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LETTRE
PHILOSOPHIQUE,
PAR M. DE V**' .
AVEC
PLUSIEURS PIECES
GALANTES ET NOUVELLES,
Vs DirFÊKEyTS AVTEVX.S.
NouvelW Édition , revue & corrige^c
A BERLIN;
Aux dépens de la Compagnie»'
M. DCC. LXXIV.
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■ xSALaf^^gjîiUi r. , ..^m>mmi:>S&.f^}&'
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X 2EL T T Hd JEl
PHILOSOPHIQUE
Par m. de y* * *^
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LETTRE SUR L'AME,
O N S I E
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Il £iut qne je Tavonc ; lorfque j'ai examiné
l'infaillible Âriftotc, le Doâieur Évangéliquè, le
divin Platon ,'j'ai pris ces épithetes pour des h-
briquets. Je n'ai vu dans tous les Philofcphes qui
ont parlé de l'ame humaine , que des aveugles
pleins de témérité & de babil , qui s'efforcent de
perfuader qu'ils ont une vue d'aigle ; & d'autres
curieux &; fous qui les croient fur leur parole , &
qui s'imaginent auiîl de voir quelque chofç,
Aij
^ ŒUVRES
Jç ne feindrai point de mettre au rang de ces
n^^aitres d'erreur , Defcartes & Malbranche. Le
premier nous aflurc que l'ame de l'homme eft une
fl]briitance, dont l'eficnce ei\ de penfcr, qui penfe
toujours , & qui s'occupe dans le ventre de la
ITl^re de belles idées métaphyfiques & de beau3Ç
ftxbmes généraux, quelle oublie enfuite.
Pour le P. Malbranchc, il eft bien perfuadé
çjue nous voyons tout en Dieu ; il a trouvé des
jp^rtil^ms , parée cjue les fables les plus hardies
ionç celle? qui font les mieux reçues de la foible
Ijpa^ination des hommes.
Plufieurs Philofophes ont donc fiit le Roman
4e l'Orne : enfin , c'eft un ufage qui en a écrit
ïP.t>çlcitcment l'hjftoire. Je vais faire l'abrégé de
çgirg biltoire, félon que je l'ai conçue. Je fais fort
bien que tout le monde ne conviendra pas des
Id4?s de Mr. Locke : il fe pourroit bien faire que
i\\v, Locke eut raifon contre Defcartes & Mal-
|~iranrhe , & qu'il eut tort contre la Sorbonne ;
^e p M'ie félon les lumières de la Philofophie , non
ft-îoi> les révélations de la Foi.
Il ne m'appartient que de pcnfer humainement;
If:,^ "\ héologiens décident divinement ; c'eft tout
au^rs çhofe La raifon & la foi font de nature
^bnr^a'ire ; en un mot , voici un petit précis de
IViiv Locke , que je çcnfurerois fi j'étois Théolo-
gien , &: que j'adopte pour un moment comme
hypothefe , comme conjcdure de fimple Philo-,
fQphie ; humainement parlant , il s'agit de favoir
ce quç c'eft que l'ame,
)«, X.fi mot d'î^me eft de ces mots que chacun
]^rofî9ritç fans l'çntcndrç : nous n'entendons que
*^
DIVERSES. ^
les chofe? dont nous avons une idée , nous n'avons
point d'idée d'ame , d'efprit ; donc nou^e l'en-
tendons point.
z°. 11 nous a donc plu d'appeller ame cette fa-
culté de fentir & de penfer , comme nous appel-
Ions vie, la faculté de vivre ; volonté, la faculté de
vouloir.
Des raifonneurs fc-xu venus cnfuite , &: ont dit.
l'homme eft compofé de matière & d'efprit ; la
matière eft étendue & divijïble ; refprit n'eft ni
étendu ni divifiblc ; donc il eft , difent-ils , d'une
autre nature. C'eft un ailèmblage d'êtres qui ne
font point faits l'un pour l'autre , & que Dieu
unit malgré leur nature. Nous voyons peu le
corps , nous ne voyons point l'ame : elle n'a point
de parties ; donc elle eft érerncUe : elle a des idées
pures & fpirituclles ; donc elle ne les reçoit point
de la matière: elle ne les reçoit point non plus d'elle-
même ; donc Dieu les lui donne : donc elle ap-
porte en naiflant les idées de Dieu , de l'infini , &
toutes les idées générales.
Toujours humainement parlant , je réponds à
ces Mcflieurs qu'ils font bien favants. Ils nous di-
fent d'abord qu'il y a une ame , & puis ce que ce
doit être. Ils prononcent le nom cîe matière , &
décident enfuite nettement ce qu'elle eft ; & moi ,
je leur dis , vous ne connoiftez ni l'efprit ni la
matière. Par l'efprit , vous ne pouvez imaginer que
la faculté de penfer ; par la matière , vdhs n^,«
pouvez entendre qu'un certain aflemblage de qua-
lités, de couleurs, d'étendues, de folidités, & il
vous a plu d'appeller cela matière, & vous a^z
affigné les limites de la matière & de l'ame , ïtvSSt
é ŒUVRES
d'être fûrs feulement de l'exiftence de l'une & de
l'autre.
Quant à la matière, vous enfeignez gravement
qu'il n'y a en elle que l'étendue & la foiidité ; &
moi je vous dis modeftemcnt qu'elle eft capable
de mille propriétés que ni vous ni moi ne con-
noiflons pas. Vous dites que l'ame eft invifible ,
éternelle , vous fuppofez ce qui eil en qucftion.
Vous êtes à peu près comme un Régent de Col-
lège , qui n'ayant vu d'horloge de fa vie , auroit
tout d'un coup entre {qs mains une montre d'An-
gleterre à répétition. Cet homme, bon péripatéti-
cien , ejl frappé de la juftefTe avec laquelle les ai-
guilles divifent & marquent les temps , & encore
plus étonné qu'un bouton , pouflé par le doigt,
fonne précifément l'heure que l'aiguille marque.
Mon Philofophe ne manque pas de prouver qu'il
y a dans cette machine une ame qui la gouverne,
& qui en mené les rcflbrts. Il démontre favammenc
fon opinion par la comparaifon des x^nges qui font
aller les fphercs céleftes , & il fait foutenir dans fa
claffe de belles th efes fur l'ame des montres. Un
de (qs écoliers ouvre la montre ; on n'y voit que des
refforts , & cependant on foutient toujours le fyf-
téme de l'ame des montres, qui pafîe pour démon-
tré. Je liiis cet écolier ouvrant la montre, que l'on
appelle homme , & qui au lieu de définir hardi-
menj: ce que nous n'entendons point , tâche d'exa-
jnine^ par degrés ce que nous voulons connoître.
% Prenons un enfant à l'inflant de fa nainàncc , &
fuivons pas à pas le progrès de fon entendement.
Vous me faites Ulionneur de m'apprcndre que Dieu
a pris la peine de créer une ame pour aller loger
DIVERS, y
éztiS ce corps , lorfqu'il a environ fix femaines ;
que cette ame à fon arrivée cft pourvue des idées
métaphyliques ; connoiflant donc l'efprit , les idées
abflraites , l'infini fort clairement ; étant en un mot
une très-favante perfonne. Mais malheureufement
elle fort de l'utérus avec une ignorance cralîè ;
elle a pafTé dix-huit mois à ne connoître que le
tetton de fa Nourrice ; & lorfqu'à l'âge de vingt
ans on veut faire reflouvenir cette ame de toutes
les idées fcientitiques qu'elle avoir quand elle s'eft
. unie à fon corps , elle eft fouvent fi bouchée
qu'elle n'en peut concevoir aucune. Il y a des
peuples entiers qui n'ont jamais eu une feule de
CQs idées. En vérité à quoi penfoit l'ame de Def»
cartes & de Malbranche , quand elle imagina de
telles rêveries ? Suivons donc l'idée du petit en-
fant , fans nous arrêter aux imaginations des Phi-
lofophes.
Le jour que fa mère eft accouchée de lui &
de fon ame , il eft né un chien dans la maifon ,
un chat , & un ferin. Au bout de i8 mois , je
fais du chien un excellent chafTeur ; le chat , au
bout de fix femaines , fait déjà tous ics tours ; &
l'enfant , au bout de quatre ans , ne fait rien. Moi ,
homme groftier , témoin de cette prodigicufe dif-
férence , & qui n'ai jamais vu d'enfant , je crois
d'abord que le chat , le chien & le ferin font des
créatures très-intelligenres , &: que le petit enfant
eft un automate. Cependant petit à petit je m'ap-
perçois que cet enfant a des idées , de la mémoire ,
qu'il a les mêmes pafllons que c&s animaux , &
alors j'avoue qu'il eft comme eux une créature rai-
ibrinable. Il me communique diiférentes idées par
s ŒUVRES
ctuelc^ues paroles qu'il a apprifes , de mcriie (Ju6
inon chien par des cris di''t!imés me fait exac-
tement connoître (es divers befoins. J'apperçoiâ
qu'à l'âge de fîx ou fept ans , l'enfant combine
dans fon petit cerveau prcfqu'autant d'idées que
mon chien de chaiie dans le fien ; enfin , il at-
teint avec l'âge un nombre infini de connoifl'ances.
Alors que dois-je pcnfer de lui ? Irai-je croire
qu'il eft d'une nature tout-à-fait différente? Non,
fans doute ; car vous voyez d'un côté un imbé-
cille , & de l'autre un Newton : vous prétende^
qu'ils font pourtant d'une même nature , & qu'il
n'y a de la différence que du plus au moins. Pour
mieux m'affurer de la vraifemblance de mon opi-
nion probable , j'examine mon chien & mon en-
fant pendant leur veille & leur fommeil. Je les
fais faigner l'un & l'autre outre mcfure ; alors
leurs idées femblcnt s'écouler avec le fang. Dans
cet état je les appelle; ils ne me refondent plus : «Sc
il je leur tire encore quelques poéllettes , mes deux-
machines qui avoient auparavant des idées en très-
grand nombre , & des paffions de toute efpece ,
n'ont plus aucun fentiment j'examine enfuite mes
deux animaux pendant qu'ils dorment , je m'ap-
perçois que le chien, après avoir trop mangé, a
des rêves ; il chaffe , il crie après la proie. Mon
jeune enfant étant dans le même étac , parle à fa
maîtreftè , & fait l'amour en f^nge : fi l'un & l'autre
ont mangé modérément, ni l'un ni l'autre ne rêve ;
enfin, je vois que leur faculté de léntir,d'appercevoir,
^'exprimer leurs idées , s'cfl développée en eux
petit à petit, & s'affoiblit auffi par degrés. J'apper-
çois en eux plus de rapports cent fois , que je
n'en
DIVERSES, ^
n'en trouve entre tel homme d'elprit & tel homme
abfolument imbécille. Quelle eil donc l'opinion
que j'aurai de leur nature ? Celle que tous les peu-
ples ont imaginée d'abord avanc que la politique
Égyptienne imnginât la fpiritualité , l'immortalité
de l'ame. Je foupçonnerai même , avec bien de
l'apparence, qu'Archimede & une taupe font de la
même elpece , quoique d'un genre différent , de
même qu'un chêne & un grain de moutarde font
formés par les mêmes principes , quoique l'un foie
un grand arbre , & l'autre une petite plante. Je
penférai que Dieu a donné des portions d'intelli-
gence à des portions de matière organilée pour
penfer : je croirai que la matière a des fenfations à
proportion de la finefle de fes fens ; que ce font
eux qui les proportionnent à la mefure de nos idées:
je croirai que l'huître à l'écaillé a moins de fen-
fations &c de fens, parce qu'ayant l'ame attachée
à fon écaille , cinq (éns lui fcroient inutiles. Il y a
beaucoup d'animaux qui n'ont que deux fens: nous
en avons cinq ; ce qui ç{\ bien peu de chofes ; il
eft à croire qu'il eft dans d'autres mondes d'autres
animaux qui jouillént de vingt ou trente fens, &c
que d'autres efpeces encore plus parfaites ont des
fens à l'infini.
Il me paroît que voila la manière k plus natu-
relle d'en raifonner, c'eft- a-dire , de deviner &
de foupçonner certainement. Il s'cfl paflé bien, da
temps avant que les hommes aient été afîez ingé-
nieux pour imaginer un être inconnu , qui eft nous^
qui fait tout en nous, qui n'eft pas tout-à-fait nous^
& qui vit après nous. AufTi n'eft-on venu que par
degrés à concevoir une idée ji hardie. D'abord ee
B
lo ŒUVRES
mot ame a fignitic la vie, & a été comm*nn pour
nous & pour les autres animaux. Enfuite notre or-
gueil nous a fait imaginer une forme fubiknticUe
pour les autres créatures. Cet orgueil humain de-
mande ce que c'clt donc que ce pouvoir d'apper-
cevoir & de ientir, qu'il appelle amed^ns l'homme ,
& injîinâ dans la brute. Je fatisferai a cette quef-
tion, quand les Humanités m'auront appris ce que
c'ell que le (on , la lumière , Vefpace , le corps , le
temps. Je dirai, dans l'efprit du fage M. Locke :
la Philofophie confiée a s'arrêter , quand le flam-
beau de la Phylique nous manque. J'obferve les
effets de la nature : mais je vous avoue que je n'en
conçois pas plus que vous les premiers principes.
Tout ce que je fais , c'ell que je ne dois pas attri-
buer à pluiieurs caufes , fur-tout à des caufes in-
connues, ce que je puis attribuer à une caufe con-
nue : or, je puis attribuer à mon corps la faculté
de penfer & de fentir ; donc je ne dois pas cher-
cher cette faculté de penfer & de fentir dans une
autre appellée ame ou cjprity dont je ne puis avoir
la moindre idée. Vous vous recriez à cette pro-
pofition ; vous trouvez donc de l'irréligion à ofer
dire que le corps peut penfer ? Mais que diriez-
vous, répondroit Mr. Locke, fi c'cit vous-même
qui êtes ici coupable d'irréligion , vous , qui ofez
"borner la puiflance de Dieu ? Quel eft l'homme
iiir la terre qui peut aiïiircr , (ans une impiété ab-
furde , qu'il eft impofilble à Dieu de donner à
la matière le fentiment & le penfer ? Foibles &
hardis que vous êtes, vous avancez que la matière
ne penlc point, parce que vous ne concevez pas
qu'une matière , telle qu'elle foit, penfe.
DIVERSES. iT
Grands Philolophcs, qui décidez du pouvoir
de Dieu , & qui dites que Dieu peut d'une pierre
faire un Ange , ne voyez-vous pas que , félon,
vous-mêmes, Dieu neferoit, en ce cas , que don-
ner à une pierre la puilTance de penfer ; car {i la
matière de la pierre ne reftoit pas , ce ne feroic
plus une pierre ; ce feroit une pierre anéantie,
& un Ange créé. De quelque côté que vous vous
tourniez, vous êtes forcés d'avouer deux chofes:
votre ignorance , & la puiflTance immenfe du Créa-
teur ; votre ignorance qui fe révolte fur la matière
penfante , & la puiffance du Créateur , à qui
certes cela n'eft pas impolTible.
Vous , qui favez que la matière ne périt pas,
vous contellerez à Dieu le pouvoir de conferver
dans cette matière la plus belle qualité dont il
l'avoit ornée ! l'étendue fubfîfle bien fans corps
par lui, puisqu'il y a des Philofophes qui croient
le vuide ; les accidents fubllfrent bien fans la
fubftance parmi les Chrétiens , qui croient la
transfubdantiation. Dieu , dites-vous , ne peut
pas faire ce qui implique contradiction. Il faudroit
en favoir plus que vous n'en favez : vous avez
beau faire , vous ne faurez jamais autre cîiofe ,
{mon que vous êtes corps , & que vous penfez.
Bien des gens qui ont appris dans l'école k ne
douter de rien , qui prennent leurs fyllogifmes
pour des oracles , & leurs fuperfliticns pour la
Religion, regardent Mr. Locke comme un irti pie
dangereux. Ces fuperfritieux font dans la fociété
ce que les poltrons font dans une armée : ils or t
& donnent des terreurs paniques. Il faut avoir la
pitié de diiTiper leur crainte ; il faut qu'ils fâche nt
Bij
r» ŒUVRES
que ce ne feront pas les lentimens des Philofo-
phes qui feront jamais tort à la Religion. Il eft
aifuré que la lumière vient du folcil , & que les
pkncrtcs tournent autour de cet aflre : on ne lit
pas avec moins d'édification dans la Bible , que
la lumière a été faite avant le foleil , & que le
foleil s'efl: arrête fur le village de Gabaon. Il eft
démontré que l'arc-en-ciel eft formé néceflaire-
îïient par la pluie : on n'en refpede pas moins le
tcxt-e facré , qui dit que Dieu pofa fon arc dans
les nues , après le déluge , en figne qu'il n'y auroit
plus d'inondation.
Le Myfterc de la Trinité & celui de TEucha-
riftie ont beau être contradidoires aux démonftra-
tions connues ; ils n'en font pas moins révérés chez
les Philofophes Catholiques , qui favent que les
chofes de la raifon & de la foi font de différente
nature. La nation des Antipodes a été condamnée
par les Papes & les Conciles ; & les Papes ont dé-
couvert les Antipodes , & y ont porté cette même
Religion Chrétienne , dont on croyoit la dcftruc-
tion fûre , en cas qu'on pût trouver un homme ,
qui , comme on parloit alors , auroit la tête en
bas & les pieds en haut par rapport à nous , & qui,
comme dit le très -peu Philofophc St. Auguftin,
ieroit tombé du Ciel.
Jamais les Philofophes ne feront tort à la Reli-
gion dominante d'un Pays : pourquoi ? C'cft qu'ils
font fans enthouliafme , & qu'ils n'écrivent point
pour le Peuple. Divifez le genre humain en vingt
parties ; il y en a dix-neuf compofces de ceux qui
travaillent de leurs mains , &c qui ne fauront ja-
ïTiais -eW y a eu un Locke au monde. Dans \z
DIVERSES. 13
vingtième partie qui refte , combien trouve- trO^^
peu d'hommes qui lifent ? Il y en a vingt qui li-
îent les Romans , contre un qui étudie la Philo-
fophie. Le nombre de ceux qui penfent eft extrê-
mement petit , & ceux-là ne s'avifent pas de trou-
bler le monde. Ce n'eft ni Montaigne, ni Locke,
ni Bayle , ni Spinofa , ni Hobbes , ni Strambourg ,
ni Collins , ni Zéland , &c. qui ont porté le flam-
beau de la difcorde dans leur patrie ; ce font la
plupart des Théologiens , qui ayant eu d'abord
l'ambition d'être chefs de fede ont eu bientôt celle
d'être chefs de parti. Que dis-je ? Tous les livres
des Philofophes modernes , mis enfemble , ne fe-
ront jamais dans ce monde autant de bruit feule-
ment qu'en fit autrefois la difpute des Cordeliers
fur la forme de leurs manches & de leurs ca-
puchons.
Au refte , je vous répète encore qu'en écrivant
avec liberté , je ne me rends garant d'aucune opi-
nion ; je ne fuis refponfable de rien. Il y a peut-
être parmi ces fonges des raifonnemens , & même
quelques rêveries auxquels je donnerois la préfé-
rence ; mais il n'y en a aucune que je facriiiaiϣ
tout d'un coup à la Religion & à la Patrie.
W:^t
14 ŒUVRES
LES ADIEUX
De M. de V*** à Madame du Châteht.
x\.Dieu, belle Emilie, (a)
En Prufl'cje m'en vas
Etaler ma folie ,
Et promener mes rats ;
Dans cette Cour polie ,
On connoît mieux le prix
De nos beaux efprits.
Paris qui m'a vu naître.
Me laifTe fans éclat , ( & )
Et ma manie eft d'être
Un Miniftre d'État ,
Des Finances le maître ,
Au moins Ambafladeur ,
Comme feu Prieur. ( c )
Adieu, mauvais Poëie, {d)
Jamais las du fifflet ,
Qu'à faint Lazare on fouette ,
[<«] Madame la Marquife du Ch.ît-Iet.
[*] Voyez les Lettres Philofophjques & le Temple du Goût,
•ù Voltaire ne cefle de parler des honneurs rendus en Angle-
terre aux gens de Lettres- Voyez aulîî la Préface de Zaïre.
[ c] M. le l'rieur , Anglois , homme d'elprit & de mérite , a
l'tc Ambafladeur pour l'Angleterre.
[ (^ ] Roi , qui a été enfermé à Saint-Lazare pour fon Coche ,
pièce fatyriqup contre l'Académie Françoife ; il eut ordre de f"
défaire de fa Charge de Confcilki au Châtclet,
DIVERSES, 1^
ChafTé du Châtelet;
Adieu, l'homme à courbette,
Tant frippon , tant battu ,
Et de plus cocu.
Adieu toi, vilain Prêtre , (e)
Tiré par mon crédit.
Du Châreau de Bicêtre ,
Pour le péché maudit
Qui fit brûler ton Maître,
Soin lionteux que )'ai pris
D'un Frippier d'Ecrits.
Sur la felette dure
Où fiegea DefchaufFour ,
Quand en humble poflure
Tu parus l'autre jour , (f)
Craignois-tu la brûlure ?
Oui , jamais on ne vit
Coquin plus petit.
Tyriot, pauvre haire.
Adieu , Juré crieur.
Tu fus en Angleterre
Mon digne Ambafladeur ■ (g)
Prône plutôt la Serre ,
[e ] L'Abbé des Fontaines : il n'a jamais compoTé d'ouvr^oes;
il n'a tait que rapetail'er ceux des autres, èc les déhgurer. ^'oye;^
fon Apologie faite par lui-même.
[/] U s'agit du jugement qu'il a l'ubi pour le diTcours mor-
dant qu'il a fait au nom de l'Abbé Séguy.
Li] Tyriot a été quelque temps chargé des affaires de Voltairs
a Londres ; c'cd Ion ami intime , 8C il ei\ dans la conhdence ds
50US fes Ouvrages 5 c'eft ce qui le fait appeller , ^rttiur Cmfuit&r.t,
i6 ŒUVRES
Que les vers de deux fats
Et de ton Midas.
Pour quelque rime fade ,
Èernard , ( A ) que tu forgeas ^
Tu crois que l'Illiade
Te dois céder le pas.
Céladon de Tribadc ,
Dis , Monfieur l'Écrivain ,'
Qui te rend fi vain ?
Si je quitte la Pruffe ,
Chaffi par le bâton ,
Je fuirai chez le Ruflc
Prêcher Locke & Newton ^
Ou porter mon prépuce
Au Révérend Moufti
Comme Mackarti. (i)
Adieu , belle Emilie ,
Objet de mes plaifirs ;
Par la Philofophie
Amufe tes defirs ;
Ou bien fuis -moi, ma mie:
Un Milord de mon nom
Vaut bien un Kinfton. {k)
[/;] Bernard, Secrétaire du Maréchal de Coigny , a fait une
èpitrc à la Salle , qui ell une Tribade , dont il eil le CcUdon ,
c'e(l-à-dire , l'amoureux Virtuofo.
[ J ] L'Abbé Mackarti , Hls d'un Irlandois , pafla , il y a qua.
tie ans , en Turquie avec le Chevalier de Mornaye ÔC de Ram-
fay : ils avoient emprunté chacun 6000 liv. à Samuel Bernard ,
fous prétexte d'acheter une Lieutenance aux Gardes.
\_K'\ Voltaire avoit pris le nom de Milord , étant logé A Rouen
shezjtrie, Libiaite^ ç[ui a imprime les Lettres Piiilolbphiques«
Mauoertuis ^
D T V E il s E Si
^ MMpertuis , ce Carême , (Z)
jDoit revenir, dit- on ;
Il me dicla le thème
Que j'ai fait fur Newton •
Tu fauras le fynême
Des meules de moulin
De ce Calotin.
Ne crains pas qn'on le drafie.
Pour voir le Cavalier ,
Sa mine eft une attrappe ;
Le brave , à Montpellier ,
De ce qui fait le Pape ,
Autrefois a voulu
Être rafibu. (m)
Adieu , chère Emilie j
Parce que je m'en vas ;
N'abrège poi^nt ta vie
Avec la mort aux rats : (n)
Confole-toi , ma mie ,
Aux petites Maifons
Nous nous reverrons.
?^
[/] Maupertuis, de l'Acadéoie de.- Sciérices , efl an homtn^
àt mente; mais admirateur outré des An-rlo:.; Tl /;... ;^
jes aitres etoient lemblahies a d;s meules de moulin
L?»] iMaupertuis , ayant une indiipoftcio-j cTaianr-. ' illa à Mnn*-
pcUier^^oùH voulut engager les ChLrg^injemutile;. "" "'^
i'oLml din 'un d V r'^'" ^''^""' '*" ^^^^^1" ^ P^" autrefois d«
i opium aans ua delslpoir amoureux.
0
ig - Œ U V B.'E s
AUTRE PIECE.
\_y N dit que l'Abbé TerrafTon,
De Law & de la Mothe npôtre ,
Va du Bordel à l'Hélicon ,
N'étant fait pour l'un ni pour l'autre.
Pour avoir un léger prurit,
Il fe fait chatouiller la fcfîe ;
Msncn fouette, il la carefle,
Mais il bande comme il écrit.
Un Jour dans la cérémonie
On l'étrilloit, il frctilloit.
Notre Putain fe travailloit
î^efTus la feffe racornie :
Entre Monfieur l'Abbé Dubos,
Qui voyant feiïer fon confrère ,
j)it tout haut , approuvant l'affaire ,
Frappez fort , il a fait Seihos.
pu^jwjgaum 'UJmzAj,uit'iiM.j^i!iiiMBauMij.iJU
LE DÉBAUCHÉ CONVERTI,
Par M. Rohbé de Beaiivefet.
P
UifTaht Médiateur entre l'homme & la femme ,
Qui du plnfir fccret nous ourdifiez la trame,
Des feux de Prométhée ardcfu difpehfateur ,
Et de la gentc humaine éternel Créateur,
Portaflle/ - vous encore un plus fupcrbe titre J
DIVERSES. , . ï?
Du bonheur de mes jours vous n'êtes plus" l'arbitre.
Ce plaifir violent, dont je fus enchanté,
D'un tourment de fix mois eft trop cher acheté.
Qu'un autre que moi courre après ce vain fantôme ,
J'en connois le néant, grâce à~M. St. Cônie ;
Et fes facrés réchauts font l'utile creufet
Où l'or fiux du pliifir m'a paru tel qu'il efl.
3'ai ruminé ces maux que fur fon lit endure
Un pauvre putaiïier tout frotté de mercure;
Des conduits falivains quand les pores ouverts
Du virus repoullé filtrant les globes verts ;
Quand fa langue , nageant dans les flots de falive ,
Semble un canal impur qui coule une leflive ;
Ah ! que fur fon grabat fe voyant enchaîné.
Un Ribaud voudroit bien n'avoir pas dégainé l
Qu'il détefle l'inftant où fa pompe afpirants
Tira le fuc mortel de fa cruelle Amante !
