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LETTRES
VICTOR HUGO
AUX BERTIN
II a été tiré cent exemplaires numérotés.
N" 27-
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lettresauxbertinOOhugo
^
J^-
LETTRES
DE
VICTOR HUGO
AUX BERTIN
1827-I 877
PARIS
TYPOGRAPHIE DE E. PLON, NOURRIT et C
8, RUE GARANCIÈRE
I 890
"Univers//^
BIBLIOTHECA
VICTOR HUGO
ET LES BERTIN'
Nous réunissons ici les lettres de Victor Hugo
auxBertin. Quand on les aura lues, on com-
prendra combien il eût été fâcheux de les laisser
plus longtemps oubliées dans les archives de
famille où elles dormaient. Elles sont un témoi-
gnage également précieux pour la mémoire de
Victor Hugo et pour celle des Bertin. Elles
font certainement partie nécessaire de l'histoire
du Journal des Débats; elles font partie de
' Tiré du Livre du Centenaire du Journal des Débats.
1
l'histoire morale du siècle ; elles peignent
et mesurent la valeur intime des âmes et le
charme particulier des relations privées, au
moment si beau et si fécond de i83o, moment
qui a passé vite, mais qui a rejailli jusqu'au
bout sur toutes les vies qu'il a un instant illu-
minées. La première des lettres dont il s'agit,
et qui a été adressée à Bertin l'aîné, est du
14 janvier 1827; la dernière, qui est adressée
à Mademoiselle Louise Bertin, est du 3 mars
1877. Victor Hugo entra pour la première fois
en relation avec Bertin l'aîné, du moins en rela-
tion de lettres, à propos de la publication des
Odes et Ballades. C'était un simple billet de
remerciement pour un article que le Journal
des Débats avait consacré à ce volume. Le
remerciement semble un peu aigre-doux; le
poète remercie et se cabre. La dernière a
pour objet de prier Mademoiselle Louise
Bertin de lui faire Tcnvoi « d'un beau et
charmant livre ' » qu'elle vient de publier.
• Les Xonvellss Glanes.
— 3 —
Ce billet très court n'est pas non plus sans
réticences ; la jeune génération du journal
est bien froide pour lui! Celui qui parle ainsi
et se plaint, c'est le poète, le tribun, le pro-
phète; l'homme lui-même ajoute aussitôt :
« ?»Ion vieux cœur est toujours le même; et
vous savez combien j'aime votre grande âme,
— V. H. )) C'est l'homme qu'on trouvera et
qu'on verra à nu dans la correspondance qu'on
va lire, et quel homme ! Pas du tout posé sur
son roc de Jersey comme sur le piédestal de sa
superbe ! Pas du tout planant sur son nuage
d'Élie enlevé au ciel ! Mais le plus simple des
hommes, ami modeste comme il est ardent et
dévoué, père de famille enfoui dans l'amour de
ses enfants, bourgeois de Paris très rangé qui
mène sa femme avec ponctualité à la Comédie
ou à l'Opéra, qui s'enfuit le plus souvent pos-
sible vers les champs et qui les goûte profondé-
ment, parce qu'il en jouit obscurément, bien
moins riche en mots, en sons, en formes et en
couleurs que l'écrivain, plus riche de sensations
naturelles et d'émotions vraies. Est-ce l'auteur
de la Légende des siècles et des Châtiments que
nous entendons parler ? Est-ce le bon Ducis
célébrant son petit bois, son ruisseau, son caba-
ret, ou écrivant le poème familier et immortel:
les Bonnes Femmes ? En tout cas, c'est un Victor
Hugo tout neuf, un Victor Hugo par-dessus
tout aimable et aimant, dépouillé de sa pourpre
et qui n'est plus sous le dais. Il perdrait trop à
rester inédit.
Au moment où s'établirent des rapports fami-
liers entre Bertin l'aîné et Victor Hugo, de 1827
à i832, chacun d'eux, malgré la différence des
âges, se trouvait au point culminant de sa vie,
autant qu'il est permis de rechercher un point
culminant en deux carrières qui, du commen-
cement à la fin, ont été si soutenues, si égales à
elles-mêmes, si remplies de faits et de gestes.
En i83o, Bertin l'aîné avait cinquante-quatre
ans ; Victor Hugo était âgé de vingt-huit ans.
Bertin l'aîné avait fondé et dirigeait un jour-
nal qui, de 1800 à i83o, était devenu et restait
comme une des institutions de l'Europe, le seul
journal qui eût causé presque autant de souci à
Napoléon I" et lui eût inspiré des fureurs aussi
désordonnées que les papiers anglais. Victor
Hugo, à ce même moment, avait donné les
Odes, Cromivell avec sa préface, Heruaui,
Maî'îo?i Delorme ; il allait publier coup sur
coup les Orientales, les Feuilles d'automne et
Notre-Dame de Paris. Chacun de ces deux
hommes était de même trempe. L'un, jadis
déporté à l'île d'Elbe par Napoléon I", avait
réussi à s'échapper à force de présence d'esprit
et de sang-froid; l'autre, un jour, sous un nou-
veau Napoléon (qui n'était pas aussi petit qu'il
l'a cru), devait embrasser vaillamment l'exil et
s'assurer au sein de l'Océan un asile pour sa
dignité d'homme et sa liberté. Tous deux étaient
royalistes ou avaient passé par le roj'alisme, et
tous deux aussi étaient des affronteurs de rois.
En Bertin l'aîné, Victor Hugo admirait l'homme
et le connaisseur d'hommes, celui dont il a dit,
on va le voir: « De pareils hommes ne devraient
— 6 —
pas mourir. » En Victor Hugo, Bertin l'aîné
admirait le poète, le grand artiste en rythmes
et en rimes, le rénovateur du langage français,
dont le bataillon sacré, formé sous les auspices
du Journal des Débats, a toujours si bien sou-
tenu l'honneur. Mais la différence d'âge faisait
que, dans l'amitié de Bertin l'aîné et du jeune
Hugo, il y avait plutôt patronage de la part
de Bertin l'aîné, respect S3'mpathique de la part
de Victor Hugo. L'amitié profonde et tendre
fut réellement entre "\^ctor Hugo et la famille
Bertin. Les deux fils de Bertin l'aîné, Edouard,
qui se faisait déjà un nom dans les arts du des-
sin, Armand, voué au culte des lettres, furent
pour Hugo non pas seulement des amis, mais
des camarades jetés par l'influence du moment
dans le même courant de vie et dans les mêmes
passions. Et entre les trois enfants de Bertin
l'aîné, cefutsurtout la fille, Mademoiselle Louise,
qui le gagna et le fixa. Elle fut littéralement
une compagne de son cœur et de son esprit.
Madame Hugo et ses enfants, alors bien jeunes
et bien petits enfants, Didine, Dédé, Chariot,
Toto, entrèrent très vite, avec leur mari et
leur père, dans Tintimité de Mademoiselle
Louise. Hugo l'appelait « la seconde mère de
ses enfants ». C'est elle qui l'attirait et le rete-
nait dans la retraite choisie que Bertin Taîné
avait su se me'nager et s'arranger aux Roches,
à l'entrée du tranquille et riant vallon qui va de
Bièvre à Jouy. Il s'y réfugiait chaque fois qu'il
pouvait pour y mener, comme il le dit, « une
vie de campagne, de poésie et de musique ». Il
allait y retrouver « la belle âme dans la belle
vallée, la bonne fée dans l'heureuse vallée ». Il
amenait avec lui sa femme et ses enfants. De la
place Royale à Bièvre, le vo3'age n'était pas
alors aussi commode qu'il l'est devenu depuis.
Il 3' avait une voiture publique qui conduisait
à Sceaux et même un peu au delà; du point où
elle s'arrêtait, une correspondance conduisait
à Bièvre ; on ne trouvait pas toujours la cor-
respondance, et alors, pour atteindre les Roches,
il fallait se voiturer à pattes. Mais comme
— 8 —
Dédé était contente, quand elle retrouvait là-
bas ses belles et bonnes vaches ! Comme Toto
et Chariot, dans le salon, s'amusaient à regar-
der les voitures en cartes et les cerfs-volants,
pendant que leur père s'en allait seul méditer
sous les arbres et à la lumière de la lune ! Le
souvenir des heures passées aux Roches, en sa
pleine jeunesse et aux approches de l'âge mûr,
est resté pour le poète le charme vivant et la
fraîche jouissance de toute sa vie. Même des
bords du Rhin et des villes de la forêt Noire,
dont l'attrait romantique l'a saisi si violem-
ment, il ne pouvait songer au paysage de
Bièvre sans écrire à son amie : « Tous les sapins
de la forêt Noire ne valent pas l'acacia qui est
dans la cour des Roches. » Il paraît bien dans
sa correspondance que les Roches n'existaient
pas pour lui sans « la bonne fée » qui les ani-
mait de son activité, et qu'il ne pouvait voir
« la bonne fée » bien dans son cadre que sous
les ombrages des Roches. 11 y préparait quelque
tableau d'intérieur en beaux vers dont la famille
Bertin était le sujet; elle lui jouait un concerto
de sa composition, ou bien elle lui lisait son
Ode à Mimi. C'est à elle que sont adressées la
plupart des lettres qu'on va lire. Victor Hugo
n'exige pas qu'elle se mette en frais pour lui
répondre; il ne s'y est pas mis lui-même ; il ne
vise pas à ce que cette correspondance devienne
un monument ; il écrit et il réclame des lettres
quelcojiques. Ses enfants attendent aussi impa-
tiemment que lui les nouvelles des Roches. Ils
prient leur père d'écrire à leur place, et ils
grondent quand la besogne n'est pas à leur gré.
Un jour, Didine, — celle qui devait devenir la
femme délicieuse que la Seine a si cruellement
dévorée, — un jour, Didine écrit de sa main sur
une lettre qu'elle avait commandée à son père :
« Papa n'a pas mis ce que je lui avais dit. » Le
grand artiste était probablement resté au des-
sous des vives sensations de l'enfant. Pour le
coup, sa lettre était trop quelconque.
Des lettres de ce genre n'en sont qu'une nota-
tion plus exacte de lanature foncière de l'homme.
— 10 —
Nous avons ici ce qu'on ne retrouve point
ailleurs, un Victor Hugo tout simple, tout uni
et à Tétat élémentaire. Il a fait, on le sait, un
opéra : « La Esméralda », dont Mademoiselle
Louise composa la musique. Jamais maestro
certainement n'a rencontré un signor poeta qui
ait su se subordonner à l'œuvre commune avec
autant de bonne grâce que Victor Hugo. Ses
billets sur l'opéra di Esméralda sont nombreux.
Son rôle, dit-il, est seulement de confectionner
« une grosse toile à couvrir d'arabesques ». Ses
rimes seront et ne doivent être que « les très
humbles servantes des notes ». Il ne regimbe
et ne témoigne d'humeur contre aucun remanie-
ment exigé par le sens musical. Il garde ses
coups de boutoir, s'il en donne, pour Véron et
Renduel, qui sont de « si ennuyeux hommes
de négoce ». Il n'écrit rien pour le tapage. Il
ne s'arrange point pour la gloire et la postérité.
Il va jusqu'à dire un jour à Louise Bertin que,
s'il veut être poète, c'est pour elle et trois per-
sonnes tout au plus. Le Tasse, dans la tragédie
— II —
de Gœthe, se sert de termes équivalents, quand
il témoigne à Léonore de son dégoût pour les
vains bruits de la renommée : «Celui qui ne voit
pas l'univers dans ses amis n'est point digne
que le monde apprenne à répéter son nom. )>
Il ne m'a été donné d'entrevoir et d'entrete-
nir Mademoiselle Louise Bertin que deux ou
trois fois, et bien longtemps après ces belles
années des Roches (i 830-1840). Je l'ai vue
comme il l'a définie dans les Chants du cré-
puscule :
Homme par la pensée et femme par le cœur.
J'ai ressenti et éprouvé de quels dons supé-
rieurs elle était douée; ces dons si variés et si
riches se résolvaient tous et se résumaient en
une qualité générale, la sérénité majestueuse
qui était à la fois qualité, vertu, attitude et
aspect ; tout cela formait chez elle comme le
vêtement auguste et pacifique de la sagesse et
de la raison. L'influence de cette nature,
Si modeste à la gloire et si douce à la haine,
— 12
a été sur Victor Hugo une influence décisive
et souveraine. Elle lui a versé la paix. On
n'a qu'à rapprocher des lettres que Victor
Hugo a écrites à Louise Bertin, les nom-
breuses pièces de vers qu'il lui a dédiées de
i83i à i855'. Il ne s'adresse pas seulement
à elle pour lui retracer de loin en loin, avec
l'idylle de Bièvre, des souvenirs de bonheur
paisible. Il lui décrit longuement les doutes
dont il est travaillé sur l'origine des choses, sur
la fin de l'homme, sur l'objet de la poésie; et il
demande à elle, « l'àme profonde et la sainte
lyre », de le rassurer et de le raffermir. L'àme
française, en i83o, était tout ensemble révo-
' Les Feuilles d'automne. Bièvre, i83i.
Les Chants du crépuscule, à Mademoiselle Louise B., iS3i.
Les Contemplations, écrit sur la plinthe d'un bas-relief
antique, i833.
Les Chants du crépuscule. Ce que nous avons de doute en
nous, i83 5.
Les Voix intérieures, Pensar, Dudar, i835.
Les Rayons et les Ombres, Sagesse, 1840.
Les Contemplations, Aujourd'hui, à Mademoiselle Louise
B..., i833.
— 13 —
lutionnaire , religieuse et aimante; elle s'eni-
vrait d'amour mystique et d'amour tumultueux
pour tout être et pour toute chose. Victor Hugo
a été l'expression en haut relief de cet état
d'âme, et il en a été une expression complète.
On ne peut pas plus abstraire de sa pensée le
souffle religieux que la tempête démocratique ;
ce souffle court même à travers les pages
furieuses des Châtiments. Mais même dans le
moment où Hugo était assis sur le trépied de
1 83o, la religion toute personnelle que de bonne
heure il s'était faite, et où il a persisté jusqu'au
dernier soupir, avait à supporter les assauts et
les ravages du doute. Il ne trouvait plus alors
aucune explication suffisante ni du monde, ni
de la vie, ni du destin de l'homme, et dans ses
incertitudes s'abîmait jusqu'à l'idée qu'il avait
conçue de la mission du poète et de la poésie.
Il ne savait plus s'il devait se vouer à chanter
les saintes colères, ou l'amour, ou la haine, ou
bien rester comme un dormeur éveillé, témoin
inutile du spectacle des choses, pour lequel la
— 14 —
vie n'est que le plus émouvant des songes,
quand elle n'est pas un épouvantable cauche-
mar. J'imagine que sa sereine amie de Bièvre,
et son admiratrice passionnée, lui a ditquelque-
fois en ces moments-là : « Vous êtes le poète,
ne vous souciez pas d'autre chose ; écoutez
toutes les voix qui parlent en vous et redites
tout ce que vous sentez, comme vous le sentez,
à l'heure où vous le sentez. » On n'a qu'à lire à
ce propos, dans les Raj-ons et les Ombres, la
pièce qu'il a intitulée « Sagesse » et qui est
dédiée à Louise Bertin. C'est un morceau capi-
tal pour qui voudrait essayer de construire une
caractéristique à fond de Victor Hugo. De
même, toute la correspondance avec Louise
Bertin est remplie des saillies naturelles du
cœur et donne le véritable accent d'une vie.
Voyez, par exemple, la lettre datée de Saumur,
10 septembre, où il raconte comment il a
appris, dans un café de village, en jetant les
yeux sur un journal, l'affreuse nouvelle de la
mort de Madame Vacquerie. « O mon Dieu, que
I " —
vous ai-je fait ? » Voyez aussi la lettre sur la
mort de Madame Bertin Taîné, où jaillit ce cri
de foi énergique et réfléchie : « La vie est le
commencement de quelque chose. «
Mais j'ai hâte de lui laisser la parole à lui
seul. Et je répète qu'ici, peut-être seulement
ici, on le trouvera tel qu'il était, quand il jouis-
sait, au milieu de tous les siens, de ce souverain
bien si simple, si aisé et si fugitif, qu'on appelle
le bonheur, et tel aussi qu'il fut plus tard à
Hauteville-House, athlète solitaire dans la plus
acharnée des luttes, « songeur couvert des cica-
trices de la vie ».
J.-J. WEISS.
LETTRES
DE
VICTOR HUGO
AUX BERTIN
A Monsieur
Monsieur le rédacteur du Journal des Débats',
rue des Prêtres - Saint • Germain-V Auxer-
rois, 17.
Paris, 14 janvier 1827.
