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Full text of "Le Tiers-état éclairé, ou, Ses droits justifiés"

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LE  TIERS-ÉTAT 

É    C    L    A    I    R    É, 

o  -u 

SES    DROITS 

JUSTIFIÉS. 


I788. 


.■■.., 


/y/ 


LE  TIERS-ÉTAT 

ÉCLAIRÉ, 
OU     SES     DROITS 

JUSTIFIÉS. 


LJ E  P  U I S  des  fîècîes  ,  le  Clergé  &  la  NoblefTe 
font  en  poffeflion  de  tous  les  Bénéfices  ,  tant 
eccléfîaftiques  ,  militaires,  que  civils;  de  toutes 
les  dignités  ,  de  toutes  les  grâces  ,  de  tous  les 
bienfaits  du  Gouvernement ,  Se  ne  fupportent 
prefque  rien  des  charges  publiques  ;  'tandis  que 
le  Tiers-Etat  ,  qui  fuçcombe  fous  le  fardeau  t 
n'a  pour  toute  reffource  que  L'Hôpital  (  i  ). 

1  ■■     '■ '       "■  "  ■■■* 

(  i  )  Il  fcmble  qu'on  fe  propofe  d'envoyer  tout  le  Tiers-» 
Etat  à  l'Hôpital  ,  par  le  foin  qu'on  prend  de  multiplier  lç| 
Hôpitaux.  Je  donnerai  quelque  chofe  là-deflus. 

Au 


4 

Ce  n'cft  pas  cependant  ft.  que  îe  Cierge  &  la 
NobîefTe  ife  fafTent  parade  de  loyauté.  On  les 
a  vus  ,  dans  l'A  Semblée  des  Notables ,  de  1787  s 
faire  de  grandes  proteflations  de  zèle  pour  le 
bien  de  l'Etat  ,  abjurer  toutes  diilinctions  ;    &C 
quand  on  propofe  l'impôt  territorial  ,  fur- le- 
champ  ,  ils  s'élèvent  contre  ,  parce  qu'il  pefe- 
rait  fur  eux  feuls  ,  comme  étant  les  grands  pro- 
priétaires ,  les  autres  étant  furtaxés  j  -&  quand 
on  demande  au  Clergé  un  fupplément  de  don 
gratuit ,  il  négocie  pour  donner  le  moins  pof- 
fible  ;   tandis  que  le  don  gratuit  qu'il  paie  tous, 
les   cinq  ans  ,   n'équivaut   pas  à  une  année  du 
dixième   de  fes  revenus  ;  &  quand  on  agite 
la  queilion  de  favoir  quelle  fera  la  proportion 
des  Députés   des  trois  Ordres,  aux  Etats -Gé- 
néraux ,   ils  veulent  que  cette  proportion  foitf 
la  même  qu'en   1614,    c'eft-à-dïre  ,   qu'ils 
veulent  avoir  la  prépondérance  j  puifqu'en  161 4 
les    Députés   du    Clergé    &   de  la  NoblefTe , 
étaient  vis-à-vis  les  Députés  du  Tiers-Eiat  , 
comme  deux  à  un  ;  &  la  haute  Magiftraturô 
foutient  cette  prétention  >  &  la  confacre  dan$ 
l'enrégïftremezu  de  la  Loi ,  qui  la  rappelle  à 
fes  fondions  ! 

A  Dieu  ne  pîaife  que  je  Taccufe  de  vouloir 
4 touffer  la  voix  du  Pe  uple  !  elle  fait  trop  ce  qu  elle? 


lui  doit  :  S:  la  reconnaidance  efl  fans  doute  gra- 
vée dans  fon  cœur.  Si  cependant  des  génies  in- 
quiets ,  impérieux ,  cherchaient  à  i-nfinuer  qu'il 
efl  à  craindre  que  lesenfans  de  la  Patrie  {oient 
entendus,  c'eil  ceux-là  que  j'entreprendrois  : 
arrêtez;  c'efttrop.  Membre  du  Tiers-Etat,  jefàu- 
rai  foutenir  les  droits.  Ces  teràs  ne  fout  plus  , 
où  1?  régime  féodal,  avait  attaché  les  hommes 
à  la  glèbe.  L'humanité  a  repris  fon  empire  :  la 
Phiîoibphie  a  propagé  îa  lumière  ;  les  fîècîes 
d'ignorance  font  parlés  i  &  quoique  le  nôtre 
foit  la  lie  d^s  fîèçles  ,  fuivant  un  vertueux  Pré 
lat(i)  ,  taraifon  efï  fonie  des  ténèbres  qui  la 
dérobaient  à  nos  yeux. 

C'eft.  eî!e  qui  m'enfejgne  que  les  Repréfen- 
tans  doivent  être  en  raifon  des  Repréfentés  ; 
j'entends  par-là  que  les  Députés  du  Tiers-Etat 
doivent  erre  en  proportion  du  nombre  des  in- 
dividus contribuables,  qui  le  compo.fent,  de 
tnéme  que  •  les  Députés  du  Clergé  èc  de  la 
Noble/le. 

Ma  proportion  eft  fi  vraie  ,  Ci  évidente  , 
qu'elle  n'a  pas  befôin  de  preuves:  je  n'ai  à 
combattre  qu'un  ufage  contraire. 


