE EN TROIS ACTES
Cet adjectif accolé au mot comédie suffirait
seul à faire accourir les vieux messieurs et les
jeunes collégiens, si tout cela se passait autre
part qu'à Naples. Ici ça ne tire absolument à
aucune conséquence. Yous entrez, et vous vous
trouvez assis à côté d'un ecclésiastique qui n'a
même pas pris la peine de dissimuler son costume.
Ces choses là sont monnaie courante, et Ton
n'y fait pas attention. Quant à ladite comédie
« licencieuse » où Gaudiosi se fait appeler Don
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LES PETITS THÉÂTRES. LA FENICE 299
Felice, c'est une imitation quelconque d'une
pièce française qu'on a bien pris garde de nom-
mer. Il me suffira d'en citer les principaux traits
pour que vous mettiez de suite sur ce^e pièce
une étiquette quelconque.
D. Liborio qui entretient des relations avec
une cocotte, — c'est encore le mot à la mode à
Naples — Erminia, marie sa fille avec une
espèce dç nigaud du nom de Felice. 11 bénit le
jeune couple, et, recevant une dépèche qui le
force de partir, laisse les nouveaux époux dans
un hôtel où ils doivent passer leur nuit de noce.
Béatrice est pure comme l'enfant qui vient de
naître, mais elle avait soupiré, en tout bien tout
honneur, avec Eduardo, un compositeur incom-
pris parti en Amérique pour faire fortune. Or,
par une de ces coïncidences qui se produisent
si souvent dans .les vaudevilles, voici que, dans
cet hôtel, Béatrice est mise subitement en pré-
sence d'Eduardo qu'elle suppose riche, par-des-
sus le marché, alors que le malheureux n'a plus
que 3 fr. 60 pour toute fortune. Emportée par un
bel élan la jeune fille se dépouille de son bou-
quet de fleurs d'oranger qu'elle place sous un
globe — où il restera, — et jure de n'appartenir
qu'à Eduardo.
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300 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
D. Felîce, le mari, attend avec impatience
l'heure du berger, mais, traité de haut en bas
par sa femme, se voit refuser la moindre pri-
vante. Eduardo, cause involontaire de tout ce
mal, survient; alors Béatrice, très digne, se retire
dans son appartement, tandis que les deux
hommes, installés chacun dans un fauteuil,
passent la nuit à monter la garde à la porte de
la chambre qui aurait dû être nuptiale. Etonne-
ment du père qui, retour de voyage, apprend
de la bouche de sa fille que les choses en sont
toujours au point où il les a laissées. Jamais il
n'aurait cru D. Feliçe capable d'un semblable
oubli de ses devoirs, et il cherche à le confesser.
La scène est drôle. Mais il ne lui arrache que
des larmes, et il met cette insuffisance sur le
compte de sa grande timidité. Cependant D. Li-
borio connaît un moyen infaillible pour donner
du courage aux plus hésitants : il s'agit simple-
ment de chanter un certain couplet au bon
moment ; ce couplet donne de l'audace, et
D. Liborio et un ami se chargent de le reprendre
en chœur dans la coulisse avec accompagnement
de guitare. C'est absurde, mais le public qui ne
demande pas à raisonner n'en est pas moins pris
d'un fou rire ; mis de nouveau en présence de sa
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LES PETItS THÉÂTRES. LA FENICE 301
femme, D. Felice s'enhardiL altaque le fameux
Girolamo Gaudiosi (Don Felice).
couplet, et conquiert un amour qu'il croyait
déjà bien compromis.
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302 LE THEATRE NAPOLITAIN
Mais le grand succès de cette saison fut
incontestablement la Caisse de ronde Gennaro
dont Gaudiosi se proclama l'auteur, et qu'il
annonçait à ses concitoyens par. des réclames
dans le genre de celles-ci : (on se rappelle
qu'un astronome avait annoncé la fin du monde ,
pour le mois de novembre 1899).
« Napolitains!
« La Caisse de ronde Gennaro se représentera
ce soir au théâtre de La Fenice pour la 56® fois,
et si demain n'arrive pas la
FIN DU MONDE
on la jouera encore beaucoup d'autres soirs.
Cette comédie, plus que toutes les autres comé-
dies originales, m'a procuré de bien vives
démonstrations d'affection et les éloges flatteurs
de toute la presse que je n'oublierai jamai^ ;
aussi je ne sais comment vous dire merci, merci
de tout mon cœur. Mais encouragé par ces
marques de sympathie, je ne cesserai de travail-
ler pour vous, mes chers concitoyens, orgueil-
leux de pouvoir montrer aux français que tous
les auteurs italiens n'ont pas besoin de recourir
à leurs comédies.
« GIROLAMO GAUDIOSI »
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LES PETITS THEATRES. — LA FENICE
Il est clair que tous les passants attirés
ces trois mots Fin du monde s'approchaier
lisaient la proclamation. Et avez-vous con
Tallusion à l'adresse du voisin : « tous les aul
italiens n'ont pas besoin de recourir aux c<
dies d'origine française. »
Attrape Scarpetta ! Il ne nous , manque
que les Mémoires de Gaudiosi, à présent. J
patience !
Vous pensez si j'ai voulu voir comi
Gaudjosi se passait des français : à vrai
je connaissais bien quelque chose dans
genre-là dans le répertoire non pas fran
mais espagnol. Il y a une certaine zarzuela
Chaleco blanco^ le gilet blanc, où tous les
sonnages cherchent pendant deux actes un 1
sorti à la loterie avec le gros lot. Ce billet i
laissé dans la poche d'un gilet blanc, et ce
blanc passe par toutes sortes de mains. Ma
discutons pas l'argument, et prenons-le tel
nous le donne Gaudiosi.
A Casciulella, en napolitain, c'est la caiss<
coffre, l'espèce de malle qui sert à un expédi
D. Felice, naïf, bon enfant, malheureux et
place, vient se proposer comme garçon che
cafetier-confiseur comme il en existe ta
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304 LE THEATRE NAPOLITAIN
Naples. Il n'a pas mangé depuis deux jours : il
chipe les petits fours, plonge les doigts dans les
crèmes, et est enfin accepté aux modestes émolu-
ments de quarante-cinq francs par mois. On lui
passe un habit trop large, une cravate blanche
ridicule, et quand il est accoutré comme l'Au-
guste du cirque il devient amoureux fou de la
demoiselle de la maison. Ce fait, assez naturel
en lui-même, Tamène à relâcher joliment ses
devoirs professionnels. Il ne répond plus à Tap-
pel de ses clients, leur arrache des mayis le
journal pour essuyer ses tables, fait mille extra-
vagances jusqu'au moment où le patron se dé-
cide à lui donner son congé. C'est alors qu'ar-
rive d'Amérique une caisse mystérieuse à l'a-
dresse de D. Felice, d'Amérique où D. Felice a
un oncle auquel il a fait part de sa triste situa-
tion. Une lettre, qui accompagne Tenvoi, ne con-
tient malheureusement que ces mois : <c Mon
ami, je t'envoie un déguisement pour le carna-
val. » Et de fait, la fameuse caisse ne contient
qu'un costume de Turc.
. Désillusionné, brisé par la douleur, sans place
de nouveau, Don Felice ne parle rien moins que
d'aller se jeter dans la mer. Son désespoir sin-
cère parvient à émouvoir le confiseur qui le re-
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LES PETITS THÉÂTRES. — LE FENICE 307
prend à son service, mais D. Felice ne voulant
plus avoir devant les yeux ce maudit costume
de Turc en fait cadeau à la bonne qui le vend
elle-même à une dame d'allures assez dégagées
qui donne ses rendez-vous d'amour dans cette
confiserie.
A peine cet énigmatique costume est-il vendu
que le commissionnaire qui a apporté la caisse
revient avec une seconde lettre qu'il a oublié de
remettre : Toncle Gemiaro qui est un fier ori-
ginal avait caché cent mille francs dans une des
poches ou doublures du costume.
Tel est le point de départ, qui en vaut bien
un autre. C'est le Chapeau de paille d'Italie pré-
senté d'une façon nouvelle ; et nous allons assis-
ter à une course folle de tous les personnages de
la pièce après le précieux costume de Turc qui
ne se retrouvera qu'à la fin du troisième acte
et dernier.
