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Full text of "Lettre philosophique"

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LETTRE 

PHILOSOPHIQUE, 

PAR      M.      DE      V**'  . 
AVEC 

PLUSIEURS     PIECES 

GALANTES     ET     NOUVELLES, 

Vs       DirFÊKEyTS       AVTEVX.S. 

NouvelW  Édition ,  revue  &  corrige^c 


A     BERLIN; 
Aux    dépens   de    la    Compagnie»' 

M.    DCC.    LXXIV. 


If      ...... 


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X  2EL  T  T  Hd  JEl 
PHILOSOPHIQUE 

Par    m.    de     y*  *  *^ 


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LETTRE    SUR    L'AME, 


O  N  S  I  E 


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Il  £iut  qne  je  Tavonc  ;  lorfque  j'ai  examiné 
l'infaillible  Âriftotc,  le  Doâieur  Évangéliquè,  le 
divin  Platon  ,'j'ai  pris  ces  épithetes  pour  des  h- 
briquets.  Je  n'ai  vu  dans  tous  les  Philofcphes  qui 
ont  parlé  de  l'ame  humaine  ,  que  des  aveugles 
pleins  de  témérité  &  de  babil ,  qui  s'efforcent  de 
perfuader  qu'ils  ont  une  vue  d'aigle  ;  &  d'autres 
curieux  &;  fous  qui  les  croient  fur  leur  parole ,  & 
qui  s'imaginent  auiîl  de  voir  quelque  chofç, 

Aij 


^  ŒUVRES 

Jç  ne  feindrai  point  de  mettre  au  rang  de  ces 
n^^aitres  d'erreur  ,  Defcartes  &  Malbranche.  Le 
premier  nous  aflurc  que  l'ame  de  l'homme  eft  une 
fl]briitance,  dont  l'eficnce  ei\  de  penfcr,  qui  penfe 
toujours  ,  &  qui  s'occupe  dans  le  ventre  de  la 
ITl^re  de  belles  idées  métaphyfiques  &  de  beau3Ç 
ftxbmes  généraux,  quelle  oublie  enfuite. 

Pour  le  P.  Malbranchc,  il  eft  bien  perfuadé 
çjue  nous  voyons  tout  en  Dieu  ;  il  a  trouvé  des 
jp^rtil^ms  ,  parée  cjue  les  fables  les  plus  hardies 
ionç  celle?  qui  font  les  mieux  reçues  de  la  foible 
Ijpa^ination  des  hommes. 

Plufieurs  Philofophes  ont  donc  fiit  le  Roman 
4e  l'Orne  :  enfin  ,  c'eft  un  ufage  qui  en  a  écrit 
ïP.t>çlcitcment  l'hjftoire.  Je  vais  faire  l'abrégé  de 
çgirg  biltoire,  félon  que  je  l'ai  conçue.  Je  fais  fort 
bien  que  tout  le  monde  ne  conviendra  pas  des 
Id4?s  de  Mr.  Locke  :  il  fe  pourroit  bien  faire  que 
i\\v,  Locke  eut  raifon  contre  Defcartes  &  Mal- 
|~iranrhe  ,  &  qu'il  eut  tort  contre  la  Sorbonne  ; 
^e  p  M'ie  félon  les  lumières  de  la  Philofophie ,  non 
ft-îoi>  les  révélations  de  la  Foi. 

Il  ne  m'appartient  que  de  pcnfer  humainement; 
If:,^  "\  héologiens  décident  divinement  ;  c'eft  tout 
au^rs  çhofe  La  raifon  &  la  foi  font  de  nature 
^bnr^a'ire  ;  en  un  mot ,  voici  un  petit  précis  de 
IViiv  Locke  ,  que  je  çcnfurerois  fi  j'étois  Théolo- 
gien ,  &:  que  j'adopte  pour  un  moment  comme 
hypothefe  ,  comme  conjcdure  de  fimple  Philo-, 
fQphie  ;  humainement  parlant  ,  il  s'agit  de  favoir 
ce  quç  c'eft  que  l'ame, 

)«,  X.fi  mot  d'î^me  eft  de  ces  mots  que  chacun 
]^rofî9ritç  fans  l'çntcndrç  :  nous  n'entendons  que 


*^ 


DIVERSES.  ^ 

les  chofe?  dont  nous  avons  une  idée ,  nous  n'avons 
point  d'idée  d'ame ,  d'efprit  ;  donc  nou^e  l'en- 
tendons point. 

z°.  11  nous  a  donc  plu  d'appeller  ame  cette  fa- 
culté de  fentir  &  de  penfer  ,  comme  nous  appel- 
Ions  vie,  la  faculté  de  vivre  ;  volonté,  la  faculté  de 
vouloir. 

Des  raifonneurs  fc-xu  venus  cnfuite ,  &:  ont  dit. 
l'homme  eft  compofé  de  matière  &  d'efprit  ;  la 
matière  eft  étendue  &  divijïble  ;  refprit  n'eft  ni 
étendu  ni  divifiblc  ;  donc  il  eft  ,  difent-ils  ,  d'une 
autre  nature.  C'eft  un  ailèmblage  d'êtres  qui  ne 
font  point  faits  l'un  pour  l'autre  ,  &  que  Dieu 
unit  malgré  leur  nature.  Nous  voyons  peu  le 
corps  ,  nous  ne  voyons  point  l'ame  :  elle  n'a  point 
de  parties  ;  donc  elle  eft  érerncUe  :  elle  a  des  idées 
pures  &  fpirituclles  ;  donc  elle  ne  les  reçoit  point 
de  la  matière:  elle  ne  les  reçoit  point  non  plus  d'elle- 
même  ;  donc  Dieu  les  lui  donne  :  donc  elle  ap- 
porte en  naiflant  les  idées  de  Dieu  ,  de  l'infini ,  & 
toutes  les  idées  générales. 

Toujours  humainement  parlant  ,  je  réponds  à 
ces  Mcflieurs  qu'ils  font  bien  favants.  Ils  nous  di- 
fent  d'abord  qu'il  y  a  une  ame ,  &  puis  ce  que  ce 
doit  être.  Ils  prononcent  le  nom  cîe  matière  ,  & 
décident  enfuite  nettement  ce  qu'elle  eft  ;  &  moi , 
je  leur  dis  ,  vous  ne  connoiftez  ni  l'efprit  ni  la 
matière.  Par  l'efprit ,  vous  ne  pouvez  imaginer  que 
la  faculté  de  penfer  ;  par  la  matière ,  vdhs  n^,« 
pouvez  entendre  qu'un  certain  aflemblage  de  qua- 
lités,  de  couleurs,  d'étendues,  de  folidités,  &  il 
vous  a  plu  d'appeller  cela  matière,  &  vous  a^z 
affigné  les  limites  de  la  matière  &  de  l'ame ,  ïtvSSt 


é  ŒUVRES 

d'être  fûrs  feulement  de  l'exiftence  de  l'une  &  de 

l'autre. 

Quant  à  la  matière,  vous  enfeignez  gravement 
qu'il  n'y  a  en  elle  que  l'étendue  &  la  foiidité  ;  & 
moi  je  vous  dis  modeftemcnt  qu'elle   eft  capable 
de  mille  propriétés  que  ni   vous  ni  moi  ne  con- 
noiflons  pas.  Vous  dites  que  l'ame  eft  invifible , 
éternelle  ,  vous  fuppofez  ce  qui  eil  en  qucftion. 
Vous  êtes  à  peu  près  comme  un  Régent  de  Col- 
lège ,  qui  n'ayant  vu  d'horloge  de  fa  vie  ,  auroit 
tout  d'un  coup  entre  {qs  mains  une  montre  d'An- 
gleterre à  répétition.  Cet  homme,  bon  péripatéti- 
cien  ,  ejl  frappé  de  la  juftefTe  avec  laquelle  les  ai- 
guilles divifent  &  marquent  les  temps ,  &  encore 
plus  étonné   qu'un  bouton  ,  pouflé  par  le  doigt, 
fonne  précifément  l'heure   que  l'aiguille   marque. 
Mon  Philofophe  ne  manque  pas  de  prouver  qu'il 
y  a  dans  cette  machine  une  ame  qui  la  gouverne, 
&  qui  en  mené  les  rcflbrts.  Il  démontre  favammenc 
fon  opinion  par  la  comparaifon  des  x^nges  qui  font 
aller  les  fphercs  céleftes  ,  &  il  fait  foutenir  dans  fa 
claffe  de  belles  th efes  fur  l'ame   des  montres.  Un 
de  (qs  écoliers  ouvre  la  montre  ;  on  n'y  voit  que  des 
refforts  ,  &  cependant  on  foutient  toujours  le  fyf- 
téme  de  l'ame  des  montres,  qui  pafîe  pour  démon- 
tré. Je  liiis  cet  écolier  ouvrant  la  montre,  que  l'on 
appelle  homme  ,  &   qui  au  lieu  de  définir  hardi- 
menj:  ce  que  nous  n'entendons  point ,  tâche  d'exa- 
jnine^  par  degrés  ce  que  nous  voulons  connoître. 
%  Prenons  un  enfant  à  l'inflant  de  fa  nainàncc  ,  & 

fuivons  pas  à  pas  le  progrès  de  fon  entendement. 
Vous  me  faites  Ulionneur  de  m'apprcndre  que  Dieu 
a  pris  la  peine  de  créer  une  ame  pour  aller  loger 


DIVERS,  y 

éztiS  ce  corps  ,   lorfqu'il  a  environ  fix  femaines  ; 
que  cette  ame  à  fon  arrivée  cft  pourvue  des  idées 
métaphyliques  ;  connoiflant  donc  l'efprit ,  les  idées 
abflraites ,  l'infini  fort  clairement  ;  étant  en  un  mot 
une  très-favante  perfonne.  Mais  malheureufement 
elle  fort  de   l'utérus  avec  une  ignorance  cralîè  ; 
elle  a  pafTé  dix-huit  mois  à  ne  connoître  que  le 
tetton  de  fa  Nourrice  ;  &  lorfqu'à  l'âge  de  vingt 
ans  on  veut  faire  reflouvenir  cette  ame  de  toutes 
les  idées  fcientitiques  qu'elle  avoir  quand  elle  s'eft 
.  unie  à   fon   corps  ,  elle   eft   fouvent  fi   bouchée 
qu'elle   n'en  peut  concevoir  aucune.   Il  y  a  des 
peuples  entiers  qui  n'ont  jamais  eu  une  feule  de 
CQs  idées.  En  vérité  à  quoi  penfoit  l'ame  de  Def» 
cartes  &  de  Malbranche  ,  quand  elle   imagina  de 
telles  rêveries  ?  Suivons  donc   l'idée  du  petit  en- 
fant ,  fans  nous  arrêter  aux  imaginations  des  Phi- 
lofophes. 

Le  jour  que  fa   mère  eft  accouchée  de   lui  & 
de  fon  ame  ,  il  eft  né  un  chien  dans  la  maifon , 
un  chat  ,  &  un  ferin.  Au  bout   de  i8  mois  ,  je 
fais  du  chien  un  excellent  chafTeur  ;  le  chat  ,  au 
bout  de  fix  femaines ,  fait  déjà  tous  ics  tours  ;  & 
l'enfant ,  au  bout  de  quatre  ans ,  ne  fait  rien.  Moi  , 
homme  groftier ,  témoin  de  cette  prodigicufe  dif- 
férence ,  &  qui  n'ai  jamais  vu  d'enfant  ,  je  crois 
d'abord  que  le  chat ,  le  chien  &  le  ferin  font  des 
créatures  très-intelligenres ,  &:  que  le  petit  enfant 
eft  un  automate.  Cependant  petit  à  petit  je  m'ap- 
perçois  que  cet  enfant  a  des  idées  ,  de  la  mémoire , 
qu'il  a  les  mêmes  pafllons  que   c&s  animaux  ,  & 
alors  j'avoue  qu'il  eft  comme  eux  une  créature  rai- 
ibrinable.  Il  me  communique  diiférentes  idées  par 


s  ŒUVRES 

ctuelc^ues  paroles  qu'il  a  apprifes ,  de  mcriie  (Ju6 
inon  chien  par  des  cris  di''t!imés  me   fait  exac- 
tement connoître  (es  divers    befoins.    J'apperçoiâ 
qu'à  l'âge  de  fîx  ou   fept  ans  ,  l'enfant   combine 
dans  fon  petit   cerveau  prcfqu'autant  d'idées  que 
mon  chien  de  chaiie  dans  le  fien  ;  enfin  ,  il  at- 
teint avec  l'âge  un  nombre  infini  de  connoifl'ances. 
Alors  que  dois-je   pcnfer   de   lui  ?   Irai-je    croire 
qu'il  eft  d'une  nature  tout-à-fait  différente?  Non, 
fans  doute  ;  car  vous  voyez   d'un  côté    un  imbé- 
cille  ,  &  de  l'autre  un  Newton  :  vous   prétende^ 
qu'ils  font  pourtant  d'une  même  nature  ,  &  qu'il 
n'y  a  de  la  différence  que  du  plus  au  moins.  Pour 
mieux  m'affurer  de  la  vraifemblance  de  mon  opi- 
nion probable  ,  j'examine  mon  chien  &  mon  en- 
fant  pendant  leur  veille  &  leur  fommeil.    Je  les 
fais  faigner   l'un  &  l'autre    outre  mcfure  ;   alors 
leurs  idées  femblcnt  s'écouler  avec  le  fang.  Dans 
cet  état  je  les  appelle;  ils  ne  me  refondent  plus  :  «Sc 
il  je  leur  tire  encore  quelques  poéllettes ,  mes  deux- 
machines  qui  avoient  auparavant  des  idées  en  très- 
grand  nombre ,  &   des   paffions  de  toute  efpece  , 
n'ont  plus  aucun  fentiment    j'examine  enfuite  mes 
deux  animaux  pendant  qu'ils   dorment ,  je  m'ap- 
perçois  que  le  chien,  après  avoir  trop  mangé,  a 
des  rêves  ;    il  chaffe ,  il  crie  après  la  proie.  Mon 
jeune  enfant  étant  dans  le  même  étac  ,  parle  à  fa 
maîtreftè  ,  &  fait  l'amour  en  f^nge  :  fi  l'un  &  l'autre 
ont  mangé  modérément,  ni  l'un  ni  l'autre  ne  rêve  ; 
enfin,  je  vois  que  leur  faculté  de  léntir,d'appercevoir, 
^'exprimer    leurs  idées ,  s'cfl  développée   en  eux 
petit  à  petit,  &  s'affoiblit  auffi  par  degrés.  J'apper- 
çois  en    eux  plus  de  rapports  cent   fois ,  que  je 

n'en 


DIVERSES,  ^ 

n'en  trouve  entre  tel  homme  d'elprit  &  tel  homme 
abfolument  imbécille.  Quelle  eil  donc  l'opinion 
que  j'aurai  de  leur  nature  ?  Celle  que  tous  les  peu- 
ples ont  imaginée  d'abord  avanc  que  la  politique 
Égyptienne  imnginât  la  fpiritualité ,  l'immortalité 
de  l'ame.  Je  foupçonnerai  même ,  avec  bien  de 
l'apparence,  qu'Archimede  &  une  taupe  font  de  la 
même  elpece ,  quoique  d'un  genre  différent ,  de 
même  qu'un  chêne  &  un  grain  de  moutarde  font 
formés  par  les  mêmes  principes ,  quoique  l'un  foie 
un  grand  arbre ,  &  l'autre  une  petite  plante.  Je 
penférai  que  Dieu  a  donné  des  portions  d'intelli- 
gence à  des  portions  de  matière  organilée  pour 
penfer  :  je  croirai  que  la  matière  a  des  fenfations  à 
proportion  de  la  finefle  de  fes  fens  ;  que  ce  font 
eux  qui  les  proportionnent  à  la  mefure  de  nos  idées: 
je  croirai  que  l'huître  à  l'écaillé  a  moins  de  fen- 
fations &c  de  fens,  parce  qu'ayant  l'ame  attachée 
à  fon  écaille ,  cinq  (éns  lui  fcroient  inutiles.  Il  y  a 
beaucoup  d'animaux  qui  n'ont  que  deux  fens:  nous 
en  avons  cinq  ;  ce  qui  ç{\  bien  peu  de  chofes  ;  il 
eft  à  croire  qu'il  eft  dans  d'autres  mondes  d'autres 
animaux  qui  jouillént  de  vingt  ou  trente  fens,  &c 
que  d'autres  efpeces  encore  plus  parfaites  ont  des 
fens  à  l'infini. 

Il  me  paroît  que  voila  la  manière  k  plus  natu- 
relle d'en  raifonner,  c'eft- a-dire ,  de  deviner  & 
de  foupçonner  certainement.  Il  s'cfl  paflé  bien,  da 
temps  avant  que  les  hommes  aient  été  afîez  ingé- 
nieux pour  imaginer  un  être  inconnu ,  qui  eft  nous^ 
qui  fait  tout  en  nous,  qui  n'eft  pas  tout-à-fait  nous^ 
&  qui  vit  après  nous.  AufTi  n'eft-on  venu  que  par 
degrés  à  concevoir  une  idée  ji  hardie.  D'abord  ee 

B 


lo  ŒUVRES 

mot  ame  a  fignitic  la  vie,  &  a  été  comm*nn  pour 
nous  &  pour  les  autres  animaux.  Enfuite  notre  or- 
gueil nous  a  fait  imaginer  une  forme  fubiknticUe 
pour  les  autres  créatures.  Cet  orgueil  humain  de- 
mande ce  que  c'clt  donc  que  ce  pouvoir  d'apper- 
cevoir  &  de  ientir,  qu'il  appelle  amed^ns  l'homme , 
&  injîinâ  dans  la  brute.  Je  fatisferai  a  cette  quef- 
tion,  quand  les  Humanités  m'auront  appris  ce  que 
c'ell  que  le  (on ,  la  lumière ,  Vefpace ,  le  corps ,  le 
temps.  Je  dirai,  dans  l'efprit  du  fage  M.  Locke  : 
la  Philofophie  confiée  a  s'arrêter  ,  quand  le  flam- 
beau de  la  Phylique  nous  manque.  J'obferve  les 
effets  de  la  nature  :  mais  je  vous  avoue  que  je  n'en 
conçois  pas  plus  que  vous  les  premiers  principes. 
Tout  ce  que  je  fais  ,  c'ell  que  je  ne  dois  pas  attri- 
buer à  pluiieurs  caufes ,  fur-tout  à  des  caufes  in- 
connues, ce  que  je  puis  attribuer  à  une  caufe  con- 
nue :  or,  je  puis  attribuer  à  mon  corps  la  faculté 
de  penfer  &  de  fentir  ;  donc  je  ne  dois  pas  cher- 
cher cette  faculté  de  penfer  &  de  fentir  dans  une 
autre  appellée  ame  ou  cjprity  dont  je  ne  puis  avoir 
la  moindre  idée.  Vous  vous  recriez  à  cette  pro- 
pofition  ;  vous  trouvez  donc  de  l'irréligion  à  ofer 
dire  que  le  corps  peut  penfer  ?  Mais  que  diriez- 
vous,  répondroit  Mr.  Locke,  fi  c'cit  vous-même 
qui  êtes  ici  coupable  d'irréligion ,  vous ,  qui  ofez 
"borner  la  puiflance  de  Dieu  ?  Quel  eft  l'homme 
iiir  la  terre  qui  peut  aiïiircr ,  (ans  une  impiété  ab- 
furde  ,  qu'il  eft  impofilble  à  Dieu  de  donner  à 
la  matière  le  fentiment  &  le  penfer  ?  Foibles  & 
hardis  que  vous  êtes,  vous  avancez  que  la  matière 
ne  penlc  point,  parce  que  vous  ne  concevez  pas 
qu'une  matière ,  telle  qu'elle  foit,  penfe. 


DIVERSES.  iT 

Grands  Philolophcs,  qui  décidez  du  pouvoir 
de  Dieu ,  &  qui  dites  que  Dieu  peut  d'une  pierre 
faire  un  Ange  ,  ne  voyez-vous  pas  que ,  félon, 
vous-mêmes,  Dieu  neferoit,  en  ce  cas  ,  que  don- 
ner à  une  pierre  la  puilTance  de  penfer  ;  car  {i  la 
matière  de  la  pierre  ne  reftoit  pas  ,  ce  ne  feroic 
plus  une  pierre  ;  ce  feroit  une  pierre  anéantie, 
&  un  Ange  créé.  De  quelque  côté  que  vous  vous 
tourniez,  vous  êtes  forcés  d'avouer  deux  chofes: 
votre  ignorance ,  &  la  puiflTance  immenfe  du  Créa- 
teur ;  votre  ignorance  qui  fe  révolte  fur  la  matière 
penfante  ,  &  la  puiffance  du  Créateur ,  à  qui 
certes  cela  n'eft  pas  impolTible. 

Vous  ,  qui  favez  que  la  matière  ne  périt  pas, 
vous  contellerez  à  Dieu  le  pouvoir  de  conferver 
dans  cette  matière  la  plus  belle  qualité  dont  il 
l'avoit  ornée  !  l'étendue  fubfîfle  bien  fans  corps 
par  lui,  puisqu'il  y  a  des  Philofophes  qui  croient 
le  vuide  ;  les  accidents  fubllfrent  bien  fans  la 
fubftance  parmi  les  Chrétiens  ,  qui  croient  la 
transfubdantiation.  Dieu  ,  dites-vous  ,  ne  peut 
pas  faire  ce  qui  implique  contradiction.  Il  faudroit 
en  favoir  plus  que  vous  n'en  favez  :  vous  avez 
beau  faire  ,  vous  ne  faurez  jamais  autre  cîiofe , 
{mon  que  vous  êtes  corps ,  &  que  vous  penfez. 
Bien  des  gens  qui  ont  appris  dans  l'école  k  ne 
douter  de  rien  ,  qui  prennent  leurs  fyllogifmes 
pour  des  oracles ,  &  leurs  fuperfliticns  pour  la 
Religion,  regardent  Mr.  Locke  comme  un  irti pie 
dangereux.  Ces  fuperfritieux  font  dans  la  fociété 
ce  que  les  poltrons  font  dans  une  armée  :  ils  or  t 
&  donnent  des  terreurs  paniques.  Il  faut  avoir  la 
pitié  de  diiTiper  leur  crainte  ;  il  faut  qu'ils  fâche  nt 

Bij 


r»  ŒUVRES 

que  ce  ne  feront  pas  les  lentimens  des  Philofo- 
phes  qui  feront  jamais  tort  à  la  Religion.  Il  eft 
aifuré  que  la  lumière  vient  du  folcil  ,  &  que  les 
pkncrtcs  tournent  autour  de  cet  aflre  :  on  ne  lit 
pas  avec  moins  d'édification  dans  la  Bible  ,  que 
la  lumière  a  été  faite  avant  le  foleil ,  &  que  le 
foleil  s'efl:  arrête  fur  le  village  de  Gabaon.  Il  eft 
démontré  que  l'arc-en-ciel  eft  formé  néceflaire- 
îïient  par  la  pluie  :  on  n'en  refpede  pas  moins  le 
tcxt-e  facré  ,  qui  dit  que  Dieu  pofa  fon  arc  dans 
les  nues ,  après  le  déluge  ,  en  figne  qu'il  n'y  auroit 
plus  d'inondation. 

Le  Myfterc  de  la  Trinité  &  celui  de  TEucha- 
riftie  ont  beau  être  contradidoires  aux  démonftra- 
tions  connues  ;  ils  n'en  font  pas  moins  révérés  chez 
les  Philofophes  Catholiques  ,  qui  favent  que  les 
chofes  de  la  raifon  &  de  la  foi  font  de  différente 
nature.  La  nation  des  Antipodes  a  été  condamnée 
par  les  Papes  &  les  Conciles  ;  &  les  Papes  ont  dé- 
couvert les  Antipodes ,  &  y  ont  porté  cette  même 
Religion  Chrétienne ,  dont  on  croyoit  la  dcftruc- 
tion  fûre ,  en  cas  qu'on  pût  trouver  un  homme  , 
qui ,  comme  on  parloit  alors  ,  auroit  la  tête  en 
bas  &  les  pieds  en  haut  par  rapport  à  nous ,  &  qui, 
comme  dit  le  très  -peu  Philofophc  St.  Auguftin, 
ieroit  tombé  du  Ciel. 

Jamais  les  Philofophes  ne  feront  tort  à  la  Reli- 
gion dominante  d'un  Pays  :  pourquoi  ?  C'cft  qu'ils 
font  fans  enthouliafme  ,  &  qu'ils  n'écrivent  point 
pour  le  Peuple.  Divifez  le  genre  humain  en  vingt 
parties  ;  il  y  en  a  dix-neuf  compofces  de  ceux  qui 
travaillent  de  leurs  mains  ,  &c  qui  ne  fauront  ja- 
ïTiais  -eW  y  a  eu  un  Locke  au  monde.  Dans  \z 


DIVERSES.  13 

vingtième  partie  qui  refte  ,  combien  trouve- trO^^ 
peu  d'hommes  qui  lifent  ?  Il  y  en  a  vingt  qui  li- 
îent  les  Romans ,  contre  un  qui  étudie  la  Philo- 
fophie.  Le  nombre  de  ceux  qui  penfent  eft  extrê- 
mement petit ,  &  ceux-là  ne  s'avifent  pas  de  trou- 
bler le  monde.  Ce  n'eft  ni  Montaigne,  ni  Locke, 
ni  Bayle  ,  ni  Spinofa  ,  ni  Hobbes ,  ni  Strambourg  , 
ni  Collins ,  ni  Zéland ,  &c.  qui  ont  porté  le  flam- 
beau de  la  difcorde  dans  leur  patrie  ;  ce  font  la 
plupart  des  Théologiens  ,  qui  ayant  eu  d'abord 
l'ambition  d'être  chefs  de  fede  ont  eu  bientôt  celle 
d'être  chefs  de  parti.  Que  dis-je  ?  Tous  les  livres 
des  Philofophes  modernes ,  mis  enfemble  ,  ne  fe- 
ront jamais  dans  ce  monde  autant  de  bruit  feule- 
ment qu'en  fit  autrefois  la  difpute  des  Cordeliers 
fur  la  forme  de  leurs  manches  &  de  leurs  ca- 
puchons. 

Au  refte ,  je  vous  répète  encore  qu'en  écrivant 
avec  liberté ,  je  ne  me  rends  garant  d'aucune  opi- 
nion ;  je  ne  fuis  refponfable  de  rien.  Il  y  a  peut- 
être  parmi  ces  fonges  des  raifonnemens  ,  &  même 
quelques  rêveries  auxquels  je  donnerois  la  préfé- 
rence ;  mais  il  n'y  en  a  aucune  que  je  facriiiaiϣ 
tout  d'un  coup  à  la  Religion  &  à  la  Patrie. 


W:^t 


14  ŒUVRES 

LES     ADIEUX 

De  M.  de  V***  à  Madame  du  Châteht. 

x\.Dieu,  belle  Emilie,  (a) 
En  Prufl'cje  m'en  vas 
Etaler  ma  folie , 
Et  promener  mes  rats  ; 
Dans  cette  Cour  polie  , 
On  connoît  mieux  le  prix 
De  nos  beaux  efprits. 

Paris  qui  m'a  vu  naître. 
Me  laifTe  fans  éclat ,   (  &  ) 
Et  ma  manie  eft  d'être 
Un  Miniftre  d'État , 
Des  Finances  le  maître  , 
Au  moins  Ambafladeur , 

Comme  feu  Prieur.  (  c  ) 

Adieu,  mauvais  Poëie,  {d) 
Jamais  las  du  fifflet  , 
Qu'à  faint  Lazare  on  fouette  , 


[<«]   Madame  la  Marquife  du  Ch.ît-Iet. 

[*]  Voyez  les  Lettres  Philofophjques  &  le  Temple  du  Goût, 
•ù  Voltaire  ne  cefle  de  parler  des  honneurs  rendus  en  Angle- 
terre aux  gens  de  Lettres-    Voyez  aulîî  la  Préface  de   Zaïre. 

[  c]  M.  le  l'rieur  ,  Anglois  ,  homme  d'elprit  &  de  mérite  ,  a 
l'tc  Ambafladeur  pour  l'Angleterre. 

[  (^  ]  Roi ,  qui  a  été  enfermé  à  Saint-Lazare  pour  fon  Coche  , 
pièce  fatyriqup  contre  l'Académie  Françoife  ;  il  eut  ordre  de  f" 
défaire  de  fa  Charge  de  Confcilki  au  Châtclet, 


DIVERSES,  1^ 

ChafTé  du  Châtelet; 
Adieu,  l'homme  à  courbette, 
Tant  frippon  ,  tant  battu  , 
Et  de  plus  cocu. 

Adieu  toi,  vilain  Prêtre ,  (e) 
Tiré  par  mon  crédit. 
Du  Châreau  de  Bicêtre  , 
Pour  le  péché  maudit 
Qui  fit  brûler  ton  Maître, 
Soin  lionteux  que  )'ai  pris 
D'un  Frippier  d'Ecrits. 

Sur  la  felette  dure 
Où  fiegea  DefchaufFour  , 
Quand  en  humble  poflure 
Tu  parus  l'autre  jour  ,  (f) 
Craignois-tu  la  brûlure  ? 
Oui ,  jamais  on  ne  vit 
Coquin  plus  petit. 

Tyriot,  pauvre  haire. 
Adieu  ,  Juré  crieur. 
Tu  fus  en  Angleterre 
Mon  digne  Ambafladeur  ■  (g) 
Prône  plutôt  la  Serre  , 


[e  ]  L'Abbé  des  Fontaines  :  il  n'a  jamais  compoTé  d'ouvr^oes; 
il  n'a  tait  que  rapetail'er  ceux  des  autres,  èc  les  déhgurer.  ^'oye;^ 
fon    Apologie   faite  par  lui-même. 

[/]  U  s'agit  du  jugement  qu'il  a  l'ubi  pour  le  diTcours  mor- 
dant qu'il  a   fait  au  nom  de  l'Abbé  Séguy. 

Li]  Tyriot  a  été  quelque  temps  chargé  des  affaires  de  Voltairs 
a  Londres  ;  c'cd  Ion  ami  intime  ,  8C  il  ei\  dans  la  conhdence  ds 
50US  fes  Ouvrages  5  c'eft  ce  qui  le  fait  appeller  ,  ^rttiur  Cmfuit&r.t, 


i6  ŒUVRES 

Que  les  vers  de  deux  fats 
Et  de  ton  Midas. 

Pour  quelque  rime  fade  , 
Èernard ,  (  A  )  que  tu  forgeas  ^ 
Tu  crois  que  l'Illiade 
Te  dois  céder  le  pas. 
Céladon  de  Tribadc  , 
Dis ,  Monfieur  l'Écrivain  ,' 
Qui  te  rend  fi  vain  ? 

Si  je  quitte  la  Pruffe  , 
Chaffi  par  le  bâton , 
Je  fuirai  chez  le  Ruflc 
Prêcher  Locke  &  Newton  ^ 
Ou  porter  mon  prépuce 
Au  Révérend  Moufti 

Comme  Mackarti.  (i) 

Adieu ,  belle  Emilie  , 
Objet  de  mes  plaifirs  ; 
Par  la  Philofophie 
Amufe  tes  defirs  ; 
Ou  bien  fuis -moi,  ma  mie: 
Un  Milord  de  mon  nom 

Vaut  bien  un  Kinfton.  {k) 


[/;]  Bernard,  Secrétaire  du  Maréchal  de  Coigny  ,  a  fait  une 
èpitrc  à  la  Salle  ,  qui  ell  une  Tribade  ,  dont  il  eil  le  CcUdon  , 
c'e(l-à-dire ,  l'amoureux  Virtuofo. 

[  J  ]  L'Abbé  Mackarti  ,  Hls  d'un  Irlandois  ,  pafla ,  il  y  a  qua. 
tie  ans  ,  en  Turquie  avec  le  Chevalier  de  Mornaye  ÔC  de  Ram- 
fay  :  ils  avoient  emprunté  chacun  6000  liv.  à  Samuel  Bernard  , 
fous  prétexte  d'acheter  une   Lieutenance  aux  Gardes. 

\_K'\  Voltaire  avoit  pris  le  nom  de  Milord  ,  étant  logé  A  Rouen 
shezjtrie,  Libiaite^  ç[ui  a  imprime  les  Lettres    Piiilolbphiques« 

Mauoertuis  ^ 


D  T  V  E  il  s  E  Si 

^  MMpertuis  ,  ce  Carême  ,  (Z) 
jDoit  revenir,  dit- on  ; 
Il  me  dicla  le  thème 
Que  j'ai  fait  fur  Newton  • 
Tu  fauras  le  fynême 
Des  meules  de  moulin 
De  ce  Calotin. 

Ne  crains  pas  qn'on  le  drafie. 
Pour  voir  le  Cavalier  , 
Sa  mine  eft  une  attrappe  ; 
Le  brave ,  à  Montpellier , 
De  ce  qui  fait  le  Pape  , 
Autrefois  a  voulu 

Être  rafibu.  (m) 

Adieu  ,  chère  Emilie  j 
Parce  que  je  m'en  vas  ; 
N'abrège  poi^nt  ta  vie 
Avec  la  mort  aux  rats  :  (n) 
Confole-toi ,  ma  mie , 
Aux  petites  Maifons 

Nous  nous  reverrons. 


?^ 


[/]    Maupertuis,  de  l'Acadéoie  de.-  Sciérices  ,    efl  an    homtn^ 
àt  mente;  mais  admirateur  outré  des  An-rlo:.;     Tl  /;...     ;^ 
jes  aitres  etoient  lemblahies  a  d;s  meules  de  moulin 

L?»]    iMaupertuis  ,   ayant  une  indiipoftcio-j  cTaianr-.  '  illa  à  Mnn*- 
pcUier^^oùH  voulut  engager  les   ChLrg^injemutile;.    ""   "'^ 

i'oLml  din  'un  d  V  r'^'"  ^''^""'  '*"  ^^^^^1"  ^  P^"  autrefois  d« 
i  opium  aans  ua  delslpoir  amoureux. 


0 


ig  -  Π U  V  B.'E  s 

AUTRE      PIECE. 

\_y  N  dit  que  l'Abbé  TerrafTon, 

De  Law  &  de  la  Mothe  npôtre  , 

Va  du  Bordel  à  l'Hélicon , 

N'étant  fait  pour  l'un  ni  pour  l'autre. 

Pour  avoir  un  léger  prurit, 

Il  fe  fait  chatouiller  la  fcfîe  ; 

Msncn  fouette,  il  la  carefle, 

Mais  il  bande  comme  il  écrit. 

Un  Jour  dans  la  cérémonie 

On  l'étrilloit,  il  frctilloit. 

Notre  Putain  fe  travailloit 

î^efTus  la  feffe  racornie  : 

Entre  Monfieur  l'Abbé  Dubos, 

Qui  voyant  feiïer  fon  confrère  , 

j)it  tout  haut ,  approuvant  l'affaire  , 

Frappez  fort ,  il  a  fait  Seihos. 


pu^jwjgaum  'UJmzAj,uit'iiM.j^i!iiiMBauMij.iJU 


LE    DÉBAUCHÉ     CONVERTI, 
Par  M.  Rohbé  de  Beaiivefet. 


P 


UifTaht  Médiateur  entre  l'homme  &  la  femme , 
Qui  du  plnfir  fccret  nous  ourdifiez  la  trame, 
Des  feux  de  Prométhée  ardcfu  difpehfateur , 
Et  de  la  gentc  humaine  éternel  Créateur, 
Portaflle/ -  vous  encore  un  plus  fupcrbe  titre  J 


DIVERSES.       ,     .     ï? 

Du  bonheur  de  mes  jours  vous  n'êtes  plus"  l'arbitre. 

Ce  plaifir  violent,  dont  je  fus  enchanté, 

D'un  tourment  de  fix  mois  eft  trop  cher  acheté. 

Qu'un  autre  que  moi  courre  après  ce  vain  fantôme  , 

J'en  connois  le  néant,  grâce  à~M.  St.  Cônie ; 

Et  fes  facrés  réchauts  font  l'utile  creufet 

Où  l'or  fiux  du  pliifir  m'a  paru  tel  qu'il  efl. 

3'ai  ruminé  ces  maux  que  fur  fon  lit  endure 

Un  pauvre  putaiïier  tout  frotté  de  mercure; 

Des  conduits  falivains  quand  les  pores  ouverts 

Du  virus  repoullé  filtrant  les  globes  verts  ; 

Quand  fa  langue ,  nageant  dans  les  flots  de  falive  , 

Semble  un  canal  impur  qui  coule  une  leflive  ; 

Ah  !  que  fur  fon  grabat  fe  voyant  enchaîné. 

