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Full text of "Lettres de direction"

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LETTRES  DE  DIRECTION 


M.    LE    CHANOINE    L.    BEAUDENOM 


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LIBRARY  I  £ 


NIHIL  OBSTAT 

J.-V.  Bainvbl. 
o  Mars  1919. 


Nous  permettons  volontiers  la  publication  des  Lettres 
de  M.  le  Chanoine  Deaudenom  et  de  la  Notice  qui  les 
précède  :  elles  continueront  le  bien  opéré  par  la  direc- 
tion de  ce  très  digne  prêtre. 

Paris,  le  12  Mai  1919. 

y  Léon-Adolphe,  Cardinal  Ariette, 

Archevêque  de  Paris. 


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LiBRARV 


Lettres  de  Direction 

DE 

M.  LE  CHANOINE  L.  BEAUDENOM 

Auteur  de  la 

Pratique   progressive  de   la  Confession   et  de  la    Direction 


s*r 


PARIS     (VI    ) 


LIBRAIRIE   SAINT-PAUL 
6,  rue  Cassette,  6 


LETHIELLEUX 
io,   rue   Cassette,    io 


MÎGNARD 

38,  rue  Saint-Sulpice,  38 

TOt'S   DROITS    RÉSERVÉS 


M.    LE    CHANOINE    BEAUDENOM 


Le  portrait  qui  paraît  on  tête  de  ce  volume  ne 
saurait,  si  expressif  qu'il  soit,  satisfaire  entièrement 
ni  les  personnes  qui  ont  approché  M.  -Beaudenom, 
ni  celles  qui  ne  connaissent  de  lui  que  ses  ouvrages. 
C'est  dans  l'espoir  de  donner  une  première  satisfac- 
tion tant  à  la  piété  filiale  des  membres  de  sa  famille 
spirituelle  qu'à  la  bien  légitime  attente  de  ses  innom- 
brables lecteurs  que,  répondant  à  des  désirs  si  instam- 
ment renouvelés  depuis  deux  ans,  nous  avons  com- 
posé cette  toute  simple  notice. 

Dans  leur  brièveté,  ces  quelques  pages  ne  consti- 
tuent pas  une  biographie,  encore  moins  l'étude  d'une 
spiritualité.  En  effet,  nous  n'avons  pas  à  donner  un 
récit  détaillé  d'une  vie  qui  fut  volontairement  si  effa- 
cée toujours;  et,  d'autre  part,  nous  avons  pensé  que  la 
doctrine  spirituelle  de  celui  en  qui  l'on  a  reconnu  un 
maître  méritait  d'être  exposée  dans  toute  son  ampleur 
et  accompagnée  de  pensées  choisies  qui  en  seront  à 
la  fois  le  commentaire  et  l'illustration  (1). 

Ici,  du  moins,  recueillant  et  groupant  des  traits 
épars  et  fragmentaires  par  lesquels,  à  son  insu,  il  s'est 
dépeint  dans  sa  correspondance  et  dans  quelques  notes 
intimes,  nous  avons  tâché  que  se  révélât  lui-même 
en  sa  vraie  physionomie  le  prêtre  admirable  autant 
que  modeste  que  fut  M.  le  chanoine  Beaudenom. 

(1)  En  préparation. 


I 


M.  Léopold  Beaudenom  naquit  à  Tulle  (Corrèze),  le 
23  novembre  1840;  il  y  passa  ses  années  d'enfance  et 
sa  première  jeunesse.  Orphelin  de  père,  il  fut  élevé 
par  une  mère  qui  lui  transmit,  avec  une  nature  d'une 
délicatesse  exquise,  une  âme  à  la  foi  profonde.  Aussi, 
de  très  bonne  heure,  les  pensées  et  aspirations  de  l'en- 
fant se  tournèrent  comme  spontanément  vers  Dieu. 

De  cette  période  notons  ce  souvenir  caractéristi- 
que :  «  Je  me  rappelle  mes  jeudis  et  dimanches,  quand 
je  faisais  mes  études.  Je  les  passais  bien  souvent  seul 
et  sans  sortir  de  la  maison.  Je  regardais  au  loin  par 
la  fenêtre,  le  menton  dans  ma  main;  c'est  sans  doute 
ce  qui  m'a  rendu  rêveur...  »  Ce  trait  nous  révèle  un 
goût  précoce,  —  non  point  certes  comme  il  semble 
le  laisser  entendre,  pour  le  rêve  —  mais  pour  la 
méditation  et  la  contemplation  prolongées,  caractère 
distinctif  de  sa  nature  que  devaient  singulièrement 
développer  de  longues  années  de  maladie  et  de  rela- 
tive solitude. 

Il  semble  que  la  mort  d'un  jeune  homme  d'élite, 
auquel  il  s'était  uni  par  une  profonde  amitié,  ait  alors 
contribué  à  l'orienter  vers  le  sacerdoce.  D'ailleurs,  on 
peut  entrevoir  à  quoi  songeait  le  jeune  homme  et 
quelle  impression  produisaient  ses  vertus,  quand  on 
sait  que,  dès  avant  son  entrée  au  séminaire,  des  per- 
sonnes d'âge  le  consultaient  sur  des  cas  de  conscience. 

Grand  séminariste,  il  allie  à  une  profonde  modestie 
un  zèle  qui  triomphe  heureusement  de  sa  timidité 
naturelle  :  «  Vous  avez  dit  le  mot,  écrira-t-il  un  jour 
à  un  jeune  confrère,  les  timides  n'ont  qu'une  chose  à 
faire  :  s'oublier,  quand  il  s'agit  de  l'œuvre  de  Dieu, 


Comme  je  suis  de  la  confrérie,  je  vous  parle  d'expé- 
rience. Au  petit  séminaire  et  dans  les  hautes  classes, 
je  n'ai  jamais  pu  me  décider  à  faire  la  lecture  du  réfec- 
toire. Que  sera-ce,  me  disais-je,  quand  il  faudra  prê- 
cher? Le  grand  séminaire  changea  tout  cela.  Dès  les 
vacances  de  ma  première  année,  je  me  mis  à  réunir, 
chaque  dimanche,  les  gens  de  mon  pays  dans  une 
grande  chapelle  abandonnée;  il  n'en  vint  d'abord  que 
quelques-uns,  puis  la  chapelle  fut  pleine  et  finit  par 
déborder.  Or,  devant  tout  ce  monde,  il  me  semblait 
que  je  n'existais  pas,  que  je  prêtais  à  Dieu  ma  parole. 
Je  m'imposai  de  parler  à  tous  ceux  que  je  rencontrais, 
même  à  ceux  qu'on  me  signalait  comme  hostiles,  et 
au  nom  du  divin  Maître,  je  les  abordais  de  la  façon 
la  plus  naturelle  et  la  plus  confiante.  Je  m'excuse  de 
me  citer,  mais  mon  exemple  a  grande  valeur  en  qua- 
lité de  grand  timide.  » 

Nous  avons  trouvé  dans  les  trop  rares  papiers  qu'il 
a  laissés  un  petit  livre  et  quelques  feuilles  détachées 
qui  révèlent  le  travail  intérieur  auquel  il  se  soumet- 
tait, alors. 

Ce  qui  frappe  tout  d'abord,  c'est  la  sûreté  de  vue 
et  le  sens  pratique  avec  lesquels  il  organise  sa  vie 
spirituelle.  Dire  que  ce  futur  prêtre  avait  compris 
pleinement  Vunum  necessarium,  peut  paraître  banal; 
il  l'est  moins  peut-être  de  constater  à  quel  point  et 
avec  quelle  constance  sa  vie  pratfquemei  t  était  rame- 
née à  ce  principe.  On  se  le  représente,  penché  sur 
son  âme,  la  considérant  avec  toute  la  pénétration 
qu'il  possédait  déjà,  s'examinant  à  la  lumière  des 
actes  quotidiens,  analysant  ses  sentiments,  prenant 
de  sa  jeune  individualité  une  connaissance  aussi 
exacte  que  minutieuse,  déterminant  en  conséquence, 
à  la  lumière  de  sa  raison  et  de  sa  foi,  sous  le  con- 
trôle de  son  directeur,  des  moyens  qui  devaient  se 


—    VIII   — 

révéler  d'autant  plus  efficaces  qu'il  les  adaptait  mieux 
à  sa  nature  et  à  l'idéal  poursuivi. 

Ce  jeune  homme  a  déjà  les  longues  prévisions  de 
l'homme  fait.  Il  dresse,  l'harmonisant  au  cycle  litur- 
gique, le  plan  de  son  année,  qu'il  compare  à  une  roue 
dont  le  mouvement  sera  entretenu  par  la  dévotion 
aux  saints.  Ainsi,  les  simples  fêtes  tout  comme  les 
solennités  lui  sont  autant  d'occasions  de  se  recueillir 
et  de  se  renouveler,  nonobstant  son  invariable  fidélité 
à  la  retraite  de  chaque  mois.  Il  va  plus  loin,  il  orga- 
nise ses  semaines,  se  donnai  t  chaque  jour  l'occasion 
d'entretenir  ou  d'accroître  sa  ferveur  par  quelque  dé- 
votion spéciale.  L'horaire  même  de  ses  journées  est 
prévu  avec  une  extrême  précision,  car  il  veut  donner 
à  sa  vie  un  cadre  solide  et  fixe,  qui  pourrait  à  cer- 
tains paraître  rigide,  et  qui  pour  cette  âme,  au  con- 
traire, sera  le  champ  clos  d'une  lutte  incessante,  celle- 
là  même  que  le  Précurseur  s'était  assignée  :  «  Illum 
oportet  crescere,  me  autem  minui.  » 

Notre  séminariste  avait  reconnu  de  bonne  heure 
qu'il  était  d'une  nature  particulièrement  vive  et  d'un 
tempérament  enclin  à  la  tristesse.  Il  combattit  si  bien 
sa  vivacité  qu'elle  ne  fut  même  pas  soupçonnée  par 
la  plupart  des  personnes  qui,  dans  la  suite,  connurent 
l'abbé  Beaudenom. 

Quant  à  la  tristesse  qui  devait,  du  fait  de  sa  déli- 
catesse d'âme  et  de  ses  épreuves,  marquer  d'une  em- 
preinte si  profonde  sa  physionomie,  il  essaie  d'y  remé- 
dier en  puisant  aux  sources  de  la  joie  surnaturelle  : 

«  En  me  levant,  je  m'exciterai  à  la  joie  de  ce  qu'un 
jour,  que  je  ne  mérite  pas,  m'est  encore  donné  pour 
glorifier  Dieu.  Si  je  ressens  un  peu  de  tristesse,  je 
chercherai  quelque  motif  pieux  de  me  réjouir.  Sitôt 
que  je  sentirai  mon  âme  libre  et  contente,  je  penserai 
à  l'oraison  que  je  vais  faire...  Toutes  les  fois  que  quel 


que  image  de  tristesse  essaiera  fie  s'élever  dans  mon 
cœur,  je  me  dirai  :  «  J'appartiens  à  Dieu;  Il  a  soin 
«  de  moi;  Il  m'aime;  Il  m'a  fait  trop  de  bien  quand 
«  j'en  étais  indigne  pour  qu'il  m'abandonne  à  pré- 
ce  sent  que  je  fais  sa  volonté.  » 

Lutter  contre  la  nature  pour  l'améliorer  ne  suffit 
pas;  il  faut  dans  l'ordre  de  la  sanctification  faire  œu- 
vre vraiment  positive.  A  l'école  des  maîtres  de  la  vie 
spirituelle  le  jeune  séminariste  avait  appris  que  toute 
sainteté  suppose,  à  sa  base,  l'humilité.  C'est  pourquoi 
il  dresse,  dès  les  premiers  mois  de  son  grand  séminaire, 
une  longue  liste  de  «  Sujets  d'examen  sur  l'humilité  », 
empruntés  à  Rodriguez,  et  il  prend,  d'autre  part,  des 
résolutions  dont  nous  voulons  donner  un  aperçu  : 

«  Pour  mon  examen  particulier,  que  je  fais  à  dix 
heures  et  demie  et  à  quatre  heures  et  demie,  je  m'exa- 
minerai sur  l'humilité.  Je  la  considérerai  dans  la  Sainte 
Vierge,  et  je  verrai  les  progrès  que  j'ai  faits  dans  cette 
vertu,  les  occasions  où  j'ai  manqué,  celles  où  je  pré- 
vois en  avoir  besoin. 

«  En  me  rendant  au  réfectoire,  je  me  pénétrerai 
de  cette  vérité,  que  je  ne  suis  pas  digne  de  vivre,  que 
je  ne  mérite  pas  la  nourriture  qui  m'est  donnée  et 
je  tâcherai,  autant  que  possible,  d'être  servi  par  les 
autres  et  de  me  dire  alors  :  Je  suis  un  pauvre  men- 
diant; c'est  de  la  main  de  Dieu  que  je  reçois  cette 
aumône.  Je  serai  heureux  de  prendre  les  restes  des 
autres  autant  que  je  pourrai  le  faire  sans  singularité; 
je  choisirai  toujours  ce  qu'il  y  a  de  moins  bon;  en 
sortant  je  remercierai  le  bon  Dieu  et  admirerai  com- 
ment il  est  assez  bon  pour  avoir  soin  d'un  misérable 
comme  moi.  » 

La  pratique  de  l'humilité  suppose  l'amour  de  la 
solitude  et  du  silence,  pour  tout  dire,  du  recueillement 
tant  intérieur  qu'extérieur   :   «  Pour  le  chapelet,  je 


méditerai  sur  le  recueillement  :  je  varierai  toutes  les 
semaines  à  peu  près  :  par  exemple,  je  considérerai  le 
recueillement  dans  la  Sainte  Vierge,  dans  les  saints 
et  dans  Jésus-Christ.  Je  le  considérerai  en  lui-même, 
dans  ses  effets  et  dans  les  dangers  de  le  perdre.  » 

—  «  Recueillement  extérieur...  Recueillement  inté- 
rieur... 

«  Si  je  n'ai  rien  à  me  reprocher  sur  ces  deux  points, 
je  puis  conclure  que  le  reste  va  bien,  car  on  peut  juger 
des  actes  par  l'état  où  l'on  était  avant  de  les  faire, 
surtout  par  l'état  où  était  l'âme  quand  on  les  a  faits. 
Si  elle  est  à  son  état  normal,  libre,  tranquille  sous  le 
regard  de  Dieu,  tout  va  bien,  car  l'état  de  l'âme  est 
produit  par  les  actions.  Si  j'ai  fait  tous  ces  actes  inté- 
rieurs et  extérieurs  avec  facilité,  bon  signe,  excellent 
signe.  Si  j'ai  éprouvé  de  la  difficulté,  cherchons  :  il 
doit  y  avoir  au  fond  quelque  mouvement  de  la  nature 
qui  a  été  suivi,  quelque  préoccupation,  quelque  désir.  » 

«  Pour  le  recueillement,  note-t-il  sur  une  autre  feuille 
de  retraite,  il  faut  la  pensée  de  Dieu.  Pour  cette  pensée 
habituelle  il  faut,  dans  le  commencement  surtout, 
avoir  des  objets  qui  nous  la  rappellent.  Pour  cela,  en 
montant  les  escaliers,  je  penserai  au  chemin  du  ciel. 
Surtout  mes  habits  me  rappelleront  sans  cesse  Celui 
dont  je  porte  la  livrée.  Tous  les  jours,  à  l'examen, 
je  me  demanderai  si  j'ai  pensé  souvent  -que  ma  sou- 
tane et  mes  autres  habits  ecclésiastiques  me  sont 
donnés  de  Dieu  pour  qu'ils  m'obligent  à  être  tout 
à  Lui.  Je  m'examinerai  donc  tous  les  jours  sur  l'exer- 
cice de  la  présence  de  Dieu.  » 

Sur  ce  point,  comme  sur  les  autres,  le  jeune  ecclé- 
siastique ne  s'en  tenait  pas  aux  projets  :  en  même 
temps  qu'il  les  concevait,  il  en  précisait  la  réalisation 
pratique,  immédiate.  C'est  ainsi  que,  résolu  à  vivre 
de  cette    présence  de  Dieu,  il   avait   fixé,  à  chaque 


jour,  six  moments  où  il  se  rendait  à  la  chapelle 
pour  adorer  Notre-Seigneur  :  autant  dire  qu'il  pas- 
sait près  du  tabernacle  tout  le  temps  dont  il  pouvait 
disposer. 

Ce  qu'on  vient  de  lire  suffit,  sans  doute,  à  laisser 
entrevoir  combien  cette  âme  était  déjà  toute  à  Dieu, 
et  cela  surtout  par  l'amour,  comme  on  peut  s'en 
convaincre  : 

«  Seigneur,  qui  est  semblable  à  vous?  Seigneur, 
mon  Dieu,  je  vous  aime.  Laissez-vous,  faites-vous 
aimer  de  mon  cœur  !  Mon  cœur  est  capable  de  se  pas- 
sionner et  de  se  donner  tout  entier,  que  ne  le  prenez- 
vous  ainsi?  Mon  Dieu,  je  n'aime  que  Vous.  Vous  m'êtes 
témoin  que  pas  une  créature  ne  préoccupe  mon  cœur; 
vous  m'êtes  témoin  que  souvent  mes  affections  se  fon- 
dent en  vous  et  se  perdent  dans  votre  amour  infini  I 
Oh  !  pourquoi  cela  ne  dure-t-il  pas  toujours?  Pourquoi 
^etombè-je  si  lourdement  sur  cette  terre  malheureuse 
3Ù  je  semble  vous  oublier?  Vous  oublier!  oh!  non 
amais,  mon  cœur  peut  sommeiller;  mais,  qu'on  le 
•éveille,  et  il  se  sent  à  vous  seul  !  0  Sauveur  Jésus, 
loux  amour,  ayez  pitié  de  moi,  blessez-moi  au  cœur, 
ifin  que  je  languisse  du  désir  de  vous  voir  !  » 

—  «  Mon  amour,  ô  mon  Dieu,  Dieu  d'amour,  est 
jlus  grand,  plus  fort,  plus  noble  que  mon  espérance. 
Fe  vous  aime  plus  que  vos  biens  et,  en  vous,  j'aime 
nieux  votre  volonté  que  la  jouissance  de  votre  ama- 
)ilité.  Que  vous  dirai-je  enfin,  ô  mon  Dieu?  Bien  sûr 
me  je  n'aime  que  vous  !  Je  vous  aime  comme  on  aime 
in  amour  unique,  je  vous  aime  uniquement  à  cause 
le  vous,  et  pour  vous,  non  pour  moi.  O  Dieu  qui  faites 
les  prodiges,  il  me  semble  sentir  que  je  ne  suis  plus 
noi,  mais  que,  transformé  en  vous,  je  participe  à  vos 
entiments,  à  vos  pensées,  ù  votre  amour.  Seigneur, 
ivez  pitié  de  moi  1  » 


«  Quand  j'étais  jeune,  dira-t-il  au  soir  de  sa  vie, 
j'avais  conçu  un  si  bel  idéal  1  »  Quel  était  cet  idéal? 
lui-même  nous  l'apprend  :  «  Il  faut  vivre  de  Jésus; 
c'est  plus  que  vivre  pour  Lui.  On  peut  vivre  pour 
Lui,  sans  lui  être  intime;  mais  quand  on  vit  de 
Lui,  on  en  est  pénétré  dans  ses  pensées,  ses  goûts, 
ses  espoirs,  son  extérieur  même.  Et  c'est  le  plus  sûr 
moyen  de  le  donner  aux  autres...  Il  sort,  en  quelque 
manière,  de  l'âme  par  toutes  les  expressions  de  la 
parole,  du  visage  et  ces  mille  petites  actions  qui  font 
la  vie.  Le  laisser  vivre,  et  ne  plus  vivre  soi-même,  tel 
est  l'idéal.  » 

Ceux  qui  ont  connu  le  séminariste  qu'il  était  alors, 
savent  à  quel  point  il  réalisa  ce  magnifique  programme 
de  vie  intérieure. 

Un  fait  significatif  va  nous  en  fournir  le  témoi- 
gnage. 

II 

Ordonné  prêtre  le  22  décembre  1863,  M.  Beaudenom 
fut  immédiatement  envoyé,  par  son  évêque,  Mgr  Ber- 
teaud,  au  Petit  Séminaire  de  Servières  (dont  il  était 
encore  l'élève  quatre  ans  plus  tôt),  comme  préfet  spi- 
rituel. 

Malgré  sa  modestie,  on  eut  vite  fait  de  découvrir 
en  lui  une  rare  vertu  et  une  véritable  vocation  de 
directeur  d'âmes  :  «  Votre  projet,  écrira-t-il  plus  tard 
à  un  prêtre,  me  rappelle  mon  vieux  temps.  J'ai  com- 
mencé mon  ministère  par  être  préfet  spirituel  dans 
un  petit  séminaire.  Ce  qui  me  faisait  réussir,  c'était 
la  pensée  qu'avaient  les  élèves  que  j'avais .  bonne 
opinion  d'eux  et  que  je  leur  étais  dévoué.  Allons, 
aimez  Notre-Seigneur  par  votre  cœur,  et  par  le  cœur 
de  ces  enfants  :  c'est  une  nouvelle  manière  de  dilater 


XIII    — 

son  cœur  en  le  rendant  fécond.  »  Encourager  les  âmes, 
se  dévouer  à  elles  totalement,  ce  fut,  dès  le  début  de 
son  miristère,  son  programme  d'apostolat;  ce  devait 
être  celui  de  toute  sa  vie. 

Le  climat  de  Servières,  trop  dur  poussa  frêle  consti- 
tution, l'obligea  à  quitter  cette  maison  dès  la  fin  do 
sa  deuxième  année  de  ministère;  du  moins  il  y  laissa 
un  durable  souvenir. 

Il  fut  alors  nommé  (1865)  aumônier  du  couvent  et 
du  pensionnat  des  Ursulines,  à  Beaulieu. 

Après  dix  ans  de  très  actif  apostolat,  l'amour  de 
Dieu,  allant  toujours  croissant  dans  son  âme  ardente, 
lui  fit  désirer  la  vie  de  missionnaire  :  c'est  dans  ce  des- 
sein qu'il  entra,  en  1875,  chez  les  Maristes.  Mais,  très 
vite,  il  trouva,  de  nouveau,  un  obstacle  insurmon- 
table dans  sa  santé  délabrée  par  les  austérités  exces- 
sives qu'il  avait  pratiquées  jadis  au  grand  séminaire  (1). 

Il  revint  donc  à  Beaulieu  pour  cinq  années  nouvelles 
qu'il  rendit  tout  particulièrement  fécondes.  De  son 
essai  de  vie  religieuse,  il  rapportait,  en  effet,  un  sur- 
croît de  grâces  et  de  lumières  qui  allaient  faire  de  lui 
un  conseiller,  un  guide  toujours  plus  apprécié. 

Dieu,  d'ailleurs,  avait  ses  vues  secrètes  sur  son  ser- 
viteur et  allait  étendre  le  champ  de  son  expérience. 
M.  Beaudenom  quitta  alors  le  couvent  des  Ursulines 
pour  devenir  aumônier  des  Sœurs  aveugles  de  Saint- 
Paul,  puis  des  Sœurs  de  Saint-Joseph  de  Belley,  à  Paris. 

Des  documents  qui  se  rapportent  au  ministère 
exercé  dans  ces  trois  maisons,  il  résulte  que  ce  fut, 
d'abord,  pour  M.  Beaudenom,  un  temps  de  constante 

(1)  Dans  une  noie  qu'il  rédigea,  eu  1894,  pour  son  médecin, 
nous  trouvons  ^ette  indication  :  «  Jusqu'à  20  ans,  excellente 
santé,  malgré  une  complexion  délicate.  A  20  ans,  au  Grand 
Séminaire,  extrême  contention  d'esprit,  graves  imprudences 
(froid),  désorganisation  profonds  (commencement  de  phtisie). 


et  progressive  transformation  spirituelle.  Sans  en 
avoir,  semble-t-il,  le  moindre  soupçon,  l'homme  de 
Dieu  poursuivait  un  travail  de  formation  intérieure 
qui  ferait  de  lui,  à  l'heure  voulue  par  le  divin  Maître, 
un  ouvrier  à  l'action  d'autant  plus  efficace  que  plus 
profonde  serait  sa  vertu  et  plus  riche  son  expérience. 
Mais  c'est  chaque  jour  déjà  que  les  jeunes  âmes 
confiées  à  sa  direction  bénéficiaient  de  ses  lumières 
et  de  sa  valeur  apostolique.  Ce  qu'il  fut  pour  elles, 
rien  ne  le  peut  mieux  révéler  que  les  deux  volumes 
qu'il  consacrera  dans  la  suite,  à  la  «  Formation 
religieuse  et  morale  de  la  jeune  fille  ».  M.  Beaudenom 
s'y  révèle  psychologue  des  plus  pénétrants,  à  l'obser- 
vation de  qui  rien  n'échappe,  homme  de  son  temps 
par  la  rare  connaissance  qu'il  en  possède,  directeur 
aussi  éclairé  que  prudent,  disons  :  le  vrai  «  directeur  » 
que  saint  François  de  Sales  recommandait  de  choi- 
sir entre  dix  mille.  En  lui  appliquant  à  dessein  cette 
parole,  nous  croyons  porter  un  jugement  exact  au- 
quel souscriront  tous  ceux  qui  furent  à  même  d'appré- 
cier l'œuvre  accomplie  par  M.  Beaudenom. 


* 


L'expérience,  pourtant,  ne  suffit  pas  au  prêtre  qui 
veut  être  un  vrai  disciple  de  Jésus-Christ  :  tout  sau- 
veur d'âmes  est  nécessairement  un  crucifié. 

«  Quand  j'étais  jeune  prêtre,  nous  confiait  M.  Beau- 
denom quelques  jours  avant  sa  mort,  j'ai  demandé  à 
Dieu  de  beaucoup  souffrir.  Il  m'a  pleinement  exaucé.  » 
Nous  avons  retrouvé  le  témoignage  de  cette  demande  : 
«  O  mon  Dieu,  infiniment  bon  et  infiniment  aimable, 
moi,  un  pauvre  petit,  un  vermisseau,  j'entre  dans 
les  desseins  de  votre  volonté  à  jamais  bénie  et  je  veux 
tout  ce  que  vous  voulez.  -Je  suis  heureux  que  vous 


m'imposiez  vous-même  ce  sacrifice,  cette  peine,  cette 
douleur,  cette  crainte. trop  fondée.  J'en  suis  heureux, 
parce  que  c'est  vous  qui  le  faites.  Père  saint,  qu'il  en 
soit  ainsi,  si  tel  est  votre  bon  plaisir  !  Que  votre 
volonté  s'exécute  dans  ce  vermisseau.  Comblez-le  de 
toutes  sortes  de  peines;  chargez-le  autant  qu'il  pourra 
porter;  faites-lui  porter  le  poids  du  jour.  » 

Au  prêtre  qui  avait  si  généreusement  désiré  la  souf- 
france, le  divin  Maître  la  donna  :  elle  fut  crucifiante. 

Elle  l'atteignit  d'abord  dans  ses  affections  les  plus 
chères.  Sa  mère,  qui  était  venue  vivre  près  de  lui,  à 
Beaulieu,  et  qu'il  entourait  d'une  sollicitude  si  affec- 
tueuse, après  une  longue  agonie  lui  fut  enlevée.  Il 
en  ressentit  un  brisement  complet. 

Entre  la  mère  et  le  fils,  c'était,  en  effet,  une  union 
si  complète  et  si  intime  !  Nous  en  avons  le  touchant 
témoignage  dans  quelques  lettres  que,  séminariste  ou 
jeune  prêtre,  M.  Beaudenom  avait  adressées  à  sa  mère. 
Il  est  difficile  de  rier  trouver  de  plus  filial  à  la  fois  et 
de  plus  sacerdotal. 

Est-elle  retenue  loin  de  lui?  il  la  console  :  «  Voilà 
bien  longtemps,  pauvre  mère,  que  nous  ne  nous  som- 
mes vus  !  Il  est  vrai  que,  tenant  le  bon  Dieu  chacun 
par  une  main,  nous  ne  sommes  jamais  loin  l'un  de 
l'autre  et  je  suis  sûr  que  nos  cœurs  se  trouvent  sou- 
vent ensemble  au  pied  de  la  Croix.  » 

Il  la  convie  à  la  reconnaissance  et  à  la  confiance 
envers  Dieu  :  «  Oh  !  ma  mère,  remercions  le  bon  Dieu 
des  grâces  dont  II  nous  comble.  Puisque  vous  êtes 
seule  une  grande  partie  de  la  journée,  repassez  dans 
votre  âme  les  faveurs  qu'il  nous  a  faites  à  tous.  Le 
temps  ne  me  permet  pas  de  vous  les  énumérer,  et,  du 
reste,  avec  l'esprit  de  foi  que  le  bon  Dieu  met  en  vous, 
vous  ne  pouvez  manquer  de  les  découvrir  et  d'en 
concevoir  une  confiance  que  rien  ne  puisse  dêconcer- 

2 


ter.  Ouvrez  votre  cœur  à  l'espoir,  car  voici  que  l'hiver 
s'enfuit,  le  printemps  va  naître  dans  votre  cœur,  vous 
en  sentez  déjà  les  brises  propices  qui  le  préparent. 
Comme  la  terre  joyeuse  se  couvre  de  verdure  et  de 
fleurs,  produisez  sans  cesse  d'ardents  désirs,  animez- 
vous  à  la  confiance,  à  l'espoir,  à  l'amour  :  c'est  par  sa 
bonté  que  Dieu  veut  vous  vaincre  !  » 

Aux  heures  d'épreuve  surtout,  le  fils  se  montre 
conseiller  et  soutien  admirable  :  «  La  souffrance,  vous 
le  savez,  est  la  voie  du  ciel;  c'est  le  signe  le  plus  ma- 
nifeste que  nous  sommes  dans  la  bonne  voie  et  qu'un 
jour  nous  posséd  rons  le  ciel... 

«  Ah  !  de  grâce,  profitez  bien  de  cette  aimable  visite 
que  Dieu  vous  fait,  à  chaque  peine  qu'il  vous  ap- 
porte et  qu'il  vous  donne  de  sa  propre  main  pour 
votre  bonheur  éternel  !  Oh  !  baisez  cette  main  si  bonne, 
aimez  des  desseins  si  favorables,  adorez  des  plans  si 
impénétrables.  Oh  !  si  nous  savions  la  bonté  de  Dieu, 
si  nous  savions  combien  II  nous  aime,  avec  quel  soin 
Il  nous  conduit  !  Fermant  les  yeux  et  tendant  les  bras 
vers  Lui,  nous  nous  abandonnerions  pleinement  pour 
toute  chose  à  notre  Père  !  » 

Cette  confiance  tout  abandonnée,  il  la  recommande 
avec  une  insistance  significative  :  «  Je  vois,  ma  bonne 
et  excellente  mère,  que  votre  âme  se  tourne  de  plus 
en  plus  vers  le  bon  Dieu,  je  vois  que  tous  vos  désirs 
aspirent  à  Lui  et  voudraient  vous  lier  étroitement  à 
Lui;  ce  ne  sont  pas  seulement  les  épreuves  qu'il  vous 
envoie  qui  soulèvent  ces  désirs;  c'est  un  sentiment 
plus  noble  et  plus  grand  qu'il  a  jeté  Lui-même  :  Il 
vous  a  fait  entrevoir  ce  qu'il  voulait  de  vous,  c'est- 
à-dire  une  soumission  pleine  d'amour  à  sa  volonté, 
un  abandon  sans  réserve  et  sans  inquiétude  à  sa  bonté, 
et  un  amour  souverain  de  sa  beauté  seule  aimable. 
Il  vous  a  fait  concevoir  une  grande  et  suave  idée  du 


ciel  et  II  exige  de  vous  un  mépris  de  tout  ce  qu'il  y 
a  au  monde,  qui  vous  porte  à  vous  en  détacher  et  à 
regarder  les  peines  comme  heureuses.  Il  vous  a  montré 
cela  bien  gratuitement.  Il  a  fait  plus.  Il  a  comme 
planté  dans  votre  cœur  le  désir  de  vous  conformer  à 
ce  dessein  si  plein  de  bonté.  » 

«  0  ma  mère,  pouvait-il  écrire  en  toute  vérité, 
combien  j'aime  votre  âme  !  » 

Sa  mère  morte,  M.  Beaudenom  reporta  toute  sa  puis- 
sance d'affection  sur  sa  sœur  Céline,  avec  qui  il  vécut 
dans  une  grande  union  jusqu'au  jour  si  tôt  venu 
(22  août  1874)  où  la  mort  la  lui  enleva.  La  solitude  où 
le  laissèrent  ces  deux  pertes  si  rapprochées  lui  causa 
une  indicible  souffrance.  Nous  en  trouvons  l'écho 
direct  dans  cette  cor.fidence  au  religieux  qui  était  alors 
le  directeur  de  son  âme  :  «  J'ai  vu  mourir  ma  sœur  ! 
Ses  derniers  moments  ont  été  si  touchants  que  j'ai 
le  cœur  atteint  dans  une  profondeur  que  je  ne  soup- 
çonnais pas.  Plusieurs  fois,  j'ai  cru  que  j'en  mourrais. 
Je  n'avais  rien  éprouvé  de  semblable  à  la  mort  de 
ma  mère.  Parallèlement  à  cette  immense  douleur, 
l'acceptation,  l'expression  de  la  reconnaissance  et  la 
prière  la  plus  ardente  ont  soutenu  mon  âme  et  lui 
ont  donné  jusqu'à  une  certaine  joie  profonde.  Il  s'est 
passé  dans  mon  âme  un  travail  extraordinaire;  je  ne 
me  crois  plus  le  même.  Je  vois  clairement  que  jusqu'ici 
je  n'ai  pas  été  à  Dieu,  que  je  n'ei  même  jamais  bien 
voulu  vivre  détaché  de  tout  le  reste,  personnes  et 
choses.  Mon  appel  à  la  vie  religieuse  m'a  paru  lumi- 
neux à.  plusieurs  moments  et  ma  volonté  s'y  porte 
avec  une  constance  tranquille;  d'autres  fois,  l'espoir 
et  la  pensée  que  je  mourrai  bientôt  se  présentent 
comme  une  autre  solution  de  ma  position.  Je  ne  tiens 
ni  à  vivre,  ni  à  mourir,  et  si  j'avais  à  choisir,  je  de- 
manderais de  vivre,  parce  que  ce  n'est  plus  une  joie 


pour  moi  et  que  je  voudrais  travailler  et  souffrir  pour 
Notre-Seigneur.  D'autre  part,  le  sentiment  d'attache- 
ment que  j'éprouve  pour  Lui  est  tel  que  je  me  sens 
pardonné,  aimé,  et  il  me  semble  que,  pour  la  pre- 
mière fois  de  ma  vie,  je  ne  tiens  qu'à  Lui.  » 

Dès  lors,  sa  santé  déjà  si  fragile  fut  irrémédiable- 
ment ébranlée.  Il  perdit  le  sommeil;  toute  sa  vie,  dé- 
sormais, il  ne  reposera,  chaque  nuit,  que  quelques 
heures  et  jamais  sans  un  secours  artificiel. 

Après  ces  douleurs  de  famille,  Dieu  permit  pour  lui 
des  douleurs  intérieures  plus  déchirantes  encore. 

Le  jour  vient  où  son  âme  ne  sent  plus  le  Dieu  qui 
est  son  Tout.  Il  le  cherche  et  l'appelle  dans  de  grandes 
angoisses;  il  traverse  ce  chemin  si  rude  de  la  nuit 
obscure  que  Dieu  réserve  à  certaines  âmes  qu'il  veut 
attirer  à  Lui  plus  fortement.  Des  pages  émouvantes 
qui  nous  ont  révélé  cette  épreuve  nous  ne  pouvons, 
à  notre  regret,  extraire  que  quelques  passages;  ils 
suffiront  à  montrer  le  serviteur  de  Dieu  tout  désireux 
de  consumer  sa  vie  au  service  de  son  Maître  dans 
un  absolu  désintéressement. 

«  Je  vous  en  prie,  laissez-moi  mourir,  si  je  dois  mal 
vous  servir.  Je  n'accepterai  la  vie  qu'à  condition  que 
ce  soit  pour  votre  gloire.  Oh  !  je  ne  vous  demande 
rien  autre  chose,  ni  de  ne  point  souffrir,  ni  de  vivre, 
ni  de  mourir,  mais  de  vivre  ou  de  mourir  selon  l'in- 
térêt de  votre  gloire.  Cette  grâce  suppose  peut-être 
un  complet  changement  dans  les  plans  de  Dieu  sur 
moi  :  peut-être,  en  effet,  avait-Il  déterminé,  comme 
pour  tant  d'autres,  infidèles  moins  que  moi,  que  ma 
vie  se  prolongerait,  permettant  que  j'en  usasse  mal? 
Ou  encore,  prévoyant  cela  et  ne  pouvant,  sans  d'in- 
stantes prières,  me  garder  bon  en  maintenant  ma 
vie,  peut-être  avait-Il  déterminé  que  j'en  verrais  le 
terme  ces  temps-ci;  mais,  changeant  d'avis,   qui  sait 


XIX   — 


s'il  ne  règle  pas  que  je  vivrai  pour  faire  du  bien  'satis 
recherche  de  moi?  O  Père,  je  vous  prie  par  Jésus-Christ, 
faites-moi  la  grâce  qui  renferme  le  plus  de  votre 
gloire  !  » 

«  O  Jésus,  c'est  dans  le  gémissement  que  je  viens 
vers  vous  !  Serez-vous  honoré  par  cette  vie  qui  se 
traîne  d'égoïsme  en  égoïsme,  mais  dans  la  douleur  et 
le  désir?  Que  pouvez-vous  attendre  de  l'inconstance 
même?  Ne  pardonnerez-vous  pas  si  je  m'attriste  par- 
fois outre  mesure,  si,  dans  les  ténèbres  et  le  silence  de 
l'exil,  je  me  prends  à  trembler?  Oh  1  la  douleur  que  je 
sens  doit  vous  toucher,  fût-elle  coupable  et  égoïste, 
car  elle  est  la  douleur  d'un  de  vos  enfants  et  elle  est 
extrême.  Secourez-moi,  oh  !  secourez-moi  vite,  car,  à 
ces  obscurités  horribles,  mon  âme  succombe  et  mon 
corps  ne  tient  plus.  » 

«  Oh  !  ne  me  fuyez  pas,  faites-moi  prier  I  Vous  avez 
dit  :  Venez  à  moi  vous  tous,  vous  tous  qui  êtes  dans 
les  travaux  et  je  vous  referai  !  Je  viens,  j'accepte,  je 
m'offre;  refaites-moi  un  cœur  nouveau,  pur,  ardent, 
désintéressé.  Il  me  semble  parfois  qu'il  suffirait  d'un 
rien  pour  que  mon  cœur  fût  plus  généreux,  dévoué  à 
votre  gloire,  désireux  de  vous  seul;  et,  le  plus  souvent, 
au  contraire,  je  suis  dans  le  découragement;  à  cot 
égard,  il  me  semble  que  je  ne  saurai  jamais  me  dévouer 
et  vous  aimer.  O  ma  Mère,  forcez  le  Cœur  de  votre 
Fils  à  me  fixer  en  Lui.  Egoïste  que  je  suis,  ce  que  je 
sens  le  plus,  c'est  la  désolation  de  mon  âme,  elle  m'ar- 
rache des  gémissements  presque  continuels  ;  rien  ne  me 
console  ni  sur  la  terre,  ni  au  ciel.  Oh  !  merci  de  ce 
qu'aucun  objet  créé  ne  me  console,  car  je  veux  être 
tout  à  Jésus  et  je  serais  capable  d'être  tout  à  d'autres. 
Jésus  1  merci  de  toutes  mes  peines  intérieures;  mais 
j'ai  peur  de  n'y  point  tenir;  mon  courage  parfois  sem- 
ble s'évanouir.  Venez  à  mon  aide,  ô  vous  qui  avez  dit  : 


—    XX    — 

Venite  ad  me  omnes.  »  Quels  accents  éclatent  à  tra- 
vers ces  lignes  !  Quel  tourment  que  ce  délaissement 
apparent  de  Dieu!... 

Malgré  l'intensité  de  ses  souffrances,  cette  âme 
tenait  ses  regards  fixés  sur  le  divin  Modèle  dans  une 
entière  soumission,  comme  l'atteste  ce  témoignage  de 
la  même  époque  :  «  Notre-Seigneur,  sur  sa  croix,  fut 
accablé  d'humiliations  autant  que  de\  douleurs  ;  sa 
dignité  souffrait  plus  que  son  corps  et  son  Cœur  souf- 
frait plus  que  tout.  Et  quand  on  Lui  disait  de  se 
justifier,  de  descendre  de  la  Croix,  Il  ne  voulait  pas 
se  justifier.  Il  ne  voulait  pas  descendre  de  sa  croix 
parce  qu'il  savait  qu'un  jour  ses  amis  se  console- 
raient dans  leurs  humiliations  non  justifiées  et  dans 
leur  crucifiement  non  abrégé,  en  voyant  que  c'est  la 
voie,  la  règle,  le  mérite,  en  sentant,  sur  ce  bois  cruel 
où  on  les  attacherait,  quelque  chose  de  doux,  de  puis- 
sant, laissé  là  par  des  souffrances  et  un  amour  divins.  » 

Ainsi  s'achevait  la  longue  et  toute  surnaturelle  pré- 
paration de  M.  Beaudenom  à  l'apostolat  que  désormais, 
dans  une  obscurité  si  complète,  si  voulue,  il  allait 
exercer  non  plus  seulement  sur  quelques  âmes  privilé- 
giées, par  sa  direction  orale  ou  écrite,  mais  sur  un 
nombre  d'âmes  illimité,  par  ses  livres  de  spiritualité 
qui  s'en  iraient  bientôt  porter  par  tout  le  monde  les 
bienfaits  de  ses  enseignements. 


III 

Nous  sommes  en  1896.  M.  le  chanoine  Beaudenom, 
trop  affaibli  désormais  pour  remplir  aucun  ministère 
actif,  se  retire  à  Puteaux.  Il  informe  ainsi  un  ami  de 
sa  nouvelle  installation  :  «  Figurez-vous  que,  sur  l'ordre 
des  médecins,  je  suis  venu  habiter  les  hauteurs  qui 


avoisinent  le  mont  Valérien.  J'ai  là  une  petite  maison 
toute  à  moi,  un  jardin  assez  grand,  un  air  vif  et  un*; 
vue  qui  s'étend  sur  tout  Paris.  Avec  cela, "un  calme 
parfait.  » 

Dans  cette  «  maisonnette  »,  vraiment  trop  exiguë, 
il  ne  resta  que  quelques  années.  En  1903,  en  effet, 
nous  le  trouvons  installé  au  n°  8  de  la  rue  Sadi-Carnot, 
sur  le  plateau  bien  connu,  tout  près  du  rond-point 
de  la  Défense.  Les  habitués  se  rappelleront  toujours 
l'aspect  si  simple  et  si  accueillant  de  cette  demeure  : 
la  façade  grillagée  d'où  retombe  un  peu  de  verdure, 
la  sonnette  d'un  autre  âge,  au  fonctionnement  si  ca- 
pricieux, le  petit  jardin  où  s'épanouissaient  à  la  belle 
saison  quelques  rosiers;  à  l'arrière- plan,  la  volière 
des  colombes  édifiée  avec  des  planches  de  fortune. 
Puis,  dans  la  maison,  le  très  modeste  salon  où  l'on 
attendait  d'être  introduit  auprès  de  l'homme  de  Dieu. 

Les  infirmités  de  M.  Beaudenom  s'aggravent  bien- 
tôt au  point  de  l'obliger  à  garder  la  chambre  pendant 
la  plus  grande  partie  de  l'année.  C'est  alors  qu'il 
reçoit  l'autorisation  de  célébrer  chez  lui  les  saints 
Mystères.  «  Je  tiens  à  vous  faire  part,  sans  aucun 
retard,  du  bonheur  que  j'ai  eu  de  célébrer  la  sainte 
Messe  pour  la  première  fois  dans  une  petite  chapelle 
du  salon.  Je  n'ai  eu  qu'une  personne  pour  assistance. 
J'avais  sorti  les  linges  d'autel  qu'avait  faits  ma  sœur 
pour  ma  première  messe  et  qui  n'avaient  plus  servi 
depuis  lors.  Il  y  a  bien  des  émotions  dans  ces  souve- 
nirs qui  datent  de  quarante  ans  bientôt  et  qui  me 
semblent  pourtant  si  rapprochés,  tant  ils  restent 
vifs.  » 

Les  médecins  ne  comprendront  plus  que  son  exis- 
tence soit  possible.  Humainement  il  semblait  con- 
damné à  mener,  ce  qu'il  appelait,  en  effet,  avec  tant 
de  confusion,  une  vie  inutile.  C'est  pourtant  alors, 


que,  désormais,  tous  les  jours,  jusqu'à  la  fin  de  sa 
vie,  à  l'exemple  des  pauvres,  dont  il  fut  la  providence 
aussi  généreuse  que  discrète,  tant  d'âmes  viendront 
chercher,  auprès  de  lui,  lumière  et  réconfort  ! 

Au  sortir  d'un  premier  entretien,  une  personne 
qui  était  allée  le  consulter  écrivait  :  «  Je  fus  frappée 
de  son  caractère,  de  sa  dignité  et  encore  plus  de  sa 
bonté.  Son  extérieur  est  une  prédication  vivante.  » 
Telle  était  l'impression  qu'il  produisait  dès  sa  jeu- 
nesse et  qu'il  produisit  toujours  davantage.  De  haute 
taille,  très  mince,  le  visage  émacié,  sa  tenue  aussi 
digne  que  simple,  ses  yeux  souvent  baissés,  son  affa- 
bilité toute  sacerdotale  évoquaient  le  souvenir  d'un 
saint  François  d'Assise.  En  sa  présence,  on  se  sen- 
tait aussitôt  pénétré  d'un  absolu  respect  pour  le 
caractère  sacerdotal  et  d'une  confiance  sans  bornes  en 
ce  vrai  représentant  de  Jésus-Christ. 

L'entretien  commençait.  Il  n'interrompait  pas;  il 
ne  questionnait  pas;  il  écoutait.  Il  possédait  en  effet 
ce  don  trop  rare  de  savoir  écouter,  et  avec  quelle  atten- 
tion et  quelle  sympathie  !  Personne  n'existait  plus 
alors  que  l'interlocuteur  qu'il  avait  devant  lui.  Tout 
.  en  même  temp  on  sentait,  avec  une  satisfaction  qui 
facilitait  singulièrement  l'ouverture  d'âme,  que  l'on 
était  entièrement  compris. 

C'est  qu'il  possédait  un  jugement  d'une  rare  clair- 
voyance et  d'une  très  rassurante  pondération.  Même 
dans  les  cas  difficiles  il  arrivait,  en  quelques  instants, 
à  une  intelligence  complète  de  la  situation  qu'on 
venait  de  lui  exposer,  et  à  des  déductions  dont  la  pré- 
cision surprenait  non  moins  que  la  justesse. 

Éminemment  doué  du  don  de  discernement  des 
esprits  et  du  don  de  conseil,  non  seulement  il  voyait 
et  déterminait  la  situation,  mais  il  savait  prendre  la 
responsabilité,  si  lourde  fût-elle,  de  la  décision  qu'il 


—   XXIII    — 


jugeait  opportune.  Cette  netteté  même  de  ses  direc- 
tions donnait  une  pleine  satisfaction;  on  sortait  do 
cette  entrevue  persuadé  que,  conduit  par  un  tel  guide, 
on  ne  pouvait  errer. 

Il  excellait  plus  encore  à  soutenir.  Les  lettres  pu- 
bliées dans  ce  volume  en  sont  le  meilleur  témoignage. 
Lettres  de  direction,  elles  pourraient  en  effet  s'appeler, 
non  moins  justement,  lettres  de  consolation,  d'encou- 
ragement, de  réconfort.  Le  guide,  en  lui,  était  toujours 
un  père,  un  ami,  et  c'est  dans  le  cœur  même  du  Sau- 
veur qu'il  puisait  cette  charité,  cette  compassion  qui 
adoucissait  les  peines,  relevait  les  courages  abattus, 
communiquait  la  force  de  reprendre  son  chemin, 
fût-il  celui  du  Calvaire.  Toutes  les  fois  que  sa  santé 
ne  l'en  empêchait  pas  absolument,  M.  Beaudenom 
consacrait  de  longues  heures  à  ce  ministère.  «  Je 
pourrais  travailler,  écrivait-il  à  un  confrère,  si  l'on 
m'en  laissait  le  temps.  Je  ne  sais  pas  me  refuser  à  une 
âme  qui  vient  chercher  un  peu  de  réconfort.  » 


* 
*  * 


Ce  que  nous  venons  de  noter  ne  représente  pour- 
tant qu'une  partie,  et  non  la  plus  importante,  de  son 
labeur  apostolique. 

On  peut  déjà  le  soupçonner  par  les  lettres  que  con- 
tient ce  volume.  Plutôt  que  de  les  analyser,  nous  pré- 
férons laisser  aux  lecteurs  la  haute  satisfaction  de 
découvrir  à  la  fois  tout  ce  qu'elles  révèlent  de  leur 
auteur,  tout  ce  qu'elles  apportent  aux  âmes  contem- 
poraines. Elles  apparaîtront  riches  d'analyses  psycho- 
logiques aussi  délicates  que  profondes  et  de  directions 
appuyées  sur  une  expérience  d'un  demi-siècle.  Elles 
satisferont  les  juges  les  plus  exigeants  par  l'absolue 
orthodoxie  de  la  doctrine  qu'elles  contiennent  et  l'op- 
portunité des  enseignements  qu'elles  mettent  en  lu- 


mière;  plus  encore  elles  seront  remarquée,  du  fait  de 
leur  étonnante  efficacité  à  soutenir  les  âmes,  à  les  faire 
progresser  en  les  conduisant  à  Dieu,  au  Dieu  fait 
homme.  Mieux  que  nous  ne  saurions  le  dire,  mieux 
même  que  ne  le  révèlent  les  volumes  publiés  par 
M.  Beaudenom,  elles  montreront  ce  qu'il  fut  comme 
directeur  spirituel. 

Est-il  besoin  de  noter  que  les  lettres  publiées  dans 
ce  volume  ne  représentent  qu'une  petite  partie  de  la 
correspondance  spirituelle  de  M.  Beaudenom  ?  Sans 
doute,  le  nombre  des  âmes  qu'il  dirigeait  d'une  ma- 
nière continue  ne  pouvait  être  très  étendu,  encore 
qu'il  fût  grand  et  que  certaines  de  ces  personnes  pos- 
sèdent chacune  plusieurs  centaines  de  lettres  de  lui; 
mais  en  conséquence  de  la  diffusion  de  ses  ouvrages, 
c'est,  peut-on  dire,  de  tous  les  points  du  monde  que 
s'adressaient  à  lui  des  âmes  inconnues  qui  éprouvaient 
un  irrésistible  besoin  de  lui  exprimer  leur  recon- 
naissance et  de  solliciter  ses  lumières.  Au  destina- 
taire dont  on  ignorait  le  nom,  ces  lettres  parvenaiei  t 
par  l'entremise  des  libraires.  M.  Beaudenom,  très  sur- 
pris du  succès  de  ses  livres,  très  heureux  surtout 
d'apprendre  qu'ils  faisaient  du  bien,  répondait  tou- 
jours. Et  c'est  ainsi  que  s'accroissait  sans  cesse  sa  cor- 
respondance. Aussi,  on  le  soupçonne  aisément,  ce  ne 
fut  pas  la  moindre  difficulté  de  notre  tâche  de  choi- 
sir, dans  le  volumineux  dossier  que  nous  avons  pu 
constituer,  les  lettres  qu'il  convenait  de  publier  de 
préférence  aux  autres.  Il  nous  reste  le  regret  profond 
de  priver  le  public  de  tant  d'autres  pages  précieuses, 
qu'un  second  volume  aurait  été  insuffisant  à  con- 
tenir. 

Il  semble  qu'un  labeur  tel  que  celui  que  nous  ve- 
nons de  décrire  dût  être  au-dessus  des  forces  d'un 
vieillard  épuisé,  qui  ne  quittait  plus  sa  chambre  pen- 


riant  dix  mois  de  l'année.  Mais,  si  les  forces  phy- 
siques avaient  dès  longtemps  disparu,  l'esprit  gardait 
une  vigueur  étonnante  et  l'âme  de  ce  prêtre  était 
celle  d'un  apôtre.  Les  épreuves  de  l'Eglise  trouvaient 
en  son  cœur  un  douloureux  écho.  Il  sondait  l'ave- 
nir avec  inquiétude.  Plus  d'une  fois,  on  le  trouva 
angoissé;  cependant,  il  gardait  confiance  et  savait 
rendre  courage  aux  pessimistes.  A  un  moment  où 
soufflait  le  vent  de  la  persécution,  il  écrivait  :  «  La 
terre  est  trop  sombre,  trop  meurtrière.  Prenons  notre 
vol  jusqu'à  ce  ciel  qui  n'entend  même  pas  de  si  loin 
ces  cris  de  fureur  de  nos  ennemis.  Ce  qu'il  entend, 
c'est  la  douce  parole  de  résignation  et  d'amour  de  la 
souffrance  qui  s'exhale  de  tant  de  cœurs  consacrés 
et  meurtris.  Dieu  communique  aux  saints  les  beautés 
de  tant  d'âmes  éprouvées  et  grandies.  Le  massacre 
des  Innocents  se  renouvelle.  .C'est  Jésus  que  l'on  cher- 
che pour  le  faire  périr.  D'autres  périront  à  sa  place 
et  Lui,  glorifié  par  ces  martyrs,  pleinement  conscients, 
reparaîtra  un  jour  dans  son  Église  rajeunie.  » 

—  «  Si  je  vois  en  noir  l'avenir  jusqu'aux  horizons  à 
notre  portée,  je  conçois  au  delà  un  avenir  pouvant 
être  très  beau.  Les  grands  mouvements  de  l'humanité 
sont  très  lents,  et,  pour  qu'ils  changent  de  direction 
il  faut  qu'ils  s'y  trouver t  en  quelque  sorte  forcés, 
comme  la  mer  qui,  après  avoir  envahi  de  vastes 
plaines,  se  heurte  à  des  montagnes.  L'irréligion,  en 
ce  moment,  ne  rencontre  pas  d'obstacles,  elle  va  tout 
envahir.  Mais  un  moment  arrivera  où  ses  ravages 
auront  été  tels  que  des  montagnes  se  dresseront  pour 
l'arrêter.  L'humanité  ne  peut  pas  vivre  sans  morale, 
ni  la  morale  sans  des  principes  et  des  sanctions.  D'au- 
tre part,  la  persécution  et  la  pauvreté  auront  dégagé 
l'Église  des  embarras  trop  humains.  Le  mal  actuel 
de  la  Séparation  l'aura  enfin  rendue  maîtresse  de  son 


XXVI   — 


organisation  et  do  ses  choix.  Devenue  plus  évangé- 
lique,  elle  séduira  les  âmes  restées  nobles  et  recevra 
de  Dieu  la  fécondité  qu'obtiennent  seuls  les  moyens 
surnaturels...  Je  ne  compte  plus  pour  nous  sauver 
que  sur  la  sainteté.  Adveniat  regnum  tuum...  » 

Pour  que  ce  règne  arrivât,  pour  que  la  vérité  parvînt 
au  plus  grand  nombre  et  comme  s'il  avait  voulu 
atteindre  toutes  les  âmes,  M.  Beaudenom  se  décida  à 
écrire.  Avec  sa  confusion  coutumière,  il  confiait  à  un 
prêtre  :  «  Je  n'ai  pas  fait  le  bien  que  j'aurais  dû  faire. 
Pendant  de  longues  années,  je  me  suis  laissé  vivre,  me 
contentant  de  mon  petit  ministère  et  de  la  direction 
de  quelques  âmes.  J'aurais  eu  le  temps  d'écrire  et  je 
ne  m'y  suis  mis  qu'à  soixante  ans,  quand  l'affaiblisse- 
ment de  ma  santé  m'a  donné  de  trop  grands  loisirs.  » 
Ce  que  nous  pouvons  assurer,  c'est  qu'il  employa  ce 
qui  lui  restait  de  vie  à  éclairer  les  âmes,  à  les  soutenir, 
à  les  former.  Ce  qu'il  voulait,  c'était  d'abord  les  ré- 
véler à  elles-mêmes  pour  leur  révéler  ensuite  le  vrai 
Dieu.  «  Les  âmes  pieuses,  écrivait-il  à  un  prêtre  dont 
il  avait  fait  son  conseiller,  ont  besoin  d'être  ranimées. 
Le  doute  fait  chanceler  bien  des  résolutions,  j'en  suis 
effrayé.  L'opinion  générale  tend  toujours  à  gagner  le 
petit  nombre.  Or,  à  notre  époque,  elle  le  fait  d'une 
façon  plus  puissante  et  plus  rapide,  grâce  à  l'inonda- 
tion des  journaux,  des  revues,  des  livres,  des  conver- 
sations. Impossible  d'échapper  à  ces  flots  et  bien  dif- 
ficile d'y  résister.  Que  peuvent,  en  effet,  des  personnes 
dont  l'intelligence  est  faible  et  l'instruction  courte, 
contre  les  formidables  objections  qui  frappent  tous  les 
regards,  autant  que  le  font  les  affiches  des  rues?  » 
Combien  de  fois  ne  l'avons-nous  pas  entendu  dire, 
avec  un  accent  de  tristesse  si  profonde  :  «  Jésus  n'est 
pas  connu  !  Jésus  n'est  pas  connu  !  »  Le  faire  con- 
naître, le  faire  aimer,  c'est  le  désir  qui  consume  son 


—    XXVII    — 

âme  et  qu'il  exprime  sans  cesse  :  «  Plus  je  vais,  plus 
je  me  sens  porté  à  faire  aimer  Notre-Seigneur,  même 
par  les  âmes  qui  sont  loin  d'être  parfaites.  » 

Comment  travaillait  M.  Beaudenom?  Nous  vou- 
drions le  dire  brièvement.  On  le  soupçonne  aisément 
après  ce  que  nous  avons  fait  entrevoir  ;  les  visites  qu'il 
recevait,  la  correspondance  qu'il  était  obligé  d'entre- 
tenir, les  soins  nombreux  que  réclamaient  ses  infirmités 
ne  lui  laissaient  presque  aucun  loisir.  Il  n'avait  par 
conséquent  pas  de  temps  pour  lire.  Dans  sa  biblio- 
thèque, nous  n'avons  guère  trouvé  que  quelques  livres 
dont  lui  faisaient  hommage  dès  auteurs  qui  le  tenaient 
en  particulière  estime.  En  tous  cas,  dans  les  rares 
volumes  qu'il  a  consultés,  il  allait  droit  et  exclusive- 
ment au  sujet  qui  l'intéressait.  Ce  n'est  pas  là  d'ordi- 
naire qu'il  puisait  ses  lumières.  Le  connaissant  ou 
non,  il  partageait  le  sentiment  du  P.  Gratry  :  «  On 
veut  agir,  on  veut  parler,  on  veut  combattre.  Nul  ne 
veut  s'enfermer  dans  sa  chambre,  comme  le  demande 
Pascal.  Nul  no  veut  s'enfermer  avec  Dieu,  clauso 
ostio,  comme  le  ^dit  l'Évangile,  pour  interroger  la 
lumière  dans  la  source  la  plus  recueillie.  Qui  donc 
veut  croire  à  la  présence  réelle  de  Dieu,  à  la  néces- 
sité, à  la  possibilité  de  le  voir  pour  connaître  la  vé- 
rité? Il  faut  du  repos;  et  nous  manquons  aujour- 
d'hui de  repos  bien  plus  encore  que  de  travail.  Le 
repos  est  le  frère  du  silence.  Nous  manquons  de  repos 
comme  de  silence.  Nous  sommes  stériles,  faute  de 
repos  plus  encore  que  faute  de  travail...  Qu'est-ce 
donc  que  le  repos?  Le  repos,  c'est  la  vie  se  recueil- 
lant et  se  retrempant  dans  ses  sources.  Le  repos  pour 
le  corps,  c'est  le  sommeil.  Le  repos  pour  l'esprit, 
c'est  la  prière.  La  prière,  c'est  la  vie  de  l'âme,  la  vie 
intellectuelle  et  cordiale,  se  recueillant  et  se  retrem- 
pant à  sa  source,  qui  est  Dieu.  »  M.  Beaudenom  fut 


XXVIII    — 


de  ces  hommes  trop  rares  qui  pratiquent  d'une  ma- 
nière constante  «  le  profond  recueillement  de  l'esprit 
dans  la  vérité  substantielle,  dans  les  sources  centrales 
de  lumière  ». 

Il  avait  donc  vraiment  autorité  pour  guider  les 
âmes  dans  la  méditation,  lui  qui  savait  «  regarder 
longuement  ».  «  La  presque  totalité  de  mon  temps, 
prétendait-il,  se  passe  dans  une  inaction  complète, 
C'est  alors  que  je  tâche  de  vivre  en  Dieu,  et,  je  dois 
le  dire,  j'y  goûte  une  paix  profonde  :  les  pages  que 
j'écris  s'en  ressentent,  il  me  semble  que  je  les  vis 
mieux.  »  N'était  son  humilité,  il  eût  pu  appliquer  à 
ses  ouvrages  ce  jugement  qu'il  portait  sur  un  volume 
qu'il  nous  recommandait  :  «  Les  vérités  exprimées  par 
des  âmes  qui  les  ont  vécues  ont  une  saveur  et  une 
force  particulières.  »  D'un  de  ses  ouvrages  il  disait 
d'ailleurs  :  «  Cela  sera  certainement  instructif.  Moi- 
même  en  méditant  ces  choses,  je  les  ai  vues  autre- 
ment lumineuses  qu'auparavant.  »  Et  encore  :  «  Vous 
voulez  bien  me  dire  que  ce  livre  de  Méditations  est 
utile  aux  âmes,  et  surtput  qu'il  fait  connaître  et  aimer 
Jésus.  C'est  là  mon  effort  continuel,  effort  qui,  loin  de 
me  coûter,  me  console.  Quelle  grâce  d'être  déchargé 
de  tout  autre  souci  et  de  pouvoir  contempler  à  loisir 
l'admirable  figure  du  divin  Maître  !  Plus  j'avance,  plus 
je  découvre  de  beauté,  de  tendresse  et  d'infinie  bonté 
dans  ce  Cœur  humain  élargi  sans  bornes  par  la  pé- 
nétration de  la  divine  personnalité  du  Verbe.  » 

Après  de  longues  journées,  lorsque,  dans  la  réflexion 
et  l'oraison,  il  avait  patiemment  contemplé  la  vérité 
qu'il  se  proposait  d'exposer  ou,  selon  les  circonstances, 
pénétré  profondément  dans  la  familiarité  de  Dieu,  de 
Jésus-Christ,  de  la  Sainte  Vierge,  l'âme  toute  remplie,  il 
prenait  son  crayon,  car  sa  main  était  trop  décharnée 
pour  tenir  ordinairement  une  plume,  et  il  écrivait  de 


cette  écriture  quasi  illisible  que,  disait  l'un  de  ses 
amis,  la  grâce  de  Dieu  seule  permettait  de  déchiffrer. 

Puis,  au  fur  et  à  mesure  de  la  composition,  une  de  ses 
filles  spirituelles,  qui  considéra  comme  une  grâce  de 
lui  avoir  servi  de  secrétaire  pendant  de  longues  an- 
nées, recopiait  les  précieuses  pages  pour  l'imprimerie... 
Les  interruptions  étaient  continuelles,  l'œuvre  cepen- 
dant se  poursuivait.  «  D'une  occupation  à  une  autre 
tout  mon  temps  s'en  va;  je  ne  puis  me  mettre  à  mon 
travail  commencé  que  par  courtes  périodes.  Heureu- 
sement, fai  tracé  tous  les  détails  de  mon  plan,  et  quand 
je  m'y  remets,  je  n'ai  qu'une  partie  spéciale  à  traiter.  » 

Son  premier  ouvrage  de  cette  époque  fut  la  Pratique 
progressive  de  la  Confession  et  de  la  Direction.  Tandis 
qu'il  le  composait,  il  écrivait  :  «  Le  travail  ne  manque 
pas,  je  suis  très  peu  à  moi;  aussi  un  petit  ouvrage 
pour  la  confession  des  âmes  pieuses  pousse  lentement 
comme  ces  plantes  rabougries  qui  ont  peu  de  terre 
et  un  soleil  rare.  Le  voilà  cependant  presque  achevé 
et  plus  long  que  je  ne  pensais  le  faire,  ce  sera  un  vo- 
lume et  peut-être,  hélas  !  un  volume  trop  plein  et 
moins  à  la  portée  des  âmes;  j'ai  fait  pourtant  de  mon 
mieux  et  j'y  ai  mis,  cette  fois,  un  peu  plus  de  mon 
cœur.  »  Après  cet  ouvrage,  l'auteur  donna,  au  cours 
des  années  suivantes,  deux  volumes  sur  la  Formation 
religieuse  et  morale  de  la  jeune  fille;  deux  volumes 
intitulés  :  Méthodes  et  Formules  pour  bien  entendre  la 
sainte  Messe,  puis  les  Sources  de  la  piété!  Au  sujet  de 
ce  dernier  traité,  il  écrivait  :  «  Je  reçois  souvent 
des  lettres  navrantes,  heureusement  suivies  parfois 
de  lettres  plus  rassurées.  Aussi,  ai-je  quelque  vague 
plan  d'un  livre  destiné  à  porter  remède  à  cet  état 
d'esprit  :  point  de  science,  point  de  vraie  discussion, 
mais  la  lumière  répandue  sous  forme  de  méditations. 
Les  objets  de  notre  foi,  mieux  éclairés,  se  montreraient 


—    XXX    — 

dans  leur  raison  d'être,  leur  utilité,  leur  beauté...  J'es- 
saierai, mais  je  crains  bien  de  ne  pas  continuer;  cette 
tâche  est  trop  lourde  pour  moi  qui  suis  un  ignorant.  » 
Un  peu  plus  tard  :  «  Mes  travaux  avancent  tou- 
jours, mais  lentement.  Il  me  faudrait  deux  mois  d'une 
santé  passable.  J'ai  une  vaste  matière  à  coordonner 
et  plusieurs  parties  à  refaire.  Chemin  faisant,  on  change 
un  peu  de  direction  et  l'on  fait  ce  que  l'on  comptait 
ne  pas  faire.  A  ce  livre  ainsi  conçu  je  donnerai  ce 
titre  :  Sources  de  la  piété.  Je  les  prends  dans  nos  grands 
mystères  de  la  Trinité  et  de  Y  Incarnation  et  j'en  fais 
une  application  raisonnée  aux  grands  principes  de  la 
piété.  »  A  un  autre  correspondant  il  donnait  quelques 
précisions  :  «  Je  vous  indiquerai  simplement  certains 
points  que  je  crois  capitaux  :  le  but  qui  est  d'élever 
l'enseignement  de  la  piété  et  de  lui  donner  pour  base 
la  vérité,  le  dogme;  la  méthode  qui  consiste  à  pré- 
parer l'esprit  avant  et  pendant  l'exposé  doctrinal,  à 
établir  une  gradation  de  lumières  de  façon  à  ce  que 
la  vérité  qui  suit  se  trouve  éclairée  naturellement  par 
celle  qui  précède  et  à  son  tour  éclaire  celle  qui  vient 
après,  à  constituer  enfin  une  sorte  de  synthèse  com- 
prenant tout  le  surnaturel.  Je  n'ai  pas  trouvé  de  livre 
le  présentant  ainsi,  et  c'est  ce  qui  m'a  déterminé  à 
le  tenter.  Ce  qui,  de  prime  abord,  paraît  assez  com- 
plexe, devient  très  simple  quand  on  l'a  lu  de  façon  à 
bien  le  posséder.  La  vue  d'ensemble  qui  le  termine 
en  est  la  preuve.  J'y  ai  mis  tout  le  fonds  de  ma  doc- 
trine spirituelle.  Depuis  mon  grand  séminaire,  j'ai  été 
dominé  par  Vidée  de  la  grâce  et  c'est  une  question  sur 
laquelle  j'ai  réfléchi  pendant  près  d'un  demi-siècle.  Elle 
revient  sans  cesse  dans  tous  mes  écrits.  Puisse  ce  livre 
contribuer  à  élever  la  piété  en  l'éclairant  plus  à  fond 
et  en  lui  montrant  la  liaison  intime  de  la  vérité  et  de 
V amour  !  » 


Enfin  son  âme,  de  plus  en  plus  intimement  unie  au 
divin  Maître,  conçut  l'ardent  désir  de  le  faire  connaître 
tel  qu'elle  le  contemplait  depuis  toute  sa  vie.  Très 
affaibli,  il  crut  ne  pouvoir  pas  même  commencer.  Heu- 
reusement, il  se  trompait.  Le  Sauveur,  qui  a  si  grande 
soif  de  vivre  dans  les  âmes,  voulait  rayonner  par 
l'âme  de  son  fidèle  serviteur.  Petit  à  petit  et  comme 
goutte  à  goutte,  trois  volumes  de  Méditations  affec- 
tives et  pratiques  sur  l'Évangile  vont  voir  le  jour,  et 
c'est  seulement  au  seuil  de  la  Passion,  à  la  moitié 
du  quatrième,  que  la  plume  tombera  définitivement 
de  cette  main  vaillante  jusqu'au  bout  :  «  Si  je  ne  puis 
achever,  nous  confiait-il,  je  serai  toujours  heureux  de 
mourir  la  plume  à  la  main.  »  «  Je  n'ai  pas  perdu 
mon  temps  en  m'occupant  beaucoup,  toute  l'année, 
de  Notre-Seigneur  pour  en  écrire;  il  m'en  reste  une 
impression  de  voisinage  plus  rapproché  et  plus  doux. 
Je  me  réservais  de  reprendre  ce  beau  sujet  et  de  le 
préparer  pour  les  âmes  plus  parfaites  que  la  mienne, 
je  n'ai  pas  été  jugé  digne  de  cette  mission,  car  il 
n'est  pas  probable  que  je  devienne  capable  de  l'effort 
nécessaire  pour  creuser  et  condenser  tant  de  grandes 
choses.  » 

Il  ajoutait  :  «  Je  suis  heureux  d'être  employé,  à  dis- 
tance, au  bien  des  âmes.  Les  missionnaires  de  Chine 
m'ont  demandé  l'autorisation,  que  j'ai  de  suite  accor- 
dée, de  traduire  mes  livres  en  latin  et  quelques-uns 
en  chinois  :  me  voilà  bientôt  missionnaire  en  Chine. 
Et  dire  que  j'aurais  voulu,  à  vingt  ans,  commencer 
par  là  !  »  Missionnaire  en  Chine  !  et,  peut-on  ajouter 
sans  exagération,  dans  tout  l'univers,  car  ses  œuvres 
ont  été  traduites  dans  un  grand  nombre  de  langues, 
telle  fut  la  récompense,  et  en  quelque  sorte  la  gloire, 
que  Dieu  a  réservée  à  son  apôtre,  au  soir  d'une  vie 
toute  de  sacrifice,  d'abnégation,  de  dévouement  aux 

3 


—    XXXII    — 


âmes.  Il  put  entrevoir  la  fécondité  du  champ  ense- 
mencé par  son  apostolat  :  «  Si  j'en  crois  les  hommes 
de  valeur,  j'aurai  rendu  un  vrai  service;  je  n'ose  vous 
communiquer  leurs  témoignages  tant  ils  ont  été  élo- 
gieux.  Dans  mon  impuissance  à  travailler  au  salut 
des  âmes  par  d'autres  moyens,  je  remercie  Dieu  de 
me  laisser  ouverte  cette  voie  utile  et  toute  cachée. 
Si  je  considère  l'état  où  je  suis,  j'en  conclus  que  je 
n'ai  plus  longtemps  à  vivre  et  je  me  réjouis  à  la  pen- 
sée qu'après  moi,  mes  livres  serviront  les  âmes.  » 


*  * 


Montrer  en  M.  Beaudenom  un  prêtre  qui  a  excellé 
dans  «  l'art  divin  d'éclairer,  de  guider,  de  consoler 
les  hommes  au  nom  de  Dieu  »,  parce  qu'il  était  une 
de  ces  «  âmes  profondes,  habitant  le  monde  invisible, 
plongées  dans  le  ciel  et  tournées  vers  l'Orient  des 
choses  »,  ce  n'est  pas  révéler  tout  le  secret  de  son 
étonnante  fécondité  apostolique.  Il  nous  reste  à  lui 
appliquer  cette  autre  parole  de  Gratry  :  «  Ce  n'est 
pas  par  la  multiplicité  des  efforts  de  surface,  ni  par 
la  masse  des  œuvres,  que  nous  sommes  les  ministres 
utiles  de  l'Évangile,  mais  par  la  toute-puissance  d'un 
cœur  humble  appuyé  sur  Dieu,  d'une  âme  profonde 
qui  puise  en  Dieu  (1).  »  L'humilité  et  la  conformité 
à  la  volonté  de  Dieu,  telles  furent  les  deux  grandes 
vertus  de  ce  vrai  disciple  de  Jésus. 

Celui  qui  a  composé  un  si  remarquable  traité  sur  la 
«  formation  à  l'humilité  »  s'est  soumis  lui-même  tout 
le  premier,  et  avec  quelle  rigueur,  à  cette  formation. 
Nous  ne  pourrons  jamais  oublier  de  quelle  manière 
il  termina  l'entretien  que  nous  eûmes  un  jour  avec  lui 

'1)  Gratry,  Henri  Perreyve  :  passim. 


sur  cette  vertu.  Nous  le  voyons  encore,  étendu  péni- 
blement sur  sa  chaise  longue,  puis,  tout  à  coup  se 
dressant,  et  disant,  avec  une  force  que  nous  ne  lui 
connaissions  pas  :  «  Je  ne  comprends  pas  qu'on  soit 
orgueilleux.  » 

L'humilité,  il  l'a  pratiquée  sous  cette  forme  exté- 
rieure qui  s'appelle  la  pauvreté.  Tout  ce  qui  l'entou- 
rait était  d'une  extrême  simplicité  et  strictement 
réduit  à  l'indispensable.  On  voyait,  à  côté  des  rares 
livres  que  portait  une  modeste  étagère,  quelques 
outils  de  menuisier  dont  il  avait  toujours  aimé  se 
servir  à  l'exemple  et  en  souvenir  du  divin  Maître  : 
c'est  dans  cet  esprit  que  volontiers  il  construisait  de 
ses  mains  divers  objets,  malgré  la  fatigue  qu'il  en 
ressentait.  D'autre  part,  il  tenait  à  ne  se  servir  que 
de  choses  très  ordinaires.  Ses  vêtements  étaient  ceux 
d'un  vrai  pauvre;  sur  ce  point  comme  sur  tant 
d'autres,  il  était  une  prédication  vivante. 

Mais,  si,  comme  il  aimait  à  le  dire,  «  le  meilleur 
abri  de  l'humilité,  c'est  la  pauvreté;  à  son  tour,  le 
plus  bel  ornement  de  la  pauvreté,  c'est  l'humilité  ». 
Cette  humilité  intérieure  fut  de  beaucoup  sa  vertu 
préférée.  Qu'on  en  juge  par  la  manière  dont  il  appré- 
ciait ses  œuvres. 

Au  moment  de  donner  le  «  boi  à  tirer  »  d'un  de  ses 
derniers  ouvrages,  il  écrivait  au  prêtre  qui  avait  revu 
les  épreuves  :  «  J'ai  tout  relu,  mais  avec  la  seule 
attention  à  l'exactitude  du  texte.  J'ai  passé  bien  des 
pages  que  j'aurais  aimé  refaire;  je  m'en  suis  tenu  à 
cette  réflexion  :  telle  quelle,  cette  page  peut  être 
utile,  cela  suffit.  Je  ne  sais  pas  si  j'écris  bien  ou 
mal;  j'écris  comme  je  pense  et  comme  je  sens.  Je  me 
suis  parfois  demandé  d'où  pouvait  venir  le  succès  de 
mes  livres  et  ma  conviction  est  qu'ils  s'accommodent 
à  beaucoup  d'âmes  à  cause  de  la  médiocrité  de  la 


pensée  et  du  style.  Chacun  doit  comprendre  et  tous  y 
reconnaissent  leurs  propres  sentiments  !  »  Il  écrit 
encore  à  un  ami  :  «  Merci  de  votre  zèle  à  répandre 
mes  livres;  il  y  a  déjà  de  par  le  monde  bien  des  exem- 
plaires de  ce  volume  :  j'en  suis  tout  surpris.  Peut- 
être  Dieu  daignera-t-Il  me  faire  miséricorde  en  faveur 
de  mon  désir  de  le  faire  aimer.  »  Est-il  possible  d'être 
aussi  modeste,  devant  un  tel  succès?...  Oui,  mais  seu- 
lement quand  on  est  vraiment  humble,  quand  on 
sait  reconnaître  que  ce  n'est  pas  l'homme  qui  agit  par 
lui-même,  mais  Dieu  qui  agit  par  l'homme  :  «  Non 
vos  me  elegistis  sed  ego  elegi  vos  et  posui  vos,  ut  eatis 
et  fructum  ajferatis.  » 

Ce  que  nous  re  saurions  rendre,  c'est  le  son  de  sa 
voix,  son  accent  pénétré  lorsqu'il  disait  par  exemple  : 
«  Je  suis  un  être  inutile  »,  ou  «  je  ne  compte  que 
sur  la  miséricorde  de  Dieu.  »  Quelques  citations  mon- 
treront avec  quels  sentiments  il  parlait  de  lui  :  «  Je 
travaille  fort  peu,  mais  je  ne  m'en  trouble  pas,  con- 
naissant la  valeur  du  métier  de  fainéant  quand  il  est 
bien  accepté.  Je  n'ai  quitté  mon  lit  qu'hier.  Mon  mal 
de  gorge  était  à  l'état  aigu.  Presque  jamais  de  messe 
ni  de  communion.  Presque  plus  de  travail,  car  je 
suis  accablé.  Il  ne  me  reste  à  offrir  à  Dieu  que  ma 
nullité.  C'est  un  triste  présent;  je  tâche  de  le  faire 
de  bon  cœur.  »  «  J'ai  passé  tristement  ces  deux  jours 
de  l'Annonciation  et  de  la  Passion,  ne  pouvant  offrir 
à  Dieu  que  mon  entier  abandon.  Si  encore  j'avais  de 
vives  souffrances  à  offrir  !  Dieu  me  traite  comme  une 
âme  faible  à  qui  on  demande  peu.  Heureusement,  les 
petites  offrandes  sont  plus  nombreuses.  Il  daigne 
agréer  l'obole  du  pauvre.  »  —  «  Depuis  une  quin- 
zaine, une  amélioration  s'esb  produite  qui  me  permet 
de  m'occuper  un  peu  et  de  dire  la  messe  le  dimanche, 
non  sans  grande  fatigue,  il  est  vrai.  C'est  un  délai 


XXXV 


que  Dieu  accorde  à  l'arbre  stérile  pour  qu'il  porte 
enfin  des  fruits,  car  si  j'ai  enseigné  aux  autres  la 
perfection,  je  ne  l'ai  pas  vraiment  pratiquée.  Priez 
Dieu  de  me  pardonner  de  pousser  les  autres  vers  lui 
et  de  rester  si  loin.  »  — ■  «  Vous  me  demandez  où 
j'en  suis  pour  ma  santé  et  mes  travaux.  Dieu  me 
montre  une  fois  de  plus  que  je  suis  un  serviteur 
inutile.  Depuis  trois  semaines,  j'ai  dû  suspendre  tout 
travail  et  presque  toute  lecture  à  cause  du  mal  de 
tête  causé  par  une  congestion  du  cerveau.  Cela 
m'était  arrivé  déjà  vers  le  commencement  de  l'an- 
née. Je  n'en  avais  pas  souffert  jusque-là.  Est-ce  un 
avertissement?  J'ai  tout  oiîert,  même  ma  pauvre 
tête,  ne  demandant  qu'une  chose  dans  ce  cas,  c'est 
d'avoir  conscience  de  ma  décrépitude.  Ce  serait  bon 
de  finir  dans  l'abjection  complète.  » 

Ces  quelques  censées  suffisent  à  révéler  le  juge- 
ment si  humble  que  M.  Beaudenom  portait  sur  lui- 
même.  Ceux  qui  l'ont  fréquenté  savent  jusqu'où  il 
poussait  la  désolation  d'être  si  imparfait.  Toutefois, 
de  loin  en  loin,  le  jour  s'éclairait  légèrement.  «  Vous 
me  souhaitez  la  paix!  Hélas!  je  ne  vous  ressemble 
pas  !  je  crains  d'avoir  trop  de  paix,  étant  si  lâche  et 
voyant  de  si  belles  âmes  !  Mais  je  me  fais  de  Dieu 
une  telle  idée  que  j'ai  beau  vouloir  me  troubler,  je 
ne  le  puis  pas.  Il  me  semble  voir  un  erfant  qui  ne 
peut  pas  trembler,  alors  même  que  son  père  se  fâche 
très  fort  :  il  croit  qu'ep  le  regardant  de  très  près  il  le 
fera  sourire.  » 


*  * 


L'auteur  de  la  Formation  à  l'Humilité  a  écrit  : 
«  Humilitas  prœcipue  consistit  in  submissione  hominis 
ad  Deum.  L'humilité  consiste  surtout  dans  la  soumis- 
sion de  l'homme  à  Dieu  »  (Saint  Thomas).  —  Soumis- 


—    XXXVI    — 

sion  universelle  :  c'est  le  vaste  champ  de  ses  volontés 
e t  de  ses  désirs.  —  Soumission  ferme  et  sans  hésita- 
tion :  c'est  l'ordre  des  choses;  c'est  le  devoir.  —  Sou- 
mission heureuse  :  c'est  mon  bien,  c'est  ma  grandeur. 

«  L'humilité  fait  disparaître  la  volonté  de  la  créa- 
ture, en  tant  que  principe  indépendant  de  détermi- 
nation, pour  y  substituer  les  déterminations  divines. 

«  L'àme  bien  humble  réalise  donc  la  sublime  de- 
mande :  Que  voire  volonté  se  fasse  sur  la  terre  comme  au 
ciel  (1).  » 

En  M.  Beaudenom,  la  plus  profonde  humilité  s'ac- 
compagna toujours  d'une  union  et  d'une  soumission 
aussi  filiales  que  complètes  à  la  volonté  de  Dieu. 
Sanr.  qu'il  s'en  doutât,  certes,  il  nous  a  révélé  l'une 
des  plus  grande?  beautés  de  son  âme  dars  cette  page 
dont  nous  pouvons  assurer  qu'il  l'a  vraiment  vécue  : 

«  Notre-Seigneur  nous  a  prêché  l'exemple  de  la  sou- 
mission parfaite  à  la  volonté  de  Dieu.  Durant  toute 
sa  vie,  //  veut  tout  ce  que  veut  son  Père,  et  II  fait  tout 
ce  que  son  Père  veut.  Vouloir  ce  que  Dieu  veut  quand 
cela  coûte  peu  ou  point,  cela  est  facile;  cela  est  même 
très  aisé  et  très  doux  lorsque  nous  sommes  portés 
suavement  sur  les  ailes  de  la  grâce  et  des  consola- 
tions divines.  Mais  vouloir  ce  que  Diçu  veut,  quand 
il  .'agit  de  choses  extrêmement  pénibles,  le  vouloir 
quand  tout,  au  dedans,  est  soulevé  corte  nous  : 
ennuis...  dégoûts...  tristesses...  craintes...  angoisses... 
agonie  de  l'âme...  Le  vouloir,  et  s'y  attacher  quand 
pas  une  consolation  extérieure  ne  vient  adoucir  ces 
peines  intérieures  qui  risquent  de  nous  abattre  et  de 
nous  submerger...  Le  vouloir  et  s'y  perdre  quand 
Dieu  même  retire  ses  consolations  intérieures...  Faire 
alors  le  grand  acte  d'abandon  de  soi,  s'y  tenir,  n'en 

(1)  Formation   à  l'Humilité,  page  253. 


XXXVII 


plus  sortir...  abandon  de  aoi  total,  universel,  perpé- 
tuel..., perte  de  sa  volonté  propre  dans  la  volonté  de 
Dieu...  voilà  la  sublime  perfection,  l'acte  héroïque 
dont  Notre-Seigneur  nous  a  donné  l'exemple.  » 

Se  travaillant  inlassablement,  les  yeux  fixés  sur  ce 
divin  modèle,  M.  Beaudenom  a  accepté,  recherché, 
aimé,  réalisé  toujours  davantage  la  volonté  de  Dieu 
dont  il  voyait  la  manifestation  dans  ses  infirmités, 
ses  épreuves,  et  les  plus  douloureux  sacrifices.  «  Ai- 
mons, répétait-il  volontiers,  toutes  les  volontés  de 
Dieu.  »  «  Pour  moi,  je  suis  imperturbablement  content 
de  tout  ce  que  fait  le  bon  Maître.  Jamais  je  n'ai  été 
plus  content  que  lorsque  j'ai  eu  à  souffrir  beaucoup.  » 

Nojs  avons  dit  précédemment  que  sa  santé  lui 
fut  une  épreuve  de  tous  les  jours.  Eli  lui  procura 
surtout  l'incomparable  occasion  de  redire  sans  cesse  : 
«  Non  mea  voluntas.  sed  tua  fiât  ». 

«  J'avais  mis  la  main  à  mon  troisième  volume,  il  y 
a  trois  mois...  J'ai  été  complètement  arrêté  par  la 
maladie  et  une  faiblesse  extrême.  Les  médecins  se 
demandent  comment  je  peux  vivre.  Si  Dieu  préfère 
que  je  n'achève  pas  l'œuvre  qui  est  à  moitié  chemin, 
je  ne  m'en  attristerai  pas.  »  Aussi,  pouvait-il  adresser 
ce  souhait  à  une  personne  qu'il  dirigeait  :  «  Jusqu'ici, 
vous  avez  eu  des  ailes  pour  aller  à  Jésus.  Si  jamais 
vous  recevez  sur  votre  épaule  la  croix  qui  meurtrit 
véritablement,  vous  réclamerez  au  bon  Dieu  ce  mo- 
deste héritage  de  votre  père  :  la  paix  dans  la  souf- 
france. » 

Cette  paix,  il  tâchait  de  la  communiquer  aux  âmes. 
Témoin  cette  lettre  adressée  à  un  prêtre  très  éprouvé, 
lui  aussi,  dans  sa  santé  : 

«  Gardez-vous  bien  d'être  attristé  par  toutes  les  tra- 
verses de  votre  vie,  surtout  par  l'inactivité  forcée.  Il 
ne  faut  voir  que  la  volonté  de  Dieu  toujours  aimable. 


S'il  Lui  plaît  de  n'obtenir  de  vous  que  de  bonnes 
souffrances,  au  lieu  de  grandes  œuvres,  vous  Lui  êtes 
aussi  cher  et  même  aussi  précieux  :  c'est  la  souffrance 
de  Jésus  qui  a  sauvé  le  monde,  elle  était  nécessaire 
à  la  pénétration  de  l'Évangile  par  la  grâce  qu'elle 
mérite.  Je  connais  plusieurs  âmes  admirables,  que 
Dieu  traite  en  victimes,  et  qui  se  sont  consacrées  à 
Lui  à  ce  titre.  Vous  faites  plus,  vous  êtes  prêtre  et 
la  grâce  de  votre  sacerdoce  perce  à  travers  vos  paroles 
édifiantes,  à  travers  vos  souffrances  plus  édifiantes 
encore.  » 

Pour  lui,  il  faisait  sienne,  avec  quelle  ferveur  !  la 
prière  de  Pascal  :  «  Seigneur,  je  ne  vous  demande  ni 
santé,  ni  maladie,  ni  vie,  ni  mort;  mais  que  vous  dispo- 
siez de  ma  santé  et  de  ma  maladie,  de  ma  vie  et  de 
ma  mort,  pour  votre  gloire,  pour  mon  salut  et  pour 
l'utilité  de  l'Église...  Vous  seul  savez  ce  qui  m'est 
expédient;  vous  êtes  le  souverain  Maître,  faites  ce  que 
vous  voudrez.  Donnez-moi,  ôtez-moi;  mais  conformez 
ma  volonté  à  la  vôtre;  et  que,  dans  une  soumission 
humble  et  parfaite,  et  dans  une  sainte  confiance,  je  me 
dispose  à  recevoir  les  ordres  de  votre  providence  éter- 
nelle, et  que  j'adore  également  tout  ce  qui  me  vient 
de  vous...  Faites  donc,  Seigneur,  que  tel  que  je  suis 
je  me  conforme  à  votre  volonté;  et  qu'étant  malade 
comme  je  suis,  je  vous  glorifie  dans  mes  souffrances.  » 

L'une  des  conséquences  les  plus  douloureuses,  pour 
M.  Beaudenom,  de  ce  continuel  état  de  maladie  fut 
l'impossibilité  où  il  se  trouva  si  fréquemment  de  célé- 
brer la  sainte  messe,  surtout  pendant  ses  dix  dernières 
années.  A  la  fin  même,  il  ne  pouvait  presque  plus 
jamais  monter  à  l'autel,  et,  quand  un  reste  de  force  le 
lui  permettait,  sa  fatigue  devenait  si  extrême  que, 
la  messe  à  peine  terminée,  il  tombait  littéralement 
épuisé. 


Un  jour,  après  le  Saint-Sacrifice,  son  état  d'acca- 
blement et  de  souffrance  inspirait  une  telle  compas- 
sion aux  personnes  présentes  qu'elles  la  lui  témoi- 
gnèrent :  «  Ce  n'est  pas  acheter  trop  cher  un  toi 
bonheur  »,  répondit-il. 

Un  peu  plus  tard,  il  écrivait  :  «  Je  ne  me  sens  pas 
fort,  je  ne  suis  bon  à  rien;  mais  puisque  le  divin  Maître 
veut  qu'il  en  soit  ainsi,  je  suis  heureux  quand  même. 
—  Je  n'ai  pu  célébrer  la  sainte  Messe  que  le  dimanche 
et  non  sans  peine.  Ce  qui  m'est  le  plus  pénible,  c'est 
de  la  dire  très  mal,  avec  une  attention  confuse,  sur- 
tout vers  la  fin.  Ce  n'est  peut-être  pas  ma  faute, 
mais  c'est  bien  mal  honorer  de  si  grandes  choses. 
Prenez  mon  âme  avec  la  vôtre  quand  vous  montez 
au  saint  autel.  » 

Il  eut,  du  moins,  la  grande  joie  de  célébrer,  comme 
il  pouvait  le  désirer,  ses  noces  d'or  sacerdotales. 
Quelques  jours  auparavant,  il  écrivait  : 

«  Je  m'achemine  vers  mes  cinquante  ans  de  sacer- 
doce. Je  fus  ordonné  le  22  décembre  1863.  Que  de 
messes  dites  et  comment!  Je  tremble  à  cette  vue. 
Priez  de  plus  en  plus  pour  moi.  Je  suis  condamné  à 
la  réclusion.  11  faut  bien  quelque  souffrance,  sans  quoi 
on  se  croirait  oublié  de  Dieu.  » 

Ce  fut  une  très  douce  fête  pour  le  vénéré  jubilaire 
et  pour  sa  famille  spirituelle  qui  remplissait,  ce  jour-là, 
sa  petite  chapelle;  mais,  fête  sans  lendemain,  comme 
en  témoignent  ces  deux  extraits  de  lettres  : 

«  Je  suis  toujours  sans  messe  et  je  r'en  souffre  pas 
assez.  Quand  une  chose  est  manifestement"  impos- 
sible, je  dois  la  regarder  comme  étant  la  volonté  de 
Dieu  et,  je  l'avoue,  je  suis  plus  sensible  à  cette  pensée 
qu'à  la  privation.  » 

—  «  J'ai  passé  bien  tristement  les  fêtes  de  la  Pente- 
côte; mais  il  n'y  a  rien  au-dessus  de  la  volonté  de 


XL    

Dieu.  La  privation  de  la  messe  valail    peut-être  la 

messe,  en  mérite,  bien  entendis  % 

La  guerre  lui  fut  une  autre  source  d'épreuves. 

Depuis  longtemps,  il  était  affligé  des  maux  qui  tra- 
vaillaient le  pays.  11  suivait  avec  une  attention  sans 
cesse  en  éveil  et  de  plus  en  plus  inquiète  les  événe- 
ments qui  précipitaient  la  France  aux  abîmes.  L'ave- 
nir lui  paraissait  affreusement  sombre.  Quand  la  guerre 
éclata,  il  en  fut  attristé  à  un  tel  point  <me,  de  ce  jour, 
le  déclin  de  ses  forces  s'accéléra. 

«  Cette  horrible  guerre  nous  tient,  dit-il,  dans  un 
état  d'angoisses  qui  nous  mine  sourdement...  Que  de 
victimes  !  Et  les  plus  frappées  sont  celles  qui  pleu- 
rent leurs  morts  !  » 

M.  Beaudenom  ne  devait  pas  quitter  ce  monde  sans 
pleurer,  lui  aussi,  sur  des  morts  très  chers.  Le  27  fé- 
vrier 1915,  il  écrivait  à  un  jeune  prêtre  :  «  Vous  n'avez 
donc  pas  appris  la  mort  du  pauvre  H.  N.  !  Il  a  été  tué 
net  par  une  balle  au  front.  C'est  la  plus  belle  âme 
qu'on  pût  voir.  Il  avait  été  jugé  parfait  depuis  sa 
première  enfance...  Je  ne  peux  me  rappeler  sans  une 
vive  émotion-  ce  visage  si  doux,  ces  paroles  si  affec- 
tueuses, cette  impression  constante  dont  j'ai  joui  du- 
rant le  mois  passé  dans  sa  famille.  » 

A  quelques  jours  de  là,  consolant  ce  même  prêtre 
qui  s'était  montré  fort  affecté  de  la  mort  d'un  ami, 
il  écrivait  :  «  Je  comprends  d'autant  mieux  votre  dou- 
leur que  je  viens  de  passer  par  une  épreuve  de  ce 
genre  et  —  le  dirai-je?  —  plus  profonde  encore.  Un 
jeune  homme  que  j'ai  élevé  chez  moi,  à  Puteaux, 
depuis  qu'il  avait  l'âge  de  douze  ans,  et  qui  ne  m'a 
quitté  que  pour  le  service  militaire,  un  ami  d'H.  N.', 
n'a  échappé  à  la  mort  que  par  miracle...  Les  chirur- 
giens s'étonnent  qu'il  n'ait  pas  succombé...  J'ai  passé 
par  toutes  les  angoisses...  Et  il  va  repartir  !...  » 


Hélas  !  ces  angoisses  n'étaient  qu'un  prélude.  Après 
avoir  gagné  successivement  la  croix  de  guerre,  la  mé- 
daille militaire,  puis  les  galons  d'officier,  ce  jeune 
homme  tant  aimé  tomba,  lui  aussi,  à  l'ennemi.  La 
nouvelle  en  parvint  à  M.  Beauderiom  sur  son  lit  de 
mort  :  «  Je  suis  broyé  »,  disait-il  quelques  instants 
plus  tard.  Et,  comme  on  essayait  d'atténuer  la  viva- 
cité de  sa  peine  en  lui  disant  que  la  mort  avait  été 
heureusement  très  rapide  :  «  Dites  plutôt,  répondit-il 
en  appuyant  sur  ces  mots  :  «  Heureusement,  il  est 
«  mort  dans  des  sentiments  chrétiens.  » 

Si  les  deux  premières  années  de  guerre  qu'il  connut 
lui  apportèrent  de  très  vives  peines,  elles  ne  le  trou- 
vèrent cependant  jamais  renfermé  dans  sa  propre.dou- 
leur.  Jamais  M.  Beaudenom  n'eut  tant  à  cœur  de  par- 
tager les  angoisses  de  toutes  les  âmes  dont  il  était 
vraiment  le  père. 

C'est  ainsi  qu'en  juillet  1916,  il  se  rendit  auprès 
d'une  famille  particulièrement  éprouvée,  dans  l'espoir 
d'apaiser  une  immense  douleur.  Il  reçut  l'autorisa- 
tion de  célébrer  le  Saint  Sacrifice  dans  cette  maison 
désolée  :  apporter  aux  affligés  le  divin  Consola- 
teur, ce  fut  comme  le  geste  suprême  de  sa  charité 
sacerdotale,  quelques  semaines  seulement  avant  de 
quitter  ce  monde.  Le  bien  qu'il  opéra,  il  nous  le 
laisse  entrevoir,  sans  y  penser,  dans  cette  lettre  :  «  Il 
peut  se  faire  que  je  prolonge  un  séjour  qui  est  en 
tous  points  favorable  à  ma  santé  et,  si  je  veux  croire 
mes  bons  amis,  très  réconfortant  pour  eux  dans  leur 
désolation  extrême.  Je  vous  ai  dit  qu'ils  avaient 
perdu  un  fils  unique  à  la.  guerre  depuis  un  an.  Leurs 
larmes  re  cessent  pas  de  couler,  mais  leur  résigna- 
tion devient  de  plus  en  plus  profonde.  Ils  com- 
prennent que  s'absorber  dans  la  douleur  serait  donner 
à  Dieu  la  seconde  place,  et  ils  réagissent  de  toute 
leur  volonté  contre  ce  paitage.  Ils  veulent  que  Dieu 


XLII    


prenne  la  première  place,  mais  aussi  la  place  laissée 
vide...  D'où  un  élan  admirable  vers  une  grande 
union  à  Dieu  »... 

De  son  côté,  il  trouva  un  vrai  bonheur  à  être  entouré 
d'une  respectueuse  affection,  à  passer  quelques  belles 
journées  au  soleil. 

C'est  alors  qu'il  composa  sur  la  sainte  Cène  ses  der- 
nières méditations. 

Septembre  vint.  Il  rentra  à  Puteaux... 


* 


«  Je  voudrais  bien  voir  la  fin  "de  la  guerre  »,  répé- 
tait-il de  plus  en  plus.  C'est  l'aurore  du  jour  éternel 
qu'il  vit  poindre;  il  sentit  approcher  très  vite  cette 
heure  de  Dieu  que,  depuis  si  longtemps,  il  désirait. 
«  11  y  a  fin  à  tout,  écrit-il  en  octobre;  si  j'atteins  le 
23  novembre,  j'aurai  soixante-seize  ans;  je  veux  ne 
rien  désirer  :  beaucoup  de  choses  m'attirent  d'un  côté, 
et  beaucoup  me  retiennent  de  l'autre.  » 

«  Je  me  sens  vieillir  :  me  voilà  incapable  de  célé- 
brer la  sainte  Messe.  Si  Dieu  m'admet  dans  la  lumière 
de  son  visage,  que  de  splendeurs,  que  de  tressaille- 
ments et  que  d'actions  de  grâces  ! 

«  Quand  viendra  ce  beau  jour?  Il  aura  aussi  les 
tristesses  du  départ.  » 

Nous  saisissons  là  au  vif  la  délicatesse  de  ce  cœur 
sacerdotal  dont  l'impatience  croissante  de  voir  Dieu 
n'excluait  pas,  certes,  le  regret  d'abandonner  quelques 
âmes  dont  il  se  sentait  le  soutien  si  utile. 

C'est  ce  même  sentiment  qui  lui  avait  fait  souhai- 
ter de  suivre  dars  ses  méditations  Notre-Seigneur  jus- 
qu'à son  Ascension  : 

«  Vaste  carrière  de"méditations  délicieuses  et  fé- 
condes, nous  sera-t-il  permis  de  vous  parcourir  jus- 


—    XLIII   

qu'au  bout?  —  Divin  Maître,  divin  Ami,  nous  sera- 
t-il  donné  de  vivre  ainsi  votre  vie  d'autrefois  sur  la 
terre?  Atteindrons-nous  les  sublimes  étapes  delà  Pas- 
sion qui  arrache  des  cris  de  repentir  et  d'amour  et 
puis  de  la  Résurrection  si  chère  aux  âmes  intérieures  ? 
Vous  suivrons-nous,  ô  Jésus,  jusqu'au  ciel,  d'où  vous 
étendez  votre  vie  jusqu'à  nous?...  Hélas  !  la  route  est 
longue  et  la  vieillesse  a  ses  instants  comptés...   (1)   » 

C'est  le  20  novembre  qu'il  fut  pris  d'une  crise  de 
terribles  souffrances.  Pendant  trois  jours  et  trois  nuits, 
ce  fut  un  véritable  martyre.  Il  nous  en  parla  ainsi 
quand  nous  arrivâmes  à  son  chevet  :  «  Je  croyais 
auparavant  connaître  la  souffrance...  Ce  n'était  rien, 
en  comparaison  de  ce  que  je  viens  d'éprouver  :  des 
ruisseaux  de  feu  couraient  dans  mes  membres...  J'ai 
pu  ainsi  m'unir  enfin  aux  souffrances  de  Notre-Sei- 
gneur  durant  son  agonie...  Qu'il  est  bon!  Par  ces 
souffrances,  Il  me  permet  de  me  purifier...  Mais 
priez,  priez  beaucoup  ;  car,  si  je  devais  ressentir  encore 
de  pareilles  douleurs,  il  me  faudrait  une  grâce  toute 
spéciale  pour  les  supporter  avec  sérénité.  » 

«  Dans  quelques  jours,  on  vous  dira  :  ça  va  mal  ! 
—  Alors,  vous,  dites  :  ça  va  bien  !  la  volonté  de  Dieu 
s'accomplit.  » 

Ses  derniers  jours  furent  remplis  des  actes  conti- 
nuels d'un  abandon  total  à  la  volonté  de  Dieu.  L'image 
de  Jésus  s'achevait  en  lui.  A  l'exemple  du  Maître,  il 
allait,  mourir  dans  un  état  d'extrême  douleur,  et 
cela,  sans  une  plainte,  heureux  même  de  se  sentir 
attaché  à  la  croix. 

Il  accepta,  lorsqu'il  le  fallut,  les  secours  indis- 
pensables, sans  se  départir  jamais  do  la  plus 
délicate    réserve.    Incapable    de    se    mouvoir     sans 

1)  Méditations,  t.  I,  p.  6. 


—   XLIV    — 

d'extrêmes  souffrances,  pendant  quatre  semaines  il 
ne  toléra  cependant  personne,  la  nuit,  à  son  chevet; 
ce  sera  seulement  l' avant-dernière  que,  sur  l'ordre 
formel  du  médecin,  et  sachant  son  trépas  à  tout  instant 
possible,  il  consentira  enfin  à  être  veillé. 

Une  semaine  entière,  il  se  prépara  à  recevoir  l'Ex- 
trême-Onction,  avec  des  sentiments  de  confusion  pro- 
fonde et  de  joie  émue.  Cette  cérémonie  eut  lieu  au 
matin  de  l'Immaculée-Conception.  Ce  fut  une  vraie 
fête. 

Dans  sa  chambre,  on  avait  dressé,  couvert  de  fleurs 
et  de  lumières,  l'autel  sur  lequel  il  avait  célébré  ses 
messes  des  dernières  années.  Entouré  de  quelques-unes 
des  âmes  dont  il  était  le  père  tant  aimé,  il  avait  plus 
que  jamais  cet  air  de  dignité,  de  recueillement,  d'union 
à  Dieu,  qui  inspirait  tant  de  vénération  à  ceux  qui 
l'approchaient.  Le  soir,  il  dit  :  «  Quelle  belle  journée 
passée  en  présence  de  la  Sainte  Trinité  !  Ah  !  quelle 
joie  lorsque  je  me  réveillerai  au  Ciel  !  Je  verrai  Dieu, 
Notre-Seigneur,  la  Sainte  Vierge  et  tous  ceux  que  j'ai 
aimés.  » 

Tant  qu'il  le  put,  avec  sa  simplicité  touchante, 
il  admit,  quelques  instants,  près  de  lui,  chacune  des 
personnes  qui,  affligées  de  son  départ,  venaient  prendre 
de  ses  nouvelles  et  le  revoir  une  dernière  fois.  Lorsque, 
par  suite  de  sa  faiblesse  extrême,  ce  fut  devenu  impos- 
sible, il  Fit  cette  recommandation  :  «  Dites  aux  per- 
sonnes que  vous  me  nommez  qu'une  de  mes  souffrances 
est  de  ne  pouvoir  leur  exprimer  moi-même  tous  mes 
sentiments.  Je  les  bénis,  et  j'espère  de  la  miséricorde 
divine  que  je  leur  serai  plus  utile  là-haut  que  sur  la 
terre.  A  toutes  dites  au  revoir.  » 

L'une  de  ses  dernières  paroles,  digne  d'être  consi- 
dérée comme  son  testament  spirituel,  fut  celle-ci  : 
«  La  volonté  divine,  c'est  là  toute  ma  voie...  M'unir  à 


cette  volonté,  c'est  ma  seule  application...  Être  sur 
la  croix  avec  Notre-Seigneur,  quelle  grâce!..  » 

C'est  en  de  si  parfaites  dispositions  qu'au  matin  du 
jeudi  21  décembre  1916,  veille  de  son  53e  anniver- 
saire de  sacerdoce,  après  une  calme  agonie,  ce  saint 
prêtre  trépassa. 

Dans  la  nécrologie  de  plusieurs  journaux  on  fit 
insérer  le-nom  de  M.  le  chanoine  Beaudenom  et  la  date 
de  ses  obsèques.  Mais  ce  nom  était  celui  d'un  inconnu, 
il  n'éveilla  aucunement  l'attention  du  public;  et,  le 
surlendemain,  de  la  maison  mortuaire  à  l'église  et  au 
cimetière  de  Puteaux,  ce  fut  un  très  modeste  cortège 
qui  accompagna  les  restes  mortels  de  ce  grand  humble. 
Tel  il  avait  voulu  être  toutTe  long  de  son  existence, 
tel  il  fut  dans  la  mort. 

C'est  la  dernière  leçon  que  nous  reçûmes  de  lui. 
Elle  fut,  à  nos  yeux,  comme  la  consécration  authen- 
tique des  plus  beaux  exemples  de  sa  vie  entière.  Nous 
la  transmettons  aujourd'hui  aux  âmes  innombrables 
qui,  vivant  de  ses  enseignements,  voudront  imiter  ses 
vertus. 

Un  de  ses  fils  spirituels. 


PRÉFACE 


Nous  croyons  devoir  présenter  ici  au  lecteur  quelques 
précisions  d'ordre  pratique  sur  la  composition  de  ce 
recueil. 

Tout  d'abord,  nous  tenons  à  déclarer  que  sont  seules 
publiées  les  lettres  qui  nous  ont  été  communiquées 
directement  et  à  cette  fin  par  les  personnes  auxquelles 
M.  Vabbé  Beaudenom  les  adressa.  Elles  nous  sont  par- 
venues la  plupart  en  authentiques,  les  autres  sous  forme 
de  copies  dont  on  nous  a  certifié  la  parfaite  exactitude. 

Sur  la  demande  expresse  et  unanime  de  leurs  posses- 
seurs, ces  lettres  paraissent  sans  noms  propres  de  lieux  ni 
de  personnes,  sans  dates  non  plus  :  ces  indications,  sans 
doute,  leur  auraient  donné  cet  intérêt  d'actualité  dont  le 
public  se  montre  volontiers  curieux,  mais  elles  auraient 
en  même  temps  rendu  possibles  d' indiscrètes  recherches 
d' identification.  Loin  de  nous  le  reprocher,  le  lecteur 
comprendra  que  nous  ayons  scrupuleusement  respecté 
cette  légitime  exigence  et  il  s'associera  à  notre  hommage 
de  vive  gratitude  à  l'endroit  de  toutes  les  personnes  qui, 
pour  honorer  la  mémoire  de  M.  Beaudenom  et  étendre  son 
apostolat,  ont  consenti  à  se  dessaisir  de  ces  précieux 
documents. 

D'autre  part,  nous  avons  veillé  avec  le  plus  grand 

4 


—    XLVIIÎ    — 

soin  à  maintenir  intactes  toute  la  portée  générale  et  la 
valeur  durable  de  ces  lettres  dont  l'ensemble  constitue  un 
pratique  et  vivant  traité  de  spiritualité.  Si  ce  traité  n'est 
pas  complet,  ni  rigoureusement  ordonné,  ce  qui  était 
impossible,  nous  croyons,  du  moins,  que  toutes  les 
âmes  trouveront  dans  ces  pages  —  vu  leur  abondance  et 
leur  variété  —  des  directions  appropriées  aux  divers 
états  par  lesquels  elles  peuvent  passer. 

Ces  lettres  sont  réparties  en  vingt  séries,  qui  corres- 
pondent au  nombre  des  divers  destinataires,  chaque 
série  représentant  un  ensemble  de  lettres  adressées  à  une 
même  personne. 

Une  table  analytique  placée  à  la  fin  du  volume  indi- 
que sommairement  le  contenu  de  chaque  lettre  et  facili- 
tera ainsi  les  recherches  du  lecteur. 


WMwmmMMMM 


LETTRES 


PREMIERE    SERIE 


I\Ia  chère  cnfanl, 

Ce  petit  mot  vous  portera  du  moins  mon  souvenir  !  Je 
m'appartiens  si  peu  ici  que  je  suis  en  retard  avec  tout  le 
monde.  Il  me  reste  par  exemple  le  temps  de  penser  à 
chacune  des  âmes  qui  me  sont  chères;  la  vôtre  m'est  donc 
très  présente  et  je  vous  assure  que  l'isolement  où  je  ta 
sens  m'est  douloureux.  Ah  !  quand  cet  isolement  sera 
plein  de  Dieu  !  quand  il  vous  tardera  de  vous  trouver 
seule  pour  être  toute  à  Lui,  vous  ne  direz  plus  :  que  je 
m'ennuie  !  Vous  ne  sentirez  pas  cette  aigreur  qui  monte 
à  votre  cœur,  si  bon  pourtant.  C'est  que  les  meilleures 
choses  ont  besoin  d'avoir  leur  satisfaction  :  la  plante  ne 
pousse  bien  qu'au  soleil,  l'âme  ne  s'épanouit  que  dans 
l'amour. 

Pour  les  affections  humaines,  il  y  a,  comme  pour  les 
fleurs  des  champs,  si  fragiles,  un  moment  où  elles  s'épa- 
nouissent; ce  moment  est  court;  le  lendemain,  plante  et 
Heurs  coupées  se  sont  desséchées.  Pour  le  cœur,  tel  qui; 
Dieu  l'a  fait,  il  faut  la  durée,  il  faut  par  conséquent  Lui- 
même. 

Toutefois,  ma  chère  enfant,  ne  vous  attendez  pas  à 
(1rs  jouissances    complètes,  même   de   ce   côté-là.    Nous 


sommes  dans  l'exil,  nous  sommes  dans  l'épreuve,  nos 
joies  ont  ce  je  ne  sais  quoi  de  triste  et  d'incomplet.  Il  le 
faut  :  ici-bas  nous  sommes  les  disciples  du  Christ,  et  c'est 
sur  le  chemin  du  Calvaire  que  nous  avons  à  marcher 
comme  Lui.  Notre  vraie  joie  doit  être  de  marcher  avec  Lui. 
Ah  !  si  vous  aviez  le  bonheur  d'être  du  nombre  des  saintes 
femmes  appelées  à  le  servir  durant  la  prédication  de 
l'Evangile  et  plus  tard  à  le  consoler  au  Calvaire,  je  vous 
vois  d'ici  les  yeux  pleins  de  larmes,  le  cœur  plein  d'en- 
thousiasme, tout  attachée  aux  pas  de  Jésus...  Eh  bien 
pourquoi  ne  pas  le  suivre  dans  le  mystère  de  sa  vie  avec 
nous.  Là,  comme  en  Judée,  Il  nous  voit,  Il  nous  aime. 
Là  aussi  son  cœur  demeure  sensible  à  notre  affection. 
Là  encore  notre  zèle  est  efficace,  car  Jésus  a  besoin  de 
notre  coopération.  Cette  coopération  consiste  surtout  dans 
des  prières  pour  les  autres,  car  tout  a  été  promis  à  la 
prière  et  Dieu  l'aime  tant  qu'il  en  fait  la  principale  con- 
dition de  ses  grâces.  Donnez  à  Jésus  le  moyen  d'appliquer 
les  fruits  de  sa  Passion  et  de  pouvoir  ouvrir  ses  bras  à 
de  nouveaux  enfants  prodigues. 

Quand  vous  l'aimerez,  vous  comprendrez  beaucoup 
de  choses,  et  quand  vous  l'aimerez  assez  pour  l'aimer 
dans  le  prochain  quel  qu'il  soit,  vous  reconnaîtrez  que 
vous  êtes  dans  la  voie,  la  véritable  voie;  alors  vous  n'au- 
rez plus  de  ces  ennuis  et  de  ces  révoltes  qui  vous  rendent 
malheureuse  et  sous  la  douce  lumière  de  l'amour  divin 
tout  vous  paraîtra  digne  d'être  aimé,  plaint  et  secouru. 

Courage  et  espoir  !  aspirez  à  Dieu  telle  que  vous  êtes. 
Il  est  le  père  de  la  miséricorde  et  si  vous  n'êtes  pas  bonne 
encore,  n'importe,  ses  bras  vous  restent  ouverts  pour 
peu  que  vous  lui  promettiez  d'être  plus  sage. 


Il 

-  Ma  chère  enfant, 

J'ai  vu  parfois  dans  les  jardins,  de  petits  enfants  se 
dérider  à  former  un  parterre.  Ils  prenaient  des  pîeds  de 


fleurs  diverses  et  avec  soin  les  mettaient  en  terre.  Pen- 
dant quelques  heures  (et  c'était  beaucoup)  ils  les  arro- 
saient et  les  regardaient.  Pour  les  fleurs,  ils  attendaient 
au  lendemain,  mais  alors  n'y  pouvant  résister,  ils  cé- 
daient à  la  tentation  de  découragement  parce  que  les 
feuilles  restaient  pendantes  et  les  tiges  tristement  cour- 
bées; alors  dans  leur  désespoir,  et  leur  curiosité,  ils  les 
arrachaient  pour  voir  si  du  moins  les  racines  avaient  pris... 

Qu'une  grande  et  chère  enfant  ne  se  froisse  pas  de  cet 
apologue,  beaucoup  de  ses  sœurs  comme  elle  ont  connu 
les  hâtes  excessives  d'une  bonne  volonté  qui  n'attend 
pas  l'heure  de  Dieu,  et,  par  son  découragement,  détruit 
une  oeuvre  bien  commencée. 

Ma  chère  enfant,  nous  ne  jugerons  logiquement  la 
vie  qu'en  la  regardant  à  la  place  qu'elle  doit  occuper. 
C'est  un  tout  petit  vestibule  du  ciel  et  nous  en  voudrions 
faire  une  demeure.  Elle  est  une  longue  campagne  de 
conquêtes  et  nous  espérons  toujours  qu'un  assaut  de 
ferveur  suffira.  Ce  n'est  qu'au  terme  de  l'existence  que 
nous  pourrons  juger  le  plan  de  Dieu.  Nous  sommes  de 
pauvres  êtres  blessés  et  meurtris  jusque  dans  leur  pro- 
fondeur, et  nous  nous  étonnons  de  ne  pas  nous  trouver 
guéris  et  forts  dès  que  nous  voulons  être  meilleurs. 

Si  nous  comprenions  bien  le  but  du  divin  Sauveur  en 
venant  ici-bas  et  si  nous  savions  bien  apprécier  ce  que 
valent  ses  souffrances,  nous  oserions  à  peine  lui  demander 
les  biens  et  les  soulagements  de  ce  monde.  Oserions-nous 
lui  dire  :  par  vos  mains  ensanglantées,  par  vos  atroces 
souffrances,  faites  que  je  ne  souffre  plus  !  faites  que  j'ob- 
tienne tout  bien-être  !  Oh  !  ces  plaies  sacrées  !  mais  elles 
veulent  une  œuvre  plus  haute,  plus  durable  !  Elles  méri- 
tent l'infini  bonheur  et  c'est  les  rabaisser  que  de  leur 
demander  le  repos  passager  !  Avec  ses  douleurs,  vou- 
driez-vous  faire  vos  joies? 

Ne  sentez-vous  pas,  ma  chère  enfant,  que  Jésus  a  tracé 
une  voie;  qu'il  s'est  fait  le  compagnon  de  nos  douleurs 
pour  nous  les  faire  porter,  non  pour  nous  les  enlever, 
car  elles  sont  notre  richesse.  Leur  poids  dit  leur  valeur, 
et  nos  souffrances,  par  leur  vivacité,  indiquent  quel  sera 


notre  bonheur  un  jour.  Ne  demandons  pas  de  ne  pas 

souffrir. 

Je  me  laisse  aller  à  vous  dire  ces  choses  parce  que  vous 
êtes  appelée  à  les  comprendre  et  à  y  trouver  votre  grandeur 
et  votre  repos.  Actuellement,  elles  vous  font  sourire  et 
facilement  provoquent  quelques  instinctives  révoltes. 
Je  ne  m'en  épouvante  pas;  je  sais  tout  le  riche  fonds 
qu'il  y  a  dans  votre  généreuse  nature.  Il  a  été  décidé  dans 
le  cœur  de  Jésus,  au  jour  du  Calvaire,  que  vous  devien- 
driez une  alliée  du  divin  Crucifié.  Vous  êtes  attendue, 
vous  résisterez,  mais  non  pas  toujours!  Oh!  faites  que  ce 
soit  court  ! 

Venez  me  trouver  plus  souvent.  Saisissez  l'occasion  de 
ce  mois  de  mai  pour  aller  à  Jésus.  Vous  êtes  l'enfant 
aimée  et  attendue.  Ne  vous  croyez  pas  si  coupable  dans 
vos  murmures,  ce  sont  de  vrais  gémissements  entourés 
de  quelque  amertume,  ne  gardez  que  les  gémissements 
et  unissez-les  à  tous  les  sanglots  de  la  divine  agoni''. 

Je  vous  bénis,  ma  chère  fille,  et  vous  prie  de  croire  à 
mes  sentiments  de  paternelle  affection. 


III 

Ma  chère  enfant, 

Ne  vous  excusez  jamais  de  votre  franchise  auprès 
de  moi;  c'est  une  qualité  que  j'aime  par-dessus  tout  et 
vous  vous  exposez  à  recevoir  des  compliments  !  Au  reste 
tout  n'est  pas  profit  dans  cette  manière  d'agir,  car  elle 
donne  le  droit  de  répondre  par  de  dures  vérités...  s'il  y  en 
a  à  dire.  Ce  n'est  pas  le  cas,  je  ne  fais  que  vous  compren- 
dre et  vous  plaindre.  Vos  murmures  ne  sont  que  des  cris 
de  souffrance  et  les  obscurités  qui  vous  troublent  vien- 
nent de  ce  que  vos  pauvres  yeux  sont  trop  pleins  de  lar- 
mes. Un  peu  de  bonheur  répondrait  à  bien  des  objections 
et.  pourtant,  rien  ne  serait  changé  dans  l'ordre  général  des 
choses!  Mais,  chère  enfant,  laissons  là  cette  philosophie 
fort  belle  qui  ne  fait  que  des  résignés  et  approchons-nous 


—  5  — 

de  Notre-Seigneur.  Voyez  le  doux  Maître  plein  de  bonté. 
Il  tient  les  jeux  fixés  sur  sa  chère  enfant  et,  de  sa  voix 
qui  garde  un  écho  d'amour,  il  lui  dit  :  «  Si  quelqu'un 
veut  venir  après  moi  qu'il  se  renonce,  porte  sa  croix 
et  me  suive.  » 

Méditez  cette  scène  et  ces  paroles,  vous  y  trouverez  le 
secret  de  la  vie  chrétienne  qui  va  jusqu'à  la  passion  pour 
les  souffrances.  Plus  on  se  renonce,  mieux  on  porte  sa 
croix  et  plus  on  est  avec  lui,  plus  on  est  près  de  Lui, 
comme  les  fidèles  qui  se  disputent  à  qui  marchera  sur  les 
traces  de  ses  pas. 

Ne  savez-vous  pas  que  Jésus  est  venu  pour  nous 
apprendre  à  mépriser  ce  qui  est  de  la  terre.  Il  nous 
a  dit  que  nous  sommes  trop  grands  pour  y  mettre 
notre  bonheur,  notre  idéal.  Ne  sait-il  pas  aussi  que  notre 
nature  déchue  ne  peut  se  relever  que  par  l'effort  et  répa- 
rer que  par  la  peine.  Ne  nous  a-t-il  pas  ordonné  d'aimer 
le  prochain  comme  lui-même  l'a  aimé,  comme  nous  l'ai- 
merions lui-même;  et  pour  que  le  prochain  (telle  personne 
aimée,  telle  âme  ignorée)  parvienne  à  connaître  Dieu,  il 
faut  que  sa  rançon  soit  payée  par  quelqu'un.  Si  ce  quel- 
qu'un était  vous  !  La  vie  qui  vous  est  faite  en  ce  moment 
vous  en  donne  le  moyen. 

Ah  !  tout  simplement,  abandonnez-vous  à  Jésus,  lais- 
sez-le faire  ce  qu'il  voudra  de  votre  vie  et  de  vos  joies.  Ne 
craignez  rien;  acceptez  tout,  comme  on  accepte  ce  qui 
vient  d'une  personne  dont  on  est  aimé  passionnément. 
Si  vous  obtenez  enfin  d'aimer  et  d'être  aimée  ainsi,  rien 
ne  vous  manquera  et  aucune  peine  ne  vous  paraîtra  dure. 

Vous  sentez  ces  choses,  vous  vous  soulevez  dans  cette 
belle  perspective,  vous  voulez  ce  que  je  dis  et  voilà 
qu'une  heure  plus  tard,  toute  votre  émotion  est  tombée 
et  l'accablement  vous  ressaisit,  et  vous  vous  troublez,  et 
vous  croyez  que  tout  est  perdu;  ma  chère  enfant,  c'est  une 
expérience  à  prendre,  et  pour  vous  y  aider  je  vais  vous 
expliquer  un  très  simple  phénomène. 

Vos  aspirations  sont  très  réelles;  votre  choix  de  Dieu  et 
de  sa  volonté  à  ce  moment  est  chose  certaine  ;  mais  comme 
l'entraînement  d'une  pensée  élevée  ou  d'un  sentiment 


-—  6  — 

noble  a  été  pour  beaucoup  dans  votre  contentement, 
vous  vous  trouvez  ensuite  sans  cet  entraînement  et  livrée 
à  votre  seule  résolution...  et  l'habitude  du  chagrin  vous 
ressaisit  parce  qu'elle  est  au  fond  de  votre  nature,  et,  sous 
son  influence,  vous  vous  persuadez  que  votre  disposi- 
tion précédente  était  exaltation  pure  et  que  par  consé- 
quent elle  est  disparue.  Non,  elle  n'est  pas  perdue  le- 
moins  du  monde,  elle  est  seulement  réduite  au  vouloir  qui 
persévère.  En  un  mot,  vous  confondez  détermination  et 
impression.  Puissiez-vous  ne  mettre  qu'un  an  pour  bien 
apprendre  cette  leçon,  je  ne  vous  ménage  pas  le  temps! 
Peut-être  devancerez-vous  l'époque,  car  vous  êtes  une 
bonne  élève.  Il  suffit  que  vous  y  mettiez  la  belle  ardeur 
de- votre  nature;  et  pour  simplifier  encore  davantage,  il 
suffit  que  vous  soyez  une  enfant  docile  à  ce  que  je  cous 
dis.  La  confiance  que  vous  me  donnerez  sera  votre  plus 
grande  force.  Si  elle  est  assez  résolue  pour  vous  faire 
couper  court  à  toutes  les  impressions  contraires  et  vous 
fixer  dans  les  espérances  que  je  vous  ouvre,  votre  point 
d'appui  solide  sera  trouvé. 

Si  vous  êtes  ainsi,  au  lieu  de  vous  arrêter  aux  pensées 
amères  et  découragées  que  le  démon  vous  soufflera,  vous 
vous  redirez  les  paroles  que  Dieu  a  mises,  pour  vous,  sur 
mes  lèvres  ou  dans  ces  lignes,  et  quelles  que  soient  vos 
envies  de  vous  attrister  ou  de  fronder,  vous  vous  main- 
tiendrez dans  la  voie  indiquée  par  l'obéissance.  La  paix 
est  là  ainsi  que  le  progrès  et  finalement  l'amour  de  Jésus 
qui,  un  jour,  vous  remplira  le  cœur. 


IV 

Ma  chère  enfant, 

Quel  remords  ne  va  pas  être  le  vôtre,  quand  vous  allez 
savoir  toute  la  vérité  !  M.  M.  m'a  rappelé  au  moins 
deux  fois  le  petit  livre  promis  sur  l'humilité;  elle  l'a  fait 
avec  instance,  me  disant  que  vous  auriez  de  la  peine 
d'un  long  retard. 


...  C'est  donc  pour  me  mettre  à  couvert  de  votre  cour- 
roux qu'elle  s'est  armée  du  bouclier  du  silence  qu'elle  a 
tendu  entièrement  de  mon  côté;  or  comme  cela  n'est  pas 
juste,  j'exige  que  vos  traits  arrivent  jusqu'au  coupable. 
—  Puisque  le  coupable  avoue,  vous  lui  permettrez  bien  de 
plaider  sa  cause.  Je  n'ai  plus  un  seul  exemplaire  du  dit 
ouvrage  et,  pour  m'en  procurer,  j'attendais  d'aller  à  la 
librairie.  Ce  voyage  ne  peut  tarder;  donc  rassurez- 
vous  sur  le  fait,  comme  vous  l'êtes  maintenant  sur  les 
intentions.  Peut-être  la  Providence  a-t-elle  permis  ce 
retard  pour  ménager  meilleur  accueil  à  un  petit  livre 
qui  se  recommande  moins  de  lui-même. 

Morale  :  avec  les  braves  gens,  il  faut  toujours  juger  en 
bien,  c'est  le  moyen  de  ne  pas  se  tromper. 

Nous  nous  occuperons  de  vos  beaux  projets  pour  la 
visite  des  pauvres,  je  les  approuve  de  tout  cœur  en  prin- 
cipe. Pour  le  petit  malade,  M.  m'a  fait  connaître  votre 
désir,  je  serai  franc  comme  toujours.  Sa  mère  est  si  mal- 
heureuse qu'elle  s'irrite  contre  tout,  même  contre  Dieu, 
et  ses  arguments  parlants  crient  si  fort  pour  les  infinies 
misères  de  ces  pauvres  petits  que  je  me  demande  si  vous 
saurez  vous  tirer  de  la  difficulté  et  tenir  ferme  le  drapeau 
de  la  soumission  à  la  Providence.  Dans  quelque  temps, 
quand  vous  aurez  bien  compris  pour  vous-même  ce  mys- 
tère de  la  souffrance,  et  que  vous  commencerez  à 
aimer  la  croix,  vous  serez  merveilleusement  propre  à 
cet  office,  et  personne  ne  saura  mieux  convertir  les  autres 
qu'une  convertie.  Encore  pour  cela,  que  votre  colère 
retombe  sur  moi  !  M.  n'a  agi  que  sur  mes  conseils.  Pour- 
quoi en  effet,  vous  trouvant  près  de  moi,  n'être  pas  venue 
me  demander  Notre-Seigneur?  Habituellement,  il  faut 
une  préparation  de  quelques  jours  pour  le  recevoir,  quand 
on  ne  le  reçoit  pas  très  fréquemment  :  toutefois  quand 
on  se  sent  l'envie  de  lui  parler  de  plus  près,  de  lui  confier 
ses  peines  tout  bas,  on  peut  sans  crainte  se  passer  de  toute 
autre  préparation,  celle-là  est  la  meilleure,  les  autres 
n'ont  pour  but  que  de  la  provoquer,  car  elles  ne  sau-' 
raient  être  une  formalité. 

Je  bénis  Dieu  des  immenses  progrès  que  fait  votre 


âme  dans  le  désir  de  son  amour.  Que  ce  qui  est  tout  vous 
suffise  !  c'est  un  bien  juste  vœu,  n'est-ce  pas  !  il  suffit 
de  le  comprendre  à  fond  et  tout  est  gagné  :  générosité, 
confiance,   résignation... 


V 


Ma  chère  enfant, 


Vous  accordez  au  bon  Dieu  un  crédit  par  trop  limité 
et  un  peu  trop  impératif.  «  J'ai  fait  ce  que  j'ai  pu,  dites- 
vous,  et  je  n'ai  reçu  aucune  consolation.  »  A  mon  tour, 
je  vous  demande  :  depuis  combien  de  temps  avez-vous 
fait  toutes  ces  merveilles?  Depuis  un  an?  admettons.  Ne 
faudrait-il  pas  défalquer  de  ce  compte  les  semaines 
moins  bonnes,  et  ne  serait-il  pas  juste  de  mettre,  dans  un 
des  plateaux  de  la  balance,  les  semaines  un  peu...  décou- 
ragées? Je  m'imagine  que,  si  Dieu  établissait  nettement 
les  comptes,  vous  éprouveriez  quelque  étonnement. 
Mais  ne  parlons  pas  de  comptes  avec  un  Père,  parlons 
d'affection.  Eh  bien,  sur  ce  terrain,  lequel  a  le  plus  aimé? 
Celui  qui,  silencieusement,  est  mort  pour  vous,  plus 
silencieusement  encore  reste  près  de  vous  au  Taberna- 
cle. Ah  !  ma  chère  enfant,  nous  demandons  des  signes  dans 
le  Ciel,  comme  les  Juifs,  et  nous  ne  regardons  pas  les 
signes  plus  manifestes  de  ce  grand  amour!  Nous  exigeons 
des  consolations!  et  de  qui  les  attendons-nous?  au  nom 
de  qui  les  demandons-nous?  Jésus  nous  dit  :  «  Si  quelqu'un 
veut  venir  après  moi,  qu'il  se  renonce  et  porte  sa  croix, 
et  nous  voudrions  être  soulagés  et  consolés,  et  nous 
dirions  :  je  vous  demande  la  consolation  en  vertu  de  vos 
douleurs,  de  voire  sang  répandu,  de  votre  mort  cruelle  ! 
Est-ce  pour  créer  des  égoïstes  que  Jésus  a  tant  aimé  et 
qu'il  a  communiqué  à  nos  âmes  sa  vie  surnaturelle?  Un 
jour  viendra  où  votre  âme,  si  généreuse  en  son  fond,  ne 
comprendra  pas  qu'elle  se  soit  exprimée  ainsi  et  qu'elle 
ait  fait  à  Dieu  le  reproche  de  la  laisser  souffrir.  S'il  y 
avait  quelque  chose  de  meilleur  que  la  souffrance,  ne 
l'eût-il  pas  donnée  à  son  Fils,,  à  la  Sainte  Yierge,  aux  saints? 


—  9  — 

Laisserez-vous  des  âmes  nombreuses  (et  j'en  connais) 
supplier  ce  même  Dieu  de  leur  faire  large  leur  part  de 
souffrance  pour  être  plus  semblables  à  Jésus,  pour  expier 
avec  Lui.  Elles  aiment  la  hauteur  du  Calvaire  et  elles 
savent  que  c'est  là  qu'on  acquiert  ses  titres  de  noblesse. 
Redevenez  donc  tout  à  fait,  ma  chère  enfant,  la  créa- 
ture bonne,  généreuse,  élevée  que  vous  êtes  et  que  vous 
avez  été  pleinement  à  certaines  heures,  redevenez-la  pour 
tout  à  fait.  Ne  dites  plus  jamais  de  ces  tristes  pourquoi, 
ne  refusez  plus  jamais  un  crédit  illimité  à  Celui  qui  n'ayant 
aucun  besoin  de  nous,  désire  vivement  notre  amour. 
Ne  songez  qu'à  aimer  pour  être  aimée.  S'il  y  faut  des 
années,  donnez  des  années,  et  ce  sera  peu  en  comparaison 
du  résultat.  Apprenez,  ma  chère  enfant,  la  route  du  Cal- 
vaire si  vous  voulez  aller  a  Jésus.  Je  ne  sais  point  d'autre 
chemin,  je  serai  là  pour  vous  soutenir. 


VI 

Ma  chère  enfant, 

Il  est  très  heureux  que  vous  ne  soyez  pas  un  homme, 
car  vous  n'en  auriez  pas  la  bravoure  !  Vous  voilà  à  com- 
pulser encore  vos  impressions  pour  en  tirer  des  conclu- 
sions, comme  si  les  impressions  n'étaient  pas  des  phéno- 
mènes continuellement  sujets  à  caution.  Souvent,  il 
suffit  de  craindre  qu'une  impression  arrive  pour  qu'on  la 
fasse  naître.  Vous  avez  donc  été  privée  de  consolation, 
ma  pauvre  et  chère  enfant,  et  vous  en  avez  conclu  que 
votre  communion  était  suspecte.  Pourquoi?  je  vous  prie. 
Ah  !  si  vous  aviez  vu  de  près  comme  moi  des  âmes  admi- 
rables, et  pourtant  privées  de  toute  consolation  durant  d«s 
années  !  Et  elles  se  rendaient  chaque  jour  aux  pieds  de 
Dieu  pour  l'oraison,  chaque  jour  encore  à  la  sainte  table, 
sur  l'avis  de  leur  directeur,  et  elles  ne  négligeaient  aucun 
de  leurs  devoirs,  quoiqu'ils  fussent  pour  elles  sans  goiit. 
Et  je  parle  de  personnes  du  monde  et  du  grand  monde, 
où  parfois  l'on  est  très  généreux  ! 


—  10  — 

Dieu  no  vous  demandera  pas  ce  que  vous  avez  senti, 
mais  ce  que  vous  avez  fait.  Voilà  ce  que  je  ne  me  lasserai 
pas  de  vous  répéter,  jusqu'à  ce  que  l'épreuve  ne  vous 
trouble  plus. 

Si  vous  m'en  croyez,  voilà  à  ce  sujet  la  prière  que  vous 
ferez  :  «  O  mon  Dieu,  si  la  consolation  près  de  vous  m'est 
«  utile,  donnez-la  moi  pour  que  je  vous  aime  mieux,  et 
«  certainement  vous  le  ferez,  quoique  je  ne  vous  la  de- 
«  mande  pas  pour  en  jouir;  de  sorte  que  si  vous  ne  me 
«  la  donnez  pas,  je  penserai  que  votre  intention  est  de 
«  me  soutenir  de  tout  autre  manière  et  je  me  ferai  con- 
«  tente,  malgré  tout.  » 

S'il  vous  vient  aussi  parfois  le  souvenir  d'une  vie  où 
Dieu  n'a  pas  eu  encore  beaucoup  à  récompenser,  faites- 
vous  bien  humble,  n'exigez  rien;  soyez  contente  du  peu 
qu'il  vous  donne  et  concevez  le  désir  de  bien  obéir  et 
d'être  bien  fidèle  pour  vous  faire  aimer  et  peut-être  un 
jour  consoler.  Ne  portez  pas  envie  aux  consolations  des 
bonnes  âmes,  mais  à  leur  humilité,  à  leur  générosité,  à 
leur  fidélité  dans  la  prière  et  leurs  résolutions  saintes. 

Ne  multipliez  pas  les  prières  proprement  dites,  mais 
soyez  très  souvent  près  de  Dieu  par  la  pensée;  laissez 
alors  parler  votre  cœur  par  un  mot  filial,  fût-il  le  plus 
original  du  monde.  Dieu  comprend  le  fond  de  tous  les 
langages. 

Je  bénis  ma  chère  enfant. 


VII 

Ma  chère  enfant, 

•Heureusement  votre  cas  n'est  pas  grave  et  Dieu  pourra 
encore  se  justifier!  sans  quoi  la  grève  serait  générale, 
je  crois  ! 

Ne  voyez-vous  pas,  que  vous  vous  laissez  rouler  par 
le  démon.  Il  a  vu  votre  très  grande  bonne  volonté;  il 
connaît  votre  droiture;  il  sait  qu'une  fois  bien  à  Dieu, 
vous  ferez  merveille  en  son  amour.  Son  but  est  de  vous 


—  11  — 

détourner  et  de  vous  décourager.  Je  dois  reconnaître 
qu'avec  vous  il  ne  se  met  pas  en  frais.  Le  même  épou- 
vantail  agité  lui  suffit.  C'est  toujours  du  côté  de  la  con- 
fiance en  Dieu  qu'il  cherche  à  vous  effrayer,  car  pour  une 
âme  comme  la  vôtre,  tout  est  là.  Il  fait  surgir  de  petits 
défauts  de  mémoire,  de  petits  contre-temps  et  il  raisonne 
ainsi  dans  votre  propre  esprit  :  Puisque  le  bon  Dieu 
permet  ces  choses,  c'est  qu'il  m'abandonne. 

Savez-vous  ce  que  je  réponds  :  Dieu  permet  ces  choses 
pour  éprouver  votre  confiance;  vos  chemins  de  croix 
étaient  excellents  comme  prière  et  excellents  aussi 
comme  union  aux  souffrances  du  divin  Maître  par  la 
souffrance  de  l'imperfection  involontaire  dont  vous  vous 
lamentez. 

La  confiance,  ma  chère  enfant,  est  chose  trop  sérieuse 
pour  la  faire  dépendre  de  telle  ou  telle  manifestation  de 
son  choix.  Encore  heureux  que  vous  ne  fussiez  pas 
un  sou  pour  faire  pile  ou  face  et  savoir  par  ce  savant 
moyen  si  vous  êtes  aimée  de  Dieu  ou  non  ! 

Le  premier  devoir  de  la  confiance  envers  un  être  par- 
fait qui  nous  aime  et  nous  le  fait  dire,  c'est  de  fermer  les 
yeux  et  de  s'abandonner.  —  Avec  les  conditions  que  vous 
renouvelleriez  d'une  fois  à  l'autre,  vous  ne  sortiriez  pas 
du  trouble  et  vous  n'en  finiriez  pas  des  suppositions. 
Laissez-moi  donc  vous  répéter  une  parole  bien  douce; 
elle  est  du  divin  Maître  et,  lorsqu'il  la  prononçait,  il 
pensait  à  cous  :  «  Si  vous  ne  devenez  comme  de  petits 
enfants,  vous  n'entrerez  pas  dans  le  royaume  de  Dieu.  » 
Ce  royaume  de  Dieu,  c'est  ici-bas  la  paix  et  l'amour 
divin.  Faites-vous  confiante  à  la  manière  des  tout  petits 
enfants,  et  vous  arriverez  à  la  paix  d'abord,  puis  à  un 
amour  qui  en  croissant,  éclairera  votre  vie,  remplira 
votre  cœur  et  vous  fera  enfin  comprendre  qu'avoir  con- 
fiance, c'est  ne  jamais  soupçonner. 

Pour  venir  en  aide  à  la  Providence,  je  vous  envoie 
un  chemin  de  croix.  Je  l'ai  bénit. 


—  14  — 

VIII 

Ma  chère  enfant, 

Votre  lettre  est  bien  de  vous,  grande  enfant,  intelli- 
gente et  naïve,  expansive  et  craintive,  pleine  d'enthou- 
siasme et  facilement  arrêtée  par  une  impression...  si 
bonne  au  fond  et  si  bien  faite  pour  Dieu. 

Est-il  besoin  de  vous  le  dire  :  Dieu  est  parfait  parce 
qu'il  est  infini  et  que,  s'il  n'était  pas  infini,  il  ne  serait  pas. 
Or  ne  trouvez-vous  pas  qu'une  des  plus  tristes  imper- 
fections de  la  pauvre  nature  humaine,  c'est  d'avoir  des 
antipathies  et  des  sympathies  en  dehors  du  jugement  qui 
les  fixe.  Souvent  nos  antipathies  sont  justes  et  viennent 
d'une  habitude  d'observation,  comme  aussi  d'un  Certain 
sens  inné  qui,  sans  raisonnement,  nous  disent  :  cette 
personne  n'est  pas  franche,  pas  délicate,  etc..  Ce  sont, 
vous  en  conviendrez,  des  moyens  d'investigation  Un  peu 
suspects,  mais  ils  laissent  subsister  le  principe  :  nous 
nous  éloignons  d'une  personne  parce  que  nous  la  sentons 
ou  peu  franche  ou  peu  aimable. 

Supposez  que  Dieu  sait  tout,  tient  compte  de  tout, 
avec  une  délicatesse  exquise  d'appréciation;  ajoutez  à 
cela  qu'il  est  Père,  c'est-à-dire  porté  à  juger  favorable- 
ment ses  enfants,  et  qu'enfin  étant  bon  et  puissant,  il 
crée  ce  qu'il  demande  de  nous  quand  nous  le  laissons 
faire',  alors  vous  comprendrez  qu'il  ne  faut  pas  chercher 
en  Lui  d'antipathies.  Quant  à  ses  sympathies,  nous  pou- 
vons, à  notre  gré,  les  faire  naître  et  les  rendre  infiniment 
douces,  en  nous  prêtant  au  désir  sincère  qu'il  a  de  nous 
rendre  meilleurs. 

Votre  seconde  difficulté  moins  clairement  exprimée  me 
laisse  incertain.  Entendez-vous  que  vous  supposez  en 
Dieu  une  première  impression  qui  vous  aurait  été  défa- 
vorable, ou  bien  parlez-vous  de  celles  que  vous  auriez 
éprouvée  à  son  égard?  La  première  supposition  se  trou- 
vant réfutée  plus  haut,  je  n'ai  à  m'occuper  que  de  la 
seconde  et  il  m'est  doux  de  le  faire. 


—  îâ  — 

J'ai  remarqué  souvent  que  précisément  les  personnes 
qui  devaient  plus  tard  aimer  beaucoup  le  divin  Maître 
étaient  celles  qui  avaient  conçu  d'abord  à  son  égard 
des  sentiments  de  révolte  et  parfois  d'éloignement. 
Comme  cela  était  si  injuste,  du  moment  qu'elles  le  recon- 
naissaient, elles  n'en  devenaient  que  plus  ardentes  à 
aimer  par  esprit  de  justice  et  par  un  sentiment  d'affec- 
tueuse réaction.  La  cause  de  cet  obstacle,  ainsi  posée 
aux  débuts,  se  devine  pourtant  :  le  démon,  voyant  une 
âme  toute  faite  pour  Dieu  et  apte  à  de  grands  senti- 
ments, n'avait  d'autre  ressource  que  de  la  tromper  pour 
l'empêcher  de  voir,  de  croire  et  d'aimer.  Ne  vous  laissez 
donc  pas  arrêter  par  cette  supercherie. 

Dieu  est  bon,  vous  êtes  bonne,  donc  vous  devez  facile- 
ment lui  être  sympathique.  Plus  tard  le  danger  sera 
pour  vous  l'épreuve  du  manque  passager  de  consolation. 
Je  vous  l'indique  d'avance  pour  que  vous  ayez  confiance 
dans  ce  que  je  vous  dirai  alors.  Comptez  sur  ma  parti- 
culière estime  et  profonde  affection. 


IX 

Ma  chère  enfant, 

Vous  ne  seriez  pas  en  peine  si  vous  aviez  suivi  la  ligne 
de  conduite  que  je  vous  avais  indiquée  :  ne  pas  faire 
dépendre  votre  jugement  de  choses  accidentelles  comme 
le  goût  ou  le  dégoût,  la  facilité  des  occasions  ou  leur  dif- 
ficulté. Savez-vous  que  c'est  une  sorte  de  superstition? 
Pourquoi  n'en  reviendriez-vous  pas  aux  pratiques  des 
Romains  qui  regardaient  si,  à  leur  sortie,  les  oiseaux 
volaient  à  droite  ou  bien  à  gauche,  ce  qui  était  un  signe 
certain  de  succès  ou  d'insuccès  ! 

Voyez-vous,  dans  la  vie  telle  qu'elle  est  faite,  l'épreuve 
est  la  voie  commune  et  le  démon  y  ajoute  sa, tentation. 
Chez  vous,  il  trouve  comme  complice  votre  facilité*  à 
croire  aux  signes,  et  véritablement  il  en  abuse.  Je  souffre 
pour  votre  amour-propre,  absolument   connue   si   vous 


—  14  — 

donniez  votre  argent  à  des  sorciers  qui  se  moqueraient 
de  vous  (non  de  votre  argent). 

Prenez  donc  la  bonne  résolution  de  vous  conduire  par 
principes  et  non  par  impression.  J'ai  réglé  ceci,  j'ai  pro- 
mis cela  :  faisons-le.  —  Cela  me  coûte,  cela  m'ennuie, 
qu'importe  !  Serais-je  lâche  par  hasard? 

v Quant  à  me  cacher  quelque  chose,  renoncez-y;  vous 
êtes  heureusement  incapable  de  maintenir  longtemps  ce 
rôle,  qui  n'est  pas  fait  pour  vous.  En  ce  cas,  il  faut  s'exé- 
cuter tout  de  suite,  c'est  plus  honorable,  n'est-ce  pas,  et 
cela  ne  laisse  pas  de  remords. 

Oui,  ma  chère  enfant,  je  voudrais  vous  voir  suivre  une 
voie  bien  tracée;  je  sais  que  vous  y  trouverez  des  lassi- 
tudes, qu'il  vous  viendra  des  envies  de  laisser  tout  là; 
mais  il  ne  faut  pas  faire  attention  à  ces  considérations  et 
impressions  qui  ne  viennent  pas  de  Dieu,  mais  qu'il 
permet  pour  exercer  notre  vaillance. 

J'espère,  ma  chère  enfant,  que  vous  avez  repris  de 
bons  sentiments  à  l'égard  du  bon  Dieu.  De  grâce,  ne  fai- 
tes jamais  dépendre  votre  appréciation  et  vos  résolu- 
tions de  ce  qui  n'est  que  chose  accidentelle  comme  l'im- 
pression. 

On  peut  aimer  beaucoup,  sans  rien  éprouver  d'ardent, 
ni  d'agréable.  On  peut  communier  avec  grand  profit, 
alors  même  que  l'on  ne  sent  rien  en  communiant.  C'est 
même  comme  une  règle  ordinaire  pour  nos  rapports  d'exil 
avec  Dieu  de  les  voir  pénibles.  La  douceur  est  réservée 
au  ciel  qui  n'en  laisse  descendre  actuellement  sur  nous 
que  de  fugitives  impressions,  assez  pour  nous  faire  com- 
prendre ce  qui  nous  attend,  pas  assez  pour  transformer 
cette  terre  en  paradis. 

Encore  une  fois,  ma  chère  enfant,  tenez  à  cette  règle  : 
faire  la  volonté  de  Dieu  et  ne  pas  tenir  grand  compte  de 
l'impression. 


11  faudra  que  cette  année-ci,  ma  chère  enfant,  soit  pour 
vous   une   année   d'affermissement   dans  la   piété.    Vous 


—  15  — 

sentez  le  besoin  de  Dieu;  tout  vous  porte  vers  Lui  et  si 
vous  y  allez  avec  votre  nature  spontanée,  vous  n'en  serez 
pas  moins  paternellement  accueillie.  Dieu  n'est  pas  forma- 
liste; il  voit  au  plus  profond  des  âmes. 

J'approuve  votre  règlement,  vous  le  suivrez  comme 
l'expression  do  la  volonté  de  Dieu.  Quand  vous  aurez  fait 
des  progrès,  vous  le  rendrez  non  pas  plus  pénible,  mais 
plus  intime.  Commençons  par  faire  de  bon  cœur  le  peu 
que  nous  promettons;  il  ne  s'agit  pas  de  courir  après 
le  plus  parfait,  mais  de  permettre  à  Dieu  de  nous  y  faire 
arriver  peu  à  peu  et  à  son  heure.  Qu'il  nous  trouve  occu- 
pés à  faire  sa  volonté  et  il  nous  appellera  à  une  volonté 
plus  haute. 

Méfiez-vous  des  changements  d'impression.  Hier  tout 
nous  semblait  bien  et  facile;  demain  peut-être  les  mêmes 
choses  nous  paraîtront  impossibles  ou  du  moins  fort 
gênantes.  Faites  ce  que  vous  avez  décidé  après  réflexion. 
Les  impressions  redeviendront  meilleures. 


XI 

Ma  chère  enfant, 

L'enfant  ne  venant  pas  au  père,  c'est  le  père  qui  va  à 
l'enfant.  C'est  une  loi  de  la  nature  que  le  bon  Dieu  a 
bien  voulu  étendre  à  l'affection  que  je  vous  porte. 

Vous  souffrez,  je  le  sens.  Vous  vous  trouvez  seule, 
malade  et  en  proie  à  toutes  vos  vilaines  idées  qui  ressus- 
citent dans  ces  tristes  moments  :  Pourquoi  Dieu  me  fait- 
il  tant  souffrir?  Pourquoi  ne  me  donne-t-il  pas  ce  qu'il 
donne  à  tant  d'autres?  Du  moins  si  j'avais  de  la  santé, 
j'agirais,  je  me  ferais  indépendante;  si  j'avais  de  la  for- 
tune, je  me  ferais  entourer,  envier,  distraire  !  Et  je  suis 
plus  malheureuse,  juste  au  moment  où  je  veux  me  donner 
bien  à  Dieu!...  Voilà  une  partie  sténographiée  de  vos 
doléances. 

D'abord,  ma  chère  enfant,  si  vous  êtes  seule,  vous  n'ê- 
tes   pas    abandonnée.   Les    affections,    dont  la    distance 


—  16  — 

empêche  de  jouir,  n'en  restent  pas  moins  vivantes,  et 
c'est  un  immense  repos  de  savoir  qu'il  y  a  quelque  part 
sur  terre  des  points  d'appui  pour  notre  pauvre  cœur. 

Et  puis,  mon  enfant,  oubliez-vous  Jésus?  Jésus  qui 
vous  aime,  Jésus  qui  a  souffert?  —  Voulez-vous  lui  refu- 
ser de  l'aimer  aussi  et  de  le  suivre?  Jésus  sur  terre  n'a 
marché  que  dans  la  direction  du  Calvaire,  et  il  n'a  pas 
récolté  des  joies  sur  ce  chemin. 

En  nous  appelant  à  sa  suite,  il  nous  avertit  qu'il  faut 
commencer  par  faire  abnégation  de  soi  et  porter  sa 
croix.  S'il  ne  l'avait  pas  portée  lui-même,  nous  pour- 
rions peut-être  murmurer;  mais  il  l'a  portée  plus  dure  que 
nous  et  rien  de  personnel  ne  l'engageait  à  le  faire. 
.  Il  y  a  des  âmes  qui  veulent  aussi  ne  voir  rien  de  per- 
sonnel dans  les  acceptations  des  souffrances  :  elles  disent 
à  Jésus  :  «  Ne  me  récompensez  pas,  si  vous  voulez,  il  me 
suffit  de  vous  faire  plaisir,  de  me  trouver  où  vous  êtes 
et  de  partager  votre  sort.  »  Ces  âmes*  sont  de  vraies 
amies  de  Jésus.  Il  y  en  a  d'autres,  moins  généreuses, 
moins  impersonnelles  qui  acceptent  la  souffrance  parce 
que  ne  pas  le  faire  serait  se  révolter  et  se  faire  exclure  du 
Ciel.  Dieu  se  contente  de  cette  obéissance  intéressée  : 
moi,  je  ne  m'en  contenterais  pas  pour  vous  !  Que  serait-ce 
si  cette  vertu  diminuée  n'était  pas  même  la  vôtre,  si  vous 
vous  laissiez  aller  à  la  lâcheté  ! 

Allons!  courage  !  Jésus  passe,  triste  et  couronné  d'épi- 
nes; il  vous  appelle  à  sa  suite.  Ne  regardez  que  Lui,  pas 
vous,  et  reprenez  la  prière,  la.  résignation  paisible,  la  con- 
fiance filiale.  Confessez-vous  et  communiez,  ce  sera  le 
mieux. 


XII 

Ma  chère  enfant, 

J'espérais  vous  voir  samedi;  car,  en  parlant,  on  s'entend 
mieux.  Je  crains  que  vous  n'ayez  été  trop  fatiguée  pour 
sortir  et  j'en  ai  beaucoup  de  peine;  vous  me  direz  sans 


—   17  — 

tarder  ce  qu'il  en  est  pour  que  je  souffre  ou  me  réjouisse 
avec  vous. 

Oh  !  ma  chère  enfant,  qu'il  faut  bien  s'abandonner  à 
Dieu  et  croire  en  sa  bonté  1  n'est-ce  pas  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  juste,  puisqu'il  est  un  Père  tout-puissant  !  Mais 
notre  vieille  habitude  d'esprit  trop  regardant,  braque  son 
microscope  sur  les  petits  détails  de  la  vie  et  y  découvre 
toutes  sortes  de  sujets  d'épouvante.  Le  champ  de  cet 
instrument  est  trop  restreint  pour  nous  donner  l'idée  de 
l'ensemble  qui  est  l'idée  vraie  pour  tout  être  vivant;  or 
rien  n'est  plus  vivant  que  l'âme  et  rien  n'est  plus  vaste 
que  sa  destinée.  Juger  sur  un  détail  passerait  avec  raison 
pour  une  grave  imprudence.  Prenez  même  un  ensemble 
d'hommes,  une  nation,  voyez  quelle  incertitude  règne 
sur  les  événements  prochains  et  combien  les  prévisions 
se  trouvent  souvent  trompées.  Heureuses  les  âmes  qui 
ayant  bien  entendu  la  parole  du  divin  Maître  lui  donnent 
leur  confiance  et  leur  amour.  Aimez  et  vous  ne  serez  plus 
inquiète,  ni  troublée;  mais  pour  cela,  il  faut  aimer  assez! 
Certes  nul  cœur  n'en  est  plus  capable  que  le  vôtre,  et 
quand  je  vois  le  bon  Dieu  vous  tenir  dans  la  souffrance, 
je  m'ancre  dans  la  certitude  que  c'est  pour  vous  prendre 
toute  à  Lui.  Quelle  grâce  de  n'avoir  d'autre  issue  vers  le 
bonheur  que  de  son  côté  ! 

Je  ne  cesserai  donc  de  vous  dire  :  laissez  de  côté  cet 
esprit  inquiet  qui  veut  juger  d'un  ensemble  d'après  cha- 
que détail;  prenez  l'esprit  filial  qui  se  confie  à  Jésus. 
Ne  vous  troublez  de  rien,  pas  même  des  insuccès  dans  vos 
bons  désirs  et  des  obstacles  matériels  qui  vous  empê- 
chent de  vous  confesser  et  de  communier.  La  vie  pré- 
sente est  une  vie  d'épreuves  et  l'épreuve  s'étend  aux 
choses  de  l'âme. 

Laissons  Dieu  bien  libre;  faisons-lui  un  long  crédit; 
ne  songeons  qu'à  l'aimer,  nous  ne  perdrions  ainsi  ni  temps, 
ni  forces.  Puisqu'on  peut  se  sanctifier  avec  tout,  même 
avec  ses  défauts,  mais  surtout  avec  ses  peines,  qu'im- 
porte la  manière  dont  nous  faisons  notre  éternité, 
pourvu  qu'elle  se  fasse  sérieusement  et  glorieusement. 


—  18  — 

XIII 

Ma  chère  en  fa  ni , 

Ne  voyez-vous  pas  que,  par  ces  petites  épreuves, 
Notre-Seigneur  veut  vous  former  à  une  grande  dépen- 
dance? La  dépendance  d'esprit  n'est  pas  votre  fort, 
n'est-ce  pas.  Or  Notre-Seigneur  qui  vous  aime  déjà  veut 
vous  arracher  aux  incertitudes  et  aux  circonstances  qui 
sont  le  résultat  ordinaire  de  l'indépendance;  mais  ne  vous 
effrayez  pas.  Il  vous  livrera  à  d'autres  mains  qu'aux 
siennes.  Il  sera  lui-même  votre  guide  par  les  circons- 
tances de  l'extérieur,  comme  par  les  mouvements  de 
l'intérieur.  Vous  n'aurez  qu'à  vous  conformer  aux  pre- 
mières et  à  vous  rendre  attentive  aux  secondes. 

Du  moment  que  Notre-Seigneur  veut  être  votre  guide, 
fermez  les  yeux,  demeurez  persuadée  que  tout  ce  qui  vous 
arrive  ainsi  est  bon,  même  ce  qui  vous  contrarie.  Ne 
sortez  pas  de  là  :  cette  conduite  est  seule  logique,  comme 
elle  est  seule  bonne.  Elle  est  logique,  car  Notre-Seigneur 
sait  et  veut  votre  bien,  mieux  et  plus  que  vous-même. 

Par  exemple,  Il  ne  vous  défend  pas  de  sentir  de  la 
peine  et  même  de  l'irritation;  de  subir  des  révoltes  ins- 
tinctives, des  objections  déplorables...  à  la  condition 
que  vous  laisserez  tout  cela  mourir  de  sa  belle  mort, 
sans  un  mot  de  regret,  car  c'est  l'ennemi. 

Voyez-vous,  quand  on  se  propose  un  idéal  trop  parfait, 
on  court  grand  risque  de  ne  pas  même  réaliser  celui 
qui  est  possible.  Vous  voudriez  une  perfection  sans" imper- 
fection, une  piété  sans  froideur  et  sans  sécheresse,  un 
courage  sans  défaillance.  —  Dieu  veut  de  vous  une  piété 
d'enfant  gâté  qui  donne  ce  qu'il  peut,  mais  qui  au  fond 
aime  bien  son  père.  Il  veut  que  vous  supportiez  vos  imper- 
fections, vos  froideurs,  vos  défaillances.  Il  veut  que  vous 
viviez  de  confiance  et  d'humilité,  —  non  de  la  satisfac- 
tion de  vous-même  et  d'une  perfection  qui  la  nourrirait. 
Il  veut  que  vous  soyez  sa  chose,  toute  à  Lui,  recevant, 
toul  de  lui.  même  et  surtout  sa  miséricorde.  Nous  vou- 


—  19  — 

(Irions  êlro  quelque  chose  de  ferme  et  de  bon;  il  veut  que 
nous  n'ayons  de  fermeté  et  de  bonté  que  par  lui.  Qu'im- 
porte que  nous  allions  à  Lui  sur  nos  pieds  ou  sur  nos 
genoux  1  L'essentiel  est  d'y  aller.  Il  est  même  très  natu- 
rel que  l'on  commence  ainsi,  comme  font  les  jeunes 
enfants  qui  ne  savent  pas  encore  marcher.  Ils  grandissent 
et  vous  grandirez.  Quand  vous  aurez  grandi,  Dieu  exigera 
davantage,  et  vous  pourrez  aussi  donner  plus.  Donnez-lui 
actuellement  ce  que  vous  pouvez,  au  lieu  de  rêver  sim- 
plement de  lui  donner  des  merveilles. 

Rappelez-vous  surtout  qu'un  véritable  amour  filial 
supplée  à  tout;  or  je  ne  sais  personne  qui  puisse  donner  à 
Dieu,  mieux  que  vous,  ce  sentiment.  Il  est  si  fort  chez  vous 
qu'il  est  un  besoin  et  un  tourment,  apaisez-le  en  Dieu  et 
vous  aurez  la  vie. 