Je prie Monsieur le rédacteur du Journal
des Débats de recevoir mes vifs remerciements
pour la place qu'il a bien voulu accorder
dans ses colonnes à un examen de mes Odes.
' M. Bertin aîné.
— iS —
Je le prie également de vouloir bien transmet-
tre mes remerciements à son collaborateur,
M. J. V. '.
Je suis très reconnaissant de l'indulgence
extrême de son article; et je le serais plus
encore, je l'avoue, si sa critique se fût élevée à
de plus hautes considérations, et surtout s'il
l'eût fait peser plus directement sur moi.
Je prie Monsieur le rédacteur d'agréer l'as-
surance de ma parfaite considération,
V. HUGO.
A Monsieur Armand Berti7i.
Ce vendredi 21 mars (i83o), 6 h. après-midi.
Jugez de ma contrariété, mon cher Armand,
je viens de la rue Jean-Goujon pour vous
voir, ainsi que votre excellent père, et je ne
vous trouve pas.
' M. J. -Victor I.ecierc.
IQ —
Il 3' a cependant bien longtemps, ce me
semble, que je ne vous ai vus, et j'ai mille
choses à vous dire. Je n'ose m'embarquer ce
soir avec ma femme (qui est archi-grosse]^
pour la rue de Seine, pensant que vous êtes à
la campagne par ce beau mois de mai. Il faut
donc se résigner à vous écrire.
JNl"' Mars est de retour pour huit jours et
va me jouer trois fois '. Seriez-vous assez bon
pour en prévenir l'immense public dont vous
disposez par la petite note que voici dans le
journal de demain, s'il est possible, car après-
demain on sera à la campagne.
Adieu, j'ai su avec bien du plaisir que ma-
dame Bertin était rétablie de son indisposi-
tion. Mettez mes respects à ses pieds. Nous
irons la voir un de ces soirs et vous voir tous,
car je viens d'apprendre ici que vous n'êtes
pas encore partis pour les Roches*.
A vous bien cordialement.
V" HUGO.
• Hernani.
2 Propriété de M. Bertin aîné, à Bièvre (Scine-ct-Oise).
— 20
Mademoiselle Louise Berlin,
aux Roches, Bièpre.
Ce 5 M., 9 h. du matin (i83i ou i832).
Mademoiselle,
Permettez-moi d'adresser à vous ce petit
billet et soyez assez bonne pour en transmet-
tre le contenu à M. Bertin. Armand ne pou-
vant m'emmener, je prendrai la voiture de
Sceaux qui part à trois heures, et je serai à
cinq heures moins un quart au haut de la mon-
tagne jaune. Si le cabriolet s'y trouve, je le
prendrai, sinon, je viendrai très gaillardement
à pied.
A ce soir donc. Mademoiselle, et permettez-
moi en attendant de mettre à vos pieds tous
mes respects et tout mon dévouement.
V. H.
— 21 —
Mademoiselle Louise Berlin,
6, rue de Seifie .
Ce 4 juillet, de i83i à i835.
Mademoiselle,
Je voudrais bien dire deux mots aujour-
d'hui dans la matinée à monsieur Bertin,
sans le déranger pourtant. Vous seriez bien
bonne de lui demander de me faire savoir par
le retour de ma messagère quelle heure il
désire que je prenne, et s'il aime mieux que je
vienne le trouver chez lui ou au bureau du
Journal des Débats. Mille pardons.
Permettez -moi de vous offrir avec l'hom-
mage de mon respect celui de mon amitié
bien dévouée.
VICTOR.
Mademoiselle Louise Berlin,
8, rue de Seine.
Vendredi. . . (iS32).
Mademoiselle,
Voici mon griffonnage.
Je le recommande à votre indulgence et je
le mets à vos pieds avec mes homniages les
plus respectueux et les plus empressés.
VICTOR H.
Il est nuit \
La chambre de sainte Marthe,
Un lit, une fenêtre ouverte au fond.
Entrent FroUo et la Falourdel (que nous ne
nommerons pas).
FroUo donne une bourse d'argent à la vieille
qui le fait cacher dans un pan de tapisserie.
Du peu de paroles qu'ils échangent il
' Scénario du 3'^ acte de la E^imcralda, opéra en quatre
résulte qu'un complot est ourdi entre eux pour
perdre l'Égyptienne. Des hommes du guet
sont aposte's. Le crime qui va se commettre
retombera sur elle.
Frollo seul. Court monologue de jalousie et
de vengeance.
Entrent Esméralda et Phébus.
La jeune fille timide, tremblante, troublée,
éperdue. Phébus triomphant, joyeux, amou-
reux.
actes, paroles de Victor Hugo, musique de M"" Louise Ber-
tin, représenté à l'Opéra le i6 novembre 1 836, avec la distri-
bution suivante :
La Esméralda. M"'= Falcon.
Phœbus de Chateaupers. MM. Ad. Nourrit.
Claude Frollo. Levasseur.
Quasimodo. Massol.
Fleur de lis. MM"»" Jawureck.
M"^ Aloïs Gondelaurier. Mori Gosselin.
Diane. Lorotte.
Bérengère. Laurent.
V'« de Gif. MM. Alexis Dupont.
M. de Cheuvreuse. Fréd. Prévost.
M. de Morlaix. Serda.
Clopin Trouilesou. Wartel.
M"« Taglioni dansait dans le ballet.
— 24 —
Ils sont assis tous deux sur la même ban-
quette.
Phébus demande un baiser.
Elle refuse, et le laisse prendre.
Au moment où elle se laisse aller dans les
bras de Phébus, FroUo sort de sa cachette,
fond sur le capitaine et le poignarde. Grand
cri. Phébus tombe mort, Esméralda évanouie.
FroUo saute par la fenêtre.
Tumulte, rumeur en dehors, flambeaux.
On enfonce la porte.
Entre le guet. Entre la foule.
Cris confus, qui accusent Esméralda d'avoir
assassiné le capitaine. Cette accusation la
ranime. Elle se jette sur le corps de Phébus
en protestant de son innocence et de sa dou-
leur. La Falourdel et les soldats redoublent d'in-
vectives ; 'on l'entraîne malgré sa résistance.
Mademoiselle Louise Bertiît, che^ M. Berlin
l'aîné, aux Roches, près Bièvre.
Paris, 27 mai i832.
Voici, Mademoiselle, une nouvelle lettre de
Poupée '. Puisque vous le permettez, j'y joins
quelques mots.
J'espère que tout le monde aux Roches se
porte bien. Nous sommes partis l'autre jour
avec le regret de n'avoir pu serrer la main à
M. Bertin, mais il n'était encore levé au mo-
ment de notre départ.
Boulanger- est dans le ravissement des
Roches, tout ce qu'il a vu et tout ce qu'il
a entendu l'a charmé. Il a bien raison. Il
faudrait vivre dans votre vallée. Votre verte
vallée couvre Paris de poussière et de cendre.
Paris est hideux quand on y revient des
Roches. Paris est horrible avec ses barrières
' Léopoldine Hugo.
- Louis Boulanger, peintre.
— 26 —
de plâtre, ses charrettes de foin, ses boulevards
poudreux et ses ormeaux gris. C'est une triste
chose, je vous assure, que de marcher devant
soi quand on a le dos tourné vers les Roches
et le visage vers Paris.
Je me tire de l'ennui de cette prosaïque
ville comme je peux, par le travail. Vous
travaillez aussi, vous, là-bas, dans vos arbres
et dans vos gazons. Ce que nous faisons tous
deux se ressent des milieux où nous sommes.
Vous répandez votre âme sur votre piano.
Moi, je barbouille mon esprit avec mon
encrier. Vous faites de la poésie, moi, de la
prose. Vous êtes aux Roches, moi à Paris.
Adieu, Mademoiselle.
Dites à vos excellents parents que nous
sommes à eux du fond du cœur, et permettez-
moi de mettre à vos pieds une amitié bien
respectueuse et bien dévouée.
VICTOR H.
— 27 —
A Mademoiselle Louise Bertin, chei M. Ber-
tin l'aîné, aux Roches, près Bièvre.
{Recommandée à Madame Languedoc.)
Lundi, 22 octobre (i832).
Mademoiselle,
Est-ce que vous me permettrez d'ajouter un
troisième griffonnage aux deux griffonnages
que je vous envoie ? Didine ' et Chariot ^ ont
gribouillé à l'envi, comme vous allez voir, et je
vous demande grâce pour eux comme pour
moi.
Nous avons reçu ce matin votre bonne et
charmante lettre. Didine m'a prié de la lire à
haute voix, ce que j'ai fait à la satisfaction géné-
rale de ma populace de marmots. Ma femme a
été attendrie jusqu'aux larmes de tout ce que
vous écrivez de tendre et de gracieux à ces
1 Léopoldine Hugo.
- Charles Hugo.
— 28 —
pauvres enfants. Je vous assure que toutes nos
journées se passent à regretter les Roches,
quand je ne suis pas dans la caverne de Salta-
badil et de Maguelonne. Nous nous rappelons
à chaque heure du jour quelque douce chose
à laquelle elle était employée près de vous.
Ligier me disait hier à la répétition ' que je
reconstruisais le théâtre français, j'aimerais
bien mieux bâtir avec vous un théâtre de
cartes ^
Le temps est beau, et je pense avec joie que
l'admirable jardin des Roches n'est pas fermé
par les pluies d'automne aux promenades de
M. Bertin. Dites-lui bien, ainsi qu'à Madame
• Répétitions du Roi s'amuse.
* Victor Hugo et mademoiselle Louise Bertin se plaisaient
à faire toutes sortes de constructions en cartes. Nous lisons,
à ce propos, dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa
vie : « Pendant que le drame {Le Roi s'amuse) allait comme
« il pouvait, l'auteur employait la tin de l'été (aux Roches)
« à jouer avec ses enfants sous les arbres, et à faire, en col
« laboration avec mademoiselle Louise Bertin, des cocottes,
« des bateaux, des carrosses merveilleux qu'il dorait et que
« ne dédaignaient pas de peindre des peintres célèbres qui
K venaient voir M. Edouard Bertin. »
— 29 —
Bertin, à quel point je vous suis dévoué à tous.
Vous ne me parlez pas d'Edouard qui tra-
vaille, j'espère, comme un diable, et qui est
bien heureux de n'avoir pas besoin de faire
jouer ses paj^sages. Serrez-lui la main pour
moi, je vous prie.
Ma femme me charge expressément de vous
prier de ne pas trop travailler et de penser
beaucoup à nous.
Il est inutile que je vous reparle de mon
profond et respectueux attachement.
Je ferai chercher votre couteau, mais Didine
se prétend sûre de ne pas l'avoir emporté. Je
pense que vous le retrouverez dans quelque
double fond de la boîte à couleurs.
— 30 -
Mademoiselle Louise Berlin.
Paris, 3o octobre i832.
Malgré votre défense, Mademoiselle, je vous
écris encore : il faut que vous me permettiez de
vous envelopper de quelques mots le style et
l'orthographe de mes marmots. Je ne sais pas
où diable Antoni' irait chercher le naïf dans
l'art, si ces lettres-là ne le ravissaient pas.
Quant à moi, elles m'enchantent, je vous le
déclare; je leur laisse la bride sur le cou, et les
deux petits lutins vous écrivent tout ce qui
leur passe par la tête. Je vous demande par-
don pour eux.
Je vous demande aussi pardon pour moi
qui ai pris la liberté de vous envoj^er de mon
style imprimé ces jours passés. C'est votre
libretto sur papier de Chine et en trois volumes
que je me suis hasardé à mettre à vos pieds. Il
' Anton i Deschamps.
_ 31 —
y a par-ci par-là quelques pages nouvelles
pour lesquelles je vous demande votre indul-
gence, si vous les lisez, par aventure.
Il faut que vous me plaigniez, d'abord et
beaucoup, d'avoir quitté les Roches, ensuite
un peu d'être depuis huit Jours dans l'exécrable
tohu-bohu d'un déménagement', fait à l'aide
de ces machines prétendues commodes qui
ont aidé tant de pauvres diables à déménager
en masse et pour leur dernier logis à l'époque
du choléra. Voilà huit jours que je suis dans le
chaos, que je cloue et que je martèle, que je
suis fait comme un voleur. C'est abominable.
Mettez au travers de tout cela mes répétitions
où je suis bien forcé d'aller, et le portrait*
qu'on peut voir chez Ingres, que j'ai la plus
grande envie de voir, et que je n'ai pu encore
aller voir! Voilà bien des z'OzV dans la même
phrase, mais que voulez-vous, c'est du style
' Victor Hugo venait de quitter la rue Jean-Goujon pour
s'installer place Royale.
- Portrait de M. Bcrtin l'aîné.
— 32 —
de garçon tapissier que je vous envoie
aujourd'hui.
Jugez si je regrette les Roches, et les douces
journées, et les douces soirées et les châteaux
de cartes, et Jamais dans ces beaux lieux ', et
Phébus, l'heure t'appelle \
On me joue du 12 au i5 novembre'.
Adieu, Mademoiselle. Il y a une famille qui
est heureuse et qui est bonne, et que je porte
dans mon cœur, c'est la vôtre. Je donnerais
le reste du monde pour les Roches, et le reste
des hommes pour votre famille.
Adieu encore, c'est-à-dire à bientôt. Quand
reviendrez-vous ?
Votre respectueux et dévoué collaborateur.
VICTOR.
' Chœur à'Armide, de Gluck.
* Air d'Esinéralda.
^ Le Roi s'amuse.
— 33 —
Mademoiselle Louise Bertin,
aux Roches, pi^'s et par Bièrre.
2 novembre i832.
Mademoiselle,
Je veux faire comme la pauvre Poupée, et je
vous écris ces lignes malgré mes mauvais
yeux, auxquels je crois bien qu'il faut que je
renonce décidément.
Nous voici à peu près emménages.
C'est votre tour maintenant.
J'espère que vous ne tarderez pas.
J'ai beau, et par égoïsme je devrais faire des
vœux tout contraires, j'ai beau souhaiter à
M. Bertin le plus beau temps possible pour
les derniers jours de l'automne. L'automne
s'obstine à devenir hideux. Paris est un
cloaque de boue et d'eau. Je suis sûr que les
Roches sont encore mille fois plus praticables.
Pardon, praticable est un mot de coulisse et
— 34 —
de machiniste qu'il faut que vous me passiez
en ce moment où les oreilles me tintent nuit
et jour de théâtre et de comédiens.
Adieu, Mademoiselle, vous avez fait je suis
sûr de belles choses aux Roches en mon
absence. Moi je crois que mes meilleurs
ouvrages seront toujours ceux que j'aurai faits
avec vous; le petit théâtre, les voitures de
cartes et notre opéra.
Rappelez-moi au souvenir de tous les habi-
tants des Roches et dites-leur combien nous
pensons à eux.
Je vous suis bien profondément et bien res-
pectueusement dévoué.
VICTOR.
Boulanger n'est pas encore de retour.
Mademoiselle Louise Berlin,
chei M. Bertin dîné, 8, rue de Seine.
27 novembre i832.
Mademoiselle,
Quelles que soient les malheureuses divi-
sions politiques et littéraires qui se sont éle-
vées et où j'ai la consolation de ne pas avoir
eu un tort de mon côté, j'espère que vous
n'avez pas douté de moi un seul instant. Vous
me savez dévoué du fond du cœur, à vous
Mademoiselle , à votre excellent père ( que
j'aime comme s'il était le mien, et qui est, je
suis sûr, plus affligé que moi de l'événement
inouï qui me frappe '), à tout ce qui vous est
cher. Cet événement-là même aura eu cela
d'heureux à mes yeux, de bien vous faire voir
' Interdiction du Roi s'amuse, après la première repre'-
sentation.
— 36 —
qu'il n'y a jamais eu que des raisons d'atta-
chement personnel et désintéressé dans les
relations que j'ai été si heureux et si fier de
nouer avec vous, avec vous dont j'admire la
belle âme et le profond talent. Dites bien, je
vous supplie, cà vos bons parents qu'ils ne
s'inquiètent de rien avec moi, qu'ils ne se
croient pas obligés de gêner les polémiques
littéraires ou politiques qu'ils pourraient juger
nécessaires contre moi dans la nouvelle posi-
tion où mes ennemis de toute nature et de tout
rang m'ont placé, que je serai toujours, quoi
qu'il arrive, empressé et obéissant à vos moin-
dres volontés, et que je ne renoncerai jamais à
l'œuvre que nous faisons en commun, à moins
que ce ne soit vous qui, dans votre propre
intérêt, cro3-iez devoir répudier une collabora-
tion qui expose à tant d'orages.
Vous me connaissez, vous, Mademoiselle
Louise, et je suis sûr que vous vous êtes déjà
dit tout cela à vous-même; je suis sûr que vous
comptez fermement sur moi.
