LE TIERS-ÉTAT
É C L A I R É,
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SES DROITS
JUSTIFIÉS.
I788.
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LE TIERS-ÉTAT
ÉCLAIRÉ,
OU SES DROITS
JUSTIFIÉS.
LJ E P U I S des fîècîes , le Clergé & la NoblefTe
font en poffeflion de tous les Bénéfices , tant
eccléfîaftiques , militaires, que civils; de toutes
les dignités , de toutes les grâces , de tous les
bienfaits du Gouvernement , Se ne fupportent
prefque rien des charges publiques ; 'tandis que
le Tiers-Etat , qui fuçcombe fous le fardeau t
n'a pour toute reffource que L'Hôpital ( i ).
1 ■■ '■ ' "■ " ■■■*
( i ) Il fcmble qu'on fe propofe d'envoyer tout le Tiers-»
Etat à l'Hôpital , par le foin qu'on prend de multiplier lç|
Hôpitaux. Je donnerai quelque chofe là-deflus.
Au
4
Ce n'cft pas cependant ft. que îe Cierge & la
NobîefTe ife fafTent parade de loyauté. On les
a vus , dans l'A Semblée des Notables , de 1787 s
faire de grandes proteflations de zèle pour le
bien de l'Etat , abjurer toutes diilinctions ; &C
quand on propofe l'impôt territorial , fur- le-
champ , ils s'élèvent contre , parce qu'il pefe-
rait fur eux feuls , comme étant les grands pro-
priétaires , les autres étant furtaxés j -& quand
on demande au Clergé un fupplément de don
gratuit , il négocie pour donner le moins pof-
fible ; tandis que le don gratuit qu'il paie tous,
les cinq ans , n'équivaut pas à une année du
dixième de fes revenus ; & quand on agite
la queilion de favoir quelle fera la proportion
des Députés des trois Ordres, aux Etats -Gé-
néraux , ils veulent que cette proportion foitf
la même qu'en 1614, c'eft-à-dïre , qu'ils
veulent avoir la prépondérance j puifqu'en 161 4
les Députés du Clergé & de la NoblefTe ,
étaient vis-à-vis les Députés du Tiers-Eiat ,
comme deux à un ; & la haute Magiftraturô
foutient cette prétention > & la confacre dan$
l'enrégïftremezu de la Loi , qui la rappelle à
fes fondions !
A Dieu ne pîaife que je Taccufe de vouloir
4 touffer la voix du Pe uple ! elle fait trop ce qu elle?
lui doit : S: la reconnaidance efl fans doute gra-
vée dans fon cœur. Si cependant des génies in-
quiets , impérieux , cherchaient à i-nfinuer qu'il
efl à craindre que lesenfans de la Patrie {oient
entendus, c'eil ceux-là que j'entreprendrois :
arrêtez; c'efttrop. Membre du Tiers-Etat, jefàu-
rai foutenir les droits. Ces teràs ne fout plus ,
où 1? régime féodal, avait attaché les hommes
à la glèbe. L'humanité a repris fon empire : la
Phiîoibphie a propagé îa lumière ; les fîècîes
d'ignorance font parlés i & quoique le nôtre
foit la lie d^s fîèçles , fuivant un vertueux Pré
lat(i) , taraifon efï fonie des ténèbres qui la
dérobaient à nos yeux.
C'eft. eî!e qui m'enfejgne que les Repréfen-
tans doivent être en raifon des Repréfentés ;
j'entends par-là que les Députés du Tiers-Etat
doivent erre en proportion du nombre des in-
dividus contribuables, qui le compo.fent, de
tnéme que • les Députés du Clergé èc de la
Noble/le.
Ma proportion eft fi vraie , Ci évidente ,
qu'elle n'a pas befôin de preuves: je n'ai à
combattre qu'un ufage contraire.
(i) Çhriftophe cle Beaumont,
0
IAifage contraire l eiT-ce bien féneufement
qu'on l'oppofe ? N'eft-ce pas une maxime in-
contcftable , qu'on ne peut prefcrire contre le
Peuple ?
L'ufage contraire 1 & cet ufage eft-ii conf-
tant ? a-t-il été invariable ?
Remontez à l'origine de la Monarchie : dans
fes commencement , les Francs , qui élevèrent
Pharamond fur un pavois , admettaient - ils
cette diftinclion qu'on veut faire aujourd'hui ?