XIV 

Ma  chère  enfant, 

Que  la  paix  soit  en  vous!  c'est  la  parole  qu'apportait 
le  divin  Maître  à  chacune  de  ses  visites  aux  siens;  c'est 
celle  qu'il  met  dans  mon  cœur  quand  il  s'adresse  à  vous. 
La  paix,  c'est-à-dire  la  confiance  en  la  bonté  et  en  la 
toute  puissance,  la  vue  sans  trouble  de  notre  misère. 

Dans  les  circonstances  que  vous  m'exposez,  je  vous 
retrouve  toujours  avec  vos  exigences  exercées  envers 
vous-même.  Pourquoi  demander  à  votre  cœur  de  sentir  les 
choses  qu'il  suffit  d'aimer  de  volonté?  Sans  doute  ce 
serait  plus  consolant,  mais  ce  ne  serait  pas  plus  vrai  et 
ce  serait  moins  de  la  terre.  La  terre  est  l'exil  où  règne 
la  tristesse.  Je  sais  bien,  ma  chère  enfant,  que  ce  n'est 
pas  la  consolation  elle-même  que  vous  cherchez  pour  en 
jouir,  mais  le  témoignage  certain  que  vous  êtes  bien  à 
Dieu;  aussi  je  vous  le  répète  :  on  est  à  Dieu,  quand  on 
fait  sa  volonté  tout  simplement;  et  sa  volonté  sur  vous 
est  très  claire  :' accepter  votre  position,  votre  état  de 
santé  et  vos  difficultés  de  conscience  elles-mêmes,  faire 


—  20  — 

quelque  prière  à  votre  façon,  rendre  de  petits  services, 
réparer  vos  boutades!  Le  programme  n'est  pas  très 
ehargé,  mais  il  est  très  sanctifiant  tout  de  même.  Au  fond, 
Dieu  ne  vous  demande  que  de  l'aimer  et  il  verra  que 
vous  l'aimez  si  vous  faites  ces  choses,  si  vous  vous  repen- 
tez de  les  avoir  négligées  et  si  vous  les  reprenez  toujours 
après  les  avoir  abandonnées. 


XV 

Ma  chère  enfanl , 

On  ne  saurait  être  responsable  des  pensées  qui  vien- 
nent, ni  du  trouble  qu'elles  produisent.  Si  elles  disparais- 
sent par  un  effort  de  la  bonne  volonté,  c'est  très  bon; 
si  elles  persistent  et  laissent  des  doutes,  on  se  dit  :  je 
ferai  éclaircir  cela,  et  là-dessus  on  se  tient  tranquille  en 
attendant.  /■ 

Les  prêtres,  surtout  les  plus  capables,  seraient  vrai- 
ment bien  sots,  si,  pouvant  vivre  comme  tout  le  monde 
et  arriver  à  de  belles  positions,  ils  s'amusaient  à  prêcher 
la  bonté  de  Dieu,  la  Providence,  les  récompenses  de  l'au- 
tre vie,  sans  croire  à  tout  cela.  La  position  du  prêtre 
n'est  enviable  que  par  ce  côté-là.  En  dehors,  ce  serait 
pour  sa  conscience  la  honte  de  l'hypocrisie  et,"  pour  sa 
vie,  mille  privations,  de  nombreuses  persécutions  et  sou- 
vent le  mépris. 

Puisque  vous  souffrez  de  ces  pensées,  ma  chère  enfant, 
c'est  que  vous  aimez  à  la  fois  et  les  prêtres  et  les  belles 
vérités  qu'ils  enseignent. 

Ce  que  je  remarque  surtout,  c'est  l'habileté  du  démon 
à  agiter  sans  cesse  devant  vous  des  épouvantails  de 
papier.  Il  n'atteint  que  trop  son  but  qui  est  de  vous 
décourager  et  de  vous  tenir  loin  de  Notre-Seigneur. 

Soyez  désormais  sérieusement  en  garde  contre  ses 
manœuvres. 


—  21   — 

XVI 

Ma  chère  enfant, 

J'espérais  pouvoir  me  rendre  auprès  de  vous,  mais  je 
me  trouve  dans  un  retour  de  fatigue  accentué 

Croyez  bien  que  je  ne  suis  pas  le  moins  du  monde 
inquiet  de  ces  deux  monstres  que  vous  prétendez  porter 
dans  votre  conscience.  Ce  sont  de  ces  monstres  chinois  en 
simple  baudruche,  dans  lesquels  votre  imagination  a 
fortement  soufflé.  J'espère  qu'ils  se  sont  dégonflés,  sous 
une  petite  piqûre  de  votre  bon  sens.  On  n'offense  pas 
ainsi  un  Dieu  qu'on  aime  au  fond.  Vous  pouvez  sans 
doute  parfois  le  contrarier  un  peu, le  menacer  aussi;  mais 
lui  faire  sciemment  de  la  peine,  beaucoup  de  peine,  oh  ! 
non.  Je  serais  donc  allé  faire  simplement  une  visite  de 
malade,  la  visite  d'un  père  qui  plaint  son  enfant...  et 
voilà  que  je  ne  peux  que  vous  envoyer  mes  désirs,  mes 
regrets  et  l'expression  de  mon  invariable  affection.  Je 
ne  sortirai  pas  ces  jours-ci...  quand  je  suis  souffrant,  je 
suis  d'instinct  le  régime  des  animaux  qui  se  tiennent 
tranquilles,  dans  un  coin. 

Puisque  nous  avons  en  ce  moment  l'honneur  de  parta- 
ger les  souffrances  de  notre  divin  Maître  et  ami,  donnons- 
lui  sans  cesse  la  consolation  de  notre  bonne  tenue  bien 
résignée,  bien  calme,  et,  si  nous  ne  disposons  pas  de  sen- 
timents vifs  et  ardents,  ne  manquons  pas  de  lui  exprimer 
des  sentiments  sincères  et  bons.  Répétons-lui  souvent  ces 
mots  :  oui,  je  suis  toute  vôtre.  Ne  nous  inquiétons  de  rien, 
faisons  simplement  ce  que  nous  croyons  utile  pour  guérir, 
et  ne  désirons  pas  avec  empressement  guérir  plus  vite 
qu'il  ne  l'a  décidé. 

XVII 

Ma  chère  enfant, 

Ce  que  c'est  que  d'avoir  trop  bon  cœur  !  Vous  craignez 
d'avoir  offensé  Dieu,  quand  vous  n'avez  fait  que  lui  par- 


—  22  — 

1er  finalement.  Il  y  a  en  effet  de  ces  reproches  qui  ne  peu- 
vent partir  que  d'un  grand  amour,  et  de  ces  partis  pris 
de  s'en  aller  qui  ne  demandent  qu'à  être  combattus  et 
•empêchés.  Je  n'aurai  pas  à  crier  bien  fort  pour  être 
entendu,  quand  je  vous  dirai  que  Dieu  vous  aime  et  que 
vous  l'aimez  et  qu'il  ne  faut  pas  perdre  son  temps  à  en 
douter. 

Quand  le  bon  Dieu  a  voulu  vous  attacher  à  Lui,  il  sa- 
vait bien  à  qui  il  avait  affaire;  il  prévoyait  parfaitement 
toutes  ces  inconséquences  et  circonstances  de  surface  qu'il 
rencontrerait  dans  vos  rapports  avec  Lui  ;  mais  comme  il 
a  l'esprit  large,  autant  que  le  cœur,  il  donne  aux  choses 
leur  exacte  proportion  et  il  prend  ses  mesures  dans  1»; 
fond  du  cœur.  Allez  donc  à  Lui  comme  vous  iriez  à  Notre- 
Seigneur,  s'il  était  comme  autrefois  sur  la  terre.  Voyez  ce 
qu'il  était  pour  ses  apôtres  toujours  si  imparfaits.  Vous 
expliquez-vous  qu'il  n'avait  pas,  en  trois  ans  d'une  vie 
commune,  transformé  ces  natures  et  rendu  ces  vertus 
solides?  Il  est  heureux  que  vous  n'ayez  pas  vécu  de  ce 
temps-là,  les  pauvres  apôtres  en  auraient  entendu  de 
belles  !  Le  mieux  est  de  nous  supporter  dans  nos  imper- 
fections, comme  de  supporter  les  autres  dans  les  leurs  et 
d'attendre  l'avenir  pour  juger  la  conduite  de  Dieu,  per- 
mettant toutes  ces  humiliations  contradictoires  d'un 
cœur  qui  aime  et  qui  parfois  fait  de  la  peine. 

Habituez-vous  aussi,  ma  chère  enfant,  à  cette  condi- 
tion de  l'exil  qui  fait  que  souvent  nos  impressions  à 
l'égard  de  Dieu  et  de  la  communion  sont  muettes  ou 
même  ennuyées. 

Allons  quand  même  à  la  sainte  Table,  comme  aux 
prières  accoutumées,  avec  fidélité.  La  fidélité  est  la  dis- 
position qui  dépend  seule  de  nous,  aussi  les  bons  chré- 
tiens sont-ils  appelés  les  fidèles,  et  non  pas  les  enthou- 
siastes, ni  même  les  parfaits. 


—  23  — 

XVIII 

Ma  chère   enfant, 

Quand  un  malade  crie  très  fort,  c'est  qu'il  a  beaucoup 
de  vie;  ma  chère  fille  n'est  donc  point  morte  et  je  viens 
la  mettre  sur  pied.  Qu'y  a-t-il  donc?  un  trouble  qui  vous 
a  saisie  après  une  communion  faite  en  état  de  grâce, 
mais  sans  consolation;  aussitôt,  tout  s'est  peint  en  noir, 
le  passé  et  l'avenir  :  je  m'étais  mal  préparée,  je  n'aurais 
pas  dû  communier,  je  ne  communierai  plus.  Voilà  des 
conclusions  qui  sont  appuyées  sur  quoi?  Sur  un  nuage, 
sur  une  impression.  Votre  cœur  n'a  pas  changé.  —  Ce  qui 
change,  c'est  votre  physionomie,  mais  Dieu  regarde  plus 
avant.  Oh  !  oui,  par  exemple,  elle  est  changeante  cette 
physionomie  de  votre  âme;  il  n'y  a  pas  loin  du  sourire 
aux  larmes  !  Mais  sommes-nous  responsables  de  ces  chan- 
gements? Pas  le  moins  du  monde;  votre  tort  ne  part  que 
du  moment  où  vous  y  attachez  de  l'importance  et  où 
vous  déposez  vos  conclusions.  Il  paraît  que  dans  la  mer, 
c'est  la  surface  seule  qui  subit  le  soulèvement  de  la  tem- 
pête :  à  quelques  mètçes  de  profondeur,  c'est  le  calme 
d'une  immense  nappe  immobile  dans  sa  majesté.  Elle  a 
la  sagesse  de  ne  pas  s'émouvoir,  c'est  si  peu  de  chose  que 
cette  mince  couche  agitée  à  l'extérieur  :  l'océan,  c'est 
elle,  c'est  la  masse  énorme  qui  remplit  les  abîmes.  Vous, 
ce  n'est  pas  ce  visage  qui  reflète  la  moindre  émotion, 
c'est  votre  vraie  conviction,  votre  vrai  cœur,  votre  vraie 
détermination  et  tout  cela  est  immobile  en  Dieu. 

Prenez  donc  le  chemin  qui  conduit  à  l'endroit  où  Notre- 
Seigneur,  après  sa  résurrection,  voulut  faire  à  saint 
Pierre  le  reproche  de  sa  tendresse,  et  entendez  la  même 
voix  vous  dire  :  m'aimes-tu?  Adressez-lui  alors  la  même 
réponse  que  le  pauvre  apôtre  désolé  :  Vous  savez  toutes 
choses,  vous  savez  que  je  vous  aime  !  Il  n'en  faut  pas 
dire  plus  long,  car  après  cela  toute  autre  parole  serait  du 
barbouillage. 

Conseil  final   :    appliquez-vous  à    vous   rendre  indé- 


—  24  — 

pendante  de  vos  impressions;  —  je  ne  dis  pas  à  les 
empêcher  de  se  produire,  cela  ne  dépend  que  très  peu  de 
vous.  Prenez  quelque  chose  de  cette  fausse  doctrine  du 
dédoublement  de  la  personnalité  que  l'on  préconise  de 
nos  jours.  Non,  il  n'y  a  pas  en  nous  deux  personnes, 
mais  deux  états  très  différents  de  la  même  personne  : 
l'état  où  elle  est  elle-même  et  l'état  où  l'impression  lui 
prête  passagèrement  son  visage. 

Puisque  votre  père,  malgré  vos  imperfections,  vous 
comprend,  vous  estime  et  vous  aime,  comment  voulez- 
vous  que  le  Père  du  Ciel  vous  tienne  rigueur,  Lui  si  bon  ! 


XIX 

Ma  chère  enfant, 

Je  me  réjouis  de  la  joie  que  Dieu  vous  a  donnée  dans 
la  sainte  communion,  mais  je  me  réjouis  plus  encore  de 
la  résolution  où  je  vous  vois  d'être  à  Dieu  toujours  davan- 
tage. Car  la  consoiation  n'est  pas  le  signe  certain  de  l'a- 
mour que  Dieu  nous  porte,  elle  n'est  pas  non  plus  le 
moyen  le  plus  fort  pour  nous  faire  avancer.  Il  faut  l'ac- 
cueillir avec  reconnaissance,  mais  il  n'y  faut  pas  attacher 
d'importance.  Si  l'on  s'en  fait  un  besoin,  si  l'on  ne  veut 
marcher  qu'avec  elle,  si  l'on  se  croit  mauvais  dès  qu'on  ne 
la  ressent  plus,  on  se  rend  toute  persévérance  impossible. 

En  effet  l'exil  de  la  terre  n'est  pas  le  lieu  de  la  conso- 
lation; le  perfectionnement  de  notre  âme  est  une  pénible 
lutte  contre  une  nature  rebelle;  la  vertu  est  dans  l'effort 
et  elle  se  fortifie  dans  l'épreuve. 

Attachez  peu  d'importance  à  ce  que  vous  éprouvez; 
voyez  plutôt  ce  que  vous  faites. 

Etes-vous  fidèle  à  vos  résolutions?  vous  repentez-vous 
vite  de  vos  fautes?  Reprenez-vous  aussitôt  courage  pour 
dédommager  le  bon  Dieu?  Savez- vous  vous  priver  ? 
Songez-vous  aux  autres  beaucoup  plus  qu'à  vous-même?... 
peu  importe  que  vous  soyez  ou  non  consolée,  vous  êtes 
vertueuse,  c'est  beaucoup  mieux,  c'est  tout. 


Ma  pauvre  enfant,  vous  payez  aujourd'hui,  et  vous 
aurez  à  payer  encore  demain,  les  fautes  commises  par  la 
lecture  de  ce  mauvais  livre.  Les  pensées  et  impressions 
qui  vous  saisissent  sont  l'effet  naturel  des  pensées  et  des 
impressions  que  vous  n'avez  pas  évitées.  Le  poison  a  été 
rejeté,  vous  ne  mourrez  pas,  mais  vous  souffrirez  peut-être 
longtemps  des  maladies  qui  résultent  d'un  empoisonne- 
ment avorté.  Vous  guérirez  d'autant  plus  vite  que  vous 
tiendrez  ces  souvenirs  plus  à  l'écart. 

Gardez-vous  bien  de  vous  croire  coupable  d'avoir 
ces  pensées  et  même  d'éprouver  certaines  émotions. 
Protestez  que  vous  ne  les  voulez  pas,  et  soyez  en  paix. 
Elles  deviennent  ainsi  une  expiation  et  un  mérite. 


XX 

Ma  chère  enfant, 

Vous  êtes  triste,  vous  êtes  blessée Je  vous  plains 

et  vous  comprends. assez;  mais  que  la  douleur  vous  laisse 
calme  et  vous  trouve  généreuse  ! 

Vous  dirai-je  une  pensée  qui  s'impose  à  moi  à  votre 
sujet?  Vous  la  comprendrez  comme  vous  comprenez  tout 
ce  qui  est  généreux.  Si  Dieu  a  voulu  vous  imposer  cette 
épreuve,  pour  l'expiation  des  fautes  de  ceux  qui  vous 
restent  chers  après  la  mort,  si  votre  douleur  est  là  pour 
leur  épargner  en  l'autre  vie  des  douleurs  plus  affreuses? 
si  vous  êtes  l'ange  expiateur,  instrument  du  pardon 
définitif!  s'il  fallait  pour  la  libération  de  ces  âmes  cette 
dernière  immolation?...  ne  la  refusez  pas,  ne  la  regardez 
pas  comme  une  ennemie,  elle  sera  en  même  temps  pour 
vous  le  fondement  d'une  vertu  plus  solide  et  plus  haute. 
N'oublions  jamais  que  pas  une  de  nos  peines  n'est  l'effet 
d'un  sentiment  pénible  de  la  part  de  Dieu.  Celles-là 
même  que  nous  nous  sommes  attirées,  viennent  vers 
nous  comme  des  moyens  de  miséricorde. 

Remarquez  encore  ceci.  Quand  on  écoute  ses  violences 


—  26  — 

û'impression,  au  lieu  de  se  faire  douce,  sous  la  peine,  on 
devient  moins  bonne  et  moins  juste.  On  accuse  et  on  afflige 
des  personnes  que  Tonne  devrait  qu'aimer.  La  perfection 
morale  est  avant  tout  dans  l'amour  de  tout  ce  qui  est  bon, 
choses  et  personnes...  N'altérez  pas  votre  cœur,  n'en 
chassez  aucune  affection  légitime,  ne  vous  laissez  pas  di- 
minuer. Rien  n'est  plus  facile  que  de  se  livrer  à  ces  exalta- 
tions de  mécontentement.  Tout  le  monde  est  capable  d'en 
faire  autant.  Il  est  noble  de  s'y  opposer,  pour  garder  tous 
les  biens  mis  dans  notre  cœur  et  pour  nous  garder  nous- 
mêmes. 

XXI 

Ma  chère  enfant, 

Quelle  joie  de  vous  voir  venir  m'apportant  pour  cadeau 
de  nouvel  an  cette  bonne  parole  :  je  sens  que  je  com- 
mence à  aimer  un  peu  le  bon  Dieu.  —  Oh  oui,  vous  allez 
laisser  tomber  les  obstacles  qui  vous  ont  arrêtée  jusqu'ici. 
Je  constate  d'abord  que  vos  antipathies  sont  grande- 
ment adoucies  et  que  vous  voudriez  voir  heureuses  les 
personnes  même  que  vous  n'aimeriez  pas.  Puis  toutes  ces 
objections  sur  la  Providence  s'en  iront  en  fumée  devant 
cette  simple  raison  que  nous  ne  sommes  pas  créés  pour  ce 
monde.  Bientôt  vous  en  comprendrez  une  plus  profonde 
et  plus  douce,  quand  vous  aurez  médité  le  mystère  de  la 
Croix  de  Jésus;  mystère  de  folie  pour  les  païens,  dit 
saint  Paul,  et  scandale  pour  les  Juifs  qui  se  figuraient 
un  messie  glorieux  dès  ce  monde.  Cherchez  des  saints, 
un  seul  même  qui  n'ait  pas  aimé  la  croix  ! 

Pour  votre  direction,  ma  chère  enfant,  je  réclame  que 
vous  suiviez  exactement  les  principes  que  je  vous  ai 
exposés.  Appliquez-vous  à  les  bien  saisir,  à  les  aimer, 
à  les  réaliser.  Ne  soyez  pas  de  ces  personnes  sans,  fond  qui 
demandent  toujours  du  nouveau.  Saint  Paul  dit  d'elles  : 
«  toujours  en  quête  de  savoir  et  ne  parvenant  jamais 
à  la  science  de  Dieu.  »  Il  ne  vous  est  pas  défendu  de  deman- 
der à  Dieu  de  trouver  quelque  bonne  affection,  et  vous 


—  27  — 

seriez  injuste,  si  vous  disiez  que  vous  en  êtes  dépourvue; 
le  premier  je  commencerais  à  me  fâcher  et  plusieurs 
autres,  à  ma  suite,  prendraient  le  bâton  pour  vous 
châtier;  mais  dans  cette  demande,  parlez  ainsi  finale- 
ment :  «  Mon  Dieu,  je  vous  en  prie,  donnez-moi  quelques 
bonnes  affections  qui  me  consolent,  et  me  rendent  meil- 
leure; je  sais  que  vous  me  les  donnerez,  si  elles  doivent 
m'être  utiles;  mais  si  vous  ne  m'en  donnez  pas  autant 
que  je  le  voudrais,  je  m'en  rapporterai  à  vous  et  croirai 
que  cela  vaut  mieux;  alors  vous  me  permettrez  bien  de 
vous  aimer,  vous,  davantage.  » 

Qu'à  la  fin  de  l'année  qui  s'ouvre  en  ce  jour,  je  puisse 
admirer  la  vraie  piété  de  ma  chère  fille  que  je  bénis  de 
tout  cœur. 


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DEUXIEME    SERIE 


Ma  chère  enfant, 

...  Vous  me  demandez  s'il  vaut  mieux  travailler  pour 
les  pauvres  que  de  donner  de  l'argent.  Je  crois  qu'il  est 
bon  de  faire  l'un  et  l'autre.  Le  travail  a  quelque  chose 
de  plus  personnel  et  doit  plaire  davantage  à  Dieu,  mais 
il  y  a  plus  de  personnes  pouvant  fournir  du  travail  que 
de  celles  qui  ont  de  l'argent  à  leur  disposition.  Je  connais 
assez  votre  tendresse  à  l'égard  des  pauvres  pour  être  sûr 
que  vous  trouverez  le  moyen  de  les  aider  efficacement. 
Si  vous  étiez  à  leur  place  ! 

...  Continuez  à  prier  pour  moi.  Si  ce  n'est  pas  la  guéri- 
son  que  Dieu  veut,  il  me   donnera,  grâce  à  vous,   quel- 


—   28  — 

ques  degrés  de  plus  de  patience,  de  bonté,  d'oubli  de 
moi-même.  Je  vous  avoue  que  je  regarde  la  vie  non  pas 
comme  une  joie,  mais  comme  un  devoir. 


II 

Ma  chère  enfant, 

...  Les  dangers  causés  par  les  mauvais  livres  sont  très 
variables  selon  les  personnes.  La  règle  générale  est  de  se 
diriger  selon  les  effets  qu'ils  produisent.  Quand  vous  cons- 
tatez que  tel  genre  de  livres  vous  trouble  ou  vous  laisse 
trop  rêveuse,  fuyez-le,  malgré  le  plaisir  qu'ils  peuvent 
vous  donner.  La  vie,  en  effet,  apprend  des  choses  tristes, 
mais  les  mauvais  livres  ne  font  pas  seulement  que  d'ap- 
prendre, ils  excitent  et  rendent  accessible  au  mal. 

...  Vous  me  posez  une  question  à  laquelle  je  suis  bien 
content  de  répondre,  la  question  des  parfums  :  je  n'osais 
pas  l'aborder  de  moi-même  et  pourtant  les  senteurs  qui 
se  dégagent  de  votre  papier  à  lettre  m'en  avaient  plus 
d'une  fois  donné  l'envie.  Votre  question  porte  sur  le  prix 
quelquefois  considérable  de  ces  petits  flacons,  la  mienne 
sur  l'usage  lui-même.  Dans  votre  position  et  avec  votre 
fortune,  vous  avez  le  droit  de  faire  des  dépenses  de  pur 
agrément;  le  mieux  ne  va  pas  aussi  loin  que  le  droit,  et 
j'apprécierais  davantage  une  enfant  pieuse  qui  en  réser- 
verait une  partie  pour  le  tabernacle  où  est  Jésus  et  pour 
les  pauvres  qui  sont  ses  membres.  Ma  préoccupation  à 
moi  est  délicate  à  exprimer;  je  suis  trop  votre  père  pour 
ne  pas  l'oser;  comprenez-le  donc  par  ceci  :  ces  parfums 
violents  sont  le  partage  à  peu  près  exclusif  de  femmes 
que  vous  ne  devez  pas  copier.  Je  crois  que  c'est  en  dire 
assez... 

Vous  souffrez,  ma  chère  enfant,  de  ne  pas  trouver  assez 
le  bon  Dieu  dans  vos  prières;  Dieu  aime  à  se  faire  désirer 
et  chercher,  mais  vous  continuerez  et  il  arrivera  un  jour 
où  vous  trouverez  près  de  Lui  la  paix  et  une  sorte  de  bon- 
heur élevé. 


—  29  — 


III 


Ma  chère  enfant, 

J'allais  vous  écrire,  car  je  trouvais  votre  silence  trop 
long  et  je  craignais  qu'il  ne  fût  causé  par  l'attente  d'une 
lettre  de  moi.  Enfin  me  voilà  fixé  sur  le  lieu  que  vous 
habitez,  sur  les  agréments  qu'il  vous  offre  et  sur  la  paresse 
qu'il  fait  passer  sur  vos  doigts,  et  sur  votre  esprit.  Il  ne 
s'agit  pas  de  s'abandonner  à  cette  oisiveté  qui  vous 
déprimerait;  il  faut  commencer  plusieurs  choses  de 
genre  différent,  de  façon  à  passer  de  l'une  à  l'autre  quand 
le  goût  change.  La  rêverie  ne  mène  à  rien;  elle  développe 
la  sensibilité  et  enveloppe  de  tristesse,  quand  elle  ne  fait 
rien  de  pire.  La  seule  rêverie  qui  fait  du  bien,  c'est  celle 
qui  se  rapproche  de  l'infini  en  contemplant  l'étendue  de 
l'océan  ou  la  profondeur  des  cieux.  Dieu  est  en  tout  cela 
et  il  est  en  même  temps  près  de  nous.  Ce  qui  nous  touche 
dans  ses  œuvres  n'est  rien  en  comparaison  de  sa  beauté. 
Plus  heureux  que  nous  qui,  malgré  nos  affections,  ne 
pouvons  penser  sans  cesse  à  ceux  qui  nous  sont  chers, 
Lui,  à  chaque  instant,  a  les  yeux  fixés  sur  nous,  et,  quand 
nous  lui  sommes  fidèles,  il  a  son  grand  cœur  ému.  Cher- 
chons souvent  ce  regard,  c'est  juste,  c'est  bon,  c'est 
très  doux  aussi.  Dieu  est  comme  l'âme  de  la  nature  que 
nous  contemplons,  il  est  la  famille  parfaite  où  tout  est 
sécurité  et  affection. 

Je  suis  content  de  savoir  que  vous  persévérez  dans  vos 
exercices  de  piété,  malgré  la  sécheresse  qui  vous  y 
accueille  souvent;  je  vous  l'ai  dit  très  formellement  :  les 
exercices  continués  ainsi  sont  plus  agréables  à  Dieu  que 
ceux  qui  se  font  avec  facilité;  je  vous  l'ai  dit  aussi  non 
moins  fortement  :  quand  on  a  promis  une  chose,  on  la  fait 
sans  considérer  si  elle  plaît.  Je  vois  que  vous  vous  affer- 
missez dans  ce  genre  de  vie  et  dans  ces  difficultés.  Autre- 
fois, vous  auriez  suivi  vos  goûts  et  vos  ennuis  (car  on  est 
un  peu  capricieuse);  aujourd'hui  on  fait  ce  qu'on  sait 
agréable  à  Dieu,  ce  qu'on  lui  a  promis  et,  comme  les 


—  30  — 

bons  soldats  qui,  au  besoin,  meurent  au  poste  d'honneur, 
vous  garderez  cette  attitude  toutes  les  vacances,  que 
dis-je?  toute  la  vie. 

Que  le  bon  air  vous  donne  les  forces  convenant  à  une 
jeune  fdle  qui  veut  faire  quelque  chose  en  ce  monde  ! 
C'est  le  vœu  de  celui  qui  se  dit  avec  une  grande  affection 
votre  père  en  Notre-Seigneur  ! 


IV 

Ma  chère  enfant, 

Je  m'explique  le  trouble  de  votre  lettre  par  la  préoc- 
cupation continuelle  de  ces  derniers  temps...  L'insom- 
nie prolongée  vous  a  rendue  à  la  fois  nerveuse  à  l'excès 
et  toute  faible  pour  réagir.  Pourquoi  n'avez-vous  pas 
porté  ailleurs  vos  pensées,  vos  regards?  N'êtes-vous  pas 
sous  la  garde  du  bon  Dieu  et  ne  mérite-t-il  pas  votre  con- 
fiance? Que  veulent  dire  ces  paroles  :  «  Pas  un  cheveu  de 
votre  tête  ne  tombe  sans  ma  permission?  »  Voulez-vous 
qu'il  reste  étranger  aux  choses  importantes? 

Vous  qui  avez  un  si  excellent  cœur,  comment  pouvez- 
vous  faire  à  ce  Dieu  qui  vous  aime  et  s'occupe  de  vous  la 
peine  sensible  de  vous  désoler  comme  s'il  n'était  pas  là? 
Moi-même  qui  vous  suis  très  attaché,  mais  infiniment 
moins  que  Lui,  moi-même,  je  suis  triste  de  vous  voir 
si  peu  raisonnable,  si  oublieuse  des  affections  qui  vous 
entourent  et  surtout  si  malheureuse  ! 

Changez  bien  vite  tout  cela.  Dites  à  Dieu  tout  simple- 
ment que  vous  vous  abandonnez  à  sa  paternité,  que  vous 
ferez  en  temps  et  lieu  ce  que  vous  croirez  entrer  dans 
ses  intentions,  et  que  vous  n'aurez  jamais  peur  de  l'ave- 
nir, étant  sous  sa  garde. 

Sans  doute,  malgré  vos  craintes,  vous  trouverez  dans 
la  vie  votre  part  de  joie;  mais  n'attachez  pas  à  ces  joies 
courtes  et  insuffisantes  votre  idéal  de  bonheur.  Cet  idéal 
n'est  qu'au  ciel.  Le  ciel  est  l'éternelle  vie.  C'est  pour  lui 


—  31  — 

que  nous  devons  porter  la  vie  présente,  si  elle  est  parfois 
lourde  et  même  douloureuse. 

Revenez  à  vos  prières  habituelles,  ma  chère  enfant,  et 
aussi  à  vos  communions.  Alors  même  que  vous  n'y  trou- 
veriez pas  de  goût,  vous  y  trouverez  Notre-Seigneur  et  la 
force  de  le  suivre. 

J'espère  que  vous  serez  comme  toujours  sensible  à  mon 
désir  et  que  vous  ne  voudrez  pas  continuer  à  me  faire  de 
la  peine.  Je  souffre  de  vous  voir  si  agitée,  si  troublée,  si 
loin  de  l'idéal  que  je  me  fais  encore  de  votre  piété.  Cette 
tempête  aura  été  pour  vous  une  leçon;  à  l'avenir  vous 
irez  à  Dieu  au  lieu  de  suivre  là  tentation;  vous  monte- 
rez au  lieu  de  descendre. 


Ma  chère  enfant, 

Vous  l'avez  compris,  c'est  dans  l'abandon  à  Dieu  que 
vous  trouverez  votre  repos.  Ne  le  cherchez  pas  dans  ceci 
ou  cela.  Savons-nous  ce  qui  nous  est  le  meilleur?  On  se 
trompe  souvent  !  Aimez  à  penser  que  Dieu  a  sur  vous  des 
desseins  très  bons,  très  favorables  et  qu'il  les  réalisera,  à  la 
seule  condition  qui  vous  n'y  mettiez  pas  obstacle.  Ne 
soyez  donc  pas  empressée  ni  tourmentée,  ce  n'est  pas 
ainsi  que  l'on  attend  la  volonté  de  Dieu. 

Acceptez  de  bon  cœur  la  situation  présente,  toute  triste 
qu'elle  est;  c'est  une  préparation  certaine  aux  desseins  de 
Dieu  et  ce,  sera  une  part  de  vos  mérites. 

Il  n'est  pas  défendu  à  une  jeune  fille  de  rêver  un  peu  d'af- 
fections humaines  Ne  vous  le  reprochez  donc  pas  trop. 
Soyez  prudente  néanmoins.  N'élevez  pas  vos  rêves  trop 
haut;  ne  vous  faites  pas  non  plus  un  vrai  besoin  de  leur 
réalisation.  En  rêvant  un  bonheur  trop  grand,  on  risque 
de  ne  pas  se  contenter  du  bonheur  très  relatif  qu'on  aura' 
sans  doute  ;  et  en  se  faisant  un  besoin  de  ces  joies,  on  s'ex- 
pose à  un  profond  découragement,  si  Dieu  ne  juge  pas 
qu'il  soit  bon  pour  nous  que  nous  les  ayons.  Revenons-en, 
ma  chère  enfant,  à  cette  belle  leçon  du  divin   Maître  : 

6 


—  32  — 

«  Cherchez  tout  d'abord  et  par-dessus  tout  le  règne  de 
«  Dieu,  son  saint  amour.  Le  reste,  c'est-à-dire  les  joies  de 
«(  ce  monde,  le  reste  vous  sera  donné  par  surcroît.  » 

Quand  vous  souffrez  de. votre  état  de  santé  et  de  ce 
dont  il  vous  prive;  quand  la  pensée  vous  vient  que  votre 
avenir  peut  en  être  compromis,  retirez-vous  le  plus  tôt 
possible  de  ces  impressions  en  vous  disant  :  le  bon  Dieu 
s'occupe  de  moi  ;  c'est  tout  ce  qu'il  faut  :  je  suis  tranquille. 
Je  connais  des  âmes  qui  trouvent  leur  joie,  et  une  grande 
joie,  dans  l'amour  de  Dieu.  J'en  connais  aussi  qui  sont  bien 
malheureuses  dans  le  mariage.  Laissez  faire  celui  qui  sait 
tout  et  qui  est  le  meilleur  des  pères. 


VI 

Ma  chère  enfant, 

Voire  lettre  me  cause  un  sensible  plaisir  non  seulement 
par  l'expression  de  vos  vœux  et  votre  souvenir  pour  les 
pauvres,  mais  surtout  par  le  progrès  très  grand  que  je 
remarque  dans  vos  dispositions.  Votre  patience  dans  la 
souffrance,  votre  acceptation  généreuse  de  mille  priva- 
tions, en  faveur  des  âmes  qui  vous  sont  chères,  et  votre 
résolution  d'être  de  plus  en  plus  édifiante  pour  avoir  plus 
de  crédit  auprès  des  vôtres. 

Et  puis,  au  fond  de  tout  cela,  je  vois  grandir  un  véri- 
table amour  pour  Notre-Seigneur.  Vous  me  demandez 
quelles  sont  les  intentions  de  Dieu  sur  vous.  Je  ne  sau- 
rais dire,  ma  chère  enfant,  quelle  position  il  vous  réserve  — 
à  votre  âge,  la  santé  fait  des  prodiges  —  mais  ce  que  je 
sais,  c'est  que  désormais  vous  resterez  une  âme  du  bon 
Dieu,  une  âme  pieuse.  La  souffrance  vous  a  préparée  et 
votre  bon  cœur  a  correspondu  aux  avances  de  Dieu. 
Si  vous  aviez  été  bien  portante  et  très  occupée  des  choses 
de  la  vie,  vous  n'auriez  pas  eu  sans  doute  ces  pensées  éle- 
vées et  ces  aspirations  pieuses. 

Courage,  ma  chère  enfant,  je  vous  bénis,  avec  toute 
l'affection  d'un  père. 


33  — 


VII 


Ma  chère  enfant, 

Votre  filiale  affection  me  touche  vivement.  Elle  a  de 
ces  délicatesses  qui  vont  au  cœur.  Votre  piété  m'est  aussi 
une  grande  consolation;  je  constate  que  vous  comprenez 
le  bon  Dieu  et  que  ce  doux  Sauveur  se  révèle  à  vous  de 
plus  en  plus.  Quelle  source  de  courage  et  de  vie  pour 
votre  isolement  si  fréquent  !  Quelle  sauvegarde,  quand 
vous  allez  dans  le  monde  !  Vous  le  sentez,  tout  y  est  vide; 
les  occupations  ne  laissent  rien  après  elles,  quand  elles 
n'ont  pas  d'objet  sérieux.  Soyez  néanmoins  très  indul- 
gente pour  les  personnes  qui,  moins  favorisées  que  vous, 
passent  leurs  journées  à  ces  pauvres  riens  ! 

Ne  faisons  pas  trop  de  rêves  d'avenir.  Sans  doute,  rien 
ne  s'oppose  à  vos  justes  espérances;  mais  il  est  mieux 
d'attendre  la  volonté  de  Dieu,  pour  s'y  laisser  aller.  Ces 
désirs  ont  pour  effet  immédiat  de  rendre  triste,  et  ils 
pourraient  amener  au  découragement,  si  leur  réalisa- 
tion se  faisait  trop  attendre.  Et  d'ailleurs  avec  l'âme  si 
délicate  que  vous  avez,  vous  risquez  fort  de  souffrir  ! 
Le  plus  sage  est  donc  de  désirer  modérément  ce  que  nous 
désirons,  et  en  même  temps  de  vous  tenir  attachée  à  cette 
pensée  que  Dieu  vous  donnera  ce  qui  vaut  le  mieux. 


.  VIII 

Ma  chère  enfant, 

Je  tiens  à  vous  féliciter  de  vos  bonnes  dispositions. 
Vous  m'avez  fait  un  grand  plaisir  en  reprenant  le  cours 
de  votre  vie  pieuse.  Je  serais  attristé,  si  je  vous  voyais 
renoncer  à  vous  élever.  Vous  avez  le  goût  de  ce  qui  est 
beau  et  grand.  C'est  une  grâce,  ce  goût  vous  porte  à 
rechercher  ce  qui  est  le  plus  grand  et  qui  ne  se  trouve 
que  dans  la  beauté  morale.  Avoir  une  âme  forte,  gêné- 


—  34  — 

reuse,  constante,  avec  un  cœur  délicat  :  voilà  qui  pré- 
pare une  vie  noble.  La  vie  pieuse  réalise  des  merveilles 
quand  elle  rencontre  de  telles  dispositions  qui  sont  les 
vôtres. 

Le  danger  qui  vous  menace  est  précisément  dans  l'une 
de  vos  qualités  :  la  sensibilité.  Quand  vous  ne  sentez 
plus  les  douceurs  du  bon  Dieu,  vous  vous  croyez  délais- 
sée et  vous  abandonnez  bientôt  vos  résolutions.  Mais, 
mon  enfant,  l'épreuve  est  la  voie  ordinaire;  la  consola- 
tion n'est  qu'un  secours  passager.  La  vie  est  si  courte  en 
face  de  l'Eternité  :  or  Dieu  a  surtout  en  vue  cette  vie  qui 
ne  finit  pas  et  au  besoin,  il  fait  bon  marché  de  "nos  joies 
de  ce  monde.  N'aura-t-il  pas  le  Ciel  pour  récompenser  les 
souffrances  qu'il  aura  permises  ici-bas?  Je  vous  le 
demande  donc  au  début  de  cette  année  :  servez  Dieu 
parce  qu'il  mérite  d'être  servi  et  non  parce  que  vous  y 
trouvez  quelque  joie.  Ne  vous  découragez  pas  non  plus 
pour  votre  santé  :  Dieu  sait  ce  qui  vous  convient  le  mieux 
et  un  jour,  vous  direz  qu'il  avait  bien  raison.  Faites-lui 
crédit... 

IX 

Ma  chère  enfant, 

La  vertu  permet  de  souffrir  et  de  gémir,  elle  ne  permet 
pas  de  déserter.  Or  vous  déserteriez- le  parti  du  bon  Dieu, 
si  vous  ne  teniez  pas  ferme  dans  la  position  prise.  Vous 
êtes  comme  un  soldat  qui  a  promis  de  tenir  à  telle  place 
quoi  qu'il  arrive.  On  y  compte!  Que  dirait-on  de  lui  s'il 
quittait  son  poste  parce  qu'il  est  pénible  ou  simplement 
ennuyeux!...  Ne  méritez  donc  pas  le  nom  qu'on  lui  don- 
nerait... 

Je  vous  l'ai  expliqué,  ma  chère  enfant,  le  service  de 
Dieu  n'exige  pas  cette  spontanéité,  cette  joie  que  nous 
apportons  d'ordinaire  dans  l'accomplissement  de  nos 
devoirs  envers  les  personnes  que  nous  aimons.  La  raison 
principale  en  est  que  Dieu  est  invisible,  et  ne  manifeste 
pas  toujours  sa  présence  par  des  consolations.  Nous  ser- 


—  35  — 

vons  Dieu  parce  qu'il  est  juste,  parce  que  c'est  noire  père. 
Nous  voulons  son  ciel,  nous  demandons  son  secours. 
Méritons-le. 

Perdez  l'habitude,  ma  chère  enfant,  de  dépendre  de 
vos  impressions.  Les  impressions  changent.  Vous  le  cons- 
tatez tous  les  jours.  Quand  vous  allez  bien  et  qu'autour  de 
vous,  il  y  a  quelque  apaisement,  vous  êtes  bien  disposée. 
Votre  santé  recommence-t-elle  à  vous  chagriner  :  vous 
voilà  découragée  !  Dieu  semble  vous  avoir  abandonnée, 
taudis  qu'il  n'a  fait  que  vous  soumettre  à  l'épreuve.  La 
vie  est  faite  pour  cela.  Rappelez-vous  cette  parole  de  la 
sainte  Écriture  :  «  Ils  s'en  allaient  à  travers  les  larmes, 
jetant  partout  la  semence  précieuse.  Les  voilà  qui 
reviendront  chargés  de  riches  moissons.  » 

La  moisson  ne  se  fait  qu'à  la  saison  qui  est  la  fin  de  la 
vie,  Ayez  le-  courage  de  vos  espérances;  laissez  la  lâcheté 
à  ceux  qui  attendent  tout  de  la  vie. 

Vous  allez  donc  commencer  par  changer  de  sentiments  : 
vous  reprendrez  votre  amour  pour  Dieu,  votre  résolu- 
tion de  le  servir,  même  sans  consolation  aucune  :  vous 
accepterez  la  souffrance  de  la  maladie.  S'il  est  utile  de 
le  dire  à  vos  parents,  vous  le  direz;  si  vous  pouvez  leur 
épargner  ce  chagrin,  vous  pouvez  garder  le  silence  :  faites 
ce  que  vous  conseilleriez  à  une  aiitre  personne. 


X 

Ma  chère  enfant, 

Vous  apprendrez  par  expérience  que  nos  impressions 
changent  et  qu'il  ne  faut  pas  attacher  grande  importance 
à  ces  moments  de  profonde  tristesse  où  l'on  voit  tout  en 
noir,  non  seulement  dans  le  présent,  mais  encore  dans 
l'avenir.  Au  bout  de  quelques  jours,  quelquefois  de  quel- 
ques heures,  les  choses  paraissent  tout  autres.  Il  suffit 
pour  cela  d'une  circonstance  heureuse,  d'une  améliora- 
tion de  la  santé,  quelquefois  simplement  d'un  rayon  de 
soleil. 


—  36  — 

Se  laisser  dominer  par  des  impressions  qui  changent 
ainsi,  n'est  pas  d'une  âme  sérieuse  comme  la  vôtre. 
N'ayez  donc  plus  peur  de  ces  mauvais  moments;  dites- 
vous,  comme  en  voyant  tomber  la  pluie  :  cela  passera!... 
Vous  aurez  été  prophète  !  ce  n'est  pas  peu  de  chose  ! 

La  vie,  mon  enfant,  ne  s'expliquerait  pas  pour  moi 
sans  Dieu  et  sans  le  ciel!  mais  avec  le  sentiment  que 
Dieu  gouverne  tout  et  que  tout  nous  amène  au  ciel, 
surtout  les  peines,  chaque  tristesse  s'explique  et  se  fait 
accepter.  C'est  de  la  philosophie  et  de  la  meilleure.  Soyez 
bonne  élève  ! 

XI 

Ma  chère  enfant, 

Il  n'est  vraiment  pas  permis  d'être  aussi  bébé  que  vous 
l'êtes!  Quand  l'âge  de  raison  arrive,  il  déloge  l'enfantil- 
lage. Et  voilà  que  vous  en  auriez  encore...  avec  qui? 
avec  Dieu  !  Vraiment  vous  voudriez  vivre  sensiblement 
une  vie  qui  ne  doit  rien  aux  sens  et  qui  est  toute  dans  la 
volonté?  Vous  possédez  la  vie  surnaturelle  et  vous  vou- 
driez faire  descendre  cette  vie  à  une  forme  toute  de 
nature  ! 

Je  ne  vous  fais  pas  l'injure  de  croire  qu'aimée  de  Jésus, 
vous  fuyez  sa  croix.  Je  suis  convaincu  que  vous  seriez 
très  brave  dans  le  sacrifice  et  la  souffrance,  car  vous  senti- 
riez alors  que  vous  vous  sacrifiez  et  que  vous  souffrez  pour 
Jésus.  Ce  qui  vous  désespère  c'est  de  ne  rien  sentir,  pas 
même  de  la  douleur...  ma  pauvre  enfant,  vous  suivez  en 
cela  votre  nature  et  vous  ne  vous  demandez  pas  ce  que 
Dieu  veut  de  vous.  Or  tout  est  là  !  Ce  qu'il  veut,  c'est  ce 
que  nous  vous  conseillons.  Plus  vous  serez  confiante  et 
docile,  plus  vous  donnerez  à  votre  piété  sa  solidité  et  son 
élévation.  En  suivant  votre  nature,  je  vous  le  répète, 
vous  vous  exposez  à  tout  abandonner  un  jour. 

Il  ne  faut  jamais  entreprendre  des  mortifications 
comme  celle  dont  vous  me  parlez,  sans  en  avoir  obtenu 
la  permission.  Exposez  d'avance  et  très  simplement  votre 


—  37  — 

désir  et  ce  qui  sera  prudent  vous    sera  accordé.    Ne  la 
faites  plus  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  notre  assentiment. 

Laissez-moi  terminer  par  un  mot  cruel!  Vous  pensez 
trop  à  vous  et  Dieu,  que  vous  voulez  servir  parfaitement, 
passe  en  réalité  au  second  plan.  Ne  songez  qu'à  ce  qui 
peut  lui  être  le  plus  agréable;  oubliez- vous  vous-même 
et  vos  préférences  et  vos  goûts. 


XII 

Ma  chère  enfant, 

Je  vous  porterai  mercredi  le  deuxième  volume  de  saint 
François  de  Sales.  Vous  y  trouverez,  plus  encore  que 
dans  le  premier,  Y  âme  de  ce  saint  si  aimable.  Enl'admirant, 
vous  prendrez  goût  à  l'imiter,  et  en  l'étudiant  avec  soin 
vous  apprendrez  mille  délicatesses  à  l'égard  de  Dieu  et  des 
hommes.  Vivre  auprès  de  personnes  parfaites  serait  un  si 
grand  bonheur  et  une  si  belle  école  !  La  vie  des  Saints, 
quand  elle  est  donnée  en  détail,  nous  procure  ce  bien  :  ma 
chère  enfant  sera  de  la  famille  de  saint  François  de  Sales  ! 

Quant  aux  autres  lectures  de  simple  agrément,  la  pre- 
mière règle  est  d'écarter  tous  les  livres  dangereux,  et  la 
seconde  d'en  lire  peu  :  autant  qu'il  est  nécessaire  pour  se 
distraire.  Je  vous  conseille  de  commencer  même  cette 
sorte  de  lecture  par  un  signe  de  croix,  et  de  la  terminer 
de  même. 

Je  ne  veux  pas  que  vous  vous  imposiez  un  règlement 
trop  strict;  je  préfère  que  vous  assuriez  l'essentiel  et 
qu'en  tout  vous  gardiez  la  liberté  de  vos  mouvements. 
L'essentiel  est  la  méditation,  l'examen  et  les  retours  vers 
Dieu,  puis  la  communion. 

Pas  de  tristesse,  ma  chère  enfant.  Être  triste,  quand 
on  se  sait  l'enfant  de  Dieu,  c'est  ne  pas  faire  honneur 
à  son  père.  On  pourrait  laisser  croire  qu'il  n'est  pas  bon.., 
ou  qu'on  ne  le  connaît  guère. 


—  ns 


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Ma  chère  enfant, 

Comme  vous  êtes  dans  la  peine,  je  viens  à  vous  pour 
vous  dire  :  ayez  confiance,  Dieu  veille  sur  vous.  —  Soyez 
brave,  vous  serez  merveilleusement  récompensée. 

J'admire  votre  générosité  à  vous  prêter  à  ce  qui  peut 
retenir  votre  frère  chez  vous  et  le  rattacher  à  la  famille 
par  le  lien  de  l'affection.  Ce  n'est  que  par  une  très  grande 
bonté  que  l'on  gagne  les  cœurs.  —  J'admire  aussi  votre 
courage  à  cacher  à  vos  parents,  déjà  si  tristes,  ce  qui  les 
attristerait  davantage  encore.  Soyez  l'ange  du  foyer. 
Quand  personne  ne  remarque  vos  sacrifices,  regardez 
donc  l'invisible  et  vous  trouverez  les  yeux  de  notre 
divin  Maître  fixés  sur  vous;  contents,  et  avec  une  affection 
que  rien  n'égale.  —  Vous  me  dites  que  vous  ne  comprenez 
pas  la  valeur  de  vos  souffrances,  tandis  que  vous  adnlettez 
le  prix  de  celles  de  Notre-Seigneur.  Eh  bien  !  mon  enfant, 
sachez  qu'elles  sont  ensemble,  et  que  vos  petites  et  pau- 
vres souffrances  s'unissent  à  ses  grands  sacrifices  et  à  sa 
Passion.  Elles  arrivent  ensemble  sous  les  yeux  de  Dieu 
comme  un  bouquet  dans  lequel  vous  seriez  la  petite  fleur 
modeste  pressée  contre  des  fleurs  magnifiques.  Dieu 
accepte  et  aime  tout  le  bouquet,  et  comme  il  voit  tout,  il 
distinguo  votre  souffrance  à  vous  et  l'aime  en  tant  que  ne 
faisant  qu'un  avec  celle  de  son  Fils. 

Outre  le  mérite,  mon  enfant,  la  souffrance  a  le  don  de 
perfectionner  une  nature,  quand  elle  est  bien  supportée. 

Je  ne  m'oppose  pas  à  ce  que  vous  exposiez  au  bon  Dieu 
ce  que  vous  m'écrivez  :  «  Je  suis  jeune  et  ma  vie  est  bien 
triste;  j'ai  goûté  à  bien  des  coupes  amères;  l'avenir  est 
plus  que  noir  et  sans  l'ombre  d'espoir.  »  Il  y  a  là  beau- 
coup de  vrai,  sauf  pour  le  dernier  membre  de  phrase. 
Plaignez-vous  un  peu;  notre  Sauveur  le  fit  bien  au  jar- 
din des  Oliviers  !  Comme  lui  après  la  plainte,  dites  la 
parole  d'acceptation  et  d'abandon  :  que  votre  volonté 
se  fasse  et  non  la  mienne.  Se  plaindre  finalement  n'est  pas 


—  39  — 

une  faute  et  quelquefois  cela  console;  c'est  presque  un 
besoin  comme  de  pleurer.  Dieu  ne  s'en  froisse  pas.  Seule- 
ment ayez  soin  de  ne  pas  rester  sur  cette  impression  et 
relevez- vous    toujours    par    une    parole    de    confiance. 

Quant  à  l'avenir,  Dieu  y  pourvoira.  C'est  peut-être 
pour  vous  forcer  à  regarder  le  Ciel  qu'il  rend  la  terre  si 
triste  autour  de  vous.  Eh  bien  !  dites-vous  qu'après  tout 
pour  être  heureuse  des  milliers  de  siècles,  ce  n'est  pas  une 
mauvaise  affaire  d'y  dépenser  sa  courte  vie  d'ici-bas. 

Je  vois  avec  plaisir  que  vous  avez  bien  compris  qu'il 
ne  faut  pas  mesurer  à  la  consolation  ressentie  soit  l'amour 
que  Dieu  nous  porte,  soit  l'amour  que  nous  avons  pour 
Lui.  C'est  bien.  Vous  ne  vous  découragez  plus  ! 


XIV 

Ma  chère  enfant, 

Ne  vous  laissez  pas  gagner  par  la  tristesse;  vous  ne 
feriez  pas  honneur  au  bon  Dieu.  Tout  le  monde,  à  son 
service,  doit  être  content.  Si  on  ne  l'est  pas,  c'est  qu'on 
ne  regarde  pas  assez  de  son  côté.  Ne  savez-vous  pas  qu'il 
s'occupe  de  nous  à  chaque  instant  et  bien  plus  que  ne 
savent  le  faire  les  personnes  qui  nous  aiment  le  mieux? 
Que  s'il  semble  nous  abandonner  aux  fluctuations  de  la 
vie,  c'est  que  tout  obéit  à  ses  ordres  et  entre  dans  son 
plan.  Ce  plan  est  beaucoup  trop  étendu  et  à  trop  longue 
échéance  pour  que  nous  puissions  le  saisir  ou  même  le 
deviner.  De  là  le  mérite,  comme  la  raison  d'être  de  notre 
confiance.  La  belle  confiance,  si  tout  allait  selon  nos  goûts 
et  en  pleine  clarté  !  C'est  filial,  au  contraire,  de  se  montrer 
aussi  tranquille  sans  voir,  que  vous  le  seriez  si  tout  était 
expliqué. 

Ne  demandez  pas  non  plus  que  Dieu  vous  fasse  sentir 
sa  présence  ou  vous  donne  pour  Lui  de  grands  sentiments. 
Il  nous  réserve  pour  le  Ciel  la  joie,  et  s'il  nous  en  fait  parfois 
pressentir  quelques  douceurs,  ce  n'est  qu'en  passant,  pour 
que  nous  ne  nous  y  attachions  pas.  Soyons  donc  ici-bas 


—  40  — 

comme  des  enfants  qui  vont  à  la  recherche  de  leurs 
parents,  qui  savent  où  ils  les  trouveront,  mais  qui  n'en 
jouiront  que  dans  la  Patrie! 

Ne  vous  faites  pas  un  remords  des  tristesses  qui  vous 
envahissent,  mais  ne  vous  laissez  pas  aller;  réagissez 
doucement;  acceptez  tout  ce  que  vous  ne  pouvez  écarter 
et  demeurez  fidèle  à  tous  vos  devoirs  bien  convenus. 
Soyez  l'ange  de  la  famille,  l'ange  qui  console  et  qui  mon- 
tre le  ciel.  Soyez  aussi  pour  le  bon  Dieu  une  âme  en  qui 
il  trouve  son  repos,  sur  laquelle  il  peut  compter  et  à 
laquelle  il  puisse  donner  de  grandes  grâces  méritées.  C'est 
son  bonheur  de  nous  voir  vertueux  et  de  pouvoir  par  là 
nous  enrichir  pour  le  Ciel. 


XV 

Mercredi  Saint. 
Ma  chère  enfant, 

Votre  lettre  m'afflige.  Comment  persistez- vous  à  exiger 
de  Notre-Seigneur  des  preuves  par  la  consolation,  quand 
il  nous  rappelle,  en  ces  jours  de  deuil,  les  preuves  de  ses 
douleurs  indicibles,  souffertes  pour  nous. 

C'est  bien  mieux  en  souffrant  vous-même  ces  priva- 
tions que  vous  lui  prouveriez  votre  amour  fidèle.  Ne 
pourrait-il  pas  vous  dire  comme  aux  apôtres  :  «  Vous 
n'avez  pu  veiller  avec  moi  cette  heure  douloureuse  !  » 
L'heure  douloureuse  est  l'épreuve  et  l'épreuve  peut  durer 
des  années  comme  seulement  des  heures.  Je  connais  des 
âmes  qui,  restées  plus  de  dix  ans  sans  l'ombre  de  con- 
solation, continuaient  quand  même  leur  heure  journa- 
lière de  méditation,  leur  communion  de  tous  les  matins, 
leurs  œuvres  de  zèle  et  leurs  devoirs  de  famille. 

Non,  ce  n'est  point  parce  qu'il  vous  aime  moins  ou 
parce  que  vous  lui  avez  fait  quelque  peine  que  Notre- 
Seigneur  vous  prive  de  consolations.  C'est,  je  crois,  pour 
vous  former.  Il  n'est  pas  bon  que  vous  cherchiez  dans  la 
piété  ce  qui  n'est  que  Je  côté  accessoire.  Elle  est  surtout 


•       —  41  — 

dans  le  dévouement  et  le  dévouement  se  mesure  à  ce 
qu'on  sait  souffrir. 

Quand  vous  reconnaîtrez  que  vous  n'avez  pas  agi  en 
enfant  aimante,  vous  allez  être  exposée  à  une  autre  tenta- 
tion, vous  serez  troublée  et  surtout  mécontente  de  vous; 
vous  n'oserez  plus  aller  à  Notre-Seigneur  avec  un  cœur 
dilaté;  peut-être  même  n'oserez- vous  plus  vous  approcher 
de  la  sainte  communion.  —  Eh  bien  !  sachez-le,  vous  n'êtes 
en  cela  coupable  d'aucune  vraie  faute.  Votre  seul  tort  est 
d'avoir  cédé  à  votre  nature  avide  de  sentiment  et  de  n'a- 
voir pas  cherché  Jésus  là  où  il  est  en  ce  moment,  c'est-à- 
dire  sur  la  croix. 

Non,  il  n'a  pas  été  insensible  à  vos  souffrances'  de  ces 
derniers  temps,  et  il  est  tout  prêt  à  vous  accueillir  comme 
une  enfant  gâtée,  peut-être  même  à  vous  le  faire  sentir; 
mais,  encore  une  fois,  mettons  le  véritable  amour  divin 
où  il  est,  dans  l'abnégation  personnelle  et  non  dans  le 
goût  sensible. 

Vous  avez  besoin  que  Dieu  vous  donne  une  bonne 
leçon  :  être  éloignée  de  la  sainte  Table,  à  pareil  jour  que 
demain,  en  est  une  fort  pénible. 


XVI 

Pauvre  enfant,  vos  tristesses  me  touchent  profondé- 
ment et  je  ne  puis  pas  vous  dire  qu'elles  n'ont  pas  de 
grave  fondement.  J'aime  mieux  penser  à  la  chrétienne 
que  vous  êtes  et  lui  rappeler  l'inexorable  loi  de  l'exil 
qui  pèse  sur  toute  existence  et  s'étend  au  domaine  reli- 
gieux lui-même.  Vous  accepteriez  mieux  vos  souffrances 
de  maladie  et  de  famille,  si  vous  trouviez  en  Dieu  de 
douces  consolations.  Vous  vous  rendez  à  l'église,  vous 
vous  prosternez  devant  un  long  chemin  de  croix  pour 
entendre  dans  votre  coeur  quelque  parole  venue  du  ciel. 
On  peut  l'espérer,  mais  Dieu  n'a  pas  promis  de  répon- 
dre toujours  :  Il  a  même  coutume  d'ajouter  aux  peines 
de  la  vie,  la  peine  de  cette  privation.  Pourquoi  ?  mais, 
mon  enfant,  parce  qu'il  a  fait  de  la  vie  un  temps  de 


—  42  — 

mérite,  et  le  mérite  ajoute  aux  jouissances  futures  qui 
seront  éternelles.  Regretteriez- vous  des  privations  qui 
durent  un  jour,  si  elles  vous  obtiennent  des  jouissances 
qui  dureront  toujours?  Ne  vivez  donc  pas  dans  le  mo- 
ment présent,  vivez  dans  l'éternité.  Xc  faites  pas,  comme 
les  petits  enfants,  des  maisons  de  sable  que  le  soir  voit 
crouler.  Soyez  une  personne  raisonnable  qui  ne  regarde 
pas  la  vie  comme  une  demeure  permanenlr. 


XVII 

Ma  chère  enfant, 

Je  suis  bien  content  de  vous.  J'aime  bien  mieux  que 
vous  ayez  fait  de  vous-même  ce  sacrifice  que  rien  ne 
vous  obligeait  à  faire,  ni  la  conscience,  ni  ma  volonté. 
Vous  n'avez  cédé  qu'à  une  seule  influence  :  celle  de  faire 
plaisir  à  Dieu  par  ce  sacrifice.  En  voyant  Notre-Seigneur 
dans  l'Eucharistie  privé  de  tant  de  choses,  vous  n'avez 
pas  voulu  vous  donner  une  jouissance  inutile,  du  moins 
pour  le  moment.    ' 

Vous  dirai-je  que  je  ne  m'étonne  pas  de  votre  déter- 
mination et  que,  sans  l'avoir  demandée,  je  l'ai  prévue. 
En  cela  j'ai  suivi  l'exemple  de  saint  François  de  Sales  à 
qui  sainte  Chantai  rapporte  avec  indignation  que  deux 
postulantes,  très  bonnes  d'ailleurs,  refusaient  de  se 
défaire  de  leurs  pendants  d'oreilles,  je  crois.  Elle  voulait 
qu'on  les  renvoyât.  Le  saint  souriant  lui  dit:  laissez  faire 
et  attendez;  quand  le  feu  sera  dans  la  maison,  elles  jet- 
teront par  la  fenêtre  les  meubles  inutiles.  Ce  qui  arriva 
en  effet.  Les  jeunes  filles  devenues  très  ferventes  n'eu- 
rent rien  de  plus  à  cœur  que  de  sacrifier  ces  inutilités  à 
l'amour  d'un  Dieu  qui  se  donnait  tout  à  elles. 

Remarquez  donc,  ma  chère  enfant,  que  l'essentiel  est 
d'aimer  Jésus  et  que  l'âme  qui  l'aime  devient  généreuse 
presque  forcément  et  de  la  manière  la  plus  douce.  Elle 
est  heureuse  de  se  priver,  quand  elle  sait  que  la  privation 
lui  est  agréable. 


—  43  — 

J'approuve  pleinement  votre  désir  de  vous  faire  ins- 
crire à  la  Garde  d'honneur  du  Saint-Sacrement  et  de  ne  pas 
vous  en  tenir  à  l'obligation  du  mois.  Il  est  bon  cependant 
que  vous  restiez  libre  et  que  ces  visites  de  chaque  semaine 
soient  facultatives.  Votre  santé,  vos  visites  pourraient 
vous  arrêter,  et  il  est  fâcheux  de  manquer  à  une  obligation 
positive. 

Exercez  bien  votre  rôle  d'enfant  consolatrice  dans 
votre  famille.  Ne  regardez  pas  ce  que  vous  avez  envie  de 
faire,  mais  ce  que  les  autres  attendent  de  vous.  En  vivant 
pour  eux,  vous  vivrez  pour  Jésus.  A  chaque  instant,  vous 
pouvez  lever  les  yeux  vers  Lui  et  être  assurée  qu'il  vous 
sourit. 

XVIII 

Ma  chère  enfant, 

Cette  longue  indisposition  de  votre  mère  aura  eu  cela 
de  bon,  de  vous  fournir  l'occasion  de  lui  rendre  bien  des 
services  et  de  lui  montrer  que  vous  savez  vous  oublier. 
Ce  que  vous  avez  fait  pour  elle,  vous  l'avez  fait  de  grand 
cœur,  n'est-ce  pas?  et  cependant  vous  n'avez  pas  senti  de 
grands  transports.  Pourquoi?  parce  que  HafTection  se 
prouve  bien  plus  souvent  qu'elle  ne  se  sent.  Apprenez 
mieux  à  ne  pas  vous  juger  moins  filiale  pour  Dieu  parce 
que  vous  ne  sentez  rien  en  communiant  chaque  jour.  En 
tournant  votre  cœur  vers  Lui  très  souvent,  vous  lui  prou- 
vez votre  amour,  ce  qui  vaut  bien  mieux.  Oui,  mon  enfant, 
j'ai  la  cruauté  de  me  réjouir  de  cette  privation  de  senti- 
ment qui  vous  déconcerte  !  Je  m'en  réjouis  parce  que  c'est 
la  condition  de  notre  vie  d'exil;  je  m'en  réjouis  particu- 
lièrement pour  vous  parce  qu'à  votre  âge,  c'est  une 
excellente  formation.  Il  faut  savoir  vivre  de  foi  et  d'espé- 
rance, sans  rien  voir  et  sans  rien  sentir.  La  vie  n'est  qu'une 
longue  journée.  L'éternité  seule  vaut  la  peine  de  fixer  notre 
pensée.  Songez  au  temps  où  vous  serez  au  ciel  depuis 
cent  ans,  mille  ans,  et  de  là  regardez  la  vie  et  ses  peines. 


—  44  — 

Elles  vous  paraîtront  aussi  petites  que  les  plus  grandes 
étoiles  vues  de  la  terre. 

XIX 

Ma  chère  enfant, 

Je  me  hâte  do-  vous  répondre  pour  vous  remonter  le 
moral.  Voilà  une  enfant  à  qui  Dieu  a  daigné  se  faire  con- 
naître intimement.  Il  l'a  choisie  au  milieu  de  tant  d'au- 
tres et  il  lui  a  donné  toujours  des  guides  pour  la  soutenir 
de  leurs  conseils  et  de  leur  affection.  Lui-même  parfois 
lui  a  laissé  entrevoir  quels  trésors  d'amour  et  de  bonheur 
se  trouvent  auprès  de  Lui.  Il  lui  a  montré  ce  Fils  qu'il  a 
sacrifié  pour  la  sauver  et  lui  donner  l'exemple;  il  le  lui 
a  prodigué  dans  la  communion...  et  parce  que  ces  vues 
consolantes  n'ont  eu  que  peu  de  durée,  parce  qu'elle 
ne  sent  rien  de  ce  qu'elle  aimerait  à  sentir,  la  voilà  qui 
tombe  en  défaillance  ! 

Mais,  mon  enfant,  ne  savez-vous  donc  pas  que  nous 
sommes  en  exil...  que  la  vie  est  une  épreuve...  que  la  foi 
précède  la  vision  de  Dieu  et  que  les  peines  intérieures  : 
sécheresses,  froideurs,  nous  donnent  occasion  de  prouver 
la  solidité  de  notre  amour  et  de  mériter  au  ciel  une  affec- 
tion plus  grande  et  plus  délicieuse  de  la  part  de  Dieu  ? 
Faut-il  que  je  vous  rappelle  encore  que  vous  avez  charge 
d'àmes...  que  les  âmes  ne  se  rachètent  que  par  des  calvai- 
res, et  qu'au  Calvaire  la  plus- grande  douleur  de  Jésus  fut 
de  se  sentir  comme  délaissé  de  son  Père?  Acceptez  donc, 
mon  enfant,  d'être  avec  lui  et  comme  lui.  Ne  doutez 
jamais  de  votre  amour  pour  Dieu,  ni  de  l'amour  de  Dieu 
pour  vous.  Ne  vous  regardez  pas  trop  sonffrir;  vivez  de 
foi. 


XX 

Ma   chère  enfant, 

Ne  savez-vous  pas  que  pour  produire  des  moissons  la 
terre  a  besoin  d'être  labourée,  déchirée  et  que  le  grain 


—  45  — 

lui-même  revêt  les  apparences  de  la  mort?  N'avez-vous 
pas  médité  récemment  les  douleurs  divines  de  Jésus  à 
Gethsémani  et  sur  le  Calvaire?  Quand  il  criait  :  «  Mon  Dieu, 
pourquoi  m'avez-vous  délaissé  »,  il  pensait  à  sa  petite 
enfant  qui,  dans  l'avenir,  redirait  avec  angoisse*  ces  pa- 
roles de  désolation.  Jamais  le  divin  Sauveur  ne  fut  plus 
aimé  de  son  Père  qu'à  ce  moment  où  il  semblait  aban- 
donné de  Lui.  Jamais  notre  chère  A.  n'en  est  plus  aimée 
qu'aux  jours  où  il  lui  demande  de  le  servir  sans  la  moindre 
consolation,  sans  le  moindre  désir  sensible.  Que  désirez- 
vous?  Etre  aimée  de  Dieu  réellement  et  beaucoup.  Il  vous 
aime  ainsi.  Mais  cela  ne  vous  suffit  pas;  vous  voudriez  le 
sentir,  ce  qui  veut  dire  :  en  jouir.  Est-ce  qu'en  ce  monde, 
les  grandes  âmes  réclament  un  salaire  immédiat?  Est-ce 
qu'elles  renoncent  à  associer  leurs  propres  douleurs  à 
celles  de  Jésus?  Il  n'y  a  pas  eu  un  instant  dans  toute  sa 
vie  où  il  n'ait  souffert  toutes  les  amertumes  de  se  voir 
abandonné  par  la  plupart  des  âmes  de  son  temps  et  de 
l'avenir;  et  son  regard  anxieux  cherchait  s'il  ne  rencontre- 
rait pas  des  cœurs  capables  de  s'oublier  pour  souffrir  ses 
propres  peines,  sacrifiant  ainsi  les  joies  si  douces  de  la 
piété.  Si  vous  ne  sentez  pas  le  désir  de  ce  partage,  il  vous 
reste  de  le  vouloir  quand  même.  C'est  le  triomphe  de  la 
foi  qui  s'en  rapporte  à  Dieu  et  à  ceux  qui  tiennent  sa 
place.  Revenez  donc  à  la  paix  par  la  résignation  et  l'aban- 
don. Dites  à  Jésus  :  je  veux  tout  ce  qui  vous  fait  plaisir. 
Je  veux  être  comme  vous  et  souffrir  avec  vous. 

Nous  voici  maintenant  à  la  seconde  conclusion  de  votre 
état.  Ce  n'est  pas  sans  appréhension  que  j'y  arrive.  Mon 
enfant,  pour  cette  année,  il  vous  faut  renoncer  aux  morti- 
fications que  vous  me  dites  et  même  aux  jeûnes.  Je  le 
regrette  beaucoup,  je  vous  l'assure,  mais  je  le  vois  dans 
la  volonté  de  Dieu.  En  renonçant  à  ce  que  désirait  votre 
bonne  volonté,  vous  ferez  un  acte  de  filiale  soumission. 
Pour  les  détails  adressez- vous  à  votre  confesseur  qui  verra 
d'une  confession  à  l'autre  ce  qu'il  peut  prudemment 
vous  permettre. 

La  prière  sera  votre  manière  de  servir  Dieu  particu- 
lièrement. Faites  exactement  et  de  votre  mieux  ce  qui 
est  réglé  et  supportez  de  bon  cœur  les  sécheresses. 


—  46  — 

L'ensemble  de  votre  lettre  me  montre  en  vous  un  grand 
progrès  de  lumière  dans  les  choses  de  Dieu,  une  volonté 
très  forte  de  vous  avancer  dans  la  piété,  mais  à  côté  de 
cela,  un  peu  trop  d'empressement  pour  atteindre  votre 
but  et  un  peu  de  dépit  de  vous  voir  souvent  imparfaite. 
Dieu  vous  aime  telle  que  vous  êtes;  vous  pouvez  donc 
bien  vous  supporter  vous-même  ! 

Ayez  toujours  l'intention  droite  de  faire  plaisir  à  Dieu 
et  ne  vous  inquiétez  pas  des  tentations  et  des  défaillances 
passagères. 

XXI 

Ma  chère  enfant, 

Il  est  visible  que  Dieu  vous  tient  dans  l'épreuve.  Il  a 
coutume  de  le  faire  pour  les  âmes  dont  il  attend  beau- 
coup. Sûrement  il  a  permis  au  démon  de  tenter  pénible- 
ment les  saintes  qui  étaient  tout  à  Lui.  Elles  se  sont  sou- 
tenues par  la  confiance  et  en  répétant  au  besoin  la  parole 
de  Job  :  «  Quand  même  vous  me  tueriez,  j'aurais  confiance 
en  vous.  »  Dieu  n'en  viendra  pas  là  avec  vous  !  mais  il 
compte  vos  souffrances  et  ne  vous  perd  pas  de  vue  un 
instant.  Ne  pouvant  lui  parler  avec  votre  cœur,  conti- 
nuez à  lui  parler  avec  votre  foi.  La  prière  que  vous  me 
citez  est  très  bonne. 

La  grande  affaire  est  de  persister.  Ne  tenez  pas  compte 
des  tentations,  allez  votre  chemin,  étant  bien  assurée, 
par  l'autorité  qui  m'a  été  donnée,  que  vous  êtes  aimée 
de  Dieu,  telle  que  vous  êtes. 

Dieu  ne  permet  ces  envies  de  jouissance  inférieure 
que  pour  vous  donner  le  mérite  d'y  renoncer,  au  moins 
souvent. 

Si  vous  saviez  combien  vous  êtes  chère  à  son  cœur, 
vous  en  jouiriez  trop.  Peut-être  pourrez- vous  lire  avec 
profit  les  écrits  de  la  Bienheureuse  Marguerite- Marie.  Elle 
était  encore  plus  sensible  que  vous;  ce  n'est  pas  pou 
dire!   Courage! 


—  47  — 

XXII 

Ma  chère  enfant, 

Soyez  vaillante  dans  l'épreuve.  Souffrir,  même  vive- 
ment, n'est  point  pécher.  Se  trop  regarder  souffrir  est' 
une  faiblesse  et  une  imprudence.  Changer  quoi  que  ce 
soit  à  sa  vie  pieuse  est  une  infidélité  qui  vous  fut  autre- 
fois coutumière.  Rappelez- vous  que  votre  exil  ici-bas  res- 
semble beaucoup  à  la  situation  d'un  voyageur  qui  doit 
marcher  à  travers  tous  les  temps.  S'il  le  fait  de  bonne 
humeur  il  en  souffre  moins  et  se  montre  brave. 

Vous  avez  raison  de  parler  rarement  de  vos  souffrances. 
N'en  parlez  à  personne  habituellement,  je  dirai  même  : 
n'en  parlez  pas  trop  à  Dieu.  Pourquoi  cela?  parce  que  le 
mieux  est  d'en  détacher  votre  pensée.  Si,  malgré  tout, 
l'impression  de  tristesse  demeure,  aimez  cet  état  qui  est 
voulu  de  Dieu  pour  le  moment,  mais  faites  cependant 
tous  vos  efforts  pour  en  sortir. 

Ne  vous  étonnez  pas  de  vous  sentir  moins  unie  à  Dieu 
quand  vous  éprouvez  ces  sortes  de  déceptions  et  quand 
l'indignation  vous  saisit.  Efforcez- vous  de  les  apaiser. 
Faites  vos  communions  comme  d'habitude,  en  dépit  des 
distractions  et  du  peu  de  ferveur  que  cet  état  vous  cause, 
et  ne  croyez  jamais  que  vous  soyez  moins  aimée  de  Notre- 
Seigneur.  «  Il  connaît  le  limon  dont  nous  sommes  for- 
més. »  Il  n'attend  donc  pas  de  vous  une  solidité  imper- 
turbable. Ce  qu'il  réclame  c'est  la  volonté  de  l'aimer  et  la 
confiance  d'être  aimée  quand  même. 

De  mon  côté  j'offre  à  Dieu  votre  âme,  lui  demandant 
de  se  l'attacher  de  plus  en  plus  profondément.  Vous  en 
connaissez  le  moyen,  n'est-ce  pas?  Rien  ne  remplace  le 
détachement  de  soi-même  et  pour  vous  ce  détachement 
porte  sur  les  consolations  spirituelles.  En  échange  de  vos 
sacrifices  vous  demanderiez  ces  douceurs?  Quoi  !  vous 
prenez  Dieu  pour  un  marchand  avec  lequel  on  fait  une 
affaire  sur  un  comptoir  !  Avec  Dieu  la  seule  attitude  digne 

7 


—  48  — 

est  l'abandon  filial  :  ne  rien  demander,  ne  rien  désirer. 
Aimons  tout  ce  qu'il  envoie. 

Ce  que  je  tiens,  par  exemple,  à  vous  dire,  c'est  que  les 
privations  qu'il  vous  impose  du  côté  du  goût  et  de  l'odo- 
rat peuvent  être  aussi  méritoires  que  si  vous  vous  les 
imposiez  vous-même.  En  effet  le  mérite  vient  de 'l'amour 
qui  nous  anime;  si  donc  vous  acceptez  toutes  ces  choses 
avec  un  amour  vrai,  et  je  le  crois,  vous  n'avez  rien  à 
envier  aux  âmes  qui  cherchent  les  souffrances.  Aimez 
donc  bien  les  vôtres  et  tenez-vous  dans  la  disposition  de 
les  préférer  si  Dieu  vous  proposait  de  vous  en  affranchir, 
tout  en  ajoutant  qu'il  y  trouverait  moins  de  gloire. 

Je  vous  l'ai  déjà  dit  et  je  vous  l'affirme  encore  aujour- 
d'hui, je  suis  convaincu  que  depuis  ces  années  passées 
Vous  avez  fait  de  réels  progrès.  Si  Dieu  vous  prive  de  la 
satisfaction  de  les  voir  vous-même,  prenez  courage  en 
vous  en  rapportant  à  moi. 


XXIII 

Ma  chère  enfant, 

Je  serai  heureux  de  vous  voir  samedi  à  la  Table  sainte 
partageant  avec  nous  ce  même  Dieu  qui  ne  se  divise  pas, 
mais  qui,  par  miracle,  se  donne  tout  entier  à  chacun. 
Je  le  remercie  de  l'honneur  qu'il  m'a  fait  de-m'accepter 
tout  à  Lui  sans  partage  et  de  me  permettre  de  le  donner 
aux  autres. 

Vous  serez  une  âme  à  qui  je  l'aurai  fait  le  mieux  con- 
naître et  aimer...  Et  si  vous  le  connaissez  et  l'aimez  bien, 
vous  ne  lui  demanderez  pas  trop  de  bonheur,  même 
auprès  de  Lui.  Ceux  qui  aiment  généreusement  veulent 
partager  le  sort  de  ceux  qu'ils  aiment;  or  Jésus  n'a  pas 
voulu  jouir,  et  il  a  accepté  de  beaucoup  souffrir  et  cela 
pour  vous.  Je  ne  fais  que  vous  répéter  là  ce  que  j'ai  mis 
abondamment  dans  mes  livres  :  puisque  vous  les  lisez 
et  les  relisez,  j'ai  confiance  que  vous  les  traduirez  dans 
votre  conduite.  On  vous  verra  toujours  d'égale  humeur 


—  49  — 

malgré  l'état  pénible  des  nerfs,  parée  que  votre  pensée  se 
fixera  sur  Notre-Seigneur  qui  vous  regarde.  Pour  Lui 
vous  ne  trouverez  rien  de  trop  pénible.  Vous  serez  aussi 
la  consolation  de  vos  parents  si  éprouvés!  Oh!  oui,  je 
joins  ma  prière  aux  vôtres  pour  un  meilleur  avenir. 
Croyez  ma  chère  enfant,  que  votre  filiale  affection  m'est 
douce  et  que  vous  avez  en  moi  un  père  bien  affectionné. 


TROISIEME    SERIE 


Ma  chère  enfant, 

Notre-Seigneur  pour  guérir  un  aveugle  fit  un  peu  de 
boue  avec  sa  salive  et  la  mit  sur  ces  yeux  qui  ne  voyaient 
pas;  or,  voilà  qu'aussitôt  ils  s'ouvrirent. 

Mon  enfant,  il  faut  voir  clairement  vos  misères,  surtout 
quand  il  reste  un  peu  d'orgueil.  De  prime  abord,  la  lumière 
blesse,  mais  elle  finit  par  guider. 

Je  vous  ai  montré  ce  que  vous  devez  être  et  en  cela  je 
vous  ai  prouvé  que  je  vous  crois  capable  de  choses  éle- 
vées. 

La  vue  de  ce  qui  vous  manque  produit  naturellement  le 
découragement,  et  doit  produire  surnaturellement  la 
prière  qui  attend  tout  de  Dieu;  mais,  là  encore,  vous  avez 
à  réprimer  votre  empressement.  Les  résultats  ne  viennent 
pas  si  vite,  et  nous  ne  les  constatons  pas  aisément;  il  faut 
persévérer  sans  se  troubler  et  être  bien  assuré  que  l'on 
obtiendra,  à  l'heure  de  Dieu,  non  à  la  sienne. 


—  50  — 

II 

Ma  chère  enfant, 

Je  laisse  là  toutes  mes  occupations  pour  vous  répondre, 
parce  que  je  vois  que  vous  souffrez  beaucoup.  Pauvre 
enfant,  si  près  de  Dieu,  pourquoi  ne  pas  vous  reposer 
sous  sa  garde?  Le  saint  homme  Job  disait  :  «  Quand*  même 
il  me  tuerait,  j'aurais  confiance  en  Lui  !  »  Et  en  effet, 
Dieu  connaît  toutes  vos  souffrances  dans  le  détail.  De 
toute  éternité,  il  les  a  mesurées.  Elles  ne  sont  pas  au- 
dessus  de  vos  forces.  Dieu  connaît  aussi  le  bien  qu'elles 
vous  apporteront  finalement,  si  vous  êtes  fidèle,  et  il 
vous  assure  les  moyens  de  l'être.  Que  d'âmes  s'inté- 
ressent à  vous  !  Que  de  lumières  n'avez-vous  pas  sur  la 
conduite  de  Dieu  qui  envoie  la  souffrance  pour  purifier, 
faire  espérer,  donner  occasion  de  se  confier  à  lui,  de  lui 
prouver  sa  générosité...  L'expérience  aussi  n'est-elle 
pas  là  pour  vous  montrer  que  tout  passe,  même  notre 
douleur.  A  une  époque  de  ma  vie,  j'ai  été  accablé  de  tant 
de  peines  que  je  ne  voyais  pas  comment  je  pourrais  y 
suffire.  Chaque  matin,  j'étais  épouvanté  d'une  journée 
qui  me  semblait  sans  fin  et  vide  et  désolée.  Je  me  jetais 
à  l'eau,  malgré  cette  frayeur,  je  faisais  le  peu  que  je  pou- 
vais et  la  journée  se  passait,  et  le  lendemain  je  répon- 
dais à  mes  craintes  renouvelées  :  hier  j'ai  bien  pu  vivre,  ce 
sera  de  même  aujourd'hui.  Mon  plus  grand  soin  alors 
était  d'agir  avec  la  plus  grande  perfection  dont  j'étais 
capable  et  de  remercier  Dieu  sans  cesse  de  mes  peines, 
même  en  pleurant  de  douleur.  Je  trouvais  aussi  beaucoup 
de  sécurité  dans  la  dévotion  à  la  Sainte  Vierge.  Je  vous  le 
dis  en  toute  simplicité,  je  ne  vois  pas  qu'on  puisse  avoir 
plus  de  peines  que  je  n'en  avais  de  tous  les  côtés  et  cer- 
tainement de  plus  sensibles,  avec  cette  terrible  compli- 
cation de  la  santé  délabrée  par  ces  peines. 

Oui,  mori  enfant,  c'est  du  côté  de  Dieu  qu'il  faut  cher- 
cher le  secours.  Quand  vous  vous  sentez  repliée  sur  vous- 
même,  secouez-vous,  et  allez  à  Lui.  Dites-Lui  sans  cesse 


—  51  — 

que  c'est  bien,  que  vous  voulez  tout,  ce  qu'il  veut,  que 
votre  seul  désir  est  qu'il  en  soit  glorifié.  Abandonnez- 
vous  ! 


III 


•' 


Ma  chère  enfant, 


J'étais  loin  de  m'attendre  à  une  nouvelle  crise  si  pro- 
chaine après  les  assurances  que  je  vous  avais  données. 

Gomme  je  ne  puis  vous  laisser  répéter  ce  que  vous  m'a- 
vez dit  trop  souvent  et  que  "ces  répétitions  ne  font  que 
créer  chez  vous  un  besoin  factice  de  les  renouveler,  je 
me  demande  s'il  n'est  pas  préférable  que  vous  vous 
adressiez  à  un  autre  prêtre. 

Pour  que  ce  prêtre  puisse  juger  plus  clairement  de  votre 
nature  et  de  votre  état,  je  pense  qu'il  sera  bon  de  lui  sou- 
mettre la  lettre  de  moi  qjje  je  vous  ai  dit  de  garder  et  de 
relire.  Sans  cela,  vous  pourriez  être  dirigée  d'une  façon 
fâcheuse,  si  l'on  s'en  tenait  à  votre  exposé,  sincère  sans 
doute,  mais  altéré  par  des  sentiments  erronés. 

Si  vous  reveniez  à  moi  ces  jours-ci,  je  ne  consentirais 
qu'à  vous  recevoir  quelques  minutes  et  sans  aucun  retour 
sur  ce  qui  a  été  dit  et  décidé. 

Vous  m'attristez  profondément  et  Dieu  aussi. 


IV 


Continuez,  ma  chère  enfant,  à  détourner  vos  regards  de 
vous-même  pour  les  tenir  fixés  en  haut  sur  le  divin  Jésus, 
l'idéale  beauté.  Ne  les  ramenez  sur  la  terre  que  pour  y 
voir  des  âmes  à  admirer  ou  à  plaindre,  à  aimer  toujours. 
Dieu  vous  pénétrera  en  proportion  de  votre  oubli  de  vous- 
même.  Laissez-le  vous  aimer,  sans  songer  à  vous  aimer 
vous-même,  ou  à  faire  des  retours  sur  ce  que  vous  sentez. 

Inclinez  sur  tout  ce  qui  rapproche  de  Dieu.  Le  monde 


—  52  — 

en  éloigne,  surtout  quand  on  l'aime.  Il  no  s'y  faut  expo- 
ser que  par  obligation  et  sagement. 

Pour  trouver  Dieu,  les  saints  ont  gagné  la  solitude  et, 
de  nos  jours,  beaucoup  d'âmes  quittent  le  monde.  Le 
monde  offre  divers  agréments  de  distinction,  de  bonnes 
manières,  de  serviabilité  même,  mais  le  monde  ne  vous 
fera  pas  aimer  Jésus,  et  il  ne  donnera  pas  à  vos  aspira- 
tions leur  vraie  nourriture.  Rappelez-vous  cette  loi  qui 
se  vérifie  tous  les  jours  :  on  finit  par  s'approprier,  sans  s'en 
douter,  les  pensées  et  les  sentiments  de  son  entourage. 
Cette  pénétration  lente  est  fatale  à  bien  des  vertus. 

Ne  soyez  pas  du  monde;  servez- vous  du  monde  pour 
atteindre  votre  but,  qui  est  de  vous  procurer  une  situa- 
tion meilleure  pour  l'avenir.  Acceptez  les  quelques  jouis- 
sances d'art  qui  s'offrent  à  vous,  mais  ne  vous  y  attachez 
pas  trop,  et  ne  vous  en  faites  ni  un  besoin,  ni  une  vie. 

Il  est  bien  difficile  d'être  beaucoup  au  monde  et  d'être 
assez  à  Dieu.  Dans  le  doute,  prenez  le  parti  le  plus  sûr 
et  au  fond  le  plus  doux. 

V 

Ma  pauvre  enfant, 

Ne  vous  laissez  donc  pas  aller  ainsi  !  Ce  qui  vous 
arrête  n'est  constitué  que  par  des  impressions.  Les  impres- 
sions changent,  vous  ne  les  éprouverez  plus  aussi  vives 
bientôt  et  elles  feront  place  à  d'autres  contraires.  Il  ne 
faut  donc  rien  changer  à  sa  vie  ni  aux  espérances  conçues 
sur  de  simples  impressions.  Pour  changer,  il  faut  des  rai- 
sons; or,  toutes  les  raisons  vous  portent,  au  contraire, 
vers  Dieu  et  vers  la  vie  pieuse;  méprisez  donc  les  impres- 
sions. Je  sais  bien  que  les  souffrances  qu'on  se  crée  par 
une  extrême  sensibilité  sont  tout  de  même  des  souffrances 
et  je  vous  plains  de  les  éprouver  à  un  tel  point;  mais 
vous  ne  les  diminuerez  pas  en  y  cédant.  Reprenez  le  point 
d'appui  que  Dieu  vous  offre.  Vous  savez  bien  aussi  que 
je  ne  vous  abandonnerais  pas  de  la  sorte. 

Combien   de   personnes  auraient   été  heureuses  dans 


—  53  — 

votre  position!  Par  ce  même  courrier,  j'envoie,  avec  la 
vôtre,  une  lettre  à  une  personne  qui  a  été  riche  et  qui 
n'a  pas  même  de  pain;  j'ai  besoin  d'un  prétexte  pour  lui 
faire  accepter  le  secours  que  je  lui  envoie. 

Soyez  raisonnable;  remettez- vous  à  prier;  venez  vous 
confesser  et  que  tout  soit  oublié. 


VI 

Ma  chère  enfant, 

Vous  êtes  lasse  de  vous  sentir  mauvaise,  c'est-à-dire 
pleine  d'orgueil,  de  jalousie,  d'envie  de  jouissances. 

Ah  !  ma  pauvre  enfant,  c'est  exprès  que  le  bon  Dieu 
vous  laisse  tout  cela;  c'est  pour  votre  exercice;  c'est  pour 
la  rédemption  du  passé;  c'est  pour  un  amour  plus  grand 
au  ciel. 

Vous  n'êtes  nullement  coupable  d'avoir  tout  cela. 

Mais,  dites-vous,  si  j'y  cède? 

Je  vous  affirme  que  vous  n'y  céderez  pas  d'une  vraie 
volonté;  je  m'en  fais  garant;  votre  nature  s'y  surprend; 
elle  en  est  toute  saisie;  elle  vibre  à  l'unisson,  d'accord  : 
mais  cela  n'est  que  vu  par  votre  libre  arbitre  et  non 
accepté. 

Observez  moins;  ne  faites  plus  cas  de  ce  que  vous 
sentez  aimer  et  croyez  fermement  que  vous  n'en  êtes 
pas  coupable. 

Vous  verrez  bientôt  que  vous  vous  laissez  tromper  par 
le  démon,  vous  le  reconnaîtrez  à  la  comparaison  :  sous  ces 
craintes,  vous  étiez  moins  portée  au  bien,  moins  désinté- 
ressée de  vous-même,  moins  paisible  surtout. 

En  agissant  conformément  à  l'obéissance  et  en  croyant 
ce  que  je  vous  dis,  vous  retenez  la  paix,  la  lumière  pour 
vous  guider,  l'oubli  de  vous-même  par  l'union  confiante  à 
Dieu. 

Vous  vous  étiez  imposé  un  fardeau  que  Dieu  ne  vous 
a  pas  donné;  vous  ne  pouvez  le  porter,  il  vous  connaît; 
jetez-le   bien   vite;   acceptez   d'être  un  foyer  de   moins, 


—  54  — 

mais  croyez  que,  malgré  cela,  vous  êtes  aimée  de  Celui 
qui  aime  les  malades,  les  pauvres,  les  repentants. 

Retenez  tout  votre  cœur  pour  Notre-Seigneur,  et  s'il 
ne  vous  en  laisse  pas  encore  la  jouissance,  attendezvle 
avec  sécurité. 

Vos  empressements  à  vouloir  vous  sentir  parfaite  déjà 
ne  feraient  que  vous  fatiguer  la  tête.  Consentez  à  rester 
pauvrette,  mais  près  de  Notre-Seigneur;  là  est  le  secret 
de  la  paix. 

VII 

Ma  chère  enfant, 

Votre  voie  est  une  voie  très  délicate  parce  qu'elle 
repose  sur  la  sensibilité.  Dieu  l'a  ainsi  ordonné,  il  ne  faut 
donc  pas  se  troubler,  mais  entrer  dans  ses  intentions 
et  tendre  à  Lui  par  le  cœur  :  votre  voie  est  délicate  en 
ce  que  la  sensibilité  vous  portera  non  seulement  vers 
l'amour  de  Dieu,  mais  aussi  vers  le  désir  d'être  estimée 
et  aimée  des  créatures;  or,  si  vous  vous  laissez  aller  à 
ces  déviations,  vous  altérerez  votre  âme,  et  sortirez  de 
votre  voie.  Le  désir  un  peu  maladif  d'être  estimée 
particulièrement  doit  être  combattu  par  une  humilité 
paisible  et  franche;  dites  :  j'accepte  d'être  peu  estimée 
et  je  ne  désire  pas  de  l'être  plus  que  Dieu  ne  le  veut  : 
or  ce  qu'il  veut,  c'est  ce  qu'il  nous  fait  donner  d'estime. 

De  même  pour  le  désir  d'affection  :  je  dois  être  contente 
de  la  part  qu'il  me  fait  et  me  refuser  à  ces  préoccupa- 
tions et  lamentations  sur  le  peu  d'affection  que  l'on  ren- 
contre. Il  faut  comprendre  l'obéissance  et  accepter  ce 
qu'elle  dit  sans  chercher  pourquoi  et  comment;  l'obéis- 
sance qui  raisonne  trop  n'est  plus  un  soutien;  et  l'obéis- 
sance qui  veut,  pour  obéir,  pouvoir  démontrer  que  l'on 
a  raison  n'est  plus  même  une  obéissance.  On  obéit 
parce  que  l'obéissance,  c'est  Dieu  qui  parle;  cherchons 
à  bien  comprendre,  oui,  mais  pas  au  delà. 


—  55  — 

VIII 

Ma  chère  enfant, 

Je  suis  heureux  de  vous  savoir  près  d'une  âme  qui 
souffre  et  qui  a  une  si  belle  nature.  Parlez  de  Notre-Sei- 
gneur  plus  que  des  créatures,  car  les  pauvres  créatures 
ont  toujours  des  lacunes  et  souvent  de  tristes  côtés. 

S'il  vous  était  permis  de  choisir  entre  une  audition  par- 
faite de  musique  et  de  vilains  instrumentistes,  perdriez- 
vous  votre  temps  à  écouter  ces  derniers?  Vous  n'y 
trouveriez  que  le  bien  pauvre  plaisir  de  critiquer.  On  ne 
vit  que  de  ce  qui  est  vrai,  grand  et  beau;  on  s'occupe  du 
reste  seulement  autant  qu'il  le  faut.  «  Cherchez  ce  qui  est 
en  haut,  goûtez  ce  qui  est  en  haut  »,  telles  sont  les  invi- 
tations de  la  Pentecôte.  —  Le  texte  ajoute  :  «  Ne  cherchez 
pas,  ne  goûtez  pas  ce  qui  est  sur  terre  »,  c'est  trop  peu 
d'abord,  puis  ce  n'est  pas  sans  inconvénients.  —  Quand 
on  examine  les  heures  de  sa  journée...  que  d'heures 
perdues  ! 

IX 

Ne  voyez  dans  ma  sévérité,  ma  chère  enfant,  que  la 
preuve  positive  de  mes  espérances.  Si  je  n'attendais  pas 
de  vous  une  perfection  plus  haute,  je  vous  laisserais 
tranquille  dans  ce  que  je  vois  d'imparfait.  Vous  reconnaî- 
trez aussi  par  l'expérience  que  toute  disposition  impar- 
faite est  une  prédisposition  à  de  plus  graves  tourments. 
Et  puis  voudriez-vous  refuser  à  Notre-Seigneur  un  peu 
plus  de  place  dans  votre  cœur,  un  peu  plus  de  beauté 
dans  votre  âme.  N'ambitionnez-vous  pas  de  vous  en 
faire  aimer? 

Cherchez-le  pour  Lui  et  acceptez  ce  qu'il  vous  donne, 
ne  poursuivant  rien  avec  empressement  et  ne  vous  esti- 
mant pas  trop  appauvrie  parce  que  telle  confiance  ne 
vous  sera  pas  donnée.  Ce  n'est  pas  nous   qui   ferons  Je 


—  56  — 

bien,  ce  sera  lui  par  nous.  Notre  grande  qualité  doit  être 
de  lui  offrir  un  intermédiaire,  un  instrument  dont  il 
puisse  faire  ce  qu'il  veut,  librement;  le  laissant  parfois 
à  terre  comme  ses  outils  d'autrefois,  le  retrouvant  docile 
quand  il  le  ramasse  pour  s'en  servir.  Ne  savez-vous  pas 
qu'un  bon  ouvrier  peut  faire  des  merveilles  avec  un  assez 
mauvais  outil? 

X 

Ma  chère  enfant, 

Vous  aurez  vu  votre  ange  du  ciel  et  vous  serez  revenue 
sur  terre  avec  un  rayon  dans  le  cœur. 

Oh  !  pourquoi  vous  occuper  de  vous-même  quand  vous 
pouvez  vous  pénétrer  de  Dieu,  Le  faire  vivre  en  vous  ! 

Pourquoi  craindre  la  souffrance,  l'humiliation?  pour- 
quoi même  y  penser?  Ce  sont  choses  indifférentes  en  elles- 
mêmes.  Nous  accepterons  et  aimerons  celles  que  le  divin 
Maître  nous  enverra  et  elles  nous  seront  bonnes. 

Que  telle  personne  ait  telle  ou  telle  valeur  et  que  vous 
vous  occupiez  à  fixer  votre  opinion  :  vain  travail,  dange- 
reuse recherche,  aliment  de  l'orgueil  et  du  mécontente- 
ment. Aimer  Jésus  qui  est  parfait,  aimer  toutes  les 
âmes  qui  sont  à  Lui,  même  si  elles  sont  imparfaites  — 
secourir  celles  qui  demeurent  faibles,  ramener  celles  qui 
sont  loin  et  en  tout  cela  ne  voir  que  Jésus,  pas  soi, 
quelle  belle  et  douce  vie  ! 

Dieu  infini  peut  être  l'agent  premier  de  tous  vos  actes, 
mais  à  une  condition  :  c'est  que  chacun  de  ces  actes  l'ait 
pour  objet,  pour  but.  Dieu  peut-Il  agir  en  nous  pour  nous 
faire  rechercher  avec  inquiétude  si  nous  avons  telle  ou 
telle  valeur,  si  nous  sommes  préférés  à  d'autres  ou  dé- 
laissés !  Dieu  est  absent  de  ces  agitations. 

Il  est  là  quand  nous  parlons  à  Jésus,  aux  âmes;  quand 
nous  souffrons  de  ce  que  Jésus  souffre  en  Lui  ou  dans  les 
âmes;  dès  que  le  sentiment  personnel  paraît,  Dieu  se 
cache  comme  le  soleil  sous  un  nuage. 

Laissons  Dieu  vivre  et  agir   en    nous,    par    nous   et 


—  57  — 

pour  Lui  —  pas  pour  nous.   Il   nous  fora  notre  part  et 
elle  sera  d'autant  plus  belle  et  plus  ample  que  nous  aurons 
été  plus  désintéressés. 
Courage  !  Je  vous  bénis. 


XI 

Ma  chère  enfant, 

Notre-Seigneur  n'a  point  passé  un  instant  de  sa  vie 
sans  souffrir.  Sa  souffrance  de  chaque  instant  était  l'uni- 
verselle souffrance  de  tout  ce  qui  devait  le  blesser  :  l'aban- 
don, l'injure;  l'indifférence. 

Une  de  ces  souffrances  qui  ne  le  quittait  pas  était  la 
vue  continuelle  de  vos  fautes  et  aussi  la  vue...  de  vos 
douleurs  trop  personnelles  :  il  vous  plaignait,  mais  vous 
désirait  plus  généreuse. 

Vous  feriez  volontiers  le  sacrifice  des  joies  humaines, 
si  vous  aviez  en  échange  la  joie  spirituelle.  Ce  n'est  pas  ce 
que  demandent  les  vraies  Epouses  du  Dieu  crucifié  ! 

En  vous  apitoyant  sur  vous-même,  et  en  vous  regar- 
dant sans  cesse  souffrir,  vous  mettez  obstacle  à  votre  avan- 
cement et  à  votre  union  à  Jésus. 

Vous  avez  aussi  beaucoup  d'illusions. 

La  plus  grave  en  ce  moment  est  la  persuasion  que  vous 
vous  trouveriez  plus  heureuse  le  jour  où  vous  vous  seriez 
irrévocablement  liée  à  Notre-Seigneur.  —  Vous  seriez 
la  même;  ne  deviez-vous  pas  être  au  comble  du  bonheur, 
autrefois,  si  enfin  vous  étiez  admise  dans  la  Société  de...  et 
depuis?  Non,  ce  n'est  pas  en  désirant  ceci  ou  cela  qu'on 
se  prépare  le  repos,  c'est  en  acceptant  jour  par  jour  ce 
que  Dieu  jour  par  jour  nous  demande.  En  dehors  de  cet 
abandon,  il  n'y  a  que  succession  de  désirs  trompés  et 
découragement  inévitable. 

Vous  avez  tout  ce  qu'il  faut  pour  aimer  beaucoup 
Notre-Seigneur  et  vous  dévouer  à  Lui.  —  Sortez  de  l'ob- 
session de  vous-même;  c'est  votre  seul  obstacle  réel. 

Vous  êtes  si  préoccupée  de  vous  et  de  ce  que  vous  souf- 


—  58  — 

frez  que  vous  ne  comprenez  même  pas  ce  que  je  vous 
dis  on  vous  énis,  vous  privant  ainsi  du  secours  de  l'o- 
bèissance. 

Ah  !  qui  nous  arrachera  à  nous-mêmes  !  qui  nous 
dépouillera  de  ce  moi  qui  fait  écran  entre  nous  et  l'image 
adorée  de  Notre-Seigneur,  de  ce  moi  qui  nous  trouble 
sans  fin  ! 

XII 

Ma  chère  enfant, 

Il  faut  prendre  de  la  retraite  tout  ce  que  le  bon  Dieu 
vous  laisse.  Peut-être  n'avez-vous  pas  mérité  la  grâce 
tout  entière?  La  privation  des  moyens  spirituels  est  la 
marque  la  plus  sensible  d'un  délaissement  qui  devien- 
drait complet,  si  l'on  restait  insensible  à  ce  châtiment. 

Soyez  bien  humble  devant  Dieu  et  n'exigez  rien. 
Suppliez  et  vous  obtiendrez  tout.  Il  faut  absolument  que 
vous  vous  retrouviez,  et  que  vous  repreniez  la  domination 
de  vous-même  que  vous  avez  abdiquée  pour  suivre  vos 
entraînements.  Pauvre  enfant  !  que  vous  seriez  malheu- 
reuse bientôt,  si  vous  ne  vous  convertissiez  pas  à  temps! 
—  N'abusez  pas  de  la  bonté  de  Dieu.  Ne  vous  effrayez  pas 
non  plus  de  ses  rigueurs.  Demandez-lui  simplement  sa 
force,  non  ses  consolations. 

La  vie,  après  tout,  ne  sera  pas  longue  en  regard  de 
l'Eternité;  et  qui  sait  même  si  la  vôtre  atteindra  les  limi- 
tes ordinaires!  Ma  pauvre  enfant,  que  je  vous  plains! 
Comptez  sur  tout  mon  dévouement,  et  sur  une  affection 
que  vos  infidélités  affligent  profondément,  sans  la  dimi- 
nuer toutefois. 

XIII 

Mon  enfant, 

Je  suis  consolé  et  rassuré  par  la  pensée  qu'à  cette  heure, 
vous  avez  fait  la  sainte  Communion  et  que  vous  avez 
retrouvé  l'équilibre.  Pauvre  enfant!  que  vous  êtes  ingé- 


—  59  — 

niouse  à  vous  tourmenter  !  —  Je  vous  le  redis  encore  : 
oubliez-vous,  faites  régner  la  pensée  de  Dieu  à  la  place 
trop  occupée  par  vous-même.  Entretenez  habituellement 
le  sentiment  d'humilité  et  de  confiance  qui  est  juste  et 
sanctifiant.  «  Je  mérite  bien  davantage,  donc  je  ne  me 
plains  pas.  —  Dieu  est  bon,  donc  j'ai  confiance.  »  Ayez  le 
courage  de  vous  défaire  des  pensées  qui  vous  décourage- 
raient et  de  mettre  à  leur  place  soit  des  pensées  de  foi, 
soit  des  distractions  honnêtes. 


XIV 

Ma  chère  enfant, 

<.,)ue  vous  êtes  malade  et  malheureuse  ! 

Vous  vous  faites  un  mal  dont  vous  aurez  à  subir  les 
conséquences,  peut-être  longtemps.  Chaque  jour  de 
retard  détruit  quelque  chose  en  vous. 

Et  pendant  ce  temps,  vous  laissez  Notre-Seigneur 
dans  son  tabernacle,  oublié  et...  outragé;  et  pour  qui?... 

Ma  dauvre  et  chère  enfant,  sortez  de  cette  violente 
crise,  je  vous  en  conjure.  Si  vous  avez  la  perspective  de 
souffrir,  réjouissez-vous,  ce  sera  pour  vous  la  rançon. 
Dieu  soutiendra  votre  courage. 

Ne  dites  pas  :  je  retomberai.  Si  vous  aviez  coupé  court, 
au  commencement,  vous  ne  seriez  pas  retombée.  Les 
crises  sont  des  états  passagers.  Malheureusement  quand 
elles  se  produisent,  -vous  vous  imaginez  que  cela  ne 
passera  pas,  et  c'est  ce  qui  vous  fait  succomber.  Au  con- 
traire, quand  on  résiste,  qu'on  se  maintient,  l'orage  perd 
de  sa  violence  et  s'en  va  tout  à  fait. 

Votre  père  très  affligé. 


60  — 


XV 

Mon  enfant, 

Votre  lettre  me  fait  beaucoup  de  peine  et,  comme 
Notre-Seigneur  lui-même,  je  ne  peux  que  vous  excuser. 
Vous  ne  croyez  pas  mal  faire,  mais  je  dois  vous  dire  que 
vous  suivez  une  direction  opposée  à  celle  que  je  vous 
donne,  et  vous  faire  remarquer  que  vous  m'aviez  promis 
d'agir  autrement.  ' 

Vous  avez  promis  de  ne  plus  vous  occuper  de  vous,  de 
ne  plus  parler  des  personnes  qui  vous  sont  antipathiques, 
de  ne  pas  vous  décourager,  et  d'accepter  de  Dieu  le  mau- 
vais  ou  le  bon  en  fait  d'appréciation  et  de  procédés. 

Vous  aviez  résolu  de  tout  consacrer  à  Jésus,  vos  pensées 
comme  vos  goûts,  de  vous  faire   libre  enfin  pour  Lui. 

Je  ne  répondrai  plus  un  seul  mot  à  ces  mesquineries 
qui  ne  sont  pas  dignes  d'être  portées  en  direction  devant 
Dieu.  Ce  sont  du  reste  des  répétitions. 

Je  vous  répète  à  mon  tour  :  vous  vous  êtes  détachée 
outre  mesure  de  Mlle  X.;  vous  vous  êtes  détachée 
sans  raison  de  la  M.;  vous  vous  détachez  de  votre 
Docteur.  Si  vous  ne  changez  pas,  vous  serez  bientôt, 
par  votre  faute  et  par  votre  volonté  même,  privée  de  ces 
secours  qui  vous  seront  devenus  à  charge. 

J'avais  éprouvé  une  joie  profonde  à  vous  voir  sortir 
d'un  état  imparfait  pour  vous_  donner  à  Dieu;  j'avais 
ensuite  été  ravi  de  vous  voir  aimer  Jésus  comme  je  le 
désirais,  mais  depuis  quelques  années,  vous  me  faites 
vivre  dans  l'inquiétude  et  la  peine. 

Sera-t-il  vrai  de  dire  pour  vous  comme  pour  les  autres 
que  l'amour-propre  l'emporte  sur  le  cœur  et  que  l'amour- 
propre  ne  pardonne  pas  les  blessures  qu'on  lui  fait,  même 
quand  elles  sont  nécessaires? 

Je  crains  que  vous  ne  me  rendiez  justice  un  jour, 
peut-être  trop  tard. 

(  )li  !  non,  vous  no  pouvez  pas  offrir  à  Dieu  ce  qui  vous 
occupe,  ce  que  vous  écrivez  et  ce  que  vous  avez  envie  de 
faire  ! 


—  61  — 

Vous  m'avez  manqué  de  parole  déjà  plusieurs  fois  pour 
le  même  objet,  vous  êtes  revenue  ensuite  plus  ou  moins 
franchement;  ce  va-et-vient  ne  saurait  se  refaire  sans 
cesse.  Quand  vous  êtes  sous  l'influence  de  la  grâce,  vous 
reconnaissez  que  vous  êtes  victime  de  l'orgueil;  mais  il 
suffit  d'un  peu  de  temps  et  d'une  petite  occasion  pour  que 
vous  laissiez  reprendre  à  ce  défaut  son  despotisme.  Vous 
n'avez  pas  réellement  renoncé  à  ce  démon-là. 

Relisez  ce  que  je  vous  ai  écrit  de  la  part  de  Notre-Sei- 
gneur,  je  ne  saurais  vous  dire  autre  chose,  ni  vous  donner 
un  programme  différent. 

Je  vous  conjure  de  quitter  enfin  la  voie  funeste  où  vous 
vous  êtes  engagée;  le  manque  de  paix  vous  montre  bien 
que  ce  n'est  pas  la  voie  qui  mène  à  Dieu. 

Je  vous  bénis  encore  dans  la  tristesse  de  mon  affection 
paternelle. 

XVI 

Ma  chère  enfant, 

Ce  spleen  dont  vous  semblez  ne  pas  vouloir  vous  affran- 
chir vient  de  vous  et  non  des  choses;  —  il  est  un  état 
imparfait  et  dangereux.  Notre-Seigneur  ne  l'inspire  ni 
ne  l'approuve,  et  il  n'en  profite  pas  non  plus. 

Votre  état  de  santé  explique  qu'il  vous  saisisse,  mais 
il  ne  le  justifie  pas.  Votre  devoir  est  de  réagir.  Vous 
sortirez  toute  diminuée  et  peut-être  dégoûtée  de  tout. 
Représentez-vous  'Notre-Seigneur  vous  regardant  avec 
tristesse,  et  vous  disant  :  «  Que  te  manque  -t-il?  Que  me 
reproches-tu?  Sont-ce  mes  peines  qui  font  ta  peine? 
Nous  n'avons  donc  pas  une  vie  commune?  » 


XVII 

Mon  enfant, 

Vous  vous  faites  beaucoup  de  mal.  Hus  vous  descen- 
dez bas  dans  la  pente  de  votre  nature,  plus  vous  aurez 
de  peine  à  remonter» 


—  62  — 

Vous  êtes  en  opposition  avec  la  volonté  de  Dieu,  cela 
fait  trembler.  Il  ne  faut  pas  vivre  dans  l'état  où  l'on  ne 
voudrait  pas  mourir. 

Vous  êtes  au  fond  très  malheureuse  et  vous  le  devien- 
drez bien  davantage  le  jour  où,  après  avoir  laissé  Dieu, 
vous  vous  sentirez  véritablement  abandonnée  de  Lui. 
Il  n'en  est  pas  encore  ainsi.  N'écoutez  plus  vos  faux 
raisonnements.  Vous  vous  laissez,  tromper  par  le  démon. 
Il  n'y  a  de  bien  et  de  bonheur  qu'avec  Dieu.  Cherchez  son 
pardon  et  livrez-vous  à  Lui  sans  conditions.  Il  vous  sera 
bon.  Nous  n'avons  pas  le  droit  de  suivre  notre  nature, 
même  à  nos  dépens  :  nous  n'en  avons  que  le  triste  pou- 
voir. 

Ne  cherchez  pas  d'objections  et  de  vaines  excuses; 
soyez  humble,  priez  et  agissez,  malgré  vos  impressions. 

J'ai  beaucoup  de  peine  à  votre  sujet.  Je  vois  une  âme 
qui  s'amoindrit  et  s'expose  à  plaisir.  Je  vois  une  personne 
qui  m'est  chère  devenir  moins  estimable.  Il  faut  bien  vite 
réparer  et  racheter  tout  cela. 


XVIII 

Ma  chère  enfant, 

Un  mot  sur  mes  peines  à  votre  sujet;  déjà,  vous  le 
savez,  je  constatais  avec  tristesse  que  la  place  de  Notre- 
Seigneur  allait  en  diminuant  en  vous,  que  votre  tendresse 
pour  Lui  était  moins  exigeante.  Je  constatais  parallèle- 
ment la  préoccupation  plus  grande  des  vanités  et  des 
louanges,  le  goût  des  personnes  du  monde  et  le  dégoût  des 
personnes  pieuses. 

Votre  faiblesse  morale  vous  a  fait  commettre  une  action 
que  rien  ne  justifie.  Au  lieu  d'amener  à  vous  vos  pauvres 
amis,  vous  descendez  à  leurs  petites  préoccupations. 
Vous  ne  leur  montrez  pas  Dieu. 

En  approuvant  votre  entreprise  pour  vous  créer  une 
situation  meilleure,  je  comptais  que  vous  échapperiez  aux 
influences  fâcheuses  de  l'esprit  mondain;  je   comptais 


—  63  — 

pour  cela  sur  votre  fidélité  à  la  méditation,  à  la  Commu- 
nion, à  la  pensée  de  Dieu  planant  sur  votre  vie.  Vous  l'a- 
vez négligée  et  il  en  résulte  un  changement  d'impression. 
Vos  idées,  vos  résolutions  restent  sans  doute  les  mêmes; 
mais  votre  vie  avec  Dieu  a  diminué  :  votre  idéal  s'est 
abaissé.  Vous  êtes  livrée  aux  alternatives  de  contente- 
ment et  de  tristesse,  selon  que  les  choses  vont  bien  ou 
semblent  contrariées. 

On  peut  vivre  dans  le  monde  sans  en  prendre  l'esprit; 
on  peut  aimer  les  arts  et  leur  jouissance,  la  société  de- 
personnes  bien  élevées;  mais  il  ne  faut  pas  s'en  faire  un 
besoin,  une  vie  :  il  vaut  mieux  en  user  avec  crainte. 
En  effet,  ce  ne  sont  pas  là  des  conditions  favorables 
à  la  piété,  elles  peuvent  simplement  un  peu  leur  nuire; 
hélas  !  elles  lui  nuisent  souvent.  Voilà  ce  qui  a  poussé 
tant  de  belles  âmes  à  fuir  le  monde.  Pour  en  affronter  les 
influences  dangereuses,  il  faut  être  fort,  et  se  tenir  dans 
une  réserve  et  un  détachement  difficiles. 

Pour  le  moment,  je  trouve  que  vous  vous  laissez  enva- 
hir et  que  vous  baissez. 

Mon  devoir  était  de  vous  le  dire  et  au  besoin  de  vous 
le  crier.  Ma  peine  vous  montre  combien  je  tiens  à  vous,  et 
mes  avertissements,  combien  je  compte  toujours  sur  une 
vraie  perfection  de  votre  part. 


XIX 
Ma  chère  enfant, 

Je  suis  très  affligé  de  votre  peine  et  pas  étonné  de  votre 
résignation.  Vous  reconnaîtrez  un  jour  que  j'ai  eu  raison 
da  frapper  fort.  Vous  l'avez  déjà  reconnu  pour  le  passé. 
Au  fond  vous  en  avez  bien  une  certaine  persuasion,  mais 
à  cette  heure,  la  répugnance  de  la  nature  vous  empêche 
d'en  prendre  réellement  votre  parti. 

Nous  répétons  bien  souvent  ces  mots:  «  Je  ne  suis  rien, 
je  ne  peux  rien  sans  Dieu;  je  ne  veux  rien  en  dehors  de 
ce  qu'il  veut,  j'accepte  la  privation  qu'il  m'impose.  » 


—  64  — 

Nous  sommes  tranquilles  en  effet,  tant  que  notre  amour- 
propre  est  caressé  par  quelque  particulière  estime;  mais 
tout  ce  qui  est  factice  s'use  et  il  arrive  un  moment  où 
cette  estime  et  ces  affections,  s^ns  rien  perdre  d'elles-mê- 
mes, perdent  pour  nous  le  stimulant  qu'affaiblit  l'habi- 
tude d'en  jouir.  Alors  la  faim  se  fait  de  nouveau  sentir; 
l'amour-propre  réclame  ou  s'irrite...  c'est  l'état  que  j'a- 
vais prévu  depuis  longtemps,  et  que  j'ai  observé  en  ces 
dernières  semaines.  Mes  conseils,  notre  long  entretien 
n'ont  fait  que  retarder  la  crise... 

Vous  avez  cessé  de  suivre  l'impulsion  de  Jésus,  vous  ne 
l'avez  pas  cherché  lui-même.  Tout  entière  dans  votre 
souffrance  d'amour-propre,  vous  n'avez  pas  regardé  plus 
loin  :  Durant  certains  exercices  de  piété,"  à  l'église,  à  d'au- 
tres moments  encore,  vous  avez  retrouvé  Jésus,  car  certes, 
vous  n'êtes  pas  désunis  !  mais  la  crise  a  repris  son  cours 
et  vous  n'avez  pas  reconquis  la  paix.  Vous  n'avez  ipas 
senti  tout  ce  qu'avaient  d'imparfaites  et  d'incohérentes 
vos  explications  et  vos  protestations. 

Le  zèle  est  un  effet  de  l'amour,  et  s'il  se  voit  contraint 
à  de  trop  courtes  limites,  il  ne  souffre  que  pour  Jésus, 
pas  pour  soi;  il  ne  sème  pas  le  trouble,  il  n'amène  pas  une 
sorte  de  désorganisation  où  l'on  ne  se  reconnaît  plus. 
Que  dis-je?  il  se  ramasse  sur  lui-même  pour  devenir  plus 
tendre  dans  son  affection,  plus  empressé  auprès  de  Celui 
pour  qui  il  ne  peut  agir  à  cette  heure  ;  il  lui  fait,  dans  son 
cœur,  un  asile,  un  trône,  un  autel.  Croyez-moi,  dans 
cette  retraite  sacrée,  si  longue  soit-elle,  le  temps  n'est  pas 
perdu,  la  préparation  plus  parfaite  multipliera  la  fécon- 
dité de  l'action  future.  Les  trente  ans  de  Nazareth  furent 
soustraits  au  zèle  extérieur  :  furent-ils  trente  années  per- 
dues? 

Que  nous  ayons  pour  le  bien  des  moyens  matériels 
plus  ou  moins  parfaits,  nous  ne  pouvons  rien  de  surna- 
turel sans  la  coopération  de  Dieu,  et  sans  eux,  il  n'est 
rien  que  nous  ne  puissions  avec  son  aide.  Le  tout  est  de 
marcher  sous  son  commandement;  alors  à  quoi  bon  ces 
révoltes  contre  l'opinion  qui  nous  croit  moins  bien  douée 
de  tel  côté?  à  quoi  bon  ces  tristesses  découragées  à  la 
vue  d'un  genre  de  bien  qu'on  ne  nous  offre  pas  1 


—  65  — 


XX 


Ma  chère  enfant, 

J'ai  été  heureux  de  causer  avec  vous  des  sujets  qui  vous 
intéressent,  mais  j'ai  été  vraiment  attristé  de  vous  trou- 
ver trop  occupée  de  vous-même,  et  très  peu  attentive  à 
l'inspiration  du  divin  Maître,  dont  vous  n'avez  certes 
pas  traduit  l'humilité  et  l'indulgence.  J'ai  constaté 
également  que  vous  étiez  plus  éloignée  encore  de  la  dis- 
position nécessaire  pour  permettre  une  promesse  d'obéis- 
sance. Vous  paraissez  plus  sûre  que  jamais  de  vos  idées 
et  de  votre  sagesse  pratique.  Vous  vous  étonnez  que  tout 
le  moq.de  ne  le  reconnaisse  pas. 

Ces  observations  vous  seront  pénibles,  peut-être  ne  les 
trouverez-vous  pas  entièrement  fondées,  et  voudrez-vous 
me  faire  comprendre  que  je  me  trompe.  Ne  prenez  pas 
un  chemin  qui  vous  égarerait,  allez  tout  droit  à  Jésus, 
regardez-le  bien  dans  son  attitude  et  demandez-vous  ce 
qu'il  vous  aurait  dit,  s'il  avait  été  à  ma  place.  Exprimez 
nettement  devant  Lui  l'opinion  que  vous  avez  de  vous- 
même,  et  celle  que  vous  attendez  des  autres,  je  suis 
assuré  du  résultat  final.  Vous  vous  plongerez  dans  une 
profondeur  d'humilité  dont  je  crois  que  vous  êtes  un  peu 
sortie,  et  vous  trouverez  ce  doux  maître  plus  avant  dans 
vos  préoccupations,  dès  que  vous  serez  sortie  de  votre 
amour-propre.  Samedi  vous  m'apporterez  une  âme  déta- 
chée, docile  et  désireuse  avant  tout  de  vivre  pour  Jésus. 

Vous  porterez  votre  attention  sur  la  recherche  de  vous- 
même  qui  pourrait  se  trouver  dans  telle  chose,  soit  que 
cette  chose  doive  être  retranchée,  soit  que  le  sentiment 
seul  doive  être  purifié. 

Il  ne  s'agit  pas  d'ailleurs  de  n'accepter  les  satisfactions 
humaines  que  dans  le  but  de  ramener  les  âmes  à  Dieu. 
Ce  but  doit  être  en  tout  et  dominer  tout;  mais  il  ne  faut 
pas  exiger  de  votre  cœur  de  ne  pas  jouir,  ni  de  renoncer 
à  la  jouissance  qui  n'enlève  rien  à  Dieu  et  laisse  votre 
âme  aussi  bien  disposée  pour  Lui. 

Jugez  donc  toutes  vos  démarches  et  tous  vus  projets 


—  66  — 

sur  cette  donnée  :  cela  enlève-t-il  quelque  chose  à  Dieu? 
— ■  cela  me  met-il  dans  une  disposition  moins  favorable 
à  l'union  avec  Lui  et  au  progrès? 

Ce  qu'il  faut  sacrifier  plus  largement,  c'est  l'amour- 
propre.  Je  ne  vois  pas  le  bien  que  peuvent  produire  ces 
sortes  de  satisfactions  savourées. 

Autre  chose  est  d'accepter,  comme  encouragement,  cer- 
tains témoignages  d'estime,  autre  chose  de  les  rechercher 
habilement,  de  s'y  complaire  et  rouler  comme  l'abeille 
dans  les  fleurs.  L'abeille  en  fait  du  miel,  nous  en  retirons, 
nous,  du  poison. 

Il  est  juste  que  vous  fassiez  et  acceptiez  ce  qui  con- 
vient à  établir  votre  situation  d'artiste,  mais  comme  ce 
soin  ne  manque  pas  de  danger,  il  est  bon  de  renouveler 
souvent  votre  intention,  de  rester  détachée  dans  ces 
recherches  et  comme  étrangère  à  ce  qu'on  dit  de  vous. 
Le  mieux  en  cela,  comme  d'ailleurs  en  tout,  sera  de  vous 
entretenir  si  constamment  avec  Notre-Seigneur  que  ces 
pensées  parasites  ne  tiennent  pas  de  place. 

Voilà  les  grands  principes.  Ils  seront  votre  guide  pour 
les  résolutions  spéciales  que  vous  ne  préciserez  jamais 
trop. 

Il  faudra  aussi  vous  décider  à  vous  intéresser 
davantage  et  réellement  à  ce  qui  intéresse  votre 
mère  et  les  diverses  personnes  qui  ont  confiance  en 
vous.  Ce  n'est  pas  un  rôle  factice  qui  suffit.  Ce  ne  serait  ni 
assez  sincère,  ni  très  efficace,  surtout  ce  ne  serait  pas 
assez  surnaturel,  car  Notre-Seigneur  s'est  intéressé  et 
s'intéresse  à  tous  nos  besoins  et  à  toutes  nos  affections. 
Le  surnaturel  ne  doit  pas  éteindre  le  bien  naturel,  mais  le 
mieux  comprendre  et  l'embellir... 

Je  n'en  finis  pas  quand  je  parle  à  votre  âme  qui  m'est 
si  chère...  et  qui  me  devient  une  douce  consolation. 


XXI 

Je  désire,  ma  chère  enfant,  que  la  pensée  de  l'Ascension 
vous  donne  de  la  joie  par  la  pensée  de  la  joie  que  goûte 


—  67  — 

au  ciel  le  Jésus  que  vous  aimez.  Il  ne  vous  est  pas  défendu 
d'y  ajouter  la  perspective  de  partager  ce  bonheur.  Il  n'y 
aura  plus  alors  de  crainte,  plus  de  malaise,  plus  de  défauts 
chez  nos  amis,  ni  en  nous-même,  plus  de  vide  dans  notre 
cœur,  plus  d'ombre  sur  nos  têtes... 

-  Respirons  cet  air  qui  dilate.  Essayons  d'aimer  comme 
nous  aimerons  alors.  Et  puis  revenons  paisiblement  à  nos 
soins  d'ici-bas,  résignons-nous  à  nos  impuissances  phy- 
siques et  morales,  aimons  mieux  les  personnes  qui  nous 
sont  moins  sympathiques  et  que  nous  retrouverons  par- 
faites là-haut.  Soyons  aussi  confiants  que  des  enfants,  et 
aussi  humbles  que  des  mendiants.  Nous  n'avons  de  bien 
que  ce  que  Dieu  met  en  nous,  or  il  y  mettra  ce  que  notre 
confiante  prière  appellera,  et  dans  la  mesure  que  notre 
humilité  lui  ouvrira. 

Songez  au  bonheur  de  vous  trouver  enfin  devant  ce 
Jésus  dont  vous  poursuivez  la  recherche  au  milieu  de  vos 
ténèbres,  et  malgré  toutes  vos  lassitudes.  Il  vous  regar- 
dera. Ce  regard  vaut  bien  toutes  nos  peines  ! 


XXII 

Ma  chère  enfant, 

Votre  lettre  ne  me  satisfait  qu'à  demi.  Vos  dispositions 
sont  bonnes,  mais  elles  ne  sont  pas  vaillantes.  Et  puis 
Dieu  ne  vous  suffit  pas,  ne  vous  contente  pas.  Vous  trou- 
vez moyen  de  souffrir  de  bien  petites  choses.  Que  peut  en 
penser  Jésus? 

Tant  que  vos  dispositions  ne  seront  pas  plus  affranchies, 
vous  n'aurez  qu'une  paix  intermittente,  vous  vous  occu- 
pez trop  de  vous  et  vous  privez  Dieu  du  concours  qu'il  en 
attend  pour  les  autres,  dans  une  trop  grande  mesure. 
Vous  ferez  du  bien  quand  même,  car  vous  avez  le  zèle  et 
le  dévouement,  mais  quel  bien  plus  grand  vous  feriez 
si  vous  étiez  détachée  de  vous-même  ! 

Pour  vous  aider  à  sortir  de  cet  état,  je  vais  essayer 


—  68  — 

de  vous  en  montrer  la  cause.  Ce  sera  une  analyse  de  votre 
nature. 

Chez  vous  le  sentiment  domine,  et  domine  d'une  façon 
presque  absolue.  La  raison  a  beau  voir  clair;  la  volonté  a 
beau  se  décider,  Tien  n'est  gagné  tant  que  le  sentiment 
n'intervient  pas;  dès  qu'il  entre  en  jeu,  tout  devient 
facile. 

Est-ce  une  fâcheuse  constitution  morale?  nullement. 
Le  sentiment  est  le  principe  vivant  par  excellence;  il  est 
le  principe  le  plus  actif  du  dévouement,  de  la  tendresse, 
du  charme  qui  attire.  Une  âme  de  simple  raison  voit, 
mais  ne  fait  pas;  une  âme  de  simple  volonté  agit,  mais  ne 
réchauffe  pas.  Sans  doute,  une  puissante  volonté,  bien 
orientée,  assure  une  grande  vertu  et  détermine  un  grand 
zèle,  mais  par  l'action  de  la  grâce  qui  apporte  le  sentiment 
qui  manquerait  du  côté  naturel. 

La  sensibilité  est  sujette  à  deux  grandes  infirmités  : 
elle  subit  d'incessantes  fluctuations  et  elle  court  grand- 
risque  de  chercher  sa  satisfaction  au  dehors,  dans  les 
affections  humaines. 

Point  de  paix  durable;  des  préoccupations  sans  cesse 
renaissantes  (souvent  les  mêmes);  danger  de  se  dégoûter 
de  certaines  choses  dans  la  piété  et  surtout  de  beaucoup 
de  personnes,  parfois  successivement  de  presque  toutes. 
Le  sentiment  n'offre  point  de  base  :  c'est  une  barque  sur 
l'eau. 

Que  devenir  alors,  et  que  faire? 

C'est  bien  simple,  il  faut  donner  des  appuis  au  senti- 
ment :  le  principal  appui  du  sentiment  consiste  dans  le 
contrepoids  de  la  raison  et  de  la  volonté.  Il  faut  s'ha- 
bituer à  agir  par  raison  et  par  volonté  et  faire  peu  de  cas 
de  ce  qui  n'est  qu'impression.  —  Ces  impressions  de  tris- 
tesse, d'amour-propre  froissé,  de  délaissement  doulou- 
reux, il  faut  les  dominer  par  des  sentiments  plus  hauts 
et  plus  forts.  Vous  avez  le  sentiment  de  votre  union  à 
Jésus;  ajoutez-y  le  besoin  d'immolation. 

Un  des  plus  grands  dangers  de  cette  lutte  est  de  se 
poser  en  victime  devant  soi-même,  et  de  mettre  sa  vertu 

à  ACCEPTER. 


—  69  — 

Le  mieux  est  de  trouver  que  ce  que  l'on  souffre  est  peu 
de  chose,  et  cela  toujours. 

S'apitoyer  sur  soi-même  est  démoralisateur.  En  faisant 
agir  ainsi  la  raison  et  la  volonté  et  en  écartant  ce  qui  ravive 
les  impressions,  on. finit  par  se  rendre  maître  de  la  sensibi- 
lité. Ce  n'est  pas  l'œuvre  d'un  jour;  il  faut  s'attendre  à  des 
défaites  et  à  des  reculs.  La  victoire  est  à  la  persévérance. 

Se  rendre  maître  de  la  sensibilité  n'est  pas  la  détruire, 
ce  n'est  pas  même  la  diminuer  dans  ce  qu'elle  a  d'utile  et 
de  beau,  c'est  la  débarrasser  de  ce  qui  n'est  ni  raisonnable, 
ni  utile,  ni  bon. 

La  plupart  du  temps,  c'est  simplement  la  dégager  de 
quelques  préoccupations  trop  personnelles. 

Voilà,  ma  chère  enfant,  un  petit  traité  en  raccourci  sur 
la  matière.  Vous  apportera-t-il  la  lumière?  Vous  le  cons- 
taterez à  un  signe  certain  :  oui,  si  vous  vous  sentez  plus 
courageuse  et  plus  décidée;  non,  si  vous  restez  dans  un 
certain'  trouble  plein  de  vague.  Dans  ce  dernier  cas, 
j'aurai  perdu  mon  temps  et  ma  psychologie;  mais  qu'à 
cela  ne  tienne  !  il  y  a  d'autres  moyens  d'action,  et  nous 
continuerons  à  les  employer,  avec  le  regret  pourtant  que 
vous  n'entriez  pas  dans  la  voie  sûre  de  la  réforme  défi- 
nitive. 

XXIII 


Vous,  ma  chère  enfant,  vous  serez  impressionnée  plus 
encore  par  le  sentiment  de  la  bonté  de  Dieu,  de  sa  pater- 
nelle sollicitude,  et  vous  laisserez  les  préoccupations 
excessives  aux  personnes  qui  ne  le  connaissent  pas. 
Se  résigner  pleinement  est  déjà  bien  beau.  S'oublier, 
c'est  davantage. 

Écartez  donc  les  retours  inutiles,  les  imaginations  de 
choses  possibles,  tout  ce  qui  n'a  point  d'utilité  et  dimi- 
nue vos  forces.  Faites-le  en  vous  portant  à  regarder  Dieu 
d'une  façon  plus  prolongée  et  plus  profonde.  —  Soyez  très 
bonne  pour  votre  entourage  immédiat.  On  l'est  facilement 
pour  les  étrangers,  mais  l'est-on  bien  à  cause  de  Dieu? 


—  70  — 

XXIV 
Ma  chère  enfant, 

J'ai  eu  beaucoup  de  peine  des  dispositions  où  je  vous 
ai  vue  hier  :  ce  n'était  pas  Dieu  qui  était  le  sujet  de  vos 
préoccupations.  Aussi,  n'aviez-vous  point  la  paix.  Non, 
vous  ne  sauriez  vivre  dans  cette  imperfection:  vous  n'êtes 
pas  dans  votre  voie*  vous  n'êtes  pas  sous  l'influence  de 
Dieu  et  ce  que  vous  faites  et  dites  ne  va  pas  à  Jésus,  ou 
plutôt  y  va  pour  l'attrister,  car  rien  ne  lui  échappe  et  il 
n'est  pas  une  imperfection  qui  ne  lui  soit  sensible  de  la 
part  d'une  âme  qui  s'est  donnée  toute  à  Lui. 

Vous  êtes  retombée  dans  la  préoccupation  de  vous- 
même.  Vous  avez  accueilli  des  sentiments  que  vous  aviez 
tant  de  fois  regrettés  et  désavoués  ! 

Certes,  c'est  avec  bonheur  que  je  vous  ai  vue  vous 
dévouer  à  vos  amis.  Vous  leur  portez  beaucoup  de  conso- 
lation et  quelque  force.  Vous  trouvez,  vous  aussi,  auprès 
de  leur  affection  un  repos  moral  très  bon.  Méfiez-vous 
pourtant  de  la  trop  grande  estime  de  vous  que  peut  vous 
donner  leur  affection  tout  admirative.  On  s'y  habitue 
facilement.  On  incline  à  croire  ce  qui  plaît  et,  par  contre, 
on  est  révolté,  ou  du  moins  très  affecté,  par  des  apprécia- 
tions moins  flatteuses.  . 

...  S'ils  m'en  parlaient,  je  serais  embarrassé...  car  ils 
vont  trop  loin  dans  la  bonne  opinion  qu'ils  ont  de  vous. 
Autant  je  me  sens  le  courage  de  vous  dire  à  vous  vos 
défauts,  autant  il  me  serait  cruel  de  les  dire  à  d'autres  et 
surtout  à  ces  amis. 

Gardez  cette  lettre  et  relisez-la  parfois.  — Elle  contient 
mes  craintes,  c'est  vrai,  mais  aussi  le  moyen  d'en  écarter 
la  réalisation. 

XXV 

Ma  chère  enfant, 

J'ai  un  grand  désir  de  vous  faire  du  bien  et  je  vous  crois 
capable  d'en  faire  beaucoup,  si  vous  vous  oubliez  vous- 


—  71  — 

même.  Cette  dernière  condition  me  tient  fort  au  cœur, 
car  elle  n'est  point  réalisée;  si  l'on  se  recherche  soi-même 
ou  dans  le  désir  de  l'estime  ou  dans  le  désir  de  la  jouis- 
sance même  spirituelle,  on  reste  exposé  à  de  grands  décou- 
ragements. En  effet,  ce  que  l'on  désire,  ce  qu'à  certains 
moments  on  espère,  transpire  souvent,  je  dirai  même 
habituellement.  Vous  l'avez  éprouvé  et  vous  en  avez 
été  troublée.  L'épreuve  vous  a  été  donnée  pour  vous 
instruire.  N'avez-vous  pas  remarqué  ce  mot  de  Vlmi- 
tation  :  «  Vous  trouverez  à  peu  près  perdu  tout  ce  que  vous 
avez  fait  pour  les  créatures  et  non  pour  Dieu  !  » 

Méditez  aussi  cette  parole  que  je  vous  ai  si  souvent 
répétée  :  «  Sachons  aimer  ce  que  Dieu  nous  donne  et  sa- 
chons aimer  qu'il  nous  prive  de  ce  que  nous  désirerions.  » 
— -  Le  laisser  maître;  ce  qui  ne  veut  dire  nullement  :  ne 
faites  rien,  ne  sentez  rien.  Notre  devoir  est  d'avoir  toutes 
les  initiatives  raisonnables.  Mon  observation  porte  sur 
Vétat  d'âme  dans  ces  initiatives.  Désirons  et  tentons  ce  que 
nous  croyons  que  Dieu  désire,  désirons-le  et  tentons-le 
parce  qu'il  le  désire.  Dans  ces  conditions,  nous  ne  serons 
jamais  troublés  du  résultat.  Si  nous  sentons  un  peu  de 
fièvre,  un  peu  de  mécontentement,  une  pointe  d'irrita- 
tion, prenons  garde,  il  y  a  autre  chose  que  la  vue  de  Dieu. 

Entendons-nous  bien  sur  une  parole  qui  prêterait  peut- 
être  à  une  fausse  interprétation.  Quand  je  dis  deman- 
dons et  tentons  ce  que  Dieu  veut  et  parce  qu'il  le  veut, 
cela  n'exclut  pas  la  considération  de  nos  besoins.  Nos 
besoins  entrent  dans  la  convenance  de  la  volonté  pro- 
bable de  Dieu.  Notre  devoir  est  de  tenter  ce  qui  peut  y 
répondre,  mais  notre  devoir  plus  élevé  consiste  à  le  vou- 
loir, non  parce  que  nous  en  avons  l'impulsion  naturelle, 
mais  parce  que  nous  entrons  dans  les  intentions  de  Dieu; 
ce  qui  est  très  important,  car,  dans  le  premier  cas,  le  trou- 
ble succède  à  l'insuccès,  si  même  il  ne  le  précède  pas. 
Dans  le  second  cas,  nous  restons  calmes,  comme  s'il 
s'agissait  d'une  personne  inconnue. 

L'état  où  vous  êtes  en  ce  moment  se  rapporte  à  l'em- 
pressement spirituel  et  à  la  préoccupation  de  soi... 

Je  vous  trouve  bien  occupée  déjà  et  bien  peu  forte 
pour  vous  voir  sans  appréhension  entreprendre  d'autres 


—  72  — 

œuvres.  Vous  semblez  d'ailleurs  poursuivre  ce  désir  plu- 
tôt comme  quelqu'un  qui  a  soif  de  quelque  jouissance 
personnelle,  que  comme  une  âme  qui  cherche  la  gloire  de 
Dieu  et  le  bien  des  âmes  pour  tout  bien. 

Cette  réserve  faite,  je  n'entends  nullement  restreindre 
votre  liberté;  je  dirai  même  facilement  qu'une  expé- 
rience ne  me  déplairait  pas,  car  je  suis  porté  à  croire  que 
là  aussi  vous  éprouverez  des  déceptions...  Chez  vous  les 
débuts  sont  toujours  pleins  d'enthousiasme,  et  dans  toute 
œuvre  la  recherche  personnelle  amène  infailliblement  le 
découragement. 

Croyez,  mon  enfant,  que  je  vous  rends  justice  largement  ; 
je  vous  vois  faire  de  grands  actes  de  vertu,  mais  on  peut 
faire-  beaucoup  d'actes  de  vertu  sans  avoir  une  vertu 
affermie.  Or  la  solidité  et  par  conséquent  la  puissance 
réside  non  dans  les  actes,  mais  dans  la  vertu  qui  en  est 
le  principe  normal.  D'autres  principes  peuvent  faire  pro- 
duire les  actes  :  les  uns  sont  bons,  mais  passagers,  comme 
le  désir  de  faire  plaisir  à  Dieu,  l'amour  sensible,  la  volonté 
du  sacrifice  (les  actes  répétés  et  non  contredits  établis- 
sent la  vertu  à  la  longue;  mais  tant  que  la  vertu  n'est  pas 
établie,  il  y  a  danger);  d'autres  motifs  peuvent  s'y  ajou- 
ter malheureusement,  et  vous  en  connaissez  plusieurs. 
Ceux-là  altèrent  la  vertu  quoiqu'ils  soutiennent  les  actes 
du  moment.  La  vertu  est  la  facilité  du  bien.  Du  moment 
que  le  bien  coûte  trop,  c'est  que  la  vertu  est  faible,  voilà 
la  doctrine.  Il  en  est  de  même,  quand  les  crises  de  tris- 
tesse et  d'exaspération  reviennent  assez  fréquemment; 
il  y  a  lin  principe  mauvais  qui  les  cause  et  ce  principe  est 
au  dedans  :  les  personnes  et  les  choses  sont  simplement 
l'occasion  qui  lui  en  fournit  la  matière.  Puisque  je  traite 
à  fond  la  question  de  votre  vertu,  laissez-moi  complé- 
ter la  leçon  en  vous  redisant  une  chose  qui  vous  afflige. 
Certes,  ma  chère  enfant,  je  souffre  de  vous  affliger,  mais 
je  ne  crois  pas  que  vous  ayez  attaché  à  mes  craintes 
toute  l'importance  qu'elles  méritent.  Eh  bien  oui,  je  suis 
inquiet  de  l'avenir  et  je  ne  cesserai  de  l'être  que  lorsque 
j'aurai  vu  ces  crises  dont  nous  parlions  ne  plus  se 
reproduire   périodiquement,  quand  j'aurai  vu  par  consé- 


—  73  — 

quont  que  l'amour  de  vous-même  étant  devenu  mo- 
déré ne  produit  plus  de  récoltes  intérieures.  Je  vous  ai 
vue  vous  dégoûter  de  bien  des  choses  et  de  bien  des  per- 
sonnes! Je  vous  ai  vue  bien  tentée  de  vous  éloigner  do 
moi,  et  tout  cela  venait  toujours  du  même  principe  :  du 
manque  de  vertu.  Vous  en  faites  des  actes,  mais  vous  en 
détruisez  Veffet  par  mille  imprudences  intimes,  comme 
jugement  des  personnes  et  des  intentions,  comparaison 
avec  d'autres,  exigences  aussi,  tout  en  croyant  n'être  que 
juste,  etc.,  car  vous  en  parlez  trop,  même  quand  vous 
m'en  parlez  à  moi. 

Il  faudrait  faire  disparaître  de  son  âme  les  sentiments 
répréhensibles,  comme  l'on  fait  disparaître  d'une  chambre 
les  vilains  objets  à  l'arrivée  d'une  personne  qu'on^veut 
recevoir  avec  honneur. 

De  grâce,  faites  que  Notre-Seigneur,  que  vous  aimez,  ne 
les  aperçoive  pas  lui-même  ou  seulement  durant  le  temps 
qu'il  vous  faut  pour  les  chasser.  Vous  l'aimez,  vous  vous 
êtes  donnée  à  Lui,  vous  avez  l'ambition  sainte  de  vivre 
pour  Lui  et  de  Lui.  Vivre  pour  Lui,  c'est  peu  vous 
considérer  vous-même.  Vivre  de  Lui,  c'est  n'avoir  pas 
besoin  d'autre  chose,  acceptant  ce  qu'il  donne  soit  de  lui, 
soit  des  autres,  et  ne  vous  tourmentant  pas  de  ce  qu'il 
refuse. 

Peut-être,  ma  chère  enfant,  trouvez-vous  que  je  vous 
montre  un  idéal  trop  élevé;  que  je  vous  presse  trop  pour 
vous  forcer  à  l'atteindre?...  Je  ne  sais  le  temps  que  j'aurai 
pour  vous  y  conduire;  peut-être  cédè-je  un  peu  à  cette 
hâte  qu'on  a,  le  soir,  quand  la  nuit  tombe,  de  faire  rentrer 
en  sûreté  ce  qu'on  a  de  plus  cher.  Vous  me  rendrez  cer- 
tainement pleine  justice  un  jour,  et,  si  jamais  vous  vous 
trouvez  après  moi  dans  ces  mêmes  dégoûts  de  personnes 
et  de  choses  connues,  dans  ces  mêmes  rêves  vagues  de 
pensées  et  de  choses  nouvelles,  où  vous  trouverez,  ce 
vous  semble,  le  repos,  relisez  cela  et  remettez-vous 
tout  uniment  à  aimer,  avec  Notre-Seigneur,  ce  qu'il  vous 
donne  à  aimer  et  à  souffrir. 


—  74  — 

XXVI 

Ma  chère  enfant, 

Je  ne  sais  pas  ce  que  j'aurais  fait  dans  votre  situation 
à  M.,  mais  je  sais  bien  ce  que  j'aurais  voulu  faire  : 
j'aurais  accepté  tout  tranquillement  l'observation  assez 
dure,  je  n'en  aurais  parlé  à  personne  et  j'aurais  tâché  de 
n'y  point  penser. 

N'y  voyant  pas  un  de  ces  cas  où  Dieu  nous  oblige  à 
nous  défendre,  j'y  aurais  vu  une  de  ces  bonnes  occasions 
où  l'on  peut  payer  ses  vieilles  dettes,  et  j'aurais  trouvé 
que  c'est  juste;  j'y  aurais  vu  surtout  une  similitude 
avec  Jésus  humilié  et  je  me  serais  fait  un  bonheur  de  le 
suivre  à  cette  faible  distance. 

Les  humiliations  de  Jésus  au  Calvaire  paraissaient  de 
nature  à  le  discréditer.  La  prudence  humaine  lui  eût 
crié  de  les  éviter  pour  le  bien  de  ceux  qui  devaient  croire 
en  Lui.  S'est-il  trompé,  ou  agissait-il  d'une  façon  plus 
haute? 

Quand  on  aime  beaucoup  Jésus,  on  reste  peu  sensible 
à  de  si  petites  blessures.  On  n'a  même  pas  à  se  raisonner 
et  à  invoquer  des  motifs  encourageants.  Jésus  remplit  le 
cœur  et  rien  ne  manque,  rien  n'atteint  profondément. 
La  vertu  d'humilité  réside  dans  l'inclination  vers  ce  qui 
humilie. 

L'amour  de  Notre-Seigneur  fait  qu'on  aime  tout  ce  qu'il 
a  aimé.  Chère  enfant,  soyez  grande  et  que  les  petits 
froissements,  les  petites  préoccupations  restent  en  bas, 
loin  de  vous  ! 

XXVII 

Oui,  ma  chère  enfant,  votre  mission  est  de  consoler  et 
de  soutenir  les  autres  et  le  moment  est  venu  de  vous  ou- 
blier totalement.  Prêtez  à  Dieu  un  instrument  désap- 
proprié  de  lui-même,  apte  à  recevoir  pour  les  autres.' 

Que  de  choses  utiles  nous  aurions  dites  au  sujet  de 


—  75  — 

telle  œuvre  et  de  telle  âme  si  nous  n'avions  dépensé  notre 
temps  et  épuisé  notre  attention  à  des  redites  plus  qu'inu- 
tiles! et  cela  est  revenu  périodiquement  comme  l'effet 
d'un  mal  qui  n'est  qu'assoupi,  non  guéri. 

Le  divin  Maître  vous  prie  de  vous  occuper  de  Lui,  de 
son  isolement  de  cœur,  des  âmes  qui  ne  le  connaissent 
pas  ou  qui  l'aiment  trop  peu. 

Que  pense-t-il  quand  il  vous  voit  tout  absorbée  par 
vous-même,  toute  troublée  de  fond  en  comble,  rendue 
malade  par  les  blessures  de  l'amour-propre?...  Il  y  a  des 
âmes  que  rend  malades  la  souffrance  de  ne  pas  voir 
Jésus.  Ce  sont  des  âmes  d'exilés  qui  se  soucient  fort  peu 
de  ce  qu'on  pense  d'elles!  Il  n'est  pas  rare  que  ces  âmes 
trouvent  leur  consolation,  en  attendant  le  Ciel,  à  souffrir 
et  à  être  humiliées  avec  le  Jésus  de  Nazareth  et  du  Cal- 
vaire. Lesquelles  sont  les  plus  vivantes? 

Oh  !  quelle  sagesse  !  prendre  la  dernière  place,  car 
personne  ne  la  dispute,  et,  après  l'avoir  choisie,  on  ne 
s'étonne  de  rien. 

A  quoi  me  sert  de  me  comparer  aux  autres?  Et  de  quel 
œil  Jésus  nous  voit-il  nous  préférer  à  plusieurs? 

Si  vous  n'étiez  pas  appelée  à  la  perfection,  je  ne  vous 
tiendrais  pas  ce  langage  et  je  trouverais  votre  vie  bien 
et  louable,  en  la  comparant  à  l'ensemble  des  autres;  mais 
vous  ne  doutez  pas  plus  que  moi  de  cet  appel.  Décidez- 
vous  enfin  à  donner  tout  pour  avoir  tout.  Je  souffre 
quand  je  vous  vois  irritée  contre  l'humanité.  Je  souffre 
lorsque  je  vous  vois  vous  comparer  à  d'autres,  car 
aujond  le  résultat  est  que  vous  vous  préférez  à  elles; 
je  ne  puis  admettre  que  l'Esprit  qui  doit  inspirer  tout 
sentiment  pour  qu'il  plaise  à  Dieu,  vous  inspire  ceux-là, 
et  alors,  mon  enfant,  c'est  la  nature  qui  vous  dirige  !  Le 
voulez-vous? 

«  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur, 
et  vous  trouverez  le  repos  de  vos  âmes.  »  Quand  le  repos 
a  disparu,  cherchez  bien  et  vous  remarquerez  que  vous 
avez  failli  au  précepte  du  Sauveur. 

J'aurais  préféré  vous  voir,  par  obéissance,  garder  le 
silence.  Ecrire  ne  vous  est  pas  meilleur  que  penser,  quand 


—  76  — 

il  s'agit  de  vos  peines.  Je  réponds  parce  que  je  n'aurais 
pas  le  courage  de  vous  laisser  trop  souffrir.  —  Revenez  à 
l'entier  abandon  à  Dieu  et  à  la  simple  obéissance. 


XXVIII 

Ma  chère  enfant, 

Je  me  réjouis  de  vous  voir  revenue  au  calme.  L'épreuve 
a  été  pénible  et  longue.  Le  démon  jaloux  a  fait  travailler 
la  vieille  nature,  et  le  bon  Dieu  l'a  laissé  faire  pour  vous 
ouvrir  les  yeux  sur  ce  que  vous  seriez  sans  lui. 

Peut-être  aurez-vous  aussi  connu  que  vous  n'avez  pas 
encore  compris  l'obéissance.  —  Telle  que  vous  l'avez 
pratiquée,  elle  ne  vous  a  guère  servi  que  lorsqu'on  était 
d'accord  avec  vous  :  voilà  pourquoi  elle  ne  vous  est  plus 
un  secours  suffisant  au  moment  de  l'épreuve.  Quant  au 
fond  de  votre  nature,  méditez  sans  cesse  cette  première 
parole  de  l'appel  :  Si  quelqu'un  veut  venir  après  moi, 
qu'il  se  renonce.  Que  penser  d'une  âme  appelée  et  qui  se 
dit  :  Je  n'ai  pas  ce  qu'il  me  faut  en  fait  d'estime  et  d'affec- 
tion? —  Cela  revient  à  dire  :  Dieu  ne  me  donne  pas  ce 
qu'il  me  faut.  —  La  règle  est  en  effet  celle-ci  (je  vous  l'ai 
dite  et  redite)  :  ce  qu'il  nous  faut,  c'est  ce  que  Dieu  nous 
donne.  S'il  nous  donne  telle  bonne  affection,  tel  degré  de 
confiance  témoignée,  acceptons-la  avec  simplicité;  s'il 
donne  peu,  disons  que  c'est  bien  et  ne  désirons  pas  avec 
inquiétude  qu'il  donne  davantage.  Ne  sondons  pas  l'ave- 
nir pour  savoir  s'il  en  sera  toujours  ainsi. 


XXIX 

Ma  chère  enfant, 

Votre  lettre  d'hier  m'a  tellement  affligé  que  je  n'ai 
pas  dormi  cette  nuit. 
Vous  ne  vous  doutez  pas,  non  vous  ne  vous  doutez  pas 


—  11  — 

de  la  sensibilité  de  votre  amour-propre  et  des  illusions 
qu'il  vous  donne  ainsi  que  des  jugements  faux  qu'il  pro- 
voque. Placé  à  distance,  je  vois  cela  avec  une  telle  clarté 
que  j'en  suis  inquiet  depuis  longtemps.  Je  vous  le  dis  et 
vous  ne  me  croyez  pas,  parce  que  vous  ne  voyez  pas  ainsi; 
vous  préférez  votre  appréciation  à  la  mienne,  ou  bien 
vous  recourez,  à  la  défense  enfantine  qui  consiste  à  dire, 
même  à  un  homme  de  mon  âge,  capable  de  penser  par  lui- 
même  :  «  vous  vous  laissez  influencer  !  »  Finalement,  vous 
vous  en  prenez  à  moi,  au  lieu  de  vous  en  prendre  à  votre 
amour-propre,  et  vous  osez  me  dire  :  Vous  serez  cause 
que  j'abandonnerai  tout! 

Dieu  m'est  témoin  que  je  n'ai  jamais  cherché  autre 
chose  que  votre  bien  et  mon  expérience  m'apprend  que  si 
vous  ne  brisez  pas  votre  orgueil,  un  four  ou  l'autre,  vous 
abandonnerez  tout  en  effet;  oui,  tout,  et  jusqu'à  ces  senti- 
ments que  vous  avez  pour  le  divin  Maître,  et  peut-être 
jusqu'à  la  foi  elle-même...  Et  vous  voudriez  que  je  tolère 
un  tel  danger?...  Je  vous  le  répète,  vous  ne  voyez  pas  à 
quel  point  votre  amour-propre  vous  trompe  sur  les  per- 
sonnes et  les  choses. 

Une  obéissance  si  nple  et  confiante  vous  est  nécessaire. 

J'ai  trop  raisonné  avec  vous  :  ne  l'exigez  plus  à  l'avenir, 
je  vous  en  prie. 

Si  vous  vous  débarrassez  de  cet  ennemi,  vous  ne  per- 
drez plus  ni  la  paix,  ni  le  temps  qui  vous  est  donné  pour 
aimer. 

Vous  voyez  bien  que  Jésus  vous  aime  puisque,  malgré 
tout,  il  vous  laisse  l'immense  désir  de  l'aimer.  Vous  voyez 
bien  aussi  que  je  tiens  à  vous,  car  j'aurais  eu  bien  des 
occasions  de  me  retirer. 

Je  vous  bénis  d'un  cœur  de  père  qui  vous  reste  bien 
attaché. 

XXX 

Ma  chère  enfant, 

Il  n'y  a  aucun  doute  à  avoir  sur  mes  intentions:  mes 
paroles  el  mes  lettres  précédentes  en  font  foi.  Mais  la 


—  78  — 

tentation  cache  et  brouille  toutes  choses,  je  viens  donc 
vous  redire  que  je  ne  vous  veux  ni  anéantie,  ni  inactive 
pour  le  bien,  je  vous  veux  simplement  dépendante,  mais 
dépendante  résolument,  c'est-à-dire  faisant  de  tout  cœur 
le  bien  que  Dieu  vous  demandera  par  les  circonstances 
et  acceptant  sans  trouble  et  surtout  sans  jalousie  de 
n'être  pas  appelée  à  faire  tel  autre  bien.  Je  veux  que  vous 
mettiez  la  volonté  de  Dieu  à  la  place  de  la  vôtre,  voilà 
tout,  et  que  vous  n'envisagiez  que  son  bon  plaisir,  pas  vos 
préférences. 

Vous  vous  persuadez,  ma  chère  enfant,  que  je  vous 
crois  incapable  de  tout  et  que  je  voudrais  vous  immobili- 
ser dans  la  seule  occupation  de  Dieu  en  vous  !  Je  suis  loin 
d'avoir  cette  idée  et  ce  plan.  Hier  même,  je  disais  à 
Sœur  X.  combien  j'étais  heureux  de  voir  le  bien  que 
vous  faites,  et  elle  reconnaissait  avec  moi  que  vous  aviez 
transformé  telle  et  telle.  Je  n'aime  pas  beaucoup,  il  est 
vrai,  vous  donner  des  louanges,  car  l'amour-propre  est 
votre  grand  danger,  mais  je  le  fais  en  ce  moment  pour  que 
vous  ne  restiez  pas  dans  le  découragement.  Si  vous  deve- 
nez humble  et  dépendante  de  Dieu,  vous  pourrez  faire 
beaucoup  pour  les  âmes  et  sans  dan  jer  pour  vous. 

Le  rôle  d'un  père  n'est  pas  de  songer  à  ce  qui  lui  revient 
soit  de  ce  qu'on  dit  de  son  enfant,  soit  de  la  satisfaction 
ou  de  la  peine  qu'elle  lui  témoigne;  son  rôle  est  de  vou- 
loir avant  tout,  et  malgré  tout,  le  bien  de  son  enfant. 


XXXI 

Ma  chère  enfant, 

Je  vous  en  prie,  faites-moi  crédit,  laissez-moi  vous  con- 
duire comme  Dieu  me  l'inspire.  Ne  songez  pas  à  ce  que 
vous  souffrez,  il  faut  le  souffrir,  et  cela  passera.  Ne  dites 
pas  :  mon  père  ne  me  comprend  pas  en  ce  moment,  il 
ne  sait  pas  combien  il  me  décourage,  il  ne  me  prend  pas 
comme  il  faut.  Encore  une  fois,  faites-moi  crédit. 

C'est  vous,  ma  chère  enfant,  qui  ne  comprenez  pas  en 


—  79  — 

ce  moment  le  danger  qu'il  y  aurait  à  rester  ce  que  vous 
avez  été  cette  année  :  difficile  pour  les  autres,  trop  occu* 
pée  de  vous,  pas  assez  humble.  J'ai  vu  le  danger,  je  vous 
l'ai  signalé,  vous  n'en  mesurez  pas  assez  l'étendue.  Lais- 
sez à  mon  expérience  le  bénéfice  de  la  présomption,  en 
faveur  de  ce  qu'elle  vous  dit. 

Je  voudrais  vous  mettre  un  instant  à  l'école  de  saint 
Philippe  de  Néri.  —  Ce  saint  avait  le  cœur  le  plus  aimant 
pour  Notre-Seigneur,  et  il  était  baigné  souvent  de  consola- 
tions ineffables,  et  cependant  le  cri  de  ce  cœur  était  sans 
cesse  :  Mon  Dieu,  je  suis  capable  de  vous  abandonner,  de 
vous  trahir...  je  le  sens,  j'en  tremble,  mais  je  ne  le  veux 
pas  et  je  vous  supplie  de  me  bien  tenir.  Chaque  soir,  il 
remerciait  Dieu  de  l'avoir  préservé,  et  poussait  un  soupir 
de  soulagement,  et  ainsi  tous  les  jours.  Donc,  la  crainte 
de  soi  n'empêche  pas  l'amour,  il  lui  est  plutôt  un  sti- 
mulant... quand  on  est  humble. 

Quand  on  est  humble,  on  se  craint;  mais  comme  on 
compte  sur  Dieu,  on  est  ainsi  rassuré  et  plus  même  quo 
par  la  considération  confuse  de  sa  propre  solidité. 

Quand  on  est  humble,  on  juge  mieux  les  autres;  on 
se  plaint  moins  d'un  manque  d'attention  et  l'on  s'épar- 
gne des  souffrances  peu  profitables. 

Je  vous  ai  dit  les  alarmes  que  m'a  inspirées  cette 
année...  je  dois  en  maintenir  l'expression.  —  Il  faut 
que -vous  changiez,  Dieu  vous  montrera  comment  et  vous 
y  aidera;  mais  ne  commencez  pas  par  vous  apitoyer 
sur  vous-même,  sur  le  mal  que  vous  souffrez,  sur  le  décou- 
ragement que  vous  subissez  et  dont  vous  cherchez  la 
cause  dans  la  manière  dont  je  vous  traite. 

Les  crises  que  vous  avez  traversées  viennent  toutes 
d'un  manque  d'humilité,  mais  vous  ne  l'avez  pas  constaté. 
Reprenez  donc  avec  vaillance  votre  drapeau  qui  porte 
ces  mots  :  j'ai  choisi  d'être  la  dernière  dans  la  maison 
de  mon  Dieu. 

Vous  ne  serez  pas  la  moins  aimée. 

Je  vous  bénis  de  tout  cœur. 