L'œil cave, le front ceint du fatal chapelet.
Le teint pâle & plombé, le vifage défait,
Les membres décharnés , une joue allongée ,
Sa planète atteignant fon plus bas périgée ;
Alors avec David il prononce ces mots .-
La vérole, mon Dieu , m'a criblé jufqu'a'.ix os.
Car , par malum , David entend l'humeur impure
Qu'il prit d'Abigaïî , comme je conjedure ,
D'autant que cette femme , époufe de Nabal ,
De fon mari pouvoit avoir g-.gné ce mal.
Ce Nabal , en effet, cO. peint au faint Volume,
Tel qu'un compagnon propre au poil comme à ia pîumej
Et qui, quand il trouvoit fille de bonne humeur.
De fes bubons enflés méprifanc h tumeur,
Cij
I.» ŒUVRES
f.m faifoit fur le dos faire la caracole ,
3Eût-il été certain de gagner la vérole.
l^ulïï je fuis furpris que David , ce grand clerc,
'/lu fuit d'Abigaïl ait pu voir fi peu clair :
Certes bçfoin n'étoit d'être fi grand Prophète ,
Ni d'avoir fur fon nez h divine lunette ,
jpoar voir que de Nabal tout le fang corrompu
'Ayant poivré le flanc qiii s'en étoit repu ,
P'étoit nécefTité que fon hardi Priape
3Eût la dent agacée en mordant à la grappe.
Mais, quoi, vit- on jamais raifonner un paillard î
jfl prit, les yeux fermés, ce petit mal gaillard ,
Dont quelque temps après fa flambcrge en furie
Enticha le vagin de la femme d'Urie.
jDç pes «^bats enfin j'ai tiré l'ufufruit :
Mais , gracfc au vif argent , mon virus efl détruit î
Mqu fang purifié coule libre en mes veines ,
Et deux glgbes malins ne gonflent plus mes aînés j
"JDh trcne du plaifir les parois rcfïerrés ,
Ne laifTeni, plus couler mille fucs égares ;
Et i;e Moine velu , que le prépuce enfroque ,
ï)€ trois rubis rongeurs voit dérougir fa toque.
Trjfte & funcfte coup! pouvois-je le prévoir.
Qu'une fille fi jeune eût pu me décevoir ?
Pçux îuftrçs & demi , qu'un an à peine augmente ,
Voyoicr.t bondir les monts de fi gorge naiïïante;
iJn cuir blanc 6c poli , mais élnfliquc & dur ,
TapifToit le contour de fon jeune fémur;
ai. peine un noir diivct de fa moufTc légère
Couvroit l'antre facré que tout mortel révère ;
X^çs couleur^ de i'auroro 0cla:oienî fqr fon tein? j^
DIVERSES. il
Êîîe auroit fait hennir le vieux Moufti Latin ;
Un front , dont la douceur à la fierté s'allie ,
ï-a firent à mes yeux plus vierge qu'Eulalie :
Auïïi combien d'affauts fallut-il foutenir.
Avant que d'en pouvoir à mon honneur venir ?
A mon honneur ! je faux , difons-mieux . à ma honte t
Après deux mois d'égards, de foupirs , je la monte.
Dieux ! quelle volupté , quand fur elle étendu
Je prefTurôis le jus de ce fruit défendu !
Sa g aîné aflez profonde , en revanche peu large ,
Entr'elle & mon acier ne laifToit point de marge ;
Lepifton à la main, trois fois mon Jean Choiiard
Dans fes canaux ouverts feringua fon nectar ,
Et trois fois la pucelle avec reconnoifiance
Voitura dans mon fang fa vérolique eflence.
Mais , quoi ! ma paflion s'enflamme à ce récir ,
De mes tendons moteurs le tiffu s'étrccit •
Mes efprits dans mes nerfs précipitent leur courfe.
Et de la volupté courent ouvrir la fource.
Quoi donc ! irois-je en proie à des vils inteflins ,
De mes os ébranlés empirer les deftins ?
ïrois-'e fur ces mers fameufes en naufrages ,
Nautonnier impudent , affronter les orages ?
Moi qui, comme Jonas , qu'un ferpent engloutit j,
Ai fervi de pâture à l'avide Petit.
Non , de la chafleté j'atteins enfin la cime ;
Là je rirai de voir cette pâle vi6lime
Que la fourbe Venus place fur fcs autels ,
Traîner les os rongés de fes poifons mortels.
Que le Ciel , fi jamais je vogue fur ce gouffre,
l^afîe pleuvoir fur moi I2 bitume ôi le foufre j
il ŒUVRES
<2ue l'infamant rafoir qui tondit Abaiîard ,
Me fafTc de l'Eunuque arborer l'étendard ,
Si jamais enivré , fût ce d'une pucelle ,
Mon frocard étourdi faute dans fa nacelle !
Tout vifage de femme à bon droit m'efl fufpetfl ;
Quiconque a falivé , doit fuir à fon afpcd.
Oui, m'offrît- on le choix des onze mille Vierges,
Jamais leurs feux facrés n'allumeroient mes cierges.
Le jaloux Ottoman m'ouvrît- il fon Serrail,
Quand j'y verrois à nud l'albâtre & le corail
Briller fur ces beaux corps qu'embellit la nature ,
♦Mon priape feroit un priape en peinture.
Je dis plus : quand le Ciel exprès de mon côté
Tireroit la plus rare & plus faine beauté ,
Dieu fait fi la chaleur de cette nouvelle Evs
Dans mon mufcle allongé feroit monter fa fcve ;
Beau fexe , c'en eft fait , vos ébats féduclcurs
Ne me porteront plus vos efprits deftrucleurs ,
Je fuirai déformais votre cfpece gentille,
Ainfi qu'au bord du Nil on fuit le crocodile.
Il efl temps de penfer à faire mon falut ;
L'ame fe porte mal quand le corps eft en rut.
Lorfque l'affrcufc mort , au Çqc &c froid fquéletîc ,
M'aura devant le Juge affis fur la fcllctte.
Cent mille coups de cul ne me fauveront pas
Du foudroyant arrêt de l'éternel trépas.
C'eft vous , qui le premier avez fait tomber l'homme
Par l'attrait féduclcur de la fatale pomme ;
Mais vos culs dans l'abîme en ont plus dcfcendus
Que ne feraient jamais tous les fruits défendus.
C'eft avec vos filets que Satan nous attrappe,
-DIVERSES, ' . t^
C'eft vous qui nous poufTez fur l'infernale trappe ;
Vous féduiriez , morbleu , je crois , tous les Élus ,
Adieu , beau fexe , adieu , vous ne me tentez plus.
M A R S I A S,
allégorie contre Rameau , par Roy,
Août Z73J.
LUlly jouifToit de toute fa réputation , îorfqu'un
certain Carizelli vint d'Italie , pour infulter
au bon goût , & pour démentir les applaudilfe-
mens de toute la France. Sa mufique étoit auiTi
barbare que celle de LuIly étoit naturelle. Cet ex-
travagant débuta par un fyftéme baroque , & tel
quefes chants : aufîifut-il traité félon ion mérite.
11 fut condamné de tous les honnêtes gens ; maïs
ce n'étoit point afTez : le Public trouvoit bon que
les Auteurs juftifiafTent eux-mêmes {q^ décidons.
Carizelly fut donc joué fous fon propre nom , &
immolé a la rifée fur le théâtre de l'Opéra , dans
un divertiffement qui fubfifte encore. Quinaulc,
plus modéré , & habile 2. manier la fable , fe con-
tenta de l'Allégorie fuivante , qu'on a depuis re-
couvrée.
Le téméraire violon
Qui s'efcrima contre Apollon ;
Et qui paya fon équipée ,
De fa peau par lambeau coupée ,
Fut un échappé des forêts ,
Un compofé d'horoais & de brute;
i^ â^. U VR ^^
Un de ces êtres imparfaits ,
<^ue même , en y "lêlant leurs traits.
L'une & l'autre efpcce rebute.
Une carcafTe rembrunie ,
F'iit l'e'tui de fon dur ge'nie ;
Du lion les rugifltimens ,
Et des ferpens les ûfflemens ,
Étoienie IMcolc d'harmonie ,•
Qu'enfant il fe plut d'e'conter;
Et que vieux il fui imiter.
L'étude augmente fon délire.
Son cerveau vient à s'échauffer,
Jufqu'au point de croire étouffer
Les fons de la divine lyre.
Phébus vengea Thonneur des chants;
11 vengea la tendre Mufique ,
Préfent des Dieux , qui dans nos fens
Répand un baume fympathique.
Heureux ! fi le fang du brutal
Eût éteint la fource du mal.
Mégère , du monflre nourrice ^
Prévoyant de loin le fupplice ,
Avoit de tout temps arrêté
Qu'il laifieroit poftérité.
Mégère de fes fœurs fuivie.
En hyver , par un jour affreux ,
Par un brouillard falc & nitreux j
Guida Marfias chez l'envie ;
femelle, qui ronge l'ennui.
Qu'amaigrit l'embonpoint d'autrur ,
AkH regard louche, au teint livide.
Telle
D I V E R s E Si ^5
'ïeWe qu*on la voie dans Ovide.
On dit qu'à leur premier afped,
Effrayés tous deux reculent ;
Puis leurs carcafTes s'accouplent,
L'un & l'autre hurlant bec-à-bec.
Un vafle monceau de couleuvres ,
Fut le lit drefîe pour leurs œuvres.
Tandis qu'ils filtroieht leur poifonj
Courage, s'écria Mégère^
Il naîtra de vous un garçon ;
Il vivra pour venger fon père,
Pour contrecarrer la raifon ,
Et faire aux Mufes double outrage î
Car , outre fâ rauque chanfon ^
D'écrire il lui prendra la rage.
J'entends , je vok l'anthophage j,
Col d'autruche , fourcil froncé ,
Air jaune , de poil hérifîé ,
Nez creux .. vrai mafque de Satyre ,
Bouche pour mordre & non pour fifSj
Tête pointue & court menton.
Jambe feche comme Ericlon.
Le frénétique s'aiTocie
Tous les ignares imprudens,
Par qui le clinquant s'apprécia ;
Jetmes Rimailleurs, vieux Pédants j
Turbulente Démocratie ,
Du faux goût fectateurs ardens ,
C'eft du bruit feuî qu'il fe foucie.
Toute Mufique radoucie
A «c fou fait grincer les den» ^
0
2,0 m u V R Ë S
Plus que U lime ni la fcie.
Si dans les concerts difcordans ,
11 réclame en vain l'Aufcnie
Qui le condan.ns ou le renie,
11 voit venir à fon fecours
Les compatriotes des ours.
Vive le Matfias moderne ,
Et les Iroquois qu'il gouverne.
TrcmbLz Quinault , tremblez Lully ,
11 va vous plonger dans l'oubli ;
Et h fon mérite apocryphe
Tombe par un jufte revers,
Nous l'occuperons aux enfers :
La lyre jurant fous fa griffe ,
L'aigreur de fes barbares airs
Comblera les tourmens divers
Et de Tantale & de Syfiphe.
DISCOURS
Prononcé à la Réception des Francs- Maçons ^
par Mr. de. Ranifay , Grand Orateur de
V Ordre.
LA noble ardeur que vous montrez, MefTieurs ,
pour entrer d^ns le très - ancien & trcs-il-
juftre Ordre des Francs-Maçons , eft une preuve
certaine que vous poffédcz déjà toutes les quali-
tés néccHaircs pour en devenir les membres. Ces
qualités font la philanthropie fage , la morale pure,
le iecret inviolable , (Se le goûc des beaux Arts,.
DIVERSES. 27
Lycurgue , Solon , Numa , & tous les autres Lé-
glllateurs politiques n'ont pu rendre leurs établi!-»
femcns durables ; quelques fages qu'aient été leurs
loix , elles n'ont pu s'étendre dans tous les pays
& dans tous les fiecles. Comme elles n'avoient en
vue que les viâoires & les conquêtes, la violence
militaire , & l'élévation d'un peuple au deflus d'un
autre, elles n'ont pu devenir uriverfelles , ni con-
venir au goût , au génie , aux intérêts de toutes
les Nations. La Philanthropie n'étoit pas leur bafe.
L'amour de la Patrie mal entendu & pouffé à l'ex-
cès , déiTuifoit fouvent dr>ns ces Républiques guer-
rières l'amour de l'humanité en général. Les hommes
ne font pas dilbngués eflentlellement par la diffé-
rence des langues qu'ils parlent, des habits qu'ils
portent, des Pays qu'ils occupent , ni des dignités
dont ils font revêtus. Le monde entier n'eft qu'une
grande République , dont chaque Nation eft une
famille , & chaque particulier un enfant. C'eff
pour faire revivre & répandre ces anciennes maxi-
mes , prifes dans la nature de l'homme, que notre
Société fut établie. Nous voulons réunir tous les
hommes d'un efprit éclairé & d'une humeur agréa-
ble , non-feulement par l'amour des beaux Arts ,
mais encore plus par les grands principes de vertu
où l'intérêt de la confraternité devient celui du
genre humain entier , où toutes les Nations peuvent
puifer des connoiffances folidcs , & où tous les
Sujets des dlfférens Royaumes peuvent confpircr
fans jalouHe , vivre fans difcorde , & fe chérir mu-
tuellement , fans renoncer à leur Patrie.. Nos an-
cêtres , les Croifés , raffemblés de toutes les par-
ties de la Chrétienté dans la Terre-Sainte , vou*
Dij
|8 ŒUVRES
lurent réunir ainiï dans une feule confraternité les
Sujets de toutes les Nations, Quelle obligation
n'a-t-on pas à ces hommes fupérieurs , qui fans
Intérêt groffier , fans écouter Fcnyic naturelle de
dominer, ont imaginé un établiflemcnt donc le but
Ijnique eft la réunion des efprits & des cœurs ,
pour les rendre meilleurs , & former dans la fuite
'des temps une Nation fpiritndlc , où fans déro-
ger aux divers devoirs que la diftérence des états
^xige, on créera un Peuple nouveau , qui , en tc-
îiant de plufieurs Nations , les cimentera toutes en
(quelque forte par les liens de la vertu &ç dç la
fçience !
La fâine morale eft la féconde difpofition re-
guife dans notre Société. Les Ordres Religieux
furent ptablis pour rendre les hommes Chrétiens
parfaits ; les Ordres Militaires, pour infpirer l'amour
de la belle gloire; l'Ordre des Francs-Maçons fut
jnfHtué pour former des hommes & des hommes
aimables , de bons Citoyens & de bons fujets,
inviolables dans leurs promcfTes , fidèles adorateurs
du Dieu de l'amitié, plus am.ateurs de la vertu que
des récompenfçs.
JPolhciti fervare fidem , fancîiimque vcrcri
^iimcn amicitiçe ^mons y non munus amare.
Ge n'eft pas cependant que nous nous bornions
flUX vertus purement civiles. Nous avons parmi
nous trois efpcces de Confrères ; des Korices ou
des Apprentifs , des Compagnons gu des Profés,
des Maîtres ou des Parfaits. Nous expliquons aux
premiers les vertus morales & philanthropes, aux
it-conds les vertus héroïques , aux derniers Içs vçr-
DIVERSES, z^
tus fur-humaines & divines : de forte que notre
jnftitut renferme toute la Philofophie des fenti-
iç^ens , & toute la Théologie du cœur, C'eft pour-
quoi un de nos vénérables Confrères dit dans imc
Qde , pleine d'une noble enthoufiafmt^:
Frée-Maçons , illuftre Grand Maître ,
Recevez mes premiers tranfports ,
* Dans mon cœur l'Ordre les fait naître;
Heiweux , fi de nobles efforts
Me font mériter votre eftimc,
M'élevent à ce vrai fublime ,
A la premiers vérité ,
A l'efîence pure & divine ,
De l'ame célefle origirre.
Source de Vie & de clarté /
Comme une Philofophie févere , fauvage , trifîe
& mifanthrope , dégoûte les hommes de vertu :
nos Ancêtres , les Croifés , voulurent la rendre
aimable par l'attrait des plaifirs innocens , d'une
mufique agréable, d'une joie pure & d'une gaieté
raifonnable. Nos fentimens ne font pas ce que le
monde profane & l'ignorant vulgaire s'imaginent.
Tous les vices du cœur & de l'efprit en font ban-
nis , l'irréligion & le libertinage , l'incréduli?
& la débauche. C'eft dans cet efprit qu'un de no»
Poètes dit :
Nous fuivons aujourd'hui des fentiers peu battus 3
Kous cherchons à bâtir , & tous nos édifices
Sont , ou des cachots pour les vices ,
Ou des temples pour les vertus.
3© ŒUVRES
Nos repas reflemblent a ces vertueux foupef<'
d'Horace , où l'on s'entretenoic de tout ce qui
pouvoit éclairer l'efprit , perfedionner le cœur,
& infpirer le goût du vrai , du bon & du beau.
O ! nocles , cœnafqiie Oeum
Sermo oritiir non de regnis , domibufvc alienis :
fid qiiod magis ad nos
Pcrtinet , ê* nefcire malum ; & dgitamus , utrumne
Divitiis homines , an fint v imite beati ;
Qiddve amicitias, ufiis ^ ritumve trahat nos ,
Et qiiœ fit natura boni , Jîimmuinqiie qiiid ejiis.
Ici l'amour de tous les delîrs fe fortifie. No".'^
bannifTons de nos Loges toute difpute qui poui-
roit altérer la tranquillité de l'efprit , la douceu^^
des mœurs , les fentimens de l'amitié , & cette har-
monie parfaite qui ne fe trouve que dans le rt
franchement de tous les exchs indécens & de toute
les pafTions difcordantes.
Les obligations donc que l'Ordre vous impol*
font de protéger vos Confrères par votre autorité
de les éclairer par vos lumières , de les édifier pa
vos vertus, de les fecourir dans leurs befoins, d
facrifier tout relTentiment perfonnel , & de rccher
cher tout ce qui peut contribuer a la paix , a 1
concorde & à l'union de la fbciété.
Nous avons des fecrets : ce font des lignes figu-
ratifs & des paroles facrées , qui compofcnt un lan-
gage tantôt muet , & tantôt très-cloqucnc , pour
fe communiquera la plus grande diflance, & pour
reconnoître nos Confrères , de qi;elque langue ou
de quelque Pays qu'ils foient. C'étoient , fclon les
apparences , des mots de guerre que les Croifos
D I V E p. s E s. 3î
fc donnoient les uns aux autres , pour fe garantir
des furpriles des Sarralms qui fe gliiloient fouvent
parmi eux pour les trahir & les ailaffiner. Ces fignes
& ces paroles rappellent le fouvenir , ou de quelque
partie de notre îcience , ou de quelque vertu mo-
taie, ou de quelque myftere de la Foi,
II ert arrivé chez nous ce qui n'eft gueres atrivé
dans aucune autre fociété. Nos Loges ont été éta-
blies & fe répandent aujourd'hui dans toutes les
Nations policées ; &; cependant , dans une fi ncm-
breufe multitude d'hommes , jamais aucun Con-
frère n'a trahi nos fecrets. Les efprits les plus lé-
gers , les plus indifcrets , & les moins inftruits a fe
taire , apprennent cette grande fcience auffi-tôt
qu'ils entrent dans notre fociété ; tant l'idée de
l'union fraternelle a d'empire fur les efprits. Ce
fecret inviolable contribue puifTamment a lier les
fujets de toutes les Nations, & à tendre la commu-
nication des bienfaits facile & mutuelle entr'eux.
Nous en avons plufieurs exemples dans les annales
de notre Ordre. Nos Confrères qui voyageoient
dans les différens Pays de l'Europe , s'écant trouvés
dans le befoin , fe font fait connoître k nos Loges ,
& aufïï-tôt ils ont été comblés de tous les fecours
nécefTaires. Dans le temps même des guerres les
plus fanglantes , àes illuftres prifonniers ont trouvé
des Frères où ils ne croyoient trouver que des
ennemis. Si quelqu'un mancuoit aux promelfes (o-
lemnelles qui nous lient , vous favez , MefTieurs ,
que les plus grandes peines font les remords de fa
confcience , la honte de la perfidie , & l'exclufion ,
de notre fociété , félon ce? belles paroles d'Ho-
îàcc ;
^% (EU V R E s
Ef? & fiddi tuta filcntio
Mer ces ; vetabo qui Cereris facnini
Viiigarit arcanœ , fub iifdern
Sit trabibus ,fragiUmque mecum
Solvat Phajdum.
Oui , MefTieurs , les fameufes fêtes de Cerès ^
Eleufis , dont parle Horace , aufïï bien que celles
d*Ifis en Egypte ; de Minerve à Athènes ■ d'Uranie
chez les Phéniciens; & de Diane en Scythie, avoient
quelque rapport a nos folcmnités. On y célébroit
des myfteres où fe trouvoient plufïeurs veftiges de
l'ancienne Religion de Noé.& des Patriarches {a) ;
cnfuite on finifîbit par les repas & les libations ,
mais fans les excès , les débauches & l'intempérance
ôii les Payens tombèrent peu à peu. La lource de
toutes CQ^ infamies fut l'admiffion des perfonnes de
l'un & de l'autre fexe aux aifemblées nodurnes ,
contre la primitive inftitution. C'cll pour prévenir
de femblables abus , que les femmes font exclues
de notre Ordre. Ce n'ell pas que nous foyons affex
injuftes pour regarder le fexe comme incapable
de fecret ; mais c'cft parce que fa préfence pour-
roit altérer infcnfiblement la pureté de nos maximes
& de nos mœurs.
Si le fexe eft banni, qu'il n'en ait point d'allarmes.
Ce n'eft point un outrage à fa fidélité ;
Mais on craint que l'amour , entrant avec fes charmes ,
Ne produire l'oubli de la fraternité.
Noms de frères , d'amis , feroicnt de foibles armes ,
Pour garantir les cœurs de la rivahté.
[ «] Voyez les mœurs des Sauvages du Père Laiîtean , tome t ^
yaj,e 2ii,
La
DIVERSES. 33
La quatrième qualité requife pour entrer dans
nos Ordres , c\ï le goût des fciences utiles & des
arts libéraux de toutes Us efpeces : ainfi l'Ordre
exige de chacun de vous de contribuer car fa pro-
tection, par (à libéralisé ou par Ton travail, ài:.T.
valle ouvrage , auquel nulle Académie & nulle
Univeriité ne peuvent f'uliire , parce que toutes hs
Sociétés particulières étant compcfées d'un très-
petit nombre d'hommes , leL'r travail ne peut pas
embraller un objet aufli immenfe.
Tous les Grands-Maîtres en Allemagne , en An-
gleterre, en Italie & par toute l'Europe , exhortent
tous les Savans &. tous les Artiftes de la Confra-
ternité de s'unir pour fournir les matériaux d'un
Dictionnaire univerfel de tous les arts libéraux 6c
de toutes les fciences utiles , la Théologie & la.
Politique feules exceptées. On a déjà commencé
l'Ouvrage a Londres ; mais par la réunion de nos
Confrères. , on pourra le porter à fa perfection en
peu d'années. On y expliquera non-feulement le
mot technique , &c fon étymologie; mais on don-
nera encore l'Hiftoire de fa icicnce & de l'art,
fes grands principes , & la manière d'y travailler.
De cette façon on réunira les lumières de toutes
les Nations dans un feul Ouvrage , qui fera comme
un magafin général & une Bibliothèque univerfelle
de ce qu'il y a de beau , de grand , de Ivimineux ,
de folide & d'utile dans toutes les fciences natu-
relles & dans tous les arts nobles. Cet Ouvrage
augmentera dans chaque fiecle, félon l'augmenta-
tion des lumières. C'eft ainfi qu'on répandra une
noble émulation avec le goût des belles Lettres Sc
des beaux Arts dans toute l'Europe.
E
34 (E V V R E S ^
Le nom de Frcc-i\\açons ne doit donc pas étxc
pris dans un lens lit.cral , groffier & matériel ,
puifque leurs Inftitutcurs avoient été de (impies
ouvriers en pierre & en marbre , ou des génies
purement curieux , qui vouloient perfedionner les
Arts. Ils étoient non-feulement d'habiles Archi-
tectes qui vouloient coniàcrer leurs talens & leurs
biens à la conllruftion des temples extérieurs , mais
aufTi des Princes religieux & guerriers qui vou-
loient éclairer , édifier & protéger les Temples vi-
vants du Très-Kaut. Ctiï ce que je vais démon-
trer , en vous développant l'origine & l'hiftoire de
l'Ordre.
Chaque famille , chaque République & chaque
Empire , dont l'origine elt perdue dans une anti-
quité obfcure , a là fable & a fa vérité , fa légende
6c fon hiftoire , fa fidion & fa réalité. Quelques-
uns font remonter notre inftitution jufqu'au temps
de Salomon , de Moyfe , des Patriarches, de Noc
même. Quelques autres prétendent que notre Fon-
dateur fut Enoch, le petit-fils du Protoplafîc, qui
bâtit la première Ville , & l'appella de fon nom.
Je pajTe rapidement fur cette origine fabuleufe ,
pour venir à notre véritable hiftoire. Voici donc
ce que j'ai pu recueillir dans les très - anciennes
Annales de l'Hiftoire de la Grande-Bretagne, dans
les Aéfes du Parlement d'Angleterre qui parlent
fouvent ck nos Privilèges , & dans la tradition vi-
vante de la Nation Britannique qui a été le centre
& le liège de notre Confraternité depuis l'onzième
liecle.
Du temps des guerres faintes dans la Paleftine,
plufieurs Princes , Seigneurs 6c Citoyens encrèrent
DIVERSES. 3?
en foclété , firent vœu de rétablir les Temples des
Chrétiens dans la Terre-Sainte , & s'engagèrent par
ferment à employer leurs talens & leurs biens pour
ramener l'archicedure à fa primitive inilitudon. ils
convinrent de pluheurs fignes anciens , de mots
fymboliques tirés du fond de la Religion , pour fe
diiiinguer des iniideles , & fe reconnoître d'avec
les Sarrafns. On ne communiquoit ces fignes &
CCS paroles qu'a ceux qui promettoient fclemnelle-
nient , & fouvent même aux pieds des Autels , de
ne les jamais révéler. Cette- promelie facrée n'étoit
donc plus un ferment exécrable, comm.e on le dé-
bite ; mais un lieu refpeélable pour unir les hommes
de toutes les Nations dans une mcme confraternité.
Quelque temps après , notre Ordre s'unic avec les
Chevaliers de S. Jean de Jerufalem ; dès-lors, &
depuis , nos Loges portent le nom de Loges de S.
