I
Digitized by the Internet Archive
in 2011 with funding from
University of Toronto
http://www.archive.org/details/lettresdedirectiOObeau
ffîm:
e
f >: f LIBRARY
cr>
LETTRES DE DIRECTION
M. LE CHANOINE L. BEAUDENOM
/>
SCHÂ^
LIBRARY I £
NIHIL OBSTAT
J.-V. Bainvbl.
o Mars 1919.
Nous permettons volontiers la publication des Lettres
de M. le Chanoine Deaudenom et de la Notice qui les
précède : elles continueront le bien opéré par la direc-
tion de ce très digne prêtre.
Paris, le 12 Mai 1919.
y Léon-Adolphe, Cardinal Ariette,
Archevêque de Paris.
■:?:
I tfl
LiBRARV
Lettres de Direction
DE
M. LE CHANOINE L. BEAUDENOM
Auteur de la
Pratique progressive de la Confession et de la Direction
s*r
PARIS (VI )
LIBRAIRIE SAINT-PAUL
6, rue Cassette, 6
LETHIELLEUX
io, rue Cassette, io
MÎGNARD
38, rue Saint-Sulpice, 38
TOt'S DROITS RÉSERVÉS
M. LE CHANOINE BEAUDENOM
Le portrait qui paraît on tête de ce volume ne
saurait, si expressif qu'il soit, satisfaire entièrement
ni les personnes qui ont approché M. -Beaudenom,
ni celles qui ne connaissent de lui que ses ouvrages.
C'est dans l'espoir de donner une première satisfac-
tion tant à la piété filiale des membres de sa famille
spirituelle qu'à la bien légitime attente de ses innom-
brables lecteurs que, répondant à des désirs si instam-
ment renouvelés depuis deux ans, nous avons com-
posé cette toute simple notice.
Dans leur brièveté, ces quelques pages ne consti-
tuent pas une biographie, encore moins l'étude d'une
spiritualité. En effet, nous n'avons pas à donner un
récit détaillé d'une vie qui fut volontairement si effa-
cée toujours; et, d'autre part, nous avons pensé que la
doctrine spirituelle de celui en qui l'on a reconnu un
maître méritait d'être exposée dans toute son ampleur
et accompagnée de pensées choisies qui en seront à
la fois le commentaire et l'illustration (1).
Ici, du moins, recueillant et groupant des traits
épars et fragmentaires par lesquels, à son insu, il s'est
dépeint dans sa correspondance et dans quelques notes
intimes, nous avons tâché que se révélât lui-même
en sa vraie physionomie le prêtre admirable autant
que modeste que fut M. le chanoine Beaudenom.
(1) En préparation.
I
M. Léopold Beaudenom naquit à Tulle (Corrèze), le
23 novembre 1840; il y passa ses années d'enfance et
sa première jeunesse. Orphelin de père, il fut élevé
par une mère qui lui transmit, avec une nature d'une
délicatesse exquise, une âme à la foi profonde. Aussi,
de très bonne heure, les pensées et aspirations de l'en-
fant se tournèrent comme spontanément vers Dieu.
De cette période notons ce souvenir caractéristi-
que : « Je me rappelle mes jeudis et dimanches, quand
je faisais mes études. Je les passais bien souvent seul
et sans sortir de la maison. Je regardais au loin par
la fenêtre, le menton dans ma main; c'est sans doute
ce qui m'a rendu rêveur... » Ce trait nous révèle un
goût précoce, — non point certes comme il semble
le laisser entendre, pour le rêve — mais pour la
méditation et la contemplation prolongées, caractère
distinctif de sa nature que devaient singulièrement
développer de longues années de maladie et de rela-
tive solitude.
Il semble que la mort d'un jeune homme d'élite,
auquel il s'était uni par une profonde amitié, ait alors
contribué à l'orienter vers le sacerdoce. D'ailleurs, on
peut entrevoir à quoi songeait le jeune homme et
quelle impression produisaient ses vertus, quand on
sait que, dès avant son entrée au séminaire, des per-
sonnes d'âge le consultaient sur des cas de conscience.
Grand séminariste, il allie à une profonde modestie
un zèle qui triomphe heureusement de sa timidité
naturelle : « Vous avez dit le mot, écrira-t-il un jour
à un jeune confrère, les timides n'ont qu'une chose à
faire : s'oublier, quand il s'agit de l'œuvre de Dieu,
Comme je suis de la confrérie, je vous parle d'expé-
rience. Au petit séminaire et dans les hautes classes,
je n'ai jamais pu me décider à faire la lecture du réfec-
toire. Que sera-ce, me disais-je, quand il faudra prê-
cher? Le grand séminaire changea tout cela. Dès les
vacances de ma première année, je me mis à réunir,
chaque dimanche, les gens de mon pays dans une
grande chapelle abandonnée; il n'en vint d'abord que
quelques-uns, puis la chapelle fut pleine et finit par
déborder. Or, devant tout ce monde, il me semblait
que je n'existais pas, que je prêtais à Dieu ma parole.
Je m'imposai de parler à tous ceux que je rencontrais,
même à ceux qu'on me signalait comme hostiles, et
au nom du divin Maître, je les abordais de la façon
la plus naturelle et la plus confiante. Je m'excuse de
me citer, mais mon exemple a grande valeur en qua-
lité de grand timide. »
Nous avons trouvé dans les trop rares papiers qu'il
a laissés un petit livre et quelques feuilles détachées
qui révèlent le travail intérieur auquel il se soumet-
tait, alors.
Ce qui frappe tout d'abord, c'est la sûreté de vue
et le sens pratique avec lesquels il organise sa vie
spirituelle. Dire que ce futur prêtre avait compris
pleinement Vunum necessarium, peut paraître banal;
il l'est moins peut-être de constater à quel point et
avec quelle constance sa vie pratfquemei t était rame-
née à ce principe. On se le représente, penché sur
son âme, la considérant avec toute la pénétration
qu'il possédait déjà, s'examinant à la lumière des
actes quotidiens, analysant ses sentiments, prenant
de sa jeune individualité une connaissance aussi
exacte que minutieuse, déterminant en conséquence,
à la lumière de sa raison et de sa foi, sous le con-
trôle de son directeur, des moyens qui devaient se
— VIII —
révéler d'autant plus efficaces qu'il les adaptait mieux
à sa nature et à l'idéal poursuivi.
Ce jeune homme a déjà les longues prévisions de
l'homme fait. Il dresse, l'harmonisant au cycle litur-
gique, le plan de son année, qu'il compare à une roue
dont le mouvement sera entretenu par la dévotion
aux saints. Ainsi, les simples fêtes tout comme les
solennités lui sont autant d'occasions de se recueillir
et de se renouveler, nonobstant son invariable fidélité
à la retraite de chaque mois. Il va plus loin, il orga-
nise ses semaines, se donnai t chaque jour l'occasion
d'entretenir ou d'accroître sa ferveur par quelque dé-
votion spéciale. L'horaire même de ses journées est
prévu avec une extrême précision, car il veut donner
à sa vie un cadre solide et fixe, qui pourrait à cer-
tains paraître rigide, et qui pour cette âme, au con-
traire, sera le champ clos d'une lutte incessante, celle-
là même que le Précurseur s'était assignée : « Illum
oportet crescere, me autem minui. »
Notre séminariste avait reconnu de bonne heure
qu'il était d'une nature particulièrement vive et d'un
tempérament enclin à la tristesse. Il combattit si bien
sa vivacité qu'elle ne fut même pas soupçonnée par
la plupart des personnes qui, dans la suite, connurent
l'abbé Beaudenom.
Quant à la tristesse qui devait, du fait de sa déli-
catesse d'âme et de ses épreuves, marquer d'une em-
preinte si profonde sa physionomie, il essaie d'y remé-
dier en puisant aux sources de la joie surnaturelle :
« En me levant, je m'exciterai à la joie de ce qu'un
jour, que je ne mérite pas, m'est encore donné pour
glorifier Dieu. Si je ressens un peu de tristesse, je
chercherai quelque motif pieux de me réjouir. Sitôt
que je sentirai mon âme libre et contente, je penserai
à l'oraison que je vais faire... Toutes les fois que quel
que image de tristesse essaiera fie s'élever dans mon
cœur, je me dirai : « J'appartiens à Dieu; Il a soin
« de moi; Il m'aime; Il m'a fait trop de bien quand
« j'en étais indigne pour qu'il m'abandonne à pré-
ce sent que je fais sa volonté. »
Lutter contre la nature pour l'améliorer ne suffit
pas; il faut dans l'ordre de la sanctification faire œu-
vre vraiment positive. A l'école des maîtres de la vie
spirituelle le jeune séminariste avait appris que toute
sainteté suppose, à sa base, l'humilité. C'est pourquoi
il dresse, dès les premiers mois de son grand séminaire,
une longue liste de « Sujets d'examen sur l'humilité »,
empruntés à Rodriguez, et il prend, d'autre part, des
résolutions dont nous voulons donner un aperçu :
« Pour mon examen particulier, que je fais à dix
heures et demie et à quatre heures et demie, je m'exa-
minerai sur l'humilité. Je la considérerai dans la Sainte
Vierge, et je verrai les progrès que j'ai faits dans cette
vertu, les occasions où j'ai manqué, celles où je pré-
vois en avoir besoin.
« En me rendant au réfectoire, je me pénétrerai
de cette vérité, que je ne suis pas digne de vivre, que
je ne mérite pas la nourriture qui m'est donnée et
je tâcherai, autant que possible, d'être servi par les
autres et de me dire alors : Je suis un pauvre men-
diant; c'est de la main de Dieu que je reçois cette
aumône. Je serai heureux de prendre les restes des
autres autant que je pourrai le faire sans singularité;
je choisirai toujours ce qu'il y a de moins bon; en
sortant je remercierai le bon Dieu et admirerai com-
ment il est assez bon pour avoir soin d'un misérable
comme moi. »
La pratique de l'humilité suppose l'amour de la
solitude et du silence, pour tout dire, du recueillement
tant intérieur qu'extérieur : « Pour le chapelet, je
méditerai sur le recueillement : je varierai toutes les
semaines à peu près : par exemple, je considérerai le
recueillement dans la Sainte Vierge, dans les saints
et dans Jésus-Christ. Je le considérerai en lui-même,
dans ses effets et dans les dangers de le perdre. »
— « Recueillement extérieur... Recueillement inté-
rieur...
« Si je n'ai rien à me reprocher sur ces deux points,
je puis conclure que le reste va bien, car on peut juger
des actes par l'état où l'on était avant de les faire,
surtout par l'état où était l'âme quand on les a faits.
Si elle est à son état normal, libre, tranquille sous le
regard de Dieu, tout va bien, car l'état de l'âme est
produit par les actions. Si j'ai fait tous ces actes inté-
rieurs et extérieurs avec facilité, bon signe, excellent
signe. Si j'ai éprouvé de la difficulté, cherchons : il
doit y avoir au fond quelque mouvement de la nature
qui a été suivi, quelque préoccupation, quelque désir. »
« Pour le recueillement, note-t-il sur une autre feuille
de retraite, il faut la pensée de Dieu. Pour cette pensée
habituelle il faut, dans le commencement surtout,
avoir des objets qui nous la rappellent. Pour cela, en
montant les escaliers, je penserai au chemin du ciel.
Surtout mes habits me rappelleront sans cesse Celui
dont je porte la livrée. Tous les jours, à l'examen,
je me demanderai si j'ai pensé souvent -que ma sou-
tane et mes autres habits ecclésiastiques me sont
donnés de Dieu pour qu'ils m'obligent à être tout
à Lui. Je m'examinerai donc tous les jours sur l'exer-
cice de la présence de Dieu. »
Sur ce point, comme sur les autres, le jeune ecclé-
siastique ne s'en tenait pas aux projets : en même
temps qu'il les concevait, il en précisait la réalisation
pratique, immédiate. C'est ainsi que, résolu à vivre
de cette présence de Dieu, il avait fixé, à chaque
jour, six moments où il se rendait à la chapelle
pour adorer Notre-Seigneur : autant dire qu'il pas-
sait près du tabernacle tout le temps dont il pouvait
disposer.
Ce qu'on vient de lire suffit, sans doute, à laisser
entrevoir combien cette âme était déjà toute à Dieu,
et cela surtout par l'amour, comme on peut s'en
convaincre :
« Seigneur, qui est semblable à vous? Seigneur,
mon Dieu, je vous aime. Laissez-vous, faites-vous
aimer de mon cœur ! Mon cœur est capable de se pas-
sionner et de se donner tout entier, que ne le prenez-
vous ainsi? Mon Dieu, je n'aime que Vous. Vous m'êtes
témoin que pas une créature ne préoccupe mon cœur;
vous m'êtes témoin que souvent mes affections se fon-
dent en vous et se perdent dans votre amour infini I
Oh ! pourquoi cela ne dure-t-il pas toujours? Pourquoi
^etombè-je si lourdement sur cette terre malheureuse
3Ù je semble vous oublier? Vous oublier! oh! non
amais, mon cœur peut sommeiller; mais, qu'on le
•éveille, et il se sent à vous seul ! 0 Sauveur Jésus,
loux amour, ayez pitié de moi, blessez-moi au cœur,
ifin que je languisse du désir de vous voir ! »
— « Mon amour, ô mon Dieu, Dieu d'amour, est
jlus grand, plus fort, plus noble que mon espérance.
Fe vous aime plus que vos biens et, en vous, j'aime
nieux votre volonté que la jouissance de votre ama-
)ilité. Que vous dirai-je enfin, ô mon Dieu? Bien sûr
me je n'aime que vous ! Je vous aime comme on aime
in amour unique, je vous aime uniquement à cause
le vous, et pour vous, non pour moi. O Dieu qui faites
les prodiges, il me semble sentir que je ne suis plus
noi, mais que, transformé en vous, je participe à vos
entiments, à vos pensées, ù votre amour. Seigneur,
ivez pitié de moi 1 »
« Quand j'étais jeune, dira-t-il au soir de sa vie,
j'avais conçu un si bel idéal 1 » Quel était cet idéal?
lui-même nous l'apprend : « Il faut vivre de Jésus;
c'est plus que vivre pour Lui. On peut vivre pour
Lui, sans lui être intime; mais quand on vit de
Lui, on en est pénétré dans ses pensées, ses goûts,
ses espoirs, son extérieur même. Et c'est le plus sûr
moyen de le donner aux autres... Il sort, en quelque
manière, de l'âme par toutes les expressions de la
parole, du visage et ces mille petites actions qui font
la vie. Le laisser vivre, et ne plus vivre soi-même, tel
est l'idéal. »
Ceux qui ont connu le séminariste qu'il était alors,
savent à quel point il réalisa ce magnifique programme
de vie intérieure.
Un fait significatif va nous en fournir le témoi-
gnage.
II
Ordonné prêtre le 22 décembre 1863, M. Beaudenom
fut immédiatement envoyé, par son évêque, Mgr Ber-
teaud, au Petit Séminaire de Servières (dont il était
encore l'élève quatre ans plus tôt), comme préfet spi-
rituel.
Malgré sa modestie, on eut vite fait de découvrir
en lui une rare vertu et une véritable vocation de
directeur d'âmes : « Votre projet, écrira-t-il plus tard
à un prêtre, me rappelle mon vieux temps. J'ai com-
mencé mon ministère par être préfet spirituel dans
un petit séminaire. Ce qui me faisait réussir, c'était
la pensée qu'avaient les élèves que j'avais . bonne
opinion d'eux et que je leur étais dévoué. Allons,
aimez Notre-Seigneur par votre cœur, et par le cœur
de ces enfants : c'est une nouvelle manière de dilater
XIII —
son cœur en le rendant fécond. » Encourager les âmes,
se dévouer à elles totalement, ce fut, dès le début de
son miristère, son programme d'apostolat; ce devait
être celui de toute sa vie.
Le climat de Servières, trop dur poussa frêle consti-
tution, l'obligea à quitter cette maison dès la fin do
sa deuxième année de ministère; du moins il y laissa
un durable souvenir.
Il fut alors nommé (1865) aumônier du couvent et
du pensionnat des Ursulines, à Beaulieu.
Après dix ans de très actif apostolat, l'amour de
Dieu, allant toujours croissant dans son âme ardente,
lui fit désirer la vie de missionnaire : c'est dans ce des-
sein qu'il entra, en 1875, chez les Maristes. Mais, très
vite, il trouva, de nouveau, un obstacle insurmon-
table dans sa santé délabrée par les austérités exces-
sives qu'il avait pratiquées jadis au grand séminaire (1).
Il revint donc à Beaulieu pour cinq années nouvelles
qu'il rendit tout particulièrement fécondes. De son
essai de vie religieuse, il rapportait, en effet, un sur-
croît de grâces et de lumières qui allaient faire de lui
un conseiller, un guide toujours plus apprécié.
Dieu, d'ailleurs, avait ses vues secrètes sur son ser-
viteur et allait étendre le champ de son expérience.
M. Beaudenom quitta alors le couvent des Ursulines
pour devenir aumônier des Sœurs aveugles de Saint-
Paul, puis des Sœurs de Saint-Joseph de Belley, à Paris.
Des documents qui se rapportent au ministère
exercé dans ces trois maisons, il résulte que ce fut,
d'abord, pour M. Beaudenom, un temps de constante
(1) Dans une noie qu'il rédigea, eu 1894, pour son médecin,
nous trouvons ^ette indication : « Jusqu'à 20 ans, excellente
santé, malgré une complexion délicate. A 20 ans, au Grand
Séminaire, extrême contention d'esprit, graves imprudences
(froid), désorganisation profonds (commencement de phtisie).
et progressive transformation spirituelle. Sans en
avoir, semble-t-il, le moindre soupçon, l'homme de
Dieu poursuivait un travail de formation intérieure
qui ferait de lui, à l'heure voulue par le divin Maître,
un ouvrier à l'action d'autant plus efficace que plus
profonde serait sa vertu et plus riche son expérience.
Mais c'est chaque jour déjà que les jeunes âmes
confiées à sa direction bénéficiaient de ses lumières
et de sa valeur apostolique. Ce qu'il fut pour elles,
rien ne le peut mieux révéler que les deux volumes
qu'il consacrera dans la suite, à la « Formation
religieuse et morale de la jeune fille ». M. Beaudenom
s'y révèle psychologue des plus pénétrants, à l'obser-
vation de qui rien n'échappe, homme de son temps
par la rare connaissance qu'il en possède, directeur
aussi éclairé que prudent, disons : le vrai « directeur »
que saint François de Sales recommandait de choi-
sir entre dix mille. En lui appliquant à dessein cette
parole, nous croyons porter un jugement exact au-
quel souscriront tous ceux qui furent à même d'appré-
cier l'œuvre accomplie par M. Beaudenom.
*
L'expérience, pourtant, ne suffit pas au prêtre qui
veut être un vrai disciple de Jésus-Christ : tout sau-
veur d'âmes est nécessairement un crucifié.
« Quand j'étais jeune prêtre, nous confiait M. Beau-
denom quelques jours avant sa mort, j'ai demandé à
Dieu de beaucoup souffrir. Il m'a pleinement exaucé. »
Nous avons retrouvé le témoignage de cette demande :
« O mon Dieu, infiniment bon et infiniment aimable,
moi, un pauvre petit, un vermisseau, j'entre dans
les desseins de votre volonté à jamais bénie et je veux
tout ce que vous voulez. -Je suis heureux que vous
m'imposiez vous-même ce sacrifice, cette peine, cette
douleur, cette crainte. trop fondée. J'en suis heureux,
parce que c'est vous qui le faites. Père saint, qu'il en
soit ainsi, si tel est votre bon plaisir ! Que votre
volonté s'exécute dans ce vermisseau. Comblez-le de
toutes sortes de peines; chargez-le autant qu'il pourra
porter; faites-lui porter le poids du jour. »
Au prêtre qui avait si généreusement désiré la souf-
france, le divin Maître la donna : elle fut crucifiante.
Elle l'atteignit d'abord dans ses affections les plus
chères. Sa mère, qui était venue vivre près de lui, à
Beaulieu, et qu'il entourait d'une sollicitude si affec-
tueuse, après une longue agonie lui fut enlevée. Il
en ressentit un brisement complet.
Entre la mère et le fils, c'était, en effet, une union
si complète et si intime ! Nous en avons le touchant
témoignage dans quelques lettres que, séminariste ou
jeune prêtre, M. Beaudenom avait adressées à sa mère.
Il est difficile de rier trouver de plus filial à la fois et
de plus sacerdotal.
Est-elle retenue loin de lui? il la console : « Voilà
bien longtemps, pauvre mère, que nous ne nous som-
mes vus ! Il est vrai que, tenant le bon Dieu chacun
par une main, nous ne sommes jamais loin l'un de
l'autre et je suis sûr que nos cœurs se trouvent sou-
vent ensemble au pied de la Croix. »
Il la convie à la reconnaissance et à la confiance
envers Dieu : « Oh ! ma mère, remercions le bon Dieu
des grâces dont II nous comble. Puisque vous êtes
seule une grande partie de la journée, repassez dans
votre âme les faveurs qu'il nous a faites à tous. Le
temps ne me permet pas de vous les énumérer, et, du
reste, avec l'esprit de foi que le bon Dieu met en vous,
vous ne pouvez manquer de les découvrir et d'en
concevoir une confiance que rien ne puisse dêconcer-
2
ter. Ouvrez votre cœur à l'espoir, car voici que l'hiver
s'enfuit, le printemps va naître dans votre cœur, vous
en sentez déjà les brises propices qui le préparent.
Comme la terre joyeuse se couvre de verdure et de
fleurs, produisez sans cesse d'ardents désirs, animez-
vous à la confiance, à l'espoir, à l'amour : c'est par sa
bonté que Dieu veut vous vaincre ! »
Aux heures d'épreuve surtout, le fils se montre
conseiller et soutien admirable : « La souffrance, vous
le savez, est la voie du ciel; c'est le signe le plus ma-
nifeste que nous sommes dans la bonne voie et qu'un
jour nous posséd rons le ciel...
« Ah ! de grâce, profitez bien de cette aimable visite
que Dieu vous fait, à chaque peine qu'il vous ap-
porte et qu'il vous donne de sa propre main pour
votre bonheur éternel ! Oh ! baisez cette main si bonne,
aimez des desseins si favorables, adorez des plans si
impénétrables. Oh ! si nous savions la bonté de Dieu,
si nous savions combien II nous aime, avec quel soin
Il nous conduit ! Fermant les yeux et tendant les bras
vers Lui, nous nous abandonnerions pleinement pour
toute chose à notre Père ! »
Cette confiance tout abandonnée, il la recommande
avec une insistance significative : « Je vois, ma bonne
et excellente mère, que votre âme se tourne de plus
en plus vers le bon Dieu, je vois que tous vos désirs
aspirent à Lui et voudraient vous lier étroitement à
Lui; ce ne sont pas seulement les épreuves qu'il vous
envoie qui soulèvent ces désirs; c'est un sentiment
plus noble et plus grand qu'il a jeté Lui-même : Il
vous a fait entrevoir ce qu'il voulait de vous, c'est-
à-dire une soumission pleine d'amour à sa volonté,
un abandon sans réserve et sans inquiétude à sa bonté,
et un amour souverain de sa beauté seule aimable.
Il vous a fait concevoir une grande et suave idée du
ciel et II exige de vous un mépris de tout ce qu'il y
a au monde, qui vous porte à vous en détacher et à
regarder les peines comme heureuses. Il vous a montré
cela bien gratuitement. Il a fait plus. Il a comme
planté dans votre cœur le désir de vous conformer à
ce dessein si plein de bonté. »
« 0 ma mère, pouvait-il écrire en toute vérité,
combien j'aime votre âme ! »
Sa mère morte, M. Beaudenom reporta toute sa puis-
sance d'affection sur sa sœur Céline, avec qui il vécut
dans une grande union jusqu'au jour si tôt venu
(22 août 1874) où la mort la lui enleva. La solitude où
le laissèrent ces deux pertes si rapprochées lui causa
une indicible souffrance. Nous en trouvons l'écho
direct dans cette cor.fidence au religieux qui était alors
le directeur de son âme : « J'ai vu mourir ma sœur !
Ses derniers moments ont été si touchants que j'ai
le cœur atteint dans une profondeur que je ne soup-
çonnais pas. Plusieurs fois, j'ai cru que j'en mourrais.
Je n'avais rien éprouvé de semblable à la mort de
ma mère. Parallèlement à cette immense douleur,
l'acceptation, l'expression de la reconnaissance et la
prière la plus ardente ont soutenu mon âme et lui
ont donné jusqu'à une certaine joie profonde. Il s'est
passé dans mon âme un travail extraordinaire; je ne
me crois plus le même. Je vois clairement que jusqu'ici
je n'ai pas été à Dieu, que je n'ei même jamais bien
voulu vivre détaché de tout le reste, personnes et
choses. Mon appel à la vie religieuse m'a paru lumi-
neux à. plusieurs moments et ma volonté s'y porte
avec une constance tranquille; d'autres fois, l'espoir
et la pensée que je mourrai bientôt se présentent
comme une autre solution de ma position. Je ne tiens
ni à vivre, ni à mourir, et si j'avais à choisir, je de-
manderais de vivre, parce que ce n'est plus une joie
pour moi et que je voudrais travailler et souffrir pour
Notre-Seigneur. D'autre part, le sentiment d'attache-
ment que j'éprouve pour Lui est tel que je me sens
pardonné, aimé, et il me semble que, pour la pre-
mière fois de ma vie, je ne tiens qu'à Lui. »
Dès lors, sa santé déjà si fragile fut irrémédiable-
ment ébranlée. Il perdit le sommeil; toute sa vie, dé-
sormais, il ne reposera, chaque nuit, que quelques
heures et jamais sans un secours artificiel.
Après ces douleurs de famille, Dieu permit pour lui
des douleurs intérieures plus déchirantes encore.
Le jour vient où son âme ne sent plus le Dieu qui
est son Tout. Il le cherche et l'appelle dans de grandes
angoisses; il traverse ce chemin si rude de la nuit
obscure que Dieu réserve à certaines âmes qu'il veut
attirer à Lui plus fortement. Des pages émouvantes
qui nous ont révélé cette épreuve nous ne pouvons,
à notre regret, extraire que quelques passages; ils
suffiront à montrer le serviteur de Dieu tout désireux
de consumer sa vie au service de son Maître dans
un absolu désintéressement.
« Je vous en prie, laissez-moi mourir, si je dois mal
vous servir. Je n'accepterai la vie qu'à condition que
ce soit pour votre gloire. Oh ! je ne vous demande
rien autre chose, ni de ne point souffrir, ni de vivre,
ni de mourir, mais de vivre ou de mourir selon l'in-
térêt de votre gloire. Cette grâce suppose peut-être
un complet changement dans les plans de Dieu sur
moi : peut-être, en effet, avait-Il déterminé, comme
pour tant d'autres, infidèles moins que moi, que ma
vie se prolongerait, permettant que j'en usasse mal?
Ou encore, prévoyant cela et ne pouvant, sans d'in-
stantes prières, me garder bon en maintenant ma
vie, peut-être avait-Il déterminé que j'en verrais le
terme ces temps-ci; mais, changeant d'avis, qui sait
XIX —
s'il ne règle pas que je vivrai pour faire du bien 'satis
recherche de moi? O Père, je vous prie par Jésus-Christ,
faites-moi la grâce qui renferme le plus de votre
gloire ! »
« O Jésus, c'est dans le gémissement que je viens
vers vous ! Serez-vous honoré par cette vie qui se
traîne d'égoïsme en égoïsme, mais dans la douleur et
le désir? Que pouvez-vous attendre de l'inconstance
même? Ne pardonnerez-vous pas si je m'attriste par-
fois outre mesure, si, dans les ténèbres et le silence de
l'exil, je me prends à trembler? Oh 1 la douleur que je
sens doit vous toucher, fût-elle coupable et égoïste,
car elle est la douleur d'un de vos enfants et elle est
extrême. Secourez-moi, oh ! secourez-moi vite, car, à
ces obscurités horribles, mon âme succombe et mon
corps ne tient plus. »
« Oh ! ne me fuyez pas, faites-moi prier I Vous avez
dit : Venez à moi vous tous, vous tous qui êtes dans
les travaux et je vous referai ! Je viens, j'accepte, je
m'offre; refaites-moi un cœur nouveau, pur, ardent,
désintéressé. Il me semble parfois qu'il suffirait d'un
rien pour que mon cœur fût plus généreux, dévoué à
votre gloire, désireux de vous seul; et, le plus souvent,
au contraire, je suis dans le découragement; à cot
égard, il me semble que je ne saurai jamais me dévouer
et vous aimer. O ma Mère, forcez le Cœur de votre
Fils à me fixer en Lui. Egoïste que je suis, ce que je
sens le plus, c'est la désolation de mon âme, elle m'ar-
rache des gémissements presque continuels ; rien ne me
console ni sur la terre, ni au ciel. Oh ! merci de ce
qu'aucun objet créé ne me console, car je veux être
tout à Jésus et je serais capable d'être tout à d'autres.
Jésus 1 merci de toutes mes peines intérieures; mais
j'ai peur de n'y point tenir; mon courage parfois sem-
ble s'évanouir. Venez à mon aide, ô vous qui avez dit :
— XX —
Venite ad me omnes. » Quels accents éclatent à tra-
vers ces lignes ! Quel tourment que ce délaissement
apparent de Dieu!...
Malgré l'intensité de ses souffrances, cette âme
tenait ses regards fixés sur le divin Modèle dans une
entière soumission, comme l'atteste ce témoignage de
la même époque : « Notre-Seigneur, sur sa croix, fut
accablé d'humiliations autant que de\ douleurs ; sa
dignité souffrait plus que son corps et son Cœur souf-
frait plus que tout. Et quand on Lui disait de se
justifier, de descendre de la Croix, Il ne voulait pas
se justifier. Il ne voulait pas descendre de sa croix
parce qu'il savait qu'un jour ses amis se console-
raient dans leurs humiliations non justifiées et dans
leur crucifiement non abrégé, en voyant que c'est la
voie, la règle, le mérite, en sentant, sur ce bois cruel
où on les attacherait, quelque chose de doux, de puis-
sant, laissé là par des souffrances et un amour divins. »
Ainsi s'achevait la longue et toute surnaturelle pré-
paration de M. Beaudenom à l'apostolat que désormais,
dans une obscurité si complète, si voulue, il allait
exercer non plus seulement sur quelques âmes privilé-
giées, par sa direction orale ou écrite, mais sur un
nombre d'âmes illimité, par ses livres de spiritualité
qui s'en iraient bientôt porter par tout le monde les
bienfaits de ses enseignements.
III
Nous sommes en 1896. M. le chanoine Beaudenom,
trop affaibli désormais pour remplir aucun ministère
actif, se retire à Puteaux. Il informe ainsi un ami de
sa nouvelle installation : « Figurez-vous que, sur l'ordre
des médecins, je suis venu habiter les hauteurs qui
avoisinent le mont Valérien. J'ai là une petite maison
toute à moi, un jardin assez grand, un air vif et un*;
vue qui s'étend sur tout Paris. Avec cela, "un calme
parfait. »
Dans cette « maisonnette », vraiment trop exiguë,
il ne resta que quelques années. En 1903, en effet,
nous le trouvons installé au n° 8 de la rue Sadi-Carnot,
sur le plateau bien connu, tout près du rond-point
de la Défense. Les habitués se rappelleront toujours
l'aspect si simple et si accueillant de cette demeure :
la façade grillagée d'où retombe un peu de verdure,
la sonnette d'un autre âge, au fonctionnement si ca-
pricieux, le petit jardin où s'épanouissaient à la belle
saison quelques rosiers; à l'arrière- plan, la volière
des colombes édifiée avec des planches de fortune.
Puis, dans la maison, le très modeste salon où l'on
attendait d'être introduit auprès de l'homme de Dieu.
Les infirmités de M. Beaudenom s'aggravent bien-
tôt au point de l'obliger à garder la chambre pendant
la plus grande partie de l'année. C'est alors qu'il
reçoit l'autorisation de célébrer chez lui les saints
Mystères. « Je tiens à vous faire part, sans aucun
retard, du bonheur que j'ai eu de célébrer la sainte
Messe pour la première fois dans une petite chapelle
du salon. Je n'ai eu qu'une personne pour assistance.
J'avais sorti les linges d'autel qu'avait faits ma sœur
pour ma première messe et qui n'avaient plus servi
depuis lors. Il y a bien des émotions dans ces souve-
nirs qui datent de quarante ans bientôt et qui me
semblent pourtant si rapprochés, tant ils restent
vifs. »
Les médecins ne comprendront plus que son exis-
tence soit possible. Humainement il semblait con-
damné à mener, ce qu'il appelait, en effet, avec tant
de confusion, une vie inutile. C'est pourtant alors,
que, désormais, tous les jours, jusqu'à la fin de sa
vie, à l'exemple des pauvres, dont il fut la providence
aussi généreuse que discrète, tant d'âmes viendront
chercher, auprès de lui, lumière et réconfort !
Au sortir d'un premier entretien, une personne
qui était allée le consulter écrivait : « Je fus frappée
de son caractère, de sa dignité et encore plus de sa
bonté. Son extérieur est une prédication vivante. »
Telle était l'impression qu'il produisait dès sa jeu-
nesse et qu'il produisit toujours davantage. De haute
taille, très mince, le visage émacié, sa tenue aussi
digne que simple, ses yeux souvent baissés, son affa-
bilité toute sacerdotale évoquaient le souvenir d'un
saint François d'Assise. En sa présence, on se sen-
tait aussitôt pénétré d'un absolu respect pour le
caractère sacerdotal et d'une confiance sans bornes en
ce vrai représentant de Jésus-Christ.
L'entretien commençait. Il n'interrompait pas; il
ne questionnait pas; il écoutait. Il possédait en effet
ce don trop rare de savoir écouter, et avec quelle atten-
tion et quelle sympathie ! Personne n'existait plus
alors que l'interlocuteur qu'il avait devant lui. Tout
. en même temp on sentait, avec une satisfaction qui
facilitait singulièrement l'ouverture d'âme, que l'on
était entièrement compris.
C'est qu'il possédait un jugement d'une rare clair-
voyance et d'une très rassurante pondération. Même
dans les cas difficiles il arrivait, en quelques instants,
à une intelligence complète de la situation qu'on
venait de lui exposer, et à des déductions dont la pré-
cision surprenait non moins que la justesse.
Éminemment doué du don de discernement des
esprits et du don de conseil, non seulement il voyait
et déterminait la situation, mais il savait prendre la
responsabilité, si lourde fût-elle, de la décision qu'il
— XXIII —
jugeait opportune. Cette netteté même de ses direc-
tions donnait une pleine satisfaction; on sortait do
cette entrevue persuadé que, conduit par un tel guide,
on ne pouvait errer.
Il excellait plus encore à soutenir. Les lettres pu-
bliées dans ce volume en sont le meilleur témoignage.
Lettres de direction, elles pourraient en effet s'appeler,
non moins justement, lettres de consolation, d'encou-
ragement, de réconfort. Le guide, en lui, était toujours
un père, un ami, et c'est dans le cœur même du Sau-
veur qu'il puisait cette charité, cette compassion qui
adoucissait les peines, relevait les courages abattus,
communiquait la force de reprendre son chemin,
fût-il celui du Calvaire. Toutes les fois que sa santé
ne l'en empêchait pas absolument, M. Beaudenom
consacrait de longues heures à ce ministère. « Je
pourrais travailler, écrivait-il à un confrère, si l'on
m'en laissait le temps. Je ne sais pas me refuser à une
âme qui vient chercher un peu de réconfort. »
*
* *
Ce que nous venons de noter ne représente pour-
tant qu'une partie, et non la plus importante, de son
labeur apostolique.
On peut déjà le soupçonner par les lettres que con-
tient ce volume. Plutôt que de les analyser, nous pré-
férons laisser aux lecteurs la haute satisfaction de
découvrir à la fois tout ce qu'elles révèlent de leur
auteur, tout ce qu'elles apportent aux âmes contem-
poraines. Elles apparaîtront riches d'analyses psycho-
logiques aussi délicates que profondes et de directions
appuyées sur une expérience d'un demi-siècle. Elles
satisferont les juges les plus exigeants par l'absolue
orthodoxie de la doctrine qu'elles contiennent et l'op-
portunité des enseignements qu'elles mettent en lu-
mière; plus encore elles seront remarquée, du fait de
leur étonnante efficacité à soutenir les âmes, à les faire
progresser en les conduisant à Dieu, au Dieu fait
homme. Mieux que nous ne saurions le dire, mieux
même que ne le révèlent les volumes publiés par
M. Beaudenom, elles montreront ce qu'il fut comme
directeur spirituel.
Est-il besoin de noter que les lettres publiées dans
ce volume ne représentent qu'une petite partie de la
correspondance spirituelle de M. Beaudenom ? Sans
doute, le nombre des âmes qu'il dirigeait d'une ma-
nière continue ne pouvait être très étendu, encore
qu'il fût grand et que certaines de ces personnes pos-
sèdent chacune plusieurs centaines de lettres de lui;
mais en conséquence de la diffusion de ses ouvrages,
c'est, peut-on dire, de tous les points du monde que
s'adressaient à lui des âmes inconnues qui éprouvaient
un irrésistible besoin de lui exprimer leur recon-
naissance et de solliciter ses lumières. Au destina-
taire dont on ignorait le nom, ces lettres parvenaiei t
par l'entremise des libraires. M. Beaudenom, très sur-
pris du succès de ses livres, très heureux surtout
d'apprendre qu'ils faisaient du bien, répondait tou-
jours. Et c'est ainsi que s'accroissait sans cesse sa cor-
respondance. Aussi, on le soupçonne aisément, ce ne
fut pas la moindre difficulté de notre tâche de choi-
sir, dans le volumineux dossier que nous avons pu
constituer, les lettres qu'il convenait de publier de
préférence aux autres. Il nous reste le regret profond
de priver le public de tant d'autres pages précieuses,
qu'un second volume aurait été insuffisant à con-
tenir.
Il semble qu'un labeur tel que celui que nous ve-
nons de décrire dût être au-dessus des forces d'un
vieillard épuisé, qui ne quittait plus sa chambre pen-
riant dix mois de l'année. Mais, si les forces phy-
siques avaient dès longtemps disparu, l'esprit gardait
une vigueur étonnante et l'âme de ce prêtre était
celle d'un apôtre. Les épreuves de l'Eglise trouvaient
en son cœur un douloureux écho. Il sondait l'ave-
nir avec inquiétude. Plus d'une fois, on le trouva
angoissé; cependant, il gardait confiance et savait
rendre courage aux pessimistes. A un moment où
soufflait le vent de la persécution, il écrivait : « La
terre est trop sombre, trop meurtrière. Prenons notre
vol jusqu'à ce ciel qui n'entend même pas de si loin
ces cris de fureur de nos ennemis. Ce qu'il entend,
c'est la douce parole de résignation et d'amour de la
souffrance qui s'exhale de tant de cœurs consacrés
et meurtris. Dieu communique aux saints les beautés
de tant d'âmes éprouvées et grandies. Le massacre
des Innocents se renouvelle. .C'est Jésus que l'on cher-
che pour le faire périr. D'autres périront à sa place
et Lui, glorifié par ces martyrs, pleinement conscients,
reparaîtra un jour dans son Église rajeunie. »
— « Si je vois en noir l'avenir jusqu'aux horizons à
notre portée, je conçois au delà un avenir pouvant
être très beau. Les grands mouvements de l'humanité
sont très lents, et, pour qu'ils changent de direction
il faut qu'ils s'y trouver t en quelque sorte forcés,
comme la mer qui, après avoir envahi de vastes
plaines, se heurte à des montagnes. L'irréligion, en
ce moment, ne rencontre pas d'obstacles, elle va tout
envahir. Mais un moment arrivera où ses ravages
auront été tels que des montagnes se dresseront pour
l'arrêter. L'humanité ne peut pas vivre sans morale,
ni la morale sans des principes et des sanctions. D'au-
tre part, la persécution et la pauvreté auront dégagé
l'Église des embarras trop humains. Le mal actuel
de la Séparation l'aura enfin rendue maîtresse de son
XXVI —
organisation et do ses choix. Devenue plus évangé-
lique, elle séduira les âmes restées nobles et recevra
de Dieu la fécondité qu'obtiennent seuls les moyens
surnaturels... Je ne compte plus pour nous sauver
que sur la sainteté. Adveniat regnum tuum... »
Pour que ce règne arrivât, pour que la vérité parvînt
au plus grand nombre et comme s'il avait voulu
atteindre toutes les âmes, M. Beaudenom se décida à
écrire. Avec sa confusion coutumière, il confiait à un
prêtre : « Je n'ai pas fait le bien que j'aurais dû faire.
Pendant de longues années, je me suis laissé vivre, me
contentant de mon petit ministère et de la direction
de quelques âmes. J'aurais eu le temps d'écrire et je
ne m'y suis mis qu'à soixante ans, quand l'affaiblisse-
ment de ma santé m'a donné de trop grands loisirs. »
Ce que nous pouvons assurer, c'est qu'il employa ce
qui lui restait de vie à éclairer les âmes, à les soutenir,
à les former. Ce qu'il voulait, c'était d'abord les ré-
véler à elles-mêmes pour leur révéler ensuite le vrai
Dieu. « Les âmes pieuses, écrivait-il à un prêtre dont
il avait fait son conseiller, ont besoin d'être ranimées.
Le doute fait chanceler bien des résolutions, j'en suis
effrayé. L'opinion générale tend toujours à gagner le
petit nombre. Or, à notre époque, elle le fait d'une
façon plus puissante et plus rapide, grâce à l'inonda-
tion des journaux, des revues, des livres, des conver-
sations. Impossible d'échapper à ces flots et bien dif-
ficile d'y résister. Que peuvent, en effet, des personnes
dont l'intelligence est faible et l'instruction courte,
contre les formidables objections qui frappent tous les
regards, autant que le font les affiches des rues? »
Combien de fois ne l'avons-nous pas entendu dire,
avec un accent de tristesse si profonde : « Jésus n'est
pas connu ! Jésus n'est pas connu ! » Le faire con-
naître, le faire aimer, c'est le désir qui consume son
— XXVII —
âme et qu'il exprime sans cesse : « Plus je vais, plus
je me sens porté à faire aimer Notre-Seigneur, même
par les âmes qui sont loin d'être parfaites. »
Comment travaillait M. Beaudenom? Nous vou-
drions le dire brièvement. On le soupçonne aisément
après ce que nous avons fait entrevoir ; les visites qu'il
recevait, la correspondance qu'il était obligé d'entre-
tenir, les soins nombreux que réclamaient ses infirmités
ne lui laissaient presque aucun loisir. Il n'avait par
conséquent pas de temps pour lire. Dans sa biblio-
thèque, nous n'avons guère trouvé que quelques livres
dont lui faisaient hommage dès auteurs qui le tenaient
en particulière estime. En tous cas, dans les rares
volumes qu'il a consultés, il allait droit et exclusive-
ment au sujet qui l'intéressait. Ce n'est pas là d'ordi-
naire qu'il puisait ses lumières. Le connaissant ou
non, il partageait le sentiment du P. Gratry : « On
veut agir, on veut parler, on veut combattre. Nul ne
veut s'enfermer dans sa chambre, comme le demande
Pascal. Nul no veut s'enfermer avec Dieu, clauso
ostio, comme le ^dit l'Évangile, pour interroger la
lumière dans la source la plus recueillie. Qui donc
veut croire à la présence réelle de Dieu, à la néces-
sité, à la possibilité de le voir pour connaître la vé-
rité? Il faut du repos; et nous manquons aujour-
d'hui de repos bien plus encore que de travail. Le
repos est le frère du silence. Nous manquons de repos
comme de silence. Nous sommes stériles, faute de
repos plus encore que faute de travail... Qu'est-ce
donc que le repos? Le repos, c'est la vie se recueil-
lant et se retrempant dans ses sources. Le repos pour
le corps, c'est le sommeil. Le repos pour l'esprit,
c'est la prière. La prière, c'est la vie de l'âme, la vie
intellectuelle et cordiale, se recueillant et se retrem-
pant à sa source, qui est Dieu. » M. Beaudenom fut
XXVIII —
de ces hommes trop rares qui pratiquent d'une ma-
nière constante « le profond recueillement de l'esprit
dans la vérité substantielle, dans les sources centrales
de lumière ».
Il avait donc vraiment autorité pour guider les
âmes dans la méditation, lui qui savait « regarder
longuement ». « La presque totalité de mon temps,
prétendait-il, se passe dans une inaction complète,
C'est alors que je tâche de vivre en Dieu, et, je dois
le dire, j'y goûte une paix profonde : les pages que
j'écris s'en ressentent, il me semble que je les vis
mieux. » N'était son humilité, il eût pu appliquer à
ses ouvrages ce jugement qu'il portait sur un volume
qu'il nous recommandait : « Les vérités exprimées par
des âmes qui les ont vécues ont une saveur et une
force particulières. » D'un de ses ouvrages il disait
d'ailleurs : « Cela sera certainement instructif. Moi-
même en méditant ces choses, je les ai vues autre-
ment lumineuses qu'auparavant. » Et encore : « Vous
voulez bien me dire que ce livre de Méditations est
utile aux âmes, et surtput qu'il fait connaître et aimer
Jésus. C'est là mon effort continuel, effort qui, loin de
me coûter, me console. Quelle grâce d'être déchargé
de tout autre souci et de pouvoir contempler à loisir
l'admirable figure du divin Maître ! Plus j'avance, plus
je découvre de beauté, de tendresse et d'infinie bonté
dans ce Cœur humain élargi sans bornes par la pé-
nétration de la divine personnalité du Verbe. »
Après de longues journées, lorsque, dans la réflexion
et l'oraison, il avait patiemment contemplé la vérité
qu'il se proposait d'exposer ou, selon les circonstances,
pénétré profondément dans la familiarité de Dieu, de
Jésus-Christ, de la Sainte Vierge, l'âme toute remplie, il
prenait son crayon, car sa main était trop décharnée
pour tenir ordinairement une plume, et il écrivait de
cette écriture quasi illisible que, disait l'un de ses
amis, la grâce de Dieu seule permettait de déchiffrer.
Puis, au fur et à mesure de la composition, une de ses
filles spirituelles, qui considéra comme une grâce de
lui avoir servi de secrétaire pendant de longues an-
nées, recopiait les précieuses pages pour l'imprimerie...
Les interruptions étaient continuelles, l'œuvre cepen-
dant se poursuivait. « D'une occupation à une autre
tout mon temps s'en va; je ne puis me mettre à mon
travail commencé que par courtes périodes. Heureu-
sement, fai tracé tous les détails de mon plan, et quand
je m'y remets, je n'ai qu'une partie spéciale à traiter. »
Son premier ouvrage de cette époque fut la Pratique
progressive de la Confession et de la Direction. Tandis
qu'il le composait, il écrivait : « Le travail ne manque
pas, je suis très peu à moi; aussi un petit ouvrage
pour la confession des âmes pieuses pousse lentement
comme ces plantes rabougries qui ont peu de terre
et un soleil rare. Le voilà cependant presque achevé
et plus long que je ne pensais le faire, ce sera un vo-
lume et peut-être, hélas ! un volume trop plein et
moins à la portée des âmes; j'ai fait pourtant de mon
mieux et j'y ai mis, cette fois, un peu plus de mon
cœur. » Après cet ouvrage, l'auteur donna, au cours
des années suivantes, deux volumes sur la Formation
religieuse et morale de la jeune fille; deux volumes
intitulés : Méthodes et Formules pour bien entendre la
sainte Messe, puis les Sources de la piété! Au sujet de
ce dernier traité, il écrivait : « Je reçois souvent
des lettres navrantes, heureusement suivies parfois
de lettres plus rassurées. Aussi, ai-je quelque vague
plan d'un livre destiné à porter remède à cet état
d'esprit : point de science, point de vraie discussion,
mais la lumière répandue sous forme de méditations.
Les objets de notre foi, mieux éclairés, se montreraient
— XXX —
dans leur raison d'être, leur utilité, leur beauté... J'es-
saierai, mais je crains bien de ne pas continuer; cette
tâche est trop lourde pour moi qui suis un ignorant. »
Un peu plus tard : « Mes travaux avancent tou-
jours, mais lentement. Il me faudrait deux mois d'une
santé passable. J'ai une vaste matière à coordonner
et plusieurs parties à refaire. Chemin faisant, on change
un peu de direction et l'on fait ce que l'on comptait
ne pas faire. A ce livre ainsi conçu je donnerai ce
titre : Sources de la piété. Je les prends dans nos grands
mystères de la Trinité et de Y Incarnation et j'en fais
une application raisonnée aux grands principes de la
piété. » A un autre correspondant il donnait quelques
précisions : « Je vous indiquerai simplement certains
points que je crois capitaux : le but qui est d'élever
l'enseignement de la piété et de lui donner pour base
la vérité, le dogme; la méthode qui consiste à pré-
parer l'esprit avant et pendant l'exposé doctrinal, à
établir une gradation de lumières de façon à ce que
la vérité qui suit se trouve éclairée naturellement par
celle qui précède et à son tour éclaire celle qui vient
après, à constituer enfin une sorte de synthèse com-
prenant tout le surnaturel. Je n'ai pas trouvé de livre
le présentant ainsi, et c'est ce qui m'a déterminé à
le tenter. Ce qui, de prime abord, paraît assez com-
plexe, devient très simple quand on l'a lu de façon à
bien le posséder. La vue d'ensemble qui le termine
en est la preuve. J'y ai mis tout le fonds de ma doc-
trine spirituelle. Depuis mon grand séminaire, j'ai été
dominé par Vidée de la grâce et c'est une question sur
laquelle j'ai réfléchi pendant près d'un demi-siècle. Elle
revient sans cesse dans tous mes écrits. Puisse ce livre
contribuer à élever la piété en l'éclairant plus à fond
et en lui montrant la liaison intime de la vérité et de
V amour ! »
Enfin son âme, de plus en plus intimement unie au
divin Maître, conçut l'ardent désir de le faire connaître
tel qu'elle le contemplait depuis toute sa vie. Très
affaibli, il crut ne pouvoir pas même commencer. Heu-
reusement, il se trompait. Le Sauveur, qui a si grande
soif de vivre dans les âmes, voulait rayonner par
l'âme de son fidèle serviteur. Petit à petit et comme
goutte à goutte, trois volumes de Méditations affec-
tives et pratiques sur l'Évangile vont voir le jour, et
c'est seulement au seuil de la Passion, à la moitié
du quatrième, que la plume tombera définitivement
de cette main vaillante jusqu'au bout : « Si je ne puis
achever, nous confiait-il, je serai toujours heureux de
mourir la plume à la main. » « Je n'ai pas perdu
mon temps en m'occupant beaucoup, toute l'année,
de Notre-Seigneur pour en écrire; il m'en reste une
impression de voisinage plus rapproché et plus doux.
Je me réservais de reprendre ce beau sujet et de le
préparer pour les âmes plus parfaites que la mienne,
je n'ai pas été jugé digne de cette mission, car il
n'est pas probable que je devienne capable de l'effort
nécessaire pour creuser et condenser tant de grandes
choses. »
Il ajoutait : « Je suis heureux d'être employé, à dis-
tance, au bien des âmes. Les missionnaires de Chine
m'ont demandé l'autorisation, que j'ai de suite accor-
dée, de traduire mes livres en latin et quelques-uns
en chinois : me voilà bientôt missionnaire en Chine.
Et dire que j'aurais voulu, à vingt ans, commencer
par là ! » Missionnaire en Chine ! et, peut-on ajouter
sans exagération, dans tout l'univers, car ses œuvres
ont été traduites dans un grand nombre de langues,
telle fut la récompense, et en quelque sorte la gloire,
que Dieu a réservée à son apôtre, au soir d'une vie
toute de sacrifice, d'abnégation, de dévouement aux
3
— XXXII —
âmes. Il put entrevoir la fécondité du champ ense-
mencé par son apostolat : « Si j'en crois les hommes
de valeur, j'aurai rendu un vrai service; je n'ose vous
communiquer leurs témoignages tant ils ont été élo-
gieux. Dans mon impuissance à travailler au salut
des âmes par d'autres moyens, je remercie Dieu de
me laisser ouverte cette voie utile et toute cachée.
Si je considère l'état où je suis, j'en conclus que je
n'ai plus longtemps à vivre et je me réjouis à la pen-
sée qu'après moi, mes livres serviront les âmes. »
* *
Montrer en M. Beaudenom un prêtre qui a excellé
dans « l'art divin d'éclairer, de guider, de consoler
les hommes au nom de Dieu », parce qu'il était une
de ces « âmes profondes, habitant le monde invisible,
plongées dans le ciel et tournées vers l'Orient des
choses », ce n'est pas révéler tout le secret de son
étonnante fécondité apostolique. Il nous reste à lui
appliquer cette autre parole de Gratry : « Ce n'est
pas par la multiplicité des efforts de surface, ni par
la masse des œuvres, que nous sommes les ministres
utiles de l'Évangile, mais par la toute-puissance d'un
cœur humble appuyé sur Dieu, d'une âme profonde
qui puise en Dieu (1). » L'humilité et la conformité
à la volonté de Dieu, telles furent les deux grandes
vertus de ce vrai disciple de Jésus.
Celui qui a composé un si remarquable traité sur la
« formation à l'humilité » s'est soumis lui-même tout
le premier, et avec quelle rigueur, à cette formation.
Nous ne pourrons jamais oublier de quelle manière
il termina l'entretien que nous eûmes un jour avec lui
'1) Gratry, Henri Perreyve : passim.
sur cette vertu. Nous le voyons encore, étendu péni-
blement sur sa chaise longue, puis, tout à coup se
dressant, et disant, avec une force que nous ne lui
connaissions pas : « Je ne comprends pas qu'on soit
orgueilleux. »
L'humilité, il l'a pratiquée sous cette forme exté-
rieure qui s'appelle la pauvreté. Tout ce qui l'entou-
rait était d'une extrême simplicité et strictement
réduit à l'indispensable. On voyait, à côté des rares
livres que portait une modeste étagère, quelques
outils de menuisier dont il avait toujours aimé se
servir à l'exemple et en souvenir du divin Maître :
c'est dans cet esprit que volontiers il construisait de
ses mains divers objets, malgré la fatigue qu'il en
ressentait. D'autre part, il tenait à ne se servir que
de choses très ordinaires. Ses vêtements étaient ceux
d'un vrai pauvre; sur ce point comme sur tant
d'autres, il était une prédication vivante.
Mais, si, comme il aimait à le dire, « le meilleur
abri de l'humilité, c'est la pauvreté; à son tour, le
plus bel ornement de la pauvreté, c'est l'humilité ».
Cette humilité intérieure fut de beaucoup sa vertu
préférée. Qu'on en juge par la manière dont il appré-
ciait ses œuvres.
Au moment de donner le « boi à tirer » d'un de ses
derniers ouvrages, il écrivait au prêtre qui avait revu
les épreuves : « J'ai tout relu, mais avec la seule
attention à l'exactitude du texte. J'ai passé bien des
pages que j'aurais aimé refaire; je m'en suis tenu à
cette réflexion : telle quelle, cette page peut être
utile, cela suffit. Je ne sais pas si j'écris bien ou
mal; j'écris comme je pense et comme je sens. Je me
suis parfois demandé d'où pouvait venir le succès de
mes livres et ma conviction est qu'ils s'accommodent
à beaucoup d'âmes à cause de la médiocrité de la
pensée et du style. Chacun doit comprendre et tous y
reconnaissent leurs propres sentiments ! » Il écrit
encore à un ami : « Merci de votre zèle à répandre
mes livres; il y a déjà de par le monde bien des exem-
plaires de ce volume : j'en suis tout surpris. Peut-
être Dieu daignera-t-Il me faire miséricorde en faveur
de mon désir de le faire aimer. » Est-il possible d'être
aussi modeste, devant un tel succès?... Oui, mais seu-
lement quand on est vraiment humble, quand on
sait reconnaître que ce n'est pas l'homme qui agit par
lui-même, mais Dieu qui agit par l'homme : « Non
vos me elegistis sed ego elegi vos et posui vos, ut eatis
et fructum ajferatis. »
Ce que nous re saurions rendre, c'est le son de sa
voix, son accent pénétré lorsqu'il disait par exemple :
« Je suis un être inutile », ou « je ne compte que
sur la miséricorde de Dieu. » Quelques citations mon-
treront avec quels sentiments il parlait de lui : « Je
travaille fort peu, mais je ne m'en trouble pas, con-
naissant la valeur du métier de fainéant quand il est
bien accepté. Je n'ai quitté mon lit qu'hier. Mon mal
de gorge était à l'état aigu. Presque jamais de messe
ni de communion. Presque plus de travail, car je
suis accablé. Il ne me reste à offrir à Dieu que ma
nullité. C'est un triste présent; je tâche de le faire
de bon cœur. » « J'ai passé tristement ces deux jours
de l'Annonciation et de la Passion, ne pouvant offrir
à Dieu que mon entier abandon. Si encore j'avais de
vives souffrances à offrir ! Dieu me traite comme une
âme faible à qui on demande peu. Heureusement, les
petites offrandes sont plus nombreuses. Il daigne
agréer l'obole du pauvre. » — « Depuis une quin-
zaine, une amélioration s'esb produite qui me permet
de m'occuper un peu et de dire la messe le dimanche,
non sans grande fatigue, il est vrai. C'est un délai
XXXV
que Dieu accorde à l'arbre stérile pour qu'il porte
enfin des fruits, car si j'ai enseigné aux autres la
perfection, je ne l'ai pas vraiment pratiquée. Priez
Dieu de me pardonner de pousser les autres vers lui
et de rester si loin. » — ■ « Vous me demandez où
j'en suis pour ma santé et mes travaux. Dieu me
montre une fois de plus que je suis un serviteur
inutile. Depuis trois semaines, j'ai dû suspendre tout
travail et presque toute lecture à cause du mal de
tête causé par une congestion du cerveau. Cela
m'était arrivé déjà vers le commencement de l'an-
née. Je n'en avais pas souffert jusque-là. Est-ce un
avertissement? J'ai tout oiîert, même ma pauvre
tête, ne demandant qu'une chose dans ce cas, c'est
d'avoir conscience de ma décrépitude. Ce serait bon
de finir dans l'abjection complète. »
Ces quelques censées suffisent à révéler le juge-
ment si humble que M. Beaudenom portait sur lui-
même. Ceux qui l'ont fréquenté savent jusqu'où il
poussait la désolation d'être si imparfait. Toutefois,
de loin en loin, le jour s'éclairait légèrement. « Vous
me souhaitez la paix! Hélas! je ne vous ressemble
pas ! je crains d'avoir trop de paix, étant si lâche et
voyant de si belles âmes ! Mais je me fais de Dieu
une telle idée que j'ai beau vouloir me troubler, je
ne le puis pas. Il me semble voir un erfant qui ne
peut pas trembler, alors même que son père se fâche
très fort : il croit qu'ep le regardant de très près il le
fera sourire. »
* *
L'auteur de la Formation à l'Humilité a écrit :
« Humilitas prœcipue consistit in submissione hominis
ad Deum. L'humilité consiste surtout dans la soumis-
sion de l'homme à Dieu » (Saint Thomas). — Soumis-
— XXXVI —
sion universelle : c'est le vaste champ de ses volontés
e t de ses désirs. — Soumission ferme et sans hésita-
tion : c'est l'ordre des choses; c'est le devoir. — Sou-
mission heureuse : c'est mon bien, c'est ma grandeur.
« L'humilité fait disparaître la volonté de la créa-
ture, en tant que principe indépendant de détermi-
nation, pour y substituer les déterminations divines.
« L'àme bien humble réalise donc la sublime de-
mande : Que voire volonté se fasse sur la terre comme au
ciel (1). »
En M. Beaudenom, la plus profonde humilité s'ac-
compagna toujours d'une union et d'une soumission
aussi filiales que complètes à la volonté de Dieu.
Sanr. qu'il s'en doutât, certes, il nous a révélé l'une
des plus grande? beautés de son âme dars cette page
dont nous pouvons assurer qu'il l'a vraiment vécue :
« Notre-Seigneur nous a prêché l'exemple de la sou-
mission parfaite à la volonté de Dieu. Durant toute
sa vie, // veut tout ce que veut son Père, et II fait tout
ce que son Père veut. Vouloir ce que Dieu veut quand
cela coûte peu ou point, cela est facile; cela est même
très aisé et très doux lorsque nous sommes portés
suavement sur les ailes de la grâce et des consola-
tions divines. Mais vouloir ce que Diçu veut, quand
il .'agit de choses extrêmement pénibles, le vouloir
quand tout, au dedans, est soulevé corte nous :
ennuis... dégoûts... tristesses... craintes... angoisses...
agonie de l'âme... Le vouloir, et s'y attacher quand
pas une consolation extérieure ne vient adoucir ces
peines intérieures qui risquent de nous abattre et de
nous submerger... Le vouloir et s'y perdre quand
Dieu même retire ses consolations intérieures... Faire
alors le grand acte d'abandon de soi, s'y tenir, n'en
(1) Formation à l'Humilité, page 253.
XXXVII
plus sortir... abandon de aoi total, universel, perpé-
tuel..., perte de sa volonté propre dans la volonté de
Dieu... voilà la sublime perfection, l'acte héroïque
dont Notre-Seigneur nous a donné l'exemple. »
Se travaillant inlassablement, les yeux fixés sur ce
divin modèle, M. Beaudenom a accepté, recherché,
aimé, réalisé toujours davantage la volonté de Dieu
dont il voyait la manifestation dans ses infirmités,
ses épreuves, et les plus douloureux sacrifices. « Ai-
mons, répétait-il volontiers, toutes les volontés de
Dieu. » « Pour moi, je suis imperturbablement content
de tout ce que fait le bon Maître. Jamais je n'ai été
plus content que lorsque j'ai eu à souffrir beaucoup. »
Nojs avons dit précédemment que sa santé lui
fut une épreuve de tous les jours. Eli lui procura
surtout l'incomparable occasion de redire sans cesse :
« Non mea voluntas. sed tua fiât ».
« J'avais mis la main à mon troisième volume, il y
a trois mois... J'ai été complètement arrêté par la
maladie et une faiblesse extrême. Les médecins se
demandent comment je peux vivre. Si Dieu préfère
que je n'achève pas l'œuvre qui est à moitié chemin,
je ne m'en attristerai pas. » Aussi, pouvait-il adresser
ce souhait à une personne qu'il dirigeait : « Jusqu'ici,
vous avez eu des ailes pour aller à Jésus. Si jamais
vous recevez sur votre épaule la croix qui meurtrit
véritablement, vous réclamerez au bon Dieu ce mo-
deste héritage de votre père : la paix dans la souf-
france. »
Cette paix, il tâchait de la communiquer aux âmes.
Témoin cette lettre adressée à un prêtre très éprouvé,
lui aussi, dans sa santé :
« Gardez-vous bien d'être attristé par toutes les tra-
verses de votre vie, surtout par l'inactivité forcée. Il
ne faut voir que la volonté de Dieu toujours aimable.
S'il Lui plaît de n'obtenir de vous que de bonnes
souffrances, au lieu de grandes œuvres, vous Lui êtes
aussi cher et même aussi précieux : c'est la souffrance
de Jésus qui a sauvé le monde, elle était nécessaire
à la pénétration de l'Évangile par la grâce qu'elle
mérite. Je connais plusieurs âmes admirables, que
Dieu traite en victimes, et qui se sont consacrées à
Lui à ce titre. Vous faites plus, vous êtes prêtre et
la grâce de votre sacerdoce perce à travers vos paroles
édifiantes, à travers vos souffrances plus édifiantes
encore. »
Pour lui, il faisait sienne, avec quelle ferveur ! la
prière de Pascal : « Seigneur, je ne vous demande ni
santé, ni maladie, ni vie, ni mort; mais que vous dispo-
siez de ma santé et de ma maladie, de ma vie et de
ma mort, pour votre gloire, pour mon salut et pour
l'utilité de l'Église... Vous seul savez ce qui m'est
expédient; vous êtes le souverain Maître, faites ce que
vous voudrez. Donnez-moi, ôtez-moi; mais conformez
ma volonté à la vôtre; et que, dans une soumission
humble et parfaite, et dans une sainte confiance, je me
dispose à recevoir les ordres de votre providence éter-
nelle, et que j'adore également tout ce qui me vient
de vous... Faites donc, Seigneur, que tel que je suis
je me conforme à votre volonté; et qu'étant malade
comme je suis, je vous glorifie dans mes souffrances. »
L'une des conséquences les plus douloureuses, pour
M. Beaudenom, de ce continuel état de maladie fut
l'impossibilité où il se trouva si fréquemment de célé-
brer la sainte messe, surtout pendant ses dix dernières
années. A la fin même, il ne pouvait presque plus
jamais monter à l'autel, et, quand un reste de force le
lui permettait, sa fatigue devenait si extrême que,
la messe à peine terminée, il tombait littéralement
épuisé.
Un jour, après le Saint-Sacrifice, son état d'acca-
blement et de souffrance inspirait une telle compas-
sion aux personnes présentes qu'elles la lui témoi-
gnèrent : « Ce n'est pas acheter trop cher un toi
bonheur », répondit-il.
Un peu plus tard, il écrivait : « Je ne me sens pas
fort, je ne suis bon à rien; mais puisque le divin Maître
veut qu'il en soit ainsi, je suis heureux quand même.
— Je n'ai pu célébrer la sainte Messe que le dimanche
et non sans peine. Ce qui m'est le plus pénible, c'est
de la dire très mal, avec une attention confuse, sur-
tout vers la fin. Ce n'est peut-être pas ma faute,
mais c'est bien mal honorer de si grandes choses.
Prenez mon âme avec la vôtre quand vous montez
au saint autel. »
Il eut, du moins, la grande joie de célébrer, comme
il pouvait le désirer, ses noces d'or sacerdotales.
Quelques jours auparavant, il écrivait :
« Je m'achemine vers mes cinquante ans de sacer-
doce. Je fus ordonné le 22 décembre 1863. Que de
messes dites et comment! Je tremble à cette vue.
Priez de plus en plus pour moi. Je suis condamné à
la réclusion. 11 faut bien quelque souffrance, sans quoi
on se croirait oublié de Dieu. »
Ce fut une très douce fête pour le vénéré jubilaire
et pour sa famille spirituelle qui remplissait, ce jour-là,
sa petite chapelle; mais, fête sans lendemain, comme
en témoignent ces deux extraits de lettres :
« Je suis toujours sans messe et je r'en souffre pas
assez. Quand une chose est manifestement" impos-
sible, je dois la regarder comme étant la volonté de
Dieu et, je l'avoue, je suis plus sensible à cette pensée
qu'à la privation. »
— « J'ai passé bien tristement les fêtes de la Pente-
côte; mais il n'y a rien au-dessus de la volonté de
XL
Dieu. La privation de la messe valail peut-être la
messe, en mérite, bien entendis %
La guerre lui fut une autre source d'épreuves.
Depuis longtemps, il était affligé des maux qui tra-
vaillaient le pays. 11 suivait avec une attention sans
cesse en éveil et de plus en plus inquiète les événe-
ments qui précipitaient la France aux abîmes. L'ave-
nir lui paraissait affreusement sombre. Quand la guerre
éclata, il en fut attristé à un tel point <me, de ce jour,
le déclin de ses forces s'accéléra.
« Cette horrible guerre nous tient, dit-il, dans un
état d'angoisses qui nous mine sourdement... Que de
victimes ! Et les plus frappées sont celles qui pleu-
rent leurs morts ! »
M. Beaudenom ne devait pas quitter ce monde sans
pleurer, lui aussi, sur des morts très chers. Le 27 fé-
vrier 1915, il écrivait à un jeune prêtre : « Vous n'avez
donc pas appris la mort du pauvre H. N. ! Il a été tué
net par une balle au front. C'est la plus belle âme
qu'on pût voir. Il avait été jugé parfait depuis sa
première enfance... Je ne peux me rappeler sans une
vive émotion- ce visage si doux, ces paroles si affec-
tueuses, cette impression constante dont j'ai joui du-
rant le mois passé dans sa famille. »
A quelques jours de là, consolant ce même prêtre
qui s'était montré fort affecté de la mort d'un ami,
il écrivait : « Je comprends d'autant mieux votre dou-
leur que je viens de passer par une épreuve de ce
genre et — le dirai-je? — plus profonde encore. Un
jeune homme que j'ai élevé chez moi, à Puteaux,
depuis qu'il avait l'âge de douze ans, et qui ne m'a
quitté que pour le service militaire, un ami d'H. N.',
n'a échappé à la mort que par miracle... Les chirur-
giens s'étonnent qu'il n'ait pas succombé... J'ai passé
par toutes les angoisses... Et il va repartir !... »
Hélas ! ces angoisses n'étaient qu'un prélude. Après
avoir gagné successivement la croix de guerre, la mé-
daille militaire, puis les galons d'officier, ce jeune
homme tant aimé tomba, lui aussi, à l'ennemi. La
nouvelle en parvint à M. Beauderiom sur son lit de
mort : « Je suis broyé », disait-il quelques instants
plus tard. Et, comme on essayait d'atténuer la viva-
cité de sa peine en lui disant que la mort avait été
heureusement très rapide : « Dites plutôt, répondit-il
en appuyant sur ces mots : « Heureusement, il est
« mort dans des sentiments chrétiens. »
Si les deux premières années de guerre qu'il connut
lui apportèrent de très vives peines, elles ne le trou-
vèrent cependant jamais renfermé dans sa propre.dou-
leur. Jamais M. Beaudenom n'eut tant à cœur de par-
tager les angoisses de toutes les âmes dont il était
vraiment le père.
C'est ainsi qu'en juillet 1916, il se rendit auprès
d'une famille particulièrement éprouvée, dans l'espoir
d'apaiser une immense douleur. Il reçut l'autorisa-
tion de célébrer le Saint Sacrifice dans cette maison
désolée : apporter aux affligés le divin Consola-
teur, ce fut comme le geste suprême de sa charité
sacerdotale, quelques semaines seulement avant de
quitter ce monde. Le bien qu'il opéra, il nous le
laisse entrevoir, sans y penser, dans cette lettre : « Il
peut se faire que je prolonge un séjour qui est en
tous points favorable à ma santé et, si je veux croire
mes bons amis, très réconfortant pour eux dans leur
désolation extrême. Je vous ai dit qu'ils avaient
perdu un fils unique à la. guerre depuis un an. Leurs
larmes re cessent pas de couler, mais leur résigna-
tion devient de plus en plus profonde. Ils com-
prennent que s'absorber dans la douleur serait donner
à Dieu la seconde place, et ils réagissent de toute
leur volonté contre ce paitage. Ils veulent que Dieu
XLII
prenne la première place, mais aussi la place laissée
vide... D'où un élan admirable vers une grande
union à Dieu »...
De son côté, il trouva un vrai bonheur à être entouré
d'une respectueuse affection, à passer quelques belles
journées au soleil.
C'est alors qu'il composa sur la sainte Cène ses der-
nières méditations.
Septembre vint. Il rentra à Puteaux...
*
« Je voudrais bien voir la fin "de la guerre », répé-
tait-il de plus en plus. C'est l'aurore du jour éternel
qu'il vit poindre; il sentit approcher très vite cette
heure de Dieu que, depuis si longtemps, il désirait.
« 11 y a fin à tout, écrit-il en octobre; si j'atteins le
23 novembre, j'aurai soixante-seize ans; je veux ne
rien désirer : beaucoup de choses m'attirent d'un côté,
et beaucoup me retiennent de l'autre. »
« Je me sens vieillir : me voilà incapable de célé-
brer la sainte Messe. Si Dieu m'admet dans la lumière
de son visage, que de splendeurs, que de tressaille-
ments et que d'actions de grâces !
« Quand viendra ce beau jour? Il aura aussi les
tristesses du départ. »
Nous saisissons là au vif la délicatesse de ce cœur
sacerdotal dont l'impatience croissante de voir Dieu
n'excluait pas, certes, le regret d'abandonner quelques
âmes dont il se sentait le soutien si utile.
C'est ce même sentiment qui lui avait fait souhai-
ter de suivre dars ses méditations Notre-Seigneur jus-
qu'à son Ascension :
« Vaste carrière de"méditations délicieuses et fé-
condes, nous sera-t-il permis de vous parcourir jus-
— XLIII
qu'au bout? — Divin Maître, divin Ami, nous sera-
t-il donné de vivre ainsi votre vie d'autrefois sur la
terre? Atteindrons-nous les sublimes étapes delà Pas-
sion qui arrache des cris de repentir et d'amour et
puis de la Résurrection si chère aux âmes intérieures ?
Vous suivrons-nous, ô Jésus, jusqu'au ciel, d'où vous
étendez votre vie jusqu'à nous?... Hélas ! la route est
longue et la vieillesse a ses instants comptés... (1) »
C'est le 20 novembre qu'il fut pris d'une crise de
terribles souffrances. Pendant trois jours et trois nuits,
ce fut un véritable martyre. Il nous en parla ainsi
quand nous arrivâmes à son chevet : « Je croyais
auparavant connaître la souffrance... Ce n'était rien,
en comparaison de ce que je viens d'éprouver : des
ruisseaux de feu couraient dans mes membres... J'ai
pu ainsi m'unir enfin aux souffrances de Notre-Sei-
gneur durant son agonie... Qu'il est bon! Par ces
souffrances, Il me permet de me purifier... Mais
priez, priez beaucoup ; car, si je devais ressentir encore
de pareilles douleurs, il me faudrait une grâce toute
spéciale pour les supporter avec sérénité. »
« Dans quelques jours, on vous dira : ça va mal !
— Alors, vous, dites : ça va bien ! la volonté de Dieu
s'accomplit. »
Ses derniers jours furent remplis des actes conti-
nuels d'un abandon total à la volonté de Dieu. L'image
de Jésus s'achevait en lui. A l'exemple du Maître, il
allait, mourir dans un état d'extrême douleur, et
cela, sans une plainte, heureux même de se sentir
attaché à la croix.
Il accepta, lorsqu'il le fallut, les secours indis-
pensables, sans se départir jamais do la plus
délicate réserve. Incapable de se mouvoir sans
1) Méditations, t. I, p. 6.
— XLIV —
d'extrêmes souffrances, pendant quatre semaines il
ne toléra cependant personne, la nuit, à son chevet;
ce sera seulement l' avant-dernière que, sur l'ordre
formel du médecin, et sachant son trépas à tout instant
possible, il consentira enfin à être veillé.
Une semaine entière, il se prépara à recevoir l'Ex-
trême-Onction, avec des sentiments de confusion pro-
fonde et de joie émue. Cette cérémonie eut lieu au
matin de l'Immaculée-Conception. Ce fut une vraie
fête.
Dans sa chambre, on avait dressé, couvert de fleurs
et de lumières, l'autel sur lequel il avait célébré ses
messes des dernières années. Entouré de quelques-unes
des âmes dont il était le père tant aimé, il avait plus
que jamais cet air de dignité, de recueillement, d'union
à Dieu, qui inspirait tant de vénération à ceux qui
l'approchaient. Le soir, il dit : « Quelle belle journée
passée en présence de la Sainte Trinité ! Ah ! quelle
joie lorsque je me réveillerai au Ciel ! Je verrai Dieu,
Notre-Seigneur, la Sainte Vierge et tous ceux que j'ai
aimés. »
Tant qu'il le put, avec sa simplicité touchante,
il admit, quelques instants, près de lui, chacune des
personnes qui, affligées de son départ, venaient prendre
de ses nouvelles et le revoir une dernière fois. Lorsque,
par suite de sa faiblesse extrême, ce fut devenu impos-
sible, il Fit cette recommandation : « Dites aux per-
sonnes que vous me nommez qu'une de mes souffrances
est de ne pouvoir leur exprimer moi-même tous mes
sentiments. Je les bénis, et j'espère de la miséricorde
divine que je leur serai plus utile là-haut que sur la
terre. A toutes dites au revoir. »
L'une de ses dernières paroles, digne d'être consi-
dérée comme son testament spirituel, fut celle-ci :
« La volonté divine, c'est là toute ma voie... M'unir à
cette volonté, c'est ma seule application... Être sur
la croix avec Notre-Seigneur, quelle grâce!.. »
C'est en de si parfaites dispositions qu'au matin du
jeudi 21 décembre 1916, veille de son 53e anniver-
saire de sacerdoce, après une calme agonie, ce saint
prêtre trépassa.
Dans la nécrologie de plusieurs journaux on fit
insérer le-nom de M. le chanoine Beaudenom et la date
de ses obsèques. Mais ce nom était celui d'un inconnu,
il n'éveilla aucunement l'attention du public; et, le
surlendemain, de la maison mortuaire à l'église et au
cimetière de Puteaux, ce fut un très modeste cortège
qui accompagna les restes mortels de ce grand humble.
Tel il avait voulu être toutTe long de son existence,
tel il fut dans la mort.
C'est la dernière leçon que nous reçûmes de lui.
Elle fut, à nos yeux, comme la consécration authen-
tique des plus beaux exemples de sa vie entière. Nous
la transmettons aujourd'hui aux âmes innombrables
qui, vivant de ses enseignements, voudront imiter ses
vertus.
Un de ses fils spirituels.
PRÉFACE
Nous croyons devoir présenter ici au lecteur quelques
précisions d'ordre pratique sur la composition de ce
recueil.
Tout d'abord, nous tenons à déclarer que sont seules
publiées les lettres qui nous ont été communiquées
directement et à cette fin par les personnes auxquelles
M. Vabbé Beaudenom les adressa. Elles nous sont par-
venues la plupart en authentiques, les autres sous forme
de copies dont on nous a certifié la parfaite exactitude.
Sur la demande expresse et unanime de leurs posses-
seurs, ces lettres paraissent sans noms propres de lieux ni
de personnes, sans dates non plus : ces indications, sans
doute, leur auraient donné cet intérêt d'actualité dont le
public se montre volontiers curieux, mais elles auraient
en même temps rendu possibles d' indiscrètes recherches
d' identification. Loin de nous le reprocher, le lecteur
comprendra que nous ayons scrupuleusement respecté
cette légitime exigence et il s'associera à notre hommage
de vive gratitude à l'endroit de toutes les personnes qui,
pour honorer la mémoire de M. Beaudenom et étendre son
apostolat, ont consenti à se dessaisir de ces précieux
documents.
D'autre part, nous avons veillé avec le plus grand
4
— XLVIIÎ —
soin à maintenir intactes toute la portée générale et la
valeur durable de ces lettres dont l'ensemble constitue un
pratique et vivant traité de spiritualité. Si ce traité n'est
pas complet, ni rigoureusement ordonné, ce qui était
impossible, nous croyons, du moins, que toutes les
âmes trouveront dans ces pages — vu leur abondance et
leur variété — des directions appropriées aux divers
états par lesquels elles peuvent passer.
Ces lettres sont réparties en vingt séries, qui corres-
pondent au nombre des divers destinataires, chaque
série représentant un ensemble de lettres adressées à une
même personne.
Une table analytique placée à la fin du volume indi-
que sommairement le contenu de chaque lettre et facili-
tera ainsi les recherches du lecteur.
WMwmmMMMM
LETTRES
PREMIERE SERIE
I\Ia chère cnfanl,
Ce petit mot vous portera du moins mon souvenir ! Je
m'appartiens si peu ici que je suis en retard avec tout le
monde. Il me reste par exemple le temps de penser à
chacune des âmes qui me sont chères; la vôtre m'est donc
très présente et je vous assure que l'isolement où je ta
sens m'est douloureux. Ah ! quand cet isolement sera
plein de Dieu ! quand il vous tardera de vous trouver
seule pour être toute à Lui, vous ne direz plus : que je
m'ennuie ! Vous ne sentirez pas cette aigreur qui monte
à votre cœur, si bon pourtant. C'est que les meilleures
choses ont besoin d'avoir leur satisfaction : la plante ne
pousse bien qu'au soleil, l'âme ne s'épanouit que dans
l'amour.
Pour les affections humaines, il y a, comme pour les
fleurs des champs, si fragiles, un moment où elles s'épa-
nouissent; ce moment est court; le lendemain, plante et
Heurs coupées se sont desséchées. Pour le cœur, tel qui;
Dieu l'a fait, il faut la durée, il faut par conséquent Lui-
même.
Toutefois, ma chère enfant, ne vous attendez pas à
(1rs jouissances complètes, même de ce côté-là. Nous
sommes dans l'exil, nous sommes dans l'épreuve, nos
joies ont ce je ne sais quoi de triste et d'incomplet. Il le
faut : ici-bas nous sommes les disciples du Christ, et c'est
sur le chemin du Calvaire que nous avons à marcher
comme Lui. Notre vraie joie doit être de marcher avec Lui.
Ah ! si vous aviez le bonheur d'être du nombre des saintes
femmes appelées à le servir durant la prédication de
l'Evangile et plus tard à le consoler au Calvaire, je vous
vois d'ici les yeux pleins de larmes, le cœur plein d'en-
thousiasme, tout attachée aux pas de Jésus... Eh bien
pourquoi ne pas le suivre dans le mystère de sa vie avec
nous. Là, comme en Judée, Il nous voit, Il nous aime.
Là aussi son cœur demeure sensible à notre affection.
Là encore notre zèle est efficace, car Jésus a besoin de
notre coopération. Cette coopération consiste surtout dans
des prières pour les autres, car tout a été promis à la
prière et Dieu l'aime tant qu'il en fait la principale con-
dition de ses grâces. Donnez à Jésus le moyen d'appliquer
les fruits de sa Passion et de pouvoir ouvrir ses bras à
de nouveaux enfants prodigues.
Quand vous l'aimerez, vous comprendrez beaucoup
de choses, et quand vous l'aimerez assez pour l'aimer
dans le prochain quel qu'il soit, vous reconnaîtrez que
vous êtes dans la voie, la véritable voie; alors vous n'au-
rez plus de ces ennuis et de ces révoltes qui vous rendent
malheureuse et sous la douce lumière de l'amour divin
tout vous paraîtra digne d'être aimé, plaint et secouru.
Courage et espoir ! aspirez à Dieu telle que vous êtes.
Il est le père de la miséricorde et si vous n'êtes pas bonne
encore, n'importe, ses bras vous restent ouverts pour
peu que vous lui promettiez d'être plus sage.
Il
- Ma chère enfant,
J'ai vu parfois dans les jardins, de petits enfants se
dérider à former un parterre. Ils prenaient des pîeds de
fleurs diverses et avec soin les mettaient en terre. Pen-
dant quelques heures (et c'était beaucoup) ils les arro-
saient et les regardaient. Pour les fleurs, ils attendaient
au lendemain, mais alors n'y pouvant résister, ils cé-
daient à la tentation de découragement parce que les
feuilles restaient pendantes et les tiges tristement cour-
bées; alors dans leur désespoir, et leur curiosité, ils les
arrachaient pour voir si du moins les racines avaient pris...
Qu'une grande et chère enfant ne se froisse pas de cet
apologue, beaucoup de ses sœurs comme elle ont connu
les hâtes excessives d'une bonne volonté qui n'attend
pas l'heure de Dieu, et, par son découragement, détruit
une oeuvre bien commencée.
Ma chère enfant, nous ne jugerons logiquement la
vie qu'en la regardant à la place qu'elle doit occuper.
C'est un tout petit vestibule du ciel et nous en voudrions
faire une demeure. Elle est une longue campagne de
conquêtes et nous espérons toujours qu'un assaut de
ferveur suffira. Ce n'est qu'au terme de l'existence que
nous pourrons juger le plan de Dieu. Nous sommes de
pauvres êtres blessés et meurtris jusque dans leur pro-
fondeur, et nous nous étonnons de ne pas nous trouver
guéris et forts dès que nous voulons être meilleurs.
Si nous comprenions bien le but du divin Sauveur en
venant ici-bas et si nous savions bien apprécier ce que
valent ses souffrances, nous oserions à peine lui demander
les biens et les soulagements de ce monde. Oserions-nous
lui dire : par vos mains ensanglantées, par vos atroces
souffrances, faites que je ne souffre plus ! faites que j'ob-
tienne tout bien-être ! Oh ! ces plaies sacrées ! mais elles
veulent une œuvre plus haute, plus durable ! Elles méri-
tent l'infini bonheur et c'est les rabaisser que de leur
demander le repos passager ! Avec ses douleurs, vou-
driez-vous faire vos joies?
Ne sentez-vous pas, ma chère enfant, que Jésus a tracé
une voie; qu'il s'est fait le compagnon de nos douleurs
pour nous les faire porter, non pour nous les enlever,
car elles sont notre richesse. Leur poids dit leur valeur,
et nos souffrances, par leur vivacité, indiquent quel sera
notre bonheur un jour. Ne demandons pas de ne pas
souffrir.
Je me laisse aller à vous dire ces choses parce que vous
êtes appelée à les comprendre et à y trouver votre grandeur
et votre repos. Actuellement, elles vous font sourire et
facilement provoquent quelques instinctives révoltes.
Je ne m'en épouvante pas; je sais tout le riche fonds
qu'il y a dans votre généreuse nature. Il a été décidé dans
le cœur de Jésus, au jour du Calvaire, que vous devien-
driez une alliée du divin Crucifié. Vous êtes attendue,
vous résisterez, mais non pas toujours! Oh! faites que ce
soit court !
Venez me trouver plus souvent. Saisissez l'occasion de
ce mois de mai pour aller à Jésus. Vous êtes l'enfant
aimée et attendue. Ne vous croyez pas si coupable dans
vos murmures, ce sont de vrais gémissements entourés
de quelque amertume, ne gardez que les gémissements
et unissez-les à tous les sanglots de la divine agoni''.
Je vous bénis, ma chère fille, et vous prie de croire à
mes sentiments de paternelle affection.
III
Ma chère enfant,
Ne vous excusez jamais de votre franchise auprès
de moi; c'est une qualité que j'aime par-dessus tout et
vous vous exposez à recevoir des compliments ! Au reste
tout n'est pas profit dans cette manière d'agir, car elle
donne le droit de répondre par de dures vérités... s'il y en
a à dire. Ce n'est pas le cas, je ne fais que vous compren-
dre et vous plaindre. Vos murmures ne sont que des cris
de souffrance et les obscurités qui vous troublent vien-
nent de ce que vos pauvres yeux sont trop pleins de lar-
mes. Un peu de bonheur répondrait à bien des objections
et. pourtant, rien ne serait changé dans l'ordre général des
choses! Mais, chère enfant, laissons là cette philosophie
fort belle qui ne fait que des résignés et approchons-nous
— 5 —
de Notre-Seigneur. Voyez le doux Maître plein de bonté.
Il tient les jeux fixés sur sa chère enfant et, de sa voix
qui garde un écho d'amour, il lui dit : « Si quelqu'un
veut venir après moi qu'il se renonce, porte sa croix
et me suive. »
Méditez cette scène et ces paroles, vous y trouverez le
secret de la vie chrétienne qui va jusqu'à la passion pour
les souffrances. Plus on se renonce, mieux on porte sa
croix et plus on est avec lui, plus on est près de Lui,
comme les fidèles qui se disputent à qui marchera sur les
traces de ses pas.
Ne savez-vous pas que Jésus est venu pour nous
apprendre à mépriser ce qui est de la terre. Il nous
a dit que nous sommes trop grands pour y mettre
notre bonheur, notre idéal. Ne sait-il pas aussi que notre
nature déchue ne peut se relever que par l'effort et répa-
rer que par la peine. Ne nous a-t-il pas ordonné d'aimer
le prochain comme lui-même l'a aimé, comme nous l'ai-
merions lui-même; et pour que le prochain (telle personne
aimée, telle âme ignorée) parvienne à connaître Dieu, il
faut que sa rançon soit payée par quelqu'un. Si ce quel-
qu'un était vous ! La vie qui vous est faite en ce moment
vous en donne le moyen.
Ah ! tout simplement, abandonnez-vous à Jésus, lais-
sez-le faire ce qu'il voudra de votre vie et de vos joies. Ne
craignez rien; acceptez tout, comme on accepte ce qui
vient d'une personne dont on est aimé passionnément.
Si vous obtenez enfin d'aimer et d'être aimée ainsi, rien
ne vous manquera et aucune peine ne vous paraîtra dure.
Vous sentez ces choses, vous vous soulevez dans cette
belle perspective, vous voulez ce que je dis et voilà
qu'une heure plus tard, toute votre émotion est tombée
et l'accablement vous ressaisit, et vous vous troublez, et
vous croyez que tout est perdu; ma chère enfant, c'est une
expérience à prendre, et pour vous y aider je vais vous
expliquer un très simple phénomène.
Vos aspirations sont très réelles; votre choix de Dieu et
de sa volonté à ce moment est chose certaine ; mais comme
l'entraînement d'une pensée élevée ou d'un sentiment
-— 6 —
noble a été pour beaucoup dans votre contentement,
vous vous trouvez ensuite sans cet entraînement et livrée
à votre seule résolution... et l'habitude du chagrin vous
ressaisit parce qu'elle est au fond de votre nature, et, sous
son influence, vous vous persuadez que votre disposi-
tion précédente était exaltation pure et que par consé-
quent elle est disparue. Non, elle n'est pas perdue le-
moins du monde, elle est seulement réduite au vouloir qui
persévère. En un mot, vous confondez détermination et
impression. Puissiez-vous ne mettre qu'un an pour bien
apprendre cette leçon, je ne vous ménage pas le temps!
Peut-être devancerez-vous l'époque, car vous êtes une
bonne élève. Il suffit que vous y mettiez la belle ardeur
de- votre nature; et pour simplifier encore davantage, il
suffit que vous soyez une enfant docile à ce que je cous
dis. La confiance que vous me donnerez sera votre plus
grande force. Si elle est assez résolue pour vous faire
couper court à toutes les impressions contraires et vous
fixer dans les espérances que je vous ouvre, votre point
d'appui solide sera trouvé.
Si vous êtes ainsi, au lieu de vous arrêter aux pensées
amères et découragées que le démon vous soufflera, vous
vous redirez les paroles que Dieu a mises, pour vous, sur
mes lèvres ou dans ces lignes, et quelles que soient vos
envies de vous attrister ou de fronder, vous vous main-
tiendrez dans la voie indiquée par l'obéissance. La paix
est là ainsi que le progrès et finalement l'amour de Jésus
qui, un jour, vous remplira le cœur.
IV
Ma chère enfant,
Quel remords ne va pas être le vôtre, quand vous allez
savoir toute la vérité ! M. M. m'a rappelé au moins
deux fois le petit livre promis sur l'humilité; elle l'a fait
avec instance, me disant que vous auriez de la peine
d'un long retard.
... C'est donc pour me mettre à couvert de votre cour-
roux qu'elle s'est armée du bouclier du silence qu'elle a
tendu entièrement de mon côté; or comme cela n'est pas
juste, j'exige que vos traits arrivent jusqu'au coupable.
— Puisque le coupable avoue, vous lui permettrez bien de
plaider sa cause. Je n'ai plus un seul exemplaire du dit
ouvrage et, pour m'en procurer, j'attendais d'aller à la
librairie. Ce voyage ne peut tarder; donc rassurez-
vous sur le fait, comme vous l'êtes maintenant sur les
intentions. Peut-être la Providence a-t-elle permis ce
retard pour ménager meilleur accueil à un petit livre
qui se recommande moins de lui-même.
Morale : avec les braves gens, il faut toujours juger en
bien, c'est le moyen de ne pas se tromper.
Nous nous occuperons de vos beaux projets pour la
visite des pauvres, je les approuve de tout cœur en prin-
cipe. Pour le petit malade, M. m'a fait connaître votre
désir, je serai franc comme toujours. Sa mère est si mal-
heureuse qu'elle s'irrite contre tout, même contre Dieu,
et ses arguments parlants crient si fort pour les infinies
misères de ces pauvres petits que je me demande si vous
saurez vous tirer de la difficulté et tenir ferme le drapeau
de la soumission à la Providence. Dans quelque temps,
quand vous aurez bien compris pour vous-même ce mys-
tère de la souffrance, et que vous commencerez à
aimer la croix, vous serez merveilleusement propre à
cet office, et personne ne saura mieux convertir les autres
qu'une convertie. Encore pour cela, que votre colère
retombe sur moi ! M. n'a agi que sur mes conseils. Pour-
quoi en effet, vous trouvant près de moi, n'être pas venue
me demander Notre-Seigneur? Habituellement, il faut
une préparation de quelques jours pour le recevoir, quand
on ne le reçoit pas très fréquemment : toutefois quand
on se sent l'envie de lui parler de plus près, de lui confier
ses peines tout bas, on peut sans crainte se passer de toute
autre préparation, celle-là est la meilleure, les autres
n'ont pour but que de la provoquer, car elles ne sau-'
raient être une formalité.
Je bénis Dieu des immenses progrès que fait votre
âme dans le désir de son amour. Que ce qui est tout vous
suffise ! c'est un bien juste vœu, n'est-ce pas ! il suffit
de le comprendre à fond et tout est gagné : générosité,
confiance, résignation...
V
Ma chère enfant,
Vous accordez au bon Dieu un crédit par trop limité
et un peu trop impératif. « J'ai fait ce que j'ai pu, dites-
vous, et je n'ai reçu aucune consolation. » A mon tour,
je vous demande : depuis combien de temps avez-vous
fait toutes ces merveilles? Depuis un an? admettons. Ne
faudrait-il pas défalquer de ce compte les semaines
moins bonnes, et ne serait-il pas juste de mettre, dans un
des plateaux de la balance, les semaines un peu... décou-
ragées? Je m'imagine que, si Dieu établissait nettement
les comptes, vous éprouveriez quelque étonnement.
Mais ne parlons pas de comptes avec un Père, parlons
d'affection. Eh bien, sur ce terrain, lequel a le plus aimé?
Celui qui, silencieusement, est mort pour vous, plus
silencieusement encore reste près de vous au Taberna-
cle. Ah ! ma chère enfant, nous demandons des signes dans
le Ciel, comme les Juifs, et nous ne regardons pas les
signes plus manifestes de ce grand amour! Nous exigeons
des consolations! et de qui les attendons-nous? au nom
de qui les demandons-nous? Jésus nous dit : « Si quelqu'un
veut venir après moi, qu'il se renonce et porte sa croix,
et nous voudrions être soulagés et consolés, et nous
dirions : je vous demande la consolation en vertu de vos
douleurs, de voire sang répandu, de votre mort cruelle !
Est-ce pour créer des égoïstes que Jésus a tant aimé et
qu'il a communiqué à nos âmes sa vie surnaturelle? Un
jour viendra où votre âme, si généreuse en son fond, ne
comprendra pas qu'elle se soit exprimée ainsi et qu'elle
ait fait à Dieu le reproche de la laisser souffrir. S'il y
avait quelque chose de meilleur que la souffrance, ne
l'eût-il pas donnée à son Fils,, à la Sainte Yierge, aux saints?
— 9 —
Laisserez-vous des âmes nombreuses (et j'en connais)
supplier ce même Dieu de leur faire large leur part de
souffrance pour être plus semblables à Jésus, pour expier
avec Lui. Elles aiment la hauteur du Calvaire et elles
savent que c'est là qu'on acquiert ses titres de noblesse.
Redevenez donc tout à fait, ma chère enfant, la créa-
ture bonne, généreuse, élevée que vous êtes et que vous
avez été pleinement à certaines heures, redevenez-la pour
tout à fait. Ne dites plus jamais de ces tristes pourquoi,
ne refusez plus jamais un crédit illimité à Celui qui n'ayant
aucun besoin de nous, désire vivement notre amour.
Ne songez qu'à aimer pour être aimée. S'il y faut des
années, donnez des années, et ce sera peu en comparaison
du résultat. Apprenez, ma chère enfant, la route du Cal-
vaire si vous voulez aller a Jésus. Je ne sais point d'autre
chemin, je serai là pour vous soutenir.
VI
Ma chère enfant,
Il est très heureux que vous ne soyez pas un homme,
car vous n'en auriez pas la bravoure ! Vous voilà à com-
pulser encore vos impressions pour en tirer des conclu-
sions, comme si les impressions n'étaient pas des phéno-
mènes continuellement sujets à caution. Souvent, il
suffit de craindre qu'une impression arrive pour qu'on la
fasse naître. Vous avez donc été privée de consolation,
ma pauvre et chère enfant, et vous en avez conclu que
votre communion était suspecte. Pourquoi? je vous prie.
Ah ! si vous aviez vu de près comme moi des âmes admi-
rables, et pourtant privées de toute consolation durant d«s
années ! Et elles se rendaient chaque jour aux pieds de
Dieu pour l'oraison, chaque jour encore à la sainte table,
sur l'avis de leur directeur, et elles ne négligeaient aucun
de leurs devoirs, quoiqu'ils fussent pour elles sans goiit.
Et je parle de personnes du monde et du grand monde,
où parfois l'on est très généreux !
— 10 —
Dieu no vous demandera pas ce que vous avez senti,
mais ce que vous avez fait. Voilà ce que je ne me lasserai
pas de vous répéter, jusqu'à ce que l'épreuve ne vous
trouble plus.
Si vous m'en croyez, voilà à ce sujet la prière que vous
ferez : « O mon Dieu, si la consolation près de vous m'est
« utile, donnez-la moi pour que je vous aime mieux, et
« certainement vous le ferez, quoique je ne vous la de-
« mande pas pour en jouir; de sorte que si vous ne me
« la donnez pas, je penserai que votre intention est de
« me soutenir de tout autre manière et je me ferai con-
« tente, malgré tout. »
S'il vous vient aussi parfois le souvenir d'une vie où
Dieu n'a pas eu encore beaucoup à récompenser, faites-
vous bien humble, n'exigez rien; soyez contente du peu
qu'il vous donne et concevez le désir de bien obéir et
d'être bien fidèle pour vous faire aimer et peut-être un
jour consoler. Ne portez pas envie aux consolations des
bonnes âmes, mais à leur humilité, à leur générosité, à
leur fidélité dans la prière et leurs résolutions saintes.
Ne multipliez pas les prières proprement dites, mais
soyez très souvent près de Dieu par la pensée; laissez
alors parler votre cœur par un mot filial, fût-il le plus
original du monde. Dieu comprend le fond de tous les
langages.
Je bénis ma chère enfant.
VII
Ma chère enfant,
•Heureusement votre cas n'est pas grave et Dieu pourra
encore se justifier! sans quoi la grève serait générale,
je crois !
Ne voyez-vous pas, que vous vous laissez rouler par
le démon. Il a vu votre très grande bonne volonté; il
connaît votre droiture; il sait qu'une fois bien à Dieu,
vous ferez merveille en son amour. Son but est de vous
— 11 —
détourner et de vous décourager. Je dois reconnaître
qu'avec vous il ne se met pas en frais. Le même épou-
vantail agité lui suffit. C'est toujours du côté de la con-
fiance en Dieu qu'il cherche à vous effrayer, car pour une
âme comme la vôtre, tout est là. Il fait surgir de petits
défauts de mémoire, de petits contre-temps et il raisonne
ainsi dans votre propre esprit : Puisque le bon Dieu
permet ces choses, c'est qu'il m'abandonne.
Savez-vous ce que je réponds : Dieu permet ces choses
pour éprouver votre confiance; vos chemins de croix
étaient excellents comme prière et excellents aussi
comme union aux souffrances du divin Maître par la
souffrance de l'imperfection involontaire dont vous vous
lamentez.
La confiance, ma chère enfant, est chose trop sérieuse
pour la faire dépendre de telle ou telle manifestation de
son choix. Encore heureux que vous ne fussiez pas
un sou pour faire pile ou face et savoir par ce savant
moyen si vous êtes aimée de Dieu ou non !
Le premier devoir de la confiance envers un être par-
fait qui nous aime et nous le fait dire, c'est de fermer les
yeux et de s'abandonner. — Avec les conditions que vous
renouvelleriez d'une fois à l'autre, vous ne sortiriez pas
du trouble et vous n'en finiriez pas des suppositions.
Laissez-moi donc vous répéter une parole bien douce;
elle est du divin Maître et, lorsqu'il la prononçait, il
pensait à cous : « Si vous ne devenez comme de petits
enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu. »
Ce royaume de Dieu, c'est ici-bas la paix et l'amour
divin. Faites-vous confiante à la manière des tout petits
enfants, et vous arriverez à la paix d'abord, puis à un
amour qui en croissant, éclairera votre vie, remplira
votre cœur et vous fera enfin comprendre qu'avoir con-
fiance, c'est ne jamais soupçonner.
Pour venir en aide à la Providence, je vous envoie
un chemin de croix. Je l'ai bénit.
— 14 —
VIII
Ma chère enfant,
Votre lettre est bien de vous, grande enfant, intelli-
gente et naïve, expansive et craintive, pleine d'enthou-
siasme et facilement arrêtée par une impression... si
bonne au fond et si bien faite pour Dieu.
Est-il besoin de vous le dire : Dieu est parfait parce
qu'il est infini et que, s'il n'était pas infini, il ne serait pas.
Or ne trouvez-vous pas qu'une des plus tristes imper-
fections de la pauvre nature humaine, c'est d'avoir des
antipathies et des sympathies en dehors du jugement qui
les fixe. Souvent nos antipathies sont justes et viennent
d'une habitude d'observation, comme aussi d'un Certain
sens inné qui, sans raisonnement, nous disent : cette
personne n'est pas franche, pas délicate, etc.. Ce sont,
vous en conviendrez, des moyens d'investigation Un peu
suspects, mais ils laissent subsister le principe : nous
nous éloignons d'une personne parce que nous la sentons
ou peu franche ou peu aimable.
Supposez que Dieu sait tout, tient compte de tout,
avec une délicatesse exquise d'appréciation; ajoutez à
cela qu'il est Père, c'est-à-dire porté à juger favorable-
ment ses enfants, et qu'enfin étant bon et puissant, il
crée ce qu'il demande de nous quand nous le laissons
faire', alors vous comprendrez qu'il ne faut pas chercher
en Lui d'antipathies. Quant à ses sympathies, nous pou-
vons, à notre gré, les faire naître et les rendre infiniment
douces, en nous prêtant au désir sincère qu'il a de nous
rendre meilleurs.
Votre seconde difficulté moins clairement exprimée me
laisse incertain. Entendez-vous que vous supposez en
Dieu une première impression qui vous aurait été défa-
vorable, ou bien parlez-vous de celles que vous auriez
éprouvée à son égard? La première supposition se trou-
vant réfutée plus haut, je n'ai à m'occuper que de la
seconde et il m'est doux de le faire.
— îâ —
J'ai remarqué souvent que précisément les personnes
qui devaient plus tard aimer beaucoup le divin Maître
étaient celles qui avaient conçu d'abord à son égard
des sentiments de révolte et parfois d'éloignement.
Comme cela était si injuste, du moment qu'elles le recon-
naissaient, elles n'en devenaient que plus ardentes à
aimer par esprit de justice et par un sentiment d'affec-
tueuse réaction. La cause de cet obstacle, ainsi posée
aux débuts, se devine pourtant : le démon, voyant une
âme toute faite pour Dieu et apte à de grands senti-
ments, n'avait d'autre ressource que de la tromper pour
l'empêcher de voir, de croire et d'aimer. Ne vous laissez
donc pas arrêter par cette supercherie.
Dieu est bon, vous êtes bonne, donc vous devez facile-
ment lui être sympathique. Plus tard le danger sera
pour vous l'épreuve du manque passager de consolation.
Je vous l'indique d'avance pour que vous ayez confiance
dans ce que je vous dirai alors. Comptez sur ma parti-
culière estime et profonde affection.
IX
Ma chère enfant,
Vous ne seriez pas en peine si vous aviez suivi la ligne
de conduite que je vous avais indiquée : ne pas faire
dépendre votre jugement de choses accidentelles comme
le goût ou le dégoût, la facilité des occasions ou leur dif-
ficulté. Savez-vous que c'est une sorte de superstition?
Pourquoi n'en reviendriez-vous pas aux pratiques des
Romains qui regardaient si, à leur sortie, les oiseaux
volaient à droite ou bien à gauche, ce qui était un signe
certain de succès ou d'insuccès !
Voyez-vous, dans la vie telle qu'elle est faite, l'épreuve
est la voie commune et le démon y ajoute sa, tentation.
Chez vous, il trouve comme complice votre facilité* à
croire aux signes, et véritablement il en abuse. Je souffre
pour votre amour-propre, absolument connue si vous
— 14 —
donniez votre argent à des sorciers qui se moqueraient
de vous (non de votre argent).
Prenez donc la bonne résolution de vous conduire par
principes et non par impression. J'ai réglé ceci, j'ai pro-
mis cela : faisons-le. — Cela me coûte, cela m'ennuie,
qu'importe ! Serais-je lâche par hasard?
v Quant à me cacher quelque chose, renoncez-y; vous
êtes heureusement incapable de maintenir longtemps ce
rôle, qui n'est pas fait pour vous. En ce cas, il faut s'exé-
cuter tout de suite, c'est plus honorable, n'est-ce pas, et
cela ne laisse pas de remords.
Oui, ma chère enfant, je voudrais vous voir suivre une
voie bien tracée; je sais que vous y trouverez des lassi-
tudes, qu'il vous viendra des envies de laisser tout là;
mais il ne faut pas faire attention à ces considérations et
impressions qui ne viennent pas de Dieu, mais qu'il
permet pour exercer notre vaillance.
J'espère, ma chère enfant, que vous avez repris de
bons sentiments à l'égard du bon Dieu. De grâce, ne fai-
tes jamais dépendre votre appréciation et vos résolu-
tions de ce qui n'est que chose accidentelle comme l'im-
pression.
On peut aimer beaucoup, sans rien éprouver d'ardent,
ni d'agréable. On peut communier avec grand profit,
alors même que l'on ne sent rien en communiant. C'est
même comme une règle ordinaire pour nos rapports d'exil
avec Dieu de les voir pénibles. La douceur est réservée
au ciel qui n'en laisse descendre actuellement sur nous
que de fugitives impressions, assez pour nous faire com-
prendre ce qui nous attend, pas assez pour transformer
cette terre en paradis.
Encore une fois, ma chère enfant, tenez à cette règle :
faire la volonté de Dieu et ne pas tenir grand compte de
l'impression.
11 faudra que cette année-ci, ma chère enfant, soit pour
vous une année d'affermissement dans la piété. Vous
— 15 —
sentez le besoin de Dieu; tout vous porte vers Lui et si
vous y allez avec votre nature spontanée, vous n'en serez
pas moins paternellement accueillie. Dieu n'est pas forma-
liste; il voit au plus profond des âmes.
J'approuve votre règlement, vous le suivrez comme
l'expression do la volonté de Dieu. Quand vous aurez fait
des progrès, vous le rendrez non pas plus pénible, mais
plus intime. Commençons par faire de bon cœur le peu
que nous promettons; il ne s'agit pas de courir après
le plus parfait, mais de permettre à Dieu de nous y faire
arriver peu à peu et à son heure. Qu'il nous trouve occu-
pés à faire sa volonté et il nous appellera à une volonté
plus haute.
Méfiez-vous des changements d'impression. Hier tout
nous semblait bien et facile; demain peut-être les mêmes
choses nous paraîtront impossibles ou du moins fort
gênantes. Faites ce que vous avez décidé après réflexion.
Les impressions redeviendront meilleures.
XI
Ma chère enfant,
L'enfant ne venant pas au père, c'est le père qui va à
l'enfant. C'est une loi de la nature que le bon Dieu a
bien voulu étendre à l'affection que je vous porte.
Vous souffrez, je le sens. Vous vous trouvez seule,
malade et en proie à toutes vos vilaines idées qui ressus-
citent dans ces tristes moments : Pourquoi Dieu me fait-
il tant souffrir? Pourquoi ne me donne-t-il pas ce qu'il
donne à tant d'autres? Du moins si j'avais de la santé,
j'agirais, je me ferais indépendante; si j'avais de la for-
tune, je me ferais entourer, envier, distraire ! Et je suis
plus malheureuse, juste au moment où je veux me donner
bien à Dieu!... Voilà une partie sténographiée de vos
doléances.
D'abord, ma chère enfant, si vous êtes seule, vous n'ê-
tes pas abandonnée. Les affections, dont la distance
— 16 —
empêche de jouir, n'en restent pas moins vivantes, et
c'est un immense repos de savoir qu'il y a quelque part
sur terre des points d'appui pour notre pauvre cœur.
Et puis, mon enfant, oubliez-vous Jésus? Jésus qui
vous aime, Jésus qui a souffert? — Voulez-vous lui refu-
ser de l'aimer aussi et de le suivre? Jésus sur terre n'a
marché que dans la direction du Calvaire, et il n'a pas
récolté des joies sur ce chemin.
En nous appelant à sa suite, il nous avertit qu'il faut
commencer par faire abnégation de soi et porter sa
croix. S'il ne l'avait pas portée lui-même, nous pour-
rions peut-être murmurer; mais il l'a portée plus dure que
nous et rien de personnel ne l'engageait à le faire.
. Il y a des âmes qui veulent aussi ne voir rien de per-
sonnel dans les acceptations des souffrances : elles disent
à Jésus : « Ne me récompensez pas, si vous voulez, il me
suffit de vous faire plaisir, de me trouver où vous êtes
et de partager votre sort. » Ces âmes* sont de vraies
amies de Jésus. Il y en a d'autres, moins généreuses,
moins impersonnelles qui acceptent la souffrance parce
que ne pas le faire serait se révolter et se faire exclure du
Ciel. Dieu se contente de cette obéissance intéressée :
moi, je ne m'en contenterais pas pour vous ! Que serait-ce
si cette vertu diminuée n'était pas même la vôtre, si vous
vous laissiez aller à la lâcheté !
Allons! courage ! Jésus passe, triste et couronné d'épi-
nes; il vous appelle à sa suite. Ne regardez que Lui, pas
vous, et reprenez la prière, la. résignation paisible, la con-
fiance filiale. Confessez-vous et communiez, ce sera le
mieux.
XII
Ma chère enfant,
J'espérais vous voir samedi; car, en parlant, on s'entend
mieux. Je crains que vous n'ayez été trop fatiguée pour
sortir et j'en ai beaucoup de peine; vous me direz sans
— 17 —
tarder ce qu'il en est pour que je souffre ou me réjouisse
avec vous.
Oh ! ma chère enfant, qu'il faut bien s'abandonner à
Dieu et croire en sa bonté 1 n'est-ce pas tout ce qu'il y a
de plus juste, puisqu'il est un Père tout-puissant ! Mais
notre vieille habitude d'esprit trop regardant, braque son
microscope sur les petits détails de la vie et y découvre
toutes sortes de sujets d'épouvante. Le champ de cet
instrument est trop restreint pour nous donner l'idée de
l'ensemble qui est l'idée vraie pour tout être vivant; or
rien n'est plus vivant que l'âme et rien n'est plus vaste
que sa destinée. Juger sur un détail passerait avec raison
pour une grave imprudence. Prenez même un ensemble
d'hommes, une nation, voyez quelle incertitude règne
sur les événements prochains et combien les prévisions
se trouvent souvent trompées. Heureuses les âmes qui
ayant bien entendu la parole du divin Maître lui donnent
leur confiance et leur amour. Aimez et vous ne serez plus
inquiète, ni troublée; mais pour cela, il faut aimer assez!
Certes nul cœur n'en est plus capable que le vôtre, et
quand je vois le bon Dieu vous tenir dans la souffrance,
je m'ancre dans la certitude que c'est pour vous prendre
toute à Lui. Quelle grâce de n'avoir d'autre issue vers le
bonheur que de son côté !
Je ne cesserai donc de vous dire : laissez de côté cet
esprit inquiet qui veut juger d'un ensemble d'après cha-
que détail; prenez l'esprit filial qui se confie à Jésus.
Ne vous troublez de rien, pas même des insuccès dans vos
bons désirs et des obstacles matériels qui vous empê-
chent de vous confesser et de communier. La vie pré-
sente est une vie d'épreuves et l'épreuve s'étend aux
choses de l'âme.
Laissons Dieu bien libre; faisons-lui un long crédit;
ne songeons qu'à l'aimer, nous ne perdrions ainsi ni temps,
ni forces. Puisqu'on peut se sanctifier avec tout, même
avec ses défauts, mais surtout avec ses peines, qu'im-
porte la manière dont nous faisons notre éternité,
pourvu qu'elle se fasse sérieusement et glorieusement.
— 18 —
XIII
Ma chère en fa ni ,
Ne voyez-vous pas que, par ces petites épreuves,
Notre-Seigneur veut vous former à une grande dépen-
dance? La dépendance d'esprit n'est pas votre fort,
n'est-ce pas. Or Notre-Seigneur qui vous aime déjà veut
vous arracher aux incertitudes et aux circonstances qui
sont le résultat ordinaire de l'indépendance; mais ne vous
effrayez pas. Il vous livrera à d'autres mains qu'aux
siennes. Il sera lui-même votre guide par les circons-
tances de l'extérieur, comme par les mouvements de
l'intérieur. Vous n'aurez qu'à vous conformer aux pre-
mières et à vous rendre attentive aux secondes.
Du moment que Notre-Seigneur veut être votre guide,
fermez les yeux, demeurez persuadée que tout ce qui vous
arrive ainsi est bon, même ce qui vous contrarie. Ne
sortez pas de là : cette conduite est seule logique, comme
elle est seule bonne. Elle est logique, car Notre-Seigneur
sait et veut votre bien, mieux et plus que vous-même.
Par exemple, Il ne vous défend pas de sentir de la
peine et même de l'irritation; de subir des révoltes ins-
tinctives, des objections déplorables... à la condition
que vous laisserez tout cela mourir de sa belle mort,
sans un mot de regret, car c'est l'ennemi.
Voyez-vous, quand on se propose un idéal trop parfait,
on court grand risque de ne pas même réaliser celui
qui est possible. Vous voudriez une perfection sans" imper-
fection, une piété sans froideur et sans sécheresse, un
courage sans défaillance. — Dieu veut de vous une piété
d'enfant gâté qui donne ce qu'il peut, mais qui au fond
aime bien son père. Il veut que vous supportiez vos imper-
fections, vos froideurs, vos défaillances. Il veut que vous
viviez de confiance et d'humilité, — non de la satisfac-
tion de vous-même et d'une perfection qui la nourrirait.
Il veut que vous soyez sa chose, toute à Lui, recevant,
toul de lui. même et surtout sa miséricorde. Nous vou-
— 19 —
(Irions êlro quelque chose de ferme et de bon; il veut que
nous n'ayons de fermeté et de bonté que par lui. Qu'im-
porte que nous allions à Lui sur nos pieds ou sur nos
genoux 1 L'essentiel est d'y aller. Il est même très natu-
rel que l'on commence ainsi, comme font les jeunes
enfants qui ne savent pas encore marcher. Ils grandissent
et vous grandirez. Quand vous aurez grandi, Dieu exigera
davantage, et vous pourrez aussi donner plus. Donnez-lui
actuellement ce que vous pouvez, au lieu de rêver sim-
plement de lui donner des merveilles.
Rappelez-vous surtout qu'un véritable amour filial
supplée à tout; or je ne sais personne qui puisse donner à
Dieu, mieux que vous, ce sentiment. Il est si fort chez vous
qu'il est un besoin et un tourment, apaisez-le en Dieu et
vous aurez la vie.