Répondez donc de moi, je vous prie. J'irai
vous voir. Je vous demanderai vos ordres
comme par le passé.
Je mettrai tout mon loisir à vos pieds. Je
vous demanderai aussi de me plaindre un peu,
moi homme tranquille et sérieux, d'être ainsi
violemment arraché à toutes mes habitudes et
d'avoir à soutenir maintenant un combat poli-
tique en même temps que le combat littéraire.
Où sont nos beaux jours des Roches ?
Je mets tous mes respects et tout mon
dévouement à vos pieds.
VICTOR HUGO.
- 38 -
Mademoiselle Louise Berlin.
Ce mercredi (i832}.
Mademoiselle,
Votre lettre me touche profondément. Dans
quelques jours vous allez me lire, me juger,
et m'absoudre. D'ici là j'irai vous voir, j'irai
serrer les bonnes et cordiales mains de votre
père et de vos frères, j'irai vous dire à quel
point ma respectueuse amitié vous est à jamais
dévouée.
VICTOR.
Mademoiselle Louise Berlin.
6 mars (de i833 à i836).
Voici, Mademoiselle, cet absurde gribouillis.
— 39 —
Je serais surtout tenté de remercier ma-
dame V... des deux charmantes heures que
j'ai passées aujourd'hui auprès de vous. Je mets
ma vieille et tendre amitié à vos pieds.
VICTOR H.
Madejjioiseîle Louise Bertin, chei M. Bertin
Vahiê, aux Roches, près Bièvre.
Paris, 4 juin i833.
Encore nous, Mademoiselle. Vos leçons
d'orthographe fructifient, comme vous verrez
par la lettre rose de Poupée. Elle vous apprend
qu'elle n'est plus c^M'henrhumée. Vous lui avez
écrit, vous, une lettre charmante et bien bonne,
je suis bien touché de ce que vous lui dites de
gracieux pour moi, je l'ai chargée de vous
l'écrire. Vous verrez qu'elle s'acquitte de la
commission.
— 40 —
Je vous adresse, moi, la plus aride et la plus
ennu3^euse lettre du monde. Je m'arrache à la
délicieuse lecture do. Francis Godivin et du sieur
de Racoles pour vous écrire, les pages de ces
deux illustres bouquins me servent de pupitre,
et leur poussière sèche tout ce que je vous écris.
Pardonnez-moi, plaignez-moi et priez pour
moi.
D'ailleurs, rien de nouveau ici. La Seine et
les tragédies coulent toujours.
Adieu, Mademoiselle, dites à Edouard, dites
à votre père, dites à madame Bertin, et dites-
vous surtout à vous-même que tous tant que
nous sommes ici, nous vous aimons de tout
notre cœur.
Votre respectueux ami,
VICTOR H.
Renduel ' s'est chargé de vous faire parvenir
votre exemplaire de Han d'Islande.
Informez-moi, je vous prie, de tout retard et
de toute négligence de sa part.
' Editeur.
— 41 —
Mademoiselle Louise Berlin, che- M. Berlin
l'aîné^ aux Roches^ pj-ès Bièvre.
14 juillet i833.
I\ÎADE.MOISELLE,
Voici une lettre de Poupe'e qui a bien plutôt
l'air de la lettre d'un chat que de la lettre d'une
poupée. Vous l'excuserez quand vous saurez
qu'elle Ta écrite de son lit, où elle est depuis
quelques jours pour une fièvre de croissance.
C'est cette petite maladie qui nous a empêchés,
Poupée et moi, de vous donner plus tôt des
nouvelles de la place Royale.
Je mets sous le même pli les quelques vers
que vous m'avez demandés. J'espère qu'ils ne
vous ont pas fait faute.
Je suis d'ailleurs toujours jusqu'au cou dans
le travail, éperonné des deux côtés par Renduel
et Harel ', qui sont bien les deux plus ennuyeux
' Directeur de la Porte-Saiat-Marlin.
• — 42 —
hommes de négoce qu'il y ait. J'ai déclaré à
Harel qu'il n'aurait pas ma pièce ' avant le
1" septembre, et malgré ses lamentations,
incantations et gémissements, j'en suis resté là.
Que saint Georges et saint Martin lui soient
en aide.
C'est aujourd'hui dimanche, et belle et joj^euse
journée aux Roches. Vous ne sauriez croire
combien votre vie de campagne, de poésie et
de musique paraît charmante et désirable à
nous autres pauvres ouvriers du quartier
Saint-Antoine, condamnés à tourner la roue
qui verse l'argent dans la poche d'un libraire
et d'un imprésario, et non dans la nôtre.
Vos arbres sont bien beaux, je vous jure,
votre vallée est bien admirable, votre piano
est bien poétique et bien harmonieux. Vous
êtes encore à la partie charmante de l'œuvre
que nous accomplissons ensemble -. Mais quand
vous en serez au théâtre et à la coulisse, vous
' Marie Tudor.
- La Esmeralda.
43
me direz ce que vous pensez de ma vie actuelle
comparée à votre vie actuelle. Quand vous en
serez à Véron, vous me direz ce que vous pen-
sez de Harel.
Adieu, Mademoiselle, j'espère que cette lettre
vous parviendra. Est-ce que Edouard reste aux
Roches à poste fixe ? Nous ne l'avons pas vu,
et nous l'espérions à dîner tous les jours de
cette semaine. Dites-le-lui bien, je vous prie.
Vous savez combien je suis tout dévoué de
cœur aux excellents habitants des Roches. Je
mets mes respects et mon amitié à vos pieds.
VICTOR H.
— 44 —
Mademoiselle Louise Berlin, che^ M. Berlin
l'ainê, aux Roches, près Bièvre.
Ce iG août i833.
Ma CHÈRE Louise,
Il y a quelque chose dans ta lettre que je
n'ai pas compris c'est que tu dis que je t'ai écrit
quelque chose qui t'a fait de la peine moi je ne
sais pas quoi.
Ma maîtresse est morte cette nuit à trois
heures elle était bien malade auparavant moi
je ne le savais pas et j'ai été à l'école et cela a
fait qu'on m'a dit de ne pas entrer à cause que
ma maîtresse était morte ça m'a fait beaucoup
de peine. Nous irons toutes demain à l'enter-
rement. Dédé ' est toujours bien gentille mais
elle est bien criarde.
J'ai hier été voir la maison de Saint- Denis
et elle est bien jolie et bien grande et il y a un
« Adcle Huso.
— 45 —
tas de petites poupées qui dinent ma tante
Julie est bien gentille et je Taime bien il y a
de grandes chaudières où l'on pourrait faire
cuire des petites Dedes.
Adieu ma chère Louise je t'aime de tout
mon cœur.
Léopoldine HUGO.
Poupée m'en veut beaucoup, Mademoiselle,
nous sommes au 20, et sa lettre n'est pas par-
tie. C'est moi qui l'ai retardée, ou pour mieux
dire, un maudit air à finir. Mais Poupée me
gronde, et je fais partir la lettre.
L'air sera fini quand il pourra. Je n'aurais
pourtant pas voulu vous écrire sans vous
envoyer ce que vous me demandez.
Vous êtes bien bonne, vous me pardonnerez,
mais moi, je ne me pardonne pas. Ce sera pour
le prochain courrier, so3'ez-en sûre.
J'ai bien compris, moi, ce que Poupée ne
comprend pas. Saint- Denis vous fait à peu
- 46 -
près le même effet qu'à moi. Mais c'est une
volonté de ma femme, elle a eu, ma pauvre
femme, terriblement de maternité depuis dix
ans, elle demande à se reposer un peu, je suis
faible et je plierai probablement. Après tout,
il y a des raisons contre, mais il y a aussi des
raisons pour.
Je compte bien sur votre indulgence. Made-
moiselle, pour cette lettre sale, retardée, grif-
fonnée, et déchirée par le bas comme une vieille
robe d'hiver décrottée trop souvent.
Je mets à vos pieds bien des respects et bien
des amitiés.
V.
Mademoiselle Louise Berlin, che{ M. Ber-
lin l'aîné, aux Roches, près Bièvre.
[Recommandée à jnadame Lajiguedoc.)
Ce i6 septembre i833.
Mademoiselle ,
Poupée, quoique allant beaucoup mieux, est
— 47 —
encore hors d'état de vous écrire. Un mal
d'yeux s'est ajouté à la pleurésie, et il se trouve
en ce moment, que le moins borgne des deux,
c'est moi. Je vous envoie ci-inclus le finale avec
vos instructions pour que vous puissiez juger
de ma fidélité.
Vous avez écrit à Poupée une bien bonne et
bien charmante lettre, à laquelle je suis bien
heureux de répondre par ce méchant billet. Je
vous jure que nous devenons tout à fait stu-
pides à Paris.
Aussi nous tarde-t-il beaucoup que Didine
nous permette l'air des Roches, j'en prendrai
le plus que je pourrai, et soyez sûre que je
maudirai souvent les répétitions '.
Je mets à vos pieds ma poésie qui est mé-
chante et mon dévouement qui vaut mieux.
Va-t'en ! —
' Marie Tudor.
ESMERALDA.
Je t'abhorre!
-48 -
CLAUDE.
Alors meurs donc! J'irai te retrouver.
(// se tourne vers la foule.)
Peuple, au bras séculier nous livrons cette femme,
A ce suprême instant, puisse sur sa pauvre âme
Passer le souffle du Seigneur !
Il se retire avec la procession. Au moment
où les bourreaux vont saisir Esméralda, Qua-
simodo se jette au milieu d'eux, la saisit et la
porte sur l'église, et l'élève dans ses bras en
criant : Asile! asile! asile!
LE PEUPLE.
Asile ! asile ! asile !
Pauvre enfant, sois tranquille.
Noël, gens de la ville !
Noël, au bon sonneur 1
Que le ciel le bénisse
Lui dont l'heureux caprice
Change un jour de supplice
En un jour de bonheur !
Avant ceci i6 vers de 4 syllabes, une rime féminine
et une rime masculine.
4^
Mademoiselle Louise Berlin,
8, vue de Seine-F.-S.-G.
Ce 22 novembre i833.
Mademoiselle,
Comme je vous l'avais dit, mon premier
moment de liberté d'esprit a été pour vous.
Voici vos prescriptions remplies. Vous verrez
que j'ai été d'une exactitude janséniste. Ne
jugez pas ces bouts-rimés trop sévèrement.
J'ai écrit ces vers entre Harel et Renduel,
deux tristes asiles pour un Pégase quelconque.
Renduel s'est chargé de vous faire parvenir
l'exemplaire de Marie \ L'avez- vous reçu ? Il
va sans dire que Armand a le sien n'est-ce
pas ? Vous seriez bien bonne de me faire savoir
si MM. Janin et Béquet ont chacun le leur. Je
les ai bien recommandés à Renduel.
' Marie Tudor.
Je vous écris sur mon genou, sur un affreux
chiffon de papier, de ma chambre où je n'ai ni
table, ni encre, ni plumes, heureux que je suis
d'y oublier la nuit que je passe le jour à écrire.
Je vous adresse cette lettre à Paris, pensant
que vous n'êtes peut-être plus aux Roches. Ma
pauvre Didine est un peu moins laide depuis
quelques jours. Je vous l'amènerai un de ces
après-midi, ainsi que ma femme qui vous aime
bien.
Si Didine savait que je vous écris sans elle,
elle ferait un beau train. Dédé continue d'être
très occupée des vaches et des paons des
Roches. Les vaches surtout ont laissé une trace
lumineuse dans sonesprit. Je vous assure qu'elle
parle très bien et qu'elle écrit mieux que moi.
A bientôt. Mademoiselle. J'espère que toutes
les santés qui vous sont chères, et à moi
aussi, vont bien, et je mets à vos pieds bien
humblement mes méchants vers et ma bonne
amitié.
VICTOR H.
Mademoiselle Louise Berlin,
S, rue de Seine. F. S. -G.
5 décembre i83 3.
Voici, Mademoiselle, la chanson de Quasi-
modo'. Je l'ai faite la plus gaie que j'ai pu; mais
il me semble impossible qu'elle soit tout à fait
folâtre.
Vous en jugerez. Votre sens musical doit
être, après tout, souverain, et mes rimes sont
les très humbles servantes de vos notes.
Vous verrez que j'ai d'ailleurs rigoureuse-
ment rempli vos prescriptions. C'est toujours
un grand bonheur pour moi de fournir un
thème à votre pensée, une charpente à votre
' La Esméralda, acte IV, scène ii.
Mon Dieu j'aime
Hors moi-même,
Tout ici,
L'air qui passe.
Kt qui chasse
Mon souci, etc.
— ^2
architecture, un canevas à votre broderie. Voici
de la grosse toile, couvrez-la d'arabesques d'or.
C'est votre affaire.
Moi, je suis plus jamais votre affectueux et
dévoué ami,
VICTOR H.
Mademoiselle Louise Bertiyi,
8, rue de Seine. F. S. -G.
23 janvier 1834.
Mademoiselle,
Voici le duo, et vos indications littéralement
suivies, une exceptée sur laquelle vous lirez en
marge ma petite et timide objection. Décidez.
J'ai quelque chose à vous demander pour
le scénario. J'irai vous en parler le premier
soir que j'aurai tout à moi. Ce sera bientôt.
Tous mes respects à vos pieds.
VICTOR H.
— 52 —
Mademoiselle Louise Berlin,
8, rue de SeiJie.
Février 1834.
Tu t'abuses peut-être.
Apprends en ce moment
Que cet homme est ton maître
Et n'est pas ton amant !
L'aventure est nouvelle !
Amis ! qu'en dites-vous ?
Quel triomphe pour elle !
Et quel affront pour nous !
Que voulez-vous qu'on fasse
Et que dire s'il faut
Qu'une fille si basse
Ait le regard si haut !
Ou bien encore :
Que sur l'heure on la chasse !
A la porte! Il le faut!
Une fille si basse
Élever l'œil si haut!
Vous voyez, Mademoiselle, que vous avez le
choix entre de bien mauvais vers, mais vous les
voulez ainsi. C'est votre faute.
Poupée me charge de vous dire qu'elle vous
— 54 —
aime bien et que Toto' et puis Chariot et puis
Dddé continuent d'être les plus utiles qu'ils
peuvent au progrès de l'humanité.
Moi je me mets à vos pieds.
Papa n'a pas mis comme Je lui avais dit. Je
lui avais dit que Toto, Chariot et De'dé étaient
bien gentils.
Ton amie,
LÉOPOLDINE HUGO.
Écris-moi le plus tôt possible.
A Mademoiselle Louise Berlin,
8, rue de Seine S. -G.
12 février icS?4.
Tremble ! l'e'chafaud te réclame !
Un amour de damné m'enflamme.
Un noir projet couve en mon âme.
L'enfer dans l'ombre m'applaudit.
' François-Viclor Hugo.
Il faudra, Mademoiselle, que vous soyez
assez bonne pour modifier ainsi le dernier vers
d'Esméralda: Va-t'en démon! Va-t'en maudit !
afin qu'il puisse rimer avec m'applaudit.
Va je t'abhorre 1 Oh! je t'adore
Etc. I Etc.
O nuit d'alarmes!
Nuit de remords !
Pour moi les larmes!
Pour toi la mort!
Dis-moi : Je t'aime !
Pour te sauver!
L'aube suprême
Va se lever!
Dans les fers même
Je t'ai bravé !
Sois anathème !
Sois re'prouve' !
J'irai causer avec vous un de ces soirs de ce
que vous désirez pour le finale, et vous porter p*^ ^
(demain ou après) le scénario. Je n'ai plus que t> '
le cinquième acte à rédiger. Mais je crains bien
d'être obligé de laisser en blanc la scène culmi-
nante.
Permettez-moi de vous répéter que je vous
suis plus acquis et plus dévoué que jamais.
VICTOR.
Mademoiselle Louise Berti?î.
Ce dimanche 19 (i832 à 1834').
Mademoiselle,
Votre charmant petit billet à Poupée m'ar-
rive au moment où je termine le récitatif dont
nous sommes convenus (sauf meilleure dispo-
sition] en tête du duo.
Je me hâte de vous l'envoyer.
Je l'ai fait le plus serré et le plus concis que
j'ai pu ; j'ai tâché qu'il entamât la scène vive-
ment. "\'ous le jugerez, et je referai tout ce que
vous voudrez.
J'irai vous porter quelques autres brimbo-
rions de vers et demander h dîner à votre excel-
lent père un de ces jours. Je m'occupe du scé-
nario. Le dernier tableau m'embarrasse.
Je mets mon embarras et ma stupidité sous
la protection de votre indulgence.
V. H.
Mademoiselle Louise Berlin,
(9, î'iie de Seine S. -G.
17 février 1834.