(i)  Çhriftophe  cle  Beaumont, 


0 

IAifage  contraire  l  eiT-ce  bien  féneufement 
qu'on  l'oppofe  ?  N'eft-ce  pas  une  maxime  in- 
contcftable  ,  qu'on  ne  peut  prefcrire  contre  le 
Peuple  ? 

L'ufage  contraire  1  &  cet  ufage  eft-ii  conf- 
tant  ?  a-t-il  été  invariable  ? 

Remontez  à  l'origine  de  la  Monarchie  :  dans 
fes  commencement  ,  les  Francs  ,  qui  élevèrent 
Pharamond    fur  un   pavois  ,  admettaient  -  ils 
cette   diftinclion  qu'on  veut  faire  aujourd'hui  ? 
Le  Clergé  &  la  NoblefTe  jouifTaient-ils  du  pri- 
vilège qu'ils  veulent  s'arroger  ?  Le  Clergé  ,  alors 
naiffânt  >  n'avait  que  la  voix  de  la  perfuafîon. 
Reroy,  Pafieur  (  1  )  deRheims,  fait  prier  Clovis 
de  lui  rendre  un  val'e  qu'on  lui  avait  pris.  Sui* 
ve^-moi  jufquà  Soijfons ,  dit  le  Monarque  à 
fon   Envoyé;  c\ft  là  que  doit  Je  faire  h  par- 
tage de  notre  butin  ;  &  je  vous  fatisferai.  Dès 
qu'on   fe  fut  difpofé  à  faire    les  lots ,    Clovis 
fupplie  l'armée  de  lui  accorder  ,  outre  fa  part , 
le  vafe  enlevé  à  l'Eglife  de  Rheims.  U»  fcul 
Soldat  s'y  oppofe  :  Tu  n'auras,  répond-t-il  à 
Clovis ,  que  ce  que  le  fort  te  donnera  ,  8c  dé- 
charge en  même-tems  un  coup  de  fa  francifque 
fur  le  vafe  ,  qui  le    met  en  pièces.  Dans  ce 
tems-là  ,   le  Clergé  &  la  NoblefTe    n'avaient 


(  i  )  H  ne  fe  qualifiait  point  (TEvc^ue, 


7 
Août  aucune  prépondérance?  La  Noblefîe  n'exïf- 
tait  même  pas  ;  car  elle  n'a  commencé  qu'à  la 
fin  de  la  féconde  Race  ,  avec  l'inititution  des 
Fiefs  :   c'eft  cette  nouvelle  feigneurie  ,  fuivant 
le  Piéfident  Haynault,  qui  lui  a  donné  l'être. 
C'eft  la  poffefîîon  des  terres  qui  a  fait  les  Nobles  ; 
les  Francs  étaient  égaux  entr'eux.   Toute  dif- 
tin&ion  n'aurait  pas  convenu  à  leur  caractère  : 
hommes  demi-fauvages  ,   hommes  farouches  , 
à-p§u-près  comme  les  Caraïbes  de  Saint- Vin- 
cent ,  ils  pouvaient  bien  marcher  fous  la  con- 
duite d'un  Chef ,  parce  que  c'était  pour  leur 
avantage  commun  ;  mais  quand  il  fallait  déter.. 
miner  la  Nation  ,   qu'on    voulait   attaquer  &: 
conquérir  ,  les  Francs  devaient  être  affemblés 
auparavant  ;  &  ce  n'était  qu'autant  qu'ils  ap- 
prouvaient ,   par  le  cliquetis  de  leurs  armes  f 
la  propofition  qui  leur  était  faite  ,  qu'ils  s'ex- 
pofaient  aux  dangers  des  événemens. 

C'eft  amfi  que  fous  les  deux  premières  Races, 
les  Francs  &  les  Gaulois  qu'ils  avaient  fubju- 
gués  ,  ont  été  gouvernés.  Dans  les  champs  de 
Mars  &  de  Mai  ,  c'était  le  corps  de  la  Nation 
qui  avait  la  majorité  ,  parce  qu'il  était  plus 
nombreux  que  ceux  qui  étaient  à  fa  tête.  Les 
Etats-Généraux  ont  fuccédé  ,  fuivant  le  Clergé 
&  la  NoblefTe ,  aux  AfTemblées  du  champ  de 
Mars  &  de  Mai ,  &  celles-ci  aux  AfTemblées 


âcs  Germains  ;  c  efl  donc  le  corps  de  la  Na- 
tion qui  doit  former  la  partie  principale  de 
l'AiTemblée  des  Etats  -  Généraux  ,  puifque 
c'était  le  corps  des  Francs  &  des  Gaulois  con- 
fondus enfemble  ,  qui  compofait  les  AfTembiées 
du  champ  de  Mars  <k  de  Mai* 

