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Full text of "Le theatre hors de France, Volume 4"

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Le théâtre hors de France 



Henry Lyonnet 



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TERQUCM REU. 



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LYONNET 



ORS DE FRANCE 



Quatrième Série 

Pulcinella & C. 

(Le Théâtre Napolitain) 

AVEC UNE PRÉFACE 

DE 

GUSTAVE LARROUMET 

Membre de l'Institut. 



OUVRAGE ILLUSTRÉ 

DE 

50 PHOTOGRAVURES 



Dfi 



SOCIÉTÉ D'ÉDITIOI 

Lihrai 
$0, CHAI 



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f^BSi. 



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Pulcinella & C 

(LE THÉATRH NAPOLITAIN) 



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HENRY LYONNET 



LE THEATRE HORS DE FRANCE 



Quatrième Série 



Pulcinella & C. 

(LE THÉÂTRE NAPOLITAIN) 

Ouvrage illustré de ^o photogravures 

Avec une Préface de Gustave LARROUMET 

Membre de l'Institut. 



Deuxième édition. 



'^^^ or THE '^>-^ 
UNIVER8ITY 

.cmJIs^ paris 

SOCIÉTli D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES 
Librairie Patd Olhndorff 

50, CHAUSSÉE D'aNTIN, 50 

1901 
Tous droits réservés. 



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PREFACE 



M. Henry Lyonnet offre une très particulière phy- 
sionomie d'écrivain. Il est le contraire du pur homme 
de lettres, tout entier à sa profession et sédentaire 
au milieu des livres. Quoiqu'il ait déjà publié six 
volumes, la littérature n'est pour lui qu'une distrac- 
tion. Il est commerçant et il voyage, mais, grand 
amateur de théâtre, après avoir vaqué pendant le 
jour à ses affaires, il s'informe le soir de ce que le 
pays où il se trouve peut offrir comme spectacles ; 
ensuite il note ce qu'il a vu. Après l'Espagne et le 
Portugal, il continue par l'Italie son eaquète sur 
c( le théâtre hors de France ». 

Ses livres sont l'œuvre non seulement d'un curieux, 
' mais d'un chercheur. Si leur auteur n'emporte pas 
une bibliothèque dans ses voyages, il entre chez 
les libraires ; il complète par la littérature locale le 
résultat de ses propres observations ; sur chacun de 
ses sujets, il se fait une érudition. Ainsi documenté, 
il écrit sans prétention, voire avec quelque laisser- 
aller, mais d'une plume alerte. Ce n'est certes pas 
un styliste, mais il dit avec agrément des choses 
justes et neuves. 

Neuves surtout. Nous ignorons trop l'étranger, et, 



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PREFACE 

îulier, son théâtre. Notre supériorité dans 
matique est incontestable ; de là beaucoup 
pence pour ce qu'il produit hors de chez 
uf le cas d'une révélation impérieuse comme 
)sen. Mais, du fait même de son ancienneté 
Fécondité, notre théâtre souffre de la routine 
b des signes de fatigue. Il a besoin de se 
ier et non pas certes l'imitation, mais la 
isonpeut l'y aider. Au point de vue des su- 
conditions matérielles, de la formation des 
l'étude de l'étranger lui serait un stimulant, 
avoir étudié dans son ensemble le mouve- 
îâtral en Italie, du nord au midi de la pénin- 
Lyonnet concentre cette fois son obser- 
îur le théâtre napolitain et sur un point 
ier de ce théâtre, le répertoire,de Pulcinella. 
de côté le San-Garlo, la salle fameuse de 
►éra, le Mercadante et le Bellini, consacrés à la 
médie et à Topéra-comique. Il s'en tient aux 
aies populaires, le Nuovo, où continue de 
8 personnage typique du théâtre napolitain, 
r Pulcinella, et les Fiorentini, qui font con- 
5 au Nuovo . 

illette son livre avant vous et devant vous, 
is indiquer ce que vous y trouverez, me bor- 
Y joindre quelques réflexions personnelles, 
iru que c'était ici le meilleur moyen de pré- 
'auteur à ses lecteurs, comme il m'a fait, 
ir de me le demander. 



avons si bien adopté depuis trois siècles les 
aditionnels de la comédie italienne qu'ils ont 



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PREFACE III 

fiai par ne plus guère ressembler à leurs ancêtres^ 
mais, entre tous, ^oliehinelle est celui que nou^ 
avons le plus profondément modifié. Tandis que tel 
d'entre eux, comme Arlequin, a toujours retenu 
quelque chose de son origine bergamasque, ne fût-ce 
<iue son costume, il n'y a presque plus rien de com- 
mun que le nom entre notre Polichinelle français et 
le Pulcinella napolitain. Ils pensent, parlent et s'ha- 
billent de manière toute dififérente. 

C'est que Pulcinella est l'incarnation du caractère 
napolitain, qui ne ressemble pas du tout au carac- 
tère français. Comme le dit M. Lyonnet, « Pulcinella, 
qu'on le sache bien une fois pour toutes, est né entre 
Santa-Lucia et la Porta Gapuana. Il est Napolitain 
de la tête aux pieds, et toutes les tentatives faites 
pour le dépayser échoueront ». Il ne s'est même pas 
répandu dans le reste de l'Italie. A plus forte raison 
ne le retrouve-t-on pas dans les pays, autres que la 
France, qui ont cru l'accueillir et le garder. Le Punch 
anglais, le Hanswurst allemand, le Toneelyck hol- 
landais, le don Polichinela espagnol, le Karagheus 
turc ne sont que de faux Pulcinellas. 

Le vrai est un descendant de Maccus et de Bucco, 
deux personnages grotesques des antiques Atellanes, 
ces farces improvisées, que jouaient les paysans de 
Campanie. Maccus était maigre et Bucco était gras, 
tons deux gourmands et sensuels, menteurs et vo- 
leurs, fanfarons et poltrons, vaniteux et plats, niais 
et spirituels. A tous deux, Pulcinella prit quelque 
chose, tantôt chargé de graisse et tantôt famélique 
d'aspect, mais il dut surtout à Maccus. 

D'abord son aspect physique et son organe. Mac- 
cus avait le nez crochu, le dos convexe et le ventre 



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IV PREFACE 

bedonnant. Pais, sa spécialité était d'égayer Faction 
en imitant le piaulement du poulet, au moyen d'jine 
sorte d*appeau, le sgherlo ou pivetta, pour parodier 
la voix des acteurs passant à travers la bouche mé- 
tallique du masque. La pivetta est devenue la pra- 
tique, le seul trait essentiel que le Polichinelle fran- 
çais ait conservé de son origine napolitaine. 

Maccus était d'ordinaire vêtu de blanc. C'était le 
mimus albus. Le blanc est donc resté le costume tra- 
ditionnel de Pulcinella. Aujourd'hui encore sur les 
théâtres de Naples, il paraît toujours en blouse 
blanche très ample, serrée et plissée à la taille par 
une ceinture basse, en pantalon blanc et large, en 
souliers blancs à forte semelle, un chapeau pointu 
en feutre blanc sur un serre-tête noir^ un demi- 
masque en cuir verni au nez crochu. Dans l'occasion, 
il complétera ce costume par quelque pièce du vête- 
ment spécial à telle ou telle profession, mais le fond 
reste immuable. Tantôt gros et tantôt maigre^ scton 
le tempérajnent de l'acteur, il doit toùjerurs être 
agile et souple. 

Dès qu'il paraît en scène, le public crie, de tradi- 
tion : 

— Marchera! Maschera! (Le masque! le mas- 
que !) 

L'acteur doit alors s'avancer jusqu'à. la rampe, 
soulever son masque et saluer. Cette politesse accom- 
plie, Pulcinella replace son masque et commence. Il 
va offrir au populaire napolitain son fidèle portrait, 
car son répertoire est tout réaliste et d'observation. 

Au moment où ce masque se soulève, on est frappé - 
de la figure impassible, sérieuse, presque triste, qui 
apparaît un moment. Le titulaire actuel de l'emploi, 



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PREFACE V 

au théâtre Nuovo, Giuseppe De Martine, avec ses 
traits dodus, son œil calme, sa bouche fine, n'offre 
dans ses traits rien de la mobilité qui caractérise 
nos acteurs comiques. Qu'en ferait-il sous le mas- 
que? Aussi, ses principaux effets sont-ils des effets 
de diction. « N'ayant nullement besoin, dit M. Lyon- 
net, de contracter son visage pour y peindre ses sen- 
sations, Tacteur qui tient le rôle de Pulcinella de- 
vient, à la longue, une espèce de pince-sans-rire 
dont toute Faction consiste à bien lancer le mot. » 
C'est essentiellement un diseur. 

Il se dédommage par la gesticulation et, en ceci, il 
est l'image fidèle de ses compatriotes. Quiconque a 
vu Naples reconnaîtra la parfaite justesse du portrait 
suivant tracé par M. Lyonnet : . 

Le Napolitain parle avec les mains. Il avance les avant- 
bras ; ensuite, il rapproche ses mains ouvertes, les doigts 
fermés et allongés, comme s'il voulait recueillir de Teau 
de pluie ; il fes élève insensiblement jusqu'à la hauteur 
du menton, en les agitant toujours et eu rapproche les 
paumes, et il dit alors à son interlocuteur : 

— Capisce ? (Comprenez-vous ?) 

Ou encore, pour prouver son contentement ou témoi- 
gner de rafiTection à la personne à qui il parle — homme 
ou femme —-il lui caressera familièrement le menton d'un 
air protecteur, en lui disant : 

— Simpatico /ou Simpatica! 

Au théâtre, le personnage comique, s'il est contrarié, 
se mordra l'index de la main droite, puis élèvera la main 
vers le ciel en agitant les doigts. La soubrette, pour indi- 
quer qu'une chose est difficile, secouera sa main, les doigts 
mous et ballants, comme le font les gamins à l'école, lors- 
qu'ils font claquer leurs doigts en criant : 

— Chouette ! 



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PREFACE Vil 

bons tours, se moquant de lui-même et d'autrui, 
rarement dupe, surtout de lui-même. Les sujets où 
il parait sont de préférence des scènes de la rue, 
essentiellement napolitaines. Parmi les trente-cinq 
pièces jouées au Nuovo, du 1*"^ janvier au 30 mars 
1900, et cataloguées par M. Lyonnet, je relève les 
titres suivants : 

Pulcinella qui va trouvant son sort par les tnces 
de Naples. 

Au premier et au second étage, en haut du quar- 
tier de la Santéy avec Pulcinella serviteur plein de 
cœur. — Ce sujet-ci est particulièrement indigène. 
A Naples, en effet, la condition sociale change d'étage 
en étage plus brusquement que dans n'importe quelle 
grande ville. Les gens du premier et ceux du second 
ne vivent pas la même vie. 

La grève des cuisinières. 

Les cent disgrâces de Pulcinella. 

La veille de Noël, célébrée à Naples par des ré- 
jouissances gastronomiques qui laissent bien loin 
nos réveillons parisiens. 

Pulcinella tourmenté le jour de son mariage. 

La Carrera mise enrumeur par deux Pulcinellas, 
etc., etc. 

Les représentations de Pulcinella sont connues 
dès la fin du xvi® siècle et certainement elles remon- 
tent beaucoup plus haut. A Torigine^ leur réper- 
toire se rattachait è la Commedia delV arte, c'est-à- 
dire qu^l était improvisé sur canevas. Peu à peu, des 
auteurs se mirent à écrire pour lui et les premiers 
dont les œuvres se soient conservées datent du mi- 
lieu du xvin* siècle. La plupart étaient en même 
temps comédiens. Un des plus complets représen- 



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VIII PREFACE 

tants de l'espèce fut Pasquale Altavilla) mort en 
1872, qui, pendant trente-huit ans, alimenta le San- 
Garlino, le petit San-Garlo, c'est-à-dire le temple du 
genre pulcinellique, comme le grand San-Carlo Tétait 
de l'opéra. Il a fait imprimer une centaine de pièces, 
mais une grande partie de ses compositions est res- 
tée inédite. 

Qu'était-ce que cet Altavilla ? « Un observateur, 
répond M. Lyonnet, un fin et gai critique, saisissant 
l'actualité sur le vif, et, avant tout, un homme de 
théâtre, c'est-à-dire un amuseur. » Il a écrit et joué 
l'histoire de Na{)les au jour le jour, trouvant pour 
chaque fait cette forme concrète et saisissante qui 
est la forme dramatique. Cela ne l'avait pas enrichi, 
car les droits d'auteur à San-Garlino sont minimes, 
mais il portait gaiement et bonnement sa misère. 

Si, au sortir du théâtre, nous suivons l'auteur dans la 
vie privée, nous trouvons un homme bon, simple, doux, 
religieux jusqu'au bigotisme, allant entendre la messe 
chaque jour, sortant de l'église pour donner une leçon 
de guitare, se rendant ensuite dans quelque bureau 
public où il est copiste, faisant, avec la permission de son 
imprésario, sa partie de ténor dans une église, s'échap- 
pant de là pour enseigner la danse ou la mimique, et ne 
manquant jamais de se rendre à la répétition du San- 
Garlino pour mettre en scène une comédie nouvelle, tout 
en songeant à celle qu'il va écrire après diner dans sa 
cuisine. 

Dans les pièces d'Altavilla et de ses confrères, l'in- 
vention proprement dite est peu de chose : il n'y a 
guère d'intrigue. Le théâtre napolitain attache même 
peu d'importance à cette complication ingénieuse 



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PREFACE IX 

de faits qui a fini par prendre chez nous tant d'im- 
portance. Il finit n'importe comment. Ainsi par un 
compliment au public. 
Pulcinella veut se marier. Son maître lui dit : 

— Si tu persistes à vouloir épouser la Rosina, je 
te chasse. 

Pulcinella répond : 

— Peu m'importe ! 

Et, retirant son chapeau pointu, il s'avance vers^ la 
rampe : 

— J'ai un autre maître, fait-il, qui m'accueillera 
toujours avec faveur, cet honorable public dont j'ose 
réclamer les applaudissements. 

Et la toile tombe. 

Si ce théâtre s'inquiète peu de l'intrigue, il abonde 
en situations ingénieuses. Dans une pièce de Petito, 
le Diable endommagé, qu'analyse M. Lyonnet, se 
trouve l'indication d'une des meilleures scènes de 
Cyrano de Bergerac, la déclaration d'amour que 
Cyrano souffle au beau Christian. Pulcinella est le 
domestique d'un intendant amoureux et sot. Cet 
intendant veut faire une déclaration à sa dame et, 
ne sachant comment s'y prendre, il demande à Pul- 
cinella de lui souffler ce qu'il doit dire. Naturelle- 
ment, Pulcinella lui souffle des sottises et, pour 
doubler l'effet comique, l'intendant en ajoute de son 
cru. 

Ici, le Diable endommagé rappelle les Plaidews 
de Racine. Mais Petito n'a pas plus imité Racine que 
Rostand n'a imité Petito. 



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X PRÉFACE 

Anciens et modernes, antenrs et acteurs, répertoire 
et interprétation. M. Lyonnet énurn^^ les généra- 
tions d'artistçs et d' « écrivains » qui se 8cnit«ic- 
cédées à San-Carlino et caractérise leurs successeurs 
du Nuôvo. 

Le primitif San-Carlino s'élevait, depuis le milieu 
du siècle dernier, sur cette piazza del Gastello, qui 
fut longtemps un des coins les plus pittoresques de 
Naples. Plusieurs fois reconstruit, fermé, rouvert, il 
finit par émigrer, en 1884, au milieu du dédale 
grimpant de ruelles, pavées de lave glissante, qui 
s'accrochent au flanc de Montecalvario, et par s'y 
installer dans un vieil édifice, ce qui ne Tempêcha 
pas de 3'appeler le Nuovo. Il est à cette heure en 
pleine prospérité. 

Derrière une modeste façade, percée de trois 
portes, c'est une salle à peu près grande <;ommé 
celle de nos Variétés. Selon l'usage italien, elle offre 
cinq étages de loges, sans galeries ; à l'orchestre des 
fauteuils, des stalles et un parterre. On y entre sans 
autre formalité que de payer sa place au bureau et 
de déposer sa canne au vestiaire. En Italie, comme 
en Espagne et en Portugal, pas de contrôleurs, pas 
d'ouvreuses et une police réduite au minimum. 

Pourtant, selon la' remarque de M. Lyonnet, le 
peuple de Naples est « le plus remuant, le plus 
tapageur, le plus exubérant de la terre ». Mais, 
ajoute trop justement notre auteur, « il n'y a qu'en 
France où l'on soit toujours sous la férule du pion 
ou du contrôleur, depuis l'école jusqu'au théâtre ». 
Pour tout personnel, un placeur à qui on laisse la 
moitié de son billet, dans le cas fort rare de con- 
testation, et à qui on ne doit rien. Dans les loges, 



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PRÉFACE XI 

OÙ accroche son pardessus et son chapeau à une 
patère ; à Torchestre, on trouve adapté au siège que 
Ton a devant soi un petit mécanisme, simple et com- 
mode, pour recevoir ledit chapeau et pardessus 
celui-ci plié en deux. Sur le rideau est peint Timpro- 
visateiur, le fameux improvisateur de Naples, le 
cantatore^ qui n'est plus guère qu'un souvenir. Le 
public se compose de petite bourgeoisie, avec beau- 
coup d'enfants, surtout aux représentations de jour ; 
public nombreux et gai, sans excès de bruit. Une 
fois le spectacle commencé, il n'y a pas ou presque 
pas d'entr'actes, « de ces entr'actes énervants et 
lassants qui permettent, à Paris surtout, de ser- 
vir, ea trois heures d'horloge, un spectacle d'une 
heure et demie j»« 

C'est dans ce cadre et devant ce public que défile, 
avec une affiche nouvelle par jour , le vieux réper- 
toire de San-Garlino, toujours rajeuni et semblable 
à lui-même, c'est-à-dire simple et gai, piquant et 
décent. Pas une pièce où ne paraisse Pulcinella. Le 
Pulcinella d'à présent est ce Giuseppe De Martino, 
dont je viens de parier. 

A cette heure, le Nuovo est un théâtre plus bour- 
geois que populaire. Est-ce à dire que Pulcinella ait 
perdu son caractère primitif? Non, il amuse tou- 
jours par la représentation du caractère napolitain, 
étudié surtout dans le peuple et dans la rue, mais, 
dans cette ville où la petite bourgeoisie et le peuple 
se mêlent, il se tient aujourd'hui plus près de celle- 
là que de celui-ci, alors que, à l'origine, c'était plu- 
tôt le contraire. Il n'y a rien perdu de sa verve et de 
son intérêt, il y a gagné en tenue relative et surtout 
en décence ; il s'est élevé d'un degré vers l'art. 



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XII PREFACE 

Quant au petit peuple, il n'est pas privé pour cela 
du héros favori auquel il a donné naissance et qui 
n'a pas renié son origine. Si le Pulcinella par excel- 
lence, il vero Pulcinella, est au Nuovo, il y en a 
d'autres puro sangue au Partenope, au Petrella, 
dans une foule de théâtricules, à dix sous et h, trois 
sous, où fréquentent les petits marchands et les 
lazzaroni. 



Il faut que Pulcinello et le Nuovo soient bien 
vivaces et qu'ils tiennent bien ferme au sol natal, 
car ils résistent à une concurrence redoutable, qui 
se proposait de les anéantir, celle de Scarpetta et du 
théâtre dei Fiorentini. 

Il signor cavalière Eduardo Scarpetta, aussi connu 
sous le surnom de don Felice, qu'il s'est donné lui- 
même, a déclaré à Pulcinella une guerre à mort ; 
il veut sa peau, comme nous disons. Directeur, 
auteur et acteur, il s'est installé près de la rue de 
Rome, l'ancienne et célèbre rue de Tolède, dans une 
salle très élégante, les Fiorentini, et pàf un mani- 
feste en règle, plus grandiloquent que la préface de 
Cromwell, il a déclaré que les vieilleries tradition- 
nelles du Nuovo devaient céder la place à un art plus 
moderne et plus vivant, le sien. 

Mais cet art original consiste principalement à 
« réduire », comme dit Scarpetta, des pièces étran- 
gères, surtout françaises, ainsi le Bébé de Henne- 
quin et de Najac, qui est devenu Tetillo aux Fioren- 
tini. 

Scarpetta s'est enrichi à ce commerce , malgré 



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PRÉFACE XIII 

quelques désagréments, comme une condamnation 
toute récente pour avoir trop visiblement « réduit », 
sous le titre de Girolini e Pirolo, notre Coquart et 
Bicoquet. Cette entreprise est sévèrement jugée par 
M. Lyonnet, qui défend avec vigueur Pulcinella et 
le Nuovo. Les chapitres qu'il leur consacre sont bien 
amusants par la forme et par le fond, pleins de faits 
et de verve. Il en résulte de don Felice une figure 
quasi grandiose de faiseur dramatique. 



J'ai pu entrevoir à Naples ce que M. Lyonnet a su 
voir à fond. Ceux des faits et opinions exposés par lui 
qu'il m'a été donné de contrôler par mes propres 
impressions m'ont fait voir en lui un guide très sûr 
et, par là, m'ont permis de préjuger l'exactitude du 
reste. Sans appareil d'érudition ni prétention d'au- 
cune sorte, il nous donne une étude exacte et com- 
plète sur un des types les plus populaires et les plus 
curieux du théâtre universel. Est-il beaucoup de 
livres plus majestueux et à plus hautes visées dont 
on en pourrait dire autant ? 

Gustave Larroumet. 



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G. De Marlino, le « Pulcinclla » actuel du Nuovo. 



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PULGINELLA & G 

THEATRE NAPOLITAIN 




A LA RECHERCHE DE PULCINELLA 



Arrivée à Naples. — Bruits de la mort de « Pulcinella ». — 
Triste fin des aiitres Masques italiens. — Le Nord et le Midi. 

— Petit bonhomme vit encore. — Conversation avec un 
libraire. — Eduardo Scarpetta le tombeur de « Pulcinella i>. 

— Un livre à faire. — Les théâtres de Naples. — Le plus 
grand et le plus petit théâtre d'Europe. — « Pulcinella » au 
théâtre Nuovo. — « Don Felice » aux Fiorentini. 



J'arrivai à Naples très préoccupé, inquiet 
même. Ne m'avait-on pas affirmé que « Pulci- 
nella » était mort, bien mort ? Et les mieux 
informés ajoutaient même d'un air entendu : 
« Eduardo Scarpetta s'est chargé de l'enterrer 
en bonne et due forme. » Je m'empresse d'ajou- 
ter pour la compréhension de ce qui précède 
que ledit Scarpetta est l'enfant gâté des Napoli- 
tains et que, auteur, acteur, directeur, il a banni 



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4 LE THEATRE NAPOLITAIN 

de son théâtre par principe « Pulcinella », ses 
pompes et ses œuvres. 

J'avais beaucoup de raisons, en somme, pour 
ajouter foi à cette déplorable nouvelle. A Turin, 
j'avais vu le légendaire Giandiija réduit à ne 
paraître que sur un théâtre de marionnettes. A 
Milan, le fameux Girolamo^ son proche parent, 
subit le même sort. A Bergame, j'avais en vain 
cherché Arlequin et je n'avais retrouvé les cou- 
leurs rouges, jaunes et noires de son habit que 
dans les losanges qui décorent les façades des 
maisons, dans la bigarrure des carrelages et dans 
les armes de la ville. A Venise, je m'étais lon- 
guement promené sur la place Saint-Marc sans 
jamais rencontrer Sior Pantalone ; à Bologne 
les étudiants ne se souvenaient plus guère du 
Docteur^ et à Florence j'avais plaint le sort du 
Slenterello piteusement tombé sur les tréteaux 
de la foire. Pourquoi donc « Pulcinella », à Naples, 
n'aurait-il pas suivi le sort de ses très illustres 
rivaux ? 

Je n'avais plus, en ma faveur, qu'une chance 
basée sur l'observation que je vais dire : dans la 
plupart des pays que j'ai visités jusqu'à ce jour, 
j'ai toujours remarqué que le Noi^d dédaignait 
profondément le Midi et semblait vouloir ne le 



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A LA RECHERCHE DE PULCINELLA, 5 

considérer que comme une expression géogra- 
phique, tandis que le Midi, dans une belle indif- 
férence, se moque souverainement de tout ce que 
peut faire ou dire le Nord. Allez demander, par 
exemple, à un filateur de Catalogne ce qu'il 
pense d'un andalou ! Mais, par contre, allez de- 
mander à un andalou fièrement campé sur son 
pur sang avec son fusil en bandoulière, alors qu'il 
galope dans les champs de sa ganaderia S s'il 
se soucie de ce qui se passe dans les manufac- 
tures de Catalogne ou dans les mines de Bilbao! 
Si donc, pensais-je toujours à part moi, les Turi- 
nais, les Génois ou les Milanais, fidèles à la tra- 
dition que je viens de dire, ignorent absolument 
ce que font les Napolitains, ou sont mal infor- 
més, je suis sauvé ! Et de fait, lorsque j'arrivai à 
Naples, je m'aperçus bien vite que « Pulcinella » 
— comme le petit bonhomme — vivait encore ! 
J'allai chez un libraire, et ce libraire voulut 
bien me raconter qu'il avait assisté aux derniers 
beaux jours du fameux théâtre San Carlino^ mais 
qu'il ne lui déplaisait pas d'aller encore au Nuovo 
dernier refuge de « Pulcinella. » Je pris un 
logement en ville, et mon hôte me conta qu'il 

* Élevage de taureaux. 



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A LA RECHERCHE DE PULCINELLA 7 

— Oh ! dites-le, celui qui tua, ou mieux qui 
voulut tuer « Pulcinelia ». 

— Le misérable ! Ce n'est certes pas lui qui 
me documentera. De plus, à quelle date remonte 
celte publication ? 

— A 1883. 

— C'est trop vieux ; je veux du neuf. 

— Attendez ! justement vient de paraître Da 
S. Carlinoai Fiorentini (Du théâtre San Carlino 
au théâtre des Fiorentini), nouveaux mémoires 
d'Eduardo Scarpetta, 530 pages in-18, 1900! 

— Sapristi ! Mais ce n'est pas encore dans ce 
volume que j'entendrai parler de « Pulcinelia », 
puisque l'auteur veut Tenterrei* ! 

— Eh bien ! prenez alors la brochure de 
M. Benedetto Croce, déjà nommé, Pulcinelia e 
il personaggio del Napoletano in commedia. 

— Je la connais, répondis-je ; mais malgré la 
grande somme d'érudition qui s'y trouve rien 
n'y est assez précis, à mon avis. L'auteur com- 
mence par y avouer, par exemple, que « Pulci- 
nelia » ne se définit pas. Alors, quelle idée vou- 
lez-vous, à mon tour, que je m'en fasse ? Ce que 
je veux, c'est un livre où Ton me parle de « Pul- 
cinelia » tel qu'il existe, tel que nous pouvons 
le voir tous les soirs sur les théâtres de Naples, 



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8 LE THEATRE NAPOLITAIN 

OÙ Ton raconte ce qu'il dit, ce qu'il fait, le tout 
agrémenté de quelques histoires se rapportant 
au théâtre actuel napolitain. 

— Oh ! Monsieur, un pareil livre n'existe pas. 

— Eh ! bien, pensai-je, je tâcherai de le faire, 
et ce sera mon quatrième volume du a Théâtre 
hors de France ». — Et voilà! 

Les théâtres sont nombreux à Naples, relati- 
vement plus nombreux que dans aucune autre 
ville d'Europe. Ce peuple si gai, si vif, si bon 
enfant, a besoin de bruit, de musique, de rires, 
de bons mots, de chansons! Beaucoup de ces 
théâtres, tels autrefois chez nous au boulevard 
du Temple les Funambules et le Petit Lazari, 
donnent deux représentatiotistous les jours. Tune 
dite de joui\ qui commence à six heures et demie 
du soir ou à sept heures, selon la longueur du 
spectacle, l'autre dite de nuit qui lui succède 
entre neuf heures et demie et dix heures. Cha- 
cune de ces représentations qui n'ont presque 
pas d'entr'actes se termine invariablement par 
un petit concert dans lequel des duettistes ou 
une, deux, trois chanteuses, presque toujours 
fort jolies femmes, et quelquefois bonnes diseuses, 
viennent débiter les chansonnettes napolitaines 



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A LA RECHERCHE DE PULCINELLA 9 

les plus en vogue. De telle sorte que celui qui ne 
veut pas payer après minuit les cinquante cen- 
times obligatoires à son concierge (usage napo- 
litain), ou qui habite à Chiaia, au Pausilippe, à 
Portici, à Résina — car les faubourgs de Naples 
ont plusieurs lieues d'étendue, — peut tranquil- 
lement regagner son domicile vers dix heures. 
Le prix des places de ces spectacles de jour est, 
en outre, quelque peu moins élevé que pour les 
représentations du soir. Enfin, détail assez ori- 
ginal, c'est Naples qui, de toutes les villes d'Eu- 
rope, possède le plus grand théâtre, le San Carlo , 
et peut-être le plus petit, la Fenice, 

Quels sont à présent ces théâtres ? 

Voici le San Carlo, déjà nommé, accolé au 
Palais royal, construit en 1737 par Tarchilecte 
Angelo Carasale, détruit en partie par un incen- 
die en 1846, rebâti splendidement par Tarchitecte 
Niccolini. Il est à six rangs de loges, et chaque 
rang compte 32 loges. On l'ouvre généralement 
vers Noël pour y donner Topera et des ballets, 
et l'on en ferme les portes avant Pâques. 

Le Mercadante (ci-devant Fondo) en plein centre 
de Naples,entre l'Hôtel de Ville et le Môle, cons- 
truit en 1778, pour l'opéra et la haute comédie. 

Le théâtre Bellini, près du Musée, terminé en 

1. 



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À LA RECHERCHE DE PULCINELLA {{ 

Le théâtre Partenope, place Cavour, réper- 
toire napolitain avec « Pulcinella ». 

Le théâtre Mercadante, son voisin, même 
genre. 

Le théâtre des Variétés, théâtre élégant, pour 
Topérette; souvent fermé. 

Le théâtre Petrella, populaire, genres divers. 

Puis une foule de théâtricules à tous prix, à 
dix sous, à cinq sous, à trois sous, véritables 
boîtes à. puces — nous adoptons ce titre géné- 
rique pour ne pas entrer dans des détails trop 
réalistes — et où le personnage comique de la 
pièce doit invariablement jouer sous le masque : 
ce sont le nouveau Politeama, une baraque en 
bois, sur le môle, l'arena Mergellina dans le 
quartier de ce nom, puis les théâtres de marion- 
nettes avec tableaux peints à la porte, bouges 
aux entrées sordides, Stella Cerere, l'Immacu- 
lée, etc., où la clientèle ne se compose guère 
que des petits marchands et des lazzaroni du voi- 
sinage. D'autres salles, telles que celles du 
théâtre Umberto I et de TEden, près de la Bourse, 
du Salon Margherita sous la grande Galerie, sont 
uniquement réservées au genre dit Variétés ou 
café concert cosmopolite. 

D'où il résulte que si nous voulons connaître 



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II 

ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 



Une initiation nécessaire. — Origines de « Pulcinella ». — Ce 
qu'en pense M. Benedetto Croce. — Opinions de divers au- 
teurs. — Silvio Fiorillo ou le capitaine Matamore « inven- 
teur » de « Pulcinella » et père de Scaramouche. — Maurice 
Sand et le Pulcinella Ciuccio. — Antiquité du personnage. 
— Maccus et Bucco. — Rapprochement entre les coutumes 
de Pompéi et celles de la Naples contemporaine. — Etymo- 
logie du nom de « Pulcinella ». — Son costume. — Le seul 
et vrai « Pulcinella ». 



Ceci posé, devrons-nous aller au théâtre Nuovo 
comme on va dans le premier théâtre venu, c'est- 
à-dire sans préparation d'aucune sorte? Je ne le 
crois pas, car nous nous exposerions à une décep- 
tion. La ville de Naples n'est pas comme une autre 
ville, le peuple de Naples ne ressemble pas à un 
autre peuple, et le théâtre de « Pulcinella » n'a 
rien à voir avec tous les autres théâtres. Vous aurez 
beau aller chercher des points de comparaison 
entre Pulcinella et Brighella, Pierrot, Jocrisse, 
et tutti quanti^ rien n'y fera, car « Pulcinella » 



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14 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

c^est... Pulcinella. U est seul, il est unique en 
son genre, il est immense, il est génial quand il 
le faut! Mais comme il est en même temps l'ex- 
pression la plus typique, la plus sincère, la plus 
vraie du peuple de Naples — à tel point qu'à 
quelques lieues de distance le personnage est 
dépaysé — il faudrait supposer pour sa compré- 
hension immédiate que vous avez déjà longue- 
ment étudié le caractère du peuple napolitain. 
C'est pourquoi, en admettant que vous soyiez 
étranger, ou simplement italien des autres pro- 
vinces, « Pulcinella » doit vous être présenté 
d'abord dans toutes les règles, selon toutes les 
formes du grand et du petit cérémonial. 

Essayons tout d'abord de rechercher son acte 
de naissance dans la poussière des vieux gri- 
moires. 

Sur ce point, disons-le tout de suite, les dic- 
tionnaires et les ouvrages qui se sont occupés du 
théâtre napolitain ne sont guère d'accord. M. Be- 
nedetto Croce qui, par sa profonde connaissance 
en la matière, doit faire autorité au chapitre, le 
fait naître vers la fin du xvi® ou le commence- 
ment du xvif siècle, et lui donne pour parrain 
l'acteur napolitain Silvio Fiorillo qui s'était déjà 



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ACTE DE NAISSANCE DE PULCJNELLA 15 

rendu célèbre dans l'emploi du Capitaine espa- 
gnol sous le nom de Capitan Matamoros *. On se 
rî^ppelle, soit dit en passant, que ce Silvio Fio- 
rillo fut le père du fameux Scaramouche né à 
Naples le 9 novembre 1608. 

Scherillo, de son côté, dans son étude sur 
« Pulcinella » * s'en réfère sur ce point au témoi- 
gnage d'Andréa Perrucci dans son Arte rappre- 
sentativa (1699). Enfin Fier Maria Cecchi ni, l'ac- 
teur originaire de Ferrare, plus connu sous le 
nom de Frittellino^ avait précédemment affirmé 
le même fait dans son ouvrage publié à Padoue 
en 1628 ^ 

Nous savons effectivement que le personnage 
de « Pulcinella » figure dans le Viaggio del Par- 
naso de Corteseen 1621. L'année suivante le 
grand Callot nous donne le portrait de « PuUi- 
ciniello » dans les Balli di Sfessania. 

Puis le nom apparaît indifféremment sous les 



* Pulcinella e il personaggio del napoletano in commedia, 
Rome, E. Loescher e>C. 1899. 

* La Commedia delVarte in Italia, Etudes et profils, Rome, 
Loescher, 1884. 

3 Frutti délie moderne comédie et avisi a chi le récita^ di 
Pier MaHa Cecchini, nobile Ferrarese Ira comici detto Fnttel- 
linOy dedicati al Sereniss. Gran iJuca di Toscana, Ferdinando 
Secondo, in Padova, Appresso Guaresco Guareschi al Pozzo 
depinlo, 1628. 



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16 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

formes de Policinella^ Pulicinella^ Polecenella^ 
Pullecinella^ et, en italien, Pulcinella et Pulci- 
nello. 

Pier Maria Cecchini, contemporain de Silvio 
Fiorillo, nous déclare donc que ce dernier fût 
« Tinventeur » — c'est son propre terme — de 
« Pulcinella ». Mais n'oublions pas que Cecchini 
était de Ferrare, et que, par conséquent, ce per- 
sonnage était une nouveauté pour lui quand il 
vint à Naples. D'autre part, ce mot « inventeur » 
voudrait-il dire que Fiorillo tint lui-même cet 
emploi, comme semble le croire M. Benedetto 
Croce ? Tous les portraits de Silvio Fiorillo nous 
le représentent en costume de Capitan Mata- 
moros. Et puis comment se fait-il que son fils, 
l'illustre Scaramouche, qui vint en France vers 
1640, et qui y mourut cinquante-six ans plus tard, 
n'ait jamais essayé de reprendre pour son compte 
le masque de « Pulcinella » sur les planches du 
Petit Bourbon ou des autres scènes où il parut? 
L'on nous objectera que ce personnage aurait 
eu de la peine à être compris hors de Naples. 
Soit. Mais n'a-t-on pas acclimaté chez nous, aux 
siècles passés, l'Arlequin qui ne parle que le 
bergkmasque et Pantalon qui rie parle que le 
vénitien ? 



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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 17 

J'ai SOUS les yeux une liste de. pièces jouées 
à Paris par les Italiens au temps de Molière ou 
peu après lui , et je n'y vois pas une seule fois 



Pulcinella dans les Balli di Sfessania, par J. Callot. 
. (1622). 



figurer le nom de « Pulcinella ». Il n'apparaît 
point ou guère dans les troupes italiennes qui 
vinrent en France, et c'est encore Molière qui, 
dans un intermède du Malade imaginaire lui a 
donné le plus grand rôle; mais, comme Ta fait 
remarquer M. Louis Moland \ ce personnage ne 



* Molière et la Comédie italienne, par Louis Moland, p. 367. 
Paris, Didier et C^s 1867. 



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LE THEATRE NAPOLITAIN 

le remplacer le Pédant, et n'a point là son 
>riginal. D'où il résulte que Molière a bien 
lu parler de lui — puisqu'il lui a emprunté 
om — mais qu'il n'en a jamais connu le 
ère. 

onasque de « Pulcinella », — si nous vou- 
dmettre que Fiorillo en fût « l'inventeur », 
rait dû revenir de droit à Scaramouche, 
s, comme un héritage. Or, celui-ci semble 
tre fort médiocrement soucié. C'est pour- 
'aime beaucoup mieux croire que ce mot 
inteur » ne signifie pas que Silvio Fiorillo, 
lit chef de troupe, ne l'oublions pas, tenait 
iploi pour son compte, mais veut bien plu- 
e qu'il avait eu l'idée de mettre en lumière 
psonnage sur son théâtre, et d'en faire 
re le masque par quelque acteur de sa 
Lgnie. Ce qui nous induirait à penser que 
B par lui-même est beaucoup plus ancien 
j» 

is ce cas, Scaramouche n'avait aucune 
pour l'adopter en Italie ou en France, ce 
dvint. 

irice Sand, qui s'est occupé passionnément 
asques et Bouffons de la comédie italienne, 
in joli ouvrage à peu près introuvable à 



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AdTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA i9 

rheure actuelle, était absolument de cet avis ' : 
a Pendant tout le moyen âge, écrit-il, à Tépoque 
où Ton ne représentait sur les théâtres que des 
mystères, Pulcinella disparut. Ce n'est qu'au 
xvi' siècle, à la renaissance de» théâtres, qu'un 
comédien nommé Silvio Fiorillo tira ce person- 
nage de l'oubli, et introduisit Pulcinella dans les 
parades napolitaines. Fiorillo était chef d'une 
troupe de comédiens. Il jouait lui-même sous le 
nom du Capitaine Matamore^ et confia le rôle de 
Pullictnielio (comme on l'appelait alors) à Andréa 
Calcese, d'abord tailleur, surnommé le Ciuccio^ 
qui imitait dans la perfection Taccent et les ma- 
nières des paysans d'Acerra, près de Naples. Le 
Ciuccio mourut en 1636 ^. » 
Voilà une version infiniment plus acceptable 



^ Masques et Bouffons, (Comédie italienne) texte et dessins 
par Maurice Sand, gravures par A. Manceau, préface par 
George Sand, 2 vol. Paris, A. Lévy fils, 1862. 

* Qu'Andréa Calcese dit le Ciuccio ait tenu avec autorité l'em- 
ploi du « Pulcinella » dans les commencements du xvii" siècle, 
cela est incontestable, mais je ne puis m*empécher de signaler 
les contradictions suivantes que je relève au sujet de son ori- 
gine et de la date de sa mort : 

L'abbé PaciccheUi veut qu'il ait été jurisconsulte. 

Perrucci dans son Arte rappresentativa nie le fait, et pré- 
tend que ce fut un tailleur qui par ses études et sa grâce arriva 
à perfectionner le « masque » qu'avait inventé Fiorillo. Il fait 
mourir le Ciuccio de la peste en 1656 (et non 1636 comme dit 
Maurice Sand). 

Bastoli invoque l'autorité de Bernardo de' Dominici (Vite de" 



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20 LE THEATRE NAPOLITAIN 

que toutes les autres et qui met tout le monde 
d'accord, à moins que M. Benedelto Croce ne 
persiste à faire tenir Femploi de « Pulcinella » 
par le matamore en personne ? 

Quanta Tantiquité du personnage, c'est encore 
Maurice Sand qui nous semble le plus près de la 
vérité. 

« Ce fut vers Tan 840 de Rome, nous dit-il, que 
les Romains introduisirent chez eux le genre des 
pièces improvisées, diies A tellanes, avec les types 
principaux : Maccus, Bucco, Pappus et Casnar^ 
parlant l'osque, le grec et le latin. 

« C'étaient presque toujours des sujets cham- 
pêtres, les mœurs des paysans de la Campanie, 
puis les ridicules des habitants des petites villes. 
C'est Pappus prœteritus^ comme qui dirait P«n- 
talon éconduit ; Maccus soldat ; Macciis déposi- 
taire testamentaire ; le Médecin; les Peintres ; le 
Boulanger ; Pappus agricola. )> 

Le Maccus était vif, spirituel, insolent, un peu 
féroce; le Biicco était suffisant, flatteur, fanfa- 



Piltori NapolUani, t. III, p. 87) lequel affirme qu'il fut juris- 
consulte et* l'un des meilleurs acteurs de son temps non seule- 
ment à Naples, mais aussi à Rome où il fut appelé à jouer. 

Luigi Rasi (/ Comici italiani, p. 542) nous dit qu'il florissait 
vers 1660 ? Bien malin celui qui pourra déchiffrer cette énigme. 
— Ce qu'on ne saurait refuser au Ciuccio, c'est son talent 1 



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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 21 

ron, voleur et lâche. Le Pulcinella moderne a 
de ces deux caractères tout à la fois. 

« Le Maccus, personnage osque, a dit autre 
part M. Ferdinand Fouque, a pour caractère la 
sottise, rimpertinence. le désordre, comme son 
nomrindique ; — car en grec, «Jiaxxoîo-Qai signifie 
faire le bouffon, radoter, être fou... Le Maccus, 
dans les Atellanes, répond quelquefois à T Arle- 
quin, mais le plus souvent au Polichinelle. C'est 
un Maccus que représente la statuette en métal 
conservée au musée du marquis Capponi. II a 
une espèce de manteau qui lui descend aux ge- 
noux, et des sandales aux pieds; sa tête est rasée, 
sonnez est gros, courbe et crochu... On trouve 
encore un Maccus sur une cornaline : il est vêtu 
de pourpre; ses pieds sont nus ; sa tête est rasée ; 
son nez lui tombe sur la bouche et lui couvre le 
menton, ce qui lui donne un air stupide ; sa pos- 
ture est flegmatique, et ses bras qu'il tient croi- 
sés sur sa poitrine, sont entortillés dans son 
habit. Il représente un Maccus philosophe comme 
dans la comédie intitulée Polichinelle travesti en 
docteur (Pulcinello fînto dottore). 

« Bucco est d'origine osque... Par son nom et 
par sa figure, il ressemble au parasite de la grande 
comédie. Son caractère est un composé de hau- 



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22 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

leur et de bassesse, de ridicules et de folies. Il 
fait le plaisant au besoin, Timpertinent selon les 
circonstances; souple, officieux, insinuant, 
bouffon, bavard, paresseux, gourmand, famé- 
lique, il a tous les vices qui cadrent avec les 
mœurs d'une nation corrompue ; il étudie leurs 
penchants, se prête à leurs fantaisies, sert leurs, 
passions, favorise leurs entreprises libertines. » 

Je sais que cette idée de faire remonter Tori- 
gine de « PulcineUa^> à des temps aussi reculés 
fera sourire plus d'un sceptique. Et cependant, si 
après nous être bien promenés dans Naples vous 
voulez m'accorder quelques heures pour vous 
conduire à Pompeï, je me permettrai de vous 
demander ce qu'il y a de changé entre les cou- 
tumes de Pompeï au premier siècle de notre ère 
et celles de Naples au commencement du ving- 
tième? 

A Pompeï, les boutiques des marchands ne 
prennent jour que sur la rue, par la porte. Or 
pouvez-vous me dire en quoi diffèrent de ces 
boutiques de Tan 79 les bassi actuels^ de Naples 
oii huit à dix personnes occupent au rez-de- 
chaussée un magasin sans fenêtre, servant en 
même temps de chambre à coucher, avec les 
poules, les chèvres, les brebis, et où la terre 



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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 23 

poisseuse qui colle aux pieds sert de plan- 
cher? 

A Pompeï, nous trouvons à chaque pas des 
niches, des petits reposoirs où l'on plaçait la 
divinité protectrice de la rue ou de la maison. 
Qu'est-ce donc, à Naples^ que ces madones à 
chaque carrefour, à chaque façade de palais, et 
cette petite veilleuse brûlant nuit et jour devant 
Timage de la Vierge ou d'un saint, même dans 
les logis les plus humbles ? 

A Pompeï, les funérailles des gens riches 
étaient accompagnées d'un cortège de joueurs 
de flûte, de mimes, de saltimbanques, de trom- 
pettes, de tambourins et de pleureuses. Mais 
que penser, à Naples, des deux cent huit 
archiconfréries ou confréries qui assurent à 
leurs adhérents des obsèques luxueuses avec 
corbillards rouges, verts , jaunes ou violets, 
dorures, plumets et franges multicolores, ca- 
goules blanches ou mi-partie noires et bleues, 
moines, sœurs de charité, enfants des hospices, 
vieillards habillés de drap bleu, coifiés d'un 
chapeau de toile cirée et portant de petites ban- 
nières, pleureuses à la tête recouverte d'une 
mantille noire avec un petit mouchoir à la main, 
valets de pied en livrée causant entre eux de 



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24 I^E THEATRE NAPQL 

leurs petites affaires avec Texul 
qui caractérise les napolitains ? 
A Porapeï, en guise de Téc 
de déposer, etc. » les serpents ^ 
les murs nous font songer au^ 

Pinge duos angues; pueri, sace 
Mejite... 

A Naples, pour protéger le 
contre les mêmes inconvéniei 
croix... ce qui faisait dire à M 
— le héros comique napolitai 
un passant qui lui reprochait c 
tel lieu : « Imbécile ! ne vois 
cette croix est celle du mauvai 

A Pompeï, enfin, petite ville 
bitants, nous voyons un grand 
un petit théâtre comique, un va 
A Naples, ne trouvons-nous pas 
tout? Pourquoi n'admettrions- 
une chose toute naturelle, que 
descendant en ligne directe de M 
Ce serait tout le contraire qui 



* Lire sur ce sujet dans Naples con 
quable ouvrage de M. Marcellin Pellet, 
Naples. — Paris, Charpentier, 189G, — c 
Archiconfréries et les Cimetières »; 



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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 25 

« L'on ne sait rien de Pulcinella avant Sil- 
vio Fiorillo, persiste à dire M. Benedetto Croce 
déjà cité, mais si Ton en pouvait savoir quelque 
chose, cela n'aurait pas grande importance. » 

Voilà ce qui s'appelle faire bon marché des 
recherches antérieures au xvu® siècle ! Il est 
vrai que dix pages avant * le même auteur a 
conclu de façon presque contraire en nous lais- 
sant entendre que l'expression <c inventeur de 
Pulcinella » appliquée par Cecchini à Fiorillo 
pourrait bien être un peu rigoureuse, et suppo- 
ser que ce nom de « Pulcinella », de même que 
ce vêtement, pouvaient bien avoir déjà appar- 
tenu à des personnages comiques. 

« C'est ainsi, nous dit encore fort judicieuse- 
ment M. B. Croce. qu'un de nos contemporains 
n'aurait aucun scrupule à affirmer que le per- 
sonnage comique de Sciosciammocca a été 
inventé par l'acteur Scarpelta ; eh bien ! le 
même Scarpetta raconte dans ses Mémoires qu'il 
fut amené à adopter ce nom pour avoir joué 
une première fois avec un bon succès le person- 
nage de Felicctto Sciosciammocca dans une 
vieille farce. » 

* Pulcinella, p. 19 et 20. 



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26 LE THEATRE NAPC 

Scherillo, déjà cité, a retrc 
« Pulcinella » au xvi° siècle, 
Joan Polcinella au xv® siècle, 
nous dit ce dernier auteur, c< g 
vrait un beau jour le nom 
avant Fiorillo, nous n'en s 
veillés. » C'est An reste, Yo\ 
M. Albrecht Dieterich qui, da 
ment publié, fait aussi remon 
personnage à la plus haute ant 

Reste à expliquer ce nom l 
nella ». Ici, nous aurons encc 
rice Sand : « On sait que le M 
crochu, les jambes longues, 
voûté, Testomac proéminant, 
de tous les anciens mimes, il 
ses gestes et ses cris que par 
spécialité de Maccus était d'imi 
le cri des oiseaux et le piaule 
au moyen d'une sorte d'app( 
pratique, le sghe?*lo ou pivet 
donc surnommé, à cause de î 
effarouchée, peut-être aussi à 

* Tealri di Xapoli par B. Croce, p. 