. L'analyse des autres pièces que je vis repré-
senter à ce théâtre ne vous apprendrait rien de
nouveau : Mademoiselle Carainbo^ comédie licen-
cieuse, dit encore Taffiche, et réduction du Para-
dis ; Nous sommes avec Papa via Chiaia it 339
his ; Tous au bal masqué ; les Petites pêcheuses
napolitaines^ etc. La plupart de ces pièces sont
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308 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
signées de Girolamo Gaudiosi. C'est le système
déjà décrit par nous et qui consiste à prendre son
bien où on le trouve.
Une seule concession est faite à Tancien
théâtre : c'est celle de VAnselmo bégayant, à lu-
nettes bleues, remplissant généralement l'emploi
de domestique, rôle bien tenu par un artiste, du
norii de G. Pica.
La grâce aimable de. Marietta Gaudiosi, Taîr
bon enfant de son frère Girolamo qui la plupart
du temps ne sait pas ses rôles mais improvise sans
se déconcerter pour cela, de jeunes et frais vi-
sages de sympathiques personnes qui ne se sont
jamais douté de ce que peut bien être l'art drama-
tique, un public bienveillant qui ignore la cri-
tique, tels sont les éléments très divers qui se
donnent rendez-vous dans cette cave où chacun
se trouve comme en famille — dans la famille des
Gaudiosi. .
Un jour c'est une chanteuisede café-concért à .
qui il prend la fantaisie de jouer la comédie — où
elle se montre absolument inexperte du reste, —
et l'on décore tout le petit théâtre de jolies guir-
landes de fleurs naturelles du haut en bas; une
autre fois l'on renforce le spectacle d'un ou de
deux numéros de variétés^ car Ton ne saurait se
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LES PETITS THEATRES. LA FENICE 30^^
passer du concert final : c'est une canzonettisi
dig?'azia^uue excentrique, un couple quelconqu
une chanteuse -napolitaine, et presque toujoui
de jeunes et jolies femmes.
Puis un beau jour, aux approches du Carnava
je vis le petit théâtre fermé : les Gaudiosi s'^
talent envolés vers d'autres rivages et, pauvre
cigales, avaient fini de chanter... provisoiremen
Don Felice II n'avait pas encore détrôné Do
Felice I, son grand rival.
Poursuivant mes investigations, je voulus m
rendre compte de ce qui se passait du côté d
théâtre Partenope, place Cavour. Encore u
théâtre où il faut descendre un étage pour se trou
ver aux fauteuils d'orchestre. Et par quel esc?
lier, grands dieux! Qu'arriverait-il dans de pa
reilles salles en cas d'accident! Le genre adopt
là est le genre du théâtre Nuovo, c'est-à-dire 1
vieux répertoire napolitain mais avec des éle
ments très secondaires. Le Pulcinella qui port
uu nom illustre dans les annales du théâtre napc
litain n'a de ses ancêtres — de son oncle, je croi
— que le nom : il est quelconque. On lui a join
dans toutes les pièces un personnage de ba
comique, le Buff'o Tiirzillo^ rôle tenu toujour
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310 LE THEATRE NAPOLITAIN
par un même acteur de genre trivial. C^est Ja
queue rouge de dernière catégorie. La mise en
scène est au-dessous de tout ce que Ton peut
imaginer, les acteurs qui changent tous les jours
de pièces ne savent pas un mot de leurs rôles —
et la salle était pleine et le public s'amusait.
Quant au Mercadante, place Cavour, je l'ai
presque toujours vu fermé.
Me voici arrivé jusqu'au terme de mon voyage
à travers le théâtre purement napolitain ; et ce-
pendant il me reste à vous entretenir encore de
deux sujets que je ne puis passer sous silence
parce qu'ils sont tous deux d'une essence très
particulière : je veux parler du drame populaire
et des Pastorales.
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XIX
LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN
LA FONDATION DE LA CAMORRA
Le cav. Federico Stella. — Une troupe de drame. — J^e
théâtre San Ferdinando. — La Fondation de la Camorra à
Naples. — Un programme corsé. — Mœurs et coutumes des
camorristes. — Compte rendu de la pièce. -^ Ensemble de
la compagnie. — Une grande actrice de drame. — M"»« A. Laz-
zari.
Il est^ à Naples, une entreprise dramatique
très digne d'intérêt : c'est celle du Cavalière
Federico Stella, directeur et artiste dramatique,
qui a la spécialité de représenter des drames po-
pulaires. Il y a seize ans, m'a-t-on dit, qu'il s'est
fixé dans celle ville — ce qui est déjà un tour
de force pour un directeur italien, obligé d'ordi-
naire à se déplacer chaque mois avec sa troupe
— faisant au théâtre San Ferdinando un travail
analogue à celui de nos troupes de banlieue.
Situé dans un quartier très populaire, non loin
de la Porta Capuana, ce théâtre San Ferdinando
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312 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
a, du reste, toutes les qualités requises. Il est
assez grand, sans exagération , et le prix dei^ places
y est à la portée de toutes les bourses. On y joue
deux fois par jour, à six heures et à neuf heures.
Évidemment je ne vous dirai pas qu'on y voit
beaucoup d'habits noirs aux fauteuils, ni de toi-
lette décolletées diins les loges ; la foule y est
houleuse^ sans excès; des senteurs d'ail ou d'écha-
lotte flottent vaguement dans les airs, et les par-
fums qui s'échappent des tignasses ébouriffées
des spectatrices rappellent plutôt les déballages
des foires et des bazars au rabais que les ma-
gasins de Piver ou d'Houbigant. Mais enfin ! ce
serait ridicule d'exiger dans un théâtre de ce
genre les élégances du San Carlo.
J'hésitai longtemps à y aller pour deux raisons :
la première c'est que ce théâtre se trouve exces-
sivement loin delà Ri viera de Chiaia où je demeu-
rais, — : à deux pas de cet Arco Mirelli où naquit
Lablache — et la seconde c'est que je ne me
souciais pas de faire ce voyage pour assister à un
de nos vieux mélos. Je voulais au moins voir ua
drame populaire franchement napolitain* Aussi
je ne pus résister à la tentation en présence de
l'affiche suivante dont je m'en voudrais de retran-
cher un seul mot : L , , , 1
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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 313
LA FONDATION
DE LA CAMORRA A NAPLES
Drame populaire en un prologue, deux parties et six actes
de Eduardo Minichini.
Prologue. — Les prisons de la Vicaria en
Fan 1739. — Importation étrangère. — Les
bases de la secte.
Acte premier. — Première partie. 1740. —
Auprès de la fontaine de S. Caterinaa Formiello.
Une famille pauvre et le Chiazzere. Le départ
des volontaires pour Vellélri. La femme honnête
et l'homme de mauvaise vie. Le moine et les
camorristes...
Acte II. — Première partie. — Une année
après. Qui vivra verra. Le droit* du plus fort.
Vendue comme une esclave ! Le revenant! Hon-
neur et férocité. Les zeppole^ de saint Joseph.
Acte III. — Première partie. — La prison de
S. Onofrio. Usages, abus et brutalités. Dissenti-
ments entre les paranze (nom des sections ou
chambrées des camorristes). Faits et gestes de la
* Nom d'une sorte de beignet que Ton mange spécialement à
l'occasion de la Saint-Joseph.
18
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314 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
mala vita. Déclaration à main armée. Le chef
intérimaire de journée.
Acte IV. — Seconde partie. 4752. — Haine
héréditaire. Le mouchoir ensanglanté. Amour et
perfidie. L'héritier de la victime. Chute d'un,
ange. Le plus grand des outrages. Staccariello
et Frère Manisco.
Acte V. — Seconde partie. — La cave de San
Giovannaro. Convocation du conseil suprême,
le chef en tète et les chambrées réunies. For-
mules, rites et serment d'admi&sion. Avancement
en grade. L'obéissance ! Retour du bagne. Juge-
ment sommaire. Accusation et défense.
Acte VL — Gravement blessé. Délibération de
la noble et 5a^e société. Cassé en grade, droits et
fonctions. Condamné à dormir. Dernière preuve.
La hyène et le lion. La haine vaincue par Famour.
Camorrisle et père.
Suivait la liste de quarante personnages, dont
les surnoms imagés rappelaient pour la plupart
ceux que prennent chez nous les cambrioleurs.
Puis, par le détail,. cette affiche me faisait peni^r
aux images d'Epinal.
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LE DRAJtfE POPULAIRE NAPOLITAIN 315
Inutile de vous dire que la salle, ce soir-là,
était bondée.