Le Clergé & la NoblefTe jouifTaient-ils du pri-
vilège qu'ils veulent s'arroger ? Le Clergé , alors
naiffânt > n'avait que la voix de la perfuafîon.
Reroy, Pafieur ( 1 ) deRheims, fait prier Clovis
de lui rendre un val'e qu'on lui avait pris. Sui*
ve^-moi jufquà Soijfons , dit le Monarque à
fon Envoyé; c\ft là que doit Je faire h par-
tage de notre butin ; & je vous fatisferai. Dès
qu'on fe fut difpofé à faire les lots , Clovis
fupplie l'armée de lui accorder , outre fa part ,
le vafe enlevé à l'Eglife de Rheims. U» fcul
Soldat s'y oppofe : Tu n'auras, répond-t-il à
Clovis , que ce que le fort te donnera , 8c dé-
charge en même-tems un coup de fa francifque
fur le vafe , qui le met en pièces. Dans ce
tems-là , le Clergé & la NoblefTe n'avaient
( i ) H ne fe qualifiait point (TEvc^ue,
7
Août aucune prépondérance? La Noblefîe n'exïf-
tait même pas ; car elle n'a commencé qu'à la
fin de la féconde Race , avec l'inititution des
Fiefs : c'eft cette nouvelle feigneurie , fuivant
le Piéfident Haynault, qui lui a donné l'être.
C'eft la poffefîîon des terres qui a fait les Nobles ;
les Francs étaient égaux entr'eux. Toute dif-
tin&ion n'aurait pas convenu à leur caractère :
hommes demi-fauvages , hommes farouches ,
à-p§u-près comme les Caraïbes de Saint- Vin-
cent , ils pouvaient bien marcher fous la con-
duite d'un Chef , parce que c'était pour leur
avantage commun ; mais quand il fallait déter..
miner la Nation , qu'on voulait attaquer &:
conquérir , les Francs devaient être affemblés
auparavant ; & ce n'était qu'autant qu'ils ap-
prouvaient , par le cliquetis de leurs armes f
la propofition qui leur était faite , qu'ils s'ex-
pofaient aux dangers des événemens.
C'eft amfi que fous les deux premières Races,
les Francs & les Gaulois qu'ils avaient fubju-
gués , ont été gouvernés. Dans les champs de
Mars & de Mai , c'était le corps de la Nation
qui avait la majorité , parce qu'il était plus
nombreux que ceux qui étaient à fa tête. Les
Etats-Généraux ont fuccédé , fuivant le Clergé
& la NoblefTe , aux AfTemblées du champ de
Mars & de Mai , & celles-ci aux AfTemblées
âcs Germains ; c efl donc le corps de la Na-
tion qui doit former la partie principale de
l'AiTemblée des Etats - Généraux , puifque
c'était le corps des Francs & des Gaulois con-
fondus enfemble , qui compofait les AfTembiées
du champ de Mars <k de Mai*
Or , qu'efï-ce qui forme le corps de la Na-
tion Française ? C'eit le Tiers-Etat. Pourquoi?
Parce que c'efl lui qui repréfente efTentiellement
les premiers Francs qui ont jette les fondeme'ns
de la Monarchie ; & il repréfente efTentielie-
ment les premiers Francs , puifque , lors de
leur irruption, ils n'avaient, parmi eux, ni
Clergé , ni NoblefTe. Us n'avaient point de
CUrgé , puifqiwls l'ont reçu dans leur fein ;
ils n'avaient point de NoblefTe , puifqu'elle ne
date que de l'érection des Fiefs : donc les Dé-*
pûtes du Tiers-Etat doivent l'emporter fur les
Députés du Clergé & de la NoblefTe : donc )k:s
Députés des trois Ordres doivent être en raifon
des individus contribuables ne chacun : ce n'effc
point introduire un ufage nouveau '3 c'efl faire
revivre l'ancien.
Je fais que , depuis Philippe - le - Bel , le
Clergé & la NoblefTe ont toujours dominé dans
les Etats - Généraux qui ont été convoques ^
mais comment ofent-ils s'en prévaloir ? Efl-ce
là un titre en leur faveur? Ignorent ils ce bro~
* card
9
card de droit : radius éft non hahcrc zitulurn ,
qulim oflendere vitiofum.