—  80  — 


XXXII 


Ma  chère  enfant, 

Si  le  divin  Sauveur  daignait  se  tourner  vers  vous, 
comme  il  le  fit  vers  Madeleine  au  jardin  de  la  Résurrec- 
tion; s'il  vous  appelait  par  votre  nom;  à  ce  mot  :  Marie  ! 
vous  seriez  à  ses  pieds,  oubliaîit  tout.  Or,  c'est  cet  oubli 
qu'il  faut  obtenir,  s'il  n'est  point  dominé;  c'est  en  vous 
persuadant  bien  que  vous  êtes  aimée  de  Dieu  qu'il  faut 
y  tendre.  Je  vous  le  répète  donc  avec  assurance  :  malgré 
l'imperfection  de  votre  pauvre  nature  orgueilleuse  qui  a 
confusément  entraîné  votre  volonté,  vous  restez  aimée 
et  très  aimée  de  Jésus. 

Puisque  nous  pouvons  être  aimés,  quoique  très  impar- 
faits et  très  pauvres,  que  vous  importe  que  l'imperfec- 
tion vous  soit  laissée  comme  moyen  d'humilité?  N'est-ce 
pas  une  double  grâce? 

Ma  pauvre  enfant,  vous  portez  avec  vous  un  tel  bagage 
d'exigences  que  vous  en  êtes  écrasée.  Vous  ressem- 
blez à  une  personne  qui  voudrait  prendre  toutes  ses  pré- 
cautions contre  la  faim,  le  froid,  le  chaud,  etc.,  et  qui 
emporterait  tout  un  attirail  de  cuisine,  de  literie...  Puis- 
que Notre-Seigneur  vous  dit  de  le  suivre,  que  voulez- vous 
de  plus?  il  veillera  à  vos  besoins  de  demain.  Dégagez- 
vous  de  toute  préoccupation  et  ne  songez  qu'à  L'aimer. 

L' Imitation  dit  qu'il  vous  faut  être  libre  comme  le 
petit  oiseau.  S'il  lui  prenait  fantaisie  de  se  charger  de 
tout  ce  dont  il  peut  avoir  besoin,  pourrait-il  voler? 

Pas  de  lendemain  anxieusement  prévu,  c'est  une  injure 
à  la  paternité  de  Dieu  ;  comme  le  petit  oiseau,  vivez  et 
chantez  :  l'amour  est  le  chant  que  Dieu  vous  demande, 
et  ne  songez  pas  à  autre  chose.  Les  circonstances  vous 
indiqueront  à  chaque  jour  quelle  est  la  volonté  de  Dieu 
et  ce  que  vous  pouvez  faire  pour  son  service. 

Ne  pensez  plus  à  vous,  pas  même  pour  examiner  ce  qui 
est  ou  a  été  défectueux. 

«  Pense  à  moi,  je  penserai  pour  toi.  »  Depuis  combien 


—  81   — 

de  temps  ne  vous  ai-je  pas  proposé  cette  devise  et  quelle 
ne  serait  pas  votre  paix,  et  votre  perfection,  si  vous  l'aviez 
appliquée  ! 

XXXIII 

Ma  chère  enfant, 

Je  n'ai  jamais  douté  que  vous  ne  puissiez  faire  du  bien 
aux  âmes  :  vous  êtes  pleine  de  cœur  et  de  dévouement, 
vous  prenez  de  l'expérience.  Quand  vous  serez  humble, 
je  serai  content.  Faire  du  bien  aux  âmes,  à  beaucoup 
d'âmes, et  n'être  pas  humble  est  un  danger  effrayant; 
souvent  ce  bien  n'est  du  reste  pas  solide.  Dieu  n'agit 
ordinairement  que  par  les  humbles,  j'en  reviens  toujours 
là  :  cultivez  l'humilité.  Ne  voyez  dans  ce  conseil  renou- 
velé aucune  arrière- pensée,  je  n'en  ai  pas.  Vous  feriez 
des  miracles,  vous  attireriez  des  millions  de  personnes 
à  Jésus;  si  vous  n'étiez  pas  humble,  je  resterais  triste 
et  inquiet. 

Supposez,  ma  chère  enfant,  que,  dans  quelque  temps, 
Dieu  vous  envoie  l'épreuve  de  la  sécheresse  la  plus  com- 
plète et  que  cette  épreuve  dure  des  années.  Plus  aucun 
sentiment  d'amour  intime;  plus  même,  ce  semble,  aucun 
désir  d'aller  à  Jésus  !  Si  vous  êtes  humble,  je  ne  craindrai 
rien.  Si  vous  ne  l'êtes  pas,  vous  serez  grandement  exposée 
à  vous  décourager  tout  à  fait.  Cette  épreuve  vous  a  été 
épargnée.  Dieu  si  bon,  si  père,  savait  bien  que  vous  n'a- 
viez pas  la  force  de  la  supporter  longtemps.     . 

Lisez  les  sentiments  que  saint  Vincent  de  Paul  avait  de 
lui-même.  Ce  qu'il  en  dit  a  un  tel  caractère  de  vérité 
qu'on  en  est  ému. 

Si  vous  voulez  suivre  Jésus,  soyez  comme  lui;  choi- 
sissez Bethléem  et  sa  crèche;  suivez-le  dans  l'abaissement 
de  ses  trente  années  vulgaires  et,  si  Dieu  vous  appelle  à 
faire  du  bien,  c'est  Lui  qui  viendra  vous  prendre  comme 
par  la  main,  c'est-à-dire  par  les  circonstances  et  par 
l'appel  des  personnes  qui  le  représentent.  Jésus  a  attendu 
trente  ans  ! 


—  82  — 

xxxiv 

Ma  chère  enfant, 

Je  suis  heureux  de  vous  savoir  en  un  lieu  où  la  religion 
est  en  honneur,  où  vivent  de  belles  âmes  qui  vous  aiment, 
et  où  vous  avez  trouvé  un  prêtre  capable  de  vous  soute- 
nir. 

Je  suis  heureux  aussi  des  dispositions  où  je  vous  vois. 
Ah  !  que  cette  humilité  est  attendue  de  Dieu  !  qu'elle  vous 
est  nécessaire  !  Votre  vie  spirituelle  continuerait  triste- 
ment à  être  précaire,  si  elle  n'était  appuyée  sur  le  senti- 
ment de  votre  pauvreté,  le  détachement  de  ce  qui  vous 
est  personnel  et  l'acceptation  douce  de  toute  volonté  de 
Dieu. 

Ne  vous  étonnez  pas,  ma  chère  enfant,  de  me  voir  vous 
demander  toujours  le  détachement;  vous  ne  savez  pas 
jusqu'à  quel  point  vous  en  manquez,  et  quoique  j'aie  été 
sévère,  je  ne  vous  ai  jamais  tout  dit.  Ne  sentez-vous  pas 
qu'il  doit  en  effet  se  trouver  dans  votre  fond  quelque  vice 
cach  é,  puisque  vous  ne  pensiez  pas  à  vous  établir  dans  la 
vertu?  Ce  vice  caché  à  vos  yeux,  c'est  un  extrême  atta- 
chement à  vous-même,  surtout  du  côté  de  la  recherche 
de  l'estime  et  de  l'horreur  de  la  souffrance.  Si  vous 
deveniez  humble  et  détachée,  vos  scrupules  cesseraient 
peut-être,  mais  seraient  sûrement  diminués.  Vous  ne 
comprendrez  qu'alors  l'obéissance  et  vous  y  trouverez 
le  repos. 

XXXV 

Ma  chère  enfant, 

Faites  une  confession  aussi  humiliante  que  le  pourra 
être  la  vérité,  et  sincèrement  humiliante;  en  disant 
des  fautes  humblement,  ne  cherchez  pas  à  faire  dire  : 
voilà  une  âme  généreuse.  Si  l'on  vous  croyait  plus  cou- 


—  83  — 

pable  que  vous  ne  l'êtes,  il  faudrait  simplement  rétablir  la 
vérité. 

Il  ne  faut  ni  rester  dans  l'indifférence  de  l'attente,  ni 
vous  permettre  des  lectures  dangereuses;  l'indifférence 
de  l'attente  ne  convient  pas  à  une  âme  qui  a  la  raison  pour 
agir,  et  la  distraction  de  lectures  dangereuses  serait  à 
la  fois  la  perte  de  votre  conscience  et  la  déception  de  votre 
cœur. 

Vous  êtes  dans  l'épreuve  de  la  tentation  et  de  la  souf- 
france depuis  longtemps,  vous  avez  peut-être  un  peu  fai- 
bli... Dieu  aurait  pu  vous  abandonner,  s'il  ne  vous  avait 
pas  tant  aimée.  Il  ne  faut  pas  laisser  la  désorganisation 
se  produire;  jusqu'à  présent,  elle  n'a  été  qu'une  menace; 
si  l'état  actuel  se  prolongeait,  il  est  à  craindre  qu'elle 
le  devienne  en  toute  réalité.  Or  l'Evangile  dit  :  «  Si  le 
sel  s'affadit,  avec  quoi  lui  rendra-t-on  sa  saveur!...  il 
ne  sera  bon  désormais  qu'à  être  jeté  à  l'abandon.  »  Vou- 
driez-vous  tomber  en  cet  état? 

Faites- vous  bien  humble  devant  Dieu;  aimez  à  lui 
redire  combien  vous  méritez  de  n'être  plus  aimée  de  Lui, 
mais  ajoutez  avec  confiance  :  Vous  ne  m'avez  pas  donné 
un  grand  cœur  pour  que  ce  cœur  ne  soit  pas  à  vous 
finalement  et  qu'il  s'égare  ou  s'anéantisse,  je  veux  enfin 
Vous  le  donner  résolument. 


XXXVI 

Ma  pauvre  enfant,  que  faites-vous  à  penser  ainsi  tou- 
jours à  vous?  Eh!  pourquoi  voulez-vous  que  vos  amies 
perdent  le  boire  et  le  manger  parce  qu'elles  vous  plai- 
gnent? Le  plus  sûr  moyen  de  perdre  ses  plus  sûres  amitiés, 
c'est  de  leur  trop  demander.  On  vous  aime,  on  prend  part 
à  vos  peines  et  avec  cela  on  vit  et  on  prend  les  distractions 
du  moment.  Je  pourrais  vous  dire  :  ne  comptez  pas  trop 
sur  les  créatures  et  tournez-vous  vers  Dieu,. qui  seul  ne 
vous  manquera  jamais;  j'aime  mieux  vous  voir  aller  à 
Lui  autrement  que  par  le  mépris  des  créatures.  Soyez 
donc  indulgente  pour  ces  pauvres  êtres  d'un  jour.  On 


leur  trouve  toujours  de  bonnes  qualités,  quand  on  aime 
Dieu  et  qu'en  Lui  ou  a  la  paix,  et  la  juste  mesure.  Eloi- 
gnez-vous de  vous-même,  je  vous  le  demande;  apprenez 
en-fin  cette  première  leçon  du  divin  Maître  :  «  Que  celui 
qui  veut  venir  après  moi  se  renonce.  »  Oui,  vous  voulez 
aller  à  Notre-Seigneur.  Eh  bien,  renoncez-vous  !  Qu'il  ne 
soit  plus  question  de  vous  !  Faites  et  acceptez  chaque 
chose  comme  venant  de  Lui;  occupez- vous  toujours,  et 
quand  les  pensées  noires  vous  envahissent,  offrez  à  Dieu 
ce  tourment  et  détournez-vous  de  vous-même. 

Si  vous  n'êtes  pas  riche  de  biens,  vous  pouvez  dire 
avec  joie  :  bienheureux  les  pauvres,  le  royaume  des 
deux  leur  appartient.  La  richesse  donne  de  l'amour- 
propre  et  la  facilité  de  suivre  tous  ses  goûts,  choses  qui 
ne  sont  point  chrétiennes. 


XXXVII 

Ma  chère'enfant, 

Il  nous  faut  avant  tout  considérer  ce  que  Dieu  désire 
de  nous;  ce  que  nous  aurons  à  souffrir  ne  doit  pas  entrer 
en  ligne  de  compte.  Son  bon  plaisir,  sa  plus  grande  gloire, 
voilà  notre  objectif.  Où  se  trouvent-ils  dans  cette  circon- 
stance? Nous  allons  l'examiner  ensemble. 

Gomme  vous,  je  suis  atteint  par  cette  mesure.  Quoique 
chargé  de  cette  œuvre,  je  n'ai  point  été  consulté.  J'ai 
approuvé  et  encouragé  cette  petite  fête,  la  jugeant  utile 
pour  tout  le  monde  et  étant  bien  assuré  qu'on  écarterait 
très  facilement  les  petits  abus  qui  peuvent  toujours  se 
glisser  dans  les  meilleures  choses.  Tout  notre  plan  est  ren- 
versé, sans  qu'il  y  ait  de  notre  faute;  le  bon  Dieu,  sans 
doute,  daigne  nous  éprouver,  et  je  suis  persuadé  que  le 
fait  de  notre  franche  résignation  lui  sera  plus  agréable 
que  ce  que„nous  préparions. 

Rien  ne  serait  plus  agréable  à  la  nature  que  de  prendre 
quelque  mesure  violente  :  vous  ne  voulez  pas  nous  donner 
ceci,  nous  laisserons  même   cela  !   Tel  n'est  point  mon 


—  85  — 

avis.  Tant  que  nous  venons  pouvoir  faire  quelque  bien 
par  les  moyens  qui  nous  sont  iaissés,  si  vous  m'en  croyez, 
nous  le  ferons,  nous  jugeant  indignes  d'en  faire  davan- 
tage et  tâchant  de  mériter  que  le  bon  Dieu  nous  ouvre,  un 
jour  ou  l'autre,  de  nouvelles  facilités.  Que  si  nos  derniers 
moyens  nous  sont  supprimés  ou  rendus  trop  difficiles, 
nous  céderons  aux  circonstances  et  non  à  notre  ressen- 
timent. Nous  devons  agir  de  façon  à  ne  pas  provoquer 
des  mesures  de  ce  genre  et  nous  déterminer,  si  elles  sont 
prises,  à  ne  pas  nous  dépiter  et  à  ne  pas  récriminer. 

Nous  tâcherons,  à  la  première  réunion,  de  redonner 
du  courage  à  tout  notre  monde.  Pour  nous,  remercions 
le  bon  Dieu  de  l'occasion  qu'il  nous  donne  de  renoncer  à 
notre  volonté. 

Votre  respectueusement  dévoué. 


XXXVIII 

Ma  chère  enfant, 

Je  ne  saurais  vous  savoir  dans  un  état  d'abattement 
physique  et  moral  sans  accourir  auprès  de  vous,  ma  pau- 
vre enfant.  Je  connais  cet  état  de  malaise  où  vous  vous 
trouvez  tout  à  coup  jetée;  rien  n'est  plus  pénible,  car 
on  a  toute  sa  force  pour  souffrir.  Il  faut  se  redire  sans 
cesse  que  ce  n'est  qu'une  affaire  de  temps  et  qu'avec  la 
maladie,  s'évanouira  l'ombre  qui  plane  sur  ces  sentiments. 

La  vie  ne  répond  pas  à  toutes  vos  aspirations,  mais 
elle  en  satisfait  ordinairement  assez,  pour  que  le  cœur  et 
l'âme  s'occupent  et  ne  sentent  pas  ce  marasme  qui  vous 
oppresse  actuellement.  Vous  avez  donc  votre  part  des 
joies,  et  avec  votre  si  excellente  nature  vous  en  obtien- 
drez plus  que  d'autres;  vous  aurez  autour  de  ces  joies  et 
au-dessus  d'elles  la  piété  et  l'espérance.  En  attendant, 
remplissez  bien  vos  devoirs  avec  fidélité  quoique  sans 
goût,  si  Dieu  veut  cette  épreuve. 

Persuadez-vous  bien  qu'une  telle  fidélité  sans  récom- 
pense immédiate  est  plus  belle  et  plus  méritoire    que 


—  86  — 

celle  qui  est  consolée.  Si  la  fatigue  s'y  oppose,  sachez 
même  laisser  quelques-uns  de  vos  exercices  et  faites-le 
sans  scrupule,  mais  bien  décidée  a  les  reprendre  dès  que, 
ce  sera  possible. 

Si  vous  ne  pouvez  assez  surmonter  votre  malaise  pour 
être  aussi  aimable  que  vous  le  voudriez,  n'allez' pas  aug- 
menter votre  mal  en  vous  dépitant  d'être  ainsi;  on  sait 
bien,  autour  de  vous,  que  c'est  votre  état  de  souffrance 
qui  vous  donne  cette  expression. 


XXXIX 

Ma  chère  enfant, 

Voici  la  réponse  de  Notre-Seigneur  à  vos  questions  un 
peu  agitées  :  «  Ma  fille  que  j'aime  et  sur  qui  je  veille, 
accepte  ce  que  je  te  donne  de  joie,  soit  par  moi,  soit  par 
les  autres;  accepte  aussi  ce  que  je  ne  te  donne  pas. 

«  Laisse  les  créatures  penser  de  toi  ce  qu'elles  veulent; 
je  veillerai  sur  la  réputation  qui  te  sera  nécessaire,  sur 
les  besoins  d'estime  et  d'affection  qui  peuvent  être  utiles 
à  ton  repos. 

«  Ce  tourment  sur  ce  qu'on  pense  de  toi,  peux-tu  me 
l'offrir?  te  rend-il  meilleure?  Quitte-le  donc. 

«Ne  cherche  pas  à  éclaircir  cette  multitude  de  remar- 
quas au  milieu  desquelles  se  noient  ta  paix  et  ton  amour 
pour  moi. 

«  Elève  ton  intelligence  et  tes  sentiments.  —  Fais  tout 
le  bien  que  les  circonstances  t'indiquent.  Si  tu  fais  cela, 
tu  feras  assez. 

«  Tes  pensées  autres  sentent  l'orgueil,  la  jalousie,  la 
recherche  de  la  jouissance  dans  l'estime  vaine.  Je  ne 
peux  pas  les  aimer. 

«  Donne  tout  pour  avoir  tout.  » 

Ne  me  demandez  donc  pas  à  moi  des  explications  que 
Dieu  juge  malsaines. 

Plus  tard  vous  verrez  et  vous  n'aurez  pas  besoin  d'in- 
terroger. 


—  87  — 

W,  . 

Ma  chère  enfant, 

Tandis  que  vous  êtes  portée  à  vous  plaindre  de  Dieu, 
je  le  bénis  !  Ce  que  vous  me  dites  de  votre  âme  est  simple- 
ment admirable.  Quoi,  vous  avez  la  conscience  de  plus 
en  plus  délicate,  vous  repoussez  tout  mauvais  livre,  vous 
êtes  fidèle  à  vos  devoirs  de  piété,  vous  vous  appliquez 
à  être  bonne  envers  les  autres  et  vous  voudriez  que  je 
fusse  mécontent!  Quand  je  compare  ce  que  vous  êtes 
avec  ce  que  vous  étiez,  je  constate  un  immense  progrès 
et  ce  progrès  est  bien  assis.  Dieu  a  pénétré  dans  votre 
vie  et  la  domine;  vous  sentez  que  vous  ne  pourriez  plus 
impunément  le  contrister;  vous  sentez  que  sans  Lui  vous 
ne  pourriez  pas  avoir  la  paix.  Je  vois  donc  en  vous  la 
réalisation  de  cette  belle  parole  du  Pater  :  que  votre 
règne  arrive. 

Pensez-vous  que  je  m'étonne  de  ces  envies  de  décou- 
ragement qui  vous  prennent  et  des  motifs  spécieux  sous 
lesquels  se  glissent  ces  envies?  Le  démon  y  est  pour  la 
plus  grande  part  et  la  nature  un  peu  aussi  pour  la  sienne. 
Le  démon  a  intérêt  à  vous  faire  tout  abandonner  et  à 
vous  tromper  pour  y  réussir.  La  nature,  elle,  se  lasse  de 
la  contrainte  et  cherche,  elle  aussi,  de  mauvaises  raisons 
pour  s'y  soustraire.  Prenez  pour  devise  :  fais  ce  que  dois, 
advienne  que  pourra.  Vous  êtes  trop  délicate  et  trop 
grande  pour  avoir  besoin  d'une  récompense  dans  le 
devoir,  surtout  d'une  récompense  de  chaque  jour.  La 
raison  du  devoir  est  le  devoir  lui-même. 

La  facilité  et  la  joie  viendront  en  leur  temps.  Vous  êtes 
dans  le  moule,  vous  vous  y  sentez  préservée  :  patience  ! 
vous  en  sortirez  redressée  et  pleine  de  vigueur.  Laissez 
faire  Dieu,  donnez-Lui  crédit. 

Au  fond,  ce  n'est  pas  le  besoin  d'une  récompense  immé-    / 
diate  qui  vous  trouble,  c'est  plutôt  la  fausse  pensée  que 
cet  état  de  froideur  est  un  signe  que  Dieu  ne  veut  pas  de 
vous.  Eh  bien!  jejvous  déclare  de  sa  part  qu'il  vous 
veut  bien  à  Lui,  que  cette  froideur  qui  vous  tourmente 


—  88  — 

est  une  épreuve,  ou  parfois  un  paternel  châtiment  pour 
vous  rappeler  à  la  fidélité.  N'est-il  pas  vrai  que  vous 
auriez  le  courage,  même  étant  telle  que  vous  êtes,  si  vous 
étiez  persuadée  que  Dieu  vous  aime  particulièrement  et 
qu'il  est  content  de  vous?  Eh  bien  !  ayez  bon  courage, 
car  je  vous  donne  cette  assurance. 

Acceptez  le  sentiment  du  vide  :  regardez-le  comme  un 
effet  normal  de  votre  situation  passée,  sachez  bien  qu'il 
passera  et  ne  soyez  pas  trop  inquiète  de  le  voir  persister. 
Si  vous  ne  passiez  point  par  toutes  ces  peines,  j'en  serais 
préoccupé,  tant  cela  est  habituel;  je  me  demanderais  si 
ce  n'est  pas  une  illusion. 

Donc  le  règlement  sera  ainsi  bien  suivi  et  il  le  sera 
d'une  façon  plus  décidée.  Je  vous  recommande  les  invo- 
cations durant  le  jour  :  «  Que  votre  volonté  soit  faite.  » 
Demandez  aussi  à  Dieu  de  vous  pardonner  et  le  passé  et 
les  fautes  qui  échappent  encore.  Soyez  bonne  pour  les 
vôtres;  veillez  sur  la  piété  de  votre  petite  J.,  et  priez 
aussi  pour  votre  bien  respectueusement  dévoué. 

,      XL! 

Certes,  mon  enfant,  je  serais  aveugle  si  je  ne  consta- 
tais pas  en  vous  de  très  grands  changements,  et  je  serais 
tout  autre  que  je  ne  suis  si  je  ne  m'en  réjouissais  pas 
beaucoup.  Je  reconnais  qu'à  côté  de  cela  il  y  a  souffrance 
et  épreuve.  Faut-il  le  dire,  de  cela  aussi  je  remercie  Dieu. 
Confiance,  faites  crédit  à  Dieu,  Il  sera  bon  payeur. 

Ne  vous  écoutez  pas  trop  souffrir,  cela  fait  du  mal; 
portez  votre  croix.  Je  sais  qu'elle  est  très  lourde, 
mais  elle  est  une  croix  venant  de  Dieu.  Elle  vient  de  Lui 
et  elle  s'appelle  :  expiation  et  réparation.  Au  fond  elle 
vient  bien  un  peu  de  vous  !  n'est-ce  pas?  mais  elle  est 
devenue  sainte  depuis  que  vous  avez  déraciné  ce  qui  l'a- 
vait amenée.  Quelle  grâce  de  voir  que  vous  ne  revenez 
pas  en  arrière  et  que  vous  repoussez  même  l'idée  d'un 
tel  oubli  !  Des  communions  froides  ne  sont  pas  des  com- 
munions nulles.  Le  premier  effet  de  l'Eucharistie  est  de 
fortifier  l'âme;  la  consolation  n'est  qu'un  effet  accidentel. 


—  89  — 

Je  vous  déclare  que  le  premier  effet  est  et  sera  atteint. 
J«  ne  voudrais  pour  preuve  que  votre  persévérance 
actuelle.  La  contre-épreuve  serait  dans  les  résultats  de 
l'abandon,  mais  il  ne  faut  pas  la  faire.  Continuez  vos  com- 
munions, je  vous  le  demande  de  la  part  de  Dieu  même. 
Ce  que  vous  me  faites  connaître  de  Madame  votre  mère 
m'édifie  grandement;  une  de  vos  paroles  éclaire  pour 
moi  toute  sa  vertu  :  l'oubli  d'elle-même.  Imitez-la,  ma 
chère  enfant,  rendez  les  autres  heureux  et  soyez  si  peu  à 
vous  que  vous  n'ayez  pas  le  temps  de  vous  apercevoir  que 
vous  souffrez.  On  s'habitue  à  ce  qui  route  le  plus,  en  y 
persévérant. 


QUATRIEME    SERIE 


I 

Vous  me  faites  une  bien  grande  peine,  ma  chère  enfant, 
en  me  donnant  lieu  de  constater  une  fois  de  plus  combien 
vous  vous  faites  de  mal.  Ah  !  je  n'avais  pas  besoin  d'être 
prophète  pour  vous  dire  que  vous  auriez  tant  à  souffrir. 
Allez  !  ce  dont  il  faut  vous  inquiéter,  c'est  de  la  fragilité 
de  votre  amour  pour  Dieu.  Laisser  vos  prières,  vos  com- 
munions, suivre  votre  nature  violente  et  contrariée;  per- 
dre la  pensée  habituelle  et  douce  de  Dieu;  fermer  votre 
cœur  à  la  confiance  et  à  l'abandon  filial  en  sa  bonté, 
est-ce  aimer  Dieu?  Revenez  à  vous.  Je  vous  ai  dit  de 
chercher  Dieu  en  concentrant  en  lui  vos  pensées,  votre 
affection,  votre  vie,  et  voilà  que  vous  pensez  à  des  riens 
continuellement,  violemment...  Répondez-moi,  non  par 
des  raisonnements  qui  n'en  finissent  pas,  mais  par  la  réa- 
lisation de  la  conduite  que  je  vous  demande.  Faites-le 
pour  Dieu,  qui  attend  de  vous  la  charité  que  vous  offensez, 


—  90  — 

et  si  l'on  s'étonne  de  voire  changement,  diles  que  vous 
voulez  être  douce  envers  tout  le  monde  pour  Dieu,  que 
vous  attendez  plus  de  vos  sacrifices  que  de  tous  vos 
efforts  à  l'extérieur-;  que  désormais  vous  voulez  vivre  pour 
Dieu  dans  la  paix  au  dedans  et  au  dehors. 


II 

Ma  chère  enfant, 

Je  ne  vois  point  que  vous  ayez  péché  dans  la  sépara- 
tion si  pénible  qui  a  révolté  votre  sensibilité  et  votre 
fierté  naturelles;  c'est  un  orage  qui  a  tout  bouleversé 
au  bas  de  la  montagne,  mais  sans  en  atteindre  la  cime; 
vous  avez  conservé  la  résignation  intacte,  et  le  soleil  de 
l'amour  du  bon  Dieu  n'a  cessé  de  briller  sur  votre  front.  Ce 
qui  laisse  l'âme  plus  longtemps  triste  après  ces  épreuves, 
c'est  la  crainte  d'avoir  été  infidèle.  Eh  bien  !  je  vous  affir- 
me que  vous  ne  l'avez  pas  été. 

Il  ne  vous  reste  plus  qu'à  vous  rendre  bien  finalement 
aux  pieds  du  bon  Dieu  et  à  lui  dire  avec  candeur  :  O  mon 
Dieu,  puisqu'il  est  vrai  que  je  ne  vous  ai  pas  offensé, 
me  voilà  contente;  car  de  me  voir  si  passionnée,  si  faible, 
j'en  prends  humblement  mon  parti,  puisque  vous  ne 
permettez  pas  que  mes  ennemis  me  nuisent;  si  je  désire, 
si  je  demande  que  ces  passions  se  calment  et  que  je 
devienne  forte,  c'est  pour  que  vous  soyez  moins  déshonoré 
par  moi  :  les  haillons  de  l'enfant  prodigue  sont  la  tris- 
tesse du  bon  père  et  il  se  hâte  de  l'en  dépouiller;  que  si, 
au  contraire,  vous  me  laissez  mes  pauvres  haillons,  je 
saurai  bien  y  découvrir  de  quoi  vous  trouver  bon,  aima- 
ble et  admirable;  car  que  dire  d'un  père  qui  ose  encore 
avoir  de  l'amour  pour  un  enfant  qu'il  voit  ainsi  ! 

Je  n'insiste  pas  pour  vous  consoler  et  vous  remettre, 
parce  que  je  suis  persuadé  que  cela  est  fait  depuis  long- 
temps; je  me  contente  de  vous  indiquer  pour  l'avenir  le 
souverain  remède  :  il  est  dans  l'amour  de  Dieu,  quand  il 
est  parvenu  à  vous  unir  à  lui;  alors  tout  le  reste  est  si 


—  91  — 

petit,  est  devenu  si  froid  que  les  tentations  de  ce  genre 
ne  se  comprennent  plus.  Le  sacrifice,  la  prière,  la  pa- 
tience, l'exercice  quand  même  de  la  confiance  en  Dieu, 
en  sont  les  moyens  ordinaires. 


III 

Ma  chère  enfant, 

Puisque  vous  me  soumettez  vos  craintes  sur  l'état  de 
votre  âme,  il  est  de  mon  devoir  d'en  juger,  afin  que  vous 
connaissiez  pleinement  la  volonté  de  Dieu,  j'ose  même 
dire  le  jugement  qu'il  en  porte  lui-même  :  je  vous  affirme 
que  vous  n'êtes  point  dans  la  tiédeur. 

Je  crois  même  que  la  tiédeur  n'est  pas  le  danger  de 
votre  état  de  conscience.  Cette  crainte  d'y  être  déjà  ou 
d'y  pencher  me  semble  une  tentation.  —  Le  démon  vou- 
lant vous  entraver,  vous  empêcher  de  bien  prier,  de  bien 
vous  confier  en  Dieu,  de  bien  l'aimer,  et  ne  pouvant  y 
réussir  de  vive  force,  emploie  la  crainte,  la  tristesse,  il 
le  présente  sous  une  apparence  de  bien;  il  vous  fait  dire  : 
je  suis  dans  la  tiédeur,  je  dois  en  sortir,  et  comme  au  con- 
traire je  m'y  enfonce,  je  ne  puis  me  croire  agréable  à 
Dieu;  je  ne  puis  lui  dire  que  je  l'aime;  et  alors  le  démon 
insinuera  la  tristesse,  Y  accablement  et  une  sorte  de  décou- 
ragement qui  paralyse  :  c'est  là  sa  vraie  tentation,  et  il 
en  use,  selon  son  habitude,  en  ennemi  perfide.  Il  vous 
tente,  en  effet,  de  ce  côté-là  de  préférence  en  ce  moment, 
parce  qu'il  voit  que  déjà,  par  l'effet  de  la  maladie,  la  nature 
y  incline;  de  même  qu'il  tenta  de  gourmandise  Xotre- 
Seigneur,  après  un  jeûne  de  quarante  jours  qui  l'avait 
fort  affaibli. 

Votre  tactique  doit  être  justement  le  contraire  de  la 
sienue,  et  plus  vous  êtes  portée  à  la  tristesse,  plus  vous 
devez  animer  et  multiplier  vos  actes  de  confiance,  d'ac- 
ceptation, d'abandon  et  d'intime  contentement  d'être  à 
Dieu.  Dans  la  conduite  de  son  âme,  somme  dans  tonte 
entreprise,  il  importe  de  prendre  et  de  maintenir  une 


—  92  — 

ligne  de  conduite  simple  et  de  ne  s'en  point  laisser  détour- 
ner par  les  apparences  ou  accidents  de  chaque  jour. 
Votre  ligne  de  conduite  dans  cet  état  de  maladie  qui 
entraîne  tant  de  conséquences  pénibles,  c'est  le  conten- 
tement de  la  volonté,  la  confiance  en  l'amour  que  Dieu  vous 
porte  et  l'abandon  par  amour  filial  :  en  un  seul  mot, 
vous  faire  et  vous  tenir  contente  et  ne  point  vous  en  laisser 
détourner  par  quoi  que  ce  soit  sous  aucun  prétexte.  —  C'est 
comme  un  voyageur,  sûr  d'être  bien  renseigné  au  départ, 
et  qui,  traversant  un  pays  ennemi,  se  garde  bien  de  se 
laisser  détourner  par  les  renseignements  plus  ou  moins 
suspects  qu'on  lui  fournit  sur  la  route.  S'il  lui  arrive  par- 
fois de  s'en  écarter  de  quelques  pas,  il  ne  fait  qu'une 
chose  :  il  revient  à  la  route  adoptée. 

Un  mot  sur  la  tiédeur,  non  pour  vous  rassurer  par  le 
raisonnement,  mais  pour  vous  instruire.  —  Je  ne  dis  point 
que  le  questionnaire  du  Père  Faber  n'ait  pas  de  valeur, 
mais  il  expose  à  s'embrouiller.  La  tiédeur  est  caractérisée 
par  le  péché  véniel  volontaire  et  fréquent.  On  incline  à  la 
tiédeur  (sans  y  être  pourtant)  quand  la  volonté  s'affaiblit, 
à  l'égard  du  péché  véniel,  ce  qui  arrive  ou  par  le  manque 
coupable  de  prière  ou  par  des  condescendances  coupables 
à  la  nature.  Notez  bien  le  mot  :  coupable,  car  dans  votre 
état  de  maladie  les  prières,  et  surtout  la  régularité  à  les 
faire,  sont  impossibles,  et  par  contre,  vous  devez  avoir 
pour  votre  santé  des  ménagements.  —  Pratiquement, 
je  vous  conseille  de  prendre  pour  objectif,  en  fait  de  priè- 
res, les  oraisons  jaculatoires,  en  fait  de  mortifications, 
l'acceptation  contente  de  la  maladie  et  de  ses  suites.  La 
fidélité  à  ces  deux  exercices  suppose  et  entraîne  tout  le 
reste  dans  la  proportion  voulue  de  Dieu. 


IV 

M;»  chère  enfant, 

Si  je  voudrais  vous  consoler!  vous  montrer  combien  j< 
souffre  de  votre  douleur  !  y  apporter  de  l'espérance 
Dieu  seul  le  sait. 


—  93  — 

Tenez  vos  regards  fixés  sur  le  Sacré-Cœur  de  Jésus  dans 
lequel  la  miséricorde  est  incarnée;  jugez  son  cœur  d'après 
le  vôtre  si  infiniment  moins  bon  et  jugez  si  vous  seriez 
restée  sourde  à  la  prière  que  vous  eût  adressée  un  ami, 
vous  offrant  sa  vie,  vous  implorant  avec  toutes  les  res- 
sources de  son  affection  et  san«  relâche  !  Je  ne  peux  dou- 
ter que  votre  prière  n'ait  été  exaucée,  car  elle  réunissait 
toutes  les  conditions  voulues.  Il  est  vrai  que  lorsque 
notre  prière  est  pour  les  autres,  son  effet  n'est  pas  néces- 
sairement efficace  parce  que  la  grâce  de  conversion  étant 
obtenue  et  offerte  peut  n'être  pas  acceptée  par  une 
volonté  qui  reste  toujours  libre,  mais  Dieu  a  tant  de 
secrets  moyens  d'agir  sur  cette  liberté  sans  la  violenter  ! 
Or  il  en  use  d'une  façon  qui  réussit  toujours  quand  la 
prière  qui  l'a  provoquée  est  assez  ardente;  c'est  une  plus 
grande  grâce;  mais  qui  peut  l'espérer,  si  vos  larmes, 
votre  générosité,  votre  constance,  ne  l'ont  pas  obtenue  ! 
Bien  plus,  il  n'est  pas  contraire  à  l'enseignement  de  la 
foi,  de  dire  avec  certains  auteurs  qu'aux  derniers 
moments,  même  en  dehors  de  l'intervention  toute- 
puissante  de  la  prière,  Dieu  fait  un  dernier  effort  de 
miséricorde,  et  met  l'âme  en  demeure  de  se  prononcer 
entre  lui  et  son  obstination.  Or,  que  ne  pas  espérer  d'une 
âme  droite!  et  comment  désespérer  tant  soit  peu  d'une 
âme  pour  laquelle  on  a  tant  prié,  tant  souffert  ! 

Dieu  ne  donne  pas  de  certitude  en  ce  monde,  même  aux 
saints,  sur  leur  état  de  grâce,  afin  qu'ils  "lui  confient  leur 
âme,  qu'ils  la  remettent  avec  mérite  entre  les  bras  de  sa 
miséricorde.  De  même  il  ne  veut  pas  donner  une  plus 
grande  certitude  sur  le  salut  des  âmes  que  nous  perdons, 
afin  que  nous  ayons  à  lui  remettre,  d'une  façon  entière- 
ment méritoire  parce  qu'elle  est  très  filiale,  les  âmes  que 
nous  aimons,  et  les  sollicitudes  que  nous  en  concevrions, 
si  nous  ne  considérions  pas  celui  qui,  en  nous  les  ravis- 
sant d'une  façon  brusque,  nous  a  donné  l'occasion  de 
pratiquer  un  amour  confiant  malgré  tout,  et  s'appuyant 
avant  tout  sur  sa  bonté  et  sur  ses  promesses  d'écouter 
les  prières  de  ceux  qui  l'aiment.  Or,  vous  êtes  de  ces 
âmes,  je  vous  le  promets,  ut  les  imperfections  ne  l'empê- 
chent pas.  Vous  verrez  au  ciel  les  trésors  de  miséricorde 


—  94  — 

qui  ont  fait  appeler  cet  attribut  de  Dieu  un  abîme,  tant 
sa  bonté  y  va  loin,  tant  elle  nous  réserve  de  joies  ines- 
pérées. C'est  là,  oui  là,  qu'il  faut  établir  votre  tranquil- 
lité; c'est  là  qu'il  faut  ramener  votre  âme  quand  le  trou- 
ble la  saisit  :  nous  sommes  de  toutes  parts  enveloppés  de 
ténèbres  en  ce  qui  est  du  surnaturel,  est-il  étonnant  que 
le  trouble  nous  saisisse  parfois  sur  ce  point  comme  sur 
tant  d'autres  ?  Mais  c'est  pourquoi  "il  faut  se  faire  un 
refuge  dans  le  cœur  de  Jésus  et  dans  celui  de  Notre- 
Dame,  sa  mère  et  la  nôtre,  qui  a  été  présente  presque 
sans  interruption  au  chevet  du  mourant  et  de  laquelle  est 
peut-être  venue  la  grâce  décisive  !  Pardonnez  le  désordre 
de  cette  lettre,  je  ne  l'ai  faite  qu'avec  une  fatigue  extrême, 
car  je  suis  malade;  tout  travail  m'est  interdit  et  peut-être 
un  repos  plus  ou  moins  prolongé  va-t-il  m'être  ordonné. 
Dieu  nous  gouverne  de  si  haut  que  nous  ne  pouvons 
jamais  nous  étonner  de  ce  qu'il  fait  ou  défait,  mais  nous 
devons  et  pouvons  toujours  nous  attacher  à  sa  volonté 
qui  est  de  faire  ce  qui  ressort  des  circonstances  données, 
et  nous  abandonner  pour  l'avenir  prochain  et  éternel  à 
celui  qui  reste  notre  père  et  prend  soin  des  orphelins; 
dites-lui  avec  plus  d'amour  que  jamais  :  *  Notre  père  qui 
êtes  aux  cieux  »,  et  croyez  que  ce  père,  qu'il  vous  avait 
donné  sur  la  terre,  est  sur  le  chemin  d'expiation  qui  y 
conduit;  peut-être  même  est-il  au  terme  :  prions.  Je  dirai 
les  messes  les  jours  où  j'aurai  la  force  de  la  dire...  Dites 
à  votre  mère  la  grande  compassion  de  mon  âme  pour 
son  accablement.  En  union  de  prières  et  de  souffrances. 


Ma  chère  enfant, 

Que  votre  âme  soit  sans  agitation,  elle  peut  et  doit 
toujours  rester  en  paix  dans  sa  partie  supérieur!';  de  là 
•  •Ile  fait  ce  qu'elle  peut  pour  mettre  ordre  dans  la  partit; 
inférieure  en  tumulte,  et  quand  elle  n'y  peut  réussir,  elle 
accepte  de  ne  le  pouvoir  pas;  elle  ne  garde  pas  le  trouble 


—  95  — 

volontairement;  elle  se  regarde  comme  bien  pauvre  et 
bien  faible,  mais  non  point  comme  coupable;  ne  pou- 
vant faire  dominer  la  vertu  de  force,  elle  pratique  celle 
de  patience  et  d'humilité,  ainsi  que  la  confiance  en  Dieu 
malgré  tout.  Le  trouble  n'est  jamais  légitime,  lors  même 
qu'il  s'autorise  de  tels  prétextes  de  conscience  :  j'en  suis 
cause;  je  suis  dans  un  état  qui  déplaît  à  Dieu,  etc..  Le 
trouble,  étant  un  désordre  de  nos  facultés,  ne  peut  être 
l'œuvre  de  Dieu,  ni  approuvé  de  lui.  —  Donc,  quels  que 
soient  les  prétextes,  dites  chaque  fois  :  je  n'ai  aucune 
raison  de  me  troubler;  j'ai  toute  raison  de  tendre  à  la 
paix,  quelque  mauvaise  que  je  puisse  être.  —  Quand  il 
s'agit  d'une  décision  à  prendre  et  que  l'on  se  trouve  dans 
de  grandes  perplexités,  il  faut  se  dire  :  il  y  a  toujours, 
toujours  en  toute  chose,  un  moyen  légitime  de  se  décider. 
Puis,  après  avoir  employé  les  moyens  ordinaires  :  priè- 
res, réflexions,  conseils  selon  l'importance  de  la  chose, 
si  le  doute  persiste  sur  le  parti  à  prendre,  eh  bien  !  vous 
croyez  toute  issue  fermée  :  au  contraire,  deux  portes  vous 
sont  ouvertes;  vous  avez  le  droit  certain  de  faire  ce  que 
vous  voulez  et  vous  n'êtes  nullement  responsable  de  l'er- 
reur dans  laquelle  vous  pouvez  voir  ensuite  que  vous  êtes 
tombée  en  prenant  un  parti  plutôt  que  l'autre. 

Ainsi  tixée  sur  les  principes  qui  règlent  la  tenue  de  votre 
intérieur  et  la  manière  de  vous  déterminer  à  l'extérieur, 
commencez  toujours  dans  chaque  difficulté  à  vous  dire  : 
je  sais  que  je  n'ai  aucune  vraie  raison  de  me  troubler; 
je  sais  qu'il  y  a  un  moyen  de  sortir  de  là.  Pour  faire  le 
bien,  on  doit  saisir  avec  bonheur  les  occasions  naturelles. 


VI 

Que  ne  puis-je,  ma  chère  enfant,  vous  écrire  comme  je 
le  désirerais!  souvent,  longuement,  d'une  façon  qui  fût 
consolante!  Que  je  voudrais  être  saint  pour  vous  rani- 
mer! Croyez,  du  moins,  que  vous  ne  me  lassez  jamais, 
que  je  suis  votre  âme  avec -une  véritable  affection;  plai- 
gnez-moi de  l'impuissance  qui  me  cloue  à  ne  rien  faire 

10 


—  96  — 

de  la  moitié  de  ma  vie.  Je  veux  que  vous  soyez  bien  sûre 
de  mon  vif  intérêt,  afin  que  vous  soyez  libre,  aisée  comme 
une  véritable  enfant.  Si  de  lourds  nuages  apparaissent 
parfois  sur  mon  front,  quand  vous  me  parlez,  soyez  bien 
persuadée  que  vous  n'êtes  pour  rien,  comme  cause  ou 
occasion  :  une  sorte  d'état  maladif  y  est  pour  beaucoup. 
—  Maintenant,  ma  chère  enfant,  allons  au  fond  de  votre 
état  :  vous  souffrez  de  bien  des  côtés;  depuis  la  mort  de 
votre  père,  vous  gardez  le  vif  sentiment  de  cette  affection 
saignante  :  l'incertitude  de  votre  avenir,  les  misères  de 
l'âme,  les  contrariétés  de  la  famille,  etc.,  etc.  Or,  quand 
on  souffre  on  est  extrêmement  porté  à  voir  tout  en  noir 
et  on  subit  cette  impression,  même  en  regardant  le  ciel. 
Aussi,  selon  ce  que  l'on  éprouve,  Notre-Seigneur  n'est 
plus  la  bonté,  la  pitié,  l'amour  incarné  :  ce  serait  témérité 
d'aller  vers  lui  avec  abandon...,  etc.  Cette  impression, 
je  vous  le  répète,  est  un  pur  effet  de  ce  noir  que  produit 
la  souffrance.  Réagissez  donc  contre  ce  sentiment,  faites-le 
d'une  façon  décidée,  constante.  Ne  savez- vous  donc  plus 
que  nous  sommes  dans  Vétat  d'enfance  et  qu'il  est  naturel 
à, cet  état  de  tomber  souvent  à  terre,  d'avoir  peu  de 
consistance  et  de  valeur?  Et  Notre-Seigneur  n'est-il  pas 
comme  la  mère  dont  la  charge  est  de  relever  sans  cesse 
et  d'aimer  toujours? 

Honorez  Dieu  par  votre  confiance,  portez  cette  con- 
fiance filiale  jusqu'à  une  sorte  d'insouciance.  Je  trouve 
que  vous  réfléchissez  et  raisonnez  infiniment  trop,  vous 
vous  regardez  sans  cesse  !  —  Non,  Notre-Seigneur  ne 
s'est  pas  retiré  de  vous  :  la  pensée  d'un  tel  délaissement 
de  sa  part  lui  serait  une  injure.  Eh  !  ne  voyez-vous  pas, 
ma  chère  enfant,  que  vos  imperfections,  vos  misères, 
vos  résistances  accidentelles,  n'empêchent  nullement  que 
vous  soyez  à  Lui!  Pour  n'être  plus  à  lui,  il  faut  l'avoir 
voulu  formellement.  Et  vous  ne  l'avez  voulu  d'aucune 
manière,  puisque  vous  le  craignez  tant.  J'aime  la  fermeté 
à  son  règlement  et  à  ses  résolutions.  Faites  en  cela  ce  que 
vous  conseilleriez  à  une  autre,  si  elle  était  à  votre  place. 

Pour  les  lectures  profanes,  ne  vous  laissez  pas  aller  à 
les  prolonger  au-delà  du  temps  laissé  par  vos  devoirs.  En 


—  97  — 


prenant  le  livre,  ce  serait  bien  de  dire  :  je  ne  dépasserai  pas 
telle  heure,  pas  même  d'une  minute.  Il  y  a  là  prudence 
et  mortification. 


VII 

Ma  chère  enfant, 

Ne  vous  étonnez  point  de  vos  fautes,  Dieu  les  regarde 
avec  miséricorde;  ne  vous  inquiétez  point  de  la  pensée 
que  vous  serez  toujours  aimée,  Dieu  change  souvent  en 
un  moment,  plus  souvent  peu  à  peu  sans  qu'on  s'en 
aperçoive.  Mettez  donc  la  modération,  même  dans  votre 
désir  de  devenir  meilleure;  dans  votre  combat,  dans  vos 
défaites  même,  la  patience  envers  soi-même  vient  à  bout 
de  tout;  cette  question  de  caractère  violent  ne  doit  pas 
vous  effrayer,  vous  serez  généreuse  de  la  manière  que  nous 
réglerons;  vos  dispositions  sont  bonnes,  vous  serez  pra- 
tique, et  Dieu  vous  bénira  dans  vos  efforts.  Il  deviendra 
tout  pour  vous  et  vous  laissera  aimer  ce  qu'il  veut  déjà 
que  vous  aimiez.  Le  mieux  est  que  vous  fassiez  la  sainte 
communion  telle  que  vous  êtes  :  la  faisant,  n'ayez 
aucun  trouble,  mais  beaucoup  d'humilité  et  de  soumis- 
sion confuse;  faites-vous  précéder  et  accompagner  par  la 
Très  Sainte  Vierge  qui  vous  aime  tant.  Je  vous  plains  bien, 
sans  être  en  peine  de  votre  conscience;  vous  souffrez  de 
vos  imperfections  et,  en  plus,  des  fautes  de  fragilité.  — 
Ne  perdez  pas  votre  temps  en  de  vaines  agitations;  on 
peut  avoir  des  scrupules  sur  certains  points,  tout  en 
étant  peu  fidèle  sur  d'autres;  or,  pour  vos  confessions  et 
vos  communions,  vous  êtes  scrupuleuse,  ce  qui  vous 
les  fait  moins  bien  faire.  Pour  les  communions,  sachez 
vous  passer  de  ces  sentiments  qui  sont  une  récompense 
ou  quelquefois  un  effet  d'imagination;  le  mieux  est  de 
renouveler  aux  pieds  de  Notre-Seigneur  nos  principales 
résolutions,  d'exposer  simplement  nos  besoins,  d'exprimer 
nos  désirs  de  mieux  l'aimer  et  le  servir.  Je  vais  bien 
demander  à  la  Très  Sainte  Vierge  la  grâce  que  ces  paroles 
et   vos   prières   vous  donnent   la   paix.  Dieu   n'éprouve 


—  98  — 

jamais  au-delà  des  forces;  ne  vous  abandonnez  pas  vous- 
même;  j'attends  de  vous  de  la  générosité. 


VIII 


Vous  ne  vous  attendiez  pas,  ma  chère  enfant,  à  être 
inébranlable,  à  ne  plus  vous  laisser  entraîner  passagère- 
ment; relevez-vous  donc  chaque  fois  avec  votre  même 
résolution.  Votre  grand  mal,  c'est  le  découragement  et. 
la  tristesse;  sortez-en  tout  de  suite  :  beaucoup  d'actes 
intérieurs  d'amour  de  Dieu  chaque  jour,  et  voyez,  dans  le 
doux  support  des  imperfections  d'autrui,  de  vrais  actes 
d'amour  de  Dieu  :  je  suis  heureuse  d'avoir  ceci  à  suppor- 
ter, c'est  pour  vous. 

Faites-vous  calme,  mais  n'employez  pas  la  violence 
pour  produire  le  calme;  supportez  sans  trouble  ce  qui  ne 
peut  se  soumettre  à  votre  volonté;  ne  vous  croyez  point 
mauvaise  parce  que  beaucoup  de  choses  échappent 
ainsi  à  votre  surprise.  Vous  attachez  trop  d'importance 
à  ces  sortes  de  défections;  aimez  l'humiliation  qu'elles 
contiennent,  Dieu  ne  les  permet  pas  pour  votre  perte. 

Comme  les  paroles  et  les  procédés  dépendent  plus  de 
nous  que  les  sentiments,  soyez  bien  maîtresse  de  vous 
sur  ces  deux  objets.  Encore  en  cela,  la  promptitude  de 
votre  caractère  peut  vous  tromper  souvent;  désavoue/, 
souvent  cette  conduite,  ces  écarts...  Ne  vous  laissez  pas 
décourager,  ni  même  attrister,  mais  soyez  pratique  et 
proposez-vous  d'employer  à  mieux  vous  retenir  les  efforts 
que  vous  dépenseriez  à  vous  désoler. 

Je  prends  bien  part  à  votre  douleur;  soyez  résignée  et 
soyez  confiante.  Si  Dieu  vous  montre  dans  le  passé  les 
torts  que  vous  auriez  eus  de  vous  tourner  trop  vers  ceux  en 
qui  il  a  mis  quelques  qualités,  proposez-vous  fortement 
de  vous  attacher  souverainement  à  la  source  et  de  n'ai- 
mer le  rayon  et  le  reflet  que  d'une  façon  détachée,  vous 
en  servant,  sans  y  tenir  plus  que  Dieu  ne  le  veut  et  par 
un  motif  autre  que  cette  volonté.  La  nature,  quand  elle 


—  99  — 

suit  ses  tendances,  nous  éloigne  de  Dieu  bien  Iristement, 
et  dans  les  choses,  même  les  plus  saintes,  la  nature  doit 
prendre  sa  direction  totale  dans  la  volonté  de  Dieu  et  lui 
prêter  alors  toutes  ses  ressources,  mais  alors  seulement 
et  dans  cette  seule  mesure.  Il  ne  s'agit  donc  point  de  la 
détruire,  mais  de  lui  faire  aimer  ce  que  Dieu  veut  que 
nous  aimions,  Lui  surtout  ! 

IX 
Ma  chère  enfant, 

Unissez  votre  volonté  à  celle  de  Dieu  vous  indiquant 
le  sacrifice  qui  vous  semble  au-dessus  de  vos  forces  pré- 
sentes. Si  vous  constatez  la  difficulté  de  l'accomplir,  que 
ce  soit  sans  trouble  :  vous  n'êtes  point  en  face  du  péché, 
mais  seulement  en  face  de  victoires  dont  l'étendue  déter- 
minera la  mesure  de  grâce  sur  votre  avenir.  Cette  affec- 
tion est  légitime,  elle  n'a  rien  de  puéril,  mais  elle  absorbe 
trop  de  votre  âme,  elle  vous  lie;  elle  est  trop  naturelle 
aussi  de  sa  nature  et  elle  produit  les  mauvais  effets  de 
ces  sortes  d'attachement  :  la  préoccupation  excessive, 
les  démonstrations,  l'ennui,  le  manque  de  goût  et  par-, 
fois  de  soin  pour  ce  qui  est  le  devoir,  etc.,  etc.  Je  ne  peux 
pas  vous  dire  :  je  veux  que,  dans  tant  de  jours,  vous  ayez 
arraché  cette  affection.  —  Ce  serait  dérisoire,  même  en 
fixant  un  temps  plus  long,  mais  je  vous  demande  de  vou- 
loir vous  en  défaire,  de  vouloir  arriver  à  être  libre;  alors 
cette  affection  plus  tranquille  et  plus  surnaturelle  pourra 
régner  seule.  Ce  que  je  vous  demande  ensuite  comme  con- 
séquence de  cela,  c'est  de  vous  restreindre  peu  à  peu, 
même  à  l'intérieur,  dans  vos  pensées;  redevenez  fidèle  à 
vos  exercices  et  devoirs,  — faites  beaucoup  d'aspirations; 
—  tâchez  de  vous  vaincre  auprès  de  tous. 

Je  vous  plains  de  tant  de  souffrances.  Faites  que,  désor- 
mais, Dieu  en  soit  l'objet  par  la  volonté  de  lui  plaire  uni- 
quement et  par  la  victoire  de  vous-même  dans  les  détails. 


100   — 


\ 


Ma  chère  enfant, 

Quelles  souffrances  !  quelle  tristesse  !  quel  décourage- 
ment !  Que  je  vous  plains,  car  tout  cela  est  sans  fondement 
et  sera  peut-être  de  peu  de  mérites  devant  Dieu.  Main- 
tenant que  je  vous  peux  parler  à  cœur  ouvert,  laissez- 
moi  vous  dire,  avec  toute  l'affection  et  le  respect  qu'il 
renferme  pour  vous,  que  vous  faussez  votre  généreuse 
nature,  en  vous  abandonnant  à  ses  excès.  Il  est  temps  de 
vous  arrêter;  pour  cela  il  faut  être  pratique  et  constante. 
Si  vous  regardez  l'ensemble  de  votre  conduite  depuis 
plus  d'un  an,  vous  verrez,  à  votre  surprise  peut-être, 
que  vous  n'avez  pas  suivi  en  pratique  la  direction  que 
je  vous  ai  tracée  diverses  fois.  Votre  disposition  d'obéis- 
sance, qui  a  toujours  persisté,  vous  a  caché  votre  manque 
d'obéissance  réelle.  Vous  avez  obéi  dans  plusieurs  cir- 
constances qui  vous  coûtaient,  il  vous  a  paru  que  c'était 
beaucoup,  mais  l'essentiel  faisait  défaut. 

Vous  vous  êtes  mise  par  votre  faute  dans  la  tyrannie 
de  vos  impressions.  1°  Aimez  l'abjection  de  cet  état  comme 
punition  qui,  vous  faisant  souffrir  et  espérer,  vous  rendra 
les  faveurs  de  Dieu;  2°  comme  objet  de  mérite  en  même 
temps,  car  dès  que  le  motif  qui  fait  accepter  cet  état  se 
trouve  droit  et  bon,  la  punition  devient  méritoire  d'une 
augmentation  de  grâce  et  de  gloire;  3°  aimez-la  par  esprit 
de  justice,  trouvant  bon  que  Dieu  vous  punisse  ainsi, 
mais  ajoutez  toujours  l'esprit  de  confiance,  car  il  punit 
par  amour  et  avec-  amour,  alors  même  qu'il  pourrait 
vous  livrer  aux  passions  de  votre  âme;  4°  aimez-la  comme 
le  fondement  solide  de  votre  humilité  pratique  et  de  votre 
perfection.  —  Mais  ne  suivez  pas  les  violences  qui  se 
déchaînent,  ne  les  envisagez  même  pas  par  les  réflexions 
volontaires;  condamnez-les  sans  examen,  mais  condam- 
nez-les même  dans  les  moments  où  vous  les  subissez  le 
plus   fortement;  n'y  insistez  pas   sur  l'heure,  mais,  les 


—   101   — 

ayant  ainsi  désavouées  et  condamnées  comme  par  force, 
c'est-à-dire  par  vraie  vertu,  occupez-vous  à  autre  chose. 
■ —  Assurément,  ma  chère  enfant,  quand  on  ne  se  repose 
pas  en  Dieu,  on  cherche  autour  de  soi,  mais  rien  ne  le 
remplace.  Ne  cherchez  pas  sans  vraie  raison  à  savoir  ce 
que  l'on  est  pour  vous,  ce  que  l'on  pense  de  vous.  Soyez 
assurée  que  nombre  de  personnes  vous  estiment  et  vous 
aiment  :  ce  peut  vous  être  une  consolation;  remerciez-en 
Dieu,  mais  ne  désirez  pas  que  ces  sentiments  se  particu- 
larisent sur  vous.  —  Pour  les  idées,  en  politique  et  en 
tout,  pensez  comme  Y  Église,  et  où  l'Église  n'a  pas  formel- 
lement parlé,  pensez  comme  les  personnes  qui  ont  l'es- 
prit de  l'Église,  comme  les  évoques,  les  bons  journaux, 
les  bons  catholiques;  sans  cette  barrière  de  prudence, 
votre  propre  sens  vous  tromperait  souvent  et  l'exalta- 
tion de  votre  caractère  vous  ferait  parler  d'une  manière 
trop  avancée;  on  avait  remarqué  votre  changement 
d'humeur,  quelque  chose  de  brusque,  de  frondeur;  de  la 
critique,  de  la  moquerie;  cela  tenait  à  ce  que  je  vous  ai 
signalé  :  sans  repos,  sans  complète  adhésion  à  la  volonté 
de  Dieu,  vous  altériez  un  caractère  élevé,  bon;  revenez 
vite  à  cette  ferme  et  tranquille  adhésion  à  la  volonté  de 
Dieu,  là  est  le  point  central  de  votre  réforme  en  tout. 


XI 

Ma  chère  enfant, 

Ne  changez  rien  à  vos  communions  et  à  vos  exercices 
de  piété/,  le  seul  changement  que  je  vous  demande,  c'est 
de  vous  établir  dès  cet  instant  dans  la  paisible  accepta- 
tion de  la  volonté  actuelle  de  Dieu  sur  vous  et  dans  un 
courageux  désir  de  mener  une  vie  de  devoir,  sans  vous  tant 
soucier  des  dispositions  de  vos  sentiments.  Voyez  en 
détail  ce  qui  est  de  votre  devoir  et  déterminez-vous  sim- 
plement à  l'accomplir  sans  raisonner  le  moins  du  monde. 
S'il  vous  arrive  de  voir  que  vous  y  avez  manqué,  ne  vous 
étonnez  jamais,  et  sans  perdre   de  temps  à  de  vains 


—   102  — 

raisonnements  et  découragements  continuels,  proposez- 
vous  de  mieux  faire,  après  vous  être  repentie  tranquille- 
ment, que  ce  soit  avec  sentiment  ou  par  simple  motif 
de  foi.  —  Je  crois  vous  avoir  dit  que  pour  vos  confessions 
vous  êtes  trop  rigoureuse;  je  vous  recommande  de  n'en 
jamais  douter,  ce  serait  perte  de  temps  et  de  courage. 

Je  crois  que  votre  santé  et  votre  peine  font  un  cercle 
vicieux,  agissant  l'une  sur  l'autre;  le  calme  de  l'âme  modi- 
fiera l'une,  et  l'autre  s'atténuera.  Il  ne  faut  pas  tant 
vous  étonner  de  vos  écarts  moraux;  ils  ont  souvent  pour 
cause  profonde  l'état  de  votre  santé;  je  ne  dis  pas  que 
cela  vous  disculpe,  mais  cela  fait  comprendre  les  mouve- 
ments violents  et  excuse  en  partie,  si  on  y  accède  par  fai- 
blesse. —  Dilatez  enfin  votre  cœur  dans  notre  bon  Maî- 
tre qui  ne  cesse  de  vous  attendre  les  bras  ouverts.  Votre 
pauvre  âme  ne  saurait  vivre  ainsi  resserrée,  défiante; 
non  seulement  il  vous  est  permis  d'aimer,  cela  vous  est 
commandé  à  vous,  bien  à  vous-même  telle  que  vous  êtes. 
Si  vous  vous  sentez  en  faute,  votre  amour  prendra  la 
forme  de  regret;  si  vous  vous  sentez  impuissante,  il  pren- 
dra celle  de  la  supplication  :  si  vous  vous  sentez  bien 
misérable,  ce  sera  celle  de  la  p*his  vive  reconnaissance;  si 
vous  vous  sentez  toute  bouleversée,  bors  de  vous,  votre 
amour  pressera  silencieusement  la  main  du  divin  Maître 
qu'elle  ne  voit  pas  dans  sa  nuit,  et  elle  protestera  que  rien 
ne  la  séparera  de  lui  ;  elle  se  maintiendra  paisiblement  dans 
la  ténacité  de  cette  protestation.  Que  la  Très  Sainte 
Vierge  vous  secoure. 

XII 

Ma  chère  enfant, 

Quand  même  les  assauts  les  plus  pénibles  vous  revien- 
draient, vous  ne  vous  en  troubleriez  pas,  vous  me  les 
feriez  connaître  clairement;  vous  les  subiriez  comme  les 
plus  dures  et  les  plus  méritoires  de  toutes  les  croix,  et 
tout  en  désavouant  ce  qui  n'est  pas  selon  Dieu,  vous 
accepteriez    l'humiliation    et    la    peine,    comme    choses 


—  103  — 

agréables  à  Dieu  dans  ces  faiblesses;  c'est  l'or  dans  le 
sable.  Dans  quelque  état  que  vous  vous  sentiez,  rappe- 
lez-vous  d'abord  les  assurances  réitérées  que  je  vous  ai 
données  sur  votre  état  de  conscience;  puis  vous  disant 
qu'une  âme  en  état  de  grâce,  fût-elle  bien  agitée,  très 
imparfaite,  peut  donnée  de  la  gloire  à  Dieu,  par  l'expres- 
sion de  son  amour  et  de  sa  fidélité;  faites,  tous  les  jours, 
un  certain  nombre  de  ces  actes;  faites-les  avec  cette  con- 
fiance qu'ils  sont  agréés  et  méritoires;  portez-vous  au 
calme  par  la  pensée  que  Dieu  vous  aime  telle  que  vous 
êtes. 

XIII 

Ma  chère  enfant, 

Je  vous  dirai  avec  saint  Paul  :  «  Je  me  réjouis 
«  de  ce  que  je  vous  ai  contristés,  non  de  votre  tris- 
«  tesse  même,  mais  de  ce  que  votre  tristesse  a  produit 
«  un  si  bon  changement.  »  Oui,  mon  enfant,  vous  aviez 
besoin  de  mettre  à  vos  lèvres  une  garde  vigilante.  Dans 
le  cas  présent,  je  ne  vois  rien  à  faire  :  vos  réparations 
ne  répareraient  rien,  mais  attendez  les  occasions;  alors 
témoignez  de  votre  estime  pour  les  qualités  vraies  de 
M.,  sans  ajouter  comme  on  a  coutume  de  le  faire  : 
mais  elle  manque  de  ceci,  etc.  Ce  serait  un  devoir  de  con- 
venance et  de  justice  de  ne  pas  laisser  parler  mal  d'elle 
devant  vous;  agir  autrement,  et  surtout  dire  votre  mot, 
c'est  lui  nuire.  Quant  au  caractère  qui  vous  reste  vio- 
lent, c'est  un  ennemi  à  vaincre,  à  tenir  assujetti  au  moins 
comme  un  esclave  dompté,  sinon  docile;  courage!  Dieu 
se  souvient  d?  vos  sacrifices,  rien  n'en  efface  le  souvenir. 
Les  fautes  sont  entièrement  détruites  et  ne  revivent  jamais. 
Vivre  pour  Dieu  est  le  but  suprême,  qu'importe  la 
manière.  Dieu  veut  votre  bien  et  vous  aime.  Il  veut  vous 
aider,  ne  vous  abandonnez  pas  vous-même. 


—  104  — 

XIV 

Ma  chère  enfant, 

Dieu  ne  demande  de  vous  que  de  le  suivre  fidèlement  et 
de  l'aimer  malgré  votre  pauvreté  et  petitesse.  Devenez  con- 
tente dans  la  partie  supérieure  de  l'âme,  dans  cette  par- 
tie dominante  qui  gouverne  l'autre  et  lui  envoie  parfois 
des  clartés,  mais  toujours  des  ordres.  Tâchez  d'être 
toujours  et  en  toute  chose  ce  qu'il  a  le  droit  d'attendre 
de  vous,  et  quand  vous  ne  l'avez  pas  été,  redevenez-le 
tout  de  suite  pour  le  consoler  et  réparer.  Rendez-vous  le 
cceur.de  Notre-Seigneur  très  indulgent  et  bon,  en  l'étant 
pour  chaque  personne.  Si  loin  qu'on  soit  de  Dieu,  ce  désir 
sincère  en  rapproche  aussitôt.  Dissipez  les  craintes  sté- 
riles; vous  n'êtes  pas  abandonnée  de  Dieu,  l'épreuve 
n'est  pas  l'abandon.  Le  Seigneur  n'a-t-il  pas  dit  :  une 
mère  peut  abandonner  son  enfant,  mais  moi  je  ne  vous 
abandonnerai  jamais.  Que  craignez-vous  donc?  N'êtes- 
vous  pas  l'enfant  de  Dieu?  enfant  faible,  moins  bonne, 
moins  charitable,  moins  confiante  qu'elle  ne  devrait, 
mais  enfant  tout  de  même  et  par  conséquent  aimée, 
veillée,  pardonnée.  —  La  prière  confiante  parlant  à  Dieu 
de  Dieu,  non  de  soi  toujours,  s'exerçant  à  désirer  sa  gloire 
partout,  son  bon  plaisir,  se  réjouissant  de  son  bien  et  de 
son  bonheur;  se  consolant  en  pensant  qu'il  est  tant  aimé 
par  d'autres  qui  suppléent  pour  nous  !  oh  !  voilà  la  prière 
qui  dilate;  laissez  ce  trop  d'examen  sur  vous  et  le  chagrin 
de  ce  que  vous  avez  à  constater  ainsi  :  pensez  en  Dieu,  il 
pensera  pour  vous  !  Cherchez  Dieu,  comme  un  petit  enfant 
qui  en  se  réveillant  ne  voit  que  sa  mère;  ne  pensez  qu'à 
cela  et  non  à  vos  besoins;  la  mère  étant  là  pourvoira 
bien  à  ceux  de  l'enfant.  —  Il  n'est  pas  rare  que  la  méchan- 
ceté du  démon  provoque  des  craintes  semblables  aux 
vôtres  quand  nous  sommes  en  bon  chemin;  donc  relevez- 
vous  dans  la  confiance. 


—  105   — 


XV 


Ma  chère  enfant, 

Croyez  donc  que  la  violence  vous  met  un  bandeau  sur 
les  yeux,  vous  enlève  le  jugement  et  la  bonté.  —  Enfin 
si  vous  voulez  êtreparfaite,  aimez  sincèrement  avoir  le  bien 
des  autres  quel  qu'il  soit  et  travaillez  à  le  procurer;  il  y 
aura  pratique  exquise  delà  charité,  mortification  salutaire 
de  votre  nature;  la  paix  et  la  joie  régneront  en  vous  et 
autour  de  vous.  Vous  pouvez  beaucoup  pour  le  bonheur 
des  vôtres  et  leur  avancement. 

Je  ne  saurais  trop  approuver  votre  résolution  de  céder 
toutes  les  fois  que  la  conscience  ne  vous  dit  pas  qu'il  y  a 
péché  véniel  à  le  faire,  mais  je  ne  vous  regarde  pas  comme 
coupable,  même  d'un  péché  léger,  si  vous  ne  le  faites  pas, 
quand  vous  croyez  être  dans  votre  droit  :  vous  agissez 
moins  parfaitement,  vous  manquez  à  une  résolution, 
mais  vous  n'allez  contre  aucun  commandement.  Qu'il 
se  glisse  facilement  des  fautes  dans  la  persistance  que 
l'on  met  à  soutenir  son  idée,  c'est  très  vrai,  et  que  dans 
votre  cas  cela  soit,  je  l'admets,  mais  il  n'y  a  là  que  faute 
pardonnable.  J'ajoute  même,  qu'à  votre  insu,  vous  avez 
pu  dire  des  paroles  qui  ont  justifié  jusqu'à  un  certain 
point  des  reproches,  mais  je  vous  déclare  que  je  ne  vois 
pas  pourquoi  vous  avez  laissé  la  sainte  communion;  je 
crains  qu'il  y  ait  eu  un  peu  de  parti  pris  en  cela,  car  l'ap- 
plication du  principe  est  claire.  Laissez  donc  vos  idées  et 
allez  à  Dieu  avec  confiance  et  en  renouvelant  votre  réso- 
lution de  céder  toujours,  la  paix  de  l'âme  vaut  bien  ce 
sacrifice,  le  bon  plaisir  de  Dieu  s'y  trouve  aussi.  Aimez  le 
Sacré-Cœur  sans  vous  laisser  arrêter  par  aucune  crainte, 
ni  par  vos  fautes.  Vous  êtes  aimée  de  Lui  infiniment  plus 
que  vous  ne  pouvez  aimer  personne,  et  il  ferait  pour  vous 
plus  que  vous  ne  feriez  pour  ce  que  vous  aimeriez  le  plus. 
Comment  voulez- vous  qu'il  vous  repousse! 


—  106  — 

X  \  I 

Ma  chère  enfant, 

Voici  votre  règle  de  conduite  : 

1°  Désavouer  chacun  de  ces  sentiments  quand  vous  les 
remarquez;  —  le  faire  paisiblement  et  simplement  :  «  Mon 
Dieu,  je  désavoue  ces  sentiments.  »  Si  c'était  fréquent, 
vous  contenter  de  vous  en  détourner  en  pensant  à  autre 
chose,  après  les  avoir  désavoués  une  bonne  fois. 

2°  Agir  tout  comme  si  vous  ne  les  éprouviez  pas,  ne 
faisant  ni  plus  ni  moins  :  quelquefois  seulement  faire  une 
avance  de  plus. 

3°  Employer  les  moyens  généraux  :  a)  prières,  neuvai- 
nes,  communions,  pieuses  considérations,  aspiration  de 
désir,  protestation  de  votre  volonté,  etc.;  b)  bonnes 
œuvres  faites  à  celte  intention;  vous  rendre  utile  ou  agréa- 
ble au  prochain,  surtout  auprès  des  vôtres;  encourager 
au  bien  vos  amies;  vous  réunir  pour  faire  la  lecture  spiri- 
tuelle parfois,  etc.;  c)  pénitences  à  cette  intention,  mor- 
tification intérieure  surtout,  égalité  d'âme  maintenue; 
d)  des  actes  fréquents  d'amour  et  de  confiance  filiale  en 
Notre-Seigneur  et    la   Très  Sainte   Vierge;   e*   examen. 

Examen  que  vous  achèverez  et  dont  vous  pourrez  vous 
servir  chaque  jour  : 

1°  Ai-je  désavoué  tout  sentiment  de  rancune,  d'aver- 
sion? — ■  L'ai-je  fait  du  fond  du  cœur  sincèrement, 
l'ai-je  fait  paisiblement? 

2°  Ai-je  agi  dans  tel  cas,  avec  telle  personne  comme 
si  elle  m'était  sympathique;  parfois  même,  ai-je  fait  plus? 

3°  Ai-je  prié  avec  instances  pour  me  vaincre,  tout  en 
restant  paisible,  etc.  —  Ai-je  fait  quelque  bonne  œuvre 
avec  l'intention  d'obtenir  grâce  pour  me  vaincre?  —  Ai-je 
fait  beaucoup  d'actes  d'amour  envers  Notre-Seigneur; 
d'actes  de  filiale  confiance? 

4°  Ne  me  suis-je  pas  lassée,  découragée,  irritée?  —  Me 
suis-je  relevée? 

Ai-js  assez  de  paix  et  de  courage? 


—  10?  — 

XVII 

Ma  chère  enfant, 

Ne  vous  découragez  pas,  votre  état  actuel  est  un  état 
de  résignation  ;  n'exigez  pas  de  votre  esprit  accablé  des  vues 
de  foi  qui  vous  stimulent,  ni  de  votre  cœur  souvent  ennuyé 
dessentimentsde  consolation  qui  vousréjouissent.  Accepter 
la  souffrance  résolument,  renouveler  cette  offrande  plu- 
sieurs fois  le  jour,  voilà  ce  qui  remplace  les  lumières  et 
les  consolations.  Voilà  votre  grand  exercice  de  piété  qui 
supplée  aux  autres.  «  Que  votre  volonté  soit  faite.  »  — 
«  Seigneur!  faites  selon  votre  bon  plaisir.  »  —  «  Jésus,  je 
suis  toute  à  vous,  malade  comme  bien  portante.  Ne  me 
laissez  pas  aller  au  découragement...  »  —  Voilà  les  prières 
qui  vous  conviennent  dans  votre  état  présent.  —  Vous 
aurez  des  tristesses  qui  vous  feront  croire  que  Dieu  s'est 
éloigné  de  vous,  des  ennuis  et  des  irritations  que  vous 
prendrez  pour  des  fautes;  vous  ferez  même  des  fautes, 
je  l'admets;  gardez- vous  toutefois  de  vous  persuader  que 
les  fautes  vous  séparent  de  Dieu  et  vous  empêchent  de 
mériter;  vous  voyez  bien  que  vous  ne  les  voulez  pas.  — 
Faites  un  grand  nombre  d'actes  intérieurs  d'amour 
envers  Notre-Seigneur.  Dites-les  au  moins  sous  forme  de 
désirs;  ceci  peut  se  faire,  alors  même  que  l'on  n'est  pas 
ée  qu'on  devrait  être.  Je  trouve  que,  pour  trop  reprendre 
à  ce  que  vous  êtes,  vous  n'êtes  pas  assez  reconnaissante 
pour  le  bien  que  Notre-Seigneur  a  mis  en  vous  et  pour 
l'amour  qu'il  vous  donne.  Soyez  donc  heureuse  de  penser 
que  c'est  son  amour  qui  vous  a  fait  naître  en  pays  chré- 
tien, dans  une  position  particulièrement  favorable,  et  que 
c'est  ce  même  cœur  qui  vous  a  donné  tant  de  moyens 
de  vous  sanctifier  sans  se  lasser  de  vos  manquements,  et 
il  ne  se  lassera  pas  de  peur  de  perdre  tout  ce  qu'il  a  placé 
chez  vous.  Ai-je  besoin  de  vous  dire  que  je  souffre  de 
n'être  pas  auprès  de  vous,  de  ne  pas  vous  consoler  un  peu 
par  mes  visites;  mes  lettres  le  feront  de  mon  mieux. 


—   108 


XVIII 


Vous  êtes  donc  en  convalescence,  ma  chère  enfant;  je 
n'espère  pas  vous  trouver  tout  à  fait  guérie,  ces  sortes  de 
maladies  s'en  vont  très  lentement,  mais  je  vous  aiderai  à 
supporter  les  ennuis  d'une  convalescence  souvent  péni- 
ble. Les  forces  reviennent  un  peu,  puis  elles  baissent;  on 
fait  une  petite  imprudence,  on  revient  en  arrière,  on 
éprouve  souvent  du  malaise,  l'âme  souffre  dans  un  corps 
affaibli  et  mal  disposé.  Il  faut  envisager  ces  choses  avec 
une  raison  décidée  et  ne  point  s'en  étonner.  Persévérez, 
ma  chère  enfant,  dans  la  patience  et  l'effort  paisible  vers 
Dieu;  soyez  du  petit  nombre  des  personnes  que  la  mala- 
die rend  meilleures.  Ne  reprenez  pas  encore  les  exercices 
qui  peuvent  fatiguer  :  l'acceptation  contente  de  tous  les 
petits  ennuis  de  votre  état  présent,  les  oraisons  jaculatoires 
sont  le  principal;  prenez  sans  scrupules  les  distractions 
et  agréments  qui  sont  possibles  dans  votre  état,  il  faut 
seulement  éviter  de  trop  désirer  ou  de  trop  s'attrister  à 
l'occasion  de  ces  choses;  prenez  simplement  ce  qui  ne  va 
contre  aucun  devoir;  voyez  en  cela  la  volonté  de  Dieu  qui 
entend  que  vous  preniez  ce  qu'il  vous  offre  pour  aider 
à  votre  rétablissement,  mais  qui  attend  aussi  que  vous  ne 
vous  tourmentiez  pas  pour  vous  les  procurer,  ni  que  vous 
ne  vous  découragiez  pas  s'ils  vous  manquent. 


—  109 


CINQUIÈME    SÉRIE 


I 
Mademoiselle, 

Votre  désir  et  les  raisons  dont  vous  l'appuyez  me  font 
un  devoir  d'accepter  votre  proposition.  Ce  devoir  m'est 
d'autant  plus  facile  que  vous  vous  empressez  de  m'ou- 
vrir  votre  âme  sans  réserve  et  de  me  promettre  une 
sérieuse  obéissance. 

Je  regrette  presque  de  ne  pouvoir  vous  dire  que  vos  con- 
fidences ont  diminué  l'estime  que  je  professe  pour  vous,  car 
je  voudrais  bien  vous  aider  à  devenir  humble,  dussé-je 
être  cruel  —  mais  Ja  vérité  me  force  à  avouer  le  contraire. 
Je  vous  vois  l'objet  d'une  providence  toute  particulière, 
et  je  vous  crois  appelée  à  une  vertu  éminente.  Je  dois 
ajouter  que  je  crains  de  graves  difficultés  dans  la  corres- 
pondance à  la  grâce.  Le  médecin  se  réjouit  de  cas  sem- 
blables, mais  le  père  tremble  un  peu  en  pensant  à  sa  res- 
ponsabilité et  à  son  impuissance.  Nous  prierons  et  Dieu 
fera. 

Votre  très  respectueusement  dévoué. 

II 

Ma  bien  chère  fille, 

Ne  soyons  pas  étonnés  de  surprendre  combien  les  cir- 
constances agissent  sur  nos  impressions  et  combien  les 
impressions  entraînent  Vextérieur  de  notre  âme.  Je  dis 
l'extérieur,  parce  que  le  fond  est  absolument  le  même; 
vous  êtes  toujours  à  Dieu,  entièrement,  et  à  Lui  seul. 
Aussi  ne  faut-il  vous  permettre  à  son  égard  ni  doute,  ni 
resserrement.  Je  dirais  même  qu'il  faut  se  le  répéter  plus 
souvent  et  se  l'affirmer  à  soi-même.  Ces  sortes  d'entraî- 


—  110  — 

nements  superficiels  cèdent  devant  un  redoublement  d'ex- 
pressions filiales  et  de  désirs  vrais;  mais  on  n'y  a  point 
recours  assez  promptement  et  assez  obstinément. 

Il  y  a  des  âmes  qui  ne  dépendent  pas  des  circonstances 
parce  que  tout  est  mort  pour  elles  et  que  Dieu  seul  les 
remplit  abondamment.  Aspirons  à  un  tel  état.  Il  est  le 
fruit  d'une  longue  patience  à  se  supporter  et  à  se  relever. 
Parfois  Dieu  y  fait  arriver  par  de  grandes  peines  très 
promptement.  Méritons  qu'il  nous  y  élève  et  tout  en 
nous  humiliant  de  ne  point  nous  y  voir  encore,  ayons 
une  grande  et  sainte  émulation  pour  ce  don  qui  est  la 
vertu  établie. 

Saint  Augustin  dit  quelque  part  que  cette  transfor- 
mation se  fait  par  deux  causes,  si  elles  sont  toujours  agis- 
santes :  le  désir  et  le  gémissement.  Méditez  cette  double 
série  d'actes  intérieurs,  leur  objet,  leur  intensité,  leurs 
effets.  C'est  bien  là  notre  nature  humaine  qui  s'anime 
vers  un  idéal  et  qui  souffre  de  ne  point  l'atteindre. 

Je  suis  consolé  de  tout  ce  que  vous  me  dites  des  senti- 
ments que  Dieu  vous  donne  à  mon  égard  et  de  l'encou- 
ragement que  vous  trouvez  dans  mon  ministère  auprès 
de  vous. 

Continuez  à  mériter  par  vos  prières  et  votre  docilité 
que  le  bien  vous  arrive  par  un  si  pauvre  canal. 

III 
Ma  chère  fille, 

Écrivez-moi  toujours  sans  réfléchir  autrement  que  pour 
vous  bien  traduire;  c'est  la  simplicité  qui  forme  le  princi- 
pal devoir  d'une  âme  désireuse  d'être  bien  connue. 

J'ai  souri  quand  j'ai  lu  votre  tourment  peu  ordinaire; 
quoi  !  trouver  du  goût  à  tout  devoir  et  du  bonheur 
auprès  de  toute  personne,  quel  déplorable  état  !  Il  faut 
n'avoir  vraiment  pas  du  tout  le  sens  évangélique  pour 
pouvoir  extraire  une  jouissance  de  toutes  choses  !  Il  faut 
«'•Ire  bien  peu  aimée  de  Dieu  pour  être  tenue  à  llécart  «lu 
Calvaire  ! 


—  111  — 

Ma  chère  enfant,  s'il  plaît  à  Dieu  de  faire  briller  en  vous 
la  vertu  heureuse  même  ici-bas,  laissez-le  agir  librement; 
en  cet  état  comme  en  tout  autre,  un  seul  mot  résume  notre 
devoir  :  tenons-nous  dans  la  volonté  de  Dieu  présente, 
dans  celle  du  devoir  entier.  Disposons  notre  acceptation  à 
sa  volonté  de  l'avenir,  si  pénible  soit-elle. 

L'avenir  !  ah  !  ma  chère  enfant,  le  bonheur  est  si  com- 
plexe qu'il  faut  bien  peu  de  chose  pour  le  désorganiser  ! 
Si  vous  convoitez  des  peines,  attendez,  et  vraisembla- 
blement vous  serez  satisfaite.  Si  les  peines  vous  épargnent, 
qu'importe,  vous  pouvez  aimer  par  reconnaissance,  et  par 
ce  même  motif,  être  généreuse  et  délicate,  et  c'est  là  tout. 

Je  regrette  comme  vous  l'absence  de  lecture  spirituelle; 
je  suis  bien  téméraire  de  penser  un  peu  qu'en  pressant  de 
part  et  d'autre  entre  les  minutes  de  vos  journées,  vous  lui 
feriez  une  place  convenable.  La  lecture  spirituelle  est  une 
conversation  avec  un  saint  ou  un  savant.  Elle  remet  plus 
vive  à  notre  pensée  telle  ou  telle  vue  ou  réflexion;  elle 
nourrit  l'oraison  et  l'union  à  Dieu. 

L'union  à  Dieu!  C'est  le  but,  ne  le  perdez  pas  de  vue, 
mais  l'union  a  tant  de  degrés  !  Quand  vous  trouverez  en 
Jésus  la  satisfaction  reposée  de  tout  votre  idéal,  de  tout 
l'amour  que  vous  avez  jamais  senti  en  vous  ;  quand, 
dépassant  ces  sentiments,  vous  trouverez  que  l'amour 
dont  vous  avçz  senti  quelque  chose  pour  les  créatures 
n'est  rien  auprès  de  celui  tout  nouveau  que  vous  ressen- 
tirez pour  Jésus,  vous  aurez  atteint  le  degré  que  Dieu 
désire  de  vous,  et  ce  sera  lui  alors  qui  vous  entraînera  de 
l'avant.  Il  y  a  des  âmes  qui  n'auraient  jamais  cru  pouvoir 
aimer  comme  Dieu  se  fait  aimer  d'elles. 


IV 

Ma  chère  fille,  y 

Comme  vous  le  sentez,  la  décision  que  je  vais  vous 
donner  est  personnelle  et  se  base  sur  ce  que  vous  êtes 
comme  nature  et  position. 

11 


—  112  —       . 

Vous  pouvez  lire  les  auteurs  dont  vous  me  citez  les 
noms  et  ceux  qui  vous  sont  nécessaires  pour  votre  but.  Je 
crois  que  ceux  qui  sont  simplement  contre  la  foi  vous 
seront  moins  dangereux.  Vous  me  tiendrez  d'ailleurs  au 
courant  de  vos  impressions. 

Pour  ceux  qui  attaquent  un  autre  genre  de  délicatesse, 
soyez  plus  vigilante  et  passez  très  rapidement  sur  les 
passages  dangereux.  Si  quelque  auteur  vous  paraissait 
particulièrement  malsain,  laissez-le  de  côté  et  conten- 
tez-vous de  comptes  rendus. 

Vous  pouvez  faire  lire  à  votre  élève  la  plus  grande  par- 
tie du  Paradis  perdu,  mais  vous  serez  impitoyable  pour 
les  pages  trop  chaudes  et  poétiquement  réalistes. 

Ne  regrettez  pas  trop  vivement  de  n'avoir  pas  lu  tous 
les  auteurs  remarquables;  je  doute  que  cette  lecture  eût 
ajouté  beaucoup  à  votre  formation  d'esprit.  Les  auteurs 
étrangers  que  l'on  vante  le  plus  ne  valent  pas  ordinaire- 
ment certains  des  nôtres  et  ne  peuvent  vous  servir  autant. 
Occupez-vous  en  par  position  pour  en  pouvoir  parler; 
mais,  quand  vous  serez  libre,  restez  en  France. 


•    V 

Ma  chère  fille, 

Je  désire  que  vous  ne  marchandiez  pas  au  bon  Dieu  le 
temps  d'entretien  qu'il  vous  permet.  Peut-être  votre 
jeune  fille  si  studieuse  ferait-elle  sans  un  dommage  évi- 
dent le  sacrifice  de  quelque  petite  demi -heure  sur  les 
quatre  ou  cinq  heures  qu'elle  vous  demande.  J'ose  croire 
qu'elle  n'en  fera  pas  moins  une  bonne  maîtresse  de  mai- 
son, et  je  suis  certain  qu'elle  vous  devra  encore  une  bien 
grande  reconnaissance  pour  les  trois  heures  et  demie  ou 
quatre  heures  et  demie  que  vous  lui  consacrerez. 

Cultivez  la  pensée  de  Dieu  par  les  moyens  que  nous 
avons  souvent  parcourus  ensemble  :  l'avancement  est  le 
résultat  de  cette  activité  qui  est  elle-même  le  cœur  de  la 
dévotion. 


—  113  — 

VI 

Ma  bien  chère  fille, 

La  séparation  est  donc  accomplie  !  On  a  beau  la  pré- 
voir et  même,  sous  certains  rapports,  la  désirer  peut-être, 
quand  elle  se  produit,  elle  découvre  un  vide  qui  nous 
effraie.  On  sent  se  briser  aussi  une  multitude  de  petits 
liens  qu'on  ne  voyait  pas.  Le  passé  revit  pour  vous  crier 
qu'il  s'en  va  tout  à  fait. 

L'effet  que  vous  subissez  est  tout  naturel  à  votre 
trempe  d'esprit;  je  vous  avouerai  que  je  l'ai  éprouvé 
aussi  sensiblement  que  vous  dans  de  semblables  occa- 
sions. Il  se  modifiera  probablement-bientôt;  mais,  demeu- 
rerait-il, qu'il  ne  serait  qu'une  occasion  de  mieux  exercer 
par  là  votre  foi  et  votre  espérance.  D'autres  ont  une 
grande  impressionnabilité  de  sentiment  et  se  refusent 
à  la  résignation;  cela  ne  vous  atteint  à  aucun  degré. 
Vous  avez  de  votre  côté  une  extrême  impressionnabilité 
d'intelligence;  or  la  vue  d'une  personne  morte  met  vive- 
ment en  lumière  les  motifs  impressionnants  de  douter  : 
cet  organisme  qui  ne  fonctionne  plus,  ce  corps  qui  se 
défait,  ce  silence  de  toutes  parts,  rien  ne  succédant  d'une 
façon  apparente  à  ce  qui  était,  rien  d'en  haut  ne  venant 
nous  informer  du  changement  de  demeure.  Nous  nous 
trouvons  sensiblement  en  face  d'un  néant  que  la  foi  seule 
peut  illuminer;  or  la  foi  ne  projette  aucune  lumière 
directe.  Elle  est  plutôt  une  parole  qu'une  vue.  Nous  som- 
mes aveugles,  et  l'on  nous  dit  qu'en  face  de  nous  se  trou- 
vent peints,  sur  un  tableau,  des  fleurs,  des  espaces,  des 
montagnes.  Le  tableau  est  là,  ce  n'est  qu'une  toile  que 
touche  notre  main,  et  il  nous  faut  croire  que  cette  tojle 
représente  cette  multitude  d'objets  saillants.  Un  aveugle 
de  naissance  peut  arriver  à  le  croire,  mais  il  est  bien 
excusable  d'avoir  l'impression  du  doute. 

Lu  justice  de  Dieu  n'est  pas  en  cause  à  l'égard  de  la  dif- 
férence des  secours  dont  sont  favorisées  les  âmes  du  pur- 
gatoire. La  justice  exige  seulement  que  Dieu  donne  à 
chacun  ce  qui  lui  est  dû,  mais  nullement  l'égalité.  Il  ne 


—  114  — 

faut  pas  chercher  toujours  la  raison  de  ses  préférences 
dans  les  mérites  des  personnes,  car,  pour  qu'elles  méri- 
tent, il  faut  d'abord  qu'elles  en  reçoivent  la  première 
grâce;  or,  nous  aurions  beau  faire,  nous  n'arriverions 
jamais  à  égaler  en  vertu  et  en  mérite  la  Très  Sainte 
Vierge  ni  beaucoup  de  saints.  Dans  l'ordre  pratique,  il 
faut  dire  que  si  telles  âmes  se  trouvent  plus  secourues, 
cela  peut  venir  d'une  action  providentielle,  qui,  en  vertu 
de  certains  mérites  passés,  a  disposé  ainsi  ces  secours 
comme  récompense. 

Mais  par-dessus  tout,  ma  chère  enfant,  aimons  à  faire 
sur  toutes  ces  vérités  des  actes  de  foi  très  simple  et  sans 
raisonnement  direct.  Revenons  toujours  au  raisonnement 
fondamental  :  Dieu,  son  Fils  incarné,  son  Église.  C'est  le 
seul  chemin  qui  soit  accessible  au  grand  nombre,  et  nous 
le  voyons  par  l'expérience,  c'est  même  pour  nous  le  plus 
lumineux. 

VII 

Ma  chère  fille, 

C'est  une  ancienne  illusion  qui  m'a  mis  si  fort  en  retard 
avec  vous  :  j'attendais  un  moment  tranquille...  et  il  n'est 
pas  venu,  et  aujourd'hui,  entre  une  arrivée  et  un  départ, 
je  prends  le  pénible  parti  de  ne  vous  écrire  qu'un  mot. 

Je  comprends  si  bien  votre  état  qu'il  m'eût  été  agréa- 
ble de  vous  en  donner  l'analyse.  Le  sentiment  que  vous 
éprouvez  par  rapport  à  la  foi  se  range  parmi  les  impres- 
sions intellectuelles  qui  ne  sont  point  coupables.  Cette 
impression,  si  elle  était  entretenue,  même  sans  mauvais 
vouloir,  tendrait  à  affaiblir  la  vertu,  l'amour  ne  doit 
point  douter.  Toutes  les  obscurités  que  vous  m'exposez 
sont  celles  qui  ont  plus  ou  moins  obsédé  tous  les  esprits 
philosophiques  de  notre  époque  et  n'ont  pas  épargné  les 
esprits  inoins  élevés.  Il  n'en  est  pas  une  de  celles  dont 
vous  parlez  qui  ne  se  soit  présentée  à  mon  esprit  dès 
l'âge  de  seize  ans,  et  je  les  ai  retrouvées,  hélas  I  dans  la 
bouche  de  gens  bien  peu  intelligents,  ce  qui  indiquerait 
que   ce   n'est   pas  chez   nous  une  merveille.   Laissez-les 


—  115  — 

absolument  de  côté  jusqu'au  moment  où  nous  pourrons  en 
causer  :  veuillez  l'aire  crédit  au  bon  Dieu,  et  ne  lui  pas 
soustraire  un  élan  <le  votre  cœur.  Je  réponds  de  vous. 

VIII 
Ma  chère  fille, 

Ne  craignez  pas  d'être  indiscrète  et  profitez  librement 
de  ce  que  le  bon  Dieu  veut  bien  vous  faire  tenir  par  ma 
pauvreté.  La  confiance  est  la  mesure  de  ce  que  l'on  trouve 
dans  un  directeur.  Il  y  a  des  âmes  à  qui  je  donne  beau- 
coup de  temps  et,  il  me  semble,  de  bons  conseils  aussi, 
et  qui,  de  fait,  n'y  trouvent  ni  lumière  ni  force  ! 

Je  vois  avec  grand  plaisir  que  vous  allez  de  l'avant  sur 
ma  parole.  Rappelez-vous  le  «  Duc  in  altum;  conduis  en 
avant  »,  qui  fut  dit  à  saint  Pierre,  et  aussi  l'ordre  de  mar- 
cher sur  les  eaux.  N'hésitez  pas  à  croire  que  vous  pouvez 
aimer  totalement  le  divin  Maître  et  ne  vous  effrayez 
pas  de  la  facilité  avec  laquelle  vous  enfoncez  dans  les 
eaux  des  distractions  et  des  attaches.  C'est  un  acte  sur- 
naturel qui  vous  «st  demandé.  C'est  Dieu  seul  qui  peut 
vous  en  rendre  capable.  Il  le  veut.  Donc  vous  marcherez 
et  les  eaux  ne  vous  engloutiront  pas. 

IX 

Ma  chère  fille, 

Je  suis  très  content  de  vous  savoir  en  bonne  voie  vers 
Dieu.  La  prière  prolongée  a  une  efficacité  que  n'ont  pas 
des  prières  multipliées.  Aimez  ces  détails  vraisembla- 
bles de  saint  Bonaventure.  Les  actes  de  Notre-Seigneur  se 
passaient  dans  les  conditions  ordinaires  de  l'existence. 
Il  est  donc  bien  permis  de  se  le  représenter  s'asseyant 
à  table,  travaillant,  sortant,  visitant  ses  parents  et  ses 
connaissances.  Évitons  de  nous  étonner  de  ces  multiples 
obscurités.  Pourquoi  cette  vie  commune?  silencieuse 
même  à  l'égard  des  âmes?  Est-ce  digne  de  Dieu?  Suppo- 
sez un  cœur  très  aimant  et  plus  grand  que  le  nôtre,  trou- 


—  116  — 

vez-vous  étrange  qu'il  soil  porté  à  se  placer  dans  les 
conditions  de  ceux  qu'il  aime,  à  vivre  de  leur  vie,  à  expé- 
rimenter leurs  ennuis?  Nous  sommes  heureux  de  voir 
chez  eux  nos  amis,  et  même  en  leur  absence  nous  trou- 
vons dans  leur  demeure  quelque  chose  d'eux  qui  nous 
charme. 


Ma  chère  fille, 

Je  crois  pouvoir  jeter  une  lumière  suffisante  sur  ce 
qui  vous  embarrasse.  Faites  une  part  à  une  certaine 
exagération  oratoire,  puis  distinguez  entre  les  personnes 
menant  la  vie  commune  et  les  âmes  séparées  pour  être 
uniquement  à  Dieu.  Les  premières  ont  des  objets  divers 
qui  correspondent  à  ces  diversités  d'affections  que  con- 
tient notre  cœur;  les  autres  appliquent  surtout  tous 
ces  sentiments  à  Dieu  seul  et  y  sont  obligées.  Les 
fîmes  qui  aiment  d'autres  objets  avec  Dieu  pourraient 
aimer  Dieu,  autant  que  les  âmes  consacrées  parce 
que  l'amour  qui  s'adresse  à  Dieu  est  spécial,  comme 
celui  qui  s'adresse  à  chaque  ordre  de  créatures.  On  peut 
aimer  autant  une  sœur  tout  en  aimant  une  amie,  et  une 
mère,  tout  en  donnant  à  une  amie  et  à  une  sœur  tout  ce 
qu'elles  peuvent  souhaiter.  Nos  cordes  ont  une  aptitude 
et  un  son  différents.  Ce  qui  s'oppose  à  ce  que  l'amour 
de  Dieu  soit  aussi  grand  chez  celle  qui  a  d'autres 
amours,  c'est  le  plue  ordinairement  l'excès  dans  ces  autres 
et  toujours  cette  infirmité  humaine  qui  fait  qu'une 
application  dans  plusieurs  sens  dépense  trop  de  notre 
activité  limitée...  Continuez  la  thèse... 


XI 

Ma  chère  fille, 

En  face  de  la  mer  je  me  permets  de  contempler  le  Dieu 
qui  l'a  faite,  mais  je  constate  qu'on  gagne  moins  à  cette 


—  117  — 

attention  qu'à  celle  qui  se  fixe  sur  Notre-Seigneur.  Aussi 
vous  conseillerai- je  toujours  de  chercher  Dieu  beaucoup 
plus  dans  ses  manifestations  personnelles  en  Notre-Sei 
gneur  que  dans  la  manifestation  vague  de  la  nature. 

Les  exercices  de  saint  Ignace  vous  doivent  être  en  ce 
moment  plus  une  élude  qu'un  objet  de  méditations.  Tâchez 
d'en  saisir  la  suite  et  le  nerf.  Des  lectures  attentives  peu- 
vent y  suffire.  Réservez  votre  heure  du  matin  pour  un 
entretien  avec  le  divin  Maître.  N'aurions-nous  de  Lui 
qu'une  parole  durant  tout  ce  temps,  c'est  assez.  Elle  est 
une  ressource  vivante,  tandis  que  les  pensées  des  savants 
ou  de  votre  esprit  sont  des  produits  fabriqués  qui  n'ont 
pas  de  vie  et  ne  germent  pas.  —  Aidez-vous,  quelquefois 
seulement,  de  la  plume  et  n'en  montrez  jamais  un  mot,  à 
personne;  pas  même  à  moi;  sans  cette  précaution,  vous 
seriez  instinctivement  portée  à  écrire  pour  les  autres. 

Écartez  tellement  les  malaises  touchant  la  foi  que  vous 
gardiez  sain  et  actif  votre  mouvement  vers  Dieu. 


XII 

Ma  chère  fille, 

Je  comprends  et  votre  douleur  et  les  impressions  diver- 
ses que  vous  apporte  la  vue  de  la  mort.  Ce  châtiment  ter- 
rible qui  frappe  toute  la  race  humaine  est  plus  qu'une 
douleur,  il  constitue  encore  une  épreuve.  Notre  esprit  n'est 
pas  plus  fait  que  notre  cœur  à  cette  mystérieuse  sépara- 
tion. Tout  ce  qui  frappait  notre  être  sensible  disparaît 
et  son  importance  dans  l'état  actuel  est  si  grande  qu'il 
paraît  emporter  tout  l'ensemble. 

Donnons  à  la  raison  le  rôle  qu'elle  doit  avoir  et  ne 
regardons  pas  avec  anxiété  ce  qu'elle  affirme.  Aimons  au 
contraire  à  recueillir  toutes  les  consolations  qui  décou- 
lent de  nos  chères  croyances  :  se  revoir  un  jour,  se  sentir 
en  rapport  avec  une  vie  persistante  et  qui  se  souvient, 
être  plus  rapprochés  et  constamment  rapprochés  par 
l'état  où  la  mort    l'a  mise.    Songez  aux    mérites,  aux 


—  118  — 

développements  acquis,  à  ce  droit  à  la  survivance  qui 
seul  rétablit  la  justice.  S'élever  à  de  plus  chaudes  con- 
ceptions, voir  cette  âme  dans  les  bras  de  Jésus,  l'être 
sensible  comme  nous  et  meilleur  que  nous  tous  ensem- 
ble; la  contempler  ouvrant  enfin  les  yeux  et  s'abreuvant 
de  vérité.  Quel  contraste  avec  nos  ombres  qu'épaissit  la 
partie  matérielle  de  ce  moi  en  embryon  !  Pourquoi  s'éton- 
ner? Une  chenille  ressemble-t-elle  au  papillon  qui  est 
pourtant  son  évolution  définitive?  Une  petite  graine 
ressemble-t-elle  au  grand  arbre  qui  en  sortira?  L'albumine 
de  l'œuf  rappelle-t-elle  l'oiseau  avec  son  plumage,  ses 
mouvements  si  vifs,  ses  sens  si  aigus?  Faisons  suivre  à 
notre  esprit  troublé  cette  même  route  d'espérance,  car 
l'âme  humaine  dans  cet  ordre  de  modifications  obéit  aux 
mêmes  lois,  suivant  un  même  plan  :  la  préparation  obs- 
cure, le  développement,  l'éclosion  épanouie.  Si  les  choses 
nous  échappent  dans  leur  substance,  elles  nous  sont  plei- 
nement affirmées  par  la  raison  et  surtout  parla  foi;  nous 
sommes  incapables  de  les  atteindre  autrement,  c'est-à-dire 
intrinsèquement,  et  l'existence  même  de  la  matière  reste 
un  problème  pour  la  science. 

Mais  pourquoi  tant  philosopher?  Croyons  et  prions. 
Résignons-nous,  car  Dieu  est  le  maître  et  il  est  bon.  Con- 
solons-nous en  considérant  tous  les  cœurs  qui  nous  res- 
tent ! 

En  union  de  prières  auprès  de  votre  douleur. 


XIII 


Ma  chère  fille, 


M'ayant  demandé  de  vous  dire  vos  vérités,  vous  crai- 
gnez peut-être  quelque  grave  révélation.  C'est  bien 
uniquement  pour  vous  satisfaire  que  je  m'exécute.  Atten- 
tion !  Il  y  a  en  vous  un  côté  faible,  et  ce  faible  est  d'au- 
tant plus  fort  qu'il  tient  à  de  rares  qualités.  Le  sens  de 
l'admiration  est  un  foyer  d'élans  :  lui  seul  peut  pousser 
en  avant  et  s'il  voile  parfois  certains  côtés  défectueux 


—  119  — 

de  l'objet,  il  no  le  fait  que  plus  aimer  et  mieux  pour- 
suivre. 

Ce  noble  défaut  a  été  mis  par  Dieu  même  dans  Pâme 
de  la  mère;  faut-il  donc  l'incriminer?  N'est-il  pas  bon 
que  la  mère  puisse  invinciblement  estimer  pour  aimer? 
Une  des  applications  dangereuses  de  cette  disposition  a 
été  chez  vous  l'admiration  de  la  science  moderne  et  la 
confiance  dans  ses  savants.  Elle  est  la  cause  principale-' 
de  vos  impressions  de  doute,  et  ces  impressions  sont  à 
leur  tour  une  des  causes  les  plus  regrettables  d'un  cer- 
tain arrêt  dans  votre  marche  vers  Dieu. 

Qui  n'a  pas  subi  la  persécution,  de  ce  mot  :  la  science? 
J'y  ai  passé  comme  les  autres.  Depuis  assez  longtemps 
ayant  voulu  la  voir  du  plus  près  possible,  bien  entendu 
dans  certaines  branches  fort  restreintes,  j'ai  constam- 
ment abouti  à  un  haussement  d'épaules.  En  dehors  du 
bon  sens  et  de  la  foi,  je  n'ai  trouvé  que  prétentions  exa- 
gérées. 

Dans  les  solutions  scientifiques,  certaines  sont  très 
exactes,  mais  les  points  d'interrogation  sur  les  choses  les 
plus  importantes  n'en  reçoivent  aucune  réponse.  Il  semble 
qu'au  contraire  la  science  n'aboutit  qu'à  faire  germer  les 
pourquoi.  Or,  parce  qu'elle  est  la  science,  il  semble  que 
son  silence  équivaut  à  une  condamnation  de  ce  qui  ne 
peut  être  prouvé  par  elle. 

L'humanité  n'est  pas  faite  pour  être  nécessairement 
guidée  par  la  science  ;  elle  s'y  prête  même  peu,  et  la  science 
est  .incapable  de  faire  une  synthèse  qui  égale  un  caté- 
chisme. Je  suis  convaincu  qu'elle  le  sera  toujours. 

Cette  déception  que  j'ai  éprouvée  depuis  bien  long- 
temps devient  plus  générale  de  nos  jours.  Zola,  dit-on,  le 
constate  dans  ses  derniers  romans.  Sa  conclusion  est  que 
l'avenir  est  à  l'illusion  du  mysticisme.  La  conclusion  la 
plus  logique  ne  serait-elle  pas  plus  chrétienne?  Si  rien, 
dans  aucun  temps,  et  si  la  science  aujourd'hui  convain- 
cue d'une  insuffisance  qu'on  touche  du  doigt  n'ont  pu 
satisfaire  l'âme  humaine,  n'est-ce  pas  nier  Dieu  que  de 
croire  son  œuvre  par  excellence  vouée  à  l'illusion  sans 
ressources  !  Or  nier  Dieu,  c'est  tout  à  fait  déraisonnable. 


—   120  — 

Cela  aurait  besoin  de  certains  développements;  je  ne  suis 
pas  assez  fort  pour -écrire  longuement:  nous  en  repar- 
lerons. ^ 

XIV 

Ma  chère  fille, 

Votre  pensée  m'a  accompagné  partout  où  m'ont  con- 
duit mes  voyages  de  vacances,  et  elle  m'a  été  réconfor- 
tante. Je  suis  heureux  de  savoir  que  de  filiaux  dévoue- 
ments veillent  sur  moi  et  intercèdent  auprès  de  Dieu  en 
ma  faveur.  Vous  savez  que  je  ne  désire  qu'une  chose, 
mais  une  chose  si  grande  que  rien  ne  la  vaut,  ni  ne  sau- 
rait" la  mériter  :  Dieu  1  Dieu  obéi,  Dieu  entrevu,  Dieu 
ut  tiré  en  nous  !  Il  faut  dire  aussi  :  Dieu  cherché,  et  avec 
quelles  angoisses,  quels  gémissements  et  au  milieu  de 
quelles  misères  !...  Toutes  les  choses  de  ce  monde  se  jet- 
lent  à  la  traverse  entre  Dieu  et  nous.  La  lassitude  nous 
accable  et  nous  tient  en  bas.  Pour  quelques-uns,  c'est  la 
nuit  avec  toutes  les  noires  ombres  qui  cachent  tout  avec 
un  froid  qui  glace;  vous  le  savez  !...  Je  vous  plains  de  ces 
vertiges  qui  tout  à  coup  vous  isolent  de  tout  ce  qui  vous 
est  le  plus  cher  et  vous  laissent  sans  ciel;  mais  ne  crai- 
gnez pas,  marchez,  vous  êtes  dans  le  chemin.  Le  jour  de 
demain  vous  le  montrera.  Ma  voix  vous  reste  pour  vous 
en  assurer. 


XV 


Ma  chère  fille, 


Je  suis  heureux  du  repos  que  vous  donnent  et  la  cam- 
pagne et  surtout  la  douce  société  de  votre  amie.  Vous  en 
jouissez  saintement  en  cherchant  Dieu.  Tout  en  effet 
doit  prendre  cette  direction;  heureuses  les  âmes,  comme 
la  vôtre,  qui  vont  vers  ce  centre  de  tout,  dès  que  cesse 
l'obstacle.  L'obstacle  est  habituellement  l'occupation,  et 
vous  y  veillerez  pour  l'année  prochaine.  —  Il  est  spéciale- 


—  121  — 

mont  pour  vous  l'influence  du  mauvais  air  que  nous  res- 
pirons en  ce  siècle.  Vous  subissez  ce  mal,  et  il  revient  par 
crises  plus  aiguës  comme  tout  ce  qui  nous  travaille  au 
fond  de  l'être. 

Depuis  le  péché  originel,  chacun  porte  son  infirmité 
particulière.  Il  naît  de  là  un  vrai  sentiment  de  notre 
déchéance,  et  il  s'y  trouve  miséricordieusement  une  source 
de  mérites.  L'égoïsme,  qui  est  pour  le  plus  grand  nombre 
l'obstacle  classique,  existe  peu  chez  vous;  le  dévouement 
ne  vous  coûte  pas;  vous  savez  extraire  des  joies  de  ce 
qui  est  amer  aux  autres...  mais...  vous  êtes  très  ouverte 
aux  influences  intellectuelles.  Vos  premières  admirations 
conscientes  ont  été  provoquées  par  des  hommes  étran- 
gers à  la  foi  et  par  des  lectures  qui,  sans  être  mauvaises, 
vous  ont  fait  connaître  le  vaste  champ  des  erreurs  con- 
temporaines. Il  est  bien  difficile  à  un  soldat  de  rester  à 
son  poste,  quand  autour  de  lui  la  panique  met  tout  en 
fuite,  et  c'est  un  peu  le  cas  de  notre  pauvre  armée  chré- 
tienne, même  au  milieu  d'un  groupe  qui  tient,  bon,  et 
résiste  sans  doute,  mais  avec  découragement. 

Dieu  ne  se  contente  pas  avec  vous  d'un  seul  genre 
d'épreuves,  il  y  joint  actuellement  la  souffrance  physi- 
que. Nous  qui  ne  sommes  pas  éternels  comme  Dieu,  et 
qui  ne  voyons  pas  toutes  les  raisons  des  choses,  nous  nous 
attristons,  quand  nous  voyons  souffrir  les  personnes  que 
nous  aimons.  Je  pense  souvent  à  vos  nuits  tourmentées. 
Je  ne  souffre  pas  moi,  si  je  dors  peu.  Comme  saint  Lau- 
rent, vous  êtes  appelée  à  un  plus  cruel  martyre  que  le 
pontife  dont,  il  était  le  diacre  chéri. 


XVI 


Ma  chère  fille, 


J'ai  bien  souri  en  lisant  votre  théorie  sur  le  bonheur  du 
Ciel  et  l'impossibilité  de  goûter  autre  chose  que  l'infini. 
Vous  êtes  par  nature  dans  la  catégorie  des  âmes  absolues 
et  vous  semblez  ne  pas  vous  attarder  aux  nuances.  Pour 


—   122  —  i 

moi,  je  suis  persuadé  que  Dieu  saura  maintenir  une  admi- 
rable perfection,  donnant  à  chaque  sentiment  de  vraies 
satisfactions,  sans  rien  enlever  à  son  voisin,  comme  nous 
sommes,  hélas  !  obligés  de  le  faire  ici-bas  dans  la  pénurie 
de  nos  moyens.  Si  la  grande  lumière  du  soleil  éteint  celle  des 
étoiles,  c'est  que  nos  yeux  sont  trop  faibles  et  sont  éblouis. 
Supposez  une  vue  plus  parfaite  et  ces  mêmes  yeux 
jouissant  de  la  splendeur  du  soleil  et  à  la  fois  de  la  vue 
des  diverses  étoiles.  Le  cœur  humain  lui-même  ne  donne- 
t-il  pas  plusieurs  affections,  sans  les  diminuer  quand  elles 
ne  sont  pas  du  même  ordre?  La  nature  n'est  pas  faite  pour 
perdre  ses  relations  et  l'exercice  de  ses  délicatesses;  beau- 
coup de  bontés  disparaîtraient  par  là  et  beaucoup  de  bon- 
heur aussi.  Je  le  reconnaisse  bonheur  de  la  visionbéatifiquo 
ne  laisserait  point  de  vide  parce  qu'il  remplirait  tout  de 
son  ampleur  surabondante,  mais  si  nous  n'avions  pas  à 
sentir  ce  vide,  nous  serions  néanmoins  en  fait  moins 
heureux,  moins  complets.  Je  me  doute  même  de  quelque 
merveille  attachée  aux  bonheurs  contingents.  Comme 
tout  palpite  de  Dieu  et  le  reflète,  Dieu  vu  et  senti,  admiré 
et  aimé  dans  les  êtres  que  nous  aurons  aimés  ici-bas,  Dieu 
se  confondant  en  quelque  sorte  avec  eux,  ou  plutôt 
vivant  en  eux,  s'exprimant  par  leurs  sentiments,  et  eux 
transformés,  devenus  parfaits  et  immensément  agrandis  ! 
Et  nous  dès  lors,  habiles  à  voir  Dieu  partout  où  il  est, 
distinguant  le  créé  et  l'incréé,  sans  les  confondre,  mais  les 
unissant  par  tous  les  liens  réels  qui  font  que  la  vie  sort 
du  néant  et  reste  néant  en  tout  ce  qui  ne  reflète  pas 
Dieu...  Allez,  nous  pouvons  imaginer  à  notre  aise,  nous  n'é- 
galerons pas  ce  qui  est. 

Quand  on  voit  tout  ce  que  la  nature  cache  et  que  la 
science  révèle  dans  les  choses  qui  n'ont  rien  d'intelligent, 
que  de  révélations  dans  nos  êtres  doués  de  vues  intellec- 
tuelles et  de  puissance  d'amour,  cela  laisse  supposer! 


—  123  — 

XVII 

Ma  chère  fille, 

Vous  vous  attristez  de  ne  pas  voir  comprendre  ces 
choses  surnaturelles  par  M.  !  C'est  peut-être  qu'elle 
doit  vivre  longtemps  et  acheter  cette  grâce  !  Comment 
Notre-Seigneur  vous  refuserait-il  de  donner  son  amitié  à 
une  sœur  tant  aimée  !  Les  amis  de  nos  amis  sont  nos  amis. 
En  attendant,  offrez  la  moitié  de  ce  que  vous  faites  pour 
celle  qui  ne  veut  rien  faire,  et  faites  les  deux  moitiés  le  plus 
finalement  possible.  Je  trouve  votre  organisation  de  piété 
fort  bien  et  votre  genre  de  vie  très  méritoire.  Vous  faites 
la  volonté  de  Dieu,  du  matin  au  soir,  sans  une  heure  lais- 
sée à  la  fantaisie;  je  vous  admire  ! 

J'aime  bien  aussi  votre  manière  d'aller  à  Notre-Seigneur, 
en  le  regardant  simplement.  Rien  n'est  plus  complet 
et  plus  pénétrant.  Le  but  de  la  méditation  est  émi- 
nemment atteint,  quand  on  s'est  mis  si  fortement  la  pen- 
sée de  Notre-Seigneur  dans  l'âme  qu'elle  y  reste,  comme 
sa  figure  sur  le  voile  de  Véronique.  Rien  ne  se  rapproche 
plus  de  la  présence  que  l'image,  et  nous  sommes  impres- 
sionnés quand  nous  retrouvons  le  portrait  d'une  personne 
aimée.  Si  nous  avions  vu,  un  instant,  le  divin  Maître, 
chercherions-nous  autre  chose?  Son  image,  c'est  Lui  ! 


XVIII 

Ma  chère  fille, 

S'il  est  une  personne  à  qui  je  souhaite  du  bien,  c'est 
à  vous.  —  Je  dis  du  bien,  je  n'ose  dire  du  bonheur;  je  ne 
vous  crois  pas  faite  pour  le  bonheur,  ici-bas.  Celui 
du  monde  ne  vous  contenterait  pas  ;  celui  de  Dieu 
qui  vous  irait  si  bien  sera  sans  doute  parcimonieuse- 
ment mesuré  à  votre  courage.  La  consolation  est  un 
secours  et  vous  pouvez  vous  en  passer;  vous  êtes  ainsi 


—  124  — 

plus  pleinement  dans  l'exil;  les  désirs  s'y  accroissenL,  le 
sentiment  de  notre  néant  s'impose  mieux  :  on  mérite  et  on 
expie  pour  les  autres.  Saint  Paul  définit  l'âme  ici-bas  : 
un  désir  qui  cherche  Dieu.  —  Ce  désir  se  retrouve  au 
fond  de  toutes  les  âmes  élevées,  même  quand  elles  ne 
croient  à  aucun  Dieu.  Il  est  alors  une  grande  tristesse. 

Vous  ai-je  fait  de  la  peine  l'autre  jour  en  appuyant 
peut-être  trop  sur  ce  qui  vous  manque  encore?  Vous  savez 
quelle  profonde  estime  j'ai  de  vos  qualités,  et  de  votre 
bonne  volonté  si  droite,  et  pourtant  je  vous  veux  meil- 
leure encore,  et  cette  amélioration  se  concentre  dans  ce 
mot  :  plus  surnaturelle  de  cœur,  de  conviction,  de  vie 
même.  Dégagez-vous  nettement  des  préoccupations  de 
l'espri-t;  cherchez  Dieu  par  le  cœur;  non  que  la  raison  ne 
le  puisse  démontrer,  mais  alors  même,  elle  ne  peut  le  sai- 
sir; le  cœur,  et  le  cœur  embrasé  de  la  grâce  peut  seul 
l'étreindre.  La  raison,  c'est  comme  une  démonstration  des 
couleurs  faite  à  un  aveugle  ;  le  cœur  dans  la  foi,  c'est  l'œil, 
au  regard  obscurci  peut-être,  mais  qui  saisit. 

Quelle  différence  d'action  sur  les  âmes  quand  on  est 
pénétré  de  surnaturel  ! 

*       XIX 

Ma  chère  fille, 

Je  vous  sens  toute  endolorie  !  Les  souvenirs,  en  vous 
touchant,  vous  blessent  et  ils  sont  là  sans  cesse  !  Ce  n'est 
pas  encore  l'heure  où  l'amitié  console.  Le  ciel  lui-même 
a  beau  vous  inonder  de  ses  espérances;  vous  estimez, 
vous  remerciez,  mais  vous  restez  navrée  !  Je  vous  com- 
prends trop  pour  vous  accuser  en  cela  d'imperfection. 
L'image  de  votre  petite  M.,  sa  voix,  ses  sentiments 
vous  absorbent  et  vous  tiennent  tristement  attendrie.  La 
résignation  la  plus  affectueuse  aux  desseins  de  Dieu, 
votre  reconnaissance  la  mieux  fondée,  s'exercent  dans 
une  autre  région  et  parlent  une  autre  langue. 

Il  m'est  venu  dernièrement  à  votre  sujet  une  pensée 
qui  donne  une  grande  force  aux  raisons  consolatrices  que 


—  125  — 

vous  n'admettiez  pas  sans  réserve.  Oui,  nous  nous  rever- 
rons dans  ce  corps  et  cette  âme  reconnaissantes  et  sim- 
plement embellis,  et  la  raison  dont  je  vous  parle  est 
celle-ci.  Saint  Paul  écrit  aux  fidèles  cette  parole  si  con- 
nue :  Ne  pleurez  pas  vos  morts  comme  ceux  qui  n'ont 
point  d'espoir...  puis  il  expose  le  dogme  de  la  résurrection. 
Il  ne  dit  pas  :  vous  aurez  en  Dieu  un  bonheur  centuplé,  ce 
qui  est  vrai,  mais  il  tient  à  donner  une  consolation  d'un 
ordre  plus  humain  :  ne  pleurez  pas  vos  morts  comme  si. 
vous  ignoriez  que  vous  les  reverrez!  —  Ajoutez  à  cette 
réflexion  le  culte  des  reliques.  L'Église  met  jusque  dans 
la  pierre  de  chaque  autel  des  reliques  de  saints  !  elle  les 
vénère  et  les  encense.  —  Vous  êtes-vous  au%gi  demandé 
ce  que  feraient  dans  un  ciel  vid'e  de  corps,  le  corps  res- 
suscité de  Notre-Seigneur  et  celui  de  la  Sainte  Vierge  ! 
Et  quel  plaisir  ce  pourrait  être  pour  nous  de  les  voir,  si  la 
vue  de  l'Infini  devait  nous  absorber!  Pourquoi  ne  pas  se 
faire  l'idée  d'un  bonheur  de  famille  et  d'amitié,  même 
là-haut?  Le  plus  n'empêche  pas  le  moins,  et  aimer  ainsi 
dans  l'infini  ressemble  à  nos  bonheurs  partagés  qui  s'aug- 
mentent dans  la  contemplation  par  exemple  d'une  vue 
magnifique  sur  la  mer  ou  sur  les  montagnes.  Vous  retrou- 
verez donc  votre  petite  M.,  vous  la  reconnaîtrez  et 
vous  jouirez  d'elle!  Ensemble  vous  ferez  d'intermina- 
bles commentaires  sur  ces  derniers  quarts  d'heure  de 
grâce  mystérieuse,  qui  vous  ont  ravie  et  dont  vous  ne 
connaissez  pas  à  cette  heure  toutes  les  profondeurs  et 
toute  la  beauté  ! 

En  même  temps  je  constate  qu'il  se  fait  pourtant  en 
votre  âme  un  travail  de  transformation.  Dieu  ne  peut 
pas  nous  voir  souffrir  et  surtout  nous  faire  souffrir 
sans  venir  à  nous  et  sans  ouvrir  en  nous  quelque  source 
nouvelle  de  grâces.  Vous  vous  disposez  ainsi  à  être  plus 
maternelle  aux  âmes.  Vous  recevez  pour  donner.  Votre 
amour  pour  Dieu  s'enflamme  pour  se  communiquer.  Le 
livre  que  je  vous  ai  donné  a  été,  je  le  sais,  une  grande 
grâce.  Il  est  venu  à  son  heure.  Je  ne  sais  pas  en  effet 
pourquoi  je  ne  vous  en  ai  pas  parlé  plus  tôt. 


—  126  — 

XX 

Ma  bien  chère  fille, 

C'est  mon  droit  d'entrer  dans  votre  douleur  si  pro- 
fonde et  toujours  si  sensible.  C'est  mon  droit  puisque  je 
la  connais  mieux  que  personne  et  aussi  parce  qu'elle  reste 
pour  moi  également  une  de  ces  tristesses  qui  assom- 
brissent la  vie,  tristesse  de  son  absence,  tristesse  de 
votre  isolement.  Vous  souffrez  surtout  à  la  pensée  d'an- 
nées moins  bien  employées  par  un  cœur  qui  ne  fut  pas 
épanoui,  d.'une  âme  sentimentale  qui  ne  prit  son  essor 
pur  que  très  tard. 

Nous  ignorons  les  règles  de  la  bonté  divine,  car  la  bonté- 
a  ses  règles  qui  ne  relèvent  d'aucun  calcul.  Elle  a  aussi  ses 
raisons  d'être  qu'elle  puise  dans  les  mérites  surabon- 
dants de  Jésus.  Ne  doit-elle  pas  tenir  compte  encore  des 
mérites  des  âmes  qui  l'aiment?  Qu'ont  fait  les  saints 
Innocents  pour  avoir  la  gloire  du  martyre?  Que  d'autres 
enfants  morts  victimes  et  qui  n'auront  pas  même  le  ciel 
où  l'on  voit  Dieu  ! 

Le  dogme  de  la  communion  des  saints  a  une  plus 
large  étendue  que  nous  ne  le  savons.  Que  de  secrets  tou- 
chants nous  attendent  !  On  aime  à  faire  des  surprises  à 
ses  amis.  Soyez  de  plus  en  plus  l'amie  de  Jésus,  et  tous 
vos  mérites,  éternellement  prévus,  se  trouveront  avoir 
parlé  pour  celle  que  vous  aimez  et  dont  le  bonheur  était 
votre  ardent  désir.  Quand  je  dis  bonheur,  j'entends  tout 
ce  que  comprend  la  jouissance  de  Dieu  et  le  rejaillisse- 
ment sur  nos  facultés  qui  se  fait  de  l'infinie  lumière,  de 
l'infini  amour,  et  de  la  grandeur  morale  qui  résulte  d'une 
telle  communication. ~¥©us  la  retrouverez  donc  agrandie, 
embellie,  belle  de  ressemblance  avec  Dieu,  et  Dieu  vous 
dira  qu'il  a  fait  cette  œuvre  de  choix  à  cause  de  votre 
sœur  1 

Ne  vous  étonnez  pas  de  ces  perspectives.  Nous  n'avons 
ici-bas  que  le  dehors  des  choses.  Toutes  les  fois  que  nous 
pénétrons  plus  avant  dans  ce  que  Dieu  fait,  nous  décou- 


—  127  — 

vrons  des  merveilles  :  merveilles  du  microscope,  merveilles 
de  l'astronomie  et  aussi  merveilles  de  la  chimie.  Son  œuvre 
surnaturelle,  plus  invisible  encore  et  plus  haute,  doit 
cacher  des  secrets  qui  nous  raviront  :  secrets  de  délica- 
tesses d'amour  et  de  générosités  prodigues. 

Ai-je  besoin  de  vous  dire  que  demain  j'offrirai  la  sainte 
messe  pour  l'expiation  de  ses  fautes,  s'il  y  a  lieu,  et  pour 
l'augmentation  de  son  bonheur  secondaire.  Par  l'inter- 
médiaire de  Jésus,  vous,  elle  et  moi  serons  invisiblement 
rapprochés.  Puissions-nous  l'être  ainsi  au  ciel  1 

Je  bénis  ma  chère  fille,  et  je  la  remercie  de  sa  filiale 
affection.  .  ' 

XXI 


Ma  bien  chère  fille, 

Je  m'attriste  avec  vous  à  l'approche  du  mois  prochain. 
Il  est  bien  le  mois  du  Sacré-Cœur,  mais  il  est  aussi  pour 
vous  le  mois  du  Calvaire.  La  douleur  et  l'amour  divin  s'y 
unissent  pour  élever  vos  sentiments,  pour  vous  rendre 
plus  sensible  à  Jésus  souffrant,  pour  vous  préparer  une 
plus  parfaite  possession  du  Bien  suprême. 

Si  le  Ciel  s'entr'ouvrait  et  nous  laissait  voir  la  mer- 
veilleuse beauté  des  âmes  transfigurées,  leurs  ravisse- 
ments, leurs  acceptations  divines;  si  les  âmes  qui  nous 
ont  aimés  nous  laissaient  sentir  combien  elles  nous 
aiment  encore;  si  nous  savions  par  quels  liens  nous  leur 
restons  unis  et  comment  le  divin  et  l'humain  se  mêlent 
sans  se  nuire  ! 

Quelle  consolation  et  aussi  quelle  révélation  :  nous 
n'oserions  pas  y  croire.  Ce  serait  trop  beau!...  Jésus 
n'était-il  pas  Dieu  !  ne  jouissait-il  pas  sur  terre  de  \\ 
vision  bienheureuse?  Et  cependant  il  savait  éprouver 
les  sentiments  humains  et  il  n'en  est  pas  un  seul  qu'il 
n'ait  voulu  sanctifier.  Les  œuvres  de  Dieu  sont  simples, 
comme  tout  ce  qui  est  vivant;  nous  leur  prêtons  la  rai- 
deur de  nos  abstractions,  car  nous  ne  les  connaissons  que 

n 


—  128  — 

de  cette  manière.  J'aimerais  vous  voir  jouir  même  de  ce 
moindre  côté  de  nos  espérances;  moindre  en  lui-même,  il 
reste  si  près  de  nous  parce  qu'il  est  sensible,  et  il  entre 
si  avant  ! 

Les  jours  ont  marché  lentement,  n'est-ce  pas?  il  sem- 
ble qu'il  s'en  est  écoulé  un  très  grand  nombre  depuis  cette 
date  dont  nous  approchons  1  La  tristesse  semble  aug- 
menter la  durée,  parce  qu'elle  fait  de  vives  blessures; 
ce  que  l'on  sent  est  seul  présent. 

J'espère  que  la  retraite  vous  aura  fait  avancer  dans  la 
vie  intérieure  qui  est  la  vraie  vie.  Les  occupations  peu- 
vent en  suspendre  l'exercice,  mais  elles  ne  l'affaiblis- 
sent pas  quand  elles  sont  sagement  accomplies.  Onretrouve 
avec  bonheur  ses  hôtes  aimés. 

Courage  !  large  espérance  ! 


XXII 

Ma  chère  fille, 

N'ayons  aucun  désir,  pas  même  celui  plus  généreux 
d'être  malade.  Quand  on  souffre  beaucoup,  on  perd  la 
liberté  des  bonnes  impressions,  la  prière  est  plus  difficile 
et  moins  pénétrante,  l'amour  de  Dieu  souvent  à  peine 
ressenti.  C'est  ce  que  vous  éprouvez  en  ce  moment.  Il 
vous  semble  que  vous  n'aimez  pas  !  —  Ne  semblait-il 
pas  au  Calvaire  que  Jésus  lui-même  aimait  moins?  Sa 
nature  saisie  tout  entière  exprimait  la  douleur;  ses 
impressions  n'étaient  plus  que  des  tristesses,  et  son 
cœur  criant  vers  son  Père  ne  savait  trouver  que  des 
paroles  désolées  :  «  Pourquoi  m'avez-vous  délaissé  ?  » 
Jamais  il  n'aima  plus  et  mieux.  Privé  de  tous  les  stimu- 
lants habituels,  l'amour  restait  seul  pour  commander  la 
résignation,  le  courage  du  martyre,  l'abandon,  le  zèle. 
Or  ce  qui  procède  d'un  amour  sans  amour  mélangé  est 
plus  divin. 

Répétez  donc  avec  confiance  vos  mêmes  offrandes, 
vos   continuelles   acceptations,  la   donation  possible   de 


—  129  — 

tout  vous-même,  y  compris  ce  qui  contriste  votre  cœur. 
Faites  ce  qui  vous  est  conseillé  pour  moins  souffrir,  car 
c'est  dans  l'ordre,  et  vous  vous  rendrez  plus  libre  d'esprit 
et  de  cœur  pour  vous  pénétrer  de  Dieu.  Mais  n'insistez  pas 
dans  vos  demandes,  laissant  Dieu  bien  libre  lui  aussi 
d'agir  à  son  gré  et  de  tirer  de  vous,  selon  ses  préférences, 
ou  des  douleurs  ou  des  accents  d'amour  sensible.  Il  en 
est  du  goût  pour  la  communion  comme  de  tout  ce  qui  est 
sensible;  il  suit  la  condition  de  nos  impressions.  Souffrir  de 
ne  pas  sentir,  c'est  aimer. 


XXIII 

Ma  chère  fille, 

Depuis  quelque  temps  je  remarque  en  vous  des  signes 
d'intoxication  !  !  Est:ce  l'air  ambiant  qui  vous  pénètre 
davantage,  ou  les  impressions  anciennes  qui  reprennent 
vie?  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  un  mal  et  une  souffrance.  Le 
mal  en  séjournant  peut  désorganiser  les  éléments  de  cou- 
rage et  la  souffrance  vous  fermerait  le  cœur  du  côté  de 
Dieu. 

L'humanité  se  trouve  dans  une  longue  crise.  Elle  a 
soulevé  une  foule  de  questions  qu'elle  ne  parvient  pas 
à  résoudre  dans  l'ordre  de  la  pensée  comme  dans  l'ordre 
économique  et  social.  Négations  et  affirmations,  systè- 
mes et  utopies,  bon  et  mauvais,  tout  est  en  révolution... 
et  les  bonnes  âmes  comme  vous  prennent  peur,  car  elles 
n'admettent  pas  qu'un  Dieu  sage  permette  ce  trouble  et 
nous  laisse  dans  l'obscurité.  Dans  le  lointain  de  quel- 
ques siècles,  comme  tout  paraîtra  clair  et  au  fond  sage  et 
bon  !  Attendons,  non  pas  des  siècles,  mais  l'éternité,  car 
il  n'est  pas  probable  que  notre  génération  assiste  à  un 
dénouement. 

Fixons-nous  dans  ce  qui  est  certain  et  n'étendons  pas 
jusqu'à  des  points  bien  prouvés  l'inquiétude  justement 
éveillée  sur  d'autres.  Le  doute  est  toujours  une  ignorance. 
Le   vrai   se   trouve   toujours  dans  une  affirmation.    Le 


—  130  — 

cloute  n'établit  rien  et  n'offre  aucun  appui.  Il  est  un  état 
anormal  dont  la  sagesse  commande  de  sortir.  Quand  il 
résulte  surtout  de  nos  impressions,  il  est  juste  de  n'en 
point  tenir  compte,  dès  que  cette  cause  est  reconnue. 

Sans  la  foi,  l'humanité  serait  bien  à  plaindre  !  La  foi  est 
l'unique  moyen  universel  de  connaître  le  vrai.  Voilà 
pourquoi  Dieu  l'a  choisi.  C'est  l'égalité  entre  les  savants 
et  les  ignorants.  C'est  la  certitude  unique  pour  tous, 
même  pour  la  plus  haute  raison.  La  philosophie  n'est 
qu'une  série  de  systèmes  se  succédant  et  se  renouvelant, 
une  contradiction  perpétuelle. 


XXIV 

Ma  chère  fille, 

J'ai  offert  à  Jésus  votre  résolution  de  fidélité  et  je  lui 
ai  promis  que  vous  ne  nous  feriez  plus  de  peine.  Je  lui  ai 
demandé  pour  cela  de  vous  donner  la  prudence  des  sainis 
qui  place  au  premier  rang  et  sauvegarde  ce  qui  rappro- 
che de  Dieu,  faisant,  s'il  le  faut,  assez  bon  marché  du 
reste,  ne  vous  laissant  pas  agripper  par  toutes  les  ronces 
du  chemin  et  réglant  vous-même  votre  marche  avec 
réflexion  et  force. 

Que  les  décisions  à  prendre  en  ce  sens  soient  remises  à 
plus  tard  toutes  les  fois  qu'une  raison  évidente  ne  vous 
en  fait  pas  une  obligation.  Il  m'a  semblé  sentir  quelque- 
fois que  vous  n'étiez  pas  assez  une  âme  de  prière,  comme 
on  voit  qu'une  fleur  manque  d'eau.  Il  m'a  semblé  aussi 
que  vous  ne  vous  dominiez  pas  suffisamment;  je  fais 
allusion  à  ce  livre  lu  en  un  jour,  au  détriment  de  choses 
meilleures.  Vous  le  voyez,  je  ne  veux  rien  vous  passer, 
parce  que  j'ai  l'ambition  de  vous  voir  parfaite. 


—  131   — 


XXV 


Ma  chère  fille, 


Je  ne  voudrais  pas  vous  savoir  dans  l'état  un  peu 
amoindri  que  vous  m'avez  enfin  révélé,  et  qui,  n'étant 
pas  grave,  cédera  tout  seul  à  une  direction  suivie. 

Nous  avons  réveillé  hier  nos  profondes  tristesses  !  Fai- 
sons dominer  nos  espérances.  Il  faut  se  les  affirmer  nette- 
ment et  ne  pas  regarder  cette  impression  de  doute  qui 
résulte  de  notre  condition  même.  Comment  des  êtres  qui 
forment  leurs  idées  et  leur  langage  d'après  l'élément 
matériel  ne  seraient-ils  pas  déconcertés  en  face  de  l'im- 
matériel? Les  âmes  à  impressions  vives  en  subissent  plus 
violemment  l'action  troublante.  Un  bruit  nous  fait  invo- 
lontairement tressaillir,  nous  n'en  tenons  point  compte; 
mais  comment  faire  pour  ne  pas  tressaillir?  Résignons- 
nous  à  subir  ce  que  nous  ne  parvenons  pas  à  éloigner, 
ne  lui  donnons  pas  tant  d'importance  par  nos  craintes. 
Vivons  sur  les  résolutions  prises  et  sous  l'abri  des 
rares  examens  refaits  de  temps  en  temps  pour  nous  ras- 
surer. 

Soyez  bien  en  paix  !  Je  vous  bénis  de  tout  cœur. 


XXVI 

Ma  chère  fille, 

Ce  que  vous  me  montrez  de  votre  tristesse  me  touche 
profondément.  Il  me  semble  que  le  plan  du  bon  Dieu  en 
ce  moment  est  de  vous  jeter  en  plein  dans  l'épreuve,  et 
j'en  vois  déjà  le  résultat  attendu  :  le  détachement.  Déta- 
chement de  vie  qui  apparaît  dans  son  néant,  détache- 
ment dans  l'activité  qui  n'est  plus  une  joie  d'entrain, 
détachement  même  du  côté  de  Dieu  qui  ne  vous  laisse 
guère  que  le  courage  de  continuer  toutes  les  acceptations, 
tous  les  devoirs,  tous  les  sacrifices.  Si  j'osais  employer 


—  132  — 

ici  une  comparaison  juste,  mais  pas  assez  noble,  je  dirais 
que  Dieu  vous  traite  comme  font  les  entraîneurs  pour  les 
chevaux  de  course  :  ils  ne  leur  laissent  que  ce  qui  est 
force,  c'est-à-dire  l'ossature  et  les  muscles  I  Avec  cela  ils 
gagnent  le  prix,  et  vous,  vous  gagnerez  le  grand  prix  que 
vous  recevrez  sans  doute  seulement  au  Ciel  !  J'espère 
me  trouver  là-haut  pour  vous  recevoir  et  vous  admirer. 
En  attendant  je  vous  donne  ce  que  j'ai  de  meilleur,  ma 
respectueuse  affection. 

XXVII 

Ma  chère  fille, 

Vous  êtes  de  ces  bons  tempéraments  qui,  surchargés  et 
mal  nourris,  vont  quand  même,  mais  qui  au  repos  et  à 
une  bonne  table  redeviennent  brillants  de  santé.  Ce  que 
j'admire  le  plus  en  vous  peut-être,  c'est  le  détachement 
de  vous-même  qui  fait  que  vous  vous  prêtez  à  tout,  et  que 
vous  le  faites  avec  la  facilité  de  l'habitude  vertueuse. 
Quelle  disposition  parfaite  pour  être  prise  tout  entière 
par  Dieu  ! 

Avant  mon  départ  j'ai  eu  la  joie  de  voir  Mlle  S.  et  de 
la  trouver  enfin  dans  de  telles  préparations  d'esprit  que 
de  courtes  explications  ont  suffi  pour  faire  jaillir  la 
lumière.  En  arrivant,  elle  était  encore  incertaine,  et  voilà 
qu'ensuite  elle  a  dit  :  Je  crois  et  je  vois.  Je  crois  tout  à 
cause  de  ce  que  je  vois,  et  je  comprends  que  je  ne  puis 
raisonnablement  demander  de  voir  davantage.  Elle  est 
maintenant  résolue  à  pratiquer.  Je  n'aurais  jamais  voulu 
jusqu'ici  le  lui  demander;  je  ne  crains  que  deux  choses 
contraires  :  ou  une  inquiétude  de  ne  pas  faire  assez,  ou 
des  retours  embarrassants  d'impressions  anciennes.  N'im- 
porte, un  grand  pas  est  fait,  de  grandes  douleurs  seront 
épargnées  à  cette  pauvre  âme. 


—  133  — 


XXVIII 


Ma  chère   fille,  *•* 

Vous  avez  pu  constater  que  l'état  de  maladie  prédis- 
pose à  sentir  plus  vivement  les  impressions  anciennes. 
C'est  une  remarque  qu'il  m'a  été  donné  de  faire  souvent 
et  qui  s'applique  aussi  bien  aux  peines  d'esprit  qu'aux 
préoccupations  de  famille  :  on  est  plus  sensible;  l'action 
dominatrice  de  la  volonté  s'exerce  moins  fortement.  Ce 
qui  reste  à  certaines  profondeurs  de  l'âme  habituelle- 
ment revient  à  la  surface.  Le  soldat  malade  revoit  son 
pays  et  en  sent  mieux  les  charmes;  mourant,  il  appelle 
sa  mère,  morte  peut-être  depuis  longtemps. 

Ne  vous  étonnez  pas  et  ne  vous  troublez  pas.  En  dehors 
de  nos  dogmes,  rien  ne  peut  satisfaire  la  raison,  et  rien  en 
effet  ne  subsiste  :  c'est  une  véritable  incohérence  de  l'es- 
prit humain  que  l'histoire  des  philosophies  et  de  leur 
perpétuel  changement.  Le  plus  triste,  c'est  que  jamais 
aucune  d'elles  n'a  pu  moraliser  son  temps. 

Comme  je  vous  l'ai  fait  remarquer,  l'hypothèse  de 
l'évolution  n'entraîne  point  la  négation  d'un  Dieu  per- 
sonnel. Le  malentendu,  ou  plutôt  la  confusion,  vient  de 
ce  qu'elle  a  été  combattue  par  les  représentants  de  la  foi 
avec  des  arguments  insuffisants  et  donnés  par  plusieurs 
autres  comme  contraires  à  nos  dogmes.  J'avoue  du 
reste  que  je  suis  loin  de  regarder  cette  hypothèse  comme 
voisine  de  la  certitude;  à  plus  forte  raison  comme  démon- 
trée. Mais  peut-être  cette  discussion  vous  trouve-t-elle 
trop  fatiguée?  Peut-être  suis-je  imprudent  de  la  rouvrir 
trop  tôt?  Ce  qui  m'excuse,  c'est  que  je  sais  combien  ces 
sortes  d'inquiétudes,  qui  sapent  toute  la  base  sur  la- 
quelle repose  notre  vie,  sont  à  la  fois  douloureuses  et 
désorganisatrices.  Ce  pauvre  monde  est  livré  à  toutes  les 
divagations  des  esprits,  comme  à  toutes  les  démoralisa- 
tions de  la  vie.  L'erreur  et  le  vice  ont  dominé  dans  tous 
les  siècles,  dans  ceux-là  même  qui,  de  loin  et  vus  dans 
l'ensemble,  paraissent  grands. 


—  434  — 

Le  nôtre  ne  me  paraît  pas  des  moins  bons,  malgré  ses 
misères  e1  ses  ombres.  La  miséricorde  de  Dieu  nous  éi mi- 
nera ! 

Je  vous  bénis  de  tout  cœur. 


XXIX 

Ma  chère  fille, 

Ne  vous  attardez  pas  à  ces  impressions  vagues  de 
crainte  et  ne  regardez  même  plus  ce  qui  les  cause.  S'il' 
est  un  temps  où  il  faut  chercher  des  preuves,  ce  n'est  pas 
assurément  l'occupation  de  toute  la  vie  :  il  y  a  mieux  à 
faire.  Rester  avec  ces  impressions  pénibles  diminue  les 
forces,  rend  timide  auprès  de  Dieu  et  des  âmes  et  finit 
par  créer  une  sorte  de  persuasion  que  ces  craintes  sont 
fondées.  Voyez  M.  Brunetière^  qui  vient  de  se  déclarer 
converti  et  pleinement  catholique.  Certes  !  c'est  bien  un 
ferme  caractère  et  un  esprit  indépendant.  Personne  ne 
conteste  sa  haute  intelligence,  et  s'il  est  arrivé  à  la  plé- 
nitude de  la  foi,  ce  n'est  pas  par  sentiment,  mais  après 
de   longues  recherches. 


XXX 


Ma  chère  fille, 


Oh  !  oui,  je  sens  bien  vivement  vos  douleurs,  toutes  vos 
douleurs.  Celles  de  la  conscience  ne  sont  pas  les  moindres. 
Si  elles  n'ont  pas  les  déchirements  des  autres,  elles  cau- 
sent la  terreur  d'un  plus  grand  vide,  mais  ce  ne  sont  que 
terreurs  d'impression.  Vous  avez  offert  à  Dieu  l'échange 
de  cette  épreuve  qui,  pour  une  âme  saine  et  rompue  aux 
choses  de  la  foi,  n'offre  pas  de  dangers  et  procure  des 
lumières  plus  vives.  Il  en  serait  tout  autrement  pour 
d'autres  âmes.- 

Plus  la  science  découvre  de  merveilles,  plus  elle  s'en- 
fonce dans  l'infini  des  périodes  de  formation  des  êtres, 


—  135  — 

plus  Dieu  paraît  nécessaire  et  grand.  Le  plus  ne  peut  sor- 
tir du  moins  et  la  pure  matière  ne  peut  arriver  à  l'intelli- 
gence. Comment  nous  étonner  de  ne  pas  comprendre 
Dieu  qui  est  plus  différent  de  notre  ordre  que  notre  ordre 
ne  l'est  de  celui  des  infusoires!  D'après  la  philosophie,  la 
notion  de  temps  et  d'espace  qui  nous  semble  l'attribut 
de  toute  existence  ne  saurait  s'appliquer  à  Dieu.  Alors 
comment  comprendre  où  il  est  et  comment  il  vit?  L'hy- 
pothèse d'une  matière  intelligente  et  s'organisant  con- 
sciemment  est  contraire  à  toute  observation.  Celle  d'une 
matière  inintelligente  et  s'organisant  au  hasard  est 
contraire  à  toutes  nos  idées  de  raison.  Et  puis  ne  sai- 
sit-on pas  que  tout  ce  qui  évolue  a  dû  avoir  :  1°  un  com- 
mencement, car  il  n'y  a  pas  de  séries  infinies;  2°  des  ger- 
mes transformateurs,  car  ce  qui  se  produit  doit  être  déjà 
contenu  véritablement  dans  sa  cause?  Où  donc  la  matière 
aurait-elle  trouvé  son  point  de  départ  et  ses  lois  si  belles? 
L'absence  d'une  intelligence  régulatrice  est  inadmissible, 
comme  l'absence  d'un  moteur  initial  immobile.  C'est  l'ar- 
gument d'Aristote. 

Deux  causes  exercent  sur  les  esprits  à  notre  époque 
une  influence  pénible.  La  première  est  l'incrédulité  de 
beaucoup  de  savants.  La  seconde  est  la  défectuosité  de 
l'apologétique  :  on  a  laissé  s'y  introduire  des  considé- 
rations sans  valeur  et  un  parti  pris  de  louange  qui  sonne 
faux...  -v 

...  J'ai  peut-être  tort  de  soulever  tous  ces  problèmes, 
ne  pouvant  leur  donner  les  développements  voulus? 
Vous  avez  le  mal  du  siècle,  voilà  tout,  et  d'un  siècle  qui, 
très  avancé  dans  toutes  les  sciences  positives,  est  extrê- 
mement en  retard  pour  la  science  pure.  La  métaphysi- 
que est  ignorée  plus  encore  que  méconnue;  or  elle  est  la 
science  fondamentale  dont  la  raison  ne  peut  se  passer 
sans  tomber  dans  le  scepticisme  et  l'incohérence. 

Comme  Dieu  a  été  bon  de  se  révéler  à  l'humanité  sous 
les  traits  du  divin  Maître,  et  de  nous  dire  avec  une  clarté 
toute  simple  ce  qu'il  nous  importe  de  savoir,  de  faire  et 
d'espérer! 


—  136  — 

XXXI 

Ma  chère  fille, 

...  Vous  trouverez  dans  la  vie  de  prière  ce  renouvelle- 
ment de  l'âme  qui  rend  la  vigueur  et  donne  souvent 
quelque  joie.  La  condition  formelle,  c'est  que  vous  mépri- 
siez franchement  le  retour  offensif  du  doute.  Il  n'est  pas 
raisonnable  de  remettre  sans  cesse  en  question  ce  qui  a 
été  admis  sagement. 

Sans  la  foi,  rien  ne  s'explique  et  tout  manque;  avec  elle, 
on  a  la  vie  dans  tous  les  ordres  de  choses.  Par  sa  condi- 
tion ici-bas,  la  foi  est  nécessairement  obscure;  parla  con- 
dition faite  à  nos  origines,  elle  rencontre  de  grands 
obstacles  dont  le  principal  est  l'influence  du  milieu;  or 
une  nature  déchue  se  révolte  aisément  contre  l'autorité 
des  préceptes.  Tel  est  le  fait  général,  et  c'est  ainsi  que 
s'établit  un  milieu  hostile,  dont  souffrent  les  âmes  ouver- 
tes comme  la  vôtre. 

Mais  laissons  cela  et  tournons-nous  plutôt  vers  cette 
douce  conviction  d'un  Dieu  au  regard  paternel  cons- 
tamment fixé  sur  nous  :  d'un  Homme-Dieu  notre  frère, 
notre  ami,  notre  amour;  d'une  éternité  où  tous  les  êtres 
divinisés  s'unissent  dans  un  amour  très  pur. 


XXXII 

Ma  chère  fille, 

On  a  beau  dire  que  les  peines  morales  sont  pires.  C'est 
vrai  de  quelques-unes  seulement.  Le  démon,  qui  allait 
crescendo  dans  ses  tentations  à  l'égard  de  Job,  après  avoir 
ruiné  sa  fortune  et  fait  périr  ses  enfants,  affirma  devant 
Dieu  que  ce  n'est  pas  grand'  chose  et  demanda  qu'on  lui 
permît  de  le  prendre  par  la  souffrance  physique.  Je  crois 
que  depuis  lors  l'humanité  a  perfectionné  sa  manière  de 
sentir  les  choses.  Les  mères  de  nos  jours  ne  se  console- 


—  137  — 

raient  point  d'avoir  perdu  tous  leurs  enfants  par  le  sim- 
ple fait  que  Dieu  leur  en  donnerait  d'autres;  mais  enfin  ce 
jugement  du  démon  est  de  nature  à  faire  réfléchir.  Peut- 
être  trouverez-vous  dans  vos  violentes  souffrances  des 
mérites  bien  supérieurs  à  vos  prévisions.  J'aimerais  mieux 
perdre  quelque  chose  de  ceux  que  me  donne  ma  compas- 
sion pour  vous. 

XXXIII 

Ma  chère  fille, 

Je  suis  avec  le  plus  grand  intérêt  la  réflexion  que  vous 
me  communiquez.  Nous  connaissons  si  peu  du  plan  de 
Dieu  que  nous  n'avons  pas  le  droit  de  l'apprécier.  Qui 
sait  ce  qui  se  passe  dans  des  astres  si  nombreux  et  si 
grands?  Il  ne  me  répugne  pas  de  supposer  que  Dieu  s'y 
communique,  ainsi  qu'à  nous,  à  des  êtres  infiniment  nom- 
breux et  peut-être  bien  plus  sages.  L'Incarnation  ne  serait 
pas  plus  diminuée  par  des  faveurs  semblables  que  ne 
l'est  la  communion  qui  se  donne  à  tous.  La  terre  est  si 
petite  dans  l'ensemble...  Donc  ne  jugeons  pas  ! 

Dieu  existe,  puisque  aucune  des  choses  qui  nous  entou- 
rent n'est  douée  d'une  intelligence  et  d'une  puissance 
infinie.  Que  cela  nous  suffise  et  nous  fixe  dans  l'admira- 
tion et  la  reconnaissance. 


XXXIV 

Ma  chère  fille, 

Vos  journées  passent  assez  vite,  puisque  vous  avez  de 
nombreuses  visites,  et  d'ailleurs  ne  seraient-elles  pas  rem- 
plies par  la  souffrance  quand  elle  est  vive  et  par  la  pensée 
de  Dieu  quand  vous  êtes  tranquille?  Nos  souffrances 
envisagées  en  nos  pauvres  personnes  sont  tout  un  poème 
composé  par  Dieu  et  par  notre  coopération.  Elles  for- 
ment une  œuvre  complète  de  perfectionnements  et  de 


—  138  — 

mérites.  Elles  donnent,  à  Dieu  la  gloire  qui  résulte  de 
l'amour  et  du  courage  de  sa  créature  sous  son  action  et 
sous  son  étreinte.  Il  faut  voir  surtout  ce  qui  reste,  c'est- 
h -dire  le  côté  moral.  La  souffrance  matérielle  est  le  moule 
qu'on  brise. 

Envisagée  au  point  de  vue  du  plan  universel,  notre 
souffrance  individuelle  se  perd  dans  l'infini  des  choses. 
Elle  résulte  de  l'application  de  lois  très  grandes,  très 
belles,  très  bienfaisantes  dans  leur  ensemble;  or,  comme 
au  point  de  vue  individuel,  nous  venons  de  le  voir,  elles 
sont  une  belle  œuvre,  au  point  de  vue  général,  elles  ne 
sont  pas  des  choses  sacrifiées,  des  conséquences  malheu- 
reuses d'un  bel  ordre  comportant  des  désordres  partout. 
Le  plan  universel  est  admirable;  le  plan  de  chaque  être 
est  lui  aussi  très  beau.  A  la  rigueur,  on  serait  prêt  à  se 
sacrifier  pour  le  résultat  commun  qui  glorifierait  Dieu; 
mais  Dieu,  sage  et  bon,  ne  le  demande  pas.  Il  est  bon  et 
sage  pour  le  tout  et  pour  les  détails. 

Quand  aurons-nous  la  lumière  de  ces  choses?  Tout 
marche  si  lentement  et  d'une  façon  qui  semble  inexora- 
ble. Les  chenilles,  que  je  détruisais  hier  dans  mon  jardin, 
ne  songent  pas  qu'elles  deviendront  des  papillons.  Quant 
à  nous,  nous  savons,  mais  nous  n'avons  aucune  vue 
directe  de  cet  avenir.  Nous  savons  autant  qu'il  importe 
à  des  êtres  libres.  Nous  ignorons  en  raison  de  notre  con- 
dition d'êtres  enveloppés  dans  la  matière,  et  d'êtres  qui 
se  font.  Nous  ne  sommes  pas  tout  à  fait. 


XXXV 

Ma  chère  fille, 

En  méditant  la  Passion,  ave^-vous  été  frappée  de  l'ef- 
fondrement (complet  en  apparence)  de  toute  l'œuvre  de 
Jésus?  Rien  ne  reste  debout,  pas  même  l'espérance.  La 
mort  est  la  fin  de  tout.  Les  apôtres  eux-mêmes  ont  perdu 
la  foi.  Les  adversaires  se  croient  vainqueurs  :  ils  ont 
écarté  ce  qu'ils  croyaient  le  mal,  c'est-à-dire  la  doctrine 


—  139  — 

opposée  à  celle  de  Moïse,  dénaturée  par  eux.  —  Telle  a 
été  presque  toujours  la  vie  mouvementée  de  l'Église. 
Telle  apparaît  la  situation  actuelle. 

L'explication  du  plan  de  Dieu?  Peut-être  se  trouve-t-elle 
dans  la  nature  des  choses  et  dans  la  simplicité  des  moyens. 
Il  fallait  un  rachat  dans  des  souffrances.  N'en  faut-il  pas 
toujours?  La  nature  humaine  déchue  ne  devait  pas  être 
relevée,  mais  aidée  à  se  relever.  De  là,  les  oppositions  tolé- 
rées et  les  forces  aidées.  De  là,  le  mélange  du  bien  et  du 
mal.  De  là,  les  belles  vertus  de  patience  et  d'amour 
quand  même,  la  persévérance  dans  la  foi  et  la  prière, 
le  perfectionnement  qui  se  fait  malgré  tout.  Je  doute 
qu'à  aucune  époque,  il  y  ait  eu  plus  de  belles  âmes,  mieux 
formées,  plus  purement  à  Dieu  et  plus  consciemment. 

Dieu  tient  un  compte  partial  de  ses  bontés  en  faveur  des 
ignorants  qui  blasphèment  ou  se  retirent.  Il  les  sauvera 
en  grand  nombre  silencieusement. 

Vous  êtes  une  de  ces  âmes,  et  en  ce  moment  votre 
puissance  est  élevée  par  la  souffrance,  comme  dans  les 
mathématiques  par  les  signes  algébriques.  Courage. 


XXXVI 

Ma  chère  fille, 

C'est  une  préoccupation  pour  moi  de  craindre,  en  ce  qui 
vous  concerne,  que  vous  n'ayez  le  cœur  un  peu  resserré. 
Il  ne  faut  pas  souffrir  d'une  peine  qui  ne  rendrait  pas 
meilleure.  Il  faut  au  contraire  retenir  toutes  les  pensées 
qui  donnent  du  courage  et  de  la  liberté.  Dieu  qui  nous  a 
créés  de  toutes  pièces  est  là  pour  nous  renouveler  et  nous 
rajeunir  dans  tous  nos  besoins.  Notre  rôle  est  d'avoir  une 
confiance  entière,  abandonnée,  téméraire  au  besoin, 
téméraire  si  nous  jugeons  Dieu  à  notre  mesure.  Il  ne 
serait  ni  juste,  ni  bon,  de  garder  des  restes  de  tristesse 
et  de  réserve  à  son  égard.  Celui  qui  crée  est  le  seul  qui 
puisse  délivrer  absolument  et  il  le  fait  comme  il  l'a  pro- 
mis. Il  comptera  le  sang  de  son  Fils  qui  n'efface  pas  seu- 


—  140  — 


lement,  mais  qui  remplace,  car  il  est  la  vie,  et  la  vie  don- 
née par  amour. 

X  XXVII 

Ma  chère  fille, 

Je  me  réjouis  du  résultat  de  votre  courte  et  bonne 
retraite;  vous  en  sortez  plus  rassérénée  et  plus  aimante. 
Pourquoi  douter  de  la  persévérance  en  ces  dispositions? 
Ne  vous  sont-elles  que  montrées  ou  prêtées?  Dieu  les  voit 
en  vous  à  l'état  permanent  et  progressif.  Il  y  va  de  sa 
gloire  et  de  votre  bien,  deux  choses  qu'il  aime  sinon, 
également,  du  moins  sans  restriction. 

A  l'élément  de  résistance  et  de  lumière  que  donne  la 
méditation  fondamentale,  vous  avez  ajouté  l'élément  d'ar- 
deur et  de  délicatesse  qu'apporte  la  méditation  du  règne. 
Je  vous  proposerais  un  troisième  point  d'appui  pour  un 
essor  plus  facile  et  peut-être  plus  haut,  car  il  rapproche 
encore  plus  Dieu  et  l'âme,  la  méditation  de  l'Eucharistie. 

Si  le  Jésus  que  vous  avez  contemplé  parcourant  la 
Judée,  et  que  vous  admiriez  beau  et  aimable,  vous  ayant 
distinguée  dans  la  foule,  vous  avait  demandé  de  vous 
suivre  dans  votre  demeure  et  d'y  trouver  du  repos  et  des 
soins,  quelle  eût  été  votre  joie  émue  !  Et  si,  une  fois  chez 
vous,  il  vous  avait  dit  qu'il  s'y  trouvait  bien,  comme 
vous  vous  seriez  sentie  récompensée!...  Ainsi  l'amour 
spécial  de  Jésus  pour  vous  en  particulier,  ce  qui  est  une 
condition  de  l'amitié  et  un  principe  de  relations  parfaites 
que  nous  pouvons  pousser  très  loin.  Si,  en  ce  jour  de 
l'Assomption,  Jésus  quittait  visiblement  le  tabernacle 
pour  aller  vous  visiter  dans  votre  cellule  et  y  rester  et 
s'y  prêter  à  toutes  vos  questions,  et  s'il  vous  témoignait 
cette  merveilleuse  affection  que  nous  pouvons  rêver... 
ne  lui  donneriez-vous  pas  toutes  les  satisfactions,  et  en 
particulier  celle  d'être  heureuse  pour  longtemps  et  malgré 
tout  !... 