L'auteur veut d'abord nous prouver que la
Camorra, créée sur le modèle de la Société de
Jésus, impose à ses adhérents un long noviciat,
Tobéissance passive, le renoncement absolu, et
qu'elle a été introduite à Naples à l'époque des
vice-rois espagnols. Il est certain qu'en espa^
^nol le mot camorra signifie abus de force, dis-
pute, rixe, sans parler d'une courte veste de
toile qui fut longtemps le signe distinctif des
camorristes. De même le mot giiappo qui, en
napolitain, sert souvent à indiquer un alphonse
de bas étage — dont nous avons fait gouape —
vient incontestablement de l'adjectif espagnol
gnapo par lequel on désigne un joli garçon.
Tout napolitain qui se respecte repousse donc
véhemment l'accusation que Ton a formulée
contre Naples d'avoir créé la camorra, « L'orga-
nisation de la secte de la camorra^ déclare aussi
M. d'Addosio qui s'est beaucoup occupé de cette
question, est une imitation très fidèle et com-
plète de la société secrète espagnole La Guar-
dima, » Or celte dernière avait été constituée en
1417 à Tolède et se composait de tous les malan-
drins recrutés aux galères de Séville, de Malaga
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3H> LE THKATRE NAPOLITAIN
et de Manille; elle s'étendit ensuite jusqu'à Ma-
drid*.
La Guarduna avait un chef élu appelé /Ter-
mano mayor (frère majeur) des capitaines, des
yuapos^ des postulants. La compagnie se quali-
fiait de honoranda, de même que la camorra se
qualifie du onorecole (honorabre) et un récent
article du Secolo'^ va même jusqu'à prétendre que
le bouffon de Charles-Quint El Comillado ne fut
pas étranger à la rédaction des statuts de la fa-
meuse Société en Espagne.
Quoi qu'il en soit, les usages et coutumes des
camorristes étant parfaitement connus ainsi que
le prouve le livre de M. le docteur De Blasio,
chef du service anthropométrique à Naples*, il
est bien certain qu'il n'est pas difficile à un ro-
mancier d'un peu d'imagination de les décrire
tout eil enjolivant son sujet.
Dans le drame eu question, nous voyons tout
d'abord les prisons de la Vicaria en 1739. Les
prisonniers condamnés à Tinaction, comme dans
les prisons de la plupart des pays méridionaux.
* V. Gimino. Giornale napoletano dl filosofia lellet^e» année
1880.
* // Secolo, 19-20 janvier 1900, sous la signature Das.
^ Usi e costumi dei camorristi.
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18.
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'À
1
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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 319
sont assis ou couchés sur leurs lits dans le désœu-
vrement le plus complet. Un certain Cotafdillo
Rinconele surnommé Chamurro a pris un empire
extraordinaire sur ses compagnons de captivité
qu'il fait obéir au doigt et à Tceil. Il giffle Tun,
boit le contenu du verre de l'autre, extorque un
ducat àun troisième, ettout premier venu est forcé
de lui remettre de l'argent pour Volio délia lampa,
l'huile de. la madone, c'est-à-dire de vider ses
poches. C'est ainsi qu'il arrive à constituer à son
profit, puis au profit de ses adeptes, une société
qui n'a pour but que l'exploitation des détenus
non affiliés; et comme les camorristes avaient
toujours des poignards ou mieux des couteaux à
leur disposition l'auteur nous fait assister aussi à
quelques luttes entre chambrées. Tous ces détails
prouvés par documents officiels * n'ont d'ailleurs
rien d'exagéré, y compris le serment d'initiation
sur le crucifix, ce qui donne lieu à une scène
assez pittoresque.
L'acte qui se passe à la fontaine de S. Caterina
a Formiello n'est pas moins original dans son
genre : nous voyons exercer ici tous les petits
métiers de la rue : Voici le savetier napolitain
* Marc Monnier, Marcellin Pellet, bien d'autres encore.
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320 LE THEATRE NAPOLITAIN
installé devant sa porte, puis le marchand de
friture, la femme qui change la monnaie au
coin des carrefours, le cireur de bottes qui ne
parle jamais mais frappe avec sa brosse sur sa
boîte afin d'attirer l'attention du client (un coup
pour changer de pied, deux coups pour indiquer
que Topération est terminée), le capucin, son sac
en toile sur Fépaule, allant recueillir déporte en
porte des provisions ou des aumônes, recevant
les confidences de tout le monde. C'est bien
Naples vivant et grouillant que nous avons là
devant nous.
La femme de Pasquale Caccaviello, brave
ouvrière sans travail, est sur le point d'être
expulsée de son misérable logis faute de paiement;
en vain Alfonso Maietta dit le ChiazzerOy son
infâme propriétaire, lui fait-il comprendre qu'il
ne dépendrait que d'elle d'avoir sa quittance. La
malheureuse repousse les propositions deshon-
nêtes de ce bellâtre. Pendant ce temps, le mari,
voulant donner du pain à sa femme, fait un
coup de tête : des volontaires partent pour
Vellétri : Pasquale se vend et apporte l'argent de
son enrôlement au moment où la pauvre Giusep-
pina allait être jetée à la rue avec son enfant.
Les camorristes dont le Chiazzero fait partie sont
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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 321
furieux de voir un des leurs éconduit, et le
moine Manisco qui invoque sans cesse saint
François les pourchasse à coups de corde à la
grande hilarité des galeries.
Une année s'est passée, et Ton n'a plus
entendu parler de Pasquale. Sa femme, sa belle-
mère, son enfant ont pris le deuil. Poussée par
la nécessité^ celle qui se croit veuve a dû céder
aux instances du Ghiazzero, qui, lui aussi, a un
enfant d'une autre union, un jeune fils; quand
voici que dans cette maison où règne une douce .
aisance survient un nouveau venu : c'est Pas-
quale, qui, blessé, fait prisonnier, est de retour.
Inquiet, soupçonneux, il veut des explications,
et c'est sa propre fille qui lui apprend, incons-
ciemment, qu'il y a un autre « papa » au logis.
Fou de douleur, Pasquale saisit un rasoir,
entraine sa femme dans Talcôve, réapparaît
hagard, et se lave les mains derrière le dos, sans
oser regarder, à cause du sang.
Cependant Alfonso, le Ghiazzero, revient avec
les camorristes ses amis qu'il a invités à un ban-
quet à Toccasion dé la Saint-Joseph, la fête de
Giuseppina, mais il trouve la place occupée par
Pasquale qui, tirant les rideaux, lui laisse voir
sur une table la tête de ceHe-ci, tandis que le
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322 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
corps gît plus loin; les camorristes reculent de
terreur, et Pasquale tue son rival.
Pourquoi ce même Pasquale condamné à
12 ans de bagne se fait-il à son tour recevoir de
la Camorra dans la prison de Saint-Onofrio ? Nous
le saurons un peu plus tard. En attendant, nous
voici en 1752, dit le programme, La fille de Pas-
quale qui a été élevée par sa grand' mère avoue
à celle-ci ainsi qu'au frère Manisco qu'elle a eu
la faiblesse d'écouter les propos d'un jeune amou-
reux. Et cet -amoureux, vous l'avez deviné sans
peine, c'est le propre fils du Chîazzero.
. Le cinquième acte nous fait assister à une de
ces séances secrètes de la Camorru dont le public
est si friand. Le grand chef préside le conseil
suprême assisté des chefs Aq chambrées. L'auteur
se complaît à faire exécuter les formules puériles
d'admission dans la secte : l'un doit se faire
saigner, Tautre boire un breuvage réputé empoi-
sonné, celui-ci se laisser mettre en joue, celui-
là ramasser une pièce de monnaie sous la menace
de quatre poignards. Nous attendons l'arrivée
du bagne de D. Pasquale, et de fait le voici. S'il
n'eût pas fait partie de la Camorra il n'eut pas
pu venir demander vengeance à ce tribunal. Il
vient pour accuser le séducteur de sa fille, et
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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 323
l'assemblée qui ne badine pas avec Thonneur des
filles prononce la peine de mort. Pasquale, plus
généreux, réclame un duel au couteau. Mais au
moment oîi il va atteindre son adversaire il esl
frappé d'une balle quelui envoie l'oncle du jeune
homme, le propre frère de ce Chiazzero tué
jadis par Pasquale.