Confultez l'HIfloire : tant que le corps de la
Nation , ou le Tiers-Etat , ce qr.reft la même
chofe , a été admis dans les AfTembiées du
champ de Mars ou de Mai , l'autorité Royale
s'èft foutenue Se aggrandie : c'eft à mefure que
le Tiers-Etat a été écarté , que les Evêques 8c
les Chevaliers fe font mis à fa place , qu'elle
s'efl diminuée infenfibîtàment , & qu'elle a été
rendue prefque nulle. L'empire que le Cierge
s'arroge , Tes mœurs feandaieufes , excitent la
jaloufie des Seigneurs , qu'il voulait écrafer.
Les Chevaliers s'attachent à Charles Martel :
Charles Martel , fur de la fidélité de (on armée ,
regarde les Capitaines , qui le fuivaient , comme
le corps entier de la Nation ; les Capitaines , à
leur tour, s'emparent des biens de l'Eglife : pa-
raît Cnarlernagne , qui les leur fait rendre. Le
Clergé & la Noblefle fembîent alors fe rap-
procher^ ce font ces deux Ordres qui dirigent
à leur gré le Monarque. On ne peut lire , fans
indignation , la vie de Louis- le-Débonnaire ;
il avait comblé le Clergé de bienfaits , & le
Clergé le dégrade , le traite ignominieufement
La lignée de Charle magne fe divife ; les grands
Officiers rendent héréditaires,dans leurs familles,
B
10
hs domaines & les charges , qu'il* ne tenaient
qu'à titre de bénéfice. Le Peuple n'eft plus
confulté ; il devient efcîave ; les Fiefs s'intro*
duifent; & quand Hugues-Capet monta fur
le Trône , l'autorité royale n'était qu'un fan-
tome. Combien de combats , combien d'efforts
pour lui redonner {on îuftre 1 Encore tous ces
combats , tous ces efforts auraient été vains ,
fans le fe cours du Tiers- Etat. Pendant cette
anarchie féodale , le Clergé profite de l'igno-
rance des fiècles , pour s'approprier les biens
qui appartenaient aux Fidèles ; la NoblefTe ,
de fon côté , enorgueillie de [es fuccès , établir
des droits tyranniques fur fes Vaflaux. Le tems
approche enfin , où la liberté du Peuple doit
fortir de l'oppreffion où il eft. Louis-le-Gros
érige les Communes ; &: les Seigneurs imitent
fon exemple ; les Serfs achètent leur affran-
chifïement : les Croifades viennent favorjfer le
changement qui fe préparait ; des alliances
heureufes augmentent la puifTance de nos Rois .
Philippe-le-Bel convoque d'abord des ArTem-
blées de Notables , pour balancer le crédit du
Clergé & de la NoblefTe. Ces AfTemblées de
Notables lui font favorables : il en convoque
d'autres , où il appelle des Députés de fes bonnes
Villes ; & voilà le Tiers-Etat qui reprend fes
droits 5 8c voilà l'origine des Etats-Généraux.
II
le Tiers-Etat ne clément point l'opinion qu'on
a conçue de lui; il prend le parti de fon Prince,
s'élève contre les prétentions injuftes du Clergé
& dé la Nobleffe : fcn zèle , fon dévouement
rétablit l'équilibre : bientôt les Députés du Tiers-
Etat font multipliés. Louis Hutin, confidéranr
que fon R.oyaume efl dit & nommé le Royaume
des Francs, veut que la chofe foit accordante au
nom ; Charles VII entretient le premier des
troupes réglées; Louis XI met les Rois hors de
paye; & voilà l'autorité affermie; & voilà le
colorie monftrueux du Clergé & de la No~
blefTe , qui l'ombrageait , fur le penchant de fa
ruine. Richelieu porte le dernier coup.
Et vous viendrez m'oppofer l'ufage d'avoir
deux Députés contre un ! vous viendrez faire
valoir vos privilèges! Avez-vous bien réfléchi?