Or ,  qu'efï-ce  qui  forme  le  corps  de  la  Na- 
tion Française  ?  C'eit  le  Tiers-Etat.  Pourquoi? 
Parce  que  c'efl  lui  qui  repréfente  efTentiellement 
les  premiers  Francs  qui  ont  jette  les  fondeme'ns 
de  la  Monarchie  ;  &  il  repréfente  efTentielie- 
ment  les  premiers  Francs  ,  puifque  ,  lors  de 
leur  irruption,  ils  n'avaient,  parmi  eux,  ni 
Clergé  ,  ni  NoblefTe.  Us  n'avaient  point  de 
CUrgé  ,  puifqiwls  l'ont  reçu  dans  leur  fein  ; 
ils  n'avaient  point  de  NoblefTe  ,  puifqu'elle  ne 
date  que  de  l'érection  des  Fiefs  :  donc  les  Dé-* 
pûtes  du  Tiers-Etat  doivent  l'emporter  fur  les 
Députés  du  Clergé  &  de  la  NoblefTe  :  donc  )k:s 
Députés  des  trois  Ordres  doivent  être  en  raifon 
des  individus  contribuables  ne  chacun  :  ce  n'effc 
point  introduire  un  ufage  nouveau  '3  c'efl  faire 
revivre  l'ancien. 

Je  fais  que  ,  depuis  Philippe  -  le  -  Bel  ,  le 
Clergé  &  la  NoblefTe  ont  toujours  dominé  dans 
les  Etats  -  Généraux  qui  ont  été  convoques  ^ 
mais  comment  ofent-ils  s'en  prévaloir  ?  Efl-ce 
là  un  titre  en  leur  faveur?  Ignorent  ils  ce  bro~ 

*     card 


9 

card  de  droit  :  radius  éft  non  hahcrc  zitulurn , 
qulim  oflendere  vitiofum. 

Confultez  l'HIfloire  :  tant  que  le  corps  de  la 
Nation  ,  ou  le  Tiers-Etat  ,  ce  qr.reft  la  même 
chofe  ,  a  été  admis  dans  les  AfTembiées  du 
champ  de  Mars  ou  de  Mai ,  l'autorité  Royale 
s'èft  foutenue  Se  aggrandie  :  c'eft  à  mefure  que 
le  Tiers-Etat  a  été  écarté  ,  que  les  Evêques  8c 
les  Chevaliers  fe  font  mis  à  fa  place  ,  qu'elle 
s'efl  diminuée  infenfibîtàment  ,  &  qu'elle  a  été 
rendue  prefque  nulle.  L'empire  que  le  Cierge 
s'arroge  ,  Tes  mœurs  feandaieufes  ,  excitent  la 
jaloufie  des  Seigneurs  ,  qu'il  voulait  écrafer. 
Les  Chevaliers  s'attachent  à  Charles  Martel  : 
Charles  Martel ,  fur  de  la  fidélité  de  (on  armée  , 
regarde  les  Capitaines ,  qui  le  fuivaient ,  comme 
le  corps  entier  de  la  Nation  ;  les  Capitaines  ,  à 
leur  tour,  s'emparent  des  biens  de  l'Eglife  :  pa- 
raît Cnarlernagne  ,  qui  les  leur  fait  rendre.  Le 
Clergé  &  la  Noblefle  fembîent  alors  fe  rap- 
procher^ ce  font  ces  deux  Ordres  qui  dirigent 
à  leur  gré  le  Monarque.  On  ne  peut  lire ,  fans 
indignation  ,  la  vie  de  Louis- le-Débonnaire  ; 
il  avait  comblé  le  Clergé  de  bienfaits  ,  &  le 
Clergé  le  dégrade  ,  le  traite  ignominieufement 
La  lignée  de  Charle magne  fe  divife  ;  les  grands 
Officiers  rendent  héréditaires,dans  leurs  familles, 

B 


10 

hs  domaines  &  les  charges  ,  qu'il*  ne  tenaient 
qu'à  titre  de  bénéfice.    Le  Peuple   n'eft   plus 
confulté  ;  il  devient  efcîave  ;  les  Fiefs  s'intro* 
duifent;  &  quand    Hugues-Capet  monta  fur 
le  Trône  ,  l'autorité  royale  n'était   qu'un  fan- 
tome.  Combien  de  combats  ,  combien  d'efforts 
pour  lui  redonner  {on  îuftre  1   Encore  tous  ces 
combats  ,  tous  ces  efforts  auraient  été  vains  , 
fans  le  fe cours  du  Tiers- Etat.  Pendant  cette 
anarchie  féodale  ,  le  Clergé  profite  de  l'igno- 
rance des  fiècles  ,    pour  s'approprier  les  biens 
qui  appartenaient  aux  Fidèles  ;  la  NoblefTe  , 
de  fon  côté  ,  enorgueillie  de  [es  fuccès  ,  établir 
des  droits  tyranniques  fur  fes  Vaflaux.  Le  tems 
approche  enfin  ,  où  la  liberté  du  Peuple  doit 
fortir  de  l'oppreffion  où  il  eft.   Louis-le-Gros 
érige  les  Communes  ;  &:  les  Seigneurs  imitent 
fon  exemple  ;  les  Serfs  achètent  leur  affran- 
chifïement  :  les  Croifades  viennent  favorjfer  le 
changement    qui  fe  préparait  ;  des  alliances 
heureufes  augmentent  la  puifTance  de  nos  Rois  . 
Philippe-le-Bel  convoque  d'abord  des  ArTem- 
blées  de  Notables  ,  pour  balancer  le  crédit  du 
Clergé  &  de  la  NoblefTe.  Ces  AfTemblées  de 
Notables  lui  font  favorables  :  il  en  convoque 
d'autres ,  où  il  appelle  des  Députés  de  fes  bonnes 
Villes  ;  &  voilà  le  Tiers-Etat  qui  reprend  fes 
droits  5  8c  voilà  l'origine  des  Etats-Généraux. 