Jean dans tous les Pays. Gerce union fe fit en imi-
tation des Ifraéiites , îorfqu'ils rebâtirent le fécond
Tempie ; pendant qu'ils manioient d'une main la
cruelle & le mortier, ils portoient de l'autre l'épée
& le bouclier. ( t'fdras , ch.iu. ^ , v. zS.) Notre
Ordre par conféquent ne doit pas être regardé
comme un renouvellement de Bacchanales, & une
fource de folle diffipation , de libertinage effréné
& d'intempérance fcandaleufe ; mais comme un
Ordre moral , inftitué par nos Ancêtres dans la
Terre-Sainte , pour rappeîlcr le fouvenir des vé-
rités les plus fublimes, au milieu des innocents plai-
firs de la Société.
Les Rois , ks Princes & les Seigneurs , en re-
venant de la Paleftine dans leurs Pays , y établirent
des Loges différentes. Du temps des dernières
Eij
3$ (^: U V R E s
Croifades on vcÀc déjà pliifîeurs Loges érigées en
Allem.igne , en 'Italie, en Efpagne , en France , &:
delà en Écofle , à caule de l'intime alliance qu'il
y eue alors entre ces deux Nations,
Jaca^ues Lord Stward d'Êcofic , fut Grand-
Makre d'une Loge ccablie a Kilwinnen dans l'Oucft
d'Ecoffe, en l'an 1 2.86 , peu de temps après la more
d'Alexandre III , Roi d'Ecoil'e , & ua an avant
q le Jean Baliol montât fur le Trône. Ce Seigneur
^coffois reçut Francs-maçons dans fa Loge les
Comtes de Glocefter & d'Ulfter , Seigneurs Anglois
éc Irlandois.
Peu k peu nos Loges , nos fêtes iS^: nos folemni-
tés furent négligées dans la plupart des Pays 011
elles avoient été établies. Delà vient lelilcnce des
Hiftoriens de prefque tous les Royaumes fur notre
Ordre, hors ceux de la Grande-Bretagne. Elles fe
conferverent néanmoins dans toute leur fplendeur
parmi les Écoflbis , à qui nos Rois confièrent ,
pendant plulieurs fiecles , ia garde de leurs facrées
Perfonnes.
Après les déplorables traverfes des Croifades ,
le dépériffement des armées Chrcrrnnts , & le
triomphe de Bendocdar , Soudan d'Egypte , pen-
dant la huitième & dernière Croifadc , le fils d'Henri
III , Roi d'Angleterre , le grand Prince Edouard
voyant qu'il n'y avoit plus de fureté pour fes Con-
frères dans la Terre-Sainte , quand les troupes
Chrétiennes s'en rerircroicnt , les ramena tous; &C
cette Colonie de Frères s'établit ainfi en Angle-
terre. Comme ce Prince étoit doué de toutes les
qualités du cœur & de l'efprit qui forment les
Héros , il aima ks beaux Arts , fc déclara protec-
DIVERSES, 37
teur de notre Ordre , lui accorda plufîcurs privi-
lèges &: tranciii^cs, & dès-lors les membres de cette
Confraternité prirent le nom de Francs-Maçons.
Depuis ce remps la Grande-Bretagne devint le
liege de norre ic encc , confervatrice de nos loix , &
dépohcaire de nos ftcrets. Les fatales difcordes de
Religion , qui em'oraiierent & déchirèrent l'Europe
dans le feizieme iîecle , firent dégénérer notre Or-
dre de la grandeur & de la noblefle de fon ori-
gine. On changea , on déguifa , ou l'on retrancha
plulieurs de nos rits & iifages , qui étoient con-»
traires aux préjugés du temps.
C'efi: ainfi que plufieurs de nos Confrères ou-'
blierent , comme les anciens Juifs , l'efprit de notre
Loi , & n'en conferverent que la lettre & l'écorce.
Notre Grand -Maître , dont les qualités rcfpedables
furpafTent encore la naiifance diilinguée, veut qu'on
rappelle tout à fa première inftitution , dans un
Pays où la Religion & l'Etat ne peuvent que favo-
rifer nos loix.
Des îlles Britanniques , l'antique fcience com-
mence à repaffer dans la France fous le règne du
plus aimable des Rois , dont l'humanité fait i'ame
de toutes les vertus , fous le minillcre d'un Men-
tor qui a réalifé tout ce qu'on avoit imaginé de
febuleux. Dans ce temps heureux où l'amour de la
paix eft devenu la vertu des Héros , la Nation la
plus fpiritueile de l'Europe deviendra le centre de
l'Ordre ; elle répandra fur nos ouvrages , nos fta-
tuts & nos mœurs , les grâces , la délicateiTc & le
tjuii goût ; qualités eiîentielles dans un Ordre dont
la bafe efl hj-igejTe , Li force & Li hcaiiu du génie.
C'eft dans nos Loges à l'avenir , comme dans des
^8 (E U V R E S
écoles publiques , que les François verront , faas
voyager , les caraderes de toutes les Nations ; &
c'ell dans ces mêmes Loges que les Etrangers ap-
prendront par expérience que la France eft la
vraie Patrie de tous les Peuples : Patria gentis
humatice.
S T A T U T I.
NUI ne fera reçu dans l'Ordre , qu'il n'ait pro-
mis & juré un attachement inviolable pour
k Religion, le Roi & les mœurs.
I I.
Tout Brocanteur en incrédulité , qui aura parlé
ou écrit contre les anciens dogmes de l'ancienne
Foi des Croifés , fera exclu à jamais de l'Ordre , à
moins qu'il ne fafïè abjuration de fcs bîafphêmes
en pleine aflemblée^& une réfutation de fon ouvrage.
III.
Nul homme fufpeft de vices infâmes & déna-
turés ne fera admis qu'après avoir donné pendant
trois ans des preuves éclatantes de fa pénitence &
de fon amour pour le beau fexe.
IV.
Tout homme qui place la fouvcraine félicité k
boire , manger & dormir , la perfcftion de l'efprit
dans l'art de jouer , de jafer, de badiner , de favoir
l'hiftoire des toilettes , de parler le ftylc des ruelles,
de ne lire que des contes bleus , ell incapable d'en"
trer dans l'Ordre.
V.
Tout Petit-Maître idolâtre «le k. figure , de fon
DIVERSES. 3$
C4^upet , & de ^qs ajuftements , fera obligé , en en-
trant dans l'Ordre, de s'habiller fîmplement, fans
galons , fans broderie , & fans parures femelles ,
pendant l'efpace de trois ans.
V I.
Nul hypocrite en probité , en valeur , en dé-
votion , ni en morale févere , ne fera reçu dans la
fàcrée Confraternité.
V I I.
Tout Savant qu'on recevra dans l'Ordr© , fera
tenu de promettre qu'il préférera à l'avenir le plaiflc
de favoir , à l'envie de briller ; qu'il tâchera d'avoir
le beau dans la tête & le bon dans le cœur ; &
qu'il ne montrera jamais l'un que pour faire aimer
l'autre.
VIII.
Nul bel efprit qui aura médit , calomnié , faty-
ryfé en vers ou en profe , & dépenfé fes talents en
faux , en fariboles , en fornettes immondes ou im-
pies , ne fera reçu qu'après avoir fait un ouvrage
contre fa propre impertinence.
L'ÉTONNEMENT.
\J y'un Cavalier fuive par-tout les pas
D'une beauté qu'il a charmée ,
Que pour elle il quitte l'armée ,
Cela ne me furprend pas :
Mais qu'un Abbé , d'une mine friponne/
A Philis prefque tout le 'our
Effrontément fafle fa cour ,
40 ŒUVRES
Et lui marque Ton vif amour ;
C'eft-là ce qui m'étonne.
Qu'un Financier abondant en ducats,
Rifquant quelquefois fa fortune ,
Perde au Lanfquenet fa pécune ;
Cela ne me furprend pas :
Mais que Damon , qu'un Créancier talonne ,
D'un lèuî coup rifque un revenu
Qui n'efl: pas encore venu.
Et qui bientôt fera 'perdu ;
C'efl-là ce qui m'étonne.
Que Lycoris , la fleur de nos climats ,
Pour un charmant Berger foupire.
Qu'en fes beaux yeux elle fe mire ;
Cela ne me furprend pas :
Mais que la jeune & piquante Pomonc
Écoute les vœux d'un Ragot,
Et fe plaife avec un Magot
Qui jamais ne fut dire un mot ;
C'eft-là ce qui m'étonne.
Que mon Iris , vive & pleine d'appas ;,
A peine au printems de fon âge
Soupire après le mariage ;
Cela ne me furprend pas :
Mais qu'Alifon , déjà dans fon automne ,
Sans vigueur & fans agrément ,
Penfe encore au doux Sacrement ,
Sans qu'il fe préfente un Amant ;
C'eft-là ce qui m'étonne.
Qu'ua
DIVERSES. 4I|
Qu'un froid Vieillard, pour prendre fes ébats,
Avec fes amis fous la treille ,
Vuide quelquefois la bouteille ;
Cela ne me furprend pas :
Mais qu'un Barbon, d'une jeune Pouponne,"
Veuille encore éprouver les feux»,
Après trois veuvages affreux
Qui lui blanchifîent les cheveux ;
C'eft-là ce qui m'étonne.
Qu'Amarillis , en amoureux combats ,
Par l'éclat brillant de fes charmes ,
FafTe au plus fier rendre les armes ;
Cela ne me furprend pas :
Mais que Lifon , marchant à la dragonne,
Penfe captiver les Amants
Avecque fes cheveux ardents.
Et la jaunifîe de fes dents ;
C'efl-là ce qui m'étonne.
^
LE POETE VENGÉ*.
A
Vorton des neuf Sœurs , Grenouille du Parnafle,
Qui que tu fois , réponds ; quelle imprudente audace
T^a contraint d'attaquer un redouté Géant ,
Qui peut , d'un feul regard , te réduire au néant ?
Mais ne crains point : jamais dans fa noble colère
* Cette Fifce , & celle qui la fuit , ont été faites à l'o-carioa dc
flHcI<iu5s mifcrabks couplets lâchés goutte M»C*'*.
F
41 ŒUVRES
Ce Héros n'attaqua qu'un illuflre adverfairc ;
Il méprifa les coups d'une trop foible main ,
Et t'honora toujours du plus parfait dédain.
Semb'able à ce grand Roi qui força le Granique ,"
Malgré les boulevarts de l'Empire Pcrfique ,
Il ne veut , comme lui , dans les combats d'honneur
Que des Rois dont il puifl'e éprouver la valeur.
Il craindroit de ternir fon éclatante gloire ,
S'il t'ofoit difputer une foib'.c vidoire.
Il s'en eft expliqué , j'en attefVe les Cieux :
Je ne veux, m'a-t-il dit , qu'un ennemi fameux,
Je mépri e un faquin que tout le monde ignore ,
Il croupit dans l'oubli , qu'il y croupiffe encore.
Il dit : & je ne pus , en entendant ces mots ,
Qu'admirer la grandeur & l'ame d'un Héros,
Quelle noble fierté ! me difois-je à moi-même.
Que ce mépris eft grand ! que ma joie eft extrême !
S'il paroît quelqu'cfprit & favant & jaloux.
Le fiede de Céfar revivra parmi nous.
Mais quoi! je vois d;.'jamon Baudet qui s'admire.
Charmé des aigres fons de fa fade Satyre ;
Il croit que ce mépris a prrpos concerté.
Marque ou trop de foiblciTe ou trop de lâcheté.
Eh bien ! prenons en main du Héros la vengeance,
ft du pht rimailleur dévoilons l'ignorance.
Dis-moi; prétendois tu , dans tes folies fureurs,
Étjrnifer ton nom par de fales horreurs ?
Croyos-tu qu'Apollon , fécondant ton audace.
Te placeroit au rang ou de Pcrfc ou d'Horace ?
Infenfc ! tu voulus croire ta palTion ,
L'infamie eft le prix de ton ambition.
DIVERSES. ^3
Tu ne peux l'evirer , & je vois Mehomene
Qui grave fur ton front le nom d'Energumene,
Quel Démon furieux fait jouer les relîbrrs
De ton efprit rampant & dj ton fjiblc corps ?
Sans refpecl , fans pudeur , tu rép.^.t.ds dans la Ville
Le noirâtre poifon que taplunu diftille;
La probité, Ihonneur, î'ef rit & le favoir.
De tout fatyrif.r tu te fais un devoir:
11 n'efl pas aucun jour , où du fuit de tes veilles
Tu n'ofes empefter nos yeux &nos oreilles.
^En:ore, fi tu favois marier un écrit,
Si l'on trouvoit en toi ce qu'on appelle efprit j
Peut-être l'on pourroit, charmé de ton génie ,
Te paffer un bon mot ou plaindre ta manie.
Mais non : tous tes écrits faks & dégoutnnts
Semblent être formés en dépit du bon fens ;
La rime & la raifon , dans les vers û vantes ,
De l'un à l'autre bout font rhez roi maltraités ;
En un mot , tes Ecrits font des monflres hideux ;
La nature en frémit , j'en détourne les yeux.
Mais ne crois pas pourtant éviter ma colère.
Je prétends t'écrafer , ou bien te faire taire.
Écoute donc ces mots par où je vais finir ,
Peut-être ils te rendront plus fage à l'avenir ;
Du moins tu ne pourras méconnoî.re en ma Fable,
Bans l'Ane maltraité , ton portrait véritable.
Fji
:^4 ŒUVRES
L'ANE ET LE ROSSIGNOL,
Fable nouvelle,
\^ N tendre Roïïlgnol , favori d'Apollon ,
Dans les bois du f.icré Vallon ,
Chantoit un jour l'objet dont la vive jeunefTe
Avoit fu captiver fon cœur & fa tendrefTe ,
Tout éroit attentif aux accents de fa voix ;
Un filence profond regnoit au fond des bois ;
Les vents retenoient leur haleine ,
Les ruiffeaux ne couloient qu'à peine.
Les oifeaux d'alentour , charmés de fts doux fons,
Prenoient en l'écoutant de favantes leçons.
Phébus alors couché fous un épais feuillige ,
De fon cher roflignol entendit le ramage.
C'cfl lui-même , dit il, avançons, hâtons-nous.
Ne perdons rien d'un chant fi doux.
Il dit , & fuivi de fa troupe ,
Il vint s'alTeoir fur la prochaine croupe.
Là, près de lui l'on vit ces Poètes fameux ,
Qui feront révérés chez nos derniers neveux :
Là , tendrement couchés fur la molle verdure.
On vit le doux Racan & le badin Voiture ,
" Le naï<^ la Fontaine & le gêné Godeau ,
Le fiiblime Corneille & le mordant RoufTeau ;
Là parurent auffi Malherbe le Lyrique ,
Ronfard qui tient encore fon chalumeau ruflique,
Bcnfcrade qui fait peindre amoureufement
DIVERSES. 4$
Tt les yeux d'une belle & les feux d'un amant ;
Régnier , qui nous charma par fa vive fatyre ,
Scarron qui n'écrivit que pour nous faire rire ,
Là brilloient la Chapelle , & la Fare , & Chaulieu ,
Racine & Defpréaux Vornement de ce lieu :
Vous y fûtes auiïi , Marot , & vous Molière ,
Avec l'aimable Deshouliere :
Tout s'y trouva ; Menard , Defmared & Villon ,
Et mille autres encore dont je pafle le nom.
Le Dieu des Vers à peine eut fait faire filence ,
Que l'oifeau favori reflentant fa préfence ,
Se remit à chanter avec plus de douceur
Le vif Se tendre amour qui confumoit fon cœur.
Sa voix devint plus animée j
Toute la troupe en fut charmée ;
Le gofier de l'oifeau ne parut point lafle ,
Et Phébus avoua qu'il étoit furpafie.
Mais tandis que fa douce & divine harmonie
Enchantoit la troupe ravie ,
Un Baudet, près delà qui broutoit des chardons.
Crut pouvoir imiter de fi tendres fredons :
Il vous dr.fle à l'inftant fes deux longues oreilles.
Et croyant faire des merveilles ,
De fon large gofier il pouffe avec vigueur
Un aigre fon , fuivi d'un ton qui fit horreur.
Il redouble ; & Phébus , indigné de colère :
l'impertinent! dit- il, allez le faire taire;
Prenez , mes fils , prenez de gros &: fort tricots ,
Qu'à ce fot animal on brife tous les os.
Alors vous euiïiez vu cette troupe favsnte
S'armer de gros bâtons, <2c d'une main pefante
'4-5 ŒUVRES
Etriller de bonne façon
le Baudet , qui pouflbit un lamentable fon.
Chacun , à qui mieux mieux , fit pleuvoir fur fa têtC
Une grêle de coups femblable à la tempête.
On dit qu'entr'autres Defmareft,
D'un coup fort à propos , lui rompit un jarret.
Ainfi moulu de coups , l'Animal d'Arcadie
Fut chafle du Parnafîe avec ignominie.
Alors réfléchifTant fur fon malheureux fort.
Il blâma fon audace , & reconnut fon tort.
Je mérite, dit il , tous les maux que j'endure.
Mon orgueil eft puni ; mais par ma foi j'en jure ,
Jamais mes aigres fons , poufles à contretemps ,
Du tendre Roffignol ne troubleront les chants.
ÉPILOGUE.
1 j E fens de cette Fable eft facile à comprendre :
On veut par-là nous faire entendre
Que jamais il ne faut fe mêler ici-bas
D'un métier que l'on n'entend pas ;
Sans cela , des experts on devient la rifée.
Témoin ce Rimailleur, dont la Mufe forcée
N'enfante, & ne feme en ces lieux.
Qu'une façon de vers dégoutans , ennuyeux ,
Où l'on ne reconnoît qu'une extrême impudence ,
Et des règles de l'art une crafie ignorance.
Ils font bien faits, dit- on , ils font beaux , ils font grands.
Ils font beaux , qui le dit ? De parfaits ignorans
Qui n'eurent en naiffant qu'un corps pour tout partage;
Mufe , tu les connois , n'en dis pas davantage.
BIVERSES.
Hh / que de tels Grimauds méprifent mes écrits.
Je confens d'écrire à ce prix.
ÉPITRE A URANIE,
Par Mr. de Voltaire.
U veux donc , charmante Uranie,
Qu'érigé, par ton ordre , en Lucrèce nouveau,
Devant toi d'une main hardie
A la Religion j'arrache le bandeau ;
Que j'expofe à tes yeux le dangereux tableau
Des menfoi.'ges facrés dont la terre efl remplie ;
Et qu'enfin ma Philofophie
T'apprenne a méprifer les horreurs du tombeau ^
Et les terreurs de l'autre vie.
Ne crois pas qu'enivré de l'erreur^ de mes fens ,
De ma Religion blafphémateur profane ,
Je veuille avec dépit , dans mes égaremens ,
Détruire en libertin la loi qui les condamne."
Examinateur fcrupuleux
Du plus redoutable myftere.
Je prétends pénétrer d'un pas refpe(Sueux
Au plus profond du fanétuaire.
Un Dieu mort fur la Croix , que l'Europe révère;
Semble cacher ce Temple à mon œil téméraire ;
M-iisla raifon qui m^ conduit,
Fait marcher devant moi fon flambeau qui m'éclaire;
"Lqs Prêtres de ce Temple , ave» un front févere ,
4S (E U V RE S
M'offrent d'abord ua Dieu que je devrois haïr ;
Un Dieu qui nous forma pour être miférables ,
Qui nous donna des cœurs coupables
Pour avoir droit de nous punir.
Nous fit à lui-même femblables
Afin de nous mieux avilir ,
Et nous faire à jamais fentir
Les maux les plus insupportables.
Il forme à peine un homme à fon image ,
Qu'on l'en voit foudain repentir;
Comme fi l'Ouvrier n'avoit pas dû fentir
Les défauts de fon propre ouvrage ,
Et fagement les prévenir.
Bientôt fa fureur meurtrière
Du monde épouvanté fappe les fondemens.
Dans un déluge d'eau détruit en même-temps
Les facrileges habitans
Qui renipliffoient la terre entière
De leurs honteux déréglemens.
Sans doute on le verra, par d'heureux changemens.
Sous un ciel épuré redonner la lumière
A de nouveaux humains , à des cœurs innocens.
De fa haute fageffe aimables monumens.
Non , il tire de la poufllere
Un nouveau Peuple de Titans ;
Uns race livrée à fes emportemens ,
Plus coupable que la première.
Que fera-t-il7 Quels foudres éclatans
Va fur ces malheureux lancer fa main févere l
Va-t-il dans le cahos plonger les Élémens ?
O prodige ! 6 tendrèlTe ! ô œyftere !
B
DIVERSES. 49
îl venoit de noyer les pères ,
Il va mourir pour les enfans.
ïl efl un Peuple obfcur, imbécille, volage,
Amateur infenfé des fuperftitions ,
Vaincu par {es voifms , rampant dans l'efclavage ^
Et l'éternel mépris des autres Nations.
Le Fils de Dieu, Dieu même, oubliant fa puifTance,
Se fait concitoyen de ce Peuple odieux ;
Dans les flancs d'une Juive il vient prendre naiffance.
Il rampe fous fa mère , il foufFre fous fes yeux
Les infirmités de l'enfance.
Long-temps vil ouvrier , le rabot à la main ,
Ses beaux jours font perdus dans un lâche exercice ;
Il prêche enfin trois ans le Peuple Iduméen,
Et périt du dernier fupplice.
Son fang du moins, le fang d'un Dieu mourant pour nous,
N'étoit-il pas d'un prix affez noble , affez rare ,
Pour fuffire à parer les coups
Que l'Enfer jaloux nous prépare ?
Quoi ! Dieu voulut mourir pour le faîut de tous.
Et fon trépas m'eft inutile !
Quoi ! l'on me vantera fa clémence futile ,
Quand , remontant au Ciel , il reprend fon courroux T
Quand fa main nous replonge aux éternels abîmes.
Et quand par fa fureur effaçant fes bienfaits ,
Ayant verfé fon fang pour expier nos crimes.
Il nous punir de ceux que nous n'avons pas faits !
Ce Dieu, pourfuit encore, aveugle en fa colère.
Sur fes derniers en^^ans l'erreur du premier Père;
Il en demande compte à cent Peuples divers
Aiïïs dans la nuit du menfonge ,
G
^o (ïï. U VR E s ^^
Et dans î'obfcurité où lui-même les plonge ,
lui qui vient , nous dit- on , éclairer l'univers,
Amérique , vaftes Contrées ,
Peuples que Dieu fit naître aux portes du Soleil ,
Vous, Nations hypcrborées ,
Que l'erreur entretient dans un profond fommeil ;
Vous ferez donc un jour à fa fureur livrées ,
Pour n'avoir pas fu qu'autrefois ,
Sous un autre Hémifphere , aux plaines Idumées,
Le Fils d'un Charpentier expira fur la Croix î
Je ne reconnois point à cet indigne image
Le Dieu que je dois adorer j
Je croirois le déshonorer
Par un ù. criminel hommage.
Entends, Dieu que j'implore , entends du haut des Cieu3
Une voix plaintive & fmcefe :
Mon incrédulité ne doit pas te déplaire ,
Mon cœur eft ouvert à tes yeux;
On te fait un tyran , en toi je cherche un Père ;
Je ne fuis pas Chrétien , mais c'eft pour t'aimer mieux,'
Ciel ! ô Ciel ! quel objet vient de frapper ma vu& !
Je reconnois le Chrift puiflant & glorieux.
Auprès de lui dans une nue
Sa Croix fe préfente à mes yeux.
Sous fes pieds tnomphans la mort eft abattue;
Des portes de l'Enfer il fort viclorieux :
Son règne eft annoncé par la voix des oracles ;
Son Trône eft cimenté par le fang des Martyrs,
Tous les pas de (es Saints font autant de miracles ;
îî leur promet des biens plus grands que leurs defirs j
Ses exemples font faints , fa morale eft divine j
DIVERSES. "ît
H confole en fecret les cœurs qu'il illumine :
Dans les plus grands malheurs il leur offre un appui ;
Et fi fur l'impofture il fonde fa Doétrine ,
C'efl: un bonheur encore d'être trompe par lui.
Entre ces deux portraits, incertaine Uranic,
C'eft à toi de chercher l'obfcure vérité ,
A toi que la nature embellit d'un génie
Qui feul égale ta beauté.
Songe que du Très-Haut la fageffe éternelle
A gravé de fa main dans le fond de ton cœuc
La Religion naturelle ;
Crois que ta beauté , ta douceur ,
Ne font point les objets de fa haine immortelle ;
Crois que devant fon Trône , en tout temps, "" tous
lieux ,
Le cœur d'un jufte efl précieux ;
Crois qu'un Bonze modefte, un Dervis charitable.
Trouvent plutôt grâce I fes yeux
Qu'un Janfénifte impitoyable ,
Ou qu'un Pontife ambitieux.
Et qu'importe , en effet , fous quel titre on l'impîorc ?
Tout hommage efl reçu , mais aucun ne l'honore;
Un Dieu n'a pas befoin de nos foins alfidus ;
Si l'on peut l'offenfer, c'efl par desinjuftices.
Il nous juge fur nos vertus ,
Et non pas fur nos facrifices..
Gij
^ ŒUVRES
ODE
A M. DE VOLTAIRE,
P
Lein d'une fainte vengeance ,
Je t'invoque , Dieu des Dieux,
Pour confondre l'arrogance
D'un impie ingénieux.
Ah ! toujours , fougueux Voltaire ,
Par un effor téméraire
Attaqueras-tu le Ciel ?
Ingrat ! le Dieu que tu bleflfes ,
T'a comblé de fes largefl'es
Plus qu'aucun autre mortel.
Déjà je me fais entendre ;
Tes remords parlent pour moi :
Réponds ; tâche de m'apprendrc
Pourquoi tu détruis ma foi î
Dans la divine parole
Que trouves-tu de frivole ?
Quel bandeau peut t'aveugler ?
So's mon (Edipc toi-même ;
Eft-ce ton cœur qui blafphêmeî
Ton efprit veut-il briller ?
Du fentiment populaire
Adverfairc trop outré.
Avec le nombreux vulgaire
Tu rougis de pcnfer vrai«
DIVERSES. 5?
Que je vois d'cfprits fubliraes
Suivre en enfans les maximes
Qift me diae Jefus-Chrift !
Maximes vraiment divines ,
Les Corneilles , les Racines
Vous ont fournis leur efprit.
Qu'à ton exemple plus fagc,
Un Peuple d'Adorateurs
Ceffe enfin de rendre hommage
A tes talens enchanteurs.
Que t'importe des Théttres
Les louanges idolâtres ?
Tu n'en es point honoré * :
C'eft combattre ton fyftême ;
Tu connois un Dieu fuprême.
L'as-tu jamais ador^ î
On te croiroit, à t' entendre,
Le fléau du préjugé :
C'en eft un de le prétendre;
Tu n'en es point dégagé.
Se fuir , fe vouloir féduire ,'
Juger fans ofer s'inftruire ,
Te voilà ; tu le fens bien :
Pour être encore plus étrange;
Qu'aujourd'hui le culte change ,
Demain tu feras Chrétien.