XIV
Ma chère enfant,
Que la paix soit en vous! c'est la parole qu'apportait
le divin Maître à chacune de ses visites aux siens; c'est
celle qu'il met dans mon cœur quand il s'adresse à vous.
La paix, c'est-à-dire la confiance en la bonté et en la
toute puissance, la vue sans trouble de notre misère.
Dans les circonstances que vous m'exposez, je vous
retrouve toujours avec vos exigences exercées envers
vous-même. Pourquoi demander à votre cœur de sentir les
choses qu'il suffit d'aimer de volonté? Sans doute ce
serait plus consolant, mais ce ne serait pas plus vrai et
ce serait moins de la terre. La terre est l'exil où règne
la tristesse. Je sais bien, ma chère enfant, que ce n'est
pas la consolation elle-même que vous cherchez pour en
jouir, mais le témoignage certain que vous êtes bien à
Dieu; aussi je vous le répète : on est à Dieu, quand on
fait sa volonté tout simplement; et sa volonté sur vous
est très claire :' accepter votre position, votre état de
santé et vos difficultés de conscience elles-mêmes, faire
— 20 —
quelque prière à votre façon, rendre de petits services,
réparer vos boutades! Le programme n'est pas très
ehargé, mais il est très sanctifiant tout de même. Au fond,
Dieu ne vous demande que de l'aimer et il verra que
vous l'aimez si vous faites ces choses, si vous vous repen-
tez de les avoir négligées et si vous les reprenez toujours
après les avoir abandonnées.
XV
Ma chère enfanl ,
On ne saurait être responsable des pensées qui vien-
nent, ni du trouble qu'elles produisent. Si elles disparais-
sent par un effort de la bonne volonté, c'est très bon;
si elles persistent et laissent des doutes, on se dit : je
ferai éclaircir cela, et là-dessus on se tient tranquille en
attendant. /■
Les prêtres, surtout les plus capables, seraient vrai-
ment bien sots, si, pouvant vivre comme tout le monde
et arriver à de belles positions, ils s'amusaient à prêcher
la bonté de Dieu, la Providence, les récompenses de l'au-
tre vie, sans croire à tout cela. La position du prêtre
n'est enviable que par ce côté-là. En dehors, ce serait
pour sa conscience la honte de l'hypocrisie et," pour sa
vie, mille privations, de nombreuses persécutions et sou-
vent le mépris.
Puisque vous souffrez de ces pensées, ma chère enfant,
c'est que vous aimez à la fois et les prêtres et les belles
vérités qu'ils enseignent.
Ce que je remarque surtout, c'est l'habileté du démon
à agiter sans cesse devant vous des épouvantails de
papier. Il n'atteint que trop son but qui est de vous
décourager et de vous tenir loin de Notre-Seigneur.
Soyez désormais sérieusement en garde contre ses
manœuvres.
— 21 —
XVI
Ma chère enfant,
J'espérais pouvoir me rendre auprès de vous, mais je
me trouve dans un retour de fatigue accentué
Croyez bien que je ne suis pas le moins du monde
inquiet de ces deux monstres que vous prétendez porter
dans votre conscience. Ce sont de ces monstres chinois en
simple baudruche, dans lesquels votre imagination a
fortement soufflé. J'espère qu'ils se sont dégonflés, sous
une petite piqûre de votre bon sens. On n'offense pas
ainsi un Dieu qu'on aime au fond. Vous pouvez sans
doute parfois le contrarier un peu, le menacer aussi; mais
lui faire sciemment de la peine, beaucoup de peine, oh !
non. Je serais donc allé faire simplement une visite de
malade, la visite d'un père qui plaint son enfant... et
voilà que je ne peux que vous envoyer mes désirs, mes
regrets et l'expression de mon invariable affection. Je
ne sortirai pas ces jours-ci... quand je suis souffrant, je
suis d'instinct le régime des animaux qui se tiennent
tranquilles, dans un coin.
Puisque nous avons en ce moment l'honneur de parta-
ger les souffrances de notre divin Maître et ami, donnons-
lui sans cesse la consolation de notre bonne tenue bien
résignée, bien calme, et, si nous ne disposons pas de sen-
timents vifs et ardents, ne manquons pas de lui exprimer
des sentiments sincères et bons. Répétons-lui souvent ces
mots : oui, je suis toute vôtre. Ne nous inquiétons de rien,
faisons simplement ce que nous croyons utile pour guérir,
et ne désirons pas avec empressement guérir plus vite
qu'il ne l'a décidé.
XVII
Ma chère enfant,
Ce que c'est que d'avoir trop bon cœur ! Vous craignez
d'avoir offensé Dieu, quand vous n'avez fait que lui par-
— 22 —
1er finalement. Il y a en effet de ces reproches qui ne peu-
vent partir que d'un grand amour, et de ces partis pris
de s'en aller qui ne demandent qu'à être combattus et
•empêchés. Je n'aurai pas à crier bien fort pour être
entendu, quand je vous dirai que Dieu vous aime et que
vous l'aimez et qu'il ne faut pas perdre son temps à en
douter.
Quand le bon Dieu a voulu vous attacher à Lui, il sa-
vait bien à qui il avait affaire; il prévoyait parfaitement
toutes ces inconséquences et circonstances de surface qu'il
rencontrerait dans vos rapports avec Lui ; mais comme il
a l'esprit large, autant que le cœur, il donne aux choses
leur exacte proportion et il prend ses mesures dans 1»;
fond du cœur. Allez donc à Lui comme vous iriez à Notre-
Seigneur, s'il était comme autrefois sur la terre. Voyez ce
qu'il était pour ses apôtres toujours si imparfaits. Vous
expliquez-vous qu'il n'avait pas, en trois ans d'une vie
commune, transformé ces natures et rendu ces vertus
solides? Il est heureux que vous n'ayez pas vécu de ce
temps-là, les pauvres apôtres en auraient entendu de
belles ! Le mieux est de nous supporter dans nos imper-
fections, comme de supporter les autres dans les leurs et
d'attendre l'avenir pour juger la conduite de Dieu, per-
mettant toutes ces humiliations contradictoires d'un
cœur qui aime et qui parfois fait de la peine.
Habituez-vous aussi, ma chère enfant, à cette condi-
tion de l'exil qui fait que souvent nos impressions à
l'égard de Dieu et de la communion sont muettes ou
même ennuyées.
Allons quand même à la sainte Table, comme aux
prières accoutumées, avec fidélité. La fidélité est la dis-
position qui dépend seule de nous, aussi les bons chré-
tiens sont-ils appelés les fidèles, et non pas les enthou-
siastes, ni même les parfaits.
— 23 —
XVIII
Ma chère enfant,
Quand un malade crie très fort, c'est qu'il a beaucoup
de vie; ma chère fille n'est donc point morte et je viens
la mettre sur pied. Qu'y a-t-il donc? un trouble qui vous
a saisie après une communion faite en état de grâce,
mais sans consolation; aussitôt, tout s'est peint en noir,
le passé et l'avenir : je m'étais mal préparée, je n'aurais
pas dû communier, je ne communierai plus. Voilà des
conclusions qui sont appuyées sur quoi? Sur un nuage,
sur une impression. Votre cœur n'a pas changé. — Ce qui
change, c'est votre physionomie, mais Dieu regarde plus
avant. Oh ! oui, par exemple, elle est changeante cette
physionomie de votre âme; il n'y a pas loin du sourire
aux larmes ! Mais sommes-nous responsables de ces chan-
gements? Pas le moins du monde; votre tort ne part que
du moment où vous y attachez de l'importance et où
vous déposez vos conclusions. Il paraît que dans la mer,
c'est la surface seule qui subit le soulèvement de la tem-
pête : à quelques mètçes de profondeur, c'est le calme
d'une immense nappe immobile dans sa majesté. Elle a
la sagesse de ne pas s'émouvoir, c'est si peu de chose que
cette mince couche agitée à l'extérieur : l'océan, c'est
elle, c'est la masse énorme qui remplit les abîmes. Vous,
ce n'est pas ce visage qui reflète la moindre émotion,
c'est votre vraie conviction, votre vrai cœur, votre vraie
détermination et tout cela est immobile en Dieu.
Prenez donc le chemin qui conduit à l'endroit où Notre-
Seigneur, après sa résurrection, voulut faire à saint
Pierre le reproche de sa tendresse, et entendez la même
voix vous dire : m'aimes-tu? Adressez-lui alors la même
réponse que le pauvre apôtre désolé : Vous savez toutes
choses, vous savez que je vous aime ! Il n'en faut pas
dire plus long, car après cela toute autre parole serait du
barbouillage.
Conseil final : appliquez-vous à vous rendre indé-
— 24 —
pendante de vos impressions; — je ne dis pas à les
empêcher de se produire, cela ne dépend que très peu de
vous. Prenez quelque chose de cette fausse doctrine du
dédoublement de la personnalité que l'on préconise de
nos jours. Non, il n'y a pas en nous deux personnes,
mais deux états très différents de la même personne :
l'état où elle est elle-même et l'état où l'impression lui
prête passagèrement son visage.
Puisque votre père, malgré vos imperfections, vous
comprend, vous estime et vous aime, comment voulez-
vous que le Père du Ciel vous tienne rigueur, Lui si bon !
XIX
Ma chère enfant,
Je me réjouis de la joie que Dieu vous a donnée dans
la sainte communion, mais je me réjouis plus encore de
la résolution où je vous vois d'être à Dieu toujours davan-
tage. Car la consoiation n'est pas le signe certain de l'a-
mour que Dieu nous porte, elle n'est pas non plus le
moyen le plus fort pour nous faire avancer. Il faut l'ac-
cueillir avec reconnaissance, mais il n'y faut pas attacher
d'importance. Si l'on s'en fait un besoin, si l'on ne veut
marcher qu'avec elle, si l'on se croit mauvais dès qu'on ne
la ressent plus, on se rend toute persévérance impossible.
En effet l'exil de la terre n'est pas le lieu de la conso-
lation; le perfectionnement de notre âme est une pénible
lutte contre une nature rebelle; la vertu est dans l'effort
et elle se fortifie dans l'épreuve.
Attachez peu d'importance à ce que vous éprouvez;
voyez plutôt ce que vous faites.
Etes-vous fidèle à vos résolutions? vous repentez-vous
vite de vos fautes? Reprenez-vous aussitôt courage pour
dédommager le bon Dieu? Savez- vous vous priver ?
Songez-vous aux autres beaucoup plus qu'à vous-même?...
peu importe que vous soyez ou non consolée, vous êtes
vertueuse, c'est beaucoup mieux, c'est tout.
Ma pauvre enfant, vous payez aujourd'hui, et vous
aurez à payer encore demain, les fautes commises par la
lecture de ce mauvais livre. Les pensées et impressions
qui vous saisissent sont l'effet naturel des pensées et des
impressions que vous n'avez pas évitées. Le poison a été
rejeté, vous ne mourrez pas, mais vous souffrirez peut-être
longtemps des maladies qui résultent d'un empoisonne-
ment avorté. Vous guérirez d'autant plus vite que vous
tiendrez ces souvenirs plus à l'écart.
Gardez-vous bien de vous croire coupable d'avoir
ces pensées et même d'éprouver certaines émotions.
Protestez que vous ne les voulez pas, et soyez en paix.
Elles deviennent ainsi une expiation et un mérite.
XX
Ma chère enfant,
Vous êtes triste, vous êtes blessée Je vous plains
et vous comprends. assez; mais que la douleur vous laisse
calme et vous trouve généreuse !
Vous dirai-je une pensée qui s'impose à moi à votre
sujet? Vous la comprendrez comme vous comprenez tout
ce qui est généreux. Si Dieu a voulu vous imposer cette
épreuve, pour l'expiation des fautes de ceux qui vous
restent chers après la mort, si votre douleur est là pour
leur épargner en l'autre vie des douleurs plus affreuses?
si vous êtes l'ange expiateur, instrument du pardon
définitif! s'il fallait pour la libération de ces âmes cette
dernière immolation?... ne la refusez pas, ne la regardez
pas comme une ennemie, elle sera en même temps pour
vous le fondement d'une vertu plus solide et plus haute.
N'oublions jamais que pas une de nos peines n'est l'effet
d'un sentiment pénible de la part de Dieu. Celles-là
même que nous nous sommes attirées, viennent vers
nous comme des moyens de miséricorde.
Remarquez encore ceci. Quand on écoute ses violences
— 26 —
û'impression, au lieu de se faire douce, sous la peine, on
devient moins bonne et moins juste. On accuse et on afflige
des personnes que Tonne devrait qu'aimer. La perfection
morale est avant tout dans l'amour de tout ce qui est bon,
choses et personnes... N'altérez pas votre cœur, n'en
chassez aucune affection légitime, ne vous laissez pas di-
minuer. Rien n'est plus facile que de se livrer à ces exalta-
tions de mécontentement. Tout le monde est capable d'en
faire autant. Il est noble de s'y opposer, pour garder tous
les biens mis dans notre cœur et pour nous garder nous-
mêmes.
XXI
Ma chère enfant,
Quelle joie de vous voir venir m'apportant pour cadeau
de nouvel an cette bonne parole : je sens que je com-
mence à aimer un peu le bon Dieu. — Oh oui, vous allez
laisser tomber les obstacles qui vous ont arrêtée jusqu'ici.
Je constate d'abord que vos antipathies sont grande-
ment adoucies et que vous voudriez voir heureuses les
personnes même que vous n'aimeriez pas. Puis toutes ces
objections sur la Providence s'en iront en fumée devant
cette simple raison que nous ne sommes pas créés pour ce
monde. Bientôt vous en comprendrez une plus profonde
et plus douce, quand vous aurez médité le mystère de la
Croix de Jésus; mystère de folie pour les païens, dit
saint Paul, et scandale pour les Juifs qui se figuraient
un messie glorieux dès ce monde. Cherchez des saints,
un seul même qui n'ait pas aimé la croix !
Pour votre direction, ma chère enfant, je réclame que
vous suiviez exactement les principes que je vous ai
exposés. Appliquez-vous à les bien saisir, à les aimer,
à les réaliser. Ne soyez pas de ces personnes sans, fond qui
demandent toujours du nouveau. Saint Paul dit d'elles :
« toujours en quête de savoir et ne parvenant jamais
à la science de Dieu. » Il ne vous est pas défendu de deman-
der à Dieu de trouver quelque bonne affection, et vous
— 27 —
seriez injuste, si vous disiez que vous en êtes dépourvue;
le premier je commencerais à me fâcher et plusieurs
autres, à ma suite, prendraient le bâton pour vous
châtier; mais dans cette demande, parlez ainsi finale-
ment : « Mon Dieu, je vous en prie, donnez-moi quelques
bonnes affections qui me consolent, et me rendent meil-
leure; je sais que vous me les donnerez, si elles doivent
m'être utiles; mais si vous ne m'en donnez pas autant
que je le voudrais, je m'en rapporterai à vous et croirai
que cela vaut mieux; alors vous me permettrez bien de
vous aimer, vous, davantage. »
Qu'à la fin de l'année qui s'ouvre en ce jour, je puisse
admirer la vraie piété de ma chère fille que je bénis de
tout cœur.
fWWWWWWWfWWW^WW^
DEUXIEME SERIE
Ma chère enfant,
... Vous me demandez s'il vaut mieux travailler pour
les pauvres que de donner de l'argent. Je crois qu'il est
bon de faire l'un et l'autre. Le travail a quelque chose
de plus personnel et doit plaire davantage à Dieu, mais
il y a plus de personnes pouvant fournir du travail que
de celles qui ont de l'argent à leur disposition. Je connais
assez votre tendresse à l'égard des pauvres pour être sûr
que vous trouverez le moyen de les aider efficacement.
Si vous étiez à leur place !
... Continuez à prier pour moi. Si ce n'est pas la guéri-
son que Dieu veut, il me donnera, grâce à vous, quel-
— 28 —
ques degrés de plus de patience, de bonté, d'oubli de
moi-même. Je vous avoue que je regarde la vie non pas
comme une joie, mais comme un devoir.
II
Ma chère enfant,
... Les dangers causés par les mauvais livres sont très
variables selon les personnes. La règle générale est de se
diriger selon les effets qu'ils produisent. Quand vous cons-
tatez que tel genre de livres vous trouble ou vous laisse
trop rêveuse, fuyez-le, malgré le plaisir qu'ils peuvent
vous donner. La vie, en effet, apprend des choses tristes,
mais les mauvais livres ne font pas seulement que d'ap-
prendre, ils excitent et rendent accessible au mal.
... Vous me posez une question à laquelle je suis bien
content de répondre, la question des parfums : je n'osais
pas l'aborder de moi-même et pourtant les senteurs qui
se dégagent de votre papier à lettre m'en avaient plus
d'une fois donné l'envie. Votre question porte sur le prix
quelquefois considérable de ces petits flacons, la mienne
sur l'usage lui-même. Dans votre position et avec votre
fortune, vous avez le droit de faire des dépenses de pur
agrément; le mieux ne va pas aussi loin que le droit, et
j'apprécierais davantage une enfant pieuse qui en réser-
verait une partie pour le tabernacle où est Jésus et pour
les pauvres qui sont ses membres. Ma préoccupation à
moi est délicate à exprimer; je suis trop votre père pour
ne pas l'oser; comprenez-le donc par ceci : ces parfums
violents sont le partage à peu près exclusif de femmes
que vous ne devez pas copier. Je crois que c'est en dire
assez...
Vous souffrez, ma chère enfant, de ne pas trouver assez
le bon Dieu dans vos prières; Dieu aime à se faire désirer
et chercher, mais vous continuerez et il arrivera un jour
où vous trouverez près de Lui la paix et une sorte de bon-
heur élevé.
— 29 —
III
Ma chère enfant,
J'allais vous écrire, car je trouvais votre silence trop
long et je craignais qu'il ne fût causé par l'attente d'une
lettre de moi. Enfin me voilà fixé sur le lieu que vous
habitez, sur les agréments qu'il vous offre et sur la paresse
qu'il fait passer sur vos doigts, et sur votre esprit. Il ne
s'agit pas de s'abandonner à cette oisiveté qui vous
déprimerait; il faut commencer plusieurs choses de
genre différent, de façon à passer de l'une à l'autre quand
le goût change. La rêverie ne mène à rien; elle développe
la sensibilité et enveloppe de tristesse, quand elle ne fait
rien de pire. La seule rêverie qui fait du bien, c'est celle
qui se rapproche de l'infini en contemplant l'étendue de
l'océan ou la profondeur des cieux. Dieu est en tout cela
et il est en même temps près de nous. Ce qui nous touche
dans ses œuvres n'est rien en comparaison de sa beauté.
Plus heureux que nous qui, malgré nos affections, ne
pouvons penser sans cesse à ceux qui nous sont chers,
Lui, à chaque instant, a les yeux fixés sur nous, et, quand
nous lui sommes fidèles, il a son grand cœur ému. Cher-
chons souvent ce regard, c'est juste, c'est bon, c'est
très doux aussi. Dieu est comme l'âme de la nature que
nous contemplons, il est la famille parfaite où tout est
sécurité et affection.
Je suis content de savoir que vous persévérez dans vos
exercices de piété, malgré la sécheresse qui vous y
accueille souvent; je vous l'ai dit très formellement : les
exercices continués ainsi sont plus agréables à Dieu que
ceux qui se font avec facilité; je vous l'ai dit aussi non
moins fortement : quand on a promis une chose, on la fait
sans considérer si elle plaît. Je vois que vous vous affer-
missez dans ce genre de vie et dans ces difficultés. Autre-
fois, vous auriez suivi vos goûts et vos ennuis (car on est
un peu capricieuse); aujourd'hui on fait ce qu'on sait
agréable à Dieu, ce qu'on lui a promis et, comme les
— 30 —
bons soldats qui, au besoin, meurent au poste d'honneur,
vous garderez cette attitude toutes les vacances, que
dis-je? toute la vie.
Que le bon air vous donne les forces convenant à une
jeune fdle qui veut faire quelque chose en ce monde !
C'est le vœu de celui qui se dit avec une grande affection
votre père en Notre-Seigneur !
IV
Ma chère enfant,
Je m'explique le trouble de votre lettre par la préoc-
cupation continuelle de ces derniers temps... L'insom-
nie prolongée vous a rendue à la fois nerveuse à l'excès
et toute faible pour réagir. Pourquoi n'avez-vous pas
porté ailleurs vos pensées, vos regards? N'êtes-vous pas
sous la garde du bon Dieu et ne mérite-t-il pas votre con-
fiance? Que veulent dire ces paroles : « Pas un cheveu de
votre tête ne tombe sans ma permission? » Voulez-vous
qu'il reste étranger aux choses importantes?
Vous qui avez un si excellent cœur, comment pouvez-
vous faire à ce Dieu qui vous aime et s'occupe de vous la
peine sensible de vous désoler comme s'il n'était pas là?
Moi-même qui vous suis très attaché, mais infiniment
moins que Lui, moi-même, je suis triste de vous voir
si peu raisonnable, si oublieuse des affections qui vous
entourent et surtout si malheureuse !
Changez bien vite tout cela. Dites à Dieu tout simple-
ment que vous vous abandonnez à sa paternité, que vous
ferez en temps et lieu ce que vous croirez entrer dans
ses intentions, et que vous n'aurez jamais peur de l'ave-
nir, étant sous sa garde.
Sans doute, malgré vos craintes, vous trouverez dans
la vie votre part de joie; mais n'attachez pas à ces joies
courtes et insuffisantes votre idéal de bonheur. Cet idéal
n'est qu'au ciel. Le ciel est l'éternelle vie. C'est pour lui
— 31 —
que nous devons porter la vie présente, si elle est parfois
lourde et même douloureuse.
Revenez à vos prières habituelles, ma chère enfant, et
aussi à vos communions. Alors même que vous n'y trou-
veriez pas de goût, vous y trouverez Notre-Seigneur et la
force de le suivre.
J'espère que vous serez comme toujours sensible à mon
désir et que vous ne voudrez pas continuer à me faire de
la peine. Je souffre de vous voir si agitée, si troublée, si
loin de l'idéal que je me fais encore de votre piété. Cette
tempête aura été pour vous une leçon; à l'avenir vous
irez à Dieu au lieu de suivre là tentation; vous monte-
rez au lieu de descendre.
Ma chère enfant,
Vous l'avez compris, c'est dans l'abandon à Dieu que
vous trouverez votre repos. Ne le cherchez pas dans ceci
ou cela. Savons-nous ce qui nous est le meilleur? On se
trompe souvent ! Aimez à penser que Dieu a sur vous des
desseins très bons, très favorables et qu'il les réalisera, à la
seule condition qui vous n'y mettiez pas obstacle. Ne
soyez donc pas empressée ni tourmentée, ce n'est pas
ainsi que l'on attend la volonté de Dieu.
Acceptez de bon cœur la situation présente, toute triste
qu'elle est; c'est une préparation certaine aux desseins de
Dieu et ce, sera une part de vos mérites.
Il n'est pas défendu à une jeune fille de rêver un peu d'af-
fections humaines Ne vous le reprochez donc pas trop.
Soyez prudente néanmoins. N'élevez pas vos rêves trop
haut; ne vous faites pas non plus un vrai besoin de leur
réalisation. En rêvant un bonheur trop grand, on risque
de ne pas se contenter du bonheur très relatif qu'on aura'
sans doute ; et en se faisant un besoin de ces joies, on s'ex-
pose à un profond découragement, si Dieu ne juge pas
qu'il soit bon pour nous que nous les ayons. Revenons-en,
ma chère enfant, à cette belle leçon du divin Maître :
6
— 32 —
« Cherchez tout d'abord et par-dessus tout le règne de
« Dieu, son saint amour. Le reste, c'est-à-dire les joies de
«( ce monde, le reste vous sera donné par surcroît. »
Quand vous souffrez de. votre état de santé et de ce
dont il vous prive; quand la pensée vous vient que votre
avenir peut en être compromis, retirez-vous le plus tôt
possible de ces impressions en vous disant : le bon Dieu
s'occupe de moi ; c'est tout ce qu'il faut : je suis tranquille.
Je connais des âmes qui trouvent leur joie, et une grande
joie, dans l'amour de Dieu. J'en connais aussi qui sont bien
malheureuses dans le mariage. Laissez faire celui qui sait
tout et qui est le meilleur des pères.
VI
Ma chère enfant,
Voire lettre me cause un sensible plaisir non seulement
par l'expression de vos vœux et votre souvenir pour les
pauvres, mais surtout par le progrès très grand que je
remarque dans vos dispositions. Votre patience dans la
souffrance, votre acceptation généreuse de mille priva-
tions, en faveur des âmes qui vous sont chères, et votre
résolution d'être de plus en plus édifiante pour avoir plus
de crédit auprès des vôtres.
Et puis, au fond de tout cela, je vois grandir un véri-
table amour pour Notre-Seigneur. Vous me demandez
quelles sont les intentions de Dieu sur vous. Je ne sau-
rais dire, ma chère enfant, quelle position il vous réserve —
à votre âge, la santé fait des prodiges — mais ce que je
sais, c'est que désormais vous resterez une âme du bon
Dieu, une âme pieuse. La souffrance vous a préparée et
votre bon cœur a correspondu aux avances de Dieu.
Si vous aviez été bien portante et très occupée des choses
de la vie, vous n'auriez pas eu sans doute ces pensées éle-
vées et ces aspirations pieuses.
Courage, ma chère enfant, je vous bénis, avec toute
l'affection d'un père.
33 —
VII
Ma chère enfant,
Votre filiale affection me touche vivement. Elle a de
ces délicatesses qui vont au cœur. Votre piété m'est aussi
une grande consolation; je constate que vous comprenez
le bon Dieu et que ce doux Sauveur se révèle à vous de
plus en plus. Quelle source de courage et de vie pour
votre isolement si fréquent ! Quelle sauvegarde, quand
vous allez dans le monde ! Vous le sentez, tout y est vide;
les occupations ne laissent rien après elles, quand elles
n'ont pas d'objet sérieux. Soyez néanmoins très indul-
gente pour les personnes qui, moins favorisées que vous,
passent leurs journées à ces pauvres riens !
Ne faisons pas trop de rêves d'avenir. Sans doute, rien
ne s'oppose à vos justes espérances; mais il est mieux
d'attendre la volonté de Dieu, pour s'y laisser aller. Ces
désirs ont pour effet immédiat de rendre triste, et ils
pourraient amener au découragement, si leur réalisa-
tion se faisait trop attendre. Et d'ailleurs avec l'âme si
délicate que vous avez, vous risquez fort de souffrir !
Le plus sage est donc de désirer modérément ce que nous
désirons, et en même temps de vous tenir attachée à cette
pensée que Dieu vous donnera ce qui vaut le mieux.
. VIII
Ma chère enfant,
Je tiens à vous féliciter de vos bonnes dispositions.
Vous m'avez fait un grand plaisir en reprenant le cours
de votre vie pieuse. Je serais attristé, si je vous voyais
renoncer à vous élever. Vous avez le goût de ce qui est
beau et grand. C'est une grâce, ce goût vous porte à
rechercher ce qui est le plus grand et qui ne se trouve
que dans la beauté morale. Avoir une âme forte, gêné-
— 34 —
reuse, constante, avec un cœur délicat : voilà qui pré-
pare une vie noble. La vie pieuse réalise des merveilles
quand elle rencontre de telles dispositions qui sont les
vôtres.
Le danger qui vous menace est précisément dans l'une
de vos qualités : la sensibilité. Quand vous ne sentez
plus les douceurs du bon Dieu, vous vous croyez délais-
sée et vous abandonnez bientôt vos résolutions. Mais,
mon enfant, l'épreuve est la voie ordinaire; la consola-
tion n'est qu'un secours passager. La vie est si courte en
face de l'Eternité : or Dieu a surtout en vue cette vie qui
ne finit pas et au besoin, il fait bon marché de "nos joies
de ce monde. N'aura-t-il pas le Ciel pour récompenser les
souffrances qu'il aura permises ici-bas? Je vous le
demande donc au début de cette année : servez Dieu
parce qu'il mérite d'être servi et non parce que vous y
trouvez quelque joie. Ne vous découragez pas non plus
pour votre santé : Dieu sait ce qui vous convient le mieux
et un jour, vous direz qu'il avait bien raison. Faites-lui
crédit...
IX
Ma chère enfant,
La vertu permet de souffrir et de gémir, elle ne permet
pas de déserter. Or vous déserteriez- le parti du bon Dieu,
si vous ne teniez pas ferme dans la position prise. Vous
êtes comme un soldat qui a promis de tenir à telle place
quoi qu'il arrive. On y compte! Que dirait-on de lui s'il
quittait son poste parce qu'il est pénible ou simplement
ennuyeux!... Ne méritez donc pas le nom qu'on lui don-
nerait...
Je vous l'ai expliqué, ma chère enfant, le service de
Dieu n'exige pas cette spontanéité, cette joie que nous
apportons d'ordinaire dans l'accomplissement de nos
devoirs envers les personnes que nous aimons. La raison
principale en est que Dieu est invisible, et ne manifeste
pas toujours sa présence par des consolations. Nous ser-
— 35 —
vons Dieu parce qu'il est juste, parce que c'est noire père.
Nous voulons son ciel, nous demandons son secours.
Méritons-le.
Perdez l'habitude, ma chère enfant, de dépendre de
vos impressions. Les impressions changent. Vous le cons-
tatez tous les jours. Quand vous allez bien et qu'autour de
vous, il y a quelque apaisement, vous êtes bien disposée.
Votre santé recommence-t-elle à vous chagriner : vous
voilà découragée ! Dieu semble vous avoir abandonnée,
taudis qu'il n'a fait que vous soumettre à l'épreuve. La
vie est faite pour cela. Rappelez-vous cette parole de la
sainte Écriture : « Ils s'en allaient à travers les larmes,
jetant partout la semence précieuse. Les voilà qui
reviendront chargés de riches moissons. »
La moisson ne se fait qu'à la saison qui est la fin de la
vie, Ayez le- courage de vos espérances; laissez la lâcheté
à ceux qui attendent tout de la vie.
Vous allez donc commencer par changer de sentiments :
vous reprendrez votre amour pour Dieu, votre résolu-
tion de le servir, même sans consolation aucune : vous
accepterez la souffrance de la maladie. S'il est utile de
le dire à vos parents, vous le direz; si vous pouvez leur
épargner ce chagrin, vous pouvez garder le silence : faites
ce que vous conseilleriez à une aiitre personne.
X
Ma chère enfant,
Vous apprendrez par expérience que nos impressions
changent et qu'il ne faut pas attacher grande importance
à ces moments de profonde tristesse où l'on voit tout en
noir, non seulement dans le présent, mais encore dans
l'avenir. Au bout de quelques jours, quelquefois de quel-
ques heures, les choses paraissent tout autres. Il suffit
pour cela d'une circonstance heureuse, d'une améliora-
tion de la santé, quelquefois simplement d'un rayon de
soleil.
— 36 —
Se laisser dominer par des impressions qui changent
ainsi, n'est pas d'une âme sérieuse comme la vôtre.
N'ayez donc plus peur de ces mauvais moments; dites-
vous, comme en voyant tomber la pluie : cela passera!...
Vous aurez été prophète ! ce n'est pas peu de chose !
La vie, mon enfant, ne s'expliquerait pas pour moi
sans Dieu et sans le ciel! mais avec le sentiment que
Dieu gouverne tout et que tout nous amène au ciel,
surtout les peines, chaque tristesse s'explique et se fait
accepter. C'est de la philosophie et de la meilleure. Soyez
bonne élève !
XI
Ma chère enfant,
Il n'est vraiment pas permis d'être aussi bébé que vous
l'êtes! Quand l'âge de raison arrive, il déloge l'enfantil-
lage. Et voilà que vous en auriez encore... avec qui?
avec Dieu ! Vraiment vous voudriez vivre sensiblement
une vie qui ne doit rien aux sens et qui est toute dans la
volonté? Vous possédez la vie surnaturelle et vous vou-
driez faire descendre cette vie à une forme toute de
nature !
Je ne vous fais pas l'injure de croire qu'aimée de Jésus,
vous fuyez sa croix. Je suis convaincu que vous seriez
très brave dans le sacrifice et la souffrance, car vous senti-
riez alors que vous vous sacrifiez et que vous souffrez pour
Jésus. Ce qui vous désespère c'est de ne rien sentir, pas
même de la douleur... ma pauvre enfant, vous suivez en
cela votre nature et vous ne vous demandez pas ce que
Dieu veut de vous. Or tout est là ! Ce qu'il veut, c'est ce
que nous vous conseillons. Plus vous serez confiante et
docile, plus vous donnerez à votre piété sa solidité et son
élévation. En suivant votre nature, je vous le répète,
vous vous exposez à tout abandonner un jour.
Il ne faut jamais entreprendre des mortifications
comme celle dont vous me parlez, sans en avoir obtenu
la permission. Exposez d'avance et très simplement votre
— 37 —
désir et ce qui sera prudent vous sera accordé. Ne la
faites plus jusqu'à ce que vous ayez notre assentiment.
Laissez-moi terminer par un mot cruel! Vous pensez
trop à vous et Dieu, que vous voulez servir parfaitement,
passe en réalité au second plan. Ne songez qu'à ce qui
peut lui être le plus agréable; oubliez- vous vous-même
et vos préférences et vos goûts.
XII
Ma chère enfant,
Je vous porterai mercredi le deuxième volume de saint
François de Sales. Vous y trouverez, plus encore que
dans le premier, Y âme de ce saint si aimable. Enl'admirant,
vous prendrez goût à l'imiter, et en l'étudiant avec soin
vous apprendrez mille délicatesses à l'égard de Dieu et des
hommes. Vivre auprès de personnes parfaites serait un si
grand bonheur et une si belle école ! La vie des Saints,
quand elle est donnée en détail, nous procure ce bien : ma
chère enfant sera de la famille de saint François de Sales !
Quant aux autres lectures de simple agrément, la pre-
mière règle est d'écarter tous les livres dangereux, et la
seconde d'en lire peu : autant qu'il est nécessaire pour se
distraire. Je vous conseille de commencer même cette
sorte de lecture par un signe de croix, et de la terminer
de même.
Je ne veux pas que vous vous imposiez un règlement
trop strict; je préfère que vous assuriez l'essentiel et
qu'en tout vous gardiez la liberté de vos mouvements.
L'essentiel est la méditation, l'examen et les retours vers
Dieu, puis la communion.
Pas de tristesse, ma chère enfant. Être triste, quand
on se sait l'enfant de Dieu, c'est ne pas faire honneur
à son père. On pourrait laisser croire qu'il n'est pas bon..,
ou qu'on ne le connaît guère.
— ns
xi u
Ma chère enfant,
Comme vous êtes dans la peine, je viens à vous pour
vous dire : ayez confiance, Dieu veille sur vous. — Soyez
brave, vous serez merveilleusement récompensée.
J'admire votre générosité à vous prêter à ce qui peut
retenir votre frère chez vous et le rattacher à la famille
par le lien de l'affection. Ce n'est que par une très grande
bonté que l'on gagne les cœurs. — J'admire aussi votre
courage à cacher à vos parents, déjà si tristes, ce qui les
attristerait davantage encore. Soyez l'ange du foyer.
Quand personne ne remarque vos sacrifices, regardez
donc l'invisible et vous trouverez les yeux de notre
divin Maître fixés sur vous; contents, et avec une affection
que rien n'égale. — Vous me dites que vous ne comprenez
pas la valeur de vos souffrances, tandis que vous adnlettez
le prix de celles de Notre-Seigneur. Eh bien ! mon enfant,
sachez qu'elles sont ensemble, et que vos petites et pau-
vres souffrances s'unissent à ses grands sacrifices et à sa
Passion. Elles arrivent ensemble sous les yeux de Dieu
comme un bouquet dans lequel vous seriez la petite fleur
modeste pressée contre des fleurs magnifiques. Dieu
accepte et aime tout le bouquet, et comme il voit tout, il
distinguo votre souffrance à vous et l'aime en tant que ne
faisant qu'un avec celle de son Fils.
Outre le mérite, mon enfant, la souffrance a le don de
perfectionner une nature, quand elle est bien supportée.
Je ne m'oppose pas à ce que vous exposiez au bon Dieu
ce que vous m'écrivez : « Je suis jeune et ma vie est bien
triste; j'ai goûté à bien des coupes amères; l'avenir est
plus que noir et sans l'ombre d'espoir. » Il y a là beau-
coup de vrai, sauf pour le dernier membre de phrase.
Plaignez-vous un peu; notre Sauveur le fit bien au jar-
din des Oliviers ! Comme lui après la plainte, dites la
parole d'acceptation et d'abandon : que votre volonté
se fasse et non la mienne. Se plaindre finalement n'est pas
— 39 —
une faute et quelquefois cela console; c'est presque un
besoin comme de pleurer. Dieu ne s'en froisse pas. Seule-
ment ayez soin de ne pas rester sur cette impression et
relevez- vous toujours par une parole de confiance.
Quant à l'avenir, Dieu y pourvoira. C'est peut-être
pour vous forcer à regarder le Ciel qu'il rend la terre si
triste autour de vous. Eh bien ! dites-vous qu'après tout
pour être heureuse des milliers de siècles, ce n'est pas une
mauvaise affaire d'y dépenser sa courte vie d'ici-bas.
Je vois avec plaisir que vous avez bien compris qu'il
ne faut pas mesurer à la consolation ressentie soit l'amour
que Dieu nous porte, soit l'amour que nous avons pour
Lui. C'est bien. Vous ne vous découragez plus !
XIV
Ma chère enfant,
Ne vous laissez pas gagner par la tristesse; vous ne
feriez pas honneur au bon Dieu. Tout le monde, à son
service, doit être content. Si on ne l'est pas, c'est qu'on
ne regarde pas assez de son côté. Ne savez-vous pas qu'il
s'occupe de nous à chaque instant et bien plus que ne
savent le faire les personnes qui nous aiment le mieux?
Que s'il semble nous abandonner aux fluctuations de la
vie, c'est que tout obéit à ses ordres et entre dans son
plan. Ce plan est beaucoup trop étendu et à trop longue
échéance pour que nous puissions le saisir ou même le
deviner. De là le mérite, comme la raison d'être de notre
confiance. La belle confiance, si tout allait selon nos goûts
et en pleine clarté ! C'est filial, au contraire, de se montrer
aussi tranquille sans voir, que vous le seriez si tout était
expliqué.
Ne demandez pas non plus que Dieu vous fasse sentir
sa présence ou vous donne pour Lui de grands sentiments.
Il nous réserve pour le Ciel la joie, et s'il nous en fait parfois
pressentir quelques douceurs, ce n'est qu'en passant, pour
que nous ne nous y attachions pas. Soyons donc ici-bas
— 40 —
comme des enfants qui vont à la recherche de leurs
parents, qui savent où ils les trouveront, mais qui n'en
jouiront que dans la Patrie!
Ne vous faites pas un remords des tristesses qui vous
envahissent, mais ne vous laissez pas aller; réagissez
doucement; acceptez tout ce que vous ne pouvez écarter
et demeurez fidèle à tous vos devoirs bien convenus.
Soyez l'ange de la famille, l'ange qui console et qui mon-
tre le ciel. Soyez aussi pour le bon Dieu une âme en qui
il trouve son repos, sur laquelle il peut compter et à
laquelle il puisse donner de grandes grâces méritées. C'est
son bonheur de nous voir vertueux et de pouvoir par là
nous enrichir pour le Ciel.
XV
Mercredi Saint.
Ma chère enfant,
Votre lettre m'afflige. Comment persistez- vous à exiger
de Notre-Seigneur des preuves par la consolation, quand
il nous rappelle, en ces jours de deuil, les preuves de ses
douleurs indicibles, souffertes pour nous.
C'est bien mieux en souffrant vous-même ces priva-
tions que vous lui prouveriez votre amour fidèle. Ne
pourrait-il pas vous dire comme aux apôtres : « Vous
n'avez pu veiller avec moi cette heure douloureuse ! »
L'heure douloureuse est l'épreuve et l'épreuve peut durer
des années comme seulement des heures. Je connais des
âmes qui, restées plus de dix ans sans l'ombre de con-
solation, continuaient quand même leur heure journa-
lière de méditation, leur communion de tous les matins,
leurs œuvres de zèle et leurs devoirs de famille.
Non, ce n'est point parce qu'il vous aime moins ou
parce que vous lui avez fait quelque peine que Notre-
Seigneur vous prive de consolations. C'est, je crois, pour
vous former. Il n'est pas bon que vous cherchiez dans la
piété ce qui n'est que Je côté accessoire. Elle est surtout
• — 41 —
dans le dévouement et le dévouement se mesure à ce
qu'on sait souffrir.
Quand vous reconnaîtrez que vous n'avez pas agi en
enfant aimante, vous allez être exposée à une autre tenta-
tion, vous serez troublée et surtout mécontente de vous;
vous n'oserez plus aller à Notre-Seigneur avec un cœur
dilaté; peut-être même n'oserez- vous plus vous approcher
de la sainte communion. — Eh bien ! sachez-le, vous n'êtes
en cela coupable d'aucune vraie faute. Votre seul tort est
d'avoir cédé à votre nature avide de sentiment et de n'a-
voir pas cherché Jésus là où il est en ce moment, c'est-à-
dire sur la croix.
Non, il n'a pas été insensible à vos souffrances' de ces
derniers temps, et il est tout prêt à vous accueillir comme
une enfant gâtée, peut-être même à vous le faire sentir;
mais, encore une fois, mettons le véritable amour divin
où il est, dans l'abnégation personnelle et non dans le
goût sensible.
Vous avez besoin que Dieu vous donne une bonne
leçon : être éloignée de la sainte Table, à pareil jour que
demain, en est une fort pénible.
XVI
Pauvre enfant, vos tristesses me touchent profondé-
ment et je ne puis pas vous dire qu'elles n'ont pas de
grave fondement. J'aime mieux penser à la chrétienne
que vous êtes et lui rappeler l'inexorable loi de l'exil
qui pèse sur toute existence et s'étend au domaine reli-
gieux lui-même. Vous accepteriez mieux vos souffrances
de maladie et de famille, si vous trouviez en Dieu de
douces consolations. Vous vous rendez à l'église, vous
vous prosternez devant un long chemin de croix pour
entendre dans votre coeur quelque parole venue du ciel.
On peut l'espérer, mais Dieu n'a pas promis de répon-
dre toujours : Il a même coutume d'ajouter aux peines
de la vie, la peine de cette privation. Pourquoi ? mais,
mon enfant, parce qu'il a fait de la vie un temps de
— 42 —
mérite, et le mérite ajoute aux jouissances futures qui
seront éternelles. Regretteriez- vous des privations qui
durent un jour, si elles vous obtiennent des jouissances
qui dureront toujours? Ne vivez donc pas dans le mo-
ment présent, vivez dans l'éternité. Xc faites pas, comme
les petits enfants, des maisons de sable que le soir voit
crouler. Soyez une personne raisonnable qui ne regarde
pas la vie comme une demeure permanenlr.
XVII
Ma chère enfant,
Je suis bien content de vous. J'aime bien mieux que
vous ayez fait de vous-même ce sacrifice que rien ne
vous obligeait à faire, ni la conscience, ni ma volonté.
Vous n'avez cédé qu'à une seule influence : celle de faire
plaisir à Dieu par ce sacrifice. En voyant Notre-Seigneur
dans l'Eucharistie privé de tant de choses, vous n'avez
pas voulu vous donner une jouissance inutile, du moins
pour le moment. '
Vous dirai-je que je ne m'étonne pas de votre déter-
mination et que, sans l'avoir demandée, je l'ai prévue.
En cela j'ai suivi l'exemple de saint François de Sales à
qui sainte Chantai rapporte avec indignation que deux
postulantes, très bonnes d'ailleurs, refusaient de se
défaire de leurs pendants d'oreilles, je crois. Elle voulait
qu'on les renvoyât. Le saint souriant lui dit: laissez faire
et attendez; quand le feu sera dans la maison, elles jet-
teront par la fenêtre les meubles inutiles. Ce qui arriva
en effet. Les jeunes filles devenues très ferventes n'eu-
rent rien de plus à cœur que de sacrifier ces inutilités à
l'amour d'un Dieu qui se donnait tout à elles.
Remarquez donc, ma chère enfant, que l'essentiel est
d'aimer Jésus et que l'âme qui l'aime devient généreuse
presque forcément et de la manière la plus douce. Elle
est heureuse de se priver, quand elle sait que la privation
lui est agréable.
— 43 —
J'approuve pleinement votre désir de vous faire ins-
crire à la Garde d'honneur du Saint-Sacrement et de ne pas
vous en tenir à l'obligation du mois. Il est bon cependant
que vous restiez libre et que ces visites de chaque semaine
soient facultatives. Votre santé, vos visites pourraient
vous arrêter, et il est fâcheux de manquer à une obligation
positive.
Exercez bien votre rôle d'enfant consolatrice dans
votre famille. Ne regardez pas ce que vous avez envie de
faire, mais ce que les autres attendent de vous. En vivant
pour eux, vous vivrez pour Jésus. A chaque instant, vous
pouvez lever les yeux vers Lui et être assurée qu'il vous
sourit.
XVIII
Ma chère enfant,
Cette longue indisposition de votre mère aura eu cela
de bon, de vous fournir l'occasion de lui rendre bien des
services et de lui montrer que vous savez vous oublier.
Ce que vous avez fait pour elle, vous l'avez fait de grand
cœur, n'est-ce pas? et cependant vous n'avez pas senti de
grands transports. Pourquoi? parce que HafTection se
prouve bien plus souvent qu'elle ne se sent. Apprenez
mieux à ne pas vous juger moins filiale pour Dieu parce
que vous ne sentez rien en communiant chaque jour. En
tournant votre cœur vers Lui très souvent, vous lui prou-
vez votre amour, ce qui vaut bien mieux. Oui, mon enfant,
j'ai la cruauté de me réjouir de cette privation de senti-
ment qui vous déconcerte ! Je m'en réjouis parce que c'est
la condition de notre vie d'exil; je m'en réjouis particu-
lièrement pour vous parce qu'à votre âge, c'est une
excellente formation. Il faut savoir vivre de foi et d'espé-
rance, sans rien voir et sans rien sentir. La vie n'est qu'une
longue journée. L'éternité seule vaut la peine de fixer notre
pensée. Songez au temps où vous serez au ciel depuis
cent ans, mille ans, et de là regardez la vie et ses peines.
— 44 —
Elles vous paraîtront aussi petites que les plus grandes
étoiles vues de la terre.
XIX
Ma chère enfant,
Je me hâte do- vous répondre pour vous remonter le
moral. Voilà une enfant à qui Dieu a daigné se faire con-
naître intimement. Il l'a choisie au milieu de tant d'au-
tres et il lui a donné toujours des guides pour la soutenir
de leurs conseils et de leur affection. Lui-même parfois
lui a laissé entrevoir quels trésors d'amour et de bonheur
se trouvent auprès de Lui. Il lui a montré ce Fils qu'il a
sacrifié pour la sauver et lui donner l'exemple; il le lui
a prodigué dans la communion... et parce que ces vues
consolantes n'ont eu que peu de durée, parce qu'elle
ne sent rien de ce qu'elle aimerait à sentir, la voilà qui
tombe en défaillance !
Mais, mon enfant, ne savez-vous donc pas que nous
sommes en exil... que la vie est une épreuve... que la foi
précède la vision de Dieu et que les peines intérieures :
sécheresses, froideurs, nous donnent occasion de prouver
la solidité de notre amour et de mériter au ciel une affec-
tion plus grande et plus délicieuse de la part de Dieu ?
Faut-il que je vous rappelle encore que vous avez charge
d'àmes... que les âmes ne se rachètent que par des calvai-
res, et qu'au Calvaire la plus- grande douleur de Jésus fut
de se sentir comme délaissé de son Père? Acceptez donc,
mon enfant, d'être avec lui et comme lui. Ne doutez
jamais de votre amour pour Dieu, ni de l'amour de Dieu
pour vous. Ne vous regardez pas trop sonffrir; vivez de
foi.
XX
Ma chère enfant,
Ne savez-vous pas que pour produire des moissons la
terre a besoin d'être labourée, déchirée et que le grain
— 45 —
lui-même revêt les apparences de la mort? N'avez-vous
pas médité récemment les douleurs divines de Jésus à
Gethsémani et sur le Calvaire? Quand il criait : « Mon Dieu,
pourquoi m'avez-vous délaissé », il pensait à sa petite
enfant qui, dans l'avenir, redirait avec angoisse* ces pa-
roles de désolation. Jamais le divin Sauveur ne fut plus
aimé de son Père qu'à ce moment où il semblait aban-
donné de Lui. Jamais notre chère A. n'en est plus aimée
qu'aux jours où il lui demande de le servir sans la moindre
consolation, sans le moindre désir sensible. Que désirez-
vous? Etre aimée de Dieu réellement et beaucoup. Il vous
aime ainsi. Mais cela ne vous suffit pas; vous voudriez le
sentir, ce qui veut dire : en jouir. Est-ce qu'en ce monde,
les grandes âmes réclament un salaire immédiat? Est-ce
qu'elles renoncent à associer leurs propres douleurs à
celles de Jésus? Il n'y a pas eu un instant dans toute sa
vie où il n'ait souffert toutes les amertumes de se voir
abandonné par la plupart des âmes de son temps et de
l'avenir; et son regard anxieux cherchait s'il ne rencontre-
rait pas des cœurs capables de s'oublier pour souffrir ses
propres peines, sacrifiant ainsi les joies si douces de la
piété. Si vous ne sentez pas le désir de ce partage, il vous
reste de le vouloir quand même. C'est le triomphe de la
foi qui s'en rapporte à Dieu et à ceux qui tiennent sa
place. Revenez donc à la paix par la résignation et l'aban-
don. Dites à Jésus : je veux tout ce qui vous fait plaisir.
Je veux être comme vous et souffrir avec vous.
Nous voici maintenant à la seconde conclusion de votre
état. Ce n'est pas sans appréhension que j'y arrive. Mon
enfant, pour cette année, il vous faut renoncer aux morti-
fications que vous me dites et même aux jeûnes. Je le
regrette beaucoup, je vous l'assure, mais je le vois dans
la volonté de Dieu. En renonçant à ce que désirait votre
bonne volonté, vous ferez un acte de filiale soumission.
Pour les détails adressez- vous à votre confesseur qui verra
d'une confession à l'autre ce qu'il peut prudemment
vous permettre.
La prière sera votre manière de servir Dieu particu-
lièrement. Faites exactement et de votre mieux ce qui
est réglé et supportez de bon cœur les sécheresses.
— 46 —
L'ensemble de votre lettre me montre en vous un grand
progrès de lumière dans les choses de Dieu, une volonté
très forte de vous avancer dans la piété, mais à côté de
cela, un peu trop d'empressement pour atteindre votre
but et un peu de dépit de vous voir souvent imparfaite.
Dieu vous aime telle que vous êtes; vous pouvez donc
bien vous supporter vous-même !
Ayez toujours l'intention droite de faire plaisir à Dieu
et ne vous inquiétez pas des tentations et des défaillances
passagères.
XXI
Ma chère enfant,
Il est visible que Dieu vous tient dans l'épreuve. Il a
coutume de le faire pour les âmes dont il attend beau-
coup. Sûrement il a permis au démon de tenter pénible-
ment les saintes qui étaient tout à Lui. Elles se sont sou-
tenues par la confiance et en répétant au besoin la parole
de Job : « Quand même vous me tueriez, j'aurais confiance
en vous. » Dieu n'en viendra pas là avec vous ! mais il
compte vos souffrances et ne vous perd pas de vue un
instant. Ne pouvant lui parler avec votre cœur, conti-
nuez à lui parler avec votre foi. La prière que vous me
citez est très bonne.
La grande affaire est de persister. Ne tenez pas compte
des tentations, allez votre chemin, étant bien assurée,
par l'autorité qui m'a été donnée, que vous êtes aimée
de Dieu, telle que vous êtes.
Dieu ne permet ces envies de jouissance inférieure
que pour vous donner le mérite d'y renoncer, au moins
souvent.
Si vous saviez combien vous êtes chère à son cœur,
vous en jouiriez trop. Peut-être pourrez- vous lire avec
profit les écrits de la Bienheureuse Marguerite- Marie. Elle
était encore plus sensible que vous; ce n'est pas pou
dire! Courage!
— 47 —
XXII
Ma chère enfant,
Soyez vaillante dans l'épreuve. Souffrir, même vive-
ment, n'est point pécher. Se trop regarder souffrir est'
une faiblesse et une imprudence. Changer quoi que ce
soit à sa vie pieuse est une infidélité qui vous fut autre-
fois coutumière. Rappelez- vous que votre exil ici-bas res-
semble beaucoup à la situation d'un voyageur qui doit
marcher à travers tous les temps. S'il le fait de bonne
humeur il en souffre moins et se montre brave.
Vous avez raison de parler rarement de vos souffrances.
N'en parlez à personne habituellement, je dirai même :
n'en parlez pas trop à Dieu. Pourquoi cela? parce que le
mieux est d'en détacher votre pensée. Si, malgré tout,
l'impression de tristesse demeure, aimez cet état qui est
voulu de Dieu pour le moment, mais faites cependant
tous vos efforts pour en sortir.
Ne vous étonnez pas de vous sentir moins unie à Dieu
quand vous éprouvez ces sortes de déceptions et quand
l'indignation vous saisit. Efforcez- vous de les apaiser.
Faites vos communions comme d'habitude, en dépit des
distractions et du peu de ferveur que cet état vous cause,
et ne croyez jamais que vous soyez moins aimée de Notre-
Seigneur. « Il connaît le limon dont nous sommes for-
més. » Il n'attend donc pas de vous une solidité imper-
turbable. Ce qu'il réclame c'est la volonté de l'aimer et la
confiance d'être aimée quand même.
De mon côté j'offre à Dieu votre âme, lui demandant
de se l'attacher de plus en plus profondément. Vous en
connaissez le moyen, n'est-ce pas? Rien ne remplace le
détachement de soi-même et pour vous ce détachement
porte sur les consolations spirituelles. En échange de vos
sacrifices vous demanderiez ces douceurs? Quoi ! vous
prenez Dieu pour un marchand avec lequel on fait une
affaire sur un comptoir ! Avec Dieu la seule attitude digne
7
— 48 —
est l'abandon filial : ne rien demander, ne rien désirer.
Aimons tout ce qu'il envoie.
Ce que je tiens, par exemple, à vous dire, c'est que les
privations qu'il vous impose du côté du goût et de l'odo-
rat peuvent être aussi méritoires que si vous vous les
imposiez vous-même. En effet le mérite vient de 'l'amour
qui nous anime; si donc vous acceptez toutes ces choses
avec un amour vrai, et je le crois, vous n'avez rien à
envier aux âmes qui cherchent les souffrances. Aimez
donc bien les vôtres et tenez-vous dans la disposition de
les préférer si Dieu vous proposait de vous en affranchir,
tout en ajoutant qu'il y trouverait moins de gloire.
Je vous l'ai déjà dit et je vous l'affirme encore aujour-
d'hui, je suis convaincu que depuis ces années passées
Vous avez fait de réels progrès. Si Dieu vous prive de la
satisfaction de les voir vous-même, prenez courage en
vous en rapportant à moi.
XXIII
Ma chère enfant,
Je serai heureux de vous voir samedi à la Table sainte
partageant avec nous ce même Dieu qui ne se divise pas,
mais qui, par miracle, se donne tout entier à chacun.
Je le remercie de l'honneur qu'il m'a fait de-m'accepter
tout à Lui sans partage et de me permettre de le donner
aux autres.
Vous serez une âme à qui je l'aurai fait le mieux con-
naître et aimer... Et si vous le connaissez et l'aimez bien,
vous ne lui demanderez pas trop de bonheur, même
auprès de Lui. Ceux qui aiment généreusement veulent
partager le sort de ceux qu'ils aiment; or Jésus n'a pas
voulu jouir, et il a accepté de beaucoup souffrir et cela
pour vous. Je ne fais que vous répéter là ce que j'ai mis
abondamment dans mes livres : puisque vous les lisez
et les relisez, j'ai confiance que vous les traduirez dans
votre conduite. On vous verra toujours d'égale humeur
— 49 —
malgré l'état pénible des nerfs, parée que votre pensée se
fixera sur Notre-Seigneur qui vous regarde. Pour Lui
vous ne trouverez rien de trop pénible. Vous serez aussi
la consolation de vos parents si éprouvés! Oh! oui, je
joins ma prière aux vôtres pour un meilleur avenir.
Croyez ma chère enfant, que votre filiale affection m'est
douce et que vous avez en moi un père bien affectionné.
TROISIEME SERIE
Ma chère enfant,
Notre-Seigneur pour guérir un aveugle fit un peu de
boue avec sa salive et la mit sur ces yeux qui ne voyaient
pas; or, voilà qu'aussitôt ils s'ouvrirent.
Mon enfant, il faut voir clairement vos misères, surtout
quand il reste un peu d'orgueil. De prime abord, la lumière
blesse, mais elle finit par guider.
Je vous ai montré ce que vous devez être et en cela je
vous ai prouvé que je vous crois capable de choses éle-
vées.
La vue de ce qui vous manque produit naturellement le
découragement, et doit produire surnaturellement la
prière qui attend tout de Dieu; mais, là encore, vous avez
à réprimer votre empressement. Les résultats ne viennent
pas si vite, et nous ne les constatons pas aisément; il faut
persévérer sans se troubler et être bien assuré que l'on
obtiendra, à l'heure de Dieu, non à la sienne.
— 50 —
II
Ma chère enfant,
Je laisse là toutes mes occupations pour vous répondre,
parce que je vois que vous souffrez beaucoup. Pauvre
enfant, si près de Dieu, pourquoi ne pas vous reposer
sous sa garde? Le saint homme Job disait : « Quand* même
il me tuerait, j'aurais confiance en Lui ! » Et en effet,
Dieu connaît toutes vos souffrances dans le détail. De
toute éternité, il les a mesurées. Elles ne sont pas au-
dessus de vos forces. Dieu connaît aussi le bien qu'elles
vous apporteront finalement, si vous êtes fidèle, et il
vous assure les moyens de l'être. Que d'âmes s'inté-
ressent à vous ! Que de lumières n'avez-vous pas sur la
conduite de Dieu qui envoie la souffrance pour purifier,
faire espérer, donner occasion de se confier à lui, de lui
prouver sa générosité... L'expérience aussi n'est-elle
pas là pour vous montrer que tout passe, même notre
douleur. A une époque de ma vie, j'ai été accablé de tant
de peines que je ne voyais pas comment je pourrais y
suffire. Chaque matin, j'étais épouvanté d'une journée
qui me semblait sans fin et vide et désolée. Je me jetais
à l'eau, malgré cette frayeur, je faisais le peu que je pou-
vais et la journée se passait, et le lendemain je répon-
dais à mes craintes renouvelées : hier j'ai bien pu vivre, ce
sera de même aujourd'hui. Mon plus grand soin alors
était d'agir avec la plus grande perfection dont j'étais
capable et de remercier Dieu sans cesse de mes peines,
même en pleurant de douleur. Je trouvais aussi beaucoup
de sécurité dans la dévotion à la Sainte Vierge. Je vous le
dis en toute simplicité, je ne vois pas qu'on puisse avoir
plus de peines que je n'en avais de tous les côtés et cer-
tainement de plus sensibles, avec cette terrible compli-
cation de la santé délabrée par ces peines.
Oui, mori enfant, c'est du côté de Dieu qu'il faut cher-
cher le secours. Quand vous vous sentez repliée sur vous-
même, secouez-vous, et allez à Lui. Dites-Lui sans cesse
— 51 —
que c'est bien, que vous voulez tout, ce qu'il veut, que
votre seul désir est qu'il en soit glorifié. Abandonnez-
vous !
III
•'
Ma chère enfant,
J'étais loin de m'attendre à une nouvelle crise si pro-
chaine après les assurances que je vous avais données.
Gomme je ne puis vous laisser répéter ce que vous m'a-
vez dit trop souvent et que "ces répétitions ne font que
créer chez vous un besoin factice de les renouveler, je
me demande s'il n'est pas préférable que vous vous
adressiez à un autre prêtre.
Pour que ce prêtre puisse juger plus clairement de votre
nature et de votre état, je pense qu'il sera bon de lui sou-
mettre la lettre de moi qjje je vous ai dit de garder et de
relire. Sans cela, vous pourriez être dirigée d'une façon
fâcheuse, si l'on s'en tenait à votre exposé, sincère sans
doute, mais altéré par des sentiments erronés.
Si vous reveniez à moi ces jours-ci, je ne consentirais
qu'à vous recevoir quelques minutes et sans aucun retour
sur ce qui a été dit et décidé.
Vous m'attristez profondément et Dieu aussi.
IV
Continuez, ma chère enfant, à détourner vos regards de
vous-même pour les tenir fixés en haut sur le divin Jésus,
l'idéale beauté. Ne les ramenez sur la terre que pour y
voir des âmes à admirer ou à plaindre, à aimer toujours.
Dieu vous pénétrera en proportion de votre oubli de vous-
même. Laissez-le vous aimer, sans songer à vous aimer
vous-même, ou à faire des retours sur ce que vous sentez.
Inclinez sur tout ce qui rapproche de Dieu. Le monde
— 52 —
en éloigne, surtout quand on l'aime. Il no s'y faut expo-
ser que par obligation et sagement.
Pour trouver Dieu, les saints ont gagné la solitude et,
de nos jours, beaucoup d'âmes quittent le monde. Le
monde offre divers agréments de distinction, de bonnes
manières, de serviabilité même, mais le monde ne vous
fera pas aimer Jésus, et il ne donnera pas à vos aspira-
tions leur vraie nourriture. Rappelez-vous cette loi qui
se vérifie tous les jours : on finit par s'approprier, sans s'en
douter, les pensées et les sentiments de son entourage.
Cette pénétration lente est fatale à bien des vertus.
Ne soyez pas du monde; servez- vous du monde pour
atteindre votre but, qui est de vous procurer une situa-
tion meilleure pour l'avenir. Acceptez les quelques jouis-
sances d'art qui s'offrent à vous, mais ne vous y attachez
pas trop, et ne vous en faites ni un besoin, ni une vie.
Il est bien difficile d'être beaucoup au monde et d'être
assez à Dieu. Dans le doute, prenez le parti le plus sûr
et au fond le plus doux.
V
Ma pauvre enfant,
Ne vous laissez donc pas aller ainsi ! Ce qui vous
arrête n'est constitué que par des impressions. Les impres-
sions changent, vous ne les éprouverez plus aussi vives
bientôt et elles feront place à d'autres contraires. Il ne
faut donc rien changer à sa vie ni aux espérances conçues
sur de simples impressions. Pour changer, il faut des rai-
sons; or, toutes les raisons vous portent, au contraire,
vers Dieu et vers la vie pieuse; méprisez donc les impres-
sions. Je sais bien que les souffrances qu'on se crée par
une extrême sensibilité sont tout de même des souffrances
et je vous plains de les éprouver à un tel point; mais
vous ne les diminuerez pas en y cédant. Reprenez le point
d'appui que Dieu vous offre. Vous savez bien aussi que
je ne vous abandonnerais pas de la sorte.
Combien de personnes auraient été heureuses dans
— 53 —
votre position! Par ce même courrier, j'envoie, avec la
vôtre, une lettre à une personne qui a été riche et qui
n'a pas même de pain; j'ai besoin d'un prétexte pour lui
faire accepter le secours que je lui envoie.
Soyez raisonnable; remettez- vous à prier; venez vous
confesser et que tout soit oublié.
VI
Ma chère enfant,
Vous êtes lasse de vous sentir mauvaise, c'est-à-dire
pleine d'orgueil, de jalousie, d'envie de jouissances.
Ah ! ma pauvre enfant, c'est exprès que le bon Dieu
vous laisse tout cela; c'est pour votre exercice; c'est pour
la rédemption du passé; c'est pour un amour plus grand
au ciel.
Vous n'êtes nullement coupable d'avoir tout cela.
Mais, dites-vous, si j'y cède?
Je vous affirme que vous n'y céderez pas d'une vraie
volonté; je m'en fais garant; votre nature s'y surprend;
elle en est toute saisie; elle vibre à l'unisson, d'accord :
mais cela n'est que vu par votre libre arbitre et non
accepté.
Observez moins; ne faites plus cas de ce que vous
sentez aimer et croyez fermement que vous n'en êtes
pas coupable.
Vous verrez bientôt que vous vous laissez tromper par
le démon, vous le reconnaîtrez à la comparaison : sous ces
craintes, vous étiez moins portée au bien, moins désinté-
ressée de vous-même, moins paisible surtout.
En agissant conformément à l'obéissance et en croyant
ce que je vous dis, vous retenez la paix, la lumière pour
vous guider, l'oubli de vous-même par l'union confiante à
Dieu.
Vous vous étiez imposé un fardeau que Dieu ne vous
a pas donné; vous ne pouvez le porter, il vous connaît;
jetez-le bien vite; acceptez d'être un foyer de moins,
— 54 —
mais croyez que, malgré cela, vous êtes aimée de Celui
qui aime les malades, les pauvres, les repentants.
Retenez tout votre cœur pour Notre-Seigneur, et s'il
ne vous en laisse pas encore la jouissance, attendezvle
avec sécurité.
Vos empressements à vouloir vous sentir parfaite déjà
ne feraient que vous fatiguer la tête. Consentez à rester
pauvrette, mais près de Notre-Seigneur; là est le secret
de la paix.
VII
Ma chère enfant,
Votre voie est une voie très délicate parce qu'elle
repose sur la sensibilité. Dieu l'a ainsi ordonné, il ne faut
donc pas se troubler, mais entrer dans ses intentions
et tendre à Lui par le cœur : votre voie est délicate en
ce que la sensibilité vous portera non seulement vers
l'amour de Dieu, mais aussi vers le désir d'être estimée
et aimée des créatures; or, si vous vous laissez aller à
ces déviations, vous altérerez votre âme, et sortirez de
votre voie. Le désir un peu maladif d'être estimée
particulièrement doit être combattu par une humilité
paisible et franche; dites : j'accepte d'être peu estimée
et je ne désire pas de l'être plus que Dieu ne le veut :
or ce qu'il veut, c'est ce qu'il nous fait donner d'estime.
De même pour le désir d'affection : je dois être contente
de la part qu'il me fait et me refuser à ces préoccupa-
tions et lamentations sur le peu d'affection que l'on ren-
contre. Il faut comprendre l'obéissance et accepter ce
qu'elle dit sans chercher pourquoi et comment; l'obéis-
sance qui raisonne trop n'est plus un soutien; et l'obéis-
sance qui veut, pour obéir, pouvoir démontrer que l'on
a raison n'est plus même une obéissance. On obéit
parce que l'obéissance, c'est Dieu qui parle; cherchons
à bien comprendre, oui, mais pas au delà.
— 55 —
VIII
Ma chère enfant,
Je suis heureux de vous savoir près d'une âme qui
souffre et qui a une si belle nature. Parlez de Notre-Sei-
gneur plus que des créatures, car les pauvres créatures
ont toujours des lacunes et souvent de tristes côtés.
S'il vous était permis de choisir entre une audition par-
faite de musique et de vilains instrumentistes, perdriez-
vous votre temps à écouter ces derniers? Vous n'y
trouveriez que le bien pauvre plaisir de critiquer. On ne
vit que de ce qui est vrai, grand et beau; on s'occupe du
reste seulement autant qu'il le faut. « Cherchez ce qui est
en haut, goûtez ce qui est en haut », telles sont les invi-
tations de la Pentecôte. — Le texte ajoute : « Ne cherchez
pas, ne goûtez pas ce qui est sur terre », c'est trop peu
d'abord, puis ce n'est pas sans inconvénients. — Quand
on examine les heures de sa journée... que d'heures
perdues !
IX
Ne voyez dans ma sévérité, ma chère enfant, que la
preuve positive de mes espérances. Si je n'attendais pas
de vous une perfection plus haute, je vous laisserais
tranquille dans ce que je vois d'imparfait. Vous reconnaî-
trez aussi par l'expérience que toute disposition impar-
faite est une prédisposition à de plus graves tourments.
Et puis voudriez-vous refuser à Notre-Seigneur un peu
plus de place dans votre cœur, un peu plus de beauté
dans votre âme. N'ambitionnez-vous pas de vous en
faire aimer?
Cherchez-le pour Lui et acceptez ce qu'il vous donne,
ne poursuivant rien avec empressement et ne vous esti-
mant pas trop appauvrie parce que telle confiance ne
vous sera pas donnée. Ce n'est pas nous qui ferons Je
— 56 —
bien, ce sera lui par nous. Notre grande qualité doit être
de lui offrir un intermédiaire, un instrument dont il
puisse faire ce qu'il veut, librement; le laissant parfois
à terre comme ses outils d'autrefois, le retrouvant docile
quand il le ramasse pour s'en servir. Ne savez-vous pas
qu'un bon ouvrier peut faire des merveilles avec un assez
mauvais outil?
X
Ma chère enfant,
Vous aurez vu votre ange du ciel et vous serez revenue
sur terre avec un rayon dans le cœur.
Oh ! pourquoi vous occuper de vous-même quand vous
pouvez vous pénétrer de Dieu, Le faire vivre en vous !
Pourquoi craindre la souffrance, l'humiliation? pour-
quoi même y penser? Ce sont choses indifférentes en elles-
mêmes. Nous accepterons et aimerons celles que le divin
Maître nous enverra et elles nous seront bonnes.
Que telle personne ait telle ou telle valeur et que vous
vous occupiez à fixer votre opinion : vain travail, dange-
reuse recherche, aliment de l'orgueil et du mécontente-
ment. Aimer Jésus qui est parfait, aimer toutes les
âmes qui sont à Lui, même si elles sont imparfaites —
secourir celles qui demeurent faibles, ramener celles qui
sont loin et en tout cela ne voir que Jésus, pas soi,
quelle belle et douce vie !
Dieu infini peut être l'agent premier de tous vos actes,
mais à une condition : c'est que chacun de ces actes l'ait
pour objet, pour but. Dieu peut-Il agir en nous pour nous
faire rechercher avec inquiétude si nous avons telle ou
telle valeur, si nous sommes préférés à d'autres ou dé-
laissés ! Dieu est absent de ces agitations.
Il est là quand nous parlons à Jésus, aux âmes; quand
nous souffrons de ce que Jésus souffre en Lui ou dans les
âmes; dès que le sentiment personnel paraît, Dieu se
cache comme le soleil sous un nuage.
Laissons Dieu vivre et agir en nous, par nous et
— 57 —
pour Lui — pas pour nous. Il nous fora notre part et
elle sera d'autant plus belle et plus ample que nous aurons
été plus désintéressés.
Courage ! Je vous bénis.
XI
Ma chère enfant,
Notre-Seigneur n'a point passé un instant de sa vie
sans souffrir. Sa souffrance de chaque instant était l'uni-
verselle souffrance de tout ce qui devait le blesser : l'aban-
don, l'injure; l'indifférence.
Une de ces souffrances qui ne le quittait pas était la
vue continuelle de vos fautes et aussi la vue... de vos
douleurs trop personnelles : il vous plaignait, mais vous
désirait plus généreuse.
Vous feriez volontiers le sacrifice des joies humaines,
si vous aviez en échange la joie spirituelle. Ce n'est pas ce
que demandent les vraies Epouses du Dieu crucifié !
En vous apitoyant sur vous-même, et en vous regar-
dant sans cesse souffrir, vous mettez obstacle à votre avan-
cement et à votre union à Jésus.
Vous avez aussi beaucoup d'illusions.
La plus grave en ce moment est la persuasion que vous
vous trouveriez plus heureuse le jour où vous vous seriez
irrévocablement liée à Notre-Seigneur. — Vous seriez
la même; ne deviez-vous pas être au comble du bonheur,
autrefois, si enfin vous étiez admise dans la Société de... et
depuis? Non, ce n'est pas en désirant ceci ou cela qu'on
se prépare le repos, c'est en acceptant jour par jour ce
que Dieu jour par jour nous demande. En dehors de cet
abandon, il n'y a que succession de désirs trompés et
découragement inévitable.
Vous avez tout ce qu'il faut pour aimer beaucoup
Notre-Seigneur et vous dévouer à Lui. — Sortez de l'ob-
session de vous-même; c'est votre seul obstacle réel.
Vous êtes si préoccupée de vous et de ce que vous souf-
— 58 —
frez que vous ne comprenez même pas ce que je vous
dis on vous énis, vous privant ainsi du secours de l'o-
bèissance.
Ah ! qui nous arrachera à nous-mêmes ! qui nous
dépouillera de ce moi qui fait écran entre nous et l'image
adorée de Notre-Seigneur, de ce moi qui nous trouble
sans fin !
XII
Ma chère enfant,
Il faut prendre de la retraite tout ce que le bon Dieu
vous laisse. Peut-être n'avez-vous pas mérité la grâce
tout entière? La privation des moyens spirituels est la
marque la plus sensible d'un délaissement qui devien-
drait complet, si l'on restait insensible à ce châtiment.
Soyez bien humble devant Dieu et n'exigez rien.
Suppliez et vous obtiendrez tout. Il faut absolument que
vous vous retrouviez, et que vous repreniez la domination
de vous-même que vous avez abdiquée pour suivre vos
entraînements. Pauvre enfant ! que vous seriez malheu-
reuse bientôt, si vous ne vous convertissiez pas à temps!
— N'abusez pas de la bonté de Dieu. Ne vous effrayez pas
non plus de ses rigueurs. Demandez-lui simplement sa
force, non ses consolations.
La vie, après tout, ne sera pas longue en regard de
l'Eternité; et qui sait même si la vôtre atteindra les limi-
tes ordinaires! Ma pauvre enfant, que je vous plains!
Comptez sur tout mon dévouement, et sur une affection
que vos infidélités affligent profondément, sans la dimi-
nuer toutefois.
XIII
Mon enfant,
Je suis consolé et rassuré par la pensée qu'à cette heure,
vous avez fait la sainte Communion et que vous avez
retrouvé l'équilibre. Pauvre enfant! que vous êtes ingé-
— 59 —
niouse à vous tourmenter ! — Je vous le redis encore :
oubliez-vous, faites régner la pensée de Dieu à la place
trop occupée par vous-même. Entretenez habituellement
le sentiment d'humilité et de confiance qui est juste et
sanctifiant. « Je mérite bien davantage, donc je ne me
plains pas. — Dieu est bon, donc j'ai confiance. » Ayez le
courage de vous défaire des pensées qui vous décourage-
raient et de mettre à leur place soit des pensées de foi,
soit des distractions honnêtes.
XIV
Ma chère enfant,
<.,)ue vous êtes malade et malheureuse !
Vous vous faites un mal dont vous aurez à subir les
conséquences, peut-être longtemps. Chaque jour de
retard détruit quelque chose en vous.
Et pendant ce temps, vous laissez Notre-Seigneur
dans son tabernacle, oublié et... outragé; et pour qui?...
Ma dauvre et chère enfant, sortez de cette violente
crise, je vous en conjure. Si vous avez la perspective de
souffrir, réjouissez-vous, ce sera pour vous la rançon.
Dieu soutiendra votre courage.
Ne dites pas : je retomberai. Si vous aviez coupé court,
au commencement, vous ne seriez pas retombée. Les
crises sont des états passagers. Malheureusement quand
elles se produisent, -vous vous imaginez que cela ne
passera pas, et c'est ce qui vous fait succomber. Au con-
traire, quand on résiste, qu'on se maintient, l'orage perd
de sa violence et s'en va tout à fait.
Votre père très affligé.
60 —
XV
Mon enfant,
Votre lettre me fait beaucoup de peine et, comme
Notre-Seigneur lui-même, je ne peux que vous excuser.
Vous ne croyez pas mal faire, mais je dois vous dire que
vous suivez une direction opposée à celle que je vous
donne, et vous faire remarquer que vous m'aviez promis
d'agir autrement. '
Vous avez promis de ne plus vous occuper de vous, de
ne plus parler des personnes qui vous sont antipathiques,
de ne pas vous décourager, et d'accepter de Dieu le mau-
vais ou le bon en fait d'appréciation et de procédés.
Vous aviez résolu de tout consacrer à Jésus, vos pensées
comme vos goûts, de vous faire libre enfin pour Lui.
Je ne répondrai plus un seul mot à ces mesquineries
qui ne sont pas dignes d'être portées en direction devant
Dieu. Ce sont du reste des répétitions.
Je vous répète à mon tour : vous vous êtes détachée
outre mesure de Mlle X.; vous vous êtes détachée
sans raison de la M.; vous vous détachez de votre
Docteur. Si vous ne changez pas, vous serez bientôt,
par votre faute et par votre volonté même, privée de ces
secours qui vous seront devenus à charge.
J'avais éprouvé une joie profonde à vous voir sortir
d'un état imparfait pour vous_ donner à Dieu; j'avais
ensuite été ravi de vous voir aimer Jésus comme je le
désirais, mais depuis quelques années, vous me faites
vivre dans l'inquiétude et la peine.
Sera-t-il vrai de dire pour vous comme pour les autres
que l'amour-propre l'emporte sur le cœur et que l'amour-
propre ne pardonne pas les blessures qu'on lui fait, même
quand elles sont nécessaires?
Je crains que vous ne me rendiez justice un jour,
peut-être trop tard.
( )li ! non, vous no pouvez pas offrir à Dieu ce qui vous
occupe, ce que vous écrivez et ce que vous avez envie de
faire !
— 61 —
Vous m'avez manqué de parole déjà plusieurs fois pour
le même objet, vous êtes revenue ensuite plus ou moins
franchement; ce va-et-vient ne saurait se refaire sans
cesse. Quand vous êtes sous l'influence de la grâce, vous
reconnaissez que vous êtes victime de l'orgueil; mais il
suffit d'un peu de temps et d'une petite occasion pour que
vous laissiez reprendre à ce défaut son despotisme. Vous
n'avez pas réellement renoncé à ce démon-là.
Relisez ce que je vous ai écrit de la part de Notre-Sei-
gneur, je ne saurais vous dire autre chose, ni vous donner
un programme différent.
Je vous conjure de quitter enfin la voie funeste où vous
vous êtes engagée; le manque de paix vous montre bien
que ce n'est pas la voie qui mène à Dieu.
Je vous bénis encore dans la tristesse de mon affection
paternelle.
XVI
Ma chère enfant,
Ce spleen dont vous semblez ne pas vouloir vous affran-
chir vient de vous et non des choses; — il est un état
imparfait et dangereux. Notre-Seigneur ne l'inspire ni
ne l'approuve, et il n'en profite pas non plus.
Votre état de santé explique qu'il vous saisisse, mais
il ne le justifie pas. Votre devoir est de réagir. Vous
sortirez toute diminuée et peut-être dégoûtée de tout.
Représentez-vous 'Notre-Seigneur vous regardant avec
tristesse, et vous disant : « Que te manque -t-il? Que me
reproches-tu? Sont-ce mes peines qui font ta peine?
Nous n'avons donc pas une vie commune? »
XVII
Mon enfant,
Vous vous faites beaucoup de mal. Hus vous descen-
dez bas dans la pente de votre nature, plus vous aurez
de peine à remonter»
— 62 —
Vous êtes en opposition avec la volonté de Dieu, cela
fait trembler. Il ne faut pas vivre dans l'état où l'on ne
voudrait pas mourir.
Vous êtes au fond très malheureuse et vous le devien-
drez bien davantage le jour où, après avoir laissé Dieu,
vous vous sentirez véritablement abandonnée de Lui.
Il n'en est pas encore ainsi. N'écoutez plus vos faux
raisonnements. Vous vous laissez, tromper par le démon.
Il n'y a de bien et de bonheur qu'avec Dieu. Cherchez son
pardon et livrez-vous à Lui sans conditions. Il vous sera
bon. Nous n'avons pas le droit de suivre notre nature,
même à nos dépens : nous n'en avons que le triste pou-
voir.
Ne cherchez pas d'objections et de vaines excuses;
soyez humble, priez et agissez, malgré vos impressions.
J'ai beaucoup de peine à votre sujet. Je vois une âme
qui s'amoindrit et s'expose à plaisir. Je vois une personne
qui m'est chère devenir moins estimable. Il faut bien vite
réparer et racheter tout cela.
XVIII
Ma chère enfant,
Un mot sur mes peines à votre sujet; déjà, vous le
savez, je constatais avec tristesse que la place de Notre-
Seigneur allait en diminuant en vous, que votre tendresse
pour Lui était moins exigeante. Je constatais parallèle-
ment la préoccupation plus grande des vanités et des
louanges, le goût des personnes du monde et le dégoût des
personnes pieuses.
Votre faiblesse morale vous a fait commettre une action
que rien ne justifie. Au lieu d'amener à vous vos pauvres
amis, vous descendez à leurs petites préoccupations.
Vous ne leur montrez pas Dieu.
En approuvant votre entreprise pour vous créer une
situation meilleure, je comptais que vous échapperiez aux
influences fâcheuses de l'esprit mondain; je comptais
— 63 —
pour cela sur votre fidélité à la méditation, à la Commu-
nion, à la pensée de Dieu planant sur votre vie. Vous l'a-
vez négligée et il en résulte un changement d'impression.
Vos idées, vos résolutions restent sans doute les mêmes;
mais votre vie avec Dieu a diminué : votre idéal s'est
abaissé. Vous êtes livrée aux alternatives de contente-
ment et de tristesse, selon que les choses vont bien ou
semblent contrariées.
On peut vivre dans le monde sans en prendre l'esprit;
on peut aimer les arts et leur jouissance, la société de-
personnes bien élevées; mais il ne faut pas s'en faire un
besoin, une vie : il vaut mieux en user avec crainte.
En effet, ce ne sont pas là des conditions favorables
à la piété, elles peuvent simplement un peu leur nuire;
hélas ! elles lui nuisent souvent. Voilà ce qui a poussé
tant de belles âmes à fuir le monde. Pour en affronter les
influences dangereuses, il faut être fort, et se tenir dans
une réserve et un détachement difficiles.
Pour le moment, je trouve que vous vous laissez enva-
hir et que vous baissez.
Mon devoir était de vous le dire et au besoin de vous
le crier. Ma peine vous montre combien je tiens à vous, et
mes avertissements, combien je compte toujours sur une
vraie perfection de votre part.
XIX
Ma chère enfant,
Je suis très affligé de votre peine et pas étonné de votre
résignation. Vous reconnaîtrez un jour que j'ai eu raison
da frapper fort. Vous l'avez déjà reconnu pour le passé.
Au fond vous en avez bien une certaine persuasion, mais
à cette heure, la répugnance de la nature vous empêche
d'en prendre réellement votre parti.
Nous répétons bien souvent ces mots: « Je ne suis rien,
je ne peux rien sans Dieu; je ne veux rien en dehors de
ce qu'il veut, j'accepte la privation qu'il m'impose. »
— 64 —
Nous sommes tranquilles en effet, tant que notre amour-
propre est caressé par quelque particulière estime; mais
tout ce qui est factice s'use et il arrive un moment où
cette estime et ces affections, s^ns rien perdre d'elles-mê-
mes, perdent pour nous le stimulant qu'affaiblit l'habi-
tude d'en jouir. Alors la faim se fait de nouveau sentir;
l'amour-propre réclame ou s'irrite... c'est l'état que j'a-
vais prévu depuis longtemps, et que j'ai observé en ces
dernières semaines. Mes conseils, notre long entretien
n'ont fait que retarder la crise...
Vous avez cessé de suivre l'impulsion de Jésus, vous ne
l'avez pas cherché lui-même. Tout entière dans votre
souffrance d'amour-propre, vous n'avez pas regardé plus
loin : Durant certains exercices de piété," à l'église, à d'au-
tres moments encore, vous avez retrouvé Jésus, car certes,
vous n'êtes pas désunis ! mais la crise a repris son cours
et vous n'avez pas reconquis la paix. Vous n'avez ipas
senti tout ce qu'avaient d'imparfaites et d'incohérentes
vos explications et vos protestations.
Le zèle est un effet de l'amour, et s'il se voit contraint
à de trop courtes limites, il ne souffre que pour Jésus,
pas pour soi; il ne sème pas le trouble, il n'amène pas une
sorte de désorganisation où l'on ne se reconnaît plus.
Que dis-je? il se ramasse sur lui-même pour devenir plus
tendre dans son affection, plus empressé auprès de Celui
pour qui il ne peut agir à cette heure ; il lui fait, dans son
cœur, un asile, un trône, un autel. Croyez-moi, dans
cette retraite sacrée, si longue soit-elle, le temps n'est pas
perdu, la préparation plus parfaite multipliera la fécon-
dité de l'action future. Les trente ans de Nazareth furent
soustraits au zèle extérieur : furent-ils trente années per-
dues?
Que nous ayons pour le bien des moyens matériels
plus ou moins parfaits, nous ne pouvons rien de surna-
turel sans la coopération de Dieu, et sans eux, il n'est
rien que nous ne puissions avec son aide. Le tout est de
marcher sous son commandement; alors à quoi bon ces
révoltes contre l'opinion qui nous croit moins bien douée
de tel côté? à quoi bon ces tristesses découragées à la
vue d'un genre de bien qu'on ne nous offre pas 1
— 65 —
XX
Ma chère enfant,
J'ai été heureux de causer avec vous des sujets qui vous
intéressent, mais j'ai été vraiment attristé de vous trou-
ver trop occupée de vous-même, et très peu attentive à
l'inspiration du divin Maître, dont vous n'avez certes
pas traduit l'humilité et l'indulgence. J'ai constaté
également que vous étiez plus éloignée encore de la dis-
position nécessaire pour permettre une promesse d'obéis-
sance. Vous paraissez plus sûre que jamais de vos idées
et de votre sagesse pratique. Vous vous étonnez que tout
le moq.de ne le reconnaisse pas.
Ces observations vous seront pénibles, peut-être ne les
trouverez-vous pas entièrement fondées, et voudrez-vous
me faire comprendre que je me trompe. Ne prenez pas
un chemin qui vous égarerait, allez tout droit à Jésus,
regardez-le bien dans son attitude et demandez-vous ce
qu'il vous aurait dit, s'il avait été à ma place. Exprimez
nettement devant Lui l'opinion que vous avez de vous-
même, et celle que vous attendez des autres, je suis
assuré du résultat final. Vous vous plongerez dans une
profondeur d'humilité dont je crois que vous êtes un peu
sortie, et vous trouverez ce doux maître plus avant dans
vos préoccupations, dès que vous serez sortie de votre
amour-propre. Samedi vous m'apporterez une âme déta-
chée, docile et désireuse avant tout de vivre pour Jésus.
Vous porterez votre attention sur la recherche de vous-
même qui pourrait se trouver dans telle chose, soit que
cette chose doive être retranchée, soit que le sentiment
seul doive être purifié.
Il ne s'agit pas d'ailleurs de n'accepter les satisfactions
humaines que dans le but de ramener les âmes à Dieu.
Ce but doit être en tout et dominer tout; mais il ne faut
pas exiger de votre cœur de ne pas jouir, ni de renoncer
à la jouissance qui n'enlève rien à Dieu et laisse votre
âme aussi bien disposée pour Lui.
Jugez donc toutes vos démarches et tous vus projets
— 66 —
sur cette donnée : cela enlève-t-il quelque chose à Dieu?
— ■ cela me met-il dans une disposition moins favorable
à l'union avec Lui et au progrès?
Ce qu'il faut sacrifier plus largement, c'est l'amour-
propre. Je ne vois pas le bien que peuvent produire ces
sortes de satisfactions savourées.
Autre chose est d'accepter, comme encouragement, cer-
tains témoignages d'estime, autre chose de les rechercher
habilement, de s'y complaire et rouler comme l'abeille
dans les fleurs. L'abeille en fait du miel, nous en retirons,
nous, du poison.
Il est juste que vous fassiez et acceptiez ce qui con-
vient à établir votre situation d'artiste, mais comme ce
soin ne manque pas de danger, il est bon de renouveler
souvent votre intention, de rester détachée dans ces
recherches et comme étrangère à ce qu'on dit de vous.
Le mieux en cela, comme d'ailleurs en tout, sera de vous
entretenir si constamment avec Notre-Seigneur que ces
pensées parasites ne tiennent pas de place.
Voilà les grands principes. Ils seront votre guide pour
les résolutions spéciales que vous ne préciserez jamais
trop.
Il faudra aussi vous décider à vous intéresser
davantage et réellement à ce qui intéresse votre
mère et les diverses personnes qui ont confiance en
vous. Ce n'est pas un rôle factice qui suffit. Ce ne serait ni
assez sincère, ni très efficace, surtout ce ne serait pas
assez surnaturel, car Notre-Seigneur s'est intéressé et
s'intéresse à tous nos besoins et à toutes nos affections.
Le surnaturel ne doit pas éteindre le bien naturel, mais le
mieux comprendre et l'embellir...
Je n'en finis pas quand je parle à votre âme qui m'est
si chère... et qui me devient une douce consolation.
XXI
Je désire, ma chère enfant, que la pensée de l'Ascension
vous donne de la joie par la pensée de la joie que goûte
— 67 —
au ciel le Jésus que vous aimez. Il ne vous est pas défendu
d'y ajouter la perspective de partager ce bonheur. Il n'y
aura plus alors de crainte, plus de malaise, plus de défauts
chez nos amis, ni en nous-même, plus de vide dans notre
cœur, plus d'ombre sur nos têtes...
- Respirons cet air qui dilate. Essayons d'aimer comme
nous aimerons alors. Et puis revenons paisiblement à nos
soins d'ici-bas, résignons-nous à nos impuissances phy-
siques et morales, aimons mieux les personnes qui nous
sont moins sympathiques et que nous retrouverons par-
faites là-haut. Soyons aussi confiants que des enfants, et
aussi humbles que des mendiants. Nous n'avons de bien
que ce que Dieu met en nous, or il y mettra ce que notre
confiante prière appellera, et dans la mesure que notre
humilité lui ouvrira.
Songez au bonheur de vous trouver enfin devant ce
Jésus dont vous poursuivez la recherche au milieu de vos
ténèbres, et malgré toutes vos lassitudes. Il vous regar-
dera. Ce regard vaut bien toutes nos peines !
XXII
Ma chère enfant,
Votre lettre ne me satisfait qu'à demi. Vos dispositions
sont bonnes, mais elles ne sont pas vaillantes. Et puis
Dieu ne vous suffit pas, ne vous contente pas. Vous trou-
vez moyen de souffrir de bien petites choses. Que peut en
penser Jésus?
Tant que vos dispositions ne seront pas plus affranchies,
vous n'aurez qu'une paix intermittente, vous vous occu-
pez trop de vous et vous privez Dieu du concours qu'il en
attend pour les autres, dans une trop grande mesure.
Vous ferez du bien quand même, car vous avez le zèle et
le dévouement, mais quel bien plus grand vous feriez
si vous étiez détachée de vous-même !
Pour vous aider à sortir de cet état, je vais essayer
— 68 —
de vous en montrer la cause. Ce sera une analyse de votre
nature.
Chez vous le sentiment domine, et domine d'une façon
presque absolue. La raison a beau voir clair; la volonté a
beau se décider, Tien n'est gagné tant que le sentiment
n'intervient pas; dès qu'il entre en jeu, tout devient
facile.
Est-ce une fâcheuse constitution morale? nullement.
Le sentiment est le principe vivant par excellence; il est
le principe le plus actif du dévouement, de la tendresse,
du charme qui attire. Une âme de simple raison voit,
mais ne fait pas; une âme de simple volonté agit, mais ne
réchauffe pas. Sans doute, une puissante volonté, bien
orientée, assure une grande vertu et détermine un grand
zèle, mais par l'action de la grâce qui apporte le sentiment
qui manquerait du côté naturel.
La sensibilité est sujette à deux grandes infirmités :
elle subit d'incessantes fluctuations et elle court grand-
risque de chercher sa satisfaction au dehors, dans les
affections humaines.
Point de paix durable; des préoccupations sans cesse
renaissantes (souvent les mêmes); danger de se dégoûter
de certaines choses dans la piété et surtout de beaucoup
de personnes, parfois successivement de presque toutes.
Le sentiment n'offre point de base : c'est une barque sur
l'eau.
Que devenir alors, et que faire?
C'est bien simple, il faut donner des appuis au senti-
ment : le principal appui du sentiment consiste dans le
contrepoids de la raison et de la volonté. Il faut s'ha-
bituer à agir par raison et par volonté et faire peu de cas
de ce qui n'est qu'impression. — Ces impressions de tris-
tesse, d'amour-propre froissé, de délaissement doulou-
reux, il faut les dominer par des sentiments plus hauts
et plus forts. Vous avez le sentiment de votre union à
Jésus; ajoutez-y le besoin d'immolation.
Un des plus grands dangers de cette lutte est de se
poser en victime devant soi-même, et de mettre sa vertu
à ACCEPTER.
— 69 —
Le mieux est de trouver que ce que l'on souffre est peu
de chose, et cela toujours.
S'apitoyer sur soi-même est démoralisateur. En faisant
agir ainsi la raison et la volonté et en écartant ce qui ravive
les impressions, on. finit par se rendre maître de la sensibi-
lité. Ce n'est pas l'œuvre d'un jour; il faut s'attendre à des
défaites et à des reculs. La victoire est à la persévérance.
Se rendre maître de la sensibilité n'est pas la détruire,
ce n'est pas même la diminuer dans ce qu'elle a d'utile et
de beau, c'est la débarrasser de ce qui n'est ni raisonnable,
ni utile, ni bon.
La plupart du temps, c'est simplement la dégager de
quelques préoccupations trop personnelles.
Voilà, ma chère enfant, un petit traité en raccourci sur
la matière. Vous apportera-t-il la lumière? Vous le cons-
taterez à un signe certain : oui, si vous vous sentez plus
courageuse et plus décidée; non, si vous restez dans un
certain' trouble plein de vague. Dans ce dernier cas,
j'aurai perdu mon temps et ma psychologie; mais qu'à
cela ne tienne ! il y a d'autres moyens d'action, et nous
continuerons à les employer, avec le regret pourtant que
vous n'entriez pas dans la voie sûre de la réforme défi-
nitive.
XXIII
Vous, ma chère enfant, vous serez impressionnée plus
encore par le sentiment de la bonté de Dieu, de sa pater-
nelle sollicitude, et vous laisserez les préoccupations
excessives aux personnes qui ne le connaissent pas.
Se résigner pleinement est déjà bien beau. S'oublier,
c'est davantage.
Écartez donc les retours inutiles, les imaginations de
choses possibles, tout ce qui n'a point d'utilité et dimi-
nue vos forces. Faites-le en vous portant à regarder Dieu
d'une façon plus prolongée et plus profonde. — Soyez très
bonne pour votre entourage immédiat. On l'est facilement
pour les étrangers, mais l'est-on bien à cause de Dieu?
— 70 —
XXIV
Ma chère enfant,
J'ai eu beaucoup de peine des dispositions où je vous
ai vue hier : ce n'était pas Dieu qui était le sujet de vos
préoccupations. Aussi, n'aviez-vous point la paix. Non,
vous ne sauriez vivre dans cette imperfection: vous n'êtes
pas dans votre voie* vous n'êtes pas sous l'influence de
Dieu et ce que vous faites et dites ne va pas à Jésus, ou
plutôt y va pour l'attrister, car rien ne lui échappe et il
n'est pas une imperfection qui ne lui soit sensible de la
part d'une âme qui s'est donnée toute à Lui.
Vous êtes retombée dans la préoccupation de vous-
même. Vous avez accueilli des sentiments que vous aviez
tant de fois regrettés et désavoués !
Certes, c'est avec bonheur que je vous ai vue vous
dévouer à vos amis. Vous leur portez beaucoup de conso-
lation et quelque force. Vous trouvez, vous aussi, auprès
de leur affection un repos moral très bon. Méfiez-vous
pourtant de la trop grande estime de vous que peut vous
donner leur affection tout admirative. On s'y habitue
facilement. On incline à croire ce qui plaît et, par contre,
on est révolté, ou du moins très affecté, par des apprécia-
tions moins flatteuses. .
... S'ils m'en parlaient, je serais embarrassé... car ils
vont trop loin dans la bonne opinion qu'ils ont de vous.
Autant je me sens le courage de vous dire à vous vos
défauts, autant il me serait cruel de les dire à d'autres et
surtout à ces amis.
Gardez cette lettre et relisez-la parfois. — Elle contient
mes craintes, c'est vrai, mais aussi le moyen d'en écarter
la réalisation.
XXV
Ma chère enfant,
J'ai un grand désir de vous faire du bien et je vous crois
capable d'en faire beaucoup, si vous vous oubliez vous-
— 71 —
même. Cette dernière condition me tient fort au cœur,
car elle n'est point réalisée; si l'on se recherche soi-même
ou dans le désir de l'estime ou dans le désir de la jouis-
sance même spirituelle, on reste exposé à de grands décou-
ragements. En effet, ce que l'on désire, ce qu'à certains
moments on espère, transpire souvent, je dirai même
habituellement. Vous l'avez éprouvé et vous en avez
été troublée. L'épreuve vous a été donnée pour vous
instruire. N'avez-vous pas remarqué ce mot de Vlmi-
tation : « Vous trouverez à peu près perdu tout ce que vous
avez fait pour les créatures et non pour Dieu ! »
Méditez aussi cette parole que je vous ai si souvent
répétée : « Sachons aimer ce que Dieu nous donne et sa-
chons aimer qu'il nous prive de ce que nous désirerions. »
— - Le laisser maître; ce qui ne veut dire nullement : ne
faites rien, ne sentez rien. Notre devoir est d'avoir toutes
les initiatives raisonnables. Mon observation porte sur
Vétat d'âme dans ces initiatives. Désirons et tentons ce que
nous croyons que Dieu désire, désirons-le et tentons-le
parce qu'il le désire. Dans ces conditions, nous ne serons
jamais troublés du résultat. Si nous sentons un peu de
fièvre, un peu de mécontentement, une pointe d'irrita-
tion, prenons garde, il y a autre chose que la vue de Dieu.
Entendons-nous bien sur une parole qui prêterait peut-
être à une fausse interprétation. Quand je dis deman-
dons et tentons ce que Dieu veut et parce qu'il le veut,
cela n'exclut pas la considération de nos besoins. Nos
besoins entrent dans la convenance de la volonté pro-
bable de Dieu. Notre devoir est de tenter ce qui peut y
répondre, mais notre devoir plus élevé consiste à le vou-
loir, non parce que nous en avons l'impulsion naturelle,
mais parce que nous entrons dans les intentions de Dieu;
ce qui est très important, car, dans le premier cas, le trou-
ble succède à l'insuccès, si même il ne le précède pas.
Dans le second cas, nous restons calmes, comme s'il
s'agissait d'une personne inconnue.
L'état où vous êtes en ce moment se rapporte à l'em-
pressement spirituel et à la préoccupation de soi...
Je vous trouve bien occupée déjà et bien peu forte
pour vous voir sans appréhension entreprendre d'autres
— 72 —
œuvres. Vous semblez d'ailleurs poursuivre ce désir plu-
tôt comme quelqu'un qui a soif de quelque jouissance
personnelle, que comme une âme qui cherche la gloire de
Dieu et le bien des âmes pour tout bien.
Cette réserve faite, je n'entends nullement restreindre
votre liberté; je dirai même facilement qu'une expé-
rience ne me déplairait pas, car je suis porté à croire que
là aussi vous éprouverez des déceptions... Chez vous les
débuts sont toujours pleins d'enthousiasme, et dans toute
œuvre la recherche personnelle amène infailliblement le
découragement.
Croyez, mon enfant, que je vous rends justice largement ;
je vous vois faire de grands actes de vertu, mais on peut
faire- beaucoup d'actes de vertu sans avoir une vertu
affermie. Or la solidité et par conséquent la puissance
réside non dans les actes, mais dans la vertu qui en est
le principe normal. D'autres principes peuvent faire pro-
duire les actes : les uns sont bons, mais passagers, comme
le désir de faire plaisir à Dieu, l'amour sensible, la volonté
du sacrifice (les actes répétés et non contredits établis-
sent la vertu à la longue; mais tant que la vertu n'est pas
établie, il y a danger); d'autres motifs peuvent s'y ajou-
ter malheureusement, et vous en connaissez plusieurs.
Ceux-là altèrent la vertu quoiqu'ils soutiennent les actes
du moment. La vertu est la facilité du bien. Du moment
que le bien coûte trop, c'est que la vertu est faible, voilà
la doctrine. Il en est de même, quand les crises de tris-
tesse et d'exaspération reviennent assez fréquemment;
il y a lin principe mauvais qui les cause et ce principe est
au dedans : les personnes et les choses sont simplement
l'occasion qui lui en fournit la matière. Puisque je traite
à fond la question de votre vertu, laissez-moi complé-
ter la leçon en vous redisant une chose qui vous afflige.
Certes, ma chère enfant, je souffre de vous affliger, mais
je ne crois pas que vous ayez attaché à mes craintes
toute l'importance qu'elles méritent. Eh bien oui, je suis
inquiet de l'avenir et je ne cesserai de l'être que lorsque
j'aurai vu ces crises dont nous parlions ne plus se
reproduire périodiquement, quand j'aurai vu par consé-
— 73 —
quont que l'amour de vous-même étant devenu mo-
déré ne produit plus de récoltes intérieures. Je vous ai
vue vous dégoûter de bien des choses et de bien des per-
sonnes! Je vous ai vue bien tentée de vous éloigner do
moi, et tout cela venait toujours du même principe : du
manque de vertu. Vous en faites des actes, mais vous en
détruisez Veffet par mille imprudences intimes, comme
jugement des personnes et des intentions, comparaison
avec d'autres, exigences aussi, tout en croyant n'être que
juste, etc., car vous en parlez trop, même quand vous
m'en parlez à moi.
Il faudrait faire disparaître de son âme les sentiments
répréhensibles, comme l'on fait disparaître d'une chambre
les vilains objets à l'arrivée d'une personne qu'on^veut
recevoir avec honneur.
De grâce, faites que Notre-Seigneur, que vous aimez, ne
les aperçoive pas lui-même ou seulement durant le temps
qu'il vous faut pour les chasser. Vous l'aimez, vous vous
êtes donnée à Lui, vous avez l'ambition sainte de vivre
pour Lui et de Lui. Vivre pour Lui, c'est peu vous
considérer vous-même. Vivre de Lui, c'est n'avoir pas
besoin d'autre chose, acceptant ce qu'il donne soit de lui,
soit des autres, et ne vous tourmentant pas de ce qu'il
refuse.
Peut-être, ma chère enfant, trouvez-vous que je vous
montre un idéal trop élevé; que je vous presse trop pour
vous forcer à l'atteindre?... Je ne sais le temps que j'aurai
pour vous y conduire; peut-être cédè-je un peu à cette
hâte qu'on a, le soir, quand la nuit tombe, de faire rentrer
en sûreté ce qu'on a de plus cher. Vous me rendrez cer-
tainement pleine justice un jour, et, si jamais vous vous
trouvez après moi dans ces mêmes dégoûts de personnes
et de choses connues, dans ces mêmes rêves vagues de
pensées et de choses nouvelles, où vous trouverez, ce
vous semble, le repos, relisez cela et remettez-vous
tout uniment à aimer, avec Notre-Seigneur, ce qu'il vous
donne à aimer et à souffrir.
— 74 —
XXVI
Ma chère enfant,
Je ne sais pas ce que j'aurais fait dans votre situation
à M., mais je sais bien ce que j'aurais voulu faire :
j'aurais accepté tout tranquillement l'observation assez
dure, je n'en aurais parlé à personne et j'aurais tâché de
n'y point penser.
N'y voyant pas un de ces cas où Dieu nous oblige à
nous défendre, j'y aurais vu une de ces bonnes occasions
où l'on peut payer ses vieilles dettes, et j'aurais trouvé
que c'est juste; j'y aurais vu surtout une similitude
avec Jésus humilié et je me serais fait un bonheur de le
suivre à cette faible distance.
Les humiliations de Jésus au Calvaire paraissaient de
nature à le discréditer. La prudence humaine lui eût
crié de les éviter pour le bien de ceux qui devaient croire
en Lui. S'est-il trompé, ou agissait-il d'une façon plus
haute?
Quand on aime beaucoup Jésus, on reste peu sensible
à de si petites blessures. On n'a même pas à se raisonner
et à invoquer des motifs encourageants. Jésus remplit le
cœur et rien ne manque, rien n'atteint profondément.
La vertu d'humilité réside dans l'inclination vers ce qui
humilie.
L'amour de Notre-Seigneur fait qu'on aime tout ce qu'il
a aimé. Chère enfant, soyez grande et que les petits
froissements, les petites préoccupations restent en bas,
loin de vous !
XXVII
Oui, ma chère enfant, votre mission est de consoler et
de soutenir les autres et le moment est venu de vous ou-
blier totalement. Prêtez à Dieu un instrument désap-
proprié de lui-même, apte à recevoir pour les autres.'
Que de choses utiles nous aurions dites au sujet de
— 75 —
telle œuvre et de telle âme si nous n'avions dépensé notre
temps et épuisé notre attention à des redites plus qu'inu-
tiles! et cela est revenu périodiquement comme l'effet
d'un mal qui n'est qu'assoupi, non guéri.
Le divin Maître vous prie de vous occuper de Lui, de
son isolement de cœur, des âmes qui ne le connaissent
pas ou qui l'aiment trop peu.
Que pense-t-il quand il vous voit tout absorbée par
vous-même, toute troublée de fond en comble, rendue
malade par les blessures de l'amour-propre?... Il y a des
âmes que rend malades la souffrance de ne pas voir
Jésus. Ce sont des âmes d'exilés qui se soucient fort peu
de ce qu'on pense d'elles! Il n'est pas rare que ces âmes
trouvent leur consolation, en attendant le Ciel, à souffrir
et à être humiliées avec le Jésus de Nazareth et du Cal-
vaire. Lesquelles sont les plus vivantes?
Oh ! quelle sagesse ! prendre la dernière place, car
personne ne la dispute, et, après l'avoir choisie, on ne
s'étonne de rien.
A quoi me sert de me comparer aux autres? Et de quel
œil Jésus nous voit-il nous préférer à plusieurs?
Si vous n'étiez pas appelée à la perfection, je ne vous
tiendrais pas ce langage et je trouverais votre vie bien
et louable, en la comparant à l'ensemble des autres; mais
vous ne doutez pas plus que moi de cet appel. Décidez-
vous enfin à donner tout pour avoir tout. Je souffre
quand je vous vois irritée contre l'humanité. Je souffre
lorsque je vous vois vous comparer à d'autres, car
aujond le résultat est que vous vous préférez à elles;
je ne puis admettre que l'Esprit qui doit inspirer tout
sentiment pour qu'il plaise à Dieu, vous inspire ceux-là,
et alors, mon enfant, c'est la nature qui vous dirige ! Le
voulez-vous?
« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur,
et vous trouverez le repos de vos âmes. » Quand le repos
a disparu, cherchez bien et vous remarquerez que vous
avez failli au précepte du Sauveur.
J'aurais préféré vous voir, par obéissance, garder le
silence. Ecrire ne vous est pas meilleur que penser, quand
— 76 —
il s'agit de vos peines. Je réponds parce que je n'aurais
pas le courage de vous laisser trop souffrir. — Revenez à
l'entier abandon à Dieu et à la simple obéissance.
XXVIII
Ma chère enfant,
Je me réjouis de vous voir revenue au calme. L'épreuve
a été pénible et longue. Le démon jaloux a fait travailler
la vieille nature, et le bon Dieu l'a laissé faire pour vous
ouvrir les yeux sur ce que vous seriez sans lui.
Peut-être aurez-vous aussi connu que vous n'avez pas
encore compris l'obéissance. — Telle que vous l'avez
pratiquée, elle ne vous a guère servi que lorsqu'on était
d'accord avec vous : voilà pourquoi elle ne vous est plus
un secours suffisant au moment de l'épreuve. Quant au
fond de votre nature, méditez sans cesse cette première
parole de l'appel : Si quelqu'un veut venir après moi,
qu'il se renonce. Que penser d'une âme appelée et qui se
dit : Je n'ai pas ce qu'il me faut en fait d'estime et d'affec-
tion? — Cela revient à dire : Dieu ne me donne pas ce
qu'il me faut. — La règle est en effet celle-ci (je vous l'ai
dite et redite) : ce qu'il nous faut, c'est ce que Dieu nous
donne. S'il nous donne telle bonne affection, tel degré de
confiance témoignée, acceptons-la avec simplicité; s'il
donne peu, disons que c'est bien et ne désirons pas avec
inquiétude qu'il donne davantage. Ne sondons pas l'ave-
nir pour savoir s'il en sera toujours ainsi.
XXIX
Ma chère enfant,
Votre lettre d'hier m'a tellement affligé que je n'ai
pas dormi cette nuit.
Vous ne vous doutez pas, non vous ne vous doutez pas
— 11 —
de la sensibilité de votre amour-propre et des illusions
qu'il vous donne ainsi que des jugements faux qu'il pro-
voque. Placé à distance, je vois cela avec une telle clarté
que j'en suis inquiet depuis longtemps. Je vous le dis et
vous ne me croyez pas, parce que vous ne voyez pas ainsi;
vous préférez votre appréciation à la mienne, ou bien
vous recourez, à la défense enfantine qui consiste à dire,
même à un homme de mon âge, capable de penser par lui-
même : « vous vous laissez influencer ! » Finalement, vous
vous en prenez à moi, au lieu de vous en prendre à votre
amour-propre, et vous osez me dire : Vous serez cause
que j'abandonnerai tout!
Dieu m'est témoin que je n'ai jamais cherché autre
chose que votre bien et mon expérience m'apprend que si
vous ne brisez pas votre orgueil, un four ou l'autre, vous
abandonnerez tout en effet; oui, tout, et jusqu'à ces senti-
ments que vous avez pour le divin Maître, et peut-être
jusqu'à la foi elle-même... Et vous voudriez que je tolère
un tel danger?... Je vous le répète, vous ne voyez pas à
quel point votre amour-propre vous trompe sur les per-
sonnes et les choses.
Une obéissance si nple et confiante vous est nécessaire.
J'ai trop raisonné avec vous : ne l'exigez plus à l'avenir,
je vous en prie.
Si vous vous débarrassez de cet ennemi, vous ne per-
drez plus ni la paix, ni le temps qui vous est donné pour
aimer.
Vous voyez bien que Jésus vous aime puisque, malgré
tout, il vous laisse l'immense désir de l'aimer. Vous voyez
bien aussi que je tiens à vous, car j'aurais eu bien des
occasions de me retirer.
Je vous bénis d'un cœur de père qui vous reste bien
attaché.
XXX
Ma chère enfant,
Il n'y a aucun doute à avoir sur mes intentions: mes
paroles el mes lettres précédentes en font foi. Mais la
— 78 —
tentation cache et brouille toutes choses, je viens donc
vous redire que je ne vous veux ni anéantie, ni inactive
pour le bien, je vous veux simplement dépendante, mais
dépendante résolument, c'est-à-dire faisant de tout cœur
le bien que Dieu vous demandera par les circonstances
et acceptant sans trouble et surtout sans jalousie de
n'être pas appelée à faire tel autre bien. Je veux que vous
mettiez la volonté de Dieu à la place de la vôtre, voilà
tout, et que vous n'envisagiez que son bon plaisir, pas vos
préférences.
Vous vous persuadez, ma chère enfant, que je vous
crois incapable de tout et que je voudrais vous immobili-
ser dans la seule occupation de Dieu en vous ! Je suis loin
d'avoir cette idée et ce plan. Hier même, je disais à
Sœur X. combien j'étais heureux de voir le bien que
vous faites, et elle reconnaissait avec moi que vous aviez
transformé telle et telle. Je n'aime pas beaucoup, il est
vrai, vous donner des louanges, car l'amour-propre est
votre grand danger, mais je le fais en ce moment pour que
vous ne restiez pas dans le découragement. Si vous deve-
nez humble et dépendante de Dieu, vous pourrez faire
beaucoup pour les âmes et sans dan jer pour vous.
Le rôle d'un père n'est pas de songer à ce qui lui revient
soit de ce qu'on dit de son enfant, soit de la satisfaction
ou de la peine qu'elle lui témoigne; son rôle est de vou-
loir avant tout, et malgré tout, le bien de son enfant.
XXXI
Ma chère enfant,
Je vous en prie, faites-moi crédit, laissez-moi vous con-
duire comme Dieu me l'inspire. Ne songez pas à ce que
vous souffrez, il faut le souffrir, et cela passera. Ne dites
pas : mon père ne me comprend pas en ce moment, il
ne sait pas combien il me décourage, il ne me prend pas
comme il faut. Encore une fois, faites-moi crédit.
C'est vous, ma chère enfant, qui ne comprenez pas en
— 79 —
ce moment le danger qu'il y aurait à rester ce que vous
avez été cette année : difficile pour les autres, trop occu*
pée de vous, pas assez humble. J'ai vu le danger, je vous
l'ai signalé, vous n'en mesurez pas assez l'étendue. Lais-
sez à mon expérience le bénéfice de la présomption, en
faveur de ce qu'elle vous dit.
Je voudrais vous mettre un instant à l'école de saint
Philippe de Néri. — Ce saint avait le cœur le plus aimant
pour Notre-Seigneur, et il était baigné souvent de consola-
tions ineffables, et cependant le cri de ce cœur était sans
cesse : Mon Dieu, je suis capable de vous abandonner, de
vous trahir... je le sens, j'en tremble, mais je ne le veux
pas et je vous supplie de me bien tenir. Chaque soir, il
remerciait Dieu de l'avoir préservé, et poussait un soupir
de soulagement, et ainsi tous les jours. Donc, la crainte
de soi n'empêche pas l'amour, il lui est plutôt un sti-
mulant... quand on est humble.
Quand on est humble, on se craint; mais comme on
compte sur Dieu, on est ainsi rassuré et plus même quo
par la considération confuse de sa propre solidité.
Quand on est humble, on juge mieux les autres; on
se plaint moins d'un manque d'attention et l'on s'épar-
gne des souffrances peu profitables.
Je vous ai dit les alarmes que m'a inspirées cette
année... je dois en maintenir l'expression. — Il faut
que -vous changiez, Dieu vous montrera comment et vous
y aidera; mais ne commencez pas par vous apitoyer
sur vous-même, sur le mal que vous souffrez, sur le décou-
ragement que vous subissez et dont vous cherchez la
cause dans la manière dont je vous traite.
Les crises que vous avez traversées viennent toutes
d'un manque d'humilité, mais vous ne l'avez pas constaté.
Reprenez donc avec vaillance votre drapeau qui porte
ces mots : j'ai choisi d'être la dernière dans la maison
de mon Dieu.
Vous ne serez pas la moins aimée.
Je vous bénis de tout cœur.