II 

le  Tiers-Etat  ne  clément  point  l'opinion  qu'on 
a  conçue  de  lui;  il  prend  le  parti  de  fon  Prince, 
s'élève  contre  les  prétentions  injuftes  du  Clergé 
&  dé  la  Nobleffe  :  fcn  zèle  ,  fon  dévouement 
rétablit  l'équilibre  :  bientôt  les  Députés  du  Tiers- 
Etat  font  multipliés.  Louis  Hutin,  confidéranr 
que  fon  R.oyaume  efl  dit  &  nommé  le  Royaume 
des  Francs,  veut  que  la  chofe  foit accordante  au 
nom  ;  Charles  VII  entretient  le  premier  des 
troupes  réglées;  Louis  XI  met  les  Rois  hors  de 
paye;  &  voilà  l'autorité  affermie;  &  voilà  le 
colorie  monftrueux  du  Clergé  &  de  la  No~ 
blefTe  ,  qui  l'ombrageait ,  fur  le  penchant  de  fa 
ruine.  Richelieu  porte  le  dernier  coup. 

Et  vous  viendrez  m'oppofer  l'ufage  d'avoir 
deux  Députés  contre  un  !  vous  viendrez  faire 
valoir  vos  privilèges!  Avez-vous  bien  réfléchi? 
Eft-ce  que  le  nombre  des  Députés  du  Tiers- 
Ecat  ayant  toujours  varié  chaque  fois  que  les 
Etats-Généraux  ont  été  affemblés  ,  on  peut 
en  faire  réfulter  un  ufage  tel  qu'il  foit  ?  Ec 
quand  cet  ufage  ferait  aufïï  confiant  ,  qu'il 
efr.  incertain  ,  eft  -  ce  que  cet  ufage  ne  ferait 
pas  abufif  ?  Répondez.  L'abus  fe  couvre  -  t  -  il 
jamais  ?  N'efï-ce  pas  par  un  abus ,  que  vous 
vous  êtes  attribué  les  droits  du  Peuple  ,  que 
vous  l'avez  exclu  de  ces  Afïemblées  natio- 
nales dont  il  était  l'ame  t  N'efl-ce  pas  par  un 


Î2 

abus,  que,  pendant  très-long- temps,  vous  avez 
régenté  nos  Rgis,  &  en  avez  été  les  oppref- 
feurs?  N'efl-ce  pas  par  un  abus,  que  vous  avez 
accumulé  ces  richefTes  ,  qui  font  ie  patrimoine 
des  Pauvres?  Ne  venez  donc  plus  me  parler 
de  votre  ufage  :  remontez  au  principe.  Dans 
le  principe  ,  fous  deux  races  fuccefïïves  ,  le 
Peuple  avait  la  prépondérance  dans  les  Af- 
fembîées  ;  la  prépondérance  du.  Peuple  a 
toujours  fécondé  les  vues  de  nos  Monarques  : 
la  vôire  n'a  fait  que  les  contrarier.  Le  Peuple 
réfide  dans  le  'fiers-Etat  ;  c'efî  le  Tiers-Etat 
qui  efl  le  Peuple  ;  c'efl  le  Tiers-Etat  qui  re- 
préfente  les  premiers  Francs,  nos  ancêtres. 
Donc  ,  encore  une  fois  ,  les  Députés  du  Tiers- 
Etat  doivent  être  fupérieurs  en  nombre  aux 
vôtres  ;  donc  les  Députés  de  chaque  Ordre 
doivent  être  en  raifon  des  individus  contri- 
buables ,  qui  les  compefent  les  uns  êc  les 
autres* 

L'ufage  que  le  Clergé  &  la  Noblefle  invo- 
quent ,  ainfl  écarté  ,  fur  quoi  peuvent  -  ils  fe 
fonder  maintenant  ?  fur  leurs  privilèges»  Dites, 
qu'epL-ce  qu'une  Monarchie  ?  une  Monarchie  , 
félon  moi  ,  n'eft  autre  chofe  qu'une  famille 
nombreufe  ,  dont  le  Monarque  efl  le  Père  : 
je  parle  en  général  ,  fans  m'ernbarraffer  ces 
difpofiticns  de  pluCeurs  de  nos  coutumes  ,  qui 