Voici, Mademoiselle, la variante pour Qua-
simodo :
Je la devine,
Je l'entrevois
Fille divine,
Viens sans effroi!
Je vous accable de vers et de prose et de
ports de lettres. Notre-Dame de Paris vous
assomme et vous ruine. Mais le jour de la pre-
mière représentation tout sera compensé, effacé,
racheté. Vous serez au septième ciel et moi
dans le troisième dessous.
Je me mets humblement à vos pieds comme
il convient à la rime devant la note.
V.
Mademoiselle Louise Berlin,
chei M. Berlin l'aîné,
aux Roches, près Bièvre.
Paris, I" mai 1834.
Permettez-moi, Mademoiselle, de répondre
pour nos chers petits à vos trois lettres. Il me
semble que c'est bien mon tour. A^ous ne vous
faites pas une idée de la joie de la nichée en
recevant cette manne. Toto ne savait comment
s y prendre pour décacheter sa lettre. Il a eu un
beau moment.
Vous n'avez pas vous, qui êtes tout heureuse
là-bas, seulement un beau moment, vous avez
une belle vue. "\"ous avez le printemps, les
lilas, les faux ébéniers, la campagne en fleurs ;
nous, nous avons Paris pourri.
J'étudie beaucoup, mais je n'appelle pas cela
travailler. Travailler, c'est produire.
Je compte sur la sève annuelle de l'été.
— 59 —
Vous, vous pouvez dire que vous travaillez.
Vous réalisez chaque jour quelqu'une de vos
pensées. Vous avez le don du travail perpétuel.
Moi, triste horloge qui peut-être ne marquera
bientôt plus l'heure, je vous envie souvent.
Avez-vous des nouvelles de tout le tripotage
Véron', Lœwe Weimar et O' ? Qu'est-ce que
cela devient, en savez-vous quelque chose?
Je compte aller vous voir un de ces dimanches
avec Edouard, et me réchauffer un peu à l'ex-
cellente hospitalité des Roches.
Toujours à vos pieds.
V.
Mademoiselle Louise Berlin.
1834.
Je vais un peu mieux, Mademoiselle, et vous
êtes aussi bonne que j'ai été souffrant.
J'ai les plus mauvaises entrailles et les plus
' Directeur de l'Opéra.
— 6o —
mauvais yeux qui aient jamais été donnés par
les dieux à un mortel. Je mets toute ma recon-
naissance et tous mes respects à vos pieds,
VICTOR H.
J'espère pouvoir sortir un peu aujourd'hui.
Dès que mes jambes le permettront, j'irai rue
de Seine.
Mademoiselle Louise Ber^tin,
che^ M. Berlin l'aîné,
aux Roches, près Bièi>re.
Paris, 2 septembre (de 1834 ou i835).
J'arrive, Mademoiselle, d'une assez longue
course, pendant laquelle j'ai écrit à Toto une
petite lettre qui, j'espère, lui sera parvenue en ce
moment. Permettez-moi de faire maintenant
ce que je le priais de faire pour moi dans cette
lettre, c'est-à-dire, de vous remercier de vos
— 6i —
bontés si douces et si infinies et si maternelles
pour lui. C'est mon petit ange que je vous ai
confié. Il est digne, je crois, d'habiter votre
ciel.
J'ai bien souvent pensé à vous dans tout mon
voyage, et chaque fois qu'il me prenait un accès
de colère devant quelque chose de stupide ou
de barbare, le souvenir de la sérénité avec
laquelle vous prenez toute la vie me calmait.
Il y a en vous, Mademoiselle, quelque chose
de grave et de doux qui nous donne l'exemple à
tous. Vous avez la pensée aussi haute que pas
un et le cœur bien meilleur que nous.
Souvent aussi j'ai pensé à mon Toto avec
tristesse parce qu'il était loin de moi et avec
joie parce qu'il était près de vous.
Nous ne tarderons pas à venir le rejoindre
aux Roches, si vous voulez toujours de nous.
J'étais tenté aujourd'hui de prendre un acompte
et d'aller porter de belles images à Toto avec
tous mes hommages et tous mes remerciements
pour vous.
— 62 —
Faites-en part, je vous prie, à votre excel-
lente mère et dites à M. Bertin que je ne suis
^ dévoué à personne plus qu'à lui si ce n'est à
vous — et à Notice Dame ' .
Mademoiselle Louise Bertin,
8, rue de Seine. F. S. -G.
Ce dimanche 14 décembre 1834.
Brodez, Mademoiselle, voici du canevas.
Pauvre poésie, riche musique, il paraît que
cela va toujours bien ensemble depuis Quinault
et Gluck jusqu'à vous et moi.
Je baise vos mains qui vont transfigurer mon
calicot à treize sous l'aune en pourpre de Milet.
' La Esmcralda.
-63-
Mademoiselle Louise Bertin.
Ce samedi (de i832 à i835).
Vous nous comblez, Mademoiselle. Vous
faites descendre une manne de bijoux et de
bonbons sur nos marmots qui vont danser de
joie en rentrant de l'école. Je vais m'occuper,
moi, de vos vers.
Soyez assez bonne pour remercier en mon
nom votre excellent père.
Tous mes respects et tous mes dévouements
sont à vous.
VICTOR.
Ci-joint la boîte.
-64-
Mademoiselle Louise Bertiti,
8 , rue de Seine.
26 janvier i835.
Mademoiselle,
Voici ci-inclus un gribouillage ou scribouil-
lage pour lequel je vous demande grâce. C'est
le finale jusqu'à l'entrée d'Esméralda.
J'ai suivi scrupuleusement toutes vos obser-
vations. Il va sans dire que je referai tout ce
que vous trouverez trop mauvais. Permettez-
moi de vous offrir en même temps la tête de
notre Chariot. Il nous paraît fort ressemblant,
à sa mère et à moi. Nous serons heureux si
vous recevez avec quelque plaisir le portrait
de ce bon gros joufflu qui vous aime tant.
Votre respectueux et bien profondément
dévoué collaborateur.
V" H.
6^
Mademoiselle Louise Bertin,
8, rue de Seine. F. S. -G.
3i janvier i835.
Voici, Mademoiselle, le finale du quatrième
acte. Je Tai retrouvé avec votre indication en
marge, et je vous envoie ci-inclus les vers que
cette indication réclamait.
Voici donc déjà un finale complet.
Spectacle touchant sur lequel votre regard va
se reposer avec satisfaction.
Au moment où je vous écris, Poupée est en
train de lire le Prince Sincère, ce qui lui fait
faire une moue admirable de silence et d'atten-
tion.
Je suis toujours bien en peine de la dernière
décoration.
Plaignez-moi donc bien fort.
A vos pieds,
V.
9
— 66 —
Le Peuple.
O destinée !
C'est le sonneur !
La condamnée
Est au Seigneur !
Le gibet tombe
Et l'Éternel,
Au lieu de tombe,
Ouvre l'autel 1
Cette barrière
Borne la loi.
Bourreaux, arrière
Et gens du roi 1
Bossu, tu changes
Tout en ce lieu.
Elle est aux anges !
Elle est à Dieu!
Mademoiselle Louise Berlin,
8, rue de Seine. — Pressée.
5 février i833 à i833.
Tremble ! l'échafaud te réclame.
Sais-tu que je couve en mon àme
Des projets de sang et de flamme
De l'enfer dans l'ombre applaudis !
— 67 —
Claude.
Détresse extrême !
O nuit d'horreur !
ESMÉRALDA.
Monstre sans cœur !
Claude.
Nuit de douleur !
ESMÉRALDA.
Nuit de terreur
— C'est une chose affreuse !
— Ce que c'est que de nous !
— La pauvre malheureuse !
— Vous accourez tous !
J'espère, Mademoiselle, que ces petits rac-
cords vous arriveront à temps.
J'irai vous voir pour vous demander oi^i vous
placez la cavatine de Phébus, est-ce avant ou
après le trio ? et quelle nature d'ide'es avez-vous
voulu exprimer par la musique ?
J'ai rédigé les deux premiers actes ou scéna-
rios, et je crois avoir trouvé quelque chose pour
la fin. Je crois seulement que ces choses-là ont
besoin d'être exécutées pour être comprises et
qu'il est toujours malheureux de les livrer à la
— 68 —
facile controverse d'un metteur en scène qui a
ses idées et qui y tient. Gardez ceci entre nous
et permettez-moi de vous dire à quel point je
vous suis dévoué.
V.
Mademoiselle Louise Berlin.
i5 février i835.
M A DEMOISELLE,
Voici enfin le scénario en double copie, une
pour vous, l'autre pour M. Véron. J'ai pensé
que vous pourriez avoir besoin de ce plan
détaillé sous les yeux.
Je suis toujours dans l'incertitude pour la
dernière scène. Je vous assure que ce n'est
qu'une misère, et pourtant il est fort difficile
de trouver quelque chose qui ne soit pas ou
tout à fait détaché du poème, ou plat et com-
mun.
- 69 -
D'après ce que vous m'avez dit l'autre soir,
je suis de votre avis sur l'apothéose et je donne
le ciel au diable.
Je voulais vous porter en personne ce pa-
quet hier au soir. Mais ma femme m'a mené de
droit divin à Bertrand et Raton^ qui nous a
prodigieusement, merveilleusement et incom-
parablement ennu3X's.
Je joins au scénario le manuscrit et les quel-
ques chiffons de papier qu'il contenait.
A bientôt, Mademoiselle.
Nous ne voyons plus Edouard; mais nous
vous aimons toujours tous de tous nos cœurs.
V.
Mademoiselle Louise Bertin.
De i834à i836.
Mademoiselle,
Vous seriez mille fois bonne de remettre au
porteur le dénouement.
Bien des pardons et bien des respects,
VICTOR H.
Mademoiselle Louise Bertin.
Ce mardi matin, 22 mai i833.
M AD EMOIS ELLE,
Quoique Poupée se soit chargée de vous
donner des nouvelles de toute la maison, per-
mettez-moi d'ajouter un mot à sa lettre, Ma
femme se propose d'aller dîner lvcc vous aux
^ 71 —
Roches jeudi soir à six heures (demain). Je
viendrai la prendre le lendemain (vendredi), et
je la ramènerai le soir à Paris. Didine l'ac-
compagnera, et je compte mener avec moi
Boulanger si votre excellent père veut tou-
jours bien de lui et de moi. Je vous apporterai
ce que vous m'avez demandé pour notre scène
nocturne.
Nous nous promettons un bien grand plaisir
de cette promenade aux Roches, de cette jour-
née passée dans la bonne et hospitalière maison
où nous avons passé tant d'heureuses se-
maines. J'espère que vous ne nous refuserez
pas de nous chanter quelque chose de Notre-
Dame.
Moi surtout, dont toutes les journées s'en-
volent dans un travail sans relâche, j'aurai
bien besoin, pour me reposer les yeux et l'es-
prit, d'un peu de votre verdure et de beau-
coup de votre musique.
A propos de musique, Didine et Listz me
donnent des leçons de piano. Je commence à
— 72 —
exécuter avec un seul doigt d'une manière
satisfaisante Jamais dans ces beaux lieux.
Je ne comprends pas comment Poupée ne
vous raconte pas ce grand événement dans sa
lettre.
Pardon, Mademoiselle, de vous parler de
ces enfantillages. Si je ne vous savais bien
occupée et si je ne craignais que vous ne vous
crussiez dans l'obligation de me répondre, je
vous écrirais de temps en temps. Vous m'avez
dit un jour que vous aimiez à recevoir des
lettres quelconques. Je vous écrirais des lettres
quelconques. Celle-ci en est bien une.
Quand je veux me rappeler des journées
douces et bien employées parmi les plus
douces et les mieux employées de ma vie, je
vais méditer quelques instants dans mon
salon devant la petite voiture de cartes que
nous avons faite à nous deux. C'est jusqu'à
présent notre chef-d'œuvre en attendant
Notre-Dame.
Adieu, Mademoiselle Louise, à vendredi.
— 73 —
Dites à votre bon père que je suis à lui et
à vous tous du fond du coeur et veuillez rece-
voir avec votre bonté ordinaire l'hommage
d'amitié respectueuse de
Votre signor poeta,
VICTOR H.
Mes respects, je vous prie, à madame Ber-
lin et mes bonnes amitiés à Edouard.
Mademoiselle Louise Berlin,
aux Roches, près Bièvre (Seitie-et-Oise).
Coulommiers, 28 juillet i835.
Je vous écris. Mademoiselle, du fond d'une
petite ville des environs de Paris d'où je vais
10
— 74 —
repartir pour une course de quelques se-
maines. Je ne voudrais pas entreprendre ce
petit voyage sans me mettre un peu sous l'in-
vocation de votre nom. Je vais voir des châ-
teaux, des clochers et des rochers dont j'ai
besoin pour mes études. Vous êtes heureuse,
vous, qui n'avez besoin que de regarder dans
votre âme pour y trouver toute votre musique,
toute votre poésie.
Avant peu nous vous reverrons, et les
Roches, et votre excellente famille. Si vous
avez une pensée d"ici là pour ceux qui courent
le pa3's, cahotés d'ornières en ornières, à tra-
vers un crescendo de méchantes auberges,
vous serez bonne et je serai reconnais-
sant.
J'espère que l'automne ne s'accomplira pas
sans que votre opéra soit debout, armé de
pied en cap, sur son pauvre poème comme
un bel et hardi écu3-er qui parade sur une
rosse efflanquée.
Quant à moi, je ne me plaindrai jamais de
la longueur de ce travail fait de moitié avec
vous et bien doux pour moi.
A bientôt donc, Mademoiselle. En attendant
que toute ma nichée de petits enfants joyeux
vienne baiser vos mains permettez-moi de
mettre à vos pieds ma sincère et respectueuse
amitié.
V. H.
Mademoiselle Louise Berlin, che\ M. Berlin
l'aîné, aux Roches, près Bièvre.
Vendredi, 22 août i835.
Voici, Mademoiselle, votre petite scène à
l'état de squelette. C'est vous qui mettrez sur
ces pauvres os décharnés, d'abord de la chair,
puis un riche vêtement.
Merci bien des fois de l'exemplaire de
Notre-Dame , et surtout de l'enveloppe aux
champignons. Je la garderai, et, tout mobile
- 76 -
que vous me supposez, elle servira de base
l'année prochaine à mes études. Après tout,
quelque dangereuse que vous paraisse cette
occupation, elle en vaut une autre, et dis-
tinguer le bon du mauvais, le sincère du véné-
neux, cela est encore plus aisé parmi les cham-
pignons que parmi les hommes.
Mes petits loups ont été comblés par ma-
dame Armand ' et par votre si bonne lettre. Ils
vous embrassent tous de toutes leurs forces. Il
y a une déjà vieille vérité que je ne sais com-
ment vous répéter pour la centième fois et
que je me décide à vous dire tout bonnement,
c'est que je vous suis dévoué du fond du
cœur.
VICTOR H.
M. Bertin aura demain l'exemplaire en
feuilles des Chants du Crépuscule , qui paraî-
tront lundi ou mardi.
' Madame Armand Bertin.
— 77 —
A Mademoiselle Louise Berlin.
i835.
Remerciez bien M. Bertin, Mademoiselle.
Il est pour moi ce qu'il a toujours été, excel-
lent. Remerciez -le bien et ne me remerciez
pas moi, car voici d'affreux vers, mais il est
impossible d'en faire de meilleurs sur le patron
donné.
Allons! sors!
Sus! dehors!
Et va-t'en !
A l'instant!
Sors ! c'en est trop !
Vous sauverez cela par la musique.
Je suis à vos pieds.
VICTOR.
Mademoiselle Louise Bertin,
chei M. Berlin l'ainé,
aux Roches, près Bièrre.
Paris, I g octobre i835.
Vous avez écrit à ma femme, Mademoiselle,
une bien charmante lettre et dont j'ai pris ma
part. Vous êtes cent fois bonne d'avoir pris ces
vers avec quelque plaisir. C'est tout ce que j'en
voulais. Il y a en vous tant de vraie et de grande
poésie que toute celle qui sort de nous doit tou-
jours vous sembler peu de chose.
Me voici maintenant ici achevant ce volume '
dont une partie avait poussé parmi les fleurs
des Roches et le reste dans les fentes des pavés
de Paris. De là dans ce volume deux couleurs,
l'une poétique qui vient de chez vous, Tautre
politique, qui vient de dessous les pas de tout
le monde.
' Les Chants du crépuscule.
— 79 —
Soyez indulgente et bonne pour le tout.
Nous parlons bien souvent ici dans nos soi-
rées déjà longues, de vous, d'Edouard, de
vos excellents et vénérés parents. Et sitôt qu'on
dit Louise, on est sûr de voir tourner quatre
petites têtes.