Ce  que  nous  rêvons,  ce  qu'il  ne  fera  pas  sans  doute,  il 
nous  aime  assez  pour  que  nous  lui  en  supposions  le  désir 


141  — 


et  l'élan.  Des  lois  supérieures  les  enchaînent  :  sachons 
être -les  esclaves  de  ces  lois.  Le  Ciel  les  déliera,  et  ce  ne 
sera  pas  pour  un  seul  jour  de  fête  !.... 


XXXVIII 

Ma  chère  fille, 

Cette  vie  n'est  point  une  vie  véritable  dans  laquelle 
rien  ne  persiste.  L'être  est  par  définition  ce  qui  est;  or 
ce  qui  passe  est  à  peine,  bientôt  il  n'est  plus.  Dieu  n'a 
jamais  manqué  d'une  parcelle  d'être,  ni  d'une  parcelle  de 
durée  :  voilà  pourquoi  nous  le  disons  infini  et  éternel.  Il  a 
l'être  dans  la  plénitude.  Il  faut  bien  qu'il  y  ait  un  être 
qui  ne  commence  pas  à  être  et  qui  maintienne  ou  renou- 
velle les  êtres  chancelants  et  passagers!...  Il  nous  main- 
tiendra autant  qu'il  durera  lui-même,  parce  qu'il  nous 
a  donné  sa  nature,  qui  est  de  ne  point  finir.  Il  ne  pou- 
vait pas  nous  communiquer  la  plénitude  de  l'essence;  il 
nous  en  a  pourtant  rendu  participants  dans  un  tel  degré 
que  nous  sommes  réellement  de  sa  famille,  de  sa  ressem- 
blance, et,  comme  je  le  redis  souvent  dans  mes  livres  : 
c'est  le  vrai  fondement  de  son  amour  pour  nous.  Il  faut 
toujours  en  revenir  là  pour  comprendre  les  excès  de  Dieu 
en  notre  faveur  et  sa  miséricorde  et  nos  espérances.  Qui 
sait  les  surprises  que  nous  réserve  le  sort  de  ceux  que  nous 
croyons  perdus!  L'enseignement  sur  ce  point  avait  été 
longtemps  trop  désespérant;  on  l'a  beaucoup  élargi  depui? 
les  Jansénistes;  on  l'élargira  peut-être  encore  en  tenant 
grand  compte  de  la  bonne  foi,  de  la  faiblesse  et  de  l'in- 
fluence du  milieu.  Dieu  connaît  encore  mieux  tout  cela 
que  les  modernes  les  plus  accommodants! 

Voilà  que  je  philosophe  avec  vous,  sans  égard  pour 
l'accaparement  de  vos  travaux,  sans  prendre  le  temps  de 
vous  remercier  des  souhaits  si  bons  que  vous  me  donnez. 
II  est  vrai,  je  me  répéterais,  si  je  vous  disais  combien  ils 
me  touchent  et  combien,  en  fait  d'estime,  ils  sont  au-des- 
sus de  ce  que  je  vaux.  Compte/,  du  moins  sur  mon  dévoue- 


—  142  — 

ment  paternel.  Vous  l'avouerai-je?  Je  souffre  de  vous 
voir  si  fortement  appuyée  sur  moi,  car  vraisemblable- 
ment j'ai  peu  de  temps  à  vivre  et  mon  départ  sera  comme 
un  abandon.  Vous  penserez  alors,  plus  fortement  même, 
que  je  continue  à  penser  à  vous  et  que  je  commence  à 
vous  attendre. 

XXXIX 

Ma  chère  fille, 

Dans  l'ordre  moral  comme  dans  l'ordre  matériel,  tout 
se  passe  avec  lenteur  et  majesté.  Nous  nous  troublons  de 
chaque  détail  et  nous  appelons  avec  impatience  l'achè- 
vement d'une  période  simplement  en  train  d'évoluer.  Que 
de  siècles  ont  travaillé  à  produire  la  période  de  terre 
végétale  où  croît  une  petite  plante  !... 

Je  n'en  finirais  pas...  Ne  rapetissons  pas  Dieu  et  en 
même  temps  croyons-le  sage  et  bon  pour  chaque  être. 

Plus  d'une  fois,  je  me  suis  attendri  sur  le  triste  sort  des 
animaux  qui  souffrent  sans  mérite;  en  fait,  ils  ont  beau 
coup  plus  de  petites  jouissances  que  de  peines,  et  certai- 
nement, s'ils  pouvaient  être  consultés,  ils  voteraient  à 
l'unanimité  la  vie  plutôt  que  la  mort. 

Pour  les  chrétiens  et  pour  les  religieux  surtout,  la 
souffrance  est  le  plus  grand  des  biens,  n'y  eût-il  que 
l'union  à  Jésus  rédempteur  par  la  souffrance;  cela  élève 
au-dessus  de  la  simple  honnêteté.  Les  âmes  religieuses  qui 
ne  vivent  pas  dans  ces  pensées  distinctes,  en  vivent  impli- 
citement par  leur  donation  sincère. 

J'ai  commencé  mes  lettres  par  vous  et  je  m'attarde  à 
philosopher,  tandis  que  de  bonnes  âmes  attendent  un 
mot  qui  les  réconforte...  mais  vous  n'êtes  pas  tout  le 
monde;  il  n'y  a  personne  sur  qui  je  compte  autant  que 
sur  vous,  et  qui  me  soit  plus  chère.  Mon  désir  est  de  vous 
voir  bien  en  paix,  travaillant  à  vous  rendre  toujours  plus 
parfaite,  c'est-à-dire  vous  possédant  mieux,  prenant  le 
temps  de  réfléchir  et  tranchant  moins  vite...  Vous  me 
retrouvez  tyran  impitoyable  ! 


—  143 


XL 


Eh  bien  !  vous,  ma  chère  fille,  vous  allez  faire  des 
progrès  visibles  dans  votre  extérieur  au  point  de  vue  de 
la  vivacité.  Vous  ne  vous  prononcerez  plus  si  vite,  sauf 
dans  les  cas  où  ce  serait  nécessaire.  Vous  vous  mettrez 
plus  largement  à  la  place  des  autres,  et  vous  ne  contre- 
direz qu'avez  des  formes  dubitatives. 

La  présence  de  votre  sœur  vous  sera  un  mémento  con- 
tinuel de  ces  résolutions.  Vous  déposerez  près  d'elle 
votre  autorité  pédagogique  et  vos  allures.  Vous  devien- 
drez même,  par  elle,  plus  parfaite  pour  tout  le  monde. 


XLI 

Ma  chère  fille, 

L'éloignement  qui  efface  les  souvenirs  superficiels  rend 
au  contraire  plus  sensibles  les  sentiments  profonds. 
Plus  sensibles,  ils  causent  quelque  peine,  c'est  vrai;  mais 
ils  donnent  plus  d'intensité  à  la  vie  du  cœur.  La  pensée 
de  Dieu  rapproche  et  console.  A  la  communion  surtout, 
on  se  trouve  si  près  et  on  l'est  si  réellement  que  Jésus  seul 
sépare.  Est-ce  être  séparé  que  de  l'avoir  lui  seul  entre 
nous? 

Si  nous  avions  conscience  de  cet  état,,  nous  ne  pour- 
rions plus  souffrir  que  par  miracle,  comme  ce  bon  Sauveur 
quand  il  était  sur  la  terre.  Notre  sort  est  de  marcher  à 
tâtons  dans  les  ténèbres  et  d'éprouver  parfois  les  angois- 
ses du  vide  apparent.  Nous  sommes  voués  à  la  plus  pro- 
fonde misère  pour  devenir  grands.  «  Notre  vertu  se  fait 
dans  l'infirmité  »,  et  cette  infirmité  n'est  pas  seulement 
en  nous,  elle  est  en  toutes  choses  autour  de  nous.  Ceux 
qui  admettent  la  théorie  de  l'évolution  doivent  reconnaî- 
tre qu'il  y  a  loin  d'une  petite  portion  de  la  nébuleuse  pri- 
mitive à  l'organisme  humain  et  aux  merveilles  de  la  vie 
civilisée.  Il  y  a  loin  aussi  de  notre  condition  présente  à 

13 


—  144  — 

celle  qui  révélera  en  nous  les  faits,  obscurs  aujourd'hui, 
de  notre  divinisation  ! 

Vivons  donc  par  la  foi.  C'est  Dieu  qui  nous  a  fait  con- 
naître ce  qu'il  forme  en  nous  et  les  moyens  de  le  suivre 
dans  cette  transformation.  Il  n'avait  vraiment  pas  d'au- 
tre moyen  de  s'y  prendre  sans  nous  enlever  la  liberté, 
c'est-à-dire  l'agent  voulu  de  cette  collaboration  mysté- 
rieuse. Les  impies  les  plus  décidés  seraient  incapables  de 
refuser  leur  adhésion  et  leur  amour  à  un  Dieu  qui  se  lais- 
serait voir  distinctement  dans  l'Eucharistie...  mais  aussi 
nous  laissant  dans  les  ombres,  il  sera  indulgent  pour  ceux 
qui  n'auront  pas  su  voir. 

Ne  vous  préoccupez  pas  des  petites  imperfections  que 
je  vous  ai  signalées;  vous  les  reconnaîtrez  sans  doute 
bientôt,  quand  vous  aurez  auprès  de  vous  toute  une 
famille  dont  les  petites  contrariétés  donneront  lieu  à  des 
observations  trop  promptes  peut-être,  ou  trop  absolues. 
Or,  les  connaître  est  pour  vous  les  vaincre  en  principe. 


XLII 


Ma  chère  fille, 


C'est  avec  une  véritable  peine  que  j'apprends  la  mort 
de  X.  et  cette  peine  ne  vient  pas  seulement  du  vide 
qu'elle  fait  dans  les  œuvres  et  de  la  douleur  qu'elle  vous 
cause,  elle  va  jusqu'à  mon  propre  cœur.  Le  manque  de 
sympathie  n'empêche  nullement  l'estime  et  un  vif  sen- 
timent d'intérêt,  voisin  de  l'affection. 

Nous  causerons  de  votre  difficulté  à  admettre  en  la 
compagnie  de  Dieu  des  affections  très  vives.  Il  y  aurait 
beaucoup  de  distinctions  à  établir  pour  mettre  la  question 
dans  son  jour.  Ce  que  je  peux  vous  indiquer  d'avance, 
c'est  qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  opposition  entre  ce  que 
Dieu  nous  demande,  soit  pour  lui,  soit  pour  les  person- 
nes qu'il  nous  fait  aimer.  Ce  qui  nous  dépasse  par  l'ordre 
voulu  ne  saurait  se  heurter. 

Sans  doute  Dieu  peut  demander  à  certaines  âmes  de  se 


—  145  — 

dépouiller  de  toute  affection  humaine,  afin  de  se  les  réser- 
ver à  lui  "uniquement,  mais  alors  il  le  dit,  soit  par  un 
appel  intime,  soit  par  l'indication  des  circonstances. 

Par  contre,  il  ne  peut  demander  cette  sorte  d'absorp- 
tion à  une  personne  qui  a  le  devoir  d'aimer  des  êtres  légi- 
timement chers.  Alors  tout  doit  et  peut  se  concilier.  Ce 
qui  s'y  oppose,  ce  n'est  pas  la  perfection,  mais  quelque 
imperfection  presque  toujours  involontaire  ;  idées,  habi- 
tudes, craintes,  etc..  Parmi  les  idée?,  je  citerai  la  ten- 
dance que  nous  avons  naturellement  à  prêter  à  Dieu  nos 
sentiments  et  nos  exigences  de  cœur.  Le  plus  souvent  on 
est  victime  d'une  dévotion  étroite,  et  par  dévotion,  j'en- 
tends ici  tout  ce  qui  agit  sur  nous  :  les  livres,  le  milieu 
autant  et  plus  que  l'action  du  prêtre.  Durant  mon  grand 
séminaire,  j'étais  tombé  en  plein  dans  ce  défaut,  et  j'ai 
fait  souffrir  bien  involontairement  ma  pauvre  mère  et 
ma  sœur!  Je  n'avais  bien  compris  dans  la  sainteté  que 
l'austérité  et  je  n'admirais  que  l'absolu,  comme  tous  les 
esprits  ardents  et  jeunes.  Depuis  lors  j'ai  estimé  bien  plus 
la  pondération  qui  donne  à  chaque  chose  sa  place  et  sa 
juste  part  de  vie. 

XLIII 

Ma  chère  fille, 

Cette  année-ci  je  ne  puis  penser  à  vous  sans  me  sentir 
triste,  parce  que  je  sens  que  vous  l'êtes...  J'espère  que 
bientôt  vous  trouvant  plus  libre,  vous  reprendrez  votre 
belle  sérénité,  celle  des  âmes  croyantes  et  vaillantes.  La 
pensée  du  Ciel  est  lumineuse.  Elle  doit  planer  sur  notre 
vie  dici-bas  pour  nous  la  faire  comprendre  et  porter. 
Elle  devrait  même  envahir  notre  âme  pour  y  éveiller  le 
sens,  rudimentaire  encore,  qui  cherche  à  voir  Dieu,  mais 
qui  ne  peut  le  pressentir.  Nous  n'avons  pas  le  sens  de  la 
vue,  mais  le  sens  de  l'idéal  et  d'un  idéal  tout  à  fait  vague, 
comme  peut  l'être  celui  d'une  âme  privée  du  sens  qui  per- 
çoit. Comme  il  souffre,  ce  sens  «le  l'idéal!  Il  se  heurte  à 
toutes   choses,    qu'il   découvre   souvent   laides,    toujours 


—   146  — 

insuffisantes.  —  Eh  bien  !  apprenons  à  n'être  pas  diffi- 
ciles, puisque  ce  serait  injuste  de  trop  demander  à  des 
indigents  !  Regardons  sans  étonnement  les  imperfections 
souvent  choquantes  qui  se  rencontrent  jusque  dans  les 
choses  religieuses  et  dans  les  personnes,  même  élevées,  qui 
les  représentent.  Acceptons  les  obscurités,  je  ne  dis  pas 
des  mystères,  c'est  facile,  mais  des  faits  religieux  qui 
semblent  souvent  contredire  les  promesses  divines  et 
jusqu'aux  principes  eux-mêmes.  Là  du  moins,  nous  vou- 
drions que  notre  idéal  fût  satisfait.  Hélas  !  notre  idéal 
se  trompe  de  date  :  il  veut  voir  réalisé  en  ce  temps  de  for- 
mation ce  qui  ne  peut  l'être  qu'au  temps  de  l'épanouis- 
sement. Il  semble  que  ce  sens  de  l'idéal  nous  a  été  donné 
trop  tôt  et  trop  actif...  il  devance  le  temps  où  il  pourra 
s'exercer  dans  sa  sphère.  Est-ce  un  mal?  non.  C'est  une 
souffrance  et  une  épreuve.  A  ce  titre,  il  est  une  source  de 
mérites  et  un  stimulant  à  toute  grandeur.  C'est  lui  qui 
nous  empêche  de  nous  trop  attacher  aux  choses  et  aux 
personnes.  C'est  lui  qui  ne  laisse  pas  grandir  en  nous  des 
goûts  inférieurs.  C'est  lui  enfin  qui  nous  révèle  Dieu.  — 
Concluons  :  quand  il  s'agit  de  nous,  prenons  l'idéal  pour 
grandir.  Quand  il  s'agit  des  autres  et  des  choses  d'ici-bas, 
prêchons-lui  l'indulgence,  la  patience,  la  bonté.  Cette 
conduite  nous  donne  l'élévation  d'esprit  qui  consiste 
en  ces  deux  manières  d'être. 


XLIV 


Ma  chère  fille, 


Donnez-moi  la  joie  de  vous  savoir  vaillante.  Vous 
êtes  sous  le  poids  de  plusieurs  choses  pénibles;  c'est  le 
moment  de  mériter  et  de  grandir;  oui,  de  grandir,  car  ce 
développement  de  patience  et  de  confiance  est  un  accrois- 
sement de  valeur  morale  et  de  force  aussi.  Sur  le  moment, 
on  croit  au  contraire  que  toute  vertu  s'effondre  et  qu'on 
n'a  ni  patience  ni  confiance.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  qu'on 
ne  seul  pas  les  avuir;  ce  qui  est  vrai  aussi,  c'est  qu'on 


—  147  — 

y  est  infidèle  parfois  et  plus  fréquemment  que  d'ordi- 
naire; mais  en  réalité  on  fait  dix  fois  plus  d'actes  que 
dans  les  périodes  de  paix,  et  si  l'on  sème  dans  les  larmes, 
on  récoltera  dans  la  joie. 

Je  désire  vous  voir  une  âme  toujours  douce  au  fond, 
douce  aux  personnes  qui  déplairaient,  douce  en  vous- 
même,  pour  vous-même,  ne  vous  étonnant  pas  de  quel- 
ques défaites,  ni  surtout  des  dispositions  intérieures 
quand  vous  ne  pouvez  changer.  Vous  voulez  tout  bien, 
c'est  ce  que  Dieu  considère  :  voilà  pourquoi  vous  ne 
cessez  d'être  chérie  de  Lui,  en  dépit  du  triste  visage  que 
vous  lui  présentez  souvent!...  Mettez  donc  au  dedans 
comme  au  dehors  la  belle  physionomie  de  règle.  Que  ce 
soit  votre  parure,  la  seule  qui  plaise  à  tous,  à  Dieu  comme 
aux  personnes  amies.  Je  vous  bénis  de  tout  cœur. 


XLV 

Ma  chère  fille, 

Votre  lettre  m'apporte  la  joie  et  la  tristesse  des  sou- 
venirs. Les  souvenirs  sont  la  grande  part  de  notre  vie, 
où  tout  se  succède  si  vite.  On  les  garde,  on  les  revoit,  on 
s'y  retrouve.  Par  eux,  les  absents  se  rapprochent,  vous 
parlent  et  ne  s'en  vont  plus.  C'est  le  seul  rendez-vous 
durable.  Il  en  est  un  autre,  celui-là  plus  ou  moins  éloigné, 
mais  réel,  heureux,  éternel.  C'est  à  lui  qu'il  faut  surtout 
penser,  car  lui  seul  est  sans  tristesse;  lui  seul  console  et 
encourage.  Et  puis  n'évoque-t-il  pas  nécessairement  la 
pensée  de  Dieu,  de  Dieu  qui  est  le  lien  vivant,  aimant, 
magnifique,  en  qui  l'on  se  retrouve  transformé,  agrandi, 
plus  ouvert  encore  aux  affections  pures  écloses  sur  la 
terre  !  Dieu  n'a  pas  besoin  de  cette  partie  de  notre  cœur 
faite  pour  les  hommes,  il  ne  pourrait  pas  même  en  être 
l'objet.  D'autre  part  son  amour  n'absorbe  pas  les  autres. 
C'est  le  propre  de  ce  qui  est  vrai  et  bon  d'être  ordonné; 
l'ordre  règle  les  rapports,  mais  les  fait  respecter.  Et 
d'ailleurs  Dieu  est  la  lumière  parfaite.  Si  celle  du  soleil 


-—  148  — 

nous  éblouit,  c'est  que  le  soleil  a  une  lumière  impar- 
faite, et  nous  des  sens  plus  imparfaits  encore. 

Le  propre  de  la  lumière  est  d'éclairer,  non  d'éblouir; 
j'espère  donc  vous  voir  un  jour  très  parfaite  et  toujours 
très  bonne,  très  filiale  même,  car  ce  sentiment  est  très 
doux. 

Rien  de  cela  n'est  un  rêve.  La  chenille  qui  rampe  sur 
nos  arbres  ne  rêverait  pas,  si  elle  songeait  que,  malgré 
toutes  les  apparences,  un  jour  viendra  où  elle  aura  des 
ailes,  prendra  possession  de  l'espace,  et,  avec  ses  goûts 
transformés,  cherchera  sa  nourriture  dans  les  fleurs  ! 

En  attendant,  pour  nous,  ma  chère  fille,  remercions 
Dieu  d'avoir  créé  entre  nous  des  rapports  qui  nous 
aident  à  aller  vers  Lui,  à  devenir  meilleurs,  vous  par  le 
dévouement  dont  vous  m'entourez,,  moi  par  la -recon- 
naissance que  je  vous  donne. 


XLVI 

Ma  chère  fille, 

Oui,  insistez  sur  la  fidélité  à  la  méditation.  Les  raisons 
en  sont  si  fortes  que  je  suis  un  peu  étonné  de  vous  voir 
manquer  de  logique  en  ne  tirant  pas  la  conclusion.  Tant 
il  est  vrai  que  ce  n'est  pas  la  logique  qui  conduit  le 
monde  !  Mais  vous,  qui  avez  le  jugement  clair  et  l'esprit 
de  décision,  vous  m'étonnez  toujours  sur  ce  point.  Il  vous 
sera  fait  miséricorde  parce  que  vous  n'agissez  ainsi  que 
par  trop  de  condescendance  aux  désirs  des  autres,  mais 
vous  serez  peut-être  privée  de  ce  grand  bien  qui  s'appelle 
le  progrès. 

Oui,  ma  chère  enfant,  je  crois  que  vous  n'êtes  pas  dans 
la  volonté  de  Dieu  quand  vous  ne  disposez  pas  les  choses 
de  façon  à  assurer  votre  méditation.  Or,  comme  il  s'agit 
ici  d'une  chose  habituelle,  prévoyez  les  inconvénients  que 
vous  pourrez  rencontrer  dans  une  route  qui  n'est  pas  le 
chemin  tracé.  Certainement,  Dieu  ne  vous  prive  point  de 
son  assistance  et  il  ne  cesse  pas  de  vous  aimer  autant; 


—  149  — 

niais  il  laissera  sans  doute  agir  les  causes  posées  par  vutre 
libre  arbitre,  et.  le  résultat  sera  certainement  inférieur 
à  votre  idéal,  peut-être  même  assez  fâcheux...  Voyez 
combien  je  suis  sévère,  par  conséquent  combien  je  vous 
suis  attaché  :  j'ai  l'ambition  de  vous  voir  grande  et  heu- 
reuse, surtout  au  Ciel  ! 


XLVII 

Ma  chère  fille, 

J'espère  que  vos  occupations  quoique  nombreuses  ne 
vous  auront  pas  absorbée.  Que  je  voudrais  vous  voir 
tout  épanouie  dans  l'union  à  Dieu  !  Nulle  âme  n'y  est 
plus  apte;  vous  n'avez  qu'à  vous  mettre  en  oraison  pour 
être  saisie  fortement.  Que  serait-ce  si  cette  oraison  pou- 
vait se  prolonger  une  ou  deux  heures  et  dominer  ensuite 
toute  l'activité  de  vos  journées!  J'espère  qu'un  jour 
vous  obtiendrez  malgré  vous  cette  grâce.  Comment?  Je 
tremble  que  ce  ne  soit  par  l'action  amère  de  la  souffrance... 
Et  même  à  ce  prix  nous  devons  nous  réjouir,  car  tout  en 
nous  se  développe  pour  s'emparer  de  Dieu  au  ciel  dans  de 
plus  profondes  délices.  Ce  qui  passe  est  peu  de  chose!... 


XLVIII 

Ma  chère  fille, 

Oui,  ce  sont  de  simples  impressions  qui  déterminent 
chez  vous  des  apparences  de  doute  qui  vous  font  crain- 
dre des  doutes  réels.  Comme  il  n'y  a  point  là  de  vraie 
faute,  Dieu  vous  conserve  la  vertu  intime  de  foi;  cette 
vertu  adhère  à  Dieu  avec  une  grande  force.  Vous  sentez 
vivement  le  bonheur  qu'il  y  aurait  à  croire  avec  une  cer- 
titude tranquille,  et  par  là  les  biens  surnaturels  vous 
deviennent  plus  désirables  qu'aux  personnes  qui  n'ont 
pas  eu  la  terreur  de  les  voir  s'évanouir.  J'ai  toujours  été 


—  150  — 

frappé  de  la  manière  dont  les  doutes  se  sont  produits 
chez  vous  :  c'était  pour  en  guérir  votre  frère,  et  qui  sait 
si  votre  longue  expérience  de  cette  épreuve  ne  vous 
permettra  pas  un  jour,  les  circonstances  aidant,  de  le 
ramener  par  des  considérations  qui  finiront  par  s'impo- 
ser à  vous. 

Parlez-lui,  écrivez-lui,  comme  si  vous  n'aviez  pas  la 
moindre  préoccupation  de  doute.  Adressez-vous  à  Notre- 
Seigneur  et  à  la  Sainte  Vierge  comme  une  enfant. 

Votre  absence  me  laisse  un  vide  que  je  ressens  déjà. 
C'est  une  de  ces  choses  qui  montrent  combien  tout  ici- 
bas  est  insuffisant.  Quand  serons-nous  dans  ce  beau  ciel 
où  déjà  tant  d'êtres  chers  nous  attendent?  Puisque  vous 
avez  emporté  Y  Imitation,  lisez  dans  le  troisième  livre 
divers- chapitres  comme  le  47e  et  le  48e.  Je  les  ai  médités 
souvent. 

XLIX 

Ma  chère  fille, 

Je  jouis  du  bonheur  de  votre  pauvre  frère  et  de  celui  que 
vous  en  ressentez.  Puissiez-vous  récolter  beaucoup  de  la 
joie  des  autres!  C'est  la  seule  que  vous  connaissiez  dans 
votre  vie  tout  entière  de  dévouement.  Une,  plus  pro- 
fonde, s'élabore  invisiblement  pour  ne  s'épanouir  que 
dans  la  vraie  patrie.  Quel  ne  sera  pas  votre  étonnement 
de  découvrir  ce  nouveau  monde,  et  de  vous  y  voir  précé- 
dée de  tant  de  richesses  !  Laissez- vous  transporter,  comme 
le  dit  l'auteur  de  Y  Imitation,  dans  ce  séjour  où  Dieu 
rayonne.  Ici-bas,  c'est  le  soleil  qui  donne  à  toutes  choses 
son  mouvement  de  vie,  ses  couleurs,  sa  beauté.  Là-haut 
ce  sera  Dieu  lui-même.  Ne  nous  étonnons  pas  de  ne  pas 
nous  reconnaître  au  milieu  de  ces  éclosions  d'ordre  si 
différent  et  de  les  regarder  comme  des  rêves.  Est-ce  qu'il 
n'y  a  pas  au  fond  de  nous  des  aspirations  qui  tendent 
vers  ces  merveilles?  Est-ce  qu'il  n'y  a  pas  dans  nos  vies 
des  souffrances  qui  demandent  cette  compensation?  Rien 
ne  peut  nous  suffire,  si  ce  n'est  l'infini.  Du  moment  que 


—  151  — 

l'idée  s'est  emparée  de  notre  esprit,  elle  rabaisse  et  efface 
tout  le  reste.  Nous  ne  saurions  être  heureux  qu'en  attei- 
gnant ce  que  nous  regardons  comme  une  fin  possible  et 
comme  le  vrai  repos  de  tout  notre  être  intelligent  et 
aimant...  Nous  restons  étonnés  comme  des  sauvages  à  qui 
l'on  dirait  que  dans  les  pages  d'un  livre  se  trouvent  des 
jouissances  supérieures.  Vous  vous  préoccupez  souvent 
des  ressemblances  qui  existent  entre  nous  et  les  ani- 
maux; voyez  aussi  les  dissemblances  :  l'homme  est  maître 
de  l'univers  qu'il  est  en  train  de  transformer;  l'ani- 
mal ne  sort  pas  de  la  loi  de  son  organisme.  Entre  l'intel- 
ligence humaine  et  tous  ces  semblants  d'intelligence, 
qui  n'ont  pour  but  que  la  conservation  de  l'être  et  de 
l'espèce,  il  y  a  une  différence  d'ordre,  non  de  degrés... 

Vous  êtes  bien  de  ces  âmes  dont  il  est  dit  :  «  Elles  s'en 
allaient  semant  dans  les  larmes.  »  Que  de  bien  n'avez- 
vous  pas  fait  en  dépit  des  ténèbres  qui  voilent  votre  ciel  ! 
Et  que  votre  moisson  sera  belle  !  Patience  !  Dans  quel- 
ques années  vous  entrerez  dans  la  lumière.  Ne  vous 
étonnez  pas  que  l'exil  soit  sombre. 


Ma  chère  fille, 

Je  vois  avez  plaisir  que  votre  tâche  est  moins  pénible 
que  je  ne  le  craignais  :  vous  récoltez  ce  que  vous  avez 
semé,  et  vous  jouissez  des  accroissements  de  vie  intellec- 
tuelle et  morale  qu'ont  amenés  vos  soins.  Cette  enfant 
vous  devra  beaucoup,  car  les  petits  détails  de  la  vie  sont 
la  vie  même.  Vous  vous  trouverez  avoir  f?it  ici  et  là 
beaucoup  de  bien  et  souvent  à  travers  des  difficultés  qui 
eussent  rebuté  tout  autre  courage.  En  même  temps,  vous 
avez  acquis  une  puissance  de  dévouement  qui  est  telle 
que  les  actes  les  plus  fastidieux  vous  paraissent  tout  natu- 
rels. Sans  doute  votre  nature  se  prêtait  à  cet  essor,  mais 
la  pensée  surnaturelle  l'a  élevée  au-dessus  d'elle-même. 


—  152  — 

Dieu  a  permis  que  cette  pensée  féconde  ne  fût,  pas  tou- 
jours consolante;  il  vous  a  fait  avancer  dans  les  ténèbres 
et  dans  l'horrible  crainte  du  néant.  C'est  la  condition 
assez  naturelle  de  l'exil  et  de  l'épreuve.  C'est  au  fond  la 
seule  grande  douleur  qui  pût  rester  sans  consolation.  Je 
vois  avec  inquiétude  l'état  d'esprit  dont  vous  souffrez, 
devenir  celui  de  beaucoup  d'âmes  très  belles  et  très 
droites.  Cela  ne  m'étonne  pas;  nous  sommes  dans  un 
moment  de  crise  religieuse  créée  par  l'orgueil  de  la  raison 
et  favorisée  par  les  multiples  faillites  d'idées  religieuses 
accueillies  et  répandues  par  une  foi  ignorante.  L'élimina- 
tion qui  se  fait  dans  une  large  mesure  présentera  aux 
nouveaux  venus  un  ensemble  qui  satisfera  la  raison,  et 
d'autre  part  l'absence  de  principes  dans  les  sociétés 
modernes  produira  des  conséquences  désastreuses  qui 
ramèneront  les  esprits  au  vrai  fondement  de  la  morale, 
qui  est  :  un  Dieu  maître,  législateur  et  rémunérateur. 


LI 

Ma  chère  fille, 

Vous  le  savez  bien,  je  prie  pour  vous  de  toute  mon 
âme;  je  vous  souhaite  les  grâces  qui  vous  élèveront  tou- 
jours davantage,  et  je  laisse  entrevoir  au  bon  Dieu  le 
désir  que  j'aurais  de  vous  voir  jouir  de  Lui  dès  ici-bas  : 
un  peu  de  vision  tranquille  en  attendant  la  vision  béati- 
fique,  un  repos  très  doux  dans  un  amour  senti  en  atten- 
dant les  ravissements  de  l'union  parfaite...  Mais  je  crains 
que,  considérant  surtout  votre  vaillance,  Dieu  vous 
laisse  dans  le  combat  contre  l'influence  désolante  du 
scepticisme  régnant.  Quelle  épreuve  méritoire  !  Sentir  le 
vide  au-dessous  de  tout  ce  qu'on  aime,  de  tout  ce  qu'on 
espère,  de  tout  ce  à  quoi  on  se  dévoue  !...  Et  malgré  cette 
impression  déprimante,  ne  jamais  abandonner  un  pouce 
de  terrain,  ne  jamais  diminuer  l'intensité  de  l'effort... 
C'est  pour  ramener  l'âme  de  votre  frère  que,  vous  étant 
lancée  dans  les  études  d'apologétique,  vous  avez  subi 


—  153  — 

le  vertige  des  grands  problèmes.  Dieu  n'aurait- il  pas 
permis  cette  immense  souffrance  pour  qu'elle  fût  un 
jour  la  rançon  de  cette  âme  que  vos  paroles  n'ont  pu 
persuader?  Il  ne  fait  rien  d'inutile.  Il  a  pour  tout  de  pro- 
fondes raisons,  mais  il  n'a  pas  nos  empressements  qui  se 
découragent  dès  que  l'effet  tarde  à  se  produire.  Quand  il 
permet  qu'une  âme  sainte  souffre  et  prie  d'une  façon 
prolongée  pour  quelqu'un,  c'est  qu'il  veut  la  sauver.  Le 
salut  de  votre  frère  est  peut-être  attaché  à  votre  état  de 
peine. 

LU 

Ma  chère  fillo, 

Votre  impression  religieuse  à  l'égard  de  votre  frère  est 
un  magnifique  témoignage  de  votre  foi.  Tout  n'est  pas 
faux  dans  ce  que  dit  Bergson  des  insuffisances  de  l'in- 
telligence et  des  suppléances  que  lui  apporte  cette  sorte 
de  subconscient  qui  est  l'origine  d'un  travail  qui  se  fait 
en  nous  à  notre  insu,  quoique  par  nous. 

La  foi,  je  crois  vous  l'avoir  dit,  n'est  pas  précisément 
un  acte  d'intelligence;  elle  est  un  acte  moral,  par  consé- 
quent de  la  volonté.  L'intelligence  lui  est  nécessaire,  mais 
ce  n'est  pas  elle  qui  la  détermine.  «  Les  démons  savent  et- 
ne  croient  pas.  »  L'intelligence  éclaire  la  route,  mais  c'est 
la  volonté  qui  entre  dans  la  sphère  du  surnaturel.  Elle 
fait  le  pas  décisif  sous  l'impulsion  de  la  grâce.  Voilà  qui 
explique  des  conversions  basées  sur  des  considérations 
ou  très  faibles  ou  même  peu  justes. 

Que  deviendraient  tant  d'esprits  nuls  ou  faux,  si  Dieu 
leur  demandait  de  ne  se  convertir  que  sur  des  preuves 
solides?  Je  suis  même  frappé  de  voir  les  convertis  de 
notre  temps,  comme  Brunetière  et  Bourget,  nous  arriver 
par  des  voies  indirectes,  comme  la  nécessité  sociale  de  la 
religion  et  l'efficacité  du  seul  catholicisme.  D'autres, 
comme  Péguy,  sont  déterminés  par  le  fait  de  l'expé- 
rience religieuse  personnelle  :  cette  religion  me  rend 
meilleur  et  plus  heureux,  donc  elle  est  la  vérité.  L'ar- 


—  154  — 

gument  laisse  à  désirer,  mais  il  s'adapte,  soit  à  certaines 
tournures  d'esprit,  soit  à  tel  genre  d'études  poursuivies. 

Votre  cas  m'a  toujours  paru  très  net  :  vos  études 
d'apologétique  vous  ont  jeté  dans  une  sorte  de  doute 
pour  deux  causes  :  1°  la  préparation  nécessaire  à  ces 
études  vous  manquait.  En  toute  science  comme  dans 
l'art  lui-même,  il  faut  débuter  par  les  notions  élémen- 
taires. Un  musicien  qui  ne  commencerait  pas  par  le 
solfège  n'arriverait  pas  facilement  à  l'art  complet.  Le  phi- 
losophe qui  ne  se  formerait  pas  par  un  cours  élémen- 
taire resterait  toujours  dans  le  vague  malgré  toutes  ses 
lectures.  Si  j'avais  eu  l'expérience  que  j'ai  aujourd'hui, 
je  ne  vous  aurais  pas  conseillé  ces  lectures  :  j'en  fais  mon 
«  mea  culpa  ». 

2°  La  seconde  cause  tient  à  cette  qualité  de  votre 
nature  que  j'appellerai  :  la  rigueur  ou  rigidité.  Ce  qui  se 
fixe  en  vous  s'y  fixe  tellement  que  le  contraire,  s'il  se 
présente,  se  trouve  facilement  éconduit,  comme  instinc- 
tivement... Vous  voyez  vivement  l'objet  lui-même,  et 
beaucoup  moins  ses  alentours... 

La  grâce  et  votre  volonté  font  de  vous  une  âme  profon- 
dément croyante.  Dieu  permet  que  vous  soyez  privée 
des  douceurs  de  la  foi;  il  vous  en  laisse  la  possession. 
Vous  faites  du  bien  et  vous  en  ferez  beaucoup  encore.  Si 
un  jour  une  paix  lumineuse  descendait  sur  votre  âme,  vous 
en  jouiriez  cent  fois  plus  qu'une  autre.  Ce  sera  peut-être 
pour  le  ciel,  mais  au  ciel  sûrement. 


LUI 


Ma  chère  fille, 


Un  mot  de  votre  père  à  votre  arrivée  à  S1.  V,  un 
mot  qui  sera  comme  un  accueil.  Il  ne  vous  apportera 
l'expression  d'aucun  sentiment  nouveau.  Tous  sont  éclos 
depuis  longtemps  et  se  portent  à  merveille.  Je  remercie 
Dieu  de  m'avoir  donné  en  vous  une  fille  incomparable; 
je  sais  apprécier  ce  don  et  je  me  crois  un  cœur  capable  de 


—  155  — 

ne  pas  se  laisser  vaincre  en  affection...  Quelle  joie  de 
penser  que  nous  nous  retrouverons  au  Ciel  !  Il  n'y  aura 
plus  de  S1.  V.  ni  de  B.  pour  nous  séparer.  Quand  resplen- 
dira à  nos  pauvres  yeux  l'éclatante  lumière  de  Ce  qui 
est?  Ici-bas  tout  reste  enseveli  dans  l'ombre,  et  comme 
l'écrit  saint  Paul,  «  nous  cherchons  à  tâtons  »...  et  par- 
fois même  que  nous  croyons  toucher  une  vérité,  nous 
nous  demandons  si  ce  n'est  pas  une  illusion  qui  va  se 
dissiper  au  grand  jour.  Le  grand  jour  n'est  qu'au  Ciel, 
mais  qu'il  sera  beau  !  Dans  votre  ravissement,  vous  êtes 
capable  de  m'oublier;  mais  j'espère  que  si  vous  contem- 
plez Dieu  dans  son  infini,  vous  me  découvrirez  dans 
quelque  coin. 


LIV 


Ma  chère  fille, 


C'est  hier  soir  en  rentrant  du  couvent  que  j'ai  lu  votre 
lettre  navrante.  Je  n'avais  aucun  moyen  de  vous  répon- 
dre de  suite,  et  ce  matin  j'ai  attendu  le  courrier  de  neuf 
heures  dans  la  pensée  que  peut-être  une  nouvelle  lettre 
m'apporterait  des  nouvelles.  Lesquelles?  hélas!  je  n'o- 
sais vous  le  demander  tant  vous  me  manifestiez  peu  d'  ;s- 
poir... 

Que  ne  puis-je  être  près  de  vous  réellement?  j'y  suis 
tellement  par  le  cœur.  Je  sens  votre  désolation.  Je  vois 
aussi  votre  courage  supérieur  à  tout.  J'aime  à  penser 
qu'en  cette  épreuve  Dieu  se  laisse  entrevoir;  mais  s'il 
n'écarte  pas  les  ombres,  je  sais  que  vous  allez  à  Lui 
quand  même  et  combien  plus  méritoirement  !  Notre  divin 
Maître  n'a-t-il  pas  créé  cette  douleur  supérieure  :  Mon 
Dieu,  pourquoi  m'avez-vous  délaissé?  mais  il  ajoute  :  Je 
remets  mon  âme  entre  vos  mains  !...  Oui,  mettez  entre  ses 
mains  paternelles  et  votre  âme,  et  vos  angoisses,  et  vos 
trouble?  possibles;  remettez-lui  l'avenir  de  ceux  qui  vous 
sont  chers  ! 

s    Quand  ce  mot  vous  arrivera,  le  conseil  que  vous  me 
demandez  aura-L-il  sa   raison  d'être?   Le  mieux  se  sera 


—  156  — 

accentué  ou  bien...  !  —  Je  vous  aurais  dit  :  l'essentiel 
étant  assuré,  ménagez  la  sensibilité  du  pauvre  malade. 
N'appelez  pas  d'une  façon  violente  son  regard  sur  une 
sorte  de  certitude,  qui  lui  montrerait  sa  maison  renversée, 
ses  enfants  sans  père.  Ne  proposez  l'extrême-onction  que 
dans  le  cas  où  vous  n'auriez  rien  à  lui  apprendre.  Alors 
donnez-lui  la  grâce  de  tous  les  sacrements  et  le  haut 
mérite  de  l'acceptation...  Faites  qu'il  entre  au  Ciel  glo- 
rieusement ! 

Je  jette  ces  mots  à  la  hâte  pour  que  ma  lettre  parte 
sans  retard  et  vous  porte  l'expression  de  cette  affection 
paternelle,  intime  et  forte,  que  je  vous  ai  vouée. 


LV 


Ma  chère  fille, 


Oh  !  oui,  les  desseins  de  Dieu  sont  impénétrables,  et  si 
nous  n'avions  pas  comme  explication  l'éternité  de  la  vie, 
nous  verrions  surgir  de  toutes  parts  des  manques  de  ten- 
dresse évidents,  des  imprévoyances  lamentables,  des 
déchirements  inutiles.  L'affirmation  d'une  bonté  pro- 
fonde et  sage  qui  préside  à  tout  est  la  plus  courte  réponse 
à  ces  douloureux  problèmes,  elle  est  la  vraie  aussi. 
Laissons  le  temps  à  Celui  qui  offre  l'éternité...  L'école 
du  malheur  est  ordinairement  la  plus  formatrice.  La 
nécessité  est  aussi  le  meilleur  stimulant  de  l'activité.  Je 
parle  pour  ces  pauvres  enfants  qui  blessent  votre  cœur 
par  le  spectacle  de  leur  délaissement!...  Vous  serez  là. 
Peut-être  vous  devront-ils  ce  qu'ils  n'auraient  pas  trouvé 
dans  des  conditions  moins  dépendantes...  Votre  cœur,  vos 
prières,  votre  dévouement,  suppléeront  à  beaucoup  ! 

Vous  ne  songez  pas  à  votre  douleur  personnelle,  mais 
que  je  la  sens!  Ce  frère,  votre  œuvre,  a  passé;  cette 
affection  solide...  tout  est  disparu  !  Cette  nouvelle  bles- 
sure rouvrant  une  plaie  récente  !  Ne  vous  reprochez  pas 
de  souffrir  violemment.  Pleurez...  si  vous  pouvez  pleurer  ! 

A  Ira  vers  toutes  ces  ombres  et  toutes  ces  larmes,  lais- 


—  157  ~- 

sez  descendre  du  Ciel  les  rayons  si  consolants  de  sa  fin 
si  chrétienne.  Songez  à  lui  :  il  est  plus  heureux  qu'il  ne 
le  fut  jamais...  Ne  sera-t-il  pas  de  loin  la  protection  invi- 
sible de  ceux  qu'il  laisse  et  qu'il  aime  toujours?  Gomme 
il  vous  est  déjà  reconnaissant  de  tout  ce  qu'il  lit  dans 
votre  cœur  de  dévouement  prêt  à  se  donner! 

Quand  la  main  de  Dieu  s'est  appesantie  sur  nous  d'une 
façon  dure,  nous  éprouvons  comme  une  sorte  de  malaise 
qui  nous  éloignerait,  qui,  du  moins,  nous  fermerait  le 
cœur  :  c'est  le  résultat  naturel  de  l'épreuve,  et  il  ne  faut 
pas  se  reprocher  cette  impression.  Il  ne  faut  pas  non  plus 
en  tenir  compte.  Allez  donc  à.  ce  Dieu,  Père  quand  même. 
Regardez-le,  Lui,  plus  que  son  œuvre.  Perdez-vous 
dans  le  sentiment  d'une  bonté  infinie  qui  s'expliquera 
plus  tard   merveilleusement  ! 

Songez  aussi  que  Jésus,  dans  son  cœur  humain,  com- 
prend la  douleur  du  vôtre  et  votre  brisement.  De  la  terre, 
où  il  pouvait  souffrir,  il  en  a  partagé  l'amertume.  Ses 
larmes  ont  été  pour  vous  comme  si  vous  en  eussiez  été 
le  seul  objet.  Dans  son  bonheur  actuel  il  lui  reste,  sinon  la 
douleur,  du  moins  une  mystérieuse  impression  qui  s'en 
rapproche,  et  sûrement  toute  la  tendresse  qui  le  rendrait 
capable  de  la  sentir  !  Comme  il  nous  consolerait  bien  ! 
Comme  à  ses  genoux  nos  larmes  couleraient  plus  douces  1 
Comme  nous  sentirions  dans  son  amour  la  certitude  d'un 
appui  l 


LVI 


Ma  chère  fille, 


Je  vous  écris  sans  savoir  où  et  quand  vous  arrivera 
ce  mot.  Je  ne  puis  retenir  mon  cœur  qui  veut  vous  dire 
combien  il  sent  votre  vive  peine.  Vous  m'avez  si  souvent 
parlé  de  cette  femme  admirable  et  de  ses  sentiments 
maternels,  que  je  souffre  moi-même  de  la  voir  disparaître. 
Je  songe  en  même  temps  à  ces  amis  qui  m'ont  quitté  le 
long  de  la  route.  La  vie,  à  mon  âge,  et  déjà  au  vôtre, 
ressemble  à  l'automne.  Les  feuilles  tombent  de  tous  côtés 


—  158  — 

et  celles  qui  restent  encore  paraissent  si  peu  vivantes  que 
l'on  s'attend  à  les  voir  tomber  sous  un  souffle  un  peu  plus 
rigoureux  et  prochain.  Par  ce  froid  qui  saisit  toute  l'âme, 
qu'il  fait  bon  porter  ses  regards  vers  la  demeure  pater- 
nelle où  le  printemps  sera  perpétuel  !  Vous  ne  vous  faites 
pas  du  ciel  une  image  physique,  et  moi  je  l'aime.  Cette 
image  soulève  des  impressions  certaines,  goûtées,  et  l'on 
se  dit  :  c'est  mieux  que  cela;  si  je  jouis  de  la  nature,  com- 
bien ne  jouirai-je  pas  de  ce  qui  la  surpasse  infiniment  ! 

Il  est  vrai,  le  champ  de  l'amour  divin  est  autrement 
riche,  autrement  attrayant,  mais  nous  sommes  à  court  pour 
le  décrire  et  souvent  même  si  impuissants  !  Nous  ne  le 
pouvons  pas,  même  en  évoquant  la  joie  de  nos  affections 
d'ici-bas,  parce  que  nous  en  jouissons  avec  la  crainte  de 
les  perdre  et  l'impression  de  ce  qui  leur  manque  toujours 
de  quelque  côté  ! 

Je  viens  de  commencer  les  méditations  de  la  Passion. 
Dans  la  première,  j'expose  le  serrtiment  de  tristesse  que 
cause  d'avance  la  froideur  avec  laquelle  on  méditera  tant 
de  souffrance  et  tant  d'amour.  Il  faut  penser  qu'un  grand 
amour  se  contente  de  l'amour  tel  qu'on  le  lui  donne, 
pourvu  qu'il  soit  sincère.  Ne  le  faisons-nous  pas  nous- 
même  ! 

Je  me  sens  près  de  vous  dans  les  heures  douloureuses 
que  vous  traversez,  et  de  loin  je  vous  envoie  la  bénédic- 
tion du  prêtre  et  la  condoléance  de  l'ami. 


LVII 


Ma  chère  fille, 


Vous  serez  une  très  bonne  garde-malade  et  vous  mettrez 
un  sentiment  surnaturel  même  dans  les  soins  qu'une  ten- 
dresse naturelle  suffit  à  inspirer.  Quelle  douceur  de  voir 
Notre-Seigneur  souffrant,  jusque  dans  sa  sœur  aimée  !  Ne 
vous  expliquez-vous  pas  qu'étant  tout-puissant,  il  ait 
organisé  les  choses  de  façon  à  se  trouver  partout  sous  nos 
regards,  de  nous  attendre/ pour  ainsi  dire,   à    tous  les 


—  159  — 

détours  du  chemin,  ainsi  qu'on  fait  pour  ies  personnes 
dont  on  se  sépare  à  regret!  L'Eucharistie  seule  le  garde 
personnellement  et  d'une  façon  permanente.  Si  nous  n'é- 
tions pas  des  êtres  par  trop  emprisonnés  dans  les  sens, 
nous  vivrions  dans  le  ravissement  d'une  visite  faite  ou 
de  la  communion  du  lendemain. 

Priez  pour  les  enfants  qui  se  préparent  à  leur  pre- 
mière communion;  elles  me  contentent  déjà,  mais  que  de 
degrés  d'amour  possibles  encore  !  • 


LVIII 

Que  ne  puis-je,  ma  chère  fille,  vous  donner  la  joie  d'un 
repos  complet  en  Dieu,  cette  assurance  des  âmes  qui 
regardent  le  ciel  comme  une  propriétaire  pense  à  sa  mai- 
son de  campagne,  à  son  vrai  chez  soi  où  l'on  sera  au  sor- 
tir de  la  vie,  où  l'on  retrouvera  les  visages,  les  chers 
visages-  qu'on  a  vus  si  pâles  et  qui  nous  apparaîtront 
radieux;  où  des  anges  inconnus  qui  nous  ont  protégés  se 
feront  connaître;  où  surtout  ce  Jésus,  si  caché  dans  son 
Eucharistie,  viendra  vers  nous,  comme  on  vient  auprès 
d'un  être  aimé;  où  enfin  la  majesté  adorablement  aima- 
ble de  Dieu  se  manifestera,  nous  saisissant  tout  entiers 
bien  mieux  que  ne  nous  saisissent  les  chauds  rayons  du 
soleil,  les  harmonies  de  la  musique,  les  senteurs  du  prin- 
temps, les  effusions  de  ceux  que  nous  aimons  le  plus... 
Et  tout  cela  est.  Et  tout  cela  vous  le  méritez  par  votre 
constance  dans  la  volonté  de  croire,  par  votre  vie  qui  est 
toute  de  renoncement... 


LIX 

Ma  chère  fille, 

Je  vous  sens  très  triste,  presque  amère  envers  Dieu  ! 
Est-ce  que  je  me  trompe?  J'en  serais  bien  consolé.  L'his- 
toire de  l'humanité  n'est-elle  pas  là  pour  écarter  tous  nos 

14 


—  160  — 

étonnements?  Elle  reste,  il  est  vrai,  comme  un  fait  cruel 
qui  semble  en  désaccord  avec  l'idée  que  nous  nous  fai- 
sons de  la  bonté  de  Dieu  et  de  sa  sagesse.  Mais  n'oublions 
pas  que  notre  manière  de  penser  ne  saurait  s'appliquer  à 
celle  de  Dieu,  que  nos  lois  ne  sont  pas  les  siennes  et  sur- 
tout que  notre  vue  est  vraiment  trop  courte  pour  attein- 
dre l'ensemble  de  son  plan. 

J'aime  à  promener  ma  pensée  dans  cette  haute  élabo- 
ration de  la  matière  d'où  est  sorti  le  monde  actuel,  après 
mille  et  mille  cataclysmes  -finalement  heureux.  Il  en  sera 
ainsi  pour  l'ordre  moral.  Qui  peut  dire  le  nombre  de  siècles 
et  d'évolutions,  souvent  désolantes,  qui  amèneront  peu 
à  peu,  en  dépit  de  nos  empressements  et  de  nos  troubles, 
la  constitution  d'une  admirable  humanité  ! 

Nous  savons  également  très  peu  de  chose  sur  le  purga- 
toire et  sur  son  rôle  complet.  L'enseignement  commun  (je 
ne  dis  pas  celui  de  l'Église  qui  affirme  simplement  son 
existence)  a  voulu  tout  préciser,  mais  il  l'a  fait  en  inven- 
tant de  son  cru.  Qui  sait  l'ampleur  du  rôle  que  Dieu  lui 
assigne  dans  la  réparation  du  mal  et  l'élévation  des 
âmes!  Beaucoup  de  nos  malaises  ont  leur  source  dans 
ces  enseignements  arbitraires  qui  ont  tout  rétréci. 


LX 

Ma  chère  fille, 

Ce  que  vous  me  dites  des  dispositions  de  Mmc  X.  à 
mon  égard  m'afflige  sans  m'étonner.  Vous  savez  quelle 
fut  mon  impression  dès  les  premiers  jours  où  le  malheur 
la  frappa  :  je  fus  convaincu  de  l'inutilité  de  mes  paroles 
pour  lui  rendre  le  calme;  je  ne  l'abordai  qu'avec  crainte, 
tout  en  m'efîorçant  de  ranimer  en  elle  les  sentiments  que 
je  croyais  les  plus  accessibles.  11  en  fut  de  même  et  aussi 
inutilement  quand  elle  vint  me  voir.  Vous  me  dîtes  alors 
que  mes  paroles  lui  avaient  fait  du  bien;  je  n'y  pus  croire. 
Jamais  d'ailleurs  je  ne  l'ai  sentie  bien  sous  ma  main; 
jamais  non  plus  je  n'ai  pu  me  faire  à  cette  nature  slave 


—  161  — 

qui  fuit  dès  qu'on  la  presse  et  garde  toujours  ses  idées, 
alors  même  qu'elle  paraît  adopter  la  vôtre.  Elle  a  beau 
être  intelligente,  elle  n'est  pas  raisonnable. 

Que  dire  à  une  âme  qui  ne  s'ouvre  pas?  Je  comprends  la 
violence  de  sa  douleur;  je  voudrais  l'amener  à  une  rési- 
gnation douloureuse  mais  calme;  je  souffre  de  n'y  rien 
pouvoir,  je  crois  que  le  temps  seul  finira  par  détendre 
cette  pauvre  nature  de  mère  si  fortement  tendue  par  ce 
choc  affreux.  Elle  sera  alors  capable  d'envisager  la  sagesse 
et  la  bonté  de  Dieu  qui  sacrifie  un  présent  passager 
à  un  avenir  éternel,  et  qui  arrache  à  de  grands  dangers 
une  nature  aimable,  mais  faible.  Les  années  en  s'écoulant 
lui  montreront  plus  proche  la  rive  où  l'on  se  retrouve,  et 
la  certitude  de  savoir  son  fils  près  de  Dieu  ira  peut-être 
jusqu'à  consoler  la  mère  et  à  réjouir  la  chrétienne  ! 

Je  ne  crois  pas  du  tout  qu'elle  offense  Dieu.  Le  cri  de 
la  nature  s'échappe  malgré  elle,  malgré  ses  idées  reli- 
gieuses, malgré  ses  résolutions  et  ses  efforts,  malgré 
l'amour  de  préférence  qu'elle  garde  pour  Dieu.  L'horreur 
de  ce  vide  que  rien  ne  comble  lui  laisse  une  instinctive 
aversion  pour  le  Dieu  qui  l'a  laissé  se  creuser  et  pour  les 
créatures  qui  sont  incapables  de  lui  ôter  l'impression  qui 
la  tue.  Dites-lui  à  l'occasion  que  ma  réserve  n'est  autre 
chose  que  la  conviction  découragée  de  mon  impuissance. 


LX1 

Ma  chère  fille, 

J'ai  été  doublement  heureux  de  pouvoir  célébrer  ce 
matin  la  sainte  messe,  car  à  la  pensée  de  la  fête  s'ajoutait 
celle  de  votre  amie  tristement  disparue  à  pareille  date. 
J'ai  senti  le  grand  vide  que  vous  laissait  cette  amitié 
unique  et  aussi  forte  que  la  vie  même.  Vous  n'aviez  ni  la 
même  nature,  ni  les  mêmes  idées,  mais  vous  admiriez 
chacune  les  qualités  de  l'autre.  Rien  ne  séparait  vos 
deux  cœurs. 

Elle  me  laisse  à  moi  aussi  de  la  tristesse.  Son  âme  était 


—  162  — 

si  douce,  ses  sentiments  si  élevés  !  Ses  défauts  n'étaient 
que  l'excès  de  ses  qualités.  Je  m'étais  habitué  à  la  voir 
comme  une  partie  de  vous-même;  de  là  mon  affection  et 
ma  souffrance. 

Il  faut  bannir  tout  découragement.  La  vie  lasse  par- 
fois. Ce  qui  rassérène  et  donne  du  courage,  c'est  de  se 
plonger  dans  la  bonté  et  la  miséricorde  infinies,  de  s'en 
impressionner  s'il  se  peut.  Alors  tout  est  lumineux  et  pai-* 
sible  en  soi  et  autour  de  soi.  —  Je  tenais  à  épancher  mon 
âme  dans  la  vôtre  en  ce  jour.  Je  trouve  dans  votre  pieuse 
affection  tant  de  sécurité,  tant  de  force  ! 

Croyez  que  je  suis  bien  votre  père. 


LX1I 


Ma  chère  fille, 


Il  n'y  a  rien  à  tenter  en  ce  moment  auprès  de  M.  V., 
et  l'abbé  H.  pourra  être  informé  plus  tard.  Prions  et 
espérons.  Il  y  a  tant  de  mystères  dans  la  conduite  de 
Dieu  !  Qui  sait  comment  une  âme  très  étrangère  à  la  foi 
accepterait  la  lumière!  Dieu  peut-être  lui  épargne  cette 
épreuve  et  lui  ménage  des  grâces  secrètes.  Plusieurs  théo- 
logiens pensent  que  si  Dieu  n'a  pas  appelé  à  la  foi  tant  de 
peuplades  infidèles,  c'est  parce  que,  sans  miracle,  elles 
eussent  été  incapables  de  pratiquer  les  devoirs  de  la  loi 
nouvelle,  tandis  que  ceux  de  la  loi  naturelle  sont  très 
faciles;  ils  peuvent  les  observer  et  arriver  facilement  au 
salut  individuellement.  Nous  n'avons  pas  idée  du  peu 
que  nous  savons  dans  le  monde  qui  dépasse  les  sens!  Si 
les  fourmis  raisonnent,  je  pense  qu'elles  doivent  commettre 
bien  des  erreurs  à  notre  sujet  ! 

Oui,  vos  angoisses  pour  la  foi  sont  précieuses.  Je  les 
vois  comme  le  rachat  de  plusieurs  âmes,  entre  autres  de 
celles  pour  lesquelles  vous  les  avez  provoquées.  Vou; 
pouvez  les  porter,  lui  ne  le  pouvait  pas  ! 

Je  suis  content  de  voir  que  mes  petits  conseils  vous 
ont  paru  justes  et  praticables. 


—  163  — 

Je  vous  veux  parfaite;  il  y  a  en  vous  toutes  les  ressour- 
ces pour  cela.  Vous  êtes  de  ces  arbres  si  vigoureux  qu'il 
est  nécessaire  de  leur  enlever  du  bois  pour  qu'ils  produi- 
sent plus  de  fruits.  C'est  bien  préférable  à  ces  autres 
arbres  rabougris  qu'on  soigne  souvent  en  vain  :  ils  n'ont 
pas  de  ressources. 

LXIII 

Ma  chère  fille, 

Je  vous  en  prie,  ne  gardez  pas  les  impressions  pénibles 
que  vous  me  montrez  dans  votre  lettre.  Non,  vous  ne 
m'avez  jamais  fait1  que  beaucoup  de  bien,  et  je  lis  assez 
dans  les  âmes  pour  voir  jusqu'où  va  votre  affection  si 
vraie  et  si  dévouée.  Si,  à  l'occasion,  je  vous  ai  signalé  ce 
quelque  chose  d'un  peu  absolu  et  tranchant  qui  plaît 
moins,  c'est  pour  vous  voir  toujours  plus  parfaite.  Le 
ton  était  excellent  à  l'égard  de  vos  élèves.  Il  est  passé  en 
habitude  et  il  peut  froisser  certaines  personnes  qui  ne 
vous  connaissent  pas  bien.  Aussi  je  suis  content  de  la 
résolution  que  vous  avez  prise  de  chercher  non  pas  pré- 
cisément à  plaire  aux  autres,  mais  à  leur  faire  plaisir. 
C'est  assurément  le  désir  de  notre  divin  Maître,  puisque 
c'est  un  acte  de  délicate  charité.  C'est  aussi' le  moyen 
d'être  à  l'occasion  plus  utile  :  on  aura  plus  de  facilité  à 
s'ouvrir...  et  on  sera  plus  dilaté  en  vous  quittant.  C'est 
l'accomplissement  de  ce  que  demandait  saint  Paul  «se  fai- 
sant tout  à  tous  pour  les  gagner  tous  ».  Dans  la  conduite 
contraire,  sous  prétexte  de  franchise,  on  ne  fait  que 
suivre  sa  nature.  Il  y  a  une  très  belle  et  très  utile  morti- 
fication à  se  contraindre  en  vue  du  bien. 

Quand  vous  êtes  absente,  je  sens  mieux  la  place  que 
vous  occupez  dans  ma  vie,  mais  j'offre  à  Dieu  de  bon 
cœur  ce  sacrifice.  Vous  ne  me  quittez  que  pour  faire  du 
bien,  et  ma  privation  y  prend  sa  petite  part. 

Demain  ma  bénie  solitude  me  permettra  de  me  tenir 
plus  intimement  au  pied  de  la  Croix.  Que  n'ai-je  les  sen- 


—  164  — 

timerîts  que  je  désire  si  passionnément  !  Je  supplie  Dieu 
de  les  donner  à  d'autres  âmes,  et  je  m'unis  à  leur  ferveur. 


LXIV 

Ma  chère  fille, 

Espérons  que  cette  nouvelle  occasion  de  compter  sur 
votre  dévouement  ne  se  produira  pas.  Votre  provision 
de  mérite  est  déjà  bien  fournie.  Dieu  semble  vous  appeler 
à  une  vie  d'union  plus  intime.  C'est  sur  un  champ  encore 
plus  vaste  que  vous  préparerez  la  récolte.  Peut-être 
semez-vous  dans  les  larmes,  mais  vous  savez  ce  que  dit 
la  promesse  des  gerbes  que  l'on  emporte  dans  la  joie. 
Votre  âme  souffrira  peut-être  toujours  de  l'absence  des 
choses  surnatur  lies.  Il  y  a  des  personnes  qui  ne  peuvent 
s'habituer  aux  ténèbres.  C'est  affaire  d'impression  au 
moral  aussi  bien  qu'au  physique.  Tant  de  problèmes 
nous  enveloppent  comme  des  ombres  et  notre  intelli- 
gence est  si  faible  qu'elle  n'en  peut  résoudre  foncière- 
ment aucun,  même  dans  la  nature.  La  raison  pure  ne 
peut  affirmer  ni  la  liberté  de  nos  déterminations,  ni  même 
l'existence  des  corps,  et  cependant  tout  cela  existe.  La 
philosophie  n'a  fait  qu'évoluer  d'une  erreur  à  l'autre. 
Soyons  heureux  de  la  divine  instruction  de  l'Évangile  qui 
nous  explique  tout  ce  qu'il  nous  importe  de  savoir. 


LXV 
Ma  chère  fille, 

Combien  je  vous  plains  et  avec  vous  combien  je  plains 
votre  pauvre  frère  !  Décidément  votre  mission  sur  la  terre 
est  toujours  le  dévouement.  Cette  mission  est  très  belle 
en  elle-même  et  vous  l'embellissez  enoore  par  la  géné- 
rosité avec  laquelle  vous  l'accomplissez.  Je  n'ai  trouvé 


—165  — 

chez  personne  plus  d'oubli  de  soi,  et  j'ai  pour  vous  autant 
d'estime  que  d'affectio**— 

Pensez,  ma  chère  enfant,  que  le  divin  Sauveur  qui  vous 
aime  pense  à  vous  et  vous  plaint.  Il  vous  laisse  dans  les 
ténèbres  pour  exercer  votre  vaillance  et  vous  faire  mieux 
goûter  la  pure  lumière  où  il  se  montrera  à  vous.  S'il  nous 
était  donné  de  sentir  ces  si  douces  choses,  il  n'y  aurait 
plus  d'exil.  L'espérance  serait  un  enchantement  perpé- 
tuel. Nous  ne  serions  plus  dans  les  conditions  de  l'épreuve. 

Oui,  semez  dans  les  larmes. 


SIXIEME    SERIE 


Mademoiselle  et  chère  fdle, 

Je  regrette  souvent  que  mes  occupations  ou  ma  santé 
me  laissent  si  peu  de  liberté,  je  pense  avec  tant  de  solli- 
citude à  votre  isolement  ! 

Mon  plus  grand  désir  serait  de  rendre  votre  vie  plus 
douce  et  plus  lumineuse  par  une  confiance  plus  grande 
en  Notre-Seigneur.  Il  s'est  fait  homme  comme  nous  pour 
se  faire  aimer.  Je  connais  des  âmes  qui  remplissent  de 
son  amour  leur  vie  et  tous  les  vides  de  leur  cœur  !  Votre 
chère  absente  qui  ne  vous  a  jamais  aimée  avec  égoïsme 
a  demandé  à  Notre-Seigneur  au  Ciel  de  vous  donner  un 
peu  plus  de  santé,  beaucoup  de  paix  et  de  bonheur  à 
son  service.  Ses  vœux  seront  exaucés,  si  elle  vous  voit 
heureuse  de  cette  manière.  Il  ne  faudra  point  vous  en 
faire  un  remords,  puisqu'elle  jouira  de  son  œuvre  :  aimer 


—  166  — 

à  vous  savoir  triste,  même  à  cause  d'elle,  serait  d'une 
affection  trop  imparfaite  pour  la  lui  supposer  un  seul  ins- 
tant. Je  continue  à  offrir  pour  elle  le  Saint  Sacrifice,  dont 
les  mérites  surabondants  retomberont  sur  vous. 

Soyez  assurée,  chère  Mademoiselle,  de  mon  très  respec- 
tueux et  profond  attachement  en  Notre- Seigneur. 


II 

Mademoiselle  et  chère  fille, 

Après  vous  avoir  bien  cordialement  remerciée  des 
vœux  si  délicats  que*  vous  m'envoyez  de  là-bas,  je  m'em- 
presse de  vous  féliciter  du  bon  esprit  qui  vous  a  fait 
quitter  nos  rivages  glacés.  Vous  aurez  senti  comme  les 
hirondelles  quelque  souffle  d'en-haut;  vous  lui  avez 
prêté  des  ailes  et  vous  voilà  dans  les  douceurs  du  prin- 
temps. La  température  doit  faire  bourgeonner  déjà  les 
pointes  des  haies.  Qu'elle  est  heureuse  la  nature  de  se 
renouveler  tous  les  ans!  Elle  reste  ainsi  toujours  jeune. 
Elle  ne  se  décourage  jamais,  même  sous  les  attaques  de 
l'homme.  Tant  qu'une  plante  trouve  un  peu  de  terre  et 
une  goutte  d'eau,  elle  s'efforce  de  pousser  et  tente  même 
de  fleurir  :  elle  veut  vivre.  Vivre,  c'est  avancer  et  c'est 
fleurir.  Une  âme  ne  vit  véritablement  que  si  elle  s'amé- 
liore, mais  elle  ne  s'épanouira  qu'au  Ciel.  Vivons  donc 
sur  notre  motte  de  terre,  fût-elle  bien  étroite,  et  avec 
notre  goutte  d'eau,  fût-elle  bien  rare.  Essayons  de  fleurir 
à  la  manière  d'ici-bas,  par  le  contentement  intérieur  et 
l'affabilité  de  notre  commerce.  Vous  remplissez  à  mer- 
veille la  seconde  partie  de  ce  programme  ;  je  fais  des  vœux 
pour  que  vous  ayez  aussi  votre  part  de  la  première. 


.—  167  — 


III 


Mademoiselle  et  chère  fille, 

Ne  vous  étonnez  pas  des  impressions  que  vous  cause 
cette  abstraction  de  la  mort  et  des  lieux  qui  servent  de 
demeure  après  cette  vie.  Nous  n'étions  point  faits  pour 
la  mort  et  nous  ne  sommes  pas  encore  organisés  pour  une 
vie  purement  spirituelle.  Demandez  à  la  larve  pesante  et 
rampante  si  elle  comprend  la  vie  qui  lui  sera  donnée, 
sous  la  forme  du  papillon,  quand  elle  volera  dans  les  airs 
et  fera  briller  au  soleil  l'éclat  de  ses  ailes  !  Chaque  état 
possède  ce  qui  lui  convient,  mais  ne  donne  pas  d'avance 
ce  qui  répondra  à  l'évolution  suivante.  Comme  nous 
sommes  des  êtres  intelligents  et  libres,  Dieu,  sans  nous 
montrer  ce  que  nous  deviendrons,  nous  le  fait  connaître 
assez  pour  nous  fixer;  par  là  il  nous  oriente,  et  par  les 
ombres  qu'il  laisse,  il  exerce  notre  soumission  et  la  rend 
méritoire. 

IV 

Mademoiselle  et  chère  fille, 

C'est  l'état  fort  précaire  de  ma  santé  qui  m'a  empêché 
d'aller  vous  voir  avant  mon  départ.  Peut-être  Dieu  vou- 
dra-t-il  que  j'aie  désormais  une  vie  empêchée  comme  la 
vôtre,  et  comme  vous  je  tâcherai  d'être  doux  envers  la 
maladie,  et  je  vivrai  avec  mes  souvenirs  comme  vous 
encore  !  N'est-ce  pas  que  cette  tristesse  des  affections  dis- 
parues devient  à  la  longue  une  mélancolique  jouissance; 
ces  souvenirs  sont  un  bien  qui  nous  appartient  encore  et 
qui  est  quelque  chose  de  ceux  qu'on  aimait  :  leur  ten- 
dresse, leur  préoccupation  de  nous,  leurs  traits...  tout  cela 
est  bien  réel  quoique  passé,  et  tout  cela  vit  bien  puisque 
nous  en  ressentons  les  émotions.  Mais  surtout  ce  qui  vit 
ce  sont  les  âmes!  ces  âmes  immortelles  qui  nous  atten- 
dent !  Dans  un  état  que  nous  ne  pouvons  comprendre 


—  168  — 

puisqu'il  est  sans  analogie  avec  relui  que  nous  traînons, 
elles  conservent  leur  cœur  et  leurs  liens.  Nous,  pauvres 
aveugles,  nous  cherchons  vainement  à  les  entrevoir  ou 
du  moins  à  les  comprendre;  c'est  un  bonheur  qui  nous 
est  réservé.  Il  nous  attend,  chaque  jour  nous  en  approche, 
et  il  faut  sourire  à  la  mort  qui  est  une  messagère. 

Recevez,  Mademoiselle  et  ma  chère  enfant,  la  nouvelle 
expression  de  mes  sentiments,  pleins  d'une  respectueuse 
affection. 


Mademoiselle  et  chère  fille, 

Quand  on  court  au  pays  du  soleil,  il  semble  que  l'on  va 
vers  le  bonheur.  Hélas  !  c'est  simplement  son  ombre  qui 
nous  y  attend,  et  parfois  cette  ombre  n'est  plus  qu'un 
souvenir!  S'y  trouve-t-il  quelque  douceur?  peut-être. 
Le  souvenir  est  quelque  chose  de  ce  que  nous  avons  aimé  : 
c'est  la  relique  du  dedans. 

Vous  le  gardez  avec  un  soin  jaloux;  l'espérance 
humaine  n'en  vient  pas  prendre  la  place.  Votre  bonheur 
reste  dans  son  passé. 

Je  comprends  de  quels  soupirs  vous  appelleriez  une 
plus  grande  consolation  venant  d'en-haut.  Il  y  a  des 
âmes  affligées  qui  la  reçoivent  en  récompense;  d'autres, 
non  moins  agréables  à  Dieu,  ont  une  voie  plus  austère. 
Vous  êtes  de  ce  nombre.  La  rectitude  de  votre  jugement 
et  la  délicatesse  de  votre  conscience  restent  vos  seuls 
soutiens.  Si  Dieu  ne  vous  avait  pas  d'avance  munie  de 
ces  secours,  il  serait  venu  à  votre  aide  d'une  autre  façon 
peut-être  par  quelques  grâces  sensibles.  Une  seule  chose 
est  nécessaire,  le  Ciel  !  le  chemin  qui  nous  y  mène  peut 
impunément  avoir  ses  ronces  ou  ses  fleurs,  ses  pentes  ou 
sa  rectitude;  des  vertus  se  cachent  sous  ces  aspects  si 
différents,  et  nos  joies  comme  nos  douleurs  peuvent  être 
fécondes. 

Le  milieu  où  nous  vivons  exerce  sur  nos  idées  la  même 
influence  que  sur  les  usages.  Le  milieu  social  est  en  ce 


—  169  — 

Siècle  saturé  de  doutes  ou  d'incrédulité.  Par  la  nature 
de  votre  esprit  et  plus  encore  par  votre  très  profonde 
sensibilité,  vous  vous  trouvez  plus  qu'une  autre  en  con- 
tact avec  lui.  De  là  ce  malaise  qui  ne  fait  pas  périr 
votre  foi,  mais  qui  la  trouble.  Vous  ne  pouvez  jouir  des 
plus  douces  consolations  de  l'espérance,  ses  certitudes  ne 
vous  sont  pas  sensibles,  et  votre  cœur,  qui  s'y  ouvre  et  s'y 
repose  au  fond,  n'en  est  pas  pleinement  satisfait. 

Il  ne  dépend  pas  de  vous  de  faire  cesser  cette  épreuve; 
elle  sera  un  mérite  :  il  suffit  qu'elle  soit  acceptée  avec  une 
résignation  douce,  comme  les  autres  douleurs. 

Peut-être  la  sainte  communion  vous  deviendra-t-elle 
plus  facile.  Il  y  faudra  mettre  une  obéissance  plus,  con- 
fiante. Allant  à  Dieu,  quand  Dieu  appelle,  on  est  sûr 
d'être  bien  reçu;  et  la  voix  de  Dieu  se  fait  entendre  par  la 
voix  de  son  ministre  :  «  Qui  vous  écoute,  m'écoute  !  » 
L'obéissance  doit  faire  négliger  les  préoccupations  per- 
sonnelles, et  l'habitude  de  cette  obéissance  épuise  les 
oppositions  de  nos  frayeurs. 

Nous  avons  un  temps  maussade,  pas  très  froid  mais 
brumeux;  toutes  les  feuilles  de  nos  arbres  sont  parties,  et 
le  soleil  nous  regarde  sans  nous  réchauffer.  Abreuvez- 
vous  de  ses  bons  rayons,  jouissez  de  la  parure  qu'il  laisse 
là-bas  sur  vos  coteaux,  et  regardez  souvent  ce  ciel  plus 
bleu,  derrière  lequel  se  dérobe  un  cœur  qui  fut  tout  à  vous, 
et  qui  n'a  changé  dans  sa  vie  nouvelle  que  pour  vous 
aimer  plus  et  mieux. 

VI 

Mademoiselle  et  chère  fille, 

Il  me  semble  que  je  lis  dans  votre  âme  et  que  de  loin 
je  suis  votre  existence.  Je  comprends  vos  tristesses,  vos 
joies  voilées,  votre  résignation  douce  :  oh  !  faites  dominer 
l'espérance.  Ce  bien  vous  appartient  de  tous  les  droits 
que  vous  donnent  les  circonstances  vraiment  providen- 
tielles de  cette  mort  au  lendemain  d'une  communion; 
il  vous  appartient  à  cet  autre  titre  que  Dieu  ne  vous  donne 


—  170  — 

pas  d'autre  avenir.  Votre  bonheur  est  dans  cette  1ombe, 
arraché  pour  la  vie,  mais  il  vit  et  il  vous  attend. 

Hélas  !  ces  perspectives  évoquées  vous  troublent.  Elles 
sont  si  belles  que  vos  yeux  en  sont  éblouis.  Rien  dans  la 
nature  ne  nous  en  ouvre  l'horizon  et  nous  nous  prenons 
à  penser  que  cette  autre  vie  est  un  rêve  des  cœurs  mala- 
des, rêve  devenu  cher  à  l'humanité  si  pauvre  de  bonheur 
et  si  avide  pourtant  !  Oui,  ma  chère  enfant,  c'est  un  besoin 
du  cœur  humain,  et  toutes  les  rares  d'hommes  l'ont  res- 
senti; or,  puisqu'il  est  universel,  il  indique  une  loi,  et  la 
loi  un  objet.  Si  l'on  vous  apportait  de  pays  lointains  de 
petits  oiseaux  inconnus  auxquels  ne  conviendrait  aucune 
nourriture  de  nos  pays,  en  concluriez- vous  qu'il  n'en 
existe  pas;  iriez- vous  jusque-là,  alors  même  que  vous 
vous  seriez  procuré  de  tous  les  pays  les  graines  usitées? 
Non;  et  pourquoi?  parce  que  vous  admettez  la  loi  des 
rapports  du  besoin  et  de  son  objet,  loi  éminemment 
providentielle.  Il  ne  peut  pas  exister  un  être  qui  n'ait  sa 
pâture.  Serions-nous  les  seuls  délaissés?  Les  besoins  de 
l'âme  seraient-ils  oubliés  par  l'intelligence  infinie?  Où 
serait  la  justice,  qui  ne  se  distribue  pas  ici-bas,  nous  le 
voyons  bien,  car  les  bons  souffrent  et  sont  enlevés  trop 
souvent  !  Il  est  vrai,  notre  nature  sensible  se  trouble  à 
la  pensée  de  cette  vie  tout  autre,  de  ces  changements 
dont  rien  ne  commence  à  se  montrer...  Revenons  à  la 
nature  et  voyons  suspendu  à  la  feuille  d'un  arbre  un 
petit  œuf,  gros  comme  un  point  et  noir  comme  lui. 
Arrive  la  tiède  haleine  du  printemps  et  il  tressaillera;  la 
vie  évoluera,  et  vous  le  verrez,  pauvre  chenille  repoussée, 
rongeant  la  verdure  et  ne  songeant  qu'à  grossir.  Atten- 
dez. Un  jour  elle  semblera  morte,  elle  sera  informe.  Ne 
désespérez  pas.  Bientôt  l'enveloppe,  usée  par  la  vie 
qu'elle  retient,  s'ouvrira  pour  laisser  s'envoler  dans  les 
airs  un  être  nouveau,  tout  autre  que  l'ancien,  car  il  a  des 
sens  développés,  de  magnifiques  couleurs,  et  il  a  des  ailes! 
L'espace  lui  appartient.  Le  soleil  et  les  fleurs  le  cares- 
sent... N'est-ce  pas  une  résurrection,  et  dans  cette  vie 
nouvelle  une  entière  transformation  dont  rien  ne  parais- 
sait dans  sa  première  existence  ! 


—  171  — 

11  en  serait  ainsi  de  toutes  les  vérités  qui  vous  décon- 
certent. Nos  impressions  sont  notre  obstacle,  mais  elles 
sont  notre  épreuve  et  elles  deviendront  notre  mérite. 
Contentons-nous  donc  de  dire  :  Dieu  a  parlé,  l'Eglise  est 
son  interprète. 

VII 

Mademoiselle  et  chère  fille, 

Ne  soulevez  aucune  question  spéciale  pour  le  carême 
et  ses  exigences...  Vous  savez  bien  que  votre  vocation 
n'est  pas  l'austérité  des  Pères  du  désert,  mais  l'effusion 
auprès  de  Dieu  de  votre  cœur  filial.  Cette  vocation  est 
bien  belle;  sauvegardez-la  en  éloignant  l'obstacle  qui 
serait  le  trouble,  la  recherche  inquiète,  je  dirais  presque 
l'examen  le  plus  simple.  Pourquoi  vous  examiner?  Votre 
âme  est  sans  cesse  sous  vos  yeux,  et  vous  remarquez  à 
l'instant  les  plus  petites  nuances  de  vos  sentiments. 
Libérez-vous  donc  de  toute  préoccupation  dans  l'intérêt 
de  la  gloire  de  Dieu  et  de  votre  intimité  avec  Lui. 

Prions  très  particulièrement  pour  les  pauvres  soldats, 
pour  la  conversion  d'un  grand  nombre,  pour  la  sanctifica- 
tion de  leurs  cruelles  souffrances...  pour  leurs  familles 
aussi  qui  sont  peut-être  dans  le  désespoir... 


VIII 

Mademoiselle  et  chère  fdle, 

Ce  soir  commence  le  temps  de  la  Passion.  Nous 

allons  écarter  dorénavant  nos  préoccupations  pour 
concentrer  notre  attention  sur  les  douleurs  divines, 
subies  pour  nous.  Vous  l'avouerai-je,  c'est  toujours  pour 
moi  un  sujet  d'étonnement  de  voir  l'amour  de  Dieu  aller 
si  loin,  et  quand  je  me  dis  :  c'est  certain,  je  ne  me  com- 
prends plus  moi-même.  Comment  sentir  si  peu  de  si  gran- 
des choses!  Comment  s'intéresser  à  des  riens!  Comment 


—  1/2  — 

he  pas  vivre  comme  des  saint  François  d'Assise  ou 
comme  un  saint  Paul?  Il  y  a  bien  de  quoi  s'humilier. 
Mais  si  l'amour  de  Dieu  va  si  loin,  comment  n'aurait-il 
pas  pitié  de  notre  insuffisance  !  Comment  n'accepterait- 
il  pas  notre  confusion,  nos  regrets?  Il  sait  bien  qu'ici-bas 
nous  sommes  des  petits  enfants  à  la  mamelle,  qui  ne 
savent  que  recevoir  sans  même  connaître  le  sein  qui  les 
nourrit.  Dieu  est  partout  sur  cette  terre,  et  nous  ne  le 
voyons  nulle  part.  Pourtant  dans  cette  rue,  dans  cette 
chambre,  il  est  aussi  grand,  aussi  beau  qu'au  ciel  où  il 
jette  les  Saints  en  extase.  Quel  sujet  de  perpétuelle  con- 
fusion !  Sachant  cela,  nous  devrions  au  moins  faire  monter 
vers  lui  des  aspirations  ardentes  et  fréquentes  et  nous 
excuser  de  ne  pas  nous  tenir  sans  cesse  en  adoration 
devant  lui  puisqu'il  nous  a  donné  une  vie  matérielle  à 
vivre,  un  esprit  qui  a  besoin  d'une  occupation  de  son 
ordre,  des  relations  qui  créent  des  devoirs  et  nous  appor- 
tant des  secours.  Ces  considérations  ne  doivent  nulle- 
ment nous  troubler,  mais  elles  peuvent  bien  nous  exciter 
à  dire  avec  saint  Paul  :  Qui  me  délivrera  de  ce  corps  de 
mort?  Les  beautés  qui  se  dérobent  à  nos  yeux  nous 
seront  éblouissantes  là-haut  ! 


IX 
Mademoiselle  et  chère  fille, 


Jeudi  Saint. 


Je  veux  que  vous  ayez  un  mot  de  moi  à  la  veille  ou  au 
jour  même  de  la  Résurrection.  Il  semble  qu'à  cette  date 
on  entre  dans  une  vie  nouvelle  pleine  de  lumière  et  d'espé- 
rance. Si  ce  n'est  point  vrai  surtout  cette  année  pour 
cette  terre,  c'est  toujours  vrai  pour  les  hauteurs  qui  la 
dominent.  La  vraie  vie  commence  à  peine  dès  ce  monde 
et  sous  une  forme  voilée,  toute  secrète.  Cette  vie-là  est 
née  au  Calvaire  et  «'lie  s'est  manifestée  à  la  Résurrection. 
11  nous  faut  à  nous  aussi  mourir  pour  revivre.  Saint  Paul 


—  193  — 

nous  fait  comprendre  qu'il  ne  s'agit  pas  seulement  de  la 
mort  qui  consiste  en  la  séparation  de  l'âme  et  du  corps, 
mais  du  renoncement  chrétien  qui  fait  que  nous  faisons 
mourir  en  nous  tout  ce  qui  s'opposerait  à  la  vraie  vie. 
Dieu  nous  y  aide  sensiblement,  vous  et  moi,  en  nous 
tenant  dans  des  petites  souffrances  continuelles,  dans 
des  privations  qui  ôtent  à  la  vie  extérieure  ses  quelques 
joies.  Ainsi  nous  yivons  détachés  de  ce  qui  passe,  et  notre 
état  nous  porte  à  vivre  d'avance  des  adorables  visions  qui 
nous  sont  promises,  de  cet  amour  en  quelque  sorte  infini 
qui  comblera  de  jouissance  nos  sens  divins  enfin  épanouis. 
A  mesure  que  je  poursuis  le  cours  de  mes  méditations 
sur  les  enseignements  du  divin  Maître,  je  découvre  de 
plus  en  plus  son  cœur.  Son  cœur  se  fait  sentir  en  tout  ce 
qu'il  dit.  J'en  éprouve  une  émotion  douce  et  continuelle. 
Je  sens  croître  mon  désir  de  le  voir.  Il  nous  aime  cent 
fois  plus  que  les  cœurs  qui  nous  ont  le  plus  aimés.  Est-ce 
possible!. Ce  mot  me  revient  souvent.  C'est  plus  que 
possible,  c'est  Arrai,  mais  ce  vrai  n'a  pas  le  caractère  sen- 
sible. Pour  qu'il  s'impose  à  nous,  pour  qu'il  atteigne  les 
fibres  profondes  de  notre  nature,  il  faut  une  fréquente  et 
longue  attention.  Dieu  m'a  fait  la  grâce  de  m'éloigner  de 
toute  distraction  et  de  me  mettre  seul  en  face  de  lui  seul, 
je  le  bénis.  Je  regrette  de  ne  pas  assez  profiter  d'une  telle 
faveur.  Cependant  c'est  sans  le  moindre  regret  que  je 
me  vois  privé  des  divers. agréments  de  la  vie.  Ma  joie  est 
toute  enfermée  dans  un  tout  petit  livre,  qui  contient, 
il  est  vrai,  l'infini  :  c'est  l'Évangile^  —  Je  viens  de  com- 
menter ces  paroles  qui  s'adressent  à  tous  les  temps  comme 
à  toutes  les  vies  :  «  Venez  à  moi,  vous  tous  qui  êtes  accablés, 
ou  par  l'effort,  ou  par  la  peine;  je  suis  là  pour  vous 
refaire.  » 


Mademoiselle  et  chère  fille, 

Vendredi  Saint. 

M;i  lettre  n'ayant  pas  pu  partir  hier,  j'y  ajoute  un  mot 
en  ce  jour  si  grand,  si  émouvant,  si  digne  de  dominer 


. — .  \  jli.  — 

notre  pensée.  Ce  que  j'en  pourrais  dire  arriverait  trop 
tard,  mais  je  sens  qu'à  cette  même  heure  nos  âmes  se 
rencontrent  dans  les  mêmes  souvenirs  et  les  mêmes 
impressions.  Si  le  Vendredi  Saint  et  le  jour  de  Pâques  se 
ressemblent  si  peu  par  l'objet  que  nous  célébrons,  ils 
nous  ramènent,  l'un  et  l'autre,  à  la  même  source  :  l'amour 
de  Jésus.  C'est  cet  amour  qui  brille  dans  l'éclat  de  son 
sang  comme  dans  la  splendeur  de  son  état  ressuscité.  Ce 
doit  être  également  chez  nous  le  même  sentiment  ressenti 
et  vivement  exprimé.  Être  aimé  jusqu'au  sacrifice  de  la 
vie,  être  aimé  au  point  de  vous  introduire  dans  la  vie 
glorieuse  de  Dieu  lui-même  !  Quelle  pression  sur  un  cœur 
bien  fait  !  Comme  l'on  voudrait  se  montrer  reconnais- 
sant, se  sentir  aimant  !  Vivons  au  moins  de  désir! 


X 

Mademoiselle  et  chère  fille, 

Tandis  que  d'autres  offrent  leur  sang,  nous  ne  pouvons 
offrir  que  des  privations,  et  quelles  privations  à  côté  de 
celles  qui  pèsent  sur  des  infirmes  sans  ressources  !  Aussi 
je  vous  vois  accepter  avec  une  sorte  de  joie  cette  partie 
de  l'expiation  commune,  et  je  suis  persuadé  que  cette 
part  pèse  beaucoup  dans  la  balance  divine,  car  tout  s'y 
évalue  au  poids  de  l'amour. 

...Si  de  grands  malheurs  tombent  sur  la  France  et  nous 
atteignent  personnellement,  nous  avons  du  moins  pour 
refuge,  pour  soutien,  pour  consolation,  la  pensée  que  Dieu 
nous  aime  et  qu'il  dispose  toutes  choses  de  façon  à  accroî- 
tre notre  bonheur  futur,  et  celui-ci  est  éternel. 

...  Il  faut  tout  abandonner  avec  une  intime  confiance  à 
la  Providence  du  Père  que  nous  avons  au  Ciel. 


175 


XI 


Mademoiselle  et  chère  fille, 

Vous  recevrez  demain  Celui  qui  a  daigné  descendre  du 
Ciel  dans  une  pauvre  crèche.  Quelle  ne  sera  pas  sa  joie  de 
trouver  en  votre  âme  une  douce  crèche  !  Je  dirais  volon- 
tiers :  une  riche  crèche,  car  vous  avez  acquis  beaucoup 
de  mérites  depuis  vos  longues  années  de  résignation, 
d'efforts  vers  la  vie  parfaite  et  de  sentiments  délicats  et 
tendres.  —  Je  préfère  le  mot  :  une  douce  crèche.  Tout 
en  vous  lui  sera  un  repos.  Rien  ne  l'y  blessera,  et  s'il  y 
prend  son  sommeil,  ce  sommeil  pendant  lequel  son  cœur 
veille,  ce  sera  sous  votre  garde  fidèle.  Le  sommeil  de  Jésus 
dans  une  âme  aimante,  c'est  la  paix;  c'est  une  sorte  de 
silence  qui  laisse  entendre,  dans  un  mystérieux  lointain, 
je  ne  sais  quel  nouveau  chant  des  anges  qui  parle  d'amour 
et  d'espérance,  de  ce  Dieu  infini  vu  face  à  face  dans  le 
Ciel.  Aucune  parole  humaine  ne  peut  le  traduire.  Il  faut 
se  contenter  d'en  recevoir  quelque  confuse  vibration. 
Quand  on  se  sent  saisi  par  cette  impression,  dans  la 
prière  et  surtout  dans  la  Communion,  il  faut  bien  se 
garder  de  formuler  des  actes.  Il  faut  se  taire  et  écouter.  11 
y  a  des  impressions  qui  en  disent  plus  que  les  paroles. 
L'impression  parle  au  fond  de  l'âme. 

Ce  silence  de  Dieu  et  de  notre  âme  en  Dieu  est  une 
consolation  délicieuse.  Il  y  a  un  autre  silence  qui  est  une 
épreuve  :  on  ne  sent  rien,  les  mots  ne  viennent  pas, 
la  froidure  règne.  Pour  se  défendre  d'une  tristesse  qui 
déprime,  il  importe  de  se  rappeler  que  Dieu  nous  fait 
ainsi  sentir  l'exil,  mais  qu'il  est  lui-même  aussi  près  de 
nous,  .jouissant  de  notre  confiant  abandon  et  de  notre 
courage.  Non,  la  froideur  apparente  ne  change  ni  les 
dispositions  de  Dieu  ni  les  nôtres. 


—  176  — 


XII 


Mademoiselle  et  chère  fille, 

...  Mais  laissons  là  ces  lamentations  de  la  nouvelle 
année  et  réjouissons-nous  à  la  pensée  que  Dieu  daigne 
nous  ouvrir  un  espace  pour  avancer  vers  lui,  pour  lui 
mieux  dire  que  nous  l'aimons,  pour  lui  offrir  quelques 
peines  qui  deviendront  au  ciel  des  joies.  Le  temps  est 
chose  si  précieuse  !  Ce  qu'il  nous  permet  de  créer  devient 
éternel.  A  côté  du  désir  de  voir  Dieu  plus  vite  se  place 
celui  de  le  voir  mieux.  Quand  on  pense  que  la  plus  longue 
vie  dépasse  à  peine  cent  ans,  et  que  cent  ans  ne  sont,  par 
rapport*  à  l'éternité,  qu'un  grain  de  sable  sur  l'immensité 
des  rivages,  on  prend  facilement  son  parti  de  souffrir  ces 
quelques  minutes. 

Courage,  ma  chère  enfant  !  Entrons  dans  cette  année 
avec  une  confiance  sereine  et  une  grande  ardeur.  Chassons 
toute  hésitation,  tout  souci,  toute  tristesse;  vivons  de 
Dieu  bien  en  paix  dans  sa  miséricorde  qui  dépasse  de 
loin  sa  bonté  et  surtout  sa  justice.  Attachons-nous  plus 
intimement,   plus  suavement  à  Jésus. 


XIII 

Mademoiselle  et  chère  fille, 

.Vendredi  Sain!. 

J'espérais  pouvoir  vous  envoyer  un  mot  pour  ces  fêles 
de  douloureux  souvenir.  J'ai  peu  de  forces,  et  voici  qu'en 
ce  moment  la  vue  de  la  Croix  s'impose  à  ma  pensée.  Il 
est  3  heures.  Nous  sommes  en  1916,  et  voilà  qu'avant 
toutes  ces  années  et  tous  ces  siècles  le  Dieu  Sauveur  en 
mourant  nous  regardait  avec  amour  d'une  façon  distincte. 
Quel  amour  que  celui  qui  pouvait  commencer  sitôt, 
durer  si  longtemps  et  se  retrouver  atissi  vif  à  cette  heure 
où  nous  le  comprenons  enfin  ! 


—  177  —, 

Il  nous  est  donné  non  seulement  de  pensera  son  amour, 
mais  aussi  de  lui  témoigner  le  nôtre  en  acceptant  de  tout 
cœur  les  peines  sanglantes  dont  nous  souffrons  et  celles 
qui  nous  attendent. 

XIV 

Mademoiselle  et  chère  fille, 

J'admire  comme  quoi  le  bon  Dieu  vous  ménage  de 
nouvelles  épreuves...  et  cela  ajouté  à  tant  de  privations 
et  de  souffrances  !  mais,  je  le  sais,  loin  de  vous  attrister 
de  la  bonne  part  qui  vous  est  faite,  vous  en  remerciez 
Celui  qui  vous  le  fait;  vous  "êtes  heureuse  de  partager  la 
rédemption  du  divin  Sauveur  en  appliquant  aux  âmes 
chères  et  ensuite  aux  âmes  inconnues  le  mérite  de  ces 
acceptations.  Quand  vous  fixez  les  yeux  sur  Jésus  en  croix, 
vous  aimez  à  lui  dire  :  oui,  comme  vous  et  avec  vous  ! 
Vous  ne  le  lui  diriez  pas  avec  le  même  cœur  si  vous  n'étiez 
pas  vous  aussi  sur  la  croix.  Offrons-lui  avec  nos  modes- 
tes épreuves  les  immenses  douleurs  de  nos  soldats,  de 
leurs  mères  et  de  leurs  orphelins.  Peut-être  ne  songent- 
ils  pas  assez  à  les  offrir  eux-mêmes.  Grâce  à  la  commu- 
nion des  Saints,  nous  avons  le  droit  de  suppléer  à  leur 
offrande.  Un  membre  de  la  famille  peut  agir  ainsi  parmi 
nous. 

C'est  une  consolation  pour  moi  de  penser  que  nous 
vivons  des  mêmes  sentiments  et  des  mêmes  petites  souf- 
frances. Je  me  tiens  constamment  uni  à  votre  âme.  Nous 
ne  nous  verrons  pas  longtemps  en  ce  monde;  songeons 
à  cette  vie  d'en-haut  qui  sera  la  vraie  vie,  la  vie  en  Dieu 
et  pour  l'éternité.  Dieu  ne  brisera  pas  les  liens  sainte- 
ment noués  ici-bas.  Nous  nous  retrouverons  alors  sans 
défauts  et  sans  souffrances.  Nous  nous  étonnerons  de 
nous  sentir  si  heureux  en  contemplant  l'infinie  beauté, 
en  jouissant  de  l'infinie  bonté,  en  nous  voyant  transformés 
à  sa  ressemblance  et  participant  à  sa  vie. 

Envisageons  donc  tout  ce  qui  se  passe  avec  une  séré- 
nité  profonde.   Sous  de   cruelles   apparences,    peut-être 


—   178  — 

se  prépare-t-il  des  jours  meilleurs!  Bornons-nous  à 
savoir  que  Dieu  est  juste,  sage  et  bon,  et  ne  nous  trou- 
blons pas  du  résultat  final. 


SEPTIEME    SERIE 


Ma  chère  fille, 

Parce  que  vous  êtes  dans  le  trouble  et  la  tristesse,  ma 
première  parole  sera  celle  du  divin  Maître  :  Que  la  paix 
soit  avec  vous  ! 

Or,  à  qui  s'adressait-il?  A  de  pauvres  gens  bien  impar- 
faits et  bien  peu  courageux,  moins  généreux  que  beau- 
coup de  chrétiens,  j'ose  le  dire.  Et  même  à  cette  période 
d'imperfection  et  d'impuissance,  il  leur  enseignait  les 
mystères_du  royaume  de  Dieu,  la  perfection  future.  C'est 
qu'il  possède  et  veut  communiquer  ce  qui  manque.  11 
attend  ses  heures.  Il  est  bon  que  vous  sentiez  votre  totale 
nullité;  nous  sommes  si  portés  à  rapporter  à  nous  instinc- 
tivement ce  que  nous  faisons,  qu'une  éducation  positive 
de  notre  néant  est  nécessaire. 

Ce  que  vous  ne  pouvez  pas  se  fera  cependant,  et  la  per- 
fection vous  deviendra  facile  et  douce.  Vous  êtes  appelée 
par  Notre-Seigneur  et  vous  irez  partout  et  aussi  loin  qu'il 
voudra.  La  clarté  des  hauts  sommets  blesse  vos  regards; 
le  sentiment  de  je  ne  sais  quelle  solitude  dans  le  déta- 
chement vous  étreint  le  cœur..",  patience  !  Il  n'est  point 
menteur  Celui  qui  a  dit  :  «  Mon  joug  est  doux,  mon  far- 
deau est  léger.  »  Patience,  espoir  et  courage  ! 

Vous  êtes  un  peu  semblable  au  voyageur  qui,  se  croyant 


—  179  — 

déjà  'arrivé,  découvre  tout  à  coup  une  énorme  distance 
qui  le  sépare  du  point  éloigné  où  il  tend...  et  la  rouit: 
paraît  morne,  interminable...  et  les  forces  semblent  à 
bout.  Est-ce  que  le  Dieu  de  bonté  et  d'amour  s'est  changé 
en  un  tyran  qui  exige  plus  qu'on  ne  peut  donner?  est-ce 
qu'il  vous  laissera  périr  de  fatigue  sur  le  chemin?...  Ou 
bien  devez- vous  penser  que  vous  vous  êtes  trompée,  trop 
engagée,  que  l'appel  de  Notre-Seigneur  n'était  qu'un 
enthousiasme  humain,  qu'enfin  il  faut  renoncer  à  la  fois 
à  devenir  intime  avec  Jésus,  parfaite  sœur  de  tant  de 
belles  âmes,  parce  que  Dieu  est  devenu  tout  à  coup  dur 
et  exigeant?...  Non,  vous  ne  le  pensez  pas,  vous  ne  pou- 
vez vous  faire  à  cette  détermination  qui  briserait  votre 
vie. 

Eh  bien  !  non,  cela  ne  sera  pas,  et  la  paix  est  proche. 
Dieu  vous  demande  d'avoir  confiance  en  Lui;  de  vous 
abandonner  à  sa  direction  et  de  tout  espérer,  fût-ce  con- 
tre tout  espoir.'  Et  il  vous  fait  dire  qu'il  vous  accepte  et 
vous  aime  telle  que  vous  êtes,  car  il  vous  veut  ainsi  pour 
le  moment,  un  peu  imparfaite  encore,  mais  sans  vouloir 
être  imparfaite. 

Vous  ne  voyez  pas  comment  vous  cesserez  de  l'être, 
comment  vous  changerez  votre  nature,  votre  manière 
d'être  ;  vous  sentez  même  que  tels  détachements,  telles  ver- 
tus vous  sont  plus  qu'impossibles,  même  déplaisants.  Que 
vous  vous  tourmentez  à  tort  !  Jésus  ne  vous  demandera 
que  ce  qui  est  conforme  à  ce  qu'il  vous  a  donné  comme 
nature  et  comme  grâce.  Si  vous  ne  pouvez  pas  revêtir 
l'armure  de  Saiïl,  vous  trouverez  bien  comme  David 
quelque  arme  plus  simple,  plus  en  rapport  avec  tout  votre 
être  inoral.  Nous  n'avons  à  faire  ordinairement  que  ce 
à  quoi  nous  sommes  préparés  par  un  attrait.  L'attrait 
n'est  pas  l'attrait  naturel,  mais  un  attrait  divin  qui  a 
d'ailleurs  le  même  caractère  et  le  même  effet  :  il  attire  et 
rend  facile.  Si  a^ous  n'avez  pas  cette  disposition  à  l'égard 
de  telle  perfection,  c'est  que  vous  n'êtes  pas  appelée,  du 
moins  en  ce  moment,  à  tel  état.  Y  serez- vous  appelée  un 
jour?  Pourquoi  le  chercher!  Vous  recevrez  Y  attrait  indi- 
cateur en  son  temps.  Comme  conclusion  : 


—  180  — 

Laissez  île  côté  toiAo  préoccupation  de  ce  que'  Dieu 
pourra  demander,  et  faites  simplement  ce  qu'il  demande 
aujourd'hui.  Or,  il  vous  demande  de  la  bonne  volonté, 
que  vous  lui  avez  donnée  jusqu'ici,  et  II  veut  que  vous 
usiez  sans  remords  de  ce  qui  vous  rend  facile  la  vie  pieuse  : 
moyens  et  secours  naturels  nécessaires. 

Le  détachement  plus  profond,  la  perfection  plus 
active,  vous  deviendront  faciles  et  doux,  quand  ils  vous 
seront  demandés,  et  si  vous  n'atteignez  pas  les  sommets, 
rassurez- vous  :  il  y  a  au  pied  de  la  croix,  comme  l'enseigne 
saint.  François  de  Sales,  une  foule  de  charmantes  petites 
vertus  qui  plaisent  infiniment  à  Dieu  et  ne  nous  donnent 
aucun  péril  de  vaine  estime.  Félicitons  le  bon  Dieu  de 
ce  qu'il -y  a  de  très  grandes  et  belles  âmes  qui  font  des 
merveilles,  et  remercions-le  de  ce  qu'il  nous  permet, 
dans  notre  pauvreté,  de  l'aimer  pourtant  de  tout  notre 
cœur  et  de  faire  tout  ce  que  permettent  nos  forces.  Il 
n'y  a  donc  rien  à  changer  ni  en  vous,  ni  autour  de  vous. 
Il  n'y  a-qu'une  toute  petite  modification,  et  très  grande 
à  faire,  c'est  de  vous  contenter  de  cela,  sachant  que  Dieu 
s'en  contente  et  vous  aime  ainsi.  Ne  sortez  pas  de  ce  sen- 
timent, et  vous  aurez  la  paix,  et  avec  la  paix  vous  pourrez 
entendre  Dieu  et  dilater  votre  cœur. 

Je  vous  bénis,  et  désire  que  cette  bénédiction  mette  fin 
à  vos  anxiétés. 


II 


Ma  chère  fille, 


Je  suis  très  content  de  vos  efforts  et  du  succès  qu'ils 
ont  obtenu. 

Dans  l'œuvre  de  la  sanctification,  envisagez  toujours 
le  but  :  vous  unir  de  plus  en  plus  à  Dieu.  La  victoire  sur 
votre  défaut  dominant  enlèvera  l'obstacle  qui  s'y  oppo- 
sait le  plus.  Vous  êtes  en  bon  état  si  vous  ne  vous  laissez 
ni  entamer,  ni  décourager.  Dieu  veut  votre  bien  plus 
que  vous  ne  le  voulez  vous-même,  et  II  vous  aidera.  A 
mesure  que  vous  deviendrez  plus  maîtresse  de  vos  impres- 


—  181  — 

siens,  par  conséquent  plus  libre,  dégagez-vous  de  la 
préoccupation  de  vous-même,  un  peu  trop  accentuée 
encore,  et  voyez  Dieu  davantage  en  tout  temps  et  en 
toute   circonstance. 

Durant  vos  méditations  et  vos  visites  au  Saint-Sacre- 
ment, cherchez  à  découvrir  plus  profondément  sa  gran- 
deur, sa  bonté,  sa  beauté;  tâchez  de  vous  pénétrer  des 
sentiments  que  cette  vue  doit  causer.  Voyez  les  saints 
du  Ciel  qui  s'oublient  pour  ne  faire  que  prier,  adorer  et 
aimer  :  tâchez  de  les  imiter  un  peu. 

Vous  pouvez  encore  fixer  votre  attention  sur  la  per- 
sonne de  Notre-Seigneur  Dieu  et  homme  :  faites-vous  de 
son  humanité  sainte  un  idéal  qui  vous  impressionne; 
songez  que  son  Sacré-Cœur  peut  vous  aimer  comme  si 
vous  étiez  la  seule  âme  qu'il  eût  à  aimer.  Réjouissez-vous 
de  cette  pensée  et  allez  à  la  communion  avec  dilatation. 
Durant  le  jour,  rappelez-vous  qu'il  vous  regarde  de 
l'église  voisine  et  qu'il  compte  les  heures  qui  vous  sépa- 
rent de  la  prochaine  visite. 

Au  reste,  n'exigez  pas  de  sentir  ces  choses,  il  suffit  de 
les  croire  fermement.  Dieu  permet  souvent  que  nous 
soyons  sans  consolation,  et  il  ne  faut  ni  s'en  inquiéter, 
ni  s'en  montrer  moins  contents  de  Dieu.  N'est-ce  pas 
beaucoup  qu'il  nous  aime  réellement? 

Courage  !  vous  êtes  sous  l'action  de  Dieu. 


III 


Ma   chère   fille, 

Remerciez  Dieu  de  votre  fidélité  à  son  action  et  de 
votre  persévérance  à  poursuivre  votre  union  avec  Lui. 

Une  très  grande  perfection,  je  peux  même  dire  une 
perfection  indéfinie,  est  contenue  dans  ce  double  moyen 
qui  vise  le  même  but  :  vous  prêter  à  l'action  de  Dieu  et 
vous  y  prêter  en  tendant  à  une  union  toujours  croissante,, 
car  telle  est  sa  volonté.  Que  ce  soit  là,  avant  tout  le  reste, 


—  182  — 

l'objet  de  votre  attention,  de  vos  prières,  de  vos  désirs; 
que  ce  soit  l'ambition  de  toute  votre  vie. 

La  paix  et  les  moyens  qui  l'assurent  sont  le  but  immé- 
diat; il  faut  vous  y  affermir.  Les  difficultés  et  les  sacri- 
fices ne  sont  pas  épuisés,  mais  le  résultat  les  rend  déjà 
fort  acceptables;  au  demeurant,  vous  êtes  plus  heureuse 
qu'auparavant,  même  au  seul  point  de  vue  humain. 

Dieu  vous  réserve  bien  autre  chose  !  Dépouillez- vous 
donc  de  vous-même  le  plus  possible  et  avec  grand  cou- 
rage; faites-le  en  tout  ordre  de  choses  où  la  prudence  le 
permet.  Pensez  beaucoup  aux  autres  et  à  leur  agrément. 
Si  vous  pouvez  faire  un  peu  de  bien  à  ces  âmes  au  point 
de  vue  surnaturel,  sachez  tout  risquer  pour  cela.  Dieu 
nous  donne  pour  que  nous  sachions  donner.  Demandez 
la  grâce  d'en  arriver  à  aimer  vos  peines,  celles  surtout 
qui  sont  de  tous  les  jours  et  autour  de  vous.  Voilà  une 
contrariété  déraisonnable,  c'est  bien  !  voilà  une  bonne 
humiliation,  c'est  encore  mieux  !  Sans  doute  il  y  a  des 
choses  qu'on  ne  doit  pas  accepter,  et  il  faut  être  prudente, 
mais  d'une  prudence^surnaturelle,  qui  sait  parfois  sacri- 
fier quelque  chose  de  secondaire  à  ce  qui  vaut  un  degré 
d'amour  de  Dieu  en  plus. 

Faites  souvent  le  chemin  de  la  croix.  C'est  une  excel- 
lente prière  et  une  de  celles  qui  attachent  le  plus  à  Notre- 
Seigneur.  C'est  en  même  temps  la  leçon  d'oubli  de  soi- 
même  la  plus  complète  et  la  plus  éloquente. 


IV 


Ma  chère  fille, 


Ne  vous  étonnez  pas  des  changements  qui  peuvent 
se  produire  dans  vos  impressions.  Notre  volonté  seule 
nous  appartient,  et  l'impressionnabilité  est  ordinaire- 
ment le  siège  de  l'épreuve  et  de  la  tentation. 

Le  mot  de  ces  états  c'est  :  fidélité,  et  la  fidélité  doit 
s'entendre  de  la  continuation  paisible  de  tout  ce  que 
l'on  faisait;  de  l'acceptation  de  ses  peines,  de  l'emploi 


—  183  — 

des  moyens  qui  peuvent  nous  en  délivrer,  si  Dieu  le 
permet. 

Le  plus  grand  poids  de  votre  vie,  c'est  vous-im'ino; 
vous  vous  sentez  comme  un  être  sans  ressort,  sans  goût. 
Il  vous  semble  que  toute  énergie  s'est  brisée  pour  tou- 
jours. Ne  le  croyez  pas.  A  ces  divers  principes  d'activité 
qu'animent  les  vies  ordinaires,  substituez  le  principe 
supérieur  de  l'amour  de  Jésus.  Là,  vous  retrouverez 
tout.  Désirez,  espérez,  priez,  soyez  généreuse,  remerciez 
des  moindres  grâces,  offrez  vos  souffrances...  vous  par- 
viendrez à  toucher  son  cœur  et  le  vôtre.  Faites  souvent 
des  choses  qui  vous  coûtent,  car  rien  n'avance  autant 
dans  l'amour  de  Notre-Seigneur.  Remarquez  toutefois 
que  nous  n'avons  point  une  grâce  égale  à  toutes  les  lumiè- 
res qui  nous  montrent  le  plus  parfait.  Faites  les  sacrifices 
et  les  efforts  qui  sont  en  rapport  avec  la  grâce  que  vous 
avez  à  présent.  Vous  reconnaîtrez  le  juste  point  à  une 
certaine  aisance  à  faire  telle  chose,  ou  à  une  impression 
persistante,  ou  au  jugement  de  votre  Directeur. 

En  dehors  de  ces  signes,  ne  vous  croyez  pas  obligée, 
par  conséquent  ne  vous  faites  pas  de  reproches.  La  géné- 
rosité viendra  avec  la  grâce  qui  augmentera  selon  la 
fidélité  précédente  :  en  attendant,  faisons  de  bon  cœur  le 
peu  que  nous  pouvons. 


V 


Ma  chère  fille, 


Ne  croyez  pas  facilement  être  une  âme  délaissée  de 
Dieu  et  hors  de  sa  voie;  votre  état  n'est  point  un  châti- 
ment; soyez  donc  dilatée  et  contente  :  Dieu  vous  aime. 

Sans  doute  nous  avons  forcé  bien  des  fois  le  plan  de 
Dieu  à  s'amoindrir;  mais  quand  il  n'y  a  aucune  résistance 
positive,  aucun  de  ces  refus  qui  rebutent  la  grâce,  espé- 
rez toujours. 

Une  humilité  plus  profonde  peut  relever  notre  fortune, 
car  elle  provoque  la  générosité  et  la  miséricorde.  Plus 
nous  serons  humbles  foncièrement,  plus  nous  referons  le 


—  184  — 

passé  amoindri.  Or,  ces  amoindrissements  eux-mêmes, 
restant  sans  cesse  sous  nos  yeux,  seront  le  stimulant  de 
notre  humilité,  et  ils  seront  donc  finalement  profitables, 
comme  tout  ce  que  l'on  sait  ramener  au  plan  de  Dieu. 
Telle  grandeur  morale,  que  nous  aurions  acquise  dans 
une  correspondance  plus  parfaite,  pourra  être  compensée 
par  une  autre  sorte  de  grandeur  morale  qui  se  trouve 
dans  l'exercice  intime  d'une  profonde  et  confiante  humi- 
lité basée  sur  nos  infidélités.  —  Rétablissez  donc  entiè- 
rement votre  tranquillité  d'âme;  ce  n'est  pas  avec  res- 
serrement qu'il  faut  méditer.  Le  sentiment  qui  devra 
dominer  en  vous  est  celui  d'une  donation  et  soumission 
à  Dieu  plus  absolue,  plus  profonde,  et,  s'il  se  peut,  pins 
sensible.  .Laissons  le  passé  pour  ce  qu'il  a  été;  recon- 
naissons que  nous  devons  à  Dieu  beaucoup  de  recon- 
naissance, et  que  nous  n'avons  pas  le  droit  d'être  fiers  de 
nous,  et  après  cet  aveu  en  bloc,  utilisons  mieux  les  for- 
ces de  notre  âme,  en  allant  de  l'avant.  Désormais  votre 
vie  doit  se  borner  aux  devoirs  que  vous  créent  les  cir- 
constances et  à  l'œuvre  de  votre  avancement  selon  le 
plan  de  Dieu.  C'est  assez  grand,  assez  vaste  et  assez  beau, 
pour  que  vous  n'ayez  pas  l'inquiétude  d'une  déchéance. 
On  peut  tellement  avancer  dans  l'amour  de  Dieu  que  les 
imperfections  passées  sont  vite  réparées,  et  que  la  vie  est 
remplie,  parfois  délicieusement,  toujours  avec  un  vif  sen- 
timent de^la  grâce  reçue. 


VI 


Ma  chère  fille, 


Dieu,  qui  est  père,  ne  permet  que  ce  qui  nous  est  avan- 
tageux. C'est  le  cas  d'avoir  de  la  confiance  :  la  confiance 
des  temps  propices  n'est  pas  de  la  confiance,  car  c'est, 
alors  sur  les  choses  que  l'on  s'appuie  et  non  sur  Dieu. 
Reposez-vous  donc  sur  sa  bonne  Providence,  et  soyez 
prête  à  remplir  tout  rôle  qu'il  lui  plaira  de  vous  confier. 
Comment  chercher  autre  chose  que  la  volonté  de  Dieu,  et 


—  185  — 

que  peut-il  y  avoir  de  meilleur?  La  sagesse  consiste  uni- 
quement à  la  découvrir  et  à  la  suivre;  ainsi  nous  marche- 
rons sûrement  et  sans  préoccupation  :  même  au  milieu 
des  angoisses  et  des  tracas,  la  paix  peut  rester  complète. 

Grâce  à  cette  conduite,  l'âme  peut  avancer  là  où  une 
autre  âme  moins  simple  et  moins  fidèle  trouvera  mille 
obstacles  qui  la  feront  reculer,  la  troubleront  et  la  ren- 
dront malheureuse.  Donc,  toute  à  la  volonté  de  Dieu 
sans  choix  personnel  ! 

Vous  avez  le  calme  de  l'âme  et  une  santé  meilleure  : 
voilà  deux  bonnes  conditions  pour  vous  sanctifier. 


VII 


Ma  chère  fille, 


Tournons  nos  regards  vers  Dieu.  Il  est  le  maître  et  il 
est  bon.  La  vie  est  d'ailleurs  si  décolorée  :  notre  bonheur 
n'est  possible  que  dans  la  piété. 

Demeurez  calme  par  la  confiance  :  agissez,  mais  aban- 
donnez-vous. Vivez  de  la  pensée  de  Dieu.  Apprenez  à 
votre  cœur  à.  trouver  en  Lui  tout  ce  que  peut  désirer  en 
ce  monde  une  âme  élevée.  Ne  vous  laissez  jamais  troubler 
par  un  scrupule  quelconque,  et  ne  passez  jamais  long- 
temps à  choisir  entre  un  bien  et  un  autre  bien;  faites 
simplement  celui  qui  se  présente. 

Votre  direction  doit  consister  à  écarter  tous  les  obsta- 
cles qui  vous  empêcheraient,  soit  d'écouter  Dieu,  soit 
d'accomplir  ce  qu'il  vous  aura  fait  entendre.  Il  faut  donc 
sauvegarder  votre  recueillement  intérieur.  C'est  Dieu  en 
effet  qui  dirige.  Veillez  sur  ces  multiplicités  de  préoccu- 
pations qui  naîtront  facilement  de  votre  impressionna- 
bilité.  Maintenant,  votre  âme  est  acquise  à  Dieu,  quant 
à  la  volonté.  Donnez-la  lui  toujours  plus  entièrement 
par  l'application  de  toutes  vos  facultés.  Faites-le  sim- 
plement, sans  contention,  mais  de  bonne  foi  et  de  bonne 
volonté.  C'est  un  vrai  but  dans  la  vie.  C'est  une  vraie 


—  186  — 

vocation,  car  notre  vocation  est.  la  sainteté;  le  chemin 
n'en  est  que  le  moyen. 

Cherchez  sans  préoccupation  à  voir  s'il  n'y  aurait  pas 
quelque  appel  de  Dieu  à  un  ordre  de  sentiments  parti- 
culiers, comme  par  exemple  la  réparation  ou  l'action  de 
grâces,  ou  la  conversion  des  pécheurs,  ou  la  sanctifica- 
tion du  clergé.  Ces  sortes  de  vocations  secondaires  met- 
tent plus  vivement  en  action  les  ressources  de  la  nature 
et  de  la  grâce. 


VIII 
Ma  chère  fille, 

Votre  vie  doit  se  passer  dans  les  épreuves  et  le  man- 
que de  sécurité.  C'est  assurément  le  plan  de  Dieu  sur  vous. 
C'est  aussi  le  côté  le  plus  accessible  de  votre  nature  qui 
est  atteint. 

Le  but  de  Dieu  dans  son  plan  sur  vous  est  de  vous 
donner  occasion  de  pratiquer  éminemment  les  vertus  de 
dépendance,  de  confiance  et  de  force.  Soyez  donc  sou- 
mise dans  le  détail  et  dans  les  conséquences,  comme  dans 
l'objet  immédiat  d'une  prière,  chaque  détail  et  chaque 
conséquence  étant  prévus  et  voulus  de  Dieu. 

Que  votre  soumission  soit  confiante,  comme  celle  d'une 
enfant  aimée  de  son  père  qui  ne  craint  jamais  beaucoup 
et  ne  doute  pas  du  tout.  La  purification  et  l'élévation  de 
votre  âme  se  poursuivent  ainsi. 

Laissez  grandir  en  vous  l'ambition  sainte  d'être  une 
de  ces  âmes  victimes  dont  la  justice  éternelle  a  besoin  en 
compensation  du  mal  et  pour  le  rachat  des  pécheurs. 

Réservez  fidèlement  le  temps  de  vos  exercices  de  piété; 
je  verrais  avec  peine  des  concessions  de  ce  côté- là.  Rappe- 
lez-vous que  le  royaume  du  Ciel  souffre  violence,  et  la 
perfection  aussi.  Vous  serez  plus  utile  aux -autres  si  vous 
maintenez  votre  âme  dans  l'union  à  Dieu. 

Que  votre  abandon  filial  croisse  avec  les  épreuves  et 
les  dépasse  toujours  de  beaucoup.  On  est  bien  heureux 


—  187  — 

de  trouver  un  Être  infini  avec  lequel  on  n'a  ni  à  craindre 
ni  à  calculer  ! 


IX 


Ma  chère  fille, 


Quelle  tristesse  tombe  sur  votre  vie  déjà  si  décolorée  1 
Vous  aurez  tous  les  soucis  d'une  mère,  toutes  les  gênes 
d'une  position  étroite,  mais  il  me  semble  que  ces  événe- 
ments vous  apportent  une  lumière  :  Dieu  vous  réservait 
pour  ces  devoirs  !  Je  me  demandais  encore  pourquoi  la 
vie  religieuse  avait  échappé  à  votre  main  ouverte  pour  la 
saisir;  je  ne  voyais  pas  suffisamment  pourquoi  vous  aviez 
laissé  tomber  votre  désir.  C'est  que  Dieu  le  permettait 
ainsi.  Un  je  ne  sais  quoi  nous  décide  en  certaines  circon- 
stances, et  c'est  le  fait  de  Dieu.  Donc,  plus  de  regrets, 
plus  de  confus  reproches  :  vous  êtes  dans  votre  vocation. 
La  vie  religieuse  est  une  vie  d'immolation,  telle  sera  la 
vôtre;  elle  est  une  vie  de  dévouement  :  vous  allez  appar- 
tenir à  ces  pauvres  enfants.  Mais  elle  est  aussi  une  vie  de 
consolations,  et  vous  trouverez  dans  votre  cœur  cette  joie 
supérieure  de  l'âme  qui  est  utile  aux  autres  et  à  Dieu. 

Je  prie  beaucoup  pour  vous  tous,  pour  le  père  disparu 
et  pour  ses  enfants.  Je  prie  pour  que  vous  soyez  plus  que 
jamais  une  âme  fidèle  à  la  grâce.  Que  rien  ne  vous  empê- 
che de  donner  à  la  prière  ce  temps  et  cette  application 
qui  sont  nécessaires  pour  maintenir  la  vitalité  spirituelle. 
Au  besoin,  dans  certaines  périodes,  peut-on  s'en  passer 
à  la  condition  de  se  tenir  plus  continuellement  unie  à 
Dieu  le  long  du  jour. 

Courage  !  la  vie  est  bien  un  chemin  vers  le  repos  et  non 
le  repos  lui-même  !  Elle  est  bien  l'épreuve  et  la  vallée  de 
larmes  ! 


—  188  — 


X 

Ma  chère  fille, 

Je  comprends  très  bien  où  vous  en  êtes  :  les  peines, 
les  difficultés,  les  soucis  vous  ont  laissé  un  peu  d'accable- 
ment. Le  ressort  est  moins  fort.  D'autre  part  rien  autour 
de  vous  pour  vous  stimuler.  Il  vous  semble  que  vous 
n'avez  pas  de  voie  tracée  vers  l'avancement  et  que  vous 
êtes  incapable  de  faire  du  bien.  Telle  n'est  pas  ma  pensée  : 
vous  pouvez  et  vous  devez  avancer,  devenir  plus  fervente, 
plus  unie  à  Dieu;  vous  serez  alors-apte  à  telle  œuvre  que 
Dieu  fera  surgir. 

Ce  qui  retient  votre  âme,  c'est  une  certaine  apathie,  non 
pas  découragée,  mais  peu-  confiante.  Dans  vos  prières, 
vous  avez  le  cœur  un  peu  serré;  vous  n'osez  pas  assez 
avec  le  bon  Dieu.  Durant  vos  journées,  vous  laissez  trop 
le  nuage  peser  sur  votre  front. 

Introduisez  dans  votre  vie  spirituelle  quelques-uns  de 
ces  petits  moyens  qui  sont  très  utiles  pour  la  stimuler  : 
quelques  visites  à  Jésus  dans  votre  chambre,  à  votre 
petite  chapelle,  une  ou  deux  minutes  de  temps  en  temps; 
quelques  sentiments  d'amour  exprimés  à  mi-voix  quand 
vous  êtes  seule;  des  cantiques  fredonnés  en  travaillant, 
un  bouquet  rapporté  à  votre  Vierge,  des  paroles  plus 
aimables  dites  à  ceux  qui  vous  entourent  ou  à  toute 
autre  personne  pour  faire  plaisir  à  Dieu. 

Puissiez-vous  avancer  vers  l'unique  but  de  la  vie  : 
l'amour  de  Dieu  prenant  peu  à  peu  possession  de  tout 
vous-même  ! 


XI 


Ma  chère  fille, 


La  mortification  est  un  stimulant  et  une  preuve 
d'amour,  mais  pour  s'y  livrer  entièrement,  il  faut  un 
attrait  certain,  sinon  très  fort.  La  mortification  qui  resser- 


—  18U  — 

rerait  le  cœur  parce  qu'elle  déplairait  trop  ne  serait  pas 
opportune.  Pour  avancer,  il  faut  absolument  rester  de 
bonne  humeur.  Le  désir  d'être  aimé  plus  de  Xotre-Sei- 
gneur  ou  de  partager  ses  souffrances  donne  quelquefois 
un  surcroît  de  désir  de  mortification.  Il  y  a  des  âmes  qui 
en  deviennent  avides. 

En  d'autres  termes,  comme  la  mortification  est,  de  sa 
nature,  peu  aimable  et  capable  de  resserrer,  il  faut,  pour 
s'y  adonner,  trouver  en  soi  des  stimulants  qui  y*  portent 
véritablement.  L'application  de  la  raison  n'y  saurait  suf- 
fire, ni  une  souplesse  entière. 

Tout  est  bon  d'ailleurs  en  vous  et  autour  de  vous. 
Rien  ne  s'oppose  à  l'appel  de  Dieu  pour  ce  qu'il  préfère. 
Si  donc  il  vous  veut  plus  spécialement  mortifiée,  c'est  à 
Lui  de  vous  le  dire  :  bornez- vous  à  vous  offrir. 


XII 


Ma  chère  fille, 


Tout  est  bon  à  qui  aime  Dieu.  La  consolation  vous 
avaiKpréparée  à  l'épreuve.  L'épreuve,  consolidera  ce  que 
la  consoiaiion  avait  fait  naître.  Tout  vous  fera  aimer 
Dieu  et,  dans  la  peine,  votre  amour  aura  un  caractère 
plus  désintéressé. 

Que  votre  amour  pour  Notre-Seigneur  rejaillisse  sur 
le  prochain  !  Voilà  la  vraie  direction.  C'est  là  le  perfec- 
tionnement qu'attend  Celui  qui  a  tant  aimé  les  hommes  ! 
Celui  qui  a  prêché  l'Evangile  de  l'amour  des  autres, 
Celui  qui  semble  attacher  toute  la  récompense  à  la  cha- 
rité. 

Rappelez-vous  que  la  justice  stricte  n'est  point 
humaine,  et  surtout  qu'elle  n'est  pas  du  tout  la  loi  de 
Jésus.  Soyez  donc  indulgente  dans  vos  appréciations. 
Ayez  grande  compassion  pour  tous,  même  pour  ceux 
dont  les  torts  sont  évidents.  Le  grand  commandement, 
c'est  Notre-Seigneur  qui  veut  être  aimé  dans  tous  les  hom- 
mes. Ah!  si  nous  le  comprenions!  Un  grand  moyen  de 


—  190  — 

délivrer  son  cœur,  c'est  de  chercher  en  toutes  circon- 
stances ce  qui  fait  le  plus  plaisir  aux  autres,  même  à  nos 
dépens,  mais  en  mesure  raisonnable,  bien  entendu. 


XIII 
Ma  chère  fille, 

Après  l'épreuve  de  la  maladie,  vient  l'épreuve  de  la 
difficulté,  mais  l'une  et  l'autre  vous  trouvent  placée  sur 
le  bon  terrain  de  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu. 
«  Oui,  tout  ce  qui  vous  plaît,  ô  Jésus.  »  Allez  même  plus 
loin  et,  au  lieu  de  vous  résigner  simplement,  oubliez  quev 
vous  souffrez.  Par  là,  vous  vous  dégagez  de  vous-même, 
car  se  regarder  souffrir  comporte  quelque  imperfection 
et  s'oppose  à  certain  degré  d'union  à  Dieu.  Votre  grand 
besoin  est  actuellement  le  dépouillement  du  moi. 

Durant  ces  temps,  vous  chercherez  comment  y  arriver. 
Vous  vous  surprendrez  revenant  toujours  à  vous-même... 
mais  enfin,  Dieu  prendra  tellement  le  dessus  dans  votre 
pensée,  que  le  reste  ne  vous  troublera,  ni  ne  vous  occu- 
pera beaucoup.  C'est  un  but;  il  ne  faut  compter  ni  avec 
le  temps,  ni  avec  les  raisonnements.  C'est  un  espoir, 
car  c'est  la  perspective  de  la  liberté  et  de  l'intimité. 

Paix  et  courage  en  Notre-Seigneur,  le  centre  de  notre 
vie  et  de  notre  éternel  espoir  ! 


XIV 


Croiriez-vous  qu'en  vous  plaignant  beaucoup,  je  ne 
puis  me  défendre  de  penser  que  c'est  Dieu  qui  fait  tout 
cela  et  qu'il  le  fait  dans  des  vues  admirablement  bonnes? 
La  conduite  de  votre  âme  est  claire  à  mes  yeux.  Vous 
avez  été  d'abord  jetée  au  milieu  des  consolations;  c'était 
le  printemps,  c'étaient  des  chants,  c'étaient  de  belles 
perspectives.  Vous  marchiez  au  milieu  de  ces  délices 
tout  émue;  j'ai  vu  peu   d'âmes  aussi  consolées,  et  conso- 


—  191  — 

lées  du  fait  de  Dieu,  nullement  par  l'effort  de  la  nature. 

L'amour  de  Dieu  s'est  révélé  à  vous.  Nous  ne  le  com- 
prenons complètement  que  sous  cette  efflorescence  qui 
Je  rend  plus  visible,  plus  senti,  le  met  plus  avant  dans 
toute  notre  nature.  Mais  rappelez-vous  que  vous  êtes 
après  tout  une  pauvre  exilée,  une  âme  qui  doit  mériter, 
expier  même  pour  elle  et  pour  d'autres. 

Rappelez-vous  que  nous  n'avons  ici-bas  qu'un  Jésus 
crucifié,  point  d'autre;  jusque  dans  son  Eucharistie  où 
l'apparente  inertie  de  son  corps  et  de  son  sang  nous  le 
montre  encore  sur  la  croix.  Rappelez- vous  que  les  gran- 
des vertus  naissent  des  grands  efforts,  et  que  les  grands 
efforts  ne  se  trouvent  que  dans  les  épreuves. 

Le  mal  dans  cet  état,  c'est  qu'on  se  laisse  aller  à  croire 
qu'on  est  moins  agréable  à  Dieu,  qu'on  redescend  et 
enfin  que  ce  sera  ainsi  toujours.  Moins  agréable  à  Dieu 
parce  que  vous  ne  savez  que  lui  dire?  Voyez  Notre-Sei- 
gneur  sur  la  croix,  il  ne  laisse  échapper  que  de  rares 
paroles,  et  les  paroles  au  fond  les  plus  communes.  Jamais 
son  Père  ne  l'aima  autant,  jamais  sa  ferveur  et  son  acti- 
vité d'auparavant  n'avaient  égalé  la  valeur  de  ces 
silences  résignés.  C'est  par  là  qu'il  nous  a  sauvés,  et  non 
en  prêchant. 

XV 


Qu'on  redescende  !  Oh  !  non,  ce  ne  sera  pas,  car  on  ne 
redescend  que  lorsque  sciemment  on  renonce  à  l'une  des 
choses  que  l'on  avait  promises.  Est-ce  que  l'affection  que 
vous  avez  pour  votre  sœur  n'est  pas  la  même  les  jours 
où,  dans  la  souffrance,  vous  ne  la  sentez  pas  du  tout? 

Qu'il  en  doive  être  toujours  ainsi,  non,  non,  les  conso- 
lations reviendront,  j'en  suis  sûr  et  je  vous  le  prédis;  mais 
ce  moment  ne  dépend  point  de  vous.  Dieu  sait  ce  qui  vous 
vaut  le  mieux. 

La  maladie  et  l'impuissance  sont  pénibles,  mais  la 
nervosité  qui  les  accompagne  souvent  l'est  encore  plus. 
Ajoutez  ce  sacrifice  aux  autres,  et  ne  vous  croyez  pas 

16     " 


—  192  — 

coupable  des  conséquences  de  cette  nervosité  :  tristesse, 
brusquerie  peut-être,  mécontentement  de  tout,  envie  de 
se  décourager,  etc.  Rien  de  coupable  en  tout  oela.  Sujet 
de  grands  mérites.  Exercice  d'humilité  ou  de  patience. 

Voyez  ce  que  l'on  doit  recommander  aux  malades; 
ne  vous  préoccupez  pas  des  travaux  que  vous  laissez, 
des  exigences  que  vous  avez  forcément,  du  peu  de  joie 
que  vous  donnez  aux  autres.  C'est  votre  état. 

Ainsi  en  est-il  auprès  de  Dieu.  Il  n'attend  pas  de  vous 
en  ce  moment  des  travaux,  du  calme,  de  la  bonne  grâce, 
mais  simplement  la  patience  confiante  et  abandonnée 
qui  aide  à  guérir,  le  support  de  l'état  actuel  et  de  soi- 
même. 

Avec  cela  le  vrai  travail  se  fait  en  vous  :  Dieu  est  con- 
tent. Quand  II  vous  verra  bien  prête,  Il  ôlera  tous  ces 
appareils,  et  vous  marcherez  plus  joyeusement  qu'avant. 

Je  vois  la  fin  de  tout  cela...  Courage  !  Je  la  hâte  de  mes 
vœux. 

XVI 

Ma  chère  fille, 

Vous  ne  vous  doutez  pas  des  excellents  sentiments 
avec  lesquels  vous  acceptez  votre  épreuve.  Tout  impres- 
sionnée par  ce  que  vous  sentez  de  souffrances  et  de  répu- 
gnances, vous  ne  distinguez  pas  toute  la  parfaite  résigna- 
tion qui  fait  le  fond  de  votre  vie;  aussi  je  n'ai  pas  l'om- 
bre d'une  crainte  au  sujet  de  votre  persévérance. 

Ce  que  je  désire,  c'est  que  vous  tiriez  tout  le  parti 
possible  d'une  épreuve  destinée  à  vous  rendre  plus  unie 
à  Dieu  que  vous  ne  l'avez  été. 

Vous  l'avez  été  d'abord  par  la  consolation,  et  vos 
ravissements  d'aise  à  votre  entrée  dans  le  chemin  de  la 
perfection  vous  restent  présents,  non  plus  comme  une 
consolation,  mais  presque  comme  une  chose  maintenant 
incomprise.  C'était  bien  Dieu  qui  agissait  alors  dans 
votre  âme,  s'emparant  de  toutes  ses  affections,  se  fai- 
sant l'objet  de  votre  vie.  Et  pour  obtenir  sûrement  tout 
cela,  il  fallait  la  dilatation,  la  joie,  il  fallait  le  printemps. 


—  193  — 

Dieu  reste  le  même,  aussi  bon,  aussi  merveilleusement 
aimable.  Ce  que  vous  avez  goûté  n'est  rien,  vraiment  rien, 
en  regard  de  ce  qui  vous  attend.  Vous  retrouverez  votre 
cœur  en  retrouvant  le  Dieu  de  ce  cœur  !  Mais  à  cette 
heure,  il  brise,  il  réduit  à  néant  tout  ce  qui  est  joie 
humaine  et  joie  divine.  Il  vous  laisse  accablée  du  présent 
et  plus  accablée  encore  de  l'avenir.  C'est  Lui  qui  fait 
ainsi,  et  II  le  fait  par  amour.  Voilà  ce  qtti  vous  soutien- 
dra toujours. 

En  cet  état  vous  n'avez  pas  à  chercher  de  hautes  pen- 
sées, ni  à  exprimer  beaucoup  de  sentiments  variés.  La 
leçon  de  Gethsémani  et  du  Calvaire  suffit.  Il  n'y  a  que 
quelques  paroles  à  apprendre  ou  plutôt  à  répéter,  et  ces 
paroles  elles-mêmes,  toutes  divines,  ne  versent  pas  la 
consolation,  l'amour  senti  des  peines;  la  peine  serait 
moindre. 

Avec  la  résignation  toute  filiale,  pratiquez  certains 
actes  de  formation  :  peu  parler  de  soi  —  y  penser  moins  — 
rester  douce  —  s'efforcer  d'être  occupée  des  autres  et  de 
s'intéresser  à  leurs  petites  joies  et  peines,  tandis  que  vous 
souffrez,  vous,  bien  davantage  !  Faire  bonne  contenance 
au  dehors  —  montrer  un  visage  serein. 

Et  surtout,  exprimez  sans  cesse  à  Notre-Seigneur  votre 
amour  qui  Le  préfère  à  tout,  qui  L'aime  dans  la  peine; 
allez  plus  loin  et  cherchez  parfois  à  passer  si  avant  dans 
cet  amour  que  vous  ne  songiez  pas  à  Le  prier  pour  vous, 
ni  même  à  penser  à  vous.  Soyez  Lui  le  plus  longtemps 
que  vous  le  pourrez.  Quelle  belle  mort  de  soi-même  ! 


XVII 

Ma  chère  fille, 

Une  grâce  temporelle  est  un  bienfait  et  un  témoignage 
île  la  bonté  divine.  Dieu,  que  vous  vous  efforcez  de  ser- 
vir parfaitement,  vous  montre  parfois  qu'il  vous  écoute. 
Très  souvent,  hélas!  ce  même  amour  le  force  à  ne  nous 


—  194  — 

point  exaucer  :  la  grâce  de  la  résignation  n'est  pas  une 
moindre  faveur. 

Vivez  dans  l'abandon;  vous  avez  besoin  de  cette  dispo- 
sition, et  vous  ne  seriez  pas  ce  que  vous  devez  être  si 
elle  vous  manquait,  même  passagèrement.  L'abandon  est 
sagesse,  puisque  Dieu  veille.  Il  est  amour  puisque  ce  Dieu 
est  père.  L'abandon  permet  la  prière  intime,  le  soin 
raisonnable  des  choses,  la  douceur  constante  et  le  rayon- 
nement de  la  joie  divine.  Mais  tous  ces  biens  sont  à  la 
merci  de  nos  impressions. 

Prenons  la  vie  comme  elle  est,  c'est-à-dire  comme  un 
temps  de  voyage  où  l'on  s'accommode  de  ce  qu'on  ren- 
contre et  surtout  comme  un  temps  de  mérite  où  l'on  doit 
chercher  en  toute  chose  ce  qu'elle  contient  de  divin  pour 
se  l'assimiler. 


XVIII 


Ma  chère  fille, 


Vous  trouverez  dans  l'exercice  de  la  vie  intérieure 
tous  les  secours  pour  arriver  à  la  perfection  et  tous  les 
moyens  pour  faire  du  bien,  dès  que  les  circonstances  le 
permettront.  C'est  une  vie  et  un  avenir  pour  vous. 

Que  la  nature  parfois  mette  ses  traverses,  ses  répugnan- 
ces instinctives,  c'est  ce  à  quoi  il  faut  s'attendre.  Que 
Dieu  ne  donne  pas  constamment  l'amour  sensible,  c'est 
la  règle  ordinaire  en  ce  monde  où  l'épreuve  fait  le  fond 
de  notre  vie  et  notre  perfectionnement.  Ce  n'est  pas  à 
nous  de  conjecturer  à  quel  degré  de  perfection  nous 
pouvons  arriver  et  à  nous  dire  :  je  n'arriverai  pas  là! 
comme  si  c'était  une  œuvre  qui  dépendît  de  nous  et  de 
nos  dispositions.  Dieu  se  plaît  à  élever  les  âmes  faibles, 
craintives,  si  elles  sont  belles,  confiantes  et  dociles.  Il 
n'a  pas  besoin,  souvent,  de  nos  ressources,  et,  avant  de 
nous  élever,  il  nous  fait  constater  et  sentir  le  peu  que 
nous  pouvons.  C'est  son  œuvre  actuelle  auprès  de  vous. 
—  Devenez  donc  humble  à  fond,  et  à  mesure  que  vous 
découvrez  des  impuissances  et  des  improbabilités,  exer- 


—  195  — 

rcz  votre  confiance  et  décidez  Dieu  par  vos  prières  filia- 
les. Quand  il  s'y  mettra,  il  aura  bientôt  fait  de  vous 
débarrasser  de  vos  imperfections  et  des  obstacles. 

Qu'il  vous  veuille  à  Lui,  ou  dans  l'intimité,  ou  dans  le 
combat,  ou  dans  le  zèle,  peu  importe  !  L'essentiel  c'est 
d'être  à  Lui  et  de  vivre  pour  Lui. 

Tendons  à  tout  ce  que  le  jour  présent  nous  permet  de 
faire  le  mieux.  En  ce  moment,  c'est  la  vie  intime  qui 
est  possible;  assurez-la,  et  exercez-la.  Si  la  sécheresse 
vient,  continuez  quand  même,  et  pleurez  un  peu  aux 
pieds  de  Jésus,  mais  relevez-vous  toujours  pleine  de 
résignation  et  de  courage.  Ne  nous  comptons  pour  rien, 
ni  nous,  ni  nos  goûts,  ni  nos  peines;  enfermons  notre 
ambition,  comme  notre  activité,  dans  ce  qui  plaît  à  Dieu 
à  chaque  moment.  Moins  nous  penserons  à  nous,  même 
dans  le  but  de  nous  améliorer,  mieux  cela  vaudra,  parce 
qu'à  la  place  nous  penserons  à  Dieu. 

XIX 

Ma  chère  fille, 

Je  vous  sais  toute  à  Dieu,  incapable  de  lui  rien  refuser. 
J'espère  que  l'avenir  vous  montrera  de  nouvelles  géné- 
rosités à  avoir  et  de  nouvelles  délicatesses  d'amour  envers 
Lui.  Ne  devançons  pas  son  heure,  mais  préparons-la.  De 
deux  personnes  qui  ne  refusent  rien  à  Dieu,  il  y  en  a 
souvent  une  qui  lui  donne  beaucoup  plus,  car  elle  sait 
plus. 

La  vie  intérieure,  la  fidélité,  l'exercice  de  la  confiance 
et  de  l'abandon  disposent  à  mieux  voir.  Ne  vous  laissez 
pas  trop  occuper  des  soucis  de  l'avenir,  et  dégagez-vous 
de  vous-même.  Que  Dieu  prenne  une  place  de  plus  en 
plus  grande  dans  vos  pensées.  En  toutes  choses,  au  lieu 
de  vous  demander  ce  qui  vous  sera  bon,  demandez-vous 
ce  qui  plaira  davantage  à  Dieu  et  qui  pourra  lui  procu- 
rer plus  de  gloire;  votre  bien  et  sa  gloire  se  confondent 
toujours,  mais  vous  ne  vous  serez  pas  cherchée  vous- 
même,  et,  dans  la  paix,  vous  aurez  une  plus  grande  paix- 


—  196  — 


XX 


Ma  chère   fille, 


Je  remercie  le  divin  Maître  de  la  lumière  si  nette  qu'il  a 
fait  briller  enfin  à  vos  regards.  Ce  n'était  pas  sans  faire 
effort  à  son  cœur  qu'il  vous  laissait  ainsi  désolée,  mais 
il  nous  aime  pour  notre  vrai  bien,  pour  le  mérite  éternel, 
pour  l'union  définitive  dont  la  souffrance  est  l'ordinaire 
condition. 

Que  cette  Providence  manifeste  vous  rende  à  l'avenir 
plus  calme  et  plus  confiante.  Pensez  à  saint  Pierre,  appelé 
de  la  barque  à  marcher  sur  les  eaux.  Il  y  marche,  mais 
voilà  que  soudain,  malgré  la  parole  du  Maître,  il  prend 
peur,  et  aussitôt  cesse  l'effet  de  la  protection  dont  il  a 
douté.  Comme  nous  ressemblons  à  saint  Pierre  dans  sa 
crainte  !  Nous  craignons  tout  et  dans  le  présent  et  dans 
l'avenir.  Nous  voudrions  que  tout  fût  clair  et  assuré 
devant  nous,  tout  bien  solide  sous  nos  pieds,  mais,  à 
tout  moment,  ne  peut  que  surgir  ce  qui  arrive  toujours... 
l'imprévu. 

Réglez  sagement  le  présent;  prévoyez  en  paix  l'avenir 
pour  y  faire  face;  et  puis,  votre  rôle  terminé,  rentrez 
dans  le  repos,  laissant  à  Dieu  le  rôle  qui  lui  appartient. 
S'il  survient  des  traverses  et  des  sujets  de  crainte,  recom- 
mencez, mais  toujours  en  paix,  et  ne  soyez  pas  trop 
regardante  aux  choses  qui  ne  dépendent  pas  de  vous. 

La  confiance  est  un  devoir  comme  la  paix,  car  notre 
devoir  est  d'aimer  Dieu,  et  seule  cette  disposition  nous  en^ 
laisse  la  liberté.  Vous  seriez  bien  avancée  si  pour  faire 
trop  d'efforts  humains  vous  perdiez  votre  union  à  Dieu, 
sans  atteindre,  hélas  !  le  succès  humain  que  cherchait 
votre  activité.  Laissons  l'avenir  à  Celui  qui  seul  le  con- 
naît et  le  prépare.  Plus  vous  vous  ferez  libre  au  dedans, 
plus  vous  jouirez  de  la  paix  intérieure  qui  fera  le  bonheur 
de  votre  vie,  en  attendant  la  paix  et  le  bonheur  du 'Ciel. 

Vivez  pour  Notre-Seigneur,  pour  que  Notre-Seigneur 
vive  en  vous. 


—  197 


XX 


Ma  chère  fille, 


Votre  besoin  continuel  est  de  ramener  votre  confiance 
et  par  là  votre  entrain.  Ce  que  Dieu  vous  demande  sur- 
tout, c'est  d'être  aimé  de  vous  d'une  façon  tendre  et  pré- 
venante. Vous  êtes  l'enfant  qu'il  garde  près  de  Lui  sans 
l'occuper  au  dehors,  dont  le  rôle  est  de  ne  jamais  se  tenir 
oublieuse  et  froide  :  elle  est  l'enfant  qui  fait  la  joie  de  son 
Père  et  sa  consolation. 

Prenez  patiemment  les  déceptions  qui  vous  viennent  des 
personnes  chères;  ne  vous  détachez  pas  d'elles  et  soyez 
indulgente;  la  bonté  regagne  toujours  quelque  chose  de 
ce  qu'on  lui  a  enlevé.  Ne  soyez  pas  triste  au  milieu  de 
choses  tristes,  car  votre  joie  est  en-haut  !  Ne  prévoyez 
pas  de  trop  loin;  à  chaque  jour  sa  peine,  et  la  plupart  de 
vos  craintes  ne  se  réalisent  pas  et  vous  ont  occupée  et 
troublée  inutilement.  Enfermez-vous  dans  le  culte  de  la 
volonté  de  Dieu  pour  le  jour  présent.  Si  vous  trouvez 
quelque  âme  à  qui  vous  puissiez  parler  de  Dieu  et  don- 
ner quelque  chose  de  Jésus,  faites-le. 


XXII 


Ma  chère  fille, 


J'aimerais  mieux  vous  savoir  bien  portante,  parcou- 
rant votre  journée  saintement  et  activement  à  partir 
de  la  messe  et  de  la  communion  du  matin  jusqu'à  l'heure 
du  coucher;  mais  des  journées  de  névralgie  sont  si  en- 
nuyeuses, parfois  si  dures,  qu'elles  doivent  être  plus  saintes 
encore  que  les  journées  de  santé.  Il  est  vrai,  durant  ces 
périodes  d'accablement,  le  cœur  ne  sait  rien  dire;  le 
mérite  ne  consiste  pas  dans  le  sentiment  et  son  expres- 
sion, mais  bien  dans  l'élévation  et  la  force  du  vouloir. 
L'intention  vraie  forme  toute  l'action  morale.  Le  senti- 


—  198  — 

ment  lui  ajoute  un  charme  spécial,  comme  le  coloris  à 
la  gravure,  mais  sans  y  ajouter  un  trait.  Il  y  a  de  simples 
gravures  qui,  pour  les  connaisseurs,  valent  plus  que  cer- 
tains tableaux  de  peinture.  Si  Dieu  ne  vous  commande 
en  ce  moment  que  des  travaux  de  gravure,  affermissez 
votre  main  pour  que  le  trait  soit  net;  appliquez  bien  votre 
attention  pour  que  chaque  détail  soit  parfaitement 
fouillé;  mais  comme  tout  cela  est  fatigant,  permettez- 
vous  de  ces  fréquents  repos  pendant  lesquels  vous  ne 
cessez  d'être  agréable  à  Dieu;  vous  vous  reposez  pour 
son  meilleur  service  !  Je"parle  de  ce  repos  qui  exclut  la 
contention,  l'effort  même  de  la  pensée.  Il  n'empêche  pas 
un  certain  sentiment  du  voisinage  de  Dieu  et  donne  une 
vraie  joie  d'être  à  Lui,  du  moins  un  vrai  repos. 

Habituez-vous  à  ne  rien  préférer  pour  les  états  qui  se 
succèdent,  mais  à  les  aimer  tous  et  à  vous  faire  contente 
,fle  tous.  Agir  ainsi,  c'est  d'abord  être  juste  à  l'égard  de 
Dieu.  Soyons-le  dès  maintenant  avec  mérite,  car  nous  ne 
voyons  pas.  N'attendons  pas  le  jour  où  il  nous  sera  mon- 
tré clairement  que  c'était  notre  meilleur  bien.  Agir  ains:, 
c'est  s'affermir  et  ne  plus  dépendre  de  ce  qui  est  chan- 
geant. Tous  nos  goûts  ont  beau  être  broyés,  tous  nos  sen- 
timents paraissent  éteints...  rien  n'est  changé  ni  dans  nos 
sentiments  vrais,  ni  dans  le  sentiment  de  Dieu.  Des  épreu- 
ves supportées  de  la  sorte  résulte  un  accroissement  de 
paix  et  de  vigueur,  quelquefois  une  douce  consolation, 
vous  le  savez  par  expérience,  n'est-ce  pas? 


XXIII 


Ma  chère  fille, 


Je  suis  très  content  des  dispositions  présentes.  Vous 
avez  su  regarder  les  choses  à  un  point  de  vue  moins  per- 
sonnel qu'autrefois,  et,  au  lieu  de  ressentir  du  trouble, 
vous  voilà  toute  dilatée.  Ne  sortez  pas  de  cette  voie  qui 
est  la  plus  favorable  au  progrès.  Que  vos  imperfections  et 
vos  froideurs  ne  vous  troublent  pas.  Quand  on  se  donne  à 


—  199  — 

Dieu  sincèrement,  Il  nous  prend  tels  que  nous  sommes, 
sauf  à  nous  améliorer  en  temps  et  lieu,  et  il  nous  aime 
tels  quels.  Or,  pourvu  que  nous  soyons  aimés  de  Lui, 
qu'importe  notre  valeur  personnelle?  La  valeur  que  nous 
aurons  viendra  de  Lui.  Pensez  souvent  à  ceci  :  Dieu  a 
continuellement  une  pensée  sur  nous.  Si  nous  la  saisis- 
sons et  si  nous  la  réalisons,  nous  arriverons  à  la  vraie 
perfection,  à  la  nôtre,  à  celle  pour  laquelle  nous  avons 
reçu  aptitude,  attrait  et  position.  Connaître  la  pensée 
de  Dieu  demande  le  recueillement  et  l'acuité  du  désir. 
La  réaliser  demande  un  grand  oubli  de  soi;  car  la  préoccu- 
pation personnelle  détourne  et  affaiblit.  Que  tout  notre 
mouvement  de  piété  se  fasse  dans  la  paix  et  la  con- 
fiance !... 

Continuez  à  vivre  de  Dieu  et  de  ce  que  Dieu  vous 
donne  :  tout  est  là.  Restez  bien  en  paix.  Ayez  le  désir  de 
plaire  à  Dieu  en  toutes  choses  et  à  tous  moments. 

Mettez  votre  vie  dans  l'union  à  Dieu;  vivez  d'admi- 
ration, de  désirs  généreux.  Prenez  conscience  de  l'action 
de  Dieu  en  vous  et  de  celle  de  Notre-Seigneur  qui  s'y 
unit  pour  vous  diviniser  suavement.  Que  la  paix  et  le 
désir  ne  quittent  pas  vos  sentiments. 


XXIV 


Ma  chère  fille, 


...  Vivre  de  résignation  est  un  régime  qui  fait  maigrir, 
et  je  veux  que  vous  ayez  des  forces  pour  servir  Dieu 
joyeusement  et  vous  préparer  à  être  utile  aux  âmes 
quand  le  moment  sera  venu.  Toute  âme  a  un  rôle  à  rem- 
plir. Celui  de  prier,  de  consoler  Dieu,  d'attirer  les  misé- 
ricordes et  les  grâces,  n'a  rien  d'apparent;  et  c'est  le  plus 
nécessaire  et  le  plus  fécond.  Peu  de  personnes  savent  s'en 
contenter  et  s'en  réjouir.  Parce  qu'on  ne  voit  pas  ce  qu'on 
fait,  il  semble  qu'on  ne  fait  rieu. 


—  200  — 


X  \  \ 


Ma  chère  fille, 

Quelle  bonne  lettre  vous  venez  de  m'écrire  !  Oh!  non, 
ce  n'est  pas  le  moment  de  vous  décourager  puisque  vous 
êtes  dans  une  plus  vive  lumière.  Savoir,  mieux  savoir, 
réconforte  les  âmes  droites,  alors  même  qu'il  s'agit  d'une 
lacune  constatée.  Peut-être  en  effet  n'étiez-vous  pas 
encore  assez  désoccupée  de  vous-même;  j'écrivais  déta- 
chée, j'ai  corrigé,  car  je  ne  vous  vois  pas  précisément 
attachée  à  vous-même,  plutôt  occupée,  ce  qu^n'est  pas 
un  vice,  mais  une  petite  faiblesse  tout  involontaire. 
Remerciez  Dieu  de  vous  l'avoir  fait  toucher  du  doigt,  et 
reconnaissez  dans  les  moyens  qu'il  a  employés  et  qui  vous 
déplaisaient  un  peu,  sa  bonne  Providence  qui  ne  nous  fait 
quelque  mal  que  pour  arriver  à  nous  faire  du  bien. 

Votre  objectif  est  donc  fixé  :  vous  désoccuper  de  vous- 
même.  Le  moyen  sera  de  vous  occuper  ailleurs  (je  dis, 
votre  cœur,  votre  âme,  votre  pensée).  Dieu  en  sera  le  pre- 
mier objet;  vous  deviendrez  plus  tendre,  plus  filiale  dans 
vos  rapports  avec  Lui.  Vous  lui  parlerez  de  Lui  et  de 
ses  intérêts.  Vous  regarderez  tellement  Notre-Seigneur 
que  vous  finirez  par  ne  vivre  que  de  Lui,  employant  à 
cette  affection  la  plus  grande  partie  de  ce  cœur  que  vous 
avez  senti  battre  plus  fort  à  l'occasion  d'une  amitié 
humaine. 

Le  second  objet  sera  le  prochain,  et  d'abord  te  plus 
prochain,  votre  famille,  vos  amies,  puis  les  affligés,  les 
pauvres.  Vous  augmenterez  encore,  avec  tous,  vos  préve- 
nances, cherchant  d'avance  des  occasions  et  des  paroles; 
dans  la  conversation  vous  aurez  cette  idée  dominante  : 
de  quoi  telle  personne  aime-t-elle  à  parler?  Faire  parler 
est  art  et  charité.  Peu  à  peu  vous  vous  résoudrez  à  être 
plus  démonstrative  dans  vos  affections,  ayant  soin  de 
voir,  entre  la  personne  et  vous,  Notre-Seigneur,  à  qui 
cela  s'adresse  surtout.  Avec  cela,  vous  pourrez  aller  loin 
sans  excéder  et  sans  mentir. 


—  201   — 

Vous  surveillerez  la  physionomie,  vous  imposant  de 
plaire  d'une  façon  élevée. 

Voilà  bien  des  recommandations,  n'est-ce  pas?  Vous 
voyez  que  je  vous  crois  une  grande  bonne  volonté  et 
docilité  pour  que  je  vous  taille  tant  de  besogne. 

Il  faut  nous  hâter,  car  nous  posséderons  Dieu  en  pro- 
portion de  la  largeur  de  nos  sentiments  et  de  nos  mérites. 


XXVI 


Ma  chère  fille, 


Quel  pitoyable  retour  que  le  vôtre  et  quelle  bonne 
épreuve  pour  votre  formation  !  Il  faut  apprendre  à  se 
sanctifier  par  tous  les  chemins  et  par  tous  les  temps. 
La  manière  seule  change.  Celle  d'aujourd'hui  comporte 
beaucoup  de  résignation  donnant  une  grande  tranquil- 
lité de  pensées  et  de  désirs  même.  Laissez  s'accomplir  la 
volonté  de  Dieu,  c'est  la  grande  ressource  des  moments 
où  nous  ne  serions  capables  d'aucun  sentiment  bien  net  : 
nous  la  voyons,  non  d'avance,  nous  disons  de  temps 
en  temps  :  merci,  surtout  quand  nous  aurions  raison  de 
nous  plaindre.  Cette  union  contient  implicitement  tous 
les  sentiments  qui  sont  au  fond  les  vôtres,  mais  que  nous 
ne  distinguons  plus,  ce  qui  nous  laisse  froids. 

Par  exemple,  si  vous  avgz  pu  conserver  l'exercice  de 
vos  résolutions,  ce  sera  merveille.  Etre  aimable  quand 
on  est  ennuyé  et  qu'on  souffre,  c'est  tout  à  fait  surnatu- 
rel. Quels  progrès  ne  fait-on  pas  alors!  J'avoue  que 
parfois  cette  exécution  en  devient  impossible  tant  on 
est  remué  par  tout  cet  accablement.  Dans  ces  cas-là  on 
dira  à  Dieu  :  je' voudrais  mieux  faire,  je  ne  peux  pas, 
mais  quand  j'irai  mieux,  vous  savez!...  Et  en  effet, 
comme  on  n'a  pas  perdu  de  vue  ses  résolutions,  on  pro- 
fite de  ces  premiers  moments  de  liberté  nouvelle  pour 
les  mettre  à  exécution. 

Mettez  beaucoup  de  tendresse  dans  votre  cœur  pour 
Dieu  d'abord,  puis  pour  les  personnes  qui  vous  entourent. 


—  202  — 

Lui  vous  aidera.  En  second  lieu,  aimez  à  regarder  les  qua- 
lités ou  les  services  des  personnes;  puis  songez  qu'en  les 
entourant  d'affection,  vous  ferez  plaisir  à  Celui  pour  qui 
vous  vivez.  Cherchez  à  discerner,  dans  le  recueillement, 
le  visage  de  votre  divin  Maître.  De  cette  vue  portez 
partout  le  souvenir.  Tout  vous  deviendrait  facile  et,  en 
même  temps,  vous  entreriez  dans  une  vie  intérieure  très 
douce  probablement,  et  à  coup  sûr  très  sanctifiante  : 
nous  valons  en  raison  de  notre  degré  d'union  avec  Jésus. 


XXVII 


Ma  chère  fille, 


Voilà  une  bonne  lettre  et  une  bonne  nouvelle.  Vous 
êtes  en  pleine  paix,  votre  cœur  se  développe  du  côté  du 
ciel  et  votre  santé  vous  permet  de  vivre  en  réelle  chré- 
tienne. Votre  voie  est  toute  tracée  :  vous  n'avez  qu'à 
chercher  Dieu.  S'il  veut  de  vous  quelques  services,  il  vous 
le  dira  au  moment.  Vous  êtes  comme  une  personne  tou- 
jours prête  qu'il  suffit  d'appeler.  Vous  avez  constaté  ce 
fait  que  l'on,  peut  beaucoup  physiquement  quand  on  se 
dévoue.  Dans  le  doute,  il  faut  se  lancer. 