r3 
font  un  refte  de  la  féodalité,  Se  qui  accordent, 
aux  aînés  mâles  des  Nobles  des  parts  avanra- 
geufes.  En  général  ,  un  père  ne  doit  point 
avoir  de  prédliceïion  pour  un  Enfant  ,  au 
préjudice  des  autres;  fâ  tendfefFe  doit  être  égale 
pour  tous  ;  de  même  que  tous  les  enfans 
doivent  fournir  aux  befoins  de  leur  père  com- 
mun ,  fans  exception  ni  réferves.  Appliquant 
ma  définition  à  l'objet  des  Etats  :  qu  efl  ~  ce 
que  je  vois  ?  que  le  Roi  eft  le  père  du  Clergé 
&  de  la  Nobleffe ,  comme  du  Tiers-Etat ,  que 
le  Tiers-  Etat  vît  fous  fa  fauve-garde  ,  comme 
le  Clergé  &  la  NoblefTe.  Les  (ecours  que  les 
enfans  doivent  à  leur  père  ,  étant  le  prix  de 
fa  fauve-garde,  étant  le  prix  de  fes  foins  pa- 
ternels ,  les  enfans  doivent  donc  abjurer  toutes 
dirlinclions  ;  c'efc  tome  la  famille  qu'il  faut 
confulter  pour  connaître  fes  facultés  ;  les  Dé- 
putes des  enfans  doivent  donc  être  en  raifon  de 
leur  nombre  ,  Se  non  pas  de  leurs  dignités  , 
ou  de  leurs  rangs. 

Leurs  privilèges  !  Je  m'adrcfTe  au  Clergé  ; 
non  pas  à  tout  le  Clergé  indistinctement  ;  je 
fais  faire  une  différence  entre  ces  Pontifes 
dont  les  lumières  égalent  la  fageffe  ,  ces  Pat- 
teurs  vénérables  qui  exercent  la  chanté  ,  &c 
ces  pieux  fo lirai r es  qui  nous  retracent  les  beaux 
jours  du    Chrillianiime  ;    mais   bien   à   ceux 


i4 
qui  ne  leur  refTemblent  pas.  Vous  qui  cherchez 
à  reftreindre  le  nombre  des  Députés  du  Tiers- 
Etat  ,  pour  que  les  vôtres ,  joints  à  ceux  de 
la  NoblefTe  ,  fe  rendent  maîtres  des  délibéra- 
tions ,  devriez-vous  avoir  des  Députés  aux 
Etats-Généraux  ?  N'avez-vous  pas  vos  A  Sem- 
blées particulières  ?  Votre  contribution  n'efU 
eiie  pas  féparée  de  la  contribution  des  Peuples  ? 
n'ofFrez-vous  pas  vous  même  votre  don  gratuit  ? 
Votre  don  gratuit  !  c'efl  une  grâce  que  vous 
faites  !  Ingrats!  les  biens  dont  vous  jouirTez  ont 
été  donnés  à  l'églife  ,  &  non  pas  à  fes  Minif- 
tres  ;  ce  font  les  fidèles  qui  conftiruent  l'églife  ; 
vous  n'êtes  que  la  partie  enfeignante.  Vous 
ètts  incapable  de  pofTéder  :  votre  Royaume 
n'eft  pas  de  ce  monde;  le  temporel  ne  vous 
regarde  pas  :  que  diraient  les  premiers  Apôtres, 
qui  ne  voulaient  pas  toucher  les  aumônes 
qu'on  leur  apportait  ,  qui  diitribuaient  le  prix 
de  leur  travail  à  ceux  qui  ,  fuivant  leur  doc- 
trine ,  marchaient  nuds  pieds  ,  &  donnaient 
l'exemple  de  l'humilité  ,  s'ils  voyaient  leurs 
fuccefTeurs  d'aujourd'hui  ?  Mondains ,  s'écri- 
raient-iis  ,  refîituez  le  bien  des  Pauvres  ;  le 
bien  des  Pauvres  ne  doit  point  être  employé 
à  nourrir  votre  orgueil;  le  bien  àes  Pauvres 
ne  doit  point  fervir  à  vous  conftruire  des 
Palais  ;  le  bien  des  Pauvres  n'a  point  été  de(- 


tiné  à  vous  faire  porter  dans  âes  chars  ,  at- 
telés de  fuperbes  Courfïers  ;  le  bien  des 
Pauvres  ne  doit  point  alimenter  vos  caprices 
&  vos  fantaiiies  :  remplirez  vos  devoirs  vous- 
mêmes  ,  &  ne  vous  rcpofez  plus  fur  des  fu- 
bordonnés  ;  reprenez  l'empire  de  la  parole  , 
ce  que  vos  vertus  falTent  oublier  vos  faibief- 
ies  :  occupez-vous  uniquement  du  fpirituel , 
c'eil  là  votre  partage. 

Je  m'adreiTe  à  la  Noblefïe  avec  la  mêm« 
modification  qu'au  Clergé;  je  ferais  injurie,  fï 
je  n'en  faifais  pas.  Ah  !  fï  elle  refTemblaic 
à  cet  homme  vraiment  Héros  (  i  )  ,  que  la 
France  vient  de  perdre  ,  &  qu'elle  pleure  , 
elle  protégerait  le  Tiers-Etat,  au  lieu  de  cher- 
cher à  l'opprimer  :  femblable  a  ce  généreux 
Bayard ,  rien  n'était  à  lui  ;  tout  était  pour  le 
corps  qui  avait  le  bonheur  d'être  fous  fon 
commandement  :  chez  lui  ,  le  malheureux 
trouvait  un  afyle  ;  il  a  encore  beaucoup  d'imi- 
tateurs :  ce  n'eft  pas  à  cette  NobleiTe-là  que 
j'en  veux  ;  c'eft  à  celle  qui  penfe  Se  agit  d'une 
manière  toute  contraire.  Quand  je  l'entends  trai- 
ter dédaigneufement  le  Tiers-Etat  ,  fe  pré- 
tendre d'une  nature  fupérieure  à  la  fienne ,  il 