Un  Ribaud  voudroit  bien  n'avoir  pas  dégainé  l 

Qu'il  détefle  l'inftant  où  fa  pompe  afpirants 

Tira  le  fuc  mortel  de  fa  cruelle  Amante  ! 

L'œil  cave,  le  front  ceint  du  fatal  chapelet. 

Le  teint  pâle  &  plombé,  le  vifage  défait, 

Les  membres  décharnés  ,  une  joue  allongée  , 

Sa  planète  atteignant  fon  plus  bas  périgée  ; 

Alors  avec  David  il  prononce  ces  mots  .- 

La  vérole,  mon  Dieu  ,  m'a  criblé  jufqu'a'.ix  os. 

Car  ,  par  malum  ,  David  entend  l'humeur  impure 

Qu'il  prit  d'Abigaïî ,  comme  je  conjedure  , 

D'autant  que  cette  femme  ,   époufe  de  Nabal  , 

De  fon  mari  pouvoit  avoir  g-.gné  ce  mal. 

Ce  Nabal  ,  en  effet,  cO.  peint  au  faint  Volume, 

Tel  qu'un  compagnon  propre  au  poil  comme  à  ia  pîumej 

Et  qui,  quand  il  trouvoit  fille  de  bonne  humeur. 

De  fes  bubons  enflés  méprifanc  h  tumeur, 

Cij 


I.»  ŒUVRES 

f.m  faifoit  fur  le  dos  faire  la  caracole  , 

3Eût-il  été  certain  de  gagner  la  vérole. 

l^ulïï  je  fuis  furpris  que  David ,  ce  grand  clerc, 

'/lu  fuit  d'Abigaïl  ait  pu  voir  fi  peu  clair  : 

Certes  bçfoin  n'étoit  d'être  fi  grand  Prophète  , 

Ni  d'avoir  fur  fon  nez  h  divine  lunette  , 

jpoar  voir  que  de  Nabal  tout  le  fang  corrompu 

'Ayant  poivré  le  flanc  qiii  s'en  étoit  repu , 

P'étoit  nécefTité  que  fon  hardi  Priape 

3Eût  la  dent  agacée  en  mordant  à  la  grappe. 

Mais,  quoi,  vit- on  jamais  raifonner  un  paillard  î 

jfl  prit,  les  yeux  fermés,  ce  petit  mal  gaillard , 

Dont  quelque  temps  après  fa  flambcrge  en  furie 

Enticha  le  vagin  de  la  femme  d'Urie. 

jDç  pes  «^bats  enfin  j'ai  tiré  l'ufufruit  : 

Mais  ,  gracfc  au  vif  argent ,  mon  virus  efl  détruit  î 

Mqu  fang  purifié  coule  libre  en  mes  veines  , 

Et  deux  glgbes  malins  ne  gonflent  plus  mes  aînés  j 

"JDh  trcne  du  plaifir  les  parois  rcfïerrés  , 

Ne  laifTeni,  plus  couler  mille  fucs  égares  ; 

Et  i;e  Moine  velu  ,  que  le  prépuce  enfroque  , 

ï)€  trois  rubis  rongeurs  voit  dérougir  fa  toque. 

Trjfte  &  funcfte  coup!  pouvois-je  le  prévoir. 

Qu'une  fille  fi  jeune  eût  pu  me  décevoir  ? 

Pçux  îuftrçs  &  demi ,  qu'un  an  à  peine  augmente  , 

Voyoicr.t  bondir  les  monts  de  fi  gorge  naiïïante; 

iJn  cuir  blanc  6c  poli ,  mais  élnfliquc  &  dur , 

TapifToit  le  contour  de  fon  jeune  fémur; 

ai.  peine  un  noir  diivct  de  fa  moufTc  légère 

Couvroit  l'antre  facré  que  tout  mortel  révère  ; 

X^çs  couleur^  de  i'auroro  0cla:oienî  fqr  fon  tein?  j^ 


DIVERSES.  il 

Êîîe  auroit  fait  hennir  le  vieux  Moufti  Latin  ; 

Un  front ,  dont  la  douceur  à  la  fierté  s'allie  , 

ï-a  firent  à  mes  yeux  plus  vierge  qu'Eulalie  : 

Auïïi  combien  d'affauts  fallut-il  foutenir. 

Avant  que  d'en  pouvoir  à  mon  honneur  venir  ? 

A  mon  honneur  !  je  faux  ,  difons-mieux .  à  ma  honte  t 

Après  deux  mois  d'égards,  de  foupirs  ,  je  la  monte. 

Dieux  !  quelle  volupté ,  quand  fur  elle  étendu 

Je  prefTurôis  le  jus  de  ce  fruit  défendu  ! 

Sa  g  aîné  aflez  profonde ,  en  revanche  peu  large  , 

Entr'elle  &  mon  acier  ne  laifToit  point  de  marge  ; 

Lepifton  à  la  main,  trois  fois  mon  Jean  Choiiard 

Dans  fes  canaux  ouverts  feringua  fon  nectar  , 

Et  trois  fois  la  pucelle  avec  reconnoifiance 

Voitura  dans  mon  fang  fa  vérolique  eflence. 

Mais ,  quoi  !  ma  paflion  s'enflamme  à  ce  récir , 

De  mes  tendons   moteurs  le  tiffu  s'étrccit  • 

Mes  efprits  dans  mes  nerfs  précipitent  leur  courfe. 

Et  de  la  volupté  courent  ouvrir  la  fource. 

Quoi  donc  !  irois-je  en  proie  à  des  vils  inteflins , 

De  mes  os  ébranlés  empirer  les  deftins  ? 

ïrois-'e  fur  ces  mers  fameufes  en  naufrages  , 

Nautonnier  impudent ,  affronter  les  orages  ? 

Moi  qui,  comme  Jonas ,  qu'un  ferpent  engloutit  j, 

Ai  fervi  de  pâture  à  l'avide  Petit. 

Non  ,  de  la  chafleté  j'atteins  enfin  la  cime  ; 

Là  je  rirai  de  voir  cette  pâle  vi6lime 

Que  la  fourbe  Venus  place  fur  fcs  autels , 

Traîner  les  os  rongés  de  fes  poifons  mortels. 

Que  le  Ciel ,  fi  jamais  je  vogue  fur  ce  gouffre, 

l^afîe  pleuvoir  fur  moi  I2  bitume  ôi  le  foufre  j 


il  ŒUVRES 

<2ue  l'infamant  rafoir  qui  tondit  Abaiîard  , 
Me  fafTc  de  l'Eunuque  arborer  l'étendard  , 
Si  jamais  enivré  ,  fût  ce  d'une  pucelle , 
Mon  frocard  étourdi  faute  dans  fa  nacelle  ! 
Tout  vifage  de  femme  à  bon  droit  m'efl  fufpetfl  ; 
Quiconque  a  falivé ,  doit  fuir  à  fon  afpcd. 
Oui,  m'offrît- on  le  choix  des  onze  mille  Vierges, 
Jamais  leurs  feux  facrés  n'allumeroient  mes  cierges. 
Le  jaloux  Ottoman  m'ouvrît- il  fon  Serrail, 
Quand  j'y  verrois  à  nud  l'albâtre  &  le  corail 
Briller  fur  ces  beaux  corps  qu'embellit  la  nature  , 
♦Mon  priape  feroit  un  priape  en  peinture. 
Je  dis  plus  :  quand  le  Ciel  exprès  de  mon  côté 
Tireroit  la  plus  rare  &  plus  faine  beauté , 
Dieu  fait  fi  la  chaleur  de  cette  nouvelle  Evs 
Dans  mon  mufcle  allongé  feroit  monter  fa  fcve  ; 
Beau  fexe ,  c'en  eft  fait ,  vos  ébats  féduclcurs 
Ne  me  porteront  plus  vos  efprits  deftrucleurs  , 
Je  fuirai  déformais  votre  cfpece  gentille, 
Ainfi  qu'au  bord  du  Nil  on  fuit  le  crocodile. 
Il  efl  temps  de  penfer  à  faire  mon  falut  ; 
L'ame  fe  porte  mal  quand  le  corps  eft  en  rut. 
Lorfque  l'affrcufc  mort ,  au  Çqc  &c  froid  fquéletîc  , 
M'aura  devant  le  Juge  affis  fur  la  fcllctte. 
Cent  mille  coups  de  cul  ne  me  fauveront  pas 
Du  foudroyant  arrêt  de  l'éternel  trépas. 
C'eft  vous ,  qui  le  premier  avez  fait  tomber  l'homme 
Par  l'attrait  féduclcur  de  la  fatale  pomme  ; 
Mais  vos  culs  dans  l'abîme  en  ont  plus  dcfcendus 
Que  ne  feraient  jamais  tous  les  fruits  défendus. 
C'eft  avec  vos  filets  que  Satan  nous  attrappe, 


-DIVERSES,     ' .         t^ 

C'eft  vous  qui  nous  poufTez  fur  l'infernale  trappe  ; 
Vous  féduiriez ,  morbleu ,  je  crois  ,  tous  les  Élus  , 
Adieu ,  beau  fexe  ,  adieu ,  vous  ne  me  tentez  plus. 


M  A  R  S  I  A  S, 

allégorie  contre  Rameau  ,  par  Roy, 
Août   Z73J. 

LUlly  jouifToit  de  toute  fa  réputation ,  îorfqu'un 
certain  Carizelli  vint  d'Italie  ,  pour  infulter 
au  bon  goût  ,  &  pour  démentir  les  applaudilfe- 
mens  de  toute  la  France.  Sa  mufique  étoit  auiTi 
barbare  que  celle  de  LuIly  étoit  naturelle.  Cet  ex- 
travagant débuta  par  un  fyftéme  baroque  ,  &  tel 
quefes  chants  :  aufîifut-il  traité  félon  ion  mérite. 
11  fut  condamné  de  tous  les  honnêtes  gens  ;  maïs 
ce  n'étoit  point  afTez  :  le  Public  trouvoit  bon  que 
les  Auteurs  juftifiafTent  eux-mêmes  {q^  décidons. 
Carizelly  fut  donc  joué  fous  fon  propre  nom ,  & 
immolé  a  la  rifée  fur  le  théâtre  de  l'Opéra  ,  dans 
un  divertiffement  qui  fubfifte  encore.  Quinaulc, 
plus  modéré ,  &  habile  2.  manier  la  fable ,  fe  con- 
tenta de  l'Allégorie  fuivante  ,  qu'on  a  depuis  re- 
couvrée. 

Le  téméraire  violon 
Qui  s'efcrima  contre  Apollon  ; 
Et  qui  paya  fon  équipée , 
De  fa  peau  par  lambeau  coupée  , 
Fut  un  échappé  des  forêts  , 
Un  compofé  d'horoais  &  de  brute; 


i^  â^.  U  VR  ^^ 

Un  de  ces  êtres  imparfaits , 

<^ue  même ,  en  y  "lêlant  leurs  traits. 

L'une  &  l'autre  efpcce  rebute. 

Une  carcafTe  rembrunie , 

F'iit  l'e'tui  de  fon  dur  ge'nie  ; 

Du  lion  les  rugifltimens , 

Et  des  ferpens  les  ûfflemens  , 

Étoienie  IMcolc  d'harmonie  ,• 

Qu'enfant  il  fe  plut  d'e'conter; 

Et  que  vieux  il  fui  imiter. 

L'étude  augmente  fon  délire. 

Son  cerveau  vient  à  s'échauffer, 

Jufqu'au  point  de  croire  étouffer 

Les  fons  de  la  divine  lyre. 

Phébus  vengea  Thonneur  des  chants; 

11  vengea  la  tendre  Mufique  , 

Préfent  des  Dieux ,  qui  dans  nos  fens 

Répand  un  baume  fympathique. 

Heureux  !  fi  le  fang  du  brutal 

Eût  éteint  la  fource  du  mal. 

Mégère ,  du  monflre  nourrice  ^ 

Prévoyant  de  loin  le  fupplice , 

Avoit  de  tout  temps  arrêté 

Qu'il  laifieroit  poftérité. 

Mégère  de  fes  fœurs  fuivie. 

En  hyver ,  par  un  jour  affreux  , 

Par  un  brouillard  falc  &  nitreux  j 

Guida  Marfias  chez  l'envie  ; 

femelle,  qui  ronge  l'ennui. 

Qu'amaigrit  l'embonpoint  d'autrur , 

AkH  regard  louche,  au  teint  livide. 


Telle 


D  I  V  E  R  s  E  Si  ^5 

'ïeWe  qu*on  la  voie  dans  Ovide. 
On  dit  qu'à  leur  premier  afped, 
Effrayés  tous  deux  reculent  ; 
Puis  leurs  carcafTes  s'accouplent, 
L'un  &  l'autre  hurlant  bec-à-bec. 
Un  vafle  monceau  de  couleuvres , 
Fut  le  lit  drefîe  pour  leurs  œuvres. 
Tandis  qu'ils  filtroieht  leur  poifonj 
Courage,  s'écria  Mégère^ 
Il  naîtra  de  vous  un  garçon  ; 
Il  vivra  pour  venger  fon  père, 
Pour  contrecarrer  la  raifon  , 
Et  faire  aux  Mufes  double  outrage  î 
Car ,  outre  fâ  rauque  chanfon  ^ 
D'écrire  il  lui  prendra  la  rage. 
J'entends ,  je  vok  l'anthophage  j, 
Col  d'autruche ,  fourcil  froncé , 
Air  jaune  ,  de  poil  hérifîé  , 
Nez  creux ..  vrai  mafque  de  Satyre , 
Bouche  pour  mordre  &  non  pour  fifSj 

Tête  pointue  &  court  menton. 

Jambe  feche  comme  Ericlon. 

Le  frénétique  s'aiTocie 

Tous  les  ignares  imprudens, 

Par  qui  le  clinquant  s'apprécia  ; 

Jetmes  Rimailleurs,  vieux  Pédants  j 

Turbulente  Démocratie , 

Du  faux  goût  fectateurs  ardens , 

C'eft  du  bruit  feuî  qu'il  fe  foucie. 

Toute  Mufique  radoucie 

A  «c  fou  fait  grincer  les  den»  ^ 

0 


2,0  m  u  V  R  Ë  S 

Plus  que  U  lime  ni  la  fcie. 

Si  dans  les  concerts  difcordans  , 

11  réclame  en  vain  l'Aufcnie 

Qui  le  condan.ns  ou  le  renie, 

11  voit  venir  à  fon  fecours 

Les  compatriotes  des  ours. 

Vive  le  Matfias  moderne  , 

Et  les  Iroquois  qu'il  gouverne. 

TrcmbLz  Quinault ,  tremblez  Lully  , 

11  va  vous  plonger  dans  l'oubli  ; 

Et  h  fon  mérite  apocryphe 

Tombe  par  un  jufte revers, 

Nous  l'occuperons  aux  enfers  : 

La  lyre  jurant  fous  fa  griffe  , 

L'aigreur  de  fes  barbares  airs 

Comblera  les  tourmens  divers 

Et  de  Tantale  &  de  Syfiphe. 


DISCOURS 

Prononcé  à  la  Réception  des  Francs- Maçons  ^ 
par  Mr.  de.  Ranifay  ,  Grand  Orateur  de 
V  Ordre. 

LA  noble  ardeur  que  vous  montrez,  MefTieurs  , 
pour  entrer  d^ns  le  très  -  ancien  &  trcs-il- 
juftre  Ordre  des  Francs-Maçons  ,  eft  une  preuve 
certaine  que  vous  poffédcz  déjà  toutes  les  quali- 
tés néccHaircs  pour  en  devenir  les  membres.  Ces 
qualités  font  la  philanthropie  fage  ,  la  morale  pure, 
le  iecret  inviolable ,  (Se  le  goûc  des  beaux  Arts,. 


DIVERSES.  27 

Lycurgue  ,  Solon  ,  Numa  ,  &  tous  les  autres  Lé- 
glllateurs  politiques  n'ont  pu  rendre  leurs  établi!-» 
femcns  durables  ;  quelques  fages  qu'aient  été  leurs 
loix  ,  elles  n'ont  pu  s'étendre  dans  tous  les  pays 
&  dans  tous  les  fiecles.  Comme  elles  n'avoient  en 
vue  que  les  viâoires  &  les  conquêtes,  la  violence 
militaire ,  &  l'élévation  d'un  peuple  au  deflus  d'un 
autre,  elles  n'ont  pu  devenir  uriverfelles  ,  ni  con- 
venir au  goût  ,  au  génie  ,  aux  intérêts  de  toutes 
les  Nations.  La  Philanthropie  n'étoit  pas  leur  bafe. 
L'amour  de  la  Patrie  mal  entendu  &  pouffé  à  l'ex- 
cès ,  déiTuifoit  fouvent  dr>ns  ces  Républiques  guer- 
rières l'amour  de  l'humanité  en  général.  Les  hommes 
ne  font  pas  dilbngués  eflentlellement  par  la  diffé- 
rence des  langues  qu'ils  parlent,  des  habits  qu'ils 
portent,  des  Pays  qu'ils  occupent  ,  ni  des  dignités 
dont  ils  font  revêtus.  Le  monde  entier  n'eft  qu'une 
grande  République ,  dont  chaque  Nation  eft  une 
famille  ,  &  chaque  particulier  un  enfant.  C'eff 
pour  faire  revivre  &  répandre  ces  anciennes  maxi- 
mes ,  prifes  dans  la  nature  de  l'homme,  que  notre 
Société  fut  établie.  Nous  voulons  réunir  tous  les 
hommes  d'un  efprit  éclairé  &  d'une  humeur  agréa- 
ble ,  non-feulement  par  l'amour  des  beaux  Arts , 
mais  encore  plus  par  les  grands  principes  de  vertu 
où  l'intérêt  de  la  confraternité  devient  celui  du 
genre  humain  entier  ,  où  toutes  les  Nations  peuvent 
puifer  des  connoiffances  folidcs  ,  &  où  tous  les 
Sujets  des  dlfférens  Royaumes  peuvent  confpircr 
fans  jalouHe  ,  vivre  fans  difcorde ,  &  fe  chérir  mu- 
tuellement ,  fans  renoncer  à  leur  Patrie..  Nos  an- 
cêtres ,  les  Croifés  ,  raffemblés  de  toutes  les  par- 
ties de  la  Chrétienté  dans  la  Terre-Sainte ,  vou* 

Dij 


|8  ŒUVRES 

lurent  réunir  ainiï  dans  une  feule  confraternité  les 
Sujets  de  toutes  les  Nations,  Quelle  obligation 
n'a-t-on  pas  à  ces  hommes  fupérieurs  ,  qui  fans 
Intérêt  groffier  ,  fans  écouter  Fcnyic  naturelle  de 
dominer,  ont  imaginé  un  établiflemcnt  donc  le  but 
Ijnique  eft  la  réunion  des  efprits  &  des  cœurs , 
pour  les  rendre  meilleurs ,  &  former  dans  la  fuite 
'des  temps  une  Nation  fpiritndlc  ,  où  fans  déro- 
ger aux  divers  devoirs  que  la  diftérence  des  états 
^xige,  on  créera  un  Peuple  nouveau  ,  qui ,  en  tc- 
îiant  de  plufieurs  Nations  ,  les  cimentera  toutes  en 
(quelque  forte  par  les  liens  de  la  vertu  &ç  dç  la 
fçience  ! 

La  fâine  morale  eft  la  féconde  difpofition  re- 
guife  dans  notre  Société.  Les  Ordres  Religieux 
furent  ptablis  pour  rendre  les  hommes  Chrétiens 
parfaits  ;  les  Ordres  Militaires,  pour  infpirer  l'amour 
de  la  belle  gloire;  l'Ordre  des  Francs-Maçons  fut 
jnfHtué  pour  former  des  hommes  &  des  hommes 
aimables  ,  de  bons  Citoyens  &  de  bons  fujets, 
inviolables  dans  leurs  promcfTes  ,  fidèles  adorateurs 
du  Dieu  de  l'amitié,  plus  am.ateurs  de  la  vertu  que 
des  récompenfçs. 

JPolhciti  fervare  fidem ,  fancîiimque  vcrcri 
^iimcn  amicitiçe ^mons  y  non  munus  amare. 

Ge  n'eft  pas  cependant  que  nous  nous  bornions 
flUX  vertus  purement  civiles.  Nous  avons  parmi 
nous  trois  efpcces  de  Confrères  ;  des  Korices  ou 
des  Apprentifs  ,  des  Compagnons  gu  des  Profés, 
des  Maîtres  ou  des  Parfaits.  Nous  expliquons  aux 
premiers  les  vertus  morales  &  philanthropes,  aux 
it-conds  les  vertus  héroïques ,  aux  derniers  Içs  vçr- 


DIVERSES,  z^ 

tus  fur-humaines  &  divines  :  de  forte  que  notre 
jnftitut  renferme  toute  la  Philofophie  des  fenti- 
iç^ens ,  &  toute  la  Théologie  du  cœur,  C'eft  pour- 
quoi un  de  nos  vénérables  Confrères  dit  dans  imc 
Qde  ,  pleine  d'une  noble  enthoufiafmt^: 

Frée-Maçons ,  illuftre  Grand  Maître , 
Recevez  mes  premiers  tranfports  , 
*  Dans  mon  cœur  l'Ordre  les  fait  naître; 
Heiweux  ,  fi  de  nobles  efforts 
Me  font  mériter  votre  eftimc, 
M'élevent  à  ce  vrai  fublime  , 
A  la  premiers  vérité  , 
A  l'efîence  pure  &  divine  , 
De  l'ame  célefle  origirre. 
Source  de  Vie  &  de  clarté  / 

Comme  une  Philofophie  févere ,  fauvage ,  trifîe 
&  mifanthrope  ,  dégoûte  les  hommes  de  vertu  : 
nos  Ancêtres  ,  les  Croifés ,  voulurent  la  rendre 
aimable  par  l'attrait  des  plaifirs  innocens  ,  d'une 
mufique  agréable,  d'une  joie  pure  &  d'une  gaieté 
raifonnable.  Nos  fentimens  ne  font  pas  ce  que  le 
monde  profane  &  l'ignorant  vulgaire  s'imaginent. 
Tous  les  vices  du  cœur  &  de  l'efprit  en  font  ban- 
nis ,  l'irréligion  &  le  libertinage  ,  l'incréduli? 
&  la  débauche.  C'eft  dans  cet  efprit  qu'un  de  no» 
Poètes  dit  : 

Nous  fuivons  aujourd'hui  des  fentiers  peu  battus  3 
Kous  cherchons  à  bâtir ,  &  tous  nos  édifices 

Sont ,  ou  des  cachots  pour  les  vices  , 

Ou  des  temples  pour  les  vertus. 


3©  ŒUVRES 

Nos  repas  reflemblent  a  ces  vertueux  foupef<' 
d'Horace  ,  où  l'on  s'entretenoic  de  tout  ce  qui 
pouvoit  éclairer  l'efprit  ,  perfedionner  le  cœur, 
&  infpirer  le  goût  du  vrai ,  du  bon  &  du  beau. 

O  !  nocles  ,  cœnafqiie  Oeum 

Sermo  oritiir  non  de  regnis ,  domibufvc  alienis  : 

fid  qiiod  magis  ad  nos 

Pcrtinet ,  ê*  nefcire  malum  ;  &  dgitamus ,  utrumne 
Divitiis  homines  ,  an  fint  v imite  beati  ; 
Qiddve  amicitias,  ufiis  ^  ritumve  trahat  nos  , 
Et  qiiœ  fit  natura  boni  ,  Jîimmuinqiie  qiiid  ejiis. 

Ici  l'amour  de  tous  les  delîrs  fe  fortifie.  No".'^ 
bannifTons  de  nos  Loges  toute  difpute  qui  poui- 
roit  altérer  la  tranquillité  de  l'efprit  ,  la  douceu^^ 
des  mœurs ,  les  fentimens  de  l'amitié  ,  &  cette  har- 
monie parfaite  qui  ne  fe  trouve  que  dans  le  rt 
franchement  de  tous  les  exchs  indécens  &  de  toute 
les  pafTions  difcordantes. 

Les  obligations  donc  que  l'Ordre  vous  impol* 
font  de  protéger  vos  Confrères  par  votre  autorité 
de  les  éclairer  par  vos  lumières ,  de  les  édifier  pa 
vos  vertus,  de  les  fecourir  dans  leurs  befoins,  d 
facrifier  tout  relTentiment  perfonnel ,  &  de  rccher 
cher  tout  ce  qui  peut  contribuer  a  la  paix  ,  a  1 
concorde  &  à  l'union  de  la  fbciété. 

Nous  avons  des  fecrets  :  ce  font  des  lignes  figu- 
ratifs &  des  paroles  facrées ,  qui  compofcnt  un  lan- 
gage tantôt  muet ,  &  tantôt  très-cloqucnc  ,  pour 
fe  communiquera  la  plus  grande  diflance,  &  pour 
reconnoître  nos  Confrères ,  de  qi;elque  langue  ou 
de  quelque  Pays  qu'ils  foient.  C'étoient ,  fclon  les 
apparences  ,  des  mots  de  guerre  que   les  Croifos 


D  I  V  E  p.  s  E  s.  3î 

fc  donnoient  les  uns  aux  autres  ,  pour  fe  garantir 
des  furpriles  des  Sarralms  qui  fe  gliiloient  fouvent 
parmi  eux  pour  les  trahir  &  les  ailaffiner.  Ces  fignes 
&  ces  paroles  rappellent  le  fouvenir ,  ou  de  quelque 
partie  de  notre  îcience ,  ou  de  quelque  vertu  mo- 
taie,  ou  de  quelque  myftere  de  la  Foi, 

II  ert  arrivé  chez  nous  ce  qui  n'eft  gueres  atrivé 
dans  aucune  autre  fociété.  Nos  Loges  ont  été  éta- 
blies &  fe  répandent  aujourd'hui  dans    toutes  les 
Nations  policées  ;  &;  cependant ,  dans  une  fi  ncm- 
breufe  multitude  d'hommes  ,  jamais  aucun   Con- 
frère n'a  trahi   nos  fecrets.  Les  efprits  les  plus  lé- 
gers ,  les  plus  indifcrets ,  &  les  moins  inftruits  a  fe 
taire  ,   apprennent  cette    grande  fcience  auffi-tôt 
qu'ils  entrent  dans  notre  fociété  ;  tant  l'idée  de 
l'union    fraternelle  a  d'empire   fur  les  efprits.  Ce 
fecret  inviolable  contribue  puifTamment  a  lier  les 
fujets  de  toutes  les  Nations,  &  à  tendre  la  commu- 
nication des  bienfaits  facile  &  mutuelle   entr'eux. 
Nous  en  avons  plufieurs  exemples  dans  les  annales 
de   notre  Ordre.  Nos  Confrères  qui  voyageoient 
dans  les  différens  Pays  de  l'Europe ,  s'écant  trouvés 
dans  le  befoin  ,  fe  font  fait  connoître  k  nos  Loges , 
&  aufïï-tôt  ils  ont  été  comblés  de  tous  les  fecours 
nécefTaires.  Dans    le  temps  même  des  guerres  les 
plus  fanglantes ,  àes  illuftres  prifonniers  ont  trouvé 
des  Frères    où  ils   ne  croyoient  trouver  que  des 
ennemis.  Si  quelqu'un  mancuoit  aux  promelfes  (o- 
lemnelles  qui  nous  lient ,  vous  favez  ,  MefTieurs , 
que  les  plus  grandes  peines  font  les  remords  de  fa 
confcience  ,  la  honte  de  la  perfidie  ,  &  l'exclufion     , 
de  notre  fociété  ,  félon  ce?  belles  paroles  d'Ho- 
îàcc  ; 


^%  (EU  V  R  E  s 

Ef?  &  fiddi  tuta  filcntio 
Mer  ces  ;  vetabo  qui  Cereris  facnini 
Viiigarit  arcanœ  ,  fub  iifdern 
Sit  trabibus  ,fragiUmque  mecum 
Solvat  Phajdum. 

Oui ,  MefTieurs  ,  les  fameufes  fêtes  de  Cerès  ^ 
Eleufis ,  dont  parle  Horace  ,  aufïï  bien  que  celles 
d*Ifis  en  Egypte  ;  de  Minerve  à  Athènes  ■  d'Uranie 
chez  les  Phéniciens;  &  de  Diane  en  Scythie,  avoient 
quelque  rapport  a  nos  folcmnités.  On  y  célébroit 
des  myfteres  où  fe  trouvoient  plufïeurs  veftiges  de 
l'ancienne  Religion  de  Noé.&  des  Patriarches  {a)  ; 
cnfuite  on  finifîbit  par  les  repas  &  les  libations , 
mais  fans  les  excès ,  les  débauches  &  l'intempérance 
ôii  les  Payens  tombèrent  peu  à  peu.  La  lource  de 
toutes  CQ^  infamies  fut  l'admiffion  des  perfonnes  de 
l'un  &  de  l'autre  fexe  aux  aifemblées  nodurnes  , 
contre  la  primitive  inftitution.  C'cll  pour  prévenir 
de  femblables  abus ,  que  les  femmes  font  exclues 
de  notre  Ordre.  Ce  n'ell  pas  que  nous  foyons  affex 
injuftes  pour  regarder  le  fexe  comme  incapable 
de  fecret  ;  mais  c'cft  parce  que  fa  préfence  pour- 
roit  altérer  infcnfiblement  la  pureté  de  nos  maximes 
&  de  nos  mœurs. 

Si  le  fexe  eft  banni,  qu'il  n'en  ait  point  d'allarmes. 
Ce  n'eft  point  un  outrage  à  fa  fidélité  ; 
Mais  on  craint  que  l'amour  ,  entrant  avec  fes  charmes  , 
Ne  produire  l'oubli  de  la  fraternité. 
Noms  de  frères  ,  d'amis  ,  feroicnt  de  foibles  armes  , 
Pour  garantir  les  cœurs  de  la  rivahté. 

[  «]   Voyez  les  mœurs  des  Sauvages  du  Père  Laiîtean  ,  tome  t  ^ 
yaj,e  2ii, 

La 


DIVERSES.  33 

La  quatrième  qualité  requife  pour  entrer  dans 
nos  Ordres ,  c\ï  le  goût  des  fciences  utiles  &  des 
arts  libéraux  de  toutes  Us  efpeces  :  ainfi  l'Ordre 
exige  de  chacun  de  vous  de  contribuer  car  fa  pro- 
tection, par  (à  libéralisé  ou  par  Ton  travail,  ài:.T. 
valle  ouvrage  ,  auquel  nulle  Académie  &  nulle 
Univeriité  ne  peuvent  f'uliire ,  parce  que  toutes  hs 
Sociétés  particulières  étant  compcfées  d'un  très- 
petit  nombre  d'hommes  ,  leL'r  travail  ne  peut  pas 
embraller  un  objet  aufli  immenfe. 

Tous  les  Grands-Maîtres  en  Allemagne ,  en  An- 
gleterre, en  Italie  &  par  toute  l'Europe  ,  exhortent 
tous  les  Savans  &.  tous  les  Artiftes  de  la  Confra- 
ternité de  s'unir  pour  fournir   les  matériaux  d'un 
Dictionnaire  univerfel  de  tous  les  arts  libéraux  6c 
de  toutes  les  fciences  utiles  ,  la  Théologie  &  la. 
Politique  feules  exceptées.  On  a  déjà  commencé 
l'Ouvrage  a  Londres  ;  mais  par  la  réunion  de  nos 
Confrères. ,  on  pourra  le  porter  à  fa  perfection  en 
peu  d'années.  On  y  expliquera  non-feulement  le 
mot  technique  ,  &c  fon  étymologie;  mais  on  don- 
nera encore   l'Hiftoire  de  fa  icicnce  &  de  l'art, 
fes  grands  principes  ,  &  la  manière  d'y  travailler. 
De  cette  façon  on  réunira  les  lumières  de  toutes 
les  Nations  dans  un  feul  Ouvrage ,  qui  fera  comme 
un  magafin  général  &  une  Bibliothèque  univerfelle 
de  ce  qu'il  y  a  de  beau ,  de  grand  ,  de  Ivimineux , 
de  folide  &  d'utile  dans  toutes  les  fciences  natu- 
relles  &  dans   tous  les  arts  nobles.  Cet  Ouvrage 
augmentera  dans  chaque  fiecle,  félon  l'augmenta- 
tion des  lumières.  C'eft  ainfi  qu'on  répandra  une 
noble  émulation  avec  le  goût  des  belles  Lettres  Sc 
des  beaux  Arts  dans  toute  l'Europe. 

E 


34  (E  V  V  R  E  S  ^ 

Le  nom  de  Frcc-i\\açons  ne  doit  donc  pas  étxc 
pris  dans  un  lens   lit.cral  ,  groffier  &  matériel  , 
puifque  leurs  Inftitutcurs  avoient  été   de    (impies 
ouvriers  en  pierre  &  en  marbre  ,    ou  des  génies 
purement  curieux ,  qui  vouloient  perfedionner  les 
Arts.  Ils  étoient  non-feulement  d'habiles  Archi- 
tectes qui  vouloient  coniàcrer  leurs  talens  &  leurs 
biens  à  la  conllruftion  des  temples  extérieurs  ,  mais 
aufTi  des  Princes  religieux  &   guerriers  qui  vou- 
loient éclairer  ,  édifier  &  protéger  les  Temples  vi- 
vants du  Très-Kaut.  Ctiï  ce  que  je  vais  démon- 
trer ,  en  vous  développant  l'origine  &  l'hiftoire  de 
l'Ordre. 

Chaque  famille  ,  chaque  République  &  chaque 
Empire ,  dont  l'origine  elt  perdue  dans  une  anti- 
quité obfcure  ,  a  là  fable  &  a  fa  vérité ,  fa  légende 
6c  fon  hiftoire  ,  fa  fidion  &  fa  réalité.  Quelques- 
uns  font  remonter  notre  inftitution  jufqu'au  temps 
de  Salomon  ,  de  Moyfe ,  des  Patriarches,  de  Noc 
même.  Quelques  autres  prétendent  que  notre  Fon- 
dateur fut  Enoch,  le  petit-fils  du  Protoplafîc,  qui 
bâtit  la  première  Ville  ,  &  l'appella  de  fon  nom. 
Je   pajTe   rapidement  fur   cette  origine  fabuleufe  , 
pour  venir  à  notre  véritable  hiftoire.  Voici  donc 
ce  que  j'ai  pu   recueillir  dans  les  très  -  anciennes 
Annales  de  l'Hiftoire  de  la  Grande-Bretagne,  dans 
les    Aéfes  du  Parlement  d'Angleterre  qui    parlent 
fouvent  ck  nos  Privilèges ,  &  dans  la  tradition  vi- 
vante de  la  Nation  Britannique  qui  a  été  le  centre 
&  le  liège  de  notre  Confraternité  depuis  l'onzième 
liecle. 

Du  temps  des  guerres  faintes  dans  la  Paleftine, 
plufieurs  Princes ,  Seigneurs  6c  Citoyens  encrèrent 


DIVERSES.  3? 

en  foclété ,  firent  vœu  de  rétablir  les  Temples  des 
Chrétiens  dans  la  Terre-Sainte ,  &  s'engagèrent  par 
ferment  à  employer  leurs  talens  &  leurs  biens  pour 
ramener  l'archicedure  à  fa  primitive  inilitudon.  ils 
convinrent  de  pluheurs  fignes   anciens  ,  de  mots 
fymboliques  tirés  du  fond  de  la  Religion  ,  pour  fe 
diiiinguer  des  iniideles  ,  &  fe  reconnoître  d'avec 
les  Sarrafns.   On  ne  communiquoit  ces  fignes  & 
CCS  paroles  qu'a  ceux  qui  promettoient  fclemnelle- 
nient ,  &  fouvent  même  aux  pieds  des  Autels  ,  de 
ne  les  jamais  révéler.  Cette- promelie  facrée  n'étoit 
donc  plus  un  ferment  exécrable,  comm.e  on  le  dé- 
bite ;  mais  un  lieu  refpeélable  pour  unir  les  hommes 
de  toutes  les  Nations  dans  une  mcme  confraternité. 
Quelque  temps  après ,  notre  Ordre  s'unic  avec  les 
Chevaliers  de  S.  Jean  de  Jerufalem  ;   dès-lors,  & 
depuis ,  nos  Loges  portent  le  nom  de  Loges  de  S. 
Jean  dans  tous  les  Pays.  Gerce  union  fe  fit  en  imi- 
tation des  Ifraéiites ,  îorfqu'ils  rebâtirent  le  fécond 
Tempie  ;  pendant  qu'ils  manioient  d'une  main  la 
cruelle  &  le  mortier,  ils  portoient  de  l'autre  l'épée 
&  le  bouclier.  (  t'fdras ,  ch.iu.  ^  ,  v.  zS.)  Notre 
Ordre   par   conféquent   ne  doit  pas  être    regardé 
comme  un  renouvellement  de  Bacchanales,  &  une 
fource  de  folle  diffipation  ,  de  libertinage  effréné 
&  d'intempérance  fcandaleufe  ;  mais    comme  un 
Ordre  moral  ,  inftitué  par  nos  Ancêtres  dans  la 
Terre-Sainte  ,  pour  rappeîlcr  le  fouvenir  des  vé- 
rités les  plus  fublimes,  au  milieu  des  innocents  plai- 
firs  de  la  Société. 