* Albrecht Dieterich, Pulcinella, Pon 
und romische Safyrspiele, Leipzig, Tei 



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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 27 

en bec et de sa démarche bizarre, Piillits galli- 
naceus^ puis, par contraction, Piilcino et Pielci- 
nella, » 

Quoi qu'il en soit, j'aime infiniment mieux 
celte version que celle de Tabbé Galiani qui fait 
dériver ce nom d'un certain Puccio d'Aniello, 
villageois à la face comique, au.nez long, qui 
fit au xvu® siècle les beaux jours d'une troupe 
de comédiens ambulants en Campanie. 

Sans affirmer, pour le costume, que Pulci- 
nella descend en ligne droite du Mimus albiis de 
la comédie des Atellanes, comme le décla- 
rait Louis Riccoboni au commencement du 
xviii** siècle, il est bien certain que depuis 
trois cents ans ce personnage exhibe deux fois 
par jour sur les théâtres de Naples sa blouse 
blanche très ample, serrée et plissée à la taille, 
son pantalon blanc et large, son chapeau pointu 
en feutre souple, son demi-masque noir au nez 
crochu. Nous pouvons même mentionner pour 
le Pulcinella de nos jours le serre-tête noir (le 
Maccus n'avait-il pas la tête rasée ?) et Tabsence 
de collerette. C'est ainsi que le représente du reste 
à quelques variations près une vieille image avec 
cette mention : « Masque burlesque qui parle 
la langue des paysans napolitains, et qui est 



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28 LE THEATRE NAPOLITAIN 

vestu de toile blanche, contrefaisant la beste et 
le stupide. » 



Pulcinella au commencement du xyiii» siècle. 
[Histoire du théâtre italien de Riccoboni). 

Il ne s'agit donc pas ici du Polichinelle de la 
Comédie italienne de Paris à qui Barbançois, le 



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ACTE DE NAISSANCE DE PULCINELLA 29 

Pulcinella de la troupe de Mazarin, imitant 
Jupilles, le Polichinel français de 1640, donna 
la veste et le pantalon aux couleurs rouge et 
jaune. 

Il ne s'agit donc pas du Polichinelle de Michel 
Ange da Fracassano qui en 1697 exagérait les 
deux bosses du costume et se coiffait avec un 
feutre gris orné de deux plumes de coq — le 
Polichinelle de Watteau. 

Laissons Polichinelle à la France, Punch à 
l'Angleterre, Hanswurst à TAllemagne, Toneel- 
gek à la Hollande, Don Christoval Pulichinella 
à l'Espagne, Karagheus à la Turquie. 

Occupons- nous seulement, puisque nous 
sommes à Naples, du seul, du vrai, de Tunique 
« Pulciniella » le digne descendant de Maccus et 
de Bucco, tour à tour balourd, rusé, sensuel, 
maître ou valet, mais plus souvent valet, tel 
enfin qu'il trôna pendant cent quarante-six ans 
(1738-1884) à l'ex-théâtre San Carlino, tel enfin 
que nous allons aller Tapplaudir au Niiovo en 
Tan de grâce 1900! 



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ni 

FONDATION DU SAN CARLINO 



La Piazza del Caslello au xviii* siècle. — Un théâtre sous une 
église. — Le premier San Carlino. — La Chronique du San 
Carlino par M. S. di Giacomo. — Fermeture du premier 
San Carlino. — Fermeture de la « Cantina ». — Reconstruc- 
tion du San Carlino. — La Commedia delVarte, — Le « Pul- 
cinella » Cammarano Vincenzo dit Giancola, — Le répertoire 
de Cerlone. — Tableau de la tro'upe en 1796. — Triste fin de 
siècle. — Giancola presque centenaire. 



La Piazza del Castello, tant de fois décrite 
dans les vieux livres qui s'occupent de Naples^ 
n'était pas sans analogie avec notre ancien bou- 
levard du Temple sous les règnes de Louis XV 
et de Louis XVL C'était le rendez-vous tout 
naturel des oisifs, des vendeurs ambulants, des 
charlatans, des tire-bourses. Ce qu'on voyait en 
plus, à Naples — et qui faisait entièrement 
défaut devant le théâtre de Nicolet, — c'était 
quelques moines montés sur un banc ou sur un 
escabeau et prêchant en plein air, un crucifix à 



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32 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

la main. Mais, à part celte petite note toute 
napolitaine, le reste ne différait guère : théâtres 
en bois, parades, bruits discordants, badauds 
surtout. 

Face au Môle, à .l'angle actuel du palais du 
Municipe et de la rue S. Giacomo, se voyait 
alors, bien en évidence, Téglise du même nom à 
présent enclavée dans les bâtiments de l'Hôtel 
de Ville et fermée pour cause de réparations. 
Cette église, dont on ne soupçonnerait guère 
aujourd'hui l'existence, était alors précédée 
d une terrasse haute de quatre à cinq mètres, à 
laquelle on accédait par deux escaliers. Sous 
Féglise, en contre-bas, on avait ouvert des bou- 
tiques : un libraire, un marchand de comes- 
tibles y tenaient leurs assises ; puis enfin — qui 
le croirait? sous une église — la Cantina, 
espèce de cave, comme le nom italien l'indique, 
où depuis 1719 Ton jouait la comédie! Nous 
avons dit plus haut que Naples n'était pas 
comme une autre ville, et ces rapprochements 
du sacré et du profane, impossibles partout ail- 
leurs, n'ont rien ici qui doive nous étonner ^ 



* Archives de VÉtat. — Documents relatifs aux théâtres du 
xviii« siècle, fasc. xii. 



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FONDATION DU SAN CARLINO 33- 

C'était du reste un superbe emplacement que 
celui de cette église S. Giacomo, et, lorsque le 
prêtre du haut du maître-autel se retournait 
pour bénir les fidèles, il avait devant lui, au delà 
de la porte toute grande ouverte, le Môle, la 
mer bleue ponctuée de voiles blanches, le phare 
rouge, et tout au fond du côté gauche, les jolies^ 
villas de Portici, de Résina et de Torre del 
Greco groupées en demi-cercle au pied du 
Vésuve. 

Ce théâtre de la « Cantina » que rappelle for- 
cément de nos jours le petit théâtre de la Fenice 
situé à deux pas de là dans une cave, fut donc 
comme le doyen de tous les théâtres fixes napo- 
litains. Puis, un peu avant la moitié du 
xvm® siècle, à « cent cinquante palmes » envi- 
ron de cette « Cantina » * un théâtre surgit tout 
à coup comme des entrailles de la terre : grande 
commode, possédant trois rangs de loges, une 
scène assez vaste, un éclairage brillant pour 
l'époque, le nouveau-né se plaça immédiatement 
sous la protection de son grand confrère, le San 
Carlo, récemment ouvert (1737) et s'intitula le 
San Carlino. Cette baraque — pour l'appeler 

* Archives de VÉtat, — Documents d® d» fasc. xiv. 



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34 LE THEATRE NAPOLITAIN 

plutôt de son vrai nom — se trouvait donc pla- 
cée tout proche l'église S. Giacomo : un certain 
Giovanni Brancaccio qui l'avait fait bâtir en resta 
le directeur jusqu'en 1754. 

La Chronique du théâtre San Carlino a été 
récemment écrite *, et loin de nous l'idée de tra- 
duire ici les 300 pages du gros volume de 
M. S. di Giacomo qui contribua ainsi, par cet 
immense labeur, à tirer de l'obscurité Thistoire 
si intéressante, et en général' si peu connue, du 
théâtre en dialecte napolitain. Mais il nous suf- 
fira de rappeler combien furent difficiles à fran- 
chir ces premières années de lutte, à tel point 
qu'une première fois Michèle Tomeo, l'impré- 
sario de la « Gantina » obtint la fermeture du 
nouveau théâtre, son rival. 

Ce Michèle Tomeo mourut en 1762, et son 
fils Tommaso lui succéda. Maître de la situa- 
tion, par suite de la suppression injustifiable du 
San Carlino^ il régna sans partage dans son 
« Fosso », ainsi qu'on désignait le théâtre delà 
« Gantina ». Chaque mois d'août venant, il 
conduisait sa troupe comique au théâtre de la 



* Cronaca del Teatro San Carlino par S. di Giacomo, un yoI. 
in-4o, 300 pages, nombreuses figures. Naples S. di Giacomo 
édit. 1891. 



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FONDATION DU SA^ CARLINO 35 

foire, et, en carême, il faisait réciter dans sa 
cave des tragédies sacrées. Parfois, enfin, au 
cœur de Tété, il se mettait en route à travers les 
provinces napolitaines. Ce fut un de ces dépla- 
cements qui le perdit : un beau jour le roi de 
Naples étant en villégiature à Caserte, la com- 
pagnie Tomeo y vint sans y avoir été demandée 
et sollicita la permission de donner des repré- 
sentations. Ferdinand IV, encouragé par Taudi- 
teur Pirelli qui était un ennemi des comédiens, 
se fàcba fort de ce « sans-gêne » et autorisa 
ledit Pirelli à lancer ses foudres. Défense fut 
faite au chef de la troupe, sous peine de cinq ans 
de prison, de s'arrêter sans permission dans un 
séjour royal, et ordre lui fut enjoint de reprendre 
le chemin de la capitale ou des provinces. Mais 
tout cela n'eut été rien encore si le terrible audi- 
teur qui né badinait pas avec les troupes 
comiques n'avait glissé dans son rapport au 
ministre un petit entrefilet qui n'avait Tair de 
rieTi, mais qui disait en propres termes : 

« Don Nicola Pirelli, auditeur de Tarmée... 
profite de cette occasion pour porter à la con- 
naissance de V. E. que ce théâtre à' histrions est 
situé à Naples sous la Congrégation des Espa- 
gnols de S. Giacomo, oîi se trouve continuellc- 



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36 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Oient le Saint Sacrement. Les (pielques gens 
qui exercent ce métier sont des gens de mœurs 
perdue; ils reçoivent de l'argent pour amuser 
les oisifs^ Ita désœuvrés de la ville, et cela de 
jour et de nuit avec des représentations qui 
<i puent de laideur » ; c'est véritablement un 
scandale. C'est pourquoi V. E. ferait œuvre de 
piété souveraine et de providence supérieure en 
le faisant cesser et en en effaçant la mémoire, 
-car c'est un art absolument mauvais, professé 
par quelques-uns pour la ruine de beau- 
coup. » 

C'était la condamnation à mort de la « Can- 
tina » et le 8 décembre 1769 Tordre royal reçut 
exécution. Telle fut la fin du premier théâtre 
napolitain où Ton jouait depuis près de cin- 
quante ans, lequel était puni par l'excès de 
sévérité dont il avait péché envers le jeune et 
premier San Carlino. On tira dé la cave, pêle- 
mêle, les décors et les accessoires; on mit pour 
la première fois au grand air les nuées céleftes, 
les sceptres de bois doré, les palais éblouissants, 
et le public des lazzaroni put regarder de près 
tout à son aise le trône qui avait reçu entre ses 
bras de carton-pâte tant d'empereurs et de sul- 
tans ! Tomeo , condamné à payer encore six 



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FONDATION DU SAN CARLINO 37 

mois de loyer \ regardait ce déménagement les 
larmes aux yeux. 

Une ville comme Naples pouvait-elle vivre 
sans théâtre, et surtout sans « Pulcinella »?. 
Assurément, non. C'est ici que nous allons assis- 
ter à la résurrection du San Carlino. 

Un mois avant la fermeture de la « Gantina », 
Tommaso Tomeo avait déjà adressé une demande 
au roi afin, d'être autorisé à ouvrir un nouveau 
théâtre. On s'était aperçu au bout de cinquante 
ans que l'on donnait la comédie sous ui^e église, 
soit; mais à présent que l'on avait vidé la 
place, ne pouvait-on pas jouer autre part? Les 
documents qui sont parvenus jusqu'à nous con- 
cernant cette affaire sont curieux. D'abord, le 
roi s'informe si Tancienne compagnie du San 
Carlino supprimé jadis était la môme que celle de 
la « Gantina » récemment fermée. Il lui est 
répondu que l'ancienne compagnie à laquelle il 
est fait allusion est débandée depuis longtemps ; 
que parmi les comédiens nouvellement mis à 
pied l'on ne trouve guère que deux individus, 
sur le compte desquels il y ait quelque chose à 



* Arch. de la Banque de Naples (Banque de S. Giacomo, 
année 1770, f* 3733). — Document retrouve par M. S. di Gia- 
como. 



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38 LE THEATRE NAPOLITAIN 

redire sous le rapport de la conduite; que tous 
les autres, hommes et femmes, soiit les plus 
honnêtes gens de la terre ; que TrivelH, le chef 
de la troupe, vit avec sa femme ; que Giancola, 
le « Pulcinella » est marié ; qu'une romaine, 
nommée Teresa Marlorini, se tient tranquille 
dans son ménage, que tous enfin, selon leur 
condition, passent le temps « sans donner scan- 
dale aucun ». 

Or, remarquez que le signataire de ce rapport 
est le même auditeur qui, quelques mois aupa- 
ravant, signalait ces mêmes histrions comme 
un amas de gens perdus de vices. 

La vérité est que le .mal n'était pas dans ce 
que faisaient, mais dans ce que pouvaient dire les 
comédiens qui pratiquaient alors la Cormnedia 
delParte sur laquelle nous aurons à revenir plus 
tard, et qui, improvisant sur un canevas donné, 
se permettaient ou pouvaient se permettre toute 
espèce de licences. Cela est si évident que nous 
lisons cette phrase dans une adresse au roi : 
« L'Imprésario et les acteurs du susdit théâtre 
aboli supplient V. M. pour la révocation du 
décret d'abolition, offrant de ne jouer que des 
comédies préméditées revues par l'audi- 
teur. » 



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FONDATION DU SAN CARLINO 39 

C'est, en termes clairs, la demande de l'appli- 
cation de la censure. 

La requête est datée de novembre 1769, et la 
permission de rouvrir une nouvelle salle fut 
donnée à Tommaso Tomeo le 17 mars 1770. 
Celle fois les véritables bases du théâtre napo- 
litain avec répertoire écrit — ou du moins en 
grande partie écrit pour Texamen de la censure 
— étaient fixées. 

Restait à trouver un endroit convenable pour 
bâtir un théâtre dans « un lieu profane ». Mais 
quel endroit pouvait être mieux choisi que 
cette Piazza del Castello, rendez-vous de toute la 
badauderie napolitaine, et où Tommaso Tomeo 
possédait précisément de vieilles maisons dont 
il prit trois boutiques adjacentes pour son 
théâtre. On défit les planchers, on plaça le par- 
terre dans le sous- sol, et les loges du second 
rang au niveau de la rue. Bref, on dépensa là 
huit mille ducats (plus de trente mille francs) ', 
l'imprésario réengagea pour trois ans l'ancienne 
troupe de la « Cantina » et le second San Car- 
lino ouvrit ses portes avec éclat ! La vogue allait 
durer plus de cent. ans. 

* Arch. de VEtal. — Docum. Thcatr. Fasc. xx. 



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40 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Tous ces détails pourront paraître un. peu 
oiseux, un peu en dehors de notre cadre. Ils 
nous ont semblé indispensables : d'abord parce 
qu'ils sont peu connus, même à Naples, ensuite 
parce qu'ils sont comme l'explication de la trans- 
formation progressive de la Commedia delïarte 
des xvi'* et xvn® en théâtre napolitain des xvui* 
et XIX® siècles. C'est là une évolution très 
curieuse sur laquelle nous nous expliquerons 
beaucoup plus en détail lorsque nous rendrons 
compte de nos soirées au Ntiovo. 

Quels furent les comédiens de cette époque 
qui tinrent avec succès l'emploi du « Pulci- 
nella » ? Nous allons tâcher de vous le dire. 
Autant que la chronique napolitaine peut nous 
renseigner à cet égard, on peut citer, en 1745, 
Barese Francesco, à la Cantina. « Il fut un gra- 
cieux Pulcinella, nous dit Francesco Batoli*, 
et joua pendant longtemps avec succès sur les 
théâtres de Naples. Ce fut une perte pour Fart et 
un deuil pour ses amis lorsqu'il vint à manquer 
vers 1777. Puis Di Fiore, Domenico Antonio, 
né en 1711, et dont Bartoli déjà cité dit encore : 



* Notizie Istoriche de' Comici italiani che fiorirono intorno 
alV anno MDL fino a' giorni presenti, 2 petits volumes, Con- 
zattij Padoue, .1782. 



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FONDATION DU SAN CARLINO 41 

« sa promptilude dans les ripostes, sa panto- 
mime naturelle et gracieuse et une profonde intel- 
ligence des comédies improvisées furent autant 
de mérites qui lui valurent succès et réputa- 
tion. » Il avait déjà tenu l'emploi du « Pulci- 
nella » au premier San Carlino. C'est enfin, dès 
Tannée 1765, à la Canlina d'abord, puis au nou- 
veau San Carlino ensuite, le fameux Camme- 
rano Vincenzo dit Giancola * , né à Sciaçca 
(Sicile) en 1720. Quant aux auteurs, c'est incon- 
testablement Cerlone qui tient la corde, suivi à 
quelque distance par Lorenzi. 

Un mystère impénétrable a caché jusqu'ici 
les origines de ce Cerlone Francesco. Certains 
même vont jusqu'à prétendre qu'il n'était que 
le prête-nom de son frère, moine Teresiano, 
une espèce de bon vivant qui ne dédaignait pas 
entre deux pages de théologie de faire agir 
« Pulcinella ». Quoi qu'il en soit, Francesco 
Cerlone fut populaire à cause précisément de 
ses moyens un peu vulgaires et de son dédain 
absolu pour le beau style, ce qui n'empêcha pas 



* Surnom qui lui Tenait d'un rôle qu'il avait tenu avant de 
porter le masque dans une comédie de Cerlone, intitulée La 
Vedova Donzella e Maritata (7° vol. du Th. de Cei"lone publié 
par Vinaccia, édition rarissime, Bibl. du musée de S. Martino 
à Naples). 



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42 LE THEATRE NAPOLITAIN 

le roi Ferdinand IV de faire représenter quelques- 
unes de ses comédies sur son Teatrino di Pa- 
lazzo. Mais il faut bien se reporter à une époque 
où Ton n'élait encore habitué qu'à la Commedia 
delCarte^ qu'à k comédie improvisée, de telle 
sorte que ces nouveaux essais fixés sur le papier 
paraissaient déjà des chefs-d'œuvre, Cerlone n'a 
jamais posé pour la forme ; c'était, avant tout, 
un impressionniste qui jetait sur la scène, sans 
préparation, ce qui l'avait le plus frappé; un 
poète à sa manière, nullement raffiné, mais pos- 
sédant un brio singulier et comraunicatif qui 
lui fit croire sincèrement à un talent qui, autre 
part, eût fait sourire. 

Cerlone fut donc pour le théâtre napolitain ce 
que, sur une plus vaste scène, Goldoni fut pour 
la comédie italienne. L'un et l'autre, chacun 
dans sa sphère, portèrent le dernier coup à la 
commedia deWarte agonisante. Aussi ne faut-il 
pas s'étonner outre mesure si Fun et l'autre 
eurent de nombreux et d'impitoyables détrac- 
teurs *. Cerlone chercha à intéresser son public 

* La première édition des œuvres de Cerlone se compose de 
huit volumes. Le dernier porte la date de 1769. Tous se ven- 
daient « reliés en parchemin » dans le Corridor du Conseil, au 
prix de trois carlins (environ t fr. 35). Vinaccia acheva de pu- 
blier la seconde, composée de i4 volumes, en 1778. Et cepen- 
dant Cerlone mourut pauvre, dit-on, vers 1812, à Tâge de 77 ans. 



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Francesco Cerlone, auteur dramatique napolitain du XviiP feiècle. 
Gravure extraite de la seconde édition de Vinaccia. 



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FONDATION DU SAN CARLINO 45 

mieux que n'importe quel autre auteur napoli- 
tain de son temps. Quant à Lorenzi, son seul 
rival, <5'était un lettré, et son œuvre est plus 
italienne. Mais comme il lui eût fallu un public 
plus cultivé, plus intelligent, sa satire restait bien 
souvent incomprise : d'où la vogue de Cerlone. 

On a fait remarquer que « Pulcinella » ne fi- 
gure pas dans les premières comédies de Cerlone; 
c'est très juste. Mais lorsque Vincenzo Camma- 
rano reprit la succession de Di Fiore avec un 
éclat incomparable, Cerlone eut bien garde de 
laisser de côté le fameux « masque » napoli- 
tain. Quant à écrire spécialement pour « Pulci- 
nella » il faut s'entendre : quiconque a fréquenté 
les théâtres de Naples, et cela encore de nos 
jours, sait fort bien que le seul acteur auquel il 
soit permis d'impix> viser c'est celui qui tient l'em- 
ploi du « Pulcinella ». On n'écrit pas le rôle de 
Pulcinella. Aussi, dans ses comédies, Cerlone lui 
laisse-t-il toujours la scène « a soggetlo », de 
même que l'on mettait fort bien dans nos anciens 
vaudevilles à un endroit déterminé : « Ici, lazzi 
selon la fantaisie de l'acteur. » Comme dans 
la première édition du Sourd ou de r Auberge 
pleine^ par exemple. 

Puis, tandis que le talent de Vincenzo Camma- 

3. 



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46 LE THEATRE NAPOLITAIN 

rano avait donné un nouvel éclat au personnage 
de Pulcinella, la belle apparence, le « nez mer* 
veilleux » et la crasse ignorance d'un autre co- 
médien, ancien barbier, Francesco Massaro, 
avaient engagé Cerlone à mettre à la scène un 
nouveau type. Don Fastidio\ sorte de Sancho 
Pancha émettant sans cesse de sentencieux pro- 
verbes et qui, sôus les traits d'un valet empressé, 
parlait toujours dans sa langue native. Mais ce 
personnage disparut avec l'acteur qui en avait 
été l'inspirateur et Maurice Sand dans son énu- 
mération de tous les masques italiens a même 
omis ce Don Fastidio, Francesco Massaro mourut 
un soir, en scène, sur le Théâtre de la Caniina, 
quelque temps avant sa fermeture, en 1768. 

Tommaso Tomeo, la Cantina disparue, trôna 
donc au San Carlino, émigrant seulement pen- 
dant 1 été pour donner des représentations au 
frais dans des jardins situés hors la ville, tantôt 
près de la porte Capuana, tantôt près de la porte 
S. Gennaro. A Pâques, l'on conserva l'usage de 
réciter des comédies sacrées en prose, entremê- 
lées de quelques airs de musique. 

M. Vincenzo d'Auria, infatigable chercheur 
dans les archives de Naples, a retrouvé une 
liste complète du personnel de la scène et de la 



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FONDATION DU SAN CARLINO 47 

salle du petit théâtre San Carlino en 1796. Nous 
y voyons un caissier, treize acteurs, cinq actrices. 



Yincenzo Cammarano dit Giancola, 17i0-l 809, célèbre « Pulci- 
nella » du San Carlino, ddssin de Giuseppe Cammarano, son 
fils. Reproduit de la Chronique du San Carlino, 

six musiciens d'orchestre, huit placeurs et em- 
ployés dans la salle, un garçon chargé du lumi- 
naire, un tailleur, une habilleuse, un perruquier, 



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48 LE THEATRE NAPOLITAIN 

un portier, deux machinistes, deux souffleurs, 
quatre porteurs de chaises, un gardien, un se- 
crétaire, et enfin Timpresario, soit un total de 
quarante-neuf personnes. 

Quant au Pulcinella de la troupe, c'est toujours 
le fameux Vincenzo Cammarano, acclimaté à 
Naples depuis plus de trente ans, et comme les 
choses se passent tout à fait en famille parmi ces 
comédiens, ainsi que nous avons eu si souvent 
Toccasion de le faire remarquer dans notre Théâtre 
en Italie^ nous retrouvons ce nom de Cammarano 
porté par Filippo, acteur de la Compagnie et fils 
du précédent, et même par un certain Lorenzo 
qui se contentait de recevoir les billets à la 
porte. 

Les événements qui troublèrent Naples vers 
la fin du xviii° siècle ne furent pas sans se réper- 
cuter sur le modeste et paisible théâtre San Car- 
lino qui dut fermer ses portes à plusieurs re- 
prises ; d'abord ce fut le tremblement de terre 
du 12 juin 1794 et Féruption du Vésuve qui s'en 
suivit qui jetèrent un trouble bien naturel parmi 
la population. A peine est-on remis de cette 
alarme que voici Téchafaud qui. se dresse sur la 
place du Château, à quelques pas du théâtre, sous 
les canons du fort; pauvre théâtre oîi des sbires 



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FONDATION DU SAN CARLINO 49 

déguisés surveillaient jusqu'aux perruques des 
acteurs qui ne devaient pas être trop «jacobines ». 
Le manque de poudre ou la suppression de la 
queue eût été un cas de prison pour le malheu- 
reux qui se fût periîiis une de ces audaces. Puis 
ce fut l'entrée à Naples de Championnet, de ce 
général Ghampionnet qui mettait saint Janvier 
lui-même en d.emeure d'accomplir à heure fixe 
son miracle ; les théâtres durent rester ouverts 
par ordre et le San Carlino notamment où l'on 
donnait alors une comédie « tutta da ridere col 
Pulcinella e co' buffi. » 

Ferdinand IV revient, à la suite de la Révolu- 
tion de 1799, et pour punir sans doute ces répu- 
blicains de la veille, voici les théâtres encore 
une fois fermés. Giancola ayant posé son masque, 
presque centenaire, en est réduit à passer les 
soirées à raconter les aventures de sa longue 
carrière artistique entre son fils Filippo, auteur- 
acteur, qui médite une nouvelle pièce, et son 
autre fils Giuseppe, peintre déjà connu, qui des- 
sine à la lueur d'un quinquet, tandis que son 
imprésario et vieil aini TommasoTomeo l'écoute 
en somnolant au fond d'un fauteuil et que les 
femmes tricotent machinalement dans la pé- 
nombre. 



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'^l^ 



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IV 

LE THÉÂTRE SAN CARLINO 



La famille Cammarano. — La retraite de Giancola. — Sa 
mort. — Ferdinand IV et Giancola. — Débuts de Lablache. 
— Le « Pulcinella » Giovannone, — L'imprésario Silvio Maria 
Luzi. — Filippo Cammarano auteur dramatique. — Un qua- 
tuor d'artistes. — Apparition de Salvatore Petito. — Histoire 
de Donna Peppa. — Antonio Petito dit Tolonno succède à 
son père dans l'emploi de « Pulcinella ». 



La famille Cammarano a décidément envahi 
les planches du petit théâtre San Carlino. L'an 
iSOO, sur la liste de la compagnie, nous trouvons 
ïes noms de Domenica, Caterina, Vincenzo, Fi- 
lippo, Antonio Cammarano. L'imprésario, Tom- 
maso Tomeo, est mort en 1801, laissant sa suc- 
cession à son neveu Salvatore; le vieux Giancola 
(Vincenzo Cammarano) tient toujours Temploi 
du « Pulcinella » malgré ses quatre-vingts ans 
bien sonnés et son fils Filippo renaplit les rôles 
de Mezzo carattere en attendant qu'il reprenne 



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52 LE THEATRE NAPOLITAIN 

pour son compte le masque de son père à qui les 
forces vont manquer. 

Pauvre Giancola! Un beau soir de 1802, un 
bruit se répandit comme une traînée de poudre 
depuis Toledo jusqu'à Chiaia, depuis le môle jus- 
qu'à Santa-Lucia. Celui qui avait fait rire plu- 
sieurs générations en portant l'a blouse blanche 
de « Pulcinella » allait paraître en public pour la 
dernière fois. Pensez un peu si la salle du San 
Carlino fut bondée depuis le parterre jusqu'au 
paradis. Giancola se montra, en effet, mais assis. 
Le vieillard n'avait plus l'usage de ses jambes 
et l'on vit alors ce spectacle : Pulcinella pleurant 
et faisant pleurer. Sept ans plus tard, en 1809, 
le brave homme s'éteignit, au moment même où 
il espérait vivre encore quelques jours de plus 
pour voir le retour de son roi et de Marie-Ca- 
roline. 

Le fait est que Ferdinand IV — le roi Nasone^ 
comme on l'appelait — avait été le protecteur 
de « Pulcinella » et qu'on l'avait pu voir plus 
d'une fois assis dans une petite loge du San Car-^ 
lino pendant lès représentations du jour. 

Un soir, raconte M. S. di Giacomo dans sa 
Chronique, le joi Nasone assistait précisément à 
une re[jrésentalion du Médecin nocturne de 



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LE THKATRE SAN CARMNO 53 

Soave, et Giancola'avait appris que son souve- 
rain revenait de la chasse où il avait tué de 
bonnesetgrassesalouettesen quantité. Or, comme 
dans une scène de cette comédie des soldats de- 
vaient s'emparer de Pulcinella qui venait de me- 
nacer un inconnu : 

— Arrêtez ce misérable! criait le sergent. 

— Gomment! répliquait Pulcinella. Pourquoi? 
Qu est-ce que j'ai fait? 

— Tu as insulté une auguste personne. 

— Moi? Et qui donc? - 

— Le Roi! 

Ace passage, Giancola qui aurait dû, comme 
il était indiqué, se jeter à genoux en demandant 
grâce, s'écria : 

— Sango de na vtifera! Je le croyais à la. chasse 
aux alouettes! 

Alors on entendit une grosse voix, la voix du 
vrai roi, cette fois, qui partait du fond d'une 
loge : 

— Je t'en enverrai, Cammarà ! Je t'en enverrai ! 
Et le matin du jour suivant un domestique du 

palais apportait chez Cammarano un joli panier 
d alouettes que lui envoyait Ferdinand. 

Un nom que l'on ne s'attendrait guère à ren- 
contrer dans rhistoire de ce théâtre, c'est assuré- 



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54 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

ment celui de Lablache ! Et cependant la célèbre 
basse qui fit retentir sa voix profonde sur les 
scènes fameuses de l'Europe, débuta modeste- 
ment le jour de Pâques, en 1814, au San Carlino 
qui s'était voué momentanément à la musique ^ 

L'histoire des commencements de Lablache ap- 
partient à l'art français aussi bien qu'à Tart ita- 
lien. De plus, comme elle est loin d'être banale 
nous ne pouvons la laisser passer sous silence. 
En 1794, un certain comte de Lablache craignant 
les conséquences de la Révolution française s'em- 
barqua à Marseille sur un havire qui faisait voile 
pour Naples, en la compagnie de ses deux fils. 
L'un d'eux, qui s'appelait Nicolas, alla loger à 
TArco Mirelli, à Chiaia, avec sa jeune femme qui 
était irlandaise. C'est là, le 6 décembre de la même 
année, que naquit le grand chanteur lequel apprit 
la musique au Conservatoire délia Pielà dei 
Turchini et dont le succès fut énorme dès qu'il 
se fit entendre en public. 

L'invasion musicale fut de courte durée au 
San Carlino. En 1818, on en était bel et bien re- 
venu à la prose; mais, il faut bien l'avouer, tous 
ceux qui avaient succédé dans l'emploi de « Pul- 



• Cette date de 1814 a été donnée par Malpica ; mais nous 
n'ignorons pas que Ton a écrit aussi 1811, 1813 et Florïmo 1812. 



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Filippo Cammarano, 1765?-1842. 

Auteur dramatique napolitain et « Pulcinella » au San Carlino. 

Gravure extraite de la Chronique du San Carlino. 



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LE THEATRE SAN CARLINO 57 

cinella » au vieux et toujours regretté Giancola 
n'avaient que médiocrement réussi. Tavassi, 
Filippo Gammarano lui-mêtee avaient passé ina- 
perçus. Il fallut que Timprésario du moment, un 
certain Giovannone^ ancien vendeur dans la salle, 
ancien préposé au vestiaire, prit le masque. On 
voulut retrouver en lui la façon de gesticuler et 
de dire de Giancola. Il ne lui en fallut pas davan- 
tage pour faire fortune. Giovanni Stile — c'était 
son nom — se retira des affaires quelques années 
plus tard avec un bel immeuble acquis de ses 
deniers via Salvator Rosa, une jolie villa à Por- 
tici, et une somme rondelette dans ses poches. 
C'est alors qu'apparaît à la tête de l'entreprise 
Silvio Maria Luzi, d'origine romaine, dont le fils 
fut, de nos jours, le dernier directeur du San 
Carlino disparu. 

Filippo Gammarano, second du nom, en 1837 
avait déjà soixante-douze ans. Sans avoir jamais 
eu le succès de son père sous le masque de « Pul- 
cinella » il avait acquis une certaine réputation 
comme auteur. Il rassembla dans un volume ses 
meilleurs vers*, la chronologie de sa production 



* Vierze stramhe e bisbelece de Filippo Gammarano, etc., 
Napoli délia stamperia Reale, 1837. 



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58 LE THEATRE NAPOLITAIN 

théâtrale, quelques notes biographiques, mit son 
portrait en tête du livre, et celui qui fut toute sa 
vie un homme probe, économe, travailleur, un 
modèle de père et de mari, prit ainsi congé de 
ses contemporains, soutenu pendant les dernières 
années de sa vie par la bienveillance de Luzi. Il 
mourut le 29 décembre 1842, regretté de tous et 
le San Carlino en resta fermé pendant trois jours. 
Ce n'était pas, du reste, le sfeul fils qu'eut 
laissé Giancola. Indépendamment de ce Filippo, 
il y eut encore Michèle, bon ténor qui chantait 
au Nubvo en 1797; Antonio qui peignait, tout 
en tenant Temploi des valets naïfs au théâtre de 
San Severino ; Giuseppe, enfin, peintre en re- 
nom, Tami des Camuccini, des Benvenuti, des 
Podesti, de Hayez, le décoré du Lys de France 
et de l'ordre de François V% le membre de l'Aca- 
démie Royale qui ne dédaignait pas de se mon- 
trer sur les planches du San Severino sous le 
masque de cuir noir qui avait illustré à tout 
jamais son père. Toutes ces quatre familles 
habitaient la même maison, Vico Corrieri a 
Santa Brigida n® 11 et se parlaient de fenêtre à 
fenêtre à travers le jardin. Donizetti, Verdi, 
Mercadante, Pacini fréquentèrent cette maison, 
et c*est d'une de ces terrasses qu'Antonio Cam- 



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LE THEATRE SAN CARLINO • 59 

.marano avait Thabitude de peindre — et de re- 
peindre — la blanche chartreuse de S. Martino 
que Ton aperçoit tout là-haut et qui surplombe 
toute cette vallée où se trouve Finterminable 
rue Toledo (ou Roma). Mais à la tribu des Gam- 
marano devait succéder celle des Petito, et avec 
celle-ci nous touchons presque à l'histoire d'hier 
et d'aujourd'hui. 

Ce fut vers 1822 que Ton vit pour la première 
fois sur la scène de San Carlino, Salvatore Pe- 
tite, le chef et la souche de la nombreuse famille 
comique qui fournit depuis près d'un siècle à 
tous les théâtres de Naples tant de comédiens, de 
danseurs, de mimes et de soubrettes. 

Ce Salvatore Petite était un ancien danseur 
du San Carlo. Compromis pour ses opinions 
francophiles — du temps du règne éphémère de 
Murât — il avait dû, au retour des Bourbons, 
fuir à Corfou en compagnie d'une danseuse, 
Donna Peppa^ dont il fit sa femme. Tel fut le 
commencement dé cette dynastie dramatico-cho- 
régraphique. Revenu dans sa patrie, Salvatore 
Petilo dit adieu aux entrechats et prit le masque 
de « Pulcinella », tandis que Donna Peppa diri- 
geait un petit théâtre situé d'abord sur « la ma- 
rine » puis près de la porte del Cartnine. Ro- 



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60 LE THEATRE NAPOLITAIN 

sina, Tune des filles, tenait le café, Donna Peppa 
surveillait la caisse, et les acteurs qui donnaient 
quatre représentations par jour en été, et deux 
en hiver, s'habillaient parfois dans la cour, faute 
de place, à la grande joie de tout le voisinage. 
Une chaise, dans une loge, coûtait quatre grains ; 
on payait deux grains au parterre, 'et l'on pou- 
vait monter pour un seul grain au paradis. 
Huit quinquets à l'huile soutenaient une lutte 
acharnée contre les ténèbres, et la toile, qui 
aurait dû représenter un sacrifice, était tellement 
noircie par le temps que Ton ne voyait plus la 
victime ! 

Cela dura ainsi' quarante ans, jusqu'aux envi- 
rons de 1860. Lorsque Donna Peppa mourut, 
eti 1867, elle avait soixante-quinze ans. De son 
mariage étaient nés sept enfants : Gaëtano, Da- 
vide, Pasquale, Antonio, Michèle, Adélaïde et 
Rosa, dont les quatre premiers étaient ainsi dé- 
finis par le père : Gaëtano, le français^ Davide le 
jésuite, Pasquale Y anglais, ^i Totonno le fou, 

La famille Pelito, tant que vécut Donna Peppa, 
ne se débanda jamais. Gaëtano, Faîne, était 
mime au San Carlo et bouffe au San Carlino où 
sa femme tenait l'emploi de soubrette ; Davide 
et Adélaïde jouaient l'amoureux et la soubrette 



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LE THEATRE SAN CARLINO 61 

chez leur 'mère; Pasquale avait débuté par les 
rôles d'enfants, et Antonio — Totonno — déjà 
auteur connu, allait suppléer fort adroitement 



Salvatore Petito, mort en 1869. 

Célèbre « Pulcinella » du. San Carlino (1822-1852). 

Portrait tiré de la Chronique du San Carlino. 

son père sous le masque de « Pulcinella ». El 
c'était un spectacle patriarcal que de voir tous 
ces grands enfants groupés autour de la même 
table que présidait le vieux Salvatore à l'heure 

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62 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

des repas, tandis que Donna Pepp^ tournait 
tout autour pour donner à chacun sa ration de 
soupe. Puis, quand la soupière était vide, elle 
refaisait le tour de la table, reprenant de chaque 
assiette une cueillerée pour sa part — innocenle 
manie de cette bonne vieille qui se serait dé- 
pouillée pour ses enfants. 

En 1835, la compagnie du San Carlino comp- 
tait quinze acteurs, hommes et femmes, mais 
nous voyons, à partir de cette époque, chaque 
emploi se préciser. Chaque artiste a Tobligation 
de « soutenir un caractère », et ce fait est très 
important à signaler dans Thistoire de la comé- 
die napolitaine. Indépendamment de Yamorosa 
«t des prima et seconda donna^ de la servetta 
(la soubrette), voici Pulcinella^ le guappo (le 
bellâtre fanfaron), le tartaglia (le bègue), le 
sciocco (rimbécile), VamorosOy le bu^o^ le carat- 
terista (rôles de caractère), le biscegliese (le 
géronte napolitain). Nous trouvons aussi sur ces 
vieilles listes des noms qui vont nous être 
bientôt familiers, tels que celui de Pasquale 
Altavilla qui débutait alors dans les niais et qui 
allait devenir avec A. Petito Tun des principaux 
fournisseurs du théâtre en dialecte, ou de Crispo. 
Il n'y a pas actuellement un théâtre de Naples 



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LE THEATRE SAN CARLINO 63 

qui n ait un ou une Grispo dans sa compagnie. 

Dans la semaine de Pâques de Tannée 18S2, 
Salvatore Petito présenta à Timprésario Silvio 
Maria Luzi son fils Antonio comme son succes- 
seur pour l'emploi du « Pulcinella ». Le vieux 
Salvatore était fatigué. Antonio, lui, était né le 
22 juin 1822. Il avait, par conséquent, à peine 
trente ans. Son père lui avait enseigné la danse, 
son frère aîné la musique ; il savait convenable- 
ment chanter, connaissait la prestidigitation et 
avait fait ses armes comme comédien dans la 
troupe de Donna Peppa, s{& mère, sans parler 
d'autres compagnies secondaires. 

M. di Giacomo nous a laissé un compte rendu 
delà soirée mémorable où le père transmit so:i 
héritage artistique à son fils. Le petit orchestre 
du San Carlino joua une symphonie très tou- 
chante, puis Salvatore Petifo vêtu de son cos- 
tume habituel, le masque sur le visage, sortit 
de la première coulisse à droite du spectateur. 
Du côté opposé, vêtu aussi en « Pulcinella », 
mais la figuf'e découverte, apparut Antonio qui 
attendit. 

Le vieux Salvatore se découvrit alors, et, 
s'avançantà la rampe, avec une voix tremblante 
d'émotion, prononça le discours suivant : 



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6fc , LE THEATRE NAPOLITAIN 

« Respectable public, 

« Votre serviteur tout dévoué s'est fait vieux ; 
il a besoin de repos, et vous ne voudrez pas le 
lui refuser après trente ans durant lesquels il a 
tout fait pour vous être agréable. A partir de 
ce soir, il quitte le masque de « Pulcinella ». Il 
le confie à son fils Antonio, qu'il a r.honneur 
de présenter au respectable public, et à Tillustre 
garnison. » 

En disant ces paroles, le vieux comique ôta 
son masque et l'appliqua sur le visage de son 
fils ; il lui mit sur la tête le légendaire Coppo- 
lone^ et les larmes aux yeux : ' 

— « Pour cent ans! » lui dit-il. 

Le public, ému et souriant, applaudit, et là 
comédie commença. 



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DÉMOLITION DU SAN CARLINO 



Pasqaale Altavilla auteur et acteur. — Son esprit à saisir Tac- 
tualité. — L'homme privé. — Le guappo Ratfaele di Napoli 
et le bu/fo de Angelis. — Victor Emmanuel au San Carlino. 

— Fin accidentelle d'Altavilla. — Mort de A. Petito sur le 
théâtre. — Scarpetta et sa nouvelle compagnie. — Don Felice. 

— Transformation de la salle. — Tripatouillage des pièces 
françaises. — Bébé devenu Tetillo. — Construction de la 
nouvelle Piazza Manicipio. — Démolition du San Carlino. — 
« Pulcinella » vit toujours! 



Parmi les comédiens qui, ce soir-là, donnaient 
la réplique au nouveau venu, nous ne devons 
pas oublier le nom d'un artiste qui était tout 
simplement en train de devenir le réformateur, 
ou mieux le rénovateur du théâtre populaire 
napolitain. Nous avons nommé Pasquale Alta- 
villa. 

Qu'était-ce donc que ce Pasquale Altavilla qui 
pendant trente-huit ans, de 1834 à 1872, impro- 
visa sur ce théâtre tant et tant de pièces qu'il 

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66 LE TH-EATRE NAPOLITAIN 

serait à peu près impossible d'en dresser une 
liste vraiment complète * ? 

Un écrivain ? Le mot est bien gros. Le pauvre 
homme ne songeait guère à présenter à son pu- 
blic une laborieuse conception littéraire. 

Un artiste ? Mais il n'eut jamais un idéal d'au- 
cune sorte. 

Quoi donc alors? Un observateur, un fin et 
gai critique, saisissant l'actualité sur le \ii^ et, 
avant tout, un homme de théâtre, c'est-à-dire 
un amuseur. 

Rien, dans Naples, n'échappe à son coup d'œil 
investigateur. S'ouvre- t-il à Toledo^ le café 
d-Eiirope où un sieur Revany répand à profu- 
sion les glaces, les dorures et les marbres, que 
voici aussitôt une comédie du même nom sur 
l'affiche du San Carlino; un premier tronçon 
de chemin de fer est à peine installé entre Na- 
ples et Castellammare di Stabia, et voici Une 
excursion à Castellaynmare par le chemin de fer. 
On inaugure une boulangerie française : Alta- 



* p. Altavilla avait écrit sa première comédie en 1834, mais 
ce ne fut qu'en 1 849 qu'il se décida à faire imprimer une partie 
de son théâtre qu'il dédia au prince de Salerne, frère du roi de 
Naples. Cinquante-quatre autres pièces furent éditées séparé- 
ment de 1849 à 1853 ; d'autres en 1807. Beaucoup ne sont pas 
imprimées. 



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Pasquale AHavilla, auteur dramatique et acteur napolitain 

mort en 1872. 

Gravure extraite de la Chronique du San Carlino. 



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DEMOLITION DU SAN CARLINO 69 

villa prend sa plume et écrit : Y Engouement pour 
le pain français. Tous les petits faits du jour 
•défilent ainsi devant le public comme dans un 
kaléidoscope, depuis Téclairage au gaz jusqu'à 
Tarrivée du célèbre Maestro Thalberg. 

Les noms de Giacorao MaruUi, Nicola Tauro, 
Francesco Zampa, Antonio di Lerma, Antonio 
Petito alternent avec le sien sur Taffiche. 

Si, à préseiit, au sortir du théâtre, nous sui- 
vons Fauteur dans la vie privée, nous trouvons 
un homme bon, simple, doux, religieux jus- 
qu'au bigotisme, allant entendre la messe chaque 
jour, sortant de Téglise pour donner une leçon 
de guitare, se rendant ensuite dans quelque bu- 
reau public pour faire des copies qui lui rappor- 
tent un maigre salaire, faisant, avec la permis- 
sion de son imprésario, sa partie de ténor dans 
une église,- s'échappant de là pour enseigner la 
danse ou la mimique, et ne manquant jamais de 
, se rendre à midi à la répétition du San Carlino 
pour mettre en scène une comédie nouvelle tout 
en songeant à celle qu'il va écrire après dîner 
dans sa cuisine. 

En 1853 j deux artistes nouveaux, ou pour 
mieux dire deux caractères étaient entrés dans la 
troupe : Raffaelç di Napoli et Pasquale de An- 



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70 LE THEATRE NAPOLITAIN 

gelis, dont nous retrouverons les descendants 
sur les théâtres napolitains de nos jours. 

Raffaele di Napoli, ancien tailleur, fut celui 
qui affirma au San Carlino l'emploi du Guappo. Le 
guappo, que n'a pas mentionné Maurice Sand, fait 
partie intégrante de la comédie napolitaine. Les 
prédécesseurs de Raffaele di Napoli, dans ce type, 
avaient été Giovanni de Lillis, mort en 1856, et 
Raffaele Santelia à qui il succédait, avec cette 
différence toutefois que le premier — Dé Lillis 
— représentait un bellâtre fanfaron en gants 
et en habit, parlant Titalien tout de travers, 
tandis que le second — Santelia — faisait de ce 
caractère un Giiappà plébéien, vêtu comme un 
Rugantino^, culotte courte noire, épée, chapeau 
immense à tricorne. C'est le premier de ces deux 
types, costume avec habit bleu à bouto/is d'or, 
gilet rouge à ramages, pantalon de nankin, 
grand chapeau en peluche café au lait, breloques 
et grande canne, qui s'est conservé jusqu'à nous. 

Pasquale de Angelis avait abandonné ses études 



* Le Ruqanllno ou Rogantino, brutal, faisant vibrer les r, 
était toujours, dans l'ancienne comédie italienne, chef des 
sbires, ou caporal, menaçant tout le monde, mais toujours rossé; 
c'était lui qui avait coutume de dire : « Us m'ont bien battu, 
mais je le leur ai dit. » — Voir Maurice Sand, Masques et bouffons, 
vol. I, p. 203, vol. II, p. 3i2. 



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Antonio Petito.sous le masque de « Pulcinella ». 

Dessin de Jules de Goncourt (1856). 

Extrait de ïltalie d'hier par Edmond et Jules de Goncourt. 



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DEMOLITION DU SAN CARLINO 73 

en médecine pour se vouer au théâtre. L'impré- 
sario Luzi lui conffa des rôles de demi-caractère. 
Ce même Silvio Maria Luzi mourut aux environs 
de 1860, et son fils Giuseppe lui succéda. C'est 
vers cette époque qu'il faut faire remonter la 
visite au San Carlino de Victor Emmanuel, qui, 
nouveau roi d'Italie, voulait connaître tous ses 
sujets, sans oublier « Pulcinella ». Prenant Tîm- 
présario un peu au dépourvu, Victor Emmanuel 
se rendit avec son ministre Rattazzi au petit 
théâtre de la place du Château. Mais A. Petilo 
qui tenait le rôle du Pulcinella, comme à son 
habitude, craignant sans doute de ne pas être 
suffisamment compris du souverain, dit presque 
entièrement son rôle en italien^ ce qui scanda- 
lisa fort les napolitains, comme on peut le voir 
par l'extrait suivant du journal Cuorpo de Na- 
pôle du vendredi 13 mai 1862 : 

« A. Petito nous le disons avec toute franchise : 
Tautre soir il a perdu tout son esprit. On eût dit 
un bouffe toscan, et non pas « Pulcinella ». Nous 
sommes persuadés qu'il joua ainsi pour faire 
comprendre au Roi le sel de ce qu'il disait en 
parlant la langue toscane, mais si le roi eût voulu 
entendre parler toscan il serait allé au théâtre 
des Fiorentini, Le roi voulait entendre le diar 

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74 LE THEATRE NAPOLITAIN 

lecte, et Timprésario a mal fait de ne pas choisir 
une comédie où il y eût des caractères napoli- 
tains. Il fit mal, très mal, de ne pas faire jouer 
de Angelis et di Napoli en guappo. En somme, 
la comédie [les Métamoiyhoses de Piilcinella) et 
la farce {Pulcinella médecin à force de coups de 
bdton^) parurent froides, froides. Le roi rit de 
bon cœur et resta jusqu'à la fin, mais il aurait ri 
encore bien plus si on lui avait joué une comédie 
d'Altavilla. — Le roi fut acclamé à l'arrivée et 
au départ. » 

Ce répertoire, sur lequel nous aurons à revenir 
à propos des pièces qu'il nous sera donné de 
voir au Niiovo^ se composait donc en grande 
partie des vieilles comédies de Cammarano aux- 
quelles venaient s'ajouter les nouveautés de Pas- 
quale Altavilla et d'Antonio Petito,. 