— 80 —
XXXII
Ma chère enfant,
Si le divin Sauveur daignait se tourner vers vous,
comme il le fit vers Madeleine au jardin de la Résurrec-
tion; s'il vous appelait par votre nom; à ce mot : Marie !
vous seriez à ses pieds, oubliaîit tout. Or, c'est cet oubli
qu'il faut obtenir, s'il n'est point dominé; c'est en vous
persuadant bien que vous êtes aimée de Dieu qu'il faut
y tendre. Je vous le répète donc avec assurance : malgré
l'imperfection de votre pauvre nature orgueilleuse qui a
confusément entraîné votre volonté, vous restez aimée
et très aimée de Jésus.
Puisque nous pouvons être aimés, quoique très impar-
faits et très pauvres, que vous importe que l'imperfec-
tion vous soit laissée comme moyen d'humilité? N'est-ce
pas une double grâce?
Ma pauvre enfant, vous portez avec vous un tel bagage
d'exigences que vous en êtes écrasée. Vous ressem-
blez à une personne qui voudrait prendre toutes ses pré-
cautions contre la faim, le froid, le chaud, etc., et qui
emporterait tout un attirail de cuisine, de literie... Puis-
que Notre-Seigneur vous dit de le suivre, que voulez- vous
de plus? il veillera à vos besoins de demain. Dégagez-
vous de toute préoccupation et ne songez qu'à L'aimer.
L' Imitation dit qu'il vous faut être libre comme le
petit oiseau. S'il lui prenait fantaisie de se charger de
tout ce dont il peut avoir besoin, pourrait-il voler?
Pas de lendemain anxieusement prévu, c'est une injure
à la paternité de Dieu ; comme le petit oiseau, vivez et
chantez : l'amour est le chant que Dieu vous demande,
et ne songez pas à autre chose. Les circonstances vous
indiqueront à chaque jour quelle est la volonté de Dieu
et ce que vous pouvez faire pour son service.
Ne pensez plus à vous, pas même pour examiner ce qui
est ou a été défectueux.
« Pense à moi, je penserai pour toi. » Depuis combien
— 81 —
de temps ne vous ai-je pas proposé cette devise et quelle
ne serait pas votre paix, et votre perfection, si vous l'aviez
appliquée !
XXXIII
Ma chère enfant,
Je n'ai jamais douté que vous ne puissiez faire du bien
aux âmes : vous êtes pleine de cœur et de dévouement,
vous prenez de l'expérience. Quand vous serez humble,
je serai content. Faire du bien aux âmes, à beaucoup
d'âmes, et n'être pas humble est un danger effrayant;
souvent ce bien n'est du reste pas solide. Dieu n'agit
ordinairement que par les humbles, j'en reviens toujours
là : cultivez l'humilité. Ne voyez dans ce conseil renou-
velé aucune arrière- pensée, je n'en ai pas. Vous feriez
des miracles, vous attireriez des millions de personnes
à Jésus; si vous n'étiez pas humble, je resterais triste
et inquiet.
Supposez, ma chère enfant, que, dans quelque temps,
Dieu vous envoie l'épreuve de la sécheresse la plus com-
plète et que cette épreuve dure des années. Plus aucun
sentiment d'amour intime; plus même, ce semble, aucun
désir d'aller à Jésus ! Si vous êtes humble, je ne craindrai
rien. Si vous ne l'êtes pas, vous serez grandement exposée
à vous décourager tout à fait. Cette épreuve vous a été
épargnée. Dieu si bon, si père, savait bien que vous n'a-
viez pas la force de la supporter longtemps. .
Lisez les sentiments que saint Vincent de Paul avait de
lui-même. Ce qu'il en dit a un tel caractère de vérité
qu'on en est ému.
Si vous voulez suivre Jésus, soyez comme lui; choi-
sissez Bethléem et sa crèche; suivez-le dans l'abaissement
de ses trente années vulgaires et, si Dieu vous appelle à
faire du bien, c'est Lui qui viendra vous prendre comme
par la main, c'est-à-dire par les circonstances et par
l'appel des personnes qui le représentent. Jésus a attendu
trente ans !
— 82 —
xxxiv
Ma chère enfant,
Je suis heureux de vous savoir en un lieu où la religion
est en honneur, où vivent de belles âmes qui vous aiment,
et où vous avez trouvé un prêtre capable de vous soute-
nir.
Je suis heureux aussi des dispositions où je vous vois.
Ah ! que cette humilité est attendue de Dieu ! qu'elle vous
est nécessaire ! Votre vie spirituelle continuerait triste-
ment à être précaire, si elle n'était appuyée sur le senti-
ment de votre pauvreté, le détachement de ce qui vous
est personnel et l'acceptation douce de toute volonté de
Dieu.
Ne vous étonnez pas, ma chère enfant, de me voir vous
demander toujours le détachement; vous ne savez pas
jusqu'à quel point vous en manquez, et quoique j'aie été
sévère, je ne vous ai jamais tout dit. Ne sentez-vous pas
qu'il doit en effet se trouver dans votre fond quelque vice
cach é, puisque vous ne pensiez pas à vous établir dans la
vertu? Ce vice caché à vos yeux, c'est un extrême atta-
chement à vous-même, surtout du côté de la recherche
de l'estime et de l'horreur de la souffrance. Si vous
deveniez humble et détachée, vos scrupules cesseraient
peut-être, mais seraient sûrement diminués. Vous ne
comprendrez qu'alors l'obéissance et vous y trouverez
le repos.
XXXV
Ma chère enfant,
Faites une confession aussi humiliante que le pourra
être la vérité, et sincèrement humiliante; en disant
des fautes humblement, ne cherchez pas à faire dire :
voilà une âme généreuse. Si l'on vous croyait plus cou-
— 83 —
pable que vous ne l'êtes, il faudrait simplement rétablir la
vérité.
Il ne faut ni rester dans l'indifférence de l'attente, ni
vous permettre des lectures dangereuses; l'indifférence
de l'attente ne convient pas à une âme qui a la raison pour
agir, et la distraction de lectures dangereuses serait à
la fois la perte de votre conscience et la déception de votre
cœur.
Vous êtes dans l'épreuve de la tentation et de la souf-
france depuis longtemps, vous avez peut-être un peu fai-
bli... Dieu aurait pu vous abandonner, s'il ne vous avait
pas tant aimée. Il ne faut pas laisser la désorganisation
se produire; jusqu'à présent, elle n'a été qu'une menace;
si l'état actuel se prolongeait, il est à craindre qu'elle
le devienne en toute réalité. Or l'Evangile dit : « Si le
sel s'affadit, avec quoi lui rendra-t-on sa saveur!... il
ne sera bon désormais qu'à être jeté à l'abandon. » Vou-
driez-vous tomber en cet état?
Faites- vous bien humble devant Dieu; aimez à lui
redire combien vous méritez de n'être plus aimée de Lui,
mais ajoutez avec confiance : Vous ne m'avez pas donné
un grand cœur pour que ce cœur ne soit pas à vous
finalement et qu'il s'égare ou s'anéantisse, je veux enfin
Vous le donner résolument.
XXXVI
Ma pauvre enfant, que faites-vous à penser ainsi tou-
jours à vous? Eh! pourquoi voulez-vous que vos amies
perdent le boire et le manger parce qu'elles vous plai-
gnent? Le plus sûr moyen de perdre ses plus sûres amitiés,
c'est de leur trop demander. On vous aime, on prend part
à vos peines et avec cela on vit et on prend les distractions
du moment. Je pourrais vous dire : ne comptez pas trop
sur les créatures et tournez-vous vers Dieu,. qui seul ne
vous manquera jamais; j'aime mieux vous voir aller à
Lui autrement que par le mépris des créatures. Soyez
donc indulgente pour ces pauvres êtres d'un jour. On
leur trouve toujours de bonnes qualités, quand on aime
Dieu et qu'en Lui ou a la paix, et la juste mesure. Eloi-
gnez-vous de vous-même, je vous le demande; apprenez
en-fin cette première leçon du divin Maître : « Que celui
qui veut venir après moi se renonce. » Oui, vous voulez
aller à Notre-Seigneur. Eh bien, renoncez-vous ! Qu'il ne
soit plus question de vous ! Faites et acceptez chaque
chose comme venant de Lui; occupez- vous toujours, et
quand les pensées noires vous envahissent, offrez à Dieu
ce tourment et détournez-vous de vous-même.
Si vous n'êtes pas riche de biens, vous pouvez dire
avec joie : bienheureux les pauvres, le royaume des
deux leur appartient. La richesse donne de l'amour-
propre et la facilité de suivre tous ses goûts, choses qui
ne sont point chrétiennes.
XXXVII
Ma chère'enfant,
Il nous faut avant tout considérer ce que Dieu désire
de nous; ce que nous aurons à souffrir ne doit pas entrer
en ligne de compte. Son bon plaisir, sa plus grande gloire,
voilà notre objectif. Où se trouvent-ils dans cette circon-
stance? Nous allons l'examiner ensemble.
Gomme vous, je suis atteint par cette mesure. Quoique
chargé de cette œuvre, je n'ai point été consulté. J'ai
approuvé et encouragé cette petite fête, la jugeant utile
pour tout le monde et étant bien assuré qu'on écarterait
très facilement les petits abus qui peuvent toujours se
glisser dans les meilleures choses. Tout notre plan est ren-
versé, sans qu'il y ait de notre faute; le bon Dieu, sans
doute, daigne nous éprouver, et je suis persuadé que le
fait de notre franche résignation lui sera plus agréable
que ce que„nous préparions.
Rien ne serait plus agréable à la nature que de prendre
quelque mesure violente : vous ne voulez pas nous donner
ceci, nous laisserons même cela ! Tel n'est point mon
— 85 —
avis. Tant que nous venons pouvoir faire quelque bien
par les moyens qui nous sont iaissés, si vous m'en croyez,
nous le ferons, nous jugeant indignes d'en faire davan-
tage et tâchant de mériter que le bon Dieu nous ouvre, un
jour ou l'autre, de nouvelles facilités. Que si nos derniers
moyens nous sont supprimés ou rendus trop difficiles,
nous céderons aux circonstances et non à notre ressen-
timent. Nous devons agir de façon à ne pas provoquer
des mesures de ce genre et nous déterminer, si elles sont
prises, à ne pas nous dépiter et à ne pas récriminer.
Nous tâcherons, à la première réunion, de redonner
du courage à tout notre monde. Pour nous, remercions
le bon Dieu de l'occasion qu'il nous donne de renoncer à
notre volonté.
Votre respectueusement dévoué.
XXXVIII
Ma chère enfant,
Je ne saurais vous savoir dans un état d'abattement
physique et moral sans accourir auprès de vous, ma pau-
vre enfant. Je connais cet état de malaise où vous vous
trouvez tout à coup jetée; rien n'est plus pénible, car
on a toute sa force pour souffrir. Il faut se redire sans
cesse que ce n'est qu'une affaire de temps et qu'avec la
maladie, s'évanouira l'ombre qui plane sur ces sentiments.
La vie ne répond pas à toutes vos aspirations, mais
elle en satisfait ordinairement assez, pour que le cœur et
l'âme s'occupent et ne sentent pas ce marasme qui vous
oppresse actuellement. Vous avez donc votre part des
joies, et avec votre si excellente nature vous en obtien-
drez plus que d'autres; vous aurez autour de ces joies et
au-dessus d'elles la piété et l'espérance. En attendant,
remplissez bien vos devoirs avec fidélité quoique sans
goût, si Dieu veut cette épreuve.
Persuadez-vous bien qu'une telle fidélité sans récom-
pense immédiate est plus belle et plus méritoire que
— 86 —
celle qui est consolée. Si la fatigue s'y oppose, sachez
même laisser quelques-uns de vos exercices et faites-le
sans scrupule, mais bien décidée a les reprendre dès que,
ce sera possible.
Si vous ne pouvez assez surmonter votre malaise pour
être aussi aimable que vous le voudriez, n'allez' pas aug-
menter votre mal en vous dépitant d'être ainsi; on sait
bien, autour de vous, que c'est votre état de souffrance
qui vous donne cette expression.
XXXIX
Ma chère enfant,
Voici la réponse de Notre-Seigneur à vos questions un
peu agitées : « Ma fille que j'aime et sur qui je veille,
accepte ce que je te donne de joie, soit par moi, soit par
les autres; accepte aussi ce que je ne te donne pas.
« Laisse les créatures penser de toi ce qu'elles veulent;
je veillerai sur la réputation qui te sera nécessaire, sur
les besoins d'estime et d'affection qui peuvent être utiles
à ton repos.
« Ce tourment sur ce qu'on pense de toi, peux-tu me
l'offrir? te rend-il meilleure? Quitte-le donc.
«Ne cherche pas à éclaircir cette multitude de remar-
quas au milieu desquelles se noient ta paix et ton amour
pour moi.
« Elève ton intelligence et tes sentiments. — Fais tout
le bien que les circonstances t'indiquent. Si tu fais cela,
tu feras assez.
« Tes pensées autres sentent l'orgueil, la jalousie, la
recherche de la jouissance dans l'estime vaine. Je ne
peux pas les aimer.
« Donne tout pour avoir tout. »
Ne me demandez donc pas à moi des explications que
Dieu juge malsaines.
Plus tard vous verrez et vous n'aurez pas besoin d'in-
terroger.
— 87 —
W, .
Ma chère enfant,
Tandis que vous êtes portée à vous plaindre de Dieu,
je le bénis ! Ce que vous me dites de votre âme est simple-
ment admirable. Quoi, vous avez la conscience de plus
en plus délicate, vous repoussez tout mauvais livre, vous
êtes fidèle à vos devoirs de piété, vous vous appliquez
à être bonne envers les autres et vous voudriez que je
fusse mécontent! Quand je compare ce que vous êtes
avec ce que vous étiez, je constate un immense progrès
et ce progrès est bien assis. Dieu a pénétré dans votre
vie et la domine; vous sentez que vous ne pourriez plus
impunément le contrister; vous sentez que sans Lui vous
ne pourriez pas avoir la paix. Je vois donc en vous la
réalisation de cette belle parole du Pater : que votre
règne arrive.
Pensez-vous que je m'étonne de ces envies de décou-
ragement qui vous prennent et des motifs spécieux sous
lesquels se glissent ces envies? Le démon y est pour la
plus grande part et la nature un peu aussi pour la sienne.
Le démon a intérêt à vous faire tout abandonner et à
vous tromper pour y réussir. La nature, elle, se lasse de
la contrainte et cherche, elle aussi, de mauvaises raisons
pour s'y soustraire. Prenez pour devise : fais ce que dois,
advienne que pourra. Vous êtes trop délicate et trop
grande pour avoir besoin d'une récompense dans le
devoir, surtout d'une récompense de chaque jour. La
raison du devoir est le devoir lui-même.
La facilité et la joie viendront en leur temps. Vous êtes
dans le moule, vous vous y sentez préservée : patience !
vous en sortirez redressée et pleine de vigueur. Laissez
faire Dieu, donnez-Lui crédit.
Au fond, ce n'est pas le besoin d'une récompense immé- /
diate qui vous trouble, c'est plutôt la fausse pensée que
cet état de froideur est un signe que Dieu ne veut pas de
vous. Eh bien! jejvous déclare de sa part qu'il vous
veut bien à Lui, que cette froideur qui vous tourmente
— 88 —
est une épreuve, ou parfois un paternel châtiment pour
vous rappeler à la fidélité. N'est-il pas vrai que vous
auriez le courage, même étant telle que vous êtes, si vous
étiez persuadée que Dieu vous aime particulièrement et
qu'il est content de vous? Eh bien ! ayez bon courage,
car je vous donne cette assurance.
Acceptez le sentiment du vide : regardez-le comme un
effet normal de votre situation passée, sachez bien qu'il
passera et ne soyez pas trop inquiète de le voir persister.
Si vous ne passiez point par toutes ces peines, j'en serais
préoccupé, tant cela est habituel; je me demanderais si
ce n'est pas une illusion.
Donc le règlement sera ainsi bien suivi et il le sera
d'une façon plus décidée. Je vous recommande les invo-
cations durant le jour : « Que votre volonté soit faite. »
Demandez aussi à Dieu de vous pardonner et le passé et
les fautes qui échappent encore. Soyez bonne pour les
vôtres; veillez sur la piété de votre petite J., et priez
aussi pour votre bien respectueusement dévoué.
, XL!
Certes, mon enfant, je serais aveugle si je ne consta-
tais pas en vous de très grands changements, et je serais
tout autre que je ne suis si je ne m'en réjouissais pas
beaucoup. Je reconnais qu'à côté de cela il y a souffrance
et épreuve. Faut-il le dire, de cela aussi je remercie Dieu.
Confiance, faites crédit à Dieu, Il sera bon payeur.
Ne vous écoutez pas trop souffrir, cela fait du mal;
portez votre croix. Je sais qu'elle est très lourde,
mais elle est une croix venant de Dieu. Elle vient de Lui
et elle s'appelle : expiation et réparation. Au fond elle
vient bien un peu de vous ! n'est-ce pas? mais elle est
devenue sainte depuis que vous avez déraciné ce qui l'a-
vait amenée. Quelle grâce de voir que vous ne revenez
pas en arrière et que vous repoussez même l'idée d'un
tel oubli ! Des communions froides ne sont pas des com-
munions nulles. Le premier effet de l'Eucharistie est de
fortifier l'âme; la consolation n'est qu'un effet accidentel.
— 89 —
Je vous déclare que le premier effet est et sera atteint.
J« ne voudrais pour preuve que votre persévérance
actuelle. La contre-épreuve serait dans les résultats de
l'abandon, mais il ne faut pas la faire. Continuez vos com-
munions, je vous le demande de la part de Dieu même.
Ce que vous me faites connaître de Madame votre mère
m'édifie grandement; une de vos paroles éclaire pour
moi toute sa vertu : l'oubli d'elle-même. Imitez-la, ma
chère enfant, rendez les autres heureux et soyez si peu à
vous que vous n'ayez pas le temps de vous apercevoir que
vous souffrez. On s'habitue à ce qui route le plus, en y
persévérant.
QUATRIEME SERIE
I
Vous me faites une bien grande peine, ma chère enfant,
en me donnant lieu de constater une fois de plus combien
vous vous faites de mal. Ah ! je n'avais pas besoin d'être
prophète pour vous dire que vous auriez tant à souffrir.
Allez ! ce dont il faut vous inquiéter, c'est de la fragilité
de votre amour pour Dieu. Laisser vos prières, vos com-
munions, suivre votre nature violente et contrariée; per-
dre la pensée habituelle et douce de Dieu; fermer votre
cœur à la confiance et à l'abandon filial en sa bonté,
est-ce aimer Dieu? Revenez à vous. Je vous ai dit de
chercher Dieu en concentrant en lui vos pensées, votre
affection, votre vie, et voilà que vous pensez à des riens
continuellement, violemment... Répondez-moi, non par
des raisonnements qui n'en finissent pas, mais par la réa-
lisation de la conduite que je vous demande. Faites-le
pour Dieu, qui attend de vous la charité que vous offensez,
— 90 —
et si l'on s'étonne de voire changement, diles que vous
voulez être douce envers tout le monde pour Dieu, que
vous attendez plus de vos sacrifices que de tous vos
efforts à l'extérieur-; que désormais vous voulez vivre pour
Dieu dans la paix au dedans et au dehors.
II
Ma chère enfant,
Je ne vois point que vous ayez péché dans la sépara-
tion si pénible qui a révolté votre sensibilité et votre
fierté naturelles; c'est un orage qui a tout bouleversé
au bas de la montagne, mais sans en atteindre la cime;
vous avez conservé la résignation intacte, et le soleil de
l'amour du bon Dieu n'a cessé de briller sur votre front. Ce
qui laisse l'âme plus longtemps triste après ces épreuves,
c'est la crainte d'avoir été infidèle. Eh bien ! je vous affir-
me que vous ne l'avez pas été.
Il ne vous reste plus qu'à vous rendre bien finalement
aux pieds du bon Dieu et à lui dire avec candeur : O mon
Dieu, puisqu'il est vrai que je ne vous ai pas offensé,
me voilà contente; car de me voir si passionnée, si faible,
j'en prends humblement mon parti, puisque vous ne
permettez pas que mes ennemis me nuisent; si je désire,
si je demande que ces passions se calment et que je
devienne forte, c'est pour que vous soyez moins déshonoré
par moi : les haillons de l'enfant prodigue sont la tris-
tesse du bon père et il se hâte de l'en dépouiller; que si,
au contraire, vous me laissez mes pauvres haillons, je
saurai bien y découvrir de quoi vous trouver bon, aima-
ble et admirable; car que dire d'un père qui ose encore
avoir de l'amour pour un enfant qu'il voit ainsi !
Je n'insiste pas pour vous consoler et vous remettre,
parce que je suis persuadé que cela est fait depuis long-
temps; je me contente de vous indiquer pour l'avenir le
souverain remède : il est dans l'amour de Dieu, quand il
est parvenu à vous unir à lui; alors tout le reste est si
— 91 —
petit, est devenu si froid que les tentations de ce genre
ne se comprennent plus. Le sacrifice, la prière, la pa-
tience, l'exercice quand même de la confiance en Dieu,
en sont les moyens ordinaires.
III
Ma chère enfant,
Puisque vous me soumettez vos craintes sur l'état de
votre âme, il est de mon devoir d'en juger, afin que vous
connaissiez pleinement la volonté de Dieu, j'ose même
dire le jugement qu'il en porte lui-même : je vous affirme
que vous n'êtes point dans la tiédeur.
Je crois même que la tiédeur n'est pas le danger de
votre état de conscience. Cette crainte d'y être déjà ou
d'y pencher me semble une tentation. — Le démon vou-
lant vous entraver, vous empêcher de bien prier, de bien
vous confier en Dieu, de bien l'aimer, et ne pouvant y
réussir de vive force, emploie la crainte, la tristesse, il
le présente sous une apparence de bien; il vous fait dire :
je suis dans la tiédeur, je dois en sortir, et comme au con-
traire je m'y enfonce, je ne puis me croire agréable à
Dieu; je ne puis lui dire que je l'aime; et alors le démon
insinuera la tristesse, Y accablement et une sorte de décou-
ragement qui paralyse : c'est là sa vraie tentation, et il
en use, selon son habitude, en ennemi perfide. Il vous
tente, en effet, de ce côté-là de préférence en ce moment,
parce qu'il voit que déjà, par l'effet de la maladie, la nature
y incline; de même qu'il tenta de gourmandise Xotre-
Seigneur, après un jeûne de quarante jours qui l'avait
fort affaibli.
Votre tactique doit être justement le contraire de la
sienue, et plus vous êtes portée à la tristesse, plus vous
devez animer et multiplier vos actes de confiance, d'ac-
ceptation, d'abandon et d'intime contentement d'être à
Dieu. Dans la conduite de son âme, somme dans tonte
entreprise, il importe de prendre et de maintenir une
— 92 —
ligne de conduite simple et de ne s'en point laisser détour-
ner par les apparences ou accidents de chaque jour.
Votre ligne de conduite dans cet état de maladie qui
entraîne tant de conséquences pénibles, c'est le conten-
tement de la volonté, la confiance en l'amour que Dieu vous
porte et l'abandon par amour filial : en un seul mot,
vous faire et vous tenir contente et ne point vous en laisser
détourner par quoi que ce soit sous aucun prétexte. — C'est
comme un voyageur, sûr d'être bien renseigné au départ,
et qui, traversant un pays ennemi, se garde bien de se
laisser détourner par les renseignements plus ou moins
suspects qu'on lui fournit sur la route. S'il lui arrive par-
fois de s'en écarter de quelques pas, il ne fait qu'une
chose : il revient à la route adoptée.
Un mot sur la tiédeur, non pour vous rassurer par le
raisonnement, mais pour vous instruire. — Je ne dis point
que le questionnaire du Père Faber n'ait pas de valeur,
mais il expose à s'embrouiller. La tiédeur est caractérisée
par le péché véniel volontaire et fréquent. On incline à la
tiédeur (sans y être pourtant) quand la volonté s'affaiblit,
à l'égard du péché véniel, ce qui arrive ou par le manque
coupable de prière ou par des condescendances coupables
à la nature. Notez bien le mot : coupable, car dans votre
état de maladie les prières, et surtout la régularité à les
faire, sont impossibles, et par contre, vous devez avoir
pour votre santé des ménagements. — Pratiquement,
je vous conseille de prendre pour objectif, en fait de priè-
res, les oraisons jaculatoires, en fait de mortifications,
l'acceptation contente de la maladie et de ses suites. La
fidélité à ces deux exercices suppose et entraîne tout le
reste dans la proportion voulue de Dieu.
IV
M;» chère enfant,
Si je voudrais vous consoler! vous montrer combien j<
souffre de votre douleur ! y apporter de l'espérance
Dieu seul le sait.
— 93 —
Tenez vos regards fixés sur le Sacré-Cœur de Jésus dans
lequel la miséricorde est incarnée; jugez son cœur d'après
le vôtre si infiniment moins bon et jugez si vous seriez
restée sourde à la prière que vous eût adressée un ami,
vous offrant sa vie, vous implorant avec toutes les res-
sources de son affection et san« relâche ! Je ne peux dou-
ter que votre prière n'ait été exaucée, car elle réunissait
toutes les conditions voulues. Il est vrai que lorsque
notre prière est pour les autres, son effet n'est pas néces-
sairement efficace parce que la grâce de conversion étant
obtenue et offerte peut n'être pas acceptée par une
volonté qui reste toujours libre, mais Dieu a tant de
secrets moyens d'agir sur cette liberté sans la violenter !
Or il en use d'une façon qui réussit toujours quand la
prière qui l'a provoquée est assez ardente; c'est une plus
grande grâce; mais qui peut l'espérer, si vos larmes,
votre générosité, votre constance, ne l'ont pas obtenue !
Bien plus, il n'est pas contraire à l'enseignement de la
foi, de dire avec certains auteurs qu'aux derniers
moments, même en dehors de l'intervention toute-
puissante de la prière, Dieu fait un dernier effort de
miséricorde, et met l'âme en demeure de se prononcer
entre lui et son obstination. Or, que ne pas espérer d'une
âme droite! et comment désespérer tant soit peu d'une
âme pour laquelle on a tant prié, tant souffert !
Dieu ne donne pas de certitude en ce monde, même aux
saints, sur leur état de grâce, afin qu'ils "lui confient leur
âme, qu'ils la remettent avec mérite entre les bras de sa
miséricorde. De même il ne veut pas donner une plus
grande certitude sur le salut des âmes que nous perdons,
afin que nous ayons à lui remettre, d'une façon entière-
ment méritoire parce qu'elle est très filiale, les âmes que
nous aimons, et les sollicitudes que nous en concevrions,
si nous ne considérions pas celui qui, en nous les ravis-
sant d'une façon brusque, nous a donné l'occasion de
pratiquer un amour confiant malgré tout, et s'appuyant
avant tout sur sa bonté et sur ses promesses d'écouter
les prières de ceux qui l'aiment. Or, vous êtes de ces
âmes, je vous le promets, ut les imperfections ne l'empê-
chent pas. Vous verrez au ciel les trésors de miséricorde
— 94 —
qui ont fait appeler cet attribut de Dieu un abîme, tant
sa bonté y va loin, tant elle nous réserve de joies ines-
pérées. C'est là, oui là, qu'il faut établir votre tranquil-
lité; c'est là qu'il faut ramener votre âme quand le trou-
ble la saisit : nous sommes de toutes parts enveloppés de
ténèbres en ce qui est du surnaturel, est-il étonnant que
le trouble nous saisisse parfois sur ce point comme sur
tant d'autres ? Mais c'est pourquoi "il faut se faire un
refuge dans le cœur de Jésus et dans celui de Notre-
Dame, sa mère et la nôtre, qui a été présente presque
sans interruption au chevet du mourant et de laquelle est
peut-être venue la grâce décisive ! Pardonnez le désordre
de cette lettre, je ne l'ai faite qu'avec une fatigue extrême,
car je suis malade; tout travail m'est interdit et peut-être
un repos plus ou moins prolongé va-t-il m'être ordonné.
Dieu nous gouverne de si haut que nous ne pouvons
jamais nous étonner de ce qu'il fait ou défait, mais nous
devons et pouvons toujours nous attacher à sa volonté
qui est de faire ce qui ressort des circonstances données,
et nous abandonner pour l'avenir prochain et éternel à
celui qui reste notre père et prend soin des orphelins;
dites-lui avec plus d'amour que jamais : * Notre père qui
êtes aux cieux », et croyez que ce père, qu'il vous avait
donné sur la terre, est sur le chemin d'expiation qui y
conduit; peut-être même est-il au terme : prions. Je dirai
les messes les jours où j'aurai la force de la dire... Dites
à votre mère la grande compassion de mon âme pour
son accablement. En union de prières et de souffrances.
Ma chère enfant,
Que votre âme soit sans agitation, elle peut et doit
toujours rester en paix dans sa partie supérieur!'; de là
• •Ile fait ce qu'elle peut pour mettre ordre dans la partit;
inférieure en tumulte, et quand elle n'y peut réussir, elle
accepte de ne le pouvoir pas; elle ne garde pas le trouble
— 95 —
volontairement; elle se regarde comme bien pauvre et
bien faible, mais non point comme coupable; ne pou-
vant faire dominer la vertu de force, elle pratique celle
de patience et d'humilité, ainsi que la confiance en Dieu
malgré tout. Le trouble n'est jamais légitime, lors même
qu'il s'autorise de tels prétextes de conscience : j'en suis
cause; je suis dans un état qui déplaît à Dieu, etc.. Le
trouble, étant un désordre de nos facultés, ne peut être
l'œuvre de Dieu, ni approuvé de lui. — Donc, quels que
soient les prétextes, dites chaque fois : je n'ai aucune
raison de me troubler; j'ai toute raison de tendre à la
paix, quelque mauvaise que je puisse être. — Quand il
s'agit d'une décision à prendre et que l'on se trouve dans
de grandes perplexités, il faut se dire : il y a toujours,
toujours en toute chose, un moyen légitime de se décider.
Puis, après avoir employé les moyens ordinaires : priè-
res, réflexions, conseils selon l'importance de la chose,
si le doute persiste sur le parti à prendre, eh bien ! vous
croyez toute issue fermée : au contraire, deux portes vous
sont ouvertes; vous avez le droit certain de faire ce que
vous voulez et vous n'êtes nullement responsable de l'er-
reur dans laquelle vous pouvez voir ensuite que vous êtes
tombée en prenant un parti plutôt que l'autre.
Ainsi tixée sur les principes qui règlent la tenue de votre
intérieur et la manière de vous déterminer à l'extérieur,
commencez toujours dans chaque difficulté à vous dire :
je sais que je n'ai aucune vraie raison de me troubler;
je sais qu'il y a un moyen de sortir de là. Pour faire le
bien, on doit saisir avec bonheur les occasions naturelles.
VI
Que ne puis-je, ma chère enfant, vous écrire comme je
le désirerais! souvent, longuement, d'une façon qui fût
consolante! Que je voudrais être saint pour vous rani-
mer! Croyez, du moins, que vous ne me lassez jamais,
que je suis votre âme avec -une véritable affection; plai-
gnez-moi de l'impuissance qui me cloue à ne rien faire
10
— 96 —
de la moitié de ma vie. Je veux que vous soyez bien sûre
de mon vif intérêt, afin que vous soyez libre, aisée comme
une véritable enfant. Si de lourds nuages apparaissent
parfois sur mon front, quand vous me parlez, soyez bien
persuadée que vous n'êtes pour rien, comme cause ou
occasion : une sorte d'état maladif y est pour beaucoup.
— Maintenant, ma chère enfant, allons au fond de votre
état : vous souffrez de bien des côtés; depuis la mort de
votre père, vous gardez le vif sentiment de cette affection
saignante : l'incertitude de votre avenir, les misères de
l'âme, les contrariétés de la famille, etc., etc. Or, quand
on souffre on est extrêmement porté à voir tout en noir
et on subit cette impression, même en regardant le ciel.
Aussi, selon ce que l'on éprouve, Notre-Seigneur n'est
plus la bonté, la pitié, l'amour incarné : ce serait témérité
d'aller vers lui avec abandon..., etc. Cette impression,
je vous le répète, est un pur effet de ce noir que produit
la souffrance. Réagissez donc contre ce sentiment, faites-le
d'une façon décidée, constante. Ne savez- vous donc plus
que nous sommes dans Vétat d'enfance et qu'il est naturel
à, cet état de tomber souvent à terre, d'avoir peu de
consistance et de valeur? Et Notre-Seigneur n'est-il pas
comme la mère dont la charge est de relever sans cesse
et d'aimer toujours?
Honorez Dieu par votre confiance, portez cette con-
fiance filiale jusqu'à une sorte d'insouciance. Je trouve
que vous réfléchissez et raisonnez infiniment trop, vous
vous regardez sans cesse ! — Non, Notre-Seigneur ne
s'est pas retiré de vous : la pensée d'un tel délaissement
de sa part lui serait une injure. Eh ! ne voyez-vous pas,
ma chère enfant, que vos imperfections, vos misères,
vos résistances accidentelles, n'empêchent nullement que
vous soyez à Lui! Pour n'être plus à lui, il faut l'avoir
voulu formellement. Et vous ne l'avez voulu d'aucune
manière, puisque vous le craignez tant. J'aime la fermeté
à son règlement et à ses résolutions. Faites en cela ce que
vous conseilleriez à une autre, si elle était à votre place.
Pour les lectures profanes, ne vous laissez pas aller à
les prolonger au-delà du temps laissé par vos devoirs. En
— 97 —
prenant le livre, ce serait bien de dire : je ne dépasserai pas
telle heure, pas même d'une minute. Il y a là prudence
et mortification.
VII
Ma chère enfant,
Ne vous étonnez point de vos fautes, Dieu les regarde
avec miséricorde; ne vous inquiétez point de la pensée
que vous serez toujours aimée, Dieu change souvent en
un moment, plus souvent peu à peu sans qu'on s'en
aperçoive. Mettez donc la modération, même dans votre
désir de devenir meilleure; dans votre combat, dans vos
défaites même, la patience envers soi-même vient à bout
de tout; cette question de caractère violent ne doit pas
vous effrayer, vous serez généreuse de la manière que nous
réglerons; vos dispositions sont bonnes, vous serez pra-
tique, et Dieu vous bénira dans vos efforts. Il deviendra
tout pour vous et vous laissera aimer ce qu'il veut déjà
que vous aimiez. Le mieux est que vous fassiez la sainte
communion telle que vous êtes : la faisant, n'ayez
aucun trouble, mais beaucoup d'humilité et de soumis-
sion confuse; faites-vous précéder et accompagner par la
Très Sainte Vierge qui vous aime tant. Je vous plains bien,
sans être en peine de votre conscience; vous souffrez de
vos imperfections et, en plus, des fautes de fragilité. —
Ne perdez pas votre temps en de vaines agitations; on
peut avoir des scrupules sur certains points, tout en
étant peu fidèle sur d'autres; or, pour vos confessions et
vos communions, vous êtes scrupuleuse, ce qui vous
les fait moins bien faire. Pour les communions, sachez
vous passer de ces sentiments qui sont une récompense
ou quelquefois un effet d'imagination; le mieux est de
renouveler aux pieds de Notre-Seigneur nos principales
résolutions, d'exposer simplement nos besoins, d'exprimer
nos désirs de mieux l'aimer et le servir. Je vais bien
demander à la Très Sainte Vierge la grâce que ces paroles
et vos prières vous donnent la paix. Dieu n'éprouve
— 98 —
jamais au-delà des forces; ne vous abandonnez pas vous-
même; j'attends de vous de la générosité.
VIII
Vous ne vous attendiez pas, ma chère enfant, à être
inébranlable, à ne plus vous laisser entraîner passagère-
ment; relevez-vous donc chaque fois avec votre même
résolution. Votre grand mal, c'est le découragement et.
la tristesse; sortez-en tout de suite : beaucoup d'actes
intérieurs d'amour de Dieu chaque jour, et voyez, dans le
doux support des imperfections d'autrui, de vrais actes
d'amour de Dieu : je suis heureuse d'avoir ceci à suppor-
ter, c'est pour vous.
Faites-vous calme, mais n'employez pas la violence
pour produire le calme; supportez sans trouble ce qui ne
peut se soumettre à votre volonté; ne vous croyez point
mauvaise parce que beaucoup de choses échappent
ainsi à votre surprise. Vous attachez trop d'importance
à ces sortes de défections; aimez l'humiliation qu'elles
contiennent, Dieu ne les permet pas pour votre perte.
Comme les paroles et les procédés dépendent plus de
nous que les sentiments, soyez bien maîtresse de vous
sur ces deux objets. Encore en cela, la promptitude de
votre caractère peut vous tromper souvent; désavoue/,
souvent cette conduite, ces écarts... Ne vous laissez pas
décourager, ni même attrister, mais soyez pratique et
proposez-vous d'employer à mieux vous retenir les efforts
que vous dépenseriez à vous désoler.
Je prends bien part à votre douleur; soyez résignée et
soyez confiante. Si Dieu vous montre dans le passé les
torts que vous auriez eus de vous tourner trop vers ceux en
qui il a mis quelques qualités, proposez-vous fortement
de vous attacher souverainement à la source et de n'ai-
mer le rayon et le reflet que d'une façon détachée, vous
en servant, sans y tenir plus que Dieu ne le veut et par
un motif autre que cette volonté. La nature, quand elle
— 99 —
suit ses tendances, nous éloigne de Dieu bien Iristement,
et dans les choses, même les plus saintes, la nature doit
prendre sa direction totale dans la volonté de Dieu et lui
prêter alors toutes ses ressources, mais alors seulement
et dans cette seule mesure. Il ne s'agit donc point de la
détruire, mais de lui faire aimer ce que Dieu veut que
nous aimions, Lui surtout !
IX
Ma chère enfant,
Unissez votre volonté à celle de Dieu vous indiquant
le sacrifice qui vous semble au-dessus de vos forces pré-
sentes. Si vous constatez la difficulté de l'accomplir, que
ce soit sans trouble : vous n'êtes point en face du péché,
mais seulement en face de victoires dont l'étendue déter-
minera la mesure de grâce sur votre avenir. Cette affec-
tion est légitime, elle n'a rien de puéril, mais elle absorbe
trop de votre âme, elle vous lie; elle est trop naturelle
aussi de sa nature et elle produit les mauvais effets de
ces sortes d'attachement : la préoccupation excessive,
les démonstrations, l'ennui, le manque de goût et par-,
fois de soin pour ce qui est le devoir, etc., etc. Je ne peux
pas vous dire : je veux que, dans tant de jours, vous ayez
arraché cette affection. — Ce serait dérisoire, même en
fixant un temps plus long, mais je vous demande de vou-
loir vous en défaire, de vouloir arriver à être libre; alors
cette affection plus tranquille et plus surnaturelle pourra
régner seule. Ce que je vous demande ensuite comme con-
séquence de cela, c'est de vous restreindre peu à peu,
même à l'intérieur, dans vos pensées; redevenez fidèle à
vos exercices et devoirs, — faites beaucoup d'aspirations;
— tâchez de vous vaincre auprès de tous.
Je vous plains de tant de souffrances. Faites que, désor-
mais, Dieu en soit l'objet par la volonté de lui plaire uni-
quement et par la victoire de vous-même dans les détails.
100 —
\
Ma chère enfant,
Quelles souffrances ! quelle tristesse ! quel décourage-
ment ! Que je vous plains, car tout cela est sans fondement
et sera peut-être de peu de mérites devant Dieu. Main-
tenant que je vous peux parler à cœur ouvert, laissez-
moi vous dire, avec toute l'affection et le respect qu'il
renferme pour vous, que vous faussez votre généreuse
nature, en vous abandonnant à ses excès. Il est temps de
vous arrêter; pour cela il faut être pratique et constante.
Si vous regardez l'ensemble de votre conduite depuis
plus d'un an, vous verrez, à votre surprise peut-être,
que vous n'avez pas suivi en pratique la direction que
je vous ai tracée diverses fois. Votre disposition d'obéis-
sance, qui a toujours persisté, vous a caché votre manque
d'obéissance réelle. Vous avez obéi dans plusieurs cir-
constances qui vous coûtaient, il vous a paru que c'était
beaucoup, mais l'essentiel faisait défaut.
Vous vous êtes mise par votre faute dans la tyrannie
de vos impressions. 1° Aimez l'abjection de cet état comme
punition qui, vous faisant souffrir et espérer, vous rendra
les faveurs de Dieu; 2° comme objet de mérite en même
temps, car dès que le motif qui fait accepter cet état se
trouve droit et bon, la punition devient méritoire d'une
augmentation de grâce et de gloire; 3° aimez-la par esprit
de justice, trouvant bon que Dieu vous punisse ainsi,
mais ajoutez toujours l'esprit de confiance, car il punit
par amour et avec- amour, alors même qu'il pourrait
vous livrer aux passions de votre âme; 4° aimez-la comme
le fondement solide de votre humilité pratique et de votre
perfection. — Mais ne suivez pas les violences qui se
déchaînent, ne les envisagez même pas par les réflexions
volontaires; condamnez-les sans examen, mais condam-
nez-les même dans les moments où vous les subissez le
plus fortement; n'y insistez pas sur l'heure, mais, les
— 101 —
ayant ainsi désavouées et condamnées comme par force,
c'est-à-dire par vraie vertu, occupez-vous à autre chose.
■ — Assurément, ma chère enfant, quand on ne se repose
pas en Dieu, on cherche autour de soi, mais rien ne le
remplace. Ne cherchez pas sans vraie raison à savoir ce
que l'on est pour vous, ce que l'on pense de vous. Soyez
assurée que nombre de personnes vous estiment et vous
aiment : ce peut vous être une consolation; remerciez-en
Dieu, mais ne désirez pas que ces sentiments se particu-
larisent sur vous. — Pour les idées, en politique et en
tout, pensez comme Y Église, et où l'Église n'a pas formel-
lement parlé, pensez comme les personnes qui ont l'es-
prit de l'Église, comme les évoques, les bons journaux,
les bons catholiques; sans cette barrière de prudence,
votre propre sens vous tromperait souvent et l'exalta-
tion de votre caractère vous ferait parler d'une manière
trop avancée; on avait remarqué votre changement
d'humeur, quelque chose de brusque, de frondeur; de la
critique, de la moquerie; cela tenait à ce que je vous ai
signalé : sans repos, sans complète adhésion à la volonté
de Dieu, vous altériez un caractère élevé, bon; revenez
vite à cette ferme et tranquille adhésion à la volonté de
Dieu, là est le point central de votre réforme en tout.
XI
Ma chère enfant,
Ne changez rien à vos communions et à vos exercices
de piété/, le seul changement que je vous demande, c'est
de vous établir dès cet instant dans la paisible accepta-
tion de la volonté actuelle de Dieu sur vous et dans un
courageux désir de mener une vie de devoir, sans vous tant
soucier des dispositions de vos sentiments. Voyez en
détail ce qui est de votre devoir et déterminez-vous sim-
plement à l'accomplir sans raisonner le moins du monde.
S'il vous arrive de voir que vous y avez manqué, ne vous
étonnez jamais, et sans perdre de temps à de vains
— 102 —
raisonnements et découragements continuels, proposez-
vous de mieux faire, après vous être repentie tranquille-
ment, que ce soit avec sentiment ou par simple motif
de foi. — Je crois vous avoir dit que pour vos confessions
vous êtes trop rigoureuse; je vous recommande de n'en
jamais douter, ce serait perte de temps et de courage.
Je crois que votre santé et votre peine font un cercle
vicieux, agissant l'une sur l'autre; le calme de l'âme modi-
fiera l'une, et l'autre s'atténuera. Il ne faut pas tant
vous étonner de vos écarts moraux; ils ont souvent pour
cause profonde l'état de votre santé; je ne dis pas que
cela vous disculpe, mais cela fait comprendre les mouve-
ments violents et excuse en partie, si on y accède par fai-
blesse. — Dilatez enfin votre cœur dans notre bon Maî-
tre qui ne cesse de vous attendre les bras ouverts. Votre
pauvre âme ne saurait vivre ainsi resserrée, défiante;
non seulement il vous est permis d'aimer, cela vous est
commandé à vous, bien à vous-même telle que vous êtes.
Si vous vous sentez en faute, votre amour prendra la
forme de regret; si vous vous sentez impuissante, il pren-
dra celle de la supplication : si vous vous sentez bien
misérable, ce sera celle de la p*his vive reconnaissance; si
vous vous sentez toute bouleversée, bors de vous, votre
amour pressera silencieusement la main du divin Maître
qu'elle ne voit pas dans sa nuit, et elle protestera que rien
ne la séparera de lui ; elle se maintiendra paisiblement dans
la ténacité de cette protestation. Que la Très Sainte
Vierge vous secoure.
XII
Ma chère enfant,
Quand même les assauts les plus pénibles vous revien-
draient, vous ne vous en troubleriez pas, vous me les
feriez connaître clairement; vous les subiriez comme les
plus dures et les plus méritoires de toutes les croix, et
tout en désavouant ce qui n'est pas selon Dieu, vous
accepteriez l'humiliation et la peine, comme choses
— 103 —
agréables à Dieu dans ces faiblesses; c'est l'or dans le
sable. Dans quelque état que vous vous sentiez, rappe-
lez-vous d'abord les assurances réitérées que je vous ai
données sur votre état de conscience; puis vous disant
qu'une âme en état de grâce, fût-elle bien agitée, très
imparfaite, peut donnée de la gloire à Dieu, par l'expres-
sion de son amour et de sa fidélité; faites, tous les jours,
un certain nombre de ces actes; faites-les avec cette con-
fiance qu'ils sont agréés et méritoires; portez-vous au
calme par la pensée que Dieu vous aime telle que vous
êtes.
XIII
Ma chère enfant,
Je vous dirai avec saint Paul : « Je me réjouis
« de ce que je vous ai contristés, non de votre tris-
« tesse même, mais de ce que votre tristesse a produit
« un si bon changement. » Oui, mon enfant, vous aviez
besoin de mettre à vos lèvres une garde vigilante. Dans
le cas présent, je ne vois rien à faire : vos réparations
ne répareraient rien, mais attendez les occasions; alors
témoignez de votre estime pour les qualités vraies de
M., sans ajouter comme on a coutume de le faire :
mais elle manque de ceci, etc. Ce serait un devoir de con-
venance et de justice de ne pas laisser parler mal d'elle
devant vous; agir autrement, et surtout dire votre mot,
c'est lui nuire. Quant au caractère qui vous reste vio-
lent, c'est un ennemi à vaincre, à tenir assujetti au moins
comme un esclave dompté, sinon docile; courage! Dieu
se souvient d? vos sacrifices, rien n'en efface le souvenir.
Les fautes sont entièrement détruites et ne revivent jamais.
Vivre pour Dieu est le but suprême, qu'importe la
manière. Dieu veut votre bien et vous aime. Il veut vous
aider, ne vous abandonnez pas vous-même.
— 104 —
XIV
Ma chère enfant,
Dieu ne demande de vous que de le suivre fidèlement et
de l'aimer malgré votre pauvreté et petitesse. Devenez con-
tente dans la partie supérieure de l'âme, dans cette par-
tie dominante qui gouverne l'autre et lui envoie parfois
des clartés, mais toujours des ordres. Tâchez d'être
toujours et en toute chose ce qu'il a le droit d'attendre
de vous, et quand vous ne l'avez pas été, redevenez-le
tout de suite pour le consoler et réparer. Rendez-vous le
cceur.de Notre-Seigneur très indulgent et bon, en l'étant
pour chaque personne. Si loin qu'on soit de Dieu, ce désir
sincère en rapproche aussitôt. Dissipez les craintes sté-
riles; vous n'êtes pas abandonnée de Dieu, l'épreuve
n'est pas l'abandon. Le Seigneur n'a-t-il pas dit : une
mère peut abandonner son enfant, mais moi je ne vous
abandonnerai jamais. Que craignez-vous donc? N'êtes-
vous pas l'enfant de Dieu? enfant faible, moins bonne,
moins charitable, moins confiante qu'elle ne devrait,
mais enfant tout de même et par conséquent aimée,
veillée, pardonnée. — La prière confiante parlant à Dieu
de Dieu, non de soi toujours, s'exerçant à désirer sa gloire
partout, son bon plaisir, se réjouissant de son bien et de
son bonheur; se consolant en pensant qu'il est tant aimé
par d'autres qui suppléent pour nous ! oh ! voilà la prière
qui dilate; laissez ce trop d'examen sur vous et le chagrin
de ce que vous avez à constater ainsi : pensez en Dieu, il
pensera pour vous ! Cherchez Dieu, comme un petit enfant
qui en se réveillant ne voit que sa mère; ne pensez qu'à
cela et non à vos besoins; la mère étant là pourvoira
bien à ceux de l'enfant. — Il n'est pas rare que la méchan-
ceté du démon provoque des craintes semblables aux
vôtres quand nous sommes en bon chemin; donc relevez-
vous dans la confiance.
— 105 —
XV
Ma chère enfant,
Croyez donc que la violence vous met un bandeau sur
les yeux, vous enlève le jugement et la bonté. — Enfin
si vous voulez êtreparfaite, aimez sincèrement avoir le bien
des autres quel qu'il soit et travaillez à le procurer; il y
aura pratique exquise delà charité, mortification salutaire
de votre nature; la paix et la joie régneront en vous et
autour de vous. Vous pouvez beaucoup pour le bonheur
des vôtres et leur avancement.
Je ne saurais trop approuver votre résolution de céder
toutes les fois que la conscience ne vous dit pas qu'il y a
péché véniel à le faire, mais je ne vous regarde pas comme
coupable, même d'un péché léger, si vous ne le faites pas,
quand vous croyez être dans votre droit : vous agissez
moins parfaitement, vous manquez à une résolution,
mais vous n'allez contre aucun commandement. Qu'il
se glisse facilement des fautes dans la persistance que
l'on met à soutenir son idée, c'est très vrai, et que dans
votre cas cela soit, je l'admets, mais il n'y a là que faute
pardonnable. J'ajoute même, qu'à votre insu, vous avez
pu dire des paroles qui ont justifié jusqu'à un certain
point des reproches, mais je vous déclare que je ne vois
pas pourquoi vous avez laissé la sainte communion; je
crains qu'il y ait eu un peu de parti pris en cela, car l'ap-
plication du principe est claire. Laissez donc vos idées et
allez à Dieu avec confiance et en renouvelant votre réso-
lution de céder toujours, la paix de l'âme vaut bien ce
sacrifice, le bon plaisir de Dieu s'y trouve aussi. Aimez le
Sacré-Cœur sans vous laisser arrêter par aucune crainte,
ni par vos fautes. Vous êtes aimée de Lui infiniment plus
que vous ne pouvez aimer personne, et il ferait pour vous
plus que vous ne feriez pour ce que vous aimeriez le plus.
Comment voulez- vous qu'il vous repousse!
— 106 —
X \ I
Ma chère enfant,
Voici votre règle de conduite :
1° Désavouer chacun de ces sentiments quand vous les
remarquez; — le faire paisiblement et simplement : « Mon
Dieu, je désavoue ces sentiments. » Si c'était fréquent,
vous contenter de vous en détourner en pensant à autre
chose, après les avoir désavoués une bonne fois.
2° Agir tout comme si vous ne les éprouviez pas, ne
faisant ni plus ni moins : quelquefois seulement faire une
avance de plus.
3° Employer les moyens généraux : a) prières, neuvai-
nes, communions, pieuses considérations, aspiration de
désir, protestation de votre volonté, etc.; b) bonnes
œuvres faites à celte intention; vous rendre utile ou agréa-
ble au prochain, surtout auprès des vôtres; encourager
au bien vos amies; vous réunir pour faire la lecture spiri-
tuelle parfois, etc.; c) pénitences à cette intention, mor-
tification intérieure surtout, égalité d'âme maintenue;
d) des actes fréquents d'amour et de confiance filiale en
Notre-Seigneur et la Très Sainte Vierge; e* examen.
Examen que vous achèverez et dont vous pourrez vous
servir chaque jour :
1° Ai-je désavoué tout sentiment de rancune, d'aver-
sion? — ■ L'ai-je fait du fond du cœur sincèrement,
l'ai-je fait paisiblement?
2° Ai-je agi dans tel cas, avec telle personne comme
si elle m'était sympathique; parfois même, ai-je fait plus?
3° Ai-je prié avec instances pour me vaincre, tout en
restant paisible, etc. — Ai-je fait quelque bonne œuvre
avec l'intention d'obtenir grâce pour me vaincre? — Ai-je
fait beaucoup d'actes d'amour envers Notre-Seigneur;
d'actes de filiale confiance?
4° Ne me suis-je pas lassée, découragée, irritée? — Me
suis-je relevée?
Ai-js assez de paix et de courage?
— 10? —
XVII
Ma chère enfant,
Ne vous découragez pas, votre état actuel est un état
de résignation ; n'exigez pas de votre esprit accablé des vues
de foi qui vous stimulent, ni de votre cœur souvent ennuyé
dessentimentsde consolation qui vousréjouissent. Accepter
la souffrance résolument, renouveler cette offrande plu-
sieurs fois le jour, voilà ce qui remplace les lumières et
les consolations. Voilà votre grand exercice de piété qui
supplée aux autres. « Que votre volonté soit faite. » —
« Seigneur! faites selon votre bon plaisir. » — « Jésus, je
suis toute à vous, malade comme bien portante. Ne me
laissez pas aller au découragement... » — Voilà les prières
qui vous conviennent dans votre état présent. — Vous
aurez des tristesses qui vous feront croire que Dieu s'est
éloigné de vous, des ennuis et des irritations que vous
prendrez pour des fautes; vous ferez même des fautes,
je l'admets; gardez- vous toutefois de vous persuader que
les fautes vous séparent de Dieu et vous empêchent de
mériter; vous voyez bien que vous ne les voulez pas. —
Faites un grand nombre d'actes intérieurs d'amour
envers Notre-Seigneur. Dites-les au moins sous forme de
désirs; ceci peut se faire, alors même que l'on n'est pas
ée qu'on devrait être. Je trouve que, pour trop reprendre
à ce que vous êtes, vous n'êtes pas assez reconnaissante
pour le bien que Notre-Seigneur a mis en vous et pour
l'amour qu'il vous donne. Soyez donc heureuse de penser
que c'est son amour qui vous a fait naître en pays chré-
tien, dans une position particulièrement favorable, et que
c'est ce même cœur qui vous a donné tant de moyens
de vous sanctifier sans se lasser de vos manquements, et
il ne se lassera pas de peur de perdre tout ce qu'il a placé
chez vous. Ai-je besoin de vous dire que je souffre de
n'être pas auprès de vous, de ne pas vous consoler un peu
par mes visites; mes lettres le feront de mon mieux.
— 108
XVIII
Vous êtes donc en convalescence, ma chère enfant; je
n'espère pas vous trouver tout à fait guérie, ces sortes de
maladies s'en vont très lentement, mais je vous aiderai à
supporter les ennuis d'une convalescence souvent péni-
ble. Les forces reviennent un peu, puis elles baissent; on
fait une petite imprudence, on revient en arrière, on
éprouve souvent du malaise, l'âme souffre dans un corps
affaibli et mal disposé. Il faut envisager ces choses avec
une raison décidée et ne point s'en étonner. Persévérez,
ma chère enfant, dans la patience et l'effort paisible vers
Dieu; soyez du petit nombre des personnes que la mala-
die rend meilleures. Ne reprenez pas encore les exercices
qui peuvent fatiguer : l'acceptation contente de tous les
petits ennuis de votre état présent, les oraisons jaculatoires
sont le principal; prenez sans scrupules les distractions
et agréments qui sont possibles dans votre état, il faut
seulement éviter de trop désirer ou de trop s'attrister à
l'occasion de ces choses; prenez simplement ce qui ne va
contre aucun devoir; voyez en cela la volonté de Dieu qui
entend que vous preniez ce qu'il vous offre pour aider
à votre rétablissement, mais qui attend aussi que vous ne
vous tourmentiez pas pour vous les procurer, ni que vous
ne vous découragiez pas s'ils vous manquent.
— 109
CINQUIÈME SÉRIE
I
Mademoiselle,
Votre désir et les raisons dont vous l'appuyez me font
un devoir d'accepter votre proposition. Ce devoir m'est
d'autant plus facile que vous vous empressez de m'ou-
vrir votre âme sans réserve et de me promettre une
sérieuse obéissance.
Je regrette presque de ne pouvoir vous dire que vos con-
fidences ont diminué l'estime que je professe pour vous, car
je voudrais bien vous aider à devenir humble, dussé-je
être cruel — mais Ja vérité me force à avouer le contraire.
Je vous vois l'objet d'une providence toute particulière,
et je vous crois appelée à une vertu éminente. Je dois
ajouter que je crains de graves difficultés dans la corres-
pondance à la grâce. Le médecin se réjouit de cas sem-
blables, mais le père tremble un peu en pensant à sa res-
ponsabilité et à son impuissance. Nous prierons et Dieu
fera.
Votre très respectueusement dévoué.
II
Ma bien chère fille,
Ne soyons pas étonnés de surprendre combien les cir-
constances agissent sur nos impressions et combien les
impressions entraînent Vextérieur de notre âme. Je dis
l'extérieur, parce que le fond est absolument le même;
vous êtes toujours à Dieu, entièrement, et à Lui seul.
Aussi ne faut-il vous permettre à son égard ni doute, ni
resserrement. Je dirais même qu'il faut se le répéter plus
souvent et se l'affirmer à soi-même. Ces sortes d'entraî-
— 110 —
nements superficiels cèdent devant un redoublement d'ex-
pressions filiales et de désirs vrais; mais on n'y a point
recours assez promptement et assez obstinément.
Il y a des âmes qui ne dépendent pas des circonstances
parce que tout est mort pour elles et que Dieu seul les
remplit abondamment. Aspirons à un tel état. Il est le
fruit d'une longue patience à se supporter et à se relever.
Parfois Dieu y fait arriver par de grandes peines très
promptement. Méritons qu'il nous y élève et tout en
nous humiliant de ne point nous y voir encore, ayons
une grande et sainte émulation pour ce don qui est la
vertu établie.
Saint Augustin dit quelque part que cette transfor-
mation se fait par deux causes, si elles sont toujours agis-
santes : le désir et le gémissement. Méditez cette double
série d'actes intérieurs, leur objet, leur intensité, leurs
effets. C'est bien là notre nature humaine qui s'anime
vers un idéal et qui souffre de ne point l'atteindre.
Je suis consolé de tout ce que vous me dites des senti-
ments que Dieu vous donne à mon égard et de l'encou-
ragement que vous trouvez dans mon ministère auprès
de vous.
Continuez à mériter par vos prières et votre docilité
que le bien vous arrive par un si pauvre canal.
III
Ma chère fille,
Écrivez-moi toujours sans réfléchir autrement que pour
vous bien traduire; c'est la simplicité qui forme le princi-
pal devoir d'une âme désireuse d'être bien connue.
J'ai souri quand j'ai lu votre tourment peu ordinaire;
quoi ! trouver du goût à tout devoir et du bonheur
auprès de toute personne, quel déplorable état ! Il faut
n'avoir vraiment pas du tout le sens évangélique pour
pouvoir extraire une jouissance de toutes choses ! Il faut
«'•Ire bien peu aimée de Dieu pour être tenue à llécart «lu
Calvaire !
— 111 —
Ma chère enfant, s'il plaît à Dieu de faire briller en vous
la vertu heureuse même ici-bas, laissez-le agir librement;
en cet état comme en tout autre, un seul mot résume notre
devoir : tenons-nous dans la volonté de Dieu présente,
dans celle du devoir entier. Disposons notre acceptation à
sa volonté de l'avenir, si pénible soit-elle.
L'avenir ! ah ! ma chère enfant, le bonheur est si com-
plexe qu'il faut bien peu de chose pour le désorganiser !
Si vous convoitez des peines, attendez, et vraisembla-
blement vous serez satisfaite. Si les peines vous épargnent,
qu'importe, vous pouvez aimer par reconnaissance, et par
ce même motif, être généreuse et délicate, et c'est là tout.
Je regrette comme vous l'absence de lecture spirituelle;
je suis bien téméraire de penser un peu qu'en pressant de
part et d'autre entre les minutes de vos journées, vous lui
feriez une place convenable. La lecture spirituelle est une
conversation avec un saint ou un savant. Elle remet plus
vive à notre pensée telle ou telle vue ou réflexion; elle
nourrit l'oraison et l'union à Dieu.
L'union à Dieu! C'est le but, ne le perdez pas de vue,
mais l'union a tant de degrés ! Quand vous trouverez en
Jésus la satisfaction reposée de tout votre idéal, de tout
l'amour que vous avez jamais senti en vous ; quand,
dépassant ces sentiments, vous trouverez que l'amour
dont vous avçz senti quelque chose pour les créatures
n'est rien auprès de celui tout nouveau que vous ressen-
tirez pour Jésus, vous aurez atteint le degré que Dieu
désire de vous, et ce sera lui alors qui vous entraînera de
l'avant. Il y a des âmes qui n'auraient jamais cru pouvoir
aimer comme Dieu se fait aimer d'elles.
IV
Ma chère fille, y
Comme vous le sentez, la décision que je vais vous
donner est personnelle et se base sur ce que vous êtes
comme nature et position.
11
— 112 — .
Vous pouvez lire les auteurs dont vous me citez les
noms et ceux qui vous sont nécessaires pour votre but. Je
crois que ceux qui sont simplement contre la foi vous
seront moins dangereux. Vous me tiendrez d'ailleurs au
courant de vos impressions.
Pour ceux qui attaquent un autre genre de délicatesse,
soyez plus vigilante et passez très rapidement sur les
passages dangereux. Si quelque auteur vous paraissait
particulièrement malsain, laissez-le de côté et conten-
tez-vous de comptes rendus.
Vous pouvez faire lire à votre élève la plus grande par-
tie du Paradis perdu, mais vous serez impitoyable pour
les pages trop chaudes et poétiquement réalistes.
Ne regrettez pas trop vivement de n'avoir pas lu tous
les auteurs remarquables; je doute que cette lecture eût
ajouté beaucoup à votre formation d'esprit. Les auteurs
étrangers que l'on vante le plus ne valent pas ordinaire-
ment certains des nôtres et ne peuvent vous servir autant.
Occupez-vous en par position pour en pouvoir parler;
mais, quand vous serez libre, restez en France.
• V
Ma chère fille,
Je désire que vous ne marchandiez pas au bon Dieu le
temps d'entretien qu'il vous permet. Peut-être votre
jeune fille si studieuse ferait-elle sans un dommage évi-
dent le sacrifice de quelque petite demi -heure sur les
quatre ou cinq heures qu'elle vous demande. J'ose croire
qu'elle n'en fera pas moins une bonne maîtresse de mai-
son, et je suis certain qu'elle vous devra encore une bien
grande reconnaissance pour les trois heures et demie ou
quatre heures et demie que vous lui consacrerez.
Cultivez la pensée de Dieu par les moyens que nous
avons souvent parcourus ensemble : l'avancement est le
résultat de cette activité qui est elle-même le cœur de la
dévotion.
— 113 —
VI
Ma bien chère fille,
La séparation est donc accomplie ! On a beau la pré-
voir et même, sous certains rapports, la désirer peut-être,
quand elle se produit, elle découvre un vide qui nous
effraie. On sent se briser aussi une multitude de petits
liens qu'on ne voyait pas. Le passé revit pour vous crier
qu'il s'en va tout à fait.
L'effet que vous subissez est tout naturel à votre
trempe d'esprit; je vous avouerai que je l'ai éprouvé
aussi sensiblement que vous dans de semblables occa-
sions. Il se modifiera probablement-bientôt; mais, demeu-
rerait-il, qu'il ne serait qu'une occasion de mieux exercer
par là votre foi et votre espérance. D'autres ont une
grande impressionnabilité de sentiment et se refusent
à la résignation; cela ne vous atteint à aucun degré.
Vous avez de votre côté une extrême impressionnabilité
d'intelligence; or la vue d'une personne morte met vive-
ment en lumière les motifs impressionnants de douter :
cet organisme qui ne fonctionne plus, ce corps qui se
défait, ce silence de toutes parts, rien ne succédant d'une
façon apparente à ce qui était, rien d'en haut ne venant
nous informer du changement de demeure. Nous nous
trouvons sensiblement en face d'un néant que la foi seule
peut illuminer; or la foi ne projette aucune lumière
directe. Elle est plutôt une parole qu'une vue. Nous som-
mes aveugles, et l'on nous dit qu'en face de nous se trou-
vent peints, sur un tableau, des fleurs, des espaces, des
montagnes. Le tableau est là, ce n'est qu'une toile que
touche notre main, et il nous faut croire que cette tojle
représente cette multitude d'objets saillants. Un aveugle
de naissance peut arriver à le croire, mais il est bien
excusable d'avoir l'impression du doute.
Lu justice de Dieu n'est pas en cause à l'égard de la dif-
férence des secours dont sont favorisées les âmes du pur-
gatoire. La justice exige seulement que Dieu donne à
chacun ce qui lui est dû, mais nullement l'égalité. Il ne
— 114 —
faut pas chercher toujours la raison de ses préférences
dans les mérites des personnes, car, pour qu'elles méri-
tent, il faut d'abord qu'elles en reçoivent la première
grâce; or, nous aurions beau faire, nous n'arriverions
jamais à égaler en vertu et en mérite la Très Sainte
Vierge ni beaucoup de saints. Dans l'ordre pratique, il
faut dire que si telles âmes se trouvent plus secourues,
cela peut venir d'une action providentielle, qui, en vertu
de certains mérites passés, a disposé ainsi ces secours
comme récompense.
Mais par-dessus tout, ma chère enfant, aimons à faire
sur toutes ces vérités des actes de foi très simple et sans
raisonnement direct. Revenons toujours au raisonnement
fondamental : Dieu, son Fils incarné, son Église. C'est le
seul chemin qui soit accessible au grand nombre, et nous
le voyons par l'expérience, c'est même pour nous le plus
lumineux.
VII
Ma chère fille,
C'est une ancienne illusion qui m'a mis si fort en retard
avec vous : j'attendais un moment tranquille... et il n'est
pas venu, et aujourd'hui, entre une arrivée et un départ,
je prends le pénible parti de ne vous écrire qu'un mot.
Je comprends si bien votre état qu'il m'eût été agréa-
ble de vous en donner l'analyse. Le sentiment que vous
éprouvez par rapport à la foi se range parmi les impres-
sions intellectuelles qui ne sont point coupables. Cette
impression, si elle était entretenue, même sans mauvais
vouloir, tendrait à affaiblir la vertu, l'amour ne doit
point douter. Toutes les obscurités que vous m'exposez
sont celles qui ont plus ou moins obsédé tous les esprits
philosophiques de notre époque et n'ont pas épargné les
esprits inoins élevés. Il n'en est pas une de celles dont
vous parlez qui ne se soit présentée à mon esprit dès
l'âge de seize ans, et je les ai retrouvées, hélas I dans la
bouche de gens bien peu intelligents, ce qui indiquerait
que ce n'est pas chez nous une merveille. Laissez-les
— 115 —
absolument de côté jusqu'au moment où nous pourrons en
causer : veuillez l'aire crédit au bon Dieu, et ne lui pas
soustraire un élan <le votre cœur. Je réponds de vous.
VIII
Ma chère fille,
Ne craignez pas d'être indiscrète et profitez librement
de ce que le bon Dieu veut bien vous faire tenir par ma
pauvreté. La confiance est la mesure de ce que l'on trouve
dans un directeur. Il y a des âmes à qui je donne beau-
coup de temps et, il me semble, de bons conseils aussi,
et qui, de fait, n'y trouvent ni lumière ni force !
Je vois avec grand plaisir que vous allez de l'avant sur
ma parole. Rappelez-vous le « Duc in altum; conduis en
avant », qui fut dit à saint Pierre, et aussi l'ordre de mar-
cher sur les eaux. N'hésitez pas à croire que vous pouvez
aimer totalement le divin Maître et ne vous effrayez
pas de la facilité avec laquelle vous enfoncez dans les
eaux des distractions et des attaches. C'est un acte sur-
naturel qui vous «st demandé. C'est Dieu seul qui peut
vous en rendre capable. Il le veut. Donc vous marcherez
et les eaux ne vous engloutiront pas.
IX
Ma chère fille,
Je suis très content de vous savoir en bonne voie vers
Dieu. La prière prolongée a une efficacité que n'ont pas
des prières multipliées. Aimez ces détails vraisembla-
bles de saint Bonaventure. Les actes de Notre-Seigneur se
passaient dans les conditions ordinaires de l'existence.
Il est donc bien permis de se le représenter s'asseyant
à table, travaillant, sortant, visitant ses parents et ses
connaissances. Évitons de nous étonner de ces multiples
obscurités. Pourquoi cette vie commune? silencieuse
même à l'égard des âmes? Est-ce digne de Dieu? Suppo-
sez un cœur très aimant et plus grand que le nôtre, trou-
— 116 —
vez-vous étrange qu'il soil porté à se placer dans les
conditions de ceux qu'il aime, à vivre de leur vie, à expé-
rimenter leurs ennuis? Nous sommes heureux de voir
chez eux nos amis, et même en leur absence nous trou-
vons dans leur demeure quelque chose d'eux qui nous
charme.
Ma chère fille,
Je crois pouvoir jeter une lumière suffisante sur ce
qui vous embarrasse. Faites une part à une certaine
exagération oratoire, puis distinguez entre les personnes
menant la vie commune et les âmes séparées pour être
uniquement à Dieu. Les premières ont des objets divers
qui correspondent à ces diversités d'affections que con-
tient notre cœur; les autres appliquent surtout tous
ces sentiments à Dieu seul et y sont obligées. Les
fîmes qui aiment d'autres objets avec Dieu pourraient
aimer Dieu, autant que les âmes consacrées parce
que l'amour qui s'adresse à Dieu est spécial, comme
celui qui s'adresse à chaque ordre de créatures. On peut
aimer autant une sœur tout en aimant une amie, et une
mère, tout en donnant à une amie et à une sœur tout ce
qu'elles peuvent souhaiter. Nos cordes ont une aptitude
et un son différents. Ce qui s'oppose à ce que l'amour
de Dieu soit aussi grand chez celle qui a d'autres
amours, c'est le plue ordinairement l'excès dans ces autres
et toujours cette infirmité humaine qui fait qu'une
application dans plusieurs sens dépense trop de notre
activité limitée... Continuez la thèse...
XI
Ma chère fille,
En face de la mer je me permets de contempler le Dieu
qui l'a faite, mais je constate qu'on gagne moins à cette
— 117 —
attention qu'à celle qui se fixe sur Notre-Seigneur. Aussi
vous conseillerai- je toujours de chercher Dieu beaucoup
plus dans ses manifestations personnelles en Notre-Sei
gneur que dans la manifestation vague de la nature.
Les exercices de saint Ignace vous doivent être en ce
moment plus une élude qu'un objet de méditations. Tâchez
d'en saisir la suite et le nerf. Des lectures attentives peu-
vent y suffire. Réservez votre heure du matin pour un
entretien avec le divin Maître. N'aurions-nous de Lui
qu'une parole durant tout ce temps, c'est assez. Elle est
une ressource vivante, tandis que les pensées des savants
ou de votre esprit sont des produits fabriqués qui n'ont
pas de vie et ne germent pas. — Aidez-vous, quelquefois
seulement, de la plume et n'en montrez jamais un mot, à
personne; pas même à moi; sans cette précaution, vous
seriez instinctivement portée à écrire pour les autres.
Écartez tellement les malaises touchant la foi que vous
gardiez sain et actif votre mouvement vers Dieu.
XII
Ma chère fille,
Je comprends et votre douleur et les impressions diver-
ses que vous apporte la vue de la mort. Ce châtiment ter-
rible qui frappe toute la race humaine est plus qu'une
douleur, il constitue encore une épreuve. Notre esprit n'est
pas plus fait que notre cœur à cette mystérieuse sépara-
tion. Tout ce qui frappait notre être sensible disparaît
et son importance dans l'état actuel est si grande qu'il
paraît emporter tout l'ensemble.
Donnons à la raison le rôle qu'elle doit avoir et ne
regardons pas avec anxiété ce qu'elle affirme. Aimons au
contraire à recueillir toutes les consolations qui décou-
lent de nos chères croyances : se revoir un jour, se sentir
en rapport avec une vie persistante et qui se souvient,
être plus rapprochés et constamment rapprochés par
l'état où la mort l'a mise. Songez aux mérites, aux
— 118 —
développements acquis, à ce droit à la survivance qui
seul rétablit la justice. S'élever à de plus chaudes con-
ceptions, voir cette âme dans les bras de Jésus, l'être
sensible comme nous et meilleur que nous tous ensem-
ble; la contempler ouvrant enfin les yeux et s'abreuvant
de vérité. Quel contraste avec nos ombres qu'épaissit la
partie matérielle de ce moi en embryon ! Pourquoi s'éton-
ner? Une chenille ressemble-t-elle au papillon qui est
pourtant son évolution définitive? Une petite graine
ressemble-t-elle au grand arbre qui en sortira? L'albumine
de l'œuf rappelle-t-elle l'oiseau avec son plumage, ses
mouvements si vifs, ses sens si aigus? Faisons suivre à
notre esprit troublé cette même route d'espérance, car
l'âme humaine dans cet ordre de modifications obéit aux
mêmes lois, suivant un même plan : la préparation obs-
cure, le développement, l'éclosion épanouie. Si les choses
nous échappent dans leur substance, elles nous sont plei-
nement affirmées par la raison et surtout parla foi; nous
sommes incapables de les atteindre autrement, c'est-à-dire
intrinsèquement, et l'existence même de la matière reste
un problème pour la science.
Mais pourquoi tant philosopher? Croyons et prions.
Résignons-nous, car Dieu est le maître et il est bon. Con-
solons-nous en considérant tous les cœurs qui nous res-
tent !
En union de prières auprès de votre douleur.
XIII
Ma chère fille,
M'ayant demandé de vous dire vos vérités, vous crai-
gnez peut-être quelque grave révélation. C'est bien
uniquement pour vous satisfaire que je m'exécute. Atten-
tion ! Il y a en vous un côté faible, et ce faible est d'au-
tant plus fort qu'il tient à de rares qualités. Le sens de
l'admiration est un foyer d'élans : lui seul peut pousser
en avant et s'il voile parfois certains côtés défectueux
— 119 —
de l'objet, il no le fait que plus aimer et mieux pour-
suivre.
Ce noble défaut a été mis par Dieu même dans Pâme
de la mère; faut-il donc l'incriminer? N'est-il pas bon
que la mère puisse invinciblement estimer pour aimer?
Une des applications dangereuses de cette disposition a
été chez vous l'admiration de la science moderne et la
confiance dans ses savants. Elle est la cause principale-'
de vos impressions de doute, et ces impressions sont à
leur tour une des causes les plus regrettables d'un cer-
tain arrêt dans votre marche vers Dieu.
Qui n'a pas subi la persécution, de ce mot : la science?
J'y ai passé comme les autres. Depuis assez longtemps
ayant voulu la voir du plus près possible, bien entendu
dans certaines branches fort restreintes, j'ai constam-
ment abouti à un haussement d'épaules. En dehors du
bon sens et de la foi, je n'ai trouvé que prétentions exa-
gérées.
Dans les solutions scientifiques, certaines sont très
exactes, mais les points d'interrogation sur les choses les
plus importantes n'en reçoivent aucune réponse. Il semble
qu'au contraire la science n'aboutit qu'à faire germer les
pourquoi. Or, parce qu'elle est la science, il semble que
son silence équivaut à une condamnation de ce qui ne
peut être prouvé par elle.
L'humanité n'est pas faite pour être nécessairement
guidée par la science ; elle s'y prête même peu, et la science
est .incapable de faire une synthèse qui égale un caté-
chisme. Je suis convaincu qu'elle le sera toujours.
Cette déception que j'ai éprouvée depuis bien long-
temps devient plus générale de nos jours. Zola, dit-on, le
constate dans ses derniers romans. Sa conclusion est que
l'avenir est à l'illusion du mysticisme. La conclusion la
plus logique ne serait-elle pas plus chrétienne? Si rien,
dans aucun temps, et si la science aujourd'hui convain-
cue d'une insuffisance qu'on touche du doigt n'ont pu
satisfaire l'âme humaine, n'est-ce pas nier Dieu que de
croire son œuvre par excellence vouée à l'illusion sans
ressources ! Or nier Dieu, c'est tout à fait déraisonnable.
— 120 —
Cela aurait besoin de certains développements; je ne suis
pas assez fort pour -écrire longuement: nous en repar-
lerons. ^
XIV
Ma chère fille,
Votre pensée m'a accompagné partout où m'ont con-
duit mes voyages de vacances, et elle m'a été réconfor-
tante. Je suis heureux de savoir que de filiaux dévoue-
ments veillent sur moi et intercèdent auprès de Dieu en
ma faveur. Vous savez que je ne désire qu'une chose,
mais une chose si grande que rien ne la vaut, ni ne sau-
rait" la mériter : Dieu 1 Dieu obéi, Dieu entrevu, Dieu
ut tiré en nous ! Il faut dire aussi : Dieu cherché, et avec
quelles angoisses, quels gémissements et au milieu de
quelles misères !... Toutes les choses de ce monde se jet-
lent à la traverse entre Dieu et nous. La lassitude nous
accable et nous tient en bas. Pour quelques-uns, c'est la
nuit avec toutes les noires ombres qui cachent tout avec
un froid qui glace; vous le savez !... Je vous plains de ces
vertiges qui tout à coup vous isolent de tout ce qui vous
est le plus cher et vous laissent sans ciel; mais ne crai-
gnez pas, marchez, vous êtes dans le chemin. Le jour de
demain vous le montrera. Ma voix vous reste pour vous
en assurer.
XV
Ma chère fille,
Je suis heureux du repos que vous donnent et la cam-
pagne et surtout la douce société de votre amie. Vous en
jouissez saintement en cherchant Dieu. Tout en effet
doit prendre cette direction; heureuses les âmes, comme
la vôtre, qui vont vers ce centre de tout, dès que cesse
l'obstacle. L'obstacle est habituellement l'occupation, et
vous y veillerez pour l'année prochaine. — Il est spéciale-
— 121 —
mont pour vous l'influence du mauvais air que nous res-
pirons en ce siècle. Vous subissez ce mal, et il revient par
crises plus aiguës comme tout ce qui nous travaille au
fond de l'être.
Depuis le péché originel, chacun porte son infirmité
particulière. Il naît de là un vrai sentiment de notre
déchéance, et il s'y trouve miséricordieusement une source
de mérites. L'égoïsme, qui est pour le plus grand nombre
l'obstacle classique, existe peu chez vous; le dévouement
ne vous coûte pas; vous savez extraire des joies de ce
qui est amer aux autres... mais... vous êtes très ouverte
aux influences intellectuelles. Vos premières admirations
conscientes ont été provoquées par des hommes étran-
gers à la foi et par des lectures qui, sans être mauvaises,
vous ont fait connaître le vaste champ des erreurs con-
temporaines. Il est bien difficile à un soldat de rester à
son poste, quand autour de lui la panique met tout en
fuite, et c'est un peu le cas de notre pauvre armée chré-
tienne, même au milieu d'un groupe qui tient, bon, et
résiste sans doute, mais avec découragement.
Dieu ne se contente pas avec vous d'un seul genre
d'épreuves, il y joint actuellement la souffrance physi-
que. Nous qui ne sommes pas éternels comme Dieu, et
qui ne voyons pas toutes les raisons des choses, nous nous
attristons, quand nous voyons souffrir les personnes que
nous aimons. Je pense souvent à vos nuits tourmentées.
Je ne souffre pas moi, si je dors peu. Comme saint Lau-
rent, vous êtes appelée à un plus cruel martyre que le
pontife dont, il était le diacre chéri.
XVI
Ma chère fille,
J'ai bien souri en lisant votre théorie sur le bonheur du
Ciel et l'impossibilité de goûter autre chose que l'infini.
Vous êtes par nature dans la catégorie des âmes absolues
et vous semblez ne pas vous attarder aux nuances. Pour
— 122 — i
moi, je suis persuadé que Dieu saura maintenir une admi-
rable perfection, donnant à chaque sentiment de vraies
satisfactions, sans rien enlever à son voisin, comme nous
sommes, hélas ! obligés de le faire ici-bas dans la pénurie
de nos moyens. Si la grande lumière du soleil éteint celle des
étoiles, c'est que nos yeux sont trop faibles et sont éblouis.
Supposez une vue plus parfaite et ces mêmes yeux
jouissant de la splendeur du soleil et à la fois de la vue
des diverses étoiles. Le cœur humain lui-même ne donne-
t-il pas plusieurs affections, sans les diminuer quand elles
ne sont pas du même ordre? La nature n'est pas faite pour
perdre ses relations et l'exercice de ses délicatesses; beau-
coup de bontés disparaîtraient par là et beaucoup de bon-
heur aussi. Je le reconnaisse bonheur de la visionbéatifiquo
ne laisserait point de vide parce qu'il remplirait tout de
son ampleur surabondante, mais si nous n'avions pas à
sentir ce vide, nous serions néanmoins en fait moins
heureux, moins complets. Je me doute même de quelque
merveille attachée aux bonheurs contingents. Comme
tout palpite de Dieu et le reflète, Dieu vu et senti, admiré
et aimé dans les êtres que nous aurons aimés ici-bas, Dieu
se confondant en quelque sorte avec eux, ou plutôt
vivant en eux, s'exprimant par leurs sentiments, et eux
transformés, devenus parfaits et immensément agrandis !
Et nous dès lors, habiles à voir Dieu partout où il est,
distinguant le créé et l'incréé, sans les confondre, mais les
unissant par tous les liens réels qui font que la vie sort
du néant et reste néant en tout ce qui ne reflète pas
Dieu... Allez, nous pouvons imaginer à notre aise, nous n'é-
galerons pas ce qui est.
Quand on voit tout ce que la nature cache et que la
science révèle dans les choses qui n'ont rien d'intelligent,
que de révélations dans nos êtres doués de vues intellec-
tuelles et de puissance d'amour, cela laisse supposer!
— 123 —
XVII
Ma chère fille,
Vous vous attristez de ne pas voir comprendre ces
choses surnaturelles par M. ! C'est peut-être qu'elle
doit vivre longtemps et acheter cette grâce ! Comment
Notre-Seigneur vous refuserait-il de donner son amitié à
une sœur tant aimée ! Les amis de nos amis sont nos amis.
En attendant, offrez la moitié de ce que vous faites pour
celle qui ne veut rien faire, et faites les deux moitiés le plus
finalement possible. Je trouve votre organisation de piété
fort bien et votre genre de vie très méritoire. Vous faites
la volonté de Dieu, du matin au soir, sans une heure lais-
sée à la fantaisie; je vous admire !
J'aime bien aussi votre manière d'aller à Notre-Seigneur,
en le regardant simplement. Rien n'est plus complet
et plus pénétrant. Le but de la méditation est émi-
nemment atteint, quand on s'est mis si fortement la pen-
sée de Notre-Seigneur dans l'âme qu'elle y reste, comme
sa figure sur le voile de Véronique. Rien ne se rapproche
plus de la présence que l'image, et nous sommes impres-
sionnés quand nous retrouvons le portrait d'une personne
aimée. Si nous avions vu, un instant, le divin Maître,
chercherions-nous autre chose? Son image, c'est Lui !
XVIII
Ma chère fille,
S'il est une personne à qui je souhaite du bien, c'est
à vous. — Je dis du bien, je n'ose dire du bonheur; je ne
vous crois pas faite pour le bonheur, ici-bas. Celui
du monde ne vous contenterait pas ; celui de Dieu
qui vous irait si bien sera sans doute parcimonieuse-
ment mesuré à votre courage. La consolation est un
secours et vous pouvez vous en passer; vous êtes ainsi
— 124 —
plus pleinement dans l'exil; les désirs s'y accroissenL, le
sentiment de notre néant s'impose mieux : on mérite et on
expie pour les autres. Saint Paul définit l'âme ici-bas :
un désir qui cherche Dieu. — Ce désir se retrouve au
fond de toutes les âmes élevées, même quand elles ne
croient à aucun Dieu. Il est alors une grande tristesse.
Vous ai-je fait de la peine l'autre jour en appuyant
peut-être trop sur ce qui vous manque encore? Vous savez
quelle profonde estime j'ai de vos qualités, et de votre
bonne volonté si droite, et pourtant je vous veux meil-
leure encore, et cette amélioration se concentre dans ce
mot : plus surnaturelle de cœur, de conviction, de vie
même. Dégagez-vous nettement des préoccupations de
l'espri-t; cherchez Dieu par le cœur; non que la raison ne
le puisse démontrer, mais alors même, elle ne peut le sai-
sir; le cœur, et le cœur embrasé de la grâce peut seul
l'étreindre. La raison, c'est comme une démonstration des
couleurs faite à un aveugle ; le cœur dans la foi, c'est l'œil,
au regard obscurci peut-être, mais qui saisit.
Quelle différence d'action sur les âmes quand on est
pénétré de surnaturel !
* XIX
Ma chère fille,
Je vous sens toute endolorie ! Les souvenirs, en vous
touchant, vous blessent et ils sont là sans cesse ! Ce n'est
pas encore l'heure où l'amitié console. Le ciel lui-même
a beau vous inonder de ses espérances; vous estimez,
vous remerciez, mais vous restez navrée ! Je vous com-
prends trop pour vous accuser en cela d'imperfection.
L'image de votre petite M., sa voix, ses sentiments
vous absorbent et vous tiennent tristement attendrie. La
résignation la plus affectueuse aux desseins de Dieu,
votre reconnaissance la mieux fondée, s'exercent dans
une autre région et parlent une autre langue.
Il m'est venu dernièrement à votre sujet une pensée
qui donne une grande force aux raisons consolatrices que
— 125 —
vous n'admettiez pas sans réserve. Oui, nous nous rever-
rons dans ce corps et cette âme reconnaissantes et sim-
plement embellis, et la raison dont je vous parle est
celle-ci. Saint Paul écrit aux fidèles cette parole si con-
nue : Ne pleurez pas vos morts comme ceux qui n'ont
point d'espoir... puis il expose le dogme de la résurrection.
Il ne dit pas : vous aurez en Dieu un bonheur centuplé, ce
qui est vrai, mais il tient à donner une consolation d'un
ordre plus humain : ne pleurez pas vos morts comme si.
vous ignoriez que vous les reverrez! — Ajoutez à cette
réflexion le culte des reliques. L'Église met jusque dans
la pierre de chaque autel des reliques de saints ! elle les
vénère et les encense. — Vous êtes-vous au%gi demandé
ce que feraient dans un ciel vid'e de corps, le corps res-
suscité de Notre-Seigneur et celui de la Sainte Vierge !
Et quel plaisir ce pourrait être pour nous de les voir, si la
vue de l'Infini devait nous absorber! Pourquoi ne pas se
faire l'idée d'un bonheur de famille et d'amitié, même
là-haut? Le plus n'empêche pas le moins, et aimer ainsi
dans l'infini ressemble à nos bonheurs partagés qui s'aug-
mentent dans la contemplation par exemple d'une vue
magnifique sur la mer ou sur les montagnes. Vous retrou-
verez donc votre petite M., vous la reconnaîtrez et
vous jouirez d'elle! Ensemble vous ferez d'intermina-
bles commentaires sur ces derniers quarts d'heure de
grâce mystérieuse, qui vous ont ravie et dont vous ne
connaissez pas à cette heure toutes les profondeurs et
toute la beauté !
En même temps je constate qu'il se fait pourtant en
votre âme un travail de transformation. Dieu ne peut
pas nous voir souffrir et surtout nous faire souffrir
sans venir à nous et sans ouvrir en nous quelque source
nouvelle de grâces. Vous vous disposez ainsi à être plus
maternelle aux âmes. Vous recevez pour donner. Votre
amour pour Dieu s'enflamme pour se communiquer. Le
livre que je vous ai donné a été, je le sais, une grande
grâce. Il est venu à son heure. Je ne sais pas en effet
pourquoi je ne vous en ai pas parlé plus tôt.
— 126 —
XX
Ma bien chère fille,
C'est mon droit d'entrer dans votre douleur si pro-
fonde et toujours si sensible. C'est mon droit puisque je
la connais mieux que personne et aussi parce qu'elle reste
pour moi également une de ces tristesses qui assom-
brissent la vie, tristesse de son absence, tristesse de
votre isolement. Vous souffrez surtout à la pensée d'an-
nées moins bien employées par un cœur qui ne fut pas
épanoui, d.'une âme sentimentale qui ne prit son essor
pur que très tard.
Nous ignorons les règles de la bonté divine, car la bonté-
a ses règles qui ne relèvent d'aucun calcul. Elle a aussi ses
raisons d'être qu'elle puise dans les mérites surabon-
dants de Jésus. Ne doit-elle pas tenir compte encore des
mérites des âmes qui l'aiment? Qu'ont fait les saints
Innocents pour avoir la gloire du martyre? Que d'autres
enfants morts victimes et qui n'auront pas même le ciel
où l'on voit Dieu !
Le dogme de la communion des saints a une plus
large étendue que nous ne le savons. Que de secrets tou-
chants nous attendent ! On aime à faire des surprises à
ses amis. Soyez de plus en plus l'amie de Jésus, et tous
vos mérites, éternellement prévus, se trouveront avoir
parlé pour celle que vous aimez et dont le bonheur était
votre ardent désir. Quand je dis bonheur, j'entends tout
ce que comprend la jouissance de Dieu et le rejaillisse-
ment sur nos facultés qui se fait de l'infinie lumière, de
l'infini amour, et de la grandeur morale qui résulte d'une
telle communication. ~¥©us la retrouverez donc agrandie,
embellie, belle de ressemblance avec Dieu, et Dieu vous
dira qu'il a fait cette œuvre de choix à cause de votre
sœur 1
Ne vous étonnez pas de ces perspectives. Nous n'avons
ici-bas que le dehors des choses. Toutes les fois que nous
pénétrons plus avant dans ce que Dieu fait, nous décou-
— 127 —
vrons des merveilles : merveilles du microscope, merveilles
de l'astronomie et aussi merveilles de la chimie. Son œuvre
surnaturelle, plus invisible encore et plus haute, doit
cacher des secrets qui nous raviront : secrets de délica-
tesses d'amour et de générosités prodigues.
Ai-je besoin de vous dire que demain j'offrirai la sainte
messe pour l'expiation de ses fautes, s'il y a lieu, et pour
l'augmentation de son bonheur secondaire. Par l'inter-
médiaire de Jésus, vous, elle et moi serons invisiblement
rapprochés. Puissions-nous l'être ainsi au ciel 1
Je bénis ma chère fille, et je la remercie de sa filiale
affection. . '
XXI
Ma bien chère fille,
Je m'attriste avec vous à l'approche du mois prochain.
Il est bien le mois du Sacré-Cœur, mais il est aussi pour
vous le mois du Calvaire. La douleur et l'amour divin s'y
unissent pour élever vos sentiments, pour vous rendre
plus sensible à Jésus souffrant, pour vous préparer une
plus parfaite possession du Bien suprême.
Si le Ciel s'entr'ouvrait et nous laissait voir la mer-
veilleuse beauté des âmes transfigurées, leurs ravisse-
ments, leurs acceptations divines; si les âmes qui nous
ont aimés nous laissaient sentir combien elles nous
aiment encore; si nous savions par quels liens nous leur
restons unis et comment le divin et l'humain se mêlent
sans se nuire !
Quelle consolation et aussi quelle révélation : nous
n'oserions pas y croire. Ce serait trop beau!... Jésus
n'était-il pas Dieu ! ne jouissait-il pas sur terre de \\
vision bienheureuse? Et cependant il savait éprouver
les sentiments humains et il n'en est pas un seul qu'il
n'ait voulu sanctifier. Les œuvres de Dieu sont simples,
comme tout ce qui est vivant; nous leur prêtons la rai-
deur de nos abstractions, car nous ne les connaissons que
n
— 128 —
de cette manière. J'aimerais vous voir jouir même de ce
moindre côté de nos espérances; moindre en lui-même, il
reste si près de nous parce qu'il est sensible, et il entre
si avant !
Les jours ont marché lentement, n'est-ce pas? il sem-
ble qu'il s'en est écoulé un très grand nombre depuis cette
date dont nous approchons 1 La tristesse semble aug-
menter la durée, parce qu'elle fait de vives blessures;
ce que l'on sent est seul présent.
J'espère que la retraite vous aura fait avancer dans la
vie intérieure qui est la vraie vie. Les occupations peu-
vent en suspendre l'exercice, mais elles ne l'affaiblis-
sent pas quand elles sont sagement accomplies. Onretrouve
avec bonheur ses hôtes aimés.
Courage ! large espérance !
XXII
Ma chère fille,
N'ayons aucun désir, pas même celui plus généreux
d'être malade. Quand on souffre beaucoup, on perd la
liberté des bonnes impressions, la prière est plus difficile
et moins pénétrante, l'amour de Dieu souvent à peine
ressenti. C'est ce que vous éprouvez en ce moment. Il
vous semble que vous n'aimez pas ! — Ne semblait-il
pas au Calvaire que Jésus lui-même aimait moins? Sa
nature saisie tout entière exprimait la douleur; ses
impressions n'étaient plus que des tristesses, et son
cœur criant vers son Père ne savait trouver que des
paroles désolées : « Pourquoi m'avez-vous délaissé ? »
Jamais il n'aima plus et mieux. Privé de tous les stimu-
lants habituels, l'amour restait seul pour commander la
résignation, le courage du martyre, l'abandon, le zèle.
Or ce qui procède d'un amour sans amour mélangé est
plus divin.
Répétez donc avec confiance vos mêmes offrandes,
vos continuelles acceptations, la donation possible de
— 129 —
tout vous-même, y compris ce qui contriste votre cœur.
Faites ce qui vous est conseillé pour moins souffrir, car
c'est dans l'ordre, et vous vous rendrez plus libre d'esprit
et de cœur pour vous pénétrer de Dieu. Mais n'insistez pas
dans vos demandes, laissant Dieu bien libre lui aussi
d'agir à son gré et de tirer de vous, selon ses préférences,
ou des douleurs ou des accents d'amour sensible. Il en
est du goût pour la communion comme de tout ce qui est
sensible; il suit la condition de nos impressions. Souffrir de
ne pas sentir, c'est aimer.
XXIII
Ma chère fille,
Depuis quelque temps je remarque en vous des signes
d'intoxication ! ! Est:ce l'air ambiant qui vous pénètre
davantage, ou les impressions anciennes qui reprennent
vie? Quoi qu'il en soit, c'est un mal et une souffrance. Le
mal en séjournant peut désorganiser les éléments de cou-
rage et la souffrance vous fermerait le cœur du côté de
Dieu.
L'humanité se trouve dans une longue crise. Elle a
soulevé une foule de questions qu'elle ne parvient pas
à résoudre dans l'ordre de la pensée comme dans l'ordre
économique et social. Négations et affirmations, systè-
mes et utopies, bon et mauvais, tout est en révolution...
et les bonnes âmes comme vous prennent peur, car elles
n'admettent pas qu'un Dieu sage permette ce trouble et
nous laisse dans l'obscurité. Dans le lointain de quel-
ques siècles, comme tout paraîtra clair et au fond sage et
bon ! Attendons, non pas des siècles, mais l'éternité, car
il n'est pas probable que notre génération assiste à un
dénouement.
Fixons-nous dans ce qui est certain et n'étendons pas
jusqu'à des points bien prouvés l'inquiétude justement
éveillée sur d'autres. Le doute est toujours une ignorance.
Le vrai se trouve toujours dans une affirmation. Le
— 130 —
cloute n'établit rien et n'offre aucun appui. Il est un état
anormal dont la sagesse commande de sortir. Quand il
résulte surtout de nos impressions, il est juste de n'en
point tenir compte, dès que cette cause est reconnue.
Sans la foi, l'humanité serait bien à plaindre ! La foi est
l'unique moyen universel de connaître le vrai. Voilà
pourquoi Dieu l'a choisi. C'est l'égalité entre les savants
et les ignorants. C'est la certitude unique pour tous,
même pour la plus haute raison. La philosophie n'est
qu'une série de systèmes se succédant et se renouvelant,
une contradiction perpétuelle.
XXIV
Ma chère fille,
J'ai offert à Jésus votre résolution de fidélité et je lui
ai promis que vous ne nous feriez plus de peine. Je lui ai
demandé pour cela de vous donner la prudence des sainis
qui place au premier rang et sauvegarde ce qui rappro-
che de Dieu, faisant, s'il le faut, assez bon marché du
reste, ne vous laissant pas agripper par toutes les ronces
du chemin et réglant vous-même votre marche avec
réflexion et force.
Que les décisions à prendre en ce sens soient remises à
plus tard toutes les fois qu'une raison évidente ne vous
en fait pas une obligation. Il m'a semblé sentir quelque-
fois que vous n'étiez pas assez une âme de prière, comme
on voit qu'une fleur manque d'eau. Il m'a semblé aussi
que vous ne vous dominiez pas suffisamment; je fais
allusion à ce livre lu en un jour, au détriment de choses
meilleures. Vous le voyez, je ne veux rien vous passer,
parce que j'ai l'ambition de vous voir parfaite.
— 131 —
XXV
Ma chère fille,
Je ne voudrais pas vous savoir dans l'état un peu
amoindri que vous m'avez enfin révélé, et qui, n'étant
pas grave, cédera tout seul à une direction suivie.
Nous avons réveillé hier nos profondes tristesses ! Fai-
sons dominer nos espérances. Il faut se les affirmer nette-
ment et ne pas regarder cette impression de doute qui
résulte de notre condition même. Comment des êtres qui
forment leurs idées et leur langage d'après l'élément
matériel ne seraient-ils pas déconcertés en face de l'im-
matériel? Les âmes à impressions vives en subissent plus
violemment l'action troublante. Un bruit nous fait invo-
lontairement tressaillir, nous n'en tenons point compte;
mais comment faire pour ne pas tressaillir? Résignons-
nous à subir ce que nous ne parvenons pas à éloigner,
ne lui donnons pas tant d'importance par nos craintes.
Vivons sur les résolutions prises et sous l'abri des
rares examens refaits de temps en temps pour nous ras-
surer.
Soyez bien en paix ! Je vous bénis de tout cœur.
XXVI
Ma chère fille,
Ce que vous me montrez de votre tristesse me touche
profondément. Il me semble que le plan du bon Dieu en
ce moment est de vous jeter en plein dans l'épreuve, et
j'en vois déjà le résultat attendu : le détachement. Déta-
chement de vie qui apparaît dans son néant, détache-
ment dans l'activité qui n'est plus une joie d'entrain,
détachement même du côté de Dieu qui ne vous laisse
guère que le courage de continuer toutes les acceptations,
tous les devoirs, tous les sacrifices. Si j'osais employer
— 132 —
ici une comparaison juste, mais pas assez noble, je dirais
que Dieu vous traite comme font les entraîneurs pour les
chevaux de course : ils ne leur laissent que ce qui est
force, c'est-à-dire l'ossature et les muscles I Avec cela ils
gagnent le prix, et vous, vous gagnerez le grand prix que
vous recevrez sans doute seulement au Ciel ! J'espère
me trouver là-haut pour vous recevoir et vous admirer.
En attendant je vous donne ce que j'ai de meilleur, ma
respectueuse affection.
XXVII
Ma chère fille,
Vous êtes de ces bons tempéraments qui, surchargés et
mal nourris, vont quand même, mais qui au repos et à
une bonne table redeviennent brillants de santé. Ce que
j'admire le plus en vous peut-être, c'est le détachement
de vous-même qui fait que vous vous prêtez à tout, et que
vous le faites avec la facilité de l'habitude vertueuse.
Quelle disposition parfaite pour être prise tout entière
par Dieu !
Avant mon départ j'ai eu la joie de voir Mlle S. et de
la trouver enfin dans de telles préparations d'esprit que
de courtes explications ont suffi pour faire jaillir la
lumière. En arrivant, elle était encore incertaine, et voilà
qu'ensuite elle a dit : Je crois et je vois. Je crois tout à
cause de ce que je vois, et je comprends que je ne puis
raisonnablement demander de voir davantage. Elle est
maintenant résolue à pratiquer. Je n'aurais jamais voulu
jusqu'ici le lui demander; je ne crains que deux choses
contraires : ou une inquiétude de ne pas faire assez, ou
des retours embarrassants d'impressions anciennes. N'im-
porte, un grand pas est fait, de grandes douleurs seront
épargnées à cette pauvre âme.
— 133 —
XXVIII
Ma chère fille, *•*
Vous avez pu constater que l'état de maladie prédis-
pose à sentir plus vivement les impressions anciennes.
C'est une remarque qu'il m'a été donné de faire souvent
et qui s'applique aussi bien aux peines d'esprit qu'aux
préoccupations de famille : on est plus sensible; l'action
dominatrice de la volonté s'exerce moins fortement. Ce
qui reste à certaines profondeurs de l'âme habituelle-
ment revient à la surface. Le soldat malade revoit son
pays et en sent mieux les charmes; mourant, il appelle
sa mère, morte peut-être depuis longtemps.
Ne vous étonnez pas et ne vous troublez pas. En dehors
de nos dogmes, rien ne peut satisfaire la raison, et rien en
effet ne subsiste : c'est une véritable incohérence de l'es-
prit humain que l'histoire des philosophies et de leur
perpétuel changement. Le plus triste, c'est que jamais
aucune d'elles n'a pu moraliser son temps.
Comme je vous l'ai fait remarquer, l'hypothèse de
l'évolution n'entraîne point la négation d'un Dieu per-
sonnel. Le malentendu, ou plutôt la confusion, vient de
ce qu'elle a été combattue par les représentants de la foi
avec des arguments insuffisants et donnés par plusieurs
autres comme contraires à nos dogmes. J'avoue du
reste que je suis loin de regarder cette hypothèse comme
voisine de la certitude; à plus forte raison comme démon-
trée. Mais peut-être cette discussion vous trouve-t-elle
trop fatiguée? Peut-être suis-je imprudent de la rouvrir
trop tôt? Ce qui m'excuse, c'est que je sais combien ces
sortes d'inquiétudes, qui sapent toute la base sur la-
quelle repose notre vie, sont à la fois douloureuses et
désorganisatrices. Ce pauvre monde est livré à toutes les
divagations des esprits, comme à toutes les démoralisa-
tions de la vie. L'erreur et le vice ont dominé dans tous
les siècles, dans ceux-là même qui, de loin et vus dans
l'ensemble, paraissent grands.
— 434 —
Le nôtre ne me paraît pas des moins bons, malgré ses
misères e1 ses ombres. La miséricorde de Dieu nous éi mi-
nera !
Je vous bénis de tout cœur.
XXIX
Ma chère fille,
Ne vous attardez pas à ces impressions vagues de
crainte et ne regardez même plus ce qui les cause. S'il'
est un temps où il faut chercher des preuves, ce n'est pas
assurément l'occupation de toute la vie : il y a mieux à
faire. Rester avec ces impressions pénibles diminue les
forces, rend timide auprès de Dieu et des âmes et finit
par créer une sorte de persuasion que ces craintes sont
fondées. Voyez M. Brunetière^ qui vient de se déclarer
converti et pleinement catholique. Certes ! c'est bien un
ferme caractère et un esprit indépendant. Personne ne
conteste sa haute intelligence, et s'il est arrivé à la plé-
nitude de la foi, ce n'est pas par sentiment, mais après
de longues recherches.
XXX
Ma chère fille,
Oh ! oui, je sens bien vivement vos douleurs, toutes vos
douleurs. Celles de la conscience ne sont pas les moindres.
Si elles n'ont pas les déchirements des autres, elles cau-
sent la terreur d'un plus grand vide, mais ce ne sont que
terreurs d'impression. Vous avez offert à Dieu l'échange
de cette épreuve qui, pour une âme saine et rompue aux
choses de la foi, n'offre pas de dangers et procure des
lumières plus vives. Il en serait tout autrement pour
d'autres âmes.-
Plus la science découvre de merveilles, plus elle s'en-
fonce dans l'infini des périodes de formation des êtres,
— 135 —
plus Dieu paraît nécessaire et grand. Le plus ne peut sor-
tir du moins et la pure matière ne peut arriver à l'intelli-
gence. Comment nous étonner de ne pas comprendre
Dieu qui est plus différent de notre ordre que notre ordre
ne l'est de celui des infusoires! D'après la philosophie, la
notion de temps et d'espace qui nous semble l'attribut
de toute existence ne saurait s'appliquer à Dieu. Alors
comment comprendre où il est et comment il vit? L'hy-
pothèse d'une matière intelligente et s'organisant con-
sciemment est contraire à toute observation. Celle d'une
matière inintelligente et s'organisant au hasard est
contraire à toutes nos idées de raison. Et puis ne sai-
sit-on pas que tout ce qui évolue a dû avoir : 1° un com-
mencement, car il n'y a pas de séries infinies; 2° des ger-
mes transformateurs, car ce qui se produit doit être déjà
contenu véritablement dans sa cause? Où donc la matière
aurait-elle trouvé son point de départ et ses lois si belles?
L'absence d'une intelligence régulatrice est inadmissible,
comme l'absence d'un moteur initial immobile. C'est l'ar-
gument d'Aristote.
Deux causes exercent sur les esprits à notre époque
une influence pénible. La première est l'incrédulité de
beaucoup de savants. La seconde est la défectuosité de
l'apologétique : on a laissé s'y introduire des considé-
rations sans valeur et un parti pris de louange qui sonne
faux... -v
... J'ai peut-être tort de soulever tous ces problèmes,
ne pouvant leur donner les développements voulus?
Vous avez le mal du siècle, voilà tout, et d'un siècle qui,
très avancé dans toutes les sciences positives, est extrê-
mement en retard pour la science pure. La métaphysi-
que est ignorée plus encore que méconnue; or elle est la
science fondamentale dont la raison ne peut se passer
sans tomber dans le scepticisme et l'incohérence.
Comme Dieu a été bon de se révéler à l'humanité sous
les traits du divin Maître, et de nous dire avec une clarté
toute simple ce qu'il nous importe de savoir, de faire et
d'espérer!
— 136 —
XXXI
Ma chère fille,
... Vous trouverez dans la vie de prière ce renouvelle-
ment de l'âme qui rend la vigueur et donne souvent
quelque joie. La condition formelle, c'est que vous mépri-
siez franchement le retour offensif du doute. Il n'est pas
raisonnable de remettre sans cesse en question ce qui a
été admis sagement.
Sans la foi, rien ne s'explique et tout manque; avec elle,
on a la vie dans tous les ordres de choses. Par sa condi-
tion ici-bas, la foi est nécessairement obscure; parla con-
dition faite à nos origines, elle rencontre de grands
obstacles dont le principal est l'influence du milieu; or
une nature déchue se révolte aisément contre l'autorité
des préceptes. Tel est le fait général, et c'est ainsi que
s'établit un milieu hostile, dont souffrent les âmes ouver-
tes comme la vôtre.
Mais laissons cela et tournons-nous plutôt vers cette
douce conviction d'un Dieu au regard paternel cons-
tamment fixé sur nous : d'un Homme-Dieu notre frère,
notre ami, notre amour; d'une éternité où tous les êtres
divinisés s'unissent dans un amour très pur.
XXXII
Ma chère fille,
On a beau dire que les peines morales sont pires. C'est
vrai de quelques-unes seulement. Le démon, qui allait
crescendo dans ses tentations à l'égard de Job, après avoir
ruiné sa fortune et fait périr ses enfants, affirma devant
Dieu que ce n'est pas grand' chose et demanda qu'on lui
permît de le prendre par la souffrance physique. Je crois
que depuis lors l'humanité a perfectionné sa manière de
sentir les choses. Les mères de nos jours ne se console-
— 137 —
raient point d'avoir perdu tous leurs enfants par le sim-
ple fait que Dieu leur en donnerait d'autres; mais enfin ce
jugement du démon est de nature à faire réfléchir. Peut-
être trouverez-vous dans vos violentes souffrances des
mérites bien supérieurs à vos prévisions. J'aimerais mieux
perdre quelque chose de ceux que me donne ma compas-
sion pour vous.
XXXIII
Ma chère fille,
Je suis avec le plus grand intérêt la réflexion que vous
me communiquez. Nous connaissons si peu du plan de
Dieu que nous n'avons pas le droit de l'apprécier. Qui
sait ce qui se passe dans des astres si nombreux et si
grands? Il ne me répugne pas de supposer que Dieu s'y
communique, ainsi qu'à nous, à des êtres infiniment nom-
breux et peut-être bien plus sages. L'Incarnation ne serait
pas plus diminuée par des faveurs semblables que ne
l'est la communion qui se donne à tous. La terre est si
petite dans l'ensemble... Donc ne jugeons pas !
Dieu existe, puisque aucune des choses qui nous entou-
rent n'est douée d'une intelligence et d'une puissance
infinie. Que cela nous suffise et nous fixe dans l'admira-
tion et la reconnaissance.
XXXIV
Ma chère fille,
Vos journées passent assez vite, puisque vous avez de
nombreuses visites, et d'ailleurs ne seraient-elles pas rem-
plies par la souffrance quand elle est vive et par la pensée
de Dieu quand vous êtes tranquille? Nos souffrances
envisagées en nos pauvres personnes sont tout un poème
composé par Dieu et par notre coopération. Elles for-
ment une œuvre complète de perfectionnements et de
— 138 —
mérites. Elles donnent, à Dieu la gloire qui résulte de
l'amour et du courage de sa créature sous son action et
sous son étreinte. Il faut voir surtout ce qui reste, c'est-
h -dire le côté moral. La souffrance matérielle est le moule
qu'on brise.
Envisagée au point de vue du plan universel, notre
souffrance individuelle se perd dans l'infini des choses.
Elle résulte de l'application de lois très grandes, très
belles, très bienfaisantes dans leur ensemble; or, comme
au point de vue individuel, nous venons de le voir, elles
sont une belle œuvre, au point de vue général, elles ne
sont pas des choses sacrifiées, des conséquences malheu-
reuses d'un bel ordre comportant des désordres partout.
Le plan universel est admirable; le plan de chaque être
est lui aussi très beau. A la rigueur, on serait prêt à se
sacrifier pour le résultat commun qui glorifierait Dieu;
mais Dieu, sage et bon, ne le demande pas. Il est bon et
sage pour le tout et pour les détails.
Quand aurons-nous la lumière de ces choses? Tout
marche si lentement et d'une façon qui semble inexora-
ble. Les chenilles, que je détruisais hier dans mon jardin,
ne songent pas qu'elles deviendront des papillons. Quant
à nous, nous savons, mais nous n'avons aucune vue
directe de cet avenir. Nous savons autant qu'il importe
à des êtres libres. Nous ignorons en raison de notre con-
dition d'êtres enveloppés dans la matière, et d'êtres qui
se font. Nous ne sommes pas tout à fait.
XXXV
Ma chère fille,
En méditant la Passion, ave^-vous été frappée de l'ef-
fondrement (complet en apparence) de toute l'œuvre de
Jésus? Rien ne reste debout, pas même l'espérance. La
mort est la fin de tout. Les apôtres eux-mêmes ont perdu
la foi. Les adversaires se croient vainqueurs : ils ont
écarté ce qu'ils croyaient le mal, c'est-à-dire la doctrine
— 139 —
opposée à celle de Moïse, dénaturée par eux. — Telle a
été presque toujours la vie mouvementée de l'Église.
Telle apparaît la situation actuelle.
L'explication du plan de Dieu? Peut-être se trouve-t-elle
dans la nature des choses et dans la simplicité des moyens.
Il fallait un rachat dans des souffrances. N'en faut-il pas
toujours? La nature humaine déchue ne devait pas être
relevée, mais aidée à se relever. De là, les oppositions tolé-
rées et les forces aidées. De là, le mélange du bien et du
mal. De là, les belles vertus de patience et d'amour
quand même, la persévérance dans la foi et la prière,
le perfectionnement qui se fait malgré tout. Je doute
qu'à aucune époque, il y ait eu plus de belles âmes, mieux
formées, plus purement à Dieu et plus consciemment.
Dieu tient un compte partial de ses bontés en faveur des
ignorants qui blasphèment ou se retirent. Il les sauvera
en grand nombre silencieusement.
Vous êtes une de ces âmes, et en ce moment votre
puissance est élevée par la souffrance, comme dans les
mathématiques par les signes algébriques. Courage.
XXXVI
Ma chère fille,
C'est une préoccupation pour moi de craindre, en ce qui
vous concerne, que vous n'ayez le cœur un peu resserré.
Il ne faut pas souffrir d'une peine qui ne rendrait pas
meilleure. Il faut au contraire retenir toutes les pensées
qui donnent du courage et de la liberté. Dieu qui nous a
créés de toutes pièces est là pour nous renouveler et nous
rajeunir dans tous nos besoins. Notre rôle est d'avoir une
confiance entière, abandonnée, téméraire au besoin,
téméraire si nous jugeons Dieu à notre mesure. Il ne
serait ni juste, ni bon, de garder des restes de tristesse
et de réserve à son égard. Celui qui crée est le seul qui
puisse délivrer absolument et il le fait comme il l'a pro-
mis. Il comptera le sang de son Fils qui n'efface pas seu-
— 140 —
lement, mais qui remplace, car il est la vie, et la vie don-
née par amour.
X XXVII
Ma chère fille,
Je me réjouis du résultat de votre courte et bonne
retraite; vous en sortez plus rassérénée et plus aimante.
Pourquoi douter de la persévérance en ces dispositions?
Ne vous sont-elles que montrées ou prêtées? Dieu les voit
en vous à l'état permanent et progressif. Il y va de sa
gloire et de votre bien, deux choses qu'il aime sinon,
également, du moins sans restriction.
A l'élément de résistance et de lumière que donne la
méditation fondamentale, vous avez ajouté l'élément d'ar-
deur et de délicatesse qu'apporte la méditation du règne.
Je vous proposerais un troisième point d'appui pour un
essor plus facile et peut-être plus haut, car il rapproche
encore plus Dieu et l'âme, la méditation de l'Eucharistie.
Si le Jésus que vous avez contemplé parcourant la
Judée, et que vous admiriez beau et aimable, vous ayant
distinguée dans la foule, vous avait demandé de vous
suivre dans votre demeure et d'y trouver du repos et des
soins, quelle eût été votre joie émue ! Et si, une fois chez
vous, il vous avait dit qu'il s'y trouvait bien, comme
vous vous seriez sentie récompensée!... Ainsi l'amour
spécial de Jésus pour vous en particulier, ce qui est une
condition de l'amitié et un principe de relations parfaites
que nous pouvons pousser très loin. Si, en ce jour de
l'Assomption, Jésus quittait visiblement le tabernacle
pour aller vous visiter dans votre cellule et y rester et
s'y prêter à toutes vos questions, et s'il vous témoignait
cette merveilleuse affection que nous pouvons rêver...
ne lui donneriez-vous pas toutes les satisfactions, et en
particulier celle d'être heureuse pour longtemps et malgré
tout !...
Ce que nous rêvons, ce qu'il ne fera pas sans doute, il
nous aime assez pour que nous lui en supposions le désir
141 —
et l'élan. Des lois supérieures les enchaînent : sachons
être -les esclaves de ces lois. Le Ciel les déliera, et ce ne
sera pas pour un seul jour de fête !....