* Voltaire , dans fon Épitre à Uianie , dit que Dieu n'cll poinC
banoié par nos hommagejt
54 m V V RE S
Voltaire , rends-toi juttice ,
Je te peins par ce feul trait ;
Tu rcconnois ton caprice
A ce fidèle portrait.
Orgueilleux de ton génie.
Tu n'aveugles Uranie
Que pour te diftinguer mieux.
Nouvel Ange de lumière.
Tu retraces fur la terre
L*orgueil qu'il eut dans les Cieur;
Tu prétends , nouveau Lucrèce,
Et tu le prétends en vain ,
Du culte que je profefîe
Rompre le bandeau divin.
Ah! confulte mieux ta gloire,
Tu diffames ta mémoire
Par tes fyftêmes Anglois :
De Pékin , Byfancc & Rome
Penfes-tu détourner l'homme.
Pour le fixer fous tes loix ?
Par certains tours énergiques
Dont on aime les beautés ,
Chez toi des erreurs antiques
Ont un air de vérité.
Tu fais, fédudeur infigne ,
Ne nous laifler aucun figne
Que tes Dofteurs ont écrit.
Ton art fait tout ton folide,"
Ton Déïfme eft infipide
Sans le fel qu'y met l'efprit.
DIVERSES, *5î|
A tes qualités fublimes
réleverois des Autels ;
Mais tes facrileges rimes
Les rendroient trop criminels.
Par quelle bizarrerie
De ta brillante Patrie
Es tu l'opprobre & l'honneui j
Des vertueux & des fages
Pafchal a tous les fufFrages ;
£It-il moins illuftre Auteur î
Plus un rare efprit pénétre j
Je le confeffe avec toi ,
Plus il a peine à foumettre
Ses fentimens à la Foi ;
Mais fans elle il ne lui refle
Que la reffburce funefte
De demeurer incertain.
Sous la fagefle infinie ,
D'où part fon rare génie ,'
S'il penfe , il pliera foudain.'
J'apperçois fous le tonnerre ;
Si j'y jette un œil favant ,
Tous les cultes de la terre
Se former , changer fouvenr.
Tout-à coup , fous fon Empire^
J'en vois un )èul les réduire j
Il eft ftable , c'eft le mien.
Numa , ta loi politique ,
Cède au dogme évangélique.
Et l'univers eft Chre'tien,
t^è (Ë U V R E s
Tout prouve que mon hommage
N'efl point l'œuvre d'un humain;
J'en croirai le témoignage
De tout l'Empire Romain,
Dois-je , à mon culte infidèle ,
En croire Socin &Bayle,
Qui me laifîent dans la nuit ? '
Que ton Roi te foit , Voltaire ,
Un exemple falutaire ;
La mort vient , le remords fuit»
L'ART D'AIMER,
A MADAME ***.
%_i *Amour veut un culte fuprêrr^e ,
Il veut dominer feul fur fes adorateurs ;
Les autres partions l'énervent à l'extrême ,
Il faut n'obéir qu'à lui-même ,
Si l'on veut reflentir fes plus vives faveurs.
Que d'amans font fouvent vainqueurs ,
Sans jouir comme il faut , fans frivoir comme on aime?
Hélas ! l'amour, dans plus d'un cœur,
Eft moins fentiment que fureur.
En vain l'aimable & tendre Ovide ,
Inflruit par les amours , a fait un art d'aimer ;
De ce livre charmant tout le rrtonde cft avide;
Mais c'eft moins pour trouver un guide
Que pour voir des portraits qui peuvent cnnammer.
Ses leçons fur l'art de charmer ,
Au commun des humains n'offrent rien de folide.
Hélas ! l'amour, dans plus d'un cœur,
Eft
DIVERSES: 5
Eft moins fentiment que fureur.
Souvent lamant le plus vulgaire
Attrappe le maintien d'un amant délicat ;
Langage , ardeurs, foupirs , il fait tout contrefaire. . . i
Beau fexc , il veut fe fatisf^ire :
Craignez de fuccomber , vous feriez un ingrat.
Des fermens faites peu d'état ;
Étudiez long-temps l'amant qui veut vous plaire;
Hélas ! l'amour , dans plus d'un cœur ,
Eft moins fentiment que fureur.
Vous le favez , belle Sylvie :
Toutrefpire dans moi l'aimable volupté.
D'une confiante ardeur ma tendrefTs efl fuivie.
J'aime uniquement dans vcià vie
Les fentimens , Tefprit, les grâces, la beauté:
PuiiTé-je enfin être imité !
Mon ame à découvert feroit peut-être en vie,'
Hélas ! l'amour, dans plus d'un cœur ,
Eft moins fentiment que fureur.
u
É P I G R A M M E.
N Moine à barbe , exploitant bonne Sœur^
Réitéroit fouvent ce doux labeur ,
Ah ! c'efl affez : finifTons , lui dit- elle ,
On fonne au Chœur, je vais où Dieu m'appelle*
Eh quoi ! fi vite ? Encore un pauvre Ave ,
Encor, ma Sœur, & puis je me retire.
Qu'un Ave ? Soit : voyons , je vais le dire ;
Ça faites donc , j'y joindrai le Salve.
H
38 ŒUVRES
LA COQUETTE.
.1 _3 Ans vieux & modernes Grimpk es
J'ai lu maintefois les hlftolrcs
Des amoureux infortunés ,
, De ces amans toujours bernés
Par des attentes illufoires ,
Et dont les foupirs furannés
N'ont jamais été méritoires.
J'en ai vu de mal-entendus ,
Qui de rage fs font pendus ;
D'autres ( c'eft pis que de fe pendre )
Qui voyant leurs vœux alTidus
Héjetcés , moqués , confondus ,
Sans efpoir, n'ofant plus attendre
Qu'on aimât leurs individus ,
Moines froqués fe font rendus.
Je vous plains fur-tout, fots tondus;
Mais, ma foi , vos burlefqucs peines
N'avoient point égalé les miennes.
J'aime, que dis-je ? Je fuis fou,
Mait fou jufqu'à perdre le cou.
D'une comique créature ,
Jeu grotefque de la nature,
Qui du côté de la figure.
Sans qu'elle a les yeux d'un matou ^
Tiendroit en tout du Sapajou.
Très-épaifTe eft fon encolure ;
Son corps maflif en ferait trois ;
DIVERSES, 59
Parée , ainfi que fans parure ,
Sa taille égale fon minois.
( Mon goût bril'e dans ce choix )
Quant au refle de fa ftruélure ,
Je n'en dis rien pour cette fois •
Car aufli cruelle que laide ,
En vain je la preffe & l'excède ,
En vain je meurs I fes genoux ,
Jamais la coquine ne cède ;
Elle égratigne, entre en courroux,
Et traire mes tranfports de foux.
Elle a raifon : oui , je l'avoue ;
Mais cette raifon , que je loue ,
Parle bien foiblement au cœur ,
Quand l'amour en eft le vainqueur,'
Convaincu que c'eft une tache
D'idolâtrer pareil objet ,
Et d'en être fou fans fujet,
Souvent je me plains , je me fâche
De foupirer fans nul effet ;
Elle en rit : je la prends . je tâche
De la réduire tout-à fait ;
( Car fa réfiftance m'attache. )
Pour empêcher mon fot projet ,
Elle appelle , on vient , & je lâche.
( Dans ces quarts-d'heures amoureux
Un témoin eft toujours fâcheux. )
Je vois pourtant que ce manège
Flatte fon petit efprit vain :
Elle m'agace, elle m'afiiége,
Par fréquens baifers elle allège
Hij
65, ŒUVRES
Le très- ridicule chagrin
Que j'ai de voir fon br's mutin
Toujours me repoufier la main.
Son orgueil donne un privilège ,
Son cœur le refufe foudain.
Le témoin fort , je recommence,
M2me appel , même reTiflance;
ïl lui vient encore du' fecours :
Une floïque contenance
Succède à mes combats trop courts.
Xc ris la prend : ma patience ,
'^Quoique j'enrage à toute outrance,
"Eft le remède où j'ai recours.
Que faire ? Il faut , par complaifance ,
X'e'couter. O Dieux ! quels difcours !
Quels riens ! quels torrents de paroles !
Que ne fuis-je au nombre des fourds !
Jeu , bal , repas , manège , atours ,
Sont les fatuités frivoles
Dont elle m'entretient toujours.
Si du moins, fiable en fes fornettes.
Elle m'achevoit un récit :
Fait au babil des femmelettes,
3'écouterois ce qu'elle dit ;
Mais , dans fes verves indifcretcs ,
Difant beaucoup, n'achevant rien,
Elle furpafle ces Nonnettes
Que le Vert-vert glofa fi bien.
L'hiftoire d'hier efl la même
Dont elle m'alTomme aujourd'hui,
ïe veux fuir , un attrait fupi^me
DIVERSES, 6i
Me force à vaincre mon ennui.
Pour rompre, je parle fyftême.
Amour , bel efprit , fentiment ;
Je veux la fixer un moment :
Elle rend vain tout ftratagême;
Je fixerois plutôt le vent.
Aflez bien la drôline chsnte ;
Mais toujours chanter j'en fuis las.
Demandez- moi donc qui me tente
Dans cet objet dont je fais cas.
Son cœur eft bon : fans lui déplaire.
Je lui dis maintes vérités ;
Et CCS vers que je viens de faire
Dans un quart- d'heure de colère.
Sans courroux feront écoutés.
CHANSON.
APOLOGIE DU JANSÉNISME,
Sur l'Air : Grands Phllofophcs j je vous blâme.
Argue du dogme Molinifte ,
Sa nouveauté ne peut que m'allarmer.
Vive le parti Janfénifte ,
Il ne prefcrit à mon cœur que d'aimer.
Je reconnois , & je fens que les grâces
Sont toujours efficaces ;
Car une beauté
Agit avec liberté
Sur ma volonté.
éz ŒUVRES
M ■ ' '
Q U I-P R O-Q U O,
Sur l'Air : Des Folies d'Efpagne.
V-^'jSft bien à tort qu'à la Vierge on m'ëgalc,
Dit Sœur Agnès d'un ton tout ingénu ;
Je corinois l'homme, & cette humble Veftale,
Plus pure encore , ne l'a jamais connu.
BOUQUET.
V-.^ A, ma Mufe, réveillez-vous,
C'ell trop long-temps être endormie;
Manon veut de petits vers doux ,
Il faut en fùre , allons , ma mie.
Vous favez tout ce que je dois
A cette aimable & tendre amie ;
Si je n'obéis à fa loi ,
Je m'en vais faire une ennemie.
Allons , vite , fecourez - moi.
Je l'aime ; c'eft demain fa fête.
Il faut un bouquet, . . Eh quoi !
Vous faites la fourde , je crois.
Allons ma plume eft toute^ prête. * . ;
Eh bien / J'en enrage , morbleu.
En vain contr'elle je tempête ,
Il ne fort de ma foibîe tête
Que des vers à jetter au feu.
Pour un très- orgueilleux Poëte,
Voilà fans doute un triûe aveu.
DIVERSES. 63
Jamais de l'impuiflant Ovide
Le malheur n'égala le mien ;
Sa Corinne étoit trop avide ,
Et Manon ne veut prefque rien.
Qu'Ovide eut bien fait mon affaire .'
Dans les vers il étoit rompu ;
Il feroit ce que je n'ai pu ,
Je ferois ce qu'il n'a pu faire.
Voilà mon fort, voyez, Manon,
Si cela vous convient ou non.
Le Bouquet que je vous propofe ,
Vaut cent fois mieux que vers & profe.
Dites fi ce Bouquet vous plaît,
J'irai l'offrir , il eft tout prêt.
L E T T. R E
â Madame de * * ♦,
N
On \q ne fuis point fatisfait,
Chère Maman , belle entêtée ,
De cette Épitre trop hâtée ,
Qu'hier , fans loifir & diflrait ,
Jeté barbouillai, Dieu le fait.
Ne penfe pas en être quitte ; '
De ma colère non petite,
Tu n'as encor vu qu'un extrait.
Comment ! Je n'en reviens pas. Tu m'offres du fî-
rop , je te refufe opiniâtrement, & plus opiniâtre g[u;
moi j tu nje l'envoies 1
64 ŒUVRES
Je fuis femme , me diras tu :
L'opiniâtreté fut notre caradere ;
Un£ Madame dégénère ,
Qui manque de cette vertu.
Et moi, qui fuis homme, & très-homme, jecroiroia
dégénérer , ne t'en déplaife , fi j'acccptois ton firop.
Du firop à moi ! quel préfent !
En eft-il de plus ofFenfant?
Ma foi, fi fur ce ton tu débutes, la Belle,
J'aurai bientôt de la dentelle ,
Une quenouille , des fufeaux ,
Et toute la vainc fequelle
Des ragoûts femmelets , fucres , bonbons . firops»
C'étoit à quelques Damoifeaux
Que convenoient pareilles bagatelles.
Par exemple : au pnpa mignon.
Ce doucereux penche chignon,
Dont les apparences dévotes
Demandent que tu le firotes j
A cet Abbé , poupin fieffé ,
Jeune & gentille Dcmoif-lîe ,
Qui de riens meubla fa ccrvcile ,
Pour aller plus de pair avec l'État coëffé.
Mais à moi qui me pique de faire un contrafîc pnr-
fait avec ces femmes manquécs , il ne falloit offrir que
toi ; c'eft un préfent digne d'un homme.
Tout ton aimable individu ,
Tout ton petit charmant toi-même,
Eft un don friant & dodu ,
Qui vaut tous les firops , qui vaut un diadêmç.
LE
DIVERSES, ^5
IHfiiiMii— PiAmi.
LE NEZ ET LES PINCETTES.
Conte par Piron.
P j Es Saints & les Diables enft;nible
Eurent toujours maille à partir •
Mais ce qui doit nous avertir
Qu'il faut que chacun de nous tremble j
C'efl: que le fervireur de Dieu
N'a pas toujours avec le Diable
Tiré fon épingle hors du jeu.
Ou la Légende eft une fible.
Jadis un vieux Saint exiftoit.
Lequel Apothicaire étoit ;
Car en quelqu'état que l'on vive,'
Eft faint qui veut, noble, vilain.
Voire pis, témoin faint Crépin ,
Sainte Madelaine & làint Yves.
Un jour que pour le bien public
Manipulant quelques recettes ,
Le Diftillateur en lunettes,
Dans un fourneau, fous l'alambic,'
Fourgonnoit avec des pincettes;
Voici venir le Tentateur ,
En intention de diflraira
Le vigilant Opérateur ,
Et d'être ainfi l'infligateur
D'un qui-pro-quo d'Apothicaire,'
Devant le Saint , Monfxeur Sacan
66 ŒUVRE S
Culbute , caracole & feringuc :
Le fanatique Charlatan
De mille façons fe diftingiie ;
Entr'autres le corps du lutin
Se tourne en cylindre d'étain,
Repréfentant une fcringue ;
Il fait de fon nez le canon,
Soupirail exhalant la pefte ,
De fa gueule un mortier bouffon.
Et de fa langue un gros pilon.
Dont le mouvement circulaire
Faifoit un petit carillon,
Tel qu'au Sabbat on peut le fairft'
Des ténèbres le Roi Falot
Epuifa-là tout fon calot ;
Mais ce qu'il y gagna fut mince :
Car le bon Saint, ne difant motj,
Fait cependant rougir fa pince.
Puis Tadreflant au nez du Prince,
Vous le lui ferre comme il faut.
Le Diable fait un foubrefaut ,
Montre de longues dents qu'il grince.
Veut avancer, veut reculer.
Tend ks griffes, ferre la queue.
Hue & beugle à faire trem.bler
Toute la terre & fa banlieue.
Cependant , en malin fournois ,
L'autre jouit de fa victoire ,
Et fait faire au Diable vingt fois
Le tour de fon laboratoire ,
Jufqu'à ce que, las de ce jeu.
DIVERSES. ^7
îl renvoya la bête au gîte,
Et pour l'y faire aller plus vîte ,
ïl lui feringua pour adieu
Quelques petits jets d'eau bénite.
C'eft s'en tirer avec honneur :
Heureux le faint Pharmacopole,
S'il eut d'une telle faveur
Rapporté la gloire au Seigneur !
Par malheur , en tournant l'épaule,'
Le Diable avoit trouvé moyen ,
Pour fe dépiquer de fon rôle ,
De jetter au cœur du Chrétien
Un grain de fa vanité folle,
Dont à fon tour le Tout-Puiffant,
Très-mécontent avecjuflice.
Châtia le Saint, en lailTant
Triompher un temps la malice
Du maudit lion rugiffant ,
Dont voici quel fut l'artifice.
Il s'enveloppa d'une peau
De ces gens chargés de cuifine ,
MafTe de chaire faite en tonneau ,
Pefante , efpece de pourceau ,
Qui roule ici- bas fa machine,
Et qui pliant fous le fardeau ,
Sur deux pieds quelquefois chemine;
A la Ville & dans le quartier ,
Où le Saint faifoit fon métier.
Le mafque à figure malTive,
En Moine de Cîteaux arrive ,
Va defcendre chez le Baigneur,
6% <S U V R E S
Se met au lit , fait le malade ,
Et niand: le premier Docteur
Qui vient lui débiter par cœur
Cent mille & une couillonnade ,
Et termine le fot narré
Par la formule régulitre
Du clyfierinm donare
De la faculté de Molière.
Là paroît l'humble Apothicaire^
Tout prêt adonner de 0. main,
'iivec fa mine débonnaire,
Xe remède chaud Se bénin.
Dieu des vers & de la peinture^
Aidez-moi dans cette aventure.
Voilà tout bien appareillé ,
Le Moufquetaire agenouillé.
Et le malin corps en pofture :
Mais, quoique longue outre mefure
La canule n'arrivoit point
A mi-chemin de l'embouchure.
Pour que tout donc aille à fon point
De deux valets l'effort s'y joint ;
Chacun d'eux du feflier difforme
Prend une part , la tire à foi ,
Et de l'ennemi de la Foi
Préfente le podex énorme.
Le Collateur un p^u butor ,
Qui malgré cela craint encor
De s'égarer dans la bruyère ,
Et qui, pour fes péchés, de plus
Étoit un peu court de vifiere ,
DIVERSES. €^
Met !e nez fi près du derrière.
Qu'il cft à d-Hix doigts de l'anus.
C'eft où mon drôle attend fon homme ;
On ne peut tiop admirer comme
Droit au devant la bague alla.
Et d'elle-même s'enfila,
Alors fiir chaque jce on laifle
Retomber l'une & l'autre feffe :
l'impitoyable Lucifer
A cris, ni pleurs ne veut entendre ,'
Et change en tenaille d'enfer
L'endroit où le nez s'eft fait prendre.
Ah ! vous avez beau trépigner,
Vous voilà pris, Thomme aux pincettes,
C'eft I vous de vous réfigner ;
Car de la façon dont vous êtes ,
Votis ne pouvez pas vous figner.
I! dit, & plus fier de fa proie
Que ne le fut le beau Paris ,
Rapportant la fienne de Troye ,'
L'infâme ravifieur dép'oie ^
Ses nîles de chauve- fouris.
Et s'éhvc en l'air avec joie.
Speét:icle horrible & fcandaleux !
Au cul du démon cauteleux.
Et de qui triomphe la fraude ,
L'un d'entre les Prédeftinés,
Un Saint en l'air & par le nez
Pendu comme une gringuenaude.
Ainfi fur le faint homme Job
Le Dieu d'Ifaac & de Jacob ,
^y ŒUVRES
Jadis de la même puiflance
Toléra l'affreufe licence,
Et bientôt fut y mettre fin :
Aufil mit-il ici la main.
Le faint reconnut fon offenfe :
Dieu tonna ; le malin efprit
Ouvrit la pincette maudite.
Et de la foire qui lui prit ,
Afpergeant le nez du contrit :
Adieu, lui dit-il, quitte-à- quitte.
LA MULE DU PAPE.
F
Reres très- chers , on lit dans Saint Matthieu ,
Qu'un jour le Diable emporta le bon Dieu
Sur la montagne , & là lui dit : Beau Sire ,
Vois-tu ces mers , vois-tu ce vafte Empire ,
Ce nouveau monde inconnu jufqu'ici,
Rome la grande & fa magnificence ?
Je te ferai maître de tout ceci ,
Si tu veux me faire la révérence.
Notre Seigneur ayant un peu rêvé,
Dit au Démon , que quoiqu'en apparence
Avantageux le marché fût trouvé ,
lî ne pouvoir le faire en confcience ,
Ayant toujours oui dire en fon enfance,
Qu'étant fi riche on fait mal fon faîut.
Un temps après notre ami Belzébut
Alla dans Rome; or c'étoit l'heureux âge,
Oià Rome étoit fourmilliere d'Élus ;
Le Pape éroit un pauvre perfonnage ,
D I V E R S E S. 71
l*afleur des gens, Evêque, & rien de plus.
L'cfprit malin s'en va droit au faint-Pere ,
Dans fon taudis l'aborde , & lui dit : Frère ,
Si tu voulois tâter de la grandeur ?
Si j'en voulois ! oui par mon Dieu , Monfeignenr.
Marché fut fait , & voilà mon Pontife
Aux pieds du Diable , & lui baifant la griffe.
Le farfadet , d'un ton de Sénateur ,
Lui met au chef une triple couronne :
Prenez, dit- il, ce que Satan vous donne.
Servez- le bien , vous aurez fa faveur.
O ! vous , Papes , voilà l'unique fource
De tous vos biens, comme favez , & pour ce
Que le faint Père avoit en fon tracas
Baifé l'ergot de Monfieur Satanas ,
Ce fut depuis chofe à Rome ordinaire
Que l'on baisât la mule du faint-Pere.
Que s'il advient jamais que ces vers- ci
Tombent es mains de quelque galant homme,
Ceft bien raifon qu'il ait quelque fouci
De les cacher , s'il fait voyage à Rome.
-"-^^-^ —
LE NOUVEAU ROI
DES GRENOUILLES,
Ou le Père / * * * dans un fojfê,
STANCE LIBRE.
V
Ous qu'on vit autrefois fur le haut du Parnaiîê
Folitrer avec Du-Cerce^u ( a ) ,
J[rt] Jefuite qui a csmpofc des vers fur des fujsfs allez flaiùucs.
71 ŒUVRES
Venez , badine Mufe , animant mon audace ^
Guider mon timide pinceau.
Souffrez aujourd'hui que Je chante,
Sur les bord^ du facré vallon ,
Une aventure afifez plaif-nte.
Pour diridsrb fourcil d'Apollon.
Près des lieux où périt Charles-le-Téméraire [5] ,
S'élève une maTon [c] dont l'afpedl: enchanté
Auroit faai doute de quoi pkire ,
Si l'on pouvoir y vivre en toute l.berfé.
Mais un nombreux eiTaim d,; folâtre jeunefTe [^]>
Dont fur ma foi le meiUtur n'en vaur rien ,
A lenteur de ce lieu court, va, revi nt finsceîîe^
Pour voir ce qui s'y fait , ou de mal , ou de biea.
Encor , û Ton pouvoir d^quelqu'épus ombrage
P.irei les traits malins qui partent de leurs ycf";
Mais , ô douleur ! ô déf.fpoir ! ô rage !
Il n'eft point d'o.i^bra^e en ces lieux.
Pour furcroît de malheur, une race mtchante
D'animaux [e] , dont la terre enferme Ks foyers.
Vient ronger l'écorce naiflante
De nos jeunes Poiriers.
Bien en prit au vieillard [/J qui donna des chauflurcs
A nos tilleuls craintif> , à nos foibles ormeaux ,
Moms pour les garantir des piquantes froidures ,
[ ^] Dernier Dik- de Bourgogne tué devant Nancy , en alfiégeant
René dans la Capitale.
[c] Mailoa de Campagne de J * * *.
[(/] Les E^o.isrs roJeiit fans cefle autour de cette Maifon.
[f] On voit près delà une gaienne qui fourmille di- lapins.
[7] Le P. Jt gamiUbit le pied des aibies de Vi«ux lambeaux
d'.i ibutançSt
Que
DIVERSE S. 73
Que de la trifle dent de ces viîs animaux.
Sans les foins emprclFés du Barbon charitable ,
Ces lieux deftuiés aux plaifirs
Ne feroient aujourd'hui qu'un défert effroyable.
Séjour de pleurs & de foupirs.
Mais c'eft trop exhaler la douleur qui m'infpire.
Allons au fait, & fans détour :
Aujourd'hui , Mufe , il nous faut rire ;
Nous pleurerons un autre jour.
Décrivez- nous l'entrée où fe pafTa la fccne
Que je vais dans mes vers tranfniettre à nos neveux ;
Venez , Mufe, échauffer ma veine ,
Point de trait qui ne foit heureux.
D'abord fe préfente à la vue
Un large & vafte enclos qu'enferme un grand conduit j
Une porte à demie-rompae
Sépare en deux un mur [g] que la terre a produit.
A peine a-t-on franchi cette porte admirable.
Qu'on voit un pont , mais des plus beaux ,
Dédale [/^J y travailla, fi l'on en croit la fable.
Au fortir des prifons du farouche Minos.
Divine fille de mémoire ,
Décrivez-nous ce pont , ce magnifique pont.
Rendez-le plus fameux , s'il fe peut, dans l'hiftoire^
Que celui qu'un grand Roi [i] jetta fur l'Hellefpont-
Six ais cloués fur deux folives ,
f c ] Une haie vive.
_^^] Architeûe de l'Antiquité , qui bâtit le fameux Labyrinthe df
Crète, dan<; lequel il fut eni'uits empoitonné par Minos , Roi de
l'Jile , ÔC dont il s'envola avec des aiies de cire.
£î] Xciccs , Roi de Perfe > couvrit l'Hellefpont de vaiGeaux,
K
74 ŒUVRES
P?r-tout du fable répandu ;
Voilà ce qui, fur les deux rives.
Forme en peu le pont pre'tendu.
A droite on voit un trou couvert d'une farcine :
A gauche un plus petit , plus traître [k] & plus trom-
peur ,
Fait que fur toute la machine
Le plus hardi Champion ne mnrchç qu'avec peur.
Au defTous un fofTé, large dj fix coudtes,
Profond de cinq , ( fi je puis bien juger )
Contient des eaux fi fort confolidées ,
Que jamais l'œil ne les a vu boujer.
C'efl au fond de cette eau verdâtre & croupiffante;
( Comme on le dit en ces climats )
Que la Nation croafTante
Tous les Jeudis [ / ] en pompe sfTemble fes États."
Depuis mille ans , ce Peuple au vieux fils de Cybele
A grands cris demandoit un Roi ,
Qui plût, par des arrêts d'une forme nouvelle.
Corriger hs abus & re'tablir la loi.
Sa demande long- temps fut inutile & vaine j
Mais un jour il cria fi fort ,
Que Jupin en laifla tomber fa coupe pleine.
Et que fon aigle en prit l'efTor.
Vertu-mort, s'écria le Diéi tout en colère.
De quel front vient-on m'infultcr ?