(  i  )   M.  le  Marchai  de  Biron, 


i6 
me  femble  voir  des  enfans  méprifer  leur  mère. 
Nobles!  que  feriez- vous  ,  fans  le  Tiers-Etat  ? 
Que  deviendraient  vos  difci  notions  ?   N'eft-ce 
-pas  lui  qui  les  fait  valoir  ?   Comment  feriez- 
vous  pour  vivre  ?  ft'eii-ce  pas  lui  qui  cCt  votre 
père  nourricier  ?   Vous  expofez  votre  fortune 
&    votre  vie  pour   la  défenfe  de  la  Patrie  ? 
&  le  Tiers-Etat  n'en  fait-  il  pas  autant  ?  Comp- 
tez ;   fur  trois  cents  mille  combattans,  com- 
bien êtes-vous  ?   Sur  cent  mille  morts ,  quel 
nombre  perdez-vous  ?  A  qui  devez-vous  votre 
élévation  ,  votre  gloire  ,  fi  ce  n'eil  à  la  valeur 
du  Soldat ,  (1  ce  n'efl  iouvent  à  l'avis  donné 
par  un  vieux  Vétéran  ?   Vous  portez  le  faite 
&   l'orgueil  dans   nos    camps  ;    vos  manières 
hautaines  jettent    le    découragement,  &  oc- 
casionnent les  déferlions.  Eft-cc  ainfi  que  les 
Chefs  des  Francs  fe  conduifaient  ?  Les  Francs 
qui  marchaient  fous  eux  ,    n'étaient  -  ils  pas 
leurs  Compagnons  ?  Tâchez  de  les  imiter.  Le 
Tiers  -  Etat  n'envie   point  vos  dignités  ,    vos 
penfions  ,  vos  franchifes.  Soye-z  exempts  du  lo- 
gement de  gens  de  guerre  ;  il  le  fupporte  fans 
murmure  ;  ayez  la  loyauté  de  ces  preux  Cheva- 
liers ,  &  le  Tiers-Etat  s'emprefTera  de  fe  ranger 
fous  vos  bannières  •  cédez   d'être  impérieux, 
d'être  avides  des  fueurs  des  Fermiers,  vous  ferez 
aimés;  fecourez  les  malheureux  5  protégez  les 

opprimés  , 


opprimés,  &  les  Peuples  vous  béniront:  mm 
lorfqu'il  s'agit  de  contribuer  aux  charges  publi- 
ques ,  n'allez  pas  chercher  à  les  faire  paffef 
fur  le  Tiers-Etat;  longez  que  ie  Tiers-Etat  eLt 
le  Corps  ,  &  que  vous  ,  vous  n'êtes  qu'un 
membre;  laiiTez  agir  le  corps  en  liberté  ;  que 
fes  Députés  (oient  en  proportion  de  Ton  vo- 
lume. 

Je  prévois  encore  un  obitacle  ;  les  Députés 
des  trois  Ordres  ,  reprendront  le  Clergé  &C 
la  NoblefTe  ,  ne  doivent  point  être  en  raifon 
de  leur  population  ,  mais  en  raifon  de  leurs 
propriétés.  Nous  fommes  plus  grands  proprié- 
taires que  tout  le  Tiers-Etat  enfemble  :  donc 
nous  devons  avoir  plus  de  Dépurés  que  lui. 

Ce  raiibnnement  accable  le  Clergé  &  la 
NoblefTe. 

Suivant  M.  Necker ,  dans  fon  Ouvrage  de 
l'Adminirtration  des  Finances,  l'article  feul  des 
Vingtièmes  ,  qui  ne  fe  perçoivent  que  fur  les 
propriétés,  fe  monte  à  55  millions  par  an. 

Encore  ces  53  millions  ne  font  que  pour  les 
biens  de  la  NoblefTe  &  du  TiersrEtar.  Les  biens 
du  Clergé  ne  font  point  impofés.  Il  donne  tous 
les  trois  ans  ,  ou  tous  les  cinq  ans  ,  un  don  gra- 
tuit qui  en  tient  lieu. 

Le  Clergé  eft  plus  riche  en  fonds  de  terres, 
que  la  NobleiTe  ;  cela  eft  inconteftable.  On 

C 


i8 

évalue  ordinairement  Tes  propriétés  au  tiers  de 
toutes  les  propriétés  du  Royaume. 

Cela  pofé  ,  il  faut  dire  que  fi  les  deux  tiers 
des  propriétés  du  Royaume  payent  ^  ?  millions 
de  Vingtièmes  ,  la  totalité  ,  dans  la  même  pro- 
portion, doit  payer  81,500,000  liv. 