Les  Rois  ,  ks  Princes  &  les  Seigneurs  ,  en  re- 
venant de  la  Paleftine  dans  leurs  Pays ,  y  établirent 
des    Loges    différentes.   Du    temps   des   dernières 

Eij 


3$  (^:  U  V  R  E  s 

Croifades  on  vcÀc  déjà  pliifîeurs  Loges  érigées  en 
Allem.igne  ,  en  'Italie,  en  Efpagne ,  en  France  ,  &: 
delà  en  Écofle  ,  à  caule  de  l'intime  alliance  qu'il 
y  eue  alors  entre  ces  deux  Nations, 

Jaca^ues  Lord  Stward  d'Êcofic  ,  fut  Grand- 
Makre  d'une  Loge  ccablie  a  Kilwinnen  dans  l'Oucft 
d'Ecoffe,  en  l'an  1 2.86 ,  peu  de  temps  après  la  more 
d'Alexandre  III  ,  Roi  d'Ecoil'e  ,  &  ua  an  avant 
q  le  Jean  Baliol  montât  fur  le  Trône.  Ce  Seigneur 
^coffois  reçut  Francs-maçons  dans  fa  Loge  les 
Comtes  de  Glocefter  &  d'Ulfter ,  Seigneurs  Anglois 
éc  Irlandois. 

Peu  k  peu  nos  Loges ,  nos  fêtes  iS^:  nos  folemni- 
tés  furent  négligées  dans  la  plupart  des  Pays  011 
elles  avoient  été  établies.  Delà  vient  lelilcnce  des 
Hiftoriens  de  prefque  tous  les  Royaumes  fur  notre 
Ordre,  hors  ceux  de  la  Grande-Bretagne.  Elles  fe 
conferverent  néanmoins  dans  toute  leur  fplendeur 
parmi  les  Écoflbis  ,  à  qui  nos  Rois  confièrent , 
pendant  plulieurs  fiecles  ,  ia  garde  de  leurs  facrées 
Perfonnes. 

Après  les  déplorables  traverfes  des  Croifades , 
le  dépériffement  des  armées  Chrcrrnnts  ,  &  le 
triomphe  de  Bendocdar  ,  Soudan  d'Egypte  ,  pen- 
dant la  huitième  &  dernière  Croifadc  ,  le  fils  d'Henri 
III ,  Roi  d'Angleterre  ,  le  grand  Prince  Edouard 
voyant  qu'il  n'y  avoit  plus  de  fureté  pour  fes  Con- 
frères dans  la  Terre-Sainte  ,  quand  les  troupes 
Chrétiennes  s'en  rerircroicnt  ,  les  ramena  tous;  &C 
cette  Colonie  de  Frères  s'établit  ainfi  en  Angle- 
terre. Comme  ce  Prince  étoit  doué  de  toutes  les 
qualités  du  cœur  &  de  l'efprit  qui  forment  les 
Héros ,  il  aima  ks  beaux  Arts  ,  fc  déclara  protec- 


DIVERSES,  37 

teur  de  notre  Ordre  ,  lui  accorda  plufîcurs  privi- 
lèges &:  tranciii^cs,  &  dès-lors  les  membres  de  cette 
Confraternité  prirent  le  nom  de  Francs-Maçons. 
Depuis  ce  remps  la  Grande-Bretagne  devint  le 
liege  de  norre  ic  encc  ,  confervatrice  de  nos  loix ,  & 
dépohcaire  de  nos  ftcrets.  Les  fatales  difcordes  de 
Religion  ,  qui  em'oraiierent  &  déchirèrent  l'Europe 
dans  le  feizieme  iîecle  ,  firent  dégénérer  notre  Or- 
dre de  la  grandeur  &  de  la  noblefle  de  fon  ori- 
gine. On  changea  ,  on  déguifa  ,  ou  l'on  retrancha 
plulieurs  de  nos  rits  &  iifages  ,  qui  étoient  con-» 
traires  aux  préjugés  du  temps. 

C'efi:  ainfi  que  plufieurs  de  nos  Confrères  ou-' 
blierent ,  comme  les  anciens  Juifs ,  l'efprit  de  notre 
Loi ,  &  n'en  conferverent  que  la  lettre  &  l'écorce. 
Notre  Grand -Maître  ,  dont  les  qualités  rcfpedables 
furpafTent  encore  la  naiifance  diilinguée,  veut  qu'on 
rappelle  tout  à  fa  première  inftitution  ,  dans  un 
Pays  où  la  Religion  &  l'Etat  ne  peuvent  que  favo- 
rifer  nos  loix. 

Des  îlles  Britanniques  ,  l'antique  fcience  com- 
mence à  repaffer  dans  la  France  fous  le  règne  du 
plus  aimable  des  Rois ,  dont  l'humanité  fait  i'ame 
de  toutes  les  vertus  ,  fous  le  minillcre  d'un  Men- 
tor qui  a  réalifé  tout  ce  qu'on  avoit  imaginé  de 
febuleux.  Dans  ce  temps  heureux  où  l'amour  de  la 
paix  eft  devenu  la  vertu  des  Héros ,  la  Nation  la 
plus  fpiritueile  de  l'Europe  deviendra  le  centre  de 
l'Ordre  ;  elle  répandra  fur  nos  ouvrages  ,  nos  fta- 
tuts  &  nos  mœurs ,  les  grâces ,  la  délicateiTc  &  le 
tjuii  goût  ;  qualités  eiîentielles  dans  un  Ordre  dont 
la  bafe  efl  hj-igejTe  ,  Li  force  &  Li  hcaiiu  du  génie. 
C'eft  dans  nos  Loges  à  l'avenir ,  comme  dans  des 


^8  (E  U  V  R  E  S 

écoles  publiques  ,  que  les  François  verront ,  faas 
voyager  ,  les  caraderes  de  toutes  les  Nations  ;  & 
c'ell  dans  ces  mêmes  Loges  que  les  Etrangers  ap- 
prendront par  expérience  que  la  France  eft  la 
vraie  Patrie  de  tous  les  Peuples  :  Patria  gentis 
humatice. 


S  T  A  T  U  T    I. 

NUI  ne  fera  reçu  dans  l'Ordre ,  qu'il  n'ait  pro- 
mis &  juré   un  attachement  inviolable  pour 
k  Religion,  le  Roi  &  les  mœurs. 
I  I. 
Tout  Brocanteur  en  incrédulité  ,  qui  aura  parlé 
ou  écrit  contre  les  anciens  dogmes  de  l'ancienne 
Foi  des  Croifés ,  fera  exclu  à  jamais  de  l'Ordre ,  à 
moins  qu'il  ne   fafïè  abjuration  de  fcs  bîafphêmes 
en  pleine  aflemblée^&  une  réfutation  de  fon  ouvrage. 
III. 
Nul  homme  fufpeft  de  vices  infâmes  &  déna- 
turés ne  fera  admis  qu'après  avoir  donné  pendant 
trois  ans  des  preuves  éclatantes  de  fa  pénitence  & 
de  fon  amour  pour  le  beau  fexe. 
IV. 
Tout  homme  qui  place  la  fouvcraine  félicité  k 
boire ,  manger  &  dormir  ,  la  perfcftion  de  l'efprit 
dans  l'art  de  jouer ,  de  jafer,  de  badiner  ,  de  favoir 
l'hiftoire  des  toilettes ,  de  parler  le  ftylc  des  ruelles, 
de  ne  lire  que  des  contes  bleus ,  ell  incapable  d'en" 
trer  dans  l'Ordre. 

V. 
Tout  Petit-Maître  idolâtre  «le  k.  figure ,  de  fon 


DIVERSES.  3$ 

C4^upet ,  &  de  ^qs  ajuftements ,  fera  obligé  ,  en  en- 
trant dans  l'Ordre,  de  s'habiller  fîmplement,  fans 
galons  ,  fans  broderie  ,  &  fans  parures  femelles , 
pendant  l'efpace  de  trois  ans. 
V  I. 

Nul  hypocrite  en  probité  ,  en  valeur  ,  en  dé- 
votion ,  ni  en  morale  févere  ,  ne  fera  reçu  dans  la 
fàcrée  Confraternité. 

V  I  I. 

Tout  Savant  qu'on  recevra  dans  l'Ordr©  ,  fera 
tenu  de  promettre  qu'il  préférera  à  l'avenir  le  plaiflc 
de  favoir  ,  à  l'envie  de  briller  ;  qu'il  tâchera  d'avoir 
le  beau  dans  la  tête  &  le  bon  dans  le  cœur  ;  & 
qu'il  ne  montrera  jamais  l'un  que  pour  faire  aimer 
l'autre. 

VIII. 

Nul  bel  efprit  qui  aura  médit  ,  calomnié  ,  faty- 
ryfé  en  vers  ou  en  profe  ,  &  dépenfé  fes  talents  en 
faux ,  en  fariboles  ,  en  fornettes  immondes  ou  im- 
pies ,  ne  fera  reçu  qu'après  avoir  fait  un  ouvrage 
contre  fa  propre  impertinence. 

L'ÉTONNEMENT. 

\J  y'un  Cavalier  fuive  par-tout  les  pas 
D'une  beauté  qu'il  a  charmée  , 
Que  pour  elle  il  quitte  l'armée , 
Cela  ne  me  furprend  pas  : 
Mais  qu'un  Abbé ,  d'une  mine  friponne/ 
A  Philis  prefque  tout  le  'our 
Effrontément  fafle  fa  cour  , 


40  ŒUVRES 

Et  lui  marque  Ton  vif  amour  ; 
C'eft-là  ce  qui  m'étonne. 

Qu'un  Financier  abondant  en  ducats, 
Rifquant  quelquefois  fa  fortune  , 
Perde  au  Lanfquenet  fa  pécune  ; 
Cela  ne  me  furprend  pas  : 
Mais  que  Damon ,  qu'un  Créancier  talonne  , 
D'un  lèuî  coup  rifque  un  revenu 
Qui  n'efl:  pas  encore  venu. 
Et  qui  bientôt  fera  'perdu  ; 
C'efl-là  ce  qui  m'étonne. 

Que  Lycoris  ,  la  fleur  de  nos  climats  , 
Pour  un  charmant  Berger  foupire. 
Qu'en  fes  beaux  yeux  elle  fe  mire  ; 
Cela  ne  me  furprend  pas  : 
Mais  que  la  jeune  &  piquante  Pomonc 
Écoute  les  vœux  d'un  Ragot, 
Et  fe  plaife  avec  un  Magot 
Qui  jamais  ne  fut  dire  un  mot  ; 
C'eft-là  ce  qui  m'étonne. 

Que  mon  Iris  ,  vive  &  pleine  d'appas  ;, 
A  peine  au  printems  de  fon  âge 
Soupire  après  le  mariage  ; 
Cela  ne  me  furprend  pas  : 
Mais  qu'Alifon ,  déjà  dans  fon  automne , 
Sans  vigueur  &  fans  agrément , 
Penfe  encore  au  doux  Sacrement , 
Sans  qu'il  fe  préfente  un  Amant  ; 
C'eft-là  ce  qui  m'étonne. 


Qu'ua 


DIVERSES.  4I| 

Qu'un  froid  Vieillard,  pour  prendre  fes  ébats, 
Avec  fes  amis  fous  la  treille  , 
Vuide  quelquefois  la  bouteille  ; 
Cela  ne  me  furprend   pas  : 
Mais  qu'un  Barbon,  d'une  jeune   Pouponne," 
Veuille  encore  éprouver  les  feux», 
Après  trois  veuvages  affreux 
Qui  lui  blanchifîent  les  cheveux  ; 
C'eft-là  ce  qui  m'étonne. 

Qu'Amarillis ,  en  amoureux  combats , 
Par  l'éclat  brillant  de  fes  charmes , 
FafTe  au  plus  fier  rendre  les  armes  ; 
Cela  ne  me  furprend  pas  : 
Mais  que  Lifon ,  marchant  à  la  dragonne, 
Penfe  captiver  les  Amants 
Avecque  fes  cheveux  ardents. 
Et  la  jaunifîe  de  fes  dents  ; 
C'efl-là  ce  qui  m'étonne. 


^ 


LE    POETE    VENGÉ*. 


A 


Vorton  des  neuf  Sœurs ,  Grenouille  du  Parnafle, 
Qui  que  tu  fois ,  réponds  ;  quelle  imprudente  audace 
T^a  contraint  d'attaquer  un  redouté  Géant , 
Qui  peut ,  d'un  feul  regard ,  te  réduire  au  néant  ? 
Mais  ne  crains  point  :  jamais  dans  fa  noble  colère 


*  Cette  Fifce  ,  &  celle  qui  la  fuit  ,  ont    été  faites  à  l'o-carioa  dc 
flHcI<iu5s  mifcrabks  couplets  lâchés  goutte  M»C*'*. 

F 


41  ŒUVRES 

Ce  Héros  n'attaqua  qu'un  illuflre  adverfairc  ; 

Il  méprifa  les  coups  d'une  trop  foible  main  , 

Et  t'honora  toujours  du  plus  parfait  dédain. 

Semb'able  à  ce  grand  Roi  qui  força  le  Granique  ," 

Malgré  les  boulevarts  de  l'Empire  Pcrfique , 

Il  ne  veut ,  comme  lui ,  dans  les  combats  d'honneur 

Que  des  Rois  dont  il  puifl'e  éprouver  la  valeur. 

Il  craindroit  de  ternir  fon  éclatante  gloire  , 

S'il  t'ofoit  difputer  une  foib'.c  vidoire. 

Il  s'en  eft  expliqué ,  j'en  attefVe  les  Cieux  : 

Je  ne  veux,  m'a-t-il  dit ,  qu'un  ennemi  fameux, 

Je  mépri  e  un  faquin  que  tout  le  monde  ignore  , 

Il  croupit  dans  l'oubli  ,  qu'il  y  croupiffe  encore. 

Il  dit  :  &  je  ne  pus ,  en  entendant  ces  mots , 

Qu'admirer  la  grandeur  &  l'ame  d'un  Héros, 

Quelle  noble  fierté  !  me  difois-je  à  moi-même. 

Que  ce  mépris  eft  grand  !  que  ma  joie  eft  extrême  ! 

S'il  paroît  quelqu'cfprit  &  favant  &  jaloux. 

Le  fiede  de  Céfar  revivra  parmi  nous. 

Mais  quoi!  je  vois  d;.'jamon  Baudet  qui  s'admire. 

Charmé  des  aigres  fons  de  fa  fade  Satyre  ; 

Il  croit  que  ce  mépris  a  prrpos  concerté. 

Marque  ou  trop  de  foiblciTe  ou  trop  de  lâcheté. 

Eh  bien  !  prenons  en  main  du  Héros  la  vengeance, 

ft  du  pht  rimailleur  dévoilons  l'ignorance. 

Dis-moi;  prétendois  tu  ,  dans  tes  folies  fureurs, 

Étjrnifer  ton  nom  par  de  fales  horreurs  ? 

Croyos-tu  qu'Apollon ,  fécondant  ton  audace. 

Te  placeroit  au  rang  ou  de  Pcrfc  ou  d'Horace  ? 

Infenfc  !  tu  voulus  croire  ta  palTion , 

L'infamie  eft  le  prix  de  ton  ambition. 


DIVERSES.  ^3 

Tu  ne  peux  l'evirer ,  &  je  vois  Mehomene 
Qui  grave  fur  ton  front  le  nom  d'Energumene, 
Quel  Démon  furieux  fait  jouer  les  relîbrrs 
De  ton  efprit  rampant  &  dj  ton  fjiblc  corps  ? 
Sans  refpecl ,  fans  pudeur  ,  tu  rép.^.t.ds  dans  la  Ville 
Le  noirâtre  poifon  que  taplunu  diftille; 
La  probité,  Ihonneur,  î'ef  rit  &  le  favoir. 
De  tout  fatyrif.r  tu  te  fais  un  devoir: 
11  n'efl  pas  aucun  jour  ,  où  du  fuit  de  tes  veilles 
Tu  n'ofes  empefter  nos  yeux  &nos  oreilles. 
^En:ore,  fi  tu  favois  marier  un  écrit, 
Si  l'on  trouvoit  en  toi  ce  qu'on  appelle  efprit  j 
Peut-être  l'on  pourroit,  charmé  de  ton  génie  , 
Te  paffer  un  bon  mot  ou  plaindre  ta  manie. 
Mais  non  :  tous  tes  écrits  faks  &  dégoutnnts 
Semblent  être  formés  en  dépit  du  bon  fens  ; 
La  rime  &  la  raifon  ,  dans  les  vers  û  vantes  , 
De  l'un  à  l'autre  bout  font  rhez  roi  maltraités  ; 
En  un  mot ,  tes  Ecrits  font  des  monflres  hideux  ; 
La  nature  en  frémit ,  j'en  détourne  les  yeux. 
Mais  ne  crois  pas  pourtant  éviter  ma  colère. 
Je  prétends  t'écrafer ,  ou  bien  te  faire  taire. 
Écoute  donc  ces  mots  par  où  je  vais  finir  , 
Peut-être  ils  te  rendront  plus  fage  à  l'avenir  ; 
Du  moins  tu  ne  pourras  méconnoî.re  en  ma  Fable, 
Bans  l'Ane  maltraité ,  ton  portrait  véritable. 


Fji 


:^4  ŒUVRES 

L'ANE    ET    LE    ROSSIGNOL, 

Fable  nouvelle, 

\^  N  tendre  Roïïlgnol ,  favori  d'Apollon  , 

Dans  les  bois  du  f.icré  Vallon  , 
Chantoit  un  jour  l'objet  dont  la  vive  jeunefTe 
Avoit  fu  captiver  fon  cœur  &  fa  tendrefTe , 
Tout  éroit  attentif  aux  accents  de  fa  voix  ; 
Un  filence  profond  regnoit  au  fond  des  bois  ; 
Les  vents  retenoient  leur  haleine , 
Les  ruiffeaux  ne  couloient  qu'à  peine. 
Les  oifeaux  d'alentour  ,  charmés  de  fts  doux  fons, 
Prenoient  en  l'écoutant  de  favantes  leçons. 
Phébus  alors  couché  fous  un  épais  feuillige  , 
De  fon  cher  roflignol  entendit  le  ramage. 
C'cfl  lui-même  ,  dit  il,  avançons,  hâtons-nous. 
Ne  perdons  rien  d'un  chant  fi  doux. 
Il  dit ,  &  fuivi  de  fa  troupe  , 
Il  vint  s'alTeoir  fur  la  prochaine  croupe. 
Là,  près  de  lui  l'on  vit  ces  Poètes  fameux , 
Qui  feront  révérés  chez  nos  derniers  neveux  : 
Là  ,  tendrement  couchés  fur  la  molle  verdure. 
On  vit  le  doux  Racan  &  le  badin  Voiture  , 
"  Le  naï<^  la  Fontaine  &  le  gêné  Godeau  , 
Le  fiiblime  Corneille  &  le  mordant  RoufTeau  ; 
Là  parurent  auffi  Malherbe  le  Lyrique  , 
Ronfard  qui  tient  encore  fon  chalumeau  ruflique, 
Bcnfcrade  qui  fait  peindre  amoureufement 


DIVERSES.  4$ 

Tt  les  yeux  d'une  belle  &  les  feux  d'un  amant  ; 
Régnier  ,  qui  nous  charma  par  fa  vive  fatyre , 
Scarron  qui  n'écrivit  que  pour  nous  faire  rire , 
Là  brilloient  la  Chapelle  ,  &  la  Fare ,  &  Chaulieu  , 
Racine  &  Defpréaux  Vornement  de  ce  lieu  : 
Vous  y  fûtes  auiïi ,  Marot ,  &  vous  Molière , 

Avec  l'aimable  Deshouliere  : 
Tout  s'y  trouva  ;  Menard  ,  Defmared  &  Villon  , 
Et  mille  autres  encore  dont  je  pafle  le  nom. 
Le  Dieu  des  Vers  à  peine  eut  fait  faire  filence , 
Que  l'oifeau  favori  reflentant  fa  préfence , 
Se  remit  à  chanter  avec  plus  de  douceur 
Le  vif  Se  tendre  amour  qui  confumoit  fon  cœur. 

Sa  voix  devint  plus  animée  j 
Toute  la  troupe  en  fut  charmée  ; 
Le  gofier  de  l'oifeau  ne  parut  point  lafle  , 
Et  Phébus  avoua  qu'il  étoit  furpafie. 
Mais  tandis  que  fa  douce  &  divine  harmonie 

Enchantoit  la  troupe  ravie  , 
Un  Baudet,  près  delà  qui  broutoit  des  chardons. 
Crut  pouvoir  imiter  de  fi  tendres  fredons  : 
Il  vous  dr.fle  à  l'inftant  fes  deux  longues  oreilles. 

Et  croyant  faire  des  merveilles  , 
De  fon  large  gofier  il  pouffe  avec  vigueur 
Un  aigre  fon ,  fuivi  d'un  ton  qui  fit  horreur. 
Il  redouble  ;  &  Phébus  ,  indigné  de  colère  : 
l'impertinent!  dit- il,  allez  le  faire  taire; 
Prenez  ,  mes  fils ,  prenez  de  gros  &:  fort  tricots , 
Qu'à  ce  fot  animal  on  brife  tous  les  os. 
Alors  vous  euiïiez  vu  cette  troupe  favsnte 
S'armer  de  gros  bâtons,  <2c  d'une  main  pefante 


'4-5  ŒUVRES 

Etriller  de  bonne  façon 
le  Baudet ,  qui  pouflbit  un  lamentable  fon. 
Chacun ,  à  qui  mieux  mieux  ,  fit  pleuvoir  fur  fa  têtC 
Une  grêle  de  coups  femblable  à  la  tempête. 

On  dit  qu'entr'autres  Defmareft, 
D'un  coup  fort  à  propos ,  lui  rompit  un  jarret. 
Ainfi  moulu  de  coups ,  l'Animal  d'Arcadie 
Fut  chafle  du  Parnafîe  avec  ignominie. 
Alors  réfléchifTant  fur  fon  malheureux  fort. 
Il  blâma  fon  audace  ,  &  reconnut  fon  tort. 
Je  mérite,  dit  il ,  tous  les  maux  que  j'endure. 
Mon  orgueil  eft  puni  ;  mais  par  ma  foi  j'en  jure , 
Jamais  mes  aigres  fons ,  poufles  à  contretemps  , 
Du  tendre  Roffignol  ne  troubleront  les  chants. 

ÉPILOGUE. 

1  j  E  fens  de  cette  Fable  eft  facile  à  comprendre  : 

On  veut  par-là  nous  faire  entendre 
Que  jamais  il  ne  faut  fe  mêler  ici-bas 

D'un  métier  que  l'on  n'entend  pas  ; 
Sans  cela ,  des  experts  on  devient  la  rifée. 
Témoin  ce  Rimailleur,  dont  la  Mufe  forcée 

N'enfante,  &  ne  feme  en  ces  lieux. 
Qu'une  façon  de  vers  dégoutans  ,  ennuyeux  , 
Où  l'on  ne  reconnoît  qu'une  extrême  impudence  , 
Et  des  règles  de  l'art  une  crafie  ignorance. 
Ils  font  bien  faits,  dit- on ,  ils  font  beaux  ,  ils  font  grands. 
Ils  font  beaux ,  qui  le  dit  ?  De  parfaits  ignorans 
Qui  n'eurent  en  naiffant  qu'un  corps  pour  tout  partage; 
Mufe ,  tu  les  connois ,  n'en  dis  pas  davantage. 


BIVERSES. 

Hh  /  que  de  tels  Grimauds  méprifent  mes  écrits. 
Je  confens  d'écrire  à  ce  prix. 


ÉPITRE     A     URANIE, 

Par  Mr.   de    Voltaire. 

U  veux  donc  ,  charmante  Uranie, 
Qu'érigé,  par  ton  ordre  ,  en  Lucrèce  nouveau, 

Devant  toi  d'une  main  hardie 
A  la  Religion  j'arrache  le  bandeau  ; 
Que  j'expofe  à  tes  yeux  le  dangereux  tableau 
Des  menfoi.'ges  facrés  dont  la  terre  efl  remplie  ; 

Et  qu'enfin  ma  Philofophie 
T'apprenne  a  méprifer  les  horreurs  du  tombeau  ^ 

Et  les  terreurs  de  l'autre  vie. 
Ne  crois  pas  qu'enivré  de  l'erreur^  de  mes  fens , 
De  ma  Religion  blafphémateur  profane  , 
Je  veuille  avec  dépit ,  dans  mes  égaremens  , 
Détruire  en  libertin  la  loi  qui  les  condamne." 
Examinateur  fcrupuleux 
Du  plus  redoutable  myftere. 
Je  prétends  pénétrer  d'un  pas  refpe(Sueux 

Au  plus  profond  du  fanétuaire. 
Un  Dieu  mort  fur  la  Croix ,  que  l'Europe  révère; 
Semble  cacher  ce  Temple  à  mon  œil  téméraire  ; 

M-iisla  raifon  qui  m^  conduit, 
Fait  marcher  devant  moi  fon  flambeau  qui  m'éclaire; 
"Lqs  Prêtres  de  ce  Temple ,  ave»  un  front  févere , 


4S  (E  U  V  RE  S 

M'offrent  d'abord  ua  Dieu  que  je  devrois  haïr  ; 
Un  Dieu  qui  nous  forma  pour  être  miférables , 

Qui  nous  donna  des  cœurs  coupables 

Pour  avoir  droit  de  nous  punir. 

Nous  fit  à  lui-même  femblables 

Afin  de  nous  mieux  avilir  , 

Et  nous  faire  à  jamais  fentir 

Les  maux  les  plus  insupportables. 
Il  forme  à  peine  un  homme  à  fon  image , 

Qu'on  l'en  voit  foudain  repentir; 
Comme  fi  l'Ouvrier  n'avoit  pas  dû  fentir 

Les  défauts  de  fon  propre  ouvrage  , 

Et  fagement  les  prévenir. 

Bientôt  fa  fureur  meurtrière 
Du  monde  épouvanté  fappe   les  fondemens. 
Dans  un  déluge  d'eau  détruit  en  même-temps 

Les  facrileges  habitans 

Qui  renipliffoient  la  terre  entière 

De  leurs  honteux  déréglemens. 
Sans  doute  on  le  verra,  par  d'heureux  changemens. 
Sous  un  ciel  épuré  redonner  la  lumière 
A  de  nouveaux  humains  ,  à  des  cœurs  innocens. 
De  fa  haute  fageffe  aimables  monumens. 

Non  ,  il  tire  de  la  poufllere 

Un  nouveau  Peuple  de  Titans  ; 
Uns  race  livrée  à  fes  emportemens  , 

Plus  coupable  que  la  première. 

Que  fera-t-il7  Quels  foudres  éclatans 
Va  fur  ces  malheureux  lancer  fa  main  févere  l 
Va-t-il  dans  le  cahos  plonger  les  Élémens  ? 

O  prodige  !  6  tendrèlTe  !  ô  œyftere  ! 

B 


DIVERSES.  49 

îl  venoit  de  noyer  les  pères , 
Il  va  mourir  pour  les  enfans. 
ïl  efl  un  Peuple  obfcur,  imbécille,  volage, 
Amateur  infenfé  des  fuperftitions  , 
Vaincu  par  {es  voifms  ,  rampant  dans  l'efclavage  ^ 
Et  l'éternel  mépris  des  autres  Nations. 
Le  Fils  de  Dieu,  Dieu  même,  oubliant  fa  puifTance, 
Se  fait  concitoyen  de  ce  Peuple  odieux  ; 
Dans  les  flancs  d'une  Juive  il  vient  prendre  naiffance. 
Il  rampe  fous  fa  mère ,  il  foufFre  fous  fes  yeux 

Les  infirmités  de  l'enfance. 
Long-temps  vil  ouvrier  ,  le  rabot  à  la  main  , 
Ses  beaux  jours  font  perdus  dans  un  lâche  exercice  ; 
Il  prêche  enfin  trois  ans  le  Peuple  Iduméen, 

Et  périt  du  dernier  fupplice. 
Son  fang  du  moins, le  fang  d'un  Dieu  mourant  pour  nous, 
N'étoit-il  pas  d'un  prix  affez  noble  ,  affez  rare , 
Pour  fuffire  à  parer  les  coups 
Que  l'Enfer  jaloux  nous  prépare  ? 
Quoi  !  Dieu  voulut  mourir  pour  le  faîut  de  tous. 

Et  fon  trépas  m'eft  inutile  ! 
Quoi  !  l'on  me  vantera  fa  clémence  futile  , 
Quand  ,  remontant  au  Ciel ,  il  reprend  fon  courroux  T 
Quand  fa  main  nous  replonge  aux  éternels  abîmes. 
Et  quand  par  fa  fureur  effaçant  fes  bienfaits  , 
Ayant  verfé  fon  fang  pour  expier  nos  crimes. 
Il  nous  punir  de  ceux  que  nous  n'avons  pas  faits  ! 
Ce  Dieu,  pourfuit  encore,  aveugle  en  fa  colère. 
Sur  fes  derniers en^^ans  l'erreur  du  premier  Père; 
Il  en  demande  compte  à  cent  Peuples  divers 
Aiïïs  dans  la  nuit  du  menfonge  , 

G 


^o  (ïï.  U  VR  E  s  ^^ 

Et  dans  î'obfcurité  où  lui-même  les  plonge  , 
lui  qui  vient ,  nous  dit- on  ,  éclairer  l'univers, 

Amérique  ,  vaftes  Contrées  , 
Peuples  que  Dieu  fit  naître  aux  portes  du  Soleil  , 

Vous,  Nations  hypcrborées , 
Que  l'erreur  entretient  dans  un  profond  fommeil  ; 
Vous  ferez  donc  un  jour  à  fa  fureur  livrées  , 

Pour  n'avoir  pas  fu  qu'autrefois  , 
Sous  un  autre  Hémifphere  ,  aux  plaines  Idumées, 
Le  Fils  d'un  Charpentier  expira  fur  la  Croix  î 
Je  ne  reconnois  point  à  cet  indigne  image 

Le  Dieu  que  je  dois  adorer  j 

Je  croirois  le  déshonorer 

Par  un  ù.  criminel  hommage. 
Entends,  Dieu  que  j'implore ,  entends  du  haut  des  Cieu3 

Une  voix  plaintive  &  fmcefe  : 
Mon  incrédulité  ne  doit  pas  te  déplaire  , 

Mon  cœur  eft  ouvert  à  tes  yeux; 
On  te  fait  un  tyran  ,  en  toi  je  cherche  un  Père  ; 
Je  ne  fuis  pas  Chrétien  ,  mais  c'eft  pour  t'aimer  mieux,' 
Ciel  !  ô  Ciel  !  quel  objet  vient  de  frapper  ma  vu&  ! 
Je  reconnois  le  Chrift  puiflant  &  glorieux. 

Auprès  de  lui  dans  une  nue 

Sa  Croix  fe  préfente  à  mes  yeux. 
Sous  fes  pieds  tnomphans  la  mort  eft  abattue; 
Des  portes  de  l'Enfer  il  fort  viclorieux  : 
Son  règne  eft  annoncé  par  la  voix  des  oracles  ; 
Son  Trône  eft  cimenté  par  le  fang  des  Martyrs, 
Tous  les  pas  de  (es  Saints  font  autant  de  miracles  ; 
îî  leur  promet  des  biens  plus  grands  que  leurs  defirs  j 
Ses  exemples  font  faints ,  fa  morale  eft  divine  j 


DIVERSES.  "ît 

H  confole  en  fecret  les  cœurs  qu'il  illumine  : 

Dans  les  plus  grands  malheurs  il  leur  offre  un  appui  ; 

Et  fi  fur  l'impofture  il  fonde  fa  Doétrine , 

C'efl:  un  bonheur  encore  d'être  trompe  par  lui. 

Entre  ces  deux  portraits,  incertaine Uranic, 

C'eft  à  toi  de  chercher  l'obfcure  vérité , 

A  toi  que  la  nature  embellit  d'un  génie 

Qui  feul  égale  ta  beauté. 
Songe  que  du  Très-Haut  la  fageffe  éternelle 
A  gravé  de  fa  main  dans  le  fond  de  ton  cœuc 

La  Religion  naturelle  ; 

Crois  que  ta  beauté ,  ta  douceur  , 
Ne  font  point  les  objets  de  fa  haine  immortelle  ; 
Crois   que  devant  fon  Trône  ,  en  tout  temps,  ""  tous 
lieux , 

Le  cœur  d'un  jufte  efl  précieux  ; 
Crois  qu'un  Bonze  modefte,  un  Dervis  charitable. 

Trouvent  plutôt  grâce  I  fes  yeux 

Qu'un  Janfénifte  impitoyable , 

Ou  qu'un  Pontife  ambitieux. 
Et  qu'importe ,  en  effet ,  fous  quel  titre  on  l'impîorc  ? 
Tout  hommage  efl  reçu  ,  mais  aucun  ne  l'honore; 
Un  Dieu  n'a  pas  befoin  de  nos  foins  alfidus  ; 
Si  l'on  peut  l'offenfer,  c'efl  par  desinjuftices. 

Il  nous  juge  fur  nos  vertus  , 

Et  non  pas  fur  nos  facrifices.. 

Gij 


^  ŒUVRES 

ODE 

A    M.     DE     VOLTAIRE, 


P 


Lein  d'une  fainte  vengeance , 
Je  t'invoque  ,  Dieu  des  Dieux, 
Pour  confondre  l'arrogance 
D'un  impie  ingénieux. 
Ah  !  toujours ,  fougueux  Voltaire , 
Par  un  effor  téméraire 
Attaqueras-tu  le  Ciel  ? 
Ingrat  !  le  Dieu  que  tu  bleflfes  , 
T'a  comblé  de  fes  largefl'es 
Plus  qu'aucun  autre  mortel. 

Déjà  je  me  fais  entendre  ; 
Tes  remords  parlent  pour  moi  : 
Réponds  ;  tâche  de  m'apprendrc 
Pourquoi  tu  détruis  ma  foi  î 
Dans  la  divine  parole 
Que  trouves-tu  de  frivole  ? 
Quel  bandeau  peut  t'aveugler  ? 
So's  mon  (Edipc  toi-même  ; 
Eft-ce  ton  cœur  qui  blafphêmeî 
Ton  efprit  veut-il  briller  ? 

Du  fentiment  populaire 
Adverfairc  trop  outré. 
Avec  le  nombreux  vulgaire 
Tu  rougis  de  pcnfer  vrai« 


DIVERSES.  5? 

Que  je  vois  d'cfprits  fubliraes 
Suivre  en  enfans  les  maximes 
Qift  me  diae  Jefus-Chrift  ! 
Maximes  vraiment  divines  , 
Les  Corneilles  ,  les  Racines 
Vous  ont  fournis  leur  efprit. 

Qu'à  ton  exemple  plus  fagc, 
Un  Peuple  d'Adorateurs 
Ceffe  enfin  de  rendre  hommage 
A  tes  talens  enchanteurs. 
Que  t'importe  des  Théttres 
Les  louanges  idolâtres  ? 
Tu  n'en  es  point  honoré  *  : 
C'eft  combattre  ton  fyftême  ; 
Tu  connois  un  Dieu  fuprême. 
L'as-tu  jamais  ador^  î 

On  te  croiroit,  à  t' entendre, 
Le  fléau  du  préjugé  : 
C'en  eft  un  de  le  prétendre; 
Tu  n'en  es  point  dégagé. 
Se  fuir  ,  fe  vouloir  féduire  ,' 
Juger  fans  ofer  s'inftruire  , 
Te  voilà  ;  tu  le  fens  bien  : 
Pour  être  encore  plus  étrange; 
Qu'aujourd'hui  le  culte  change , 
Demain  tu  feras  Chrétien. 