ÏVIoi , le Maire des Dieux , l'arbitre du tonnerre j
Et je pourrois y rélifter !
l ^ ] C'eft le trou qui fit tomber le P. J.
11} C'eft ordinairement les Jeudis que les J. yont à la cjippasac»'
DIVERSES, 75
Qu*on m'apporte au plutôt ma foudre j
Je veux exterminer ces importuns marauds ,
Oui, je veux les réduire en poudre :
Vîtc ici, Mulciber, fournis-moi des carreaux.
Eh! quoi , reprit Junon, quoi pour fi peu dechofc
Exterminer amfi les Peuples des Marais ?
Pour un peu de Neélir ? Voyez la belle caufe !
Hébé , verfe-nous-en du meilleur , du plus frais.
Que chacun [m] fuive ici l'exemple que je donne:
A votre famé , cher Gogo ;
Sachez qu'on n'cft heureux [n] que lorfque l'on pardonnai
Et qu'on boit à tir-la-rigo.
A cette belle & pieufe Sentence
On vit trois fois tout l'Olympe applaudir,
Comme on voit aujourd'hui fur la fccne de France
A de pareils difcours le Peuple s'e'baudir.
A l'inflant le Dieu rentre au dedans de lui-même ,
Et blâmant fon courroux un peu précipité :
Voici , dit- il , chère époufe que j'aime ,
Voici quelle eft ma ftable volonté.
Qu'à ma parole on prête une oreille attentive ,
Écoutez-moi, peuple importun.
Vous demandez un Roi , cjuoi qu'il vous en arrive ,"
Vous le voulez ; eh bien ! je vous en promets un.
Mais gardez- vous, race maudite ,
De le traiter ainfi que le Roi Soliveau ;
Je punirois ce crime autant qu'il le mérite ,
[»î] Ce Vers eft tiré de la Tragédie de Maximien.
[ a ] C'eft une des fentences de Couftdiuin , qtfi ne parle que prt
apophtegmes dans cette Ttagt'die,
Kij
75 ŒUVRES
J'en jure , & vos marais feroient votre tombeaul
Il dit , & fecouant fa noire chevelure ,
Il fit trembler le firmament ;
Il tonne , & toute la nature
Sentit qui Jupiter avoir fait un ferment;
Mais en attendant l'arrivée
T)u nouveau Roi promis par le Maître des Dieux ,
Achevons , Mufe , la corvée ;
Montrez-nous ce qui refte à voir dans ces beaux lieux.
Ne différons pas davantage ,
Guidez mes pas vers la maifon.
le î'apperçois , ô ciel ! quel heureux avantage , .
D'entrer dans le féjour qu'habite la raifon.
Tu te trompes ; c'eft-là qu'habitent la contrainte.
Et le froid pédantifme , & la faufTe douceur ;
Tous c^s noirs habitants ne refpirent qu'en crainte ,
Chacun , cenfeur d'autrui, trouve aufTi fon cenfeur.
A deux Divinités propices
ïls font gloire d'offrir chaque jour des préfents.
Les vieux feuls font les facrifices ,
Les jeunes préparent l'encens.
Vois-tu l'Ambition avec fa tête altiere ?
Jufques fur l'Empirée elle fixe fês yeux ;
Dominant fur la terre entière ,
Elle voudroit encor dominer dans les Cicux.
A fes côtés paroît la Politique habile ,
Au maintien décevant , au front toujours couvert;
Elle prête à fa fœur une main trop facile ,
Et feint de la blâmer , pour agir de concert.
Mais entrons, j'apperçois les deux fales ouvertes;
Que de tables , bons Dieux ! la belle quantité !
DIVERSES. 77
©e wêts les plus communs ces tables font couvertes ;
Les mets communs , du on, font bons pour la fanté.
Plus loin paroît une cuifine
Prefqu'aufli blanche qu'un vieux four ;
C'eft en ce bel endroit que Madame Lefmc
A fixé pour jamais fon bienheureux fe'jour.
O la laide figure ! ô la vieille grand'mere !
Je n'y puis plus tenir , je vais la foufflcter :
Sors d'ici , vilaine Megere ;
Non , moi , j'y veux toujours relier.
Que vois-je ! on fe levé de table ,
L'un prend fa canne , & l'autre fon manteau ;
Il n'en refte plus qu'un qui 'ette un verre en fable.
Et court comme un perdu rejoindre le troupeau.
Trois font déjà partis où leur ardeur les porte ;
Il en refte encore cinq , deux jeunes & trois vieux.
D'un pas grave & pédant ils marchent vers la porte ,
Ne fâchant pas qu'un Roi fe trouve au milieu d'eux.
Apprenez- nous , Mufe divine ,
Vous , à qui l'avenir eft comme le prêfcnt.
Apprenez-nous celui que Jupiter deftine
A commander un jour au peuple croafiant.
Il a les cheveux noirs , 6c les fourcils de même ,
Le nez long , les yeux grands , un front de majeité;
Aulu-tôt qu'on le voit on l'aime ,
Tout prêche en lui la Royauté.
Ennemi de tout artifice ,
Excellent cœur , &c bon ami ,
Il n'aime jamais par caprice.
Il n'aime jamais à demi.
Ses difcours/font remplis d'uns noble élégance ,
78 ŒUVRES
11 a du tour , de l'ordre , & beaucoup de bon fens ;
Aulli depuis long-temps la divine Éloquence
L'a placé parmi fes enfans (o).
Mais tandis que je veux vous le faire connoître.
Il eft déjà tombé dans fes nouveaux États ,
Selon l'ordre de notre Maître ,
Les pieds en l'air , la tête en bas.
Sa chute répand l'épouvante
Parmi le Peuple des Marais ,
Et cette Nation tremblante
Crut être perdue à jamais.
Raflurez-vous , peuple timide ,
Accourez , & venez falucr votre Roi ,
Son bras n'cfl: pas armé d'un acier homicide ,
Il vient en paix faire obferver fa loi.
Ce n'eft plus cet hydre terrible
Qui croqua jadis vos ayeux ;
C'efi: un homme doux & paifible,
C'efl un Roi conforme à vos vœux.
Sa bouche n'eft point meurtrière ,
Sur fa langue jamais on ne trouva de fîcl ;
Il vous apporte un cœur de père ,
Un cœur confît dans le fucre & le miel.
Vous verrez fous fes loix la paix & l'abondance
Régner de nouveau parmi vous ;
Du fçrpent venimeux la brutale infolence
Tombera fous fes coups.
A ces mots j'apperçois la troupe épouvantée
Quitter fes trous bourbeux , & paroître au grand jour ;
[o] Le T. J. faifoit le métier de Prtdicateur.
DIVERSES. 79
Béja fur la rive montée ,
Elle vient lui faire fa cour.
Autour de lui chacun s'attroupe ,
G'eft à qui montrera le plus d'activité ;
Mais un feul , au nom de la troupe.
Fait ferment de fidélité.
Chacun fe dit en fon langage ,
Qu'il eft aimable , qu'il eft beau !
Il fera déformais notre unique partage ;
Il vaut mille fois mieux que le Roi Soliveau.
^' —g
É P I G R A M M E.
\y Ue penfez-vous de l'Auteur d'Uranie î
Vous l'avez vu Poëte , Hiflorien ,
Critique amer , hardi Pyrrhonien ,
Sur tout fujet exerçant fon génie ;
Vous le voyez Anti-Cartéfien ,
Ami du vuide, Anglois à toute outrance;
Eft-ce tout 1 Non , grâce à fon inconftance.
Je le prédis , vous le verrez Chrétien.
BHBBSKBmÊfmia^m.
LES DEUX RATS.
_/^U bon vieux temps, lorfque Eerrhe filoit.
Et que mainte Bête parîoit
Mieux que font nos Docleurs de Sorbonne ,
On dit que certaine Mitronne ,
Un foir comme elle pêtrifîbir ,
Se fentit vivement mordre par une puce ,
8o ŒUVRES
Sur le bord d'un certain endroit »
Par où THermitc Frcre Luce
Fit croire que d'Agnès un Pape fortiroit.
Sur le champ la Mitronne adroite
Surprit cette puce indifcrete ,
La prefTant , le col lui tordit,
Puis après fa befogne faite ,
Auprès de fon Mitron elle fe mit au lit.
Or, quand la puce elle avoit dénichée ,
La pâte de fes doigts qui s'étoit attachée
Aux plumes de l'oifeau que je ne nomme pas.
Attira dans le lit deux Rats ,
Dont le nez fin l'avoit flairée.
En tapinois venus pour en tâter ,
Ils commençoient à grignoter ,
Quand le Mitron , fentant fa pâte bien levée ,
Se mît en devoir d'enfourner.
Les Rats le voyant fe tourner,
L'un étourdi de peur , tremblant , tête baiffée ,
Dans le plus prochain trou brufquement fe jetta.
Et l'antre auprès tapis refta.
Le Mitron , befogne achevée ,
Se recoucha fur le côté ;
Les prifonniers en libeiti
S'enfuirent au grenier à leur gîte ordinaire.
Les voilà fe queftionnant ,
L'un & l'autre fe demandant
Comme ils s'étoient tirés d'affaire.
Moi , dit l'un , j'ai donné dedans le pet au noir;
Je ne crois pas qu'on puiffc avoir
Uns plus riûble aventure ;
DIVERSES, Si
îe tne fuis fourré dans un trou
Où j'ai cru ma retraite sûre ;
Mais le maudit Mitron m'a bourré tout fonfaoul
Avec je ne fais quoi qu'il poufToit à mefure
Que pour fortir je voulois avancer;
Il m'a coigné le ne2; , & m'a fair le tapage ,
Tant que laiïe du badinage ,
Ce gros & long je ne fais quoi.
Prenant enfin congé de moi ,
M'a craché par mépris au milieu du vifage ,
Le vilain m'a prefque aveuglé.
Et moi, dit l'autre tout troublé ,
Dans l'encoignure d'une cuiffe ,
Sans grouiller , m'étant cantonné,
Témoin impatient d'un fi <x>rt exercice,'
Pendant qu'il te coignoit le nez
Avec fa cheville ouvrière ,
Qui te caufoit tant de fouci ,
Deux boules qui pendoient à fon chien de derrière^
Sans ceffe allant, venant, coignoient mon nez aufli.
L'Y GREC OU LA FOURCHE.
Onflres ne font fi rares que Ton croit.
Certain homme vrai monftre étoit ,
Non de corps , de bras , ou de tête ,
Mais par l'endroit chéri du fexe féminin.
Et qui fert à lui faire fête.
Double il étoit cet inflrument malin ,
Fourchu , de plus fait de telle maniera ,
L
8i ŒUVRES
Qu'une branche pafîar: dans la route ordinaire.
L'autre à l'inftant prenoit l'autre chemin.
Et fourdement enfiloit le voifin.
Mainte belle avec complaifancc
Avoit fenti la double expérience
D'un tel prodige, & gardoit le tacet
Sur le cas qui n'étoit pas net.
Gr , il advint que notre perfonnage
D'une veuve dévote & fage
Fit emplette , & fe maria.
A fon devoir la première nuitée
La veuve inflruite fe rangea ;
Mais aufli-tôt fe fentant perforée
En certain lieu d'où le pauvre défunt
N'avoit jamsis tiré fon alumelle ,
Traitant d'abomination
Cette double intromiflion ,
Jura que déformais la perfide entreprife
N'auroit fuccès qu'après dtcifion
Exprès donnée en confultation
De notre Merc fainte Églife,
Aufli-tôt Dofteurs confultés ,
Douleurs hermines & froqués:
Mais foute la Gent Sorbonique
Devint mue le & fans réplique,
Et les illulrres ignorants
Renvoyèrent l'affaire au Père des Croyants.
Au Pape donc l'affaire fut portée,
Puis au Confiftoire traitée ;
On étala grande érudition ,
On fouilla dans rhiftoire & profane & facrée;;
i
DIVERSES. g3
Camufe cependant fur la folution
Fut la fecro-fainte Aflemblée :
Plus vivement encore on confulta Sanchez,
Efcobar , Tambourin , Lénez.
Ces pieux & favants Dépôts
N'offrirent à leur ouverture
Que fottifcs hors de propos; l.
Rien de certain fur l'aventure.
Leur embarras détermina l'affaire
En faveur du monftre Mari ,
Et la Réponfe du faint-Perc
Fut : Gaudeant benè nazi.
ÉNIGME.
J E fuis une pîaifante chofe ,
Qui peut avoir environ
Six à fept pouces de long.
Je ne fers point quand on répofe ,
Quand je pends je fuis hors d'emploi ,
Dès qu'on veut fe fervir de moi ,
Alors une main féminine ,
Me prend , me fecoue & badine ,
puis après le jeu me conduit,
Ainfi que mon fidèle guide ,
Dans une fente fort humide ,
Comme en mon naturel réduit.
Là j'entre autant que l'on me pouffe ,
Après mainte & mainte fecouffe ,
Si l'on me retire dehors ,
Je fuis tout mouillé quand je fors.
Li)
84 ŒUVRES
Cc{\ par ce phifant exercice
Qu'au genre humain je rends fervice;
Mais fi par malheur rebuté ,
Ou trop vainement excité ,
<^n ne peut me mettre en ufage ,
C^cR alors grand bruit au ménage.
O vous tous, qui lifez ici
I.e détail de mon (avoir faire,
Si vous me devinez , vous pouvez fans myflere
Me nommer ; car de moi vous vous êtes fervi.
É P I G R A M M E.
Sur le C. de S. S....
E fuis un animal d'équivoque nature ,
Comédien , efcroc , dévot, plein de ferveur;
J'élève un, temple au Créateur,
En filoutant la créature.
È P I T A P H E pour Jean-Céfir Rouffcuu de
la Pizrijîcrc , E de N diiccdc le z £
Novembre iy^6.
1 Ci gît un Prélat d'emprunteufe mémoire,
Qui toujours prit, & jamais ne rendit.
Seigneur, s'il cfl dans votre gloire.
Il n'y peut être qu'à crédit.
DIVERSES.
LETTRE
De la Baronne de Rouplllac à Madame des
Étoiles , au jujet d'une Brochure intitulée z
L'Ennwi d'un quart-d'heure , de feu M. lAbbé.,,
aujourd'hui M. de la Mare tout court.
QUe de grâces , Mademoifelle , j'ai à vous
rendre ! De quel fervice ne vous fuis-je pas
redevable ! Oui , ma reconnoiilance fera tou-
jours au deflous du bienfait , je ne le fens que trop;
mais du moins j'ai la confolation de vous devoir
prefque la vie. Car , peut-on vivre fans dormir >
Et avant le bienheureux paquet d'écrits modernes
que vous m'avez fait tenir , je ne dormois pas plus
qu'un vrai lutin. En ouvrant votre Lettre , j'ai
trouvé une lifte de fujets récréatifs : elle débute
par l'Ennui d'un quart-d'heure ; & voila juge-
ment mon Efculape. AfTurément votre amitié tou-
jours tendre & prévenante , a deviné qu'une cruelle
infomnie me tourmentoit depuis bon nombre de
jours , & une guérifon aulfi prompte d'une migraine
violente ne pouvoit m'ètre procurée plus à propos
par la perfonne du monde la plus précieufe à ma
tendreliè.
QtVe veut dire ce prélude embrouillé , direz-vous
peut-être , Mademoifelle ? Je ne comprends rien à
ces paroles ridicules : patience , voici le débrouil-
lement du cahos.
Je lis ordinairement avant de me livrer aux
douceurs du fommeil qui me fuit bien fouvent ,
«(^ m U V R E s
& qui me vend bien cher fes douceurs ; car j'ai
foixante ans pafles. Ah ! qu'à votre âge , jeune &
belle Souchette , il étoit d'inftants où Morphée me
prodiguoit fes faveurs , après avoir goûté des plai-
fîrs dont les Dieux auroient même été jaloux ! Ma
îeunefTe éclipfée ne me lailfe que le regret de ne
pouvoir rajeunir , & n'a point diminué la pafTion
que j'ai toujours eue pour les amufemens d'une
vie aimable. Les vieilles redifent toujours , }e re-
viens.
Le foir donc , je me trouve dans des ouvrages
ingénieux ( pas fi fouvent que je le fouhaiterois : )
la matière a des fonges agréables , dont la douce
impoflure charme le temps délicieux de la nuit.
Rendue fuivant ma coutume à mes livres , le jour
même de votre envoi reçu, je faifis avec empreffe-
ment l'Ennui cfiin quart-d'heure : je me mets en
lituation commode pour repaître moins mes yeux
que mon efprit & mon cœur des nouveautés con-
tenues dans la Brochure que j'ai à la main ; je toulTe,
je crache , je recueille toute mon attention , j'ou-
vre & je lis , je continue, j'achève Mais , 5
verti^ divine répandue dans cette mcrveilleufe
feuille ! j'ai bâillé , & le fommeil m'a furpris fans
être invoqué. Depuis dix ans fortune pareille ne
m'étoit arrivée.
Je le foutiens , Apollon a infpiré le père de ces
poéfîes , & il a prouvé par ces rimes ennuyeufes
qu'il étoit autant le Dieu de la Médecine que de
l'harmonie. Tout l'opium & la thériaque de la
doéle faculté des Pharmacopoles n'auroient pas
opéré aufli fûrement que l'Ennui d'un quart-
d'heure. , donc le titre , auffi modeile que i'Au-
DIVERSES. 87
teur , ne me difpenfe pas de lui dire qu'il m'a fourni
de l'ennui pour plus d'un fiecle : li je pouvois
vivre autant , je confentirois à partager ce fopora-
tif avec nos neveux les plus reculés ; car ne trou-
ve-t■^on pas dans le monde les ennuis immortels,
& la joie trop courte ?
Ce , la peflô me tue , que l'Obfervateur du Par-
nafTe a révélé judicieufement , eft une expreflicn
du bel air , n'eft-il pas vrai , Mademoi Telle ? Mr.
de la Mare fréquente les cercles où régnent la
galanterie & les Petits-Maîtres d'une efpece tranf-
cendante.
Vous me mandez , Mademoifelle, que l'Auteur
publie avec complaifance les éloges qu'il prétend
lui être dûs : j'y foufcris , & ne le regarde point du
tout comme un Habitant de la Garonne , quoi-
qu'il en ait le mérite &. la vivacité : je dirai avec
vous que
Ennemi du menfonge & de la jaloufie ,
On ne le vit jamais blefler la vérité»^
Organe de la modeftie,
Son Apollon eft la fincériré.
Pour lui Pégafe oublia fa fierté ,
Clio devint plus fage , moins coquette,
Melpomene à fa fœur cadette
Fit part de fes talents & de fa gravité ;
Thalic à fon tour plus fcvere ,
Lui donna ces attraits, ce vif, cet enjouement.
Ces yeux frippons qui favent plaire , j
Et régner à leur gré fur le cœur d'un Amant,
^a Mare fut vaincre les plus cruelles,
gg ŒUVRES
Et les neuf Sœurs , ces divines pucellesj
A la vii'ginité préfe'rerent l'amour :
Nouvel Endymion de ces tendres Déeffes ,
Il reçut maints baifers, faveurs, bonbons, careffes,
Apollon , obligé de lui faire la Cour ,
Quitta les rives du Fermefle ;
La Mare pour jamais fans efpoir de retour ,
Fut le Dieu qu'encenfa Cypris & la mollefFe.
La fortune , Mademoifelle , rougit des fautes dti
deftin. Eft-elle profpere? L'on oublie les loix delà
nature, & l'on déroge aux dégrés du fang le plus
proche : le Poëte des ennuis en eft une preuve vi-
vante. Je vois que ce petit ifigrat , en grimpant à
la double cime , a changé fon véritable nom : je
l'ai connu à Paris : on lappelloit Mr. l'Abbé Croque^
chenille , & Mr. à'Hojitr lui-même n'auroir pas
été plus heureux dans la découverte d'aucune gé-
néalogie.
Je vous envoie un extrait authentique d'un par-
chemin que je pofîede. Il eft unique : Mr. Croque-'
chenille m'a follicité plus d'une fois de m'en dé-
fiire en fa faveur, pour être fondé en raifons en cas
de fuccefTion à recueillir. Je conçois que le dépit
& la gloire l'ont dégoûté de fa vraie naifTance. Je
lui pardonncrois cette boutade , s'il veut paiïer le
refte de l'automne à ma campagne , & je lui rendrai
l'original timbré, dont je fais pour vous une copie,
»n attendant le pkiiir de le voir.
Admirable
DIVERSES. §9
Admirable & incomparahh Tranfition de VAhbi
de la Marc en efcargoty & ce qui advint d'icdU,
Ycz , grands & petits ,
Ce dont vous ferez ébahis.
Entre le Franc & l'illuflre Voltaire ,
Cruels débats furvinrent l'autre jour.
L'un vouloit , à fon ordinaire ,
Nous ennuyer d'un fade amour ;
L'autre , plus docle & moins ignare,
Soutenoit que l'amour énervoit les cfprits/
Et qu'il ne vouloit point d'éloges à ce prix.
Le Franc s'irrite , en appelle à la Mare :
Or qu'advint-il ? Notre nouveau Midas
Se levé. & bientôt vous décide
En faveur de la Zoraïde.
Voltaire pour cela les armes ne mit bas ;
Il vole au temple de Mémoire ,
A Melpomene explique net le cas :
Phébus inftruit de cette hiftoire ,
Réfolut de punir notre Juge ignorant;
Par fubite métamorphofe ,
La Mare hélas ! comment dire la chofe ?
D'homme devint un infecle rampant ;
Le nouvel efcargot court fans retardement
Dépeupler parterres , charmilles ,
De papillons & de chenilles.
Pour récompenfsr fon ardeur ,
On le nomma Croque- chenille ,
M
90 ŒUVRES
Et fur le Pinde, avec honneur,
Des efcargots il orna la famille.
Une preuve nouvelle de cette origine , Made-
moifclle , que j'ajoute par furcroît d'évidence , elt
que je ne vois pas pourquoi ce petit ingrat a changé
de dénomination. 11 a beau fc déguifer , on con-
noîcra toujours Mr. Croque-chenille à une bofîe qui
lui ed refcée au front. C'ell un accident qui lui efl
arrivé le jour d'un grand vent, qui le jetta à terre
dans le potager du ParnalTe. La nature qui lui a
donné autant d'efprit qu'a Éfope , a chargé l'art de
fuppléer a Ton défaut. L'art , moins habile que la
rature, n'a pu lui donner double bofîe; mais il a
fait une ëminence fur le front de notre Poète qui,
bien loin de changer un ancien nom , auroit dû en
prendre un nouveau le jour de cette aventure qui ,
luivant quelques malins trop véridiques, a une ori-
gine du c nq.'.ieme étage.
Cette addition devroic le tenter , Mademoifelle ,
fur-tout quand on elt friand de gloire , & qu'on
cherche à briller par les ennuis. Scipion n'a-t-il
pas été furnommé l'Aflicain , Fabius le Tempori-
feur ? Et une foule de Conquérants, que je pour-
rois citer , n'ont-ils pas bi'igué des noms qui paf-
faffent à rimmortalitc ?
jcpropofe a Mr. Croque-chenille le fur-nom de
Dufront: je me regardero s bien hcureuié, s'il vou-
loir adopter un intrus qui demande un quartier
dans l'ccuflbn de fa gloire. Bon foir , mes belles
iamours, je les aime trop pour ne pas fupprimer les
façons, je vous embraie cent mille fois pour une.
Votre, ôêc. Du RODPILLAC,
DIVERSES. or
LA BOUGIE
De Noël.
A
Pife, Ville d'Italie,
Habitoit un certain Jofeph d'Alcantaris,
Jaloux de fa raoirié jufqu'à la frénefie.
Le fait n'eft étonnant ; Italiens maris
Sont fujets , comme on fait , à vifloas cornues.
Celui-ci , galant autrefois ,
Savoit fur le bout de fes doigts
Les rubriques d'amour , même les moins connues*
Pour mettre donc en sûreté
Son honneur , ou plutôt celui de fon époufe.
Ceintures de virginité
Vinrent s'offrir d'abord à fon ame jaloufe :
Mais c'étoit peu pour lui , les plus forts cadenats,'
Pour garder ce tréfor, font en vain réfiftance;
Le drôle le favoit , & par expérience ,
Voici donc ce qu'il fit pour éviter le cas :
Il joignit à cette ceinture ,
Vers l'endroit dangereux , deux lames de rafoir:
Deux refTorts les faifoient mouvoir ,
Qui, dès qu'on les lâchoit, refermoit l'ouverturC/
La femme à peine eut reçu ce préfent ,
Qu'un billet de fa part en avertit l'Amant.
L'Amant arrive , il court dans ks bras de fa Belle,
Par des baifers on prélude un moment ;
Mais las de ces faveurs qui croifient fon tourment ,
11 en cherche une plus réelle.
Mij
cji m V V R E s
Il découvre à fon gré la porte des plaifirs ,
Et l'obftacle ne fait qu'irriter fes defirs.
Le lerpent qui tenta notre commune Mère ,
Se réveille d'abord à ces objets charmants ,
Et leur fait inventer , dans ces heureux moments ,
Les moyens de fc fatisfaire.
Des deux refforts la Belle en tenoit un ,
L'Amant retenoit l'autre , & dans carte aventure ,
Le ferpent fans trembler faifit la conjecture ,
Et fc plonge à l'inftant avec vivacité
Dans le fein de la volupté.
A cette douce approche on s'emporte, on s'oublie.
On ell prêt à perdre la vie ,
On ne penfe plus , mais on fent ,
Et dans cet effort fi puiflant
Le ferpent fe trouva la funefte victime
Des rafoirs échappés ; & cet endroit fi beau ,
Trône de fes plaifirs , en devient le tombeau.
Au cri de l'homme accourt la Soubrette tremblante ,
Elle emmenne l'Amant , tandis que fon Amante ,
Ignorant du ferpent les cruels déplaifirs ,
Jouit confufément de fes derniers foupirs.
Il fallut tirer le ferpent ,
Et l'embarras étoit comment :
Un tire-bourre en fit hcureufement l'affaire.
L'animal encore furieux ,
Ne fortant qu'avec peine écumant de colère.
Quoiqu'il eut les larmes aux yeux,
Sur le lieu de fa fépulture
if. Il fut queflion d'opiner.
Ca Dame paroifîbic encline à le garder j
DIVERSES. 93
Ira fervante difoit que ce feroit folie ,
Et que befoin n'étoit de rembaumer ,
Tels animaux étant communs en Italie.
Par la fenêtre enfin elle le fit pafler.
Une vieille dévote , en allant à l'Églife ,
Car c'étoit , m'a-t-on di: , Noël le lendemain,
Tre'buche , & laifTe échapper de fa main
La lanterne qu'elle avoit prife.
La nuit étoit obfcure , autour elU tâtonne j
Sa main tombe fur le ferpent,
Pour fa chandelle elle le prend,
le met dans fa lanterne , ainfi Dieu n'abandonne
Ses Serviteurs, dit-elle, & fait les fecourir.