Eft-ce que le nombre des Députés du Tiers-
Ecat ayant toujours varié chaque fois que les
Etats-Généraux ont été affemblés , on peut
en faire réfulter un ufage tel qu'il foit ? Ec
quand cet ufage ferait aufïï confiant , qu'il
efr. incertain , eft - ce que cet ufage ne ferait
pas abufif ? Répondez. L'abus fe couvre - t - il
jamais ? N'efï-ce pas par un abus , que vous
vous êtes attribué les droits du Peuple , que
vous l'avez exclu de ces Afïemblées natio-
nales dont il était l'ame t N'efl-ce pas par un
Î2
abus, que, pendant très-long- temps, vous avez
régenté nos Rgis, & en avez été les oppref-
feurs? N'efl-ce pas par un abus, que vous avez
accumulé ces richefTes , qui font ie patrimoine
des Pauvres? Ne venez donc plus me parler
de votre ufage : remontez au principe. Dans
le principe , fous deux races fuccefïïves , le
Peuple avait la prépondérance dans les Af-
fembîées ; la prépondérance du. Peuple a
toujours fécondé les vues de nos Monarques :
la vôire n'a fait que les contrarier. Le Peuple
réfide dans le 'fiers-Etat ; c'efî le Tiers-Etat
qui efl le Peuple ; c'efl le Tiers-Etat qui re-
préfente les premiers Francs, nos ancêtres.
Donc , encore une fois , les Députés du Tiers-
Etat doivent être fupérieurs en nombre aux
vôtres ; donc les Députés de chaque Ordre
doivent être en raifon des individus contri-
buables , qui les compefent les uns êc les
autres*
L'ufage que le Clergé & la Noblefle invo-
quent , ainfl écarté , fur quoi peuvent - ils fe
fonder maintenant ? fur leurs privilèges» Dites,
qu'epL-ce qu'une Monarchie ? une Monarchie ,
félon moi , n'eft autre chofe qu'une famille
nombreufe , dont le Monarque efl le Père :
je parle en général , fans m'ernbarraffer ces
difpofiticns de pluCeurs de nos coutumes , qui
r3
font un refte de la féodalité, Se qui accordent,
aux aînés mâles des Nobles des parts avanra-
geufes. En général , un père ne doit point
avoir de prédliceïion pour un Enfant , au
préjudice des autres; fâ tendfefFe doit être égale
pour tous ; de même que tous les enfans
doivent fournir aux befoins de leur père com-
mun , fans exception ni réferves. Appliquant
ma définition à l'objet des Etats : qu efl ~ ce
que je vois ? que le Roi eft le père du Clergé
& de la Nobleffe , comme du Tiers-Etat , que
le Tiers- Etat vît fous fa fauve-garde , comme
le Clergé & la NoblefTe. Les (ecours que les
enfans doivent à leur père , étant le prix de
fa fauve-garde, étant le prix de fes foins pa-
ternels , les enfans doivent donc abjurer toutes
dirlinclions ; c'efc tome la famille qu'il faut
confulter pour connaître fes facultés ; les Dé-
putes des enfans doivent donc être en raifon de
leur nombre , Se non pas de leurs dignités ,
ou de leurs rangs.
Leurs privilèges ! Je m'adrcfTe au Clergé ;
non pas à tout le Clergé indistinctement ; je
fais faire une différence entre ces Pontifes
dont les lumières égalent la fageffe , ces Pat-
teurs vénérables qui exercent la chanté , &c
ces pieux fo lirai r es qui nous retracent les beaux
jours du Chrillianiime ; mais bien à ceux
i4
qui ne leur refTemblent pas. Vous qui cherchez
à reftreindre le nombre des Députés du Tiers-
Etat , pour que les vôtres , joints à ceux de
la NoblefTe , fe rendent maîtres des délibéra-
tions , devriez-vous avoir des Députés aux
Etats-Généraux ? N'avez-vous pas vos A Sem-
blées particulières ? Votre contribution n'efU
eiie pas féparée de la contribution des Peuples ?
n'ofFrez-vous pas vous même votre don gratuit ?