En 1872, Altavilla tomba par accident dans 
son escalier en voulant répondre à une voisine 
qui rappelait pour lui demander des places de 
théâtre, et mourut des suites de cette chute trois 
ou quatre jours après. En 1876, le 26 mars, 
Antonio Petito, suivant de près son père, mort 



• Yoilà un Pulcinella qui nous semble passablement coasin 
germain de Sganarelle du Médecin malgré lui i — Note de 
TauteuF. 



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Antonio Petito, mort le 26 mars 1870. 
Autêvir dramatique napolitain et illustre « Pulcinella » 
du San Carlino. 



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DEMOLITION DU SAN CARLINO 77 

sept ans auparavant, expirait d'un anévrismesur 
la scène même de ses exploits. Ce fut donc une 
triste et mémorable soirée pour le petit théâtre 
San Carlino 

On donnait la Dame blanche de Giacomo 
Marulli, et Totonno avait pris, comme d'habi- 
tude, son masque de Pulcinella. A ses côtés, 
Milzi, un jeune acteur alors, que nous retrouve- 
rons de nos jours au petit théâtre de la Fenice, 
de Angelis le buffo^ Marangelli le tartaglia^ 
d'autres encore lui donnaient la réplique. Déjà 
Ton avait joué les deux premiers actes et Ton 
commençait le troisième. Petito paraissait préoc- 
cupé, distrait. Les battuie manquaient de viva- 
cité; Pulcinella paraissait visiblement fatigué. 
Giuseppe Maria Luzi qui se trouvait avec Fac- 
teur Pietriboni dans une loge d'avant-scène ne 
reconnaissait plus son pensionnaire. Petito s'en 
aperçut et força ses effets. Mais à peine le 
rideau était-il baissé — ce rideau qu'il ne devait 
plus jamais voir se relever devant lui — qu'ôtant 
son masque il alla s'asseoir sur une chaise dans 
le couloir qui conduisait à sa loge. La soubrette 
Telesco qui passait le vit tout à coup la face 
congestionnée et la langue pendante. Croyant 
alors qu'il plaisantait : « Don Anto, lui cria-t-elle, 



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78 LK THEATRE NAPOLITAIN 

ne faites pas cela ! » Le dernier grand Pulci- 
nella n'était plus. 

Ce fut alors une scène navrante : les comé- 
diens placent sur un matelas le corps inerte de 
leur camarade et le portent sur la scène ; un 
acteur prévient le public pour l'inviter à sortir, 
et au milieu d'un silence de mort voici la 
toile qui se relève, et Ton voit autour de 
Petito le guappo qui lui soutient la tète, le 
biiffo qui lui secoue les mains en l'appelant : 
Toto, Toto ! le tartaglia qui accourt un verre 
d'eau à la main pour lui baigner la figure, 
la caratterista agenouillée près du matelas et 
pleurant ! 

Quel deuil dans Naples ! Car, il faut bien le dire, 
les napolitains se souviennent de qui les a fait 
rire. Tout est joie, à Naples ! Tout est allégresse ! 
Les guitares et les mandolines se turent pour 
un jour, et l'on vit une foule innombrable d'ac- 
teurs, de journalistes, d'hommes de lettres, d'ha- 
bitués du San Carlino, d'hommes du peuple, de 
femmes et d'enfants suivre le cercueil de leur 
« Pulcinella » préféré, mort sur la brèche, à la 
façon de notre Molière. 

Et puis Antonio Petito avait fait aussi autre 
chose que de revêtir chaque soir la blouse 



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DEMOLITION DU SAN CARLINO 79 

blanche de Pulcinella et d'en avoir porté le 
masque. Il en avait rajeuni et transformé le 
caractère. 

Disons le mot : il l'avait en quelque sorte 
modernisé : à l'antique « Pulcinella » de Cam- 
marano, type bouffon assez grossier, il avait subs- 
titué un Pulcinella bon mari, ouvrier honnête, 
généreux, bon cœur, observateur, taquin. C'est 
la révolution qu'avait opérée chez nous dans la 
pantomime notre grand Deburau, l'immortel 
Pierrot. Salvatore Petito, le père, avait été le 
trait d'union entre la vieille formule et la nou*- 
velle : danseur, mime, comédien, chanteur, il 
n'avait pas voulu se contenter du vieux moule, 
et en avait c^réé un nouveau ; son fils Antonio le 
perfectionna en Tamplifiant. Puis, quand il lui 
semblait que le masque empêchait à son visage 
de traduire suffisamment sa passion, alors il le 
posait, et c'était à visage découvert Pascariello^ 
type populaire, où il se révélait grand comé- 
dien. 

Tel était l'homme qui cependant savait à peine 
écrire, qui dédiait sa photographie « Al mio 
ibresario Giisepe Maina Liissi », mais dont des 
amis dévoués revoyaient avec soin les grandes 
feuilles de papier couvertes de sa grosse écri- 



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80 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

ture * et que M. S. di Giacoruo qui le connut 
beaucoup juge ainsi : « L'acteur était vraiment 
grand, sa figure éclairait toute la scène, remplis- 
sait tous. les vides, recueillait toutes les émo- 
tions, captivait toute l'attention ; c'est ainsi que 
les vulgarités ou les stupidités de la comédie, 
son manque d'humanité, de sens logique, d esprit, 
était oublié pour faire place à une jouissance 
qui s'emparait du public, qui durait encore hors 
du théâtre, une félicité qui accompagnait les 
spectateurs jusque chez eux, et laissait encore 
sourire, dans le sommeil, leurs lèvres entr 'ou- 
vertes. » 

Succession bien lourde à reprendre, et qui 
échut à Giuseppe De Martino, le « Pulcinella » 
de nos jours, dont nous aurons tant de foie l'oc- 
casion de vous parler dans les chapitres qui 
vont suivre. Qui était-ce que ce De Martino? 
Un « Pulcinella » de second plan qui jouait alors 
au théâtre Rossini, une petite salle nouvelle- 
ment ouverte près de la piazza Dante. 

Le lendemain de la mort de Pelito,, Luzi 



* Antonio Petito commença en 1867 à faire imprimer une par- 
tie de ses comédies sous ce titre : Selva Comica Nazionale. — 
L'éditeur Chiurazzi de la place Cavour, à Naples, en publie en 
ce moment quelques autres détachées, restées manuscrites jus- 
qu'à ce jour. 



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DEMOLITION DU SAN CARLINO 81 

s'aboucha avec le jeune artiste, et, le 30 mars, 
le nouveau venu fit, non sans émotion, son 
début au San Carlino. On voulut voir en lui la 
tournure de son prédécèsisçur, eh reconnaître la 
voix, en retrouver V école. Eh bien ! c'est cette 
école que nous allons juger ensemble au 
Nuovo. 

Mais finissons-en une fois pour toutes avec le 
San Carlino agonisant. Altavilla est mort, 
Pelito a succombé à son poste, l'imprésario 
Luzi, second du nom, a suivi ce dernier un an 
après. En 1878, c'e'st le tour de Raffaele di 
Napoli, le guappo^ emporté par la maladie de 
la pierre ; en 188.0, le bu/fo Pasquale de Angelis 
est frappé d'apoplexie au moment où il se dis- 
posait à sortir de chez lui pour assister au début 
de la nouvelle compagnie Scarpetta. Car, entre 
temps, a surgi Scarpetta, celui-là même que 
nous pouvons aller entendre chaque soir au 
théâtre des Fiorentini. 

Eduardo Scarpetta ayant pris soin d'écrire, 
non pas une fois, mais deux fois ses Mémoires * 



* Don FelicBy Memovie di Eduardo Scarpetta, Naples, typ.^ Fr. 
Carlaccio 1883. Da S. Carlino ai Fiorentini [nuove memôrie) 
de Ed. Scarpetta, préface de Benedetto Croce, Naples, Pungolo 
Parlamentare, édit. 1900. 



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82 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

nous n'aurons pas grand peine à vous dire qui il 
était et d'où il venait. Né le 13 mars 1854 d'une 
famille bourgeoise, il avait fait ses premières 
armes au petit théâtre Partenope, et un soir que 
dans la farce napolitaine Feliciello Sciosciam- 
mocca inmnulo de na pizza\ il avait été remar- 
qué par rimprésario Luzi et le giiappo Raffaele 
di Napoli. Bien qu'il n'eût alors que quinze ans, 
le jeune homme fut engagé au San Carlino, aux 
appointements de dix-sept lires par mois, avec 
obligation, par contrat, — de « danser, dispa- 
raître dans les trappes, voler dans les airs, se 
fournir de bas ve3tiaire alV oltramontana^ se ma- 
quiller, être suspendu au besoin et chanter dans 
les chœurs », engagement qui pourrait être rap- 
proché de ceux que l'on signait chez nous aux 
Funambules du temps de l'inoubliable Debu- 
rau. 

Bref, en 1876, lorsque mourut Antonio 
Petito, le nom de Scarpetta était déjà populaire 



* Sciosciam^nocca (mot à mot : souffle dans la bouche) 
intraduisible, par conséquent. Le titre de cette farce est donc 
par à peu près : le Petit Félix Gohemouche voleur d'une pizza. 
Nous rappellerons à ce propos que la pizza est le mets popu- 
laire napolitain. C'est une sorte de galette molle faite à Thuile 
sur laquelle on sème des fragments de tomates, de piments, de 
petits poissons, et que des vendeurs ambulants offrent sur une 
planche . 



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DÉMOLITION DU SAN CARLINO 83 

à Naples; cet artiste s'était incarné dans un 
nouveau type dont il ne devait plus jamais se 
départir, celui de Don Felice, 

Malheureusement les comédiens, privés de 
leurs chefs d'emploi, se débandaient. On était 
en 1880; le San Carlino ferma ses portes. C'est 
alors qu'Eduardo Scarpetta, qui déjà ne doutait 
de rien, se mit à» la tête d'une nouvelle troupe 
dans laquelle figuraient Gennaro Pantalena que 
nous retrouverons au Nuovo, Raffaele de Cres- 
cenzo que nous verrons aux Fiorentini ; on dé- 
cora la salle, on remplaça l'ancien rideau, œuvre 
de Giuseppe Cammarano et reproduisant les 
types de la comédie napolitaine présentés par 
Thalie à Apollon, par une toile neuve ; les becs 
de gaz chassèrent les quinquets et l'on vit 
même — qui l'eût cru ? — deux ou trois rangs 
de fauteuils précédant les sièges du parterre. Ce 
fut l'âge d'or. Seulement, ne l'oublions pas. Don 
Felice avait tué Pulcinella sur ses propres plan- 
ches, car tout le secret de Scarpetta, rompant 
complètement en visière avec les traditions napo- 
litaines, consistait à prendre des pièces fran- 
çaises en vogue, à en changer le titre, aies 
« tripatouiller, » à sa manière, et à les présenter 
comme ses œuvres à lui. 



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84 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Je crois entendre déjà les auteurs français se 
récrier. 

Mais, chers messieurs, ce petit commerce 
dure depuis plus de vingt ans. Si vous le savez, 
si vous permettez que Ton dénature ainsi vos 
ouvrages, tout est pour le mieux. Si vous ne le 
savez pas, pourquoi n'a-t-iljamais pris fantaisie 
à Tun de vous d'aller voir ce qql se passe à l'é- 
tranger? La traduction s'appelle « réduction », 
et" bien souvent même ce dernier mot disparaît. 
Le nom du véritable auteur n'est jamais imprimé 
sur Taffiche, et le bon public napolitain — pourvu 
qti'il s'en soucie — peut se figurer que toutes 
les pièces jouées par Scarpetta sont de lui, et que 
dans toutes ces pièces le principal personnage 
s'appelle Z>on Felice, J?eAé'' de Najac et d'Henné- 
quin devient Tetillo^ de Scarpetta, naturelle- 
ment, et ainsi du reste. Or, affirme M. S. DiGia- 
comi, de 1881 à i887 seulement, Eduardo Scar- 
petta gagna 300.000 lires à ce jeu-là, et l'on vit 
hi^nibi Don Felice arriver aux répétions dans son 
coupé et faire construire un bel immeuble au 
Rione Amedeo, c'est-à-dire dans le quartier le 
plus aristocratique de la ville. 

Pendant ce temps, pour venger la mémoire 
de son illustre frère sans doute, Davide Petito 



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DEMOLITION DU SAN CARLINO 87 

jouait au Partenope une comédie qui n'était 
autre que V Apothéose de la célèbre « Maschera » 
napolitaine. Hélas ! ni les applaudissements, 
ni les larmes ne pouvaient réintégrer Pulcinella 
au San Carlino. Mais d'autres événements bien 
autrement graves se préparaient. La vieille 
place du Château, obéissant à un plan tracé 
pour les embellissements de Naples, changeait 
d'aspect à vue d'œil. Les boutiques en plein 
vent des charlatans disparaissaient Tune après 
l'autre ; une nouvelle Piazza Municipio , des 
constructions nouvelles,^un square allaient surr 
gir. Les vieilles bicoques qui abritaient le 
fameux théâtre San Carlino étaient condamnées 
à une mort certaine, et le 6 mai 1884 la pioche 
inflexible des démolisseurs commençait son 
œuvre de destruction. 

Le San Carlino méritait une histoire : il Keut. 
M. Di Giacomo dans son œuvre touffue, si sou- 
vent citée par nous, s'en fît le chroniqueur fidèle, 
et il eut raison. Le résumé que nous en avons 
fait ici suffira à faire comprendre au lecteur la 
genèse de ce théâtre napolitain qui resterait 
absolument lettre morte pour un étranger sans 
ces explications préliminaires. 

Mais le San Carlino une fois disparu, et Don 



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88 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Felice tout puissant — grâce aux emprunts faits 
au répertoire français — est-ce à dire que ce 
théâtre napolitain unique en son genre, si typique, 
si original, tantôt nous reportant aux parades de 
la foire, tantôt faisant revivre devant nous les 
improvisations géniales de la Commedia de/l'arte, 
avec ses caractères immuables du guappo et de 
la servetta, est-il donc passé à tout jamais à Tétat 
de curiosité dramatique? Scarpetta Ta-t-il remisé 
une fois pour toutes dans le magasin des accès-, 
soires? N'enlendrons-nous plus bégayer le tarta- 
glia ; ne verrons-nous plus « Pulcinella » débiter 
gravement ses sublimes balourdises? 

Halte-là ! Seize ans se sont passés depuis la 
disparition du San Carlino. Pulcinella est mort ! 
Vive Pulcinella! — Et nous allons voir après 
ce laps de temps ce qu'il en reste. 



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VI 

LE THÉÂTRE NUOVO 



Les affiches du jour. — Le théâtre Nuovo. — Pourquoi A 
— La via Toledo. — Le quartier de Montecalvario. 
qu'on voit dans les rues. — Comment on entre au thé 
Naples. — Description de la salle. — Le public. — I 
sentations du jour et du soir. — La toile du Nuovo. — 
provisateur ou Cantastorie. — Ce qu'en dit Alexandi 
mas. — Pourquoi l'improvisateur disparait. — Au ride 



Nous voici donc à Naples, en Tan de g 
1900. Nous voulons connaître le théâtre na 
tain actuel. Où passerons-nous notre soiréi 

Nous irons d'abord regarder les affiches 
s'étalent le long du mur de TArsenal, car il ai 
bien souvent que les indications fournies pa 
journaux sont erronées. Nous nous apercev 
bientôt que la musique règne en maîtress 
San Carlo, au Mercadante (ci-devant Fonde 
Bellini, et que si nous voulons assister à un s 
tacle napolitain il nous faut aller soit aux 



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90 LE THEATRE NAPOLITAIN 

rentini, théâtre aristocratique, soit au Nuovo, 
théâtre bourgeois. 

Au premier, règne Scarpetta avec ses « réduc- 
tions » qui ne sont, comme nous Tavons dit déjà, 
que des pièces françaises déformées, mutilées, 
tronquées, sans originalité pour nous par con- 
séquent; au second, trône « Pulcinella » avec 
GiuseppeDe Martino et tout son cortège de tradi- 
tions et de bons mots. 

L'hésitation n'est pas permise. 

Nous irons de suite au Nuovo. 

Pourquoi le Nuovo? Est-ce parce qu'il est 
neuf? Certes non; mais sans doute parce qu'il 
Ta été. C'est l'histoire du Pont-Neuf, ainsi nommé, 
bien qu'il soit Tun des plus anciens ponts de 
Paris, ou encore des carabiniers ainsi désignés 
bien qu'ils n'aient plus de carabines. Ils en ont 
eu, ça doit suffire. Le théâtre Nuovo qui existait 
déjà au xvm® siècle a sans doute été neuf à son 
heure. 

Où se trouve le théâtre Nuovo, à Naples? 

Dans un dédale de ruelles grimpantes et glis- 
santes dont je voudrais tâcher de vous donner 
une idée. 

Il existe à Naples une rue unique en son genre 
dans le monde entier : cette rue c'eat la via To- 



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LE THEATRE NUOVO 91 

ledo — aujourd'hui jRoma, — maison l'appelle 
toujours Toledo; celle-là même que Dumas père 
célébrait il y a soixante ans, et — chose curieuse 
— dont on pourrait donner la même description 
de nos jours sans avoir la peine d'y changer un 
seul mot : 

(t Toledo est la rue de tout le monde. C'est la 
rue des restaurants, des cafés, des boutiques ; 
c'est l'artère qui alimente et traverse tous les 
quartiers de la ville; c'est le fleuve où vont se 
dégorger tous les torrents de la foule. L'aristo- 
cratie y passe en voiture, la bourgeoisie y vend 
des étoffes, le peuple y fait sa sieste. Pour le 
noble, c'est une promenade ; pour le marchand, 
un bazar ; pour le lazzarone, un domicile. 

« Toledo est aussi le premier pas fait par 
Naples vers la civilisation moderne, telle que 
l'entendent nos progressistes; c'est le lien qui 
réunit la cité poétique à la ville industrielle ; c'est 
UQ terrain neutre où Ton peut suivre d'un œil 
curieux les restes de l'ancien monde qui s'en va 
et les envahissements du nouveau monde qui 
arrive*. » 

Ce que Dumas eût pu ajouter encore, c'estque 

* Le Corricolo, vol. I, p. 38, édit. Calmann-Lévy, 4897. 



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92 LE THEATRE NAPOLITAIN 

celte longue artère de Toledo dont il est impos- 
sible de voir la fin, suit exactement Fancienne 
ligne des fossés des remparts de la ville, depuis 
la Piazza San Ferdinando jusqu'au musée, etque 
tout le quartier construit sur les pentes du Mon- 
tecalvario, c'est-à-dire autrefois hors de la ville, 
a été bâti uniformément du temps du duc d'Albe, 
et ne se compose que de ruelles se coupant à 
angles droits. C'est un bien bizarre quartier, en 
vérité, entièrement construit sur remplacement 
d'anciennes carrières d'où, pendant des siècles, 
on a extrait sur place la pierre à bâtir; les car- 
rières furent comblées depuis avec des déblais 
de toutes sortes, des immondices provenant du 
balayage, des terres rapportées, etc. *. 

Les premières maisons qu'on y éleva n'avaient 
qu'un seul étage ; on ne prit pas la peine de creuser 
desfondements. Puis les maisons furentpeu à peu 
surélevées de cinq ou six étages, et personne ne 
songea jamais à renforcer les murs. Nulle part 
les fondations n'atteignent le sol rocheux. Alors il 
en résulte que la plupart de ces constructions ne 
se soutiennent absolument — comme à Amster- 



* Naples contemporaine, par Marcellin Pellet, p. 46. Paris, 
Charpentier, 1896. 



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or THE -r ■ 
UNIVERSITY 

dam, (lu reste — que par la pression des édifices 
voisins. Beaucoup sont soutenues par des poutres, 
des contreforts de maçonnerie qui interrompent 
la circulation, et les choses restent en l'état des 
années entières. 

Tel est fort exactement Taspect du quartier où 
je vous conduis : une annonce au gaz portant le 
nom du théâtre où nous allons nous a prévenus 
qu'il nous fallait quitter la Via Toledo où il est si 
difficile d'avancer à cause du nombre des piétons 
et des voitures, et nous engager dans une de ces 
ruelles escarpées qui s'allongent sur le flanc du 
Montecalvario. Nous foulons aux pieds des dalles 
de lave, ghssantes par les temps secs, gluantes 
et poisseuses par les temps de pluie. Des poutres 
et des contreforts de maçonnerie — ceux dont 
nous parlions tout à Theure — encombrent la 
route et soutiennent les hautes maisons bran- 
lantes. Aux murs, à la hauteur du premier étage, 
des madones encastrées dans la maçonnerie sem- 
blent nous regarder passer ; des charrettes char- 
gées de légumes et de fruits magnifiques, traî- 
nées par de petits ânes, se mettent à chaque 
instant en travers du chemin. S'il débouche un 
fiacre de quelque part, comme ces ruelles n'ont 
pas de trottoirs, il faut nous réfugier sous une 



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94 LE THEATRE NAPOLITAIN 

porte ; à droite, à gauche, des marchands d'oi- , 
seaux; les cris discordants des perroquets fendent 
les airs. Sur le seuil des bdssi^ ou rez-de-chaussée, 
où logent généralement huit à douze personnes 
dans une seule pièce ne prenant jour que par la 
porte, les gens exercent en plein vent leurs mé- 
tiers de cordonniers, de rétameurs, d'ébénistes, ou 
encore les femmes épluchent leurs légumes, tan- 
dis que les enfants cherchent à allumer le feu 
d'un braserO'dont les étincelles voltigent de tous 
côtés. — Tout cela dans la rue, seul endroit où 
l'on vit à Naples. Plus loin, des femmes se dis- 
putent — ou causent — Chi lo sa? — sur un dia- 
pason d'une hauteur invraisemblable. De-ci, de-là, 
de petits débits de friture de poisson, de morue, 
de sauce tomate relevée d'ail et d'oignon avec 
des tranches d'aubergines ou de piments verts. 
A chaque instant, dégringole au-dessus de votre 
tête un panier suspendu à une longue ficelle : 
ce sont les ménagères des étages supérieurs qui 
font ainsi descendre leurs paniers au passage du 
verdummaro lequel s'époumonne à annoncer sa 
marchandise. Celui-ci arrête alors son àne, prend 
les sous contenus dans le panier, et y met à la 
salade ou ses choux. Cette montée et 
perpétuelle des paniers au bout d'une 



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LE THÉÂTRE NUOVO 97 

corde, jointe aux cris des vendeurs ambulants, 
constitue même une des originalités de cette 
curieuse ville où la densité excessive de la popu- 
lation est plus forte que dans toute autre ville 
d'Europe, puisque chaque habitant ne dispose 
que de 7 à 8 mètres carrés de superficie dans les 
quartiers les plus peuplés, alors qu'à Londres 
chaque individu a, en moyenne, 344 mètres 
carrés à sa disposition, soit, exactement, qua- 
rante-trois fois plus. Que vous dirai-je enfin? Tout 
ce monde est gai, chante, rit, gesticule — gesti- 
cule surtout I — Au coin d'une rue une lampe à 
arc. 

Nous sommes arrivés au Nuovo. 

Les théâtres de Naples présentent encore cette 
particularité que Ton peut y entrer « comme 
dans un moulin ». Toutes les portes en sont 
ouvertes. On ne vous demande qu'une chose : 
c'est de mettre votre canne ou votre parapluie au 
vestiaire. Sur ce point, le règlement est inexo- 
rable. Mais, pour le reste, ni contrôle à la porte, 
ni distributeurs de contremarques à la sortie, 
rien enfin. Et c'est bien simple : comme je l'ai 
expliqué maintes fois en parlant des théâtres en 
Espagne, au Portugal et en Italie, il n'y a vrai- 
ment qu'en France où Ton soit toujours sous la 

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98 LE THKATRE NAPOLITAIN 

• 

férule du pion, — ou du contrôleur ^ — depuis 
récole jusqu'au théâtre. 

Dans les pays que je viens de citer, il existe 
au bureau où Fon prend ses places un petit plan 
de la salle sur lequel sont indiqués les numéros 
de tous les fauteuils, de toutes les loges, de toutes 
les stalles. Que je me présente la veille, le matin, 
la journée ou le soir, c'est le même prix. Il ne 
viendra jamais à l'idée d'un entrepreneur de spec- 
tacles de me demander un ou deux francs de plus 
par place parce que je lui achète ferme une mar- 
chandise qu'il n'est pas toujours certain de vendre 
àla dernière heure. Ilneme trompe pas, puisqu'il 
me fait voir à l'avance le plan de la salle et la 
place que je dois occuper. Il ne me jette pas en 
pâture entre les mains d'ouvreuses affamées qui 
vont abuser de mon ignorance des lieux et des 
usages pour me mettre au dernier rang alors que 
j'aurais le droit d'être au premier, espérant ainsi 
recevoir un pourboire du spectateur qui désire 
être mieux placé. On me demande seulement au 
bureau : Quelle place voulez-vous ? 

— Un fauteuil d'orchestre. 

— Voici le plan. Nous avons disponibles les 
fauteuils du quatrième rang, et au delà. Quel 
numéro voulez-vous prendre? 



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LE THÉÂTRE NUOVO 99 

— Là, le numéro 10 du quatrième rang. 

— Fort bien. Voici le billet. ^ 
Et sur ce billet que Ton me donne en échange 

de mon argent sont mentionnés les numéros de 
la rangée et du fauteuil (4*^ rang, n"* 10). 

Il en résulte que j'entre au théâtre par la porte 
qui me plaît, sans cet appiareil de police — ser- 
gents de ville, municipaux, inspecteurs, contrô- 
leurs, employés de tous grades — pourquoi pas 
gardes champêtres? — dont tout théâtre qui se 
respecte en France ne peut se passer. Or notez 
que j'écris ces lignes au milieu du peuple le plus 
remuant, le plus tapageur, le plus exubérant de 
la terre. A l'entrée du couloir qui conduit au fau- 
teuil que je dois occuper, je trouve seulement 
un placeur qui regarde mon billet, en déchire la 
moitié, m'en laisse l'autre moitié en cas de con- 
testations, que je n'ai jamais vu se produire, et 
m'indique fort poliment l'endroit où je dois 
m'asseoir. A cet homme, je ne dois rien. S'il me 
donne le programme ou s'il m'apporte un petit 
banc, je lui glisse dix centimes dans la main. Si 
je suis dans une loge, j'accroche mon pardessus 
et mon chapeau à une patère. Si je suis à l'or- 
chestre, je vois adapté au dossier du siège qui 
me précède, un petit système fort simple et fort 



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100 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

ingénieux pour y fixermon paletot plié en deux, 
et mon chapeau. Enfin, dernier point de compa- 
raison, une fois le spectacle commencé, il n'y 
aura pas, ou presque pas d'entr'actes — de ces 
entr' actes énervants et lassants qui permettent, à 
Paris surtout, de servir en trois heures d'hor- 
loge un spectacle de une heure et demie ! 

Je rappellerai pour terminer, bien que je Taie 
dit déjà, que dans ces théâtres napolitains Ton 
entend par représentation de jour celle qui com- 
mence vers six heures et demie ou sept heures 
pour se terminer vers neuf heures et demie du 
soir, et par représentation du soir celle qui lui 
succède. La seule différence entre ces deux repré- 
sentations, c'est que les prix de jour sont quelque 
peu moins élevés. 

Nous voici donc dans la salle, qui peut se com- 
parer comme grandeur à notre salle des Variétés. 
Le théâtre est ancien, mais commode. Il possède 
cinq étages de loges, suivant l'usage italien. Ni 
fauteuils de balcon, ni galeries (si ce n'est une 
insignifiante, tout en haut), ni pourtour. En bas, 
les fauteuils [poltrone)^ lès stalles [distintï)^ le 
parterre [platea),l&.diis ainsi que le veut une cou- 
tume napolitaine assez singulière, tandis que 
Ton peut entrer librement aux loges et aux fau- 



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Le théâtre Nuovo. — Un coin de la salle. 



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LE THEATRE NUOVO 103 

teuils dès que la salle est éclairée, l'on n'ouvre 
les portes aux spectateurs du parte 
moment où l'on va lever le rideau. Me 
encore pour compléter notre descripti 
a dix musiciens à Torchel^tre, que tou 
est garnie d'un public toujours nombr 
fort convenable, négociants, bourgeois, 
qu'il y a souvent de jolies brochettes 
dans les loges, surtout aux représeni 
îour, que la lumière électrique est re 
profusion, et que tout ce monde parai 
à la seule pensée qu'il va voir et enten 
cinella ». 

Que faire en attendant que la toil 
sinon regarder le sujet qu'elle représi 
vous prie de croire que celui-ci n'est j 
C'est une des scènes les plus caractéri 
la vie presque disparue du Môle , c' 
V improvisateur entouré de son public, 
nous soyions fort impatients, vous c 
parler du spectacle, nous de le racoi 
voici encore une fois forcé d'ouvrir u 
thèse. 

L'improvisateur, ou cantastorie n'e 
guère à Naples qu^à l'état de souvenir, 
uns sont restés célèbres, tels // Puh 



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104 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Stiiorto qui, il y a près d'un siècle et demi, 
lisaient à leur naïf auditoire composé en grande 
partie de soldats, de pêcheurs et de marins, le 
premier Roland furieux du Tasse, le second V His- 
toire de Louis Mandrin^ célèbre contrebandier de 
France * . 

Dumas qui s'est occupé de Naples, surtout au 
point de vue pittoresque, n'a pas oublié non plus 
l'improvisateur tel qu'il Ta vu il y a soixante ans. 
Il le cite parmi les plaisirs populaires, mais il 
constatait déjà son déclina 

« Il y a l'improvisateur du Môle. — Malheu- 
reusement, nous avons dit qu'à Naples il y 
avait beaucoup de choses qui s'en allaient, et 
rimprovisateur est une des choses qui s'en 
vont. 

« Pourquoi l'improvisateur s'en va-t-il ? Quelle 
est la cause de sa décadence ? Voilà ce que tout 
le monde. s'est demandé et ce que personne n'a 
pu résoudre. 

« On a dit que le prédicateur lui avait ouvert 
une concurrence .: c'est vrai ; mais examinez 
sur la même place le prédicateur et Timprovisa- 



* De Tabbc Piétro Chiari ; ouvrage public en 1762. 

' Le Corricolo, vol. I, p. 97, 98. Edition Calmann-Lévy, 1897. 



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108 LE THEATRE NAPOLITAIN 

sateur. Fart de Timprovisateur est sur le point 
de disparaître. » 

Tel est le sujet peint — et bien peint — sur 
la toile du Nuovo : l'improvisateur du Môle, 
entouré de son auditoire habituel, avec Fimpo- 
sante masse du Vésuve, au fond, et les grands 
bâtiments rouges des granili (anciens magasins 
de grains) échelonnés sur la plage qui conduit à 
Portici^ 

Pendant que nous examinions ceci, les dix 
musiciens de Torchestre ont exécuté une sym- 
phonie quelconque, et, sans autre avertissement, 
sans les trois coups traditionnels, au bruit seul 
d'une sonnerie électrique très lointaine, le rideau 
s'est enfin levé. 



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VII 

UNE PREMIÈRE SOIRÉE AU NUOVO 



Une affiche nouvelle tous les jours. — Robert le Diable avec 
Ptilcinella première danseuse absolue, comédie-parodie en 
quatre actes de P. Altavilla, — Michelone et Anselmo. — 
Les gestes napolitains. — Mimique des mains. — « Pulci- 
nella » et Tartiste Giuseppe De Martino. — Les deux langues. 
— Une parodie démodée. — Premiers sujets de la troupe du 
théâtre Nuovo. — Simplicité de la mise en scène. — 
Alexandre Dumas père. — Les frères de Concourt. — Ce 
qu'ils ont dit de ce théâtre. — Résolution d'atteindre le but 
poursuivi. 



L'affiche du théâtre Nuovo changeant tous 
les jours, et le répertoire courant se composant 
pour le moins d'une cinquantaine de pièces en 
trois actes, il en résulte une grande incommo- 
dité pour Tamateur qui ne connaît jamais la 
composition du spectacle du lendemain. Si Ton 
manque Toccasion, par exemple, d'aller voir 
une pièce affichée que l'on veut connaître, on 
risque fort de ne retrouver jamais cette occa- 

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UO LE THEATRE NAPOLITAIN 

sion. Mais qu'importe à ce genre de public ! 
Pourvu qu'il y ait au bas du programme : 

PULCINELLA. — G. DE MARTINO 



C'est pour le mieux ! Car, soit dit en passant, 
tandis que chez nous Fon met les noms des 
artistes qui attirent la foule en haut de l'affiche, 
en vedette, à Naples on les 'met en bas. 

Je n'y vois pas d'inconvénient. 

Donc, pour la première fois, j'étais allé là, 
à l'aveuglette. L'on nous annonçait Robert le 
Diable avec Pidcinella première danseuse absolue, 
comédie-parodie en quatre actes de P. Altavilla^ 
c'est-à-dire une de ces pièces qui appartiennent 
au vieux répertoire du San Carlino. Mais, comme 
j'ignorais encore la plupart des choses que j'ai 
rapportées dans les chapitres qui précèdent, je 
fus un peu déconcerté. L'on ne se trouve pas 
ainsi impunément en face de caractères aussi 
typiques que le Guappo ou le Tartaglia sans 
avertissement, sans préparation. 

Je m'attachai tout d'abord au côté extérieur 
des êtres et des choses. Je vis dans le Guappo, 
qui ce soir là s'appelait Michelone, comme nous 
dirions le « beau Michel », une espèce de « Beau 



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UNE PREMIÈRE SOJREE AU ^NUOVO 111 

Nicolas », — le costume d'ailleurs n'est pas 
sans analogie — avec des attitudes spéciales, 
plus un gourdin dont il semble menacer tout 
le monde, prêta fuira la première échauffourée. 
Je vis dans le Tartaglia que, de nos jours, Ton 
appelle généralement Anselmo^ un bègue, un 
bredouilleur, qui, ne pouvant venir à bout de 
formuler ses idées se met dans une colère perpé- 
tuelle contre les autres et contre lui-même. Il 
est vêtu de noir comme un scribe du xvni® siècle, 
porte perruque, culotte courte, des bas noirs, 
des 'souliers à boucles et un tricorne. Mais 
ce qui le distingue particulièrement ce sont 
d'énormes lunettes bleues qui ne le quittent 
jamais'. L'acteur G. De Angelis, chargé de cet 
emploi au Nuovo, et qui me semble parfaitement 
dans la tradition, est sec, maigre, parcheminé. 
J'ai ridée que chez nous Bâche, que je n'ai 
jamais connu, mais dont le type est resté pro- 
verbial, avec son teint jaune, ses longs bras et 
ses airs de bedeau, eût fait un magnifique 
Anselmo. La figure de ce pauvre Léonce, dont 
j'apprends la si triste fin, se fût également fort 
bien prêtée à ces ahurissements de bègue. 

Tel est le Guappo^ tel est le Tartaglia, 

Que disent ou que font ces gens ? 



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112 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Pour une première fois, je Tavoue, je songeai 
beaucoup plus à regarder qu'à écouter. Tous 
ces comédiens — bons acteurs pour la plupart 
— ont d'ailleurs une mimique si particulière, 
si napolitaine, en un mot, qu'il faut quelques 
séances pour s'y faire. 

Le napolitain parle... avec les mains. Cette 
constatation peut paraître assez singulière ou 
même exagérée à quiconque n'est pas venu à 
Naples. Et cependant rien n'est plus vrai. Pla- 
cez-vous à cinquante mètres de distance d'ita- 
liens de toutes les provinces d'Italie causant 
entre eux, et vous pourrez dire de suite, sans 
les entendre, à la seule manière d'agiter les* 
mains en parlant, quels sont les napolitains. Ce 
qui me remet en mémoire ce passage des Choses 
vues de Victor Hugo : 

« M™® la duchesse d'Aumale parlait malai- 
sément français; mais dès qu'elle se mettait à 
parler italien, l'italien de Naples, elle tressaillait 
comme le poisson qui retombe dans l'eau, et se 
mettait à gesticuler avec toute la verve napo- 
litaine. « Mets donc tes mains dans tes poches, 
« lui criait M. le duc d'Aumale. Je te ferai atta- 
« cher. Pourquoi gesticules-tu comme cela? — 
« Je ne m'en aperçois pas, disait la princesse. Le 



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UNE PREMIÈRE SOIRÉE AU NUOVO 113 

(( prince me dit un jour — c'est toujours Victor 
« Hugo qui parle — c'est vrai ; elle a raison. Elle 
« ne s'en aperçoit pas. Tenez, vous ne le croiriez 
« pas, ma mère, si grave, si froide, si réservée 
« tant qu'elle parle français, si par hasard elle se 
« met à parler napolitain, se met à gesticuler 
« comme Polichinelle. » 

Le napolitain avance les avant-bras, puis agite 
les mains. Ensuite, par un geste qui lui est 
familier, il rapproche ses mains ouvertes, les 
doigts fermés et allongés, comme s'il voulait 
recueillir de Teau de pluie, il les élève insensi- 
blement jusqu'à la hauteur du menton, en les 
agitant toujours, en rapproche les paumes, et dit 
alors à son interlocuteur : « Capisce? » — Vous 
comprenez? — Quand on a pris Thabitude de 
voir ce petit manège, Ton n'y fait pas attention, 
et cela paraît très gentil. Ou encore, pour 
prouver son contentement ou témoigner de 
TaOection à la personne à qui Ton parle — 
homme ou femme — on lui caressera familière- 
ment le menton d'un air protecteur en lui 
disant : « Simpatico ! » ou « Simpatica ! » si 
c'est une femme. 

• Loin de moi la prétention d'affirmer ici que 
ces tics sont chose courante dans la bonne 



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114 . LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

société ! L'écrivain , M"™* Matilde Serao , qui 
régit le code du savoir-vivre à Naples, ne le per- 
mettrait certainement pas ! On ne les voit pas 
moins fréquemment répétés sur les théâtres. A 
chaque instant le jeune homme, la jeune fille 
s'écrieront : « Matiunja mia !» — Oh ! ma mère ! 
— Le personnage comique, s'il est contrarié, se 
mordra l'index de la main droite puis élèvera la 
main vers le ciel en agitant les doigts. La sou- 
brette, pour indiquer qu'une chose est difficile, 
secouera sa main, les doigts mous et ballants, 
comme font les gamins à Técole qui veulent faire 
claquer les doigts en criant : « Chouette ! » Tout 
cela est amusant au possible, et vous compre- 
nez bien qu'un néophyte a bien plus à faire à 
regarder ces gestes qu'à écouter ce qui se dit. 

Mais ce que l'on attend — ce sans quoi rien 
ne pourrait être — vous l'avez déjà deviné : 
c'est « Pulcinella ». Et le voici, dans son cos- 
tume d'une blancheur de neige, le pantalon 
large, la blouse serrée et plissée à la taille, les 
manches amples d'où sortent ses bras couverts 
d'une espèce de tricot rouge, sans collerette, avec 
son demi-masque noir de cuir verni, son serre- 
tête noir sur ses cheveux courts, son petit cha- 
peau pointu de feutre blanc. A peine est-il entré 



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Giuseppe De Martino 
(Pulcinella) levant son masque pour saluer le public. 



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UNE PREMIÈRE SOIRÉE AU NUOVO 117 

que le public des petites, places crie : « Mas- 
chera ! Maschera ! » — Le masque ! Le masque ! 
— C'est Tusage. L'artiste s'avance vers la rampe, 
relève son demi-masque pour laisser voir son 
visage, et salue. C'est un échange de politesses : 
le public doit demander à son « Pulcinella » 
favori de faire voir sa figure, et celui-ci doit la 
lui montrer. 

L'acteur Giuseppe De Martino qui remplace le 
fameux A. Petito dans cet emploi depuis vingt- 
quatre ans, est de taille moyenne, assez replet; 
le menton est rond, la voix grasseyante — mais 
c'est, paraît-il, ainsi qu'elle doit être. Est-ce 
une illusion? Il me semble que le visage, une 
fois le masque levé, reflète plutôt une expression 
triste, mélancolique, et — chose curieuse — 
cette expression je la retrouve sur les traits de 
tous les prédécesseurs de De Martino. J'aime à 
croire que l'habitude de jouer sous le masque 
prive le visage de cette mobilKé excessive qui 
caractérise le mime ou le comédien. N'ayant 
nullement besoin de contracter son visage pour 
y peindre ses sensations, pour faire rire ou 
pleurer son public, l'acteur qui tient le rôle du 
« Pulcinella » devient, à la longue, une espèce 
de pince-sans-rire dont toute Faction consiste 

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118 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

à bieo laocer le mot sans jamais contracter les 
muscles de sa face — d'où cette impassibilité 
qui contraste singulièrement avec les figures 
expressives si variées des autres comédiens. 

La première bizarrerie qui frappe tout d'abord 
l'oreille de l'étranger peu familier à ce théâtre 
napolitain, c'est la diversité de langages parmi 
les personnages de ]a même comédie. En eflFet, 
tandis que tous ceux qui occupent un rang un 
peu élevé dans la société ou qui représentent des 
gens de bonne éducation parlent italien (c'est- 
à-dire toscan) , les hommes du peuple , les 
paysans, les domestiques n'emploient que le dia- 
lecte napolitain. Ainsi, un chef de famille, négo- 
ciant, avocat, médecin, ne s'adressera jamais 
qu'en italien à sa femme, à sa fille, à ses amis, 
mais répondra toujours en napolitain à son fer- 
mier, à son cocher, à son valet de chambre 
qu'il tutoiera toujours. C'est, du reste, la repro- 
duction fidèle de ce qui se passe dans la vie 
courante de Naples. 

Toutes ces réflexions faites, je commence à 
m'occuper de ce que peut signifier la pièce^ et 
je m'aperçois bien vite que si elle a pu charmer 
les habitués du San Carlino du temps où Roberto 
il Diavolo était une nouveauté au San Carlo, 



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UNE PREMIERE SOIREE AU NUOVO 119 

elle est, aujourd'hui, passablement dénuée d'à- 
propos. Supposez un chanteur de salon venant 
nous jouer la scène comique de Levassor : Un 
titi à la représentation de Robert le Diable^ 
laquelle faisait fureur il y a cinquante ou soixante 
ans ! Tout le côté « actualité » nous échap- 
^pant, on se demande comment nos pères et nos 
grands-pères pouvaient bien s'amuser à si bon 
compte. Mais que diraient, à leur tour, nos petits 
neveux, si on leur resservait dans cinquante 
ans la Revue de fin d'année qui fait nos dé- 
lices? Actualités d'hier ou d'avant-hier, fleurs 
fanées. 

La réputation de Pasquale Altavilla, dont 
nous vous -avons parlé, n'a rien à gagner à ces 
^exhibitions posthumes de parodies. Le plaisir de 
voir Pulcinella en première ballerine danser un 
petit pas entre deux tombes n'est pas suffisam- 
ment complété par un intérêt soutenu. Et cepen- 
dant le pauvre vieil auteur napolitain qui avait 
l'habitude de porter la première copie de chacune 
de ses pièces à la Madonna de l'église Santa Bri- 
gida, avec son obole d'une piastre pour que sa 
pièce nouvelle ait du succès, a laissé un assez 
joli bagage de comédies de mœurs pour que l'on 
puisse y puiser avec discernement. Je dois ajou- 



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120 LE THEATRE NAPOLITAIN 

ter, pour être sincère, que rarement par la suite 
je revis cette parodie sur Taffiche. 

Cette première représentation m'avait permis 
de faire connaissance avec les artistes de la 
troupe : Gennaro Pantalena, l'un des deux 
directeurs artistiques, un excellent financier 
plein de naturel, occupant toujours la scène, ne 
forçant aucun effet, et que, physiquement, je 
définirai ainsi : la tète de Charles Monselet ou 
de Louis Ulbach sur un corps de géant. 

Giuseppe De Martino, l'autre directeur, et le 
« Pulcinella » de la troupe, fanatique de son 
art, gardien fidèle des traditions d'A. Petito 
dont il parle avec grand respect, valet balourd, 
brouillon, naïf, stupide, le type enfin du vrai 
« Pulcinella » dont nous nous faisons fausse- 
ment — peut-être à cause de Pierrot — une 
conception plus dégagée. 

Luigi De Martino, son frère, bon comédien, 
dont le talent se plie un peu à tous les genres , 
excelle dans les rôles de bohème ou de meurt 
de faim. 

G. di Napoli, un jeune premier comique à la 
figure de séminariste ; très intelligent et très fin. 

G. Cosenza — le Giiappo — sorte d'hercule, 
très bien dans ce personnage de bellâtre de 



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UNE PREMIÈRE SOIREE AU NUOVO 123 

faubourg ou dans les rôles qui exigent de la 
brutalité. 

G. de Angelis — VAnselmo — à la ligure 
bilieuse, suffisamment bégayant, tatillon et 
ahuri. 

Et du côté féminin — le côté le plus défec- 
tueux dans le théâtre napolitain où les rôles de 
femmes sont presque toujours de peu d'impor- 
tance : 

La toute charmante M"*" A. Magnetti, jeune, 
belle sans pose, éclairant toute la scène de sa 
grâce naturelle. 

Je m étais, de plus, rendu compte qu'aucun 
décor n'étant planté, Ton pouvait au moyen de 
toiles de fond modifier instantanément la mise 
en scène réduite ainsi à sa plus simple expres- 
sion, d'où la suppression presque complète des 
entractes. 

Je sortis donc de cette première « soirée d'es- 
sai » un peu déçu. J'avais vu des choses nou- 
velles, mais je sentais d'instinct que pour les 
comprendre il me faudrait pas mal d'épreuves en 
ce genre; alors je me promis de revenir. Seule- 
ment je pensais à part moi : 

— Il est impossible que Dumas père ou les 
Concourt n'aient pas fait mention du théâtre 



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napolitain dans leurs ouvrages. Je me figure 
peut-être fort naïvement aller à la découverte 
d'une Amérique depuis longtemps connue et 
décrite. J'eus des scrupules et je voulus les 
éclair cir. 

Or, Alexandre Dumas dans son Corricolo 
parle à peine dé « Pulcinella » et encore n'en 
parle-t-il que comme un des divertissements du 
Môle, et non comme d'un personnage de. comé- 
die. Il ne saurait donc s'agir eii l'espèce que 
d'un saltimbanque ayant ce costume ou simple- 
ment d'un fantoche, d'un guignol, comme on en 
voit encore dans les rues de Naples, car la 
chose n'est pas expliquée. Il fait remarquer seu- 
lement que ce « Pulcinella » avec sa camisole 
de calicot, son pantalon de toile, son chapeau 
pointu et son demi-masque noir n'a rien à voir 
avec notre Polichinelle, être fantastique, por- 
teur de deux bosses comme il n'en existe pas, 
frondeur, libertin, vantard, bretteur, voltai- 
rien, sophiste, qui bat sa femme, qui bat le 
guet, qui tue le commissaire. « Le Polichinelle 
napolitain, nous dit-il, est bonhomme, bêle et 
malin à la fois, comme on dit de nos paysans ; 
il est poltron comme Sganarelle, gourmand 
comme Crispin, franc comme Gautier Garguille. » 



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126 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

une terrible entreprise, et toujours des paroles 
pareilles à celles-ci : « Je suis connu, j'ai fait 
couler des lacs de sang dans mon quartier. » 

Et c'est tout. 

Ce fut donc après une telFe constatation, et 
surtout après une soirée passée au Nuovo, que je 
persévérai dans ma double résolution : m'ins- 
truire d'abord sur le passé de ce théâtre pour en 
saisir la raison d'être (voir les chapitres pré- 
cédents) y revenir fréquemment ensuite afin 
de l'étudier sur le vif avant de pouvoir en parler 
(lire les chapitres qui vont suivre). 