Elle arrive à l'Eglife , elle dit les premières
Ce que par cœur elle fait de prières ;
Mais bientôt à fon livre il lui faut recourir :
Elle met fa chandelle es mains de fa voifine,
Jiifqu'en celle du Clerc elle parvient enfin.
Il fouffle fur la mèche, il fe tourmente en vain
Pour l'allumer : tant plus il l'examine ,
Plus ce qu'il tient lui paroît furprenanc,
Mais à la fin comprenant le myftere :
A d'autres, cria-t-il d'un ton plein de courroux.
Cette chandelle eft faite à s'allumer chez vous.
Mefdames , que chacun faffe fon miniftere.
If
94 ŒUVRES
L* ANTI-MONDAIN,
Par Piron.
o
Jours heureux ! qui purs & fans nuages
Avez du monde éclairé le berceau
Dont vainement un odieux pinceau
Vient à nos yeux dcfij;urer l'image :
Jours fortunés ! quoiqu'cn publie encor
Un maître-fou dans fa verve indifcrete ;
Age à bon droit appelle ficcle d'or ,
O bon vieux temps ! c'efl moi qui vous regrette.
Mais ; ô regrets en effet fupcrflus !
A notre dam , hélas ! vous n'ûtes plus !
Tranquille au fcin d'une hcurcufe abondance.
Exempt de peines, affranchi de tous foins,
L'homme vivoit, la fage Providence
Pour fon bonheur lui cachoit {'es bcfoins.
Il ctoit libre , & I.i feule nature
Diftoit fes loix , régidoit fcs devoirs ;
La trahifon , le meurtre , l'impothirc ,
Les attentats , les forfaits les plus noirs ,
Sous des climats oh regnoit la droiture ,
De fon cœur fimple ignorés & bannis,
N'avoicnt alors bcfoin d'être punis ;
Nul préjugé n'afferviffoit fon ame :
Heureux de vivre ainfi qu'il étoit né.
Ni bien ni mal , gloire , honte , ni bl!\me
N'ctoient connus de fon cfprit borné.
O douce erreur , favorable ignorance ,
DIVERSES, 95
Fille du Citl , mère de l'affurance ;
Point de remords qui gênât fes defirs:
Né po'.ir jouir, fait pour le bien fupréme.
Il le trouvoit dans un autre lui-même ;
Kien ne troubloit leurs innocens plaifirs :
Eh quels phifirs ! A leur douceur extrême
Le monde entier doit fes accroifîemenj.
Tendres ébats , divins embrafTcmens ,
Fréquens fur tout plus qu'au fiecle où nous fommcs ;
Et c'eft raifon , car le deftin des hommes
En de'pendoit dans ces commenccmcns.
Plaifirs exempts de tous les vains fantômes,
Dont un bifarre &C chimérique honneur
Se'duit des cœurs fufceptibles d'àllarmes.
Ce fier tyran d'un fcxe plein de charmes,
Ne mettoit point d'obftacle à fon bonheur.
Un efprit fimplc,une aimable innocence.
Un cœur naïf , de candeur revêtu ,
Neuf encore même après la jouifTance,
Tcnoient alors lieu de toute vertu.
De nos aïeux , fous le règne d'Aftrée ,
Telle étoit donc la race bienhcurée.
D'un fiecle à l'autre & victorieux &r fain ,
L'homme vivoit ; alors un Médecin ,
Coupable engeance en ce temps ignorée ,
De fes beaux ans n'abrégeoit la durée.
Or maintenant , notre ami du bel air ,
Qui vous moque?, impur.ément du ir.onde ,
Vantez-nous bien votre fiecle de fer,
Vantez fur-tout votre cœur très-immonde,
Qfii fronder l'illuflre Fénelon ,
çS ŒUVRES
Déprifcz- nous les accords de fa lyre.
Ce beau Roman , le feul utile à lire ;
Vous toutefois , vous , ce rare Apollon ,
Dont les écrits ne vont point au talon
De ce Prilat , vous dont le chaud délire ,
Pis qu'une fièvre en fes accès prefTants ,
Vous fait choquer la raifon , le bon fcns ;
Vous , dis-je encore , qui placez dans un Temple ,
D'un bout à l'autre ouvrage original ,
Fille de joie auprès d'un Cardinal ;
Vous, dis-je enfin, qui, pour dernier exemple ,
Venez de faire afleniblage nouveau ,
Et , comme on dit , une galimafrée
D'Eve , d'Adam , de Saturne & de Rhée ;
Affortimens dignes d'un tel cerveau ,
Plaçant le bien de la nature humaine
Dans un bouchon qui frappe au foliveaii.
Ou bien à voir une tête de veau.
Qui mollement dans un char fe proraenc
Or, maintenant ce féjour enchanté.
Ce Paradis terreflre fi vanté ,
Cher Calotin de la première claflTe ,"
De bonne foi entre nous ,
Que pour favoir oij peut être fa place ,
On auroit tort de s'adrefler à vous.
11*
L'HABITî
DIVERSES. ^7
J iiii I ' ■ "^TrrTi — r-rTfi— laiMMiii» mimiiii inm-hiw "''«i«iW'ifii»''WMBg«e»;
L'HABIT NE FAlt PAS LE MOINE,
Conte , par le même.
Ufe , de grâce , au fait & point d'exorde.
Des Écumeurs, gens fans miféricords.
Firent defcente à je ne fais quel port ,
Et tout de fuite y defcendit la mort ,
L'affreux dégât , le viol , l'équivoque ,
Qu'Agnès redoute , & dont Barbe ft moque ,'
L'ardente foif du fang & du butin ,
Tant d'autres m^ux, le facrilegc enfin.
Péché mignon d'cnpeance fcéîérate.
Ce dernier-ci conduifit les Pirates
Dans nn Couvent de Pères Cordsliers :
Chafle , encenfoir , croix, folcil, chandeliers,"
Vafes facrés , tout fut de bonne prife ;
Burettes , draps , le cellier iS^ l'Egli-fe ,
Tout fut pillé ; vcïyez que les Vauriens
Ne s'y prenoient ainfi que desChrétien'S,
En qui peut-être eût agi le fcruoule,
S'ils n'avoien: pas dans plus d'une ceUule
Trouvé de quoi fie dire : Eh ! ventrebleu ,
N'en ayons point , puifqu'ils en ont fi peu.
Tout bien cherché, des gentilles commères
Gagnent la Nef, pour avec les Corfaires
Gaiement paffer leurs jours dorénavant.
Eux à ramer, elles comme au Couvent.
Père Guichard , bilieufe pécore. . . .
Prêche & fulmiag en pieux. . . .
N
98 ŒUVRES
Pcre Guichard çfl traité d'étourneau ,
Et pour réponse on le jette dans l'eau.
D'autres cncor de *prêcher ont la rage ;
Ils prêchoicnt donc , mais fur un ton plus fage,
Quand le plus fier de tous ks ouragans ,
Mieux qu'un fermon , convertit nos brigands.
Les voilà tous devenus des Panurges ,
Se fiant moins à Dieu qu'au Thaumaturge, ^'
Et promettant c handellc à tous les Saints
Du Paradis & lieux circonvoifins.
l'équipage cft au pied de la chiourme ;
On crie , on pleure , de langiots on regourme,
Meâ culpâ , mon père , mon mignon ,
Ce n'eft pas moi , mon mignon,
Ce n'efl pas moi , c';;roit mon compagnon.
Moines de dire , en faifant grife mine ,
Punition Se vengeance divme.
Le bon larron , contrit comme à la croix,
De fe > ouer à Monfieur Saint François ,
S'il en éch. pp^. A Vinflnnî le temps change .
Vous auriez dit que fur l'aîle d'un Ange
Le Scraphique avoit dit : Quos ego.
Le Ciel reprend l'azur &c l'indigo ;
Le u reverdit, & fa claire furface
S'applaniffint, redevient une glace ;
Tout rentre .enfin dans fon premier état,
Tout y comp'-is. le cœur du rc(;Ié''ar.
Il rit du vœu formé pendant l'orage.
Le Capitaine abfoud toutl'équipnge,
Réuniffant tout le pouvoir lu loi,
Et iUr foii bord ttaat irontife & Roi,
DIVERSES. 99!
Buvons , chantons , rions , dit le corfaire,
Frappons , f . . . . . & vogue la galère.
Les Pénaillons difoient : vous avez tort ,
On fait la figue ainû plus près du port ;
Dz Pharaon tel étoit le vertige ,
Moyfe aulji coup fur coup le fuftige.
Le Chef répond : qu'on ait tort ouraifon;
Ramez , faquin ; belle comparaifon ,
Le fouet à fouet , la verge de Moyfe
Et le cordon de Saint François d' Alhfe.
Trois jours avotent coulé (ans accidents ;
Le quatrième , ainfi qu'entre leurs dents ,
Des Gris-vêtus prioient leur Patriarche
De fe venger en purifiant l'Arche,
L'un des frocards s'écrie : Eh ' le voila.
Oui ? Saint François. Où ? Sur l'eau , là-bas, là.
Tenez , voyez , vis-à-vis de la pouppe :
Sur le tillac aufli-tôt l'on s'attroupe ;
Oui , c'efl: , dit-on , vraiment un Cordelier >
C'en eft bien un, le fait eft fingulier ?
En pleine mer un homme , & , n'en déplaife,
Qui paroît même être là fort à l'aife.
C'eft , s'écrioit un Moinillon fervant ,
C'eft ce grand Saint qu'à la merci du vent.
Dans le péril , ingrats , vous réclamâtes;
Mon œil d'ici diftingue les iligmates :
Je vois , je vois l'Ange exterminateur.
Les bras levés fur le profanateur :
Tremblez , méchants. Le frocard en tumulte,
Paflbit déjà de l'efpoir à l'infulte.
La foldatefque incertaine & tout bas ,
N ij
'îdo (E U V R E s
Se dcmandoit : l'eft-ce, ou ne Teft-ce pas ?
La nuit laifTa leur ame en grande tranfi ,
Et du foleil attendit le retour ;
Il reparoît , l'on revoit tout le jour
Le mêiTic objet à pareille diftance.
Lors, les relaps enclins à pénitence ;
C'eft Saint François, qui pourroit ce être donc?
Voilà des gens penauds , s'il en fut onc.
Le Commandant, dont lavifiere eft nette.
Pour le plus sûr mit l'œil à la lunette ,
Et dit, ma foi , vous ne vous trompez point :
Je vois capuce & froa; c'eft de tout point
Un Cordelier , promptement à la nage ,
Voulant venir peut-être à l'abordage,
11 faut l'attendre ; holà , ho ! le Grappin.
Chacun fe ligue au cri du Turlupin ;
D'horreur le poil en drefle à tout fon monde ,
L'objet s'enfonce , & difparoît fous Tondit.
A l'inftant fouffle un vent des plus gaillards ,
Et fut-ce un coup du Ciel ou du hafard ,
Vous en allez favoir le pour & contre.
Tout au plus près îe nageur fe remontre ;
Le Grappin tombe , accroche , & tire ; eh qui ?
Etoit-ce bien un Cordelier? Nenni.
Là , de par Dieu , fa Mère & Saint Antoine ,
Jamais l'habit ne fit fi peu le Moine.
C'étoit au vrai l'habit d'un Fraiicifcain ;
Mais fous lequel ne giffoit qu'un Requin ,
Poifibn goulu , vorace , anrropopbage ,
PoifTon hideux, poiffon pour tout potage.
Mais un poiflbn froqué • par quel hafard î
D I V E R S E 3. i©i
Vous avez vu nager Père Guichard;
Figurez-vous le Requin qui le gobe ,
Non pas avec , mais par deflbus fa robe 5
Des pieds au col tantôt il fut grugé ,
Et de ce Trône la tête prit congé.
Le froc alors préfentant l'ouverture ,
Avoit d'un monflre embéguiné la hure ;
Et de ce jour , quêteux , humble & gourmand
Frère Requin fuivoit le bâtiment. ,
APOTHÉOSE de Mademoifelle le Couvreur
Adrice, morte le z Mars 1730. 1
Par Mr. de Voltaire.
\/ Uel contrafte frappe mes yeux ?
Melpomene ici délblée ,
Élevé , avec l'aveu des Dieux,
Un magnifique Maufolée.
Si la Superftition ,
Diflinguant jiifqu'à la pouiïiere,
Fait un point de Religion
D'en couvrir une ombre légère :
Ombre illuftre , confole-toi ,
En tous'les lieux , la terre efl égale j
Et lorfque la Parque fatale
Nous fait fubir fa trifte loi ,
Peu nous importe oij notre cendre
Doive repofer, pour attendre
Ce temps où tous les préjugés
Seront à la fin abrogés.
TOI ŒUVRES
Ces lieux cefîent d'être profanes ,
En contenant d'illuftres mânes ;
Ton tombeau fera refpecté.
S'il n'eft pas fouvent fréquenté
Parles difeurs de Patenôtres,
Sans doute il le fera par d'autres ,
Dont l'hommage plus naturel
Rendra ton mérite immortel.
Au lieu d'ennuyeufes Matines ,
Les Grâces, en habit de deuil ,
Chanteront des hymnes divines
Tous les matins fur ton cercueil j
Sophocle , Corneille , Racine
Sans cefTe y répandront des fleurs,
Tandis que Jocafte ou Paulinc-
Verleront des torrents de pleurs.
Enfin, pour ton Apothéofe,
On doit te faire une Ode en profc ;
Le chef- d'œuvre d'un bel efprit
Vaudra bien du moins un obit.
Méprife donc cette injuflice ,
Qui fait refufer à ton corps
Ce que par un plus grand caprice
Obtiendra Pelletier des Forts.
Cette ombre impie & criminelle,
A la honte du nom François,
Quelque jour dans une Chapelle
Brillera fous l'appui des Loix.
Ainû , par un deftin bifarrc ,
Ce Miniftre dur & barbare
Doit repofcr avec fplendeur ,
DIVERSES, Î03
Tandis qu'avec ignominie ,
A rÉmulc deCornelie,
On refufc le même honneur.
■^■^■^^^■■^I— — ^■i^M^^i— M^— ^^^"i^— —i^i— i—^i^— p
É P I G R A M M E
Ve quelqu'un , qui fans doute a troqué fin encen-^
fiir contre des verges , ê" qui fouetta fa coquine ,
après avoir adoré fa Déejfe.
^ Ur la Salle la critique eft perplexe :
L'un en difant qu'elle a fait maints heureux ;
L'autre répond qu'elle en veut à Ton fexe ,
Un tiers prétend qu'elle en veut à tous deux.
Mais c'efl à tort que chacun la dégrade ,
De fa vertu pour moi je fuis certain
Refnel foutient qu'elle n'eft pas Tribade ,
La Grogner dit qu'elle n'efl: pas Putain.
ODE
A un Prélat j que fon ^ele pour la dêfenfi de /«
vérité expoj'e à âes perfccuticns.
Xf Rélat , dont les travaux fameux
Ont répandu par-tour la gloire.
Dont les combats victorieux
Immortalifent la mémoire ;
Quels cris s'élèvent contre toi ?
£h ! quelle eft cette hydre aaell^
J04. (E U V R E S
Qui ne peut te voir fans effroi 7
La vengeance marche près d'elle ,
La noire envie arme fes mains.
Ciel ! de leurs complots inhumains
Sauvez une tête fi chère ;
L'intérêt de vos dogmes faints
Vous rend fon falut néceflTaire.
Mais pourquoi trembler pour ks jours ?
Continuez, troupes iniques;
Oui , j'y confens , ayez recours
A mille odieufes pratiques ;
Ne montrez que dans de faux jours
Ses démarches les moins critiques ;
Tâchez par d'indignes détours
D'ôter aux éloges publiques
Ses œuvres les plus canoniques.
Inutile , impuillant courroux !
L'État , dont il prend la défenfe j
Contre la fureur de vos coups ;
Les Ouailles , que fa vigilance
Dérobe à vos efforts jaloux;
La Foi , qu'il maintient contre vous ;
Voilà recueil iniurmontable
Où fe briferonc tous vos traits.
Et toi , Prélat , dont à jamais
Le nom doit être refpe<^ablc ,
Ne ceife , par d'illuftres faits ,
De mériter toute la haine
De ceux dont l'audace hautaine
Sous le joug d'une juflc Loi,
PréiÇnd faire plier 1% Foi,
ÉPITRI;
DIVERSES. 105
É P I T R E
Qu'un Auteur écrit à un de fes Amis dans un
befoin d'argent j pour lui m demander,
I 3 E ma trifte déconvenue
Apprends, ami, l'aventure imprévue.
Le Diable quittant fon caveau ,
Et voulant fur notre he'mifphere
Avoir un hofpice nouveau ,
Qui fut & moins fale & moins chaud
Que fon domicile ordinaire ,
Vient , par je ne fais quel travers ,
De prendre fon gîte en ma bourfe,
C'eft là que pour toute reflburce "
II s'olîre à mes befoins divers.
Depuis cet accident funefte ,
Pour moi tout change en l'univers j
Chacun me fuit 5c me détefte.
Hôte, Boulanger, Rôtiffeur,
Ne peuvent me voir fans frayeur ;
Le Marchand ferme fa boutique.
Le pâle Banquier fon comptoir ,
Et c'eft un fâcheux pronoftique
Seulement de m'appercevoir.
Pour expulfer fi n-^échant hôte ,
Signe de croix & patenôire ,
Et tout ce que la piété
M£t d'armes aux mains des Fidèles
10^ ŒUVRES
Pour chaffer les efprits rebelles ,
J'ai tout efTayé , tout tenté ,
Mais le fripon n'a fait que rire g
Et je pre'tcnds en vain lui dire
Que l'Églife m'a mis en main
Sur les puifTanccs fouterraines
Un defpotifme fouverain ;
Qu'à tort il faifoit k mutin ,
Qu'il en augmentoit fes peines ;
Le perfide tient toujours bon ,
Se raille de mon catéchifme.
Qu'il traite de p-ure chanfon.
Cher ami , û ton exorcifme
Ne vien4: bientôt à mon fecours ,
Tu vois le dernier de mes jours.
ÉPIGRAMME
Contre un jeune Prédicateur ignorant _, qui ayoil
donné , comme de lui , une Pièce éloquente 6'
pleine d'érudition.
Eune Damis , dans tout ce beau difcoursj
Où le favoir , les grâces du langage ,
L'efprit , les mœurs , la nouveauté des tours
De l'Auditeur ravifîent le fufFrage ,
Rien n'eft de toi , fi j'en crois le lardon.
Mais par trop loin va cette médifance :
Le fon de voix , certaine difîbnance ,
Je ne fais quoi d'Ardcnnois dans le ton ,
DIVERSES. :o7
Contre ces traits vient prendre ta défenfe,
Et femble dire , arrêtez , médifants ;
De ce difcours û rempli d'éloquence ,
Le bon Damis a du moins les accents.
ri/i»». ^'^m^•J^!l^l.^i m ■_, .. ^
AUTRE ÉPIGRAMME
Sur la rencontre imprévue que V Auteur fit d'une
Demoijelle , avec laquelle il avoit vécu quel-
ques années auparavant d'une manière très-
particulière , & qui fit fcmblant de ne pas le.
rtconnoitre.
MADAME * * ♦
S
Eroit-ce vouî , adorable Clarice,
Qu'offrit hier à mes regards furpris
Du fort l'adorable caprice !
Mes fens charmés , mon cœur épris ,'
Mon ame jufqu'au fond émue ,
Livrée aux tranfports les plus doux
A votre rencontre imprévue ,
Me perfuadent que c'cfl vous.
J'ai reconnu cette taille charmante
Et cette gorge ravifTante ,
Où l'on voit folâtrer les ris & Jcs amours."
J'ai reconnu cette bouche touchante ,
Dont autrefois tous les difcours
Flattcient mon oreille étonnée ,
Éclairoient mon efprit , attcndriffoicnt mon cœur.
Oij
îoS M V V R E S
'F,t qn'i , par un pouvoir vainqueur ,
Ketenoient mon ame enchaînée.
Mais , ô portrait ! ô pîaifir impofteur ï
3])ans une muette langueur
Vos yeux venant à s'offrir à ma vue ,
Au même inftant je vous ai méconnue.
I
•BsssaaEBaaracaa
LE CHAPITRE GÉNÉRAL
DES CORDELIERS.
Éja la Renommée avoît paffé les mers
ï'our aller annoncer à cent peuples divers
Que l'invincible Chef de la Gent Cordelière
Venoit de terminer fon illuftre carrière.
Déjà , pour faire choix d'un digne f'ucccfTeur,
De chaque Monaftere on afîemble la fleur ,
Et Tolède eft choifi pour tenir l'afTemblée ,
Où doit fe réunir l'élite députée.
Le Chapitre commence , il fe rient à huis clos.
Un Moine, beau parleur, l'ouvre par ce propos:
O vous ! dignes foutiens ie toute gueuferie ,
Vous qui faites valoir la fainte momerie ,
Qui n'avez pour tout bien & pour tout revenu
Que le droit cafuel & du c. & du cul ;
Vous qui de toutes parts venez ici vous rendre ,
Au faint Généralat vous qui voulez prétendre •
Vous vous flittez en vain que la Brigue en ces lieux
Tavorife jamais des vœux ambitiçux.
Quiconque ofc afpirer à cette grande place ,
DIVERSE.^. 109
lîc doit fur fes talents attendre aucune grâce.
Plus humbles , plus favants fufliez-vous mille fois,
Plus ardents à gueufcr que le grand Saint François ,
Si vous n'avez des v . . . d'une énorme mefure ,
Vous devez de ce rang vous-même vous exclure :
Le mieux muni de nous doit être Général ;
C'eft-là pour notre choix le point fondam.ental)
A notre Ordre aujourd'hui donnons un nouveau liiflre
ChoififTons parmi nous le v. . . le plus illuf!:re.
Pcre?, préparez-voBS , voici l'inftant fatal ,
Qu'il faut mettre au grand jour le fceptre monacal ;
De VOS roides engins montrez la révérence ,
Et voyons qui de nous aura la préférence.
Alors montrant le fien : voici , dit- il , mes droits.
Et le figne afiliré de mes fameux exploits ,
Quoiqu'on en ait tranché par un malheur funeftc.
Pour être Général voyez ce qui me refte :
Révérends , c'eft , je penfc , un aflez bel hochet.
A fon afpeâ: , on croit voir un v. . de m.ulet.
Saifi d'unfaint tranfport , un vieillard en lunette
S'approche, pour le voir , fait une humble courbette*
De près il l'examine , & dit : Par faint François ,
. Voilà , je crois , de l'ordre un des plus beaux anchois.
Mais d'un air dédaigneux faififiant la parole ,
Père Taneux foutient que c'cft une hyperbole ,
Prétendant qu'il n'a pas fuffifante groffeur ,
Défie , à fon égard , le plus rude cenfcur ;
Et levant de la main fa longue robe brune.
De l'autre il fort un v, . propre à faire fortune.
A peine le peut-on empo'gner d'une main,
ï-ong à proportion , quatre , fec &C mutin.
ïio ŒUVRES
Voilà , dit- il , un . . . rougiffant de colère ,
Et non pas ce que vient de nous montrer le Père
Avec cet outil-là , je peux fans me gêner ,
Fournir mes douze coups, dont fix fans d'éc. . . nec
te Chapitre fourit , & prend cette bravade
Pour un difcours en l'air , pour une gafconadc ',
Mais le Moine, piqué de cet affront nouveau.
Frappe de fon .... vingt fois fur le bureau ;
Cet effort vigoureux fait trembler le Chapitre,
L'on admire, l'on rend juflicc à votre titre,
Vous méritez beaucoup , lui dit le Préfident ,
Père Tapeux , calmez ce noble emportement :
C'eft affez , Révérend, contenez ce tonnerre.
Vous avez effrayé tout notre monaftere ;
Votre engin à fon tour doit être mefuré.
Et s'il eft le plus long , il fera préféré.
Père Examinateur , commencez votre ronde ,
Que chacun fafle voir fur quel titre il fe fonde ;
Qu'on enregiftre tout , la taille & la groffeur ,
Qu'on faffe mention exaéle de longueur ,
Et du tour du Breteur ; fur-tout qu'on examine
Les c. . . & les v. . . jufques à leurs racines ;
Enfin ce que chacun montrera de vigueur.
Soit dans votre examen produit en fa faveur.
L'examen achevé , il faut qus l'on opine ,
Mais pour l'élection nul ne fe détermine.
Et Père Brife-motte & Père l'Enfonceur
Ont leurs engins égaux en longueur , en groffeur
Également bandant, ils ont des reins de diable,
Les c. . . Ions fant égaux , enfin tout eft femblable ;
Mais comment faire un choix , où tout paroît égal î
DIVERSES. iii!
îl faut pourtant que l'un des deux foit GénéraT.
Pour nous tirer , dit l'un , de cette incertitude^
Mettons-les tous les deux à que-lqu'épreuve rude:
tour choifir fans fcrupule & fans prévention ,
Faifons venir ici jeune fille & garçon ;
Sur l'un & l'autre fexc exerçons leur courage ,
Nous verrons qui des deux prend mieux un pucelage ,
Lequel en f . . . . rie cil meilleur ouvrier ,
En un mot , qui des deux eft meilleur Cordelier,
Bientôt après ces mots on préfente à la Salle
Un jeune Ganymede , une jeune Veflalc ,
Environ de quinze ans, plus belle que le jour.
Teint de rofe & de lys , ouvrage de l'amour.
Chaque Père en voyant cette jeune fillette ,
Sent fon bidet tout prêt à rompre fa gourmette.'
Le Préfident fait figne au Père l'Enfonceur
De commencer l'épreuve , & grimper fur la Sœur,
Sitôt dit, fitôt fait : defTus une- couchette
Mife en ces lieux exprès mon Frocard vous la jette ,
Il latrouffe , & fe met en devoir d'obtenir
Des plaifirs que l'amour ne fauroit définir.
Le Père avec tranfport achevé fa victoire ,
Et retirant Hu c. . . fon v. . couvert de gloire ,
Sitôt il le renfonce, & pour dignes exploits.
De l'aveu du Tendron il déchargea fix fois ,
Six fois fans déc. . . er ; & puis levant fa cotre ,
Il fait voir au grand jour la plus charmante motte ,
La cuifTe la plus blanche , & le plus beau c. . . n
Qui fe trouva jamais fous jupe de Nonnain.
Le V. . . du Moine alors montrant fa rouge tête,
S'échappa furieux de la fainte brayctte ,
112 ŒUVRES
Écumant de luxure, il remonte à rinftant,
Jean-chouard cette fois entre plus aifément.
Ce jeune périt c . , quoique c. . de poupée ,
Au Moine vigoureux laifTe une libre entre'e , ,
Dans ce fécond afTaut , fans plainte & fans douleur.
De l'enfroqué }ean-f. . . elle rempli: l'ardeur,
Tant & fi bien , qu'enfin ne pouvant pafler outre, \
Il lui laiffe le c. . tout barbouillé de f. . tre.