Ces chères petites têtes vous aiment bien, et
si ce n'était une partie de leur bonheur, vrai-
ment j'en serais jaloux, moi qui suis jaloux.
A bientôt. Mademoiselle.
Parlez un peu de nous sous les dernières
feuilles de vos beaux arbres. Nous avons, nous,
pour vous une amitié qui ne s'effeuille pas.
J'y joins un dévouement sincère et profond.
Votre respectueux ami,
VICTOR H.
8o
Mademoiselle Louise Berlin,
cliei M. Berlin l'aînéy
aux Roches, près Bièvre.
Samedi, 3i octobre i835.
Il y a huit jours juste aujourd'hui, Made-
moiselle, j'ai mis une lettre à la poste pour vous
contenant les vers que vous désirez, depuis
vous avez écrit à Didine, aujourd'hui ma femme
reçoit une nouvelle lettre (bien charmante) de
vous, et je vois que vous n'avez pas reçu la
mienne, et je suis encore à m'expliquer com-
ment cela se fait. La chose me contrarie d'au-
tant plus que je crains que les vers ne soient
perdus.
J'ai mis moi-même la lettre à la poste au
bureau de ma mairie place Royale. Il me sem-
blerait impossible qu'on ne la retrouvât pas en
la réclamant. Après tout la perte n'est sensible
que pour moi. Je remerciais Madame Armand
— 8i —
de toutes les jolies choses qu'elle a envo3^ées
aux petits loups et vous de vos lettres si bonnes
et souvent si belles, et je suis tout bête que rien
de tout cela ne vous soit arrivé.
Vous deviez être bien fàche'e contre moi et
pourtant vous avez trouvé dans votre indul-
gence et dans votre bonté la lettre d'aujourd'hui.
J'y réponds tout de suite, et je porterai moi-même
cette réponse rue de Seine, afin d'être sûr
qu'elle vous parviendra. Mandez-moi si la lettre
est définitivement perdue. Je referai les vers.
Je vous remerciais aussi de l'exemplaire de
Notre-Dame. Croyez qu'une attention aussi
délicate ne passe inaperçue devant mes 3'eux, si
hébétés qu'ils soient.
Vous êtes sans doute à la veille de revenir à
Paris. Je vous plains de perdre les Roches et
les Roches de vous perdre. Mais je nous félicite,
nous qui vous reverrons.
En attendant rappelez-nous au souvenir de
vos excellents parents, remerciez pour moi
votre bon père de tout ce qu'a fait le Journal
82
des Débats et permettez-moi de finir cette lettre
à vos pieds.
Mademoiselle Louise Bertin,
8 y rue de Seine, F. S. -G.
5 novembre i835. Vendredi soir.
Continuons notre ronde
Devant nous le crime fuit
Avançons, ) t > u * ri
^ » ' \ L ombre est profonde
Compagnons, )
Marchons, ) T^ i -.i
^ ' / Dans la nuit!
Guettons )
VARIANTE :
Redoublons de vigilance !
Devant nous le crime fuit.
Ouvrons l'oreille au silence
Et l'œil à la nuit !
Choisissez, Mademoiselle.
A demain, je pense. Je mets ma poésie hum-
blement aux pieds de votre musique.
V.
-83-
Mademoisdle Louise Bertiu,
8, rue de Seine. F. S. -G.
i836.
Par grand hasard, Mademoiselle, j'ai retrouvé
ce papier, et je me hâte de vous l'envoyer. Vos
lettres sont une partie de la joie de ma famille,
je suis presque heureux de cet oubli qui nous
en a valu deux.
Maintenant vous voilà à Paris. Nous irons
vous voir tous bientôt.
Moi, je mets à vos pieds mon admiration et
mon respectueux dévouement.
- 84-
Mademoiselle Louise Berlin.
4 février i836.
Mademoiselle,
Je remercie mille fois l'incident qui me vaut
une lettre de vous, et une si charmante lettre.
Faites comme vous le trouverez bon. Après
tout, nous avons mis notre opéra en quatre,
nous nous y mettons nous-mêmes, et, votre
musique et mademoiselle Taglioni aidant, ces
deux belles choses harmonieuses, nous aurons
un beau succès. (Mon nous aurons est d'une
rare fatuité.) Ainsi c'est dit. Je ne vous parlerai
plus de cela que pour vous dire tout mon espoir.
Passons donc tout de suite, et permettez-moi
d'achever humblement ce griffonnage à vos
pieds.
VICTOR H.
" 85 —
Mademoiselle Louise Bertiti,
8, rue de Seine. F. S. -G.
5 février i836.
11 faut qu'à votre tour, Mademoiselle, vous
veniez à mon aide.
J'avais fait vos quatre vers, et puis voilà que
je ne les retrouve plus dans mon portefeuille.
Est-ce que vous serez assez bonne pour me
renvoyer les monstres avec l'indication des sons
à donner à chaque vers à peu près.
Je suis bien maladroit, mais vous êtes bien
bonne.
Votre respectueux ami,
VICTOR H.
Je referai les vers et vous les aurez de suite.
— 86 —
Mademoiselle Louise Berlin,
8, rue de Seine. F. S. -G.
i6 février i836.
Est-il vrai ? Phœbus t'aime !
Infâme! Sors d'ici !
Son audace est extrême!
Elle nous brave ainsi !
O comble d'impudence !
Retourne aux carrefours
Faire admirer ta danse
Aux marchands des faubourgs !
Douze de plus commençant autant que pos-
sible le second par une voyelle.
Je vais, Mademoiselle, m'occuper aujourd'hui
de la cavatine, de cette fameuse cavatine que
nous jetterons comme le gâteau d'Énée dans la
gueule de Cerbère-Nourrit. Plaise à Dieu qu'il
se contente de cette pitance !
En attendant, veuillez agréer avec bonté ces
huit méchants vers et tout mon dévouement.
V.
- 87 -
Mademoiselle Louise Bertin,
S, rue de Seine S.- G.
Ce dimanche soir, i836.
Si maintenant Nourrit n'est pas content,
Mademoiselle, nous lui dirons le plus d'injures
que nous pourrons. Ce que je désire, moi, plus
que le contentement de Nourrit, c'est le vôtre.
Je vous envoie la cavatine et ci-inclus le
guide-âne, pour que vous puissiez juger de ma
fidélité.
Je suis bien fidèle aussi dans mon respect et
dans mon dévouement pour vous.
88
Mademoiselle Louise Berlin.
20 mars i836.
Pardon, Mademoiselle, pour les dimensions
colossales de ce billet. Remarquez qu'il sert en
même temps d'enveloppe. Je suis le plus mala-
droit des hommes. J'ai pleinement oublié avant-
hier que Boulanger devait venir dîner avec moi
aujourd'hui, ce qui m'empêchera par consé-
quent de dîner avec vous. Je me dédommagerai,
j'espère un de ces jours, et le plus tôt possible.
Voici, en attendant, le scénario radoubé.
Jugez. Je crois que cela peut bien aller ainsi, et
que le dénouement gagne du pathétique et de
l'imprévu. Si dans le rêve du quatrième acte la
scène diabolique de Montfaucon vous effarou-
chait, on pourrait la retrancher et borner le
cauchemar à ce qui précède. Cependant je
crois qu'il y aurait là matière à un effet de déco-
ration très beau et très sinistre. J'en dis autant
- 89 -
pour le dénouement, il serait aisé de faire vivre
Phœbus et de le marier à Esméralda.
Cependant Je crois que cela va mieux ainsi.
Il y a péripétie et inquiétude jusqu'à la fin.
Vous me direz votre avis. Après quoi je ferai
faire pour Véron la dernière copie et tout mar-
chera.
Je joins au bloc les vers refaits. J'irai cher-
cher le reste et diner avec votre excellente
famille au premier jour.
Je mets tous mes griffonnages et tous mes
dévouements à vos pieds.
VICTOR H.
Je n'ai pas encore votre exemplaire des deux
nouveaux volumes que publie Renduel.
— 90 —
Mademoiselle Louise Berlin,
6\ rue de Seine S. - G.
Paris . — Pressée.
g mai i836. — Fourqueux.
Je compte bien faire mon possible pour vous
voir demain, Mademoiselle, mais dans tous les
cas je vous envoie la décente platitude que
voici :
Oh! comme elle est belle !
Son œil étincelle
Le bonheur prés d'elle
Est doublé d'orgueil.
et j'y joins tous mes hommages et tout mon
dévouement.
VICTOR H.
— 91 —
Mademoiselle Louise Bertiii^
aux Roches, pi^ès Bièvre (Seine-et-Oise).
Mont Saint-Michel, 27 juin i836.
Je VOUS écris, Mademoiselle, du mont Saint-
Michel qui est vraiment le plus beau lieu du
monde, après Bièvre bien entendu. Les Roches
sont belles et sont bonnes, immense avantage
qu'elles ont sur ce sinistre amas de cachots, de
tours et de rochers, que l'on appelle le mont
Saint-Michel.
Il serait difficile d'écrire d'un lieu plus ter-
rible à un lieu plus charmant que d'oia je suis
où vous êtes. En ce moment je suis bloqué
par la mer qui entoure le mont. En hiver avec
les ouragans, les tempêtes et les naufrages, ce
doit être horrible. Du reste c'est admirable.
Un lieu bien étrange que ce mont Saint-Mi-
chel, autour de nous, partout à perte de vue,
l'espace, l'infini, l'horizon bleu de la mer, l'ho-
~ 92 —
rizon vert de la terre, les nuages, l'air, la
liberté, les oiseaux envolés à toutes ailes, ces
vaisseaux à toutes voiles, et puis tout à coup,
là, dans une crête de vieux murs, au-dessus de
nos têtes, à travers une fenêtre grillée, la pâle
figure d'un prisonnier.
Jamais je n'ai senti plus vivement qu'ici ces
cruelles antithèses que l'homme fait quelquefois
avec la nature.
A^ous, Mademoiselle, vous n'avez pas de ces
tristes pensées. Vous êtes heureuse là-bas, heu-
reuse avec votre excellent père, votre bonne
famille, heureuse avec votre beau vallon à votre
fenêtre, heureuse avec votre beau succès devant
les yeux.
Je serai à Paris du i o au 1 5 juillet, et tout à
vous et tout à Notre-Dame, dont je vois de ma
croisée d'auberge une mauvaise statue en
plâtre juchée dans une charmante niche à trèfles
du quinzième siècle.
Excepté mon pauvre cher petit Toto, dont
les oreilles m'inquiètent, j'ai quitté toute ma
— 93 —
famille en bonne santé et en bonne joie à Four-
queux. Mes petits m'ont écrit qu'ils allaient vous
écrire. Moi, je mets à vos pieds ma vive et
respectueuse amitié.
VICTOR.
Dites à notre excellent Edouard que je lui
serre la main ex imo corde. Tous mes souve-
nirs les plus affectueux à toute votre famille, je
vous prie.
Mademoiselle Louise Bertiiiy
aux Roches, près Bièvre.
St-Germain-en-Laye, 3o juillet i836.
Je vous envoie, Mademoiselle, tous vos vers
y compris ceux de huit syllabes, et les monstres
pour comparer.
J'y joins mon petit journal.
— 94 —
Phœbus.
Mais qu'importe ce qu'il me chante !
L'ami! ce rendez-vous m'enchante.
J'y cours! A la peur impuissante
A-t-on vu qu'un archer ce'dât ?
Turque ou bohème, elle est charmante !
Maure ou juive, je suis soldat !
Claude.
Imprudent ! quelle est donc ta folie!
Hëlas ! que vas-tu chercher ?
Peux-tu bien, quand ma voix te délie
Toi-même te rattacher?
Tu verras ! — Cette femme est fatale !
Tu te perdras sans retour !
Oui, tu cours à la nuit sépulcrale
En croyant courir au jour.
Va, la mort peut cacher son front pâle
Sous le masque de l'amour.
Phœbus.
C'estramour qui m'appelle
Claude.
Avant de
etc. j etc.
Voici maintenant deux variantes pour les vers
du finale. Vous pourrez choisir.
Le Peuple.
Rigueurs inattendues !
Pleurons, elle est perdue !
Sous sa main étendue
La mort la tient, hélas !
Pleurons, pleurons !
Ou:
Pleurons ! plus de franchise
Pour elle en cette église !
Hélas ! la mort l'a prise,
La mort veut la garder.
Pleurons, pleurons.
Il ne me reste plus qu'à vous dire à quel
point je vous suis acquis. Ceci est sans variante.
Nous vous le répéterons dimanche aux Roches,
ma femme et moi.
A vos pieds, V.
Mademoiselle Louise Bertin,
aux Roches, près Bièvre.
i"août i836. Saint-Germain-en-Laye.
Claude (à part).
Oh ! malheur ! rien ne l'épouvante
-96-
Devant cette lutte impuissante
Mon amour croît, ma haine augmente.
Malheur à lui dans ce combat!
La fin sera sombre et sanglante
Le prêtre vaincra le soldat!
Vous voyez, Mademoiselle, que vous avez
vos vers avant jeudi.
J'ai fait des bouts-rimés cette nuit par le
plus beau clair de lune du monde, et j'espère
que vous y reconnaîtrez sans peine que Diane
est la sœur d'Apollon.
Votre respectueux collaborateur,
VICTOR H.
Mademoiselle Berlin, chei M. Bertin l'aîné,
aux Roches, près Bièvre [Seine-et-Oise).
Dimanche, 28 août i836.
CHŒUR.
Quel malheur! il expire! il tombe! Ah!
— 97 —
Quel coup fatal et quel funeste jour!
Hélas! tout quitter pour la tombe ! Ah !
Si beau la vie, et si jeune l'amour!
Pleure, pauvre bohémienne !
Hélas ! il te sauve et te perd!
Son cercueil se fermait à peine,
Que le tien s'est ouvert!
Ou bien les quatre derniers vers :
Mourir, un si beau capitaine!
Hélas! il la sauve et la perd!
Un tombeau se fermait à peine,
Un autre s'est ouvert!
Choisissez, Mademoiselle, et puis je me mets
humblement à vos pieds.
V.
Mademoiselle Louise Berlin,
8, rue de Seine S.-G.
9 septembre i836. Minuit et demi.
Je vous disais bien, Mademoiselle, que
j'étais le plus ennuyeux des hommes. Voici
1^
- 98 -
qu'au lieu d'une strophe pour Esméralda, je
vous en envoie deux. Il est vrai qu'il va sans
dire que la première seule servira. C'est tout
bonnement une preuve de mon impétuosité
littéraire que je dépose à vos pieds. Une fois
lancé j'ai été plus loin que besoin n'était.
Vous devriez bien à votre tour m'inviter à
faire des coupures et à ne pas vous assommer
de plus de vers qu'il n'en faut.
A bientôt, Mademoiselle, votre musique est
bien belle et votre succès sera beau aussi.
Mille hommages.
VICTOR H.
Mademoiselle Louise Berlin.
Vendredi, 23 juin 1837.
Mademoiselle,
Je commence par me mettre à vos pieds en
vous demandant toutes sortes de pardons.
— 9*^ —
J'aurais du vous envoyer manuscrits les
vers qui sont pour vous ' et que vous allez lire
imprimés, mais prenez-vous-en à mes yeux qui
sont dans un horrible état. Au moment où je
vous écris, Je suis retombé dans la dure néces-
sité des conserves, j'ai deux verres bleus sur
les yeux comme un omnibus. Ce mois
d'épreuves m'a fait reculer jusqu'à mon oph-
thalmie de i83i. Vous en souvenez-vous? Et
comme vos belles collines ont eu soin de mes
pauvres yeux alors ! Comme elles les ont
enveloppés de leur douce tenture verte!
J'ai le cœur plein de reconnaissance quand
je songe à Bièvre et à vous, — ce qui m'arrive
souvent.
Je n'oublie pas les privilèges du Journal
des Débats.
Je vous envoie pour votre excellent père
tout le volume, à la préface près qui n'est pas
encore tirée.
' Les Voix intérieures, Pcnsar JuJar.
fnTvêrsTî^
CfSL/OTHtCA
j-^^tavjensi8
— 100 —
Le Journal des Débats a seul cette commu-
nication. M. Bertin pourra choisir ce qu'il
voudra. Il n'y a qu'une pièce que le Journal
des Débats pourrait être exposé à publier avec
d'autres journaux, c'est la pièce sur Charles X
intitulée Siint lacrj-mœ rerum. Comme cette
pièce, prise isolément a une demi-teinte car-
liste, j'ai pensé que le Journal des Débats ne
la publierait dans aucun cas, et que je pourrais
faire aux intérêts de Renduel cette concession
de lui permettre de la laisser publier par d'au-
tres journaux. Tout le reste du volume, je
le répète, est au Journal des Débats exclusi-
vement.