Votre don gratuit ! c'efl une grâce que vous
faites ! Ingrats! les biens dont vous jouirTez ont
été donnés à l'églife , & non pas à fes Minif-
tres ; ce font les fidèles qui conftiruent l'églife ;
vous n'êtes que la partie enfeignante. Vous
ètts incapable de pofTéder : votre Royaume
n'eft pas de ce monde; le temporel ne vous
regarde pas : que diraient les premiers Apôtres,
qui ne voulaient pas toucher les aumônes
qu'on leur apportait , qui diitribuaient le prix
de leur travail à ceux qui , fuivant leur doc-
trine , marchaient nuds pieds , & donnaient
l'exemple de l'humilité , s'ils voyaient leurs
fuccefTeurs d'aujourd'hui ? Mondains , s'écri-
raient-iis , refîituez le bien des Pauvres ; le
bien des Pauvres ne doit point être employé
à nourrir votre orgueil; le bien àes Pauvres
ne doit point fervir à vous conftruire des
Palais ; le bien des Pauvres n'a point été de(-
tiné à vous faire porter dans âes chars , at-
telés de fuperbes Courfïers ; le bien des
Pauvres ne doit point alimenter vos caprices
& vos fantaiiies : remplirez vos devoirs vous-
mêmes , & ne vous rcpofez plus fur des fu-
bordonnés ; reprenez l'empire de la parole ,
ce que vos vertus falTent oublier vos faibief-
ies : occupez-vous uniquement du fpirituel ,
c'eil là votre partage.
Je m'adreiTe à la Noblefïe avec la mêm«
modification qu'au Clergé; je ferais injurie, fï
je n'en faifais pas. Ah ! fï elle refTemblaic
à cet homme vraiment Héros ( i ) , que la
France vient de perdre , & qu'elle pleure ,
elle protégerait le Tiers-Etat, au lieu de cher-
cher à l'opprimer : femblable a ce généreux
Bayard , rien n'était à lui ; tout était pour le
corps qui avait le bonheur d'être fous fon
commandement : chez lui , le malheureux
trouvait un afyle ; il a encore beaucoup d'imi-
tateurs : ce n'eft pas à cette NobleiTe-là que
j'en veux ; c'eft à celle qui penfe Se agit d'une
manière toute contraire. Quand je l'entends trai-
ter dédaigneufement le Tiers-Etat , fe pré-
tendre d'une nature fupérieure à la fienne , il
( i ) M. le Marchai de Biron,
i6
me femble voir des enfans méprifer leur mère.
Nobles! que feriez- vous , fans le Tiers-Etat ?
Que deviendraient vos difci notions ? N'eft-ce
-pas lui qui les fait valoir ? Comment feriez-
vous pour vivre ? ft'eii-ce pas lui qui cCt votre
père nourricier ? Vous expofez votre fortune
& votre vie pour la défenfe de la Patrie ?
& le Tiers-Etat n'en fait- il pas autant ? Comp-
tez ; fur trois cents mille combattans, com-
bien êtes-vous ? Sur cent mille morts , quel
nombre perdez-vous ? A qui devez-vous votre
élévation , votre gloire , fi ce n'eil à la valeur
du Soldat , (1 ce n'efl iouvent à l'avis donné
par un vieux Vétéran ? Vous portez le faite
& l'orgueil dans nos camps ; vos manières
hautaines jettent le découragement, & oc-
casionnent les déferlions. Eft-cc ainfi que les
Chefs des Francs fe conduifaient ? Les Francs
qui marchaient fous eux , n'étaient - ils pas
leurs Compagnons ? Tâchez de les imiter. Le
Tiers - Etat n'envie point vos dignités , vos
penfions , vos franchifes. Soye-z exempts du lo-
gement de gens de guerre ; il le fupporte fans
murmure ; ayez la loyauté de ces preux Cheva-
liers , & le Tiers-Etat s'emprefTera de fe ranger
fous vos bannières • cédez d'être impérieux,
d'être avides des fueurs des Fermiers, vous ferez
aimés; fecourez les malheureux 5 protégez les
opprimés ,
opprimés, & les Peuples vous béniront: mm
lorfqu'il s'agit de contribuer aux charges publi-
ques , n'allez pas chercher à les faire paffef
fur le Tiers-Etat; longez que ie Tiers-Etat eLt
le Corps , & que vous , vous n'êtes qu'un
membre; laiiTez agir le corps en liberté ; que
fes Députés (oient en proportion de Ton vo-
lume.
Je prévois encore un obitacle ; les Députés
des trois Ordres , reprendront le Clergé &C
la NoblefTe , ne doivent point être en raifon
de leur population , mais en raifon de leurs
propriétés. Nous fommes plus grands proprié-
taires que tout le Tiers-Etat enfemble : donc
nous devons avoir plus de Dépurés que lui.