Le Père TEnfonceur , illuflre Candidat ,
Aiiifi fut éprouvé pour le Généralat.
Le Père Brifc- motte à fon tour fur la fcene
Entre, & dit qu'il f..tra dix coups tout d'une haleine»
Il efluye le c. . de cette jeune Sœur,
Et dans trois coups de cul lui caufe une douleur
Qui fait jetier des pleurs à la jeune innocente.
Le Moine fans pitié dans fon ardeur brûlante ,
La ferre entre fes bras , faifi d'un doux tranfport ,
Sentant fon v. . prefTé comme par un refTort ,
Change en tendres foupirs les pleurs de fa conquête.
Et régale ce c. . d'une fi belle fête ,
Que le cul de la Nonne en fauta de fureur.
Le paillard darde au fond la bénigne liqueur,
Et fuivant fans repos l'amoureux exercice ,
Douze coups , tous portants ; fon v. . lui fut propice.
La douzaine finie , on crut qu'à cette fois
Le Moine borneroit le cours de fes exploits :
On alloit opiner , quand ce nouvel Hercule
Retournant le Tendron , du premier coup l'enc. . îe
Sodomifc deux coups, & deux fois déchargeatt^
11 retire du cul deux fois fon v. . bandant,
Jufques-là Bufe-fliotte avcit eu Vayantage,
DIVERSE S. Il;
Et le Chapitre alloit lui donner fon fuffrage ,
Le mien n'eft pas pour lui , répond Frère I-rappart ,
Au choix en queftion je pre'tcnds avoir part ,
Et fur lui remporter une pleine vicloire :
Mon V.. n'efi: pas fi long , Pcrcs , je veux le croire ,
Mais pour f. . tre je veux lui damer le pion ,
Je vais vous le montrer fur ce jeune garçon.
Il dit , & fur le champ déculotant le Frère ,
Aux yeux des Papelards paroît le beau derrière.
•ïl pouffe vivement fon y. . fans le mouiller ,
Sans effort & fans peine enc. . . l'Écolier.
Chacun frappe des mains à ce charmant fpeclade ;
tt l'on tient que le coup approche du miracle ;
Quand le b. . gre , charmé de l'applaudiffement.
Leur dit, fans déc. . r je f. . trois to^it un an.
Le faint homme , en effet, de toute la journée
Ne ceffa de tenir la mazette enc. . . .
Le Préfident fe levé , & recueille les voix :
Tout eft en fa faveur, le Chapitre en fàïi choix;
Quand un Moine étourdi fe faific de la porte ,
Et dit qu'il ne veut pas qu'aucun Cordelicr forts;
Sans avoir déclaré qu'il faut , pour être élu ,
F. . tre quarante coups , foit en c. . foit en cul ,
Appellant de leur choix au plus prochain Concile,
Prétendant d'y montrer qu'il n'eft pas moins habile.
Qu'il offre de montrer fa propofition
Mife dans le moment en exécution.
Il fort , ferme après lui : le Chapitre en murmure.
Je veux vous f. . tous , dit-il , par la ferrure ;
Pied ferme & v, . en main , il les prend au guichet;
Les Moines fe voyant furpris au trebuchst ,
P
IÎ4 > ŒUVRES
Déli}3crcnt enfin , & la fainte aflemblée ,
Qui fe voit au pafîage à coup sûr enfilée.
Veut bien qu'à ce mutin on préfente le cul ?
Tout autant il en fort , tout autant de f. . tu.
Pas un n^en efl exempt, pas même la vieilleffe,
Le b. . gre enc. . . . tout d'une même vîtefle :
Chaque Moine convient qu'il n'a rien vu d'égal ,
Et qu'on ne peut choifir un plus grand Général.
E
LE DÉSAGRÉMENT
De la Jouijfance.
Nfin après fix mois de peine & de foupirs /
Climene s'efl rendue à mes preflànts defirs ;
D'un moment tendre & doux j'ai faifi l'avantage.
Mais hélas ! qui l'eût cru ? Cette prude fauvage
Qui tant & tant de fois a refufé mes voeux ,
A plus f. . tu de coups que je n'ai de cheveux.
Son c. . avec fon cul font une même fente,
Mon v. . en fut frappé d'horreur & d'épouvante;
Et parcourant au loin cqi abîme profond.
En même- temps f. . tit & le cul & le c. . . .
O vous qui recherchez 1 honneur d'un pucelage ;
Amants , ne jugez pas du c. . par le vifage.
Les dévotes Beautés qui vont bailfant les yeux ,
Sont celles pkîsfouvent qui chevauchent les mieux :
T-lle, d'un air bjgot , vous aff-onte & vous dupe.
Qui pour un malheureux vingt fois levé fa jupe,
Et feignant de prier , en fermant fon volet ,
Pour un Godcmichw quitte fon Chapelet. '■<**
DIVERSES. iv
LE POINT D' AIGUILLE.
CONTE.
\^Ertain Tendron qu'Ifabeau Poa nommoit,
Après quinze ans ayant Ton pucelage ,
Cas fingulier , dans un bal fe trouvoit :
Chacun illec de danfer faifoit rage,
Fors Ifabeau ; la pauvre fille étoit
Seule en un coin faifant trifte figure ,
Les yeu?: baiffés , & tenant fa ceinture
De fes deux mains elle ne remuoit ;
Si qu'eufliez dit que c'étoit une Idoli?.
Un fien ami , que j'appelle Damon ,
Vient l'accofter, lui fait cette leçon:
Tandis qu'ici l'on rit , l'an cabriole ,
Etre ainfi trifte à vous n'eft pas fort beau ,;
Chacun s'en moque ; allons , belle Ifabeau ,
Venez danfer , foufrrez que je vous mené ,
Là votre main. . . . Non ce n'eft pas la peine ,
Dit Ifabeau , Monfieur , laiflcz ma main ,
Bien grand merci ; pourtant ne croyez mie
Que tel refus provienne de dédain ;
Car de danfer j'aurois bien grande envie :
Mais on m'a dit que quand je danferois ,
Mon pucelage auiïitôt je pî^rdrois ,
Qu'il tomberoit devant les g&ns ; eh Dame !
Maman après mè chanteroit fa gamme ,
Bien la connois , elle m'affoleroir.
Ah ! dit Damon , qui fous cappe rioit ,
Pij
iiS ŒUVRES
3e vois que c'efl , or qu'à ce point ne tienne
Que ne preniez votre part in plaifir •
Dans ce moment tout à votre loifir
Pourrez danfer , fans crainte qu'il advienne
Ce que fi fort me femblez redouter :
Il faut fans plus à votre pucelage
Trois points d'aiguille , & vais fins différer ,
fÀ le voulez , vaquer à cet ouvrage ;
le ne ferois , pour tout autre que vous ,
Befogne telle , or ça dépêchons-nous ,
Puis danferons après tout à notre aife.
Auiïicôt dit , notre belle niaife
Suit le galant , & tout alla fi bien ,
<^ue de leur faite on ne foupconna rien.
Voilà Damon qui prend en main l'aij^uille ,
Vous fait un point , puis un autre ; la fiîle
De prendre goût , & de dire : ah ! vraiment j
Je couds fort mal , à ce que dit Maman ,
\Ellc me gronde : oh bien ? qu'elle m'achète
Pareille aiguille , Elle verra beau jeu :
Les vend-on cher ? coufex encore un peu.
On coud un point, puis Damon fiit retraite :
Belle , dit-il , c'eft bien afTez coufu
Pour cette fois , & votre pucelage
N'a déformais à cnindte aucun dommage,
Venez danfer. La friponne eut voulu
Ne point fitôt abandonner l'onvrage ;
Elle aîléguoit bien des Ji , bien des mais :
Rien que trois points, il ne tiendra jamais,
Oncques ne fut robe trop bien coufuc ;
Mais le galant s'éloignant à fa vue ,
DIVERSES. 117
Elle rentra dans le b?' à Tinflant.
Quelqu'un la prend ur danfer , elle danfe ;
On admira fa nobî ontenance ,
Son air , fes trait.» , îon teint vif & brillant ;
Le tout e'toit Tcuvrrige d'un moment.
Un fcul morne ir d'riab.au l'imbécille ,
Avoit fu faire Ifàbcau la gentille :
Comment c.^'i ;Dcmandcz-le aux Docteurs,
Docteurs ^ i.c.x , ou bien en Médecine ?
Nenni dà , .:>r;n , au Diable leur doctrine ;
Ce font pédans que Dieu fit. C'efl ailleurs ,
Que trouverez folution certaine
De cettui cas : chez Jean le Florentin ,
Chez mon Patron , le gentil La Fontaine ,
Gens qui d'amour tiennent tout leur latin.
Or, reprenons notre conte : la Belle
Ayant danfe' pendant aiTez long- temps.
Vint à Damon : je crains fort , lui dit-elle ,
Qu'après maints fauts & maints trémouflements.
Ce qu'avez fait ne foit peine perdue :
Partant allons coudre tout de nouveau
Mon pucelage 5 il ne feroit pas beau
Que tout-à-coup il tombât à la vue
De tout le monde , & pouvant l'empêcher ,
Vous en auriez autant que moi de blâme ;
Venez donc, foit. Damon répond : oh Dame !
Plus n'ai de fil ; d'un autre couturier
Pourvoyez-vous. C'eft méchanceté pure,
Dit Ifabeau , de fil vous n'avez plus !
Eh ! dites-moi , que font donc devenus
Deux pelotons qu'aviez à la ceinture ?
ïi5
U V R E .^
QUATRAIN.
Du Cornu de Guichc à Mr. d'Olonne,
i
V-> Onite jaloux de la Comtefle,
Crois- moi, ne me reproche rien,
Mon fort eft moins doux que le tien ;
Je ne f... que ta femme, ôc tu f... ma maîtrelTe.
LA COMTESSE
D' OLONNË ,
COMÉDIE.
I20 ŒUVRES
ACTEURS ET ACTRICES
de la Pièce.
ARGÉNIE, la Loimerc d'Ohnne,
BIGDORE, le Comte de Giiiche.
GELONIDE, la Comtejfe Je Fief^iuc ,
L' A B B É , rAbhé de Roye,
MARCELIN, Marfillac.
L I Z E , Femme de Chambre de la Comte£c
d'Olonne.
CASTELLOR, le Duc de Cajîres.
MANICAMP, le Giton du Comte de Guiche.
GANDALIN, h Duc de Candale, & autres.
LA
DIVERSES. I2t
LA COMTESSE
D' O L O N N E ,
c o M É D I ;e.
Le Théâtre reprèfente , àV ouverture de la. Pièce,
la Comtejfe d'Olonne couchée fur un lit de repos ,
fa Femme-dc-Chamhre a/jijc dans un fauteuil à
côté de fon oreiller. La Comtejfe s 'éveille en Jur-
faut , épouvantée d'un rêve qu 'elle vient de faire ,
& dit Jbus le nom d'Argenie.
■^■^"■1 ■"' ■ ^— ■»— < **^*^^
SCENE PREMIERE.
ARGENIE, LIZE.
A R G E N I E croyant voir Vombre du Duc de Candaîe
fon premier Amant.
JL/ Antôme iippérieux, qui vient mal-a-propos
Condamner mes plaifirs , & troubler mon repos.
Va porter aux enfers ta noire jaloufie ,
Et ne te mêle plus de cenfurer ma vie.
Chargé de tant d'horreurs, de quoi t'avifes-tu
De revenir ici me prôner la vertu ?
Ne te fouvient-il plus que je fuis une femme ,
De qui le c . . brûlant ^ent la nlus vive flamme ,
izi <E U V R E s
Et que de ton vivant , loin de me foulager ,
Cruel , tu dcbandois à me faire enrager ?
Non , je ne te crains plus , tes menaces font vaines ,
Par ton heureux trépas la mort brifa mes chaînes :
Depuis ce doux moment, prodiguant mes faveurs,
J'ai dans mes intérêts réuni tous les cœurs ;
II faut f . . tre ou m.ourir.
I I Z E.
Il faut mourir ou foutre !
Eft-ce donc la colère, ou l'amour qui vous outre?
Madame , qu'avez-vous ?
A R G E N I E.
Ah ! Life , quel réveil !
Et que n'ai-je point vu dans mon trille fommeil ?
Au forcir du repas me trouvant afTaupie ,
Sur ce lit de repos je me fuis endormie ;
Xorfque me rempliffant & d'horreur & d'effroi ,
Le jaloux Gandalm a paru d.vant moi.
Infâme , m'a-t-il dit , d'une voix effroyable ,
Je viens te reprocher ta vie abominable ,
Ingrate, as-tu fitôt perdu le fouvenir
De l'e'lime où mon feu pouvoir te maintenir.
Dans le nombre des morts je n'étois pas encore.
Quand tu m'afToci s Marcelin & Bigdore ,
Chrifante , Caftellor , l'Aventurier, 1 Abbé ,
Le refte ne vaut pas l'honneur d'être nommé.
Que tu m'as fait fouffrir ! Mais mon plus grand fupplicc
Fut de vo'r quels amants étoient à ton fervicc ;
Que fans difcrérion & fans cacher ton fwu ,
Tu fis de plus en plus à tous venants beau jeu.
Ya , ton abaifTcmem fait honte à ma mémoire »
DIVERSES. IZ3
Ma paîTîon à part , il y va de ma gloire.
Les Dieux , pour t'accabler de malheurs infinis ,
Vont t'élargir le c. . & raccourcir les v.. . ;
Les plus jeunes f. . teurs auront mille foiblefles.
Toujours à contre-temps tu lèveras les felTes ,
Et tes amants , contraints par une dure loi ,
Au milieu du coït s'endormiront fur toi.
Pour un gueux impuiffant l'amour te rendra folle,'
Tes moindres maux feront chaude- pilTe ou v. . . le ;
JEnfin, Bougreffe, enfin, pour avoir trop f. . tu ,
Un chancre confondra ton c. . avec ton eu.
L'ombre à peine eut fini ces mots épouvantables,
Qu'il difparut.
L I Z E.
O Ciel ! quels malheurs effroyables
Menacent vos beaux jours ! & quel affreux tableau !
N'appréhendez-vous pas de tomber en lambeaux?
A R G E N I E.
On ne peut de frayeur être plus agitée.
L I Z E.
Vous êtes dans l'amour auffi trop emportée :
Madame , Gandaîin peut bien vous gourmander;
Pour vous f. . tre il ne faut que vous le demander,'
A R G E N I E.
Que veux-tu , ma Lizon , je n'ai que cette envie ,
Et c'eft le plus grand bien qu'on goûte dans la vie.
L I Z E.
Je lis dans votre caxir, je connois votre goût,
Il n'eft aucun plaifir pour vous , fi l'on ne f. .
Abandonnez-vous donc à votre humeur lubrique.
Et niêlant l'Étranger avec le Domcftiquc ,
T24 (E U V R E S
Le Prince , îe Bourgeois , & les premiers venus,
F. . tez, f- . tez , Madame , à c. . . Ions rabattus.
SCENE II.
La Comteffe d'Olonne devient amoareufe du Comte dt
Cuiche , 6' confulte la Comteffe de Fiefque.
ARGENTE, GÉLONIDE.
A R G E N I E.
Y Ous ne croiriez jamais , aimable Gélonide ,
Que pour prendre un Amant je fufîc encor timide;
Cependant je balance à recevoir le cœur
D'un garçon de vingt ans , d'un aimable vainqueur ,
Qui me dit chaque jour qu'il m'aime & qu'il m'adore:.
Vous le connoiflez bien , c'eft le charmant Bigdore ,
Qui véritablement , en reflentant vos coups j
î«î'a pas eu de fujet de fe plaindre de vous.
Le croyez-vous mon fait? Eft il homnn': foîide ?
Vous m'entendez fort bien , ma chère Gélonide.
GÉLONIDE.
Madame , à tout ceci , d'honneur je n'entends rien.
A R G E N I E.
Je parlerai plus clair : ce garçon f. . -t-il bien ?
GÉLONIDE.
Que dites-vous , Madame ? Ah l'horrible langage !
A R G E N I E.
Kc le parlez-vous plus depuis votre veuvage ?
GÉLONIDE.
Moi , je dis tout au plus des mots à double fcns.
DIVERSES. îi-î
A R G E N I E.
Comment nommez-vous donc un v, . en mot décent ?
G É L O N I D E.
Si je nommois cela , je dirois une pine.
A R G E N I E.
Ayant le v. . au c. . , vous m'avez bien la mine
De l'y InifTer plutôt jufqu'à demain matin.
Que d'ofer , pour Voter , le toucher de la main.
Mais quittons ce propos, chacun f. . . à fa guife,
Pannifîbns les ftçons , parlons avec franchile ;
Que me confeillez-vous fur ce nouveau f . . . . r ?
G É L O N I D E.
On ne prend là-deîTus avis que de Ton cœur :
Pour moi j'ai cru le mien, crayez-cn donc le vôtre.
Il vous confeillera beaucoup mieux que tout autre.
A R G E N ï E.
Le mien fur ce f. . . r ne me dit rien de bon ,
Et mille gens m'ont dv qu'il n'aimoit pas le c. .;
Au contraire, on m'a dit qu'il eîlde la mancherte.
Et que faifant fcmblant de le mettre en levrette ,
Le drôle en vous parlant toujours de grand chemin.
Comme s'il fe trompoit , enfiloit le voifin ,
Par inclination c'eîl un branleur de pique.
G É L O N I D E.
Et qui cherche le c. . par pure politique.
A R G E N I E.
Que dites-vous , Madame , & comment parlez-vous ?
G É L O N I D E.
On apprend à hurler aux bois avec les loups.
A R G E N I E.
Je fuis de votre avis, Madame, je l'approuve ;
Mais je fuis la Brebis pour f. . . . e , & vous la Louve.
ïz6 CE V V R ^ S
SCENE III.
La Comte Ife d'Olonne , amour eu fe du Comte de Cuiche^
l'appelle.
Parodie du Cid.
ARGENiE, BIGDORE,
A R G E N I E.
Xm. Mo^ 5 Comte , deux mots.
BIGDORE.
Parle.
A R G E N I E.
Ota-moi d'un doute;
Connois-tu bien le c . . ?
BIGDORE.
Oui.
A R G E N I E.
Parlons bas , écoute :
Sais-tu bien qu'il vaut mieux mille fois que le eu,
Qu'en tous lieux on t'appelle un B.. gre, le fais-tu ?
BIGDORE.
Tels difcours font tenus par Dames méprifées.
A R G E N I E.
Non , non , nous favons bien tes hifloires paflees.
BIGDORE.
A quatre pas d'ici , je t'en éclaircirai.
A R G E N I E.
Jeune préfomptueux,
BIGDORE.
Je fuis jeune , il efl: vrai ,
A peine ai-je vingt ans ; mais aux c .... les bien nées >
DIVERSES. 117
La valeur n'attend pas le nombre des années.
A R G E N I E.
De t'attaquer à moi , qui t'a rendu fi vain ,
Toi qn'on ne vit jamais le v. . roide à la main î
B I G D O R E.
Je n'ai , jufqu'à préfent , jamais trompé de belles ,
Et ton c. . , fi tu veux , en faura des nouvelles.
A R G E N I E.
Sais-tu bien qui je fuis ?
B I G D O R E.
Oui : tout autre que moi,
Au feul bruit de ton nom pourroit trembler d'tffroi.
Mille Se mille f rs crevés à ton fervice.
Semblent me préfagcr un femblable fupplice.
J'attaque en téméraire un c . . toujours vainqueur.
Mais j'aurai trop de force , ayant affez de cœur -.
A qui f... Argenie il n'eft rien d'impolTible ,
Ton c . eft invaincu , mais non pas invincible.
ARGENIE.
ta gcandeur qui paroît aux difcours que tu tiens ,
Par tes yeux chaque jour fe découvroit aux miens ;
Et croyant voir en toi l'honneur de la jeunefTe,
Mon cœur te deftinoit en fecret fa tendreffe.
Il eft vrai que le bruit de ton peu de vigueur
Avoit , non fans raifon , ralenti mon ardeur ;
Mais puifqu'il eft certain , & qu'enfin tu m'afîlirss
Que tout cz qu'on a dit eft autant d'impoftures.
Je viens t'ofïrir mon c, m'abandonner à toi.
Et me fiaire un plaiûr de recevoir ta foi.
ïzS (È U V R E S
SCENE IV.
Le Comte de Cuicke en veut jouir ^ il fe trouve impuijfant ^
6' veut s'excufer , en dijant
D I G D O R E.
J_VJL Adame , pardonnez à ce trille accident ,
Il vient dj trop d'amour.
A R G E N I E.
Ah ! ne m'aimez pas tant ,
Si votre trop d'amour caufe votre impuillance ,
Honorez- moi, Seigneur, de votre indifférence ;
Mais puifque le deftin vous a fait pour les culs,
Pourquoi Dinblc fonger à f.vre des cocus ?
Apprenez, apprenez enfin à vous connoître ;
Sortez, ou je vous fais jetter par la fenêtre.
SCENE V.
Le Comte de Guicke ^ aptes avoir raconté fon aventure
à Manicamp , fon Giton , il lui dit.
B I G D O R E.
^5 Aifi du plus jufte dépit ,
Je voulois me couper le v.. :
Ma réfolution fut vaine :
Le cruel auteur de ma peine ,
Que la peur avoir tout glacé ,
l'out malotru , tout replifie ,
Et
DIVERSES, 1^9
ttoit allé chercher fon centre ,
Et s'étoit fauve dans mon ventre.
Ne pouvant donc rien faire à ce b . . gre de v . . ,"
Voilà ce qa'à peu près ma colère lui dit :
Toi, qui fais le Vaillant quand tu ne vois perfonnCj
Et fur la foi duquel eft fou qui s'abandonne.
Infâme trsî-re , à qui je peux donner le nom
D'une partie honteufe , avec jufte raifon ,
Toi , qui ne pris jamais les gens que par derrière,'
Et par qui je reflcmble au Maréchal mon père ,
Dis-moi pourquoi la peur t'a fi fort raccourci ,
Que t'ai-je fait, ingrat , pour me traiter ainfi ?
Mais le lâche , l'œil morne & la tête baiiïes ,
Sembloit fe conformer à ma trille penfée:
C'étoit du temps pirda que lui rien reprocher ,
Il étoit à ma voix aufTi fcurd qu'un rocher.
SCENE V I.
Le Comte de Guiche retourne à la Comtejfe d'Olonne , ■S',
s'' en. acquitte à fon honneur ; elle lui dit:
A R G E N I E.
^ Ericonnois, Seigneur, que j'étois dans l'abus :
Or qu'aimez-vous le mieux , ou des c. . . ou des culs ?
Apréfentvous avez de tous deux connoifiance.
B I G D O R E.
Je fais des c . . . aux culs beaucoup de différence ,
Et fi , jufqu'à préfenî , j'ai mieux ain^.é les culs ,
Reine , c'efr que les c ... ne m'ccoier.: pas connus.
Si faut-il convenir qu'on n'en peu: voir un autre
R
i^Q ŒUVRES
Plus haut , ni plus brûlant , plus charmant que le vôtre ;
N'efl-il pas vrai mon cœur ?
A R G E N I E.
Je crois , (ans vanité ,
Qu'il n'en eft pas beaucoup de cette qualité;
•Les enfants n'en ont pas fort ouvert le paffage ,
Et tout le monde y trouve un air de pucelage.
•fil II • I II m I II I m ■iiiiiMi II II II II mil m iiii»
ODE A PRIAPE,
Par Mr. Piron.
X^ (
Outre des neuf garces du Pinde ;
Foutre de l'amant de Daphné ,
Dont le flafque v . . ne fe guindé
Qu'à force d'être patiné:
Ceft toi que j'invoque à mon aide,
Toi , qui dans les c. . . d'un v . . . roidc
Lance le f. ..trc à gros bouillons;
Priape , foutiens mon haleine ,
Et pour un moment dans ma veine
Portes le fea de tes c . . .j. Ions,
Que tout bande , que tout s'embrafe
Accourez » Putains & Ribauds.
Que vois-je ! oij fuis-;e ! ô douce extafe !
Les cieux n'ont point d'objets fi beaux ,
Des c. .. les en bloc arrondies.
Des cuifïes fermes & bondies ,
Des bataillons de v . . . bandés ,
DIVERSES. 13*
Bes culs ronds fans poil & fans crortes ,
Des c . . , des tettons & des mottes ,
D'un torrent de f. . tre inondés.
Refiez , adorables images ,
Reftez à jamais fous mes yeux ;
Soyez l'objet de mes hommages.
Mes Ltgiflateurs & mes Dieux.
Qu'à Priape on élevé un Temple ,
Où jour & nuit l'on vous contemple.
Au gré des vigoureux f. . teurs :
Le f. . tre y fervira d'cfîrande ,
Les poils des couilles de guirlande.
Les V. . .de Sacrificateurs.
-Aigle , Baleine , Dromadaire ,
ïnfecle , Animal , Homme , tout
Dans les Cieux , fous l'eau , fur la terre ^
Tout nous annonce que l'on f. .
Le foutre tombe comme grêle ,
Raifonnable ou non , tout s'en mêle ,
Le c. . . met tous les v. . . en rut j
Le c. . du bonheur eft la voie ,
Dans le c. . gît toute la joie ,
Mais hors le c. . point de falut.
Que l'or , que l'honneur vous chatouille.
Sots avares, vains conquérants ;
Vivent les plaifirs de la c. , . . le ,
Et f. . tre des biens & des rangs ,
Achille aux rives du Scamandre
Ravage tout, met tout en cendre;
Ri)
I3X (E U y R E S
Ce n'efî- que feu , que fang , qii'horreur ,
Un c. . . paroît ; pafTe-t-il outre ?
Kon, je vois bander mon J...f...tre,
Ce Héros n'efî plus qu'un f...tcur.
Quoique plus gueux qu'un rat d'Églife ,
Pourvu que mes c.lons foient chauds.
Et que le poil de mon cul frife ,
3c me f... du relie en repos.
Grands de la terre l'on fe trompe.
Si l'on croit que de votre pompe
Jamais je puiiï'c être jaloux :
Faites grand bruit , vivez au large ,
Quand j'en. ..ne & que je décharge ,
Ai-je moins de plaidr que vous ?
De f...teurE lafnbîe fourmille.
Le Soleil f... Leucothoé ,
Cynire f... fa propre fille,
Un Taureau f... rr.fiphaé ,
Pygmalion f... fa Statue,
Le brave Ixion f... la Nus, '
On ne voit quef...tre couler.
Le beau NarcifTc pâle & blême ,
Brûlant de fe f...tre lui-même,
Meurt entachant des'cnc.r.
Socrate , direz-vous, ce fage
Dont on vante l'cfprit divin ,
Socrate a vomi peflc & rage ,
Contre le fjxe féminin.
Mais pour cela le bcn Apôtre
DIVERSES.