*  Voltaire  ,  dans  fon  Épitre  à  Uianie  ,  dit  que  Dieu  n'cll  poinC 
banoié  par  nos  hommagejt 


54  m  V  V  RE  S 

Voltaire ,  rends-toi  juttice , 
Je  te  peins  par  ce  feul  trait  ; 
Tu  rcconnois  ton  caprice 
A  ce  fidèle  portrait. 
Orgueilleux  de  ton  génie. 
Tu  n'aveugles  Uranie 
Que  pour  te  diftinguer  mieux. 
Nouvel  Ange  de  lumière. 
Tu  retraces  fur  la  terre 
L*orgueil  qu'il  eut  dans  les  Cieur; 

Tu  prétends  ,  nouveau  Lucrèce, 
Et  tu  le  prétends  en  vain  , 
Du  culte  que  je  profefîe 
Rompre  le  bandeau  divin. 
Ah!  confulte  mieux  ta  gloire, 
Tu  diffames  ta  mémoire 
Par  tes  fyftêmes  Anglois  : 
De  Pékin  ,  Byfancc  &  Rome 
Penfes-tu  détourner  l'homme. 
Pour  le  fixer  fous  tes  loix  ? 

Par  certains  tours  énergiques 
Dont  on  aime  les  beautés , 
Chez  toi  des  erreurs  antiques 
Ont  un  air  de  vérité. 
Tu  fais,  fédudeur  infigne  , 
Ne  nous  laifler  aucun  figne 
Que  tes  Dofteurs  ont  écrit. 
Ton  art  fait  tout  ton  folide," 
Ton  Déïfme  eft  infipide 
Sans  le  fel  qu'y  met  l'efprit. 


DIVERSES,  *5î| 

A  tes  qualités  fublimes 
réleverois  des  Autels  ; 
Mais  tes  facrileges  rimes 
Les  rendroient  trop  criminels. 
Par  quelle  bizarrerie 
De  ta  brillante  Patrie 
Es  tu  l'opprobre  &  l'honneui  j 
Des  vertueux  &  des  fages 
Pafchal  a  tous  les  fufFrages  ; 
£It-il  moins  illuftre  Auteur  î 

Plus  un  rare  efprit  pénétre  j 
Je  le  confeffe  avec  toi , 
Plus  il  a  peine  à  foumettre 
Ses  fentimens  à  la  Foi  ; 
Mais  fans  elle  il  ne  lui  refle 
Que  la  reffburce  funefte 
De  demeurer  incertain. 
Sous  la  fagefle  infinie  , 
D'où  part  fon  rare  génie  ,' 
S'il  penfe  ,  il  pliera  foudain.' 

J'apperçois  fous  le  tonnerre  ; 
Si  j'y  jette  un  œil  favant , 
Tous  les  cultes  de  la  terre 
Se  former  ,  changer  fouvenr. 
Tout-à  coup  ,  fous  fon  Empire^ 
J'en  vois  un  )èul  les  réduire  j 
Il  eft  ftable  ,  c'eft  le  mien. 
Numa  ,  ta  loi  politique  , 
Cède  au  dogme  évangélique. 
Et  l'univers  eft  Chre'tien, 


t^è  (Ë  U  V  R  E  s 

Tout  prouve  que  mon  hommage 
N'efl  point  l'œuvre  d'un  humain; 
J'en  croirai  le  témoignage 
De  tout  l'Empire  Romain, 
Dois-je ,  à  mon  culte  infidèle  , 
En  croire  Socin  &Bayle, 

Qui  me  laifîent  dans  la  nuit  ?  ' 

Que  ton  Roi  te  foit ,  Voltaire  , 
Un  exemple  falutaire  ; 
La  mort  vient ,  le  remords  fuit» 

L'ART      D'AIMER, 
A     MADAME  ***. 

%_i  *Amour  veut  un  culte  fuprêrr^e  , 
Il  veut  dominer  feul  fur  fes  adorateurs  ; 
Les  autres  partions  l'énervent  à  l'extrême , 

Il  faut  n'obéir  qu'à  lui-même  , 
Si  l'on  veut  reflentir  fes  plus  vives  faveurs. 

Que  d'amans  font  fouvent  vainqueurs , 
Sans  jouir  comme  il  faut ,  fans  frivoir  comme  on  aime? 

Hélas  !  l'amour,  dans  plus  d'un  cœur, 

Eft  moins  fentiment  que  fureur. 

En  vain  l'aimable  &  tendre  Ovide  , 
Inflruit  par  les  amours ,  a  fait  un  art  d'aimer  ; 
De  ce  livre  charmant  tout  le  rrtonde  cft  avide; 

Mais  c'eft  moins  pour  trouver  un  guide 
Que  pour  voir  des  portraits  qui  peuvent  cnnammer. 

Ses  leçons  fur  l'art  de  charmer , 
Au  commun  des  humains  n'offrent  rien  de  folide. 

Hélas  !  l'amour,  dans  plus  d'un  cœur, 

Eft 


DIVERSES:  5 

Eft  moins  fentiment  que  fureur. 
Souvent  lamant  le  plus  vulgaire 
Attrappe  le  maintien  d'un  amant  délicat  ; 
Langage  ,  ardeurs,  foupirs  ,  il  fait  tout  contrefaire. .  .  i 

Beau  fexc  ,  il  veut  fe  fatisf^ire  : 
Craignez  de  fuccomber  ,  vous  feriez  un  ingrat. 

Des  fermens  faites  peu  d'état  ; 
Étudiez  long-temps  l'amant  qui  veut  vous  plaire; 

Hélas  !  l'amour ,  dans  plus  d'un  cœur , 

Eft  moins  fentiment  que  fureur. 
Vous  le  favez  ,  belle  Sylvie  : 
Toutrefpire  dans  moi  l'aimable  volupté. 
D'une  confiante  ardeur  ma  tendrefTs  efl  fuivie. 

J'aime  uniquement  dans  vcià  vie 
Les  fentimens ,  Tefprit,  les  grâces,  la  beauté: 

PuiiTé-je  enfin  être  imité  ! 
Mon  ame  à  découvert  feroit  peut-être  en  vie,' 

Hélas  !  l'amour,  dans  plus  d'un  cœur , 

Eft  moins  fentiment  que  fureur. 


u 


É  P  I  G  R  A  M  M  E. 


N  Moine  à  barbe ,  exploitant  bonne  Sœur^ 
Réitéroit  fouvent  ce  doux  labeur  , 
Ah  !  c'efl  affez  :  finifTons ,  lui  dit- elle , 
On  fonne  au  Chœur,  je  vais  où  Dieu  m'appelle* 
Eh  quoi  !  fi  vite  ?  Encore  un  pauvre  Ave  , 
Encor,  ma  Sœur,  &  puis  je  me  retire. 
Qu'un  Ave  ?  Soit  :  voyons ,  je  vais  le  dire  ; 
Ça  faites  donc ,  j'y  joindrai  le  Salve. 

H 


38  ŒUVRES 


LA      COQUETTE. 

.1  _3  Ans  vieux  &  modernes  Grimpk es 

J'ai  lu  maintefois  les  hlftolrcs 

Des  amoureux  infortunés , 
,  De  ces  amans  toujours  bernés 
Par  des  attentes  illufoires , 
Et  dont  les  foupirs  furannés 
N'ont  jamais  été  méritoires. 
J'en  ai  vu  de  mal-entendus  , 
Qui  de  rage  fs  font  pendus  ; 
D'autres  (  c'eft  pis  que  de  fe  pendre  ) 
Qui  voyant  leurs  vœux  alTidus 
Héjetcés ,  moqués ,  confondus , 
Sans  efpoir,  n'ofant  plus  attendre 
Qu'on  aimât  leurs  individus , 
Moines  froqués  fe  font  rendus. 
Je  vous  plains  fur-tout,  fots  tondus; 
Mais,  ma  foi ,  vos  burlefqucs  peines 
N'avoient  point  égalé  les  miennes. 
J'aime,  que  dis-je  ?  Je  fuis  fou, 
Mait  fou  jufqu'à  perdre  le  cou. 
D'une  comique  créature , 
Jeu  grotefque  de  la  nature, 
Qui  du  côté  de  la  figure. 
Sans  qu'elle  a  les  yeux  d'un  matou  ^ 
Tiendroit  en  tout  du  Sapajou. 
Très-épaifTe  eft  fon  encolure  ; 
Son  corps  maflif  en  ferait  trois  ; 


DIVERSES,  59 

Parée  ,  ainfi  que  fans  parure  , 

Sa  taille  égale  fon  minois. 

(  Mon  goût  bril'e  dans  ce  choix  ) 

Quant  au  refle  de  fa  ftruélure , 

Je  n'en  dis  rien  pour  cette  fois  • 

Car  aufli  cruelle  que  laide  , 

En  vain  je  la  preffe  &  l'excède , 

En  vain  je  meurs  I  fes  genoux  , 

Jamais  la  coquine  ne  cède  ; 

Elle  égratigne,  entre  en  courroux, 

Et  traire  mes  tranfports  de  foux. 

Elle  a  raifon  :  oui ,  je  l'avoue  ; 

Mais  cette  raifon ,  que  je  loue , 

Parle  bien  foiblement  au  cœur  , 

Quand  l'amour  en  eft  le  vainqueur,' 

Convaincu  que  c'eft  une  tache 

D'idolâtrer  pareil  objet , 

Et  d'en  être  fou  fans  fujet, 

Souvent  je  me  plains ,  je  me  fâche 

De  foupirer  fans  nul  effet  ; 

Elle  en  rit  :  je  la  prends  .  je  tâche 

De  la  réduire  tout-à  fait  ; 

(  Car  fa  réfiftance  m'attache.  ) 

Pour  empêcher  mon  fot  projet  , 

Elle  appelle ,  on  vient ,  &  je  lâche. 

(  Dans  ces  quarts-d'heures  amoureux 

Un  témoin  eft  toujours  fâcheux.  ) 

Je  vois  pourtant  que  ce  manège 

Flatte  fon  petit  efprit  vain  : 

Elle  m'agace,  elle  m'afiiége, 

Par  fréquens  baifers  elle  allège 

Hij 


65,  ŒUVRES 

Le  très- ridicule  chagrin 

Que  j'ai  de  voir  fon  br's  mutin 

Toujours  me  repoufier  la  main. 

Son  orgueil  donne  un  privilège  , 

Son  cœur  le  refufe  foudain. 

Le  témoin  fort ,  je  recommence, 

M2me  appel ,  même  reTiflance; 

ïl  lui  vient  encore  du'  fecours  : 

Une  floïque  contenance 

Succède  à  mes  combats  trop  courts. 

Xc  ris  la  prend  :  ma  patience , 

'^Quoique  j'enrage  à  toute  outrance, 

"Eft  le  remède  où  j'ai  recours. 

Que  faire  ?  Il  faut ,  par  complaifance  , 

X'e'couter.  O  Dieux  !  quels  difcours  ! 

Quels  riens  !  quels  torrents  de  paroles  ! 

Que  ne  fuis-je  au  nombre  des  fourds  ! 

Jeu ,  bal ,  repas  ,  manège ,  atours , 

Sont  les  fatuités  frivoles 

Dont  elle  m'entretient  toujours. 

Si  du  moins,  fiable  en  fes  fornettes. 

Elle  m'achevoit  un  récit  : 

Fait  au  babil  des  femmelettes, 

3'écouterois  ce  qu'elle  dit  ; 

Mais ,  dans  fes  verves  indifcretcs , 

Difant  beaucoup,  n'achevant  rien, 

Elle  furpafle  ces  Nonnettes 
Que  le  Vert-vert  glofa  fi  bien. 
L'hiftoire  d'hier  efl  la  même 
Dont  elle  m'alTomme  aujourd'hui, 
ïe  veux  fuir  ,  un  attrait  fupi^me 


DIVERSES,  6i 

Me  force  à  vaincre  mon  ennui. 
Pour  rompre,  je  parle  fyftême. 
Amour  ,  bel  efprit ,  fentiment  ; 
Je  veux  la  fixer  un  moment  : 
Elle  rend  vain  tout  ftratagême; 
Je  fixerois  plutôt  le  vent. 
Aflez  bien  la  drôline  chsnte  ; 

Mais  toujours  chanter j'en  fuis  las. 

Demandez- moi  donc  qui  me  tente 

Dans  cet  objet  dont  je  fais  cas. 

Son  cœur  eft  bon  :  fans  lui  déplaire. 

Je  lui  dis  maintes  vérités  ; 

Et  CCS  vers  que  je  viens  de  faire 

Dans  un  quart- d'heure  de  colère. 

Sans  courroux  feront  écoutés. 


CHANSON. 
APOLOGIE     DU    JANSÉNISME, 

Sur  l'Air  :  Grands  Phllofophcs  j  je  vous  blâme. 


Argue  du  dogme  Molinifte , 
Sa  nouveauté  ne  peut  que  m'allarmer. 
Vive  le  parti  Janfénifte , 
Il  ne  prefcrit  à  mon  cœur  que  d'aimer. 
Je  reconnois  ,  &  je  fens  que  les  grâces 
Sont  toujours  efficaces  ; 
Car  une  beauté 
Agit  avec  liberté 
Sur  ma  volonté. 


éz  ŒUVRES 

M  ■  '    ' 

Q  U  I-P  R  O-Q  U  O, 

Sur    l'Air  :   Des   Folies    d'Efpagne. 

V-^'jSft  bien  à  tort  qu'à  la  Vierge  on  m'ëgalc, 
Dit  Sœur  Agnès  d'un  ton  tout  ingénu  ; 
Je  corinois  l'homme,  &  cette  humble  Veftale, 
Plus  pure  encore ,  ne  l'a  jamais  connu. 

BOUQUET. 

V-.^  A,  ma  Mufe,  réveillez-vous, 
C'ell  trop  long-temps  être  endormie; 
Manon  veut  de  petits  vers  doux , 
Il  faut  en  fùre  ,  allons ,  ma  mie. 
Vous  favez  tout  ce  que  je  dois 
A  cette  aimable  &  tendre  amie  ; 
Si  je  n'obéis  à  fa  loi , 
Je  m'en  vais  faire  une  ennemie. 
Allons ,  vite  ,  fecourez  -  moi. 
Je  l'aime  ;  c'eft  demain  fa  fête. 
Il  faut  un  bouquet, .  .  Eh  quoi  ! 
Vous  faites  la  fourde ,  je  crois. 
Allons  ma  plume  eft  toute^  prête.  * .  ; 
Eh  bien  /  J'en  enrage ,  morbleu. 
En  vain  contr'elle  je  tempête , 
Il  ne  fort  de  ma  foibîe  tête 
Que  des  vers  à  jetter  au  feu. 
Pour  un  très- orgueilleux  Poëte, 
Voilà  fans  doute  un  triûe  aveu. 


DIVERSES.  63 

Jamais  de  l'impuiflant  Ovide 

Le  malheur  n'égala  le  mien  ; 

Sa  Corinne  étoit  trop  avide , 

Et  Manon  ne  veut  prefque  rien. 

Qu'Ovide  eut  bien  fait  mon  affaire  .' 

Dans  les  vers  il  étoit  rompu  ; 

Il  feroit  ce  que  je  n'ai  pu , 

Je  ferois  ce  qu'il  n'a  pu  faire. 

Voilà  mon  fort,  voyez,  Manon, 

Si  cela  vous  convient  ou  non. 

Le  Bouquet  que  je  vous  propofe , 

Vaut  cent  fois  mieux  que  vers  &  profe. 

Dites  fi  ce  Bouquet  vous  plaît, 

J'irai  l'offrir ,  il  eft  tout  prêt. 


L  E  T  T.  R  E 

â  Madame  de   *  *  ♦, 


N 


On  \q  ne  fuis  point  fatisfait, 
Chère  Maman  ,  belle  entêtée , 
De  cette  Épitre  trop  hâtée , 
Qu'hier ,  fans  loifir  &  diflrait , 
Jeté  barbouillai,  Dieu  le  fait. 
Ne  penfe  pas  en  être  quitte  ;  ' 
De  ma  colère  non  petite, 
Tu  n'as  encor  vu  qu'un  extrait. 

Comment  !  Je  n'en  reviens  pas.  Tu  m'offres  du  fî- 
rop ,  je  te  refufe  opiniâtrement,  &  plus  opiniâtre  g[u; 
moi  j  tu  nje  l'envoies  1 


64  ŒUVRES 

Je  fuis  femme  ,  me  diras  tu  : 
L'opiniâtreté  fut  notre  caradere  ; 
Un£  Madame  dégénère  , 
Qui  manque  de  cette  vertu. 

Et  moi,  qui  fuis  homme,  &  très-homme,  jecroiroia 
dégénérer  ,    ne  t'en  déplaife  ,  fi   j'acccptois  ton  firop. 

Du  firop  à  moi  !  quel  préfent  ! 

En  eft-il   de  plus  ofFenfant? 
Ma  foi,  fi  fur  ce  ton  tu  débutes,  la  Belle, 

J'aurai  bientôt  de  la  dentelle  , 

Une  quenouille  ,    des  fufeaux  , 

Et  toute  la  vainc  fequelle 
Des  ragoûts  femmelets  ,  fucres ,  bonbons .  firops» 

C'étoit  à  quelques  Damoifeaux 

Que  convenoient  pareilles  bagatelles. 

Par  exemple  :  au  pnpa  mignon. 

Ce  doucereux  penche  chignon, 

Dont  les  apparences  dévotes 

Demandent  que  tu  le  firotes  j 

A  cet  Abbé  ,    poupin  fieffé , 

Jeune  &  gentille  Dcmoif-lîe  , 

Qui  de  riens  meubla  fa  ccrvcile , 
Pour  aller  plus  de  pair  avec  l'État  coëffé. 

Mais  à  moi  qui  me  pique  de  faire  un  contrafîc  pnr- 
fait  avec  ces  femmes  manquécs ,  il  ne  falloit  offrir  que 
toi  ;  c'eft  un  préfent  digne  d'un  homme. 

Tout  ton  aimable  individu , 
Tout  ton  petit  charmant  toi-même, 
Eft  un  don  friant  &  dodu  , 
Qui  vaut  tous  les  firops ,  qui  vaut  un  diadêmç. 

LE 


DIVERSES,  ^5 


IHfiiiMii—  PiAmi. 


LE   NEZ   ET   LES   PINCETTES. 

Conte  par  Piron. 

P  j  Es  Saints  &  les  Diables  enft;nible 
Eurent  toujours  maille  à  partir  • 
Mais  ce  qui  doit  nous  avertir 
Qu'il  faut  que  chacun  de  nous  tremble  j 
C'efl:  que  le  fervireur  de  Dieu 
N'a  pas  toujours  avec  le  Diable 
Tiré  fon  épingle  hors  du  jeu. 
Ou  la  Légende  eft  une  fible. 
Jadis  un  vieux  Saint  exiftoit. 
Lequel  Apothicaire  étoit  ; 
Car  en  quelqu'état  que  l'on  vive,' 
Eft  faint  qui  veut,  noble,  vilain. 
Voire  pis,  témoin  faint  Crépin  , 
Sainte  Madelaine  &  làint  Yves. 

Un  jour  que  pour  le  bien  public 

Manipulant  quelques  recettes , 

Le  Diftillateur  en  lunettes, 

Dans  un  fourneau,  fous  l'alambic,' 

Fourgonnoit  avec  des  pincettes; 

Voici  venir  le  Tentateur  , 

En  intention  de  diflraira 

Le  vigilant  Opérateur , 

Et  d'être  ainfi  l'infligateur 

D'un  qui-pro-quo  d'Apothicaire,' 

Devant  le  Saint ,  Monfxeur  Sacan 


66  ŒUVRE  S 

Culbute ,  caracole  &  feringuc  : 
Le  fanatique  Charlatan 
De  mille  façons  fe  diftingiie  ; 
Entr'autres  le  corps  du  lutin 
Se  tourne  en  cylindre  d'étain, 
Repréfentant  une  fcringue  ; 
Il  fait  de  fon  nez  le  canon, 
Soupirail  exhalant  la  pefte  , 
De  fa  gueule  un  mortier  bouffon. 
Et  de  fa  langue  un  gros  pilon. 
Dont  le  mouvement  circulaire 
Faifoit  un  petit  carillon, 
Tel  qu'au  Sabbat  on  peut  le  fairft' 
Des  ténèbres  le  Roi  Falot 
Epuifa-là  tout  fon  calot  ; 
Mais  ce  qu'il  y  gagna  fut  mince  : 
Car  le  bon  Saint,  ne  difant  motj, 
Fait  cependant  rougir  fa  pince. 
Puis  Tadreflant  au  nez  du  Prince, 
Vous  le  lui  ferre  comme  il  faut. 
Le  Diable  fait  un  foubrefaut , 
Montre  de  longues  dents  qu'il  grince. 
Veut  avancer,  veut  reculer. 
Tend  ks  griffes,  ferre  la  queue. 
Hue  &  beugle  à  faire  trem.bler 
Toute  la  terre  &  fa  banlieue. 
Cependant ,  en  malin  fournois  , 
L'autre  jouit  de  fa  victoire  , 
Et  fait  faire  au  Diable  vingt  fois 
Le  tour  de  fon  laboratoire , 
Jufqu'à  ce  que,  las  de  ce  jeu. 


DIVERSES.  ^7 

îl  renvoya  la  bête  au  gîte, 
Et  pour  l'y  faire  aller  plus  vîte , 
ïl  lui  feringua  pour  adieu 
Quelques  petits  jets  d'eau  bénite. 
C'eft  s'en  tirer  avec  honneur  : 
Heureux  le  faint  Pharmacopole, 
S'il  eut  d'une  telle  faveur 
Rapporté  la  gloire  au  Seigneur  ! 
Par  malheur ,  en  tournant  l'épaule,' 
Le  Diable  avoit  trouvé  moyen , 
Pour  fe  dépiquer  de  fon  rôle  , 
De  jetter  au  cœur  du  Chrétien 
Un  grain  de  fa  vanité  folle, 
Dont  à  fon  tour  le  Tout-Puiffant, 
Très-mécontent  avecjuflice. 
Châtia  le  Saint,   en  lailTant 
Triompher  un  temps  la  malice 
Du  maudit  lion  rugiffant , 
Dont  voici  quel  fut  l'artifice. 
Il  s'enveloppa  d'une  peau 
De  ces  gens  chargés  de  cuifine , 
MafTe  de  chaire  faite  en  tonneau  , 
Pefante  ,  efpece  de  pourceau , 
Qui  roule  ici- bas  fa  machine, 
Et  qui  pliant  fous  le  fardeau  , 
Sur  deux  pieds  quelquefois  chemine; 
A  la  Ville  &  dans  le  quartier , 
Où  le  Saint  faifoit  fon  métier. 
Le  mafque  à  figure  malTive, 
En  Moine  de  Cîteaux  arrive , 
Va  defcendre  chez  le  Baigneur, 


6%  <S  U  V  R  E  S 

Se  met  au  lit ,  fait  le  malade , 

Et  niand:  le  premier  Docteur 

Qui  vient  lui  débiter  par  cœur 

Cent  mille  &  une  couillonnade  , 

Et  termine  le  fot  narré 

Par  la  formule  régulitre 

Du  clyfierinm  donare 

De  la  faculté  de  Molière. 

Là  paroît  l'humble  Apothicaire^ 

Tout  prêt  adonner  de  0.  main, 

'iivec  fa  mine  débonnaire, 

Xe  remède  chaud  Se  bénin. 

Dieu  des  vers  &  de  la  peinture^ 
Aidez-moi  dans  cette  aventure. 
Voilà  tout  bien  appareillé  , 
Le  Moufquetaire  agenouillé. 
Et  le  malin  corps  en  pofture  : 
Mais,  quoique  longue  outre  mefure 
La  canule  n'arrivoit  point 
A  mi-chemin  de  l'embouchure. 
Pour  que  tout  donc  aille  à  fon  point 
De  deux  valets  l'effort  s'y  joint  ; 
Chacun  d'eux  du   feflier  difforme 
Prend  une  part ,  la  tire  à  foi , 
Et  de  l'ennemi  de  la  Foi 
Préfente  le  podex  énorme. 
Le  Collateur  un  p^u  butor , 
Qui  malgré  cela  craint  encor 
De  s'égarer  dans  la  bruyère  , 
Et  qui, pour  fes  péchés,  de  plus 
Étoit  un  peu  court  de  vifiere , 


DIVERSES.  €^ 

Met  !e  nez  fi  près  du  derrière. 
Qu'il  cft  à  d-Hix  doigts  de  l'anus. 
C'eft  où  mon  drôle  attend  fon  homme  ; 
On  ne  peut  tiop  admirer  comme 
Droit  au  devant  la  bague  alla. 
Et  d'elle-même  s'enfila, 
Alors  fiir  chaque  jce  on  laifle 
Retomber  l'une  &  l'autre  feffe  : 
l'impitoyable  Lucifer 
A  cris,  ni  pleurs  ne  veut  entendre  ,' 
Et  change  en  tenaille  d'enfer 
L'endroit  où  le  nez  s'eft  fait  prendre. 

Ah  !  vous  avez  beau  trépigner, 

Vous  voilà  pris,  Thomme  aux  pincettes, 

C'eft  I  vous  de  vous  réfigner  ; 

Car  de  la  façon  dont  vous  êtes  , 

Votis  ne  pouvez  pas  vous  figner. 

I!  dit,  &  plus  fier  de  fa  proie 

Que  ne  le  fut  le  beau  Paris  , 

Rapportant  la  fienne  de  Troye  ,' 

L'infâme  ravifieur  dép'oie  ^ 

Ses  nîles  de  chauve- fouris. 

Et  s'éhvc  en  l'air  avec  joie. 

Speét:icle  horrible  &  fcandaleux  ! 

Au  cul  du  démon  cauteleux. 

Et  de  qui  triomphe  la  fraude , 

L'un  d'entre  les  Prédeftinés, 

Un  Saint  en  l'air  &  par  le  nez 

Pendu  comme  une  gringuenaude. 

Ainfi  fur  le  faint  homme  Job 

Le  Dieu  d'Ifaac  &  de  Jacob , 


^y  ŒUVRES 

Jadis  de  la  même  puiflance 
Toléra  l'affreufe  licence, 
Et  bientôt  fut  y  mettre  fin  : 
Aufil  mit-il  ici  la  main. 
Le  faint  reconnut  fon  offenfe  : 
Dieu  tonna  ;  le  malin  efprit 
Ouvrit  la  pincette  maudite. 
Et  de  la  foire  qui  lui  prit , 
Afpergeant  le  nez  du  contrit  : 
Adieu,  lui  dit-il,  quitte-à- quitte. 


LA     MULE     DU     PAPE. 


F 


Reres  très- chers ,  on  lit  dans  Saint  Matthieu  , 
Qu'un  jour  le  Diable  emporta  le  bon  Dieu 
Sur  la  montagne  ,  &  là  lui  dit  :  Beau  Sire  , 
Vois-tu  ces  mers ,  vois-tu  ce  vafte  Empire  , 
Ce  nouveau  monde  inconnu  jufqu'ici, 
Rome  la  grande  &  fa  magnificence  ? 
Je  te  ferai  maître  de  tout  ceci  , 
Si  tu  veux  me  faire  la  révérence. 
Notre  Seigneur  ayant  un  peu  rêvé, 
Dit  au  Démon ,  que  quoiqu'en  apparence 
Avantageux  le  marché  fût  trouvé  , 
lî  ne  pouvoir  le  faire  en  confcience  , 
Ayant  toujours  oui  dire  en  fon  enfance, 
Qu'étant  fi  riche  on  fait  mal  fon  faîut. 
Un  temps  après  notre  ami  Belzébut 
Alla  dans  Rome;  or  c'étoit  l'heureux  âge, 
Oià  Rome  étoit  fourmilliere  d'Élus  ; 
Le  Pape  éroit  un  pauvre  perfonnage  , 


D  I  V  E  R  S  E  S.  71 

l*afleur  des  gens,  Evêque,  &  rien  de  plus. 

L'cfprit  malin  s'en  va  droit  au  faint-Pere , 

Dans  fon  taudis  l'aborde ,  &  lui  dit  :  Frère , 

Si  tu  voulois  tâter  de  la  grandeur  ? 

Si  j'en  voulois  !  oui  par  mon  Dieu  ,  Monfeignenr. 

Marché  fut  fait ,  &  voilà  mon  Pontife 

Aux  pieds  du  Diable ,  &  lui  baifant  la  griffe. 

Le  farfadet ,  d'un  ton  de  Sénateur  , 

Lui  met  au  chef  une  triple  couronne  : 

Prenez,  dit- il,  ce  que  Satan  vous  donne. 

Servez- le  bien  ,  vous  aurez  fa  faveur. 

O  !  vous ,  Papes  ,  voilà  l'unique  fource 

De  tous  vos  biens,  comme  favez ,  &  pour  ce 

Que  le  faint  Père  avoit  en  fon  tracas 

Baifé  l'ergot  de  Monfieur  Satanas , 

Ce  fut  depuis  chofe  à  Rome  ordinaire 

Que  l'on  baisât  la  mule  du  faint-Pere. 

Que  s'il  advient  jamais  que  ces  vers- ci 

Tombent  es  mains  de  quelque  galant  homme, 

Ceft  bien  raifon  qu'il  ait  quelque  fouci 

De  les  cacher ,  s'il  fait  voyage  à  Rome. 

-"-^^-^ — 

LE      NOUVEAU      ROI 

DES     GRENOUILLES, 

Ou  le    Père    /  *  *  *    dans    un  fojfê, 
STANCE      LIBRE. 


V 


Ous  qu'on  vit  autrefois  fur  le  haut  du  Parnaiîê 
Folitrer  avec  Du-Cerce^u  (  a  )  , 

J[rt]  Jefuite  qui  a  csmpofc  des  vers  fur  des  fujsfs  allez  flaiùucs. 


71  ŒUVRES 

Venez ,  badine  Mufe ,  animant  mon  audace  ^ 

Guider  mon  timide  pinceau. 

Souffrez  aujourd'hui  que  Je  chante, 

Sur  les  bord^  du  facré  vallon , 

Une  aventure  afifez  plaif-nte. 
Pour  diridsrb  fourcil  d'Apollon. 
Près  des  lieux  où  périt  Charles-le-Téméraire  [5]  , 
S'élève  une  maTon  [c]  dont  l'afpedl:  enchanté 

Auroit  faai  doute  de  quoi  pkire  , 
Si  l'on  pouvoir  y  vivre  en  toute  l.berfé. 
Mais  un  nombreux  eiTaim  d,;  folâtre  jeunefTe  [^]> 
Dont  fur  ma  foi  le  meiUtur  n'en  vaur  rien , 
A  lenteur  de  ce  lieu  court,  va,  revi  nt  finsceîîe^ 
Pour  voir  ce  qui  s'y  fait ,  ou  de  mal ,  ou  de  biea. 
Encor ,  û  Ton  pouvoir  d^quelqu'épus  ombrage 
P.irei  les  traits  malins  qui  partent  de  leurs  ycf"; 
Mais ,  ô  douleur  !  ô  déf.fpoir  !  ô  rage  ! 

Il  n'eft  point  d'o.i^bra^e  en  ces  lieux. 
Pour  furcroît  de  malheur,  une  race  mtchante 
D'animaux  [e]  ,  dont  la  terre  enferme  Ks  foyers. 

Vient  ronger  l'écorce  naiflante 
De  nos  jeunes  Poiriers. 
Bien  en  prit  au  vieillard  [/J  qui  donna  des  chauflurcs 
A  nos  tilleuls  craintif> ,  à  nos  foibles  ormeaux  , 
Moms  pour  les  garantir  des  piquantes  froidures , 


[  ^]  Dernier  Dik-  de  Bourgogne  tué  devant  Nancy  ,  en  alfiégeant 
René     dans  la   Capitale. 

[c]   Mailoa  de  Campagne  de  J  *  *  *. 

[(/]    Les  E^o.isrs  roJeiit  fans  cefle  autour  de  cette  Maifon. 

[f]    On  voit  près  delà  une  gaienne  qui   fourmille  di- lapins. 

[7]  Le  P.  Jt  gamiUbit  le  pied  des  aibies  de  Vi«ux  lambeaux 
d'.i  ibutançSt 

Que 


DIVERSE  S.  73 

Que  de  la  trifle  dent  de  ces  viîs  animaux. 
Sans  les  foins  emprclFés  du  Barbon  charitable  , 

Ces  lieux  deftuiés  aux  plaifirs 
Ne  feroient  aujourd'hui  qu'un  défert  effroyable. 

Séjour  de  pleurs  &  de  foupirs. 
Mais  c'eft  trop  exhaler  la  douleur  qui  m'infpire. 
Allons  au  fait,  &  fans  détour  : 
Aujourd'hui ,  Mufe  ,  il  nous  faut  rire  ; 
Nous  pleurerons  un  autre  jour. 
Décrivez- nous  l'entrée  où  fe  pafTa  la  fccne 
Que  je  vais  dans  mes  vers  tranfniettre  à  nos  neveux  ; 
Venez  ,  Mufe,  échauffer  ma  veine  , 
Point  de  trait  qui  ne  foit  heureux. 
D'abord  fe  préfente  à  la  vue 
Un  large  &  vafte  enclos  qu'enferme  un  grand  conduit  j 

Une  porte  à  demie-rompae 
Sépare  en  deux  un  mur  [g]  que  la  terre  a  produit. 
A  peine  a-t-on  franchi  cette  porte  admirable. 
Qu'on  voit  un  pont ,  mais  des  plus  beaux  , 
Dédale  [/^J  y  travailla,  fi  l'on  en  croit  la  fable. 
Au  fortir  des  prifons  du  farouche  Minos. 

Divine  fille  de  mémoire , 
Décrivez-nous  ce  pont ,  ce  magnifique  pont. 
Rendez-le  plus  fameux  ,  s'il  fe  peut,  dans  l'hiftoire^ 
Que  celui  qu'un  grand  Roi  [i]  jetta  fur  l'Hellefpont- 
Six  ais  cloués  fur  deux  folives  , 


f  c  ]    Une   haie   vive. 


_^^]  Architeûe  de  l'Antiquité  ,  qui  bâtit  le  fameux  Labyrinthe  df 
Crète,  dan<;  lequel  il  fut  eni'uits  empoitonné  par  Minos  ,  Roi  de 
l'Jile  ,  ÔC  dont  il  s'envola  avec  des  aiies  de  cire. 

£î]  Xciccs  ,  Roi  de  Perfe  >  couvrit  l'Hellefpont  de  vaiGeaux, 

K 


74  ŒUVRES 

P?r-tout  du  fable  répandu  ; 

Voilà  ce  qui,  fur  les  deux  rives. 

Forme  en  peu  le  pont  pre'tendu. 
A  droite  on  voit  un  trou  couvert  d'une  farcine  : 
A  gauche  un  plus  petit ,  plus  traître  [k]   &  plus  trom- 
peur , 

Fait  que  fur  toute  la  machine 
Le  plus  hardi  Champion  ne  mnrchç  qu'avec  peur. 
Au  defTous  un  fofTé,  large  dj  fix  coudtes, 

Profond  de  cinq ,  (  fi  je  puis  bien  juger  ) 

Contient  des  eaux  fi  fort  confolidées , 

Que  jamais  l'œil  ne  les  a  vu  boujer. 
C'efl  au  fond  de  cette  eau  verdâtre  &  croupiffante; 

(  Comme  on  le  dit  en  ces  climats  ) 

Que  la  Nation  croafTante 
Tous  les  Jeudis  [  /  ]  en  pompe  sfTemble  fes  États." 
Depuis  mille  ans  ,  ce  Peuple  au  vieux  fils  de  Cybele 

A  grands  cris  demandoit  un  Roi , 
Qui  plût,  par  des  arrêts  d'une  forme  nouvelle. 
Corriger  hs  abus  &  re'tablir  la  loi. 
Sa  demande  long- temps  fut  inutile  &  vaine  j 

Mais  un  jour  il  cria  fi  fort , 
Que  Jupin  en  laifla  tomber  fa  coupe  pleine. 

Et  que  fon  aigle  en  prit  l'efTor. 
Vertu-mort,  s'écria  le  Diéi  tout  en  colère. 