Au sixième acte enfin, nous voyons Pasquale,
gravement blessé, soigné par sa fille, mais ses
deux ennemis déguisés en moines viennent jus-
qu'à son chevet pour l'achever. L'auteur a com-
pris lui-même sans doute que la coupe était
pleine, que le méchant devait être puni et l'inno-
cent récompensé — d'autant plus que les spec-
tateurs de la seconde « fournée » s'impatientent
à la porte du théâtre. Pasquale, aidé par Frère
Manisco qui survient comme un Deus ex
machiner aura la force de tenir en respect ses
deux adversaires. Le jeune homme demandera
pardon de ses fautes, épousera celle qu'il a séduite
et promettra de devenir bon père et le reste.
Quant à son oncle le traître — il disparaîtra pour-
suivi parles huées et les sifflets des galeries. Pas-
quale, guéri, se fera capucin, et entrera au cou-
vent de Frère Manisco.
Voilà un drame bien napolitain, et corsé ! Tout
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32i LK THEATRE NAPOLITAIN
compte fait, est-ce plus mauvais que ce que Toq
voit chez nous en ce genre? Je ne le pense pas.
Vous me direz que cette pièce, écrite à la diable,
ne prouve rien. Elle amuse à la façon des images
dont je parlais pins haut. On n'en demande pas
davantage et c'est tout à fait ce qui convient à
cette sorte de public qui ne comprendrait rien
aux finesses ni aux sous-entendus. La pièce, de
plus, est jouée avec un remarquable ensemble
par des artistes rompus à ce genre de travail. Le
cavalier Stella, qui m'a semblé un peu fatigué,
est un artiste habile, adroit, intelligent. Mais je
n'aurai jamais assez d'éloges pour le talent hors
de pair de M"® A. Lazzari. Une femme jeune
encore, douée d'une voix merveilleusement
timbrée, Tîdéal rêvé de l'actrice de drame, qui
tient ce rôle de Giuseppîna, la femme de Pasquale,
avec une autorité incontestable.
On s'étonnera peut-être de rencontrer dans un
théâtre de la banlieue de Naples une comédienne
de cette valeur? Mais, en y réfléchissant, quelle
est donc la troupe italienne qui joue uniquement
le drame — et le drame populaire — comme
celle-ci ? Eh bien ! le croiriez-vous, personne en
Italie, ni à Naples même, ne m'avait parlé de
M°*® Lazzari, et il m'a fallu ce hasard et cette
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PUol. Cav. tllore l'cace, .Nazies.
M-"" Lazzari,
première actrice du théâtre San Ferdinando à Naplcs.
10
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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 327
Fondation de la Camorra pour aller découvrir
qu'il existait dans cet humble quartier de Naples
une actrice de drame de premier ordre qui ne se
doute peut-être pas elle-même de toute sa valeur !
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XX
ENCORE LE DRAME POPULAIRE
LA BELLE DE LA PORTA CAPUAN/^
Le Politeama. — Un théâtre en haut d'un escalier. -- Des
tion de la salle. — La Belle de la Porta Capuana. — A
du quartier de la porte de ce nom. — Compte rendu ^
pièce. — Amour, retour du bagne et coups de couteaux ]
chés. — Que de couteaux, trop de couteaux ! — Rén
cences des vieux mélos. — Drame intéressant. — Ei
M"»» A . Lazzari .
Les premières impressions n*étant pas I
jours très exactes, j'ai voulu me rendre com
à peu de jours d'intervalle, si je ne m'étais
trompé sur l'ensemble de la troupe de dr
populaire du Cav. Stella et sur le talent
M"*® A. Lazzari. Je suis retourné voir ces arti
au moment où ils donnaient une série de re
sentations au Politeama de Naples à Tocca
des fêtes de Noël et du jour de Tan.
Le Politeama est un immense théâtre
mieux une espèce de cirque qui se trouve
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330 LE THEATRE NAPOLITAIN
les hauteurs du quartier de Pizzofalçoae. — On
y parvient par un escalier de cent marches si Ton
vient de la Via Ghiaia, à cause des différences
de nivellement — et dans cet escalier d'une
propreté difficile à exiger à Naples, on rencontre
généralement des troupeaux de chèvres qui
montent ou descendent. Au moment de mon
départ on inaugurait un ascenseur. Si Ton ne
veut pas prendre l'escalier — ou l'ascenseur —
on y arrive aussi par une pente douce qui relie
ce quartier avec la place du Palais royal. Mais
on peut bien vivre dix ans à Naples sans jamais
découvrir où se trouve le Politeama indiqué seu-
lement le soir par une himpe à arc. Vous passez
sous cette lampe, vous prenez un long tunnel
éclairé, blanchi à la chaux, et vous arrivez dans
une cour. Là, vous montez un escalier, très
large, et vous pénétrez dans une salle immense,
de forme ronde, sux laquelle s'ouvrent cent cinq
loges réparties en trois étages. Dans le parterre,
très évasé, il y a bien place pour mille per-
sonnes. J'arrive très exactement à six heures.
La salle est comble. Dix musiciens, le chapeau
sur la tête, nous gratifient de marches quelcon-
ques.
L'affiche nous annonce pour ce soir un autre
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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 331
drame — extra-populaire — si je puis m'expri-
mer ainsi, et du directeur en personne.
LA BELLE
DE LA PORTA CAPUANA
Drame populaire napolitain en six actes du Cavalier F. Stella.
. TITRE DES ACTES
Acte P^ : — Avarice, amour et jalousie. La
vannière, ,
Acte IL — Les deux Calabrais. Le serment du
moribond.
Acte IIL — Le café des bons amis au Vico
Lava. — Vice — Sacrifice et délit.
Acte IV. — Amant, Père et Espion. Une
histoire de sang.
Acte V. — Inspiration ! lleconnaissance et
amour.
Acte VI. — La fille du martyr — Les deux
lettres -^ Le baiser du pardon et Tempreinte du
Vir/liacco.
La scène à Naples, en 1821.
CeMe Porta Capuana qui n'est autre que la
Porte de Capoue, une vieille porte de Naples
aujourd'hui enclavée dans la ville, joue un grand
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332 hK THÉÂTRE NAPOLITAIN
rôle dans Thistoire locale. Non à cause du mo-
nument par lui-même, un arc, surmonté de la
madone, et flanqué de cahutes, mais à cause de
V ambiant — comme on dit ici. La place Mau-
berL le quartier Mouffetard avaient jadis, chez
nous, à peu près la même réputation. Celui qui
passe, ne sachant rien de ce quartier, ne voit
guère là qu'un petit marché ambulant, des
marchands de friture et de légumes, des trai-
teurs, d'humbles tavernes. Un vieux napolitain
vous dirait que ce quartier fut, pendant long-
temps, plus encore qu'il' ne Test aujourd'hui,
car la pioche des démolisseurs a fait des trouées
tout autour, le repaire de la basse prostitution,
des souteneurs, des récidivis^tes, de toute une
tourbe sans nom. Ce qui n'empêiche pas de nos
jours de très honnêtes commerçants d'habiter
le quartier de la Porta Capuana. Mais enfin^
ce nom seul, et la date — 1824 — nous font
comprendre que l'auteur va nous donner un
pendant aux Mystères de Paris — nous ne par-
lons que du cadre, bien entendu — Le Camor-
rista-Capo, c'est-à-dire le chef Camorrîsle de
tout Naples, n'était choisi, il y a peu d'années
encore, que parmi les camorristes de la Porta
Capuana. Mais après la mort du fameux Ciccio
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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 333
survenue le S décembre 1892 il fut convenu en
assemblée générale que ce privilège serait ac-
cordé aièssi à la chambrée de Pendino (autre
quartier de Naples), parce qu'il est avéré que
dans ce quartier « o camorrista sape fa pure
biiono'o dduvere sujo » le camorriste sait faire
aussi bien son devoir ^
Le napolitain, en général, qu'il s'agisse de
comédie, de farce ou de drame, se plaît à voir
reproduits sur la scène les petits métiers de la
rue. Un auteur, comme celui de ce soir, est tou-
jours sûr de réussir en esquissant les types du
cafetier populaire, de la marchande de châtai-
gnes, du marchand de pizze, du verdummaro ou
marchand de légumes, du marchand de pois-
sons. Ce va et vient, ces gens qui annoncent en
criant leur marchandise, ces commères au verbe
haut, ce traiteur qui installe ses tables sur le
trottoir au risque d'interrompre la circulation,
c'est la vie de tous les jours.