XXXVIII
Ma chère fille,
Cette vie n'est point une vie véritable dans laquelle
rien ne persiste. L'être est par définition ce qui est; or
ce qui passe est à peine, bientôt il n'est plus. Dieu n'a
jamais manqué d'une parcelle d'être, ni d'une parcelle de
durée : voilà pourquoi nous le disons infini et éternel. Il a
l'être dans la plénitude. Il faut bien qu'il y ait un être
qui ne commence pas à être et qui maintienne ou renou-
velle les êtres chancelants et passagers!... Il nous main-
tiendra autant qu'il durera lui-même, parce qu'il nous
a donné sa nature, qui est de ne point finir. Il ne pou-
vait pas nous communiquer la plénitude de l'essence; il
nous en a pourtant rendu participants dans un tel degré
que nous sommes réellement de sa famille, de sa ressem-
blance, et, comme je le redis souvent dans mes livres :
c'est le vrai fondement de son amour pour nous. Il faut
toujours en revenir là pour comprendre les excès de Dieu
en notre faveur et sa miséricorde et nos espérances. Qui
sait les surprises que nous réserve le sort de ceux que nous
croyons perdus! L'enseignement sur ce point avait été
longtemps trop désespérant; on l'a beaucoup élargi depui?
les Jansénistes; on l'élargira peut-être encore en tenant
grand compte de la bonne foi, de la faiblesse et de l'in-
fluence du milieu. Dieu connaît encore mieux tout cela
que les modernes les plus accommodants!
Voilà que je philosophe avec vous, sans égard pour
l'accaparement de vos travaux, sans prendre le temps de
vous remercier des souhaits si bons que vous me donnez.
II est vrai, je me répéterais, si je vous disais combien ils
me touchent et combien, en fait d'estime, ils sont au-des-
sus de ce que je vaux. Compte/, du moins sur mon dévoue-
— 142 —
ment paternel. Vous l'avouerai-je? Je souffre de vous
voir si fortement appuyée sur moi, car vraisemblable-
ment j'ai peu de temps à vivre et mon départ sera comme
un abandon. Vous penserez alors, plus fortement même,
que je continue à penser à vous et que je commence à
vous attendre.
XXXIX
Ma chère fille,
Dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel, tout
se passe avec lenteur et majesté. Nous nous troublons de
chaque détail et nous appelons avec impatience l'achè-
vement d'une période simplement en train d'évoluer. Que
de siècles ont travaillé à produire la période de terre
végétale où croît une petite plante !...
Je n'en finirais pas... Ne rapetissons pas Dieu et en
même temps croyons-le sage et bon pour chaque être.
Plus d'une fois, je me suis attendri sur le triste sort des
animaux qui souffrent sans mérite; en fait, ils ont beau
coup plus de petites jouissances que de peines, et certai-
nement, s'ils pouvaient être consultés, ils voteraient à
l'unanimité la vie plutôt que la mort.
Pour les chrétiens et pour les religieux surtout, la
souffrance est le plus grand des biens, n'y eût-il que
l'union à Jésus rédempteur par la souffrance; cela élève
au-dessus de la simple honnêteté. Les âmes religieuses qui
ne vivent pas dans ces pensées distinctes, en vivent impli-
citement par leur donation sincère.
J'ai commencé mes lettres par vous et je m'attarde à
philosopher, tandis que de bonnes âmes attendent un
mot qui les réconforte... mais vous n'êtes pas tout le
monde; il n'y a personne sur qui je compte autant que
sur vous, et qui me soit plus chère. Mon désir est de vous
voir bien en paix, travaillant à vous rendre toujours plus
parfaite, c'est-à-dire vous possédant mieux, prenant le
temps de réfléchir et tranchant moins vite... Vous me
retrouvez tyran impitoyable !
— 143
XL
Eh bien ! vous, ma chère fille, vous allez faire des
progrès visibles dans votre extérieur au point de vue de
la vivacité. Vous ne vous prononcerez plus si vite, sauf
dans les cas où ce serait nécessaire. Vous vous mettrez
plus largement à la place des autres, et vous ne contre-
direz qu'avez des formes dubitatives.
La présence de votre sœur vous sera un mémento con-
tinuel de ces résolutions. Vous déposerez près d'elle
votre autorité pédagogique et vos allures. Vous devien-
drez même, par elle, plus parfaite pour tout le monde.
XLI
Ma chère fille,
L'éloignement qui efface les souvenirs superficiels rend
au contraire plus sensibles les sentiments profonds.
Plus sensibles, ils causent quelque peine, c'est vrai; mais
ils donnent plus d'intensité à la vie du cœur. La pensée
de Dieu rapproche et console. A la communion surtout,
on se trouve si près et on l'est si réellement que Jésus seul
sépare. Est-ce être séparé que de l'avoir lui seul entre
nous?
Si nous avions conscience de cet état,, nous ne pour-
rions plus souffrir que par miracle, comme ce bon Sauveur
quand il était sur la terre. Notre sort est de marcher à
tâtons dans les ténèbres et d'éprouver parfois les angois-
ses du vide apparent. Nous sommes voués à la plus pro-
fonde misère pour devenir grands. « Notre vertu se fait
dans l'infirmité », et cette infirmité n'est pas seulement
en nous, elle est en toutes choses autour de nous. Ceux
qui admettent la théorie de l'évolution doivent reconnaî-
tre qu'il y a loin d'une petite portion de la nébuleuse pri-
mitive à l'organisme humain et aux merveilles de la vie
civilisée. Il y a loin aussi de notre condition présente à
13
— 144 —
celle qui révélera en nous les faits, obscurs aujourd'hui,
de notre divinisation !
Vivons donc par la foi. C'est Dieu qui nous a fait con-
naître ce qu'il forme en nous et les moyens de le suivre
dans cette transformation. Il n'avait vraiment pas d'au-
tre moyen de s'y prendre sans nous enlever la liberté,
c'est-à-dire l'agent voulu de cette collaboration mysté-
rieuse. Les impies les plus décidés seraient incapables de
refuser leur adhésion et leur amour à un Dieu qui se lais-
serait voir distinctement dans l'Eucharistie... mais aussi
nous laissant dans les ombres, il sera indulgent pour ceux
qui n'auront pas su voir.
Ne vous préoccupez pas des petites imperfections que
je vous ai signalées; vous les reconnaîtrez sans doute
bientôt, quand vous aurez auprès de vous toute une
famille dont les petites contrariétés donneront lieu à des
observations trop promptes peut-être, ou trop absolues.
Or, les connaître est pour vous les vaincre en principe.
XLII
Ma chère fille,
C'est avec une véritable peine que j'apprends la mort
de X. et cette peine ne vient pas seulement du vide
qu'elle fait dans les œuvres et de la douleur qu'elle vous
cause, elle va jusqu'à mon propre cœur. Le manque de
sympathie n'empêche nullement l'estime et un vif sen-
timent d'intérêt, voisin de l'affection.
Nous causerons de votre difficulté à admettre en la
compagnie de Dieu des affections très vives. Il y aurait
beaucoup de distinctions à établir pour mettre la question
dans son jour. Ce que je peux vous indiquer d'avance,
c'est qu'il ne peut pas y avoir opposition entre ce que
Dieu nous demande, soit pour lui, soit pour les person-
nes qu'il nous fait aimer. Ce qui nous dépasse par l'ordre
voulu ne saurait se heurter.
Sans doute Dieu peut demander à certaines âmes de se
— 145 —
dépouiller de toute affection humaine, afin de se les réser-
ver à lui "uniquement, mais alors il le dit, soit par un
appel intime, soit par l'indication des circonstances.
Par contre, il ne peut demander cette sorte d'absorp-
tion à une personne qui a le devoir d'aimer des êtres légi-
timement chers. Alors tout doit et peut se concilier. Ce
qui s'y oppose, ce n'est pas la perfection, mais quelque
imperfection presque toujours involontaire ; idées, habi-
tudes, craintes, etc.. Parmi les idée?, je citerai la ten-
dance que nous avons naturellement à prêter à Dieu nos
sentiments et nos exigences de cœur. Le plus souvent on
est victime d'une dévotion étroite, et par dévotion, j'en-
tends ici tout ce qui agit sur nous : les livres, le milieu
autant et plus que l'action du prêtre. Durant mon grand
séminaire, j'étais tombé en plein dans ce défaut, et j'ai
fait souffrir bien involontairement ma pauvre mère et
ma sœur! Je n'avais bien compris dans la sainteté que
l'austérité et je n'admirais que l'absolu, comme tous les
esprits ardents et jeunes. Depuis lors j'ai estimé bien plus
la pondération qui donne à chaque chose sa place et sa
juste part de vie.
XLIII
Ma chère fille,
Cette année-ci je ne puis penser à vous sans me sentir
triste, parce que je sens que vous l'êtes... J'espère que
bientôt vous trouvant plus libre, vous reprendrez votre
belle sérénité, celle des âmes croyantes et vaillantes. La
pensée du Ciel est lumineuse. Elle doit planer sur notre
vie dici-bas pour nous la faire comprendre et porter.
Elle devrait même envahir notre âme pour y éveiller le
sens, rudimentaire encore, qui cherche à voir Dieu, mais
qui ne peut le pressentir. Nous n'avons pas le sens de la
vue, mais le sens de l'idéal et d'un idéal tout à fait vague,
comme peut l'être celui d'une âme privée du sens qui per-
çoit. Comme il souffre, ce sens «le l'idéal! Il se heurte à
toutes choses, qu'il découvre souvent laides, toujours
— 146 —
insuffisantes. — Eh bien ! apprenons à n'être pas diffi-
ciles, puisque ce serait injuste de trop demander à des
indigents ! Regardons sans étonnement les imperfections
souvent choquantes qui se rencontrent jusque dans les
choses religieuses et dans les personnes, même élevées, qui
les représentent. Acceptons les obscurités, je ne dis pas
des mystères, c'est facile, mais des faits religieux qui
semblent souvent contredire les promesses divines et
jusqu'aux principes eux-mêmes. Là du moins, nous vou-
drions que notre idéal fût satisfait. Hélas ! notre idéal
se trompe de date : il veut voir réalisé en ce temps de for-
mation ce qui ne peut l'être qu'au temps de l'épanouis-
sement. Il semble que ce sens de l'idéal nous a été donné
trop tôt et trop actif... il devance le temps où il pourra
s'exercer dans sa sphère. Est-ce un mal? non. C'est une
souffrance et une épreuve. A ce titre, il est une source de
mérites et un stimulant à toute grandeur. C'est lui qui
nous empêche de nous trop attacher aux choses et aux
personnes. C'est lui qui ne laisse pas grandir en nous des
goûts inférieurs. C'est lui enfin qui nous révèle Dieu. —
Concluons : quand il s'agit de nous, prenons l'idéal pour
grandir. Quand il s'agit des autres et des choses d'ici-bas,
prêchons-lui l'indulgence, la patience, la bonté. Cette
conduite nous donne l'élévation d'esprit qui consiste
en ces deux manières d'être.
XLIV
Ma chère fille,
Donnez-moi la joie de vous savoir vaillante. Vous
êtes sous le poids de plusieurs choses pénibles; c'est le
moment de mériter et de grandir; oui, de grandir, car ce
développement de patience et de confiance est un accrois-
sement de valeur morale et de force aussi. Sur le moment,
on croit au contraire que toute vertu s'effondre et qu'on
n'a ni patience ni confiance. Ce qui est vrai, c'est qu'on
ne seul pas les avuir; ce qui est vrai aussi, c'est qu'on
— 147 —
y est infidèle parfois et plus fréquemment que d'ordi-
naire; mais en réalité on fait dix fois plus d'actes que
dans les périodes de paix, et si l'on sème dans les larmes,
on récoltera dans la joie.
Je désire vous voir une âme toujours douce au fond,
douce aux personnes qui déplairaient, douce en vous-
même, pour vous-même, ne vous étonnant pas de quel-
ques défaites, ni surtout des dispositions intérieures
quand vous ne pouvez changer. Vous voulez tout bien,
c'est ce que Dieu considère : voilà pourquoi vous ne
cessez d'être chérie de Lui, en dépit du triste visage que
vous lui présentez souvent!... Mettez donc au dedans
comme au dehors la belle physionomie de règle. Que ce
soit votre parure, la seule qui plaise à tous, à Dieu comme
aux personnes amies. Je vous bénis de tout cœur.
XLV
Ma chère fille,
Votre lettre m'apporte la joie et la tristesse des sou-
venirs. Les souvenirs sont la grande part de notre vie,
où tout se succède si vite. On les garde, on les revoit, on
s'y retrouve. Par eux, les absents se rapprochent, vous
parlent et ne s'en vont plus. C'est le seul rendez-vous
durable. Il en est un autre, celui-là plus ou moins éloigné,
mais réel, heureux, éternel. C'est à lui qu'il faut surtout
penser, car lui seul est sans tristesse; lui seul console et
encourage. Et puis n'évoque-t-il pas nécessairement la
pensée de Dieu, de Dieu qui est le lien vivant, aimant,
magnifique, en qui l'on se retrouve transformé, agrandi,
plus ouvert encore aux affections pures écloses sur la
terre ! Dieu n'a pas besoin de cette partie de notre cœur
faite pour les hommes, il ne pourrait pas même en être
l'objet. D'autre part son amour n'absorbe pas les autres.
C'est le propre de ce qui est vrai et bon d'être ordonné;
l'ordre règle les rapports, mais les fait respecter. Et
d'ailleurs Dieu est la lumière parfaite. Si celle du soleil
-— 148 —
nous éblouit, c'est que le soleil a une lumière impar-
faite, et nous des sens plus imparfaits encore.
Le propre de la lumière est d'éclairer, non d'éblouir;
j'espère donc vous voir un jour très parfaite et toujours
très bonne, très filiale même, car ce sentiment est très
doux.
Rien de cela n'est un rêve. La chenille qui rampe sur
nos arbres ne rêverait pas, si elle songeait que, malgré
toutes les apparences, un jour viendra où elle aura des
ailes, prendra possession de l'espace, et, avec ses goûts
transformés, cherchera sa nourriture dans les fleurs !
En attendant, pour nous, ma chère fille, remercions
Dieu d'avoir créé entre nous des rapports qui nous
aident à aller vers Lui, à devenir meilleurs, vous par le
dévouement dont vous m'entourez,, moi par la -recon-
naissance que je vous donne.
XLVI
Ma chère fille,
Oui, insistez sur la fidélité à la méditation. Les raisons
en sont si fortes que je suis un peu étonné de vous voir
manquer de logique en ne tirant pas la conclusion. Tant
il est vrai que ce n'est pas la logique qui conduit le
monde ! Mais vous, qui avez le jugement clair et l'esprit
de décision, vous m'étonnez toujours sur ce point. Il vous
sera fait miséricorde parce que vous n'agissez ainsi que
par trop de condescendance aux désirs des autres, mais
vous serez peut-être privée de ce grand bien qui s'appelle
le progrès.
Oui, ma chère enfant, je crois que vous n'êtes pas dans
la volonté de Dieu quand vous ne disposez pas les choses
de façon à assurer votre méditation. Or, comme il s'agit
ici d'une chose habituelle, prévoyez les inconvénients que
vous pourrez rencontrer dans une route qui n'est pas le
chemin tracé. Certainement, Dieu ne vous prive point de
son assistance et il ne cesse pas de vous aimer autant;
— 149 —
niais il laissera sans doute agir les causes posées par vutre
libre arbitre, et. le résultat sera certainement inférieur
à votre idéal, peut-être même assez fâcheux... Voyez
combien je suis sévère, par conséquent combien je vous
suis attaché : j'ai l'ambition de vous voir grande et heu-
reuse, surtout au Ciel !
XLVII
Ma chère fille,
J'espère que vos occupations quoique nombreuses ne
vous auront pas absorbée. Que je voudrais vous voir
tout épanouie dans l'union à Dieu ! Nulle âme n'y est
plus apte; vous n'avez qu'à vous mettre en oraison pour
être saisie fortement. Que serait-ce si cette oraison pou-
vait se prolonger une ou deux heures et dominer ensuite
toute l'activité de vos journées! J'espère qu'un jour
vous obtiendrez malgré vous cette grâce. Comment? Je
tremble que ce ne soit par l'action amère de la souffrance...
Et même à ce prix nous devons nous réjouir, car tout en
nous se développe pour s'emparer de Dieu au ciel dans de
plus profondes délices. Ce qui passe est peu de chose!...
XLVIII
Ma chère fille,
Oui, ce sont de simples impressions qui déterminent
chez vous des apparences de doute qui vous font crain-
dre des doutes réels. Comme il n'y a point là de vraie
faute, Dieu vous conserve la vertu intime de foi; cette
vertu adhère à Dieu avec une grande force. Vous sentez
vivement le bonheur qu'il y aurait à croire avec une cer-
titude tranquille, et par là les biens surnaturels vous
deviennent plus désirables qu'aux personnes qui n'ont
pas eu la terreur de les voir s'évanouir. J'ai toujours été
— 150 —
frappé de la manière dont les doutes se sont produits
chez vous : c'était pour en guérir votre frère, et qui sait
si votre longue expérience de cette épreuve ne vous
permettra pas un jour, les circonstances aidant, de le
ramener par des considérations qui finiront par s'impo-
ser à vous.
Parlez-lui, écrivez-lui, comme si vous n'aviez pas la
moindre préoccupation de doute. Adressez-vous à Notre-
Seigneur et à la Sainte Vierge comme une enfant.
Votre absence me laisse un vide que je ressens déjà.
C'est une de ces choses qui montrent combien tout ici-
bas est insuffisant. Quand serons-nous dans ce beau ciel
où déjà tant d'êtres chers nous attendent? Puisque vous
avez emporté Y Imitation, lisez dans le troisième livre
divers- chapitres comme le 47e et le 48e. Je les ai médités
souvent.
XLIX
Ma chère fille,
Je jouis du bonheur de votre pauvre frère et de celui que
vous en ressentez. Puissiez-vous récolter beaucoup de la
joie des autres! C'est la seule que vous connaissiez dans
votre vie tout entière de dévouement. Une, plus pro-
fonde, s'élabore invisiblement pour ne s'épanouir que
dans la vraie patrie. Quel ne sera pas votre étonnement
de découvrir ce nouveau monde, et de vous y voir précé-
dée de tant de richesses ! Laissez- vous transporter, comme
le dit l'auteur de Y Imitation, dans ce séjour où Dieu
rayonne. Ici-bas, c'est le soleil qui donne à toutes choses
son mouvement de vie, ses couleurs, sa beauté. Là-haut
ce sera Dieu lui-même. Ne nous étonnons pas de ne pas
nous reconnaître au milieu de ces éclosions d'ordre si
différent et de les regarder comme des rêves. Est-ce qu'il
n'y a pas au fond de nous des aspirations qui tendent
vers ces merveilles? Est-ce qu'il n'y a pas dans nos vies
des souffrances qui demandent cette compensation? Rien
ne peut nous suffire, si ce n'est l'infini. Du moment que
— 151 —
l'idée s'est emparée de notre esprit, elle rabaisse et efface
tout le reste. Nous ne saurions être heureux qu'en attei-
gnant ce que nous regardons comme une fin possible et
comme le vrai repos de tout notre être intelligent et
aimant... Nous restons étonnés comme des sauvages à qui
l'on dirait que dans les pages d'un livre se trouvent des
jouissances supérieures. Vous vous préoccupez souvent
des ressemblances qui existent entre nous et les ani-
maux; voyez aussi les dissemblances : l'homme est maître
de l'univers qu'il est en train de transformer; l'ani-
mal ne sort pas de la loi de son organisme. Entre l'intel-
ligence humaine et tous ces semblants d'intelligence,
qui n'ont pour but que la conservation de l'être et de
l'espèce, il y a une différence d'ordre, non de degrés...
Vous êtes bien de ces âmes dont il est dit : « Elles s'en
allaient semant dans les larmes. » Que de bien n'avez-
vous pas fait en dépit des ténèbres qui voilent votre ciel !
Et que votre moisson sera belle ! Patience ! Dans quel-
ques années vous entrerez dans la lumière. Ne vous
étonnez pas que l'exil soit sombre.
Ma chère fille,
Je vois avez plaisir que votre tâche est moins pénible
que je ne le craignais : vous récoltez ce que vous avez
semé, et vous jouissez des accroissements de vie intellec-
tuelle et morale qu'ont amenés vos soins. Cette enfant
vous devra beaucoup, car les petits détails de la vie sont
la vie même. Vous vous trouverez avoir f?it ici et là
beaucoup de bien et souvent à travers des difficultés qui
eussent rebuté tout autre courage. En même temps, vous
avez acquis une puissance de dévouement qui est telle
que les actes les plus fastidieux vous paraissent tout natu-
rels. Sans doute votre nature se prêtait à cet essor, mais
la pensée surnaturelle l'a élevée au-dessus d'elle-même.
— 152 —
Dieu a permis que cette pensée féconde ne fût, pas tou-
jours consolante; il vous a fait avancer dans les ténèbres
et dans l'horrible crainte du néant. C'est la condition
assez naturelle de l'exil et de l'épreuve. C'est au fond la
seule grande douleur qui pût rester sans consolation. Je
vois avec inquiétude l'état d'esprit dont vous souffrez,
devenir celui de beaucoup d'âmes très belles et très
droites. Cela ne m'étonne pas; nous sommes dans un
moment de crise religieuse créée par l'orgueil de la raison
et favorisée par les multiples faillites d'idées religieuses
accueillies et répandues par une foi ignorante. L'élimina-
tion qui se fait dans une large mesure présentera aux
nouveaux venus un ensemble qui satisfera la raison, et
d'autre part l'absence de principes dans les sociétés
modernes produira des conséquences désastreuses qui
ramèneront les esprits au vrai fondement de la morale,
qui est : un Dieu maître, législateur et rémunérateur.
LI
Ma chère fille,
Vous le savez bien, je prie pour vous de toute mon
âme; je vous souhaite les grâces qui vous élèveront tou-
jours davantage, et je laisse entrevoir au bon Dieu le
désir que j'aurais de vous voir jouir de Lui dès ici-bas :
un peu de vision tranquille en attendant la vision béati-
fique, un repos très doux dans un amour senti en atten-
dant les ravissements de l'union parfaite... Mais je crains
que, considérant surtout votre vaillance, Dieu vous
laisse dans le combat contre l'influence désolante du
scepticisme régnant. Quelle épreuve méritoire ! Sentir le
vide au-dessous de tout ce qu'on aime, de tout ce qu'on
espère, de tout ce à quoi on se dévoue !... Et malgré cette
impression déprimante, ne jamais abandonner un pouce
de terrain, ne jamais diminuer l'intensité de l'effort...
C'est pour ramener l'âme de votre frère que, vous étant
lancée dans les études d'apologétique, vous avez subi
— 153 —
le vertige des grands problèmes. Dieu n'aurait- il pas
permis cette immense souffrance pour qu'elle fût un
jour la rançon de cette âme que vos paroles n'ont pu
persuader? Il ne fait rien d'inutile. Il a pour tout de pro-
fondes raisons, mais il n'a pas nos empressements qui se
découragent dès que l'effet tarde à se produire. Quand il
permet qu'une âme sainte souffre et prie d'une façon
prolongée pour quelqu'un, c'est qu'il veut la sauver. Le
salut de votre frère est peut-être attaché à votre état de
peine.
LU
Ma chère fillo,
Votre impression religieuse à l'égard de votre frère est
un magnifique témoignage de votre foi. Tout n'est pas
faux dans ce que dit Bergson des insuffisances de l'in-
telligence et des suppléances que lui apporte cette sorte
de subconscient qui est l'origine d'un travail qui se fait
en nous à notre insu, quoique par nous.
La foi, je crois vous l'avoir dit, n'est pas précisément
un acte d'intelligence; elle est un acte moral, par consé-
quent de la volonté. L'intelligence lui est nécessaire, mais
ce n'est pas elle qui la détermine. « Les démons savent et-
ne croient pas. » L'intelligence éclaire la route, mais c'est
la volonté qui entre dans la sphère du surnaturel. Elle
fait le pas décisif sous l'impulsion de la grâce. Voilà qui
explique des conversions basées sur des considérations
ou très faibles ou même peu justes.
Que deviendraient tant d'esprits nuls ou faux, si Dieu
leur demandait de ne se convertir que sur des preuves
solides? Je suis même frappé de voir les convertis de
notre temps, comme Brunetière et Bourget, nous arriver
par des voies indirectes, comme la nécessité sociale de la
religion et l'efficacité du seul catholicisme. D'autres,
comme Péguy, sont déterminés par le fait de l'expé-
rience religieuse personnelle : cette religion me rend
meilleur et plus heureux, donc elle est la vérité. L'ar-
— 154 —
gument laisse à désirer, mais il s'adapte, soit à certaines
tournures d'esprit, soit à tel genre d'études poursuivies.
Votre cas m'a toujours paru très net : vos études
d'apologétique vous ont jeté dans une sorte de doute
pour deux causes : 1° la préparation nécessaire à ces
études vous manquait. En toute science comme dans
l'art lui-même, il faut débuter par les notions élémen-
taires. Un musicien qui ne commencerait pas par le
solfège n'arriverait pas facilement à l'art complet. Le phi-
losophe qui ne se formerait pas par un cours élémen-
taire resterait toujours dans le vague malgré toutes ses
lectures. Si j'avais eu l'expérience que j'ai aujourd'hui,
je ne vous aurais pas conseillé ces lectures : j'en fais mon
« mea culpa ».
2° La seconde cause tient à cette qualité de votre
nature que j'appellerai : la rigueur ou rigidité. Ce qui se
fixe en vous s'y fixe tellement que le contraire, s'il se
présente, se trouve facilement éconduit, comme instinc-
tivement... Vous voyez vivement l'objet lui-même, et
beaucoup moins ses alentours...
La grâce et votre volonté font de vous une âme profon-
dément croyante. Dieu permet que vous soyez privée
des douceurs de la foi; il vous en laisse la possession.
Vous faites du bien et vous en ferez beaucoup encore. Si
un jour une paix lumineuse descendait sur votre âme, vous
en jouiriez cent fois plus qu'une autre. Ce sera peut-être
pour le ciel, mais au ciel sûrement.
LUI
Ma chère fille,
Un mot de votre père à votre arrivée à S1. V, un
mot qui sera comme un accueil. Il ne vous apportera
l'expression d'aucun sentiment nouveau. Tous sont éclos
depuis longtemps et se portent à merveille. Je remercie
Dieu de m'avoir donné en vous une fille incomparable;
je sais apprécier ce don et je me crois un cœur capable de
— 155 —
ne pas se laisser vaincre en affection... Quelle joie de
penser que nous nous retrouverons au Ciel ! Il n'y aura
plus de S1. V. ni de B. pour nous séparer. Quand resplen-
dira à nos pauvres yeux l'éclatante lumière de Ce qui
est? Ici-bas tout reste enseveli dans l'ombre, et comme
l'écrit saint Paul, « nous cherchons à tâtons »... et par-
fois même que nous croyons toucher une vérité, nous
nous demandons si ce n'est pas une illusion qui va se
dissiper au grand jour. Le grand jour n'est qu'au Ciel,
mais qu'il sera beau ! Dans votre ravissement, vous êtes
capable de m'oublier; mais j'espère que si vous contem-
plez Dieu dans son infini, vous me découvrirez dans
quelque coin.
LIV
Ma chère fille,
C'est hier soir en rentrant du couvent que j'ai lu votre
lettre navrante. Je n'avais aucun moyen de vous répon-
dre de suite, et ce matin j'ai attendu le courrier de neuf
heures dans la pensée que peut-être une nouvelle lettre
m'apporterait des nouvelles. Lesquelles? hélas! je n'o-
sais vous le demander tant vous me manifestiez peu d' ;s-
poir...
Que ne puis-je être près de vous réellement? j'y suis
tellement par le cœur. Je sens votre désolation. Je vois
aussi votre courage supérieur à tout. J'aime à penser
qu'en cette épreuve Dieu se laisse entrevoir; mais s'il
n'écarte pas les ombres, je sais que vous allez à Lui
quand même et combien plus méritoirement ! Notre divin
Maître n'a-t-il pas créé cette douleur supérieure : Mon
Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? mais il ajoute : Je
remets mon âme entre vos mains !... Oui, mettez entre ses
mains paternelles et votre âme, et vos angoisses, et vos
trouble? possibles; remettez-lui l'avenir de ceux qui vous
sont chers !
s Quand ce mot vous arrivera, le conseil que vous me
demandez aura-L-il sa raison d'être? Le mieux se sera
— 156 —
accentué ou bien... ! — Je vous aurais dit : l'essentiel
étant assuré, ménagez la sensibilité du pauvre malade.
N'appelez pas d'une façon violente son regard sur une
sorte de certitude, qui lui montrerait sa maison renversée,
ses enfants sans père. Ne proposez l'extrême-onction que
dans le cas où vous n'auriez rien à lui apprendre. Alors
donnez-lui la grâce de tous les sacrements et le haut
mérite de l'acceptation... Faites qu'il entre au Ciel glo-
rieusement !
Je jette ces mots à la hâte pour que ma lettre parte
sans retard et vous porte l'expression de cette affection
paternelle, intime et forte, que je vous ai vouée.
LV
Ma chère fille,
Oh ! oui, les desseins de Dieu sont impénétrables, et si
nous n'avions pas comme explication l'éternité de la vie,
nous verrions surgir de toutes parts des manques de ten-
dresse évidents, des imprévoyances lamentables, des
déchirements inutiles. L'affirmation d'une bonté pro-
fonde et sage qui préside à tout est la plus courte réponse
à ces douloureux problèmes, elle est la vraie aussi.
Laissons le temps à Celui qui offre l'éternité... L'école
du malheur est ordinairement la plus formatrice. La
nécessité est aussi le meilleur stimulant de l'activité. Je
parle pour ces pauvres enfants qui blessent votre cœur
par le spectacle de leur délaissement!... Vous serez là.
Peut-être vous devront-ils ce qu'ils n'auraient pas trouvé
dans des conditions moins dépendantes... Votre cœur, vos
prières, votre dévouement, suppléeront à beaucoup !
Vous ne songez pas à votre douleur personnelle, mais
que je la sens! Ce frère, votre œuvre, a passé; cette
affection solide... tout est disparu ! Cette nouvelle bles-
sure rouvrant une plaie récente ! Ne vous reprochez pas
de souffrir violemment. Pleurez... si vous pouvez pleurer !
A Ira vers toutes ces ombres et toutes ces larmes, lais-
— 157 ~-
sez descendre du Ciel les rayons si consolants de sa fin
si chrétienne. Songez à lui : il est plus heureux qu'il ne
le fut jamais... Ne sera-t-il pas de loin la protection invi-
sible de ceux qu'il laisse et qu'il aime toujours? Gomme
il vous est déjà reconnaissant de tout ce qu'il lit dans
votre cœur de dévouement prêt à se donner!
Quand la main de Dieu s'est appesantie sur nous d'une
façon dure, nous éprouvons comme une sorte de malaise
qui nous éloignerait, qui, du moins, nous fermerait le
cœur : c'est le résultat naturel de l'épreuve, et il ne faut
pas se reprocher cette impression. Il ne faut pas non plus
en tenir compte. Allez donc à. ce Dieu, Père quand même.
Regardez-le, Lui, plus que son œuvre. Perdez-vous
dans le sentiment d'une bonté infinie qui s'expliquera
plus tard merveilleusement !
Songez aussi que Jésus, dans son cœur humain, com-
prend la douleur du vôtre et votre brisement. De la terre,
où il pouvait souffrir, il en a partagé l'amertume. Ses
larmes ont été pour vous comme si vous en eussiez été
le seul objet. Dans son bonheur actuel il lui reste, sinon la
douleur, du moins une mystérieuse impression qui s'en
rapproche, et sûrement toute la tendresse qui le rendrait
capable de la sentir ! Comme il nous consolerait bien !
Comme à ses genoux nos larmes couleraient plus douces 1
Comme nous sentirions dans son amour la certitude d'un
appui l
LVI
Ma chère fille,
Je vous écris sans savoir où et quand vous arrivera
ce mot. Je ne puis retenir mon cœur qui veut vous dire
combien il sent votre vive peine. Vous m'avez si souvent
parlé de cette femme admirable et de ses sentiments
maternels, que je souffre moi-même de la voir disparaître.
Je songe en même temps à ces amis qui m'ont quitté le
long de la route. La vie, à mon âge, et déjà au vôtre,
ressemble à l'automne. Les feuilles tombent de tous côtés
— 158 —
et celles qui restent encore paraissent si peu vivantes que
l'on s'attend à les voir tomber sous un souffle un peu plus
rigoureux et prochain. Par ce froid qui saisit toute l'âme,
qu'il fait bon porter ses regards vers la demeure pater-
nelle où le printemps sera perpétuel ! Vous ne vous faites
pas du ciel une image physique, et moi je l'aime. Cette
image soulève des impressions certaines, goûtées, et l'on
se dit : c'est mieux que cela; si je jouis de la nature, com-
bien ne jouirai-je pas de ce qui la surpasse infiniment !
Il est vrai, le champ de l'amour divin est autrement
riche, autrement attrayant, mais nous sommes à court pour
le décrire et souvent même si impuissants ! Nous ne le
pouvons pas, même en évoquant la joie de nos affections
d'ici-bas, parce que nous en jouissons avec la crainte de
les perdre et l'impression de ce qui leur manque toujours
de quelque côté !
Je viens de commencer les méditations de la Passion.
Dans la première, j'expose le serrtiment de tristesse que
cause d'avance la froideur avec laquelle on méditera tant
de souffrance et tant d'amour. Il faut penser qu'un grand
amour se contente de l'amour tel qu'on le lui donne,
pourvu qu'il soit sincère. Ne le faisons-nous pas nous-
même !
Je me sens près de vous dans les heures douloureuses
que vous traversez, et de loin je vous envoie la bénédic-
tion du prêtre et la condoléance de l'ami.
LVII
Ma chère fille,
Vous serez une très bonne garde-malade et vous mettrez
un sentiment surnaturel même dans les soins qu'une ten-
dresse naturelle suffit à inspirer. Quelle douceur de voir
Notre-Seigneur souffrant, jusque dans sa sœur aimée ! Ne
vous expliquez-vous pas qu'étant tout-puissant, il ait
organisé les choses de façon à se trouver partout sous nos
regards, de nous attendre/ pour ainsi dire, à tous les
— 159 —
détours du chemin, ainsi qu'on fait pour ies personnes
dont on se sépare à regret! L'Eucharistie seule le garde
personnellement et d'une façon permanente. Si nous n'é-
tions pas des êtres par trop emprisonnés dans les sens,
nous vivrions dans le ravissement d'une visite faite ou
de la communion du lendemain.
Priez pour les enfants qui se préparent à leur pre-
mière communion; elles me contentent déjà, mais que de
degrés d'amour possibles encore ! •
LVIII
Que ne puis-je, ma chère fille, vous donner la joie d'un
repos complet en Dieu, cette assurance des âmes qui
regardent le ciel comme une propriétaire pense à sa mai-
son de campagne, à son vrai chez soi où l'on sera au sor-
tir de la vie, où l'on retrouvera les visages, les chers
visages- qu'on a vus si pâles et qui nous apparaîtront
radieux; où des anges inconnus qui nous ont protégés se
feront connaître; où surtout ce Jésus, si caché dans son
Eucharistie, viendra vers nous, comme on vient auprès
d'un être aimé; où enfin la majesté adorablement aima-
ble de Dieu se manifestera, nous saisissant tout entiers
bien mieux que ne nous saisissent les chauds rayons du
soleil, les harmonies de la musique, les senteurs du prin-
temps, les effusions de ceux que nous aimons le plus...
Et tout cela est. Et tout cela vous le méritez par votre
constance dans la volonté de croire, par votre vie qui est
toute de renoncement...
LIX
Ma chère fille,
Je vous sens très triste, presque amère envers Dieu !
Est-ce que je me trompe? J'en serais bien consolé. L'his-
toire de l'humanité n'est-elle pas là pour écarter tous nos
14
— 160 —
étonnements? Elle reste, il est vrai, comme un fait cruel
qui semble en désaccord avec l'idée que nous nous fai-
sons de la bonté de Dieu et de sa sagesse. Mais n'oublions
pas que notre manière de penser ne saurait s'appliquer à
celle de Dieu, que nos lois ne sont pas les siennes et sur-
tout que notre vue est vraiment trop courte pour attein-
dre l'ensemble de son plan.
J'aime à promener ma pensée dans cette haute élabo-
ration de la matière d'où est sorti le monde actuel, après
mille et mille cataclysmes -finalement heureux. Il en sera
ainsi pour l'ordre moral. Qui peut dire le nombre de siècles
et d'évolutions, souvent désolantes, qui amèneront peu
à peu, en dépit de nos empressements et de nos troubles,
la constitution d'une admirable humanité !
Nous savons également très peu de chose sur le purga-
toire et sur son rôle complet. L'enseignement commun (je
ne dis pas celui de l'Église qui affirme simplement son
existence) a voulu tout préciser, mais il l'a fait en inven-
tant de son cru. Qui sait l'ampleur du rôle que Dieu lui
assigne dans la réparation du mal et l'élévation des
âmes! Beaucoup de nos malaises ont leur source dans
ces enseignements arbitraires qui ont tout rétréci.
LX
Ma chère fille,
Ce que vous me dites des dispositions de Mmc X. à
mon égard m'afflige sans m'étonner. Vous savez quelle
fut mon impression dès les premiers jours où le malheur
la frappa : je fus convaincu de l'inutilité de mes paroles
pour lui rendre le calme; je ne l'abordai qu'avec crainte,
tout en m'efîorçant de ranimer en elle les sentiments que
je croyais les plus accessibles. 11 en fut de même et aussi
inutilement quand elle vint me voir. Vous me dîtes alors
que mes paroles lui avaient fait du bien; je n'y pus croire.
Jamais d'ailleurs je ne l'ai sentie bien sous ma main;
jamais non plus je n'ai pu me faire à cette nature slave
— 161 —
qui fuit dès qu'on la presse et garde toujours ses idées,
alors même qu'elle paraît adopter la vôtre. Elle a beau
être intelligente, elle n'est pas raisonnable.
Que dire à une âme qui ne s'ouvre pas? Je comprends la
violence de sa douleur; je voudrais l'amener à une rési-
gnation douloureuse mais calme; je souffre de n'y rien
pouvoir, je crois que le temps seul finira par détendre
cette pauvre nature de mère si fortement tendue par ce
choc affreux. Elle sera alors capable d'envisager la sagesse
et la bonté de Dieu qui sacrifie un présent passager
à un avenir éternel, et qui arrache à de grands dangers
une nature aimable, mais faible. Les années en s'écoulant
lui montreront plus proche la rive où l'on se retrouve, et
la certitude de savoir son fils près de Dieu ira peut-être
jusqu'à consoler la mère et à réjouir la chrétienne !
Je ne crois pas du tout qu'elle offense Dieu. Le cri de
la nature s'échappe malgré elle, malgré ses idées reli-
gieuses, malgré ses résolutions et ses efforts, malgré
l'amour de préférence qu'elle garde pour Dieu. L'horreur
de ce vide que rien ne comble lui laisse une instinctive
aversion pour le Dieu qui l'a laissé se creuser et pour les
créatures qui sont incapables de lui ôter l'impression qui
la tue. Dites-lui à l'occasion que ma réserve n'est autre
chose que la conviction découragée de mon impuissance.
LX1
Ma chère fille,
J'ai été doublement heureux de pouvoir célébrer ce
matin la sainte messe, car à la pensée de la fête s'ajoutait
celle de votre amie tristement disparue à pareille date.
J'ai senti le grand vide que vous laissait cette amitié
unique et aussi forte que la vie même. Vous n'aviez ni la
même nature, ni les mêmes idées, mais vous admiriez
chacune les qualités de l'autre. Rien ne séparait vos
deux cœurs.
Elle me laisse à moi aussi de la tristesse. Son âme était
— 162 —
si douce, ses sentiments si élevés ! Ses défauts n'étaient
que l'excès de ses qualités. Je m'étais habitué à la voir
comme une partie de vous-même; de là mon affection et
ma souffrance.
Il faut bannir tout découragement. La vie lasse par-
fois. Ce qui rassérène et donne du courage, c'est de se
plonger dans la bonté et la miséricorde infinies, de s'en
impressionner s'il se peut. Alors tout est lumineux et pai-*
sible en soi et autour de soi. — Je tenais à épancher mon
âme dans la vôtre en ce jour. Je trouve dans votre pieuse
affection tant de sécurité, tant de force !
Croyez que je suis bien votre père.
LX1I
Ma chère fille,
Il n'y a rien à tenter en ce moment auprès de M. V.,
et l'abbé H. pourra être informé plus tard. Prions et
espérons. Il y a tant de mystères dans la conduite de
Dieu ! Qui sait comment une âme très étrangère à la foi
accepterait la lumière! Dieu peut-être lui épargne cette
épreuve et lui ménage des grâces secrètes. Plusieurs théo-
logiens pensent que si Dieu n'a pas appelé à la foi tant de
peuplades infidèles, c'est parce que, sans miracle, elles
eussent été incapables de pratiquer les devoirs de la loi
nouvelle, tandis que ceux de la loi naturelle sont très
faciles; ils peuvent les observer et arriver facilement au
salut individuellement. Nous n'avons pas idée du peu
que nous savons dans le monde qui dépasse les sens! Si
les fourmis raisonnent, je pense qu'elles doivent commettre
bien des erreurs à notre sujet !
Oui, vos angoisses pour la foi sont précieuses. Je les
vois comme le rachat de plusieurs âmes, entre autres de
celles pour lesquelles vous les avez provoquées. Vou;
pouvez les porter, lui ne le pouvait pas !
Je suis content de voir que mes petits conseils vous
ont paru justes et praticables.
— 163 —
Je vous veux parfaite; il y a en vous toutes les ressour-
ces pour cela. Vous êtes de ces arbres si vigoureux qu'il
est nécessaire de leur enlever du bois pour qu'ils produi-
sent plus de fruits. C'est bien préférable à ces autres
arbres rabougris qu'on soigne souvent en vain : ils n'ont
pas de ressources.
LXIII
Ma chère fille,
Je vous en prie, ne gardez pas les impressions pénibles
que vous me montrez dans votre lettre. Non, vous ne
m'avez jamais fait1 que beaucoup de bien, et je lis assez
dans les âmes pour voir jusqu'où va votre affection si
vraie et si dévouée. Si, à l'occasion, je vous ai signalé ce
quelque chose d'un peu absolu et tranchant qui plaît
moins, c'est pour vous voir toujours plus parfaite. Le
ton était excellent à l'égard de vos élèves. Il est passé en
habitude et il peut froisser certaines personnes qui ne
vous connaissent pas bien. Aussi je suis content de la
résolution que vous avez prise de chercher non pas pré-
cisément à plaire aux autres, mais à leur faire plaisir.
C'est assurément le désir de notre divin Maître, puisque
c'est un acte de délicate charité. C'est aussi' le moyen
d'être à l'occasion plus utile : on aura plus de facilité à
s'ouvrir... et on sera plus dilaté en vous quittant. C'est
l'accomplissement de ce que demandait saint Paul «se fai-
sant tout à tous pour les gagner tous ». Dans la conduite
contraire, sous prétexte de franchise, on ne fait que
suivre sa nature. Il y a une très belle et très utile morti-
fication à se contraindre en vue du bien.
Quand vous êtes absente, je sens mieux la place que
vous occupez dans ma vie, mais j'offre à Dieu de bon
cœur ce sacrifice. Vous ne me quittez que pour faire du
bien, et ma privation y prend sa petite part.
Demain ma bénie solitude me permettra de me tenir
plus intimement au pied de la Croix. Que n'ai-je les sen-
— 164 —
timerîts que je désire si passionnément ! Je supplie Dieu
de les donner à d'autres âmes, et je m'unis à leur ferveur.
LXIV
Ma chère fille,
Espérons que cette nouvelle occasion de compter sur
votre dévouement ne se produira pas. Votre provision
de mérite est déjà bien fournie. Dieu semble vous appeler
à une vie d'union plus intime. C'est sur un champ encore
plus vaste que vous préparerez la récolte. Peut-être
semez-vous dans les larmes, mais vous savez ce que dit
la promesse des gerbes que l'on emporte dans la joie.
Votre âme souffrira peut-être toujours de l'absence des
choses surnatur lies. Il y a des personnes qui ne peuvent
s'habituer aux ténèbres. C'est affaire d'impression au
moral aussi bien qu'au physique. Tant de problèmes
nous enveloppent comme des ombres et notre intelli-
gence est si faible qu'elle n'en peut résoudre foncière-
ment aucun, même dans la nature. La raison pure ne
peut affirmer ni la liberté de nos déterminations, ni même
l'existence des corps, et cependant tout cela existe. La
philosophie n'a fait qu'évoluer d'une erreur à l'autre.
Soyons heureux de la divine instruction de l'Évangile qui
nous explique tout ce qu'il nous importe de savoir.
LXV
Ma chère fille,
Combien je vous plains et avec vous combien je plains
votre pauvre frère ! Décidément votre mission sur la terre
est toujours le dévouement. Cette mission est très belle
en elle-même et vous l'embellissez enoore par la géné-
rosité avec laquelle vous l'accomplissez. Je n'ai trouvé
—165 —
chez personne plus d'oubli de soi, et j'ai pour vous autant
d'estime que d'affectio**—
Pensez, ma chère enfant, que le divin Sauveur qui vous
aime pense à vous et vous plaint. Il vous laisse dans les
ténèbres pour exercer votre vaillance et vous faire mieux
goûter la pure lumière où il se montrera à vous. S'il nous
était donné de sentir ces si douces choses, il n'y aurait
plus d'exil. L'espérance serait un enchantement perpé-
tuel. Nous ne serions plus dans les conditions de l'épreuve.
Oui, semez dans les larmes.
SIXIEME SERIE
Mademoiselle et chère fdle,
Je regrette souvent que mes occupations ou ma santé
me laissent si peu de liberté, je pense avec tant de solli-
citude à votre isolement !
Mon plus grand désir serait de rendre votre vie plus
douce et plus lumineuse par une confiance plus grande
en Notre-Seigneur. Il s'est fait homme comme nous pour
se faire aimer. Je connais des âmes qui remplissent de
son amour leur vie et tous les vides de leur cœur ! Votre
chère absente qui ne vous a jamais aimée avec égoïsme
a demandé à Notre-Seigneur au Ciel de vous donner un
peu plus de santé, beaucoup de paix et de bonheur à
son service. Ses vœux seront exaucés, si elle vous voit
heureuse de cette manière. Il ne faudra point vous en
faire un remords, puisqu'elle jouira de son œuvre : aimer
— 166 —
à vous savoir triste, même à cause d'elle, serait d'une
affection trop imparfaite pour la lui supposer un seul ins-
tant. Je continue à offrir pour elle le Saint Sacrifice, dont
les mérites surabondants retomberont sur vous.
Soyez assurée, chère Mademoiselle, de mon très respec-
tueux et profond attachement en Notre- Seigneur.
II
Mademoiselle et chère fille,
Après vous avoir bien cordialement remerciée des
vœux si délicats que* vous m'envoyez de là-bas, je m'em-
presse de vous féliciter du bon esprit qui vous a fait
quitter nos rivages glacés. Vous aurez senti comme les
hirondelles quelque souffle d'en-haut; vous lui avez
prêté des ailes et vous voilà dans les douceurs du prin-
temps. La température doit faire bourgeonner déjà les
pointes des haies. Qu'elle est heureuse la nature de se
renouveler tous les ans! Elle reste ainsi toujours jeune.
Elle ne se décourage jamais, même sous les attaques de
l'homme. Tant qu'une plante trouve un peu de terre et
une goutte d'eau, elle s'efforce de pousser et tente même
de fleurir : elle veut vivre. Vivre, c'est avancer et c'est
fleurir. Une âme ne vit véritablement que si elle s'amé-
liore, mais elle ne s'épanouira qu'au Ciel. Vivons donc
sur notre motte de terre, fût-elle bien étroite, et avec
notre goutte d'eau, fût-elle bien rare. Essayons de fleurir
à la manière d'ici-bas, par le contentement intérieur et
l'affabilité de notre commerce. Vous remplissez à mer-
veille la seconde partie de ce programme ; je fais des vœux
pour que vous ayez aussi votre part de la première.
.— 167 —
III
Mademoiselle et chère fille,
Ne vous étonnez pas des impressions que vous cause
cette abstraction de la mort et des lieux qui servent de
demeure après cette vie. Nous n'étions point faits pour
la mort et nous ne sommes pas encore organisés pour une
vie purement spirituelle. Demandez à la larve pesante et
rampante si elle comprend la vie qui lui sera donnée,
sous la forme du papillon, quand elle volera dans les airs
et fera briller au soleil l'éclat de ses ailes ! Chaque état
possède ce qui lui convient, mais ne donne pas d'avance
ce qui répondra à l'évolution suivante. Comme nous
sommes des êtres intelligents et libres, Dieu, sans nous
montrer ce que nous deviendrons, nous le fait connaître
assez pour nous fixer; par là il nous oriente, et par les
ombres qu'il laisse, il exerce notre soumission et la rend
méritoire.
IV
Mademoiselle et chère fille,
C'est l'état fort précaire de ma santé qui m'a empêché
d'aller vous voir avant mon départ. Peut-être Dieu vou-
dra-t-il que j'aie désormais une vie empêchée comme la
vôtre, et comme vous je tâcherai d'être doux envers la
maladie, et je vivrai avec mes souvenirs comme vous
encore ! N'est-ce pas que cette tristesse des affections dis-
parues devient à la longue une mélancolique jouissance;
ces souvenirs sont un bien qui nous appartient encore et
qui est quelque chose de ceux qu'on aimait : leur ten-
dresse, leur préoccupation de nous, leurs traits... tout cela
est bien réel quoique passé, et tout cela vit bien puisque
nous en ressentons les émotions. Mais surtout ce qui vit
ce sont les âmes! ces âmes immortelles qui nous atten-
dent ! Dans un état que nous ne pouvons comprendre
— 168 —
puisqu'il est sans analogie avec relui que nous traînons,
elles conservent leur cœur et leurs liens. Nous, pauvres
aveugles, nous cherchons vainement à les entrevoir ou
du moins à les comprendre; c'est un bonheur qui nous
est réservé. Il nous attend, chaque jour nous en approche,
et il faut sourire à la mort qui est une messagère.
Recevez, Mademoiselle et ma chère enfant, la nouvelle
expression de mes sentiments, pleins d'une respectueuse
affection.
Mademoiselle et chère fille,
Quand on court au pays du soleil, il semble que l'on va
vers le bonheur. Hélas ! c'est simplement son ombre qui
nous y attend, et parfois cette ombre n'est plus qu'un
souvenir! S'y trouve-t-il quelque douceur? peut-être.
Le souvenir est quelque chose de ce que nous avons aimé :
c'est la relique du dedans.
Vous le gardez avec un soin jaloux; l'espérance
humaine n'en vient pas prendre la place. Votre bonheur
reste dans son passé.
Je comprends de quels soupirs vous appelleriez une
plus grande consolation venant d'en-haut. Il y a des
âmes affligées qui la reçoivent en récompense; d'autres,
non moins agréables à Dieu, ont une voie plus austère.
Vous êtes de ce nombre. La rectitude de votre jugement
et la délicatesse de votre conscience restent vos seuls
soutiens. Si Dieu ne vous avait pas d'avance munie de
ces secours, il serait venu à votre aide d'une autre façon
peut-être par quelques grâces sensibles. Une seule chose
est nécessaire, le Ciel ! le chemin qui nous y mène peut
impunément avoir ses ronces ou ses fleurs, ses pentes ou
sa rectitude; des vertus se cachent sous ces aspects si
différents, et nos joies comme nos douleurs peuvent être
fécondes.
Le milieu où nous vivons exerce sur nos idées la même
influence que sur les usages. Le milieu social est en ce
— 169 —
Siècle saturé de doutes ou d'incrédulité. Par la nature
de votre esprit et plus encore par votre très profonde
sensibilité, vous vous trouvez plus qu'une autre en con-
tact avec lui. De là ce malaise qui ne fait pas périr
votre foi, mais qui la trouble. Vous ne pouvez jouir des
plus douces consolations de l'espérance, ses certitudes ne
vous sont pas sensibles, et votre cœur, qui s'y ouvre et s'y
repose au fond, n'en est pas pleinement satisfait.
Il ne dépend pas de vous de faire cesser cette épreuve;
elle sera un mérite : il suffit qu'elle soit acceptée avec une
résignation douce, comme les autres douleurs.
Peut-être la sainte communion vous deviendra-t-elle
plus facile. Il y faudra mettre une obéissance plus, con-
fiante. Allant à Dieu, quand Dieu appelle, on est sûr
d'être bien reçu; et la voix de Dieu se fait entendre par la
voix de son ministre : « Qui vous écoute, m'écoute ! »
L'obéissance doit faire négliger les préoccupations per-
sonnelles, et l'habitude de cette obéissance épuise les
oppositions de nos frayeurs.
Nous avons un temps maussade, pas très froid mais
brumeux; toutes les feuilles de nos arbres sont parties, et
le soleil nous regarde sans nous réchauffer. Abreuvez-
vous de ses bons rayons, jouissez de la parure qu'il laisse
là-bas sur vos coteaux, et regardez souvent ce ciel plus
bleu, derrière lequel se dérobe un cœur qui fut tout à vous,
et qui n'a changé dans sa vie nouvelle que pour vous
aimer plus et mieux.
VI
Mademoiselle et chère fille,
Il me semble que je lis dans votre âme et que de loin
je suis votre existence. Je comprends vos tristesses, vos
joies voilées, votre résignation douce : oh ! faites dominer
l'espérance. Ce bien vous appartient de tous les droits
que vous donnent les circonstances vraiment providen-
tielles de cette mort au lendemain d'une communion;
il vous appartient à cet autre titre que Dieu ne vous donne
— 170 —
pas d'autre avenir. Votre bonheur est dans cette 1ombe,
arraché pour la vie, mais il vit et il vous attend.
Hélas ! ces perspectives évoquées vous troublent. Elles
sont si belles que vos yeux en sont éblouis. Rien dans la
nature ne nous en ouvre l'horizon et nous nous prenons
à penser que cette autre vie est un rêve des cœurs mala-
des, rêve devenu cher à l'humanité si pauvre de bonheur
et si avide pourtant ! Oui, ma chère enfant, c'est un besoin
du cœur humain, et toutes les rares d'hommes l'ont res-
senti; or, puisqu'il est universel, il indique une loi, et la
loi un objet. Si l'on vous apportait de pays lointains de
petits oiseaux inconnus auxquels ne conviendrait aucune
nourriture de nos pays, en concluriez- vous qu'il n'en
existe pas; iriez- vous jusque-là, alors même que vous
vous seriez procuré de tous les pays les graines usitées?
Non; et pourquoi? parce que vous admettez la loi des
rapports du besoin et de son objet, loi éminemment
providentielle. Il ne peut pas exister un être qui n'ait sa
pâture. Serions-nous les seuls délaissés? Les besoins de
l'âme seraient-ils oubliés par l'intelligence infinie? Où
serait la justice, qui ne se distribue pas ici-bas, nous le
voyons bien, car les bons souffrent et sont enlevés trop
souvent ! Il est vrai, notre nature sensible se trouble à
la pensée de cette vie tout autre, de ces changements
dont rien ne commence à se montrer... Revenons à la
nature et voyons suspendu à la feuille d'un arbre un
petit œuf, gros comme un point et noir comme lui.
Arrive la tiède haleine du printemps et il tressaillera; la
vie évoluera, et vous le verrez, pauvre chenille repoussée,
rongeant la verdure et ne songeant qu'à grossir. Atten-
dez. Un jour elle semblera morte, elle sera informe. Ne
désespérez pas. Bientôt l'enveloppe, usée par la vie
qu'elle retient, s'ouvrira pour laisser s'envoler dans les
airs un être nouveau, tout autre que l'ancien, car il a des
sens développés, de magnifiques couleurs, et il a des ailes!
L'espace lui appartient. Le soleil et les fleurs le cares-
sent... N'est-ce pas une résurrection, et dans cette vie
nouvelle une entière transformation dont rien ne parais-
sait dans sa première existence !
— 171 —
11 en serait ainsi de toutes les vérités qui vous décon-
certent. Nos impressions sont notre obstacle, mais elles
sont notre épreuve et elles deviendront notre mérite.
Contentons-nous donc de dire : Dieu a parlé, l'Eglise est
son interprète.
VII
Mademoiselle et chère fille,
Ne soulevez aucune question spéciale pour le carême
et ses exigences... Vous savez bien que votre vocation
n'est pas l'austérité des Pères du désert, mais l'effusion
auprès de Dieu de votre cœur filial. Cette vocation est
bien belle; sauvegardez-la en éloignant l'obstacle qui
serait le trouble, la recherche inquiète, je dirais presque
l'examen le plus simple. Pourquoi vous examiner? Votre
âme est sans cesse sous vos yeux, et vous remarquez à
l'instant les plus petites nuances de vos sentiments.
Libérez-vous donc de toute préoccupation dans l'intérêt
de la gloire de Dieu et de votre intimité avec Lui.
Prions très particulièrement pour les pauvres soldats,
pour la conversion d'un grand nombre, pour la sanctifica-
tion de leurs cruelles souffrances... pour leurs familles
aussi qui sont peut-être dans le désespoir...
VIII
Mademoiselle et chère fdle,
Ce soir commence le temps de la Passion. Nous
allons écarter dorénavant nos préoccupations pour
concentrer notre attention sur les douleurs divines,
subies pour nous. Vous l'avouerai-je, c'est toujours pour
moi un sujet d'étonnement de voir l'amour de Dieu aller
si loin, et quand je me dis : c'est certain, je ne me com-
prends plus moi-même. Comment sentir si peu de si gran-
des choses! Comment s'intéresser à des riens! Comment
— 1/2 —
he pas vivre comme des saint François d'Assise ou
comme un saint Paul? Il y a bien de quoi s'humilier.
Mais si l'amour de Dieu va si loin, comment n'aurait-il
pas pitié de notre insuffisance ! Comment n'accepterait-
il pas notre confusion, nos regrets? Il sait bien qu'ici-bas
nous sommes des petits enfants à la mamelle, qui ne
savent que recevoir sans même connaître le sein qui les
nourrit. Dieu est partout sur cette terre, et nous ne le
voyons nulle part. Pourtant dans cette rue, dans cette
chambre, il est aussi grand, aussi beau qu'au ciel où il
jette les Saints en extase. Quel sujet de perpétuelle con-
fusion ! Sachant cela, nous devrions au moins faire monter
vers lui des aspirations ardentes et fréquentes et nous
excuser de ne pas nous tenir sans cesse en adoration
devant lui puisqu'il nous a donné une vie matérielle à
vivre, un esprit qui a besoin d'une occupation de son
ordre, des relations qui créent des devoirs et nous appor-
tant des secours. Ces considérations ne doivent nulle-
ment nous troubler, mais elles peuvent bien nous exciter
à dire avec saint Paul : Qui me délivrera de ce corps de
mort? Les beautés qui se dérobent à nos yeux nous
seront éblouissantes là-haut !
IX
Mademoiselle et chère fille,
Jeudi Saint.
Je veux que vous ayez un mot de moi à la veille ou au
jour même de la Résurrection. Il semble qu'à cette date
on entre dans une vie nouvelle pleine de lumière et d'espé-
rance. Si ce n'est point vrai surtout cette année pour
cette terre, c'est toujours vrai pour les hauteurs qui la
dominent. La vraie vie commence à peine dès ce monde
et sous une forme voilée, toute secrète. Cette vie-là est
née au Calvaire et «'lie s'est manifestée à la Résurrection.
11 nous faut à nous aussi mourir pour revivre. Saint Paul
— 193 —
nous fait comprendre qu'il ne s'agit pas seulement de la
mort qui consiste en la séparation de l'âme et du corps,
mais du renoncement chrétien qui fait que nous faisons
mourir en nous tout ce qui s'opposerait à la vraie vie.
Dieu nous y aide sensiblement, vous et moi, en nous
tenant dans des petites souffrances continuelles, dans
des privations qui ôtent à la vie extérieure ses quelques
joies. Ainsi nous yivons détachés de ce qui passe, et notre
état nous porte à vivre d'avance des adorables visions qui
nous sont promises, de cet amour en quelque sorte infini
qui comblera de jouissance nos sens divins enfin épanouis.
A mesure que je poursuis le cours de mes méditations
sur les enseignements du divin Maître, je découvre de
plus en plus son cœur. Son cœur se fait sentir en tout ce
qu'il dit. J'en éprouve une émotion douce et continuelle.
Je sens croître mon désir de le voir. Il nous aime cent
fois plus que les cœurs qui nous ont le plus aimés. Est-ce
possible!. Ce mot me revient souvent. C'est plus que
possible, c'est Arrai, mais ce vrai n'a pas le caractère sen-
sible. Pour qu'il s'impose à nous, pour qu'il atteigne les
fibres profondes de notre nature, il faut une fréquente et
longue attention. Dieu m'a fait la grâce de m'éloigner de
toute distraction et de me mettre seul en face de lui seul,
je le bénis. Je regrette de ne pas assez profiter d'une telle
faveur. Cependant c'est sans le moindre regret que je
me vois privé des divers. agréments de la vie. Ma joie est
toute enfermée dans un tout petit livre, qui contient,
il est vrai, l'infini : c'est l'Évangile^ — Je viens de com-
menter ces paroles qui s'adressent à tous les temps comme
à toutes les vies : « Venez à moi, vous tous qui êtes accablés,
ou par l'effort, ou par la peine; je suis là pour vous
refaire. »
Mademoiselle et chère fille,
Vendredi Saint.
M;i lettre n'ayant pas pu partir hier, j'y ajoute un mot
en ce jour si grand, si émouvant, si digne de dominer
. — . \ jli. —
notre pensée. Ce que j'en pourrais dire arriverait trop
tard, mais je sens qu'à cette même heure nos âmes se
rencontrent dans les mêmes souvenirs et les mêmes
impressions. Si le Vendredi Saint et le jour de Pâques se
ressemblent si peu par l'objet que nous célébrons, ils
nous ramènent, l'un et l'autre, à la même source : l'amour
de Jésus. C'est cet amour qui brille dans l'éclat de son
sang comme dans la splendeur de son état ressuscité. Ce
doit être également chez nous le même sentiment ressenti
et vivement exprimé. Être aimé jusqu'au sacrifice de la
vie, être aimé au point de vous introduire dans la vie
glorieuse de Dieu lui-même ! Quelle pression sur un cœur
bien fait ! Comme l'on voudrait se montrer reconnais-
sant, se sentir aimant ! Vivons au moins de désir!
X
Mademoiselle et chère fille,
Tandis que d'autres offrent leur sang, nous ne pouvons
offrir que des privations, et quelles privations à côté de
celles qui pèsent sur des infirmes sans ressources ! Aussi
je vous vois accepter avec une sorte de joie cette partie
de l'expiation commune, et je suis persuadé que cette
part pèse beaucoup dans la balance divine, car tout s'y
évalue au poids de l'amour.
...Si de grands malheurs tombent sur la France et nous
atteignent personnellement, nous avons du moins pour
refuge, pour soutien, pour consolation, la pensée que Dieu
nous aime et qu'il dispose toutes choses de façon à accroî-
tre notre bonheur futur, et celui-ci est éternel.
... Il faut tout abandonner avec une intime confiance à
la Providence du Père que nous avons au Ciel.
175
XI
Mademoiselle et chère fille,
Vous recevrez demain Celui qui a daigné descendre du
Ciel dans une pauvre crèche. Quelle ne sera pas sa joie de
trouver en votre âme une douce crèche ! Je dirais volon-
tiers : une riche crèche, car vous avez acquis beaucoup
de mérites depuis vos longues années de résignation,
d'efforts vers la vie parfaite et de sentiments délicats et
tendres. — Je préfère le mot : une douce crèche. Tout
en vous lui sera un repos. Rien ne l'y blessera, et s'il y
prend son sommeil, ce sommeil pendant lequel son cœur
veille, ce sera sous votre garde fidèle. Le sommeil de Jésus
dans une âme aimante, c'est la paix; c'est une sorte de
silence qui laisse entendre, dans un mystérieux lointain,
je ne sais quel nouveau chant des anges qui parle d'amour
et d'espérance, de ce Dieu infini vu face à face dans le
Ciel. Aucune parole humaine ne peut le traduire. Il faut
se contenter d'en recevoir quelque confuse vibration.
Quand on se sent saisi par cette impression, dans la
prière et surtout dans la Communion, il faut bien se
garder de formuler des actes. Il faut se taire et écouter. 11
y a des impressions qui en disent plus que les paroles.
L'impression parle au fond de l'âme.
Ce silence de Dieu et de notre âme en Dieu est une
consolation délicieuse. Il y a un autre silence qui est une
épreuve : on ne sent rien, les mots ne viennent pas,
la froidure règne. Pour se défendre d'une tristesse qui
déprime, il importe de se rappeler que Dieu nous fait
ainsi sentir l'exil, mais qu'il est lui-même aussi près de
nous, .jouissant de notre confiant abandon et de notre
courage. Non, la froideur apparente ne change ni les
dispositions de Dieu ni les nôtres.
— 176 —
XII
Mademoiselle et chère fille,
... Mais laissons là ces lamentations de la nouvelle
année et réjouissons-nous à la pensée que Dieu daigne
nous ouvrir un espace pour avancer vers lui, pour lui
mieux dire que nous l'aimons, pour lui offrir quelques
peines qui deviendront au ciel des joies. Le temps est
chose si précieuse ! Ce qu'il nous permet de créer devient
éternel. A côté du désir de voir Dieu plus vite se place
celui de le voir mieux. Quand on pense que la plus longue
vie dépasse à peine cent ans, et que cent ans ne sont, par
rapport* à l'éternité, qu'un grain de sable sur l'immensité
des rivages, on prend facilement son parti de souffrir ces
quelques minutes.
Courage, ma chère enfant ! Entrons dans cette année
avec une confiance sereine et une grande ardeur. Chassons
toute hésitation, tout souci, toute tristesse; vivons de
Dieu bien en paix dans sa miséricorde qui dépasse de
loin sa bonté et surtout sa justice. Attachons-nous plus
intimement, plus suavement à Jésus.
XIII
Mademoiselle et chère fille,
.Vendredi Sain!.
J'espérais pouvoir vous envoyer un mot pour ces fêles
de douloureux souvenir. J'ai peu de forces, et voici qu'en
ce moment la vue de la Croix s'impose à ma pensée. Il
est 3 heures. Nous sommes en 1916, et voilà qu'avant
toutes ces années et tous ces siècles le Dieu Sauveur en
mourant nous regardait avec amour d'une façon distincte.
Quel amour que celui qui pouvait commencer sitôt,
durer si longtemps et se retrouver atissi vif à cette heure
où nous le comprenons enfin !
— 177 —,
Il nous est donné non seulement de pensera son amour,
mais aussi de lui témoigner le nôtre en acceptant de tout
cœur les peines sanglantes dont nous souffrons et celles
qui nous attendent.
XIV
Mademoiselle et chère fille,
J'admire comme quoi le bon Dieu vous ménage de
nouvelles épreuves... et cela ajouté à tant de privations
et de souffrances ! mais, je le sais, loin de vous attrister
de la bonne part qui vous est faite, vous en remerciez
Celui qui vous le fait; vous "êtes heureuse de partager la
rédemption du divin Sauveur en appliquant aux âmes
chères et ensuite aux âmes inconnues le mérite de ces
acceptations. Quand vous fixez les yeux sur Jésus en croix,
vous aimez à lui dire : oui, comme vous et avec vous !
Vous ne le lui diriez pas avec le même cœur si vous n'étiez
pas vous aussi sur la croix. Offrons-lui avec nos modes-
tes épreuves les immenses douleurs de nos soldats, de
leurs mères et de leurs orphelins. Peut-être ne songent-
ils pas assez à les offrir eux-mêmes. Grâce à la commu-
nion des Saints, nous avons le droit de suppléer à leur
offrande. Un membre de la famille peut agir ainsi parmi
nous.
C'est une consolation pour moi de penser que nous
vivons des mêmes sentiments et des mêmes petites souf-
frances. Je me tiens constamment uni à votre âme. Nous
ne nous verrons pas longtemps en ce monde; songeons
à cette vie d'en-haut qui sera la vraie vie, la vie en Dieu
et pour l'éternité. Dieu ne brisera pas les liens sainte-
ment noués ici-bas. Nous nous retrouverons alors sans
défauts et sans souffrances. Nous nous étonnerons de
nous sentir si heureux en contemplant l'infinie beauté,
en jouissant de l'infinie bonté, en nous voyant transformés
à sa ressemblance et participant à sa vie.
Envisageons donc tout ce qui se passe avec une séré-
nité profonde. Sous de cruelles apparences, peut-être
— 178 —
se prépare-t-il des jours meilleurs! Bornons-nous à
savoir que Dieu est juste, sage et bon, et ne nous trou-
blons pas du résultat final.
SEPTIEME SERIE
Ma chère fille,
Parce que vous êtes dans le trouble et la tristesse, ma
première parole sera celle du divin Maître : Que la paix
soit avec vous !
Or, à qui s'adressait-il? A de pauvres gens bien impar-
faits et bien peu courageux, moins généreux que beau-
coup de chrétiens, j'ose le dire. Et même à cette période
d'imperfection et d'impuissance, il leur enseignait les
mystères_du royaume de Dieu, la perfection future. C'est
qu'il possède et veut communiquer ce qui manque. 11
attend ses heures. Il est bon que vous sentiez votre totale
nullité; nous sommes si portés à rapporter à nous instinc-
tivement ce que nous faisons, qu'une éducation positive
de notre néant est nécessaire.
Ce que vous ne pouvez pas se fera cependant, et la per-
fection vous deviendra facile et douce. Vous êtes appelée
par Notre-Seigneur et vous irez partout et aussi loin qu'il
voudra. La clarté des hauts sommets blesse vos regards;
le sentiment de je ne sais quelle solitude dans le déta-
chement vous étreint le cœur..", patience ! Il n'est point
menteur Celui qui a dit : « Mon joug est doux, mon far-
deau est léger. » Patience, espoir et courage !
Vous êtes un peu semblable au voyageur qui, se croyant
— 179 —
déjà 'arrivé, découvre tout à coup une énorme distance
qui le sépare du point éloigné où il tend... et la rouit:
paraît morne, interminable... et les forces semblent à
bout. Est-ce que le Dieu de bonté et d'amour s'est changé
en un tyran qui exige plus qu'on ne peut donner? est-ce
qu'il vous laissera périr de fatigue sur le chemin?... Ou
bien devez- vous penser que vous vous êtes trompée, trop
engagée, que l'appel de Notre-Seigneur n'était qu'un
enthousiasme humain, qu'enfin il faut renoncer à la fois
à devenir intime avec Jésus, parfaite sœur de tant de
belles âmes, parce que Dieu est devenu tout à coup dur
et exigeant?... Non, vous ne le pensez pas, vous ne pou-
vez vous faire à cette détermination qui briserait votre
vie.
Eh bien ! non, cela ne sera pas, et la paix est proche.
Dieu vous demande d'avoir confiance en Lui; de vous
abandonner à sa direction et de tout espérer, fût-ce con-
tre tout espoir.' Et il vous fait dire qu'il vous accepte et
vous aime telle que vous êtes, car il vous veut ainsi pour
le moment, un peu imparfaite encore, mais sans vouloir
être imparfaite.
Vous ne voyez pas comment vous cesserez de l'être,
comment vous changerez votre nature, votre manière
d'être ; vous sentez même que tels détachements, telles ver-
tus vous sont plus qu'impossibles, même déplaisants. Que
vous vous tourmentez à tort ! Jésus ne vous demandera
que ce qui est conforme à ce qu'il vous a donné comme
nature et comme grâce. Si vous ne pouvez pas revêtir
l'armure de Saiïl, vous trouverez bien comme David
quelque arme plus simple, plus en rapport avec tout votre
être inoral. Nous n'avons à faire ordinairement que ce
à quoi nous sommes préparés par un attrait. L'attrait
n'est pas l'attrait naturel, mais un attrait divin qui a
d'ailleurs le même caractère et le même effet : il attire et
rend facile. Si a^ous n'avez pas cette disposition à l'égard
de telle perfection, c'est que vous n'êtes pas appelée, du
moins en ce moment, à tel état. Y serez- vous appelée un
jour? Pourquoi le chercher! Vous recevrez Y attrait indi-
cateur en son temps. Comme conclusion :
— 180 —
Laissez île côté toiAo préoccupation de ce que' Dieu
pourra demander, et faites simplement ce qu'il demande
aujourd'hui. Or, il vous demande de la bonne volonté,
que vous lui avez donnée jusqu'ici, et II veut que vous
usiez sans remords de ce qui vous rend facile la vie pieuse :
moyens et secours naturels nécessaires.
Le détachement plus profond, la perfection plus
active, vous deviendront faciles et doux, quand ils vous
seront demandés, et si vous n'atteignez pas les sommets,
rassurez- vous : il y a au pied de la croix, comme l'enseigne
saint. François de Sales, une foule de charmantes petites
vertus qui plaisent infiniment à Dieu et ne nous donnent
aucun péril de vaine estime. Félicitons le bon Dieu de
ce qu'il -y a de très grandes et belles âmes qui font des
merveilles, et remercions-le de ce qu'il nous permet,
dans notre pauvreté, de l'aimer pourtant de tout notre
cœur et de faire tout ce que permettent nos forces. Il
n'y a donc rien à changer ni en vous, ni autour de vous.
Il n'y a-qu'une toute petite modification, et très grande
à faire, c'est de vous contenter de cela, sachant que Dieu
s'en contente et vous aime ainsi. Ne sortez pas de ce sen-
timent, et vous aurez la paix, et avec la paix vous pourrez
entendre Dieu et dilater votre cœur.
Je vous bénis, et désire que cette bénédiction mette fin
à vos anxiétés.
II
Ma chère fille,
Je suis très content de vos efforts et du succès qu'ils
ont obtenu.
Dans l'œuvre de la sanctification, envisagez toujours
le but : vous unir de plus en plus à Dieu. La victoire sur
votre défaut dominant enlèvera l'obstacle qui s'y oppo-
sait le plus. Vous êtes en bon état si vous ne vous laissez
ni entamer, ni décourager. Dieu veut votre bien plus
que vous ne le voulez vous-même, et II vous aidera. A
mesure que vous deviendrez plus maîtresse de vos impres-
— 181 —
siens, par conséquent plus libre, dégagez-vous de la
préoccupation de vous-même, un peu trop accentuée
encore, et voyez Dieu davantage en tout temps et en
toute circonstance.
Durant vos méditations et vos visites au Saint-Sacre-
ment, cherchez à découvrir plus profondément sa gran-
deur, sa bonté, sa beauté; tâchez de vous pénétrer des
sentiments que cette vue doit causer. Voyez les saints
du Ciel qui s'oublient pour ne faire que prier, adorer et
aimer : tâchez de les imiter un peu.
Vous pouvez encore fixer votre attention sur la per-
sonne de Notre-Seigneur Dieu et homme : faites-vous de
son humanité sainte un idéal qui vous impressionne;
songez que son Sacré-Cœur peut vous aimer comme si
vous étiez la seule âme qu'il eût à aimer. Réjouissez-vous
de cette pensée et allez à la communion avec dilatation.
Durant le jour, rappelez-vous qu'il vous regarde de
l'église voisine et qu'il compte les heures qui vous sépa-
rent de la prochaine visite.
Au reste, n'exigez pas de sentir ces choses, il suffit de
les croire fermement. Dieu permet souvent que nous
soyons sans consolation, et il ne faut ni s'en inquiéter,
ni s'en montrer moins contents de Dieu. N'est-ce pas
beaucoup qu'il nous aime réellement?
Courage ! vous êtes sous l'action de Dieu.
III
Ma chère fille,
Remerciez Dieu de votre fidélité à son action et de
votre persévérance à poursuivre votre union avec Lui.
Une très grande perfection, je peux même dire une
perfection indéfinie, est contenue dans ce double moyen
qui vise le même but : vous prêter à l'action de Dieu et
vous y prêter en tendant à une union toujours croissante,,
car telle est sa volonté. Que ce soit là, avant tout le reste,
— 182 —
l'objet de votre attention, de vos prières, de vos désirs;
que ce soit l'ambition de toute votre vie.
La paix et les moyens qui l'assurent sont le but immé-
diat; il faut vous y affermir. Les difficultés et les sacri-
fices ne sont pas épuisés, mais le résultat les rend déjà
fort acceptables; au demeurant, vous êtes plus heureuse
qu'auparavant, même au seul point de vue humain.
Dieu vous réserve bien autre chose ! Dépouillez- vous
donc de vous-même le plus possible et avec grand cou-
rage; faites-le en tout ordre de choses où la prudence le
permet. Pensez beaucoup aux autres et à leur agrément.
Si vous pouvez faire un peu de bien à ces âmes au point
de vue surnaturel, sachez tout risquer pour cela. Dieu
nous donne pour que nous sachions donner. Demandez
la grâce d'en arriver à aimer vos peines, celles surtout
qui sont de tous les jours et autour de vous. Voilà une
contrariété déraisonnable, c'est bien ! voilà une bonne
humiliation, c'est encore mieux ! Sans doute il y a des
choses qu'on ne doit pas accepter, et il faut être prudente,
mais d'une prudence^surnaturelle, qui sait parfois sacri-
fier quelque chose de secondaire à ce qui vaut un degré
d'amour de Dieu en plus.
Faites souvent le chemin de la croix. C'est une excel-
lente prière et une de celles qui attachent le plus à Notre-
Seigneur. C'est en même temps la leçon d'oubli de soi-
même la plus complète et la plus éloquente.
IV
Ma chère fille,
Ne vous étonnez pas des changements qui peuvent
se produire dans vos impressions. Notre volonté seule
nous appartient, et l'impressionnabilité est ordinaire-
ment le siège de l'épreuve et de la tentation.
Le mot de ces états c'est : fidélité, et la fidélité doit
s'entendre de la continuation paisible de tout ce que
l'on faisait; de l'acceptation de ses peines, de l'emploi
— 183 —
des moyens qui peuvent nous en délivrer, si Dieu le
permet.
Le plus grand poids de votre vie, c'est vous-im'ino;
vous vous sentez comme un être sans ressort, sans goût.
Il vous semble que toute énergie s'est brisée pour tou-
jours. Ne le croyez pas. A ces divers principes d'activité
qu'animent les vies ordinaires, substituez le principe
supérieur de l'amour de Jésus. Là, vous retrouverez
tout. Désirez, espérez, priez, soyez généreuse, remerciez
des moindres grâces, offrez vos souffrances... vous par-
viendrez à toucher son cœur et le vôtre. Faites souvent
des choses qui vous coûtent, car rien n'avance autant
dans l'amour de Notre-Seigneur. Remarquez toutefois
que nous n'avons point une grâce égale à toutes les lumiè-
res qui nous montrent le plus parfait. Faites les sacrifices
et les efforts qui sont en rapport avec la grâce que vous
avez à présent. Vous reconnaîtrez le juste point à une
certaine aisance à faire telle chose, ou à une impression
persistante, ou au jugement de votre Directeur.
En dehors de ces signes, ne vous croyez pas obligée,
par conséquent ne vous faites pas de reproches. La géné-
rosité viendra avec la grâce qui augmentera selon la
fidélité précédente : en attendant, faisons de bon cœur le
peu que nous pouvons.
V
Ma chère fille,
Ne croyez pas facilement être une âme délaissée de
Dieu et hors de sa voie; votre état n'est point un châti-
ment; soyez donc dilatée et contente : Dieu vous aime.
Sans doute nous avons forcé bien des fois le plan de
Dieu à s'amoindrir; mais quand il n'y a aucune résistance
positive, aucun de ces refus qui rebutent la grâce, espé-
rez toujours.
Une humilité plus profonde peut relever notre fortune,
car elle provoque la générosité et la miséricorde. Plus
nous serons humbles foncièrement, plus nous referons le
— 184 —
passé amoindri. Or, ces amoindrissements eux-mêmes,
restant sans cesse sous nos yeux, seront le stimulant de
notre humilité, et ils seront donc finalement profitables,
comme tout ce que l'on sait ramener au plan de Dieu.
Telle grandeur morale, que nous aurions acquise dans
une correspondance plus parfaite, pourra être compensée
par une autre sorte de grandeur morale qui se trouve
dans l'exercice intime d'une profonde et confiante humi-
lité basée sur nos infidélités. — Rétablissez donc entiè-
rement votre tranquillité d'âme; ce n'est pas avec res-
serrement qu'il faut méditer. Le sentiment qui devra
dominer en vous est celui d'une donation et soumission
à Dieu plus absolue, plus profonde, et, s'il se peut, pins
sensible. .Laissons le passé pour ce qu'il a été; recon-
naissons que nous devons à Dieu beaucoup de recon-
naissance, et que nous n'avons pas le droit d'être fiers de
nous, et après cet aveu en bloc, utilisons mieux les for-
ces de notre âme, en allant de l'avant. Désormais votre
vie doit se borner aux devoirs que vous créent les cir-
constances et à l'œuvre de votre avancement selon le
plan de Dieu. C'est assez grand, assez vaste et assez beau,
pour que vous n'ayez pas l'inquiétude d'une déchéance.
On peut tellement avancer dans l'amour de Dieu que les
imperfections passées sont vite réparées, et que la vie est
remplie, parfois délicieusement, toujours avec un vif sen-
timent de^la grâce reçue.
VI
Ma chère fille,
Dieu, qui est père, ne permet que ce qui nous est avan-
tageux. C'est le cas d'avoir de la confiance : la confiance
des temps propices n'est pas de la confiance, car c'est,
alors sur les choses que l'on s'appuie et non sur Dieu.
Reposez-vous donc sur sa bonne Providence, et soyez
prête à remplir tout rôle qu'il lui plaira de vous confier.
Comment chercher autre chose que la volonté de Dieu, et
— 185 —
que peut-il y avoir de meilleur? La sagesse consiste uni-
quement à la découvrir et à la suivre; ainsi nous marche-
rons sûrement et sans préoccupation : même au milieu
des angoisses et des tracas, la paix peut rester complète.
Grâce à cette conduite, l'âme peut avancer là où une
autre âme moins simple et moins fidèle trouvera mille
obstacles qui la feront reculer, la troubleront et la ren-
dront malheureuse. Donc, toute à la volonté de Dieu
sans choix personnel !
Vous avez le calme de l'âme et une santé meilleure :
voilà deux bonnes conditions pour vous sanctifier.
VII
Ma chère fille,
Tournons nos regards vers Dieu. Il est le maître et il
est bon. La vie est d'ailleurs si décolorée : notre bonheur
n'est possible que dans la piété.
Demeurez calme par la confiance : agissez, mais aban-
donnez-vous. Vivez de la pensée de Dieu. Apprenez à
votre cœur à. trouver en Lui tout ce que peut désirer en
ce monde une âme élevée. Ne vous laissez jamais troubler
par un scrupule quelconque, et ne passez jamais long-
temps à choisir entre un bien et un autre bien; faites
simplement celui qui se présente.
Votre direction doit consister à écarter tous les obsta-
cles qui vous empêcheraient, soit d'écouter Dieu, soit
d'accomplir ce qu'il vous aura fait entendre. Il faut donc
sauvegarder votre recueillement intérieur. C'est Dieu en
effet qui dirige. Veillez sur ces multiplicités de préoccu-
pations qui naîtront facilement de votre impressionna-
bilité. Maintenant, votre âme est acquise à Dieu, quant
à la volonté. Donnez-la lui toujours plus entièrement
par l'application de toutes vos facultés. Faites-le sim-
plement, sans contention, mais de bonne foi et de bonne
volonté. C'est un vrai but dans la vie. C'est une vraie
— 186 —
vocation, car notre vocation est. la sainteté; le chemin
n'en est que le moyen.
Cherchez sans préoccupation à voir s'il n'y aurait pas
quelque appel de Dieu à un ordre de sentiments parti-
culiers, comme par exemple la réparation ou l'action de
grâces, ou la conversion des pécheurs, ou la sanctifica-
tion du clergé. Ces sortes de vocations secondaires met-
tent plus vivement en action les ressources de la nature
et de la grâce.
VIII
Ma chère fille,
Votre vie doit se passer dans les épreuves et le man-
que de sécurité. C'est assurément le plan de Dieu sur vous.
C'est aussi le côté le plus accessible de votre nature qui
est atteint.
Le but de Dieu dans son plan sur vous est de vous
donner occasion de pratiquer éminemment les vertus de
dépendance, de confiance et de force. Soyez donc sou-
mise dans le détail et dans les conséquences, comme dans
l'objet immédiat d'une prière, chaque détail et chaque
conséquence étant prévus et voulus de Dieu.
Que votre soumission soit confiante, comme celle d'une
enfant aimée de son père qui ne craint jamais beaucoup
et ne doute pas du tout. La purification et l'élévation de
votre âme se poursuivent ainsi.
Laissez grandir en vous l'ambition sainte d'être une
de ces âmes victimes dont la justice éternelle a besoin en
compensation du mal et pour le rachat des pécheurs.
Réservez fidèlement le temps de vos exercices de piété;
je verrais avec peine des concessions de ce côté- là. Rappe-
lez-vous que le royaume du Ciel souffre violence, et la
perfection aussi. Vous serez plus utile aux -autres si vous
maintenez votre âme dans l'union à Dieu.
Que votre abandon filial croisse avec les épreuves et
les dépasse toujours de beaucoup. On est bien heureux
— 187 —
de trouver un Être infini avec lequel on n'a ni à craindre
ni à calculer !
IX
Ma chère fille,
Quelle tristesse tombe sur votre vie déjà si décolorée 1
Vous aurez tous les soucis d'une mère, toutes les gênes
d'une position étroite, mais il me semble que ces événe-
ments vous apportent une lumière : Dieu vous réservait
pour ces devoirs ! Je me demandais encore pourquoi la
vie religieuse avait échappé à votre main ouverte pour la
saisir; je ne voyais pas suffisamment pourquoi vous aviez
laissé tomber votre désir. C'est que Dieu le permettait
ainsi. Un je ne sais quoi nous décide en certaines circon-
stances, et c'est le fait de Dieu. Donc, plus de regrets,
plus de confus reproches : vous êtes dans votre vocation.
La vie religieuse est une vie d'immolation, telle sera la
vôtre; elle est une vie de dévouement : vous allez appar-
tenir à ces pauvres enfants. Mais elle est aussi une vie de
consolations, et vous trouverez dans votre cœur cette joie
supérieure de l'âme qui est utile aux autres et à Dieu.
Je prie beaucoup pour vous tous, pour le père disparu
et pour ses enfants. Je prie pour que vous soyez plus que
jamais une âme fidèle à la grâce. Que rien ne vous empê-
che de donner à la prière ce temps et cette application
qui sont nécessaires pour maintenir la vitalité spirituelle.
Au besoin, dans certaines périodes, peut-on s'en passer
à la condition de se tenir plus continuellement unie à
Dieu le long du jour.
Courage ! la vie est bien un chemin vers le repos et non
le repos lui-même ! Elle est bien l'épreuve et la vallée de
larmes !
— 188 —
X
Ma chère fille,
Je comprends très bien où vous en êtes : les peines,
les difficultés, les soucis vous ont laissé un peu d'accable-
ment. Le ressort est moins fort. D'autre part rien autour
de vous pour vous stimuler. Il vous semble que vous
n'avez pas de voie tracée vers l'avancement et que vous
êtes incapable de faire du bien. Telle n'est pas ma pensée :
vous pouvez et vous devez avancer, devenir plus fervente,
plus unie à Dieu; vous serez alors-apte à telle œuvre que
Dieu fera surgir.
Ce qui retient votre âme, c'est une certaine apathie, non
pas découragée, mais peu- confiante. Dans vos prières,
vous avez le cœur un peu serré; vous n'osez pas assez
avec le bon Dieu. Durant vos journées, vous laissez trop
le nuage peser sur votre front.
Introduisez dans votre vie spirituelle quelques-uns de
ces petits moyens qui sont très utiles pour la stimuler :
quelques visites à Jésus dans votre chambre, à votre
petite chapelle, une ou deux minutes de temps en temps;
quelques sentiments d'amour exprimés à mi-voix quand
vous êtes seule; des cantiques fredonnés en travaillant,
un bouquet rapporté à votre Vierge, des paroles plus
aimables dites à ceux qui vous entourent ou à toute
autre personne pour faire plaisir à Dieu.
Puissiez-vous avancer vers l'unique but de la vie :
l'amour de Dieu prenant peu à peu possession de tout
vous-même !
XI
Ma chère fille,
La mortification est un stimulant et une preuve
d'amour, mais pour s'y livrer entièrement, il faut un
attrait certain, sinon très fort. La mortification qui resser-
— 18U —
rerait le cœur parce qu'elle déplairait trop ne serait pas
opportune. Pour avancer, il faut absolument rester de
bonne humeur. Le désir d'être aimé plus de Xotre-Sei-
gneur ou de partager ses souffrances donne quelquefois
un surcroît de désir de mortification. Il y a des âmes qui
en deviennent avides.
En d'autres termes, comme la mortification est, de sa
nature, peu aimable et capable de resserrer, il faut, pour
s'y adonner, trouver en soi des stimulants qui y* portent
véritablement. L'application de la raison n'y saurait suf-
fire, ni une souplesse entière.
Tout est bon d'ailleurs en vous et autour de vous.
Rien ne s'oppose à l'appel de Dieu pour ce qu'il préfère.
Si donc il vous veut plus spécialement mortifiée, c'est à
Lui de vous le dire : bornez- vous à vous offrir.
XII
Ma chère fille,
Tout est bon à qui aime Dieu. La consolation vous
avaiKpréparée à l'épreuve. L'épreuve, consolidera ce que
la consoiaiion avait fait naître. Tout vous fera aimer
Dieu et, dans la peine, votre amour aura un caractère
plus désintéressé.
Que votre amour pour Notre-Seigneur rejaillisse sur
le prochain ! Voilà la vraie direction. C'est là le perfec-
tionnement qu'attend Celui qui a tant aimé les hommes !
Celui qui a prêché l'Evangile de l'amour des autres,
Celui qui semble attacher toute la récompense à la cha-
rité.
Rappelez-vous que la justice stricte n'est point
humaine, et surtout qu'elle n'est pas du tout la loi de
Jésus. Soyez donc indulgente dans vos appréciations.
Ayez grande compassion pour tous, même pour ceux
dont les torts sont évidents. Le grand commandement,
c'est Notre-Seigneur qui veut être aimé dans tous les hom-
mes. Ah! si nous le comprenions! Un grand moyen de
— 190 —
délivrer son cœur, c'est de chercher en toutes circon-
stances ce qui fait le plus plaisir aux autres, même à nos
dépens, mais en mesure raisonnable, bien entendu.
XIII
Ma chère fille,
Après l'épreuve de la maladie, vient l'épreuve de la
difficulté, mais l'une et l'autre vous trouvent placée sur
le bon terrain de la conformité à la volonté de Dieu.
« Oui, tout ce qui vous plaît, ô Jésus. » Allez même plus
loin et, au lieu de vous résigner simplement, oubliez quev
vous souffrez. Par là, vous vous dégagez de vous-même,
car se regarder souffrir comporte quelque imperfection
et s'oppose à certain degré d'union à Dieu. Votre grand
besoin est actuellement le dépouillement du moi.
Durant ces temps, vous chercherez comment y arriver.
Vous vous surprendrez revenant toujours à vous-même...
mais enfin, Dieu prendra tellement le dessus dans votre
pensée, que le reste ne vous troublera, ni ne vous occu-
pera beaucoup. C'est un but; il ne faut compter ni avec
le temps, ni avec les raisonnements. C'est un espoir,
car c'est la perspective de la liberté et de l'intimité.
Paix et courage en Notre-Seigneur, le centre de notre
vie et de notre éternel espoir !
XIV
Croiriez-vous qu'en vous plaignant beaucoup, je ne
puis me défendre de penser que c'est Dieu qui fait tout
cela et qu'il le fait dans des vues admirablement bonnes?
La conduite de votre âme est claire à mes yeux. Vous
avez été d'abord jetée au milieu des consolations; c'était
le printemps, c'étaient des chants, c'étaient de belles
perspectives. Vous marchiez au milieu de ces délices
tout émue; j'ai vu peu d'âmes aussi consolées, et conso-
— 191 —
lées du fait de Dieu, nullement par l'effort de la nature.
L'amour de Dieu s'est révélé à vous. Nous ne le com-
prenons complètement que sous cette efflorescence qui
Je rend plus visible, plus senti, le met plus avant dans
toute notre nature. Mais rappelez-vous que vous êtes
après tout une pauvre exilée, une âme qui doit mériter,
expier même pour elle et pour d'autres.
Rappelez-vous que nous n'avons ici-bas qu'un Jésus
crucifié, point d'autre; jusque dans son Eucharistie où
l'apparente inertie de son corps et de son sang nous le
montre encore sur la croix. Rappelez- vous que les gran-
des vertus naissent des grands efforts, et que les grands
efforts ne se trouvent que dans les épreuves.
Le mal dans cet état, c'est qu'on se laisse aller à croire
qu'on est moins agréable à Dieu, qu'on redescend et
enfin que ce sera ainsi toujours. Moins agréable à Dieu
parce que vous ne savez que lui dire? Voyez Notre-Sei-
gneur sur la croix, il ne laisse échapper que de rares
paroles, et les paroles au fond les plus communes. Jamais
son Père ne l'aima autant, jamais sa ferveur et son acti-
vité d'auparavant n'avaient égalé la valeur de ces
silences résignés. C'est par là qu'il nous a sauvés, et non
en prêchant.
XV
Qu'on redescende ! Oh ! non, ce ne sera pas, car on ne
redescend que lorsque sciemment on renonce à l'une des
choses que l'on avait promises. Est-ce que l'affection que
vous avez pour votre sœur n'est pas la même les jours
où, dans la souffrance, vous ne la sentez pas du tout?
Qu'il en doive être toujours ainsi, non, non, les conso-
lations reviendront, j'en suis sûr et je vous le prédis; mais
ce moment ne dépend point de vous. Dieu sait ce qui vous
vaut le mieux.
La maladie et l'impuissance sont pénibles, mais la
nervosité qui les accompagne souvent l'est encore plus.
Ajoutez ce sacrifice aux autres, et ne vous croyez pas
16 "
— 192 —
coupable des conséquences de cette nervosité : tristesse,
brusquerie peut-être, mécontentement de tout, envie de
se décourager, etc. Rien de coupable en tout oela. Sujet
de grands mérites. Exercice d'humilité ou de patience.
Voyez ce que l'on doit recommander aux malades;
ne vous préoccupez pas des travaux que vous laissez,
des exigences que vous avez forcément, du peu de joie
que vous donnez aux autres. C'est votre état.
Ainsi en est-il auprès de Dieu. Il n'attend pas de vous
en ce moment des travaux, du calme, de la bonne grâce,
mais simplement la patience confiante et abandonnée
qui aide à guérir, le support de l'état actuel et de soi-
même.
Avec cela le vrai travail se fait en vous : Dieu est con-
tent. Quand II vous verra bien prête, Il ôlera tous ces
appareils, et vous marcherez plus joyeusement qu'avant.
Je vois la fin de tout cela... Courage ! Je la hâte de mes
vœux.
XVI
Ma chère fille,
Vous ne vous doutez pas des excellents sentiments
avec lesquels vous acceptez votre épreuve. Tout impres-
sionnée par ce que vous sentez de souffrances et de répu-
gnances, vous ne distinguez pas toute la parfaite résigna-
tion qui fait le fond de votre vie; aussi je n'ai pas l'om-
bre d'une crainte au sujet de votre persévérance.
Ce que je désire, c'est que vous tiriez tout le parti
possible d'une épreuve destinée à vous rendre plus unie
à Dieu que vous ne l'avez été.
Vous l'avez été d'abord par la consolation, et vos
ravissements d'aise à votre entrée dans le chemin de la
perfection vous restent présents, non plus comme une
consolation, mais presque comme une chose maintenant
incomprise. C'était bien Dieu qui agissait alors dans
votre âme, s'emparant de toutes ses affections, se fai-
sant l'objet de votre vie. Et pour obtenir sûrement tout
cela, il fallait la dilatation, la joie, il fallait le printemps.
— 193 —
Dieu reste le même, aussi bon, aussi merveilleusement
aimable. Ce que vous avez goûté n'est rien, vraiment rien,
en regard de ce qui vous attend. Vous retrouverez votre
cœur en retrouvant le Dieu de ce cœur ! Mais à cette
heure, il brise, il réduit à néant tout ce qui est joie
humaine et joie divine. Il vous laisse accablée du présent
et plus accablée encore de l'avenir. C'est Lui qui fait
ainsi, et II le fait par amour. Voilà ce qtti vous soutien-
dra toujours.
En cet état vous n'avez pas à chercher de hautes pen-
sées, ni à exprimer beaucoup de sentiments variés. La
leçon de Gethsémani et du Calvaire suffit. Il n'y a que
quelques paroles à apprendre ou plutôt à répéter, et ces
paroles elles-mêmes, toutes divines, ne versent pas la
consolation, l'amour senti des peines; la peine serait
moindre.
Avec la résignation toute filiale, pratiquez certains
actes de formation : peu parler de soi — y penser moins —
rester douce — s'efforcer d'être occupée des autres et de
s'intéresser à leurs petites joies et peines, tandis que vous
souffrez, vous, bien davantage ! Faire bonne contenance
au dehors — montrer un visage serein.
Et surtout, exprimez sans cesse à Notre-Seigneur votre
amour qui Le préfère à tout, qui L'aime dans la peine;
allez plus loin et cherchez parfois à passer si avant dans
cet amour que vous ne songiez pas à Le prier pour vous,
ni même à penser à vous. Soyez Lui le plus longtemps
que vous le pourrez. Quelle belle mort de soi-même !
XVII
Ma chère fille,
Une grâce temporelle est un bienfait et un témoignage
île la bonté divine. Dieu, que vous vous efforcez de ser-
vir parfaitement, vous montre parfois qu'il vous écoute.
Très souvent, hélas! ce même amour le force à ne nous
— 194 —
point exaucer : la grâce de la résignation n'est pas une
moindre faveur.
Vivez dans l'abandon; vous avez besoin de cette dispo-
sition, et vous ne seriez pas ce que vous devez être si
elle vous manquait, même passagèrement. L'abandon est
sagesse, puisque Dieu veille. Il est amour puisque ce Dieu
est père. L'abandon permet la prière intime, le soin
raisonnable des choses, la douceur constante et le rayon-
nement de la joie divine. Mais tous ces biens sont à la
merci de nos impressions.
Prenons la vie comme elle est, c'est-à-dire comme un
temps de voyage où l'on s'accommode de ce qu'on ren-
contre et surtout comme un temps de mérite où l'on doit
chercher en toute chose ce qu'elle contient de divin pour
se l'assimiler.
XVIII
Ma chère fille,
Vous trouverez dans l'exercice de la vie intérieure
tous les secours pour arriver à la perfection et tous les
moyens pour faire du bien, dès que les circonstances le
permettront. C'est une vie et un avenir pour vous.
Que la nature parfois mette ses traverses, ses répugnan-
ces instinctives, c'est ce à quoi il faut s'attendre. Que
Dieu ne donne pas constamment l'amour sensible, c'est
la règle ordinaire en ce monde où l'épreuve fait le fond
de notre vie et notre perfectionnement. Ce n'est pas à
nous de conjecturer à quel degré de perfection nous
pouvons arriver et à nous dire : je n'arriverai pas là!
comme si c'était une œuvre qui dépendît de nous et de
nos dispositions. Dieu se plaît à élever les âmes faibles,
craintives, si elles sont belles, confiantes et dociles. Il
n'a pas besoin, souvent, de nos ressources, et, avant de
nous élever, il nous fait constater et sentir le peu que
nous pouvons. C'est son œuvre actuelle auprès de vous.
— Devenez donc humble à fond, et à mesure que vous
découvrez des impuissances et des improbabilités, exer-
— 195 —
rcz votre confiance et décidez Dieu par vos prières filia-
les. Quand il s'y mettra, il aura bientôt fait de vous
débarrasser de vos imperfections et des obstacles.
Qu'il vous veuille à Lui, ou dans l'intimité, ou dans le
combat, ou dans le zèle, peu importe ! L'essentiel c'est
d'être à Lui et de vivre pour Lui.
Tendons à tout ce que le jour présent nous permet de
faire le mieux. En ce moment, c'est la vie intime qui
est possible; assurez-la, et exercez-la. Si la sécheresse
vient, continuez quand même, et pleurez un peu aux
pieds de Jésus, mais relevez-vous toujours pleine de
résignation et de courage. Ne nous comptons pour rien,
ni nous, ni nos goûts, ni nos peines; enfermons notre
ambition, comme notre activité, dans ce qui plaît à Dieu
à chaque moment. Moins nous penserons à nous, même
dans le but de nous améliorer, mieux cela vaudra, parce
qu'à la place nous penserons à Dieu.
XIX
Ma chère fille,
Je vous sais toute à Dieu, incapable de lui rien refuser.
J'espère que l'avenir vous montrera de nouvelles géné-
rosités à avoir et de nouvelles délicatesses d'amour envers
Lui. Ne devançons pas son heure, mais préparons-la. De
deux personnes qui ne refusent rien à Dieu, il y en a
souvent une qui lui donne beaucoup plus, car elle sait
plus.
La vie intérieure, la fidélité, l'exercice de la confiance
et de l'abandon disposent à mieux voir. Ne vous laissez
pas trop occuper des soucis de l'avenir, et dégagez-vous
de vous-même. Que Dieu prenne une place de plus en
plus grande dans vos pensées. En toutes choses, au lieu
de vous demander ce qui vous sera bon, demandez-vous
ce qui plaira davantage à Dieu et qui pourra lui procu-
rer plus de gloire; votre bien et sa gloire se confondent
toujours, mais vous ne vous serez pas cherchée vous-
même, et, dans la paix, vous aurez une plus grande paix-
— 196 —
XX
Ma chère fille,
Je remercie le divin Maître de la lumière si nette qu'il a
fait briller enfin à vos regards. Ce n'était pas sans faire
effort à son cœur qu'il vous laissait ainsi désolée, mais
il nous aime pour notre vrai bien, pour le mérite éternel,
pour l'union définitive dont la souffrance est l'ordinaire
condition.
Que cette Providence manifeste vous rende à l'avenir
plus calme et plus confiante. Pensez à saint Pierre, appelé
de la barque à marcher sur les eaux. Il y marche, mais
voilà que soudain, malgré la parole du Maître, il prend
peur, et aussitôt cesse l'effet de la protection dont il a
douté. Comme nous ressemblons à saint Pierre dans sa
crainte ! Nous craignons tout et dans le présent et dans
l'avenir. Nous voudrions que tout fût clair et assuré
devant nous, tout bien solide sous nos pieds, mais, à
tout moment, ne peut que surgir ce qui arrive toujours...
l'imprévu.
Réglez sagement le présent; prévoyez en paix l'avenir
pour y faire face; et puis, votre rôle terminé, rentrez
dans le repos, laissant à Dieu le rôle qui lui appartient.
S'il survient des traverses et des sujets de crainte, recom-
mencez, mais toujours en paix, et ne soyez pas trop
regardante aux choses qui ne dépendent pas de vous.
La confiance est un devoir comme la paix, car notre
devoir est d'aimer Dieu, et seule cette disposition nous en^
laisse la liberté. Vous seriez bien avancée si pour faire
trop d'efforts humains vous perdiez votre union à Dieu,
sans atteindre, hélas ! le succès humain que cherchait
votre activité. Laissons l'avenir à Celui qui seul le con-
naît et le prépare. Plus vous vous ferez libre au dedans,
plus vous jouirez de la paix intérieure qui fera le bonheur
de votre vie, en attendant la paix et le bonheur du 'Ciel.
Vivez pour Notre-Seigneur, pour que Notre-Seigneur
vive en vous.
— 197
XX
Ma chère fille,
Votre besoin continuel est de ramener votre confiance
et par là votre entrain. Ce que Dieu vous demande sur-
tout, c'est d'être aimé de vous d'une façon tendre et pré-
venante. Vous êtes l'enfant qu'il garde près de Lui sans
l'occuper au dehors, dont le rôle est de ne jamais se tenir
oublieuse et froide : elle est l'enfant qui fait la joie de son
Père et sa consolation.
Prenez patiemment les déceptions qui vous viennent des
personnes chères; ne vous détachez pas d'elles et soyez
indulgente; la bonté regagne toujours quelque chose de
ce qu'on lui a enlevé. Ne soyez pas triste au milieu de
choses tristes, car votre joie est en-haut ! Ne prévoyez
pas de trop loin; à chaque jour sa peine, et la plupart de
vos craintes ne se réalisent pas et vous ont occupée et
troublée inutilement. Enfermez-vous dans le culte de la
volonté de Dieu pour le jour présent. Si vous trouvez
quelque âme à qui vous puissiez parler de Dieu et don-
ner quelque chose de Jésus, faites-le.
XXII
Ma chère fille,
J'aimerais mieux vous savoir bien portante, parcou-
rant votre journée saintement et activement à partir
de la messe et de la communion du matin jusqu'à l'heure
du coucher; mais des journées de névralgie sont si en-
nuyeuses, parfois si dures, qu'elles doivent être plus saintes
encore que les journées de santé. Il est vrai, durant ces
périodes d'accablement, le cœur ne sait rien dire; le
mérite ne consiste pas dans le sentiment et son expres-
sion, mais bien dans l'élévation et la force du vouloir.
L'intention vraie forme toute l'action morale. Le senti-
— 198 —
ment lui ajoute un charme spécial, comme le coloris à
la gravure, mais sans y ajouter un trait. Il y a de simples
gravures qui, pour les connaisseurs, valent plus que cer-
tains tableaux de peinture. Si Dieu ne vous commande
en ce moment que des travaux de gravure, affermissez
votre main pour que le trait soit net; appliquez bien votre
attention pour que chaque détail soit parfaitement
fouillé; mais comme tout cela est fatigant, permettez-
vous de ces fréquents repos pendant lesquels vous ne
cessez d'être agréable à Dieu; vous vous reposez pour
son meilleur service ! Je"parle de ce repos qui exclut la
contention, l'effort même de la pensée. Il n'empêche pas
un certain sentiment du voisinage de Dieu et donne une
vraie joie d'être à Lui, du moins un vrai repos.
Habituez-vous à ne rien préférer pour les états qui se
succèdent, mais à les aimer tous et à vous faire contente
,fle tous. Agir ainsi, c'est d'abord être juste à l'égard de
Dieu. Soyons-le dès maintenant avec mérite, car nous ne
voyons pas. N'attendons pas le jour où il nous sera mon-
tré clairement que c'était notre meilleur bien. Agir ains:,
c'est s'affermir et ne plus dépendre de ce qui est chan-
geant. Tous nos goûts ont beau être broyés, tous nos sen-
timents paraissent éteints... rien n'est changé ni dans nos
sentiments vrais, ni dans le sentiment de Dieu. Des épreu-
ves supportées de la sorte résulte un accroissement de
paix et de vigueur, quelquefois une douce consolation,
vous le savez par expérience, n'est-ce pas?
XXIII
Ma chère fille,
Je suis très content des dispositions présentes. Vous
avez su regarder les choses à un point de vue moins per-
sonnel qu'autrefois, et, au lieu de ressentir du trouble,
vous voilà toute dilatée. Ne sortez pas de cette voie qui
est la plus favorable au progrès. Que vos imperfections et
vos froideurs ne vous troublent pas. Quand on se donne à
— 199 —
Dieu sincèrement, Il nous prend tels que nous sommes,
sauf à nous améliorer en temps et lieu, et il nous aime
tels quels. Or, pourvu que nous soyons aimés de Lui,
qu'importe notre valeur personnelle? La valeur que nous
aurons viendra de Lui. Pensez souvent à ceci : Dieu a
continuellement une pensée sur nous. Si nous la saisis-
sons et si nous la réalisons, nous arriverons à la vraie
perfection, à la nôtre, à celle pour laquelle nous avons
reçu aptitude, attrait et position. Connaître la pensée
de Dieu demande le recueillement et l'acuité du désir.
La réaliser demande un grand oubli de soi; car la préoccu-
pation personnelle détourne et affaiblit. Que tout notre
mouvement de piété se fasse dans la paix et la con-
fiance !...
Continuez à vivre de Dieu et de ce que Dieu vous
donne : tout est là. Restez bien en paix. Ayez le désir de
plaire à Dieu en toutes choses et à tous moments.
Mettez votre vie dans l'union à Dieu; vivez d'admi-
ration, de désirs généreux. Prenez conscience de l'action
de Dieu en vous et de celle de Notre-Seigneur qui s'y
unit pour vous diviniser suavement. Que la paix et le
désir ne quittent pas vos sentiments.
XXIV
Ma chère fille,
... Vivre de résignation est un régime qui fait maigrir,
et je veux que vous ayez des forces pour servir Dieu
joyeusement et vous préparer à être utile aux âmes
quand le moment sera venu. Toute âme a un rôle à rem-
plir. Celui de prier, de consoler Dieu, d'attirer les misé-
ricordes et les grâces, n'a rien d'apparent; et c'est le plus
nécessaire et le plus fécond. Peu de personnes savent s'en
contenter et s'en réjouir. Parce qu'on ne voit pas ce qu'on
fait, il semble qu'on ne fait rieu.
— 200 —
X \ \
Ma chère fille,
Quelle bonne lettre vous venez de m'écrire ! Oh! non,
ce n'est pas le moment de vous décourager puisque vous
êtes dans une plus vive lumière. Savoir, mieux savoir,
réconforte les âmes droites, alors même qu'il s'agit d'une
lacune constatée. Peut-être en effet n'étiez-vous pas
encore assez désoccupée de vous-même; j'écrivais déta-
chée, j'ai corrigé, car je ne vous vois pas précisément
attachée à vous-même, plutôt occupée, ce qu^n'est pas
un vice, mais une petite faiblesse tout involontaire.
Remerciez Dieu de vous l'avoir fait toucher du doigt, et
reconnaissez dans les moyens qu'il a employés et qui vous
déplaisaient un peu, sa bonne Providence qui ne nous fait
quelque mal que pour arriver à nous faire du bien.
Votre objectif est donc fixé : vous désoccuper de vous-
même. Le moyen sera de vous occuper ailleurs (je dis,
votre cœur, votre âme, votre pensée). Dieu en sera le pre-
mier objet; vous deviendrez plus tendre, plus filiale dans
vos rapports avec Lui. Vous lui parlerez de Lui et de
ses intérêts. Vous regarderez tellement Notre-Seigneur
que vous finirez par ne vivre que de Lui, employant à
cette affection la plus grande partie de ce cœur que vous
avez senti battre plus fort à l'occasion d'une amitié
humaine.
Le second objet sera le prochain, et d'abord te plus
prochain, votre famille, vos amies, puis les affligés, les
pauvres. Vous augmenterez encore, avec tous, vos préve-
nances, cherchant d'avance des occasions et des paroles;
dans la conversation vous aurez cette idée dominante :
de quoi telle personne aime-t-elle à parler? Faire parler
est art et charité. Peu à peu vous vous résoudrez à être
plus démonstrative dans vos affections, ayant soin de
voir, entre la personne et vous, Notre-Seigneur, à qui
cela s'adresse surtout. Avec cela, vous pourrez aller loin
sans excéder et sans mentir.
— 201 —
Vous surveillerez la physionomie, vous imposant de
plaire d'une façon élevée.
Voilà bien des recommandations, n'est-ce pas? Vous
voyez que je vous crois une grande bonne volonté et
docilité pour que je vous taille tant de besogne.
Il faut nous hâter, car nous posséderons Dieu en pro-
portion de la largeur de nos sentiments et de nos mérites.
XXVI
Ma chère fille,
Quel pitoyable retour que le vôtre et quelle bonne
épreuve pour votre formation ! Il faut apprendre à se
sanctifier par tous les chemins et par tous les temps.
La manière seule change. Celle d'aujourd'hui comporte
beaucoup de résignation donnant une grande tranquil-
lité de pensées et de désirs même. Laissez s'accomplir la
volonté de Dieu, c'est la grande ressource des moments
où nous ne serions capables d'aucun sentiment bien net :
nous la voyons, non d'avance, nous disons de temps
en temps : merci, surtout quand nous aurions raison de
nous plaindre. Cette union contient implicitement tous
les sentiments qui sont au fond les vôtres, mais que nous
ne distinguons plus, ce qui nous laisse froids.
Par exemple, si vous avgz pu conserver l'exercice de
vos résolutions, ce sera merveille. Etre aimable quand
on est ennuyé et qu'on souffre, c'est tout à fait surnatu-
rel. Quels progrès ne fait-on pas alors! J'avoue que
parfois cette exécution en devient impossible tant on
est remué par tout cet accablement. Dans ces cas-là on
dira à Dieu : je' voudrais mieux faire, je ne peux pas,
mais quand j'irai mieux, vous savez!... Et en effet,
comme on n'a pas perdu de vue ses résolutions, on pro-
fite de ces premiers moments de liberté nouvelle pour
les mettre à exécution.
Mettez beaucoup de tendresse dans votre cœur pour
Dieu d'abord, puis pour les personnes qui vous entourent.
— 202 —
Lui vous aidera. En second lieu, aimez à regarder les qua-
lités ou les services des personnes; puis songez qu'en les
entourant d'affection, vous ferez plaisir à Celui pour qui
vous vivez. Cherchez à discerner, dans le recueillement,
le visage de votre divin Maître. De cette vue portez
partout le souvenir. Tout vous deviendrait facile et, en
même temps, vous entreriez dans une vie intérieure très
douce probablement, et à coup sûr très sanctifiante :
nous valons en raison de notre degré d'union avec Jésus.
XXVII
Ma chère fille,
Voilà une bonne lettre et une bonne nouvelle. Vous
êtes en pleine paix, votre cœur se développe du côté du
ciel et votre santé vous permet de vivre en réelle chré-
tienne. Votre voie est toute tracée : vous n'avez qu'à
chercher Dieu. S'il veut de vous quelques services, il vous
le dira au moment. Vous êtes comme une personne tou-
jours prête qu'il suffit d'appeler. Vous avez constaté ce
fait que l'on, peut beaucoup physiquement quand on se
dévoue. Dans le doute, il faut se lancer.
Je vois que vous n'oubliez pas la grande nécessité de
votre avancement : l'oubli de vous-même. Pour bien
s'oublier, il faut se bien occuper de Dieu et des autres.
Ayez un parti pris, cette idée fixe, et comme disaient les
Romains : « Delenda Carthago ». Quand vous vous sur-
prenez à trop penser à vous, de quelque façon que ce
soit, faites- vous violence pour vous arracher de là; expri-
mez à Dieu votre regret, et jetez-vous dans un recueille-
ment plus profond qui rende plus lucide votre regard
tourné en haut. Exercez-vous aussi à vous occuper des
autres en détail et à vous intéresser à ce qui les inté-
resse, parce que cela les intéresse.