Le  Clergé  ,  dans  notre  hypotèfe  ,  pofsède 
un  tiers  des  propriétés  du  Royaume  :  donc  il 
devrait  payer  annuellement  vingt-fept  millions 
cinq  cents  mille  livres  ,  qui  (ont  le  tiers  de  qua- 
tre-vingt-deux millions  cinq  cents  mille  livres. 
Or  ,  fuivant  le  compte  rendu  au  Roi ,  en 
1781  ,  par  le  même  Miniftre  ,  le  don  gratuit  du 
Clergé  ,  qui  tient  lieu  de  Vingtième,  efl  eflimé, 
tous  les  cinq  ans  ,  de  16  à  18  millions  ;  ce  qui 
fait,  année  commune,  3  millions  200  ,  à  3 
millions  400  mille  liv.  :  donc  le  Clergé  ne  paie 
pas  ,  tous  les  cinq  ans  ,  ce  qu'il  devrait  payer 
dans  une  année. 

Qu'il  fe  montre  à  préfent  !  que  dans  Ces  dif- 
cours  il  imprime  qu'il  eft  prêt  à  fefacrifier  pour 
l'Etat  1  dévouement  illufoire  !  Il  tient  toutes 
les  richeffes  dans  fa  main  ;  &  il  paie  «quinze 
fois  moins  que  le  Tiers-Etat  ,  pour  les  Ving- 
tièmes feulement. 

Ce  que  je  dis  du  Clergé ,  je  le  dis  de  la  No- 
blefle  ;  elle  ne  paie  pas  davantage.  Je  connois 
tel  Seigneur ,  qui  jouit  de  cinquante  mille  livres 


1* 

de  rentes  en  fonds  ,  &  qui  ne  rend  de  Ving- 
tièmes ,  que  600  liv.  fur  y  5  millions.  Le  Tiers- 
Etat  en  fupporte  plus  de  50. 

Tiers-Etat  1  fortez  de  l'afTervifïèment  où  les 
deux  premiers  Ordres  vous  tiennent  ;  ne  fouf- 
frez  pas  que  tout  le  fardeau  tombe  fur  vous , 
que  Ton  joigne  l'ironie  à  la  vexation  criante 
que  le  Clergé  &  la  Noblefie  exercent  ;  que 
vos  Députés  dominent  :  favorifez  le  Roi ,  écra- 
fez  vos  tyrans. 

Je  n'aurais  befoin  que  du  tableau  que  je  viens 
de  préfenter  ,  pour  pulvérifer  Fobjeâion  que 
je  combats  ;  &  par  un  raifonnement  contraire 
à  celui  du  Clergé  &c  de  la  NoblefFe  ,  je  leur 
dirois  ,  au  nom  du  Tiers-Eta-t  :  Je  contribue 
le  double  ,  le  triple  ,  le  quadruple  ,  le  quin- 
tuple de  vous,  à  l'impôt  qui  frappe  fur  les 
biens  fonds;  donc  mes  Députés  doivent  être 
en  proportion  de  ma  contribution. 

Mais  je  puis  aller  plus  loin  ,  d'après  l'Auteur 
que  je  viens  de  citer. 

La  taille  ,  le  taillon  ,  qui  fe  montent  a  9? 
millions  ,  qu'eil-ce  qui  les  paient  ?  Le  Tiers- 
Etat  feul. 

L'induftrie  qui  fe  porte  également  à  des  mil- 
lions ,  fur  qui  efl-elle  impofée  l  fur  le  Tiers- 
Etat  feul. 

Les  Octrois  des  Villes  ,  qui  rapportent  27  mil- 

Gij 


10 

lions,  font  également  à  la  chargé  du  Tiers- 
Etat  feul. 

Les  droits  de  Maîtrifes  fur  les  Corps  &  Com- 
munautés d'arts  6c  métiers  regardent  le  Tiers- 
Etar. 

Enfin  ,  pour  abréger  ,  fur  585  millions,  qui 
forment  le  total  des  Impofitions,  le  Clergé  n'en 
fupporte  ,  pour  fa  part ,  que  1 1  millions  :  la 
Noblefle  à- peu-près  autant  ;  c'eft  fur  le  Tiet;s- 
Jitat  que  fe  perçoit  tout  le  refte. 
▼  Et  Ton  restreindra  les  Députés  du  Tiers-Etat 
aux  Etats-Généraux  ;,  &  les  Députés  du  Clergé 
&  de  la  Noblefle  feront  en  nombre  fupérieur 
aux  (uns  ,  ou  à  égalité  1  Non  ,  cela  ne  fera 
pas  :  le  Tiers-Etat  n'y  confentira  jamais.  De- 
puis trop  long-tems  ,  il  efl  le  jouet  des  deux 
autres  Ordres  :  la  mefure  eft  à  fon  comble  : 
il  faut  qu'il  reprenne  la  place  qu'il  aurait  dû 
toujours  occuper  :  l'autorité  royale  ne  peut  qu'y 
trouver  fon  avantage. 

La  proportion  des  Députés  des  trois  Ordres 
ainfî  établie  ,  n'importe  de  quelle  manière  ,  les 
Etats-Généraux  feronr  convoqués;  que  ce  foie 
par  Gouvernement  ,  par  Diocèfe  ,  par  Bail- 
liage ,  par  Généralité  ,  tout  cela  revient  au 
même  ,  puifqiie  le  nombre  des  Députés  des 
trois  Ordres  de  chaque  département  ,  fera  en 
raifon  de  fa  population  oc  des  contribuables. 