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.VIII 

LE RÉPERTOIRE DU NU 

L'ÉRUPTION DU VÉSU 

ET UN DIABLE ENDOMM 



Une comédie en 3 actes de 0. Schiano et un 
— . Compte rendu de la pièce . — Le testamei 
— U Éruption du Vésuve, — Les pièces fani 
Diable endommagé de A. Petito. — Trois c 
tions au San Carlino. — Dialogue de Pulcini 
décésseur de Rostand. — Compte rendu ( 
Affiuence du public. — Petit concert final. 



Je choisis, pour ma seconde éprei 
tion du Vésuve ou Piilcinella et PiccI 
tés par le tremblement de terre^ coiïk 
actes de 0. Schiano, auteur naj 
florissait vers 1834 si j'en crois un( 
datée que j'ai sous les yeux. Le titre 
n'est pas banal, et vous remarque] 
pour toutes que dans ce théàtr 
nellesque » plus le titre est long, 
goûté. Mais que diable un auteur p( 
sur un pareil sujet? 



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128 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Federico est un jeune mauvais sujet- dont 
l'oncle fort riche va partir au Brésil. Ce brave 
homme voudrait, avant son départ, voir son 
neveu mener une existence un peu plus réglée, 
et le fiancer avec la belle Carolina. Et cela 
d'autant plus que, la veille de son embarque- 
ment, il est assailli par la nuée des créanciers de 
Federico qui viennent lui réclamer de Targent. 
C'est alors que son intendant Melchiorre lui 
suggère l'idée suivante : faire un premier testa- 
ment par lequel il déshéritera son neveu, et 
rendre ce testament public ; puis en faire un 
second secret, pour laisser tous ses biens à 
Federico. Le jeune homme, se croyant ruiné, ne 
tardera sans doute pas à changer de conduite. 
L*oncle adopte donc cette manière de faire, et 
malgré les remontrances de son ami, le notaire 
Pantasileo, qu'il n'a pas mis dans la confidence, 
dicte un premier testament par lequel il lègue 
sa fortune à son intendant Melchiorre en qui il 
a placé toute sa confiance. 

Nous voici donc lancés dans une donnée de 
comédie qui n'est pas plus déplaisante qu'une 
autre. Pourquoi faut-il, qu'au second acte, nous 
versions dans le mélodrame ? 

L'oncle, poursuivant son projet, se rend chez 



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LE RÉPERTOIRE DU NUOVO, ETC. 129 

le notaire pour annuler ce premier testament, 
comme il était convenu, et pour en dicter un 
second. Mais à peine s'est-il embarqué que l'in- 
tendant, qui est un coquin, vient proposer carré- 
ment au notaire de détruire ce second acte et 
de partager avec lui la fortune du vieillard qui 
ne reviendra certes plus du Brésil. L'honnête 
Pantasileo s'indigne à Tidée de cet infâme con- 
trat, et Melchiorre, se voyant perdu, menace le 
notaire' d'un poignard et brûle ce qu'il croit être 
le second testament. 

Il est élémentaire que le véritable testament 
aura' été remis par erreur à un autre person- 
nage de la comédie, lequel, dans l'occasion, se 
trouve être une vieille ridicule cherchant à se 
remarier et venue dans l'étude pour y prendre 
son premier contrat de mariage. 

Puis, comme l'auteur a voulu jeter une note 
gaie au milieu de cette action mélodramatique, 
il y a introduit deux éléments comiques : le 
premier, cette D* Panfilia, plus que mûre, qui, 
très bavarde, veut épouser Anselmo, le bègue ; 
le second, Palcinella, valet, qui ayant vu dicter 
un testament, veut faire de même : 

« Je lègue... Item, une montre en or pour 
marquer l'heure qu'il est ; 



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i30 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

« Item, une voiture avec deux chevaux vivi ;^ 
(c Item, une maison située... mettez la rue que 
vous voudrez ; 

« Le tout... au sieur Federico... le jour où 
table m'aura fait cadeau de tout 
ISSUS énuméré. » 
t de Pulcinella ; il n'a guère varié 
its ans. 

en comédie, continuée en mélo, 
Vésuve finit en farce de tréteaux, 
oudrais bien que Ton ne veuille 
resser de questions, car j'avoue 
je je serais terriblement embar- 
)ondre. 

iteur transporte-t-il tous les per- 
pièce au pied du Vésuve, dans une. 
3agne appartenant au notaire ? 
notaire veut-il se jouer de Pulci- 
propre clerc Picchio, prétendant 
ridicule de la belle Carolina? — 



hevaux sont dénommés morts ou vivants. 
il mort celui qui est à poiilt pour l'abattoir, 
m attelle généralement aux corricoli — et 
le cheval de luxe, ou tout au moins- l)on 
•nvenable. Telle est Texplication des çhe- 
Icinella. — Voir A. Dumas, le Corricolo, 
— Edit. Calmann-Lévy, 1897. 



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LE REPERTOIRE DU NUOVO, ETC. 13t 

Pourquoi convie-t-il aussi, pour être victime de 
cette « fumisterie », le bègue Anselmo? 



Gennaro Pantalena, co-directeur artistique 
et premier comique grime du théâtre Nuovo. 

Je vous ai prévenus de ne pas être trop indis- 
crets. 

Nous sommes dans une maison de campagne 
voisine du Vésuve, et cela doit nous suffire. Nous 
y voyons venir Pulcinella, Picchio et Anselmo. 



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132 LE THEATKE NAPOLITAIN 

Franchement nous serions bien difficiles d'en 
vouloir savoir davantage. 

Voici donc les trois hommes enfermés dans 
une chambre à deux lits où ils doivent passer la 
nuit, après avoir été dûment avertis que le 
Vésuve donnait des signes non équivoques 
d'une éruption très prochaine. Vous devinez le 
reste : les trois « victimes » voulant se coucher 
et dormir, les coups de traversins, les bruits 
insolites dans la coulisse, les grondements du 
volcan figurés par des coups de grosse caisse, 
les lueurs du cratère représentées par des feux 
de bengale, et Pulcinella, Picchio et Anselmoà. 
moitié vêtus se débattant dans l'obscurité. Et 
Ton rit ! Oh ! le bon public que ce public napoli- 
tain ! Toujours gai, toujours content, laissant à 
la porte, en entrant, tout raisonnement et tout 
esprit de critique ! 

Et la pièce ? — Parfaitement, je Foubliais. 
Eh! bien, le vrai testament est retrouvé entre 
les mains de la vieille ridicule, le navire qui 
emportait l'oncle a dû regagner le port par suite 
d'un accident, et Federico corrigé épousera 
Carolina dans la personne de la belle M"® M. 
Migliorato. 



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LE REPERTOIRE DU NUOVO, ETC. 

Ce genre de répertoire comprenant égale 
un certain nombre de pièces dites fantast 
— comme nous dirions féeriques — je 
garde de manquer d'assister à la représenl 
d'un ouvrage de ce genre, Nu Diavolo ! 
chialOy un diable endommagé, comédie fan 
que musicale en quatre actes du célèbre A. P 
représentée jadis plus de 300 fois sur la scè 
San Carlino. 

Une féerie avec des décors qui ne se comf 
guère que de toiles de fond... c'est hardi! 
pensai-je, puisqtie le public napolitain s€ 
tente de cette mise en scène depuis plui 
siècles, ne soyons pas beaucoup plus exi 
que lui. Nous en aurons bien toujours poi 
deux lires ! 

Eh bien ! dans toutes ces pièces — ces ca 
bâclés à la hâte, pourrais-je dire — je rem 
qu'il y a toujours une idée scénique..* ei 
tout cela finit ensuite n'importe commen 
croirait que l'auteur, homme de théâtrCj a 
un acte sur une donnée quelconque, puis s'ej 
« Nous terminerons cela aux répétitions ; '. 
nella brodera sur le tout quelques iazzi d 
cru; les autres personnages lui répondre 
qui leur passera par la tète, et nous demand 



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:j34 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

rindulgence du public dans un petit couplet bien 
troussé. » 

; Quand je vous disais que ce théâtre se ressen- 
tait terriblement de la Commedia deWarte dont 
il descend en ligne directe. 
. Revenons au Diable endommagé. 

Le rideau se lève sur un atelier de peintre; à 
droite, au fond, un grand tableau recouvert d'un 
voile. Le vieil artiste, chez qui nous sommes, a 
comme élève son neveu Pulcinella dont c'est 
aujourd'hui le mariage. 

A ce propos, nous ouvriront une parenthèse : 
lorsque Pulcinella est serviteur il ne change géné- 
ralement rien à son costume classique : blouse 
blanche sans fraise, et pantalon blanc. Mais s'il 
doit représenter un autre caractère, il passe par 
dessus sa blouse un vêtement quelconque et 
échange son chapeau pointu contre une autre 
coiffure. C'est ainsi que dans la pièce qui nous 
occupe, pour bien nous faire comprendre qu'il 
étudie la peinture, il a endossé par dessus son 
costume un veston de rapin, et s'est coiffé d'un 
petit bonnet de police en papier. 

Dans le calme de cet atelier un intendant gro- 
tesque vient annoncer à grand fracas la prochaine 
visite de la duchesse qui règne en souveraine 



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I 



LHi RKPERTOIRE DE NUOVO, ETC. 135 

dans ce pays imaginaire — quelque chose comme 
la duchesse de Gerolstein. — On lui présentera les 
fiancés; Tun de ces fiancés, ne l'oublions pas, 
c'est Pulcinella en personne, type naïf et balourd 
qui n'est pas sans analogie avec le Pierrot àe De- 
burau, avec cette, différence totitefois que Pulci- 
nella en a toute la bêtise et la malice sans en avoir 
la sveltesse. Puis, çà et là, quelques scènes qui 
sentent la tradition d'une lieue. Ce sont des 
lazzi que l'on doit se repasser de génération 
en génération. En voulez-vous par exemple un 
échantillon ; je cite, bien entendu, de mé- 
moire : 

V intendant, — Ah ! mon cher Pulcinella, je 
t'^-vouerai que depuis quelque temps je ne suis 
guère à jnon aise. 

Pulcinella. — Qu'est-ce que vous avez? 

L'intendant. — Une indisposition à laquelle je 
ne comprends rien. D'abord, un poids sur l'esto- 
mac, un manque complet d'appétit, deâ maux de 
cœur, enfin des nausées inexplicables. 

Pulcinella. — Attendez donc ! Vous vous 
sentez un poids sur l'estomac? 

L'intendant (surpris). — Oui. 

Pulcinella. — Vous avez un manque complet 
d'àppélit? 



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^r^^fçwî!; - 



136 LE THEATRE NAPOLITAIN 

V intendant (de plus en plus surpris). — Parfai- 
tement. 

Pulcinella. — Et, le matin surtout, vous avez 
des maux de cœur, des nausées ? 

L'intendant (ébahi). — Mon cher Pulcinella, 
c'est cela ! Il n'y a pas un mot à changer à tout 
ce que tu dis. 

Pulcinella (d'un air entendu). — Eh bien! ce 
n est pas difficile de deviner ce que vous avez. 

L'intendant. — Et qu'est-ce donc? 

Pulcinella (avec mystère). — Vous êtes... 
dans une position intéressante. 

Plus loin, c'est le même intendant qui, voulant 
faire une déclaration d'amour à une demoiselle 
et ne sachant comment s'y prendre, se fait souf- 
fler par Pulcinella ce qu'il doit dire. La scène est 
amusante, car l'intendant refuse souvent de dire 
ce qu'on lui souffle, et veut rectifier le texte à 
à sa guise. L'autour, A. Petito, n'avait pas attendu 
Rostand, qui n'était pas encore né, sans doute, 
pour écrire la scène de la déclaration d'amour à 
trois (rien de Cyrano!). 

La duchesse annoncée arrive enfin ; elle est 
jeune, elle est belle, mais insolente à la façon de 
la fée rageuse. Orgueilleuse, elle tutoie les 



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M"« A. Magnetti, première actrice du théâtre Nuovo. 



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LE RÉPERTOIRE DE NUOVO, ETC. 139 

paysans, ses vassaux, se prête à contre-cœur à la 
cérémonie du baise-main, se faisant suivre p 
secrétaire dont la mission consiste à lui en 
la main de parfums après chaque baiser, tou 
entremêlé de quelques battute de Pulcinella 
lorsque son tour est venu de s'approcher 
duchesse, lui retient la main et engage la co 
sation avec les personnages qui Tentpu 
Comme détail : la duchesse se fait accompi 
encore .d*un comptable qui, chargé dlnscrii 
un grand livre les libéralités de sa maîti 
marque toujours autre chose que ce qu'o 
dit, tandis que Pulcinella, voyant déployé 
énorme in-folio, fait des génuflexions et s 
à chanter comme au lutrin. 

Le vieux peintre, en souvenir de cette \ 
veut oflrir à la duchesse une de ses toiles ; 
ci accepte avec dédain et ordonne à son i 
dant de remettre quelque argent au viei 
Sous cet outrage, l'artiste relève la tête, el 
une assez belle tirade sur Fart déclare 
repousse cette aumône, le peintre ne vivar 
seulement d'argent, mais surtout de gloire 

Décidément, cette duchesse est intrait 
voulant voir le nouveau tableau de Puici 
elle fait enlever le voile qui le couvre. Ce ta 



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140 LE THEATRE NAPOLITAIN 

représente le diable. Ne le trouvant pas à son 
goût, rirascible jeune femme le crève, et sans 
plus de formalités quitte Tatelier. Le malheureux 
Pulcinella, voyant son « diable » endommagé de 
la sorte, est au désespoir et veut se tuer. C'est 
alors que le diable — qui n'est pas un mauvais 
diable — descend de son cadre, malgré son accroc 
qu'il porte toujours sur la poitrine, et déclare à 
Pulcinella épouvanté qu'il se meta sa disposition 
pour exécuter l'accomplissement de toutes ses 
volontés. 

Le point de départ pour une féerie est gra- 
cieux. 

La noce revient au grand complet; Pulcinella 
prend des airs de conquérant ; tout est ensorcelé 
dans l'atelier ; les portraits eux-mêmes se trans- 
forment lorsque la duchesse les regarde; hors 
d'elle-même, elle veut sévir, et voici que la 
fiancée de Pulcinella est transformée en duchesse 
tandis qu'elle-même, devenue simple villageoise, 
est arrêtée par son propre capitaine des gardes 
et conduite en prison. 

Mais c'est toujours la même chose : après 
avoir tracé cette donnée assez originale voici l'au- 
teur qui nous apparaît trop essoufflé pour mener 
à bien les deux autres actes : diables, ogre, vieille 



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LE REPERTOIRE DE NUOVO, ETC. 141 

sorcière, trucs ridicules, feux . d'artifices qui 
effraient les enfants assez nombreux dans la 
salle, tout le reste n'est plus à raconter, 
qu'au moment où la duchesse repentie 
enfin remonter sur son trône de cartor 
avec la permission du dieu des enfers. 

Toutes ces choses se jouent devant des 
archi-pleines, deux fois par jour, et cha< 
ces spectacles se termine invariablement, 
la coutume napolitaine, par un petit conc 
Ton entend généralement deux ou trois 
méros ». A Tépoque dont je parle, un 
couple de café-chantant « le couple Tromh 
parfois accompagné aussi d'une chanteuse 
litaine ou de deux danseuses, faisait les 
de ce public. 

Le « couple Trombetta » est jeune — c 
principale excuse. — L'homme est bien h 
chante avec goût; la femme a un petit 1 
voix au vinaigre, mais elle possède une s 
de petite frimousse, avec son nez au vei 
grands yeux étonnés et son menton rond, 
apparaît seulement toute fraîche, toute rose 
potelée, presque inexpérimentée. Tous deu 
sent, et Ton applaudit. 

L'art n'a rien à voir là dedans, c'est é^ 



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IX 

LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE 
UN MAIRE RAGEUR 



En pays de connaissances. — Une autre pièce d'Altavilla. — 
Au premier et au second étage. — L'importance et la signi- 
fication des étages à Naples. — Compte rendu de la pièce. — 
Gennaro Pantalena. — Sa soirée d'honneur. — Un AfrtiVe ra- 
geur. — M"»® Angelini, la servetta. — Analogies avec notre 
vieux répertoire. — De Angëlis. — Ansehno. — Compte rendu 
de la pièce . — L'acteur Di Napoli . — Le compliment au pu- 
blic comme au bon vieux temps. 



Il est un fait à remarquer^ au théâtre, c'est 
que le plaisir qu'on y prend est d'autant plus vif 
que l'on connaît mieux tous les artistes que l'on 
va voir jouer. C'est ce qui explique, je crois, la 
grande passion du parisien pour le théâtre. 
Combien de fois se dérange-t-on, par exemple, 
non pas pour une pièce nouvelle qui vous met en 
défiance, mais pour un acteur ou une actrice que 
Ton préfère. On s'intéresse alors aux progrès de 
chacun, et ce sentiment s'accentue avec le temps : 
« Celui-ci, je l'ai vu débuter ! Et cet autre ! Qu'il 



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144 LE THEATRE NAPOLITAIN 

était mauvais jadis ! Qui eût jamais cru ? etc. » 
J'éprouve un peu cet effet depuis, cinq mois 
environ que je suis à Naples : ces comédiens du 
Nuovo, avec leur théâtre en dialecte, m'étaient 
assez indifférents dès le principe. Aujourd'hui je 
retourne de bon cœur dans ce théâtre dont les 
gestes des acteurs me sont devenus familiers. Les 
deux frères De Martino, le gros Pantalena, le 
bégayant Anselmo^ le frétillant Di Napoli, la 
gracieuse M"® A. Magnetti sont déjà pour mo- 
d'anciennes connaissances. Leurs noms seuls ins 
crits sur l'affiche me rassurent; je sais où aller 
. passer ma soirée. Seulement, comme je l'ai dit, 
ce répertoire étant extrêmement varié, il est fort 
difficile d'en suivre attentivement les chauge- 
ments. 

' La première pièce d'Altavilla que j'étais allé 
voir n'était qu'une vieille parodie sans actualité, 
et ne m'avait que fort médiocrement plu. Je 
voulus juger cet auteur sur une épreuve plus 
concluante, plus sérieuse, et j'accourus dès qu'on 
afficha la première représentation de la reprise 
de No Pmnmo e no Seconno piano ncopp a 
Salute con Pulcinella servo corrazone^ c'est-à-dire 
au premier et au second étage en haut du quartier 
de la Santé, avec Pulcinella serviteur plein de 



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LE PREMIER ET LE SECOND ETAGE 145 

cœur, comédie en trois actes de l'artiste P. Alla- 
villa, représentée jadis à l'ancien théâtre San- 
Carlino, J'ai fait remarquer déjà que — dans le 
théâtre napolitain : — plus le titre est long plus il 
plaît. Aussi la salle du Nuovo, comme presque 
toujours du reste, est-elle comble ! 

A Naples, on attache généralement une grande 
importance à Tétage que l'on habite. C'est ainsi 
que, dans beaucoup de quartiers, l'étage supérieur 
est préféré à Tétage inférieur. Les malheureux 
logent au rez-de-chaussée dans les bassL Les gens 
riches demeurent au troisième et au quatrième oii 
ils possèdent souvent de belles terrasses d'où Ton 
jouit d'une vue splendide sur le golfe de Naples, 
le Vésuve et l'île de Capri. Voilà pourquoi dans 
celte maison du quartier de la Santé, Pangrazio 
qui SQ dit de sang noble habite le second étage, 
tandis que le professeur en médecine Taddeo 
habite au-dessous, au premier. 

L'argent n'abonde pas dans le ménage Taddeo, 
et celui-ci se hasarde à venir demander un petit 
emprunt à son propriétaire et voisin Pangrazio 
qui le lui refuse brutalement. Pangrazio a, 
comme domestique, Pulcinella, qui, malgré sa 
grosse bêtise, et peut-être même à cause de cela, 
est un garçon plein de cœur. Il ne peut assister 

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146 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

d'un œil froid aux misères endurées par le pauvre 
professeur, et, prenant fait et cause pour celui- 
ci contre son palron — tant il est vrai que les 
malheureux inspirent plus facilement pitié aux 
malheureux, — vole des victuailles à son maître 
pour nourrir la famille du professeur et bombarde 
à coup de saucissons et de jambons le vieux Pan- 
grazio qui a le mauvais goût de venir réclamer 
ce qu'on lui a dérobé. 

La guerre est déclarée entre le premier étage 
et le second, et Plilcinella n'écoutant que son bon 
cœur, — pour justifier le titre de la pièce, — a 
passé résolument à l'ennemi. Ce n'est pas tout : 
comme Pangrazio veut marier son héritier à une 
jeune femme que Ton croit veuve — la propre 
sœur de Taddeo, la jolie Carolina — iln'estpas 
de niches que Pulcinella n'invente pour contrarier 
son ex- patron et ses invités. Il assomme à moitié 
les musiciens qui venaient donner une sét*énade 
pour le contrat, fait dégringoler les gens de la 
noce dans Tescalier... jusqu'au moment où 
Ernesto, le mari de Carolina et par conséquent 
le beau-frère du pauvre professeur, revient d'Amé- 
rique sous un déguisement. C'est le Deiis ex 
machinal Ernesto, pour ne pas contrarier les 
usages établis, a fait fortune en Amérique; il 



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LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE 147 

apprend à\\ même coup Tannonce du prochain 
mariage de ^a trop consolaWe Carolina, et la 
misère de Tad(^eo. Vous pouvez compter sur lui 
pour remettre tput en état. 

A partir de ce moment, la comédie va se trans- 
former en une charge monumentale : au troi- 
sième acte, nous sommes au second étage, chez 
Pangrazio, le soir même où a lieu le bal des 
fiançailles. PulcinelU travesti en suisse gro- 
tesque, c'est-à-dire avec un habit rouge passé 
par dessus sa blouse blanche, un chapeau à 
plumes, une grande canne à pomme d'or, une 
trompette et un télescope en bandoulière, sert 
d'introducteur aux nobles étrangers : ces étran- 
gers ne sont autres que Taddeo sous Thabit'd'un 
maître de danse français et Ernesto en savant 
allemand à lunettes, suivis d'autres personnages 
aussi burlesques. Pulcinellaqui les précède sonne 
de la trompe à tout propos, déploie son téles- 
cope et se livre à mille extravagances. Carolina, 
feignant quelque piège, feint une indisposition 
et Taddeo, se rappelant qu'il est professeur en 
médecine et ne connaissant que son devoir, se 
dépouille de.sa fausse barbe pour voler au secours 
de sa sœur. Tout se trouve ainsi découvert. 
Ernesto reprendra sa femme, et Taddeo remis à 



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148 LE THEAtRE NAPOLITAIN 

flot, grâce à son beau-ïrère, ira occuper le second 
étage tandis que Pangrazio ruiné redescendra 
au premier. 

Nous sommes à la fin de décembre et Pulci- 
nella ne veut pas laisser passer cette date sans 
nous rien dire : la comédie finie, il s'approche 
de la rampe, et dans un petit compliment bien 
tourné nous souhaite à tous la bonne année. 

Ce rôle de Taddeo ayant été tenu avec une 
véritable autorité par Gennaro Pantalena, je ne 
voulus pas manquer à la soirée d'honneur de cet 
artiste qui choisit pour la circonstance Nu Sin- 
neco arragghiso con Pulcinella carceriere di D. 
Picc/tio Pellecchia^ comédie en deux actes de 
C. Guarino, soit un maire rageur avec Pulcinella 
geôlier de D. Picchio Pellêcchia. 

Un début à la Molière : une suivante, sorte de 
Doripe, — c'est M"*^ C. Angelini qui a la spé- 
cialité de ces rôles — conseille la jeune fille dé 
la maison, la guide dans ses amours, et se 
laisse, pour son compte, courtiser par Pulcinella,^ 
C'est Marinette et Gros René. Il y a plus : 

Pulcinella, dans sa manière de s'exprimer, 
cherche les mots à la façon du val^t du Dépit 
amoureux: : -^ 



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Pulcinella et la Servetta (G. De Martino et M»'» G. Angelini). 



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LE PREMIER ET LE SECOND ETAGE loi 

Et lors ua... certain vent, qui par... de certains flots, 
De... certaine façon, ainsi qu'un banc de sable... 
Quand... les femmes enfin ne valent pas le diable ! 

Pulcinella ne parle pas autrement à sa Rosina, 
et comme il y a de grandes chances que le mo- 
deste auteur de cette comédie n'ait jamais lu les 
œuvres de notre grand poète comique, je pense 
que ce sont là des traditions du vieux théâtre 
napolitain, traditions qui se sont perpétuées à 
travers les siècles — les mêmes que Scaramou- 
che et ses camarades importèrent à Paris et 
qu'assimila à la scène française notre Molière. 

Que dit ainsi Pulcinella ? 

Rien, si vous voulez, mais il trouve le moyen 
de faire rire toute une salle en racontant que par 
une de ces maladresses qui lui sont familières, 
il a cassé toute la verrerie de son maître à la 
soirée de la veille. 

Voici Anselmo,le Tartaglia^ le bègue — tous 
ces personnages nous sont à présent connus — 
avec des énormes lunettes bordées de bleu, — 
représenté toujours à ce théâtre par Facteur De 
Angelis: Le procédé — non plus — n'a pas varié 
depuis trois cents ans. C'est l'ancien Notaire de 
la comédie italienne. 

'- — Alors vous voulez spugn... spugn... 



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152 LE THEATRE NAPOLITAIN 

{spiigna veut dire : épooge; on rîl), sposare 
(épouser). 
C'est toujours le vieux cliché : 

— Ser... Ser... vîtore ! lUustri... tri... tri... 
- — C'est un notaire qui vient de Tripoli. 

*— Trissimo ! (prenant sa plume et son papier 
pour écrire). L'an... an... an... 

— Qu'on mène cet âne à l'écurie î 
Revenons à la pièce de ce soir. 

Don Picchio qui veut se marier avec la fille 
d'Asdrubale, le maire, fréquente assidûment 
la maison de sa fiancée. Pulcinella, qui Ta connu 
enfant, se permet envers lui certaines familia- 
rités comme, par exemple, celle de le tutoyer. 
• — Mon cher Pulcinella, lui dit D. Picchio, 
quand nous ne sommes que nous deux, tout cela 
m'est absolument égal, et je ne vois pas d'incon- 
vénient à ce que tu me tutoies tout à ton aise. 
Mais quand il y a du monde, il faut, par conve- 
nance, ne parler qu'à la troisième personne. 

On sait qu'en italien la troisième personne, 
du verbe est employée pour la formule de grande 
politesse, comme on dirait en français :« Vôtre 
grâce veut-elle, etc. » 

Mais Pulcinella comprend difficilement quelle 
peut être cette « troisième personne » dont il 



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LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE 153 

^st question. Alors D. Picchio, fort patient, lui 
explique que dès qu'il verra entrer quelqu'un il 
devra dire, par exemple : « Votre grâce voit-elle, 
entend-elle? Que dit-elle? Que veut-elle? » Et 
Pulcinella d'apprendre consciencieusement sa 
leçon par cœur. Aussi, dès Tenlrée d'un nouveau 
personnage — Jennaro, qn paysan qui vient 
pour parler au maire absent — ce fidèle servi- 
teur voyant en lui la « troisième personne » dont 
on Ta entretenu, se met-il à crier à tue-tête, au 
nez et à la barbe du nouvel arrivant : « Votre 
grâce veut-elle ? Entend-elle ? Que dit-elle ? Que 
veut-elle?» 

C'est absurde, si vous voulez, mais c'est d'un 
comique irrésistible, du genre de celle autre 
scène des Trente mil/ions de Gladiator : « Quel 
génie que ce Gredane ! Quel lalent ! Quel den- 
tiste ! Il n y a que lui ! Il n'y a que lui ! » 

Asdrubale, le maire, fort bien représenté par 
le gros et consciencieux Pantalena, revient de 
voyage et se fait raconter par Pulcinella tout ce 
qui s'est passé en son absence. Ici, nous assis- 
tons encore à une de ces scènes burlesques où 
Pulcinella trouve le moyen de placer un discours 
invraisemblable, faisant de tous les événements 
qu'il veut raconter une macédoine fort indigeste : 

y. 



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1^4 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Don Picchio, la suivante, le bègue, le paysan, 
« Que veul-ellé ? Que dit-elle? » Le maire pensje 
en devenir fou. Cependant Jennaro, le villageois 
à peine entrevu tout à Fheure, revient avec 
insistance. Il se plaint au maire de ce que Ton 
a enlevé sa fille Fanny, et comme le -maire veut 
connaître le nom du séducteur, il apprend que le 
coupable n'est autre que Don Piccliio Pellecchia 
le fiancé de sa propre fille. Le maire entre alors 
dans une violente colère et, usant de son pouvoir 
discrétionnaire, fait arrêter celui dont il voulait 
faire son gendre. 

Au second acte nous voyons la fiancée Luisa, 
représentée par une belle personne, M"° M. Mi- 
gliorato, inconsolable malgré les exhortations 
de sa suivante. Pulcinella compatissant à tant 
d'infortune — car il est à. remarquer que s'il est 
bien bête, il a toujours bon cœur, Pulcinella, ce 
emquoi il ressemble à notre Pierrot — Pulcinella 
donc, veut bien se faire le gardien de Don Pic- 
chio, le tirer du violon de la mairie, et lui faci- 
liter une entrevue avec sa fiancée. 

La scène est amusante, car toutes les fois que 
le malheureux Don Picchio veut prouver son 
innocence, il élève la voix sans s'en apercevoir, 
tandis que Luisa, Rosina et Pulcinella le font 



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LE PREMIER ET LE SECOND ÉTAGE 15$ 

taire. Puis- cette entrevue ne va pas sans diffi- 
cultés. D'abord, c'est ce bègue d'Anselmo qui 
vient se jeter par le travers, puis c'est l'arrivée 
du maire, d'où la nécessité pour Don Picchio de 
se cacher. 

Le maire Asdrubale veut une explication caté- 
gorique. Il ordonne à Pùlcinella d'aller chercher 
le prisonnier et de l'amener en sa présence. Mais 
ici redouble l'embarras de Pùlcinella qui n'ose 
avouer que Don Picchio se trouve tout simple- 
ment dans la salle voisine. La soubrette sauve 
alors la situation en renversant la lumière et en 
plongeant la chambre dans l'obscurité. Picchio 
profitant de la confusion produite sort à quatre 
pattes du cabinet, passe entre les jambes du maire 
qui trébuche, et gagne la porte, tandis que l'on 
rallume la bougie et que Pùlcinella qui a repris 
ses esprits annonce avec fracas : « Le prison- 
nier. » 

Don Picchio — ce rôle était tenu ce soir là par 
l'acteur Di Napoli qui y est parfait — n'a pas 
de peine à prouver son innocence. Il n'a jamais 
connu personne du nom de Fanny ; le jour n'est 
pas plus pur que le fond de son cœur. Les soup- 
çons se portent alors sur Pùlcinella, au grand 
désespoir de la suivante qui assiste àl'interroga- 



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156 LE THEATRE NAPOLITAIN 

toire du seuil de la chambre d'à côté. Pulcinella, 
pour sa part, qui avait été chargé de surveiller 
les agissements d'une chatte, nommée Fanny, 
et qui, paraît-il, avait relâché sa surveillance, ne 
fait aucune difficulté pour avouer qu'il est res- 
ponsable de la mise à mal de Fanny, et confesse 
même la délivrance clandestine de la malheu- 
reuse bêteconfiée à ses soins. 

Le quiproquo s'éclaircit enfin, et Jennaro, le 
père de la véritable Fanny, est le premier à 
déclarer qu'il ne reconnaît dans aucune des per- 
sonnes présentes le séducteur de sa fille. La 
raison en est que ce nouveau Don Juan n'était 
autre qu'un certain Cesarino, ami de Don Picchio, 
qui, pour courir les aventures, n'avait pas hésité 
à changer de nom. Cesarino, qui au fond est un 
honnête garçon, ne demande pas mieux que de 
réparer ses torts. Picchio se mariera avec la fille 
d'Asdrubale, et Pulcinella lui-même convolera en 
justes noces avec Rosina que le maire, en sa 
qualité de veuf, aurait bien voulu garder pour 
lui. 

Puis la façon de terminer, toute napolitaine, 
car on en est encore ici au « compliment au 
public )) comme au bon vieux temps. 

— Si tu persistes à vouloir te marier avec 



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LE PREMIER ET LE SECOND ETAGE 157 

Rosina, dit le maire à Pulcinella, je te chasse. 

— Eh bien ! peu m'importe, répond Pulci- 
nella en retirant son chapeau pointu et en s'avan- 
çant vers la rampe, car j'ai un autre maître qui 
m'accueillera toujours avec faveur, cet honorable 
public qui m'écoute, et dont j'ose réclamer les 
applaudissements. 

Pièce, non seulement amusante, mais bien 
jouée. 

Décidément je commence à m'acclimater au 
théâtre de « Pulcinella ». 



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LA VEILLE DE NOËL 

COLOMBINE AVEC PULCINELLA... 

DON FELIGE ET DON PIPETTO ENFOURNÉS 



La Veille de Noël, tableau napolitain en un acte. — La fête de 
Noël à Naples. — Les marchands de paniers. — Festins pan- 
tagruéliques. — Compte rendu de la pièce. — La jeune Elvira 
Pantalena. — Colomhine avec Pulcinella premier aide de 
camp du sieur Peppe. — Analyse de la pièce . — Don Felice 
et don Pipetto enfournés comme des petits pains* — Rémi- 
niscences de nos Funambules. — Tableaux populaires. — 
Lambert Thiboust et Clairville. 



Cette représentation en l'honneur de Gennaro 
Pantalena était complétée par une comédie en 
un acte, Na Vigilia di Natale (la Veille de Noël) 
de V. Di Napoli-Vita, charmant petit tableau 
napolitain que je ne puis vraiment pas laisser 
passer sous silence. Mais pour en bien com- 
prendre tout le sel il faut dire tout d'abord Tim- 
portance que revêt la fête de Noël, tout particu- 
lièrement à Naples — le premier de Tan n'étant 
considéré que comme un simple jour de chômage. 



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160 tE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

A Noël, la vie sociale est suspendue. Les 
pauvres diables qui se résignent à mourir de 
faim toute Tannée veulent manger pendant vingt- 
quatre heures de suite sans désemparer. C'est 
du reste la vraie façon d entendre et de pratiquer^ 
la religion à Naples : on connaît les fêles de 
l'Eglise bien plutôt par ce que l'on doit manger 
à date 'fixe que par les cérémonies du culte. 
Ainsi, à Noël, il est d'usage de manger des an- 
guilles ; à la Saint- Joseph des ze^pole^ à Pâques 
des casate/li. La table et Fautel se sont toujours 
coudoyés dans ces parages ainsi qUe le faisait 
remarquer Marc Monnier. Les sacrifices antiques 
avaient des odeurs d'abattoirs : Vénus ou Marie, 
le bambino ou Cupidon, il n'y a pas grand'chose 
de changée 

Donc, à Noël, il est d'usage de manger des 
anguilles. Dès la veille, la via Santa Brigida, au 
centre de Naples, est convertie en marché aux 
anguilles^ Les trottoirs sont encombrés dcihon- 

* Marc Monnier, Pompéi et les Pompéiens, Paris, Hachette, 1855. 

* Les 23 et 24 décembre 1891, a noté M. MarcelUn Pellet dans 
sa Naples contemporaine^ il est entré en gar^ quatre-vingts 
wagons de capitoni (anguilles) venant des marais de Comacchio 
et de Cor^e, sans préjudice de ce qui est arrivé par bateaux , 
en tout, plus de 400 000 kilogrammes. A Noël 1892, le nombre 
a été moins grand, mais on a constaté, par contre, l'entrée de 
30.000 colis postaux de trois à dix kilogrammes, contenant 
pour la plupart des comestibles. 



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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 161 

tagoes invraisemblables de légumes, de charcu- 
terie, de viandes. Les rues voient bien encore 

• 

des acheteurs, mais ne voient plus de promeneurs. 
Chacun s'enferme chez soi, en famille, et mange 
jusqu'au lendemain ; et comme les malheureux 
qui vivent au jour le jour ne pourraient jamais 
réaliser pendant toute Tannée assez d'économies 
pour faire face aux frais de cette débauche pan- 
tagruélique, il existe une industrie particulière 
à Naples — celle des « marchands de paniers ». 

Le marchand dé paniers est un homme qui, 
moyennant un versement quotidien de cinq, dix 
quinze ou vingt centimes, du 30 mars au 24 dé- 
cembre, s'engage à fournir, le jour de Noël, à 
tous ses clients, une copieuse série de comes- 
tibles dont il donne la liste à Tavatice. M. Marcel- 
lin Pellet, ex-consul de France à Naples, nous 
en a donné le détail : c'est ainsi que Tabonné à 
quinze centimes par jour a droit, en ce jour bien- 
heureux, à trente-quatre articles divers, dont 25 
kilos de macaroni. Pour trois sous par jour pen- 
dant 27Ji jours, soit lires 41.25, une famille a à 
sa disposition plus de cent livres de victuailles 
qu'il faut engloutir en vingt-quatre heures. 

Le professeur RaCfaele Sgneglia, que nous met 
en scène l'auteur de la Veille de Noël^ a sans doute 



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i62 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

oublié de verser cette cotisation habituelle, car 
Ton ne voit pas, la trace du moindre « panier » 
dans le pauvre logis. Et cependant nous sommes 
bien à la veille de Noël : dans la rue on entend 
les détonations des pétards, de ces pétards soi- 
disant défendus par la police, mais qui blessent 
chaque année un nombre incalculable de per- 
sonnes. Il est bon de rappeler que Naples est la 
ville de toutes les licences : les pétards sont pro- 
hibés, c'est vrai ; mais on en vend à chaque coin 
de rue, publiquement, et le premier gamin venu 
ne se gênera pas pour en faire partir un dans 
les jambes de l'agent chargé de le surveiller. Si 
vous avez Tair de vous étonner, Ton vous répon- 
dra que c'est l'usage. C'est cet usage, sans doute, 
qui cette annéfc a rempli les journaux de Naples 
d'une longue liste de blessés soas la rubrique : 
« Les victimes des bombes en papier », sans 
oublier la mort d'un maçon qui succomba à la 
suite de l'amputation de. la jambe gauche et de 
nombreuses brûlures sur le corps. 

La pauvre famille du professeur doit donc se 
contenter pour son maigre réveillon... des bruits 
de la rue. La femme, anxieuse, attend le retour 
du mari. La petite fille, insouciante comme toiis 
les enfants de son âge, a dressé dans un coin une 



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LA VEILLE DE NOËL. ETC. 163 

petite crèche devant laquelle elle fait trûler une 
veilleuse. Il n'y a pas d'argent à la maison et ce- 
pendant la jeune Elvira a trouvé le moyen d'ache- 
ter pour sa mère un petit gâteau d'un sou que 
celle-ci accepte les larmes aux yeux. Survient, 
pour comble, on créancier brutal. L'enfant fait 
cacher sa mère, raconte je ne sais quelle histoire 
à ce butor qu'elle arrive à attendrir et le renvoie. 
EnOn, voici D. Raffaele, un malheureux profes- 
seur à l'habit troué. La femme et l'enfant inter- 
rogent du regard. le pauvre homme. Celui-ci se 
met à entonner l'hymne royal : il rapporte à la 
maison un billet de cinq lires! Père, mère, enfant 
s'embrassent. Cinq lires, à Naples, c'est bien 
vingt francs à Paris! L'on n'en verra jamais la 
fin. La femme dresse le couvert, et Ton fait déjà 
mille projets plus insensés les uns que les autres. 
La famille e^t groupée autour de la table et 
forme tableau. La petite Elvira prend dans ses 
mainç ce billet rarissime, le tourne, le retourne, 
l'examine, se rend compte comment il est fait, 
puis l'approchant trop de la bougie le fait flam- 
* ber par mégarde en présence du père et de la 
mère abasourdis! Le père, hors de lui-même, 
veut battre l'enfant qui se réfugie derrière sa 
*crèche, et cette scène n'est interrompue que par 



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16t LK TUKATRE NAPOLITAIN 

Tarrivée de D. Gennaro, le riche voisin, qui 
vient sans façon, en robe de chambre, demander 
dit-il, un service. 

A ce mot dé service le professeur et sa femme 
échangent des regards intraduisibles. Un service ! 
Quel service? 

— Vous n'avez peut-être pas encore soupe? 
interroge le bourgeois. 

' Mais il n'obtient que deux soupirs pour toute 
réponse. D. Gennaro se lance alors dans une his- 
toire interminable dans laquelle il raconte par le 
menu Tétai de ses relations avec tous les membres 
de sa famille, ses frères, ses sœurs, ses fils, ses 
brus. 

-^ Qu'est-ce que cela peut bien nous faire? 
pensent les deux autres. 

— D'où il résulte, poursuit D. Gennaro sans 
se décourager, que ma bru qui est en bisbille 
avec ma femme, se dit malade pour nous faire 
une niche, et s'est mise au lit. Les autres parents 
avec qui je suis en froid ont suivi son exehfîple, 
et c'est bien ennuyeux dans un-jour comme ce- 
lui-ci où Ton ne regarde pas à cent francs dç plus 
ou de moins pour un repas ! 

Vive mimique échangée entre le professeur et 
sa femme. 



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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 165 

— EnQn, fait le bourgeois en manière de con- 
clusion, nous ne pouvons pas être six autour 
d'une table où il y a à manger pour vingt, et je' 
viens vous inviter... si toutefois cela ne vous 
gêne en rien. 

— Ça ne nous gêne pas, s'empresse de dire le 
professeur qui cependant veut mettre Tenfant en 
pénitence, mais pardonne grâce à Tinlervenlion 
de D. Gennarq, ce qui permet à tout le monde 
d'aller se mettre à table... pour trois jours. 

Telle est cette piécette, bien napolitaine, ins- 
pirée des usages napolitains, et fort bien jouée 
par G. Pantalena (D. Gennaro), Di Napoli (le 
professeur) et la petite Elvira Pantalena, fille de 
Texcellent grime déjà nommé, et pour qui, en 
résumé, cette pièce a été montée. 

Par goût, je n'aime pas les enfants sur la scène 
pas plus que dans un cirque, d'ailleurs. J'ai tou- 
jours peur que les uns se cassent un membre ou 
que les autres restent en plan au beau milieu de 
leurs. rôles. Je pense, malgré moi, qu'ils feraient 
bien meilleure figure à Técole, et que c'est un 
crime de les faire coucher si tard. Mais je dois 
déclarer qu'il faut établir une exception pour la 
petite Elvira Pantalena, enfant de la balle, à qui 
Kon ne fait jouer fort sagement que des rôles 



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166 LE THEATRE NAPOLITAIN 

appropriés à son âge, et qui joint à un joli 
minois et à une intelligence peu ordinaire un 
talent de diction dé premier ordre doublé d*un 
naturel tout à fait exquis. 

Le père et la fille reviennent saluer, mais le 
contentement de Tenfant n'est rien auprès de 
celui du père dont la grosse figure ronde s'épa- 
nouit démesurément au bruit des applaudisse- 
ments destinés à sa petite Elvira. 

Avec Palummella con Pulcinella primo ahUante 
di campo d\0 Sié Peppe — Çolombirie avec Pul- 
cinella premier aide de camp du sieur Peppe — 
comédie en trois actes de A. Petito, représentée 
plus de 150 soirs de suite au théâtre San Carlino 
(dit Taffiche), nous abordons une des pièces les 
plus classiques du théâtre napolitain du xix® 
siècle. Elle a de plus ce grand avantage, pour 
un profane qui veut s'instruire, de mettre en 
scène tous les types légendaires de la comédie 
napolitaine, tels que Pulcinella, Felicetto, D, An- 
seltno, Baldassare, Palummella. 

Le but évident de l'auteur a été de mettre dû 
mouvement et de la gaité dans toute sa pièce. Le 
premier acte, par exemple, nous peint les ridi- 
cules d'une soirée bourgeoise, Tune de ces so^- 



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3 



3 -a: 



aj O. 






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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 169 

rées dans legenre de celle de M. Choufleury. Vingt 
personnes sont en scène : Anselmo, le bègue, 
tient le piano; Pulcinella, vieux serviteur de la 
famille, va, vient, circule parmi les invités, et 
ne se fait pas faute d'user de son franc parler. La 
dame de la maison, D. Gigia, une vieille enrichie, 
a deux enfants dont un fils, Felicetto, caractère 
timide de bon jeune homme qui ne fait rien sans 
consulter sa mère, et une fille qui soupire en si- 
lence pour Luigino^ui se cache sous la livrée 
d'un domestique pour se rapprocher de celle qu'il 
aime. Cette vieille ridicule se laisse enfin faire la 
cour par un jeune homme qui se fait passer pour 
noble. Bref, cette soirée grotesrque est troublée 
par l'arrivée d'O Sié Peppe, frère de la maîtresse 
de la maison. Ce sieur Peppe revient d'Amérique 
oii il n'a pas fait fortune, et finit par être jeté 
à la porte comme un intrus. 

Au second acte seulement — dans la rue — 
nous faisons connaissance avecPalummella. Cette 
jeune personne est une chanteuse ambulante 
qui parcourt les carrefours de Naples en compa- 
gnie de son frère Ri velli. Ce tableau n'a guère 
d'autre but que de nous mettre en scène des 
types napolitains : les chanteurs des rues, le 
Guappo fanfaron, et comme il faut bien que ces 

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i:0 l'E THÉÂTRE NAPOLITAIN 

persotinages se rattachent quelque peu à raction 
commencée, D. Felice, le petit jeune homme 
innocent et timide du premier acte, est devenu 
amoureux de la belle Palùmmella. Mais voici 
que sur les racontars d'un enfant, le petit 
Trommoncîello, D. Felice se figure que Palùm- 
mella (mot à mot la petite colombe — Colom- 
bine) est mariée et a deux enfants. Querelle des 
amoureux, puis raccommodement, car le gamin 
n'avait jamais voulu parler que de sa colombe, 
et arrivée de Luigino, le soupirant évincé, qui 
pour se venger de D* Gigia, sa future belle- 
mère, combine une charge digne d'un atelier 
de peintres du temps de la jeunesse d'Henry 
Monnier. 

Au troisième acte, nous sommes chez le jeune 
homme riche, ledit Luigino, et dans le domaine 
de la pure fantaisie. Le , sieur Peppe se fait 
annoncer comme amiral, et Pulcinella cumule. à 
la fois les hautes fonctions « d'aide de camp de 
l'amiral » et de grand maître de cérémonies. 
Les invités^ revêtus d'uniformes invraisem- 
blables, avec des plunjets multicolores et des 
lanternes en papier allumées suf la tète, défilent 
pendant. que Pulcinella sonne de la trompe» 
Rivelli, le chanteur des rues, est en prince; sa 



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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 171 

sœur, Palummella, en princesse. Ne me demandez 
pas de raisonner :D. Felice épousera sa Palum- 
mella; le jeune homme riche, sa fiancée; et la 
vieille parvenue s'apercevra que le galant qui 
lui faisait la cour n'est autre qu'un vulgaire 
cuisinier... comme son confrère le vicomte de 
Jodelet. 

' Ces pièces d'une tournure spéciale, et presque 
impossibles à raconter, sont excessivement bien 
jouées par les artistes du Nuovoqui ont reçu de 
"leurs prédécesseurs les traditions de ce théâtre. 
-Pantalena dans le sieur Peppe, G. DeMartino en 
Pulcinella, son frère Luigi en chanteur des rues, 
Di Napoli en amant timide, G. Cosenza en Bal- 
dassare, M^^® A. Magnetti charmante sous les 
traits de Palummella et la petite El vira dans le rôle 
du gamin font passer une excellente soirée et 
oublier l'invraisemblance de ces turlupinades. 

• Après avoir entendu la prose d'Altavilla et 
celle de A. Pelito, il ne me déplaisait pas d'en- 
tendre aussi celle de Cammarano, plus ancienne. 
Celte occasion se présenta avec — ne vous effa- 
rouchez jamais des litres quand il s agit de 
pièces napolitaines^ — Don Felice et Don Pip- 
pelto enfournés comme des j^e^its pains avec Pal- 



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172 . LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

cinella amant malheureux^ comédie en deux 
actes de Filippo Cammarano. 

Il serait ridicule, vous pensez bien, de vouloir 
discuter gravement le sujet de ces canevas sans 
prétention qui, par la forme, rappellent terri- 
blement, la donnée des pantomines que Ton 
jouait aux Funambules du temps dû grand Debu- 
rau, et que nous a si bien fait revivre L. Péri- 
caud dans son si intéressant volume*. Mais ces 
pièces ont le grand avantage pour un étranger, 
comme nous, de nous faire voiries mœurs popu- 
laires et les coutumes napolitaines d'il y a cin- 
quante ans, lesquelles, à quelques exceptions 
près, sont à peu près les mêmes aujourd'hui. 