— 203
XXVIII
Ma chère fille,
J'espère qu'un mot d'encouragement ne sera pas sans
bon résultat : on marchait bien, mais on marchera mieux
encore. Tout ce que vous me dites de votre situation
morale me plaît beaucoup : vous vous occupez de Dieu
et de ses œuvres; vous vous dégagez de vous-même, vous
cherchez à vous rendre aimable à tous pour plaire à Jésus
qui vous regarde sans cesse. C'est ainsi qu'il faut vivre,
car cela c'est vivre. Vous faites croître votre être divinisé,
vous étendez ses horizons, vous l'unissez plus pleine-
ment à Dieu, le principe de cette vie.
Il y a une telle disproportion entre ce qui est et ce qui
paraît, que l'on a besoin, pour bien distinguer les choses,
de les considérer longuement et à travers l'obscurité.
Vous avez fait ce travail pour votre âme, il vous reste à
le faire pour l'âme des autres. Ce vous sera facile, parce
que vous n'avez qu'à transporter sur le prochain ce qui
vous concerne de vos propres richesses et d'y lire tes
traits de Jésus. Le bien que vous vous voulez à vous-
même, si vous le désirez en vue du contentement de Jésus,
vous devez le désirer vivement aussi pour les autres. Son-
gez au plaisir que vous lui faites lorsque vous le faites con-
naître à une petite âme dont il veut être connu; lorsque
vous embellissez cette âme pour qu'elle lui plaise davan-
tage. Si cela vous coûte parfois, et si l'insuccès ou l'in-
gratitude vous récompensent, songez que toute la récom-
pense vous viendra de Lui; et qu'elle comprendra et la
sienne et celle qu'il vous doit pour les autres. Là, non
plus, ne vous recherchez pas, voyez Jésus, servez-le et
faites-le toujours avec tout l'amour que vous avez pour
sa personne. Voyez peu les défauts qui déparent, si
ce n'est quand vous avez à les faire disparaître. Vivant
pour plusieurs âmes, vous vivrez bien davantage.
— 204 —
XXIX
Ma chère fille,
Enfin je puis me donner la satisfaction de vous écrire !
J'ai souffert de ne pouvoir le faire plus tôt, mais j'ai si
peu d'heures où je puisse travailler, et ces rares moments
je les consacre à finir mon second volume de messes.
J'espère qu'il vous apportera vers Pâques quelques
lumières et quelques encouragements. J'ai quatre messes
sur le Sacré-Cœur où je traite la question à fond.
Maintenant que vous avez l'âme libre, vous pourrez
vous occuper de Lui avec ce soin et ce goût que l'on n'a
pas quand on est trop occupé de soi-même. Quand une
occasion se présentera, saisissez-la avec bonheur sans
vous inquiéter des petites difficultés qui se trouvent en
toutes choses; gardez une grande sérénité en dépit des
insuccès ou des blâmes; en faisant ce que Dieu vous
demande, vous faites une chose parfaite* quel qu'en soit
le résultat. Souvent Dieu se contente de la vertu que
nous avons déployée.
Heureusement, Dieu ne demande à chaque âme que
sa part d'action, et laisse parfois notre action sans effet
apparent; mais comme tout se tient dans son plan, le
mérite de notre obéissance et de ce courage ira féconder
ailleurs son action, peut-être accomplie dans des vues
personnelles. Songez donc à être aussi parfaite que pos-
sible pour donner à Dieu et au bien la coopération la
plus efficace. Pour cela, cultivez la vie intérieure; avi-
vez-la par de vives expressions de vos sentiments et de
vos désirs. Pour cela encore, montrez-vous toujours
bienveillante, affable, cherchant à ce que chacun se
retire content d'auprès de vous. Ce résultat s'obtient
généralement à peu de frais, car ce qui intéresse les gens
c'est ordinairement moins ce que nous disons que ce que
nous savons leur faire dire. Là encore, effaçons notre
personnalité.
Je n'ai vu qu'une fois J. Nous n'avons pu causer
— 205 —
longuement, j'ai pourtant constaté bien des préoccupa-
tions du côté de la foi, et je le comprends sans peiue.
Nous sommes dans une période mauvaise, et tout ce qui
n'est pas très fort en subit la dépression. Soyez pour cette
âme le Moïse de la montagne.
XXX
Ma clière fille,
La vie continue à s'écouler pour vous au milieu des
désagréments et des transes. Dieu ne vous envoie pas
de ces énormes peines qui écrasent, il se contente de vous
exercer dans la patience, le désintéressement, la rési-
gnation de tous les instants. Qu'importe ! N'est-ce pas
la manière dont il veut vous sanctifier? c'est le meil-
leur pour vous. Nous devons donc l'aimer, du moins
comme on aime une potion amère que l'on sait bienfai-
sante. Je dis : du moins, car il y a mieux. Je connais des
âmes qui se sentent à l'aise dans la souffrance, qui en
bénissent Dieu constamment. Pourquoi? Parce qu'elles
se savent plus près de Jésus, plus conformes à sa vie de
Rédempteur, plus chrétiennes en ifn mot. D'autres, fort
impressionnées des maux actuels de l'Église, ont à cœur
d'offrir à Dieu la consolation qu'il veut bien recevoir de
l'aide dont il daigne avoir besoin. La souffrance, toute
souffrance envoyée par Lui est l'appel au devoir et à
l'honneur. Vous savez tout cela. Que vous manque-t-il?
Peut-être de vous trop laisser absorber par d'autres pen-
sées, de sorte que celles-là, quoique vivantes, sont
engourdies.
Écartez donc davantage l'obsession des pensées péni-
bles; faites place aux pensées surnaturelles. Que le soleil
de celles-là brille sur votre vie et la ranime ! Songez sur-
tout à l'amour que Jésus vous porte. Chez lui ce n'est pas
un sentiment passager. Il persiste nuit et jour et no
s'affaiblit jamais, alors même que nous n'y pensons pas
e-t que nous sommes indifférents en apparence. Si l'on
— 206 —
comprenait bien ce que vaut cette affection intime,
qui sait tout sur nous et qui s'intéresse aux moindres
choses, on en vivrait ! Qu'elle soit votre refuge, qu'elle
devienne votre bonheur !
Courage, toujours! Prendre un point d'appui dans un
grand amour très intime pour Jésus.
XXXI
Ma chère fille,
Combien je vous plains de toutes les tristesses qui
poursuivent votre vie ! Que de points sombres ! Mais
vous savez quel est le vrai but de la vie : faire des mois-
sons. Aimez à ce qu'elles soient abondantes et pour vous
et pour les personnes que vous aimez. Votre frère, comme
votre sœur, souffrent en chrétiens. Il n'y a de vraiment
tristes que les souffrances qu'on sait perdues, comme il
arrive à ces pauvres gens qui ne connaissent pas Dieu.
Efforcez- vous d'aimer toute souffrance en la regardant
comme une marraine qui enrichit, ou mieux comme
une occasion de faire plaisir à Jésus qu'on aime.
Je connais une personne qui souffre beaucoup et ne
quitte pas le lit. On lui disait : Vous seriez bien contente
d'aller au Ciel? — Oh! non, répondit-elle, pas encore;
Jésus souffre trop en ce moment, il faut bien qu'on reste
pour le consoler. Cela me touche profondément; faites-
en votre profit.
XXXII
Ma chère fille,
Je comprends très bien l'état où vous a mise cette
semaine de préoccupations qui, de prime abord, semblent
insolubles, et je vous assure que Dieu n'a pas été offensé
de vos troubles tout à fait involontaires, ut au fond très
résignés. C'est même très beau que vous ayez pris le des-
— 207 —
sus, et que vous vous trouviez fortement unie à sa volonté
quelle qu'elle puisse être; mais je' suis persuadé qu'elle
ne vous conduira pas à l'extrémité de vos craintes, loin
de là. Beaucoup de choses s'atténuent ou changent !
Rien n'est donc désespéré ! Offrez à Dieu votre accep-
tation sans réserve et aussi sans frayeur; ne surchargez
pas le présent des prévisions de l'avenir. J'ai souvent
remarqué que ce qu'on craint n'arrive pas, et que de
peines imprévues surgissent tout à coup ! En ce monde,
nous ne pouvons fixer notre repos que dans un parfait
abandon à Dieu. Cet abandon nous rapproche de Lui
intimement et nous permet aussi de mieux juger les
choses.
Offrez vos souffrances pour l'Eglise. Je connais de
1 telles âmes qui ont demandé d'être traitées en victimes...
et qui l'ont largement obtenu. N'allez pas au devanl,
mais ne reculez pas. Acceptez tout le bon plaisir de Dieu
sur vous et sur les vôtres.
XXXIII
Ma chère fille,
Vous m'envoyez des fleurs et vous m'apportez vos
peines ! Je reçois les unes et les autres avec le même-
cœur, mais non point avec les mêmes sentiments. Vos
fleurs et vos peines cependant orneront demain l'autel
où je les déposerai les unes et les autres, et il faut que
toutes ensemble elles fassent monter vers le ciel des par-
fums. Les plus précieux seront ceux de votre pauvre
cœur brisé, mais ulialement content.
Vous dites bien : il y a des circonstances qui demandent
l'héroïsme. Eh ! pourquoi Dieu ne vous le demanderait-
il pas, à vous qui le connaissez mieux que la plupart des
âmes? à vous qu'il aime particulièrement? Qu'impor-
tent les bouleversements dans nos projets, les misères
de santé, les craintes de l'avenir? Ne voulons-nous pas
répéter les paroles de saint Paul : « Qui me séparera de
il
~ 208 —
la charité du Christ? »... Est-ce que la vie présente est
notre vie? Elle n'en est que la courte et triste préface;
elle en est surtout la pourvoyeuse bienfaisante I
Voyez donc la main de Dieu plus que ce qu'elle impose;
ayez cette confiance quand même qui est la seule vraie
confiance. N'exigez point tels et tels résultats; compte*
sur les résultats de la fin, car ce sont les seuls qui impor-
tent.
Cette confiance ne vous empêche pas d'agir; au con-
traire, elle vous laissera plus de clarté dans l'esprit, plus
de puissance pour soutenir les autres et les encourager.
Vous"serez moins vous-même et vous serez plus l'épouse
de Jésus.
Quoi qu'il en soit de la déception dont vous me parlez,
servez- vous-en pour vous serrer plus près de Celui qui ne
trompe jamais. Soyez indulgente pour ces pauvres cœurs
qui vous délaissent. Gardez la paix ! Aimez quand
même ! *
XXXIV
Ma chère fille,
Seriez- vous sous le poids du découragement? Feriez-
vous cette peine au divin Maître de ne vous confier à lui
que d'après les résultats ou les espérances? Lui refuseriez-
vous de partager telle ou telle de ses angoisses? Non,
assurément, mais, sans refuser, il arrive qu'on accepte
avec une sorte de torpeur, soit les peines présentes, soit
les menaces de l'avenir. Celles-là surtout désespèrent les
personnes qui, comme vous, aiment à voir clair. Où
serait alors la vraie confiance, celle qui plaît à Dieu, celle
qui est le propre d'un cœur filial?
Je sais qu'à force de souffrir, les nerfs endoloris entre-
tiennent un profond malaise et que, dans cet état, on ne
voit plus rien des choses de Dieu; mais vous savez bien
que c'est une épreuve passagère pour vous faire grandir.
Quand la volonté n'est soutenue que par elle-même et
la main cachée de Dieu, elle fait des actes magnifiques
— 20'.) —
en répétant ce mot divin : « Fiat voluntas. tua! » Ce mot
suffit. Il ne donne pas la joie, mais la paix. On ne sent
pas qu'on aime Dieu, mais on le sait, et l'on sait aussi
qu'en aucune autre situation, on ne saurait être plus aimé
de Lui. Tout ici-bas se passe plus ou moins dans les ténè-
bres. C'est l'exil... C'est la vallée de larmes...
XXXV
Ma chère fille,
Élevons un peu plus haut nos regards. Voyons moins
les choses que la volonté de Dieu qui les dispose. N'ou-
blions pas que la vie est une chose sacrifiée pour acqué-
rir l'infini. Laissons aux âmes qui n'en sont pas pénétrées
la tristesse amère qui se plaint et la fébrilité qui manque
de confiance. Allez encore plus avant, et, vous unis-
sant à Jésus, voyez en ces épreuves une belle occasion
d'union à ses souffrances, de mérite et d'expiation pour
les autres. Ne vous trouvez-vous pas encore un peu trop...
humaine? L'âme qui ne l'est presque plus (car on l'est
toujours quelque peu) garde une paix profonde, accepte
avec confiance et amour chaque déception, et surtout
ne perd rien de son union avec Dieu. Veillez bien à tout
cela, car vous êtes de ces âmes à qui cette perfection est
demandée. Voulez-vous que je condense eh un seul mot
toufes ces dispositions : Aimez tout ce qui vous est imposé.
Faites une bonne fois le sacrifice total de vos satisfactions
de la terre. Vendez ainsi vos biens, et suivez le divin
Maître. Ne mérite-t-Il pas cette confiance et ce désinté-
ressement? Vous vivrez plus pour Lui et au fond vous
serez plus heureuse.
Courage ! Soyez de celles qui se donnent à Dieu sans
réserve. Celles-là seules sont en paix imperturbable.
— 210 —
XXXVI
Ma chère fille,
Puisque le bon Dieu vous envoie continuellement des
épreuves, c'est un signe que telle est bien la voie dans
laquelle vous devez vous sanctifier. Or cette voie demande
une ferme confiance en Dieu, aboutissant à un abandon
filial, quoique agissant. Le. danger est le manque de paix
et l'arrêt de la vie intérieure. Dans son plan, Dieu pré-
voit de nombreuses défaillances. Quand donc vous vous
êtes un peu trop laissée aller au trouble et à la préoccu-
pation, il Je voit avec indulgence et vous attend de nou-
veau. A vous de vous dégager de ce qui vous retient et
de revenir à Lui avec un cœur désireux de vous occuper
de Lui tout entier.
Le sommet de la voie d'épreuves est l'amour du sacri-
fice, de l'offrande de soi comme victime pour la répara-
tion de la gloire de Dieu et l'expiation pour les autres.
Ne frissonnez pas à l'aspect de ces austères visages. Cer-
tains sentiments que l'on ne comprend pas à certains
moments se transfigurent et se font jour quand on revient
à Dieu et qu'on se plonge en Lui. Après tout, vous n'êtes
en ce monde que pour devenir grande dans le Ciel, et
y déployer les facultés développées durant ce long
labeur. Vos ennuis vous paraîtront bien petits quand
vous les regarderez dans le lointain de plusieurs siècles.
Et surtout, quand vous contemplerez le bien infini qui
en sera la récompense. Courage !
XXXVII
Ma chère fille,
Je vous écris parce que vous souffrez et que votre cou-
rage, sans être abattu, est moins vaillant. Songez donc
que tout ce dont vous vous plaignez arrive pourtant avec
— 211 —
la permission de Dieu et vous offre de belles occasions de
mérite. Il faut considérer cela plus que l'incertitude du
lendemain. Ne constatez-vous pas d'ailleurs que vous
avez pu suffire à toutes les charges du passé? Vous
suffirez également à celles de l'avenir. Dieu laisse plonger
le baigneur presque jusqu'au bord, mais il est là pour
l'empêcher de couler à fond.
Quand vous m'avez écrit, vous étiez sous l'impres-
sion très vive de vos souffrances physiques et des nou-
velles fâcheuses que vous veniez de recevoir, voilà pour-
quoi il vous semblait que personne n'était aussi mal-
heureux que vous. Ah! que j'en connais de vies autant
brisées que la vôtre ! Que je connais de pauvres âmes
montant un plus rude Calvaire! L'ajouterai-je? J'en
connais qui ne font que bénir Dieu, se confiant, s'aban-
donnant à Lui, offrant ce qu'elles souffrent pour adou-
cir ce que souffrait Jésus, pour jeter dans le Calvaire de
la justice leur mesure d'expiation.
Redevenez plus surnaturelle! Je ne vous ai pas trou-
vée vous-même, dans votre dernière lettre.
Mes vœux sont dictés par les circonstances mêmes où
vous vous trouvez. Ils sont : que Dieu soit votre pensée
première et dominante, puis, que vous soyez plus déta-
chée et plus abandonnée. Voilà ce que demande à Dieu
ma grande affection pour votre âme.
XXXVIII
Ma chère fille,
Vous êtes, ce me semble, en ce moment dans une
grande paix intérieure. Vous avez toujours bien accepté
votre croix avec résignation, souvent avec générosité.
Votre nature n'a pas pu suivre le même élan; elle s'est
traînée souvent à la suite, elle l'a trahie parfois, mais
vous en avez tiré l'occasion d'une confiance très méri-
toire. Si maintenant, plus expérimentée et plus calme,
vous vous trouvez dans les mêmes peines, vous pourrez
— 212 —
tendre à la perfection, qui consiste à l<\s aimer, y voyant
[plus la volonté de Dieu que les choses pénibles. Rien ae
favorise cette disposition comme une vie de recueille-
ment. 11 faut donc l'assurer de plus en plus par la recher-
che habituelle du regard de Jésus sur vous. Il faut la pro-
téger contre le trouble qu'apportent les vivacités de
caractère, les sensibilités trop vives aux procédés péni-
bles, et surtout les inquiétudes d'avenir qui vous ont
parfois absorbée. Dieu pourvoira à tout, mais il ne faut
pas attendre qu'il vous préserve de toute affliction. La
position des vôtres pourra être moins élevée : qu'importa
pour le Ciel! Ne demandons que le nécessaire ici-bas
pour ceux que nous aimons, et l'assurance de leur salut;
Faites du bien autour de vous selon les circonstances.
11 dépend toujours de vous de vous montrer auprès de
tous les inférieurs très condescendante et aimable. Vous
ferez aimer en vous la piété. N'entrez pas dans les criti-
ques sur le prochain.
XXXIX
Ma chère fille,
Ne vous laissez pas aller au découragement. Nous
sommes tous entre les mains de Dieu. Ce ne serait pas
confiant que de toujours s'inquiéter. Aimons ce qu'il
nous donne chaque jour; ne prévoyons pas ce que nous
aurons à supporter le lendemain. Du reste sa grâce sera
là. Vous ne l'avez pas aujourd'hui pour demain.
Ne vous irritez pas, ce ne serait ni bon, ni juste, ni utile.
Cette peine vient de Dieu comme les autres et peut vous
perfectionner beaucoup dans les qualités de bonté et de
courage. Maintenez le visage calme, c'est un rappel et
un secours. Offrez-vous à Dieu plusieurs fois le jour et
en tout abandon. Offrez-vous aussi à Notre-Seigneur
pour lui permettre d'employer votre mérite au salut des
âmes et à la consolation de son cœur.
Réconfortez ceux qui vous entourent. Vous êtes celle
— 21B—
à qui Dieu a fait le plus de grâces. Prenez pour eux les
sentiments de Jésus pour les siens. Soyez pour eux ce que
vous voulez qu'on soit, pour vous.
XL
Ma chère fille,
Vous avez enfin trouvé Notre-Seigneur ! Il est devenu
votre lumière, votre appui, votre espérance, votre idéal,
votre vie ! Vous ne découvrirez pas autre chose ; mais
cela vous le découvrirez toujours mieux, et il arrivera
un moment où vous croirez voir des choses nouvelles et
ressentir des sentiments non éprouvés. Ce sera le déve-
loppement de la lumière, atteignant des horizons plus
éloignés; ce sera l'idéal mieux compris, la vie plus palpi-
tante au dedans. Les grâces que vous avez reçues sont de
celles qui obligent à la perfection et qui la rendent facile.
Soyez donc saintement exigeante pour vous et très indul-
gente pour les autres. Quittez entièrement ce qui peut res-
ter de brusquerie et de raide dans vos habitudes, dans vos
paroles, dans votre physionomie. Portez cela dans la
famille, même avec ceux qui ont des torts. La douceur
n'enlève rien à la force d'un refus, d'une observation ou
jd'une réprimande. Quand votre vivacité aura pris les
devants et vous aura trahie, ne vous troublez pas; c'est
une leçon dont vous profiterez. Tâchez même de réparer,
sans sacrifier rien de ce que vous devez sauvegarder.
Ai-je besoin de vous dire que cette douceur dans les habi-
tudes émane d'une douceur intérieure? Vous ne l'auriez
jamais parfaite au dehors sans l'avoir bien vivante au
dedans. Appliquez-vous donc à avoir au dedans un cœur
indulgent et bienveillant. Regardez chez les autres ce qui
peut vous les faire aimer. Fixez-y votre attention et peu
sur ce qui vous y déplairait. S'il n'y a rien en eux qui vous
attire, il reste Notre-Seigneur, qui prend leur place et
vous y attend. Faites pour eux, éprouvez pour eux ce
que vous voudrez faire et éprouver pour Lui.
— 214 —
Je vais me remettre au travail. Il me tarde ! J'ai beau-
coup de choses en vue, mais je suis traité comme serait
un cultivateur qui se verrait dans l'impossibilité de
rentrer toutes ses récoltes. Il ne sait par où commencer
ni que sacrifier.
XLI
Ma chère fille,
Dieu a béni votre constance et votre docilité. Il vous
a fait, cette année-ci, une des plus grandes grâces de votre
vie en vous orientant vers Lui par l'oubli de vous-même.
Cet oubli de soi-même est si difficile dans une vie peu
occupée ! Il est si peu naturel à un esprit facilement
préoccupé et craintif ! Reste à conclure qu'il est bien
surnaturel et tout de Dieu. C'est infiniment doux de le
recevoir d'une telle source. Vous êtes donc une enfant
gâtée : soyez de plus en plus une enfant aimante. L'oubli
de soi-même, c'est la place faite à Dieu, c'est la paix
établie, c'est la liberté de l'essor.
Oubliez- vous assez pour n'être plus sensible, même aux
variations qui se produisent dans vos impressions à
l'égard de Dieu et du devoir. Laissez-vous conduire avec
le même abandon, par une voie difficile ou par une voie
douce, à travers la nuit comme sous la clarté du jour; ou,
mieux encore, ne faites pour ainsi dire pas attention au
jour et à la nuit, à la route âpre ou aisée. Oubliez tout
ce qui est secondaire. Vivez de fidélité, de dévouement,
de bons désirs exprimés, de bon espoir et de nobles réso-
lutions. On ne vit que de ce qui est nutritif, n'est-ce pas?
L'agitation, la crainte, c'est le vent qui passe, laissez-le
passer.
— 215 —
HUITIÈME SÉRIE
Mon bien cher ami,
En recevant la lettre par laquelle vous m'apprenez
votre échec, j'aurais voulu vous avoir là, pour vous
embrasser bien fort : vous êtes très aimé de Dieu, puis-
qu'il vous envoie ce qu'il a de meilleur, l'épreuve. Ce ne
sont pas nos souffrances qu'il aime, tant s'en faut, ce
sont les actes magnifiques qu'elles nous donnent l'occa-
sion de lui offrir. Il y trouve sa gloire et II y voit notre
grandeur.
Vous ne vous contenterez donc pas d'accueillir avec
résignation votre échec si peu mérité; vous vous estime-
rez heureux de le subir; oui, heureux, car on doit être heu-
reux de tout ce qui fait la beauté morale plus parfaite.
Elle se manifeste par une imperturbable sérénité et par
un amour véritable de ce que Dieu a permis, et qui est
en soi très pénible. Ajoutons-y la confiance tout aban-
donnée pour l'avenir : tout cela fait une âme fidèle, cou-
rageuse, dilatée, détachée d'elle-même et admirable-
ment préparée aux vicissitudes de la vie.
Durant ces jours de fêtes, cherchez l'éternité de Jésus.
Quand vous le recevez dans la communion, pensez aux
bergers et aux mages, et dites-vous que votre partage
n'est pas moins doux. Selon la résolution que vous aviez
prise, mettez de la vie dans vos exercices de piété, soit
en leur donnant la durée nécessaire, soit en stimulant,
votre activité. Multipliez et animez vos retours vers
Dieu. Faites aussi une part à la mortification : la piété
y gagne beaucoup.
— 21 6 —
Mon cher ami,
Votre affection m'est très douce, et vos vœux vont droit
à mon cœur. J'admire en vous une nature entièrement
droite, généreuse et haute. Je remercie Dieu des grâces
par lesquelles il vous a fortement attaché à Lui et à sa
cause. Cette cause, vous le voyez déjà, vous le verrez
peut-être mieux encore plus tard, cette cause est délais-
sée ou mal servie. Des difficultés, des déceptions vous
attendent. Habituez-vous à regarder moins les choses
elles-mêmes que la volonté de Dieu. Un soldat et même
un officier supérieur ne peut juger, dans la bataille, la
valeur d'un ordre qu'il reçoit. Le plan de Dieu est plus
vaste que les plans des généraux, même à notre époque
où le cadre s'est tant élargi. Tenez donc toujours ferme,
quelles que soient les vicissitudes de l'avenir. Les succès
de la cause religieuse sont toujours humbles dans la
manière de se produire. C'est une tradition commencée
par le divin Maître et confirmée par les apôtres. Notre
victoire finale se compose d'innombrables défaites. Il
faut qu'on n'y puisse voir que la main de Dieu.
Vous serez donc de ces guerriers qui se contentent de
rester à leur poste et d'exercer toute leur action sans
s'inquiéter de l'ensemble. Vous serez aussi un de ces
fidèles qui ne demandent aucune récompense autre que
Dieu aimé et possédé au Ciel. Rien d'autre ne vous suf-
firait.
Je ne me contente pas, mon cher ami, de vous envoyer
mes vœux et l'expression de mes sentiments. J'ai le bon-
heur de pouvoir y joindre la bénédiction du prêtre, qui
aime à se dire votre ami.
— 217 —
III
Mon bon C,
Votre peine rend encore plus vive l'affection que j'ai
pour vous, et je me sens plus fier de votre amitié, en vous
voyant grandir dans l'épr.euve. Non, vous n'êtes pas de
ceux qui se résignent simplement; vous vous élevez au
rang de ceux qui bénissent Dieu jusque dans l'affliction,
sachant qu'il a ses desseins secrets et que ces desseins
sont ceux d'un père tendrement affectionné. Il aime à
voir que vous lui abandonnez en toute sérénité votre
avenir, vous contentant de faire, au jour le jour, chacune
de ses volontés manifestées.
Or, en ce moment, mon bon C, cette volonté me
semble être de reprendre l'ennuyeux labeur d'une nou-
velle préparation. Vous vous habituerez par là à ne pas
aimer les choses pour elles-mêmes, mais pour Dieu, qui
a grand plaisir à vous voir ainsi dégagé de préoccupa-
tions trop personnelles et tout content de ce qu'il vous
demande. Il vous prépare ainsi à la vie d'action qui, à
notre époque, est une vie de renoncements, de déceptions
fréquentes, et de recommencements fastidieux... Regar-
dez donc votre échec et ses conséquences non en eux-
mêmes, mais dans le cœur de Dieu qui les laisse se pro-
duire. Vous vous rappelez, sans doute, ce que dit saint
François de Sales, de ce fleuve dans les eaux duquel tous
les poissons paraissent dorés, tandis qu'ils reprennent
une couleur noirâtre dès qu'on les en retire. Ne retirez
donc jamais du coeur de Dieu et de sa volonté les événe-
ments qui dans ce jour paraîtront divins, tandis que, con-
sidérés en dehors de là, ils gardent leur aspect de chose
laide et triste. C'est dans les heures de méditation que
vous vous habituerez à ces vues surnaturelles.
Appuyez votre confiance sur cette parole de saint
Paul : « Tout sourit à ceux qui aiment Dieu. » En accep-
tant avec sérénité et sans ombre de découragement cette
épreuve vraiment pénible, vous serez aimé de Dieu un
— 218 —
peu plus. N'est-ce pas très doux? Vous sachant plus aimé,
-vous aimerez, vous aussi, davantage!...
Quand se présente le côté humain : ennuis divers,
obstacles, humiliations, quand vous le sentez vivement,
dites à Dieu : Ne faites pas attention à ce qui se passe
malgré moi dans ma sensibilité, ne regardez que ma
volonté qui accepte et aime pour vous tout ce qui me
déplaît.
IV
Mon bon et cher C,
Vous redire toute mon affection, c'est vous laisser
comprendre- tous les vœux que je forme pour votre vrai
bonheur. Je vous sens bien ému par la décision que vien-
nent de prendre plusieurs de vos amis. Consultez bien
votre nature et plus vos aptitudes que vos attraits;
posez-vous la grande et décisive question : où donnerai-je
plus de gloire à Dieu par ma perfection personnelle ou par
le bien que je peux faire aux autres? Il y a des natures qui
ont besoin des affections de la famille, même pour être
bons, à plus forte raison pour avoir, cette part de bon-
heur qui fait qu'on sert Dieu d'un cœur dilaté.
Il faut voir ensuite pour quelle position on a le plus
d'attrait. Sans exclure le goût et l'attrait, il ne faut pas
se déterminer principalement par cela. C'est parfait
quand l'attrait et l'aptitude concordent.
Mon bien cher C,
Enfin un mot de vous, de vous à qui je pensais sans
cesse. Il est du 3 octobre, et ne m'est arrivé qu'hier soir
à neuf heures, m'apportant tristesse et joie. Grâces à Dieu :
votre vie est sauve, et gloire à vous, qui avez versé votre
sang pour la Patrie ! Nous sommes presque sur la même
— 219 —
côte, car je me suis retiré maintenant à S*-V. où j'ai
passé tant de vacances avec M. Vous devez être encore
tout étourdi du bruit de la longue bataille et tout ému
des grands événements qui s'accomplissent. Le monde
moderne avait abusé de tout pour jouir. Dieu lui donne
l'occasion de se retremper. Mais quel carnage...
Vous voilà exilé à D. L'exil en face d'une mer
immense est presque un vestibule du ciel. Je ne vois pas
quelle autre utile occupation vous pourriez vous donner, et
celle-là est la meilleure. Faites-vous donc un petit règle-
ment provisoire pour les choses que vous voulez faire,
et pour les heures autant qu'il se peut. L'heure assure
l'accomplissement et combat la fantaisie. C'est une petite
mortification, et une plus grande certitude de faire la
volonté de Dieu. Quand le temps est ainsi distribué, le*
jours passent plus vite. Donnez un temps plus long à la
méditation du matin. Faites des lectures qui vous por-
tent à Dieu. Voyez le soir si votre journée a été bien rem-
plie dans la pensée des choses éternelles. Écrivez-moi
ce que vous aurez fait; j'aurai grand plaisir à retrouver
mon C. généreux envers Dieu, comme il l'a été envers
ses camarades autrefois, et dernièrement envers sa Patrie.
VI
Mon bien cher ami,
Un mot de votre âme, voulez-vous? Ce que vous m'écri-
vez d'un affaiblissement ne m'étonne pas : tout ce qui
vit a besoin d'agir. Vous admettez le principe, reste
l'application possible. Gomment entretenir des relations
avec Dieu, dans une vie q-ui se passe forcément et conti-
nuellement avec des camarades dont on ne peut s'isoler?
— D'après votre lettre d'aujourd'hui, je vois que les cho-
ses se sont améliorées: vous pouvez sortir, donc vous pou-
vez passer un temps plus ou moins long dans les églises
ou chapelles. Faites-vous en une habitude, s'il se peut,
— 220 —
journalière. Si vous pouviez communier souvent, ce serait
parfait.
Mais en dehors de cela et en supposant que vous deviez
passer vos journées au milieu de vos camarades, ne renon-
cez pas à vous isoler. Je vais vous en donner un moyen
que je crois excellent ! Chacun écrit des lettres et vous ne
vous en faites pas faute vous-même. Pendant que vous
écrivez on vous dérange peu. Eh bien, au lieu de prendre
un livre et de le méditer, prenez votre plume et écrivez
à Notre-Seigneur... Rien que cela ! Oui, parlez-lui comme
vous le feriez dans la prière, vous y trouverez même plus
de facilité. Avec Lui, ne craignez pas les redites. Parlez-
Lui de tout ce qui vous intéresse, comme au meilleur des
amis. Parlez-lui souvent de votre bonheur d'être à Lui,
de votre désir de l'aimer et de le faire aimer. Avouez-Lui
.vos torts, vos négligences. Faites-Lui des promesses que
vous tiendrez dès le jour même. Ce moyen n'est pas de
mon invention. Il a été employé par un bon prêtre de
mes amis (un homme éminent). Se voyant continuelle-
ment distrait dans sa méditation du matin, à cause de
ses très nombreuses occupations, il prit le parti d'écrire
ce qu'il ne savait pas dire, et il a fait ainsi durant de
longues années. Son âme trouvait là le moyen de se fixer
et de s'alimenter... Voilà, mon cher C, ce que je me
proposais depuis quelque temps de vous conseiller. Votre
âme m'est précieuse, je souffrirais de la voir se débiliter.
On ne sait jamais jusqu'où peut conduire l'anémie spiri-
tuelle. Je vous embrasse de tout cœur.
VII
Mon bien cher C,
Je vois avec beaucoup de peine que votre pauvre bras
reste encore inerte, mais l'opération va réparer le mal.
Je ne vous plaindrais pas dans votre réclusion, si vous
aviez auprès de vous Madame votre mère. Comme une
telle affection près de soi change les choses ! Cultivez
— 221 —
aussi une autre grande affection moins sensible, mais
plus tendre encore, celle du divin Maître. Il ne se tient
pas seulement à votre chevet; Il vient en vous; Il y vit.
Il se fait le principe de toutes vos actions, de tous vos
bons sentiments, de tous vos mérites. Oh 1 si nous
pouvions le voir et lire dans ses traits, comme nous
nous trouverions épris de Lui ! Activez votre foi par la
méditation et, sans le voir, vous le sentirez près de vous.
VIII
Mon bon et cher C,
Je voudrais que ce petit mot vous trouvât en compa-
gnie de notre si bon ami, l'abbé B. Ce serait une
manière d'être ensemble. L'être réellement serait si doux !
Je vous dois l'amitié d'un cœur exquis, chose rare, surtout
à l'égard d'un pauvre vieux, ce dont il est plus reconnais-
sant que tout autre.
A défaut d'une mère, vous jouissez d'un cœur d'ami,
d'un véritable ami. Vous le consolez aussi, car il vient de
faire une perte cruelle et il paraît inquiet de la santé de
sa mère. La vie est un chemin de croix.
Je viens de commenter dans mon troisième volume de
Méditations ces douces paroles : « Venite ad me omnes
qui... » J'en reste sérieusement pénétré. Est-il possible que
chacun de nous dispose d'un tel cœur, d'un cœur sen-
sible comme les nôtres et agrandi, embelli par la divinité
autant qu'a pu le faire la toute-puissance réalisant
l'idéal possible d'un cœur humain? Ah ! si les hommes le
savaient, le croyaient, le comprenaient surtout ! Oui, le
comprendre. Il faut pour cela une longue attention
comme pour tout ce qui est invisible. Peu à peu des mer-
veilles se découvrent, comme font les étoiles quand
vient la nuit. On prend conscience d'un amour qui étonne,
qui émeut, qui remplit de joie, qui détache de tout, qui
fait désirer les grandes preuves d'amour, les souffran-
ces ! ! I
— 222 —
Ce divin Ami va au-devant de notre faiblesse, et si nous
n'allons pas à la souffrance, Il nous l'apporte, et parce
qu'il reste là Lui-même, parce qu'il en a autrefois partagé
l'amertume, nous ne la trouvons pas trop amère. Parfois
même, nous nous trouvons vraiment heureux à ce dou-
ble titre de Lui ressembler et de le soulager. — Quand
je dis : amitié, j'entends par ce mot cette conviction ferme
et cette franche acceptation qui seules dépendent de
nous. La consolation sensible n'est que l'occasion. Elle
n'est même surnaturelle que par contact. Tout le surna-
turel est dans la volonté. C'est en elle que réside la grâce;
mais en vertu de l'union de nos facultés, le sensible est
atteint par ses vibrations supérieures. C'est comme au
Ciel, où le corps ne participe que de cette manière indi-
recte au bonheur que répand dans l'âme la vision béati-
fique... Je laisse aller ma plume, excusez-moi. Ces consi-
dérations sont bien dans le sens des fêtes de Pâques.
« Quse sursum surit quaerite, quse sursum sunt sapite »...
Que le divin Sauveur daigne nous faire entrer profondé-
ment dans cette vie si intime et si haute ! Un lieute-
nant doit rêver d'y entrer d'assaut et, comme il est aussi
bon que brave, il prolonge son rêve en agitant le drapeau
afin d'attirer à lui d'autres braves.
Il me tarde bien de savoir où en est votre opération. La
Providence sans doute prolonge à dessein votre infirmité,
pour vous préserver et vous réserver : tant de bons chré-
tiens ont déjà succombé !
IX
Mon bon C,
Ma dernière lettre était à peine en route, quand la
vôtre m'est arrivée. Elle me donne quelques-uns des ren-
seignements que je désirais tant avoir sur l'effet de votre
opération. Commencez par vous rendre familière et sen-
sible cotte vue que tout ce qui nous arrive est disposé
pour notre plus grand bien, par un Père tout-puissant.
— 223 —
Trouvez dans cette conviction l'amour de votre situa-
tion quelle qu'elle soit. Il faut aimer jusqu'à sa complète
inutilité quand elle vient des circonstances, car les cir-
constances sont les messagères du vouloir divin.
Je vous crois appelé à l'apostolat : vous en avez l'apti-
tude et J'attrait. Si vous ne pouvez l'exercer que rare-
ment, il vous reste de vous y préparer. Vous vous y pré-
parerez par le désir. Le désir accroît la puissance, quand il
est vif et prolongé. Un désir comprimé acquiert encore
plus de puissance. Ce sera votre cas. — D'autre part, ce qui
fait la vie du zèle et ce qui manque trop souvent à ceux
qui l'exercent, c'est une intime union à Dieu. Or la soli-
tude et l'inaction vous permettent de vous y introduire,
de vous y avancer, d'en faire le moteur de votre vie.
Demandez à votre cher ami de C. comment il s'y prend
et exhortez-vous l'un l'autre à vous affectionner de plus
en plus au divin Maître. Étudiez-le par la méditation de
l'Évangile. Allez à Lui au tabernacle comme si vous étiez
au temps où on le trouvait dans une pauvre maison de
Galilée. Il est le même; suppléez à la vue par une foi
pénétrante. Une visite prolongée de temps en temps
est un bon moyen de s'en impressionner, alors même que
l'on se sentirait froid et distrait. La persévérance est
partout victorieuse.
Ces deux moyens : le désir et l'intimité avec le divin
Maître me paraissent de nature à occuper un cœur comme
le vôtre et à combler le vide présent de l'action. Je me
permets de vous renouveler un conseil que j'ai vu utile-
ment employé : dans les périodes de froideur et d'impuis-
sance exprimer par écrit les sentiments que l'on voudrait
ressentir vivement pour Dieu.
Mon bon C,
Je nie suis bien réjoui du bonheur que vous avez goûté
aux pieds de Notre-Dame de Lourdes, cette mère qui vous
» 18
— 224 —
aime plus même que celle à qui vous devez le jour et
ce n'est pas peu dire. Vous êtes revenu aux soins de votre
blessure et sans doute à certaines études dans le sens de
votre. doctorat. Vous avez retrouvé à B. des amis dont
vous tâchez de faire de vivants chrétiens, car telle est
bien votre mission, en maladie comme en santé. Quand
on a comme vous l'attrait et le moyen de l'apostolat, on
trouve toujours à l'exercer, parfois après une attente un
peu longue et toujours pénible. Comme je vous le disais,
profitez du loisir actuel pour entrer profondément dans
l'intimité de Jésus. Un des moyens les plus efficaces et,
je le crois, les plus indispensables, c'est de méditer habi-
tuellement sa vie et ses paroles. Cela s'appelle le fré-
quenter, et c'est par la fréquentation que l'amitié se déve-
loppe. Évoquez souvent ce passé merveilleux où il se
montrait et parlait. Dites-vous ensuite que c'est bien le
même Jésus qui vous regarde du haut du Ciel, qui se
donne à vous dans la communion.
Pour s'unir d'amitié avec Lui, il faut avoir soin de se
tenir dégagé de tous soucis trop personnels et trop vifs.
Les lui confier et n'y penser qu'autant qu'il le conseille :
voilà le bon moyen de se tenir en paix tout en progres-
sant dans l'intime amitié.
Ne tolérez jamais en vous de la tristesse. Le peut-on,
le doit-on quand on sait qu'on a là, toujours, un tel ami,
qui vous suit des yeux et qui vous aime tendrement? —
Jésus a peu d'amis intimes. Combien ne doit-il pas aimer
ceux qui le sont ou veulent l'être !
A celle de Jésus, j'ose joindre ma misérable mais bien
sincère amitié.
XI
Mon bon C,
Je ne puis vous écrire qu'un petit mot, parce que je
viens d'être très fatigué et que je reste très faible. J'ai
voulu dire la sainte messe et j'ai été obligé de l'inter-
rompre pour me reposer assez longuement; après quoi je
- — 225 —
suis rentré chez moi, comme anéanti. Je ne sais si je pour-
rai jamais remonter à l'autel. C'est une bien grande pri-
vation/mais comme elle est une peine, elle est un bien.
Je voudrais vous avoir près de moi. C'est si triste de
rester si longtemps sans se voir ! Ce qui est plus triste
encore, c'est de savoir son bon C. un peu découragé.
Non, ce mot n'est pas juste. Il faut dire simplement :
épuisé, souffrant, mais plein d'une confiance toute sereine
et toute abandonnée envers le Dieu qui s'occupe du
moindre passereau. Cet état est une occasion de déve-
lopper sa force morale; on accepte, on tient bon, on
attend. Chaque jour on expose à Dieu son complet aban-
don, et chaque jour on fait ce que demande le soin du
corps et celui de l'âme. Dans cette monotonie s'opèrent
de grandes choses. Cherchons Dieu continuellement.
Cherchons-le en Notre-Seigheur qui le met à notre por-
tée. Voyons-le au tabernacle comme s'il y apparaissait
sans voiles. Parlons-Lui comme à un ami. Quand les
pensées ne nous viennent pas dans la méditation, pre-
nons la plume et disons par écrit ce que nous voudrions
éprouver.
XII
Mon bon C,
Enfin un peu de joie ! Votre âme se dilate, vous retrou-
vez votre cœur !
Dieu ne délaisse pas longuement ses enfants... et s'il
les délaisse, en apparence, sur le moment, c'est pour les
habituer peu à peu aux vicisritudes de la vie, car la vie, ne
l'oublions pas, est un exil, un temps d'épreuve et de
mérite. Elle est également un combat... toutes choses
dont l'aspect est sombre. La lumière et la joie ne peu-
vent descendre que du Ciel.
Votre état physique s'améliore; vous ne resterez pas
un infirme. Cette conviction qui s'établit sur une amé-
lioration sensible est une grâce, même pour votre âme.
Il devient plus facile de mieux aimer Dieu, quand on est
— 226 —
déchargé du fardeau de l'inquiétude. On se sent porté à
la reconnaissance; on devient plus affectueux pour le
Père du Ciel.
Quand nous reverrons-nous? Sera-ce en ce monde? Ici
ou là, vous retrouverez un vrai cœur d'ami.
NEUVIEME SERIE
Mes bien chers cousins,
Je me sens profondément attristé par l'immense mal-
heur qui vous frappe. Tout ce que vous m'aviez dit, l'un
et l'autre, sur cette enfant si intelligente, si bonne, si
gentille, me fait comprendre la douleur qui vous étreint.
C'était votre orgueil, votre joie, une grande partie de
votre avenir. Vous me disiez votre désir de me la faire
connaître et je lisais dans l'expression de vos regards
votre joie et votre juste fierté. Pauvres parents, pauvres
cœurs déchirés, nul ne peut vous donner ce bien de la
consolation dont vous avez pourtant l'impérieux be-
soin !... nul... si ce n'est Dieu.
Dieu a enlevé à cette terre cette âme exquise, pour la
garder près de Lui et lui donner un bonheur plus grand
que celui de la vie, généralement triste, d'ici-bas. Vous ne
l'avez pas définitivement perdue. Elle n'est qu'absente.
Les années passeront et, en passant, vous rapprocheront
d'elle. Vous la verrez toujours plus près de vous, ouvrir
ses petits bras si chers, vous la retrouverez plus belle et
plus aimante. Quelque chose me dit que déjà vous allez
— 227 —
ressentir les effets de sa douce protection. Elle attirera
votre pensée du côté du Ciel, vous inspirera des accents
de résignation et vous montrera la religion comme le
refuge de la douleur et le terrain sur lequel se rencontrent
et les âmes qui sont auprès de Dieu et celles qui l'aiment
dans l'exil.
Mon âge et ma santé me font voir le terme prochain de
ma vie. Tant d'âmes chères m'attendent là-haut ! Une
de plus m'y attire. Cette enfant, si hien douée, que je
n'ai pas connue, je la verrai toute rayonnante et je lui
porterai la joie de vous savoir amis de Dieu et sur la route
qui conduit à cette réunion qui n'aura pas de rupture.
II
Mes pauvres chers enfants,
Laissez-moi vous donner aujourd'hui ce titre familier
parce qu'il traduit mieux l'affection que je vous porte. Il
vous dit également la part si grande que je prends à
votre peine inguérissable. Me voici, par le coeur, près de
vous, pleurant avec vous et avec vous aussi tenant mes
yeux fixés vers cette aurore céleste au sein de laquelle
nous apparaît radieuse celle que nous pleurons pour
nous. Ne semble-t-elle pas nous dire de sa voix si douce :
ce n'est qu'une séparation; les années sont bien courtes,
mesurées sur l'éternité. Vous me retrouverez donc bien-
tôt et pour toujours. Je n'étais pas faite pour la vie, j'y
aurais trop souffert sans doute. Je n'y ai trouvé que des
joies et je vous dois tout; je le sentais; aujourd'hui je le
vois. Au ciel, l'intelligence des enfants égale celle des
personnes mûres et la vue de Dieu leur découvre des
océans de merveilles.
En lui, comme dans un immense miroir où tout se
reflète, je vous suis des yeux tout le long des jours. Il
vous est possible encore de me faire d'heureuses sur-
prises. Offrez-moi ce que je peux aimer au ciel : tout ce
qui fait plaisir à Dieu, ce qu'il attend de vous, tout ce
— 228 —
que j'en espère. Vous ne m'avez jamais contristée par le
moindre refus injuste. Si votre cœur comprend ce que
je désire, vous me l'offrirez pour cet anniversaire qui est
une vraie fête, la fête de mon entrée dans le bonheur
parfait. — Pleurez-moi doucement, tendrement, car je
vous manque bien; mais puisque vous vivez pour moi,
vivez pour me faire plaisir encore, vivez dans ce grand
amour que j'ai pour Dieu. Renouvelez en ces jours l'hé-
roïque offrande que votre foi eut le courage de lui faire.
Les saints du ciel m'en féliciteront. Allez aussi dans une
église, approchez-vous du tabernacle et dites à Jésus qui
vous entend : « Vous qui voyez ma fille, parlez-lui de nous;
Vous qui êtes près d'elle, baisez-la pour nous. » Quand
Vous le recevez dans la Communion, nous n'en sommes
séparés que par Lui, par Lui qui nous rapproche ! A là
voix de l'enfant, je joins ma voix de prêtre pour expri-
mer les mêmes souhaits avec une affection qui, sans
l'égaler, s'en rapproche.
III
Ce retour au pays a réveillé en vous, pauvres amis,
de bien douloureux souvenirs! Vous retrouvez partout
celle que vous ne reverrez plus sur cette terre ! C'est sur
vous que vous pleurez, et c'est bien naturel; mais elle
n'est point à plaindre : Dieu lui donne un bonheur qui
dépasse tant celui que vous aviez rêvé pour elle ! Le
bonheur est-il de ce monde? S'il paraît, il passe comme
une lueur; et la douleur qu'il laisse est en proportion des
joies qu'il avait données. Ne soyons pas trop personnels
dans nos regrets. Soyons chrétiens comme un de mes
amis que j'accompagnais avant-hier au convoi de sa
fille, charmante enfant de 9 ans, enlevée elle aussi par une
méningite. Il me disait : je la voulais heureuse, je souffre
horriblement, mais je remercie Dieu qui la rend plus
heureuse que je n'eusse fait 1 — Vivons la vie que Dieu
nous donne, toujours soumis, toujours confiants : l'Éter-
nité, à laquelle on pense habituellement si peu, est pour-
— 229 -*-
tant le seul bien qui importe. La religion est souveraine-
ment consolatrice parce qu'elle est la souveraine vérité
et le seul vrai bien.
A vous de tout cœur.
IV
Chers cousins et bons amis,
Je reste près de vous par une pensée intime. En peu
de temps, vous avez gagné tout mon cœur. Je sens
ce que vous sentez et je souffre par conséquent de ce
que vous souffrez. Laissez-moi lire bientôt sur votre
visage un peu plus de sérénité, un peu plus de ce
rayon d'espérance qui descend du ciel pour consoler
et stimuler. Nous n'avons que le temps de la vie pour
faire de nous des êtres éternels. Je pense souvent à ce
grand vide qui s'est creusé dans votre vie. Seules, les
espérances éternelles peuvent le combler. Savoir votre
enfant heureuse doit être votre consolation, savoir que
vous la reverrez un jour doit devenir votre joie. Rappro-
chez-vous de plus en plus de ce Dieu qui tient auprès
de lui votre fille chérie et qui lui fait connaître tout ce
qui peut la rendre plus heureuse : votre affection si
grande et aussi vos progrès en vertu chrétienne. Y a-t-il
d'ailleurs rien de plus raisonnable que de travailler
saintement pour le ciel?
Mon cher et très aimé cousin,
J'ai bien pensé à vous en ces jours de tristesse, mais je
voyais, planant sur vos têtes, l'ange que Dieu vous a
pris. Qu'il soit l'ange de la consolation et de la force ! La
vie nous est donnée pour grandir par l'âme, afin que, en
face de Dieu, nous ayons des sens plus ouverts pour le
contempler avec plus de délices. Qui n'aurait pas cette
prétention ferait peu d'honneur à Dieu et à sa propre
— 230 —
conduite. Il ne faut pas le comprendre trop tard, quand
la mort nous ouvrira les yeux. Que de bien à accumuler
durant ces années de la vie si longue et pourtant si courte !
VI
Chers cousins et bons amis,
Je ne veux pas vous laisser partir sans vous envoyer
un nouvel adieu.
Que ne suis-je près de vous au moment où le train vous
emportera au loin ! Sans nul doute, je verrais à peine
fuir le wagon avec mes yeux remplis de larmes, mais je
vous aurais suivis jusqu'au dernier moment... je ne pour-
rai le faire que par le cœur que rien ne limite, car vous
savez combien ce cœur est à vous. Vous m'aviez donné la
joie profonde d'une affection entière, d'une de ces affec-
tions qui unissent pour toujours. J'offre à Dieu le grand
sacrifice de ne vous avoir pas près de moi dans les der-
niers temps de ma vie... ma pensée vous suivra, mais
sans vous attendre... vous m'écrirez souvent pour me
maintenir dans votre intimité. Les plus petits détails
m'intéresseront. Je recommande à Dieu votre voyage.
Quand vous distinguerez une flèche d'église dans les
campagnes que vous traverserez, rappelez-vous que là se
tient en permanence le Dieu qui nous unit, ce Dieu que
j'adore de loin en regardant le pauvre clocher de Puteaux.
Après les premières occupations nécessaires, trouvez
un moment pour aller saluer dans l'église voisine le
Dieu qui, de plus près, ce semble, veillera particulière-
ment sur vous. Vous lui devez une visite, le premier,
car nul ne vous aime comme lui. Vous mettrez petit
Jean sous sa protection. Vous aurez à peine le temps
de jeter un coup d'ceil sur cette lettre avant votre départ.
Quand vous la lirez dans le train, songez qu'elle vous
parle comme si j'étais près de vous... La tristesse de ce
jour et de tous les jours de la terre fait penser à ce revoir
— 231 —
qui n'aura plus de séparation. C'est là le but de notre
existence et- la consolation suprême.
Je vous embrasse de tout cœur.
VII
Mon cher petit Jean,
Si ton père et ta mère vivaient bien loin dans le fond
de quelque lieu désert, tu te sentirais bien seul, bien mal-
heureux à la R. ; et si l'on te disait : dans quelques
jours ils te seront rendus, ta joie n'aurait pas de mots
assez expressifs pour se traduire. Mais voilà qu'on ajoute :
ils seront près de toi, ils te verront et t'entendront, mais,
toi tu ne les verras pas; tu ne les entendras pas, car Dieu
qui te les rend les tient invisibles. Ta joie prendrait
alors une teinte de mélancolie, mais resterait profonde
en ton petit cœur. Si enfin on te disait : ils ne resteront
invisibles qu'un temps; un jour viendra où ils te seront
rendus tout à fait; tu les verras, ils te presseront dans
leurs bras et te couvriront de baisers, tu tressaillerais
devant cet avenir et ta pensée se porterait sans cesse
vers ce jour béni.
Eh bien ! mon enfant, il y a un être qui t'aime plus
encore que ne t'aiment tes chers parents eux-mêmes,
c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Il était venu sur la
terre, se faisant homme pour faire de nous des dieux; —
tu comprendras cela plus tard. — Il prit donc un corps
semblable au nôtre : on le voyait, on lui parlait, on
l'admirait, on l'aimait; il était si grand, si beau, si déli-
cieusement bon ! Remarque-le bien, ce n'était pas pour
lui, mais pour nous qu'il s'était fait homme; il n'avait
pfcs pris un corps pour en jouir, mais pour l'immoler sur
la croix, se sacrifiant pour nous sauver. Quand il dut
remonter au ciel, sais-tu ce qu'il se dit : il m'en coûte trop
de les quitter tout à fait, je m'enfermerai dans une
petite hostie pour rester toujours avec eux.
— 232 —
C'est pourquoi il fit ce grand miracle de vivre près do
nous, mais invisible. Faut-il s'étonner d'un tel amour?
Quand tes parents, un jour lointain, te quitteront, leur
vie terminée, ne feraient-ils pas comme Jésus, s'ils le
pouvaient? Et toi, que dirais-tu? que ferais-tu? Serais-tu
content? N'irais-tu pas souvent dans le lieu qui les tien-
drait cachés? N'aimerais-tu pas à leur parler, sachant que,
sans te répondre, ils t'entendent? Ce que tu leur dirais,
il faudra le dire à Jésus dimanche et lui rendre visite
souvent dans le cours de ta vie... Tu ne le contristeras
jamais, car il voit tout... Quand tu seras grand, tu sau-
ras le défendre, si on l'attaque devant toi, et tu le con-
soleras en l'aimant davantage.
Mais, diras-tu, pourquoi reste-t-il invisible? je vou-
drais tant le voir, me jeter à ses pieds, recevoir de lui
de douces caresses! — Tu l'aimes donc beaucoup? Eh
bien ! alors, il te faudra, toute la vie, penser au ciel, le
désirer, le mériter, ce qui t'éloignera des joies coupables.
Ne t'étonne donc pas de ce qu'une petite hostie le con-
tient, lui si grand ! Son corps ressuscité ressemble en
quelque sorte à une âme : une âme n'a pas besoin de
grande place. — Cela aussi tu le comprendras mieux
plus tard.
Quand tu reviendras de la sainte Table, portant Jésus
dans ta poitrine, serre bien tes bras sur ton cœur et dis-
toi : il est là, il est à moi. Et puis, ajoute : s'il s'est donné
à moi, il est juste que je me donne à Lui : O Jésus, faites
de moi et de ma vie tout ce que vous voudrez, ma vie et
moi nous vous appartenons. Ce que je pense aujourd'hui,
ce que j'affirme, je le maintiendrai, je ne m'éloignerai
jamais de vous : un homme d'honneur ne reprend jamais
ce qu'il donne et ne saurait trahir ceux qui l'aiment.
Dans le recueillement de ton action de grâces, après
avoir exprimé à Jésus ta reconnaissance, ton affection,
ton dévouement, demande-lui de faire beaucoup de bien
à tes parents, sans oublier ton vieil oncle abbé, de leur
donner de douces joies par ta docilité, tes efforts, tes
progrès, de te faire aimer par eux de plus en plus et enfin
de nous réunir tous un jour dans ce ciel où il se montrera
— 233 — ■
dans toute l'expansion de son amour. C'est là le vrai bon-
heur, il est sans bornes, il demeurera toujours.
J'embrasse tendrement et respectueusement mon cher
petit Jean qui va devenir le tabernacle de Jésus.
VIII
Mes bons et chers cousins,
Ce que vous écrit M. est exact, je suis très affaibli...
Je crois bien que cette fois je ne me remettrai pas.
Cependant, comme je me sens beaucoup de vie, je. puis
faire mentir encore une fois les probabilités; j'avoue pour-
tant qu'elles sont bien faibles. Si je ne laissais pas mes
chères affections, je chanterais avec joie mon « Nunr.
Dimittis ». Entrer dans le bonheur de Dieu, l'aimer enfin
passionnément, revoir les siens, quelle adorable perspec-
tive ! J'ai tant étudié le divin Sauveur, j'ai tant écrit de
Lui que je m'en fais une image ravissante. Quel bonheur
de le voir !
Croyez, bons et chers cousins, que je vous aimerai tou-
jours ici-bas et mieux encore au ciel.
— 234 —
DIXIEME SERIE
Mon bien cher ami,
C'est un malade qui vous écrit. Voilà huit jours que je
n'ai pu célébrer la Sainte Messe, quoique j'aie chez moi
ma chapelle. Je souffre beaucoup de la gorge, et depuis
longtemps un spécialiste ne m'a pas caché que je suis
menacé de perdre la voix. J'en prends bravement mon
parti, car la voix est une arme dont je n'ai plus à me ser-
vir, et la plume me reste. S'il y a quelques souffrances et
quelques privations, c'est tout bénéfice.
Votre affection m'est très précieuse, mais mon regret
est de n'en pouvoir jouir. Ma pensée revient souvent vers
ces époques qui paraissent plus ensoleillées que celles
d'aujourd'hui. Hélas! trop de choses ont changé, non
seulement dans ce petit coin du monde, mais dans tout
le monde moral. Sous l'invasion de la matière, par un
million d'inventions et la profusion des jouissances
qu'elle en retire, l'humanité cesse graduellement de
regarder le ciel. Aussi des bouleversements profonds
paraissent inévitables et peuvent être prochains. La
religion discréditée est apparemment impuissante à
arrêter le flot. Il faudra bien longtemps pour amener des
conditions favorables et plus encore pour fonder un ordre
de choses nouveau, meilleur peut-être, si finalement la
religion le pénètre.
En attendant, vous travaillez efficacement et obscu-
rément à cette rénovation, en élevant une nombreuse
famille dans les sentiments les plus foncièrement chrétiens.
— 235 —
Dieu vous donnera votre meilleure récompense ici-bas
dans vos enfants. J'en ai la pleine conviction.
De' mon côté, je sème des idées, je tâche de relever les
courages, et de perfectionner les âmes généreuses. J'ai
aussi essayé de former l'enfance par le livre dont vous
voulez bien me féliciter. Mon ambition est qu'il accentue
le mouvement qui porte les chrétiens à se pénétrer eux-
mêmes et à pénétrer les enfants d'une piété plus éclairée
et plus aimante.
Cet hiver, je me suis remis à des sujets plus élevés,
mais bien difficiles. Je voudrais rassurer les âmes pieuses
que troublent les mauvaises idées régnantes; mais, pour
cela, je me garderai bien de mettre ces idées-là en lumière ;
je m'applique, au contraire, à les faire disparaître dans
la logique et la beauté de nos vérités. C'est dans cet esprit
que je viens de traiter la question de Dieu et celle de la
Trinité. Aidez-moi de vos prières. La prière est l'âme de
tout succès, et le succès d'un livre, par exemple, souvent
appartient à des âmes inconnues : sérieuse raison, pour
un auteur, d'être humble !
Continuez à me tenir au courant de ce qui se passe ou se
prépare dans votre famille qui m'est si chère, et parta-
gez avec votre admirable compagne les souhaits de ma
très grande amitié.
Il
Mon bon et cher ami,
J'apprends à l'instant, par J. L., l'écrasante épreuve à
laquelle vous soumet, vous et votre nombreuse famille,
Celui qui n'agit pourtant que dans la sagesse et la bonté.
Votre résignation sera pour Lui une vraie gloire; et
désormais, votre vie, privée de joie, Lui apportera chaque
jour de nouvelles offrandes d'une valeur inestimable.
Vous ne vivrez plus que pour Lui et pour vos enfants. Ce
que nous n'aurions pas le courage de sacrifier, Dieu nous
lo prend quand II nous croit assez à Lui pour tout nous
— 236 —
demander. Je ne pourrais tenir un tel langage à d'autres
qu'à vous, mais je sais que vous le comprendrez.
Ah ! croyez que je compatis vivement à la douleur qui
étreint votre pauvre cœur ! Je sais tout ce que vous per-
dez. Comptez aussi que je ne cesserai de demander pour
vous la lumière et le courage qui vous sont nécessaires
pour être à la fois père et mère de votre nombreuse
famille. Du Ciel, votre sainte compagne vous aidera.
En cette circonstance je sens plus vivement combien
je vous suis attaché/Recevez donc, bon et cher ami, la
nouvelle expression de mes sentiments profondément
affectueux et dévoués.
III
Mon bien cher ami,
Je pense souvent à vous, et, chaque fois, j'éprouve un
serrement de cœur en face de l'épreuve qui s'est abattue
sur votre vie. Comme vous devez vous sentir seul, malgré
votre nombreux entourage ! Et qu'il est lourd le poids de
vos soucis! Quelle admirable occasion de prouver à Dieu
votre soumission et votre confiance ! Comme vous gran-
dissez à ses yeux dans votre faiblesse et dans vos larmes 1
Ne vous reprochez ni l'une, ni les autres. Une douleur
qu'on ne sentirait pas ne serait pas une douleur, et la
faiblesse donne la mesure de ce que Dieu entend faire.
C'est Lui qui sera votre force : on peut tout par Lui. »
C'est bien plus parfait d'être soutenu par sa force divine,
que de l'être par la force de nos moyens humains. « Ré-
jouissez-vous dans votre infirmité », comme saint Paul,
« c'est lorsqu'on est faible qu'on devient puissant ».
Maintenez votre âme dans une grande paix. Dieu tien-
dra ses promesses, donnez-Lui une confiance qui n'hésite
jamais. Vous vous verrez dans des situations très diffi-
ciles : levez les yeux vers Celui qui vous en dégagera :
« Oculi mei semper ad Dominum, quoniam ipse de laqueo
cvcllct pedes meos. » S'occuper activement, fermement,
— 237 —
c'est notre rôle. — Faire réussir, c'est celui de Dieu. Ce
n'est pas*~Lui qui fera défaut.
Il faut bien vous attendre à ce que l'air du temps pré-
sent pénètre jusque dans le milieu- si saint de votre
famille. Votre second fils me semble un peu atteint. Peut-
être vos reproches lui seraient funestes. Il n'est pas rare
qu'à cet âge on ait l'esprit de contradiction. Patience
bonté affectueuse toujours et malgré tout. — Je ne con
nais pas de livre dans le genre de celui que vous désirez
j'en ai lu un, l'an dernier, qui est très bien fait, mais qui
s'adresse à des jeunes gens épris d'idéal. Il est intitulé
« Vers les Cimes ». Il peut être très utile à certaines
natures.
Je désire que mon dernier petit livre pénètre le bon
cœur de votre fille Marie. Ce me serait une vraie joie
de vous aider ainsi dans votre tâche.
J'ai été bien près de la mort en janvier : je ne pouvais
plus m'alimenter, et une fièvre de consomption s'était
établie. Grâce au Docteur P., j'ai repris des forces,
mais je me sens bien usé. Unissons-nous donc dans lu
prière, dans l'amour de Dieu. Un jour viendra, où nous
serons tous réunis à ceux que nous avons perdus, et qui
ne cessent de nous aimer.
Votre tout affectionné.
IV
Mon cher ami,
... Je m'intéresse vivement à votre jeune famille.
Toutes les fois que vous me ferez part de ce qui la con-
cerne, vous me donnerez une vraie joie.... surtout s'il
s'agit de succès, et ce sera, je crois, la règle. S'il suffisait
de mes vœux et de mes prières, vous n'auriez que cela;
mais il faut s'attendre, dans la vie., à une foule de petites
épreuves qui ajoutent à la grande quelques fleurs pour
le Ciel. Vous remplissez entièrement votre devoir : vous
indiquez la voie et vous y marchez le premier. Puis vous
priez, vous emparant ainsi de la Toute-Puissance.
— 238 —
Il y a des vides qui ne se comblent pas, et dont on sent
la profondeur d'une façon plus douloureuse, dans les
diverses circonstances de la vie de famille. Heureuse-
ment, vous savez qu'elle suit, du haut du Ciel, tous ceux
qu'elle a aimés, et sa pensée préside à tout ce qui se passe
chez les siens. Autrefois, vous vous mettiez à genoux
près d'elle pour prier ensemble; aujourd'hui, vous vous
mettez encore à genoux près d'elle, mais c'est pour la
prier. Votre union est devenue plus haute; vous l'aimez
avec plus de vénération et non moins de tendresse. Que
de joies vous attendent... là-haut !
Si ma santé me laisse un peu de liberté pour écrire,
j'espère achever bientôt mon second volume de médi-
tations, et je- vous l'enverrai. Il ne parle que de Jésus
Lui-même. Son but est de Le faire connaître intime-
ment. Puissé-je avoir trouvé la bonne manière d'y réus-
sir !
Priez pour votre bien affectionné.
V
Mon bien cher ami.
Les beaux succès de vos enfants sont pour vous une
joie mêlée de tristesse : vous songez à celle qui en aurait
pris sa large part. Tout nous permet de croire que Dieu
communique aux âmes là-haut ce qui se passe d'heureux
sur la terre. Il ne veut pas briser des liens qu'il a bénis.
Il laisse vivantes les affections qui se retrouveront un
jour. Il les entretient par des communications incessan-
tes. Comment leur montre-t-Il les regrets qu'a laissés
une épouse, une mère? Ici-bas nous sommes dans des
conditions telles que nous ne pouvons le comprendre.
Ce doit être très simple et très facile pour Dieu.
Ne vous reprochez pas votre douleur. Elle est dans
l'ordre de la nature, et Dieu en respecte les lois. Ce serait
presque monstrueux de ne pas souffrir de certains brise-
ments. La résignation chrétienne donne sa beauté et son
— 239 —
mérite à nos sentiments naturels. Il y a presque de
l'héroïsme à dire à Dieu : Mon Dieu, j'aime votre vo-
lonté!... Et vous le dites toujours, même au milieu des
larmes.
Merci de l'intérêt que votre amitié porte à ma santé.
Je ne suis plus qu'une ruine, et une ruine tellement fra-
gile qu'un rien la fait chanceler. C'est ainsi que, durant
les vacances que je passe ici dans les conditions les meil-
leures, j'ai subi par deux fois des congestions qui m'ont
tenu au lit. Je n'ai pu sortir dans le parc que pendant
huit jours de grand soleil, et je n'ai pas eu l'avantage
de m'y promener, parce que j'ai une phlébite chronique...
Tout cela est une excellente affaire pour celui qui doit
bientôt terminer sa journée : ce sont quelques épis à
glaner, à défaut de moisson.
Je compte rentrer à Puteaux le 18. Si vous venez à Paris,
montez jusqu'à moi : vous y recevrez l'accueil d'un ami
sincèrement affectionné.
VI
Mon bien cher ami,
Je n'aurais pas laissé si longtemps sans réponse votre
dernière et si bonne lettre, si Dieu ne m'avait continuel-
lement tenu dans l'inaction, à tel point que, depuis trois
mois, je n'ai pu écrire une seule page du troisième volume
des « Méditations ». — Vous jugez par là de mon état, et
vous comprenez en même temps la tristesse de ce désœu-
vrement. Croyez que le matin, et souvent ensuite, je
remercie Dieu de cette souffrance et m'efforce d'être
joyeux.
Quelques personnes amies ont organisé à mon insu,
une belle fête à l'occasion de mon cinquantenaire de
sacerdoce. J'ai pu célébrer le Saint Sacrifice ce jour-Ki,
par rare exception; j'ai trouvé ma chapelle remplie dit
Heurs venues de Nice, et un groupe d'intimes venant
s'unir à moi. Je garde une impression émue de ce beau
jour. Mon mémento de la messe a été long, parce que j'y
10
— 240 —
ai présenté à Dieu beaucoup d'absents. Vous étiîz de ce
nombre, vous et votre chère famille.
Je vois, par votre remarque sur l'âme de Notre-Sei-
gneur, combien il est utile pour la piété de l'établir sur
une vraie connaissance du Dogme.
L'analyse de l'Homme-Dieu n'est généralement pas
poussée assez avant. J'ai essayé de faire connaître ce qui
est de grande importance pour nos relations avec le
divin Sauveur. Il me reste à développer à grands traits sa
doctrine, et de la rendre vivante par la méditation de
certains faits évangéliques, et de certaines paraboles.
Ce serait le sujet du troisième volume; le quatrième com-
prendrait la Cène, la Passion et la Vie ressuscitée...
C'est bien long et je suis bien usé !
Continuons à prier l'un pour l'autre et à nous aimer en
vrais amis. L'affection est un peu de soleil dans la vie.
Vous pouvez compter sur la mienne.
il
VII
Mon bien cher ami,
Je demande à Dieu de vous bien garder, vous et votre
doux nid que menacent nos rudes ennemis. Qu'il protège
ceux de vos fils qui défendent notre pauvre patrie, et
qu'il nous donne une paix honorable. — Je n'oublie pas
votre douleur paternelle, et je partage vos espérances si
largement assurées. C'est pour peupler le Ciel que Dieu
confie les enfants au père et à la mère. Vous êtes mainte-
nant l'un et l'autre pour eux. Que de grâces et que de
mérites vous attendent !
Vous savez combien votre affection m'est chère. La
^nienne traversera la tombe, que me montre de près
l'affaiblissement graduel de ma santé : je ne peux plus
dire la messe !
Votre tout affectionné.
— 241 —
VIII
Mon bien cher ami,
La triste nouvelle que vous m'annoncez me cause une
vive peine; je sais combien votre cœur est sensible, et
je comprends combien la mort d'A. a dû le blesser.
Cependant, connaissant aussi vos sentiments religieux et
patriotiques, je sais que vous vous êtes tourné vers Dieu
pour Lui dire : Tout ce que vous faites est bien fait
... Dieu quelquefois sauve les âmes, en abrégeant leur
vie. Il lui faut aussi des victimes, et il en a fait deux, le
fils et le père. C'est aussi une consolation pour vous de
penser qu'il a versé son sang pour la patrie.
Il vous reste bien des sujets d'inquiétude. Vos autres
fils sont en danger, je prie Dieu de les conserver. Ceux-là
seront des soutiens de la religion, et le nombre n'en est
pas trop grand.
Dans cette circonstance, je sens plus que jamais com-
bien vous m'êtes cher. Recevez donc la nouvelle expres-
sion de mon affection la plus tendre.
ONZIEME SERIE
Madame,
Dieu a fait publier cette grande promesse : « Paix aux
âmes de bonne volonté. » Vous êtes une de celles-là; ayez
donc confiance. Il me paraît certain que vous avez besoin
de secours spirituels, mais je ne sais pas encore s'ils
vous sont préparés auprès des filles de saint F. de S.
—1242 — ,
Je n'aime pas les vocations de simple raison; j'aime à
constater que l'âme tout entière se porte vers l'œuvre
providentielle. Cet attrait vient de Dieu assurément,
mais il peut être et il est. d'ordinaire occasionné par cer-
taines circonstances. Une occasion serait une visite à cer-
taines personnes que je vous désignerais et auprès des-
quelles vous prendriez une idée d'ensemble.
Tenez votre âme éloignée de toute préoccupation de
conscience et dégagée des souvenirs du passé. Ramenez
le plus possible votre pensée vers Dieu, notre divin Maî-
tre, la Sainte Vierge, selon votre attrait; mais ne vous
repliez pas sur vous-même. Pour s'élever, il faut s'élan-
cer vers les hauteurs. Toute préoccupation personnelle
paralyse ou ralentit l'essor.
Je vous bénis au nom de Dieu et de Marie.
II
Madame,
Xe vous reprochez pas les détails de votre lettre et
continuez à y entrer sans aucune crainte à l'avenir. Nous
sommes dans la période d'information; le but est de vous
faire connaître. Il y faut une entière liberté, liberté
du côté de l'analyse de vous-même, liberté du côté de
l'expression, écrivant comme la pensée vous vient.
Ce n'est pas le moment de vous oublier quand vous
m'écrivez; il faut" pour un temps vous occuper de vous
ainsi ; mais un autre temps viendra où le divin Maître
s'emparera peu à peu de vos pensées; alors nous ne parle-
rons que de Lui.
Les personnes sont assurément beaucoup dans une
société, mais les moyens qu'elle offre sont l'essentiel. Je
vous l'ai déjà dit, ces méthodes de formation ont une
puissance et une souplesse merveilleuses. Ce n'est pas
un moule, mais un ensemble de stimulants et de soutiens.
Vous avez pu constater la différence des natures, chez les
trois personnes qui ont été formées à la même écolo. Je ne
— 243 —
voudrais pas pour vous d'obligations nouvelles et des
règles étroites. Je croirais que des secours vous seraient
utiles.
Il me semble que vous n'avez pas encore trouvé votre
voie, mais vous vous êtes si généreusement dépensée et si
sincèrement donnée à Dieu, que vous la trouverez. Alors
vous aurez la paix et vous avancerez.
Je ne vous demande aujourd'hui qu'une chose : « Allez
à Notre-Seigneur avec toute la confiance que vous auriez
si vous étiez sûre de lui plaire en tout. » Faites cela sur ma
parole et constamment, quelles que soient les oppositions.
Permettez-moi de vous bénir comme une fille en Notre-
Seigneur.
III
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Continuez à me parler sans calculer l'effet que peuvent
produire telles et telles communications. Soyez simple et
très simple. Dites le bien comme le mal. Dieu seul est là :
je suis son intermédiaire du moment.
Vous avez compris ma pensée et vous avez atteint l'état
où je voulais vous voir. Vous avez pensé, senti et agi,
comme aurait fait une personne très aimée de Jésus. Je
prends sur moi aujourd'hui d'aller plus loin et de vous
dire : croyez que telle que vous êtes, vous plaisez à Jésus.
On peut lui plaire bien avant d'être arrivé à la perfection
qu'il désire. Croire à cet amour est le grand viatique sur
le chemin. Les imperfections tombent d'elles-mêmes par
la maturité croissante de l'amour.
En suivant la direction que je vous indique et dont je
prends la responsabilité, sans toutefois vous l'imposer,
vous garderez la paix et vous prendrez plus de vie.
Quand vous serez dans l'état de paix qui permet d'en-
tendre l'appel de Dieu, vous me ferez part des désirs qui
s'élèveront dans votre âme; je vous donnerai alors mon
humble avis sur ces deux points essentiels : Comment
cultiver votre vie intérieure? Comment employer votre
— 244 —
«k
vie extérieure? Nous verrons si, et jusqu'à quel point, la
Société de... peut y être utile.
La direction n'exige pas nécessairement l'obéissance.
Elle est un conseil éclairé dont on doit faire cas, selon la
prudence, par conséquent selon la valeur des conseils
demandés et de celui qui les donne. On peut s'en écarter
si, de bonne foi, on ne les trouve pas très justes ou très
applicables. Ce serait bien reposant de n'avoir pas la res-
ponsabilité de cet examen, mais c'est seulement par
exception, et dans une mesure toujours limitée, qu'on
doit s'en rapporter aveuglément à l'obéissance. Une
obéissance habituelle du jugement tendrait plutôt à nous
diminuer.
Je crois que M. l'abbé de T. aurait souscrit à cette
thèse, lui qui voulait que sa religieuse prît le caractère
anglais. J'ai lu en partie ses lettres qui n'auraient pas eu
grand succès, si elles étaient d'un autre que de lui. Ce
que je savais de ses volumes d'une philosophie éminente
me faisait espérer mieux. Ainsi que vous me le signalez,
on ne saisit pas au juste ce qu'il demande et l'on ne voit
ni un programme, ni une méthode. Quelques théories,
d'ailleurs mal définies, ne me plaisent pas. Où je l'admire
sincèrement, c'est dans sa persévérance à mettre la paix
dans les âmes de bonne volonté.
Vous le voyez, à mon avis, la direction n'est pas l'impé-
ratif catégorique s'imposant par un droit qui lui serait
propre, mais pouvant néanmoins, si elle est sage, s'impo-
ser comme une lumière. L'âme reste l'arbitre. Si elle croit
devoir se conformer au conseil reçu, parce qu'il fixe les
incertitudes de son esprit, elle l'accueille alors comme
venant de Dieu et lui transmettant sa pensée. Elle y
adhère donc plus fortement, plus joyeusement et plus
surnaturellement encore.
Si vous me permettez maintenant de vous indiquer
l'orientation que j'aimerais à vous voir prendre, je vous
dirai une chose très simple : sans blâmer les recherches
intellectuelles qui font beaucoup lire, je préfère l'appli-
cation à grandir par l'amour, le dévouement, le sacrifice.
Saint Thomas fait remarquer que les vérités ont besoin
— 245 —
de se rapetisser pour entrer en nous, tandis que nos élans
pour aller à Dieu nous grandissent sans mesure.
J'admettrai volontiers chez vous la lecture élevée à
titre de distraction pieuse; vous en avez besoin actuel-
lement, mais ce n'est point par elle que vous grandirez
véritablement. J'admets pleinement les lectures qui vous
mettent à même d'exercer une influence heureuse sur
vos enfants et sur votre entourage.
J'ai une préférence marquée pour les pensées et les
sentiments des bonnes âmes. Dans mon oraison, je n'ai
jamais cultivé autre chose. Se tenir près de Notre-Sei-
gneur, le regarder, sentir qu'on l'aime et le lui dire :
voilà ce qu'il est doux de recommencer chaque jour et
de répéter tout doucement à satiété, de même dans les
retours vers Dieu dans la journée. Assurément les hautes
considérations y conduisent : je trouve plus court d'y aller
sans elles.
Je lirai volontiers les petits cahiers dont vous me par-
lez; ils m'aideront à mieux connaître l'action de Dieu
sur vous.
La fidélité aux exercices de piété doit être habituelle,
mais elle peut céder pour un temps à diverses nécessités.
Quand le cas s'en présente, agissez largement et sans
trouble.
IV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
1° Ne vous étonnez pas de ne point arriver au calme.
Il me semble que Dieu, avant de vous le donner, veut se
servir des souffrances causées par cet état pour l'œuvre
de la réparation. C'est votre plus riche contribution au
salut des âmes. — Si je vous donne cette affirmation,
c'est que je ne distingue rien dans vos dispositions qui
s'oppose aux volontés de Dieu. Or, c'est le cœur qu'il
regarde et non les imperfections, quand elles sont désa-
vouées.
— 246 —
Aimez à vous répéter ces paroles : « Je veux tout ce
que Dieu veut. Pour rien au monde, je ne lui ferais
volontairement la moindre peine. Ce n'est ni pour en
jouir, encore moins pour m'en glorifier, que je désire
une profonde vie intérieure. » Désavouez simplement les
impressions contraires qui voudraient vous troubler :
elles ne comptent pas.
2° Étant donné que vous êtes dans ces dispositions, je
vous affirme en second lieu que la diminution actuelle
de vofre vie intérieure ne vous diminue point en réalité.
Pour me faire bien comprendre, je dois vous rappeler
que la perfection est avant tout dans la volonté. Sans cela
que deviendraient ces âmes si nombreuses et si utiles, les
Sœurs de Saint- Vincent par exemple, qui sont pour la
plupart absorbées par les occupations que Dieu leur
confie. J'en ai rencontré qui ne se retrouvaient, et encore?
que dans leurs exercices de piété : aucune douceur, aucun
sentiment intime de leur vie surnaturelle; rien que de la
sécheresse, mais une noble volonté de tout sacrifier à
Dieu, même cette part si enviée.
Dieu ne peut pas, sans une sorte de miracle, donner à
une âme que sa situation et sa nature en tirent assez loin,
l'intimité des âmes retirées dans la solitude ou particu-
lièrement aptes à sentir le surnaturel. Ce miracle il le
réalise pour quelques-unes, mais il n'aime pas moins celles
qu'il abandonne aux lois naturelles de leur position et de
leur tempérament. Celles-ci peuvent être aussi grandes
que les autres, aussi divinisées; elles le sont seulement
d'une autre manière.
Ah ! qu'elle est vraie cette parole de Noël : « Paix sur
la terre aux âmes de bonne volonté. » Or, vous êtes une
de ces âmes. Au milieu de vos occupations, quand vous
ne pensez pas à Dieu, vous êtes comme une personne qui
sommeille. Vous sommeillez, mais votre cœur veille et
agit. Est-ce que notre cœur matériel a besoin de notre
initiative pour battre et faire toute son œuvre? Nous
sommes pleins de forces latentes qui agissent en nous et
sans nous. Notre divinisation se fait beaucoup par des
actions cachées mises en mouvement par des forces vir-
— 247 —
tuelles. Ce que nous avons voulu se prolonge dans nos
actes inconscients.
Laissons là ces analyses et disons simplement : il faut
tendre à la vie intime, mais il ne faut pas se troubler de ne
la point atteindre : la vie intime n'est qu'uniforme de la
vie surnaturelle. Le désir paisible et résigné vous prépa-
rera à l'obtenir un jour.
3° Revenez donc, je vous le demande, à la pratique
déjà proposée : Soyez dans vos rapports avec Digu comme
une âme qui se sent aimée de Lui. Au besoin, appuyez-vous
sur mon affirmation. Je sens que je ne me trompe pas, et
je vous dis que c'est l'ennemi de votre perfection qui vous
arrête. Si j'en avais le droit, je vous dirais : « Je veux que
vous ayez une confiance sans réserve, une confiance telle
que vous la croiriez téméraire », une confiance enfin qui
ne laisse aucune place à la crainte. La crainte est chez
vous le grand obstacle.
Je prends bonne note de ce que vous me dites de votre
désir d'une amie à qui vous pourriez ouvrir parfois un
coin de votre âme. Allons lentement.
V
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Une courte et profonde phrase de saint François de
Sales tranche l'inquiétude que vous m'exposez : « Le
trône de la miséricorde de Dieu, c'est notre misère. »
Ne vous demandez donc pas comment Dieu peut vous
aimer et pourquoi vous devez vous croire aimée. Les âmes
qui opposent à cet amour une volonté opposée l'éloignent,
mais celles qui ne lui présentent que leurs misères spiri-
tuelles l'attirent plutôt. Quelle erreur de chercher dans
nos mérites la cause de cet amour qui est miséricorde !
Considérez ce que vous êtes pour vos enfants. Votre affec-
tion maternelle varie- t-elle selon les dispositions plus
ou moins favorables qu'ils vous montrent? N'avez-vous
pas toujours pour eux le même cœur? Si leur inattention
— 248 —
vient, de Pentraînemenl ou d'un oubli passager, el sur-
tout si elle n'amoindrit pas leur cœur, ne les serrez vous
pas toujours dans vos bras?
Dieu est meilleur que nous. 11 apprécie mieux le irai
fond de notre amour. En vous, moi aussi, je n'ai regardé
que cela, et je ne consens pas à me laisser influencer par
autre chose : je sais que vous aimez Dieu de tout votre
cœur, je sais que vous en êtes particulièrement aimée,' je
conclus : croyez, et exprimez vos sentiments.
Ceci enfin bien résolu, écartez la crainte qui vous vient
de ce que les réponses courantes qu'on reçoit et qu'on
donne finissent par laisser quelque dégoût.
Je crois que ces réponses ont un grand, fond de vrai,
mais je crois aussi que souvent on ne le distingue pas
assez: on parle un langage de convention. Approfondissez
donc ces sortes de réponses, sans y chercher du nouveau,
et vous y trouverez du vrai. Sans doute, à force de les
entendre et surtout de les redire, on en perd l'impression.
Mais la vie spirituelle, pas plus que toute vie sérieuse,
doit s'appuyer uniquement sur le vrai apparaissant par
la raison. Si elle cherche l'impression, elle peut être gran-
dement déçue. Il faut savoir au besoin vivre de pain sec.
— Vous n'en êtes pas là, si ce n'est par moments; vous
avez pu comprendre ce que vous devez à ce Dieu qui s'est
prodigué à vous à tant d'autres moments. — Soit dans
vos lettres, soit dans un entretien, j'ai été frappé de cette
recherche constante de l'idéal que vous me signalez vous-
même; il n'en faut pas dire du mal, mais il ne faut pas
trop s'en occuper. Je dis trop, remarquez-le bien, car je
regarderais comme funeste à votre avancement la direc-
tion qui vous en détournerait pour vous fixer uniquement
dans la pratique. C'est un sursum corda dont vous avez
souvent besoin; c'est un guide aussi, mais qui peut lais-
ser en chemin. Je n'admets pas l'idéal comme direction
de la piété, mais je l'aime beaucoup comme son stimu-
lant.
Le mérite n'est pas dans la pensée quelque haute
qu'elle soit, mais dans le bien qu'elle détermine. Je
connais des âmes admirables dont les pensées sont très
— 249 —
communes. Il est vrai que ces vérités communes sont :
Jésus soutirant, — - Jésus trahi de nos jours, — Jésus
s'occupant de nous sans cesse et vivant en nous, —
Jésus dans l'Eucharistie, — Jésus qu'un peut aimer et
pour qui l'on peut souffrir.
Souvent dans nos pensées nous appelons élevé ce qui
offre une vue nouvelle ou spécialement délicate. Le sens
littéraire est pour beaucoup dans cette appréciation.
Ne vous défiez donc pas de l'idéal, mais ne vous désolez
pas lorsque les choses religieuses s'en montrent privées.
« Ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur...
mais ceux qui font la volonté de mon Père ! » Faire la
volonté de Dieu, voilà notre fonds. Tant que nous nous
y tenons, nous sommes dans le bien, dans le mérite, dans
Y amour. Rien ne nous empêche d'y être toujours, pas
même le dégoût involontaire avec lequel on fait ces
choses, pas même les moments passagers de relâchement
qui. n'atteignent pas le fond de la vie. Non, vous n'êtes
pas dans la tiédeur, à aucun degré, je vous l'affirme.
Ne vous empressez pas pour multiplier ni pour renou-
veler vos intentions. C'est inutile et ce serait souvent
dangereux; on arriverait à la complication et à la fatigue.
Les théologiens, qui ont souvent du bon, insistent sur
l'intention virtuelle. Si j'osais, j'emploierais une compa-
raison qui, toute scientifique qu'elle est, n'est pas assez
digne de ce sujet. L'intention virtuelle ressemble à une
accumulation d'électricité. Tout ce qui se fait par cette
force incluse dépend de la force primitive. Ainsi pour
vous. Croyez bien que lorsque vous remplissez chacun de
vos devoirs, vous agissez en vertu de l'amour divin qui
actionne votre vie. Vous feriez ces choses quand même,
assurément, mais cette force étant en vous agit avec le
sens naturel, et au besoin agirait sans lui. C'est ce qui
arrive dans les cas pénibles.
Songez donc plutôt à accumuler dans vos heures de
prière cette force divine.
Regardez toujours la fidélité aux exercices de piété
comme la base de toute piété solide. Soyez-leur fidèle,
mais ne vous troublez pas, si les circonstances vous
— 250 —
engagent à on négliger passagèrement quelques-uns. Dès
que vous êtes redevenue libre, insistez davantage, prolon-
gez même, malgré la répugnance. Il faut regagner par une
ardeur plus généreuse le mouvement perdu.
En résumé, veuillez reprendre, sans plus de discussion
avec vous-même, l'attitude de confiance que je vous ai
donnée, comme moyen de perfectionnement. Simpli-
fiez-vous en cet acte d'abandon, selon la parole du divin
Maître : « Si vous ne devenez comme de petits en-
fants... »
Faites toute chose dans cet esprit, les choses maté-
rielles et celles plus hautes de l'âme. Quand il vous vien-
dra des anxiétés particulières à des cas présents, si elles
sont spéculatives, négligez-les, sauf à m'en parler quand
vous m'écrirez, mais cessez d'y penser en attendant.
S'il s'agit de cas pratiques, décidez d'après votre juge-
ment ou les conseils reçus; cela fait, ne cherchez pas à
savoir si vous avez bien fait; c'est chose jugée, affaire
conclue. Pensez à quelque progrès à réaliser ou à quel-
que consolation à donner à Dieu.
VI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je crois qu'à la période de vie spirituelle où vous vous
trouvez, des secours extérieurs vous seront utiles. Dieu est
si bon pour les siens !
A l'approche de la tempête qui va éclater sur l'Église de
France, je me sens le cœur bien serré; j'ai de grandes
craintes immédiates. Quant à l'avenir, il me semble voir
le petit troupeau succédant aux masses, et devenant plus
fervent et même plus nombreux qu'aujourd'hui. Mais le
peuple nous reviendra-t-il jamais?
Ces jours-ci, à une personne fort malade, souffrant
beaucoup et ne désirant que le Ciel, on disait : « Vous
serez bien contente d'aller vers Dieu à la fin de la neu-
vaine. — Oh ! non, pas encore, ce n'est pas le moment.
— 251 —
Jésus souffre trop ! Il faut rester pour le consoler et souf-
frir avec Lui. » Ce fut tout spontané et très touchant.
Vivons notre vie choisie pour nous par un Père qui sait
tout. La vôtre, je le crains, sera éprouvée et restera
peut-être longtemps dans une sorte d'indifférence qui
n'est qu'une épreuve.
Aimez votre vie autant qu'une vie consolée. Que le
Maître vous trouve toujours faisant sa volonté de chaque
jour, sans regard sur le lendemain.
VII
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
Laissez-moi vous dire sans aucun retard combien je
prends part à la douleur que vous cause la mort d'un
prêtre qui fut pour votre âme un puissant directeur et qui
est toujours resté l'ami intime de votre famille.
Ces amitiés sont rares et précieuses, et, comme vous le
dites, elles laissent un très grand vide. Peu à peu le mou-
vement de la vie fait tomber à nos côtés les êtres qui nous
furent chers. Leçon sensible de détachement et d'espé-
rance.
Ne craignez pas trop le purgatoire; il est doux au fond,
car on est heureux de souffrir; on sent que la purification
s'opère qui rendra l'âme belle aux yeux de Celui dont
l'éloignement fait le tourment suprême. Oh! quand on
se verra près de Lui, tout sera vite oublié ! Faites en sorte
que pour cette âme, cet instant soit rapproché par les
divers moyens que l'Eglise met à notre disposition.
Non, il ne faut point garder le moindre souvenir
attristant. Ce que Dieu efface est bien effacé. Ce qu'il ne
voit plus, pourquoi le regarderions-nous? Au Ciel, il ne
fera jamais le moindre reproche du passé : pourquoi gar-
derions-nous la moindre amertume? Les longues souf-
frances de ces derniers temps ont été toutes de miséri-
corde. Dieu aimait cette âme, aimez-la avec Lui; priez-la.
— 252 —
Voici maintenant quelques réponses sommaires à vos
questions fort justes.
1° La notation qu'on donne de chacune de ses actions
principales a pour but de nous comparer à nous-même et
de nous inviter, s'il est possible, à nous surpasser. Sup-
posez un maximum de 10 et voyez bonnement à quelle
distance s'en tient tel ou tel exercice de piété ou de vertu.
Faites cela très librement, presque sans chercher, très vite
par conséquent. La moyenne qui s'en dégage sera vraie.
2° Vous savez l'importance que j'attache à l'examen
particulier. Oui, généralement le même sujet occupe le
mois-entier. Le tableau de la dernière page en est la mise
en pratique. Vous y rendez compte du résultat passé.
Vous maintenez le même sujet ou bien vous en changez
en indiquant les moyens à employer. C'est à la personne
elle-même qu'incombe ce choix et il ne faut pas se déchar-
ger sur le directeur de cette recherche.
Il n'est pas nécessaire, et il serait dangereux pour vous
d'y consacrer trop de temps; quelques minutes bien
employées suffisent. La contention d'esprit et le senti-
ment d'un embarras dans sa vie finiraient par décourager.
Les moyens ne sont que des moyens. S'ils ne condui-
sent pas au but, qui est de nous faire avancer, em-
ployons-les autrement. Il y a même des âmes qu'on doit
en dispenser tout à fait.
3° Vous pouvez ne faire que tard votre lecture spiri-
tuelle, mais quand c'est raisonnable, laissez-la tout à fait.
Je parle d'une fatigue que vous ne surmonteriez pas sans
inconvénients.
Oui, une dizaine de chapelet suffit, et c'est la manière
dont vous l'avez dite que vous marquez.
4° Continuez à être fidèle à vos communions. C'est la
rencontre avec Dieu. Elle est toujours un acte à1 amour
profond, alors même qu'elle ne soulève rien en nous.
Néanmoins, omettez-la sans remords dès qu'il se pré-
sente un obstacle sérieux ou un devoir d'état, même
secondaire. La volonté de Dieu primera tout.
5° Dans la période de formation, il convient, pour
mieux s'adapter à l'esprit et au mouvement de la Société,
— 253 —
de suivre la règle avec grande fidélité, mais gardez- vous
bien de vous surmener, vous gâteriez tout! De grâce, pas
de contention, pas de surmenage, mais une bonne volonté
toute raisonnable, ne faisant que ce que l'on conseillerait
à une personne qui serait à votre place.
6° Je crois que pour le moment, le confesseur que vous
avez choisi peut vous suffire et vous faire même un bien
réel, ne fût-ce que par sa sainteté.
VIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
En lisant votre lettre, j'ai élevé ma pensée vers le
divin Maître, le priantde ne pas trop accabler la mère qui
souffre dans ses enfants. Vous me dites que tout semble
revenir en bon état : je reste donc sur cette impression;
mais si vous avez de nouveaux sujets d'inquiétude, je
vous demande de me l'écrire; je tiens à partager vos
sollicitudes. C'est un des droits de la paternité spirituelle.
Durant cette période de surmenage, vous avez. consacré
tout votre temps et vos pensées aussi à ces douloureux et
pressants devoirs. Redevenue libre, vous semblez envi-
sager avec tristesse ces semaines écoulées, les jugeant bien
inférieures au point de vue surnaturel et ne retrouvant
plus votre élan... Je suis convaincu que vous avez été
aussi agréable à Dieu dans votre activité d'infirmière que
dans le recueillement d'une vie paisible. Vous l'avez
servi aussi surnaturellement mais d'une manière autre.
Quelle est la meilleure?... Celle qui vous est demandée !
Je vous étonnerai peut-être en disant que l'on peut être
très parfait sans une vie intérieure bien intense, surtout
quand on n'en est éloigné que par les circonstances et
pour un temps. Quand on fait tout pour Dieu, on l'em-
porte lui-même en toute occupation; comme ces pauvres
femmes de la campagne qui emportent au travail leur
enfant, et, sans l'oublier, le déposent en un lieu paisible.
La vie intérieure est une manière de servir Dieu, la plus
excellente en soi, mais la plus sanctifiante est toujours
celle où sa volonté nous appelle. Il faut tellement aimer
cette volonté qu'elle soit notre joie, alors même qu'elle
entrave nos goûts les plus saints.
Il n'y a de bon que ce que Dieu fait en nous ci par nous,
et tout ce qu'il fait est également bon, également divin.
Contenions-nous donc de chercher, ou le plus souvent
d'accepter cette adorable volonté; une fois trouvée, de la
bien accomplir et de nous tenir contents, je dirai même
également contents de tout. Cette manière de voir calme
l'empressement, maintient une douce humilité de cœur
et donne une paix imperturbable.
C'est avec raison que vous regardez l'exactitude au
lever comme une nécessité de bon ordre pour la journée.
Soyez-y fidèle, mais avec les exceptions voulues. S'il se
peut, ne laissez pas la décision à la torpeur du matin,
mais prenez- la la veille largement. Ce retard rentre ainsi
dans l'ordre. N'en faites pas l'objet de l'examen parti-
culier, mais d'une bonne résolution qui a sa sanction
dans la note de la feuille chiffrée — que vous appréciez
justement. — Oui, prenez le sujet de la charité douce et
aimable, charité souvent réchauffée par la pensée que
vous agissez sous l'influence de l'Esprit d'amour, que vos
paroles, vos prévenances, vos tolérances, vos sourires
même sont ses paroles, ses prévenances, ses tolérances,
ses sourires... par vous!
Avec votre feuille, envoyez-moi aussi un mot. Il ne
faut pas que nous devenions simplement formalistes.
Dites-moi tout ce que vous croirez utile.
IX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Si j'avais été vous, voici comment je me serais exprimé :
Je me suis trop occupée de moi et trop préoccupée d«
mes défaillances; j'aurais dû regarder davantage du côté
d« Dieu et m'enconrager du souvenir de sa miséricorde.
— 255 —
Il en est résulté que je ne me suis pas sentie aimée de Lui
et que j'ai manqué de cet entrain qui fait avancer.
Les circonstances m'ont été peu favorables; je me suis
vue fort prise par plusieurs soins à donner à mes enfants;
j'ai mis peut-être trop de rigorisme à ne pas omettre tels
exercices de piété, et je n'ai pas servi Dieu de bon cœur
et filialement, peut-être par suite de cette contrainte, etc.
Je m'aorrête là. Vous voyez ce que je crois le meilleur
pour vous : beaucoup de simplicité à vous exprimer et
moins de rigueur dans votre fidélité. Observez- vous moins,
raisonnez très peu; entretenez une confiance bardie,
téméraire, si vous voulez, bien filiale toujours. Vous ne
vous faites pas une idée de l'amour que Dieu a pour vous
et de l'indulgence avec laquelle il voit vos manquements
qui ne sont jamais des actes délibérés. Acceptez paisible-
ment la part d'imperfection que vous constatez, mais sur-
tout soyez bien persuadée que Dieu vous en dégagera et
vous fera monter plus près de Lui. Trop de méconten-
tement de vous-même, et des efforts trop empressés ne
feraient que ralentir ce mouvement. Dieu entend faire
plus que nous; donnons- Lui l'humilité et la confiance
qui sont les conditions qu'il exige.
X
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Vos observations sur l'humilité et sur ce qui s'y oppo-
serait en vous me semblent justes; mais en tant qu'elles
vous font voir ce que vous seriez. Vous êtes tout autre de
volonté et le plus souvent de fait. Venez donc à ces deux
conclusions pratiques : devant Dieu je me sentirai très
petite, très indulgente et très faible, et en même temps
toute confiante et toute filiale. Il savait ce que je suis
quand II m'a appelée à Lui. Il sait ce qui reste encore
en moi d'imparfait, Il ne m'en aime pas moins puisqu'il
est très indulgent, très père, et qu'il sait bien que je l'aime.
A l'égard du prochain, disposition générale de grande,
■ . 20
— 256 —
bienveillance, désir de trouver juste et bon ce qu'il fait
et ce qu'il dit; comme en beaucoup de cas vous devez
reprendre, blâmer, corriger, vous le ferez fermement,
mais en conservant au dedans cette même disposition
de bienveillance et ce même désir de voir tout en bien.
C'est le correctif de ce que vous seriez peut-être portée à
dire trop sévèrement, et c'est la sauvegarde de l'humi-
lité intérieure.
Orientez-vous vers cette humilité pratique, toute bai-
gnée d'amour pour Dieu et pour le prochain. Là se
trouve une grande paix.
Vous ne diminuerez rien de votre action sur les autres,
vous agirez plus suavement, voilà tout.
Je comprends combien il vous en coûte de donner la
plus grande part de votre vie à des occupations qui n'élè-
vent pas. Croyez pourtant que cette situation est excel-
lente pour vous en ce moment, puisque c'est Dieu qui vous
y veut. Enveloppez tout cela d'une vue de foi et d'un
élan de confiance filiale. Qu'il fait bon se reposer en la
volonté de ce Père du Ciel !
Donnez à votre esprit la satisfaction qu'il aime et qui
lui est bonne : lisez des choses élevées, cultivez en vous
des sentiments désintéressés, délicats, ardents, s'il se
peut, pour le souverain Bien. Adorez le plus possible
la souveraine Beauté. Élevez- vous dans la région du vrai;
mais, à cet égard, rappelez-vous bien que la moindre vérité
qui descend en nous directement de Dieu nous illumine
et nous embellit plus que tout ce que nous apporte la
science.
XI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
J'ai vu avec grand plaisir que le calme a régné dans
votre âme, et qu'il s'appuie sur une base solide très juste
et très douce, le sentiment de la miséricorde paternelle.
Oui, ce bon Père nous accepte tels que nous sommes avec
ioutes nos lacunes, les parents n'y regardant pas de si
— 257 —
près. Ne soyez donc pas plus exigeante que lui, ni si regar-
dante. Ne vous étudiez pas trop, ne vous épluchez pas
non plus.
La vie intérieure suppose la pensée de Dieu dominante.
Elle se développe par tout ce qui développe les affections
dans la famille. Sujet de méditation pour l'appliquer à
vos rapports avec Dieu. Les sentiments profonds n'ont
pas besoin de variété; ils activent sans cesse la vie.
Aimons à nous répéter auprès de Dieu.
XII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je ne regrette pas de ne pouvoir vous écrire longue-
ment ! Je regarde- comme très utile pour vous en ce
moment de couper court avec toutes vos préoccupations
de conscience, touchant le mois dernier. N'en conservez
qu'un sentiment plus vif de la pauvre misère humaine
et de la bonté toute paternelle de Dieu : vous êtes aimée
comme toujours. Votre cœur n'a pas changé; je distin-
guais seulement un certain laisser-aller, peut-être vu,
mais non voulu. Il ne s'agit pas de tant regarder de ce
côté, mais de vous tourner résolument vers l'avenir. Lui
seul est fécond : il va tout réparer.
Si, momentané ment, vous ne pouvez satisfaire votre
attrait vers les considérations élevées, aimez ce genre de
pauvreté.
XIII *
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Vous avez reçu une grande grâce en entrant plus nette-
ment et plus profondément dans la connaissance de l'ac-
tion de1 Jésus en vous. C'est l'élément de l'union le plus
intime et aussi le plus impressionnant. Une âme forte-
ment et doucement occupée de cette pensée s'efforce de
— 258 —
penser, de sentir et d'agir comme le ferait Jésus. C'est
plus que de l'imitation, vous le comprenez. C'est Lui que
vous laissez agir ou que vous faites agir, car si l'imitation
est cherchée en Lui, elle reste pourtant en nous, qui nous
détermine, d'après la lumière de la raison et de la foi, la
seule manière ordinaire de connaître sa pensée. Je crois
que vous trouverez en cette direction le remède le plus
efficace à la sensibilité excessive et à des tentations de
domination que vous me signalez : Jésus ne veut pas agir
ainsi par vous !
Pour la case de l'examen particulier, je vous autorise à
la note sur la valeur de ce coup d'oeil qui équivaut à
l'examen particulier. Ce doit être plus vivant pour vous.
II est bon de suivre les moyens qui satisfont le mieux
notre attrait : le but est mieux atteint.
Pour la mortification, soyez surtout fidèle à toutes cel-
les qui sont de nature à éloigner les obstacles à l'amour
divin. Ne prenez dans les mortifications afflictives que
celles qui correspondent à votre situation et à un attrait
(non peut-être de sentiment, mais de raison) : ces sortes
de mortifications ont surtout pour but de ranimer la piété.
Jugez d'après cela.
XIV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Oui, aimez beaucoup la simplicité, mais ne vous dépi-
tez pas contre vous-même quand vous vous surprenez y
manquant.
J'insiste sur l'application à chercher Jésus et à le regar-
der. C'est le seul vrai moyen de moins se considérer soi-
même. Vous gagnerez peu, en ce moment, à vous étudier.
Vous vous connaissez assez, et vous y perdriez beaucoup :
Dieu moins vu, moins goûté... du mécontentement sou-
vent. Il faut aller à Dieu le cœur dilaté. Le prochain est
une grande ressource, quand surtout nous sommes dans
la sécheresse : Dieu prenant pour Lui ce que nous faisons
pour le prochain : bonté, attentions, support très doux
— 259 —
et aussi réprimandes, conseils, encouragements... le tout
bien imprégné du désir de plaire à Dieu.
\V
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je fais un sacrifice en me résignant à ne vous écrire
que quelques lignes, tant les vœux que je forme pour
votre âme me sont chers. Je veux vous voir toujours en
paix, ne perdant aucune de vos ressources à vous tour-
menter, mais les employant toutes à vivre de Dieu ;
aimant sans attache les occupations de votre ménage
parce qu'elles vous sont demandées chacune par lui,
profitant des moments de liberté pour monter au Ciel
respirer un air pur, enfin cherchant partout tranquille-
ment quelque bien à faire aux autres. Aidez-vous de la
lecture de livres qui élèvent ou qui touchent. Sachez vous
résigner aux aridités et aux dégoûts qui peuvent survenir.
Tout est bon pour qui aime Dieu vraiment, et non son
contentement personnel; mais laissez-moi vous le répé-
ter, que tout cela se passe sous le Ciel d'une vaste paix.
XVI X
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,»
Quand je me représente toutes les occupations et tous
les soucis que comporte votre rôle de mère et de maî-
tresse de maison, je remercie Dieu de ce qu'il vous accorde
la grande faveur de vous maintenir dans la recherche de
son amour et dans le choix surtout constant de son bon
plaisir. Gela suppose un vrai détachement de vous-même,
sans quoi vous perdriez forcément le calme et les saints
désirs.
Tant que cette divine préoccupation sera dominante,
soyez rassurée.
— 260 —
Les manquements passagers sont de petits accidents
vite réparés et dont il ne faut faire état que pour aimer un
peu plus Celui qui les considère paternellement.
Regardez toute chose comme un moti] d'amour, et n'y
mettez pas d'exception.
Yoilà un conseil que vous comprendrez à merveille et
que vous ferez bien d'avoir toujours devant les yeux. Le
mal et le bien y convergent de points opposés. La con-
clusion à retenir est qu'en toute situation, en tout état
d'âme, il n'y a qu'une chose à faire : aimer et avoir con-
fiance.
Comme vous le dites, il est essentiel de réagir après des
moments de lassitude ou de recherche de soi-même, sans
quoi on risque de rester affaibli. Réagir, c'est faire tout
ce qu'on peut jusqu'à ce qu'on sente que tout va bien.
Comparez-vous à une personne qui a pris froid et faites
comme elle.
Par exemple ! ce que je vous recommande instamment,
c'est d'avoir égard à votre état de santé, soit pour vous
juger, soit pour régler votre conduite. Les médecins assu-
rent que certains enfants que l'on malmène pour leur
paresse ne sont que des victimes de leur tempérament
affaibli. Rétablissez les forces, et l'activité reviendra.
C'est un devoir pour vous de choisir le régime, qui, en
rétablissant votre santé, vous rendra de meilleures apti-
tudes au bien.
Il m'est impossible de vous donner des conseils sur
votre ^conduite relativement à telle ou telle œuvre locale,
tiers-ordre, associations diverses. En principe ! ne vous
chargez pas. En fait, il y a des utilités évidentes qui déter-
minent à se prêter. Voyez ce que vous conseilleriez à une
autre, ou ce que je vous conseillerais moi-même, si j'étais
au courant des choses et des personnes comme vous. Je
crois que vous trouverez dans la société de ... un ensem-
ble suffisant de soutien. Que tels documents soient plus
ou moins remarquables, ils vous remettent sous les yeux
périodiquement toutes les vérités et toutes les lois de la
vie sainte. Cette société de ... fait peu de bruit et beau-
coup d'ouvrage.
— 261 —
Quant à l'oraison, voyez ce qui vous réussit le mieux.
Jugez-en par le résultat; plus d'ardeur, beaucoup de paix,
la présence de Dieu facile. Si une méditation toute simple
et aisée vous met en cet état, continuez-la sans crainte.
Pourquoi vous revêtir de l'armure de Saiïl?
Si, au contraire, une suite de méditations sans méthode
ne produit qu'une influence légère et passagère, cher-
chez ce qui, dans une méthode, peut vous venir en aide.
Je crois qu'un profond recueillement pour commencer et
quelque parole de l'Écriture ou d'un saint peuvent vous
convenir habituellement.
La.fatigue m'impose de dures privations. Il s'en prépare
une autre bien sensible : un de mes yeux est atteint de la
cataracte à forme lente. Cet état commence à troubler la
vue et à me gêner pour lire. Si je ne peux bientôt faire
autre chose que sentir mon inutilité, je serai aussi con-
tent, je l'espère, que de me dépenser pour les âmes.
Dieu n'a besoin de personne et il veut avoir besoin de nos
souffrances.
XVII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Vivez dans une grande paix; aimez comme si vous étiez
une sainte; remerciez Dieu des difficultés et des peines
de la vie. Prenez toujours le parti du devoir certain sur
des choses d'apparence meilleure.
Faites votre examen dans le sens que vous m'indiquez :
qu'il soit une orientation constante. Je n'aime pas la vivi-
section que vous avez trop souvent pratiquée sur votre
âme.
Retenez bien ceci : que vous êtes la même aux yeux de
Dieu, quelles que soient vos dispositions, vos imper-
fections et les fautes qui échappent. Donc, allez à Lui avec
la même dilatation.
— 262 —
\\ III
Madame el chère fille en Notre-Seigneur,
Il y a mieux à faire qu'à compter ses pas et à se regar-
der marcher. Vous êtes toute à Dieu, vous lui avez tout
remis, vous voulez que pas un de vos sentiments ne lui
déplaise, vous voudriez même qu'ils fussent tous péné-
trés de Lui : voilà ce qui est vous, et non pas ce que la
faiblesse humaine vous arrache parfois, surtout en fait
de ferveur sensible. - — Quand vous ne sentez rien, quand
toutes les choses divines et la communion elle-même vous
paraissent des objets indifférents, vous n'êtes pas changée
le moins du inonde et le cœur de Jésus vous garde la
même intimité d'amour.
Contentez-vous donc de tendre vers Dieu toujours, de
vous donner à chacun de vos devoirs comme à un de ses
ordres, de le regarder souvent lui-même.
Si vous vous sentez bien inférieure à vos désirs, si
même vous remarquez quelque acte moins bon ou un
peu de négligence, revenez simplement à votre vrai désir
d'être toute à Dieu; faites le plus parfaitement possible
la chose du moment présent, et maintenez en vous une
paix joyeuse. Oui une paix joyeuse, car vous êtes aimée
de Dieu telle que vous êtes à ce moment. Admirez une
telle bonté, mais surtout affirmez-la sans hésiter.
Courage ! et permettez-moi d'ajouter ce mot un peu
vulgaire : courage et bonne humeur ! La bonne humeur
peut être et doit être un reflet de l'amour divin.
XIX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Parlons de votre âme. Vous vous exercez à l'aménité.
C'est la vertu qui donne à saint François de Sales sa
— '263 —
physionomie si attachante; c'est celle qui doit apparaître
dans la personne et le caractère de ses filles.
Cette disposition, plus peut-être que les autres, dépend
de la charité ! Si elle ne consistait que dans un effort,
même constant, à être agréable aux autres, elle manque-
rait toujours de cette spontanéité qui dilate; il faut qu'elle
vienne d'un cœur assez épris de Dieu pour aimer vraiment
tout ce que Dieu aime, en dépit des laideurs et des vides .
qui sont dans tel ou tel prochain.
Cet amour divin rend les antipathies plus rares et tou-
jours moins senties; il inspire le désir de donner du con-
tentement à l'entourage. C'est donc sur l'intérieur qu'il
faut agir, mais il ne faut pas négliger les formes exté-
rieures. Alors même que nous aurions à nous les imposer,
nous aidons l'habitude intime. La contrainte que nous
nous imposons nous rappelle vivement le devoir de ten-
dre à aimer de cœur, je veux dire d'un cœur surnaturel
tout détrempé d'amour divin.
Revenez aussi plus assidûment à l'entretien avec Dieu.
Prenez les moyens qui ont coutume de vous mieux réus-
sir. Avec une famille assez nombreuse, c'est merveille
que vous conserviez un goût si vif de trouver Dieu. Ce
désir bien conduit n'enlèvera rien aux affections chères.
Elles garderont entièrement la chaleur et l'aisance qui
en font le charme. Dieu se plaît à vous voir aimer naturel-
lement vos enfants et votre mari avec confiance et ten-
dresse. L'accomplissement d'un devoir ne nous diminue
jamais. Ne prêtons pas à Dieu nos sentiments humains
qui se sentent rabaissés par telle ou telle occupation où
ils voient engagées les personnes qu'ils aiment. Prenons
un brin de panthéisme (un brin suffit) et voyons Dieu
en toutes choses et surtout en toutes personnes, car il y
est réellement, beaucoup plus que nous ne pensons.
Ne revenez pas trop souvent sur vous-même pour vous
examiner. Regardez plutôt ce que vous pouvez faire de
mieux à l'instant même.
Malgré tout ce qui peut s'y opposer, maintenez en vous
une disposition de paix voisine de la joie, si la joie n'y
trouve point toujours accès.
— 264 —
Être aimée de Dieu ! Savoir qu'on le possédera un jour !
Quelle source intarissable d-e contentement !
XX
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
Oui, ce sont des épreuves, et heureusement de petites
épreuves. Dieu permet ces réveils de la nature pour vous
mieux montrer que Lui seul nous soutient en temps
ordinaire, ce que nous attribuerions peut-être à notre vigi-
lance et à nos efforts. Non seulement il ne faut pas se
troubler et se dépiter, mais il faut remercier Dieu de cette
grâce, et ne rien changer dans nos rapports avec Lui. Son
affection ne change pas avec nos changements d'humeur.
Suivez mon conseil de ne vous examiner que très peu et de
ne pas revenir sur le passé de la veille même. Gardons toute
notre pensée pour aimer et pour agir. Puisqu'il n'y a rien
de plus excellent que cela, puisque l'amour confiant con-
tient tout, ramenons à cela le mouvement de notre vie.
J'admire la grâce qui vous est faite de pouvoir aller à
Dieu si intimement, à travers vos occupations et vos soucis
sans nombre. Gardez toujours le cœur dilaté. Au besoin
empruntez à saint Pierre cette belle parole : « Et cepen-
dant vous savez bien que je vous aime ! »
Une âme qui maintient en elle un tel amour fait plus
pour son perfectionnement que par l'application sèche
à ses devoirs de famille et de piété. Elle a ouvert une
source qui coule doucement et sans 'cesse, portant par-
tout la fécondité, la bonté, la vie qui exulte. Soyez cou-
rageuse en cela jusqu'à l'audace.