Le livre paraît lundi ; il serait donc impor-
tant que le Journal des Débats publiât diman-
che ce qu'il choisira afin de n'être devancé
par personne.
Mille pardons encore. Mademoiselle.
Voilà bien des détails ennuyeux, mais c'est
pour vous obéir que je vous les donne.
Outre les vers qui sont à vous, vous verrez
— lOI —
quelque part dans ce livre un souvenir de
notre chère Esméralda. C'était à moi de vous
venger.
Je finis comme j'ai commencé à vos pieds.
V.
Mademoiselle Louise Bertiji,
aux Roches, p?^ès Bièvre (Seine-etOise).
Paris, i6 juillet 1837.
Il y a longtemps, Mademoiselle, que je veux
vous écrire, et je n'en ai pas peu de colère
contre mes yeux.
Je vous assure que rien n'est plus triste que
d'être ainsi séparé de toutes les personnes
chères par une vilaine barrière de verre bleue.
Tout prend pour moi, depuis que je suis en
proie à ces lunettes, un aspect froid et morne.
Je vois le soleil vert, et mes enfants violets et
— 102 —
midi en clair de lune. Tout cela est bien mo-
rose.
Et puis, la maison est fort affligée. Ma
femme est toujours souffrante et Dédé encore
malade. La fièvre traîne en longueur.
La pauvre enfant ne sourit pas une fois par
jour. Elle est toute la journée, maigre et pâle
dans un grand fauteuil, craignant la gaieté de
ses frères comme une fatigue, pleurant quand
on veut la faire rire. Le danger a disparu,
mais la tristesse nous est restée. Il semble que
personne ne se porte bien dans la maison.
Madame de Sévigné a raison, la pire façon
d'être malade , c'est d'être malade dans son
enfant.
C'est aussi, me direz-v^ous, d'être malade
dans sa mère. Mais nous avons su par Armand
et par vous que madame Bertm va mieux.
C'est la seule joie que nous ayons eue depuis
longtemps. Gardez-nous-la bien. Il paraît que
ce pauvre Edouard souffre beaucoup. Je veux
tous les jours l'aller voir, et j'attends un petit
— 103 —
éclairci dans la santé de Dédé pour porter du
moins à notre ami un visage riant.
Que vous êtes bonne d'avoir lu les Voix
iiitérieui^es et de les avoir lues avec le même
cœur d'autrefois!
Combien de choses dans ce volume sont
écrites pour vous, et tout au plus pour deux
ou trois autres encore ! Etre toujours compris
par vous, c'est un de mes buts les plus chers,
vous le savez bien.
Dites, je vous prie, à votre bon père comme
j'ai été heureux que ce livre l'ait ému. Son ap-
plaudissement est aussi bien précieux et bien
doux pour moi. Satisfaire quelques âmes d'é-
lite, de son temps d'abord, et ensuite de tous
les temps, voilà la seule vraie ambition du
poète. Cela obtenu, le reste, blâme ou éloge,
huées ou acclamations, importe peu.
Adieu, Mademoiselle. J'avais besoin de cau-
ser un peu avec vous.
Ma femme vous aurait déjà écrit si elle ne
passait pas sa vie dans les tisanes à donner, les
— 104 —
nuits passées, le petit lit à refaire, etc., etc.
Mille soins, où vous la voyez, n'est-ce pas,
bonne, douce et résignée, comme toujours.
Elle et Didine et Chariot et Toto et la chère
petite malade vous embrassent. Moi, je vous
prie, de penser quelquefois à ma respectueuse
et profonde amitié.
VICTOR.
Mademoiselle Louise Bet^titi, aux Roches,
près Bièvre (Seine-et-Oise).
Bruges, 29 août 1837.
Vous souvenez-vous un peu. Mademoiselle,
d'un ancien hôte qui pense toujours à vous et
à qui cette immense prairie qu'on appelle la
Flandre n'a pas fait oublier le doux et vert val-
lon des Roches.
Ma vue malade est venue chercher ici de la
— I05 —
verdure, mais j'avais compté sans la peinture,
et, à peine arrivé dans les villes, je vais fati-
guer et éblouir sur les Rubens, les van Eyck et
les van Dyck mes pauvres 3'eux que les til-
leuls, les saules et les frênes avaient reposés.
En somme je ne sais si ce voyage aura guéri
ou empiré mon mal. Ce que font les gazons et
les arbres, Rubens le défait. J'espère pourtant
que le bien l'emportera, et j'en ai besoin, car un
laborieux automne m'attend à Paris. J'ai bien
des choses à faire pour cet hiver.
Pardon, Mademoiselle, de vous tant parler
de moi quand je ne devrais m'occuper que de
vous. Mais il me semble qu'il ne peut y avoir
rien que de bon, de doux et d'heureux sous ces
beaux feuillages des Roches, Je compte bien
que madame Bertin s'}' est tout à fait rétablie
et qu'Edouard aussi va de mieux en mieux. Et
vous, Mademoiselle Louise, que faites-vous:
Je songe souvent avec tristesse à notre Esmé-
valda qui a trop peu duré.
Croiriez-vous qu'ils poussent en Belgique la
•4
— io6 —
rage de la contrefaçon jusque-là qu'ils ont
contrefait mon libretto ? J'ai eu l'honneur de le
voir effrontément affiché sous l'ombre même
de la sublime flèche d'Anvers. J'en ai conclu
que les Belges étaient capables de tout.
Que vous avez écrit à ma femme une char-
mante lettre que j'ai lue avant mon départ ! Je
vous en remercie. Croyez-le bien, il y a place
Royale un groupe qui vous aime profondé-
ment.
Je serai de retour à Paris du i o au 1 5 septem-
bre. Ma famille est à Auteuil pour la fin de la
saison. Nous espérons bien pourtant, ma femme
et moi, pouvoir nous échapper un dimanche
jusqu'aux Roches, et aller vous redire ainsi
qu'à votre bon père combien nous sommes à
vous du fond de l'âme. Nous avons passé aux
Roches des heures qui rayonneront toujours
dans notre vie.
Mettez, je vous prie, mes respects aux pieds
de madame Bertin, et so3'ez assez bonne pour
parler un peu de moi à Edouard et à Armand,
— 107 —
mes bons et toujours chers amis. Quant à
vous, Mademoiselle, permettez-moi de sup-
poser que vous n'avez pas oublié avec quel
inaltérable et respectueux attachement je suis à
vous.
VICTOR H.
A Mademoiselle Louise Berlin.
Dimanche soir 29 octobre (1837).
Tout à l'heure, Mademoiselle, ma Didine
faisait cette remarque tristement qu'il y a huit
jours nous étions tous auprès de vous. Cela
dit, elle s'est mise à vous écrire, et moi aussi,
sans lui en dire rien, si bien que nos deux
lettres, écrites côte à côte vont vous arriver
ensemble pleines de la même pensée.
Vous savez bien, n'est-ce pas, que vous êtes
toujours présente et toujours aimée? Il y a
— io8 —
quatre petits enfants qui parlent souvent de
vous, et le père y pense plus souvent encore.
Voici les derniers beaux jours passés. La
boue et l'hiver reviennent. Paris n'est pas gai.
Vous, vous avez le ciel gris et les feuilles
mortes. Cela vaut mieux que la rue Saint-
Honoré avec ses embarras de charrettes.
Nous espérons ici que madame Bertin va de
mieux en mieux. Nous avons dîné aujourd'hui
en ne causant que de cela.
Grondez-moi, je n'ai pas encore vu Dupon-
chel '. En revanche, j'ai vu Védel -. Cela rime.
Cela vous est bien égal, mais j'ai un procès
avec les Français ^ Cela rime encore. Que vou-
lez-vous que j'y fasse ? Ce que j'aurais de mieux
à faire, ce serait d'aller aux Roches causer avec
votre excellent père, avec vous, avec Edouard,
et me promener au pied de vos belles collines,
sans plus songer aux huissiers, au tribunal de
' Directeur de TOpéra.
- Administrateur du Théâtre-Français.
^ Procès d'Ansrclo et Hcrnani.
— 109 —
commerce et à la Bourse, ce temple grec blanc
et bête maculé d'agents de change.
Mais ma destinée m'entraîne. Je suis furieux
contre la Comédie française, et j'ai besoin d'un
procès pour me soulager. Ce qui est extraordi-
naire, c'est qu'il paraît certain que je le gagne-
rai, avec de gros dommages-intérêts que le
gouvernement paiera, à ce que disent mes-
sieurs les sociétaires.
Pardon de tous ces bavardages. Ce sot pro-
cès est la seule nouvelle que je puisse vous
conter. On ne parle que de cela chez moi
depuis huit jours, et je vous envoie un peu de
mon ennui.
Permettez-moi d'y joindre le nouvel hom-
mage d'un vieil attachement bien profond, bien
respectueux et bien dévoué.
VICTOR H.
Ma femme vous embrasse tendrement.
110
Mademoiselle Louise Bertin,
8, rue de Seine.
4 janvier i838. — Dix heures du soir.
Je mets ma contrariété à vos pieds, Made-
moiselle.
J'avais envoyé ce soir une pauvre fleur à
madame Bertin, et j'espérais suivre la fleur de
près; mais voici tout le théâtre de la Renais-
sance, votre futur théâtre, qui me tombe sur
les bras. On me demande la pièce d'ouverture
(ceci entre nous) ; de là négociations, conver-
sations, conférences, etc., c'est-à-dire toute ma
soirée prise. C'est fort ennuyeux — pour moi
du moins. J'irai m'en dédommager une de
ces après-midi rue de Seine. En attendant
dites bien à votre bonne mère combien je
suis affligé d'avoir manqué ce soir au groupe
des amis. Je n'y manque pas de cœur du
moins. Ma femme tousse et s'emplit de jujube.
— III —
moi je pérore et je donne au diable les théâtres.
Nous n'en envoyons rue de Seine que des
vœux plus affectueux et des souhaits plus
ardents pour toutes les santés auxquelles tient
la vôtre.
Votre vieil et respectueux ami,
VICTOR H.
Mademoiselle Louise Berlin, aux Roches,
près Bièvre (Seine-et-Oise).
2 avril i838.
Que vous dire, Mademoiselle ? Que nous
sommes navrés du coup qui vous frappe ?Vous
le savez bien. Devant une affliction comme
la vôtre, on manque de paroles. J'ai rendu
aujourd'hui les derniers devoirs à votre excel-
lente mère, et là, en présence de cette fosse,
j'ai pensé à vous avec angoisse. Je sens bien
— 112
que vous êtes forte et grande. Dieu est bon,
après tout, et il mesure nos douleurs à nos
forces. Ceux qui sont faibles, il ne les accable
pas. Il n'accable personne. A vous-même, si
cruellement éprouvée, il vous laisse toute une
famille dont vous êtes l'âme, deux frères dignes
de vous, un père, le meilleur des hommes , et
puis derrière ceux-là quelques amis qui vous
aiment. Comptez-moi bien parmi eux. Nous
vous aimons ici comme vous méritez d'être
aimée, avec l'intelligence et avec le cœur. Et
puis, ne prenez pas la vie en haine. Je vous en
supplie. La vie est le commencement de quel-
que chose. Attendons la fin.
Je me mets à vos pieds,
VICTOR H.
— 113 —
Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches,
près Bièvre (Seiue-et-Oise).
4 septembre i838.
Vous ne pensez pas, j'espère, Mademoiselle,
que personne vous oublie dans la famille de la
place Royale. Il y a toujours là bien des cœurs
qui songent à vous et qui vous aiment, je vous
assure, depuis le capitaine Toto dontles cheveux
blonds commencent à devenir noirs jusqu'à
moi dont les cheveux noirs commencent à
devenir blancs. Tous ces enfants que vous avez
vus si petits, pour qui vous avez été si douce et
si charmante et que vous avez comblés de tant
de tendresse, parlent bien souvent de vous avec
leur mère comme d'une autre mère qu'ils
auraient, — et qu'ils ont, n'est-ce pas. Made-
moiselle?
Quant à moi, je viens de faire quelques
belles courses. J'ai vu une partie de la Cham-
i5
— 114 —
pagne, de vieilles églises, des meules de blé,
des prés, des bois, et j'ai bien souvent pensé à
vous qui avez tant de belles choses en vous et
tant de belles choses autour de vous, à vous la
bonne fée de l'heureuse vallée.
J'ai fait aussi une pièce ' qu'on va jouer tout
à l'heure. Et vous, que faites-vous, Mademoi-
selle ? Vous nous devez déjà compte de deux
années de loisirs et de pensées, songez-}^
J'ai remis à Armand trois Esmêralda pour
vous, et puis je vous prie de parler un peu de
moi à votre excellent père et de permettre que
je vous redise encore une fois à quel point je
suis vraiment à vous du fond de l'àme.
VICTOR H.
' Ruy Blas.
— ii; —
Mademoiselle Louise Bertin,
8, rue de Seine S. -G.
3o novembre i838.
Voilà que je vous écris à mon tour, Made-
moiselle, pour vous demander votre loge. Ne
suis-je pas le plus impudent et le plus indiscret
du monde ?
Excusez-moi et soyez assez bonne pour
me dire si cela vous gêne de me céder votre
jolie petite logette un jour quelconque. Il s'agit
d'y envo3'er une partie de ma famille, qui me
croit tout-puissant partout, et surtout à l'Opéra.
Vous savez ce qui en est. Mais on ne leur ôtera
pas cela de l'esprit. Ce qu'on n'ôtera pas du
mien, c'est un dévouement sans limite pour
vous qui avez une bonté sans borne.
J'y ajoute tous mes respects.
MCTOR H.
— ii6 —
Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches, par
Bièvre et par Palaiseau (Seine-et-Oise).
3o septembre iSSg. — Marseille.
Cet été, Mademoiselle, quand vous voyagiez,
j'étais à Paris; je vous ai écrit, ma lettre s'est
perdue, ce qui n'est un regret que pour moi;
maintenant vous êtes à Paris; c'est moi qui
voyage, je vous écris encore, mais j'espère que
cette fois la lettre ne se perdra pas.
Je suis à Marseille pour quelques heures, je
suis arrivé ce matin et je vais repartir cet après-
midi : je profite de la table de l'auberge et de
l'intervalle qui sépare la malle-poste du bateau
à vapeur pour vous dire un peu ce que je sens
beaucoup, ma profonde et inaltérable amitié
pour vous, Mademoiselle, et pour tous les
vôtres. Voyez-vous, rien n'efîace les belles jour-
nées des Roches, votre admirable vallée verte,
votre douce et cordiale hospitalité, vos frères.
— - 117 —
/
votre père si excellent et si noble, vous, Made-
moiselle, si bonne et si supérieure de toute
façon, dans la bonté comme dans l'intelligence;
vous n'avez à craindre de comparaison avec
quoi que ce soit, pas même avec ce doux ciel
de Provence, si bleu, si profond, si hospitalier,
lui aussi.
Toute ma famille est en vacances en ce mo-
ment, et prend ses ébats en Normandie, pen-
dant que je suis venu visiter Arles et Avignon,
deux admirables villes qui sont romaines par
les monuments et grecques par le soleil.
Vers le 6 octobre, tout mon petit monde sera
de retour à Paris; j'y serai, moi, du 1 5 au 20;
le I" novembre vous ramènera, j'espère. Nous
nous reverrons tous, et c'est une joie dont j'ai
besoin.
Que faites-vous à cette heure ? Que fait
Edouard ? Ce sont des questions que je m'a-
dresse souvent. J'ai ici des villes et des hori-
zons selon le cœur d'Edouard, des toits italiens,
des collines sévères, de magnifiques encadre-
— iiS —
ments partout, dans le paysage comme dans les
édifices. Je le regrette souvent; Je dis : je vou-
drais Edouard ici. Et puis je pense : je me vou-
drais aux Roches.
Continuez à nous faire de belles choses,
Mademoiselle. Vous devez voir clairement
maintenant quEs?7iéf'alda est un triomphe.
Poursuivez donc, vous qui avez tant de talent,
vous qui avez tant de courage.
Je vous écris rarement, mais je songe bien
souvent à vous; nous parlons de vous sans
cesse, le soir en famille. Vous avez été pour
mes enfants comme une mère, pour moi comme
une sœur. Aussi, ma femme, mes enfants et
moi, nous sommes à vous du fond de l'àme.
Nous nous souvenons, croyez-le bien.
Je mets à vos pieds, ma dévouée et respec-
tueuse affection.
VICTOR H.
— 119 —
Mademoiselle Louise Berlin, c}ie{ M. Bertin
l'ainê, aux Roches^ près et par Bièvre.
14 mai 1840.
Je viens de lire, Mademoiselle, votre bonne
lettre, si gracieuse pour ma Didine, si douce
pour moi.