Venanzio Lésina, calabrais, est vannier. C'est
un homme violent et brutal. 11 s'emporte à tout
propos, se met dans une fureur désordonnée
* La bossa et Valta Camoira, journal II Secolo, 19-20 jam-ier
1900 et suivants.
19.
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334 LE THEATRE NAPOLITAIN
parce qu*il a cassé la pointe de son couteau, et
ainsi du reste. Il passe pour fort riche et avare.
Une jeune personne, personnifiée parM^^A.Laz-
zari, est considérée par tous comme sa fille. Elle
est jolie, sage et vertueuse. C'est la Belle de la
Porta Capiiana^ la belle vannière du quartier,
qui tresse ses paniers d'osier sur le seuil de la
boutique du calabrais, et n'est pas insensible
aux aimables avances d'un autre calabrais, le
jeune Luigi.
Cependant Nanetta a'est pas la fille des époux
Yenanzio Lésina. Un crime a été commis il y a
une quinzaine d'années, en Calabre. C'était le
temps des guerres civiles. Un baron, du nom de
Falclii, a été assassiné et la famille de son frère
exilée. Venanzio, pauvre la veille, était devenu
subitement riche. Mais n'osant pas faire dispa-
raître la fille de la victime, une enfant, il l'avait
recueillie. Celte enfant, qui a grandi, c'est Na-
netta.
Le beau-frère de Venanzio, Gennaro Rocchi,
revient du bagne, — L'excellent artiste Stella,
qui tient ce rôle, revient du bagne dans toutes
les pièces. — Il a été libéré avant son temps en
raison de sa bonne conduite. A vrai dire, ce
Venanzio est proche parent du Corradin de la
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Les petits mciiers de la rue. Le marchand d'escargots.
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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 337
Morte Civile, Quoi qu'il en soit, mêlé à une rixe
survenue par la faute d'un mauvais sujet du
nom de Salvatore, il avait tué un homme :
d'oii sa condamnation. Mais voici que le bruit
est venu jusqu'au fond du bagne que sa femme
avait un amant — situation identique à celle de
Juan José décrite par nous dans notre Théâtre
en Espagne. Il veut savoir le nom de cet amant,
De plus, il a fait un serment à son ex- compa-
gnon de chaîne, un vieux serviteur de la famille
Falchi qui avait été condamné pour avoir voulu
défendre son maître, le frère du baron, pendant
cette insurrection. Il lui a donc juré, à son lit de
mort, de retrouver le fils de son ancien maître,
Luigi Falchi, et sa nièce qui n'est autre que
Nanetta. Voilà bien de l'ouvrage pour une seule
soirée !
Au troisième acte le théâtre est divisé en deux
parties : à droite le « café des bons amis » où
les habitués font leur partie de cartes, café
borgne du quartier de la Porta Capuana. A
gauche le Vico ou impasse Lava. La femme légi-
time de Salvatore, ainsi que la pauvre Gervaise
de V Assommoir^ vient rôder autour du café. Elle
fait appeler son mari : elle n'a pas de pain pour
elle ni pour ses enfants ; mais Salvatore pour
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338 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
toute réponse la maltraite. A peine celle-ci est-
elle éloignée que survient une seconde femme,
— la femme du galérien Gennaro devenue la
maîtresse de Salvatore. Elle a des appréhensions
singulières, des pressentiments. Elle s'attend
d'un moment à l'autre à voir revenir son mari
du bagne bien que le temps ne soit pas encore
expiré. Salvatore, pour la rassurer, lui promet
Je partir ensemble pour Salerne, où ils seront
au moins à l'abri des regards du monde et des
recherches du mari quand il reviendra.
Pendant ce temps Venanzio, le calabrais, con-
çoit un projet infernal : il veut, coûte que coûte,
faire disparaître Luigi Falchi avant que Gennaro
le retrouve, car il y va de sa propre tranquillité et
de sa fortune. Il vient donc trouver Salvatore qui,
pour quelque argent, ne recule devant aucune
besogne et se chargera d'administrer quelques
bons coups de couteau à Luigi, tandis qu'en
révélant à Gennaro le nom de Tamant de sa
femme, il poussera ainsi Gennaro à assassiner
Salvatore.
Précisément Luigi vient, par hasard, dans le
« café des bons amis ». Salvatore, heureux d'une
si belle occasion, le provoque. Les assistants
séparent les deux hommes et l'affaire n'a pas
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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 339
de suite. Mais voici qu'au dehors, dans le Vico,
apparaît Gennaro qui a découvert le café de son
rival. Il le fait appeler dans la rue, et là, face à
face avec lui, à la lueur scintillante de la lampe
qui brûle devant la madone du carrefour, lui
rappelle son crime de jadis qui Ta fait con-
damner, lui innocent, au bagne ; il lui reproche
d'avoir profilé de cette absence pour lui ravir sa
femme, et, sans lui donner le temps de répondre,
lui mettant une main sur la bouche, lui plonge
la lame de son couteau dans le cœur. Tout cela
s'est passé en quelques minutes, et au moment
où Salvatore tombe auprès de la petite lampe,
Ton entend les Zampognatori qui jouent un air
de cornemuse en Thonneur de la madone.
Le coup fait, Gennaro s'est enfui dans la nuit.
Un marchand d'habits qui passait a découvert
le cadavre de Salvatore. Tous les voisins sont
accourus avec des lumières, la femme légitime
la toute première, poussant des cris sur le corps
de son mari, et comme sa rivale veut s'en appro-
cher à son tour :
— Eloignez-vous, madame, lui dit-elle très
digne. Vous m'avez pris mon mari vivant ! Lais-
sez-moi au moins le cadavre de celui qui fut le
père de mes enfants.
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340 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Toute cette histoire nous a fait considérable-
ment oublier les amours de la belle et sage Na-
nelta et du jeune Luigi que Venaqzio cherche à
écarter le plus possible. Les scènes de brutalité
envers la jeune fille se succèdent, si bien que
celle-ci jette enfin à la face de Venanzio cette
apostrophe : — Non, vous n'êtes pas mon père, car
un père ne parle pas ainsi à son enfant.
Cependant vous devez bien penser que le dra-
maturge ne nous a pas fait voir sans intention
Luigi dans le café borgne des « bons amis » cinq
minutes avantl'assassinat de Salvatore. La police
recherche le criminel, veut savoir qui se trouvait
alors avec la victime ; n'y" a-t-il pas eu, dans ce
café même, une altercation entre Salvatore et
Luigi? Plus de doute, la querelle aura continué
au dehors, et Luigi est arrêté comme assassin
présumé de Salvatore. La pauvre Nanetta ne
comprend plus rien à ce qui se passe, et son éton-
nement est au comble lorsqu'elle reçoit en l'ab-
sence de Venanzio, à qui elle était destinée, une
lettre mystérieuse, sans signature, et conçue à
peu près en ces termes : « Tu ne me reverras
plus ; souviens-toi de la nuit de telle date, et pro-
tège l'enfant que le sort t'a confiée. »
Le dernier acte, qui se passe chez le juge
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Les Zampognatori, joueurs de musette devant la madone.
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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 343
d'instruction, nous fait assister au défilé de tous
les témoins sérieux et comiques. Il importe
d'abord de savoir quel est cet assassin présumé,
ce Luigi qui est bien forcé de confesser qu'il n'est
autre que Luigi Falchi dont la famille exilée
vient précisément de bénéficier d'une clémence
royale ; Nanetta vient remettre au juge la lettre
inintelligible qu'elle a reçue et nous n'en sorti-
rions jamais sans la bonne pensée qui amène
Gennaro, le seul qui tienne en son pouvoir la
clé de l'énigme. Son récit sera simple : il sort
du bagne ; il a appris par son ex-compagnon de
chaîne les particularités de l'assassinat du baron
et le nom de son meurtrier : Venanzio. Nanetta
est la fille de la victime et le jeune Luigi son
propre cousin.
Puis tirant un couteau de sa poche — que de
couteaux ! — il en frappe Venanzio en disant : —
Quant à l'assassin de Salvatore qui m'avait pris
ma femme, c'est le même que celui de Venanzio,
et cet assassin, c'est moi seul.