Je  vois  que  vous  n'oubliez  pas  la  grande  nécessité  de 
votre  avancement  :  l'oubli  de  vous-même.  Pour  bien 
s'oublier,  il  faut  se  bien  occuper  de  Dieu  et  des  autres. 
Ayez  un  parti  pris,  cette  idée  fixe,  et  comme  disaient  les 
Romains  :  «  Delenda  Carthago  ».  Quand  vous  vous  sur- 
prenez à  trop  penser  à  vous,  de  quelque  façon  que  ce 
soit,  faites- vous  violence  pour  vous  arracher  de  là;  expri- 
mez à  Dieu  votre  regret,  et  jetez-vous  dans  un  recueille- 
ment plus  profond  qui  rende  plus  lucide  votre  regard 
tourné  en  haut.  Exercez-vous  aussi  à  vous  occuper  des 
autres  en  détail  et  à  vous  intéresser  à  ce  qui  les  inté- 
resse, parce  que  cela  les  intéresse. 


—  203 


XXVIII 


Ma  chère  fille, 

J'espère  qu'un  mot  d'encouragement  ne  sera  pas  sans 
bon  résultat  :  on  marchait  bien,  mais  on  marchera  mieux 
encore.  Tout  ce  que  vous  me  dites  de  votre  situation 
morale  me  plaît  beaucoup  :  vous  vous  occupez  de  Dieu 
et  de  ses  œuvres;  vous  vous  dégagez  de  vous-même,  vous 
cherchez  à  vous  rendre  aimable  à  tous  pour  plaire  à  Jésus 
qui  vous  regarde  sans  cesse.  C'est  ainsi  qu'il  faut  vivre, 
car  cela  c'est  vivre.  Vous  faites  croître  votre  être  divinisé, 
vous  étendez  ses  horizons,  vous  l'unissez  plus  pleine- 
ment à  Dieu,  le  principe  de  cette  vie. 

Il  y  a  une  telle  disproportion  entre  ce  qui  est  et  ce  qui 
paraît,  que  l'on  a  besoin,  pour  bien  distinguer  les  choses, 
de  les  considérer  longuement  et  à  travers  l'obscurité. 
Vous  avez  fait  ce  travail  pour  votre  âme,  il  vous  reste  à 
le  faire  pour  l'âme  des  autres.  Ce  vous  sera  facile,  parce 
que  vous  n'avez  qu'à  transporter  sur  le  prochain  ce  qui 
vous  concerne  de  vos  propres  richesses  et  d'y  lire  tes 
traits  de  Jésus.  Le  bien  que  vous  vous  voulez  à  vous- 
même,  si  vous  le  désirez  en  vue  du  contentement  de  Jésus, 
vous  devez  le  désirer  vivement  aussi  pour  les  autres.  Son- 
gez au  plaisir  que  vous  lui  faites  lorsque  vous  le  faites  con- 
naître à  une  petite  âme  dont  il  veut  être  connu;  lorsque 
vous  embellissez  cette  âme  pour  qu'elle  lui  plaise  davan- 
tage. Si  cela  vous  coûte  parfois,  et  si  l'insuccès  ou  l'in- 
gratitude vous  récompensent,  songez  que  toute  la  récom- 
pense vous  viendra  de  Lui;  et  qu'elle  comprendra  et  la 
sienne  et  celle  qu'il  vous  doit  pour  les  autres.  Là,  non 
plus,  ne  vous  recherchez  pas,  voyez  Jésus,  servez-le  et 
faites-le  toujours  avec  tout  l'amour  que  vous  avez  pour 
sa  personne.  Voyez  peu  les  défauts  qui  déparent,  si 
ce  n'est  quand  vous  avez  à  les  faire  disparaître.  Vivant 
pour  plusieurs  âmes,  vous  vivrez  bien  davantage. 


—  204  — 


XXIX 


Ma  chère  fille, 

Enfin  je  puis  me  donner  la  satisfaction  de  vous  écrire  ! 
J'ai  souffert  de  ne  pouvoir  le  faire  plus  tôt,  mais  j'ai  si 
peu  d'heures  où  je  puisse  travailler,  et  ces  rares  moments 
je  les  consacre  à  finir  mon  second  volume  de  messes. 
J'espère  qu'il  vous  apportera  vers  Pâques  quelques 
lumières  et  quelques  encouragements.  J'ai  quatre  messes 
sur  le  Sacré-Cœur  où  je  traite  la  question  à  fond. 

Maintenant  que  vous  avez  l'âme  libre,  vous  pourrez 
vous  occuper  de  Lui  avec  ce  soin  et  ce  goût  que  l'on  n'a 
pas  quand  on  est  trop  occupé  de  soi-même.  Quand  une 
occasion  se  présentera,  saisissez-la  avec  bonheur  sans 
vous  inquiéter  des  petites  difficultés  qui  se  trouvent  en 
toutes  choses;  gardez  une  grande  sérénité  en  dépit  des 
insuccès  ou  des  blâmes;  en  faisant  ce  que  Dieu  vous 
demande,  vous  faites  une  chose  parfaite*  quel  qu'en  soit 
le  résultat.  Souvent  Dieu  se  contente  de  la  vertu  que 
nous  avons  déployée. 

Heureusement,  Dieu  ne  demande  à  chaque  âme  que 
sa  part  d'action,  et  laisse  parfois  notre  action  sans  effet 
apparent;  mais  comme  tout  se  tient  dans  son  plan,  le 
mérite  de  notre  obéissance  et  de  ce  courage  ira  féconder 
ailleurs  son  action,  peut-être  accomplie  dans  des  vues 
personnelles.  Songez  donc  à  être  aussi  parfaite  que  pos- 
sible pour  donner  à  Dieu  et  au  bien  la  coopération  la 
plus  efficace.  Pour  cela,  cultivez  la  vie  intérieure;  avi- 
vez-la par  de  vives  expressions  de  vos  sentiments  et  de 
vos  désirs.  Pour  cela  encore,  montrez-vous  toujours 
bienveillante,  affable,  cherchant  à  ce  que  chacun  se 
retire  content  d'auprès  de  vous.  Ce  résultat  s'obtient 
généralement  à  peu  de  frais,  car  ce  qui  intéresse  les  gens 
c'est  ordinairement  moins  ce  que  nous  disons  que  ce  que 
nous  savons  leur  faire  dire.  Là  encore,  effaçons  notre 
personnalité. 

Je    n'ai  vu    qu'une    fois  J.  Nous   n'avons   pu    causer 


—  205  — 

longuement,  j'ai  pourtant  constaté  bien  des  préoccupa- 
tions du  côté  de  la  foi,  et  je  le  comprends  sans  peiue. 
Nous  sommes  dans  une  période  mauvaise,  et  tout  ce  qui 
n'est  pas  très  fort  en  subit  la  dépression.  Soyez  pour  cette 
âme  le  Moïse  de  la  montagne. 


XXX 

Ma  clière  fille, 

La  vie  continue  à  s'écouler  pour  vous  au  milieu  des 
désagréments  et  des  transes.  Dieu  ne  vous  envoie  pas 
de  ces  énormes  peines  qui  écrasent,  il  se  contente  de  vous 
exercer  dans  la  patience,  le  désintéressement,  la  rési- 
gnation de  tous  les  instants.  Qu'importe  !  N'est-ce  pas 
la  manière  dont  il  veut  vous  sanctifier?  c'est  le  meil- 
leur pour  vous.  Nous  devons  donc  l'aimer,  du  moins 
comme  on  aime  une  potion  amère  que  l'on  sait  bienfai- 
sante. Je  dis  :  du  moins,  car  il  y  a  mieux.  Je  connais  des 
âmes  qui  se  sentent  à  l'aise  dans  la  souffrance,  qui  en 
bénissent  Dieu  constamment.  Pourquoi?  Parce  qu'elles 
se  savent  plus  près  de  Jésus,  plus  conformes  à  sa  vie  de 
Rédempteur,  plus  chrétiennes  en  ifn  mot.  D'autres,  fort 
impressionnées  des  maux  actuels  de  l'Église,  ont  à  cœur 
d'offrir  à  Dieu  la  consolation  qu'il  veut  bien  recevoir  de 
l'aide  dont  il  daigne  avoir  besoin.  La  souffrance,  toute 
souffrance  envoyée  par  Lui  est  l'appel  au  devoir  et  à 
l'honneur.  Vous  savez  tout  cela.  Que  vous  manque-t-il? 
Peut-être  de  vous  trop  laisser  absorber  par  d'autres  pen- 
sées, de  sorte  que  celles-là,  quoique  vivantes,  sont 
engourdies. 

Écartez  donc  davantage  l'obsession  des  pensées  péni- 
bles; faites  place  aux  pensées  surnaturelles.  Que  le  soleil 
de  celles-là  brille  sur  votre  vie  et  la  ranime  !  Songez  sur- 
tout à  l'amour  que  Jésus  vous  porte.  Chez  lui  ce  n'est  pas 
un  sentiment  passager.  Il  persiste  nuit  et  jour  et  no 
s'affaiblit  jamais,  alors  même  que  nous  n'y  pensons  pas 
e-t  que  nous  sommes  indifférents  en  apparence.  Si  l'on 


—  206  — 

comprenait  bien  ce  que  vaut  cette  affection  intime, 
qui  sait  tout  sur  nous  et  qui  s'intéresse  aux  moindres 
choses,  on  en  vivrait  !  Qu'elle  soit  votre  refuge,  qu'elle 
devienne  votre  bonheur  ! 

Courage,  toujours!  Prendre  un  point  d'appui  dans  un 
grand  amour  très  intime  pour  Jésus. 


XXXI 


Ma  chère  fille, 


Combien  je  vous  plains  de  toutes  les  tristesses  qui 
poursuivent  votre  vie  !  Que  de  points  sombres  !  Mais 
vous  savez  quel  est  le  vrai  but  de  la  vie  :  faire  des  mois- 
sons. Aimez  à  ce  qu'elles  soient  abondantes  et  pour  vous 
et  pour  les  personnes  que  vous  aimez.  Votre  frère,  comme 
votre  sœur,  souffrent  en  chrétiens.  Il  n'y  a  de  vraiment 
tristes  que  les  souffrances  qu'on  sait  perdues,  comme  il 
arrive  à  ces  pauvres  gens  qui  ne  connaissent  pas  Dieu. 
Efforcez- vous  d'aimer  toute  souffrance  en  la  regardant 
comme  une  marraine  qui  enrichit,  ou  mieux  comme 
une  occasion  de  faire  plaisir  à  Jésus  qu'on  aime. 

Je  connais  une  personne  qui  souffre  beaucoup  et  ne 
quitte  pas  le  lit.  On  lui  disait  :  Vous  seriez  bien  contente 
d'aller  au  Ciel?  —  Oh!  non,  répondit-elle,  pas  encore; 
Jésus  souffre  trop  en  ce  moment,  il  faut  bien  qu'on  reste 
pour  le  consoler.  Cela  me  touche  profondément;  faites- 
en  votre  profit. 


XXXII 


Ma  chère  fille, 


Je  comprends  très  bien  l'état  où  vous  a  mise  cette 
semaine  de  préoccupations  qui,  de  prime  abord,  semblent 
insolubles,  et  je  vous  assure  que  Dieu  n'a  pas  été  offensé 
de  vos  troubles  tout  à  fait  involontaires,  ut  au  fond  très 
résignés.  C'est  même  très  beau  que  vous  ayez  pris  le  des- 


—  207  — 

sus,  et  que  vous  vous  trouviez  fortement  unie  à  sa  volonté 
quelle  qu'elle  puisse  être;  mais  je' suis  persuadé  qu'elle 
ne  vous  conduira  pas  à  l'extrémité  de  vos  craintes,  loin 
de  là.  Beaucoup  de  choses  s'atténuent  ou  changent  ! 
Rien  n'est  donc  désespéré  !  Offrez  à  Dieu  votre  accep- 
tation sans  réserve  et  aussi  sans  frayeur;  ne  surchargez 
pas  le  présent  des  prévisions  de  l'avenir.  J'ai  souvent 
remarqué  que  ce  qu'on  craint  n'arrive  pas,  et  que  de 
peines  imprévues  surgissent  tout  à  coup  !  En  ce  monde, 
nous  ne  pouvons  fixer  notre  repos  que  dans  un  parfait 
abandon  à  Dieu.  Cet  abandon  nous  rapproche  de  Lui 
intimement  et  nous  permet  aussi  de  mieux  juger  les 
choses. 

Offrez  vos  souffrances  pour  l'Eglise.  Je  connais  de 
1  telles  âmes  qui  ont  demandé  d'être  traitées  en  victimes... 
et  qui  l'ont  largement  obtenu.  N'allez  pas  au  devanl, 
mais  ne  reculez  pas.  Acceptez  tout  le  bon  plaisir  de  Dieu 
sur  vous  et  sur  les  vôtres. 


XXXIII 

Ma  chère  fille, 

Vous  m'envoyez  des  fleurs  et  vous  m'apportez  vos 
peines  !  Je  reçois  les  unes  et  les  autres  avec  le  même- 
cœur,  mais  non  point  avec  les  mêmes  sentiments.  Vos 
fleurs  et  vos  peines  cependant  orneront  demain  l'autel 
où  je  les  déposerai  les  unes  et  les  autres,  et  il  faut  que 
toutes  ensemble  elles  fassent  monter  vers  le  ciel  des  par- 
fums. Les  plus  précieux  seront  ceux  de  votre  pauvre 
cœur  brisé,   mais  ulialement  content. 

Vous  dites  bien  :  il  y  a  des  circonstances  qui  demandent 
l'héroïsme.  Eh  !  pourquoi  Dieu  ne  vous  le  demanderait- 
il  pas,  à  vous  qui  le  connaissez  mieux  que  la  plupart  des 
âmes?  à  vous  qu'il  aime  particulièrement?  Qu'impor- 
tent les  bouleversements  dans  nos  projets,  les  misères 
de  santé,  les  craintes  de  l'avenir?  Ne  voulons-nous  pas 
répéter  les  paroles  de  saint  Paul  :  «  Qui  me  séparera  de 

il 


~  208  — 

la  charité  du  Christ?  »...  Est-ce  que  la  vie  présente  est 
notre  vie?  Elle  n'en  est  que  la  courte  et  triste  préface; 
elle  en  est  surtout  la  pourvoyeuse  bienfaisante  I 

Voyez  donc  la  main  de  Dieu  plus  que  ce  qu'elle  impose; 
ayez  cette  confiance  quand  même  qui  est  la  seule  vraie 
confiance.  N'exigez  point  tels  et  tels  résultats;  compte* 
sur  les  résultats  de  la  fin,  car  ce  sont  les  seuls  qui  impor- 
tent. 

Cette  confiance  ne  vous  empêche  pas  d'agir;  au  con- 
traire, elle  vous  laissera  plus  de  clarté  dans  l'esprit,  plus 
de  puissance  pour  soutenir  les  autres  et  les  encourager. 
Vous"serez  moins  vous-même  et  vous  serez  plus  l'épouse 
de  Jésus. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  déception  dont  vous  me  parlez, 
servez- vous-en  pour  vous  serrer  plus  près  de  Celui  qui  ne 
trompe  jamais.  Soyez  indulgente  pour  ces  pauvres  cœurs 
qui  vous  délaissent.  Gardez  la  paix  !  Aimez  quand 
même  !  * 


XXXIV 


Ma  chère  fille, 


Seriez- vous  sous  le  poids  du  découragement?  Feriez- 
vous  cette  peine  au  divin  Maître  de  ne  vous  confier  à  lui 
que  d'après  les  résultats  ou  les  espérances?  Lui  refuseriez- 
vous  de  partager  telle  ou  telle  de  ses  angoisses?  Non, 
assurément,  mais,  sans  refuser,  il  arrive  qu'on  accepte 
avec  une  sorte  de  torpeur,  soit  les  peines  présentes,  soit 
les  menaces  de  l'avenir.  Celles-là  surtout  désespèrent  les 
personnes  qui,  comme  vous,  aiment  à  voir  clair.  Où 
serait  alors  la  vraie  confiance,  celle  qui  plaît  à  Dieu,  celle 
qui  est  le  propre  d'un  cœur  filial? 

Je  sais  qu'à  force  de  souffrir,  les  nerfs  endoloris  entre- 
tiennent un  profond  malaise  et  que,  dans  cet  état,  on  ne 
voit  plus  rien  des  choses  de  Dieu;  mais  vous  savez  bien 
que  c'est  une  épreuve  passagère  pour  vous  faire  grandir. 
Quand  la  volonté  n'est  soutenue  que  par  elle-même  et 
la  main  cachée  de  Dieu,  elle  fait  des  actes  magnifiques 


—  20'.)  — 

en  répétant  ce  mot  divin  :  «  Fiat  voluntas.  tua!  »  Ce  mot 
suffit.  Il  ne  donne  pas  la  joie,  mais  la  paix.  On  ne  sent 
pas  qu'on  aime  Dieu,  mais  on  le  sait,  et  l'on  sait  aussi 
qu'en  aucune  autre  situation,  on  ne  saurait  être  plus  aimé 
de  Lui.  Tout  ici-bas  se  passe  plus  ou  moins  dans  les  ténè- 
bres. C'est  l'exil...  C'est  la  vallée  de  larmes... 


XXXV 

Ma  chère  fille, 

Élevons  un  peu  plus  haut  nos  regards.  Voyons  moins 
les  choses  que  la  volonté  de  Dieu  qui  les  dispose.  N'ou- 
blions pas  que  la  vie  est  une  chose  sacrifiée  pour  acqué- 
rir l'infini.  Laissons  aux  âmes  qui  n'en  sont  pas  pénétrées 
la  tristesse  amère  qui  se  plaint  et  la  fébrilité  qui  manque 
de  confiance.  Allez  encore  plus  avant,  et,  vous  unis- 
sant à  Jésus,  voyez  en  ces  épreuves  une  belle  occasion 
d'union  à  ses  souffrances,  de  mérite  et  d'expiation  pour 
les  autres.  Ne  vous  trouvez-vous  pas  encore  un  peu  trop... 
humaine?  L'âme  qui  ne  l'est  presque  plus  (car  on  l'est 
toujours  quelque  peu)  garde  une  paix  profonde,  accepte 
avec  confiance  et  amour  chaque  déception,  et  surtout 
ne  perd  rien  de  son  union  avec  Dieu.  Veillez  bien  à  tout 
cela,  car  vous  êtes  de  ces  âmes  à  qui  cette  perfection  est 
demandée.  Voulez-vous  que  je  condense  eh  un  seul  mot 
toufes  ces  dispositions  :  Aimez  tout  ce  qui  vous  est  imposé. 
Faites  une  bonne  fois  le  sacrifice  total  de  vos  satisfactions 
de  la  terre.  Vendez  ainsi  vos  biens,  et  suivez  le  divin 
Maître.  Ne  mérite-t-Il  pas  cette  confiance  et  ce  désinté- 
ressement? Vous  vivrez  plus  pour  Lui  et  au  fond  vous 
serez  plus  heureuse. 

Courage  !  Soyez  de  celles  qui  se  donnent  à  Dieu  sans 
réserve.  Celles-là  seules  sont  en  paix  imperturbable. 


—  210  — 


XXXVI 


Ma  chère  fille, 

Puisque  le  bon  Dieu  vous  envoie  continuellement  des 
épreuves,  c'est  un  signe  que  telle  est  bien  la  voie  dans 
laquelle  vous  devez  vous  sanctifier.  Or  cette  voie  demande 
une  ferme  confiance  en  Dieu,  aboutissant  à  un  abandon 
filial,  quoique  agissant.  Le.  danger  est  le  manque  de  paix 
et  l'arrêt  de  la  vie  intérieure.  Dans  son  plan,  Dieu  pré- 
voit de  nombreuses  défaillances.  Quand  donc  vous  vous 
êtes  un  peu  trop  laissée  aller  au  trouble  et  à  la  préoccu- 
pation, il  Je  voit  avec  indulgence  et  vous  attend  de  nou- 
veau. A  vous  de  vous  dégager  de  ce  qui  vous  retient  et 
de  revenir  à  Lui  avec  un  cœur  désireux  de  vous  occuper 
de  Lui  tout  entier. 

Le  sommet  de  la  voie  d'épreuves  est  l'amour  du  sacri- 
fice, de  l'offrande  de  soi  comme  victime  pour  la  répara- 
tion de  la  gloire  de  Dieu  et  l'expiation  pour  les  autres. 
Ne  frissonnez  pas  à  l'aspect  de  ces  austères  visages.  Cer- 
tains sentiments  que  l'on  ne  comprend  pas  à  certains 
moments  se  transfigurent  et  se  font  jour  quand  on  revient 
à  Dieu  et  qu'on  se  plonge  en  Lui.  Après  tout,  vous  n'êtes 
en  ce  monde  que  pour  devenir  grande  dans  le  Ciel,  et 
y  déployer  les  facultés  développées  durant  ce  long 
labeur.  Vos  ennuis  vous  paraîtront  bien  petits  quand 
vous  les  regarderez  dans  le  lointain  de  plusieurs  siècles. 
Et  surtout,  quand  vous  contemplerez  le  bien  infini  qui 
en  sera  la  récompense.  Courage  ! 


XXXVII 

Ma  chère  fille, 

Je  vous  écris  parce  que  vous  souffrez  et  que  votre  cou- 
rage, sans  être  abattu,  est  moins  vaillant.  Songez  donc 
que  tout  ce  dont  vous  vous  plaignez  arrive  pourtant  avec 


—  211   — 

la  permission  de  Dieu  et  vous  offre  de  belles  occasions  de 
mérite.  Il  faut  considérer  cela  plus  que  l'incertitude  du 
lendemain.  Ne  constatez-vous  pas  d'ailleurs  que  vous 
avez  pu  suffire  à  toutes  les  charges  du  passé?  Vous 
suffirez  également  à  celles  de  l'avenir.  Dieu  laisse  plonger 
le  baigneur  presque  jusqu'au  bord,  mais  il  est  là  pour 
l'empêcher  de  couler  à  fond. 

Quand  vous  m'avez  écrit,  vous  étiez  sous  l'impres- 
sion très  vive  de  vos  souffrances  physiques  et  des  nou- 
velles fâcheuses  que  vous  veniez  de  recevoir,  voilà  pour- 
quoi il  vous  semblait  que  personne  n'était  aussi  mal- 
heureux que  vous.  Ah!  que  j'en  connais  de  vies  autant 
brisées  que  la  vôtre  !  Que  je  connais  de  pauvres  âmes 
montant  un  plus  rude  Calvaire!  L'ajouterai-je?  J'en 
connais  qui  ne  font  que  bénir  Dieu,  se  confiant,  s'aban- 
donnant  à  Lui,  offrant  ce  qu'elles  souffrent  pour  adou- 
cir ce  que  souffrait  Jésus,  pour  jeter  dans  le  Calvaire  de 
la  justice  leur  mesure  d'expiation. 

Redevenez  plus  surnaturelle!  Je  ne  vous  ai  pas  trou- 
vée vous-même,  dans  votre  dernière  lettre. 

Mes  vœux  sont  dictés  par  les  circonstances  mêmes  où 
vous  vous  trouvez.  Ils  sont  :  que  Dieu  soit  votre  pensée 
première  et  dominante,  puis,  que  vous  soyez  plus  déta- 
chée et  plus  abandonnée.  Voilà  ce  que  demande  à  Dieu 
ma  grande  affection  pour  votre  âme. 


XXXVIII 

Ma  chère  fille, 

Vous  êtes,  ce  me  semble,  en  ce  moment  dans  une 
grande  paix  intérieure.  Vous  avez  toujours  bien  accepté 
votre  croix  avec  résignation,  souvent  avec  générosité. 
Votre  nature  n'a  pas  pu  suivre  le  même  élan;  elle  s'est 
traînée  souvent  à  la  suite,  elle  l'a  trahie  parfois,  mais 
vous  en  avez  tiré  l'occasion  d'une  confiance  très  méri- 
toire. Si  maintenant,  plus  expérimentée  et  plus  calme, 
vous  vous  trouvez  dans  les  mêmes  peines,  vous  pourrez 


—  212  — 

tendre  à  la  perfection,  qui  consiste  à  l<\s  aimer,  y  voyant 
[plus  la  volonté  de  Dieu  que  les  choses  pénibles.  Rien  ae 
favorise  cette  disposition  comme  une  vie  de  recueille- 
ment. 11  faut  donc  l'assurer  de  plus  en  plus  par  la  recher- 
che habituelle  du  regard  de  Jésus  sur  vous.  Il  faut  la  pro- 
téger contre  le  trouble  qu'apportent  les  vivacités  de 
caractère,  les  sensibilités  trop  vives  aux  procédés  péni- 
bles, et  surtout  les  inquiétudes  d'avenir  qui  vous  ont 
parfois  absorbée.  Dieu  pourvoira  à  tout,  mais  il  ne  faut 
pas  attendre  qu'il  vous  préserve  de  toute  affliction.  La 
position  des  vôtres  pourra  être  moins  élevée  :  qu'importa 
pour  le  Ciel!  Ne  demandons  que  le  nécessaire  ici-bas 
pour  ceux  que  nous  aimons,  et  l'assurance  de  leur  salut; 
Faites  du  bien  autour  de  vous  selon  les  circonstances. 
11  dépend  toujours  de  vous  de  vous  montrer  auprès  de 
tous  les  inférieurs  très  condescendante  et  aimable.  Vous 
ferez  aimer  en  vous  la  piété.  N'entrez  pas  dans  les  criti- 
ques sur  le  prochain. 


XXXIX 

Ma  chère  fille, 

Ne  vous  laissez  pas  aller  au  découragement.  Nous 
sommes  tous  entre  les  mains  de  Dieu.  Ce  ne  serait  pas 
confiant  que  de  toujours  s'inquiéter.  Aimons  ce  qu'il 
nous  donne  chaque  jour;  ne  prévoyons  pas  ce  que  nous 
aurons  à  supporter  le  lendemain.  Du  reste  sa  grâce  sera 
là.  Vous  ne  l'avez  pas  aujourd'hui  pour  demain. 

Ne  vous  irritez  pas,  ce  ne  serait  ni  bon,  ni  juste,  ni  utile. 
Cette  peine  vient  de  Dieu  comme  les  autres  et  peut  vous 
perfectionner  beaucoup  dans  les  qualités  de  bonté  et  de 
courage.  Maintenez  le  visage  calme,  c'est  un  rappel  et 
un  secours.  Offrez-vous  à  Dieu  plusieurs  fois  le  jour  et 
en  tout  abandon.  Offrez-vous  aussi  à  Notre-Seigneur 
pour  lui  permettre  d'employer  votre  mérite  au  salut  des 
âmes  et  à  la  consolation  de  son  cœur. 

Réconfortez  ceux  qui  vous  entourent.  Vous  êtes  celle 


—  21B— 

à  qui  Dieu  a  fait  le  plus  de  grâces.  Prenez  pour  eux  les 
sentiments  de  Jésus  pour  les  siens.  Soyez  pour  eux  ce  que 
vous  voulez  qu'on  soit,  pour  vous. 


XL 


Ma  chère  fille, 


Vous  avez  enfin  trouvé  Notre-Seigneur  !  Il  est  devenu 
votre  lumière,  votre  appui,  votre  espérance,  votre  idéal, 
votre  vie  !  Vous  ne  découvrirez  pas  autre  chose  ;  mais 
cela  vous  le  découvrirez  toujours  mieux,  et  il  arrivera 
un  moment  où  vous  croirez  voir  des  choses  nouvelles  et 
ressentir  des  sentiments  non  éprouvés.  Ce  sera  le  déve- 
loppement de  la  lumière,  atteignant  des  horizons  plus 
éloignés;  ce  sera  l'idéal  mieux  compris,  la  vie  plus  palpi- 
tante au  dedans.  Les  grâces  que  vous  avez  reçues  sont  de 
celles  qui  obligent  à  la  perfection  et  qui  la  rendent  facile. 
Soyez  donc  saintement  exigeante  pour  vous  et  très  indul- 
gente pour  les  autres.  Quittez  entièrement  ce  qui  peut  res- 
ter de  brusquerie  et  de  raide  dans  vos  habitudes,  dans  vos 
paroles,  dans  votre  physionomie.  Portez  cela  dans  la 
famille,  même  avec  ceux  qui  ont  des  torts.  La  douceur 
n'enlève  rien  à  la  force  d'un  refus,  d'une  observation  ou 
jd'une  réprimande.  Quand  votre  vivacité  aura  pris  les 
devants  et  vous  aura  trahie,  ne  vous  troublez  pas;  c'est 
une  leçon  dont  vous  profiterez.  Tâchez  même  de  réparer, 
sans  sacrifier  rien  de  ce  que  vous  devez  sauvegarder. 
Ai-je  besoin  de  vous  dire  que  cette  douceur  dans  les  habi- 
tudes émane  d'une  douceur  intérieure?  Vous  ne  l'auriez 
jamais  parfaite  au  dehors  sans  l'avoir  bien  vivante  au 
dedans.  Appliquez-vous  donc  à  avoir  au  dedans  un  cœur 
indulgent  et  bienveillant.  Regardez  chez  les  autres  ce  qui 
peut  vous  les  faire  aimer.  Fixez-y  votre  attention  et  peu 
sur  ce  qui  vous  y  déplairait.  S'il  n'y  a  rien  en  eux  qui  vous 
attire,  il  reste  Notre-Seigneur,  qui  prend  leur  place  et 
vous  y  attend.  Faites  pour  eux,  éprouvez  pour  eux  ce 
que  vous  voudrez  faire  et  éprouver  pour  Lui. 


—  214  — 

Je  vais  me  remettre  au  travail.  Il  me  tarde  !  J'ai  beau- 
coup de  choses  en  vue,  mais  je  suis  traité  comme  serait 
un  cultivateur  qui  se  verrait  dans  l'impossibilité  de 
rentrer  toutes  ses  récoltes.  Il  ne  sait  par  où  commencer 
ni  que  sacrifier. 

XLI 

Ma  chère  fille, 

Dieu  a  béni  votre  constance  et  votre  docilité.  Il  vous 
a  fait,  cette  année-ci,  une  des  plus  grandes  grâces  de  votre 
vie  en  vous  orientant  vers  Lui  par  l'oubli  de  vous-même. 
Cet  oubli  de  soi-même  est  si  difficile  dans  une  vie  peu 
occupée  !  Il  est  si  peu  naturel  à  un  esprit  facilement 
préoccupé  et  craintif  !  Reste  à  conclure  qu'il  est  bien 
surnaturel  et  tout  de  Dieu.  C'est  infiniment  doux  de  le 
recevoir  d'une  telle  source.  Vous  êtes  donc  une  enfant 
gâtée  :  soyez  de  plus  en  plus  une  enfant  aimante.  L'oubli 
de  soi-même,  c'est  la  place  faite  à  Dieu,  c'est  la  paix 
établie,  c'est  la  liberté  de  l'essor. 

Oubliez- vous  assez  pour  n'être  plus  sensible,  même  aux 
variations  qui  se  produisent  dans  vos  impressions  à 
l'égard  de  Dieu  et  du  devoir.  Laissez-vous  conduire  avec 
le  même  abandon,  par  une  voie  difficile  ou  par  une  voie 
douce,  à  travers  la  nuit  comme  sous  la  clarté  du  jour;  ou, 
mieux  encore,  ne  faites  pour  ainsi  dire  pas  attention  au 
jour  et  à  la  nuit,  à  la  route  âpre  ou  aisée.  Oubliez  tout 
ce  qui  est  secondaire.  Vivez  de  fidélité,  de  dévouement, 
de  bons  désirs  exprimés,  de  bon  espoir  et  de  nobles  réso- 
lutions. On  ne  vit  que  de  ce  qui  est  nutritif,  n'est-ce  pas? 
L'agitation,  la  crainte,  c'est  le  vent  qui  passe,  laissez-le 
passer. 


—  215  — 
HUITIÈME    SÉRIE 


Mon  bien  cher  ami, 

En  recevant  la  lettre  par  laquelle  vous  m'apprenez 
votre  échec,  j'aurais  voulu  vous  avoir  là,  pour  vous 
embrasser  bien  fort  :  vous  êtes  très  aimé  de  Dieu,  puis- 
qu'il vous  envoie  ce  qu'il  a  de  meilleur,  l'épreuve.  Ce  ne 
sont  pas  nos  souffrances  qu'il  aime,  tant  s'en  faut,  ce 
sont  les  actes  magnifiques  qu'elles  nous  donnent  l'occa- 
sion de  lui  offrir.  Il  y  trouve  sa  gloire  et  II  y  voit  notre 
grandeur. 

Vous  ne  vous  contenterez  donc  pas  d'accueillir  avec 
résignation  votre  échec  si  peu  mérité;  vous  vous  estime- 
rez heureux  de  le  subir;  oui,  heureux,  car  on  doit  être  heu- 
reux de  tout  ce  qui  fait  la  beauté  morale  plus  parfaite. 
Elle  se  manifeste  par  une  imperturbable  sérénité  et  par 
un  amour  véritable  de  ce  que  Dieu  a  permis,  et  qui  est 
en  soi  très  pénible.  Ajoutons-y  la  confiance  tout  aban- 
donnée pour  l'avenir  :  tout  cela  fait  une  âme  fidèle,  cou- 
rageuse, dilatée,  détachée  d'elle-même  et  admirable- 
ment préparée  aux  vicissitudes  de  la  vie. 

Durant  ces  jours  de  fêtes,  cherchez  l'éternité  de  Jésus. 
Quand  vous  le  recevez  dans  la  communion,  pensez  aux 
bergers  et  aux  mages,  et  dites-vous  que  votre  partage 
n'est  pas  moins  doux.  Selon  la  résolution  que  vous  aviez 
prise,  mettez  de  la  vie  dans  vos  exercices  de  piété,  soit 
en  leur  donnant  la  durée  nécessaire,  soit  en  stimulant, 
votre  activité.  Multipliez  et  animez  vos  retours  vers 
Dieu.  Faites  aussi  une  part  à  la  mortification  :  la  piété 
y  gagne  beaucoup. 


—  21  6  — 


Mon  cher  ami, 

Votre  affection  m'est  très  douce,  et  vos  vœux  vont  droit 
à  mon  cœur.  J'admire  en  vous  une  nature  entièrement 
droite,  généreuse  et  haute.  Je  remercie  Dieu  des  grâces 
par  lesquelles  il  vous  a  fortement  attaché  à  Lui  et  à  sa 
cause.  Cette  cause,  vous  le  voyez  déjà,  vous  le  verrez 
peut-être  mieux  encore  plus  tard,  cette  cause  est  délais- 
sée ou  mal  servie.  Des  difficultés,  des  déceptions  vous 
attendent.  Habituez-vous  à  regarder  moins  les  choses 
elles-mêmes  que  la  volonté  de  Dieu.  Un  soldat  et  même 
un  officier  supérieur  ne  peut  juger,  dans  la  bataille,  la 
valeur  d'un  ordre  qu'il  reçoit.  Le  plan  de  Dieu  est  plus 
vaste  que  les  plans  des  généraux,  même  à  notre  époque 
où  le  cadre  s'est  tant  élargi.  Tenez  donc  toujours  ferme, 
quelles  que  soient  les  vicissitudes  de  l'avenir.  Les  succès 
de  la  cause  religieuse  sont  toujours  humbles  dans  la 
manière  de  se  produire.  C'est  une  tradition  commencée 
par  le  divin  Maître  et  confirmée  par  les  apôtres.  Notre 
victoire  finale  se  compose  d'innombrables  défaites.  Il 
faut  qu'on  n'y  puisse  voir  que  la  main  de  Dieu. 

Vous  serez  donc  de  ces  guerriers  qui  se  contentent  de 
rester  à  leur  poste  et  d'exercer  toute  leur  action  sans 
s'inquiéter  de  l'ensemble.  Vous  serez  aussi  un  de  ces 
fidèles  qui  ne  demandent  aucune  récompense  autre  que 
Dieu  aimé  et  possédé  au  Ciel.  Rien  d'autre  ne  vous  suf- 
firait. 

Je  ne  me  contente  pas,  mon  cher  ami,  de  vous  envoyer 
mes  vœux  et  l'expression  de  mes  sentiments.  J'ai  le  bon- 
heur de  pouvoir  y  joindre  la  bénédiction  du  prêtre,  qui 
aime  à  se  dire  votre  ami. 


—  217  — 


III 


Mon  bon  C, 

Votre  peine  rend  encore  plus  vive  l'affection  que  j'ai 
pour  vous,  et  je  me  sens  plus  fier  de  votre  amitié,  en  vous 
voyant  grandir  dans  l'épr.euve.  Non,  vous  n'êtes  pas  de 
ceux  qui  se  résignent  simplement;  vous  vous  élevez  au 
rang  de  ceux  qui  bénissent  Dieu  jusque  dans  l'affliction, 
sachant  qu'il  a  ses  desseins  secrets  et  que  ces  desseins 
sont  ceux  d'un  père  tendrement  affectionné.  Il  aime  à 
voir  que  vous  lui  abandonnez  en  toute  sérénité  votre 
avenir,  vous  contentant  de  faire,  au  jour  le  jour,  chacune 
de  ses  volontés  manifestées. 

Or,  en  ce  moment,  mon  bon  C,  cette  volonté  me 
semble  être  de  reprendre  l'ennuyeux  labeur  d'une  nou- 
velle préparation.  Vous  vous  habituerez  par  là  à  ne  pas 
aimer  les  choses  pour  elles-mêmes,  mais  pour  Dieu,  qui 
a  grand  plaisir  à  vous  voir  ainsi  dégagé  de  préoccupa- 
tions trop  personnelles  et  tout  content  de  ce  qu'il  vous 
demande.  Il  vous  prépare  ainsi  à  la  vie  d'action  qui,  à 
notre  époque,  est  une  vie  de  renoncements,  de  déceptions 
fréquentes,  et  de  recommencements  fastidieux...  Regar- 
dez donc  votre  échec  et  ses  conséquences  non  en  eux- 
mêmes,  mais  dans  le  cœur  de  Dieu  qui  les  laisse  se  pro- 
duire. Vous  vous  rappelez,  sans  doute,  ce  que  dit  saint 
François  de  Sales,  de  ce  fleuve  dans  les  eaux  duquel  tous 
les  poissons  paraissent  dorés,  tandis  qu'ils  reprennent 
une  couleur  noirâtre  dès  qu'on  les  en  retire.  Ne  retirez 
donc  jamais  du  coeur  de  Dieu  et  de  sa  volonté  les  événe- 
ments qui  dans  ce  jour  paraîtront  divins,  tandis  que,  con- 
sidérés en  dehors  de  là,  ils  gardent  leur  aspect  de  chose 
laide  et  triste.  C'est  dans  les  heures  de  méditation  que 
vous  vous  habituerez  à  ces  vues  surnaturelles. 

Appuyez  votre  confiance  sur  cette  parole  de  saint 
Paul  :  «  Tout  sourit  à  ceux  qui  aiment  Dieu.  »  En  accep- 
tant avec  sérénité  et  sans  ombre  de  découragement  cette 
épreuve  vraiment  pénible,  vous  serez  aimé  de  Dieu  un 


—  218  — 

peu  plus.  N'est-ce  pas  très  doux?  Vous  sachant  plus  aimé, 
-vous  aimerez,  vous  aussi,  davantage!... 

Quand  se  présente  le  côté  humain  :  ennuis  divers, 
obstacles,  humiliations,  quand  vous  le  sentez  vivement, 
dites  à  Dieu  :  Ne  faites  pas  attention  à  ce  qui  se  passe 
malgré  moi  dans  ma  sensibilité,  ne  regardez  que  ma 
volonté  qui  accepte  et  aime  pour  vous  tout  ce  qui  me 
déplaît. 

IV 

Mon  bon  et  cher  C, 

Vous  redire  toute  mon  affection,  c'est  vous  laisser 
comprendre- tous  les  vœux  que  je  forme  pour  votre  vrai 
bonheur.  Je  vous  sens  bien  ému  par  la  décision  que  vien- 
nent de  prendre  plusieurs  de  vos  amis.  Consultez  bien 
votre  nature  et  plus  vos  aptitudes  que  vos  attraits; 
posez-vous  la  grande  et  décisive  question  :  où  donnerai-je 
plus  de  gloire  à  Dieu  par  ma  perfection  personnelle  ou  par 
le  bien  que  je  peux  faire  aux  autres?  Il  y  a  des  natures  qui 
ont  besoin  des  affections  de  la  famille,  même  pour  être 
bons,  à  plus  forte  raison  pour  avoir,  cette  part  de  bon- 
heur qui  fait  qu'on  sert  Dieu  d'un  cœur  dilaté. 

Il  faut  voir  ensuite  pour  quelle  position  on  a  le  plus 
d'attrait.  Sans  exclure  le  goût  et  l'attrait,  il  ne  faut  pas 
se  déterminer  principalement  par  cela.  C'est  parfait 
quand  l'attrait  et  l'aptitude  concordent. 


Mon  bien  cher  C, 

Enfin  un  mot  de  vous,  de  vous  à  qui  je  pensais  sans 
cesse.  Il  est  du  3  octobre,  et  ne  m'est  arrivé  qu'hier  soir 
à  neuf  heures,  m'apportant  tristesse  et  joie.  Grâces  à  Dieu  : 
votre  vie  est  sauve,  et  gloire  à  vous,  qui  avez  versé  votre 
sang  pour  la  Patrie  !  Nous  sommes  presque  sur  la  même 


—  219  — 

côte,  car  je  me  suis  retiré  maintenant  à  S*-V.  où  j'ai 
passé  tant  de  vacances  avec  M.  Vous  devez  être  encore 
tout  étourdi  du  bruit  de  la  longue  bataille  et  tout  ému 
des  grands  événements  qui  s'accomplissent.  Le  monde 
moderne  avait  abusé  de  tout  pour  jouir.  Dieu  lui  donne 
l'occasion  de  se  retremper.  Mais  quel  carnage... 

Vous  voilà  exilé  à  D.  L'exil  en  face  d'une  mer 
immense  est  presque  un  vestibule  du  ciel.  Je  ne  vois  pas 
quelle  autre  utile  occupation  vous  pourriez  vous  donner,  et 
celle-là  est  la  meilleure.  Faites-vous  donc  un  petit  règle- 
ment provisoire  pour  les  choses  que  vous  voulez  faire, 
et  pour  les  heures  autant  qu'il  se  peut.  L'heure  assure 
l'accomplissement  et  combat  la  fantaisie.  C'est  une  petite 
mortification,  et  une  plus  grande  certitude  de  faire  la 
volonté  de  Dieu.  Quand  le  temps  est  ainsi  distribué,  le* 
jours  passent  plus  vite.  Donnez  un  temps  plus  long  à  la 
méditation  du  matin.  Faites  des  lectures  qui  vous  por- 
tent à  Dieu.  Voyez  le  soir  si  votre  journée  a  été  bien  rem- 
plie dans  la  pensée  des  choses  éternelles.  Écrivez-moi 
ce  que  vous  aurez  fait;  j'aurai  grand  plaisir  à  retrouver 
mon  C.  généreux  envers  Dieu,  comme  il  l'a  été  envers 
ses  camarades  autrefois,  et  dernièrement  envers  sa  Patrie. 


VI 

Mon  bien  cher  ami, 


Un  mot  de  votre  âme,  voulez-vous?  Ce  que  vous  m'écri- 
vez d'un  affaiblissement  ne  m'étonne  pas  :  tout  ce  qui 
vit  a  besoin  d'agir.  Vous  admettez  le  principe,  reste 
l'application  possible.  Gomment  entretenir  des  relations 
avec  Dieu,  dans  une  vie  q-ui  se  passe  forcément  et  conti- 
nuellement avec  des  camarades  dont  on  ne  peut  s'isoler? 
—  D'après  votre  lettre  d'aujourd'hui,  je  vois  que  les  cho- 
ses se  sont  améliorées:  vous  pouvez  sortir,  donc  vous  pou- 
vez passer  un  temps  plus  ou  moins  long  dans  les  églises 
ou  chapelles.  Faites-vous  en  une  habitude,  s'il  se   peut, 


—  220  — 

journalière.  Si  vous  pouviez  communier  souvent,  ce  serait 
parfait. 

Mais  en  dehors  de  cela  et  en  supposant  que  vous  deviez 
passer  vos  journées  au  milieu  de  vos  camarades,  ne  renon- 
cez pas  à  vous  isoler.  Je  vais  vous  en  donner  un  moyen 
que  je  crois  excellent  !  Chacun  écrit  des  lettres  et  vous  ne 
vous  en  faites  pas  faute  vous-même.  Pendant  que  vous 
écrivez  on  vous  dérange  peu.  Eh  bien,  au  lieu  de  prendre 
un  livre  et  de  le  méditer,  prenez  votre  plume  et  écrivez 
à  Notre-Seigneur...  Rien  que  cela  !  Oui,  parlez-lui  comme 
vous  le  feriez  dans  la  prière,  vous  y  trouverez  même  plus 
de  facilité.  Avec  Lui,  ne  craignez  pas  les  redites.  Parlez- 
Lui  de  tout  ce  qui  vous  intéresse,  comme  au  meilleur  des 
amis.  Parlez-lui  souvent  de  votre  bonheur  d'être  à  Lui, 
de  votre  désir  de  l'aimer  et  de  le  faire  aimer.  Avouez-Lui 
.vos  torts,  vos  négligences.  Faites-Lui  des  promesses  que 
vous  tiendrez  dès  le  jour  même.  Ce  moyen  n'est  pas  de 
mon  invention.  Il  a  été  employé  par  un  bon  prêtre  de 
mes  amis  (un  homme  éminent).  Se  voyant  continuelle- 
ment distrait  dans  sa  méditation  du  matin,  à  cause  de 
ses  très  nombreuses  occupations,  il  prit  le  parti  d'écrire 
ce  qu'il  ne  savait  pas  dire,  et  il  a  fait  ainsi  durant  de 
longues  années.  Son  âme  trouvait  là  le  moyen  de  se  fixer 
et  de  s'alimenter...  Voilà,  mon  cher  C,  ce  que  je  me 
proposais  depuis  quelque  temps  de  vous  conseiller.  Votre 
âme  m'est  précieuse,  je  souffrirais  de  la  voir  se  débiliter. 
On  ne  sait  jamais  jusqu'où  peut  conduire  l'anémie  spiri- 
tuelle. Je  vous  embrasse  de  tout  cœur. 


VII 

Mon  bien  cher  C, 

Je  vois  avec  beaucoup  de  peine  que  votre  pauvre  bras 
reste  encore  inerte,  mais  l'opération  va  réparer  le  mal. 
Je  ne  vous  plaindrais  pas  dans  votre  réclusion,  si  vous 
aviez  auprès  de  vous  Madame  votre  mère.  Comme  une 
telle  affection  près  de  soi  change  les  choses  !  Cultivez 


—  221  — 

aussi  une  autre  grande  affection  moins  sensible,  mais 
plus  tendre  encore,  celle  du  divin  Maître.  Il  ne  se  tient 
pas  seulement  à  votre  chevet;  Il  vient  en  vous;  Il  y  vit. 
Il  se  fait  le  principe  de  toutes  vos  actions,  de  tous  vos 
bons  sentiments,  de  tous  vos  mérites.  Oh  1  si  nous 
pouvions  le  voir  et  lire  dans  ses  traits,  comme  nous 
nous  trouverions  épris  de  Lui  !  Activez  votre  foi  par  la 
méditation  et,  sans  le  voir,  vous  le  sentirez  près  de  vous. 


VIII 

Mon  bon  et  cher  C, 

Je  voudrais  que  ce  petit  mot  vous  trouvât  en  compa- 
gnie de  notre  si  bon  ami,  l'abbé  B.  Ce  serait  une 
manière  d'être  ensemble.  L'être  réellement  serait  si  doux  ! 
Je  vous  dois  l'amitié  d'un  cœur  exquis,  chose  rare,  surtout 
à  l'égard  d'un  pauvre  vieux,  ce  dont  il  est  plus  reconnais- 
sant que  tout  autre. 

A  défaut  d'une  mère,  vous  jouissez  d'un  cœur  d'ami, 
d'un  véritable  ami.  Vous  le  consolez  aussi,  car  il  vient  de 
faire  une  perte  cruelle  et  il  paraît  inquiet  de  la  santé  de 
sa  mère.  La  vie  est  un  chemin  de  croix. 

Je  viens  de  commenter  dans  mon  troisième  volume  de 
Méditations  ces  douces  paroles  :  «  Venite  ad  me  omnes 
qui...  »  J'en  reste  sérieusement  pénétré.  Est-il  possible  que 
chacun  de  nous  dispose  d'un  tel  cœur,  d'un  cœur  sen- 
sible comme  les  nôtres  et  agrandi,  embelli  par  la  divinité 
autant  qu'a  pu  le  faire  la  toute-puissance  réalisant 
l'idéal  possible  d'un  cœur  humain?  Ah  !  si  les  hommes  le 
savaient,  le  croyaient,  le  comprenaient  surtout  !  Oui,  le 
comprendre.  Il  faut  pour  cela  une  longue  attention 
comme  pour  tout  ce  qui  est  invisible.  Peu  à  peu  des  mer- 
veilles se  découvrent,  comme  font  les  étoiles  quand 
vient  la  nuit.  On  prend  conscience  d'un  amour  qui  étonne, 
qui  émeut,  qui  remplit  de  joie,  qui  détache  de  tout,  qui 
fait  désirer  les  grandes  preuves  d'amour,  les  souffran- 
ces !  !  I 


—  222  — 

Ce  divin  Ami  va  au-devant  de  notre  faiblesse,  et  si  nous 
n'allons  pas  à  la  souffrance,  Il  nous  l'apporte,  et  parce 
qu'il  reste  là  Lui-même,  parce  qu'il  en  a  autrefois  partagé 
l'amertume,  nous  ne  la  trouvons  pas  trop  amère.  Parfois 
même,  nous  nous  trouvons  vraiment  heureux  à  ce  dou- 
ble titre  de  Lui  ressembler  et  de  le  soulager.  —  Quand 
je  dis  :  amitié,  j'entends  par  ce  mot  cette  conviction  ferme 
et  cette  franche  acceptation  qui  seules  dépendent  de 
nous.  La  consolation  sensible  n'est  que  l'occasion.  Elle 
n'est  même  surnaturelle  que  par  contact.  Tout  le  surna- 
turel est  dans  la  volonté.  C'est  en  elle  que  réside  la  grâce; 
mais  en  vertu  de  l'union  de  nos  facultés,  le  sensible  est 
atteint  par  ses  vibrations  supérieures.  C'est  comme  au 
Ciel,  où  le  corps  ne  participe  que  de  cette  manière  indi- 
recte au  bonheur  que  répand  dans  l'âme  la  vision  béati- 
fique...  Je  laisse  aller  ma  plume,  excusez-moi.  Ces  consi- 
dérations sont  bien  dans  le  sens  des  fêtes  de  Pâques. 
«  Quse  sursum  surit  quaerite,  quse  sursum  sunt  sapite  »... 
Que  le  divin  Sauveur  daigne  nous  faire  entrer  profondé- 
ment dans  cette  vie  si  intime  et  si  haute  !  Un  lieute- 
nant doit  rêver  d'y  entrer  d'assaut  et,  comme  il  est  aussi 
bon  que  brave,  il  prolonge  son  rêve  en  agitant  le  drapeau 
afin  d'attirer  à  lui  d'autres  braves. 

Il  me  tarde  bien  de  savoir  où  en  est  votre  opération.  La 
Providence  sans  doute  prolonge  à  dessein  votre  infirmité, 
pour  vous  préserver  et  vous  réserver  :  tant  de  bons  chré- 
tiens ont  déjà  succombé  ! 


IX 


Mon  bon  C, 


Ma  dernière  lettre  était  à  peine  en  route,  quand  la 
vôtre  m'est  arrivée.  Elle  me  donne  quelques-uns  des  ren- 
seignements que  je  désirais  tant  avoir  sur  l'effet  de  votre 
opération.  Commencez  par  vous  rendre  familière  et  sen- 
sible cotte  vue  que  tout  ce  qui  nous  arrive  est  disposé 
pour  notre  plus  grand  bien,  par  un  Père  tout-puissant. 


—  223  — 

Trouvez  dans  cette  conviction  l'amour  de  votre  situa- 
tion quelle  qu'elle  soit.  Il  faut  aimer  jusqu'à  sa  complète 
inutilité  quand  elle  vient  des  circonstances,  car  les  cir- 
constances sont  les  messagères  du  vouloir  divin. 

Je  vous  crois  appelé  à  l'apostolat  :  vous  en  avez  l'apti- 
tude et  J'attrait.  Si  vous  ne  pouvez  l'exercer  que  rare- 
ment, il  vous  reste  de  vous  y  préparer.  Vous  vous  y  pré- 
parerez par  le  désir.  Le  désir  accroît  la  puissance,  quand  il 
est  vif  et  prolongé.  Un  désir  comprimé  acquiert  encore 
plus  de  puissance.  Ce  sera  votre  cas.  —  D'autre  part,  ce  qui 
fait  la  vie  du  zèle  et  ce  qui  manque  trop  souvent  à  ceux 
qui  l'exercent,  c'est  une  intime  union  à  Dieu.  Or  la  soli- 
tude et  l'inaction  vous  permettent  de  vous  y  introduire, 
de  vous  y  avancer,  d'en  faire  le  moteur  de  votre  vie. 
Demandez  à  votre  cher  ami  de  C.  comment  il  s'y  prend 
et  exhortez-vous  l'un  l'autre  à  vous  affectionner  de  plus 
en  plus  au  divin  Maître.  Étudiez-le  par  la  méditation  de 
l'Évangile.  Allez  à  Lui  au  tabernacle  comme  si  vous  étiez 
au  temps  où  on  le  trouvait  dans  une  pauvre  maison  de 
Galilée.  Il  est  le  même;  suppléez  à  la  vue  par  une  foi 
pénétrante.  Une  visite  prolongée  de  temps  en  temps 
est  un  bon  moyen  de  s'en  impressionner,  alors  même  que 
l'on  se  sentirait  froid  et  distrait.  La  persévérance  est 
partout  victorieuse. 

Ces  deux  moyens  :  le  désir  et  l'intimité  avec  le  divin 
Maître  me  paraissent  de  nature  à  occuper  un  cœur  comme 
le  vôtre  et  à  combler  le  vide  présent  de  l'action.  Je  me 
permets  de  vous  renouveler  un  conseil  que  j'ai  vu  utile- 
ment employé  :  dans  les  périodes  de  froideur  et  d'impuis- 
sance exprimer  par  écrit  les  sentiments  que  l'on  voudrait 
ressentir  vivement  pour  Dieu. 


Mon  bon  C, 

Je  nie  suis  bien  réjoui  du  bonheur  que  vous  avez  goûté 
aux  pieds  de  Notre-Dame  de  Lourdes,  cette  mère  qui  vous 

»  18 


—  224  — 

aime  plus  même  que  celle  à  qui  vous  devez  le  jour  et 
ce  n'est  pas  peu  dire.  Vous  êtes  revenu  aux  soins  de  votre 
blessure  et  sans  doute  à  certaines  études  dans  le  sens  de 
votre. doctorat.  Vous  avez  retrouvé  à  B.  des  amis  dont 
vous  tâchez  de  faire  de  vivants  chrétiens,  car  telle  est 
bien  votre  mission,  en  maladie  comme  en  santé.  Quand 
on  a  comme  vous  l'attrait  et  le  moyen  de  l'apostolat,  on 
trouve  toujours  à  l'exercer,  parfois  après  une  attente  un 
peu  longue  et  toujours  pénible.  Comme  je  vous  le  disais, 
profitez  du  loisir  actuel  pour  entrer  profondément  dans 
l'intimité  de  Jésus.  Un  des  moyens  les  plus  efficaces  et, 
je  le  crois,  les  plus  indispensables,  c'est  de  méditer  habi- 
tuellement sa  vie  et  ses  paroles.  Cela  s'appelle  le  fré- 
quenter, et  c'est  par  la  fréquentation  que  l'amitié  se  déve- 
loppe. Évoquez  souvent  ce  passé  merveilleux  où  il  se 
montrait  et  parlait.  Dites-vous  ensuite  que  c'est  bien  le 
même  Jésus  qui  vous  regarde  du  haut  du  Ciel,  qui  se 
donne  à  vous  dans  la  communion. 

Pour  s'unir  d'amitié  avec  Lui,  il  faut  avoir  soin  de  se 
tenir  dégagé  de  tous  soucis  trop  personnels  et  trop  vifs. 
Les  lui  confier  et  n'y  penser  qu'autant  qu'il  le  conseille  : 
voilà  le  bon  moyen  de  se  tenir  en  paix  tout  en  progres- 
sant dans  l'intime  amitié. 

Ne  tolérez  jamais  en  vous  de  la  tristesse.  Le  peut-on, 
le  doit-on  quand  on  sait  qu'on  a  là,  toujours,  un  tel  ami, 
qui  vous  suit  des  yeux  et  qui  vous  aime  tendrement?  — 
Jésus  a  peu  d'amis  intimes.  Combien  ne  doit-il  pas  aimer 
ceux  qui  le  sont  ou  veulent  l'être  ! 

A  celle  de  Jésus,  j'ose  joindre  ma  misérable  mais  bien 
sincère  amitié. 


XI 


Mon  bon  C, 


Je  ne  puis  vous  écrire  qu'un  petit  mot,  parce  que  je 
viens  d'être  très  fatigué  et  que  je  reste  très  faible.  J'ai 
voulu  dire  la  sainte  messe  et  j'ai  été  obligé  de  l'inter- 
rompre pour  me  reposer  assez  longuement;  après  quoi  je 


-     —  225  — 

suis  rentré  chez  moi,  comme  anéanti.  Je  ne  sais  si  je  pour- 
rai jamais  remonter  à  l'autel.  C'est  une  bien  grande  pri- 
vation/mais  comme  elle  est  une  peine,  elle  est  un  bien. 

Je  voudrais  vous  avoir  près  de  moi.  C'est  si  triste  de 
rester  si  longtemps  sans  se  voir  !  Ce  qui  est  plus  triste 
encore,  c'est  de  savoir  son  bon  C.  un  peu  découragé. 
Non,  ce  mot  n'est  pas  juste.  Il  faut  dire  simplement  : 
épuisé,  souffrant,  mais  plein  d'une  confiance  toute  sereine 
et  toute  abandonnée  envers  le  Dieu  qui  s'occupe  du 
moindre  passereau.  Cet  état  est  une  occasion  de  déve- 
lopper sa  force  morale;  on  accepte,  on  tient  bon,  on 
attend.  Chaque  jour  on  expose  à  Dieu  son  complet  aban- 
don, et  chaque  jour  on  fait  ce  que  demande  le  soin  du 
corps  et  celui  de  l'âme.  Dans  cette  monotonie  s'opèrent 
de  grandes  choses.  Cherchons  Dieu  continuellement. 
Cherchons-le  en  Notre-Seigheur  qui  le  met  à  notre  por- 
tée. Voyons-le  au  tabernacle  comme  s'il  y  apparaissait 
sans  voiles.  Parlons-Lui  comme  à  un  ami.  Quand  les 
pensées  ne  nous  viennent  pas  dans  la  méditation,  pre- 
nons la  plume  et  disons  par  écrit  ce  que  nous  voudrions 
éprouver. 


XII 


Mon  bon  C, 


Enfin  un  peu  de  joie  !  Votre  âme  se  dilate,  vous  retrou- 
vez votre  cœur  ! 

Dieu  ne  délaisse  pas  longuement  ses  enfants...  et  s'il 
les  délaisse,  en  apparence,  sur  le  moment,  c'est  pour  les 
habituer  peu  à  peu  aux  vicisritudes  de  la  vie,  car  la  vie,  ne 
l'oublions  pas,  est  un  exil,  un  temps  d'épreuve  et  de 
mérite.  Elle  est  également  un  combat...  toutes  choses 
dont  l'aspect  est  sombre.  La  lumière  et  la  joie  ne  peu- 
vent descendre  que  du  Ciel. 

Votre  état  physique  s'améliore;  vous  ne  resterez  pas 
un  infirme.  Cette  conviction  qui  s'établit  sur  une  amé- 
lioration sensible  est  une  grâce,  même  pour  votre  âme. 
Il  devient  plus  facile  de  mieux  aimer  Dieu,  quand  on  est 


—  226  — 

déchargé  du  fardeau  de  l'inquiétude.  On  se  sent  porté  à 
la  reconnaissance;  on  devient  plus  affectueux  pour  le 
Père  du  Ciel. 

Quand  nous  reverrons-nous?  Sera-ce  en  ce  monde?  Ici 
ou  là,  vous  retrouverez  un  vrai  cœur  d'ami. 


NEUVIEME    SERIE 


Mes  bien  chers  cousins, 

Je  me  sens  profondément  attristé  par  l'immense  mal- 
heur qui  vous  frappe.  Tout  ce  que  vous  m'aviez  dit,  l'un 
et  l'autre,  sur  cette  enfant  si  intelligente,  si  bonne,  si 
gentille,  me  fait  comprendre  la  douleur  qui  vous  étreint. 
C'était  votre  orgueil,  votre  joie,  une  grande  partie  de 
votre  avenir.  Vous  me  disiez  votre  désir  de  me  la  faire 
connaître  et  je  lisais  dans  l'expression  de  vos  regards 
votre  joie  et  votre  juste  fierté.  Pauvres  parents,  pauvres 
cœurs  déchirés,  nul  ne  peut  vous  donner  ce  bien  de  la 
consolation  dont  vous  avez  pourtant  l'impérieux  be- 
soin !...  nul...  si  ce  n'est  Dieu. 

Dieu  a  enlevé  à  cette  terre  cette  âme  exquise,  pour  la 
garder  près  de  Lui  et  lui  donner  un  bonheur  plus  grand 
que  celui  de  la  vie,  généralement  triste,  d'ici-bas.  Vous  ne 
l'avez  pas  définitivement  perdue.  Elle  n'est  qu'absente. 
Les  années  passeront  et,  en  passant,  vous  rapprocheront 
d'elle.  Vous  la  verrez  toujours  plus  près  de  vous,  ouvrir 
ses  petits  bras  si  chers,  vous  la  retrouverez  plus  belle  et 
plus  aimante.  Quelque  chose  me  dit  que  déjà  vous  allez 


—  227  — 

ressentir  les  effets  de  sa  douce  protection.  Elle  attirera 
votre  pensée  du  côté  du  Ciel,  vous  inspirera  des  accents 
de  résignation  et  vous  montrera  la  religion  comme  le 
refuge  de  la  douleur  et  le  terrain  sur  lequel  se  rencontrent 
et  les  âmes  qui  sont  auprès  de  Dieu  et  celles  qui  l'aiment 
dans  l'exil. 

Mon  âge  et  ma  santé  me  font  voir  le  terme  prochain  de 
ma  vie.  Tant  d'âmes  chères  m'attendent  là-haut  !  Une 
de  plus  m'y  attire.  Cette  enfant,  si  hien  douée,  que  je 
n'ai  pas  connue,  je  la  verrai  toute  rayonnante  et  je  lui 
porterai  la  joie  de  vous  savoir  amis  de  Dieu  et  sur  la  route 
qui  conduit  à  cette  réunion  qui  n'aura  pas  de  rupture. 


II 

Mes  pauvres  chers  enfants, 

Laissez-moi  vous  donner  aujourd'hui  ce  titre  familier 
parce  qu'il  traduit  mieux  l'affection  que  je  vous  porte.  Il 
vous  dit  également  la  part  si  grande  que  je  prends  à 
votre  peine  inguérissable.  Me  voici,  par  le  coeur,  près  de 
vous,  pleurant  avec  vous  et  avec  vous  aussi  tenant  mes 
yeux  fixés  vers  cette  aurore  céleste  au  sein  de  laquelle 
nous  apparaît  radieuse  celle  que  nous  pleurons  pour 
nous.  Ne  semble-t-elle  pas  nous  dire  de  sa  voix  si  douce  : 
ce  n'est  qu'une  séparation;  les  années  sont  bien  courtes, 
mesurées  sur  l'éternité.  Vous  me  retrouverez  donc  bien- 
tôt et  pour  toujours.  Je  n'étais  pas  faite  pour  la  vie,  j'y 
aurais  trop  souffert  sans  doute.  Je  n'y  ai  trouvé  que  des 
joies  et  je  vous  dois  tout;  je  le  sentais;  aujourd'hui  je  le 
vois.  Au  ciel,  l'intelligence  des  enfants  égale  celle  des 
personnes  mûres  et  la  vue  de  Dieu  leur  découvre  des 
océans  de  merveilles. 

En  lui,  comme  dans  un  immense  miroir  où  tout  se 
reflète,  je  vous  suis  des  yeux  tout  le  long  des  jours.  Il 
vous  est  possible  encore  de  me  faire  d'heureuses  sur- 
prises. Offrez-moi  ce  que  je  peux  aimer  au  ciel  :  tout  ce 
qui  fait  plaisir  à  Dieu,  ce  qu'il  attend  de  vous,  tout  ce 


—  228  — 

que  j'en  espère.  Vous  ne  m'avez  jamais  contristée  par  le 
moindre  refus  injuste.  Si  votre  cœur  comprend  ce  que 
je  désire,  vous  me  l'offrirez  pour  cet  anniversaire  qui  est 
une  vraie  fête,  la  fête  de  mon  entrée  dans  le  bonheur 
parfait.  —  Pleurez-moi  doucement,  tendrement,  car  je 
vous  manque  bien;  mais  puisque  vous  vivez  pour  moi, 
vivez  pour  me  faire  plaisir  encore,  vivez  dans  ce  grand 
amour  que  j'ai  pour  Dieu.  Renouvelez  en  ces  jours  l'hé- 
roïque offrande  que  votre  foi  eut  le  courage  de  lui  faire. 
Les  saints  du  ciel  m'en  féliciteront.  Allez  aussi  dans  une 
église,  approchez-vous  du  tabernacle  et  dites  à  Jésus  qui 
vous  entend  :  «  Vous  qui  voyez  ma  fille,  parlez-lui  de  nous; 
Vous  qui  êtes  près  d'elle,  baisez-la  pour  nous.  »  Quand 
Vous  le  recevez  dans  la  Communion,  nous  n'en  sommes 
séparés  que  par  Lui,  par  Lui  qui  nous  rapproche  !  A  là 
voix  de  l'enfant,  je  joins  ma  voix  de  prêtre  pour  expri- 
mer les  mêmes  souhaits  avec  une  affection  qui,  sans 
l'égaler,  s'en  rapproche. 


III 

Ce  retour  au  pays  a  réveillé  en  vous,  pauvres  amis, 
de  bien  douloureux  souvenirs!  Vous  retrouvez  partout 
celle  que  vous  ne  reverrez  plus  sur  cette  terre  !  C'est  sur 
vous  que  vous  pleurez,  et  c'est  bien  naturel;  mais  elle 
n'est  point  à  plaindre  :  Dieu  lui  donne  un  bonheur  qui 
dépasse  tant  celui  que  vous  aviez  rêvé  pour  elle  !  Le 
bonheur  est-il  de  ce  monde?  S'il  paraît,  il  passe  comme 
une  lueur;  et  la  douleur  qu'il  laisse  est  en  proportion  des 
joies  qu'il  avait  données.  Ne  soyons  pas  trop  personnels 
dans  nos  regrets.  Soyons  chrétiens  comme  un  de  mes 
amis  que  j'accompagnais  avant-hier  au  convoi  de  sa 
fille,  charmante  enfant  de  9  ans,  enlevée  elle  aussi  par  une 
méningite.  Il  me  disait  :  je  la  voulais  heureuse,  je  souffre 
horriblement,  mais  je  remercie  Dieu  qui  la  rend  plus 
heureuse  que  je  n'eusse  fait  1  —  Vivons  la  vie  que  Dieu 
nous  donne,  toujours  soumis,  toujours  confiants  :  l'Éter- 
nité, à  laquelle  on  pense  habituellement  si  peu,  est  pour- 


—  229  -*- 

tant  le  seul  bien  qui  importe.  La  religion  est  souveraine- 
ment consolatrice  parce  qu'elle  est  la  souveraine  vérité 
et  le  seul  vrai  bien. 
A  vous  de  tout  cœur. 

IV 

Chers  cousins  et  bons  amis, 

Je  reste  près  de  vous  par  une  pensée  intime.  En  peu 
de  temps,  vous  avez  gagné  tout  mon  cœur.  Je  sens 
ce  que  vous  sentez  et  je  souffre  par  conséquent  de  ce 
que  vous  souffrez.  Laissez-moi  lire  bientôt  sur  votre 
visage  un  peu  plus  de  sérénité,  un  peu  plus  de  ce 
rayon  d'espérance  qui  descend  du  ciel  pour  consoler 
et  stimuler.  Nous  n'avons  que  le  temps  de  la  vie  pour 
faire  de  nous  des  êtres  éternels.  Je  pense  souvent  à  ce 
grand  vide  qui  s'est  creusé  dans  votre  vie.  Seules,  les 
espérances  éternelles  peuvent  le  combler.  Savoir  votre 
enfant  heureuse  doit  être  votre  consolation,  savoir  que 
vous  la  reverrez  un  jour  doit  devenir  votre  joie.  Rappro- 
chez-vous de  plus  en  plus  de  ce  Dieu  qui  tient  auprès 
de  lui  votre  fille  chérie  et  qui  lui  fait  connaître  tout  ce 
qui  peut  la  rendre  plus  heureuse  :  votre  affection  si 
grande  et  aussi  vos  progrès  en  vertu  chrétienne.  Y  a-t-il 
d'ailleurs  rien  de  plus  raisonnable  que  de  travailler 
saintement  pour  le  ciel? 


Mon  cher  et  très  aimé  cousin, 

J'ai  bien  pensé  à  vous  en  ces  jours  de  tristesse,  mais  je 
voyais,  planant  sur  vos  têtes,  l'ange  que  Dieu  vous  a 
pris.  Qu'il  soit  l'ange  de  la  consolation  et  de  la  force  !  La 
vie  nous  est  donnée  pour  grandir  par  l'âme,  afin  que,  en 
face  de  Dieu,  nous  ayons  des  sens  plus  ouverts  pour  le 
contempler  avec  plus  de  délices.  Qui  n'aurait  pas  cette 
prétention  ferait   peu  d'honneur  à  Dieu  et  à  sa  propre 


—  230  — 

conduite.  Il  ne  faut  pas  le  comprendre  trop  tard,  quand 
la  mort  nous  ouvrira  les  yeux.  Que  de  bien  à  accumuler 
durant  ces  années  de  la  vie  si  longue  et  pourtant  si  courte  ! 


VI 


Chers  cousins  et  bons  amis, 

Je  ne  veux  pas  vous  laisser  partir  sans  vous  envoyer 
un  nouvel  adieu. 

Que  ne  suis-je  près  de  vous  au  moment  où  le  train  vous 
emportera  au  loin  !  Sans  nul  doute,  je  verrais  à  peine 
fuir  le  wagon  avec  mes  yeux  remplis  de  larmes,  mais  je 
vous  aurais  suivis  jusqu'au  dernier  moment...  je  ne  pour- 
rai le  faire  que  par  le  cœur  que  rien  ne  limite,  car  vous 
savez  combien  ce  cœur  est  à  vous.  Vous  m'aviez  donné  la 
joie  profonde  d'une  affection  entière,  d'une  de  ces  affec- 
tions qui  unissent  pour  toujours.  J'offre  à  Dieu  le  grand 
sacrifice  de  ne  vous  avoir  pas  près  de  moi  dans  les  der- 
niers temps  de  ma  vie...  ma  pensée  vous  suivra,  mais 
sans  vous  attendre...  vous  m'écrirez  souvent  pour  me 
maintenir  dans  votre  intimité.  Les  plus  petits  détails 
m'intéresseront.  Je  recommande  à  Dieu  votre  voyage. 
Quand  vous  distinguerez  une  flèche  d'église  dans  les 
campagnes  que  vous  traverserez,  rappelez-vous  que  là  se 
tient  en  permanence  le  Dieu  qui  nous  unit,  ce  Dieu  que 
j'adore  de  loin  en  regardant  le  pauvre  clocher  de  Puteaux. 
Après  les  premières  occupations  nécessaires,  trouvez 
un  moment  pour  aller  saluer  dans  l'église  voisine  le 
Dieu  qui,  de  plus  près,  ce  semble,  veillera  particulière- 
ment sur  vous.  Vous  lui  devez  une  visite,  le  premier, 
car  nul  ne  vous  aime  comme  lui.  Vous  mettrez  petit 
Jean  sous  sa  protection.  Vous  aurez  à  peine  le  temps 
de  jeter  un  coup  d'ceil  sur  cette  lettre  avant  votre  départ. 
Quand  vous  la  lirez  dans  le  train,  songez  qu'elle  vous 
parle  comme  si  j'étais  près  de  vous...  La  tristesse  de  ce 
jour  et  de  tous  les  jours  de  la  terre  fait  penser  à  ce  revoir 


—  231  — 

qui  n'aura  plus  de  séparation.  C'est  là  le  but  de  notre 
existence  et-  la  consolation  suprême. 
Je  vous  embrasse  de  tout  cœur. 


VII 


Mon  cher  petit  Jean, 

Si  ton  père  et  ta  mère  vivaient  bien  loin  dans  le  fond 
de  quelque  lieu  désert,  tu  te  sentirais  bien  seul,  bien  mal- 
heureux à  la  R.  ;  et  si  l'on  te  disait  :  dans  quelques 
jours  ils  te  seront  rendus,  ta  joie  n'aurait  pas  de  mots 
assez  expressifs  pour  se  traduire.  Mais  voilà  qu'on  ajoute  : 
ils  seront  près  de  toi,  ils  te  verront  et  t'entendront,  mais, 
toi  tu  ne  les  verras  pas;  tu  ne  les  entendras  pas,  car  Dieu 
qui  te  les  rend  les  tient  invisibles.  Ta  joie  prendrait 
alors  une  teinte  de  mélancolie,  mais  resterait  profonde 
en  ton  petit  cœur.  Si  enfin  on  te  disait  :  ils  ne  resteront 
invisibles  qu'un  temps;  un  jour  viendra  où  ils  te  seront 
rendus  tout  à  fait;  tu  les  verras,  ils  te  presseront  dans 
leurs  bras  et  te  couvriront  de  baisers,  tu  tressaillerais 
devant  cet  avenir  et  ta  pensée  se  porterait  sans  cesse 
vers  ce  jour  béni. 

Eh  bien  !  mon  enfant,  il  y  a  un  être  qui  t'aime  plus 
encore  que  ne  t'aiment  tes  chers  parents  eux-mêmes, 
c'est  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  !  Il  était  venu  sur  la 
terre,  se  faisant  homme  pour  faire  de  nous  des  dieux;  — 
tu  comprendras  cela  plus  tard.  —  Il  prit  donc  un  corps 
semblable  au  nôtre  :  on  le  voyait,  on  lui  parlait,  on 
l'admirait,  on  l'aimait;  il  était  si  grand,  si  beau,  si  déli- 
cieusement bon  !  Remarque-le  bien,  ce  n'était  pas  pour 
lui,  mais  pour  nous  qu'il  s'était  fait  homme;  il  n'avait 
pfcs  pris  un  corps  pour  en  jouir,  mais  pour  l'immoler  sur 
la  croix,  se  sacrifiant  pour  nous  sauver.  Quand  il  dut 
remonter  au  ciel,  sais-tu  ce  qu'il  se  dit  :  il  m'en  coûte  trop 
de  les  quitter  tout  à  fait,  je  m'enfermerai  dans  une 
petite  hostie  pour  rester  toujours  avec  eux. 


—  232  — 

C'est  pourquoi  il  fit  ce  grand  miracle  de  vivre  près  do 
nous,  mais  invisible.  Faut-il  s'étonner  d'un  tel  amour? 
Quand  tes  parents,  un  jour  lointain,  te  quitteront,  leur 
vie  terminée,  ne  feraient-ils  pas  comme  Jésus,  s'ils  le 
pouvaient?  Et  toi,  que  dirais-tu?  que  ferais-tu?  Serais-tu 
content?  N'irais-tu  pas  souvent  dans  le  lieu  qui  les  tien- 
drait cachés?  N'aimerais-tu  pas  à  leur  parler,  sachant  que, 
sans  te  répondre,  ils  t'entendent?  Ce  que  tu  leur  dirais, 
il  faudra  le  dire  à  Jésus  dimanche  et  lui  rendre  visite 
souvent  dans  le  cours  de  ta  vie...  Tu  ne  le  contristeras 
jamais,  car  il  voit  tout...  Quand  tu  seras  grand,  tu  sau- 
ras le  défendre,  si  on  l'attaque  devant  toi,  et  tu  le  con- 
soleras en  l'aimant  davantage. 

Mais,  diras-tu,  pourquoi  reste-t-il  invisible?  je  vou- 
drais tant  le  voir,  me  jeter  à  ses  pieds,  recevoir  de  lui 
de  douces  caresses!  —  Tu  l'aimes  donc  beaucoup?  Eh 
bien  !  alors,  il  te  faudra,  toute  la  vie,  penser  au  ciel,  le 
désirer,  le  mériter,  ce  qui  t'éloignera  des  joies  coupables. 
Ne  t'étonne  donc  pas  de  ce  qu'une  petite  hostie  le  con- 
tient, lui  si  grand  !  Son  corps  ressuscité  ressemble  en 
quelque  sorte  à  une  âme  :  une  âme  n'a  pas  besoin  de 
grande  place.  —  Cela  aussi  tu  le  comprendras  mieux 
plus  tard. 

Quand  tu  reviendras  de  la  sainte  Table,  portant  Jésus 
dans  ta  poitrine,  serre  bien  tes  bras  sur  ton  cœur  et  dis- 
toi  :  il  est  là,  il  est  à  moi.  Et  puis,  ajoute  :  s'il  s'est  donné 
à  moi,  il  est  juste  que  je  me  donne  à  Lui  :  O  Jésus,  faites 
de  moi  et  de  ma  vie  tout  ce  que  vous  voudrez,  ma  vie  et 
moi  nous  vous  appartenons.  Ce  que  je  pense  aujourd'hui, 
ce  que  j'affirme,  je  le  maintiendrai,  je  ne  m'éloignerai 
jamais  de  vous  :  un  homme  d'honneur  ne  reprend  jamais 
ce  qu'il  donne  et  ne  saurait  trahir  ceux  qui  l'aiment. 

Dans  le  recueillement  de  ton  action  de  grâces,  après 
avoir  exprimé  à  Jésus  ta  reconnaissance,  ton  affection, 
ton  dévouement,  demande-lui  de  faire  beaucoup  de  bien 
à  tes  parents,  sans  oublier  ton  vieil  oncle  abbé,  de  leur 
donner  de  douces  joies  par  ta  docilité,  tes  efforts,  tes 
progrès,  de  te  faire  aimer  par  eux  de  plus  en  plus  et  enfin 
de  nous  réunir  tous  un  jour  dans  ce  ciel  où  il  se  montrera 


—  233  — ■ 

dans  toute  l'expansion  de  son  amour.  C'est  là  le  vrai  bon- 
heur, il  est  sans  bornes,  il  demeurera  toujours. 

J'embrasse  tendrement  et  respectueusement  mon  cher 
petit  Jean  qui  va  devenir  le  tabernacle  de  Jésus. 


VIII 

Mes  bons  et  chers  cousins, 

Ce  que  vous  écrit  M.  est  exact,  je  suis  très  affaibli... 

Je  crois  bien  que  cette  fois  je  ne  me  remettrai  pas. 
Cependant,  comme  je  me  sens  beaucoup  de  vie,  je.  puis 
faire  mentir  encore  une  fois  les  probabilités;  j'avoue  pour- 
tant qu'elles  sont  bien  faibles.  Si  je  ne  laissais  pas  mes 
chères  affections,  je  chanterais  avec  joie  mon  «  Nunr. 
Dimittis  ».  Entrer  dans  le  bonheur  de  Dieu,  l'aimer  enfin 
passionnément,  revoir  les  siens,  quelle  adorable  perspec- 
tive !  J'ai  tant  étudié  le  divin  Sauveur,  j'ai  tant  écrit  de 
Lui  que  je  m'en  fais  une  image  ravissante.  Quel  bonheur 
de  le  voir  ! 

Croyez,  bons  et  chers  cousins,  que  je  vous  aimerai  tou- 
jours ici-bas  et  mieux  encore  au  ciel. 


—  234  — 


DIXIEME    SERIE 


Mon  bien  cher  ami, 

C'est  un  malade  qui  vous  écrit.  Voilà  huit  jours  que  je 
n'ai  pu  célébrer  la  Sainte  Messe,  quoique  j'aie  chez  moi 
ma  chapelle.  Je  souffre  beaucoup  de  la  gorge,  et  depuis 
longtemps  un  spécialiste  ne  m'a  pas  caché  que  je  suis 
menacé  de  perdre  la  voix.  J'en  prends  bravement  mon 
parti,  car  la  voix  est  une  arme  dont  je  n'ai  plus  à  me  ser- 
vir, et  la  plume  me  reste.  S'il  y  a  quelques  souffrances  et 
quelques  privations,  c'est  tout  bénéfice. 

Votre  affection  m'est  très  précieuse,  mais  mon  regret 
est  de  n'en  pouvoir  jouir.  Ma  pensée  revient  souvent  vers 
ces  époques  qui  paraissent  plus  ensoleillées  que  celles 
d'aujourd'hui.  Hélas!  trop  de  choses  ont  changé,  non 
seulement  dans  ce  petit  coin  du  monde,  mais  dans  tout 
le  monde  moral.  Sous  l'invasion  de  la  matière,  par  un 
million  d'inventions  et  la  profusion  des  jouissances 
qu'elle  en  retire,  l'humanité  cesse  graduellement  de 
regarder  le  ciel.  Aussi  des  bouleversements  profonds 
paraissent  inévitables  et  peuvent  être  prochains.  La 
religion  discréditée  est  apparemment  impuissante  à 
arrêter  le  flot.  Il  faudra  bien  longtemps  pour  amener  des 
conditions  favorables  et  plus  encore  pour  fonder  un  ordre 
de  choses  nouveau,  meilleur  peut-être,  si  finalement  la 
religion  le  pénètre. 

En  attendant,  vous  travaillez  efficacement  et  obscu- 
rément à  cette  rénovation,  en  élevant  une  nombreuse 
famille  dans  les  sentiments  les  plus  foncièrement  chrétiens. 


—  235  — 

Dieu  vous  donnera  votre  meilleure  récompense  ici-bas 
dans  vos  enfants.  J'en  ai  la  pleine  conviction. 

De' mon  côté,  je  sème  des  idées,  je  tâche  de  relever  les 
courages,  et  de  perfectionner  les  âmes  généreuses.  J'ai 
aussi  essayé  de  former  l'enfance  par  le  livre  dont  vous 
voulez  bien  me  féliciter.  Mon  ambition  est  qu'il  accentue 
le  mouvement  qui  porte  les  chrétiens  à  se  pénétrer  eux- 
mêmes  et  à  pénétrer  les  enfants  d'une  piété  plus  éclairée 
et  plus  aimante. 

Cet  hiver,  je  me  suis  remis  à  des  sujets  plus  élevés, 
mais  bien  difficiles.  Je  voudrais  rassurer  les  âmes  pieuses 
que  troublent  les  mauvaises  idées  régnantes;  mais,  pour 
cela,  je  me  garderai  bien  de  mettre  ces  idées-là  en  lumière  ; 
je  m'applique,  au  contraire,  à  les  faire  disparaître  dans 
la  logique  et  la  beauté  de  nos  vérités.  C'est  dans  cet  esprit 
que  je  viens  de  traiter  la  question  de  Dieu  et  celle  de  la 
Trinité.  Aidez-moi  de  vos  prières.  La  prière  est  l'âme  de 
tout  succès,  et  le  succès  d'un  livre,  par  exemple,  souvent 
appartient  à  des  âmes  inconnues  :  sérieuse  raison,  pour 
un  auteur,  d'être  humble  ! 

Continuez  à  me  tenir  au  courant  de  ce  qui  se  passe  ou  se 
prépare  dans  votre  famille  qui  m'est  si  chère,  et  parta- 
gez avec  votre  admirable  compagne  les  souhaits  de  ma 
très  grande  amitié. 


Il 


Mon  bon  et  cher  ami, 

J'apprends  à  l'instant,  par  J.  L.,  l'écrasante  épreuve  à 
laquelle  vous  soumet,  vous  et  votre  nombreuse  famille, 
Celui  qui  n'agit  pourtant  que  dans  la  sagesse  et  la  bonté. 
Votre  résignation  sera  pour  Lui  une  vraie  gloire;  et 
désormais,  votre  vie,  privée  de  joie,  Lui  apportera  chaque 
jour  de  nouvelles  offrandes  d'une  valeur  inestimable. 
Vous  ne  vivrez  plus  que  pour  Lui  et  pour  vos  enfants.  Ce 
que  nous  n'aurions  pas  le  courage  de  sacrifier,  Dieu  nous 
lo  prend  quand  II  nous  croit  assez  à  Lui  pour  tout  nous 


—  236  — 

demander.  Je  ne  pourrais  tenir  un  tel  langage  à  d'autres 
qu'à  vous,  mais  je  sais  que  vous  le  comprendrez. 

Ah  !  croyez  que  je  compatis  vivement  à  la  douleur  qui 
étreint  votre  pauvre  cœur  !  Je  sais  tout  ce  que  vous  per- 
dez. Comptez  aussi  que  je  ne  cesserai  de  demander  pour 
vous  la  lumière  et  le  courage  qui  vous  sont  nécessaires 
pour  être  à  la  fois  père  et  mère  de  votre  nombreuse 
famille.  Du  Ciel,  votre  sainte  compagne  vous  aidera. 

En  cette  circonstance  je  sens  plus  vivement  combien 
je  vous  suis  attaché/Recevez  donc,  bon  et  cher  ami,  la 
nouvelle  expression  de  mes  sentiments  profondément 
affectueux  et  dévoués. 


III 


Mon  bien  cher  ami, 

Je  pense  souvent  à  vous,  et,  chaque  fois,  j'éprouve  un 
serrement  de  cœur  en  face  de  l'épreuve  qui  s'est  abattue 
sur  votre  vie.  Comme  vous  devez  vous  sentir  seul,  malgré 
votre  nombreux  entourage  !  Et  qu'il  est  lourd  le  poids  de 
vos  soucis!  Quelle  admirable  occasion  de  prouver  à  Dieu 
votre  soumission  et  votre  confiance  !  Comme  vous  gran- 
dissez à  ses  yeux  dans  votre  faiblesse  et  dans  vos  larmes  1 
Ne  vous  reprochez  ni  l'une,  ni  les  autres.  Une  douleur 
qu'on  ne  sentirait  pas  ne  serait  pas  une  douleur,  et  la 
faiblesse  donne  la  mesure  de  ce  que  Dieu  entend  faire. 
C'est  Lui  qui  sera  votre  force  :  on  peut  tout  par  Lui.  » 
C'est  bien  plus  parfait  d'être  soutenu  par  sa  force  divine, 
que  de  l'être  par  la  force  de  nos  moyens  humains.  «  Ré- 
jouissez-vous dans  votre  infirmité  »,  comme  saint  Paul, 
«  c'est  lorsqu'on  est  faible  qu'on  devient  puissant  ». 

Maintenez  votre  âme  dans  une  grande  paix.  Dieu  tien- 
dra ses  promesses,  donnez-Lui  une  confiance  qui  n'hésite 
jamais.  Vous  vous  verrez  dans  des  situations  très  diffi- 
ciles :  levez  les  yeux  vers  Celui  qui  vous  en  dégagera  : 
«  Oculi  mei  semper  ad  Dominum,  quoniam  ipse  de  laqueo 
cvcllct  pedes  meos.   »  S'occuper  activement,  fermement, 


—  237  — 

c'est  notre  rôle.  —  Faire  réussir,  c'est  celui  de  Dieu.  Ce 
n'est  pas*~Lui  qui  fera  défaut. 

Il  faut  bien  vous  attendre  à  ce  que  l'air  du  temps  pré- 
sent pénètre  jusque  dans  le   milieu-  si  saint  de  votre 
famille.  Votre  second  fils  me  semble  un  peu  atteint.  Peut- 
être  vos  reproches  lui  seraient  funestes.  Il  n'est  pas  rare 
qu'à  cet  âge  on  ait  l'esprit  de  contradiction.  Patience 
bonté  affectueuse  toujours  et  malgré  tout. — Je  ne  con 
nais  pas  de  livre  dans  le  genre  de  celui  que  vous  désirez 
j'en  ai  lu  un,  l'an  dernier,  qui  est  très  bien  fait,  mais  qui 
s'adresse  à  des  jeunes  gens  épris  d'idéal.  Il  est  intitulé 
«  Vers  les  Cimes  ».  Il  peut  être  très  utile  à  certaines 
natures. 

Je  désire  que  mon  dernier  petit  livre  pénètre  le  bon 
cœur  de  votre  fille  Marie.  Ce  me  serait  une  vraie  joie 
de  vous  aider  ainsi  dans  votre  tâche. 

J'ai  été  bien  près  de  la  mort  en  janvier  :  je  ne  pouvais 
plus  m'alimenter,  et  une  fièvre  de  consomption  s'était 
établie.  Grâce  au  Docteur  P.,  j'ai  repris  des  forces, 
mais  je  me  sens  bien  usé.  Unissons-nous  donc  dans  lu 
prière,  dans  l'amour  de  Dieu.  Un  jour  viendra,  où  nous 
serons  tous  réunis  à  ceux  que  nous  avons  perdus,  et  qui 
ne  cessent  de  nous  aimer. 

Votre  tout  affectionné. 


IV 


Mon  cher  ami, 


...  Je  m'intéresse  vivement  à  votre  jeune  famille. 
Toutes  les  fois  que  vous  me  ferez  part  de  ce  qui  la  con- 
cerne, vous  me  donnerez  une  vraie  joie....  surtout  s'il 
s'agit  de  succès,  et  ce  sera,  je  crois,  la  règle.  S'il  suffisait 
de  mes  vœux  et  de  mes  prières,  vous  n'auriez  que  cela; 
mais  il  faut  s'attendre,  dans  la  vie.,  à  une  foule  de  petites 
épreuves  qui  ajoutent  à  la  grande  quelques  fleurs  pour 
le  Ciel.  Vous  remplissez  entièrement  votre  devoir  :  vous 
indiquez  la  voie  et  vous  y  marchez  le  premier.  Puis  vous 
priez,  vous  emparant  ainsi  de  la  Toute-Puissance. 


—  238  — 

Il  y  a  des  vides  qui  ne  se  comblent  pas,  et  dont  on  sent 
la  profondeur  d'une  façon  plus  douloureuse,  dans  les 
diverses  circonstances  de  la  vie  de  famille.  Heureuse- 
ment, vous  savez  qu'elle  suit,  du  haut  du  Ciel,  tous  ceux 
qu'elle  a  aimés,  et  sa  pensée  préside  à  tout  ce  qui  se  passe 
chez  les  siens.  Autrefois,  vous  vous  mettiez  à  genoux 
près  d'elle  pour  prier  ensemble;  aujourd'hui,  vous  vous 
mettez  encore  à  genoux  près  d'elle,  mais  c'est  pour  la 
prier.  Votre  union  est  devenue  plus  haute;  vous  l'aimez 
avec  plus  de  vénération  et  non  moins  de  tendresse.  Que 
de  joies  vous  attendent...  là-haut  ! 

Si  ma  santé  me  laisse  un  peu  de  liberté  pour  écrire, 
j'espère  achever  bientôt  mon  second  volume  de  médi- 
tations, et  je-  vous  l'enverrai.  Il  ne  parle  que  de  Jésus 
Lui-même.  Son  but  est  de  Le  faire  connaître  intime- 
ment. Puissé-je  avoir  trouvé  la  bonne  manière  d'y  réus- 
sir ! 

Priez  pour  votre  bien  affectionné. 


V 

Mon  bien  cher  ami. 

Les  beaux  succès  de  vos  enfants  sont  pour  vous  une 
joie  mêlée  de  tristesse  :  vous  songez  à  celle  qui  en  aurait 
pris  sa  large  part.  Tout  nous  permet  de  croire  que  Dieu 
communique  aux  âmes  là-haut  ce  qui  se  passe  d'heureux 
sur  la  terre.  Il  ne  veut  pas  briser  des  liens  qu'il  a  bénis. 
Il  laisse  vivantes  les  affections  qui  se  retrouveront  un 
jour.  Il  les  entretient  par  des  communications  incessan- 
tes. Comment  leur  montre-t-Il  les  regrets  qu'a  laissés 
une  épouse,  une  mère?  Ici-bas  nous  sommes  dans  des 
conditions  telles  que  nous  ne  pouvons  le  comprendre. 
Ce  doit  être  très  simple  et  très  facile  pour  Dieu. 

Ne  vous  reprochez  pas  votre  douleur.  Elle  est  dans 
l'ordre  de  la  nature,  et  Dieu  en  respecte  les  lois.  Ce  serait 
presque  monstrueux  de  ne  pas  souffrir  de  certains  brise- 
ments. La  résignation  chrétienne  donne  sa  beauté  et  son 


—  239  — 

mérite  à  nos  sentiments  naturels.  Il  y  a  presque  de 
l'héroïsme  à  dire  à  Dieu  :  Mon  Dieu,  j'aime  votre  vo- 
lonté!... Et  vous  le  dites  toujours,  même  au  milieu  des 
larmes. 

Merci  de  l'intérêt  que  votre  amitié  porte  à  ma  santé. 
Je  ne  suis  plus  qu'une  ruine,  et  une  ruine  tellement  fra- 
gile qu'un  rien  la  fait  chanceler.  C'est  ainsi  que,  durant 
les  vacances  que  je  passe  ici  dans  les  conditions  les  meil- 
leures, j'ai  subi  par  deux  fois  des  congestions  qui  m'ont 
tenu  au  lit.  Je  n'ai  pu  sortir  dans  le  parc  que  pendant 
huit  jours  de  grand  soleil,  et  je  n'ai  pas  eu  l'avantage 
de  m'y  promener,  parce  que  j'ai  une  phlébite  chronique... 
Tout  cela  est  une  excellente  affaire  pour  celui  qui  doit 
bientôt  terminer  sa  journée  :  ce  sont  quelques  épis  à 
glaner,  à  défaut  de  moisson. 

Je  compte  rentrer  à  Puteaux  le  18.  Si  vous  venez  à  Paris, 
montez  jusqu'à  moi  :  vous  y  recevrez  l'accueil  d'un  ami 
sincèrement  affectionné. 

VI 

Mon  bien  cher  ami, 

Je  n'aurais  pas  laissé  si  longtemps  sans  réponse  votre 
dernière  et  si  bonne  lettre,  si  Dieu  ne  m'avait  continuel- 
lement tenu  dans  l'inaction,  à  tel  point  que,  depuis  trois 
mois,  je  n'ai  pu  écrire  une  seule  page  du  troisième  volume 
des  «  Méditations  ».  —  Vous  jugez  par  là  de  mon  état,  et 
vous  comprenez  en  même  temps  la  tristesse  de  ce  désœu- 
vrement. Croyez  que  le  matin,  et  souvent  ensuite,  je 
remercie  Dieu  de  cette  souffrance  et  m'efforce  d'être 
joyeux. 

Quelques  personnes  amies  ont  organisé  à  mon  insu, 
une  belle  fête  à  l'occasion  de  mon  cinquantenaire  de 
sacerdoce.  J'ai  pu  célébrer  le  Saint  Sacrifice  ce  jour-Ki, 
par  rare  exception;  j'ai  trouvé  ma  chapelle  remplie  dit 
Heurs  venues  de  Nice,  et  un  groupe  d'intimes  venant 
s'unir  à  moi.  Je  garde  une  impression  émue  de  ce  beau 
jour.  Mon  mémento  de  la  messe  a  été  long,  parce  que  j'y 

10 


—  240  — 

ai  présenté  à  Dieu  beaucoup  d'absents.  Vous  étiîz  de  ce 
nombre,  vous  et  votre  chère  famille. 

Je  vois,  par  votre  remarque  sur  l'âme  de  Notre-Sei- 
gneur,  combien  il  est  utile  pour  la  piété  de  l'établir  sur 
une  vraie  connaissance  du  Dogme. 

L'analyse  de  l'Homme-Dieu  n'est  généralement  pas 
poussée  assez  avant.  J'ai  essayé  de  faire  connaître  ce  qui 
est  de  grande  importance  pour  nos  relations  avec  le 
divin  Sauveur.  Il  me  reste  à  développer  à  grands  traits  sa 
doctrine,  et  de  la  rendre  vivante  par  la  méditation  de 
certains  faits  évangéliques,  et  de  certaines  paraboles. 
Ce  serait  le  sujet  du  troisième  volume;  le  quatrième  com- 
prendrait la  Cène,  la  Passion  et  la  Vie  ressuscitée... 
C'est  bien  long  et  je  suis  bien  usé  ! 

Continuons  à  prier  l'un  pour  l'autre  et  à  nous  aimer  en 
vrais  amis.  L'affection  est  un  peu  de  soleil  dans  la  vie. 
Vous  pouvez  compter  sur  la  mienne. 

il 

VII 

Mon  bien  cher  ami, 

Je  demande  à  Dieu  de  vous  bien  garder,  vous  et  votre 
doux  nid  que  menacent  nos  rudes  ennemis.  Qu'il  protège 
ceux  de  vos  fils  qui  défendent  notre  pauvre  patrie,  et 
qu'il  nous  donne  une  paix  honorable.  —  Je  n'oublie  pas 
votre  douleur  paternelle,  et  je  partage  vos  espérances  si 
largement  assurées.  C'est  pour  peupler  le  Ciel  que  Dieu 
confie  les  enfants  au  père  et  à  la  mère.  Vous  êtes  mainte- 
nant l'un  et  l'autre  pour  eux.  Que  de  grâces  et  que  de 
mérites  vous  attendent  ! 

Vous  savez  combien  votre  affection  m'est  chère.  La 
^nienne  traversera  la  tombe,  que  me  montre  de  près 
l'affaiblissement  graduel  de  ma  santé  :  je  ne  peux  plus 
dire  la  messe  ! 

Votre  tout  affectionné. 


—  241  — 


VIII 


Mon  bien  cher  ami, 

La  triste  nouvelle  que  vous  m'annoncez  me  cause  une 
vive  peine;  je  sais  combien  votre  cœur  est  sensible,  et 
je  comprends  combien  la  mort  d'A.  a  dû  le  blesser. 
Cependant,  connaissant  aussi  vos  sentiments  religieux  et 
patriotiques,  je  sais  que  vous  vous  êtes  tourné  vers  Dieu 
pour  Lui  dire  :  Tout  ce  que  vous  faites  est  bien  fait 

...  Dieu  quelquefois  sauve  les  âmes,  en  abrégeant  leur 
vie.  Il  lui  faut  aussi  des  victimes,  et  il  en  a  fait  deux,  le 
fils  et  le  père.  C'est  aussi  une  consolation  pour  vous  de 
penser  qu'il  a  versé  son  sang  pour  la  patrie. 

Il  vous  reste  bien  des  sujets  d'inquiétude.  Vos  autres 
fils  sont  en  danger,  je  prie  Dieu  de  les  conserver.  Ceux-là 
seront  des  soutiens  de  la  religion,  et  le  nombre  n'en  est 
pas  trop  grand. 

Dans  cette  circonstance,  je  sens  plus  que  jamais  com- 
bien vous  m'êtes  cher.  Recevez  donc  la  nouvelle  expres- 
sion de  mon  affection  la  plus  tendre. 


ONZIEME    SERIE 


Madame, 

Dieu  a  fait  publier  cette  grande  promesse  :  «  Paix  aux 
âmes  de  bonne  volonté.  »  Vous  êtes  une  de  celles-là;  ayez 
donc  confiance.  Il  me  paraît  certain  que  vous  avez  besoin 
de  secours  spirituels,  mais  je  ne  sais  pas  encore  s'ils 
vous  sont  préparés  auprès  des  filles  de  saint  F.  de  S. 


—1242  —  , 

Je  n'aime  pas  les  vocations  de  simple  raison;  j'aime  à 
constater  que  l'âme  tout  entière  se  porte  vers  l'œuvre 
providentielle.  Cet  attrait  vient  de  Dieu  assurément, 
mais  il  peut  être  et  il  est.  d'ordinaire  occasionné  par  cer- 
taines circonstances.  Une  occasion  serait  une  visite  à  cer- 
taines personnes  que  je  vous  désignerais  et  auprès  des- 
quelles vous  prendriez  une  idée  d'ensemble. 

Tenez  votre  âme  éloignée  de  toute  préoccupation  de 
conscience  et  dégagée  des  souvenirs  du  passé.  Ramenez 
le  plus  possible  votre  pensée  vers  Dieu,  notre  divin  Maî- 
tre, la  Sainte  Vierge,  selon  votre  attrait;  mais  ne  vous 
repliez  pas  sur  vous-même.  Pour  s'élever,  il  faut  s'élan- 
cer vers  les  hauteurs.  Toute  préoccupation  personnelle 
paralyse  ou  ralentit  l'essor. 

Je  vous  bénis  au  nom  de  Dieu  et  de  Marie. 


II 


Madame, 


Xe  vous  reprochez  pas  les  détails  de  votre  lettre  et 
continuez  à  y  entrer  sans  aucune  crainte  à  l'avenir.  Nous 
sommes  dans  la  période  d'information;  le  but  est  de  vous 
faire  connaître.  Il  y  faut  une  entière  liberté,  liberté 
du  côté  de  l'analyse  de  vous-même,  liberté  du  côté  de 
l'expression,  écrivant  comme  la  pensée  vous  vient. 

Ce  n'est  pas  le  moment  de  vous  oublier  quand  vous 
m'écrivez;  il  faut" pour  un  temps  vous  occuper  de  vous 
ainsi  ;  mais  un  autre  temps  viendra  où  le  divin  Maître 
s'emparera  peu  à  peu  de  vos  pensées;  alors  nous  ne  parle- 
rons que  de  Lui. 

Les  personnes  sont  assurément  beaucoup  dans  une 
société,  mais  les  moyens  qu'elle  offre  sont  l'essentiel.  Je 
vous  l'ai  déjà  dit,  ces  méthodes  de  formation  ont  une 
puissance  et  une  souplesse  merveilleuses.  Ce  n'est  pas 
un  moule,  mais  un  ensemble  de  stimulants  et  de  soutiens. 
Vous  avez  pu  constater  la  différence  des  natures,  chez  les 
trois  personnes  qui  ont  été  formées  à  la  même  écolo.  Je  ne 


—  243  — 

voudrais  pas  pour  vous  d'obligations  nouvelles  et  des 
règles  étroites.  Je  croirais  que  des  secours  vous  seraient 
utiles. 

Il  me  semble  que  vous  n'avez  pas  encore  trouvé  votre 
voie,  mais  vous  vous  êtes  si  généreusement  dépensée  et  si 
sincèrement  donnée  à  Dieu,  que  vous  la  trouverez.  Alors 
vous  aurez  la  paix  et  vous  avancerez. 

Je  ne  vous  demande  aujourd'hui  qu'une  chose  :  «  Allez 
à  Notre-Seigneur  avec  toute  la  confiance  que  vous  auriez 
si  vous  étiez  sûre  de  lui  plaire  en  tout.  »  Faites  cela  sur  ma 
parole  et  constamment,  quelles  que  soient  les  oppositions. 

Permettez-moi  de  vous  bénir  comme  une  fille  en  Notre- 
Seigneur. 

III 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Continuez  à  me  parler  sans  calculer  l'effet  que  peuvent 
produire  telles  et  telles  communications.  Soyez  simple  et 
très  simple.  Dites  le  bien  comme  le  mal.  Dieu  seul  est  là  : 
je  suis  son  intermédiaire  du  moment. 

Vous  avez  compris  ma  pensée  et  vous  avez  atteint  l'état 
où  je  voulais  vous  voir.  Vous  avez  pensé,  senti  et  agi, 
comme  aurait  fait  une  personne  très  aimée  de  Jésus.  Je 
prends  sur  moi  aujourd'hui  d'aller  plus  loin  et  de  vous 
dire  :  croyez  que  telle  que  vous  êtes,  vous  plaisez  à  Jésus. 
On  peut  lui  plaire  bien  avant  d'être  arrivé  à  la  perfection 
qu'il  désire.  Croire  à  cet  amour  est  le  grand  viatique  sur 
le  chemin.  Les  imperfections  tombent  d'elles-mêmes  par 
la  maturité  croissante  de  l'amour. 

En  suivant  la  direction  que  je  vous  indique  et  dont  je 
prends  la  responsabilité,  sans  toutefois  vous  l'imposer, 
vous  garderez  la  paix  et  vous  prendrez  plus  de  vie. 

Quand  vous  serez  dans  l'état  de  paix  qui  permet  d'en- 
tendre l'appel  de  Dieu,  vous  me  ferez  part  des  désirs  qui 
s'élèveront  dans  votre  âme;  je  vous  donnerai  alors  mon 
humble  avis  sur  ces  deux  points  essentiels  :  Comment 
cultiver  votre  vie  intérieure?  Comment  employer  votre 


—  244  — 

«k 

vie  extérieure?  Nous  verrons  si,  et  jusqu'à  quel  point,  la 
Société  de...  peut  y  être  utile. 

La  direction  n'exige  pas  nécessairement  l'obéissance. 
Elle  est  un  conseil  éclairé  dont  on  doit  faire  cas,  selon  la 
prudence,  par  conséquent  selon  la  valeur  des  conseils 
demandés  et  de  celui  qui  les  donne.  On  peut  s'en  écarter 
si,  de  bonne  foi,  on  ne  les  trouve  pas  très  justes  ou  très 
applicables.  Ce  serait  bien  reposant  de  n'avoir  pas  la  res- 
ponsabilité de  cet  examen,  mais  c'est  seulement  par 
exception,  et  dans  une  mesure  toujours  limitée,  qu'on 
doit  s'en  rapporter  aveuglément  à  l'obéissance.  Une 
obéissance  habituelle  du  jugement  tendrait  plutôt  à  nous 
diminuer. 

Je  crois  que  M.  l'abbé  de  T.  aurait  souscrit  à  cette 
thèse,  lui  qui  voulait  que  sa  religieuse  prît  le  caractère 
anglais.  J'ai  lu  en  partie  ses  lettres  qui  n'auraient  pas  eu 
grand  succès,  si  elles  étaient  d'un  autre  que  de  lui.  Ce 
que  je  savais  de  ses  volumes  d'une  philosophie  éminente 
me  faisait  espérer  mieux.  Ainsi  que  vous  me  le  signalez, 
on  ne  saisit  pas  au  juste  ce  qu'il  demande  et  l'on  ne  voit 
ni  un  programme,  ni  une  méthode.  Quelques  théories, 
d'ailleurs  mal  définies,  ne  me  plaisent  pas.  Où  je  l'admire 
sincèrement,  c'est  dans  sa  persévérance  à  mettre  la  paix 
dans  les  âmes  de  bonne  volonté. 

Vous  le  voyez,  à  mon  avis,  la  direction  n'est  pas  l'impé- 
ratif catégorique  s'imposant  par  un  droit  qui  lui  serait 
propre,  mais  pouvant  néanmoins,  si  elle  est  sage,  s'impo- 
ser comme  une  lumière.  L'âme  reste  l'arbitre.  Si  elle  croit 
devoir  se  conformer  au  conseil  reçu,  parce  qu'il  fixe  les 
incertitudes  de  son  esprit,  elle  l'accueille  alors  comme 
venant  de  Dieu  et  lui  transmettant  sa  pensée.  Elle  y 
adhère  donc  plus  fortement,  plus  joyeusement  et  plus 
surnaturellement  encore. 

Si  vous  me  permettez  maintenant  de  vous  indiquer 
l'orientation  que  j'aimerais  à  vous  voir  prendre,  je  vous 
dirai  une  chose  très  simple  :  sans  blâmer  les  recherches 
intellectuelles  qui  font  beaucoup  lire,  je  préfère  l'appli- 
cation à  grandir  par  l'amour,  le  dévouement,  le  sacrifice. 
Saint  Thomas  fait  remarquer  que  les  vérités  ont  besoin 


—  245  — 

de  se  rapetisser  pour  entrer  en  nous,  tandis  que  nos  élans 
pour  aller  à  Dieu  nous  grandissent  sans  mesure. 

J'admettrai  volontiers  chez  vous  la  lecture  élevée  à 
titre  de  distraction  pieuse;  vous  en  avez  besoin  actuel- 
lement, mais  ce  n'est  point  par  elle  que  vous  grandirez 
véritablement.  J'admets  pleinement  les  lectures  qui  vous 
mettent  à  même  d'exercer  une  influence  heureuse  sur 
vos  enfants  et  sur  votre  entourage. 

J'ai  une  préférence  marquée  pour  les  pensées  et  les 
sentiments  des  bonnes  âmes.  Dans  mon  oraison,  je  n'ai 
jamais  cultivé  autre  chose.  Se  tenir  près  de  Notre-Sei- 
gneur,  le  regarder,  sentir  qu'on  l'aime  et  le  lui  dire  : 
voilà  ce  qu'il  est  doux  de  recommencer  chaque  jour  et 
de  répéter  tout  doucement  à  satiété,  de  même  dans  les 
retours  vers  Dieu  dans  la  journée.  Assurément  les  hautes 
considérations  y  conduisent  :  je  trouve  plus  court  d'y  aller 
sans  elles. 

Je  lirai  volontiers  les  petits  cahiers  dont  vous  me  par- 
lez; ils  m'aideront  à  mieux  connaître  l'action  de  Dieu 
sur  vous. 

La  fidélité  aux  exercices  de  piété  doit  être  habituelle, 
mais  elle  peut  céder  pour  un  temps  à  diverses  nécessités. 
Quand  le  cas  s'en  présente,  agissez  largement  et  sans 
trouble. 


IV 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

1°  Ne  vous  étonnez  pas  de  ne  point  arriver  au  calme. 
Il  me  semble  que  Dieu,  avant  de  vous  le  donner,  veut  se 
servir  des  souffrances  causées  par  cet  état  pour  l'œuvre 
de  la  réparation.  C'est  votre  plus  riche  contribution  au 
salut  des  âmes.  —  Si  je  vous  donne  cette  affirmation, 
c'est  que  je  ne  distingue  rien  dans  vos  dispositions  qui 
s'oppose  aux  volontés  de  Dieu.  Or,  c'est  le  cœur  qu'il 
regarde  et  non  les  imperfections,  quand  elles  sont  désa- 
vouées. 


—  246  — 

Aimez  à  vous  répéter  ces  paroles  :  «  Je  veux  tout  ce 
que  Dieu  veut.  Pour  rien  au  monde,  je  ne  lui  ferais 
volontairement  la  moindre  peine.  Ce  n'est  ni  pour  en 
jouir,  encore  moins  pour  m'en  glorifier,  que  je  désire 
une  profonde  vie  intérieure.  »  Désavouez  simplement  les 
impressions  contraires  qui  voudraient  vous  troubler  : 
elles  ne  comptent  pas. 

2°  Étant  donné  que  vous  êtes  dans  ces  dispositions,  je 
vous  affirme  en  second  lieu  que  la  diminution  actuelle 
de  vofre  vie  intérieure  ne  vous  diminue  point  en  réalité. 
Pour  me  faire  bien  comprendre,  je  dois  vous  rappeler 
que  la  perfection  est  avant  tout  dans  la  volonté.  Sans  cela 
que  deviendraient  ces  âmes  si  nombreuses  et  si  utiles,  les 
Sœurs  de  Saint- Vincent  par  exemple,  qui  sont  pour  la 
plupart  absorbées  par  les  occupations  que  Dieu  leur 
confie.  J'en  ai  rencontré  qui  ne  se  retrouvaient,  et  encore? 
que  dans  leurs  exercices  de  piété  :  aucune  douceur,  aucun 
sentiment  intime  de  leur  vie  surnaturelle;  rien  que  de  la 
sécheresse,  mais  une  noble  volonté  de  tout  sacrifier  à 
Dieu,  même  cette  part  si  enviée. 

Dieu  ne  peut  pas,  sans  une  sorte  de  miracle,  donner  à 
une  âme  que  sa  situation  et  sa  nature  en  tirent  assez  loin, 
l'intimité  des  âmes  retirées  dans  la  solitude  ou  particu- 
lièrement aptes  à  sentir  le  surnaturel.  Ce  miracle  il  le 
réalise  pour  quelques-unes,  mais  il  n'aime  pas  moins  celles 
qu'il  abandonne  aux  lois  naturelles  de  leur  position  et  de 
leur  tempérament.  Celles-ci  peuvent  être  aussi  grandes 
que  les  autres,  aussi  divinisées;  elles  le  sont  seulement 
d'une  autre  manière. 

Ah  !  qu'elle  est  vraie  cette  parole  de  Noël  :  «  Paix  sur 
la  terre  aux  âmes  de  bonne  volonté.  »  Or,  vous  êtes  une 
de  ces  âmes.  Au  milieu  de  vos  occupations,  quand  vous 
ne  pensez  pas  à  Dieu,  vous  êtes  comme  une  personne  qui 
sommeille.  Vous  sommeillez,  mais  votre  cœur  veille  et 
agit.  Est-ce  que  notre  cœur  matériel  a  besoin  de  notre 
initiative  pour  battre  et  faire  toute  son  œuvre?  Nous 
sommes  pleins  de  forces  latentes  qui  agissent  en  nous  et 
sans  nous.  Notre  divinisation  se  fait  beaucoup  par  des 
actions  cachées  mises  en  mouvement  par  des  forces  vir- 


—  247  — 

tuelles.  Ce  que  nous  avons  voulu  se  prolonge  dans  nos 
actes  inconscients. 

Laissons  là  ces  analyses  et  disons  simplement  :  il  faut 
tendre  à  la  vie  intime,  mais  il  ne  faut  pas  se  troubler  de  ne 
la  point  atteindre  :  la  vie  intime  n'est  qu'uniforme  de  la 
vie  surnaturelle.  Le  désir  paisible  et  résigné  vous  prépa- 
rera à  l'obtenir  un  jour. 

3°  Revenez  donc,  je  vous  le  demande,  à  la  pratique 
déjà  proposée  :  Soyez  dans  vos  rapports  avec  Digu  comme 
une  âme  qui  se  sent  aimée  de  Lui.  Au  besoin,  appuyez-vous 
sur  mon  affirmation.  Je  sens  que  je  ne  me  trompe  pas,  et 
je  vous  dis  que  c'est  l'ennemi  de  votre  perfection  qui  vous 
arrête.  Si  j'en  avais  le  droit,  je  vous  dirais  :  «  Je  veux  que 
vous  ayez  une  confiance  sans  réserve,  une  confiance  telle 
que  vous  la  croiriez  téméraire  »,  une  confiance  enfin  qui 
ne  laisse  aucune  place  à  la  crainte.  La  crainte  est  chez 
vous  le  grand  obstacle. 

Je  prends  bonne  note  de  ce  que  vous  me  dites  de  votre 
désir  d'une  amie  à  qui  vous  pourriez  ouvrir  parfois  un 
coin  de  votre  âme.  Allons  lentement. 


V 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Une  courte  et  profonde  phrase  de  saint  François  de 
Sales  tranche  l'inquiétude  que  vous  m'exposez  :  «  Le 
trône  de  la  miséricorde  de  Dieu,  c'est  notre  misère.  » 

Ne  vous  demandez  donc  pas  comment  Dieu  peut  vous 
aimer  et  pourquoi  vous  devez  vous  croire  aimée.  Les  âmes 
qui  opposent  à  cet  amour  une  volonté  opposée  l'éloignent, 
mais  celles  qui  ne  lui  présentent  que  leurs  misères  spiri- 
tuelles l'attirent  plutôt.  Quelle  erreur  de  chercher  dans 
nos  mérites  la  cause  de  cet  amour  qui  est  miséricorde  ! 
Considérez  ce  que  vous  êtes  pour  vos  enfants.  Votre  affec- 
tion maternelle  varie- t-elle  selon  les  dispositions  plus 
ou  moins  favorables  qu'ils  vous  montrent?  N'avez-vous 
pas  toujours  pour  eux  le  même  cœur?  Si  leur  inattention 


—  248  — 

vient,  de  Pentraînemenl  ou  d'un  oubli  passager,  el  sur- 
tout si  elle  n'amoindrit  pas  leur  cœur,  ne  les  serrez  vous 
pas  toujours  dans  vos  bras? 

Dieu  est  meilleur  que  nous.  11  apprécie  mieux  le  irai 
fond  de  notre  amour.  En  vous,  moi  aussi,  je  n'ai  regardé 
que  cela,  et  je  ne  consens  pas  à  me  laisser  influencer  par 
autre  chose  :  je  sais  que  vous  aimez  Dieu  de  tout  votre 
cœur,  je  sais  que  vous  en  êtes  particulièrement  aimée,'  je 
conclus  :  croyez,  et  exprimez  vos  sentiments. 

Ceci  enfin  bien  résolu,  écartez  la  crainte  qui  vous  vient 
de  ce  que  les  réponses  courantes  qu'on  reçoit  et  qu'on 
donne  finissent  par  laisser  quelque  dégoût. 

Je  crois  que  ces  réponses  ont  un  grand,  fond  de  vrai, 
mais  je  crois  aussi  que  souvent  on  ne  le  distingue  pas 
assez:  on  parle  un  langage  de  convention.  Approfondissez 
donc  ces  sortes  de  réponses,  sans  y  chercher  du  nouveau, 
et  vous  y  trouverez  du  vrai.  Sans  doute,  à  force  de  les 
entendre  et  surtout  de  les  redire,  on  en  perd  l'impression. 
Mais  la  vie  spirituelle,  pas  plus  que  toute  vie  sérieuse, 
doit  s'appuyer  uniquement  sur  le  vrai  apparaissant  par 
la  raison.  Si  elle  cherche  l'impression,  elle  peut  être  gran- 
dement déçue.  Il  faut  savoir  au  besoin  vivre  de  pain  sec. 
—  Vous  n'en  êtes  pas  là,  si  ce  n'est  par  moments;  vous 
avez  pu  comprendre  ce  que  vous  devez  à  ce  Dieu  qui  s'est 
prodigué  à  vous  à  tant  d'autres  moments.  —  Soit  dans 
vos  lettres,  soit  dans  un  entretien,  j'ai  été  frappé  de  cette 
recherche  constante  de  l'idéal  que  vous  me  signalez  vous- 
même;  il  n'en  faut  pas  dire  du  mal,  mais  il  ne  faut  pas 
trop  s'en  occuper.  Je  dis  trop,  remarquez-le  bien,  car  je 
regarderais  comme  funeste  à  votre  avancement  la  direc- 
tion qui  vous  en  détournerait  pour  vous  fixer  uniquement 
dans  la  pratique.  C'est  un  sursum  corda  dont  vous  avez 
souvent  besoin;  c'est  un  guide  aussi,  mais  qui  peut  lais- 
ser en  chemin.  Je  n'admets  pas  l'idéal  comme  direction 
de  la  piété,  mais  je  l'aime  beaucoup  comme  son  stimu- 
lant. 

Le  mérite  n'est  pas  dans  la  pensée  quelque  haute 
qu'elle  soit,  mais  dans  le  bien  qu'elle  détermine.  Je 
connais  des  âmes  admirables  dont  les  pensées  sont  très 


—  249  — 

communes.  Il  est  vrai  que  ces  vérités  communes  sont  : 
Jésus  soutirant,  — -  Jésus  trahi  de  nos  jours,  —  Jésus 
s'occupant  de  nous  sans  cesse  et  vivant  en  nous,  — 
Jésus  dans  l'Eucharistie,  —  Jésus  qu'un  peut  aimer  et 
pour  qui  l'on  peut  souffrir. 

Souvent  dans  nos  pensées  nous  appelons  élevé  ce  qui 
offre  une  vue  nouvelle  ou  spécialement  délicate.  Le  sens 
littéraire  est  pour  beaucoup  dans  cette  appréciation. 
Ne  vous  défiez  donc  pas  de  l'idéal,  mais  ne  vous  désolez 
pas  lorsque  les  choses  religieuses  s'en  montrent  privées. 
«  Ce  ne  sont  pas  ceux  qui  disent  :  Seigneur,  Seigneur... 
mais  ceux  qui  font  la  volonté  de  mon  Père  !  »  Faire  la 
volonté  de  Dieu,  voilà  notre  fonds.  Tant  que  nous  nous 
y  tenons,  nous  sommes  dans  le  bien,  dans  le  mérite,  dans 
Y  amour.  Rien  ne  nous  empêche  d'y  être  toujours,  pas 
même  le  dégoût  involontaire  avec  lequel  on  fait  ces 
choses,  pas  même  les  moments  passagers  de  relâchement 
qui.  n'atteignent  pas  le  fond  de  la  vie.  Non,  vous  n'êtes 
pas  dans  la  tiédeur,  à  aucun  degré,  je  vous  l'affirme. 

Ne  vous  empressez  pas  pour  multiplier  ni  pour  renou- 
veler vos  intentions.  C'est  inutile  et  ce  serait  souvent 
dangereux;  on  arriverait  à  la  complication  et  à  la  fatigue. 
Les  théologiens,  qui  ont  souvent  du  bon,  insistent  sur 
l'intention  virtuelle.  Si  j'osais,  j'emploierais  une  compa- 
raison qui,  toute  scientifique  qu'elle  est,  n'est  pas  assez 
digne  de  ce  sujet.  L'intention  virtuelle  ressemble  à  une 
accumulation  d'électricité.  Tout  ce  qui  se  fait  par  cette 
force  incluse  dépend  de  la  force  primitive.  Ainsi  pour 
vous.  Croyez  bien  que  lorsque  vous  remplissez  chacun  de 
vos  devoirs,  vous  agissez  en  vertu  de  l'amour  divin  qui 
actionne  votre  vie.  Vous  feriez  ces  choses  quand  même, 
assurément,  mais  cette  force  étant  en  vous  agit  avec  le 
sens  naturel,  et  au  besoin  agirait  sans  lui.  C'est  ce  qui 
arrive  dans  les  cas  pénibles. 

Songez  donc  plutôt  à  accumuler  dans  vos  heures  de 
prière  cette  force  divine. 

Regardez  toujours  la  fidélité  aux  exercices  de  piété 
comme  la  base  de  toute  piété  solide.  Soyez-leur  fidèle, 
mais  ne   vous  troublez  pas,  si   les  circonstances  vous 


—  250  — 

engagent  à  on  négliger  passagèrement  quelques-uns.  Dès 
que  vous  êtes  redevenue  libre,  insistez  davantage,  prolon- 
gez même,  malgré  la  répugnance.  Il  faut  regagner  par  une 
ardeur  plus  généreuse  le  mouvement  perdu. 

En  résumé,  veuillez  reprendre,  sans  plus  de  discussion 
avec  vous-même,  l'attitude  de  confiance  que  je  vous  ai 
donnée,  comme  moyen  de  perfectionnement.  Simpli- 
fiez-vous en  cet  acte  d'abandon,  selon  la  parole  du  divin 
Maître  :  «  Si  vous  ne  devenez  comme  de  petits  en- 
fants... » 

Faites  toute  chose  dans  cet  esprit,  les  choses  maté- 
rielles et  celles  plus  hautes  de  l'âme.  Quand  il  vous  vien- 
dra des  anxiétés  particulières  à  des  cas  présents,  si  elles 
sont  spéculatives,  négligez-les,  sauf  à  m'en  parler  quand 
vous  m'écrirez,  mais  cessez  d'y  penser  en  attendant. 

S'il  s'agit  de  cas  pratiques,  décidez  d'après  votre  juge- 
ment ou  les  conseils  reçus;  cela  fait,  ne  cherchez  pas  à 
savoir  si  vous  avez  bien  fait;  c'est  chose  jugée,  affaire 
conclue.  Pensez  à  quelque  progrès  à  réaliser  ou  à  quel- 
que consolation  à  donner  à  Dieu. 


VI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  crois  qu'à  la  période  de  vie  spirituelle  où  vous  vous 
trouvez,  des  secours  extérieurs  vous  seront  utiles.  Dieu  est 
si  bon  pour  les  siens  ! 

A  l'approche  de  la  tempête  qui  va  éclater  sur  l'Église  de 
France,  je  me  sens  le  cœur  bien  serré;  j'ai  de  grandes 
craintes  immédiates.  Quant  à  l'avenir,  il  me  semble  voir 
le  petit  troupeau  succédant  aux  masses,  et  devenant  plus 
fervent  et  même  plus  nombreux  qu'aujourd'hui.  Mais  le 
peuple  nous  reviendra-t-il  jamais? 

Ces  jours-ci,  à  une  personne  fort  malade,  souffrant 
beaucoup  et  ne  désirant  que  le  Ciel,  on  disait  :  «  Vous 
serez  bien  contente  d'aller  vers  Dieu  à  la  fin  de  la  neu- 
vaine.  —  Oh  !  non,  pas  encore,  ce  n'est  pas  le  moment. 


—  251  — 

Jésus  souffre  trop  !  Il  faut  rester  pour  le  consoler  et  souf- 
frir avec  Lui.  »  Ce  fut  tout  spontané  et  très  touchant. 

Vivons  notre  vie  choisie  pour  nous  par  un  Père  qui  sait 
tout.  La  vôtre,  je  le  crains,  sera  éprouvée  et  restera 
peut-être  longtemps  dans  une  sorte  d'indifférence  qui 
n'est  qu'une  épreuve. 

Aimez  votre  vie  autant  qu'une  vie  consolée.  Que  le 
Maître  vous  trouve  toujours  faisant  sa  volonté  de  chaque 
jour,  sans  regard  sur  le  lendemain. 


VII 


Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

Laissez-moi  vous  dire  sans  aucun  retard  combien  je 
prends  part  à  la  douleur  que  vous  cause  la  mort  d'un 
prêtre  qui  fut  pour  votre  âme  un  puissant  directeur  et  qui 
est  toujours  resté  l'ami  intime  de  votre  famille. 

Ces  amitiés  sont  rares  et  précieuses,  et,  comme  vous  le 
dites,  elles  laissent  un  très  grand  vide.  Peu  à  peu  le  mou- 
vement de  la  vie  fait  tomber  à  nos  côtés  les  êtres  qui  nous 
furent  chers.  Leçon  sensible  de  détachement  et  d'espé- 
rance. 

Ne  craignez  pas  trop  le  purgatoire;  il  est  doux  au  fond, 
car  on  est  heureux  de  souffrir;  on  sent  que  la  purification 
s'opère  qui  rendra  l'âme  belle  aux  yeux  de  Celui  dont 
l'éloignement  fait  le  tourment  suprême.  Oh!  quand  on 
se  verra  près  de  Lui,  tout  sera  vite  oublié  !  Faites  en  sorte 
que  pour  cette  âme,  cet  instant  soit  rapproché  par  les 
divers  moyens  que  l'Eglise  met  à  notre  disposition. 

Non,  il  ne  faut  point  garder  le  moindre  souvenir 
attristant.  Ce  que  Dieu  efface  est  bien  effacé.  Ce  qu'il  ne 
voit  plus,  pourquoi  le  regarderions-nous?  Au  Ciel,  il  ne 
fera  jamais  le  moindre  reproche  du  passé  :  pourquoi  gar- 
derions-nous la  moindre  amertume?  Les  longues  souf- 
frances de  ces  derniers  temps  ont  été  toutes  de  miséri- 
corde. Dieu  aimait  cette  âme,  aimez-la  avec  Lui;  priez-la. 


—  252  — 

Voici  maintenant  quelques  réponses  sommaires  à  vos 
questions  fort  justes. 

1°  La  notation  qu'on  donne  de  chacune  de  ses  actions 
principales  a  pour  but  de  nous  comparer  à  nous-même  et 
de  nous  inviter,  s'il  est  possible,  à  nous  surpasser.  Sup- 
posez un  maximum  de  10  et  voyez  bonnement  à  quelle 
distance  s'en  tient  tel  ou  tel  exercice  de  piété  ou  de  vertu. 
Faites  cela  très  librement,  presque  sans  chercher,  très  vite 
par  conséquent.  La  moyenne  qui  s'en  dégage  sera  vraie. 

2°  Vous  savez  l'importance  que  j'attache  à  l'examen 
particulier.  Oui,  généralement  le  même  sujet  occupe  le 
mois-entier.  Le  tableau  de  la  dernière  page  en  est  la  mise 
en  pratique.  Vous  y  rendez  compte  du  résultat  passé. 
Vous  maintenez  le  même  sujet  ou  bien  vous  en  changez 
en  indiquant  les  moyens  à  employer.  C'est  à  la  personne 
elle-même  qu'incombe  ce  choix  et  il  ne  faut  pas  se  déchar- 
ger sur  le  directeur  de  cette  recherche. 

Il  n'est  pas  nécessaire,  et  il  serait  dangereux  pour  vous 
d'y  consacrer  trop  de  temps;  quelques  minutes  bien 
employées  suffisent.  La  contention  d'esprit  et  le  senti- 
ment d'un  embarras  dans  sa  vie  finiraient  par  décourager. 

Les  moyens  ne  sont  que  des  moyens.  S'ils  ne  condui- 
sent pas  au  but,  qui  est  de  nous  faire  avancer,  em- 
ployons-les autrement.  Il  y  a  même  des  âmes  qu'on  doit 
en  dispenser  tout  à  fait. 

3°  Vous  pouvez  ne  faire  que  tard  votre  lecture  spiri- 
tuelle, mais  quand  c'est  raisonnable,  laissez-la  tout  à  fait. 
Je  parle  d'une  fatigue  que  vous  ne  surmonteriez  pas  sans 
inconvénients. 

Oui,  une  dizaine  de  chapelet  suffit,  et  c'est  la  manière 
dont  vous  l'avez  dite  que  vous  marquez. 

4°  Continuez  à  être  fidèle  à  vos  communions.  C'est  la 
rencontre  avec  Dieu.  Elle  est  toujours  un  acte  à1  amour 
profond,  alors  même  qu'elle  ne  soulève  rien  en  nous. 
Néanmoins,  omettez-la  sans  remords  dès  qu'il  se  pré- 
sente un  obstacle  sérieux  ou  un  devoir  d'état,  même 
secondaire.  La  volonté  de  Dieu  primera  tout. 

5°  Dans  la  période  de  formation,  il  convient,  pour 
mieux  s'adapter  à  l'esprit  et  au  mouvement  de  la  Société, 


—  253  — 

de  suivre  la  règle  avec  grande  fidélité,  mais  gardez- vous 
bien  de  vous  surmener,  vous  gâteriez  tout!  De  grâce,  pas 
de  contention,  pas  de  surmenage,  mais  une  bonne  volonté 
toute  raisonnable,  ne  faisant  que  ce  que  l'on  conseillerait 
à  une  personne  qui  serait  à  votre  place. 

6°  Je  crois  que  pour  le  moment,  le  confesseur  que  vous 
avez  choisi  peut  vous  suffire  et  vous  faire  même  un  bien 
réel,  ne  fût-ce  que  par  sa  sainteté. 


VIII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

En  lisant  votre  lettre,  j'ai  élevé  ma  pensée  vers  le 
divin  Maître,  le  priantde  ne  pas  trop  accabler  la  mère  qui 
souffre  dans  ses  enfants.  Vous  me  dites  que  tout  semble 
revenir  en  bon  état  :  je  reste  donc  sur  cette  impression; 
mais  si  vous  avez  de  nouveaux  sujets  d'inquiétude,  je 
vous  demande  de  me  l'écrire;  je  tiens  à  partager  vos 
sollicitudes.  C'est  un  des  droits  de  la  paternité  spirituelle. 

Durant  cette  période  de  surmenage,  vous  avez. consacré 
tout  votre  temps  et  vos  pensées  aussi  à  ces  douloureux  et 
pressants  devoirs.  Redevenue  libre,  vous  semblez  envi- 
sager avec  tristesse  ces  semaines  écoulées,  les  jugeant  bien 
inférieures  au  point  de  vue  surnaturel  et  ne  retrouvant 
plus  votre  élan...  Je  suis  convaincu  que  vous  avez  été 
aussi  agréable  à  Dieu  dans  votre  activité  d'infirmière  que 
dans  le  recueillement  d'une  vie  paisible.  Vous  l'avez 
servi  aussi  surnaturellement  mais  d'une  manière  autre. 
Quelle  est  la  meilleure?...  Celle  qui  vous  est  demandée  ! 
Je  vous  étonnerai  peut-être  en  disant  que  l'on  peut  être 
très  parfait  sans  une  vie  intérieure  bien  intense,  surtout 
quand  on  n'en  est  éloigné  que  par  les  circonstances  et 
pour  un  temps.  Quand  on  fait  tout  pour  Dieu,  on  l'em- 
porte lui-même  en  toute  occupation;  comme  ces  pauvres 
femmes  de  la  campagne  qui  emportent  au  travail  leur 
enfant,  et,  sans  l'oublier,  le  déposent  en  un  lieu  paisible. 
La  vie  intérieure  est  une  manière  de  servir  Dieu,  la  plus 


excellente  en  soi,  mais  la  plus  sanctifiante  est  toujours 
celle  où  sa  volonté  nous  appelle.  Il  faut  tellement  aimer 
cette  volonté  qu'elle  soit  notre  joie,  alors  même  qu'elle 
entrave  nos  goûts  les  plus  saints. 

Il  n'y  a  de  bon  que  ce  que  Dieu  fait  en  nous  ci  par  nous, 
et  tout  ce  qu'il  fait  est  également  bon,  également  divin. 
Contenions-nous  donc  de  chercher,  ou  le  plus  souvent 
d'accepter  cette  adorable  volonté;  une  fois  trouvée,  de  la 
bien  accomplir  et  de  nous  tenir  contents,  je  dirai  même 
également  contents  de  tout.  Cette  manière  de  voir  calme 
l'empressement,  maintient  une  douce  humilité  de  cœur 
et  donne  une  paix  imperturbable. 

C'est  avec  raison  que  vous  regardez  l'exactitude  au 
lever  comme  une  nécessité  de  bon  ordre  pour  la  journée. 
Soyez-y  fidèle,  mais  avec  les  exceptions  voulues.  S'il  se 
peut,  ne  laissez  pas  la  décision  à  la  torpeur  du  matin, 
mais  prenez- la  la  veille  largement.  Ce  retard  rentre  ainsi 
dans  l'ordre.  N'en  faites  pas  l'objet  de  l'examen  parti- 
culier, mais  d'une  bonne  résolution  qui  a  sa  sanction 
dans  la  note  de  la  feuille  chiffrée  —  que  vous  appréciez 
justement.  —  Oui,  prenez  le  sujet  de  la  charité  douce  et 
aimable,  charité  souvent  réchauffée  par  la  pensée  que 
vous  agissez  sous  l'influence  de  l'Esprit  d'amour,  que  vos 
paroles,  vos  prévenances,  vos  tolérances,  vos  sourires 
même  sont  ses  paroles,  ses  prévenances,  ses  tolérances, 
ses  sourires...  par  vous! 

Avec  votre  feuille,  envoyez-moi  aussi  un  mot.  Il  ne 
faut  pas  que  nous  devenions  simplement  formalistes. 
Dites-moi  tout  ce  que  vous  croirez  utile. 


IX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Si  j'avais  été  vous,  voici  comment  je  me  serais  exprimé  : 

Je  me  suis  trop  occupée  de  moi  et  trop  préoccupée  d« 

mes  défaillances;  j'aurais  dû  regarder  davantage  du  côté 

d«  Dieu  et  m'enconrager  du  souvenir  de  sa  miséricorde. 


—  255  — 

Il  en  est  résulté  que  je  ne  me  suis  pas  sentie  aimée  de  Lui 
et  que  j'ai  manqué  de  cet  entrain  qui  fait  avancer. 

Les  circonstances  m'ont  été  peu  favorables;  je  me  suis 
vue  fort  prise  par  plusieurs  soins  à  donner  à  mes  enfants; 
j'ai  mis  peut-être  trop  de  rigorisme  à  ne  pas  omettre  tels 
exercices  de  piété,  et  je  n'ai  pas  servi  Dieu  de  bon  cœur 
et  filialement,  peut-être  par  suite  de  cette  contrainte,  etc. 

Je  m'aorrête  là.  Vous  voyez  ce  que  je  crois  le  meilleur 
pour  vous  :  beaucoup  de  simplicité  à  vous  exprimer  et 
moins  de  rigueur  dans  votre  fidélité.  Observez- vous  moins, 
raisonnez  très  peu;  entretenez  une  confiance  bardie, 
téméraire,  si  vous  voulez,  bien  filiale  toujours.  Vous  ne 
vous  faites  pas  une  idée  de  l'amour  que  Dieu  a  pour  vous 
et  de  l'indulgence  avec  laquelle  il  voit  vos  manquements 
qui  ne  sont  jamais  des  actes  délibérés.  Acceptez  paisible- 
ment la  part  d'imperfection  que  vous  constatez,  mais  sur- 
tout soyez  bien  persuadée  que  Dieu  vous  en  dégagera  et 
vous  fera  monter  plus  près  de  Lui.  Trop  de  méconten- 
tement de  vous-même,  et  des  efforts  trop  empressés  ne 
feraient  que  ralentir  ce  mouvement.  Dieu  entend  faire 
plus  que  nous;  donnons- Lui  l'humilité  et  la  confiance 
qui  sont  les  conditions  qu'il  exige. 


X 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Vos  observations  sur  l'humilité  et  sur  ce  qui  s'y  oppo- 
serait en  vous  me  semblent  justes;  mais  en  tant  qu'elles 
vous  font  voir  ce  que  vous  seriez.  Vous  êtes  tout  autre  de 
volonté  et  le  plus  souvent  de  fait.  Venez  donc  à  ces  deux 
conclusions  pratiques  :  devant  Dieu  je  me  sentirai  très 
petite,  très  indulgente  et  très  faible,  et  en  même  temps 
toute  confiante  et  toute  filiale.  Il  savait  ce  que  je  suis 
quand  II  m'a  appelée  à  Lui.  Il  sait  ce  qui  reste  encore 
en  moi  d'imparfait,  Il  ne  m'en  aime  pas  moins  puisqu'il 
est  très  indulgent,  très  père,  et  qu'il  sait  bien  que  je  l'aime. 
A  l'égard  du  prochain,  disposition  générale  de  grande, 
■   .  20 


—  256  — 

bienveillance,  désir  de  trouver  juste  et  bon  ce  qu'il  fait 
et  ce  qu'il  dit;  comme  en  beaucoup  de  cas  vous  devez 
reprendre,  blâmer,  corriger,  vous  le  ferez  fermement, 
mais  en  conservant  au  dedans  cette  même  disposition 
de  bienveillance  et  ce  même  désir  de  voir  tout  en  bien. 
C'est  le  correctif  de  ce  que  vous  seriez  peut-être  portée  à 
dire  trop  sévèrement,  et  c'est  la  sauvegarde  de  l'humi- 
lité intérieure. 

Orientez-vous  vers  cette  humilité  pratique,  toute  bai- 
gnée d'amour  pour  Dieu  et  pour  le  prochain.  Là  se 
trouve  une  grande  paix. 

Vous  ne  diminuerez  rien  de  votre  action  sur  les  autres, 
vous  agirez  plus  suavement,  voilà  tout. 

Je  comprends  combien  il  vous  en  coûte  de  donner  la 
plus  grande  part  de  votre  vie  à  des  occupations  qui  n'élè- 
vent pas.  Croyez  pourtant  que  cette  situation  est  excel- 
lente pour  vous  en  ce  moment,  puisque  c'est  Dieu  qui  vous 
y  veut.  Enveloppez  tout  cela  d'une  vue  de  foi  et  d'un 
élan  de  confiance  filiale.  Qu'il  fait  bon  se  reposer  en  la 
volonté  de  ce  Père  du  Ciel  ! 

Donnez  à  votre  esprit  la  satisfaction  qu'il  aime  et  qui 
lui  est  bonne  :  lisez  des  choses  élevées,  cultivez  en  vous 
des  sentiments  désintéressés,  délicats,  ardents,  s'il  se 
peut,  pour  le  souverain  Bien.  Adorez  le  plus  possible 
la  souveraine  Beauté.  Élevez- vous  dans  la  région  du  vrai; 
mais,  à  cet  égard,  rappelez-vous  bien  que  la  moindre  vérité 
qui  descend  en  nous  directement  de  Dieu  nous  illumine 
et  nous  embellit  plus  que  tout  ce  que  nous  apporte  la 
science. 


XI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

J'ai  vu  avec  grand  plaisir  que  le  calme  a  régné  dans 
votre  âme,  et  qu'il  s'appuie  sur  une  base  solide  très  juste 
et  très  douce,  le  sentiment  de  la  miséricorde  paternelle. 
Oui,  ce  bon  Père  nous  accepte  tels  que  nous  sommes  avec 
ioutes  nos  lacunes,  les  parents  n'y  regardant  pas  de  si 


—  257  — 

près.  Ne  soyez  donc  pas  plus  exigeante  que  lui,  ni  si  regar- 
dante. Ne  vous  étudiez  pas  trop,  ne  vous  épluchez  pas 
non  plus. 

La  vie  intérieure  suppose  la  pensée  de  Dieu  dominante. 
Elle  se  développe  par  tout  ce  qui  développe  les  affections 
dans  la  famille.  Sujet  de  méditation  pour  l'appliquer  à 
vos  rapports  avec  Dieu.  Les  sentiments  profonds  n'ont 
pas  besoin  de  variété;  ils  activent  sans  cesse  la  vie. 

Aimons  à  nous  répéter  auprès  de  Dieu. 


XII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  ne  regrette  pas  de  ne  pouvoir  vous  écrire  longue- 
ment !  Je  regarde-  comme  très  utile  pour  vous  en  ce 
moment  de  couper  court  avec  toutes  vos  préoccupations 
de  conscience,  touchant  le  mois  dernier.  N'en  conservez 
qu'un  sentiment  plus  vif  de  la  pauvre  misère  humaine 
et  de  la  bonté  toute  paternelle  de  Dieu  :  vous  êtes  aimée 
comme  toujours.  Votre  cœur  n'a  pas  changé;  je  distin- 
guais seulement  un  certain  laisser-aller,  peut-être  vu, 
mais  non  voulu.  Il  ne  s'agit  pas  de  tant  regarder  de  ce 
côté,  mais  de  vous  tourner  résolument  vers  l'avenir.  Lui 
seul  est  fécond  :  il  va  tout  réparer. 

Si,  momentané  ment,  vous  ne  pouvez  satisfaire  votre 
attrait  vers  les  considérations  élevées,  aimez  ce  genre  de 
pauvreté. 

XIII  * 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Vous  avez  reçu  une  grande  grâce  en  entrant  plus  nette- 
ment et  plus  profondément  dans  la  connaissance  de  l'ac- 
tion de1  Jésus  en  vous.  C'est  l'élément  de  l'union  le  plus 
intime  et  aussi  le  plus  impressionnant.  Une  âme  forte- 
ment et  doucement  occupée  de  cette  pensée  s'efforce  de 


—  258  — 

penser,  de  sentir  et  d'agir  comme  le  ferait  Jésus.  C'est 
plus  que  de  l'imitation,  vous  le  comprenez.  C'est  Lui  que 
vous  laissez  agir  ou  que  vous  faites  agir,  car  si  l'imitation 
est  cherchée  en  Lui,  elle  reste  pourtant  en  nous,  qui  nous 
détermine,  d'après  la  lumière  de  la  raison  et  de  la  foi,  la 
seule  manière  ordinaire  de  connaître  sa  pensée.  Je  crois 
que  vous  trouverez  en  cette  direction  le  remède  le  plus 
efficace  à  la  sensibilité  excessive  et  à  des  tentations  de 
domination  que  vous  me  signalez  :  Jésus  ne  veut  pas  agir 
ainsi  par  vous  ! 

Pour  la  case  de  l'examen  particulier,  je  vous  autorise  à 
la  note  sur  la  valeur  de  ce  coup  d'oeil  qui  équivaut  à 
l'examen  particulier.  Ce  doit  être  plus  vivant  pour  vous. 
II  est  bon  de  suivre  les  moyens  qui  satisfont  le  mieux 
notre  attrait  :  le  but  est  mieux  atteint. 

Pour  la  mortification,  soyez  surtout  fidèle  à  toutes  cel- 
les qui  sont  de  nature  à  éloigner  les  obstacles  à  l'amour 
divin.  Ne  prenez  dans  les  mortifications  afflictives  que 
celles  qui  correspondent  à  votre  situation  et  à  un  attrait 
(non  peut-être  de  sentiment,  mais  de  raison)  :  ces  sortes 
de  mortifications  ont  surtout  pour  but  de  ranimer  la  piété. 
Jugez  d'après  cela. 

XIV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Oui,  aimez  beaucoup  la  simplicité,  mais  ne  vous  dépi- 
tez pas  contre  vous-même  quand  vous  vous  surprenez  y 
manquant. 

J'insiste  sur  l'application  à  chercher  Jésus  et  à  le  regar- 
der. C'est  le  seul  vrai  moyen  de  moins  se  considérer  soi- 
même.  Vous  gagnerez  peu,  en  ce  moment,  à  vous  étudier. 
Vous  vous  connaissez  assez,  et  vous  y  perdriez  beaucoup  : 
Dieu  moins  vu,  moins  goûté...  du  mécontentement  sou- 
vent. Il  faut  aller  à  Dieu  le  cœur  dilaté.  Le  prochain  est 
une  grande  ressource,  quand  surtout  nous  sommes  dans 
la  sécheresse  :  Dieu  prenant  pour  Lui  ce  que  nous  faisons 
pour  le  prochain  :  bonté,  attentions,  support  très  doux 


—  259  — 

et  aussi  réprimandes,  conseils,  encouragements...  le  tout 
bien  imprégné  du  désir  de  plaire  à  Dieu. 


\V 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  fais  un  sacrifice  en  me  résignant  à  ne  vous  écrire 
que  quelques  lignes,  tant  les  vœux  que  je  forme  pour 
votre  âme  me  sont  chers.  Je  veux  vous  voir  toujours  en 
paix,  ne  perdant  aucune  de  vos  ressources  à  vous  tour- 
menter, mais  les  employant  toutes  à  vivre  de  Dieu  ; 
aimant  sans  attache  les  occupations  de  votre  ménage 
parce  qu'elles  vous  sont  demandées  chacune  par  lui, 
profitant  des  moments  de  liberté  pour  monter  au  Ciel 
respirer  un  air  pur,  enfin  cherchant  partout  tranquille- 
ment quelque  bien  à  faire  aux  autres.  Aidez-vous  de  la 
lecture  de  livres  qui  élèvent  ou  qui  touchent.  Sachez  vous 
résigner  aux  aridités  et  aux  dégoûts  qui  peuvent  survenir. 
Tout  est  bon  pour  qui  aime  Dieu  vraiment,  et  non  son 
contentement  personnel;  mais  laissez-moi  vous  le  répé- 
ter, que  tout  cela  se  passe  sous  le  Ciel  d'une  vaste  paix. 


XVI  X 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur,» 

Quand  je  me  représente  toutes  les  occupations  et  tous 
les  soucis  que  comporte  votre  rôle  de  mère  et  de  maî- 
tresse de  maison,  je  remercie  Dieu  de  ce  qu'il  vous  accorde 
la  grande  faveur  de  vous  maintenir  dans  la  recherche  de 
son  amour  et  dans  le  choix  surtout  constant  de  son  bon 
plaisir.  Gela  suppose  un  vrai  détachement  de  vous-même, 
sans  quoi  vous  perdriez  forcément  le  calme  et  les  saints 
désirs. 

Tant  que  cette  divine  préoccupation  sera  dominante, 
soyez  rassurée. 


—  260  — 

Les  manquements  passagers  sont  de  petits  accidents 
vite  réparés  et  dont  il  ne  faut  faire  état  que  pour  aimer  un 
peu  plus  Celui  qui  les  considère  paternellement. 

Regardez  toute  chose  comme  un  moti]  d'amour,  et  n'y 
mettez  pas  d'exception. 

Yoilà  un  conseil  que  vous  comprendrez  à  merveille  et 
que  vous  ferez  bien  d'avoir  toujours  devant  les  yeux.  Le 
mal  et  le  bien  y  convergent  de  points  opposés.  La  con- 
clusion à  retenir  est  qu'en  toute  situation,  en  tout  état 
d'âme,  il  n'y  a  qu'une  chose  à  faire  :  aimer  et  avoir  con- 
fiance. 

Comme  vous  le  dites,  il  est  essentiel  de  réagir  après  des 
moments  de  lassitude  ou  de  recherche  de  soi-même,  sans 
quoi  on  risque  de  rester  affaibli.  Réagir,  c'est  faire  tout 
ce  qu'on  peut  jusqu'à  ce  qu'on  sente  que  tout  va  bien. 
Comparez-vous  à  une  personne  qui  a  pris  froid  et  faites 
comme  elle. 

Par  exemple  !  ce  que  je  vous  recommande  instamment, 
c'est  d'avoir  égard  à  votre  état  de  santé,  soit  pour  vous 
juger,  soit  pour  régler  votre  conduite.  Les  médecins  assu- 
rent que  certains  enfants  que  l'on  malmène  pour  leur 
paresse  ne  sont  que  des  victimes  de  leur  tempérament 
affaibli.  Rétablissez  les  forces,  et  l'activité  reviendra. 
C'est  un  devoir  pour  vous  de  choisir  le  régime,  qui,  en 
rétablissant  votre  santé,  vous  rendra  de  meilleures  apti- 
tudes au  bien. 

Il  m'est  impossible  de  vous  donner  des  conseils  sur 
votre  ^conduite  relativement  à  telle  ou  telle  œuvre  locale, 
tiers-ordre,  associations  diverses.  En  principe  !  ne  vous 
chargez  pas.  En  fait,  il  y  a  des  utilités  évidentes  qui  déter- 
minent à  se  prêter.  Voyez  ce  que  vous  conseilleriez  à  une 
autre,  ou  ce  que  je  vous  conseillerais  moi-même,  si  j'étais 
au  courant  des  choses  et  des  personnes  comme  vous.  Je 
crois  que  vous  trouverez  dans  la  société  de  ...  un  ensem- 
ble suffisant  de  soutien.  Que  tels  documents  soient  plus 
ou  moins  remarquables,  ils  vous  remettent  sous  les  yeux 
périodiquement  toutes  les  vérités  et  toutes  les  lois  de  la 
vie  sainte.  Cette  société  de  ...  fait  peu  de  bruit  et  beau- 
coup d'ouvrage. 


—  261  — 

Quant  à  l'oraison,  voyez  ce  qui  vous  réussit  le  mieux. 
Jugez-en  par  le  résultat;  plus  d'ardeur,  beaucoup  de  paix, 
la  présence  de  Dieu  facile.  Si  une  méditation  toute  simple 
et  aisée  vous  met  en  cet  état,  continuez-la  sans  crainte. 
Pourquoi  vous  revêtir  de  l'armure  de  Saiïl? 

Si,  au  contraire,  une  suite  de  méditations  sans  méthode 
ne  produit  qu'une  influence  légère  et  passagère,  cher- 
chez ce  qui,  dans  une  méthode,  peut  vous  venir  en  aide. 
Je  crois  qu'un  profond  recueillement  pour  commencer  et 
quelque  parole  de  l'Écriture  ou  d'un  saint  peuvent  vous 
convenir  habituellement. 

La.fatigue  m'impose  de  dures  privations.  Il  s'en  prépare 
une  autre  bien  sensible  :  un  de  mes  yeux  est  atteint  de  la 
cataracte  à  forme  lente.  Cet  état  commence  à  troubler  la 
vue  et  à  me  gêner  pour  lire.  Si  je  ne  peux  bientôt  faire 
autre  chose  que  sentir  mon  inutilité,  je  serai  aussi  con- 
tent, je  l'espère,  que  de  me  dépenser  pour  les  âmes. 
Dieu  n'a  besoin  de  personne  et  il  veut  avoir  besoin  de  nos 
souffrances. 

XVII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Vivez  dans  une  grande  paix;  aimez  comme  si  vous  étiez 
une  sainte;  remerciez  Dieu  des  difficultés  et  des  peines 
de  la  vie.  Prenez  toujours  le  parti  du  devoir  certain  sur 
des  choses  d'apparence  meilleure. 

Faites  votre  examen  dans  le  sens  que  vous  m'indiquez  : 
qu'il  soit  une  orientation  constante.  Je  n'aime  pas  la  vivi- 
section que  vous  avez  trop  souvent  pratiquée  sur  votre 
âme. 

Retenez  bien  ceci  :  que  vous  êtes  la  même  aux  yeux  de 
Dieu,  quelles  que  soient  vos  dispositions,  vos  imper- 
fections et  les  fautes  qui  échappent.  Donc,  allez  à  Lui  avec 
la  même  dilatation. 


—  262  — 


\\  III 


Madame  el  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Il  y  a  mieux  à  faire  qu'à  compter  ses  pas  et  à  se  regar- 
der marcher.  Vous  êtes  toute  à  Dieu,  vous  lui  avez  tout 
remis,  vous  voulez  que  pas  un  de  vos  sentiments  ne  lui 
déplaise,  vous  voudriez  même  qu'ils  fussent  tous  péné- 
trés de  Lui  :  voilà  ce  qui  est  vous,  et  non  pas  ce  que  la 
faiblesse  humaine  vous  arrache  parfois,  surtout  en  fait 
de  ferveur  sensible.  - —  Quand  vous  ne  sentez  rien,  quand 
toutes  les  choses  divines  et  la  communion  elle-même  vous 
paraissent  des  objets  indifférents,  vous  n'êtes  pas  changée 
le  moins  du  inonde  et  le  cœur  de  Jésus  vous  garde  la 
même  intimité  d'amour. 

Contentez-vous  donc  de  tendre  vers  Dieu  toujours,  de 
vous  donner  à  chacun  de  vos  devoirs  comme  à  un  de  ses 
ordres,  de  le  regarder  souvent  lui-même. 

Si  vous  vous  sentez  bien  inférieure  à  vos  désirs,  si 
même  vous  remarquez  quelque  acte  moins  bon  ou  un 
peu  de  négligence,  revenez  simplement  à  votre  vrai  désir 
d'être  toute  à  Dieu;  faites  le  plus  parfaitement  possible 
la  chose  du  moment  présent,  et  maintenez  en  vous  une 
paix  joyeuse.  Oui  une  paix  joyeuse,  car  vous  êtes  aimée 
de  Dieu  telle  que  vous  êtes  à  ce  moment.  Admirez  une 
telle  bonté,  mais  surtout  affirmez-la  sans  hésiter. 

Courage  !  et  permettez-moi  d'ajouter  ce  mot  un  peu 
vulgaire  :  courage  et  bonne  humeur  !  La  bonne  humeur 
peut  être  et  doit  être  un  reflet  de  l'amour  divin. 


XIX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Parlons  de  votre  âme.  Vous  vous  exercez  à  l'aménité. 
C'est  la  vertu  qui  donne  à  saint  François  de  Sales  sa 


—  '263  — 

physionomie  si  attachante;  c'est  celle  qui  doit  apparaître 
dans  la  personne  et  le  caractère  de  ses  filles. 

Cette  disposition,  plus  peut-être  que  les  autres,  dépend 
de  la  charité  !  Si  elle  ne  consistait  que  dans  un  effort, 
même  constant,  à  être  agréable  aux  autres,  elle  manque- 
rait toujours  de  cette  spontanéité  qui  dilate;  il  faut  qu'elle 
vienne  d'un  cœur  assez  épris  de  Dieu  pour  aimer  vraiment 
tout  ce  que  Dieu  aime,  en  dépit  des  laideurs  et  des  vides . 
qui  sont  dans  tel  ou  tel  prochain. 

Cet  amour  divin  rend  les  antipathies  plus  rares  et  tou- 
jours moins  senties;  il  inspire  le  désir  de  donner  du  con- 
tentement à  l'entourage.  C'est  donc  sur  l'intérieur  qu'il 
faut  agir,  mais  il  ne  faut  pas  négliger  les  formes  exté- 
rieures. Alors  même  que  nous  aurions  à  nous  les  imposer, 
nous  aidons  l'habitude  intime.  La  contrainte  que  nous 
nous  imposons  nous  rappelle  vivement  le  devoir  de  ten- 
dre à  aimer  de  cœur,  je  veux  dire  d'un  cœur  surnaturel 
tout  détrempé  d'amour  divin. 

Revenez  aussi  plus  assidûment  à  l'entretien  avec  Dieu. 
Prenez  les  moyens  qui  ont  coutume  de  vous  mieux  réus- 
sir. Avec  une  famille  assez  nombreuse,  c'est  merveille 
que  vous  conserviez  un  goût  si  vif  de  trouver  Dieu.  Ce 
désir  bien  conduit  n'enlèvera  rien  aux  affections  chères. 
Elles  garderont  entièrement  la  chaleur  et  l'aisance  qui 
en  font  le  charme.  Dieu  se  plaît  à  vous  voir  aimer  naturel- 
lement vos  enfants  et  votre  mari  avec  confiance  et  ten- 
dresse. L'accomplissement  d'un  devoir  ne  nous  diminue 
jamais.  Ne  prêtons  pas  à  Dieu  nos  sentiments  humains 
qui  se  sentent  rabaissés  par  telle  ou  telle  occupation  où 
ils  voient  engagées  les  personnes  qu'ils  aiment.  Prenons 
un  brin  de  panthéisme  (un  brin  suffit)  et  voyons  Dieu 
en  toutes  choses  et  surtout  en  toutes  personnes,  car  il  y 
est  réellement,  beaucoup  plus  que  nous  ne  pensons. 

Ne  revenez  pas  trop  souvent  sur  vous-même  pour  vous 
examiner.  Regardez  plutôt  ce  que  vous  pouvez  faire  de 
mieux  à  l'instant  même. 

Malgré  tout  ce  qui  peut  s'y  opposer,  maintenez  en  vous 
une  disposition  de  paix  voisine  de  la  joie,  si  la  joie  n'y 
trouve  point  toujours  accès. 


—  264  — 


Être  aimée  de  Dieu  !  Savoir  qu'on  le  possédera  un  jour  ! 
Quelle  source  intarissable  d-e  contentement  ! 


XX 

Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

Oui,  ce  sont  des  épreuves,  et  heureusement  de  petites 
épreuves.  Dieu  permet  ces  réveils  de  la  nature  pour  vous 
mieux  montrer  que  Lui  seul  nous  soutient  en  temps 
ordinaire,  ce  que  nous  attribuerions  peut-être  à  notre  vigi- 
lance et  à  nos  efforts.  Non  seulement  il  ne  faut  pas  se 
troubler  et  se  dépiter,  mais  il  faut  remercier  Dieu  de  cette 
grâce,  et  ne  rien  changer  dans  nos  rapports  avec  Lui.  Son 
affection  ne  change  pas  avec  nos  changements  d'humeur. 
Suivez  mon  conseil  de  ne  vous  examiner  que  très  peu  et  de 
ne  pas  revenir  sur  le  passé  de  la  veille  même.  Gardons  toute 
notre  pensée  pour  aimer  et  pour  agir.  Puisqu'il  n'y  a  rien 
de  plus  excellent  que  cela,  puisque  l'amour  confiant  con- 
tient tout,  ramenons  à  cela  le  mouvement  de  notre  vie. 