De  quel  front  vient-on  m'infultcr  ? 
ÏVIoi ,  le  Maire  des  Dieux  ,  l'arbitre  du  tonnerre  j 

Et  je  pourrois  y  rélifter  ! 


l  ^  ]   C'eft  le  trou  qui  fit  tomber  le  P.  J. 

11}  C'eft  ordinairement  les  Jeudis  que  les  J.  yont  à  la  cjippasac»' 


DIVERSES,  75 

Qu*on  m'apporte  au  plutôt  ma  foudre  j 
Je  veux  exterminer  ces  importuns  marauds , 

Oui,  je  veux  les  réduire  en  poudre  : 
Vîtc  ici,  Mulciber,  fournis-moi  des  carreaux. 
Eh!  quoi ,  reprit  Junon,  quoi  pour  fi  peu  dechofc 
Exterminer  amfi  les  Peuples  des  Marais  ? 
Pour  un  peu  de  Neélir  ?  Voyez  la  belle  caufe  ! 
Hébé ,  verfe-nous-en  du  meilleur  ,  du  plus  frais. 
Que  chacun  [m]  fuive  ici  l'exemple  que  je  donne: 

A  votre  famé ,  cher  Gogo  ; 
Sachez  qu'on  n'cft  heureux  [n]  que  lorfque  l'on  pardonnai 

Et  qu'on  boit  à  tir-la-rigo. 
A  cette  belle  &  pieufe  Sentence 
On  vit  trois  fois  tout  l'Olympe  applaudir, 
Comme  on  voit  aujourd'hui  fur  la  fccne  de  France 
A  de  pareils  difcours  le  Peuple  s'e'baudir. 
A  l'inflant  le  Dieu  rentre  au  dedans  de  lui-même  , 
Et  blâmant  fon  courroux  un  peu  précipité  : 
Voici ,  dit- il ,  chère  époufe  que  j'aime  , 
Voici  quelle  eft  ma  ftable  volonté. 
Qu'à  ma  parole  on  prête  une  oreille  attentive , 

Écoutez-moi,  peuple  importun. 
Vous  demandez  un  Roi  ,  cjuoi  qu'il  vous  en  arrive ," 
Vous  le  voulez  ;  eh  bien  !  je  vous  en  promets  un. 

Mais  gardez- vous,  race  maudite  , 
De  le  traiter  ainfi  que  le  Roi  Soliveau  ; 
Je  punirois  ce  crime  autant  qu'il  le  mérite , 


[»î]    Ce  Vers  eft  tiré  de  la  Tragédie  de  Maximien. 
[  a  ]   C'eft  une  des  fentences  de  Couftdiuin  ,  qtfi  ne  parle  que  prt 
apophtegmes  dans  cette  Ttagt'die, 

Kij 


75  ŒUVRES 

J'en  jure  ,  &  vos  marais  feroient  votre  tombeaul 
Il  dit ,  &  fecouant  fa  noire  chevelure , 
Il  fit  trembler  le  firmament  ; 
Il  tonne  ,  &  toute  la  nature 
Sentit  qui  Jupiter  avoir  fait  un  ferment; 

Mais  en  attendant  l'arrivée 
T)u  nouveau  Roi  promis  par  le  Maître  des  Dieux  , 

Achevons ,  Mufe ,  la  corvée  ; 
Montrez-nous  ce  qui  refte  à  voir  dans  ces  beaux  lieux. 
Ne  différons  pas  davantage  , 
Guidez  mes  pas  vers  la  maifon. 
le  î'apperçois  ,  ô  ciel  !  quel  heureux  avantage  ,    . 
D'entrer  dans  le  féjour  qu'habite  la  raifon. 
Tu  te  trompes  ;  c'eft-là  qu'habitent  la  contrainte. 
Et  le  froid  pédantifme  ,  &  la  faufTe  douceur  ; 
Tous  c^s  noirs  habitants  ne  refpirent  qu'en  crainte  , 
Chacun  ,  cenfeur  d'autrui,  trouve  aufTi  fon  cenfeur. 

A  deux  Divinités  propices 
ïls  font  gloire  d'offrir  chaque  jour  des  préfents. 
Les  vieux  feuls  font  les  facrifices  , 
Les  jeunes  préparent  l'encens. 
Vois-tu  l'Ambition  avec  fa  tête  altiere  ? 
Jufques  fur  l'Empirée  elle  fixe  fês  yeux  ; 

Dominant  fur  la  terre  entière  , 
Elle  voudroit  encor  dominer  dans  les  Cicux. 
A  fes  côtés  paroît  la  Politique  habile , 
Au  maintien  décevant ,  au  front  toujours  couvert; 
Elle  prête  à  fa  fœur  une  main  trop  facile  , 
Et  feint  de  la  blâmer  ,  pour  agir  de  concert. 
Mais  entrons,  j'apperçois  les  deux  fales  ouvertes; 
Que  de  tables ,  bons  Dieux  !  la  belle  quantité  ! 


DIVERSES.  77 

©e  wêts  les  plus  communs  ces  tables  font  couvertes  ; 
Les  mets  communs  ,  du  on,  font  bons  pour  la  fanté. 
Plus  loin  paroît  une  cuifine 
Prefqu'aufli  blanche  qu'un  vieux  four  ; 
C'eft  en  ce  bel  endroit  que  Madame  Lefmc 
A  fixé  pour  jamais  fon  bienheureux  fe'jour. 
O  la  laide  figure  !  ô  la  vieille  grand'mere  ! 
Je  n'y  puis  plus  tenir  ,  je  vais  la  foufflcter  : 
Sors  d'ici ,  vilaine  Megere  ; 
Non  ,  moi ,  j'y  veux  toujours  relier. 

Que  vois-je  !  on  fe  levé  de  table  , 
L'un  prend  fa  canne ,  &  l'autre  fon  manteau  ; 
Il  n'en  refte  plus  qu'un  qui  'ette  un  verre  en  fable. 
Et  court  comme  un  perdu  rejoindre  le  troupeau. 
Trois  font  déjà  partis  où  leur  ardeur  les  porte  ; 
Il  en  refte  encore  cinq  ,  deux  jeunes  &  trois  vieux. 
D'un  pas  grave  &  pédant  ils  marchent  vers  la  porte  , 
Ne  fâchant  pas  qu'un  Roi  fe  trouve  au  milieu  d'eux. 

Apprenez- nous  ,  Mufe  divine  , 
Vous  ,  à  qui  l'avenir  eft  comme  le  prêfcnt. 
Apprenez-nous  celui  que  Jupiter  deftine 
A  commander  un  jour  au  peuple  croafiant. 
Il  a  les  cheveux  noirs ,  6c  les  fourcils  de  même  , 
Le  nez  long  ,  les  yeux  grands  ,  un  front  de  majeité; 

Aulu-tôt  qu'on  le  voit  on  l'aime  , 

Tout  prêche  en  lui  la  Royauté. 

Ennemi  de  tout  artifice  , 

Excellent  cœur  ,  &c  bon  ami , 

Il  n'aime  jamais  par  caprice. 

Il  n'aime  jamais  à  demi. 
Ses  difcours/font  remplis  d'uns  noble  élégance  , 


78  ŒUVRES 

11  a  du  tour ,  de  l'ordre  ,  &  beaucoup  de  bon  fens  ; 
Aulli  depuis  long-temps  la  divine  Éloquence 

L'a  placé  parmi  fes  enfans  (o). 
Mais  tandis  que  je  veux  vous  le  faire  connoître. 
Il  eft  déjà  tombé  dans  fes  nouveaux  États , 
Selon  l'ordre  de  notre  Maître , 
Les  pieds  en  l'air  ,  la  tête  en  bas. 
Sa  chute  répand  l'épouvante 
Parmi  le  Peuple  des  Marais  , 
Et  cette  Nation  tremblante 
Crut  être  perdue  à  jamais. 
Raflurez-vous ,  peuple  timide  , 
Accourez  ,  &  venez  falucr  votre  Roi  , 
Son  bras  n'cfl:  pas  armé  d'un  acier  homicide , 
Il  vient  en  paix  faire  obferver  fa  loi. 
Ce  n'eft  plus  cet  hydre  terrible 
Qui  croqua  jadis  vos  ayeux  ; 
C'efi:  un  homme  doux  &  paifible, 
C'efl  un  Roi  conforme  à  vos  vœux. 
Sa  bouche  n'eft  point  meurtrière  , 
Sur  fa  langue  jamais  on  ne  trouva  de  fîcl  ; 
Il  vous  apporte  un  cœur  de  père , 
Un  cœur  confît  dans  le  fucre  &  le  miel. 
Vous  verrez  fous  fes  loix  la  paix  &  l'abondance 

Régner  de  nouveau  parmi  vous  ; 
Du  fçrpent  venimeux  la  brutale  infolence 

Tombera  fous  fes  coups. 
A  ces  mots  j'apperçois  la  troupe  épouvantée 
Quitter  fes  trous  bourbeux ,  &  paroître  au  grand  jour  ; 

[o]   Le  T.  J.  faifoit  le  métier  de  Prtdicateur. 


DIVERSES.  79 

Béja  fur  la  rive  montée  , 

Elle  vient  lui  faire  fa  cour. 

Autour  de  lui  chacun  s'attroupe  , 
G'eft  à  qui  montrera  le  plus  d'activité  ; 

Mais  un  feul ,  au  nom  de  la  troupe. 

Fait  ferment  de  fidélité. 

Chacun  fe  dit  en  fon  langage , 

Qu'il  eft  aimable ,  qu'il  eft  beau  ! 
Il  fera  déformais  notre  unique  partage  ; 
Il  vaut  mille  fois  mieux  que  le  Roi  Soliveau. 

^'  —g 

É  P  I  G  R  A  M  M  E. 

\y  Ue  penfez-vous  de  l'Auteur  d'Uranie  î 

Vous  l'avez  vu  Poëte ,  Hiflorien , 

Critique  amer  ,  hardi  Pyrrhonien  , 
Sur  tout  fujet  exerçant  fon  génie  ; 
Vous  le  voyez  Anti-Cartéfien , 
Ami  du  vuide,  Anglois  à  toute  outrance; 
Eft-ce  tout  1  Non  ,  grâce  à  fon  inconftance. 
Je  le  prédis  ,  vous  le  verrez  Chrétien. 


BHBBSKBmÊfmia^m. 


LES     DEUX      RATS. 

_/^U  bon  vieux  temps,  lorfque  Eerrhe  filoit. 

Et  que  mainte  Bête  parîoit 

Mieux  que  font  nos  Docleurs  de  Sorbonne , 

On  dit  que  certaine  Mitronne , 

Un  foir  comme  elle  pêtrifîbir , 

Se  fentit  vivement  mordre  par  une  puce , 


8o  ŒUVRES 

Sur  le  bord  d'un  certain  endroit  » 

Par  où  THermitc  Frcre  Luce 

Fit  croire  que  d'Agnès  un  Pape  fortiroit. 

Sur  le  champ  la  Mitronne  adroite 

Surprit  cette  puce  indifcrete , 

La  prefTant ,  le  col  lui  tordit, 

Puis  après  fa  befogne  faite , 

Auprès  de  fon  Mitron  elle  fe  mit  au  lit. 

Or,  quand  la  puce  elle  avoit  dénichée , 

La  pâte  de  fes  doigts  qui  s'étoit  attachée 

Aux  plumes  de  l'oifeau  que  je  ne  nomme  pas. 

Attira  dans  le  lit  deux  Rats , 

Dont  le  nez  fin  l'avoit  flairée. 

En  tapinois  venus  pour  en  tâter  , 

Ils  commençoient  à  grignoter , 

Quand  le  Mitron ,  fentant  fa  pâte  bien  levée , 

Se  mît  en  devoir  d'enfourner. 

Les  Rats  le  voyant  fe  tourner, 

L'un  étourdi  de  peur ,  tremblant ,  tête  baiffée  , 

Dans  le  plus  prochain  trou  brufquement  fe  jetta. 

Et  l'antre  auprès  tapis  refta. 

Le  Mitron ,  befogne  achevée  , 

Se  recoucha  fur  le  côté  ; 

Les  prifonniers  en  libeiti 

S'enfuirent  au  grenier  à  leur  gîte  ordinaire. 

Les  voilà  fe  queftionnant , 

L'un  &  l'autre  fe  demandant 

Comme  ils  s'étoient  tirés  d'affaire. 

Moi ,  dit  l'un ,  j'ai  donné  dedans  le  pet  au  noir; 

Je  ne  crois  pas  qu'on  puiffc  avoir 

Uns  plus  riûble  aventure  ; 


DIVERSES,  Si 

îe  tne  fuis  fourré  dans  un  trou 

Où  j'ai  cru  ma  retraite  sûre  ; 

Mais  le  maudit  Mitron  m'a  bourré  tout  fonfaoul 

Avec  je  ne  fais  quoi  qu'il  poufToit  à  mefure 

Que  pour  fortir  je  voulois  avancer; 

Il  m'a  coigné  le  ne2; ,  &  m'a  fair  le  tapage , 

Tant  que  laiïe  du  badinage  , 

Ce  gros  &  long  je  ne  fais  quoi. 

Prenant  enfin  congé  de  moi , 

M'a  craché  par  mépris  au  milieu  du  vifage  , 

Le  vilain  m'a  prefque  aveuglé. 

Et  moi,  dit  l'autre  tout  troublé  , 

Dans  l'encoignure  d'une  cuiffe  , 

Sans  grouiller  ,  m'étant  cantonné, 

Témoin  impatient  d'un  fi  <x>rt  exercice,' 

Pendant  qu'il  te  coignoit  le  nez 

Avec  fa  cheville  ouvrière  , 

Qui  te  caufoit  tant  de  fouci  , 

Deux  boules  qui  pendoient  à  fon  chien  de  derrière^ 

Sans  ceffe  allant,  venant,  coignoient  mon  nez  aufli. 


L'Y     GREC     OU     LA     FOURCHE. 


Onflres  ne  font  fi  rares  que  Ton  croit. 
Certain  homme  vrai  monftre  étoit , 
Non  de  corps  ,  de  bras  ,  ou  de  tête  , 
Mais  par  l'endroit  chéri  du  fexe  féminin. 
Et  qui  fert  à  lui  faire  fête. 
Double  il  étoit  cet  inflrument  malin  , 
Fourchu ,  de  plus  fait  de  telle  maniera  , 

L 


8i  ŒUVRES 

Qu'une  branche  pafîar:  dans  la  route  ordinaire. 
L'autre  à  l'inftant  prenoit  l'autre  chemin. 
Et  fourdement  enfiloit  le  voifin. 

Mainte  belle  avec  complaifancc 
Avoit  fenti  la  double  expérience 
D'un  tel  prodige,  &  gardoit  le  tacet 

Sur  le  cas  qui  n'étoit  pas  net. 
Gr ,  il  advint  que  notre  perfonnage 
D'une  veuve  dévote  &  fage 
Fit  emplette  ,  &  fe  maria. 
A  fon  devoir  la  première  nuitée 
La  veuve  inflruite  fe  rangea  ; 
Mais  aufli-tôt  fe  fentant  perforée 
En  certain  lieu  d'où  le  pauvre  défunt 
N'avoit  jamsis  tiré  fon  alumelle , 
Traitant  d'abomination 
Cette  double  intromiflion , 
Jura  que  déformais  la  perfide  entreprife 
N'auroit  fuccès  qu'après  dtcifion 
Exprès  donnée  en  confultation 
De  notre  Merc  fainte  Églife, 
Aufli-tôt  Dofteurs  confultés  , 
Douleurs  hermines  &  froqués: 
Mais  foute  la  Gent  Sorbonique 
Devint  mue  le  &  fans  réplique, 
Et  les  illulrres  ignorants 
Renvoyèrent  l'affaire  au  Père  des  Croyants. 
Au  Pape  donc  l'affaire  fut  portée, 

Puis  au  Confiftoire  traitée  ; 
On  étala  grande  érudition  , 
On  fouilla  dans  rhiftoire  &  profane  &  facrée;; 


i 


DIVERSES.  g3 

Camufe  cependant  fur  la  folution 

Fut  la  fecro-fainte  Aflemblée  : 
Plus  vivement  encore  on  confulta  Sanchez, 

Efcobar  ,  Tambourin ,  Lénez. 

Ces  pieux  &  favants  Dépôts 

N'offrirent  à  leur  ouverture 

Que  fottifcs  hors  de  propos;  l. 

Rien  de  certain  fur  l'aventure. 
Leur  embarras  détermina  l'affaire 

En  faveur  du  monftre  Mari , 

Et  la  Réponfe  du  faint-Perc 

Fut  :  Gaudeant  benè  nazi. 


ÉNIGME. 

J  E  fuis  une  pîaifante  chofe , 

Qui  peut  avoir  environ 
Six  à  fept  pouces  de  long. 
Je  ne  fers  point  quand  on  répofe  , 
Quand  je  pends  je  fuis  hors  d'emploi , 
Dès  qu'on  veut  fe  fervir  de  moi , 
Alors  une  main  féminine , 
Me  prend  ,  me  fecoue  &  badine , 
puis  après  le  jeu  me  conduit, 
Ainfi  que  mon  fidèle  guide , 
Dans  une  fente  fort  humide , 
Comme  en  mon  naturel  réduit. 
Là  j'entre  autant  que  l'on  me  pouffe , 
Après  mainte  &  mainte  fecouffe  , 
Si  l'on  me  retire  dehors  , 
Je  fuis  tout  mouillé  quand  je  fors. 

Li) 


84  ŒUVRES 

Cc{\  par  ce  phifant  exercice 

Qu'au  genre  humain  je  rends  fervice; 

Mais  fi  par  malheur  rebuté  , 

Ou  trop  vainement  excité  , 

<^n  ne  peut  me  mettre  en  ufage , 

C^cR  alors  grand  bruit  au  ménage. 

O  vous  tous,  qui  lifez  ici 
I.e  détail  de  mon  (avoir  faire, 
Si  vous  me  devinez  ,  vous  pouvez  fans  myflere 
Me  nommer  ;  car  de  moi  vous  vous  êtes  fervi. 


É  P  I  G  R  A  M  M  E. 

Sur  le  C.  de  S.  S.... 

E  fuis  un  animal  d'équivoque  nature , 
Comédien  ,  efcroc ,  dévot,  plein  de  ferveur; 
J'élève  un,  temple  au  Créateur, 
En  filoutant  la  créature. 


È  P  I  T  A  P  H  E  pour  Jean-Céfir  Rouffcuu  de 

la  Pizrijîcrc  ,  E de  N diiccdc  le   z  £ 

Novembre   iy^6. 

1  Ci  gît  un  Prélat  d'emprunteufe  mémoire, 
Qui  toujours  prit,  &  jamais  ne  rendit. 
Seigneur,  s'il  cfl  dans  votre  gloire. 
Il  n'y  peut  être  qu'à  crédit. 


DIVERSES. 


LETTRE 

De  la  Baronne  de  Rouplllac  à  Madame  des 
Étoiles  ,  au  jujet  d'une  Brochure  intitulée  z 
L'Ennwi  d'un  quart-d'heure  ,  de  feu  M.  lAbbé.,, 
aujourd'hui  M.  de  la  Mare  tout  court. 

QUe  de  grâces  ,  Mademoifelle  ,  j'ai  à  vous 
rendre  !  De  quel  fervice  ne  vous  fuis-je  pas 
redevable  !  Oui ,  ma  reconnoiilance  fera  tou- 
jours au  deflous  du  bienfait ,  je  ne  le  fens  que  trop; 
mais  du  moins  j'ai  la  confolation  de  vous  devoir 
prefque  la  vie.  Car  ,  peut-on  vivre  fans  dormir  > 
Et  avant  le  bienheureux  paquet  d'écrits  modernes 
que  vous  m'avez  fait  tenir  ,  je  ne  dormois  pas  plus 
qu'un  vrai  lutin.  En  ouvrant  votre  Lettre  ,  j'ai 
trouvé  une  lifte  de  fujets  récréatifs  :  elle  débute 
par  l'Ennui  d'un  quart-d'heure  ;  &  voila  juge- 
ment mon  Efculape.  AfTurément  votre  amitié  tou- 
jours tendre  &  prévenante  ,  a  deviné  qu'une  cruelle 
infomnie  me  tourmentoit  depuis  bon  nombre  de 
jours  ,  &  une  guérifon  aulfi  prompte  d'une  migraine 
violente  ne  pouvoit  m'ètre  procurée  plus  à  propos 
par  la  perfonne  du  monde  la  plus  précieufe  à  ma 
tendreliè. 

QtVe  veut  dire  ce  prélude  embrouillé ,  direz-vous 
peut-être  ,  Mademoifelle  ?  Je  ne  comprends  rien  à 
ces  paroles  ridicules  :  patience  ,  voici  le  débrouil- 
lement  du  cahos. 

Je  lis  ordinairement  avant  de  me  livrer  aux 
douceurs  du  fommeil   qui  me  fuit   bien  fouvent , 


«(^  m  U  V  R  E  s 

&  qui  me  vend  bien  cher  fes  douceurs  ;  car  j'ai 
foixante  ans  pafles.  Ah  !  qu'à  votre  âge  ,  jeune  & 
belle  Souchette ,  il  étoit  d'inftants  où  Morphée  me 
prodiguoit  fes  faveurs ,  après  avoir  goûté  des  plai- 
fîrs  dont  les  Dieux  auroient  même  été  jaloux  !  Ma 
îeunefTe  éclipfée  ne  me  lailfe  que  le  regret  de  ne 
pouvoir  rajeunir ,  &  n'a  point  diminué  la  pafTion 
que  j'ai  toujours  eue  pour  les  amufemens  d'une 
vie  aimable.  Les  vieilles  redifent  toujours  ,  }e  re- 
viens. 

Le  foir  donc ,  je  me  trouve  dans  des  ouvrages 
ingénieux  (  pas  fi  fouvent  que  je  le  fouhaiterois  :  ) 
la  matière  a  des  fonges  agréables  ,  dont  la  douce 
impoflure  charme  le  temps  délicieux  de  la  nuit. 
Rendue  fuivant  ma  coutume  à  mes  livres ,  le  jour 
même  de  votre  envoi  reçu,  je  faifis  avec  empreffe- 
ment  l'Ennui  cfiin  quart-d'heure  :  je  me  mets  en 
lituation  commode  pour  repaître  moins  mes  yeux 
que  mon  efprit  &  mon  cœur  des  nouveautés  con- 
tenues dans  la  Brochure  que  j'ai  à  la  main  ;  je  toulTe, 
je  crache  ,  je  recueille  toute  mon  attention ,  j'ou- 
vre &  je  lis ,  je  continue,  j'achève Mais  ,  5 

verti^  divine  répandue  dans  cette  mcrveilleufe 
feuille  !  j'ai  bâillé  ,  &  le  fommeil  m'a  furpris  fans 
être  invoqué.  Depuis  dix  ans  fortune  pareille  ne 
m'étoit  arrivée. 

Je  le  foutiens  ,  Apollon  a  infpiré  le  père  de  ces 
poéfîes ,  &  il  a  prouvé  par  ces  rimes  ennuyeufes 
qu'il  étoit  autant  le  Dieu  de  la  Médecine  que  de 
l'harmonie.  Tout  l'opium  &  la  thériaque  de  la 
doéle  faculté  des  Pharmacopoles  n'auroient  pas 
opéré  aufli  fûrement  que  l'Ennui  d'un  quart- 
d'heure. ,  donc  le  titre  ,  auffi  modeile  que  i'Au- 


DIVERSES.  87 

teur ,  ne  me  difpenfe  pas  de  lui  dire  qu'il  m'a  fourni 
de  l'ennui  pour  plus  d'un  fiecle  :  li  je  pouvois 
vivre  autant ,  je  confentirois  à  partager  ce  fopora- 
tif  avec  nos  neveux  les  plus  reculés  ;  car  ne  trou- 
ve-t■^on  pas  dans  le  monde  les  ennuis  immortels, 
&  la  joie  trop  courte  ? 

Ce  ,  la  peflô  me  tue  ,  que  l'Obfervateur  du  Par- 
nafTe  a  révélé  judicieufement  ,  eft  une  expreflicn 
du  bel  air  ,  n'eft-il  pas  vrai  ,  Mademoi Telle  ?  Mr. 
de  la  Mare  fréquente  les  cercles  où  régnent  la 
galanterie  &  les  Petits-Maîtres  d'une  efpece  tranf- 
cendante. 

Vous  me  mandez ,  Mademoifelle,  que  l'Auteur 
publie  avec  complaifance  les  éloges  qu'il  prétend 
lui  être  dûs  :  j'y  foufcris ,  &  ne  le  regarde  point  du 
tout  comme  un  Habitant  de  la  Garonne  ,  quoi- 
qu'il en  ait  le  mérite  &.  la  vivacité  :  je  dirai  avec 
vous  que 

Ennemi  du  menfonge  &  de  la  jaloufie  , 
On  ne  le  vit  jamais  blefler  la  vérité»^ 
Organe  de  la  modeftie, 
Son  Apollon  eft  la  fincériré. 
Pour  lui  Pégafe  oublia  fa  fierté , 

Clio  devint  plus  fage  ,  moins  coquette, 
Melpomene  à  fa  fœur  cadette 
Fit  part  de  fes  talents  &  de  fa  gravité  ; 

Thalic  à  fon  tour  plus  fcvere  , 
Lui  donna  ces  attraits,  ce  vif,  cet  enjouement. 

Ces  yeux  frippons  qui  favent  plaire ,  j 

Et  régner  à  leur  gré  fur  le  cœur  d'un  Amant, 
^a  Mare  fut  vaincre  les  plus  cruelles, 


gg  ŒUVRES 

Et  les  neuf  Sœurs ,  ces  divines  pucellesj 
A  la  vii'ginité  préfe'rerent  l'amour  : 
Nouvel  Endymion  de  ces  tendres  Déeffes , 
Il  reçut  maints  baifers,  faveurs,  bonbons,  careffes, 
Apollon ,  obligé  de  lui  faire  la  Cour , 

Quitta  les  rives  du  Fermefle  ; 
La  Mare  pour  jamais  fans  efpoir  de  retour , 
Fut  le  Dieu  qu'encenfa  Cypris  &  la  mollefFe. 

La  fortune  ,  Mademoifelle ,  rougit  des  fautes  dti 
deftin.  Eft-elle  profpere?  L'on  oublie  les  loix  delà 
nature,  &  l'on  déroge  aux  dégrés  du  fang  le  plus 
proche  :  le  Poëte  des  ennuis  en  eft  une  preuve  vi- 
vante. Je  vois  que  ce  petit  ifigrat  ,  en  grimpant  à 
la  double  cime  ,  a  changé  fon  véritable  nom  :  je 
l'ai  connu  à  Paris  :  on  lappelloit  Mr.  l'Abbé  Croque^ 
chenille  ,  &  Mr.  à'Hojitr  lui-même  n'auroir  pas 
été  plus  heureux  dans  la  découverte  d'aucune  gé- 
néalogie. 

Je  vous  envoie  un  extrait  authentique  d'un  par- 
chemin que  je  pofîede.  Il  eft  unique  :  Mr.  Croque-' 
chenille  m'a  follicité  plus  d'une  fois  de  m'en  dé- 
fiire  en  fa  faveur,  pour  être  fondé  en  raifons  en  cas 
de  fuccefTion  à  recueillir.  Je  conçois  que  le  dépit 
&  la  gloire  l'ont  dégoûté  de  fa  vraie  naifTance.  Je 
lui  pardonncrois  cette  boutade  ,  s'il  veut  paiïer  le 
refte  de  l'automne  à  ma  campagne  ,  &  je  lui  rendrai 
l'original  timbré,  dont  je  fais  pour  vous  une  copie, 
»n  attendant  le  pkiiir  de  le  voir. 


Admirable 


DIVERSES.  §9 

Admirable  &  incomparahh  Tranfition  de  VAhbi 
de  la  Marc  en  efcargoty  &  ce  qui  advint  d'icdU, 


Ycz ,  grands  &  petits  , 
Ce  dont  vous  ferez  ébahis. 
Entre  le  Franc  &  l'illuflre  Voltaire , 
Cruels  débats  furvinrent  l'autre  jour. 
L'un  vouloit ,  à  fon  ordinaire  , 
Nous  ennuyer  d'un  fade  amour  ; 
L'autre  ,  plus  docle  &  moins  ignare, 
Soutenoit  que  l'amour  énervoit  les  cfprits/ 
Et  qu'il  ne  vouloit  point  d'éloges  à  ce  prix. 

Le  Franc  s'irrite  ,  en  appelle  à  la  Mare  : 
Or  qu'advint-il  ?  Notre  nouveau  Midas 
Se  levé.  &  bientôt  vous  décide 
En  faveur  de  la  Zoraïde. 
Voltaire  pour  cela  les  armes  ne  mit  bas  ; 
Il  vole  au  temple  de  Mémoire  , 
A  Melpomene  explique  net  le  cas  : 
Phébus  inftruit  de  cette  hiftoire  , 
Réfolut  de  punir  notre  Juge  ignorant; 

Par  fubite  métamorphofe  , 
La  Mare  hélas  !  comment  dire  la  chofe  ? 
D'homme  devint  un  infecle  rampant  ; 
Le  nouvel  efcargot  court  fans  retardement 
Dépeupler  parterres ,  charmilles  , 
De  papillons  &  de  chenilles. 
Pour  récompenfsr  fon  ardeur  , 
On  le  nomma  Croque- chenille  , 

M 


90  ŒUVRES 

Et  fur  le  Pinde,  avec  honneur, 
Des  efcargots  il  orna  la  famille. 

Une  preuve  nouvelle  de  cette  origine  ,  Made- 
moifclle  ,  que  j'ajoute  par  furcroît  d'évidence ,  elt 
que  je  ne  vois  pas  pourquoi  ce  petit  ingrat  a  changé 
de  dénomination.  11  a  beau  fc  déguifer ,  on  con- 
noîcra  toujours  Mr.  Croque-chenille  à  une  bofîe  qui 
lui  ed  refcée  au  front.  C'ell  un  accident  qui  lui  efl 
arrivé  le  jour  d'un  grand  vent,  qui  le  jetta  à  terre 
dans  le  potager  du  ParnalTe.  La  nature  qui  lui  a 
donné  autant  d'efprit  qu'a  Éfope ,  a  chargé  l'art  de 
fuppléer  a  Ton  défaut.  L'art  ,  moins  habile  que  la 
rature,  n'a  pu  lui  donner  double  bofîe;  mais  il  a 
fait  une  ëminence  fur  le  front  de  notre  Poète  qui, 
bien  loin  de  changer  un  ancien  nom  ,  auroit  dû  en 
prendre  un  nouveau  le  jour  de  cette  aventure  qui  , 
luivant  quelques  malins  trop  véridiques,  a  une  ori- 
gine du  c  nq.'.ieme  étage. 

Cette  addition  devroic  le  tenter  ,  Mademoifelle , 
fur-tout  quand  on  elt  friand  de  gloire  ,  &  qu'on 
cherche  à  briller  par  les  ennuis.  Scipion  n'a-t-il 
pas  été  furnommé  l'Aflicain  ,  Fabius  le  Tempori- 
feur  ?  Et  une  foule  de  Conquérants,  que  je  pour- 
rois  citer  ,  n'ont-ils  pas  bi'igué  des  noms  qui  paf- 
faffent  à  rimmortalitc  ? 

jcpropofe  a  Mr.  Croque-chenille  le  fur-nom  de 
Dufront:  je  me  regardero  s  bien  hcureuié,  s'il  vou- 
loir adopter  un  intrus  qui  demande  un  quartier 
dans  l'ccuflbn  de  fa  gloire.  Bon  foir  ,  mes  belles 
iamours,  je  les  aime  trop  pour  ne  pas  fupprimer  les 
façons,  je  vous  embraie  cent  mille  fois  pour  une. 
Votre,  ôêc.  Du  RODPILLAC, 


DIVERSES.  or 


LA      BOUGIE 

De  Noël. 


A 


Pife,  Ville  d'Italie, 
Habitoit  un  certain  Jofeph  d'Alcantaris, 
Jaloux  de  fa  raoirié  jufqu'à  la  frénefie. 
Le  fait  n'eft  étonnant  ;  Italiens  maris 
Sont  fujets ,  comme  on  fait  ,  à  vifloas  cornues. 

Celui-ci ,  galant  autrefois  , 

Savoit  fur  le  bout  de  fes  doigts 
Les  rubriques  d'amour  ,  même  les  moins  connues* 

Pour  mettre  donc  en  sûreté 
Son  honneur  ,  ou  plutôt  celui  de  fon  époufe. 

Ceintures  de  virginité 
Vinrent  s'offrir  d'abord  à  fon  ame  jaloufe  : 
Mais  c'étoit  peu  pour  lui ,  les  plus  forts  cadenats,' 
Pour  garder  ce  tréfor,  font  en  vain  réfiftance; 
Le  drôle  le  favoit ,  &  par  expérience  , 
Voici  donc  ce  qu'il  fit  pour  éviter  le  cas  : 

Il  joignit  à  cette  ceinture  , 
Vers  l'endroit  dangereux  ,  deux  lames  de  rafoir: 

Deux  refTorts  les  faifoient  mouvoir , 
Qui,  dès  qu'on  les  lâchoit,  refermoit  l'ouverturC/ 

La  femme  à  peine  eut  reçu  ce  préfent , 
Qu'un  billet  de  fa  part  en  avertit  l'Amant. 
L'Amant  arrive  ,  il  court  dans  ks  bras  de  fa  Belle, 

Par  des  baifers  on  prélude  un  moment  ; 
Mais  las  de  ces  faveurs  qui  croifient  fon  tourment , 

11  en  cherche  une  plus  réelle. 

Mij 


cji  m  V  V  R  E  s 

Il  découvre  à  fon  gré  la  porte  des  plaifirs , 
Et  l'obftacle  ne  fait  qu'irriter  fes  defirs. 
Le  lerpent  qui  tenta  notre  commune  Mère  , 
Se  réveille  d'abord  à  ces  objets  charmants  , 
Et  leur  fait  inventer  ,  dans  ces  heureux  moments  , 
Les  moyens  de  fc  fatisfaire. 
Des  deux  refforts  la  Belle  en  tenoit  un  , 
L'Amant  retenoit  l'autre  ,  &  dans  carte  aventure  , 
Le  ferpent  fans  trembler  faifit  la  conjecture  , 
Et  fc  plonge  à  l'inftant  avec  vivacité 

Dans  le  fein  de  la  volupté. 
A  cette  douce  approche  on  s'emporte,  on  s'oublie. 
On  ell  prêt  à  perdre  la  vie  , 
On  ne  penfe  plus ,  mais  on  fent , 
Et  dans  cet  effort  fi  puiflant 
Le  ferpent  fe  trouva  la  funefte  victime 
Des  rafoirs  échappés  ;  &  cet  endroit  fi  beau  , 
Trône  de  fes  plaifirs ,  en  devient  le  tombeau. 
Au  cri  de  l'homme  accourt  la  Soubrette  tremblante  , 
Elle  emmenne  l'Amant ,  tandis  que  fon  Amante  , 
Ignorant  du  ferpent  les  cruels  déplaifirs , 
Jouit  confufément  de  fes  derniers  foupirs. 
Il  fallut  tirer  le  ferpent  , 
Et  l'embarras  étoit  comment  : 
Un  tire-bourre  en  fit  hcureufement  l'affaire. 

L'animal  encore  furieux  , 
Ne  fortant  qu'avec  peine  écumant  de  colère. 
Quoiqu'il  eut  les  larmes  aux  yeux, 
Sur  le  lieu  de  fa  fépulture 
if.        Il  fut  queflion  d'opiner. 
Ca  Dame  paroifîbic  encline  à  le  garder  j 


DIVERSES.  93 

Ira  fervante  difoit  que  ce  feroit  folie  , 

Et  que  befoin  n'étoit  de  rembaumer  , 
Tels  animaux  étant  communs  en  Italie. 
Par  la  fenêtre  enfin  elle  le  fit  pafler. 
Une  vieille  dévote ,  en  allant  à  l'Églife  , 
Car  c'étoit ,  m'a-t-on  di:  ,  Noël  le  lendemain, 
Tre'buche  ,  &  laifTe  échapper  de  fa  main 
La  lanterne  qu'elle  avoit  prife. 
La  nuit  étoit  obfcure ,  autour  elU  tâtonne  j 
Sa  main  tombe  fur  le  ferpent, 
Pour  fa  chandelle  elle  le  prend, 
le  met  dans  fa  lanterne  ,  ainfi  Dieu  n'abandonne 
Ses  Serviteurs,  dit-elle,  &  fait  les  fecourir. 
Elle  arrive  à  l'Eglife ,  elle  dit  les  premières 
Ce  que  par  cœur  elle  fait  de  prières  ; 
Mais  bientôt  à  fon  livre  il  lui  faut  recourir  : 
Elle  met  fa  chandelle  es  mains  de  fa  voifine, 
Jiifqu'en  celle  du  Clerc  elle  parvient  enfin. 
Il  fouffle  fur  la  mèche,  il  fe  tourmente  en  vain 
Pour  l'allumer  :  tant  plus  il  l'examine , 
Plus  ce  qu'il  tient  lui  paroît  furprenanc, 
Mais  à  la  fin  comprenant  le  myftere  : 
A  d'autres,  cria-t-il  d'un  ton  plein  de  courroux. 
Cette  chandelle  eft  faite  à  s'allumer  chez  vous. 
Mefdames ,  que  chacun  faffe  fon  miniftere. 