Pièce habilement bâtie, avec toute espèce de
réminiscences de bons vieux mélos, mais dont le
but est parfaitement atteint, car ces six actes sont
joués sans presque aucune interruption à cause
de ce système qui consiste à n'avoir que des
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344 LE THEATRE NAPOLITAIN
toiles de fond qui se succèdent les unes aux
autres: drame amusant, intéressant, honnête,
où le côté comique trouve aussi sa petite place
avec un greffier doué d'un tic nerveux, un per-
sonnage très myope qui se cogne à tous les
meubles et s'excuse toujours, etc., etc.
Mais quelle belle voix de drame et quelles jolies
attitudes naturelles possède cette M™^ À. Lazzari !
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XXI
LA CANTATE DES PASTEUR
Nous avons raconté comment à No(
sociale et industrielle était suspendue. ]V
avons oublié de dire que tous les théâ
fermés la veille de Noël à l'exception de
Ton donne la Cantate des pasteurs^ une
fois à onze heures et demie du soir oi
et une seconde fois à deux heures et (
matin. Ces théâtres à Cantate étaient ce
au nombre de trois : le Politeama, le \
le San Ferdinando. Les artistes sont <
teurs.
Comment se trouver à Naples une
Noël et ne pas aller entendre la Cantate
dit que cela n'a pas grand'chose à faire
dramatique. N'importe, cela me donn»
être une idée de ce que pouvaient être c
les Mystères.
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346 LE THEATRE NAPOLITAIN
Je choisis le théâtre San Ferdinando, le plus
populaire des trois, d'autant plus qu'on y an-
nonce c( la Compagnie spéciale de la Cantate
des pasteurs dirigée par les célèbres Antonio
dei Cangiani et Salvatore Mauro ». On repré-
sentera les Deux Génies ou la Cantate des pas-
teurs ^ action pastorale fantastique en un prologue
et trois actes de Salvatore Mauro.
Prologue. — Adam et Eve ;
Acte I. — ^ Sur le Jourdain ;
Acte IL — Le couronnement ;
Acte IIL — La lumière dans les ténèbres.
Arrivé là, je trouve une foule bigarrée, grouil-
lante, assez paisible. Il y a tellement de monde
que Ton met des chaises de paille dans l'allée
qui donne accès aux fauteuils. J'avais retenu
ma place à l'avance, et bien m'en avait pris. Un
homme qui n'a aucun signe distinctif me
déchire mon billet en deux et me dit : En
avant ! du ton d'un général qui enverrait ses
troupes à l'assaut. Je fais déplacer des chaises,
je joue des coudes, j'entre avec peine dans
mon rang, je m'assieds avec plus de peine
encore. Je pense à notre pauvre « oncle » Sar-
cey qui n'aurait jamais pu entrer dans ce fau-
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LA CANTATE DES PASTEURS 347
teuil. Une fois là, je jette un coup d'œil autour
de moi : partout des têtes, et cela sur une hau-
teur de cinq étages ! En haut, à la galerie, où
Ton ne paie que 23 centimes, le spectacle est
inénarrable. A tous les autres étages, où la
loge entière se paie 3 lires 50, 4,50, 5,50, on ne
voit que gens entassés à raison de 10, 12, 15 per-
sonnes par loge! Autour de moi, des ouvriènes
en cheveux, avec accroche-cœurs, un marin, des
petits boutiquiers endimanchés, des enfants à
profusion.
Après un air quelconque joué par les huit
musiciens qui comj)Osent l'orchestre, la toile se
lève sur un décor de paysage. Le programme
nous a prévenus que nous étions dans le Para-
dis terrestre^ et le programme a bien fait, car je
n'aurais jamais eu Tidée que cette toile de fond
où figure un bois de sapin, fut TEden. Il est vrai
que cet aspect un peu sévère est corrigé par un
bouquet de bambous placé au milieu du théâtre,
et par une poire naturelle suspendue à Tun des
bambous. L'on voit distinctement sur cette poire
la trace de morsures qui doivent provenir d'une
représentation ou d'une répétition récente. Adam
et Eve fort décemment vêtus en percaline bleue
sur laquelle on a cousu des roses en papier
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3i8 LE THEATRE NAPOLITAIN
(ô mes illusions !) devisent ensemble. Je re-
marque même que la coiffure de notre mère
Eve est aggravée d'une couronne de roses en
papier fané. Adam a Faîr sincère, convaincu de
sa mission biblique ; Eve, qui semble avoir été
arrachée à ses occupations domestiques, me fait
l'effet de regretter son fer à repasser. Elle re-
garde çàet là distraitement, dans la salle, dans
la loge du souffleur, et se trouve évidemment
tout étonnée de parler devant tant de monde.
Quand tout à CQup un bruit de ferrailles se fait
entendre pour nous annoncer l'arrivée de Sa-
tan tout bardé d'objets estampés et dorés, et dont
les chaînes de cuivre qui pendent de ses brace-
lets font un cliquetis continuel sur ses attributs
variés de métal. Il est très correct, ce Satan ;
une belle barbe noire, le haut du visage bar-
bouillé d'ocre, et des gants de peau noire un
peu fatigués par l'usage, ce qui me ferait croire
que Satan ne date pas d'hier. Vous avez déjà
deviné que ce Satan venait faire des propositions
déshonnêtes aux deux « petits bleus », mais ceux-
ci tombent en prière, ce qui a pour effet immé-
diat de lui donner des convulsions. Pourquoi
faut-il qu'Eve Pécoute un peu plus tard et se
résolve à détacher la poire qui est suspendue au
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LA CANTATE DES PASTEURS 34^
bambou^ Je sais bien qu'il n'y aurait plus de
pièce! Ah! c'est Adam qui n'est pas content, je
vous le jure — Tingrat ! — surtout lorsqu'une
grosse caisse résonne dans la coulisse et que le
préposé à la lumière électrique interrompt folle-
ment et alternativement le courant des lampes à
incandescence rouges et blanches ! Adam pousse
des cris stridents et se roule par terre, ce qui
attire dans ces lieux un nouveau personnage
que j'avais pris d'abord pour l'archange Gabriel,
mais qui est désigné sur le programme par le
nom de V Amour. Cet amour — puisque amour
il y a — est représenté dans la circonstance pax
une jeune personne très candide et fort peu
expérimentée, qui tient de sa main droite une
petite épée à la façon d'une broche de rôtisserie,
et de sa main gauche un minuscule bouclier eo
fer-blanc. Une perruque blonde à frisures, de
celles que Ton met aux enfants Jésus dans les
crèches, entoure son gracieux visage, et sa tête
est surmontée d*un casque avec un panache
blanc pas méchant.
Elle récite son rôle à la façon d'un compli-
ment, et réconforte Adam et sa compagne qui
en avaient grand besoin ; Satan veut fuir, mais
surgissent de droite et de gauche des enfants de
20
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3J0 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
quatre à cinq ans, costumés en « Dieu Mars w,
et le menaçant de- leurs petites épées en carton.
Il paraît que l'apparition de ces enfants est une
trouvaille du genre, car des applaudissements
nourris éclatent de toutes parts. La toile tombe,
mais le public veut revoir cette scène délirante.
On fait rentrer les enfants dans la coulisse.
Satan est haletant ; on croirait qu'il vient de
soulever des poids. Nous revoyons les bébés
roses et les petites épées en carton, et nous en
avons fini avec le prologue. .
Jusqu'ici, me dis-je, c'est classique. A moins
de nous montrer la création du monde, Tauteur
ne pouvait pas remonter plus loin. Mais que
veut dire alors le titre de l'acte premier Sur le
fleuve du Jourdain ? Ne verrons-nous pas au
moins l'arche de Noé? A peine avais-je fini ces
réflexions que la toile se relève sur un paysage
alpestre. Il a beaucoup neigé et Ton aperçoit —
toujours sur le fond — une niche avec une
madone. Déjà! Mais quel est notre étonnement
lorsque dans ce défilé du Val de Travers ou
d'aulre part, nous voyons arriver un écrivain
public du xviii* siècle vêtu en Crispin, puis une
sorte de mayeux^ bossu, tordu, avec des loupes
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352 LE THEATRE NAPOLITAIN
L'écrivain public long, maigre, râpé, décharné,
c'est Razzullo ^
Le mayeux c'est Sarchiapone.
En quoi se rattachent-ils à l'action, allez-vous
me deniander? mais j'aime mieux vous faire un
double aveu tout de suite. C'est qu'il n'y a pas
d'action, et qu'ils ne se rattachent à rien du
tout.