Le décor n'est généralement pas compliqué : 
une toile de fond représentant un carrefour. A 
droite, à gauche, une porte sur laquelle, 'pour 
la circonstance, on cloue une pancarte avec ces 
mots : café, ou boulangerie, ou fruiterie ; nous 
serions difficiles d'en demander davaotage. 
Ainsi, pour cette fois, nous sommes prévenus 
que la porte de gauche donne entrée à une piz- 
zeria^ c'est-à-dire une boutique où Ton. fabrique 



^ Le Théâtre des Funambules, ses mimes, ses acteurs et ses 
pantomimes, depuis sa fondation jusqu'à sa démolition, par L. 
Péricaud, Paris, L. Sapin," 1897. 



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LA VEILLE DE NOËL, ETC. 173 

la fameuse pizza napolitaine, cette galette accom- 
modée à la graisse, sur laquelle sont semés 
des fragments d'échalote, de tomate, de petits 
poissons, et que des marmitons vont offrir sur 
une planche en criant par les rues. Disons-le 
tout de suite à la louange de Naples, quelques- 
unes de ces pizzeKÎe sont très proprement 
tenues. Celle dont il s'agit, dans la pièce que 
nous allons voir, revêt sans doute une certaine 
importance, car elle possède en outre, devant 
sa porte, sur le trottoir, un débit de maccheroni. 
En face, c'est la « changeuse de monnaies ». 
A Naples, quand on a cinq lires en argent on 
va les changer au coin de la rue pour cent ^ous 
en cuivre, et l'on bénéficie d*un sou. C'est un 
petit commerce innocent qui ne fait de tort... 
-qu'aux poches de ceux qui consentent à se char- 
ger cle celte mitraille. Ces femmes qui fout le 
change de la monnaie sont installées en plein 
air, devant une petite table dont le dessus est 
recouvert d'un treillage métallique pour proté- 
ger la monnaie de billon contre toute mauvaise 
tentation. Voici enfin le marchand d'eau, sous 
los traits de Pulcinella, avec sa provision de 
citrons, débitant de grands verres pour deux 
centimes. 

10. 



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174 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Si A.lesio ne possède pas que cette pizzeria : 
il est le père de fort jolies filles dont les deux 
aînées sont courtisées par D. Felice et D. Pip- 
petto, les deux frères, fils du bègue Anselmo 
qui voudrait bien pour son propre compte con- 
voler avec la belle Margherita, tandis que le 
marchand d'eau, Pulcinella, qui s'intitule « com- 
merçant » a osé jeter les yeux sur la seconde. 
Ces deux frères se présentent sous un aspect 
assez comique ; le premier parle sans cesse en 
vers, à la façon du pâtissier de V Homme nest 
pas parfait, et ces vers n'ont que peu de chance 
d'être compris. Le second, beaucoup plus timide, 
le type exact de Califourchon de la Corde sensible^ 
s'inspire de ce que fait son frère D. Felice et 
essaie de Timiter en tout. 

Ces rapprochements s'imposent, malgré moi. 
Et cependant Cammarano est de beaucoup le 
précurseur de Clairville et de Lambert Thi- 
boust. D'autre part, ces charmants vaudevillistes 
n'ont peut être jamais soupçonné qu'il existait 
un théâtre napolitain ni un auteur du nom de 
Cammarano; en tout cas, s'ils l'ont su, soyez 
persuadés qu'ils ne s'en sont que médiocrement 
souciés. Eh bien ! voilà des points de cohtact 
vraiment curieux à observer. 



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LA VEILLE DE NOËL, ETC. i75 

Toute cette scène est égayée par le marchand 
de macaroni criant à tue-tête sa marchandise, ^ 
par les prétendus qui, pour se rendre agréables, 
achètent une assiétée de ces fameux maccheroni 
d'une longueur napolitaine, qu'ils ne savent pas 
manger avec les doigts selon la coutume popu- 
laire, et qu'ils finissent par se faire voler par des 
lazzaroni dès quils tournent un peu la tête. 
Puis, nous retrouvons tout ce monde dans le 
« pétrin » du marchand de pizza où les jeunes 
gens viennent poser officiellement leurs candi- 
datures devant la mère. 

Cette demande en mariage est nécessairement 
troublée par Tarrivée des deux amoureux écon- 
duits, Anselmo et Pulcinella, ce qui force Don 
Felice et Don Pippetto à se cacher dans le four. 
Mais les deux nouveaux venus avaient oublié 
le père qui, ne badine pas sur l'honneur de ses 
filles, et frappe à la porte avec rage. 

On cache Anselmo dans la huche et Pulci- 
nelljL dans les copeaux... jusqu'au moment où 
la chaleur du four allumé et la poussière de la 
farine chasseront les uns et les autres de leurs 
cachettes. Tableau original que je regrette de 
n'avoir pas en photographie : Pulcinella sortant 
de dessous le four, D. Felice et D. Pippetto au- 



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176 



LE THEATRE NAPOIITAIN 



dessus, passant leurs lêtes effarées par l'ou- 
verture, Anselmo blanc de la tête aux pieds sor- 
tant ahuri du coffre à farine, et tous les person- 
nages groupés. 

Anselmo et Pulcinella renonceront à leurs 
prétentions amoureuses, et le marchand de pizza 
mariei'a toutes ses filles, donnant encore celles 
qui restent, par-dessus le marché, à ses com- 
mis. 




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XI 

LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE LAN 



Les Revues de fin. d'année en Italie. — Le Cinémat 
revue napolitaine en 3 actes et 14 tableaux. — La lot 
Superstitions et coups du hasard. — L'année 1899 el 
1900. — Ce qu'on voit devant l'Hôtel de Ville. — I 
italo-parisien. — La Poupée, — Notes tristes. — Li 
inonde. — Un souvenir à Ga^^badi. -^ La veilleuî 
Madone . 



Les Revues de fin d'année sont rares 
pays, et la raison en est bien simple. Ain 
je l'ai expliqué dans le Théâtre en Italù 
capitales comme Turin, Milan, Florence, 1 
Naples, Paierme ont une vie propre. 

Qu'importe aux Florentins de savoir ( 
se passe à Milan, ou aux Vénitiens de con 
la vie de Naples. 

Il y a même une certaine afîectation à 
rer. Ce n'est donc plus comme à Paris, à 5 
ou à Lisbonne où des Revues de lin d'ann 



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i78 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

faisant défiler sous nos yeux les événements les 
plus récents, nous mettent en scène tles faits 
que nous connaissons tous en France, en Espa- 
gne, au Portugal. Il ne saurait ici être question 
que. de revues locales, très locales. Mais il y a 
un autre obstacle pour la réussite de ce genre en 
Italie : presque toutes les troupes étant nomades, 
aucune d'elles, devant entreprendre une tournée 
Turin-Milan-Gênes- Venise, etc., ne se- hasar- 
derait à monter -une jR^t^^^ qui ne serait jamais 
comprise que dans la ville pour laquelle elle 
aurait été faite. 

Une exception existe cependant pour Naples 
dont la population dépasse celle de toutes les 
autres capitales d'Italie, qui a ses usages parti- 
culiers, qui ne veut pour rien au monde être 
confondue avec le reste de la Péninsule, et qui 
a plusieurs compagnies dramatiques stables — ^ 
telle celle du théâtre Nuovo dont nous nous 
occupons en ce moment. 

Rompant pour une fois avec les usages éta- 
blis qui consistent à changer l'affiche chaque soir, 
l'imprésario Cammerano voulut donc frapper 
un grand coup pour la saison du Carême en 
montant une Revue que Ton jouerait jusqu'à, ex- 
tinction de succès — une Revue napolitaine en 



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LE ClNKiMATOGRAPHE, REVUE DE LANNÉE ITO 

trois actes et quatorze tableaux, due à la plume 
d'un modeste artiste de la compagnie, Francesco 
Paolillo, avec musique nouvelle des Maestri 
Valente, Di Chiara, Nulile, Fonzo, Fanli et 
Gambardella. 

Des décors nouveaux furent commandés ; on 
ne recula même pas devant les trucs ! Cette Revue 
prit le nom de In Cinematografo^ et la première 
fut annoncée pour le 3 mars. 

Je ne dissimulerai pas que j'ai toujours pris 
un très vif plaisir aux Revues quand elles sont 
spirituelles et bien faites. A Paris, nous avons 
des maîtres en ce genre. En Espagne, elles sont 
navrantes, et ne sont tolérables que grâce aux 
airs fort jolis qui les accompagnent. J'ai raconté 
dans le Théâtre au Portugal combien la Revue 
était en faveur à Lisbonne. Jamais je n'en vis de 
si alertes, de si pimpantes, de si gaies ni de si 
mouvementées que dans ce pays où des auteurs 
tels que MM. Sousa Bastos et Eduardo Schwal- 
bach Lucci se sont acquis une véritable célé- 
brité, très méritée, comme revuistes. 

Ce né fut donc pas sans une certaine appré- 
hension que j'allai voir celle-ci... avec Pulci- 
nella bien entendu. Eh bien! je dois déclarer 
de suite qu'avec les éléments de ce théâtre il 



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180 LE THEATRE NAPOLITAIN 

était difficile de faire mieux. Qu'on en juge! 
Le premier tableau qui s'intitule Un qua- 
iame et trois cent mille lires commence à Ja 
façon d'une comédie populaire, et nous présenté 
une spirituelle satire de la Loterie, Ce mot ne 
vous dit rien peut-être? Il faut avoir vécu 
quelque temps è Naples pour en connaître la 
véritable signification. Il existe, il est vrai, 
2.328 bureaux de loterie dans toute lltalie, mais: 
la seule circonscription de Naples "en compta à 
elle seule 597, plus du quart ! V 
Le Lotto est une des ressources des finances 
* italiennes ; il donne net plus de 30.000.000 de 
lires au Trésor, sorties de la poché de malheu* 
reux qui pour la plupart se privent de manger 
pour mettre sur deux ou sur plusieurs numéros, . 
et qui n'ont jamais . envie de travailler dans 
l'espérance de gagner le samedi suivant. On joué. 
1 extrait simple, l'extrait déterminé, Tambe, le 
terne, le quaterne qui touche 60.000 fois la 
mise. L'administration accepte depuis deux cen- 
times pour Tambe et le terne, huit centimes 
pour l'extrait simple ou déterminé, quatre cen- 
times pour le quaterne. Le samedi, l'on ne peut, 
pas jouer moins de cinquante centimes ou d'une 
lire. 



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La Ictrrie à Naple?^ 



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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE L ANNÉE 183 

Les uns ont une forpciule mathématique qui 
doit gagner, à moins qu'elle ne les mène aux 
pires extrémités; les autres, dans l'esprit du 
peuple, agissent sous Tinfluence d'une sugges- 
tion extra-humaine. Les numéros indiqués par 
les moines doivent être infaillibles. Aussi, à 
chaque instant, voit-on un capucin assailli dans 
la rue par des femmes qui lui demandent un 
numéro. Le capucin, pour se dégager, n'a 
d'autre ressource que d'offrir une prise de 
tabac. Tout vrai napolitain se demande toute la 
semaine quels sont les bons numéros de 1 à 90. 
Mais la Smorfia vient à leur aide. 

La Smorfia est un livre oîi tous les objets, tous 
les êtres, tous les sentiments, toutes les idées, 
toutes les actions sont exprimés par un numéro. 
Il contient 22.000 mots en 463 pages. C'est le 
livre dltalie qui a çu, peut-être, le plus d'édi^ 
lions. Ainsi, à Naples, on traite tout naturelle- 
nient un homme de 23, pour dire qu'il est fou, 
ou une femme de 78 pour lui reprocher des 
jnœurs dissolues. Tout événement, mort, crime^ 
guerre, inondation doit être sérieusement tenu 
en compte. 11 n'est pas rare, par exemple, de 
voir un napolitain entrer dans un bureau de 
Lolto et demander le numéro correspondant à 



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184 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

« voiture renversée » ou « cheval emporté » ou 
« chien enragé ». Le buraliste, qui e;i a vii bien 
d'autres, cherche dans' son code le numéro cor- 
respondant et le donne à son^ client sans sour- 
ciller. Telle est rexplicalion d'entrefilets de 
journaux du genre de celui-ci : {Roma, jour- 
nal de Naples, 15 mai 1892) « L'extraction 
d'hier, à Frattamaggiore a été providentielle 
pour cette ville et les environs, parce que toutes 
les familles, de la plus riche à la plus pauvre, 
avaient joué les numéros 26-37-71 à propos 
d'un accident ridicule survenu au curé pendant 
qu'il disait la messe. Les gains s'élevèrent à un 
chiffre énorme. » 

26 représente la messe ; 37 le curé ; 71 la 
colique. — A Frattamaggiore et Afragola ce 
terne est sorti 537 fois et a rapporté plus d'un 
million aux joueurs. Jamais colique ne fut plus 
funeste aux finances italiennes M 

11 y a huit ans de cela, mais il n'y a absolu- 
ment rien de changé. Tout ce que l'on a pu 
raconter sur le Lolto à Naples est encore au- 
dessous de la vérité; cela dépasse toute imagi* 



* Cité par M. Marcellin Pellet, Naples contemporaine^ p. 177, 
Paris, Charpentier, 1893. 



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LE CINÉMATOGRAPHE, .REVUE DE LANNÉE 185 

nation, toute vraisemblance, et comme je pour- 
rais être taxé d'exagération, je copie ce qui suit 
dans le journal // Matlino du 23-26 mars 1900, 
jour où j'écris ces lignes. 

Il s'agit d'une femme coupée en morceaux 
dont les restes viennent d'être retrouvés murés 
dans une maison de Fuorigrotla (à la grotle de 
Pausilippe) et de l'arrestation de l'assassin pré- 
sumé qui avait, écrit ses Mémoires! Je cite 
textuellement : 

. (( Outre le mémorial, ou journal, dans lequel 
ce très singulier Basile (l'homme arrêté) notait 
ses aventures, celui-ci possédait une smorfia 
(j'ai expliqué plus haut ce que c'était) annotée... 
Kn marge d'une feuille de manuscrit sur lequel 
Basile s'amusait à tracer des formules cabalis- 
tiques et des combinaisons pour le jeu de Lotto, 
il avait tracé cette phrase : « 2G juillet 1898 : 
Angelo Exposito, ma femme, est morte. » Et 
plus bas : « 28 juillet 1898 ». Ce qui fait croire 
qu'il Ta tuée. Plus loin cette autre phrase rela- 
tive à son ancienne maîtresse : « 20 juillet, 
Rosa Rippa m'a donné son amour. » Puis, il 
note le jour oti il achète un canif, une chatte, 
et sur un morceau de papier Ton trouve aussi 
les numéros suivants : « 3, 6, 50, 45, 29, 89, qui 



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i86 LE THEATBE NAPOLITAIN 

ont fait gagner un ambo aux agents de police qui 
viennent de les jouer ». 

J'ai voulu m'assurer du fait : c'est exact. La 
loterie de Naples a extrait le 24 mars 1900 les 
numéros suivants : 67, 13, 3, 6, 77. Il est vrai 
qu^on ne nous parle jamais des millions de 
combinaisons qui échouent! 

C'est ce travers que l'auteur de la Revue qui 
nous occupe raille agréablement au premier 
tableau. La scène se passe dans une petite ville 
de province où quatre pauvres diables, D. Gen- 
naro, Luigi, D. Mincuccio et Pulcinella, ont mis 
toutes leurs espérances sur des numéros et 
attendent avec anxiété l'heure du tirage. Par 
suite d'un accord, ils conviennent que celui des 
quatre qui aura gagné emmènera les trois 
autres visiter Naples, l'Italie, la France, et 
rExposition de 1900 à Paris. Le hasard favorise 
D. Gennaro qui n'avait pas mangé depuis deux 
jours pour alimenter son quaterne, et qui, ayant 
mis cent sous à la loterie, gagne, par consé- 
quent, trois cent mille lires. Pendant ce temps, 
le jeune baron Filippetto fait une cour assidue 
à la jolie M*"* Pulcinella qui ne se décide à le 
suivre, en tout bien tout honneur, que pour s'assu- 
rer chemin faisant des trahisons de son époux. 



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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE •DE l'aNNÉE 187 

Tel est le point de départ qui en vaut bien un 
autre, et qui nous permet d'aller voir ce qui se 
passe à Naples à la suite des quatre amis. 

Nous assistons tour à tour à la naissance de 
Tannée 1900, gentiment personnifiée par la 
jeune Elvira Pantalena ; à la rencontre de deux 
trains, la nuit, dans un décor fort bien truqué 
pour une si petite scène, et nous arrivons devant 
le Mimkipio (hôtel de ville) de J^faples où défilent 
toutes les personnalités les plus en vue, le 
maire, les conseillers municipaux, les agents de 
police dont les têles connues du public provo- 
quent lés rires de la salle. 

La statue de Neptune que Ton promène de 
place en place vient se plaindre au maire entre 
deux déménagements ; les journaux de Naples, 
politiques et humoristiques, sont criés par des 
enfants de différentes grandeurs, selon Timpor- 
tance de la feuille ; Fauteur effleure même les 
scandales de Tannée y compris une certaine 
affaire d'extorsion qui fit grand bruit ici, et 
Tacte se termine par un chœur de conseillers 
municipaux, de pompiers représentés par des 
femmes, et de balayeurs. 

Au second acte, Carmela, la femme de Pulci- 
nélla, est devenue une chanteuse de café-con- 



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188 LE TflKATRK NAPOLITAIN 

cert à la mode, mais lient toujours son jeune 
baron à distance. Pulcinella qui se civilise 
esquisse de son côté une aventuré galante, et 
les docteurs qui reviennent d'étudier la peste au 
Portugal, et en rapportent des bacilles dans des 
flacons, nous chantent un chœur assez réussi. 
Mais le cloti^ c'est le bazar italo-parisien où les 
directeurs des théâtres de Naples viennent pour 
acheter des jouets (lisez des pièces) et se préci- 
pitent tous sur les poupées disponibles. 

Pour bien comprendre cette allusion, il est 
bon de dire que la Poupée d'Audrân fit fureur 
à Naples tout Thiver. Après avoir été jOuée, 
comme elle fut écrite, c'est-à-dire en opérette, 
par la troupe Acconci-Soarez, elle fut transfor- 
mée en comédie par Ed. Scarpelta, coutumier 
du fait. Scarpetla vous prend une pièce française 
quelconque, Mamzelle Nitoùche^ par exemple, 
en Ole les airs qui le gênent, défait là pièce à 
sa manière, copie mot pour mot des scènes 
entières, l'appelle Santai^ellina^ Tannonce pom- 
peusement comme de lui et gagne une fortune. 
Ça n'est pas plus malin que ça! 

Donc, pour en revenir à notre Revue, il y 
avait dans ce bazar italo-parisien une belle pou- 
pée automate toute neuve, débarquée fraîche- 



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M"^ a: Magnetti. 
Première actrice du théâtre Nuovo. 



11. 



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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE l'aNNÉE 191 

ment de Paris, la vraie Poupée d'Aud 
sonnifiée par M"* A. Magnetli. Ce beau j 
chante à merveille, est immédiatemen 
par rimprésario-ténor Acconci qui d 
moins à son public une marchandise 
tique, tandis que Scarpelta en est réd 
contenter d'un vieux rossignol de pou 
les traits de la duègne du théâtre. 

L'observation est fine, mais il m'a sei 
cette spirituelle critique n'avait été qui 
crement comprise du public qui n'atleii 
le défilé de tous les jouets animés. Il 
que le nom d'un auteur sur Taffiche 
d'importance à Naples ! Qu'importe ur 
de plus ou de moins? C'est pourquoi S 
a pris une résolution catégorique : U 
pièces que Ton joue chez lui sont signées 
Ah mais ! Comme cela ses habitués 
jamais à se préoccuper du nom de 1 
Quelle simplification ! Et dire que perse 
avait songé avant lui ! 

Cela rappelle le beau temps où, en p 
le nom seul de M. Scribe faisait de Tar 



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192 l-E tHEATRE NAPOLITAIN 



LE MISANTHROPE 

COMÉDIE EN CINQ ACTES, EN VERS 
De Monsieur SCRIBE 

affichait un imprésario aux abois. Ne riez pas : 
j'ai copié lextuellcmenl ce qui suit sur les murs 
de Bruges, en 1895 — je précise : 

LE CUEF-d'œUVRE DE l'aCADÉMIE FRANÇAISE 

CASQUE EN FER 
De Victor HUGO 

Le troisième acte, et dernier, commence par 
des « Notes tristes » dit le programme. A mon 
avis, on aurait bien pu se passer de ces notes 
tristes. L'auteur nous transporte à Salerne, au 
moment des inondations qui ont désolé cette 
contrée l'hiver dernier. Des villageois enfermés 
dans une cabane poussent des cris, tandis que 
le régisseur agite son tonnerre à la cantonade 
el que le machiniste fait succéder les éclairs aux 
éclairs, ce qui permet à Facteur Cosenza de 
jouer fort bien une scène dramatique beaucoup 
trop longue. 



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Pliol. E. Majorama e F**, Naples. 
Giuseppe De Marlino (Pulcinellu) et Gennaro Pantalena. 



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LE CINEMATOGRAPHE, REVUE DE LANNEE 195 

Puis Fon nous parle de la comète, de la 
fameuse comète qui devait amener la fin du 
monde, et comme en italien le mot cometa signi- 
fie tout à la fois comète et cerf-volant, vous 
pensez bien que ladite comète qui a effrayé tant 
de gens n'était, après tout, qu'un jeu d'enfants. 

Quoi encore? Nous voyons les vieux garibal- 
diens, survivants des guerres de l'indépendance, 
venir, au son de leur hymne, déposer une cou- 
ronne au pied du nouveau monument érigé à 
Tendroit dit Ponti délia Valle, et Tauteur nous 
montre pour finir la nouvelle Bourse de Naples 
récemment inaugurée devant laquelle se retrou- 
vent tous les personnages de la Revue avant 
d'assister à Tapothéose finale. 

Quel fut le sort de cette Revue qui, en 
somme, était un petit événement pour une ville 
comme Naples où Ton joue si peu de pièces 
vraiment nouvelles? Les journaux, qui ne s'oc- 
cupent guère que de la saison des trois mois 
d'opéra au San Carlo afin de pouvoir conspuer 
tout à leur aise l'imprésario (à tort ou à raison, 
mais plus souvent à raison qu'à tort), ne savent 
encore que très vaguement ce que c'est qu'un 
compte rendu dramatique, surtout s'il s'agit du 
théâtre en dialecte ! Pulcinella ! Fi donc ! Bon 



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196 LE THEATRE NAPOLITAIN 

pour le peuple ! Souvenez-vous de nos usages il 
y a soixante ans. Qui donc avant Janin eut jamais 
l'idée de révéler Deburau ? Gautier, Champ- 
fleury ! Des rêveurs! Aujourd'hui seulenaent 
quand on secoue la poussière de ces manuscrits, 
quand on étudie sur le vif, comme le fit L. Péri- 
caud, rhistoire si intéressante de la pantomime 
française, Ton s'aperçoit qu'entre ces quatre 
quinquets fumeux, sur ces planches populaires, 
ce qui manquait encore le moins à Pierrot c'était 
le génie. 

Donc, quelques mots flatteurs dans la presse, 
et ce fut tout. D'analyse, de critique, pas 
l'ombre. C'est l'usage à Naples, et ces braves et 
modestes artistes n'en sont pas autrement offus- 
qués ! 

Eh bien, cette Revue, en comptant les repré- 
sentations de jour et de soir, fut jouée 25 fois, 
puis , le succès épuisé , on retourna au vieux 
répertoire en attendant les fêtes de Pâques pour 
une reprise. 

Maintenant pouvait-on faire davantage avec 
une troupe de vingt-cinq artistes et des moyens 
aussi restreints ? Songez que pour jouer si peu 
de temps il avait fallu peindre des toiles nou- 
velles, commander des costumes. L'auteur a 



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LE CINÉMATOGRAPHE, REVUE DE LANNÉF 

donc fort bien compris le parti qu'il pouvai 
des éléments dont il disposait, et puis, d 
théâtre napolitain, il ne faut guère compt 
le côté féminin. Alors que faire? 

Telles sont les réflexions que je roulaiî 
ma tête en sortant du Nuovo et en redesce 
les ruelles du Monte-Calvario où Ton ne re 
trait plus guère, à cette heure, que qu( 
marins attardés en quête d'aventures, et 
vis ce soir -là — tableau bien napolitai 
Toriginalité dés contrastes — les « pierrei 
de la strada Incoronata occupées dans la 
grouper poétiquement des fleurs devant V 
de VIrmnacolata dont elle rallumaient la 
leuse. 



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XII 

PULCINELLA & C. VOLEURS D'UN TRÉSOR 
AU BAS PORT 



Pulcinella el C. voleurs. d*un trésor, comédie en 3 actes d'O . 
Schiano. — Un bon public. — La misère à Naples. — Ren- 
contre de deux bohèmes. — Un dîner fantastique et le quart 
d'heure de Rabelais. — Une caverne imprécise. — Les cos- 
tumes des archiconfréries. — Pulcinella qui descend du ciel. 
— Au bas port. — La camorra et le roman populaire. — Drames 
de M. G. Cognetti. — Santa Lucia. -^ La vie dans la rue. 



Il ne faudrait cependant pas croire que Fan- 
cien répertoire du San Carlino, toujours repris 
avec succès , se bornât aux seules pièces de 
Cammarano, ^d'Altavilia et de Petito. On dis- 
tingue encore d'aulres auteurs dont les noms 
sont beaucoup moins connus, presque oubliés, 
et de ce nombre 0. Schiano déjà cité, et dont le 
Nuovo a affiché ce soir (1^' avril) Pulcinella^ 
D. Miseriïio e D. Felice ladri di un tesoro (voleurs 
d'un trésor) comédie en trois actes, « chef- 
d'œuvre' de l'antique répertoire du San Carlino », 
ajoute Taffiche. 



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"^■JBÇ 



200 LE ÏHKAÏRE NAPOLITAIN 

C'est aujourd'hui dimanche, et malgré une 
pluie torrentielle le théâtre est comble. Ah ! 
quel bon public que ce public napolitain ! Je 
ne cesserai jamais de le répéter. Comme on 
voit bien que tout ce monde vient là pour 
s'amuser, et combien il a raison ! Tant il est 
vrai que la somme de plaisir que Ton prend 
n'est jamais en rapport avec ce que l'on paie à 
la porte. Bien à plaindre les publics blasés! Ils 
se font leurs propres bourreaux. A ce théâtre 
Nuovo, depuis cinq mois, je vois jouer presque 
chaque soir une pièce nouvelle par d'excellents 
artistes et de jolies femmes. Que leur. faut-il? 
Dix toiles de fond. Quant aux costumes de Pul- 
cinella, de TAnselmo et du Guappo, Jls nechan- 
gent jamais. 

Le vieux magistrat Eustachio a un polisson 
de neveu, Camillo, qui fréquente une bien mau- 
vaise société. Il passe le meilleur de son temps 
à jouer dans la taverne de Giorgio avec des 
sujets de son espèce, courtise même la fille du 
patron qui ne craint pas d'écouter à la fois les 
doux propos du sergent Picchio, signe des 
lettres de change qu il ne paie pas, et en est 
réduit, après avoir dissipé son patrimoine, aux 
pires extrémités. Pour être complet nous dirons 



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PULCINELLA ET C* VOLEURS d'UN TRÉSOR 201 

encore que ce tav^rnier qui ne vaut pas cher, 
lui non plus, a pour voisin un certain D. Min- 
cuCcio dont le valet n'est autre que Polci- 
nella- 

Cependant, D. Eusfachio, pour mettre à Tabri 
une partie de la fortune de son neveu, s'était 
fait faire une donation de quatre-vingt mille 
ducats qu'il lui conserve pieusement pour les 
mauvais jours. Pourquoi avait-il eu l'idée de 
cacher cet argent dans une caisse et cette caisse 
dans un monument funéraire, voilà ce que je ne 
me charge pas d'expliquer , mais sans trésor 
caché, adieu la pièce ! 

Dans tous ces canevas écrits à la diable, ce 
n'est pas l'intrigue qu'il faut voir. Presque tou- 
jours elle est enfantine ou ridicule. Ce sont les 
épisodes, lès scènes populaires, les hors-d'œuvre 
qui nous amusent, et dans l'ouvrage de Schiano 
la scène capitale est évidemment la rencontre au 
second acte de deux bohèmes devant la boutique 
d'un traiteur. Ces deux pauvres diables qui se 
présentent à nous à la façon de Dupont et 
Durand d'A. deJMusset, sontTun, maître d'école, 
D. Miserino, l'autre poète, D. Felice. Ces rôles 
étaient ce soir magnifiquement tenus par l'ar- 
rondi Pantalena représentant la misère grasse. 



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202 LE THEATRE NAPOLITAIN 

et Fanguleux Di Napoli figprant la pauvreté 
maigre, car les deux types existent. 

« En fait de vêtements, a écrit M. Marcellin 
Pellet, il faut avoir habité Naples pour savoir 
ce que c'est que des haillons, de vrais haillons 
laissant voir de ci, île là, des plaques de chair 
larges comme la main*. », 

Il faut venir au Nuovo pour voir le costume 
de Di Napoli dans le rôle de son poète affamé. 
Le pantalon seul est une merveille ! Et la redin- 
gote, et le chapeau ! 

Tous deux sont à la recherche, naturellement, 
du dîner très problématique; ils arrivent à 
causer ensemble, et, par suite d'un malentendu, 
comprennent chacun de son côté que l'autre est 
à la tête d'un capital de quinze sous. A la suite 
de cette révélation — ou mieux de. cette mé- 
prise — échange de politesses réciproques, et il 
est convenu que l'on dînera ensemble. D. Mi- 
seriuo ne voulant pas outrepasser le supposé 
budget de son nouvel ami commande avec pru- 
dence un repas pour deux au traiteur. La con- 
fection du menu est un modèle du. g^nre. On 
s'arrête, à! force, de .'combinaisons^ |, six sous de 

* Naples contemporaine, ouvrage déjà cite, les quartiers 
pauvres, p. 22 et suiv* * . . ' ' ..... 



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il faut avoir habite Naples pour savoir ce que c'est que 
des haillons... » 



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ÉLi '. 



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PULCINELLA Eï C. VOLEURS D UN TRESOR ^05 

macchermi, deux sous de pain, un autre plat 
et un fruit. A Naples, les fruits sont, pour rien, 
<3uant au vin, on le remplacera pour celte fois 
par de l'eau. 

Commence alors le dîner, dans la rue, à la 
porte du èabarètier, et ce diner est devenu léi- 
gendaire. Tout dépend, bien entendu, de la 
façon dont la scène est jouée. Avec Pantalena 
et Di Napoli elle prend des proportions épiques. 

D'abord, la question du pain. 

— Ce pain est bien commun, commence à 
dire D. Miserino en en détachant une forte 
miche qu'il engloutit dans son énorme bouche. 

— On peut en demander d'autre, hasarde 
timidement le poète qui voit d'un regard inquiet 
le morceau de pain diminuer à vue d'œil. 

Vient le tour du macaroni. 

Il faut aussi avoir vécu à Naples pour savoir 
ce que représentent six sous de macaroni. Une 
telle portion, servie dans une pleine soupière, 
suffirait amplement chez nous à nourrir toute 
une famille ; mais un Napolitain ne s'épouvante 
pas pour si peu. D. Miserino accapare la sou- 
pière, sert maigrement son compagnon, et lorsque 
celui-ci se dispose à manger à son tour, c'est Ib 
cabaretier qui lui arrête le bras pour lui parler en 

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206 l'E THEATRE NAPOLITAIN 

aparté. Il vient d'apprendre qu'il avait devant lui 
un poète, et il aurait besoin de ses services. Il 
va sans dire que pendant cette courte absence de 
la table, D. Miserino a renversé le contenu de 
l'assiette de D. Felice dans sa soupière et avalé 
4e tout d'une façon telle que tout acteur qui ne 
serait pas napolitain en serait étouffé à la se- 
conde bouchée. 

. Le repas se poursuit ainsi, D. Miserino en- 
gloutissant tout ce qui se présente, D. Felice ne 
pouvant toucher à rien, jusqu'au moment où la 
vieille Silvestra vient demander à ce dernier de 
lui versifier une déclaration amoureuse. Mais 
alors, pour mieux lui parler, D. Felice avant de 
se lever de table emporte toute la desserte dans 
son chapeau où D. Miserino va la repêcher pour 
cacher le tout dans son propre chapeau qu'il se 
met crânement sur la tête. 

Ce dîner homérique est salué, comme on 
pense, par de continuelles fusées de rires qui 
partent de tous les coins de la salle. Le quart 
d'heure de Rabelais n'est pas moins joli. Chacun, 
de bonne foi, dit à son ami qu'il est l'heure de 
parlir et de payer, et c'est alors seulement que 
tous deux s'aperçoivent qu'ils n'ont le sou ni 
l'un ni l'autre. 



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PULCINELLA ET C. VOLEURS D UN TRESOR 207 

L'hôtelier qui ne se paie pas de paroles pour- 
rait prendre fort mal la chose, mais il veut en 
tirer parti. Il leur annonce dans le plus grand 
mystère que, s'ils veulent Taider, leur fortune 
est faite. Il s'agit, en effet, d'aller déterrer un 
trésor de 80 000 ducats qui se trouve dans un 
endroit qu'il connaît. Autant par crainte du 
cabaretier que par appât du gain, ils acceptent, 
tandis que le voisin d'en face, D. Mincuccio, met 
pour le même motif son serviteur Pulcinella en 
campagne. Nous avons vu, au même tableau, le 
jeune viveur Camillo sur le point d'être arrêté 
pour une traite impayée — car la prise de corps 
existait en ce temps à Naples — et son bon tuteur 
1^ tirer de ce mauvais pas à condition qu'il re- 
nonçât à Satan, à ses pompes et a ses œuvres. 

Nous voici dans une caverne — imprécise, 
comme dirait Pierre Loti — où nous ne voyons 
guère que des tombeaux. Le magistrat D. Eus- 
tachio fait une doscenle de police dans cette 
grotte, car l'on s'est aperçu que les barreaux d'un 
soupirail avaient été sciés. Quant à la caisse qui 
a renfermé les 80 000 ducats, on l'a bien laissée 
dans le tombeau, mais il y a beau temps que le 
trésor est à l'abri. Une fois les gendarmes postés 
au bon endroit, le théâtre est plongé dans l'obs- 



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208: LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Gurité, et nous assistons à la scène qui a donné 
le tilre à là pièce : PiilcineUa^ D, Miserino et 
D. Felice voleurs d'un trésor^ Ici se place ua 
détail amusant : comme Facteur Pantaleaa est 
très gros, c'est une joie pour les spectateurs de 
le voir descendre dans la caverne par une échelle, 
eii compagnie de Télique D. Felice. Ajoutez que 
t0us deux sont vêtus pour cette expédition 
comme les membres des confréries de Naples^ 
avec éette seule différence que, pour être recon- 
nus du public, ils ont rejeté leur cagoules sur le 
derrière de la tête. 

Il est bon de rappeler, à ce propos, qu'à Na- 
ples iLy a deux cent huitarchiconfréries ou con- 
fréries qui se recrutent par quartiers par tradi- 
tions de famille ou par corps d état. L'origine, 
des plus anciennes de ces sociétés remonte aux 
x®^ xi° et xii^ siècles; ce sont, avant tout, des 
sociétés, de bienfaisance et de sefcours mutuels, 
et à chaque enterrement d'un membre Ton voit 
les autres affiliés revêtus de robes blanches et 
de cagoules — à moins que ces costumes ne 
soient mi-partie rouges, bleus, noirs, — suivre 
le cercueil une cire à la main. 

La caisse découverte dans le monument funé« 
raire est fortement attachée avec des cordes. 



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PULCINELLA ET C. VOLEURS D UN TRESOR 209 

puis remontée par le soupirail, mais à ce mo- 
ment Tinfàme cabaretier retire Téchelle et «'en- 
fuit avec les amis qu'il avait amenés, laissai 
deux naïfs dans le caveau. Grand effareme 
ceux-ci ; mais bien plus grand encore lorsi 
voient descendre du ciel, par Touverture 
puits, Pulcinella. assis sur une escarpolette 
lanterne sourde à la main. En présenc 
celte apparition inattendue, ils rabattent 
ment leurs cagoules et se tiennent immobil 
chaque côté du tombeau. 

La scène suivante, digne tout au plus d'an 
les enfants, à moins qu elle ne les effraie, s 
vine sans peine. Pulcinella, à la place du t 
convoité, rencontre ces deux fantômes blanc 
la fraîcheur du lieu fait éternuer, trembl 
tous ses membres, crie, appelle, jusqu'au 
ment où les carabiniers viennent [arrêter te 
monde. 

Le dernier acte nous reste pour arr^ 
toutes les affaires. Il se passera dans le ca 
du juge d'instruction qui n'est autre, pn 
ment, que D. Eustachio, tandis que le gr 
est le bègue Anselmo. Ici nous retombon 
plein dans la tradition du vieux théâtre i 
litain.: Anselmo, le greffier, enseigne àl 

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210. LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

nella comment il doit répondre devant le juge, 
et l'interrogatoire prend des proportions fantas- 
tiques — je n'y insiste pas ayant déjà indiqué 
le procédé — jusqu'au moment où le magistrat 
équitable, mis en belle humeur par la conversion 
de son pupille, punit les vrais coupables et par- 
donne aux faibles et aux égarés. 

Le lendemain de cette soirée, l'on annonça la 
première représentation de Abbasçio Puorlo — 
Ail bas port — scènes napolitaines en trois actes 
de Goffredo Cognetti, traduction napolitaine 
de Salvatore Di Giacomo. Vous comprenez déjà 
qu'il s'agit d'un ouvrage écrit en italien, puis 
mis en dialecte : j'ajouterai même un ouvrage 
d'une certaine valeur, car l'observation y est 
puissante et juste. 

L'auteur a choisi pour lieu d'action l'un des 
quartiers les plus pittoresques de NapJes, Santa 
Lucia, et étudié l'une des plaies les plus ingué- 
rissables de cette ville, la C^morm. 

La Camorra, mot dont les romanciers fantai- 
sistes ont tant usé et abusé, de telle sorte que 
l'on se fait, hors de Naples, une idée très vague 
de ce que ce mot veut dire, n'est en somme, 
comme on Ta définie souvent, que l'exploitation 



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PULCINELLA ET C. VOLEURS D UN TRESOR 213 

du faible par le fort, du lâche par rhomme cou- 
rageux, du travailleur par l'oisif : figurez-vous 
une vaste association avec chefs, sous-chefs, etc., 
organisée en vue d'opérations diverses de chan- 
tage, avec coups de couteau tout prêts à l'adresse 
des récalcitrants, et dont tous les membres ont 
juré l'obéissance passive. 

« La Camorra, a écrit M. MarcelHn Pellet à 
qui j'ai recours toutes les fois que j'ai besoin de 
faits précis, a joué un rôle considérable dans 
l'histoire de Naples, même dans son histoire lit-: 
téraire. Les romans de Francesco Mastriani: 
nous la montrent à l'œuvre, surtout son livre 
/ Ve7'mij studii storici sidle classi pericolose in 
Napoli^ consacré à l'étude des camorristes, des 
vagabonds, des forçats, des mendiants et des pros- 
tituées. Des romans de Mastriani où la vie des 
bouges est si bien prise sur le vif, on a tiré des 
drames populaires comme la Spigaiola di Pen- 
dinOf la Pettinatrice di San Giovanni a Carho- 
nara ou la Medea di Porta Médina, M. G. Co- 
gnelti avec ses drames A Basso Porto^ A Santa 
Liicia, la Mala Vita, mieux écrits, mais non moins 
bien observés, a mis également les camorristes 
sur les planches. Dans les théâtres napolitains 
on applaudit ces scènes de mœurs locales avec 



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214 KE THKATHE NAPOLITAIN 

autant de passion que les farces de Pulcinella >. » 
C'est précisément une de ces "pièces que nous 
allons voir : Au bas port. 

Le bas port, communément, c'est Santa Lucia, 
dont tous les poètes napolitains ont chanté les 
beautés... relatives. C'est le quai partant du 
Palais royal, d'où l'on découvre le splendide 
panorama du golfe, avec le Vésuve juste en face. 
Mais, de 'grâce, n'allez pas vous retourner. Ce 
ne sont que masures, hideuses surtout par un 
temps de pluie, guenilles sans nom accrochées 
aux fenêtres, ruelles où le soleil ne pénèlre 
jamais; puis, sur les trottoirs, des odeurs de 
viande cuite, dé poissons frits dans l'huile ; çà et 
là, pour égayer le tableau, des marchands de pas- 
tèques, de légumes, d'oranges, de citrons, de 
noisettes; les acquaiuoliy marchands d'eau. à la 
glace, et, du côté de la mer, les vendeurs d'huîtres, 
de crabes, de homards, de tous ces comestibles 
que le napolitain appelle si bien fruiti di mare^ 



* Naples contemporaine, la Camorra, p. 80 et suiv. — Voir 
aussi : La Camorra par Marc Monnier, Florence, 1862. — La 
Camorra^ studio di sociologia ciHminale, par G. AUongi, Turin, 
1890. — Usi e cosLumi dei Camorristi par M. le Docteur A. De 
Blasio, fondateur du bureau anthropométrique. de la préfec- 
ture de Naples avec préface de Cesare Lombroso, Naples, L. 
Pierro, 1897. — Catalogue Emilio Prass, Naples 1898, p. 10 et 



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PULCINELLA ET C. VOLEURS d'uN TRÉSOR 215 

sans oublier les coquillages que les étraugers 
emportent pour meltre sur leurs commodes. 

Il est vrai que ce quartier s'est bien transformé : 
on a comblé récemment avec des décombres le 
port fangeux de Santa Lucia, et cette opération, 
qui dans tout autre pays eût provoqué des épi- 
démies, n'a pas même amené une recrudescence 
de mortalité, tant est pur et vivifiant Fair de 
Naples. Mais ce qui subsiste toujours, c'est la 
vie de ce peuple sur le trottoir, et c'est à Santa 
Luciaque celle-ci se révèle sans la moindre gêne. 
Les femmes travaillent dans la rue, y font leur 
toilette, s'y livrent sans fausse honte soit sur la 
tête de leurs enfants, soit même entre elles, à 
la chasse aux parasites. Quand il fait chaud les 
enfants y courent à moitié ou même entièrement 
nus. 

Puis ce sont les conversations des voisines 
entre elles, et sur quel diapason, Dieu du ciel ! 
Les propos salés, les invectives lancées à plein 
gosier, les gestes démesurés des énergumènes ne 
s'arrêtent que sur le passage du Saint Sacrement 
que Ton apporte à un mourant. Toute cette foule 
se tait alors, au bruit de la sonnette qui précède 
le prêtre, et tombe à genoux... puis recommence 
de plus belle dès qu'il a tourné le coin de la rue. 



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216 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Celle-ci allume sur le trottoir un réchaud 
qu'elle évente; telle autre tricote, car les femmes 
ne s'occupent presque jamais de raccommoder les 
effets de burs maris et de leurs enfants qui circu- 
lent les habits troués. Tout le travail consiste à 
allaiter le dernier né, à faire la cuisine sur le 
pas de la porte et à se peigner dans la rue. Les 
garçonnets offrent des bouquets aux misses, ven- 
dent des allumettes, ramassent les bouts de 
cigares, cirent les sabots des chevaux et des 
mules, allument à, la course les lanternes des 
voitures, mais en sont encore à savoir ce que 
c^est qu'une paire de souliers. Nul ne sait com- 
ment ils mangent ni où il dorment. 

Tel est le cadre. Voyons à présent le tableau. 



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xiir 

pascarielLo 
les types populaires napolitains 



Une brochure introuvable. — M">«» A. de Crescenzo et Tacteur 
Cosenza. — Pascariello. —G. De Martino jouant sans masque. 

— Une pièce de MaruUi calquée sur une pièce française. ^- 
Pascariello devenu riche. — Pulcinella duelliste nocturne, 

— Le concert.de variétés. — Le maestro S. Gambardella. — 
Une collection de jolies femmes. — Le couple Villani-Tedes- 
cbi. — Types populaires. — Le retour de Montevergine et 
de Piedigrotta. 



Je m'étais promis de parler assez longuement 
de ces scènes napolitaines Au bas port qui me 
semblèrent fort bien traitées à Taudilion, — la 
seule qu'en donna le Nuovo en cinq mois, — et 
voici que je suis arrêté dans mes bonnes inten- 
tions par un obstacle des plus imprévus : il m'a 
été absolument impossible à Naples, à Rome, à 
Milan, de me procurer la brochure. En napolitain, 
la pièce n'^st pas imprimée. En italien, elle le 
futîly a quelques années, mais Téditeur milanais 
n'existant plus en tant qu'éditeur, après de nom- 

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218 LE THÉATRP NAPOLITAIN 

breuses démarches verbales et écrites auprès dès 
principaux libraires de la péninsule, je nfe déclare 
vaincu. L'on attache — en Italie — si peu d'im- 
portance' aux tentatives dramatiques ! Le théâtre 
est un lieu de rendez-vous, de causeries, de 
visites ; bien rarement un lieu d'études et d'obser- 
vations comme chez nous. Dans ces conditions, 
qui peut être assez original ou assez fou pour 
se mettre en quête d'une brochure? 

Il me faut dpnc faire appel à mes souvenirs, 
et je n'ai rien pour en xontrôler l'exactitude. 
Maria, une femme du peuple, a deux enfants : 
Luigiello, un ouvrier qui travaille à ses heures, 
et Sesella, une grande et belle jeune fille qui a 
le tort d'écouter les doux propos de Ciccillo^o 
Luciano. Ce Ciccillo, qui approche de la quaran- 
taine, est une espèce dé maquignon bellâtre et 
brutal, un puissant chef de la Camorra, et la 
terreur de tout le quartier. En vain, le frère 
a-t-il cherché à éloigner de sa sœur ce très mau- 
vais sujet dont les intentions ne sont pas dou- 
teuses, mais il n'en a reçu pour toute réponse 
qu'une paire de soufflets appliqués en public en 
présence d'une foule de lâches qui méprisent Cic- 
cillo, mais le redoutent. 

Cependant les exigences de ce tyranneau du 



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LES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 2J9 

bas port commencent à exaspérer les camorristes 
eux-mêmes . Ceux-ci tiennent une assemblée 
secrète dans la boutique d'O Si Pascale, le mar- 
chand de vins le plus autorisé de l'endroit, et 
comme entre gens de cette trempe Ton ne badine 
pas sur les moyens, Ciccillo est condamné à mort 
à l'unanimité par l'assistance. Toutes les langues 
se délient, et c'est à qui accusera Ciccillo de tous 
les méfaits . Reste à savoir à qui incombera 
l'office de justicier : le sort désigne Luigiello, le 
propre frère dç Sesella. Ce tirage au sort est 
exactement conforme aux us et coutumes de la 
société de la Camorra. 

Maria, la mère, mise au courant de ce qui se 
passe par Taniello, l'idiot, une espèce de Quasi- 
modo qui se glisse partout sans éveiller de dé- 
fiance, voudrait empêcher l'enlèvement de sa 
fille et le meurtre où Ton pousse son fils. Éper- 
due, elle en arrive à faire à sa propre enfant la 
confession la plus douloureuse pour une mère; 
elle lui avoue entre deux sanglots, qu'elle a cru 
jadis, elle sCussi, aux beaux discours de ce Ciccillo 
qui la séduisit puis l'abandonna il y a quelque 
vingt ans : c'est le secret et le remords de toute 
sa vie. 

La scène entre Maria, la mère, et Ciccillo 



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220 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

n'est pas moins belle : après lui avoir rappelé 
leurs amours passées elle le prie, le conjure de 
renoncer à ce nouveau caprice; de prendre en 
pitié Finnocence de Sesella, et comme pour 
toute réponse ce misérable ricane et la repousse, 
elle lui plonge une lame dans le cœur-afin d'évi- 
ter la honte pour sa fille et le bagne pour son 
fils, qui, obéissant aux ordres des camorristes, se 
préparait à assassiner Ciccillo. 

Néanmoins — faute de celte brochure introu- 
vable — un doute m'est resté dans l'esprit. Lui- 
giello n'était-il pas le fils de Ciccillo? Gomme 
combinaison dramatique ce serait logique. La 
mère, en punissant le coupable, n'a-t-elle pas 
aussi comme motif celui d'empêcher le fils de 
tuer son përe ? Mais iallez donc éclaircir ce mys- 
tère avec des voisins de stalle qui n'en savent 
pas plus long que vous, une pièce que Ton 
n'affiche plus une fois de la saison, une bro- 
chure absolument inconnue chez les libraires, 
et un éditeur qui n'existe plus î 

Qu'il me suffise de constater que M"* A. de 
Crescenzo (la mère) est une excellente actrice de 
drame, que G. Gosenza, qui tient d'ordinaire 
remploi du Giiappo est tout à fait Tacteur qui 
convient pour le personnage de Ciccillo; qu'un 



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XES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 221 

comédien fort intelligent, A. Crispo, mais 
dépourvu de moyens physiques, de voix surtout, 
a tracé d'une façon remarquable le type de Tidiot 
Taniello ; quant à G. De Martino qui, ce soir, 
par exception, jouait sans masque, il a dessiné 
d'une façon fort originale la figure d'un homme 
du peuple très ennemi des luttes et du bruit, per- 
sonnage de second plan. 