Vous me grondez pourtant un peu, et vous
n'avez raison qu'à demi, car si je ne vous ai pas
écrit, c'est que je pensais aller vous voir, je l'ai
dit à Armand.
Et puis maintenant vous allez me gronder
encore, car votre lettre était pour Didine et non
pour moi. Cette fois vous aurez raison tout à
fait et je dis très humblement mon mea culpa.
Je suis bien fier que ces quelques vers' vous
aient fait un peu de plaisir, à vous qui avez les
lilas, les ébéniers, les acacias, toute votre belle
vallée en fleurs.
' Les Rayons et les Ombres, à Mlle Louise B. — Sagesse.
— 120 —
Les Roches ! Quelle formidable concurrence !
Qu'est-ce que c'est que notre pauvre poésie à
nous autres à côté de la poésie du bon Dieu ?
Que tout ce que nous vous disons doit vous
sembler peu de chose auprès de ce que vous
vous dites à vous-même !
Si l'on pouvait ressaisir les années envolées,
je voudrais recommencer un de ces ravissants
étés, où nous avions des soirées si douces et si
exquises, près de votre piano, avec votre mu-
sique et votre causerie qui est une musique
aussi, avec Edouard dessinant dans un coin
quelque beau paysage, les enfants Jouant autour
de nous, et votre excellent père nous échauffant
et nous éclairant tous. — C'était charmant. Qui
sait! Tout cela renaîtra peut-être. — Ce qui
n'a pas besoin de renaître, parce que cela est
toujours vivant, c'est ma tendre, profonde et
respectueuse affection pour vous.
VICTOR H.
121 —
Didine est à la campagne, je vais lui porter
votre lettre.
Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches, près
Bièrre (Seine-et-Oise).
Dimanche 6 juillet i8|o. — St-Prix.
Au milieu des arbres de St-Prix je pense,
Mademoiselle, aux arbres de Bièvre, à côté du
piano quelconque de mes petites filles, je songe
au vôtre que tant de fois votre âme a animé
pour moi. J'ai revu jeudi toutes mes joies du
temps passé et les plus douces journées de ma
vie comme résumées en quelques heures.
Jeudi a été un beau jour, un jour charmant,
un jour de rajeunissement. J'ai dit à ma femme
combien vous aviez été tous bons pour elle, vos
affectueuses paroles, le gracieux sourire de
madame Armand. Elle me charge de vous
remercier. Mademoiselle. Moi, je vais bientôt
t6
• — 122 —
partir pour ma course annuelle, et je suis heu-
reux de pouvoir emporter avec moi un souvenir
des Roches tout frais et d'hier.
Si vous saviez quelle douce promenade j'ai
faite avec votre père à travers ces beaux arbres,
dans ce beau jardin qui est son ouvrage et qui
me semble plein de sa pensée et de son esprit.
Il a été excellent pour moi, et je lui parlais
comme j'aurais parlé à mon père. Vraiment,
quand je suis aux Roches, je me sens un peu
votre frère.
Si vous le permettez, avant la fin de l'automne
j'irai encore demander aux Roches une journée
comme celle de jeudi. En attendant, continuez
à faire vos mystérieuses belles choses, dites à
notre bon et cher Edouard que je lui serre la
main, et laissez-moi mettre à vos pieds mon
plus tendre et mon plus respectueux dévoue-
ment.
VICTOR HUGO.
Chariot et Toto, Didine et Dédé vous embras-
sent et vous aiment.
12.^
Mademoiselle Louise Beî^tin, aux Roches, près
et par Bièvre (Seine-et-Oise).
12 août 1840. — St-Prix la Terrasse.
Que VOUS êtes bonne, Mademoiselle. Le prix
de Charles m'avait rendu bien heureux, votre
lettre m'a rendu plus heureux encore. Le prix,
ce n'est que de l'orgueil, votre lettre, c'est de la
joie. Le pauvre enfant a été ému jusqu'aux
larmes en la recevant. Vous êtes comme une
autre mère pour eux. Je vous aime de les aimer
ainsi. Dites bien à votre noble et bon père
comme je suis à lui et permettez-moi de vous
offrir, à vous qui êtes une des meilleures et
des plus douces pensées que j'aie dans l'àme,
le nouveau témoignage de mon inaltérable et
respectueux dévouement.
VICTOR HUGO.
— 124 —
Mademoiselle Louise Berlin, aux Roches, près
et par Bièvre (Seiiie-et-Oise), France.
11 octobre 1840. — Hausach, forêt Noire.
Je VOUS écris au milieu des neiges, Made-
moiselle, et j'espère que cette lettre vous trou-
vera au milieu des rayons de soleil. Je suis
dans la forêt Noire, et vous aux Roches. Ce
pays est magnifique, mais froid, sombre et dur.
Dites bien, je vous prie, à votre excellent père,
que tous les sapins de la forêt Noire ne valent
pas Tacacia qui est dans la cour.
Toute la plaine est blanche autour de moi,
ce qui tranche résolument avec les bois couleur
d'encre. Il fait un vent de bise, décembre habite
pendant huit mois de Tannée dans ce pays. Ce
sont des beautés, mais des beautés sévères.
Vous, Mademoiselle, vous avez les beautés
douces. Je souffle dans mes doigts et je vous
envie.
— 12!
J'ai vu Mayence, Cologne, Francfort, Hei-
delberg, tout le cours du Rhin, Shaffouse et le
lac de Constance; tout cela est admirable, mais
j'aime mieux la pièce d'eau des Roches, la
rivière de Bièvre, la conversation de votre
père et nos bonnes causeries au coin de votre
piano.
Vous en souvenez-vous. Mademoiselle? Je
préfère à toutes ces merveilles nos cerfs-volants
blasonnés, nos petites voitures de cartes et l'an-
née i83i.
J'espère, Mademoiselle, que tout va bien au-
tour de vous et que cette lettre vous trouvera
heureuse au milieu de tout votre monde heu-
reux. Quant à moi, je vois, j'étudie, je travaille,
j'écris force vers et force prose, et je pense à
vous, comme vous voyez.
Je pense à vous, comme à un grand esprit,
comme à un noble cœur, et permettez-moi
d'ajouter aussi, comme à une amie.
Dites, je vous prie, à Edouard et à Armand
que je leur serre bien affectueusement la main
— 126 —
et croyez à mon profond et respectueux dévoue-
ment.
VICTOR H.
Mademoiselle Louise Bei^tin, aux Roches, près
Bièvre (Seine-et-Oise).
i5 septembre 1841. — Ce mardi soir.
Que vous dire, Mademoiselle, et comment
vous consoler, moi qui aurais besoin de conso-
lation moi-même ? Vous savez combien j'aimais
votre père. Il me semble que c'est le mien que
je perds pour la seconde fois.
J'étais à la campagne ce matin quand cette
douloureuse nouvelle nous est parvenue. Je
suis accouru à Paris comme si tout n'était pas
fini, hélas! Je viens de voir Armand, ce bon
Armand. Nous avons parlé de votre père, de
vous Mademoiselle Louise, de mon cher
— 127 —
Edouard, de vous tous, et cela m'a un peu sou-
lagé! J'avais besoin de cet épanchement. Je
croyais votre père guéri. Cela faisait partie de
mon bonheur cette année. Jugez du coup que
nousavonsreçu. Depareils hommes ne devraient
pas mourir. Lui si doux, si noble, si excellent,
si supérieur en tout, en bonté comme en esprit,
lui meilleur que nous tous, lui plus fort que
nous tous, lui plus jeune que nous tous, si
respecté, si heureux, si aimé, si nécessaire
hélas! Pourquoi est-il mort? Si sa présence
nous manque, que sa pensée du moins ne nous
manque pas. Je vous écris plein des souvenirs
de ces belles et douces années des Roches qui
ra3'onnent maintenant pour moi plus que ja-
mais. Vous, Mademoiselle, qui êtes un si grand
cœur, pourquoi êtes-vous si cruellement affli-
gée? Hélas! quelque jour j'essaierai de vous
dire à vous ce que je pensais, ce que je pense
de votre cher et vénérable père. Aujourd'hui je
ne puis que baiser vos mains et pleurer.
MCTOR.
— 128
Ma femme et mes enfants qui sont vos enfants
aussi vous embrassent et vous aiment, et
pleurent avec vous.
Mademoiselle Louise Berlin.
Ce jeudi 28 octobre 1841.
Vous allez donc nous donner, Mademoi-
selle, ces vers ' que je désirais tant lire après
vous en avoir entendu chanter quelques-uns
qui étaient si beaux. Le manuscrit si jalouse-
ment fermé à clef va devenir un livre, un livre
qui sera à nous, que nous pourrons ouvrir à
toute heure, et où nous pourrons, sans votre
permission, penser de votre pensée et vivre de
votre esprit. Ce que vous mettiez dans votre
musique, vous l'aurez mis dans votre poésie, et
' Les GLvics.
— 129 —
je ne me hasarde pas beaucoup en déclarant
que ce sera beau. Ce qui me rend joyeux, c'est
que j'aurai votre livre, ce qui me rend fier
c'est que mon nom y sera, et le nom de mon
Charles aussi. C'est un grand plaisir que vous
nous donnez; il travaille bien en ce moment
ainsi que le capitaine Toto; ce n'est pas une
raison pour mériter de la gloire, mais c'en est
une pour mériter de l'affection. Continuez-lui
la vôtre. Mademoiselle, et comptez sur mon
profond et inaltérable dévouement.
Depuis six semaines je l'ai senti croître
encore, ce que croyais impossible. A tous les
sentiments que j'avais pour vous s'ajoutent tous
ceux que j'avais pour votre père.
Je me mets à vos pieds.
VICTOR HUGO.
17
— 13° —
Mademoiselle Louise Berlin,
II, rue de l'Université.
■1 décembre 1841.
Laissez-moi, je vous prie, vos admirables
vers. Mademoiselle. Je veux les relire souvent
en attendant le volume. Vous dire l'effet qu'ils
m'ont produit, ce serait impossible. Vous avez
fait rayonner tout ce beau temps évanoui. J'au-
rais pleuré, si je n'avais eu en même temps
une profonde joie de vous voir parler ainsi la
langue que j'aime le mieux.
Je baise vos pieds.
VICTOR.
131
Mademoiselle Louise Berlin
1 1 , rue de V Université.
Ce 26 décembre 1841.
Vous venez, Mademoiselle, de nous faire
passer une douce et charmante soirée. Nous
avons lu entre nous votre beau livre; Charles
lisant, nous écoutant. Si vous aviez pu voir et
entendre, vous auriez été heureuse. Votre pen-
sée, c'est vous-même. Nous l'avons fêtée et
nous l'aimons.
Charles a fort bien lu les admirables vers
que vous lui adressez. 'L'Ode à Mimi est ravis-
sante. La Nuit, rode à M. de Wailly, la Rêve-
rie, tout est beau, grave, profond et puissant.
Demain j'achèverai votre livre. Mais je suis
charmé de l'avoir commencé ce soir, ainsi, en-
touré de mes enfants pour qui vous êtes comme
une mère. Ces jeunes âmes sont faites pour
cette noble poésie. Ma femme et Didine vous
— 132 —
embrassent bien tendrement, le cœur pénétré
de tout ce que vous êtes et de tout ce que vous
valez.
Votre pensée parle deux langues, la poésie
et la musique. Dans toutes les deux, elle est
admirable.
J'irai un de ces soirs vous redire tout cela.
Mais je n'ai pas voulu tarder un instant pour
vous dire au nom de tous ce que nous éprou-
vons tous.
Il me semble que vous voilà encore plus ma
sœur et que je vous aime encore plus.
A vos pieds,
VICTOR H.
Mes plus tendres amitiés à Armand et à
Edouard. Je vais écrire à Théophile '. Il faut
qu'il parle de cette grande poésie en grand
poète.
' Théophile Gautier.
133
Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches,
près Bièvre.
5 juin 1842
J'aurais voulu, Mademoiselle, ne vous écrire
qu'en vous envoyant des nouvelles décidément
bonnes de notre pauvre cher petit ' . Mais depuis
sept jours, son état, bien qu'il y ait du mieux, est
à peu près le même. M. Louis ne se prononce
pas. La pleurésie s'en va lentement, et nous ne
savons pas si cette fois la convalescence sera
sans rechute. Vous voyez que nous sommes
bien tristes. Pourtant je cache une partie de
mes inquiétudes à ma femme et à mes enfants,
et je les rassure plus que je ne suis rassuré.
Je nous recommande à vos bonnes et douces
pensées. Une pensée de vous a l'efficacité d'une
prière. Le bon Dieu doit en tenir compte.
' François-Victor Hugo.
— 134 —
Je ne saurais vous dire combien j'ai été
pénétré de vos bontés pour ce cher petit. Vous
avez été sœur pour moi, vous avez été mère
pour lui.
Ma femme en est touchée jusqu'aux larmes,
ainsi que des tendres soins de madame Edouard,
qui a été parfaite en ceci comme en tout.
Dites , Mademoiselle , à mon excellent
Edouard, combien je suis à lui de tout cœur,
et vivez là-bas dans ce beau lieu, sous ce beau
ciel, dans ce beau mois, en songeant quelque-
fois à vos amis affligés.
Je me mets à vos pieds,
VICTOR H.
— 135 -
Mademoiselle Louise Berlin, aux Roches, près
et par Bièvre (Seine-et-Oise).
16 juin 1842, Saint-Mandé.
J'espérais bien, Mademoiselle, que vous ne
me remercieriez pas. Est-ce que vous avez à me
remercier de quelque chose ? Est-ce que je ne
suis pas tout à vous ? Soyez un moment heu-
reuse, pensez à moi avec douceur, et je suis
plus que remercié, je suis comblé. Mais quel-
qu'un doit nous remercier, vous et moi, c'est
l'Académie. Grâce à vous qui avez la gloire
d'avoir fait les Glaties, grâce à moi qui ai eu
l'honneur de lui en lire quelques pages, cette
pauvre bonne vieille femme d'Académie, qui
n'avait jusqu'ici couronné que des vers, a enfin
couronné de la poésie. C'est un grand pas qui fait
honneur à son grand âge. Armand vous a écrit
et raconté tout cela, n'est-ce pas ? Et les glapis-
sements du vieux Javdans sa broussaille. L'an-
— 136 —
tique niaiserie classique a été battue sur son
propre terrain et houspillée dans son propre
sanctuaire.
C'est une horreur! Gloire à vous ! En somme
votre victoire a été complète. Je ris des vain-
cus. C'est peu généreux. Pardonnez-le-moi. Ce
sont des accès qui me prennent rarement.
Je travaille, je rêve, je passe ma vie solitai-
rement sous les arbres avec la pensée et avec le
souvenir,
Ce triste promeneur
Qui derrière le temps marche d'un pas rêveur '.
Dans peu j'irai rejoindre ma colonie au
Havre. Ma fille n'avait pas reçu votre lettre en
temps utile. Elle a été trois semaines absente
chez sa belle-mère dont le mari vient de mou-
rir. Je suppose qu'elle vous répond probable-
ment dans le moment même où je vous écris.
Vous, Mademoiselle, aimez-nous toujours
un peu, car nous vous aimons bien, et puis,
' Vers des Glanes.
— 137 —
musique et poésie, faites-nous de ces admira-
bles choses qui naissent à la fois de votre belle
âme et de votre belle vallée.
Mille tendres respects,^
V.
Mademoiselle Louise Berlin, aux Roches, près
et par Bièvre (Seine-et-Oise).
Samedi, lo septembre 1843, Saumur.
Chère Mademoiselle Louise, Je souffre, j'ai le
cœur brisé, vous le voyez, c'est mon tour.
J'ai besoin de vous écrire, à vous qui l'aimiez
comme une autre mère. Elle vous aimait bien,
vous le savez.
Hier, je venais de faire une grande course à
pied au soleil dans les marais, j'étais las, j'avais
soif, j'arrive à un village qui s'appelle, je crois,
Subise, et j'entre dans un café. On m'apporte
18
- 138 -
delà bière et un journal, le Siècle. J'ai lu. C'est
ainsi que j'ai appris que la moitié de ma vie et
de mon cœur était morte.
J'aimais cette pauvre enfant ' plus que les
mots ne peuvent le dire. Vous vous rappelez
comme elle était charmante.
C'était la plus douce et la plus gracieuse
femme.
O mon Dieu, que vous ai-je fait!
Elle était trop heureuse, elle avait tout, la
beauté, l'esprit, la jeunesse, l'amour, ce bon-
heur complet me faisait trembler. J'acceptais
l'éloignement oii j'étais d'elle afin qu'il lui
manquât quelque chose. Il faut toujours un
nuage. Celui-là n'a pas suffi. Dieu ne veut pas
qu'on ait le paradis sur la terre. Il l'a reprise.