Donc, à partir de ce moment, nous assisterons :
i^ A des dialogues interminables entre Razzullo
et Sarchiapone, interrompus de temps à autre
par l'apparition d'un pêcheur, vêtu en Masa-
niello d'opéra-comique, d'un chasseur habillé en
postillon, avec un col cassé et un feutre mou,
un petit arc à la main (on n'invente pas ces choses
là) ou encore d'un vieux berger recouvert d'une
peau de mouton et qui semble sortir d'un ate-
lier de peintre à Montmartre.
2*" A l'apparition périodique de saint Joseph,
de k Vierge Marie, d'un ou de plusieurs Diables,
et de l'Amour.
Je remarque, en passant, qu'Adam est devenu
saint Joseph, et Eve la Vierge Marie; sans vou-
loir approfondir ce mystère je me contenterai
* Le personnage de Razullo avec un z, grattant une guitare
se trouve représenté dans / Balli di Sfessania de Callot.
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LA CANTATE Dl
de VOUS dire que saint
écharpe jaune (quelle id
cette couleur), et la Vier
percale bleue, un corsage
à la taille, et qu'elle est
perles.
Mais que diable peuvei
et Sarchiapone? — supp<
rebattus des parades de f
plaisanteries des pitres,
dialogues, et vous serez <
dessus des propos échan^
L'un écrase le pied de
compagnon, ou a peur i
battre, ou se sauve en gri
Une pierre en pleurerail
voici le pêcheur qui vie
sans ouvrage de venir pê
vous, par curiosité,un é(
gaies? Je cite, de mémoir
texte se trouverait difficile
Le pécheur. — Veux-ti
moi?
Razzidlo. — Ca dépem
à faire ?
Le pêcheur. — Donne-
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354 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Razzullo. — Mon chapeau?
Le pêcheur. — Oui.
Razzullo. — Le voilà.
Le pêcheur. — Ce chapeau n'est plus à toi.
Razzullo. —Comment? Il n'est plus à moi ?
(// veut le reprendre.)
Le pêcheur. — Il te représente un panier.
Razzullo. — Allons, bon î Voilà que mon cha-
peau est un panier! {Le public ?nê l)
Le pêcheur. — Je veux dire que ton chapeau
représente pour le moment un panier.
Razzullo. — Ah ! je comprends. C'est pour
jouer.
Le ])êcheur. — Oui, Nous faisons semblant.
Regarde.
Razzullo. — Que je regarde quoi?
Le pêcheur. — Dans le panier.
Razzullo. — Quel panier ? {Le public rit ! !)
Le pêcheur. — Dans le chapeau, veux-je dire.
Razzullo^ regardant. — Eh bien ! je ne vois
rien.
Le pêcheur. — Imbécile ! Tu ne comprends pas,
nous faisons semblant.
Razzullo. — Ah ! oui ! Èh bien?
Le pêcheur. — Regarde : Voici des anguilles,
des "soles.
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356 LK THEATRE NAPOLITAIN
que la première actrice, revenant à ses instincts
professionnels, n'eut à quelque moment Tidée
d'y étendre son linge à sécher. Eh ! bien, pas du
tout : ce câble n'était laque pour attirer FAmour
suspendu à deux gros fils de fer, et régler ses
gracieux mouvements dans l'espace. Mais reve-
nons aux deux pêcheurs, car nos idées se pres-
sent un peu confuses, encore plus confuses que
celles de l'auleur, ce qui peut paraître invrai-
semblable.
Eh bien! Satan fait éclater une tempête. Il
empoigne le panneau qui servait de barque et le
jette dans la coulisse. Les deux pêcheurs dont
les jambes sont mises à découvert se sauvent
comme ils peuvent sur les ondes, tandis que
Satan inflexible plonge. Comment? Ah! j'atten-
dais cette question. Mais, de la façon la plus
simple du monde : en entrouvrant la toile de fond
fendue qui représente la mer, et en disparais-
sant par Touverture. A l'instant même celte toile
se relève des deux côtés à la façon d'une draperie,
et nous assistons à un bien poétique spectacle :
l'Amour, éclairé à la lumière oxydrique et monté
sur un piédestal, tient par la main RazzuUo et le
pêcheur qu'il a sauvés. Au premier plan deux
démons sont littéralement aplatis, et deux des
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LA CANTATE DES PASTEURS 357
bébés roses du commencement posent un pied sur
eux en soulevant leurs petites épées en carton.
Les applaudissements redoublent. Il faut recom-
mencer le plongeon et l'apothéose. Et à propos :
pourquoi les démons, quand ils succombent,
jugent-ils nécessaire de faire des « rétablisse-
ments » sur la tête en restant les jambes en Tair,
au lieu de se coucher de suite à terre ? Ça doit être
une tradition... Ça n'en est pas moins original.
L'auteur, au deuxième acte, nous avait pro-
mis dé nous faire assister au « Couronnement »
J'aime mieux vous dire de suite qu'avant d'en
arriver là il va nous falloir entendre encore les
interminables lazzi de Razzullo et de Sarchia-
pone jusqu'au moment où ce dernier sera sou-
levé dans les airs sur le dos d'un crocodile. Mais
j'abrège : saint Joseph et Marie ne savent où
passer la nuil ; l'Amour, qui décidément est bien
obligeant, les conduit dans une grotte d'où Ton
chasse les démons: et nous voyons, comme fin
d'acte, une couronne d'argent supportée par
deux anges en carton descendre sur la tête de
la compagne de saint Joseph. (Scène bissée.)
Troisième et dernier acte : encore les pitreries
de Razzullo et de Sarchiapone. Cette fois je de-
mande grâce, je suis vaincu comme Satan va
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358 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
Têtre tout à Theure. Tout mon bon vouloir se
lasse en face de tant d'inepties : Razzullo a volé
un panier de provisions au vieux berger. Il vient
en manger le contenu assis par terré au milieu
de la scène, et comme une partie du parterre
ne peut l'apercevoir à cause de la boîte du souf-
fleur, Ton crie très fort : « On ne voit pas ! »
Un grand artiste se fût intimidé peut-être. Raz-
zullo ne s'embarrasse pas pour si peu : il enlève
la boîte, la porte dans un coin du théâtre, et
continue tranquillement sa dînette. Il découvre
un plat de maccheroni : dans la salle, c'est du
délire. Sarchiapone entre en sourdine, s'assied
derrière lui et lui boit son vin. Bref, ils en arri-
vent à manger tous deux bestialement les fameux
maccheroni avec les doigts ; c'est dégoûtant ,
écœurant, et Ton trépigne de joie, lorsqu'un
enfant, le fils du berger, vient leur annoncer que
les mets étaient empoisonnés — simple plaisan-
terie, bien entendu.
Tout se terminera le mieux du monde : le
vieux berger conviera tout le monde, sauf les
démons, à venir chanter une cantate (enfin!)
devant la crèche où se trouvent saint Joseph et
Marie et où -^ détail voulu ou non, je ne sais —
on ne voit pas l'Enfant.
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XXIf
CONCLUSION
La ville de Naples, absolument unique en son
genre, ne peut pas plaire à tout le monde du
premier coup. La beauté de son site, • son ciel
bleu, son incomparable golfe, l'aspect grandiose
du Vésuve, sa ceinture de villas et de jardins ne
suffisentpastoujours,pendantles premiers temps,
à faire oublier les ruelles sombres et fétides, les
loques pendues aux fenêtres, les guenilles sans
nom étalées en plein air, les mendiants obsé-
dants couverts de haillons, les cochers de fiacres
importuns et lassants, les camelots agaçants, les
promiscuités douteuses, les senteurs de cuisine
suspecte, les tas d'immondices par les rues, les
gens de tout âge et à toute heure du jour, au
milieu des promenades — sur la piste des cava-
liers de la Villa Nazionale^ par exemple — sous
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352 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN
les yeux de l'autorité complaisante, ne s'en tenant
même pas à la distraction qui rendit fameux le
roi Dagobert, mais poussant Taventure encore
plus loin.
Malgré tout le désir que peut posséder un
étranger d'admirer de confiance, et sur réputa-
tion faite, tous ces détails, et bien d'autres
encore, dans une ville dite civilisée et sur le
seuil du XX® siècle, choquent Tœil, le goût et
l'odorat, et font mal juger Naples à première vue.