Lorsque A. Pctito, qui fut le plus célèbre 
Pulcinella de ce siècle qui finit, en avait assez 
de jouer sous le masque auquel le condamnait 
son emploi, il laissait là la blouse blanche et le 
pantalon blanc, et apparaissait à visage décou- 
vert sous la casaque de Pascariello. 

Quelle différence existe-t-il entre Pulcinella et 
Pascariello ? Je vais prendre une comparaison 
empruntée à notre théâtre afin de me faire 
mieux comprendre; vous connaissez tous ces 
deux petits chefs-d'œuvre de M""® de Girardin, 
la Joie fait peur, et le Chapeau dhin horloger. Eh 
bien ! dans la première de ces deux pièces, le 
vieux Noël, serviteur fidèle, simple, bon, dévoué, 
c'est le type, des pieds à la tête, de Pascariello. 
Dans la seconde, au contraire, le domestique 
ahuri, brouillon, stupide, gaffeur, quoique plein 



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222 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

de cœur, c'est le type de Pulcinella. Le premier 
relève de la haute comédie et ne prête jamais à 
rire : il fera pleurer au besoio. Le second 
relève de la farce, il est volontairement gro- 
tesque et bouffon. 

G. De Martino, le successeur d'A. Petito, pour 
rester fidèle à la tradition, et aussi pour mon- 
trer qu'il sait jouer sans masque, se plaît à 
endosser de temps à autre — bien que rare- 
ment — la défroque de Pascarîello. C'est à Tune 
de ces tentatives à laquelle j'ai assisté, et dont je 
veux rendre compte avant de prendre congé du 
Nuovo. 

La pièce de ce soir s'appelait Pascariello qui 
de simple campagnard devient riche ^ comédie en 
deux actes de G. MaruUi « chef-d'œuvre de l'an- 
cien répertoire du théâtre San Carlino » dit 
l'affiche. 

A vrai dire, j'avais des raisons pour me méfier 
des productions originales de G. Marulli que j'ai 
pris la main dans le sac. En bouquinant dans les 
rues de Napies je mis un jour la main sur une 
petite brochure de cet auteur portant le titre 
fort alléchant de : Une horloge^ Un chapeau et un 
fou^ ou Pulcinella serviteur imbécile et cru por- 
teur de billets doux par une étrange combinaison. 



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LES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 223 

Mais je n'avais pas plutôt ouvert le livret que je 
reconnaissais une traduction en napolitain du 
Chapeau d'un horloger cité plus haut. 

Giacomo MaruUi avait devancé Scarpetta ! 

Or, Pascainello devenu riche n'est qu'une imi- 
tation d'un de nos vieux vaudevilles, Bruno le 
fileur^ et du reste Scarpetta dans ses derniers 
Mémoires nous déclare que cette pièce de Petîto 
se jouait isous le nom de Pascariello filatore du 
temps dé Pelito, rôle dans lequel celui-ci attei- 
gnait le comble de l'art comique et dramatique *. 

Cette pièce étant donc française, nous n'en 
dirons que quelques mots : des héritiers 
viennent pour assister à la lecture d'un testa- 
ment, et dégustent le vin du défunt. Ces héri- 
tiers, ce sont Floriano, le cousin pauvre au 
troisième degré ; Eustacchio, le parent riche et 
avare ; Angelica la jeune fille honnête et sans 
dot; Antonino, le petit cousin roublard qui ne 
vise à la main de la cousine que dans le cas où 
celle-ci hériterait. 

Pascariello, lui, est un brave domestique de 
campagne qui pleure sincèrement la mort de 



* Da San Carlino ai Fiorenlini, nouveaux mémoires, par 
E. Scarpetta, p. 68. • 



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224 LE THEATRE NAPOLITAIN 

son patron, et qui ne comprend rien à toutes 
ces intrigues. Tout comme dans le Testament de 
César Girodot la lecture du fameux document est 
faite en présence de tous les intéressés, mais à 
la surprise générale c'est Pascariello qui est 
nommé légataire universel. A cette nouvelle, 
l'avare jette les hauts cris, regrette, surtout les 
trois francs de voiture qu'il a dépensés pour 
venir, s'emporte contre le mort, et s'en va en 
disant qu'il va attaquer le testament. La jeune 
fille écoute cette décision sans plaisir ni peine. 
Floriano se montre le plus adroit en flattant Je 
bonhomme Pascariello dont il espère tirer 
quelque chose. 

- Mais Tambition vient avec la fortune, et Pas- 
cariello devenu riche se hasarde à lever les yeux 
sur Angelica à qui il fait une déclaration dV 
mour à sa manière tout en faisant ressortir son 
humilité. Cette scène — qui sent terriblement 
son origine — est de la bonne comédie, et 
bien jouée par G. De Martino (pour -cette fois 
sans masque) et M"^ A. Magnetti. La jeune fille 
un peu stupéfaite ne sait trop que répondre mais 
promet de réfléchir sur lu décision qu'elle doit 
prendre et Pascariello, ivre de joie, tombe dans 
lés bras du fermier Girolamo. 



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NS 225 

Au second acte, Pascariello est marié. Ange- 
lica, pauvre, s'est résolue à ce sacrifice mitigé 
d'ailleurs par les bonnes intentions de ce brave 
campagnard qu'elle essaie de façonner aux 
bonnes manières. Quant à Floriano, il s'est fait 
donner la place d'intendant. Tout cet acte n'a 
d'ailleurs pour but que de nous montrer Pasca- 
riello devenu riche, donnant une fête, le fer- 
mier Girolamo, invité, ne sachant comment se 
servir d'une pince à sucre, et de nombreux ado- 
rateurs tournoyant autour de la maîtresse de la 
maison jusqu'au moment où le mari ingénu 
découvre un billet doux caché dans un bouquet 
que Ton adresse à sa femme. Voici donc Pas- 
cariello en présence de son rival qui ne fait 
d'ailleurs aucune difficulté pour avouer l'in- 
succès de sa tentative ; il est prêt du reste à 
donner la réparation due au mari. 

C'est alors, nous dit Scarpetta, qu'il fallait 
juger Petilo dans ce rôle de Pascariello. 11 fal- 
lait le voir frémir et pâlir, puis éclater en voyant 
son amour brisé, toutes ses illusions déçues ! 
Une réparation par les armes ! C'est tout cela 
qu'on lui propose, à lui, pauvre paysan qui n'a 
jamais tenu une épée. Mais la nature reprend le 
dessus ; le campagnard timide dans les salons 

13. 



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226 LE THEATRE NAPOLITAIN 

redevient l'homme de la nature, et, mettant 
habit bas, Pa^cariello châsse à coups de poings 
et à coups de pieds celui qui a voulu lui prendre 
son honneur. 

N'ayant pas vu A. Petito je ne puis répéter 
après tous qu'il était inimitable dans ce rôle. 
G. De Martinô qui lui succède, bien que jouant 
sans masque, y est fort bien. 

Piilcinella duelliste nocturne^ farce classique, 
faisait suite. C'est là une de ces vieilles pochades 
tellement connues à Naples que l'on ne met 
même plus le nom de Taiiteur sur Taffiche. Il 
est aussi possible qu'il n'y en ait pas. Ce sont 
des scènes renouvelées de la commedia delVarte; 
dans ce temps-là — nous parlons" des xvii'' et 
xvui® siècles — chaque personnage, sur un ca- 
nevas donné, venait débiter devant les chan- 
delles tout ce qui lui passait par la tète. 

Un jeune homme, avant de demander une 
jeune fille en mariage, a Tidée d'envoyer à sa 
place et sous son nom son valet, Pulcinella, 
tandis qu'il se fera passer pour le valet de celui- 
ci. Or voici que dans la maison de la fiancée se 
trouve une espèce de bretteur qui a tué en duel 
le propre frère de Giovanni, le jeune homme qui 



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-228 LE THEATRE NAPOLITAIN 

riablement, comme je Tai dit déjà, par un petit 
concert dit Concert de variétés dont la direction 
-artistique est conflée, au Nuovo, au compositeur 
Salvatore Gambardella à qui Ton est redevable 
de tant de mélodies napolitaines. Je ne sais où 
Gambardella va chercher ses chanteuses, mais 
il les choisit toujours jeunes, fraîches et jolies, 
de telle sorte que n'eussent-elles qu'un filet de 
voix — c'est souvent le cas — ça passe encore. 
Souvent aussi ce sont des couples (le mari et la 
femme, assez fréquemment) le couple Trombelta, 
le couple Dini-Fari, le couple Villani-Tedeschi, 
ce dernier très remarquable par la beauté et là 
grâce de M™^ Tedeschi, et l'originalité de Vil- 
lani qui, d'une laideur peu commune, arrive 
à force de talent non seulement à se faire ac- 
cepter, mais encore à créer des «. macchiette » 
comme on dit à Naples, à esquisser des types 
d'une drôlerie incomparable. 

Les fêtes populaires ont, à Naples,'une impor- 
tance exceptionnelle, et le couple Villani-Te- 
deschi a précisément la spécialité de ces chan- 
sons .qui s'appellent le Retour de Montevergine 
ou de la Fête de Piedigrotta. Pourquoi pas ? 
N'avons-nous pas eu En Kvenant dla ffviie qui 
fit les délices de nos cafés concerts et qui ne 



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232 LE THEATRE NAPOLITAIN 

camorra les blessés perdent très vite la mémoire, 
et la victime ne se souvient jamais du nom de 
celui qui les lui a donnés. 

La fête de Piedigrotta, pour avoir perdu un 
peu de son importance, n'en est pas moins chère 
aux napolitains. Ils s'y préparent de longs mois 
à Favance en remplissant une tirelire comme 
pour Montevergine et pour Noël. Pendant trois 
jours la vie administrative, industrielle et com- 
merciale reste suspendue ; on ne songe qu'à 
s'amuser à partir de quatre heures du soir, le 
8 septembre. Une foule compacte se dirige alora 
vers Mergellina et Piedigrotta (le pied de la 
grotte, c'est-à-dire vers Tentrée des deux loQgs 
tunnels dePausilippe). La nuit tombe, la cohue 
devient plus dense, les fenêtres s-illuminent. De 
tous les côtés, a raconté M. Marcellin Pellel*, 
sur les trottoirs, on boit, on mange — surtout 
des lumache^ des escargots cuits dans la sauce 
tomate. Voici la cavalcade annuelle des crieurs 
de journaux, représentant le cortège du sultan ou 
du roi Maure. Chacun crie, joue d'un instrument 
susceptible de faire du tapage, tambourins, zer- 



* Naples contemporaine, déjà cité. — Les fêtes populaires, 
p. 207 et suiv. ' 



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Le retour de la l"dtc de Piedigrolta, type napolitain par Villani. 



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LES TYPES POPULAIRES NAPOLITAINS 235 

rezzere (énormes crécelles), triccoballacchi (avec 
trois marteaux de bois dont deux mobiles), pu- 
Hpu, vases de terre cuite (voir notre gravure) 
couverts' d'une peau de tambour qu'on tient 
sous le ))ras gauche et dont on tire une vibration 
sourde en enfonçant une baguette au milieu de la 
peau d'âne, — comme à Séville du reste. — Et 
les plus civiliâéa jouent de la mandoline et de 
la guitare en chantant toute la nuit la chanson 
nouvelle primée au concours de Piedigrotta. 

Tels sont les types curieux et amusants que 
nous représente Villani. 



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XIV 

COUP D'ŒIL D'ENSEMBLE 
SUR LE RÉPERTOIRE DU NUOVO 



Le nouveau répertoire. — Imitation de pièces françaises. — 
Absence de raison d'être de Pulcinella dans les pièces dites 
nouvelles. — Le répertoire du Nuovo pendant trois .mois. — 
Trente-cinq ouvrages en cent soixante-trois représentations. 
— Surmenage. — Un retour au passé : Altavilla et A. Petito 
aux répétitions. — Cotnment déjeunait un Pulcinella de ce 
temps-là. — Mœurs simplettes. — Le théâtre de Scarpetta. — 
Motifs qui nous ont décidé à donner la place d'honneur à 
Pulcinella. 



Il me faut cependant constater une chose : 
c'est que dans ce genre de théâtre, après les 
vieilles pièces de Cammarano, de Schiano, d*Al- 
tavilla, d'A. Petito, il faut tirer Téchelle. On di- 
rait que cette production d'un caractère si parti- 
culier s'est arrêtée du jour où Ton a démoli le 
San Carlino. J*ai voulu suivre les représentations 
de quelques-unes des pièces, dites nouvelles, 
signées généralement Eugenio Ajello. Eh ! bien 
cène sont que des ouvrages étrangers dont on 



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238 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

cache soigneusement le nom du ou des vérita- 
bles auteurs qui auraient bien de la peine à re- 
connaître leurs œuvres dans Un médecin fou y un 
client imbécile avec Pulcinella médecin et chirur- 
gien sans savoir la médecine^ la même comédie 
que Ferravilla joue en milanais sous le titre : 
Le médecin des dames: — Ou encore : Un mari 
espagnol^ un époux américain H une femme fran- 
çaise avec Pulcinella comte Las Bergas y Cor- 
dones. 

Ces pièces sont amusantes et bien jouées, j'en 
conviens, mais ce ne sont que des traductions, 
et comme nos auteurs qui travaillent pour Cluny, 
Déjazet ou TAthénée n'ont jamais songé à écrire 
un rôle pour « Pulcinella », il en résulte que 
Tacleur qui tient cet emploi d'ordinaire en est 
réduit à jouer sous le masque le premier rôle 
comique de la nouvelle pièce; le personnage 
typique perd du même coup toute son origina- 
lité, tout son charme. Dans ce cas — naais dans 
ce cas seul, — je trouve que Scarpetta a raille fois 
raison de supprimer Pulcinella dans les adap- 
tations de pièces étrangères. Il est vrai qu'il le 
remplace par un « Don Felice » qui n'a pas plus 
de raison d'être même sans masque. Pulcinella, 
qu'on le sache bien une fois pour toutes, est né 



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Phol. A. Ricciardi, Napks. 

PuKinella et le Guappo. (G. De yartino et Cosenza.) 



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COUP D OEIL D ENSEMBLE 241 

entre Santa Lucia et la Porta Capuana. Il est 
napolitain de la tête aux pieds, et toutes les ' 
tatives faites pour le dépayser échoueront. 

J'ai eu la curiosité, pour donner au le( 
une idée de ce répertoire napolitain, de i 
pendant trois mois toutes les représentatior 
Nuovo. On pourra se rendre ainsi compi 
Tétrangeté des titres ou du travail écrasai 
ces artistes qui, toujours les mêmes, rép 
toute la journée et jouent deux fois chaque 
de sept heures du soir à une heure du mi 

RÉPERTOIRE DU THÉÂTRE NUOV 

DU l^*" JANVIER AU 30 MARS 1900 

Nombre de représe 

Titre des pièces. de jour et de i 

pendant ces trois 

1 . La maison de Don Pasquale Chierchia avec Pul 

cinella embrouillé entre une femme et des 
amoureux . » . 

2. Pulcinella qui va trouvant son sort par les rues 

deNaples. 

3. Au premier et au second étage en haut du quar 

lier de la Santé avec Pulcinella serviteur pleir 
de cœur 

4. Le voyage de deux jeunes mariés avec Pulci 

nella qui passe pour chien caniche .... 

5. Un mari espagnol, un époux américain et un( 

femme française avec Pulcinella comte Lai 
Bergas y Cordones . 



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242 LE THKATRE NAPOLITAIN 

6. Palummella avec Pulcinella premier aide de 

camp du sieur Pepe 8 

7. Les tribulations d'un ministre 6 

8. La grève des cuisinières 2 

9. Le campagnard du Vomero pu quatre comédies 

dans une avec Pulcinella serviteur ignorant. 2 

iO. Les cent disgrâces de Pulcinella 2 

11. Le retour de Pulcinella des études de Padoue . 2 

12. Un mari français et une femme espagnole. . . 2 

13. Pulcinella meunier protégé et sauvé par la fée 

Séraflnette 2 

14. Le capitaine Fracasse avec Pulcinella marquis 

supposé 2 

15. Pulcinella qui fait tric-trac 2 

16. L'ami Fogliamolla avec Pulcinella sculpteur 

ignorant 6 

17. La fille de Tours et le petit Félix cru un mou- 

tard d'un an par Pulecenella Ce trulo. ... 2 

18. Un mari rageur avec Pulcinella geôlier de D. 

Picchio Pellechia 2 

19. La'veille de Noël ' . . . 2 

20. Sonate de guilare et Pulcinella époux promis 

d'une dame et mari d'une servante 2 

21. Un palais aux enchères avec Pulcinella épou- • 

vanté par l'ombre de la dame blanche ... 2 

22. Est-il mort ou devenu sourd? avec Pulcinella 

tourmenté le jour de son mariage Z 

23. Un bon fils avec Pulcinella serviteur imbécile . C 

24. La belle fée de Buvero de lo Rito avec Pulcinella 

épouvanté par des ombres et des diables . . 2 

25. Deux faiseuses. d'embarras heureuses avec Pul- 

cinella baron Scassacanero supposé 2 

26. Un médecin fou et un client imbécile avec Pul- 

cinella médecin et chirurgien sans savoir la 
médecine 

27. La tante de Ciccillo. (La marraine de Charley.) 2 



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COUP D OEIL D ENSEMBLE 24? 

28. Le fils de Don Nicola, avec Pulcinella poursuivi 

par une vieille rageuse ^ 

29. Santarella (Mam'zelle Nitouche) 6 

30. La Carrera mise en rumeur par deux Andréa 

et deux Pulecçnielle 2 

31. Un bal masqué au théâtre du Fondo, et trois 

dominos roses avec Pulcinella mari qui trompe 

sa femme - /. . 4 

32. Le cinématographe, revue de l'année 23 

33. Don Felice et D. Pipetto enfournés comme des 

petits pains avec Pulcinella amant infortuné . 4 

34. Un plat napolitain avec Pulcinella acteur Ira-. 

gique (pastiche du vieux vaudeville les Folies 
Dramatiques) 4 

35. Deux maris pour une femme avec Pulcinella 

m.ari heureux 2 

.35 163 



D'où il résulte qu'en trois mois, cette compagnie 
dramatique a représenté 35 ouvrages différents, 
. presque tous eil 3 actes, qu'elle a joué 163 fois en 
public^ et qu'elle n'a eu comme relâche que les 
vendredis, jour où le théâtre, principalement en 
temps de carême, reste fermé. 

Comment ces comédiens font-ils pour monter 
une pièce avec une ou deux répétitions, et cela 
presque chaquejour, voilà ce que je ne me charge 
pas d'expliquer. L'on me dira fort bien qu'un 
acteur comme G. De Martino qui, depuis plus de 
vingt ans, tient l'emploi du Pulcinella, sait sur le 



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244 Ï^E THEATRE NAPOLITAIN 

bout du doigt toutes ces farces qui, au total, sont 
toujours les mêmes. Soit. Mais les raccords, l'en- 
semble ? Voilà pourquoi je persiàte à dire que ce 
genre de théâtre est passablement parent de la 
commedia delfArte, Ce n'est plus notre théâtre. 
C'est autre chose. 

Scarpetta, dans ses Nouveaux mémoires, en 
parlant de la compagnie du San Carliho, dont il 
faisait partie, nous a initiés à cette vie de derrière 
la toile. Les répétitions commençaient le matin, 
dès neuf heures et demie. Toujours arrivé le 
premier, le vieil Altavilla s'asseyait sur le seuil 
de la porte qui conduisait à la scène, puis atten- 
dait ses camarades en faisant là, en plein air, son 
modeste déjeuner — et quel déjeuner ! un sou de 
tarallini ou de châtaignes qu'il mangeait tout 
doucement, tandis qu'un garçon du théâtre col- 
lait à la porte Taffiche annonçant le spectacle du 
soir, ce spectacle où il entrait bien pour les trois 
quarts à lui tout seul, comme auteur, acteur et 
joueur de guitare ; car, le directeur qui ne le 
payait guère que vingt ducats par mois (90 fr.) 
— au dire des Concourt — avait l'autorisation 
dans chacune de ses comédies, déjouer un air 
de guitare — qu'il pinçait très bien. Le public 
alors, — c'était un usage — lui jetait quelques 



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245 

SOUS sur la scène — pauvre artiste ! et ces quatre 
carlins supplémentaires recueillis dans les deux 
représentations du jour et du soir, venaient lui 
augmenter sa paye d'environ un franc quatre- 
vingts centimes tous les jours. Voilà toute l'ex- 
plication de la vie napolitaine : ces gens-là n'ont 
pas de besoins, et Scarpetta qui vivait à ses côtés 
vient de vous dire qu'Altavilla lui-même se con- 
tentait d'un sou de châtaignes pour déjeuner ! 

Antonio Petito, lui, exact comme une horloge, 
petit détaille, un peu replet, sa large figure rasée 
de frais, avec l'aspect d'un curé de campagne, 
arrivait aussi à neuf heures et demie à son cher 
théâtre, et pour ne pas perdre de temps commen- 
çait son déjeuner sur le seuil de la porte des 
.artistes ou sur la scene.hepizzaiuolo(]^aii expli- 
qué déjà ce qu'est la. pizza) et le vendeur de fri- 
tures, deux vieilles connaissances du vicolo Tra- 
vaccari, avaient en lui un de leurs plus fidèles 
clients. 

— Don Antô, criaient.-ils, voyez ! voyez ! chaud ! 
chaud! tout chaud ! Che bella cosa! Don Antô! 
Et Don Antô lirait lentement deux sous de sa 
.poche en échange d'un morceau àe pizza exha- 
lant des senteurs de basilic et d'origan, qu'il se 
mettait à croquer en piedjusqu'au moment d'en- 

14. 



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246 LE THKATRE NAPOLITAIN 

trer en scène ou à l'arrivée de son ami Luzi, le 
directeur. Alors, comme s'il eût honte de manger 
ainsi, il faisait disparaître dans les vastes poches 
de son habit tout ce qu'il tenait à la main, de 
telle sorte que celles-ci devenaient une espèce de 
buffet ambulant où il allait puiser entre deux 
scènes pendant la répétition. 

Mœurs simplettes qui se sont un peu modifiées 
avec le temps, et je ne suis pas assez ingénu pour 
me figurer que les artistes du Nuovo, dont les 
premiers sujets sont beaucoup mieux payés que 
leurs prédécesseurs, déjeunent ou dînent encore 
d'un sou de friture. Mais le comédien napolitain, 
contrairement aux autres acteurs italiens qui, 
voyageant toute Tannée^ ne peuvent avoir des 
habitudes spéciales, est un être absolument à part. 
Il naît, vit et meurt à Naples — et Naples, nous 
ne cesserons de le redire à chaque page — ne 
ressemble en rien à tout le reste de l'Italie. C'est 
pourquoi j'ai voulu étudier ce théâtre absolument 
à part, comme je l'ai fait, car, si les théâtres mila- 
nais, piémontais ou vénitiens peuvent se rappro- 
cher par de certains côtés du théâtre italien, il 
n'en est pas de même du théâtre de « Pulcinella ». 

Quant aux lecteurs italiens ou napolitains qui, 
m'ayant fait Thonneur dé me suivre jusqu'ici, 



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248 LE THEATRE NAPOLITAIN 

napolitain. Cela fait, j Irai voir ce qui se passe aiix 
Fiorentini. Je n'aurai guère d'ailleurs que la rue 
Toledo à traverser. 

Je ne nie donc en aucune façon que le théâtre 
de Scarpetta ne soit infiniment plus comme il 
faut, plus à la mode, que le public n'en soit plus 
choisi, que les mises en scène n*en soient plus 
soignées, que les ensembles n'en soient meilleurs. 
Mais enfin — jouons caries sur table — ces 
fameuses « réductions » sont des traductions, 
n'est-ce pas? 

Eh bien ! à Naples, il fallait bien que je m'oc- 
cupe d'abord des comédies foncièrement et fran- 
chement napolitaines î 



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!'fll!AJ|B|.5pPl'J'l", .1 -*' 



XV 

EDUARDO SCARPETTA 



Les deux autorités de Naples : M»» M/ Serao et Ed. Scarpetta. 
— Il Mattino et la petite correspondance de Gibus. — Ouver- 
ture du théâtre des Fiorentini . -r- Un Chien bâtard, — Une 
déception. -— Traduction et réduction. — Où la réforme ? — 
Origine de Scarpetta. — Mémoires de Don Felice. — Histoire 
de ses débuts. — D'où lui vient ce nom de Don Felice. 



A Naples, il y a deux autorités indiscutables 
— pour les Napolitains : M""® Matilde Serao et le 
cav. uff . (officier de la Couronne d'Italie) Eduardo 
Scarpetta. 

M""* Matilde Serao est la femme de lettres bien 
connue dont les nouvelles ont été traduites dans 
diverses langues. Après avoir dirigé pendant 
plusieurs années le Corriere di Napoli avec son 
mari, M. Ed. Scarfoglio, un journaliste de talent, 
tous deux fondèrent en i8^2il Mattino pour faire 
concurrence au précédent. M. Scarfoglio y signe 
ses articles politiques sous le nom de « Tartarin » 
et tt)ut bon napolitain veut lire chaque matin, 



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250 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Moscojii (grosses mouches) ainsi que la Petite 
correspondance sous la signature de Gibus (lisez 
M™* Malilde Scrao) . — Tout le monde veut savoir 
ce que pense M"® Serao sur telle ou telle chose : 
« Quelle est la pierre qui protège ceux qui sont 
nés au mois d'avril? » écrit l'un — C'est la pierre 
d'améthiste, répond M™* Serao, le plus grave- 
ment du monde/ ce dont les petits journaux 
adverses comme Monsignor Perrelli font immé- 
diatement leurs gorges chaudes en indiquant une 
distribution de pierres à tous les rédacteurs du 
Mattino^ sans oublier la pierre infernale ! 

C'est ensuite un fiancé qui ne sait pas com- 
ment correspondre avec Vinnamorata qui, paraît- 
il, est étroitement gardée à vue : « Entendez- 
vous avec la camériste ou avec la concierge » 
répond l'obligeante Gibus, 

Quelquefois les correspondants s'attirent de 
vertes réponses, telles que ; « Les romans de 
Dickens vous font dormir, dites-vous. Vous êtes 
stupide. » 

Et allez donc ! 

Mais c'est surtout sur le chapitre savoir-vivre 
que Gibus en rendrait des points à toute la terre : 

A une jeune épouse : — « Non, madame, on 
n'élend pas ses draps sur son balcon, et votre 



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[ 



|A^R. M. OEnkfl 



Eduardo Scarpetla. 



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EDUARDO SCARPETTA 253 

mari a parfaitement raison de vous le défendre. » 
Ça vous apprendra ! 

Ou encore une indication : « gants tourte- 
relle ». Gibus Ta dit, il n'y a plus d'appel. Tan- 
tôt à un amoureux déçu : « Ne vous désolez 
donc pas comme ça... Cherchez-en une autre. » 
Conseil très sage. Ou à un autre trop pressé : 
« Envoyer voire photographie dans une première 
lettre d'amour, c'est un peu prématuré ». Ça sert 
de frein; ainsi de suite. Cette petite correspon- 
dance qui donne une triste idée de l'état d'esprit 
^és demandeurs fait la joie des badauds. Puis, 
quand on a fini de parler de Gibus^ de son savoir- 
vivre et de sa petite correspondance, on parle 
immédiatement de Scarpetta. 

Scarpelta est acteur, auteur, directeur ; je 
regrette de ne pas savoir s'il est compositeur. Il 
le serait que cela ne m'étonnerait nullement. Il 
est tout, il sait tout, il fait tout, il n'y a que lui, 
il n'y a que lui ! 

Quand j'arrivai à Naples, l'on me demanda 
immédiatement si je connaissais Scarpetta. Mais 
comme sa réputation est plutôt une réputation 
locale, je dus avouer que je ne l'avais pas encore 
vu. 

— Eh bien ! vous arrivez à point, me dit-on. 

15 



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254f LE THKATUE NAPOLITAIN 

C'est ce soir Touverlure de la saison, au théâtre 
des Fioi^entini. Tout le Naples élégant y sera. 
N'y manquez point. 

— Que joue-t-on ? 

— Un Cane bastai^o^ un chien bâtard, comme 
qui dirait un gêneur. 

— De qui la pièce ? 

— Cela ne se demande pas : de Scarpetta, 
pardieu î 

J'allai retenir ma place et voici tout simple- 
ment la petite mystification dont je fus victime 
et qui influença considérablement sur les juge- 
ments que je voulus porter par la suite sur cet 
artiste dont on ne saurait méconnaître pourtant 
ni l'activité ni le talent. 

Le théâtre des Fiorentini^ situé au centre de 
Naples, au milieu d'un labyrinthe de ruelles^ 
non loin de la via Toledo, ne paie pas d'appa- 
rence à l'extérieur. A Tintérieur, c'est une 
coquette salle, très élégante, un peu plus grande 
que la salle du Palais-Royal. C'est un théâtre 
très ancien, ou l'on joua longtemps en florentin 
(c'est-à-dire en italien) tandis q^ue les autres 
théâtres jouaient en dialecte napolitain, et ce fut 
toujours — qu'il fût question de prose ou. de 
musique — une salle des plus :à la mode. Ce 



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EDUARDO SCARPETTA 255 

soir-là, elle était absolument bondée du parterre 
au cintre, et j'allai prendre place à mon fauteuil 
non sans relire le programme que je m'étais 
procuré en entrant : « Un chien bâtard, réduc- 
tion de Ed. Scarpelta. » 

Vous avez bien lu ce mot-là « réduction. » Ça 
n'a Tair de rien, et c'est tout. La toile se lève, et 
j'assiste à une représentation du Voyage de Ber- 
itiron^ traduit moitié en italien, moitié en dia- 
lecte napolitain. Le « Chien bâtard » est tout 
simplement le chien qui ravage le jardin de Ber- 
luron, et contre qui celui-ci tire son malencon- 
treux coup de fusil. Comprenez-vous à présent 
le « truc de la réduction » ? Mais le nom des 
vrais auteurs, direz-vous, le titre de la pièce 
française? Cherchez si vous pouvez. Le nom de 
M. Scarpetta est le seul sur l'affiche, et la pièce 
s'appelle « Un chien bâtard. » 

Ce cas n'est pas nouveau pour moi. Je Tai 
déjà signalé en parlant du théâtre piémontais à 
Turin. Croyant aller voir jouer « Vingt-quatre 
heures à Turin » de M. Dellacorte, j'avais 
dû assister à un épouvantable massacre de la 
Cagnotte. 

Mais, direz-vous, ces théâtres en dialectes 
n'ont aucune importance. A ces mots, je vous 



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256 LE THEATRE NAPOLITAIN 

arrêterai net : ils en ont beaucoup. En Cata- 
logne, en Piémont, dans le Milanais, dans la 
Vénétie, à Naples, les théâtres catalans, pié- 
montais, milanais, vénitiens, napolitains ont une 
certaine importance, et la preuve, c'est qu'à 
Naples, où j'écris ces lignes, sept théâtres sur 
douze jouent en dialecte napolitain. Santarellina 
(Mamzelle Nitouche)^ a été jouée plus de cent 
fois devant des salles pleines. Ce « Chien bâtard » 
(le Voyage de Berluron) en était à sa quaran- 
tième quanti je l'ai vu. - . 

Les véritables auteurs le savent-ils? Et s'ils le 
savent pourquoi laissent-ils « tripatouiller » leurs 
ouvrages au point quelquefois de ne les plus 
reconnaître; pourquoi n'exigent-ils pas que leurs 
noms flgurent sur l'affiche? 

Vous me répondrez peut-être que ces « réduc- 
tions » sont faites avec la pleine approbation 
des vrais auteurs. Alors je n'ai plus rien à dire, 
sinon que leurs ouvrages n'y gagnentpas! 

Je sortis donc des Fiorentini très déçu. J'avais 
vu sous un nom d'emprunt une pochade fran- 
çaise archiconnue, jouée par quelques artistes 
assez consciencieux, à la tête desquels figurait 
naturellement Ed. Scarpetta, bon comédien, 
cela va sans dire, mais du genre grimacier. Ainsi 



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Scarpetta. — Don Felice. 



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teDUARDO SCARPETTA 239 

un des tics de Scarpeita consiste à fermer 
œil et à tirer la langue ; j'ignore si cela ph 
Naples, bien que j'entende dire autour de 
que c'est toujours la même chose et qu'à la 
cela devient un peu lassant. Mais on voit s 
peine que ce sont là des façons d*enfant gâté. 
mot est juste, car Scarpetta est Tidole du pu 
napolitain ; on lui passe tout, et chaque 
qu'il s'approche de la rampe en clignant de 1 
il semble dire : attendez ! vous allez voir con 
je vais être drôle ! Drôle peut-être pour 
habitués. Pour les autres, cette précaution si 
rait pour leur faire passer toute envie de rin 
II ne faudrait pas croire par ce qui préc 
que je nourrisse quelque rancune contre ce 
estimable comédien. Je ne le connais pas, j( 
lui ai jamais parlé, et je ne Tai jamais vu qi 
bout de ma lorgnette, comme disait n( 
« oncle » Sarcey. Je ne demande donc qu'à < 
impartial. Mais il est un peu agaçant de voir 
monsieur s'intituler Vauteiir d'une foule 
pièces que Ton a déjà vues ailleurs et se pj 
ainsi des plumes du paon pour le plus grand é 
hissement des napolitains qui se figurent ai 
dans leurs rnùrs un nouveau Goldoni. Scarp( 
est un artiste fort honorable qui tiendrait c 



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260 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

nous une bonne place au Palais-Royal, à Gluny, 
dans des théâtres de genre, mais sapristi ! il ne 
faut rien exagérer. Il a voulu supprimer le vieux 
répertoire napolitain, et avec lui Pulcinella, et 
je ne discute pas ses raisons; le vieux répertoire 
se porte très bien au théâtre Nuovo, et Pulci- 
nella aussi. Mais je ne vois pas bien — puis- 
qu'il s'agit du théâtre napolitain, ne l'oublions, 
pas — par quelle autre originalité il l'a rem- 
placé ? Par des pièces étrangères traduites, muti- 
lées, réduites, dans lesquelles il prend invaria- 
blement le premier rôle comique sous le nom 
immuable de Don Felice? Franchement Ton n'a- 
vait pas besoin de lui pour semblable besogne, et 
toutes les compagnies italiennes qui se respectent 
donnent ces pièces dans leur intégrité, en vertu 
d'un bon traité en règle avec les auteurs dont 
on met le nom sur l'affiche. Rien n'est plus juste, 
rien n'est plus loyal. 

Je n'en veux nullement à Scarpetta, croyez- 
le bien, mais l'on me permettra bien de le dis- 
cuter commme rénovateur ou réformateur du 
théâtre napolitain, puisque c'est pour tel qu'il se 
donne. Car enfin, qu'a-t-il réformé? Il a banni 
Pulcinella de son théâtre sous prétexte que ce 
bouffon légendaire avait fait son temps, et qu'il 



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261 

était aussi peu naturel de voir dans chaque 
pièce un personnage habillé en blanc et masqué 
de noir, que si Tun de nous se rendait à une 
cérémonie de notre temps habillé en sauvage ou 
en mousquetaire. Je vous raccorde : mais c'est 
le cas de tous les masques de l'ancienne comédie 
italienne, d'Arlequin bariolé des pieds à la tête et 
masqué, de tous les personnages de convention. 
Donc, à ce vieux théâtre napolitain, dédaigné 
bien à tort, il aurait fallu substituer tin théâtre 
napolitain nouveau. Mais à la place de ces pièces 
populaires d'une saveur si particulière vous 
allez me mettre des traductions de pochades 
diverses en appelant le premier personnage 
Don Felice ! La belle avance ! Ayez donc le cou- 
rage de votre opinion, soyez chair ou soyez 
poisson, et appelez un chat, un chat! 

Qu'est Scarpetta? D'où vient-il? D'où sort-il ? 
Lui-même va se charger de nous le dire dans 
son livre Don Félice, ses propres « Mémoires » 
qu'il écrivait à l'âge de trente ans! Il paraît qu'à 
Naples, comme autre part, il n'y a plus d'enfants ! 
Donc, faisant appel à tous ses souvenirs, le jeune 
auteur nous fait l'aveu qu'il est né à Naples le 
13 mars 1833 d'une honnête famille de petits 
bourgeois. Ayant eu le malheur de perdre son 

V6. 



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262 LE THEATRE NAPOLITAIN 

père dès Tàge de quinze ans, il fallut songer à 
chercher un état. Le démon de Tart dramatique 
le tourmentait. Bref, il se fit engager pour jouer 
les petits emplois au San Garlino oh se trouvait 
alors un certain Mormone tandis que la compa- 
gnie de Luzi (la vraie) étant en représentation au 
Nuovo. 

Il n'est pas mauvais, soit dit en passant, de sa- 
voir comment celui qui s'intitule modestement 
V auteur de^Tetillo (Bébé)* sans parler du reste, 
jugeait le répertoire de son nouveau patron : 
« En ce temps, dit-il, étaient en vogue les vau- 
devilles, la Belle Hélène^ Barbe-bleue^ nouveau 
genre transplanté de France en Italie pour la ruine 
de l'art dramatique, le détriment des acleurs, et 
la perversion du bon goût. » 

De la part d'un auteur napolitain pur sang, 
passe encore ! Mais dans la bouche de celui qui 
devait piller ce même répertoire à son profit et 
sous son nom pendant trente ans, c'est véri- 
tablement amusant n'est-ce pas ? Mais con- 
tinuons. 

Ce théâtre fermé, le jeune débutant passa à la 
place Cavour, au Parlenope. C'est là qu'il devait 

* Don Felice, p. 9. « Si, ô lecteurs, le jovial Don Felice, Fau- 
teur de Tetillo, etc. » 



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EDUARDO SCARPETTA 263 

se faire remarquer dans les circonstances que 
voici. 

On avait repris à ce théâtre FelicieUo Sciosciam- 
inocca voleur (Hune pizza^ litre d'une vieille farce 
du théâtre napolitain. Ce FelicieUo est un pauvre 
petit diable qui, n'ayant pas mangé depuis vingt- 
• quatre heures, passe devant la boutique d'un piz- 
zaiuolo et qui, perdant la tête à Todeur Ae^pizze 
fumantes, se laisse aller à la tentation, vole une 
pizza et prend la fuite. Poursuivi par le mar- 
chand, il se réfugie dans une maison, grimpe les 
escaliers, se précipite par une fenêtre, et va tom- 
ber chez un tailleur. 

Scarpetta à xjui l'imprésario avait confié ce 
rôle de FelicieUo — qu'il ne créa même pas, 
comme on le croit généralement à Naples* — s'en 
était tiré à merveille. Luzî, le directeur du San 
Carlino, attiré par la curiosité, vint en compagnie 
de son pensionnaire De Napoli voir jouer le dé- 
butant, le trouva à son goût et l'engagea. Mais 
lui ayant distribué un rôle dans une pièce du ré- 
pertoire, il persista à mettre sur Taffiche, au lieu 
du nom du personnage, celui de Felice Sciosciam- 
mocca en face de celui de Scarpetta. 

* Don Felice, p. 103 : « C'est le titre d'une pochade du vieux 
théâtre napolitain ». Mémoires de Scarpetta. 



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264 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

— A partir d'aujourd'hui, dans toutes les co- 
médies, lui dit-il, nous t'appellerons toujours 
Felice Sciosciammocca. 

Laissons la parole à l'intéressé : 

« Ce baptême me parut curieux, déclare-t-îl ; 
mais je n'osai pas protester. Dans toutes les co- 
médies du théâtre San Carlino figuraient cons- 
tamment Piiicinella Cetrulo, Don Asdrubale Bari- 
lotto^ Don Anselmo Tartagliû^ il Guappo napoli- 
tano. On voulut y ajouter Feliciello Sciosciant- 
mocca^ je n'y vis pas grand mal : c'était un nom 
comme un autre. » 

Voici donc Scarpetta condammé à se fairç ap- 
pelé Don Felice dans toutes les pièces, quelque 
rôle qu'il jouât, et si nous entrons dans tous ces 
détails, c'est parce que nous allons voir bientôt 
ce même Don Felice s'indigner de ce que dans 
toutes les pièces du théâtre napolitain il y eût un 
personnage qui s'appelât Pulcinella! Tant il est 
vrai qu'on voit la paille dans l'œil du voisin... 

Don Felice^ seul, unique, inimitable; Don Felice 
et c'est assez. Que vient faire ce gêneur de Pul- 
cinella qui encombre les planches depuis trois 
siècles? 

Je ne veux pas changer un mot à ce qui 
suit : 



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EDUARDO SCARPETTA 265 

« Je joue dans la comédie du répertoire — 
c'est Scarpetta qui parle, nalurellement — et je 
suis applaudi comme les autres soirs. Mais à 
peine la première représenlalion était-elle finie 
(l'on sait qu'au San Carlino Ton donnait deux 
représentations par jour) queLuzi me fait appe- 
ler et me demande, avec un certain air de re- 
proche, pourquoi je n'avais pas joué mon rôle de 
la même façon que dans Feliciello voleur d'une 
pizza. Je tombai des nues. Mais, voulant me jus- 
tifier, je répondis respectueusement : « C'est 
parce que j'ai pensé qu'il s'agissait de tout autre 
chose. Je ne vois pas bien le type de Feliciello 
dans la comédie de ce soir. Excusez ma franchise 
mais cela viendrait un peu. à la façon de Pilate 
dans le Credo. 

« Eh bien ! reprit T imprésario cela devra 
être toujours ainsi. Je n'admets pas de raison- 
nements, et ce sont là des prétextes qui ne tien- 
nent pas debout. Je sais ce que je dis, et je suis 
vieux dans le métier, mon cher ! C'est décidé : 
tu seras toujours Feliciello voleur d'une pizza et 
tu parleras toujours de cette manière. Je veux 
avoir le mérite d'avoir créé ce nouveau caractère. » 

Le jeune artiste avait besoin de gagner sa vie, 
il noTépondit rien. Mais sa conscience s'irritait 



I 



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266 LE THEATRE NAPOLITAIN 

contre une prétention aussi absurde. Que le per- 
sonnage, au lieu de s'appeLer Ambrogio, Barto- 
lomeo ou Nicola s'appelle invariablement Don 
Felice, passe encore, se disait-il. Mais que je de- 
vienne un type unique, un pantin, une marion- 
nette ! non, jamais. Patience ! Je n'en ferai bien 
qu'à ma tête. » 

C'est ainsi que le jeune Scarpetta, après avoir 
commencé à suivre les instructions de son im- 
présario, chercha peu à peu à sortir de son moule. 
Il n'en avait pas moins été baptisé Do7i Felice, 
nom qu'il porte encore dans toutes les pièces. 
Du type obligatoire de Felice il n'était resté que 
le nom. 



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^^"^î^t^^^; 



XVI 

GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 



Décadence du San Carlino. — Le rêve de Scarpetta. — Con- 
damnation des Masques. — Plan de réforme. — Pillage des 
répertoires italien et français. — Don Felice directeur. — 
Arguments contre Pulcinella. — Traditions et conventions. — 
Don Felice à la mode. — Théâtre hybride. — Ce qu'en pense 
M. ^. Verdinois. — Sciosciamocca n'a rien inventé. 



Quelles sont à présent les raisotis qui allaient 
pousser Scarpetta -Don Felice à déclarer une 
guerre sans trêve et sans merci à Pulcinella, et 
par conséquent au vieux théâtre napolitain ? Ces 
raisons, il a pris soin de nous les dire lui-même. 

La mort de Petilo, survenue le 24 mars 1876, 
avait porté un coup terrible à rentreprise du 
San Carlino, et Giuseppe De Martine, appelé à 
le remplacer, était encore trop jeune pour avoir 
assez d'autorité sur le public. Le 22 juillet 1877 
Imprésario Luzi avait lui-même disparu de ce 
monde. C'était la fermeture à bref délai. Mais 
rien ne vaut la prose de Scarpetta : 



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268 LE THEATRE NAPOLITAIN 

« Oh ! mon rêve ! mon rêve doré depuis tant 
d'années (notez que celui qui parlaft ainsi, à 
cette époque, n'avait pas encore vingt-cinq ans). 
Remettre en honneur le théâtre napolitain 1 Oh ! 
une réforme... Une réforme est nécessaire et 
désirée I... Il faut que Tart comique, ayant brisé 
les chaînes dans lesquelles il se débat, s'affran- 
chisse d'un conventionnel baroque et ennuyeux, 
privé d'esprit et de bon sens. Il faut envoyer au 
diable les parodies et toutes les farces avec mas- 
chère (avec masques, c'est-à-dire avec person- 
nages typiques) lesquels tournent tôujours.sur 
le même pivot et avec leurs mêmes personnages 
ressemblent au jeu d'échecs où chaque pièce 
marche toujours de la même manière... Assez, 
une bonne fois, des Cassandre, des Don An- 
selmo^ des Colombine^ des Rosaure^ des Pulci- 
nella ; que Naples ait aussi son bon théâtre en 
dialecte avec des ouvrages bien écrits, des scènes 
dépourvues d'invraisemblances... Il faut faire 
vrai et non pas de la prestidigitation... » 

Bref, l'auteur des Mémoires de Don Felice 
nous déclare que son plus grand ^ésir aurait élé 
de prendre tous ces décors, tous ces trucs qui 
avaient servi tant de fois aux apparitions, aux 
disparitions, aux apothéoses, aux résurrections. 



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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 269 

de les entasser sur la voie publique et d'y mettre 
le feu tandis que les gamins du quartier auraient 
dansé une ronde folle tout autour de ce feu de 
joie. 

Voilà un beau plan de réformes, ou je ne m'y 
connais guère, et il est clair que celui qui con- 
çoit de telles choses va nous donner un théâtre 
napolitain tout nouveau avec des personnages 
très variés. 

Scarpetta nous dira lui-même comment il s'y 
prit* : « A bas les masques !... Et je mis en 
scène la comédie Tetillo réduite du français, 
Bébé^ laquelle fut jouée 40 soirs de suite... Met- 
titeve a fa Vammore cou me^ réduction en deux 
actes de la comédie italienne : Fatemi la corte; 
Duie marite mbritglhme, réduction de la co- 
médie française les Dominos roses,.. » 

Avez- vous compris la réforme ? — Ces pauvres 
et braves gens qui s'appellaient Caramarano, 
Altavilla, Petito y allaient bon jeu, bon argent. 
Ils prenaient leurs sujets où ils pouvaient, dans 
leur milieu, et bâtissaient des pièces napolitaines 
à leur manière avec Pulcinella, le bouffon napo- 
litain par excellence. A défaut d'autres qualités 

* Don Felice, p. 148. 



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270 LE ïHÉATREi NAPOLITAIN 

on ne pouvait leur reprocher l'originalité à 
ces pièces ! Eh bien i M. Scârpetta est venu, 
a vu, a vaincu. Au lieu d'aller à la chasse il 
achète le gibier tout cuit chez le restaurateur 
d'à- côté. C'est infiniment plus commode, et 
voilà le théâtre napolitain réformé ! Enfin pour 
ne pas ressembler à ces pièces du jeu d'échecs, 
— qui, cofnme il dit fort bien, marchent tou- 
jours de la même manière — il se donne dans 
toutes les comédies le nom de Dou Felice, 
prend le même petit chapeau à bords plats, les 
mêmes pantalons trop courts, les mêmes petits 
souliers découverts. Le public napolitain est un 
bien bon public, en vérité. 

Entre temps, vous l'avez compris, Don Felice 
était devenu directeur, et comme ce nouveau 
répertoire italien, français etc. n'était pas encore 
connu en dialecte napolitain, rintelligent Scar- 
petla fit rapidement des aflaires d'or. L'idée était 
heureuse; mais ayant l'imagination très vive 
et prenant ses désirs pour la réalité^ ce brave 
artiste n'en resta pas moins intimement con- 
vaincu qu'il avait réformé le théâtre et que les 
« réductions » qu'il faisait,. comme il dit, étaient 
des pièces de lui ! 

Pulcinella, momentanément terrassé, n'avait 



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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 271 

donc plus qu'à battre en retraite devant son 
jeune et audacieux adversaire Don Felice, mais 
il ne suffisait pas de chasser des planches du 
San Carlino le vieux bouffon populaire qui avait 
fait rire tant de générations ; il fallait Tenterrer 
une bonne fois pour toutes, et Scarpetta, pour 
compléter son œuvre, ne cessait d'entasser ar- 
guments sur arguments : 

— Voyons ! s'écriait-il, avez-vous jamais vu 
des visages qui puissent servir de modèles aux 
masques de Pantalon^ d'Arlequin,, de Pidcinella? 
Si Ton veut, aujourd'hui, que les acteurs mo- 
dernes paraissent tous à visage découvert, c'est 
par homtnage pour l'art, pour la vérité. On dit 
que le visage, Tœil particulièrement, est le mi- 
roir de Tâme ; couvrez d'un morceau de carton, 
de cuir ou de soie le visage d'un homme... 
bonne nuit! Cette figure restera dans l'obscu- 
rité ; c'est comme si vous lui aviez coupé la tête. 