N'en a pas moins f..tu qu'un autro j
Interprétons mieux fjs leçons :
Contre le fexe li perfuade ;
Mais fans le cuî d'AIcibiadc , '
Il n'cû: pas tant médit des c. . .
Mais voyons ce brave Cynique,
Qu'un B...gre a mis au rang des chiens ,
Se b...ler gravement la pique,
A la barbe des Athéniens ,
Rien ne l'émeut , rien ne Tétonne,
L'éclair brille , Jupiter tonne ,
Son v... n'en eft point démonté;
Contre le Ciel fa tête altiere ,
Au bout d'une courte carrière.
Décharge avec tranquillité.
Cependant Jupin dans l'Olympe,
Perce des culs, bourre des c...
Neptune au fond des eaux y grimpe,
Nymphes , Syrenes & Tritons , ,
L'ardent f...teur de Proferpine
Semble dans fa c.le divine
Avoir tout le feu des enfers.
Amis, jouons les mêmes farces ,
F..;tons tant, que le e.. des G... ces
Nous f...te enfin l'ame à l'envers.
Tyfiphone , Aleclo , Megere ,
Si l'on f... toit encore chez vous ,
Vous , Parques , Caron & Cerbère,
De mon v. . vous tareriez tous.
1^4 ŒUVRES
Mais puifque par un fort barbare
On ne bande plus au Tenare,
Je veux y defcendre en f...tant :
Là mon plus grand tourment fans doute,
Sera de voir que Pluton f...te ,
Et de n'en pouvoir faire autant.
Redouble donc tes infortunes.
Sort , f.... tu fort , plein de rigueur.
Ce n'eîl qu'à des âmes communes
Que tu pourrois f...tre malheur ;
Mais la mienne que rien n'allarme ,
Plus ferme que le v. . d'un Carme ,
Rit des m.iux préfents & pafles.
Qu'on me méprife & me détefte :
Que m'importe, mon v... me refte;
Je bande, je f .. , c'eft afîez.
CHANSON,
Sur l'Air : Quel caprice , quelle injujiiee , &c.
VJr U'on me baife ,
Plus chaud que braife
Mon c... , Nicaife ,
Se préfente à toi :
Qu'on me baife.
Point de f ..fe.
Viens , bande à l'aife.
Vite , mets-le-moi ,
Avance dpnc, f...t* câlin,
DIVERSES, î3$
Quoi ! tu n'es pas encore entrain î
Et dans ma main ,
Qu'à te b...ler je lafle en vain,
Ton V... , plus froid vque glace,
Refte moUaflè ,
Il f...ma(re ;
Quel b...gre d'engein !
Mais il drelTc
Par mon adrefle,
Le charme cefTe ,
Qu'il eft gros ^& long ?
Que fa flamme
Brûle mon ame !
Ah ! je me pâme ;
Que le f...tre eft bon !
■ lfc.».W-l.u»«l.l.llJl^
ÉTYMOLOGIE
DE L' A Z E-T E-F O U T E,
CONTE.
\^ N jour de foire dans Châlons 3
Colas s'en alloit à la Ville ,
Monte' fur le Roi des ânons,
Animal foumis & docile
Contre l'ufage des grifons.
N'étant qu'au milieu de fa route .
Il fit rencontre de Catin
LaiTe , fuant à grofTes gouttes ,
Et faifant à pied le chemin.
13^ (É U V R Ê S
La Belle voyant fon volfin ,
Qui s'en alloit le vent en poup: ,
Le conjura, par faint Martin,
De îa laiffer monter en croupe.
Un cœur aulTi dur qu'un rocher
Se fut attendri pour la Belle ;
Elle étoit fraîche , encor pucclle j
Et fa main pouvoit s'accrocher
Par fois au pommeau de la fclle.
Mais ces menus dons des Amants,
Que nous autres honnêtes gens ,
Avons baptifé Petite Oye ,
Sont nommés par certains manants
Viande creufe & fauiïe monnoie.
De ces manants étoit Colas ;
Audi n'en faifoit-il grand cas.
Depuis long temps de la Donzcllc
Il avoit pris Ville & Fauxbourgs ;
Mais elle défendoit toujours
Avec vigueur la Citadelle.
Le Gars en plus de vingt affauts
Fut repoufle fur la verdure.
Non fans force coups de fufeaux ,
Sans mainte & mainte égratignure ,
Colas en avoit le cœur gros.
AufTi tout fcc piquant fa bête :
Néant, dit- il , à la requête.
Catin le flatte tendrement ,
Le manant touffe fièrement ;
Si l'une prefle , l'autre chante.
Que faire en telle extrémité î
Catin
DIVERSES. ^3^
Cstin n'avoit point d'Atalante
Les pieds, ni la légèreté;
Puis c'étoit au cœur de l'été,
Peut-être dans la canicule.
Colas gardoit fon qu,int-à-foi^
Néceflité n'a point de loi.
Enfin , la Belle capitule :
Arrêté fut qu'à chaque pet
Que feroit Mefïïre Baudet,
Maître Colas & la Bergère
Feroient un tour fur la fougère y
Le tout pour le foulagement
Et le repos de la monture ;
Que toutefois griffe , ni dent ,
Façon aucune , aucun murmure
Ne feroient admis nullement :
Sinon à pied & promptement.
Le traité fait , la Belle monte ;
Le drôle aulTi-tôt du talon
Frappe le flanc de fon grifon ;
Maître Baudet pete & fans honte.
Il favoit par cœur fa leçon.
A cette efpece d'exercice ,
Jadis l'avoit drefie Colas ,
Pour certaine Dame Thomas-
Martin ayant fait fon office ,
Colas defcend , point de quartier :
Elle eut beau cent fois le prier ,
Il l'emporte, il fue , il travaille ,
Et d'une fanglante bataille
Revint tout couvert de laurier.
1 9^ ŒUVRES
Tous deux remontent : la Fillette
Rajuftc mouchoir & cornette.
Bientôt après le Villageois
Tournant vers elle le minois ,
Fut furpris de la voir plus belle ;
C'étoit l'effet d'un incarnat
Qu'elle avoit acquis au combat.
Tout auiTi-iôt ardeur nouvelle.
Coups dans les flancs & nouveau fon ;
Pour defccndre moins de façon.
A la troificme pétarade ,
Catin vous fait une gambade.
Tire Colas par fes habits ,
Lui montrant un prochain taillis ;
Ce bois lui donna l'cftrapadj ,
11 en revint pâle & défait ,
Et jurant contre le baudet.
Il n'étoit au but : la Fillette
Avoit découvert (on fecret ;
Elle talonne , l'ânon pete :
Lors , dit Catin , n'entends-tu pas ?
Quoi , répond l'autre ? TAze. . . . écoute :
Si l'Aze pete , dit Colas ,
Palfangué que l'Aze te foute.
LA PUCE,
C 0 N T £.]j
M jE hafard fnil , <ans 'sid.- du génie ,
Eft quelquefois père d'invention ^
DIVERSES. 139
Cel eft vanté pour fes productions ,
Qui n'y penfa peut-être de fa vie.
C'eft ce qu'on voit tous les jours en chymie.
Nature tient tous fcs tréfors ouverts '
Aux ignorants aufTi bien qu'aux experts.
Le tout dépend d'en faire la rencontre ;
Sans la chercher fouvent elle fe montre.
Nous ?3 voyons par l'exemple d'Agnès,
Qui n'étoit fille à découverte aucune ;
Mais qui pourtant un matin en fit una
Que cent nonnains vanteront à ^nmais.
Voici le fait. Suivante d'une Dame
Étoit Agnès ; farouche elle avoit Tame,
Non par vertu , mais par tempérament ,
Ainfi qu'on voit qu'il arrive à h femme ,
Lorfque le Ciel la traite durement.
La jeune Agnès paflbit pour fille fage ;
Elle étoit belle, & n'avoit que quinze ans.
Auprès d'Agnès Laquais du voifmage
Ne rencontroient que griffes & que dents«
Jeunes Marquis vifitoient la MaîtreiTe
Pour voir Agnès; mais fans diftinclion ,
Agnès pour tous implacable , tigreffe ,
Égard n'avoit à la condition.
Amour, pour faire à fon cœur quelques brèches >
Avoit contre elle épuifé maintes flèches
Sans nul effet , elle portoit un cœur
Bien cuiraffé ; fi que dans fa fureur
Amour jura de venger cet outrage :
Mais ce courroux tomba fur fon auteur ,
Agnès tourna tout à fon avantage.
Sij
I40 (E U V R E S
Dans la faifon de l'aimable printemps ,
Un jour , dit-on, de Dimanche ou de Fête,
Xîu rendre émail dont Flore orne les champs ,
Xa jeune Agnes avoit paré f;i tête.
lEntre deux monts formants un fcin de lys ,
Étoit placée une rofe nailîante ,
<2ui relevoit leur blancheur raviflante,
ït reccvoit un nouveau coloris,
j^ans un corfet fa taille prifonniere ,
Pouvoit tenir fans peine , entre dix doigts,
^ous un jupon d'uns étoffe légère ,
Un bas de lin paroiflbit quelquefois ,
Tiré fi bien , & û blanc à la vue,
Qu'on auroit cru voir une jambe nue ;
■Bref, dans l'enclos d'un foulier fait au tour
Son petit pied infpiroit de l'amour ,
X'enfant ailé , plus efpiégle qu'un Page,
Comme j'ai dit, lui gardoit une dent.
Voici le temps , dit- il , ça , faifons rage ,
Et dérangeons tout ce vain étalage
Chez cet objet qui m'eft indifférent.
Auffi-tôt dit, il change de nature ,
Puce devient ; d'abord lui faute au cou ,
Au front , au fcin , à la main , faic le fou ,
Laiffant par- tout une vive piquurc.
Kotrc Beauté, fenfibls à cet affaut.
Cherche la puce, en veut faire juflice;
Mais Cupidon cfquivc par un faut ,
Et doucement fous fon corfet fe •^liffe ,
Y fait carnage, & n'en veut déloger.
FiUeitts font bons morceaux à gi uger ,
1
^ DIVERSES. i4i
L'Amour en fait fouvent fon ordinaire :
Si comme lui je favois me venger ,
De par Saint Je.^n je ferois bonne chère,
Agnès en feu dtchire fon corfet ,
Le jette au loin , arr?che fa cheniife ,
Et montre au jour denx montagnes de lait.
Où fur chacune une fraife eft alîife.
Elle vifr.e & regarde en tous lieux
Oîi s'ell caché l'ennemi qui l'aiTiege ;
Mais il étoit dcja loin de fes yeux ,
Et lui mordoit une cuiffe de neige.
Ce dernier coup accroît fes déplaiûrs ;
Elle défait fa jupe, toute émue:
Au mên e inftanc , mille amoureux zéphirs
Vont carefîcr ce qui s'offre à leur vue ,
Et combattant en foule à fes côte's ,
Four une heureufe & douce préférence.
Sauvent: l'Amour d'une prompte vengeance
Qui l'attendoit au fein des voluptés.
A la faveur d'un faut , d'une gambade ,
Le petit Dieu foutient fa mafcnrade ;
Aux barres joue , & fans ccffe fend l'air.
Il vi::nt s'offrir de lui-même à la Belle ,
Puis il échappe aufli prompt qu'un éclair,
Ft ftit ce'it tours d'un vrai polichinelle.
Pendant le jeu , vers un jeune taillis ,
L'Amour lorgnoit un portail de rubis ,
Fief en tous lieux relevant de Cythere;
Mais que la belle , in'ufle & téméraire ,
Avec chaleur difputoit à Cypris,
Plus mille fois que la nature humaine ,
Les immortels font jaloux de leurs droits :
142. m U V R E s '
Puis il êtoit qucftion d'un domaine
A faire feul l'ambition des Rois.
Dans Ton enceinte , aux allarmes fermée ,
Regnoient en paix les délices des fcns :
Il y couloir une fource enflammée
De pàmoifons & de raviflements.
Contre tels forts befoin eft de courage ,
L'Amour en a bonne provifion :
Il fait l'atraquc , il force le paflagc ,
Et prend d'aflaut ce charmant appanage ,
Malgré refrort de la rébellion.
Calmez , Agnès , ce courroux qu'on voit naître
Ne daignez rien pour ce charmant féjour ,
Si le premier l'amour s'en rend le maître ,
C'eft un tribut qui n'ell dû qu'à l'amour.
Vaine raifon : on court à la vengeance •
Un doigt de rofe, à cet effet armé ,
Tient lui tout feul l'ennemi renfermé,
Et le preflant , l'attaque à toute outrance;
Cupidon fuit par un étroit fentier ,
On le pourfuit, l'attaque eft redoublée,
Le doigt vengeur met l'allarme au quartier.
Et la demeure en eft toute troublée.
Le? citoyens de ce féjour heureux ,
Les doux phifirs, les charmantes y vrefTes ,
Jufques alors oififs & langoureux ,
Par ce combat fortant de leurs mollclTes,
Chacun d'un vol badin & carefTant,
S'emprclfc autour de fon aimable mère ;
Répand fur elle un charme ravilTant,
Et lui fait tôt oublier fa colère.
DIVERSES. 143
€e doigt vengeur , au meurtre defliné ,
Fait fous fes coups naître mille délices.
L'Amour lui-même en efl tout étonné.
Et fe repent déjà de fes malices ;
Il craint de voir fon trône abandonné ,
Et fes Autels privés de facrifices.
De fon Palais enfin la volupté
Sur l'œil d'Agnès poufîe une forobre nue :
Elle fe pâme , elle tombe éperdue ;
L'Amour échappe, & court épouvanté
Remplir Venus d'une allarme imprévue.
De fon extafe à peine revenue ,
L'aimable enfant recommença ce jeu ;
Elle y prit goût, & par elle dans peu
Dans l'Univers la fcience fut fue :
Mais nuit Sr jour chez le Peuple Nonnain
Il fut en vogue , où cette hcureufe hiftoire
Fut auffi-tôt écrite fur l'airain ,
Pour en garder à jamais la mémoire-
JOUISSANCE.
1 j 'Amoureux oifcau du matin
Chanroit fi première victoire ,
Quand l'Amour m'éveiliant foudain ,
Offre Doris à ma mém.oire.
Entre mes bras , fenfiblc & tendre ,
La jeune Doris devoit rendre
Son premier hommage a l'Amour.
Déjn chez moi pour cet;e fctc ,
Î44 €?. U V R E S
Sont tous les enfants de Cypris :
Les uns pour couronner fa tête ,
Préparent des myrtes fl.uris ;
Ceux-ci des campagnes de Flore
Portant un butin précieux ,
De fes dons qui viennent d'écîore
Font un autel délicieux ;
D'autres de leurs aîles légères
Provoquent les tendres Z 'phirs :
Plufieurs attcnd-nt le rryftere.
Folâtrant avec les plaifirs.
J'animois leur troupe riante.
Quand foudain j'entends un bruit fourd ;
3*ouvre , & je vois Doris tremblante ,
A pas lents qui fuivoit l'Amour.
Ses yeux fj troublen» à ma vue.
Sur fon front monte la pudeur
Et l'innocente retenus
Combat encore dans fon coeur.
Sur fa main dilicate & tendre
Je me colle amoureufement ;
Elle me fuit fans fe défendre
Dans mon heureux appartement-
L'air de Paphos qu'on y refpire ,
Excite , enflame nos dcfirs :
Doris fe trouble, jefoupire,
Auflltôt volent les plaifirs.
Après mille baifcrs de flamme
Pris fur fa bouche & fur fes yeux ,
le romps un corfet envieux ,
Et fur fa gorge je me pâme.
Quels
DIVERSES, t^%
Quels furent vos tendres tranfports ^
Zéphyrs ! Vos riantes haleines ,
Jamais fur l'émail de nos plaines ,
N'ont carcfTé tant de créfors.
Cependant le Dieu qui préûde
A ces myfteres révérés ,
D'une fureur fainte ôc rapide
Agite mes fens égarés.
Rempli du Dieu qui me tranfporte,
J'embrafle Doris , & la porte
Sur l'autel facré de l'amour ;
Autel fimple , mais plein de charmes j
Où le fang coule fans allarmcs ,
Où tout mortel reçoit le jour.
O '. toi dont la flamme m'anime,
Dieu d'Amathonte, dis-je alors,.
"Tu vois à tes pieds ta victime.
Rends -la docile à mes efforts.
A ces mots la Cour de Cythere .
Forme un long applaudiflcnicnt •
3'acheve un pe'nible myftere ,
Et Doris fe plaint tendrement.
■■Illliai liiaiMMBEgBMBBB^
VERS
A Madame de * ♦ * , fur un Pâjfagé de Fcpe\
P
Ope l'Anglois ce Sage fi vanté ,
Dans fa morale au ParnafTe embellie ,
Dit que les biens , les feuls biens de la vie ^
T
i&fi (E U V R E s
TSont le repos , faifance & la fanté.
Il s'eft trompé. Quoi ! dans l'heureux partage
Des dons du Ciel faits à l'humain fcjour ,
Ce ttifte Anglois n'a pas compté Tainour ?
Qu'il eft à plaindre / il n'eft heureux , ni fage.
LETTRE
De Madcmoifelle à Mùnjîeur. . . .
CHer ami , j'ai reçu votre très- petite Lettre ;
mais toute petite qu'elle elt, elle m'a occupé
toute la nuit , & m'a occafionné un volume de
réflexions plus tendres les unes que les autres , &
plus difficiles encore à vous exprimer. Que ne puis-
je les tirer aflcz au clair pour en remplir cette Let-
tre ! que vous feriez content de moi ! je vous dé-
fierois de croire encore que votre amour l'emporte
fur le mien. Les Icntimens que vous m'avez inf-
pirés font trop vifs pour vous les bien peindre.
Que votre pénétration m'interprète , qu'elle vous
montre tel que vous êtes , aimable , charmant , &
avec routes les qualités capables d'infpircr le plus
tendre attachement; qu'elle vous voie par mes yeux.
J'ai un cœur , mon plus cher , & un cœur qui
vous eH tendrement attaché. Quelque vive que foit
votre pénétration , quelqu'eflbr qu'elle prenne , elle
ne l'interprétera jamais comme il faut. Hélas ! je
foiîfFre plus que vous de ne pouvoir pas à loilîr
vous donner les preuves les 'plus fcnfiblcs démon
amour. Que cet aveu mette le fceau à nos tendres
fentimens , en attendant le moment heureux de les
couronner.
DIVERSES. 147
Il me femble, mon cher petit cœur, que je ne
te dis que des mots , & que je t'exprime bien mal
à quel pont je t'aime. Viens donc lire dans mes yeux
i allurance de ton bonheur , s'il eft vrai que tu le
falles de ma conquête ; viens , tout ce que j'ai de
plus cher au monde , viens , le plus aimable & le
plus aimé des hommes.
REPONSE.
JE n'ai pas lu ta Lettre , mon plus cher cœur,
je l'ai dévorée , & cela cent fois depuis que je
l'ai. Tu n'as rien laiflé a ma pénétration Eh!
que pourrois-je fuppléer aux tendres aveux que tu
me fais ? Qu'ils fe font infinués aiféraent dans mon
ame ! ah ! quelle volupté ils y ont répandue ! J'ai
prefqu'eu la préfomption de penfer que j'étois ai-
mé de vous autant que je vous aime : pardonnez ,
ma bonne amie ; la différence de toi à moi , que
j'ai fentie a l'inftant , a corrigé ma préfomption :
il n'appartient qu'à toi d'être aimée fans bornes ,
& voilà comme je t'aime. A chaque leclure que
j'ai faite de ta Lettre charmante , je n'ai exifié que
dans une partie où tout moi-même s'eft concentre.
Dieux ! quel effor mon imagination prenoit dansces
heureux momcns ! elle anéantifibit l'humanité , te
réfer voit feule , franchiffoit tous les obftacles , vo-
loit vers toi ; je me précipirois dans tes bras. Là
nos lèvres collées enfemble, laiifoienr à peine de temps
en temps un libre palTage Ii nos langues amoureufes^
qui cherchoient à s'unir. Combien de fois tes joues
appétiffantes , tes yeux touchans , ton front noble ,
Tij
148 ŒUVRES
ouvert , le trône des grâces , furent-ils couverts Se
mes baifers brûlans ! ils le feroient encore ; ' mais
combien d'autres beautés plus faites pour l'Amour ,
quoique moins parlantes , demandoient mon hom-
mcige ! C'étoit alors que prelié par les plus vives
ardeurs je te prenois avec tranfports dans mes bras ,
4k: te portois fur l'autel oii je voulois confommei:
le facriiice. Là , d'une mam fécondée par l'amour ,
& par l'amour le plus puiflant , je te dépouillois
de tout ce qui n'étoit point toi-même : le voile
dirparoifioit, . . . Quel plus beau fpedacle ! oh !
que tes yeux brillans l'embcllilibient ! je rellois
immobile ; ma vue dévoroit toutes les beautés a
}a fois , fans pouvoir fe fixer fur aucune ; )'ad-
mirois ..... tSùrprife de mon extafe , tu me rap-
pellois tendrement à moi , tu m'invitois à être heu-
reux ^ tes yeyx alors rencontroient les miens, ils
kur parloient un langage fî touchant. ... Je for- *
tois de mon raviflément, je n'ôtois pas , j'arrachois
jnes vêtemens fuperflus , je fondois fur toi . . . ta
gorge , ton fcin , le parterre limité par le centre de
la volupté , les colonnes qu'il couronne , tout étoit
en proie à mon aniDur , & l'objet de mes plus
tendres carefîes. Mes mouvemens précipites chan-
geoient ta fîtuation; toutes ces beautés difparoifioient
pour faire place a d'autres aufîi dignes de mon culte :
je lesfêtoisavecunégal tranfport. Que tu te prctois
amoureufcment a toutes les attitudes que la volup-
té demandoit de toi ! tes appas les plus cachés n'é-
chappoient point à mes regards lafcifs ; eh ! com-
ment y eulient-ils échappe? Tu me les indiquois ,
tu m'inviroisà les découvrir, tu les effrois toi-même à
mes regards & à mes baifers. Quand prelié par les dcr-
DIVERSES. ^ T49
nieres fureurs de l'amour, je les qnittois pour m'unir
à toi , tu m'y rappellois ; j'y retournois ; mes feux
y prenoienc un nouveau degré de vivacité : le
remède prefroitj'y courois. Attends, mon plus cher,
medifois-tu, attends, changeons de perlonnr.ge ,
ou plutôt apprends de moi à goûter comme il tàut
les avant-coureurs déledables d'un plaifir qui ne les
égaie point : j'obéillois. Ah ! que tes carefles dé-
vorantes ajoutoicnt à ma flamme que je croyoi^ à
fon term.e ! Laillé-moi , te difois-je , je brûle , je
n'en puis plus, je fouffre .... La violence de mes
feux me donnoit des forces , je te remettois dans
ta première pofture, je faififiois le fceptre de l'amour,
je le guidois vers (on centre : les efforts impétueux
qu'il faifoit pour s'y plonger, t'arrachoient desfou-
pirs & à^s cris , tu me tenois cependant ferré entre
tes bras , tes jambes croifées fur moi ; tes foupirs
changeoient de ton , ma bouche les étouffoit la plu-
part, je la collois plus vivement fur la tienne , je
te preffois avec plus de tranfporrs , tu me rcndois
coup pour coup , fecoulfe pour fecoufie , tu pâm.cis-^
je rellentois dans toutes les parties de mon corps
un plaiiir, une volupté, un torrent de délices.
Ah !.. . ah !.. . ah !.. . mon plus cher cœur ,
viens . . . acccours '. . . Oui , ma plus tendre amie ,
l'idée feule d'un plaifir que mon im.agination m'a
fait goûter cent fois , vient de m'en procurer un
nouveau. Que fera- ce , quand je le goûterai en
réalité î
F I N.
M»
TABLE
DES MATIERES.
ZEttre P hifolophique fur VAmc , par Mr. de Vol-
taire , page 3
Lts Adieux dt Mr. de Voltaire a Madame la Marquife
^ du Ckdielet, Chanfon , 1^
Epigramme contre VAbbé Terrajp)n , l8
Le Débauché converti , par Mr. Robbé de Bauvefet ,
ibid.
Marflas , Allégorie contre Rameau , par le Poète py.oi.
Août 1137 , -^ 2.3
Dif cours prononcé à la Réception des Francs - Maçons , par
Mr. de Ramfay , Grand- Orateur de l'Ordre , 16
St.ituts de l'Ordre , 38
L'éconnement , Chanfon parodiée d'un air de V Opéra Co-
mique , 3^
Le Poète vengé, Pàpnfte fatyrique ^ 41
LJAne 6' le P\.ojfignol , Fable , ^4
Épilogue , ' _ 46
tpître à Uranie , par Mr. de Voltaire , 47
Ode à Mr. de Voltaire , ji
L'Art d'aimer, à Madame*** , ^6
Epigramme , 57
La Coqu-ette , 58
Chanfon^ Apologie du Janfénifme , 61
Qui-pro-qu» , 62.
Bouquet , ibid.
Lettre à Madame *** ^ ^3
LeNei & les Pincettes , Conte par Pir on , 65
La Mule du Pape , Conte , 70
Le nouveau Roi des Grenouilles , ou le P. J, dans unfojfé.
Stances libres , 71
Epigramme fur Mr. de Voltaire , 79
JV
tes deux Rats , Conte , ibid.
L^V Grec ou la Fourche , Conte j Si
Enigme : le mot eft le Hochet , 83
Epigramme contre le Curé de S. S. 84
Epitaphe pour Jean-Céfar Roujjeau de la Tarijlere , ibid.
Lettre de la Baronne de Roupiliac â Madame des
Etoiles , au fujet d'une Brochure de Mr. l'Abbé de la.
Mare, 85
Admirable tranjîtion de V Abbé de la Mare en Efcarget , 8^
La Bougie de îioèl , Conte, <.jl
L^Anti- Mondain , par Mr. Piron , 94
L'Habit ne fait pas le Moine , Conte par le même , 97
Apsthéofe de Mademeifelle le Couvreur , loi
Epigramme de quelqu'un qui , ô'c. 103
Ode à un Prélat , &t. ibid.
Epitre d'un Auteur à un de fes Amis , dans un befoin
^ d'argent , 105
Epigramme contre un Prédicateur , &c. 106
Autre fur une rencontre , ^e. 107
Le Chapitre Général des Cordeliers , 1 08
Le défagrément de la Jouijfance , I14
Le point d'Aiguille , Conte , Il 5
Quatrain du Comte de Guiche à Mr. d'Olonne , 118
La Comtejfe d'Olonns , Comédie, lai
Ode à Priape , par Mr. Piron , 130
Couplet, 134
Etymologie de V A[e-te- foute , Conte, 135
La Puce , Conte , 13S
Jouijfance , 14:
Vers à Mr. de *** fur im pajfage de Pope ^ 14-;
Lettre de Mademoifelle.... à Mr... 14'
Réponfe , 14/
Fin de la Table-,
ri»
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