O mon pauvre ange, dire que je ne la verrai
plus !
Pardonnez-moi, je vous écris dans le déses-
poir. Mais cela me soulage. Vous êtes si bonne,
' .Madame Vacqucric Lc'opoldine Hugo;, noyée dans la
Seine, à Mllequier.
— 139 —
vous avez l'âme si haute, vous me compren-
drez, n'est-ce pas ? Moi, je vous aime du fond
du cœur et quand je souffre, je vais à vous.
J'arriverai à Paris presque en même temps
que cette lettre. Ma pauvre femme et mes
pauvres enfants ont bien besoin de moi.
Je mets tous mes respects à vos pieds,
VICTOR H.
Mes amitiés à mon bon Armand. Que Dieu
le préserve et qu'il ne souffre jamais ce que
je souffre.
Mademoiselle Louise Berlin, aux Roches, près
el par Bièvre (Seine-et-Oise).
i6 septembre 1843.
Votre réponse, chère Mademoiselle Louise,
— 140 —
m'est bien douce dans mon accablement. Vous
avez toujours eu pour moi les paroles qui
encouragent dans le péril et qui consolent dans
l'affliction.
Ma femme se joint à moi pour vous remer-
cier du fond du cœur.
Vous avez aimé ce pauvre ange, comme elle
vous aimait. Nous penserons toujours à elle,
n'est-ce pas ? Hélas ! je suis bien éprouvé.
Je suis à vos pieds.
V.
Mademoiselle Louise Berlin, aux Roches, près
Bièvre (Seine-et-Oisel.
Paris, 3o septembre 1843.
Charles vous répondra, Mademoiselle; mais
je veux aussi moi vous écrire. A travers mon
accablement, je sens votre bonté et la douceur
— 141 —
profonde de votre âme. Quand je pense à vous,
je me sens consolé et raffermi.
Nous allons passer quelques jours à Ver-
sailles chez mon frère. Mes pauvres enfants
ont besoin de distraction. Ils verront le parc, le
château, le musée. Moi je n'ai plus rien à regar-
der dans ce monde, que le ciel.
Aimez-nous et plaignez-moi.
Ma femme vous embrasse tendrement.
Je me mets à vos pieds.
VICTOR.
Monsieur Armand Bei^tin,
II, rue de l'Université.
i8 janvier i853. — St-Hélier.
Monsieur et ami, les journaux nous appren-
nent une nouvelle aussi douloureuse qu'inat-
— 142 —
tendue. Cette nouvelle est pour nous une dou-
leur qui s'ajoute aux autres et les renouvelle.
Madame Armand était au nombre de ces per-
sonnes aimées qui ont raj'onné dans notre
passé. Quand je songe à mon pauvre ange
envolé, et c'est bien souvent, le souvenir de
votre père, de votre mère me vient aussitôt, et
alors je pense à vous, Monsieur, aux vôtres.
Madame Armand était en particulier bien
présente en mon cœur; le sien était si chaleu-
reux, si ouvert à la souffrance d' autrui; après
avoir perdu mon enfant, chaque jour elle m'a
apporté sa consolation. Lorsque j'étais inquiète
de mon mari lors du coup d'État, elle est venue
à moi. Ces témoignages d'affection ont fortifié
et scellé mon affection pour elle, aussi mon
âme, de cette pauvre terre où je suis encore, ira
bien souvent vers la sienne.
Je vous parle de moi. Monsieur, quand je
devrais ne m'inquiéter que de vous, car si la
perte de votre femme m'éprouve à ce point, que
devez-vous souffrir!
- 143 -
Je ne vous demande pas de nous donner de
vos nouvelles, mais si une de vos filles, quel-
qu'un des vôtres nous en écrivait, nous en
serions touchés et heureux.
Agréez, Monsieur, l'expression de mes sen-
timents d'ancienne et inaltérable amitié.
ADÈLE-VICTOR HUGO ' .
Cher Armand, j'ajoute quelques lignes à la
lettre de ma femme. Hélas! ce sont là les
grandes épreuves. Tant qu'on est ensemble sur
cette terre, il n'y a pas de vrais chagrins; les
seules douleurs sont les séparations. Nous
aimions tous votre chère et charmante femme.
Elle va manquer à la fois à toutes nos familles.
C'est encore une douce figure de notre passé
qui s'en va! Cher ami, tout s'écroule autour de
nous.
Gardons du moins la vieille amitié.
VICTOR.
' Mme Victor Hugo.
— 144 —
Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches, près
Bièvre iSeine-et-Oise).
Il mars 1854. — Marine-Terrace.
Votre lettre, Mademoiselle, nous a touchés
au fond de Tàme. Ces deux hommes qui sont
près de moi, et que vous appelez avec tant de
bonté vos enfants, l'ont lue et relue, et il leur
semblait entendre toutes ces douces voix de
l'enfance restées sous les grands arbres des
Roches.
L'ancien Chariot et l'ancien Toto se sont mis
à parler de « Louise « comme d'une mère pen-
dant que moi, j'en parlais comme d'un esprit.
Tout ce beau passé est revenu rayonner au
milieu de nous, et il m'a semblé un moment
que Marine-Terrace était à quatre lieues de
Paris et à deux années de i83o.
Je vous remercie de nous avoir donné en
quelques lignes ce charmant éblouissement.
— 145 —
Vous avez été visités tous, ce mois-ci, par le
bonheur, par cette aube qu'on appelle le
mariage ; vous avez revu, au milieu de vos deuils,
de la joie et de jeunes fronts radieux. Soyez
assez bonne pour féliciter de notre part les nou-
veaux mariés ' qui vont recommencer et refaire
une famille autour de vous. Nous aimons dans
notre solitude cette fête qui environne nos
anciens amis. Les exilés sont bons pour souf-
frir avec ceux qui souffrent et pour sourire à
ceux qui sont heureux. J'envie les Roches tou-
jours vertes et où vous chantez toujours. Ici
j'ai le vent, j'ai la mer, mais tout ce grand mur-
mure ne vaut pas pour mon oreille les doux
chuchotements du passé!
Serrez pour moi, je vous prie, la main
d'Edouard et la main de Janin. Ma femme et
mes enfants vous embrassent. Je mets mon
dévouement et mon respect à vos pieds.
V. H.
' M. et Mme Jules Bapst.
— 146 —
Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches, près
Bièvre (Seine-et-Oise).
17 novembre iSSg. — Hauteville-House.
Une lettre de vous, chère Mademoiselle
Louise, est toujours pour moi une émotion
profonde. A chaque ligne que j'en lis, tout le
doux et charmant passé reparaît, les Roches, les
fleurs, la musique, votre père, nos enfants, nos
jeunesses. Vous avez là-bas quelque chose de
mon âme, et de loin, souriant tristement, vous
me le montrez.
Le devoir est dur. Il m'a empêché de revenir.
J'ai bien fait, mais je souffre. Vous êtes une de
mes souffrances.
J'eusse souhaité que ma famille rentrât, sen-
tant bien que le devoir et le sacritice avaient
assez de moi. Elle n'a pas voulu. Mes enfants
ont voulu rester avec moi comme j'ai voulu
rester avec la liberté. Chariot. Toto, Dédé,
— 147 -
sont devenus des âmes; de grandes et fières
âmes. Ils acceptent la solitude et l'exil avec une
sérénité gaie et sévère. Ils vous aiment, vous le
grand cœur dont ils semblent avoir pris un
rayon.
Je vous remercie d'avoir lu ce livre', et de
vous y plaire un peu. Que de belles et douces
choses, vers et musique, vous devez faire sous
vos arbres, dans votre rêverie profonde! Quand
donc entendrai-je votre voix!
Je vous aime bien.
Je mets à vos pieds. Mademoiselle, tous mes
respects les plus tendres.
VICTOR HUGO.
Ma femme et mes enfants vous embrassent.
Serrez pour moi, je vous prie, la main de mon
excellent et cher Edouard. Je sens quelquefois,
en lisant les Débats, la chaleur de sa vieille et
solide amitié. Et à propos des Débats, je suis
charmé qu'il y ait attaché Dcschanel, un doux
' La Lcsende des siècles.
- 148 -
et gracieux esprit, digne du groupe qui est au-
tour de vous.
Mademoiselle Louise Bcrtin, aux Roches,
près Bièvre, vallée de Jour iSei?ie-et-Oise).
3o octobre 1862. — Hauteville-House.
Ctière Mademoiselle Louise, je n'ai trouve
votre lettre qu'à mon retour. Je l'ai lue avec
émotion. Notre-Dame de Paris, ce fut notre
jeunesse : ce livre-ci' c'est notre absence. Que
de choses, hélas! dans ces trente années ! Vous
qui avez toutes les forces de l'àme, vous en avez
gardé toutes les grâces: moi je ne suis plus rien
qu'un songeur couvert des cicatrices de la vie.
Mon bonheur, si j'en ai, c'est ma conscience et
ma mémoire. Je me souviens. Cette vie en
' Les Misérables.
— 149 —
arrière me charme, je vous y retrouve, je vous
y entends, il me semble que vous me parlez,
mes enfants sont petits, ma bien-aimée fille
morte est à côté de vous et me sourit, et je
revois tous ceux qui nous aimaient et que nous
aimions. J'écoute votre chant doux et profond,
je recueille les douceurs charmantes de votre
esprit, me revoilà aux Roches. Quelle mélan-
colie et quelle joie !
Oui, pensez toujours un peu à moi qui pense
tant à vous.
Je suis heureux, il me semble que vous
parlez de ce livre avec votre accent d'autrefois.
Je baise votre main et je vous offre mon plus
tendre et mon plus respectueux hommage.
VICTOR HUGO.
— ICO —
Mademoiselle Louise Berti?i.
4 novembre i865. — Hauteville-House.
Chère Mademoiselle Louise, je trouve en
arrivant votre lettre du 2 septembre. Je l'avais
pour ainsi dire déjà reçue par intuition, car à
Bruxelles, j'avais refusé l'autorisation, à moins
qu'on ne me montrât votre consentement écrit
à }}ioi adressé. Ainsi, tout est bien. Jamais la
violation d'aucun souvenir ne viendra de moi.
Les Roches sont une lumière dans ma vie.
J'ai la religion de ce doux passé.
Je mets à vos pieds ma fidèle et respectueuse
amitié.
VICTOR HUGO.
On vous a dû vous remettre de ma part les
Chansons des rues et des bois.
I;l
Mademoiselle Louise Bej^tin.
24 novembre (1866 ou 1867), Hauteville-House.
Chère Mademoiselle Louise, ce que vous me
demandez me serait bien doux, mais le devoir
est sombre; vous savez, j'ai écrit le vers
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là.
Hélas, oii sont les belles années? Que de
choses évanouies ! Oui, nous causerions de
tout, et je suis sûr que je retrouverais toujours
votre grand esprit et votre généreux cœur.
Hélas ! hélas ! Phœbus de Chateaupers ' est
sénateur, le Journal des Débats m'est devenu
ennemi, (hors Janin;) votre admirable père le
tournait vers l'avenir, la rédaction actuelle le
tourne vers le passé, ce que je déplore, car les
moments difficiles approchent.
C'est égal, votre douce lettre m'a fait du
• M. de Sacy.
— 152 —
bien. Il m'a semblé entendre l'exquise harmo-
nie d'autrefois, cette musique profonde qui est
dans votre âme. Je suis à vous de tout mon
dévouement et de tous mes respects.
Amitiés à Edouard.
VICTOR H.
Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches, près
Bièvre (Seine-et-Oise).
Hauteville-House, Guernesey. Dimanche, i" juillet 1868.
Votre lettre, chère Mademoiselle Louise, a
été pour moi une émotion profonde. Il m'a
semblé que je revo3'ais tout le passé, là, près
de moi, vivant, rayonnant; que vous me par-
liez, que je vous parlais, et que nous étions
tous là. Maintenant, quelques jours se sont
écoulés, et je vous réponds; mais il me semble
que ma réponse a déjà du vous arriver, que vous
avez dû avoir quelque contre-coup de mes tres-
saillements, et qu'il y a évidemment dans la
nature des communications mystérieuses pour
ce que les âmes disent aux âmes. D'ailleurs,
vous et moi, nous vivons si près de la mort, et
nous avons déjà dans la tombe tant de nous-
mêmes que nos pensées doivent se rencontrer
et se mêler dans cette ombre. Vous savez évi-
demment d'avance tout ce que je puis vous
écrire; vous sentez ce que je sens, vous souffrez
ce que je souff're. Quand je lis vos vers ou quand
j'entends votre musique, je me reconnais avec
quelque chose de doux qui me manque. Je
vous remercie d'aimer un peu ce livre ' que je
vous ai envoyé. J'y suis et vous y êtes, et tout
y est, hélas, et votre père et nos enfants % dont
les uns sont aujourd'hui des hommes, les autres
des anges.
' Les Contemplations.
- Les Contemplations à Mlle Louise B.
— 154 —
Pensez quelquefois à moi à iioiis, et laissez-
moi mettre mon tendre respect à vos pieds.
V. H.
Ma femme et ma tille vous embrassent, mes
fils vous offrent leurs respects. Mes plus tendres
amitiés à Edouard.
Madame Edouard Bertin.
20 mars 1 87 1 .
Je pars, Madame, je vais à Bruxelles pour la
liquidation de cette jeune communauté. Ce nid
si vite brisé '.
Vous savez comme j'aime Edouard, comme
je vous aime , comme j'aime mademoiselle
Louise.
Je vous remercie de votre douce lettre. Mon
' -Mort de Charles Hugo.
— 155 —
cœur saigne et vous bénit. Vous avez tous été
charmants pour son enfance.
Je me mets à vos pieds, Madame, et j'embrasse
mon vieil ami Edouard.
V. H.
Mademoiselle Louise Berlin,
i5 y quai Conti.
i8 septembre 1871.
Altwies, près MardofF. Luxembourg.
Chère Mademoiselle Louise, voulez-vous
être assez bonne pour remettre ce mot à ma-
dame Edouard Bertin. Je baise votre main en
silence. Vous savez comme j'aimais Edouard,
grand talent comme vous, grand cœur comme
vous. Sa peinture était sœur de votre musique.
Croyons à la vie supérieure et espérons.
Tendre et profond respect.
V. H.
— 156 —
Madame Edouard Bertin.
i8 septembre 1871. Altwies, près Mardoff.
Que VOUS dire, Madame ? Vous perdez un
mari, je perds un ami, ma douleur n'a pas la
force de consoler la vôtre. Edouard était le
vieux et bon camarade de mon esprit. La vie
avait fini par séparer nos destinées, non nos
cœurs. Je crois à une vie ultérieure et supé-
rieure, nous nous reverrons. Ce grand talent
sur la terre est à cette heure un grand esprit
dans le ciel.
Je suis triste; il n'y a pas d'autres douleurs
que celles-là, perdre ce qu'on aime.
En perdant Edouard, il me semble que je
perds quelque chose de moi-même : je songe
aux causeries intimes et douces de notre jeu-
nesse ; quel charmant passé évanoui !
Mon fils Victor est absent en ce moment, dès
son retour il s'empressera de vous écrire.
— 157 —
Edouard a été pour lui presqu'un père, et
vous, Madame, vous avez été pour lui plus
qu'un ange.
Je mets à vos pieds mon tendre et profond
respect.
VICTOR HUGO.
Mademoiselle Louise Bertin,
quai Cojiti.
i6 janvier 1874.
Mademoiselle,
Vous avez été bonne pour ces pauvres êtres,
et ils vous ont bien aimée. Aujourd'hui, nuit
profonde. Tout s'est évanoui '.
Recevez l'assurance de mon respect,
VICTOR HUGO.
' iMort de François-Victor Hugo
— 1.-8 —
Mademoiselle Louise Bertin.
3 mars 1877. Paris.
Mademoiselle, j'ai lu votre beau et charmant
livre ', et je serais heureux de le tenir de vous.
Je ne puis aller chez vous, parce que je ne puis
me résigner à rencontrer des ennemis dans cette
maison où je ne voyais jadis que des amis,
mais mon vieux cœur est toujours le même, et
vous savez combien j'aime votre grande âme.
V. H.
Madame Edouard Bertin.
'il mai 1877-
Chère Madame Edouard, votre noble et
douce lettre m'a vivement touché. Je suis allé
' Les Nouvelles Glanes.
— 159 —
chez vous pour vous dire tout le dévouement
de mon vieux cœur. Vous étiez à la cam-
pagne ; laissez-moi vous écrire ce que je vous
aurais dit : aujourd'hui tous mes souvenirs se
condensent en vous', et je revois dans votre
âme adorable toutes les âmes que j'ai aimées.
Je mets à vos pieds mes tendres respects.
VICTOR HUGO.
• Mort de Mlle Louise Bertin.
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