Mais ce que Ton ne s'attend guère à trouver 
dans la suppression de Pulcinella c'est « le bien 
du pays » ! Je n'exagère pas; écoutez ! « Sup- 
primer les masques^ c'est travailler pour te bien 
du pays. » Vous ne comprenez pas, n'est-ce 
pas ? Eh bien ! Coviello n'est-il pas un fourbe? 
Spavienta un spadassin? Arlequin un imbécile 



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272 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

malicieux ? Le Gnappo napolitain une espèce de 
souteneur? A quoi bon, je vous le demande, 
exhiber toutes ces laideurs morales, en public? 

— Mais, pourrions -nous répondre, n'est-il 
donc pas convenu que la comédie est une satire 
des mœurs ? MoHère, Goldoni, tous les grands 
auteurs dramatiques, ont mis de tout temps en 
scène des caractères. Que diriez-vous d'un ou- 
vrage où tous les personnages seraient des saints? 
Non seulement ce serait profondément ennuyeux 
pour le public, mais ce serait absolument con- 
traire à la vérité. Trouvez-moi donc une société 
où il n*y ait ni fourbes, ni bravaches, ni sots, 
ni gredins. Tout le monde, que diable, ne peut 
pas être coulé dans le moule de Don Felice. 

Votre raisonnement qui conseille — pour le 
bien et le décorum du pays, dites-vous — de 
supprimer des caractères — peu m'importe le 
çorn dont on les affuble — ne tendrcdt rien moins 
qu'à supprimer la comédie même. Si Ton avait 
« pour le décorum du pays » toujours — banni 
des planches les faux dévots, Molière nous au- 
rait privé de son chef-d'œuvre, le Tartufe. 

Où vous vous rapprochez de la vérité, c'est 
lorsque vous venez me prouver sans peine qu'il 
n'est pas naturel qu'un personnage soit masqué 



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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 273 

alors que tous les autres parlent à visage décou- 
vert. Cette observation est si juste qu'elle tom- 
berait des lèvres d'un enfant de quatre ans que 
Ton mènerait pour la première fois voir Pulci- 
nella. Dans la vie courante, dans Thistoire, nous 
n'avons jamais entendu parier que du Masque 
de fer que Ton promenait de citadelle en for- 
teresse avec un masque sur le visage, et encore 
est-il prouvé que ce masque de fer était en ve- 
lours ! 

Eh bien ! je crois que si nous voulons partir de 
ce principe : « les gens n'étant pas masqués à la 
ville, il n'y a pas de raisons pour que les acteurs 
le soient sur le théâtre» nous sortons absolument 
de la question parce que, comme toutes les fois 
qu'il s'agit d'une convention, nous ne sommes plus 
ici à la recherche de la vérité. 

L'invention d'un personnage masqué dans la 
comédie italienne n'est pas nouvelle. Assurément 
s'il s'agissait d'une pareille innovation de nos 
jours il n'y aurait qu'une voix pour la combattre : 
jugée absurde, elle serait immédiatement con- 
damnée. Mais dans l'espèce il s^agit d'une tradi- 
tion. Or — et vous êtes le premier à le prouver 
avec vos « réductions » monsieur Scarpetta, — 
en supprimant Pulcinella vous avez supprimé du 



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274 LE THEATRE NAPOLITAIN 

même coup le théâtre vraiment napolitain. Ce 
n'est donc pas PulcineHa que vous avez voulu 
enterrer, c'est le théâtre napolitain tout entier 
dont il est Tâme. 

Non, il n'est pas conforme à la yérité qu un per- 
sonnage paraisse éternellement masqué sur la 
scène, mais c'est là une tradition que naus devons 
dans ce genre de théâtre accepter telle quelle au 
risque de démolir tout Tédifice, et si nous entrons 
— par amour de lawérité — dans cette série 
de réformes, j'en vois bien d'autres, encore à 
signaler. 

Est-il naturel, par exemple, que des gens qui 
ont une langue dans la bouche, fassent de grands 
gestes, à la façon des sourds-muets, pour échanger 
leurs idées? 

Non. — Alors il nous faut supprimer la pan- 
tomime. 

Est-il naturel qu'une personne se barbouille la 
figure en blanc, s'habille de même, et se mette 
un serre-tête noir? 

Non. — Alors il nous faut supprimer Pierrot. 

Est-il naturel que deux amants s'adorent en mu- 
sique et se répètent pendant un quart d'heure : je 
t'aime, bonheur extrême, etc., ou que des multi- 
tudes vocifèrent de pied ferme : courons ! partons l 



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GUERRE OUVERTE 

Non. : — Alors il nous faut supprimer Top» 

Est-il naturel qu'au milieu d'une conversai 
des dames peu vêtues fass'ent irruption p 
danser un petit entrechat? 

Non. — Alors il nous faut supprimer 
ballets. 

Est-il naturel qu'un acteur resté seul en se 
éprouve le besoin de s'exprimer à haute v» 
s'approche de la rampe, cligne de l'œil et tin 
langue en ayant l'air de faire des confidences 
public ? Est-il naturel que, la pièce finie, le p; 
cipal personnage, en dépit de toute vraisemblar 
et suivant on usage suranné et heureusem 
disparu chez nous, adresse un mot aux spec 
teurs pour solliciter leur indulgence? 

Non. — El cependant les choses ne se pass 
pas autrement dans votre théâtre dit réforr 
pour l'amour de la vérité. 

Absurdité le masque de Pulcinella, absun 
la farine de Pierrot, la queue rouge de Giandi 
la batte d'Arlequin, le bégaiement d'Anselme 
grasseyement de Guignol, je vous l'accorde. M 
sapristi ! dans toutes vos réformes laissez-r 
donc quelque chose d'original et d'amusa 
C'est avec ce système d'unification à outrai 
que les habitants des cinq parties du monde 



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276 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

arrivent à se promener tous en habit noir et en 
chapeau de soie et à s'ennuyer prodigieusement 
rien qu'en se regardant les uns les autres ! 

Ne confondons pas des apparences de réforme 
avec une réalité qui n'a rien réformé du tout. Le 
Chien i^/arrf (lisez le Voyage de Berhcrorij.eainne 
amusante pochade et Scarpetta s'y montre bon 
comédien. Mais je n'avais pas besoin de venir aux 
Fiorentini pour la voir : avant que cette pièce 
fut signée de M. Scarpetta, je l'avais vu jouer 
sous le nom de ses vrais auteurs, en France, en 
Italie, en Espagne, au Portugal; tandis qu'il m'a 
fallu venir à Naples pour y respirer cette fleur 
d'un parfum spécial qui ne pousse qu'au pied du 
Vésuve, la bonne grosse gaîté de Pulcinella, 
enfant du môle, dont l'originalité; nie charme 
parce qu'elle est avant tout du terroir. Les vrais 
napolitains le savent bien. Don.Felice est, ou 
mieux 'a été, une mode, un caprice. Pulcinella est 
une institution. Il y a donc un abîme qui les 
sépare. 

Quelle fut à présent l'œuvre accomplie depuis 
vingt ans par Scarpetta? C'est ce que je vais 
tâcher de résumer. 

Profitant du désarroi dans lequel se trouvait 
la comédie populaire napolitaine — la même que 



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GUERRE OUVERTE A PULCINELLA 277 

nous avons vu renaître de ses cendres — remuant, 
insinuant, audacieux, le nouveau Don Felice 
u'eut plus qu'une- idée fixe : devenir Timprésario 
du San Carlino qu il remonterait sur d'autres 
bases. Il le devint. Il fît de la petite salle une 
bonbonnière, y attira le public bourgeois, et rem- 
plaça le *vieu3^ répertoire par des imitations de 
pièces italiennes et françaises qu'il signa. Le 
genre était nouveau, l'interprétation convenable* 
L'idée fit fortune. Le public napolitain qui n'y 
regarde pas de si près crut qu'il lui était né uvl 
nouveau Molière, ou tout au moins un Goldoni^ 
et le nom de^Scarpetta alla aux nues. 

Un seul critique napolitain — et non des 
moindres — M. F. Verdinois — avait saisi le sub- 
terfuge et ne tombait pas dans le filet : 

« Je ne pourrai jamais comprendre, écrivait 
cet auteur*, comment des comédies ou des vaude- 
villes traduits du français {Bébé, les Dominos 
roses^ etc.) sont des comédies populaires. Tant il 
^st vrai que le même Sciosciammocca (Scarpetta) 
pour imprimer à ses œuvres un caractère napoli- 
tain qu'elles n'ont pas, a besoin d'avoir recours 
aux /azzi d'usage, aux facétices habituelles de 



Journal II Pungolo, 20 janvier J881, 



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278 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

goût équivoque, qui font rire la partie la plus 
grossière de son public et rougir les dames et 
les demoiselles comme il faut. 

« Une autre particularité à noter dans cette 
demi-douzaine de comédies populaires \ c'est 
que les personnages transportés de la scène 
française à la scène napolitaine — n'étant pas à 
proprement parler des gens du peuple — parlent 
une langue qui n'est pas ritalienne et qui n'est 
pas le dialecte, mais un mélange ingrat à Toreille 
et qu'aucun peuple du monde n'a jamais eu l'idée 
de parler. » 

Et l'illustre critique napolitain (en dépit de son 
nom à consonnance française) conclut ainsi : 

« Si Pulcinella est mort, c'est bien qu'il soit 
mort; mais si, d'autre part, Pulcinella mort n'est 
plus la comédie populaire, Sciosciammocca 
vivant l'est encore bien moins. 

« A tel point que, placé entre les deux, je choi- 
sirais le mort. » 

Pour toute réponse, Scarpetta avec une ardeur 
dévorante « réduisait», réduisait toujours, emplis- 
sait les affiches de son nom d'auteur et d'acleur, 
gagnait de l'argent et laissait dire. 

* Oh ! combien depuis ! Ceci fut écrit il y a TÎngt ans, mais les 
choses n'ont pas changé. 



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XVII 

NOUVEAUX MÉMOIRES DE SCARPETTA 
LE RÉPERTOIRE ACTUEL DES FIORENTINI 



Du San Carlino aux Fiorentini, nouveaux mémoires de Scar- 
petta. — Souvenirs d'antan. — Comment Scarpetta définit 
ses « réductions ». — Une façon d'apprécier les. autres com- 
pagnies italiennes. — Le répertoire courant. — Ce que de- 
viennent les pièces connues. — Une imitation du. Chapeau de 
paille d'Italie, — La Creaiura sperduta, — Une vieille pièce 
et Davide Petito. — Troupe des Fiorentini. —" Conclusion. 



Au moment même oiT je réunissais ces notes, 
l'infatigable Scarpetta qui nous avait donné ses 
Mémoires à trenle ans, songea à propos de nous 
en resservir une seconde tranche dix-sept ans 
plus tard. Je lui souhaite de nous en donner 
beaucoup encore ! — Ces nouveaux Mémoires 
fort copieux, de 528 pages*, s'intitulent assez heu- 
reusement Du San Carlino aux Fiorentini et n'ont 
d*aulre but que de nous montrer le chemin par- 



* Da S. Carlino ai Fiorentini (nuove memorie) préface de 
Benedetto Croce, Naples, Pungolo édit., 1900. 



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280 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

eouru depuis la direction du San Garlino démoli 
jusqu'au règne actuel au théâtre des Fiorentinî, 
C'est la plus belle glorification de soi-même qu'on 
puisse rêver ! C'est Tinconscience naïve ! Les 
Commentaires de Césa?' et le Mémorial de Sainte- 
Hélène ne sont plus rien. Après les nouveaux 
Mémoires de Scarpetta il faut assurément tirer 
l'échelle. 

Les souvenirs relatifs aux anciens auteurs et 
acteurs du San Carlino, que nous avait déjà fait 
connaître en partie M. S. di Giacomo dans sa 
Chronique^ sont intéressants. Mais, comme pour 
s'excuser déjà, Fauteur des nouveaux Mémoires 
nous laisse sous-entendre que Filippo Camma- 
rano ne fut, à son jugement^ pas autre chose 
qu'un (c modeste réducteur » des comédies gol- 
donniennes. Pauvre Scarpetta ! l'idée des ses 
« réductions » le poursuit partout. Il y a là quel- 
ques jolis portraits de « l'oncle » Altavilla, d'An- 
tonio Petito, du bouffe De Angelis et du guappo 
Di Napoli. Nous assistons aux jalousies intesti- 
nes, aux rivalités des coulisses, mais l'on nous 
fait comprendre qu'il ne s'agit, en l'espèce, que 
de petites et de pauvres gens. Les temps sont 
proches ; on attend la venue du messie; on le 
devine, on le pressent; c'est lui, il n'y en a plus 



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NOUVEAUX MEMOIRES DE SCARPETTA 281 

que pour lui; le voici, il fulgure, il rayonne; 
inclinons- 



Scarpetta-Napoléon. (Extrait du journal Monsignor Perrelli.) 

Mais où la mesure est vraiment à son comble, 
c'est quand Fauteur, pour se disculper toujours, 

16. 



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282 LE THEATRE NAPOLITAIN 

en arrive à nous démontrer que si les pièces qu'il 
joue ont du succès, ce succès est dû — devinez : 
aux vrais auteurs? nullement : au « réducteur. » ^ 
La définition de ces « réductions » est amusante 
au possible : « Réduire signifie souvent recons- 
iniire, refaire. Et pour reconstrvire^ refaire et 
obtenir un succès indispensable, avant de se 
mettre àTœuvre, revoir tout entière la pochade 
que l'on veut réduire, en vue du milieu et du 
théâtre pour lequel on écrit. » 

Non, vous allez voir que les vrais auteurs vont 
avoir tort ! Ils n'y ont jamais rien entendu. 

(( Comment voulez-vous que le public com- 
prenne tout l'esprit exquis et le comique sati- 
rique de certains dialogues français si vous ne 
lui refaites pas ces dialogues et si vous ne trans- 
portez pas l'action chez nous, dans nos maisons 
ou dans nos rues ? 

<( Sans me donner Tair d'avoir découvert 
l'Amérique, je peux dire que je dois à ce don 
d'assimilation et d'adaptation mes plus, grands 
succès. 

(( Et comment, en effet, expliquer d'autre façon 
les triomphes obtenus par quelques-unes de mes 

* Da San Carlino ai Fiorentini, p. 376 et suiv. 



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284 LE THEATRE NAPOLITAIN 

macien pauvre (lisez : L^5 t?'ente millions de Gla- 
diator) et de ma Santarella {lisez : ManCzelle 
Nitoiiché) ». 

Ainsi, vous avez bien saisi ? Il a fallu la venue 
de M. Scarpetla pour faire goûter au public : Bébé, 
les Trente millions de Gladiator ou Manizelle Ni- 
touche. Tout le succès en est dû au « réducteur » 
et quant aux autres compagnies italiennes qiii 
jouent ce genre de répertoire, ce n^est pas long 
à les exécuter : 

« Ce ne sont pas les braves acteurs qui man- 
quent dans les troupes italiennes ; il manque cet 
entrain [afpatamento) qui contribue tant à la 
bonne réussite de tout travail théâtral, surtout 
dans ce genre brillant ; mais souvent il manque 
dans ces compagnies un directeur comique qui 
tienne lieu de bon réducteur ou traducteur des 
pochades que Ton joue. » 

Vous l'entendez, ô Novelli, Ferravilla, Lei- 
gheb, Benini et tutti quand : Vous ne savez pas 
un mot de votre métier. M. Scarpelta va vous 
rapprendre. 

A quoi bon prolonger ces citations? Laissons 
M. Scarpetta, qui pourrait se contenter d'être un 
bon comédien, croire de bonne foi que les pièces 
qu'il réduit, sont de lui; ne le dérangeons pas 



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NOUVEAUX MEMOIRES DE SCAUPETTA 285 

dans la contemplalion de lui-même, et parlons 
rapidement des représentations auxquelles nous 
avons assisté, afin de ne pas être accusé, comme 
mon estimé confrère Verdinois qui avait osé cri- 



Della Rossa, gcncral de Scarpetta-Napoléon. 
(Extrait du journal Monsignor Perrelli.) 



tiquer le demi-dieu, de ne jamais être venu à son 
théâtre ! Seulement louiez ces représentations 
n'offrant aucun intérêt artistique je ne perdrai 
pas le temps à vous parler de pièces que vous 
avez déjà Vu jouer partout. 



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286 LE THEATRE NAPOLITAIN - 

Pendant cinq mois et demi que je suis resté à 
Naples j'ai essayé de découvrir quelque chose de 
nouveau ou de « réformé » aux Fiorentini, mais 
en vain. 

Je suis allé voir un Chien bdêard^ comédie en 
trois actes, réduction d*Eduardo Scarpetta, et j'ai 
assisté à une traduction à peu près littérale du 
Voyage de Berluron» 

Je suis allé voir Duje Chiapparielle^ comédie 
en trois actes d'Eduardo Sparpelta et j'ai revu, 
avec plaisir, du reste, le Contrôleur des vmgons- 
lils. 

Je suis allé voir la Ptipa movihile, comédie en 
trois actes d'Eduardo Scarpella, et je me suis 
aperçu qu'on avait mis en comédie Topérelte La 
Poupée d'Audran. 

Fuyant les titres à réminiscences françaises 
j'ai cherché à me replonger dans un répertoire 
vraiment italien ; alors je suis allé voir Nafigli- 
ola rognant ica enu miedeco cinniiso^ comédie en 
trois actes, en vers, d'Eduardo Scarpetta. Cette 
fois je crus avoir fait une trouvaille; mais Ton 
m'apprit que ces trois actes n'étaient qu'une ré- 
duction (les cinq acies de la Femme romanesque 
et le médecin homœpathiquc do Uiccanio Caslel- 
vecchio. 



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NOUVEAUX MKiMOIRES DE SCARPETTA 2S7 

J'attendis que Taffiche ne fit plus mention 
même de « réduction » tant j'avais envie de voir 



De Crescenzo, officier de la Grande Armée Scarpetta-Napoléon. 
(Extrait du journal Monsignor Perrelli.) 



du nouveau et de pouvoir juger enfin Scar- 
petta comme auteur , et je pris mon billet 



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288 LE THEATnK NAPOLITAIN 

pour Na Paglia de Firenze^ comédie en 4 acles 
d'Eduardo Scarpetta; 

Hélas! Trois fois hélas! Cette « Paille de Flo- 
rence » n'étaii autre que notre Chapeau de paille 
d'Italie ! 

... Quantum mietattis aà illo ! 

Pauvre chapeau! Vou3 connaissez tous le 
légendaire vaudeville de Labiche? Vous savez 
que cette pièce, chef-d'œuvre du genre, ne vit 
que par le mouvement, ce mouvement spécial 
que nos comédiens d'aujourd'hui ont même perdu. 
Car si vous avez le temps de raisonner, adieu 
l'effet ! Il faut que ces cinq petits actes soient 
brûlés en moins de deux heures. Scarpetta, lui^ 
en fait une comédie : 4)remiôre faute. Et de 
même qu'il n'en a pas compris le mouvement, il 
n'en a pas saisi les côtés typiques : le vieux 
sourd qui pendant cinq actes porte le carton 
qu'il n'y aurait qu'à ouvrir pour trouver la clé 
de l'énigme; Nonancourt qui se promène avec 
son myrthe ; la mariée qui a une épingle dans le 
dos. Ici, rien de tout cela : le sourd dépose son 
carton dès le premier acle. Nonancourt (Alonzo) 
a laissé son myrthe chez lui ; ainsi du reste. 
Enfin cette noce qui défile, tous ces gens endi- 
manchés qui se poussent à la queue leu-leu, tout 



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NOUVEAUX MEMOIRES DE SCARPETTA 289 

cela... supprimé : supprimé le bain dé pieds de 
Beaupertuis, supprimé la scène des lits, et Ton 
finit par une soirée chez la comtesse. 

« Réduire signifie souvent reconstruire^ re- 
faire^ » nous a dit Scarpetta dans des Mémoires, 
Je crois que le mot défaire conviendrait mieux. 
Aussi je pensais, malgré moi, en voyant ce 
public naïf et bon enfçint s'amuser quand même : 
« Faut-il qu'une pièce comme celle-ci soit ré- 
sistante pour que, ainsi tronquée, dépouillée, 
massacrée, elle puisse faire encore de l'effet 1 » 

Vint enfin la Creatiira sperduta^ Tenfant perdu, 
dont le sujet fit les délices des habituée, et que 
le petit journal satirique Monsignor Perrelli 
annonçait spirituellement en ces termes : 

« Nous sommes heureux d'annoncer que 
« l'Enfant perdu » a été retrouvé hier soir par 
deux agents de la sécurité publique, 

ce Conduit à la questure, on voulut le recon- 
duire au Théâtre des Fioreïilini, mais il a pro- 
testé vivement en affirmant qu'il n'avait rien de 
commun avec le cavalière Scarpetta, et qu'il 
était fils de parents français ^ » 

* Monsignor Perrelli, 15 mars 1900. Il est juste d'ajouter que 
le métier de « réducteur » n'est pas toujours exempt de danger 
comme le prouve ce petit extrait des tribunaux {Il Mattino 



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290 I-E THEATRE NAPOLITAIN 

M. Scarpelta à qui le litre d'auteur tient fort 
au cœur (toujours l'histoire du violon d'Ingres) 
jure tous ses grands dieux (page 458 de ses Nou- 
veaux mémoi7'es) qu'il a écrit vingt-neuf comédies 
originales, dont il cite les noms. Je n'ai aucune 
raison d'en douter, mais, toutes les fois que jje 
suis allé à son théâtre, je suis toujours tombé 
sur une de ses réductions. Trouvant, à la fin, 
que le théâtre napolitain que je voulais étudier 
n'avait rien à faire là dedans, on pe m'en voudra 
pas si je préférai dès lors aller passer mes 
soirées chez « Pulcinella. » 

Je vis cej^ndant une chose intéressante à ces 
Fiorentini. Une fois, par exception — car toutes 
les pièces jouées à ce théâtre portent le nom du 
directeur — Ton afficha Pascariello giiardapor^ 
tbne à lu Vico Rutto San Carlo ^ comédie en un 
acte d'Antonio Petite, jouée par le vieux Davide 
Petite, frère âLk.nionio.ïjQ guardaportone à 
Naples, c'est le concierge, mais un concierge 



17 -18. mai 1900) : « La première section de la coup d'appel de 
Naples par une sentence du "9 courant, à la requête de» hérî - 
tiers du commandeur Bersçzio, etc., etc., a con4^n)QJ^ le cav. 
Eduar do Scarpetta à lires 4.040,45 pour les 18 repj?é0$otftMons die 
la comédie Girolino e Pirolo réduction de la cf^médU française 
Cocard et Bicoque t propriété (en Italie) du comin. Bersezio, 
plus à un quart des frais du double judiciaire. > 
Chaque médaille a son revers ! "^ 



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NOUVEAUX MÉMOIRES DE SCARPETTA 291 

galonné des pieds à la tête avec une canne de 
suisse. La pièce est jolie, dans le genre senti- 
mental qui nous a donné des pièces comme le 
Copiste^ la Partie cTéchecs^ etc. C'est l'histoire 
d^un vieux et modeste serviteur qui, dans des 
moments difficiles, a rendu des services à la 
famille de son maître, a vu élever les enfants, 
et qui, au moment où Ton va forcer la jeune 
Eugénie à se marier contre son gré, intervieat 
et fait pencher la balance du côté de sa jeune 
maltresse. L'acteur Davide Petito s'y montre 
très fin comédien, de la bonne et vieille école 
enfin, de celle à laquelle devait appartenir son 
frère. 

Le jeune Vincenzo Scarpetta termina le spec- 
tacle par une imitation de Frégoli dans une 
piécette de sa composition, où il remplit à la 
fois tous les personnages. Un jeune homme de 
la mala vita^ Ciccillo, veut épouser Carmela qui 
aime de son côté un jeune homme de bonne 
famille, Giulio, dont elle est aimée. Le guappo 
trouve les deux amants en un tendre colloque, 
provoque Giulio, et le tue dans une boutique de 
marchand de vin. Tous ces rôles sont tenus 
naturellement par Scarpotta fils, qui s'y montre 
fort adroit, ainsi que dans le type d'un vieux 



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292 LE THEATRE NAPOLITAIN 

septuagénaire de Santa Lucia. La toile tombe, 
et au même moment Fauteur applaudit sa pièce 
dans une loge du second rang où on ne Ta pas 
vu arriver. Cette fantaisie s'appelle Au clair de 
lune. . 

Scarpetla père est entouré de bons artistes : 
de Grescenzo, qui appartint au San Garlino, et qui 
excelle dans les rôles de paysans ; Délia Rossa, 
très bon dans les types de savetier, et autres, 
mais qui a le défaut d'être toujours un peu le 
même. Vincenzo Scarpetta, très intelligent, très 
adroit, jeune premier comique d'avenir, mais 
qui imite trop les tics de son père. — Qui lui 
en voudrait? Aura certainement, avec le temps, 
plus d'originalité personnelle. 

Quant au côté féminin, comme je Tai déjà 
fait remarquer au Nuovo, il est convenable, mais 
très faible. La femme dans le théâtre napolitain^ 
comme dans la vie napolitaine d'ailleurs, occupe 
une si petite place qu'elle ne compteras. 

M. Scarpetta porté aux nues par les uns, dé- 
nigré outre mesure par les autresf, ne mérite, 
à mon avis,... ni cet excès d'honneur, ni cette 
indignité. 

C'est avant tout un travailleur opiniâtre et un 
bon comique. Voilà ce qu'il faut dire. Chez lui 



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NOUVEAUX MÉMOIRES DE SCARPETTA 293 

on joue la comédie à la moderne, décemment, 
proprement. C'est de l'ouvrage bien fait. Maïs 
le jour où il consentira à mettre sur ses affiches 
les noms des vrais auteurs dont il « réduit » les 
pièces — au lieu du sien seul, — je l'applaudirai 
encore plus fort. 



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XVIII 

LES PETITS THÉÂTRES. — LA FENICE 



Une imitation de Don Felice. — Le petit théâtre de la Fenice. 

— La famille Gaudiosi. — Le Fruit défendu. — La Caisse 
de V oncle Gennaro. — Une affiche de Gaudiosi. — Compte 
rendu de la pièce. — Marietta Gaudiosi. — Le concert final. 

— Le théâtre fermé. — Le théâtre Partenope. — Le Buffo 
Turzillo. — Pauvreté de la mise en scène. — Ce qui reste 
à traiter. 



Don Felice devait avoir des imitateurs; il en 
eut. Et c'est ainsi que le jeune Girolamo Gau- 
diosi était à son tour directeur, acteur, auteur, 
quand je le vis au miniscule théâtre de La Fenice 
qui mérite bien quelques lignes de description. 
Figurez-vous, à deux pas de THôtel de Ville et 
de la grande galerie, dans upe des rues les plus 
fréquentées de Naples, une sorte de vestibule tout 
en glaces, décoré dans le genre mauresque. Un 
escalier assez étroit s'enfonce dans les entrailles 
du sous-sol, et nous voici dans une toute petite 
bonbonnière. Je ne me rappelle pas avoir vu 



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296 LE THEATRE NAPOLITAIN 

nulle part un théâtre si petit. La scène a bien 
cinq à six mètres de large et peut-être autant de 
hauteur; les spectateurs. du second étage — le 
dernier, — courbent la tête pour ne pas toucher le 
plafond. Bref, on peut bien entasser là cent cin- 
quante à deux cents personnes, mais je tremble 
à ridée d'une catastrophe survenant dans cette 
cave, ayec un escalier si étroit pour tout déga- 
gement. Seules les personnes du second rang, 
doubles loges sont au niveau de la rue, auraient 
quelque chance de s'échapper. 

Comment un imprésario peut-il faire^ assez de 
recette — malgré ses deux représentations — 
pour couvrir ses frais, voilà ce que je ne me 
charge pas d'expliquer. Il est bon d'ajouter que 
les directions éphémères qui s'y succèdent ne 
sont jamais venues à bout de résoudre le pro- 
blème. 

Au moment de mon arrivée, le petit théâtre 
de La Fenice était donc occupé par la tribu des 
Gaudiosi. Quand je dis tribu, c'est que je ne 
trouve pas d'autre mot : il y a Marietta Gau- 
diosi, la jeune première dont les yeux noirs 
semblent faire le tour de la tête ; Girolamo, son 
frère, qui tient l'emploi de Don Felice, se pro- 
diguant, se mettant à toutes les sauces ; puis une 



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LES PETITS THEATRES. — LA FENICE 2'J7 

série de frères, de sœurs, absolument dénués de 



Marietta Gaudiosi (caricature). 

toul sens dramatique, qui bouchent les trous; 
puis un ancien acteur du San Carlino, Antonio 

17. 



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298 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Uilzi qui tient convenablement l'emploi des 
financiers. Mais tout cela manque de sérieux. On 
dirait la petite classe à Theure de la récréation. 
On cligne de l'œil aux amis qui sont' dans la 
salle, on regarde aux galeries, un peu plus on 
se tendrait la main par-dessus la rampe, par-des- 
sus la tête des cinq ou six musiciens : le théâtre 
est si mignon. Enfin, pou"r faire venir le monde^ 
on afifecte de se donner parfois un air de cas- 
cade — sur l'affiche — car tout se passe abso- 
lument convenablement. Un jour, par exemple» 
vous lisez à la porte : 

LE FRUIT DÉFENDU 

COMÉDIE LICENCIEUSE EN TROIS ACTES 

Cet adjectif accolé au mot comédie suffirait 
seul à faire accourir les vieux messieurs et les 
jeunes collégiens, si tout cela se passait autre 
part qu'à Naples. Ici ça ne tire absolument à 
aucune conséquence. Yous entrez, et vous vous 
trouvez assis à côté d'un ecclésiastique qui n'a 
même pas pris la peine de dissimuler son costume. 
Ces choses là sont monnaie courante, et Ton 
n'y fait pas attention. Quant à ladite comédie 
« licencieuse » où Gaudiosi se fait appeler Don 



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LES PETITS THÉÂTRES. LA FENICE 299 

Felice, c'est une imitation quelconque d'une 
pièce française qu'on a bien pris garde de nom- 
mer. Il me suffira d'en citer les principaux traits 
pour que vous mettiez de suite sur ce^e pièce 
une étiquette quelconque. 

D. Liborio qui entretient des relations avec 
une cocotte, — c'est encore le mot à la mode à 
Naples — Erminia, marie sa fille avec une 
espèce dç nigaud du nom de Felice. 11 bénit le 
jeune couple, et, recevant une dépèche qui le 
force de partir, laisse les nouveaux époux dans 
un hôtel où ils doivent passer leur nuit de noce. 
Béatrice est pure comme l'enfant qui vient de 
naître, mais elle avait soupiré, en tout bien tout 
honneur, avec Eduardo, un compositeur incom- 
pris parti en Amérique pour faire fortune. Or, 
par une de ces coïncidences qui se produisent 
si souvent dans .les vaudevilles, voici que, dans 
cet hôtel, Béatrice est mise subitement en pré- 
sence d'Eduardo qu'elle suppose riche, par-des- 
sus le marché, alors que le malheureux n'a plus 
que 3 fr. 60 pour toute fortune. Emportée par un 
bel élan la jeune fille se dépouille de son bou- 
quet de fleurs d'oranger qu'elle place sous un 
globe — où il restera, — et jure de n'appartenir 
qu'à Eduardo. 



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300 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

D. Felîce, le mari, attend avec impatience 
l'heure du berger, mais, traité de haut en bas 
par sa femme, se voit refuser la moindre pri- 
vante. Eduardo, cause involontaire de tout ce 
mal, survient; alors Béatrice, très digne, se retire 
dans son appartement, tandis que les deux 
hommes, installés chacun dans un fauteuil, 
passent la nuit à monter la garde à la porte de 
la chambre qui aurait dû être nuptiale. Etonne- 
ment du père qui, retour de voyage, apprend 
de la bouche de sa fille que les choses en sont 
toujours au point où il les a laissées. Jamais il 
n'aurait cru D. Feliçe capable d'un semblable 
oubli de ses devoirs, et il cherche à le confesser. 
La scène est drôle. Mais il ne lui arrache que 
des larmes, et il met cette insuffisance sur le 
compte de sa grande timidité. Cependant D. Li- 
borio connaît un moyen infaillible pour donner 
du courage aux plus hésitants : il s'agit simple- 
ment de chanter un certain couplet au bon 
moment ; ce couplet donne de l'audace, et 
D. Liborio et un ami se chargent de le reprendre 
en chœur dans la coulisse avec accompagnement 
de guitare. C'est absurde, mais le public qui ne 
demande pas à raisonner n'en est pas moins pris 
d'un fou rire ; mis de nouveau en présence de sa 



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LES PETItS THÉÂTRES. LA FENICE 301 

femme, D. Felice s'enhardiL altaque le fameux 



Girolamo Gaudiosi (Don Felice). 

couplet, et conquiert un amour qu'il croyait 
déjà bien compromis. 



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302 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Mais le grand succès de cette saison fut 
incontestablement la Caisse de ronde Gennaro 
dont Gaudiosi se proclama l'auteur, et qu'il 
annonçait à ses concitoyens par. des réclames 
dans le genre de celles-ci : (on se rappelle 
qu'un astronome avait annoncé la fin du monde , 
pour le mois de novembre 1899). 

« Napolitains! 
« La Caisse de ronde Gennaro se représentera 
ce soir au théâtre de La Fenice pour la 56® fois, 
et si demain n'arrive pas la 

FIN DU MONDE 

on la jouera encore beaucoup d'autres soirs. 
Cette comédie, plus que toutes les autres comé- 
dies originales, m'a procuré de bien vives 
démonstrations d'affection et les éloges flatteurs 
de toute la presse que je n'oublierai jamai^ ; 
aussi je ne sais comment vous dire merci, merci 
de tout mon cœur. Mais encouragé par ces 
marques de sympathie, je ne cesserai de travail- 
ler pour vous, mes chers concitoyens, orgueil- 
leux de pouvoir montrer aux français que tous 
les auteurs italiens n'ont pas besoin de recourir 
à leurs comédies. 

« GIROLAMO GAUDIOSI » 



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LES PETITS THEATRES. — LA FENICE 

Il est clair que tous les passants attirés 
ces trois mots Fin du monde s'approchaier 
lisaient la proclamation. Et avez-vous con 
Tallusion à l'adresse du voisin : « tous les aul 
italiens n'ont pas besoin de recourir aux c< 
dies d'origine française. » 

Attrape Scarpetta ! Il ne nous , manque 
que les Mémoires de Gaudiosi, à présent. J 
patience ! 

Vous pensez si j'ai voulu voir comi 
Gaudjosi se passait des français : à vrai 
je connaissais bien quelque chose dans 
genre-là dans le répertoire non pas fran 
mais espagnol. Il y a une certaine zarzuela 
Chaleco blanco^ le gilet blanc, où tous les 
sonnages cherchent pendant deux actes un 1 
sorti à la loterie avec le gros lot. Ce billet i 
laissé dans la poche d'un gilet blanc, et ce 
blanc passe par toutes sortes de mains. Ma 
discutons pas l'argument, et prenons-le tel 
nous le donne Gaudiosi. 

A Casciulella, en napolitain, c'est la caiss< 
coffre, l'espèce de malle qui sert à un expédi 
D. Felice, naïf, bon enfant, malheureux et 
place, vient se proposer comme garçon che 
cafetier-confiseur comme il en existe ta 



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304 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Naples. Il n'a pas mangé depuis deux jours : il 
chipe les petits fours, plonge les doigts dans les 
crèmes, et est enfin accepté aux modestes émolu- 
ments de quarante-cinq francs par mois. On lui 
passe un habit trop large, une cravate blanche 
ridicule, et quand il est accoutré comme l'Au- 
guste du cirque il devient amoureux fou de la 
demoiselle de la maison. Ce fait, assez naturel 
en lui-même, Tamène à relâcher joliment ses 
devoirs professionnels. Il ne répond plus à Tap- 
pel de ses clients, leur arrache des mayis le 
journal pour essuyer ses tables, fait mille extra- 
vagances jusqu'au moment où le patron se dé- 
cide à lui donner son congé. C'est alors qu'ar- 
rive d'Amérique une caisse mystérieuse à l'a- 
dresse de D. Felice, d'Amérique où D. Felice a 
un oncle auquel il a fait part de sa triste situa- 
tion. Une lettre, qui accompagne Tenvoi, ne con- 
tient malheureusement que ces mois : <c Mon 
ami, je t'envoie un déguisement pour le carna- 
val. » Et de fait, la fameuse caisse ne contient 
qu'un costume de Turc. 

. Désillusionné, brisé par la douleur, sans place 
de nouveau, Don Felice ne parle rien moins que 
d'aller se jeter dans la mer. Son désespoir sin- 
cère parvient à émouvoir le confiseur qui le re- 



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LES PETITS THÉÂTRES. — LE FENICE 307 

prend à son service, mais D. Felice ne voulant 
plus avoir devant les yeux ce maudit costume 
de Turc en fait cadeau à la bonne qui le vend 
elle-même à une dame d'allures assez dégagées 
qui donne ses rendez-vous d'amour dans cette 
confiserie. 

A peine cet énigmatique costume est-il vendu 
que le commissionnaire qui a apporté la caisse 
revient avec une seconde lettre qu'il a oublié de 
remettre : Toncle Gemiaro qui est un fier ori- 
ginal avait caché cent mille francs dans une des 
poches ou doublures du costume. 

Tel est le point de départ, qui en vaut bien 
un autre. C'est le Chapeau de paille d'Italie pré- 
senté d'une façon nouvelle ; et nous allons assis- 
ter à une course folle de tous les personnages de 
la pièce après le précieux costume de Turc qui 
ne se retrouvera qu'à la fin du troisième acte 
et dernier. 

. L'analyse des autres pièces que je vis repré- 
senter à ce théâtre ne vous apprendrait rien de 
nouveau : Mademoiselle Carainbo^ comédie licen- 
cieuse, dit encore Taffiche, et réduction du Para- 
dis ; Nous sommes avec Papa via Chiaia it 339 
his ; Tous au bal masqué ; les Petites pêcheuses 
napolitaines^ etc. La plupart de ces pièces sont 



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308 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

signées de Girolamo Gaudiosi. C'est le système 
déjà décrit par nous et qui consiste à prendre son 
bien où on le trouve. 

Une seule concession est faite à Tancien 
théâtre : c'est celle de VAnselmo bégayant, à lu- 
nettes bleues, remplissant généralement l'emploi 
de domestique, rôle bien tenu par un artiste, du 
norii de G. Pica. 

La grâce aimable de. Marietta Gaudiosi, Taîr 
bon enfant de son frère Girolamo qui la plupart 
du temps ne sait pas ses rôles mais improvise sans 
se déconcerter pour cela, de jeunes et frais vi- 
sages de sympathiques personnes qui ne se sont 
jamais douté de ce que peut bien être l'art drama- 
tique, un public bienveillant qui ignore la cri- 
tique, tels sont les éléments très divers qui se 
donnent rendez-vous dans cette cave où chacun 
se trouve comme en famille — dans la famille des 
Gaudiosi. . 

Un jour c'est une chanteuisede café-concért à . 
qui il prend la fantaisie de jouer la comédie — où 
elle se montre absolument inexperte du reste, — 
et l'on décore tout le petit théâtre de jolies guir- 
landes de fleurs naturelles du haut en bas; une 
autre fois l'on renforce le spectacle d'un ou de 
deux numéros de variétés^ car Ton ne saurait se 



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LES PETITS THEATRES. LA FENICE 30^^ 

passer du concert final : c'est une canzonettisi 
dig?'azia^uue excentrique, un couple quelconqu 
une chanteuse -napolitaine, et presque toujoui 
de jeunes et jolies femmes. 

Puis un beau jour, aux approches du Carnava 
je vis le petit théâtre fermé : les Gaudiosi s'^ 
talent envolés vers d'autres rivages et, pauvre 
cigales, avaient fini de chanter... provisoiremen 

Don Felice II n'avait pas encore détrôné Do 
Felice I, son grand rival. 

Poursuivant mes investigations, je voulus m 
rendre compte de ce qui se passait du côté d 
théâtre Partenope, place Cavour. Encore u 
théâtre où il faut descendre un étage pour se trou 
ver aux fauteuils d'orchestre. Et par quel esc? 
lier, grands dieux! Qu'arriverait-il dans de pa 
reilles salles en cas d'accident! Le genre adopt 
là est le genre du théâtre Nuovo, c'est-à-dire 1 
vieux répertoire napolitain mais avec des éle 
ments très secondaires. Le Pulcinella qui port 
uu nom illustre dans les annales du théâtre napc 
litain n'a de ses ancêtres — de son oncle, je croi 
— que le nom : il est quelconque. On lui a join 
dans toutes les pièces un personnage de ba 
comique, le Buff'o Tiirzillo^ rôle tenu toujour 



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310 LE THEATRE NAPOLITAIN 

par un même acteur de genre trivial. C^est Ja 
queue rouge de dernière catégorie. La mise en 
scène est au-dessous de tout ce que Ton peut 
imaginer, les acteurs qui changent tous les jours 
de pièces ne savent pas un mot de leurs rôles — 
et la salle était pleine et le public s'amusait. 

Quant au Mercadante, place Cavour, je l'ai 
presque toujours vu fermé. 

Me voici arrivé jusqu'au terme de mon voyage 
à travers le théâtre purement napolitain ; et ce- 
pendant il me reste à vous entretenir encore de 
deux sujets que je ne puis passer sous silence 
parce qu'ils sont tous deux d'une essence très 
particulière : je veux parler du drame populaire 
et des Pastorales. 



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XIX 

LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 
LA FONDATION DE LA CAMORRA 



Le cav. Federico Stella. — Une troupe de drame. — J^e 
théâtre San Ferdinando. — La Fondation de la Camorra à 
Naples. — Un programme corsé. — Mœurs et coutumes des 
camorristes. — Compte rendu de la pièce. -^ Ensemble de 
la compagnie. — Une grande actrice de drame. — M"»« A. Laz- 
zari. 



Il est^ à Naples, une entreprise dramatique 
très digne d'intérêt : c'est celle du Cavalière 
Federico Stella, directeur et artiste dramatique, 
qui a la spécialité de représenter des drames po- 
pulaires. Il y a seize ans, m'a-t-on dit, qu'il s'est 
fixé dans celle ville — ce qui est déjà un tour 
de force pour un directeur italien, obligé d'ordi- 
naire à se déplacer chaque mois avec sa troupe 
— faisant au théâtre San Ferdinando un travail 
analogue à celui de nos troupes de banlieue. 
Situé dans un quartier très populaire, non loin 
de la Porta Capuana, ce théâtre San Ferdinando 



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312 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

a, du reste, toutes les qualités requises. Il est 
assez grand, sans exagération , et le prix dei^ places 
y est à la portée de toutes les bourses. On y joue 
deux fois par jour, à six heures et à neuf heures. 

Évidemment je ne vous dirai pas qu'on y voit 
beaucoup d'habits noirs aux fauteuils, ni de toi- 
lette décolletées diins les loges ; la foule y est 
houleuse^ sans excès; des senteurs d'ail ou d'écha- 
lotte flottent vaguement dans les airs, et les par- 
fums qui s'échappent des tignasses ébouriffées 
des spectatrices rappellent plutôt les déballages 
des foires et des bazars au rabais que les ma- 
gasins de Piver ou d'Houbigant. Mais enfin ! ce 
serait ridicule d'exiger dans un théâtre de ce 
genre les élégances du San Carlo. 

J'hésitai longtemps à y aller pour deux raisons : 
la première c'est que ce théâtre se trouve exces- 
sivement loin delà Ri viera de Chiaia où je demeu- 
rais, — : à deux pas de cet Arco Mirelli où naquit 
Lablache — et la seconde c'est que je ne me 
souciais pas de faire ce voyage pour assister à un 
de nos vieux mélos. Je voulais au moins voir ua 
drame populaire franchement napolitain* Aussi 
je ne pus résister à la tentation en présence de 
l'affiche suivante dont je m'en voudrais de retran- 
cher un seul mot : L , , , 1 



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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 313 

LA FONDATION 

DE LA CAMORRA A NAPLES 

Drame populaire en un prologue, deux parties et six actes 
de Eduardo Minichini. 

Prologue. — Les prisons de la Vicaria en 
Fan 1739. — Importation étrangère. — Les 
bases de la secte. 

Acte premier. — Première partie. 1740. — 
Auprès de la fontaine de S. Caterinaa Formiello. 
Une famille pauvre et le Chiazzere. Le départ 
des volontaires pour Vellélri. La femme honnête 
et l'homme de mauvaise vie. Le moine et les 
camorristes... 

Acte II. — Première partie. — Une année 
après. Qui vivra verra. Le droit* du plus fort. 
Vendue comme une esclave ! Le revenant! Hon- 
neur et férocité. Les zeppole^ de saint Joseph. 

Acte III. — Première partie. — La prison de 
S. Onofrio. Usages, abus et brutalités. Dissenti- 
ments entre les paranze (nom des sections ou 
chambrées des camorristes). Faits et gestes de la 



* Nom d'une sorte de beignet que Ton mange spécialement à 
l'occasion de la Saint-Joseph. 

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314 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

mala vita. Déclaration à main armée. Le chef 
intérimaire de journée. 

Acte IV. — Seconde partie. 4752. — Haine 
héréditaire. Le mouchoir ensanglanté. Amour et 
perfidie. L'héritier de la victime. Chute d'un, 
ange. Le plus grand des outrages. Staccariello 
et Frère Manisco. 

Acte V. — Seconde partie. — La cave de San 
Giovannaro. Convocation du conseil suprême, 
le chef en tète et les chambrées réunies. For- 
mules, rites et serment d'admi&sion. Avancement 
en grade. L'obéissance ! Retour du bagne. Juge- 
ment sommaire. Accusation et défense. 

Acte VL — Gravement blessé. Délibération de 
la noble et 5a^e société. Cassé en grade, droits et 
fonctions. Condamné à dormir. Dernière preuve. 
La hyène et le lion. La haine vaincue par Famour. 
Camorrisle et père. 

Suivait la liste de quarante personnages, dont 
les surnoms imagés rappelaient pour la plupart 
ceux que prennent chez nous les cambrioleurs. 
Puis, par le détail,. cette affiche me faisait peni^r 
aux images d'Epinal. 



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LE DRAJtfE POPULAIRE NAPOLITAIN 315 

Inutile de vous dire que la salle, ce soir-là, 
était bondée. 

L'auteur veut d'abord nous prouver que la 
Camorra, créée sur le modèle de la Société de 
Jésus, impose à ses adhérents un long noviciat, 
Tobéissance passive, le renoncement absolu, et 
qu'elle a été introduite à Naples à l'époque des 
vice-rois espagnols. Il est certain qu'en espa^ 
^nol le mot camorra signifie abus de force, dis- 
pute, rixe, sans parler d'une courte veste de 
toile qui fut longtemps le signe distinctif des 
camorristes. De même le mot giiappo qui, en 
napolitain, sert souvent à indiquer un alphonse 
de bas étage — dont nous avons fait gouape — 
vient incontestablement de l'adjectif espagnol 
gnapo par lequel on désigne un joli garçon. 

Tout napolitain qui se respecte repousse donc 
véhemment l'accusation que Ton a formulée 
contre Naples d'avoir créé la camorra, « L'orga- 
nisation de la secte de la camorra^ déclare aussi 
M. d'Addosio qui s'est beaucoup occupé de cette 
question, est une imitation très fidèle et com- 
plète de la société secrète espagnole La Guar- 
dima, » Or celte dernière avait été constituée en 
1417 à Tolède et se composait de tous les malan- 
drins recrutés aux galères de Séville, de Malaga 



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3H> LE THKATRE NAPOLITAIN 

et de Manille; elle s'étendit ensuite jusqu'à Ma- 
drid*. 

La Guarduna avait un chef élu appelé /Ter- 
mano mayor (frère majeur) des capitaines, des 
yuapos^ des postulants. La compagnie se quali- 
fiait de honoranda, de même que la camorra se 
qualifie du onorecole (honorabre) et un récent 
article du Secolo'^ va même jusqu'à prétendre que 
le bouffon de Charles-Quint El Comillado ne fut 
pas étranger à la rédaction des statuts de la fa- 
meuse Société en Espagne. 

Quoi qu'il en soit, les usages et coutumes des 
camorristes étant parfaitement connus ainsi que 
le prouve le livre de M. le docteur De Blasio, 
chef du service anthropométrique à Naples*, il 
est bien certain qu'il n'est pas difficile à un ro- 
mancier d'un peu d'imagination de les décrire 
tout eil enjolivant son sujet. 

Dans le drame eu question, nous voyons tout 
d'abord les prisons de la Vicaria en 1739. Les 
prisonniers condamnés à Tinaction, comme dans 
les prisons de la plupart des pays méridionaux. 



* V. Gimino. Giornale napoletano dl filosofia lellet^e» année 
1880. 