•r 


Mais  il  efl  une  autre  chofe  qui  me  choque  i 
c  efl  que  le  Clergé  Se  la  Noblefle  faflTent  deux 
Ordres  ,  &  que  le  TiersEtat  n'en  fafTe  qu'un, 
comme  s'il  n'y  avait  pas  des  diftinétions  à  faire 
dans  celui-ci,  comme  dans  les  autres. 

Rigoureufement  parlant ,  le  Clergé  ne  devrait 
point  figurer  dans  les  Etats-Généraux:  j'en  ai 
dit  la  raifon. 

Et  en  fuppofant  que  ,  fans  tirer  à  confé- 
quence  ,  on  fuive  l'ancienne  routine  ,  le  Clergé 
devrait  fe  confondre  avec  la  Noblefle  ,  6c  ne 
former  qu  un  feul  Ordre  ,  parce  que  le  Clergé 
fe  prétend  Noble  auffi  ;  ce  qui  efl:  bien  con- 
traire à  la  vérité  ,  à  la  morale  de  fon  divin 
Maître  ?  qui  voulait  être  le  dernier  de  tous  ; 
mais  cela  n'eft  plus  bon  que  dans  les  Cérémo- 
nies de  l'Eglife.  C'eft  le  Fape  qui  fe  qualifie  de 
Serviteur  des  Serviteurs  ,  &c  qui  fe  met  au- 
defTus  des  Princes  temporels  !  Trouverai-je  tou- 
jours contradiction  &  inconféquence  ? 

Je  veux  cependant  qu'on  laifîe  fubfifter  l'Or- 
dre du  Clergé  &  de  la  NoblefTe.  Mais ,  en  ce 
cas  ,  je  demande  qu'on  change  la  dénomination, 
de  l'Ordre  du  Tiers-Etat  ,  qui  me  paraît  une 
dénomination  de  mépris.  Je  demande  que  de 
l'Ordre  du  Tiers- Etat ,  on  en  forme  deux  Or- 
dres :  je  m'explique. 

Jufqu'à  préfent  on  n'a  admis  aux  Etats- Gé- 


22 

néraux  pour  le  Tiers  -  Etat ,  que  les  Députés 
des  bonnes  Villes  î  pourquoi  ne  pas  appliquer 
cette  qualification  à  toutes  ?  N'eft-ce  pas  faire 
injure  aux  autres  ?  Le  méritent-elles  ?  Leur 
fidélité,  leur  attachement,  leur  amour  pour 
le  Souverain  ,  ne  font-ils  pas  les  mêmes  ?  Que 
toutes  les  Villes  du  Royaume  indiftin&ement 
foient  donc  entendues  par  l'organe  de  leurs 
Députés, 

Ce  ne  ferait  pas  affez  :  les  Habitans  des 
Bourgs ,  les  Habitans  des  Campagnes  ,  les 
Agriculteurs  ;  cette  clafTe  précieufe  que  Ton 
dédaigne  ,  productrice  de  nos  richefTes  ,  doit 
être  confultée  auiïl.  C'eft  elle  qui  eft  la  plus 
foulée  ^  &  c'eft  elle  qui  ne  reçoit  ni  encoura- 
gement ni  récompenfe. 

Voulez-vous  connaître  les  befoins  &  les  fa- 
cultés d'un  chacun  ?  Monarque  ,  écoutez  tous 
vos  Sujets  ;  vous  êtes  leur  père  3  ils  font  tous 
vos  enfans  ,  prêts  à  fe  facrifier  pour  votre  fer- 
vice. 

Je  voudrais  que  de  l'Ordre  du  Tiers -Etat, 
que  je  fupprimerais,  on  en  fît  deux. 

Jappelleraisle  premier  ^V  Ordre  des  Citoyens, 
&  je  comprendrais  dans  celui-ci  tous  les  habi- 
tans des  Villes ,  fans  aucune  exception. 

J'appellerais  le  fécond,  l  Ordre  des   Agro- 


25 

nomes  t  &  je  mettrais  dans  celui-là  >  tous  les 
habitans  des  Bourgs ,  Villages  &  Hameaux. 

C'eft  ainfï  que  la  Nation  ,  pour  cette  fois, 
ferait  réellement  repréfentée  ;  c'eft.  alors  qu'on 
pourrait  dire  que  ce  qui  aurait  été  réfolu  ,  de 
concert  avec  fes  Députés  ,  ferait  le  vœu  de  la 
Nation  ! 

Voilà  mes  idées.  Je  n'ajoute  plus  qu'un  mot: 
Vous  qui  gouvernez  y  fongez  que  le  Peuple  eft 
l'Abeille  laborieufe  ,  qui  prépare  fon  miel  avec 
beaucoup  de  foins  &  de  peines  ;  que  le  Clergé 
&  la  Noblefle  font  les  Guêpes,  qui  dévorent  le 
produit  de  fon  travail. 


J  f 


oi/b-saii?  i