XXI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Faisons tout en paix; cherchons Dieu sans contention,
mais avec une douce fidélité; pensons plus à Lui qu'à
— 265 —
nous, essayant do vivre sa vie, ou ce qui est de même, le
laissant vivre la nôtre. Ce n'est point inaction ou attente,
c'est l'abstention de ce qui est trop personnel. Ne nous
dépitons pas de nos manquements, encore moins de nos
froideurs qui ne sont que de surface; le fond ne change
pas selon les jours. Nous sommes autant unis à Dieu
quand nous nous montrons imparfaits, que lorsque nous
lui disons avec ardeur notre amour, unis de fond, sinon
unis de pensée et de sentiment.
XXII
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
Insistez sur l'expression de vos sentiments dans l'orai-
son, à la visite au Saint-Sacrement et même dans le cours
de la journée, quand vous élevez votre pensée à Dieu.
Sans hésiter, croyez-vous toujours autant aimée de
Dieu. C'est le meilleur moyen d'aimer vous-même.
Il y aurait beaucoup à dire sur cet amour divin; rete-
nez surtout cette notion fondamentale qu'il est essen-
tiellement dans la volonté. Vous déduirez de là des
règles pratiques de jugement comme celle-ci : j'aime
quand je remplis chacun de mes devoirs; — j'aime alors
même que je ne sens rien, etc.
Vous caractérisez fort bien ce que serait facilement
votre nature dans la piété : vivisection, dilettantisme.
Remplacez ces méthodes, souvent dangereuses, et géné-
ralement stériles, par une bonne simplicité, allant à Dieu
de bonne foi, de bon cœur, sans trop raisonner, en un mot
comme les jeunes enfants vont à leur mère. Pour Dieu,
nous sommes toujours de bien jeunes enfants. De son
côté, Dieu est toujours bon père !
— 266
X X 1 1 1
Madamfi et chère Bile en Nôtre-Seigneur,
Ne vous laissez point attrister par l'état actuel de
votre âme. Il n'y a point lieu. Vous êtes aussi profondé-
ment à Dieu que jamais. Deux choses vous en feraient
douter : une certaine diminution de vie intérieure et un
peu de laisser-aller parfois à votre nature. Eh bien ! c'est le
fait de la situation où la volonté de Dieu vous a mise.
Des occupations incessantes retiennent votre pauvre
esprit autour des objets d'ici-bas, prennent le temps et
disposent mal .à la prière intime. Étant moins sur nos
gardes et plus excités, nous sommes moins maîtres de
notre nature qui agit alors selon son impulsion. L'amour
de Dieu, qui est le même, se trouve un peu paralysé.
Quand il prend plus vivement conscience de lui-même,
il ne songe qu'à gémir et à s'attrister. C'est bien Vattes-
tation de sa vie et de sa force, mais c'est une impression
débilitante qu'il faut purifier et rectifier. On la purifie
<m acceptant franchement l'humiliation et la peine de
cet état. On la rectifie, en y cherchant un motif puissant
d'aimer un Père qui, lui, n'aime pas moins. Il laisse les
causes produire leurs effets, se réservant de sanctifier
l'âme par d'autres moyens, ou peut-être par des grâces
de générosité pratique. Vous en avez tant d'occasions !
Faites donc consister votre vertu actuelle dans l'accom-
plissement joyeux de tant de choses ennujreuses et dans
le support de votre insensibilité passagère pour Dieu, ainsi
que de vos involontaires défaillances. C'est là que
l'amour de la propre abjection fait merveille. Il remet
d'aplomb et il fait trouver la sainteté en tout état. J'in-
siste sur cette disposition, car il me paraît certain qu'elle
aura longtemps encore à s'exercer, votre situation devant
devenir de plus en plus chargée. Si l'on ne pouvait être
grand et agréable à Dieu que dans l'union facile et habi-
tuelle à sa pensée, il faudrait maudire les devoirs de la vie,
c'est-à-dire sa volonté!
— 267 —
Tout se concilie dans un parfait abandon qui a con-
fiance en Dieu et aussi en un amour réel pour Lui. Laissez
le grain de froment dans le sillon obscur.
Ma conviction est que ce n'est qu'un état passager
(comprenant un certain nombre d'années), mais un état
préparatoire à une vie très élevée en Dieu un jour.
Courage ! Je prie le divin Maître de vous bénir !
XXIV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Soyez en paix. Tout va bien ! vous vivez par la volonté
constante d'être toute à Dieu, de suivre toutes ses volon-
tés et de répondre à ses moindres désirs.
Ce mouvement de vie se trouve non pas diminué,
croyez-le bien, mais" simplement retenu par les occupa-
tions et les soucis de votre position.
Il va sans cesse vers Dieu par la générosité; il opère en
votre âme son œuvre d'humilité, de fidélité, de coura-
geuse confiance, et donne son efficacité à votre œuvre
d'apostolat auprès de vos enfants.
Vous faites ce que Dieu vous demande, efforcez-vous
donc de le faire, comme vous le dijes si bien, « avec un
effort plus généreux de fidélité et de perfectionnement de
tous vos actes ».
J'ajoute ces mots : allez simplement, librement, vous
sachant aimée de Dieu. Ayez le cœur dilaté. Chassez
toute hésitation à croire que vous plaisez à ce bon Père,
alors même que vous êtes dans la sécheresse la plus com-
plète ou démontée par les difficultés de votre maison.
Ces impressions ne sont pas vous, et elles sont en vous
malgré vous.
Encore une fois, faites-en un sujet de franche humilité,
mais d'une humilité qui vous donne la mesure de la bonté
divine, puisque son amour sera aussi tendre.
Ah ! si nous pouvions lire dans son cœur ! Voyons ce
que nous serions nous-même à l'égard d'une personne
— 268 —
qui aurait sincèrement à cœur de nous contenter, mais
qui n'y réussirait pas toujours. Or, Dieu est assurément
bien meilleur et bien plus juste que nous.
XXV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Un mot pour vous mettre pleinement à l'aise. Croyez
bien que j'ai compris votre état d'esprit...
J'en étais là, il y a un mois, quand la pensée me vint
d'éprouver votre fidélité à mes instructions précédentes,
au milieu des tentations persistantes de trouble.
J'aurai une grande joie si vous me dites qu'en dépit de
tout, vous êtes restée filiale envers Dieu, si vous avez tenu
à l'écart les préoccupations que je vous avais interdites,
si enfin votre âme est en paix; et je verrai par là jusqu'où
va votre puissance de docilité.
Il m'eût été facile en quelques mots de vous rassurer
directement. Je n'aurais eu qu'à vous dire : certaine-
ment vous aviez plus que les circonstances atténuantes
dans le passé, et vous n'avez pas eu la moindre intention
de laisser rien dans l'ombre. Aussi rien n'est-il modifié
dans l'estime que je vous portais et que je vous garde
tout entière et toute particulière. Je connais peu d'âmes
qui soient à Dieu plus fortement que la vôtre.
Ne recevant pas votre lettre habituelle de chaque
mois, je me demande si la timidité n'aurait pas pris le
dessus... Je viens donc, comme on le fait pour les enfants
timides, vous prendre par la main et vous dire .: ayez
confiance !
XXVI
Madame el chère tille en Notre-Seigneur,
Par votre lettre qui s'est croisée avec la mienne, je sens
que votre pauvre âme est restée attristée et préoccupée;
— 269 —
or je souffre de penser que vous pouvez croire à une
diminution d'estime de ma part et à un blâme sur le
passé. Ce passé d'ailleurs n'existe plus pour Dieu. Pour-
quoi donc le laisser vivre en nous? Si nous connaissions
mieux le cœur de notre Père du Ciel, comme nous serions
toujours au large et heureux! Ce matin, à la messe, je
lisais la parabole de l'enfant prodigue, et il me semblait
voir rayonner de toutes parts une atmosphère de bonté,
de bien-être, d'abandon infini. Celui qui ne veut pas
même laisser parler le coupable avéré permettrait-il à
une âme qui lui est restée constamment fidèle de se pré-
occuper de quelques erreurs involontaires et de quelques
légères surprises? Non, non, cela ne compte pas entre un
Père tout aimant qui est l'infinie bonté et une enfant
tout aimante aussi qui ne voudrait pour rien au monde
faire de la peine à son Père. — Eh bien ! vous lui en feriez
en gardant de la tristesse; vous douteriez de l'étendue
et de la délicatesse de son amour !
Vous avancerez plus en tourmentant moins votre cons-
cience. Pourquoi revenir stérilement sur le passé, quand
l'avenir nous appelle ! Nous n'avons pas trop de notre
intelligence et de notre cœur pour aimer Dieu, le faire
aimer, réparer sa gloire.
Ne faisons rien de moindre. Les difficultés de votre
position vous créent déjà assez d'obstacles; n'y ajoutez
pas les préoccupations passées qui sont vaines.
Et pour tout dire en un mot : simplifiez "votre âme en
vous donnant à Dieu les yeux fermés et en comptant sur
Lui pour tout réparer et améliorer.
Plus vous lui donnez de confiance aisée, plus vous avan-
cerez dans la perfection. Parfois vous sentez des lassi-
tudes; il vous arrive même de négliger une pratique
utile... Ce ne sont point des fautes, ce n'est peut-être
même pas un manque de générosité. C'est un besoin de
repos que demande la nature, mais alors même qu'il y
aurait quelque laisser- aller, ce n'est point du tout un de
ces actes qui froissent un cœur de Père. Hâtez-vous dou-
cement et reprenez votre joyeuse confiance.
La seule conclusion excellente de ces tentatives de
— 270 —
retour sur le passé doit être de vous porter à_une très pro-
fonde et très large indulgence pour le prochain toutes
les fois que Y intérêt du bien le permet.
XXVII
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
J'approuve complètement les deux résolutions que
vous avez prises. Je n'aurais pu vous en suggérer d'autres.
1° Fidélité à la méditation; 2° méditation qui renou-
velle. Il ne sera pas toujours en votre pouvoir d'accomplir
la seconde. Après certains efforts, il peut arriver que vous
n'ayez rien remué dans vos sentiments. Contentez-vous
alors de renouveler sincèrement les résolutions habi-
tuelles qui fixent votre vie, et de protester de votre
amour. Pas de tristesse ensuite.
Ne prenez pas à votre compte ces tourbillons de vanité
ou d'aversion qui vous enveloppent parfois et vous aveu-
glent. Non, ils ne sont pas de vous, quoiqu'ils soient en
vous. Désavouez-les tranquillement quand ils vous pres-
sent trop; mais ^ordinaire, ne daignez pas vous en occu-
per.
Quand une âme s'est donnée à Dieu comme la vôtre,
Il a pour elle un amour large que n'altèrent pas les fluc-
tuations de ses sentiments de surface et les petits relâ-
chements passagers. Vous ne le ferez jamais trop indul-
gent.
C'est sous cet aspect que vous devez l'envisager, vous
tout particulièrement. Il est plus honoré et plus heureux
de votre confiance que de vos craintes. Le resserrement de
cœur ne rend pas aimant. Imaginez-vous Notre-Seigneur
s'illusionnant sur vous comme font ceux qui aiment
beaucoup. L'illusion qui est chez les parents un secours
providentiel est remplacée chez lui par une intensité et
une générosité d'amour dont nous n'avons pas idée;
je ne cesserai de vous le répéter; car c'est une vérité bien-
faisante.
— 271
XXVIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Inclinez à croire que vous n'offensez pas Dieu et que
vous ne faites pas de peine au prochain. Appliquez cette
règle à toute votre vie et soyez particulièrement affir-
mative dans les cas de doute.
Efforcez-vous à modifier votre nature elle-même en
prenant sur votre esprit pour l'empêcher de s'attarder
sur des sujets pénibles; en vous affirmant à vous-même
que vous ne voulez pas souffrir ainsi. Rappelez- vous sou-
vent qu'il y a quelque excès dans votre sensibilité native.
Portez avec plusd'assurancevosjugement s, décidez- vous
sans tant de réflexion et comme par spontanéité; votre
conscience, aussi bien que votre esprit, étant bien formée,
cette promptitude vous guidera plus sûrement que la
réflexion. Une ouvrière qui calculerait chaque mouve-
ment de ses doigts devenus habiles, irait fort lentement
et ferait une œuvre moins belle; peut-être même serait-
elle entièrement paralysée. Agissez bonnement et sim-
plement. Si quelques erreurs s'ensuivent, croyez qu'elles
sont amplement compensées par le profit général.
XXIX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ai-je besoin de vous dire combien je suis touché des
souhaits que vous m'exprimez avec une si ardente solli-
citude, et du sentiment si filial qui les inspire !
Dieu a bien voulu établir entre nos âmes des rapports
dont il est lui-même le lien et l'objet. Il a permis égale-
ment que je trouve auprès de vous et auprès de tous les
vôtres une de ces amitiés rares dont je sens tout le prix.
Ce que je souhaite particulièrement à votre âme, c'est
un progrès dans la confiance toute simple en l'amour que
21
— 272 —
Dieu a pour vous. Soyez comme vos enfants qui ne dou-
tent pas du vôtre. Ne craignez pas que telles ou telles
imperfections qui trahissent votre bon vouloir changent
en rien les sentiments de son cœur. Soyez bien résolue
à ne lui causer jamais, et à aucun prix, la moindre peine,
et moyennant cette déclaration que vous signeriez de
votre sang, et que vous ne rétracterez jamais, toutes vos
actions lui sont agréables, celles-là même où se glisse
l'involontaire action d'un sentiment d'amour-propre.
Gardez-vous de déchirer votre âme, pour y chercher, par
une cruelle analyse, des intentions cachées. Tenez-vous en
à la déclaration de saint Pierre : « Seigneur, vous qui
savez tout, vous savez bien que je vous aime. »
Faites évanouir les ombres par la lumière et toutes les
intentions imparfaites par un sincère élan vers Dieu. En
un mot, pour sortir de tout mal, allez au bien et n'envi-
sagez que lui. La miséricorde divine se charge du mal; on
n'avance guère que par la dilatation. Vous l'aurez dans
vos rapports avec Dieu. Je désire que vous trouviez le
moyen, dans les affaires de la famille et dans la vie, de
vous maintenir dans un contentement supérieur, en
dépit des inévitables contrariétés qui surviennent. Don-
nez-leur la mesure convenable d'attention et de soins,
mais, une fois ce devoir accompli, votre rôle cesse et
c'est celui de Dieu seul qui commence : « A nous de semer
et d'arroser, à Lui de donner l'accroissement. »
Si telle ou telle chose réussit mal; si même cela pro-
vient de ce que vous vous y êtes moins bien prise, restez
en paix. Dieu sait tirer du bien de ce qui est notre fait,
sans être notre faute.
Voilà le petit résumé de ce que je demande à Dieu pour
vous. Enfermez-cous dans ces vues simples, dégagez- vous
des préoccupations particulières, afin de vivre dans la
haute et grande préoccupation d'aller à Dieu, de l'aimer
et de le lui dire.
— 273
XXX
Monsieur et cher ami,
Mme N. me fait part de ses inquiétudes sur l'état de
votre santé. Ce retour du mal semble bien devoir être
attribué aux préoccupations de ces derniers temps.
Que faire? Voulez-vous me permettre de vous conseiller
un remède ? Il est infaillible de lui-même, seulement...
tous les tempéraments ne s'y prêtent pas... J'espère pour
le vôtre.
• Ce beau remède est une très grande confiance en Dieu;
une confiance vraiment filiale et bien sentie. On fait tout
ce que demandent les circonstances, avec le même soin,
mais comme simple instrument dont Dieu se sert pour ses
propres desseins : s Nous plantons, nous arrosons : c'est
Dieu qui donne l'accroissement » (saint Paul).
Si quelqu'un devait avoir des préoccupations, ce serait
Dieu, car c'est Lui qui est avant nous le maître et le plus
intéressé à toutes choses. Une fois notre rôle d'instru-
ment accompli, rentrons dans celui de la confiance, et
même, en remplissant le premier, ne perdons pas de vue
le second.
Cette confiance surnaturelle est à la fois un don et
l'objet d'un effort. Le don, il faut le demander par des
prières instantes; l'effort consiste à se représenter souvent
l'action de Dieu, sage, bonne, paternelle. — Quelques coin -
munions en ces temps-là sont d'un très grand secours.
Voilà comment je me permets de parler à un ami que je
sais digne de ce langage.
XXXI
Madame et chère fille en Nôtres-Seigneur,
Je suis heureux de vous voir bien brave au milieu de
vos occupations absorbantes. Vous savez cette grande
— 274 —
chose que, pour le moment, Dieu a placé, dans ces menus
détails, son bon plaisir et votre perfection.
Faire plaisir à ceux" qu'on aime, n'est-ce pas tout?
Qu'en importe l'objet? Aimez donc ces petites choses,
vous y trouvez d'ailleurs une excellente école de perfec-
tion : possession de soi dans ses paroles et jusque dans
ses impressions, — douceur constante des procédés, —
amour de sa propre abjection quand on s'est laissé sur-
prendre...
Dieu n'a demandé que rarement à la Très Sainte
Vierge de grandes choses, mais il lui a enseigné à les
élever toutes, en quelque sorte, à la même hauteur par
un amour qui voyait en chacune ce bon plaisir divin.
Cette vue, qui élève l'action, dilate aussi le cœur.
Par exemple, pas de concession aux craintes et aux
scrupules ! Il n'y a plus de passé, et dans le présent il ne
reste que cette volonté dominante de vivre abandonnée
aux soins d'une maternelle Providence. Jamais de tris-
tesse entretenue. Sortez de l'ombre dès qu'elle veut
vous envelopper. Méfiez-vous d'une cause qui pourrait
sembler légitime : des imperfections réelles, quelques
rechutes passagères... le dégoût peut-être de certaines
occupations matérielles très nombreuses qui semblent
vous tenir en bas, brisant tous vos élans et vous rendant
momentanément incapable de vous sentir vivre pour
Dieu... C'est du mauvais temps, il faut continuer tran-
quillement son chemin bien tracé.
Je vois que vous avez pu faire habituellement lu sainte
Communion. C'est là en effet une grande source de fer-
veur. La confession est aussi un secours précieux, car là
Dieu vous parle. Remerciez-le de vous avoir donné le
guide qu'il vous fallait, sur toutes choses la paix, la paix,
la paix en Jésus, l'âme de votre âme.
— 275-
XXXII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Oui, vous êtes comme Fénelon et sans doute un peu
plus que lui, dans cette perplexité provenant du change-
ment des impressions. Je doute qu'il "en fût là habituelle-
ment. Je croirais plutôt que ce fut le résultat des préoccu-
pations mystiques où il fut entraîné. Les lignes qui sui-
vent, et où il semble condamner la prudence naturelle
et les arrangements humains, sentent un peu l'exclu-
sivisme du « pur amour ». Dieu nous a donné la prudence
comme guide. Cette prudence doit assurément s'inspirer
des vues de la Foi, mais, sans cette lumière supérieure,
elle doit tenir grand compte de tout ce que dicte la raison.
C'est la prudence exclusivement humaine qui est seule con-
damnable. Le saint doit vivre comme un honnête homme
en ses actions, et beaucoup plus haut par ses intentions.
Il faut en dire autant des arrangements humains dont il
parle. La « recherche de. soi » est une pente qui tend tou-
jours à nous entraîner.
Il ne faut pas s'accuser d'en sentir l'influence qui est
dans notre nature, ni trop analyser ses effets, car on en
sort sans y voir plus clair, et tout embrouillé et moins
entrain. Il faut aller à Dieu de bonne foi, de bon cœur,
et le prier de ne pas faire attention à nos sottes pensées
de recherche de nous-mêmes, que nous avons toujours
désavouées en bloc.
Ainsi on marche à l'aise, et on aime Dieu plus fina-
lement. On a pour cela le temps et la liberté d'esprit qu'on
gaspillerait à de vaines inquiétudes.
Les examens sérieux sont utiles et souvent nécessaires
à la première période de la vie pieuse où il s'agit de se
bien former. Plus tard ils doivent se faire plus simple-
ment.
Écoutez le divin Maître vous disant : « Je suis là, ne
crains rien. »...
« La paix, la paix, la paix. »
— 276 —
X X X I T ]
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
J'espère que vous avez retrouvé définitivement la
paix. La souffrance avait un peu exaspéré votre sensi-
bilité si vive. De là vos manquements passagers et au
fond excusables. Il faut maintenant nous en réjouir!
Pourquoi donc? Parce que nous avons été l'objet de la
miséricorde, et que nous la connaissons si indulgente
qu'elle ne nous accable pas de reproches, et si puissante
qu'elle détruit complètement le mal par un pardon com-
plet et sans retour. Aimons à nous sentir plongés dans
cette miséricorde paternelle pour l'avenir, comme nous
l'avons été par le passé.
Rien ne chasse mieux que cette pensée la crainte de
nous-mêmes et celle de l'avenir. Qui s'attache à la miséri-
corde est sauvé. Cet attachement filial comporte une
douce humilité qui accepte de se voir pauvre et faible.
La confidence d'H. n'a rien qui nous surprenne. En
vérité, je ne le verrais pas, tel qull est, dans le monde,
et sa profonde piété le dispose admirablement à un minis-
tère qui ne doit trouver son repos qu'en Dieu. Comme
aptitude, je le verrais plutôt religieux, mais c'est surtout
l'attrait qui décide, car Dieu le donne. Nous en parlerons
souvent désormais.
Ai-je besoin de vous dire, à vous, combien est grand le
sacrifice que Dieu semble vouloir m'imposer de ne pas
reprendre nos entretiens de l'an dernier ! mais le mot
sacrifice n'est-il pas écrit sur tout ce qui est grand et
saint.
. XXXIV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Vos notes de méditations me plaisent beaucoup. Elles
donnent une note élevée et bien vivante. Peu importe
— 277 —
qu'une pensée soit tirée d'un livre. L'essentiel est de
l'avoir eu nous d'où qu'elle vienne et il y a plus d'humi-
lité à la recevoir qu'à la trouver. L'ayant reçue comme
de Dieu, on s'en pénètre, on l'étend et l'on finit par en
faire sa chair et ses os en se l'assimilant.
Je remarque dans votre bulletin quelques défauts en
fait de charité et d'humilité. Ne vous en faites pas de
trop vifs reproches. Votre nature serait rigoureuse et
rebelle aux contradictions. Vous n'en avez que plus de
vertu, car vraiment vous dominez d'une façon habituelle
ces sentiments et leurs manifestations. Plus vous vivrez
de Jésus, plus cet effort vous sera facile. Que ne ferait-on
pas pour Lui !
Une personne très simple me disait ces jours der-
niers : Pour m'occuper de Jésus, j'aime à me mettre à
la place de la Sainte Vierge quand elle jouissait de sa pré-
sence. Je me demande à quoi elle pensait et ce qu'elle lui
disait, soit en le voyant travailler à Nazareth, soit en le
retrouvant les soirs de ses prédications, soit au Calvaire.
C'était de lui qu'elle se préoccupait et non point d'elle-
même.
J'ai pensé à vous envoyer cette note pleine de fécon-
dité sous sa forme très simple. On voit si clairement
quand on est près de Jésus, et il remplit si bien la pensée
et le cœur!
XXXV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Si vous pouviez lire dans le cœur du divin Maître, vous
verriez que jamais son affection ne change à votre égard.
Il n'y a rien qui lui déplaise vraiment dans ce que vous
appelez de la froideur, ni dans les petits écarts que vous
vous reprochez; il est sûr de votre amour et son amour
n'en demande pas davantage. Sans doute, il nous appelle
toujours à une union plus intime, à une générosité plus
grande, à une domination plus complète de notre nature :
mais il n'exige pas tout cela sous peine d'un vrai déplai-
— 278 —
sir et surtout d'une diminution d'affection. Cela est cer-
tain. Un grand cœur doit penser, sentir et agir ainsi; or
quel cœur est plus grand que le sien? Ne vous en faites pas
un cœur amoindri. Aimez, agissez, supportez- vous en
paix. Quand on a la certitude d'être aimé, on doit bannir
toute tristesse, cette tristesse fût-elle causée par la vue
de réelles imperfections.
Dites-vous bien que l'état de vie où Dieu vous a appelée
est moins favorable à la vie intérieure, et que par consé-
quent vous ne devez pas vous accuser d'avoir l'esprit
préoccupé de mille soucis et soins matériels. L'union à
Dieu ne se fait pas seulement par la vie intérieure; elle
se fait aussi par tout acte de vertu et par le gémisse-
ment d'offrir si"peu. Je vous ai rappelé souvent la parole
de l'Apôtre : « C'est par l'aspiration et le gémissement que
s'opère notre perfection. » Je ne vois rien de plus encou-
rageant et de plus consolant.
Quand on est dans cette douce conviction d'être aimée
de Dieu en dépit de toutes ses misères, on est inclinée à
se faire douce aux misères d'autrui, comme aussi à rece-
voir sans peine certains procédés moins bienveillants
ou même moins justes. Remarquez-le bien, ce ne sont pas
précisément nos manquements qui produisent ces bons
résultats, mais la vue de ce que Dieu fait malgré ces man-
quements. Ce n'est pas même notre regret et notre peine
qui nous y conduisent; mais la seule impression fdiale.
C'est elle qu'il faut cultiver.
Je ne sais pas si j'ai bien expliqué ma pensée, je prie
Dieu de vous la faire comprendre à fond.
XXXVI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ne vous attristez pas des découvertes que vous faites
dans la région de votre nature. Ce terrain fourmille tou-
jours en mauvaises herbes. Je vois que vous n'entendez
— 279 —
pas les laisser grandir : travail de bonne volonté, de
patients recommencements et de féconde humilité. Je ne
suis pas inquiet et je sais que Dieu aime votre âme telle
qu'elle est, sans vous faire de durs reproches de ce qui
vient en elle malgré elle.
Reconnaissez donc vos 'manquements ; regrettez-les
paisiblement; prenez-en occasion d'admirer et d'aimer la
bonté qui ne s'en offense pas et redites sans cesse à vos
tentations de tristesse : je suis aimée de Dieu et je l'aime.
C'est le moyen de tout améliorer, car c'est la source inta-
rissable du courage vaillant.
XXXVII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Eh bien oui, efforcez-vous d'exceller en douce charité.
Cultivez particulièrement celle du dedans, l'autre pous-
sera toute seule. Je dis « exceller » car cette vertu existe
en vous très réelle, je dirai même très forte, mais comme
elle est une greffe entée sur un sujet peut-être un peu
âpre, elle a besoin de perfectionner la nature, et c'est
une œuvre de patience avec soi-même et de résolutions
fréquemment renouvelées.
Chez vous le cœur est généreux et ardent, mais l'esprit
est exigeant. Il voit le parfait, il se révolte contre ce qui
est défectueux, aussi bien chez vous que chez les autres.
Hélas ! il faut bien se faire à cette idée que la nature
humaine est foncièrement imparfaite; il faut surtout
considérer quels ont été les sentiments et les procédés du
divin Maître à son égard. Je ne me lasse jamais de médi-
ter sa tolérance, sa patience, sa bonté, sa tendresse même
à l'égard de ses apôtres. J'en suis toujours ravi et surtout
confus.
Prenons son cœur, faisons-le battre dans notre poi-
trine; ne permettons a notre esprit aucune exigence qui
lui aurait déplu. Croyons-nous profondément aimés de
Lui tels que nous sommes, et rendons-Lui un semblable
— 280 —
amour dans les personnes dont le genre ne nous convient
pas. Faites de ce côté de grands efforts. Hésitez à blâmer,
même intérieurement. Soyez partiale.
La charité s'alimente dans cette vue de Notre-Seigneur,
mais cette vue à son tour, pour s'imposer, a besoin du
secours d'une vie assez intérieure. Il faut l'air du Ciel à
cette plante surnaturelle.
XXXVIII
Madame et chère fille eh Notre-Seigneur,
Soyez bien en paix et tournez votre âme vers la joie,
car vous êtes vraiment à Dieu et très aimée de Lui. Les
imperfections et les petites défaillances comptent peu
quand elles sont connues et désavouées. Mettez un peu
plus de fidélité à vos devoirs de piété et beaucoup plus
d'entrain à vous faire charitable, même au dedans, pour
plaire à Dieu, pour permettre à Notre-Seigneur d'aimer
par vous des personnes qui naturellement vous plaisent
peu. Cet exercice de charité foncière est un des plus
nécessaires et des plus consolants. Quand on sent qu'on
aime, mais qu'on aime vraiment, et que la vue de Notre-
Seigneur erî est la cause permanente, on sait par là même
qu'on est uni à Lui et bien sous son influence. On le sait
content et cette pensée forme le centuple proposé à la
générosité.
Je me demande si votre désir de vous imposer aux
autres est condamnable. Il ne le serait que s'il y avait
excès.
Vous avez aussi à exercer le commandement chez vous
et une influence au dehors. Pour le bien faire, il ne faut
pas être trop craintive et regardante; on va, on parle, on
agit pour le mieux simplement, on s'impose quand la
situation le demande, on soutient son idée quand on la
croit bonne.
Évidemment vous avez à craindre en cela l'invasion
— 281 —
de la vaine complaisance, mais vous yous en dégagez
dès .que vous vous en sentez atteinte.
Le signe auquel vous reconnaîtrez l'excès ou l'alliage
trop naturel, ce serait une extrême irritation, des senti-
ments de mépris, quelque trouble et de l'obsession. Il
faudrait alors, non pas abandonner une ligne de conduite
qu'on croit juste, mais introduire dans son intention un
plus vif désir de plaire à Dieu et d'être bonne pour tous.
Cette protestation doit rendre la paix, si elle est bien faite.
XXXIX >
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Soyons toujours contents de ce que Dieu fait et des
conditions où il nous place. Parfois elles paraissent moins
favorables à l'union que nous voulons avoir avec Lui : au
fond, cette union se fait d'une façon moins apparente par
la volonté. Vouloir tout, et avec confiance. Se tenir en
paix. Faire des efforts sérieux, mais pas excessifs et sans
empressement. Protester à Dieu qu'on l'aime de toute
son âme... voilà au fond la vie surnaturelle, telle que la
permettent toutes les circonstances. Il est réservé à cer-
taines situations, comme à certaines heures, d'aviver le
sentiment de cette union.
Nous devons les désirer, mais paisiblement.
XL
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Il ne faut pas qualifier toujours comme résistance à la
grâce certaines satisfactions d'ordre naturel qu'on se
permet. La distinction n'est pas chaque fois très facile,
et il ne faut pas examiner longuement ces cas qui sont
fréquents. Ce qui importe, c'est de ne rien s'accorder avec
une conscience restée douteuse; on sort du doute prati-
— 282 —
quèment par celle affirmation sincère : « Mon Dieu, si je
croyais que vous me demandez ce renoncement, je vous
le donnerais aussitôt ; mais je crois que vous me per-
mettez cette petite satisfaction, ce repos, cette jouis-
sance. »
Étant donné votre position et votre nature, vous devez
éviter les conclusions absolues que peuvent et que doi-
vent parfois tirer des personne.? dont la vie est stricte-
ment à Dieu, comme les religieuses et aussi certaines
personnes du monde qui se sont entièrement livrées à la
perfection.
Faites la part de la mortification et celle d'un légitime
réconfort. Veillez seulement à ce que ce que vous vous
accordez ne vous amollisse pas et ne vous laisse pas
Y esprit dissipé.
Que le divin Maître se fasse sentir à votre cœur; vous
trouverez là plus de repos et plus de joie que dans les
satisfactions naturelles. Soyez alors plus inclinée du côté
de la privation, tandis que vous pourrez prendre plus de
latitude quand la sécheresse dominera.
XL!
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ne craignez pas d'avoir pour votre âme les plus hautes
prétentions. Ce n'est pas en vain que Dieu a mis si avant
dans votre nature le sentiment du plus parfait. Idéal ne
veut pas dire imagination, mais tendance à ce qui est
élevé et grand. Ne vous privez donc pas de ce secours
en vous défiant de lui, mais poursuivez-le humblement.
Regardez-le comme un moyen d'aimer Dieu davantage
et de lui ressembler toujours plus.
Ce sentiment, comme tous les autres, demande à être
surveillé et dirigé. Il n'est pas un but, mais un moyen.
Quand vous vous en êtes écartée, il vous porterait au
relâchement s'il n'était pas relevé par l'humilité; c'est
pourquoi je vous disais de le poursuivre humblement.
— 283 —
L'humilité éteint tout dépit et ranime le courage en mon-
trant que nous pouvons tout réparer avec le secours de
Dieu et un nouvel effort. Elle nous montre notre défec-
tion comme toute naturelle et notre relèvement comme
l'amour voulu de Dieu et facile avec son aide.
XLII
i
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
C'est donc la paix, une magnifique paix, ferme et haute,
que je vous souhaite. Ayez d'immenses désirs de perfec-
tion, désirs trop grands pour être réalisés tout à fait;
ayez donc, à côté, une humilité sans mesure qui ne se
trouble de rien. Que rien n'arrête l'élan de votre amour
pour Dieu, pas même l'évidence (apparente ou réelle) de
votre peu de mérite. C'est Lui qui mérite d'être aimé, et
ce motif est éternel. La grâce nous rend capables de ce
qui dépasse toute nature et tout effort. Partons pleins
i d'une joyeuse confiance.
Quand je vois le bonheur qui règne dans votre vie de
famille, je me réjouis et je tremble ! N'est-ce pas le pro-
pre d'une affection profonde, instruite par une longue
expérience de la vie ! Ah ! puisse le Dieu que nous aimons
se contenter des petites peines qui traversent sans cesse
la vie la plus favorisée ! Et qu'est-ce que cela en face des
tristesses dont j'ai été si souvent le témoin ! Au milieu de
l'insécurité universelle, cherchons Dieu, notre refuge,
notre appui, notre espoir. Faisons planer au-dessus de
tout ce qui passe les grandes ailes de l'éternité, qu'elles
emportent dans les hauteurs, au-dessus des nuages, notre
pauvre pensée craintive. Vivons d'avance où nous vivrons
toujours !
— 28i —
XLIII
Mes chers amis,
C'est avec une satisfaction particulière que je viens
vous apporter V Alléluia de Pâques. Après les grandes
épreuves la joie est plus profonde et plus douce. Cet « Allé-
luia » sera un acte de remerciement et aussi un hommage
à la Paternité divine qui a veillé sur votre chère enfant.
Il faut plus que jamais s'abandonner à Elle en tout et
toujours. Il faut tout espérer et en même temps être dis-
posés à tout accepter. Cette disposition n'enlève à la
souffrance que ses excès et les désordres qu'ils causent;
elle laisse à l'âme toute sa sensibilité, et cette sensibilité
elle-même devient la source des plus grands actes et des
plus grands mérites, car elle oblige l'amour de Dieu, pour
la dominer, à dépasser ses limites ordinaires. Jésus, à
l'agonie, n'eût pas été aussi grand s'il n'avait pas laissé
sa sensibilité repousser avec horreur le calice que son
« fiât » retenait et aimait. Que de beaux actes vous aurez
faits ainsi ! Quel accroissement d'amour se sera produit
dans le cœur de Dieu et dans le vôtre !
XLIV
Madame et chère. fille en Noire-Seigneur,
Ne vous étonnez pas de l'impression habituelle de las-
situde qu'éprouve votre moral : c'est l'effet lointain des
brisements de cet hiver. Nous n'avons pour les exercices
de la vie pieuse que notre pauvre nature élevée et sou-
tenue par la grâce. Son état se fait donc sentir dans nos
rapports avec Dieu. Je vous conseillerais de chercher
Notre-Seigneur fidèlement, sans contention et avec
confiance. Vous le trouverez sinon d'une façon qui le
contente, du moins d'une façon qui vous unira de pensée
et de cœur, sérieusement et utilement. Comme moyen
— 285 —
je n'en vois pas de plus efficace que l'examen particulier.
Cet exercice peut trouver sa place à tel ou tel moment de
la journée, ou bien se diviser en plusieurs retours plus
courts, mais sérieux. Il serait bon de marquer votre note.
XLV
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
Parlons de votre âme dont vous m'ouvrez avec une
parfaite clarté les dernières pages. Sans entrer dans des
explications, je vous affirme sans la moindre hésitation
que vous n'avez commis aucune faute vénielle. Vous avez
été violemment persécutée par votre nature, que vous
pouvez sans doute désavouer, mais qui vous impose ses
impressions et presque ses jugements.
C'est pourquoi le remède que je voudrais vous proposer
consiste, non pas à combattre, mais à porter ailleurs vos
pensées. Je vois le divin Maître si grand, si bon, se présen-
tant à vous et vous demandant de tourner vers Lui tout
ce que vous pouvez de votre esprit et de votre cœur.
Jamais vous ne l'aimerez autant qu'il le désire. Voyez-le
donc vous reprochant avec tendresse de vous attarder en
des préoccupations sans valeur, sans grandeur, et qui
vous détournent de Lui. Ce n'est pas seulement du temps
perdu, c'est une bonne disposition évanouie. Pour retrou-
ver un cœur attentif et aimant, il suffit de laisser tomber
ce qui vient de se soulever, en écartant soigneusement
tout ce qui revient à l'esprit et en évoquant l'image de
Jésus tendant les bras vers vous... Tout cet invisible est
très réel. Tâchez de vous le rendre sensible. Au lieu d'aller
à Lui en écartant les ronces, prenez des ailes et volez
au-dessus. Vous le trouverez plus sûrement, plus vite et
combien plus délicieusement!
286 —
XL VI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je vois avec grand plaisir que vous acceptez bravement
les gênes qu'imposent à vos désirs de vie intérieure la
surcharge des occupations et les fatigues de votre santé.
Vivez de ces désirs accompagnés d'efforts. Réservez-
vous toujours la- part d'exercices de piété que l'expérience
vous montre nécessaire.
Omettez avec regret,, mais sans trouble, la part qui
deviendrait trop lourde. Quand l'union de pensée avec
Dieu est moins facile, appliquez-vous à cette union de
volonté qui accomplit chaque devoir sous cette impres-
sion plus ou moins distincte : j'accomplis le plan de Dieu
sur moi. J'aime tout ce que chaque devoir me commande,
car Dieu aime à me voir ainsi.
Quand l'attrait s'y prête, cherchez au Ciel ou au taber-
nacle le regard de Jésus. Recueillez-vous de temps en
temps pour le contempler, agissant en vous et par vous,
inspirant et divinisant vos actions.
Maintenez-vous humble et douce et ne vous étonnez
pas d'éprouver parfois des mouvements contraires; vous
arrivât-il d'y céder, désavouez, aimez, remerciez; c'est
une grâce d'humilité.
Que vos nombreuses préoccupations à l'égard de votre
famille et de votre maison soient pour vous un continuel
exercice d'abandon à Dieu et de confiance. Vous ferez
toujours ce que demandera chaque situation, mais vous
le ferez avec le calme que donnent les hautes pensées.
Que vous soyez avec ou sans consolation, vous restez la
même et vous êtes également agréable à Dieu. Dieu ne
juge pas d'après la physionomie qui est d'essence mobile.
Je termine par le désir de vous voir reprendre sérieu-
sement l'examen particulier, non pas un examen de forme
complète, mais une revue courte et nette de la matinée,
avec une résolution précise pour la soirée. Vers le soir
une recherche plus soigneuse.
— 287 —
Dites-vous sans cesse et dans tous les états de votre
âme : Telle que je suis, même bien pauvre, je suis aimée
de Dieu. Ce sera votre force comme votre consolation.
XLVII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
N'appelez pas déchéance l'état d'âme dont vous souf-
frez. En le comparant à celui de votre printemps spiri-
tuel, vous devriez vous rappeler que chaque saison a son
caractère. Ce ne sont plus des fleurs que Dieu attend de
vous en ce moment, ce sont des fruits. Votre mission s'est
élargie et elle est devenue si. complexe, si exigeante, que
votre activité se porte nécessairement au dehors.
Votre vie intérieure n'est plus la contemplation intime,
mais l'amour de Dieu dans son service, amour généreux
qui ne refuse rien et qui ne s'attriste pas de se trouver
comme insensible devant les divins objets de la foi.
Conservez les précieux souvenirs d'autrefois avec les
désirs qu'ils entretiennent. Le désir maintient le mouve-
ment vers Dieu et assainit les préoccupations absor-
bantes.
Votre état d'âme actuel est dans l'ordre des choses que
Dieu respecte. Ce serait une sorte de miracle si, au milieu
des mille soucis de votre condition, vous conserviez la
vue tranquille et le goût sensible des choses divines. Dieu,
qui se complaisait dans votre cœur épanoui, se complaît
dans votre fidélité pleine d'abnégation.
Soyez donc avant tout fidèle : fidèle à être humble,
douce, résignée; fidèle à penser que vous faites la volonté
de Dieu ; fidèle aux exercices de piété et aux divers
moyens qui stimulent.
Dilatez donc votre cœur. Dieu vous aime et vous aimo
telle que vous êtes. Je tiens à ce que cette conviction reste
en vous à demeure : elle est juste, et elle est le plus grand
principe de courage et de progrès.
22
288 —
XLVIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je me rends parfaitement compte de la difficulté où
vous êtes de trouver un moment assez long et assez tran-
quille pour examiner à fond votre âme et m'en rendre
compte. Je vous proposerai ceci : m'envoyer en temps
voulu votre bulletin, même sans un seul mot, puis me
parler de votre âme quand cela vous sera facile. Une
direction a ses grandes lignes dans lesquelles il faut se
tenir ou se remettre.
Cherchez Notre-Seigneur ; dominez vos impressions,
soit au dehors par le calme de la parole et l'aménité du
visage, soit en dedans par une douce et forte pression
sur tout ce qui voudrait vous troubler, soit du côté des
personnes, soit du côté des événements. — Dans le milieu
qui vous est fait, vous vous appartenez bien peu. Ne vous
étonnez donc pas de ne pas jouir d'une vie intérieure
reposée, et comme cette vie intérieure n'est pas là pour
vous avertir et vous aider, vous vous surprenez parfois
imparfaite et surtout vous souffrez de ne pas prendre
un essor plus élevé. Nous sommes revenus souvent sur ce
point.
J'insiste sur ce dernier : toute grandeur est dans la
mesure de l'amour divin; or il peut y avoir beaucoup de
cet amour dans une confusion humble et paisible, et dans
de bons désirs bien sincères.
Disons-nous chaque matin : aujourd'hui je vais tout
faire pour que Dieu soit content, et chasser toute tris-
tesse.
XLIX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je suis heureux d'avoir pu rasséréner votre âme en
vous disant le fond de ma pensée dans vos rapports diffi-
— 289 —
ciles avec qui vous savez. Votre ligne de conduite doit
être dirigée par ces deux principes : 1° sauvegarder votre
dignité personnelle et la correction des rapports; 2° en
dehors de cela tendre à la condescendance et à la sim-
plicité; en faire des actes, en chercher l'occasion.
Tenez écartés de votre pensée les souvenirs qui vous
irriteraient et revenez souvent sur les réelles qualités de
la personne. Nos pensées fréquentes ont une influence
sérieuse sur nos sentiments.
Votre vie est tellement chargée et surmenée que vous
n'avez pas à vous reprocher l'insuffisance des exercices
de piété. Elle est réelle, j'en conviens, et vous ne pouvez
ainsi jouir d'une vie intérieure consolée; mais puisque la
volonté de Dieu est elle-même la cause de cette restric-
tion, comptez qu'elle vous conduira, par des voies encore
inconnues, à la perfection qu'elle attend de vous. Plaise
à Dieu que ce ne soit point par la voie des larmes !...
Tour animer votre âme et sanctifier votre activité,
jetez souvent, très souvent, vos regards vers le divin
Maître qui, lui, vous regarde toujours. Un instant, une
vue nette, un mot d'affection : c'est tout. L'examen par-
ticulier sur ce sujet vous serait d'un très grand secours.
Résignez-vous à faire cet exercice d'une façon un peu
rudimentaire, mais quotidienne.
Dérobez-vous un moment, au même moment chaque
jour, s'il se peut, ou dans les environs de cette heure.
Certainement vous êtes appelée à la perfection. Pour
tous, la perfection se trouve dans la perfection de l'amour
divin. Cet amour est sans doute merveilleusement ali-
menté par les exercices de piété, mais il peut aussi s'en
passer dans une certaine mesure quand les circonstances
y contraignent. Il faut alors aller tout le jour droit au
but, agir vraiment et sincèrement pour Dieu; chercher le
regard de Jésus, ne pas trop s'observer, ce qui détour-
nerait de lui notre attention, et maintenir au dedans et
au dehors une paix joyeuse.
— 290 —
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Toutes ces années-ci vous aurez à vous rappeler que la
vie intérieure n'est pas le seul moyen d'être profondé-
ment à Dieu. Elle est une forme de la vie de foi, sa forme
plus sensible, mais au fond, c'est la vie de foi qui est
l'âme de tout. La vie intérieure fait que l'on dit à Dieu :
Seigneur, Seigneur!... Elle porte aussi à faire toute sa
volonté; or c'est en cela, remarquez-le bien, que le divin
Maître fait consister le véritable amour.
Faire toute la volonté de Dieu connue, la faire pour
le glorifier et le servir, voilà ce qui est indispensable,
mais qui suffit.
Les circonstances déterminent le genre de l'union à
Dieu. Une personne très occupée et chargée de soucis
pourra bien difficilement garder cette facilité d'impres-
sions et ce regard tourné vers la Bonté divine dont elle
jouissait autrefois quand sa vie était libre. Qu'elle
honore et serve son Dieu par la pratique des vertus que
demande sa position. La vie intérieure consistera sur-
tout dans l'affirmation fréquente de sa volonté de l'ho-
norer et de le servir ainsi.
Les contrariétés, les déceptions, les peines de toutes
sortes lui sont une occasion d'adorer sa divine main et
de la baiser, comme aussi de garder une grande paix par
une grande confiance. J'ai dirigé plusieurs âmes telle-
ment occupées que tout exercice de piété leur était impos-
sible. Je les ai vues grandir par un vif esprit de foi, par
la paisible souffrance de ne plus sentir Dieu et par l'appli-
cation à très bien faire toutes choses matérielles et autres.
Les exercices de piété sont l'élément normal de la fer-
veur, mais comme le corps, l'âme peut se nourrir de
tant de manières moins favorables. La pensée fréquente
de la volonté de Dieu peut suffire.
Notre-Seigneur n'a-t-il pas dit : « Ma nourriture est de
faire la volonté de mon Père. »
— 291 —
L'on doit désirer unir une vie intérieure active avec
une vie extérieure chargée. Ce désir vient naturellement
à l'âme qui aime, et il lui est un précieux stimulant. Il
faut l'entretenir, mais non s'en faire une occasion de
tristesse et de reproches.
Assurément nous pourrions être plus unis à Dieu, plus
fervents, plus vertueux. Reconnaissons-le sans resserre-
ment de cœur. Oui, Dieu vous aime telle que vous êtes et
son affection ressemble à celle que vous avez pour vos
enfants. Méditez cette comparaison, elle vous éclairera et
vous dilatera.
Vous vous impressionnez trop de ce qui peut être
défectueux. La richesse de vos vues crée peut-être une
imperfection, en vous empêchant parfois de voir distinc-
tement. C'est comme la roue qui tournant très vite ne
laisse pas deviner ses rayons.
Cet inconvénient existe beaucoup moins pour ce qui
est de juger telle ou telle chose qui vous est proposée.
Vous avez V impression de ce qui est juste; c'est pourquoi
j'-ai une très grande confiance dans vos appréciations...
Je vous le prouverai... à vos dépens.
LI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je me suis senti bien seul à mon retour : j'aime tant la*"
vie de famille ! Si je m'étais écouté, je serais resté triste,
mais Dieu ne l'entend pas ainsi. Je me suis hâté de lui
offrir cette privation et de chercher enLui,avec confusion,
une société qui, certes, peut suffire et qui doit suffire,
quand il nous éloigne de nos amis... Je vous vois donc
en Lui et je vous sens tous chers à son cœur !
Jouissez de cette liberté, si rare pour vous, des soucis
matériels. Votre âme aura trouvé plus facilement le
chemin qui mène à l'intimité divine. J'ai été ému de
l'accent avec lequel vous m'avez dit : « Dieu et la per-
fection avant tout. » Voilà une protestation qui est un
— 292 —
principe de vie. Elle domine tout et elle doit tout ani-
mer. Rassurez-vous dans vos distractions et vos aridités,
et même dans les imperfections qui vous échappent :
le principe vital n'en est pas affaibli s'il en esl un peu
embarrassé.
Faites toujours effort vers le calme intérieur et la phy-
sionomie de règle. Cherchez Jésus.
lu
Madame et chère" fdle en Noire-Seigneur,
Non, vous ne ressemblez pas à l'économe infidèle; vous
servez Dieu consciencieusement. Nous lui ressemblons
tous en ce que nous ne sommes pas assez préoccupés de
sa gloire; aussi pouvons-nous profiter de l'avantage
qu'il nous laisse de le dédommager dans les autres. Je
vous approuve donc dans votre résolution de remettre les
petites dettes de procédés moins délicats, de contrarié-
tés peu justes, etc. Cette menue monnaie ayant à se
dépenser tous les jours finit par faire une grande somme.
Je vous approuve aussi de vouloir établir plus d'exac-
titude sur certains points. La première est de marquer
tous les jours votre feuille : ce n'est pas long et c'est utile.
D'ailleurs c'est la règle. Puis la fidélité à l'oraison et la
surveillance de la physionomie. Avec votre nature sin-
cère, vous maintiendrez parallèlement la belle physio-
nomie de l'âme.
Et toujours cherchez, désirez Notre-Seigneur. Que sa
pensée reste toujours voisine.
Je crois connaître assez à fond votre âme pour vous
dire avec assurance qu'elle est bien à Dieu et selon ses
desseins. Allez de l'avant sans vous absorber dans la
chasse à vos défauts. En allant à Dieu vous les sèmerez en
route si vous marchez d'un bon pas. Il importe que vous
gardiez toujours l'âme paisible, dilatée, s'il se peut.
C'est l'intérêt de Dieu comme le vôtre.
Soutenez donc cette chère âme qui se jette dans vos
— 293 —
bras, mais avec la pensée constante de la détacher peu à
peu. Attendez les moments.
Conseillez-lui toujours de se faire plus insensible aux
contrariétés et de ne pas se troubler de l'avenir.
Dieu pourvoit, à tout quand on se confie bien à Lui. Je
suis porté à croire que son état actuel est une épreuve.
LUI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je suis tellement attristé avec vous de ce que le hasard
vous a fait entendre de la part de vos gens, que je ne puis
résister au désir de vous le dire. Quelle déception pour
vous qui traitez votre personnel avec tant de douceur
et de bonté et qui, à l'occasion, lui rendez tant de ser-
vices !
Quel jour plus attristant encore cela projette sur l'ave-
nir ! Une révolution, comme on n'en a jamais vu, se pré-
pare avec une pleine conscience du but. Elle sera univer-
selle. Peu à peu les représentants de la classe populaire
s'unissent et se concertent dans le monde entier. Ils
auront, un jour, le pouvoir de détruire. Ce jour n'est
probablement pas éloigné. Vous le verrez sans doute.
Aura-t-on le temps et la possibilité de sauvegarder quel-
que chose?
L'idée d'égalité absolue a pris possession de toute la
classe inférieure. Je l'entends dire de tous côtés.
L'inégalité parfois choquante l'a rendue sensible et
l'entretient.
La cause profonde de tout cela se trouve dans ce fait,
qui se renouvelle et se renouvellera toujours, que toute
constitution de société est imparfaite et, qu'assez bonne
un certain temps, elle finit par laisser s'établir des abus
qui naissent d'elle. Du mécontentement sortira la révolte.
A notre époque, la facilité, la rapidité et l'étendue des
informations prête à ce mouvement des moyens capa-
bles d'aboutir bientôt et vite.
— 294 —
Un ordre nouveau suivra le bouleversement. Il s'orga-
nisera dans des essais et dans des luttes. Sa durée sera
moins longue, car les abus se produiront plus vite et
seront plus vite ressentis. Il y aura sans doute des chan-
gements fréquents de constitution sociale.
Laissons ces tristes perspectives. Tournons nos regards
vers Dieu, qui gouverne sans qu'on s'en doute.
Apportons aussi, dans la pratique, des adoucissements
de service; faisons moins sentir les distances; continuons
à être secourables, même envers les ingrats. La charité,
plus encore que la sagesse, nous y invite, et Dieu, plus que
les hommes, nous en saura gré.
LIV
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
Au point de vue de la piété, la période que vous tra-
versez peut s'appeler la période des gémissements. Vous
conservez tout votre idéal et la volonté de l'atteindre,
mais voilà que des soucis incessants s'ajoutant à des
occupations nombreuses s'emparent forcément de vos
pensées et de votre temps. Si encore vous aviez une de
ces santés qui n'ont pas à compter avec la fatigue et les
imprudences, vous trouveriez dans les communions et
les exercices de piété le stimulant qui maintient la fer-
veur. Je veux dire la ferveur sensible, car il y a une fer-
veur de volonté, de désir, de regret, qui se fait jour à tra-
vers les soucis et les occupations, et qui reste chez vous
constante et vive. Soupirs, gémissements, désirs, espé-
rances, tels sont les actes qui lui sont naturels et qui
déterminent une vraie vie élevée. Cette période passera,
mais à une date qui reste inconnue, et qui ne paraît pas
prochaine... Aimons le choix que Dieu fait pour nous.
Cet état n'est pas sans grands avantages : il donne de
la solidité aux vertus alors même que les défaites sont
fréquentes. Privant des jouissances célestes, il rend plus
pur l'amour de volonté. Il y a là aussi un bel idéal.
— 295 —
Est-il nécessaire d'ajouter que cet état expose au relâ-
chement et que l'on doit prendre tous les moyens qui
sont possibles pour l'éviter ? Un de ceux que je vous
indique aujourd'hui (bien petit en apparence), c'est de
marquer fidèlement la feuille chiffrée. Deux, trois minu-
tes suffisent, car il faut aller simplement; or, deux ou
trois minutes se trouvent toujours, pour peu qu'on le
veuille, et je ne crois pas qu'il y ait un seul jour où ce
prélèvement sur les occupations leur soit préjudiciable.
Même dans les moments de grands soucis, une âme
généreuse doit s'acquitter de ce soin, dût-elle le faire à
contre-cœur et même avec répugnance, trouvant cela
insignifiant et odieux à côté des inquiétudes qui tour-
mentent. C'est un devoir de règle; or, pour se dispenser
d'un devoir quelconque, il faut comparer l'importance
du devoir avec l'importance de la cause qui justifierait
son abandon. Trois minutes données aux occupations
ne compensent pas trois minutes données à un devoir de
règle, devoir qui est par lui-même un vrai secours et un
acte de générosité.
Je remercie Dieu de l'ascendant qu'il vous donne sur
les âmes. Ce doit être pour vous une joie et une sorte
d'humiliation : une joie, puisque vous aimez Dieu par
les âmes à qui vous le faites mieux comprendre ; une humi-
liation, puisque souvent ces âmes vous dépassent.
La plume et le crayon n'ont pas chômé. Je vois la fin
de mes réponses aux lettres reçues. Certainement leur
ensemble formerait un gros volume. Cela m'a fatigué
parfois, mais en me consolant; c'était une occasion de
rapports d'âme, et l'on peut donner quelque encourage-
ment et quelque consolation.
LV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
J'ai été très frappé de la page que j'ai détachée de votre
lettre pour vous l'envoyer. La lumière que vous avez
— 296 —
reçue vient de Dieu. Elle vous est donnée dans une
période de votre vie où les occupations et les soucis
tendent à vous absorber et ne vous laissent pas le temps
de prolonger vos exercices de piété. La vue du divin
Maître vous deviendra familière, et sa parole retentira
en toute occasion : « Et moi »... Ce rappel vous laissera
très rarement indifférente. Il pourra n'avoir rien de
sensible, il restera un principe d'énergie, comme de
confiant abandon. Il vous relèvera souvent. Ainsi votre
âme sera reliée avec le Ciel par un rayon de lumière qui
en descend. Votre vie intérieure en sera simplifiée, car
au fond dans ce mot : « Et moi » il y a tout. C'est une
voie, c'est, un continuel exercice d'union, ce peut être le
principe d'un grand progrès.
Depuis que j'ai lu ce passage de votre lettre, je n'ai
cessé de bénir Dieu, j'en éprouve une vraie joie.
Ces grâces d'illumination subites sont rares. Votre
bonne volonté gémissante l'a attirée, car Dieu ne délaisse
pas la pauvre âme qui se désole de ne pas l'aimer et le
servir comme elle le voudrait.
LVI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
J'avais en effet appris vos divers sujets de préoccupa-
tions. Votre lettre me donne la joie de savoir que tout
est bien fini. Quand on a autour de soi tant d'êtres pro-
fondément chers, on n'est pas longtemps sans sujets
d'inquiétude. Or je connais quelqu'un qui facilement se
les exagère et s'en fait un véritable tourment. J'estime
cette nature généreuse. J'admire son esquise délicatesse
et l'entier oubli d'elle-même qu'elle montre dans ces cir-
constances... mais — il y a toujours quelque mais — ...
mais je la voudrais plus maîtresse de ses impressions.
Est-il possible de réformer ainsi sa nature? Oui, et le
grand moyen, c'est un abandon à Dieu de plus en plus
compris, voulu et exercé. L'abandon à Dieu n'enlève
— 297 —
que l'excès; il respecte la juste souffrance et la préoccu-
pation sérieuse; il permet qu'on néglige les pratiques
pieuses autant que le demandent les soins à donner,
mais il l'ait que la pensée de Dieu, sa part dans notre vie,
n'est point trop diminuée.
L'excès de préoccupations tend à dessécher le cœur à
l'égard des choses de la piété. Elles paraissent presque
mesquines. On est tout entier ailleurs. Eh bien ! je vou-
drais que Dieu ne perdît jamais sa place et que ce mot :
« Et moi » fût continuellement entendu. — S'il ne réveille
aucun écho, c'est que la préoccupation est excessive.
Il y a certaines choses que l'on ne peut pas exiger de
soi en ces moments-là. C'est, par exemple, de faire une
méditation régulière. Il y en a d'autres qui dépendent
absolument de nous. Les actions matérielles sont de ce
genre. C'est ainsi que l'on peut toujours marquer son
bulletin. On en a pris l'engagement. Dieu a daigné l'avoir
pour agréable. On lui doit et on se doit à soi-même de le
tenir. On marque avec répugnance... l'acte n'en sera que
plus beau. Si des larmes viennent mouiller la page, ce
sera un magnifique mélange de la douleur et du devoir.
Oui, ma très chère fille, cultivez l'abandon à Dieu.
Faites-le dans le temps où tout est tranquille. Pénétrez-
vous de ce sentiment. Vous pouvez mieux prévoir les cas
possibles et régler dès lors l'attitude que vous maintien-
drez. Si je m'étends longuement sur ce point, c'est que
votre perfection me paraît en dépendre.
LVII
Mon bien cher ami,
Je reçois seulement aujourd'hui votre lettre du 6.
Que s'est-il passé depuis et surtout que va-t-il se passer
en ce moment où des forces énormes se trouvent en
présence?
Quelle boucherie ! Je fais mon possible pour en tenir ma
— 298 —
pensée éloignée, et c'est on Dieu que je tâche de vivre.
Nos chers soldats et la France : voilà 1<l continuel sujet
de nos préoccupations <d de nos prières.
L'élan qui (importe nos hommes nous saisit nous-
mêmes et rend moins vive notre douleur personnelle.
Quand je vois autour de moi à Poteaux, parmi cette
population exclusivement ouvrière, les jeunes hommes
(presque tous mariés jeunes) partir sans une marque de
défaillance, laissant dans la gêne leurs femmes et leurs
enfants, je ne voudrais pas que X. fût à l'abri du
danger et je souffre de n'être pas là-bas, moi aussi.
Les circonstances nous ont été bien favorables. L'An-
gleterre et la Belgique avec nous, l'Italie neutre, les plans
de l'Allemagne bouleversés ou du moins retardés. Vrai-
ment on peut croire au succès final; mais la guerre peut,
être très longue.
L'Allemagne ne sera peut-être réduite que par la
famine, à la longue. Ses forteresses sont formidables, et
son armée luttera de toutes ses forces. Quant aux
batailles prochaines, je n'ose pas trop espérer qu'elles
soient à notre avantage, et je regarde comme très pos-
sible un second siège de Paris... Et S... ! Il pourrait
être bientôt occupé. Le sera-t-il paisiblement?
Si un siège de Paris était imminent, je me retirerais,
si le voyage était possible, à P... Espérons que nos armées
tiendront bon : le temps travaille pour nous en permet-
tant à la Russie d'avancer sa longue mobilisation.
Ne pouvant vivre auprès de vous, ce qui me serait si
consolant, je trouve un vrai réconfort à me sentir aimé
de vous, et à sentir combien je vous aime, vous et tous les
vôtres.
— 299
DOUZIEME SERIE
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
C'est une grande consolation pour mon cœur, au milieu
de mon exil, d'entendre la voix des âmes qui me sont
chères ! La vôtre remplit doublement cet office de charité :
elle m'apporte à la fois l'expression de sentiments qui
me sont précieux et l'écho de ce que lui dit le divin Maî-
tre. Oui, le divin Maître vous parle. C'est tantôt le
sentiment du bien-être et du repos que vous ressentez
dans la petite chapelle de la rue C... et tantôt l'appel à
de nouvelles résignations.
J'admire le genre d'épreuve qui est le vôtre : c'est
l'incertitude et ses tourments. Dieu veut vous former
par là à une vraie et forte confiance. Tant qu'il vous
reste, cela suffit. Notre abandon doit égaler nos craintes.
II
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je sais bien que vous prendrez toujours les plus sages
déterminations, car la confiance en Dieu laisse tous ses
droits et toutes ses exigences à la vertu de prudence.
Ce que nous pouvons faire, Dieu veut que nous le fas-
sions.
Ne songe/, pas à ce que vous poiirtfez faire un jour.
Les circonstances l'indiqueront et la voix de Dieu se fera
— 300 —
entendre quand elle pourra être obéie. Actuellement,
vous appartenez tout entière à vos enfants. Un jour
prochain peut-être vous laissera un temps dont nous
rechercherons le meilleur emploi.
Je n'ai pas repris la célébration de la sainte messe; ma
vie est bien terne ! Jamais pourtant je ne me sentis plus
paisible pour le présent et pour l'avenir !
Confiez tout à Dieu. Il vous a donné assez de preuves
de sa paternelle sollicitude ! Prenez la Très Sainte Vierge
comme intermédiaire, votre main dans la sienne, votre
front sous son manteau maternel! avec cela on irait au
bout du monde, et l'on peut -ainsi laisser passer, sans trop
trembler, les plus rudes tempêtes.
III
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
La confiance n'est confiance que lorsqu'elle est repos
et que ce repos s'appuie non sur les probabilités des
choses, mais sur les promesses de la bonté de Dieu.
La confiance qui n'a plus aucun espoir humain est la
plus belle confiance. Celle qui le conserve, m?is qui ne
s'y appuie point, devient au moins son égale. Que Dieu
seul soit notre assurance et que notre volonté ne lui fasse
jamais l'injure de ne s'en point contenter.
Pas trop de tristesse non plus; je me garde bien de dire :
pas du tout de tristesse; une mère en particulier n'a pas
ce droit, ni ce pouvoir, et la perfection ne le saurait
même accepter : il faut rester mère et sensible. Notre-
Seigneur a voulu pleurer. Mais qu'il y a loin des larmes
résignées à ce manque de confiance qui se désole et s'agite !
Là, comme partout, la paix est le caractère de l'esprit
de Dieu.
J'unis mes prières à vos prières et à vos efforts. Les
paroles de raison et de bonté qui ne portent pas de
fruits immédiats ne sont pas perdues, pourvu qu'elles
ne soient pas trop fréquentes et trop pressantes ; l'esprit
— 301 — :
repousserait ce qui l'humilierait trop. — Nul ne connaît
mieux que vous la mesure et les nuances. Je vous bénis
au nom du divin Maître.
IV
Ma chère fille,
Vous êtes dans une de ces situations où le devoir se
dessine nettement. Hélas ! il est aussi affreux que cer-
tain. Voilà pourquoi j'ai insisté pour que vous ne pre-
niez pas seule une redoutable responsabilité.
Pour votre soutien, rappelez-vous que la volonté de
Dieu se manifeste par les circonstances et qu'en y obéis-
sant vous suivez le plan de Dieu, plus mystérieux pour
notre ignorance de ce qui aura lieu demain, mais plus
sage, et bon. Faisons de grands actes de foi, d'espérance
et d'abandon, et en agissant courageusement, ne crai-
gnons pas de mal agir. Si même il en résultait des consé-
quences malheureuses, elles ne retomberaient pas sur
vous, mais sur ceux qui vous auraient forcée à ces tristes
nécessités.
Ne vous reprochez pas le désarroi de votre vie spiri-
tuelle : en ce moment, elle doit se concentrer sur la pra-
tique de la résignation et du courage. Quand Jésus fut
sur sa Croix, Il voulut ne point trouver de paroles et son
Père lui refusa toute consolation. C'est par là qu'il nous
a sauvés; c'est par une conduite semblable qu'il vous
sanctifie aujourd'hui.
Donnez à Dieu la gloire de voir sa fille adoptive, avec
un cœur très grand, entrer dans une très dure, mais très
haute situation.
Tenez, vous aussi, votre volonté dans la sienne, ne
soyez que son instrument.
Combien je vous plains, ma chère fille, et de quel cœur
je vous bénis!
— 302 —
Ma chère fille,
Dieu permet qu'en ce moment vous vous trouviez non
seulement dans de grandes peines, mais aussi dans une
sorte d'impuissance à calmer vos impressions. Tout cela
c'est de la souffrance, c'est-à-dire le partage de la croix
de Jésus. Vous lui êtes aussi agréable à lui offrir vos
impressions qu'à lui offrir vos peines.
Votre résignation est entière et la grâce vous soutient
merveilleusement. Votre état me rappelle ce que disait
saint François de Sales du prophète que l'ange du Sei-
gneur transportait très loin en le portant... par un de
ses cheveux. C'était bien peu solide assurément, mais
cela suffit à Dieu et donne occasion à votre filial abandon
de s'exercer.
Essayez de vous reprendre et, si vous ne réussissez pas
pour longtemps, recommencez toujours. Dieu ne compte
pas les résultats, mais les efforts. Eh ! qu'avons-nous à
.faire ici-bas si ce n'est l'aimer, nous sanctifier et mériter
pour les autres?
Dieu vous a fait passer par tant d'épreuves; il vous
tient dans une anxiété si douloureuse que j'ose lui deman-
der de vous épargner... je lui dis qu'avec un peu plus de
calme vous le serviriez mieux... Peut-être préfère-t-il la
souffrance à tout le reste, car il a besoin de tant d'âmes
victimes !
Tenez-vous toujours bien abandonnée à la paternité
divine qui fait notre bien et celui des nôtres par des voies
qui peuvent nous déconcerter, mais que nous sommes
sûrs de trouver, un jour, admirables!
VI
Ma chère fille,
Puisqu'il plaît au divin Maître de vous rapprocher de
:;,i pauvreté, acceptez, d'une volonté bien décidée, la
— 303 —
diminution de vos ressources. Du moment que vous
n'avez rien à vous reprocher dans votre gestion de ce
qui vous a été confié, trouvez bon que les circonstances
opèrent ce que Dieu a préféré pour vous.
C'est le détachement qu'ont eu tous les saints à la
suite de Jésus et de Marie. Quand votre souffrance à cet
égard vous saisit plus vivement, sortez de vous-même
et allez porter votre plainte dans la demeure de Naza-
reth. En voyant tout ce qui y manque de confortable
pour le présent, et de ressources en vue de l'avenir, vous
vous rassérénerez et vous ne vous contenterez plus d'un
consentement attristé. En aimant davantage ce qui est
en haut, l'âme se dégage facilement de ce qui la pressure
ici-bas.
Courage !
VII
Ma chère fille,
Je remercie Dieu de la paix supérieure où il vous a
établie. Cette paix, reposant sur Lui et non sur le bon
état des choses, est la paix surnaturelle, seule sous-
traite aux changements. Elle est le grand exercice de
notre âme à l'égard de Dieu et la mesure de notre rappro-
chement de Lui au Ciel.
Cette disposition n'entraîne pas le moins du monde
l'indifférence et l'inaction. Vous ferez tout ce que ferait
à votre place une personne très soigneuse de ses intérêts
et vous le ferez mieux parce que la préoccupation exces-
sive ne vous troublera pas.
Si quelque impression de ce genre tentait de vous
reprendre, dites- vous qu'au moment où l'Église subit une
si grave crise, c'est peu filial de n'en pas être impressionné,
mais de ne l'être que de ses intérêts propres.
Quand viendra le moment où votre santé, reprenant
le dessus, vous permettra la communion journalière?
C'est bien le vœu le plus cher que je puisse vous offrir
en bénissant cette nouvelle année !
23
— 304
VIII
Ma chère fille,
Vous terminez votre lettre en disant : « Je n'ai pas
l'esprit tranquille. » Il est difficile à tous de l'avoir ainsi
sur cette terre : une barque sur la mer est toujours en
mouvement. Mais dans votre situation actuelle cet état
d'âme ne peut être que surnaturel. Tout peut être
préoccupation pour vous; mais rien ne le sera d'une
façon troublante, parce que vous vous direz : c'est Dieu
qui gouverne toutes choses. Manquerai-je de confiance
en Lui? Mon inquiétude ne serait-elle pas une conti-
nuelle méfiance? méfiance involontaire, si vous voulez,
mais qui résulte au moins d'un oubli momentané de ce
qu'est Dieu pour nous. Il ne faut pas que cet oubli
s'étende. Il faut faire prédominer dans le cours de vos
pensées cette vue d'un Père qui a tout prévu et n'a rien
permis que pour un bien final. C'est à ce bien final qu'il
faut reporter vos espérances, si le présent ne vous donne
que des sujets d'inquiétude. Après tout, il n'y a rien de
considérable que ce qui est éternel.
Courage! « Les âmes préférées de Dieu sont faites à
l'image de Jésus crucifié. » Cette parole se vérifie en vous.
Mais « celle qui aura souffert avec Lui sera couronnée
avec Lui ». Nourrissons-nous de l'avenir.
IX
Ma chère fille,
Combien je comprends vos continuelles angoisses!
Une mère ne se rassure pas facilement !
Vos autres souffrances se seront calmées en face de
celle-ci. Dieu semble ne vouloir pas vous détacher de la
croix, il ne fait que changer les clous qui vous y attachent.
La vie est si courte et si vaine que seules ont de la valeur
— 305 —
les occasions qui nous font mériter les biens éternels.
Et vous, dans ces biens éternels vous voyez, non la
jouissance, mais Dieu infiniment aimé.
Ma chère fille,
Je me réjouis du repos que vous a donné près de Lui
le divin Maître. Vous y ayez repris des forces en vous
retrempant dans un amour plus intime, et vous empor-
terez Jésus lui-même, grâce à une plus étroite union. Il sera
votre consolation permanente, car vous revenez à la vie
militante où l'on reçoit des blessures, à la vie de mère
souvent impuissante, où le cœur semble défaillir. Accep-
tez d'avance toute la volonté de Dieu et comptez sur son
assistance à mesure que les difficultés se produiront.
Comme tous les ans, je dirai la messe de l'Assomption
pour vous et pour deux autres Marie que j'unis dans
mes prières.
Que Jésus vous bénisse par les mains de Marie !
XI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ne vous reprochez point de rester accablée au pied de
la Croix. Marie resta debout, mais ce fut par une grâce
particulière. Combien de personnes tout à Dieu comme
vous n'ont pu lui offrir qu'une résignation vraie qui
laissait la douleur entière ! La vivacité même de la dou-
leur est la beauté de la résignation ! mais parce que
cette disposition n'a rien de sensible, on la juge impar-
faite. Oh ! non, elle ne l'est pas chez vous. Le « fiât » est
faible comme un soupir, mais il reste la note dominante
dans le concert de vos gémissements.
Ne faites pas de trop grands efforts pour vous dominer.
— 306 —
Ce n'est pas un devoir, ce ne serait pas même sage;
mais faites de petits efforts, comme un malade qui essaie
de se soulever, de s'habituer à rester debout, et peu à
peu à marcher.
Que la vue constante du bonheur de votre cher fils
envoie à votre cœur sa consolation la plus vraie ! Enten-
dez les remerciements qu'il vous adresse pour les senti-
ments religieux dans lesquels vous l'avez nourri, et les
bons exemples que vous lui avez donnés. Certainement
il vous doit le Ciel, il vous y attend, et quelques années
seulement vous séparent.
Que la grâce de force soit avec vous! La grâce de
suavité viendra ensuite.
XII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Vous portez l'image de Jésus crucifié. Elle s'est depuis
longtemps imprimée dans -votre âme par une série inin-
terrompue de douleurs. Elle prend en ce moment une
ressemblance plus accentuée en vous clouant sur la croix
par des mains qui devaient soutenir votre vieillesse.
Comme Jésus, vous sentez toute l'amertume de cette
situation, et comme Lui, vous demandez au Ciel, par les
mérites de vos souffrances mêmes, la béatitude de celui
qui vous est cher. Cette grâce vous sera accordée, car elle
aura été méritée par votre acceptation généreuse et vos
ardentes prières. Quand sonnera l'heure de votre mort,
emportez cette consolante espérance.
À notre âge, nous sommes si près de l'éternité que
notre vie semble s'étendre sous nos yeux comme un
horizon devant une fenêtre ouverte sur la mer. Quel
repos dans cette immensité ! Et comme nos cœurs sont
remplis d'admiration et d'amour en face de l'infinie
beauté et de l'infinie bonté!
Encore quelques jours d'attente! Courage! Je vous
bénis.
307 —
TREIZIEME SERIE
Madame,
Soyez entièrement rassurée, votre communication de
l'autre jour n'a modifié en rien ma pensée sur vous et
sur votre voie. Vous êtes tout entière tournée vers Dieu,
et je ne vois rien dans votre volonté qui s'en éloigne en
quoi que ce soit. Votre nature si impressionnable se ran-
gera, elle aussi, sous les ordres de la volonté, mais il
faudra un certain temps pour qu'elle se trouve complète-
ment à l'unisson. La volonté peut se rectifier en un jour,
la nature ne se refait que par l'habitude. L'amour divin
change notre volonté, l'amour divin change aussi notre
nature, mais il le fait dans une patience tout humble et
généreuse.
Ne songez pas à détruire votre sensibilité, c'est une
qualité trop précieuse. Rangez-la seulement au service de
vos affections. Qu'elles soiect le charme de la famille et
le cantique de votre cœur auprès de Dieu.
Ne vous étonnez pas de subir l'influence des milieux.
Quand vous vous retrouvez dans le tumulte de Paris,
vous vous sentez moins unie à Dieu. Vous ne lui êtes pas
moins unie, vous l'êtes autrement. Tout votre cœur est
à Lui, partout et toujours. Dans le calme, il s'exprime
mieux. Dans l'agitation, il souffre, et c'est sa manière
de se traduire alors. Ne faites pas trop d'efforts pour
garder, au milieu des relations de Paris, le même genre
d'union à Dieu : celui qui vous est familier à la campagne,
vous le reprendrez avec un nouveau plaisir au retour.
— 308 —
Pas d'empressement, pas de contention d'esprit. Laissez
le jour se lever lentement sur votre vie parfaite. Il ne
rencontrera en vous aucun nuage pour arrêter sa belle
lumière. Nos imperfections ne sont pas des obstacles,
quand elles sont désavouées et combattues. Dieu fait
ses œuvres sans empressement et sans effort, Unissons
notre vouloir à son bon vouloir; entrons dans une action
aussi paisible que la sienne.
Dieu vous a dépouillée de tout ce qui fait la joie en
ce monde pour que vous cherchiez en Lui seul tout votre
bien èl cette joie si haute que Je monde ne comprend pas.
Il
Madame,
Je sens bien vivement l'anxiété de vos jours et de
vos nuits; elle est une préparation au coup fatal, mais
elle est plus que cela : elle est une source de grâces pour
celui qui ne peut guère les appeler lui-même : vous
continuez ainsi à être encore mère; vous alimentez cette
seconde enfance tout aussi importante que la première.
Que ce vous soit une consolation. J'aime assez à voir dans
une âme une certaine émotion d'effroi à la vue des
cimes de la perfection; c'est signe qu'elle les voit bien et
même qu'elle se sent appelée à les gravir, sans quoi elle
n'éprouverait qu'une tranquille admiration.
Si donc elles se montrent à vous et vous appellent, ayez
confiance ! Dieu fera ce qui vous est impossible et, fal-
lût-il marcher sur des eaux mouvantes, il saurait vous
soutenir. Ce qu'il faut seulement retenir de ces craintes,
c'est la conviction de notre impuissance et l'admiration
de l'action de Dieu qui veut y suppléer. Plus nous
sommes incapables, plus elle s'exerce, et plus son inter-
vention est forte, plus nos actes sont divins, étant plus
de Dieu. Le sentiment de cette action est le motif le
plus profond de notre confiance; or, cette action est pro-
voquée par le cœur suppliant de Jésus. Tout ce qu'elle
— 309 —
fait on nous est dû à sa prière comme à ses mérites.
Rien ne peut rendre la tendresse dont nous sommes
l'objet. Un de n«s plus grands torts est de n'y pas croire
assez et de ne vouloir y compter un peu qu'à la condition
de nous voir très bons! Mais c'est lui qui est très bon
et lui seul; or, parce qu'il est bon, il n'a pas besoin
pour, nous aimer que nous soyons des merveilles! Les
parents en ont-ils besoin envers leurs enfants? Or, jamais
un cœur de mère n'égalera l'amour de Jésus pour nous?...
Voilà le fondement de la dilatation; l'enfant près de sa
mère : voilà le modèle ; il ne se préoccupe point et ne
doute de rien.
Une âme qui sait faire ainsi devient l'objet de toute
la sollicitude de Jésus.
III
Madame,
Votre vie brisée n'a plus de joies humaines, il lui reste
cependant des consolations, elles vous viennent de tant
d'affections profondes et fidèles, vous en trouvez, même
dans votre dévouement sans espoir, auprès de votre
chère malade et dans l'émulation d'une abnégation
sublime qui fait d'un cœur, un moment égaré, une mer-
veille de délicatesse. Ah ! comme vous avez bien fait de
vous montrer indulgente et bonne; sans cela vous n'au-
riez pas même été juste. Cette longue année de souf-
frances a été un continuel progrès dans l'amour divin.
Vous avez vu tomber la plupart de vos craintes, et se
lever l'aurore éternelle de l'union à Dieu, Dieu éclaire
toutes vos voies et transforme toutes vos peines. Le
sentiment que vous en avez envahit tout, mais laisse
subsister tout ce qui est bon. Les vôtres ne s'en ressen-
tent que pour trouver en vous une amabilité plus con-
stante et plus sereine. Je continuerai à prier pour vous;
c'est un besoin de mon affection. Votre âme m'est très
chère, et je crois la connaître à fond. Je sens que vous
êtes appelée à connaître Dieu plus intimement encore, et
— 310 —
je me réjouis des grâces dont vous serez favorisée. Pour
vous, la fidélité consiste surtout à ne pas vous laisser
troubler et à marcher vers la perfection d'un cœur dilate
Priez pour moi; j'é traîne péniblement nion reste de
vie : heureux de pouvoir travailler encore un peu au
service du Maître par l'exercice de mon petit ministère
et par quelques écrits que je vais publier bientôt.
IV
Madame,
Chacune de vos lettres me confirme dans la conviction
où je suis que vous êtes pleinement sous la conduite de
Dieu et que vous êtes appelée à de nouveaux progrès,
union toujours plus intime à la pensée de Dieu, à son mou-
vement en vous, amour toujours plus désintéressé, plus
élevé, plus ardent, paix toujours plus profonde et plus
sereine.
Allez à toutes ces belles choses sans vain empresse-
ment, n'allant pas plus vite que la grâce et ne vous dépi-
tant jamais de vos manquements, ni de vos froideurs;
les manquements involontaires vous sont bons encore
quelque temps : rien ne fait mieux mourir l'amour-propre.
Continuez à être douce envers la croix. Celle que vous
portez auprès de votre cher malade vous prépare, hélas !
à la croix plus douloureuse encore de son départ. Ne
voyons que le ciel.
V
Madame,
Au nom de Notre-Seigneur, je vous affirme de nou-
veau que votre âme est toute à Dieu, sans aucune réserve.
Vos froideurs, vos imperfections, vos faiblesses passa-
gères ne lui enlèvent rien, et s'il vous les laisse, n'est-ce
pas pour donner lieu à des vertus nouvelles et à des
— 311 —
désirs plus intenses, sinon plus sensibles? Oh ! oui, votre
cœur désire aimer toujours davantage, et, sous l'impres-
sion de ses froideurs et de ses imperfections, il s'exprime
par ses regrets qui sont bien des actes d'amour.
Oui, il faut enfin sortir de ces craintes qui ont accom-
pagné votre vie. Dieu les a permises comme préparation
et sauvegarde; le temps de l'évolution est arrivé. J'en
vois l'indication dans les épreuves si tristement complè-
tes qui ont fondu sur vous. Le stimulant qui se trouvait
dans vos craintes va se trouver dans la douleur, et, de
cette douleur courageusement acceptée, se formera votre
perfection nouvelle, toute de. confiance, d'élan et d'amour.
Laissez de côté sans retour et sans regret les craintes qui
n'étaient qu'une préparation; vous donnerez à Dieu
davantage et vous trouverez enfin dans cette liberté
des enfants de Dieu le plein épanouissement de vous-
même.
Venez me voir quand vous le désirerez, je suis toujours
heureux de vous recevoir comme je le suis de me dire
une fois de plus votre bien respectueusement affectionné
en Notre-Seigneur.
VI
Madame,
Ce que vous m'exposez ne modifie en aucune manière
ma pensée sur votre âme, rien de ce que vous me dites
n'est une faute, c'est tout simplement de la bonne
misère humaine, et vous ne voudrez pas être privée des
avantages qu'elle assure : un plus vif sentiment de la
bonté de Dieu, une prière plus ardente et plus humble,
une plus forte raison d'être indulgente aux autres, etc..
Savez-vous bien que les meilleures âmes sont toutes
logées à la même enseigne? Saint François de Sales se
plaignait de ses distractions, et les cœurs les plus géné-
reux ont toujours déploré leur insensibilité fréquente à
la communion. N'avez-vous pas, dans vos longs souve-
nirs, l'exemple d'une affection aussi vraie et aussi pro-
— 312 —
fonde que possible, qui pourtant, restait habituellement
muette, et à aucun moment, vous ne cessiez d'avoir pour
votre mari la même affection, et lui,, de son côté, tout en
ne disant rien, gardait son cœur plein de vous. C'est là
un effet de la condition humaine qui sent peu ce qui est
habituel. Les peines sont envoyées souvent pour servir
de stimulant : on a besoin de Dieu, de sa vue, de son
amour, de toutes ses espérances! Lui seul reste toujours
là pour nous voir pleurer. Lui seul parfois est capable de
nous venir en aide ou du moins de nous soutenir! En
nous privant des joies de ce monde, il nous envoie quelque
chose de celles d'en-haut. Je vous crois appelée à faire de
grands progrès dans l'amour de Notre-Seigneur. Je crois
que c'est là que vous trouverez l'orientation de votre
vie. Les secours vous seront donnés. Demandez-les avec
ardeur et confiance.
VII
Madame,
Je sais que vous voulez bien me recommander au bon
Dieu dans vos prières; de mon côté, par reconnaissance et
par affection, je vous offre à Lui avec l'hostie de l'autel.
Je le fais avec le plaisir qu'on éprouve à présenter à
quelqu'un une personne dont on fait grand cas. Ne vous
récriez pas! c'est mon affaire, et si je pense ainsi auprès
de Dieu, c'est bien que je n'ai pas de doute. Oh ! non., je
n'en ai pas et je souhaiterais qu'il y eût, dans l'Église de
Dieu, beaucoup d'âmes aussi dévouées à sa cause et aussi
appliquées à le faire honorer dans leur personne. Que
vous ayez encore certaines vivacités importunes, c'est
un vrai bien, car ce n'est pas une faute, et c'est une
humiliation. Vous n'en êtes que plus tendre auprès de
Dieu et plus foncièrement douce envers les autres. Tout
sert au bien de ceux qui aiment Dieu.
313
VII]
Madame,
Vraiment la croix ne se lasse pas d'accompagner tous
les moments de votre pèlerinage, ici-bas ! aussi, serez-
vous bien sûre d'arriver au ciel et d'y conduire aussi ceux
pour qui vous offrez vos souffrances.
L'épreuve de santé que subit Madame votre fille n'est
point pour nous surprendre. Une nature comme la sienne
et une vie si rudement brisée devaient fléchir de quelque
côté. Tout laisse espérer une guérison entière, ce qui est
évidemment nerveux n'a qu'un temps : mais ce temps est
dur. Ne pas pouvoir s'occuper, c'est être livrée à toutes
ses pensées, et que ces pensées sont tristes! qu'elles se
promènent sur les têtes si chères de ses nombreux enfants
ou qu'elles aillent chercher celui que rien ne fait oublier.
Vous continuerez à marcher votre chemin d'exil, les
yeux levés au ciel, et le cœur confiant, car votre cœur
doit être avant tout filial, filial jusqu'à l'abandon le
plus entier. '
Vous vous tiendrez douce et humble selon la belle
direction qui vous est donnée. Vous avancerez dans
l'abnégation et par elle dans l'union divine.
Je suis avec admiration l'œuvre de Dieu en votre
âme. Autant les malheurs qui ont fondu sur vous ont été
nombreux et extérieurs, autant les grâces qui les ont
accompagnés ont été nombreuses et étonnantes. Vous
ne serez plus la même âme, ou plutôt votre âme en quel-
que sorte ne sera plus, ce sera Jésus qui vivra en elle et
agira par elle...
J'espère que votre indisposition va passer tout à fait
et vous laissera la liberté d'aller vers le Tabernacle. Vous
le comprenez et le sentez si bien que vous devez man-
quer à Celui qui l'habite et qui entend passer, le long des
murs de l'église, tant de pas indifférents !
Comptez toujours, Madame, sur mon respectueux
attachement/
— 314 —
IX
Madame,
C'est un infirme qui répond à une autre infirme ! j'ai
été repris par une atteinte de phlébite, je n'en ai pas
tenu grand compte tout d'abord, mais il a fallu ensuite
se rendre à l'évidence et s'arrêter. Ce que Dieu nous
envoie est toujours un bien. Souffrir pour Lui est une
grâce, nous ne pourrons plus le faire au ciel, mais nous
serons bien satisfaits de n'avoir pas été épargnés et de
nous être toujours montrés contents.
L'inaction peut devenir pour nous une occasion de
très grande activité; aller et venir, c'est moins agir que
de penser et d'aimer tranquillement. On fait des actes
qui ont une portée éternelle. Il y a tant de belles âmes qui
souffrent d'être trop prises par les occupations et qui
soupirent après les rares instants où elles pourront
trouver Jésus seul et s'entretenir avec Lui 1 J'ai connu
une personne qui attendait comme une fête le retour
d'une maladie. Elle s'enfonçait dans la contemplation de
l'infinie beauté. Elle en vivait, et la souffrance voisine
était presque oubliée. Le plus parfait est de ne rien
désirer et d'aimer chaque chose à mesure que Dieu
l'envoie. On n'a pas le souci du choix et du lendemain,
on ne perd pas son temps en vains regrets. On transforme
tout en amour.
Madame,
Ne vous voyant pas, je craignais bien en effet que vous
ne fussiez retenue par votre état de santé : Dieu vous
fait porter cette croix pour obtenir une plus grande
somme d'expiations en vue de la terrible persécution
qui se poursuit sans relâche. Parmi toutes celles qui
lui montent de la terre, il distingue la vôtre, comme si
— 315 —
elle était la seule, et il sent tout l'amour que vous y met-
tez. Laissez donc mugir la tempête autour de vous.
Votre rôle est d'être à genoux, les mains vers le ciel.
Ne vous lassez pas plus à recommencer que Dieu ne se
lasse à vous regarder. Ne laissez pas agiter votre cœur
par la colère contre ses ennemis. Chez certaines âmes,
ce serait une vertu utile, excitant à l'action. Pour vous,
qui n'avez qu'à prier, cultivez les sentiments qui tien-
nent plus près de Dieu, dans une charité miséricordieuse :
priez souvent pour les persécuteurs.
Que rien ne nous trouble, ni ne nous étonne. Dieu n'a
pas notre empressement, car il voit de très loin et pré-
pare des résultats dans des causes qui évoluent lente-
ment.
Devenons calmes comme Lui, par notre confiance en
Lui.
, Songeons que nous sommes des êtres éternels et comp-
tons pour peu ce bout de vie que nous vivons ici-bas.
Quoique je n'ose cette année faire des souhaits, je ne
puis m'empêcher de désirer pour vous un peu plus de
santé et de la consolation dans vos enfants et petits-
enfants. Que si le contraire arrive d'un côté ou de l'autre,
je vous souhaite calme et patience.
XI
Madame,
Je ne veux pas vous laisser dans la tristesse de croire
que vous avez manqué à la charité, en me parlant de
Mme X... Vous en aviez le droit auprès de certaines
personnes comme le R. P. X... et moi, et il faut le faire
très librement. Vous n'y avez mis d'ailleurs aucune
passion et aucune exagération. Ce que vous m'avez dit
ne m'a nullement influencé en mal.
En dehors de ces légitimes confidences, la charité vous
engage à ne pas arrêter, longuement votre pensée sur ce
qui peut vous déplaire et à ne pas en faire part autour de
— 316 —
vous. Ainsi garderez-vous la paix au dedans et au dehors.
La paix est l'atmosphère où l'âme s'épanouit et donne
ses parfums. Sans elle, cette belle fleur s'étiole. Chez vous,
en ce moment, ce qui troublerait le plus souvent la paix,
ce serait la crainte même du mal et les anxiétés qu'elle
soulève. Rappelez-vous bien vite que vous êtes toute à
Dieu et qu'il est impossible que vous vouliez lui faire de
la peine, je m'en porte garant, en pleine confiance.
Puisse votre vie s'écouler calme et confiante dans le
progrès de l'amour divin !
XII
Madame,
Vous voir est une de mes meilleures consolations;
n'ayez donc aucun remords à la pensée que vous prenez
de mon temps. Il m'est très doux d'admirer l'œuvre de
la grâce en votre âme. Si vous ne la voyez pas vous-même,
c'est que vous en êtes trop près. Quel chemin vers Dieu,
par le détachement d'abord, puis par la volonté de l'hu-
miliation et du sacrifice ! Quels désirs d'avancer dans
l'union divine, de vous y perdre et d'en vivre complè-
tement ! Vous me demandez quel est actuellement
l'obstacle qui s'opposerait à votre progrès, je n'en vois
qu'un, c'est un manque de confiance et d'abandon, en ce
qui regarde l'amour que Dieu vous porte et celui que vous
avez pour Lui. En un mot, une certaine crainte dans
l'amitié du père et de l'enfant. Il faut donc vous affran-
chir et employer toutes vos forces à aimer avec sécurité.
Est-ce à dire que nous sommes parfaits? Mais faut-il
donc attendre d'être parfaits pour aimer? N'est-ce pas
au contraire en aimant qu'on le devient? Gardons très
vif le sentiment de notre peu de valeur et de nos imper-
fections, mais qu'il soit plutôt un secours pour notre
amour, en nous faisant mieux apprécier et admirer la
grande paternité de Dieu, qui ne tiendra pas compte,
dans son affection, de tout ce qui, dans l'ordre humain,
— 317 —
cause quelques froissements ou quelques froideurs.
C'est donc vers la dilatation que je voudrais vous voir
décidément orientée. C'est par elle seule que vous don-
nerez tout ce que vous avez de bon, que vous le dévelop-
perez et que vous concevrez de plus hautes ambitions.
Je vous vois près de votre cher malade. Dieu ne lui a
laissé que le lien qui rattache au surnaturel. Par ce lien,
son âme est dans un continuel état de mérite. Votre cœur
de mère trouve là, malgré ses souffrances, le sujet de
bénir son Dieu.
XIII
Madame,
Vous devancez l'aurore de Noël pour m'apporter les
vœux d'un cœur que je connais si bien; vous voulez me
montrer par cet empressement combien votre pensée
aime à se diriger vers moi. Croyez qu'elle rencontre la
mienne en chemin. Je voulais, en effet, vous envoyer un
mot de respectueuse affection. Je vois qu'il doit s'éten-
dre et devenir un mot de remerciement d'abord et puis,
hélas ! un mot de condoléance ! En effet, vous voilà
souffrante, assez souffrante pour sentir beaucoup de
gêne, pas assez pour être accablée. Vous êtes donc la
victime pleinement consciente de l'œuvre de Dieu,
œuvre de calme à maintenir, œuvre d'abandon filial,
œuvre de repentir pour les offenses des hommes. Certai-
nement tout est voulu, tout, jusqu'à chacune des petites
privations de chaque jour. Tout cela est une monnaie
avec laquelle vous achetez une plus grande part de vie
divine, cette eau révélée à la Samaritaine. Cette monnaie
surnaturelle sert de rachat. Que d'âmes captives! que
d'âmes exposées! que de ruines!
Gardons au milieu de ce chaos la haute tranquillité
de Dieu. Dieu compte sur sa toute-puissance qui, de ce
chaos, tirera de l'ordre; et nous, comme de bons petits
enfants, nous nous reposerons sur cette toute-puissance
de notre Père.
— 318 —
Ne gâtez pas cette paix par des préoccupations de
conscience! Elles n'ont aucun fondement et elles peu-
vent épuiser une partie de ce cœur qui n'a jamais assez
de ressources et de temps pour aimer. son Dieu comme
il mérite de l'être. Quand une crainte ou une sorte de
remords tente de vous saisir, remplacez-Us aussitôt par
un simple acte d'amour de Dieu. S'il y a faute, cet acte
répare, car l'élément actif de la contrition, c'est l'amour.
QUATORZIEME SERIE
Madame,
Volontiers, j'accepte la charge que vous me proposez,
parce que je la sais légère et consolante. Ce que l'expé-
rience m'a appris, je le mettrai à votre service; mais je
sens qu'au dedans Dieu vous en enseigne déjà davantage.
Mon rôle sera de vous rassurer, dans les épreuves aux-
quelles échappent rarement les âmes qui se donnent au
Dieu crucifié.
Aujourd'hui, j'acquiers un droit particulier à vos priè-
res, et je contracte le devoir d'ajouter à mes sentiments de
profond respect ceux d'une affection sainte en Notre-Sei-
gneur.
II
Madame,
Je me réjouis de la bonne nouvelle que vous m'annon-
cez. Un pèlerinage à Lourdes est toujours une grâce,
— 319 —
mais quand il coïncide avec le pèlerinage national, c'est
une grâce de faveur. Vous verrez. tant de foi, une telle
intensité de prières et aussi l'étalage de tant de douleurs,
que vous serez profondément émue. Avec votre esprit
bienveillant et large, vous négligerez les quelques défec-
tuosités et exagérations inévitables dans cette efferves-
cence populaire; vous y porterez la grande tolérance de
Dieu.
III
Madame,
Je ne vous ai pas oubliée au jour de votre consécration,
et je vous suis reconnaissant de m'avoir envoyé un sou-
venir de cette date importante. Vous vous êtes donné
par là des droits à une protection plus spéciale de saint
François et vous avez en même temps contracté le devoir
de vivre de son esprit, qui est bien celui de Jésus. Il faut
penser au Ciel plus qu'à la terre, vivre dans un paisible
abandon aux volontés divines, remplir suavement tous
ses devoirs et s'efforcer de procurer le règne de Dieu,
surtout aux ignorants et aux faibles.
Que Jésus soit l'inspirateur constant de votre nouvelle
vie !
IV
Madame,
Il vous a été donné d'être le bon ange de votre mère.
Vous l'avez dirigée vers le Ciel, en y tournant d'abord sa
pensée; puis vous l'y avez introduite par les Sacrements
de l'Église.
Comme vous êtes une âme de l'éternité, vous vous sen-
tez à peine séparée de celle qui est avec votre Dieu. Quand
vous recevez Jésus par la communion, vous vous tou-
chez presque, par cet intermédiaire.
A mesure que la terre se dépouille de nos affections les
24
— 320 —
plus chères, nous nous en détachons davantage, et nous
commençons à vivre près de ceux qui nous attendent là-
haut. J'unis mes prières aux vôtres, demandant à Dieu de
lui être indulgent et de la recevoir bientôt avec lui, s'il ne
l'a déjà fait.
Les prières et les sacrifices vont vous devenir chers, car
ils perdent leur nom austère pour prendre celui de ran-
çon. Les élans d'amour divin ont plus de puissance
encore; ils font violence au purgatoire en faisant vio-
lence au cœur du Dieu juste qui ne demande pas mieux
que d'être le Dieu bon.
V
Madame,
J'ai commencé par vous offrir à Jésus naissant; je
viens maintenant à vous pour vous exprimer une foule
de remerciements et de vœux. — Mes sujets de remer-
ciements ! je renonce à les compter, mais je garde le
sentiment profond de chacun. Mes vœux, je ne les énumé-
rerai pas non plus. Ils se résument dans un très grand
désir de vous voir grandir en sainteté, de vous savoir
aimée de plus en vplus par Jésus et bénie dans vos œu-
vres. Je demande aussi pour les vôtres ce que vous sou-
haitez pour eux des satisfactions de ce monde. Je jette
surtout dans les bras de Dieu l'âme que vous brûlez de
lui donner. Il vous exaucera, mais à son heure; soyons
confiants, les délais sont en Dieu le désir de nous voir
mieux prier, et toujours lui faire confiance. Pour vous,
contentez-vous de veiller sur la pure intention de faire
en tout sa volonté sainte, et sur la paix au milieu des
sujets d'inquiétude, et dans l'action.
Soyez prudente dans les occasions de fatigue : votre
sauté ne vous est que prêtée; elle ne vous appartient pas
en propre. Usez-en comme d'un bien à Dieu, et ne l'ex-
posez pas.
J'ai été voir un prêtre dans la vigueur de l'âge et d'un
tempérament ardent, qui est cloué au lit ou sur une chaise
— 321 —
longue depuis quatre ans et qui en outre est aveugle. Il ne
peut guérir, il le sait, il en souffre, mais il accepte, avec
un grand esprit de foi, cette vie, si contraire à sa nature.
Pendant quinze ans, il s'était dépensé sans compter pour
tout remonter dans une très grande pension. Il venait de
fonder la dernière œuvre de sou programme : la pension
marchait admirablement, une maladie foudroyante est
venue l'en arracher pour toujours. Je lui dis souvent
qu'il est un des prêtres qui servent l'Église le plus effica-
cement. Rien de plus vrai, car le bien ne vient que de
l'action de Dieu méritée par les âmes saintes.
VI
Madame,
Permettez-moi d'insister sur les recommandations que
je vous ai faites touchant les ménagements momentanés
que vous devez avoir pour votre santé. Il s'agit de la
remettre d'aplomb, ce qui est encore possible. Un surme-
nage en ce moment, ou simplement la continuation de
votre régime et de vos occupations serait une faute. La
confiance" que vous m'avez donnée me donne une respon-
sabilité sérieuse et vous demande une obéissance fidèle.
Que l'archange saint Raphaël vous rende la santé tout
d'un coup, et je ne vous persécuterai plus.
Peut-être préférera-t-il vous laisser le mérite de souf-
frir, de condescendre à vous soigner et d'abandonner
ces choses chères.
VII
Madame,
Puisque Dieu permet l'épreuve, ne la redoute/, pas,
elle est plus qu'un objet de mérite, elle est souvent une
préparation à des grâces plus grandes. L'épreuve vous
vient de l'accomplissement d'un devoir qui vous arrache
— ;j22 —
un peu à la solitude intérieure. Quelques heures semblent
soustraites à Dieu; mais ce n'est qu'en apparence, ce
sont plutôt des heures d'immolation; et si vous n'en
sentez pas la douleur au moment même, vous la ressen-
tez tout le reste du temps. Votre cri vers Dieu devient
plus intense, par le besoin plus senti de le retrouver tout
seul ! Aimons toute volonté de Dieu, sans distinction ;
c'est aussi juste que filial.
Ce que vous appelez des hauts et des bas, je les appelle
consolation ou sécheresse. Vous êtes à la même hauteur
dans les deux cas et peut-être plus aimée de Dieu dans le
dernier. Faites-vous indifférente à ces deux manières
d'aller à Lui; aimez celle qu'il choisit et préférez-la puis-
qu'il la préfère. C'est ainsi qu'on se tient unie à Lui et
qu'on le laisse agir librement et pleinement.
Quelle gloire d'être gouverné par ce grand Dieu qui se
fait ainsi l'âme de notre âme !
VIII
Madame,
Je vous ai suivie en esprit à votre réunion d'artistes.
Peut-être n'y avez-vous pas admiré la nature humaine?
Mais vous n'en étiez que plus portée à lever vos regards
vers l'idéal de toute beauté, vers Celui en qui la beauté
éclate, avec des' charmes vraiment infinis dont un jour
nous verrons de vrais reflets directs. Aujourd'hui ils nous
viennent des créatures, xce n'est qu'une ombre.
Le soleil continue à mettre Menton en fête. En vérité,
on ne se dirait pas sur la terre, maudite lors du péché
d'Adam; ce coin sans doute a été providentiellement pré-
servé à cause des infirmes.
323
IX
Madame,
Le sentiment dont vous avez été saisie n'avait rien
de volontaire. Il était bien en vous, mais pas de vous,
Dieu l'a permis pour vous montrer ce qui peut sortir,
malgré nous, de notre propre fonds, et vous faire sentir
le besoin de tout attendre de Lui, de le substituer à vous,
et de vous tenir toute petite et toute humiliée à ses pieds.
Ne conservez de cela aucune timidité, dans vos rapports
avec Lui. Rappelez-vous toujours qu'il nous prend et
nous aime tels que nous sommes, avec toutes nos mi-
sères. Cette conviction, quand elle est profonde, laisse
l'âme toujours en paix, et disposée à la générosité envers
Dieu, comme à l'indulgence envers le prochain.
X
Madame,
Cherchez et choisissez l'endroit le plus favorable à voire
santé, car il s'agit là de votre avenir dans les œuvres. Si
votre santé ne se remettait pas entièrement, vous seriez
sans doute amenée à y renoncer, car on ne peut pas s'y
donner à demi et avec intermittence.
Faites donc tout ce que vous verrez utile à cet effet — -
c'est un devoir certain. Votre surmenage de ces derniè-
res années vous a amenée tout au bord de quelque grave
maladie nerveuse ou d'un épuisement difficile à guérir.
... C'est malheureux de s'occuper de ces choses tandis
qu'on voudrait déployer ses ailes vers les hauteurs, ou
les étendre tout maternellement sur les infirmités hu-
maines !
Tenez-vous unie à Dieu doucement, sans effort. Occu-
pez-vous, distrayez- vous sous ses yeux; en ce moment
— 324 —
Il aime à vous voir no rien faire. Vous le savez bien, ce
qui plaît à. Dieu, c'est que nous fassions sa volonté, qu'elle
consiste à nous demander de tresser des corbeilles pour les
brûler, comme chez les Pères du désert, soit de se dévouer
aux pauvres, soit de composer des ouvrages. Il sait tirer
sa gloire de tout, Il ne demande que notre obéissance
qui concourt à son plan général.
XI
Madame,
Je me réjouis de vous savoir enfin libre et emportant
le doux souvenir des grâces faites aux âmes par votre
action. Il ne faut pas tenter Dieu, reposez-vous donc
consciencieusement.
La petite retraite sur l'abandon vous donnera sur
cette disposition de très belles vues; mais elle h'aura pas
à vous soutenir, car Dieu a coutume de vous consoler
bien vite après vos épreuves. Qui sait pourtant s'il ne
vous fera pas quelque jour l'honneur de se faire servir
sans aucune assistance sensible, au milieu même d'une
indifférente désolation!... vous y serez préparée.
Ne cherchez pas d'avance par quels chemins le divin
Maître vous fera passer. Il est bien mieux de s'enfermer
dans un abandon complet à toutes ses préférences... et
de n'en point sortir.
XII
Madame,
Je ne suis pas rassuré sur le résultat final de vos va-
cances. Vous ne vous êtes vraiment pas reposée; or cette
année-ci, vous étiez beaucoup plus fatiguée que l'an der-
nier. La preuve en est que vous ne pouvez pas vous faire
à cet air marin que vous supportiez l'année dernière. Le
séjour à L. vous sera peut-être plus favorable. En ce cas,
— 325 —
je vous conseillerais de le prolonger. Que ferez- vous a
votre refour si vous manquez de forces?
Évitez dans cette communauté tout ce qui vous ten-
drait les nerfs. Pour le moment, vous ne devez avoir qu'un
seul but à atteindre, c'est de réparer la santé que Dieu
vous a confiée. Vous aurez à en répondre.. Ces soins pris
pour Dieu lui sont aussi agréables que les longues médi-
tations, et les pénitences, en d'autres temps. Faire chaque
volonté de Dieu, quelle qu'elle soit, est la perfection.
Réjouissons-nous toujours de ce que Dieu est Dieu, de
ce qu'il est heureux et de ce qu'il nous aime. Désirons
le partage de son bonheur qui n'est autre que de l'aimer
de tout notre être. Subissons en paix toutes les réserves
que sa volonté met à notre désir de lui gagner des âmes.
Ces privations ne seront pas sans efficacité pour cette
œuvre même.
Que la grande paix surnaturelle tienne votre âme indif-
férente à tous les objets de la volonté de Dieu quels qu'ils
soient. <
XIII
Madame,
Je désirais aller vous voir tous ces jours-ci, notamment
ce soir. Me voyant retenu par une assez grande fatigue
(toute passagère), je viens à vous par des paroles écrites
qui ne peuvent pas faire sentir tout ce qu'on aimerait à
dire à une âme très chère qui souffre. Oh oui ! je sens
combien vous souffrez, toute votre vie peu à peu avait
passé dans vos œuvres. Dieu bénissait visiblement votre
zèle, et voilà que lui-même semble vous écarter ! Ne pen-
sez pas un instant qu'il n'était pas content de vous;
voyez plus haut. N'a-t-il pas arrêté son propre fils dans
son ministère fécond de Galilée? et pourquoi? pour le
jeter au milieu de ses ennemis, en Judée, où on l'a fait
mourir. Mourir valait mieux que prêcher et même que
— 326 —
faire des miracles. Cette grande leçon doit nous faire
entrevoir le côté merveilleux: de la souffrance.
C'est par elle que tout s'achète dans le monde du péché.
Jésus, ne pouvant plus souffrir pour le salut des hommes,
demande aux âmes qu'il sait tout à Lui, de continuer son
rôle. Il vous a choisie, n'ayez que de la reconnaissance.
Vous paraîtrez moins faire pour lui; vous faites au
contraire l'acte le plus difficile : renoncer à des œuvres
prospères qui tomberont peut-être. Vous le trouviez
lui-même comme visiblement, dans les pauvres maisons
qui vous rappelaient Nazareth, dans les travailleurs aux
mains durcies, dans tous ces pauvres et ces souffrants
qu'il a particulièrement adoptés, vous le donniez aux
âmes qui ne le connaissaient pas... Jésus ne s'éloignera
pas de vous dans le chemin qu'il vous oblige à suivie
désormais, vous le retrouverez surtout par la peine vive
de ne plus le sentir autant.
Grande paix, courage confiant.
XIV
Madame,
Le grand mouvement surnaturel de Dieu conduit vers
la destinée véritablement heureuse tous les hommes, et
sans que la plupart le sentent ou le veuillent.
Ces quelques mots vous indiquent déjà la réponse que
vous me demandez, sur la prière. Il y a la vraie prière :
c'est celle qui ne considère que Dieu pour le louer. La
première partie du Pater est de ce genre; il y a aussi la
prière de demande, comme la fin du Pater qui nous con-
cerne.
Puisque le divin Maître nous apprend cette prière,
nous pouvons la réciter sans crainte, et conclure de là
que les objets temporels ne sont pas exclus. Ils y tien-
nent -néanmoins une place secondaire, et toute dépen-
dante de la volonté de Dieu. Sous ce mot « notre pain de
chaque jour » on comprend, vous le savez, tous les biens
— 327 —
personnels et ceux du prochain. Ce mot « noire pain »
indique bien particulièrement qu'il ne faut pas deman-
der beaucoup. Que nous soyons pardonnes et gardés du
mal ! Oh ! c'est un cri trop juste et trop fdial pour qu'on
lui fasse le reproche d'être trop personnel. Il faut bien
le constater, la plupart des chrétiens ordinaires ne
connaissent guère que la prière du mendiant, et ce
qu'ils mendient, ce ne sont pas généralement les biens
de l'âme. C'est imparfait, mais surnaturel quand même,
à cause de l'esprit de foi qui inspire cette confiance, et il
est fort heureux que ces pauvres gens aient des besoins
temporels, sans quoi ils resteraient muets.
Pour vous, ma chère fdle, vous avez pris votre essor
vers la prière de louange, et quand les biens et les maux
de la terre se présentent à. votre préoccupation, vous
adoptez la forme délicate, enseignée par les sœurs de
Lazare. Tenez-vous en là. Puisque le plus parfait est de
n'avoir pas même de désirs relativement à ces choses,
pourquoi les demander?
Je connais des âmes cependant qui trouvent beaucoup
de ferveur à repasser dans l'oraison toutes les grâces
qu'elles ont à cœur d'obtenir pour elles, pour les person-
nes amies et pour l'Église. Que chacun suive son attrait.
Le vôtre est de vous en tenir le plus possible à l'entretien
direct avec Dieu; laissez dans l'antichambre tous les
placets, ils seront lus et exaucés, selon le plus grand
bien.
Je ne vous engagerai pas non plus à accepter trop
facilement des neuvaines chargées de pratiques, ni de
recommandations particulières à faire à perpétuité.
Beaucoup de prêtres et de très bons prêtres croient qu'une
intention globale satisfait à toutes ces promesses. J'ai des
scrupules à cet égard pour les cas où l'on a formellement
promis des prières particulières. Voilà pourquoi je vous
invite à ne pas les promettre trop facilement et trop
nettement. Quand vous promettez des prières, sans rien
ajouter, l'intention globale suffit certainement. En
résumé, préférons le plus parfait, qui est la louange de
Dieu et l'abandon à sa volonté. Vous bénissez presque
— 328 —
votre grippe qui vous laisse plus longtemps dans le rôle
de Marie ! Quand vous vous serez remplie de l'esprit du
Sauveur, vous irez le communiquer aux pauvres âmes;
ce ne sera pas vous qui parlerez !
Je me réjouis du don de Mme X., qui vous a permis
de faire un bien que Dieu vous demandait. Que d'argent
se dépense ici égoïstement ! Combien de misères ne pour-
rait-il pas soulager !
La lecture est toujours pour mes yeux une fatigue, je
les ménage, cependant je travaille. Il le faut bien, si la
nuit doit venir bientôt.
XV
Madame,
Par votre avant-dernière lettre, j'avais cru comprendre
que votre retraite ne commencerait que la semaine pro-
chaine, je vous arrive donc bien tard pour vous dire un
mot à ce sujet! Je tenais à une recommandation parti-
culière qui est de ne rien chercher dans les livres, sauf
dans le cas d'une sécheresse persistante, mais de vous
tenir simplement aux pieds du divin Maître, épiant son
regard ou en jouissant, ou recueillant une de ses paroles
intérieures et la laissant se répandre dans toute votre
âme, vous tenant dans une disposition d'absolue dépen-
dance pour tout et pour tout l'avenir; laissant votre
cœur exprimer ce qu'il sent, comme le ferait une âme de
Sainte, en vertu de cette vérité que, si nous ne sommes
pas dignes d'aimer ainsi, Lui est digne d'être aimé de
la sorte et sans mesure.
Je crois vous avoir déjà exprimé cette pensée et donné
ce conseil, je ne le répéterai jamais trop, car la tendance
humaine est de ne jamais dire assez.
En terminant, je vous adresse l'indication que donne
Jésus à Pierre quand il péchait : « Duc in altum — Pousse
au large, va, cherche au loin. » Perdez-vous dans ces
horizons lointains où l'on entre plus en Dieu.
— 329 —
XVI
Madame,
Je comprends votre bonheur d'avoir assisté à une
retraite qui parlait à votre âme; chaque jour, se déroulait
devant vous une nouvelle perspective de l'amour divin
et vous vous êtes trouvée finalement tout entourée de
lumière, tout embrasée d'amour.
Laissez Dieu vous gâter. Il accumule les preuves de
sa particulière attention, afin que, si, un jour, il vous
demande l'acceptation de peines intérieures, des occu-
pations contraires à vos goûts, une vie d'exilée en un
mot, vous puissiez vous dire : J'ai en moi les promesses
de l'Éternité, je les garde comme des fleurs qui ont essayé
de fleurir au printemps, mais que l'hiver a surprises. Elles
n'ont rien perdu de leur vie et, dans leur sommeil, elles
préparent un prochain essor.
Livrez- vous aux œuvres, mais, sous cette double réserve,
que vous n'y compromettiez pas votre santé et que vous
ne sacrifiiez pas cette portion d'aide qu'attend de vous
votre mari.
XVII
Madame,
J'avais cru remarquer beaucoup de soleil sur votre
visage, je ne suis donc pas étonné de vous entendre dire
que l'auteur du soleil s'était manifesté dans votre âme,
et je l'en bénis. Dans ces moments, il faut prendre une
conscience profonde de l'amour que Dieu nous porte,
afin que, lorsqu'il se retire en apparence, nous gardions
la même conviction, la même confiance, sinon la même
joie. C'est Dieu, et non sa joie, que nous voulons.
Sous les ombrages de G... le divin Maître vous tiendra-
t-il compagnie comme II le fit sous le noisetier de Paray-
— 330 —
le Monial? d'une façon visible? non sans doute, mais
d'une façon réelle, intime ? certainement.
Reposez-vous auprès de Lui, écoulez ses silences qui
parlent encore; sentez-vous toute à Lui : ne formulez pas
de sentiments, ils ne traduiraient jamais ce que sent votre
cœur où son regard sait lire. Un grand amour n'a point
de paroles, mais tout parle en lui, soyez tout amour.
XVIII
Madame,
J'admire votre vaillance, non seulement dans les
œuvres que vous poursuivez, mais surtout dans votre
abnégation de toute consolation, si Dieu le préfère. Vous
voyez d'ailleurs que votre union à Lui est profonde
puisque vous ne pouvez pas discerner au fond si c'est
votre volonté ou la sienne. Ne cherchez pas à le savoir,
laissez vos biens indivis, comme dans les familles qui
s'aiment.
Laissez surtout votre âme tout entière dépendante de
ses moindres mouvements intérieurs.
XIX
Madame,
Combien je suis heureux de votre bonheur! vous pou-
vez répéter avec le psaume : « Non fecit taliter omni
nationi », il n'a pas agi ainsi avec d'autres ! Vous êtes
comblée de faveurs et vous vous réjouissez, non de les
sentir et d'en jouir, mais d'y voir l'amour que Dieu vous
porte. Cet amour que vous avez constaté si souvent et
dont II vous renouvelle toujours l'expression au moment
voulu, voilà ce qui reste votre grand point d'appui,
votre stimulant et votre espérance.