* // Secolo, 19-20 janvier 1900, sous la signature Das. 
^ Usi e costumi dei camorristi. 



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18. 



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'À 



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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 319 

sont assis ou couchés sur leurs lits dans le désœu- 
vrement le plus complet. Un certain Cotafdillo 
Rinconele surnommé Chamurro a pris un empire 
extraordinaire sur ses compagnons de captivité 
qu'il fait obéir au doigt et à Tceil. Il giffle Tun, 
boit le contenu du verre de l'autre, extorque un 
ducat àun troisième, ettout premier venu est forcé 
de lui remettre de l'argent pour Volio délia lampa, 
l'huile de. la madone, c'est-à-dire de vider ses 
poches. C'est ainsi qu'il arrive à constituer à son 
profit, puis au profit de ses adeptes, une société 
qui n'a pour but que l'exploitation des détenus 
non affiliés; et comme les camorristes avaient 
toujours des poignards ou mieux des couteaux à 
leur disposition l'auteur nous fait assister aussi à 
quelques luttes entre chambrées. Tous ces détails 
prouvés par documents officiels * n'ont d'ailleurs 
rien d'exagéré, y compris le serment d'initiation 
sur le crucifix, ce qui donne lieu à une scène 
assez pittoresque. 

L'acte qui se passe à la fontaine de S. Caterina 
a Formiello n'est pas moins original dans son 
genre : nous voyons exercer ici tous les petits 
métiers de la rue : Voici le savetier napolitain 

* Marc Monnier, Marcellin Pellet, bien d'autres encore. 



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320 LE THEATRE NAPOLITAIN 

installé devant sa porte, puis le marchand de 
friture, la femme qui change la monnaie au 
coin des carrefours, le cireur de bottes qui ne 
parle jamais mais frappe avec sa brosse sur sa 
boîte afin d'attirer l'attention du client (un coup 
pour changer de pied, deux coups pour indiquer 
que Topération est terminée), le capucin, son sac 
en toile sur Fépaule, allant recueillir déporte en 
porte des provisions ou des aumônes, recevant 
les confidences de tout le monde. C'est bien 
Naples vivant et grouillant que nous avons là 
devant nous. 

La femme de Pasquale Caccaviello, brave 
ouvrière sans travail, est sur le point d'être 
expulsée de son misérable logis faute de paiement; 
en vain Alfonso Maietta dit le ChiazzerOy son 
infâme propriétaire, lui fait-il comprendre qu'il 
ne dépendrait que d'elle d'avoir sa quittance. La 
malheureuse repousse les propositions deshon- 
nêtes de ce bellâtre. Pendant ce temps, le mari, 
voulant donner du pain à sa femme, fait un 
coup de tête : des volontaires partent pour 
Vellétri : Pasquale se vend et apporte l'argent de 
son enrôlement au moment où la pauvre Giusep- 
pina allait être jetée à la rue avec son enfant. 
Les camorristes dont le Chiazzero fait partie sont 



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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 321 

furieux de voir un des leurs éconduit, et le 
moine Manisco qui invoque sans cesse saint 
François les pourchasse à coups de corde à la 
grande hilarité des galeries. 

Une année s'est passée, et Ton n'a plus 
entendu parler de Pasquale. Sa femme, sa belle- 
mère, son enfant ont pris le deuil. Poussée par 
la nécessité^ celle qui se croit veuve a dû céder 
aux instances du Ghiazzero, qui, lui aussi, a un 
enfant d'une autre union, un jeune fils; quand 
voici que dans cette maison où règne une douce . 
aisance survient un nouveau venu : c'est Pas- 
quale, qui, blessé, fait prisonnier, est de retour. 
Inquiet, soupçonneux, il veut des explications, 
et c'est sa propre fille qui lui apprend, incons- 
ciemment, qu'il y a un autre « papa » au logis. 
Fou de douleur, Pasquale saisit un rasoir, 
entraine sa femme dans Talcôve, réapparaît 
hagard, et se lave les mains derrière le dos, sans 
oser regarder, à cause du sang. 

Cependant Alfonso, le Ghiazzero, revient avec 
les camorristes ses amis qu'il a invités à un ban- 
quet à Toccasion dé la Saint-Joseph, la fête de 
Giuseppina, mais il trouve la place occupée par 
Pasquale qui, tirant les rideaux, lui laisse voir 
sur une table la tête de ceHe-ci, tandis que le 



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322 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

corps gît plus loin; les camorristes reculent de 
terreur, et Pasquale tue son rival. 

Pourquoi ce même Pasquale condamné à 
12 ans de bagne se fait-il à son tour recevoir de 
la Camorra dans la prison de Saint-Onofrio ? Nous 
le saurons un peu plus tard. En attendant, nous 
voici en 1752, dit le programme, La fille de Pas- 
quale qui a été élevée par sa grand' mère avoue 
à celle-ci ainsi qu'au frère Manisco qu'elle a eu 
la faiblesse d'écouter les propos d'un jeune amou- 
reux. Et cet -amoureux, vous l'avez deviné sans 
peine, c'est le propre fils du Chîazzero. 
. Le cinquième acte nous fait assister à une de 
ces séances secrètes de la Camorru dont le public 
est si friand. Le grand chef préside le conseil 
suprême assisté des chefs Aq chambrées. L'auteur 
se complaît à faire exécuter les formules puériles 
d'admission dans la secte : l'un doit se faire 
saigner, Tautre boire un breuvage réputé empoi- 
sonné, celui-ci se laisser mettre en joue, celui- 
là ramasser une pièce de monnaie sous la menace 
de quatre poignards. Nous attendons l'arrivée 
du bagne de D. Pasquale, et de fait le voici. S'il 
n'eût pas fait partie de la Camorra il n'eut pas 
pu venir demander vengeance à ce tribunal. Il 
vient pour accuser le séducteur de sa fille, et 



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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 323 

l'assemblée qui ne badine pas avec Thonneur des 
filles prononce la peine de mort. Pasquale, plus 
généreux, réclame un duel au couteau. Mais au 
moment oîi il va atteindre son adversaire il esl 
frappé d'une balle quelui envoie l'oncle du jeune 
homme, le propre frère de ce Chiazzero tué 
jadis par Pasquale. 

Au sixième acte enfin, nous voyons Pasquale, 
gravement blessé, soigné par sa fille, mais ses 
deux ennemis déguisés en moines viennent jus- 
qu'à son chevet pour l'achever. L'auteur a com- 
pris lui-même sans doute que la coupe était 
pleine, que le méchant devait être puni et l'inno- 
cent récompensé — d'autant plus que les spec- 
tateurs de la seconde « fournée » s'impatientent 
à la porte du théâtre. Pasquale, aidé par Frère 
Manisco qui survient comme un Deus ex 
machiner aura la force de tenir en respect ses 
deux adversaires. Le jeune homme demandera 
pardon de ses fautes, épousera celle qu'il a séduite 
et promettra de devenir bon père et le reste. 
Quant à son oncle le traître — il disparaîtra pour- 
suivi parles huées et les sifflets des galeries. Pas- 
quale, guéri, se fera capucin, et entrera au cou- 
vent de Frère Manisco. 

Voilà un drame bien napolitain, et corsé ! Tout 



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32i LK THEATRE NAPOLITAIN 

compte fait, est-ce plus mauvais que ce que Toq 
voit chez nous en ce genre? Je ne le pense pas. 
Vous me direz que cette pièce, écrite à la diable, 
ne prouve rien. Elle amuse à la façon des images 
dont je parlais pins haut. On n'en demande pas 
davantage et c'est tout à fait ce qui convient à 
cette sorte de public qui ne comprendrait rien 
aux finesses ni aux sous-entendus. La pièce, de 
plus, est jouée avec un remarquable ensemble 
par des artistes rompus à ce genre de travail. Le 
cavalier Stella, qui m'a semblé un peu fatigué, 
est un artiste habile, adroit, intelligent. Mais je 
n'aurai jamais assez d'éloges pour le talent hors 
de pair de M"® A. Lazzari. Une femme jeune 
encore, douée d'une voix merveilleusement 
timbrée, Tîdéal rêvé de l'actrice de drame, qui 
tient ce rôle de Giuseppîna, la femme de Pasquale, 
avec une autorité incontestable. 

On s'étonnera peut-être de rencontrer dans un 
théâtre de la banlieue de Naples une comédienne 
de cette valeur? Mais, en y réfléchissant, quelle 
est donc la troupe italienne qui joue uniquement 
le drame — et le drame populaire — comme 
celle-ci ? Eh bien ! le croiriez-vous, personne en 
Italie, ni à Naples même, ne m'avait parlé de 
M°*® Lazzari, et il m'a fallu ce hasard et cette 



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PUol. Cav. tllore l'cace, .Nazies. 

M-"" Lazzari, 
première actrice du théâtre San Ferdinando à Naplcs. 



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LE DRAME POPULAIRE NAPOLITAIN 327 

Fondation de la Camorra pour aller découvrir 
qu'il existait dans cet humble quartier de Naples 
une actrice de drame de premier ordre qui ne se 
doute peut-être pas elle-même de toute sa valeur ! 



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XX 

ENCORE LE DRAME POPULAIRE 
LA BELLE DE LA PORTA CAPUAN/^ 



Le Politeama. — Un théâtre en haut d'un escalier. -- Des 
tion de la salle. — La Belle de la Porta Capuana. — A 
du quartier de la porte de ce nom. — Compte rendu ^ 
pièce. — Amour, retour du bagne et coups de couteaux ] 
chés. — Que de couteaux, trop de couteaux ! — Rén 
cences des vieux mélos. — Drame intéressant. — Ei 
M"»» A . Lazzari . 



Les premières impressions n*étant pas I 
jours très exactes, j'ai voulu me rendre com 
à peu de jours d'intervalle, si je ne m'étais 
trompé sur l'ensemble de la troupe de dr 
populaire du Cav. Stella et sur le talent 
M"*® A. Lazzari. Je suis retourné voir ces arti 
au moment où ils donnaient une série de re 
sentations au Politeama de Naples à Tocca 
des fêtes de Noël et du jour de Tan. 

Le Politeama est un immense théâtre 
mieux une espèce de cirque qui se trouve 



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330 LE THEATRE NAPOLITAIN 

les hauteurs du quartier de Pizzofalçoae. — On 
y parvient par un escalier de cent marches si Ton 
vient de la Via Ghiaia, à cause des différences 
de nivellement — et dans cet escalier d'une 
propreté difficile à exiger à Naples, on rencontre 
généralement des troupeaux de chèvres qui 
montent ou descendent. Au moment de mon 
départ on inaugurait un ascenseur. Si Ton ne 
veut pas prendre l'escalier — ou l'ascenseur — 
on y arrive aussi par une pente douce qui relie 
ce quartier avec la place du Palais royal. Mais 
on peut bien vivre dix ans à Naples sans jamais 
découvrir où se trouve le Politeama indiqué seu- 
lement le soir par une himpe à arc. Vous passez 
sous cette lampe, vous prenez un long tunnel 
éclairé, blanchi à la chaux, et vous arrivez dans 
une cour. Là, vous montez un escalier, très 
large, et vous pénétrez dans une salle immense, 
de forme ronde, sux laquelle s'ouvrent cent cinq 
loges réparties en trois étages. Dans le parterre, 
très évasé, il y a bien place pour mille per- 
sonnes. J'arrive très exactement à six heures. 
La salle est comble. Dix musiciens, le chapeau 
sur la tête, nous gratifient de marches quelcon- 
ques. 
L'affiche nous annonce pour ce soir un autre 



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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 331 

drame — extra-populaire — si je puis m'expri- 
mer ainsi, et du directeur en personne. 

LA BELLE 

DE LA PORTA CAPUANA 
Drame populaire napolitain en six actes du Cavalier F. Stella. 

. TITRE DES ACTES 

Acte P^ : — Avarice, amour et jalousie. La 
vannière, , 

Acte IL — Les deux Calabrais. Le serment du 
moribond. 

Acte IIL — Le café des bons amis au Vico 
Lava. — Vice — Sacrifice et délit. 

Acte IV. — Amant, Père et Espion. Une 
histoire de sang. 

Acte V. — Inspiration ! lleconnaissance et 
amour. 

Acte VI. — La fille du martyr — Les deux 
lettres -^ Le baiser du pardon et Tempreinte du 
Vir/liacco. 

La scène à Naples, en 1821. 

CeMe Porta Capuana qui n'est autre que la 
Porte de Capoue, une vieille porte de Naples 
aujourd'hui enclavée dans la ville, joue un grand 



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332 hK THÉÂTRE NAPOLITAIN 

rôle dans Thistoire locale. Non à cause du mo- 
nument par lui-même, un arc, surmonté de la 
madone, et flanqué de cahutes, mais à cause de 
V ambiant — comme on dit ici. La place Mau- 
berL le quartier Mouffetard avaient jadis, chez 
nous, à peu près la même réputation. Celui qui 
passe, ne sachant rien de ce quartier, ne voit 
guère là qu'un petit marché ambulant, des 
marchands de friture et de légumes, des trai- 
teurs, d'humbles tavernes. Un vieux napolitain 
vous dirait que ce quartier fut, pendant long- 
temps, plus encore qu'il' ne Test aujourd'hui, 
car la pioche des démolisseurs a fait des trouées 
tout autour, le repaire de la basse prostitution, 
des souteneurs, des récidivis^tes, de toute une 
tourbe sans nom. Ce qui n'empêiche pas de nos 
jours de très honnêtes commerçants d'habiter 
le quartier de la Porta Capuana. Mais enfin^ 
ce nom seul, et la date — 1824 — nous font 
comprendre que l'auteur va nous donner un 
pendant aux Mystères de Paris — nous ne par- 
lons que du cadre, bien entendu — Le Camor- 
rista-Capo, c'est-à-dire le chef Camorrîsle de 
tout Naples, n'était choisi, il y a peu d'années 
encore, que parmi les camorristes de la Porta 
Capuana. Mais après la mort du fameux Ciccio 



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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 333 

survenue le S décembre 1892 il fut convenu en 
assemblée générale que ce privilège serait ac- 
cordé aièssi à la chambrée de Pendino (autre 
quartier de Naples), parce qu'il est avéré que 
dans ce quartier « o camorrista sape fa pure 
biiono'o dduvere sujo » le camorriste sait faire 
aussi bien son devoir ^ 

Le napolitain, en général, qu'il s'agisse de 
comédie, de farce ou de drame, se plaît à voir 
reproduits sur la scène les petits métiers de la 
rue. Un auteur, comme celui de ce soir, est tou- 
jours sûr de réussir en esquissant les types du 
cafetier populaire, de la marchande de châtai- 
gnes, du marchand de pizze, du verdummaro ou 
marchand de légumes, du marchand de pois- 
sons. Ce va et vient, ces gens qui annoncent en 
criant leur marchandise, ces commères au verbe 
haut, ce traiteur qui installe ses tables sur le 
trottoir au risque d'interrompre la circulation, 
c'est la vie de tous les jours. 

Venanzio Lésina, calabrais, est vannier. C'est 
un homme violent et brutal. 11 s'emporte à tout 
propos, se met dans une fureur désordonnée 



* La bossa et Valta Camoira, journal II Secolo, 19-20 jam-ier 
1900 et suivants. 

19. 



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334 LE THEATRE NAPOLITAIN 

parce qu*il a cassé la pointe de son couteau, et 
ainsi du reste. Il passe pour fort riche et avare. 
Une jeune personne, personnifiée parM^^A.Laz- 
zari, est considérée par tous comme sa fille. Elle 
est jolie, sage et vertueuse. C'est la Belle de la 
Porta Capiiana^ la belle vannière du quartier, 
qui tresse ses paniers d'osier sur le seuil de la 
boutique du calabrais, et n'est pas insensible 
aux aimables avances d'un autre calabrais, le 
jeune Luigi. 

Cependant Nanetta a'est pas la fille des époux 
Yenanzio Lésina. Un crime a été commis il y a 
une quinzaine d'années, en Calabre. C'était le 
temps des guerres civiles. Un baron, du nom de 
Falclii, a été assassiné et la famille de son frère 
exilée. Venanzio, pauvre la veille, était devenu 
subitement riche. Mais n'osant pas faire dispa- 
raître la fille de la victime, une enfant, il l'avait 
recueillie. Celte enfant, qui a grandi, c'est Na- 
netta. 

Le beau-frère de Venanzio, Gennaro Rocchi, 
revient du bagne, — L'excellent artiste Stella, 
qui tient ce rôle, revient du bagne dans toutes 
les pièces. — Il a été libéré avant son temps en 
raison de sa bonne conduite. A vrai dire, ce 
Venanzio est proche parent du Corradin de la 



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Les petits mciiers de la rue. Le marchand d'escargots. 



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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 337 

Morte Civile, Quoi qu'il en soit, mêlé à une rixe 
survenue par la faute d'un mauvais sujet du 
nom de Salvatore, il avait tué un homme : 
d'oii sa condamnation. Mais voici que le bruit 
est venu jusqu'au fond du bagne que sa femme 
avait un amant — situation identique à celle de 
Juan José décrite par nous dans notre Théâtre 
en Espagne. Il veut savoir le nom de cet amant, 
De plus, il a fait un serment à son ex- compa- 
gnon de chaîne, un vieux serviteur de la famille 
Falchi qui avait été condamné pour avoir voulu 
défendre son maître, le frère du baron, pendant 
cette insurrection. Il lui a donc juré, à son lit de 
mort, de retrouver le fils de son ancien maître, 
Luigi Falchi, et sa nièce qui n'est autre que 
Nanetta. Voilà bien de l'ouvrage pour une seule 
soirée ! 

Au troisième acte le théâtre est divisé en deux 
parties : à droite le « café des bons amis » où 
les habitués font leur partie de cartes, café 
borgne du quartier de la Porta Capuana. A 
gauche le Vico ou impasse Lava. La femme légi- 
time de Salvatore, ainsi que la pauvre Gervaise 
de V Assommoir^ vient rôder autour du café. Elle 
fait appeler son mari : elle n'a pas de pain pour 
elle ni pour ses enfants ; mais Salvatore pour 



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338 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

toute réponse la maltraite. A peine celle-ci est- 
elle éloignée que survient une seconde femme, 
— la femme du galérien Gennaro devenue la 
maîtresse de Salvatore. Elle a des appréhensions 
singulières, des pressentiments. Elle s'attend 
d'un moment à l'autre à voir revenir son mari 
du bagne bien que le temps ne soit pas encore 
expiré. Salvatore, pour la rassurer, lui promet 
Je partir ensemble pour Salerne, où ils seront 
au moins à l'abri des regards du monde et des 
recherches du mari quand il reviendra. 

Pendant ce temps Venanzio, le calabrais, con- 
çoit un projet infernal : il veut, coûte que coûte, 
faire disparaître Luigi Falchi avant que Gennaro 
le retrouve, car il y va de sa propre tranquillité et 
de sa fortune. Il vient donc trouver Salvatore qui, 
pour quelque argent, ne recule devant aucune 
besogne et se chargera d'administrer quelques 
bons coups de couteau à Luigi, tandis qu'en 
révélant à Gennaro le nom de Tamant de sa 
femme, il poussera ainsi Gennaro à assassiner 
Salvatore. 

Précisément Luigi vient, par hasard, dans le 
« café des bons amis ». Salvatore, heureux d'une 
si belle occasion, le provoque. Les assistants 
séparent les deux hommes et l'affaire n'a pas 



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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 339 

de suite. Mais voici qu'au dehors, dans le Vico, 
apparaît Gennaro qui a découvert le café de son 
rival. Il le fait appeler dans la rue, et là, face à 
face avec lui, à la lueur scintillante de la lampe 
qui brûle devant la madone du carrefour, lui 
rappelle son crime de jadis qui Ta fait con- 
damner, lui innocent, au bagne ; il lui reproche 
d'avoir profilé de cette absence pour lui ravir sa 
femme, et, sans lui donner le temps de répondre, 
lui mettant une main sur la bouche, lui plonge 
la lame de son couteau dans le cœur. Tout cela 
s'est passé en quelques minutes, et au moment 
où Salvatore tombe auprès de la petite lampe, 
Ton entend les Zampognatori qui jouent un air 
de cornemuse en Thonneur de la madone. 

Le coup fait, Gennaro s'est enfui dans la nuit. 
Un marchand d'habits qui passait a découvert 
le cadavre de Salvatore. Tous les voisins sont 
accourus avec des lumières, la femme légitime 
la toute première, poussant des cris sur le corps 
de son mari, et comme sa rivale veut s'en appro- 
cher à son tour : 

— Eloignez-vous, madame, lui dit-elle très 
digne. Vous m'avez pris mon mari vivant ! Lais- 
sez-moi au moins le cadavre de celui qui fut le 
père de mes enfants. 



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340 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Toute cette histoire nous a fait considérable- 
ment oublier les amours de la belle et sage Na- 
nelta et du jeune Luigi que Venaqzio cherche à 
écarter le plus possible. Les scènes de brutalité 
envers la jeune fille se succèdent, si bien que 
celle-ci jette enfin à la face de Venanzio cette 
apostrophe : — Non, vous n'êtes pas mon père, car 
un père ne parle pas ainsi à son enfant. 

Cependant vous devez bien penser que le dra- 
maturge ne nous a pas fait voir sans intention 
Luigi dans le café borgne des « bons amis » cinq 
minutes avantl'assassinat de Salvatore. La police 
recherche le criminel, veut savoir qui se trouvait 
alors avec la victime ; n'y" a-t-il pas eu, dans ce 
café même, une altercation entre Salvatore et 
Luigi? Plus de doute, la querelle aura continué 
au dehors, et Luigi est arrêté comme assassin 
présumé de Salvatore. La pauvre Nanetta ne 
comprend plus rien à ce qui se passe, et son éton- 
nement est au comble lorsqu'elle reçoit en l'ab- 
sence de Venanzio, à qui elle était destinée, une 
lettre mystérieuse, sans signature, et conçue à 
peu près en ces termes : « Tu ne me reverras 
plus ; souviens-toi de la nuit de telle date, et pro- 
tège l'enfant que le sort t'a confiée. » 

Le dernier acte, qui se passe chez le juge 



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Les Zampognatori, joueurs de musette devant la madone. 



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ENCORE LE DRAME POPULAIRE 343 

d'instruction, nous fait assister au défilé de tous 
les témoins sérieux et comiques. Il importe 
d'abord de savoir quel est cet assassin présumé, 
ce Luigi qui est bien forcé de confesser qu'il n'est 
autre que Luigi Falchi dont la famille exilée 
vient précisément de bénéficier d'une clémence 
royale ; Nanetta vient remettre au juge la lettre 
inintelligible qu'elle a reçue et nous n'en sorti- 
rions jamais sans la bonne pensée qui amène 
Gennaro, le seul qui tienne en son pouvoir la 
clé de l'énigme. Son récit sera simple : il sort 
du bagne ; il a appris par son ex-compagnon de 
chaîne les particularités de l'assassinat du baron 
et le nom de son meurtrier : Venanzio. Nanetta 
est la fille de la victime et le jeune Luigi son 
propre cousin. 

Puis tirant un couteau de sa poche — que de 
couteaux ! — il en frappe Venanzio en disant : — 
Quant à l'assassin de Salvatore qui m'avait pris 
ma femme, c'est le même que celui de Venanzio, 
et cet assassin, c'est moi seul. 

Pièce habilement bâtie, avec toute espèce de 
réminiscences de bons vieux mélos, mais dont le 
but est parfaitement atteint, car ces six actes sont 
joués sans presque aucune interruption à cause 
de ce système qui consiste à n'avoir que des 



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344 LE THEATRE NAPOLITAIN 

toiles de fond qui se succèdent les unes aux 
autres: drame amusant, intéressant, honnête, 
où le côté comique trouve aussi sa petite place 
avec un greffier doué d'un tic nerveux, un per- 
sonnage très myope qui se cogne à tous les 
meubles et s'excuse toujours, etc., etc. 

Mais quelle belle voix de drame et quelles jolies 
attitudes naturelles possède cette M™^ À. Lazzari ! 



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XXI 

LA CANTATE DES PASTEUR 

Nous avons raconté comment à No( 
sociale et industrielle était suspendue. ]V 
avons oublié de dire que tous les théâ 
fermés la veille de Noël à l'exception de 
Ton donne la Cantate des pasteurs^ une 
fois à onze heures et demie du soir oi 
et une seconde fois à deux heures et ( 
matin. Ces théâtres à Cantate étaient ce 
au nombre de trois : le Politeama, le \ 
le San Ferdinando. Les artistes sont < 
teurs. 

Comment se trouver à Naples une 
Noël et ne pas aller entendre la Cantate 
dit que cela n'a pas grand'chose à faire 
dramatique. N'importe, cela me donn» 
être une idée de ce que pouvaient être c 
les Mystères. 



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346 LE THEATRE NAPOLITAIN 

Je choisis le théâtre San Ferdinando, le plus 
populaire des trois, d'autant plus qu'on y an- 
nonce c( la Compagnie spéciale de la Cantate 
des pasteurs dirigée par les célèbres Antonio 
dei Cangiani et Salvatore Mauro ». On repré- 
sentera les Deux Génies ou la Cantate des pas- 
teurs ^ action pastorale fantastique en un prologue 
et trois actes de Salvatore Mauro. 

Prologue. — Adam et Eve ; 

Acte I. — ^ Sur le Jourdain ; 

Acte IL — Le couronnement ; 

Acte IIL — La lumière dans les ténèbres. 

Arrivé là, je trouve une foule bigarrée, grouil- 
lante, assez paisible. Il y a tellement de monde 
que Ton met des chaises de paille dans l'allée 
qui donne accès aux fauteuils. J'avais retenu 
ma place à l'avance, et bien m'en avait pris. Un 
homme qui n'a aucun signe distinctif me 
déchire mon billet en deux et me dit : En 
avant ! du ton d'un général qui enverrait ses 
troupes à l'assaut. Je fais déplacer des chaises, 
je joue des coudes, j'entre avec peine dans 
mon rang, je m'assieds avec plus de peine 
encore. Je pense à notre pauvre « oncle » Sar- 
cey qui n'aurait jamais pu entrer dans ce fau- 



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LA CANTATE DES PASTEURS 347 

teuil. Une fois là, je jette un coup d'œil autour 
de moi : partout des têtes, et cela sur une hau- 
teur de cinq étages ! En haut, à la galerie, où 
Ton ne paie que 23 centimes, le spectacle est 
inénarrable. A tous les autres étages, où la 
loge entière se paie 3 lires 50, 4,50, 5,50, on ne 
voit que gens entassés à raison de 10, 12, 15 per- 
sonnes par loge! Autour de moi, des ouvriènes 
en cheveux, avec accroche-cœurs, un marin, des 
petits boutiquiers endimanchés, des enfants à 
profusion. 

Après un air quelconque joué par les huit 
musiciens qui comj)Osent l'orchestre, la toile se 
lève sur un décor de paysage. Le programme 
nous a prévenus que nous étions dans le Para- 
dis terrestre^ et le programme a bien fait, car je 
n'aurais jamais eu Tidée que cette toile de fond 
où figure un bois de sapin, fut TEden. Il est vrai 
que cet aspect un peu sévère est corrigé par un 
bouquet de bambous placé au milieu du théâtre, 
et par une poire naturelle suspendue à Tun des 
bambous. L'on voit distinctement sur cette poire 
la trace de morsures qui doivent provenir d'une 
représentation ou d'une répétition récente. Adam 
et Eve fort décemment vêtus en percaline bleue 
sur laquelle on a cousu des roses en papier 



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3i8 LE THEATRE NAPOLITAIN 

(ô mes illusions !) devisent ensemble. Je re- 
marque même que la coiffure de notre mère 
Eve est aggravée d'une couronne de roses en 
papier fané. Adam a Faîr sincère, convaincu de 
sa mission biblique ; Eve, qui semble avoir été 
arrachée à ses occupations domestiques, me fait 
l'effet de regretter son fer à repasser. Elle re- 
garde çàet là distraitement, dans la salle, dans 
la loge du souffleur, et se trouve évidemment 
tout étonnée de parler devant tant de monde. 
Quand tout à CQup un bruit de ferrailles se fait 
entendre pour nous annoncer l'arrivée de Sa- 
tan tout bardé d'objets estampés et dorés, et dont 
les chaînes de cuivre qui pendent de ses brace- 
lets font un cliquetis continuel sur ses attributs 
variés de métal. Il est très correct, ce Satan ; 
une belle barbe noire, le haut du visage bar- 
bouillé d'ocre, et des gants de peau noire un 
peu fatigués par l'usage, ce qui me ferait croire 
que Satan ne date pas d'hier. Vous avez déjà 
deviné que ce Satan venait faire des propositions 
déshonnêtes aux deux « petits bleus », mais ceux- 
ci tombent en prière, ce qui a pour effet immé- 
diat de lui donner des convulsions. Pourquoi 
faut-il qu'Eve Pécoute un peu plus tard et se 
résolve à détacher la poire qui est suspendue au 



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LA CANTATE DES PASTEURS 34^ 

bambou^ Je sais bien qu'il n'y aurait plus de 
pièce! Ah! c'est Adam qui n'est pas content, je 
vous le jure — Tingrat ! — surtout lorsqu'une 
grosse caisse résonne dans la coulisse et que le 
préposé à la lumière électrique interrompt folle- 
ment et alternativement le courant des lampes à 
incandescence rouges et blanches ! Adam pousse 
des cris stridents et se roule par terre, ce qui 
attire dans ces lieux un nouveau personnage 
que j'avais pris d'abord pour l'archange Gabriel, 
mais qui est désigné sur le programme par le 
nom de V Amour. Cet amour — puisque amour 
il y a — est représenté dans la circonstance pax 
une jeune personne très candide et fort peu 
expérimentée, qui tient de sa main droite une 
petite épée à la façon d'une broche de rôtisserie, 
et de sa main gauche un minuscule bouclier eo 
fer-blanc. Une perruque blonde à frisures, de 
celles que Ton met aux enfants Jésus dans les 
crèches, entoure son gracieux visage, et sa tête 
est surmontée d*un casque avec un panache 
blanc pas méchant. 

Elle récite son rôle à la façon d'un compli- 
ment, et réconforte Adam et sa compagne qui 
en avaient grand besoin ; Satan veut fuir, mais 
surgissent de droite et de gauche des enfants de 

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3J0 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

quatre à cinq ans, costumés en « Dieu Mars w, 
et le menaçant de- leurs petites épées en carton. 
Il paraît que l'apparition de ces enfants est une 
trouvaille du genre, car des applaudissements 
nourris éclatent de toutes parts. La toile tombe, 
mais le public veut revoir cette scène délirante. 
On fait rentrer les enfants dans la coulisse. 
Satan est haletant ; on croirait qu'il vient de 
soulever des poids. Nous revoyons les bébés 
roses et les petites épées en carton, et nous en 
avons fini avec le prologue. . 

Jusqu'ici, me dis-je, c'est classique. A moins 
de nous montrer la création du monde, Tauteur 
ne pouvait pas remonter plus loin. Mais que 
veut dire alors le titre de l'acte premier Sur le 
fleuve du Jourdain ? Ne verrons-nous pas au 
moins l'arche de Noé? A peine avais-je fini ces 
réflexions que la toile se relève sur un paysage 
alpestre. Il a beaucoup neigé et Ton aperçoit — 
toujours sur le fond — une niche avec une 
madone. Déjà! Mais quel est notre étonnement 
lorsque dans ce défilé du Val de Travers ou 
d'aulre part, nous voyons arriver un écrivain 
public du xviii* siècle vêtu en Crispin, puis une 
sorte de mayeux^ bossu, tordu, avec des loupes 



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352 LE THEATRE NAPOLITAIN 

L'écrivain public long, maigre, râpé, décharné, 
c'est Razzullo ^ 

Le mayeux c'est Sarchiapone. 

En quoi se rattachent-ils à l'action, allez-vous 
me deniander? mais j'aime mieux vous faire un 
double aveu tout de suite. C'est qu'il n'y a pas 
d'action, et qu'ils ne se rattachent à rien du 
tout. 

Donc, à partir de ce moment, nous assisterons : 

i^ A des dialogues interminables entre Razzullo 
et Sarchiapone, interrompus de temps à autre 
par l'apparition d'un pêcheur, vêtu en Masa- 
niello d'opéra-comique, d'un chasseur habillé en 
postillon, avec un col cassé et un feutre mou, 
un petit arc à la main (on n'invente pas ces choses 
là) ou encore d'un vieux berger recouvert d'une 
peau de mouton et qui semble sortir d'un ate- 
lier de peintre à Montmartre. 

2*" A l'apparition périodique de saint Joseph, 
de k Vierge Marie, d'un ou de plusieurs Diables, 
et de l'Amour. 

Je remarque, en passant, qu'Adam est devenu 
saint Joseph, et Eve la Vierge Marie; sans vou- 
loir approfondir ce mystère je me contenterai 

* Le personnage de Razullo avec un z, grattant une guitare 
se trouve représenté dans / Balli di Sfessania de Callot. 



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LA CANTATE Dl 

de VOUS dire que saint 
écharpe jaune (quelle id 
cette couleur), et la Vier 
percale bleue, un corsage 
à la taille, et qu'elle est 
perles. 

Mais que diable peuvei 
et Sarchiapone? — supp< 
rebattus des parades de f 
plaisanteries des pitres, 
dialogues, et vous serez < 
dessus des propos échan^ 

L'un écrase le pied de 
compagnon, ou a peur i 
battre, ou se sauve en gri 
Une pierre en pleurerail 
voici le pêcheur qui vie 
sans ouvrage de venir pê 
vous, par curiosité,un é( 
gaies? Je cite, de mémoir 
texte se trouverait difficile 

Le pécheur. — Veux-ti 
moi? 

Razzidlo. — Ca dépem 
à faire ? 

Le pêcheur. — Donne- 



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354 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Razzullo. — Mon chapeau? 

Le pêcheur. — Oui. 

Razzullo. — Le voilà. 

Le pêcheur. — Ce chapeau n'est plus à toi. 

Razzullo. —Comment? Il n'est plus à moi ? 
(// veut le reprendre.) 

Le pêcheur. — Il te représente un panier. 

Razzullo. — Allons, bon î Voilà que mon cha- 
peau est un panier! {Le public ?nê l) 

Le pêcheur. — Je veux dire que ton chapeau 
représente pour le moment un panier. 

Razzullo. — Ah ! je comprends. C'est pour 
jouer. 

Le ])êcheur. — Oui, Nous faisons semblant. 
Regarde. 

Razzullo. — Que je regarde quoi? 

Le pêcheur. — Dans le panier. 

Razzullo. — Quel panier ? {Le public rit ! !) 

Le pêcheur. — Dans le chapeau, veux-je dire. 

Razzullo^ regardant. — Eh bien ! je ne vois 
rien. 

Le pêcheur. — Imbécile ! Tu ne comprends pas, 
nous faisons semblant. 

Razzullo. — Ah ! oui ! Èh bien? 

Le pêcheur. — Regarde : Voici des anguilles, 
des "soles. 



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356 LK THEATRE NAPOLITAIN 

que la première actrice, revenant à ses instincts 
professionnels, n'eut à quelque moment Tidée 
d'y étendre son linge à sécher. Eh ! bien, pas du 
tout : ce câble n'était laque pour attirer FAmour 
suspendu à deux gros fils de fer, et régler ses 
gracieux mouvements dans l'espace. Mais reve- 
nons aux deux pêcheurs, car nos idées se pres- 
sent un peu confuses, encore plus confuses que 
celles de l'auleur, ce qui peut paraître invrai- 
semblable. 

Eh bien! Satan fait éclater une tempête. Il 
empoigne le panneau qui servait de barque et le 
jette dans la coulisse. Les deux pêcheurs dont 
les jambes sont mises à découvert se sauvent 
comme ils peuvent sur les ondes, tandis que 
Satan inflexible plonge. Comment? Ah! j'atten- 
dais cette question. Mais, de la façon la plus 
simple du monde : en entrouvrant la toile de fond 
fendue qui représente la mer, et en disparais- 
sant par Touverture. A l'instant même celte toile 
se relève des deux côtés à la façon d'une draperie, 
et nous assistons à un bien poétique spectacle : 
l'Amour, éclairé à la lumière oxydrique et monté 
sur un piédestal, tient par la main RazzuUo et le 
pêcheur qu'il a sauvés. Au premier plan deux 
démons sont littéralement aplatis, et deux des 



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LA CANTATE DES PASTEURS 357 

bébés roses du commencement posent un pied sur 
eux en soulevant leurs petites épées en carton. 
Les applaudissements redoublent. Il faut recom- 
mencer le plongeon et l'apothéose. Et à propos : 
pourquoi les démons, quand ils succombent, 
jugent-ils nécessaire de faire des « rétablisse- 
ments » sur la tête en restant les jambes en Tair, 
au lieu de se coucher de suite à terre ? Ça doit être 
une tradition... Ça n'en est pas moins original. 

L'auteur, au deuxième acte, nous avait pro- 
mis dé nous faire assister au « Couronnement » 
J'aime mieux vous dire de suite qu'avant d'en 
arriver là il va nous falloir entendre encore les 
interminables lazzi de Razzullo et de Sarchia- 
pone jusqu'au moment où ce dernier sera sou- 
levé dans les airs sur le dos d'un crocodile. Mais 
j'abrège : saint Joseph et Marie ne savent où 
passer la nuil ; l'Amour, qui décidément est bien 
obligeant, les conduit dans une grotte d'où Ton 
chasse les démons: et nous voyons, comme fin 
d'acte, une couronne d'argent supportée par 
deux anges en carton descendre sur la tête de 
la compagne de saint Joseph. (Scène bissée.) 

Troisième et dernier acte : encore les pitreries 
de Razzullo et de Sarchiapone. Cette fois je de- 
mande grâce, je suis vaincu comme Satan va 



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358 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

Têtre tout à Theure. Tout mon bon vouloir se 
lasse en face de tant d'inepties : Razzullo a volé 
un panier de provisions au vieux berger. Il vient 
en manger le contenu assis par terré au milieu 
de la scène, et comme une partie du parterre 
ne peut l'apercevoir à cause de la boîte du souf- 
fleur, Ton crie très fort : « On ne voit pas ! » 
Un grand artiste se fût intimidé peut-être. Raz- 
zullo ne s'embarrasse pas pour si peu : il enlève 
la boîte, la porte dans un coin du théâtre, et 
continue tranquillement sa dînette. Il découvre 
un plat de maccheroni : dans la salle, c'est du 
délire. Sarchiapone entre en sourdine, s'assied 
derrière lui et lui boit son vin. Bref, ils en arri- 
vent à manger tous deux bestialement les fameux 
maccheroni avec les doigts ; c'est dégoûtant , 
écœurant, et Ton trépigne de joie, lorsqu'un 
enfant, le fils du berger, vient leur annoncer que 
les mets étaient empoisonnés — simple plaisan- 
terie, bien entendu. 

Tout se terminera le mieux du monde : le 
vieux berger conviera tout le monde, sauf les 
démons, à venir chanter une cantate (enfin!) 
devant la crèche où se trouvent saint Joseph et 
Marie et où -^ détail voulu ou non, je ne sais — 
on ne voit pas l'Enfant. 



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XXIf 

CONCLUSION 



La ville de Naples, absolument unique en son 
genre, ne peut pas plaire à tout le monde du 
premier coup. La beauté de son site, • son ciel 
bleu, son incomparable golfe, l'aspect grandiose 
du Vésuve, sa ceinture de villas et de jardins ne 
suffisentpastoujours,pendantles premiers temps, 
à faire oublier les ruelles sombres et fétides, les 
loques pendues aux fenêtres, les guenilles sans 
nom étalées en plein air, les mendiants obsé- 
dants couverts de haillons, les cochers de fiacres 
importuns et lassants, les camelots agaçants, les 
promiscuités douteuses, les senteurs de cuisine 
suspecte, les tas d'immondices par les rues, les 
gens de tout âge et à toute heure du jour, au 
milieu des promenades — sur la piste des cava- 
liers de la Villa Nazionale^ par exemple — sous 

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352 LE THÉÂTRE NAPOLITAIN 

les yeux de l'autorité complaisante, ne s'en tenant 
même pas à la distraction qui rendit fameux le 
roi Dagobert, mais poussant Taventure encore 
plus loin. 

Malgré tout le désir que peut posséder un 
étranger d'admirer de confiance, et sur réputa- 
tion faite, tous ces détails, et bien d'autres 
encore, dans une ville dite civilisée et sur le 
seuil du XX® siècle, choquent Tœil, le goût et 
l'odorat, et font mal juger Naples à première vue. 
Joignez à cela les histoires non pas de brigands, 
mais de camorristes que les romanciers plus ou 
moins fantaisistes se sont plu à colporter dans 
leurs ouvrages, le cliquetis des couteaux, l'audace 
légendaire des voleurs, que sais-je encore? 

Puis, tout compte fait, lorsque l'on habite 
Naples, les mauvaises impressions des premiers 
jours vont s'effaçant : Ton s'aperçoit bientôt que 
s'il y a des ruelles fétides où personne ne vous 
force de passer, il ne manque pas de larges rues 
modernes dont les somptueux magasins peuvent 
rivaliser de luxe avec ceux de Paris ou de Lon- 
dres ; que la Riviera di Chiaia n'a guère à se sou- 
cier du linge qui sèche à Santa Lucia ; que les 
mendiants se déconcertent quand on prend le 
parti de ne jamais leur répondre ; qu'il y a façon 



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CONCLUSION 363 

de se débarrasser des cochers de fiacres avec un 
signe de tête familier aux vrais napolitains ; que 
s'il y a des rues malpropres il y en a d'autres 
qu'on balaie ; que la camorra est une chose pure- 
ment locale et qui laisse les étrangers parfaite- 
ment tranquilles ; que les coups de couteaux — 
et j'en ai fait la preuve par des journaux du 
même jour comparés pendant quelques semaines 
— ne sont pas plus nombreux à la Porta Ca- 
puana qu'au boulevard de la Villette, et que les 
tire-bourses — la faim est grande à Naples — 
ne s'en prennent jamais qu'aux personnes éta- 
lant des bijoux avec trop d'ostentation. — C'est 
ainsi que les dames portant des châtelaines en 
or bien en évidence, ou de petits sacs ou réticules 
à la main, sorte d'invitation à les prendre, ont 
toutes les qualités requises pour devenir une proie 
facile. 

Lorsque toutes ces préoccupations de la pre- 
mière heure ont disparu, on prend la peine de 
regarder un peu plus autour de soi. L'on s'aper- 
çoit alors qu'une exquise politesse est de règle 
dans la haute société napolitaine, et que ce 
peuple, après tout, pris en bloc, est le meilleur 
enfant du monde, le plus passif, le moins con- 
trariant. René Bazin raconte dans son livre sur 



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364 LE THEATRE NAPOLITAIN 

la Sicile qu'interrogeant un jour, à Aci-Reale, 
auprès de TEtna, un petit commissionnaire de 
douze ans, il lui avait demandé d'un ton léger 
de reproche pourquoi il n'était jamais allé à 
l'école. L'enfant regarda son interlocuteur avec 
des yeux éclatants, intelligents, spirituels, déci- 
dés, presque insolents. 

— Monsieur, répondit-il, il est bon d'aller à 
l'école, mais quand on a du pain. 

Mot profond, que pourrait répéter le Napoli- 
tain. 

Le Napolitain — et pour se convaincre de ce que 
j'avance il suffira d'interroger tous lés étrangers 
qui habitent Naples ou qui y ont séjourné quel- 
ques mois — est, la plupart du temps, un incons- 
cient. Songez que quarante ans après l'annexion il 
y a plus de 40 p. 100 de conscrits absolument illet- 
trés, soit presque tous les gens du peuple. Dans 
l'ensemble de la Campanie, il y en a 56 p. 100, 
et 07 p. 100 à Salerne. Chez les femmes, la pro- 
portion est beaucoup plus considérable. 

« En fait de religion, a écrit M. Marcellin Pellet 
qui fut quatre ans consul de France à Naples, 
le popolano ne pratique guère qu'une supersti- 
tion fétichiste assez éloignée du christianisme. 
Par bonheur, son insouciance, sa résignation ne 



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CONCLUSION 365 

lui permettent pas d'attacher trop d'importance 
aux privations les plus dures auxquelles il est 
habitué dès le ventre de sa mère. Violent et 
prompt à jouer du couteau, il n'est pas mauvais 
au fond; peu accessible aux haines de classe, 
il respecte la bourgeoisie et la noblesse qui parta- 
gent plus d'un de ses préjugés. » Et, de fait, 
les rapports entre patrons et ouvriers sont bien 
meilleurs à Naples que dans la haute Italie, et 
tous les chefs de maison, les contremaîtres — 
dont beaucoup d'entre eux italiens du nord, 
français, suisses, allemands, etc. — m'ont tou- 
jours affirmé qu'ils trouvaient chez le napolitain 
dont le salaire est pourtant bien inférieur à la 
plupart des salaires en cours, une obéissance, 
une docilité, une douceur... depuis longtemps 
inconnues autre part. 



Le Théâtre TiMpolitain devait être à l'image de 
ce peuple : bon enfant et gai. Il ne va pas cher- 
cher les thèses, il ne s'arrête pas devant les élats 
d'âme, il observe ce qu'il voit dans la rue, en rit 
et fait rire. 

Tel que la ville que nous venons de décrire 

21. 



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366 LE THEATRE NAPOLITAIN 

y 

en quelques mots, le théâtre napolitain ne peut 
pas plaire du premier coup : il faut le connaître 
pour Taimer ; mais — ville ou théâtre — quand 
on les connaît on les aime, et quand on les aime 
on ne saurait plus les oublier. 

C'est ainsi que j'ai vu pour la première fois 
Pulcinella sans plaisir ; que je suis retourné l'en- 
tendre par curiosité ; que j'ai étudié son passé 
avec intérêt; que je me suis pris d'engouement 
pour ses faits et gestes et que je me suis pas- 
sionné pour sa personne le jour où j'ai commencé 
à connaître et à aimer Naples, parce que Naples 
et Pulcinella, c'est tout un. 

Voilà pourquoi Pulcinella n'est pas un article 
d'exportation, pas plus du reste que le Guignol 
lyonnais dont l'esprit s'émousse dès qu'il a perdu 
de vue la Croix-Rousse, pas plus que les chansons 
des cabarets de Montmartre*dontle sens est déjà 
inintelligible à Montrouge. 

Quant au soi-disant théâtre * napolitain ré- 
formé, j'ai assez démontré, je pense, qu'il n'avait 
rien réformé du tout^ que ce n'était qu'un pâle 
reflet de pièces italiennes, françaises, anglaises 
traduites mot à mot ou dénaturées. C'est la fin 
dé toute originalité, et ce n'est pas dans cette 



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CONCLUSION 367 

voie-là que doivent travailler les jeunes auteurs 
napolitains soucieux, avec raison, de la gloire 
de leur vieux bouffon national. Qu'ils s'inspirent 
de leurs aînés, qu'ils tiennent compte des tradi- 
tions tout en rajeunissant le cadre, qu'ils mar- 
chent sur les traces des Altavilla et des Petito en 
tenant compte du temps où ils vivent, et qu'ils 
nous conservent enfin ce type d'une essence si 
particulière qui doit vivre aussi longtemps qu'il 
y aura un lazzarone sur le môle et un piz- 
zaiuolo dans les environs de Toledo. 

Naples, 8 avril 1900. 



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TABLE 



Préface, par M. Gustave Larroumet i 

I. A la recherche de Pulcinella ....... 3 

II. Acte d« naissance de Pulcinella 13 

III. Fondation du San-Carlino 31 

IV. Le théâtre San-Carlino 51 

V. Démolition du San-Carlino 65 

VI. Le théâtre Nuovo 89 

VII. Une première soirée au Nuovo . ...... 109 

VIII. Le répertoire du Nuovo. — L'éruption du 

Vésuve et un diable endommagé .... 127 

IX. Le premier et le second étage. — Un maire 

rageur 143 

X. La veille de Noël. — Colombine avec Pul- 

cinella. — Don Felice et don Pipetto 
enfournés 

XI. Le cinématographe, revue de Tannée. ... 177 

XII. Pulcinella et C. voleurs d'un trésor. — Au 

bas port 199 

XIII. Pascariello. — Les types populaires napoli- 

tains 217 

XIV. Coup d'œil d'ensemble sur le répertoire du 

Nuovo 237 

XV. Eduardo Scarpetta 249 



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073 TABLE 

XVI. Guerre ouverte à Pulcinella 267 

XVII. Nouveaux mémoires de Scarpetta. — Le 

répertoire actuel des Fiorentini 279 

XVIII. Les petits théâtres. — La Fenice 295 

XIX. Le drame populaire napolitain. — La fonda- 

tion de la Camorra 311 

XX. Encore le drame populaire. — La belle de 

la Porta Gapuana. • 329 

XXI. La cantate des pasteurs . . .' 345 

XXII. Conclusion 361 




KVUEU.X, IMPUiaiEUIE DE ClIAIiLES UEI5ISSEY 



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