Joignez à cela les histoires non pas de brigands,
mais de camorristes que les romanciers plus ou
moins fantaisistes se sont plu à colporter dans
leurs ouvrages, le cliquetis des couteaux, l'audace
légendaire des voleurs, que sais-je encore?
Puis, tout compte fait, lorsque l'on habite
Naples, les mauvaises impressions des premiers
jours vont s'effaçant : Ton s'aperçoit bientôt que
s'il y a des ruelles fétides où personne ne vous
force de passer, il ne manque pas de larges rues
modernes dont les somptueux magasins peuvent
rivaliser de luxe avec ceux de Paris ou de Lon-
dres ; que la Riviera di Chiaia n'a guère à se sou-
cier du linge qui sèche à Santa Lucia ; que les
mendiants se déconcertent quand on prend le
parti de ne jamais leur répondre ; qu'il y a façon
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CONCLUSION 363
de se débarrasser des cochers de fiacres avec un
signe de tête familier aux vrais napolitains ; que
s'il y a des rues malpropres il y en a d'autres
qu'on balaie ; que la camorra est une chose pure-
ment locale et qui laisse les étrangers parfaite-
ment tranquilles ; que les coups de couteaux —
et j'en ai fait la preuve par des journaux du
même jour comparés pendant quelques semaines
— ne sont pas plus nombreux à la Porta Ca-
puana qu'au boulevard de la Villette, et que les
tire-bourses — la faim est grande à Naples —
ne s'en prennent jamais qu'aux personnes éta-
lant des bijoux avec trop d'ostentation. — C'est
ainsi que les dames portant des châtelaines en
or bien en évidence, ou de petits sacs ou réticules
à la main, sorte d'invitation à les prendre, ont
toutes les qualités requises pour devenir une proie
facile.
Lorsque toutes ces préoccupations de la pre-
mière heure ont disparu, on prend la peine de
regarder un peu plus autour de soi. L'on s'aper-
çoit alors qu'une exquise politesse est de règle
dans la haute société napolitaine, et que ce
peuple, après tout, pris en bloc, est le meilleur
enfant du monde, le plus passif, le moins con-
trariant. René Bazin raconte dans son livre sur
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364 LE THEATRE NAPOLITAIN
la Sicile qu'interrogeant un jour, à Aci-Reale,
auprès de TEtna, un petit commissionnaire de
douze ans, il lui avait demandé d'un ton léger
de reproche pourquoi il n'était jamais allé à
l'école. L'enfant regarda son interlocuteur avec
des yeux éclatants, intelligents, spirituels, déci-
dés, presque insolents.
— Monsieur, répondit-il, il est bon d'aller à
l'école, mais quand on a du pain.
Mot profond, que pourrait répéter le Napoli-
tain.
Le Napolitain — et pour se convaincre de ce que
j'avance il suffira d'interroger tous lés étrangers
qui habitent Naples ou qui y ont séjourné quel-
ques mois — est, la plupart du temps, un incons-
cient. Songez que quarante ans après l'annexion il
y a plus de 40 p. 100 de conscrits absolument illet-
trés, soit presque tous les gens du peuple. Dans
l'ensemble de la Campanie, il y en a 56 p. 100,
et 07 p. 100 à Salerne. Chez les femmes, la pro-
portion est beaucoup plus considérable.
« En fait de religion, a écrit M. Marcellin Pellet
qui fut quatre ans consul de France à Naples,
le popolano ne pratique guère qu'une supersti-
tion fétichiste assez éloignée du christianisme.
Par bonheur, son insouciance, sa résignation ne
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CONCLUSION 365
lui permettent pas d'attacher trop d'importance
aux privations les plus dures auxquelles il est
habitué dès le ventre de sa mère. Violent et
prompt à jouer du couteau, il n'est pas mauvais
au fond; peu accessible aux haines de classe,
il respecte la bourgeoisie et la noblesse qui parta-
gent plus d'un de ses préjugés. » Et, de fait,
les rapports entre patrons et ouvriers sont bien
meilleurs à Naples que dans la haute Italie, et
tous les chefs de maison, les contremaîtres —
dont beaucoup d'entre eux italiens du nord,
français, suisses, allemands, etc. — m'ont tou-
jours affirmé qu'ils trouvaient chez le napolitain
dont le salaire est pourtant bien inférieur à la
plupart des salaires en cours, une obéissance,
une docilité, une douceur... depuis longtemps
inconnues autre part.
Le Théâtre TiMpolitain devait être à l'image de
ce peuple : bon enfant et gai. Il ne va pas cher-
cher les thèses, il ne s'arrête pas devant les élats
d'âme, il observe ce qu'il voit dans la rue, en rit
et fait rire.
Tel que la ville que nous venons de décrire
21.
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366 LE THEATRE NAPOLITAIN
y
en quelques mots, le théâtre napolitain ne peut
pas plaire du premier coup : il faut le connaître
pour Taimer ; mais — ville ou théâtre — quand
on les connaît on les aime, et quand on les aime
on ne saurait plus les oublier.
C'est ainsi que j'ai vu pour la première fois
Pulcinella sans plaisir ; que je suis retourné l'en-
tendre par curiosité ; que j'ai étudié son passé
avec intérêt; que je me suis pris d'engouement
pour ses faits et gestes et que je me suis pas-
sionné pour sa personne le jour où j'ai commencé
à connaître et à aimer Naples, parce que Naples
et Pulcinella, c'est tout un.
Voilà pourquoi Pulcinella n'est pas un article
d'exportation, pas plus du reste que le Guignol
lyonnais dont l'esprit s'émousse dès qu'il a perdu
de vue la Croix-Rousse, pas plus que les chansons
des cabarets de Montmartre*dontle sens est déjà
inintelligible à Montrouge.
Quant au soi-disant théâtre * napolitain ré-
formé, j'ai assez démontré, je pense, qu'il n'avait
rien réformé du tout^ que ce n'était qu'un pâle
reflet de pièces italiennes, françaises, anglaises
traduites mot à mot ou dénaturées. C'est la fin
dé toute originalité, et ce n'est pas dans cette
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CONCLUSION 367
voie-là que doivent travailler les jeunes auteurs
napolitains soucieux, avec raison, de la gloire
de leur vieux bouffon national. Qu'ils s'inspirent
de leurs aînés, qu'ils tiennent compte des tradi-
tions tout en rajeunissant le cadre, qu'ils mar-
chent sur les traces des Altavilla et des Petito en
tenant compte du temps où ils vivent, et qu'ils
nous conservent enfin ce type d'une essence si
particulière qui doit vivre aussi longtemps qu'il
y aura un lazzarone sur le môle et un piz-
zaiuolo dans les environs de Toledo.
Naples, 8 avril 1900.
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TABLE
Préface, par M. Gustave Larroumet i
I. A la recherche de Pulcinella ....... 3
II. Acte d« naissance de Pulcinella 13
III. Fondation du San-Carlino 31
IV. Le théâtre San-Carlino 51
V. Démolition du San-Carlino 65
VI. Le théâtre Nuovo 89
VII. Une première soirée au Nuovo . ...... 109
VIII. Le répertoire du Nuovo. — L'éruption du
Vésuve et un diable endommagé .... 127
IX. Le premier et le second étage. — Un maire
rageur 143
X. La veille de Noël. — Colombine avec Pul-
cinella. — Don Felice et don Pipetto
enfournés
XI. Le cinématographe, revue de Tannée. ... 177
XII. Pulcinella et C. voleurs d'un trésor. — Au
bas port 199
XIII. Pascariello. — Les types populaires napoli-
tains 217
XIV. Coup d'œil d'ensemble sur le répertoire du
Nuovo 237
XV. Eduardo Scarpetta 249
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073 TABLE
XVI. Guerre ouverte à Pulcinella 267
XVII. Nouveaux mémoires de Scarpetta. — Le
répertoire actuel des Fiorentini 279
XVIII. Les petits théâtres. — La Fenice 295
XIX. Le drame populaire napolitain. — La fonda-
tion de la Camorra 311
XX. Encore le drame populaire. — La belle de
la Porta Gapuana. • 329
XXI. La cantate des pasteurs . . .' 345
XXII. Conclusion 361
KVUEU.X, IMPUiaiEUIE DE ClIAIiLES UEI5ISSEY
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lies Lkîvttes da Joap
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Par Maurice D
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Par Abel HEJ
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Par Henri LA
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Sont les derniers succès du Théâtre
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