Les sécheresses peuvent venir, les insuccès peuvent
— 331 —
accabler vos œuvres, vous souffrirez, mais vous ne pen-
serez jamais que vous êtes moins aimée, moins écoutée
de Dieu. Il vous semblera parfois qu'il est loin de vous,
mais vous vous direz : Je sais qu'il ne fut jamais plus
près de moi. « Je suis avec elle dans la tribulation », dit
le psaume, et il ajoute : « Je l'en arracherai et je lui ren-
drai la joie. » Allez donc dans le chemin de tous vos
devoirs; c'est là que Dieu veut vous trouver. C'est de
là que l'accent de votre amour sera entendu, vous parût-il
bien faible et bien froid.
XX
Madame,
Je me réjouis de vous savoir en plein repos d'âme et de
corps. Je vous vois dans cette maison où Dieu habite;
je vous suis près du Saint-Sacrement qui le contient
caché et que trahit une petite étoile de lumière. Je vous
vois encore au milieu des champs et des bois, admirant
Dieu à la manière de saint François d'Assise. Que
soient bénies ces heureuses conditions qui ont charge de
vous rendre une santé que tant d'œuvres réclament.
Entrez dans ce dessein de Dieu; soignez-vous sans scru-
pule et sachez sacrifier vos goûts spirituels à des distrac-
tions qui doivent avoir en ce moment le pas sur les autres.
Pas de contention d'esprit pour penser en creusant les
choses ou pour tirer de votre cœur des sentiments qui
ne couleraient pas d'eux-mêmes. Vous êtes toute à Dieu
sans réserve, je vous l'affirme, et Dieu aime tout en vous
et tout ce que vous faites. Les pères ont coutume de faire
ainsi, et Dieu a plus que la tendresse paternelle. Ne nous
étonnons pas d'un tel amour, croyons-y; rien ne tient
plus humble et plus aimant. Chaque matin, je vous offre
à Jésus et avec Lui au Père du Ciel, qui vous regarde Lui
et vous comme la même victime.
Ne vous inquiétez pas de ce que vous donnez à la
Très Sainte Vierge une part moins grande que d'autres
personnes. Votre attrait est vers Jésus; sa mère, comme
— 332 —
les mères, se réjouit de ce qui va à son fils et le prend
pour elle.
XXI
Madame,
Qu'il soit béni ce Dieu qui daigne ainsi vous consoler !
oui, Il vous traite en pauvre enfant malade qu'il faut
ranimer. Voyez combien sont bonnes les souffrances qui
attirent une telle manifestation paternelle. Vous étiez
tout affligée de corps et d'âme, il vous semblait que la
lumière de la joie ne se lèverait plus sur vous, et voilà
que cette lumière est tombée vers vous descendant de la
face de Dieu, selon la parole des psaumes. Que sera donc
la vue face à face de cet être admirable 1 Cette heure vous
est donnée pour que plus tard votre confiance y trouve
son appui aux heures de ténèbres, si votre route vient à
rencontrer de nouveau les incertitudes de l'exil.
Vous constatez ce que Dieu est pour vous : or Dieu reste
toujours le même quand notre fond ne change pas, Il voit
au-delà de la surface. Les sœurs qui vous servent sont
dçs Marthe, de grandes amies de Jésus. Elles l'aiment
d'une façon autre que celle que Dieu attend de vous.
A chacun son attrait, sa grâce, j'ajoute, avec le divin
Maître, que vous avez choisi la meilleure part; disons
plutôt que cette meilleure part vous a été donnée. Il est
plus doux de la tenir de Jésus que de soi, de son amour
plutôt que de nos propres mérites. S'il s'y joint de sa
part un peu de miséricorde, réjouissons-nous, car s'il
nous aime tant malgré nos dettes et notre misère, que
sera-ce lorsque nous serons, par sa grâce, plus généreux
et plus constants !
\ N ; 1 1
Madame,
Dieu ne manque jamais aux âmes qui s'abandonnent
à Lui sans choix pour la consolation ou pour l'épreuve.
— 333 —
Il se plaît à former en elles l'image de son fils crucifié;
mais, à certaines heures, Il leur fait partager les joies du
Thabor. Ne vous demandez pas si ces impressions conso-
lantes vont durer; n'ayez aucun désir à ce sujet, aimez
Dieu pour lui seul et n'ayez d'autres désirs que les siens.
Puisqu'on peut l'aimer autant sans rien sentir, qu'im-
porte de le sentir ou non !
Je ne puis cependant m'empêcher d'être heureux
de vous voir si puissamment relevée et si tendrement
choyée. Admirons cet aspect de la bonté divine, puisque
c'est celui qu'elle vous montre, mais ayons la volonté
d'admirer également l'aspect crucifiant, s'il daigne vous
appeler à cette gloire et vous demander cette preuve
d'amour toute désintéressée. Je vous bénis au nom du
Sacré-Cœur.
XXIII
Madame,
Qu'importe ce que nous sentons ou souffrons; qu'im-
porte même notre insensibilité pour les choses que nous
aimons par-dessus tout ! Dieu a ses desseins qui sont tout
pleins de prévoyante bonté. Donnons-lui une telle cen-
fiance et une si profonde préférence que nous ne pensions
presque pas à nous. « Pense en moi, je penserai pour toi. »
Ne pensant pas à nous; acceptant la tristesse quand
elle vient, faisons à chaque instant ce que Dieu veut.
Étant voulues de Dieu, les occupations les plus com-
munes prennent une couleur divine, et nous serons fort
étonnés quand nous verrons au ciel qu'elles plaisaient
à son cœur, comme autant d'actes d'amour. Soyons tou-
jours contents, pleins de sérénité, sans désir d'être
autrement que nous ne sommes, comme santé, comme
travail, comme consolation spirituelle, que tous nos
désirs se concentrent en un seul qui est d'aimer toujours
plus puissamment, plus parfaitement, plus finalement.
Le reste n'est qu'accessoire.
— 334 —
XXIV
Madame,
Je n'ose pas trop vous plaindre, puisque vous savez
reconnaître dans la souffrance une messagère de Dieu.
Avec votre aide, je m'efforcerai moi aussi à la bien
accueillir. Le médecin, venu ce matin, assure que la
cicatrisation se fait normalement et que je ne dois pas
m'étonner d'éprouver encore durant quelques jours
de l'oppression. Nous partageons la même privation :
vous pour entendre la messe, moi pour la célébrer. La
messe a beau être la plus grande merveille de Dieu,
au-dessus de ses merveilles il y a sa volonté. Dès qu'elle
s'impose, jugeons fermement que tout est pour le mieux.
La prudence est la manière la seule sage de l'accomplir.
Par l'imprudence, c'est la nôtre, au fond, que nous ferions.
Donnez donc en ce moment le pas à la prudence sur l'ar-
deur d'aller à la Table Sainte.
XXV
Madame,
Laissez-moi bénir Dieu de vous avoir conduite à moi.
Vous m'avez apporté une âme tout imprégnée de son
amour; ce fut une consolation pour la mienne. Si l'é-
preuve a fait tomber les fleurs, les fruits mûrissent.
Mon rôle a été de vous rassurer, rôle facile et doux.
Comme le divin Maître après sa résurrection, à chaque
entrevue, je n'ai qu'à vous redire sa parole : « Que la
Paix soit en vous », gardez-la toujours jusque dans la tor-
peur la plus profonde. Il y a de tels anéantissements qui
sont aux yeux de Dieu des triomphes, ce sont ceux qui
nous tiennent plongés dans le sentiment de noir.' néant
et dans l'admiration muette de l'amour qu'il nous
porte et que nous sentons si peu mérite''.
Je vous bénis de tout cœur.
— 335 — '
XXVI
Madame,
Je ne saurais vous dire combien je souffre de vos
préoccupations sur la foi. Ce qui me rassure, c'est que
j'y vois une simple tentation du démon. Votre manière
d'envisager les choses en a tous les caractères.
A d'autres personnes, je dirais : examinez, approfon-
dissez afin de vous débarrasser des impressions qui res-
tent après que l'on a rejeté l'objection par simple volonté;
mais, dans votre état, qui est un état de tentation, toute
recherche de vérité tournerait contre elle, et vos impres-
sions, au lieu de se dissiper, deviendraient angoissantes.
Le démon vous attaque au moment où vos forces
physiques vous laissent dans un malaise propice aux
tentations. Il profite également de votre état de vie
spirituelle privée de consolations, car, sous l'action immé-
diate de Dieu, toutes les préoccupations resteraient
sans action. Faites donc ce que fit saint Philippe avec
Nathaïiaël (dans l'Évangile) à son objection sur le rôle
messianique de Jésus, il répondit simplement :.« Viens et
vois. »
Il y a en Jésus la lumière, la paix, une lumière et une
paix que le monde n'a jamais données, il y a en lui une
bonté si haute qu'elle apparaît divine. Son enseignement
est parfait, nul n'y a jamais trouvé une erreur, tous ceux
qui l'ont fidèlement suivi ont été parfaits...
Dans vos moments de peine, redites la parole des
apôtres chancelants : « A qui irions-nous? Vous seul avez
les paroles de la vie éternelle. »
J'ai senti plus vivement ce soir le besoin de vous écrire
ces lignes. Depuis hier j'avais beaucoup pensé à vous et
j'en avais le cœur endolori. Puisse le divin Maître vous
épargner la torture de cette tentation, la plus doulou-
reuse et la plus dangereuse de toutes !
25
— 336 —
XXVII
Saint jour de Noël.
Madame,
Je suis bien affligé de vous savoir souffrante, surtout
durant ces belles fêtes. Le cœur ne sait guère parler à
Dieu quand le corps souffre.
Il est vrai, l'acceptation de la maladie et de ses consé-
quences offre à Dieu un bien de haute valeur, et, moins
nous avons de consolations, plus notre offrande est
désintéressée et par conséquent méritoire. Je vous ai,
comme tous les jours, présentée nommément à Dieu aux
trois messes de minuit, je lui ai demandé instamment
de vous laisser une paix profonde, la paix proclamée
par les anges aux âmes de bonne volonté.
L'amour voit plus clair que la raison; croyez à l'amour
de ce Dieu qui s'adapte si bien à tous les besoins et à tou-
tes les aspirations de notre âme.
XXVIII
Madame,
Je demande chaque jour à Dieu de se découvrir de
plus en plus à votre âme durant la retraite. Toutes les
belles vérités qu'on, vous prêche aboutissent à cela :
pénétrer en Dieu par de nouvelles vues, par des senti-
ments plus intimes. Être plus à lui et l'avoir plus à soi.
Vivre de ses pensées et le communiquer à quelques âmes.
Vivre des souffrances de Jésus et aimer les siennes
propres. — Ne jamais céder à la tentation, ce serait trop
pénible à celui qui se donne tout à nous dans la commu-
nion. Lui ! Lui ! n'est-ce point assez?
Dieu a besoin de votre santé, que ferait-il de vous pour
les autres sans elle? Soyez donc très prudente et ne vous
— 337 —
imposez que des mortifications inoffensives. Celles-là,
par exemple, faites-les fidèlement.
XXIX
Madame,
Hélas! c'est toujours ainsi que vous oubliez la fragi-
lité de votre santé ! Vous sortez par tous les temps, vous
ne vous arrêtez pas quand la fatigue se fait sentir, en un
mot, vous vous conduisez fort mal... comme malade.
Il faudrait pourtant faire tout ce qu'il faut pour vous
remettre une bonne fois et reprendre votre vie de bonnes
œuvres. Dans le doute, je vous le redis, prenez toujours
le parti de vous abstenir. Assurément, les pratiques
pieuses du dehors, les absolutions générales, les instruc-
tions, la messe et la communion doivent vous être très
chères, mais elles ne sont pourtant que des moyens d'aller
à Dieu et de recevoir ses dons.
Il y a certainement, j'ose le dire, au-dessus de cela,
ce qui est le but de toutes ces choses : l'union à Dieu;
or cette union peut se passer de ces pratiques. L'âme
s'unit immédiatement à Dieu par ses élans et son amour,
au besoin sans élan, et par le seul amour de volonté qui
se complaît dans la volonté de Dieu, s'abandonne à sa
Providence et cherche en tout son bon plaisir.
XXX
Madame,
J'ai souvent remercié Dieu d'avoir inspiré à la bonne
Mmc B... l'heureuse idée de vous conduire à moi. Je
n'ai cessé d'être édifié de votre générosité au service du
divin Maître, j'ai admiré l'élévation et la délicatesse
de vos sentiments, et les seuls reproches que j'aie eu à
vous adresser, hélas trop souvent, c'était de laisser votre
— 338 —
courage dépasser vos forces. C'est un excès : tout excès
est blâmable, mais quelques-uns ne diminuent pas la
valeur d'une âme. Sainte Paule, malgré ceux que lui
reprochait saint Jérôme, a bien été canonisée : ne désespé-
rez donc pas, vous serez canonisée... par le bon Dieu...
sinon par le Pape.
Si votre âme ne se couvre pas de fleurs et de feuilles
comme les arbres en ce printemps, sachez qu'elle n'a
rien perdu de sa sève, mais qu'elle est transportée dans
un climat plus froid. Il y a tant de pays où les pauvres
arbres frissonnent encore sous la neige, ils vivent cepen-
dant et ils porteront leurs fruits en leur temps.
XXXI
Madame,
Votre santé est donc bien délicate, vous subissez l'effet
du surmenage beaucoup trop prolongé. Vous auriez, dû
vous en affranchir, il y a quelques années. Votre bonté
allait plus loin que vos forces. Soyez aussi parfaite
malade que vous avez été parfaite apôtre et parfaite
sœur de charité. Votre service envers Dieu et les âmes
consiste à vivre sans effort dans l'acceptation joyeuse
de l'inaction et des privations spirituelles. Je comprends
que vous ne demandiez pas la douce visite de Jésus. Ce
ne serait probablement pas compris. Si cet état se pro-
longeait, ce serait différent. Ces visites m'impression-
nent toujours, et le sentiment qui me domine, c'est la
confusion de cette démarche auprès d'un être si peu
digne.
XXXI I
Madame,
Décidémenl Dieu vous veut dans l'épreuve! cette der-
nière est bien préoccupante...
— 339 —
Je comprends que cette peine, ajoutée à la précédente,
vous ait enlevé le sommeil. On a beau accepter la volonté
de Dieu, on en sent le coup. Faites un effort de confiance
pour retrouver la paix dans l'abandon. La volonté de
Dieu doit être pour nous un doux nid où tout est parfai-
tement disposé comme les nids des oiseaux pour leurs
petits. La bonté de Dieu nous y couvre de ses ailes.
XXXIII
Madame,
Je n'ai pu vous écrire ces jours-ci... en revanche j'ai
porté sans cesse à Dieu votre pauvre âme, plus endolorie
encore que votre corps. C'est en Lui, vous le savez par
une douce expérience, que se trouve le seul vrai repos,
le seul réconfort réel. Vous le savez Père, et II peut vous
comprendre; vous le savez infiniment puissant et sage,
et vous avez la certitude que tout ce qu'il fait est bien
fait.
Entrez aussi dans le cœur de Jésus, celui-là est humain.
Il a pu souffrir, Il a souffert de chacune des douleurs
qui nous atteignent. Quand on croit bien cela, on est
presque content de souffrir, car on a provoqué chez Lui cet
ineffable témoignage d'amour, la profonde condoléance.
Les cœurs aimants se sentent plus aimants, quand ils
voient souffrir ceux qu'ils aiment.
Être plaint, être consolé par Jésus, quelle merveille !
Ah ! s'il nous était donné de voir ses yeux où tremblent
des larmes et d'entendre cette voix qui dit : « Ma pauvre
enfant ! » Nous ne voyons ni n'entendons ces choses,
mais, puisqu'elles sont réelles, sentons-les par une foi
vive...
Assurément, ce n'est pas aujourd'hui que Jésus souffre,
mais II a tout prévu et II a souffert réellement quand II
pouvait souffrir. Son sentiment actuel s'unit aux sen-
timents passés par un amour aussi tendre.
C'est un bonheur pour moi de vous redire ces choses,
— 340 —
c'est comme si je vous montrais une fois de plus le por-
trait d'un être chéri.
XXXIV
Madame,
Je vous crois assez raisonnable pour n'être pas sortie
par ce temps si dangereux pour les maladies de la gorge.
Suspendez même l'accomplissement de vos devoirs reli-
gieux, si chers pourtant, qui vous obligeraient à vous
exposer au froid, le matin surtout.
Heureusement, il y a, outre celui du tabernacle, un
sanctuaire qui reste à l'abri de toute intempérie, celui
que la grâce a créé en nous et dont il est écrit : « Nous
viendrons en lui et nous y ferons notre demeure. » C'est
plus, infiniment plus, que la présence nécessaire de Dieu
en toutes choses : c'est une création surnaturelle plus
noble que celle de l'univers et Dieu y réside comme un
père dans la maison de son enfant. Il a tout disposé pour
y être reçu en Dieu Père, et II se donne à son enfant dans
l'intimité. Si nous nous pénétrons bien de cette réalité,
nous nous verrons semblables à l'ostensoir, au centre
duquel est Jésus. Sachez y entendre votre messe et y
faire vos adorations, si vous êtes privée des rapports du
même ordre. Demandez à Dieu qu'il augmente en moi
cette adoration « en esprit » qui est actuellement ma
seule ressource, mais ressource inépuisable.
341
QUINZIEME SERIE
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
J'unis mes prières aux vôtres et je sens quelque chose
de votre douleur maternelle. Je ne suis point fâché de
vous voir un peu émue comme le fut le Cœur du divin
Maître devant la douleur des êtres qui lui étaient parti-
culièrement chers. Comme je vous l'ai dit plusieurs fois,
les sentiments qui sont conformes à la volonté de Dieu
sur nous ne peuvent mettre obstacle à l'élévation de
notre âme. Il serait barbare et injuste de tenter de les
détruire. Une piété qui professerait cette doctrine serait
fausse et dangereuse. Elle éloignerait de Dieu les âmes
droites.
En Dieu, on peut vivre largement comme on vit dans
l'air et dans la lumière. Le tout est de Le perdre de vue
le moins possible et de faire prédominer son amour sans
détruire les autres qui sont bons quoique inférieurs.
Courage Y je vous bénis, vous et votre cher petit malade.
II
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Entrez dans toutes les volontés de Dieu, faites-les
vôtres; aimez-les telles qu'elles sont.
Aimer veut dire ceci : les accueillir sans hésitation et
comme si on les choisissait soi-même. Qu'elles soient
— 342 —
agréables ou pénibles, nous ne le regardons, s'il se peut,
qu'après; mais surtout nous n'en tenons point compte.
Ne vous contentez pas de cette voie, pourtant très
haute, allez jusqu'à Dieu Lui-même, à sa Personne
divine, à son amour surnaturel qui est une communi-
cation du sien propre par la grâce. — « Pense en moi,
comme disait le Sacré-Cœur à la Bienheureuse Margue-
rite-Marie, je penserai pour toi. » Vivez de Dieu; et,
comme Dieu, tout en vivant de Lui-même, s'occupe de
toutes choses, occupez-vous, non de toutes choses, mais
de toutes les choses qu'il vous confie.
C'est ainsi que vos devoirs de famille seront sainte-
ment et humainement accomplis.
III
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Oui, vous faites bien de me dire chaque mouvement
important de votre vie intérieure : c'est le soumettre au
contrôle établi par Dieu même. Le Directeur est institué
non point pour tracer une voie, mais pour conduire l'âme
dans celle que lui assignent les indications d'en-haut :
elle pourrait se tromper et suivre sa vue propre, croyant
suivre celle de F Esprit -Saint; elle pourrait aussi, le long
du chemin, s'écarter des endroits sûrs ou s'excéder de
fatigue. Le Directeur est là pour ramener et pour modé-
rer au besoin.
Plus je pense à vous, plus je prévois de peines... n'y
regardez pas trop d'avance. Voyez Dieu plus qu'elles. —
Abandonnez-vous, non pas mollement et tristement,
mais avec générosité et entrain. Dieu le mérite...
— 343 —
IV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
... Vous me demandez comment on peut concilier
l'abandon à Dieu et la prière qui demande.
L'abandon est la disposition foncière quî ne change
jamais. Elle attend tout de Dieu; elle est prête à bien
accueillir tout ce qu'il enverra. La demande ne l'entrave
en rien, ne le diminue pas, surtout quand elle a les autres
pour objet. Il en est d'elle comme des moyens naturels.
Si l'un des nôtres est malade ou affligé, notre devoir de
charité et même de justice est de tenter tous les moyens
de le guérir ou de le consoler. Ce n'est pas aller contre
l'action de la Providence, ni lui témoigner de la défiance.
La prière est un moyen surnaturel mis entre nos mains et
que l'Évangile et l'Église nous conseillent d'employer.
Je le répète, l'abandon est avant tout une disposition
permanente. Nous le gardons alors même que nous implo-
rons. S'il s'agissait parfois de nous seul, et qu'aucune
raison particulière ne nous fît un devoir de sortir de l'in-
différence, je ne blâmerais pas une âme qui, au lieu de
demander, se contenterait d'exprimer à Dieu sa confiance,
évitant même de désirer ceci ou cela.
Je conseillerais aussi, quand on prie pour les autres,
d'employer la forme des sœurs de Lazare : « Celui que
vous aimez est malade » — point de demande exprimée,
quoiqu'elle soit bien nette au fond du cœur.
Quant à l'amour des croix lui-même, c'est une dispo-
sition plus parfaite mais qui, elle non plus, ne s'oppose pas
à la demande, quand il s'agit du bien des autres ou d'un
plus grand bien pour nous. Cet amour reste le même en
nous, mais ne s'exerce pas en cette occasion, parce qu'un
devoir de charité ou de prudence s'y oppose.
J'approuve entièrement que vous abandonniez une
prière verbale quelconque lorsque l'attrait vous appelle
à la simple vue de Dieu.
... Oui, la grande prière est toujours celle-ci : « Que votre
— 344 —
volonté se fasse. » Elle se l'ait même quand II cède à nos
prières : ces prières son! voulues de Lui.
Que le séraphique saint François vous communique
quelques-uns de ses sentiments pour le divin Maître!
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
Votre vie doit être une vie de confiance abandonnée.
Elle vous est indiquée et facilitée singulièrement par la
paternité que Dieu, vous fait sentir. Laissez-Le donc
disposer les événements selon sa gloire, sans vous laisser
agiter par de trop vifs sentiments de crainte, et ne per-
dez pas votre temps à vous demander ce qu'il pourra
vous imposer. Confiez-Lui les vôtres pareillement. Vos
craintes d'ailleurs ne sont que pour eux. Vous verrez un
jour au ciel comme tout cela est juste et bon.
Tout me dit que vous aurez en votre fils un chrétien
sérieux; tâchez peu à peu d'en faire un chrétien qui com-
prenne nos rapports avec Jésus. Les hommes entrent peu
facilement dans ces idées, qui sont pourtant le fond du
christianisme.
VI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ne vous reprochez pas de sentir la douleur. La sentir
est en quelque sorte la mesure du mérite dans la résigna-
tion qui l'accepte. Ce n'est pas refuser quoi que ce soit
à notre divin Sauveur, ni Lui laisser croire que nous
l'aimons moins; car, s'il veut être aimé par-dessus tout,
Il n'entend pas absorber nos autres affections. Ce serait
une doctrine exagérée et fâcheuse que celle qui dépouil-
lerait notre vie en ce monde des affections créées par
Dieu même et nécessaires à l'ordre social. N'y a-t-il pas
— 345 —
d'ailleurs en notre cœur divers côtés qui ont e'hacun leur
attribution spéciale? Aimer une mère n'empêche pas d'ai-
mer un fils, parce que ce sont deux amours différents
qui ne sauraient se nuire dans une âme bien ordonnée. A
plus forte raison, l'amour pour Dieu, qui est tout surna-
turel, ne s'oppose pas à l'exercice de nos sentiments
humains. Croyez même que le divin Cœur de Jésus con-
naît votre souffrance et y prend toute la part que n'y
pourraient jamais prendre nos amis les plus intimes.
Puisque vous souffrez tant de la souffrance des vôtres,,
offrez-les toutes pour le bien des âmes qui vous sont
chères. J'ai quelque espoir qu'il en sortira des consola-
tions élevées.
Courage ! certitude d'être plus à Dieu que jamais.
Espoir en sa miséricorde. Dans "mille ans, vous n'aurez
que des bénédictions à Lui répéter pour tout ce qui se
passe actuellement dans une tristesse navrante.
... La vivacité de la douleur est la mesure du mérite
dans l'âme qui accepte avec un complet abandon.
Dieu semble diriger Lui-même la petite barque au
milieu de cette mer hérissée de rochers. Si le malheur
amène une plus grande et plus tendre action de ce bon
Père, n'est-il pas désirable?
VII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Vous vous êtes mise pleinement entre les mains de
Dieu et vous jouissez de la paix promise à la confiance
filiale. La paix joyeuse au fond de la souffrance est une
force — ne vous en défiez donc pas.
Elle vous est donnée pour votre perfection plus que
pour votre consolation. Par elle, vous serez, à la fois, et
plus glorieuse et plus aimante. Votre joie intérieure,
comme votre croix extérieure, est pour la gloire de Dieu.
Rien n'est plus pénible à supporter que l'attente. —
Un mal bien défini et limité donne moins d'angoisses.
— 346 —
C'est donc dans votre peine une peine de plus, donc une
occasion de plus de témoigner à Dieu votre parfait
abandon pour l'avenir. — Allez sans crainte : Dieu
vous conduit comme par la main, et avec quelle ten-
dresse !
VIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ce sacrifice — combien il est douloureux, il est vrai ! —
c'est Dieu qui le demande, c'est pour Lui donner une
complète satisfaction qu'on le fait. La nature mène son
deuil, mais plus il est noir, plus il jette de clartés vers le
Ciel !
Marchez, ma chère fille, dans la voie du Calvaire. Le
Calvaire s'est rapproché de vous, quelle gloire! Jésus le
monte de nouveau par vous et avec vous, quelle douceur
profonde ! Le partage des souffrances avec un être si
parfait, si aimant, si généreux, est vraiment un merveil-
leux bonheur !
Faites de votre fils un chrétien d'esprit et de cœur. Il
y en a si peu, hélas ! Il faut que le sentiment de Dieu
domine tout et même remplisse tout : faites-Lui con-
naître et aimer intimement Jésus. Il en est digne.
IX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
En vous voyant partir pour ce nouveau dépouillement,
je crois vous voir gravir la pente du Calvaire, vous prépa-
rant à vous dessaisir de ce qu'on voudra vous prendre.
Que laissa-t-on au divin Sauveur sur sa Croix? Et, en le
dépouillant, que de moqueries n'ajouta-t-on pas à sa
peine ! Réjouissez-vous saintement de pouvoir souffrir
avec Lui, près de son cœur, sa peine et la vôtre. Dieu ne
dépouille des biens de ce monde, fortune, considération,
— 347 —
aisance, que pour rester l'Être admirablement bon auquel
on s'attache, en qui on se confie, et à qui l'on peut dire :
« Voilà que j'ai quitté toute chose, qu'en sera-t-il de moi? »
Il en sera ceci : que des biens d'ordre divin vous seront
donnés en échange, que Dieu Lui-même se donnera plus
à vous, par des lumières et un amour que vous n'auriez
pas ressentis...
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je vois avec grande consolation l'union de votre âme
avec Dieu. Dieu, par toutes ses avances, vous traite
comme l'on traite des amis qui souffrent. Je ne sais si
vous avez remarqué dans les Psaumes ce verset qui
montre jusqu'où sa paternelle bonté pousse la tendresse
de ses soins : « Quand il était malade, vous avez vous-
même pris la peine de refaire son lit. » Ce lit, c'est le repos
qui vous est donné dans les consolations célestes...
Ayez confiance, Dieu est près de vous. Allez de l'avant.
Vous êtes dans la bonne voie.
XI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Quand, sous le poids de vos imperfections, vous vous
sentez craintive devant la sainte Communion, rappelez-
vous les paroles que nous apporte l'Évangile : «Allez par
les chemins, ramenez les pauvres, les infirmes, et forcez-
les à entrer au festin. » Laissez-vous donc forcer, ou plu-
tôt suivez sans crainte l'attrait du besoin comme celui
de l'amour. ■— Le mieux d'ailleurs, en s'approchant de
Jésus, c'est de Le regarder tellement qu'on ne songe pas
à se regarder soi-même.
Votre désir du bien peut trouver son accomplissement
soit dans l'édification qui se dégage d'une vertu achevée,
— 348 —
soit aussi dans la grâce qu'attirent à la fois le bon vouloir
et l'amour de sa propre abjection. Si le divin Maître
vous laisse des imperfections, et permet qu'on les remar-
que, remerciez- Le et réjouissez- vous : le bien sera dû à
Dieu plus qu'à vous ! Courage ! Paix ! amour de l'ab-
jection, mais amour pacifiant...
Oui, soyez bien en paix ! C'est la parole que Jésus res-
suscité semble avoir recueillie de toutes ses souffrances et
de toute sa gloire. C'est aussi la leçon la plus importante
qu'il veut nous inculquer fortement; ne cherchons pas en
nous la raison de notre paix, mais dans les liens qui nous
unissent à Lui et qui commencent à être éternels, car
rien ne nous séparera de son amour.
XII
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
Oh! oui, que je sois simplement le traducteur des
impressions de l' Esprit-Saint ! Je voudrais bien ne rien
mettre de moi dans mes ouvrages et dans la direction que
je donne !
Vous expérimentez ce qui a été dit par saint Paul :
Tout contribue au bien des élus de Dieu. Vos occupations
ne vous arrachent pas à la vie intime et rendent plus
douces les heures de repos.
Nous aurions bien tort de nous étonner des merveilles
intérieures qui se déroulent dans l'intimité avec Dieu.
Comment n'en mettrait-il pas dans son œuvre par excel-
lence, Lui qui en a tant mis dans la nature et jusque dans
b' petit être qu'est un insecte !
Oui, aimez votre extrême sensibilité ; elle est une
source d'actes profonds de conformité à la volonté de
Dieu et de sentiments d'humilité sincère.
Par-dessus tout, faites dominer l'abandon qui esL
l'acte iilial par excellence.
349
XIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je sais que votre pensée va me chercher en Celui qui
étend partout son Être immense et qui daigne assigner
une petite place, dans cet infini, aux pauvres êtres que
nous sommes. Que dis-je? mais il nous y fait la place
réservée aux enfants, place toute chaude de sa divine
affection. Oh ! qu'il sera doux de s'y sentir un jour et de
l'y voir ! Ici-bas notre rôle/consiste à Le chercher à tâtons.
Quelques âmes favorisées semblent sentir son contact et,
sans rien pouvoir définir, sont certaines de sa présence
particulière. Aussi est-ce. avec une confiance sereine
qu'elles lui abandonnent leur vie, leurs joies humaines et
jusqu'à ces consolations intérieures qui donnent de Lui
comme un pressentiment. On se sent alors vivre de Lui, et
l'on se livre à son action. On aime les souffrances qu'il
demande en expiation; on les unit à la Croix de Jésus qui
leur communique une royale beauté ! Ses souffrances
et les nôtres ne font qu'un. C'est bien grand et rien n'est
plus vrai. C'est à Jésus que nous devons d'avoir quelque
puissance sur le cœur de Dieu.
XIV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
... Nous répétons toujours les mêmes choses, mais ces
choses sont infinies, et, plus on les considère, plus on les
voit élargir leur horizon. Elles sont en même temps si
bien faites pour nous qu'elles prennent notre mesure et
entrent en nous pour nous porter des reflets de vérité,
des émotions d'amour, tous les actes que Jésus suscite
dans nos âmes.
Livrons-nous à Lui, aimons tout, puisque tout est
voulu de Lui : les petites choses, les douloureuses choses,
— 350 —
les choses matérielles aussi, du moment qu'elles portent
l'empreinte de la main divine qui nous les confie. N'étei-
gnez pas les sentiments humains, mais faites la part de
Dieu la plus grande et aimez en Lui tout ce que vous
aimez.
Recevez, ma chère fdle, la bénédiction de ce pauvre
prêtre à qui Dieu a donné grâce pour orienter votre
âme et la Lui offrir.
XV
Madame et chère fille en Xotre-Seigneur,
... En vous lisant, une pensée m'a vivement saisi.
Avez-vous jamais essayé de vous expliquer la juxta-
position du Verbe et de l'âme qu'il possède par sa sainte
personnalité? Quelle distance! quel contraste même!
L'Infini et le néant se communiquant par des intelli-
gences et un amour indissolubles !
Concevez l'extase de l'âme de Jésus sous les communi-
cations du Verbe et sous ses divines étreintes... Vous
êtes cela- en petit. Jésus vit en vous par l'action réunie
de son âme et du Verbe. Son âme appelle les grâces qui
divinisent, mais elle ne les opère pas en nous. Les opérer
est le rôle éminemment réservé au Verbe, car il y faut la
toute-puissance divine...
... Que nous sommes grands ! et que Dieu est bon !
Ne vous étonnez pas d'avoir deux vies à vivre comme
Jésus. Ne fut-Il pas d'une affection délicieuse pour sa
mère? Ne pleura-t-Il pas sur Lazare? Et, dans les
mêmes instants, Il s'abreuvait des splendeurs du Verbe ! !
Ne négligez rien des devoirs que Dieu même a imposés
à votre vie d'épouse et de mère. Remplissez-les avec
Y intérêt et Y affection qu'ils réclament. Jésus n'a rien
négligé du côté de ces devoirs humains, -ni quant au fond,
ni quant à la manière. Vos communications avec Dieu
sont des faveurs ; vos rapports avec ceux qui vous entou-
rent sont des devoirs. Le devoir est la plus certaine et la
— 351 —
plus obligatoire manifestation de la volonté de Dieu.
Or, nous ne saurions concevoir rien de mieux et de plus
excellent pour nous que l'objet de cette volonté. Cette
vue d'ailleurs transforme tout, sinon à nos yeux, du
moins dans la réalité des choses...
XVI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Suivez sans crainte les appels de Dieu; montez avec Lui
dans la sphère où II commence à se montrer. La vie de la
grâce n'est-elle pas le commencement de la vie du ciel !
Saint Thomas enseigne que la vie divine, qui est en germe
en toute âme qui a la grâce, même chez les enfants, con-
stitue les éléments de notre être divinisé. Le germe possède
bien ce qui s'épanouira un jour. Puis il ajoute : si la
grâce en tous est un germe, elle est chez quelques âmes
comme un bourgeon qui se gonfle de sève et semble prêt
à éclater. C'est le propre des âmes qui se prêtent de toute
leur docilité et de toute leur ardeur à Faction de Dieu.
Dieu Lui-même s'y fait sentir. Sa puissance s'impose,
on ne peut en douter. On croirait même l'entrevoir. Je
crois que rien n'est plus fait pour nous tenir dans une
humilité totale. On sent si bien qu'il est tout, qu'il fait
tout, et que nous restons le pauvre néant qui Lui sert de
matière !
XVII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
... Que serait votre confiance si elle voyait le remède?
C'est la confiance d'un enfant que Dieu attend de vous.
Ne l'auriez- vous pas eue pour votre vénérable père?
Vous reconnaîtrez la valeur de votre confiance au degré
de repos supérieur que vous aurez. L'âme de Jésus, dans
son agonie, même dans ses cris de protestation et dans
2 0
— 352 —
ses larmes de sang, continuait la contemplation de son
Père et lui chantait son cantique d'admiration et d'amour.
Ayez cet idéal. Pour l'atteindre, il faudrait une grâce
toute spéciale. Peut-être le gémissement nuira-t-il chez
vous à l'expression de tels sentiments; mais Dieu les voit
en vous, tout muets qu'ils paraissent être par moments.
Ils reprennent d'ailleurs bien vite le dessus, et vos canti-
ques se composent de notes élevées et des notes sensibles.
Pour ceux que vous aimez, sachez ne demander que
le bien final. Regardez leurs souffrances comme des pré-
parations lointaines à cet effet. Joignez-y les vôtres.
Plus vous souffrez tous, plus- vous devez, au fond, vous
réjouir, car la rédemption est plus certaine. Dieu n'afflige
pas dans ce monde et dans l'autre. Ses enfants infidèles
sont toujours ses enfanls; s'il devait les punir éternelle-
ment, Il leur enverrait des joies passagères en récom-
pense du bien qu'ils font par leurs qualités naturelles,
ne serait-ce que par leur amour filial.
Votre cher fils, élevé au milieu des épreuves, sera plus
sérieux, plus résigné... Si Dieu laisse venir à lui la décep-
tion,... qui sait le bien qui en pourrait naître?...
Je n'ai pas besoin de vous dire : courage ! Il suffit que
je vous dise : aimez ! Tout courage est dans l'amour de
Celui qui nous a tant aimés et qui se donne à nous chaque
jour.
Je vous bénis.
XVIII
Courage, ma chère fille, la vie se déroule au milieu des
incertitudes et des angoisses, excellentes conditions pour
la confiance filiale. Ne voyons qu'une chose: c'est un père
parfait qui agit. La confiance et la résignation n'empê-
chent pas la douleur et ne condamnent pas les larmes.
Nous avons à vivre deux vies différentes. Celle de ta
nature a ses droits et, en les exerçant, elle les perfec-
tionne. Une mère qui ne serait pas anxieuse devant une
menace pour son fils serait une laideur morale. Et si
elle en arrivait là par l'effet d'un abandon qu'elle croirait
— 353 —
Surnaturel, croyez-le bien, elle sortirait de l'ordre établi
par Dieu. Dieu seul aurait le droit de l'en faire sortir, car
Il est le maître de tout; mais une telle voie demanderait
à être sérieusement contrôlée. Faites comme la Très
Sainte Vierge qui pleura près de la Croix de son Fils. Elle
fit assurément ce qui est le plus parfait, n'est-ce pas?
Je remercie le divin Maître d3s faveurs qu'il vous
accorde. Un mot de Lui ranime pour longtemps. Jamais
son aide ne vous manquera. Envisagez donc l'avenir
sans crainte. « Tout concourt au bien de ceux qui aiment »,
dit saint Paul. Laissons Dieu choisir notre voie, nos peines,
et nos consolations. Soyons contents de tout !
Je vous bénis.
XIX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ne regrettez pas trop les jours de solitude qui viennent
de vous échapper. Dieu est si près de vous partout !
Votre fidélité au devoir entre dans les plans de Dieu.
Que ce bon plaisir vous demande un long recueillement
ou bien une vie de vacances avec les vôtres, il est, au
fond, le même objet d'amour. Prêtez-vous donc aux
autres et donnez-leur la consolation que ce bon plaisir
veut leur communiquer par vous.
La douleur accompagne toujours vos pas ; mais,
comme chez le divin Maître, elle trouve l'accueil suprême
de l'acceptation totale dans une nature restée profondé-
ment sensible. N'éteignez pas les affections humaines. Ne
refusez pas la dette d'expiation qu'exige la vue de la dou-
leur des vôtres.
Toutes les souffrances sont un objet aimé et toutes les
craintes vous laissent confiante. Quand on s'est donné
à Dieu, on le laisse disposer de tout selon son bon plaisir ;
être l'enfant d'un tel Père ! cela dit tout... v
— 354
XX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Oui, rendons grâces à Dieu en toutes choses, car toutes
choses sont disposées pour Lui apporter, finalement, sa
plus grande gloire. Sans doute, notre bien personnel s'y
trouve aussi, mais cette vue ne doit être que secondaire :
le bien de Dieu avant tout !
Dans l'ordre de la nature déchue, il s'opère par la Croix.
La fête qui l'exalte aujourd'hui sera une fête éternelle. Le
Ciel vivra du sang que la Croix aura fait verser à Jésus
d'abord, et puis à toutes les âmes fidèles.
La science de la Croix^cTôTt être l'objet de notre plus
vive reconnaissance, car elle explique tout et elle donne
la force pour tout. Qu'elles sont à plaindre les âmes qui
ne l'ont pas !
Jésus n'est plus cloué à la Croix... Il nous laisse la
place... A nous de continuer sa Rédemption...
— Souffrir et aimer, c'est l'idéal!...
XXI.
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je vous ai laissée dans la solitude avec le divin Maître
et, selon son désir, je viens aujourd'hui vous porter de
sa part un alléluia, comme en portèrent aux saintes
femmes de l'Évangile les envoyés de Dieu.
Oui, réjouissez-vous, car vous avez reçu de grandes
grâces, celle en particulier d'un grand amour pour Jésus.
Plus vous irez, plus vous vous unirez à Lui, prenant
tous ses goûts, vous dirigeant selon ses plus intimes
volontés, Le cherchant et Le trouvant partout, vous
consolant de tout en Lui, vivant déjà de son bonheur
à Lui, qui est plus le vôtre que celui qui vous est propre.
— 355 —
XXII
Madame et chère tille en Notre-Seigneur,
... Oui, on peut être toute à Dieu et toute à son enfant.
Vous le sentez à cette heure plus que jamais. Vous aban-
donnez à Dieu, que vous aimez par-dessus tout, cet
enfant que vous aimez le plus au monde après Lui.
Dieu lui sera paternel. Gardez une paix profonde
témoignant votre confiance absolue.
XXIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Ne vous reprochez pas vos angoisses de mère. Elles
sont trop légitimes pour que Dieu les voie avec peine.
N'a-t-Il pas fait Lui-même votre cœur et ne lui ordonne-
t-Il pas d'aimer? Or, aimer comporte les plus vifs senti-
ments de crainte et de douleur. Vous savez que je ne
suis pas de ceux qui veulent les éteindre. Je crois que
l'on peut regarder Dieu avec des yeux pleins de larmes.
Par-dessus nos tristesses, se déploie l'immensité du
bonheur éternel qui n'est autre chose que Dieu Lui-
même. Que ce soit là notre atmosphère. C'est là seule-
ment qu'on respire à l'aise...
XXIV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Quelles que soient les fluctuations de tout ce qui vous
entoure, je vois que votre âme demeure calme et suit sa
route. Vous savez à qui vous vous êtes donnée, vous
accomplissez avec joie les manifestations de sa volonté
et vous ne voulez pas regarder avec anxiété quel sera le
— 35G —
lendemain, car le lendemain est dans les desseins d'un
Père tout- puissant. S
Vous sentez que votre donation se fait de plus en plus
complète. Elle l'était depuis longtemps. Elle croît cepen-
dant à mesure que vous connaissez Dieu plus profon-
dément et surtout à mesure que, comme les petits enfants
au cou de leur mère, vous le pressez plus fortement. On
se donne selon son degré d'amour, et il y a l'infini.
Telle était la donation de la Sainte Vierge !
J'ai le bonheur d'être dans une famille éminemment
pieuse. On a installé une chapelle dans la chambre voi-
sine de la mienne. Toute la maison assiste à ma messe,
les jeunes gens eux-mêmes y "communient plusieurs fois
par semaine. De l'autel, je vous envoie la bénédiction du
prêtre et du père. Je vous la renouvelle en ce moment.
XXV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
... Si parfois votre nature vous a trahie, c'a été l'occa-
sion d'un anéantissement plus profond et d'un courage
plus décidé.
L'humiliation doit nous tremper et non nous affaiblir.
On peut toujours se relever par une confiance toute
filiale. Nous offrons à Jésus par notre nature un instru-
ment plus ou moins apte à suivre le mouvement de sa
main, mais un grand artiste sait tirer grand parti même
d'un instrument imparfait. L'important est de le lui
laisser toujours entre les mains.
Je vous bénis...
XXVI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
C'est bien de Dieu que viennent les lumières qui surgis-
sent des moindres paroles de l'Écriture. Elles vous sont
— 357 —
révélées pour votre progrès et votre^ consolation. Dieu
est tellement père ! Continuez à vous sentir bien petite
devant ses dons et d'autant plus reconnaissante. — Aimez
Jésus, en qui Dieu s'est incarné pour atteindre plus sûre-
ment notre cœur. Sa physionomie, les paroles sorties
vraiment de ses lèvres, ses plaies et son Eucharistie...
tout cela nous vient par le Dieu-Homme et nous apporte
une intimité dont notre esprit n'aurait jamais eu l'idée,
ni notre cœur l'ambition.
... La vie après tout est courte. Si nous pouvions au
Ciel avoir des regrets, ces regrets seraient de n'avoir ni
assez aimé ni assez souffert. — Apprenez aux vôtres à
vivre sous la lumière de l'éternité. Un jour peut-être cette
lumière leur apparaîtra-t-elle plus clairement comme
étant Dieu Lui-même.
Je vous bénis.
XXVII
Madame et chère fille en Notr.e-Seigneur,
... Ces trois semaines passées au grand air m'ont rendu
quelque force et m'ont habitué aux variations de tempé-
rature. Si le retour se fait sans accident de froid ou de
pluie, je pourrai, je l'espère, me remettre un peu au tra-
vail : voilà plus de deux mois d'inutilité; mais comme
Dieu fait de rien quelque chose, peut-être daignera-t-Il
se contenter de ce que j'aurais voulu faire.
Tenez-vous bien en paix sous l'action de Dieu, que
cette action soit directe et intérieure, ou qu'elle se mani-
feste par les événements. Portez intérêt aux personnes
et aux choses selon la volonté de Dieu, c'est-à-dire selon
votre position. Le surnaturel doit perfectionner le bien
naturel, mais (sauf une indication particulière des des-
seins de Dieu) il ne doit pas l'exclure ni le mépriser.
— 358 —
XXVIII
Madame et. chère fille en Notre^Seigneur,
Vous sachant informée de mon départ, j'ai préféré
attendre, pour vous écrire, de pouvoir vous donner quel-
ques nouvelles de mon état depuis mon arrivée. Je crois
que ce changement d'air me sera favorable, mais je ne me
sens pas encore plus fort : je suis bien usé ! Comme je ne
parle que très péniblement, je reste seul soit dans le parc,
soit dans la petite chapelle voisine de ma chambre où,
hélas ! je ne peux dire la messe que le dimanche. Vous
savez mon refrain : « la volonté de Dieu ». Tout est là
pour moi, et, en elle, j'aime autant la privation que la
jouissance même spirituelle.
... Gardez-vous de vous plaindre jamais : vous êtes une
privilégiée de Dieu, et les souffrances elles-mêmes, elles
surtout, sont de grandes faveurs : vous devenez par elles
plus semblable à l'image de Jésus crucifié, vous devenez
son aide, sa consolation, vous acquérez des droits à vous
plonger plus avant dans l'Infini.
... Quand viendra ce jour tant désiré où Dieu se mon-
trera enfin à nos regards qui le cherchent en vain sur la
terre !
« Satiabor, je serai rassasié », dit l'Écriture : Ayez donc
bien faim, bien soif : nous jouirons de Lui dans toute la
plénitude de notre être qui peut ici-bas s'agrandir sans
mesure. Courage et joie !
Je vous bénis de tout cœur.
XXIX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Voilà donc cette âme en présence de Dieu, d'un Dieu
encore voilé pour elle sans doute, mais qui se fait connaî-
tre dans cette intimité qui ne lui fut pas ouverte ici-bas.
— 359 —
En ce moment, vos sentiments se rencontrent, et. pour
toujours! Votre union à cette âme se fera dans l'invi-
sible, mais n'en sera pas moins une union très réelle
dont elle a connaissance. Vous pouvez donc l'aimer, non
plus seulement humainement, mais comme une âme
Partageant tous vos sentiments élevés.
Les grandes souffrances de ses dernières années auront
grandement diminué ses dettes envers la justice divine;
vos prières hâteront aussi son entrée au Ciel. Soyez
assurée également des miennes.
L'attitude de votre fils a été pour vous une grande
consolation et pour lui comme un engagement public
de chrétien fervent. Je suis heureux de cette grâce.
Ne cherchez pas à étouffer la légitime douleur que vous
cause cette séparation. L'amour de Dieu ne détruit pas
l'amour humain, et l'amour humain n'enlève rien à
l'amour de Dieu, car ils ont un objet différent. Quand
cette âme sera unie à Dieu dans la contemplation de sa
beauté, vous les aimerez dans une sorte de sentiment
unique.
XXX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Dieu est avec vous; rien ne peut vous manquer. Les
peines sont des bienfaits pour vous et des sources très
précieuses pour les autres. Beaucoup d'âmes vous seront
données, et en particulier celles qui vous sont plus chères
que la vie. Souffrez, mais avec une infinie confiance. Dieu
semble rejeter vos demandes les plus pressantes, mais II
fera pour vous ce qu'il fit pour la Ghananéenne. S'il vous
laisse dans la souffrance à cet égard, c'est pour laisser un
stimulant sanglant à votre cœur. Oh ! que vous devez
souffrir !
Je vous disais au commencement de ma lettre : Dieu est.
avec vous, j'ajoute en terminant : votre âme est toute à
Lui. Ne craignez rien, allez à Lui, le cœur entièrement
dilaté.
— 3G0 —
XXXI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
C'est en Dieu que nous vivons, que nous aimons, que
nous souffrons. C'est en Lui qu'au Ciel nous jouirons.
Tout notre être, toute notre paix, tout notre amour sont'
en Lui. C'est Lui qui soutient, c'est Lui qui inspire un
abandon total. C'est en se faisant connaître à nous dans
son infini qu'il nous fait dominer les sentiments les plus
puissants de la nature.
Plus vos peines sont vives et profondes, plus vous êtes
dans votre voie. Peu de peines vous auront été épar-
gnées... ce'que m'en signale votre lettre est bien amer!...
XXXII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je suis loin de blâmer votre confiance dans ses motifs,
mais pour atténuer d'avance la désillusion qui est pos-
sible, j'ai tenu à vous dire que si -vos prières vous assurent
d'être exaucée quant à l'objet, elles peuvent n'être pas
exaucées quant à l'heure... et, malgré moi, je reste
inquiet et il me semble entendre au dedans de moi que
d'autres souffrances vous attendent... dussé-je me
reprocher de laisser ainsi dans votre âme « le glaive de
douleur »... Vos prières n'en seront que plus ardentes :
on ne peut évaluer ce qu'il en faut pour la rançon des
âmes...
Non, je ne crains pas que la déception, même la plus
cruelle, « vous sépare de la charité de Jésus », et je crois
votre cœur capable de s'approprier toutes les protesta-
tions de saint Paul : « Rien ne me séparera, etc.. »
Cherchez la paix dans un abandon absolu sans rien
envisager de trop particulier, un abandon fondé sur la
seule vue de la bonté divine et sur les promesses de Jésus.
— 361 —
Insistez, pressez, demandez même pour telle heure,
mais en vous souvenant toujours que l'heure est à Dieu.,,
Je vous bénis...
XXXIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je vous suis pas à pas sur la route de votre Calvaire.
J'ai l'espérance qu'elle aboutira à un retour à la vie qui
sera une complète résurrection... Vous redirez à Dieu
ce que vous lui dites dès maintenant dans votre entière
confiance : Mon Dieu, vous avez bien fait toutes choses !
Il se montre d'ailleurs si consolant pour vous ! En cela,
je vois l'accomplissement de cette parole des Psaumes :
« Je suis avec l'âme dans sa tribulation. »
Dieu a des présences diverses, Lui qui est présent à
tout, de même que la lumière du même soleil est si diffé-
rente selon les pays, les heures et les objets qui la reflè-
tent. En ce moment, elle resplendit en vous. Plus la
souffrance se prolonge, plus elle devient éclatante. Cette
lumière vous découvre la valeur du précieux Sang et
son infinie puissance. Après cela, Il vous le montre versé
pour vous, mis à votre disposition, et comme vous appar-
tenant. Ce sang vient d'une créature, sa mère. Il a été
versé sur le sol de la terre qui l'a bu. Il nous reste dans
le sacrifice de l'autel. Vivez donc en Dieu et de Dieu,
ma chère fille. L'isolement du cloître n'est pas nécessaire
à la vie intérieure : votre clôture est votre amour.
— Je commence à sortir. Le mauvais temps m'avait
rendu malade et retenu au lit. Dieu ne veut pas encore* de
moi, ce semble.
En union à notre divin Maître.
XXXIV
... Vos dispositions, ma chère fille, n'ont pas changé
en dépit des impressions qui vous ont fait violence.
— 362 —
Courage ! Il y a tant, à expier de toute part en ce
monde ! La miséricorde de Dieu est telle qu'une seule
âme peut expier pour beaucoup d'autres, pour celles dont
elle a une charge spéciale et peut-être beaucoup au delà.
Soyez ambitieuse, et on peut l'être quand on comprend
1<- prix du précieux Sang et surtout quand on en dispose.
A la Communion, il passe tout entier dans votre âme. Il
est donc votre bien. Vous pouvez l'offrir et Dieu ne peut
pas repousser vos prières, car elles sont en Lui.
« Euntes ibant et flebant... Venientes autem cum exulr
tatione. »... Telle est notre vie, lel est notre espoir...
Je vous bénis.
XXXV
Madame et chère fdle en Notre-Seigneur,
J'ai été en effet assez malade depuis votre départ : le
cœur avait beaucoup faibli et reste faible. Toute occupa-
tion m'était interdite et n'est encore que tolérée. Voilà
pourquoi je ne vous ai pas écrit. Ma pensée se porte sou-
vent vers ce midi de la France où vous retrouvez à l'église
le même trésor. Quelle tendresse de se donner ainsi par-
tout ! Il y a bien peu de changements réels pour l'âme
qui cherche Jésus avant tout. En Jésus, on a ce Dieu
infini qui n'est pas seulement dans toutes les églises,
mais qui est en chaque point de l'espace. Quel éblouis-
sement s'il s'y montrait! Il fait plus qu'être présent en
toutes choses, Il s'unit à quelques créatures par des
liens d'intelligence, d'affection, d'action. Vous sentez
cette sorte d'union. Elle fait votre vie. Vous ne voulez
avoir aucune vie propre, aucun désir personnel, vous ne
voulez voir que par les yeux de Dieu, et vous adhérez
d'avance à tous ses désirs. — Ne craignez pas d'être
dans l'illusion, mais veillez à ce que ces sentiments ne
nuisent pas à l'exercice des sentiments humains à l'égard
de tous ceux qui y ont droit. Intéressez- vous à ce qui les
intéresse, et cela de bon cœur puisque Dieu vous le de-
mande.
— 368 —
Vous avez appris sans doute l'entrée au séminaire
d'Issy du dernier président de la Jeunesse catholique et
celle de M. X...
... Ce doit être pour vous une joie : vous êtes heureuse
de voir Dieu ainsi honoré et de nobles dévouements
encouragés par cet exemple.
XXXVI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Que la conduite de Dieu est admirable à l'égard des
âmes qui se donnent à Lui totalement ! Il les éprouve et
les console. Il les perfectionne par toutes sortes de moyens,
Il s'établit en elles et y fait sa demeure. Or, vous le savez,
Dieu, qui est partout, est en chaque chose selon sa con-
dition. La condition d'une âme divinisée fait qu'il est en
elle un peu à la façon dont II est en Lui-même : Il y res-
plendit, Il y prend ses délices... Vous le savez mieux que
je ne saurais l'exprimer. Continuez donc à vous prêter
totalement à son action; faites tout ce que vous savez
Lui plaire. Ne reculez pas devant la privation de sa pro-
fonde intimité sentie, quand II vous demande de vous
occuper des autres et quand vous vous voyez dans un
milieu, même chrétien, qui vous paraît étrangèT parce
qu'il est si loin de son idéal, soyez indulgente et ne tirez
de là d'autre conclusion que de dédommager Celui que
l'on traite en indifférent.
XXXVII
Médaille et chère fille en Notre-Seigneur,
J'ai accueilli avec un sourire de satisfaction l'aveu de
votre tristesse.
' Apres les grandes grâces qu'il vous a faites, Dieu vous
— 3(54 —
envoie la grâce de l'humiliation sensible. Il faut l'en
bénir. Plus nous nous sentirons néant et impuissance, plus
nous serons touchés des bontés de Dieu à notre égard.
Sa miséricorde se montre à nous dans un éclat plus tou-
chant. Nous l'admirons et nous l'aimons davantage. S'il
arrive que l'on attriste, même involontairement, une
personne aimée, on éprouve dans son cœur quelque chose
de plus vif, de plus tendre à son égard, et l'on regarde de
tous côtés pour trouver quelque chose qui puisse lui être
agréable. Ne vous tourmentez donc pas, on ne se tour-
mente pas d'une grâce. Vous n'avez rien refusé à Dieu,
vous avez simplement senti -l'effet d'une cause toute
naturelle. Dites-vous qu'il n'en eût peut-être pas été
ainsi chez une personne très parfaite, et désirez paisi-
blement qu'il en soit un jour ainsi pour vous, afin que
votre Dieu bien-aimé soit content, à la bonne heure!
mais gardez toute votre liberté filiale auprès de Dieu.
Que la tentation dure ou non, peu importe. Votre volonté
est tout entière et irrévocablement fixée en Dieu et en
son bon plaisir.
Je vous bénis.
XXXVIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
... Marie au pied de la Croix a connu le mélange des
sentiments humains et des sentiments surnaturels. Les
premiers ne faisaient que rendre plus vifs les seconds,
et ces derniers répandaient sur les autres leur beauté
divine.
11 en sera ainsi de vous en toutes choses, mais particu-
lièrement dans la nouvelle épreuve du départ de votre
fils.
Vous avez déposé ce cher enfant entre des mains
éminemment paternelles. Dien a fait en lui des merveilles
et il m'est arrivé de penser à ces grandes grâces pu
récitant certain verset du Magnifient. Dieu a tant fait
— 365 —
pour vous que votre confiance n'a qu'un seul moyen
d'être méritoire, c'est d'être pénétrée d'un grand amour.
Je vous bénis.
XXXIX
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Puisque vous avez donné votre confiance au divin
Maître, je comprendrais mieux le silence absolu de toute
préférence. Il veut le plus grand bien de votre cher fils
aussi bien pour les moindres détails que pour le fonds.
Laissez aux âmes qui sont moins entrées en Lui les désirs
et les indications qu'autorisent assurément les promes-
ses divines et qui soutiennent leur piété. Pour vous,
tenez-vous en le plus possible à ce que comporte l'intime
unité de son âme et de la vôtre.
Les sentiments de votre fils sont simplement admira-
bles ! il marche à grands pas dans la voie de la sainteté.
Vous n'aurez pas trop de l'éternité pour remercier Dieu
des grâces qu'il vous a accordées pour cette âme. C'est
une œuvre de son infinie miséricorde dont la raison d'être
est principalement dans vos prières et vos larmes. C'est
aussi de sa part un acte de profonde et délicate amitié.
Jamais vous ne l'aimerez assez !... Dieu vous a honorée de
grandes épreuves et vous a dédommagée par d'inesti-
mables faveurs. Il ne mettra pas plus de bornes à sa bonté
que vous à votre confiance...
XL
Madame et chère fille en Noire-Seigneur,
Excusez mon retard à vous répondre ; depuis quelques
semaines, une congestion du cerveau m'a interdit abso-
lument foui travail ej; ue me permet pas trop d'écrire des
lettres. Je sais d'ailleurs que votre âme est en paix sous
— 366 —
la douce influence de Jésus; je pense que l'Esprit-Saint
vous l'a fait ressentir plus vivement encore, car son rôle
est de révéler au cœur les paroles dites à tous. Bien peu
d'âmes y sont attentives. C'est une grande grâce d'en-
trer dans cette connaissance intime de ce qu'est Jésus
Homme et Dieu, Jésus vivant en nous, Jésus gouvernant
son Église et les événements de ce monde. Nous, pau-
vres petites créatures, nous sommes unis d'amitié avec
un être si grand, si parfait. Il nous révèle le fond de son
cœur et II nous permet de prendre ses propres sentiments,
de nous en pénétrer, de les offrir à son Père.
Cette vie surnaturelle n'empêche pas l'exercice de la
vie de ce monde. Cet amour transcendant n'éteint pas
l'affection d'une mère : votre fils tient sa bonne place dans
votre cœur et vous apporte, avec des consolations incom-
parables, de dures anxiétés. Vous êtes avec lui au milieu
du danger. Je demande à Dieu de vous le garder et de le
garder pour sa gloire en ce monde. Il peut devenir un de
ces chrétiens qui rayonnent et attirent. Mais, laissons à
Dieu toute sa liberté... L'éternelle réunion est tout.
Je ne fais rien pour Dieu et je n'ai à Lui offrir que
l'acceptation filiale de l'inutilité dans laquelle II me
tient. Je suis en paix. Sa volonté, est ma nourriture et son
bon plaisir est mon seul plaisir. C'est du moins ce que je
veux être...
XLI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Quelles que soient les épreuves qui vous attendent, je
suis en paix sur l'état de votre âme . Le Dieu qui vous les
envoie vient avec elles.
L'acceptation que vous donnez aux injustices les plus
llagrantes et aux humiliations les plus révoltantes sera
un honneur pour le divin Maître, une consolation pour
son Cœur, une aide pour sa Rédemption.
Enfoncez-vous dans la volonté de Dieu. C'est ellu qu'il
— 367 —
faut regarder plus que les choses pénibles ! Là, tout est
sérénité.
Vous me ferez part de vos peines, puisque Dieu m'a
fait votre père. Je les sens vivement parce que votre
âme m'est très chère. De mon côté, je les offrirai avec
vous.
Vous pouvez redire avec l'Apôtre : « Et nous, nous
avons cru à l'amour du Christ ! » 11 s'agit dans cette excla-
mation, non d'une simple foi, mais d'une foi ardente qui
jette l'âme tout entière en Jésus, qui la rend flère d'être
aimée de Lui et qui, avec Lui, peut braver toute crainte.
Puisque votre cher fils est parti pour le danger, je l'y
suis avec vous, le confiant, comme vous, à Celui qui sait
mieux que nous son vrai bien. Son immense bonté à
votre égard vous oblige à cet abandon absolu...
Je vous bénis...
XLII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Je venais d'écrire les quelques mots qui précèdent
qttand m'arrive votre seconde lettre, et avec elle la nou-
velle de la blessure de votre fils. Tout fait croire qu'il
est bien vivant, les blessures aux bras n'étant point mor-
telles; peut-être est-il prisonnier? Vous le saurez bientôt, -
et il me tarde d'en être informé, car je partage votre
anxiété,
Il n'y a nulle imperfection à demander cette guérison.
Le recours à Dieu est dans l'ordre naturel, et rien dans
l'ordre surnaturel ne s'y oppose. Dieu sait bien que votre
prière est subordonnée à son bon plaisir.
Sous l'impression de tant d'incertitudes cruelles, votre
confiance en Dieu devient plus belle et plus profonde que
jamais. Elle honore sa paternité et console votre cœur
désolé.
Ah ! comme nous sentons la dureté de l'exil ! niais
comme l'éternité paraît, désirable! Quand aurons-nous
sa paix profonde ! Quand nous trouverons-nous en face de
27
— 368 —
l'infinie beauté! dans les bras d'une tendresse paternelle,
infinie ! Aimons tout ce qui nous y prépare...
Je vous bénis...
XLIII
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Pas de nouvelles! Chaque jour j'attends et chaque
jour augmente mon anxiété... Il ne faut pourtant pas
désespérer...
Je connais vos sentiments si élevés, si pleins d'aban-
*don à Dieu : je connais aussi votre cœur de mère : une
immense douleur peut être une douleur acceptée avec
amour. C'est bien votre cas. Vous avez été préparée à tou-
tes les épreuves, et la grâce les a toujours surpassées...
Que voulons-nous d'ailleurs par-dessus tout, si ce n'est
Dieu et l'éternité pour nous et pour ceux que nous
aimons !
Quelle mère peut envisager la mort de son fils avec des
certitudes aussi consolantes que vous donne la merveil-
leuse ascension de l'âme de votre fils!...
Mon cœur et mes prières sont avec vous... Je vous bénis.
XLIV
Madame et chère tille en Notre-Seigneur,
Nous sommes des. fils de l'éternité; prenons-en de plus
en plus les sentiments. C'est là que nous retrouverons les
nôtres dans les splendeurs de l'Être divin - — plus de
craintes, plus d'imperfections — et cet amour surnaturel
tant désiré... !
Que cet immense désir du Bien suprême tempère tous
nos autres désirs... Que sont pour nous et pour les nôtres
ces misérables années qui s'écoulent dans la tristesse du
cœur et dans la médiocrité de l'amour! Que penserons-
nous dans mille siècles de nos anxiétés d'aujourd'hui?
— 369 —
Ah ! que nous les trouverons belles et heureuses parce
que leur filiale acceptation nous aura valu de voir plus
avant dans l'Infini et d'être aimé d'un amour merveil-
leusement accru! jours féconds, jours bénis... où il est
donné à de petites créatures d'honorer Dieu par une con-
fiance abandonnée et par une préférence très haute...
Si votre fils vous est rendu dès ici-bas, c'est que Dieu a
des desseins sur lui... s'il est appelé si jeune à sa demeure
éternelle, c'est que son âme a déjà, en peu de temps,
accompli une très belle destinée...
Que de merveilles en ces élans vers le parfait, en ces
humbles repentirs! ■ — Des jours pleins valent mieux que
de longues années aussi vides que celles de la plupart des
personnes. Nul ne peut calculer la valeur des actes qui
ont pour mesure leur intensité et leur élévation de senti-
ment.
Que la mère et le père ne se reprochent pas leur dou-
leur, mais qu'ils la divinisent.
Je vous bénis...
XLV
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Votre union à la volonté de Dieu est profondément
douloureuse, et c'est sa gloire : elle y adhère par des
blessures. C'est d'une main ensanglantée que vous serrez
la main que Dieu vous tend. Il vous aime assez pour vous
offrir son auguste ressemblance : Il a livré son Fils
unique !
Si la sensibilité n'était point là pour soulever tous les
assauts de la douleur, votre résignation serait moins
haute; elle ressemblerait moins à celle de notre cher
Sauveur, elle lui serait moins associée, elle lui donnerait
moins de consolation. Bénissez la douleur, bénissez
Celui qui vous l'envoie.
... L'âme qui est toute à Jésus n'est pas la mère d'un
seul lits, elle dévient celle de tous les enfants de Dieu-,
C'est pour Dieu avant tout que l'on aime ceux qui nous
— 370 —
sont naturellement chers et jusqu'à ceux qui nous sont
inconnus et que Dieu aime. Soyez autour de vous
d'autant plus douce et attentive que vous seriez portée
à vous replier sur votre douleur. Restez debout près de la
Croix de votre Sauveur. La douleur ne doit pas gêner
l'exercice des vertus, elle doit leur ajouter' sa beauté
touchante.
Je vous bénis...
XLVI
Madame et chère fille en Notre-Seigneur,
Combien votre cœur maternel a dû être blessé par les
détails cruels de la mort de votre bien-aimé fils ! Et cepen-
dant vous trouvez plus de calme dans cette certitude.
Vous ne cherchez plus, vous savez ! Son agonie a accru
ses mérites et la mort lui a ouvert le Ciel. C'est là qu'il
faut le contempler et, s'oubliant soi-même, se réjouir
de son bonheur. Et ce bonheur, il vous le doit. Quelle
doit être sa reconnaissance ! et que seront ses prières
pour ses parents !
Je vous bénis.
371 —
SEIZIEME SERIE
Ma vénérée Mère et chère Sœur,
On ne fait pas toujours ce qu'on préfère. Vous en
jugerez par le retard de ce petit mot! J'ai été très pris
et j'en ai subi des jours de grande fatigue, sans que cela
aille à la maladie. La saison actuelle m'est toujours dure
et la situation de l'Église pèse lourdement sur le cœur.
Je vois en noir tout l'avenir que peut atteindre notre
prévoyance, très courte, il est vrai. Le monde s'éloigne
de la religion et s'en éloignera, je le crois, toujours davan-
tage à mesure que les distractions deviendront plus nom-
breuses et plus faciles, grâce à tous les progrès maté-
riels. Autrefois, l'Église et ses cérémonies remplissaient le
dimanche. Le dimanche aujourd'hui a d'autres attrac-
tions au dehors, même dans les campagnes. Le mouve-
ment est devenu si intense qu'il empêche de s'arrêter
aux idées sérieuses. Par les journaux, que tout le monde
lit, chacun vit dans tout l'univers... et dans les rêveries
des feuilletons.
Que sera-ce quand les jeunes fdles recevront forcément
l'instruction donnée aux jeunes gens, sinon dans son
étendue, du moins dans son esprit? La suppression des
communautés enseignantes, surtout de celles qui se rap-
prochent de la vie cloîtrée, fera baisser le niveau de
l'élévation surnaturelle. Il faudrait qu'à leur place surgît
une pléiade de personnes très généreuses, bien formées,
se dévouant à cette œuvre.
372
II
Ma chère et vénérée Mère,
Rien ne peut m'être plus précieux que votre bon sou:
venir, vos vœux et vos prières. Merci de me conserver
tout cela. Je me sens bien atteint et c'est de près que je
considère maintenant le passage de cette vie bien pauvre,
bien obscure, à une vie où l'on voit Dieu et où on le
possède ! Je n'ose pourtant rien désirer, encore moins
rien demander. Quelques personnes paraissent avoir
besoin de moi, et moi-même, je me sens attaché à plu-
sieurs par des liens bien forts. Je me crois cependant tout
à fait en paix, à la disposition du bon Maître.
Oui, j'achève ce livre que j'aurais beaucoup tenu à vous
soumettre, vous m'auriez certainement fait d'utiles obser-
vations. Les circonstances ne l'ont pas permis, j'espère
que vous pourrez le juger bientôt. Puisse-t-il réaliser 1<;
bien que je ne puis faire par le ministère !
Que Dieu soutienne vos forces! N'abusez pas de celles
qu'il vous donne; ne vous laissez pas surmener par
l'exercice du bien, afin de pouvoir le continuer longtemps
encore : la moisson est grande, mais les ouvriers, capa-
bles de la recueillir, sont en bien petit nombre.
III
Ma chère et vénérée Mère,
Je vous'envoie des épreuves par ce même courrier. Elles
forment le tiers de la troisième partie. En les revoyant,
je les trouve un peu compliquées, et je me demande s'il
ne vaudrait pas mieux supprimer tel et tel passage. Mon
livre sera assez considérable, même avec ces retranche-
ments. Vous me ferez un grand plaisir en me disant
votre pensée à cet égard, et surtout en me désignant
ce qui vous paraît devoir être peu compris ou peu goûté.
— 373 —
Heureusement, ce qui viendra à la suite est beaucoup
moins didactique. Je vous prie d'agir librement; l'idée
ne me viendrait pas de mettre le moindre amour-propre
d'auteur dans une œuvre écrite pour faire du bien.
IV
Ma chère et vénérée Mère,
Il me serait trop pénible d'obéir au désir que vous
m'exprimez de ne pas recevoir de réponse. Cette réponse
me prendra bien peu de temps et n'usera aucune force
parce qu'elle vient toute seule. Il m'est très doux de
savoir que vous priez pour%moi avec affection, et de sen-
tir que nos âmes sont unies par des liens profonds. Le
ciel nous donnera la joie dé les voir consacrés.
Je continue à faire la seule chose que j'aie su faire :
souffrir. Actuellement, c'est par l'éloignement de mon
ministère et par quelques douleurs physiques ; habi-
tuellement c'est par le sentiment de l'exil.
J'ai reçu parfois des lettres d'âmes inconnues me disant
que je leur avais fait du bien dans mes petits livres.
Vous ne sauriez croire combien cela console d'une vie
sans grande utilité...
... Je n'ose vous souhaiter ici-bas un bonheur quelcon-
que. Vous êtes trop engagée dans les œuvres pour n'en
pas sentir les mille tourments, et votre nature est trop
sensible pour n'avoir pas à gémir souvent des insuffi-
sances de ce monde !
Soyez donc une sainte pour être heureuse plus tard !
V
Ma chère et vénérée Mère,
Si j'ai retardé ma réponse à votre bonne lettre, c'est
que je tenais à la faire dans un'moment moins agité par
_ 374 —
les visiios et la correspondance du jour de l'an. Ai-je
besoin de vous dire que le temps que vous avez bien voulu
me consacrer m'a paru hop court! J'aime tant aborder
certains sujets religieux qui n'intéressent que de rares
esprits ! Sans doute, à remuer certaines questions, il y a
le danger de préoccupations intellectuelles, mais, plus
nous allons, plus ces questions sont jetées dans le public,
et il est bon que certaines personnes soient en état de
calmer les troubles qui s'élèvent nécessairement dans les
âmes surprises sans préparation. Ne vous étonnez donc
pas d'éprouver vous-même quelque atteinte de l'épidé-
mie de notre temps. Dieu le permet pour développer
votre aptitude à rassurer les autres. Il se fait un grand
travail d'élimination et de consolidation dans certaines
parties de notre enseignement, comme il se fait une
reconstitution de la forme nouvelle imposée par la
Séparation. Si l'Église ne fait pas la conquête des masses,
du moins dans un avenir rapproché, elle conserve, et elle
seule, lés principes qui sont nécessaires à la vie privée et
à la vie sociale. L'avenir est à elle, à quel moment? rien
ne le fait prévoir. Réjouissons-nous d'être dans cette
Église qui porte les destinées du 'monde et nous fait une
petite place dans son sein.
Gardez-vous bien surtout de vous croire coupable de
ces bourdonnements d'oreilles que vous donnent toutes
ces foules d'idées en mouvement.
Acceptez aussi avec une grande paix les sécheresses
qui sont l'épreuve fréquente des âmes en ce monde. Ce
n'est pas le temps de jouir de Dieu même de cette façon.
La vie est surtout un exil, une épreuve. « Notre mouve-
ment vers Dieu se fait par le gémissement et par le
désir », selon la parole de saint Augustin. Les senti-
ments sont toujours à notre portée. Entreten,ons-les
sans tristesse.
— 375 —
VI
Ma vénérée Mère,
Je suis bien affligé de vous savoir toujours souffrante;
vous ne pouvez vous dévouer autant que vous le voudriez.
Vous le faites, il est vrai, trop sans doute, mais à vos
dépens ! Durant une maladie chronique, on perd le goût
de bien des choses, et quelquefois celui de Dieu même
devient moins sensible. Des ennuis, des répulsions s'élè-
vent, que l'on désavoue, mais dont on reste imprégné
malgré soi... Eh bien ! ma chère Soeur, c'est la Croix avec
sa rudesse, celle de Jésus fut ainsi. Prenons l'habitude
de ne pas juger notre amour pour Dieu par ce que nous
sentons ou exprimons. Il est dans la plénitude de
l'acceptation, et dans la volonté de faire toujours et en
tout ce que nous savons Lui être le plus agréable.
VII
Ma vénérée Mère,
Votre souvenir m'est toujours une consolation et vos
prières me sont une espérance. L'huile s'épuise dans
la lampe; cette année elle a failli manquer tout à fait, et
elle ne me permet d'émettre qu'une bien petite lumière :
plus de ministère extérieur, et des heures de travail très
rares. Reste la vie de souffrance; mais sous ce rapport,
Dieu m'épargne; ce que j'ai à Lui offrir par là est sans
grande valeur; ma vie est encore trop douce, quoique
parfois elle paraisse triste. Tout mon mérite, et il n'est
pas grand, consiste en ce que je m'enferme dans la
volonté de Dieu, quelle qu'elle soit, et que je ne désire
pas autre chose. La raison suffirait à dicter cette conduite;
je tâche d'y mettre un peu d'amour. Demandez que j'y
en mette beaucoup, et du meilleur.
... Je demande particulièrement à Dieu qu'il Vous
— 376 —
donne une paix profonde et douce, un vrai repos sur son
Cœur, comme II lit pour sainl Jean... Dieu est le Père
des pauvres qui se reconnaissent tels. " II faut se croire
aimé de Lui, tel qu'on est. Cela Lui l'ait honneur et nous
donne du courage.
VIII
Ma chère et vénérée Mère,
Si je viens bien tard vous remercier de vos bons vœux
et des sentiments si touchants que vous m'exprimiez
par votre lettre déjà ancienne, c'est la faute du bon Dieu
qui m'a retenu malade. Vous ne lui en ferez pas de repro-
ches, car il a été bien bon de m'envoyer la seule chose
que j'aie apprise assez bien et d'assez bon cœur.
Ne voyant en tout que sa volonté, je ne m'attriste pas
trop, même de ne pouvoir dire la sainte messe, ni travail-
ler utilement. C'est bien le moins que je m'applique à
faire ce que je demande aux autres. La nature parfois
voudrait s'attrister, je proteste et je laisse passer le
nuage.
Je remercie Dieu de ce qu'il vous laisse assez de santé
pour rendre d'éminents services à l'œuvre que vous
aimez. S'il vous fait payer cher cette grâce, ne vous en
plaignez pas : elle aide à faire vivre une société appelée
à défendre et à maintenir, par la ferveur, l'esprit de foi
qu'on tend de plus en plus à lui arracher. Si donc vos
occupations et vos soucis vous enlèvent la joie de vivre
une vie intérieure très intime, ne vous troublez pas :
la condition de votre vie surmenée s'y oppose, et ce
serait miracle si vous étiez unie de pensée à Dieu comme
si vous étiez dans la solitude. Dieu vous demande actuel-
lement de le servir « à tous vos dépens ». Acceptez donc
le sacrifice d'être moins près de Lui, en travaillant plus
pour Lui. Conservez toujours un cœur dilaté.
Continuez-moi le secours de vos prières et croyez
toujours, ma chère-et vénérée Mère, à mon respectueux
attachement en Jésus.
— 377
IX
Ma chère et vénérée Mère,
Je ne voulais pas vous écrire une lettre courte et
banale, qui ne répondrait pas du tout aux sentiments
de respectueuse affection qui lie mon âme à la vôtre :
je m'y vois contraint, sous peine de tomber complète-
ment en faillite. Recevez donc, avec mes vœux de nouvel
an, tous les regrets de la privation que je m'impose. Je
tiens pourtant à vous dire que je demande pour vous
à Dieu une grande paix intérieure, à travers laquelle
vous verrez et sentirez Dieu, davantage. Que cette paix
ne règne que dans les hauteurs, ou qu'elle s'étende aux
impressions elles-mêmes, c'est, ce qu'il faut laisser au
choix du Maître. Ne cherchons dans la paix que la
liberté d'aimer davantage et de nous dévouer plus effi-
cacement.
Souvent l'impression de crainte n'est plus qu'une
habitude qui agit malgré nous et dont il ne faut tenir
aucun compte.
Un des meilleurs moyens de vivre au-dessus d'elle,
c'est de vivre beaucoup en Dieu et d'oser aimer comme
si l'on avait une âme de saint. Dieu pourrait-il donc
s'en plaindre? •
- Cultivez l'attrait qui vous fait voir dans l'action de
la grâce l'action même de Jésus. Il n'y a pas une de vos
bonnes pensées, il n'y a pas non plus une seule de vos
prières qui n'ait commencé dans l'âme de Jésus, passé
par son Cœur, et descendu sur vous par ses' prières.
Une fois en vous, elles sont suivies par ses regards, et
une fois bien accomplies, les voilà qui sont entrées dans
son Corps mystique. Vivre de Jésus et Le faire vivre
ogt une réalité fondamentale, elle est très mystérieuse
comme tout ce qui touche à la vie, même chez les plantes.
Demandez pour moi cette grâce que je sollicite depuis
bien des années et qui me rendrait bien meilleur.
378 —
X
Ma vénérée Mère et chère fille en Noire-Seigneur,
Je viens de lire votre si bonne lettre, et, laissant de
côté tout un gros paquet de réponses à faire, je me
donne la joie de vous écrire. N'est-ce pas d'ailleurs un
devoir? La sainte amitié dont vous m'honorez ne crée-
t-elle pas des droits qui passent les premiers dans l'ordre
même de la charité? Et puis, moi aussi, j'ai pensé si
souvent à vos souffrances, aux .souffrances physiques,
et à celle, plus douloureuse, que développe la fatigue
jointe à l'inaction ! Nous savons cela l'un et l'autre,
n'est-ce pas : eh bien ! cela même est bien, cela même
est bon, tout en restant, chose très humble. On n'est
pas fier de soi, de ce qu'on fait, de ce qu'on est ! Et
comme on veut quand même aller à Dieu et bien avant,
on se met à comprendre la bonté divine, inépuisable,
paternelle, rassurante, ne se lassant jamais de l'âme qui
veut être son enfant. Il n'y a aucun danger à s'épanouir
dans la miséricorde; il n'y a ni présomption, ni orgueil,
puisque c'est, l'hospice de la misère, mais chez un Père,
ce qui relève la chose !
Il est même excellent de se sentir bien pauvre, bien
peu agissant, et de ne trouver en ces sentiments eux-
mêmes rien de bien conscient : on n'apporte rien, et l'on
ne sait rien dire ! Et quand on pense qu'on est aimé
quand même, qu'on est compris ou plutôt deviné, car au
fond on aime, la joie est grande toujours dans ce fond
qui cache bien des grâces, et peut-être quelques dispo-
sitions généreuses.
Je ne cesserai jamais de vous prêcher la dilatation.
Elle n'est pas votre voie, mais elle doit être votre objectif.
Efforcez-vous de l'atteindre, et résignez-vous à n'en pas
jouir, si Dieu le préfère, au moins pour un temps. Mais
c'est Lui seul qui a le droit de vous en priver. De vous-
même, vous devez y tendre.
379 —
XI
Ma vénérée Mère,
Offrons nos souffrances et nos impuissances, elles peu-
vent devenir dans la main de Dieu des germes de grâce,
elles sont sûrement une consolation pour le Sacré-Cœur
qui aime à être plaint. Or c'est bien avec Lui et pour Lui
que nous souffrons, dans la situation qui Lui est faite,
les déceptions qui l'atteignent de tous les côtés. Gardez-
vous bien d'appauvrir cette puissance de consolation
en laissant votre âme se resserrer sous l'impression d'une
crainte de conscience. Fuyez tout ce qui est personnel,
même jusqu'à la responsabilité, j'ose dire, afin que toute
votre âme soit uniquement compatissante à Jésus. Par-
lez-lui comme ferait une sainte; si nous ne sommes pas
saints, Lui n'en mérite pas moins d'être aimé au degré
où l'aimaient les Saints : il faut de la hardiesse dans
l'amour.
XII
Ma vénérée Mère et chère fille en Notre-Seigneur,
Merci de votre souvenir et de vos vœux ! Votre âme est
une de celles dont je peux recevoir le plus de joie et le
plus de bien. Vous êtes à Notre-Seigneur par le. fond des
choses. Vous allez à Lui directement, et vous ne voyez
rien en dehors de Lui. Bien plus, vous vous appliquez à
Le faire vivre en vous, en vous effaçant, et en Le consul-
tant dans le silence. Vous avez trouvé la source de vie
et vous en avez dirigé les douces eaux vers votre cœur
bien préparé... Oui, bien préparé, car la douleur l'a
profondément remué, et ne cesse sans doute de le secouer
encore... Ayez confiance ! Soyez fidèle envers Celui qui
est la Bonté dans un cœur de Père et d'Époux : le Père
a l'indulgence, l'Epoux n'exig<' qui: d'être aimé; Il tolé-
rerait au besoin des imperfections nombreuses. Vous
— 380 —
n'en gardez pas de volontaires. — Dilatez-vous donc, il
en est temps, si vous voulez donner à Dieu tout ce que
contient votre cœur. Vous êtes comme ces chanteurs qui
ont une belle voix, mais qui, par timidité, la retiennent.
C'est dommage pour les autres, et pénible pour eux.
La confiance n'est pas seulement une habitude heureuse
dont on jouit, elle est une vertu, et, comme telle, une
aide à l'amour divin. Toutes les vertus ont ce rôle géné-
ral de défendre ou d'exciter un noble et royal sentiment.
La confiance écarte la crainte qui paralyse son essor,
comme son expression. Il faut avoir confiance par obéis-
sance, quand on n'y est pas. porté par conviction, mais
il faut que cette obéissance commande à fond la confiance,
de façon qu'elle s'ouvre aussitôt, et qu'elle s'élance aussi
haut. Faites place à l'amour divin. Je n'ai pas d'autres
vœux à former pour vous, car celui-là les renferme tous.
J'y joins cependant celui d'une santé meilleure, et aussi
de quelques consolations du côté de votre œuvre admi-
rable...
DIX-SEPTIEME SERIE
M;t bien chère enfant,
\ otre lettre sent l'exil; elle est pleine de cette tristesse
vague que donnent les horizons trop vastes de l'inconnu,
iiiiiniic au désert. Heureusement une voix s'est fait entsn-
dre : « Venez à moi, vous qui portez le poids delà vie, el
je vous referai un nouveau courage. » Peut-être Dieu
a-t-IÏ eu pour dessein spécial de vous prendre à Lui tout
— 381 —
seul et pour espoir de vous voir vous suffire de Lui. Qu'il
vous suffise par le contentement ou par le choix tout
seul, c'est chose indifférente en soi, mais non indiffé-
rente à notre gré. Quand Dieu remplit l'âme d'un senti-
ment de consolation, tout vit, tout resplendit. Quand 11
nous laisse aux prises avec l'ennui accepté, avec la
souffrance intérieure résignée, nous nous persuadons que
tout est perdu, que, du moins, tout est changé. Il n'en
est rien, c'est la surface seulement qui est atteinte; la
lumière prête sa beauté à la nature, mais la nature sans
lumière est bien la même, et le jour ne lui ajoute que la
possibilité de nous charmer; au dedans d'elle-même, elle
est aussi féconde, aussi active durant la nuit.
Cherchez donc votre Dieu, aimez sa volonté jusqu'à la
privation de toute joie, même spirituelle, soyez fidèle
à toute indication de ses désirs.
Puisqu'il faut être en pension, aimez à être en pension;
puisqu'il faut faire de l'anglais, négligez votre cher
français; au milieu de tout cela, cherchez à aimer Celui
à qui vous vous êtes librement donnée.
Voyez ce qu'est la vie ! Nous croyons mettre la main
sur une satisfaction légitime, nous la touchons, déjà elle
nous échappe : Dieu seul ne manque jamais.
II
Ma chère enfant,
Que penseriez- vous si un ange vous disait de la part de
Dieu que vous n'êtes qu'à la première étape de la peine...
Vous penseriez tout d'abord que décidément la vie est
bien triste... puis, en réfléchissant vous verriez surgir et
s'imposer cette autre vue : la vie est une épreuve... Se
dégageant encore, cette pensée vous montrerait, dans la
peine qui çlevient éprouve, le principe de notre grandeur,
parce que l'épreuve est le champ de bataille de la vertu.
Et par-dessus toutes ces considérations, ma chère
enfant, je désire que vous vous arrêtiez à une vue plus
-,.-■
,— 382 —
simple, celle de Dieu vous conduisant par la main. A
quoi bon tant philosopher, tant prévoir, tant craindre ou
espérer, quand il y a mieux à faire : s'abandonner avec
une absolue confiance. « Il arrive ce que mon Dieu qui
m'aime a réglé de toute éternité; oh! que ce doit être
bon et admirable et que m'importe si c'est au milieu des
ténèbres que je le vois, que m'importe même si le bien
m'arrive sous l'enveloppe de maux apparents ! Je veux
tout ce que Dieu veut et j'aime tout ce qui me vient de
Lui. »
III
Ma bien chère enfant,
Vos lettres sont désormais des lettres de printemps, et
celui que Dieu sème dans les âmes n'a pas de moins chauds
rayons ni de moins charmantes éclosions. Qui vous eût
dit que vous aimiez tant votre vocation et ce doux passé
où elle a pris ses ailes avides d'espace ! La séparation ne
crée pas les sentiments, elle les montre ou, pour mieux
dire, elle les fait s'épanouir...
Vous vous abandonnerez si complètement à l'action de
Dieu que tout vous poussera en avant, les joies et b\s
souffrances, les consolations et les délaissements, l'affec-
tion des créatures et les déceptions qu'elles causent par-
fois. Quand on est complètement saisi par l'amour de
Dieu, c'est pour l'âme un ciel nouveau. Les révélations
des choses que l'on savait se multiplient. On se fait l'effet
d'un aveugle qui a reçu des yeux. Chaque objet attire
et retient, étonne et charme. On se sent un cœur que l'on
ne se connaissait pas, et le monde ne paraît pas si vaste
qu'on ne puisse l'étreindre dans sa charité. Qu'il est bon
de se perdre dans ce sentiment de Dieu et de s'y oublier
toujours !...
On ne meurt pas au printemps, ce serait trop beau !
On voit le ciel se couvrir de, nuages errants. On sent
s'élever des vents froids, les fleurs tombent, mais à la
place où elles furent, se présente un petit fruit qui va
— 383 —
grandissant sous la pluie et le soleil... Ce fruit mûr tom-
bera un jour sur la terre, il y sera caché par des feuilles,
peut-être foulé aux pieds, il semblera bien mort et dans
sa mort la vie travaillera au contraire à se multiplier.
Puisse votre maturité être, féconde et, en attendant,
puisse votre printemps être bien doux !
A toujours sur la terre et au ciel.
Votre respectueusement affectionné en Notre-Seigneur.
IV
Ma chère enfant,
Saint Paul disait : « Je n'ai pas de joie plus grande que
celle de savoir mes enfants dans le chemin de la vérité. »
Cette joie est la mienne à voire égard.
Toute votre lettre respire la paix et le contentement.
C'est donc l'action de Dieu qui vous conduit. Les sacri-
fices de la vie religieuse sont à peine sentis quand on est
favorisée comme vous l'êtes. J'aime bien votre offrande
totale pour tout ce qu'il plaira au divin Maître de vous
faire souffrir, car j'espère bien qu'il ne vous oubliera pas
dans la distribution des plus nobles reliques qu'il y ait
au monde, celles de la Croix. Habituez-vous à les aimer
en aimant Celui qui voulut y mourir. Désirez lui offrir,
vous aussi, cette preuve de l'amour. Quand on quitte le
monde, on ne doit garder aucun de ses goûts, le goût de
la souffrance y est étranger. Il doit être le vôtre; ces
goûts de bien-être, de curiosité, d'estime particulière,
d'attachement même, doivent être immolés en vous. S'ils
revivent, tant mieux, il y aura de plus nombreuses immo-
lations, voilà tout.
Le glaive qui les accomplit le plus saintement, le plus
efficacement, le plus délicieusement, c'est l'ardent amour
pour Notre-Seigneur.
Les prêtres de Baal au temps d'Élie ne purent pas par
leurs clameurs faire descendre le feu du ciel sur leur
sacrifice, qui resta intact. Le prophète, puissant par sa
28
— 384 —
prière, commande au ciel même, et de ces victimes il ne
reste que de la cendre. L'amour de Notre-Seigneur produit
les mêmes effets : il ne reste rien de ce qu'on doit lui
immoler.
Je me souviens avec bonheur de l'attention émue avec
laquelle vous suiviez les conférences qui développaient
à vos yeux les sentiments et la vie de notre Sauveur
adoré. C'étaient les premières impressions vives et domi-
natrices qui naissaient dans votre âme et qui la subju-
guaient en devenant les seules ! Vous ne sauriez trop
remercier Dieu de cette grâce.
Ma chère enfant,
Mes vœux à votre égard sont en train de s'accomplir
et je n'ai à vous souhaiter que leur parfaite réalisation.
Être l'épouse de Notre-Seigneur ! — Vouloir être digne de
cet honneur ! — Le vouloir pratiquement ! — Persévérer
dans ce vouloir suprême et dominateur, malgré l'entraî-
nement des occupations... voilà ce que je demande pour
vous.
Le désir et la prière sont les deux ailes de l'avancement.
Une âme doit désirer toujours connaître beaucoup mieux
Notre-Seigneur, ses volontés, ses préférences, ce qui peut
l'en faire aimer. Sentant son ignorance de ces choses et
son peu de force, elle prie du fond du cœur, elle prie sans
cesse, elle ne se décourage, ni ne s'attriste, mais elle
désire toujours et elle prie toujours, qu'elle soit fervente,
ou qu'elle soit inerte de sentiments.
Le désir creuse, et trouve. Le désir fait jaillir en nous
des lumières inattendues, il emploie toutes les ressources
latentes de notre être; il est cet être lui-même en mou-
vement. Or, quand notre être tout entier s'élève au-dessus
de lui-même et tend à Dieu, Dieu le prend par la main
et l'élève vers Lui.
Ne vous résignez pas, ma chère enfant, à être jamais
— 385 —
médiocre en ferveur et en dévouement. N'accueillez
jamais une imperfection sous prétexte qu'imperfection
n'est pas péché. Soyez délicate envers Celui de qui vous
voulez l'amour. Souffrez à la seule pensée de le contrister.
Voilà quelques-uns de mes vœux, et ils sont en voie de se
réaliser dans la formation que vous donne le noviciat.
Je me réjouis de ce que votre santé se maintient et vous
recommande de ne pas être imprudente de ce côté-là.
C'est un devoir, et il y va plus encore de votre perfection
que de votre vie.
VI
Ma chère enfant,
Je suis très heureux de vous savoir au port. Vous avez
jeté l'ancre du côté du ciel, vous avez donné à votre vie
les grands horizons de l'infini. Qu'importe la nature des
occupations; ce qui est accompli par de grands motifs
change de valeur et se transforme comme le pain de
l'aumône se changea en roses dans le tablier de sainte
Elisabeth. Soyez donc surnaturelle en tout; ce serait
dommage de donner ses parents, ses espérances humai-
nes, sa vie tout entière, pour se préoccuper et se remplir
de soins vulgaires. La nature tend sans cesse vers des
objets de son ordre, et telle religieuse finira par n'être
plus qu'une bonne maîtresse de classe ou une bonne
infirmière. Telle autre, en faisant exactement les mêmes
choses, se trouvera n'avoir accompli que des actes divins.
Veillez donc aux motifs qui vous font agir et entretenez
en votre cœur cet amour divin qui les inspire. Le bon-
heur consiste à aimer, et le grand bonheur prouve qu'on
aime.
— 386 —
VII
Ma chère enfant,
Je vous remercie bien affectueusement des vœux que
vous m'exprimez à l'occasion de ma fête. Les vœux n'ont
point de date, quand ils ont quelque chose d'éternel.
Certaines circonstances les rendent pourtant plus sensi-
bles, car si nos vœux sont éternels, le cœur qui les forme
ne l'est pas encore.
Votre lettre respire la santé spirituelle. Vous êtes bien
ce que j'avais auguré. En vérité, vous n'avez pas acheté
le bonheur, vous l'avez trouvé tout fait, comme certains
êtres qui naissent princes ou millionnaires. Vous n'avez
eu qu'à ne pas résister : Dieu est venu vous prendre par la
main en vous disant : voulez-vous être princesse? Sans
peine, vous avez dit oui, et vous voilà sur le chemin de
la royauté des vœux. La vie sera trop courte pour suffire
à votre reconnaissance, mais il y a le ciel. Votre âme
est insuffisante à la bien exprimer, aussi d'autres âmes
sont là pour vous y aider par le zèle; en faisant aimer
Notre-Seigneur, vous multipliez les cœurs qui remercient
avec vous.
VIII
Ma chère enfant,
Mon premier sentiment est celui de la joie, la joie de
vous voir vraiment religieuse. Je suis bien aise, sans doute,
de savoir que vous êtes une maîtresse distinguée et que
vous êtes dans un milieu qui vous convient. Mais je ne
serais pas sans triftësse, malgré cela, si je ne voyais
Jésus à la première place. Il me semble même qu'il
est à la seconde et à la troisième aussi, c'est-à-
dire qu'il remplit voire âme. Tandis que les affections
humaines encombrent nécessairement, parce qu'elles sont
imparfaites, l'affection pour Notre-Seigneur augmente
— 387 —
et la puissance de se dévouer et l'espace du dévoue-
ment. C'est une belle lumière qui, s'étant levée sur une
vie, lui ouvre des horizons et lui apporte des forces.
C'est une atmosphère où l'on respire à l'aise et dans
laquelle on se meut librement. Nous ne cessons pas de
respirer en agissant, et plus nous respirons, plus nous
sommes capables d'agir avec force. Heureuses les âmes
religieuses qui ne cessent jamais de respirer en Dieu !
Elles sont nombreuses, hélas ! celles qui s'en déshabituent,
et tous leurs mouvements extérieurs restent, au fond,
stériles. Ce n'est que par la sainteté qu'une religieuse
accomplit le bien spécial qu'elle est appelée à produire.
La vertu chrétienne est une flamme qui ne s'allume qu'à
une flamme du même ordre. La multiplicité des œuvres
et les succès du pensionnat laissent souvent imparfaite
l'œuvre de Dieu. Je me réjouis de l'éclosion de piété que
vous constatez chez vos élèves; habituez-les, s'Use peut,
aux vrais sacrifices, à la victoire sur elles-mêmes et à la
préférence toujours assurée aux biens de l'âme.
Je suis bien sensible à vos vœux, priez beaucoup
Jésus pour l'âme du prêtre. Laissez-moi, de mon côté,
vous désirer le plus grand des biens, l'amour passionné
pour Notre-Seigneur, et, s'il le faut, pour Jésus crucifié.
L'épreuve vient à son heure. — Courage !
IX
Ma chère fille,
Je m'unis à votre joie et à votre reconnaissance envers
Dieu et à toutes les espérances des âmes qui s'intéres-
sent à vous!
Votre vie sera tout entière un cantique, si elle est vrai-
ment surnaturelle. Dieu, en effet, apparaît partout à
l'âme détachée et fervente.
U est dans le fond de toute créature. C'est lui qui met
en mouvement tout ce qui agit. Selon l'expression de
— 388 —
saint Ignace, Dion nous sort, hii-mêmo par toutes les
créatures.
Mais, semblable a la lumière, il se manifeste diverse-
ment, selon l'aptitude que présente chaque objet. Voilà
pourquoi l'on doit dire que Dieu est bien plus dans les
âmes que dans la nature, et qu'à mesure qu'elles prennent
plus de vie surnaturelle, il a la liberté de s'y développer
davantage. Il a voulu apprendre lui-même qu'il a choisi
des résidences plus spéciales, c'est ainsi qu'il est plus
particulièrement dans les petits enfants, dans les pauvres,
dans les personnes qui lui sont consacrées. En fait d'évé-
nements, il est plus dans la souffrance que dans la joie
ici-bas. — Mais où il est tout à fait, c'est dans son Eucha-
ristie. La religieuse qui ne saurait pas l'y trouver serait
bien à plaindre.
A vous, ma chère fille, Dieu a révélé toutes ces richesses
et les a mises dans votre main. Il vous donne le droit de
le trouver en tout comme une épouse, mais une épouse
de l'invisible. Seules les âmes intérieures en ont la jouis-
sance, les autres finissent, hélas! par devenir presque des
étrangères. Jurez à cet époux de votre choix que vous ne
chercherez que Lui et que vous le chercherez sans relâche.
« O filles de Jérusalem, indiquez-moi où il repose », tel
est le sentiment le plus vif et le plus constant de la sain-
teté. Puissiez-vous le porter jusqu'au Ciel, alors Celui que
vous aurez cherché avec une soif ardente se montrera et se
donnera à vous et vous n'aurez plus jamais soif !
Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, dit
le Sauveur, le reste vous sera donné par surcroît. C'est
pour avoir oublié cette règle que la prospérité a souvent
diminué avec la ferveur première dans les ordres religieux.
Il faut de l'esprit de foi avant tout et au besoin de l'esprit
de sacrifice. Mais Dieu doit être toujours le premier objet
de .toutes les déterminations.
Je vous bénis etf'me dis une fois de plus votre père
profondément dévoué.
— 389 —
Ma chère enfant,
La ferveur que je sens dans vos lignes m'est un bou-
quet de fête parfumé. Je remercie Dieu de ce qu'il m'a
donné mission autrefois pour la formation de votre âme
et de ce qu'il veut bien aujourd'hui m'en faire voir
l'épanouissement.
Les vœux qui viennent d'une âme unie à Dieu ressem-
blent à ces lettres que les enfants écrivent aux grands-
parents sous les yeux de leur mère et sous son inspira-
lion aussi. Ceux qui les lisent y retrouvent de la sorte
une charmante réunion de sentiments. Il me semble donc
que c'est Dieu qui, par vous, m'assure de sa tendresse et
de la vôtre. Soyez-en bénie.
O mon enfant, laissez-moi vous répéter encore et tou-
jours que je veux vous savoir avant tout la religieuse
épouse de Notre-Seigneur, non seulement délicate mais
attentive, non seulement bonne mais sainte. Il faut que
Dieu soit votre vie et que vous défendiez votre âme
contre l'envahissement de ce qui n'est pas Lui. Ce n'est
pas le devoir qui s'y oppose, c'est la manière de l'accom-
plir. Les occupations peuvent nous laisser Dieu et même
nous Le porter. Que l'esprit de foi soit en vous cette lampe
dont parle Notre-Seigneur et qui éclaire toute l'âme.
Dégagez-vous, dégagez-vous sans cesse des obstacles.
Beaucoup d'âmes n'ont pas cette sagesse et cette con-
stance, voilà pourquoi on ne les voit pas avancer. La loi
de croissance convient nécessairement à une vie dont la
mort n'est pas la décrépitude, mais la seule maturité.
Jusqu'au dernier soupir, l'âme doit progresser, et elle le
peut faire dans des proportions de plus en plus merveil-
leuses. Qui nous donnera de telles âmes?
C'est avec un grand repos que je pense à ma chère
religieuse. Vous m'apparaissez au port, à l'abri des dan-
gers et des violentes fluctuations que subissent les âmes
dans le monde.
— 390 —
\l
Ma chère enfant.
Je remercie le divin Maître de la consolation qu'il me
donne dans vos vœux si finalement exprimés et dans la
communication si filiale aussi que vous me faites de votre
âme.
Votre voie est une voie paisible, sinon toujours consolée,
où rien n'empêche l'avancement. Une certaine routine
seule serait à craindre; mais elle, ne s'introduit pas dans
la vie qui reste fidèle aux exercices de piété el à la recher-
che de Dieu.
La date du 26 avril est toujours présente à votre âme !
C'est le jour où a été définitivement rompue la chaîne
qui retenait au rivage votre petite barque destinée à
l'infini. Ce jour-là le Sauveur et divin Nautonier a dit à
votre âme la parole dite à saint Pierre : « Duc in altum,
passez au large ! » C'était sur le lac de Génésareth, cette
petite mer d'où l'on ne perdait jamais entièrement la
terre de vue. Telle est bien la vie religieuse, vie de sépa-
ration d'avec la terre, mais d'une séparation qui en
laisse la perspective. Il est vrai, quand on a poussé au
large, ces perspectives deviennent indistinctes; il n'en
vient aucun écho qui trouble. Les bruits, comme les
objets, sont noyés dans la distance, et n'apportent à
l'âme que l'impression de ce qu'ils ont de divin. Oh !
tenez toujours au large votre âme dégagée ! Si cependant
votre emploi vous conduit dans une anse qui touche
à la terre, comme cette anse est toujours abritée et isolée
par la vie religieuse, faites-vous, là encore, une profonde
solitude, en ne vous occupant nullement de ce qui se
passe sur le rivage. Oh ! soyez religieuse, et religieuse
avant tout !
... Que souhaiter à ma chère fille? Ce qu'elle a, oui,
mais ce qu'elle a, élevé chaque année à une puissance qui
peu à peu défiera les formules de l'algèbre. Aimer Dieu,
c'est l'Infini ouvert; mais ses profondeurs restent inac-
— 391 —
cessibles aux auges eux-mêmes, tant elles sont lointaines !
Que de merveilles à chaque étape vers l'Infini! — Au
Ciel nous parlerons de nos découvertes. Puissé-je n'être
par, trop loin de ma sainte fille !
XII
Ma chère enfant,
L'autre jour vous souhaitiez ma fête, et c'est moi
aujourd'hui qui fais la vôtre. J'ai pensé ce matin au
renouvellement de vos vœux en présidant celui de nos
Sœurs. J'ai remercié Dieu de vous avoir donné une voca-
tion de choix et de m'avoir permis de parer l'àme de
l'épouse. Et j'ai appelé sur vous la bénédiction que l'on
demande pour sa fille aînée. Car vous avez bien ce titre
par rapport à mon ministère à Saint- J... : j'ai même le
regret d'ajouter à celui-là cet autre, qui lui ôte légère-
ment sa signification: vous êtes ma fille unique! Il n'a pas
dépendu de moi que vous eussiez des sœurs, et je regrette
vivement l'absence d'énergie de certaines âmes qui me
semblaient appelées.
Vous voilà obligée de vous multiplier pour faire oublier
les absents, et d'avoir assez de cœur pour réchauffer à
vous seule ce grand cœur de Jésus attristé par tant d'in-
différence. Pensez-vous qu'il soit possible qu'on lui pré-
fère une affection ordinaire !
Ce que vous me dites de vos efforts vers l'union par-
faite me fait le plus grand plaisir, et quoique je n'aie rien
à désirer d'après vos dispositions, je vous répéterai :
prejiez garde! Ne vous laissez pas envahir; prenez les
moyens nécessaires pour que Dieu reste tout pour votre
pensée et pour l'animation de votre vie.
Vous vous trouvez actuellement dans un milieu
recueilli et fervent, développez-vous, affermissez-vous,
car il n'est pas certain que vous ne serez pas un jour
transplantée ailleurs. Ayez de bonnes racines et une
grande vigueur pour résister.
— 392 —
Mil
Ma chère fille,
Oui je suis heureux de vous savoir toute à Dieu et heu-
reuse en Dieu. Je sens que vous avancez dans son arnour,
et je désire que jamais les occupations ne nuisent à ce
saint désir. C'est par l'amour qu'on est religieuse, car la
religieuse est épouse. Tout ce qu'on pourrait faire comme
classe reste loin de ce bon devoir d'aimer, soi-même,
toujours de plus en plus. Et puis,- pour le bien lui-même,
qui est souvent le prétexte d'un relâchement dans la
piété, le degré de l'influence divine est le degré du succès
vrai. L'homme peut, par son industrie, reproduire des
fleurs, des grains de sable... Mais il ne saurait donner la
vie à aucune de ses œuvres. Pour que la religieuse fasse
du bien, il faut qu'elle communique Dieu. Ce qu'elle fait
par sa seule activité, quelque intelligente qu'elle soit,
reste œuvre morte.
Aimez donc, et faites aimer Celui à qui vous êtes liée
par la sainte profession. Que sa part soit la plus large
dans vos pensées. Soyez sa main, sa parole, laissez-Le
agir el parler par vous.
XIV
Ma chère fille,
Bien des fois j'ai senti le désir de vous écrire, et plus
souvent peut-être depuis que ce désir est devenu un
regret; je viens donc à vous, malgré les occupations de
ce jour, parce que je ne veux pas supporter plus long-
temps la peine que vous cause mon silence.
Vous savez bien que chez moi, pour vous, silence n'est
pas oubli; c'est plutôt tranquillité. Je vous sais si bien
entourée, si heureuse même; et, de loin, j'en jouis. Si
vous étiez la centième brebis qui se serait égarée, vous
on *>
— àvo —
m'auriez vu depuis longtemps à votre poursuite, mais
parmi les quatre-vingt-dix-neuf autres, vous occupez le
tout premier rang en l'ait de fidélité au bercail... Ces âmes !
on ne les aime pas moins, mais on se contente de leur dire
comme le berger : allez, on se dispense même de cette
exhortation très douce et l'on repose son regard à les voir
marcher, dans les sentiers où Dieu les appelle, avec le
même cœur, que les sentiers soient faciles ou âpres.
Croyez-le bien : votre bonheur fait une partie du mien,
et votre souvenir me rassérène.
Mais j'ai aussi de l'ambition pour vous, et la plus
haute, celle qui approche, de Celui qui seul est grand et
dont la faveur est éternelle. Je veux que vous soyez une
âme d'avancement. 11 y a des religieuses qui, arrivées à
un certain degré dans la pratique des vertus et des exer-
cices pieux, s'en tiennent là et ne regardent pas plus loin.
Celles-là""»' ont pas compris la perfection qui est essen-
tiellement dans l'amour. Or l'amour est non seulement
la seule vertu qui puisse toujours progresser, car son objet
est infini, mais il est le devoir d'état de toute enfant de
Dieu, ainsi que le besoin de tout cœur qui sent la vraie
vie en soi. Je suis tout heureux de vous entendre dire :
je cherche à me fondre en Jésus, à le laisser vivre, à le
faire vivre en moi. Avec un tel désir, il ne reste plus qu'à
tenir écartés les obstacles. Vous m'en signalez un sur
lequel j'appelle votre attention : la simplicité. Sans elle,
Dieu n'est pas entièrement libre, soit par les intermé-
diaires qu'il emploie, soit par son action directe. La
simplicité comprend deux choses : la simplification de sa
voie : pensées, désirs, manière paisible de traiter avec
Dieu, et puis un confiant abandon, soit pour recevoir des
autres, soit pour leur donner. Cet abandon doit être pru-
dent sans doute, mais il doit faire plus large la part de
la confiance.
Je prêche sans doute une convertie; mais mes avis,
s'ils n'ont rien à réformer, auront l'effet d'un encourage-
ment. Vous serez plus filiale envers ceux qui dirigent
votre âme, plus maternelle envers les enfants que Dieu
vous a donnés; vous épancherez plus facilement vos
— 394 —
difficultés el vus peines, comme aussi vos-ardeurs et vos
souhaits
XV
Ma chère enfant,
A force de prier pour moi et de faire des vœux au Ciel,
vous finirez bien, je l'espère, par me rendre meilleur.
J'accepte avec bonheur cette sainte violence. Plus je vais,
plus je sens que Dieu est tout, et je voudrais, de toute
mon âme, aller vers Lui par l'amour. Jésus est entre
mes mains chaque matin, je l'offre à son Père et, en ce
moment, ma pensée embrasse une multitude d'âmes
parmi lesquelles Sœur M. T... a sa place, je l'offre à
Dieu avec Celui qui nous unit par sa charité. Vous sem-
blez me demander de vous donner un souvenir plus dis-
tinct : eh bien ! je n'ai rien à refuser à ma fille aînée de
Saint-J..,et chaque jour distinctement, vous serez près de
moi à l'autel; et vous y serez en qualité de fille bien chère
et bien recommandée à Dieu, ce sera un trait d'union
plus étroit.
Je suis bien content de vous voir prendre goût à Jésus
intime, j'étais sûr que ces belles notions vous feraient
pénétrer dans des régions plus brillantes, plus surpre-
nantes, où Jésus se montrerait mieux. Nous ne connais-
sons ici-bas que les phénomènes extérieurs; la nature
des choses nous échappe. La science nous révèle une foule
de résultats vraiment merveilleux, mais l'amour de Dieu
reste un mystère; nous manions l'électricité que nous ne
connaissons pas, nous jouissons de la grâce que nous
ignorons bien davantage. Jésus lui-même ne se fait pres-
sentir que peu à peu et à très peu d'âmes... vous êtes de
ce petit nombre : vous saurez et vous aimerez toujours
plus.
Ne vous étonnez pas de ces fluctuations dans les
successions d'élèves. Il y a des époques où le choix est meil-
leur, d'autres où tout est médiocre. On ne peut l'attribuer
à des causes immédiates. Gardez-vous surtout de vous
— 395 —
en accuser. Noire M... m'a dit que vous saviez très
bien prendre votre monde. L'expérience vous apprendra
de plus en plus qu'on ne prend la volonté que par ce qui
encourage. Encouragez beaucoup, élevez, excusez, atten-
dez... et puis, en même temps, priez, souffrez et morti-
fiez-vous.
Demain 2 juillet, vous allez vous renouveler dans
la donation heureuse et complète de votre volonté, de
vos goûts. Plus que jamais, vous vous tiendrez obéis-
sante à l'action de Jésus. Vous laisserez sa vie s'emparer
de la vôtre. C'est Lui qui vivra en vous, qui aimera,
qui souffrira aussi. Sans nous, il ne pourrait plus ni méri-
ter, ni souffrir. C'est une gloire de lui fournir nos élé-
ments. Vos tristesses au sujet des âmes, vos délaisse-
ments dans la prière... sont les plus précieux.
Allons, ma chère fille, devenons si intimes avec Jésus
que nous le laissions vivre par notre cœur, par notre
action, vie très douce et très haute en même temps que
très simple. Je bénis vos bons désirs, qu'ils ne se conten-
tent jamais de ce qui serait moins que Dieu.
XVI
Ma chère fille,
Ce que vous me faites connaître du mouvement qui
vous porte à éviter les considérations multiples dans vos
rapports avec Dieu me semble un attrait vers une voie de
simplicité, car simple est opposé à multiple. Tout vous
préparait d'ailleurs à cette voie : votre détachement
vrai et profond ainsi que vos longues réflexions et études
sur Notre-Seigneur. En effet le détachement nous arrache
aux mille soucis personnels qui absorbent et créent des
occasions de lutte; d'autre part, la connaissance appro-
fondie d'une chose la laisse de plus en plus simple et sou-
ple dans notre esprit. Un coup d'œil suffit pour voir
mille choses et réveiller mille sentiments. Or le but de
— 396 —
l'union à Dieu n'est pas de chercher, mais de recueillir.
Le coup d'œil qui voit tout et qui fait tout sentir nous
rapproche de l'état de Dieu même qui embrasse tout dans
une seule idée. — Voyez parmi les hommes : les hautes
intelligences sont celles qui arrivent aux plus larges
généralisations, et plus on acquiert de connaissances
vraiment scientifiques, c'est-à-dire bien enchaînées, plus
on les concentre; l'esprit s'en fait comme un tableau
synoptique qui dans une page lui présente toute la vérité.
Essayez donc dans l'oraison de vous en tenir à une
simple vue, à un ordre de sentiments. Si vous en sortez
plus unie à Dieu, vous saurez que vous êtes dans la bonne
voie. Il vous semblera peut-être qu'en multipliant les
idées et les actes, vous faites plus. Oui, vous faites plus
en nombre, mais ce n'est pas le nombre qui fait toujours
le poids. Un seul sentiment profondément éprouvé est
par rapport à cent autres comme le poids de cent livres
à côté d'une poignée de sable. Cette vue unique est telle-
ment enfoncée dans l'âme qu'elle l'accompagne dans la
vie active, et que le lendemain elle s'empare aussitôt de
l'esprit à l'oraison pour s'y enfoncer davantage. Est-il
nécessaire de dire que cette oraison ne dépend pas entiè-
rement de nous? Qu'elle manque parfois aux âmes
mêmes qui y sont appelées habituellement ! On s'y porte
et Dieu y met, s'il le juge bon. On s'y maintient, sauf à
recourir aux efforts, si la difficulté persiste.
Ce que je vous conseille, je ne le conseillerais pas à une
âme qui n'aurait pas acquis l'ensemble des connaissances
spirituelles. Notre vie spirituelle se compose assurément
des dons de Dieu, mais aussi de l'usage que nous avons
fait de nos ressources qui sont également des dons que
nous avons à faire valoir.