J'admire  la  grâce  qui  vous  est  faite  de  pouvoir  aller  à 
Dieu  si  intimement,  à  travers  vos  occupations  et  vos  soucis 
sans  nombre.  Gardez  toujours  le  cœur  dilaté.  Au  besoin 
empruntez  à  saint  Pierre  cette  belle  parole  :  «  Et  cepen- 
dant vous  savez  bien  que  je  vous  aime  !  » 

Une  âme  qui  maintient  en  elle  un  tel  amour  fait  plus 
pour  son  perfectionnement  que  par  l'application  sèche 
à  ses  devoirs  de  famille  et  de  piété.  Elle  a  ouvert  une 
source  qui  coule  doucement  et  sans 'cesse,  portant  par- 
tout la  fécondité,  la  bonté,  la  vie  qui  exulte.  Soyez  cou- 
rageuse en  cela  jusqu'à  l'audace. 


XXI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Faisons  tout  en  paix;  cherchons  Dieu  sans  contention, 
mais  avec  une  douce  fidélité;  pensons  plus  à  Lui  qu'à 


—  265  — 

nous,  essayant  do  vivre  sa  vie,  ou  ce  qui  est  de  même,  le 
laissant  vivre  la  nôtre.  Ce  n'est  point  inaction  ou  attente, 
c'est  l'abstention  de  ce  qui  est  trop  personnel.  Ne  nous 
dépitons  pas  de  nos  manquements,  encore  moins  de  nos 
froideurs  qui  ne  sont  que  de  surface;  le  fond  ne  change 
pas  selon  les  jours.  Nous  sommes  autant  unis  à  Dieu 
quand  nous  nous  montrons  imparfaits,  que  lorsque  nous 
lui  disons  avec  ardeur  notre  amour,  unis  de  fond,  sinon 
unis  de  pensée  et  de  sentiment. 


XXII 

Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

Insistez  sur  l'expression  de  vos  sentiments  dans  l'orai- 
son, à  la  visite  au  Saint-Sacrement  et  même  dans  le  cours 
de  la  journée,  quand  vous  élevez  votre  pensée  à  Dieu. 

Sans  hésiter,  croyez-vous  toujours  autant  aimée  de 
Dieu.  C'est  le  meilleur  moyen  d'aimer  vous-même. 

Il  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  cet  amour  divin;  rete- 
nez surtout  cette  notion  fondamentale  qu'il  est  essen- 
tiellement dans  la  volonté.  Vous  déduirez  de  là  des 
règles  pratiques  de  jugement  comme  celle-ci  :  j'aime 
quand  je  remplis  chacun  de  mes  devoirs;  —  j'aime  alors 
même  que  je  ne  sens  rien,  etc. 

Vous  caractérisez  fort  bien  ce  que  serait  facilement 
votre  nature  dans  la  piété  :  vivisection,  dilettantisme. 
Remplacez  ces  méthodes,  souvent  dangereuses,  et  géné- 
ralement stériles,  par  une  bonne  simplicité,  allant  à  Dieu 
de  bonne  foi,  de  bon  cœur,  sans  trop  raisonner,  en  un  mot 
comme  les  jeunes  enfants  vont  à  leur  mère.  Pour  Dieu, 
nous  sommes  toujours  de  bien  jeunes  enfants.  De  son 
côté,  Dieu  est  toujours  bon  père  ! 


—  266 


X  X 1 1 1 


Madamfi  et  chère  Bile  en  Nôtre-Seigneur, 

Ne  vous  laissez  point  attrister  par  l'état  actuel  de 
votre  âme.  Il  n'y  a  point  lieu.  Vous  êtes  aussi  profondé- 
ment à  Dieu  que  jamais.  Deux  choses  vous  en  feraient 
douter  :  une  certaine  diminution  de  vie  intérieure  et  un 
peu  de  laisser-aller  parfois  à  votre  nature.  Eh  bien  !  c'est  le 
fait  de  la  situation  où  la  volonté  de  Dieu  vous  a  mise. 
Des  occupations  incessantes  retiennent  votre  pauvre 
esprit  autour  des  objets  d'ici-bas,  prennent  le  temps  et 
disposent  mal  .à  la  prière  intime.  Étant  moins  sur  nos 
gardes  et  plus  excités,  nous  sommes  moins  maîtres  de 
notre  nature  qui  agit  alors  selon  son  impulsion.  L'amour 
de  Dieu,  qui  est  le  même,  se  trouve  un  peu  paralysé. 

Quand  il  prend  plus  vivement  conscience  de  lui-même, 
il  ne  songe  qu'à  gémir  et  à  s'attrister.  C'est  bien  Vattes- 
tation  de  sa  vie  et  de  sa  force,  mais  c'est  une  impression 
débilitante  qu'il  faut  purifier  et  rectifier.  On  la  purifie 
<m  acceptant  franchement  l'humiliation  et  la  peine  de 
cet  état.  On  la  rectifie,  en  y  cherchant  un  motif  puissant 
d'aimer  un  Père  qui,  lui,  n'aime  pas  moins.  Il  laisse  les 
causes  produire  leurs  effets,  se  réservant  de  sanctifier 
l'âme  par  d'autres  moyens,  ou  peut-être  par  des  grâces 
de  générosité  pratique.  Vous  en  avez  tant  d'occasions  ! 
Faites  donc  consister  votre  vertu  actuelle  dans  l'accom- 
plissement joyeux  de  tant  de  choses  ennujreuses  et  dans 
le  support  de  votre  insensibilité  passagère  pour  Dieu,  ainsi 
que  de  vos  involontaires  défaillances.  C'est  là  que 
l'amour  de  la  propre  abjection  fait  merveille.  Il  remet 
d'aplomb  et  il  fait  trouver  la  sainteté  en  tout  état.  J'in- 
siste sur  cette  disposition,  car  il  me  paraît  certain  qu'elle 
aura  longtemps  encore  à  s'exercer,  votre  situation  devant 
devenir  de  plus  en  plus  chargée.  Si  l'on  ne  pouvait  être 
grand  et  agréable  à  Dieu  que  dans  l'union  facile  et  habi- 
tuelle à  sa  pensée,  il  faudrait  maudire  les  devoirs  de  la  vie, 
c'est-à-dire  sa  volonté! 


—  267   — 

Tout  se  concilie  dans  un  parfait  abandon  qui  a  con- 
fiance en  Dieu  et  aussi  en  un  amour  réel  pour  Lui.  Laissez 
le  grain  de  froment  dans  le  sillon  obscur. 

Ma  conviction  est  que  ce  n'est  qu'un  état  passager 
(comprenant  un  certain  nombre  d'années),  mais  un  état 
préparatoire  à  une  vie  très  élevée  en  Dieu  un  jour. 

Courage  !  Je  prie  le  divin  Maître  de  vous  bénir  ! 


XXIV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Soyez  en  paix.  Tout  va  bien  !  vous  vivez  par  la  volonté 
constante  d'être  toute  à  Dieu,  de  suivre  toutes  ses  volon- 
tés et  de  répondre  à  ses  moindres  désirs. 

Ce  mouvement  de  vie  se  trouve  non  pas  diminué, 
croyez-le  bien,  mais"  simplement  retenu  par  les  occupa- 
tions et  les  soucis  de  votre  position. 

Il  va  sans  cesse  vers  Dieu  par  la  générosité;  il  opère  en 
votre  âme  son  œuvre  d'humilité,  de  fidélité,  de  coura- 
geuse confiance,  et  donne  son  efficacité  à  votre  œuvre 
d'apostolat  auprès  de  vos  enfants. 

Vous  faites  ce  que  Dieu  vous  demande,  efforcez-vous 
donc  de  le  faire,  comme  vous  le  dijes  si  bien,  «  avec  un 
effort  plus  généreux  de  fidélité  et  de  perfectionnement  de 
tous  vos  actes  ». 

J'ajoute  ces  mots  :  allez  simplement,  librement,  vous 
sachant  aimée  de  Dieu.  Ayez  le  cœur  dilaté.  Chassez 
toute  hésitation  à  croire  que  vous  plaisez  à  ce  bon  Père, 
alors  même  que  vous  êtes  dans  la  sécheresse  la  plus  com- 
plète ou  démontée  par  les  difficultés  de  votre  maison. 

Ces  impressions  ne  sont  pas  vous,  et  elles  sont  en  vous 
malgré  vous. 

Encore  une  fois,  faites-en  un  sujet  de  franche  humilité, 
mais  d'une  humilité  qui  vous  donne  la  mesure  de  la  bonté 
divine,  puisque  son  amour  sera  aussi  tendre. 

Ah  !  si  nous  pouvions  lire  dans  son  cœur  !  Voyons  ce 
que  nous  serions  nous-même  à  l'égard  d'une  personne 


—  268  — 

qui  aurait  sincèrement  à  cœur  de  nous  contenter,  mais 
qui  n'y  réussirait  pas  toujours.  Or,  Dieu  est  assurément 
bien  meilleur  et  bien  plus  juste  que  nous. 


XXV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Un  mot  pour  vous  mettre  pleinement  à  l'aise.  Croyez 
bien  que  j'ai  compris  votre  état  d'esprit... 

J'en  étais  là,  il  y  a  un  mois,  quand  la  pensée  me  vint 
d'éprouver  votre  fidélité  à  mes  instructions  précédentes, 
au  milieu  des  tentations  persistantes  de  trouble. 

J'aurai  une  grande  joie  si  vous  me  dites  qu'en  dépit  de 
tout,  vous  êtes  restée  filiale  envers  Dieu,  si  vous  avez  tenu 
à  l'écart  les  préoccupations  que  je  vous  avais  interdites, 
si  enfin  votre  âme  est  en  paix;  et  je  verrai  par  là  jusqu'où 
va  votre  puissance  de  docilité. 

Il  m'eût  été  facile  en  quelques  mots  de  vous  rassurer 
directement.  Je  n'aurais  eu  qu'à  vous  dire  :  certaine- 
ment vous  aviez  plus  que  les  circonstances  atténuantes 
dans  le  passé,  et  vous  n'avez  pas  eu  la  moindre  intention 
de  laisser  rien  dans  l'ombre.  Aussi  rien  n'est-il  modifié 
dans  l'estime  que  je  vous  portais  et  que  je  vous  garde 
tout  entière  et  toute  particulière.  Je  connais  peu  d'âmes 
qui  soient  à  Dieu  plus  fortement  que  la  vôtre. 

Ne  recevant  pas  votre  lettre  habituelle  de  chaque 
mois,  je  me  demande  si  la  timidité  n'aurait  pas  pris  le 
dessus...  Je  viens  donc,  comme  on  le  fait  pour  les  enfants 
timides,  vous  prendre  par  la  main  et  vous  dire  .:  ayez 
confiance  ! 

XXVI 

Madame  el  chère  tille  en  Notre-Seigneur, 

Par  votre  lettre  qui  s'est  croisée  avec  la  mienne,  je  sens 
que  votre  pauvre  âme  est  restée  attristée  et  préoccupée; 


—  269  — 

or  je  souffre  de  penser  que  vous  pouvez  croire  à  une 
diminution  d'estime  de  ma  part  et  à  un  blâme  sur  le 
passé.  Ce  passé  d'ailleurs  n'existe  plus  pour  Dieu.  Pour- 
quoi donc  le  laisser  vivre  en  nous?  Si  nous  connaissions 
mieux  le  cœur  de  notre  Père  du  Ciel,  comme  nous  serions 
toujours  au  large  et  heureux!  Ce  matin,  à  la  messe,  je 
lisais  la  parabole  de  l'enfant  prodigue,  et  il  me  semblait 
voir  rayonner  de  toutes  parts  une  atmosphère  de  bonté, 
de  bien-être,  d'abandon  infini.  Celui  qui  ne  veut  pas 
même  laisser  parler  le  coupable  avéré  permettrait-il  à 
une  âme  qui  lui  est  restée  constamment  fidèle  de  se  pré- 
occuper de  quelques  erreurs  involontaires  et  de  quelques 
légères  surprises?  Non,  non,  cela  ne  compte  pas  entre  un 
Père  tout  aimant  qui  est  l'infinie  bonté  et  une  enfant 
tout  aimante  aussi  qui  ne  voudrait  pour  rien  au  monde 
faire  de  la  peine  à  son  Père.  — Eh  bien  !  vous  lui  en  feriez 
en  gardant  de  la  tristesse;  vous  douteriez  de  l'étendue 
et  de  la  délicatesse  de  son  amour  ! 

Vous  avancerez  plus  en  tourmentant  moins  votre  cons- 
cience. Pourquoi  revenir  stérilement  sur  le  passé,  quand 
l'avenir  nous  appelle  !  Nous  n'avons  pas  trop  de  notre 
intelligence  et  de  notre  cœur  pour  aimer  Dieu,  le  faire 
aimer,  réparer  sa  gloire. 

Ne  faisons  rien  de  moindre.  Les  difficultés  de  votre 
position  vous  créent  déjà  assez  d'obstacles;  n'y  ajoutez 
pas  les  préoccupations  passées  qui  sont  vaines. 

Et  pour  tout  dire  en  un  mot  :  simplifiez  "votre  âme  en 
vous  donnant  à  Dieu  les  yeux  fermés  et  en  comptant  sur 
Lui  pour  tout  réparer  et  améliorer. 

Plus  vous  lui  donnez  de  confiance  aisée,  plus  vous  avan- 
cerez dans  la  perfection.  Parfois  vous  sentez  des  lassi- 
tudes; il  vous  arrive  même  de  négliger  une  pratique 
utile...  Ce  ne  sont  point  des  fautes,  ce  n'est  peut-être 
même  pas  un  manque  de  générosité.  C'est  un  besoin  de 
repos  que  demande  la  nature,  mais  alors  même  qu'il  y 
aurait  quelque  laisser- aller,  ce  n'est  point  du  tout  un  de 
ces  actes  qui  froissent  un  cœur  de  Père.  Hâtez-vous  dou- 
cement et  reprenez  votre  joyeuse  confiance. 

La  seule  conclusion  excellente  de  ces   tentatives  de 


—  270  — 


retour  sur  le  passé  doit  être  de  vous  porter  à_une  très  pro- 
fonde et  très  large  indulgence  pour  le  prochain  toutes 
les  fois  que  Y  intérêt  du  bien  le  permet. 


XXVII 

Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

J'approuve  complètement  les  deux  résolutions  que 
vous  avez  prises.  Je  n'aurais  pu  vous  en  suggérer  d'autres. 

1°  Fidélité  à  la  méditation;  2°  méditation  qui  renou- 
velle. Il  ne  sera  pas  toujours  en  votre  pouvoir  d'accomplir 
la  seconde.  Après  certains  efforts,  il  peut  arriver  que  vous 
n'ayez  rien  remué  dans  vos  sentiments.  Contentez-vous 
alors  de  renouveler  sincèrement  les  résolutions  habi- 
tuelles qui  fixent  votre  vie,  et  de  protester  de  votre 
amour.  Pas  de  tristesse  ensuite. 

Ne  prenez  pas  à  votre  compte  ces  tourbillons  de  vanité 
ou  d'aversion  qui  vous  enveloppent  parfois  et  vous  aveu- 
glent. Non,  ils  ne  sont  pas  de  vous,  quoiqu'ils  soient  en 
vous.  Désavouez-les  tranquillement  quand  ils  vous  pres- 
sent trop;  mais  ^ordinaire,  ne  daignez  pas  vous  en  occu- 
per. 

Quand  une  âme  s'est  donnée  à  Dieu  comme  la  vôtre, 
Il  a  pour  elle  un  amour  large  que  n'altèrent  pas  les  fluc- 
tuations de  ses  sentiments  de  surface  et  les  petits  relâ- 
chements passagers.  Vous  ne  le  ferez  jamais  trop  indul- 
gent. 

C'est  sous  cet  aspect  que  vous  devez  l'envisager,  vous 
tout  particulièrement.  Il  est  plus  honoré  et  plus  heureux 
de  votre  confiance  que  de  vos  craintes.  Le  resserrement  de 
cœur  ne  rend  pas  aimant.  Imaginez-vous  Notre-Seigneur 
s'illusionnant  sur  vous  comme  font  ceux  qui  aiment 
beaucoup.  L'illusion  qui  est  chez  les  parents  un  secours 
providentiel  est  remplacée  chez  lui  par  une  intensité  et 
une  générosité  d'amour  dont  nous  n'avons  pas  idée; 
je  ne  cesserai  de  vous  le  répéter;  car  c'est  une  vérité  bien- 
faisante. 


—  271 


XXVIII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Inclinez  à  croire  que  vous  n'offensez  pas  Dieu  et  que 
vous  ne  faites  pas  de  peine  au  prochain.  Appliquez  cette 
règle  à  toute  votre  vie  et  soyez  particulièrement  affir- 
mative dans  les  cas  de  doute. 

Efforcez-vous  à  modifier  votre  nature  elle-même  en 
prenant  sur  votre  esprit  pour  l'empêcher  de  s'attarder 
sur  des  sujets  pénibles;  en  vous  affirmant  à  vous-même 
que  vous  ne  voulez  pas  souffrir  ainsi.  Rappelez- vous  sou- 
vent qu'il  y  a  quelque  excès  dans  votre  sensibilité  native. 

Portez  avec  plusd'assurancevosjugement  s,  décidez- vous 
sans  tant  de  réflexion  et  comme  par  spontanéité;  votre 
conscience,  aussi  bien  que  votre  esprit,  étant  bien  formée, 
cette  promptitude  vous  guidera  plus  sûrement  que  la 
réflexion.  Une  ouvrière  qui  calculerait  chaque  mouve- 
ment de  ses  doigts  devenus  habiles,  irait  fort  lentement 
et  ferait  une  œuvre  moins  belle;  peut-être  même  serait- 
elle  entièrement  paralysée.  Agissez  bonnement  et  sim- 
plement. Si  quelques  erreurs  s'ensuivent,  croyez  qu'elles 
sont  amplement  compensées  par  le  profit  général. 


XXIX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ai-je  besoin  de  vous  dire  combien  je  suis  touché  des 
souhaits  que  vous  m'exprimez  avec  une  si  ardente  solli- 
citude, et  du  sentiment  si  filial  qui  les  inspire  ! 

Dieu  a  bien  voulu  établir  entre  nos  âmes  des  rapports 
dont  il  est  lui-même  le  lien  et  l'objet.  Il  a  permis  égale- 
ment que  je  trouve  auprès  de  vous  et  auprès  de  tous  les 
vôtres  une  de  ces  amitiés  rares  dont  je  sens  tout  le  prix. 

Ce  que  je  souhaite  particulièrement  à  votre  âme,  c'est 
un  progrès  dans  la  confiance  toute  simple  en  l'amour  que 

21 


—  272  — 

Dieu  a  pour  vous.  Soyez  comme  vos  enfants  qui  ne  dou- 
tent pas  du  vôtre.  Ne  craignez  pas  que  telles  ou  telles 
imperfections  qui  trahissent  votre  bon  vouloir  changent 
en  rien  les  sentiments  de  son  cœur.  Soyez  bien  résolue 
à  ne  lui  causer  jamais,  et  à  aucun  prix,  la  moindre  peine, 
et  moyennant  cette  déclaration  que  vous  signeriez  de 
votre  sang,  et  que  vous  ne  rétracterez  jamais,  toutes  vos 
actions  lui  sont  agréables,  celles-là  même  où  se  glisse 
l'involontaire  action  d'un  sentiment  d'amour-propre. 
Gardez-vous  de  déchirer  votre  âme,  pour  y  chercher,  par 
une  cruelle  analyse,  des  intentions  cachées.  Tenez-vous  en 
à  la  déclaration  de  saint  Pierre  :  «  Seigneur,  vous  qui 
savez  tout,  vous  savez  bien  que  je  vous  aime.  » 

Faites  évanouir  les  ombres  par  la  lumière  et  toutes  les 
intentions  imparfaites  par  un  sincère  élan  vers  Dieu.  En 
un  mot,  pour  sortir  de  tout  mal,  allez  au  bien  et  n'envi- 
sagez que  lui.  La  miséricorde  divine  se  charge  du  mal;  on 
n'avance  guère  que  par  la  dilatation.  Vous  l'aurez  dans 
vos  rapports  avec  Dieu.  Je  désire  que  vous  trouviez  le 
moyen,  dans  les  affaires  de  la  famille  et  dans  la  vie,  de 
vous  maintenir  dans  un  contentement  supérieur,  en 
dépit  des  inévitables  contrariétés  qui  surviennent.  Don- 
nez-leur la  mesure  convenable  d'attention  et  de  soins, 
mais,  une  fois  ce  devoir  accompli,  votre  rôle  cesse  et 
c'est  celui  de  Dieu  seul  qui  commence  :  «  A  nous  de  semer 
et  d'arroser,  à  Lui  de  donner  l'accroissement.  » 

Si  telle  ou  telle  chose  réussit  mal;  si  même  cela  pro- 
vient de  ce  que  vous  vous  y  êtes  moins  bien  prise,  restez 
en  paix.  Dieu  sait  tirer  du  bien  de  ce  qui  est  notre  fait, 
sans  être  notre  faute. 

Voilà  le  petit  résumé  de  ce  que  je  demande  à  Dieu  pour 
vous.  Enfermez-cous  dans  ces  vues  simples,  dégagez- vous 
des  préoccupations  particulières,  afin  de  vivre  dans  la 
haute  et  grande  préoccupation  d'aller  à  Dieu,  de  l'aimer 
et  de  le  lui  dire. 


—  273 


XXX 

Monsieur  et  cher  ami, 

Mme  N.  me  fait  part  de  ses  inquiétudes  sur  l'état  de 
votre  santé.  Ce  retour  du  mal  semble  bien  devoir  être 
attribué  aux  préoccupations  de  ces  derniers  temps. 
Que  faire?  Voulez-vous  me  permettre  de  vous  conseiller 
un  remède  ?  Il  est  infaillible  de  lui-même,  seulement... 
tous  les  tempéraments  ne  s'y  prêtent  pas...  J'espère  pour 
le  vôtre. 

•  Ce  beau  remède  est  une  très  grande  confiance  en  Dieu; 
une  confiance  vraiment  filiale  et  bien  sentie.  On  fait  tout 
ce  que  demandent  les  circonstances,  avec  le  même  soin, 
mais  comme  simple  instrument  dont  Dieu  se  sert  pour  ses 
propres  desseins  :  s  Nous  plantons,  nous  arrosons  :  c'est 
Dieu  qui  donne  l'accroissement  »  (saint  Paul). 

Si  quelqu'un  devait  avoir  des  préoccupations,  ce  serait 
Dieu,  car  c'est  Lui  qui  est  avant  nous  le  maître  et  le  plus 
intéressé  à  toutes  choses.  Une  fois  notre  rôle  d'instru- 
ment accompli,  rentrons  dans  celui  de  la  confiance,  et 
même,  en  remplissant  le  premier,  ne  perdons  pas  de  vue 
le  second. 

Cette  confiance  surnaturelle  est  à  la  fois  un  don  et 
l'objet  d'un  effort.  Le  don,  il  faut  le  demander  par  des 
prières  instantes;  l'effort  consiste  à  se  représenter  souvent 
l'action  de  Dieu,  sage,  bonne,  paternelle.  —  Quelques  coin  - 
munions  en  ces  temps-là  sont  d'un  très  grand  secours. 

Voilà  comment  je  me  permets  de  parler  à  un  ami  que  je 
sais  digne  de  ce  langage. 


XXXI 

Madame  et  chère  fille  en  Nôtres-Seigneur, 

Je  suis  heureux  de  vous  voir  bien  brave  au  milieu  de 
vos  occupations  absorbantes.  Vous  savez  cette  grande 


—  274  — 

chose  que,  pour  le  moment,  Dieu  a  placé,  dans  ces  menus 
détails,  son  bon  plaisir  et  votre  perfection. 

Faire  plaisir  à  ceux"  qu'on  aime,  n'est-ce  pas  tout? 
Qu'en  importe  l'objet?  Aimez  donc  ces  petites  choses, 
vous  y  trouvez  d'ailleurs  une  excellente  école  de  perfec- 
tion :  possession  de  soi  dans  ses  paroles  et  jusque  dans 
ses  impressions,  —  douceur  constante  des  procédés,  — 
amour  de  sa  propre  abjection  quand  on  s'est  laissé  sur- 
prendre... 

Dieu  n'a  demandé  que  rarement  à  la  Très  Sainte 
Vierge  de  grandes  choses,  mais  il  lui  a  enseigné  à  les 
élever  toutes,  en  quelque  sorte,  à  la  même  hauteur  par 
un  amour  qui  voyait  en  chacune  ce  bon  plaisir  divin. 
Cette  vue,  qui  élève  l'action,  dilate  aussi  le  cœur. 

Par  exemple,  pas  de  concession  aux  craintes  et  aux 
scrupules  !  Il  n'y  a  plus  de  passé,  et  dans  le  présent  il  ne 
reste  que  cette  volonté  dominante  de  vivre  abandonnée 
aux  soins  d'une  maternelle  Providence.  Jamais  de  tris- 
tesse entretenue.  Sortez  de  l'ombre  dès  qu'elle  veut 
vous  envelopper.  Méfiez-vous  d'une  cause  qui  pourrait 
sembler  légitime  :  des  imperfections  réelles,  quelques 
rechutes  passagères...  le  dégoût  peut-être  de  certaines 
occupations  matérielles  très  nombreuses  qui  semblent 
vous  tenir  en  bas,  brisant  tous  vos  élans  et  vous  rendant 
momentanément  incapable  de  vous  sentir  vivre  pour 
Dieu...  C'est  du  mauvais  temps,  il  faut  continuer  tran- 
quillement son  chemin  bien  tracé. 

Je  vois  que  vous  avez  pu  faire  habituellement  lu  sainte 
Communion.  C'est  là  en  effet  une  grande  source  de  fer- 
veur. La  confession  est  aussi  un  secours  précieux,  car  là 
Dieu  vous  parle.  Remerciez-le  de  vous  avoir  donné  le 
guide  qu'il  vous  fallait,  sur  toutes  choses  la  paix,  la  paix, 
la  paix  en  Jésus,  l'âme  de  votre  âme. 


—  275- 


XXXII 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Oui,  vous  êtes  comme  Fénelon  et  sans  doute  un  peu 
plus  que  lui,  dans  cette  perplexité  provenant  du  change- 
ment des  impressions.  Je  doute  qu'il  "en  fût  là  habituelle- 
ment. Je  croirais  plutôt  que  ce  fut  le  résultat  des  préoccu- 
pations mystiques  où  il  fut  entraîné.  Les  lignes  qui  sui- 
vent, et  où  il  semble  condamner  la  prudence  naturelle 
et  les  arrangements  humains,  sentent  un  peu  l'exclu- 
sivisme du  «  pur  amour  ».  Dieu  nous  a  donné  la  prudence 
comme  guide.  Cette  prudence  doit  assurément  s'inspirer 
des  vues  de  la  Foi,  mais,  sans  cette  lumière  supérieure, 
elle  doit  tenir  grand  compte  de  tout  ce  que  dicte  la  raison. 
C'est  la  prudence  exclusivement  humaine  qui  est  seule  con- 
damnable. Le  saint  doit  vivre  comme  un  honnête  homme 
en  ses  actions,  et  beaucoup  plus  haut  par  ses  intentions. 
Il  faut  en  dire  autant  des  arrangements  humains  dont  il 
parle.  La  «  recherche  de.  soi  »  est  une  pente  qui  tend  tou- 
jours à  nous  entraîner. 

Il  ne  faut  pas  s'accuser  d'en  sentir  l'influence  qui  est 
dans  notre  nature,  ni  trop  analyser  ses  effets,  car  on  en 
sort  sans  y  voir  plus  clair,  et  tout  embrouillé  et  moins 
entrain.  Il  faut  aller  à  Dieu  de  bonne  foi,  de  bon  cœur, 
et  le  prier  de  ne  pas  faire  attention  à  nos  sottes  pensées 
de  recherche  de  nous-mêmes,  que  nous  avons  toujours 
désavouées  en  bloc. 

Ainsi  on  marche  à  l'aise,  et  on  aime  Dieu  plus  fina- 
lement. On  a  pour  cela  le  temps  et  la  liberté  d'esprit  qu'on 
gaspillerait  à  de  vaines  inquiétudes. 

Les  examens  sérieux  sont  utiles  et  souvent  nécessaires 
à  la  première  période  de  la  vie  pieuse  où  il  s'agit  de  se 
bien  former.  Plus  tard  ils  doivent  se  faire  plus  simple- 
ment. 

Écoutez  le  divin  Maître  vous  disant  :  «  Je  suis  là,  ne 
crains  rien.  »... 

«  La  paix,  la  paix,  la  paix.  » 


—  276  — 


X  X  X I T  ] 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

J'espère  que  vous  avez  retrouvé  définitivement  la 
paix.  La  souffrance  avait  un  peu  exaspéré  votre  sensi- 
bilité si  vive.  De  là  vos  manquements  passagers  et  au 
fond  excusables.  Il  faut  maintenant  nous  en  réjouir! 
Pourquoi  donc?  Parce  que  nous  avons  été  l'objet  de  la 
miséricorde,  et  que  nous  la  connaissons  si  indulgente 
qu'elle  ne  nous  accable  pas  de  reproches,  et  si  puissante 
qu'elle  détruit  complètement  le  mal  par  un  pardon  com- 
plet et  sans  retour.  Aimons  à  nous  sentir  plongés  dans 
cette  miséricorde  paternelle  pour  l'avenir,  comme  nous 
l'avons  été  par  le  passé. 

Rien  ne  chasse  mieux  que  cette  pensée  la  crainte  de 
nous-mêmes  et  celle  de  l'avenir.  Qui  s'attache  à  la  miséri- 
corde est  sauvé.  Cet  attachement  filial  comporte  une 
douce  humilité  qui  accepte  de  se  voir  pauvre  et  faible. 

La  confidence  d'H.  n'a  rien  qui  nous  surprenne.  En 
vérité,  je  ne  le  verrais  pas,  tel  qull  est,  dans  le  monde, 
et  sa  profonde  piété  le  dispose  admirablement  à  un  minis- 
tère qui  ne  doit  trouver  son  repos  qu'en  Dieu.  Comme 
aptitude,  je  le  verrais  plutôt  religieux,  mais  c'est  surtout 
l'attrait  qui  décide,  car  Dieu  le  donne.  Nous  en  parlerons 
souvent  désormais. 

Ai-je  besoin  de  vous  dire,  à  vous,  combien  est  grand  le 
sacrifice  que  Dieu  semble  vouloir  m'imposer  de  ne  pas 
reprendre  nos  entretiens  de  l'an  dernier  !  mais  le  mot 
sacrifice  n'est-il  pas  écrit  sur  tout  ce  qui  est  grand  et 
saint. 

.       XXXIV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Vos  notes  de  méditations  me  plaisent  beaucoup.  Elles 
donnent  une  note  élevée  et  bien  vivante.  Peu  importe 


—  277  — 

qu'une  pensée  soit  tirée  d'un  livre.  L'essentiel  est  de 
l'avoir  eu  nous  d'où  qu'elle  vienne  et  il  y  a  plus  d'humi- 
lité à  la  recevoir  qu'à  la  trouver.  L'ayant  reçue  comme 
de  Dieu,  on  s'en  pénètre,  on  l'étend  et  l'on  finit  par  en 
faire  sa  chair  et  ses  os  en  se  l'assimilant. 

Je  remarque  dans  votre  bulletin  quelques  défauts  en 
fait  de  charité  et  d'humilité.  Ne  vous  en  faites  pas  de 
trop  vifs  reproches.  Votre  nature  serait  rigoureuse  et 
rebelle  aux  contradictions.  Vous  n'en  avez  que  plus  de 
vertu,  car  vraiment  vous  dominez  d'une  façon  habituelle 
ces  sentiments  et  leurs  manifestations.  Plus  vous  vivrez 
de  Jésus,  plus  cet  effort  vous  sera  facile.  Que  ne  ferait-on 
pas  pour  Lui  ! 

Une  personne  très  simple  me  disait  ces  jours  der- 
niers :  Pour  m'occuper  de  Jésus,  j'aime  à  me  mettre  à 
la  place  de  la  Sainte  Vierge  quand  elle  jouissait  de  sa  pré- 
sence. Je  me  demande  à  quoi  elle  pensait  et  ce  qu'elle  lui 
disait,  soit  en  le  voyant  travailler  à  Nazareth,  soit  en  le 
retrouvant  les  soirs  de  ses  prédications,  soit  au  Calvaire. 
C'était  de  lui  qu'elle  se  préoccupait  et  non  point  d'elle- 
même. 

J'ai  pensé  à  vous  envoyer  cette  note  pleine  de  fécon- 
dité sous  sa  forme  très  simple.  On  voit  si  clairement 
quand  on  est  près  de  Jésus,  et  il  remplit  si  bien  la  pensée 
et  le  cœur! 

XXXV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Si  vous  pouviez  lire  dans  le  cœur  du  divin  Maître,  vous 
verriez  que  jamais  son  affection  ne  change  à  votre  égard. 
Il  n'y  a  rien  qui  lui  déplaise  vraiment  dans  ce  que  vous 
appelez  de  la  froideur,  ni  dans  les  petits  écarts  que  vous 
vous  reprochez;  il  est  sûr  de  votre  amour  et  son  amour 
n'en  demande  pas  davantage.  Sans  doute,  il  nous  appelle 
toujours  à  une  union  plus  intime,  à  une  générosité  plus 
grande,  à  une  domination  plus  complète  de  notre  nature  : 
mais  il  n'exige  pas  tout  cela  sous  peine  d'un  vrai  déplai- 


—  278  — 

sir  et  surtout  d'une  diminution  d'affection.  Cela  est  cer- 
tain. Un  grand  cœur  doit  penser,  sentir  et  agir  ainsi;  or 
quel  cœur  est  plus  grand  que  le  sien?  Ne  vous  en  faites  pas 
un  cœur  amoindri.  Aimez,  agissez,  supportez- vous  en 
paix.  Quand  on  a  la  certitude  d'être  aimé,  on  doit  bannir 
toute  tristesse,  cette  tristesse  fût-elle  causée  par  la  vue 
de  réelles  imperfections. 

Dites-vous  bien  que  l'état  de  vie  où  Dieu  vous  a  appelée 
est  moins  favorable  à  la  vie  intérieure,  et  que  par  consé- 
quent vous  ne  devez  pas  vous  accuser  d'avoir  l'esprit 
préoccupé  de  mille  soucis  et  soins  matériels.  L'union  à 
Dieu  ne  se  fait  pas  seulement  par  la  vie  intérieure;  elle 
se  fait  aussi  par  tout  acte  de  vertu  et  par  le  gémisse- 
ment d'offrir  si"peu.  Je  vous  ai  rappelé  souvent  la  parole 
de  l'Apôtre  :  «  C'est  par  l'aspiration  et  le  gémissement  que 
s'opère  notre  perfection.  »  Je  ne  vois  rien  de  plus  encou- 
rageant et  de  plus  consolant. 

Quand  on  est  dans  cette  douce  conviction  d'être  aimée 
de  Dieu  en  dépit  de  toutes  ses  misères,  on  est  inclinée  à 
se  faire  douce  aux  misères  d'autrui,  comme  aussi  à  rece- 
voir sans  peine  certains  procédés  moins  bienveillants 
ou  même  moins  justes.  Remarquez-le  bien,  ce  ne  sont  pas 
précisément  nos  manquements  qui  produisent  ces  bons 
résultats,  mais  la  vue  de  ce  que  Dieu  fait  malgré  ces  man- 
quements. Ce  n'est  pas  même  notre  regret  et  notre  peine 
qui  nous  y  conduisent;  mais  la  seule  impression  fdiale. 
C'est  elle  qu'il  faut  cultiver. 

Je  ne  sais  pas  si  j'ai  bien  expliqué  ma  pensée,  je  prie 
Dieu  de  vous  la  faire  comprendre  à  fond. 


XXXVI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ne  vous  attristez  pas  des  découvertes  que  vous  faites 
dans  la  région  de  votre  nature.  Ce  terrain  fourmille  tou- 
jours en  mauvaises  herbes.  Je  vois  que  vous  n'entendez 


—  279  — 

pas  les  laisser  grandir  :  travail  de  bonne  volonté,  de 
patients  recommencements  et  de  féconde  humilité.  Je  ne 
suis  pas  inquiet  et  je  sais  que  Dieu  aime  votre  âme  telle 
qu'elle  est,  sans  vous  faire  de  durs  reproches  de  ce  qui 
vient  en  elle  malgré  elle. 

Reconnaissez  donc  vos  'manquements  ;  regrettez-les 
paisiblement;  prenez-en  occasion  d'admirer  et  d'aimer  la 
bonté  qui  ne  s'en  offense  pas  et  redites  sans  cesse  à  vos 
tentations  de  tristesse  :  je  suis  aimée  de  Dieu  et  je  l'aime. 
C'est  le  moyen  de  tout  améliorer,  car  c'est  la  source  inta- 
rissable du  courage  vaillant. 


XXXVII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Eh  bien  oui,  efforcez-vous  d'exceller  en  douce  charité. 
Cultivez  particulièrement  celle  du  dedans,  l'autre  pous- 
sera toute  seule.  Je  dis  «  exceller  »  car  cette  vertu  existe 
en  vous  très  réelle,  je  dirai  même  très  forte,  mais  comme 
elle  est  une  greffe  entée  sur  un  sujet  peut-être  un  peu 
âpre,  elle  a  besoin  de  perfectionner  la  nature,  et  c'est 
une  œuvre  de  patience  avec  soi-même  et  de  résolutions 
fréquemment  renouvelées. 

Chez  vous  le  cœur  est  généreux  et  ardent,  mais  l'esprit 
est  exigeant.  Il  voit  le  parfait,  il  se  révolte  contre  ce  qui 
est  défectueux,  aussi  bien  chez  vous  que  chez  les  autres. 
Hélas  !  il  faut  bien  se  faire  à  cette  idée  que  la  nature 
humaine  est  foncièrement  imparfaite;  il  faut  surtout 
considérer  quels  ont  été  les  sentiments  et  les  procédés  du 
divin  Maître  à  son  égard.  Je  ne  me  lasse  jamais  de  médi- 
ter sa  tolérance,  sa  patience,  sa  bonté,  sa  tendresse  même 
à  l'égard  de  ses  apôtres.  J'en  suis  toujours  ravi  et  surtout 
confus. 

Prenons  son  cœur,  faisons-le  battre  dans  notre  poi- 
trine; ne  permettons  a  notre  esprit  aucune  exigence  qui 
lui  aurait  déplu.  Croyons-nous  profondément  aimés  de 
Lui  tels  que  nous  sommes,  et  rendons-Lui  un  semblable 


—  280  — 

amour  dans  les  personnes  dont  le  genre  ne  nous  convient 
pas.  Faites  de  ce  côté  de  grands  efforts.  Hésitez  à  blâmer, 
même  intérieurement.  Soyez  partiale. 

La  charité  s'alimente  dans  cette  vue  de  Notre-Seigneur, 
mais  cette  vue  à  son  tour,  pour  s'imposer,  a  besoin  du 
secours  d'une  vie  assez  intérieure.  Il  faut  l'air  du  Ciel  à 
cette  plante  surnaturelle. 


XXXVIII 
Madame  et  chère  fille  eh  Notre-Seigneur, 

Soyez  bien  en  paix  et  tournez  votre  âme  vers  la  joie, 
car  vous  êtes  vraiment  à  Dieu  et  très  aimée  de  Lui.  Les 
imperfections  et  les  petites  défaillances  comptent  peu 
quand  elles  sont  connues  et  désavouées.  Mettez  un  peu 
plus  de  fidélité  à  vos  devoirs  de  piété  et  beaucoup  plus 
d'entrain  à  vous  faire  charitable,  même  au  dedans,  pour 
plaire  à  Dieu,  pour  permettre  à  Notre-Seigneur  d'aimer 
par  vous  des  personnes  qui  naturellement  vous  plaisent 
peu.  Cet  exercice  de  charité  foncière  est  un  des  plus 
nécessaires  et  des  plus  consolants.  Quand  on  sent  qu'on 
aime,  mais  qu'on  aime  vraiment,  et  que  la  vue  de  Notre- 
Seigneur  erî  est  la  cause  permanente,  on  sait  par  là  même 
qu'on  est  uni  à  Lui  et  bien  sous  son  influence.  On  le  sait 
content  et  cette  pensée  forme  le  centuple  proposé  à  la 
générosité. 

Je  me  demande  si  votre  désir  de  vous  imposer  aux 
autres  est  condamnable.  Il  ne  le  serait  que  s'il  y  avait 
excès. 

Vous  avez  aussi  à  exercer  le  commandement  chez  vous 
et  une  influence  au  dehors.  Pour  le  bien  faire,  il  ne  faut 
pas  être  trop  craintive  et  regardante;  on  va,  on  parle,  on 
agit  pour  le  mieux  simplement,  on  s'impose  quand  la 
situation  le  demande,  on  soutient  son  idée  quand  on  la 
croit  bonne. 

Évidemment  vous  avez  à  craindre  en  cela  l'invasion 


—  281   — 

de  la  vaine  complaisance,  mais  vous  yous  en  dégagez 
dès  .que  vous  vous  en  sentez  atteinte. 

Le  signe  auquel  vous  reconnaîtrez  l'excès  ou  l'alliage 
trop  naturel,  ce  serait  une  extrême  irritation,  des  senti- 
ments de  mépris,  quelque  trouble  et  de  l'obsession.  Il 
faudrait  alors,  non  pas  abandonner  une  ligne  de  conduite 
qu'on  croit  juste,  mais  introduire  dans  son  intention  un 
plus  vif  désir  de  plaire  à  Dieu  et  d'être  bonne  pour  tous. 
Cette  protestation  doit  rendre  la  paix,  si  elle  est  bien  faite. 


XXXIX         > 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Soyons  toujours  contents  de  ce  que  Dieu  fait  et  des 
conditions  où  il  nous  place.  Parfois  elles  paraissent  moins 
favorables  à  l'union  que  nous  voulons  avoir  avec  Lui  :  au 
fond,  cette  union  se  fait  d'une  façon  moins  apparente  par 
la  volonté.  Vouloir  tout,  et  avec  confiance.  Se  tenir  en 
paix.  Faire  des  efforts  sérieux,  mais  pas  excessifs  et  sans 
empressement.  Protester  à  Dieu  qu'on  l'aime  de  toute 
son  âme...  voilà  au  fond  la  vie  surnaturelle,  telle  que  la 
permettent  toutes  les  circonstances.  Il  est  réservé  à  cer- 
taines situations,  comme  à  certaines  heures,  d'aviver  le 
sentiment  de  cette  union. 

Nous  devons  les  désirer,  mais  paisiblement. 


XL 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Il  ne  faut  pas  qualifier  toujours  comme  résistance  à  la 
grâce  certaines  satisfactions  d'ordre  naturel  qu'on  se 
permet.  La  distinction  n'est  pas  chaque  fois  très  facile, 
et  il  ne  faut  pas  examiner  longuement  ces  cas  qui  sont 
fréquents.  Ce  qui  importe,  c'est  de  ne  rien  s'accorder  avec 
une  conscience  restée  douteuse;  on  sort  du  doute  prati- 


—  282  — 

quèment  par  celle  affirmation  sincère  :  «  Mon  Dieu,  si  je 
croyais  que  vous  me  demandez  ce  renoncement,  je  vous 
le  donnerais  aussitôt  ;  mais  je  crois  que  vous  me  per- 
mettez cette  petite  satisfaction,  ce  repos,  cette  jouis- 
sance. » 

Étant  donné  votre  position  et  votre  nature,  vous  devez 
éviter  les  conclusions  absolues  que  peuvent  et  que  doi- 
vent parfois  tirer  des  personne.?  dont  la  vie  est  stricte- 
ment à  Dieu,  comme  les  religieuses  et  aussi  certaines 
personnes  du  monde  qui  se  sont  entièrement  livrées  à  la 
perfection. 

Faites  la  part  de  la  mortification  et  celle  d'un  légitime 
réconfort.  Veillez  seulement  à  ce  que  ce  que  vous  vous 
accordez  ne  vous  amollisse  pas  et  ne  vous  laisse  pas 
Y  esprit  dissipé. 

Que  le  divin  Maître  se  fasse  sentir  à  votre  cœur;  vous 
trouverez  là  plus  de  repos  et  plus  de  joie  que  dans  les 
satisfactions  naturelles.  Soyez  alors  plus  inclinée  du  côté 
de  la  privation,  tandis  que  vous  pourrez  prendre  plus  de 
latitude  quand  la  sécheresse  dominera. 


XL! 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ne  craignez  pas  d'avoir  pour  votre  âme  les  plus  hautes 
prétentions.  Ce  n'est  pas  en  vain  que  Dieu  a  mis  si  avant 
dans  votre  nature  le  sentiment  du  plus  parfait.  Idéal  ne 
veut  pas  dire  imagination,  mais  tendance  à  ce  qui  est 
élevé  et  grand.  Ne  vous  privez  donc  pas  de  ce  secours 
en  vous  défiant  de  lui,  mais  poursuivez-le  humblement. 
Regardez-le  comme  un  moyen  d'aimer  Dieu  davantage 
et  de  lui  ressembler  toujours  plus. 

Ce  sentiment,  comme  tous  les  autres,  demande  à  être 
surveillé  et  dirigé.  Il  n'est  pas  un  but,  mais  un  moyen. 
Quand  vous  vous  en  êtes  écartée,  il  vous  porterait  au 
relâchement  s'il  n'était  pas  relevé  par  l'humilité;  c'est 
pourquoi  je  vous  disais  de  le  poursuivre  humblement. 


—  283  — 

L'humilité  éteint  tout  dépit  et  ranime  le  courage  en  mon- 
trant que  nous  pouvons  tout  réparer  avec  le  secours  de 
Dieu  et  un  nouvel  effort.  Elle  nous  montre  notre  défec- 
tion comme  toute  naturelle  et  notre  relèvement  comme 
l'amour  voulu  de  Dieu  et  facile  avec  son  aide. 


XLII 

i 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

C'est  donc  la  paix,  une  magnifique  paix,  ferme  et  haute, 
que  je  vous  souhaite.  Ayez  d'immenses  désirs  de  perfec- 
tion, désirs  trop  grands  pour  être  réalisés  tout  à  fait; 
ayez  donc,  à  côté,  une  humilité  sans  mesure  qui  ne  se 
trouble  de  rien.  Que  rien  n'arrête  l'élan  de  votre  amour 
pour  Dieu,  pas  même  l'évidence  (apparente  ou  réelle)  de 
votre  peu  de  mérite.  C'est  Lui  qui  mérite  d'être  aimé,  et 
ce  motif  est  éternel.  La  grâce  nous  rend  capables  de  ce 
qui  dépasse  toute  nature  et  tout  effort.  Partons  pleins 
i d'une  joyeuse  confiance. 

Quand  je  vois  le  bonheur  qui  règne  dans  votre  vie  de 
famille,  je  me  réjouis  et  je  tremble  !  N'est-ce  pas  le  pro- 
pre d'une  affection  profonde,  instruite  par  une  longue 
expérience  de  la  vie  !  Ah  !  puisse  le  Dieu  que  nous  aimons 
se  contenter  des  petites  peines  qui  traversent  sans  cesse 
la  vie  la  plus  favorisée  !  Et  qu'est-ce  que  cela  en  face  des 
tristesses  dont  j'ai  été  si  souvent  le  témoin  !  Au  milieu  de 
l'insécurité  universelle,  cherchons  Dieu,  notre  refuge, 
notre  appui,  notre  espoir.  Faisons  planer  au-dessus  de 
tout  ce  qui  passe  les  grandes  ailes  de  l'éternité,  qu'elles 
emportent  dans  les  hauteurs,  au-dessus  des  nuages,  notre 
pauvre  pensée  craintive.  Vivons  d'avance  où  nous  vivrons 
toujours  ! 


—  28i  — 

XLIII 

Mes  chers  amis, 

C'est  avec  une  satisfaction  particulière  que  je  viens 
vous  apporter  V Alléluia  de  Pâques.  Après  les  grandes 
épreuves  la  joie  est  plus  profonde  et  plus  douce.  Cet  «  Allé- 
luia »  sera  un  acte  de  remerciement  et  aussi  un  hommage 
à  la  Paternité  divine  qui  a  veillé  sur  votre  chère  enfant. 
Il  faut  plus  que  jamais  s'abandonner  à  Elle  en  tout  et 
toujours.  Il  faut  tout  espérer  et  en  même  temps  être  dis- 
posés à  tout  accepter.  Cette  disposition  n'enlève  à  la 
souffrance  que  ses  excès  et  les  désordres  qu'ils  causent; 
elle  laisse  à  l'âme  toute  sa  sensibilité,  et  cette  sensibilité 
elle-même  devient  la  source  des  plus  grands  actes  et  des 
plus  grands  mérites,  car  elle  oblige  l'amour  de  Dieu,  pour 
la  dominer,  à  dépasser  ses  limites  ordinaires.  Jésus,  à 
l'agonie,  n'eût  pas  été  aussi  grand  s'il  n'avait  pas  laissé 
sa  sensibilité  repousser  avec  horreur  le  calice  que  son 
«  fiât  »  retenait  et  aimait.  Que  de  beaux  actes  vous  aurez 
faits  ainsi  !  Quel  accroissement  d'amour  se  sera  produit 
dans  le  cœur  de  Dieu  et  dans  le  vôtre  ! 


XLIV 

Madame  et  chère. fille  en  Noire-Seigneur, 

Ne  vous  étonnez  pas  de  l'impression  habituelle  de  las- 
situde qu'éprouve  votre  moral  :  c'est  l'effet  lointain  des 
brisements  de  cet  hiver.  Nous  n'avons  pour  les  exercices 
de  la  vie  pieuse  que  notre  pauvre  nature  élevée  et  sou- 
tenue par  la  grâce.  Son  état  se  fait  donc  sentir  dans  nos 
rapports  avec  Dieu.  Je  vous  conseillerais  de  chercher 
Notre-Seigneur  fidèlement,  sans  contention  et  avec 
confiance.  Vous  le  trouverez  sinon  d'une  façon  qui  le 
contente,  du  moins  d'une  façon  qui  vous  unira  de  pensée 
et  de  cœur,  sérieusement  et  utilement.  Comme  moyen 


—  285  — 

je  n'en  vois  pas  de  plus  efficace  que  l'examen  particulier. 
Cet  exercice  peut  trouver  sa  place  à  tel  ou  tel  moment  de 
la  journée,  ou  bien  se  diviser  en  plusieurs  retours  plus 
courts,  mais  sérieux.  Il  serait  bon  de  marquer  votre  note. 


XLV 

Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

Parlons  de  votre  âme  dont  vous  m'ouvrez  avec  une 
parfaite  clarté  les  dernières  pages.  Sans  entrer  dans  des 
explications,  je  vous  affirme  sans  la  moindre  hésitation 
que  vous  n'avez  commis  aucune  faute  vénielle.  Vous  avez 
été  violemment  persécutée  par  votre  nature,  que  vous 
pouvez  sans  doute  désavouer,  mais  qui  vous  impose  ses 
impressions  et  presque  ses  jugements. 

C'est  pourquoi  le  remède  que  je  voudrais  vous  proposer 
consiste,  non  pas  à  combattre,  mais  à  porter  ailleurs  vos 
pensées.  Je  vois  le  divin  Maître  si  grand,  si  bon,  se  présen- 
tant à  vous  et  vous  demandant  de  tourner  vers  Lui  tout 
ce  que  vous  pouvez  de  votre  esprit  et  de  votre  cœur. 
Jamais  vous  ne  l'aimerez  autant  qu'il  le  désire.  Voyez-le 
donc  vous  reprochant  avec  tendresse  de  vous  attarder  en 
des  préoccupations  sans  valeur,  sans  grandeur,  et  qui 
vous  détournent  de  Lui.  Ce  n'est  pas  seulement  du  temps 
perdu,  c'est  une  bonne  disposition  évanouie.  Pour  retrou- 
ver un  cœur  attentif  et  aimant,  il  suffit  de  laisser  tomber 
ce  qui  vient  de  se  soulever,  en  écartant  soigneusement 
tout  ce  qui  revient  à  l'esprit  et  en  évoquant  l'image  de 
Jésus  tendant  les  bras  vers  vous...  Tout  cet  invisible  est 
très  réel.  Tâchez  de  vous  le  rendre  sensible.  Au  lieu  d'aller 
à  Lui  en  écartant  les  ronces,  prenez  des  ailes  et  volez 
au-dessus.  Vous  le  trouverez  plus  sûrement,  plus  vite  et 
combien  plus  délicieusement! 


286   — 


XL  VI 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  vois  avec  grand  plaisir  que  vous  acceptez  bravement 
les  gênes  qu'imposent  à  vos  désirs  de  vie  intérieure  la 
surcharge  des  occupations  et  les  fatigues  de  votre  santé. 
Vivez  de  ces  désirs  accompagnés  d'efforts.  Réservez- 
vous  toujours  la- part  d'exercices  de  piété  que  l'expérience 
vous  montre  nécessaire. 

Omettez  avec  regret,,  mais  sans  trouble,  la  part  qui 
deviendrait  trop  lourde.  Quand  l'union  de  pensée  avec 
Dieu  est  moins  facile,  appliquez-vous  à  cette  union  de 
volonté  qui  accomplit  chaque  devoir  sous  cette  impres- 
sion plus  ou  moins  distincte  :  j'accomplis  le  plan  de  Dieu 
sur  moi.  J'aime  tout  ce  que  chaque  devoir  me  commande, 
car  Dieu  aime  à  me  voir  ainsi. 

Quand  l'attrait  s'y  prête,  cherchez  au  Ciel  ou  au  taber- 
nacle le  regard  de  Jésus.  Recueillez-vous  de  temps  en 
temps  pour  le  contempler,  agissant  en  vous  et  par  vous, 
inspirant  et  divinisant  vos  actions. 

Maintenez-vous  humble  et  douce  et  ne  vous  étonnez 
pas  d'éprouver  parfois  des  mouvements  contraires;  vous 
arrivât-il  d'y  céder,  désavouez,  aimez,  remerciez;  c'est 
une  grâce  d'humilité. 

Que  vos  nombreuses  préoccupations  à  l'égard  de  votre 
famille  et  de  votre  maison  soient  pour  vous  un  continuel 
exercice  d'abandon  à  Dieu  et  de  confiance.  Vous  ferez 
toujours  ce  que  demandera  chaque  situation,  mais  vous 
le  ferez  avec  le  calme  que  donnent  les  hautes  pensées. 

Que  vous  soyez  avec  ou  sans  consolation,  vous  restez  la 
même  et  vous  êtes  également  agréable  à  Dieu.  Dieu  ne 
juge  pas  d'après  la  physionomie  qui  est  d'essence  mobile. 

Je  termine  par  le  désir  de  vous  voir  reprendre  sérieu- 
sement l'examen  particulier,  non  pas  un  examen  de  forme 
complète,  mais  une  revue  courte  et  nette  de  la  matinée, 
avec  une  résolution  précise  pour  la  soirée.  Vers  le  soir 
une  recherche  plus  soigneuse. 


—  287  — 

Dites-vous  sans  cesse  et  dans  tous  les  états  de  votre 
âme  :  Telle  que  je  suis,  même  bien  pauvre,  je  suis  aimée 
de  Dieu.  Ce  sera  votre  force  comme  votre  consolation. 


XLVII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

N'appelez  pas  déchéance  l'état  d'âme  dont  vous  souf- 
frez. En  le  comparant  à  celui  de  votre  printemps  spiri- 
tuel, vous  devriez  vous  rappeler  que  chaque  saison  a  son 
caractère.  Ce  ne  sont  plus  des  fleurs  que  Dieu  attend  de 
vous  en  ce  moment,  ce  sont  des  fruits.  Votre  mission  s'est 
élargie  et  elle  est  devenue  si.  complexe,  si  exigeante,  que 
votre  activité  se  porte  nécessairement  au  dehors. 

Votre  vie  intérieure  n'est  plus  la  contemplation  intime, 
mais  l'amour  de  Dieu  dans  son  service,  amour  généreux 
qui  ne  refuse  rien  et  qui  ne  s'attriste  pas  de  se  trouver 
comme  insensible  devant  les  divins  objets  de  la  foi. 

Conservez  les  précieux  souvenirs  d'autrefois  avec  les 
désirs  qu'ils  entretiennent.  Le  désir  maintient  le  mouve- 
ment vers  Dieu  et  assainit  les  préoccupations  absor- 
bantes. 

Votre  état  d'âme  actuel  est  dans  l'ordre  des  choses  que 
Dieu  respecte.  Ce  serait  une  sorte  de  miracle  si,  au  milieu 
des  mille  soucis  de  votre  condition,  vous  conserviez  la 
vue  tranquille  et  le  goût  sensible  des  choses  divines.  Dieu, 
qui  se  complaisait  dans  votre  cœur  épanoui,  se  complaît 
dans  votre  fidélité  pleine  d'abnégation. 

Soyez  donc  avant  tout  fidèle  :  fidèle  à  être  humble, 
douce,  résignée;  fidèle  à  penser  que  vous  faites  la  volonté 
de  Dieu  ;  fidèle  aux  exercices  de  piété  et  aux  divers 
moyens  qui  stimulent. 

Dilatez  donc  votre  cœur.  Dieu  vous  aime  et  vous  aimo 
telle  que  vous  êtes.  Je  tiens  à  ce  que  cette  conviction  reste 
en  vous  à  demeure  :  elle  est  juste,  et  elle  est  le  plus  grand 
principe  de  courage  et  de  progrès. 

22 


288  — 


XLVIII 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  me  rends  parfaitement  compte  de  la  difficulté  où 
vous  êtes  de  trouver  un  moment  assez  long  et  assez  tran- 
quille pour  examiner  à  fond  votre  âme  et  m'en  rendre 
compte.  Je  vous  proposerai  ceci  :  m'envoyer  en  temps 
voulu  votre  bulletin,  même  sans  un  seul  mot,  puis  me 
parler  de  votre  âme  quand  cela  vous  sera  facile.  Une 
direction  a  ses  grandes  lignes  dans  lesquelles  il  faut  se 
tenir  ou  se  remettre. 

Cherchez  Notre-Seigneur  ;  dominez  vos  impressions, 
soit  au  dehors  par  le  calme  de  la  parole  et  l'aménité  du 
visage,  soit  en  dedans  par  une  douce  et  forte  pression 
sur  tout  ce  qui  voudrait  vous  troubler,  soit  du  côté  des 
personnes,  soit  du  côté  des  événements.  —  Dans  le  milieu 
qui  vous  est  fait,  vous  vous  appartenez  bien  peu.  Ne  vous 
étonnez  donc  pas  de  ne  pas  jouir  d'une  vie  intérieure 
reposée,  et  comme  cette  vie  intérieure  n'est  pas  là  pour 
vous  avertir  et  vous  aider,  vous  vous  surprenez  parfois 
imparfaite  et  surtout  vous  souffrez  de  ne  pas  prendre 
un  essor  plus  élevé.  Nous  sommes  revenus  souvent  sur  ce 
point. 

J'insiste  sur  ce  dernier  :  toute  grandeur  est  dans  la 
mesure  de  l'amour  divin;  or  il  peut  y  avoir  beaucoup  de 
cet  amour  dans  une  confusion  humble  et  paisible,  et  dans 
de  bons  désirs  bien  sincères. 

Disons-nous  chaque  matin  :  aujourd'hui  je  vais  tout 
faire  pour  que  Dieu  soit  content,  et  chasser  toute  tris- 
tesse. 

XLIX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  suis  heureux  d'avoir  pu  rasséréner  votre  âme  en 
vous  disant  le  fond  de  ma  pensée  dans  vos  rapports  diffi- 


—  289  — 

ciles  avec  qui  vous  savez.  Votre  ligne  de  conduite  doit 
être  dirigée  par  ces  deux  principes  :  1°  sauvegarder  votre 
dignité  personnelle  et  la  correction  des  rapports;  2°  en 
dehors  de  cela  tendre  à  la  condescendance  et  à  la  sim- 
plicité; en  faire  des  actes,  en  chercher  l'occasion. 

Tenez  écartés  de  votre  pensée  les  souvenirs  qui  vous 
irriteraient  et  revenez  souvent  sur  les  réelles  qualités  de 
la  personne.  Nos  pensées  fréquentes  ont  une  influence 
sérieuse  sur  nos  sentiments. 

Votre  vie  est  tellement  chargée  et  surmenée  que  vous 
n'avez  pas  à  vous  reprocher  l'insuffisance  des  exercices 
de  piété.  Elle  est  réelle,  j'en  conviens,  et  vous  ne  pouvez 
ainsi  jouir  d'une  vie  intérieure  consolée;  mais  puisque  la 
volonté  de  Dieu  est  elle-même  la  cause  de  cette  restric- 
tion, comptez  qu'elle  vous  conduira,  par  des  voies  encore 
inconnues,  à  la  perfection  qu'elle  attend  de  vous.  Plaise 
à  Dieu  que  ce  ne  soit  point  par  la  voie  des  larmes  !... 

Tour  animer  votre  âme  et  sanctifier  votre  activité, 
jetez  souvent,  très  souvent,  vos  regards  vers  le  divin 
Maître  qui,  lui,  vous  regarde  toujours.  Un  instant,  une 
vue  nette,  un  mot  d'affection  :  c'est  tout.  L'examen  par- 
ticulier sur  ce  sujet  vous  serait  d'un  très  grand  secours. 
Résignez-vous  à  faire  cet  exercice  d'une  façon  un  peu 
rudimentaire,    mais   quotidienne. 

Dérobez-vous  un  moment,  au  même  moment  chaque 
jour,  s'il  se  peut,  ou  dans  les  environs  de  cette  heure. 
Certainement  vous  êtes  appelée  à  la  perfection.  Pour 
tous,  la  perfection  se  trouve  dans  la  perfection  de  l'amour 
divin.  Cet  amour  est  sans  doute  merveilleusement  ali- 
menté par  les  exercices  de  piété,  mais  il  peut  aussi  s'en 
passer  dans  une  certaine  mesure  quand  les  circonstances 
y  contraignent.  Il  faut  alors  aller  tout  le  jour  droit  au 
but,  agir  vraiment  et  sincèrement  pour  Dieu;  chercher  le 
regard  de  Jésus,  ne  pas  trop  s'observer,  ce  qui  détour- 
nerait de  lui  notre  attention,  et  maintenir  au  dedans  et 
au  dehors  une  paix  joyeuse. 


—  290  — 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Toutes  ces  années-ci  vous  aurez  à  vous  rappeler  que  la 
vie  intérieure  n'est  pas  le  seul  moyen  d'être  profondé- 
ment à  Dieu.  Elle  est  une  forme  de  la  vie  de  foi,  sa  forme 
plus  sensible,  mais  au  fond,  c'est  la  vie  de  foi  qui  est 
l'âme  de  tout.  La  vie  intérieure  fait  que  l'on  dit  à  Dieu  : 
Seigneur,  Seigneur!...  Elle  porte  aussi  à  faire  toute  sa 
volonté;  or  c'est  en  cela,  remarquez-le  bien,  que  le  divin 
Maître  fait  consister  le  véritable  amour. 

Faire  toute  la  volonté  de  Dieu  connue,  la  faire  pour 
le  glorifier  et  le  servir,  voilà  ce  qui  est  indispensable, 
mais  qui  suffit. 

Les  circonstances  déterminent  le  genre  de  l'union  à 
Dieu.  Une  personne  très  occupée  et  chargée  de  soucis 
pourra  bien  difficilement  garder  cette  facilité  d'impres- 
sions et  ce  regard  tourné  vers  la  Bonté  divine  dont  elle 
jouissait  autrefois  quand  sa  vie  était  libre.  Qu'elle 
honore  et  serve  son  Dieu  par  la  pratique  des  vertus  que 
demande  sa  position.  La  vie  intérieure  consistera  sur- 
tout dans  l'affirmation  fréquente  de  sa  volonté  de  l'ho- 
norer et  de  le  servir  ainsi. 

Les  contrariétés,  les  déceptions,  les  peines  de  toutes 
sortes  lui  sont  une  occasion  d'adorer  sa  divine  main  et 
de  la  baiser,  comme  aussi  de  garder  une  grande  paix  par 
une  grande  confiance.  J'ai  dirigé  plusieurs  âmes  telle- 
ment occupées  que  tout  exercice  de  piété  leur  était  impos- 
sible. Je  les  ai  vues  grandir  par  un  vif  esprit  de  foi,  par 
la  paisible  souffrance  de  ne  plus  sentir  Dieu  et  par  l'appli- 
cation à  très  bien  faire  toutes  choses  matérielles  et  autres. 

Les  exercices  de  piété  sont  l'élément  normal  de  la  fer- 
veur, mais  comme  le  corps,  l'âme  peut  se  nourrir  de 
tant  de  manières  moins  favorables.  La  pensée  fréquente 
de  la  volonté  de  Dieu  peut  suffire. 

Notre-Seigneur  n'a-t-il  pas  dit  :  «  Ma  nourriture  est  de 
faire  la  volonté  de  mon  Père.  » 


—  291  — 

L'on  doit  désirer  unir  une  vie  intérieure  active  avec 
une  vie  extérieure  chargée.  Ce  désir  vient  naturellement 

à  l'âme  qui  aime,  et  il  lui  est  un  précieux  stimulant.  Il 
faut  l'entretenir,  mais  non  s'en  faire  une  occasion  de 
tristesse  et  de  reproches. 

Assurément  nous  pourrions  être  plus  unis  à  Dieu,  plus 
fervents,  plus  vertueux.  Reconnaissons-le  sans  resserre- 
ment de  cœur.  Oui,  Dieu  vous  aime  telle  que  vous  êtes  et 
son  affection  ressemble  à  celle  que  vous  avez  pour  vos 
enfants.  Méditez  cette  comparaison,  elle  vous  éclairera  et 
vous  dilatera. 

Vous  vous  impressionnez  trop  de  ce  qui  peut  être 
défectueux.  La  richesse  de  vos  vues  crée  peut-être  une 
imperfection,  en  vous  empêchant  parfois  de  voir  distinc- 
tement. C'est  comme  la  roue  qui  tournant  très  vite  ne 
laisse  pas  deviner  ses  rayons. 

Cet  inconvénient  existe  beaucoup  moins  pour  ce  qui 
est  de  juger  telle  ou  telle  chose  qui  vous  est  proposée. 
Vous  avez  V impression  de  ce  qui  est  juste;  c'est  pourquoi 
j'-ai  une  très  grande  confiance  dans  vos  appréciations... 
Je  vous  le  prouverai...  à  vos  dépens. 


LI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  me  suis  senti  bien  seul  à  mon  retour  :  j'aime  tant  la*" 
vie  de  famille  !  Si  je  m'étais  écouté,  je  serais  resté  triste, 
mais  Dieu  ne  l'entend  pas  ainsi.  Je  me  suis  hâté  de  lui 
offrir  cette  privation  et  de  chercher  enLui,avec  confusion, 
une  société  qui,  certes,  peut  suffire  et  qui  doit  suffire, 
quand  il  nous  éloigne  de  nos  amis...  Je  vous  vois  donc 
en  Lui  et  je  vous  sens  tous  chers  à  son  cœur  ! 

Jouissez  de  cette  liberté,  si  rare  pour  vous,  des  soucis 
matériels.  Votre  âme  aura  trouvé  plus  facilement  le 
chemin  qui  mène  à  l'intimité  divine.  J'ai  été  ému  de 
l'accent  avec  lequel  vous  m'avez  dit  :  «  Dieu  et  la  per- 
fection avant  tout.  »  Voilà  une  protestation  qui  est  un 


—  292  — 

principe  de  vie.  Elle  domine  tout  et  elle  doit  tout  ani- 
mer. Rassurez-vous  dans  vos  distractions  et  vos  aridités, 
et  même  dans  les  imperfections  qui  vous  échappent  : 
le  principe  vital  n'en  est  pas  affaibli  s'il  en  esl  un  peu 
embarrassé. 

Faites  toujours  effort  vers  le  calme  intérieur  et  la  phy- 
sionomie de  règle.  Cherchez  Jésus. 


lu 

Madame  et  chère"  fdle  en  Noire-Seigneur, 

Non,  vous  ne  ressemblez  pas  à  l'économe  infidèle;  vous 
servez  Dieu  consciencieusement.  Nous  lui  ressemblons 
tous  en  ce  que  nous  ne  sommes  pas  assez  préoccupés  de 
sa  gloire;  aussi  pouvons-nous  profiter  de  l'avantage 
qu'il  nous  laisse  de  le  dédommager  dans  les  autres.  Je 
vous  approuve  donc  dans  votre  résolution  de  remettre  les 
petites  dettes  de  procédés  moins  délicats,  de  contrarié- 
tés peu  justes,  etc.  Cette  menue  monnaie  ayant  à  se 
dépenser  tous  les  jours  finit  par  faire  une  grande  somme. 

Je  vous  approuve  aussi  de  vouloir  établir  plus  d'exac- 
titude sur  certains  points.  La  première  est  de  marquer 
tous  les  jours  votre  feuille  :  ce  n'est  pas  long  et  c'est  utile. 
D'ailleurs  c'est  la  règle.  Puis  la  fidélité  à  l'oraison  et  la 
surveillance  de  la  physionomie.  Avec  votre  nature  sin- 
cère, vous  maintiendrez  parallèlement  la  belle  physio- 
nomie de  l'âme. 

Et  toujours  cherchez,  désirez  Notre-Seigneur.  Que  sa 
pensée  reste  toujours  voisine. 

Je  crois  connaître  assez  à  fond  votre  âme  pour  vous 
dire  avec  assurance  qu'elle  est  bien  à  Dieu  et  selon  ses 
desseins.  Allez  de  l'avant  sans  vous  absorber  dans  la 
chasse  à  vos  défauts.  En  allant  à  Dieu  vous  les  sèmerez  en 
route  si  vous  marchez  d'un  bon  pas.  Il  importe  que  vous 
gardiez  toujours  l'âme  paisible,  dilatée,  s'il  se  peut. 
C'est  l'intérêt  de  Dieu  comme  le  vôtre. 

Soutenez  donc  cette  chère  âme  qui  se  jette  dans  vos 


—  293  — 

bras,  mais  avec  la  pensée  constante  de  la  détacher  peu  à 
peu.  Attendez  les  moments. 

Conseillez-lui  toujours  de  se  faire  plus  insensible  aux 
contrariétés  et  de  ne  pas  se  troubler  de  l'avenir. 

Dieu  pourvoit,  à  tout  quand  on  se  confie  bien  à  Lui.  Je 
suis  porté  à  croire  que  son  état  actuel  est  une  épreuve. 


LUI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  suis  tellement  attristé  avec  vous  de  ce  que  le  hasard 
vous  a  fait  entendre  de  la  part  de  vos  gens,  que  je  ne  puis 
résister  au  désir  de  vous  le  dire.  Quelle  déception  pour 
vous  qui  traitez  votre  personnel  avec  tant  de  douceur 
et  de  bonté  et  qui,  à  l'occasion,  lui  rendez  tant  de  ser- 
vices ! 

Quel  jour  plus  attristant  encore  cela  projette  sur  l'ave- 
nir !  Une  révolution,  comme  on  n'en  a  jamais  vu,  se  pré- 
pare avec  une  pleine  conscience  du  but.  Elle  sera  univer- 
selle. Peu  à  peu  les  représentants  de  la  classe  populaire 
s'unissent  et  se  concertent  dans  le  monde  entier.  Ils 
auront,  un  jour,  le  pouvoir  de  détruire.  Ce  jour  n'est 
probablement  pas  éloigné.  Vous  le  verrez  sans  doute. 
Aura-t-on  le  temps  et  la  possibilité  de  sauvegarder  quel- 
que chose? 

L'idée  d'égalité  absolue  a  pris  possession  de  toute  la 
classe  inférieure.  Je  l'entends  dire  de  tous  côtés. 

L'inégalité  parfois  choquante  l'a  rendue  sensible  et 
l'entretient. 

La  cause  profonde  de  tout  cela  se  trouve  dans  ce  fait, 
qui  se  renouvelle  et  se  renouvellera  toujours,  que  toute 
constitution  de  société  est  imparfaite  et,  qu'assez  bonne 
un  certain  temps,  elle  finit  par  laisser  s'établir  des  abus 
qui  naissent  d'elle.  Du  mécontentement  sortira  la  révolte. 

A  notre  époque,  la  facilité,  la  rapidité  et  l'étendue  des 
informations  prête  à  ce  mouvement  des  moyens  capa- 
bles d'aboutir  bientôt  et  vite. 


—  294  — 

Un  ordre  nouveau  suivra  le  bouleversement.  Il  s'orga- 
nisera dans  des  essais  et  dans  des  luttes.  Sa  durée  sera 
moins  longue,  car  les  abus  se  produiront  plus  vite  et 
seront  plus  vite  ressentis.  Il  y  aura  sans  doute  des  chan- 
gements fréquents  de  constitution  sociale. 

Laissons  ces  tristes  perspectives.  Tournons  nos  regards 
vers  Dieu,  qui  gouverne  sans  qu'on  s'en  doute. 

Apportons  aussi,  dans  la  pratique,  des  adoucissements 
de  service;  faisons  moins  sentir  les  distances;  continuons 
à  être  secourables,  même  envers  les  ingrats.  La  charité, 
plus  encore  que  la  sagesse,  nous  y  invite,  et  Dieu,  plus  que 
les  hommes,  nous  en  saura  gré. 


LIV 

Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

Au  point  de  vue  de  la  piété,  la  période  que  vous  tra- 
versez peut  s'appeler  la  période  des  gémissements.  Vous 
conservez  tout  votre  idéal  et  la  volonté  de  l'atteindre, 
mais  voilà  que  des  soucis  incessants  s'ajoutant  à  des 
occupations  nombreuses  s'emparent  forcément  de  vos 
pensées  et  de  votre  temps.  Si  encore  vous  aviez  une  de 
ces  santés  qui  n'ont  pas  à  compter  avec  la  fatigue  et  les 
imprudences,  vous  trouveriez  dans  les  communions  et 
les  exercices  de  piété  le  stimulant  qui  maintient  la  fer- 
veur. Je  veux  dire  la  ferveur  sensible,  car  il  y  a  une  fer- 
veur de  volonté,  de  désir,  de  regret,  qui  se  fait  jour  à  tra- 
vers les  soucis  et  les  occupations,  et  qui  reste  chez  vous 
constante  et  vive.  Soupirs,  gémissements,  désirs,  espé- 
rances, tels  sont  les  actes  qui  lui  sont  naturels  et  qui 
déterminent  une  vraie  vie  élevée.  Cette  période  passera, 
mais  à  une  date  qui  reste  inconnue,  et  qui  ne  paraît  pas 
prochaine...  Aimons  le  choix  que  Dieu  fait  pour  nous. 

Cet  état  n'est  pas  sans  grands  avantages  :  il  donne  de 
la  solidité  aux  vertus  alors  même  que  les  défaites  sont 
fréquentes.  Privant  des  jouissances  célestes,  il  rend  plus 
pur  l'amour  de  volonté.  Il  y  a  là  aussi  un  bel  idéal. 


—  295  — 

Est-il  nécessaire  d'ajouter  que  cet  état  expose  au  relâ- 
chement et  que  l'on  doit  prendre  tous  les  moyens  qui 
sont  possibles  pour  l'éviter  ?  Un  de  ceux  que  je  vous 
indique  aujourd'hui  (bien  petit  en  apparence),  c'est  de 
marquer  fidèlement  la  feuille  chiffrée.  Deux,  trois  minu- 
tes suffisent,  car  il  faut  aller  simplement;  or,  deux  ou 
trois  minutes  se  trouvent  toujours,  pour  peu  qu'on  le 
veuille,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  un  seul  jour  où  ce 
prélèvement  sur  les  occupations  leur  soit  préjudiciable. 

Même  dans  les  moments  de  grands  soucis,  une  âme 
généreuse  doit  s'acquitter  de  ce  soin,  dût-elle  le  faire  à 
contre-cœur  et  même  avec  répugnance,  trouvant  cela 
insignifiant  et  odieux  à  côté  des  inquiétudes  qui  tour- 
mentent. C'est  un  devoir  de  règle;  or,  pour  se  dispenser 
d'un  devoir  quelconque,  il  faut  comparer  l'importance 
du  devoir  avec  l'importance  de  la  cause  qui  justifierait 
son  abandon.  Trois  minutes  données  aux  occupations 
ne  compensent  pas  trois  minutes  données  à  un  devoir  de 
règle,  devoir  qui  est  par  lui-même  un  vrai  secours  et  un 
acte  de  générosité. 

Je  remercie  Dieu  de  l'ascendant  qu'il  vous  donne  sur 
les  âmes.  Ce  doit  être  pour  vous  une  joie  et  une  sorte 
d'humiliation  :  une  joie,  puisque  vous  aimez  Dieu  par 
les  âmes  à  qui  vous  le  faites  mieux  comprendre  ;  une  humi- 
liation, puisque  souvent  ces  âmes  vous  dépassent. 

La  plume  et  le  crayon  n'ont  pas  chômé.  Je  vois  la  fin 
de  mes  réponses  aux  lettres  reçues.  Certainement  leur 
ensemble  formerait  un  gros  volume.  Cela  m'a  fatigué 
parfois,  mais  en  me  consolant;  c'était  une  occasion  de 
rapports  d'âme,  et  l'on  peut  donner  quelque  encourage- 
ment et  quelque  consolation. 


LV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

J'ai  été  très  frappé  de  la  page  que  j'ai  détachée  de  votre 
lettre  pour  vous  l'envoyer.  La  lumière  que  vous  avez 


—  296  — 

reçue  vient  de  Dieu.  Elle  vous  est  donnée  dans  une 
période  de  votre  vie  où  les  occupations  et  les  soucis 
tendent  à  vous  absorber  et  ne  vous  laissent  pas  le  temps 
de  prolonger  vos  exercices  de  piété.  La  vue  du  divin 
Maître  vous  deviendra  familière,  et  sa  parole  retentira 
en  toute  occasion  :  «  Et  moi  »...  Ce  rappel  vous  laissera 
très  rarement  indifférente.  Il  pourra  n'avoir  rien  de 
sensible,  il  restera  un  principe  d'énergie,  comme  de 
confiant  abandon.  Il  vous  relèvera  souvent.  Ainsi  votre 
âme  sera  reliée  avec  le  Ciel  par  un  rayon  de  lumière  qui 
en  descend.  Votre  vie  intérieure  en  sera  simplifiée,  car 
au  fond  dans  ce  mot  :  «  Et  moi  »  il  y  a  tout.  C'est  une 
voie,  c'est,  un  continuel  exercice  d'union,  ce  peut  être  le 
principe  d'un  grand  progrès. 

Depuis  que  j'ai  lu  ce  passage  de  votre  lettre,  je  n'ai 
cessé  de  bénir  Dieu,  j'en  éprouve  une  vraie  joie. 

Ces  grâces  d'illumination  subites  sont  rares.  Votre 
bonne  volonté  gémissante  l'a  attirée,  car  Dieu  ne  délaisse 
pas  la  pauvre  âme  qui  se  désole  de  ne  pas  l'aimer  et  le 
servir  comme  elle  le  voudrait. 


LVI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

J'avais  en  effet  appris  vos  divers  sujets  de  préoccupa- 
tions. Votre  lettre  me  donne  la  joie  de  savoir  que  tout 
est  bien  fini.  Quand  on  a  autour  de  soi  tant  d'êtres  pro- 
fondément chers,  on  n'est  pas  longtemps  sans  sujets 
d'inquiétude.  Or  je  connais  quelqu'un  qui  facilement  se 
les  exagère  et  s'en  fait  un  véritable  tourment.  J'estime 
cette  nature  généreuse.  J'admire  son  esquise  délicatesse 
et  l'entier  oubli  d'elle-même  qu'elle  montre  dans  ces  cir- 
constances... mais  —  il  y  a  toujours  quelque  mais  — ... 
mais  je  la  voudrais  plus  maîtresse  de  ses  impressions. 
Est-il  possible  de  réformer  ainsi  sa  nature?  Oui,  et  le 
grand  moyen,  c'est  un  abandon  à  Dieu  de  plus  en  plus 
compris,  voulu  et  exercé.  L'abandon  à  Dieu  n'enlève 


—  297  — 

que  l'excès;  il  respecte  la  juste  souffrance  et  la  préoccu- 
pation sérieuse;  il  permet  qu'on  néglige  les  pratiques 
pieuses  autant  que  le  demandent  les  soins  à  donner, 
mais  il  l'ait  que  la  pensée  de  Dieu,  sa  part  dans  notre  vie, 
n'est  point  trop  diminuée. 

L'excès  de  préoccupations  tend  à  dessécher  le  cœur  à 
l'égard  des  choses  de  la  piété.  Elles  paraissent  presque 
mesquines.  On  est  tout  entier  ailleurs.  Eh  bien  !  je  vou- 
drais que  Dieu  ne  perdît  jamais  sa  place  et  que  ce  mot  : 
«  Et  moi  »  fût  continuellement  entendu.  —  S'il  ne  réveille 
aucun  écho,  c'est  que  la  préoccupation  est  excessive. 

Il  y  a  certaines  choses  que  l'on  ne  peut  pas  exiger  de 
soi  en  ces  moments-là.  C'est,  par  exemple,  de  faire  une 
méditation  régulière.  Il  y  en  a  d'autres  qui  dépendent 
absolument  de  nous.  Les  actions  matérielles  sont  de  ce 
genre.  C'est  ainsi  que  l'on  peut  toujours  marquer  son 
bulletin.  On  en  a  pris  l'engagement.  Dieu  a  daigné  l'avoir 
pour  agréable.  On  lui  doit  et  on  se  doit  à  soi-même  de  le 
tenir.  On  marque  avec  répugnance...  l'acte  n'en  sera  que 
plus  beau.  Si  des  larmes  viennent  mouiller  la  page,  ce 
sera  un  magnifique  mélange  de  la  douleur  et  du  devoir. 

Oui,  ma  très  chère  fille,  cultivez  l'abandon  à  Dieu. 
Faites-le  dans  le  temps  où  tout  est  tranquille.  Pénétrez- 
vous  de  ce  sentiment.  Vous  pouvez  mieux  prévoir  les  cas 
possibles  et  régler  dès  lors  l'attitude  que  vous  maintien- 
drez. Si  je  m'étends  longuement  sur  ce  point,  c'est  que 
votre  perfection  me  paraît  en  dépendre. 


LVII 

Mon  bien  cher  ami, 

Je  reçois  seulement  aujourd'hui  votre  lettre  du  6. 
Que  s'est-il  passé  depuis  et  surtout  que  va-t-il  se  passer 
en  ce  moment  où  des  forces  énormes  se  trouvent  en 
présence? 

Quelle  boucherie  !  Je  fais  mon  possible  pour  en  tenir  ma 


—  298  — 

pensée  éloignée,  et  c'est  on  Dieu  que  je  tâche  de  vivre. 
Nos  chers  soldats  et  la  France  :  voilà  1<l  continuel  sujet 
de  nos  préoccupations  <d  de  nos  prières. 

L'élan  qui  (importe  nos  hommes  nous  saisit  nous- 
mêmes  et  rend  moins  vive  notre  douleur  personnelle. 
Quand  je  vois  autour  de  moi  à  Poteaux,  parmi  cette 
population  exclusivement  ouvrière,  les  jeunes  hommes 
(presque  tous  mariés  jeunes)  partir  sans  une  marque  de 
défaillance,  laissant  dans  la  gêne  leurs  femmes  et  leurs 
enfants,  je  ne  voudrais  pas  que  X.  fût  à  l'abri  du 
danger  et  je  souffre  de  n'être  pas  là-bas,  moi  aussi. 

Les  circonstances  nous  ont  été  bien  favorables.  L'An- 
gleterre et  la  Belgique  avec  nous,  l'Italie  neutre,  les  plans 
de  l'Allemagne  bouleversés  ou  du  moins  retardés.  Vrai- 
ment on  peut  croire  au  succès  final;  mais  la  guerre  peut, 
être  très  longue. 

L'Allemagne  ne  sera  peut-être  réduite  que  par  la 
famine,  à  la  longue.  Ses  forteresses  sont  formidables,  et 
son  armée  luttera  de  toutes  ses  forces.  Quant  aux 
batailles  prochaines,  je  n'ose  pas  trop  espérer  qu'elles 
soient  à  notre  avantage,  et  je  regarde  comme  très  pos- 
sible un  second  siège  de  Paris...  Et  S...  !  Il  pourrait 
être  bientôt  occupé.  Le  sera-t-il  paisiblement? 

Si  un  siège  de  Paris  était  imminent,  je  me  retirerais, 
si  le  voyage  était  possible,  à  P...  Espérons  que  nos  armées 
tiendront  bon  :  le  temps  travaille  pour  nous  en  permet- 
tant à  la  Russie  d'avancer  sa  longue  mobilisation. 

Ne  pouvant  vivre  auprès  de  vous,  ce  qui  me  serait  si 
consolant,  je  trouve  un  vrai  réconfort  à  me  sentir  aimé 
de  vous,  et  à  sentir  combien  je  vous  aime,  vous  et  tous  les 
vôtres. 


—  299 


DOUZIEME    SERIE 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

C'est  une  grande  consolation  pour  mon  cœur,  au  milieu 
de  mon  exil,  d'entendre  la  voix  des  âmes  qui  me  sont 
chères  !  La  vôtre  remplit  doublement  cet  office  de  charité  : 
elle  m'apporte  à  la  fois  l'expression  de  sentiments  qui 
me  sont  précieux  et  l'écho  de  ce  que  lui  dit  le  divin  Maî- 
tre. Oui,  le  divin  Maître  vous  parle.  C'est  tantôt  le 
sentiment  du  bien-être  et  du  repos  que  vous  ressentez 
dans  la  petite  chapelle  de  la  rue  C...  et  tantôt  l'appel  à 
de  nouvelles  résignations. 

J'admire  le  genre  d'épreuve  qui  est  le  vôtre  :  c'est 
l'incertitude  et  ses  tourments.  Dieu  veut  vous  former 
par  là  à  une  vraie  et  forte  confiance.  Tant  qu'il  vous 
reste,  cela  suffit.  Notre  abandon  doit  égaler  nos  craintes. 


II 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  sais  bien  que  vous  prendrez  toujours  les  plus  sages 
déterminations,  car  la  confiance  en  Dieu  laisse  tous  ses 
droits  et  toutes  ses  exigences  à  la  vertu  de  prudence. 
Ce  que  nous  pouvons  faire,  Dieu  veut  que  nous  le  fas- 
sions. 

Ne  songe/,  pas  à  ce  que  vous  poiirtfez  faire  un  jour. 
Les  circonstances  l'indiqueront  et  la  voix  de  Dieu  se  fera 


—  300  — 

entendre  quand  elle  pourra  être  obéie.  Actuellement, 
vous  appartenez  tout  entière  à  vos  enfants.  Un  jour 
prochain  peut-être  vous  laissera  un  temps  dont  nous 
rechercherons  le  meilleur  emploi. 

Je  n'ai  pas  repris  la  célébration  de  la  sainte  messe;  ma 
vie  est  bien  terne  !  Jamais  pourtant  je  ne  me  sentis  plus 
paisible  pour  le  présent  et  pour  l'avenir  ! 

Confiez  tout  à  Dieu.  Il  vous  a  donné  assez  de  preuves 
de  sa  paternelle  sollicitude  !  Prenez  la  Très  Sainte  Vierge 
comme  intermédiaire,  votre  main  dans  la  sienne,  votre 
front  sous  son  manteau  maternel!  avec  cela  on  irait  au 
bout  du  monde,  et  l'on  peut  -ainsi  laisser  passer,  sans  trop 
trembler,  les  plus  rudes  tempêtes. 


III 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

La  confiance  n'est  confiance  que  lorsqu'elle  est  repos 
et  que  ce  repos  s'appuie  non  sur  les  probabilités  des 
choses,  mais  sur  les  promesses  de  la  bonté  de  Dieu. 

La  confiance  qui  n'a  plus  aucun  espoir  humain  est  la 
plus  belle  confiance.  Celle  qui  le  conserve,  m?is  qui  ne 
s'y  appuie  point,  devient  au  moins  son  égale.  Que  Dieu 
seul  soit  notre  assurance  et  que  notre  volonté  ne  lui  fasse 
jamais  l'injure  de  ne  s'en  point  contenter. 

Pas  trop  de  tristesse  non  plus;  je  me  garde  bien  de  dire  : 
pas  du  tout  de  tristesse;  une  mère  en  particulier  n'a  pas 
ce  droit,  ni  ce  pouvoir,  et  la  perfection  ne  le  saurait 
même  accepter  :  il  faut  rester  mère  et  sensible.  Notre- 
Seigneur  a  voulu  pleurer.  Mais  qu'il  y  a  loin  des  larmes 
résignées  à  ce  manque  de  confiance  qui  se  désole  et  s'agite  ! 
Là,  comme  partout,  la  paix  est  le  caractère  de  l'esprit 
de  Dieu. 

J'unis  mes  prières  à  vos  prières  et  à  vos  efforts.  Les 
paroles  de  raison  et  de  bonté  qui  ne  portent  pas  de 
fruits  immédiats  ne  sont  pas  perdues,  pourvu  qu'elles 
ne  soient  pas  trop  fréquentes  et  trop  pressantes  ;  l'esprit 


—  301  — : 

repousserait  ce  qui  l'humilierait  trop.  —  Nul  ne  connaît 
mieux  que  vous  la  mesure  et  les  nuances.  Je  vous  bénis 
au  nom  du  divin  Maître. 


IV 


Ma  chère  fille, 


Vous  êtes  dans  une  de  ces  situations  où  le  devoir  se 
dessine  nettement.  Hélas  !  il  est  aussi  affreux  que  cer- 
tain. Voilà  pourquoi  j'ai  insisté  pour  que  vous  ne  pre- 
niez pas  seule  une  redoutable  responsabilité. 

Pour  votre  soutien,  rappelez-vous  que  la  volonté  de 
Dieu  se  manifeste  par  les  circonstances  et  qu'en  y  obéis- 
sant vous  suivez  le  plan  de  Dieu,  plus  mystérieux  pour 
notre  ignorance  de  ce  qui  aura  lieu  demain,  mais  plus 
sage,  et  bon.  Faisons  de  grands  actes  de  foi,  d'espérance 
et  d'abandon,  et  en  agissant  courageusement,  ne  crai- 
gnons pas  de  mal  agir.  Si  même  il  en  résultait  des  consé- 
quences malheureuses,  elles  ne  retomberaient  pas  sur 
vous,  mais  sur  ceux  qui  vous  auraient  forcée  à  ces  tristes 
nécessités. 

Ne  vous  reprochez  pas  le  désarroi  de  votre  vie  spiri- 
tuelle :  en  ce  moment,  elle  doit  se  concentrer  sur  la  pra- 
tique de  la  résignation  et  du  courage.  Quand  Jésus  fut 
sur  sa  Croix,  Il  voulut  ne  point  trouver  de  paroles  et  son 
Père  lui  refusa  toute  consolation.  C'est  par  là  qu'il  nous 
a  sauvés;  c'est  par  une  conduite  semblable  qu'il  vous 
sanctifie  aujourd'hui. 

Donnez  à  Dieu  la  gloire  de  voir  sa  fille  adoptive,  avec 
un  cœur  très  grand,  entrer  dans  une  très  dure,  mais  très 
haute  situation. 

Tenez,  vous  aussi,  votre  volonté  dans  la  sienne,  ne 
soyez  que  son  instrument. 

Combien  je  vous  plains,  ma  chère  fille,  et  de  quel  cœur 
je  vous  bénis! 


—  302  — 


Ma  chère  fille, 

Dieu  permet  qu'en  ce  moment  vous  vous  trouviez  non 
seulement  dans  de  grandes  peines,  mais  aussi  dans  une 
sorte  d'impuissance  à  calmer  vos  impressions.  Tout  cela 
c'est  de  la  souffrance,  c'est-à-dire  le  partage  de  la  croix 
de  Jésus.  Vous  lui  êtes  aussi  agréable  à  lui  offrir  vos 
impressions  qu'à  lui  offrir  vos  peines. 

Votre  résignation  est  entière  et  la  grâce  vous  soutient 
merveilleusement.  Votre  état  me  rappelle  ce  que  disait 
saint  François  de  Sales  du  prophète  que  l'ange  du  Sei- 
gneur transportait  très  loin  en  le  portant...  par  un  de 
ses  cheveux.  C'était  bien  peu  solide  assurément,  mais 
cela  suffit  à  Dieu  et  donne  occasion  à  votre  filial  abandon 
de  s'exercer. 

Essayez  de  vous  reprendre  et,  si  vous  ne  réussissez  pas 

pour  longtemps,  recommencez  toujours.  Dieu  ne  compte 

pas  les  résultats,  mais  les  efforts.  Eh  !    qu'avons-nous  à 

.faire  ici-bas  si  ce  n'est  l'aimer,  nous  sanctifier  et  mériter 

pour  les  autres? 

Dieu  vous  a  fait  passer  par  tant  d'épreuves;  il  vous 
tient  dans  une  anxiété  si  douloureuse  que  j'ose  lui  deman- 
der de  vous  épargner...  je  lui  dis  qu'avec  un  peu  plus  de 
calme  vous  le  serviriez  mieux...  Peut-être  préfère-t-il  la 
souffrance  à  tout  le  reste,  car  il  a  besoin  de  tant  d'âmes 
victimes  ! 

Tenez-vous  toujours  bien  abandonnée  à  la  paternité 
divine  qui  fait  notre  bien  et  celui  des  nôtres  par  des  voies 
qui  peuvent  nous  déconcerter,  mais  que  nous  sommes 
sûrs  de  trouver,  un  jour,  admirables! 

VI 
Ma  chère  fille, 

Puisqu'il  plaît  au  divin  Maître  de  vous  rapprocher  de 

:;,i    pauvreté,    acceptez,    d'une  volonté    bien  décidée,    la 


—  303  — 

diminution  de  vos  ressources.  Du  moment  que  vous 
n'avez  rien  à  vous  reprocher  dans  votre  gestion  de  ce 
qui  vous  a  été  confié,  trouvez  bon  que  les  circonstances 
opèrent  ce  que  Dieu  a  préféré  pour  vous. 

C'est  le  détachement  qu'ont  eu  tous  les  saints  à  la 
suite  de  Jésus  et  de  Marie.  Quand  votre  souffrance  à  cet 
égard  vous  saisit  plus  vivement,  sortez  de  vous-même 
et  allez  porter  votre  plainte  dans  la  demeure  de  Naza- 
reth. En  voyant  tout  ce  qui  y  manque  de  confortable 
pour  le  présent,  et  de  ressources  en  vue  de  l'avenir,  vous 
vous  rassérénerez  et  vous  ne  vous  contenterez  plus  d'un 
consentement  attristé.  En  aimant  davantage  ce  qui  est 
en  haut,  l'âme  se  dégage  facilement  de  ce  qui  la  pressure 
ici-bas. 

Courage  ! 


VII 


Ma  chère  fille, 


Je  remercie  Dieu  de  la  paix  supérieure  où  il  vous  a 
établie.  Cette  paix,  reposant  sur  Lui  et  non  sur  le  bon 
état  des  choses,  est  la  paix  surnaturelle,  seule  sous- 
traite aux  changements.  Elle  est  le  grand  exercice  de 
notre  âme  à  l'égard  de  Dieu  et  la  mesure  de  notre  rappro- 
chement de  Lui  au  Ciel. 

Cette  disposition  n'entraîne  pas  le  moins  du  monde 
l'indifférence  et  l'inaction.  Vous  ferez  tout  ce  que  ferait 
à  votre  place  une  personne  très  soigneuse  de  ses  intérêts 
et  vous  le  ferez  mieux  parce  que  la  préoccupation  exces- 
sive ne  vous  troublera  pas. 

Si  quelque  impression  de  ce  genre  tentait  de  vous 
reprendre,  dites- vous  qu'au  moment  où  l'Église  subit  une 
si  grave  crise,  c'est  peu  filial  de  n'en  pas  être  impressionné, 
mais  de  ne  l'être  que  de  ses  intérêts  propres. 

Quand  viendra  le  moment  où  votre  santé,  reprenant 
le  dessus,  vous  permettra  la  communion  journalière? 
C'est  bien  le  vœu  le  plus  cher  que  je  puisse  vous  offrir 
en  bénissant  cette  nouvelle  année  ! 

23 


—  304 


VIII 

Ma  chère  fille, 

Vous  terminez  votre  lettre  en  disant  :  «  Je  n'ai  pas 
l'esprit  tranquille.  »  Il  est  difficile  à  tous  de  l'avoir  ainsi 
sur  cette  terre  :  une  barque  sur  la  mer  est  toujours  en 
mouvement.  Mais  dans  votre  situation  actuelle  cet  état 
d'âme  ne  peut  être  que  surnaturel.  Tout  peut  être 
préoccupation  pour  vous;  mais  rien  ne  le  sera  d'une 
façon  troublante,  parce  que  vous  vous  direz  :  c'est  Dieu 
qui  gouverne  toutes  choses.  Manquerai-je  de  confiance 
en  Lui?  Mon  inquiétude  ne  serait-elle  pas  une  conti- 
nuelle méfiance?  méfiance  involontaire,  si  vous  voulez, 
mais  qui  résulte  au  moins  d'un  oubli  momentané  de  ce 
qu'est  Dieu  pour  nous.  Il  ne  faut  pas  que  cet  oubli 
s'étende.  Il  faut  faire  prédominer  dans  le  cours  de  vos 
pensées  cette  vue  d'un  Père  qui  a  tout  prévu  et  n'a  rien 
permis  que  pour  un  bien  final.  C'est  à  ce  bien  final  qu'il 
faut  reporter  vos  espérances,  si  le  présent  ne  vous  donne 
que  des  sujets  d'inquiétude.  Après  tout,  il  n'y  a  rien  de 
considérable  que  ce  qui  est  éternel. 

Courage!  «  Les  âmes  préférées  de  Dieu  sont  faites  à 
l'image  de  Jésus  crucifié.  »  Cette  parole  se  vérifie  en  vous. 
Mais  «  celle  qui  aura  souffert  avec  Lui  sera  couronnée 
avec  Lui  ».  Nourrissons-nous  de  l'avenir. 


IX 


Ma  chère  fille, 


Combien  je  comprends  vos  continuelles  angoisses! 
Une  mère  ne  se  rassure  pas  facilement  ! 

Vos  autres  souffrances  se  seront  calmées  en  face  de 
celle-ci.  Dieu  semble  ne  vouloir  pas  vous  détacher  de  la 
croix,  il  ne  fait  que  changer  les  clous  qui  vous  y  attachent. 
La  vie  est  si  courte  et  si  vaine  que  seules  ont  de  la  valeur 


—  305  — 

les  occasions  qui  nous  font  mériter  les  biens  éternels. 
Et  vous,  dans  ces  biens  éternels  vous  voyez,  non  la 
jouissance,  mais  Dieu  infiniment  aimé. 


Ma  chère  fille, 

Je  me  réjouis  du  repos  que  vous  a  donné  près  de  Lui 
le  divin  Maître.  Vous  y  ayez  repris  des  forces  en  vous 
retrempant  dans  un  amour  plus  intime,  et  vous  empor- 
terez Jésus  lui-même,  grâce  à  une  plus  étroite  union.  Il  sera 
votre  consolation  permanente,  car  vous  revenez  à  la  vie 
militante  où  l'on  reçoit  des  blessures,  à  la  vie  de  mère 
souvent  impuissante,  où  le  cœur  semble  défaillir.  Accep- 
tez d'avance  toute  la  volonté  de  Dieu  et  comptez  sur  son 
assistance  à  mesure  que  les  difficultés  se  produiront. 

Comme  tous  les  ans,  je  dirai  la  messe  de  l'Assomption 
pour  vous  et  pour  deux  autres  Marie  que  j'unis  dans 
mes  prières. 

Que  Jésus  vous  bénisse  par  les  mains  de  Marie  ! 


XI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ne  vous  reprochez  point  de  rester  accablée  au  pied  de 
la  Croix.  Marie  resta  debout,  mais  ce  fut  par  une  grâce 
particulière.  Combien  de  personnes  tout  à  Dieu  comme 
vous  n'ont  pu  lui  offrir  qu'une  résignation  vraie  qui 
laissait  la  douleur  entière  !  La  vivacité  même  de  la  dou- 
leur est  la  beauté  de  la  résignation  !  mais  parce  que 
cette  disposition  n'a  rien  de  sensible,  on  la  juge  impar- 
faite. Oh  !  non,  elle  ne  l'est  pas  chez  vous.  Le  «  fiât  »  est 
faible  comme  un  soupir,  mais  il  reste  la  note  dominante 
dans  le  concert  de  vos  gémissements. 

Ne  faites  pas  de  trop  grands  efforts  pour  vous  dominer. 


—  306  — 

Ce  n'est  pas  un  devoir,  ce  ne  serait  pas  même  sage; 
mais  faites  de  petits  efforts,  comme  un  malade  qui  essaie 
de  se  soulever,  de  s'habituer  à  rester  debout,  et  peu  à 
peu  à  marcher. 

Que  la  vue  constante  du  bonheur  de  votre  cher  fils 
envoie  à  votre  cœur  sa  consolation  la  plus  vraie  !  Enten- 
dez les  remerciements  qu'il  vous  adresse  pour  les  senti- 
ments religieux  dans  lesquels  vous  l'avez  nourri,  et  les 
bons  exemples  que  vous  lui  avez  donnés.  Certainement 
il  vous  doit  le  Ciel,  il  vous  y  attend,  et  quelques  années 
seulement   vous  séparent. 

Que  la  grâce  de  force  soit  avec  vous!  La  grâce  de 
suavité  viendra  ensuite. 


XII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Vous  portez  l'image  de  Jésus  crucifié.  Elle  s'est  depuis 
longtemps  imprimée  dans  -votre  âme  par  une  série  inin- 
terrompue de  douleurs.  Elle  prend  en  ce  moment  une 
ressemblance  plus  accentuée  en  vous  clouant  sur  la  croix 
par  des  mains  qui  devaient  soutenir  votre  vieillesse. 
Comme  Jésus,  vous  sentez  toute  l'amertume  de  cette 
situation,  et  comme  Lui,  vous  demandez  au  Ciel,  par  les 
mérites  de  vos  souffrances  mêmes,  la  béatitude  de  celui 
qui  vous  est  cher.  Cette  grâce  vous  sera  accordée,  car  elle 
aura  été  méritée  par  votre  acceptation  généreuse  et  vos 
ardentes  prières.  Quand  sonnera  l'heure  de  votre  mort, 
emportez  cette  consolante  espérance. 

À  notre  âge,  nous  sommes  si  près  de  l'éternité  que 
notre  vie  semble  s'étendre  sous  nos  yeux  comme  un 
horizon  devant  une  fenêtre  ouverte  sur  la  mer.  Quel 
repos  dans  cette  immensité  !  Et  comme  nos  cœurs  sont 
remplis  d'admiration  et  d'amour  en  face  de  l'infinie 
beauté  et  de  l'infinie  bonté! 

Encore  quelques  jours  d'attente!  Courage!  Je  vous 
bénis. 


307  — 


TREIZIEME    SERIE 


Madame, 

Soyez  entièrement  rassurée,  votre  communication  de 
l'autre  jour  n'a  modifié  en  rien  ma  pensée  sur  vous  et 
sur  votre  voie.  Vous  êtes  tout  entière  tournée  vers  Dieu, 
et  je  ne  vois  rien  dans  votre  volonté  qui  s'en  éloigne  en 
quoi  que  ce  soit.  Votre  nature  si  impressionnable  se  ran- 
gera, elle  aussi,  sous  les  ordres  de  la  volonté,  mais  il 
faudra  un  certain  temps  pour  qu'elle  se  trouve  complète- 
ment à  l'unisson.  La  volonté  peut  se  rectifier  en  un  jour, 
la  nature  ne  se  refait  que  par  l'habitude.  L'amour  divin 
change  notre  volonté,  l'amour  divin  change  aussi  notre 
nature,  mais  il  le  fait  dans  une  patience  tout  humble  et 
généreuse. 

Ne  songez  pas  à  détruire  votre  sensibilité,  c'est  une 
qualité  trop  précieuse.  Rangez-la  seulement  au  service  de 
vos  affections.  Qu'elles  soiect  le  charme  de  la  famille  et 
le  cantique  de  votre  cœur  auprès  de  Dieu. 

Ne  vous  étonnez  pas  de  subir  l'influence  des  milieux. 
Quand  vous  vous  retrouvez  dans  le  tumulte  de  Paris, 
vous  vous  sentez  moins  unie  à  Dieu.  Vous  ne  lui  êtes  pas 
moins  unie,  vous  l'êtes  autrement.  Tout  votre  cœur  est 
à  Lui,  partout  et  toujours.  Dans  le  calme,  il  s'exprime 
mieux.  Dans  l'agitation,  il  souffre,  et  c'est  sa  manière 
de  se  traduire  alors.  Ne  faites  pas  trop  d'efforts  pour 
garder,  au  milieu  des  relations  de  Paris,  le  même  genre 
d'union  à  Dieu  :  celui  qui  vous  est  familier  à  la  campagne, 
vous  le  reprendrez  avec  un  nouveau  plaisir  au  retour. 


—  308  — 

Pas  d'empressement,  pas  de  contention  d'esprit.  Laissez 
le  jour  se  lever  lentement  sur  votre  vie  parfaite.  Il  ne 
rencontrera  en  vous  aucun  nuage  pour  arrêter  sa  belle 
lumière.  Nos  imperfections  ne  sont  pas  des  obstacles, 
quand  elles  sont  désavouées  et  combattues.  Dieu  fait 
ses  œuvres  sans  empressement  et  sans  effort,  Unissons 
notre  vouloir  à  son  bon  vouloir;  entrons  dans  une  action 
aussi  paisible  que  la  sienne. 

Dieu  vous  a  dépouillée  de  tout  ce  qui  fait  la  joie  en 
ce  monde  pour  que  vous  cherchiez  en  Lui  seul  tout  votre 
bien  èl  cette  joie  si  haute  que  Je  monde  ne  comprend  pas. 


Il 


Madame, 


Je  sens  bien  vivement  l'anxiété  de  vos  jours  et  de 
vos  nuits;  elle  est  une  préparation  au  coup  fatal,  mais 
elle  est  plus  que  cela  :  elle  est  une  source  de  grâces  pour 
celui  qui  ne  peut  guère  les  appeler  lui-même  :  vous 
continuez  ainsi  à  être  encore  mère;  vous  alimentez  cette 
seconde  enfance  tout  aussi  importante  que  la  première. 
Que  ce  vous  soit  une  consolation.  J'aime  assez  à  voir  dans 
une  âme  une  certaine  émotion  d'effroi  à  la  vue  des 
cimes  de  la  perfection;  c'est  signe  qu'elle  les  voit  bien  et 
même  qu'elle  se  sent  appelée  à  les  gravir,  sans  quoi  elle 
n'éprouverait  qu'une  tranquille  admiration. 

Si  donc  elles  se  montrent  à  vous  et  vous  appellent,  ayez 
confiance  !  Dieu  fera  ce  qui  vous  est  impossible  et,  fal- 
lût-il marcher  sur  des  eaux  mouvantes,  il  saurait  vous 
soutenir.  Ce  qu'il  faut  seulement  retenir  de  ces  craintes, 
c'est  la  conviction  de  notre  impuissance  et  l'admiration 
de  l'action  de  Dieu  qui  veut  y  suppléer.  Plus  nous 
sommes  incapables,  plus  elle  s'exerce,  et  plus  son  inter- 
vention est  forte,  plus  nos  actes  sont  divins,  étant  plus 
de  Dieu.  Le  sentiment  de  cette  action  est  le  motif  le 
plus  profond  de  notre  confiance;  or,  cette  action  est  pro- 
voquée par  le  cœur  suppliant  de  Jésus.  Tout  ce  qu'elle 


—  309  — 

fait  on  nous  est  dû  à  sa  prière  comme  à  ses  mérites. 
Rien  ne  peut  rendre  la  tendresse  dont  nous  sommes 
l'objet.  Un  de  n«s  plus  grands  torts  est  de  n'y  pas  croire 
assez  et  de  ne  vouloir  y  compter  un  peu  qu'à  la  condition 
de  nous  voir  très  bons!  Mais  c'est  lui  qui  est  très  bon 
et  lui  seul;  or,  parce  qu'il  est  bon,  il  n'a  pas  besoin 
pour,  nous  aimer  que  nous  soyons  des  merveilles!  Les 
parents  en  ont-ils  besoin  envers  leurs  enfants?  Or,  jamais 
un  cœur  de  mère  n'égalera  l'amour  de  Jésus  pour  nous?... 
Voilà  le  fondement  de  la  dilatation;  l'enfant  près  de  sa 
mère  :  voilà  le  modèle  ;  il  ne  se  préoccupe  point  et  ne 
doute  de  rien. 

Une  âme  qui  sait  faire  ainsi  devient  l'objet  de  toute 
la  sollicitude  de  Jésus. 


III 


Madame, 


Votre  vie  brisée  n'a  plus  de  joies  humaines,  il  lui  reste 
cependant  des  consolations,  elles  vous  viennent  de  tant 
d'affections  profondes  et  fidèles,  vous  en  trouvez,  même 
dans  votre  dévouement  sans  espoir,  auprès  de  votre 
chère  malade  et  dans  l'émulation  d'une  abnégation 
sublime  qui  fait  d'un  cœur,  un  moment  égaré,  une  mer- 
veille de  délicatesse.  Ah  !  comme  vous  avez  bien  fait  de 
vous  montrer  indulgente  et  bonne;  sans  cela  vous  n'au- 
riez pas  même  été  juste.  Cette  longue  année  de  souf- 
frances a  été  un  continuel  progrès  dans  l'amour  divin. 

Vous  avez  vu  tomber  la  plupart  de  vos  craintes,  et  se 
lever  l'aurore  éternelle  de  l'union  à  Dieu,  Dieu  éclaire 
toutes  vos  voies  et  transforme  toutes  vos  peines.  Le 
sentiment  que  vous  en  avez  envahit  tout,  mais  laisse 
subsister  tout  ce  qui  est  bon.  Les  vôtres  ne  s'en  ressen- 
tent que  pour  trouver  en  vous  une  amabilité  plus  con- 
stante et  plus  sereine.  Je  continuerai  à  prier  pour  vous; 
c'est  un  besoin  de  mon  affection.  Votre  âme  m'est  très 
chère,  et  je  crois  la  connaître  à  fond.  Je  sens  que  vous 
êtes  appelée  à  connaître  Dieu  plus  intimement  encore,  et 


—  310  — 

je  me  réjouis  des  grâces  dont  vous  serez  favorisée.  Pour 
vous,  la  fidélité  consiste  surtout  à  ne  pas  vous  laisser 
troubler  et  à  marcher  vers  la  perfection  d'un  cœur  dilate 
Priez  pour  moi;  j'é  traîne  péniblement  nion  reste  de 
vie  :  heureux  de  pouvoir  travailler  encore  un  peu  au 
service  du  Maître  par  l'exercice  de  mon  petit  ministère 
et  par  quelques  écrits  que  je  vais  publier  bientôt. 


IV 


Madame, 


Chacune  de  vos  lettres  me  confirme  dans  la  conviction 
où  je  suis  que  vous  êtes  pleinement  sous  la  conduite  de 
Dieu  et  que  vous  êtes  appelée  à  de  nouveaux  progrès, 
union  toujours  plus  intime  à  la  pensée  de  Dieu,  à  son  mou- 
vement en  vous,  amour  toujours  plus  désintéressé,  plus 
élevé,  plus  ardent,  paix  toujours  plus  profonde  et  plus 
sereine. 

Allez  à  toutes  ces  belles  choses  sans  vain  empresse- 
ment, n'allant  pas  plus  vite  que  la  grâce  et  ne  vous  dépi- 
tant jamais  de  vos  manquements,  ni  de  vos  froideurs; 
les  manquements  involontaires  vous  sont  bons  encore 
quelque  temps  :  rien  ne  fait  mieux  mourir  l'amour-propre. 

Continuez  à  être  douce  envers  la  croix.  Celle  que  vous 
portez  auprès  de  votre  cher  malade  vous  prépare,  hélas  ! 
à  la  croix  plus  douloureuse  encore  de  son  départ.  Ne 
voyons  que  le  ciel. 


V 


Madame, 


Au  nom  de  Notre-Seigneur,  je  vous  affirme  de  nou- 
veau que  votre  âme  est  toute  à  Dieu,  sans  aucune  réserve. 
Vos  froideurs,  vos  imperfections,  vos  faiblesses  passa- 
gères ne  lui  enlèvent  rien,  et  s'il  vous  les  laisse,  n'est-ce 
pas  pour  donner  lieu  à  des  vertus  nouvelles  et  à  des 


—  311  — 

désirs  plus  intenses,  sinon  plus  sensibles?  Oh  !  oui,  votre 
cœur  désire  aimer  toujours  davantage,  et,  sous  l'impres- 
sion de  ses  froideurs  et  de  ses  imperfections,  il  s'exprime 
par  ses  regrets  qui  sont  bien  des  actes  d'amour. 

Oui,  il  faut  enfin  sortir  de  ces  craintes  qui  ont  accom- 
pagné votre  vie.  Dieu  les  a  permises  comme  préparation 
et  sauvegarde;  le  temps  de  l'évolution  est  arrivé.  J'en 
vois  l'indication  dans  les  épreuves  si  tristement  complè- 
tes qui  ont  fondu  sur  vous.  Le  stimulant  qui  se  trouvait 
dans  vos  craintes  va  se  trouver  dans  la  douleur,  et,  de 
cette  douleur  courageusement  acceptée,  se  formera  votre 
perfection  nouvelle,  toute  de.  confiance,  d'élan  et  d'amour. 
Laissez  de  côté  sans  retour  et  sans  regret  les  craintes  qui 
n'étaient  qu'une  préparation;  vous  donnerez  à  Dieu 
davantage  et  vous  trouverez  enfin  dans  cette  liberté 
des  enfants  de  Dieu  le  plein  épanouissement  de  vous- 
même. 

Venez  me  voir  quand  vous  le  désirerez,  je  suis  toujours 
heureux  de  vous  recevoir  comme  je  le  suis  de  me  dire 
une  fois  de  plus  votre  bien  respectueusement  affectionné 
en  Notre-Seigneur. 


VI 


Madame, 


Ce  que  vous  m'exposez  ne  modifie  en  aucune  manière 
ma  pensée  sur  votre  âme,  rien  de  ce  que  vous  me  dites 
n'est  une  faute,  c'est  tout  simplement  de  la  bonne 
misère  humaine,  et  vous  ne  voudrez  pas  être  privée  des 
avantages  qu'elle  assure  :  un  plus  vif  sentiment  de  la 
bonté  de  Dieu,  une  prière  plus  ardente  et  plus  humble, 
une  plus  forte  raison  d'être  indulgente  aux  autres,  etc.. 

Savez-vous  bien  que  les  meilleures  âmes  sont  toutes 
logées  à  la  même  enseigne?  Saint  François  de  Sales  se 
plaignait  de  ses  distractions,  et  les  cœurs  les  plus  géné- 
reux ont  toujours  déploré  leur  insensibilité  fréquente  à 
la  communion.  N'avez-vous  pas,  dans  vos  longs  souve- 
nirs, l'exemple  d'une  affection  aussi  vraie  et  aussi  pro- 


—  312  — 

fonde  que  possible,  qui  pourtant,  restait  habituellement 
muette,  et  à  aucun  moment,  vous  ne  cessiez  d'avoir  pour 
votre  mari  la  même  affection,  et  lui,,  de  son  côté,  tout  en 
ne  disant  rien,  gardait  son  cœur  plein  de  vous.  C'est  là 
un  effet  de  la  condition  humaine  qui  sent  peu  ce  qui  est 
habituel.  Les  peines  sont  envoyées  souvent  pour  servir 
de  stimulant  :  on  a  besoin  de  Dieu,  de  sa  vue,  de  son 
amour,  de  toutes  ses  espérances!  Lui  seul  reste  toujours 
là  pour  nous  voir  pleurer.  Lui  seul  parfois  est  capable  de 
nous  venir  en  aide  ou  du  moins  de  nous  soutenir!  En 
nous  privant  des  joies  de  ce  monde,  il  nous  envoie  quelque 
chose  de  celles  d'en-haut.  Je  vous  crois  appelée  à  faire  de 
grands  progrès  dans  l'amour  de  Notre-Seigneur.  Je  crois 
que  c'est  là  que  vous  trouverez  l'orientation  de  votre 
vie.  Les  secours  vous  seront  donnés.  Demandez-les  avec 
ardeur  et  confiance. 


VII 


Madame, 


Je  sais  que  vous  voulez  bien  me  recommander  au  bon 
Dieu  dans  vos  prières;  de  mon  côté,  par  reconnaissance  et 
par  affection,  je  vous  offre  à  Lui  avec  l'hostie  de  l'autel. 
Je  le  fais  avec  le  plaisir  qu'on  éprouve  à  présenter  à 
quelqu'un  une  personne  dont  on  fait  grand  cas.  Ne  vous 
récriez  pas!  c'est  mon  affaire,  et  si  je  pense  ainsi  auprès 
de  Dieu,  c'est  bien  que  je  n'ai  pas  de  doute.  Oh  !  non.,  je 
n'en  ai  pas  et  je  souhaiterais  qu'il  y  eût,  dans  l'Église  de 
Dieu,  beaucoup  d'âmes  aussi  dévouées  à  sa  cause  et  aussi 
appliquées  à  le  faire  honorer  dans  leur  personne.  Que 
vous  ayez  encore  certaines  vivacités  importunes,  c'est 
un  vrai  bien,  car  ce  n'est  pas  une  faute,  et  c'est  une 
humiliation.  Vous  n'en  êtes  que  plus  tendre  auprès  de 
Dieu  et  plus  foncièrement  douce  envers  les  autres.  Tout 
sert  au  bien  de  ceux  qui  aiment  Dieu. 


313 


VII] 


Madame, 

Vraiment  la  croix  ne  se  lasse  pas  d'accompagner  tous 
les  moments  de  votre  pèlerinage,  ici-bas  !  aussi,  serez- 
vous  bien  sûre  d'arriver  au  ciel  et  d'y  conduire  aussi  ceux 
pour  qui  vous  offrez  vos  souffrances. 

L'épreuve  de  santé  que  subit  Madame  votre  fille  n'est 
point  pour  nous  surprendre.  Une  nature  comme  la  sienne 
et  une  vie  si  rudement  brisée  devaient  fléchir  de  quelque 
côté.  Tout  laisse  espérer  une  guérison  entière,  ce  qui  est 
évidemment  nerveux  n'a  qu'un  temps  :  mais  ce  temps  est 
dur.  Ne  pas  pouvoir  s'occuper,  c'est  être  livrée  à  toutes 
ses  pensées,  et  que  ces  pensées  sont  tristes!  qu'elles  se 
promènent  sur  les  têtes  si  chères  de  ses  nombreux  enfants 
ou  qu'elles  aillent  chercher  celui  que  rien  ne  fait  oublier. 

Vous  continuerez  à  marcher  votre  chemin  d'exil,  les 
yeux  levés  au  ciel,  et  le  cœur  confiant,  car  votre  cœur 
doit  être  avant  tout  filial,  filial  jusqu'à  l'abandon  le 
plus  entier.  ' 

Vous  vous  tiendrez  douce  et  humble  selon  la  belle 
direction  qui  vous  est  donnée.  Vous  avancerez  dans 
l'abnégation  et  par  elle  dans  l'union  divine. 

Je  suis  avec  admiration  l'œuvre  de  Dieu  en  votre 
âme.  Autant  les  malheurs  qui  ont  fondu  sur  vous  ont  été 
nombreux  et  extérieurs,  autant  les  grâces  qui  les  ont 
accompagnés  ont  été  nombreuses  et  étonnantes.  Vous 
ne  serez  plus  la  même  âme,  ou  plutôt  votre  âme  en  quel- 
que sorte  ne  sera  plus,  ce  sera  Jésus  qui  vivra  en  elle  et 
agira  par  elle... 

J'espère  que  votre  indisposition  va  passer  tout  à  fait 
et  vous  laissera  la  liberté  d'aller  vers  le  Tabernacle.  Vous 
le  comprenez  et  le  sentez  si  bien  que  vous  devez  man- 
quer à  Celui  qui  l'habite  et  qui  entend  passer,  le  long  des 
murs  de  l'église,  tant  de  pas  indifférents  ! 

Comptez  toujours,  Madame,  sur  mon  respectueux 
attachement/ 


—  314   — 


IX 


Madame, 

C'est  un  infirme  qui  répond  à  une  autre  infirme  !  j'ai 
été  repris  par  une  atteinte  de  phlébite,  je  n'en  ai  pas 
tenu  grand  compte  tout  d'abord,  mais  il  a  fallu  ensuite 
se  rendre  à  l'évidence  et  s'arrêter.  Ce  que  Dieu  nous 
envoie  est  toujours  un  bien.  Souffrir  pour  Lui  est  une 
grâce,  nous  ne  pourrons  plus  le  faire  au  ciel,  mais  nous 
serons  bien  satisfaits  de  n'avoir  pas  été  épargnés  et  de 
nous  être  toujours  montrés  contents. 

L'inaction  peut  devenir  pour  nous  une  occasion  de 
très  grande  activité;  aller  et  venir,  c'est  moins  agir  que 
de  penser  et  d'aimer  tranquillement.  On  fait  des  actes 
qui  ont  une  portée  éternelle.  Il  y  a  tant  de  belles  âmes  qui 
souffrent  d'être  trop  prises  par  les  occupations  et  qui 
soupirent  après  les  rares  instants  où  elles  pourront 
trouver  Jésus  seul  et  s'entretenir  avec  Lui  1  J'ai  connu 
une  personne  qui  attendait  comme  une  fête  le  retour 
d'une  maladie.  Elle  s'enfonçait  dans  la  contemplation  de 
l'infinie  beauté.  Elle  en  vivait,  et  la  souffrance  voisine 
était  presque  oubliée.  Le  plus  parfait  est  de  ne  rien 
désirer  et  d'aimer  chaque  chose  à  mesure  que  Dieu 
l'envoie.  On  n'a  pas  le  souci  du  choix  et  du  lendemain, 
on  ne  perd  pas  son  temps  en  vains  regrets.  On  transforme 
tout  en  amour. 


Madame, 

Ne  vous  voyant  pas,  je  craignais  bien  en  effet  que  vous 
ne  fussiez  retenue  par  votre  état  de  santé  :  Dieu  vous 
fait  porter  cette  croix  pour  obtenir  une  plus  grande 
somme  d'expiations  en  vue  de  la  terrible  persécution 
qui  se  poursuit  sans  relâche.  Parmi  toutes  celles  qui 
lui  montent  de  la  terre,  il  distingue  la  vôtre,  comme  si 


—  315  — 

elle  était  la  seule,  et  il  sent  tout  l'amour  que  vous  y  met- 
tez. Laissez  donc  mugir  la  tempête  autour  de  vous. 
Votre  rôle  est  d'être  à  genoux,  les  mains  vers  le  ciel. 
Ne  vous  lassez  pas  plus  à  recommencer  que  Dieu  ne  se 
lasse  à  vous  regarder.  Ne  laissez  pas  agiter  votre  cœur 
par  la  colère  contre  ses  ennemis.  Chez  certaines  âmes, 
ce  serait  une  vertu  utile,  excitant  à  l'action.  Pour  vous, 
qui  n'avez  qu'à  prier,  cultivez  les  sentiments  qui  tien- 
nent plus  près  de  Dieu,  dans  une  charité  miséricordieuse  : 
priez  souvent  pour  les  persécuteurs. 

Que  rien  ne  nous  trouble,  ni  ne  nous  étonne.  Dieu  n'a 
pas  notre  empressement,  car  il  voit  de  très  loin  et  pré- 
pare des  résultats  dans  des  causes  qui  évoluent  lente- 
ment. 

Devenons  calmes  comme  Lui,  par  notre  confiance  en 
Lui. 

,  Songeons  que  nous  sommes  des  êtres  éternels  et  comp- 
tons pour  peu  ce  bout  de  vie  que  nous  vivons  ici-bas. 

Quoique  je  n'ose  cette  année  faire  des  souhaits,  je  ne 
puis  m'empêcher  de  désirer  pour  vous  un  peu  plus  de 
santé  et  de  la  consolation  dans  vos  enfants  et  petits- 
enfants.  Que  si  le  contraire  arrive  d'un  côté  ou  de  l'autre, 
je  vous  souhaite  calme  et  patience. 


XI 


Madame, 


Je  ne  veux  pas  vous  laisser  dans  la  tristesse  de  croire 
que  vous  avez  manqué  à  la  charité,  en  me  parlant  de 
Mme  X...  Vous  en  aviez  le  droit  auprès  de  certaines 
personnes  comme  le  R.  P.  X...  et  moi,  et  il  faut  le  faire 
très  librement.  Vous  n'y  avez  mis  d'ailleurs  aucune 
passion  et  aucune  exagération.  Ce  que  vous  m'avez  dit 
ne  m'a  nullement  influencé  en  mal. 

En  dehors  de  ces  légitimes  confidences,  la  charité  vous 
engage  à  ne  pas  arrêter,  longuement  votre  pensée  sur  ce 
qui  peut  vous  déplaire  et  à  ne  pas  en  faire  part  autour  de 


—  316  — 

vous.  Ainsi  garderez-vous  la  paix  au  dedans  et  au  dehors. 
La  paix  est  l'atmosphère  où  l'âme  s'épanouit  et  donne 
ses  parfums.  Sans  elle,  cette  belle  fleur  s'étiole.  Chez  vous, 
en  ce  moment,  ce  qui  troublerait  le  plus  souvent  la  paix, 
ce  serait  la  crainte  même  du  mal  et  les  anxiétés  qu'elle 
soulève.  Rappelez-vous  bien  vite  que  vous  êtes  toute  à 
Dieu  et  qu'il  est  impossible  que  vous  vouliez  lui  faire  de 
la  peine,  je  m'en  porte  garant,  en  pleine  confiance. 

Puisse  votre  vie  s'écouler  calme  et  confiante  dans  le 
progrès  de  l'amour  divin  ! 


XII 


Madame, 


Vous  voir  est  une  de  mes  meilleures  consolations; 
n'ayez  donc  aucun  remords  à  la  pensée  que  vous  prenez 
de  mon  temps.  Il  m'est  très  doux  d'admirer  l'œuvre  de 
la  grâce  en  votre  âme.  Si  vous  ne  la  voyez  pas  vous-même, 
c'est  que  vous  en  êtes  trop  près.  Quel  chemin  vers  Dieu, 
par  le  détachement  d'abord,  puis  par  la  volonté  de  l'hu- 
miliation et  du  sacrifice  !  Quels  désirs  d'avancer  dans 
l'union  divine,  de  vous  y  perdre  et  d'en  vivre  complè- 
tement !  Vous  me  demandez  quel  est  actuellement 
l'obstacle  qui  s'opposerait  à  votre  progrès,  je  n'en  vois 
qu'un,  c'est  un  manque  de  confiance  et  d'abandon,  en  ce 
qui  regarde  l'amour  que  Dieu  vous  porte  et  celui  que  vous 
avez  pour  Lui.  En  un  mot,  une  certaine  crainte  dans 
l'amitié  du  père  et  de  l'enfant.  Il  faut  donc  vous  affran- 
chir et  employer  toutes  vos  forces  à  aimer  avec  sécurité. 

Est-ce  à  dire  que  nous  sommes  parfaits?  Mais  faut-il 
donc  attendre  d'être  parfaits  pour  aimer?  N'est-ce  pas 
au  contraire  en  aimant  qu'on  le  devient?  Gardons  très 
vif  le  sentiment  de  notre  peu  de  valeur  et  de  nos  imper- 
fections, mais  qu'il  soit  plutôt  un  secours  pour  notre 
amour,  en  nous  faisant  mieux  apprécier  et  admirer  la 
grande  paternité  de  Dieu,  qui  ne  tiendra  pas  compte, 
dans  son  affection,  de  tout  ce  qui,  dans  l'ordre  humain, 


—  317  — 

cause  quelques  froissements  ou  quelques  froideurs. 
C'est  donc  vers  la  dilatation  que  je  voudrais  vous  voir 
décidément  orientée.  C'est  par  elle  seule  que  vous  don- 
nerez tout  ce  que  vous  avez  de  bon,  que  vous  le  dévelop- 
perez et  que  vous  concevrez  de  plus  hautes  ambitions. 

Je  vous  vois  près  de  votre  cher  malade.  Dieu  ne  lui  a 
laissé  que  le  lien  qui  rattache  au  surnaturel.  Par  ce  lien, 
son  âme  est  dans  un  continuel  état  de  mérite.  Votre  cœur 
de  mère  trouve  là,  malgré  ses  souffrances,  le  sujet  de 
bénir  son  Dieu. 


XIII 


Madame, 


Vous  devancez  l'aurore  de  Noël  pour  m'apporter  les 
vœux  d'un  cœur  que  je  connais  si  bien;  vous  voulez  me 
montrer  par  cet  empressement  combien  votre  pensée 
aime  à  se  diriger  vers  moi.  Croyez  qu'elle  rencontre  la 
mienne  en  chemin.  Je  voulais,  en  effet,  vous  envoyer  un 
mot  de  respectueuse  affection.  Je  vois  qu'il  doit  s'éten- 
dre et  devenir  un  mot  de  remerciement  d'abord  et  puis, 
hélas  !  un  mot  de  condoléance  !  En  effet,  vous  voilà 
souffrante,  assez  souffrante  pour  sentir  beaucoup  de 
gêne,  pas  assez  pour  être  accablée.  Vous  êtes  donc  la 
victime  pleinement  consciente  de  l'œuvre  de  Dieu, 
œuvre  de  calme  à  maintenir,  œuvre  d'abandon  filial, 
œuvre  de  repentir  pour  les  offenses  des  hommes.  Certai- 
nement tout  est  voulu,  tout,  jusqu'à  chacune  des  petites 
privations  de  chaque  jour.  Tout  cela  est  une  monnaie 
avec  laquelle  vous  achetez  une  plus  grande  part  de  vie 
divine,  cette  eau  révélée  à  la  Samaritaine.  Cette  monnaie 
surnaturelle  sert  de  rachat.  Que  d'âmes  captives!  que 
d'âmes  exposées!  que  de  ruines! 

Gardons  au  milieu  de  ce  chaos  la  haute  tranquillité 
de  Dieu.  Dieu  compte  sur  sa  toute-puissance  qui,  de  ce 
chaos,  tirera  de  l'ordre;  et  nous,  comme  de  bons  petits 
enfants,  nous  nous  reposerons  sur  cette  toute-puissance 
de  notre  Père. 


—  318  — 

Ne  gâtez  pas  cette  paix  par  des  préoccupations  de 
conscience!  Elles  n'ont  aucun  fondement  et  elles  peu- 
vent épuiser  une  partie  de  ce  cœur  qui  n'a  jamais  assez 
de  ressources  et  de  temps  pour  aimer. son  Dieu  comme 
il  mérite  de  l'être.  Quand  une  crainte  ou  une  sorte  de 
remords  tente  de  vous  saisir,  remplacez-Us  aussitôt  par 
un  simple  acte  d'amour  de  Dieu.  S'il  y  a  faute,  cet  acte 
répare,  car  l'élément  actif  de  la  contrition,  c'est  l'amour. 


QUATORZIEME    SERIE 


Madame, 

Volontiers,  j'accepte  la  charge  que  vous  me  proposez, 
parce  que  je  la  sais  légère  et  consolante.  Ce  que  l'expé- 
rience m'a  appris,  je  le  mettrai  à  votre  service;  mais  je 
sens  qu'au  dedans  Dieu  vous  en  enseigne  déjà  davantage. 

Mon  rôle  sera  de  vous  rassurer,  dans  les  épreuves  aux- 
quelles échappent  rarement  les  âmes  qui  se  donnent  au 
Dieu  crucifié. 

Aujourd'hui,  j'acquiers  un  droit  particulier  à  vos  priè- 
res, et  je  contracte  le  devoir  d'ajouter  à  mes  sentiments  de 
profond  respect  ceux  d'une  affection  sainte  en  Notre-Sei- 
gneur. 

II 

Madame, 

Je  me  réjouis  de  la  bonne  nouvelle  que  vous  m'annon- 
cez.  Un  pèlerinage  à  Lourdes  est  toujours  une  grâce, 


—  319  — 

mais  quand  il  coïncide  avec  le  pèlerinage  national,  c'est 
une  grâce  de  faveur.  Vous  verrez. tant  de  foi,  une  telle 
intensité  de  prières  et  aussi  l'étalage  de  tant  de  douleurs, 
que  vous  serez  profondément  émue.  Avec  votre  esprit 
bienveillant  et  large,  vous  négligerez  les  quelques  défec- 
tuosités et  exagérations  inévitables  dans  cette  efferves- 
cence populaire;  vous  y  porterez  la  grande  tolérance  de 
Dieu. 

III 

Madame, 

Je  ne  vous  ai  pas  oubliée  au  jour  de  votre  consécration, 
et  je  vous  suis  reconnaissant  de  m'avoir  envoyé  un  sou- 
venir de  cette  date  importante.  Vous  vous  êtes  donné 
par  là  des  droits  à  une  protection  plus  spéciale  de  saint 
François  et  vous  avez  en  même  temps  contracté  le  devoir 
de  vivre  de  son  esprit,  qui  est  bien  celui  de  Jésus.  Il  faut 
penser  au  Ciel  plus  qu'à  la  terre,  vivre  dans  un  paisible 
abandon  aux  volontés  divines,  remplir  suavement  tous 
ses  devoirs  et  s'efforcer  de  procurer  le  règne  de  Dieu, 
surtout  aux  ignorants  et  aux  faibles. 

Que  Jésus  soit  l'inspirateur  constant  de  votre  nouvelle 
vie  ! 


IV 


Madame, 


Il  vous  a  été  donné  d'être  le  bon  ange  de  votre  mère. 
Vous  l'avez  dirigée  vers  le  Ciel,  en  y  tournant  d'abord  sa 
pensée;  puis  vous  l'y  avez  introduite  par  les  Sacrements 
de  l'Église. 

Comme  vous  êtes  une  âme  de  l'éternité,  vous  vous  sen- 
tez à  peine  séparée  de  celle  qui  est  avec  votre  Dieu.  Quand 
vous  recevez  Jésus  par  la  communion,  vous  vous  tou- 
chez presque,  par  cet  intermédiaire. 

A  mesure  que  la  terre  se  dépouille  de  nos  affections  les 

24 


—  320  — 

plus  chères,  nous  nous  en  détachons  davantage,  et  nous 
commençons  à  vivre  près  de  ceux  qui  nous  attendent  là- 
haut.  J'unis  mes  prières  aux  vôtres,  demandant  à  Dieu  de 
lui  être  indulgent  et  de  la  recevoir  bientôt  avec  lui,  s'il  ne 
l'a  déjà  fait. 

Les  prières  et  les  sacrifices  vont  vous  devenir  chers,  car 
ils  perdent  leur  nom  austère  pour  prendre  celui  de  ran- 
çon. Les  élans  d'amour  divin  ont  plus  de  puissance 
encore;  ils  font  violence  au  purgatoire  en  faisant  vio- 
lence au  cœur  du  Dieu  juste  qui  ne  demande  pas  mieux 
que  d'être  le  Dieu  bon. 


V 


Madame, 


J'ai  commencé  par  vous  offrir  à  Jésus  naissant;  je 
viens  maintenant  à  vous  pour  vous  exprimer  une  foule 
de  remerciements  et  de  vœux.  —  Mes  sujets  de  remer- 
ciements !  je  renonce  à  les  compter,  mais  je  garde  le 
sentiment  profond  de  chacun.  Mes  vœux,  je  ne  les  énumé- 
rerai  pas  non  plus.  Ils  se  résument  dans  un  très  grand 
désir  de  vous  voir  grandir  en  sainteté,  de  vous  savoir 
aimée  de  plus  en  vplus  par  Jésus  et  bénie  dans  vos  œu- 
vres. Je  demande  aussi  pour  les  vôtres  ce  que  vous  sou- 
haitez pour  eux  des  satisfactions  de  ce  monde.  Je  jette 
surtout  dans  les  bras  de  Dieu  l'âme  que  vous  brûlez  de 
lui  donner.  Il  vous  exaucera,  mais  à  son  heure;  soyons 
confiants,  les  délais  sont  en  Dieu  le  désir  de  nous  voir 
mieux  prier,  et  toujours  lui  faire  confiance.  Pour  vous, 
contentez-vous  de  veiller  sur  la  pure  intention  de  faire 
en  tout  sa  volonté  sainte,  et  sur  la  paix  au  milieu  des 
sujets  d'inquiétude,  et  dans  l'action. 

Soyez  prudente  dans  les  occasions  de  fatigue  :  votre 
sauté  ne  vous  est  que  prêtée;  elle  ne  vous  appartient  pas 
en  propre.  Usez-en  comme  d'un  bien  à  Dieu,  et  ne  l'ex- 
posez pas. 

J'ai  été  voir  un  prêtre  dans  la  vigueur  de  l'âge  et  d'un 
tempérament  ardent,  qui  est  cloué  au  lit  ou  sur  une  chaise 


—  321  — 

longue  depuis  quatre  ans  et  qui  en  outre  est  aveugle.  Il  ne 
peut  guérir,  il  le  sait,  il  en  souffre,  mais  il  accepte,  avec 
un  grand  esprit  de  foi,  cette  vie,  si  contraire  à  sa  nature. 
Pendant  quinze  ans,  il  s'était  dépensé  sans  compter  pour 
tout  remonter  dans  une  très  grande  pension.  Il  venait  de 
fonder  la  dernière  œuvre  de  sou  programme  :  la  pension 
marchait  admirablement,  une  maladie  foudroyante  est 
venue  l'en  arracher  pour  toujours.  Je  lui  dis  souvent 
qu'il  est  un  des  prêtres  qui  servent  l'Église  le  plus  effica- 
cement. Rien  de  plus  vrai,  car  le  bien  ne  vient  que  de 
l'action  de  Dieu  méritée  par  les  âmes  saintes. 


VI 


Madame, 


Permettez-moi  d'insister  sur  les  recommandations  que 
je  vous  ai  faites  touchant  les  ménagements  momentanés 
que  vous  devez  avoir  pour  votre  santé.  Il  s'agit  de  la 
remettre  d'aplomb,  ce  qui  est  encore  possible.  Un  surme- 
nage en  ce  moment,  ou  simplement  la  continuation  de 
votre  régime  et  de  vos  occupations  serait  une  faute.  La 
confiance"  que  vous  m'avez  donnée  me  donne  une  respon- 
sabilité sérieuse  et  vous  demande  une  obéissance  fidèle. 
Que  l'archange  saint  Raphaël  vous  rende  la  santé  tout 
d'un  coup,  et  je  ne  vous  persécuterai  plus. 

Peut-être  préférera-t-il  vous  laisser  le  mérite  de  souf- 
frir, de  condescendre  à  vous  soigner  et  d'abandonner 
ces  choses  chères. 


VII 


Madame, 


Puisque  Dieu  permet  l'épreuve,  ne  la  redoute/,  pas, 
elle  est  plus  qu'un  objet  de  mérite,  elle  est  souvent  une 
préparation  à  des  grâces  plus  grandes.  L'épreuve  vous 
vient  de  l'accomplissement  d'un  devoir  qui  vous  arrache 


—  ;j22  — 

un  peu  à  la  solitude  intérieure.  Quelques  heures  semblent 
soustraites  à  Dieu;  mais  ce  n'est  qu'en  apparence,  ce 
sont  plutôt  des  heures  d'immolation;  et  si  vous  n'en 
sentez  pas  la  douleur  au  moment  même,  vous  la  ressen- 
tez tout  le  reste  du  temps.  Votre  cri  vers  Dieu  devient 
plus  intense,  par  le  besoin  plus  senti  de  le  retrouver  tout 
seul  !  Aimons  toute  volonté  de  Dieu,  sans  distinction  ; 
c'est  aussi  juste  que  filial. 

Ce  que  vous  appelez  des  hauts  et  des  bas,  je  les  appelle 
consolation  ou  sécheresse.  Vous  êtes  à  la  même  hauteur 
dans  les  deux  cas  et  peut-être  plus  aimée  de  Dieu  dans  le 
dernier.  Faites-vous  indifférente  à  ces  deux  manières 
d'aller  à  Lui;  aimez  celle  qu'il  choisit  et  préférez-la  puis- 
qu'il la  préfère.  C'est  ainsi  qu'on  se  tient  unie  à  Lui  et 
qu'on  le  laisse  agir  librement  et  pleinement. 

Quelle  gloire  d'être  gouverné  par  ce  grand  Dieu  qui  se 
fait  ainsi  l'âme  de  notre  âme  ! 


VIII 


Madame, 


Je  vous  ai  suivie  en  esprit  à  votre  réunion  d'artistes. 
Peut-être  n'y  avez-vous  pas  admiré  la  nature  humaine? 
Mais  vous  n'en  étiez  que  plus  portée  à  lever  vos  regards 
vers  l'idéal  de  toute  beauté,  vers  Celui  en  qui  la  beauté 
éclate,  avec  des'  charmes  vraiment  infinis  dont  un  jour 
nous  verrons  de  vrais  reflets  directs.  Aujourd'hui  ils  nous 
viennent  des  créatures, xce  n'est  qu'une  ombre. 

Le  soleil  continue  à  mettre  Menton  en  fête.  En  vérité, 
on  ne  se  dirait  pas  sur  la  terre,  maudite  lors  du  péché 
d'Adam;  ce  coin  sans  doute  a  été  providentiellement  pré- 
servé à  cause  des  infirmes. 


323 


IX 

Madame, 

Le  sentiment  dont  vous  avez  été  saisie  n'avait  rien 
de  volontaire.  Il  était  bien  en  vous,  mais  pas  de  vous, 
Dieu  l'a  permis  pour  vous  montrer  ce  qui  peut  sortir, 
malgré  nous,  de  notre  propre  fonds,  et  vous  faire  sentir 
le  besoin  de  tout  attendre  de  Lui,  de  le  substituer  à  vous, 
et  de  vous  tenir  toute  petite  et  toute  humiliée  à  ses  pieds. 
Ne  conservez  de  cela  aucune  timidité,  dans  vos  rapports 
avec  Lui.  Rappelez-vous  toujours  qu'il  nous  prend  et 
nous  aime  tels  que  nous  sommes,  avec  toutes  nos  mi- 
sères. Cette  conviction,  quand  elle  est  profonde,  laisse 
l'âme  toujours  en  paix,  et  disposée  à  la  générosité  envers 
Dieu,  comme  à  l'indulgence  envers  le  prochain. 


X 

Madame, 

Cherchez  et  choisissez  l'endroit  le  plus  favorable  à  voire 
santé,  car  il  s'agit  là  de  votre  avenir  dans  les  œuvres.  Si 
votre  santé  ne  se  remettait  pas  entièrement,  vous  seriez 
sans  doute  amenée  à  y  renoncer,  car  on  ne  peut  pas  s'y 
donner  à  demi  et  avec  intermittence. 

Faites  donc  tout  ce  que  vous  verrez  utile  à  cet  effet  — - 
c'est  un  devoir  certain.  Votre  surmenage  de  ces  derniè- 
res années  vous  a  amenée  tout  au  bord  de  quelque  grave 
maladie  nerveuse  ou  d'un  épuisement  difficile  à  guérir. 

...  C'est  malheureux  de  s'occuper  de  ces  choses  tandis 
qu'on  voudrait  déployer  ses  ailes  vers  les  hauteurs,  ou 
les  étendre  tout  maternellement  sur  les  infirmités  hu- 
maines ! 

Tenez-vous  unie  à  Dieu  doucement,  sans  effort.  Occu- 
pez-vous, distrayez- vous  sous  ses  yeux;  en  ce  moment 


—  324  — 

Il  aime  à  vous  voir  no  rien  faire.  Vous  le  savez  bien,  ce 
qui  plaît  à.  Dieu,  c'est  que  nous  fassions  sa  volonté,  qu'elle 
consiste  à  nous  demander  de  tresser  des  corbeilles  pour  les 
brûler,  comme  chez  les  Pères  du  désert,  soit  de  se  dévouer 
aux  pauvres,  soit  de  composer  des  ouvrages.  Il  sait  tirer 
sa  gloire  de  tout,  Il  ne  demande  que  notre  obéissance 
qui  concourt  à  son  plan  général. 


XI 


Madame, 


Je  me  réjouis  de  vous  savoir  enfin  libre  et  emportant 
le  doux  souvenir  des  grâces  faites  aux  âmes  par  votre 
action.  Il  ne  faut  pas  tenter  Dieu,  reposez-vous  donc 
consciencieusement. 

La  petite  retraite  sur  l'abandon  vous  donnera  sur 
cette  disposition  de  très  belles  vues;  mais  elle  h'aura  pas 
à  vous  soutenir,  car  Dieu  a  coutume  de  vous  consoler 
bien  vite  après  vos  épreuves.  Qui  sait  pourtant  s'il  ne 
vous  fera  pas  quelque  jour  l'honneur  de  se  faire  servir 
sans  aucune  assistance  sensible,  au  milieu  même  d'une 
indifférente  désolation!...  vous  y  serez  préparée. 

Ne  cherchez  pas  d'avance  par  quels  chemins  le  divin 
Maître  vous  fera  passer.  Il  est  bien  mieux  de  s'enfermer 
dans  un  abandon  complet  à  toutes  ses  préférences...  et 
de  n'en  point  sortir. 


XII 


Madame, 


Je  ne  suis  pas  rassuré  sur  le  résultat  final  de  vos  va- 
cances. Vous  ne  vous  êtes  vraiment  pas  reposée;  or  cette 
année-ci,  vous  étiez  beaucoup  plus  fatiguée  que  l'an  der- 
nier. La  preuve  en  est  que  vous  ne  pouvez  pas  vous  faire 
à  cet  air  marin  que  vous  supportiez  l'année  dernière.  Le 
séjour  à  L.  vous  sera  peut-être  plus  favorable.  En  ce  cas, 


—  325  — 

je  vous  conseillerais  de  le  prolonger.  Que  ferez- vous  a 
votre  refour  si  vous  manquez  de  forces? 

Évitez  dans  cette  communauté  tout  ce  qui  vous  ten- 
drait les  nerfs.  Pour  le  moment,  vous  ne  devez  avoir  qu'un 
seul  but  à  atteindre,  c'est  de  réparer  la  santé  que  Dieu 
vous  a  confiée.  Vous  aurez  à  en  répondre..  Ces  soins  pris 
pour  Dieu  lui  sont  aussi  agréables  que  les  longues  médi- 
tations, et  les  pénitences,  en  d'autres  temps.  Faire  chaque 
volonté  de  Dieu,  quelle  qu'elle  soit,  est  la  perfection. 


Réjouissons-nous  toujours  de  ce  que  Dieu  est  Dieu,  de 
ce  qu'il  est  heureux  et  de  ce  qu'il  nous  aime.  Désirons 
le  partage  de  son  bonheur  qui  n'est  autre  que  de  l'aimer 
de  tout  notre  être.  Subissons  en  paix  toutes  les  réserves 
que  sa  volonté  met  à  notre  désir  de  lui  gagner  des  âmes. 
Ces  privations  ne  seront  pas  sans  efficacité  pour  cette 
œuvre  même. 

Que  la  grande  paix  surnaturelle  tienne  votre  âme  indif- 
férente à  tous  les  objets  de  la  volonté  de  Dieu  quels  qu'ils 
soient.  < 


XIII 


Madame, 


Je  désirais  aller  vous  voir  tous  ces  jours-ci,  notamment 
ce  soir.  Me  voyant  retenu  par  une  assez  grande  fatigue 
(toute  passagère),  je  viens  à  vous  par  des  paroles  écrites 
qui  ne  peuvent  pas  faire  sentir  tout  ce  qu'on  aimerait  à 
dire  à  une  âme  très  chère  qui  souffre.  Oh  oui  !  je  sens 
combien  vous  souffrez,  toute  votre  vie  peu  à  peu  avait 
passé  dans  vos  œuvres.  Dieu  bénissait  visiblement  votre 
zèle,  et  voilà  que  lui-même  semble  vous  écarter  !  Ne  pen- 
sez pas  un  instant  qu'il  n'était  pas  content  de  vous; 
voyez  plus  haut.  N'a-t-il  pas  arrêté  son  propre  fils  dans 
son  ministère  fécond  de  Galilée?  et  pourquoi?  pour  le 
jeter  au  milieu  de  ses  ennemis,  en  Judée,  où  on  l'a  fait 
mourir.  Mourir  valait  mieux  que  prêcher  et  même  que 


—  326  — 

faire  des  miracles.  Cette  grande  leçon  doit  nous  faire 
entrevoir  le  côté  merveilleux:  de  la  souffrance. 

C'est  par  elle  que  tout  s'achète  dans  le  monde  du  péché. 
Jésus,  ne  pouvant  plus  souffrir  pour  le  salut  des  hommes, 
demande  aux  âmes  qu'il  sait  tout  à  Lui,  de  continuer  son 
rôle.  Il  vous  a  choisie,  n'ayez  que  de  la  reconnaissance. 

Vous  paraîtrez  moins  faire  pour  lui;  vous  faites  au 
contraire  l'acte  le  plus  difficile  :  renoncer  à  des  œuvres 
prospères  qui  tomberont  peut-être.  Vous  le  trouviez 
lui-même  comme  visiblement,  dans  les  pauvres  maisons 
qui  vous  rappelaient  Nazareth,  dans  les  travailleurs  aux 
mains  durcies,  dans  tous  ces  pauvres  et  ces  souffrants 
qu'il  a  particulièrement  adoptés,  vous  le  donniez  aux 
âmes  qui  ne  le  connaissaient  pas...  Jésus  ne  s'éloignera 
pas  de  vous  dans  le  chemin  qu'il  vous  oblige  à  suivie 
désormais,  vous  le  retrouverez  surtout  par  la  peine  vive 
de  ne  plus  le  sentir  autant. 

Grande  paix,  courage  confiant. 


XIV 


Madame, 


Le  grand  mouvement  surnaturel  de  Dieu  conduit  vers 
la  destinée  véritablement  heureuse  tous  les  hommes,  et 
sans  que  la  plupart  le  sentent  ou  le  veuillent. 

Ces  quelques  mots  vous  indiquent  déjà  la  réponse  que 
vous  me  demandez,  sur  la  prière.  Il  y  a  la  vraie  prière  : 
c'est  celle  qui  ne  considère  que  Dieu  pour  le  louer.  La 
première  partie  du  Pater  est  de  ce  genre;  il  y  a  aussi  la 
prière  de  demande,  comme  la  fin  du  Pater  qui  nous  con- 
cerne. 

Puisque  le  divin  Maître  nous  apprend  cette  prière, 
nous  pouvons  la  réciter  sans  crainte,  et  conclure  de  là 
que  les  objets  temporels  ne  sont  pas  exclus.  Ils  y  tien- 
nent -néanmoins  une  place  secondaire,  et  toute  dépen- 
dante de  la  volonté  de  Dieu.  Sous  ce  mot  «  notre  pain  de 
chaque  jour  »  on  comprend,  vous  le  savez,  tous  les  biens 


—  327  — 

personnels  et  ceux  du  prochain.  Ce  mot  «  noire  pain  » 
indique  bien  particulièrement  qu'il  ne  faut  pas  deman- 
der beaucoup.  Que  nous  soyons  pardonnes  et  gardés  du 
mal  !  Oh  !  c'est  un  cri  trop  juste  et  trop  fdial  pour  qu'on 
lui  fasse  le  reproche  d'être  trop  personnel.  Il  faut  bien 
le  constater,  la  plupart  des  chrétiens  ordinaires  ne 
connaissent  guère  que  la  prière  du  mendiant,  et  ce 
qu'ils  mendient,  ce  ne  sont  pas  généralement  les  biens 
de  l'âme.  C'est  imparfait,  mais  surnaturel  quand  même, 
à  cause  de  l'esprit  de  foi  qui  inspire  cette  confiance,  et  il 
est  fort  heureux  que  ces  pauvres  gens  aient  des  besoins 
temporels,  sans  quoi  ils  resteraient  muets. 

Pour  vous,  ma  chère  fdle,  vous  avez  pris  votre  essor 
vers  la  prière  de  louange,  et  quand  les  biens  et  les  maux 
de  la  terre  se  présentent  à.  votre  préoccupation,  vous 
adoptez  la  forme  délicate,  enseignée  par  les  sœurs  de 
Lazare.  Tenez-vous  en  là.  Puisque  le  plus  parfait  est  de 
n'avoir  pas  même  de  désirs  relativement  à  ces  choses, 
pourquoi   les  demander? 

Je  connais  des  âmes  cependant  qui  trouvent  beaucoup 
de  ferveur  à  repasser  dans  l'oraison  toutes  les  grâces 
qu'elles  ont  à  cœur  d'obtenir  pour  elles,  pour  les  person- 
nes amies  et  pour  l'Église.  Que  chacun  suive  son  attrait. 
Le  vôtre  est  de  vous  en  tenir  le  plus  possible  à  l'entretien 
direct  avec  Dieu;  laissez  dans  l'antichambre  tous  les 
placets,  ils  seront  lus  et  exaucés,  selon  le  plus  grand 
bien. 

Je  ne  vous  engagerai  pas  non  plus  à  accepter  trop 
facilement  des  neuvaines  chargées  de  pratiques,  ni  de 
recommandations  particulières  à  faire  à  perpétuité. 
Beaucoup  de  prêtres  et  de  très  bons  prêtres  croient  qu'une 
intention  globale  satisfait  à  toutes  ces  promesses.  J'ai  des 
scrupules  à  cet  égard  pour  les  cas  où  l'on  a  formellement 
promis  des  prières  particulières.  Voilà  pourquoi  je  vous 
invite  à  ne  pas  les  promettre  trop  facilement  et  trop 
nettement.  Quand  vous  promettez  des  prières,  sans  rien 
ajouter,  l'intention  globale  suffit  certainement.  En 
résumé,  préférons  le  plus  parfait,  qui  est  la  louange  de 
Dieu  et  l'abandon  à  sa  volonté.  Vous  bénissez  presque 


—  328  — 

votre  grippe  qui  vous  laisse  plus  longtemps  dans  le  rôle 
de  Marie  !  Quand  vous  vous  serez  remplie  de  l'esprit  du 
Sauveur,  vous  irez  le  communiquer  aux  pauvres  âmes; 
ce  ne  sera  pas  vous  qui  parlerez  ! 

Je  me  réjouis  du  don  de  Mme  X.,  qui  vous  a  permis 
de  faire  un  bien  que  Dieu  vous  demandait.  Que  d'argent 
se  dépense  ici  égoïstement  !  Combien  de  misères  ne  pour- 
rait-il pas  soulager  ! 

La  lecture  est  toujours  pour  mes  yeux  une  fatigue,  je 
les  ménage,  cependant  je  travaille.  Il  le  faut  bien,  si  la 
nuit  doit  venir  bientôt. 


XV 


Madame, 


Par  votre  avant-dernière  lettre,  j'avais  cru  comprendre 
que  votre  retraite  ne  commencerait  que  la  semaine  pro- 
chaine, je  vous  arrive  donc  bien  tard  pour  vous  dire  un 
mot  à  ce  sujet!  Je  tenais  à  une  recommandation  parti- 
culière qui  est  de  ne  rien  chercher  dans  les  livres,  sauf 
dans  le  cas  d'une  sécheresse  persistante,  mais  de  vous 
tenir  simplement  aux  pieds  du  divin  Maître,  épiant  son 
regard  ou  en  jouissant,  ou  recueillant  une  de  ses  paroles 
intérieures  et  la  laissant  se  répandre  dans  toute  votre 
âme,  vous  tenant  dans  une  disposition  d'absolue  dépen- 
dance pour  tout  et  pour  tout  l'avenir;  laissant  votre 
cœur  exprimer  ce  qu'il  sent,  comme  le  ferait  une  âme  de 
Sainte,  en  vertu  de  cette  vérité  que,  si  nous  ne  sommes 
pas  dignes  d'aimer  ainsi,  Lui  est  digne  d'être  aimé  de 
la  sorte  et  sans  mesure. 

Je  crois  vous  avoir  déjà  exprimé  cette  pensée  et  donné 
ce  conseil,  je  ne  le  répéterai  jamais  trop,  car  la  tendance 
humaine  est  de  ne  jamais  dire  assez. 

En  terminant,  je  vous  adresse  l'indication  que  donne 
Jésus  à  Pierre  quand  il  péchait  :  «  Duc  in  altum  —  Pousse 
au  large,  va,  cherche  au  loin.  »  Perdez-vous  dans  ces 
horizons  lointains  où  l'on  entre  plus  en  Dieu. 


—  329  — 

XVI 

Madame, 

Je  comprends  votre  bonheur  d'avoir  assisté  à  une 
retraite  qui  parlait  à  votre  âme;  chaque  jour,  se  déroulait 
devant  vous  une  nouvelle  perspective  de  l'amour  divin 
et  vous  vous  êtes  trouvée  finalement  tout  entourée  de 
lumière,  tout  embrasée  d'amour. 

Laissez  Dieu  vous  gâter.  Il  accumule  les  preuves  de 
sa  particulière  attention,  afin  que,  si,  un  jour,  il  vous 
demande  l'acceptation  de  peines  intérieures,  des  occu- 
pations contraires  à  vos  goûts,  une  vie  d'exilée  en  un 
mot,  vous  puissiez  vous  dire  :  J'ai  en  moi  les  promesses 
de  l'Éternité,  je  les  garde  comme  des  fleurs  qui  ont  essayé 
de  fleurir  au  printemps,  mais  que  l'hiver  a  surprises.  Elles 
n'ont  rien  perdu  de  leur  vie  et,  dans  leur  sommeil,  elles 
préparent  un  prochain  essor. 

Livrez- vous  aux  œuvres,  mais,  sous  cette  double  réserve, 
que  vous  n'y  compromettiez  pas  votre  santé  et  que  vous 
ne  sacrifiiez  pas  cette  portion  d'aide  qu'attend  de  vous 
votre  mari. 

XVII 
Madame, 

J'avais  cru  remarquer  beaucoup  de  soleil  sur  votre 
visage,  je  ne  suis  donc  pas  étonné  de  vous  entendre  dire 
que  l'auteur  du  soleil  s'était  manifesté  dans  votre  âme, 
et  je  l'en  bénis.  Dans  ces  moments,  il  faut  prendre  une 
conscience  profonde  de  l'amour  que  Dieu  nous  porte, 
afin  que,  lorsqu'il  se  retire  en  apparence,  nous  gardions 
la  même  conviction,  la  même  confiance,  sinon  la  même 
joie.  C'est  Dieu,  et  non  sa  joie,  que  nous  voulons. 

Sous  les  ombrages  de  G...  le  divin  Maître  vous  tiendra- 
t-il  compagnie  comme  II  le  fit  sous  le  noisetier  de  Paray- 


—  330  — 

le  Monial?  d'une   façon  visible?  non  sans  doute,   mais 
d'une  façon   réelle,  intime  ?  certainement. 

Reposez-vous  auprès  de  Lui,  écoulez  ses  silences  qui 
parlent  encore;  sentez-vous  toute  à  Lui  :  ne  formulez  pas 
de  sentiments,  ils  ne  traduiraient  jamais  ce  que  sent  votre 
cœur  où  son  regard  sait  lire.  Un  grand  amour  n'a  point 
de  paroles,  mais  tout  parle  en  lui,  soyez  tout  amour. 