If 


94  ŒUVRES 

L*  ANTI-MONDAIN, 
Par   Piron. 


o 


Jours  heureux  !  qui  purs  &  fans  nuages 
Avez  du  monde  éclairé  le  berceau 
Dont  vainement  un  odieux  pinceau 
Vient  à  nos  yeux  dcfij;urer  l'image  : 
Jours  fortunés  !  quoiqu'cn  publie  encor 
Un  maître-fou  dans  fa  verve  indifcrete  ; 
Age  à  bon  droit  appelle  ficcle  d'or , 
O  bon  vieux  temps  !  c'efl  moi  qui  vous  regrette. 
Mais  ;  ô  regrets  en  effet  fupcrflus  ! 
A  notre  dam ,  hélas  !  vous  n'ûtes  plus  ! 
Tranquille  au  fcin  d'une  hcurcufe  abondance. 
Exempt  de  peines,  affranchi  de  tous  foins, 
L'homme  vivoit,  la  fage  Providence 
Pour  fon   bonheur  lui  cachoit  {'es  bcfoins. 
Il  ctoit  libre ,  &  I.i  feule  nature 
Diftoit  fes  loix  ,  régidoit  fcs  devoirs  ; 
La  trahifon  ,  le   meurtre  ,  l'impothirc  , 
Les  attentats ,  les  forfaits  les  plus  noirs  , 
Sous  des  climats  oh  regnoit  la  droiture  , 
De  fon   cœur  fimple  ignorés  &  bannis, 
N'avoicnt  alors  bcfoin  d'être  punis  ; 
Nul  préjugé  n'afferviffoit  fon  ame  : 
Heureux  de  vivre  ainfi  qu'il  étoit  né. 
Ni  bien  ni  mal  ,  gloire  ,  honte ,  ni  bl!\me 
N'ctoient  connus  de  fon  cfprit  borné. 
O  douce  erreur ,  favorable  ignorance  , 


DIVERSES,  95 

Fille  du  Citl ,  mère  de  l'affurance  ; 

Point  de  remords  qui  gênât  fes  defirs: 

Né  po'.ir  jouir,  fait  pour  le  bien  fupréme. 

Il  le  trouvoit  dans  un  autre  lui-même  ; 

Kien  ne  troubloit  leurs  innocens  plaifirs  : 

Eh  quels  phifirs  !  A  leur  douceur  extrême 

Le  monde  entier  doit  fes  accroifîemenj. 

Tendres  ébats  ,  divins  embrafTcmens  , 

Fréquens  fur  tout  plus  qu'au  fiecle  où  nous  fommcs  ; 

Et  c'eft  raifon  ,  car  le  deftin  des  hommes 

En  de'pendoit  dans  ces    commenccmcns. 

Plaifirs  exempts  de  tous  les  vains  fantômes, 

Dont  un  bifarre  &C  chimérique  honneur 

Se'duit  des   cœurs  fufceptibles  d'àllarmes. 

Ce  fier  tyran  d'un  fcxe  plein  de  charmes, 

Ne  mettoit  point  d'obftacle  à  fon  bonheur. 

Un  efprit  fimplc,une  aimable  innocence. 

Un  cœur  naïf ,  de  candeur  revêtu  , 

Neuf  encore  même  après  la  jouifTance, 

Tcnoient  alors  lieu  de  toute  vertu. 

De  nos  aïeux  ,  fous  le  règne  d'Aftrée  , 

Telle  étoit  donc  la  race  bienhcurée. 

D'un  fiecle  à  l'autre  &  victorieux  &r  fain  , 

L'homme  vivoit  ;  alors  un  Médecin  , 

Coupable  engeance  en  ce  temps  ignorée  , 

De  fes  beaux  ans  n'abrégeoit  la  durée. 

Or  maintenant  ,  notre  ami  du  bel  air  , 

Qui  vous  moque?,  impur.ément  du  ir.onde  , 

Vantez-nous  bien  votre  fiecle  de  fer, 

Vantez  fur-tout  votre  cœur  très-immonde, 

Qfii  fronder  l'illuflre  Fénelon  , 


çS  ŒUVRES 

Déprifcz- nous  les  accords  de  fa  lyre. 

Ce  beau  Roman  ,  le  feul  utile  à  lire  ; 

Vous  toutefois ,  vous  ,  ce  rare  Apollon  , 

Dont  les  écrits  ne  vont  point  au  talon 

De  ce  Prilat ,  vous  dont  le  chaud  délire , 

Pis  qu'une  fièvre  en  fes  accès  prefTants  , 

Vous  fait  choquer  la  raifon  ,  le  bon  fcns  ; 

Vous  ,  dis-je  encore ,  qui  placez  dans  un  Temple  , 

D'un  bout  à  l'autre  ouvrage  original , 

Fille  de  joie  auprès  d'un  Cardinal  ; 

Vous,  dis-je  enfin,  qui,  pour  dernier  exemple , 

Venez  de  faire  afleniblage  nouveau , 

Et ,  comme  on  dit ,  une  galimafrée 

D'Eve  ,  d'Adam  ,  de  Saturne  &  de  Rhée  ; 

Affortimens  dignes  d'un  tel  cerveau , 

Plaçant  le  bien  de  la  nature  humaine 

Dans  un  bouchon  qui  frappe  au  foliveaii. 

Ou  bien  à  voir  une  tête  de  veau. 

Qui  mollement  dans  un  char  fe  proraenc 

Or,  maintenant  ce  féjour  enchanté. 

Ce  Paradis  terreflre  fi  vanté , 

Cher  Calotin  de  la  première  claflTe ," 

De  bonne  foi  entre  nous , 

Que  pour  favoir  oij  peut  être  fa  place  , 

On  auroit  tort  de  s'adrefler  à  vous. 


11* 

L'HABITî 


DIVERSES.  ^7 

J  iiii  I     '  ■  "^TrrTi — r-rTfi— laiMMiii» mimiiii  inm-hiw  "''«i«iW'ifii»''WMBg«e»; 

L'HABIT  NE  FAlt  PAS  LE  MOINE, 

Conte ,  par  le  même. 


Ufe  ,  de  grâce  ,  au  fait  &  point  d'exorde. 
Des  Écumeurs,  gens  fans  miféricords. 
Firent  defcente  à  je  ne  fais  quel  port  , 
Et  tout  de  fuite  y  defcendit  la  mort , 
L'affreux  dégât  ,   le  viol ,  l'équivoque , 
Qu'Agnès  redoute  ,  &  dont  Barbe  ft  moque ,' 
L'ardente  foif  du  fang  &  du  butin  , 
Tant  d'autres  m^ux,  le  facrilegc  enfin. 
Péché  mignon  d'cnpeance  fcéîérate. 
Ce  dernier-ci  conduifit  les  Pirates 
Dans  nn  Couvent  de  Pères  Cordsliers  : 
Chafle  ,  encenfoir ,  croix,  folcil,  chandeliers," 
Vafes  facrés ,  tout  fut  de  bonne  prife  ; 
Burettes  ,  draps ,  le  cellier  iS^  l'Egli-fe , 
Tout  fut  pillé  ;  vcïyez  que  les  Vauriens 
Ne  s'y  prenoient  ainfi  que  desChrétien'S, 
En  qui  peut-être  eût  agi  le  fcruoule, 
S'ils  n'avoien:  pas  dans  plus  d'une  ceUule 
Trouvé  de  quoi  fie  dire  :  Eh  !  ventrebleu , 
N'en  ayons  point ,  puifqu'ils  en  ont  fi  peu. 
Tout  bien  cherché,  des  gentilles  commères 
Gagnent  la  Nef,  pour  avec  les  Corfaires 
Gaiement  paffer  leurs  jours  dorénavant. 
Eux  à  ramer,  elles  comme  au  Couvent. 
Père  Guichard ,  bilieufe  pécore. . . . 
Prêche  &  fulmiag  en  pieux. . . . 

N 


98  ŒUVRES 

Pcre  Guichard  çfl  traité  d'étourneau , 

Et  pour  réponse  on  le  jette  dans  l'eau. 

D'autres  cncor  de  *prêcher  ont  la  rage  ; 

Ils  prêchoicnt  donc  ,  mais  fur  un  ton  plus  fage, 

Quand  le  plus  fier  de  tous  ks  ouragans  , 

Mieux  qu'un  fermon  ,  convertit  nos  brigands. 

Les  voilà  tous  devenus  des  Panurges  , 

Se  fiant  moins  à  Dieu  qu'au  Thaumaturge,     ^' 

Et  promettant  c  handellc  à  tous  les  Saints 

Du  Paradis  &  lieux  circonvoifins. 

l'équipage  cft  au  pied  de  la  chiourme  ; 

On  crie  ,  on  pleure  ,  de  langiots  on  regourme, 

Meâ  culpâ  ,  mon  père  ,  mon  mignon , 

Ce  n'eft  pas  moi  ,  mon  mignon, 

Ce  n'efl  pas  moi ,  c';;roit  mon  compagnon. 

Moines  de  dire  ,  en  faifant  grife  mine  , 

Punition  Se  vengeance  divme. 

Le  bon  larron  ,  contrit  comme  à  la  croix, 

De  fe  >  ouer  à  Monfieur  Saint  François , 

S'il  en  éch.  pp^.  A  Vinflnnî  le  temps  change  . 

Vous  auriez  dit  que  fur  l'aîle  d'un  Ange 

Le  Scraphique  avoit  dit  :  Quos  ego. 

Le  Ciel  reprend  l'azur  &c  l'indigo  ; 

Le  u  reverdit,  &  fa  claire  furface 

S'applaniffint,  redevient  une  glace  ; 

Tout  rentre  .enfin  dans  fon  premier  état, 

Tout  y  comp'-is.  le  cœur  du  rc(;Ié''ar. 

Il  rit  du  vœu  formé  pendant  l'orage. 

Le  Capitaine  abfoud  toutl'équipnge, 

Réuniffant  tout  le  pouvoir  lu  loi, 

Et  iUr  foii  bord  ttaat  irontife  &  Roi, 


DIVERSES.  99! 

Buvons  ,  chantons  ,  rions ,  dit  le  corfaire, 
Frappons ,  f . . .  . .  &  vogue  la  galère. 
Les  Pénaillons  difoient  :  vous  avez  tort , 
On  fait  la  figue  ainû  plus  près  du  port  ; 
Dz  Pharaon  tel  étoit  le  vertige  , 
Moyfe  aulji  coup  fur  coup  le  fuftige. 
Le  Chef  répond  :  qu'on  ait  tort  ouraifon; 
Ramez  ,  faquin  ;  belle  comparaifon  , 
Le  fouet  à  fouet ,  la  verge  de  Moyfe 
Et  le  cordon  de  Saint  François  d' Alhfe. 
Trois  jours  avotent  coulé  (ans  accidents  ; 
Le  quatrième  ,  ainfi  qu'entre  leurs  dents  , 
Des  Gris-vêtus  prioient  leur  Patriarche 
De  fe  venger  en  purifiant  l'Arche, 
L'un  des  frocards  s'écrie  :  Eh  '  le  voila. 
Oui  ?  Saint  François.  Où  ?  Sur  l'eau  ,  là-bas,  là. 
Tenez ,  voyez  ,  vis-à-vis  de  la  pouppe  : 
Sur  le  tillac  aufli-tôt  l'on  s'attroupe  ; 
Oui ,  c'efl: ,  dit-on ,  vraiment  un  Cordelier  > 
C'en  eft  bien  un,  le  fait  eft  fingulier  ? 
En  pleine  mer  un  homme  ,  & ,  n'en  déplaife, 
Qui  paroît  même  être  là  fort  à  l'aife. 
C'eft ,  s'écrioit  un  Moinillon  fervant , 
C'eft  ce  grand  Saint  qu'à  la  merci  du  vent. 
Dans  le  péril ,  ingrats  ,  vous  réclamâtes; 
Mon  œil  d'ici  diftingue  les  iligmates  : 
Je  vois ,  je  vois  l'Ange  exterminateur. 
Les  bras  levés  fur  le  profanateur  : 
Tremblez  ,  méchants.  Le  frocard  en  tumulte, 
Paflbit  déjà  de  l'efpoir  à  l'infulte. 
La  foldatefque  incertaine  &  tout  bas , 

N  ij 


'îdo  (E  U  V  R  E  s 

Se  dcmandoit  :  l'eft-ce,  ou  ne  Teft-ce  pas  ? 

La  nuit  laifTa  leur  ame  en  grande  tranfi , 

Et  du  foleil  attendit  le  retour  ; 

Il  reparoît ,  l'on  revoit  tout  le  jour 

Le  mêiTic  objet  à  pareille  diftance. 

Lors,  les  relaps  enclins  à  pénitence  ; 

C'eft  Saint  François,  qui  pourroit  ce  être  donc? 

Voilà  des  gens  penauds ,  s'il  en  fut  onc. 

Le  Commandant,  dont  lavifiere  eft  nette. 

Pour  le  plus  sûr  mit  l'œil  à  la  lunette  , 

Et  dit,  ma  foi ,  vous  ne  vous  trompez  point  : 

Je  vois  capuce  &  froa;  c'eft  de  tout  point 

Un  Cordelier  ,  promptement  à  la  nage  , 

Voulant  venir  peut-être  à  l'abordage, 

11  faut  l'attendre  ;  holà ,  ho  !  le  Grappin. 

Chacun  fe  ligue  au  cri  du  Turlupin  ; 

D'horreur  le  poil  en  drefle  à  tout  fon  monde  , 

L'objet  s'enfonce  ,  &  difparoît  fous  Tondit. 

A  l'inftant  fouffle  un  vent  des  plus  gaillards  , 

Et  fut-ce  un  coup  du  Ciel  ou  du  hafard  , 

Vous  en  allez  favoir  le  pour  &  contre. 

Tout  au  plus  près  îe  nageur  fe  remontre  ; 

Le  Grappin  tombe ,  accroche  ,  &  tire  ;  eh  qui  ? 

Etoit-ce  bien  un  Cordelier?  Nenni. 

Là ,  de  par  Dieu  ,  fa  Mère  &  Saint  Antoine , 

Jamais  l'habit  ne  fit  fi  peu  le  Moine. 

C'étoit  au  vrai  l'habit  d'un  Fraiicifcain  ; 

Mais  fous  lequel  ne  giffoit  qu'un  Requin , 

Poifibn  goulu  ,  vorace  ,  anrropopbage , 

PoifTon  hideux,  poiffon  pour  tout  potage. 

Mais  un  poiflbn  froqué  •  par  quel  hafard  î 


D  I  V  E  R  S  E  3.  i©i 

Vous  avez  vu  nager  Père  Guichard; 

Figurez-vous  le  Requin  qui  le  gobe  , 

Non  pas  avec  ,  mais  par  deflbus  fa  robe  5 

Des  pieds  au  col  tantôt  il  fut  grugé  , 

Et  de  ce  Trône  la  tête  prit  congé. 

Le  froc  alors  préfentant  l'ouverture  , 

Avoit  d'un  monflre  embéguiné  la  hure  ; 

Et  de  ce  jour ,  quêteux  ,  humble  &  gourmand 

Frère  Requin  fuivoit  le  bâtiment.  , 

APOTHÉOSE  de  Mademoifelle  le  Couvreur 
Adrice,  morte  le  z  Mars  1730.  1 

Par  Mr.  de    Voltaire. 

\/  Uel  contrafte  frappe  mes  yeux  ? 

Melpomene  ici  délblée , 
Élevé  ,  avec  l'aveu  des  Dieux, 
Un  magnifique  Maufolée. 
Si  la  Superftition , 
Diflinguant  jiifqu'à  la  pouiïiere, 
Fait  un  point  de  Religion 
D'en  couvrir  une  ombre  légère  : 
Ombre  illuftre  ,  confole-toi , 
En  tous'les  lieux ,  la  terre  efl  égale  j 
Et  lorfque  la  Parque  fatale 
Nous  fait  fubir  fa  trifte  loi , 
Peu  nous  importe  oij  notre  cendre 
Doive  repofer,  pour  attendre 
Ce  temps  où  tous  les  préjugés 
Seront  à  la  fin  abrogés. 


TOI  ŒUVRES 

Ces  lieux  cefîent  d'être  profanes  , 
En  contenant  d'illuftres  mânes  ; 
Ton  tombeau  fera  refpecté. 
S'il  n'eft  pas  fouvent  fréquenté 
Parles  difeurs  de  Patenôtres, 
Sans  doute  il  le  fera  par  d'autres , 
Dont  l'hommage  plus  naturel 
Rendra  ton  mérite  immortel. 
Au  lieu  d'ennuyeufes  Matines , 
Les  Grâces,  en  habit  de  deuil , 
Chanteront  des  hymnes  divines 
Tous  les  matins  fur  ton  cercueil  j 
Sophocle ,  Corneille ,  Racine 
Sans  cefTe  y  répandront  des  fleurs, 
Tandis  que  Jocafte  ou  Paulinc- 
Verleront  des  torrents  de  pleurs. 
Enfin,  pour  ton  Apothéofe, 
On  doit  te  faire  une  Ode  en  profc  ; 
Le  chef-  d'œuvre  d'un  bel  efprit 
Vaudra  bien  du  moins  un  obit. 
Méprife  donc  cette  injuflice , 
Qui  fait  refufer  à  ton  corps 
Ce  que  par  un  plus  grand  caprice 
Obtiendra  Pelletier  des  Forts. 
Cette  ombre  impie  &  criminelle, 
A  la  honte  du  nom  François, 
Quelque  jour  dans  une  Chapelle 
Brillera  fous  l'appui  des  Loix. 
Ainû  ,  par  un  deftin  bifarrc  , 
Ce  Miniftre  dur  &  barbare 
Doit  repofcr  avec  fplendeur , 


DIVERSES,  Î03 

Tandis  qu'avec  ignominie  , 
A  rÉmulc  deCornelie, 
On  refufc  le  même  honneur. 

■^■^■^^^■■^I— — ^■i^M^^i— M^— ^^^"i^— —i^i— i—^i^— p 

É  P  I  G  R  A  M  M  E 

Ve  quelqu'un  ,  qui  fans  doute  a  troqué  fin  encen-^ 
fiir  contre  des  verges  ,  ê"  qui  fouetta  fa  coquine , 
après  avoir  adoré  fa  Déejfe. 

^  Ur  la  Salle  la  critique  eft  perplexe  : 
L'un  en  difant  qu'elle  a  fait  maints  heureux  ; 
L'autre  répond  qu'elle  en  veut  à  Ton  fexe  , 
Un  tiers  prétend  qu'elle  en  veut  à  tous  deux. 
Mais  c'efl  à  tort  que  chacun  la  dégrade , 
De  fa  vertu  pour  moi  je  fuis  certain 
Refnel  foutient  qu'elle  n'eft  pas  Tribade  , 
La  Grogner  dit  qu'elle  n'efl:  pas  Putain. 


ODE 

A  un  Prélat  j  que  fon  ^ele  pour  la  dêfenfi  de  /« 
vérité  expoj'e  à  âes  perfccuticns. 

Xf  Rélat  ,  dont  les  travaux  fameux 
Ont  répandu  par-tour  la  gloire. 
Dont  les  combats  victorieux 
Immortalifent  la  mémoire  ; 
Quels  cris  s'élèvent  contre  toi  ? 
£h  !  quelle  eft  cette  hydre  aaell^ 


J04.  (E  U  V  R  E  S 

Qui  ne  peut  te  voir  fans  effroi  7 

La  vengeance  marche  près  d'elle , 

La  noire  envie  arme  fes  mains. 

Ciel  !  de  leurs  complots  inhumains 

Sauvez  une  tête  fi  chère  ; 

L'intérêt  de  vos  dogmes  faints 

Vous  rend  fon  falut  néceflTaire. 

Mais  pourquoi  trembler  pour  ks  jours  ? 

Continuez,  troupes  iniques; 

Oui  ,  j'y  confens  ,  ayez  recours 

A  mille  odieufes  pratiques  ; 

Ne  montrez  que  dans  de  faux  jours 

Ses  démarches  les  moins  critiques  ; 

Tâchez  par  d'indignes  détours 

D'ôter  aux  éloges  publiques 

Ses  œuvres  les  plus  canoniques. 

Inutile  ,  impuillant  courroux  ! 

L'État ,  dont  il  prend  la  défenfe  j 

Contre  la  fureur  de  vos  coups  ; 

Les  Ouailles ,  que  fa  vigilance 

Dérobe  à  vos  efforts  jaloux; 

La  Foi  ,  qu'il  maintient  contre  vous  ; 

Voilà  recueil  iniurmontable 

Où  fe  briferonc  tous  vos  traits. 

Et  toi  ,  Prélat  ,  dont  à  jamais 

Le  nom  doit  être  refpe<^ablc  , 

Ne  ceife  ,  par  d'illuftres  faits  , 

De  mériter  toute  la  haine 

De  ceux  dont  l'audace  hautaine 

Sous  le  joug  d'une  juflc  Loi, 

PréiÇnd  faire  plier  1%  Foi, 

ÉPITRI; 


DIVERSES.  105 

É   P   I   T   R  E 

Qu'un  Auteur  écrit  à  un  de  fes  Amis  dans  un 
befoin  d'argent  j  pour  lui  m  demander, 

I  3  E  ma  trifte   déconvenue 
Apprends,  ami,  l'aventure  imprévue. 
Le  Diable  quittant  fon  caveau , 

Et  voulant  fur  notre  he'mifphere 

Avoir  un  hofpice  nouveau  , 

Qui  fut  &  moins  fale  &  moins  chaud 

Que  fon  domicile  ordinaire  , 

Vient ,  par  je  ne  fais  quel  travers , 

De  prendre  fon  gîte  en  ma  bourfe, 

C'eft  là  que  pour  toute  reflburce  " 

II  s'olîre  à  mes  befoins  divers. 
Depuis  cet  accident  funefte  , 

Pour  moi  tout  change  en  l'univers  j 
Chacun  me  fuit  5c  me  détefte. 
Hôte,  Boulanger,  Rôtiffeur, 
Ne  peuvent  me  voir  fans  frayeur  ; 
Le  Marchand  ferme  fa  boutique. 
Le  pâle  Banquier  fon  comptoir  , 
Et  c'eft  un  fâcheux  pronoftique 
Seulement  de  m'appercevoir. 
Pour  expulfer  fi  n-^échant  hôte , 
Signe  de  croix  &  patenôire , 
Et  tout  ce  que  la  piété 
M£t  d'armes  aux  mains  des  Fidèles 


10^  ŒUVRES 

Pour  chaffer  les  efprits  rebelles  , 

J'ai  tout  efTayé ,  tout  tenté  , 
Mais  le  fripon  n'a  fait  que  rire  g 
Et  je  pre'tcnds  en  vain  lui  dire 
Que  l'Églife  m'a  mis  en  main 
Sur  les  puifTanccs  fouterraines 
Un  defpotifme  fouverain  ; 
Qu'à  tort  il  faifoit  k  mutin , 
Qu'il  en  augmentoit  fes  peines  ; 
Le  perfide  tient  toujours  bon  , 
Se  raille  de  mon  catéchifme. 
Qu'il  traite  de  p-ure  chanfon. 
Cher  ami  ,  û  ton  exorcifme 
Ne  vien4:  bientôt  à  mon  fecours  , 
Tu  vois  le  dernier  de  mes  jours. 


ÉPIGRAMME 

Contre  un  jeune  Prédicateur  ignorant  _,  qui  ayoil 
donné ,  comme  de  lui  ,  une  Pièce  éloquente  6' 
pleine  d'érudition. 


Eune  Damis ,  dans  tout  ce  beau  difcoursj 
Où  le  favoir  ,  les  grâces  du  langage  , 
L'efprit ,  les  mœurs  ,   la  nouveauté  des  tours 
De  l'Auditeur  ravifîent  le  fufFrage  , 
Rien  n'eft  de  toi  ,  fi  j'en  crois  le  lardon. 
Mais  par  trop  loin  va  cette  médifance  : 
Le  fon  de  voix  ,  certaine  difîbnance , 
Je  ne  fais  quoi  d'Ardcnnois  dans  le  ton , 


DIVERSES.  :o7 

Contre  ces  traits  vient  prendre  ta  défenfe, 
Et  femble  dire  ,  arrêtez  ,  médifants  ; 
De  ce  difcours  û  rempli  d'éloquence , 
Le  bon  Damis  a  du  moins  les  accents. 


ri/i»».  ^'^m^•J^!l^l.^i  m  ■_,  ..  ^ 


AUTRE      ÉPIGRAMME 

Sur  la  rencontre  imprévue  que  V Auteur  fit  d'une 
Demoijelle ,  avec  laquelle  il  avoit  vécu  quel- 
ques années  auparavant  d'une  manière  très- 
particulière  ,  &  qui  fit  fcmblant  de  ne  pas  le. 
rtconnoitre. 


MADAME   *  *  ♦ 


S 


Eroit-ce  vouî  ,  adorable  Clarice, 
Qu'offrit  hier  à  mes  regards  furpris 
Du  fort  l'adorable  caprice  ! 
Mes  fens  charmés ,  mon  cœur  épris  ,' 
Mon  ame  jufqu'au  fond  émue , 
Livrée  aux  tranfports  les  plus  doux 
A  votre  rencontre  imprévue  , 
Me  perfuadent  que  c'cfl  vous. 
J'ai  reconnu  cette  taille  charmante 
Et  cette  gorge  ravifTante  , 
Où  l'on  voit  folâtrer  les  ris  &  Jcs  amours." 
J'ai  reconnu  cette  bouche  touchante  , 
Dont  autrefois  tous  les  difcours 
Flattcient  mon  oreille  étonnée  , 
Éclairoient  mon  efprit ,  attcndriffoicnt  mon  cœur. 

Oij 


îoS  M  V  V  R  E  S 

'F,t  qn'i ,  par  un  pouvoir  vainqueur  , 

Ketenoient  mon  ame  enchaînée. 

Mais  ,  ô  portrait  !   ô  pîaifir  impofteur  ï 

3])ans  une  muette  langueur 

Vos  yeux  venant  à  s'offrir  à  ma  vue  , 

Au  même  inftant  je  vous  ai  méconnue. 


I 


•BsssaaEBaaracaa 


LE     CHAPITRE     GÉNÉRAL 

DES         CORDELIERS. 


Éja  la  Renommée  avoît  paffé  les  mers 
ï'our  aller  annoncer  à  cent  peuples  divers 
Que  l'invincible  Chef  de  la  Gent  Cordelière 
Venoit  de  terminer  fon  illuftre  carrière. 
Déjà  ,  pour  faire  choix  d'un  digne  f'ucccfTeur, 
De  chaque  Monaftere  on  afîemble  la  fleur , 
Et  Tolède  eft  choifi  pour  tenir  l'afTemblée  , 
Où  doit  fe  réunir  l'élite  députée. 
Le  Chapitre  commence  ,  il  fe  rient  à  huis  clos. 
Un  Moine,  beau  parleur,  l'ouvre  par  ce  propos: 
O  vous  !  dignes  foutiens  ie  toute  gueuferie , 
Vous  qui  faites  valoir  la  fainte  momerie  , 
Qui  n'avez  pour  tout  bien  &  pour  tout  revenu 
Que  le  droit  cafuel  &  du  c.  &  du  cul  ; 
Vous  qui  de  toutes  parts  venez  ici  vous  rendre  , 
Au  faint  Généralat  vous  qui  voulez  prétendre  • 
Vous  vous  flittez  en  vain  que  la  Brigue  en  ces  lieux 
Tavorife  jamais  des  vœux  ambitiçux. 
Quiconque  ofc  afpirer  à  cette  grande  place  , 


DIVERSE.^.  109 

lîc  doit  fur  fes  talents  attendre  aucune  grâce. 
Plus  humbles  ,  plus  favants  fufliez-vous  mille  fois, 
Plus  ardents   à  gueufcr  que  le  grand  Saint  François  , 
Si  vous  n'avez  des  v . . .  d'une  énorme  mefure , 
Vous  devez  de  ce  rang  vous-même  vous  exclure  : 
Le  mieux  muni  de  nous  doit  être  Général  ; 
C'eft-là  pour  notre  choix  le  point  fondam.ental) 
A  notre  Ordre  aujourd'hui  donnons  un  nouveau  liiflre 
ChoififTons  parmi  nous  le  v. . .  le  plus  illuf!:re. 
Pcre?,  préparez-voBS  ,  voici  l'inftant  fatal , 
Qu'il  faut  mettre  au  grand  jour  le  fceptre  monacal  ; 
De  VOS  roides  engins  montrez  la  révérence  , 
Et  voyons  qui  de  nous  aura  la  préférence. 
Alors  montrant  le  fien  :  voici ,  dit- il  ,  mes  droits. 
Et  le  figne  afiliré  de  mes  fameux  exploits  , 
Quoiqu'on  en  ait  tranché  par  un  malheur  funeftc. 
Pour  être  Général  voyez  ce  qui  me  refte  : 
Révérends ,  c'eft  ,  je  penfc ,  un  aflez  bel  hochet. 
A  fon  afpeâ: ,  on  croit  voir  un  v. .  de  m.ulet. 
Saifi  d'unfaint  tranfport ,  un  vieillard  en  lunette 
S'approche,  pour  le  voir  ,  fait  une  humble  courbette* 
De  près  il  l'examine  ,  &  dit  :  Par  faint  François  , 

.    Voilà ,  je  crois  ,  de  l'ordre  un  des  plus  beaux  anchois. 
Mais  d'un  air  dédaigneux  faififiant  la  parole  , 
Père  Taneux  foutient  que  c'cft  une  hyperbole , 
Prétendant  qu'il  n'a  pas  fuffifante  groffeur , 
Défie  ,  à  fon  égard  ,  le  plus  rude  cenfcur  ; 
Et  levant  de  la  main  fa  longue  robe  brune. 
De  l'autre  il  fort  un  v,  .  propre  à  faire  fortune. 
A  peine  le  peut-on  empo'gner  d'une  main, 
ï-ong  à  proportion  ,  quatre ,  fec  &C  mutin. 


ïio  ŒUVRES 

Voilà ,  dit- il ,  un  . .  .  rougiffant  de  colère , 

Et  non  pas  ce  que  vient  de  nous  montrer  le  Père 

Avec  cet  outil-là  ,  je  peux  fans  me  gêner , 

Fournir  mes  douze  coups,  dont  fix  fans  d'éc. . .  nec 

te  Chapitre  fourit ,  &  prend  cette  bravade 

Pour  un  difcours  en  l'air  ,  pour  une  gafconadc  ', 

Mais  le  Moine,  piqué  de  cet  affront  nouveau. 

Frappe  de  fon  ....  vingt  fois  fur  le  bureau  ; 

Cet  effort  vigoureux  fait  trembler  le  Chapitre, 

L'on  admire,  l'on  rend  juflicc  à  votre  titre, 

Vous  méritez  beaucoup ,  lui  dit  le  Préfident , 

Père  Tapeux ,  calmez  ce  noble  emportement  : 

C'eft  affez ,  Révérend,  contenez  ce  tonnerre. 

Vous  avez  effrayé  tout  notre  monaftere  ; 

Votre  engin  à  fon  tour  doit  être  mefuré. 

Et  s'il  eft  le  plus  long ,  il  fera  préféré. 

Père  Examinateur  ,  commencez  votre  ronde  , 

Que  chacun  fafle  voir  fur  quel  titre  il  fe  fonde  ; 

Qu'on  enregiftre  tout ,  la  taille  &  la  groffeur  , 

Qu'on  faffe  mention  exaéle  de  longueur  , 

Et  du  tour  du  Breteur  ;  fur-tout  qu'on  examine 

Les  c.  . .  &  les  v.  .  .  jufques  à  leurs  racines  ; 

Enfin  ce  que  chacun  montrera  de  vigueur. 

Soit  dans  votre  examen  produit  en  fa  faveur. 

L'examen  achevé ,  il  faut  qus  l'on  opine  , 

Mais  pour  l'élection  nul  ne  fe  détermine. 

Et  Père  Brife-motte  &  Père  l'Enfonceur 

Ont  leurs  engins  égaux  en  longueur ,  en  groffeur 

Également  bandant,  ils  ont  des  reins  de  diable, 

Les  c. . .  Ions  fant  égaux ,  enfin  tout  eft  femblable  ; 

Mais  comment  faire  un  choix ,  où  tout  paroît  égal  î 


DIVERSES.  iii! 

îl  faut  pourtant  que  l'un  des  deux  foit  GénéraT. 

Pour  nous  tirer  ,  dit  l'un  ,  de  cette  incertitude^ 

Mettons-les  tous  les  deux  à  que-lqu'épreuve  rude: 

tour  choifir  fans  fcrupule  &  fans  prévention , 

Faifons  venir  ici  jeune  fille  &  garçon  ; 

Sur  l'un  &  l'autre  fexc  exerçons  leur  courage  , 

Nous  verrons  qui  des  deux  prend  mieux  un  pucelage , 

Lequel  en  f . . . .  rie  cil  meilleur  ouvrier , 

En  un  mot ,  qui  des  deux  eft  meilleur  Cordelier, 

Bientôt  après  ces  mots  on  préfente  à  la  Salle 

Un  jeune  Ganymede  ,  une  jeune  Veflalc  , 

Environ  de  quinze  ans,  plus  belle  que  le  jour. 

Teint  de  rofe  &  de  lys ,  ouvrage  de  l'amour. 

Chaque  Père  en  voyant  cette  jeune  fillette , 

Sent  fon  bidet  tout  prêt  à  rompre  fa  gourmette.' 

Le  Préfident  fait  figne  au  Père  l'Enfonceur 

De  commencer  l'épreuve  ,  &  grimper  fur  la  Sœur, 

Sitôt  dit,  fitôt  fait  :  defTus  une-  couchette 

Mife  en  ces  lieux  exprès  mon  Frocard  vous  la  jette , 

Il  latrouffe ,  &  fe  met  en  devoir  d'obtenir 

Des  plaifirs  que  l'amour  ne  fauroit  définir. 

Le  Père  avec  tranfport  achevé  fa  victoire  , 

Et  retirant  Hu  c. . .  fon  v.  .  couvert  de  gloire  , 

Sitôt  il  le  renfonce,  &  pour  dignes  exploits. 

De  l'aveu  du  Tendron  il  déchargea  fix  fois  , 

Six  fois  fans  déc. . .  er  ;  &  puis  levant  fa  cotre , 

Il  fait  voir  au  grand  jour  la  plus  charmante  motte  , 

La  cuifTe  la  plus  blanche  ,  &  le  plus  beau  c. .  .  n 

Qui  fe  trouva  jamais  fous  jupe  de  Nonnain. 

Le  V. . .  du  Moine  alors  montrant  fa  rouge  tête, 

S'échappa  furieux  de  la  fainte  brayctte , 


112  ŒUVRES 

Écumant  de  luxure,  il  remonte  à  rinftant, 

Jean-chouard  cette  fois  entre  plus  aifément. 

Ce  jeune  périt  c  . ,  quoique  c. .  de  poupée  , 

Au  Moine  vigoureux  laifTe  une  libre  entre'e ,     , 

Dans  ce  fécond  afTaut ,  fans  plainte  &  fans  douleur. 

De  l'enfroqué  }ean-f.  .  .  elle  rempli:  l'ardeur, 

Tant  &  fi  bien  ,  qu'enfin  ne  pouvant  pafler  outre,       \ 

Il  lui  laiffe  le  c. .  tout  barbouillé  de  f. .  tre. 

Le  Père  TEnfonceur ,  illuflre  Candidat , 

Aiiifi  fut  éprouvé  pour  le  Généralat. 