En cherchant Dieu, vous arriverez plus vite à vous
détourner de vous-même. Une âme qui a ce mouvement
habiluel d'ascension remarque sur-le-champ les recher-
ches personnelles et s'en éloigne plus délicatement. Tour-
nez donc plutôt votre effort vers Dieu, et l'éloignement
de vous-même vous sera donné par surcroît.
Il me semble que vos progrès me rapprochent moi-
— 397 —
même de Dieu; ce qui est certain, c'est qu'ils sv
à ce que je ne lui donne pas.
XVII
\
Ma chère fille,
J'approuve fort votre envie de demander à la crèche
un idéal de pauvreté. Jésus, en se montrant dépouillé de
tout, a voulu nous montrer qu'il ne vient ici-bas que pour
nous montrer bien également que nous ne cherchions
rien de la terre, pas même ses consolations, mais Lui seul !
Faisons-nous maniables comme son petit corps, humbles
comme sa totale impuissance, tendres comme un cœur
de petit enfant prêté à un Dieu. Allez à Lui non pour
qu'il vous donne quoi que ce soit, c'est son affaire, mais
pour lui apporter tout ce que vous avez. Aimez à faire à
ses pieds l'inventaire de ce à quoi vous tiendriez ; laissez-y
ce qui ne serait pas utile à son service : emportez comme
de Lui ce qui peut servir pour Lui.
XVIII
Ma chère fille,
Rien ne saurait m'être plus doux que d'entendre ma
fille parler de son admiration et de son amour pour
Jésus, pour ce Jésus Dieu et Homme, en qui notre pauvre
cœur trouve le repos de toutes ses aspirations, et ce qu'il
rêve de révélations infinies ! Heureuse l'âme qui l'a com-
pris, car elle sait tout, et elle est capable de tout, même
de souffrir sans trouble et sans plainte les plus grandes
épreuves, et jusqu'à ses délaissements apparents. J'ai
toujours remarqué une différence tranchée entre les âmes
qui s'appliquent aux vertus simplement et celles qui,
tout en les pratiquant, ne songent qu'à Jésus; celles-ci
ont la vie complète; les autres ont la vie sans doute, mais
— 398 —
une vie qui s'ignore. A mesure qu'on aime davantage, on
prend plus ample connaissance de cette vie, et alors les
vicissitudes d'ici-bas passent à côté, elles ont perdu le
pouvoir d'agiter. Que sont-elles, en effet, dans ce qu'elles
donnent et dans ce dont elles privent ! On accueille ce qui
plaît, comme un sourire de Jésus sur nous; on embrasse
ce qui déplaît, comme on voudrait étreindre sa Croix.
Votre genre de vie actuel est tout à fait favorable à cet
accroissement de connaissance. Rien ne détourne vus
regards de cet objet sans cesse contemplé; la commu-
nion, chaque jour, vous rapproche pour quelques instants
de ce vrai cœur qui palpite alors près du vôtre, réelle-
ment ! Puis les âmes sont là qui vous demandent Jésus,
et vous le leur donnez comme une effusion de voire âme,
et Jésus veut de plus en plus que vous vous perdiez en
Lui. — Ah! ne soyez plus que Lui! Lui, inspirant tout,
dirigeant tout, consolant de tout!... Si vous saviez com-
bien l'on souffre de voir de près l'effondrement de son
œuvre ! Ce ne sont pas seulement les œuvres qui s'écrou-
lent, c'est la Foi qui se déconcerte et qui s'enfuit... A
mon avis, la persécution actuelle n'est rien en comparai-
son de la triste évolution qui se fait dans les esprits. Je ne
sais où nous allons ! Nous sommes violemment ramenés
à l'arianisme pour descendre au panthéisme, qui est le
gouffre fatal où tombe tout ce que Dieu ne retient pas. "
Je ne sais si le vif sentiment que j'ai de cet état lamen-
table est la cause de mon affaiblissement actuel de santé;
j'en souffre beaucoup, je ne vois pas de remède. Tout ce
que je sais faire, c'est d'acquiescer et de supplier!
... J'aurais plusieurs idées, même pour un nouvel
ouvrage. Impossible de donner aux idées la fermeté et
l'étendue nécessaires. L'effort me brise aussitôt. Heureu-
sement, grâce à ma chapelle domestique, je continue à
dire la messe tous les jours.
— 399
XIX
Ma chère fille,
L'expression de vos chers sentiments pour moi me
paraît toujours nouvelle parce qu'elle est vraiment
vivante. Votre filiale affection me suit dans la vie sans se
lasser, sans s'attiédir. Elle m'est une jouissance. Tout le
passé demeure dan» ma pensée fidèle; mes premières
années à Saint-J... s'unissant à votre souvenir. Je vous
vois si attentive aux conférences religieuses, si enthou-
siasmée en face des grandes choses, si docile dans votre
mouvement vers Dieu ! La vocation religieuse est éclose
au milieu de ce doux printemps... Et je vous vois aujour-
d'hui chargée de la formation des futures maîtresses.
Quelle charge pour celles qui ont à adapter l'enseigne-
ment aux exigences nouvelles! Il faut évidemment l'éle-
ver et l'étendre : il faut perfectionner les intelligences
comme les méthodes : et avec cela développer la vie
religieuse, la rendre intense, former un milieu où l'on
aime, où l'on se dévoue et d'où l'on part avec l'ardeur
de l'apôtre.
Les temps sont mauvais; nos horizons sont noirs... dans
la nuit le Ciel s'illumine : c'est là qu'il faut regarder pour
espérer !
Il n'y a pas d'ailleurs à hésiter sur le parti à prendre.
Que chacun dans sa sphère donne tout le mouvement dont
il est capable, et des millions d'efforts sincères, sous la
bénédiction de Dieu, amèneront une ère plus consolante.
XX
Ma chère fille,
Il m'en coûte de prendre ce petit papier et de mettre
des bornes si étroites aux sentiments que je serais si
heureux de vous exprimer comme je les sens; ma santé
2'J
— 400 —
est descendue bien bas et je manque de force. Je ne me
sens pourtant pas malade et je pense que le repos des
vacances suffira pour me remettre.
Grâce à Dieu, j'ai pu remplir mon ministère jusqu'au
bout, je ne puis dire que je l'ai fait sans effort : certains
jours j'allais comme une-machine, j'ai sans doute exercé
la patience de mes auditrices; j'ai offert au bon Dieu tou-
tes mes impuissances avec mes petites souffrances pour
qu'il en fît son affaire : nous donnons si peu de chose dans
notre action sans la sienne ! Dieu peut faire sans nous.
Vous voyez par expérience qu'il faut toujours être très
satisfait de ce que le bon Dieu fait de nous. Vous êtes
heureuse dans votre nouvelle position : vous êtes plus
que jamais en contact avec les âmes, et ces âmes seront
des épouses de Jésus! C'est pour Lui que vous les ornez.
Je suis tout heureux des excellents renseignements
que vous me donnez de votre petite novice. Elle a plus de
cœur qu'elle ne paraît, et il est utile qu'elle sache qu'on
le comprend. Faites qu'elle aime Notre-Seigneur.
Pour vous, ma chère fille, faites- vous plus attentive
que jamais à la parole intérieure. Dieu ne fait que mur-
murer ses désirs, il faut les comprendre.au passage. ï\e
soyez plus vous, mettez Jésus à votre place. Jugez,
aimez par Lui et laissez-le tellement gouverner en vous
que votre attitude ne soit ni le désir, ni la crainte, mais
la simple attente de sa volonté. Si vous ne mettez aucun
obstacle à l'œuvre qu'il projette, cette œuvre sera un
chef-d'œuvre dont il gardera la gloire et dont il parta-
gera l'amour.
401 —
DIX-HUITIEME SERIE
(Sous-diaconal.)
Mon cher ami,
Si je m'étais écouté, je vous aurais écrit dès la lecture
de votre lettre qui me touchait vivement; mais, me trou-
vant presque sans forces et en face d'épreuves d'impri-
merie en retard, j'ai cédé à la raison en faisant passer
l'utile avant l'agréable. Je me suis libéré hier de mon
travail obligatoire, et ma première lettre est pour vous.
Je remercie Dieu de ce qu'il donne en vous à la sainte
Église un prêtre désintéressé et ardent, un vrai combat-
tant qui ne tremble pas à la vue du grand nombre des
ennemis et ne se décourage pas des défaites partielles.
Quand on parcourt des yeux le monde actuel, on a besoin
d'entendre la parole toujours vraie du Sauveur : « Ne
craignez pas, petit troupeau... » Non, vous ne craignez
pas, mon cher ami, cet isolement et le dédain qui est le
partage des croyants; vous vous félicitez d'être du petit
nombre des préservés, des appelés, par conséquent des
vrais élus. Vous êtes heureux de penser que vous pourrez
prouver l'amour qui remplit votre cœur pour le divin
Maître et souffrir un peu pour celui qui a tant souffert
pour nous. Vous aurez pour Lui un amour à la fois tendre
et fort : tendre pour consoler, fort pour défendre. Cet
amour que vous aurez ainsi exercé et développé durant
votre préparation du séminaire vous fera pour les âmes
un cœur semblable à celui de Jésus.
Votre appel ne fait aucun doute, votre donation est une
— 402 —
fêle. J'y assisterai par la pensée, par la prière. Ce petit
mot, vous arrivant la veille, vous rappellera la promesse
que vous avezs bien voulu me faire de prononcer mon nom
quand vous serez sur la dalle étendu comme une victime
tout abandonnée.
Si mes pauvres livres ont pu vous faire quelque bien,
j'en suis complètement dédommagé par vos prières et,
ce qui m'est tout à fait sensible, par l'affection que vous
voulez bien me donner; croyez que sur ce terrain vous
aurez fort à faire pour dépasser celui qui est heureux de
se dire
Votre ami dévoué.
II ,
[Diaconat.)
Mon cher ami,
Que votre dernière année de séminaire vous unisse si
étroitement au divin Maître que rien jamais ne puisse
vous éloigner de Lui, ne fût-ce' que d'un pas. Soyez de
ceux qui veulent marcher près de Lui le plus possible
et se distinguer sous ses yeux. Ambitionnez l'honneur et
la joie non seulement de le -suivre par votre action, mais
de le consoler sans cesse par l'effusion de vos sentiments.
Faites- vous aimera plus que les autres ». Votre nom de Jean
ne doit pas être une promesse vaine. Elle ne le fut pas
du côté de Dieu quand il vous accepta sous ce nom au
baptême. Elle ne le sera pas du vôtre qui en ferez un
droit par votre amour.
Mettez cet amour sous la sauvegarde d'une mortifica-
tion modérée mais continuelle. L' « abneget semelipsum »
l'esté la grande Loi de la persévérance, aussi bien que le
premier acte de la donation. Il faut être tout entier
J « homme de Dieu », et disparaître en ne se recherchant
on rien. On oublie trop souvent cela dans la vie active.
— 403
III
(Sacerdoce,)
Mon bien cher ami,
L'heure approche où le divin Maître vous dira : « Je
ne t'appellerai plus serviteur, je te donnerai le nom
d'ami. » Et il vous fera partager non seulement ses
pensées, mais sa vie et sa puissance à transmettre la
vie. Vous serez sa voix qui ne peut plus se faire entendre
sensiblement; vous serez sa main qui bénit; vous serez
son cœur qui s'attendrit, et qui suscite toutes les énergies
du dévouement comme toutes les persévérances d'une
mère. Vous serez Jésus et vous enfanterez Jésus dans les
âmes. Votre ministère à l'autel sera la plus haute des
réalités et le plus saisissant des emblèmes : vous dispo-
serez du corps réel de Jésus et de son corps mystique !...
Sommes-nous des anges? sommes-nous de grandes
âmes sans défaillances? Hélas, non. Dieu veut réaliser
en chacun de nous le miracle de se servir d'instruments
imparfaits pour accomplir des œuvres dont les anges
mêmes ne seraient pas dignes : éternelle leçon d'humilité,
d'adoration et de reconnaissance infinie!...
IV
...De grâce, mon cher ami, n'épuisez pas votre sanlé.
Tout, bien n'est pas à entreprendre, on doit avec regret
mais avec courage renoncer à ce qui surcharge. C'est un
devoir de bon administrateur. Prenez pour règle de faire
ce que vous conseilleriez à un ami qui serait à votre place.
La Société des Prêtres de Saint-François de Sales (1) doit
(1) M. le chanoine Beaudenom était lui-même, depuis de lon-
gues années déjà, membre de cette Union sacerdotale fondée à
Paris, en 1876, par son ami vénéré, M. l'abbé Chaumont (>£< en
1896). C'est pour les Prêtres de Saint-François de Sales qu'il
— 404 —
être prise très sérieusement si on veut en profiler. Elle
exige qu'on soit fidèle aux exercices de piété, comme
l'indique la feuille ci-incluse. Elle ouvre ensuite la voie,
dans la page du verso, à urTe sorte de direction morale qui
ne touche pas à la confession proprement dite. Chaque
mois aussi on rend compte soit de la manière dont on a
suivi une probation de trente méditations sur un seul sujet,
ou sur certains points de la vie spirituelle ou de la vie reli-
gieuse, selon un questionnaire approprié.
Voyez si cela ne vous paraît pas trop chargé; voyez
surtout si vous y trouveriez des moyens de progrès qui
vous paraîtraient adaptés à votre nature.
Si vous remarquiez dans votre rayon quelques prêtres
aptes à ce genre de vie, vous formeriez un petit groupe.
C'est ce milieu sacerdotal qui est notre plus puissant
moyen de ferveur. Des règles sont tracées qui rendent ces
réunions faciles et fructueuses...
Mon cher ami,
Les chaudes paroles de votre affection m'ont fait du
bien. Mon affection à moi est très frileuse. Ne recevant
aucun rayon de soleil de B., elle souffrait... Mais c'est
une plante vivace qui peut traverser l'hiver et qui
refleurit au premier souffle du printemps. L'amitié que
je vous porte, étant fondée sur une rare estime et sur des
témoignages de confrères très autorisés, est à l'abri de
tout changement.
Je me réjouis de vous savoir dans une complète union
de sentiments avec Ch. Vos deux âmes sont comme
deux ailes qui vous font monter toujours plus haut. Deux
composa la « Probation sur l'humilité », qu'il développa dans
la suite, à l'usage des fidèles, et fit paraître sous le titre connu
(le « Formation à l'humilité ».
— 405 —
âmes de frères n'en sont qu'une. Une troisième s'y ajoute
pour les unir et les élever davantage encore, celle du
divin Maître...
VI
Mon cher ami,
Je vois avec plaisir que vous mettez dans votre vie
l'ordre et l'apaisement. Ne vous laissez pas déborder.
Si le canal ne se tient pas intimement et continuellement
uni à la source, il ne peut transmettre ce qu'il ne reçoit
pas. Le bien qui se fait sans vie intérieure a peu de fond
et point de racines. Notre saint Pape insiste sans cesse
sur la fidélité absolue aux exercices de piété. Mgr L. en
rentrant de Rome est venu me voir et m'a raconté ce
qui suit : Un prêtre, en audience avec lui, ayant exposé sa
situation : messe à cinq heures et demie, confessions à la
suite et œuvres qui l'accaparent toute la journée, et
ajoutant : parfois je n'ai pas la possibilité de faire mon
oraison, le Pape l'arrêta et lui dit : comment donc? —
Mais avec ma messe à cinq heures et demie, que faire? —
C'est bien simple, répond le Pape, il faut se lever à quatre
heures... Ce qu'il exige pour l'oraison, il l'exige aussi pour
l'examen particulier, et la visite au Saint-Sacrement, et la
lecture pieuse... Vous pourriez vivre pendant un temps
de la force acquise, vous baisseriez sans vous en aperce-
voir... Et il arrive trop souvent qu'on s'habitue à vivre
sans intimité avec Dieu.
VII
Mon bien cher ami,
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous être
agréable. Il m'est doux de penser que mes livres vous
apporteront quelques secours ^t des consolations. Vous
— 40G —
prierez pour moi. Ma vie louche à son terme. Depuis
quatre ans, je ne quitte pas la chambre. Mes infirmités
sont nombreuses. Elles sont un grand bien. Je veux les
aimer de plus en plus. Demandez cet h- grâce avec moi..
Demandez aussi cette autre grâce, mais avec Ion le
soumission, que je puisse achever l'important travail des
« méditations sur l'Évangile ». Le deuxième volume est
très avancé. Il paraîtra vers la fin de l'année, si je ne suis
pas arrêté trop souvent par la maladie qui me rend
incapable de tout travail pendant des mois entiers...
Mais il y aurait encore au moins deux autres volumes !...
Je ne croyais pas vivre si longtemps, vu mon état de santé.
Peut-être Dion veut-ii me permettre de rester ici bas
jusqu'au moment où j'aurai raconté son Ascension !
Totus in Christo,
VIII
Bien cher ami.
Dieu me tient depuis trois mois dans une impuissance
presque absolue, je n'ai que très rarement la force de
célébrer la sainte messe et je n'ai pu écrire une seule ligne
du troisième volume des méditations. Il me reste d'offrir
à Dieu l'acceptation filiale de cette privation. Rivalisons
à qui le fera le plus joyeusement !
Ecrivez-moi de temps on temps. Je m'intéresse parti-
culièrement à vous. Je demande à Dieu de vous rendre la
santé. Qu'on ne le fasse pas pour soi, c'est bien; qu'on le
fasse pour les autres, c'est également bien pour des raisons
différentes.
Merci de votre zèle à répandre mes livres. Leur diffusion
est déjà grande, j'en suis tout surpris. Peut-être Dieu
daignera-t-il me faire miséricorde en faveur de mon désir
de le faire aimer!
— 407 —
I X
Bien "lier .uni,
C'est un malade qui écrit à un autre malade : depuis
plus de deux mois, c'est à peine si j'ai pu monter au
saint autel. Dieu m'a pourtant fait la grâce inespérée
d'être en état de célébrer, le 23 décembre, la fête de mon
cinquantenaire de sacerdoce, dans une chapelle trop
étroite pour le nombre d'amis accourus. Depuis lors,
je vais un peu mieux, mais je suis accablé de visites et de
lettres auxquelles je veux répondre. Je les laisse aujour-
d'hui de côté pour aller à vous, dont l'âme m'est apparue
si rayonnante en Dieu. Vous pouvez compter sur une
toute paternelle affection de mon cœur.
Gardez- vous bien d'être attristé par toutes les traverses
de votre vie, surtout par l'inaction forcée. Il no faut voir
que la volonté de Dieu toujours aimable. S'il lui plaît de
n'obtenir de vous que de bonnes souffrances au lieu de
grandes œuvres, vous lui êtes aussi cher et même aussi
précieux : c'est la souffrance de Jésus qui a sauvé le
monde, elle était nécessaire à la pénétration de l'Évangile
par la grâce qu'elle mérita. Je connais plusieurs âmes
admirables que Dieu traite en victimes et qui se sont
consacrées à lui à ce titre. Mais vous faites plus, vous
êtes prêtre et la grâce de votre sacerdoce passe à travers
vos paroles édifiantes et par vos souffrances plus édifiantes
encore. Ne sondez pas l'avenir, ce serait empiéter sur les
desseins de Dieu, ce qui est imparfait et cause toujours
du malaise.
Mon deuxième volume de méditations vient de paraî-
tre; je vais vous l'envoyer; j'espère qu'il contribuera à
resserrer vos liens d'affection avec le divin Maître.
J'avais mis la main à un troisième volume, il y a trois
mois... J'ai été complètement arrêté par la maladie et
ma faiblesse extrême. Les médecins se demandent'com-
ment je peux vivre. Si Dieu préfère que je n'achève pas
l'œuvre qui est. à moitié chemin, je ne m'en attristerai
— 408 —
pas. Je serais pou/tant bien content de suivre le divin
Maître jusqu'à son Ascension et l'y suivre...
Je vous envoie à H. tous mes vœux de guérison, car
vous êtes jeune; et. tous mes vœux de sainteté, car je
vous aime.
X
Bien cher ami,
Je reviens un peu à la vie. après avoir été longuement
malade et complètement réduit à une existence inutile
aux autres. Je ne vous ai point oublié...
Aimons, vous et moi, la vie amoindrie que Dieu veut de
nous. Faisons-lui plaisir en nous montrant plus que
résignés, joyeux !
Mon quatrième volume des méditations en est au tiers
environ. L'achèverai-je? Mes soixante-seize ans et ma fai-
blesse extrême m'en font douter. En cela comme en tout,
que le bon plaisir de Dieu s'accomplisse !
— 409
DIX-NEUVIEME SERIE
Mon bien cher ami,
Combien je sens la blessure de votre pauvre cœur !
Perdre un tel ami qui était pour vous presque un frère,
une si belle espérance pour la cause de Dieu, et cela, si
vite et si brutalement ! Il est vrai, la suprême consolation
vous reste : la more pour lui est un gain. Le voilà sûre-
ment dans le bonheur, et c'est avec compassion qu'il
voit votre douleur : « Pourquoi me plaindre quand on
m'aime? On devrait me féliciter; je meurs pour une si
belle cause, et j'avais pleinement conscience des grands
motifs qui voulaient mon sacrifice ! » En quelques jours,
en effet, on peut donner à Dieu beaucoup de gloire par
l'élévation des motifs et l'intensité de l'acte d'offrande.
Ne vous reprochez pas de pleurer. Nous pouvons
légitimement agir comme de pauvres cœurs humains que
n'a pas rassasiés la vision de l'infini... Un vide s'est fait
dans votre existence. Quelque chose de vous se trouve
comme arraché. Plus votre peine est vive, plus belle est
votre résignation.
Oh ! oui, je prierai pour la pauvre mère. C'est elle qui
peut être l'objet de notre compassion. Que Dieu lui
donne les sentiments qui font les grandes âmes !
— 410 —
II
Mon bien cher ami,
... Suivez sans crainte l'attrait qui vous porte à vous
rendre comme sensible la vie de Jésus en vous. Cette
douce préoccupation habituelle est à la fois un principe
d'action et de dévouement.
Faites dominer la confiance. Ne vous attristez pas
quand vous vous sentez loin de votre idéal. Celui qui vit
en vous anime des sarments, comme le fait la sève pour la
vigne.
Quand vous parlez aux autres (et surtout en public),
laissez de côté toute timidité : ce n'est pas vous qui parlez.
Il vous sera donné ce qu'il faut dire. Ce que vous aurez
préparé prendra vie, et il vous viendra peut-être des
pensées qui ne vous- étaient pas venues.
Félicitez-moi. J'ai enfin l'autorisation de célébrer ma
messe dans ma chambre.
III
Mon bien cher ami,
Suivez le mouvement qui vous porte de plus en plus à
l'union parfaite. Le désir est comme l'appétit, il fait qu'on
s'assimile tout aliment.
Ne vous étonnez pas de ne pas constater vos progrès.
C'est ce qui se passe pour ce qui pousse peu à peu, comme
la plante que vous ne voyez pas grandir journellement.
La croissance ne se manifeste qu'au bout d'un certain
temps, et encore, dans ses rapports avec nos âmes, Dieu
préfère nous les cacher.
Votre attrait pour Jésus dans son Eucharistie est une
grâce insigne; elle suppose une communication plus intime
du mystère. Vous commencez à voir à travers le voile,
enfant gâté du bon Dieu !
— 411 —
Ne songez pas à la vie religieuse. Vous êtes à la place
où Dieu vous veut. Cela est évident pour moi.
Je le crois bien que je vous recevrai le premier mars!
La joie ne peut faire que du bien.
IV
Mon bien cher ami,
Oui, j'ai reçu votre carte, vos deux noms et l'effusion
de deux âmes unies. C'est une douce joie pour mon cœur.
Vous avez admirablement compris le principe de
l'obéissance et sa grandeur. Consultez avant tout l'Esprit-
Saint, le plus souvent par un simple regard, parfois avec
une attention prolongée et silencieuse, afin d'entendre le
mot qui fixe ou qui stimule.
Pour la pratique de l'obéissance, l'important est de
la surnaturaliser; mais il faut tenir compte du « ratio-
nabile obsequium » par rapport à la règle et aux devoirs
des supérieurs. Évitez les critiques même les plus anodi-
nes sur les supérieurs, par respect pour l'Ésprit-Saint
dont ils sont les représentants, quoique faillibles. On a le
droit dans certains cas de leur faire des observations et
même de ne pas suivre un avis qui n'est pas un comman-
dement; mais rien n'excuse la critique, et elle affaiblit
l'esprit de foi à leur égard. Si critiquer sans malice n'est
pas faute, éviter ces sortes de critique est un acte de la
vertu d'obéissance.
J'aime à me représenter l'Esprit-Saint gouvernant
l'âme de Jésus, et l'âme de Jésus si heureuse de se sentir
entre ses mains. Que la vôtre leur donne, à l'un et à
l'autre, pleine satisfaction !
P.-S. — Je vais assez bien en ce moment et je pour-
rais travailler si on m'en laissai! le temps... Je ne sais
pas repousser une âme.
412 —
V
Mon bien cher ami,
L'Esprit-Saint semble vouloir vous tenir sous ses
chauds rayons pour faire de votre âme un jardin de prin-
temps. Laissez-vous faire docilement et ne vous défiez
pas d'une action qui est toute bonté. Peut-être vous
prépare-t-elle à la souffrance? Vous y arriverez avec une
telle habitude d'abandon que vous ne regarderez plus la
chose en elle-même.
Vous aurez donc, dans quelques jours, trente-deux ans !
C'est l'âge où le divin Maître jetait à pleines mains ses
lumières, ses bienfaits, et aussi ses tendresses, qui ne
trouvaient pas un écho bien vibrant dans les cœurs. Mais
dès lors il projetait son regard jusqu'à X..., et il distin-
guait un jeune apôtre plein d'amour pour lui, tout
décidé à se donner tout entier, sans aucun retour sur
lui-même, de façon à ne vivre que de Lui et pour Lui...
Vous fûtes alors sa consolation. Ah ! oui, croyons à
l'amour d'un cœur humain rempli d'infini ! Ne soyons
pas étonnés de ses condescendances si profondes.
— Un mot à propos de l'examen particulier. Vu le
peu de temps dont vous disposez, faites-en un exercice
de surveillance avec quelques points d'arrêt... Le matir,
en vous habillant, rappelez-le nettement à votre mémoire.
Vers le milieu de la journée, prenez une ou deux minutes
pour examiner ce qu'a été la matinée à ce point de vue.
Le soir, à une heure propice, un dernier retour.
VI
Mon bien cher ami,
Oh ! oui, venez à moi ! je sens tout ee qu'éprouve votre
cœur. Notre peine est un appel à l'abandon à Dieu :
faisons-le plus entier, plus profond, plus filial enfin.
— 413 —
Adorons ce que nous ne comprenons pas dans les desseins
de Dieu; regardons-les comme les meilleurs, pour nos
amis comme pour nous, puisque nous sommes de ceux
qui laissent Dieu agir librement.
Heureux, bienheureux ceux qui pleurent. Ils seront
consolés : ici-bas, dans la maternelle affection de Marie
ut dans l'ineffable intimité du Sacré-Cœur; là-haut,
dans l'union à l'amour infini.
Dans mille ans, que penserons-nous de l'heure actuelle
qui passe?... Essayons de le penser dès maintenant.
C'est une atmosphère de paix.
VII
Mon bien cher ami,
La fièvre m'a privé du bonheur de célébrer la mess*',
ce matin; et je ne sais si elle me le permettra demain.
Pour avoir été moins délicieusement uni à votre âme,
j'ai vécu avec vous de vos chers souvenirs. Je bénis Dieu
des grâces dont il yous comble et je lui dis : Ce n'est pas
encore assez. Révélez-vous à lui d'une façon plus lumi-
neuse. Suscitez en son cœur un amour qui vous étreigno
toujours plus fortement. Faites passer en son âme l'abon-
dance de la vie de Jésus, afin qu'il soit pour vous une de
ces consolations trop rares et que vous mériteriez de tous.
S'il y a sur la terre des êtres de bonté, que penser du
cœur de Jésus plus aimant que tous les cœurs des hommes
pris ensemble?
Priez-le de me pardonner de pousser les autres vers lui,
et de rester si loin !
VIII
Mon bien cher ;inii,
Je vous plains de toute mon âme ! vous me rappelez.
un vaillant soldat qui revient d'une rude campagne,
— 414 —
et qui se reproche de n'avoir pas bien fourbi ses armes,
ses armes dont il s'est bien servi !...
Si je vous faisais des reproches, je craindrais une chose :
c'est d'en recevoir pour cela du divin Maître, car je vois
qu'il ne vous en fait pas; au contraire, il vous gâte. Tant
qu'il agira ainsi, je n'ai rien à dire. J'espère qu'il le fera
longtemps et sans doute de plus en plus, afin de vous
communiquer ce qu'il veut que vous donniez aux autres.
Reposez-vous bien à X... Votre santé m'inquiète plus
que votre âme, en ce moment. Votre âme, d'ailleurs, se
trouvant libre de soucis, va se plonger dans l'amour de
Dieu tel que le lui montrera notre Père saint François
de Sales.
IX
Mon bien cher ami,
Je crains que vous ne vous fatiguiez dans le travail
intense dont vous me parlez. Il faut faire feu qui dure,
et pour cela ménager le combustible. J'espère que voire
.retraite sera plutôt un repos. Ce n'est pas par une trop
grande tension d'esprit qu'on arrive à de bons résultats.
Pour vous surtout, je crois que la méthode la plus utile
est d'écouler ce qui vous sera dit dans votre cœur. Si les
instructions étaient peu dans le sens de l'union à Jésus,
vous n'en feriez pas le fond de votre retraite et vous con-
sacreriez vos heures libres aux auteurs mystiques, comme
Tauler, qui vous attache à Dieu par des vues aussi sim-
ples qu'élevées. Vous n'avez pas besoin de vous instruire
particulièrement des questions de spiritualité durant cette
retraite, mais de vous préparer par le recueillement à la
direction du Saint-Esprit.
Je crois qu'on peut s'isoler durant les récréations et
garder le silence. Faites à cet égard ce qui vous paraîtra
le mieux.
Il va sans dire que vous ne vous occuperez que de vous
et non des lettres qui vous demanderaient des conseils.
— 415 —
11 no s'agit pas en ce moment d'exercer le zèle, mais de
l'alimenter.
Quand vous viendrez le 2 octobre, je vous accueillerai
les bras ouverts. Vous me trouverez peut-être encore plus
affaibli. Je vis en être inutile : dans l'espace de trois mois,
je n'ai écrit que cinq méditations, et que valent-elles!
Messes de plus en plus rares, et suivies d'un accablement
complet. Je suis content de tout, même de ma nullité.
Je vous aimerai toujours, même au-delà de la tombe.
Je vous bénis de tout cœur.
VINGTIEME SERIE
Bien cher frère,
Je suis grandement édifié de votre admirable ouverture
de cœur : vous ne reculez devant rien et vous vous expri-
mez avec tant d'abandon! Votre âme est toute à Dieu,
et vous voulez la faire toute de Dieu. « Vous aimez en
haut? vous êtes en haut », dit le P. de Ravignan, et il
ajoute : « Pour arriver à la sainteté, il faut 1° du courage;
2° du courage; 3° du courage. »
Vous me permettrez de prendre du temps pour prier,
avant que je passe à des conseils précis. Je ne veux vous
dire aujourd'hui que mes sentiments d'estime et d'affec-
tion; ils sortent tout seuls de mon cœur. Si je ne vous
avais pas répondu dès ce jour, j'aurais eu du remords :
vous auriez, pu souffrir!
'60
— 416 —
II
Bien cher confrère,
II me tarde à moi aussi, je vous l'assure, de vous voir
et de vous témoigner mon affection. Vous n'êtes déjà plus
un étranger pour moi, mais je veux que vous me deveniez
un ami. Quoique plus âgé que vous, je vous paraîtrai
trop jeune pour avoir droit à autre chose qu'à une con-
fiance fraternelle, et c'est cette situation d'égalité que je
vous supplie d'accepter : je ne saurais vous être utile que
par mon cœur.
III
Mon bien cher ami,
Votre chère lettre m'est arrivée en retard, et ma réponse,
hélas! n'est pas plus fidèle! Savez-vous que je trouvais
le temps bien long depuis votre départ? A peine nous
étions-nous quittés depuis quelques jours, que j'éprou-
vais ce mélange de contentement et de tristesse qui suit
une visite aimée. Puis, le temps s'écoulant, je me deman-
dais si vous étiez brave. Vous dites ne l'avoir pas été, je
ne vous crois qu'avec réserve.
Vous ajoutez que vous vous sentez toujours le même.
Oh ! sur ce point je vous crois sans réserve. La nature ne
se refait pas si vite. Vous avez posé le principe de sa
réforme : confiance filiale en Dieu; abandon à notre Sau-
veur bien-aimé, confiance et abandon quand même! C'est
ce quand même qu'il faut prendre pour devise Vous ne
vous découragerez jamais, vous aurez de la douleur sans
tristesse, vous vous supporterez, puisque Notre-Seigneur
non seulement vous supporte, mais vous aime !
Faites- vous toujours content et faites-vous un visage
content. Voulez- vous connaître un moyen de ne pas vous
laisser abattre? C'est de ne pas désirer votre sainteté
pour vous ni pour elle, mais pour que Dieu soit content.
— 417 —
Or, quelle qu'ait été votre journée d'hier, celle d'aujour-
d'hui peut plaire à Dieu, cette action peut lui être agréa-
ble, faites- la. Moins vous aurez été fidèle la veille, moins
vous serez content de vous, et plus ce que vous ferez de
bien sera fait purement et par amour.
Ne laissez pas votre âme dans l'attitude de la tristesse,
car l'habitude s'y jiourrit. Ne pensez même pas trop pour-
quoi ni jusqu'à quel point vous êtes triste. Sortez de là,
puisque c'est résolu, et faites à votre nature ce bon tour
de vous réjouir, malgré son penchant.
S'il est vrai que je puisse vous encourager et si vous
sentez vraiment combien je vous aime, n'hésitez pas à
m'écrire, dès que vous en aurez envie; n'attendez pas les
époques. Donnez-moi cette sécurité de savoir que si vous
ne m'écrivez pas, c'est que tout va bien et que si vous
m'écrivez, c'est pour que tout se remette à aller bien.
IV
Bien cher confrère et ami,
Vos petits mots me sont toujours de grandes joies et
vos souffrances me font peine et joie! Habituez- vous
donc à vous voir en double : celui qui veut et celui qui
sent. Le premier seul est responsable, l'autre se fait traî-
ner. C'est un frère infirme dont le vaillant frère aîné rou-
girait trop volontiers, et pour lequel il n'aurait pas assez
de bonté compatissante. Qu'il le supporte et le porte,
qu'il ne lui dise jamais de dures choses, mais l'encourage
et l'aime ! C'est un frère, il ne peut faire qu'il ne le soit
pas; c'est un frère infirme, il doit être un peu mère pour
lui. Les nerfs ne se détendent point par la violence.
Oui, continuez votre examen particulier sur la paix,
ou plutôt vers la paix. Choisissez le mode le plus selon
votre attrait : ou l'amour de vos infirmités, ou l'expres-
sion plus fréquente de votre amour envers Notre-Sei-
gneur, ou l'abandon confiant, ou le contentement inté-
rieur. Je le répète, choisissez selon votre attrait. Je vous
— 418 —
montre seulement le but : la paix; c'est voire plus grand
besoin et ce sera votre auxiliaire universel pour tous les
autres.
Puisque le bon Dieu ne vous retient pas aux médita-
tions ayant pour objet Notre-Seigneur, mettons-nous
résolument aux probations avec l'année prochaine.
Cher frère et ami,
Je me sens plus content de vous; vous paraissez moins
souffrant, plus calme et plus abandonné à Dieu. Vous
méritiez assurément beaucoup, quand vous étiez accablé,
mais vous ne mériterez pas moins quand, déchargé du
poids de vous-même, vous marcherez de progrès en pro-
grès et de joie en joie.
Croyez-moi, songez plus à Dieu qu'à vous; avancez plus
en regardant en haut qu'en examinant devant vos pas :
« Oculi mei semper ad Dominuin, quoniam ipse evellet de
loqueo pedes meus. »
Quoique vous alliez mieux, je ne veux pas du tout de
contention, même pour penser très souvent à Dieu par
effort. Soyez bien vraiment tout à Lui sincèrement et
loyalement, et tout ce que produira la vie lui appartiendra.
Ce sentiment qu'on est bien à Lui se présente tout seul
si souvent, et il suffit.
Oh ! par exemple je vous veux tout à Dieu par rapport
à vos supérieurs. Soyez sans fiel et sans orgueil, aussi
petit enfant que possible. Demandez-vous ce que ferait et
dirait saint François de Sales dans votre position. Après
cela, s'il vous arrive de manquer à cette résolution, il
n'y a pas lieu de se désoler, mais de se mieux tenir ensuite.
Je sais combien il est facile dans un petit séminaire de
se monter la tète pour le bien général et je. sais aussi que
rarement nos plaintes répandues ont porté remède aux
abus. Si le Supérieur est. capable de comprendre et de
bien prendre un avis, même d'un tout petit professeur,
— 419 —
allez à lui finalement. Sinon, méritez par votre pàfienoe et.
votre inviolable charité que Dieu fasse ce que; vous ne
pouvez. Je ne sache pas qu'on doive jamais manquer à la
charité pour aucune autre vertu; mais je sais clairement
que chacune des vertus lui emprunte ce qu'elle a de meil-
leur. Vous savez le mot de saint François de Sales :
« La vérité qui n'est pas charitable procède d'une charité
qui n'est pas véritable. » La vérité et le bien demandent
parfois la représentation et l'avertissement, mais la cha-
rité en doit être et l'inspiratrice et la forme.
VI
Mon cher ami,
Tenez- vous toujours de bonne humeur autant que vous
pourrez; les saules pleureurs, vous savez, ne produisent
point de fruits. Donnez pour fondement à cette disposi-
tion la certitude d'être un enfant chéri de Notre-Seigneur.
Les parents aiment parce qu'ils sont parents et non pas
en proportion des qualités de leurs enfants : ainsi fait
Notre-Seigneur, surtout pour ses prêtres.
Ne cherchez pas une union à Dieu trop tendue et guin-
dée. Ne lui faire jamais de peine volontairement, se déci-
der de bon cœur à toute chose qui lui est plus agréable,
garder son cœur paisible à la vue de ses misères que l'on
regrette, n'est-ce pas vivre pour Dieu et de Dieu?
Rappelez-vous sans cesse à la confiance et à la dilata-
tion; il surgira de cette disposition plus d'actes d'amour
que de toutes vos tristesses.
Vraiment si quelqu'un était pour vous, proportion gar-
dée, ce que vous voulez être pour Dieu, est-ce que vous
ne l'aimeriez pas? Et Dieu est meilleur que vous !
VII
Vous avez mille fois raison, mon bien-aimé frère, de
vous décider à de nouveaux essais en faveur de l'âme de
— 420 —
vos élèves. Oui, il faut leur montrer qu'on est prêtre,
qu'on les aime, qu'on attend d'eux quelque chose de
grand. Oui, il faut se servir des récréations pour les for-
mer aux motifs surnaturels et les dépouiller de tout ce qui
est. grossier et trop humain dans leur nature. Quelquefois
une réflexion les frappera, un reproche enveloppé dans
beaucoup d'affection les corrigera. Comptez beaucoup sur
le respect que vous leur témoignerez, et sur la bonne opi-
nion que vous prendrez soin de leur manifester. Ils seront
portés à faire ce dont vous les croirez capables.
Vous n'attendez vraiment pas des succès immédiats;
vous ne prétendez pas non plus yous trouver dès le pre-
mier jour pourvu de cette autorité morale qui s'impose.
Posez-vous bien, sans cela vous ne ferez rien. Sacrifiez
d'autres biens à celui-là.
Employez de préférence l'éloge et l'encouragement au
bien. Gagnez les cœurs. Pas trop de zèle ! Vous savez dans
quel sens je parle, c'est-à-dire, faites cela sans qu'on le
remarque, et allez peu à peu davantage avec les élèves.
Laissez croire que c'est par goût. Ne blâmez pas les autres
professeurs. Patience! vous semez; ne comptez pas sur
la moisson encore, mais comptez que sûrement vous In
préparez.
VIII
Mon cher frère,
o
Je suis content de voir votre attention portée sur
l'examen particulier. Vous vous étonnez peut-être de ce
sentiment en le comparant à la ligne habituelle de con-
duite que je vous conseille. Je vous recommande, à la
vérité, de ne pas vivre d'examen et d'une trop grande
attention sur vous, mais je concilierai facilement les
deux choses, en vous conseillant de faire votre examen
particulier justement sur cette voie de dilatation qui
exclut la préoccupation de conscience.
Examinez- vous sur votre fidélité à remplacer les
regards trop fréquents sur vous par des regards très
— 421 —
confiants vers Dien. Veillez à ce que ces rapports avec
Dieu restent pénétrés d'amour. Vous pourriez marquer
l>ar exercice et par heure : tel exercice a-t-il été fait avec
dilatation, avec plus de pensées vers Dieu que sur moi?
En dehors des exercices : de telle heure à telle autre, de
7 à 8, de 8 à 9, etc., ai-je vécu dans cette disposition?
Vous marqueriez autant de fois que d'exercices et d'heu-
res non pénétrés de cet esprit.
Prenez simplement le repos qui vous semble bon et les
distractions qui le favorisent. Ne vous forcez pas à lire
beaucoup. La présence affectueuse de Dieu peut suppléer
à tout, et, dans votre état, c'est le seul point sur lequel
j'insiste.
Priez pour moi; je voudrais être moins mauvais; ne
fût-ce que pour être utile aux âmes et à la vôtre.
IX
Mon bon et cher frère,
Vous parlez si bien de votre intérieur et de ce que vous
devriez faire, que je n'aurais rien à vous dire, si ce n'est
de remplir le rôle de la conscience qui dit « bien » quand
c'est bien, et « mal » quand c'est mal. Je veux être une
force qui vous rassure en vous parlant au nom de Dieu.
Tout va bien sauf votre santé, car vous supportez
généreusement les résultats de cet état. Persuadez-vous
que, parmi ces résultats, le mécontentement de vous est
un des plus méritoires à supporter. Ce mécontentement
n'est en soi ni bien, ni mal, il est un état de vos nerfs.
En bonne vérité, vous faites pour Dieu ce qu'il
demande, et quand je vous porte à le faire doucement et
simplement, c'est un desideratum que je vous propose et
pas un ordre que je vous donne : parfois vous ne pour-
riez pas l'accomplir. Soyez calme en voyant que vous ne
pouvez pas le réaliser.
Si maintenant vous voulez me faire un plaisir, vous ne
chercherez, dans votre prochain compte rendu, que le
— 422 —
bien; vous no me direz que cela, vous remercierez Notre-
Seigneur de ce bien, si petit qu'il soit, vous vous appli-
querez à en être heureux. Assurément la pensée de ce qui
est défectueux vous envahira, mais vous l'éeartefez
autant que vous pourrez, et si cette vue s'impose malgré
vous, vous vous imposerez de la soutenir avec calme et
de vous en affranchir par la persuasion que Notre-Sèi-
gneur vous l,e demande.
Quel profond détachement ne produiront pas toutes ces
peines ! Quel amour humble et confiant aussi !
Courage ! cher et bon frère, ne cherchez pas le sensible
dans la piété et ne prenez pas pour un manque d'amour
un manque de consolation. Si vous pouvez douter de
votre cœur, ne doutez jamais de celui de Notre-Seigneur
pour vous ; or ce cœur vous est acquis comme prêtre
voulant être fidèle. Adieu et tout vôtre.
X
Continuez, mon bon et cher frère, à faire votre pané-
gyrique le mois prochain, et appliquez-vous à voir en
vous habituellement, plus le bien que Dieu y met que le
mal qu'il y laisse. Allez à l'aveugle, s'il le faut, pour faire
ainsi : tel est mon désir formel.
L'enthousiasme que vous inspirez ne m'étonne pas...
parce que, comme vous le dites, il est un peu facile à ces
gens du monde, peut-être un peu aussi parce que vous
avez au moins le désir d'être un bon périt serviteur de
Dieu et que cela se voit.
Venons à l'affaire capitale. J'y ai pensé sérieusement.
Je me suis demandé s'il ne vous serait pas plus avan-
tageux de quitter l'enseignement et de prendre du mi-
nistère. J'ai toujours vu les vicaires se remettre, et raremen t
les professeurs. Le ministère, quoi qu'on en pense, tend
beaucoup moins les nerfs. Rien en vous ne m'alarme pour
une telle situation.
Si vous étiez de cet avis, vous n'auriez pas l'ennui de
refuser les surveillances ou le grave dommage d'y suc-
— 423 —
rnn»ber, si vous les acceptez. Dans le cas où vous sauriez
que l'on ne tiendra pas compte de vos réclamations, le
mieux me paraîtrait être de demander tout bonnement
du ministère pour essayer d'arriver à une détente des
nerfs. Ne vous effrayez pas de cette proposition inatten-
due. Consultez une ou deux personnes prudentes.
XI
Le mal n'est pas très grand, cher ami; c'est affaire de
surprise; ces âmes qui vous sont confiées vous ont tant
préoccupé ! Concilier l'activité et la vie intérieure n'est
point si facile; raison de plus pour s'y résoudre avec
volonté et profiter de ses écoles. Vous voilà un peu à
sec parce que vous avez moins tenu le verre sous la fon-
taine. Vous remarquez déjà que la fécondité ne tient pas
exactement à l'activité. Portez donc maintenant votre
attention principale sur vous-même. Servez-vous de
l'examen particulier pour vous y tenir; prenez-le par
exemple sur l'esprit de prière.
Dès le matin, renouvelez vivement votre résolution de
vivre dans l'esprit de prière, de vous mettre tout entier à
chaque exercice de piété et de retourner vers Dieu dans les
intervalles. Durant le jour, vivez avec ce saint désir, par-
fois formulez-le nettement. Vers midi, puis le soir, suivez
votre journée à ce point de vue. Ne vous étonnez pas des
manquements et des retards. La Sainte Vierge est là
pour vous faire pardonner et vous relever...
XTI
Vous savez, cher frère, que je ne crois pas à votre
lâcheté, mais pas du tout. Quant à l'agitation, c'est autre
chose, mais ce n'est point chose absolument dépendante
de vous. Vous remettre doucement dans le calme, sup-
porter les moments où vous ne le pouvez pas, faire
quand même tous vos exercices, affirmer quand même
— 424 —
tous les sentiments que vous voulez avoir... et prendre
Soin île votre santé.
Faites deux parts de vos exercices de piété. Gardez
coûte que coûte l'oraison, l'examen et la présence de Dieu,
ainsi que les moyens -qui les assurent, comme la prépa-
ration, et l'exactitude au lever. Soyez plus coulant sur
l'omission passagère des autres : il n'y aura jamais grand
mal si vous'y mettez la garantie de me le faire connaître
toujours très clairement sans estimation des détails.
XIII
Vous avez terriblement à lutter pour faire la chose la
plus naturelle : agir avec Dieu comme avec une Bonté infi-
nie qui vous aime; comme avec un frère qui a tout inté-
rêt comme toute affection à notre bien. Vous vivez dans
V habitude contraire, et c'est elle qui vous retient dans
son ornière, quand tout doit vous en faire sortir : ce que
vous savez de Dieu et des moyens d'aller à Lui, ce que
vous en dites aux autres, ce que je vous conseille toujours.
Oui, vous êtes victime d'une tendance passée en habi-
tude et qui domine tout le mouvement de votre âme.
Appuyé sur l'obéissance, rompez cette tyrannie et ne
vous étonnez pas de voir que c'est si simple. Vous y
maintenir le sera peut-être moins. Vous éprouverez mille
envies de redevenir triste, vous appuierez ce retour de
mille raisons apparentes... mais croyez-en davantage
l'obéissance et tenez-vous dans la position indiquée,
quelque gênante qu'elle vous paraisse, jusqu'à ce qu'elle
vous soit devenue naturelle et aisée:
C'est l'œuvre d'une vraie bonne volonté appuyée de
prières. Je joindrai les miennes aux vôtres, et rien ne
m'est plus doux, car j'entends bien vous aimer et être
aimé de vous particulièrement en Notre-Seigneur.
— 425 —
XIV
Mon bien cher ami,
Vous avez donc beaucoup souffert de ces pauvres nerfs
et vous n'avez pas eu pour eux justice et pitié.
J'admire votre générosité à ne vouloir vous rassurer
dans votre ministère que sur des évidences. Que devien-
draient à ce compte les meilleurs missionnaires ? J'ai
remarqué souvent que le bien se produit mieux sans nous
que sous une action intense. Laissons donc à Dieu plus de
part et trânquillisons-nous.
Votre gouvernement personnel est d'une exigence
égale. Vous voulez le bien d'une façon trop raide et vous
voulez en avoir conscience d'une façon trop mathéma-
tique. Aimer Dieu et être à Lui me semble bien plus sim-
ple que cela et je voudrais vous voir content d'être bien
sûr qu'au fond vous êtes à Lui. On aime beaucoup ses
parents sans le sentir souvent; c'est là, au fond, bien sin-
cère et bien vivant et très efficace dans les occasions.
Cela est le mieux pour vous.
N'allez pas vous rendre malade par la préoccupation;
vous priveriez le bon Dieu d'un serviteur fidèle, et moi
d'un excellent fils.
XV
Bien cher ami,
Votre acte d'accusation contre vous-même, si effrayant
qu'il soit, n'a pu que me faire sourire. J'ai pensé aux
devoirs de rhétorique où l'on amplifie, à l'aide de l'ima-
gination, sur quelques données fort différentes de l'œuvre
littéraire qui en sort. Vous avouez le procédé, passons.
Ce que je retiens, c'est que vous avez du calme. Rete-
nez le calme et les moyens qui l'ont produit. S'il n'est pas
de la nature la plus parfaite, tout votre effort doit tendre
— 42 fi —
à le perfectionner sans changer rien d'essentiel, laissez
dormir le trouble.
Voici les points sur lesquels je ferai des remarques :
1° Ne réglementez pas tout, je vous en prie, et laissez, en
bonne conscience, beaucoup à la disposition du moment.
Réglez certains points qui assurent un certain ordre,
mais pas trop. Dans cette réglementation, soyez large.
Ainsi j'approuve volontiers le retard du lever, même
pour tous les jours, si rien n'en souffre. Six heures I c'est
encore matin, et les journées sont assez longues.
2° Je maintiens jusqu'à nouvel ordre la suppression des
examens. Je regarde cette mesure comme préférable, et,
en vous y conformant, vous ferez ce qui est plus parfait.
Je permets un coup d'œil seulement et dans le sens de
reprendre courage.
En suivant ces conseils, vous n'avez pas à vous inquié-
ter, je prends la responsabilité. Plus tard nous verrons ce
qu'il y aura à modifier, mais nous tenons une paix quel-
conque, gardons-la et améliorons l'état général sans per-
dre ce bien.
XVI
Mon cher ami,
J'arrive comme le médecin chez un malade- qu'il con-
naît parfaitement et je dis : allons, allons, nous n'avons
rien de sérieux; ne pensez pas à votre mal et il sera vite
guéri.
En effet, mon pauvre cher ami, vous avez tous les
organes spirituels en bon état : la volonté de rester à Dieu
est absolue, le désir d'être parfait est sincère. Il n'y a pas
d'illusions en cela, je vous l'assure.
Je ne vais pas jusqu'à dire que vous êtes arrivé à toute
la perfection que Dieu vous demande, j'affirme que vous
y marchez. Les accidents qui surviennent sont eux-
mêmes utiles à votre perfectionnement; ils vous tien-
nent dans l'humilité, vraie situation de notre misère; ils
nous la rendent sensible et par là même efficace. L'im-
— 425 —
pression renouvelée de notre misère augmente la force
de notre humilité et la dispose à bien accepter les humi-
liations qu'elle discerne mieux d'ailleurs.
Oui, mon cher ami, de la régularité, mais pas d'escla-
vage; l'habitude des heures fixes, mais avec des tempé-
raments, et surtout pas de confession contre des manque-
ments qui sont de simples manquements de perfection.
Quand vous remarquez que vous pensez trop et trop
amèrement à vous, imposez-vous de penser immédiate-
ment à Dieu et d'y déposer vos misères... mais après cela,
n'y pensez plus.
XVII
Mon cher frère,
Quel aveu! Vous êtes un peu content de vous! Je
compte que depuis votre lettre vous aurez eu des remords
et que vous avez su retrouver vos idées noires. S'il en
était ainsi,' il faudrait vous résigner tout de nouveau à
vous faire content, et comme dit la chanson : content de
tout, content de peu.
De grâce, en effet, laissez votre mal en repos; c'est tout
seul que notre corps se guérit. C'est beaucoup de la sorte
que notre âme se remet. Une plaie qu'on fouillerait sans
cesse ne guérirait jamais. Croyez bien que cette conduite
est pour vous maintenant le plus parfait, car notre parfait
est relatif.
Oui, des examens courts, électriques si vous voulez,
pourvu qu'ils fassent jaillir un peu de lumière. Examinez
surtout le bien que Dieu vous a donné dans cette jour-
née et mettez-vous dans un bon état moral : contente-
ment et décision.
J'espère que vous mortifierez le Carême; c'est une
nécessité physique et morale. Je ne vous vois obligé à
rien en fait de jeûne, et si vous m'en donnez l'autorité, je
vous défendrai d'en faire. Sans dont»! vous jeûneriez et
vous vous diriez: « Tiens, je le pouvais donc.» Sans doute,
vous le pourriez d'abord sans inconvénients notables,
— 428 —
mais il en serait tout autrement plus tard. Or, il ne faut
pas le risquer, et je prends sur moi la décision que je viens
de vous conseiller.
Félicitations pour votre petit groupe. Je vous crois
capable de leur dire même ce que vous ne faites pas, et
s'ils ont besoin d'être exhortés à la confiance et à la sim-
plicité, je suis assuré qu'ils trouveront auprès de vous
mieux que nulle part. Or, s'ils vous écoutent, écoutez-
moi et persuadez-vous que votre conscience est mieux
dans la main d'un autre que dans la vôtre.
XVIII
Mon bien cher ami,
J attendais pour vous écrire d'avoir la confirmation de
la grave nouvelle que vous m'annonciez. Je n'avais pas à
intervenir et je ne pouvais qu'approuver votre obéissance
et la sagesse de votre Évêque. Je prie, moi aussi, pour
que votre nomination soit agréée, et j'espère que vous
n'avez pas été un homme politique qu'on puisse refuser.
Je me réjouis de la consolation que le bon Maure
répand dans votre âme; c'est une préparation à la peine
de quitter votre troupeau si chéri et aux travaux plus
grands de votre nouveau bercail..
Sans doute soyez fidèle à vos exercices de piété, mais
ne soyez pas formaliste. C'est votre cœur que Dieu veut,
avant tout, et c'est dans la paix qu'on le lui assure.
N'exigez pas le « summum jus » de votre pauvre âme,
mais contentez-vous qu'elle soit bonnement fidèle. Quand
elle l'a été moins, rèlevez-la par la confiance en la misé-
ricorde qui n'est pas la stricte justice.
Je n'envisage pas sans peine le déchirement de votre
cœur quand il faudra l'arracher à cette population qui a
eu les prémices de votre ministère et qui, peut-être, res-
tera votre idéal perdu. Oh ! oui, confions-nous dans la
volonté de Dieu et n'en sortons jamais, ni par un regret
amer, ni par une espérance frivole.
— 429 —
XIX
Mon cher ami,
En attendant l'issue de la grande affaire, habituez-vous
à la sainte indifférence. Renoncez, soit au vain contente-
ment qu'éprouve l'amour-propre en face d'une position
plus élevée, soit à l'inquiétude au sujet des charges nou-
velles. Acceptez les déchirements de votre cœur et de
celui de beaucoup d'âmes pour le bien de celles qui vous
attendent. C'est plus que jamais le moment de vivre dans
l'abandon sans trop voir ce que nous sommes. Conten-
tons-nous de savoir que nous voulons être à Dieu et faire
sa volonté.
Soyez fidèle à vos exercices de piété, mais avec liberté.
Reprenez ceux que des occupations passagères vous ont
fait omettre, et quand ces occasions se présentent, veillez
à être plus attentif à la présence de Dieu.
Que le Dieu de paix nous maintienne dans l'abandon
malgré nos misères et nos dégoûts. La paix c'est l'ordre,
et entre un être infiniment pur et un être infiniment
misérable, l'ordre, c'est l'humble abandon.
XX
Mon bien cher ami,
Vous devez souffrir de tous les détachements qu'a
opérés votre changement. Il y avait sans doute à S... bien
des âmes qui vous étaient chères et vous aviez peut-être
dans quelque famille votre Béthanie. J'ai admiré votre
abandon à la volonté de Dieu; votre ministère sera béni
et vous allez croître en sainteté.
A L... vous paraissez entrer dans ce pauvre inonde en
quittant la fhébaïde : vous y trouvez des incroyants, des
enfants sans Dieu et des tiraillements, parmi les gens
d'Église. Hélas ! c'est la vie, et il ne faut pas espérer tout
— 430 —
arranger; on doit y travailler sans cesse et en réussir une
partie.
Le conseil que je vous donne, c'est de pencher toujours
vers l'indulgence et la bonté : c'est presque justice et c'est
toujours plus efficace. Si nous ne parvenons pas à aimer
Notre-Seigneur par nous-mêmes, comme nous le vou-
drions, cherchons à le dédommager en l'aimant dans le
prochain et en le faisant aimer.
Ce n'est pas le temps de vous effacer, mais c'est celui de
vous montrer. Vous êtes investi de l'autorité, et l'autorité
est un besoin pour les autres comme un devoir pour vous.
Prenez donc simplement la place et le rôle qui sont les
vôtres.
Pas d'essais gauches, d'effarements intempestifs.
Quand Notre-Seigneur sort de l'obscurité de Nazareth,
il parle en maître. Voyez pourtant comme la douceur et
l'amabilité sauvegardent les droits des autres.
Montrez-vous et intervenez en toute sagesse, mais ici
la sagesse n'est pas de ne rien faire.
Imaginez- vous qu'il y a deux hommes en vous :
l'homme privé et l'homme public. Que l'homme privé
reste bien petit et bien humble, mais que l'homme public
se mette à sa place.
XXI
Bien cher ami,
Je comprends ce que vous éprouvez en face d'une
population peu sympathique : vous vous sentez raide;
au lieu de fils égarés, vous voyez des ennemis.
Eh bien 1 il faut réagir. Cette raideur ne serait pas
dans le cœur de Notre-Seigneur. Elle ne fut jamais dans
celui de saint François de Sales. Elle est simplement
naturelle. Il faut qu'un amour surnaturel la remplace.
Il faut que cet amour ferme les yeux sur ce qui irrite et
les tienne ouverts sur ce qui apaise.
Considérez que ces pauvres gens sont si à plaindre;
qu'ils sont tels parce qu'on les a faits tels; qu'à leur
— 431 —
place nous serions devenus comme eux; qu'au fond il y
a chez eux des sentiments capables de bons retours; que
la grâce peut les changer et qu'enfin le seul moyen de
l'espérer, c'est de se sentir un cœur de père, car nos senti-
ments transpercent et se lisent aussi bien sur notre visage
qu'ils se sentent au ton de notre voix. Donc réaction pro-
longée à coups de prières et d'essais.
Pour votre vie intérieure, je voudrais auusi une voie
plus pitoyable envers vos torts qui ne sont souvent pas
des fautes. Considérez que vous êtes un cœur trop sensi-
ble, voulant trop de bien, et d'autre part assez rempli
d'impuissance. Soyez-vous donc miséricordieux comme
Dieu l'est infiniment pour vous. Il vous connaît mieux
que vous-même, et pourtant il vous aime avec tendresse
et confiance. Il sait que vous êtes et serez toujours à Lui.
Soyez donc à son égard confiant, dilaté, demandez ces
dispositions et entretenez-les. Combattez celles qui leur
sont contraires.
Tout tranquillement pensez à Dieu, et avec douceur,
dites-lui que vous désirez beaucoup l'aimer, être meilleur,
le bien servir. Dites-lui toutes sortes de bons sentiments
sous forme de désir ou de demande. Je désire... Je vous
prie de me rendre... Vous savez que le désir est le premier
pas, c'est le sourire qui précède la bonne parole, soyez
homme de désirs.
XXII
Oui, oui, courage ! mon cher ami. Dieu n'a pas besoin
d'instruments parfaits, il est assez habile pour se servir
de tout, mais il a besoin d'instruments confis nts qui le
laissent faire sans mettre entre ses mains l'obstacle de
notre raideur et de nos craintes.
Cultivons avant tout la disposition à aimer. C'est
Dieu d'abord, notre père, notre frère, notre Eucharistie.
Puis, c'est le pauvre prochain, qui ne nous connaît pas
pour ce que nous sommes, qui est raide et hostile, mais
qui peut à la longue prendre une tout autre impression.
31
— 432 —
Un clou n'entre pas dans du bois dur avec un seul coup
de marteau.
Pour être bon et aimable, il est essentiel d'être en paix
au dedans. Cultivez la paix, la paix abandonnée, la paix
du petit enfant, naïf. Dieu n'a que faire de nos désola-
tions qui nous délabrent.
Allez à la crèche. Goûtez-y la simplicité et la douceur.
Pourquoi Jésus est-il venu sur terre et ainsi tout petit?
N'est-ce pas pour nous donner confiance et nous marquer
pour notre ministère ce qui donne confiance aux âmes :
beaucoup de simplicité et d'affection.
Soignez votre santé très sérieusement. C'est un devoir,
et surtout, c'est aussi une vraie mortification. Vous êtes
un objet qui appartient à Dieu; il ne vous est pas permis
de le détériorer.
XXIII
Mon cher frère et ami,
Votre lettre m'embarrasse fort. Ce ne sont pas en effet
les principes généraux qui peuvent suffire à tracer une
règle pratique. Tel moyen sera bon s'il peut prendre et
déplorable s'il fait constater un échec; c'est la connais-
sance de la situation qui seule peut guider. N'auriez-vous
pas à consulter quelques confrères voisins ou ayant exercé
dans le pays?
Il faut voir ce qui a le plus de chances de réussir dans
le pays, et très souvent ce sont des œuvres ayant un large
côté humain.
Par exemple, ce que je ne conseillerais pas facilement,
ce serait l'état de lutte avec les autorités. Voyez comme
agit le Pape avec les gouvernements. Devant les attaques,
soyez calme, justifiez-vous, affectez de conserver de la
charité pour les personnes, laissant voir toujours le cœur
du prêtre qui ne se ferme à personne.
Pas de raideur dans les rapports. Grande facilité de
rester en bons termes avec ceux-là même qui font le mal
ou qui vivent dans des conditions irrégulières. Il fau-
— 433 —
drait néanmoins agir autrement, s'il y avait lieu de
craindre le scandale; mais le plus souvent, on s'en expli-
que avec deux ou trois personnes; je les salue parce que
je veux laisser subsister un lien qui un jour ou l'autre les
ramène.
Pour vous, mon cher ami, tâchez d'aoquérir deux
qualités essentielles et qui ne sont pas trop dans votre
nature : le calme intérieur et la bonhomie extérieure.
Cultivez tout ce qui développe ces précieuses qualités
sans lesquelles on ne saurait avancer et faire du bien.
XXIV
Mon cher ami,
Vous me dites que vous avez la tête moins fatiguée, je
m'en réjouis, vous aurez plus de facilité pour vos exer-
cices spirituels et pour vos œuvres, mais ne vous fatiguez
pas.
L'examen particulier serait encore un cauchemar;
vous ne seriez pas content de la manière dont vous le
feriez. Je vous permets simplement de le faire briève-
ment et quand cela vous paraîtra aisé; sinon, laissez-le.
La pensée dirigée vers Dieu vaut plus encore pour vous,
et appliquez-vous à le chercher doucement et à vous en
abreuver de temps en temps.
Ne croyez pas qu'il soit besoin, pour bien instruire en
chaire, de mettre- un ordre très logique dans ce qu'on
dit. Les gens n'avalent que des morceaux. Songez donc à
ce qui peut leur être le plus utile; ne soyez ni savant,
ni étendu; restez peu en chaire; parlez à l'imagination
et à la sensibilité : les yeux du monde sont plus ouverts
par là. Quelques traits bien racontés sont souvent la seule
chose qui frappe et qu'on retient. Je vous approuverais
de bien préparer cette partie-là pour dramatiser et entou-
rer de détails un fait qui, dit sans cela, sera insignifiant.
A la rigueur, quand même il ne se rattacherait que par
un faible lien à votre sujet, cela peut suffire. L'auditoire
— 434 —
aime qu'on l'intéresse, et il pardonnera le manque de
logique.
XXV
Mon cher ami,
C'est en haut qu'il nous faut jeter notre ancre, car la
terre n'offre pas de points d'appui solides. Non, ce n'est
pas même dans nos progrès ou nos succès que nous pour-
rions nous reposer, mais aussi nos lenteurs et les insuccès
de notre ministère ne doivent pas nous troubler. L'homme
des champs, après la grêle, reprend la charrue et remue
de nouveau la terre. Rien n'est perdu auprès de Dieu de
nos pauvres labeurs, et la résignation à un moindre bien
peut devenir une semence de succès futurs.
Dieu vous donne quelques belles âmes à diriger; c'est
le sel de votre population peu chrétienne, c'est le para-
tonnerre de la paroisse et le petit jardin où le pauvre curé
va respirer le parfum des fleurs du bon Dieu. Puisez-y
du courage et de l'émulation.
XXVI
Mon bien cher ami,
Vous me demandez une direction générale pour votre
retraite. Je vous dis volontiers : cherchez Notre-Seigneur.
En Lui vous trouverez toute lumière et, ce qui est plus :
toute vie. Méditez-le. Exercez votre cœur à lui exprimer
ce qui, au fond, le remplit. Ne tenez pas compte de vos
misères; renoncez-les, désavouez-les, mais souriez encore
à Notre-Seigneur, car il vous aime en dépit de tout cela,
comme vous l'aimez vous-même en dépit de toutes ces
apparences.
La recherche de l'amour de Notre-Seigneur, les expres-
sions renouvelées de vos désirs et de votre tendresse,
la confiance quand même ef le calme : voilà ce que je
désire de vous.
Dans votre dernière lettre, vous me disiez le malaise
que vous éprouvez en face des œuvres extérieures qui
semblent tenir lieu de pratiques religieuses. Il y a bien, je
crois, quelques raisons de s'attrister, car trop souvent ce
qui ne devrait être qu'un moyen, demeure le seul objet
atteint. Cependant, pour vaincre l'indifférence, il faut
user de ces moyens, mais avec la constante préoccupation
de semer quelque chose dans les âmes, d'amener à la
confession et à la communion, sans quoi le vent disper-
sera bientôt les quelques bonnes impressions religieuses
reçues au contact du prêtre. Soyez donc très surnaturel
sous un aspect suavement humain.
Combien je désirerais que vous trouviez autour de
vous quelques prêtres pouvant faire partie de notre
chère société! Ce serait pour vous une consolation et
pour eux un soutien.
XXVII
Votre premier -besoin, mon cher ami, c'est de chercher
toujours la poitrine du Sauveur pour y reposer votre
tête. Que rien n'arrête votre confiance. Sa miséricorde
n'est-elle pas faite pour les Apôtres qui se sont endormis
et qui ont fui devant le danger? Nous ne sommes pas des
amis dignes de l'Ami venu du Ciel, mais ne disons-nous
pas aux autres que sa bonté, son amour, sont au-delà de
nos misères?
Quand vous reposez sur cette douce poitrine du Sau-
veur, aimez à lui redire ces paroles si vraies de saint
Pierre : « Vous savez bien que je vous aime. »
Oh ! oui, il faut le savoir pour y croire, n'est-ce pas,
quand les froideurs et les négligences voilent et enseve-
lissent notre pauvre amour, quand nous ne sentons rien
devant l'offense de Dieu, devant la damnation des âmes.
Nous ne sentons rien, mais que refuserions-nous à Dieu
pour lui épargner ces douleurs, pour lui donner la gloire de
retourner ces âmes?
— 43G —
En fait d'exercices de piété, n'exigez pas trop de votre
fatigue. Demandez-vous bonnement ce que vous conseil-
leriez à un autre.
Je ne sais vraiment que vous conseiller pour votre
retraite; voyez ce que l'expérience vous dit et aussi ce que
vous désirez comme bon pour votre état actuel. Peut-être
un long repos près de Marie vous réussira mieux que des
exercices réguliers. Je serais porté à le croire; je crain-
drais même pour vous en ce moment ce qui serait un peu
rigoureux et formaliste. Ce qui vous ditatera sera le
meilleur...
XXVIII
Mon cher ami,
Je suis touché des humbles aveux de votre lettre et,
profitant de cette belle disposition d'humilité, je vais
avoir la cruauté de confirmer l'un des reproches que l'on
vous adresse et que vous reconnaissez mérité. Peut-être
cependant n'en êtes-vous pas assez convaincu.
C'est vrai que vous avez dans l'extérieur, sans le vouloir,
quelque chose de dur : physionomie, parole, accent. Vous
dirai-je que j'en avais souffert et que j'en ai gardé la
pénible impression? Cet extérieur est en complet désac-
cord avec vos lettres si bonnes, si fraternelles, plus encore
avec votre cœur.
Il s'agit donc de virer de bord et d'entrer dans les eaux
calmes et lumineuses de l'affabilité. Il faut vous bien
surveiller et vous encourager doucement. Il faut surtout
alimenter la source qui est la filiale confiance en Dieu.
Que votre cœur le premier s'épanouisse en Lui et que
votre visage, comme une surface polie, reflète le Ciel.
Aimez à vous représenter la physionomie de Notre-Sei-
gneur sur terre; aimez à la reproduire en celui qui l'y
représente. Le bien est à cette condition, et aussi le bon-
heur de l'âme.
— 437 —
XXIX
Mon bien cher ami,
Je suis tout heureux de voir l'accueil que vous avez
fait à ma fraternelle observation. Grâce à Dieu et à votre
humilité, vous voilà mieux orienté que jamais et tout
décidé à être exceptionnellement ouvert, confiant,
aimable.
Je ne sais si vous l'avez remarqué comme moi, les hom-
mes qui réussissent sont ceux qui ont une confiance par-
fois excessive et toujours affranchie de constatations pes-
simistes. J'en ai connude téméraires qui ont confirmé la
règle.
Poussant plus loin l'observation, j'ai cru voir dans
ceux qui agissent ainsi comme une certaine puissance d'il-
lusion ! oui, d'illusion heureuse. Ne pensez-vous pas que
les parents seraient trop à plaindre s'ils voyaient, comme
les étrangers le voient, les lacunes et les défauts de leurs
enfants? Dieu les a pourvus de cette intime persuasion
que leurs petits sont les plus beaux... Or, en cherchant la
cause de ces bonnes illusions, nous la trouvons dans
l'amour même. Il serait juste alors de ne plus laisser à ce
mot illusion son sens ordinaire qui marque de la défec-
tuosité. L'amour entoure, pénètre son objet de sa flamme
qui le réchauffe et finit par créer ce qu'il désire. Pourquoi
les saints aiment-ils tant les âmes et les croient-ils facile-
ment bonnes? C'est qu'ils les voient enveloppées de ce
qu'ils aiment : de Dieu et de sa grâce, de ses désirs du
moins. Ce n'est pas une illusion, c'est une substitution.
D'autre part, ce qui agit sur les hommes, c'est la con-
fiance manifestée. Ils se croient capables de ce dont on
les croit capables. Tout sentiment d'estime les touche.
S'ils résistent à cette force durant un temps, ils finissent
par céder à sa manifestation persévérante. L'homme
apostolique qui voit principalement ce qui manque est
fort à plaindre et ne fait pas grand bien. S'il laisse voir son
— 438 —
impression, il glace tout. Il n'a de chaleur ni pour réchauf-
fer son zèle, ni pour rayonner sur les autres.
Devenez donc un homme de sainte illusion, même à
votre égard. Vous avez de vous une idée trop pessimiste,
de vous, dis-je, et de vos moyens d'action. C'est la con-
fiance qui vous manque pour faire beaucoup. La terre
est sans fécondité en cette saison, parce que la chaleur
lui manque. Elle a cependant tous ses sucs et tous ses
germes.
Courage ! mon bon et cher ami. Sachez élever votre
température et la maintenir au degré qui développe la
vie. Voyez en beau, et votre persuasion sera féconde.
XXX
Mon bien cher ami,
Béni soit le cœur adorable de Jésus qui vous fait enfin
comprendre le vice de votre direction spirituelle ! Oui, le
manque de dilatation vous perd et dans votre essor de
piété et dans votre action de curé. Il y a des prêtres qui
vont à l'excès opposé et qui sont téméraires. Eh bien!
ceux-là finissent par remuer quelque chose. La confiance
est mère de l'élan. Elle est la chaleur qui seule porte la
vie.
De grâce, mon bien cher ami, maintenez ces disposi-
tions nouvelles que la retraite vous laisse. Ne mettez
plus en question si Dieu vous aime tel que vous êtes. Oui,
oui, et c'est en vous sachant aimé que vous deviendrez
encore meilleur. Laissez l'amour divin dominer votre vie.
Ne regardez vos impressions que comme une occasion où
Dieu trouve l'exercice de sa puissance. Vous ne faites pas
assez large la place à son action. Quand vous ne vous
voyez pas capable d'une chose, vous jugez qu'elle ne
réussira pas, même si Dieu vous la demande.
Méfiez-vous du retour de votre âme à des habitudes de
tristesse qu'elle a profondément contractées. On juge et
on agit trop d'après sa nature. Réagissez surtout pour
— 439^—
votre vie intérieure. Ce principe vital, ranimé en vous,
exercera normalement son influence sur les autres.
Vous vous laissez tromper et mener par votre nature
quand vous croyez bien juger votre conduite et la diriger
raisonnablement. Vous n'êtes pas assez surnaturel pour
être assez confiant. Oubliez- vous le plus possible.
Attendez-vous à de brusques retours des impressions
passées, ainsi qu'à une dépression morale à la suite de
quelque sécheresse particulière, de quelque déconvenue,
de quelque insuccès. Tout cela est l'épreuve, et l'épreuve
est disposée providentiellement de telle sorte qu'elle
vient de Dieu, quoiqu'elle ait sa cause dans nos souffran-
ces ou dans nos maladresses. Dieu qui la permet la fait
entrer dans son plan. Son plan dans ces épreuves est de
nous exercer dans la confiance aveugle. Habituez-vous à
espérer contre tout espoir, du moment que Dieu vous
demande telle vie intérieure ou telle vie d'action.
XXXI
Oui, mon cher ami, c'est par l'union à Notre-Seigneur
que tout se renouvelle. C'est le sang des veines qui fait
vivre, c'est la sève qui donne les fleurs, c'est l'eau qui
fait reverdir le gazon.
Ayez confiance en l'amour. Croyez au vôtre : Jésus le
sent. Il vous manque un peu d'audace. Vous êtes de ces
enfants aimants, mais craintifs, qui n'osent pas se jeter
dans les bras de leurs parents pour peu qu'ils les voient
préoccupés ou qu'ils se croient en faute.
Vous ne donnerez vos parfums que le jour où vous vous
transplanterez dans un pays chaud. Il me tarde de vous y
savoir. L'hiver actuel ne s'y oppose pas. Rompez avec
vos habitudes de resserrement; ne vous étonnez pas de
les rencontrer encore et d'en sentir l'impression froide.
N'en tenez nul compte. Exprimez à Dieu ce que vous
voudriez sentir, faire pour Lui, obtenir de Lui.
Je vois ici quelques bons prêtres qui sont pleinement
entrés dans cette voie et qui font merveille. Je les vois
— 440 —
souvent les yeux pleins de larmes quand il est question
de l'amour de Jésus. Ils font ainsi beaucoup de bien dan?
leurs paroisses... « Ne pourrai-je pas ce qu'ont pu ceux-ci
et celles-là? »
Courage et joie ! _ -~
XXXII
Mon bien cher ami,
Que je vous plains de vous voir dans un pays froid
qui resserre votre cœur ! Vous feriez tant de bien à des
âmes qui s'ouvriraient à vous! Il faut en effet qu'on vous
fasse les avances, car votre timidité se replie dans sa
coquille trop facilement. Faites contre cela tout ce que
vous pourrez et acceptez humblement de ne pouvoir
encore que peu.
Peut-être les souffrances causées par cette disposition
pourtant combattue vous procureront-elles un jour des
grâces d'action surnaturelle. Vous n'avez peut-être pas
encore assez souffert, assez prié; assez offert à Dieu votre
impuissance et vos désirs. Moins votre paroisse répond à
votre zèle, plus vous devez accumuler les mérites de vos
vertus et de vos sentiments.
Cherchez aussi dans l'intimité avec Jésus une conso-
lation pour vous, un secours pour les autres. Il faut vivre,
et l'on peut toujours vivre avec intensité. Les uns vivent
de zèle, d'autres d'activité, d'autres enfin de courageuse
et confiante résignation. Mais vivre, c'est respirer, renou-
veler ses forces, agir de quelque manière au dedans ou
au dehors. Il ne suffit pas d'avoir la disposition de rési-
gnation; par exemple il faut l'affirmer souvent, en élever
les motifs, la rendre agissante par un effort sur la prière
toujours plus humble, plus abandonnée, plus sûre du bon
résultat final qui sera la gloire de Dieu, s'il n'est pas tou-
jours ce que nous nous proposons directement.
Oh ! mon cher ami, ne chercher et ne désirer que la
gloire de Dieu, ne se régler que sur sa volonté, telle que
nous pouvons la connaître, quelle ligne de conduite sûre
— 441 —
et haute ! Que ce soit celle de mon cher fils que j'aime et
que je bénis tendrement !
XXXIII
Mon bien cher frère,
Une hardiesse totale envers Dieu, une hardiesse pru-
dente envers les paroissiens. Il y a certainement quelque
chose à faire. Prenez par un bout, comme dans la fable du
champ à défricher. Quel dommage que vous n'utilisiez
pas davantage vos grandes ressources de cœur et de piété 1
Les visites sont le moyen le plus efficace de gagner les
sympathies. Visiter toutes les familles ou quelques-unes
seulement? C'est affaire de prudence. Dans votre pays
le curé serait-il bien reçu partout? C'est à vous d'en pré-
juger. De la hardiesse, en cas de doute.
Quelques prêtres font cela peu à peu et à. la faveur de
diverses occasions, comme première communion de l'en-
fant, deuil dans la famille, etc.
Ne portez donc pas ce cœur gêné avec Dieu et craintif
en face du devoir. Oubliez-vous. Faites ce que ferait
saint François de Sales à votre place.
XXXIV
Mon bien cher frère,
Il faut que ce Carême marque un mouvement décisif
hors de votre nature. Vous êtes un grand timide. Vous
l'êtes aussi bien auprès de Dieu qu'auprès des hommes.
Cette disposition vous arrête ou vous raidit. Vous ne par-
viendrez peut-être pas à la transformer en simplicité et
en aisance, mais vous la forcerez à vous laisser agir selon
ces deux modes nécessaires.
Il ne faudra pas vous décourager si, tout en agissant
ainsi, vous ne parvenez pas à mieux réussir. L'insuccès
— 442 —
peut tenir soit au manque d'habitude de votre part, soit
aux difficultés des circonstances. Soyez persévérant.
Après une nuit d'infructueux labeur, jetez encore le
filet. S'il se remplit, vous crierez au miracle, et si Dieu
permettait qu'il revînt tout vide, vous vous trouveriez
avoir fait tout autant, c'est-à-dire tout ce que le bon Dieu
vous demandait. Le moine qui, chaque jour, arrosait un
morceau de bois mort accomplissait l'ordre de son supé-
rieur et donnait à Dieu la gloire d'une belle obéissance.
Or, c'est à Dieu de choisir le genre de gloire qu'il entend
recevoir de nous : à nous de la chercher par toutes les
voies ouvertes. Cette recherche seule est déjà d'un prix
éternel, mais finalement la bénédiction la suivra tôt ou
tard.
De grâce ! réunissez régulièrement vos chers confrères :
jamais il ne fut plus nécessaire de s'encourager mutuel-
lement.
XXXV
Mon bien cher ami,
Vos deux résolutions conviennent parfaitement à
votre état : « Aller à Dieu plus filialement », voilà la
vie, « aller aux hommes plus fraternellement », voilà
l'expansion de cette vie. Le premier devoir rend le se-
cond facile : mettez-y une vraie application et ténacité.
Je crois que l'examen particulier que je vous conseille
vous fera grand bien.
Hélas ! mon cher ami, les temps malheureux qui se
préparent ne changeront pas par eux-mêmes les condi-
tions de notre ferveur, pas plus que ne le fait le change-
ment d'habit quand on entre en religion; mais la gêne et
les nécessités nouvelles contiennent de quoi se faire plus
généreux et plus attaché à Dieu...
Rapprochons-nous de Dieu, restons humbles et dociles
à l'Église. Ayons l'ambition filiale de consoler le divin
Maître.
— 443 —
XXXVI
Mon bien cher ami,
Je sais parfaitement que, dans votre nouvel honneur,
vous ne vous croirez ni meilleur, ni en réalité plus grand
et que vous estimeriez bien davantage un degré d'amour
que-vous donnerait le Cœur de Jésus. Usez de cet hon-
neur pour prendre un peu plus d'assurance aisée et
bienveillante toujours.
Je vois avec grand plaisir votre bonne impression à
votre nouveau poste. Profitez de l'expérience acquise.
On peut gagner beaucoup en changeant de lieu, parce
qu'on s'affranchit de manières de faire et de manières
d'être dont on n'oserait pas sortir sur place.
Maintenez jalousement votre vie intérieure; elle est
la source du vrai bien. Sans elle, c'est le « cymbalum
tinneiens », On attire peut-être, mais on ne retient pasv
Vous me paraissez comprendre la puissance des grou-
pements. Les personnes pieuses de diverses catégories
peuvent former des centres ayant leur vie propre et leur
but spécial. Cultivons la générosité sainte des femmes.
Si celle-là s'arrêtait, que deviendrait l'avenir?
XXXVII
Bien cher ami,
Je n'ose être trop sévère pour un proscrit, cependant je
dirai franchement au pasteur qu'il doit sortir de ses goûts
et de ses habitudes pour se livrer aux âmes. Vous auriez
dû (mon jugement est peut-être sévère), vous auriez dû
avoir vu déjà un très grand nombre de vos paroissiens,
et j'ose dire que vous avez manqué aux désirs du divin
Maître. Ne serait-il pas sorti lui-même à la recherche des
brebis égarées? Ne vous a-t-il pas donné mission de le
remplacer?
32
— 444 —
Beaucoup de familles vous auraient bien accueilli, et
c'eût été un lien plus fort entre ces familles et l'Église. Si
d'autres vous avaient mal reçu, c'eût été le profit de
l'abbé A..., et cette acceptation paisible aurait attiré
des grâces sur ces gens plus ignorants que coupables.
A notre époque, il faut toujours se remuer et ne pas
se décourager. C'est la persévérance dans le combat qui
fait remporter la victoire à une armée : « Insta oppor-
tune, importune. » Simplifiez votre ministère afin de vous
réserver assez de temps pour les visites. Que vos visites
soient courtes. J'ai connu un curé qui ne restait pas plus
de cinq minutes dans chaque maison, mais qui s'y pré-
sentait à toutes les occasions de maladie, de mort, de
deuil ou d'événements heureux. Il était aimé et avait une
grande autorité dans sa ville, qui était, comme la vôtre,
un chef-lieu d'arrondissement.
Quand on prolonge ces visites, on s'épuise, on s'em-
barrasse. Il vaut mieux se faire désirer. Parlez toujours
des enfants, ou plutôt laissez les parents en parler. Savoir
faire parler est un talent plus utile que l'éloquence.
Vous aurez peut-être à passer dans les maisons pour des
souscriptions. Quel avantage si vous avez déjà fait une
visite désintéressée! Je vous crois donc obligé, en con-
science, à employer ce moyen de gagner les âmes et je vous
recommanderais volontiers de marquer chaque soir le
nombre de visites que vous aurez faites, en vous deman-
dant quelles seront celles du lendemain.
XXXVIII
Bravo 1 mon bien cher ami, allez de l'avant. Les âmes,
sans le savoir, vous attendent. Ne vous laissez pas
refroidir ni intimider par quelque déception ici ou là.
Il faut toujours voir les choses dans leur généralité.
Et surtout oubliez-vous. Qu'il n'y ait plus l'être
timide qui n'est qu'un homme, qu'il y ait surtout l'envoyé
de Dieu.
Parlez beaucoup aux parents de leurs enfants : c'est le
— 445 —
chemin de leur cœur. Ne vous lassez pas de le faire.
Apprenez à être bien libre dans vos mouvements et vos
paroles, mais avec cette douce réserve qui rend cette
liberté toute surnaturelle. C'est en aimant beaucoup
qu'on s'oublie.
Il me semble qu'enfin vos gémissements se convertis-
sent en résolutions. Oui, oubliez-vous et lancez-vous,
tête baissée, dans toute l'activité du ministère. Puisque
vos paroissiens vous accueillent avec plaisir, votre devoir
est impérieux. Aucun prétexte ne vous en décharge, pas
même celui de réserver du temps à vos études, je dirai
même (passagèrement) à vos exercices de piété.
Quant aux instructions, habituez-vous à parler sans
avoir écrit. Ici encore, oubliez-vous, ne regardez que vos
auditeurs et la vérité que vous voulez leur inculquer.
Parlez comme un père et sachez bien que les choses les
plus simples sont les plus goûtées si elles sont dites avec
cœur et relevées par quelques images ou traits.
Dans toutes vos prières et élévations vers Dieu, deman-
dez la grâce de cet exode; plus aucune préoccupation de
timidité. Dieu vous emprunte pour parler et agir. Ce n'est
qu'une afl'aire de temps, vous vous habituerez à cette
nouvelle manière d'être. Plus tard, elle vous sera natu-
relle.
Que l'amour si tendre du cœur de Jésus, qui vous a
prévenu depuis si longtemps et vous presse de plus en
plus, trouve enfin en son cher privilégié toute l'ardeur
d'un amour agissant ! Vous vous plaignez souvent de
vous sentir froid pour Lui I Qui sait s'il ne vous réserve
pas dans la vie d'action ce qu'il donne parcimonieusement
à notre vie trop retirée!' tJn petit feu se conserve à l'abri du
vent, mais un plus grand feu en est au contraire alimenté.
Votre feu ne craint pas le grand vent de l'action, il est
bien pris et ne demande qu'à donner des flammes.
446 —
XXXIX
Bien cher ami,
Je me réjouis de voir votre santé s'affermir, mais il
faut que votre vailkrtfce fasse les mêmes progrès. Vos
paroissiens vous font un bon accueil; ils se plaignent de
de pas vous voir assez ! Quelles bonnes conditions pour
le succès de votre action auprès d'eux !
Oui, prenez l'habitude de faire beaucoup de visites
courtes. Peu à peu les gens conçoivent pour le prêtre de
l'estime, de l'affection. Alors commencent sérieusement
les tentatives pour l'amélioration de l'esprit paroissial et
pour les œuvres. Sans ce fondement préalable, on expose
tout cela à un échec difficile à réparer.
Si vous croyez qu'en effet notre divin Maître demande
que vous le portiez ainsi dans les familles, puisqu'il ne
peut s'y présenter lui-même, voudriez-vous tromper son
attente et laisser dans l'indifférence à son égard des âmes
qui pourraient le connaître et l'aimer?
Gardez-vous bien de calculer un à un les résultats de
chaque visite. Ne vous attendez pas non plus à voir la
moisson surgir rapidement. Allez avec la certitude que
Dieu vous dit d'aller et avec la confiance que vos efforts
seront bénis.
Vous avez à vous défier du penchant qui vous porte-
rait à une vie retirée et au soin personnel de votre âme.
Défendez-vous de regarder même cette hypothèse. Il
vous faut toutes vos forces; ces pensées les diminueraient.
Le prêtre est essentiellement la continuation de Jésus.
On désirerait mourir les armes à la main. Vous ne savez
pas combien on souffre de ne pouvoir s'occuper directe-
ment des âmes.
— 447 —
XL
Mon bien cher ami,
s
Depuis quelques mois les forces ont un peu repris, j'ai
pu dire la messe plus souvent, et poursuivre le travail
entrepris des méditations qui demanderaient bon nom-
bre de volumes.
Vous au contraire, mon cher ami, vous vous élancez au
dehors, et pour atteindre plus vite les âmes, vous accapa-
rez les moyens nouveaux fournis par la science. Puisque
l'effçt ne paraît pas devoir être fâcheux sur la popula-
tion, vous faites très bien d'agir ainsi.
Suivez fidèlement votre programme : confiance filiale
en Dieu, zèle confiant des âmes. Je ne cesserai de vous le
dire, un peu de témérité réussit, ce qui répond à la devise
de Danton : « De l'audace, encore de l'audace. » La psycho-
logie confirmerait au besoin ce conseil.
Je ne sais si cette remarque s'applique à votre région,
mais il me revient de plusieurs endroits que les popu-
lations s'adoucissent à notre égard et que plusieurs se
-rapprochent même de nous. On voit des retours conso-
lants surtout chez les hommes qui réfléchissent. L'Église
est le bataillon carré qui tient bon et laisse passer la
tempête des charges. Elle est le seul organisme parfaite-
ment organisé et uni au milieu de la désorganisation de
tout le reste, foules et sociétés. Nous sommes encore
dans la nuit, c'est vrai, mais déjà quelques lueurs parais-
sent.
Il me semble (mais on se fait tant d'illusions !) il me sem-
ble que, si j'étais à votre place, je brûlerais d'aller vers mes
froids paroissiens saùs tenir compte du peu de résultat
visible et immédiat. Semer un peu de ciel dans une âme
toute terrestre, donner quelque idée de Jésus à tant de
pauvres gens qui l'ignorent, que tout cela me semblerait
doux ! Puisque vous le pouvez, ô mon cher fils, réalisez ce
qui n'est de ma part qu'un rêve. Ne croyez pas que votre
action soit inféconde. Voyez ce qu'a fait celle de Jésus en
— 448 —
Judée. Ce qui tombe sur une terre même ingrale a chance
de prospérer quand la prière l'accompagne.
Dilatez votre pauvre cœur qui aurait tant besoin
d'amour et qui n'ose pas croire à celui qu'il porte à Jésus
et à celui dont il est l'objet. Vous le connaissez bien
pourtant ce Cœur si indulgent et qui se contente de si
peu. Vous êtes plein d'amour sous forme de tristesse, et
vous ne vous en apercevez pas. Oh ! « croyez à l'amour ».
Que votre foi en lui soit téméraire, s'il le faut. Vous
n'épuiserez pas son trésor de miséricorde !
TABLE DES MATIÈRES
Notice sur M. l'abbé Beaudenom (pages v à xlv).
Préface (pages xlvii-xlviii).
Lettres à des personnes du monde.
Première Série (pages 1 à 27) : I-. L'isolement que Dieu remplit.
— Les saintes femmes de l'Évangile. — II. Les parterres
des enfants. — La valeur des souffrances. — III. Pourquoi
Jésus est venu sur la terre. — IV. La visite des pauvres. —
V. Rien de meilleur que la souffrance. — VI. Ames privées
de consolations. — VIL Ne pas se laisser tromper par le démon.
— Le royaume de Dieu ici-bas. — VIII. Antipathies et sym-
pathies. — Sentiments de révolte envers le divin Maître. —
IX. Se conduire par principes et non par impression. —
X. Dieu n'est pas formaliste. — XL Porter sa croix. —
XII. Esprit inquiet, esprit filial. — XIII. Notre-Seigneur
veut notre bien. — Danger d'un idéal trop parfait. — XIV. Ce
qu'est la paix. — Il suffit d'aimer par la volonté. — XV. Ce
qu'enseignent les prêtres. — XVI. Les monstres que crée
l'imagination. — XVII. Aller à Notre-Seigneur comme s'il
était encore sur la terre. — XVIII. Du sourire aux larmes. —
Le reproche fait à saint Pierre. — XIX. L'exil de la terre. —
Mauvaise lecture. — XX. Expiation pour les disparus. — Ne
pas écouter ses violences d'impression. — XXI. Bonne
nouvelle. — Demande d'affections qui rendent meilleure.
Deuxième Série (pages 27 à 49) : I. Le travail pour les pauvres.
— IL Les mauvais livres. — Les parfums. — III. La rêverie. —
IV. S'abandonner à la paternité de Dieu. — V. Ne pas élever
|î(ses rêves trop haut. — VI. Avantages d'une santé délicate. —
VIL Le vide du monde. — VIII. Dangers de la sensibilité. —
IX. Ne pas dépendre de ses impressions. — X. Les impressions
changent. — XL Enfantillage. — Pas de mortifications impru-
— 450 —
dentés. — XII. Ce qu'il faut lire. — XIII. Être l'ange du
loyer. — - XIV. Combattre la tristesse. — XV. Comment
on prouve son amour à Jésus. — - XVI. La loi de l'exil. —
XVII. L'amour de Dieu fait sacrifier les inutilités. —
XVIII. Prouver à Dieu son amour. — XIX. La vie est une
épreuve. — XX. Les souffrances de Jésus. — XXI. Ne pas
tenir compte des tentations. — XXII. Peu parler de ses souf-
frances. — Privations du goût et de l'odorat. — XXIII. Ne
pas demander trop de bonheur.
Troisième Série (pages 49 à 89) : I. Voir ses misères. —
II. Moyen de supporter une douleur intense. • — III. Besoin
factice des redites. — IV. Le monde éloigne de Dieu. — V. Mé-
priser les impressions. • — VI. Pourquoi Dieu nous laisse nos
misères. — VIL Le désir d'être estimée. — VIII. Parler de
Notre-Seigneur plus que des créatures. — IX. Chercher Notre-
Seigneur pour lui-même. — X. Aliment de l'orgueil-. —
XL La souffrance universelle de Jésus. — Les illusions. —
XII. Privation des moyens spirituels. — XIII. S'oublier. —
XIV. Les crises sont des états passagers. — XV. Infidélité
aux résolutions. — XVI. Le spleen. — XVII. Tromperies
du démon. — XVIII. Influences fâcheuses de l'esprit du
monde. — XIX. L'amour-propre caressé. — Le zèle, effet de
l'amour. — XX. Ne pas prendre un chemin qui égare. —
XXI. L'Ascension. — XXII. La paix intermittente. — Agir
par raison. — XXIII. Se résigner et s'oublier. — XXIV. La
préoccupation de soi. — XXV. Savoir aimer ce que Dieu
donne. — Pas d'empressement. — XXVI. Bonne occasion
de payer ses vieilles dettes. — XXVII. Les blessures d'amour-
propre. — XXVIII. Comprendre l'obéissance. — XXIX. Bri-
ser son orgueil. — XXX. Effet de la tentation. — XXXI. A
l'école de saint Philippe de Néri. — XXXII. Le bagage des
exigences. — XXXIII. Sans humilité, rien de solide. —
XXXIV. Recherche de l'estime. — XXXV. La raison doit
guider. — XXXVI. Dieu seul ne manque pas. —
XXXVII. Épreuve d'un plan renversé. — XXXVIII. État
de malaise. — XXXIX. Réponses de Notre-Seigneur. —
XL. Progrès. — XLI. Expiation et réparation.
Quatrième Série (pages 89 à Î08) : I. Comment chercher
Dieu. — IL Orage au bas de la montagne. — III. Ruse du
démon. — IV. Miséricorde du Cœur de Jésus. — V. Le trouble
n'est jamais légitime. — VI. Quand on voit tout en noir. —
VIL Patience envers soi-même. — VIII. La violence ne produit
— 451 —
pas le calme. — IX. Affection trop absorbante. — X. Manque
réel de l'obéissance. — Penser comme l'Église. — XI. Dilater
son cœur. — XII. L'or dans le sable. — XIII. Mettre à ses
lèvres une garde vigilante. — XIV. Parler à Dieu de lui-
même. — XV. La violence aveugle. — Aimer à céder aux
autres. — XVI. Règle de conduite. — XVII. Actes intérieurs
d'amour. — XVIII. En convalescence.
Cinquième Série (pages 109 à 165) : I. Commencement de
direction. — II. Entraînement superficiel. — III. La vertu
heureuse. — IV. Le Paradis perdu. — V. Faire la part à Dieu.
— VI. Vue d'une personne morte. — Secours aux âmes du
purgatoire. — VIL Impressions intellectuelles. — VIII. Con-
fiance dans le directeur. — IX. Détails donnés par saint Bona-
venture. — X. Amour différent pour chaque ordre de créa-
tures. — XL Exercices de saint Ignace. — XII. Le droit à la
survivance. — XIII. Le sens de l'admiration. — La science
aboutit aux « pourquoi ». — XIV. Les vertiges de la pensée.
— XV. Le mauvais air de ce siècle. — XVI. Bonheur du
ciel. — XVII. But de la méditation. — XVIII. Se dégager
des préoccupations de l'esprit. — XIX. On se reconnaît au
ciel. — XX. La Communion des Saints. — XXI. Les âmes
transfigurées. — XXII. Douleur de Jésus au Calvaire. —
XXIII. Intoxication de l'air ambiant. — XXIV. Prudence
des saints. — XXV. Impressions vives. — XXVI. Les entraî-
neurs des chevaux de courses. — XXVII. Bon tempérament.
— Foi recouvrée. — XXVIII. Hypothèse de l'évolution. —
XXIX. Brunetière, — XXX. Le plus ne peut sortir du moins.
— XXXI. Sans la foi, rien ne s'explique. — XXXII. Souf-
frances physiques de Job. — XXXIII. Les astres peuvent
être habités. — XXXIV. Nos souffrances. — XXXV. Vie mou-
vementée de l'Église. — XXXVI. Peine qui ne rend pas meil-
leur. — XXXVII. Pendant une retraite. — XXXVIII. Des
excès de Dieu. — XXXIX. Souffrances des animaux. —
XL. Trop de vivacité. — XLI. Nous marchons à tâtons. —
XLII. Des affections très vives. — XLIII. Le sens de l'idéal.
— XLIV. Avoir une âme douce. — XLV. Le rendez-vous
durable. — XLVI. Fidélité à la méditation. — XLVII. L'orai-
son prolongée. — XLVIII. Le doute. — XLIX. La vraie
patrie. — L. Le dévouement rend tout facile. — LI. Scepti-
cisme régnant. — LU. La foi. — Convertis de nos jours. —
LUI. Ici-bas, nous cherchons à tâtons. — LIV. Heures d'an-
goisses. — LV. La bonté de Dieu et la souffrance. — LVI. Le
*tlépart des amis. — LVII. Garde-malade surnaturelle. —
— 452 —
LVIII. Au ciel. — LIX. Constitution d'une admirable huma-
nité. — LX. Au sujet d'une âme qui ne s'ouvre pas. —
LXI. Bannir le découragement. — ■ LXII. La conduite de Dieu.
— LXIII. Chercher à faire plaisir. — LXIV. Vie d'union plus
intime. — LXV. Pourquoi Dieu laisse dans les ténèbres.
Sixième Série (pages 105 à 178) : I. Pourquoi Notre-Seigneur
s'est fait homme. — II. Renouveau de la nature et vie de
l'âme. — III. Larve et papillon. — IV. Affections dispa-
rues. — V. Le souvenir. — Notre siècle saturé d'incrédulité.
— VI. L'autre vie n'est pas un rêve. — VIL Quand on ne peut
jeûner. — VIII. Au temps de la Passion. — IX. Mourir pour
revivre. — Le Cœur de Jésus. — X. Offrir ses privations
quand d'autres offrent leur sang. — XL La douce crèche. —
XII. La vie et l'éternité. — XIII. Vendredi Saint. — XIV. Jé-
sus en croix. — Comment envisager tout ce qui passe.
Septième Série (pages 178 à 214) : I. Utilité de l'éducation
positive de son néant. — IL Victoire sur le défaut dominant.
— III. Penser beaucoup aux autres. — IV. L'impressionna-
bilité. — V. L'humilité. — VI. La sagesse. — VIL Écarter
les obstacles. — VIII. Soumission dans le détail. — IX. Vie
d'immolation dans le monde. — X. L'apathie. — XL La
mortification. — XII. La justice stricte. — XIII. Oublier
qu'on souffre. — XIV. Ici-bas, nous n'avons qu'un Jésus cru-
cifié. — XV. La nervosité. — XVI. La leçon de Gethsémani
et du Calvaire. — XVII. L'abandon est sagesse. — XVIII. De-
venir humble à fond. — XIX. Se dégager de soi-même. —
XX. Les craintes de saint Pierre. — XXI. Déceptions. —
XXII. Journées de névralgies. — XXIII. Dieu nous prend
tels que nous sommes. — XXIV. Servir Dieu joyeusement. —
XXV. Se désoccuper de soi. — XXVI. Être aimable quand
on est ennuyé. — XXVII. Delenda Carthago. — XXVIII. Le
f* contentement de Jésus. — ■ XXIX. Être aussi parfaite que
possible. — XXX. La souffrance rapproche de Jésus. —
XXXI. Le vrai but de la vie. — XXXII. Acceptation sans
réserve. — XXXIII. Confiance quand même. — XXXIV. Fiat
voluntas tua. — XXXV. Pas de tristesse amère. —
XXXVI. L'amour du sacrifice. — XXXVII. Être plus sur-
naturelle. — XXXVIII. Vie de recueillement. — XXXIX. Ne
pas regarder le lendemain. — XL. Exigence pour soi, indul-
gence pour les autres. — XLI. La paix établie.
Huitième Série (pages 215 à 226) : I. Le support d'un échec.
— IL Ne regarder que la volonté de Dieu. — III. « To$t
— 453 —
sourit à ceux qui aiment Dieu. » — IV. Chercher où Ton
donnera plus de gloire à Dieu. — V. Utilité d'un règlement. —
VI. Pour être moins dérangé. — ■ VII. La présence du divin
Maître. — VIII. L'amour de Jésus fait désirer la souffrance. —
IX. Aptitudes et attraits pour l'apostolat. — X. L'intimité
avec Jésus. — XL Cherchons Dieu continuellement. — ■
XII. Dieu ne délaisse pas longuement ses enfants.
Neuvième Série (pages 226 à 233) : I. Mort d'une enfant. —
IL Écouter l'enfant partie. — III. N'être pas trop personnel
dans ses regrets. — IV. Les espérances éternelles. — V. L'ange
que Dieu a pris. — VI. Séparation. — VIL Première Com-
munion. — VIII. Nunc dimittis.
Dixième Série (pages 234 à 241) : I. L'humanité cesse de regar-
der le ciel. — IL Mort d'une épouse. — III. Maintenir son
âme dans la paix. — IV. Les vides qui ne se comblent pas. —
V. Dieu respecte les lois de la nature. — VI. Cinquantenaire. —
VIL La guerre. — VIII. Mort d'un fils.
Onzième Série (pages 241 à 298) : I. Étude d'un attrait. — ■
IL Période d'information. — III. La direction. — IV. Vie
très absorbante. — V. « Le trône de la miséricorde de Dieu,
c'est notre misère. » — VI. Prévisions de l'avenir. — VIL Perte
d'un directeur. — VIII. Le meilleur est ce que Dieu demande.
— IX. Comment rendre compte de son âme. — X. Deux
dispositions relatives à l'humilité. — XL La pensée de Dieu
dominante. — XIL Pas de préoccupations de conscience. —
XIII. L'union la plus intime. — XIV. Ne pas se considérer
soi-même. — XV. Toujours en paix. — XVI. Après les mo-
ments défectueux. — Pas trop d'œuvres; but des méthodes. — ■
XVII. Aimer comme si l'on était une sainte. — XVIII. Mieux
à faire qu'à compter ses pas. — XIX. L'aménité de saint
François de Sales. — XX. L'affection de Dieu ne change pas
comme notre humeur. — XXI. Penser plus à Dieu qu'à soi. —
XXII. Dilettantisme. — XXIII. Effet des occupations inces-
santes. — XXIV. Le cœur dilaté. — XXV. Épreuve de fidélité.
— XXVI. Parabole de l'enfant prodigue. — XXVII. Médita-
tion qui renouvelle. — Dieu plus honoré par la confiance
que par les craintes. — XXVIII. Agir en toute simplicité. —
XXIX. On n'avance que par la dilatation. — XXX. Très
grande confiance. — XXXI. Les menus détails. —
XXXII. Changements d'impressions. — XXXIII. La souf-
france exaspère la sensibilité. — XXXIV. Pratique d'une
personne toute simple. — ■ XXXV. Bannir la tristesse. —
- __ 454 —
XXXVI. Les mauvaises herbes. — XXXVII. Cœur généreux
et esprit exigeant. — XXXVIII. Plaire à Dieu. — - Invasion
de la vaine complaisance. — XXXIX. La vraie vie surnatu-
relle. — XL. Les satisfactions d'ordre naturel. — XLI. Le sen-
timent du plus parfait. — XLII. Le bonheur. — XLIII. L' Al-
léluia. — XLIV. Chercher Notre-Seigneur fidèlement. — ■
XLV. Ne pas s'attarder aux préoccupations sans valeur. —
XLVI. L'union de volonté. — XLVII. Au milieu des soucis
de l'existence. — XLVIII. La grandeur est dans la mesure
de l'amour divin. — XLIX. Deux principes pour une ligne
de conduite. — L. Faire toute la volonté de Dieu. — LI. Dieu
et la perfection avant tout. — LIL Fidélité du règlement. —
La physionomie. — - LUI. Vue attristée sur l'avenir. —
LIV. Les soucis incessants. — LV. L'appel de Jésus : « et moi ».
— LVI. Surcharge, — LVII. La guerre.
Douzième Série (pages 299 à 306) : I. L'incertitude et ses
tourments. — IL Se confier à la Sainte Vierge. — III. La
confiance. — LV. Devoir cruel. — V. Le partage de la croix
de Jésus. ■ — ■ VI. Diminution de ressources. — ■ VIL La paix
surnaturelle. — VIII. Dieu gouverne toutes choses. — IX. La
vie est si courte. — X. Jésus, consolation permanente. —
XI. Le Fiat. — XII. Si près de l'éternité.
Treizième Série (pages 307 à 318) : I. Ne pas détruire sa sen-
sibilité. — L'influence des milieux. — IL A la vue des cimes
de la perfection. — III. Vie brisée. — L'aurore de l'union à
Dieu. — IV. Pas de vain empressement. — V. Les regrets
sont des actes d'amour. — VI. Les saints avaient des distrac-
tions. — VIL Vivacités et humiliations. — VIII. Chemin
d'exil. — IX. L'inaction transformée en grande activité. —
X. La charité miséricordieuse. — XL Légitimes confidences.
— XII. Aimer avec sécurité. — XIII. Victime consciente de
l'œuvre de Dieu.
Quatorzième Série (pages 318 à 340) : I. Début d'une direction.
— IL Pèlerinage à Lourdes. — III. Consécration à saint
François d'Assise. — IV. La Communion, lien avec les âmes
du ciel. — - V. La santé n'est que prêtée. — VI. Surmenage. —
VIL Des hauts et des bas. — VIII. L'idéal de toute beauté. —
IX. Nos misères. — X. Devoir de se ménager. — XL L'aban-
don complet. — XII. Éviter ce qui tend les nerfs. — XIII. Le
côté merveilleux de la souffrance. — XIV. Le Pater. — La
prière de louange; promesse de prières. — XV. Se tenir aux
pieds^du Maître. — XVI. Double réserve en se dévouant aux
— 455 —
œuvres. — XVII. Dieu présent, Dieu absent. — XVIII. Les
biens indivis. — XIX. Non fecit tailler omnl natlonL —
XX. Repos d'âme et de corps. — XXI. Dieu reste toujours
le même. — XXII, Au Thabor. — XXIII. Les occupations les
plus communes. — XXIV. Privation de messe. — XXV. Sen-
timent de notre néant.' — XXVI. Préoccupation sur la foi. —
XXVII. Acceptation de la maladie. — XXVIII. Une retraite.
— XXIX. Au-dessus de tout : l'union à Dieu. — XXX. Excès
de courage. — XXXI. Être parfaite malade. — XXXII. La
paix dans l'abandon. — XXXIII. Le Cœur de Jésus. —
XXXIV. Le sanctuaire intime.
Quinzième Série (pages 341 à 370) : I. En Dieu on vit large-
ment. — IL Vivre de Dieu. — III. Le rôle du directeur. —
IV. L'abandon et la prière de demande. — V. Pas de crainte.
— VI. Divers ordres d'affections. — VIL La paix joyeuse dans
la souffrance. — VIII. La voie du Calvaire. — IX. Souffrir
avec Jésus. — X. Un passage des Psaumes. — XL L'amour
de sa propre abjection. — - XII. Tout contribue au bien des
élus. — XIII. Nous cherchons Dieu à tâtons. — XIV. Ne pas
éteindre les affections humaines. — XV. Vie d'épouse et de
mère. — XVI. Les éléments de notre être divinisé. —
XVII. L'avantage des épreuves. — XVIII. La résignation
n'empêche pas la douleur. — XIX. Se prêter aux autres. ■ —
XX. L'exaltation de la sainte Croix. — - XXI. Alléluia. —
XXII. Amour de Dieu et amour maternel. — XXIII. An-
goisses maternelles. — XXIV. Le lendemain est à Dieu. ■ —
XXV. Utilité de l'humiliation. — XXVI. Pourquoi Dieu s'est
incarné. — XXVII. Le surnaturel n'exclut pas le naturel. — ■
XXVIII. Les souffrances sont de grandes faveurs. —
XXIX. L'union après la mort. — XXX. Les peines sont des
bienfaits. — XXXI. Nous vivons en Dieu. — ■ XXXII. Avec
saint Paul : « Rien ne me séparera, etc.. » — XXXIII. Dieu
a des présences diverses. — XXXIV. Une âme peut expier
pour beaucoup d'autres. — XXXV. L'union intime avec
Jésus. — XXXVI. La conduite de Dieu. — XXXVII. La grâce
de l'humiliation. — XXXVIII. Pour le départ d'un. fils. —
XXIX. Dans la voie de la sainteté. — XL. La vie surnaturelle
et la vie du monde. — XLI. Acceptation des injustices. —
XLII. Fils blessé. — XLIII. Anxiété. — XLIV. Les jours
pleins valept mieux que de longues années. — XLV. Debout
près de la croix. — XLVI. S'oublier soi-même dans l'extrême
douleur.
— 456 —
Lettres à des religieuses.
Seizième Série (pages 370 à 380) : I. Avenir inquiétant. — II. A
la disposition du bon Maître. — III. Pas d'amour-propre
d'auteur. — IV. Souffrances habituelles. — V. L'avenir est
à l'Église. — VI. La rudesse de la croix. — VIL La volonté de
Dieu. — VIII. Une vie surmenée. — IX. Vivre au-dessus de
la crainte. — ■ X. Quand on se sent bien pauvre. — XL Le
Sacré-Cœur aime à être plaint. — XII. Se dilater.
Dix-septième Série (pages 380 à 400) : I. Dieu seul ne manque
jamais. — IL La vie est une épreuve. — III. Lettre de prin-
temps. — IV. Paix et contentement-dans la vie religieuse. —
V. Le désir et la prière, ailes de l'avancement. — ■ VI. Entre-
tenir dans son cœur l'amour divin. — VIL La santé spiri-
tuelle. — VIII. Les affections humaines en regard de l'affection
pour Notre-Seigneur. — IX. Dieu plus dans les âmes que dans
la nature. — X. Se défendre contre l'envahissement de ce
qui n'est pas Dieu. — XL « Duc in altum. » — XII. Fille aînée,
fille unique. — XIII. La religieuse est épouse. — XIV. Fidélité
au bercail. — Être une âme d'avancement. — XV. Jésus
intime. — XVI. Voie de simplicité. — XVII. La crèche, idéal
de pauvreté. — ■ XVIII. La rie complète. — XIX. Adapter
l'enseignement aux exigences nouvelles. -- XX. Être de plus
en plus attentive à la parole intérieure.
Lettres à des prêtres.
Dix-huitième Série (pages 401 à 408) : I. Sous-diaconat. —
IL Diaconat. — III. Sacerdoce. — IV. Les Prêtres de Saint-
François de Sales. — V. Amitié fondée. — VI. Importance de
l'oraison. — VIL Les infirmités sont un grand bien. —
VIII. Acceptation filiale et joyeuse. — IX. La souffrance de
Jésus a sauvé le monde. — X. Que le bon plaisir de Dieu s'ac-
complisse.
Dix-neuvième Série (pages 109 à 415) : I. La perte d'un ami. —
11. La vie de Jésus en nous. — III. Ne pas s'étonner de ne pas
constater ses progrès. — IV. Rationabile obsequium. —
Y. La trente-deuxième année. — ■ VI. « Bienheureux ceux
qui pleurent. » — VIL Que penser du Cœur de Jésus. —
VIII. Les gâteries du divin Maître. — IX. Se préparer par le
recueillement à la direction du Saint-Esprit. — Promesse
d'amitié éternelle.
— 457 —
Vingtième Série (pages 415 à 448) : I. Ouverture d'âme. —
II. Promesse d'affection. — III. Devise suggérée : Quand
même. — IV. Se voir en double. — V. Pas de contention. —
VI. N'être pas saule pleureur. — VII. Témoigner son affection
aux élèves. — VIII. Ne pas vivre d'examen. — IX. Écarter ce
qui attriste. — X. Professorat et ministère. — XI. L'esprit
de prière. — XII. Se remettre dans le calme. — XIII. Pas
de tristesse. — XIV. Ne pas vouloir le bien d'une façon trop
mathématique. — - XV. Ne pas tout réglementer. — XVI. De
la régularité, mais pas d'esclavage. — XVII. Une plaie qu'on
fouillerait sans cesse ne guérirait pas. — XVIII. Ne pas être
formaliste. — XIX. La sainte indifférence. - — XX. Quand
on est investi de l'autorité. — XXI. Devenir miséricordieux.
— XXII. Être en paix au- dedans. — XXIII. Calme inté-
rieur et bonhomie extérieure. — ■ XXIV. En chaire. — XXV.
Jeter son ancre là-haut. — XXVI. Ne pas tenir compte de
ses misères. — XXVII. En retraite. — XXVIII. Physiono-
mie à adoucir. — XXIX. Pourquoi les saints aiment tant les
âmes. — XXX. Le manque de dilatation. — XXXI. Pas
d'habitude de resserrement. — XXXII. Chercher à se conso-
ler dans l'intimité avec Jésus. — XXXIII. Visites aux
familles. — XXXIV. Ne pas se décourager. — XXXV.
« Aller à Dieu plus finalement, aux hommes plus fraternelle-
ment. » — XXXVI. Maintenir jalousement sa vie intérieure.
— XXXVII. La persévérance assure la victoire. — XXXVIII.
Voir les choses dans leur généralité. — XXXIX. Faire
beaucoup de visites courtes. — XL. L'Église au milieu de la
désorganisation des sociétés.
impr. de Montligeon. — I.a ChapeHe-Montligeon (Orne). — 8552-7- 19.
o
lcA
fLIBRARV j
V-1
MAR 1 0 2006