XVIII 


Madame, 


J'admire  votre  vaillance,  non  seulement  dans  les 
œuvres  que  vous  poursuivez,  mais  surtout  dans  votre 
abnégation  de  toute  consolation,  si  Dieu  le  préfère.  Vous 
voyez  d'ailleurs  que  votre  union  à  Lui  est  profonde 
puisque  vous  ne  pouvez  pas  discerner  au  fond  si  c'est 
votre  volonté  ou  la  sienne.  Ne  cherchez  pas  à  le  savoir, 
laissez  vos  biens  indivis,  comme  dans  les  familles  qui 
s'aiment. 

Laissez  surtout  votre  âme  tout  entière  dépendante  de 
ses  moindres  mouvements  intérieurs. 


XIX 


Madame, 


Combien  je  suis  heureux  de  votre  bonheur!  vous  pou- 
vez répéter  avec  le  psaume  :  «  Non  fecit  taliter  omni 
nationi  »,  il  n'a  pas  agi  ainsi  avec  d'autres  !  Vous  êtes 
comblée  de  faveurs  et  vous  vous  réjouissez,  non  de  les 
sentir  et  d'en  jouir,  mais  d'y  voir  l'amour  que  Dieu  vous 
porte.  Cet  amour  que  vous  avez  constaté  si  souvent  et 
dont  II  vous  renouvelle  toujours  l'expression  au  moment 
voulu,  voilà  ce  qui  reste  votre  grand  point  d'appui, 
votre  stimulant  et  votre  espérance. 

Les  sécheresses  peuvent  venir,  les   insuccès   peuvent 


—  331  — 

accabler  vos  œuvres,  vous  souffrirez,  mais  vous  ne  pen- 
serez jamais  que  vous  êtes  moins  aimée,  moins  écoutée 
de  Dieu.  Il  vous  semblera  parfois  qu'il  est  loin  de  vous, 
mais  vous  vous  direz  :  Je  sais  qu'il  ne  fut  jamais  plus 
près  de  moi.  «  Je  suis  avec  elle  dans  la  tribulation  »,  dit 
le  psaume,  et  il  ajoute  :  «  Je  l'en  arracherai  et  je  lui  ren- 
drai la  joie.  »  Allez  donc  dans  le  chemin  de  tous  vos 
devoirs;  c'est  là  que  Dieu  veut  vous  trouver.  C'est  de 
là  que  l'accent  de  votre  amour  sera  entendu,  vous  parût-il 
bien  faible  et  bien  froid. 

XX 

Madame, 

Je  me  réjouis  de  vous  savoir  en  plein  repos  d'âme  et  de 
corps.  Je  vous  vois  dans  cette  maison  où  Dieu  habite; 
je  vous  suis  près  du  Saint-Sacrement  qui  le  contient 
caché  et  que  trahit  une  petite  étoile  de  lumière.  Je  vous 
vois  encore  au  milieu  des  champs  et  des  bois,  admirant 
Dieu  à  la  manière  de  saint  François  d'Assise.  Que 
soient  bénies  ces  heureuses  conditions  qui  ont  charge  de 
vous  rendre  une  santé  que  tant  d'œuvres  réclament. 
Entrez  dans  ce  dessein  de  Dieu;  soignez-vous  sans  scru- 
pule et  sachez  sacrifier  vos  goûts  spirituels  à  des  distrac- 
tions qui  doivent  avoir  en  ce  moment  le  pas  sur  les  autres. 
Pas  de  contention  d'esprit  pour  penser  en  creusant  les 
choses  ou  pour  tirer  de  votre  cœur  des  sentiments  qui 
ne  couleraient  pas  d'eux-mêmes.  Vous  êtes  toute  à  Dieu 
sans  réserve,  je  vous  l'affirme,  et  Dieu  aime  tout  en  vous 
et  tout  ce  que  vous  faites.  Les  pères  ont  coutume  de  faire 
ainsi,  et  Dieu  a  plus  que  la  tendresse  paternelle.  Ne  nous 
étonnons  pas  d'un  tel  amour,  croyons-y;  rien  ne  tient 
plus  humble  et  plus  aimant.  Chaque  matin,  je  vous  offre 
à  Jésus  et  avec  Lui  au  Père  du  Ciel,  qui  vous  regarde  Lui 
et  vous  comme  la  même  victime. 

Ne  vous  inquiétez  pas  de  ce  que  vous  donnez  à  la 
Très  Sainte  Vierge  une  part  moins  grande  que  d'autres 
personnes.  Votre  attrait  est  vers  Jésus;  sa  mère,  comme 


—   332   — 

les  mères,  se  réjouit  de  ce  qui  va  à  son  fils  et  le  prend 
pour  elle. 

XXI 

Madame, 

Qu'il  soit  béni  ce  Dieu  qui  daigne  ainsi  vous  consoler  ! 
oui,  Il  vous  traite  en  pauvre  enfant  malade  qu'il  faut 
ranimer.  Voyez  combien  sont  bonnes  les  souffrances  qui 
attirent  une  telle  manifestation  paternelle.  Vous  étiez 
tout  affligée  de  corps  et  d'âme,  il  vous  semblait  que  la 
lumière  de  la  joie  ne  se  lèverait  plus  sur  vous,  et  voilà 
que  cette  lumière  est  tombée  vers  vous  descendant  de  la 
face  de  Dieu,  selon  la  parole  des  psaumes.  Que  sera  donc 
la  vue  face  à  face  de  cet  être  admirable  1  Cette  heure  vous 
est  donnée  pour  que  plus  tard  votre  confiance  y  trouve 
son  appui  aux  heures  de  ténèbres,  si  votre  route  vient  à 
rencontrer  de  nouveau  les  incertitudes  de  l'exil. 

Vous  constatez  ce  que  Dieu  est  pour  vous  :  or  Dieu  reste 
toujours  le  même  quand  notre  fond  ne  change  pas,  Il  voit 
au-delà  de  la  surface.  Les  sœurs  qui  vous  servent  sont 
dçs  Marthe,  de  grandes  amies  de  Jésus.  Elles  l'aiment 
d'une  façon  autre  que  celle  que  Dieu  attend  de  vous. 
A  chacun  son  attrait,  sa  grâce,  j'ajoute,  avec  le  divin 
Maître,  que  vous  avez  choisi  la  meilleure  part;  disons 
plutôt  que  cette  meilleure  part  vous  a  été  donnée.  Il  est 
plus  doux  de  la  tenir  de  Jésus  que  de  soi,  de  son  amour 
plutôt  que  de  nos  propres  mérites.  S'il  s'y  joint  de  sa 
part  un  peu  de  miséricorde,  réjouissons-nous,  car  s'il 
nous  aime  tant  malgré  nos  dettes  et  notre  misère,  que 
sera-ce  lorsque  nous  serons,  par  sa  grâce,  plus  généreux 
et  plus  constants  ! 

\  N ;  1 1 

Madame, 

Dieu  ne  manque  jamais  aux  âmes  qui  s'abandonnent 
à  Lui  sans  choix  pour  la  consolation  ou  pour  l'épreuve. 


—  333  — 

Il  se  plaît  à  former  en  elles  l'image  de  son  fils  crucifié; 
mais,  à  certaines  heures,  Il  leur  fait  partager  les  joies  du 
Thabor.  Ne  vous  demandez  pas  si  ces  impressions  conso- 
lantes vont  durer;  n'ayez  aucun  désir  à  ce  sujet,  aimez 
Dieu  pour  lui  seul  et  n'ayez  d'autres  désirs  que  les  siens. 
Puisqu'on  peut  l'aimer  autant  sans  rien  sentir,  qu'im- 
porte de  le  sentir  ou  non  ! 

Je  ne  puis  cependant  m'empêcher  d'être  heureux 
de  vous  voir  si  puissamment  relevée  et  si  tendrement 
choyée.  Admirons  cet  aspect  de  la  bonté  divine,  puisque 
c'est  celui  qu'elle  vous  montre,  mais  ayons  la  volonté 
d'admirer  également  l'aspect  crucifiant,  s'il  daigne  vous 
appeler  à  cette  gloire  et  vous  demander  cette  preuve 
d'amour  toute  désintéressée.  Je  vous  bénis  au  nom  du 
Sacré-Cœur. 


XXIII 


Madame, 


Qu'importe  ce  que  nous  sentons  ou  souffrons;  qu'im- 
porte même  notre  insensibilité  pour  les  choses  que  nous 
aimons  par-dessus  tout  !  Dieu  a  ses  desseins  qui  sont  tout 
pleins  de  prévoyante  bonté.  Donnons-lui  une  telle  cen- 
fiance  et  une  si  profonde  préférence  que  nous  ne  pensions 
presque  pas  à  nous.  «  Pense  en  moi,  je  penserai  pour  toi.  » 

Ne  pensant  pas  à  nous;  acceptant  la  tristesse  quand 
elle  vient,  faisons  à  chaque    instant  ce  que  Dieu  veut. 

Étant  voulues  de  Dieu,  les  occupations  les  plus  com- 
munes prennent  une  couleur  divine,  et  nous  serons  fort 
étonnés  quand  nous  verrons  au  ciel  qu'elles  plaisaient 
à  son  cœur,  comme  autant  d'actes  d'amour.  Soyons  tou- 
jours contents,  pleins  de  sérénité,  sans  désir  d'être 
autrement  que  nous  ne  sommes,  comme  santé,  comme 
travail,  comme  consolation  spirituelle,  que  tous  nos 
désirs  se  concentrent  en  un  seul  qui  est  d'aimer  toujours 
plus  puissamment,  plus  parfaitement,  plus  finalement. 
Le  reste  n'est  qu'accessoire. 


—  334  — 

XXIV 

Madame, 

Je  n'ose  pas  trop  vous  plaindre,  puisque  vous  savez 
reconnaître  dans  la  souffrance  une  messagère  de  Dieu. 
Avec  votre  aide,  je  m'efforcerai  moi  aussi  à  la  bien 
accueillir.  Le  médecin,  venu  ce  matin,  assure  que  la 
cicatrisation  se  fait  normalement  et  que  je  ne  dois  pas 
m'étonner  d'éprouver  encore  durant  quelques  jours 
de  l'oppression.  Nous  partageons  la  même  privation  : 
vous  pour  entendre  la  messe,  moi  pour  la  célébrer.  La 
messe  a  beau  être  la  plus  grande  merveille  de  Dieu, 
au-dessus  de  ses  merveilles  il  y  a  sa  volonté.  Dès  qu'elle 
s'impose,  jugeons  fermement  que  tout  est  pour  le  mieux. 
La  prudence  est  la  manière  la  seule  sage  de  l'accomplir. 
Par  l'imprudence,  c'est  la  nôtre,  au  fond,  que  nous  ferions. 
Donnez  donc  en  ce  moment  le  pas  à  la  prudence  sur  l'ar- 
deur d'aller  à  la  Table  Sainte. 


XXV 
Madame, 

Laissez-moi  bénir  Dieu  de  vous  avoir  conduite  à  moi. 
Vous  m'avez  apporté  une  âme  tout  imprégnée  de  son 
amour;  ce  fut  une  consolation  pour  la  mienne.  Si  l'é- 
preuve a  fait  tomber  les  fleurs,  les  fruits  mûrissent. 
Mon  rôle  a  été  de  vous  rassurer,  rôle  facile  et  doux. 
Comme  le  divin  Maître  après  sa  résurrection,  à  chaque 
entrevue,  je  n'ai  qu'à  vous  redire  sa  parole  :  «  Que  la 
Paix  soit  en  vous  »,  gardez-la  toujours  jusque  dans  la  tor- 
peur la  plus  profonde.  Il  y  a  de  tels  anéantissements  qui 
sont  aux  yeux  de  Dieu  des  triomphes,  ce  sont  ceux  qui 
nous  tiennent  plongés  dans  le  sentiment  de  noir.'  néant 
et  dans  l'admiration  muette  de  l'amour  qu'il  nous 
porte  et  que  nous  sentons  si  peu  mérite''. 

Je  vous  bénis  de  tout  cœur. 


—  335  —  ' 


XXVI 


Madame, 

Je  ne  saurais  vous  dire  combien  je  souffre  de  vos 
préoccupations  sur  la  foi.  Ce  qui  me  rassure,  c'est  que 
j'y  vois  une  simple  tentation  du  démon.  Votre  manière 
d'envisager  les  choses  en  a  tous  les  caractères. 

A  d'autres  personnes,  je  dirais  :  examinez,  approfon- 
dissez afin  de  vous  débarrasser  des  impressions  qui  res- 
tent après  que  l'on  a  rejeté  l'objection  par  simple  volonté; 
mais,  dans  votre  état,  qui  est  un  état  de  tentation,  toute 
recherche  de  vérité  tournerait  contre  elle,  et  vos  impres- 
sions, au  lieu  de  se  dissiper,  deviendraient  angoissantes. 

Le  démon  vous  attaque  au  moment  où  vos  forces 
physiques  vous  laissent  dans  un  malaise  propice  aux 
tentations.  Il  profite  également  de  votre  état  de  vie 
spirituelle  privée  de  consolations,  car,  sous  l'action  immé- 
diate de  Dieu,  toutes  les  préoccupations  resteraient 
sans  action.  Faites  donc  ce  que  fit  saint  Philippe  avec 
Nathaïiaël  (dans  l'Évangile)  à  son  objection  sur  le  rôle 
messianique  de  Jésus,  il  répondit  simplement  :.«  Viens  et 
vois.  » 

Il  y  a  en  Jésus  la  lumière,  la  paix,  une  lumière  et  une 
paix  que  le  monde  n'a  jamais  données,  il  y  a  en  lui  une 
bonté  si  haute  qu'elle  apparaît  divine.  Son  enseignement 
est  parfait,  nul  n'y  a  jamais  trouvé  une  erreur,  tous  ceux 
qui  l'ont  fidèlement  suivi  ont  été  parfaits... 

Dans  vos  moments  de  peine,  redites  la  parole  des 
apôtres  chancelants  :  «  A  qui  irions-nous?  Vous  seul  avez 
les  paroles  de  la  vie  éternelle.  » 

J'ai  senti  plus  vivement  ce  soir  le  besoin  de  vous  écrire 
ces  lignes.  Depuis  hier  j'avais  beaucoup  pensé  à  vous  et 
j'en  avais  le  cœur  endolori.  Puisse  le  divin  Maître  vous 
épargner  la  torture  de  cette  tentation,  la  plus  doulou- 
reuse et  la  plus  dangereuse  de  toutes  ! 


25 


—  336  — 

XXVII 

Saint  jour  de  Noël. 
Madame, 

Je  suis  bien  affligé  de  vous  savoir  souffrante,  surtout 
durant  ces  belles  fêtes.  Le  cœur  ne  sait  guère  parler  à 
Dieu  quand  le  corps  souffre. 

Il  est  vrai,  l'acceptation  de  la  maladie  et  de  ses  consé- 
quences offre  à  Dieu  un  bien  de  haute  valeur,  et,  moins 
nous  avons  de  consolations,  plus  notre  offrande  est 
désintéressée  et  par  conséquent  méritoire.  Je  vous  ai, 
comme  tous  les  jours,  présentée  nommément  à  Dieu  aux 
trois  messes  de  minuit,  je  lui  ai  demandé  instamment 
de  vous  laisser  une  paix  profonde,  la  paix  proclamée 
par  les  anges  aux  âmes  de  bonne  volonté. 

L'amour  voit  plus  clair  que  la  raison;  croyez  à  l'amour 
de  ce  Dieu  qui  s'adapte  si  bien  à  tous  les  besoins  et  à  tou- 
tes les  aspirations  de  notre  âme. 


XXVIII 

Madame, 

Je  demande  chaque  jour  à  Dieu  de  se  découvrir  de 
plus  en  plus  à  votre  âme  durant  la  retraite.  Toutes  les 
belles  vérités  qu'on,  vous  prêche  aboutissent  à  cela  : 
pénétrer  en  Dieu  par  de  nouvelles  vues,  par  des  senti- 
ments plus  intimes.  Être  plus  à  lui  et  l'avoir  plus  à  soi. 
Vivre  de  ses  pensées  et  le  communiquer  à  quelques  âmes. 

Vivre  des  souffrances  de  Jésus  et  aimer  les  siennes 
propres.  —  Ne  jamais  céder  à  la  tentation,  ce  serait  trop 
pénible  à  celui  qui  se  donne  tout  à  nous  dans  la  commu- 
nion. Lui  !  Lui  !  n'est-ce  point  assez? 

Dieu  a  besoin  de  votre  santé,  que  ferait-il  de  vous  pour 
les  autres  sans  elle?  Soyez  donc  très  prudente  et  ne  vous 


—  337  — 

imposez   que   des   mortifications    inoffensives.    Celles-là, 
par  exemple,  faites-les  fidèlement. 


XXIX 

Madame, 

Hélas!  c'est  toujours  ainsi  que  vous  oubliez  la  fragi- 
lité de  votre  santé  !  Vous  sortez  par  tous  les  temps,  vous 
ne  vous  arrêtez  pas  quand  la  fatigue  se  fait  sentir,  en  un 
mot,  vous  vous  conduisez  fort  mal...  comme  malade. 
Il  faudrait  pourtant  faire  tout  ce  qu'il  faut  pour  vous 
remettre  une  bonne  fois  et  reprendre  votre  vie  de  bonnes 
œuvres.  Dans  le  doute,  je  vous  le  redis,  prenez  toujours 
le  parti  de  vous  abstenir.  Assurément,  les  pratiques 
pieuses  du  dehors,  les  absolutions  générales,  les  instruc- 
tions, la  messe  et  la  communion  doivent  vous  être  très 
chères,  mais  elles  ne  sont  pourtant  que  des  moyens  d'aller 
à  Dieu  et  de  recevoir  ses  dons. 

Il  y  a  certainement,  j'ose  le  dire,  au-dessus  de  cela, 
ce  qui  est  le  but  de  toutes  ces  choses  :  l'union  à  Dieu; 
or  cette  union  peut  se  passer  de  ces  pratiques.  L'âme 
s'unit  immédiatement  à  Dieu  par  ses  élans  et  son  amour, 
au  besoin  sans  élan,  et  par  le  seul  amour  de  volonté  qui 
se  complaît  dans  la  volonté  de  Dieu,  s'abandonne  à  sa 
Providence  et  cherche  en  tout  son  bon  plaisir. 


XXX 


Madame, 


J'ai  souvent  remercié  Dieu  d'avoir  inspiré  à  la  bonne 
Mmc  B...  l'heureuse  idée  de  vous  conduire  à  moi.  Je 
n'ai  cessé  d'être  édifié  de  votre  générosité  au  service  du 
divin  Maître,  j'ai  admiré  l'élévation  et  la  délicatesse 
de  vos  sentiments,  et  les  seuls  reproches  que  j'aie  eu  à 
vous  adresser,  hélas  trop  souvent,  c'était  de  laisser  votre 


—  338  — 

courage  dépasser  vos  forces.  C'est  un  excès  :  tout  excès 
est  blâmable,  mais  quelques-uns  ne  diminuent  pas  la 
valeur  d'une  âme.  Sainte  Paule,  malgré  ceux  que  lui 
reprochait  saint  Jérôme,  a  bien  été  canonisée  :  ne  désespé- 
rez donc  pas,  vous  serez  canonisée...  par  le  bon  Dieu... 
sinon  par  le  Pape. 

Si  votre  âme  ne  se  couvre  pas  de  fleurs  et  de  feuilles 
comme  les  arbres  en  ce  printemps,  sachez  qu'elle  n'a 
rien  perdu  de  sa  sève,  mais  qu'elle  est  transportée  dans 
un  climat  plus  froid.  Il  y  a  tant  de  pays  où  les  pauvres 
arbres  frissonnent  encore  sous  la  neige,  ils  vivent  cepen- 
dant et  ils  porteront  leurs  fruits  en  leur  temps. 


XXXI 


Madame, 


Votre  santé  est  donc  bien  délicate,  vous  subissez  l'effet 
du  surmenage  beaucoup  trop  prolongé.  Vous  auriez,  dû 
vous  en  affranchir,  il  y  a  quelques  années.  Votre  bonté 
allait  plus  loin  que  vos  forces.  Soyez  aussi  parfaite 
malade  que  vous  avez  été  parfaite  apôtre  et  parfaite 
sœur  de  charité.  Votre  service  envers  Dieu  et  les  âmes 
consiste  à  vivre  sans  effort  dans  l'acceptation  joyeuse 
de  l'inaction  et  des  privations  spirituelles.  Je  comprends 
que  vous  ne  demandiez  pas  la  douce  visite  de  Jésus.  Ce 
ne  serait  probablement  pas  compris.  Si  cet  état  se  pro- 
longeait, ce  serait  différent.  Ces  visites  m'impression- 
nent toujours,  et  le  sentiment  qui  me  domine,  c'est  la 
confusion  de  cette  démarche  auprès  d'un  être  si  peu 
digne. 


XXXI I 


Madame, 


Décidémenl   Dieu  vous  veut  dans  l'épreuve!  cette  der- 
nière est  bien  préoccupante... 


—  339  — 

Je  comprends  que  cette  peine,  ajoutée  à  la  précédente, 
vous  ait  enlevé  le  sommeil.  On  a  beau  accepter  la  volonté 
de  Dieu,  on  en  sent  le  coup.  Faites  un  effort  de  confiance 
pour  retrouver  la  paix  dans  l'abandon.  La  volonté  de 
Dieu  doit  être  pour  nous  un  doux  nid  où  tout  est  parfai- 
tement disposé  comme  les  nids  des  oiseaux  pour  leurs 
petits.  La  bonté  de  Dieu  nous  y  couvre  de  ses  ailes. 


XXXIII 


Madame, 


Je  n'ai  pu  vous  écrire  ces  jours-ci...  en  revanche  j'ai 
porté  sans  cesse  à  Dieu  votre  pauvre  âme,  plus  endolorie 
encore  que  votre  corps.  C'est  en  Lui,  vous  le  savez  par 
une  douce  expérience,  que  se  trouve  le  seul  vrai  repos, 
le  seul  réconfort  réel.  Vous  le  savez  Père,  et  II  peut  vous 
comprendre;  vous  le  savez  infiniment  puissant  et  sage, 
et  vous  avez  la  certitude  que  tout  ce  qu'il  fait  est  bien 
fait. 

Entrez  aussi  dans  le  cœur  de  Jésus,  celui-là  est  humain. 
Il  a  pu  souffrir,  Il  a  souffert  de  chacune  des  douleurs 
qui  nous  atteignent.  Quand  on  croit  bien  cela,  on  est 
presque  content  de  souffrir,  car  on  a  provoqué  chez  Lui  cet 
ineffable  témoignage  d'amour,  la  profonde  condoléance. 
Les  cœurs  aimants  se  sentent  plus  aimants,  quand  ils 
voient  souffrir  ceux  qu'ils  aiment. 

Être  plaint,  être  consolé  par  Jésus,  quelle  merveille  ! 
Ah  !  s'il  nous  était  donné  de  voir  ses  yeux  où  tremblent 
des  larmes  et  d'entendre  cette  voix  qui  dit  :  «  Ma  pauvre 
enfant  !  »  Nous  ne  voyons  ni  n'entendons  ces  choses, 
mais,  puisqu'elles  sont  réelles,  sentons-les  par  une  foi 
vive... 

Assurément,  ce  n'est  pas  aujourd'hui  que  Jésus  souffre, 
mais  II  a  tout  prévu  et  II  a  souffert  réellement  quand  II 
pouvait  souffrir.  Son  sentiment  actuel  s'unit  aux  sen- 
timents passés  par  un  amour  aussi  tendre. 

C'est  un  bonheur  pour  moi  de  vous  redire  ces  choses, 


—  340  — 

c'est  comme  si  je  vous  montrais  une  fois  de  plus  le  por- 
trait d'un  être  chéri. 


XXXIV 


Madame, 


Je  vous  crois  assez  raisonnable  pour  n'être  pas  sortie 
par  ce  temps  si  dangereux  pour  les  maladies  de  la  gorge. 
Suspendez  même  l'accomplissement  de  vos  devoirs  reli- 
gieux, si  chers  pourtant,  qui  vous  obligeraient  à  vous 
exposer  au  froid,  le  matin  surtout. 

Heureusement,  il  y  a,  outre  celui  du  tabernacle,  un 
sanctuaire  qui  reste  à  l'abri  de  toute  intempérie,  celui 
que  la  grâce  a  créé  en  nous  et  dont  il  est  écrit  :  «  Nous 
viendrons  en  lui  et  nous  y  ferons  notre  demeure.  »  C'est 
plus,  infiniment  plus,  que  la  présence  nécessaire  de  Dieu 
en  toutes  choses  :  c'est  une  création  surnaturelle  plus 
noble  que  celle  de  l'univers  et  Dieu  y  réside  comme  un 
père  dans  la  maison  de  son  enfant.  Il  a  tout  disposé  pour 
y  être  reçu  en  Dieu  Père,  et  II  se  donne  à  son  enfant  dans 
l'intimité.  Si  nous  nous  pénétrons  bien  de  cette  réalité, 
nous  nous  verrons  semblables  à  l'ostensoir,  au  centre 
duquel  est  Jésus.  Sachez  y  entendre  votre  messe  et  y 
faire  vos  adorations,  si  vous  êtes  privée  des  rapports  du 
même  ordre.  Demandez  à  Dieu  qu'il  augmente  en  moi 
cette  adoration  «  en  esprit  »  qui  est  actuellement  ma 
seule  ressource,  mais  ressource  inépuisable. 


341 


QUINZIEME    SERIE 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

J'unis  mes  prières  aux  vôtres  et  je  sens  quelque  chose 
de  votre  douleur  maternelle.  Je  ne  suis  point  fâché  de 
vous  voir  un  peu  émue  comme  le  fut  le  Cœur  du  divin 
Maître  devant  la  douleur  des  êtres  qui  lui  étaient  parti- 
culièrement chers.  Comme  je  vous  l'ai  dit  plusieurs  fois, 
les  sentiments  qui  sont  conformes  à  la  volonté  de  Dieu 
sur  nous  ne  peuvent  mettre  obstacle  à  l'élévation  de 
notre  âme.  Il  serait  barbare  et  injuste  de  tenter  de  les 
détruire.  Une  piété  qui  professerait  cette  doctrine  serait 
fausse  et  dangereuse.  Elle  éloignerait  de  Dieu  les  âmes 
droites. 

En  Dieu,  on  peut  vivre  largement  comme  on  vit  dans 
l'air  et  dans  la  lumière.  Le  tout  est  de  Le  perdre  de  vue 
le  moins  possible  et  de  faire  prédominer  son  amour  sans 
détruire  les  autres  qui  sont  bons  quoique  inférieurs. 

Courage  Y  je  vous  bénis,  vous  et  votre  cher  petit  malade. 


II 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Entrez  dans  toutes  les  volontés  de  Dieu,  faites-les 
vôtres;  aimez-les  telles  qu'elles  sont. 

Aimer  veut  dire  ceci  :  les  accueillir  sans  hésitation  et 
comme   si   on   les   choisissait   soi-même.    Qu'elles  soient 


—  342  — 

agréables  ou  pénibles,  nous  ne  le  regardons,  s'il  se  peut, 
qu'après;  mais  surtout  nous  n'en  tenons  point  compte. 

Ne  vous  contentez  pas  de  cette  voie,  pourtant  très 
haute,  allez  jusqu'à  Dieu  Lui-même,  à  sa  Personne 
divine,  à  son  amour  surnaturel  qui  est  une  communi- 
cation du  sien  propre  par  la  grâce.  —  «  Pense  en  moi, 
comme  disait  le  Sacré-Cœur  à  la  Bienheureuse  Margue- 
rite-Marie, je  penserai  pour  toi.  »  Vivez  de  Dieu;  et, 
comme  Dieu,  tout  en  vivant  de  Lui-même,  s'occupe  de 
toutes  choses,  occupez-vous,  non  de  toutes  choses,  mais 
de  toutes  les  choses  qu'il  vous  confie. 

C'est  ainsi  que  vos  devoirs  de  famille  seront  sainte- 
ment et  humainement  accomplis. 


III 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Oui,  vous  faites  bien  de  me  dire  chaque  mouvement 
important  de  votre  vie  intérieure  :  c'est  le  soumettre  au 
contrôle  établi  par  Dieu  même.  Le  Directeur  est  institué 
non  point  pour  tracer  une  voie,  mais  pour  conduire  l'âme 
dans  celle  que  lui  assignent  les  indications  d'en-haut  : 
elle  pourrait  se  tromper  et  suivre  sa  vue  propre,  croyant 
suivre  celle  de  F  Esprit  -Saint;  elle  pourrait  aussi,  le  long 
du  chemin,  s'écarter  des  endroits  sûrs  ou  s'excéder  de 
fatigue.  Le  Directeur  est  là  pour  ramener  et  pour  modé- 
rer au  besoin. 

Plus  je  pense  à  vous,  plus  je  prévois  de  peines...  n'y 
regardez  pas  trop  d'avance.  Voyez  Dieu  plus  qu'elles.  — 
Abandonnez-vous,  non  pas  mollement  et  tristement, 
mais  avec  générosité  et  entrain.  Dieu  le  mérite... 


—  343  — 

IV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

...  Vous  me  demandez  comment  on  peut  concilier 
l'abandon  à  Dieu  et  la  prière  qui  demande. 

L'abandon  est  la  disposition  foncière  quî  ne  change 
jamais.  Elle  attend  tout  de  Dieu;  elle  est  prête  à  bien 
accueillir  tout  ce  qu'il  enverra.  La  demande  ne  l'entrave 
en  rien,  ne  le  diminue  pas,  surtout  quand  elle  a  les  autres 
pour  objet.  Il  en  est  d'elle  comme  des  moyens  naturels. 
Si  l'un  des  nôtres  est  malade  ou  affligé,  notre  devoir  de 
charité  et  même  de  justice  est  de  tenter  tous  les  moyens 
de  le  guérir  ou  de  le  consoler.  Ce  n'est  pas  aller  contre 
l'action  de  la  Providence,  ni  lui  témoigner  de  la  défiance. 
La  prière  est  un  moyen  surnaturel  mis  entre  nos  mains  et 
que  l'Évangile  et  l'Église  nous  conseillent  d'employer. 

Je  le  répète,  l'abandon  est  avant  tout  une  disposition 
permanente.  Nous  le  gardons  alors  même  que  nous  implo- 
rons. S'il  s'agissait  parfois  de  nous  seul,  et  qu'aucune 
raison  particulière  ne  nous  fît  un  devoir  de  sortir  de  l'in- 
différence, je  ne  blâmerais  pas  une  âme  qui,  au  lieu  de 
demander,  se  contenterait  d'exprimer  à  Dieu  sa  confiance, 
évitant  même  de  désirer  ceci  ou  cela. 

Je  conseillerais  aussi,  quand  on  prie  pour  les  autres, 
d'employer  la  forme  des  sœurs  de  Lazare  :  «  Celui  que 
vous  aimez  est  malade  »  —  point  de  demande  exprimée, 
quoiqu'elle  soit  bien  nette  au  fond  du  cœur. 

Quant  à  l'amour  des  croix  lui-même,  c'est  une  dispo- 
sition plus  parfaite  mais  qui,  elle  non  plus,  ne  s'oppose  pas 
à  la  demande,  quand  il  s'agit  du  bien  des  autres  ou  d'un 
plus  grand  bien  pour  nous.  Cet  amour  reste  le  même  en 
nous,  mais  ne  s'exerce  pas  en  cette  occasion,  parce  qu'un 
devoir  de  charité  ou  de  prudence  s'y  oppose. 

J'approuve  entièrement  que  vous  abandonniez  une 
prière  verbale  quelconque  lorsque  l'attrait  vous  appelle 
à  la  simple  vue  de  Dieu. 

...  Oui,  la  grande  prière  est  toujours  celle-ci  :  «  Que  votre 


—  344  — 

volonté  se  fasse.  »  Elle  se  l'ait  même  quand  II  cède  à  nos 
prières  :  ces  prières  son!  voulues  de  Lui. 

Que    le  séraphique  saint  François  vous   communique 
quelques-uns  de  ses  sentiments  pour  le  divin  Maître! 


Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

Votre  vie  doit  être  une  vie  de  confiance  abandonnée. 
Elle  vous  est  indiquée  et  facilitée  singulièrement  par  la 
paternité  que  Dieu,  vous  fait  sentir.  Laissez-Le  donc 
disposer  les  événements  selon  sa  gloire,  sans  vous  laisser 
agiter  par  de  trop  vifs  sentiments  de  crainte,  et  ne  per- 
dez pas  votre  temps  à  vous  demander  ce  qu'il  pourra 
vous  imposer.  Confiez-Lui  les  vôtres  pareillement.  Vos 
craintes  d'ailleurs  ne  sont  que  pour  eux.  Vous  verrez  un 
jour  au  ciel  comme  tout  cela  est  juste  et  bon. 

Tout  me  dit  que  vous  aurez  en  votre  fils  un  chrétien 
sérieux;  tâchez  peu  à  peu  d'en  faire  un  chrétien  qui  com- 
prenne nos  rapports  avec  Jésus.  Les  hommes  entrent  peu 
facilement  dans  ces  idées,  qui  sont  pourtant  le  fond  du 
christianisme. 


VI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ne  vous  reprochez  pas  de  sentir  la  douleur.  La  sentir 
est  en  quelque  sorte  la  mesure  du  mérite  dans  la  résigna- 
tion qui  l'accepte.  Ce  n'est  pas  refuser  quoi  que  ce  soit 
à  notre  divin  Sauveur,  ni  Lui  laisser  croire  que  nous 
l'aimons  moins;  car,  s'il  veut  être  aimé  par-dessus  tout, 
Il  n'entend  pas  absorber  nos  autres  affections.  Ce  serait 
une  doctrine  exagérée  et  fâcheuse  que  celle  qui  dépouil- 
lerait notre  vie  en  ce  monde  des  affections  créées  par 
Dieu  même  et  nécessaires  à  l'ordre  social.  N'y  a-t-il  pas 


—  345  — 

d'ailleurs  en  notre  cœur  divers  côtés  qui  ont  e'hacun  leur 
attribution  spéciale?  Aimer  une  mère  n'empêche  pas  d'ai- 
mer un  fils,  parce  que  ce  sont  deux  amours  différents 
qui  ne  sauraient  se  nuire  dans  une  âme  bien  ordonnée.  A 
plus  forte  raison,  l'amour  pour  Dieu,  qui  est  tout  surna- 
turel, ne  s'oppose  pas  à  l'exercice  de  nos  sentiments 
humains.  Croyez  même  que  le  divin  Cœur  de  Jésus  con- 
naît votre  souffrance  et  y  prend  toute  la  part  que  n'y 
pourraient  jamais  prendre  nos  amis  les  plus  intimes. 

Puisque  vous  souffrez  tant  de  la  souffrance  des  vôtres,, 
offrez-les  toutes  pour  le  bien  des  âmes  qui  vous  sont 
chères.  J'ai  quelque  espoir  qu'il  en  sortira  des  consola- 
tions élevées. 

Courage  !  certitude  d'être  plus  à  Dieu  que  jamais. 
Espoir  en  sa  miséricorde.  Dans  "mille  ans,  vous  n'aurez 
que  des  bénédictions  à  Lui  répéter  pour  tout  ce  qui  se 
passe  actuellement  dans  une  tristesse  navrante. 

...  La  vivacité  de  la  douleur  est  la  mesure  du  mérite 
dans  l'âme  qui  accepte  avec  un  complet  abandon. 

Dieu  semble  diriger  Lui-même  la  petite  barque  au 
milieu  de  cette  mer  hérissée  de  rochers.  Si  le  malheur 
amène  une  plus  grande  et  plus  tendre  action  de  ce  bon 
Père,  n'est-il  pas  désirable? 


VII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Vous  vous  êtes  mise  pleinement  entre  les  mains  de 
Dieu  et  vous  jouissez  de  la  paix  promise  à  la  confiance 
filiale.  La  paix  joyeuse  au  fond  de  la  souffrance  est  une 
force  —  ne  vous  en  défiez  donc  pas. 

Elle  vous  est  donnée  pour  votre  perfection  plus  que 
pour  votre  consolation.  Par  elle,  vous  serez,  à  la  fois,  et 
plus  glorieuse  et  plus  aimante.  Votre  joie  intérieure, 
comme  votre  croix  extérieure,  est  pour  la  gloire  de  Dieu. 

Rien  n'est  plus  pénible  à  supporter  que  l'attente.  — 
Un  mal  bien  défini  et  limité  donne  moins  d'angoisses. 


—  346   — 

C'est  donc  dans  votre  peine  une  peine  de  plus,  donc  une 
occasion  de  plus  de  témoigner  à  Dieu  votre  parfait 
abandon  pour  l'avenir.  —  Allez  sans  crainte  :  Dieu 
vous  conduit  comme  par  la  main,  et  avec  quelle  ten- 
dresse ! 

VIII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ce  sacrifice  —  combien  il  est  douloureux,  il  est  vrai  !  — 
c'est  Dieu  qui  le  demande,  c'est  pour  Lui  donner  une 
complète  satisfaction  qu'on  le  fait.  La  nature  mène  son 
deuil,  mais  plus  il  est  noir,  plus  il  jette  de  clartés  vers  le 
Ciel  ! 

Marchez,  ma  chère  fille,  dans  la  voie  du  Calvaire.  Le 
Calvaire  s'est  rapproché  de  vous,  quelle  gloire!  Jésus  le 
monte  de  nouveau  par  vous  et  avec  vous,  quelle  douceur 
profonde  !  Le  partage  des  souffrances  avec  un  être  si 
parfait,  si  aimant,  si  généreux,  est  vraiment  un  merveil- 
leux bonheur  ! 

Faites  de  votre  fils  un  chrétien  d'esprit  et  de  cœur.  Il 
y  en  a  si  peu,  hélas  !  Il  faut  que  le  sentiment  de  Dieu 
domine  tout  et  même  remplisse  tout  :  faites-Lui  con- 
naître et  aimer  intimement  Jésus.  Il  en  est  digne. 


IX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

En  vous  voyant  partir  pour  ce  nouveau  dépouillement, 
je  crois  vous  voir  gravir  la  pente  du  Calvaire,  vous  prépa- 
rant à  vous  dessaisir  de  ce  qu'on  voudra  vous  prendre. 
Que  laissa-t-on  au  divin  Sauveur  sur  sa  Croix?  Et,  en  le 
dépouillant,  que  de  moqueries  n'ajouta-t-on  pas  à  sa 
peine  !  Réjouissez-vous  saintement  de  pouvoir  souffrir 
avec  Lui,  près  de  son  cœur,  sa  peine  et  la  vôtre.  Dieu  ne 
dépouille  des  biens  de  ce  monde,  fortune,  considération, 


—  347   — 

aisance,  que  pour  rester  l'Être  admirablement  bon  auquel 
on  s'attache,  en  qui  on  se  confie,  et  à  qui  l'on  peut  dire  : 
«  Voilà  que  j'ai  quitté  toute  chose,  qu'en  sera-t-il  de  moi?  » 
Il  en  sera  ceci  :  que  des  biens  d'ordre  divin  vous  seront 
donnés  en  échange,  que  Dieu  Lui-même  se  donnera  plus 
à  vous,  par  des  lumières  et  un  amour  que  vous  n'auriez 
pas  ressentis... 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  vois  avec  grande  consolation  l'union  de  votre  âme 
avec  Dieu.  Dieu,  par  toutes  ses  avances,  vous  traite 
comme  l'on  traite  des  amis  qui  souffrent.  Je  ne  sais  si 
vous  avez  remarqué  dans  les  Psaumes  ce  verset  qui 
montre  jusqu'où  sa  paternelle  bonté  pousse  la  tendresse 
de  ses  soins  :  «  Quand  il  était  malade,  vous  avez  vous- 
même  pris  la  peine  de  refaire  son  lit.  »  Ce  lit,  c'est  le  repos 
qui  vous  est  donné  dans  les  consolations  célestes... 

Ayez  confiance,  Dieu  est  près  de  vous.  Allez  de  l'avant. 
Vous  êtes  dans  la  bonne  voie. 


XI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Quand,  sous  le  poids  de  vos  imperfections,  vous  vous 
sentez  craintive  devant  la  sainte  Communion,  rappelez- 
vous  les  paroles  que  nous  apporte  l'Évangile  :  «Allez  par 
les  chemins,  ramenez  les  pauvres,  les  infirmes,  et  forcez- 
les  à  entrer  au  festin.  »  Laissez-vous  donc  forcer,  ou  plu- 
tôt suivez  sans  crainte  l'attrait  du  besoin  comme  celui 
de  l'amour.  ■—  Le  mieux  d'ailleurs,  en  s'approchant  de 
Jésus,  c'est  de  Le  regarder  tellement  qu'on  ne  songe  pas 
à  se  regarder  soi-même. 

Votre  désir  du  bien  peut  trouver  son  accomplissement 
soit  dans  l'édification  qui  se  dégage  d'une  vertu  achevée, 


—  348  — 

soit  aussi  dans  la  grâce  qu'attirent  à  la  fois  le  bon  vouloir 
et  l'amour  de  sa  propre  abjection.  Si  le  divin  Maître 
vous  laisse  des  imperfections,  et  permet  qu'on  les  remar- 
que, remerciez- Le  et  réjouissez- vous  :  le  bien  sera  dû  à 
Dieu  plus  qu'à  vous  !  Courage  !  Paix  !  amour  de  l'ab- 
jection, mais  amour  pacifiant... 

Oui,  soyez  bien  en  paix  !  C'est  la  parole  que  Jésus  res- 
suscité semble  avoir  recueillie  de  toutes  ses  souffrances  et 
de  toute  sa  gloire.  C'est  aussi  la  leçon  la  plus  importante 
qu'il  veut  nous  inculquer  fortement;  ne  cherchons  pas  en 
nous  la  raison  de  notre  paix,  mais  dans  les  liens  qui  nous 
unissent  à  Lui  et  qui  commencent  à  être  éternels,  car 
rien  ne  nous  séparera  de  son  amour. 


XII 

Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

Oh!  oui,  que  je  sois  simplement  le  traducteur  des 
impressions  de  l' Esprit-Saint  !  Je  voudrais  bien  ne  rien 
mettre  de  moi  dans  mes  ouvrages  et  dans  la  direction  que 
je  donne  ! 

Vous  expérimentez  ce  qui  a  été  dit  par  saint  Paul  : 
Tout  contribue  au  bien  des  élus  de  Dieu.  Vos  occupations 
ne  vous  arrachent  pas  à  la  vie  intime  et  rendent  plus 
douces  les  heures  de  repos. 

Nous  aurions  bien  tort  de  nous  étonner  des  merveilles 
intérieures  qui  se  déroulent  dans  l'intimité  avec  Dieu. 
Comment  n'en  mettrait-il  pas  dans  son  œuvre  par  excel- 
lence, Lui  qui  en  a  tant  mis  dans  la  nature  et  jusque  dans 
b'  petit  être  qu'est  un  insecte  ! 

Oui,  aimez  votre  extrême  sensibilité  ;  elle  est  une 
source  d'actes  profonds  de  conformité  à  la  volonté  de 
Dieu  et  de  sentiments  d'humilité  sincère. 

Par-dessus  tout,  faites  dominer  l'abandon  qui  esL 
l'acte   iilial   par  excellence. 


349 


XIII 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  sais  que  votre  pensée  va  me  chercher  en  Celui  qui 
étend  partout  son  Être  immense  et  qui  daigne  assigner 
une  petite  place,  dans  cet  infini,  aux  pauvres  êtres  que 
nous  sommes.  Que  dis-je?  mais  il  nous  y  fait  la  place 
réservée  aux  enfants,  place  toute  chaude  de  sa  divine 
affection.  Oh  !  qu'il  sera  doux  de  s'y  sentir  un  jour  et  de 
l'y  voir  !  Ici-bas  notre  rôle/consiste  à  Le  chercher  à  tâtons. 
Quelques  âmes  favorisées  semblent  sentir  son  contact  et, 
sans  rien  pouvoir  définir,  sont  certaines  de  sa  présence 
particulière.  Aussi  est-ce.  avec  une  confiance  sereine 
qu'elles  lui  abandonnent  leur  vie,  leurs  joies  humaines  et 
jusqu'à  ces  consolations  intérieures  qui  donnent  de  Lui 
comme  un  pressentiment.  On  se  sent  alors  vivre  de  Lui,  et 
l'on  se  livre  à  son  action.  On  aime  les  souffrances  qu'il 
demande  en  expiation;  on  les  unit  à  la  Croix  de  Jésus  qui 
leur  communique  une  royale  beauté  !  Ses  souffrances 
et  les  nôtres  ne  font  qu'un.  C'est  bien  grand  et  rien  n'est 
plus  vrai.  C'est  à  Jésus  que  nous  devons  d'avoir  quelque 
puissance  sur  le  cœur  de  Dieu. 


XIV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

...  Nous  répétons  toujours  les  mêmes  choses,  mais  ces 
choses  sont  infinies,  et,  plus  on  les  considère,  plus  on  les 
voit  élargir  leur  horizon.  Elles  sont  en  même  temps  si 
bien  faites  pour  nous  qu'elles  prennent  notre  mesure  et 
entrent  en  nous  pour  nous  porter  des  reflets  de  vérité, 
des  émotions  d'amour,  tous  les  actes  que  Jésus  suscite 
dans  nos  âmes. 

Livrons-nous  à  Lui,  aimons  tout,  puisque  tout  est 
voulu  de  Lui  :  les  petites  choses,  les  douloureuses  choses, 


—  350  — 

les  choses  matérielles  aussi,  du  moment  qu'elles  portent 
l'empreinte  de  la  main  divine  qui  nous  les  confie.  N'étei- 
gnez pas  les  sentiments  humains,  mais  faites  la  part  de 
Dieu  la  plus  grande  et  aimez  en  Lui  tout  ce  que  vous 
aimez. 

Recevez,  ma  chère  fdle,  la  bénédiction  de  ce  pauvre 
prêtre  à  qui  Dieu  a  donné  grâce  pour  orienter  votre 
âme  et  la  Lui  offrir. 


XV 

Madame  et  chère  fille  en  Xotre-Seigneur, 

...  En  vous  lisant,  une  pensée  m'a  vivement  saisi. 
Avez-vous  jamais  essayé  de  vous  expliquer  la  juxta- 
position du  Verbe  et  de  l'âme  qu'il  possède  par  sa  sainte 
personnalité?  Quelle  distance!  quel  contraste  même! 
L'Infini  et  le  néant  se  communiquant  par  des  intelli- 
gences et  un  amour  indissolubles  ! 

Concevez  l'extase  de  l'âme  de  Jésus  sous  les  communi- 
cations du  Verbe  et  sous  ses  divines  étreintes...  Vous 
êtes  cela- en  petit.  Jésus  vit  en  vous  par  l'action  réunie 
de  son  âme  et  du  Verbe.  Son  âme  appelle  les  grâces  qui 
divinisent,  mais  elle  ne  les  opère  pas  en  nous.  Les  opérer 
est  le  rôle  éminemment  réservé  au  Verbe,  car  il  y  faut  la 
toute-puissance  divine... 

...  Que  nous  sommes  grands  !  et  que  Dieu  est  bon  ! 

Ne  vous  étonnez  pas  d'avoir  deux  vies  à  vivre  comme 
Jésus.  Ne  fut-Il  pas  d'une  affection  délicieuse  pour  sa 
mère?  Ne  pleura-t-Il  pas  sur  Lazare?  Et,  dans  les 
mêmes  instants,  Il  s'abreuvait  des  splendeurs  du  Verbe  !  ! 
Ne  négligez  rien  des  devoirs  que  Dieu  même  a  imposés 
à  votre  vie  d'épouse  et  de  mère.  Remplissez-les  avec 
Y  intérêt  et  Y  affection  qu'ils  réclament.  Jésus  n'a  rien 
négligé  du  côté  de  ces  devoirs  humains, -ni  quant  au  fond, 
ni  quant  à  la  manière.  Vos  communications  avec  Dieu 
sont  des  faveurs  ;  vos  rapports  avec  ceux  qui  vous  entou- 
rent sont  des  devoirs.  Le  devoir  est  la  plus  certaine  et  la 


—  351  — 

plus  obligatoire  manifestation  de  la  volonté  de  Dieu. 
Or,  nous  ne  saurions  concevoir  rien  de  mieux  et  de  plus 
excellent  pour  nous  que  l'objet  de  cette  volonté.  Cette 
vue  d'ailleurs  transforme  tout,  sinon  à  nos  yeux,  du 
moins  dans  la  réalité  des  choses... 


XVI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Suivez  sans  crainte  les  appels  de  Dieu;  montez  avec  Lui 
dans  la  sphère  où  II  commence  à  se  montrer.  La  vie  de  la 
grâce  n'est-elle  pas  le  commencement  de  la  vie  du  ciel  ! 
Saint  Thomas  enseigne  que  la  vie  divine,  qui  est  en  germe 
en  toute  âme  qui  a  la  grâce,  même  chez  les  enfants,  con- 
stitue les  éléments  de  notre  être  divinisé.  Le  germe  possède 
bien  ce  qui  s'épanouira  un  jour.  Puis  il  ajoute  :  si  la 
grâce  en  tous  est  un  germe,  elle  est  chez  quelques  âmes 
comme  un  bourgeon  qui  se  gonfle  de  sève  et  semble  prêt 
à  éclater.  C'est  le  propre  des  âmes  qui  se  prêtent  de  toute 
leur  docilité  et  de  toute  leur  ardeur  à  Faction  de  Dieu. 

Dieu  Lui-même  s'y  fait  sentir.  Sa  puissance  s'impose, 
on  ne  peut  en  douter.  On  croirait  même  l'entrevoir.  Je 
crois  que  rien  n'est  plus  fait  pour  nous  tenir  dans  une 
humilité  totale.  On  sent  si  bien  qu'il  est  tout,  qu'il  fait 
tout,  et  que  nous  restons  le  pauvre  néant  qui  Lui  sert  de 
matière  ! 

XVII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

...  Que  serait  votre  confiance  si  elle  voyait  le  remède? 
C'est  la  confiance  d'un  enfant  que  Dieu  attend  de  vous. 
Ne  l'auriez- vous  pas  eue  pour  votre  vénérable  père? 
Vous  reconnaîtrez  la  valeur  de  votre  confiance  au  degré 
de  repos  supérieur  que  vous  aurez.  L'âme  de  Jésus,  dans 
son  agonie,  même  dans  ses  cris  de  protestation  et  dans 

2  0 


—  352  — 

ses  larmes  de  sang,  continuait  la  contemplation  de  son 
Père  et  lui  chantait  son  cantique  d'admiration  et  d'amour. 
Ayez  cet  idéal.  Pour  l'atteindre,  il  faudrait  une  grâce 
toute  spéciale.  Peut-être  le  gémissement  nuira-t-il  chez 
vous  à  l'expression  de  tels  sentiments;  mais  Dieu  les  voit 
en  vous,  tout  muets  qu'ils  paraissent  être  par  moments. 
Ils  reprennent  d'ailleurs  bien  vite  le  dessus,  et  vos  canti- 
ques se  composent  de  notes  élevées  et  des  notes  sensibles. 

Pour  ceux  que  vous  aimez,  sachez  ne  demander  que 
le  bien  final.  Regardez  leurs  souffrances  comme  des  pré- 
parations lointaines  à  cet  effet.  Joignez-y  les  vôtres. 
Plus  vous  souffrez  tous,  plus- vous  devez,  au  fond,  vous 
réjouir,  car  la  rédemption  est  plus  certaine.  Dieu  n'afflige 
pas  dans  ce  monde  et  dans  l'autre.  Ses  enfants  infidèles 
sont  toujours  ses  enfanls;  s'il  devait  les  punir  éternelle- 
ment, Il  leur  enverrait  des  joies  passagères  en  récom- 
pense du  bien  qu'ils  font  par  leurs  qualités  naturelles, 
ne  serait-ce  que  par  leur  amour  filial. 

Votre  cher  fils,  élevé  au  milieu  des  épreuves,  sera  plus 
sérieux,  plus  résigné...  Si  Dieu  laisse  venir  à  lui  la  décep- 
tion,... qui  sait  le  bien  qui  en  pourrait  naître?... 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  :  courage  !  Il  suffit  que 
je  vous  dise  :  aimez  !  Tout  courage  est  dans  l'amour  de 
Celui  qui  nous  a  tant  aimés  et  qui  se  donne  à  nous  chaque 
jour. 

Je  vous  bénis. 

XVIII 

Courage,  ma  chère  fille,  la  vie  se  déroule  au  milieu  des 
incertitudes  et  des  angoisses,  excellentes  conditions  pour 
la  confiance  filiale.  Ne  voyons  qu'une  chose:  c'est  un  père 
parfait  qui  agit.  La  confiance  et  la  résignation  n'empê- 
chent pas  la  douleur  et  ne  condamnent  pas  les  larmes. 
Nous  avons  à  vivre  deux  vies  différentes.  Celle  de  ta 
nature  a  ses  droits  et,  en  les  exerçant,  elle  les  perfec- 
tionne. Une  mère  qui  ne  serait  pas  anxieuse  devant  une 
menace  pour  son  fils  serait  une  laideur  morale.  Et  si 
elle  en  arrivait  là  par  l'effet  d'un  abandon  qu'elle  croirait 


—  353  — 

Surnaturel,  croyez-le  bien,  elle  sortirait  de  l'ordre  établi 
par  Dieu.  Dieu  seul  aurait  le  droit  de  l'en  faire  sortir,  car 
Il  est  le  maître  de  tout;  mais  une  telle  voie  demanderait 
à  être  sérieusement  contrôlée.  Faites  comme  la  Très 
Sainte  Vierge  qui  pleura  près  de  la  Croix  de  son  Fils.  Elle 
fit  assurément  ce  qui  est  le  plus  parfait,  n'est-ce  pas? 

Je  remercie  le  divin  Maître  d3s  faveurs  qu'il  vous 
accorde.  Un  mot  de  Lui  ranime  pour  longtemps.  Jamais 
son  aide  ne  vous  manquera.  Envisagez  donc  l'avenir 
sans  crainte.  «  Tout  concourt  au  bien  de  ceux  qui  aiment  », 
dit  saint  Paul.  Laissons  Dieu  choisir  notre  voie,  nos  peines, 
et  nos  consolations.  Soyons  contents  de  tout  ! 

Je  vous  bénis. 

XIX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ne  regrettez  pas  trop  les  jours  de  solitude  qui  viennent 
de  vous  échapper.  Dieu  est  si  près  de  vous  partout  ! 
Votre  fidélité  au  devoir  entre  dans  les  plans  de  Dieu. 
Que  ce  bon  plaisir  vous  demande  un  long  recueillement 
ou  bien  une  vie  de  vacances  avec  les  vôtres,  il  est,  au 
fond,  le  même  objet  d'amour.  Prêtez-vous  donc  aux 
autres  et  donnez-leur  la  consolation  que  ce  bon  plaisir 
veut  leur  communiquer  par  vous. 

La  douleur  accompagne  toujours  vos  pas  ;  mais, 
comme  chez  le  divin  Maître,  elle  trouve  l'accueil  suprême 
de  l'acceptation  totale  dans  une  nature  restée  profondé- 
ment sensible.  N'éteignez  pas  les  affections  humaines.  Ne 
refusez  pas  la  dette  d'expiation  qu'exige  la  vue  de  la  dou- 
leur des  vôtres. 

Toutes  les  souffrances  sont  un  objet  aimé  et  toutes  les 
craintes  vous  laissent  confiante.  Quand  on  s'est  donné 
à  Dieu,  on  le  laisse  disposer  de  tout  selon  son  bon  plaisir  ; 
être  l'enfant  d'un  tel  Père  !  cela  dit  tout...  v 


—  354 


XX 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Oui,  rendons  grâces  à  Dieu  en  toutes  choses,  car  toutes 
choses  sont  disposées  pour  Lui  apporter,  finalement,  sa 
plus  grande  gloire.  Sans  doute,  notre  bien  personnel  s'y 
trouve  aussi,  mais  cette  vue  ne  doit  être  que  secondaire  : 
le  bien  de  Dieu  avant  tout  ! 

Dans  l'ordre  de  la  nature  déchue,  il  s'opère  par  la  Croix. 
La  fête  qui  l'exalte  aujourd'hui  sera  une  fête  éternelle.  Le 
Ciel  vivra  du  sang  que  la  Croix  aura  fait  verser  à  Jésus 
d'abord,  et  puis  à  toutes  les  âmes  fidèles. 

La  science  de  la  Croix^cTôTt  être  l'objet  de  notre  plus 
vive  reconnaissance,  car  elle  explique  tout  et  elle  donne 
la  force  pour  tout.  Qu'elles  sont  à  plaindre  les  âmes  qui 
ne  l'ont  pas  ! 

Jésus  n'est  plus  cloué  à  la  Croix...  Il  nous  laisse  la 
place...  A  nous  de  continuer  sa  Rédemption... 

—  Souffrir  et  aimer,  c'est  l'idéal!... 


XXI. 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  vous  ai  laissée  dans  la  solitude  avec  le  divin  Maître 
et,  selon  son  désir,  je  viens  aujourd'hui  vous  porter  de 
sa  part  un  alléluia,  comme  en  portèrent  aux  saintes 
femmes  de  l'Évangile  les  envoyés  de  Dieu. 

Oui,  réjouissez-vous,  car  vous  avez  reçu  de  grandes 
grâces,  celle  en  particulier  d'un  grand  amour  pour  Jésus. 

Plus  vous  irez,  plus  vous  vous  unirez  à  Lui,  prenant 
tous  ses  goûts,  vous  dirigeant  selon  ses  plus  intimes 
volontés,  Le  cherchant  et  Le  trouvant  partout,  vous 
consolant  de  tout  en  Lui,  vivant  déjà  de  son  bonheur 
à  Lui,  qui  est  plus  le  vôtre  que  celui  qui  vous  est  propre. 


—  355  — 


XXII 


Madame  et  chère  tille  en  Notre-Seigneur, 

...  Oui,  on  peut  être  toute  à  Dieu  et  toute  à  son  enfant. 
Vous  le  sentez  à  cette  heure  plus  que  jamais.  Vous  aban- 
donnez à  Dieu,  que  vous  aimez  par-dessus  tout,  cet 
enfant  que  vous  aimez  le  plus  au  monde  après  Lui. 

Dieu  lui  sera  paternel.  Gardez  une  paix  profonde 
témoignant  votre  confiance  absolue. 


XXIII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Ne  vous  reprochez  pas  vos  angoisses  de  mère.  Elles 
sont  trop  légitimes  pour  que  Dieu  les  voie  avec  peine. 
N'a-t-Il  pas  fait  Lui-même  votre  cœur  et  ne  lui  ordonne- 
t-Il  pas  d'aimer?  Or,  aimer  comporte  les  plus  vifs  senti- 
ments de  crainte  et  de  douleur.  Vous  savez  que  je  ne 
suis  pas  de  ceux  qui  veulent  les  éteindre.  Je  crois  que 
l'on  peut  regarder  Dieu  avec  des  yeux  pleins  de  larmes. 

Par-dessus  nos  tristesses,  se  déploie  l'immensité  du 
bonheur  éternel  qui  n'est  autre  chose  que  Dieu  Lui- 
même.  Que  ce  soit  là  notre  atmosphère.  C'est  là  seule- 
ment qu'on  respire  à  l'aise... 


XXIV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Quelles  que  soient  les  fluctuations  de  tout  ce  qui  vous 
entoure,  je  vois  que  votre  âme  demeure  calme  et  suit  sa 
route.  Vous  savez  à  qui  vous  vous  êtes  donnée,  vous 
accomplissez  avec  joie  les  manifestations  de  sa  volonté 
et  vous  ne  voulez  pas  regarder  avec  anxiété  quel  sera  le 


—  35G  — 

lendemain,  car  le  lendemain  est  dans  les  desseins  d'un 
Père  tout- puissant.  S 

Vous  sentez  que  votre  donation  se  fait  de  plus  en  plus 
complète.  Elle  l'était  depuis  longtemps.  Elle  croît  cepen- 
dant à  mesure  que  vous  connaissez  Dieu  plus  profon- 
dément et  surtout  à  mesure  que,  comme  les  petits  enfants 
au  cou  de  leur  mère,  vous  le  pressez  plus  fortement.  On 
se  donne  selon  son  degré  d'amour,  et  il  y  a  l'infini. 

Telle  était  la  donation  de  la  Sainte  Vierge  ! 

J'ai  le  bonheur  d'être  dans  une  famille  éminemment 
pieuse.  On  a  installé  une  chapelle  dans  la  chambre  voi- 
sine de  la  mienne.  Toute  la  maison  assiste  à  ma  messe, 
les  jeunes  gens  eux-mêmes  y  "communient  plusieurs  fois 
par  semaine.  De  l'autel,  je  vous  envoie  la  bénédiction  du 
prêtre  et  du  père.  Je  vous  la  renouvelle  en  ce  moment. 


XXV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

...  Si  parfois  votre  nature  vous  a  trahie,  c'a  été  l'occa- 
sion d'un  anéantissement  plus  profond  et  d'un  courage 
plus  décidé. 

L'humiliation  doit  nous  tremper  et  non  nous  affaiblir. 
On  peut  toujours  se  relever  par  une  confiance  toute 
filiale.  Nous  offrons  à  Jésus  par  notre  nature  un  instru- 
ment plus  ou  moins  apte  à  suivre  le  mouvement  de  sa 
main,  mais  un  grand  artiste  sait  tirer  grand  parti  même 
d'un  instrument  imparfait.  L'important  est  de  le  lui 
laisser  toujours  entre  les  mains. 

Je  vous  bénis... 

XXVI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

C'est  bien  de  Dieu  que  viennent  les  lumières  qui  surgis- 
sent des  moindres  paroles  de  l'Écriture.  Elles  vous  sont 


—  357  — 

révélées  pour  votre  progrès  et  votre^  consolation.  Dieu 
est  tellement  père  !  Continuez  à  vous  sentir  bien  petite 
devant  ses  dons  et  d'autant  plus  reconnaissante.  —  Aimez 
Jésus,  en  qui  Dieu  s'est  incarné  pour  atteindre  plus  sûre- 
ment notre  cœur.  Sa  physionomie,  les  paroles  sorties 
vraiment  de  ses  lèvres,  ses  plaies  et  son  Eucharistie... 
tout  cela  nous  vient  par  le  Dieu-Homme  et  nous  apporte 
une  intimité  dont  notre  esprit  n'aurait  jamais  eu  l'idée, 
ni  notre  cœur  l'ambition. 

...  La  vie  après  tout  est  courte.  Si  nous  pouvions  au 
Ciel  avoir  des  regrets,  ces  regrets  seraient  de  n'avoir  ni 
assez  aimé  ni  assez  souffert.  —  Apprenez  aux  vôtres  à 
vivre  sous  la  lumière  de  l'éternité.  Un  jour  peut-être  cette 
lumière  leur  apparaîtra-t-elle  plus  clairement  comme 
étant  Dieu  Lui-même. 

Je  vous  bénis. 

XXVII 

Madame  et  chère  fille  en  Notr.e-Seigneur, 

...  Ces  trois  semaines  passées  au  grand  air  m'ont  rendu 
quelque  force  et  m'ont  habitué  aux  variations  de  tempé- 
rature. Si  le  retour  se  fait  sans  accident  de  froid  ou  de 
pluie,  je  pourrai,  je  l'espère,  me  remettre  un  peu  au  tra- 
vail :  voilà  plus  de  deux  mois  d'inutilité;  mais  comme 
Dieu  fait  de  rien  quelque  chose,  peut-être  daignera-t-Il 
se  contenter  de  ce  que  j'aurais  voulu  faire. 

Tenez-vous  bien  en  paix  sous  l'action  de  Dieu,  que 
cette  action  soit  directe  et  intérieure,  ou  qu'elle  se  mani- 
feste par  les  événements.  Portez  intérêt  aux  personnes 
et  aux  choses  selon  la  volonté  de  Dieu,  c'est-à-dire  selon 
votre  position.  Le  surnaturel  doit  perfectionner  le  bien 
naturel,  mais  (sauf  une  indication  particulière  des  des- 
seins de  Dieu)  il  ne  doit  pas  l'exclure  ni  le  mépriser. 


—  358  — 


XXVIII 


Madame  et.  chère  fille  en  Notre^Seigneur, 

Vous  sachant  informée  de  mon  départ,  j'ai  préféré 
attendre,  pour  vous  écrire,  de  pouvoir  vous  donner  quel- 
ques nouvelles  de  mon  état  depuis  mon  arrivée.  Je  crois 
que  ce  changement  d'air  me  sera  favorable,  mais  je  ne  me 
sens  pas  encore  plus  fort  :  je  suis  bien  usé  !  Comme  je  ne 
parle  que  très  péniblement,  je  reste  seul  soit  dans  le  parc, 
soit  dans  la  petite  chapelle  voisine  de  ma  chambre  où, 
hélas  !  je  ne  peux  dire  la  messe  que  le  dimanche.  Vous 
savez  mon  refrain  :  «  la  volonté  de  Dieu  ».  Tout  est  là 
pour  moi,  et,  en  elle,  j'aime  autant  la  privation  que  la 
jouissance  même  spirituelle. 

...  Gardez-vous  de  vous  plaindre  jamais  :  vous  êtes  une 
privilégiée  de  Dieu,  et  les  souffrances  elles-mêmes,  elles 
surtout,  sont  de  grandes  faveurs  :  vous  devenez  par  elles 
plus  semblable  à  l'image  de  Jésus  crucifié,  vous  devenez 
son  aide,  sa  consolation,  vous  acquérez  des  droits  à  vous 
plonger  plus  avant  dans  l'Infini. 

...  Quand  viendra  ce  jour  tant  désiré  où  Dieu  se  mon- 
trera enfin  à  nos  regards  qui  le  cherchent  en  vain  sur  la 
terre  ! 

«  Satiabor,  je  serai  rassasié  »,  dit  l'Écriture  :  Ayez  donc 
bien  faim,  bien  soif  :  nous  jouirons  de  Lui  dans  toute  la 
plénitude  de  notre  être  qui  peut  ici-bas  s'agrandir  sans 
mesure.  Courage  et  joie  ! 

Je  vous  bénis  de  tout  cœur. 


XXIX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Voilà  donc  cette  âme  en  présence  de  Dieu,  d'un  Dieu 
encore  voilé  pour  elle  sans  doute,  mais  qui  se  fait  connaî- 
tre dans  cette  intimité  qui  ne  lui  fut  pas  ouverte  ici-bas. 


—  359  — 

En  ce  moment,  vos  sentiments  se  rencontrent,  et.  pour 
toujours!  Votre  union  à  cette  âme  se  fera  dans  l'invi- 
sible, mais  n'en  sera  pas  moins  une  union  très  réelle 
dont  elle  a  connaissance.  Vous  pouvez  donc  l'aimer,  non 
plus  seulement  humainement,  mais  comme  une  âme 
Partageant  tous  vos  sentiments  élevés. 

Les  grandes  souffrances  de  ses  dernières  années  auront 
grandement  diminué  ses  dettes  envers  la  justice  divine; 
vos  prières  hâteront  aussi  son  entrée  au  Ciel.  Soyez 
assurée  également  des  miennes. 

L'attitude  de  votre  fils  a  été  pour  vous  une  grande 
consolation  et  pour  lui  comme  un  engagement  public 
de  chrétien  fervent.  Je  suis  heureux  de  cette  grâce. 

Ne  cherchez  pas  à  étouffer  la  légitime  douleur  que  vous 
cause  cette  séparation.  L'amour  de  Dieu  ne  détruit  pas 
l'amour  humain,  et  l'amour  humain  n'enlève  rien  à 
l'amour  de  Dieu,  car  ils  ont  un  objet  différent.  Quand 
cette  âme  sera  unie  à  Dieu  dans  la  contemplation  de  sa 
beauté,  vous  les  aimerez  dans  une  sorte  de  sentiment 
unique. 

XXX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Dieu  est  avec  vous;  rien  ne  peut  vous  manquer.  Les 
peines  sont  des  bienfaits  pour  vous  et  des  sources  très 
précieuses  pour  les  autres.  Beaucoup  d'âmes  vous  seront 
données,  et  en  particulier  celles  qui  vous  sont  plus  chères 
que  la  vie.  Souffrez,  mais  avec  une  infinie  confiance.  Dieu 
semble  rejeter  vos  demandes  les  plus  pressantes,  mais  II 
fera  pour  vous  ce  qu'il  fit  pour  la  Ghananéenne.  S'il  vous 
laisse  dans  la  souffrance  à  cet  égard,  c'est  pour  laisser  un 
stimulant  sanglant  à  votre  cœur.  Oh  !  que  vous  devez 
souffrir  ! 

Je  vous  disais  au  commencement  de  ma  lettre  :  Dieu  est. 
avec  vous,  j'ajoute  en  terminant  :  votre  âme  est  toute  à 
Lui.  Ne  craignez  rien,  allez  à  Lui,  le  cœur  entièrement 
dilaté. 


—  3G0  — 


XXXI 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

C'est  en  Dieu  que  nous  vivons,  que  nous  aimons,  que 
nous  souffrons.  C'est  en  Lui  qu'au  Ciel  nous  jouirons. 
Tout  notre  être,  toute  notre  paix,  tout  notre  amour  sont' 
en  Lui.  C'est  Lui  qui  soutient,  c'est  Lui  qui  inspire  un 
abandon  total.  C'est  en  se  faisant  connaître  à  nous  dans 
son  infini  qu'il  nous  fait  dominer  les  sentiments  les  plus 
puissants  de  la  nature. 

Plus  vos  peines  sont  vives  et  profondes,  plus  vous  êtes 
dans  votre  voie.  Peu  de  peines  vous  auront  été  épar- 
gnées... ce'que  m'en  signale  votre  lettre  est  bien  amer!... 


XXXII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  suis  loin  de  blâmer  votre  confiance  dans  ses  motifs, 
mais  pour  atténuer  d'avance  la  désillusion  qui  est  pos- 
sible, j'ai  tenu  à  vous  dire  que  si -vos  prières  vous  assurent 
d'être  exaucée  quant  à  l'objet,  elles  peuvent  n'être  pas 
exaucées  quant  à  l'heure...  et,  malgré  moi,  je  reste 
inquiet  et  il  me  semble  entendre  au  dedans  de  moi  que 
d'autres  souffrances  vous  attendent...  dussé-je  me 
reprocher  de  laisser  ainsi  dans  votre  âme  «  le  glaive  de 
douleur  »...  Vos  prières  n'en  seront  que  plus  ardentes  : 
on  ne  peut  évaluer  ce  qu'il  en  faut  pour  la  rançon  des 
âmes... 

Non,  je  ne  crains  pas  que  la  déception,  même  la  plus 
cruelle,  «  vous  sépare  de  la  charité  de  Jésus  »,  et  je  crois 
votre  cœur  capable  de  s'approprier  toutes  les  protesta- 
tions de  saint  Paul  :  «  Rien  ne  me  séparera,  etc..  » 

Cherchez  la  paix  dans  un  abandon  absolu  sans  rien 
envisager  de  trop  particulier,  un  abandon  fondé  sur  la 
seule  vue  de  la  bonté  divine  et  sur  les  promesses  de  Jésus. 


—  361  — 

Insistez,   pressez,   demandez   même  pour  telle  heure, 
mais  en  vous  souvenant  toujours  que  l'heure  est  à  Dieu.,, 
Je  vous  bénis... 

XXXIII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  vous  suis  pas  à  pas  sur  la  route  de  votre  Calvaire. 
J'ai  l'espérance  qu'elle  aboutira  à  un  retour  à  la  vie  qui 
sera  une  complète  résurrection...  Vous  redirez  à  Dieu 
ce  que  vous  lui  dites  dès  maintenant  dans  votre  entière 
confiance  :  Mon  Dieu,  vous  avez  bien  fait  toutes  choses  ! 

Il  se  montre  d'ailleurs  si  consolant  pour  vous  !  En  cela, 
je  vois  l'accomplissement  de  cette  parole  des  Psaumes  : 
«  Je  suis  avec  l'âme  dans  sa  tribulation.  » 

Dieu  a  des  présences  diverses,  Lui  qui  est  présent  à 
tout,  de  même  que  la  lumière  du  même  soleil  est  si  diffé- 
rente selon  les  pays,  les  heures  et  les  objets  qui  la  reflè- 
tent. En  ce  moment,  elle  resplendit  en  vous.  Plus  la 
souffrance  se  prolonge,  plus  elle  devient  éclatante.  Cette 
lumière  vous  découvre  la  valeur  du  précieux  Sang  et 
son  infinie  puissance.  Après  cela,  Il  vous  le  montre  versé 
pour  vous,  mis  à  votre  disposition,  et  comme  vous  appar- 
tenant. Ce  sang  vient  d'une  créature,  sa  mère.  Il  a  été 
versé  sur  le  sol  de  la  terre  qui  l'a  bu.  Il  nous  reste  dans 
le  sacrifice  de  l'autel.  Vivez  donc  en  Dieu  et  de  Dieu, 
ma  chère  fille.  L'isolement  du  cloître  n'est  pas  nécessaire 
à  la  vie  intérieure  :  votre  clôture  est  votre  amour. 

—  Je  commence  à  sortir.  Le  mauvais  temps  m'avait 
rendu  malade  et  retenu  au  lit.  Dieu  ne  veut  pas  encore* de 
moi,  ce  semble. 

En  union  à  notre  divin  Maître. 


XXXIV 

...  Vos  dispositions,  ma  chère  fille,  n'ont  pas  changé 
en  dépit  des  impressions  qui  vous  ont  fait  violence. 


—  362  — 

Courage  !  Il  y  a  tant,  à  expier  de  toute  part  en  ce 
monde  !  La  miséricorde  de  Dieu  est  telle  qu'une  seule 
âme  peut  expier  pour  beaucoup  d'autres,  pour  celles  dont 
elle  a  une  charge  spéciale  et  peut-être  beaucoup  au  delà. 
Soyez  ambitieuse,  et  on  peut  l'être  quand  on  comprend 
1<-  prix  du  précieux  Sang  et  surtout  quand  on  en  dispose. 
A  la  Communion,  il  passe  tout  entier  dans  votre  âme.  Il 
est  donc  votre  bien.  Vous  pouvez  l'offrir  et  Dieu  ne  peut 
pas  repousser  vos  prières,  car  elles  sont  en  Lui. 

«  Euntes  ibant  et  flebant...  Venientes  autem  cum  exulr 
tatione.  »...  Telle  est  notre  vie,  lel  est  notre  espoir... 

Je  vous  bénis. 

XXXV 

Madame  et  chère  fdle  en  Notre-Seigneur, 

J'ai  été  en  effet  assez  malade  depuis  votre  départ  :  le 
cœur  avait  beaucoup  faibli  et  reste  faible.  Toute  occupa- 
tion m'était  interdite  et  n'est  encore  que  tolérée.  Voilà 
pourquoi  je  ne  vous  ai  pas  écrit.  Ma  pensée  se  porte  sou- 
vent vers  ce  midi  de  la  France  où  vous  retrouvez  à  l'église 
le  même  trésor.  Quelle  tendresse  de  se  donner  ainsi  par- 
tout !  Il  y  a  bien  peu  de  changements  réels  pour  l'âme 
qui  cherche  Jésus  avant  tout.  En  Jésus,  on  a  ce  Dieu 
infini  qui  n'est  pas  seulement  dans  toutes  les  églises, 
mais  qui  est  en  chaque  point  de  l'espace.  Quel  éblouis- 
sement  s'il  s'y  montrait!  Il  fait  plus  qu'être  présent  en 
toutes  choses,  Il  s'unit  à  quelques  créatures  par  des 
liens  d'intelligence,  d'affection,  d'action.  Vous  sentez 
cette  sorte  d'union.  Elle  fait  votre  vie.  Vous  ne  voulez 
avoir  aucune  vie  propre,  aucun  désir  personnel,  vous  ne 
voulez  voir  que  par  les  yeux  de  Dieu,  et  vous  adhérez 
d'avance  à  tous  ses  désirs.  —  Ne  craignez  pas  d'être 
dans  l'illusion,  mais  veillez  à  ce  que  ces  sentiments  ne 
nuisent  pas  à  l'exercice  des  sentiments  humains  à  l'égard 
de  tous  ceux  qui  y  ont  droit.  Intéressez- vous  à  ce  qui  les 
intéresse,  et  cela  de  bon  cœur  puisque  Dieu  vous  le  de- 
mande. 


—  368  — 

Vous  avez  appris  sans  doute  l'entrée  au  séminaire 
d'Issy  du  dernier  président  de  la  Jeunesse  catholique  et 
celle  de  M.  X... 

...  Ce  doit  être  pour  vous  une  joie  :  vous  êtes  heureuse 
de  voir  Dieu  ainsi  honoré  et  de  nobles  dévouements 
encouragés  par  cet  exemple. 


XXXVI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Que  la  conduite  de  Dieu  est  admirable  à  l'égard  des 
âmes  qui  se  donnent  à  Lui  totalement  !  Il  les  éprouve  et 
les  console.  Il  les  perfectionne  par  toutes  sortes  de  moyens, 
Il  s'établit  en  elles  et  y  fait  sa  demeure.  Or,  vous  le  savez, 
Dieu,  qui  est  partout,  est  en  chaque  chose  selon  sa  con- 
dition. La  condition  d'une  âme  divinisée  fait  qu'il  est  en 
elle  un  peu  à  la  façon  dont  II  est  en  Lui-même  :  Il  y  res- 
plendit, Il  y  prend  ses  délices...  Vous  le  savez  mieux  que 
je  ne  saurais  l'exprimer.  Continuez  donc  à  vous  prêter 
totalement  à  son  action;  faites  tout  ce  que  vous  savez 
Lui  plaire.  Ne  reculez  pas  devant  la  privation  de  sa  pro- 
fonde intimité  sentie,  quand  II  vous  demande  de  vous 
occuper  des  autres  et  quand  vous  vous  voyez  dans  un 
milieu,  même  chrétien,  qui  vous  paraît  étrangèT  parce 
qu'il  est  si  loin  de  son  idéal,  soyez  indulgente  et  ne  tirez 
de  là  d'autre  conclusion  que  de  dédommager  Celui  que 
l'on  traite  en  indifférent. 


XXXVII 

Médaille  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

J'ai  accueilli  avec  un  sourire  de  satisfaction  l'aveu  de 
votre  tristesse. 
'    Apres  les  grandes  grâces  qu'il  vous  a  faites,  Dieu  vous 


—  3(54  — 

envoie  la  grâce  de  l'humiliation  sensible.  Il  faut  l'en 
bénir.  Plus  nous  nous  sentirons  néant  et  impuissance,  plus 
nous  serons  touchés  des  bontés  de  Dieu  à  notre  égard. 
Sa  miséricorde  se  montre  à  nous  dans  un  éclat  plus  tou- 
chant. Nous  l'admirons  et  nous  l'aimons  davantage.  S'il 
arrive  que  l'on  attriste,  même  involontairement,  une 
personne  aimée,  on  éprouve  dans  son  cœur  quelque  chose 
de  plus  vif,  de  plus  tendre  à  son  égard,  et  l'on  regarde  de 
tous  côtés  pour  trouver  quelque  chose  qui  puisse  lui  être 
agréable.  Ne  vous  tourmentez  donc  pas,  on  ne  se  tour- 
mente pas  d'une  grâce.  Vous  n'avez  rien  refusé  à  Dieu, 
vous  avez  simplement  senti  -l'effet  d'une  cause  toute 
naturelle.  Dites-vous  qu'il  n'en  eût  peut-être  pas  été 
ainsi  chez  une  personne  très  parfaite,  et  désirez  paisi- 
blement qu'il  en  soit  un  jour  ainsi  pour  vous,  afin  que 
votre  Dieu  bien-aimé  soit  content,  à  la  bonne  heure! 
mais  gardez  toute  votre  liberté  filiale  auprès  de  Dieu. 
Que  la  tentation  dure  ou  non,  peu  importe.  Votre  volonté 
est  tout  entière  et  irrévocablement  fixée  en  Dieu  et  en 
son  bon  plaisir. 
Je  vous  bénis. 

XXXVIII 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

...  Marie  au  pied  de  la  Croix  a  connu  le  mélange  des 
sentiments  humains  et  des  sentiments  surnaturels.  Les 
premiers  ne  faisaient  que  rendre  plus  vifs  les  seconds, 
et  ces  derniers  répandaient  sur  les  autres  leur  beauté 
divine. 

11  en  sera  ainsi  de  vous  en  toutes  choses,  mais  particu- 
lièrement dans  la  nouvelle  épreuve  du  départ  de  votre 
fils. 

Vous  avez  déposé  ce  cher  enfant  entre  des  mains 
éminemment  paternelles.  Dien  a  fait  en  lui  des  merveilles 
et  il  m'est  arrivé  de  penser  à  ces  grandes  grâces  pu 
récitant    certain   verset  du    Magnifient.  Dieu  a   tant  fait 


—  365  — 

pour  vous   que   votre  confiance  n'a  qu'un  seul  moyen 
d'être  méritoire,  c'est  d'être  pénétrée  d'un  grand  amour. 
Je  vous  bénis. 

XXXIX 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Puisque  vous  avez  donné  votre  confiance  au  divin 
Maître,  je  comprendrais  mieux  le  silence  absolu  de  toute 
préférence.  Il  veut  le  plus  grand  bien  de  votre  cher  fils 
aussi  bien  pour  les  moindres  détails  que  pour  le  fonds. 
Laissez  aux  âmes  qui  sont  moins  entrées  en  Lui  les  désirs 
et  les  indications  qu'autorisent  assurément  les  promes- 
ses divines  et  qui  soutiennent  leur  piété.  Pour  vous, 
tenez-vous  en  le  plus  possible  à  ce  que  comporte  l'intime 
unité  de  son  âme  et  de  la  vôtre. 

Les  sentiments  de  votre  fils  sont  simplement  admira- 
bles !  il  marche  à  grands  pas  dans  la  voie  de  la  sainteté. 
Vous  n'aurez  pas  trop  de  l'éternité  pour  remercier  Dieu 
des  grâces  qu'il  vous  a  accordées  pour  cette  âme.  C'est 
une  œuvre  de  son  infinie  miséricorde  dont  la  raison  d'être 
est  principalement  dans  vos  prières  et  vos  larmes.  C'est 
aussi  de  sa  part  un  acte  de  profonde  et  délicate  amitié. 
Jamais  vous  ne  l'aimerez  assez  !...  Dieu  vous  a  honorée  de 
grandes  épreuves  et  vous  a  dédommagée  par  d'inesti- 
mables faveurs.  Il  ne  mettra  pas  plus  de  bornes  à  sa  bonté 
que  vous  à  votre  confiance... 


XL 


Madame  et  chère  fille  en  Noire-Seigneur, 

Excusez  mon  retard  à  vous  répondre  ;  depuis  quelques 
semaines,  une  congestion  du  cerveau  m'a  interdit  abso- 
lument foui  travail ej;  ue  me  permet  pas  trop  d'écrire  des 
lettres.  Je  sais  d'ailleurs  que  votre  âme  est  en  paix  sous 


—  366  — 

la  douce  influence  de  Jésus;  je  pense  que  l'Esprit-Saint 
vous  l'a  fait  ressentir  plus  vivement  encore,  car  son  rôle 
est  de  révéler  au  cœur  les  paroles  dites  à  tous.  Bien  peu 
d'âmes  y  sont  attentives.  C'est  une  grande  grâce  d'en- 
trer dans  cette  connaissance  intime  de  ce  qu'est  Jésus 
Homme  et  Dieu,  Jésus  vivant  en  nous,  Jésus  gouvernant 
son  Église  et  les  événements  de  ce  monde.  Nous,  pau- 
vres petites  créatures,  nous  sommes  unis  d'amitié  avec 
un  être  si  grand,  si  parfait.  Il  nous  révèle  le  fond  de  son 
cœur  et  II  nous  permet  de  prendre  ses  propres  sentiments, 
de  nous  en  pénétrer,  de  les  offrir  à  son  Père. 

Cette  vie  surnaturelle  n'empêche  pas  l'exercice  de  la 
vie  de  ce  monde.  Cet  amour  transcendant  n'éteint  pas 
l'affection  d'une  mère  :  votre  fils  tient  sa  bonne  place  dans 
votre  cœur  et  vous  apporte,  avec  des  consolations  incom- 
parables, de  dures  anxiétés.  Vous  êtes  avec  lui  au  milieu 
du  danger.  Je  demande  à  Dieu  de  vous  le  garder  et  de  le 
garder  pour  sa  gloire  en  ce  monde.  Il  peut  devenir  un  de 
ces  chrétiens  qui  rayonnent  et  attirent.  Mais,  laissons  à 
Dieu  toute  sa  liberté...  L'éternelle  réunion  est  tout. 

Je  ne  fais  rien  pour  Dieu  et  je  n'ai  à  Lui  offrir  que 
l'acceptation  filiale  de  l'inutilité  dans  laquelle  II  me 
tient.  Je  suis  en  paix.  Sa  volonté, est  ma  nourriture  et  son 
bon  plaisir  est  mon  seul  plaisir.  C'est  du  moins  ce  que  je 
veux  être... 


XLI 


Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Quelles  que  soient  les  épreuves  qui  vous  attendent,  je 
suis  en  paix  sur  l'état  de  votre  âme  .  Le  Dieu  qui  vous  les 
envoie  vient  avec  elles. 

L'acceptation  que  vous  donnez  aux  injustices  les  plus 
llagrantes  et  aux  humiliations  les  plus  révoltantes  sera 
un  honneur  pour  le  divin  Maître,  une  consolation  pour 
son  Cœur,  une  aide  pour  sa  Rédemption. 

Enfoncez-vous  dans  la  volonté  de  Dieu.  C'est  ellu  qu'il 


—  367  — 

faut  regarder  plus  que  les  choses  pénibles  !  Là,  tout  est 
sérénité. 

Vous  me  ferez  part  de  vos  peines,  puisque  Dieu  m'a 
fait  votre  père.  Je  les  sens  vivement  parce  que  votre 
âme  m'est  très  chère.  De  mon  côté,  je  les  offrirai  avec 
vous. 

Vous  pouvez  redire  avec  l'Apôtre  :  «  Et  nous,  nous 
avons  cru  à  l'amour  du  Christ  !  »  11  s'agit  dans  cette  excla- 
mation, non  d'une  simple  foi,  mais  d'une  foi  ardente  qui 
jette  l'âme  tout  entière  en  Jésus,  qui  la  rend  flère  d'être 
aimée  de  Lui  et  qui,  avec  Lui,  peut  braver  toute  crainte. 

Puisque  votre  cher  fils  est  parti  pour  le  danger,  je  l'y 
suis  avec  vous,  le  confiant,  comme  vous,  à  Celui  qui  sait 
mieux  que  nous  son  vrai  bien.  Son  immense  bonté  à 
votre  égard  vous  oblige  à  cet  abandon  absolu... 

Je  vous  bénis... 

XLII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Je  venais  d'écrire  les  quelques  mots  qui  précèdent 
qttand  m'arrive  votre  seconde  lettre,  et  avec  elle  la  nou- 
velle de  la  blessure  de  votre  fils.  Tout  fait  croire  qu'il 
est  bien  vivant,  les  blessures  aux  bras  n'étant  point  mor- 
telles; peut-être  est-il  prisonnier?  Vous  le  saurez  bientôt,  - 
et  il  me  tarde  d'en  être  informé,  car  je  partage  votre 
anxiété, 

Il  n'y  a  nulle  imperfection  à  demander  cette  guérison. 
Le  recours  à  Dieu  est  dans  l'ordre  naturel,  et  rien  dans 
l'ordre  surnaturel  ne  s'y  oppose.  Dieu  sait  bien  que  votre 
prière  est  subordonnée  à  son  bon  plaisir. 

Sous  l'impression  de  tant  d'incertitudes  cruelles,  votre 
confiance  en  Dieu  devient  plus  belle  et  plus  profonde  que 
jamais.  Elle  honore  sa  paternité  et  console  votre  cœur 
désolé. 

Ah  !  comme  nous  sentons  la  dureté  de  l'exil  !  niais 
comme  l'éternité  paraît,  désirable!  Quand  aurons-nous 
sa  paix  profonde  !  Quand  nous  trouverons-nous  en  face  de 

27 


—  368  — 

l'infinie  beauté!  dans  les  bras  d'une  tendresse  paternelle, 
infinie  !  Aimons  tout  ce  qui  nous  y  prépare... 
Je  vous  bénis... 

XLIII 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Pas  de  nouvelles!  Chaque  jour  j'attends  et  chaque 
jour  augmente  mon  anxiété...  Il  ne  faut  pourtant  pas 
désespérer... 

Je  connais  vos  sentiments  si  élevés,  si  pleins  d'aban- 
*don  à  Dieu  :  je  connais  aussi  votre  cœur  de  mère  :  une 
immense  douleur  peut  être  une  douleur  acceptée  avec 
amour.  C'est  bien  votre  cas.  Vous  avez  été  préparée  à  tou- 
tes les  épreuves,  et  la  grâce  les  a  toujours  surpassées... 
Que  voulons-nous  d'ailleurs  par-dessus  tout,  si  ce  n'est 
Dieu  et  l'éternité  pour  nous  et  pour  ceux  que  nous 
aimons  ! 

Quelle  mère  peut  envisager  la  mort  de  son  fils  avec  des 
certitudes  aussi  consolantes  que  vous  donne  la  merveil- 
leuse ascension  de  l'âme  de  votre  fils!... 

Mon  cœur  et  mes  prières  sont  avec  vous...  Je  vous  bénis. 


XLIV 

Madame  et  chère  tille  en  Notre-Seigneur, 

Nous  sommes  des. fils  de  l'éternité;  prenons-en  de  plus 
en  plus  les  sentiments.  C'est  là  que  nous  retrouverons  les 
nôtres  dans  les  splendeurs  de  l'Être  divin  - —  plus  de 
craintes,  plus  d'imperfections  —  et  cet  amour  surnaturel 
tant   désiré...  ! 

Que  cet  immense  désir  du  Bien  suprême  tempère  tous 
nos  autres  désirs...  Que  sont  pour  nous  et  pour  les  nôtres 
ces  misérables  années  qui  s'écoulent  dans  la  tristesse  du 
cœur  et  dans  la  médiocrité  de  l'amour!  Que  penserons- 
nous  dans  mille  siècles  de   nos  anxiétés  d'aujourd'hui? 


—  369  — 

Ah  !  que  nous  les  trouverons  belles  et  heureuses  parce 
que  leur  filiale  acceptation  nous  aura  valu  de  voir  plus 
avant  dans  l'Infini  et  d'être  aimé  d'un  amour  merveil- 
leusement accru!  jours  féconds,  jours  bénis...  où  il  est 
donné  à  de  petites  créatures  d'honorer  Dieu  par  une  con- 
fiance abandonnée  et  par  une  préférence  très  haute... 

Si  votre  fils  vous  est  rendu  dès  ici-bas,  c'est  que  Dieu  a 
des  desseins  sur  lui...  s'il  est  appelé  si  jeune  à  sa  demeure 
éternelle,  c'est  que  son  âme  a  déjà,  en  peu  de  temps, 
accompli  une  très  belle  destinée... 

Que  de  merveilles  en  ces  élans  vers  le  parfait,  en  ces 
humbles  repentirs!  ■ —  Des  jours  pleins  valent  mieux  que 
de  longues  années  aussi  vides  que  celles  de  la  plupart  des 
personnes.  Nul  ne  peut  calculer  la  valeur  des  actes  qui 
ont  pour  mesure  leur  intensité  et  leur  élévation  de  senti- 
ment. 

Que  la  mère  et  le  père  ne  se  reprochent  pas  leur  dou- 
leur, mais  qu'ils  la  divinisent. 

Je  vous  bénis... 

XLV 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Votre  union  à  la  volonté  de  Dieu  est  profondément 

douloureuse,  et  c'est  sa  gloire  :  elle  y  adhère  par  des 
blessures.  C'est  d'une  main  ensanglantée  que  vous  serrez 
la  main  que  Dieu  vous  tend.  Il  vous  aime  assez  pour  vous 
offrir  son  auguste  ressemblance  :  Il  a  livré  son  Fils 
unique  ! 

Si  la  sensibilité  n'était  point  là  pour  soulever  tous  les 
assauts  de  la  douleur,  votre  résignation  serait  moins 
haute;  elle  ressemblerait  moins  à  celle  de  notre  cher 
Sauveur,  elle  lui  serait  moins  associée,  elle  lui  donnerait 
moins  de  consolation.  Bénissez  la  douleur,  bénissez 
Celui  qui  vous  l'envoie. 

...  L'âme  qui  est  toute  à  Jésus  n'est  pas  la  mère  d'un 
seul  lits,  elle  dévient  celle  de  tous  les  enfants  de  Dieu-, 
C'est  pour  Dieu  avant  tout  que  l'on  aime  ceux  qui  nous 


—  370  — 

sont  naturellement  chers  et  jusqu'à  ceux  qui  nous  sont 
inconnus  et  que  Dieu  aime.  Soyez  autour  de  vous 
d'autant  plus  douce  et  attentive  que  vous  seriez  portée 
à  vous  replier  sur  votre  douleur.  Restez  debout  près  de  la 
Croix  de  votre  Sauveur.  La  douleur  ne  doit  pas  gêner 
l'exercice  des  vertus,  elle  doit  leur  ajouter'  sa  beauté 
touchante. 

Je  vous  bénis... 

XLVI 

Madame  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Combien  votre  cœur  maternel  a  dû  être  blessé  par  les 
détails  cruels  de  la  mort  de  votre  bien-aimé  fils  !  Et  cepen- 
dant vous  trouvez  plus  de  calme  dans  cette  certitude. 
Vous  ne  cherchez  plus,  vous  savez  !  Son  agonie  a  accru 
ses  mérites  et  la  mort  lui  a  ouvert  le  Ciel.  C'est  là  qu'il 
faut  le  contempler  et,  s'oubliant  soi-même,  se  réjouir 
de  son  bonheur.  Et  ce  bonheur,  il  vous  le  doit.  Quelle 
doit  être  sa  reconnaissance  !  et  que  seront  ses  prières 
pour  ses  parents  ! 

Je  vous  bénis. 


371  — 


SEIZIEME    SERIE 


Ma  vénérée  Mère  et  chère  Sœur, 

On  ne  fait  pas  toujours  ce  qu'on  préfère.  Vous  en 
jugerez  par  le  retard  de  ce  petit  mot!  J'ai  été  très  pris 
et  j'en  ai  subi  des  jours  de  grande  fatigue,  sans  que  cela 
aille  à  la  maladie.  La  saison  actuelle  m'est  toujours  dure 
et  la  situation  de  l'Église  pèse  lourdement  sur  le  cœur. 
Je  vois  en  noir  tout  l'avenir  que  peut  atteindre  notre 
prévoyance,  très  courte,  il  est  vrai.  Le  monde  s'éloigne 
de  la  religion  et  s'en  éloignera,  je  le  crois,  toujours  davan- 
tage à  mesure  que  les  distractions  deviendront  plus  nom- 
breuses et  plus  faciles,  grâce  à  tous  les  progrès  maté- 
riels. Autrefois,  l'Église  et  ses  cérémonies  remplissaient  le 
dimanche.  Le  dimanche  aujourd'hui  a  d'autres  attrac- 
tions au  dehors,  même  dans  les  campagnes.  Le  mouve- 
ment est  devenu  si  intense  qu'il  empêche  de  s'arrêter 
aux  idées  sérieuses.  Par  les  journaux,  que  tout  le  monde 
lit,  chacun  vit  dans  tout  l'univers...  et  dans  les  rêveries 
des  feuilletons. 

Que  sera-ce  quand  les  jeunes  fdles  recevront  forcément 
l'instruction  donnée  aux  jeunes  gens,  sinon  dans  son 
étendue,  du  moins  dans  son  esprit?  La  suppression  des 
communautés  enseignantes,  surtout  de  celles  qui  se  rap- 
prochent de  la  vie  cloîtrée,  fera  baisser  le  niveau  de 
l'élévation  surnaturelle.  Il  faudrait  qu'à  leur  place  surgît 
une  pléiade  de  personnes  très  généreuses,  bien  formées, 
se  dévouant  à  cette  œuvre. 


372 


II 


Ma  chère  et  vénérée  Mère, 

Rien  ne  peut  m'être  plus  précieux  que  votre  bon  sou: 
venir,  vos  vœux  et  vos  prières.  Merci  de  me  conserver 
tout  cela.  Je  me  sens  bien  atteint  et  c'est  de  près  que  je 
considère  maintenant  le  passage  de  cette  vie  bien  pauvre, 
bien  obscure,  à  une  vie  où  l'on  voit  Dieu  et  où  on  le 
possède  !  Je  n'ose  pourtant  rien  désirer,  encore  moins 
rien  demander.  Quelques  personnes  paraissent  avoir 
besoin  de  moi,  et  moi-même,  je  me  sens  attaché  à  plu- 
sieurs par  des  liens  bien  forts.  Je  me  crois  cependant  tout 
à  fait  en  paix,  à  la  disposition  du  bon  Maître. 

Oui,  j'achève  ce  livre  que  j'aurais  beaucoup  tenu  à  vous 
soumettre,  vous  m'auriez  certainement  fait  d'utiles  obser- 
vations. Les  circonstances  ne  l'ont  pas  permis,  j'espère 
que  vous  pourrez  le  juger  bientôt.  Puisse-t-il  réaliser  1<; 
bien  que  je  ne  puis  faire  par  le  ministère  ! 

Que  Dieu  soutienne  vos  forces!  N'abusez  pas  de  celles 
qu'il  vous  donne;  ne  vous  laissez  pas  surmener  par 
l'exercice  du  bien,  afin  de  pouvoir  le  continuer  longtemps 
encore  :  la  moisson  est  grande,  mais  les  ouvriers,  capa- 
bles de  la  recueillir,  sont  en  bien  petit  nombre. 


III 

Ma  chère  et  vénérée  Mère, 

Je  vous'envoie  des  épreuves  par  ce  même  courrier.  Elles 
forment  le  tiers  de  la  troisième  partie.  En  les  revoyant, 
je  les  trouve  un  peu  compliquées,  et  je  me  demande  s'il 
ne  vaudrait  pas  mieux  supprimer  tel  et  tel  passage.  Mon 
livre  sera  assez  considérable,  même  avec  ces  retranche- 
ments. Vous  me  ferez  un  grand  plaisir  en  me  disant 
votre  pensée  à  cet  égard,  et  surtout  en  me  désignant 
ce  qui  vous  paraît  devoir  être  peu  compris  ou  peu  goûté. 


—  373  — 

Heureusement,  ce  qui  viendra  à  la  suite  est  beaucoup 
moins  didactique.  Je  vous  prie  d'agir  librement;  l'idée 
ne  me  viendrait  pas  de  mettre  le  moindre  amour-propre 
d'auteur  dans  une  œuvre  écrite   pour  faire  du  bien. 


IV 

Ma  chère  et  vénérée  Mère, 

Il  me  serait  trop  pénible  d'obéir  au  désir  que  vous 
m'exprimez  de  ne  pas  recevoir  de  réponse.  Cette  réponse 
me  prendra  bien  peu  de  temps  et  n'usera  aucune  force 
parce  qu'elle  vient  toute  seule.  Il  m'est  très  doux  de 
savoir  que  vous  priez  pour%moi  avec  affection,  et  de  sen- 
tir que  nos  âmes  sont  unies  par  des  liens  profonds.  Le 
ciel  nous  donnera  la  joie  dé  les  voir  consacrés. 

Je  continue  à  faire  la  seule  chose  que  j'aie  su  faire  : 
souffrir.  Actuellement,  c'est  par  l'éloignement  de  mon 
ministère  et  par  quelques  douleurs  physiques  ;  habi- 
tuellement c'est  par  le  sentiment  de  l'exil. 

J'ai  reçu  parfois  des  lettres  d'âmes  inconnues  me  disant 
que  je  leur  avais  fait  du  bien  dans  mes  petits  livres. 
Vous  ne  sauriez  croire  combien  cela  console  d'une  vie 
sans  grande  utilité... 

...  Je  n'ose  vous  souhaiter  ici-bas  un  bonheur  quelcon- 
que. Vous  êtes  trop  engagée  dans  les  œuvres  pour  n'en 
pas  sentir  les  mille  tourments,  et  votre  nature  est  trop 
sensible  pour  n'avoir  pas  à  gémir  souvent  des  insuffi- 
sances de  ce  monde  ! 

Soyez  donc  une  sainte  pour  être  heureuse  plus  tard  ! 


V 

Ma  chère  et  vénérée  Mère, 

Si  j'ai  retardé  ma  réponse  à  votre  bonne  lettre,  c'est 
que  je  tenais  à  la  faire  dans  un'moment  moins  agité  par 


_  374  — 

les  visiios  et  la  correspondance  du  jour  de  l'an.  Ai-je 
besoin  de  vous  dire  que  le  temps  que  vous  avez  bien  voulu 
me  consacrer  m'a  paru  hop  court!  J'aime  tant  aborder 
certains  sujets  religieux  qui  n'intéressent  que  de  rares 

esprits  !  Sans  doute,  à  remuer  certaines  questions,  il  y  a 
le  danger  de  préoccupations  intellectuelles,  mais,  plus 
nous  allons,  plus  ces  questions  sont  jetées  dans  le  public, 
et  il  est  bon  que  certaines  personnes  soient  en  état  de 
calmer  les  troubles  qui  s'élèvent  nécessairement  dans  les 
âmes  surprises  sans  préparation.  Ne  vous  étonnez  donc 
pas  d'éprouver  vous-même  quelque  atteinte  de  l'épidé- 
mie de  notre  temps.  Dieu  le  permet  pour  développer 
votre  aptitude  à  rassurer  les  autres.  Il  se  fait  un  grand 
travail  d'élimination  et  de  consolidation  dans  certaines 
parties  de  notre  enseignement,  comme  il  se  fait  une 
reconstitution  de  la  forme  nouvelle  imposée  par  la 
Séparation.  Si  l'Église  ne  fait  pas  la  conquête  des  masses, 
du  moins  dans  un  avenir  rapproché,  elle  conserve,  et  elle 
seule,  lés  principes  qui  sont  nécessaires  à  la  vie  privée  et 
à  la  vie  sociale.  L'avenir  est  à  elle,  à  quel  moment?  rien 
ne  le  fait  prévoir.  Réjouissons-nous  d'être  dans  cette 
Église  qui  porte  les  destinées  du  'monde  et  nous  fait  une 
petite  place  dans  son  sein. 

Gardez-vous  bien  surtout  de  vous  croire  coupable  de 
ces  bourdonnements  d'oreilles  que  vous  donnent  toutes 
ces  foules  d'idées  en  mouvement. 

Acceptez  aussi  avec  une  grande  paix  les  sécheresses 
qui  sont  l'épreuve  fréquente  des  âmes  en  ce  monde.  Ce 
n'est  pas  le  temps  de  jouir  de  Dieu  même  de  cette  façon. 
La  vie  est  surtout  un  exil,  une  épreuve.  «  Notre  mouve- 
ment vers  Dieu  se  fait  par  le  gémissement  et  par  le 
désir  »,  selon  la  parole  de  saint  Augustin.  Les  senti- 
ments sont  toujours  à  notre  portée.  Entreten,ons-les 
sans  tristesse. 


—  375  — 


VI 


Ma  vénérée  Mère, 

Je  suis  bien  affligé  de  vous  savoir  toujours  souffrante; 
vous  ne  pouvez  vous  dévouer  autant  que  vous  le  voudriez. 
Vous  le  faites,  il  est  vrai,  trop  sans  doute,  mais  à  vos 
dépens  !  Durant  une  maladie  chronique,  on  perd  le  goût 
de  bien  des  choses,  et  quelquefois  celui  de  Dieu  même 
devient  moins  sensible.  Des  ennuis,  des  répulsions  s'élè- 
vent, que  l'on  désavoue,  mais  dont  on  reste  imprégné 
malgré  soi...  Eh  bien  !  ma  chère  Soeur,  c'est  la  Croix  avec 
sa  rudesse,  celle  de  Jésus  fut  ainsi.  Prenons  l'habitude 
de  ne  pas  juger  notre  amour  pour  Dieu  par  ce  que  nous 
sentons  ou  exprimons.  Il  est  dans  la  plénitude  de 
l'acceptation,  et  dans  la  volonté  de  faire  toujours  et  en 
tout  ce  que  nous  savons  Lui  être  le  plus  agréable. 


VII 

Ma  vénérée  Mère, 

Votre  souvenir  m'est  toujours  une  consolation  et  vos 
prières  me  sont  une  espérance.  L'huile  s'épuise  dans 
la  lampe;  cette  année  elle  a  failli  manquer  tout  à  fait,  et 
elle  ne  me  permet  d'émettre  qu'une  bien  petite  lumière  : 
plus  de  ministère  extérieur,  et  des  heures  de  travail  très 
rares.  Reste  la  vie  de  souffrance;  mais  sous  ce  rapport, 
Dieu  m'épargne;  ce  que  j'ai  à  Lui  offrir  par  là  est  sans 
grande  valeur;  ma  vie  est  encore  trop  douce,  quoique 
parfois  elle  paraisse  triste.  Tout  mon  mérite,  et  il  n'est 
pas  grand,  consiste  en  ce  que  je  m'enferme  dans  la 
volonté  de  Dieu,  quelle  qu'elle  soit,  et  que  je  ne  désire 
pas  autre  chose.  La  raison  suffirait  à  dicter  cette  conduite; 
je  tâche  d'y  mettre  un  peu  d'amour.  Demandez  que  j'y 
en  mette  beaucoup,  et  du  meilleur. 

...   Je  demande   particulièrement   à   Dieu   qu'il  Vous 


—  376  — 

donne  une  paix  profonde  et  douce,  un  vrai  repos  sur  son 
Cœur,  comme  II  lit  pour  sainl  Jean...  Dieu  est  le  Père 
des  pauvres  qui  se  reconnaissent  tels.  " II  faut  se  croire 
aimé  de  Lui,  tel  qu'on  est.  Cela  Lui  l'ait  honneur  et  nous 
donne  du  courage. 

VIII 

Ma  chère  et  vénérée  Mère, 

Si  je  viens  bien  tard  vous  remercier  de  vos  bons  vœux 
et  des  sentiments  si  touchants  que  vous  m'exprimiez 
par  votre  lettre  déjà  ancienne,  c'est  la  faute  du  bon  Dieu 
qui  m'a  retenu  malade.  Vous  ne  lui  en  ferez  pas  de  repro- 
ches, car  il  a  été  bien  bon  de  m'envoyer  la  seule  chose 
que  j'aie  apprise  assez  bien  et  d'assez  bon  cœur. 

Ne  voyant  en  tout  que  sa  volonté,  je  ne  m'attriste  pas 
trop,  même  de  ne  pouvoir  dire  la  sainte  messe,  ni  travail- 
ler utilement.  C'est  bien  le  moins  que  je  m'applique  à 
faire  ce  que  je  demande  aux  autres.  La  nature  parfois 
voudrait  s'attrister,  je  proteste  et  je  laisse  passer  le 
nuage. 

Je  remercie  Dieu  de  ce  qu'il  vous  laisse  assez  de  santé 
pour  rendre  d'éminents  services  à  l'œuvre  que  vous 
aimez.  S'il  vous  fait  payer  cher  cette  grâce,  ne  vous  en 
plaignez  pas  :  elle  aide  à  faire  vivre  une  société  appelée 
à  défendre  et  à  maintenir,  par  la  ferveur,  l'esprit  de  foi 
qu'on  tend  de  plus  en  plus  à  lui  arracher.  Si  donc  vos 
occupations  et  vos  soucis  vous  enlèvent  la  joie  de  vivre 
une  vie  intérieure  très  intime,  ne  vous  troublez  pas  : 
la  condition  de  votre  vie  surmenée  s'y  oppose,  et  ce 
serait  miracle  si  vous  étiez  unie  de  pensée  à  Dieu  comme 
si  vous  étiez  dans  la  solitude.  Dieu  vous  demande  actuel- 
lement de  le  servir  «  à  tous  vos  dépens  ».  Acceptez  donc 
le  sacrifice  d'être  moins  près  de  Lui,  en  travaillant  plus 
pour  Lui.  Conservez  toujours  un  cœur  dilaté. 

Continuez-moi  le  secours  de  vos  prières  et  croyez 
toujours,  ma  chère-et  vénérée  Mère,  à  mon  respectueux 
attachement  en  Jésus. 


—  377 


IX 


Ma  chère  et  vénérée  Mère, 

Je  ne  voulais  pas  vous  écrire  une  lettre  courte  et 
banale,  qui  ne  répondrait  pas  du  tout  aux  sentiments 
de  respectueuse  affection  qui  lie  mon  âme  à  la  vôtre  : 
je  m'y  vois  contraint,  sous  peine  de  tomber  complète- 
ment en  faillite.  Recevez  donc,  avec  mes  vœux  de  nouvel 
an,  tous  les  regrets  de  la  privation  que  je  m'impose.  Je 
tiens  pourtant  à  vous  dire  que  je  demande  pour  vous 
à  Dieu  une  grande  paix  intérieure,  à  travers  laquelle 
vous  verrez  et  sentirez  Dieu, davantage.  Que  cette  paix 
ne  règne  que  dans  les  hauteurs,  ou  qu'elle  s'étende  aux 
impressions  elles-mêmes,  c'est,  ce  qu'il  faut  laisser  au 
choix  du  Maître.  Ne  cherchons  dans  la  paix  que  la 
liberté  d'aimer  davantage  et  de  nous  dévouer  plus  effi- 
cacement. 

Souvent  l'impression  de  crainte  n'est  plus  qu'une 
habitude  qui  agit  malgré  nous  et  dont  il  ne  faut  tenir 
aucun  compte. 

Un  des  meilleurs  moyens  de  vivre  au-dessus  d'elle, 
c'est  de  vivre  beaucoup  en  Dieu  et  d'oser  aimer  comme 
si  l'on  avait  une  âme  de  saint.  Dieu  pourrait-il  donc 
s'en  plaindre?    • 

-  Cultivez  l'attrait  qui  vous  fait  voir  dans  l'action  de 
la  grâce  l'action  même  de  Jésus.  Il  n'y  a  pas  une  de  vos 
bonnes  pensées,  il  n'y  a  pas  non  plus  une  seule  de  vos 
prières  qui  n'ait  commencé  dans  l'âme  de  Jésus,  passé 
par  son  Cœur,  et  descendu  sur  vous  par  ses'  prières. 
Une  fois  en  vous,  elles  sont  suivies  par  ses  regards,  et 
une  fois  bien  accomplies,  les  voilà  qui  sont  entrées  dans 
son  Corps  mystique.  Vivre  de  Jésus  et  Le  faire  vivre 
ogt  une  réalité  fondamentale,  elle  est  très  mystérieuse 
comme  tout  ce  qui  touche  à  la  vie,  même  chez  les  plantes. 
Demandez  pour  moi  cette  grâce  que  je  sollicite  depuis 
bien  des  années  et  qui  me  rendrait  bien  meilleur. 


378  — 


X 


Ma  vénérée  Mère  et  chère  fille  en  Noire-Seigneur, 

Je  viens  de  lire  votre  si  bonne  lettre,  et,  laissant  de 
côté  tout  un  gros  paquet  de  réponses  à  faire,  je  me 
donne  la  joie  de  vous  écrire.  N'est-ce  pas  d'ailleurs  un 
devoir?  La  sainte  amitié  dont  vous  m'honorez  ne  crée- 
t-elle  pas  des  droits  qui  passent  les  premiers  dans  l'ordre 
même  de  la  charité?  Et  puis,  moi  aussi,  j'ai  pensé  si 
souvent  à  vos  souffrances,  aux  .souffrances  physiques, 
et  à  celle,  plus  douloureuse,  que  développe  la  fatigue 
jointe  à  l'inaction  !  Nous  savons  cela  l'un  et  l'autre, 
n'est-ce  pas  :  eh  bien  !  cela  même  est  bien,  cela  même 
est  bon,  tout  en  restant,  chose  très  humble.  On  n'est 
pas  fier  de  soi,  de  ce  qu'on  fait,  de  ce  qu'on  est  !  Et 
comme  on  veut  quand  même  aller  à  Dieu  et  bien  avant, 
on  se  met  à  comprendre  la  bonté  divine,  inépuisable, 
paternelle,  rassurante,  ne  se  lassant  jamais  de  l'âme  qui 
veut  être  son  enfant.  Il  n'y  a  aucun  danger  à  s'épanouir 
dans  la  miséricorde;  il  n'y  a  ni  présomption,  ni  orgueil, 
puisque  c'est,  l'hospice  de  la  misère,  mais  chez  un  Père, 
ce  qui  relève  la  chose  ! 

Il  est  même  excellent  de  se  sentir  bien  pauvre,  bien 
peu  agissant,  et  de  ne  trouver  en  ces  sentiments  eux- 
mêmes  rien  de  bien  conscient  :  on  n'apporte  rien,  et  l'on 
ne  sait  rien  dire  !  Et  quand  on  pense  qu'on  est  aimé 
quand  même,  qu'on  est  compris  ou  plutôt  deviné,  car  au 
fond  on  aime,  la  joie  est  grande  toujours  dans  ce  fond 
qui  cache  bien  des  grâces,  et  peut-être  quelques  dispo- 
sitions généreuses. 

Je  ne  cesserai  jamais  de  vous  prêcher  la  dilatation. 
Elle  n'est  pas  votre  voie,  mais  elle  doit  être  votre  objectif. 
Efforcez-vous  de  l'atteindre,  et  résignez-vous  à  n'en  pas 
jouir,  si  Dieu  le  préfère,  au  moins  pour  un  temps.  Mais 
c'est  Lui  seul  qui  a  le  droit  de  vous  en  priver.  De  vous- 
même,  vous  devez  y  tendre. 


379  — 


XI 


Ma  vénérée  Mère, 

Offrons  nos  souffrances  et  nos  impuissances,  elles  peu- 
vent devenir  dans  la  main  de  Dieu  des  germes  de  grâce, 
elles  sont  sûrement  une  consolation  pour  le  Sacré-Cœur 
qui  aime  à  être  plaint.  Or  c'est  bien  avec  Lui  et  pour  Lui 
que  nous  souffrons,  dans  la  situation  qui  Lui  est  faite, 
les  déceptions  qui  l'atteignent  de  tous  les  côtés.  Gardez- 
vous  bien  d'appauvrir  cette  puissance  de  consolation 
en  laissant  votre  âme  se  resserrer  sous  l'impression  d'une 
crainte  de  conscience.  Fuyez  tout  ce  qui  est  personnel, 
même  jusqu'à  la  responsabilité,  j'ose  dire,  afin  que  toute 
votre  âme  soit  uniquement  compatissante  à  Jésus.  Par- 
lez-lui comme  ferait  une  sainte;  si  nous  ne  sommes  pas 
saints,  Lui  n'en  mérite  pas  moins  d'être  aimé  au  degré 
où  l'aimaient  les  Saints  :  il  faut  de  la  hardiesse  dans 
l'amour. 


XII 

Ma  vénérée  Mère  et  chère  fille  en  Notre-Seigneur, 

Merci  de  votre  souvenir  et  de  vos  vœux  !  Votre  âme  est 
une  de  celles  dont  je  peux  recevoir  le  plus  de  joie  et  le 
plus  de  bien.  Vous  êtes  à  Notre-Seigneur  par  le.  fond  des 
choses.  Vous  allez  à  Lui  directement,  et  vous  ne  voyez 
rien  en  dehors  de  Lui.  Bien  plus,  vous  vous  appliquez  à 
Le  faire  vivre  en  vous,  en  vous  effaçant,  et  en  Le  consul- 
tant dans  le  silence.  Vous  avez  trouvé  la  source  de  vie 
et  vous  en  avez  dirigé  les  douces  eaux  vers  votre  cœur 
bien  préparé...  Oui,  bien  préparé,  car  la  douleur  l'a 
profondément  remué,  et  ne  cesse  sans  doute  de  le  secouer 
encore...  Ayez  confiance  !  Soyez  fidèle  envers  Celui  qui 
est  la  Bonté  dans  un  cœur  de  Père  et  d'Époux  :  le  Père 
a  l'indulgence,  l'Epoux  n'exig<'  qui:  d'être  aimé;  Il  tolé- 
rerait  au   besoin   des   imperfections   nombreuses.    Vous 


—  380   — 

n'en  gardez  pas  de  volontaires.  —  Dilatez-vous  donc,  il 
en  est  temps,  si  vous  voulez  donner  à  Dieu  tout  ce  que 
contient  votre  cœur.  Vous  êtes  comme  ces  chanteurs  qui 
ont  une  belle  voix,  mais  qui,  par  timidité,  la  retiennent. 
C'est  dommage  pour  les  autres,  et  pénible  pour  eux. 
La  confiance  n'est  pas  seulement  une  habitude  heureuse 
dont  on  jouit,  elle  est  une  vertu,  et,  comme  telle,  une 
aide  à  l'amour  divin.  Toutes  les  vertus  ont  ce  rôle  géné- 
ral de  défendre  ou  d'exciter  un  noble  et  royal  sentiment. 
La  confiance  écarte  la  crainte  qui  paralyse  son  essor, 
comme  son  expression.  Il  faut  avoir  confiance  par  obéis- 
sance, quand  on  n'y  est  pas.  porté  par  conviction,  mais 
il  faut  que  cette  obéissance  commande  à  fond  la  confiance, 
de  façon  qu'elle  s'ouvre  aussitôt,  et  qu'elle  s'élance  aussi 
haut.  Faites  place  à  l'amour  divin.  Je  n'ai  pas  d'autres 
vœux  à  former  pour  vous,  car  celui-là  les  renferme  tous. 
J'y  joins  cependant  celui  d'une  santé  meilleure,  et  aussi 
de  quelques  consolations  du  côté  de  votre  œuvre  admi- 
rable... 


DIX-SEPTIEME    SERIE 


M;t  bien  chère  enfant, 

\  otre  lettre  sent  l'exil;  elle  est  pleine  de  cette  tristesse 
vague  que  donnent  les  horizons  trop  vastes  de  l'inconnu, 
iiiiiniic  au  désert.  Heureusement  une  voix  s'est  fait  entsn- 
dre  :  «  Venez  à  moi,  vous  qui  portez  le  poids  delà  vie,  el 
je  vous  referai  un  nouveau  courage.  »  Peut-être  Dieu 
a-t-IÏ  eu  pour  dessein  spécial  de  vous  prendre  à  Lui  tout 


—  381  — 

seul  et  pour  espoir  de  vous  voir  vous  suffire  de  Lui.  Qu'il 
vous  suffise  par  le  contentement  ou  par  le  choix  tout 
seul,  c'est  chose  indifférente  en  soi,  mais  non  indiffé- 
rente à  notre  gré.  Quand  Dieu  remplit  l'âme  d'un  senti- 
ment de  consolation,  tout  vit,  tout  resplendit.  Quand  11 
nous  laisse  aux  prises  avec  l'ennui  accepté,  avec  la 
souffrance  intérieure  résignée,  nous  nous  persuadons  que 
tout  est  perdu,  que,  du  moins,  tout  est  changé.  Il  n'en 
est  rien,  c'est  la  surface  seulement  qui  est  atteinte;  la 
lumière  prête  sa  beauté  à  la  nature,  mais  la  nature  sans 
lumière  est  bien  la  même,  et  le  jour  ne  lui  ajoute  que  la 
possibilité  de  nous  charmer;  au  dedans  d'elle-même,  elle 
est  aussi  féconde,  aussi  active  durant  la  nuit. 

Cherchez  donc  votre  Dieu,  aimez  sa  volonté  jusqu'à  la 
privation  de  toute  joie,  même  spirituelle,  soyez  fidèle 
à  toute  indication  de  ses  désirs. 

Puisqu'il  faut  être  en  pension,  aimez  à  être  en  pension; 
puisqu'il  faut  faire  de  l'anglais,  négligez  votre  cher 
français;  au  milieu  de  tout  cela,  cherchez  à  aimer  Celui 
à  qui  vous  vous  êtes  librement  donnée. 

Voyez  ce  qu'est  la  vie  !  Nous  croyons  mettre  la  main 
sur  une  satisfaction  légitime,  nous  la  touchons,  déjà  elle 
nous  échappe  :  Dieu  seul  ne  manque  jamais. 


II 

Ma  chère  enfant, 

Que  penseriez- vous  si  un  ange  vous  disait  de  la  part  de 
Dieu  que  vous  n'êtes  qu'à  la  première  étape  de  la  peine... 

Vous  penseriez  tout  d'abord  que  décidément  la  vie  est 
bien  triste...  puis,  en  réfléchissant  vous  verriez  surgir  et 
s'imposer  cette  autre  vue  :  la  vie  est  une  épreuve...  Se 
dégageant  encore,  cette  pensée  vous  montrerait,  dans  la 
peine  qui  çlevient  éprouve,  le  principe  de  notre  grandeur, 
parce  que  l'épreuve  est  le  champ  de  bataille  de  la  vertu. 

Et  par-dessus  toutes  ces  considérations,  ma  chère 
enfant,  je  désire  que  vous  vous  arrêtiez  à  une  vue  plus 


-,.-■ 


,—  382  — 

simple,  celle  de  Dieu  vous  conduisant  par  la  main.  A 
quoi  bon  tant  philosopher,  tant  prévoir,  tant  craindre  ou 
espérer,  quand  il  y  a  mieux  à  faire  :  s'abandonner  avec 
une  absolue  confiance.  «  Il  arrive  ce  que  mon  Dieu  qui 
m'aime  a  réglé  de  toute  éternité;  oh!  que  ce  doit  être 
bon  et  admirable  et  que  m'importe  si  c'est  au  milieu  des 
ténèbres  que  je  le  vois,  que  m'importe  même  si  le  bien 
m'arrive  sous  l'enveloppe  de  maux  apparents  !  Je  veux 
tout  ce  que  Dieu  veut  et  j'aime  tout  ce  qui  me  vient  de 
Lui.  » 

III 

Ma  bien  chère  enfant, 

Vos  lettres  sont  désormais  des  lettres  de  printemps,  et 
celui  que  Dieu  sème  dans  les  âmes  n'a  pas  de  moins  chauds 
rayons  ni  de  moins  charmantes  éclosions.  Qui  vous  eût 
dit  que  vous  aimiez  tant  votre  vocation  et  ce  doux  passé 
où  elle  a  pris  ses  ailes  avides  d'espace  !  La  séparation  ne 
crée  pas  les  sentiments,  elle  les  montre  ou,  pour  mieux 
dire,  elle  les  fait  s'épanouir... 

Vous  vous  abandonnerez  si  complètement  à  l'action  de 
Dieu  que  tout  vous  poussera  en  avant,  les  joies  et  b\s 
souffrances,  les  consolations  et  les  délaissements,  l'affec- 
tion des  créatures  et  les  déceptions  qu'elles  causent  par- 
fois. Quand  on  est  complètement  saisi  par  l'amour  de 
Dieu,  c'est  pour  l'âme  un  ciel  nouveau.  Les  révélations 
des  choses  que  l'on  savait  se  multiplient.  On  se  fait  l'effet 
d'un  aveugle  qui  a  reçu  des  yeux.  Chaque  objet  attire 
et  retient,  étonne  et  charme.  On  se  sent  un  cœur  que  l'on 
ne  se  connaissait  pas,  et  le  monde  ne  paraît  pas  si  vaste 
qu'on  ne  puisse  l'étreindre  dans  sa  charité.  Qu'il  est  bon 
de  se  perdre  dans  ce  sentiment  de  Dieu  et  de  s'y  oublier 
toujours  !... 

On  ne  meurt  pas  au  printemps,  ce  serait  trop  beau  ! 
On  voit  le  ciel  se  couvrir  de,  nuages  errants.  On  sent 
s'élever  des  vents  froids,  les  fleurs  tombent,  mais  à  la 
place  où  elles  furent,  se  présente  un   petit  fruit  qui  va 


—  383  — 

grandissant  sous  la  pluie  et  le  soleil...  Ce  fruit  mûr  tom- 
bera un  jour  sur  la  terre,  il  y  sera  caché  par  des  feuilles, 
peut-être  foulé  aux  pieds,  il  semblera  bien  mort  et  dans 
sa  mort  la  vie  travaillera  au  contraire  à  se  multiplier. 
Puisse  votre  maturité  être,  féconde  et,  en  attendant, 
puisse  votre  printemps  être  bien  doux  ! 

A  toujours  sur  la  terre  et  au  ciel. 

Votre  respectueusement  affectionné  en  Notre-Seigneur. 


IV 

Ma  chère  enfant, 

Saint  Paul  disait  :  «  Je  n'ai  pas  de  joie  plus  grande  que 
celle  de  savoir  mes  enfants  dans  le  chemin  de  la  vérité.  » 
Cette  joie  est  la  mienne  à  voire  égard. 

Toute  votre  lettre  respire  la  paix  et  le  contentement. 
C'est  donc  l'action  de  Dieu  qui  vous  conduit.  Les  sacri- 
fices de  la  vie  religieuse  sont  à  peine  sentis  quand  on  est 
favorisée  comme  vous  l'êtes.  J'aime  bien  votre  offrande 
totale  pour  tout  ce  qu'il  plaira  au  divin  Maître  de  vous 
faire  souffrir,  car  j'espère  bien  qu'il  ne  vous  oubliera  pas 
dans  la  distribution  des  plus  nobles  reliques  qu'il  y  ait 
au  monde,  celles  de  la  Croix.  Habituez-vous  à  les  aimer 
en  aimant  Celui  qui  voulut  y  mourir.  Désirez  lui  offrir, 
vous  aussi,  cette  preuve  de  l'amour.  Quand  on  quitte  le 
monde,  on  ne  doit  garder  aucun  de  ses  goûts,  le  goût  de 
la  souffrance  y  est  étranger.  Il  doit  être  le  vôtre;  ces 
goûts  de  bien-être,  de  curiosité,  d'estime  particulière, 
d'attachement  même,  doivent  être  immolés  en  vous.  S'ils 
revivent,  tant  mieux,  il  y  aura  de  plus  nombreuses  immo- 
lations, voilà  tout. 

Le  glaive  qui  les  accomplit  le  plus  saintement,  le  plus 
efficacement,  le  plus  délicieusement,  c'est  l'ardent  amour 
pour  Notre-Seigneur. 

Les  prêtres  de  Baal  au  temps  d'Élie  ne  purent  pas  par 
leurs  clameurs  faire  descendre  le  feu  du  ciel  sur  leur 
sacrifice,  qui  resta  intact.  Le  prophète,  puissant  par  sa 

28 


—  384  — 

prière,  commande  au  ciel  même,  et  de  ces  victimes  il  ne 
reste  que  de  la  cendre.  L'amour  de  Notre-Seigneur  produit 
les  mêmes  effets  :  il  ne  reste  rien  de  ce  qu'on  doit  lui 
immoler. 

Je  me  souviens  avec  bonheur  de  l'attention  émue  avec 
laquelle  vous  suiviez  les  conférences  qui  développaient 
à  vos  yeux  les  sentiments  et  la  vie  de  notre  Sauveur 
adoré.  C'étaient  les  premières  impressions  vives  et  domi- 
natrices qui  naissaient  dans  votre  âme  et  qui  la  subju- 
guaient en  devenant  les  seules  !  Vous  ne  sauriez  trop 
remercier  Dieu  de  cette  grâce. 


Ma  chère  enfant, 

Mes  vœux  à  votre  égard  sont  en  train  de  s'accomplir 
et  je  n'ai  à  vous  souhaiter  que  leur  parfaite  réalisation. 
Être  l'épouse  de  Notre-Seigneur  !  —  Vouloir  être  digne  de 
cet  honneur  !  —  Le  vouloir  pratiquement  !  —  Persévérer 
dans  ce  vouloir  suprême  et  dominateur,  malgré  l'entraî- 
nement des  occupations...  voilà  ce  que  je  demande  pour 
vous. 

Le  désir  et  la  prière  sont  les  deux  ailes  de  l'avancement. 
Une  âme  doit  désirer  toujours  connaître  beaucoup  mieux 
Notre-Seigneur,  ses  volontés,  ses  préférences,  ce  qui  peut 
l'en  faire  aimer.  Sentant  son  ignorance  de  ces  choses  et 
son  peu  de  force,  elle  prie  du  fond  du  cœur,  elle  prie  sans 
cesse,  elle  ne  se  décourage,  ni  ne  s'attriste,  mais  elle 
désire  toujours  et  elle  prie  toujours,  qu'elle  soit  fervente, 
ou  qu'elle  soit  inerte  de  sentiments. 

Le  désir  creuse,  et  trouve.  Le  désir  fait  jaillir  en  nous 
des  lumières  inattendues,  il  emploie  toutes  les  ressources 
latentes  de  notre  être;  il  est  cet  être  lui-même  en  mou- 
vement. Or,  quand  notre  être  tout  entier  s'élève  au-dessus 
de  lui-même  et  tend  à  Dieu,  Dieu  le  prend  par  la  main 
et  l'élève  vers  Lui. 

Ne  vous  résignez  pas,  ma  chère  enfant,  à  être  jamais 


—  385  — 

médiocre  en  ferveur  et  en  dévouement.  N'accueillez 
jamais  une  imperfection  sous  prétexte  qu'imperfection 
n'est  pas  péché.  Soyez  délicate  envers  Celui  de  qui  vous 
voulez  l'amour.  Souffrez  à  la  seule  pensée  de  le  contrister. 
Voilà  quelques-uns  de  mes  vœux,  et  ils  sont  en  voie  de  se 
réaliser  dans  la  formation  que  vous  donne  le  noviciat. 

Je  me  réjouis  de  ce  que  votre  santé  se  maintient  et  vous 
recommande  de  ne  pas  être  imprudente  de  ce  côté-là. 
C'est  un  devoir,  et  il  y  va  plus  encore  de  votre  perfection 
que  de  votre  vie. 


VI 

Ma  chère  enfant, 

Je  suis  très  heureux  de  vous  savoir  au  port.  Vous  avez 
jeté  l'ancre  du  côté  du  ciel,  vous  avez  donné  à  votre  vie 
les  grands  horizons  de  l'infini.  Qu'importe  la  nature  des 
occupations;  ce  qui  est  accompli  par  de  grands  motifs 
change  de  valeur  et  se  transforme  comme  le  pain  de 
l'aumône  se  changea  en  roses  dans  le  tablier  de  sainte 
Elisabeth.  Soyez  donc  surnaturelle  en  tout;  ce  serait 
dommage  de  donner  ses  parents,  ses  espérances  humai- 
nes, sa  vie  tout  entière,  pour  se  préoccuper  et  se  remplir 
de  soins  vulgaires.  La  nature  tend  sans  cesse  vers  des 
objets  de  son  ordre,  et  telle  religieuse  finira  par  n'être 
plus  qu'une  bonne  maîtresse  de  classe  ou  une  bonne 
infirmière.  Telle  autre,  en  faisant  exactement  les  mêmes 
choses,  se  trouvera  n'avoir  accompli  que  des  actes  divins. 
Veillez  donc  aux  motifs  qui  vous  font  agir  et  entretenez 
en  votre  cœur  cet  amour  divin  qui  les  inspire.  Le  bon- 
heur consiste  à  aimer,  et  le  grand  bonheur  prouve  qu'on 
aime. 


—  386  — 

VII 

Ma  chère  enfant, 

Je  vous  remercie  bien  affectueusement  des  vœux  que 
vous  m'exprimez  à  l'occasion  de  ma  fête.  Les  vœux  n'ont 
point  de  date,  quand  ils  ont  quelque  chose  d'éternel. 
Certaines  circonstances  les  rendent  pourtant  plus  sensi- 
bles, car  si  nos  vœux  sont  éternels,  le  cœur  qui  les  forme 
ne  l'est  pas  encore. 

Votre  lettre  respire  la  santé  spirituelle.  Vous  êtes  bien 
ce  que  j'avais  auguré.  En  vérité,  vous  n'avez  pas  acheté 
le  bonheur,  vous  l'avez  trouvé  tout  fait,  comme  certains 
êtres  qui  naissent  princes  ou  millionnaires.  Vous  n'avez 
eu  qu'à  ne  pas  résister  :  Dieu  est  venu  vous  prendre  par  la 
main  en  vous  disant  :  voulez-vous  être  princesse?  Sans 
peine,  vous  avez  dit  oui,  et  vous  voilà  sur  le  chemin  de 
la  royauté  des  vœux.  La  vie  sera  trop  courte  pour  suffire 
à  votre  reconnaissance,  mais  il  y  a  le  ciel.  Votre  âme 
est  insuffisante  à  la  bien  exprimer,  aussi  d'autres  âmes 
sont  là  pour  vous  y  aider  par  le  zèle;  en  faisant  aimer 
Notre-Seigneur,  vous  multipliez  les  cœurs  qui  remercient 
avec  vous. 

VIII 

Ma  chère  enfant, 

Mon  premier  sentiment  est  celui  de  la  joie,  la  joie  de 
vous  voir  vraiment  religieuse.  Je  suis  bien  aise,  sans  doute, 
de  savoir  que  vous  êtes  une  maîtresse  distinguée  et  que 
vous  êtes  dans  un  milieu  qui  vous  convient.  Mais  je  ne 
serais  pas  sans  triftësse,  malgré  cela,  si  je  ne  voyais 
Jésus  à  la  première  place.  Il  me  semble  même  qu'il 
est  à  la  seconde  et  à  la  troisième  aussi,  c'est-à- 
dire  qu'il  remplit  voire  âme.  Tandis  que  les  affections 
humaines  encombrent  nécessairement,  parce  qu'elles  sont 
imparfaites,   l'affection   pour   Notre-Seigneur   augmente 


—  387  — 

et  la  puissance  de  se  dévouer  et  l'espace  du  dévoue- 
ment. C'est  une  belle  lumière  qui,  s'étant  levée  sur  une 
vie,  lui  ouvre  des  horizons  et  lui  apporte  des  forces. 
C'est  une  atmosphère  où  l'on  respire  à  l'aise  et  dans 
laquelle  on  se  meut  librement.  Nous  ne  cessons  pas  de 
respirer  en  agissant,  et  plus  nous  respirons,  plus  nous 
sommes  capables  d'agir  avec  force.  Heureuses  les  âmes 
religieuses  qui  ne  cessent  jamais  de  respirer  en  Dieu  ! 
Elles  sont  nombreuses,  hélas  !  celles  qui  s'en  déshabituent, 
et  tous  leurs  mouvements  extérieurs  restent,  au  fond, 
stériles.  Ce  n'est  que  par  la  sainteté  qu'une  religieuse 
accomplit  le  bien  spécial  qu'elle  est  appelée  à  produire. 
La  vertu  chrétienne  est  une  flamme  qui  ne  s'allume  qu'à 
une  flamme  du  même  ordre.  La  multiplicité  des  œuvres 
et  les  succès  du  pensionnat  laissent  souvent  imparfaite 
l'œuvre  de  Dieu.  Je  me  réjouis  de  l'éclosion  de  piété  que 
vous  constatez  chez  vos  élèves;  habituez-les,  s'Use  peut, 
aux  vrais  sacrifices,  à  la  victoire  sur  elles-mêmes  et  à  la 
préférence  toujours  assurée  aux  biens  de  l'âme. 

Je  suis  bien  sensible  à  vos  vœux,  priez  beaucoup 
Jésus  pour  l'âme  du  prêtre.  Laissez-moi,  de  mon  côté, 
vous  désirer  le  plus  grand  des  biens,  l'amour  passionné 
pour  Notre-Seigneur,  et,  s'il  le  faut,  pour  Jésus  crucifié. 

L'épreuve  vient  à  son  heure.  —  Courage  ! 


IX 

Ma  chère  fille, 

Je  m'unis  à  votre  joie  et  à  votre  reconnaissance  envers 
Dieu  et  à  toutes  les  espérances  des  âmes  qui  s'intéres- 
sent à  vous! 

Votre  vie  sera  tout  entière  un  cantique,  si  elle  est  vrai- 
ment surnaturelle.  Dieu,  en  effet,  apparaît  partout  à 
l'âme  détachée  et  fervente. 

U  est  dans  le  fond  de  toute  créature.  C'est  lui  qui  met 
en    mouvement  tout  ce   qui  agit.  Selon  l'expression  de 


—  388  — 

saint  Ignace,  Dion  nous  sort,  hii-mêmo  par  toutes  les 
créatures. 

Mais,  semblable  a  la  lumière,  il  se  manifeste  diverse- 
ment, selon  l'aptitude  que  présente  chaque  objet.  Voilà 
pourquoi  l'on  doit  dire  que  Dieu  est  bien  plus  dans  les 
âmes  que  dans  la  nature,  et  qu'à  mesure  qu'elles  prennent 
plus  de  vie  surnaturelle,  il  a  la  liberté  de  s'y  développer 
davantage.  Il  a  voulu  apprendre  lui-même  qu'il  a  choisi 
des  résidences  plus  spéciales,  c'est  ainsi  qu'il  est  plus 
particulièrement  dans  les  petits  enfants,  dans  les  pauvres, 
dans  les  personnes  qui  lui  sont  consacrées.  En  fait  d'évé- 
nements, il  est  plus  dans  la  souffrance  que  dans  la  joie 
ici-bas.  —  Mais  où  il  est  tout  à  fait,  c'est  dans  son  Eucha- 
ristie. La  religieuse  qui  ne  saurait  pas  l'y  trouver  serait 
bien  à  plaindre. 

A  vous,  ma  chère  fille,  Dieu  a  révélé  toutes  ces  richesses 
et  les  a  mises  dans  votre  main.  Il  vous  donne  le  droit  de 
le  trouver  en  tout  comme  une  épouse,  mais  une  épouse 
de  l'invisible.  Seules  les  âmes  intérieures  en  ont  la  jouis- 
sance, les  autres  finissent,  hélas!  par  devenir  presque  des 
étrangères.  Jurez  à  cet  époux  de  votre  choix  que  vous  ne 
chercherez  que  Lui  et  que  vous  le  chercherez  sans  relâche. 
«  O  filles  de  Jérusalem,  indiquez-moi  où  il  repose  »,  tel 
est  le  sentiment  le  plus  vif  et  le  plus  constant  de  la  sain- 
teté. Puissiez-vous  le  porter  jusqu'au  Ciel,  alors  Celui  que 
vous  aurez  cherché  avec  une  soif  ardente  se  montrera  et  se 
donnera  à  vous  et  vous  n'aurez  plus  jamais  soif  ! 

Cherchez  d'abord  le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice,  dit 
le  Sauveur,  le  reste  vous  sera  donné  par  surcroît.  C'est 
pour  avoir  oublié  cette  règle  que  la  prospérité  a  souvent 
diminué  avec  la  ferveur  première  dans  les  ordres  religieux. 
Il  faut  de  l'esprit  de  foi  avant  tout  et  au  besoin  de  l'esprit 
de  sacrifice.  Mais  Dieu  doit  être  toujours  le  premier  objet 
de  .toutes  les  déterminations. 

Je  vous  bénis  etf'me  dis  une  fois  de  plus  votre  père 
profondément  dévoué. 


—  389  — 


Ma  chère  enfant, 

La  ferveur  que  je  sens  dans  vos  lignes  m'est  un  bou- 
quet de  fête  parfumé.  Je  remercie  Dieu  de  ce  qu'il  m'a 
donné  mission  autrefois  pour  la  formation  de  votre  âme 
et  de  ce  qu'il  veut  bien  aujourd'hui  m'en  faire  voir 
l'épanouissement. 

Les  vœux  qui  viennent  d'une  âme  unie  à  Dieu  ressem- 
blent à  ces  lettres  que  les  enfants  écrivent  aux  grands- 
parents  sous  les  yeux  de  leur  mère  et  sous  son  inspira- 
lion  aussi.  Ceux  qui  les  lisent  y  retrouvent  de  la  sorte 
une  charmante  réunion  de  sentiments.  Il  me  semble  donc 
que  c'est  Dieu  qui,  par  vous,  m'assure  de  sa  tendresse  et 
de  la  vôtre.  Soyez-en  bénie. 

O  mon  enfant,  laissez-moi  vous  répéter  encore  et  tou- 
jours que  je  veux  vous  savoir  avant  tout  la  religieuse 
épouse  de  Notre-Seigneur,  non  seulement  délicate  mais 
attentive,  non  seulement  bonne  mais  sainte.  Il  faut  que 
Dieu  soit  votre  vie  et  que  vous  défendiez  votre  âme 
contre  l'envahissement  de  ce  qui  n'est  pas  Lui.  Ce  n'est 
pas  le  devoir  qui  s'y  oppose,  c'est  la  manière  de  l'accom- 
plir. Les  occupations  peuvent  nous  laisser  Dieu  et  même 
nous  Le  porter.  Que  l'esprit  de  foi  soit  en  vous  cette  lampe 
dont  parle  Notre-Seigneur  et  qui  éclaire  toute  l'âme. 
Dégagez-vous,  dégagez-vous  sans  cesse  des  obstacles. 
Beaucoup  d'âmes  n'ont  pas  cette  sagesse  et  cette  con- 
stance, voilà  pourquoi  on  ne  les  voit  pas  avancer.  La  loi 
de  croissance  convient  nécessairement  à  une  vie  dont  la 
mort  n'est  pas  la  décrépitude,  mais  la  seule  maturité. 
Jusqu'au  dernier  soupir,  l'âme  doit  progresser,  et  elle  le 
peut  faire  dans  des  proportions  de  plus  en  plus  merveil- 
leuses. Qui  nous  donnera  de  telles  âmes? 

C'est  avec  un  grand  repos  que  je  pense  à  ma  chère 
religieuse.  Vous  m'apparaissez  au  port,  à  l'abri  des  dan- 
gers et  des  violentes  fluctuations  que  subissent  les  âmes 
dans  le  monde. 


—  390  — 

\l 

Ma  chère  enfant. 

Je  remercie  le  divin  Maître  de  la  consolation  qu'il  me 
donne  dans  vos  vœux  si  finalement  exprimés  et  dans  la 
communication  si  filiale  aussi  que  vous  me  faites  de  votre 
âme. 

Votre  voie  est  une  voie  paisible,  sinon  toujours  consolée, 
où  rien  n'empêche  l'avancement.  Une  certaine  routine 
seule  serait  à  craindre;  mais  elle,  ne  s'introduit  pas  dans 
la  vie  qui  reste  fidèle  aux  exercices  de  piété  el  à  la  recher- 
che de  Dieu. 

La  date  du  26  avril  est  toujours  présente  à  votre  âme  ! 
C'est  le  jour  où  a  été  définitivement  rompue  la  chaîne 
qui  retenait  au  rivage  votre  petite  barque  destinée  à 
l'infini.  Ce  jour-là  le  Sauveur  et  divin  Nautonier  a  dit  à 
votre  âme  la  parole  dite  à  saint  Pierre  :  «  Duc  in  altum, 
passez  au  large  !  »  C'était  sur  le  lac  de  Génésareth,  cette 
petite  mer  d'où  l'on  ne  perdait  jamais  entièrement  la 
terre  de  vue.  Telle  est  bien  la  vie  religieuse,  vie  de  sépa- 
ration d'avec  la  terre,  mais  d'une  séparation  qui  en 
laisse  la  perspective.  Il  est  vrai,  quand  on  a  poussé  au 
large,  ces  perspectives  deviennent  indistinctes;  il  n'en 
vient  aucun  écho  qui  trouble.  Les  bruits,  comme  les 
objets,  sont  noyés  dans  la  distance,  et  n'apportent  à 
l'âme  que  l'impression  de  ce  qu'ils  ont  de  divin.  Oh  ! 
tenez  toujours  au  large  votre  âme  dégagée  !  Si  cependant 
votre  emploi  vous  conduit  dans  une  anse  qui  touche 
à  la  terre,  comme  cette  anse  est  toujours  abritée  et  isolée 
par  la  vie  religieuse,  faites-vous,  là  encore,  une  profonde 
solitude,  en  ne  vous  occupant  nullement  de  ce  qui  se 
passe  sur  le  rivage.  Oh  !  soyez  religieuse,  et  religieuse 
avant  tout  ! 

...  Que  souhaiter  à  ma  chère  fille?  Ce  qu'elle  a,  oui, 
mais  ce  qu'elle  a,  élevé  chaque  année  à  une  puissance  qui 
peu  à  peu  défiera  les  formules  de  l'algèbre.  Aimer  Dieu, 
c'est  l'Infini  ouvert;  mais  ses  profondeurs  restent  inac- 


—  391   — 

cessibles  aux  auges  eux-mêmes,  tant  elles  sont  lointaines  ! 
Que  de  merveilles  à  chaque  étape  vers  l'Infini!  —  Au 
Ciel  nous  parlerons  de  nos  découvertes.  Puissé-je  n'être 
par,  trop  loin  de  ma  sainte  fille  ! 


XII 

Ma  chère  enfant, 

L'autre  jour  vous  souhaitiez  ma  fête,  et  c'est  moi 
aujourd'hui  qui  fais  la  vôtre.  J'ai  pensé  ce  matin  au 
renouvellement  de  vos  vœux  en  présidant  celui  de  nos 
Sœurs.  J'ai  remercié  Dieu  de  vous  avoir  donné  une  voca- 
tion de  choix  et  de  m'avoir  permis  de  parer  l'àme  de 
l'épouse.  Et  j'ai  appelé  sur  vous  la  bénédiction  que  l'on 
demande  pour  sa  fille  aînée.  Car  vous  avez  bien  ce  titre 
par  rapport  à  mon  ministère  à  Saint- J...  :  j'ai  même  le 
regret  d'ajouter  à  celui-là  cet  autre,  qui  lui  ôte  légère- 
ment sa  signification:  vous  êtes  ma  fille  unique!  Il  n'a  pas 
dépendu  de  moi  que  vous  eussiez  des  sœurs,  et  je  regrette 
vivement  l'absence  d'énergie  de  certaines  âmes  qui  me 
semblaient  appelées. 

Vous  voilà  obligée  de  vous  multiplier  pour  faire  oublier 
les  absents,  et  d'avoir  assez  de  cœur  pour  réchauffer  à 
vous  seule  ce  grand  cœur  de  Jésus  attristé  par  tant  d'in- 
différence. Pensez-vous  qu'il  soit  possible  qu'on  lui  pré- 
fère une  affection  ordinaire  ! 

Ce  que  vous  me  dites  de  vos  efforts  vers  l'union  par- 
faite me  fait  le  plus  grand  plaisir,  et  quoique  je  n'aie  rien 
à  désirer  d'après  vos  dispositions,  je  vous  répéterai  : 
prejiez  garde!  Ne  vous  laissez  pas  envahir;  prenez  les 
moyens  nécessaires  pour  que  Dieu  reste  tout  pour  votre 
pensée  et  pour  l'animation  de  votre  vie. 

Vous  vous  trouvez  actuellement  dans  un  milieu 
recueilli  et  fervent,  développez-vous,  affermissez-vous, 
car  il  n'est  pas  certain  que  vous  ne  serez  pas  un  jour 
transplantée  ailleurs.  Ayez  de  bonnes  racines  et  une 
grande  vigueur  pour  résister. 


—  392  — 


Mil 


Ma  chère  fille, 


Oui  je  suis  heureux  de  vous  savoir  toute  à  Dieu  et  heu- 
reuse en  Dieu.  Je  sens  que  vous  avancez  dans  son  arnour, 
et  je  désire  que  jamais  les  occupations  ne  nuisent  à  ce 
saint  désir.  C'est  par  l'amour  qu'on  est  religieuse,  car  la 
religieuse  est  épouse.  Tout  ce  qu'on  pourrait  faire  comme 
classe  reste  loin  de  ce  bon  devoir  d'aimer,  soi-même, 
toujours  de  plus  en  plus.  Et  puis,-  pour  le  bien  lui-même, 
qui  est  souvent  le  prétexte  d'un  relâchement  dans  la 
piété,  le  degré  de  l'influence  divine  est  le  degré  du  succès 
vrai.  L'homme  peut,  par  son  industrie,  reproduire  des 
fleurs,  des  grains  de  sable...  Mais  il  ne  saurait  donner  la 
vie  à  aucune  de  ses  œuvres.  Pour  que  la  religieuse  fasse 
du  bien,  il  faut  qu'elle  communique  Dieu.  Ce  qu'elle  fait 
par  sa  seule  activité,  quelque  intelligente  qu'elle  soit, 
reste  œuvre  morte. 

Aimez  donc,  et  faites  aimer  Celui  à  qui  vous  êtes  liée 
par  la  sainte  profession.  Que  sa  part  soit  la  plus  large 
dans  vos  pensées.  Soyez  sa  main,  sa  parole,  laissez-Le 
agir  el  parler  par  vous. 


XIV 


Ma  chère  fille, 


Bien  des  fois  j'ai  senti  le  désir  de  vous  écrire,  et  plus 
souvent  peut-être  depuis  que  ce  désir  est  devenu  un 
regret;  je  viens  donc  à  vous,  malgré  les  occupations  de 
ce  jour,  parce  que  je  ne  veux  pas  supporter  plus  long- 
temps la  peine  que  vous  cause  mon  silence. 

Vous  savez  bien  que  chez  moi,  pour  vous,  silence  n'est 
pas  oubli;  c'est  plutôt  tranquillité.  Je  vous  sais  si  bien 
entourée,  si  heureuse  même;  et,  de  loin,  j'en  jouis.  Si 
vous  étiez  la  centième  brebis  qui  se  serait  égarée,  vous 


on  *> 
—   àvo   — 

m'auriez  vu  depuis  longtemps  à  votre  poursuite,  mais 
parmi  les  quatre-vingt-dix-neuf  autres,  vous  occupez  le 
tout  premier  rang  en  l'ait  de  fidélité  au  bercail...  Ces  âmes  ! 
on  ne  les  aime  pas  moins,  mais  on  se  contente  de  leur  dire 
comme  le  berger  :  allez,  on  se  dispense  même  de  cette 
exhortation  très  douce  et  l'on  repose  son  regard  à  les  voir 
marcher,  dans  les  sentiers  où  Dieu  les  appelle,  avec  le 
même  cœur,  que  les  sentiers  soient  faciles  ou  âpres. 

Croyez-le  bien  :  votre  bonheur  fait  une  partie  du  mien, 
et  votre  souvenir  me  rassérène. 

Mais  j'ai  aussi  de  l'ambition  pour  vous,  et  la  plus 
haute,  celle  qui  approche,  de  Celui  qui  seul  est  grand  et 
dont  la  faveur  est  éternelle.  Je  veux  que  vous  soyez  une 
âme  d'avancement.  11  y  a  des  religieuses  qui,  arrivées  à 
un  certain  degré  dans  la  pratique  des  vertus  et  des  exer- 
cices pieux,  s'en  tiennent  là  et  ne  regardent  pas  plus  loin. 
Celles-là""»' ont  pas  compris  la  perfection  qui  est  essen- 
tiellement dans  l'amour.  Or  l'amour  est  non  seulement 
la  seule  vertu  qui  puisse  toujours  progresser,  car  son  objet 
est  infini,  mais  il  est  le  devoir  d'état  de  toute  enfant  de 
Dieu,  ainsi  que  le  besoin  de  tout  cœur  qui  sent  la  vraie 
vie  en  soi.  Je  suis  tout  heureux  de  vous  entendre  dire  : 
je  cherche  à  me  fondre  en  Jésus,  à  le  laisser  vivre,  à  le 
faire  vivre  en  moi.  Avec  un  tel  désir,  il  ne  reste  plus  qu'à 
tenir  écartés  les  obstacles.  Vous  m'en  signalez  un  sur 
lequel  j'appelle  votre  attention  :  la  simplicité.  Sans  elle, 
Dieu  n'est  pas  entièrement  libre,  soit  par  les  intermé- 
diaires qu'il  emploie,  soit  par  son  action  directe.  La 
simplicité  comprend  deux  choses  :  la  simplification  de  sa 
voie  :  pensées,  désirs,  manière  paisible  de  traiter  avec 
Dieu,  et  puis  un  confiant  abandon,  soit  pour  recevoir  des 
autres,  soit  pour  leur  donner.  Cet  abandon  doit  être  pru- 
dent sans  doute,  mais  il  doit  faire  plus  large  la  part  de 
la  confiance. 

Je  prêche  sans  doute  une  convertie;  mais  mes  avis, 
s'ils  n'ont  rien  à  réformer,  auront  l'effet  d'un  encourage- 
ment. Vous  serez  plus  filiale  envers  ceux  qui  dirigent 
votre  âme,  plus  maternelle  envers  les  enfants  que  Dieu 
vous  a   donnés;   vous  épancherez   plus   facilement   vos 


—  394  — 

difficultés  el  vus  peines,  comme  aussi  vos-ardeurs  et  vos 

souhaits 

XV 

Ma  chère  enfant, 

A  force  de  prier  pour  moi  et  de  faire  des  vœux  au  Ciel, 
vous  finirez  bien,  je  l'espère,  par  me  rendre  meilleur. 
J'accepte  avec  bonheur  cette  sainte  violence.  Plus  je  vais, 
plus  je  sens  que  Dieu  est  tout,  et  je  voudrais,  de  toute 
mon  âme,  aller  vers  Lui  par  l'amour.  Jésus  est  entre 
mes  mains  chaque  matin,  je  l'offre  à  son  Père  et,  en  ce 
moment,  ma  pensée  embrasse  une  multitude  d'âmes 
parmi  lesquelles  Sœur  M.  T...  a  sa  place,  je  l'offre  à 
Dieu  avec  Celui  qui  nous  unit  par  sa  charité.  Vous  sem- 
blez  me  demander  de  vous  donner  un  souvenir  plus  dis- 
tinct :  eh  bien  !  je  n'ai  rien  à  refuser  à  ma  fille  aînée  de 
Saint-J..,et  chaque  jour  distinctement,  vous  serez  près  de 
moi  à  l'autel;  et  vous  y  serez  en  qualité  de  fille  bien  chère 
et  bien  recommandée  à  Dieu,  ce  sera  un  trait  d'union 
plus  étroit. 

Je  suis  bien  content  de  vous  voir  prendre  goût  à  Jésus 
intime,  j'étais  sûr  que  ces  belles  notions  vous  feraient 
pénétrer  dans  des  régions  plus  brillantes,  plus  surpre- 
nantes, où  Jésus  se  montrerait  mieux.  Nous  ne  connais- 
sons ici-bas  que  les  phénomènes  extérieurs;  la  nature 
des  choses  nous  échappe.  La  science  nous  révèle  une  foule 
de  résultats  vraiment  merveilleux,  mais  l'amour  de  Dieu 
reste  un  mystère;  nous  manions  l'électricité  que  nous  ne 
connaissons  pas,  nous  jouissons  de  la  grâce  que  nous 
ignorons  bien  davantage.  Jésus  lui-même  ne  se  fait  pres- 
sentir que  peu  à  peu  et  à  très  peu  d'âmes...  vous  êtes  de 
ce  petit  nombre  :  vous  saurez  et  vous  aimerez  toujours 
plus. 

Ne  vous  étonnez  pas  de  ces  fluctuations  dans  les 
successions  d'élèves.  Il  y  a  des  époques  où  le  choix  est  meil- 
leur, d'autres  où  tout  est  médiocre.  On  ne  peut  l'attribuer 
à  des  causes  immédiates.  Gardez-vous  surtout  de  vous 


—  395  — 

en  accuser.  Noire  M...  m'a  dit  que  vous  saviez  très 
bien  prendre  votre  monde.  L'expérience  vous  apprendra 
de  plus  en  plus  qu'on  ne  prend  la  volonté  que  par  ce  qui 
encourage.  Encouragez  beaucoup,  élevez,  excusez,  atten- 
dez... et  puis,  en  même  temps,  priez,  souffrez  et  morti- 
fiez-vous. 

Demain  2  juillet,  vous  allez  vous  renouveler  dans 
la  donation  heureuse  et  complète  de  votre  volonté,  de 
vos  goûts.  Plus  que  jamais,  vous  vous  tiendrez  obéis- 
sante à  l'action  de  Jésus.  Vous  laisserez  sa  vie  s'emparer 
de  la  vôtre.  C'est  Lui  qui  vivra  en  vous,  qui  aimera, 
qui  souffrira  aussi.  Sans  nous,  il  ne  pourrait  plus  ni  méri- 
ter, ni  souffrir.  C'est  une  gloire  de  lui  fournir  nos  élé- 
ments. Vos  tristesses  au  sujet  des  âmes,  vos  délaisse- 
ments dans  la  prière...  sont  les  plus  précieux. 

Allons,  ma  chère  fille,  devenons  si  intimes  avec  Jésus 
que  nous  le  laissions  vivre  par  notre  cœur,  par  notre 
action,  vie  très  douce  et  très  haute  en  même  temps  que 
très  simple.  Je  bénis  vos  bons  désirs,  qu'ils  ne  se  conten- 
tent jamais  de  ce  qui  serait  moins  que  Dieu. 


XVI 


Ma  chère  fille, 

Ce  que  vous  me  faites  connaître  du  mouvement  qui 
vous  porte  à  éviter  les  considérations  multiples  dans  vos 
rapports  avec  Dieu  me  semble  un  attrait  vers  une  voie  de 
simplicité,  car  simple  est  opposé  à  multiple.  Tout  vous 
préparait  d'ailleurs  à  cette  voie  :  votre  détachement 
vrai  et  profond  ainsi  que  vos  longues  réflexions  et  études 
sur  Notre-Seigneur.  En  effet  le  détachement  nous  arrache 
aux  mille  soucis  personnels  qui  absorbent  et  créent  des 
occasions  de  lutte;  d'autre  part,  la  connaissance  appro- 
fondie d'une  chose  la  laisse  de  plus  en  plus  simple  et  sou- 
ple dans  notre  esprit.  Un  coup  d'œil  suffit  pour  voir 
mille  choses  et  réveiller  mille  sentiments.  Or  le  but  de 


—  396  — 

l'union  à  Dieu  n'est  pas  de  chercher,  mais  de  recueillir. 
Le  coup  d'œil  qui  voit  tout  et  qui  fait  tout  sentir  nous 
rapproche  de  l'état  de  Dieu  même  qui  embrasse  tout  dans 
une  seule  idée.  —  Voyez  parmi  les  hommes  :  les  hautes 
intelligences  sont  celles  qui  arrivent  aux  plus  larges 
généralisations,  et  plus  on  acquiert  de  connaissances 
vraiment  scientifiques,  c'est-à-dire  bien  enchaînées,  plus 
on  les  concentre;  l'esprit  s'en  fait  comme  un  tableau 
synoptique  qui  dans  une  page  lui  présente  toute  la  vérité. 

Essayez  donc  dans  l'oraison  de  vous  en  tenir  à  une 
simple  vue,  à  un  ordre  de  sentiments.  Si  vous  en  sortez 
plus  unie  à  Dieu,  vous  saurez  que  vous  êtes  dans  la  bonne 
voie.  Il  vous  semblera  peut-être  qu'en  multipliant  les 
idées  et  les  actes,  vous  faites  plus.  Oui,  vous  faites  plus 
en  nombre,  mais  ce  n'est  pas  le  nombre  qui  fait  toujours 
le  poids.  Un  seul  sentiment  profondément  éprouvé  est 
par  rapport  à  cent  autres  comme  le  poids  de  cent  livres 
à  côté  d'une  poignée  de  sable.  Cette  vue  unique  est  telle- 
ment enfoncée  dans  l'âme  qu'elle  l'accompagne  dans  la 
vie  active,  et  que  le  lendemain  elle  s'empare  aussitôt  de 
l'esprit  à  l'oraison  pour  s'y  enfoncer  davantage.  Est-il 
nécessaire  de  dire  que  cette  oraison  ne  dépend  pas  entiè- 
rement de  nous?  Qu'elle  manque  parfois  aux  âmes 
mêmes  qui  y  sont  appelées  habituellement  !  On  s'y  porte 
et  Dieu  y  met,  s'il  le  juge  bon.  On  s'y  maintient,  sauf  à 
recourir  aux  efforts,  si  la  difficulté  persiste. 