Le  Père  Brifc- motte  à  fon  tour  fur  la  fcene 

Entre,  &  dit  qu'il  f..tra  dix  coups  tout  d'une  haleine» 

Il  efluye  le  c.  .  de  cette  jeune  Sœur, 

Et  dans  trois  coups  de  cul  lui  caufe  une  douleur 

Qui  fait  jetier  des  pleurs  à  la  jeune  innocente. 

Le  Moine  fans  pitié  dans  fon  ardeur  brûlante  , 

La  ferre  entre  fes  bras  ,  faifi  d'un  doux  tranfport , 

Sentant  fon  v. .  prefTé  comme  par  un  refTort , 

Change  en  tendres  foupirs  les  pleurs  de  fa  conquête. 

Et  régale  ce  c. .  d'une  fi  belle  fête  , 

Que  le  cul  de  la  Nonne  en  fauta  de  fureur. 

Le  paillard  darde  au  fond  la  bénigne  liqueur, 

Et  fuivant  fans  repos  l'amoureux  exercice  , 

Douze  coups  ,  tous  portants  ;  fon  v. .  lui  fut  propice. 

La  douzaine  finie ,  on  crut  qu'à  cette  fois 

Le  Moine  borneroit  le  cours  de  fes  exploits  : 

On  alloit  opiner  ,  quand  ce  nouvel  Hercule 

Retournant  le  Tendron ,  du  premier  coup  l'enc.  .  îe 

Sodomifc  deux  coups,  &  deux  fois  déchargeatt^ 

11  retire  du  cul  deux  fois  fon  v.  .  bandant, 

Jufques-là  Bufe-fliotte  avcit  eu  Vayantage, 


DIVERSE  S.  Il; 

Et  le  Chapitre  alloit  lui  donner  fon  fuffrage , 
Le  mien  n'eft  pas  pour  lui ,  répond  Frère  I-rappart , 
Au  choix  en  queftion  je  pre'tcnds  avoir  part , 
Et  fur  lui  remporter  une  pleine  vicloire  : 
Mon  V..  n'efi:  pas  fi  long  ,  Pcrcs ,  je  veux  le  croire , 
Mais  pour  f.  .  tre  je  veux  lui  damer  le  pion  , 
Je  vais  vous  le  montrer  fur  ce  jeune  garçon. 
Il  dit ,  &  fur  le  champ  déculotant  le  Frère  , 
Aux  yeux  des  Papelards  paroît  le  beau  derrière. 
•ïl  pouffe  vivement  fon  y. .  fans  le  mouiller  , 
Sans  effort  &  fans  peine  enc. . .  l'Écolier. 
Chacun  frappe  des  mains  à  ce  charmant  fpeclade  ; 
tt  l'on  tient  que  le  coup  approche  du  miracle  ; 
Quand  le  b.  .  gre  ,  charmé  de  l'applaudiffement. 
Leur  dit, fans  déc. .  r  je  f.  .  trois  to^it  un  an. 
Le  faint  homme  ,  en  effet,  de  toute  la  journée 
Ne  ceffa  de  tenir  la  mazette  enc. . . . 
Le  Préfident  fe  levé  ,  &  recueille  les  voix  : 
Tout  eft  en  fa  faveur,  le  Chapitre  en  fàïi  choix; 
Quand  un  Moine  étourdi  fe  faific  de  la  porte , 
Et  dit  qu'il  ne  veut  pas  qu'aucun  Cordelicr  forts; 
Sans  avoir  déclaré  qu'il  faut ,  pour  être  élu  , 
F.  .  tre  quarante  coups ,  foit  en  c.  .  foit  en  cul , 
Appellant  de  leur  choix  au  plus  prochain  Concile, 
Prétendant  d'y  montrer  qu'il  n'eft  pas  moins  habile. 
Qu'il  offre  de  montrer  fa  propofition 
Mife  dans  le  moment  en  exécution. 
Il  fort ,  ferme  après  lui  :  le  Chapitre  en  murmure. 
Je  veux  vous  f. .  tous  ,  dit-il ,  par  la  ferrure  ; 
Pied  ferme  &  v, .  en  main  ,  il  les  prend  au  guichet; 
Les  Moines  fe  voyant  furpris  au  trebuchst , 

P 


IÎ4      >  ŒUVRES 

Déli}3crcnt  enfin  ,  &  la  fainte  aflemblée , 

Qui  fe  voit  au  pafîage  à  coup  sûr  enfilée. 
Veut  bien  qu'à  ce  mutin  on  préfente  le  cul  ? 
Tout  autant  il  en  fort ,  tout  autant  de  f. .  tu. 
Pas  un  n^en  efl  exempt,  pas  même  la  vieilleffe, 
Le  b. .  gre  enc.  . . .  tout  d'une  même  vîtefle  : 
Chaque  Moine  convient  qu'il  n'a  rien  vu  d'égal , 
Et  qu'on  ne  peut  choifir  un  plus  grand  Général. 


E 


LE      DÉSAGRÉMENT 

De    la    Jouijfance. 


Nfin   après  fix  mois  de  peine  &  de  foupirs  / 
Climene  s'efl  rendue  à  mes  preflànts  defirs  ; 
D'un  moment  tendre  &  doux  j'ai  faifi  l'avantage. 
Mais  hélas  !  qui  l'eût  cru  ?  Cette  prude  fauvage 
Qui  tant  &  tant  de  fois  a  refufé  mes  voeux , 
A  plus  f. .  tu  de  coups  que  je  n'ai  de  cheveux. 
Son  c. .  avec  fon  cul  font  une  même  fente, 
Mon  v. .  en  fut  frappé  d'horreur  &  d'épouvante; 
Et  parcourant  au  loin  cqi  abîme  profond. 
En  même- temps  f. .  tit  &  le  cul  &  le  c.  . . . 
O  vous  qui  recherchez  1  honneur  d'un  pucelage  ; 
Amants  ,  ne  jugez  pas  du  c.  .  par  le  vifage. 
Les  dévotes  Beautés  qui  vont  bailfant  les  yeux , 
Sont  celles  pkîsfouvent  qui  chevauchent  les  mieux  : 
T-lle,  d'un  air  bjgot ,  vous  aff-onte  &  vous  dupe. 
Qui  pour  un  malheureux  vingt  fois  levé  fa  jupe, 
Et  feignant  de  prier  ,  en  fermant  fon  volet , 
Pour  un  Godcmichw  quitte  fon  Chapelet.       '■<** 


DIVERSES.  iv 


LE      POINT     D'  AIGUILLE. 

CONTE. 

\^Ertain  Tendron  qu'Ifabeau  Poa  nommoit, 

Après  quinze  ans  ayant  Ton  pucelage , 

Cas  fingulier ,  dans  un  bal  fe  trouvoit  : 

Chacun  illec  de  danfer  faifoit  rage, 

Fors  Ifabeau  ;  la  pauvre  fille  étoit 

Seule  en  un  coin  faifant  trifte  figure  , 

Les  yeu?:  baiffés ,  &  tenant  fa  ceinture 

De  fes  deux  mains  elle  ne  remuoit  ; 

Si  qu'eufliez  dit  que  c'étoit  une  Idoli?. 

Un  fien  ami  ,  que  j'appelle  Damon , 

Vient  l'accofter,  lui  fait  cette  leçon: 

Tandis  qu'ici  l'on  rit ,  l'an  cabriole  , 

Etre  ainfi  trifte  à  vous  n'eft  pas  fort  beau  ,; 

Chacun  s'en  moque  ;  allons  ,  belle  Ifabeau  , 

Venez  danfer  ,  foufrrez  que  je  vous  mené  , 

Là  votre  main.  .  .  .   Non  ce  n'eft  pas  la  peine , 

Dit  Ifabeau  ,  Monfieur ,  laiflcz  ma  main  , 

Bien  grand  merci  ;  pourtant  ne  croyez  mie 

Que  tel  refus  provienne  de  dédain  ; 

Car  de  danfer  j'aurois  bien  grande  envie  : 

Mais  on  m'a  dit  que  quand  je  danferois  , 

Mon  pucelage   auiïitôt  je  pî^rdrois  , 

Qu'il  tomberoit  devant  les  g&ns  ;   eh  Dame  ! 

Maman  après  mè  chanteroit   fa  gamme  , 

Bien  la  connois  ,  elle  m'affoleroir. 

Ah  !  dit  Damon ,  qui  fous  cappe  rioit , 

Pij 


iiS  ŒUVRES 

3e  vois  que  c'efl  ,  or  qu'à  ce  point  ne  tienne 

Que  ne  preniez   votre  part  in  plaifir  • 

Dans  ce  moment   tout  à  votre  loifir 

Pourrez  danfer  ,    fans  crainte  qu'il  advienne 

Ce  que  fi  fort  me  femblez  redouter  : 

Il  faut  fans  plus  à  votre  pucelage 

Trois  points  d'aiguille  ,  &  vais  fins  différer  , 

fÀ  le  voulez  ,  vaquer  à  cet  ouvrage  ; 

le  ne  ferois  ,  pour  tout  autre  que  vous , 

Befogne  telle  ,  or  ça  dépêchons-nous  , 

Puis  danferons  après  tout  à  notre  aife. 

Auiïicôt  dit  ,  notre  belle  niaife 

Suit  le  galant ,   &  tout  alla  fi  bien  , 

<^ue  de  leur  faite  on  ne  foupconna  rien. 

Voilà  Damon  qui  prend  en  main  l'aij^uille  , 

Vous  fait  un    point ,   puis  un  autre  ;  la  fiîle 

De  prendre  goût  ,  &  de  dire  :   ah  !   vraiment  j 

Je  couds  fort  mal  ,    à  ce  que  dit  Maman , 

\Ellc  me  gronde  :  oh  bien  ?  qu'elle  m'achète 

Pareille  aiguille  ,    Elle  verra  beau  jeu  : 

Les  vend-on  cher  ?    coufex  encore  un   peu. 

On  coud  un  point,  puis  Damon  fiit  retraite  : 

Belle  ,  dit-il ,  c'eft  bien  afTez  coufu 

Pour  cette  fois  ,   &  votre  pucelage 

N'a  déformais    à  cnindte  aucun  dommage, 

Venez  danfer.   La  friponne  eut  voulu 

Ne  point  fitôt  abandonner  l'onvrage  ; 

Elle  aîléguoit   bien  des  Ji  ,  bien  des  mais  : 

Rien   que  trois  points,  il  ne  tiendra  jamais, 

Oncques  ne  fut  robe  trop  bien  coufuc  ; 

Mais  le  galant  s'éloignant  à  fa  vue , 


DIVERSES.  117 

Elle  rentra  dans  le  b?'  à  Tinflant. 

Quelqu'un  la  prend       ur   danfer  ,  elle  danfe  ; 

On  admira  fa  nobî       ontenance  , 

Son  air  ,  fes  trait.»  ,    îon  teint  vif  &  brillant  ; 

Le  tout  e'toit  Tcuvrrige   d'un  moment. 

Un  fcul  morne  ir  d'riab.au  l'imbécille  , 

Avoit  fu  faire  Ifàbcau  la  gentille  : 

Comment  c.^'i     ;Dcmandcz-le  aux  Docteurs, 

Docteurs  ^    i.c.x  ,  ou  bien  en  Médecine  ? 

Nenni  dà  ,  .:>r;n  ,   au  Diable  leur  doctrine  ; 

Ce  font  pédans  que  Dieu  fit.   C'efl  ailleurs  , 

Que  trouverez  folution  certaine 

De  cettui  cas  :  chez  Jean  le  Florentin  , 

Chez  mon  Patron  ,  le  gentil  La  Fontaine  , 

Gens   qui   d'amour  tiennent  tout  leur  latin. 

Or,  reprenons  notre  conte  :  la  Belle 

Ayant  danfe'  pendant  aiTez  long- temps. 

Vint  à  Damon  :  je  crains  fort ,  lui  dit-elle  , 

Qu'après  maints  fauts  &  maints  trémouflements. 

Ce  qu'avez  fait  ne  foit  peine  perdue  : 

Partant  allons  coudre  tout  de  nouveau 

Mon  pucelage  5  il  ne  feroit  pas  beau 

Que  tout-à-coup  il  tombât  à  la  vue 

De  tout  le  monde ,  &  pouvant  l'empêcher  , 

Vous  en  auriez  autant  que  moi  de  blâme  ; 

Venez  donc,  foit.  Damon  répond  :  oh  Dame  ! 

Plus  n'ai  de  fil  ;  d'un  autre  couturier 

Pourvoyez-vous.  C'eft  méchanceté  pure, 

Dit  Ifabeau ,  de  fil  vous  n'avez  plus  ! 

Eh  !  dites-moi ,  que  font  donc  devenus 

Deux  pelotons  qu'aviez  à  la  ceinture  ? 


ïi5 


U  V  R  E  .^ 


QUATRAIN. 

Du  Cornu  de  Guichc  à  Mr.  d'Olonne, 


i 


V->  Onite  jaloux  de  la  Comtefle, 
Crois- moi,  ne  me  reproche  rien, 
Mon  fort  eft  moins  doux  que  le  tien  ; 
Je  ne  f...  que  ta  femme,  ôc  tu  f...  ma  maîtrelTe. 


LA    COMTESSE 

D'  OLONNË , 

COMÉDIE. 


I20  ŒUVRES 

ACTEURS    ET    ACTRICES 
de  la  Pièce. 

ARGÉNIE,  la  Loimerc  d'Ohnne, 
BIGDORE,  le  Comte  de  Giiiche. 
GELONIDE,  la   Comtejfe  Je  Fief^iuc , 
L'  A  B  B  É  ,  rAbhé  de  Roye, 
MARCELIN,  Marfillac. 
L  I  Z  E  ,   Femme   de  Chambre  de  la  Comte£c 

d'Olonne. 
CASTELLOR,  le  Duc  de  Cajîres. 
MANICAMP,  le  Giton  du  Comte  de  Guiche. 
GANDALIN,  h  Duc  de  Candale,  &  autres. 


LA 


DIVERSES.  I2t 

LA     COMTESSE 
D'    O    L    O    N   N  E , 

c  o  M  É  D  I  ;e. 

Le  Théâtre  reprèfente ,  àV ouverture  de  la.  Pièce, 

la  Comtejfe  d'Olonne  couchée  fur  un  lit  de  repos  , 

fa  Femme-dc-Chamhre  a/jijc  dans  un  fauteuil  à 

côté  de  fon  oreiller.  La  Comtejfe  s 'éveille  en  Jur- 

faut ,  épouvantée  d'un  rêve  qu  'elle  vient  de  faire  , 

&  dit  Jbus  le  nom  d'Argenie. 

■^■^"■1    ■"'  ■       ^— ■»—      <   **^*^^ 

SCENE      PREMIERE. 

ARGENIE,    LIZE. 

A  R  G  E  N I  E   croyant  voir  Vombre  du  Duc  de  Candaîe 
fon  premier  Amant. 

JL/  Antôme  iippérieux,  qui  vient  mal-a-propos 
Condamner  mes  plaifirs ,  &  troubler  mon  repos. 
Va    porter    aux  enfers  ta  noire  jaloufie  , 
Et  ne  te  mêle  plus  de  cenfurer  ma  vie. 
Chargé  de  tant  d'horreurs,  de  quoi  t'avifes-tu 
De  revenir  ici  me  prôner  la  vertu  ? 
Ne  te  fouvient-il  plus  que  je  fuis  une  femme , 
De  qui  le  c . .  brûlant  ^ent  la  nlus  vive  flamme , 


izi  <E  U  V  R  E  s 

Et  que  de  ton  vivant ,  loin  de  me  foulager  , 

Cruel ,  tu  dcbandois  à  me  faire  enrager  ? 

Non  ,  je  ne  te  crains  plus ,  tes  menaces  font  vaines , 

Par  ton  heureux  trépas  la  mort  brifa  mes  chaînes  : 

Depuis  ce  doux  moment,  prodiguant  mes  faveurs, 

J'ai  dans  mes  intérêts  réuni  tous  les  cœurs  ; 

II  faut  f . .  tre  ou  m.ourir. 

I  I  Z  E. 

Il  faut  mourir  ou  foutre  ! 
Eft-ce  donc  la  colère,  ou  l'amour  qui  vous  outre? 
Madame ,  qu'avez-vous  ? 

A  R  G  E  N  I  E. 

Ah  !  Life ,  quel  réveil  ! 
Et  que  n'ai-je  point  vu  dans  mon  trille  fommeil  ? 
Au  forcir  du  repas  me  trouvant  afTaupie  , 
Sur  ce  lit  de  repos  je  me  fuis  endormie  ; 
Xorfque  me  rempliffant  &  d'horreur  &  d'effroi , 
Le  jaloux  Gandalm  a  paru  d.vant  moi. 
Infâme  ,  m'a-t-il  dit  ,  d'une  voix  effroyable  , 
Je  viens  te  reprocher  ta  vie  abominable  , 
Ingrate,  as-tu  fitôt  perdu  le  fouvenir 
De  l'e'lime  où  mon  feu  pouvoir  te  maintenir. 
Dans  le  nombre  des  morts  je  n'étois  pas  encore. 
Quand  tu  m'afToci  s  Marcelin  &  Bigdore  , 
Chrifante  ,  Caftellor ,  l'Aventurier,  1  Abbé  , 
Le  refte  ne  vaut  pas  l'honneur  d'être  nommé. 
Que  tu  m'as  fait  fouffrir  !  Mais  mon  plus  grand  fupplicc 
Fut  de  vo'r  quels  amants  étoient  à  ton  fervicc  ; 
Que  fans  difcrérion  &  fans  cacher  ton  fwu  , 
Tu  fis  de  plus  en  plus  à  tous  venants  beau  jeu. 
Ya ,  ton  abaifTcmem  fait  honte  à  ma  mémoire  » 


DIVERSES.  IZ3 

Ma  paîTîon  à  part ,  il  y  va  de  ma  gloire. 

Les  Dieux ,  pour  t'accabler  de  malheurs  infinis , 

Vont  t'élargir  le  c. .  &  raccourcir  les  v..  .  ; 

Les  plus  jeunes  f. .  teurs  auront  mille  foiblefles. 

Toujours  à  contre-temps  tu  lèveras  les  felTes  , 

Et  tes  amants ,  contraints  par  une  dure  loi , 

Au  milieu  du  coït  s'endormiront  fur  toi. 

Pour  un  gueux  impuiffant  l'amour  te  rendra  folle,' 

Tes  moindres  maux  feront  chaude- pilTe  ou  v.  .  .  le  ; 

JEnfin,  Bougreffe,  enfin,  pour  avoir  trop  f. .  tu  , 

Un  chancre  confondra  ton  c. .  avec  ton  eu. 

L'ombre  à  peine  eut  fini  ces  mots  épouvantables, 

Qu'il  difparut. 

L  I  Z  E. 

O  Ciel  !  quels  malheurs  effroyables 
Menacent  vos  beaux  jours  !  &  quel  affreux  tableau  ! 
N'appréhendez-vous  pas  de  tomber  en  lambeaux? 

A  R  G  E  N  I  E. 
On  ne  peut  de  frayeur  être  plus  agitée. 

L  I  Z  E. 
Vous  êtes  dans  l'amour  auffi  trop  emportée  : 
Madame  ,  Gandaîin  peut  bien  vous  gourmander; 
Pour  vous  f. .  tre  il  ne  faut  que  vous  le  demander,' 

A  R  G  E  N  I  E. 
Que  veux-tu  ,  ma  Lizon  ,  je  n'ai  que  cette  envie , 
Et  c'eft  le  plus  grand  bien  qu'on  goûte  dans  la  vie. 

L  I  Z  E. 
Je  lis  dans  votre  caxir,  je  connois  votre  goût, 
Il  n'eft  aucun  plaifir  pour  vous  ,  fi  l'on  ne  f.  . 
Abandonnez-vous  donc  à  votre  humeur  lubrique. 
Et  niêlant  l'Étranger  avec  le  Domcftiquc  , 


T24  (E  U  V  R  E  S 

Le  Prince  ,  îe  Bourgeois  ,  &  les  premiers  venus, 
F. .  tez,  f-  .  tez ,  Madame  ,  à  c. . .  Ions  rabattus. 


SCENE      II. 

La  Comteffe   d'Olonne  devient   amoareufe   du  Comte  dt 
Cuiche  ,  6'  confulte  la  Comteffe  de  Fiefque. 

ARGENTE,    GÉLONIDE. 

A  R  G  E  N  I  E. 

Y    Ous  ne  croiriez  jamais ,  aimable  Gélonide , 
Que  pour  prendre  un  Amant  je  fufîc  encor  timide; 
Cependant  je  balance  à  recevoir  le  cœur 
D'un  garçon  de  vingt  ans ,  d'un  aimable  vainqueur  , 
Qui  me  dit  chaque  jour  qu'il  m'aime  &  qu'il  m'adore:. 
Vous  le  connoiflez  bien  ,  c'eft  le  charmant  Bigdore , 
Qui  véritablement ,  en  reflentant  vos  coups  j 
î«î'a  pas  eu  de  fujet  de  fe  plaindre  de  vous. 
Le  croyez-vous  mon  fait?  Eft  il  homnn':  foîide  ? 
Vous  m'entendez  fort  bien ,  ma  chère  Gélonide. 

GÉLONIDE. 
Madame ,  à  tout  ceci ,  d'honneur  je  n'entends  rien. 

A  R  G  E  N  I  E. 
Je  parlerai  plus  clair  :  ce  garçon  f. .  -t-il  bien  ? 

GÉLONIDE. 
Que  dites-vous ,  Madame  ?  Ah  l'horrible  langage  ! 

A  R  G  E  N  I  E. 
Kc  le  parlez-vous  plus  depuis  votre  veuvage  ? 

GÉLONIDE. 
Moi ,  je  dis  tout  au  plus  des  mots  à  double  fcns. 


DIVERSES.  îi-î 

A  R  G  E  N  I  E. 
Comment  nommez-vous  donc  un  v,  .  en  mot  décent  ? 
G  É  L  O  N  I  D  E. 

Si  je  nommois  cela  ,  je  dirois  une  pine. 

A  R  G  E  N  I  E. 
Ayant  le  v. .  au  c. . ,  vous  m'avez  bien  la  mine 
De  l'y  InifTer  plutôt  jufqu'à  demain  matin. 
Que  d'ofer ,  pour  Voter ,  le  toucher  de  la  main. 
Mais  quittons  ce  propos,  chacun f. . .  à  fa  guife, 
Pannifîbns  les  ftçons  ,  parlons  avec  franchile  ; 
Que  me  confeillez-vous  fur  ce  nouveau  f . . .  .  r  ? 

G  É  L  O  N  I  D  E. 
On  ne  prend  là-deîTus  avis  que  de  Ton  cœur  : 
Pour  moi  j'ai  cru  le  mien,  crayez-cn  donc  le  vôtre. 
Il  vous  confeillera  beaucoup  mieux  que  tout  autre. 

A  R  G  E  N  ï  E. 
Le  mien  fur  ce  f. .  .  r  ne  me  dit  rien  de  bon , 
Et  mille  gens  m'ont  dv  qu'il  n'aimoit  pas  le  c. .; 
Au  contraire,  on  m'a  dit  qu'il  eîlde  la  mancherte. 
Et  que  faifant  fcmblant  de  le  mettre  en  levrette  , 
Le  drôle  en  vous  parlant  toujours  de  grand  chemin. 
Comme  s'il  fe  trompoit ,  enfiloit  le  voifin  , 
Par  inclination  c'eîl  un  branleur  de  pique. 

G  É  L  O  N  I  D  E. 
Et  qui  cherche  le  c. .  par  pure  politique. 

A  R  G  E  N  I  E. 
Que  dites-vous ,  Madame  ,  &  comment  parlez-vous  ? 

G  É  L  O  N   I  D  E. 
On  apprend  à  hurler  aux  bois  avec  les  loups. 

A  R  G  E  N  I  E. 
Je  fuis  de  votre  avis,  Madame,  je  l'approuve  ; 
Mais  je  fuis  la  Brebis  pour  f. . . .  e  ,  &  vous  la  Louve. 


ïz6  CE  V  V  R  ^  S 

SCENE     III. 

La  Comte Ife  d'Olonne ,  amour  eu fe  du  Comte  de  Cuiche^ 
l'appelle. 

Parodie  du  Cid. 

ARGENiE,     BIGDORE, 
A  R  G  E  N  I  E. 

Xm.  Mo^  5  Comte  ,  deux  mots. 

BIGDORE. 
Parle. 

A  R  G  E  N  I  E. 

Ota-moi  d'un  doute; 
Connois-tu  bien  le  c  . .  ? 

BIGDORE. 

Oui. 
A  R  G  E  N  I  E. 

Parlons  bas  ,  écoute  : 
Sais-tu  bien  qu'il  vaut  mieux  mille  fois  que  le  eu, 
Qu'en  tous  lieux  on  t'appelle  un  B..  gre,  le  fais-tu  ? 

BIGDORE. 
Tels  difcours  font  tenus  par  Dames  méprifées. 

A  R  G  E  N  I  E. 
Non  ,  non ,  nous  favons  bien  tes  hifloires  paflees. 

BIGDORE. 
A  quatre  pas  d'ici  ,  je  t'en  éclaircirai. 

A  R  G  E  N  I  E. 
Jeune  préfomptueux, 

BIGDORE. 

Je  fuis  jeune  ,  il  efl:  vrai , 
A  peine  ai-je  vingt  ans  ;  mais  aux  c ....  les  bien  nées  > 


DIVERSES.  117 

La  valeur  n'attend  pas  le  nombre  des  années. 

A  R  G  E  N  I  E. 
De  t'attaquer  à  moi  ,  qui  t'a  rendu  fi  vain  , 
Toi  qn'on  ne  vit  jamais  le  v. .  roide  à  la  main  î 

B  I  G  D  O  R  E. 
Je  n'ai ,  jufqu'à  préfent ,  jamais  trompé  de  belles  , 
Et  ton  c. . ,  fi  tu  veux  ,  en  faura  des  nouvelles. 

A  R  G  E  N  I  E. 
Sais-tu  bien  qui  je  fuis  ? 

B  I  G  D  O  R  E. 

Oui  :  tout  autre  que  moi, 
Au  feul  bruit  de  ton  nom  pourroit  trembler  d'tffroi. 

Mille  Se  mille  f rs  crevés  à  ton  fervice. 

Semblent  me  préfagcr  un  femblable  fupplice. 
J'attaque  en  téméraire  un  c . .  toujours  vainqueur. 
Mais  j'aurai  trop  de  force ,  ayant  affez  de  cœur  -. 
A  qui  f...  Argenie  il  n'eft  rien  d'impolTible  , 
Ton  c .  eft  invaincu ,  mais  non  pas  invincible. 

ARGENIE. 
ta  gcandeur  qui  paroît  aux  difcours  que  tu  tiens , 
Par  tes  yeux  chaque  jour  fe  découvroit  aux  miens  ; 
Et  croyant  voir  en  toi  l'honneur  de  la  jeunefTe, 
Mon  cœur  te  deftinoit  en  fecret  fa  tendreffe. 
Il  eft  vrai  que  le  bruit  de  ton  peu  de  vigueur 
Avoit ,  non  fans  raifon ,  ralenti  mon  ardeur  ; 
Mais  puifqu'il  eft  certain  ,  &  qu'enfin  tu  m'afîlirss 
Que  tout  cz  qu'on  a  dit  eft  autant  d'impoftures. 
Je  viens  t'ofïrir  mon  c,  m'abandonner  à  toi. 
Et  me  fiaire  un  plaiûr  de  recevoir  ta  foi. 


ïzS  (È  U  V  R  E  S 


SCENE       IV. 

Le  Comte  de  Cuicke  en  veut  jouir  ^  il  fe  trouve  impuijfant  ^ 
6'  veut  s'excufer ,  en  dijant 

D  I  G  D  O  R  E. 

J_VJL  Adame  ,   pardonnez  à  ce  trille  accident , 
Il  vient  dj  trop  d'amour. 

A  R  G  E  N  I  E. 

Ah  !  ne  m'aimez  pas  tant  , 
Si  votre  trop  d'amour  caufe  votre  impuillance , 
Honorez- moi,   Seigneur,  de  votre  indifférence  ; 
Mais  puifque  le  deftin  vous  a  fait  pour  les  culs, 
Pourquoi  Dinblc  fonger  à  f.vre  des  cocus  ? 
Apprenez,  apprenez  enfin  à  vous  connoître  ; 
Sortez,  ou  je  vous  fais  jetter  par  la  fenêtre. 


SCENE     V. 

Le  Comte  de  Guicke  ^  aptes   avoir  raconté  fon  aventure 
à  Manicamp  ,  fon  Giton ,   il  lui  dit. 

B  I  G  D  O  R  E. 

^5  Aifi  du  plus  jufte  dépit , 
Je  voulois  me  couper  le  v..  : 
Ma  réfolution  fut  vaine  : 
Le  cruel  auteur  de  ma  peine  , 
Que  la  peur  avoir  tout  glacé  , 
l'out  malotru ,  tout  replifie  , 

Et 


DIVERSES,  1^9 

ttoit  allé  chercher  fon  centre  , 
Et  s'étoit  fauve  dans  mon  ventre. 
Ne  pouvant  donc  rien  faire  à  ce  b  . .  gre  de  v . . ," 
Voilà  ce  qa'à  peu   près  ma  colère  lui  dit  : 
Toi,  qui  fais  le  Vaillant  quand  tu  ne  vois  perfonnCj 
Et  fur  la  foi  duquel  eft  fou  qui  s'abandonne. 
Infâme  trsî-re ,  à  qui  je  peux  donner  le  nom 
D'une  partie  honteufe  ,  avec  jufte  raifon  , 
Toi  ,  qui  ne  pris  jamais  les  gens  que  par  derrière,' 
Et  par  qui  je  reflcmble  au  Maréchal  mon  père , 
Dis-moi  pourquoi  la  peur  t'a  fi  fort  raccourci  , 
Que  t'ai-je  fait,  ingrat ,  pour  me  traiter  ainfi  ? 
Mais  le  lâche  ,  l'œil  morne  &  la  tête  baiiïes  , 
Sembloit  fe  conformer  à  ma  trille  penfée: 
C'étoit  du  temps  pirda  que  lui  rien  reprocher  , 
Il  étoit  à  ma  voix  aufTi  fcurd  qu'un  rocher. 


SCENE     V  I. 

Le  Comte  de  Guiche  retourne  à  la  Comtejfe  d'Olonne  ,  ■S', 
s'' en.  acquitte  à  fon  honneur  ;  elle  lui  dit: 

A  R  G  E  N  I  E. 

^  Ericonnois,  Seigneur,  que  j'étois  dans  l'abus  : 
Or  qu'aimez-vous  le  mieux ,  ou  des  c.  . .  ou  des  culs  ? 
Apréfentvous  avez  de  tous  deux  connoifiance. 

B  I  G  D  O  R  E. 
Je  fais  des  c  . . .  aux  culs  beaucoup  de  différence  , 
Et  fi ,  jufqu'à  préfenî ,  j'ai  mieux  ain^.é  les  culs  , 
Reine ,  c'efr  que  les  c  ...  ne  m'ccoier.:  pas  connus. 
Si  faut-il  convenir  qu'on  n'en  peu:  voir  un  autre 

R 


i^Q  ŒUVRES 

Plus  haut ,  ni  plus  brûlant ,  plus  charmant  que  le  vôtre  ; 

N'efl-il  pas  vrai  mon  cœur  ? 

A  R  G  E  N  I  E. 

Je  crois ,  (ans  vanité , 
Qu'il  n'en  eft  pas  beaucoup  de  cette  qualité; 
•Les  enfants  n'en  ont  pas  fort  ouvert  le  paffage , 
Et  tout  le  monde  y  trouve  un  air  de  pucelage. 


•fil  II  •  I  II  m  I  II  I  m  ■iiiiiMi  II  II  II  II      mil  m  iiii» 


ODE      A      PRIAPE, 
Par  Mr.   Piron. 


X^  ( 


Outre  des  neuf  garces  du  Pinde  ; 
Foutre  de  l'amant  de  Daphné , 
Dont  le  flafque  v  . .  ne  fe  guindé 
Qu'à  force  d'être  patiné: 
Ceft  toi  que  j'invoque  à  mon  aide, 
Toi ,  qui  dans  les  c. . .  d'un  v . . .  roidc 
Lance  le  f.  ..trc  à  gros  bouillons; 
Priape ,  foutiens  mon  haleine , 
Et  pour  un  moment  dans  ma  veine 
Portes  le  fea  de  tes  c  . .  .j.  Ions, 

Que  tout  bande  ,  que  tout  s'embrafe 
Accourez  »  Putains  &  Ribauds. 
Que  vois-je  !  oij  fuis-;e  !  ô  douce  extafe  ! 
Les  cieux  n'ont  point  d'objets  fi  beaux  , 
Des  c. ..  les  en  bloc  arrondies. 
Des  cuifïes  fermes  &  bondies , 
Des  bataillons  de  v . . .  bandés , 


DIVERSES.  13* 

Bes  culs  ronds  fans  poil  &  fans  crortes , 
Des  c  .  .  ,  des  tettons  &  des  mottes  , 
D'un  torrent  de  f. .  tre  inondés. 

Refiez  ,  adorables  images , 
Reftez  à  jamais  fous  mes  yeux  ; 
Soyez  l'objet  de  mes  hommages. 
Mes  Ltgiflateurs  &  mes  Dieux. 
Qu'à  Priape  on  élevé  un  Temple  , 
Où  jour  &  nuit  l'on  vous  contemple. 
Au  gré  des  vigoureux  f.  .  teurs  : 
Le  f.  .  tre  y  fervira  d'cfîrande  , 
Les  poils  des  couilles  de  guirlande. 
Les  V. .  .de  Sacrificateurs. 

-Aigle  ,  Baleine  ,  Dromadaire  , 
ïnfecle  ,  Animal ,  Homme  ,  tout 
Dans  les  Cieux  ,  fous  l'eau  ,  fur  la  terre  ^ 
Tout  nous  annonce  que  l'on  f. . 
Le  foutre  tombe  comme  grêle  , 
Raifonnable  ou  non ,  tout  s'en  mêle , 
Le  c. .  .  met  tous  les  v.  . .  en  rut  j 
Le  c. .  du  bonheur  eft  la  voie  , 
Dans  le  c. .  gît  toute  la  joie , 
Mais  hors  le  c.  .  point  de  falut. 

Que  l'or ,  que  l'honneur  vous  chatouille. 
Sots  avares,  vains  conquérants  ; 
Vivent  les  plaifirs  de  la  c.  ,  .  .  le  , 
Et  f. .  tre  des  biens  &  des  rangs , 
Achille  aux  rives  du  Scamandre 
Ravage  tout,  met  tout  en  cendre; 

Ri) 


I3X  (E  U  y  R  E  S 

Ce  n'efî-  que  feu  ,  que  fang  ,  qii'horreur , 
Un  c. . .  paroît  ;  pafTe-t-il  outre  ? 
Kon,  je  vois  bander  mon  J...f...tre, 
Ce  Héros  n'efî  plus  qu'un  f...tcur. 

Quoique  plus  gueux  qu'un  rat  d'Églife  , 
Pourvu  que  mes  c.lons  foient  chauds. 
Et  que  le  poil  de  mon  cul  frife , 
3c  me  f...  du  relie  en  repos. 
Grands  de  la  terre  l'on  fe trompe. 
Si  l'on  croit  que  de  votre  pompe 
Jamais  je  puiiï'c  être  jaloux  : 
Faites  grand  bruit ,  vivez  au  large  , 
Quand  j'en. ..ne  &  que  je  décharge  , 
Ai-je  moins  de  plaidr  que  vous  ? 

De  f...teurE  lafnbîe  fourmille. 
Le  Soleil  f...  Leucothoé  , 
Cynire  f...  fa  propre  fille, 
Un  Taureau  f...  rr.fiphaé  , 
Pygmalion  f...  fa  Statue, 
Le  brave  Ixion  f...  la  Nus,    ' 
On  ne  voit  quef...tre  couler. 
Le  beau  NarcifTc  pâle  &  blême , 
Brûlant  de  fe  f...tre  lui-même, 
Meurt  entachant  des'cnc.r. 

Socrate  ,  direz-vous,  ce  fage 
Dont  on  vante  l'cfprit  divin  , 
Socrate  a  vomi  peflc  &  rage , 
Contre  le  fjxe  féminin. 
Mais  pour  cela  le  bcn  Apôtre 


DIVERSES. 