Ce raiibnnement accable le Clergé & la
NoblefTe.
Suivant M. Necker , dans fon Ouvrage de
l'Adminirtration des Finances, l'article feul des
Vingtièmes , qui ne fe perçoivent que fur les
propriétés, fe monte à 55 millions par an.
Encore ces 53 millions ne font que pour les
biens de la NoblefTe & du TiersrEtar. Les biens
du Clergé ne font point impofés. Il donne tous
les trois ans , ou tous les cinq ans , un don gra-
tuit qui en tient lieu.
Le Clergé eft plus riche en fonds de terres,
que la NobleiTe ; cela eft inconteftable. On
C
i8
évalue ordinairement Tes propriétés au tiers de
toutes les propriétés du Royaume.
Cela pofé , il faut dire que fi les deux tiers
des propriétés du Royaume payent ^ ? millions
de Vingtièmes , la totalité , dans la même pro-
portion, doit payer 81,500,000 liv.
Le Clergé , dans notre hypotèfe , pofsède
un tiers des propriétés du Royaume : donc il
devrait payer annuellement vingt-fept millions
cinq cents mille livres , qui (ont le tiers de qua-
tre-vingt-deux millions cinq cents mille livres.
Or , fuivant le compte rendu au Roi , en
1781 , par le même Miniftre , le don gratuit du
Clergé , qui tient lieu de Vingtième, efl eflimé,
tous les cinq ans , de 16 à 18 millions ; ce qui
fait, année commune, 3 millions 200 , à 3
millions 400 mille liv. : donc le Clergé ne paie
pas , tous les cinq ans , ce qu'il devrait payer
dans une année.
Qu'il fe montre à préfent ! que dans Ces dif-
cours il imprime qu'il eft prêt à fefacrifier pour
l'Etat 1 dévouement illufoire ! Il tient toutes
les richeffes dans fa main ; & il paie «quinze
fois moins que le Tiers-Etat , pour les Ving-
tièmes feulement.
Ce que je dis du Clergé , je le dis de la No-
blefle ; elle ne paie pas davantage. Je connois
tel Seigneur , qui jouit de cinquante mille livres
1*
de rentes en fonds , & qui ne rend de Ving-
tièmes , que 600 liv. fur y 5 millions. Le Tiers-
Etat en fupporte plus de 50.
Tiers-Etat 1 fortez de l'afTervifïèment où les
deux premiers Ordres vous tiennent ; ne fouf-
frez pas que tout le fardeau tombe fur vous ,
que Ton joigne l'ironie à la vexation criante
que le Clergé & la Noblefie exercent ; que
vos Députés dominent : favorifez le Roi , écra-
fez vos tyrans.
Je n'aurais befoin que du tableau que je viens
de préfenter , pour pulvérifer Fobjeâion que
je combats ; & par un raifonnement contraire
à celui du Clergé &c de la NoblefFe , je leur
dirois , au nom du Tiers-Eta-t : Je contribue
le double , le triple , le quadruple , le quin-
tuple de vous, à l'impôt qui frappe fur les
biens fonds; donc mes Députés doivent être
en proportion de ma contribution.
Mais je puis aller plus loin , d'après l'Auteur
que je viens de citer.
La taille , le taillon , qui fe montent a 9?
millions , qu'eil-ce qui les paient ? Le Tiers-
Etat feul.
L'induftrie qui fe porte également à des mil-
lions , fur qui efl-elle impofée l fur le Tiers-
Etat feul.
Les Octrois des Villes , qui rapportent 27 mil-
Gij
10
lions, font également à la chargé du Tiers-
Etat feul.
Les droits de Maîtrifes fur les Corps & Com-
munautés d'arts 6c métiers regardent le Tiers-
Etar.
Enfin , pour abréger , fur 585 millions, qui
forment le total des Impofitions, le Clergé n'en
fupporte , pour fa part , que 1 1 millions : la
Noblefle à- peu-près autant ; c'eft fur le Tiet;s-
Jitat que fe perçoit tout le refte.