Ce  que  je  vous  conseille,  je  ne  le  conseillerais  pas  à  une 
âme  qui  n'aurait  pas  acquis  l'ensemble  des  connaissances 
spirituelles.  Notre  vie  spirituelle  se  compose  assurément 
des  dons  de  Dieu,  mais  aussi  de  l'usage  que  nous  avons 
fait  de  nos  ressources  qui  sont  également  des  dons  que 
nous  avons  à  faire  valoir. 

En  cherchant  Dieu,  vous  arriverez  plus  vite  à  vous 
détourner  de  vous-même.  Une  âme  qui  a  ce  mouvement 
habiluel  d'ascension  remarque  sur-le-champ  les  recher- 
ches personnelles  et  s'en  éloigne  plus  délicatement.  Tour- 
nez donc  plutôt  votre  effort  vers  Dieu,  et  l'éloignement 
de  vous-même  vous  sera  donné  par  surcroît. 

Il  me  semble  que  vos  progrès  me  rapprochent  moi- 


—  397  — 

même  de  Dieu;  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'ils  sv 
à  ce  que  je  ne  lui  donne  pas. 


XVII 

\ 
Ma  chère  fille, 

J'approuve  fort  votre  envie  de  demander  à  la  crèche 
un  idéal  de  pauvreté.  Jésus,  en  se  montrant  dépouillé  de 
tout,  a  voulu  nous  montrer  qu'il  ne  vient  ici-bas  que  pour 
nous  montrer  bien  également  que  nous  ne  cherchions 
rien  de  la  terre,  pas  même  ses  consolations,  mais  Lui  seul  ! 
Faisons-nous  maniables  comme  son  petit  corps,  humbles 
comme  sa  totale  impuissance,  tendres  comme  un  cœur 
de  petit  enfant  prêté  à  un  Dieu.  Allez  à  Lui  non  pour 
qu'il  vous  donne  quoi  que  ce  soit,  c'est  son  affaire,  mais 
pour  lui  apporter  tout  ce  que  vous  avez.  Aimez  à  faire  à 
ses  pieds  l'inventaire  de  ce  à  quoi  vous  tiendriez  ;  laissez-y 
ce  qui  ne  serait  pas  utile  à  son  service  :  emportez  comme 
de  Lui  ce  qui  peut  servir  pour  Lui. 


XVIII 


Ma  chère  fille, 


Rien  ne  saurait  m'être  plus  doux  que  d'entendre  ma 
fille  parler  de  son  admiration  et  de  son  amour  pour 
Jésus,  pour  ce  Jésus  Dieu  et  Homme,  en  qui  notre  pauvre 
cœur  trouve  le  repos  de  toutes  ses  aspirations,  et  ce  qu'il 
rêve  de  révélations  infinies  !  Heureuse  l'âme  qui  l'a  com- 
pris, car  elle  sait  tout,  et  elle  est  capable  de  tout,  même 
de  souffrir  sans  trouble  et  sans  plainte  les  plus  grandes 
épreuves,  et  jusqu'à  ses  délaissements  apparents.  J'ai 
toujours  remarqué  une  différence  tranchée  entre  les  âmes 
qui  s'appliquent  aux  vertus  simplement  et  celles  qui, 
tout  en  les  pratiquant,  ne  songent  qu'à  Jésus;  celles-ci 
ont  la  vie  complète;  les  autres  ont  la  vie  sans  doute,  mais 


—  398  — 

une  vie  qui  s'ignore.  A  mesure  qu'on  aime  davantage,  on 
prend  plus  ample  connaissance  de  cette  vie,  et  alors  les 
vicissitudes  d'ici-bas  passent  à  côté,  elles  ont  perdu  le 
pouvoir  d'agiter.  Que  sont-elles,  en  effet,  dans  ce  qu'elles 
donnent  et  dans  ce  dont  elles  privent  !  On  accueille  ce  qui 
plaît,  comme  un  sourire  de  Jésus  sur  nous;  on  embrasse 
ce  qui  déplaît,  comme  on  voudrait  étreindre  sa  Croix. 
Votre  genre  de  vie  actuel  est  tout  à  fait  favorable  à  cet 
accroissement  de  connaissance.  Rien  ne  détourne  vus 
regards  de  cet  objet  sans  cesse  contemplé;  la  commu- 
nion, chaque  jour,  vous  rapproche  pour  quelques  instants 
de  ce  vrai  cœur  qui  palpite  alors  près  du  vôtre,  réelle- 
ment !  Puis  les  âmes  sont  là  qui  vous  demandent  Jésus, 
et  vous  le  leur  donnez  comme  une  effusion  de  voire  âme, 
et  Jésus  veut  de  plus  en  plus  que  vous  vous  perdiez  en 
Lui.  —  Ah!  ne  soyez  plus  que  Lui!  Lui,  inspirant  tout, 
dirigeant  tout,  consolant  de  tout!...  Si  vous  saviez  com- 
bien l'on  souffre  de  voir  de  près  l'effondrement  de  son 
œuvre  !  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  œuvres  qui  s'écrou- 
lent, c'est  la  Foi  qui  se  déconcerte  et  qui  s'enfuit...  A 
mon  avis,  la  persécution  actuelle  n'est  rien  en  comparai- 
son de  la  triste  évolution  qui  se  fait  dans  les  esprits.  Je  ne 
sais  où  nous  allons  !  Nous  sommes  violemment  ramenés 
à  l'arianisme  pour  descendre  au  panthéisme,  qui  est  le 
gouffre  fatal  où  tombe  tout  ce  que  Dieu  ne  retient  pas.  " 

Je  ne  sais  si  le  vif  sentiment  que  j'ai  de  cet  état  lamen- 
table est  la  cause  de  mon  affaiblissement  actuel  de  santé; 
j'en  souffre  beaucoup,  je  ne  vois  pas  de  remède.  Tout  ce 
que  je  sais  faire,  c'est  d'acquiescer  et  de  supplier! 

...  J'aurais  plusieurs  idées,  même  pour  un  nouvel 
ouvrage.  Impossible  de  donner  aux  idées  la  fermeté  et 
l'étendue  nécessaires.  L'effort  me  brise  aussitôt.  Heureu- 
sement, grâce  à  ma  chapelle  domestique,  je  continue  à 
dire  la  messe  tous  les  jours. 


—  399 


XIX 


Ma  chère  fille, 

L'expression  de  vos  chers  sentiments  pour  moi  me 
paraît  toujours  nouvelle  parce  qu'elle  est  vraiment 
vivante.  Votre  filiale  affection  me  suit  dans  la  vie  sans  se 
lasser,  sans  s'attiédir.  Elle  m'est  une  jouissance.  Tout  le 
passé  demeure  dan»  ma  pensée  fidèle;  mes  premières 
années  à  Saint-J...  s'unissant  à  votre  souvenir.  Je  vous 
vois  si  attentive  aux  conférences  religieuses,  si  enthou- 
siasmée en  face  des  grandes  choses,  si  docile  dans  votre 
mouvement  vers  Dieu  !  La  vocation  religieuse  est  éclose 
au  milieu  de  ce  doux  printemps...  Et  je  vous  vois  aujour- 
d'hui chargée  de  la  formation  des  futures  maîtresses. 
Quelle  charge  pour  celles  qui  ont  à  adapter  l'enseigne- 
ment aux  exigences  nouvelles!  Il  faut  évidemment  l'éle- 
ver et  l'étendre  :  il  faut  perfectionner  les  intelligences 
comme  les  méthodes  :  et  avec  cela  développer  la  vie 
religieuse,  la  rendre  intense,  former  un  milieu  où  l'on 
aime,  où  l'on  se  dévoue  et  d'où  l'on  part  avec  l'ardeur 
de  l'apôtre. 

Les  temps  sont  mauvais;  nos  horizons  sont  noirs...  dans 
la  nuit  le  Ciel  s'illumine  :  c'est  là  qu'il  faut  regarder  pour 
espérer  ! 

Il  n'y  a  pas  d'ailleurs  à  hésiter  sur  le  parti  à  prendre. 
Que  chacun  dans  sa  sphère  donne  tout  le  mouvement  dont 
il  est  capable,  et  des  millions  d'efforts  sincères,  sous  la 
bénédiction  de  Dieu,  amèneront  une  ère  plus  consolante. 


XX 

Ma  chère  fille, 

Il  m'en  coûte  de  prendre  ce  petit  papier  et  de  mettre 
des  bornes  si  étroites  aux  sentiments  que  je  serais  si 
heureux  de  vous  exprimer  comme  je  les  sens;  ma  santé 

2'J 


—  400  — 

est  descendue  bien  bas  et  je  manque  de  force.  Je  ne  me 
sens  pourtant  pas  malade  et  je  pense  que  le  repos  des 
vacances  suffira  pour  me  remettre. 

Grâce  à  Dieu,  j'ai  pu  remplir  mon  ministère  jusqu'au 
bout,  je  ne  puis  dire  que  je  l'ai  fait  sans  effort  :  certains 
jours  j'allais  comme  une-machine,  j'ai  sans  doute  exercé 
la  patience  de  mes  auditrices;  j'ai  offert  au  bon  Dieu  tou- 
tes mes  impuissances  avec  mes  petites  souffrances  pour 
qu'il  en  fît  son  affaire  :  nous  donnons  si  peu  de  chose  dans 
notre  action  sans  la  sienne  !  Dieu  peut  faire  sans  nous. 
Vous  voyez  par  expérience  qu'il  faut  toujours  être  très 
satisfait  de  ce  que  le  bon  Dieu  fait  de  nous.  Vous  êtes 
heureuse  dans  votre  nouvelle  position  :  vous  êtes  plus 
que  jamais  en  contact  avec  les  âmes,  et  ces  âmes  seront 
des  épouses  de  Jésus!  C'est  pour  Lui  que  vous  les  ornez. 

Je  suis  tout  heureux  des  excellents  renseignements 
que  vous  me  donnez  de  votre  petite  novice.  Elle  a  plus  de 
cœur  qu'elle  ne  paraît,  et  il  est  utile  qu'elle  sache  qu'on 
le  comprend.  Faites  qu'elle  aime  Notre-Seigneur. 

Pour  vous,  ma  chère  fille,  faites- vous  plus  attentive 
que  jamais  à  la  parole  intérieure.  Dieu  ne  fait  que  mur- 
murer ses  désirs,  il  faut  les  comprendre.au  passage.  ï\e 
soyez  plus  vous,  mettez  Jésus  à  votre  place.  Jugez, 
aimez  par  Lui  et  laissez-le  tellement  gouverner  en  vous 
que  votre  attitude  ne  soit  ni  le  désir,  ni  la  crainte,  mais 
la  simple  attente  de  sa  volonté.  Si  vous  ne  mettez  aucun 
obstacle  à  l'œuvre  qu'il  projette,  cette  œuvre  sera  un 
chef-d'œuvre  dont  il  gardera  la  gloire  et  dont  il  parta- 
gera l'amour. 


401   — 


DIX-HUITIEME    SERIE 


(Sous-diaconal.) 
Mon  cher  ami, 

Si  je  m'étais  écouté,  je  vous  aurais  écrit  dès  la  lecture 
de  votre  lettre  qui  me  touchait  vivement;  mais,  me  trou- 
vant presque  sans  forces  et  en  face  d'épreuves  d'impri- 
merie en  retard,  j'ai  cédé  à  la  raison  en  faisant  passer 
l'utile  avant  l'agréable.  Je  me  suis  libéré  hier  de  mon 
travail  obligatoire,  et  ma  première  lettre  est  pour  vous. 

Je  remercie  Dieu  de  ce  qu'il  donne  en  vous  à  la  sainte 
Église  un  prêtre  désintéressé  et  ardent,  un  vrai  combat- 
tant qui  ne  tremble  pas  à  la  vue  du  grand  nombre  des 
ennemis  et  ne  se  décourage  pas  des  défaites  partielles. 
Quand  on  parcourt  des  yeux  le  monde  actuel,  on  a  besoin 
d'entendre  la  parole  toujours  vraie  du  Sauveur  :  «  Ne 
craignez  pas,  petit  troupeau...  »  Non,  vous  ne  craignez 
pas,  mon  cher  ami,  cet  isolement  et  le  dédain  qui  est  le 
partage  des  croyants;  vous  vous  félicitez  d'être  du  petit 
nombre  des  préservés,  des  appelés,  par  conséquent  des 
vrais  élus.  Vous  êtes  heureux  de  penser  que  vous  pourrez 
prouver  l'amour  qui  remplit  votre  cœur  pour  le  divin 
Maître  et  souffrir  un  peu  pour  celui  qui  a  tant  souffert 
pour  nous.  Vous  aurez  pour  Lui  un  amour  à  la  fois  tendre 
et  fort  :  tendre  pour  consoler,  fort  pour  défendre.  Cet 
amour  que  vous  aurez  ainsi  exercé  et  développé  durant 
votre  préparation  du  séminaire  vous  fera  pour  les  âmes 
un  cœur  semblable  à  celui  de  Jésus. 

Votre  appel  ne  fait  aucun  doute,  votre  donation  est  une 


—  402  — 

fêle.  J'y  assisterai  par  la  pensée,  par  la  prière.  Ce  petit 
mot,  vous  arrivant  la  veille,  vous  rappellera  la  promesse 
que  vous  avezs  bien  voulu  me  faire  de  prononcer  mon  nom 
quand  vous  serez  sur  la  dalle  étendu  comme  une  victime 
tout  abandonnée. 

Si  mes  pauvres  livres  ont  pu  vous  faire  quelque  bien, 
j'en  suis  complètement  dédommagé  par  vos  prières  et, 
ce  qui  m'est  tout  à  fait  sensible,  par  l'affection  que  vous 
voulez  bien  me  donner;  croyez  que  sur  ce  terrain  vous 
aurez  fort  à  faire  pour  dépasser  celui  qui  est  heureux  de 
se  dire 

Votre  ami  dévoué. 

II       , 

[Diaconat.) 

Mon  cher  ami, 

Que  votre  dernière  année  de  séminaire  vous  unisse  si 
étroitement  au  divin  Maître  que  rien  jamais  ne  puisse 
vous  éloigner  de  Lui,  ne  fût-ce' que  d'un  pas.  Soyez  de 
ceux  qui  veulent  marcher  près  de  Lui  le  plus  possible 
et  se  distinguer  sous  ses  yeux.  Ambitionnez  l'honneur  et 
la  joie  non  seulement  de  le  -suivre  par  votre  action,  mais 
de  le  consoler  sans  cesse  par  l'effusion  de  vos  sentiments. 
Faites- vous  aimera  plus  que  les  autres  ».  Votre  nom  de  Jean 
ne  doit  pas  être  une  promesse  vaine.  Elle  ne  le  fut  pas 
du  côté  de  Dieu  quand  il  vous  accepta  sous  ce  nom  au 
baptême.  Elle  ne  le  sera  pas  du  vôtre  qui  en  ferez  un 
droit  par  votre  amour. 

Mettez  cet  amour  sous  la  sauvegarde  d'une  mortifica- 
tion modérée  mais  continuelle.  L'  «  abneget  semelipsum  » 
l'esté  la  grande  Loi  de  la  persévérance,  aussi  bien  que  le 
premier  acte  de  la  donation.  Il  faut  être  tout  entier 
J  «  homme  de  Dieu  »,  et  disparaître  en  ne  se  recherchant 
on  rien.  On  oublie  trop  souvent  cela  dans  la  vie  active. 


—  403 


III 


(Sacerdoce,) 


Mon  bien  cher  ami, 


L'heure  approche  où  le  divin  Maître  vous  dira  :  «  Je 
ne  t'appellerai  plus  serviteur,  je  te  donnerai  le  nom 
d'ami.  »  Et  il  vous  fera  partager  non  seulement  ses 
pensées,  mais  sa  vie  et  sa  puissance  à  transmettre  la 
vie.  Vous  serez  sa  voix  qui  ne  peut  plus  se  faire  entendre 
sensiblement;  vous  serez  sa  main  qui  bénit;  vous  serez 
son  cœur  qui  s'attendrit,  et  qui  suscite  toutes  les  énergies 
du  dévouement  comme  toutes  les  persévérances  d'une 
mère.  Vous  serez  Jésus  et  vous  enfanterez  Jésus  dans  les 
âmes.  Votre  ministère  à  l'autel  sera  la  plus  haute  des 
réalités  et  le  plus  saisissant  des  emblèmes  :  vous  dispo- 
serez du  corps  réel  de  Jésus  et  de  son  corps  mystique  !... 

Sommes-nous  des  anges?  sommes-nous  de  grandes 
âmes  sans  défaillances?  Hélas,  non.  Dieu  veut  réaliser 
en  chacun  de  nous  le  miracle  de  se  servir  d'instruments 
imparfaits  pour  accomplir  des  œuvres  dont  les  anges 
mêmes  ne  seraient  pas  dignes  :  éternelle  leçon  d'humilité, 
d'adoration  et  de  reconnaissance  infinie!... 


IV 

...De  grâce,  mon  cher  ami,  n'épuisez  pas  votre  sanlé. 
Tout,  bien  n'est  pas  à  entreprendre,  on  doit  avec  regret 
mais  avec  courage  renoncer  à  ce  qui  surcharge.  C'est  un 
devoir  de  bon  administrateur.  Prenez  pour  règle  de  faire 
ce  que  vous  conseilleriez  à  un  ami  qui  serait  à  votre  place. 

La  Société  des  Prêtres  de  Saint-François  de  Sales  (1)  doit 

(1)  M.  le  chanoine  Beaudenom  était  lui-même,  depuis  de  lon- 
gues années  déjà,  membre  de  cette  Union  sacerdotale  fondée  à 
Paris,  en  1876,  par  son  ami  vénéré,  M.  l'abbé  Chaumont  (>£<  en 
1896).  C'est  pour  les  Prêtres  de  Saint-François  de  Sales  qu'il 


—  404  — 

être  prise  très  sérieusement  si  on  veut  en  profiler.  Elle 
exige  qu'on  soit  fidèle  aux  exercices  de  piété,  comme 
l'indique  la  feuille  ci-incluse.  Elle  ouvre  ensuite  la  voie, 
dans  la  page  du  verso,  à  urTe  sorte  de  direction  morale  qui 
ne  touche  pas  à  la  confession  proprement  dite.  Chaque 
mois  aussi  on  rend  compte  soit  de  la  manière  dont  on  a 
suivi  une  probation  de  trente  méditations  sur  un  seul  sujet, 
ou  sur  certains  points  de  la  vie  spirituelle  ou  de  la  vie  reli- 
gieuse, selon  un  questionnaire  approprié. 

Voyez  si  cela  ne  vous  paraît  pas  trop  chargé;  voyez 
surtout  si  vous  y  trouveriez  des  moyens  de  progrès  qui 
vous  paraîtraient  adaptés  à  votre  nature. 

Si  vous  remarquiez  dans  votre  rayon  quelques  prêtres 
aptes  à  ce  genre  de  vie,  vous  formeriez  un  petit  groupe. 
C'est  ce  milieu  sacerdotal  qui  est  notre  plus  puissant 
moyen  de  ferveur.  Des  règles  sont  tracées  qui  rendent  ces 
réunions  faciles  et  fructueuses... 


Mon  cher  ami, 

Les  chaudes  paroles  de  votre  affection  m'ont  fait  du 
bien.  Mon  affection  à  moi  est  très  frileuse.  Ne  recevant 
aucun  rayon  de  soleil  de  B.,  elle  souffrait...  Mais  c'est 
une  plante  vivace  qui  peut  traverser  l'hiver  et  qui 
refleurit  au  premier  souffle  du  printemps.  L'amitié  que 
je  vous  porte,  étant  fondée  sur  une  rare  estime  et  sur  des 
témoignages  de  confrères  très  autorisés,  est  à  l'abri  de 
tout  changement. 

Je  me  réjouis  de  vous  savoir  dans  une  complète  union 
de  sentiments  avec  Ch.  Vos  deux  âmes  sont  comme 
deux  ailes  qui  vous  font  monter  toujours  plus  haut.  Deux 


composa  la  «  Probation  sur  l'humilité  »,  qu'il  développa  dans 
la  suite,  à  l'usage  des  fidèles,  et  fit  paraître  sous  le  titre  connu 
(le  «  Formation  à  l'humilité  ». 


—  405  — 

âmes  de  frères  n'en  sont  qu'une.  Une  troisième  s'y  ajoute 
pour  les  unir  et  les  élever  davantage  encore,  celle  du 
divin  Maître... 


VI 

Mon  cher  ami, 

Je  vois  avec  plaisir  que  vous  mettez  dans  votre  vie 
l'ordre  et  l'apaisement.  Ne  vous  laissez  pas  déborder. 
Si  le  canal  ne  se  tient  pas  intimement  et  continuellement 
uni  à  la  source,  il  ne  peut  transmettre  ce  qu'il  ne  reçoit 
pas.  Le  bien  qui  se  fait  sans  vie  intérieure  a  peu  de  fond 
et  point  de  racines.  Notre  saint  Pape  insiste  sans  cesse 
sur  la  fidélité  absolue  aux  exercices  de  piété.  Mgr  L.  en 
rentrant  de  Rome  est  venu  me  voir  et  m'a  raconté  ce 
qui  suit  :  Un  prêtre,  en  audience  avec  lui,  ayant  exposé  sa 
situation  :  messe  à  cinq  heures  et  demie,  confessions  à  la 
suite  et  œuvres  qui  l'accaparent  toute  la  journée,  et 
ajoutant  :  parfois  je  n'ai  pas  la  possibilité  de  faire  mon 
oraison,  le  Pape  l'arrêta  et  lui  dit  :  comment  donc?  — 
Mais  avec  ma  messe  à  cinq  heures  et  demie,  que  faire?  — 
C'est  bien  simple,  répond  le  Pape,  il  faut  se  lever  à  quatre 
heures...  Ce  qu'il  exige  pour  l'oraison,  il  l'exige  aussi  pour 
l'examen  particulier,  et  la  visite  au  Saint-Sacrement,  et  la 
lecture  pieuse...  Vous  pourriez  vivre  pendant  un  temps 
de  la  force  acquise,  vous  baisseriez  sans  vous  en  aperce- 
voir... Et  il  arrive  trop  souvent  qu'on  s'habitue  à  vivre 
sans  intimité  avec  Dieu. 


VII 


Mon  bien  cher  ami, 

Je  vous  remercie  de  me  donner  l'occasion  de  vous  être 
agréable.  Il  m'est  doux  de  penser  que  mes  livres  vous 
apporteront  quelques  secours  ^t  des  consolations.  Vous 


—  40G  — 

prierez  pour  moi.  Ma  vie  louche  à  son  terme.  Depuis 
quatre  ans,  je  ne  quitte  pas  la  chambre.  Mes  infirmités 
sont  nombreuses.  Elles  sont  un  grand  bien.  Je  veux  les 

aimer  de  plus  en  plus.  Demandez  cet  h-  grâce  avec  moi.. 
Demandez  aussi  cette  autre  grâce,  mais  avec  Ion  le 
soumission,  que  je  puisse  achever  l'important  travail  des 
«  méditations  sur  l'Évangile  ».  Le  deuxième  volume  est 
très  avancé.  Il  paraîtra  vers  la  fin  de  l'année,  si  je  ne  suis 
pas  arrêté  trop  souvent  par  la  maladie  qui  me  rend 
incapable  de  tout  travail  pendant  des  mois  entiers... 
Mais  il  y  aurait  encore  au  moins  deux  autres  volumes  !... 
Je  ne  croyais  pas  vivre  si  longtemps,  vu  mon  état  de  santé. 
Peut-être  Dion  veut-ii  me  permettre  de  rester  ici  bas 
jusqu'au  moment  où  j'aurai  raconté  son  Ascension  ! 
Totus  in  Christo, 


VIII 


Bien  cher  ami. 


Dieu  me  tient  depuis  trois  mois  dans  une  impuissance 
presque  absolue,  je  n'ai  que  très  rarement  la  force  de 
célébrer  la  sainte  messe  et  je  n'ai  pu  écrire  une  seule  ligne 
du  troisième  volume  des  méditations.  Il  me  reste  d'offrir 
à  Dieu  l'acceptation  filiale  de  cette  privation.  Rivalisons 
à  qui  le  fera  le  plus  joyeusement  ! 

Ecrivez-moi  de  temps  on  temps.  Je  m'intéresse  parti- 
culièrement à  vous.  Je  demande  à  Dieu  de  vous  rendre  la 
santé.  Qu'on  ne  le  fasse  pas  pour  soi,  c'est  bien;  qu'on  le 
fasse  pour  les  autres,  c'est  également  bien  pour  des  raisons 
différentes. 

Merci  de  votre  zèle  à  répandre  mes  livres.  Leur  diffusion 
est  déjà  grande,  j'en  suis  tout  surpris.  Peut-être  Dieu 
daignera-t-il  me  faire  miséricorde  en  faveur  de  mon  désir 
de  le  faire  aimer! 


—  407   — 

I  X 

Bien  "lier  .uni, 

C'est  un  malade  qui  écrit  à  un  autre  malade  :  depuis 
plus  de  deux  mois,  c'est  à  peine  si  j'ai  pu  monter  au 
saint  autel.  Dieu  m'a  pourtant  fait  la  grâce  inespérée 
d'être  en  état  de  célébrer,  le  23  décembre,  la  fête  de  mon 
cinquantenaire  de  sacerdoce,  dans  une  chapelle  trop 
étroite  pour  le  nombre  d'amis  accourus.  Depuis  lors, 
je  vais  un  peu  mieux,  mais  je  suis  accablé  de  visites  et  de 
lettres  auxquelles  je  veux  répondre.  Je  les  laisse  aujour- 
d'hui de  côté  pour  aller  à  vous,  dont  l'âme  m'est  apparue 
si  rayonnante  en  Dieu.  Vous  pouvez  compter  sur  une 
toute  paternelle  affection  de  mon  cœur. 

Gardez- vous  bien  d'être  attristé  par  toutes  les  traverses 
de  votre  vie,  surtout  par  l'inaction  forcée.  Il  no  faut  voir 
que  la  volonté  de  Dieu  toujours  aimable.  S'il  lui  plaît  de 
n'obtenir  de  vous  que  de  bonnes  souffrances  au  lieu  de 
grandes  œuvres,  vous  lui  êtes  aussi  cher  et  même  aussi 
précieux  :  c'est  la  souffrance  de  Jésus  qui  a  sauvé  le 
monde,  elle  était  nécessaire  à  la  pénétration  de  l'Évangile 
par  la  grâce  qu'elle  mérita.  Je  connais  plusieurs  âmes 
admirables  que  Dieu  traite  en  victimes  et  qui  se  sont 
consacrées  à  lui  à  ce  titre.  Mais  vous  faites  plus,  vous 
êtes  prêtre  et  la  grâce  de  votre  sacerdoce  passe  à  travers 
vos  paroles  édifiantes  et  par  vos  souffrances  plus  édifiantes 
encore.  Ne  sondez  pas  l'avenir,  ce  serait  empiéter  sur  les 
desseins  de  Dieu,  ce  qui  est  imparfait  et  cause  toujours 
du  malaise. 

Mon  deuxième  volume  de  méditations  vient  de  paraî- 
tre; je  vais  vous  l'envoyer;  j'espère  qu'il  contribuera  à 
resserrer  vos  liens  d'affection  avec  le  divin  Maître. 

J'avais  mis  la  main  à  un  troisième  volume,  il  y  a  trois 
mois...  J'ai  été  complètement  arrêté  par  la  maladie  et 
ma  faiblesse  extrême.  Les  médecins  se  demandent'com- 
ment  je  peux  vivre.  Si  Dieu  préfère  que  je  n'achève  pas 
l'œuvre  qui  est.  à  moitié  chemin,  je  ne  m'en  attristerai 


—  408  — 

pas.  Je  serais  pou/tant  bien  content  de  suivre  le  divin 
Maître  jusqu'à  son  Ascension  et  l'y  suivre... 

Je  vous  envoie  à  H.  tous  mes  vœux  de  guérison,  car 
vous  êtes  jeune;  et.  tous  mes  vœux  de  sainteté,  car  je 
vous  aime. 


X 

Bien  cher  ami, 

Je  reviens  un  peu  à  la  vie.  après  avoir  été  longuement 
malade  et  complètement  réduit  à  une  existence  inutile 
aux  autres.  Je  ne  vous  ai  point  oublié... 

Aimons,  vous  et  moi,  la  vie  amoindrie  que  Dieu  veut  de 
nous.  Faisons-lui  plaisir  en  nous  montrant  plus  que 
résignés,  joyeux  ! 

Mon  quatrième  volume  des  méditations  en  est  au  tiers 
environ.  L'achèverai-je?  Mes  soixante-seize  ans  et  ma  fai- 
blesse extrême  m'en  font  douter.  En  cela  comme  en  tout, 
que  le  bon  plaisir  de  Dieu  s'accomplisse  ! 


—  409 


DIX-NEUVIEME    SERIE 


Mon  bien  cher  ami, 

Combien  je  sens  la  blessure  de  votre  pauvre  cœur  ! 
Perdre  un  tel  ami  qui  était  pour  vous  presque  un  frère, 
une  si  belle  espérance  pour  la  cause  de  Dieu,  et  cela,  si 
vite  et  si  brutalement  !  Il  est  vrai,  la  suprême  consolation 
vous  reste  :  la  more  pour  lui  est  un  gain.  Le  voilà  sûre- 
ment dans  le  bonheur,  et  c'est  avec  compassion  qu'il 
voit  votre  douleur  :  «  Pourquoi  me  plaindre  quand  on 
m'aime?  On  devrait  me  féliciter;  je  meurs  pour  une  si 
belle  cause,  et  j'avais  pleinement  conscience  des  grands 
motifs  qui  voulaient  mon  sacrifice  !  »  En  quelques  jours, 
en  effet,  on  peut  donner  à  Dieu  beaucoup  de  gloire  par 
l'élévation  des  motifs  et  l'intensité  de  l'acte  d'offrande. 

Ne  vous  reprochez  pas  de  pleurer.  Nous  pouvons 
légitimement  agir  comme  de  pauvres  cœurs  humains  que 
n'a  pas  rassasiés  la  vision  de  l'infini...  Un  vide  s'est  fait 
dans  votre  existence.  Quelque  chose  de  vous  se  trouve 
comme  arraché.  Plus  votre  peine  est  vive,  plus  belle  est 
votre  résignation. 

Oh  !  oui,  je  prierai  pour  la  pauvre  mère.  C'est  elle  qui 
peut  être  l'objet  de  notre  compassion.  Que  Dieu  lui 
donne  les  sentiments  qui  font  les  grandes  âmes  ! 


—  410  — 

II 
Mon  bien  cher  ami, 

...  Suivez  sans  crainte  l'attrait  qui  vous  porte  à  vous 
rendre  comme  sensible  la  vie  de  Jésus  en  vous.  Cette 
douce  préoccupation  habituelle  est  à  la  fois  un  principe 
d'action  et  de  dévouement. 

Faites  dominer  la  confiance.  Ne  vous  attristez  pas 
quand  vous  vous  sentez  loin  de  votre  idéal.  Celui  qui  vit 
en  vous  anime  des  sarments,  comme  le  fait  la  sève  pour  la 
vigne. 

Quand  vous  parlez  aux  autres  (et  surtout  en  public), 
laissez  de  côté  toute  timidité  :  ce  n'est  pas  vous  qui  parlez. 
Il  vous  sera  donné  ce  qu'il  faut  dire.  Ce  que  vous  aurez 
préparé  prendra  vie,  et  il  vous  viendra  peut-être  des 
pensées  qui  ne  vous-  étaient  pas  venues. 

Félicitez-moi.  J'ai  enfin  l'autorisation  de  célébrer  ma 
messe  dans  ma  chambre. 

III 
Mon  bien  cher  ami, 

Suivez  le  mouvement  qui  vous  porte  de  plus  en  plus  à 
l'union  parfaite.  Le  désir  est  comme  l'appétit,  il  fait  qu'on 
s'assimile  tout  aliment. 

Ne  vous  étonnez  pas  de  ne  pas  constater  vos  progrès. 
C'est  ce  qui  se  passe  pour  ce  qui  pousse  peu  à  peu,  comme 
la  plante  que  vous  ne  voyez  pas  grandir  journellement. 
La  croissance  ne  se  manifeste  qu'au  bout  d'un  certain 
temps,  et  encore,  dans  ses  rapports  avec  nos  âmes,  Dieu 
préfère  nous  les  cacher. 

Votre  attrait  pour  Jésus  dans  son  Eucharistie  est  une 
grâce  insigne;  elle  suppose  une  communication  plus  intime 
du  mystère.  Vous  commencez  à  voir  à  travers  le  voile, 
enfant  gâté  du  bon  Dieu  ! 


—  411  — 

Ne  songez  pas  à  la  vie  religieuse.  Vous  êtes  à  la  place 
où  Dieu  vous  veut.  Cela  est  évident  pour  moi. 

Je  le  crois  bien  que  je  vous  recevrai  le  premier  mars! 
La  joie  ne  peut  faire  que  du  bien. 


IV 

Mon  bien  cher  ami, 

Oui,  j'ai  reçu  votre  carte,  vos  deux  noms  et  l'effusion 
de  deux  âmes  unies.  C'est  une  douce  joie  pour  mon  cœur. 

Vous  avez  admirablement  compris  le  principe  de 
l'obéissance  et  sa  grandeur.  Consultez  avant  tout  l'Esprit- 
Saint,  le  plus  souvent  par  un  simple  regard,  parfois  avec 
une  attention  prolongée  et  silencieuse,  afin  d'entendre  le 
mot  qui  fixe  ou  qui  stimule. 

Pour  la  pratique  de  l'obéissance,  l'important  est  de 
la  surnaturaliser;  mais  il  faut  tenir  compte  du  «  ratio- 
nabile  obsequium  »  par  rapport  à  la  règle  et  aux  devoirs 
des  supérieurs.  Évitez  les  critiques  même  les  plus  anodi- 
nes sur  les  supérieurs,  par  respect  pour  l'Ésprit-Saint 
dont  ils  sont  les  représentants,  quoique  faillibles.  On  a  le 
droit  dans  certains  cas  de  leur  faire  des  observations  et 
même  de  ne  pas  suivre  un  avis  qui  n'est  pas  un  comman- 
dement; mais  rien  n'excuse  la  critique,  et  elle  affaiblit 
l'esprit  de  foi  à  leur  égard.  Si  critiquer  sans  malice  n'est 
pas  faute,  éviter  ces  sortes  de  critique  est  un  acte  de  la 
vertu  d'obéissance. 

J'aime  à  me  représenter  l'Esprit-Saint  gouvernant 
l'âme  de  Jésus,  et  l'âme  de  Jésus  si  heureuse  de  se  sentir 
entre  ses  mains.  Que  la  vôtre  leur  donne,  à  l'un  et  à 
l'autre,  pleine  satisfaction  ! 

P.-S.  —  Je  vais  assez  bien  en  ce  moment  et  je  pour- 
rais travailler  si  on  m'en  laissai!  le  temps...  Je  ne  sais 
pas  repousser  une  âme. 


412  — 


V 

Mon  bien  cher  ami, 

L'Esprit-Saint  semble  vouloir  vous  tenir  sous  ses 
chauds  rayons  pour  faire  de  votre  âme  un  jardin  de  prin- 
temps. Laissez-vous  faire  docilement  et  ne  vous  défiez 
pas  d'une  action  qui  est  toute  bonté.  Peut-être  vous 
prépare-t-elle  à  la  souffrance?  Vous  y  arriverez  avec  une 
telle  habitude  d'abandon  que  vous  ne  regarderez  plus  la 
chose  en  elle-même. 

Vous  aurez  donc,  dans  quelques  jours,  trente-deux  ans  ! 
C'est  l'âge  où  le  divin  Maître  jetait  à  pleines  mains  ses 
lumières,  ses  bienfaits,  et  aussi  ses  tendresses,  qui  ne 
trouvaient  pas  un  écho  bien  vibrant  dans  les  cœurs.  Mais 
dès  lors  il  projetait  son  regard  jusqu'à  X...,  et  il  distin- 
guait un  jeune  apôtre  plein  d'amour  pour  lui,  tout 
décidé  à  se  donner  tout  entier,  sans  aucun  retour  sur 
lui-même,  de  façon  à  ne  vivre  que  de  Lui  et  pour  Lui... 
Vous  fûtes  alors  sa  consolation.  Ah  !  oui,  croyons  à 
l'amour  d'un  cœur  humain  rempli  d'infini  !  Ne  soyons 
pas  étonnés  de  ses  condescendances  si  profondes. 

—  Un  mot  à  propos  de  l'examen  particulier.  Vu  le 
peu  de  temps  dont  vous  disposez,  faites-en  un  exercice 
de  surveillance  avec  quelques  points  d'arrêt...  Le  matir, 
en  vous  habillant,  rappelez-le  nettement  à  votre  mémoire. 
Vers  le  milieu  de  la  journée,  prenez  une  ou  deux  minutes 
pour  examiner  ce  qu'a  été  la  matinée  à  ce  point  de  vue. 
Le  soir,  à  une  heure  propice,  un  dernier  retour. 


VI 

Mon  bien  cher  ami, 

Oh  !  oui,  venez  à  moi  !  je  sens  tout  ee  qu'éprouve  votre 
cœur.  Notre  peine  est  un  appel  à  l'abandon  à  Dieu  : 
faisons-le    plus   entier,    plus   profond,    plus   filial   enfin. 


—  413  — 

Adorons  ce  que  nous  ne  comprenons  pas  dans  les  desseins 
de  Dieu;  regardons-les  comme  les  meilleurs,  pour  nos 
amis  comme  pour  nous,  puisque  nous  sommes  de  ceux 
qui  laissent  Dieu  agir  librement. 

Heureux,  bienheureux  ceux  qui  pleurent.  Ils  seront 
consolés  :  ici-bas,  dans  la  maternelle  affection  de  Marie 
ut  dans  l'ineffable  intimité  du  Sacré-Cœur;  là-haut, 
dans  l'union  à  l'amour  infini. 

Dans  mille  ans,  que  penserons-nous  de  l'heure  actuelle 
qui  passe?...  Essayons  de  le  penser  dès  maintenant. 
C'est  une  atmosphère  de  paix. 


VII 

Mon  bien  cher  ami, 

La  fièvre  m'a  privé  du  bonheur  de  célébrer  la  mess*', 
ce  matin;  et  je  ne  sais  si  elle  me  le  permettra  demain. 
Pour  avoir  été  moins  délicieusement  uni  à  votre  âme, 
j'ai  vécu  avec  vous  de  vos  chers  souvenirs.  Je  bénis  Dieu 
des  grâces  dont  il  yous  comble  et  je  lui  dis  :  Ce  n'est  pas 
encore  assez.  Révélez-vous  à  lui  d'une  façon  plus  lumi- 
neuse. Suscitez  en  son  cœur  un  amour  qui  vous  étreigno 
toujours  plus  fortement.  Faites  passer  en  son  âme  l'abon- 
dance de  la  vie  de  Jésus,  afin  qu'il  soit  pour  vous  une  de 
ces  consolations  trop  rares  et  que  vous  mériteriez  de  tous. 

S'il  y  a  sur  la  terre  des  êtres  de  bonté,  que  penser  du 
cœur  de  Jésus  plus  aimant  que  tous  les  cœurs  des  hommes 
pris  ensemble? 

Priez-le  de  me  pardonner  de  pousser  les  autres  vers  lui, 
et  de  rester  si  loin  ! 

VIII 

Mon   bien   cher  ;inii, 

Je  vous  plains  de  toute  mon  âme  !  vous  me  rappelez. 
un  vaillant   soldat   qui   revient   d'une   rude   campagne, 


—  414  — 

et  qui  se  reproche  de  n'avoir  pas  bien  fourbi  ses  armes, 
ses  armes  dont  il  s'est  bien  servi  !... 

Si  je  vous  faisais  des  reproches,  je  craindrais  une  chose  : 
c'est  d'en  recevoir  pour  cela  du  divin  Maître,  car  je  vois 
qu'il  ne  vous  en  fait  pas;  au  contraire,  il  vous  gâte.  Tant 
qu'il  agira  ainsi,  je  n'ai  rien  à  dire.  J'espère  qu'il  le  fera 
longtemps  et  sans  doute  de  plus  en  plus,  afin  de  vous 
communiquer  ce  qu'il  veut  que  vous  donniez  aux  autres. 

Reposez-vous  bien  à  X...  Votre  santé  m'inquiète  plus 
que  votre  âme,  en  ce  moment.  Votre  âme,  d'ailleurs,  se 
trouvant  libre  de  soucis,  va  se  plonger  dans  l'amour  de 
Dieu  tel  que  le  lui  montrera  notre  Père  saint  François 
de  Sales. 


IX 


Mon  bien  cher  ami, 

Je  crains  que  vous  ne  vous  fatiguiez  dans  le  travail 
intense  dont  vous  me  parlez.  Il  faut  faire  feu  qui  dure, 
et  pour  cela  ménager  le  combustible.  J'espère  que  voire 
.retraite  sera  plutôt  un  repos.  Ce  n'est  pas  par  une  trop 
grande  tension  d'esprit  qu'on  arrive  à  de  bons  résultats. 
Pour  vous  surtout,  je  crois  que  la  méthode  la  plus  utile 
est  d'écouler  ce  qui  vous  sera  dit  dans  votre  cœur.  Si  les 
instructions  étaient  peu  dans  le  sens  de  l'union  à  Jésus, 
vous  n'en  feriez  pas  le  fond  de  votre  retraite  et  vous  con- 
sacreriez vos  heures  libres  aux  auteurs  mystiques,  comme 
Tauler,  qui  vous  attache  à  Dieu  par  des  vues  aussi  sim- 
ples qu'élevées.  Vous  n'avez  pas  besoin  de  vous  instruire 
particulièrement  des  questions  de  spiritualité  durant  cette 
retraite,  mais  de  vous  préparer  par  le  recueillement  à  la 
direction  du  Saint-Esprit. 

Je  crois  qu'on  peut  s'isoler  durant  les  récréations  et 
garder  le  silence.  Faites  à  cet  égard  ce  qui  vous  paraîtra 
le  mieux. 

Il  va  sans  dire  que  vous  ne  vous  occuperez  que  de  vous 
et  non  des  lettres  qui  vous  demanderaient  des  conseils. 


—  415  — 

11  no  s'agit  pas  en  ce  moment  d'exercer  le  zèle,  mais  de 
l'alimenter. 

Quand  vous  viendrez  le  2  octobre,  je  vous  accueillerai 
les  bras  ouverts.  Vous  me  trouverez  peut-être  encore  plus 
affaibli.  Je  vis  en  être  inutile  :  dans  l'espace  de  trois  mois, 
je  n'ai  écrit  que  cinq  méditations,  et  que  valent-elles! 
Messes  de  plus  en  plus  rares,  et  suivies  d'un  accablement 
complet.  Je  suis  content  de  tout,  même  de  ma  nullité. 

Je  vous  aimerai  toujours,  même  au-delà  de  la  tombe. 
Je  vous  bénis  de  tout  cœur. 


VINGTIEME    SERIE 


Bien  cher  frère, 

Je  suis  grandement  édifié  de  votre  admirable  ouverture 
de  cœur  :  vous  ne  reculez  devant  rien  et  vous  vous  expri- 
mez avec  tant  d'abandon!  Votre  âme  est  toute  à  Dieu, 
et  vous  voulez  la  faire  toute  de  Dieu.  «  Vous  aimez  en 
haut?  vous  êtes  en  haut  »,  dit  le  P.  de  Ravignan,  et  il 
ajoute  :  «  Pour  arriver  à  la  sainteté,  il  faut  1°  du  courage; 
2°  du  courage;  3°  du  courage.  » 

Vous  me  permettrez  de  prendre  du  temps  pour  prier, 
avant  que  je  passe  à  des  conseils  précis.  Je  ne  veux  vous 
dire  aujourd'hui  que  mes  sentiments  d'estime  et  d'affec- 
tion; ils  sortent  tout  seuls  de  mon  cœur.  Si  je  ne  vous 
avais  pas  répondu  dès  ce  jour,  j'aurais  eu  du  remords  : 
vous  auriez,  pu  souffrir! 


'60 


—  416  — 


II 


Bien  cher  confrère, 

II  me  tarde  à  moi  aussi,  je  vous  l'assure,  de  vous  voir 
et  de  vous  témoigner  mon  affection.  Vous  n'êtes  déjà  plus 
un  étranger  pour  moi,  mais  je  veux  que  vous  me  deveniez 
un  ami.  Quoique  plus  âgé  que  vous,  je  vous  paraîtrai 
trop  jeune  pour  avoir  droit  à  autre  chose  qu'à  une  con- 
fiance fraternelle,  et  c'est  cette  situation  d'égalité  que  je 
vous  supplie  d'accepter  :  je  ne  saurais  vous  être  utile  que 
par  mon  cœur. 

III 

Mon  bien  cher  ami, 

Votre  chère  lettre  m'est  arrivée  en  retard,  et  ma  réponse, 
hélas!  n'est  pas  plus  fidèle!  Savez-vous  que  je  trouvais 
le  temps  bien  long  depuis  votre  départ?  A  peine  nous 
étions-nous  quittés  depuis  quelques  jours,  que  j'éprou- 
vais ce  mélange  de  contentement  et  de  tristesse  qui  suit 
une  visite  aimée.  Puis,  le  temps  s'écoulant,  je  me  deman- 
dais si  vous  étiez  brave.  Vous  dites  ne  l'avoir  pas  été,  je 
ne  vous  crois  qu'avec  réserve. 

Vous  ajoutez  que  vous  vous  sentez  toujours  le  même. 
Oh  !  sur  ce  point  je  vous  crois  sans  réserve.  La  nature  ne 
se  refait  pas  si  vite.  Vous  avez  posé  le  principe  de  sa 
réforme  :  confiance  filiale  en  Dieu;  abandon  à  notre  Sau- 
veur bien-aimé,  confiance  et  abandon  quand  même!  C'est 
ce  quand  même  qu'il  faut  prendre  pour  devise  Vous  ne 
vous  découragerez  jamais,  vous  aurez  de  la  douleur  sans 
tristesse,  vous  vous  supporterez,  puisque  Notre-Seigneur 
non  seulement  vous  supporte,  mais  vous  aime  ! 

Faites- vous  toujours  content  et  faites-vous  un  visage 
content.  Voulez- vous  connaître  un  moyen  de  ne  pas  vous 
laisser  abattre?  C'est  de  ne  pas  désirer  votre  sainteté 
pour  vous  ni  pour  elle,  mais  pour  que  Dieu  soit  content. 


—  417  — 

Or,  quelle  qu'ait  été  votre  journée  d'hier,  celle  d'aujour- 
d'hui peut  plaire  à  Dieu,  cette  action  peut  lui  être  agréa- 
ble, faites- la.  Moins  vous  aurez  été  fidèle  la  veille,  moins 
vous  serez  content  de  vous,  et  plus  ce  que  vous  ferez  de 
bien  sera  fait  purement  et  par  amour. 

Ne  laissez  pas  votre  âme  dans  l'attitude  de  la  tristesse, 
car  l'habitude  s'y  jiourrit.  Ne  pensez  même  pas  trop  pour- 
quoi ni  jusqu'à  quel  point  vous  êtes  triste.  Sortez  de  là, 
puisque  c'est  résolu,  et  faites  à  votre  nature  ce  bon  tour 
de  vous  réjouir,  malgré  son  penchant. 

S'il  est  vrai  que  je  puisse  vous  encourager  et  si  vous 
sentez  vraiment  combien  je  vous  aime,  n'hésitez  pas  à 
m'écrire,  dès  que  vous  en  aurez  envie;  n'attendez  pas  les 
époques.  Donnez-moi  cette  sécurité  de  savoir  que  si  vous 
ne  m'écrivez  pas,  c'est  que  tout  va  bien  et  que  si  vous 
m'écrivez,  c'est  pour  que  tout  se  remette  à  aller  bien. 


IV 

Bien  cher  confrère  et  ami, 

Vos  petits  mots  me  sont  toujours  de  grandes  joies  et 
vos  souffrances  me  font  peine  et  joie!  Habituez- vous 
donc  à  vous  voir  en  double  :  celui  qui  veut  et  celui  qui 
sent.  Le  premier  seul  est  responsable,  l'autre  se  fait  traî- 
ner. C'est  un  frère  infirme  dont  le  vaillant  frère  aîné  rou- 
girait trop  volontiers,  et  pour  lequel  il  n'aurait  pas  assez 
de  bonté  compatissante.  Qu'il  le  supporte  et  le  porte, 
qu'il  ne  lui  dise  jamais  de  dures  choses,  mais  l'encourage 
et  l'aime  !  C'est  un  frère,  il  ne  peut  faire  qu'il  ne  le  soit 
pas;  c'est  un  frère  infirme,  il  doit  être  un  peu  mère  pour 
lui.  Les  nerfs  ne  se  détendent  point  par  la  violence. 

Oui,  continuez  votre  examen  particulier  sur  la  paix, 
ou  plutôt  vers  la  paix.  Choisissez  le  mode  le  plus  selon 
votre  attrait  :  ou  l'amour  de  vos  infirmités,  ou  l'expres- 
sion plus  fréquente  de  votre  amour  envers  Notre-Sei- 
gneur,  ou  l'abandon  confiant,  ou  le  contentement  inté- 
rieur. Je  le  répète,  choisissez  selon  votre  attrait.  Je  vous 


—  418  — 

montre  seulement  le  but  :  la  paix;  c'est  voire  plus  grand 
besoin  et  ce  sera  votre  auxiliaire  universel  pour  tous  les 
autres. 

Puisque  le  bon  Dieu  ne  vous  retient  pas  aux  médita- 
tions ayant  pour  objet  Notre-Seigneur,  mettons-nous 
résolument  aux  probations  avec  l'année  prochaine. 


Cher  frère  et  ami, 

Je  me  sens  plus  content  de  vous;  vous  paraissez  moins 
souffrant,  plus  calme  et  plus  abandonné  à  Dieu.  Vous 
méritiez  assurément  beaucoup,  quand  vous  étiez  accablé, 
mais  vous  ne  mériterez  pas  moins  quand,  déchargé  du 
poids  de  vous-même,  vous  marcherez  de  progrès  en  pro- 
grès et  de  joie  en  joie. 

Croyez-moi,  songez  plus  à  Dieu  qu'à  vous;  avancez  plus 
en  regardant  en  haut  qu'en  examinant  devant  vos  pas  : 
«  Oculi  mei  semper  ad  Dominuin,  quoniam  ipse  evellet  de 
loqueo  pedes  meus.  » 

Quoique  vous  alliez  mieux,  je  ne  veux  pas  du  tout  de 
contention,  même  pour  penser  très  souvent  à  Dieu  par 
effort.  Soyez  bien  vraiment  tout  à  Lui  sincèrement  et 
loyalement,  et  tout  ce  que  produira  la  vie  lui  appartiendra. 
Ce  sentiment  qu'on  est  bien  à  Lui  se  présente  tout  seul 
si  souvent,  et  il  suffit. 

Oh  !  par  exemple  je  vous  veux  tout  à  Dieu  par  rapport 
à  vos  supérieurs.  Soyez  sans  fiel  et  sans  orgueil,  aussi 
petit  enfant  que  possible.  Demandez-vous  ce  que  ferait  et 
dirait  saint  François  de  Sales  dans  votre  position.  Après 
cela,  s'il  vous  arrive  de  manquer  à  cette  résolution,  il 
n'y  a  pas  lieu  de  se  désoler,  mais  de  se  mieux  tenir  ensuite. 

Je  sais  combien  il  est  facile  dans  un  petit  séminaire  de 
se  monter  la  tète  pour  le  bien  général  et  je.  sais  aussi  que 
rarement  nos  plaintes  répandues  ont  porté  remède  aux 
abus.  Si  le  Supérieur  est.  capable  de  comprendre  et  de 
bien  prendre  un  avis,  même  d'un  tout  petit  professeur, 


—  419  — 

allez  à  lui  finalement.  Sinon,  méritez  par  votre  pàfienoe  et. 
votre  inviolable  charité  que  Dieu  fasse  ce  que;  vous  ne 
pouvez.  Je  ne  sache  pas  qu'on  doive  jamais  manquer  à  la 
charité  pour  aucune  autre  vertu;  mais  je  sais  clairement 
que  chacune  des  vertus  lui  emprunte  ce  qu'elle  a  de  meil- 
leur. Vous  savez  le  mot  de  saint  François  de  Sales  : 
«  La  vérité  qui  n'est  pas  charitable  procède  d'une  charité 
qui  n'est  pas  véritable.  »  La  vérité  et  le  bien  demandent 
parfois  la  représentation  et  l'avertissement,  mais  la  cha- 
rité en  doit  être  et  l'inspiratrice  et  la  forme. 

VI 

Mon  cher  ami, 

Tenez- vous  toujours  de  bonne  humeur  autant  que  vous 
pourrez;  les  saules  pleureurs,  vous  savez,  ne  produisent 
point  de  fruits.  Donnez  pour  fondement  à  cette  disposi- 
tion la  certitude  d'être  un  enfant  chéri  de  Notre-Seigneur. 
Les  parents  aiment  parce  qu'ils  sont  parents  et  non  pas 
en  proportion  des  qualités  de  leurs  enfants  :  ainsi  fait 
Notre-Seigneur,  surtout  pour  ses  prêtres. 

Ne  cherchez  pas  une  union  à  Dieu  trop  tendue  et  guin- 
dée. Ne  lui  faire  jamais  de  peine  volontairement,  se  déci- 
der de  bon  cœur  à  toute  chose  qui  lui  est  plus  agréable, 
garder  son  cœur  paisible  à  la  vue  de  ses  misères  que  l'on 
regrette,  n'est-ce  pas  vivre  pour  Dieu  et  de  Dieu? 

Rappelez-vous  sans  cesse  à  la  confiance  et  à  la  dilata- 
tion; il  surgira  de  cette  disposition  plus  d'actes  d'amour 
que  de  toutes  vos  tristesses. 

Vraiment  si  quelqu'un  était  pour  vous,  proportion  gar- 
dée, ce  que  vous  voulez  être  pour  Dieu,  est-ce  que  vous 
ne  l'aimeriez  pas?  Et  Dieu  est  meilleur  que  vous  ! 


VII 

Vous  avez  mille  fois  raison,  mon  bien-aimé  frère,  de 
vous  décider  à  de  nouveaux  essais  en  faveur  de  l'âme  de 


—  420  — 

vos  élèves.  Oui,  il  faut  leur  montrer  qu'on  est  prêtre, 
qu'on  les  aime,  qu'on  attend  d'eux  quelque  chose  de 
grand.  Oui,  il  faut  se  servir  des  récréations  pour  les  for- 
mer aux  motifs  surnaturels  et  les  dépouiller  de  tout  ce  qui 
est.  grossier  et  trop  humain  dans  leur  nature.  Quelquefois 
une  réflexion  les  frappera,  un  reproche  enveloppé  dans 
beaucoup  d'affection  les  corrigera.  Comptez  beaucoup  sur 
le  respect  que  vous  leur  témoignerez,  et  sur  la  bonne  opi- 
nion que  vous  prendrez  soin  de  leur  manifester.  Ils  seront 
portés  à  faire  ce  dont  vous  les  croirez  capables. 

Vous  n'attendez  vraiment  pas  des  succès  immédiats; 
vous  ne  prétendez  pas  non  plus  yous  trouver  dès  le  pre- 
mier jour  pourvu  de  cette  autorité  morale  qui  s'impose. 
Posez-vous  bien,  sans  cela  vous  ne  ferez  rien.  Sacrifiez 
d'autres  biens  à  celui-là. 

Employez  de  préférence  l'éloge  et  l'encouragement  au 
bien.  Gagnez  les  cœurs.  Pas  trop  de  zèle  !  Vous  savez  dans 
quel  sens  je  parle,  c'est-à-dire,  faites  cela  sans  qu'on  le 
remarque,  et  allez  peu  à  peu  davantage  avec  les  élèves. 
Laissez  croire  que  c'est  par  goût.  Ne  blâmez  pas  les  autres 
professeurs.  Patience!  vous  semez;  ne  comptez  pas  sur 
la  moisson  encore,  mais  comptez  que  sûrement  vous  In 
préparez. 

VIII 

Mon  cher  frère, 

o 

Je  suis  content  de  voir  votre  attention  portée  sur 
l'examen  particulier.  Vous  vous  étonnez  peut-être  de  ce 
sentiment  en  le  comparant  à  la  ligne  habituelle  de  con- 
duite que  je  vous  conseille.  Je  vous  recommande,  à  la 
vérité,  de  ne  pas  vivre  d'examen  et  d'une  trop  grande 
attention  sur  vous,  mais  je  concilierai  facilement  les 
deux  choses,  en  vous  conseillant  de  faire  votre  examen 
particulier  justement  sur  cette  voie  de  dilatation  qui 
exclut  la  préoccupation  de  conscience. 

Examinez- vous  sur  votre  fidélité  à  remplacer  les 
regards   trop   fréquents  sur   vous  par  des  regards  très 


—  421  — 

confiants  vers  Dien.  Veillez  à  ce  que  ces  rapports  avec 
Dieu  restent  pénétrés  d'amour.  Vous  pourriez  marquer 
l>ar  exercice  et  par  heure  :  tel  exercice  a-t-il  été  fait  avec 
dilatation,  avec  plus  de  pensées  vers  Dieu  que  sur  moi? 
En  dehors  des  exercices  :  de  telle  heure  à  telle  autre,  de 
7  à  8,  de  8  à  9,  etc.,  ai-je  vécu  dans  cette  disposition? 
Vous  marqueriez  autant  de  fois  que  d'exercices  et  d'heu- 
res non  pénétrés  de  cet  esprit. 

Prenez  simplement  le  repos  qui  vous  semble  bon  et  les 
distractions  qui  le  favorisent.  Ne  vous  forcez  pas  à  lire 
beaucoup.  La  présence  affectueuse  de  Dieu  peut  suppléer 
à  tout,  et,  dans  votre  état,  c'est  le  seul  point  sur  lequel 
j'insiste. 

Priez  pour  moi;  je  voudrais  être  moins  mauvais;  ne 
fût-ce  que  pour  être  utile  aux  âmes  et  à  la  vôtre. 


IX 

Mon  bon  et  cher  frère, 

Vous  parlez  si  bien  de  votre  intérieur  et  de  ce  que  vous 
devriez  faire,  que  je  n'aurais  rien  à  vous  dire,  si  ce  n'est 
de  remplir  le  rôle  de  la  conscience  qui  dit  «  bien  »  quand 
c'est  bien,  et  «  mal  »  quand  c'est  mal.  Je  veux  être  une 
force  qui  vous  rassure  en  vous  parlant  au  nom  de  Dieu. 

Tout  va  bien  sauf  votre  santé,  car  vous  supportez 
généreusement  les  résultats  de  cet  état.  Persuadez-vous 
que,  parmi  ces  résultats,  le  mécontentement  de  vous  est 
un  des  plus  méritoires  à  supporter.  Ce  mécontentement 
n'est  en  soi  ni  bien,  ni  mal,  il  est  un  état  de  vos  nerfs. 

En  bonne  vérité,  vous  faites  pour  Dieu  ce  qu'il 
demande,  et  quand  je  vous  porte  à  le  faire  doucement  et 
simplement,  c'est  un  desideratum  que  je  vous  propose  et 
pas  un  ordre  que  je  vous  donne  :  parfois  vous  ne  pour- 
riez pas  l'accomplir.  Soyez  calme  en  voyant  que  vous  ne 
pouvez  pas  le  réaliser. 

Si  maintenant  vous  voulez  me  faire  un  plaisir,  vous  ne 
chercherez,  dans  votre   prochain  compte  rendu,  que  le 


—  422  — 

bien;  vous  no  me  direz  que  cela,  vous  remercierez  Notre- 
Seigneur  de  ce  bien,  si  petit  qu'il  soit,  vous  vous  appli- 
querez à  en  être  heureux.  Assurément  la  pensée  de  ce  qui 
est  défectueux  vous  envahira,  mais  vous  l'éeartefez 
autant  que  vous  pourrez,  et  si  cette  vue  s'impose  malgré 
vous,  vous  vous  imposerez  de  la  soutenir  avec  calme  et 
de  vous  en  affranchir  par  la  persuasion  que  Notre-Sèi- 
gneur  vous  l,e  demande. 

Quel  profond  détachement  ne  produiront  pas  toutes  ces 
peines  !  Quel  amour  humble  et  confiant  aussi  ! 

Courage  !  cher  et  bon  frère,  ne  cherchez  pas  le  sensible 
dans  la  piété  et  ne  prenez  pas  pour  un  manque  d'amour 
un  manque  de  consolation.  Si  vous  pouvez  douter  de 
votre  cœur,  ne  doutez  jamais  de  celui  de  Notre-Seigneur 
pour  vous  ;  or  ce  cœur  vous  est  acquis  comme  prêtre 
voulant  être  fidèle.  Adieu  et  tout  vôtre. 


X 

Continuez,  mon  bon  et  cher  frère,  à  faire  votre  pané- 
gyrique le  mois  prochain,  et  appliquez-vous  à  voir  en 
vous  habituellement,  plus  le  bien  que  Dieu  y  met  que  le 
mal  qu'il  y  laisse.  Allez  à  l'aveugle,  s'il  le  faut,  pour  faire 
ainsi  :  tel  est  mon  désir  formel. 

L'enthousiasme  que  vous  inspirez  ne  m'étonne  pas... 
parce  que,  comme  vous  le  dites,  il  est  un  peu  facile  à  ces 
gens  du  monde,  peut-être  un  peu  aussi  parce  que  vous 
avez  au  moins  le  désir  d'être  un  bon  périt  serviteur  de 
Dieu  et  que  cela  se  voit. 

Venons  à  l'affaire  capitale.  J'y  ai  pensé  sérieusement. 

Je  me  suis  demandé  s'il  ne  vous  serait  pas  plus  avan- 
tageux de  quitter  l'enseignement  et  de  prendre  du  mi- 
nistère. J'ai  toujours  vu  les  vicaires  se  remettre,  et  raremen  t 
les  professeurs.  Le  ministère,  quoi  qu'on  en  pense,  tend 
beaucoup  moins  les  nerfs.  Rien  en  vous  ne  m'alarme  pour 
une  telle  situation. 

Si  vous  étiez  de  cet  avis,  vous  n'auriez  pas  l'ennui  de 
refuser  les  surveillances  ou  le  grave  dommage  d'y  suc- 


—  423  — 

rnn»ber,  si  vous  les  acceptez.  Dans  le  cas  où  vous  sauriez 
que  l'on  ne  tiendra  pas  compte  de  vos  réclamations,  le 
mieux  me  paraîtrait  être  de  demander  tout  bonnement 
du  ministère  pour  essayer  d'arriver  à  une  détente  des 
nerfs.  Ne  vous  effrayez  pas  de  cette  proposition  inatten- 
due. Consultez  une  ou  deux  personnes  prudentes. 


XI 

Le  mal  n'est  pas  très  grand,  cher  ami;  c'est  affaire  de 
surprise;  ces  âmes  qui  vous  sont  confiées  vous  ont  tant 
préoccupé  !  Concilier  l'activité  et  la  vie  intérieure  n'est 
point  si  facile;  raison  de  plus  pour  s'y  résoudre  avec 
volonté  et  profiter  de  ses  écoles.  Vous  voilà  un  peu  à 
sec  parce  que  vous  avez  moins  tenu  le  verre  sous  la  fon- 
taine. Vous  remarquez  déjà  que  la  fécondité  ne  tient  pas 
exactement  à  l'activité.  Portez  donc  maintenant  votre 
attention  principale  sur  vous-même.  Servez-vous  de 
l'examen  particulier  pour  vous  y  tenir;  prenez-le  par 
exemple  sur  l'esprit  de  prière. 

Dès  le  matin,  renouvelez  vivement  votre  résolution  de 
vivre  dans  l'esprit  de  prière,  de  vous  mettre  tout  entier  à 
chaque  exercice  de  piété  et  de  retourner  vers  Dieu  dans  les 
intervalles.  Durant  le  jour,  vivez  avec  ce  saint  désir,  par- 
fois formulez-le  nettement.  Vers  midi,  puis  le  soir,  suivez 
votre  journée  à  ce  point  de  vue.  Ne  vous  étonnez  pas  des 
manquements  et  des  retards.  La  Sainte  Vierge  est  là 
pour  vous  faire  pardonner  et  vous  relever... 


XTI 

Vous  savez,  cher  frère,  que  je  ne  crois  pas  à  votre 
lâcheté,  mais  pas  du  tout.  Quant  à  l'agitation,  c'est  autre 
chose,  mais  ce  n'est  point  chose  absolument  dépendante 
de  vous.  Vous  remettre  doucement  dans  le  calme,  sup- 
porter les  moments  où  vous  ne  le  pouvez  pas,  faire 
quand  même  tous  vos  exercices,  affirmer  quand  même 


—  424  — 

tous   les  sentiments  que  vous  voulez  avoir...  et  prendre 
Soin   île   votre  santé. 

Faites  deux  parts  de  vos  exercices  de  piété.  Gardez 
coûte  que  coûte  l'oraison,  l'examen  et  la  présence  de  Dieu, 
ainsi  que  les  moyens  -qui  les  assurent,  comme  la  prépa- 
ration, et  l'exactitude  au  lever.  Soyez  plus  coulant  sur 
l'omission  passagère  des  autres  :  il  n'y  aura  jamais  grand 
mal  si  vous'y  mettez  la  garantie  de  me  le  faire  connaître 
toujours  très  clairement  sans  estimation  des  détails. 


XIII 

Vous  avez  terriblement  à  lutter  pour  faire  la  chose  la 
plus  naturelle  :  agir  avec  Dieu  comme  avec  une  Bonté  infi- 
nie qui  vous  aime;  comme  avec  un  frère  qui  a  tout  inté- 
rêt comme  toute  affection  à  notre  bien.  Vous  vivez  dans 
V habitude  contraire,  et  c'est  elle  qui  vous  retient  dans 
son  ornière,  quand  tout  doit  vous  en  faire  sortir  :  ce  que 
vous  savez  de  Dieu  et  des  moyens  d'aller  à  Lui,  ce  que 
vous  en  dites  aux  autres,  ce  que  je  vous  conseille  toujours. 

Oui,  vous  êtes  victime  d'une  tendance  passée  en  habi- 
tude et  qui  domine  tout  le  mouvement  de  votre  âme. 
Appuyé  sur  l'obéissance,  rompez  cette  tyrannie  et  ne 
vous  étonnez  pas  de  voir  que  c'est  si  simple.  Vous  y 
maintenir  le  sera  peut-être  moins.  Vous  éprouverez  mille 
envies  de  redevenir  triste,  vous  appuierez  ce  retour  de 
mille  raisons  apparentes...  mais  croyez-en  davantage 
l'obéissance  et  tenez-vous  dans  la  position  indiquée, 
quelque  gênante  qu'elle  vous  paraisse,  jusqu'à  ce  qu'elle 
vous  soit  devenue  naturelle  et  aisée: 

C'est  l'œuvre  d'une  vraie  bonne  volonté  appuyée  de 
prières.  Je  joindrai  les  miennes  aux  vôtres,  et  rien  ne 
m'est  plus  doux,  car  j'entends  bien  vous  aimer  et  être 
aimé  de  vous  particulièrement  en  Notre-Seigneur. 


—  425  — 

XIV 

Mon  bien  cher  ami, 

Vous  avez  donc  beaucoup  souffert  de  ces  pauvres  nerfs 
et  vous  n'avez  pas  eu  pour  eux  justice  et  pitié. 

J'admire  votre  générosité  à  ne  vouloir  vous  rassurer 
dans  votre  ministère  que  sur  des  évidences.  Que  devien- 
draient à  ce  compte  les  meilleurs  missionnaires  ?  J'ai 
remarqué  souvent  que  le  bien  se  produit  mieux  sans  nous 
que  sous  une  action  intense.  Laissons  donc  à  Dieu  plus  de 
part  et  trânquillisons-nous. 

Votre  gouvernement  personnel  est  d'une  exigence 
égale.  Vous  voulez  le  bien  d'une  façon  trop  raide  et  vous 
voulez  en  avoir  conscience  d'une  façon  trop  mathéma- 
tique. Aimer  Dieu  et  être  à  Lui  me  semble  bien  plus  sim- 
ple que  cela  et  je  voudrais  vous  voir  content  d'être  bien 
sûr  qu'au  fond  vous  êtes  à  Lui.  On  aime  beaucoup  ses 
parents  sans  le  sentir  souvent;  c'est  là,  au  fond,  bien  sin- 
cère et  bien  vivant  et  très  efficace  dans  les  occasions. 
Cela  est  le  mieux  pour  vous. 

N'allez  pas  vous  rendre  malade  par  la  préoccupation; 
vous  priveriez  le  bon  Dieu  d'un  serviteur  fidèle,  et  moi 
d'un  excellent  fils. 

XV 
Bien  cher  ami, 

Votre  acte  d'accusation  contre  vous-même,  si  effrayant 
qu'il  soit,  n'a  pu  que  me  faire  sourire.  J'ai  pensé  aux 
devoirs  de  rhétorique  où  l'on  amplifie,  à  l'aide  de  l'ima- 
gination, sur  quelques  données  fort  différentes  de  l'œuvre 
littéraire  qui  en  sort.  Vous  avouez  le  procédé,  passons. 

Ce  que  je  retiens,  c'est  que  vous  avez  du  calme.  Rete- 
nez le  calme  et  les  moyens  qui  l'ont  produit.  S'il  n'est  pas 
de  la  nature  la  plus  parfaite,  tout  votre  effort  doit  tendre 


—  42  fi  — 

à  le  perfectionner  sans  changer  rien  d'essentiel,  laissez 
dormir  le  trouble. 

Voici  les  points  sur  lesquels  je  ferai  des  remarques  : 
1°  Ne  réglementez  pas  tout,  je  vous  en  prie,  et  laissez,  en 
bonne  conscience,  beaucoup  à  la  disposition  du  moment. 
Réglez  certains  points  qui  assurent  un  certain  ordre, 
mais  pas  trop.  Dans  cette  réglementation,  soyez  large. 
Ainsi  j'approuve  volontiers  le  retard  du  lever,  même 
pour  tous  les  jours,  si  rien  n'en  souffre.  Six  heures  I  c'est 
encore  matin,  et  les  journées  sont  assez  longues. 

2°  Je  maintiens  jusqu'à  nouvel  ordre  la  suppression  des 
examens.  Je  regarde  cette  mesure  comme  préférable,  et, 
en  vous  y  conformant,  vous  ferez  ce  qui  est  plus  parfait. 
Je  permets  un  coup  d'œil  seulement  et  dans  le  sens  de 
reprendre  courage. 

En  suivant  ces  conseils,  vous  n'avez  pas  à  vous  inquié- 
ter, je  prends  la  responsabilité.  Plus  tard  nous  verrons  ce 
qu'il  y  aura  à  modifier,  mais  nous  tenons  une  paix  quel- 
conque, gardons-la  et  améliorons  l'état  général  sans  per- 
dre ce  bien. 


XVI 


Mon  cher  ami, 


J'arrive  comme  le  médecin  chez  un  malade- qu'il  con- 
naît parfaitement  et  je  dis  :  allons,  allons,  nous  n'avons 
rien  de  sérieux;  ne  pensez  pas  à  votre  mal  et  il  sera  vite 
guéri. 

En  effet,  mon  pauvre  cher  ami,  vous  avez  tous  les 
organes  spirituels  en  bon  état  :  la  volonté  de  rester  à  Dieu 
est  absolue,  le  désir  d'être  parfait  est  sincère.  Il  n'y  a  pas 
d'illusions  en  cela,  je  vous  l'assure. 

Je  ne  vais  pas  jusqu'à  dire  que  vous  êtes  arrivé  à  toute 
la  perfection  que  Dieu  vous  demande,  j'affirme  que  vous 
y  marchez.  Les  accidents  qui  surviennent  sont  eux- 
mêmes  utiles  à  votre  perfectionnement;  ils  vous  tien- 
nent dans  l'humilité,  vraie  situation  de  notre  misère;  ils 
nous  la  rendent  sensible  et  par  là  même  efficace.  L'im- 


—  425  — 

pression  renouvelée  de  notre  misère  augmente  la  force 
de  notre  humilité  et  la  dispose  à  bien  accepter  les  humi- 
liations qu'elle  discerne  mieux  d'ailleurs. 

Oui,  mon  cher  ami,  de  la  régularité,  mais  pas  d'escla- 
vage; l'habitude  des  heures  fixes,  mais  avec  des  tempé- 
raments, et  surtout  pas  de  confession  contre  des  manque- 
ments qui  sont  de  simples  manquements  de  perfection. 

Quand  vous  remarquez  que  vous  pensez  trop  et  trop 
amèrement  à  vous,  imposez-vous  de  penser  immédiate- 
ment à  Dieu  et  d'y  déposer  vos  misères...  mais  après  cela, 
n'y  pensez  plus. 

XVII 

Mon  cher  frère, 

Quel  aveu!  Vous  êtes  un  peu  content  de  vous!  Je 
compte  que  depuis  votre  lettre  vous  aurez  eu  des  remords 
et  que  vous  avez  su  retrouver  vos  idées  noires.  S'il  en 
était  ainsi,'  il  faudrait  vous  résigner  tout  de  nouveau  à 
vous  faire  content,  et  comme  dit  la  chanson  :  content  de 
tout,  content  de  peu. 

De  grâce,  en  effet,  laissez  votre  mal  en  repos;  c'est  tout 
seul  que  notre  corps  se  guérit.  C'est  beaucoup  de  la  sorte 
que  notre  âme  se  remet.  Une  plaie  qu'on  fouillerait  sans 
cesse  ne  guérirait  jamais.  Croyez  bien  que  cette  conduite 
est  pour  vous  maintenant  le  plus  parfait,  car  notre  parfait 
est  relatif. 

Oui,  des  examens  courts,  électriques  si  vous  voulez, 
pourvu  qu'ils  fassent  jaillir  un  peu  de  lumière.  Examinez 
surtout  le  bien  que  Dieu  vous  a  donné  dans  cette  jour- 
née et  mettez-vous  dans  un  bon  état  moral  :  contente- 
ment et  décision. 

J'espère  que  vous  mortifierez  le  Carême;  c'est  une 
nécessité  physique  et  morale.  Je  ne  vous  vois  obligé  à 
rien  en  fait  de  jeûne,  et  si  vous  m'en  donnez  l'autorité,  je 
vous  défendrai  d'en  faire.  Sans  dont»!  vous  jeûneriez  et 
vous  vous  diriez:  «  Tiens,  je  le  pouvais  donc.»  Sans  doute, 
vous  le  pourriez  d'abord  sans  inconvénients  notables, 


—  428  — 

mais  il  en  serait  tout  autrement  plus  tard.  Or,  il  ne  faut 
pas  le  risquer,  et  je  prends  sur  moi  la  décision  que  je  viens 
de  vous  conseiller. 

Félicitations  pour  votre  petit  groupe.  Je  vous  crois 
capable  de  leur  dire  même  ce  que  vous  ne  faites  pas,  et 
s'ils  ont  besoin  d'être  exhortés  à  la  confiance  et  à  la  sim- 
plicité, je  suis  assuré  qu'ils  trouveront  auprès  de  vous 
mieux  que  nulle  part.  Or,  s'ils  vous  écoutent,  écoutez- 
moi  et  persuadez-vous  que  votre  conscience  est  mieux 
dans  la  main  d'un  autre  que  dans  la  vôtre. 


XVIII 

Mon  bien  cher  ami, 

J  attendais  pour  vous  écrire  d'avoir  la  confirmation  de 
la  grave  nouvelle  que  vous  m'annonciez.  Je  n'avais  pas  à 
intervenir  et  je  ne  pouvais  qu'approuver  votre  obéissance 
et  la  sagesse  de  votre  Évêque.  Je  prie,  moi  aussi,  pour 
que  votre  nomination  soit  agréée,  et  j'espère  que  vous 
n'avez  pas  été  un  homme  politique  qu'on  puisse  refuser. 

Je  me  réjouis  de  la  consolation  que  le  bon  Maure 
répand  dans  votre  âme;  c'est  une  préparation  à  la  peine 
de  quitter  votre  troupeau  si  chéri  et  aux  travaux  plus 
grands  de  votre  nouveau  bercail.. 

Sans  doute  soyez  fidèle  à  vos  exercices  de  piété,  mais 
ne  soyez  pas  formaliste.  C'est  votre  cœur  que  Dieu  veut, 
avant  tout,  et  c'est  dans  la  paix  qu'on  le  lui  assure. 
N'exigez  pas  le  «  summum  jus  »  de  votre  pauvre  âme, 
mais  contentez-vous  qu'elle  soit  bonnement  fidèle.  Quand 
elle  l'a  été  moins,  rèlevez-la  par  la  confiance  en  la  misé- 
ricorde qui  n'est  pas  la  stricte  justice. 

Je  n'envisage  pas  sans  peine  le  déchirement  de  votre 
cœur  quand  il  faudra  l'arracher  à  cette  population  qui  a 
eu  les  prémices  de  votre  ministère  et  qui,  peut-être,  res- 
tera votre  idéal  perdu.  Oh  !  oui,  confions-nous  dans  la 
volonté  de  Dieu  et  n'en  sortons  jamais,  ni  par  un  regret 
amer,  ni  par  une  espérance  frivole. 


—  429  — 

XIX 

Mon  cher  ami, 

En  attendant  l'issue  de  la  grande  affaire,  habituez-vous 
à  la  sainte  indifférence.  Renoncez,  soit  au  vain  contente- 
ment qu'éprouve  l'amour-propre  en  face  d'une  position 
plus  élevée,  soit  à  l'inquiétude  au  sujet  des  charges  nou- 
velles. Acceptez  les  déchirements  de  votre  cœur  et  de 
celui  de  beaucoup  d'âmes  pour  le  bien  de  celles  qui  vous 
attendent.  C'est  plus  que  jamais  le  moment  de  vivre  dans 
l'abandon  sans  trop  voir  ce  que  nous  sommes.  Conten- 
tons-nous de  savoir  que  nous  voulons  être  à  Dieu  et  faire 
sa  volonté. 

Soyez  fidèle  à  vos  exercices  de  piété,  mais  avec  liberté. 
Reprenez  ceux  que  des  occupations  passagères  vous  ont 
fait  omettre,  et  quand  ces  occasions  se  présentent,  veillez 
à  être  plus  attentif  à  la  présence  de  Dieu. 

Que  le  Dieu  de  paix  nous  maintienne  dans  l'abandon 
malgré  nos  misères  et  nos  dégoûts.  La  paix  c'est  l'ordre, 
et  entre  un  être  infiniment  pur  et  un  être  infiniment 
misérable,  l'ordre,  c'est  l'humble  abandon. 


XX 

Mon  bien  cher  ami, 

Vous  devez  souffrir  de  tous  les  détachements  qu'a 
opérés  votre  changement.  Il  y  avait  sans  doute  à  S...  bien 
des  âmes  qui  vous  étaient  chères  et  vous  aviez  peut-être 
dans  quelque  famille  votre  Béthanie.  J'ai  admiré  votre 
abandon  à  la  volonté  de  Dieu;  votre  ministère  sera  béni 
et  vous  allez  croître  en  sainteté. 

A  L...  vous  paraissez  entrer  dans  ce  pauvre  inonde  en 
quittant  la  fhébaïde  :  vous  y  trouvez  des  incroyants,  des 
enfants  sans  Dieu  et  des  tiraillements,  parmi  les  gens 
d'Église.  Hélas  !  c'est  la  vie,  et  il  ne  faut  pas  espérer  tout 


—  430  — 

arranger;  on  doit  y  travailler  sans  cesse  et  en  réussir  une 
partie. 

Le  conseil  que  je  vous  donne,  c'est  de  pencher  toujours 
vers  l'indulgence  et  la  bonté  :  c'est  presque  justice  et  c'est 
toujours  plus  efficace.  Si  nous  ne  parvenons  pas  à  aimer 
Notre-Seigneur  par  nous-mêmes,  comme  nous  le  vou- 
drions, cherchons  à  le  dédommager  en  l'aimant  dans  le 
prochain  et  en  le  faisant  aimer. 

Ce  n'est  pas  le  temps  de  vous  effacer,  mais  c'est  celui  de 
vous  montrer.  Vous  êtes  investi  de  l'autorité,  et  l'autorité 
est  un  besoin  pour  les  autres  comme  un  devoir  pour  vous. 
Prenez  donc  simplement  la  place  et  le  rôle  qui  sont  les 
vôtres. 

Pas  d'essais  gauches,  d'effarements  intempestifs. 
Quand  Notre-Seigneur  sort  de  l'obscurité  de  Nazareth, 
il  parle  en  maître.  Voyez  pourtant  comme  la  douceur  et 
l'amabilité  sauvegardent  les  droits  des  autres. 

Montrez-vous  et  intervenez  en  toute  sagesse,  mais  ici 
la  sagesse  n'est  pas  de  ne  rien  faire. 

Imaginez- vous  qu'il  y  a  deux  hommes  en  vous  : 
l'homme  privé  et  l'homme  public.  Que  l'homme  privé 
reste  bien  petit  et  bien  humble,  mais  que  l'homme  public 
se  mette  à  sa  place. 


XXI 


Bien  cher  ami, 


Je  comprends  ce  que  vous  éprouvez  en  face  d'une 
population  peu  sympathique  :  vous  vous  sentez  raide; 
au  lieu  de  fils  égarés,  vous  voyez  des  ennemis. 

Eh  bien  1  il  faut  réagir.  Cette  raideur  ne  serait  pas 
dans  le  cœur  de  Notre-Seigneur.  Elle  ne  fut  jamais  dans 
celui  de  saint  François  de  Sales.  Elle  est  simplement 
naturelle.  Il  faut  qu'un  amour  surnaturel  la  remplace. 
Il  faut  que  cet  amour  ferme  les  yeux  sur  ce  qui  irrite  et 
les  tienne  ouverts  sur  ce  qui  apaise. 

Considérez  que  ces  pauvres  gens  sont  si  à  plaindre; 
qu'ils  sont  tels  parce   qu'on  les  a  faits  tels;  qu'à  leur 


—  431  — 

place  nous  serions  devenus  comme  eux;  qu'au  fond  il  y 
a  chez  eux  des  sentiments  capables  de  bons  retours;  que 
la  grâce  peut  les  changer  et  qu'enfin  le  seul  moyen  de 
l'espérer,  c'est  de  se  sentir  un  cœur  de  père,  car  nos  senti- 
ments transpercent  et  se  lisent  aussi  bien  sur  notre  visage 
qu'ils  se  sentent  au  ton  de  notre  voix.  Donc  réaction  pro- 
longée à  coups  de  prières  et  d'essais. 

Pour  votre  vie  intérieure,  je  voudrais  auusi  une  voie 
plus  pitoyable  envers  vos  torts  qui  ne  sont  souvent  pas 
des  fautes.  Considérez  que  vous  êtes  un  cœur  trop  sensi- 
ble, voulant  trop  de  bien,  et  d'autre  part  assez  rempli 
d'impuissance.  Soyez-vous  donc  miséricordieux  comme 
Dieu  l'est  infiniment  pour  vous.  Il  vous  connaît  mieux 
que  vous-même,  et  pourtant  il  vous  aime  avec  tendresse 
et  confiance.  Il  sait  que  vous  êtes  et  serez  toujours  à  Lui. 
Soyez  donc  à  son  égard  confiant,  dilaté,  demandez  ces 
dispositions  et  entretenez-les.  Combattez  celles  qui  leur 
sont  contraires. 

Tout  tranquillement  pensez  à  Dieu,  et  avec  douceur, 
dites-lui  que  vous  désirez  beaucoup  l'aimer,  être  meilleur, 
le  bien  servir.  Dites-lui  toutes  sortes  de  bons  sentiments 
sous  forme  de  désir  ou  de  demande.  Je  désire...  Je  vous 
prie  de  me  rendre...  Vous  savez  que  le  désir  est  le  premier 
pas,  c'est  le  sourire  qui  précède  la  bonne  parole,  soyez 
homme  de  désirs. 


XXII 

Oui,  oui,  courage  !  mon  cher  ami.  Dieu  n'a  pas  besoin 
d'instruments  parfaits,  il  est  assez  habile  pour  se  servir 
de  tout,  mais  il  a  besoin  d'instruments  confis  nts  qui  le 
laissent  faire  sans  mettre  entre  ses  mains  l'obstacle  de 
notre  raideur  et  de  nos  craintes. 

Cultivons  avant  tout  la  disposition  à  aimer.  C'est 
Dieu  d'abord,  notre  père,  notre  frère,  notre  Eucharistie. 
Puis,  c'est  le  pauvre  prochain,  qui  ne  nous  connaît  pas 
pour  ce  que  nous  sommes,  qui  est  raide  et  hostile,  mais 
qui  peut  à  la  longue  prendre  une  tout  autre  impression. 

31 


—  432  — 

Un  clou  n'entre  pas  dans  du  bois  dur  avec  un  seul  coup 
de  marteau. 

Pour  être  bon  et  aimable,  il  est  essentiel  d'être  en  paix 
au  dedans.  Cultivez  la  paix,  la  paix  abandonnée,  la  paix 
du  petit  enfant,  naïf.  Dieu  n'a  que  faire  de  nos  désola- 
tions qui  nous  délabrent. 

Allez  à  la  crèche.  Goûtez-y  la  simplicité  et  la  douceur. 
Pourquoi  Jésus  est-il  venu  sur  terre  et  ainsi  tout  petit? 
N'est-ce  pas  pour  nous  donner  confiance  et  nous  marquer 
pour  notre  ministère  ce  qui  donne  confiance  aux  âmes  : 
beaucoup  de  simplicité  et  d'affection. 

Soignez  votre  santé  très  sérieusement.  C'est  un  devoir, 
et  surtout,  c'est  aussi  une  vraie  mortification.  Vous  êtes 
un  objet  qui  appartient  à  Dieu;  il  ne  vous  est  pas  permis 
de  le  détériorer. 

XXIII 

Mon  cher  frère  et  ami, 

Votre  lettre  m'embarrasse  fort.  Ce  ne  sont  pas  en  effet 
les  principes  généraux  qui  peuvent  suffire  à  tracer  une 
règle  pratique.  Tel  moyen  sera  bon  s'il  peut  prendre  et 
déplorable  s'il  fait  constater  un  échec;  c'est  la  connais- 
sance de  la  situation  qui  seule  peut  guider.  N'auriez-vous 
pas  à  consulter  quelques  confrères  voisins  ou  ayant  exercé 
dans  le  pays? 

Il  faut  voir  ce  qui  a  le  plus  de  chances  de  réussir  dans 
le  pays,  et  très  souvent  ce  sont  des  œuvres  ayant  un  large 
côté  humain. 

Par  exemple,  ce  que  je  ne  conseillerais  pas  facilement, 
ce  serait  l'état  de  lutte  avec  les  autorités.  Voyez  comme 
agit  le  Pape  avec  les  gouvernements.  Devant  les  attaques, 
soyez  calme,  justifiez-vous,  affectez  de  conserver  de  la 
charité  pour  les  personnes,  laissant  voir  toujours  le  cœur 
du  prêtre  qui  ne  se  ferme  à  personne. 

Pas  de  raideur  dans  les  rapports.  Grande  facilité  de 
rester  en  bons  termes  avec  ceux-là  même  qui  font  le  mal 
ou  qui  vivent  dans  des  conditions  irrégulières.  Il   fau- 


—  433  — 

drait  néanmoins  agir  autrement,  s'il  y  avait  lieu  de 
craindre  le  scandale;  mais  le  plus  souvent,  on  s'en  expli- 
que avec  deux  ou  trois  personnes;  je  les  salue  parce  que 
je  veux  laisser  subsister  un  lien  qui  un  jour  ou  l'autre  les 
ramène. 

Pour  vous,  mon  cher  ami,  tâchez  d'aoquérir  deux 
qualités  essentielles  et  qui  ne  sont  pas  trop  dans  votre 
nature  :  le  calme  intérieur  et  la  bonhomie  extérieure. 
Cultivez  tout  ce  qui  développe  ces  précieuses  qualités 
sans  lesquelles  on  ne  saurait  avancer  et  faire  du  bien. 


XXIV 

Mon  cher  ami, 

Vous  me  dites  que  vous  avez  la  tête  moins  fatiguée,  je 
m'en  réjouis,  vous  aurez  plus  de  facilité  pour  vos  exer- 
cices spirituels  et  pour  vos  œuvres,  mais  ne  vous  fatiguez 
pas. 

L'examen  particulier  serait  encore  un  cauchemar; 
vous  ne  seriez  pas  content  de  la  manière  dont  vous  le 
feriez.  Je  vous  permets  simplement  de  le  faire  briève- 
ment et  quand  cela  vous  paraîtra  aisé;  sinon,  laissez-le. 
La  pensée  dirigée  vers  Dieu  vaut  plus  encore  pour  vous, 
et  appliquez-vous  à  le  chercher  doucement  et  à  vous  en 
abreuver  de  temps  en  temps. 

Ne  croyez  pas  qu'il  soit  besoin,  pour  bien  instruire  en 
chaire,  de  mettre- un  ordre  très  logique  dans  ce  qu'on 
dit.  Les  gens  n'avalent  que  des  morceaux.  Songez  donc  à 
ce  qui  peut  leur  être  le  plus  utile;  ne  soyez  ni  savant, 
ni  étendu;  restez  peu  en  chaire;  parlez  à  l'imagination 
et  à  la  sensibilité  :  les  yeux  du  monde  sont  plus  ouverts 
par  là.  Quelques  traits  bien  racontés  sont  souvent  la  seule 
chose  qui  frappe  et  qu'on  retient.  Je  vous  approuverais 
de  bien  préparer  cette  partie-là  pour  dramatiser  et  entou- 
rer de  détails  un  fait  qui,  dit  sans  cela,  sera  insignifiant. 
A  la  rigueur,  quand  même  il  ne  se  rattacherait  que  par 
un  faible  lien  à  votre  sujet,  cela  peut  suffire.  L'auditoire 


—  434  — 

aime  qu'on  l'intéresse,  et  il  pardonnera   le  manque  de 
logique. 


XXV 


Mon  cher  ami, 


C'est  en  haut  qu'il  nous  faut  jeter  notre  ancre,  car  la 
terre  n'offre  pas  de  points  d'appui  solides.  Non,  ce  n'est 
pas  même  dans  nos  progrès  ou  nos  succès  que  nous  pour- 
rions nous  reposer,  mais  aussi  nos  lenteurs  et  les  insuccès 
de  notre  ministère  ne  doivent  pas  nous  troubler.  L'homme 
des  champs,  après  la  grêle,  reprend  la  charrue  et  remue 
de  nouveau  la  terre.  Rien  n'est  perdu  auprès  de  Dieu  de 
nos  pauvres  labeurs,  et  la  résignation  à  un  moindre  bien 
peut  devenir  une  semence  de  succès  futurs. 

Dieu  vous  donne  quelques  belles  âmes  à  diriger;  c'est 
le  sel  de  votre  population  peu  chrétienne,  c'est  le  para- 
tonnerre de  la  paroisse  et  le  petit  jardin  où  le  pauvre  curé 
va  respirer  le  parfum  des  fleurs  du  bon  Dieu.  Puisez-y 
du  courage  et  de  l'émulation. 


XXVI 

Mon  bien  cher  ami, 

Vous  me  demandez  une  direction  générale  pour  votre 
retraite.  Je  vous  dis  volontiers  :  cherchez  Notre-Seigneur. 
En  Lui  vous  trouverez  toute  lumière  et,  ce  qui  est  plus  : 
toute  vie.  Méditez-le.  Exercez  votre  cœur  à  lui  exprimer 
ce  qui,  au  fond,  le  remplit.  Ne  tenez  pas  compte  de  vos 
misères;  renoncez-les,  désavouez-les,  mais  souriez  encore 
à  Notre-Seigneur,  car  il  vous  aime  en  dépit  de  tout  cela, 
comme  vous  l'aimez  vous-même  en  dépit  de  toutes  ces 
apparences. 

La  recherche  de  l'amour  de  Notre-Seigneur,  les  expres- 
sions renouvelées  de  vos  désirs  et  de  votre   tendresse, 


la  confiance  quand  même  ef  le  calme  :  voilà  ce  que  je 
désire  de  vous. 

Dans  votre  dernière  lettre,  vous  me  disiez  le  malaise 
que  vous  éprouvez  en  face  des  œuvres  extérieures  qui 
semblent  tenir  lieu  de  pratiques  religieuses.  Il  y  a  bien,  je 
crois,  quelques  raisons  de  s'attrister,  car  trop  souvent  ce 
qui  ne  devrait  être  qu'un  moyen,  demeure  le  seul  objet 
atteint.  Cependant,  pour  vaincre  l'indifférence,  il  faut 
user  de  ces  moyens,  mais  avec  la  constante  préoccupation 
de  semer  quelque  chose  dans  les  âmes,  d'amener  à  la 
confession  et  à  la  communion,  sans  quoi  le  vent  disper- 
sera bientôt  les  quelques  bonnes  impressions  religieuses 
reçues  au  contact  du  prêtre.  Soyez  donc  très  surnaturel 
sous  un  aspect  suavement  humain. 

Combien  je  désirerais  que  vous  trouviez  autour  de 
vous  quelques  prêtres  pouvant  faire  partie  de  notre 
chère  société!  Ce  serait  pour  vous  une  consolation  et 
pour  eux  un  soutien. 

XXVII 

Votre  premier -besoin,  mon  cher  ami,  c'est  de  chercher 
toujours  la  poitrine  du  Sauveur  pour  y  reposer  votre 
tête.  Que  rien  n'arrête  votre  confiance.  Sa  miséricorde 
n'est-elle  pas  faite  pour  les  Apôtres  qui  se  sont  endormis 
et  qui  ont  fui  devant  le  danger?  Nous  ne  sommes  pas  des 
amis  dignes  de  l'Ami  venu  du  Ciel,  mais  ne  disons-nous 
pas  aux  autres  que  sa  bonté,  son  amour,  sont  au-delà  de 
nos  misères? 

Quand  vous  reposez  sur  cette  douce  poitrine  du  Sau- 
veur, aimez  à  lui  redire  ces  paroles  si  vraies  de  saint 
Pierre  :  «  Vous  savez  bien  que  je  vous  aime.  » 

Oh  !  oui,  il  faut  le  savoir  pour  y  croire,  n'est-ce  pas, 
quand  les  froideurs  et  les  négligences  voilent  et  enseve- 
lissent notre  pauvre  amour,  quand  nous  ne  sentons  rien 
devant  l'offense  de  Dieu,  devant  la  damnation  des  âmes. 
Nous  ne  sentons  rien,  mais  que  refuserions-nous  à  Dieu 
pour  lui  épargner  ces  douleurs,  pour  lui  donner  la  gloire  de 
retourner  ces  âmes? 


—  43G  — 

En  fait  d'exercices  de  piété,  n'exigez  pas  trop  de  votre 
fatigue.  Demandez-vous  bonnement  ce  que  vous  conseil- 
leriez à  un  autre. 

Je  ne  sais  vraiment  que  vous  conseiller  pour  votre 
retraite;  voyez  ce  que  l'expérience  vous  dit  et  aussi  ce  que 
vous  désirez  comme  bon  pour  votre  état  actuel.  Peut-être 
un  long  repos  près  de  Marie  vous  réussira  mieux  que  des 
exercices  réguliers.  Je  serais  porté  à  le  croire;  je  crain- 
drais même  pour  vous  en  ce  moment  ce  qui  serait  un  peu 
rigoureux  et  formaliste.  Ce  qui  vous  ditatera  sera  le 
meilleur... 

XXVIII 

Mon  cher  ami, 

Je  suis  touché  des  humbles  aveux  de  votre  lettre  et, 
profitant  de  cette  belle  disposition  d'humilité,  je  vais 
avoir  la  cruauté  de  confirmer  l'un  des  reproches  que  l'on 
vous  adresse  et  que  vous  reconnaissez  mérité.  Peut-être 
cependant  n'en  êtes-vous  pas  assez  convaincu. 

C'est  vrai  que  vous  avez  dans  l'extérieur,  sans  le  vouloir, 
quelque  chose  de  dur  :  physionomie,  parole,  accent.  Vous 
dirai-je  que  j'en  avais  souffert  et  que  j'en  ai  gardé  la 
pénible  impression?  Cet  extérieur  est  en  complet  désac- 
cord avec  vos  lettres  si  bonnes,  si  fraternelles,  plus  encore 
avec  votre  cœur. 

Il  s'agit  donc  de  virer  de  bord  et  d'entrer  dans  les  eaux 
calmes  et  lumineuses  de  l'affabilité.  Il  faut  vous  bien 
surveiller  et  vous  encourager  doucement.  Il  faut  surtout 
alimenter  la  source  qui  est  la  filiale  confiance  en  Dieu. 
Que  votre  cœur  le  premier  s'épanouisse  en  Lui  et  que 
votre  visage,  comme  une  surface  polie,  reflète  le  Ciel. 
Aimez  à  vous  représenter  la  physionomie  de  Notre-Sei- 
gneur  sur  terre;  aimez  à  la  reproduire  en  celui  qui  l'y 
représente.  Le  bien  est  à  cette  condition,  et  aussi  le  bon- 
heur de  l'âme. 


—  437  — 


XXIX 


Mon  bien  cher  ami, 

Je  suis  tout  heureux  de  voir  l'accueil  que  vous  avez 
fait  à  ma  fraternelle  observation.  Grâce  à  Dieu  et  à  votre 
humilité,  vous  voilà  mieux  orienté  que  jamais  et  tout 
décidé  à  être  exceptionnellement  ouvert,  confiant, 
aimable. 

Je  ne  sais  si  vous  l'avez  remarqué  comme  moi,  les  hom- 
mes qui  réussissent  sont  ceux  qui  ont  une  confiance  par- 
fois excessive  et  toujours  affranchie  de  constatations  pes- 
simistes. J'en  ai  connude  téméraires  qui  ont  confirmé  la 
règle. 

Poussant  plus  loin  l'observation,  j'ai  cru  voir  dans 
ceux  qui  agissent  ainsi  comme  une  certaine  puissance  d'il- 
lusion !  oui,  d'illusion  heureuse.  Ne  pensez-vous  pas  que 
les  parents  seraient  trop  à  plaindre  s'ils  voyaient,  comme 
les  étrangers  le  voient,  les  lacunes  et  les  défauts  de  leurs 
enfants?  Dieu  les  a  pourvus  de  cette  intime  persuasion 
que  leurs  petits  sont  les  plus  beaux...  Or,  en  cherchant  la 
cause  de  ces  bonnes  illusions,  nous  la  trouvons  dans 
l'amour  même.  Il  serait  juste  alors  de  ne  plus  laisser  à  ce 
mot  illusion  son  sens  ordinaire  qui  marque  de  la  défec- 
tuosité. L'amour  entoure,  pénètre  son  objet  de  sa  flamme 
qui  le  réchauffe  et  finit  par  créer  ce  qu'il  désire.  Pourquoi 
les  saints  aiment-ils  tant  les  âmes  et  les  croient-ils  facile- 
ment bonnes?  C'est  qu'ils  les  voient  enveloppées  de  ce 
qu'ils  aiment  :  de  Dieu  et  de  sa  grâce,  de  ses  désirs  du 
moins.  Ce  n'est  pas  une  illusion,  c'est  une  substitution. 

D'autre  part,  ce  qui  agit  sur  les  hommes,  c'est  la  con- 
fiance manifestée.  Ils  se  croient  capables  de  ce  dont  on 
les  croit  capables.  Tout  sentiment  d'estime  les  touche. 
S'ils  résistent  à  cette  force  durant  un  temps,  ils  finissent 
par  céder  à  sa  manifestation  persévérante.  L'homme 
apostolique  qui  voit  principalement  ce  qui  manque  est 
fort  à  plaindre  et  ne  fait  pas  grand  bien.  S'il  laisse  voir  son 


—   438  — 

impression,  il  glace  tout.  Il  n'a  de  chaleur  ni  pour  réchauf- 
fer son  zèle,  ni  pour  rayonner  sur  les  autres. 

Devenez  donc  un  homme  de  sainte  illusion,  même  à 
votre  égard.  Vous  avez  de  vous  une  idée  trop  pessimiste, 
de  vous,  dis-je,  et  de  vos  moyens  d'action.  C'est  la  con- 
fiance qui  vous  manque  pour  faire  beaucoup.  La  terre 
est  sans  fécondité  en  cette  saison,  parce  que  la  chaleur 
lui  manque.  Elle  a  cependant  tous  ses  sucs  et  tous  ses 
germes. 

Courage  !  mon  bon  et  cher  ami.  Sachez  élever  votre 
température  et  la  maintenir  au  degré  qui  développe  la 
vie.  Voyez  en  beau,  et  votre  persuasion  sera  féconde. 


XXX 

Mon  bien  cher  ami, 

Béni  soit  le  cœur  adorable  de  Jésus  qui  vous  fait  enfin 
comprendre  le  vice  de  votre  direction  spirituelle  !  Oui,  le 
manque  de  dilatation  vous  perd  et  dans  votre  essor  de 
piété  et  dans  votre  action  de  curé.  Il  y  a  des  prêtres  qui 
vont  à  l'excès  opposé  et  qui  sont  téméraires.  Eh  bien! 
ceux-là  finissent  par  remuer  quelque  chose.  La  confiance 
est  mère  de  l'élan.  Elle  est  la  chaleur  qui  seule  porte  la 
vie. 

De  grâce,  mon  bien  cher  ami,  maintenez  ces  disposi- 
tions nouvelles  que  la  retraite  vous  laisse.  Ne  mettez 
plus  en  question  si  Dieu  vous  aime  tel  que  vous  êtes.  Oui, 
oui,  et  c'est  en  vous  sachant  aimé  que  vous  deviendrez 
encore  meilleur.  Laissez  l'amour  divin  dominer  votre  vie. 
Ne  regardez  vos  impressions  que  comme  une  occasion  où 
Dieu  trouve  l'exercice  de  sa  puissance.  Vous  ne  faites  pas 
assez  large  la  place  à  son  action.  Quand  vous  ne  vous 
voyez  pas  capable  d'une  chose,  vous  jugez  qu'elle  ne 
réussira  pas,  même  si  Dieu  vous  la  demande. 

Méfiez-vous  du  retour  de  votre  âme  à  des  habitudes  de 
tristesse  qu'elle  a  profondément  contractées.  On  juge  et 
on  agit  trop  d'après  sa  nature.  Réagissez  surtout  pour 


—  439^— 

votre  vie  intérieure.  Ce  principe  vital,  ranimé  en  vous, 
exercera  normalement  son  influence  sur  les  autres. 

Vous  vous  laissez  tromper  et  mener  par  votre  nature 
quand  vous  croyez  bien  juger  votre  conduite  et  la  diriger 
raisonnablement.  Vous  n'êtes  pas  assez  surnaturel  pour 
être  assez  confiant.  Oubliez- vous  le  plus  possible. 

Attendez-vous  à  de  brusques  retours  des  impressions 
passées,  ainsi  qu'à  une  dépression  morale  à  la  suite  de 
quelque  sécheresse  particulière,  de  quelque  déconvenue, 
de  quelque  insuccès.  Tout  cela  est  l'épreuve,  et  l'épreuve 
est  disposée  providentiellement  de  telle  sorte  qu'elle 
vient  de  Dieu,  quoiqu'elle  ait  sa  cause  dans  nos  souffran- 
ces ou  dans  nos  maladresses.  Dieu  qui  la  permet  la  fait 
entrer  dans  son  plan.  Son  plan  dans  ces  épreuves  est  de 
nous  exercer  dans  la  confiance  aveugle.  Habituez-vous  à 
espérer  contre  tout  espoir,  du  moment  que  Dieu  vous 
demande  telle  vie  intérieure  ou  telle  vie  d'action. 


XXXI 

Oui,  mon  cher  ami,  c'est  par  l'union  à  Notre-Seigneur 
que  tout  se  renouvelle.  C'est  le  sang  des  veines  qui  fait 
vivre,  c'est  la  sève  qui  donne  les  fleurs,  c'est  l'eau  qui 
fait  reverdir  le  gazon. 

Ayez  confiance  en  l'amour.  Croyez  au  vôtre  :  Jésus  le 
sent.  Il  vous  manque  un  peu  d'audace.  Vous  êtes  de  ces 
enfants  aimants,  mais  craintifs,  qui  n'osent  pas  se  jeter 
dans  les  bras  de  leurs  parents  pour  peu  qu'ils  les  voient 
préoccupés  ou  qu'ils  se  croient  en  faute. 

Vous  ne  donnerez  vos  parfums  que  le  jour  où  vous  vous 
transplanterez  dans  un  pays  chaud.  Il  me  tarde  de  vous  y 
savoir.  L'hiver  actuel  ne  s'y  oppose  pas.  Rompez  avec 
vos  habitudes  de  resserrement;  ne  vous  étonnez  pas  de 
les  rencontrer  encore  et  d'en  sentir  l'impression  froide. 
N'en  tenez  nul  compte.  Exprimez  à  Dieu  ce  que  vous 
voudriez  sentir,  faire  pour  Lui,  obtenir  de  Lui. 

Je  vois  ici  quelques  bons  prêtres  qui  sont  pleinement 
entrés  dans  cette  voie  et  qui  font  merveille.  Je  les  vois 


—  440  — 

souvent  les  yeux  pleins  de  larmes  quand  il  est  question 
de  l'amour  de  Jésus.  Ils  font  ainsi  beaucoup  de  bien  dan? 
leurs  paroisses...  «  Ne  pourrai-je  pas  ce  qu'ont  pu  ceux-ci 
et  celles-là?  » 

Courage  et  joie  !  _    -~ 

XXXII 

Mon  bien  cher  ami, 

Que  je  vous  plains  de  vous  voir  dans  un  pays  froid 
qui  resserre  votre  cœur  !  Vous  feriez  tant  de  bien  à  des 
âmes  qui  s'ouvriraient  à  vous!  Il  faut  en  effet  qu'on  vous 
fasse  les  avances,  car  votre  timidité  se  replie  dans  sa 
coquille  trop  facilement.  Faites  contre  cela  tout  ce  que 
vous  pourrez  et  acceptez  humblement  de  ne  pouvoir 
encore   que   peu. 

Peut-être  les  souffrances  causées  par  cette  disposition 
pourtant  combattue  vous  procureront-elles  un  jour  des 
grâces  d'action  surnaturelle.  Vous  n'avez  peut-être  pas 
encore  assez  souffert,  assez  prié;  assez  offert  à  Dieu  votre 
impuissance  et  vos  désirs.  Moins  votre  paroisse  répond  à 
votre  zèle,  plus  vous  devez  accumuler  les  mérites  de  vos 
vertus  et  de  vos  sentiments. 

Cherchez  aussi  dans  l'intimité  avec  Jésus  une  conso- 
lation pour  vous,  un  secours  pour  les  autres.  Il  faut  vivre, 
et  l'on  peut  toujours  vivre  avec  intensité.  Les  uns  vivent 
de  zèle,  d'autres  d'activité,  d'autres  enfin  de  courageuse 
et  confiante  résignation.  Mais  vivre,  c'est  respirer,  renou- 
veler ses  forces,  agir  de  quelque  manière  au  dedans  ou 
au  dehors.  Il  ne  suffit  pas  d'avoir  la  disposition  de  rési- 
gnation; par  exemple  il  faut  l'affirmer  souvent,  en  élever 
les  motifs,  la  rendre  agissante  par  un  effort  sur  la  prière 
toujours  plus  humble,  plus  abandonnée,  plus  sûre  du  bon 
résultat  final  qui  sera  la  gloire  de  Dieu,  s'il  n'est  pas  tou- 
jours ce  que  nous  nous  proposons  directement. 

Oh  !  mon  cher  ami,  ne  chercher  et  ne  désirer  que  la 
gloire  de  Dieu,  ne  se  régler  que  sur  sa  volonté,  telle  que 
nous  pouvons  la  connaître,  quelle  ligne  de  conduite  sûre 


—  441  — 

et  haute  !  Que  ce  soit  celle  de  mon  cher  fils  que  j'aime  et 
que  je  bénis  tendrement  ! 


XXXIII 

Mon  bien  cher  frère, 

Une  hardiesse  totale  envers  Dieu,  une  hardiesse  pru- 
dente envers  les  paroissiens.  Il  y  a  certainement  quelque 
chose  à  faire.  Prenez  par  un  bout,  comme  dans  la  fable  du 
champ  à  défricher.  Quel  dommage  que  vous  n'utilisiez 
pas  davantage  vos  grandes  ressources  de  cœur  et  de  piété  1 

Les  visites  sont  le  moyen  le  plus  efficace  de  gagner  les 
sympathies.  Visiter  toutes  les  familles  ou  quelques-unes 
seulement?  C'est  affaire  de  prudence.  Dans  votre  pays 
le  curé  serait-il  bien  reçu  partout?  C'est  à  vous  d'en  pré- 
juger. De  la  hardiesse,  en  cas  de  doute. 

Quelques  prêtres  font  cela  peu  à  peu  et  à.  la  faveur  de 
diverses  occasions,  comme  première  communion  de  l'en- 
fant, deuil  dans  la  famille,  etc. 

Ne  portez  donc  pas  ce  cœur  gêné  avec  Dieu  et  craintif 
en  face  du  devoir.  Oubliez-vous.  Faites  ce  que  ferait 
saint  François  de  Sales  à  votre  place. 


XXXIV 

Mon  bien  cher  frère, 

Il  faut  que  ce  Carême  marque  un  mouvement  décisif 
hors  de  votre  nature.  Vous  êtes  un  grand  timide.  Vous 
l'êtes  aussi  bien  auprès  de  Dieu  qu'auprès  des  hommes. 
Cette  disposition  vous  arrête  ou  vous  raidit.  Vous  ne  par- 
viendrez peut-être  pas  à  la  transformer  en  simplicité  et 
en  aisance,  mais  vous  la  forcerez  à  vous  laisser  agir  selon 
ces  deux  modes  nécessaires. 

Il  ne  faudra  pas  vous  décourager  si,  tout  en  agissant 
ainsi,  vous  ne  parvenez  pas  à  mieux  réussir.  L'insuccès 


—  442  — 

peut  tenir  soit  au  manque  d'habitude  de  votre  part,  soit 
aux  difficultés  des  circonstances.  Soyez  persévérant. 
Après  une  nuit  d'infructueux  labeur,  jetez  encore  le 
filet.  S'il  se  remplit,  vous  crierez  au  miracle,  et  si  Dieu 
permettait  qu'il  revînt  tout  vide,  vous  vous  trouveriez 
avoir  fait  tout  autant,  c'est-à-dire  tout  ce  que  le  bon  Dieu 
vous  demandait.  Le  moine  qui,  chaque  jour,  arrosait  un 
morceau  de  bois  mort  accomplissait  l'ordre  de  son  supé- 
rieur et  donnait  à  Dieu  la  gloire  d'une  belle  obéissance. 
Or,  c'est  à  Dieu  de  choisir  le  genre  de  gloire  qu'il  entend 
recevoir  de  nous  :  à  nous  de  la  chercher  par  toutes  les 
voies  ouvertes.  Cette  recherche  seule  est  déjà  d'un  prix 
éternel,  mais  finalement  la  bénédiction  la  suivra  tôt  ou 
tard. 

De  grâce  !  réunissez  régulièrement  vos  chers  confrères  : 
jamais  il  ne  fut  plus  nécessaire  de  s'encourager  mutuel- 
lement. 

XXXV 

Mon  bien  cher  ami, 

Vos  deux  résolutions  conviennent  parfaitement  à 
votre  état  :  «  Aller  à  Dieu  plus  filialement  »,  voilà  la 
vie,  «  aller  aux  hommes  plus  fraternellement  »,  voilà 
l'expansion  de  cette  vie.  Le  premier  devoir  rend  le  se- 
cond facile  :  mettez-y  une  vraie  application  et  ténacité. 
Je  crois  que  l'examen  particulier  que  je  vous  conseille 
vous  fera  grand  bien. 

Hélas  !  mon  cher  ami,  les  temps  malheureux  qui  se 
préparent  ne  changeront  pas  par  eux-mêmes  les  condi- 
tions de  notre  ferveur,  pas  plus  que  ne  le  fait  le  change- 
ment d'habit  quand  on  entre  en  religion;  mais  la  gêne  et 
les  nécessités  nouvelles  contiennent  de  quoi  se  faire  plus 
généreux  et  plus  attaché  à  Dieu... 

Rapprochons-nous  de  Dieu,  restons  humbles  et  dociles 
à  l'Église.  Ayons  l'ambition  filiale  de  consoler  le  divin 
Maître. 


—  443  — 


XXXVI 


Mon  bien  cher  ami, 

Je  sais  parfaitement  que,  dans  votre  nouvel  honneur, 
vous  ne  vous  croirez  ni  meilleur,  ni  en  réalité  plus  grand 
et  que  vous  estimeriez  bien  davantage  un  degré  d'amour 
que-vous  donnerait  le  Cœur  de  Jésus.  Usez  de  cet  hon- 
neur pour  prendre  un  peu  plus  d'assurance  aisée  et 
bienveillante  toujours. 

Je  vois  avec  grand  plaisir  votre  bonne  impression  à 
votre  nouveau  poste.  Profitez  de  l'expérience  acquise. 
On  peut  gagner  beaucoup  en  changeant  de  lieu,  parce 
qu'on  s'affranchit  de  manières  de  faire  et  de  manières 
d'être  dont  on  n'oserait  pas  sortir  sur  place. 

Maintenez  jalousement  votre  vie  intérieure;  elle  est 
la  source  du  vrai  bien.  Sans  elle,  c'est  le  «  cymbalum 
tinneiens  »,  On  attire  peut-être,  mais  on  ne  retient  pasv 

Vous  me  paraissez  comprendre  la  puissance  des  grou- 
pements. Les  personnes  pieuses  de  diverses  catégories 
peuvent  former  des  centres  ayant  leur  vie  propre  et  leur 
but  spécial.  Cultivons  la  générosité  sainte  des  femmes. 
Si  celle-là  s'arrêtait,  que  deviendrait  l'avenir? 


XXXVII 

Bien  cher  ami, 

Je  n'ose  être  trop  sévère  pour  un  proscrit,  cependant  je 
dirai  franchement  au  pasteur  qu'il  doit  sortir  de  ses  goûts 
et  de  ses  habitudes  pour  se  livrer  aux  âmes.  Vous  auriez 
dû  (mon  jugement  est  peut-être  sévère),  vous  auriez  dû 
avoir  vu  déjà  un  très  grand  nombre  de  vos  paroissiens, 
et  j'ose  dire  que  vous  avez  manqué  aux  désirs  du  divin 
Maître.  Ne  serait-il  pas  sorti  lui-même  à  la  recherche  des 
brebis  égarées?  Ne  vous  a-t-il  pas  donné  mission  de  le 
remplacer? 

32 


—  444  — 

Beaucoup  de  familles  vous  auraient  bien  accueilli,  et 
c'eût  été  un  lien  plus  fort  entre  ces  familles  et  l'Église.  Si 
d'autres  vous  avaient  mal  reçu,  c'eût  été  le  profit  de 
l'abbé  A...,  et  cette  acceptation  paisible  aurait  attiré 
des  grâces  sur  ces  gens  plus  ignorants  que  coupables. 

A  notre  époque,  il  faut  toujours  se  remuer  et  ne  pas 
se  décourager.  C'est  la  persévérance  dans  le  combat  qui 
fait  remporter  la  victoire  à  une  armée  :  «  Insta  oppor- 
tune, importune.  »  Simplifiez  votre  ministère  afin  de  vous 
réserver  assez  de  temps  pour  les  visites.  Que  vos  visites 
soient  courtes.  J'ai  connu  un  curé  qui  ne  restait  pas  plus 
de  cinq  minutes  dans  chaque  maison,  mais  qui  s'y  pré- 
sentait à  toutes  les  occasions  de  maladie,  de  mort,  de 
deuil  ou  d'événements  heureux.  Il  était  aimé  et  avait  une 
grande  autorité  dans  sa  ville,  qui  était,  comme  la  vôtre, 
un  chef-lieu  d'arrondissement. 

Quand  on  prolonge  ces  visites,  on  s'épuise,  on  s'em- 
barrasse. Il  vaut  mieux  se  faire  désirer.  Parlez  toujours 
des  enfants,  ou  plutôt  laissez  les  parents  en  parler.  Savoir 
faire  parler  est  un  talent  plus  utile  que  l'éloquence. 

Vous  aurez  peut-être  à  passer  dans  les  maisons  pour  des 
souscriptions.  Quel  avantage  si  vous  avez  déjà  fait  une 
visite  désintéressée!  Je  vous  crois  donc  obligé,  en  con- 
science, à  employer  ce  moyen  de  gagner  les  âmes  et  je  vous 
recommanderais  volontiers  de  marquer  chaque  soir  le 
nombre  de  visites  que  vous  aurez  faites,  en  vous  deman- 
dant quelles  seront  celles  du  lendemain. 


XXXVIII 

Bravo  1  mon  bien  cher  ami,  allez  de  l'avant.  Les  âmes, 
sans  le  savoir,  vous  attendent.  Ne  vous  laissez  pas 
refroidir  ni  intimider  par  quelque  déception  ici  ou  là. 
Il  faut  toujours  voir  les  choses  dans  leur  généralité. 

Et  surtout  oubliez-vous.  Qu'il  n'y  ait  plus  l'être 
timide  qui  n'est  qu'un  homme,  qu'il  y  ait  surtout  l'envoyé 
de  Dieu. 

Parlez  beaucoup  aux  parents  de  leurs  enfants  :  c'est  le 


—  445  — 

chemin  de  leur  cœur.  Ne  vous  lassez  pas  de  le  faire. 
Apprenez  à  être  bien  libre  dans  vos  mouvements  et  vos 
paroles,  mais  avec  cette  douce  réserve  qui  rend  cette 
liberté  toute  surnaturelle.  C'est  en  aimant  beaucoup 
qu'on  s'oublie. 

Il  me  semble  qu'enfin  vos  gémissements  se  convertis- 
sent en  résolutions.  Oui,  oubliez-vous  et  lancez-vous, 
tête  baissée,  dans  toute  l'activité  du  ministère.  Puisque 
vos  paroissiens  vous  accueillent  avec  plaisir,  votre  devoir 
est  impérieux.  Aucun  prétexte  ne  vous  en  décharge,  pas 
même  celui  de  réserver  du  temps  à  vos  études,  je  dirai 
même  (passagèrement)  à  vos  exercices  de  piété. 

Quant  aux  instructions,  habituez-vous  à  parler  sans 
avoir  écrit.  Ici  encore,  oubliez-vous,  ne  regardez  que  vos 
auditeurs  et  la  vérité  que  vous  voulez  leur  inculquer. 
Parlez  comme  un  père  et  sachez  bien  que  les  choses  les 
plus  simples  sont  les  plus  goûtées  si  elles  sont  dites  avec 
cœur  et  relevées  par  quelques  images  ou  traits. 

Dans  toutes  vos  prières  et  élévations  vers  Dieu,  deman- 
dez la  grâce  de  cet  exode;  plus  aucune  préoccupation  de 
timidité.  Dieu  vous  emprunte  pour  parler  et  agir.  Ce  n'est 
qu'une  afl'aire  de  temps,  vous  vous  habituerez  à  cette 
nouvelle  manière  d'être.  Plus  tard,  elle  vous  sera  natu- 
relle. 

Que  l'amour  si  tendre  du  cœur  de  Jésus,  qui  vous  a 
prévenu  depuis  si  longtemps  et  vous  presse  de  plus  en 
plus,  trouve  enfin  en  son  cher  privilégié  toute  l'ardeur 
d'un  amour  agissant  !  Vous  vous  plaignez  souvent  de 
vous  sentir  froid  pour  Lui  I  Qui  sait  s'il  ne  vous  réserve 
pas  dans  la  vie  d'action  ce  qu'il  donne  parcimonieusement 
à  notre  vie  trop  retirée!'  tJn  petit  feu  se  conserve  à  l'abri  du 
vent,  mais  un  plus  grand  feu  en  est  au  contraire  alimenté. 
Votre  feu  ne  craint  pas  le  grand  vent  de  l'action,  il  est 
bien  pris  et  ne  demande  qu'à  donner  des  flammes. 


446  — 


XXXIX 

Bien  cher  ami, 

Je  me  réjouis  de  voir  votre  santé  s'affermir,  mais  il 
faut  que  votre  vailkrtfce  fasse  les  mêmes  progrès.  Vos 
paroissiens  vous  font  un  bon  accueil;  ils  se  plaignent  de 
de  pas  vous  voir  assez  !  Quelles  bonnes  conditions  pour 
le  succès  de  votre  action  auprès  d'eux  ! 

Oui,  prenez  l'habitude  de  faire  beaucoup  de  visites 
courtes.  Peu  à  peu  les  gens  conçoivent  pour  le  prêtre  de 
l'estime,  de  l'affection.  Alors  commencent  sérieusement 
les  tentatives  pour  l'amélioration  de  l'esprit  paroissial  et 
pour  les  œuvres.  Sans  ce  fondement  préalable,  on  expose 
tout  cela  à  un  échec  difficile  à  réparer. 

Si  vous  croyez  qu'en  effet  notre  divin  Maître  demande 
que  vous  le  portiez  ainsi  dans  les  familles,  puisqu'il  ne 
peut  s'y  présenter  lui-même,  voudriez-vous  tromper  son 
attente  et  laisser  dans  l'indifférence  à  son  égard  des  âmes 
qui  pourraient  le  connaître  et  l'aimer? 

Gardez-vous  bien  de  calculer  un  à  un  les  résultats  de 
chaque  visite.  Ne  vous  attendez  pas  non  plus  à  voir  la 
moisson  surgir  rapidement.  Allez  avec  la  certitude  que 
Dieu  vous  dit  d'aller  et  avec  la  confiance  que  vos  efforts 
seront  bénis. 

Vous  avez  à  vous  défier  du  penchant  qui  vous  porte- 
rait à  une  vie  retirée  et  au  soin  personnel  de  votre  âme. 
Défendez-vous  de  regarder  même  cette  hypothèse.  Il 
vous  faut  toutes  vos  forces;  ces  pensées  les  diminueraient. 
Le  prêtre  est  essentiellement  la  continuation  de  Jésus. 
On  désirerait  mourir  les  armes  à  la  main.  Vous  ne  savez 
pas  combien  on  souffre  de  ne  pouvoir  s'occuper  directe- 
ment des  âmes. 


—  447  — 


XL 


Mon  bien  cher  ami, 

s 

Depuis  quelques  mois  les  forces  ont  un  peu  repris,  j'ai 
pu  dire  la  messe  plus  souvent,  et  poursuivre  le  travail 
entrepris  des  méditations  qui  demanderaient  bon  nom- 
bre de  volumes. 

Vous  au  contraire,  mon  cher  ami,  vous  vous  élancez  au 
dehors,  et  pour  atteindre  plus  vite  les  âmes,  vous  accapa- 
rez les  moyens  nouveaux  fournis  par  la  science.  Puisque 
l'effçt  ne  paraît  pas  devoir  être  fâcheux  sur  la  popula- 
tion, vous  faites  très  bien  d'agir  ainsi. 

Suivez  fidèlement  votre  programme  :  confiance  filiale 
en  Dieu,  zèle  confiant  des  âmes.  Je  ne  cesserai  de  vous  le 
dire,  un  peu  de  témérité  réussit,  ce  qui  répond  à  la  devise 
de  Danton  :  «  De  l'audace,  encore  de  l'audace.  »  La  psycho- 
logie confirmerait  au  besoin  ce  conseil. 

Je  ne  sais  si  cette  remarque  s'applique  à  votre  région, 
mais  il  me  revient  de  plusieurs  endroits  que  les  popu- 
lations s'adoucissent  à  notre  égard  et  que  plusieurs  se 
-rapprochent  même  de  nous.  On  voit  des  retours  conso- 
lants surtout  chez  les  hommes  qui  réfléchissent.  L'Église 
est  le  bataillon  carré  qui  tient  bon  et  laisse  passer  la 
tempête  des  charges.  Elle  est  le  seul  organisme  parfaite- 
ment organisé  et  uni  au  milieu  de  la  désorganisation  de 
tout  le  reste,  foules  et  sociétés.  Nous  sommes  encore 
dans  la  nuit,  c'est  vrai,  mais  déjà  quelques  lueurs  parais- 
sent. 

Il  me  semble  (mais  on  se  fait  tant  d'illusions  !)  il  me  sem- 
ble que,  si  j'étais  à  votre  place,  je  brûlerais  d'aller  vers  mes 
froids  paroissiens  saùs  tenir  compte  du  peu  de  résultat 
visible  et  immédiat.  Semer  un  peu  de  ciel  dans  une  âme 
toute  terrestre,  donner  quelque  idée  de  Jésus  à  tant  de 
pauvres  gens  qui  l'ignorent,  que  tout  cela  me  semblerait 
doux  !  Puisque  vous  le  pouvez,  ô  mon  cher  fils,  réalisez  ce 
qui  n'est  de  ma  part  qu'un  rêve.  Ne  croyez  pas  que  votre 
action  soit  inféconde.  Voyez  ce  qu'a  fait  celle  de  Jésus  en 


—   448   — 

Judée.  Ce  qui  tombe  sur  une  terre  même  ingrale  a  chance 
de  prospérer  quand  la  prière  l'accompagne. 

Dilatez  votre  pauvre  cœur  qui  aurait  tant  besoin 
d'amour  et  qui  n'ose  pas  croire  à  celui  qu'il  porte  à  Jésus 
et  à  celui  dont  il  est  l'objet.  Vous  le  connaissez  bien 
pourtant  ce  Cœur  si  indulgent  et  qui  se  contente  de  si 
peu.  Vous  êtes  plein  d'amour  sous  forme  de  tristesse,  et 
vous  ne  vous  en  apercevez  pas.  Oh  !  «  croyez  à  l'amour  ». 
Que  votre  foi  en  lui  soit  téméraire,  s'il  le  faut.  Vous 
n'épuiserez  pas  son  trésor  de  miséricorde  ! 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Notice  sur  M.  l'abbé  Beaudenom  (pages  v  à  xlv). 
Préface  (pages  xlvii-xlviii). 

Lettres  à  des  personnes  du  monde. 

Première  Série  (pages  1  à  27)  :  I-.  L'isolement  que  Dieu  remplit. 

—  Les  saintes  femmes  de  l'Évangile.  —  II.  Les  parterres 
des  enfants.  —  La  valeur  des  souffrances.  —  III.  Pourquoi 
Jésus  est  venu  sur  la  terre.  —  IV.  La  visite  des  pauvres.  — 
V.  Rien  de  meilleur  que  la  souffrance.  —  VI.  Ames  privées 
de  consolations.  —  VIL  Ne  pas  se  laisser  tromper  par  le  démon. 

—  Le  royaume  de  Dieu  ici-bas.  —  VIII.  Antipathies  et  sym- 
pathies. —  Sentiments  de  révolte  envers  le  divin  Maître.  — 

IX.  Se  conduire  par  principes  et  non  par  impression.  — 

X.  Dieu  n'est  pas  formaliste.  —  XL  Porter  sa  croix.  — 
XII.  Esprit  inquiet,  esprit  filial.  —  XIII.  Notre-Seigneur 
veut  notre  bien.  —  Danger  d'un  idéal  trop  parfait.  —  XIV.  Ce 
qu'est  la  paix.  —  Il  suffit  d'aimer  par  la  volonté.  —  XV.  Ce 
qu'enseignent  les  prêtres.  —  XVI.  Les  monstres  que  crée 
l'imagination.  —  XVII.  Aller  à  Notre-Seigneur  comme  s'il 
était  encore  sur  la  terre.  —  XVIII.  Du  sourire  aux  larmes.  — 
Le  reproche  fait  à  saint  Pierre.  —  XIX.  L'exil  de  la  terre.  — 
Mauvaise  lecture.  —  XX.  Expiation  pour  les  disparus.  —  Ne 
pas  écouter  ses  violences  d'impression.  —  XXI.  Bonne 
nouvelle.  —  Demande  d'affections  qui  rendent  meilleure. 

Deuxième  Série  (pages  27  à  49)  :  I.  Le  travail  pour  les  pauvres. 

—  IL  Les  mauvais  livres.  —  Les  parfums.  —  III.  La  rêverie.  — 
IV.  S'abandonner  à  la  paternité  de  Dieu.  —  V.  Ne  pas  élever 

|î(ses  rêves  trop  haut.  —  VI.  Avantages  d'une  santé  délicate.  — 
VIL  Le  vide  du  monde.  —  VIII.  Dangers  de  la  sensibilité.  — 
IX.  Ne  pas  dépendre  de  ses  impressions.  —  X.  Les  impressions 
changent.  —  XL  Enfantillage.  —  Pas  de  mortifications  impru- 


—  450  — 

dentés.  —  XII.  Ce  qu'il  faut  lire.  —  XIII.  Être  l'ange  du 
loyer.  — -  XIV.  Combattre  la  tristesse.  —  XV.  Comment 
on  prouve  son  amour  à  Jésus.  — -  XVI.  La  loi  de  l'exil.  — 

XVII.  L'amour    de    Dieu    fait    sacrifier    les    inutilités.   — 

XVIII.  Prouver  à  Dieu  son  amour.  —  XIX.  La  vie  est  une 
épreuve.  —  XX.  Les  souffrances  de  Jésus.  —  XXI.  Ne  pas 
tenir  compte  des  tentations.  —  XXII.  Peu  parler  de  ses  souf- 
frances. —  Privations  du  goût  et  de  l'odorat.  —  XXIII.  Ne 
pas  demander  trop  de  bonheur. 

Troisième  Série  (pages  49  à  89)  :  I.  Voir  ses  misères.  — 
II.  Moyen  de  supporter  une  douleur  intense.  • —  III.  Besoin 
factice  des  redites.  —  IV.  Le  monde  éloigne  de  Dieu.  —  V.  Mé- 
priser les  impressions.  • —  VI.  Pourquoi  Dieu  nous  laisse  nos 
misères.  —  VIL  Le  désir  d'être  estimée.  —  VIII.  Parler  de 
Notre-Seigneur  plus  que  des  créatures.  —  IX.  Chercher  Notre- 
Seigneur  pour  lui-même.  —  X.  Aliment  de  l'orgueil-.  — 
XL  La  souffrance  universelle  de  Jésus.  —  Les  illusions.  — 
XII.  Privation  des  moyens  spirituels.  —  XIII.  S'oublier.  — 
XIV.  Les  crises  sont  des  états  passagers.  —  XV.  Infidélité 
aux  résolutions.  —  XVI.  Le  spleen.  —  XVII.  Tromperies 
du  démon.  —  XVIII.  Influences  fâcheuses  de  l'esprit  du 
monde.  —  XIX.  L'amour-propre  caressé.  —  Le  zèle,  effet  de 
l'amour.  —  XX.  Ne  pas  prendre  un  chemin  qui  égare.  — 
XXI.  L'Ascension.  —  XXII.  La  paix  intermittente.  —  Agir 
par  raison.  —  XXIII.  Se  résigner  et  s'oublier.  —  XXIV.  La 
préoccupation  de  soi.  —  XXV.  Savoir  aimer  ce  que  Dieu 
donne.  —  Pas  d'empressement.  —  XXVI.  Bonne  occasion 
de  payer  ses  vieilles  dettes.  —  XXVII.  Les  blessures  d'amour- 
propre.  —  XXVIII.  Comprendre  l'obéissance.  —  XXIX.  Bri- 
ser son  orgueil.  —  XXX.  Effet  de  la  tentation.  —  XXXI.  A 
l'école  de  saint  Philippe  de  Néri.  —  XXXII.  Le  bagage  des 
exigences.  —  XXXIII.  Sans  humilité,  rien  de  solide.  — 
XXXIV.  Recherche  de  l'estime.  —  XXXV.  La  raison  doit 
guider.  —  XXXVI.  Dieu  seul  ne  manque  pas.  — 
XXXVII.  Épreuve  d'un  plan  renversé.  —  XXXVIII.  État 
de  malaise.  —  XXXIX.  Réponses  de  Notre-Seigneur.  — 
XL.  Progrès. —  XLI.  Expiation  et  réparation. 

Quatrième  Série  (pages  89  à  Î08)  :  I.  Comment  chercher 
Dieu.  —  IL  Orage  au  bas  de  la  montagne.  —  III.  Ruse  du 
démon.  —  IV.  Miséricorde  du  Cœur  de  Jésus.  —  V.  Le  trouble 
n'est  jamais  légitime.  —  VI.  Quand  on  voit  tout  en  noir.  — 
VIL  Patience  envers  soi-même.  —  VIII.  La  violence  ne  produit 


—  451   — 

pas  le  calme.  —  IX.  Affection  trop  absorbante.  —  X.  Manque 
réel  de  l'obéissance.  —  Penser  comme  l'Église.  —  XI.  Dilater 
son  cœur.  —  XII.  L'or  dans  le  sable.  —  XIII.  Mettre  à  ses 
lèvres  une  garde  vigilante.  —  XIV.  Parler  à  Dieu  de  lui- 
même.  —  XV.  La  violence  aveugle.  —  Aimer  à  céder  aux 
autres.  —  XVI.  Règle  de  conduite.  —  XVII.  Actes  intérieurs 
d'amour.  —  XVIII.  En  convalescence. 

Cinquième  Série  (pages  109  à  165)  :  I.  Commencement  de 
direction.  —  II.  Entraînement  superficiel.  —  III.  La  vertu 
heureuse.  —  IV.  Le  Paradis  perdu.  —  V.  Faire  la  part  à  Dieu. 

—  VI.  Vue  d'une  personne  morte.  —  Secours  aux  âmes  du 
purgatoire.  —  VIL  Impressions  intellectuelles.  —  VIII.  Con- 
fiance dans  le  directeur.  —  IX.  Détails  donnés  par  saint  Bona- 
venture.  —  X.  Amour  différent  pour  chaque  ordre  de  créa- 
tures. —  XL  Exercices  de  saint  Ignace.  —  XII.  Le  droit  à  la 
survivance.  —  XIII.  Le  sens  de  l'admiration.  —  La  science 
aboutit  aux  «  pourquoi  ».  —  XIV.  Les  vertiges  de  la  pensée. 

—  XV.  Le  mauvais  air  de  ce  siècle.  —  XVI.  Bonheur  du 
ciel.  —  XVII.  But  de  la  méditation.  —  XVIII.  Se  dégager 
des  préoccupations  de  l'esprit.  —  XIX.  On  se  reconnaît  au 
ciel.  —  XX.  La  Communion  des  Saints.  —  XXI.  Les  âmes 
transfigurées.  —  XXII.  Douleur  de  Jésus  au  Calvaire.  — 
XXIII.  Intoxication  de  l'air  ambiant.  —  XXIV.  Prudence 
des  saints.  —  XXV.  Impressions  vives.  —  XXVI.  Les  entraî- 
neurs des  chevaux  de  courses.  —  XXVII.  Bon  tempérament. 

—  Foi  recouvrée.  —  XXVIII.  Hypothèse  de  l'évolution.  — 
XXIX.  Brunetière,  —  XXX.  Le  plus  ne  peut  sortir  du  moins. 

—  XXXI.  Sans  la  foi,  rien  ne  s'explique.  —  XXXII.  Souf- 
frances physiques  de  Job.  —  XXXIII.  Les  astres  peuvent 
être  habités.  —  XXXIV.  Nos  souffrances.  —  XXXV.  Vie  mou- 
vementée de  l'Église.  —  XXXVI.  Peine  qui  ne  rend  pas  meil- 
leur. —  XXXVII.  Pendant  une  retraite.  —  XXXVIII.  Des 
excès  de  Dieu.  —  XXXIX.  Souffrances  des  animaux.  — 
XL.  Trop  de  vivacité.  —  XLI.  Nous  marchons  à  tâtons.  — 
XLII.  Des  affections  très  vives.  —  XLIII.  Le  sens  de  l'idéal. 

—  XLIV.  Avoir  une  âme  douce.  —  XLV.  Le  rendez-vous 
durable.  —  XLVI.  Fidélité  à  la  méditation.  —  XLVII.  L'orai- 
son prolongée.  —  XLVIII.  Le  doute.  —  XLIX.  La  vraie 
patrie.  —  L.  Le  dévouement  rend  tout  facile.  —  LI.  Scepti- 
cisme régnant.  —  LU.  La  foi.  —  Convertis  de  nos  jours.  — 
LUI.  Ici-bas,  nous  cherchons  à  tâtons.  —  LIV.  Heures  d'an- 
goisses. —  LV.  La  bonté  de  Dieu  et  la  souffrance.  —  LVI.  Le 

*tlépart  des  amis.  —  LVII.  Garde-malade  surnaturelle.  — 


—  452  — 

LVIII.  Au  ciel.  —  LIX.  Constitution  d'une  admirable  huma- 
nité. —  LX.  Au  sujet  d'une  âme  qui  ne  s'ouvre  pas.  — 
LXI.  Bannir  le  découragement.  — ■  LXII.  La  conduite  de  Dieu. 

—  LXIII.  Chercher  à  faire  plaisir.  —  LXIV.  Vie  d'union  plus 
intime.  —  LXV.  Pourquoi  Dieu  laisse  dans  les  ténèbres. 

Sixième  Série  (pages  105  à  178)  :  I.  Pourquoi  Notre-Seigneur 
s'est  fait  homme.  —  II.  Renouveau  de  la  nature  et  vie  de 
l'âme.  —  III.  Larve  et  papillon.  —  IV.  Affections  dispa- 
rues. —  V.  Le  souvenir.  —  Notre  siècle  saturé  d'incrédulité. 

—  VI.  L'autre  vie  n'est  pas  un  rêve.  —  VIL  Quand  on  ne  peut 
jeûner.  —  VIII.  Au  temps  de  la  Passion.  —  IX.  Mourir  pour 
revivre.  —  Le  Cœur  de  Jésus.  —  X.  Offrir  ses  privations 
quand  d'autres  offrent  leur  sang.  —  XL  La  douce  crèche.  — 
XII.  La  vie  et  l'éternité.  —  XIII.  Vendredi  Saint.  —  XIV.  Jé- 
sus en  croix.  —  Comment  envisager  tout  ce  qui  passe. 

Septième  Série  (pages  178  à  214)  :  I.  Utilité  de  l'éducation 
positive  de  son  néant.  —  IL  Victoire  sur  le  défaut  dominant. 

—  III.  Penser  beaucoup  aux  autres.  —  IV.  L'impressionna- 
bilité.  —  V.  L'humilité.  —  VI.  La  sagesse.  —  VIL  Écarter 
les  obstacles.  —  VIII.  Soumission  dans  le  détail.  —  IX.  Vie 
d'immolation  dans  le  monde.  —  X.  L'apathie.  —  XL  La 
mortification.  —  XII.  La  justice  stricte.  —  XIII.  Oublier 
qu'on  souffre.  —  XIV.  Ici-bas,  nous  n'avons  qu'un  Jésus  cru- 
cifié. —  XV.  La  nervosité.  —  XVI.  La  leçon  de  Gethsémani 
et  du  Calvaire.  —  XVII.  L'abandon  est  sagesse.  —  XVIII.  De- 
venir humble  à  fond.  —  XIX.  Se  dégager  de  soi-même.  — 
XX.  Les  craintes  de  saint  Pierre.  —  XXI.  Déceptions.  — 
XXII.  Journées  de  névralgies.  —  XXIII.  Dieu  nous  prend 
tels  que  nous  sommes.  —  XXIV.  Servir  Dieu  joyeusement.  — 
XXV.  Se  désoccuper  de  soi.  —  XXVI.  Être  aimable  quand 
on  est  ennuyé.  —  XXVII.  Delenda  Carthago.  —  XXVIII.  Le 

f*  contentement  de  Jésus.  — ■  XXIX.  Être  aussi  parfaite  que 
possible.  —  XXX.  La  souffrance  rapproche  de  Jésus.  — 
XXXI.  Le  vrai  but  de  la  vie.  —  XXXII.  Acceptation  sans 
réserve.  —  XXXIII.  Confiance  quand  même.  —  XXXIV.  Fiat 
voluntas  tua.  —  XXXV.  Pas  de  tristesse  amère.  — 
XXXVI.  L'amour  du  sacrifice.  —  XXXVII.  Être  plus  sur- 
naturelle. —  XXXVIII.  Vie  de  recueillement.  —  XXXIX.  Ne 
pas  regarder  le  lendemain.  —  XL.  Exigence  pour  soi,  indul- 
gence pour  les  autres.  —  XLI.  La  paix  établie. 

Huitième  Série  (pages  215  à  226)  :  I.  Le  support  d'un  échec. 

—  IL  Ne  regarder  que  la  volonté  de  Dieu.  —  III.  «  To$t 


—  453  — 

sourit  à  ceux  qui  aiment  Dieu.  »  —  IV.  Chercher  où  Ton 
donnera  plus  de  gloire  à  Dieu.  —  V.  Utilité  d'un  règlement.  — 
VI.  Pour  être  moins  dérangé.  — ■  VII.  La  présence  du  divin 
Maître.  —  VIII.  L'amour  de  Jésus  fait  désirer  la  souffrance.  — 
IX.  Aptitudes  et  attraits  pour  l'apostolat.  —  X.  L'intimité 
avec   Jésus.    —    XL   Cherchons    Dieu    continuellement.   — ■ 

XII.  Dieu  ne  délaisse  pas  longuement  ses  enfants. 

Neuvième  Série  (pages  226  à  233)  :  I.  Mort  d'une  enfant.  — 
IL  Écouter  l'enfant  partie.  —  III.  N'être  pas  trop  personnel 
dans  ses  regrets.  —  IV.  Les  espérances  éternelles.  —  V.  L'ange 
que  Dieu  a  pris.  —  VI.  Séparation.  —  VIL  Première  Com- 
munion. —  VIII.  Nunc  dimittis. 

Dixième  Série  (pages  234  à  241)  :  I.  L'humanité  cesse  de  regar- 
der le  ciel.  —  IL  Mort  d'une  épouse.  —  III.  Maintenir  son 
âme  dans  la  paix.  —  IV.  Les  vides  qui  ne  se  comblent  pas.  — 
V.  Dieu  respecte  les  lois  de  la  nature.  —  VI.  Cinquantenaire.  — 
VIL  La  guerre.  —  VIII.  Mort  d'un  fils. 

Onzième  Série  (pages  241  à  298)  :  I.  Étude  d'un  attrait.  —  ■ 
IL  Période  d'information.  —  III.  La  direction.  —  IV.  Vie 
très  absorbante.  —  V.  «  Le  trône  de  la  miséricorde  de  Dieu, 
c'est  notre  misère.  »  —  VI.  Prévisions  de  l'avenir.  —  VIL  Perte 
d'un  directeur.  —  VIII.  Le  meilleur  est  ce  que  Dieu  demande. 

—  IX.  Comment  rendre  compte  de  son  âme.  —  X.  Deux 
dispositions  relatives  à  l'humilité.  —  XL  La  pensée  de  Dieu 
dominante.  —  XIL  Pas  de  préoccupations  de  conscience.  — 

XIII.  L'union  la  plus  intime.  —  XIV.  Ne  pas  se  considérer 
soi-même.  —  XV.  Toujours  en  paix.  —  XVI.  Après  les  mo- 
ments défectueux.  —  Pas  trop  d'œuvres;  but  des  méthodes.  — ■ 
XVII.  Aimer  comme  si  l'on  était  une  sainte.  —  XVIII.  Mieux 
à  faire  qu'à  compter  ses  pas.  —  XIX.  L'aménité  de  saint 
François  de  Sales.  —  XX.  L'affection  de  Dieu  ne  change  pas 
comme  notre  humeur.  —  XXI.  Penser  plus  à  Dieu  qu'à  soi.  — 
XXII.  Dilettantisme. —  XXIII.  Effet  des  occupations  inces- 
santes. —  XXIV.  Le  cœur  dilaté.  —  XXV.  Épreuve  de  fidélité. 

—  XXVI.  Parabole  de  l'enfant  prodigue.  —  XXVII.  Médita- 
tion qui  renouvelle.  —  Dieu  plus  honoré  par  la  confiance 
que  par  les  craintes.  —  XXVIII.  Agir  en  toute  simplicité.  — 
XXIX.  On  n'avance  que  par  la  dilatation.  —  XXX.  Très 
grande  confiance.  —  XXXI.  Les  menus  détails.  — 
XXXII.  Changements  d'impressions.  —  XXXIII.  La  souf- 
france exaspère  la  sensibilité.  —  XXXIV.  Pratique  d'une 
personne  toute  simple.  — ■  XXXV.  Bannir  la  tristesse.  — 


-      __  454  — 

XXXVI.  Les  mauvaises  herbes.  —  XXXVII.  Cœur  généreux 
et  esprit  exigeant.  —  XXXVIII.  Plaire  à  Dieu.  — -  Invasion 
de  la  vaine  complaisance.  —  XXXIX.  La  vraie  vie  surnatu- 
relle. —  XL.  Les  satisfactions  d'ordre  naturel.  —  XLI.  Le  sen- 
timent du  plus  parfait.  —  XLII.  Le  bonheur.  —  XLIII.  L' Al- 
léluia. —  XLIV.  Chercher  Notre-Seigneur  fidèlement.  — ■ 
XLV.  Ne  pas  s'attarder  aux  préoccupations  sans  valeur.  — 
XLVI.  L'union  de  volonté.  —  XLVII.  Au  milieu  des  soucis 
de  l'existence.  —  XLVIII.  La  grandeur  est  dans  la  mesure 
de  l'amour  divin.  —  XLIX.  Deux  principes  pour  une  ligne 
de  conduite.  —  L.  Faire  toute  la  volonté  de  Dieu.  —  LI.  Dieu 
et  la  perfection  avant  tout.  —  LIL  Fidélité  du  règlement.  — 
La  physionomie.  — -  LUI.  Vue  attristée  sur  l'avenir.  — 
LIV.  Les  soucis  incessants.  —  LV.  L'appel  de  Jésus  :  «  et  moi  ». 

—  LVI.  Surcharge,  —  LVII.  La  guerre. 

Douzième  Série  (pages  299  à  306)  :  I.  L'incertitude  et  ses 
tourments.  —  IL  Se  confier  à  la  Sainte  Vierge.  —  III.  La 
confiance.  —  LV.  Devoir  cruel.  —  V.  Le  partage  de  la  croix 
de  Jésus.  ■ — ■  VI.  Diminution  de  ressources.  — ■  VIL  La  paix 
surnaturelle.  —  VIII.  Dieu  gouverne  toutes  choses.  —  IX.  La 
vie  est  si  courte.  —  X.  Jésus,  consolation  permanente.  — 
XI.  Le  Fiat.  —  XII.  Si  près  de  l'éternité. 

Treizième  Série  (pages  307  à  318)  :  I.  Ne  pas  détruire  sa  sen- 
sibilité. —  L'influence  des  milieux.  —  IL  A  la  vue  des  cimes 
de  la  perfection.  —  III.  Vie  brisée.  —  L'aurore  de  l'union  à 
Dieu.  —  IV.  Pas  de  vain  empressement.  —  V.  Les  regrets 
sont  des  actes  d'amour.  —  VI.  Les  saints  avaient  des  distrac- 
tions. —  VIL  Vivacités  et  humiliations.  —  VIII.  Chemin 
d'exil.  —  IX.  L'inaction  transformée  en  grande  activité.  — 
X.  La  charité  miséricordieuse.  —  XL  Légitimes  confidences. 

—  XII.  Aimer  avec  sécurité.  —  XIII.  Victime  consciente  de 
l'œuvre  de  Dieu. 

Quatorzième  Série  (pages  318  à  340)  :  I.  Début  d'une  direction. 

—  IL  Pèlerinage  à  Lourdes.  —  III.  Consécration  à  saint 
François  d'Assise.  —  IV.  La  Communion,  lien  avec  les  âmes 
du  ciel.  — -  V.  La  santé  n'est  que  prêtée.  —  VI.  Surmenage.  — 
VIL  Des  hauts  et  des  bas.  —  VIII.  L'idéal  de  toute  beauté.  — 
IX.  Nos  misères.  —  X.  Devoir  de  se  ménager.  —  XL  L'aban- 
don complet.  —  XII.  Éviter  ce  qui  tend  les  nerfs.  —  XIII.  Le 
côté  merveilleux  de  la  souffrance.  —  XIV.  Le  Pater.  —  La 
prière  de  louange;  promesse  de  prières.  —  XV.  Se  tenir  aux 
pieds^du  Maître.  —  XVI.  Double  réserve  en  se  dévouant  aux 


—  455  — 

œuvres.  —  XVII.  Dieu  présent,  Dieu  absent.  —  XVIII.  Les 
biens  indivis.  —  XIX.  Non  fecit  tailler  omnl  natlonL  — 
XX.  Repos  d'âme  et  de  corps.  —  XXI.  Dieu  reste  toujours 
le  même.  —  XXII,  Au  Thabor.  —  XXIII.  Les  occupations  les 
plus  communes.  —  XXIV.  Privation  de  messe.  —  XXV.  Sen- 
timent de  notre  néant.' —  XXVI.  Préoccupation  sur  la  foi.  — 

XXVII.  Acceptation  de  la  maladie.  —  XXVIII.  Une  retraite. 

—  XXIX.  Au-dessus  de  tout  :  l'union  à  Dieu.  —  XXX.  Excès 
de  courage.  —  XXXI.  Être  parfaite  malade. —  XXXII.  La 
paix  dans  l'abandon.  —  XXXIII.  Le  Cœur  de  Jésus.  — 
XXXIV.  Le  sanctuaire  intime. 

Quinzième  Série  (pages  341  à  370)  :  I.  En  Dieu  on  vit  large- 
ment. —  IL  Vivre  de  Dieu.  —  III.  Le  rôle  du  directeur.  — 
IV.  L'abandon  et  la  prière  de  demande.  —  V.  Pas  de  crainte. 

—  VI.  Divers  ordres  d'affections.  —  VIL  La  paix  joyeuse  dans 
la  souffrance.  —  VIII.  La  voie  du  Calvaire.  —  IX.  Souffrir 
avec  Jésus.  —  X.  Un  passage  des  Psaumes.  —  XL  L'amour 
de  sa  propre  abjection.  — -  XII.  Tout  contribue  au  bien  des 
élus.  —  XIII.  Nous  cherchons  Dieu  à  tâtons.  —  XIV.  Ne  pas 
éteindre  les  affections  humaines.  —  XV.  Vie  d'épouse  et  de 
mère.  —  XVI.  Les  éléments  de  notre  être  divinisé.  — 
XVII.  L'avantage  des  épreuves.  —  XVIII.  La  résignation 
n'empêche  pas  la  douleur.  —  XIX.  Se  prêter  aux  autres.  ■ — 
XX.  L'exaltation  de  la  sainte  Croix.  — -  XXI.  Alléluia.  — 
XXII.  Amour  de  Dieu  et  amour  maternel.  —  XXIII.  An- 
goisses maternelles.  —  XXIV.  Le  lendemain  est  à  Dieu.  ■ — 
XXV.  Utilité  de  l'humiliation.  —  XXVI.  Pourquoi  Dieu  s'est 
incarné.  —  XXVII.  Le  surnaturel  n'exclut  pas  le  naturel.  — ■ 

XXVIII.  Les    souffrances    sont    de    grandes    faveurs.      — 

XXIX.  L'union  après  la  mort.  —  XXX.  Les  peines  sont  des 
bienfaits.  —  XXXI.  Nous  vivons  en  Dieu.  — ■  XXXII.  Avec 
saint  Paul  :  «  Rien  ne  me  séparera,  etc..  »  —  XXXIII.  Dieu 
a  des  présences  diverses.  —  XXXIV.  Une  âme  peut  expier 
pour  beaucoup  d'autres.  —  XXXV.  L'union  intime  avec 
Jésus.  —  XXXVI.  La  conduite  de  Dieu.  —  XXXVII.  La  grâce 
de  l'humiliation.  —  XXXVIII.  Pour  le  départ  d'un.  fils.  — 
XXIX.  Dans  la  voie  de  la  sainteté.  —  XL.  La  vie  surnaturelle 
et  la  vie  du  monde.  —  XLI.  Acceptation  des  injustices.  — 
XLII.  Fils  blessé.  —  XLIII.  Anxiété.  —  XLIV.  Les  jours 
pleins  valept  mieux  que  de  longues  années.  —  XLV.  Debout 
près  de  la  croix.  —  XLVI.  S'oublier  soi-même  dans  l'extrême 
douleur. 


—  456  — 


Lettres  à  des  religieuses. 

Seizième  Série  (pages  370  à  380)  :  I.  Avenir  inquiétant.  —  II.  A 
la  disposition  du  bon  Maître.  —  III.  Pas  d'amour-propre 
d'auteur.  —  IV.  Souffrances  habituelles.  —  V.  L'avenir  est 
à  l'Église.  —  VI.  La  rudesse  de  la  croix.  —  VIL  La  volonté  de 
Dieu.  —  VIII.  Une  vie  surmenée.  —  IX.  Vivre  au-dessus  de 
la  crainte.  — ■  X.  Quand  on  se  sent  bien  pauvre.  —  XL  Le 
Sacré-Cœur  aime  à  être  plaint.  —  XII.  Se  dilater. 

Dix-septième  Série  (pages  380  à  400)  :  I.  Dieu  seul  ne  manque 
jamais.  —  IL  La  vie  est  une  épreuve.  —  III.  Lettre  de  prin- 
temps. —  IV.  Paix  et  contentement-dans  la  vie  religieuse.  — 
V.  Le  désir  et  la  prière,  ailes  de  l'avancement.  — ■  VI.  Entre- 
tenir dans  son  cœur  l'amour  divin.  —  VIL  La  santé  spiri- 
tuelle. —  VIII.  Les  affections  humaines  en  regard  de  l'affection 
pour  Notre-Seigneur.  —  IX.  Dieu  plus  dans  les  âmes  que  dans 
la  nature.  —  X.  Se  défendre  contre  l'envahissement  de  ce 
qui  n'est  pas  Dieu.  —  XL  «  Duc  in  altum.  »  —  XII.  Fille  aînée, 
fille  unique.  —  XIII.  La  religieuse  est  épouse.  —  XIV.  Fidélité 
au  bercail.  —  Être  une  âme  d'avancement.  —  XV.  Jésus 
intime.  —  XVI.  Voie  de  simplicité.  —  XVII.  La  crèche,  idéal 
de  pauvreté.  — ■  XVIII.  La  rie  complète.  —  XIX.  Adapter 
l'enseignement  aux  exigences  nouvelles.  --  XX.  Être  de  plus 
en  plus  attentive  à  la  parole  intérieure. 

Lettres  à  des  prêtres. 

Dix-huitième  Série  (pages  401  à  408)  :  I.  Sous-diaconat.  — 
IL  Diaconat.  —  III.  Sacerdoce.  —  IV.  Les  Prêtres  de  Saint- 
François  de  Sales.  —  V.  Amitié  fondée.  —  VI.  Importance  de 
l'oraison.  —  VIL  Les  infirmités  sont  un  grand  bien.  — 
VIII.  Acceptation  filiale  et  joyeuse.  —  IX.  La  souffrance  de 
Jésus  a  sauvé  le  monde.  —  X.  Que  le  bon  plaisir  de  Dieu  s'ac- 
complisse. 

Dix-neuvième  Série  (pages  109  à  415)  :  I.  La  perte  d'un  ami.  — 
11.  La  vie  de  Jésus  en  nous.  —  III.  Ne  pas  s'étonner  de  ne  pas 
constater  ses  progrès.  —  IV.  Rationabile  obsequium.  — 
Y.  La  trente-deuxième  année.  — ■  VI.  «  Bienheureux  ceux 
qui  pleurent.  »  —  VIL  Que  penser  du  Cœur  de  Jésus.  — 
VIII.  Les  gâteries  du  divin  Maître.  —  IX.  Se  préparer  par  le 
recueillement  à  la  direction  du  Saint-Esprit.  —  Promesse 
d'amitié  éternelle. 


—  457  — 

Vingtième  Série  (pages  415  à  448)  :  I.  Ouverture  d'âme.  — 
II.  Promesse  d'affection.  —  III.  Devise  suggérée  :  Quand 
même.  —  IV.  Se  voir  en  double.  —  V.  Pas  de  contention.  — 
VI.  N'être  pas  saule  pleureur.  —  VII.  Témoigner  son  affection 
aux  élèves.  —  VIII.  Ne  pas  vivre  d'examen.  —  IX.  Écarter  ce 
qui  attriste.  —  X.  Professorat  et  ministère.  —  XI.  L'esprit 
de  prière.  —  XII.  Se  remettre  dans  le  calme.  —  XIII.  Pas 
de  tristesse.  —  XIV.  Ne  pas  vouloir  le  bien  d'une  façon  trop 
mathématique.  — -  XV.  Ne  pas  tout  réglementer. —  XVI.  De 
la  régularité,  mais  pas  d'esclavage.  —  XVII.  Une  plaie  qu'on 
fouillerait  sans  cesse  ne  guérirait  pas.  —  XVIII.  Ne  pas  être 
formaliste.  —  XIX.  La  sainte  indifférence.  - —  XX.  Quand 
on  est  investi  de  l'autorité.  —  XXI.  Devenir  miséricordieux. 

—  XXII.  Être  en  paix  au-  dedans.  —  XXIII.  Calme  inté- 
rieur et  bonhomie  extérieure.  — ■  XXIV.  En  chaire.  —  XXV. 
Jeter  son  ancre  là-haut.  —  XXVI.  Ne  pas  tenir  compte  de 
ses  misères.  —  XXVII.  En  retraite.  —  XXVIII.  Physiono- 
mie à  adoucir.  —  XXIX.  Pourquoi  les  saints  aiment  tant  les 
âmes.  —  XXX.  Le  manque  de  dilatation.  —  XXXI.  Pas 
d'habitude  de  resserrement.  —  XXXII.  Chercher  à  se  conso- 
ler dans  l'intimité  avec  Jésus.  —  XXXIII.  Visites  aux 
familles.  —  XXXIV.  Ne  pas  se  décourager.  —  XXXV. 
«  Aller  à  Dieu  plus  finalement,  aux  hommes  plus  fraternelle- 
ment. »  —  XXXVI.  Maintenir  jalousement  sa  vie  intérieure. 

—  XXXVII.  La  persévérance  assure  la  victoire. —  XXXVIII. 
Voir  les  choses  dans  leur  généralité.  —  XXXIX.  Faire 
beaucoup  de  visites  courtes.  —  XL.  L'Église  au  milieu  de  la 
désorganisation  des  sociétés. 


impr.  de  Montligeon.  —  I.a  ChapeHe-Montligeon  (Orne).  —  8552-7- 19. 


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MAR  1  0  2006