N'en  a   pas  moins  f..tu  qu'un  autro  j 
Interprétons  mieux  fjs  leçons  : 
Contre  le  fexe  li  perfuade  ; 
Mais  fans  le  cuî  d'AIcibiadc  ,   ' 
Il  n'cû:  pas  tant  médit  des  c. . . 

Mais  voyons  ce  brave  Cynique, 
Qu'un  B...gre  a  mis  au  rang  des  chiens , 
Se  b...ler  gravement  la  pique, 
A  la  barbe  des  Athéniens  , 
Rien  ne  l'émeut ,  rien  ne  Tétonne, 
L'éclair  brille ,  Jupiter  tonne  , 
Son  v...  n'en  eft  point  démonté; 
Contre  le  Ciel  fa  tête  altiere  , 
Au  bout  d'une  courte  carrière. 
Décharge  avec  tranquillité. 

Cependant  Jupin  dans  l'Olympe, 
Perce  des  culs,  bourre  des  c... 
Neptune  au  fond  des  eaux  y  grimpe, 
Nymphes  ,  Syrenes  &  Tritons  ,     , 
L'ardent  f...teur  de  Proferpine 
Semble  dans  fa  c.le  divine 
Avoir  tout  le  feu  des  enfers. 
Amis,  jouons  les  mêmes  farces  , 
F..;tons  tant,  que  le  e..  des  G... ces 
Nous  f...te  enfin  l'ame  à  l'envers. 

Tyfiphone ,  Aleclo ,  Megere , 
Si  l'on  f...  toit  encore  chez  vous  , 
Vous  ,  Parques  ,  Caron  &  Cerbère, 
De  mon  v. .  vous  tareriez  tous. 


1^4  ŒUVRES 

Mais  puifque  par  un  fort  barbare 

On  ne  bande  plus  au  Tenare, 

Je  veux  y  defcendre  en  f...tant  : 

Là  mon  plus  grand  tourment  fans  doute, 

Sera  de  voir  que  Pluton  f...te  , 

Et  de  n'en  pouvoir  faire  autant. 

Redouble  donc  tes  infortunes. 
Sort ,  f....  tu  fort  ,  plein  de  rigueur. 
Ce  n'eîl  qu'à  des  âmes  communes 
Que  tu  pourrois  f...tre  malheur  ; 
Mais  la  mienne  que  rien  n'allarme , 
Plus  ferme  que  le  v.  .  d'un  Carme  , 
Rit  des  m.iux  préfents  &  pafles. 
Qu'on  me  méprife  &  me  détefte  : 
Que  m'importe,  mon  v...  me  refte; 
Je  bande,  je  f ..  ,  c'eft  afîez. 

CHANSON, 

Sur  l'Air  :   Quel   caprice  ,  quelle  injujiiee ,  &c. 

VJr  U'on  me  baife  , 

Plus  chaud  que  braife 
Mon  c... ,  Nicaife  , 
Se  préfente  à  toi  : 
Qu'on  me  baife. 
Point  de  f  ..fe. 
Viens  ,  bande  à  l'aife. 
Vite  ,  mets-le-moi , 
Avance  dpnc,  f...t*  câlin, 


DIVERSES,  î3$ 

Quoi  !  tu  n'es  pas  encore  entrain  î 

Et  dans  ma  main , 
Qu'à  te  b...ler  je  lafle  en  vain, 
Ton  V... ,  plus  froid  vque  glace, 

Refte  moUaflè , 

Il  f...ma(re  ; 

Quel  b...gre  d'engein  ! 

Mais  il  drelTc 

Par  mon  adrefle, 

Le  charme  cefTe , 

Qu'il  eft  gros  ^&  long  ? 

Que  fa  flamme 

Brûle  mon  ame  ! 

Ah  !  je  me  pâme  ; 

Que  le  f...tre  eft  bon  ! 


■  lfc.».W-l.u»«l.l.llJl^ 


ÉTYMOLOGIE 

DE     L'  A  Z  E-T  E-F  O  U  T  E, 

CONTE. 


\^  N  jour  de  foire  dans  Châlons  3 
Colas  s'en  alloit  à  la  Ville , 
Monte' fur  le  Roi  des  ânons, 
Animal  foumis  &  docile 
Contre  l'ufage  des  grifons. 
N'étant  qu'au  milieu  de  fa  route  . 
Il  fit  rencontre  de  Catin 
LaiTe  ,  fuant  à  grofTes  gouttes  , 
Et  faifant  à  pied  le  chemin. 


13^  (É  U  V  R  Ê  S 

La  Belle    voyant  fon  volfin  , 
Qui  s'en  alloit  le  vent  en  poup:  , 
Le  conjura,    par  faint  Martin, 
De  îa  laiffer  monter  en  croupe. 
Un  cœur  aulTi  dur  qu'un  rocher 
Se  fut  attendri  pour  la  Belle  ; 
Elle    étoit  fraîche ,    encor   pucclle  j 
Et  fa  main  pouvoit  s'accrocher 
Par  fois  au  pommeau  de  la  fclle. 
Mais  ces  menus  dons   des  Amants, 
Que  nous  autres  honnêtes  gens , 
Avons  baptifé  Petite  Oye  , 
Sont  nommés  par  certains  manants 
Viande  creufe  &  fauiïe  monnoie. 
De  ces  manants  étoit  Colas  ; 
Audi  n'en  faifoit-il  grand  cas. 
Depuis    long  temps  de  la  Donzcllc 
Il  avoit  pris  Ville  &  Fauxbourgs  ; 
Mais  elle   défendoit  toujours 
Avec  vigueur   la   Citadelle. 
Le  Gars  en  plus  de  vingt  affauts 
Fut  repoufle  fur  la   verdure. 
Non  fans  force  coups    de  fufeaux , 
Sans  mainte  &  mainte  égratignure , 
Colas  en  avoit  le  cœur  gros. 
AufTi  tout  fcc  piquant  fa  bête  : 
Néant,    dit- il  ,  à  la  requête. 
Catin  le  flatte  tendrement , 
Le  manant    touffe  fièrement  ; 
Si  l'une  prefle  ,    l'autre  chante. 
Que  faire  en  telle  extrémité  î 


Catin 


DIVERSES.  ^3^ 

Cstin  n'avoit  point  d'Atalante 
Les  pieds,  ni  la  légèreté; 
Puis  c'étoit  au  cœur  de  l'été, 
Peut-être  dans  la  canicule. 
Colas  gardoit  fon  qu,int-à-foi^ 
Néceflité  n'a  point  de  loi. 
Enfin  ,  la  Belle  capitule  : 
Arrêté  fut  qu'à  chaque  pet 
Que  feroit  Mefïïre  Baudet, 
Maître  Colas  &  la  Bergère 
Feroient  un  tour  fur  la  fougère  y 
Le  tout  pour  le  foulagement 

Et  le  repos  de  la  monture  ; 

Que  toutefois  griffe ,  ni  dent  , 
Façon  aucune ,  aucun  murmure 

Ne  feroient  admis  nullement  : 

Sinon  à  pied  &  promptement. 

Le  traité  fait ,  la  Belle  monte  ; 

Le  drôle  aulTi-tôt  du  talon 

Frappe  le  flanc  de  fon  grifon  ; 

Maître  Baudet  pete  &  fans  honte. 

Il  favoit  par  cœur  fa  leçon. 

A  cette  efpece  d'exercice , 

Jadis  l'avoit  drefie  Colas  , 

Pour  certaine  Dame  Thomas- 
Martin  ayant  fait  fon  office  , 

Colas  defcend ,  point  de  quartier  : 

Elle  eut  beau  cent  fois  le  prier  , 

Il  l'emporte,  il  fue  ,  il  travaille  , 

Et  d'une  fanglante  bataille 

Revint  tout  couvert  de  laurier. 


1 9^  ŒUVRES 

Tous  deux  remontent  :  la  Fillette 

Rajuftc  mouchoir  &  cornette. 

Bientôt  après  le  Villageois 

Tournant  vers  elle  le  minois  , 

Fut  furpris  de  la  voir  plus  belle  ; 

C'étoit  l'effet  d'un  incarnat 

Qu'elle  avoit  acquis  au  combat. 

Tout  auiTi-iôt  ardeur  nouvelle. 

Coups  dans  les  flancs  &  nouveau  fon  ; 

Pour  defccndre  moins   de  façon. 

A  la  troificme  pétarade  , 

Catin  vous  fait  une  gambade. 

Tire  Colas  par  fes  habits  , 

Lui  montrant  un  prochain  taillis  ; 

Ce  bois  lui  donna  l'cftrapadj  , 

11  en  revint  pâle  &  défait , 

Et  jurant  contre  le  baudet. 

Il  n'étoit  au  but  :  la  Fillette 

Avoit  découvert  (on  fecret  ; 

Elle  talonne ,  l'ânon  pete  : 

Lors  ,  dit  Catin  ,  n'entends-tu  pas  ? 

Quoi ,  répond  l'autre  ?  TAze. . . .  écoute  : 

Si  l'Aze  pete  ,  dit  Colas  , 

Palfangué  que  l'Aze  te  foute. 


LA      PUCE, 

C  0  N  T  £.]j 

M  jE  hafard  fnil ,  <ans 'sid.- du  génie  , 
Eft  quelquefois  père  d'invention  ^ 


DIVERSES.  139 

Cel  eft  vanté  pour  fes  productions  , 

Qui  n'y  penfa  peut-être  de  fa  vie. 

C'eft  ce  qu'on  voit  tous  les  jours  en  chymie. 

Nature  tient  tous  fcs  tréfors  ouverts  ' 

Aux  ignorants  aufTi  bien  qu'aux  experts. 

Le  tout  dépend  d'en  faire  la  rencontre  ; 

Sans  la  chercher  fouvent  elle  fe  montre. 

Nous  ?3  voyons  par  l'exemple  d'Agnès, 

Qui  n'étoit  fille  à  découverte  aucune  ; 

Mais  qui  pourtant  un  matin  en  fit  una 

Que  cent  nonnains  vanteront  à  ^nmais. 

Voici  le  fait.  Suivante  d'une  Dame 

Étoit  Agnès  ;  farouche  elle  avoit  Tame, 

Non  par  vertu ,  mais  par  tempérament  , 
Ainfi  qu'on  voit  qu'il  arrive  à  h  femme  , 
Lorfque  le  Ciel  la  traite  durement. 
La  jeune  Agnès  paflbit  pour  fille  fage  ; 
Elle  étoit  belle,  &  n'avoit  que  quinze  ans. 
Auprès  d'Agnès  Laquais  du  voifmage 
Ne  rencontroient  que  griffes  &  que  dents« 
Jeunes  Marquis  vifitoient  la  MaîtreiTe 
Pour  voir  Agnès;  mais  fans  diftinclion , 
Agnès  pour  tous  implacable ,  tigreffe  , 
Égard  n'avoit  à  la  condition. 
Amour,  pour  faire  à  fon  cœur  quelques  brèches  > 
Avoit  contre  elle  épuifé  maintes  flèches 
Sans  nul  effet  ,   elle  portoit  un  cœur 
Bien  cuiraffé  ;  fi  que  dans  fa  fureur 
Amour  jura  de  venger  cet  outrage  : 
Mais  ce  courroux  tomba  fur  fon  auteur  , 
Agnès  tourna  tout  à  fon  avantage. 

Sij 


I40  (E  U  V  R  E  S 

Dans  la  faifon  de  l'aimable  printemps  , 
Un  jour  ,  dit-on,  de  Dimanche  ou  de  Fête, 
Xîu  rendre  émail  dont  Flore  orne  les  champs  , 
Xa  jeune  Agnes  avoit  paré  f;i  tête. 
lEntre  deux  monts  formants  un  fcin  de  lys , 
Étoit  placée  une  rofe  nailîante  , 
<2ui  relevoit  leur  blancheur  raviflante, 
ït  reccvoit  un  nouveau  coloris, 
j^ans  un  corfet  fa  taille  prifonniere  , 
Pouvoit  tenir  fans  peine  ,  entre  dix  doigts, 
^ous  un  jupon  d'uns  étoffe  légère  , 
Un  bas  de  lin  paroiflbit  quelquefois  , 
Tiré  fi  bien  ,  &  û  blanc  à  la  vue, 
Qu'on  auroit  cru  voir  une  jambe  nue  ; 
■Bref,  dans  l'enclos  d'un  foulier  fait  au  tour 
Son  petit  pied  infpiroit  de  l'amour , 
X'enfant  ailé  ,  plus  efpiégle  qu'un  Page, 
Comme  j'ai  dit,   lui  gardoit  une  dent. 
Voici  le  temps  ,  dit- il  ,  ça ,  faifons  rage  , 
Et  dérangeons  tout  ce  vain  étalage 
Chez  cet  objet  qui  m'eft  indifférent. 
Auffi-tôt  dit,  il  change  de  nature  , 
Puce  devient  ;  d'abord  lui  faute  au  cou  , 
Au  front ,  au  fcin ,  à  la  main  ,  faic  le  fou , 
Laiffant  par- tout  une  vive  piquurc. 
Kotrc  Beauté,  fenfibls  à  cet  affaut. 
Cherche  la  puce,  en  veut  faire juflice; 
Mais  Cupidon  cfquivc  par  un  faut , 
Et  doucement  fous  fon  corfet  fe  •^liffe  , 
Y  fait  carnage,  &  n'en  veut  déloger. 
FiUeitts  font  bons  morceaux  à  gi  uger  , 


1 


^      DIVERSES.  i4i 

L'Amour  en  fait  fouvent  fon  ordinaire  : 
Si  comme  lui  je  favois  me  venger  , 
De  par  Saint  Je.^n  je  ferois  bonne  chère, 
Agnès  en  feu  dtchire  fon  corfet  , 
Le  jette  au  loin  ,  arr?che  fa  cheniife  , 
Et  montre  au  jour  denx  montagnes  de  lait. 
Où  fur  chacune  une  fraife  eft  alîife. 
Elle  vifr.e  &  regarde  en  tous  lieux 
Oîi  s'ell  caché  l'ennemi  qui  l'aiTiege  ; 
Mais  il  étoit  dcja  loin  de  fes  yeux , 

Et  lui  mordoit  une  cuiffe  de  neige. 

Ce  dernier  coup  accroît  fes  déplaiûrs  ; 

Elle  défait  fa  jupe,  toute  émue: 

Au  mên  e  inftanc ,  mille  amoureux  zéphirs 

Vont  carefîcr  ce  qui  s'offre  à  leur  vue  , 

Et  combattant  en  foule  à  fes  côte's , 

Four  une  heureufe  &  douce  préférence. 

Sauvent:  l'Amour  d'une  prompte  vengeance 

Qui  l'attendoit  au  fein  des  voluptés. 

A  la  faveur  d'un  faut ,  d'une  gambade , 

Le  petit  Dieu  foutient  fa  mafcnrade  ; 

Aux  barres  joue ,  &  fans  ccffe  fend  l'air. 

Il  vi::nt  s'offrir  de  lui-même  à  la  Belle  , 

Puis  il  échappe  aufli  prompt  qu'un  éclair, 

Ft  ftit  ce'it  tours  d'un  vrai  polichinelle. 

Pendant  le  jeu  ,  vers  un  jeune  taillis  , 

L'Amour  lorgnoit  un  portail  de  rubis  , 

Fief  en  tous  lieux  relevant  de  Cythere; 

Mais  que  la  belle ,  in'ufle  &  téméraire , 

Avec  chaleur  difputoit  à  Cypris, 

Plus  mille  fois  que  la  nature  humaine  , 

Les  immortels  font  jaloux  de  leurs  droits  : 


142.  m  U  V  R  E  s         ' 

Puis  il  êtoit  qucftion  d'un  domaine 

A  faire  feul  l'ambition  des  Rois. 

Dans  Ton  enceinte  ,  aux  allarmes  fermée , 

Regnoient  en  paix  les  délices  des  fcns  : 

Il  y  couloir  une  fource  enflammée 

De  pàmoifons  &  de  raviflements. 

Contre  tels  forts  befoin  eft  de  courage  , 

L'Amour  en  a  bonne  provifion  : 

Il  fait  l'atraquc ,  il  force  le  paflagc , 

Et  prend  d'aflaut  ce  charmant  appanage , 

Malgré  refrort  de  la  rébellion. 

Calmez ,  Agnès ,  ce  courroux  qu'on  voit  naître 

Ne  daignez  rien  pour  ce  charmant  féjour  , 

Si  le  premier  l'amour  s'en  rend  le  maître  , 

C'eft  un  tribut  qui  n'ell  dû  qu'à  l'amour. 

Vaine  raifon  :  on  court  à  la  vengeance  • 

Un  doigt  de  rofe,  à  cet  effet  armé  , 

Tient  lui  tout  feul  l'ennemi  renfermé, 

Et  le  preflant ,  l'attaque  à  toute  outrance; 

Cupidon  fuit  par  un  étroit  fentier , 

On  le  pourfuit,  l'attaque  eft  redoublée, 

Le  doigt  vengeur  met  l'allarme  au  quartier. 

Et  la  demeure  en  eft  toute  troublée. 

Le?  citoyens  de  ce  féjour  heureux , 

Les  doux  phifirs,  les  charmantes  y vrefTes , 

Jufques  alors  oififs  &  langoureux  , 

Par  ce  combat  fortant  de  leurs  mollclTes, 

Chacun  d'un  vol  badin  &  carefTant, 

S'emprclfc  autour  de  fon  aimable  mère  ; 

Répand  fur  elle  un  charme  ravilTant, 

Et  lui  fait  tôt  oublier  fa  colère. 


DIVERSES.  143 

€e  doigt  vengeur ,  au  meurtre  defliné , 

Fait  fous  fes  coups  naître  mille  délices. 

L'Amour  lui-même  en  efl  tout  étonné. 

Et  fe  repent  déjà  de  fes  malices  ; 

Il  craint  de  voir  fon  trône  abandonné  , 

Et  fes  Autels  privés  de  facrifices. 

De  fon  Palais  enfin  la  volupté 

Sur  l'œil  d'Agnès  poufîe  une  forobre  nue  : 

Elle  fe  pâme  ,  elle  tombe  éperdue  ; 

L'Amour  échappe,  &  court  épouvanté 

Remplir  Venus  d'une  allarme  imprévue. 

De  fon  extafe  à  peine  revenue  , 

L'aimable  enfant  recommença  ce  jeu  ; 

Elle  y  prit  goût,  &  par  elle  dans  peu 

Dans  l'Univers  la  fcience  fut  fue  : 

Mais  nuit  Sr  jour  chez  le  Peuple  Nonnain 

Il  fut  en  vogue  ,  où  cette  hcureufe  hiftoire 

Fut  auffi-tôt  écrite  fur  l'airain , 

Pour  en  garder  à  jamais  la  mémoire- 


JOUISSANCE. 

1  j 'Amoureux  oifcau  du  matin 
Chanroit  fi  première  victoire  , 
Quand  l'Amour  m'éveiliant  foudain  , 
Offre  Doris  à  ma  mém.oire. 
Entre  mes  bras ,  fenfiblc  &  tendre  , 
La  jeune  Doris  devoit  rendre 
Son  premier  hommage  a  l'Amour. 
Déjn  chez  moi  pour  cet;e  fctc  , 


Î44  €?.  U  V  R  E  S 

Sont  tous  les  enfants  de  Cypris  : 

Les  uns  pour  couronner  fa  tête  , 

Préparent  des  myrtes  fl.uris  ; 

Ceux-ci  des  campagnes  de  Flore 

Portant  un  butin  précieux  , 

De  fes  dons  qui  viennent  d'écîore 

Font  un  autel  délicieux  ; 

D'autres  de  leurs  aîles  légères 

Provoquent  les  tendres  Z  'phirs  : 

Plufieurs  attcnd-nt  le  rryftere. 

Folâtrant  avec  les  plaifirs. 

J'animois  leur  troupe  riante. 

Quand  foudain  j'entends  un  bruit  fourd  ; 

3*ouvre  ,  &  je  vois  Doris  tremblante  , 

A  pas  lents  qui  fuivoit  l'Amour. 

Ses  yeux  fj  troublen»  à  ma  vue. 

Sur  fon  front  monte  la  pudeur 

Et  l'innocente  retenus 

Combat  encore  dans  fon  coeur. 

Sur  fa  main  dilicate  &  tendre 

Je  me  colle  amoureufement  ; 

Elle  me  fuit  fans  fe  défendre 

Dans  mon  heureux  appartement- 

L'air  de  Paphos  qu'on  y  refpire  , 

Excite ,  enflame  nos  dcfirs  : 

Doris  fe  trouble,  jefoupire, 

Auflltôt  volent  les  plaifirs. 

Après  mille  baifcrs  de  flamme 

Pris  fur  fa  bouche  &  fur  fes  yeux , 

le  romps  un  corfet  envieux  , 

Et  fur  fa  gorge  je  me  pâme. 


Quels 


DIVERSES,  t^% 

Quels  furent  vos  tendres  tranfports  ^ 

Zéphyrs  !  Vos  riantes  haleines  , 

Jamais  fur  l'émail  de  nos  plaines  , 

N'ont  carcfTé  tant  de  créfors. 

Cependant  le  Dieu  qui  préûde 

A  ces  myfteres  révérés  , 

D'une  fureur  fainte  ôc  rapide 

Agite  mes  fens  égarés. 

Rempli  du  Dieu  qui  me  tranfporte, 

J'embrafle  Doris  ,  &  la  porte 

Sur  l'autel  facré  de  l'amour  ; 

Autel  fimple ,  mais  plein  de  charmes  j 

Où  le  fang  coule  fans  allarmcs , 

Où  tout  mortel  reçoit  le  jour. 

O '.  toi   dont  la   flamme  m'anime, 

Dieu  d'Amathonte,  dis-je  alors,. 

"Tu  vois  à  tes  pieds  ta  victime. 

Rends -la  docile  à  mes  efforts. 

A  ces  mots  la  Cour  de  Cythere    . 

Forme  un  long  applaudiflcnicnt  • 

3'acheve  un  pe'nible   myftere  , 

Et  Doris  fe  plaint  tendrement. 


■■Illliai  liiaiMMBEgBMBBB^ 


VERS 

A  Madame   de  *  ♦  *  ,  fur  un  Pâjfagé  de  Fcpe\ 


P 


Ope  l'Anglois  ce  Sage  fi  vanté , 
Dans  fa  morale  au  ParnafTe  embellie , 
Dit  que  les  biens ,  les  feuls  biens  de  la  vie  ^ 

T 


i&fi  (E  U  V  R  E  s 

TSont  le  repos  ,  faifance  &  la  fanté. 

Il  s'eft  trompé.   Quoi  !  dans  l'heureux  partage 

Des  dons  du  Ciel  faits  à  l'humain  fcjour  , 

Ce  ttifte  Anglois  n'a  pas  compté  Tainour  ? 

Qu'il  eft  à  plaindre  /  il  n'eft  heureux ,  ni  fage. 


LETTRE 

De  Madcmoifelle à  Mùnjîeur.  .  .  . 

CHer  ami ,  j'ai  reçu  votre  très- petite    Lettre  ; 
mais  toute  petite  qu'elle  elt,  elle  m'a  occupé 
toute  la  nuit  ,    &   m'a  occafionné  un  volume  de 
réflexions  plus  tendres  les  unes  que  les  autres ,  & 
plus  difficiles  encore  à  vous  exprimer.  Que  ne  puis- 
je  les  tirer  aflcz  au  clair  pour  en  remplir  cette  Let- 
tre !  que  vous  feriez  content  de  moi  !  je  vous  dé- 
fierois  de  croire  encore  que  votre  amour  l'emporte 
fur  le  mien.  Les  Icntimens  que  vous  m'avez  inf- 
pirés  font  trop  vifs    pour  vous  les   bien   peindre. 
Que  votre  pénétration  m'interprète ,  qu'elle  vous 
montre  tel  que  vous  êtes ,  aimable  ,  charmant ,  & 
avec  routes  les  qualités  capables  d'infpircr  le  plus 
tendre  attachement;  qu'elle  vous  voie  par  mes  yeux. 
J'ai   un  cœur  ,  mon  plus  cher  ,   &  un  cœur   qui 
vous  eH  tendrement  attaché.  Quelque  vive  que  foit 
votre  pénétration ,  quelqu'eflbr  qu'elle  prenne  ,  elle 
ne  l'interprétera  jamais  comme  il  faut.  Hélas  !   je 
foiîfFre  plus  que  vous    de  ne  pouvoir  pas   à  loilîr 
vous  donner  les  preuves  les 'plus  fcnfiblcs  démon 
amour.  Que  cet  aveu  mette  le  fceau  à  nos  tendres 
fentimens ,  en  attendant  le  moment  heureux  de  les 
couronner. 


DIVERSES.  147 

Il  me  femble,  mon  cher  petit  cœur,  que  je  ne 
te  dis  que  des  mots ,  &  que  je  t'exprime  bien  mal 
à  quel  pont  je  t'aime.  Viens  donc  lire  dans  mes  yeux 
i  allurance  de  ton  bonheur  ,  s'il  eft  vrai  que  tu  le 
falles  de  ma  conquête  ;  viens ,  tout  ce  que  j'ai  de 
plus  cher  au  monde ,  viens ,  le  plus  aimable  &  le 
plus  aimé  des  hommes. 


REPONSE. 

JE  n'ai  pas  lu  ta  Lettre ,  mon  plus  cher  cœur, 
je  l'ai  dévorée  ,  &  cela   cent  fois  depuis  que  je 

l'ai.  Tu  n'as  rien  laiflé  a  ma  pénétration Eh! 

que  pourrois-je  fuppléer  aux  tendres  aveux  que  tu 
me  fais  ?  Qu'ils  fe  font  infinués  aiféraent  dans  mon 
ame  !  ah  !  quelle  volupté  ils  y  ont  répandue  !  J'ai 
prefqu'eu  la  préfomption  de  penfer  que  j'étois  ai- 
mé de  vous  autant  que  je  vous  aime  :  pardonnez , 
ma  bonne  amie  ;  la  différence  de  toi  à  moi  ,  que 
j'ai  fentie  a  l'inftant  ,  a  corrigé  ma  préfomption  : 
il  n'appartient  qu'à  toi  d'être  aimée  fans  bornes , 
&  voilà  comme  je  t'aime.  A  chaque    leclure  que 
j'ai  faite  de  ta  Lettre  charmante ,  je  n'ai  exifié  que 
dans  une  partie  où  tout  moi-même  s'eft  concentre. 
Dieux  !  quel  effor  mon  imagination  prenoit  dansces 
heureux  momcns  !  elle  anéantifibit  l'humanité  ,  te 
réfer voit  feule  ,  franchiffoit  tous  les  obftacles ,  vo- 
loit  vers  toi  ;  je  me  précipirois  dans  tes  bras.   Là 
nos  lèvres  collées  enfemble,  laiifoienr  à  peine  de  temps 
en  temps  un  libre  palTage  Ii  nos  langues  amoureufes^ 
qui  cherchoient  à  s'unir.  Combien  de  fois  tes  joues 
appétiffantes ,  tes  yeux  touchans  ,  ton  front  noble  , 

Tij 


148  ŒUVRES 

ouvert ,  le  trône  des  grâces  ,  furent-ils  couverts  Se 
mes  baifers  brûlans  !  ils  le  feroient  encore  ;  '  mais 
combien  d'autres  beautés  plus  faites  pour  l'Amour  , 
quoique  moins  parlantes ,  demandoient  mon  hom- 
mcige    !   C'étoit  alors  que  prelié  par  les  plus  vives 
ardeurs  je  te  prenois  avec  tranfports  dans  mes  bras , 
4k:  te  portois  fur  l'autel   oii  je  voulois  confommei: 
le  facriiice.  Là  ,  d'une  mam  fécondée  par  l'amour , 
&  par  l'amour  le  plus  puiflant  ,    je  te  dépouillois 
de  tout  ce    qui  n'étoit  point  toi-même  :  le  voile 
dirparoifioit, .  .  .   Quel  plus  beau  fpedacle  !    oh  ! 
que  tes  yeux  brillans  l'embcllilibient    !    je  rellois 
immobile  ;    ma  vue  dévoroit  toutes  les  beautés  a 
}a  fois  ,  fans  pouvoir  fe  fixer  fur  aucune  ;    )'ad- 
mirois .....  tSùrprife  de  mon  extafe ,  tu  me  rap- 
pellois  tendrement  à  moi ,  tu  m'invitois  à  être  heu- 
reux ^  tes  yeyx  alors  rencontroient  les  miens,  ils 
kur  parloient  un  langage  fî  touchant.  ...  Je  for-  * 
tois  de  mon  raviflément,  je  n'ôtois  pas  ,  j'arrachois 
jnes  vêtemens  fuperflus ,  je  fondois  fur  toi .  .  .  ta 
gorge ,  ton  fcin  ,  le  parterre  limité  par  le  centre  de 
la  volupté  ,  les  colonnes  qu'il  couronne ,  tout  étoit 
en  proie  à  mon  aniDur ,  &  l'objet  de  mes   plus 
tendres  carefîes.  Mes  mouvemens  précipites  chan- 
geoient  ta  fîtuation;  toutes  ces  beautés  difparoifioient 
pour  faire  place  a  d'autres  aufîi  dignes  de  mon  culte  : 
je  lesfêtoisavecunégal  tranfport.  Que  tu  te  prctois 
amoureufcment  a  toutes  les  attitudes  que  la  volup- 
té demandoit  de  toi  !  tes  appas  les  plus  cachés  n'é- 
chappoient  point  à  mes  regards  lafcifs  ;  eh  !  com- 
ment y  eulient-ils  échappe?  Tu  me  les  indiquois  , 
tu  m'inviroisà  les  découvrir,  tu  les  effrois  toi-même  à 
mes  regards  &  à  mes  baifers.  Quand  prelié  par  les  dcr- 


DIVERSES.  ^  T49 

nieres  fureurs  de  l'amour,  je  les  qnittois  pour  m'unir 
à  toi ,  tu  m'y  rappellois  ;  j'y  retournois  ;  mes  feux 
y  prenoienc  un  nouveau  degré  de  vivacité  :  le 
remède  prefroitj'y  courois.  Attends,  mon  plus  cher, 
medifois-tu,  attends,  changeons  de  perlonnr.ge  , 
ou  plutôt  apprends  de  moi  à  goûter  comme  il  tàut 
les  avant-coureurs  déledables  d'un  plaifir  qui  ne  les 
égaie  point  :  j'obéillois.  Ah  !  que  tes  carefles  dé- 
vorantes ajoutoicnt  à  ma  flamme  que  je  croyoi^  à 
fon  term.e  !  Laillé-moi ,  te  difois-je  ,  je  brûle ,  je 
n'en  puis  plus,  je  fouffre  ....  La  violence  de  mes 
feux  me  donnoit  des  forces  ,  je  te  remettois  dans 
ta  première  pofture,  je  faififiois  le  fceptre  de  l'amour, 
je  le  guidois  vers  (on  centre  :  les  efforts  impétueux 
qu'il  faifoit  pour  s'y  plonger,  t'arrachoient  desfou- 
pirs  &  à^s  cris ,  tu  me  tenois  cependant  ferré  entre 
tes  bras  ,  tes  jambes  croifées  fur  moi  ;  tes  foupirs 
changeoient  de  ton ,  ma  bouche  les  étouffoit  la  plu- 
part, je  la  collois  plus  vivement  fur  la  tienne  ,  je 
te  preffois  avec  plus  de  tranfporrs ,  tu  me  rcndois 
coup  pour  coup  ,  fecoulfe  pour  fecoufie ,  tu  pâm.cis-^ 
je  rellentois  dans  toutes  les  parties  de  mon  corps 
un  plaiiir,  une  volupté,  un  torrent  de   délices. 

Ah  !.. .  ah  !..  .  ah  !.. .  mon  plus  cher  cœur  , 
viens  . .  .  acccours  '.  .  .  Oui  ,  ma  plus  tendre  amie  , 
l'idée  feule  d'un  plaifir  que  mon  im.agination  m'a 
fait  goûter  cent  fois ,  vient  de  m'en  procurer  un 
nouveau.  Que  fera- ce  ,  quand  je  le  goûterai  en 
réalité  î 

F  I  N. 


M» 


TABLE 

DES    MATIERES. 

ZEttre  P hifolophique  fur  VAmc    ,  par  Mr.  de    Vol- 
taire ,  page  3 
Lts  Adieux  dt  Mr.   de  Voltaire  a  Madame  la  Marquife 
^  du  Ckdielet,  Chanfon ,  1^ 
Epigramme    contre  VAbbé  Terrajp)n  ,  l8 
Le    Débauché  converti  ,  par   Mr.  Robbé  de   Bauvefet  , 

ibid. 
Marflas  ,    Allégorie  contre  Rameau  ,  par  le  Poète  py.oi. 
Août    1137  ,  -^  2.3 

Dif cours  prononcé  à  la  Réception  des  Francs  -  Maçons ,  par 
Mr.  de  Ramfay  ,  Grand- Orateur  de  l'Ordre  ,  16 

St.ituts   de  l'Ordre  ,  38 

L'éconnement ,  Chanfon  parodiée  d'un  air  de  V Opéra  Co- 
mique ,  3^ 
Le  Poète  vengé,  Pàpnfte  fatyrique  ^  41 
LJAne  6'  le  P\.ojfignol ,  Fable  ,  ^4 
Épilogue  ,  '  _  46 
tpître  à  Uranie  ,  par  Mr.  de  Voltaire  ,  47 
Ode  à  Mr.  de  Voltaire ,  ji 
L'Art  d'aimer,  à  Madame***  ,  ^6 
Epigramme  ,  57 
La  Coqu-ette ,  58 
Chanfon^  Apologie  du  Janfénifme  ,  61 
Qui-pro-qu» ,  62. 
Bouquet ,  ibid. 
Lettre  à  Madame  ***  ^  ^3 
LeNei  &  les  Pincettes  ,  Conte  par  Pir on ,  65 
La  Mule  du  Pape  ,  Conte  ,  70 
Le  nouveau  Roi  des  Grenouilles  ,  ou  le  P.  J,  dans  unfojfé. 
Stances  libres  ,  71 
Epigramme  fur  Mr.  de  Voltaire  ,  79 


JV 

tes  deux  Rats ,  Conte  ,  ibid. 

L^V  Grec  ou  la  Fourche  ,  Conte  j  Si 

Enigme  :  le  mot  eft  le  Hochet ,  83 

Epigramme  contre  le  Curé  de  S.  S.  84 

Epitaphe pour  Jean-Céfar  Roujjeau  de  la  Tarijlere  ,  ibid. 

Lettre    de  la   Baronne    de    Roupiliac   â    Madame  des 

Etoiles  ,  au  fujet  d'une  Brochure  de  Mr.  l'Abbé  de  la. 

Mare,  85 
Admirable  tranjîtion  de  V Abbé  de  la  Mare  en  Efcarget ,  8^ 

La  Bougie  de  îioèl ,  Conte,  <.jl 

L^Anti- Mondain  ,  par  Mr.  Piron  ,  94 

L'Habit  ne  fait  pas  le  Moine ,  Conte  par  le  même  ,  97 

Apsthéofe  de  Mademeifelle  le  Couvreur  ,  loi 

Epigramme  de  quelqu'un  qui ,  ô'c.  103 

Ode  à  un  Prélat  ,  &t.  ibid. 
Epitre  d'un  Auteur  à  un  de  fes  Amis  ,  dans  un  befoin 

^  d'argent ,  105 

Epigramme  contre  un  Prédicateur  ,  &c.  106 

Autre  fur  une  rencontre  ,  ^e.  107 

Le  Chapitre  Général  des  Cordeliers  ,  1 08 

Le  défagrément  de  la  Jouijfance  ,  I14 

Le  point  d'Aiguille  ,  Conte  ,  Il 5 

Quatrain  du  Comte  de  Guiche  à  Mr.  d'Olonne ,  118 

La  Comtejfe  d'Olonns  ,  Comédie,  lai 

Ode  à  Priape  ,  par  Mr.  Piron  ,  130 

Couplet,  134 

Etymologie  de  V  A[e-te- foute  ,  Conte,  135 

La  Puce  ,    Conte  ,  13S 

Jouijfance  ,  14: 

Vers  à  Mr.  de  ***  fur  im  pajfage  de  Pope  ^  14-; 

Lettre  de  Mademoifelle....  à  Mr...  14' 

Réponfe  ,  14/ 
Fin  de  la  Table-, 


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