▼ Et Ton restreindra les Députés du Tiers-Etat
aux Etats-Généraux ;, & les Députés du Clergé
& de la Noblefle feront en nombre fupérieur
aux (uns , ou à égalité 1 Non , cela ne fera
pas : le Tiers-Etat n'y confentira jamais. De-
puis trop long-tems , il efl le jouet des deux
autres Ordres : la mefure eft à fon comble :
il faut qu'il reprenne la place qu'il aurait dû
toujours occuper : l'autorité royale ne peut qu'y
trouver fon avantage.
La proportion des Députés des trois Ordres
ainfî établie , n'importe de quelle manière , les
Etats-Généraux feronr convoqués; que ce foie
par Gouvernement , par Diocèfe , par Bail-
liage , par Généralité , tout cela revient au
même , puifqiie le nombre des Députés des
trois Ordres de chaque département , fera en
raifon de fa population oc des contribuables.
•r
Mais il efl une autre chofe qui me choque i
c efl que le Clergé Se la Noblefle faflTent deux
Ordres , & que le TiersEtat n'en fafTe qu'un,
comme s'il n'y avait pas des diftinétions à faire
dans celui-ci, comme dans les autres.
Rigoureufement parlant , le Clergé ne devrait
point figurer dans les Etats-Généraux: j'en ai
dit la raifon.
Et en fuppofant que , fans tirer à confé-
quence , on fuive l'ancienne routine , le Clergé
devrait fe confondre avec la Noblefle , 6c ne
former qu un feul Ordre , parce que le Clergé
fe prétend Noble auffi ; ce qui efl: bien con-
traire à la vérité , à la morale de fon divin
Maître ? qui voulait être le dernier de tous ;
mais cela n'eft plus bon que dans les Cérémo-
nies de l'Eglife. C'eft le Fape qui fe qualifie de
Serviteur des Serviteurs , &c qui fe met au-
defTus des Princes temporels ! Trouverai-je tou-
jours contradiction & inconféquence ?
Je veux cependant qu'on laifîe fubfifter l'Or-
dre du Clergé & de la NoblefTe. Mais , en ce
cas , je demande qu'on change la dénomination,
de l'Ordre du Tiers-Etat , qui me paraît une
dénomination de mépris. Je demande que de
l'Ordre du Tiers- Etat , on en forme deux Or-
dres : je m'explique.
Jufqu'à préfent on n'a admis aux Etats- Gé-
22
néraux pour le Tiers - Etat , que les Députés
des bonnes Villes î pourquoi ne pas appliquer
cette qualification à toutes ? N'eft-ce pas faire
injure aux autres ? Le méritent-elles ? Leur
fidélité, leur attachement, leur amour pour
le Souverain , ne font-ils pas les mêmes ? Que
toutes les Villes du Royaume indiftin&ement
foient donc entendues par l'organe de leurs
Députés,
Ce ne ferait pas affez : les Habitans des
Bourgs , les Habitans des Campagnes , les
Agriculteurs ; cette clafTe précieufe que Ton
dédaigne , productrice de nos richefTes , doit
être confultée auiïl. C'eft elle qui eft la plus
foulée ^ & c'eft elle qui ne reçoit ni encoura-
gement ni récompenfe.
Voulez-vous connaître les befoins & les fa-
cultés d'un chacun ? Monarque , écoutez tous
vos Sujets ; vous êtes leur père 3 ils font tous
vos enfans , prêts à fe facrifier pour votre fer-
vice.
Je voudrais que de l'Ordre du Tiers -Etat,
que je fupprimerais, on en fît deux.
Jappelleraisle premier ^V Ordre des Citoyens,
& je comprendrais dans celui-ci tous les habi-
tans des Villes , fans aucune exception.
J'appellerais le fécond, l Ordre des Agro-
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nomes t & je mettrais dans celui-là > tous les
habitans des Bourgs , Villages & Hameaux.
C'eft ainfï que la Nation , pour cette fois,
ferait réellement repréfentée ; c'eft. alors qu'on
pourrait dire que ce qui aurait été réfolu , de
concert avec fes Députés , ferait le vœu de la
Nation !
Voilà mes idées. Je n'ajoute plus qu'un mot:
Vous qui gouvernez y fongez que le Peuple eft
l'Abeille laborieufe , qui prépare fon miel avec
beaucoup de foins & de peines ; que le Clergé
& la Noblefle font les Guêpes, qui dévorent le
produit de fon travail.
J f
oi/b-saii? i